Université
de
Paris
1 -
Panthéon-Sorbonne
u-e.r..: institut
d'" étude du
développement
économique
et
social
-
LA
MIGRATION
EN
BASSe - COTE
-
CES
SENOUFO
CE
COTE
-
C'IVOIRE
------===-='''''-"''--~._--_..-
..
CONSEil AFRiCAiN ET MALGACHt
POUR L'EN5ElGi\\lEMENT SUPERiEUr~
. c. A. M. E. S. -
OUAGADOUGOU .
i' Arrivée .'}.~. j\\.H\\~· ~995·· .~ ... 1'1-
tE~~=-~~t.r~s~us n° ·#·0·0'8,'3.~. l,
THESE
'
pour
le
doctorat
de
1110
cycle
présentée et soutenue
par
Souleymane
S.
Ouattara
Directeur
de
recherche:
M.
le
Professeur
Phi lippe
Hugon
Paris
Cécembre
1981

L'UNIVERSITE DE PARIS I, PANTHEON-SORBONNE n'entend donner aucune approbation
ni improbation aux opinions émises dans le~ thèses : ces opinions doivent être
considérées comme propres à leurs auteurs.

AVANT-PROPOS
Cette recherche intitulée "La migration en Basse Côte des Sénoufo
de Côte d'Ivoire" est partie de notre préoccupation de montrer l'importance
et l'intérêt que recouvrent les migrations internes en Côte d'Ivoire, jusqu'a-
lors obnibulée~par les migrations externes. A cet effet, les Sénoufo nous
sont apparus comme un cas représentatif. L'intérêt du projet s'est accru,
épistémologiquement, dans la mesure où le thème fait appel à une approche
interdisciplinaire pour donner l'unité au fait migratoire que les différentes
~ disciplines des Sciences Humaines ont dislo~uée.
-----
De l'Institut d'Ethno-Sociologie de--l'Université-d'-Abidjanà l'Insti~
tut d'Etude du Développement Economique et Social de l'Université de Paris!
(Panthéon-Sorbonne) nous avons bénéficié de cadre approprié - intellectuel et
scientifiqu? - pour mener à terme une réflexion sur le phénomène migratoire.
Comme il est de coutume, mais certainement cela va au-delà de la
simple formalité, nous tenons à exprimer notre gratitude à tous ceux qui, ma-
tériellement, moralement et intellectuellement nous ont apporté leur concours.
En premier lieu, nos remerciements vont à Monsieur le Professeur
Hugon qui a bien voulu diriger notre thèse. Qu'il nous permette de dépasser
le stade protocolaire - son altruisme dut-il en souffrir - pour lui exprimer
ilDtre reconnaissance-~-Malgré-s-es--lourdes tâches i l s'es t montré touj our s dis-
ponible et d'un accès très facile. Nous ne soulignerons pas assez combien il
a répondu, avec diligence, à nos nombreuses sollicitations. Si cette recherche
se trouvait
avoir un quelconque intérêt, nous le devons à son expérience et à
sa rigueur scientifique.
Nos remerciements s'adressent également à Messieurs Masini et
Ikonicoff, respectivement Délégué Général et Directeur des Etudes de l'I.E.D.E.S.
qui, de par leur confiance spontanée, nous ont aidé à résoudre rapidement les
problèmes pédagogiques et administratifs dès notre arrivée en France.

4
Nous tenons également à remercier Monsieur Haubert, Maitre Assis-
tant à Paris l, qui tout au long de cette recherche n'a cessé de nous dis-
penser ses conseils pour mener à terme cette recherche. Nous tenons à sou-
ligner particulièrement sa contribution au dépouillement du questionnaire
par fiche, technique à laquelle il nous a initiée.
Nous nous en voudrions d'omettre d'exprimer notre gratitude à
Monsieur le Professeur Diabaté Moustapha, précédemment Directeur de l'Insti-
tut d' Ethno-sociologie de l'Université d' Abidjan. Dès le début, Monsieur
Diabaté a encouragé notre initiative et depuis n'a cessé de nous prodiguer
de sages conseils tout en nous apportant une aide tant morale que matérielle.
Enfin, nos remerciements s'adressent à tous ceux qui, d'une manière
ou d'une autre, ont contrihué à l'achèvement de ce travail. Puisse les con-
clusions de cette recherche apporter la preuve de l'utilité de l'aide concrète
et des conseils des uns et des autres.

INTRODUCTION

6
Justification du thème
Le terme migration désigne généralement tout mouvement spatial
d'un nombre important d'individus. La répartition géographique des popula-
tions révèle que l'homme, cet "homo migratus", de tout temps s'est déplacé
pour une raison ou pour une autre. De ce constat découle le caractère d'uni-
versalité des migrations.
Si le phénomène' de mobilité est à l'origine de l'occupation spa-
tiale de la terre, les aspects et les mobiles changent d'un lieu à un autre
et d'une époque à une autre. De nos jours, l'un des plus grands courants
migratoires observés en Afrique est consécutif à la colonisation en rela-
tion avec le capitalisme eu~ard à leurs intérêts respectifs. A l'obser-
vation ces migrations se font toujours des régions dites pauvres vers des
pôles de développement. Tel est le cas en Côte d'Ivoire avec les migrations
extérieures-màis aussi avec les migrations internes, du nord savane vers
le sud forestier et des zones rurales vers les centres urbains. C'est ce
dernier aspect qui nous intéresse et nous l'illustrerons avec le phénomène
"lama" chez les Sénoufo.
Quelles sont les raisons qui ont déterminé le choix d'une recherche
sur les migrations internes ?
La carence d'études approfondies constitue la raisori principale.
Il suffit de s'intéresser aux migrations en Côte d'Ivoire pour constater
oeAait
frappant. A l'abondante littérature sur les migrations externes Cl)
(1) A titre d'exemples parmi tant d'autres citons les études les plus con-
nues et les plus vulgarisées :
R. Denie1. De la savane à la ville. Essai sur la migration des Mossi
vers Abidjan et sa région. CASHA, Aix-en-Provence, 1967.
J.M. Gibba1. Citadins et villageois dans la ville africaine.P.U. Grenoble,
Maspéro, 1974.
M. Touré. Etude socio-démogràphique des populations actives des centres
urbains de Côte d'Ivoire. Thèsede Doctorat de 3ème Cycle, Université de
Strasbourg II, 1971.
En plus de ces ouvrages il y a des articles très intéressants de Schwartz
(sociologue), de Hearinger (géographe)
.. , parus dans les .Cahiers de
l'ORSTOM. Mentionnons également des études économiques ponctuelles des
Ministère du Plan, de l'Economie en collaboration avec des organismes
internationaux comme la Banque Hondia1e, le Bureau International du
Travail, etc ...

7
s'oppose la carence d'études sur les migrations internes. Toutefois ce
..
fait s'explique. L'engouement des chercheurs pour les migrations externes
est à mettre
en
relation
avec la croissance économique de la
Côte d'Ivoire et la main d'oeuvre étrangère qui y a contribué et continue
d'y contribuer pour une large part. Soulignons qu'en fait les chercheurs
ont rencontré un courant favorable né de la préoccupation des organismes
internationaux de faire le bilan des migrations internationales. A ce pro-
pos, en Afrique, la Côte d'Ivoire se présente comme un cas type. Face à
cet engouement on est en droit de se poser une question : l,a polarisation
sur l'apport des migrations externes ne cache-t-e11e pas une autre réali-
té ? Celle que les migrations internes sont en fait une des contradictions
de l'essor économique que le pays a connu depuis 1960, date de l'indépendan-
ce politique. En d'autres termes, les migrations internes ne seraient-elles
:.~
pas la preuve du partage inégal des fruits de la cro~ssance. En effet,
il semble plus facile et plus sécurisant de décrire la "descente des Mossi"
que È~~~I!1~~t:rer_~J.~s~mj.grationsinternes dévitalisant les 3/4 du terri,toire
national au profit de la Basse-Côte, " v itrine du déséquilibre régional" (l).
On n'ose pas montrer que par le biais des migrations la Basse-Côte se nour-
rit de la pauvreté des autres régions. Mieux, elle les appauvrit.
A en juger par les chiffres (migrations internes: 825.505 et immi-
gration
1.053.999) (2) rien ne justifie la négligence de la mobilité in-
terne des Ivoiriens. En tout état de cause, c'est un aspect dont la connais-
sance et la maîtrise des mécanismes sont nécessaires - on l'a souvent dit
pour l'élaboration cohérente des projets de développement. De nos jours
encore, les migrations internes bien que tout aussi importantes que les
migrations extérieures, comme le prouvent les chiffres ci-dessus, se limi-
tent à de modestes. ét~des_poI!ctue.;t1es d~ ~a Pélrt d~_..certains ministères en
collaboration avec des organismes internationaux pour répondre à des préoc-
cupations ~édiates. Face à cette absence d'étude approfondie qui soit le
reflet réel de l'intensité du phénomène, l'essentiel pour nous consistera
à faire le diagnostic du phénomène migratoire à partir d'un cas concret
assez représentatif. Il est de plus en plus urgent de comprendre les moti-
(l) Généralement les experts et autres disent "vitrine du modernisme" ou
"vitrine de la réussite économique".
(2) K.C. Zachariah. La migration en Côte d'Ivoire (Recherche conjointe
Banque Mondiale - OCDE). Banque Mondiale, Washington, juin 1978, p.32.

vations des migr~tions et les effets qu'elles produisent sur les sociétés
tributaires. En cernant le phénomène dans sa globalité nous pensons pouvoir
contribuer modestement à la recherche d'un début de solutions adéquates.
Telles sont les raisons d'ordre pratique qui ont inspiré le choix de ce
thème.
Du point de vue épistémologique nous pensons pouvoir contribuer
à la connaissance scientifique de la forme africaine des migrations. Comme
nous l'avons déjà dit, le phénomène migratoire est universel mais les as-
pects et les mobiles varient selon les milieux et les époques. Or les as-
pects et les mobiles observés dans les migrations européennes - d'ailleurs
les mieux connues - ont été trop généralisées et trop vite extrapolées
à toutes les formes de mouvements migratoires, celles de l'Afrique y com-
prises. En Afrique la migration n'a pas toujours été une thérapeutique
appliquée à la société. De nos jours les migrations concernent les forces
_vives dont le départ crée-un vide-sans -aucune compensation. Alors que les
migrations de masse étaient salutaires pour la société, donc sans consé-
. quences négatives, en Afrique, elles mettent en situation précaire la vita-
lité, le dynamisme et la survie de,la société affectée dans toutes ses
structures. Alors que le migrant européen, quelle que soit sa nouvelle ré-
sidence reconstitue sa société et ses institutions, ici, le migrant africain
est coupé de son ancien mode de vie villageois, ce qui a pour conséquence
la création d'institutions intermédiaires ayant pour objectif d'atténuer le
désarroi et le mal du "pays". Un autre aspect très important à signaler est
la valorîsation voire la survalorisation du migrant à cause de sa nouvelle
capacité financière et de son physique attrayant. En effet, le climaLde
la Basse Côte rend sa peau claire et ses paumes deviennent lisses car là-
bas, iltravaille-moins avec la houe 0) que dans son-vil1age.d'origine.
Tous ces signes, apparemment banals ont une signification - sociologique -
pour ceux
demeurés au village. Avec tant d'originalités qui restent à
découvrir, les études sur les migrations africaines présentent de nombreu-
ses perspectives. Ainsi se justif{e la recherche que nous avons entreprise
sur les migrations internes en Côte d'Ivoire. A présent,
précisçms _
la problématique.
(1) Le manche de la houe fait des cors dans les paumes et les rend dures.
Le travail à la houe demande un effort physique considérable et pour le
paysan tout travail sans houe devient une activité récréative.

Problématique
La première hypothèse est que le phénomène des migrations internes
en Côte d'Ivoire, tel que nous lelconnaissons sous sa forme incontrôlée
et pour le moment incontrôlable, comporte plus d'effets négatifs que posi-
tifs non seulement pour le développement égal du pays mais surtout pour
les zones qui en sont la source. La désertion de la force ~ travail des
villages provoque une telle hémorragie qu'elle justifie les inquiètudes
suscitées à tous les niveaux de la société ivoirienne. Or une observation
attentive montre que les zones qui constituent la source des migrations
sont celles qui n'ont pas fait l'objet d'un intérêt particulier pendant la
période de l'administration coloniale et plus tard du capitalisme interna-
tional. Et pourtant, au niveau national, ces régions sont réputées être
encore les "greniers de la Côte d'Ivoire". Ainsi les migrations internes
ne se manifestent pas seulement comme la conséquence inéluctable du mode de
production-et du développement inégal des régions mais_aussLconnne un _début_
de destruction des sociétés rurales. L'exemple des Sénoufo montrera connnent
cette société communautaire précipitée vers l'économie marchande et l'indivi-
dualisme assiste à 1a dégradation de son système de production et à l'effri-
tement de ses institutions sociales de base. Les migrations internes se ré-
vèleront-elles assez à l'étude comme une réponse au nouveau système socio-
économique qui a contribué à faire apparaître au sein de la société sénoufo
une dysfonction généralisée.
La seconde hypothèse a trait à l'explication théorique du phénomène
migratoire. Pour nous les migrations internes apparaissent aujourd'hui dans
leur unité COmme un fait social au sens durkheimien du terme (1). En tant
que telles elles gagneraient à être étudiées en rapport avec les problèmes
d'eriiploikde revenu,- de statut social-des-jeuneset de leur_rôle dans le
système de production villageois . Pendant très longtemps des spécialistes
des différentes disciplines des sciences humaines ont proposé des explica-
tions fragmentaires brisant l'unité du fait migratoire. Face à ces explica-
tions partielles une explication théorique globale ne peut-elle redonner
(1) Durkheim à la page 14 de son livre sur Les règles de la méthode socio-
logique. P.U.F., Paris, éd. 1977, définit le fait social comme "toute
manière de faire, fixée ou non, susceptible d'exercer sur l'individu
une contrainte extérieure ou bien encore qui est générale dans l'éten-
due d'une société donnée tout en ayant une existence propre, indépen-
dante de ses manifestations individuelles".

10
au phénomène migratoire son unité ? Ce sera un des points importants de
.
,
l'étude. Un autre aspect important sera à analyser: les migrations de re-
tour qui ne manqueraient pas d'avoir un impact sur la société. ;A première
vue le migrant de retour est débordant de dynamisme. Enfin, nous montrerons
que l'étude des migrations internes est un phénomène tout à fait sociolo-
gique car en fait, leurs aspects les plus visibles, les aspects économiques,
démographiques et fonciers, apparaissent dans leur réalité comme les consé-
quences sur les structures sociales propres à chaque société. C'est parce
que le jeune Sénoufo ne trouve plus une échelle de valeur dans sa société
de base compatible avec ses nouvelles aspirations qu'il quitte le village.
Aussi se sent-il et est-il valorisé à son retour de migration. Même si sa
migration s'est soldée par un échec, financier notamment, il n'empêche
qu'il acquiert un certain prestige. Les jeunes "déserteur s" semblent se réa-
liser dans la migration qui jouerait le même rôle symbolique et réel que
l'initiation au "poro" (1) ou tout autre "pélérinage". Dès lors la gérontocra-
tie tient compte de. son expérience et__lui accorde un certain crédit social.
Mais à ce niveau apparaît une contradiction du système : valorisé le migrant
de retour est craint et même combattu dès lors qu'il glisse vers la déviance.
Tout au long de cette recherche nous essayerons de montrer en quoi consiste
l'originalité des migrations africaines. Pour l'instant exposons la méthodo-
logie.
Méthodologie: délimitation du champ d'étude et nécessité d'une théorie
globalisante.
Nous exposons ici les procédures de la recherche. Comme nous l'avions
dit antérieurement les migrations internes en Côte d'Ivoire obéissent à des
directions_ bien précises : du nord_ savane au sud forestier et d~s villa,g~_s__
vers les centres urbains. Il s'agit là d'un phénomène général observé à
l'échelon national. Cependant, pour mieux le cerner nous avons limité notre
terrain de recherche aux Sénoufo habitant dans les savanes au nord de la
Côte d'Ivoire. Mais pourquoi le choix des Sénoufo comme échantillon et le
(1)
Comme nous le décrirons plus tard, le "poro "est une institution à base
d'initiation ésotérique mais ouvert à tous qui prend en charge la socia-
lisation du jeune Sénoufo.

11
nord savane de la Côte d'Ivoire comme terrain d'étude? Ce choix tient
à deux raisons essentielles. La première, objective, montre que la région
sénoufo est l'une des plus touchées par le phénomène migratoire unidirec-
tionnel au point que le terroir a inventé les vocables "lama" ou "toucomo"
pour désigner la ruée de ses jeunes vers le sud forestier. Selon la SEDES
le flux migratoire des Sénoufo, abstraction faite de tout facteur exté-
rieur destiné à la freiner, s'élèverait à 2 200 hommes par an (1). Ce
chiffre serait sanS aucune conséquence notable s'il ne concernait pa~ pour
l'essentiel, la force de travail. C'est à dire les jeunes d'une certaine
tranche d'âge.
Le tableau (2) ci-dessous montre bien l'importance des migrations
internes émiseS.,~ar la région du Nord.
- .
-
Migration Permanente
-
-
-- -
-'
Interne
Région
Migration
Emigration
Migration
Immigration
interne
nette
externe
Sud
1
428.939
95.712
+ 333.227
549.656
Nord
40.940
196.945
- 156.005
39.000
1
Est
27.337
42.392
-
15.055
99.434
Ouest
39.924
88.145
-
48.221
49.855
- Centre--
' ....__ ..-- -- ~
140.543
329.070 ---
- --- 188.527
--- -
-- . 208.204 --
. --
Centre-Ouest
174.822
100.238
+
74.584
107.850
TOTAL
852.505
885.505
-
1.053.'999
1
(1) République de Côte d'Ivoire. Ministère des Affaires Economiques et du
Plan. Région de Korhogo. Etude de développement socio-économique. Rap-
p~rtdémo~ra~h~que.SEDES, Paris, septembre 1965, p. 79.
(2) K.C. Zacharian, op.cit., tableau p. 32.

12
Le tableau indique qu'après la région du Centre, le Nord fournit
le plus gros volume de migrations internes soit 196.945 migrants sur
852.505 soit 23% du total des migrants. On note également que c'est la
seule région où l'immigration étrangère (39.000 seulement) ne compense
pas les pertes imputables aux migrations internes. Ainsi ces statistiques
suffisent à elles seules à montrer la gravité des migrations au Nord et
les conséquences qu'une telle situation pourrait comporter.
La seconde raison pourrait être qualifiée de subjective. En effet,
natif de cette région nous avons été depuis notre adolescence observateur
de ce phénomène "lama" dont les effets, positifs ou négatifs, ne nous ont
pas laissé indifférent. Si pour quelques familles le départ d'un jeune
en Basse Côte crée un certain enthousiasm, très discret, pour beaucoup il
conduit au drame. Quoi de plus émouvant qu 1un vieillard, au soir de la vie,
abandonné par tous ses enfants émigrés, temporairement ou définitivement,
-------en-Bàs-se- Côte.Enfin, eri ce qui nous concerne personnellement et en essayant
de nous mettre à la place de chaque jeune Sénoufo émigré, rien ne semblait
nous préserver de ce phénomène. N'aurions-nous pas succombé à la tentation
Les raisons subjectives ne sont-elles pas le prolongement des raisons objec-
tives.
Prendre le cas des Sénoufo du nord savane de la Côte d'Ivoire re-
vient à constituer un échantillon en fonction de l'intensité du mouvement
et non d'un quelconque critère ethnique ou régionaliste. Ces deux derniers
facteurs offrent seulement une certaine homogénéité afin de faciliter le
travail de terrain.
Mais-qur sont les Sénotifo et en· quo-i leur cas est-il représenta-
tif pour cerner les mécanismes complexes du phénomène des migrations in-
ternes en Côte d'Ivoire?
Les Sénoufo - Syanambélé - que nous décrirons plus en détail ulté-
rieurement ~ sont un peuple très attaché à leur
terre
(pou~voyeuse de la
subsistance quotidienne) et à leurs traditions (source de cohésion sociale).
Cependant un facteur perturbateur brisera l ' "équilibre" et les valeurs
traditionnelles provoquant ainsi au sein de la société des changements éco-
nomiques, sociaux et culturels à partir de l'économie de marché introduite
par la colonisation. Ne pouvant donc trouver pleine satisfaction sur leur

13
terroir, les Syanambélé se dirigent non seulement vers la zone riche de
la forêt dense (Basse Côte) mais aussi vers les villes provoquant ainsi
l'hémorragie observée. C'est ce phénomène que nous avons désigné plus
haut sous les vocables "toucono" ou "lama", expressions désormais consa-
crées dans tout le pays sénoufo.
En réalité, la ruée vers la Basse Côte et vers les centres urbains
a eu des signes précurseurs très importants :
- exploitation économique du sud de la Côte d'Ivoire du fait de
ses potentialités économiques par rapport à celles du nord dont les pro-
duits n'intéressaient pas le colonisateur,
- "portoro" (déformation probable du mot portage) ou trava~ forcés :
réquisition de main d'oeuvre en pays syanaon (1) pour la prestation gratui-
te dans les plantations des colons ou pour le compte des grands chantiers
(coupe d~_ b(Jls,_p~r_c_~en!=_<!ucar:tal de Vridi,.construction du pont Houphouët-
Boigny), transport de marchandises en direction des centres urbains impor-
tants du sud ;
- heurt de modes de production suite à l'introduction de cultures
marchandes au sud et à un degré inférieur au nord
- développement des villes au détriment du milieu rural. Il est im-
portant de souligner que dans la géopolitique ivoirienne la descente des
populations du nord vers le sud est un phénomène très connu et dont l'ori-
gine remonte à la période coloniale (2).
- - ------·.{l)-Syen-naon-est le_ singulier de synanambélé~ Un syen-naon, des ·syen-nambélé.
(2) M. Bernard Dadié dans son roman autobiographique Climbié se souvient en-
core des "Korogo" (ici les Sénoufo désignés par le nom de leur capitale
régionale Korhogo) qui poussaient les billes sur le port de Grand-Bassam,
première capit?le de la colonie de Côte d'Ivoire jusqu'en 1899 (ensuite
Bingerville en 1900 et Abidjan en 1934). Bernard Dadié faisait ainsi al-
lusion aux prestat4ÎrLS sénoufo venus en corvée de six mois pour pousser
les billes pour le compte de l'administration coloniale.
Holas à la page Il de son livre Les Sénoufo y compris les Minianka, P.U.F.,
Paris, 1966 éerivait que "considéré dans son ensemble, le Sénoufo repré-
sente tin élément précieux pour l'autonomie de la Côte d'Ivoire". Holas
savait de quoi il parlait car en tant qu'administrateur colonial converti
en chercheur sur les peuples de la Côte d'Ivoire, il était de ces hommes
qui .., f'ov_vaient : donner des formes voulues aux sociétés colonisées.
La stratégie de l'administration coloniale, après observation et étude
de tous les peuples de la colonie, consistait à faire des Sénoufo une
réserve de main d'oeuvre pour remplacer les "Mossi" de Haute-Volta. Cette
stratégie ayant fait son chemin, ce sont ces "Korogo" que Dadié décrivait
dans son roman.

14 -
Après avoir situé l'importance et la nécessité de saisir le méca-
nisme des migrations internes chez les Sénoufo du nord savane de la Côte
d'Ivoire. voyons la méthode de travail sur le terrain.
Concrètement notre recherche se situe à deux niveaux
en amont
et en aval.
En amont
En amont il s'agit des enquêtes dans le pays sénoufo. milieu d'où
part le mouvement. Les enquêtes à ce niveau sont qualitatives. Nous n'avons
pas jug~ utile d'élaborer un questionnaire dans la mesure où nous bénéfi-
cions déjà de la connaissance interne du milieu renforcée par une observa-
tion de longue date. A ce propos signalons que contrairement à notre projet
initial de recherche qui prévoyait une enquête très détaillée. notre ambi-
tion a été limitée par nos moyens. Cependan t-,--}, enquête -qualitative qui a--------
duré tout le mois d'août 1979 aura permis de dégager une certaine homogénéité
dans le processus migratoire dans les trois sous-régions sénoufo à savoir.
Boundial~. Ferkessédougou et Korhogo. Le travail concret a consisté en des
entretiens non directifs. Dans un premier temps nous cherchions à saisir les
causes des départs des jeunes. les problèmes entraînés et comment ceux de-
meurés au village ressentaient le phénomène. Dans un deuxième temps nous
attendions de cette enquête qualitative des informations sur le début du mou-
vement avec des "vieux" comme interlocuteurs. ceux-là mêmes qui connurent la
Basse Côte en tant qu~ prestataires gratuits ou rémunérés pendant la période
coloniale. Ce travail de base comprenait également des entretiens avec les
responsables des services administratifs chargés essentiellement de la pro-
motion du milieu ruraL--Ces-derniers. de par leur fonction. observent quo-
tidiennement et vivent les soubresauts du phénomène migratoire. Ainsi les
observations des uns et des autres ont été pour nous des informations très
précieuses.
En aval
L'enquête en aval se rapportait au milieu d'accueil, c'est à dire
les points de chute que sont les plantations et les villes de la Basse Côte.
Un questionnaire élaboré à cet effet Ccf. annexe
) a été administré aux
migrants sénoufo. principalement à Abidjan et dans quelques plantations à

1.J
Rubino dans la région d'Agbovi11e, à 80 kilomètres d'Abidjan (1). L'échantil-
lon établi à cet effet n'a pas tenu compte des trois sous-régions définies
vue l'homogénéité qui s'était dégagée à l'enquête qualitative. Le nombre
de personnes interrogées s'élève à 160 migrants répartis de la manière
suivante :
- Boundia1i
35
- Ferkessédougou
9
- Korhogo
116
Comment l'échantillon des 160 migrants a-t-il été obtenu?
A partir des données de la SEDES qui estime à 2.200 les départs
annuels, un échantillon tiré au 1/20 parait assez représentatif. Ce qui don-
-,r
ne en tout 110 migrants que nous arrondissons à 160 pour pallier à tout aléa
en ayant- une plus grande marge. En ajoutant les 40 migrants des différents----
entretiens de groupe c'est donc 200 personnes au total que l'enquête en aval
a touchées. Mais en fait 160 ont fait l'objet d'un entretien systématique
avec questionnaire et c'est sur cett~ base que seront établies toutes les
statistiques de l'étude. Quant au choix des migrants à interroger nous avons
procédé à un tirage aléatoire et on remarque tout de suite les écarts entre
les trois entités géographiques.
Ce déséquilibre reflète la réalité de l'intensité de la migration
dans les différentes localités durant ces deux décennies de l'indépendance.
Comme nous le verrons ultérieurement Ferkessédougou est sous-peuplée (3,4
hab./km2), Boundia1i fixe de plus en plus ses jeunes par la culture du co-
-ton alors que Korhogo, une_--des "nébuleuses" de--1a--Câte-d-'Ivoire avec des
densités maxima de 80 hab./km2 constitue un milieu poussant à l'émigration.
(1) A ce niveau encore nos moyens ont limité nos ambitions car, initialement,
nos enquêtes devaient s'étendre aux régions d'Abengourou, de Bouak~ et
de Yamoussokfo.Cette lacune a été sans doute sans conséquence notable
car, chose que nous ignorions avant l'enquête, il y a de plus en plus
un glissement vers l'exode rural. C'est à dire que les migrants actuels
ont tendance à passer directement de leur village à la ville alors que
les premiers demeuraient dans les plantations ou tout au moins y fai-
saient un re1ai. En tout cas, de nos jours peu de jeunes sont manoeuvres
dans les plantations. Le salariat agricole est de plus en plus le fait
de la main d'oeuvre étrangère.

lb
D'ailleurs ce déséquilibre est sans effet sur les mécanismes de la migra-
tion compte tenu de l'homogénéité de l'ensemble de la région.
Qu'attendons-nous du questionnaire dans cette enquête en aval?
(cf. annexe
).
Le questionnaire, dans un premier temps dégagera l'identité de
l'actuel migrant sénoufo et essayera en deuxième temps de cerner les méca-
nismes des migrations internes en partant du patrimoine du jeune villageois
jusqu'à l'apport de la migration de retour en passant par les motifs de
départ, le réseau d'accueil et les relations ou les non relations avec le
village d'origine .
..'~
On pourrait également se demander pourquoi une double enquête en
amont (zone de départ) et en aval (zone d'arrivée)? Nous pensons qu'il
existe sans doute une corrélation entre la _zon~cl.e_ départ et la zone d' ar-
rivée et il serait intéressant de saisir le "feed-back" perpétuel entre les
deux zones. Il y a là quelque chose comme une relation de cause à effet.
Maintenant voyons les techniques employées dans notre recherche.
Dans un premier temps nous avons fait un emploi intensif du questionnaire
en combinant questions ouvertes et questions fermées. La combinaison des
deux procédés pose de nombreux problèmes notamment au niveau de l'exploi-
tation .des données. Cependant elle a l ' avantage de laisser ,l'enquêté s' ex-
primer librement, au risque d'entretiens longs ou de soliloques ayant peu
de rapport avec la question posée. Compte tenu de la nature du problème
étudié que sont les migrations, nous avons accepté ce risque qui finale-
ment s'est avéré être_un avantage car le réc:it de cer_tains migrants est
un véritable "roman" duquel nous avons tiré l'essentiel de nos informations.
Cela a exigé de notre part beaucoup de travail de classement et de synthèse.
En plus du questionnaire nous avons eu recours à des entretiens
collectifs et selon les circonstances, directifs, semi-directifs ou libres.
Autour des thèmes préalablement choisis dans le questionnaire - motivations
de départ, intégration en Basse Côte, migration de retour - nous avons réa-
lisé cinq entretiens de groupe
- 1er entretien : 5 personnes
- 2ème entretien: 10 personnes

17
- 3ème entretien
,-
7 personnes
- 4ème entretien
12 personnes
- Sème entretien
6 personnes
Cette technique de recherche, l'une des plus difficiles à appliquer,
requiert du chercheur une maîtrise et une attention soutenue pour suivre le
fil conducteur de l'entretien. En effet, il est difficile de maintenir les
interlocuteurs sur le terrain des informations recherchées et de canaliser
les passions de certains interlocuteurs ne souffrant pas la contradiction
ou la remise en cause de leurs convictions (1).
Cependant un entretien bien mené à bo~t a l'avantage de susciter
la discussion entre les enquêtés pour faire apparaître les contradictions,
..,~
les différents jugements ou opinions et même l'unanimité sur un problème .,..
donné. A ce propos les migrants interrogés, quelquef~is, entraient en contra-
_.._ ..... dic.tign avec le chercheur et il leur est arrivé de proposer des thèmes_de_.
discussion qui leur paraissaient fondamentaux pour la compréhension de leur
départ du village. Prudence et souplesse nous invitaient à tenir compte
de leur avis et cela a été enrichissant sur certains points qui nous parais-
saient, à tort d'ailleurs, mineurs et sans grande importance.
Les inf0rmations ainsi recueillies au cours d~ entretiens collec-
tifs viennent en complément au questionnaire et font apparaître certains
aspects subjectifs du phénomène migratoire qui découlent des différentes per-
ceptions qu'ont les·:niigrants de leur acte.
(1) Au cours de certains entretiens de groupe auxquels participaient des
migrants d'un âge avancé s'est posé le problème du statut de la parole.
Bien imprégnés du principe de la parole revenant de plein droit à l'aî-
né, certains migrants ont voulu se faire le porte-parole du groupe en
vertu de leur âge, ce à quoi consentaient implicitement les autres.
Seulement lorsque la réponse à donner au chercheur devenait l'odyssée
personnelle du porte-parole les autres réagissaient selon les normes
en vigueur dans le système sénoufo. Au bout de quelques questions les
"vieux" donnaient la dérogation à tous les interlocuteurs d'ajouter leurs
expériences personnelles en cas d'omission de sa part. Cependant les en-
tretiens se révélèrent plus féconds bien que très pasionnés avec les
groupes composés de migrants de même génération ou classe d'âge. Ailleurs,
les motifs de départ étant intimement liés à chaque migrant, il a tou-
jours fallu un temps relativement long pour que les migrants sortent de
leur réserve après avoir constaté qu'ils ne devraient pas se faire tant
de scrupules dans la mesure où certains propo~ convergeaient.

18
Prélude à ces techniques que sont le questionnaire et les entre-
tiens collectifs il y a l ' observation direc te vo:b:-e l' "observation partici-
pante" (1). Nous l'avons largement utilisée pendant le déroulement de toute
l'enquête. Nous devons beaucoup à l'observation directe qui nousapermis
d'ébaucher le sujet en nous révélant l'intérêt d'une étude sur les migra-
tions internes devenues un phénomène en Côte d'Ivoire et dont les Sénoufo
constituaient un type
des plus caractéristiques.
A première vue l'amalgame des différentes techniques exposées
peut apparaître comme un manque de rigueur méthodologique. Ce n'est qu'une
apparence car le sujet étudié, de par sa nature, nécessitait une telle ap-
proche méthodologique. En effet, le phénomène migratoire, pour une explica-
tion objective, fait appel à plusieurs facteurs ,~ont le point de convergen-
ce est d'une grande complexité. Notre souci constant a été de saisir tous
ces facteurs pouvant contribuer à une meilleure connaissance du phénomène.
-Somme--toute;--chaque technique a- été appliquée en fonction du terrain et de
l'information recherchée.
Un autre aspect méthodologique est la collecte des informations.
Afin de disposer du maximum d'informations nous nous sommes intéressés dans
un premier temps à recueillir des témoignages oraux, méthode assez proche
de la tradition orale. Bien que controversée en milieu universitaire la
tradition orale a consisté modestement en des entretiens libres avec les
'vieux" (2) ayant connu l'époque des premières migrations obligatoires.
(l) L' "observation participante" a pour précurseur l'anthropologue Malinowski,
technique d'observation qu'il a systématisée dans l'étude des Argonautes
du Pacifique Occidental. L' "observation participante" consiste essentiel-
lement à partager la vie quotidienne des observés. Pour nous, modestement,
nous avons noué plus de contacts personnels avec les migrants afin de les
mettre en confiance car tout ce qui touche leur vie de migration est
intime et tenu dans le plus strict secret. Ainsi l'enquête quitte le ter-
rain des informations "balancées" pour devenir plus soucieuse des détails
jusqu'ici dissimulés.
(2) N'est-il pas établi en Afrique que les "vieux" sont des bibliothèques.
"Chaque vieux qui meurt est une bibliothèque qui brûle", C. IZane dans
l'Aventure ambiguë. La tradition orale est une méthode que nous avons
largement utilisée en d'autres circonstances. Vu la nature du phénomène
étudié, ici, son application ne pouvait être que très modérée.

19
Leurs propos nous' ont apporté un net éclaircissement, sur l'origine du phéno-
mène "lama", tout comme leurs opinions et leurs jugements nous ont permis
de mieux cerner la mutation de la société sénoufo depuis la colonisation de
la Côte d'Ivoire jusqu'à nos jours. Rappelons qu'à propos de l'impact des
premières migrations obligatoires la littérature coloniale se montre très
peu loquace et quand elle ne l'était pas ses propos s'entachaient d'une
certaine partialité toujours dans l'objectif constant de justifier l'acte.
De ce fait la tradition orale sur certains points complète les données écri-
tes de l'administration coloniale.
Après les témoignages oraux vient la documentation. Dans un. pre-
mier temps nos recherches s'orientaient vers les statistiques qui parais-
sent plus éloquentes pour faire ressortir un phénomène comme celui de la .~
migration. Le premier problème recontré ici sera celui de l'absence de sta-
tistiques. cas assez général en Afrique. Même quand ces statistiques exis-
tent il faut résoudre le--problèmedeleur actualisation. En dépit de ces
difficultés nous avons tenté de regrouper tous les chiffres disponibles
depuis les
estimations de l'administration coloniale jusqu'au recensement
national de 1975 - malgré l' indisponibilité de tous les résultats -en passant
par les enquêtes ponctuelles de certains bureaux d'étude. Le caractère com-
mun à toutes ces statistiques demeure l'absence de coordination d'une étude
à une autre. Nous tenterons des recoupements et dans le pire des cas nous
nous limiterons à l'évocation des chiffres pour donner une idée à peu près
nette du phénomène.
L'étude des archives a occupé une bonne partie de notre année
de documentation. A cet effet les Archives Nationales de Côte d'Ivoire (en
~cciur-s-·de· classement) et les -Archives d' Outre-Mer- (France) ont -fourni des
points de repère assez précis pour mesurer l'ampleur de la migration des
Sénoufo depuis la constitution de la colonie d~ Côte d'Ivoire. Nous avons
également accordé une importance à certains documents inédits ou peu connus
qui sont l'oeuvre d'administrateurs des colonies et même d'auxiliaires afri-
cains (1). Ces derniers documents dontcèrtains constituèrent la base de
Ct) Tel est le cas de M. Kair. inspecteur des colonies qui après une mission
dans la colonie de la Côte d'Ivoire. tenta en son temps d'attirer l'at-
tention des autorités françaises sur les conséquences des travaux forcés
chez les Sénoufo.' Cormne auxiliaire africain citons M. T. Dem qui a écrit
le récit du passage du conquérant Samory dans ilie nord sénoufo de la Côte
d'Ivoire. récit qu'il détenait de son père. membre de l'etat-major de
l' Almamy. Ce récit est disponible aux "Archives"de la Préfecture de
Korhogo.

20
certaines de nos: réflexions n'ont pas connu une Ilarge diffusion.
Enfin, une grande partie du temps de documentation fut consacrée
à la littérature sur les migrations dans le but de dégager notamment la ou
les théories ayant cours à notre époque. Toutefois, précisons que cette lit-
térature n'échappe pas au caractère fragmentaire d'où une première difficul-
té à élaborer une théorie explicative du phénomène migratoire. A l'appui de
ces études antérieures et de nos enquêtes nous tenterons une théorie expli-
cative du phénomène à partir dullfait complexe incitateur ll pour donner le
caractère d'ensemble au phénomène migratoire. Cela revient d'abord, à rela-
tiviser la ·théorie économiste Cl) qui a tendance a trop formaliser à partir
de l'unique différence des revenus, ens:uite à aller au-delà du déterminisme
démographique qui se confine souvent au critère de la pression démographique,
et enfin, à élargir la loi des géographes qui ramène tout à la pression fon-
....
cière. ToutefoisJces différentes théories expriment une réalité mais partiel~
- le du- fait migratoire, car elles laissent de côté les aspects" qui-relèvent"
des lois et structures internes des sociétés. Une société qui~émigre est
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avant tout une société en crise à l'intérieur de laqu7l~è-=leS-i~~;utions
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connne théorie explicative de la migration à partir de l'analyse globalisante
nourrit l'ambition de saisir les réalités que recouvre le phénomène migra-
toire.
Après les problèmes méthodologiques voyons le plan d'exposé.
Plan
Le plan s'articulera en deux parties. La première partie intitulée
IImigration et phénomène "lama" " comprendr4.trois chapitres: l'approche théo-
rique des migrations, la spécification du cas qui nous intéresse et l'aperçu
(1) Bien qu'écrite dans un autre contexte, la citation de Hugon recouvre une
importance capitale quant à la démarche méthodologique d'ensemble qu'elle
recommande implicitement dans toute étude de phénomène. Particulièrement
pour l'économiste il écrit :"En ~gnorant les facteurs non économiques,
l'économiste resterait à la surface du réel, il n'étudierait que l'épi-
phénomène ( •.• )".
Ph. Hugon, "Les blocages socio-culturels du développement en Afrique
noire", pp. 699-709 in Revue du Tiers Monde, Tome VIII, n031, juil.-
sept. 1967.

LoJ.
socio-économique du cadre d'étude. L'approche théorique situera le débat
sur les migrations au point de vue définition, typologie et théorie. Le
deuxième chapitre circonscrira le phénomène "lama" pour le spécifier comme
un cas de migration interne. Dans l'aperçu socio-économique du cadre d'étude
nous évoquerons brièvement le bilan du libéralisme économique à l'ivoirienne
en rappelant quelques agrégats économiques et la place de la région nord
dans l'ensemble de l'économie ivoirienne. Nous aboutirons ainsi à un constat
souvent mal perçu: la marginalisation de l'économie du nord comme une ré-
sultante de cè libéralisme économique. Ce constat parait fondamental avant
d'aborder l'analyse des migrations proprement dite car il éclairera, des si-
tuations dont on a du mal à saisir l'articulation logique de causes à effets,
les effets étant souvent pris pour les causes. Dans la deuxième sous-partie
nous parlerons plus largement des Sénoufo-Syanambélé en décrivant tour à tour
le milieu naturel, le milieu humain et social et les activités économiques.
Ainsi cette analyse synchronique do~nera une idée nette de l'évolution de
la société sénoufo p~ rappo~t a~~ problèmes de migration.
La seconde partie, "mécanismes et effets de la migration" rend
compte des résultats de notre enquête sur le phénomène "lama" chez les Sénoufo.
Elle se divise en trois chapitres. Le premier chapitre a trait aux causes de
la migration où nous eri. distinglonsdeux: les causes exogènes ou externes
et les causes endogènes ou internes. Ce chapitre s'attachera particulièrement
à dégager notre -objectif épistémologique à savoir la modeste contribution
à l'explication théorique de la forme africaine des migrations à partir du
"fait complexe incitateur". Le deuxième chapitre, consacré aux conséquences
des migrations fait un
large inventaire des effets sur la société sénoufo.
Dans le même chapitre une analyse particulière - et cela pour revenir au cas
de l'~J:"~(J.'..I~en g~nér~ et à celui des __Sénoufo en partioulieL::::est_consacrée
à ce qu'il est convenu d'appeler le "bipolarisme relationnel" pour ainsi
caractériser le migrant en "situation". En effet, la plupart des migrants
entretiennent une double relation: une relation avec le milieu d'accueil
qui "satisfait" ses aspirations sans l' y attacher réellement et une relation
avec son milieu d'origine - la famille et la communauté villageoise - qui
fournit une partie des raisons de son départ et dans lequel il' est profondé-
ment enraciné. Enfin, le troisième chapitre examinera la politique ivoirienne
de lutte contre la migration et notannnent contre le phénomène "lama". Ici
nous procéderons à l'inventaire des moyens mis en oeuvre pour pallier à ce

22
.-
que tout le monde s'accorde à appeler le "fléau national". Mais d'ores et
déjà les autorités publiques semblent être préoccupées par
les
problèmes que; les migrations :posen1t à la ville que par ceux qu'elles créent
dans les milieux ruraux. Quoi qu'il en soit leur stratégie a, certes, une
portée mais aussi des limites que nous analyserons en dernier lieu. Une partie
de la conclusion tentera d'atteindre notre but pratique: une réflexion sur
ce que pourrait être une stratégie pour maitriser le phénomène migratoire.

,--
..~
PREMIERE PARTIE
HIGRATION ET PHENOMENE "LAMA"

24
,-
l - APPROCHE THEORIQUE DES MIGRATIONS
_Ç~~hapi~~_~ _s~_articulera autou~_!e deux pôles principaux. Le
premier s'attachera à l'aspect spécifiquement théorique des migrations où
nous examinerons successivement la définition, la typologie et les diffé-
rentes théories élaborées par chacune des disciplines des sciences humaines
s'intéressant au phénomène. Quant au deuxième pôle, il situera brièvement
dans le temps le cas concret des Sénoufo qui nous intéresse. Caractérisant
le phénomène "lama" et/ou "toucomo" comme un cas de migration interne nous
ferons de prime
abord une mise au point étymologique. Ensuite nous évoque-
rons les statistiques disponibles à ce jour pour apprécier l'ampleur de la
migration chez les Sénoufo. Après ces statistiques nous nous intéresserons
à l'historique du phénomène depuis la période précoloniale jusqu'à l'après-
indépendance de 1960 en passant par la période charnière de la colonisation.
Comme nous venons de le dire, tentons de dégager les aspects
théoriques des migrations. Mais avant disons quelques mots du fait de mi-
gration dans la recherche et l'étude de
population. Rappelons une fois
de plus que-les mouvements de population sont inhérents à l'existence de
1 'humanité.
En dépit de l'ancienneté du fait, l'entrée du domaine des mou-
vements de population dans la science (en tant qu'objet d'étude ayant ses
méthodes d'analyse) est récente. Par conséquent ces méthodes ne sont pas
encore définitivement fixées et le seraient difficilement vue la complexité

le mécanisme des départs, les structures d'accueil en milieu urbain ?" (1).
r
L'ONU (Organisation des Nations Unies) parlant de l'importance
? ,
1
1
;'
dë l'étude deS:'1Il.ouvements de population écrit dans son manuel : "The geogra-
phic or spatial mobility of a people is a topic of direct interest to the
study of human affairs becauseof its effects upon the distribution of the
population and because of its interaction with other demographic forces as
weIl as with other aspects of social and economic change and differentia-
tion" (2).
Le point de vue de l'O~~ sur les migrations est plus large et
s'apparente à ce que le sociologue appelerait le "fait total", en ce sens
que la migration inclurait tous les aspects de la vie sociale : distribu-
tion de la population et s(s interactions avec les aspects
économiques et sociaux.
-~. ---Ces différents points de vue sti-ffisent à montiëi l'iiîiportance-
des études et recherches sur les migrations. A présent voyons le problème
de déf inition.
A - Définition
Il n'existe pas une définition universelle des migrations. On
pourrait même être tenté d'affirmer qu'il y a autant de définitions que
d'auteurs, chacun essayant de faire intervenir en priorité tel ou tel cri-
tère. Mais d'où vient cette difficulté de trouver une définition universel-
le?
Pour F. Gendreau (3) démographe à l'ORSTOM, la difficulté vient du
fait que la migration est un phénomène complexe pour les raisons suivantes
difficulté de définir des concepts rigoureux et opérationnels
(différences entre migrations temporaires et migrations définitives);
(1) 1. Roussel, "L'exode rural des jeunes dans les pays en voie de développe-
ment~' Réflexions méthodologiques", pp. 253-271, Revue Internationale du
Travail, Volume 101, mars 1970, BIT; Genève ..
(2) United Nations - Manuals of methods of estimating population.Manual IV.
Methods of measuring international migration. United Nations, New York,
1970, p. 1.
(3) F. Gendreau - Dans le commentaire préliminaire de l'ouvrage collectif
"Etudes sur les migrations africaines", Cahiers de l' ORS TOM , Vol. IX,
n04, Paris, 1972.

27
- diff(culté de l'observation; les sources traditionnelles (re-
censement, enquêtes rétrospectives) n'appréhendent pas toujours
le phénomène ;
- difficulté de l'analyse car les caractères permettant de décrire
une migration sont multiples : caractéristiques du migrant, carac-
téristiques géographiques, caractéristiques circonstancielles (mi-
grations individuelles ou collectives, spontanées ou dirigées).
Ces difficultés majeures s'amplifient encore plus compte tenu du
fait que la migration est un phénomène qui est le bïen de chacune des' dis-
ciplines scientifiques des sciences humaines. Par conséquent une véritable
of-
approche du phénomène ne pourrait être que plur idisciplinaire'~ans la perspec-
tive d'une impossible coordination. De nos jours chaque discipline tente sa
propre recherche en élaborant sa méthode et sa théorie. Tels sont les cas
-
~
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•.
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0.
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de la démographie, de l'économie, de la géogr aphie et de la psychologie.
Nous verrons ultérieurement leur approche théorique de l'étude des migrations.
Pour nous, une véritable connaissance du phénomène migratoire est
impossible si chaque discipline continue à vouloir dogmatiser ses conclusions
en les systématisant, tout en rejetant sans analyse critique celles des au-
tres.
La véritable approche du phénomène migratoire est totale et plutôt
que pluridisciplinaire,elle doit être interdisciplinaire. Il ne s'agit pas
pour chaque spécialiste d'être à la fois démographe, économiste, géographe
et sociologue mais de savoir utiliser les acquis des uns et des autres pour
_ _ . _ " _ "

• • • • __
_ .
• • •
0 - -
• •
_ . _ ,
_
aboutir à une approche totale et globale du phénomène migratoire, tout en
~onservant ce qui fait l'originalité et la personnalité de sa discipline.
C'est dans cette perspective épistémologique que le phénomène migratoire
pour l'étude et,la recherche - nous est apparu, éminemment caractérisé comme
un fait social total au sens durkheimien et maussien du terme. La sociologie
de par ses méthodes d'investigation et d'analyse, de par son aptitude de prise
en compte des aspects temporels (diachronique, synchronique voire prospective)
et des aspects objectifs (recherche de tous les facteurs pouvant contribuer
à la<'compréhension
d'un fait) nous parait incomparablement indiquée pour
réaliser un tel dessein.

28
Après ~ette mise au point épistémologique où nous avons défini
notre position quant à la méthode d'analyse, venons-en à la définition.
Quitte à la critiquer après, tous les auteurs adoptent, se rap-
prochent ou s'inspirent de la définition de l'ONU. Dans son dictionnaire
démographique mu1ti1ingue (ONU/ST/SOA/Série A 29), l'ONU définit la mi-
gration comme "un ensemble de déplacements ayant pour effet de transférer
la résidence des intéressés d'un certain lieu d'origine ou lieu de départ
à un certain lieu de destination ou lieu d'arrivée".
Cette définition - assez proche de celle des démographes e~ tant·
~. :.
que les premiers et aussi les plus intéressés par les migrations, ne serait-
ce que pour les recensements - se spécifie par sa tautologie, donc par son
imprécision. Tous les auteurs l'ayant critiqué insiste sur l'absence de deux
critères essentiels: la distance et la durée (1). Sans ces deux précisions
--t:.out ..déplacement -serait migration. C'est dans_.ce. sens__que. Ei.cquet note av.ec
_
humour qu'avec cette définition "tout changement de logement dans la même
ville ou dans le même quartier serait une migration" (2)
En plus de la
distance et de la durée Picquet fait intervenir deux autres critères
- la résidence où il faut situer l'individu sans ambiguité
les causes de migration, c'est à dire les raisons.
Il est intéressant de noter que la faiblesse de la définition
démographique provient de sa vision même du phénomène migratoire en tant
qu'objet d'étude, c'est à dire sa stricte limite à la détermination des
flux de départ et d'arrivée. Paradoxalement sa force provient de cette même
_.-~--.-faib~e_s~e,car .. 1a démographie ..fournit.1es statistiques. qui servent de. t.oi1e
de fond à toute étude des migrations.
Il Y a des définitions qui ne se situent pas dans la perspective
démographi~ue de l'ONU mais qui font intervenir au maximum tous les critères
que nous avons relevés. Nous ne les citerons pas toutes car nous aurons à
les évoquer soit dans la typologie soit dans la partie qui fera état des
(1) A propos de la distance Picquet parle de la nécessité d'une "distance
minimale, raisonnable". Quant à1a durée de déplacement le critère de
plus en plus accepté est un minimum de 6 mois.
(2) Picquet. Les Migrations. Sources et analyses des données démographiques.
Ap~ication à l'Afrique d'expression française et à Madagascar. INED,
INSEE, ORSTOM, SEAE. Tome 5, p. V4, 1974.

29
différentes pos\\tions des sciences humaines sur les migrations. La défini-
tion qui nous parait assez complète est celle de Connard qui définit l'émi-
gration ou la migration comme le "fait de quitter le pays où l'on vit, soit
depuis sa naissance, soit depuis un temps assez long, pour se rendre dans
un autre pays, avec l'intention de s'y rendre durablement et, le plus sou-
sent au moins d 'y chercher une amélioration de son sort par le travail" (1).
Cette longue définition, aux termes nuancés témoigne de la complexi-
té de la migration et du souci de l'auteur d'englober tous les facteurs ex-
plicatifs. Il y' a là même une prudence de l'auteur de ne pas figer la mi-
,..
gration dans une explication dogmatique.
~'.:
-
La critique de Picquet à l'encontre de la définition de l'ONU et
la définition de Connard oeuvrent à montrer le phénomène migratoire comme
....
un fait social total et la nécessité de recourir à tous les éléments pour
une véritable explication .. Mais.iL-faudrait particuli-èrement insister sur
le fait que l'étude du phénomène migratoire est inséparable. des motivations
,.
qui la sous-tendent et des effets qui en découlent. Aussi définirons-nous
la caractéristique essentielle du phénomène migratoire comme la résultante
du'}:ait complexe incitateur"en tant que facteur de changement de la struc-
ture d'une société donnée. Nous développerons ultérieurement cette théorie.
Mais à présent voyons les différents types de migrations.
B - Typologie
Tout comme la définition il n'existe pas une typologie universelle
de la migration. Celle de chaque auteur est plus ou moins fonction du cri-
.----- tère qu '-i-l- privilégie. -CependanL.elles _converg~nt._toutes sur deux critères
,-
-
- -
-
- -.. -------_._- -- -.".- ---
essentiels déjà évoqués dans la définition des migrations : la durée et la
distance.
(1) R. Gonnard. Essai sur l'histoire des migrations.Librairi~Valois, 1928,
p. 22.
Max DerrU?u "'. dans sa définition des migrations internationales dans son
ouvrage Précis de géographie humaine. A. Colin, Paris, 1969 semble s'être
~e~~c~up i~spiré de, la ~éfinition de Gonnard. A la page 53 il écrit :
1 emlgratlon est 1~ falt de quitter l'Etat où l'on vit depuis sa nais-
sance ou depuis longtemps pour se rendre dans un autre Etat avec l' in-
tention de s'y établir de façon durable {temporaire ou définitive)" .

, p .

30
Typologie selonrie critère durée
La notion de durée préoccupe principalement les démographes. Con-
ventionnellement ils ont fixé un seuil minimum : pour parler de migration
il faut qu'elle dure au moins six mois. Quant au seuil maximum il est en-
core imprécis. Il varie de un à cinq ans.
Pour soustraire le critère durée à l'arbitraire, Prothero (1)
propose deux conditions :
si l'individu a l'intention de revenir dans sa région d'origine
s'il connaissait, au moment de son départ, la date au moins ap-
.,
prox:hll.ative de~n retour.
Si ces deux conditions sont remplies il s'agit alors d'un dépla-
- quotidien,
- périodique,
- saisonnier,
- de longue durée (plus d'un an au moins)
Si l'une des conditions énoncées plus haut n'est pas remplie il
s'agit d'une migration parmi lesquèlles ori distingue:
- les migrations irrégulières,
- les migrations permanentes.
Typologiè selon le critère distance ou espace
La notion de distance tient compte du lieu de départ et du lieu
fo
d'arrivée. Dans ce cas quatre types de migration sont définis
- rural - rural
- rur al - urbain
- urbain - urbain
- urbain - rural
(1) Prothero cité par K.C. Zackariap, R. Clairin et J. Condé. Aperçu sur
les migrations en Afrique de l'Ouest.OCDE, Paris, 1975. P.'H.

31
Nous v€nons
de définir les critères
universels qui font l'unani-
mité de tous les spécialistes des migrations. A ces critères universels
certains auteurs en ajoutent qui sont tout aussi significatifs que les pre-
miers. Un des cas intéressant est celui de S. Amin (1). Après avoir dis-
tingué les migrations de peuples se soldant par une extension géographique
de l'aire de la société d'origine et les migrations proprement dites ou
migrations de main d'oeuvre (insertion de "prolétaires salariés ou métayers
dans une société d'accueil, organisée et structurée"), il définit quatre
critères de classification
1 - classification basée sur le lieu._~'origine et le lieu de des-
tination ce qui correspondra à la typologie ci-dessus basée sur
la distance ou l'espace;
2 - classification basée sur la durée. Pour parler de migration
- .------.-~- --temporafre~la "âurée" doit --être- inf-ér-ieure à six ou huit mois avec--
participation du paysan à la production chez lui ;
3 - classification basée sur la distance. Pour S. Amin plus que
la distance géographique c'est la distance ethnique qui importe
selon que le migrant appartienne à la même ethnie que la popula-
tion du lieu d'accueil, ou à des ethnies proches ou à des ethnies
éloignées ;
4 - classification basée sur la qualification de la main d'oeuvre
migrante. Ici il faut distinguer la main d'oeuvre banale non qua-
lifiée des migrations spécifiques de commerçants, d'employés ou
~-:-·âe ca-dies supérieurs (èxo<le des· cerveaux). -
Ainsi S. Amin introduit deux nouveaux critères : la distance eth-
~~
• • 0 -
nique et le degré de qualification de la main d'oeuvre. Au lieu de critères
il faudrait plutôt parler de cas particuliers, bien typés.
(l) S. Amin. "Les migrations contemporaines en Afrique de l'Ouest". Intro-
duction au Ile Séminaire Africain International, pp. 3-64 in Modern
migration in West Africa. Dakar, avril 1972.

32
La dis(ance ethnique bien qu'intéressante à examiner, n'est
___ l
"
~ (1 J. , '.
.
qu une ~ontirigen~~, dgn~ fortuite. Le développement inégal Cl) tout Comme
le fait de migrer ne sont pas ethniquement déterminés ou co~çus. Autrement
dit, ce serait justifier biologiquement la migration ce qui réfuterait au
développement inégal sa "responsabilité" dans le phénomène migratoire. En
'd'autres termes, le Sénoufo n'émigre pas en Basse Côte parce qu'il est
Sénoufo, mais parce que par le processus du développement inégal il a tout
à gagner en allant dans la riche Basse Côte. Ceci dit, nous ne réfutons
pas la pertinence de la différence ethnique dans les migrations, mais elle r>e.
nous paraît pas tenir lieu de critère pour une typologie.
Plus consistant nous paraît le critère de la qualification pro-
....
:"
;
fessionnelle, car elle peut imprimer une forme particulière ou donner un'
~ contenu particulier aux migrations comme cela apparaîtra dans notre étude.
permet plusieurs combinaisons au point qu'on retrouve toutes les formes
de migrations. Dès le départ il pose en postulat l'existence de deux sor-
tes de migr~tions : les migrations définitives et les migrations temporai-
res. Ces deux migrationsséJiii: mises· en rapport avec les axës temporel et spa-
tial (donc durée et distance) pour ainsi déterminer les différentes sortes
de migration :
1 - les migrations définitives :
axe
spatial: migrations internes ou intérieures et migrations
internationales ou externes ou extérieures ;
• axe temporel (selon la fréquence ou la durée d'établissement)
la conjo~tion--de-ia-frê'quence-ù'ô'utraj et détermiile trois--
classes de migration
if·
,
- migration par relais
migration par étape
migration de retour .
. i
(1) Comme nous le verrons ultérieurement, pour S. Amin c'est le développe-
ment inégal qui détermine la direction des migrations.
(2) Marc Termote. Migration et équilibre économique spatial. Louvain, 1969.

33
i"
2 - Les migrations temporaires (migrations d'oscillations ou de
t~ibul~n~es, pendulaires ou alternantes) :
. axe spatial: migrations alternantes internes et migrations
frontalières
. axe temporel
migrations périodiques et migrations occasionnelles.
Quant à la typologie proprement dite Marc Termote définit trois cri-
tères
les causes, les conséquences et les conditions
1 ,- typologie fondée sur les causes
migration économique et mi-
gration politique ;
2 - typologie fondée sur les conséquences distinctes entre les mi-
grations qui n'affectent pas les relations sociales et celles qui
entraînent l'adoption de nouvelles structures sociales
3 - typologie fondée à la fois sur les causes et les conséquences.
du phénomène
causes selon leur nature (écologique, politique, idéologique et
sociale)
conséquences conservatrices ou innovatl',ces.
Comme nous le constatons la typologie de Termote part des motiva-
tions et des effets de la migration, ce qui est une autre approche du phé-
nomène.
Une autre optique toute originale de la typologie de la migration
.- - ------_._------ ---_.- - -
","'
est celle de R. C. Tayl~-r-ci)-~·-s;-typ-;i;gi-e- _esT-pour le mo-ins-lond-é-5urI'etat-
d'âme ou mieux sur l'affectivité ou l'émotion des migrants. C'est donc un
comportement significatif vis à vis de la migration, ce qui introduit une
certaine part de subjectivité à partir de l'analyse psychologique du phéno-
mène.
(1) R.C. Taylor, Les migrations internes. Gains et préjudices humains.
OCDE, Paris, 1969.

34
r
Après avoir posé en hypothèse la migration d'une part comme
élément perturbateur et d'autre part. comme moyen d ,'adaptation socio-
économique (déplacement des zones pauvres vers les zones où, les possibi-
lités sont meilleures. ceci a l'avantage du migrant. de son milieu et du
T"yl.. r
pays entier)~définit quatre sous-types de migrants :
l
- migrants par mécontentement. Ceux là émigreraient pour sa-
tisfaire des ambitions et des aspirations qu'ils ne peuvent
réaliser au village ;
2 - les "détachés" - ceux-là échappent aux limites des possibilités
offertes au village ;
'"
'':if
3 - les migrants par nécessité ou migration comme nécessité ....
d'échapper au chômage
4 - migration comme un épiphénomène.
Si la typologie est discutable les analyses qui en découlent le
sont moins. Selon Taylor les réactions sont plus ou moins différentes selon
les catégories ou les sous-types. Ainsi les deux premiers acceptent facile-
ment les conséquences des modifications et ont tendance à se fondre faci-
lement dans la communauté d'accueil alors que les autres s'en détachent.
La migration de retour serait un indice d'insatisfaction dans la zone
d'accueil. Par contre les migrants par mécontentement ont au contraire l'im-
pression d'être libérés du carcan social et économique imposé par le vil-
lage.
Comme nous l'avions dit plus haut. les arguments ont une grande
part de subjectivité. Quel est le seuil objectif de satisfaction et d'in-
satisfaction? Le migrant retourne-t-il chez lui pour avoir eu ce qu'il
désirait ou par insatisfaction ? Nous reviendrons ultérieurement sur ce
problème dans les migrations de retour des Sénoufo.
Au point de vue typologique le phénomène "lama" s'inscrit dans
le cadre d'une migration interne ou intérieure. Migration de main d'oeuvre
agricole au départ. elle prend de plus le caractère d'une migration de

35
longue durée vofre définitive à forte tendance vers l'exode rural. Mais
avant d'en arriver là, caractérisons les théories de migration des diffé-
rentes disciplines des sciences humaines, ce qui revient à voir comment
(
chacune d'elles explique le phénomène et l'englobe dans sa théorie.
C - Différentes théories en sciences humaines
Cette partie est une tentative pour dégager les courants de pensée
à l'intérieur de chaque branche des sciences humaines. Ces positions ne
sont pas toujours évidentes, compte tenu du caractère fluctuant de l'objet
d'étude. Aussi on ne s'étonnera pas de voir des économistes avancer des
explications sociologiques et vice-versa.
La démographie
~GUinard~- l' invè~nteur diî-Ïnot: dém6graphie selon Mouchez définit
cette science comme "la connaissance mathématique des populations, de leurs
mouvements généraux, de leur état physique, civil, intellec:tuel et moral".
En d'autres termes, c'est "l'étude des populations considérées sous l'an-
gle du nombre" Cl).
Comme nous l'avions dit antérieurement, la démographie s'intéresse
à l'aspec:t quantitatif c'est à dire à la mesure du phénomène. C'est avec
raison que Mouchez dit de la démographie "une science carrefour pour une
réflexion sur l 'homme total" (2). En effet la démographie fournit essen-
tiellement les statistiques qui servent de base ou de toile de fonds à
toute étude du phénomène migratoire.
Quant à l'étude des migrations proprement dite, la démographie
n'est pas s~rtie des sentiers battus. Sa méthodologie n'est pas encore
tout à fait définie à cause de certaines difficultés notamment au niveau
de la définition des concepts, de la collecte des informations et de l'ex-
ploitation des données. Ces mêmes difficultés se trouvent mu~tipliées dans
(1) Ph. Mouchez. Démographie. P.U.F., Paris, 1968, p. 1.
(2) Ph. Mouchez. Ibid, p. 1.

36
les pays du Tiers-Monde où les recensements démographiques sont rares
et quand ils sont entrepris, ils se heurtent au refus tacite de collabo-
ration des habitants. Les quelques estimations et projections qui existent
sont incomplètes, sujettes à caution et sans périodicité. D'ailleurs il y
a très peu d'enquêtes exhaustives sur les migrations qui font figure de
"cendrillon" des études de population selon l'expression de Prothero.
Quand les démographes tentent une explication théorique de la mi-
gration ils la rattachent généralement au déséquilibre ville-campagne et
en évaluent les conséquences sur la structure de la population et son
comportement démographique. Ainsi nous devons à- la démographie des expres-
sions devenues courantes comme "déséquilibre du sex-ratio", "vieillissement
de la population", "baisse de la natalité", etc ..•
La géographie
De toutes les sciences humaines s'intéressant à la migration, la
géographie est celle qui se rapproche beaucoup de la démographie. Dans les
études sectorielles le géographe se transforme en démographe pour évaluer
le flux migratoire, tel Hearinger (1) pour le milieu urbain. Mais d'une ma-
nière générale le géographe voit dans les migrations un problème d'occupa-
tion du sol dans ses différentes formes à travers l'espace. A l'extrême,
ils la réduiraient à un déplacement dans l'espace et des rapports qui lie-
raient les hommes à cet espace. Pour les géographes là migration se place
dans un contexte bien précis : le déséquilibre entre la population et les
ressources. En effet, la pression- foncière ou - saturation
oblige certains
paysans, individuellement ou en groupe, à quitter leur espace habituel de
vie. Quand ils nê·se dirigent pas vers les villes ils parcourent les espaces
,jusqu'à ce qu'ils rencontrent des terres à coloniser d'où création de zones
pionnières. En définitive la migration rétablirait un nouvel équilibre
entre les hommes et leur mode de production. Aussi certains géographes ne
voient pas dans le phénomène migratoire un élément perturbateur comme d'au-
tres disciplines le posent en hypothèse. Pour eux la migration apparaît comme
(1) Ph. Hearinger, "L'observation rétrospective appliquée à l'étude des mi-
grations africaines", pp. 3-22 in Cahiers ORS TOM. Série Sciences Humai-
nes, V. 2, 1968.
Du même auteur on pourrait consulter le vol IX n04 1972 sur "Méthode de
recherche sur les migrations africaines. Un modèle d'interview biogra-
phique et sa transcription synoptique".

37
une réponse normale à une situation de fait
le déséquilibre hommes/res-
sources.
L'économie
Après la démographie l'économie est la science qui a beaucoup
analysé le phénomène migratoire. De nos jours l'économie est en passe
d'imposer son explication à toutes les autres sciences. Elle a même abouti:
à des explications mécanistes, à tel point qu'on peut parler d'un "déter-
minisme économique" dans l'analyse du phénomène migratoire.
Comme le dit si bien Michel Arliaud (1), pour les économistes,
la mobilité du travailleur s'appuie sur un postulat: le travailleur cherche
l'avantage économique net_ sur le marché du travail. C'est bien à propos
-.-
qu'il a parlé à la page 158 du "paradigme de 1 'hommo-oeconomicus, paradig-
me--selOrf--lequel, -Hf réfriorialité économique préside au choix et -comportements----
du travailleur et/ou du consorrnnateur. S'il y a théorie et problématique
économique de la mobilité, c'est bien au niveau de ce postulat qui lie le
comportement d'emploi à la recherche dlJ maximum d'avantages".
De cette citation, se dégage la loi économique d'où les spécia-
listes comme Beltramone tirent les hypothèses les plus classiques : "les
hommes tendent à se déplacer vers les régions ou les zones à hauts revenus
relativement à celles qu'ils quittent, ou en tout cas, vers les régions où
le développement leur permet de trouver des emplois plus rémunérateurs" (2).
C'est ce que ces mêmes spécialistes appellent comportement économique ra-
tionnel: selon le calcul de probabilité, c'est en direction des zones
--------de-dév'eloppemenCécbrfOÏIlique que la- migration sera -la-:-plus· fortE".
Mais d'où est parti ce courant de pensée dans l'économie moderne?
Afin de mieux éclairer la théorie économique rappelons quelques faits mar-
quants.
(1) Michel Arliaud, "La problématique économique de la mobilité de l'emploi"
in Sociologie du Travail, n02, avril-juin 1974, .'pp. 156-173.
(2) A. Beltramone. La Mobilité géographique d'une population. Gauthier-
Villars, Paris, 1966, p. 8.

38
Au dép(rt il semble que les économistes n'approuvaient pas la
mobilité de la main d'oeuvre. E. Vandervelde dans son ouvrage rappelle
la plainte des physiocrates du XVIIIe siècle sur la rareté de la main
d'oeuvre dans les districts ruraux en France. Selon lui, Quesnay, dans son
article "Fermiers" de l'Encyclopédie constate que "les plus énergiques
'et les plus intelligents parmi les paysans émigrent dans les villes, et
attribue ce fait aux, dépenses d'argent que font à Paris et dans les grandes
villes, les courtisans et les nobles". C'est ce phénomène que les écono-
mistes de l'époque ont appelé "dépopulation des districts ruraux" (1).
Les causes de cette dépopulation étaient attribuées principalement à la
~".
,
scission entre industrie et agriculture.
,
l.y
L&véritab1e débat théorique commence avec les économistes moder-
nes. Bien que la majorité des économistes, au XIXe siècle, app~tiennent
à l'école libérale le groupe se scinde en deux. Les premiers se montrent
-
---
~.
_._~._--
----~---
- -
- - - - - - _ .
peu favorables à l'émigration sans pour autant vouloir l'entraver, confor-
mément à leur idéologie de la liberté individuelle et du cosmopo1isme
économique. Ainsi pour Malthus l'émigration est un palliatif temporaire
qui de plus, surexcite la natalité dans le pays concerné. Jean Baptiste
Say, également favorable voit dans l'émigration internationale une perte
sèche car la nation perd des hommes forts, qui représentent un capital
et qui de plus emportent d'autres capitaux avec eux. Bièn que défavorables
à l'émigration, ni l'un ni l'autre de ces économistes célèbres ne pensent
qu'il fallait l'entraver à cause de la liberté individuelle.
Le deuxième groupe, composé également d'économistes libéraux, se
montre plus favorable à l'émigration. A l'opposé des premiers ils cessent
._---- -----_.. _--- - -
- '
- ._-_.. _-------------
d'y voir un mal fatal à supporter pour des raisons morales (droit~nature1
et liberté individuelle). Selon eux l'émigration est bienfaisante, sinon;~~
naturelle, donc libre. Ils affirment notamment que pour assurer l'équilibre
entre l'offre et la demande, sur le marché du;travai;L, 'il faut donner à
chacun la possibilité de se déplacer vers le lieu de travail où il maximi-
sera sa somme d'avantages nets. C'est dans ce sens qu'Adam Smith s'opposera
aux formes de corporations qui, en fixant les individus sur un lieu déter-
miné, risquent de freiner cette tendance à l'équilibre.
(1) E. Vandervelde. L'exode rural et le retour aux champs.Éd. Félix A1can,
Paris, 1910, p. 3.

39
Telles sont les précisions nécessaires pour comprendre la théorie
r
économicis-te qui domine l'analyse du phénomène migratoire chez les écono-
mistes contemporains. Pour revenir au contexte africain, certains ont éla-
boré des modèles en faisant intervenir des critères mathématiques. L'un
des plus connus et le plus souvent évoqué est celui de Todato (1) qui ex-
plique la migration par des facteurs attractifs (pull factors). Pour lui,
la migration proviendrait de la différence entre le revenu de l'immigrant
chez lui et en ville et le niveau de l'emploi en milieu urbain. Son hypo-
thèse est que tout migrant potentiel du milieu rural décide de migrer en
ville ou de ne pas migrer en se fixant implicitement comme objectif la
maximisation du revenu qu'il espère obtenir. Aussi, Todaro explique-t-il
le choix de tout candidat à la migration à partir de deux facteurs purement
économiques
- la différence de salaire entre la ville et la campagne,
_.
.__ .__.
~
lA.probabilité_ qu.' ace_migrant .de trouver du travail au revenu
"escompté" et permament malgré le chômage urbain.
De ces 4eux facteurs économiques Todaro dégage son modèle.: " c ' est
la combinaison et l'interaction de ces deux variables - la disparité du
revenu effectif entre la ville et la campagne, et la probabilité d'obtenir
un emploi urbain - qui, croyons-nous, détermine le rythme de l'ampleur de
l'exode rural en Afrique tropicale" (2).
Cette tendance 'economiciste'à la Todaro, cautionnant implicitement
l'idée d'une distribution inégale des richesses naturelles, est aujourd'hui
battue en brèche, non seulement par d'autres économistes de tendance dif-
J.~.r.ent.e,_ mais aussi __par. des sociologues.__ De. nos j ours., cette nouvelle. ten--__.__ ._:._.
dance, analysée ci-dessous et que nous intitulons les théoriciens de l'iné-
gal développement, d~ine le débat théorique en ce qui concerne l'explica-
tion du phénomène migratoire en Afrique.
(1) M.P. Todaro, "L'exode rural en Afrique et ses rapports avec. l'emploi et
les revenus", pp. 49-77 in L'emploi en Afrique, Aspects critiques du
problème.BIT, Genève, 1973.
(2) M.P. Todaro~ Ibid., p. 56.

40
Les théoriciensFde l'in~gal développement
Cette "école", sans se réclamer d'une discipline particulière des
sciences humaines, rassemble aussi bien des économistes que des sociologues.
Ceux-ci partagent en commun la théorie marxiste selon laquelle la migration
serait l'expression du capitalisme dans les pays dominés. Contre l'affirma-
tion d'une répartition inégale des richesses naturelles comme source des
migrations - théorie des économistes libéraux - la nouvelle "école" voit
dans le développement inégal des régions par le capitalisme depuis la colo-
nisation, le source essentielle du phénomène migratoire. Dans le contexte
de l'Afrique, trois auteurs caractérisent bien la théorie de l'inégal
développement: Samir Amin (1), Pierre-Philippe Rey (2) et Jean-Loup
Amselle (3).
Samir Amin bien que partageant les points de vue des économistes,
commence par détruire le~ modèle--Todaro -qui-;-~selon--lui~;ne nous- apprend~-rien
que l'on ne connaisse déjà en fait. Car il est 9.ien évident que les migrants
sont des individus rationnels qui se dirigent vers les régions où il y a
des chances de gagner davantage d'argent. De même il s'insurge contre la
"platitude" de l'approche fonctionnaliste chère aux sociologues qui dans
leurs enquêtes ne recherchent que des motivations individuelles pour expli-
quer le phénomène migratoire. Il insiste également sur la fait
que les
"trois facteurs de la fonction de production" (capital, travail et nature)
ne sont pas des données à priori mais la résultante de la stratégie du dé-
veloppement. Les causes de la migration n'étant pas séparables de ses consé-
quences "la migration est aussi un élément du développement inégal, dont
elle reproduit les coIliditions
et qu'elle contribue ainsi à approfondir" (4).
-~Ai.fssi le flwcmîgraTo-ir~e---se:-_d-irige..;.t-.;..ilexcHusivement des "régions-réserves"-
~~
de main d'oeuvre vers les régions organisées pour la production d'exporta-
- ~
tian à grande échelle de type capitaliste. La seule solution à la migration
.;-'.
(1) s. Amin, IILes migrations contemporaines en Afrique de l'Ouest", Article
déjà cité.
(2) Pierre-Philippe Rey. Capitalisme négrier.La marche des paysans vers le
prolétariat.Maspéro, Paris, 1976.
(3) Jean-Loup Amselle, "Aspects et migrations du phénomène migratoire en
Afrique", pp. 9-39 in Les Migrations Africaines, sous la direction de
J.L. Amselle. Maspéro, Paris, 1976.
(4) S. Amin. Ibid., p. 33.

selon Samir Ami~, est la remise en cause de la stratégie de la dépendance
kt Je liextf~~ers{~nJd'oùle développement des zones-réserves condamnées
à la stagnation. L'aboutissement de cette solution serait d'assurer en
Afrique "un développement réel, intégré, indépendant et autocentré".
Pour P~P. Rey, tout déplacement de main d'oeuvre est intimement
à
lié au capitalismeo et., son système d'exploitation. "Auj ourd 1 hui conune hier,
depuis que le capitalisme existe, des paysans quittent leur terre, aban-
donnent des systèmes de production et des équilibres économiques séculaires
ou millénaires et ils vont vendre leur force de travail au capitalisme pour
un salaire misérable gagné dans des conditi~ns de travail insupportables
et dans des conditions de vie inhumaine" (l). I l fait remarquer en outre,
0
1
et à juste titre, que le travail forcé a presque autant disparu des colo-
i: .
nies que les "work houses" de Grande-Bretagne et cependant la force de
-.r
travail continue à affluer vers le capitalisme.
Reprenant cette même idée dans l'intro~uction théorique P~P. Rey
avance que tous les théoriciens actuels de laOmigrationoà l'exemple de
Sauvy redécouvrent 50 ans après l'analyse m~rxiste de Lénine, Luxembourg
et Bauer. Selon cette analyse marxiste, l'impérialisme augmente sans cesse
le nombre de personnes obligées de vendre leur force de travail et cela
par un processus bien précis : la destruction des anciennes formes écono-
miques des territoires coloniaux. Cette destruction contraint ainsi des
individus soit à émigrer dans des territoires capitalistes, soit à payer
leur tribut au capitalisme européen ou américain investi dans leur propre
pays. Nous retrouvons là les deux formes de migration, interne et externe,
dont le caractère commun est qu'elles sont mues par et pour le capitalisme.
--Allant -dans-le- même-sens-, - le 11 e _~Séminaire Interna tiona-l-~~Afr-ic-ain,-tenu
°
en 1972, sur les ''Migrations modernes en Afrique de l'Ouest" avait montré
lui aussi comment le développement du capitalisme, agraire ou industriel,
se nourrissait de la destruction des systèmes et des équilibres précapita-
listes. A la suite de cet enseignement et de ses propres recherches P,P.
Rey conclut que "le capitalisme suppose main d' oeuvre prête à se vendre
.
sur le marché du travail; donc tout capitalisme suppose au préalable,
mais aussi simultanément, que la main d'oeuvre soit arrachée de diverses
(l) P.P. Rey. Op. cit., p. 9

42
façons aux équiVbres millénaires des sociétés "traditionnelles" et amenées
à quitter définitivement ou provisoirement sa communauté et son système
de production
originels" (1).
Le livre de P.P. Rey nous renseigne un peu plus sur le phénomène
migratoire en Afrique. Tout comme Amin, il démontre d'abord, le phénomène
comme corollaire au capitalisme qui ensuite, utilise les contradictions
internes des sociétés africaines pour mieux s'implanter. Enfin, le mouve-
ment une fois lancé dem-ahière'c'6ercitive, tout'aumoins à son"début,_
ne,$êt'éüt-;-ce que pendant la pérlode coloniale, fi~it par s'auto-entretenir
sous la forme d'une migration volontaire. Quant aux solutions pour résou-
dre le problème, le militant de l' "International prolétarien" se substi-
tue au che~heur qr P.P. Rey assigne un "rôle moteur dans la constitution
d'une paysannerie révolutionnaire" à tous ces paysans une fois retournés
chez eux après avoir vécu "l'expérience prolétarienne".
Il Y a une similitude entre les points de vue d'Amselle et d'Amin
à tel point qu'il est difficile de distinguer ,la démarcation entre une
éventuelle influence et une éventuelle coincidence. Néanmoins Amselle
explicitement adhère à certaines thèses d'Amin, qu'il cite largement. Tout
comme Amin, Amselle s'élève contre l'économisme et le fonctionnalisme qui
ont jusqu'ici dominé l'analyse du phénomène migratoire pour le placer dans
le contexte du capitalisme et toutes ses conséquences sur le développement
des régions. Selon lui,"ll.époque actuelle, qui se caractérise par le règne
de l'impérialisme des firmes multinationales, se traduit par l'intégration
plus ou moins poussée des sociétés dominées à l'intérieur d'une économie
capitaliste mondiale. Ce phénomène a pour effet d'accentuer la mobilité
----du--capitaLqui va- s_'_investir partouLoù __ le t?-ux d~ proJJt_e_s.t_ ITl~:!:ma! ' __.!.U_éiis
-, .
également, ce qui est souvent moins reconnu, de favoriser la mobilité de
la force de travail" (2). Amselle affirme que ces sociétés englobées par
le capitalisme mondial ont acquis une autonomie relative de fonctionnement.
Alors le système capitaliste exploite de façon sélective les zones soumises
à sa domination. Orj ~_boutit~i"s"'~: aux "sociétés-réservoirs" en tant qu'une
(l) P.P. Rey. Op. cit., p.
95
(2) J~L. Amselle. Op. cit., p. 9

43
forme d'expression
du "développement du sous-développement". Ici le
sociologue rencontre l'économiste car pour lui, le phénomène migratoire
proviendrait du développement inégal des régions par le capitalisme qui
depuis la colonisation assigna à certaines sociétés le rôle de "sociétés-
réservoirs" de main-d'oeuvre. Tel est le résultat du "développement du
-sous-développement". La constatation d' Amselle est que "le processus de
mobilité constaté actuellement en Afrique semble déboucher logiquement
sur la prolétarisation des paysans, la séparation des travailleurs d'avec
leurs moyens de production traditionnels, et repr9duire de ce fait le mo-
dèle de développement européen au XIXe siècle" Cl).
En écartant "l'idéologie spatiale" qui recouvre l'analyse des
migrations, Amselle définit la nature du phéno~ène Comme étant "un change-
ment d'état ou de condition sociale". En effet, depuis l'introduction du
capitalisme on assiste à une transformation des sociétés africaines et au
-- --changemerrt--ùe--statut-social- de-leurs membres. Nous entrons là- dans le
sujet de prédilection du sociologue à savoir la re-structuration de la
société selon le mode dominant, en l'occurrence le mode capitalisme dans
le cas présent. Amselle ouvre grandement la porte sur cette belle perspec-
tive mais ne l'approfondit pas.
Après la théorie des théoriciens du développement inégal voyons
en dernier lieu celle des sociologues.
La sociologie
La sociologie de par sa définition, la science au carrefour des
sciences ou la --science.- des- sciences-,. étüdiè les phénomènes -sociaux en~·--·-------·-
faisant recours à tous les facteurs pouvant expliquer les faits sociaux.
,.:..
Aussi le sociologue pour réaliser cette ambition s' init:i,e-t-iF'aux autres
sciences pour une totale compréhension des problèmes. C'est au nom de
cette option globalisante qu'elle est taxée "d'impérialiste". Evitons-là
la ip~iiiniqUè._.-. Mais toujours est-il que le phénomène migra.toire est un
fait social au sens durkheimien du terme, et total comme nous l'avons dit
(1) J.L. Amselle. Op. cit., p. 30

44
plus haut. La so~iologie considère la migration non pas seulement comme
un processus économique mais essentiellement comme un phénomène sociolo-
gique ne serait-ce qu'au niveau des motivations collectives et des effets
réels ou virtuels. L'ensemble des migrants forment un groupe social lui-
même inclu dans le vaste ensemble social. Il a été démontré ailleurs que
le nouveau mode de société drainé par la colonisation et le capital en-
tretient avec la société africaine en place des rapports d'ordre conflic-
tuel-dont une des meilleures expressions est la migration. Alors, le rôle
du sociologue sera d'expliquer ces différentes mutations et ses effets
induits. De ce fait il y a nécessité pour lui de s'ouvrir, un tant soit
peu, à toutes les disciplines des sciences humaines pouvant éclairer ce
j:
,.
i-
phénomène.
j: ...,
L~··~.~
i·~-
Tout être humain est supposé chercher une localisation qui lui
1
procure le niveau de satisfaction le plus élevé,biologiquement et socia-
--lemenL Far :~a mobilité-spatiale --TE~-riïigraiiT-cnerche aSe valorEe:r. Or ce
migrant est différemment vu dans la société : tantôt comme un être intel-
ligent et fort capable de prendre la décision 'pouvant améliorer sa condi-
tion sociale dans son milieu d'origine, tantôt comme de petites gens, de
condition inférieure dans le milieu d'accueil. Quoi qu'il en soit le mi-
grant dans l'un ou l'autre des cas occupe une position sociale. Cette
seule dialectique suffit à montrer le caractère social de la migration
et d'en faire l'objet d'une analyse sociologique.
Sans rejeter les motivations économiques le sociologue cherche à
arracher la migration au primat monétaire dans lequel il a été englué et
qui ne saurait expliquer tout seul le phénomène. Le travailleur n'est pas
uniquemenCun--"lù5riio-o-economicus"- préoccupé par la-recherche --forcenée âe-
l'argent. Autrement dit, comme le font remarquer d'autres économistes, il
sauterait ~'un emploi à un autre, supposé plus rémunérateur. Le migrant
quel que soit l'angle sous lequel il est perçu ne saurait échapper à la
trame sociale et cette trame sociale ne saurait échapper au mode de so-
ciété adopté. Nous revenons dans l'optique d'Arnselle pour qu~ la nature
du phénomène migratoire est essentiellement "un changement d'état ou de
condition sociale". De ce fait nous affirmons une fois de plus le carac-
tère du phénomène migratoire comme un fait social total. Cette approche
théorique et méthodologique sera la base de notre analyse tout au long
de l'étude.

45
Après ayoir élucidé les problèmes de définition, de typologie
.
et de théorie de la migration rappelons à présent la spécificité de l'étude
entreprise.
Selon L. Dollot "la plus grande migration humaine des temps mo-
dernes s'est accomplie dans un climat de libéralisme économique et politi-
que presque total, favorisé par l'essor du capitalisme et de la grande in-
dustrie" (1). L'ampleur de ce capitalisme et de cette grande industrie
s'est traduite en Afrique par des déplacements massifs
de main-d'oeuvre
,
non seulement à travers les frontières, mais aussi à l'intérieur de chaque
pays en direction des villes et des grandes plantations. Parler donc ,des
migrations en Afrique ou de la mobilité de la main-d'oeuvre revient à re-
tracer l'évolution des sociétés africaines dans leur articulation avec le
capitalisme, enrapport avec l'intervention coloniale et _post-coloniale.
___________ De tous les-_types de migration répertoriés dans cettepartie
_
théorique, le- "phénomène lama" et/ou "toucono" chez les Sénoufo de Côte
d'Ivoire entre dans le cadre des migrations internes ou intérieures ou
inter-régionales. Spécifiant les migrations internes le démographe Ph.
Mouchez affirme que "les déplacements durables à l'intérieur des frontières
sont la conséquence de l'urbanisation et l'image géographique du glissement
de la population des activités agricoles vers les activités industrielles
et les services. Aussi ces déplacements sont-ils liés à la conjoncture
économique du pays et à la transformation de ses structures" (2). Les mi-
grations internes dont il s'agit ici peuvent s'exprimer sous diverses for-
mes: exode rural, migration de main-d'oeuvre agricole, saisonnière ou
définitive.
(1) L. Dollot. Les Migrations humaines. P.U.F., Paris, 1965, p. 9
(2) Ph. Mouchez. Op. cit., p. 64.

c.orte. 1.: LOCALISATlO,tr GEOGRÀPHlnUE"
DES
SY,ANAMBELE t
46
~.~
......
LEGENDE
'-""
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-
Limita
des departemenu
Limite
du sous-prefectares
Ch.t lie .. de departemeDt:
SlIUS- prefecture
D
20
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100 ••
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1 -_.l.'__-'--_--l._ _-4,
,

J
II - ETUDE DE C~S
LE PHENOMENE "LAMA" ET/OU "TOUCONOII
Après l'approche théorique tentons de circonscrire le phénomène
"lama" chez les Sénoufo. D'abord l'étymologie .
. A - Etymologie des concepts "lama" et "toucono ll
L'analyse d'un terme consacré pour désigner un fait ou un phéno-
mène social peut, à certains égards, renfermer des signifiants .très perti-
nents ou tout au moins être assez évocatrice de la dimension du signifié.
Tels nous apparaissent les termes de "boucona" et de "lama" que nous"n' avons
cessé d'utiliser en lieu et place du concept migration. A présent voyons
leurs significations.
Le terme malinké (1) - ,et non sénoufo - "toucono", traduit lit té-
---~-- ralement, s-ignifi-e-"cfansla forêt". "Toucono'! en réalité est un nom composé
formé de deux substantifs : "tou" voulant dire forêt et "cono" ventre. Le
terme rejoint bien son équivalent français HBasse-Côte", région définie -
étymologiquement - par rapport à la mer. Le premier sens de "toucono" a
donc d'abord une connotation géographique. En effet la Basse CSte située
au sud de la Côte d'Ivoire s'oppose au nord appelé au début de l'occupation
française Haute Côte d'Ivoire et comprenant à l'époque, l'actuelle Haute-
Volta qui formait avec la Côte d'Ivoire une seule colonie. La consonnance
géographique ne se comprendrait à elle seule si nous n'explicitons pas la
référence à la végétation. En effet le nord de la Côte d'Ivoire comme nous
l'avons dit antérieurement est une région de savane tandis que le sud se
distingue d'elle par la forêt dense. Ainsi on aboutit à une identification
.-
----
-- -
- ...
_._------ ----- -----
-
~
de la région 'par ce qui la caractérise le plus: la forêt. C'est alors
,qu'intervient un deuxième facteur: avec la mise en-valeur voire le déve-
loppement économique du sud de la colonie, situé en plein coeur de la fo-
rêt dense, le vocable Basse Côte devient synonyme de richesse, d'argent
et de biens matériels. Dès lors l'expression Basse Côte, en plus de son
sens géographique, pre~d une coloration de plus en plus économique. Richesse,
(l) Les Malinké, communément appelés, "Dioula ll ,
partagent la même zone géo-
graphique que les Sénoufo. Islamisés et regroupés autour d'Odienné
leur prosélytisme a fait d'eux les agents propagateurs de la religion
musulmane en pays sénoufo.

argent et bien matériels débouch~ntiné1uctab1ementsur une certaine
r
aisance sociale pour celui qui les possède. Tout cela confère à tout pos-
sèdant un statut social lui permettant de jouer les premiers rôles au sein
de sa société. En tout cas, pour le sens commun et notamment pour le jeune
$énoufo, la Basse Côte est synonyme de richesse, d'argent, de biens maté-
riels et en retour aisance sociale et statut social privilégié.
A la suite de cette précision étymologique expliciterons-nous le
phénomène "toucono" conulle la désertion des villages syanambé1é par les
jeunes pour rejoindre la zone forestière de la Basse Côte, soit dans les
plantations soit dans les centres urbains.
En réalité le phénomène, à ses origines, est connu sous le voca-
.
~:
b1e s~ilaon de "lama", c'est à dire "ventre", assimil:ant arnsi la Basse
Côte au "ventre", "au-dedans" ou à l' l1intérieur l1 de la Côte d'Ivoire. Par
~
~e_bi~is _~~_cOI1_t_~c~s pro~()~gés_ {Jacifiques ~u violents avec les MaUnké
qui les influencèrent, les Sénoufo ont fini par adopter - par snobisme
certainement - le vocable "toucono l1 aux dépens d~ terme 111ama". Signalons
à tou~fin utile que les Tiembara appelaient, et certains vieillards l'ap-
pe1ent encore, la forêt "kpowêrê" c'est à dire amas de feuilles ou buisson.
Le buisson est caractéristique de la végétation en savane et représente
aux yeux du Sénoufo une forêt, semblable à celle de la Basse Côte, en mi-
niature. Les Nafara utilisaient également des termes comme I1tar'foungo"
et les 'Fodonon "tara 1amal1 voulant dire "intérieur des terres" mais au sens
de
terres lointaines. En effet la Basse Côte semblait si éloignée et re-
1evai.t '. de l'inconnu au point que partir en Basse Côte on disait en S énoufo
"têgnar "gual1 c'est à d ire aller en promenade mais au sens d'aller à l' aven-
_.~~r~. Car les prem~ères:n~g~a~i0!lsvolontaires furent des aventures dont
-lés pionniers en firent des récits qui provoquaient l'admiration.
Comme nous l'avons déjà dit, le vocable toucomo a fini par sup-
planter tous les autres et est entré dans le langage courant. Par contre
nous utilisons indifféremment les termes "toucono" et "lamal1 tout comme
nous utilisons l'expression française Basse Côte. Le phénomène toucono
et/ou lama est la forme sénoufo des migrations internes en Côte d'Ivoire.

49
~
Ainsi caractérisé le phénomène toucono se situe dans le cadre
général des mouvements de population d'une zone à une autre à l'intérieur
d'un même pays. On dira migration interne soit sous forme d'exode rural
(départ définitif de la campagne vers la ville) soit sous forme de migra-
tion saisonnière (temporaire) qui se traduit par le départ - chaque an-
née - de forts contingents de main-d'oeuvre vers les plantations du sud
à la période où la sécheresse sévit au nord, rendant difficil~voire im-
possible~ les activités économiques productives. Dans le deuxième cas -
migration saisonnière ~il y a retour au village à la saison des pluies
ou après avoir amassé un peu d'argent.
En tout cas, le phénomène toucono est une réalité connue dans
la gêopolitique"-Ïvoirienne tout aussi bien que les migrations inter-
états, ces dernières de par leur caractère international suscitent beaucoup
plus de recherche$~Après cette élucidation étymologique évoquons les sta-
tistiques disponibles à ce jour pour mieux saisir l'importance de la mi-
gration des Sénoufo.
B - Quelgues statistigues révélatrices
Les statistiques sur les migrations de la région sénoufo se carac-
térisent par leur rareté et quand elles existent leur cohérence et leur
fiabilité ne sont pas toujours assurées. Cela est dû au fait que les migra-
tions n'ont jamais fait l'objet d'une étude globale, sinon qu'elles ne
constituent qu'un appendice à l'intérieur des études ponctuelles. Après
cette mise en garde et l'attitude de prudence face à des statistiques
partielles, nous évoquerons, néanmoins, les quelques chiffres actuellement
disponibles.
En 1970, dans une enquête du Ministère du Plan sur la mobilité
des Ivoiriens ,Achio
constatait que dans certains villages sénoufo "43%
des jeunes avaient migré ou étaient en cours de migration" (1). Leur répar-
tition par classe d'âge était la suivante:
(l) Arthur Achio. Une analyse de mobilité : l'exode rural des jeunes. Minis-
tère du Plan (D.E:I.A.), Abidjan, mars 1970, p. 15.

50
15 ans
41,4%
16 à 24 ans
47,3%
25 à 29 ans
35,3%
En 1975 une autre enquête (1) sur les migrants faisait ressortir
que sur 97 Sénoufo interrogés, 82% déclaraient avoir migré et 80, en nombre
absolu, ont migré.
Au cours de la même année apparaissait un autre document du Plan (2)
qui estimait, de 1965 à 1975, entre 60.000 et 80.000 personnes environ qui
auraient quitté le milieu rural de la région nord, dont 25.000 installés
dans les villes du nord et le restevenaa Basse Côte.Deux zones furent
les plus touché~ par les départs: la zone vide de l'axe Kong-Ferkessédougou
et la "zone dense" de Korhogo.
-
Tous ces chiffres montrent le départ massif des-jeunes qui.-aeu
pour
principal effet, en milieu rural, la stabilisation du taux annuel
d'accroissement qui était de 1,5% en 1965. Cette très faible croissance
d'ensemble indique de manière éloquente l'ampleur de la migration en par-
ticulier de la population jeune et masculine de 20 à 29 ans. A titre de com-
paraison, à la même époque, le taux annuel d'accroissement en milieu urbain,
du fait de la progression de l'urbanisation du nord, était de 6,7%. Ainsi
les centres urbains bénéficiaient non seulement de la croissance naturelle
de sa population favorisée par les équipements sanitaires mais aussi d'un
apport migratoire d'origine rurale.
Après ces statistiques qui traduisent de manière notoire le phé-
. nomène -lama, revenons à l-I.étude de la SEDES-qui,---bi.enque moins-récente~
par rapport aux autres, a l'avantage de présenter une certaine unité et
des chiffres plus précis. Que nous apprend le rapport démographique (3)
sur les migrations des Sénoufo ?
(1) Institut Ivoirien d'Opinion Publique. Les Migrants. Abidjan, juin 1975,
p. 2.
(2) Ministère du Plan. Le nord ivoirien en mutation. Abidjan, mai 1974, p.28.
(3) Concernant les différents aspects des migrations des Sénoufo, cf :
- Rapport démographique - Rapport sociologique - Rapport de synthèse -
Concernant les statistiques nous nous référerons principalement au rap-
port démographique.

51
1 - Une absence prolongée hors du village
A la page 76 la SEDES définit la migration comme II tout déplace-
ment de plus de 3 mois effectué dans un but professionnelll • Nous ne polé-
miquerons pas sur cette définition laconique étant entendu que c'est en
fonction de ce critère que la SEDES a réalisé ses enquêtes.
Dans ce tableau ci-dessous la SEDES établit le nombre de. migra-
tions effectuées pour 100 migrants de plus de la ans.
Tableau 2
Nombre de migrations/Pourcentage de migrants
:\\;!
Nombre de Migrations
1
2
3
+ de 3
Total
-
---
~-----_._-~-
--------"
_.
- - - -
-
Pourcentage de migrants
83
15
2
a
100
..
Tableau D58 p. 76
De ce tableau la SEDES déduit la durée moyenne de séjour qui est
de 20 mois. Ajoutons qu'en réalité les migrations. pour les jeunes. sont
répétitives et périodiques. Les jeunes partent du village pendant la saison
sèche où le manque de pluie rend difficile voire impossible toute activité
agricole de grande envergure. De ces migrants saisonniers ou navéteurs
selon le terme des géographes. il faut distinguer ceux qui partis à la sai-
son sèche. "prennent des contrats ll • de 2 ou 3 ans chez les planteurs afin
de se faire beaucoup plus d'argent.
2- Départ massif de la force de travail
Le tableau ci-dessous fait état de la répartition par sexe et par
âge de 1000 absents au moment de l'enquête.

52
Tableau 3
Répartition par sexe et par âge de 1000 migrants absents
Tranche d'âge
Hommes
Ferrnnes
Total
10 à 14 ans
43
26
69
15 à 19 ans
148
50
198
20 à 24 ans
153
45
198
.,
0-
25 à 29 ans
UT
35
152
30 à 34 ans
102
33
135
35 à 39 ans
56
25
81
- .__...- -
- - - - -
--
-
- - - - -
-------
- - - - - - -
- -
-
- -
~---
40 à 44 ans
54
30
84
45 à 49 ans
30
15
45
.
50 à 54 ans
14
10
24
55 à 59 ans
3
2
5
60 et plus
6
3
9
TOTAL
726
274
1000
Tableau D60à p. 77
t:. ,
Dans ce tableau signalons d'abord un phénomène frappant
" . '
jusqu'ici inexistant : la migration des ferrnnes. Selon la SEDES, parmi les
migrants on trouve 1 femme pour 3 hommes et le nombre de ces premières
augmente chaque année :
1950-1954
moins de 150
1955-1959
la moyenne annuelle passe à 100 départs
1960-1962-1963 : l'effectif des départs annuels varie de 250 à 300.

53
r
En 1958 les départs des femmes étaient liés à ceux de leurs époux
ou des parents. A partir de cette date les cas de migration de femmes de-
viennent fréquents. Mais contrairement à ce que pense la SEDES la migration
de "femme seule" est un phénomène rarissime. Les jeunes filles déjà fiancées
ou même mariées à des jeunes demeurés au village, ont plutôt tendance à
s'enfuir avec un "migrant en visite" disposant de moyens importants de
séduction. Nous approfondirons ultérieurement ces conséquences.
Deuxième élQment remarquable de ce table~u. Les classes d'âge
de 15 à 34 ans totalisent à elles seules plus de 50% des hommes, ce qui
confirme les premières statistiques qui faisaient ressortir l'aspect 'jeune
des migrants hommes. Ces chiffres montrent cOmbien les jeunes - constituant
la force de travail - désertent le village. Dans ce tableau il n'a pas été
tenu compte de la mo;talité si difficile à évaluer. Si elle avait été prise
,.. _erL~C)ll_sidéra~:i._on
i l __y_.~~rait une accentuation du nombre de jeunes absents
du village.
3 - Glissement des migrations temporaires vers les migrations
définitives
De plus en plus on observe un glissement des migrations temporai-
res vers les migrations définitives. Pour des raisons que nous expliciterons
ultérieurement une bonne partie de la population émigre définitivement. Bien
qu'entretenant des relations avec le terroir - pour quelques ~ns - ceux-ci
ne viendront plus s'installer au village .
. .
Le__tabl~éltl..s~~vant fait état des effectifs des migrants hors
.
-
zone, par année de départ et nombre de retours correspondants~
Tableau 4
Pourcentages de retour par rapport aux départs
-,
1950
- II :..: -
1954
1955
1956
1957
1958
1959
1960
1961
1962,
1963
TOTAL
Départs
1196
399
438
646
783
877
1383
799
1130
1364
9015
Retours
419
145
247
304
354
439
605
413
coq:es-
,
. --
% de
35%
36%
56%
47%
45%
50%
43%
52%
retours
par rap-
port aux
départs
Tableau D 62 p. 78

54
~
n'après ce tableau 9 015 personnes sur un effectif de 49 921
personnes composant l'échantillon de l'enquête (les deux cantons sénoufo
de Boundiali, Ferkessédougou et Korhogo) auraient effectué des migrations
de 1950 à 1963. Le pourcentage des retours oscille de 1956 à 1961 entre
56 et 43%. En tenant compte des départs de 1962 à 1963, 4 500 personnes
environ, soit 50% des migrants, se sont installés à l'extérieur des ancien-
nes subdivisions de Korhogo (y commpris Boundiali) et de Ferkessédougou.
L'évaluation -plancher des départs annuels pour la période 1962-65 est
d'environ 1 600 personnes dont la moitié est appelée à s'installer durable-
ment dans une nouvelle résidence. Tout compte fait, conclut la SEDES, c'est
un flux migratoire annuel de près de 2 200 hommes au total, dont on doit
envisager le départ et parmi ces 2 200 migrants 1000 à 1 100 sont des dé-
..~parts plus ou moins définitifs. Selon toujours la SEDES il faut estimer
qu'en permanence 1 800 à 1 900 hommes sont en cours~e migrations tempo-
raires.
Par un jeu d'hypothèses couvrant la p.ériode 1963-1975, la SEnES
essaie de cerner les perspectives de l'évolution probable de la population
rurale tout en faisant ressortir l'importance des migrations. Les hypothè-
ses sont les suivantes
taux de natalité : constant à 45%
taux de mortalité : décroissant de 30 à 20%
flux migratoire : croissant de 1 300 à 3 000 personnes par an.
Ces hypothèses permettent d'obtenir, par période, les progressions
dans les taux, l'effectif des sorties et l'effectif total des résidents dont
les résultats se résument dans le tableau ci-dessous ..' '.
Tableau 5
Etat de la population et migration de 1965 à 1975
Population
Taux d'accrois-
Population
Bilan mi-
Population
en débu t de
sement naturel
en fin de
gratoire
probable en
période
période
pour la pé-
fin de pé-
(ss migr.)
riode
riode
1963-65
272 000
.,
0, 015
284 000
- 4 000
280 000
1966-70
280 000
0,018
306 000
- 8 000
298 000
1971-75
298 000
0,022
332 000
-12 000
320 000
Tableau D64 p. 82

55
A ces projections de la population rurale il faut ajouter celles
de la population urbaine dont les coefficients ont été estrapolés à partir
des conclusions relatives à la croissance probable de la ville de Korhogo.
Ces perspectives donnent la population de l'ensemble de la région allant
de la période 1963-1975 :
Tableau 6
Population zone rurale et zone urbaine de 1963-1976
Zone rurale
Centres urbains
Total
1.1. 63
272 000
33 000
305 000
1.1. 66
280 000
36 000
316 000
....
1.1.71
300 000
45 000
345 000
-_
--.-
-
--
_ r _ _ _
.. _----- -
- --- --
-
.--- --
- -
_ . _ .
- - - - - - - - -
_ _ _ o
• •
1.1.76
320 000
55 000
375 000
Tableau D 65 p. 82
Par rapport à la population évaluée au 1.1.63, et dans le systèm~
d 'hypothèses retenues plus haut, la population croîtrait d'ici de 1.1.76 :
- en zone rurale de 48 000 habitants soit 17% à 18%
- dans les __deux centres - Korhogo et Ferkessédougou (1) - de
22 000 habitants, soit de 66% à 67%
pour l'ensemble de la zone, de 70 000 habitants soit de 22% à
Ces différentes croissances sont représentées par la graphique
ci-dessous :
(I)Jusqu'en 1963 Boundiali n'était pas considéréecomme une ville à cause
de sa taille relativement plus petite que Korhogo et ferkessédougou.
En deuxième lieu sa structure démographique est d'un type particulier
bien que fondée par les Sénoufo la proportion des Malinké dont l'in-
fluence se développe, n'est pas négligeable. Selon les chiffres offi-
ciels du recensement national de 1975 la ville de Boundiali compte
9 700 "urbains" (contre Korhogo 45 1000 et Ferkessédougou 24 800).

56
Croissance démographique selon le milieu d 'habitat(l)
(Indice 100 en 1963)
Indice
cen tres urbains
160
140
120
100
Année
1963
1966
1971
1976
Graphique p. 82
Revenons aux migrations pour voir ce que les différents tableaux
peuvent nous apprendre de nouveau. De 1965 à 1975 le bilan migratoire fait
ressortir une augmentation vertigineuse des départs de de 4 000 à 12 000.
~e taux de croissance ne s'élev~rQ que lentement de 0, 015 à 0, 022. Ainsi,
22 000 personnes appartenant à des classes d'âge jeunes auro~t· quitté la
région sénoufo de 1963 à 1976.
(1) A titre d'information comparons les projections de la SEDES et les ré-
sultats du recensement national de 1975 :
population rurale
411 100
population urbaine
88 500
population totale
499 600

57
Notons ~out de suite que les prévisions de la SEDES sont très
ëri-dessous de la réalité car les différents documents officiels du Ministère
du Plan établit le nombre de jeunes migrants entre 60 000 et 80 000 person-
nes de 1965 à 1975. En perspective nous voyons la difficulté de développer
la région sénoufo si on atteint le seuil fatidique des migrations, seuil à
partir duquel les migrations deviendraient irréversibles. En effet des ex-
périences ont prouvé qu'une région se développe difficilement lorsque le
quart de sa tranche d'âge la plus active l'abandonne. En attendant d'appro-
fondir ultérieurement cet aspect dans la partie des conséquences, spécifions
à présent la destination des migrants.
4. La Basse Côte : destination de premier choix
A propos de la destination des migrants nous nous reférons toujours ...
à l'étude de la SEDES qui a l'avantage d'être complète contrairement aux
~-élutres -études, nofamment celles du Hinistère du PLan, très sectorielles -et - - -~~
ponctuelles.
Tableau -7
: Répartition des migrants selon leur destina-
tion (départ postérieur à 1950 et ne concernant que la zone rurale). cf.
page suivante.
r. S"~
Une cartevde distribution des migrants selon leur destination
complète le tableau pour mieux représenter le phénomène "lama".
Le tableau et la carte font ressortir des observations précises
sur la destination des migrants de la région sénoufo. Ainsi les centres
de- BoUaké et â T Ab1.djan, à-eùX~-seuls-; rëtiennent 31% desmigrants~ totaux--~ ----
et 37% de ceux qui sortent de la zone. La région du sud-est paraît beau-
coup plus recherchée non seulement à cause de sa richesse mais certaine-
ment du fait qu'entre 1930 et 1945 beaucoup de Sénoufo avaient été réquisi-
tionnés pour les régions d'Agboville et que certains d'entre eux s'y étaient
étab1is :alors. Aujourd'hui ils forment une colonie importante à Rubina (1)
dont l'activité principale concerne les cultures maraîchères.
(1) Rubino est un gros bourg non loin d'Agboville, célèbre pour le maraîcha-
ge pratiqué durant les 12 mois de-l'année. Le chemin de fer qui traverse
Rubino lui a imprimé un plus grand rayonnement.

58
Tableau r 7
Répartition des migrants selon leur destination
(départ postérieur à 1950 et ne concernant gue la
zone rurale).
DESTINATION
EN VALEUR ABSOLUE
EN %
APPROXIMATIVE
Migrations rurales
900 - 1 000'
11
-internes
Migrations
Internes
- ".-
Centres urbains de
Korhogo et de
800 -
900
la
Ferkessédougou
..,.
--,~
Département du
Centre (sauf
1 100 - 1 200
13
- ."- - - -
-B-ouaké::'CeifÜer ---
-
... _----~
-
- - - - - - -
_.
_.
~
Bouàké-Centre
1 200 - 1 300
14
Migrations
Externes
Abidjan-Centre
1 500 - 1 700
17
Département de
700 -
800
8
l'Ouest
Département de l'Est
1 200 - 1 300
14
et Abengourou
Autres zones de
Côte d'Ivoire
500 -
600
7
-
-- -- ----
_.--- -- ---
-
--
- ..
----
-.
-
--
-- ..-- -
-_..._-
- - -
--
- --- -
----
--
_...
Etrangers
500 -
600
6
.-
TOTAL
8 500 - 9 500
100
--
Tableau D6J p. 79

.. - .....
;. '"'- "
Carte et
Di3t:ribution des migrants (non revenus)
~--:
. •
'
" . 4 1 " " ' 7 * . & : '
i
selon leur destination--
en pourcentage
M A L
H
A
U
T
v 0
T
..
,,1
1

{
1
11,~ Oaloa·
,
,1
"
1
,1•1,1

Dio.
l
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----:c--LJ,l:-::-..:..;...J
limite loni d'enquit ..
limite dl deparlemeAt ..... ,.""
fi
localité
constituant
un
pll/e d attraction'
particulier pour Il'
migrations S.noat~,
Après ces statistiques voyons l'historique du phénomène "toucono"

60
C - Historique du phénomène
r
Pour mieux situer l'évolution du phénomène dans le temps, il faut
distinguer trois périodes qui correspondent à l'histoire de la Côte d'Ivoire:
période précoloniale, période coloniale et période post-coloniale.
1 - Période précoloniale
Certaines études réfutent 'un quelconque rapport entre la mobilité
des Sénoufo ,et - l'influence de la colonisation et du récent mode de dévelop-
pement économique. Ces études font de la mobilité une pratique traditionnel-
le chez les Sénoufo, affirmation déjà réfutée antérieurement. Holas (1)
ne pen,?ait-il pas qu'avant la colonisation une proportion considérable de
,"
la population sénoufo n'était pas née dans son lieu de résidence. Les tenants
de cette thèse énumèrent les~raisons qui obligeaient les Sénoufo à se dépla-
cer
le mariage
- le système avunculaire (le fait de travailler pour son oncle
maternel)
- les croyances animistes (sorcellerie et champs maudits)
- les raisons de santé
- la recherche de terre .
Nous ~ _réfuterons
.. dans la partie historique la thèse qui
faisait venir les Sénoufo d'une terre lointaine et leur installation suc-
cessive par migration. Jusqu'à preuve du contraire il n'est établi nulle
part que les Sénoufo de la Côte d'Ivoire soient venus de l'actuel Mali ou
de la Haute-Volta et encore moins du Sahara. Les raisons de déplacement
.évoquées ci..:!dessus sont moins des migrations que des pratiques sociales
propres aux Sénoufo. La virilocalité et le fait de rejoindre son oncle
maternel, comme l'exige le système social sénoufo, ne sauraient être con-
sidérés comme des migrations.
Par contre deux raisons de migration pourraient faire l'objet
d'une analyse objective: la recherche de nouvelles terres et les dispo-
(1) Holas. Op. cit.

61
sitifs de sécurité face aux armées de Samory. En effet, la pression démo-
graphique notamment dans la zone dense provoque une migration assez impor-
tante. En deuxième lieu cette même zone dense dont le coeur est Korhogo,
fut, jadis, une zone de sécurité pendant l'invasion de Samory. Son chef,
Gbon Cou1iba1y, s'était soumis sans bataille, sauvant ainsi son territoire
du désastre. Au plus chaud de la guerre certaines populations fuyèrent en
direction de la zone de sécurité que constituait Korhogo. Dans l'un ou l'au-
tre des cas, ces déplacements correspondaient à une migration dont l'objec-
tif principal était la recherche de sécurité dans cette zone de refuge.
La distance relativement courte ne pouvait permettre de parler d'une véri-
table migration. En définitive, nous réfutons l'approche d'un déterminisme
ethnique dans la migration des Sénoufo. La véritable migration commencera
..
.~
avec 1a~olonisation, comme nous le verrons tout à l'heure.
2 - Période coloniale: travaux forcés et migration obligatoire de main-d'oeuvre
Les premières migrations,sous la forme où nous les étudions, se
situent de 1928 à 1960. Un bref rappel historique pour mieux situer le con-
texte: la Côte d'Ivoire et plus particulièrement la Basse Côte ne devient
colonie française de fait qu'en 1893 et le nord de la Côte d'Ivoire qu'en
1915, après la défaite des derniers guerriers ma1inké et de Samory. Il faut
signaler qu'à l'époque, à part le commerce, les relations entre peuples du
nord (Sénoufo et Malinké) et peuples de la forêt étaient rares. La période
qui va notamment de 1928 à 1946 a été marquéepar le travail forcé en tant
que nouvelle forme d'esclavage et les cultures imposées en vue de l'approvi-
sionnement de la Métropole. De ce fait, travaux forcés et cultures ob1iga-
--toires- amenèrent-l' éidministr atiàn- coloniale à recrut-er de-- j eune-s_ Sénoufo
et à les envoyer en corvées en Basse Côte. Indépendamment de la loi Houphouët-
F::'
Boigny-Gaston Deffere, abo1isant officiellement en 1946 le travail forcé
en Côte d'Ivoire, on assista à un courant de migration spontanée du nord
vers le sud. Ce mouvement spontané serait le fait de "jeunes aigris" ten-
tant de se soustraire à la domination de la gérontocratie pour améliorer
leurs conditions de vie. Ils allèrent donc en Basse Côte, départ favorisé
pour les uns par l'ouverture des voies de communication (voie ferrée et

62
et routes) et po~r les autres par les différents canaux d'information re-
latant les potentialités du sud.
Pourquoi cette affluence vers le sud ou la Basse Côte? La straté-
gie de l'administration coloniale en matière de mise en valeur de la colo-
nie justffiàit cette affluence: importance des cultures d'exploitation
et de développement des chantiers dans cette zone. Il est important de si-
gnaler que les Sénoufo recrutés ne travaillaient pas dans leur terroir mais dans
l~ sud de la colonie. Bien que l'administration co+oniale qe 1946 à 1960
!
institua au nord des prix d'incitation aux paysans pour la culture du coton,
les jeunes désertèrent quand même les villag~s car leur revenus agricoles
étaient toujours contrôlés soit par le père, soit par l'oncle maternel.
En tout état de cause, le sud offrait ~ne grande possibilité d'autonomie
,,~
."
et d'emplois avec l'extension des plantations de café, de cacao, de banane
et d'huile de palme. Un autre facteur important: l'attrait qu'exerçait
,- - -------- --~sur-les jeunes, -Abidjan. nouvelle capitale devenue célèbre après 1950 avec-----'
le percement du canal de Vridi liant la lagune à }a mer. Depuis cette épo-
que le sud se présenta toujours comme une région prospère et parallèlement,
la migration des jeunes Sénoufo en direction de la Basse Côte augmenta d'in-
tensité. Les chi~~res que nous avons avancés dans la partie statistique ca-
ractérise bien l'intensité de ces migrations dont certains procédés de départ
relevaient de cas non loin du pathétisme: fuite des jeunes quelqudois -'
à la faveur de la nuit aidés ou non par un racoleur.
3 - Période post-coloniale
de la migration obligatoire à la migration
volontaire.
Depu-is 1960, date- de-l' i~dépe~dance, le-développement- de la Côte - - --- ----
d'Ivoire fut placé sous le signe de la croissance accélérée qui est une
reconnaissance de fait du mode de mise en valeur de l'administration colo-
niale. L'essentiel de la politique agricole des autorités actuelles consiste
à accorder le primat aux cultures d'exportation susceptibles de renflouer
les caisses de l'Etat. Les actions de développement de grande envergure se
concentrèrent donc dans des pôles localisés en Basse Côte comme Abidjan,
Kossou et San Pedro. Rappelons encore les chiffres de l'étude du Plan qui
évaluait la perte de la région nord entre 1962 et 1972 de 60 000 à 80 000
hommes, dont plus de la moitié des migrants se dirigent vers la Basse Côte.
4

63
En plus de la possibilité d'offre d'emplois agricoles la Basse Côte après
,.
l'indépendance, offre des emplois dans le commerce, dans les services ad-
ministratifs et publics. La scolarisation par la suite agira comme un fac-
teur accélérateur du processus migratoire vers les villes de la dite zone.
Il faudra attendre les années 1970 pour voir le nord bénéficier
de projets de grande envergure : projets de développement agro-~ndustrie1,
en vue de créer des emplois agro-pâstora1 avec objectif principal la créa-
tion de revenus. Un accueil particulier est mis sur le développement des
infrastructures avec priorité à l' êquipement des villes. Cet aspect de la
politique de développement en faveur du nord &era l'objet d'un chapitre
spécifique. Pour le moment, disons que l'attention particulière accordée
au nord a pour origine le constat d'échec d'une partie de la croissance...
--.,
..~
accélérée
~- des~ villes satur.ées__par_1es migrations _et _posant du coup les
problèmes de chômage, de délinquance et de banditisme
- difficulté d' approvisionnemen t\\ en vivriers des centres ù'rbains de
Côœ,d'Ivoire alors que le nord recèle de potentialité en la matière;
- le nord comme fausse note de la croissance accélérée en ce
sens qu'il est resté en marge du développement et de 1a~ répartition des fruits
de cette croissance.
Tel est l'historique du phénomène lama: insignifiante sinon
se réduisant à de:
faibles déplacements dont le but est la recherche de la
sécurité et de nouvelles terres, la migration des Sénoufo devient systé-
matique et obligatoire sous la régime colonial et finit par se perpétuer
~ç9IIIIIl_e un_e_ ~migra_tion volontaire après l' ind.épendance, une fois le _mouve-
ment déclenché et dirigé vers la Basse Côte.
Ces deux premiers chapitres nous ont permis de définir les migra-
tions en général et de spéc'ifier la nature et la genèse du phénomène "lama"
COmme la forme sénoufo des migrations internes en Côte d'Ivoire. A présent
déèrivons le cadre socio+économique qui a constitué jadis un réservoir de
main-d'oeuvre et constitue aujourd'hui la principale source d'émigration.

64
III - ESQUISSE
'"
SOClO-ECONOMIQUE DU CADRE D'ETUDE
A - Côte d'Ivoire
bilan du libéralisme économique
Avant dévoquer le bilan proprement dit, présentons brièvement la
Côte/d'Ivoire. Ancienne colonie française, située sur la Côte occidentale
de l'Afrique, la Côte d'Ivoire ,indépendante depuis 1960, a deux fron-
tières naturelles: au sud l'Océan Atlantique avec 650 km de côte lagu-
naire et au sud-ouest le fleuve Cavally la sépare du Libéria. Les autres
frontières demeurent l'héritage du découpage colonial: au nord la Haute-
Volta et le Mali, à l'est le Ghana, à l'ouest la Guinée. La Côte d'Ivoire
s'étend sur une superficie de 322 500 km2 pour une population de 6 072 000
habitants (1), soit une densité d'environ 20 habitants/~2. Cette popula-
tion croit rapidement au rythme de 4% par an. Deux faits caractérisent la
population ivoirienne: une population jeune (50% des habitants ont moins
-
._..- -._-.
- ---~~---
de 20 ans) et une population à dominante rurale mais qui tend à s'urbani-
ser très rapidement.
Précisons un peu plus la formation de la nation ivoirienne. Aussi
loin que l'on puisse remonter le cours de l'histoire, la Côte d'Ivoire
aurait été découverte en 1339 par des caravelles normandes. A la suite de
ce premier débarquement de marins dieppois, le territoire qui allait devenir
la Côte d'Ivoire s'appela tour à tour la Côte des Malaguettes, la Côte
des Graines, la Côte des Bonnes Gens, la Côte des Mal Gens et enfin la
Côte d'Ivoire. Après des rivalités avec les Portugais et les Anglais qui
revendiquèrent à leur tour la découverte de la Côte d'Ivoire, les Français
installèrent des comptoirs sur le côte à Assinie, à Bassam, à Sassandra, etc.
-
-- ---
Iiota1ID!lent au XVIIIe siècle, --pour ïè--corrÜnerces des épices et des esc1aves-.
. Peu à peu l'hinterland fut exploré: le Baoulé, la région de Kong, la ré-
,:-....
gion des Hauts Fleuves et le Bondoukou. Le 10 mars 1893, par décret du
du gouve~nement français, la Côte d'Ivoire est constituée en colonie fran-
çaise avec le capitaine Binger comme premier gouverneur, celui-là même
(1) Selon le premier recensement national effectué dans le courant de
l'année 1975.

65
qui avait contribué à l'exploration du pays. La Côte d'Ivoire ne sera
.-
réellement occupée qu'après la "pacification" (l) de 1915. Le découpage
colonial s'est fait sur quatre grandes zones ethno-linguistiques :
- les Akan principalement les Baoulé, les Agni, les Abé, les
Akié, les Lagunaires et les Koulango occupant respectivement
le centre, le sud et l'est de la Côte d'Ivoire;
- les Krou principalement les Bété, les Dida, les Godié, les
Bakwé dans le centre-ouest et le sud-ouest;
les Manding composés de Malinké au nord-ouest et les Mandé
du sud à l'ouest;
les Voltalques essentiëllement composés de Sénoufo habitant le
nord.
Revenons au processus de détermination des courants migratoires
tel que nous les obs'ervons en Côte d'Ivoire. Le premier repère historique
des migrations actuelles est lié à la colonisation. En effet, au fur et à
mesure de la conquête, l'administration coloniale mettait en place une
nouvelle structure économique dans les différentes régions en rapport
avec leurs potentialités et en fonction des besoins de la métropole. C'est
ainsi qu'au début du XXe siècle, la culture du café et du cacao fut impo-
sée aux populations ivoiriennes. Entre les deux guerres La Côte d'Ivoire
connaîtra la colonisation la plus rude à cause de ces plantes qu'on vou-
lait développer par la création de grandes plantations. Plus tard la
____c:~~struction ,j~_~~e:!!l!~ ~~ ~~:r:__ Abidl~E_·-}Hge_r _et l' ouvertt.ire _~ll c:anal de.
Vridi firent prendre conscience à l'administration que cette nouvelle, colo-
'nie pourr~üt être prospère avec une volonté d'organisation. C'est dans ce
cadre bien précis que le sud se développa avec la culture du binome café-
cacao à laquelle il faut ajouter le bois~ Le deuxième repère historique
des courants migratoires modernes est récent. A la proclamation de 11indé-
(l)En 1915 le gouverneur Angoulvant, devant la résistance de certaines po-
pulations à la colonisation entreprit une vaste campagne de soumission,
s'inspirant de Gallieni à Madagascar. Cette campagne, particulièrement
caractérisé~par la cruauté du gouverneur, fut paradoxalement dénommée
I1 pac ification".
Cf. son livre La Pacification de la Côte d'Ivoire.

66
pendance en 1960, héritant des structures mises en place par l'adminis-
tration coloniale, la Côte d'Ivoire pour son développement économique
et social opta pour le libéralisme, accentuant de manière indirecte les
premiers courants migratoires. Telle est la Côte d'Ivoire brièvement pré-
sentée. A présent voyons les données économiques d'ensemble en rapport
avec le libéralisme économique.,
1. Données économiques d'ensemble
Depuis 1960, date de l'indépendance, le développement économique
de la Côte d'Ivoire a connu une telle croissance que le monde entie~,lui a
rendu honneur en le gratifiant de tous les termes les plus élogieux :
le ~',boom" économique, croissance exceptionnelle
-or
- le "miracle" ivoirien
le" J-aponil--de l'Afrique
Jugeons-en par les chiffres: de 1960 à 1975 la Production Inté-
rieure Brute (PIB) a sextuplé: elle est passée de 130,5 milliards CFA
en 1960 à 740 milliards en 1975 avec un taux annuel moyen de 12,3%.
Dans le même période le produit intérieur brut per capita s'est
amélioré
de 36 000 à 37000 FCFA en 1960 il est passé à 125 000 en 1975
et atteint probablement en ce moment 150 000 F CFA.
Rappelons que la production intérieure brute -selon les économistes -
est créée par trois activités
la mise en valeur des resssources naturelles
i'
la transformation des produits bruts
- la distribution et les échanges des produits bruts ou transformés.
Nous reconnaissons-là la traditionnelle division de l'activité
économique en secteurs primaire, secondaire et tertiaire.
Dans le secteur primaire, principalement l'agriculture, la Côte
d'Ivoire a réussi des performances peu communes. Pour le café, quasi inexis-
tant en 1900, la Côte d'Ivoire est devenue le 3ème producteur mondial

67
(300 000 t. reprrésentant 6 à 7% des récoltes mondiales) après le Brésil
et la Colombie. Les récentes contre-performances du Brésil dues àux intem-
péries ont placé la Côte d'Ivoire au 1er rang.
Quant au cacao, plus récent que le café, la Côte d'Ivoire se
place au 3ème rang mondial avec 240 000 t. en 1976 après le Ghana et le
Nigéria, et lEut-être le 1er vers les années 1983-84 (1).
Avec une production d'huile de palme qui varie entre 175 000 et
180 000 t. et même 200 000 t. dans les années fastes, la Côte d'Ivoire
occupe le 1er rang africain et le 3ème rang mondial.
En plus de toutes ces cultures, il faut ajout~r la canne à sucre
....
'9
destinée à couvrir les besoins du marché national et même à l'exportation,
la banane, Jer producteur africain mais place encore modeste par rapport 'J1:<
aux grands porducteurs
d' Amérique_ ç~n_tra:Le (P§:nal!!§:L~t_ciu Sud (Eqt!.ateur),
l'ananas, l'hévéa, l'avocat, le coton. Certaines cultures assez prometteuses
sont en phase de démarrage comme l'anacarde ou en phase d'expérimentation
Comme le soja. Quant au bois, un des trois piliers avec le café et le cacao
base du développement économique, la Côte d'Ivoire est un des grands pro-
ducteurs mondiaux. La vente de bois en 1978 a représenté 13% des exporta-
tions alors qu'elle était de 34% en 1973.
Dans le secteur secondaire, mêmes performances. Les entreprises
en production sont passées de 110
en 1960 à 486 en 1976. Leurs chiffres
d'affaires en CFA sont passés de 13 milliards à 350 milliards. La masse
salariale distribuée en 1965 était de 7 milliards CFA et de 40,7 milliards
en.1976. Quant aux salar.ié!>.employé,s iJ,s .. s.oP.LR.é3.13.§~s; à 1~ mêITl~.période
de 22 500 à 57 915 personnes.
Ainsi, depuis l'indépendance, le nombre des entreprises s'est
soit une progression annuelle de plus de
9,74% par an. La taille des unités de production s'est également étoffée:
aux P.M.E. (Petites et moyennes entreprises) se sont ajoutés'des complexes
(1) Depuis 1980 la Côte d'Ivoire est devenue le 1er producteur mondial
de cacao, après l'avoir été une fois en 1978 avec 297 310 tonnes.

68
industriels surtout dans le textile et dans le traitement des corps gras.
Ces données économiques loin d'être exhaustives ont pour but de
faire ressortir mieux la croissance économique de la Côte d'Ivoire, quali-
fiée de "miracle". Deux facteurs ont rendu ce "miracle" - si miracle
il
.y a - possible: le libéralisme économique et une relative stabilité poli-
tique instaurée par le premier président de la République de éôte d'Ivoire,
M. Félix Houphouët-Boigny "véritable cerveau politique" selon De Gaulle.
Cependant cette croissance économique qualifiée d'exceptionnelle
comporte des ambres et des contracdictions remettant en cause le dévelop-
pement de ce pays. Les contradictions se trouvent à plusieurs niveaux.
:"-".
Ici encore les chiffres avancés ~~r les économistes sont éloquents (1).
- Le niveau de vie bien qu'en progression rapide est inégalement
------ -------réparti-;-A- titr-e--d' exemple en 1965, l'Abidjannals était sensiblènlent-ïI
fois plus riche que l'habitant du nord (37 fois si l'on ne tient compte
que du revenu monétaire). A Abidjan même, le niveau de vie des expatriés
(consommatillon par tête) était I l fois supérieur à celui de la population
afrQcaine. Au plan national, 7% de la population consomme 33% des biens
commercialisés.
- La même inégalité s'observe au niveau de la répartition des
investissements. En 1965, le sud a bénéficié de près de 90% des investis-
sements globaux dont 66% pour la ville d'Abidjan.
- L' économie=:est caractérisée par son extraversion. 95% des socié.:.
-.:.•...
tés appartienn-ent à des non Ivoiriens. Entre-î 960-66, 30- a -40::( des- Inve-s~----------~-
tissements relèvent du privé,
Tou tes ces con tradic tions et inégalités ne manquent pas d'avoir
une inêidence
dans la détermination des mouvements migratoires. Pour
l'instant voyons quelle est la place du nord dans l'ensemble de l'écono-
mie ivoirienne? Quelles ont été pour cette région les retombées du "mi-
racle" économique ?
(1) 'Forces et faiblesses du développement ivoirien", pp. 55-56-81, in Africa,
n° 52, 1970.

69
2. La place du Nord dans l'économie ivoirienne
Les résultats du libéralisme économique sont ceux que nous avons
exposés ci-dessus. L'un des principes du libéralisme économique comme nous
l'avons vu dans la partie théorique, c'est d'accepter non seulement la
mobilité du capital mais aussi des facteurs de production, notamment la
main-d'oeuvre. Une telle option implique en arrière-fond
le développement
des régions riches et l' appauvi.issement sinon le sous~éveloppement des
régions pauvres. Le libéralisme économique de la Côte d'Ivoire n'a pas
failli à cette dialectique. Qu'en était-il du Nord avant la pénétration
coloniale?
Semi-Bi Zan, dans ce qu'il a appelé "la revanche du Sud"., sur le
..,~
.:
Nord" (l) a montré que la région du Nord d'avant la pénétration coloniale,
était plus peuplée et animée - commercialement - que la région méridionale .
. La régiQn __qui_es_t_le_cadr.e_de .notre.étude.était-traversée par l'une des
deux grandes artères caravanières reliant les régions de la boucle du Niger
à la Côte du Golfe de Guinee. Sur cet axe passant par Kong et se dirigeant
soit vers KOÙIDassi soit vers la lagune Aby, }es noix de cola (2) récol-
tées dans la forêt étaient troquées contre du poisson sec, des boeufs, des
chevaux, de l'or et des esclaves vendus aux négriers européens contre la
pacotille et les armes. A ces produits
s'ajoutaient les célèbres pagnes
rouges et les cotonnades de Kong.
Encore longtemps après la pénétration coloniale, les commerçants
dioula parcouraient les "villes" de Kong, de Bondoukou, de Boundiali,
d'Odienné, du Ouorodougou achalandant leurs marchés durant plusieurs jours.
__________f\\vec..Jes s tru_c~ures économiques_.e t c ornmerciales mises en pl!ice- par. la co-·
-
-
-~
.-
Ionisation, l' ac tivité artisanale et cornmerciale des "villes" du Nord dé-
périt. La modernisation des circuits commerciaux et de l'économie fut faite
au détriment de la région septentrionale pourtant prospère. L'administra-
tion venait de découvrir toutes les potentialités dont recélait la Basse
Côte. Par plusieurs subterfuges, de gré ou de force, les populations des
(1) Semi-Bi Zan. La politique coloniale des travaux publics en Côte d'Ivoire.
Doctorat de 3ème Cycle, Université de Paris VII, 1973.
(2) Fruit ayant des propriétés stimulantes
et -".. entrant dans beaucoup de
rites africains.

70
savanes du Nord~descendaient dans le Sud forestier et sur le littoral
pour travailler soit dans les plantations d'Européens ou de notables
autochtones, soit sur les chantiers d'abattage de bois, soit enfin dans
les villes, contribuant ainsi à créer un déséquilibre démographique entre
les deux régions.
Et Semi-Bi Zan, aux pages 269 et 270, de conclure
"c'était
assurément la revanche du Sud sur le Nord du pays. En effet, jusqu'au
début du siècle la comparaison des deux milieux n~turels qui;lse : partageaient
la Côte d'Ivoire faisait apparaître la forêt plus redoutable et plus ré-
pulsive à l'homme que la savane. Et l'histoire précoloniale ratifia ce ju-
gement dans la mesure où le Nord et le Centre du pays furent plus peuplés
et plus dynamiques commercialement que le Sud où aucune ville n'égalait
par exemple Kong des années 1890, en importance démographique comme en rayon-
nement économique. Avec la pénétration coloniale et par conséquent l'aména-
g'ement-des moyens d'évacuation des produits, non seulement~--l-!exubéranGe -vé-
gétale devint une richesse par l'exploitation du bois, mais c'est en forêt
que les grandes plantations de caféiers, de cacaoyers et de bananiers se
développèrent. D'où l'appel des populations des autres régionsiet spécia- î
lement dli'Nord". ·:.Semi-Bi Zan terriJ.:in:e sa conclusion de manière pathétique
mais qui n'en cache pas moins une réalité : "Cruelle revanche ! Car la
~isparité entre les deux régions, à peine sensible au début du siècle a
atteint des proportions énormes quarante ans plus tard et est aujourd'hui
caricaturale, en dépit de discours aux accents lénitifs mais suivis de peu
de réalisations concrètes".
Si la Basse Côte est développée et continue de se développer en
~accumulant hommes-et capitaux, -la partie~·nord.d-u pays~-dans_~'ense..'TI.blede-
l'économie nationale, est désarticulée voire marginalisée. Ainsi la région
Nord est en marge du développement ivoirien faute d'infrastructure et d'in-
vestissement. Elle est donc isolée et semble vouée à la pauvreté. Ici en-
core les chiffres peuvent nous aider à traduire les disparités.
La revue "Industries et Travaux d'Outre-Mer" (1) résumant l'étude
de la région de Korhogo, effectuée en 1965 par la SEDES, compare les indices
(1) "La reglon de Korhogo ; les conditions de son développement économique
et social", pp. 299-306 in Industrie et Travaux d'Outre-Mer, n° 61,
avril 1967.

71
économiques de Korhogo et de l'ensemble de la Côte d'Ivoire pour rendre compte
des écarts :
Production Intérieure Brute
Korhogo
16 380
Côte d'Ivoire
49 380.
Valeur ajoutée
par l'agriculture, l'élavage, la pêche
Korhogo = 14 200
Côte d'Ivoire = 46 300
Production Intérieure Brute commercialisée par tête
Korhogo = 7 830
Côte d'Ivoire
38 510
Revenu monétaire
Korhogo : 4 380
Zone rurale sud-est frontalier : 26 600
• Investissement brut: Korhogo : 9,7% de la production intérieure
brute
Côte d'Ivoire: 15,5%
Dix ans plus tard une autre étude du Ministère du Plan (1) confir-
mait ces écarts~entre le Nord et le-reste de la Côte d'Ivoire:
Korhogo
Ensemble
Rapport
Côte. d'Ivoire
Nord- Côte d' Ivom
Taux de scolarisation
25%
50%
1/2
PIB (en milliards CFA en 1971)
14
400
3,5%
Production vivrières et élevage
7
50
1/7
PIB par tête en CFA
25 000
75 000
1/3
Le même déséquilibre s'observe au niveau des investissements pu-
blics de 1966 à 1970 :
Nord (Korhogo,-F.erké, Boundiali,O::l.ienné).- =--'-/ 7%
Centre
15%
Autres
15%
Sud
63%
Il en est de même pour le revenu monétaire rural (en CFA)
. Nord
3 000
Sud-Est
30 000
Tels sont les indices économiques qui expriment les écarts énormes
entre le Nord et le reste de la Côte d'Ivoire. Dès lors que la migration suit
(1) Ministère du Plan. Le Nord en mutation,op. cit., p. 8 et 12.

72
le sens des
"
disparités il est aisé de comprendre le primat économique que
les économistes et les théoriciens du développement inégal accordent à
l'explication de la migration. Encore que dans le cas présent on nous si-
gnale qu'en 1967 sur une Production Intérieure Brute de près de 5 milliards
de CFA pour l'ensemble de la Côte d'Ivoire, la région de Korhogo ne repré-
sentait que 2,7% bien qu'elle constitue 10% du territoire de l'Etat et
8,2% de la population.
Laissons-là les indices économiques et penchons-nous sur les inci-
dences sociales. Le malaise économique crée le malaise social. Le retard
sur la promotion humaine et sociale est difficile à traduire comme nous
l'avons fait pour l'économie. Cela tient même à la nature de l'objet car
l'humain et l~sociét~ échappent à la quantification. Seule une étude quali-
tative peut résoudre le problème. Néanmoins il existe des indices~ui peu-
vent en retour donner une idée du retard de la promotion humaine, notam-
ment au niveau des équipements. A cet effet, nous reproduisons un tableau
de l'étude du Ministère du Plan (1).
Nord
Côte d'Ivoire
(Abidjan exclu)
Taille moyenne des villages
365
550
Nombre d'hab. par village-centre
4 700
6 300
Nombre d'hab. par magasin (PAC et AVION)
20 000
12 000
Nombre d'hab. pour une école
3 000
2 200
- -
Nombre d'hab. pour une classe
810
450
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-
Nombre d' hab. pour un dispensaire
16 000
16 000
Nombre d 'hab. pour un lit
8 700
4 500 (a)
- maternité
- hôpital
3 200
2 500
Nombre d' hab. pour un médecin
75 000
50 _000 (b)
--- -...-.
-- . - ..
~_.
Tableau 8 : Etat des équipements collectifs
(1) Ministère du Plan. L~ Nord en mutation. Ibid, p. 102.
(a) moyenne nationale = 1 pour 4 900.
(b) moyenne nationale hors; Abidjan = 1 pour 50 000.

73
Après {e constat du retard dans la promotion humaine , le Minis-
tère du Plan conclut son étude ;
- le niveau et le cadre de vie, nettement inférieurs, constituent
un handicap majeur au dynamisme de la région. La faiblesse des revenus tra-
duit la persistance d'une économie de subsistance et restreint fortement
l'accès aux biens de consommation et d'équipement
- l'état sanitaire laisse à désirer; absence de moyen pour mener
valablement de front une médecine individuelle et une médecine préventive
de masse ;
- l'éducation et la formation n'6Rt guère eu de chance; le taux
de scolarisation est inférieur à 25% soit deux fois moins que la moyenne
nationale. Ce taux recouvre de fortes disparités ; excepté les villes, le
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milieu rural est très faiblement concerné par la scolarisation (20%). L'han-
dicap ne se limite pas seulement au manque de classes et d'enseignants mais
aussi à l'attitude souvent réticente de la population et cela pour deux
raisons: la diminution de la force de travail et l'effort financier impor-
tant par rapport au revenu disponible. Notons que tous les jeunes scolarisés
jusqu'au CEPE viennent grossir le nombre des migrants car le milieu ne leur
permet pas un plein épanouissement.
Tous les indices énumérés ici, bien que traduisant une réalité,
ne doivent pas être pris comme des critères absolus en ce sens qu'il exis-
te des centres bien équipés voire sur-équipés qui connaissent la migration.
Une fois de plus, nous revenons au caractère sociologique de la migration.
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Les .aspects économiques ne devraient pas obnubiler la réalité sociale.
C'est ce problème plus subtile que Louis Roussel a soulevé en se
posant la question de savoir pourquoi les jeunes émigrent. Comme il le dit
aux pages 205-206 de son article "les jeunes ont la conviction qu'il exis-
te aujourd'hui deux univers sans communication entre eux: l'un où l'on
peut espérer une promotion et un statut conforme aux aspirations légitimes
d'un homme moderne; l'autre où l'on doit se résigner à demeurer toute sa
vie dans une condition archalque ou indigne d'un homme indépendant. La
jeunesse désire donc intensément s'implanter dans un milieu résidentiel et

74
~..
professionel où la mobilité verticale existe et où la promotion reste !.l
possible" (1).
Cet aperçu socio-économique de la Côte d'Ivoire et sa région Nord,
nous a permis de montr~r comment peu à peu la Côte d'Ivoire
indépendante
a été amenée au choix du libéralisme économique. La situation héritée de
l'admini~tration coloniale l'y prédisposait avec les bouleversements éco-
nomiques et sociaux notamment la mobilité de la main-d'oeuvre, principe
sacro-saint de tout libéralisme économique.
L'administration coloniale, de par sa politique des grands tra-
vaux et des grandes plantations, a encouragé sinon provoqué les migrations
.~}
intérieures de main-d'oeuvre. Cette main-d'oeuvre, une fois mise dans le
c~rcuit, ne perdait plus sa mobilité. Dès son accession à l'indépendance
la Côte d'Ivoire s'est engagée dans un processus de développement écono-
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mique accéléré, ne remettant rien en cause de l'héritage colonial. Pour
parvenir à ce développement accéléré les autorités publiques ont maintenu
et même renforcé les atouts à savoir le libéralisme économique et ses corol-
laires : la mobilité des capitaux et de la main-d'oeuvre. C'est dans ce
contexte que les Sénoufo ont constitué la principale source de main-d'oeu-
vre en Côte d'Ivoire. Mais qui sont-ils? Que leur offre leur cadre de
vie ? Comment sont-ils organisés ?
B - Etude du Nord Sénoufo
L'ensemble du peuple appelé Sénoufo s'étend
sur trois pays:
La Côte d'Ivoire, la Haute-Volta et le Mali. Le~ frontières entre ces tro~s
pays, reconnues artificielles, mais aujourd'hui intangibles, ont été ébau-
chées pour des commodités administratives de la colonisation au détriment
d'une quelconque entité culturelle. On signale au Ghana la présence d'un
peuple qui s'apparenterait aux Sénoufo.
(1) Louis Roussel, "Problèmes et politiques de l'emploi en Côte d'Ivoire",
pp. 189-209 in L'Emploi en Afrique, Aspects critiques du problème. BIT
Genève, 1973.
Notons à propos de la citation, qu'indépendamment de la pertinence de
l'analyse, Roussel oppose de manière très caricaturale archalsme et mo-
dernité. Ce qui dev.rait être mis en cause c'est moins l'archaIsme que
la mutation sociologique, c'est à dire le passage brutal d'une situation
à une autre sans maîtriser réellement la deuxième. Autrement dit, toute
société, aussi archalque qu'elle puisse paraitre,à son échelle de pro-
motion. Pour les Sénoufo qui nous intéresse ici, c' est le"poro". Nous élu-
ciderons ce problème dans la suite de l'étude.

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76
Si l'ensemble des Sénoufo couvre trois pays, leur répartition
par contre se singularise par une grande inégalité. En effet, plus de la
moitié des Sénoufo se localisent en Côte d'Ivoire (savane du Nord), où ils
sont répartis en fractions dans les régions de Boundia1i, de Korhogo, de
Ferkessédougou, de Katio1a, de Dabaka1a et une partie de Bouna, de Bon-
doukou et d'Odienné. Cependant tous n'entreront pas dans le cadre de notre
étude. Nous nous limiterons à ceux se réclamant principalement de Syenamoé1é
donc couvrant les régions de Boundia1i, rerkessédougou et Korhogo.
l - Le milieu naturel
: ..
nàns cette partiesur.üe nii1ieu<'nature1, nous nous limiterons à
donner quelques éléments du cadre physique que nous jugeons nécessaires
pour la compréhension du phénomène "~oucono", objet de notre étude.
Le re1ie~ monotone, est régulièrement incliné vers l'Est. Selon
les géologues,
il
appartient à un cadre géo.10gique commun en Côte
d'Ivoire: vastes plateaux granitiques, accidentés dans les parties ouest
et
sud-ouest. De petits reliefs montagneux (900 m) d'origine métamorphi-
que alternent avec de larges bandes schisteuses en creux où s'encaissent
les principaux cours d'eau, mais aussi où l'approvisionnement en eau sou-
terraine est le plus aléatoire pendant la saison sèche. Il faut noter la
présence de buttes isolées le plus souvent cuirassées dont l'altitude varie
enbre 400 et 900 m. Le mont Korhogo, constitue un cas très représentatif.
-----Se10if 1es'pédb1bgues-;-les-so1sau: - Nord, - ferrallitlquès-;--pr-ésen-':---
tent une faible capacité de rétention d'eau et d'échange d'ions. Cet état
expliquerait l'infertilité de la plupart des sols du Nord. En effet, les
sols sont de qualité moyenne parce que appauvris en éléments chimiques,
soit par l' érosjgn (zone dense et zone accidentée), soit par le phénomène
d'induration te11es 1Ënirasses latéritiques fréquentes à Korhogo, Niofouin,
Boundia1i, Tingre1a, Ferké. Mis à part les bas-fonds très riches, les
meilleurs sols se trouvent sur la pente, sous réserve que l'érosion ne
les dégrade pas.
Les prospections jusqu'à ce jour révèlent un sous-sol pauvre en
minerais sauf le diamant à Tortiya, le manganèse à Ziémougou1a. Ces mêmes

77
prospections ont révélé des indices de molybdène (1) et de nickel.
r
b - Climat et hydrographie
Le climat du Nord es~ un climat tropical dit climat soudanais
dans la terminologie climatique ivoirienne. Il se caractérise par deux
saisons bien tranchées :
- la saison des pluies (6 à 7 mois)
: avril-mai à octobre. A
cette époque 90% des pluies tombent
où a lieu l'essentiel des travaux
agricoles, ;
- la saison sèche (5 à 6 mois)
: novembre à avril. C'est une
.~
période ensoleillée où 1 'humidité de l'air tombe à moins de 50%. De novem-
bre à février souffle un vent sec venu du Sahara - l'harmattan - qui
accentue la sécheresse. C'est l'époque aussi, où la. végétation-souffre du
manque d'eau,
la réduisant ainsi à néant.
Fait important à signaler. La saison des pluies,
-sou~ent.
instable, varie de 2 à 6 mois selon les époques_ Elle rend ainsi aléatoire
non seulement le renouvellement du couvert végétal et la riziculture
de
bas-fonds, mais aussi l'alimentation en eau du bovin et même l'hydraulique
humaine. La pluviométrie, inégalement répartie, décroît du Nord vers le
Sud. Pour les trois sous-régions principales, elle se répartit de la ma-
nière suivante :
- Boundia1i
1450 rrnn
":" .Fer.kessédougou .. 1300 rnrn__. _
- Korhogo
1350 mm
Du point de vue hydrographique, paradoxalement, le Nord est le
château d'eau de la Côte d'Ivoire. Tous les grands fleuves y prennent nais-
sance. Les eaux se répartissent entre deux grands bassins :
- le Niger (Baoulé, Mahandiabani, Bagoé)
- l'Atlantique (Sassandra, Marahoué, Bandama, Comoé)
(1) molybdène
métal blanc, dur et fusible à 2620°.

78
Parmi ~ous les fleuves y prenant naissance, seul le Bandama avec
ses 950 kilomètres draine le Nord. Divisé en plusieurs affluents, il tra~
verse la région et constitue un atout économique aussi bien pour la zone
étudiée que pour le reste de la Côte d'Ivoire. Vient ensuite Ja Bagoé qui
constitue le deuxième cours d'eau important, très vital pour la région de
Boundiali. En dehors de ces deux fleuves il existe de nombreuses rivières.
Tous ces cours d'eau connaissent un étiage très accentué en mars-avril,
c'est à dire pendant la saison sèche. Ainsi leur débit est tributaire du
climat. Lesliharges vallées alluviales, en saison dies pluies, comportent
des crues que l'on tente de contrôler en construisant des barrages.
c - V:égétation
..~
La végétation du Nord alterne savane arborée et savane herbeuse,
ou les deux à la fois. Plus on monte vers le Nord, plus la savane arborée
_____ fait_place à la- savane herbeuse. Les géographes pensent que le caractère-----
de plus en plus accentué de la savane tient plus.à l'action de l'homme
(défrichement, feux de brousse) qu'à des conditions climatiques. Quoi qu'il
en soit, la végétation du Nord se partage entre les graminées d'une part et,
les arbres et arbustes d'autre part. Dans la dernière catégorie il faut
inclure les forêts classées et protégées couvrant 560 000 hectares soit 8%
de la superficie de la région. Elles constituent des réserves écologiques
(barrière verte du Sahara) et à long terme des réserves de terres cultiva-
bles après l'éradication de l'onchocercose. Chose importante à signaler,
c'est l'existence de bois sacrés sempervirentes qui à notre avis constituent
des réserves végétales. On y trouve des espèces végétales ayant disparu
ce qui recouvre une importance pour la pharmacopée.
2 - Milieu humain et social
Dans cette partie nous tenterons une évaluation numérique des
Sénoufo, tout en montrant l'évolution de la population soumise à l'émigra-
tion. Dans un deuxième volet nous verrons leur organisation politique et
sociale, en ce sens que tous ces éléments nous serons nécessaires pour com-
prendre plus tard le~phénomène "lama".

79
a) Historique du peuplement et données démographiques générales
Elucidons d'abord un problème terminologique. Selon Holas (1)
le premier essai pour donner un nom conventionnel au groupe ethnique que i'.
nous connaissons aujourd'hui sous l'appellation de Sénoufo est dû à Maurice
Delafosse (2). En effet, ce dernier, à la suite de Chéron, un autre admi-
nistrateur des colonies, pense que le terme sénoufo est une appellation
étrangère, venue des Manding du Niger,: la langue desl)Sénoufo s'appelle
Sene ou Siena. Aussi Sene-Kan ou Siena-Kan désign7 'éitymologiquement la
langue des Sene ou des Siena ; ou Senekan-Fo,)ou Sene-Fo ou Senefo (Dr. Tautin)
ou Sehofo ou Senoufo (Binger).
Donc le terme sénoufo serait la contraction
successive de Sienama-Kan-Fo, ensuite de Siena-Kan-Fo et enfin Senoufo.
Sene ou Siena semble dériver de Sien ou de Chon voulant dire Homme (~
dans plusieurs sous-groupes sénoufo.
En fait -les· ·intéres-s-és· eux-'-mêmesignorent-le- terme Sénoufo, du
moins dans les couches rurales plus proches des ,traditions. Les concernés
se désignent eux-mêmes par le terme syenambélé (syenaon au singulier) d'après
leur. langue le syenar ou syenara.
Ce: terme de syenaon est principalement en usage dans les régions
de Boundiali, de !,erkessédougcu et de Korhogo. Qu'ils soient Tchébaho, Naf aho,
Fodonon, Niarafolo, Gbatoho ou Kassanho, tous ces sous-groupes ethniques
se reconnaissent Syenambélé. C'est d'ailleurs ce;'critère linguistique qui
a inspiré en partie notre échantillon en limitant l'étude aux Syenambélé.,
Q"t
quiy particulièrement,:
connu et connaissent encore un mouvement massif
de migration vers la Basse Côte.
Après cette élucidation au niveau terminologique voyons mainte-
nant l'historique.
(1) Halas. Op. cit.
(2) Maurice Delafosse., Administrateur des colonies ayant beaucoup écrit
sur les Sénoufo après un séjour administratif chez eux (cf. biblio-
graphie).
(3) Le mot homme s'entend ici aux sens générique et ontologique.

80
~
Notons tout de suite qu'il est difficile de faire l'historique
à cause de la multiplicité des mythes, quelquefoills sans lien entre eux,
qui expliquent l'origine de chaque sous-groupe. Cette pléthore de mythes
ne milite pas en faveur de l'unité historique des Sénoufo et déroute quel-
quefois le chercheur. Mais jusqu'à un certain stade le mythe s'estompe
pour faire place à l'histoire relatant des guerres, des scissions et de
grands mouvements de population.
Dans cette partie il n'est pas question de relater l'histoire de
chaque sous-groupe ethnique. Cela est!'pratiquement impossible dans le ca-
dre de cette étude. On ne peut parler de l'histoire des Syenambélé sans
situer leur origine qui va nous intéresser particulièrement. A ce propos
deux thèses s'affrontent
la thèse de l'autochtone et la thèse d'une pro-
.....venance extérieure, d'une migration. La plupart des chercheurs contemporains
_____y_ compris ae~ __ chercheurs d'origine sé_n<:lU!o_ Cl)-! _!-__~~__ su!_~e _d_e recher~~e_s __
empiriques de la littérature coloniale et des explications mécanistes ,,=~.
des~ géographes et historiens tèls que P_.' GOln:'oti-'~(2) ,adhérent à:ladeuxième
thèse qui fait venir les Sénoufo d'ailleurs. Quels sont les fondements de
cette thèse de la provenance extérieure ? Sinali Coulibaly prend à son
compte les conclusions de Ouattara Tiona fondant leur hypothèse d'une part
sur l'affirmation subjective de certains sous-groupes sénoufo - situant
leur pays d'origine au Mali et sur l'analyse "objective" du mode de vie
d'une certaine -époque qui poussait au déplacement. Cette thèse de la pro-
venance extérieure est illustrée par Sinali Coulibaly citant- aux pages
43 et 44 de son livre précité - Ouattara Tiona : "En effet, le mode d'occu-
pation des sols et les systèmes de cultures sont des éléments qui poussent
_ _ _ _ _ <3-u_dépl,acement. Un m~II!~r~ __~_e ~a__f_~~!le rencontre une terre inoccupée, i l
la parcourt, la délimite, en devient le responsable au nom de la famille
,..
et y construit un "vogo" ou campement. Peu à peu, d'autres familles vien-
nent le rejoindre. Le "vogo" s'agrandit, devient un hameau, puis un "kaa".
(1) La plus récente publication sur les Sénoufo est de Sinali Coulibaly.
Le Paysan sénoufo. NEA, Abidjan, 1978.
L'étude la plus détaillée sur l'origine des Sénoufo est de Tiona Ouattara.
Les Tiembara de Korhogo, des origines à Péléforo Gbon Coulibaly, thèse de
Doctorat de 3ème cycle d'Histoire, Paris, juin 1977.
(2) Gourou. Les pays tropicaux. P.U.F., Paris, 1969

81
Nous avons là un indice d'une provenance d'une autre région; elle
peut être proche ou lointaine. Cette idée de provenance extérieure se
confirme lorsqu'on pense qu'il existe plusieurs groupes Tiembara, habi-
tant des régions différentes
les Tiembara de Niellé, les Tiembara de
Boundiali et les Tiernbara de Korhogo. Le nom générique commun pousse à
croire que ces trois groupes formaient un seul dans le temps (et dans l'es-
pace). Il Y a donc émigration possible à leur: niveau".
A la suite de l'évoiution de cette thèse certains situeraient
le berceau des Sénoufo dans la région de Bougouni (Mali) et d'autres
comme Yves Person (1) dQ~la région de Banfora (Haute-Volta). On pense
que le berceau se situerait plus en amont qu'on ne le croit. Selon certai-
..,~
nes thèses timides, mais qu'on gagnerait à examiner- ne serait-ce que
pour les infirmer,-le berceau originel des Sénoufo se situerait à l'actuel-
....
le localisation du Sahara, point à partir duquel s'est amorcé l'exode pro-
bableinent-,--suite au-x d-rfficultés climatïques qu'a connues cette région
ou-----~--­
:.i',(, la poussée des conquérants arabes.
Nous ne partageons pas la thèse de la provenance extérieure des
Sénoufo pour plusieurs raisons. D'abord à cause du contexte idéologique
où elle a vu le jour. En effet, tout un courant "scienti~ique", nullement
neutre, se basant sur la littérature colonialiste pronant la provenance ex-
térieure des peuples pour justifier leur conquête et leur domination voire
leur spoliation, s'est laissé prendre au jeu. C'est ainsi qu'on a fait
venir les Sénoufo du Sahara, du Mali ou de la Haute-Volta, tout comme on a
fait venir leurs ignames de l'Asie et leurs cauris des pays méditerranéens.
Le fait qu'on fasse venir les Sénoufo du Mali et de la Haute-Volta et d'ail-
-------~ leurs renforce notre- convictibn - que la thèse de-]:aprovenance-extér ieure--
n'est pas solide et ne peut résister à la critique. Que les Sénoufo soient
en Côte d'Ivoire, en Haute-Volta et au Mali n'implique pas une migration
de ceux de Côte d'Ivoire. Tout simplement il s'agit d'une unité ethnolin-
guistique que les frontières nationales ont ~ragmenté. Aucun facteur n'a
obligé les Sénoufo habitant aujourd'hui la Côte d'Ivoire a migré, autre-
(1) Yves Persona "Les Voltalques" in Atlas de Côte d'Ivoire.

82
ment les mêmes f1Îcteurs auraient contraint les au tres- -du Mali et de la
Haute-Volta-a migré et non à demeurer sur place (1).
Ensuite les conclusions de Ouattara Tiona auxquelles adhère Coulibaly
Sinali ne peuvent être valables que pour les Tchébala ou Tiembara de Korhogo.
Epistémologiquement elles ne peuvent être généralisées à l'ensemble des
Sénoufo. Quand bien même les Tiembara auraient joué un rôle important
dans la formation politique du Nord de la Côte d'Ivoire moderne grâce à
leur nombre et grâce à un chef de grande stature comme Gbon Coulibaly,
ils ne constituent pas le sous-groupe-centre ou le plus ancien, dans les
traditions orales ayant cours. Pendant nos recherches antérieures, contraire-
~ent aux conclusions
de Ouattara Tiona, aucun informateur ne nous a situé
~es Sénoufo aux lieux précités. Ceux qui l'ont fait n'ont pas pu le dé-
montrer logiquement et avouaient finalement qu'ils ont appris que "les
....
Blancs l'ont écrit dans les livres", ce qui rejoint la thèse co~onialiste.
Enfin -et cela pour montrer l'aut:ochtonie des-Sénoufo-:--une partie-"de la
littérature coloniale, qui pourtant n'était pas tendre avec les Sénoufo,
a émis l'hypothèse que les Sénoufo du Nord de la Côte d'Ivoire seraient
originaires des régions qu'ils habitent aujourd'hui. En 1906, Clozel écri-
vait : "Les Sénoufo, la race la plus importante par le nombre de ses mem-
bres et l'étendue de son territoire, semblent être autochtones des pays
qu'ils
habitent et sont profondément attachés au sol" (2). Delafosse
avait envisagé l'hypothèse de la migration en se basant sur les écrits
des géographes arabe8-Ibn Batouta, Aboulfidi, Edrissi - signalant l' exis-
tence d'une population fort primitive, à peu près nue, anthropophage, ha-
bitant à l'Est du Haut-Niger. Ceux-là nommés Lamban ou Lemlen par les
géographes arabes auraient eu des relations commerciales avec les Manding
du Mali ql.lI" les auraient c:onquTi,fpour" se procurer-des-~sclaves. Pourrait---"
on
assimiler ces peuples aux Siéna (Sénoufo )'? Rien ne le prouve.
(1) Antérieurement et en dehors de cette étude, nous avons eu l'occasion
de recueillir un récit de tradition orale qui faisait venir les Nafara
d'un village de l'actuelle Haute-Volta nommé Karakoronambiadougou. Deux
ans plus tard (1969) au cours d'un séjour de vacances à Banfora nous
avons enquêté, pour retrouver le village çu-nommé mais vainement. Selon
les personnes interrogées Karakoronambiadougou n'aurait jamais existé
dans la région de Banfora.
(2) F.J. Clozel. Dix ans à la Côte d'Ivoire. Ed. A. Challamel, Paris, 1906,
p. 152.

83
Après avoir donéécarté cette hypothèse, De1afosse conclut à l'autochtonie
des Siena
"Une légende qui m'a été racontée par des anciens de Korhogo
(Siena du Centre) dit que 'le premier ancêtre de Siéria a été créé par Dieu
dans le pays actuel des Siena ... Tout ce que nous pouvons conjecturer en
nous basant sur cette légende, c'est que, d'une manière générale, les
Siena seraient les autochtones de leur pays actuel
ou au moins d'une bonne
partie" (1). La conclusion de De1afosse est que la famille sénoufo sans
trop s'éloigner de son pays d'origine se serait essaimée dans les différentes
régions Koutia1a-San-Sikasso (Mali), Banfora (Haute-Volta) et Kong (Côte
d'Ivoire; Kong étant entendu ici au sens de région incluant donc Korhogo,
Boundia1i et Rerkessédougou).
Tous ces faits que nous venons d'avancer nous amènent à considérer
avec circonspection l~thèse qui fait venir les Sénoufo d'ailleurs. Ainsi
les Sénoufo sont non seulement autochtones de la région qu'ils occupent
- -maiS--ir5 -formëriE - av-ec1es Gagou (2) selon les ethnologues -et -1ës hlstü=------ ----
riens - les premiers noyaux sinon les souches de la population ivoirienne.
Le fait que les Sénoufo ne -se soient pas beaucoup déplacés de
leur berceau supposerait une existence calme. Loin de là. L'histoire des
Sénoufo est truffée de troubles. La région sénoufo a été le théâtre de
plusieurs guerres non seulement entre Sénoufo et envahisseurs mais aussi
entre envahisseurs, dont le pays sénoufo était l'enjeu. Les premières con-
quêtes mandingues en direction des Sénoufo commencent au XIe ou au XIIe
siècle
Mais selon Largaton Ouattara (3) la première invasion en pays sé-
noufo se situe au XVIe siècle et s'étendra jusqu'au XIXe siècle. Il définit
diverses formes d'intrusions étrangères
- l'invasion pacifique
- la conquête
le conflit armé entre deux conquérants sur le sol sénoufo qui
restait l'enjeu.
Cl) M. De1afosse, "Le peuple Siéna ou Sénoufo", in Revue des Etudes Ethno-
graphiques et Sociologiques . Première année 1908. Libn Geu thner, 1908,
p. 19.
(2) Un des sous-groupes Kr ou , habitant la région d'Oumé.
(3) Largaton Ouattara. L'implantation de l'administration française en pays
sénoufo (1898-1914). Mémoire de maîtrise de l'Univ. de Paris l, 1971-72.
N. B. Concernant les guerres nous nous inspirons beaucoup de 1arrecherche
de Largaton Ouattara.

Par contre il définit deux formes de domination étrangère
- Les Mandé : domination pacifique et militaire marquée de pro-
fonds changements.
- Les Français : domination psychologique et morale pour les
avoir débarassé du conquérant manding Samory Touré.
Les conquêtes militaires des Manàé
L'accession des Mandé au pays sénoufo se situe vers le XVIe siècle
à la chute de l'empire du Mali. Trois phases de pénétration:
- une phase d'inflitration pacifique (du XVIe à la deuxième moitié
,.
du XIXe siècle)
;
- une phase de conquête localisée à-parCir de: 1850 jusqu-'en 1881,
date de pénétration de Samory ;
- une phase de conquête généralisée avec Samory Touré principale-
ment de 1881 à 1898.
Dans la première phase les Mandé cherchent à s'assurer pacifique-
ment le contrôle des routes de commerce vers le Sud forestier sans aucun
prosélytisme religieux. Ils accèdent aux pays sénoufo par deux axes routiers
du commerce Nord-Sud, c'est à dire entre la savane et la forêt:
- à l'Ouest: axe Djené, Bougouni, Odienné, Séguela. Il s'agit des
Mandé-Malinké venus du Nord (Djené et O~assoulou) ;
- à- l' Est-: axe Sikasso,- -Bobo,- Kong, -Satama:"'Sakoura-." Il s'agit des---------
Mandé-Dioula venus de Sikasso par Bobo. Ils s'installent le long
de la rive droite della Comoé.
Les Handé-Malinké
Venus en deux vagues, ils s'installent à l'Ouest du pays sénoufo.
La première vague comprend les Mandé Nafana (famille:; Diabi, Touré, Cissé) qui
s'établissent dans la région d'Odienné et de Bako en arrière du pays sénoufo.
Cette vague était pacifique et animiste. La deuxième vague, de même famille
que la première mais islamisée, s'installe par la force des armes à partir
de Samatigui1a auprès de ses frères fétichistes auxquels elle impose sa reli-
gion.

85
Les rapports entre Malinké et Sénoufo à l'époque ont été décrits
par l'explorateur René Caillé dans son "Journal d'un Voyage ... "(Paris,
1830), qui séjourna un an (1827-1828) à Odienné. Selon lui, les rapports
étaient tolérants (bien que distants du fait de la différence de religion)
sans fusion de rapports sociaux entre les deux.
A Tiémé (localité à l'Est
d'Odienné) un mur séparait les Mandé et les Sénoufo. Malgré ces distances
la coexistence pacifique était réelle et les Sénoufo, chefs de terre, pré-
levaient des droits sur les marchandises mandé. Mais ces rapports décrits
par René Caillé se dégraderont aux alentours de 1850 avec les familles
Touré, d'origine différente des premières- .
Le royaume de Vakaba Touré et les Sénoufo (1848-1881)
'~
Selon l'historien Yves Person, les ancêtres de Vakaba Touré vien-
draient de Sidikila près de Kankan. Après des études islamiques écourtées
Vakaba sera--colporteur et ensuite engagé dans l'armée de Moii Oulé, chef- ----
du royaume Médina (Konya). Vakaba fonde la royaume Kabasarana ou Kabadougou
après avoir conquis le Toron à l'Ouest, le Ouorodougou au Sud et le Nafana
au Sud-Est.
En 1948 Va»aaa attaque les Sénoufo (Séguélon) au Sud-Est d'Odienné
qui venaient de détruire Tiémé. Mais il renonce à poursuivre la guerre con-
tre les Sénoufo en concluant avec eux un traité de paix::afin de reconstruire
Tiémé. Mort en 1858, il est remplacé par Va Brahima qui trouva la mort quel-
ques mois après, dans une guerre contre le Fouladougou. Son frère Va Moktar
lui succède et attaque les Sénoufo Nohoulo. Echec et les Nohoulo détruisent
une deuxième fois Tiémé. Trève et traité avec les Nouholo (1858-1860).
Il porte la guerre vers le Nord-Est, atteint Tingrelaet échoue à Mahélé--------
devant les Sénoufo Niéné 0860-1862). Il meurt en 1874. Son successeur
Vamadou ou Mangbè Amadou s'emploie à sauvegarder l'intégrité territoriale
du royaume. En 1881 il s'allie à Samory, ouvrant une faille de pénétration
en pays sénoufo.
Les Mandé-Dioula
Cette deuxième vague de Mandé-Dioula s'installe à l'Est du pays
sénoufo dans les régions de Kong, Djimini et Djamala. C'est le cas de Kong
qui retiendra notre attention compte tenu de la déllinitation géographqie
de notre étude. Signalons l'existence d'un mouvement commercial de la val-

86
lée du Niger au pays forestier. De Bobo-Dioulasso les marchandises arri-
r-
vaieat au pays agni de l'Ano en passant par les gros marchés de Kong, de
Sarala et de Satama-Sokoura. Toutes ces régions étaient occupées par les
Sénoufo sédentaires et les Mandé qui, nomades de par leurs activités com-
merciales, traversaient ces pays et trouvaient gîte auprès de leur congénè-
res.
L'histoire de Kong est riche en péripéties que Binger a essayé
de relater au cours de ses deux passages de 1888 et 1892 (1). Selon Binger,
Kong aurait été créée en même temps que Djenné (probablement au XIe siècle)
par un chef Siéna de la tribu Nafana. Leurs descendants seraient aujourd'hui
les Falafala. Après la mort du fondateur de Kong, des querelles intestines
éclatèrent et les Nafana furent repoussés au-delà de Kong (XIe et XIIIe
...
siècles) en direction de Bondoukou. Fin XVe siècle les Âtron firent ré-
gner leur domination politique sur les Nafana et autres peuples qui habi-
taient Bondoukou.
Après l'exode de la majorité des Nafana; Kong demeura sous le
contrôle soit des Siéna, soit des quelques Nafana demeurés là, soit par
des~tribusHsénoufo qui habitaient là, soit des groupes vainqueurs (eux-
mêmes Sénoufo) des Nafana. Les Mandé-Dioula venus plus tard étaient suze-
rains des Siéna et cette situation ne prit fin qu'au moment des conquêtes
de Tiéba et Babemba qui firent passer l'hégémonie de Kong à Sikasso.
Fin XVIIIe
débùt XIXe siècles, profitant d'une dispute survenue
au marché de Kong, les Mandé-Dioula des familles Ouattara, Baro et Dao
sous la conduite de Sékou Ouattara firent massacrer les chefs falafala ~_--
_~_~~
siéria. Ils étendirent leur domination sur l_e.s_I'~Ys sit~~s .au nord ~e Kong
et habités - p·ar les Siéria des ··sous-tribus· Palaka, Sikolo et Komono, ce qui
provoqua un exode vers l'Ouest. Ainsi les Palaka s'installèrent à Lakonon
sur un territoire cédé par le chef des Niarafolo de Ferkessédougou.
(1) Pour l'histoire de Kong, cf. Binger. Du Niger au Golfe de Guinée par le
pays de Kong et le Mossi. Librairie Hachette et Cie, Paris, 1892.
On peut lire avec fruit "Le peuple Siéna ou Sénoufo"par DElafosse, in
Revue des Etudes Ethnographiques et Sociologiques, Geuthner, 1908. Cet
article plus récent que le livre de Binger a l'avantage de faire l'his-
toire des Sénoufo de Kong en rapport avec les Sénoufo de Korhogo et de
Ferkessédougou.

87
Ainsi les deux vagues de Mandé-Malinké à l'Est et Dioula à l'Ouest,
.
~i~nn~nt les régions sénoufo sous leur domination politique le plus sou-
vent après la conquête militaire. Seule la région de Korhogo jouissait
encore de son autonomie. Cependant tout était mis en place pour faciliter
la pénétration des rois du Kénédougou et de Samory.
Les conquêtes des rois de Sikasso (Kénédougou)
Les conquêtes de Tiéba
Avant 1882 Tiéba dirigea ses conquêtes au Sud de Sikasso. Sur
appel du roi Gnénéma de M'Bingué (qui avait reconnu la suzeraineté de
Sikasso) Tiéba détruit le royaume de Niellé en 1882. Il aurait subi une
défaite devant Sinématia1i mais déporta plusieurs captifs pour élever le
double mur d'enceinte de Sikasso.
Au Sud-Ouest de Sikasso il soumet la province Kad1é de Tingr€la
et celles des Niéné de Kouto et de Ko1ia (région de Boundia1i). Il leur
impose son protectorat en 1884. C'est dans cette région qu'il rencontra
Samory et lui livra une guerre entre 1884 et 1886 avant de se faire assiè-
ger par ce dernier à Sikasso (mai 1887 à août 1888). En 1893, à la mort
de Tiéba, les royaumes de M'Bingué, les provinces Niéné (Ko1ia et Kouto),
la province Kad1é de Tingre1a furent les protectorats sénoufo de Sikasso.
Al' exception des provinces de M'Bingué, vassales de Tiéba, et de Korhogo
où le chef Zouaco.u';,:no.", s'était soumis sans combat, toute la région sénoufo
fut dévastée.
Les conquêtes._de-.Ba Ba!llba ·0.893-1894)-.
Babemba, le successeur de Tiéba ( son :'frère) se porte vers le Sud.
Il soumet sans difficulté Zouacougnon, chef de la province de Korhogo et
ses vassaux Ponga1a, KassmRbé1é et Tangà. A l'Est, ralliement des royaumes
Nafara de Tiénéhéré et de Karakoro à Babemba contre Sinématia1i qui est
enfin détruit. En 1893, Nié11é est détruit pour la deuxième fois.
Ferkessé-
dougou
avec l'aide des réfugiés de Niellé résiste à Babemba avant d'être
détruit sans pour autant reconnaître le protectorat comme Sinématia1i. Mais
déjà Samory menaçait le Sud-Ouest du pays sénoufo (Kani et Dianra). En 1894
les conquêtes de Ba Bemba se limitèrent au Sud de Dikodougou.

88
I~
Samory Touré dans le pays sénoufo
Un fait saillant est à noter ici. Le pays de la Haute Vallée du
Bandama (Korhogo, Tioroniérédougou, Komborodougou, Sinématiali, Napiolédougou
et Karakoro ; c'est à dire la zone dense) et Ferkessédougou ont é~happé
au ravage de Samory. En effet les chefs de toutes ces contrées
constituées
en délégation dirigée par Gbon Coulibaly, allèrent au devant de Samory lui
présenter leur soumission, statut qu' ils garderont jusqu 'à l'arrivée des
Français. C'était en quelque sorte un traité, traité dans lequel les Sénoufo
s'engageaient à fournir à Samory des contingents de jeunes pour son armée
et des vivres pour le ravitaillement de ses- garnisons.
Cependant tout le pays sénoufo n'a pas échappé aux conquêtes
samoryennes. Au Nord-Est, le pays de la Haute-Bagoé (Niéné, Pongala et
Kadlé)est rapidement conquis en mai 1894 par Bilali, lieutenant de Samory •
.
-
- - - -- ---
~-
-_._._~.
-
- - - - _ . _ - -----"-_.-
Au Sûd~lês pays Tagbana, Djimini et Kong sont conquis à leur tour. En effet,
janvier 1894 le pays tagbana dévasté par Mori -un autre conquérant Mandé
ne peut résister à Sarankié Mory, un autre lieutenant de Samory. En juil-
let 1894 le Djimini résiste et même inflige
une défaite aux troupes de
Samory avant de tomber après trois mois de siège. Les Djimini furent massa-
crés. En janvier 1895 après le massacre de la colonne de Monteil, Kong fut
détruit poursa sympathie à l'égard des Français.
Samory s'installe à
Dabakala qui devient le centre de ralliement de ses troupes lancées dans
toutes les directions (AnD, Bondoukou, Pallaka).
La domination morale des Français (1898)
L'échec de la-colonne Monteil en février 1895 laisse la main li-
bre à Samory dans le pays sénoufo où il agit à sa guise. Les Français de
Grand Bassam et ceux du Soudan, pour des raisons de logistique se rés·ignent
dans un certain attentisme. Mais en 1897 ceux-ci engagent les opérations
d'encerclement qui vont aboutir à la retraite de Samory du pays sénoufo
(juin 1898), mettant ainsi fin à un apogée militaire qui dura trois ans.
Jusqu'ici les Français connaissaient mal le pays sénoufo où la
pénétration
a été lente pour deux raisons
d'une part, l'éloigement du
pays sénoufo des axes commerciaux du bassin du Niger à la zone côtière
et d'autre part, la présence de grands guerriers au Sud de la boucle du
Niger (rois de Ségou, de Sikasso et Samory).

89
L'occu~ation du Nord de la Côte d'Ivoire s'est faite par étapes
dont la première est l'action des e~plorateurs.
Les explorations
Deux points de départ
au Sud à partir de Grand Bassam et au
Nord par le Soudan.
Le premier explorateur français à pénétrer en pays sénoufo fut
René Caillé (1827-1828). Parti de Kakoundi (Rio Numez) il traverse le
Ouassoulou et atteint le pays sénoufo par le village de Maninian au nord-
est de la Côte d'Ivoire. De Samatiguila il se rend à Tié~ où il tombe
malade pendant un an (janvier 1827 à janvier 1828). Il traverse le pays
Nahoulo
Niéné.et Kadlé et par Tingrela gagne Djenné et Tombouctou. Plus
t
haut nous avons fait allussion aux rapports Je bon voisinage entre Sénoufo
et Mandé décrits par l'explorateur. _ _
_ __~~_
Le deuxième explorateur sera Louis-Gustave Binger (1887-1889).
En juillet 1887, ce dernier descend de Bamako et passe par Bougouni et
Sikasso. Il contourne à l'Est le pays sénoufo (Kadlé, Tiembara et Pallaka)
dont la crainte des Blancs pour les uns (Tingrela et Niéllé) et l'hostilité
pour les autres (Pallaka) l'empêchent de gagner Kong en ligne droite. De
Bobo-Dioulasso à Ouagadougou il revient à Kong par le Nord du Ghana et vi-
site le Djimini. A Kong il fait la jonction avec Marchand venu à sa recher-
che. L'un des actes importants de Binger sera la signature d'un traité
de protectorat avec Karamoko
Oulé Ouattara de Kong et Doumba Ouattara de
Ouadarama (26 janvier 1889). Ainsi les Etats de Kong et du Djimini sont
placés sous la protection de la France._ Nousdeyons également à Bing~e!"
_
le récit de la conquête du pays sénoufo par Tiéba et celui du rayonnement
- commercial et intellectuel de Kong.
La dernière vague d'explorations aura lieu de 1891 à 1894 par
la mission Ménard
Crozat
Monnier et Binger, Marchand. A cette époque
t
t
l'exploration systématique du pays sénoufo s'intensifia.
En 1891, le capitaine Ménard, venant de Bassam, séjourne plusieurs
mois à Kong, puis à Darhala, traverse le pays des Tafibélé, visite Kiémou
et Kadioha. Il descendra par Boron, Sokala et Mankono jusqu'à Séguéla où
il sera tué le 4 février 1892 par Sékou Ba, un lieutenant de Samory.

90
..
Le 11 juin 1892, le docteur Crozat (membre de la deuxième mis-
sion de Binger partie de Bassam) quitte Kong et part à la recherche de
Ménard. Il traverse le pays Pallaka et Niarafolo, passe le Bandama près
de Sinématiali et visite Korhogo. Il se rend ensuite à M'Bingué et atteint
Tingrela où il meurt, malade.
Monnier et Binger quittent Kong où Karamoko Oulé se bat contre
les Pallaka. Ils arrivent au Djamala et conclurent avec le roi Mandé
un traité plaçant ce pays sous protectorat français.
Le capitaine Marchand traverse deux fois le pays sénoufo. Première-
ment de décembre 1891 à janvier 1892. Encore lieutenant et résident fran-
çais auprès de Tiébâ~à Sikasso il visite le pays kadlé, niéné et nahoulo
en passant par les provinces
mandé de Fadougou et de Fouladougou, à l'Onest
de Kouto. Il dirigeait avec Fô (fils de Tiéba) une colonne marchant
contre
-
-
- -
- - - - -
- -- - - --- --~ ,--_.-
-
-
--- -- .
Samory. Marchand fit la conquête des Niéné. Sa deuxième traversée du pays
sénoufo s'effectua de janvier à février 1894. Cette deuxième mission vint
de Bassam. Marchand traverse le pays tagbana, le Bandama au ni~eau de Ténin-
diéri, visite Tioroniaradougou, Kapélé, Katiali et Tiérotiéri près de la
frontière malienne et pousse jusqu'à Tingrela. De Tingrela il descend à
Bassam par Kiémou, Longo, les pays tagbana et djimini. Après Marchand au-
cune mission d'exploration ne traversera le pays sénoufo jusqu'à l'occupa-
tion.
Pendant ce temps, Samory, dans son apogée, règne en maître sur
tout le pays sénoufo allant d'Odiéné au fleuve Comoé et de Katiola à Niéllé.
L'affrontement entre Samory et les Français aura pour enjeu le pays sénoufo
- -
-
-- "-- --
---
---------- -------_.
dont la phase décisive menée par les Français de Kayes (Soudan) se situe
-de 1897 à 1898. Après maints combats et maints traités Samory se replie
vers l'Ouest (Séguela) et l'administration française s'implante en pays
sénoufo. Malgré son désir de vivre en paix avec les Français Samory voulait
la libre disposition des territoires conquis par lui et notamment le pays
sénoufo, réservoir de sofa (guerriers) et de vivres. Son repli sur Séguéla
marque le déclin de son règne en pays sénoufo.
Que restait-il du pays sénoufo après les passages successifs des
différents conquérants? Quel allait être son avenir avec l'occupation fran-
çaise ?

91
Les co~quérants notamment Babemba et Samory ne laissèrent après
leur passage qu'un pays ruiné, vidé d'une part des ressources économiques
principalement les vivres et le cheptel versés en tribut et, d'autre part,
vidé de ses hommes non seulement par la déportation et la fuite des popu-
lations mais aussi par les massacres.
Pour toutes ces raisons l'occupation française sera précédée
d'une solide renommée (joie et admiration) en pays sénoufo pour avoir vain-
cu Babemba et'
Samory. Aussi, la mise en place des structures
administratives coloniales va bénéficier d'une situation exceptionnelle,
antérieurement créée par les deux conquérants. Toute la zone nord, après
avoir appartenue successivement à la Côte d'Ivoire (1898) et au Soudan
Français (1898-1900) formera un seul pays avec l~Basse Côte d'Ivoire par
le décret du 17 octobre 1899, mais devant prendre effet en janvier 1900.
Alors le gouvernement de Bassam organisa le nouveau territoire en le dotant
-
------_. - - - - - - - - - - - ---_._------
_. ---------
de structures administratives (canton, district, circonscription, cercle) et
économiques dont le but était l'exploitation des ressources naturelles.
Les premières activités des autorités coloniales furent d'abord de procé-
der au repeuplement des régions dévastées et rassurer les Sénoufo, ensuite
de connaître le pays par des visites fréquentes et l'exécution de travaux
topographiques, enfin, de faire le recensement de la population imposable
afin de prélever les impôts. Comme nous l'avions dit plus haut, l'objectif
principal visé par la colonisation était l'exploitation économique d'où le
début d'une série de bouleversements sociaux de par les méthodes d'exploi-
tation : cultures obligatoires, travaux forcés, travail salarié (brassage
de populations diverses, dislocation des grandes familles). Avec les pro-
duits importés et exportés le passé sénoufo s'ouvrait à l'Europe. C'est le
----- - -
début d'une autre phase de l'histoire des Sénoufo : soumis au travail forcé
. ils constitueront des réservoirs de main-d'oeuvre pour les plantations des
colons après avoir été un réservoir de captifs des rois de Sikasso et de
sofa pour les armées de Samory.
Comment expliquer la répartition géographique actuelle des Sénou-
fo ? Compte tenu de leur histoire et de leur milieu} trois facteurs - l'un
économique, les deux autres de sécurité - expliquent leur localisation
actuelle :

92
- la recherche constante de terres fertiles sous la pression
démographique
- l'abstention de sinstaller dans la zone pathologique de la
simulis ou mouche tsé tsé, agent transmetteur de l'onchocercose
- l'essaimage de la population dans certaines zones de refuge
échappant aux conquêtes des Manding.
Après l'historique sur l'origine et le peuplement des Sénoufo
voyons l'évolution démographique.
Données démographiques générales
Jusqu'à une époque récente il était difficile de chiffrer de
manière exacte le nombre de Sénoufo. Toutes les évaluations et estimations
avancées doivent être considérées comme approximatives, en ce sens qu'elles
- - - - - - - ---- -- ----
étaient faites sous l'administration coloniale afin de prélever la main-
d'oeuvre et l'impôt de capitation. Les intérêts des Sénoufo et de l'admi-
nistration coloniale étant opposés, ce fut un cache-cache et une véritable
gymnastique dans l'évaluation, camouflée et surgonflée de part et d'autre.
En 1908, selon le gouverneur Clozel, il y avait "200 000 Sénoufo, répartis
dans 17 cantons" (1). En 1917 Gaston Joseph les évaluait à 256 000 (2).
La SEDES a synthétisé fous; les dénombrements qui ont lieu dans la région.
Ainsi le dépouillement des archives de la préfecture ont donné le tableau
suivant (3) :
(1) F.J. Clozel, Op. cit.
(2) Gaston Joseph. La Côte d'Ivoire. Le pays, les habitants. Larose
Paris
1917, p. 97.
.
,
,
(3) SEnES - Région de Korhogo. Rapport démographique. Paris, 1965, p. 7.

93
r'
Tableau 9
Evaluation administrative de la population depuis 1915
1955-59
1963
1915
1935
1950-55
Base de
évaluation SEDES
sondage
Subdiv. de Korhogo
11 0 .000 .150.000
180.000
194.699
Subdiv. de Ferkessé-
dougou
40.000
55.000
60.000
63.311
Cantons Pongala et
Kassembélé (Boun-
10.000
13.000
15.000
lS.035
diali)
.....
TOTAL
60.000
21S.000
255.000
276.000
240.000 (a)
(a) Ici.il s'agit uniquement des Sénoufo auxquels il faut ajouter 64.000
Dioula, Gouin et divers qui partagent avec eux la même zone géogra-
phique. L'écart observé entre les totaux vient probablement du fait
que les estimations de 1915 à 1959 n'ont pas.spécifié les Sénoufo
qui constituent" notre échantillon de base.
Que pouvons-nous retenir de ce tableau ?
Premier fait important à noter : la disparité dans la répartition
géographique d~ la population dans les trois sous-régions. En effet, Korhogo,
la.
"nébuleuse", concentre la plus grande partie des Sénoufo, près de Ùla
moitié de 1915 à 1955. La part de Boundiali est très faible car les Sénoufo
partagent cette sous-région avec les Malinké.
Quant à Ferkessédougou elle
comp.or:te_ à certains endroits de_Y_~I:"lJ:ables_"p_o.!!lan's land".
Rappelons une fois de plus que tous ces chiffres doivent être manipulés
avec prudence (1). Néanmoins le sondage qui nous parait le plus détaillé
(1) Nous déplorons par ailleurs que le premier recensement de la Côte d'Ivoire
en 1975 n'ait pas encore donné en détail la composition des sous-groupes
ethniques ce qui nous aurait permis d'isoler les Sénoufo-Synambélé à l'in-
térieur du grand groupe voltaïque qui comprend SOO.093 personnes soit
~5,3% de la population de souche ivoirienne.

94
et le plus fiable en ce moment demeure celui de la SEDES qui dénombrerait
,.
240.000 Sénoufo en 1963. A titre d'information, et pour faire la part des
choses, notons d'autres estimations:
- 1 million en 1963 selon l'UNESCO
- 700.000 (en plus des Djimini de Dabakola et des Tagbana de
Katiola) en 1966 par le Ministère de l'Information de Côte
d'Ivoire.
Revenons
à
la SEDES qui dans un autre tableau donne
la composition des 240.000 Sénoufo en sous-groupes ethniques (1).
Tableau la
Evaluation des groupes et sous-groupes ethniques
-.
Sous-groupes
Aires principales
....
Effectif en
Effectif dans ~ TOTAL
d'habitat
zone rurale
~2 centres ur-
bains
- . •.. -----. -
..
.-
~ - - -
.
-
- ..
Kiembara
Cantons Kiembara
50 000
la 000
60 000
et Niellé
Nafara
ss-préfecture Sinéma-
69 000
1 000
70 000
tiali & NapiécJédougou
Kassembélé
Cantons Pongala, Kas-
sembélé, Niofouin, Ka-
26 000
26 000
tiali
Kouflo
Cantons Guimbé et de
Dikodougou
18 000
18 000
Tanga
Ouest canton kiembara
6 000
6 000
Konzoro
Ancien canton Kiémou
2 000
2 000
. .
-- ---
-- _._. -"
- _ . _ - ~ -
-"-- -~.
Fodonon
Can ton Kad io ha et
Dikodougou
7 000
7 000
k
;
Tagbon
Nord cantoriM'Bengué
8 000
;' :~
8 000
Niarafolo
Canton Niarafolo
la 000
7 000
17 000
Pallaka
Canton Pallaka
6 000
6 000
.
Sikolo
Canton Sikolo
1 000
1 000
Nafana
Canton Nafana
1 000
1 000
Tafiré
Canton Tafiré
4 000
4 000
TOTAL
222 000
18 000
240 000
(1) SEDES - Rapport démographique, op.cit.
p. 11.
\\

1"
95
1
1
Ce tableau montre les variétés dialectales du groupe sénoufo
et
leur importance numérique. Ainsi les Tchébala (Kiembara) 60 000
et les 70 000 Nafara occupent la "zone dense". Le poids des Kassambélé
et des Kouflo n'est pas négligeable non plus, respectivement 26 000 et
18 000. Les Niarafolo qui habitent la zone de Ferkessédougou sont au
nombre de 17 000.
En outre le tableau fait ressortir la différence entre la population
urbaine et la population rurale, cette dernière étant prépondérante. En
effet, le Sénoufo est avant tout un paysan-cultivateur résidant toute l'an-
née sur son terroir. Selon toujours la SEDES, 45% de l'ensemble des villages
compte moins de 100 habitants et cette proportion dépasse les 65% dans cer-
taines so"~-préfectures. Cependant il faut préciser que cette population
rurale, caractérisée non seulement par sa faible densité globale est aussi
....
inégalement répartie.
Certaines sous-préfectures dépassent 40 habitants/
km.2 alors que beaucoup plafonnent à moins de-5 habitants/km:Z" (cf. carte de -
densité démographique p. 75 ).
Une autre caractéristique de cette population rurale: de 1965 à
1975 elle a connu une faible croissance d'ensemble (0,2%) ce qui est un
indice de l'ampleur de l'exode rural de la population jeune et masculine.
Les trois sous-régions, connaissent, toutes, en milieu rural un déficit
masculin
pour les 20 à29 ans.
Si la population rurale a un taux de croissance faible, la popu-
lation urbaine, en revanche, a beaucoup progressé 'au Nord au cours de ces
dernières années. Si en 1963 le Nord comptait 18 000 urbains, en 1975,
elle en compte 87 700 soit 6,7% de la population ton~üe;- En effet- les -
centres ont bénéficié d'un apport migratoire d'origine rurale, qui s'ajoute
à la croissance naturelle. A Ferkessédougou par exemple l'apport migratoire
dépasse la croissance natùrelle avec l'afflux des travailleurs à la re-
cherche d'emploi dans le complexe sucrier de la SODESUCRE. Cette vill~
(7 000 habitants en 1963 et 24 800 en 1975) se donne l'image caractéris-
tique commune aux villes de Côte d'Ivoire à savoir un taux de masculinité
élevé avoisinant 55%. Le nombre d'urbains à Korhogo et Eoundiali s'élève
respectivement à 45 100 et à 18 600 en 1975. Malgré un peu plus du tiers
de la population urbaine
composée de Malinké-Dioula dans chacune des
villes, on constate que le
Sénoufo
s'urbanise de plus en plus.

b) Organisation politique et soc tale
Les Syanambélé sont organisés en grands lignages matrilinéaires
appelés "Aarigbaha". Seuls ceux de Boundiali sont patrilinéaires, certai-
nement à cause du contact prolongé avec les Manding. Les lignages se re-
groupent pour former des "Kaha" (villages) et ceux-ci constituent des
"Tara" ("cantons") (1). C'est autour de ces deux notions que s'organise
le pouvoir politique.
Le "Tarafolo" ou le "Tar'Folo" (propriétaire ou chef de la terre)
semble être l'autorité la plus ancienne qu'aient connu les formations so-
ciales syanambélé. Son pouvoir trouve son fondement et sa justification
dans l'ordre du sacré. A partir de ce~tatut de chef religieux, il peut
se transformer en roi "sacré" à mesure qu'il acquiert un pouvoir politi-
que. Ainsi, selon Yves Person dans son article sur les Vol talques dans
---l'Atl-as de Côte d'Ivoire, "le Tar est une alliance de villages et ceux-ci--
constituent l'unité politique de base". Explicit~ns que dans l'ordre magico-
religieux, donc relevant du domaine du sacré, le Tar'Folo est le "maître"
de la terre, parce qu'il est le seul habilité à intercéder auprès des an-
cêtres au niveau collectif. Du point de vue historique selon le rapport
d'une étude du Ministère du Plan (2), au préalablè "les ancêtres du Tar'
Folo ont été les premiers à occuper le terrain villageois, c'est à dire
au niveau du magico-religieux, ils ont été les premiers à affronter les
génies, à nouer avec ceux-ci des alliances. Le Tar'Folo par ses fonctions
sacerdotales, accomplit les rites indispensables au bon déroulement des
travaux agricoles et à la venue des pluies':
A propos del' origine du Tar 'Folo et de son pouvoir' Sinali Coulibaly-
en fait des analyses très pertinentes. Après avoir constaté que la terre
constitue le meilleur bien - bien tabou le plus vénéré et le plus recherché -
qu'un chef de famille puisse laisser en héritage à ses ascendants, Sinali
Coulibaly déduit que "c'est plutôt un lien mystique que jurid ique qui lie
le cultivateur sénoufo à la terre de ses ancêtres. Pour lui aucun autre bien
(l)Les Tar ou Tara que l'administration coloniale érigera en cantons, étymo-
logiquement signifient terre mais ici au sens de territoire.
(2)Ministère du Plan. Etude Régionale d'Education. Rapport n08. Ferkessédougou-
Korhogo. Juillet 197,6, p. 38.

97
ne peut surpasser une parcelle de terre (1).
En dépit de l'inexistence d'un cadastre tous les supposés no man's
lands ont leur maître. "Le chef de terre, c'est donc celui qui le premier
a parcouru le terrain vierge jusqu'à un ruisseau, une colline, un arbre
et s'y est installé. C'est aussi celui qui a pu soumettre par la force
des propriétaires terriens -" (2).
Ainsi la terre appartient au premier
occupant et celui-ci la transmet à ses héritiers, du côté maternel. Une
propriété peut s'étendre sur un rayon de 200 à 500 m
et même plus à par-
tir des dernières cases appartenant au chef du village ou du canton, c'est
à dire à partir du "kadiégué" (dépotoir).
Il peut bien arriver qu'un "narigbahafolo"
(chef de l~.gnage)ne
soit pas propriétaire terrien. Alors il demande un lopin au Tar'Folo mais
à titre viager. Il n'en est donc qui usufruitier. Plusieurs "narigbahafolo"
peuvents'instalret~-et-coÏlsthiireautour dela-concession du Tar'Folo qui
devient leur chef de concession et même chef de quartier (katiolO folo).
Sinali Coulibaly précise que le "narigbaha folo" joue un rôle effacé dans
l'attribution des terres, à moins qu'il n'en détienne aussi de ses ancêtres.
A propos du statut juridique des terres, Sinali Coulibaly dit à
la page 27
"Les droits des Tarfolo, sur leurs terres étant éminents, inat-
taquables et inviolables, le responsable foncier reconnu par les ancêtres
morts, revêtu d'un caractère religieux, peut en disposer sans obligatoire-
ment consulter le chef de canton ou de village, alors qu'aucun de ses der-
niers n'oserait occuper ou faire ocnuper impunément par un tiers un lopin
de terre qui n'a pas appartenu à ses ancêtres; il lui faudra au préalable
-~--::::-_··---obtetïîr l'accord du Tarfolo qui-;--encas· de violation- flagrant-ede--ses droits-,
revendique son patrimoine en usant de mesures ancestrales".
Quelle est la procédure pour obtenir une parcelle ? La demande
de prêt est formulée au Tarfolo qui l'octroie après une enquête sur l'ori-
gine familiale et l'intégrité morale du demandeur. Ce dernier peut ne rien
(1) Sinali Coulibaly. Régime foncier et système de culture en pays sénoufo.
(Subdivision de Korhogo. Haute Côte d'Ivoire). Diplôme d'Etudes Supé-
rieures de Géographie. Faculté des Lettres de Grenoble. 1959, p. 25.
(~) Sinali Coulibaly. Régime foncier et système de culture en pays sénoufo.
Ibidem., p. 27.

98
apporter ou donner une poule au plumage roux et un morceau de tronc
d'arbre pour le chauffage du"'rarfo1d'. Les exigences dépendent de chaque
fraction ethnique. Précisons une fois de plus que le demandeur n'a qu'un
droit de jouissance sur la parcelle. Elle peut lui être retirée à n'im-
porte quel moment. En contrepartie de la parcelle prêtée le" Tarfo10" peut
obtenir un ou deux jours de travail, des vivres après les réco1tesdaide
pendant les funérailles.
De manière concise, dans le système foncier s2~oufo, le principe
de base est l'appartenance des terres au premier occupant et aux enfants
;
de ses soeurs uniquement. Cette appropriation est permanente, inaliénable,
attachée à toute une collectivité qui est le "narigbaha". Seul le chef du
narigbaha est habilité à parler à
l'extérieur du cercle familial de "ses"
terres sinon des terres de ses ancêtres. Quant aux autres membres du "narig-
baha"
ils diront "nos" terres. De là découle le deuxième principe du sys-
tème fOncier sénoufo qui n' admetp~fs 1a- pY6priHETildiv-iëlud1e~
Avant l'occupation française la structure politique sénoufo s'ar-
ticulait autour du"Kaha" (village) et des "Tara"ou"Tar" ("canton"), et toute
la vie sociale en harmonie avec ces deux notions s'organisait autour du
"narigbaha" ou matri1ignage. Nous avons montré comment un "narigbahafo10"
pouvait ne pas être propriétaire terrien et de quelle manière il pouvait
se subordonner avec tout son groupe à un"Tar' fo10'.' Bien que discret le
véritable pouvoir était aussi exercé par 1e"Tar'Fo10"a10rs que 1e"Kaha Fo10"
(le chef du village) n'avait qu'un pouvoir temporel. Mais souvent les deux
pouvoirs coïncident et sont cumulativement exercés par des membres issus
du matrilignage du" Tar' Fo10 ~
- --~--~
A présent examinons le terme~cantonqsouvent employé dans cette
~
partie. Ce concept était inconnu des Syanambé1é avant l'arrivée des fran-
çais. e.onçu et institué par l'administration coloniale le découpage en
cantons se justifie pour des commodités administratives. Le canton devient
ainsi le noyau de l'administration cm10nia1e selon sa défi~ition générale,
comme étant un territoire occupé par une branche ethnique ou à l'étendue
de ses anciennes dépendances politiques. Un des exemples caractéristiques
est le canton des Tchéba1a ou Kiembara regroupés autour de Korhogo. Mais
il n'en fut pas de même partout. Les Nafana ou Nafara ont été répartis en

99
cinq cantons (Sinêmatia1i, Napiéo1édougou, Komborodougou, Karakoro et
Kagbo1odougou). L'introduction du système canton réaffirmait le principe
de la "politique des races" mais aussi la recherche d'une formule adé-
quate et fonctionnelle d'organisation des populations soumises. Ainsi
les anciennes chefferies sont maintenues après serment de soumission aux
autorités coloniales. Dans la plupart des cas 1es"Tar'Fo1o"les plus in-
fluents et les plus prestigieux ont été purement et simplement élevés au ','
rang de chefs de canton, d'où la confusion à tort entre chef de canton
et le Tar, ce dernier étant un ensemble de villages sous l'autorité d'un
t
"Tar 'Fo1o:
Comme l'a si bien fait remarquer Largaton Ouattara (l) "le canton
devient à la fois une cellule politique, une unité fiscale et un arrondis-
sement judiaia±re". Le rôle du chef de canton se réduisait à trois préro-
~
gatives
sur
le plan politique et administratif: un intermédiaire entre
les administrés et l'autorité coloniale;
- sur le plan fiscal, un p~rcepteur d'impôt;
- sur le plan judiciaire, chef de justice indigène (par décret du
10 no~embre 1903) entouré de membres désignés ou reconnus par l'autorité
coloniale.
On constate bien que les chefs locaux perdent toute initiative pour
devenir les exécutants des ordres du "commandant". Ainsi sur un fond tra-
ditionne1 de la structure politique et sociale syanambé1é vint se greffer
le canton, une nouvelle cellule politique et administrative. Tout cela va"',':
avoir une répercussion sur l'économie que nous allons -examiner à présent-.··
3 - Activités économiques
Les Syanambé1é sont ~rincipa1ement des paysans-agriculteurs arra-
chant au prix de mille efforts leur subsistance quotidienne à un milieu
naturel réputé hostile et ingrat. Cependant, c'est le domaine des cultures
vivrières qui ont fait du Nord "le grenier de la Côte d'Ivoire". La litté-
rature
.;!notamment coloniale - sur les Sénoufo abonde en éloges sur leur
(1) Largaton Ouattara. Op. cit., p. 85

100
~
courage exemplaire en rapport avec l'ingratitude du milieu naturel. Ce
courage, comme nous le verrons ultérieurement, sera exploité par les
conquérants manding mais encore plus par le colonisateur. En effet, les
Sénoufo, dans l'histoire de la Côte d'Ivoire, ont toujours fourni les
plus gros contingents,
de prestatàires.
Michel Perron, administrateur des colonies, écrivait à ce propos
"Il faut que le Sénoufo soit un rude travailleur agricole, qu'il aime
aussi passionnèment sa glèbe sèche et revêche que nos paysans d'Europe,
qu'il y consacre sa vie entière, son travail d'un bout de l'année à l'au-
tre, car, en vérité, il n'a guère été privilégié, pour la qualité, dans la
distribution des terres du monde et même seulement de celles d'Afrique.
~
Le"sol semble manquer d'espèces minérales, d'humus et, encore plus, de
calcaire" (1). Ce même administrateur des colorries à propos de l'exploi-
tation de ce trait de caractère des Sénoufo - le courage au travail - écri-
vait dans un autre article : "Et lorsqu'éclatèrent les grandes luttes entre
les sanglants conquérants, Tiéba et Samory, ce fut de part et d'autre, la
terre des razzias; il dut fournir aux deux belligérants ... ravitaillement
et porteurs". Après la conquête et la pacification coloniales "ces Sénoufo
continuèrent à obéir passivement, trimèrent misérablement sur la glèbe
connue leurs ancêtres ou allèrent, sur ordre ou par "recrutement" faire "por-
teurs" (c'est à dire manoeuvres divers aux plus basses besognes) à la Basse-
Côte" (2).
Deux études plus récentes confirment - statistiques à l'appui-
la "générosité dans l'effort" des Sénoufo. A propos du temps consacré aux
travaux (~". la SEDES écrivait dans ~n rapport de synthèse que "l'enquête
temps de travaux a montré que le
de travailleur. On y voit que les hommes de 15 à 49 ans consacrent actuel-
lement 220 jours par an aux activités productrices, dont 125 environ aux
activités agricoles et que les femmes du même âge accordent respectivement
270 jours dont lOS aux mêmes activités" (3).
(1) Michel Peiron, "Agriculture et industries indigènes chez les Sénoufo
du cercle de Kong", pp. 2-13 in Bulletin de l'Agence Générale des Co-
lonies,no 282, Melun, 1932, citation p. 4.
(2) Michel Perron, "Un pays moyen. Le Soudan de la Côte d'Ivoire", pp.3-15
in Bulletin dell'Agence Générale des Co1onies,no281, Melun, 1932, p.4.
(3) SEDES. Rapport de Synthèse. Op. cit., pp. 14-15.

101
Après ~a prédisposition du Sénoufo au travail de la terre et
avant la description de la production agricole, voyons les facteurs hu-
mains de la production.
a) Les facteurs humains de la production
Définir les facteurs humains de la production en cernant l'unité
économique de base est d'une complexité tant la terminologie sénoufo est
riche en vocables pour décrire les rapports économiques entre les membres
,
"
de la société. Définissons d'abord
les termes "gbâ", "kpagui"
ou "saha". Ces différents termes en Fodoro, en Tchébara et en Nafara
désignent la même chose: la case,habitée au sens de ménage. En d'autres
termes i l s'agit de .. ~ famille conjugale ou nucléaire qui comprend ,le
père, la ou les mères et les en~ants. Toutefois, cette cellule sociale n'a
-.
aucune réalité juridique ni économique dans la société sénoufo.
"Ségninhê" désigne les descendants directs d'un meme ancêtre. Ce
groupement excluant les cousins germains intervient peu dans la structure
sociale sinon que ce terme d'appe1ation ou de classification sert à distin-
guer les différents membres d'une famille les uns par rapport aux autres.
Le "narigbaha" ou matri1ignage
unité sociale et économique
"Narigbaha" est le terme rép'andu dans plusieurs fractions sénoufo
pour désigner la famille la plus large possible descendant d'un même an-
cêtre. le, "narigbaha" a pour fondement la consanguinité et se compose :
--- dunarigbahafb10 (chef du narigbaha généra1ement- l'ascendant 1e--:.:-,
plus âgé)
- sa ou ses femmes et leurs enfants
- ses frères, leurs femmes et leurs enfants
- ses soeurs, tantes, cousines cé1ibétaires, veuves ou divorcées
et les enfants de ces dernières.
A ceux-là pourraient s'ajouter les alliés et les "captifs". Ainsi
1e"nàr;i:gbaha"
se présente comme la famille large ou la plus élargie pos-
sible ("famille étendue" selon une autre terminologie) comprenant non

102
seulement des personnes liées entre elles par la parenté du' sang mais
r
aüssi par l'alliance et qui vivent en groupe sous l'autorité d'un chef.
Tel est le matrilignage dans l'organisation sociale sénoufo. Ce régime
s'explique,' selon Sinali Coulibaly (l), par le fait que "tout enfant,
quel qu'il soit, a obligatoirement du sang de sa mère dans ses veines, par
contre rien ne prouve qu'il en a de son père. Or, à une époque de semi-
itinérance, il était absolument indispensable de trouver un critère qui
permette de reconnaître les siens pour la transmission des secrets, des
biens meubles et immeubles légués par les ancêtres. Le plus sûr des critè-
res était celui de la consanguinité, de la descendance en ligne "matrili-
néaire". La deuxième raison avancée par Sinali Coulibaly tient à la nature
biologique de la f~e en tant que capital génétique, le principe des Sé-
noufo étant de rattacher chaque progéniture à se cellule sociale originelle.
0&
..
Al' origine, le souci primordial aurait été la "ê>tmstitution de cellules
composées de nombreux membres afin de disposer d'une nombreuse main-d'oeu-
vre dans le cadre d'une économie d'auto-consommation, utilisant les outils
qui réquéraient le travail en groupe pour une meilleure rentabilité.
D'autres études non approfondies ont trop vite décrit le "narigbo-
Nha" comme un lignage totémique ou clan en l'assimilant au "félé" ou "fé-
hélé" (2), ce qui est une erreur. Nous ne partageons pas ces explications
de l'existence de la matrilinéarité ou "narigbaha".
(1) Sinali Coulibaly. Op. cit., (thèse), p. 123.
(2) Les "féléhé" correspondent aux noms de famille ou patronymes en dési-
~. gnant chaque_"narigbaha"_àl'int.érieur de chaque village. Chaque "félé"_.
se rattache mythiquement ou symboliquement à un animal, pratique qui
n'est pas à confondre avec la zoolâtrie. On dénombre chez les Sénoufo cinq
""féléhé" qui ont pris des équivalences en malinké, "diamou", avec
l'influence des Dioula :
1 - Sarra : léopoard : Coulibaly
2
Yéo: antilope : Ouattara
3
Siluo ,ou Silué :, colobe noir ou mange-mil noir : Koné ou Koriaté
4 - Sékonton ou Sékongo : écureuil: Kamara, Traoré ou Saganogo
5 - Tua : phacochère : Daniogo ou Diarrassouba
Le "félé" rattache chaque individu à son"narigba" d'origine. La référence
à un animal témoignerait du stade des "chasseurs" que furent les Sénoufo
avant de devenir des agriculteurs sédentaires.

103
Contre Sina1i Cou1iba1y il fau~ dire que le matriarcat dont la
définition stricto sensu est le gouvernement des femmes, c'est à dire
l'exercice d'un pouvoir politique réel ou gynocratie. En deuxième lieu,
la raison fondamentale que l'on
avance de l'existence de la matri1inéa-
rité correspond au stade dit
"sauvagerie ",,-où1'impossibi1ité de déter-
miner avec certitude l'appartenance paternelle d'une progénituI:1e dans le
cadre de la "communauté primitive" et du mariage de groupe justifiai t le
système du "narigbaha". Cette approche, pour le moins empirique, du système
social renvoie à l'hypothèse de la promiscuité sexuelle, c'est à dire,
une vie sexuelle totalement libre, stade qui aurait précédé 1aconstitu-
tion des divers types de famille. Or dans le cas des Sénoufo, aucune preu-
ve n'établit cette pratique à ce stade d'évolution. Dans la logique de la
théorie évolutionniste, la promiscuité sexuelle serait le propre des soci~~~
._~
tés de guerriers où les hommes en perpétuelle campagne de guerre n'avaient
guère le temps de s'occuper et donc de règ1ementer la vie familiale. Là
également, aucunëpr'euve'ne'-ûémontrê q'ue-'lesSénoufo furent des guerriers
mais plutôt des chasseurs sédentarisés avec l'apparition de l'agriculture.
Les sociétés de chasseurs dans la plupart des' cas ont mis en place des
sociétés très structurées ne serait-ce que pour s'adapter à leur activité
principale. Telle est l'approche théorique appliquée à la matri1inéarité
chez les Sénoufo. Mais qu'en est-il réellement du "narigbaha" ?
En fait, le "narigbaha" plutôt que matrilinéaire est avunculaire,
système dans lequel les droits sur les choses et sur les personnes
que
possède un individu lui viennent de sa mère et seront léguées aux enfants
de sa soeur. Nous préférons parler d'avuncu1at, car l'autorité n'est pas
exercée par la mère mais le frère de celle-ci. La femme ne sert ici que de
~Dàséréféfeiïtie1.1ede~~c1assification, de distinction ; Pendant-longtemps "
on a cru que l'avuncu1at était une survivance de la matri1inéarité. On sait
''::. ".:
actuellement qu'~iihexiste ind:Hférernment dans ,le système matrilinéaire
et dans le système patrilinéaire. Alors Lévi-Strauss conclut que l'avun-
culat est une donnée immédiate et universelle de la structure familiale.
Aussi chez les Sénoufo, la "nar igbaha" ne correspond ni plus ni moins
à une structuration de la société dont la femme est la base de référence.
Pourquoi la femme? La femme dans la société sénoufo a toujours joui d'un
statut privilégié, allant jusqu'à la mystification. La société lui accorde

104
importance et.respect, en ce sens qu'elle constitue le centre de la pro-
création, donc du renouvellement ou de la régénérescence de la société.
Elle est supposée détenir un pouvoir puissant (les sorcières sont plus
redoutables que les sorciers). A un niveau plus élevé la femme est su-
blimée d'où sa participation à la cosmogonie. Dans certains sous-groupes
sénoufo une femme ayant atteint la ménopause peut assister à l'initiation
secrète du''poro 'des hommes alors qu'aucune dérogation n'accorde à l' hom-
me la par tic ip a t ion au ".poro" des femmes.
En dernière analyse, le narigbaha est la cellule sociale de base
des Sénoufo autour de laquelle tout le système social tourne. La complexi-
té vient du fait qu'il constitue en même temps l'unité économique de
base dans sa triple fonction de production, de répartition et de con-
sommation, raison pour laquelle nous nous sommes attardés sur sa descrip-
-.
tion et son explication.
Le village
unité de coopération de travail
Au nar.igbaha se greffent des divisions spatiales cOJllIlle le "sepko",
le "dala" ou"katiola" dont une explication est nécessaire pour compren-
dre leur agencement avec
CQ../ui_c.;.
Le "sepko" est le "narigbaha" du
fondateur ou du responsable. Gérant des biens légués par les ancêtres,
le "narigbahafolo", s'il est doublé d'un titre de "tarafolo" que nous
avons expliqué plus haut, a la haute main sur toutes les terres familiales.
Pour maintenir les relations, un champ collectif ("sepko" voulant dire
grand champ) est alors délimité et exploité par tous les membres du
'narigbaha "segmenté en "gbo" ou "kpagui" (ménage au sens de famille con-
--- jugél.:l~).Le nombre de jours_de_ travail __ sur le_çhamp _collectif varie selon
les sous-groupes sénoufo. Tous les produits tirés du champ collectif et
tout l 'héritage comprenant non seulement les terres mais aussi tout le
<
cheptel bovins-ovins-caprins sont gérés par le "narigbahafolo" . Grâce
à ces biens collectifs il parvient à accomplir ses devoirs de responsa-
ble : sacrifices, funérailles, amendes infligées à un quelconque membre
du·narigbaha: achat d'outi~ compensation matrimoniale, frais d'Qfiitia-
tion au POTO',) etc. Le "dal", "dala", "katiolo" au "mahâm", désigne la
localisation géographique d'un "narigbaha" le plus souvent dans le con-
texte d'un village èGJ1llportant plusieurs "narigbaha" et entretenant entre

105
eux divers rapports. Ces unités d'habitation
sont connus sous les voca-
bles de concession ou de cour.
Après cette mise au point, voyons maintenant les rapports de travail
entre différents "narigbaha" occupant le même village. A première vue,
l'institution "narigbaha" paraît figer la société sénoufo dans des rapports
très limités. Mais dans le cadre d'un village comportant plusieurs "nari_-
~aha" dans des rapports de travail, le rôle de l'unité économique de base
se réduit considérablement. Alors, le village se substitue au "narigbaha"pour
devenir l'unité de travail ou de coopération dans les rapports de produc-
tion. A la limite on trouverait là l'illustration de la thèse marxiste selon
laquelle les rapports économiques priment sur tous les autres, notamment
sociaux, et les sous-tendent. Seulement la deuxième phase de la thèse marxiste
ne se vérifie pas dans le cas des Sénoufo car malgré le primat des rapports
économiques, l'unité sociale de base qu'est le "narigbaha" demeure immuable.
Jusqu 'alors il a-- résisté-au -changement alors que l'économie trad itionnelle_
a connu un bouleversement. A toute fin utile, signalons que les Sénoufo
utilisent une technologie simple adaptée à leur milieu, et jusqu'alors à
leurs besoins. L'outil principal est le "tia" ou le "tég", grande houe formée
d'une grande lame de fer forgé pouvant atteindre 50 cm de long et surmontée
d'un manche de bois. Un tel outil exige beaucoup d'énergie physique et le
travail ne peut être productif qu'en se regroupant. De ce fait, en pays
sénoufo, chaque village forme une unité de travail. En effet, les habitants
d'un même village, dans les rapports de coopération de travail, sont divisés
en classes d'âge (1) lesquelles transcendent le cadre restreint du'nari-
gbaha". Comment procède-t-on ?
(1) La classe d'âge dont le fondement est beaucoup plus biologique,
p-eut--où--non cëoÏDdië:ëE'-avec la fraternité d'âge -Iltyohélé"ou-"plalaàlr-
instituée à partir de l'initiation au "porollpar génération. Les rap-
ports de travail ne tiennent compte que seulement de l'âge réel des
individus et les répartissent en générations (exemple les jeunes de
15 à 20 ans) où se mêlent initiés et non initiés. Soumis aux mêmes
épreuves, recevant ensemble le même enseignement de secrets et de
principes de la vie, les jeunes d'une même classe d'âge assument
collectivement-pour une période définie - un certain nombre de char-
ges au profit des aînés ou de l'ensemble du village. Au sein de cha-
que génération naissait une solidarité effective : labour chez le
"narigbahafolo" ou les beaux parents, funérailles, etc ... Le système
de classe d'âge traduit les deux principes fondamentaux de la vie
. sociale chez les Sénoufo : "conservatisme" en tant que sauvegarde
de l'ordre originel qui maintient la réalité intemporelle du village
en "coulant" tous les jeunes dans le même moule et "égalitarisme"
dans la mesure ou tous ces jeunes ayant accès au même enseignement
ont la certitude d' accèder, après l'achèvement de l'initiation, à la
même dignité et aux mêmes avantage$.

106
SelonrI'opération culturale à effectuer, un jeune ou tout autre
villageois convie autant d'hommes qu'il jugera nécessaire, allant des
"cadets" aux "âinés" et s'étendant surtout à ses camarades de génération.
En général, il y a concertation pour éviter que les cultivateurs ne se
retrouvent tous dans un même champ ou trop éparpillés. Une journée de tra-
vail de chacun des laboureurs se nomme "yéfouholo" ou "gôl" selon les dif-
férents dialectes sénoufo. Celui qui a invité se trouve ainsi "endetté"
et il remboursera obligatoirement et à titre individuel chacun des culti-
vateurs. La pratique du "yéfouholo" ou "gôl" permet de disposer d'une main-
d'oeuvre suffisamment nombreuse pour le labour, compte tenu de la technolo-
gie. Un autre avantage du système: il permet a toute personne n'ayant pas
un grand "na-tigbaha" de bénéficier de cette coopération en disposant de
beauc~p de main-d'oeuvre en un seul jour. Dans tous les cas il existe
des combinaisons (1) qui font que tout le monde peut profiter du système.
Le principe- de ce système d-e travail-collectiT-veu-ique tous les-
individus initiés à la houe (tiap~ra!o) et jouissant de toutes leurs facul-
tés physiques et
nnentQI~s
fournissent ia même quantité de travail.
Des principes connue "à chacun selon ses capacités" et selon ses intérêts.
n'ont pas cours dans la société sénoufo. Avant que le labour ne commenc~
tous les cultivateurs s'alignent selon un ordre bien préèis : du plus jeune
au plus âgé. A la fin d'un premier tour de billonnage par exemple, les
cultivateurs entament un deuxième tour selon le même ordre, et ainsi de
suite jusqu'à la fin de la journée. Celui qui finit tard son tour trouvera
donc sa part bien réservée devant lui. Ainsi le plus doué des cultivateur~
peut être à son cinquième billon alors que le moins doué serait au troi-
sième. Le système de "toro" (2) est une vraie compétition et le système
est . tel~qu' il -rl'à-iste pas de "paresseux" dans la -société sénouf b qui ne
l'admet pas au reste. Celui qui se laisse "toro" (devancé) est tenu d'ache-
ver sa part de billons avant de manger à midi à moins que pendant la pause
les vieux ou des camarades généreux n'interviennent pour l'aider à achever
(1) ExemBle : A endette B, B endette C. B peut demander à C de le rembourser
de sa journée de travail au profit de A et se trouve ainsi acquitté vis
à vis de B.
(2) Dans la compétition, large avance prise par un des cultivateurs sur les
autres considérés comme battus.

1 Uf
sa partie; mais alors il s'expose aux moqueries du groupe, surtout du vain-
queur qui le couvre d'invectives en lui clamant sa lenteur sinon sa fainéan-
tise. Ce sont d2s comportements que le système de "toro" - qui est d'ailleurs
sans pitié - admet
BOUS
toutes les formes. Du système de "toro" dérive un
certain élitisme. Un champion-cultivateur dont la célébrité dépasse le cadre
de son village d'origine est respecté de ses camarades, estimé par les vieux
qui peuvent lui communiquer des recettes secrètes de plantes et même lui
faire cadeau d'amulettes protectrices, admiré des jeunes au point d'être leur
idole. Sa vaillance et sa beauté - du coup même car un champion est toujours
beau - font l'objet de louanges chantées par sa fiancée dans le cercle des
filles pendant les j eux au clair de lune. ·Bref, c'est le seul domaine où la
société sénoufo si vigilante à tout ce qui peut être source d'inégalité per-
met la concurrence et:1a compétitio% sans aucune conséquence grave 0). La
générosité dans l'effort est une vertu qu'on exalte .. Le champion-cultivateur
finit par tomber dans la vanité et oublie toute modestie, qualité-canon si
ancrée dans ·lamentalité·sénoufo. Désormais toute provocation à.son égard_
se règ1era le lendemain au champ. Ainsi pihus J 1e,· champion a la forme, plus
la quantité de travail de la journée est importante, car celui qui finit son
toùr n'est pas tenu d'attendre les autres, les incitant ainsi.
Voilà donc comment s'organise le travail dans un village sénoufo.
Cette forme de coopération a des applications particulières que nous analysons
maintenant: le "capital-travail" des tyolébélé (singulier: tyo1o), le
1éguéré ou "léhéré" et le "tjowa"
(2).
(1 ) A propos de compétition, la SEDES, dans Son rapport sociologique, cite
à la p. 54 le Père Convers dans un texte inédit : "Le vainqueur de ce
chal:enge avait l~ droit de porter pour se rendre aux champs une ceinture
de c~vette alourd~e de clochettes. Telle était dans cette société 1
1
_ . .
.
a seu e
compet~t~on adrn~se et officiellement organisée : celle de la virtuosité
à manier la daba, virtuosité récompensée par la seule admiration de la
jeunesse et par un insigne sans valeur marchande".
(2) Ces variantes que S. Coulibaly décrit
comme d'autres syst-
_
.
emes
so~t ~n real~té des applications particulières dérivant de la forme
pr~nc~pale qu'est la coopérQtion de travail. Ces variantes moins fré-
quentes, s'appliquent dans des conditions particulières co~e nous
l'expliquons dans le texte.

108
~
Le "capital-travail" (nous empruntons l'expression à Sina1i
Cou1iba1y) des "tyobobé1é" ou des "p1a1àà" consiste en une journée de tra-
vail gratuit de la génération en cours d'initiation au profit de leurs
aînés initiés, les "gnafo10" (I). Tout dignitaire de poro qui voudrait
bénéficier cj.'une journée de prestation gratuite - le système est réglementé
et on ne fait pas appel au service des novices n'importe quand et n'importe
conunent - s'adresse au "tiokiniou" ou au "p1a1êho", le plus âgé et donc le
responsable de la génération en cours d'initiation au·poro~ En compensation}
le bénéficiaire doit faire préparer un repas copieux, obligatoirement accom-
pagné de viande (2). Il est important de noter que la contre-prestation
(1) Le recours au travail "gratuit" des classes d'âge en initiation au profit
d-es-aiiiés-ii:lîtTés--est- d-éerié-à-cause de-son caractère prétendu d' exp1ol.Ù-
tion de classe. Nous récusons un tel argument car le travail gratuit ne
s'inscrit pas de manière consciente dans le cadre d'une spéculation où il
faut que le bénéficiaire gagne absolument. ·c' est plutôt un moyen de rat-
tacher les différentes générations entre elles, les novices devant toujours
à 1ew:s initiateurs. Il est important de souligner que l' "exploité" - s'il
l'est - est toujours en position d'exploiteur.
potentiel', car un jour
viendra où il aura recours au même système une fois tous les échelons du
'poro"gravis. Le"poro"et toutes les obligations qui en su ivent est plu tôt
un lieu de passage obligé pour accéder à un statut social privilégié. Y-a-
t-i1 exploitation si tout le monde y gagne et le plus équitablement possi-
ble ? Le problème du poro réside ailleurs: c'est la rupture de la chaine
par manque de jeunes à initier soit par une dépression démographique soit
par suite des migrations.
A propos de la prestation gratuite au profit des dignitaires du poro la
SEDES à la page 31 de son rapport sociologique a bien perçu la pertinence
du système parlant de tout bénéficiaire : "Disposant d'une main-d'oeuvre
largement suffisante, entouré de plusieurs épouses, respecté, consulté, le
"viéix"'se \\royait dédomnùigé de toutes 1esépieuves qu' iT âvait lui-même
subies au cours de sa jeunesse. Les longues années où, adolescent, il
avait mis sa force de travail ou sa valeur militaire au service du village
se trouvaient ainsi récompensées. Le système permettait pour ainsi dire
une accumulation de créances sans accumulation de capital".
A la suite de cette réflexion nous pensons que la mort ou la survie du poro
dépendra de cette "dette sociale" non remboursée à la communauté villageoise.
Le poropourrait mourir à cause de l'individualisme de plus en plus dévelop-
pé contraignant ainsi les éventuels derniers bénéficiaires à renoncer au
remboursement, faute de relève. Mais si le poro survit à cette situation
qui aura fait des "frustrés sociaux" il n'aura plus le pouvoir de condenser
en lui toutes les "énergies sociales". Alors, il ne représenterait plus
qu'un souvenir lointain, le symbole-relique d'un passé révolu.
(2) Le Sénoufo, bien que disposant de bovins, d'ovins, de caprins et de volail-
le, mange peu de viande. Les animaux sont réservés aux étrangers de marque
de passage, aux cérémonies de funérailles ou des fêtes de fin d'initiation
et aux sacrifices. En tout cas c'est l'une des rares occasions où la con-
sommation de viande est voulue de manière consciente.

109
alimentaire est quelquefois sinon fréquemment onéreuse, mais e.lle.
vaut la
t
peine pour le maintien de l'honneur du dignitaire. Quand les ayant-droit
ne sont pas en mesure de faire appel à la main-d'oeuvre faute d'une contre-
prestation alimentaire équitable il peut céder son tour à uri autre digni-
taire plus "fortuné". Mais cette pratique s'oppose à l'esprit et au sens de
l'institution. Le recours à la cession relève de cas rarissime. La contre-
prestation alimentaire ne serait-elle pas une forme de redistribution sociale
afin d'éviter l'accumulation des biens ! Cette forme de redistribution soc iale i
établirait l'équilibre entre les membres de la communauté villageoise.
Le "léhéré" ou "léguéré" constitue la deuxième variante de la coopé-
ration de travail à l'intérieur d'une communauté villageoise. Le "léguéré" ,
dans le contexte de la compensation matrimoniale se situe au nombre des obli-
gations de tout fiancé. Elle consiste en une journée de labour "gratuit" chez
l'un des beaux parents. Le fiancé après avoir invité tous les camarades de sa
-
---------
- -
--- ----_.
génération et même quelques aînés, informe, ses bëaüx parents sans leur commu-
niquer le nombre des laboureurs. Tous les invités se rendent au champ le jour i
fixé. Alors, le beau-père les y rejoint et discrètement compte le nombre de
cultivateurs et en informe sa ou ses femmes pour qu'elles fassent la cuisine
en conséquence. Le repas doit être le plus copieux possible; en somme, c'est
l'occasion de faire bonne chair pour ces laboureurs trop sobres compte tenu
de l'énergie dépensée quotidiennement au travail. Le soir, avant de rejoindre
leur village, un deuxième repas, très copieux également est pris chez les beaux
parents. On y ajoute à l'occasion de la bière de milou de mals. Il,importe
de noter que la contre-prestation alimentaire incombe toujours aux beaux pa-
rents et plus le repas est copieux plus le prestige de la fiancée est rehaussé,
tout comme le plus grand nombre de cultivateurs invités est à l'honneur du
- -_. ------
--
-
-
---- ---
fiancé. Deuxième-remarque: du côté des invités le remboursement de la journée
de travail n'a pas un caractère obligatoire comme dans le premier cas du
"yéfouholo". Cependant il est vivement conseillé de ne pas s'abstenir afin
de ne pas faillir à la solidarité "fraternelle" et à l'aide à un camarade de
génération dont le prestige auprès des beaux parents a toujours besoin d'être
rehaussé: D'ailleurs le "1éguéré" prend toujours l'allure d'une fête. Tous
les invités à l'occasion se parent de leurs plus beaux habits en se rendant
au champ. La prestation gratuite du "léguéré" a lieu une ou deux fois l'an.
Si l'appel au fiancé s'avérait nécessaire pour d'autres travaux quelconques
l'invitation et la prestation avec quelques camarades se faisaient dans la
d iscré tian.

4
LA REGION DE KORHOGO
M a l
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ZONES ET SOUS-ZONES HOMOGENES
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____ .. _
limih dl tonlon
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~ O.nsit' supliri'llur. a 7Q habitants ou kmZ
\\
_ + _ + Limih d'Etal
~
2
o.nsiU compris- .nlrt 50 et 70 habitants Ou Jl:m
\\
.......
_ _ Limite d. lonl homogine §:{::/:/::.:j Densité compriu ,ntr. 20 et L9 habitants ou km 2
-.\\
_
Limih d. sous-ton'
i
r r n m m . .
.
2
.
"
~omogin.
UlLillill D,nslt' tomprln ,ntrl 10 1\\ 19 habitants DU km
,.,.,...,."....... _.,._._.,.,.
IGNAME
Produit principal
IS:SSJ D.nsiU comprise .ntr. 5 d 9 habitants ou km'
Ignome
Produit secondaire
~ D.nsiti inr4ri.ur. ô 5 tlobitontJ ou km'
ECHELLE approximative
10
20
30
c=J S.ct'\\H inhobit.
S EDE S
SEDES - Rapport de synthèse p. 17

III
Le "yéfouholo", la prestation gratuite des "plalàà" ou des Il
"tyolobélé" au profit des dignitaires du poro, le "léguéré" constituent
les formes traditionnelles de coopération de travail en pays sénoufo.
Avec la colonisation apparaîtront d'autres formes de travail: la journée
de prestation gratuite au profit du chef de canton (avec contre-prestation
alimentaire à la charge de ce dernier) ou au profit du "commandant"
(adnlinistration coloniale) et enfin le "tiowa'~ qui est une forme du sala-
riat agricole. Nous analyserons ultérieurement quelques unes de ces diffé-
rentes formes liées à la mutation de l'économie et du mode de vie tradi-
tionnels des Sénoufo. Une autre forme de coopération de travail, mais rare,
est la "talilé", une prestation gratuite au profit d'un "vaguafolo" (pro-
priétaire d'un bas-fonds inondé). A défaut de la prestation en journée de
travail, les bénéficiaires peuvent r~~ttre une quantité du produit cultivé
proportionnellement prélevée sur la récolte si celle-ci a été bonne. C'est
en quelque sorte le prix d'un certain métayage.
b) Production agricole et élevage
Après les facteurs humains de la production, voyons la production
agricole. La région étudiée produit une gamme variée de vivriers depuis
les graminées comme le riz, le mil, le sorgho jusqu'aux tubercules, princi-
palement l' ign8lAe et la patate ('; en passant par les légumes et les condiments
comme le haricot, le gombo
, le "tangua" ou "dah" (hibicus
cannabicus), l'aubergine, la tomate ou le piment. A ces cultures vivrières
s'ajoutent des plantes comme le mals, l'arachide et les pois de terre.
Avant de décrire un peu plus en détail ces cultures que nous distin-
gueron~s en--culttirës vivriè-tes et en-'cültures cl' exportation, étudions d' abord:-
les paysages agricoles.
Paysages agricole~. Cf. carte p. 110.
A partir des densités démographiques et des paysages agr'icoles
la SEDES (1) distingue trois zones homogènes : la zone dense, la zone mil et
la zone igname (cf. carte p.
(1) SEDES, op. ciL ,<cf .Rapport agricole et rapport de synthèse.

112
- La zone dense autour de Korhogo, produit du riz de marais notamment,
mais aussi du riz pluvial, du mals, du mil, de l'arachide, etc. Cette
zone, en 1965, supportait 60 exploitants/km2. Les conséquences peuvent
être envisagées comparativement à la densité moyenne de la région qui n'est
que de 4hab. /km2. ~~L' insuff isance de la terre et par conséquent la surexploi':'
tation de la superficie cultivable~posedes problèmes fondamentaux : extrê-
me émiettement du terroir, dispersion de l'habitat en nébuleuse, raccour-
cissement de la durée de la jachère, intense migration della main-d'oeuvre
Tous ces problèmes se traduisent par le déséquilibre du rapport terre-tra-
vail (60 hab./km2 alors que la densité limite en rapport avec les techni-
ques traditionnelles devrait se maintenir à 30 hab. /km2).
"i>
- La zone mil (nord et nord-est de Korhogo), principale productrite de mil
COlIlille son nom l'indique mais aussi de mals, de riz, d'arachide et de sorgho.
La po'pula tion y yi_cg~Q1,1p_é_~ d~é!ns_ de gr()s ~y~~lagE:~_de 2000 à 3000 habitants
dont la plupart se situent le long des axes routiers en direction de la
Haute-Volta et du Mali. A la grande différence de la zone dense la terre
est abondante et l'exploitation agricole demeure collective voire familialp-.
C'est une région propice aux cultures industrielles (le coton) et à l'éleva-
ge. Ces aspects seront approfondis ultérieurement.
- la zone igname (à l'ouest de Korhogo). En plus de sa principale culture
qu'est l'igname, elle produit, tout comme les deux autres zones, du mals,
de l'arachide, du riz, etc. Cette zone se singularise par des caractéristi-
ques bien précises: maintien des structures traditionnelles de l'exploi-
tation et population très sédentaire groupée dans de gros villages perma-
---~
~_nents._Des trQis ZOIl,es_ définies e}le_apPê3.raît _cormne la plus riche au point
de vue agricole (1) - en dépit de la relative importance de l'élevage -
mais aussi la plus riche de,façon absoJu~utilisation du sol est très pous-
sée et les paysans lui consacrent la quasi-totalité de leur temps. Le riz
pluvial et Je coton produits en association avec l'igname leur assurent
des débouchés fixes et suffisamment rémunérateurs. De. nos jours cette zone
(1) L'analyse budgétaire menée par strates a montré que les ventes de
produits ruraux y sont supérieurs du quart à celles de la strate mil et
des 2/3 à celles de la strate dense. SEDES. Rapport de synthèse, p. 15.

r"
reçoit de plus en plus les migrants de la zone dense , soit comme exploitant
à leur propre compte soit comme main.d'oeuvre. Dans l'état actuelle des
choses, cette zone pilote où la terre fertile abonde, apparaît à court et
moyen terme comme la solution au surpeuplement de la zone dense. La zone
d'igname à long terme doit craindre le surpeuplement, car elle se densi-
fie par
apport extérieur depuis l'ouverture des routes et l'éradication
progressive de l'onchocercose par l'O.M.S.
(1).
Après la délimitation des zones homogènes de cultures, voyons
les productions agricoles. Nous distinguerons deux catégories de cultures
les cultures vivrières et les cultures marchandes.
Les cultures vivrières
_~"
"
La g~e des vivriers s'éten~ _dt:s_tub~r-.C:~~13__ (__~l:?~ame,
patate) aux
céréales (riz, mals, mil, sorgho, arachide et pois de terre). Tous ces pro-
duits se cultivent selon des techniques culturales bien connues des paysans:
soit en cultures pures, c'est à dire une culture unique occupant l? parcelle,"'
soit en association de deux, trois et même quatre cultures. Cf. tableau
ci-dessous~ p. 114.
Le tableau montre combien les parcelles cultivables et cultivées
sont surexploitées, d'où le recours fréquent à la jachère pour laisser la
terre se reposer. L'association des cultures dans la zone dense s'explique
par la pénurie des terres et dans ~es autres zones par une absence de main-
d'oeuvre.
-
Donnons quelques caractéristiques de quelques unes de ces cultu-
res. Le Sénoufo cultive une grande variété d'espèces végétales d'importance
inégale dans l'économie agricole destinée au départ à satisfaire en priorité
ses propres besoins, à tel point que cette agriculture de subsistance
était largement autarcique. Le mals, le mil, le riz pluvial, le riz de ma-
rais, l'arachide et le coton et à moindre degré le sorgho et les pois de
terre représentent 90% des surfaces cultivées et la quasi totalité de la
valeur de la production. A côté de ces cultures principales foisonnent
des produits secondaires comme la gamme des condiments, les légumes, la
patate douce, le manioc ou la banane douce. La plupart des cultures, notam-
(1) Organisation Mondiale de la Santé.

Tableau Il
Cultures pures et cultures en association chez les Sénoufo
Cultures pures
Association de deux
Association de trois
Association de quatre
':.
'\\
cultures
cultures
cultures
,
riz de marais
mals-mil
mals-mil-arachide
igname-mals-r iz pluvial-coton
i
1
,
arachide
-,
1
mals-riz pluvial
;Lgname-;-mals-mil
1
igname
'
1
1
mals-sor~ho
igri~m~-m~is~tlz plu~iâ±
!
mals
mals-sorgho
igname~mals-riz pluvial
pluvial
pluvial
ï
1
riz
igname-riz
ma s-mil-sorgho
!
i
~.
1
sorgho
1
1
"
;
Pl?is de terre :
1
1
,
...-
...-
.p...

115
ment le mals etrle mil, selon les saisons/font l'objet de cultures de
champs ou de cultures de case.
Selon la thèse de la SEDES relevant de la théorie du diffusionnisme,
une bonne partie du patrimoine vivrier est d'acquisition récente. Les Sénoufo
à l'époque de leurs premières migrations ne connaissent que le millet (mil)
sorgho, fonio) et peut être les pois de terre. Les chasseurs nomades qu'ils
étaient n'auraient connu les autres cultures - donc après sédentarisation -
qu'au contact des populations forestières. Cette hypothèse est sujette à
caution car dans la partie historique nous avons déjà montré l'antériorité
de l'installation des Sénoufo, en tout cas avant les peuples forestiers dont
les migrations vers la Côte d'Ivoire ne se sont amorcées qu'au XVIIIe siècle.
En de~ième lieu la sédentarisation des chasseurs nomades sénoufo se situe
à une époque relativement lointaine, avant même leurs premiers oontacts avec
-or
les populations forestières. Les relations entre la savane et la forêt, en
dehors
du commerce précolonial des Mandé-Dioula, ne daLera:ient qu'à partir
des guerres mandingues et de la pénétration coloniale où les Sénoufo furent
envoyés comme captifs de guerre ou comme prestataires en Basse Côte. Lais-
sons-là le débat historique pour reven~r aux caractéristiques des différ~nts
produits agricoles .
Le mil
Le mil a longtemps constitué une des bases de l'alimentation non
seulement des Sénoufo mais aussi de toutes les populations de la savane.
Chez les Sénoufo il fait l'objet d'un égard particulier au point qu'il in-
tervient dans la division du temps et dans la hiérarchisation,de la société.
-- ---- Concernant la division du temps, -le mois de janvier (saison-- sèche; pendant
laquelle s'effectue la plus grande partie des récoltes) est dénommé "souniri"
t.
(mil en maturité) ou "souka yégué" (lune voulant dire ici mois : mois de
la récolte de mil). Dans la société, le mil intervient au niveau de la struc-
ture'en tant que facteur dé hiérarchisation. En effet la culture de mil
est interdite aux femmes et aux jeunes disposant d'une parcelle individuelle.
Privilège des "vieux", pratiqu~mént des chefs des matrilignages,
le mil
récolté est stocké dans les greniers collectifs sous leur contrôle.

116
Le mil se consomme de trois manières. Premièrement, grillé
et moulu, la farine obtenue "mima ou mim'e" se consomme délayée dans l'eau.
C'est ce produit très désaltérant qu'on offre à tout étranger de marque
ou non avant de lui'aemander les nouvelles~ Spécifiquement)la farine de
mil constitue la base de l'alimentation des cultivateurs
à cause de sa
propriété de digestibilité. En effet, elle stimule le cultivateur en re~
constituant très rapidement les énergies dépensées au labour. Deuxièmement,
fermenté le mil sert à faire de la bière (sima ou sim'e ou en malinké doro
ou dolo) plus ou moins alcoolisée selon le degré de fermentation. Cette
bière est consommée dans toutes les~anifestations ou festins : funérail-
les, initiation, jour de marché forain, après une journée de travail
_______·_c:h?Z les__.lJ~~t!~ pa!"ents ou chez les dignitaires du poro, etc ... Troisièrne-
-
---
--
ment, pilé le mil sert ~ faire un mets appelé " s iala souro ou sial' e sourCA,1>'!',
C'est en quelque sorte le "foutou"l une sorte de pâte. Cependant ce mets
de mil est rare chez les Sénoufo de la zone dense si ce n'est qu'en période
de disette ou de soudure. En effet, manger du·foutou~de mil en période
faste est un signe de pauvreté ou une preuve de "la cigalle ayant chanté
tout l'été". Enfin, dans l'art culinaire sénoufo le mil entre dans la
composition d'autres mets comme la bouillie, les galettes et même d'ali-
mentation pour la volaille.
Le sorgho
-
- -
-
--
-
Souvent appelé gros mil le sorgho est très peu cultivé en
pays sénoufo non seulement à cause de sa faible' valeur nutritionnelle
mais aussi à cause de ses exigences. Il intervient très peu dans l'alimen-
tation sauf aux périodes de famine. Cependant il sert d'aliment à la
volaille. Le Sénoufo distingue deux variétés de sorgho: le sorgho rouge
et le sorgho blanc.

117
Le mais
Le mais est la culture la plus répandue en pays sénoufo. Selon la
SEDES sa culture concerne 68% de la surface cultivée contre 47% pour le mil.
Le mais doir sa prépondérance à con cycle cultural très bref; semé au début de
la saison des pluies sa maturité survient dès le mois de juillet. à une période
où les réserves de mil et de riz sont épuisées et où les premières ignames
précoces ne sont pas encore disponibles. On distingue trois catégories de mais
selon la couleur: le mais blanc. le maïs rouge et le maïs jaune. Aujourd'hui
la recherche scientifique a trouvé une variété de maïs excellente aussi bien
pour la consommation humaine que pour celle du bétail. Sa culture s'amplifie
de plus en plus sans faire pourtant l'objet d'une consommation régulière. Le
maïs constitue l'aliment consommable à toute époque de l'année.
Le riz
..~
Le riz est une graminée qui se cultive sous deux formes : sur les
plateaux (riz pluvial) et dans les bas-fonds inondés (riz de marais). Bien que
produit dans toute la région sénoufo. le riz se cultive particulièrement dans
la zone igname où il a la caractéristique d'être fait en association avec
l'igname et le coton. Il existe des variétés de riz définies selon la couleur.
la taille des grains et les techniques culturales. La production et le rende-
ment du riz se sont beaucoup élevés particulièrement dans la "zone dense"
depuis l'introduction de certaines techniques culturales pour les coopérants
de la Chine de Formose.
L'arachide
L'arachide se rencontre dans toute la région. Son intensification
en pays sénoufo vient du fait qu'il fut imposé par l'administration coloniale.
_____ .__ Le~LS~nQufo onCé1abQré une c1assifica.tioIl de_:L' ar achicie selon lé! .c,ou1eur (rou-
ge ou blanche) ou le lieu de culture (plaine. plateaux ou abords des cours
d'eau en crue). L'utilisation de l'arachide est limitée à la préparation des
sauces. Serait-ce pour cette raison que sa culture concerne notamment les fem-
mes et les jeunes pour se procurer des cauris (1) et maintenant de l'argent.
De nos jours la culture de l'arachide s'étend beaucoup et se commercialise de
plus en plus.
(1) Les cauris sont des coquillages (provenant des pays méditerranéens selon
les historiens. ou de l'Inde selon une autre hypothèse) servant de monnaie
d'échange en pays sénoufo. Aujourd'hui 20 cauries valent 5 F CFA.

118
L'igname
L'ig~me se rencontre dans toute la région sénoufo bien que
sa culture et sa plus forte consommation soient liées à des centres ou à
J""'~-
desvgroupes ethniques bien précis : les Fodonon, les Kouflo
de Dikodougou
et de Kiembé, les Kafibélé de Kanoroba et de Sirasso, les Kponzoro de Kiémou
)
et les Palaka de Koumbala à l'est de Ferké. Nous ne nous étendrons pas sur
les différentes variétés d'ignames, classées selon la primeur et la technique
culturale. Concernant ce dernier point, signalons toutefois que le tubercule
d'igname pour bien pousser exige beaucoup de facteurs: des sols riches
et profonds, meubles et frais. La récolte se fait en deux temps: en juil-
let pour les ignames précoces, très prisés, et en saison sèche. Aujourd'hui
l'igname est le vivrier qui procure le plus de numéraires au paysan sénoufo.
Après les principales cultures vivrières dont nous venons de faire
~e tour, voyons les cultures d'exportation qui sont largement commercialisées.
Les cultures d'exportation
Nous entendons par cultures d'exportation les produits agrico-
les hautement" spéculatifs, destinés au marché international. La plupart de
ces cultures se sont intensifiées pendant la période coloniale.
Le coton
Le coton en pays sénoufo a une histoire. Sa culture et sa com-
mercialisation se pratiquaient dans le Nord de la Côte d'Ivoire bien avant
la colonisation. Filé par les femmes le coton était directement acheté
j
par le tisserand du village qui après avoir fait des cotonnades/confectionnait
des-v~~~~~rits ou des ~;~~~~~-t~r~;-~~~tuairespluso-~ moins grandes selon
le statut social du défunt.
Après la conquête et la réorganisatio~ administrative du pays
sénouf6, l'administration coloniale par le décret du 17 octobre 1899 essaya
d'organiser à une plus grande échelle la production et la commercialisation
du coton. Ainsi Ravel, commis des Affaires Indigènes, effectua en 1911, au
compte de l'Assoc~ation cotonnière coloniale, une mission d'étude dont la

119
conclusion pr~caunisait le d~veloppement des vari~t~s locales. D~s la fin
de la conquête l'administration coloniale avait tenté d'introduire des
variétés américaines en 1902, 1906 et 1909 et égyptiennes en 1908. Aucune
des deux variétés ne réussit. Seul le ricin du Brésil présentait quelques
chances de réussite mais fallait-il encore arracher les variétés locales,
ce qui provoquerait le mécontentement des paysans. Jusqu'en 1933 les variétes
locales fortement conseillées par l'étude précédente posaient encore quel-
ques probl~mes. A ce propos, Perron, administrateur des colonies écrivait
dans un article
'~our le coton, il y a lieu de demeurer, dans le cercle
de Kong, dans une position d'attente. L'intensification à but industriel
n'est pas un projet déraisonnable, tout au moins en certaines zones. Mais
il s'agit de trouver tout d'abord la semence qui convient. Actuellement,
par suite d'hybridage extrême, le produit est affreux et d'une valeur
d'achat des plus basses. Intensifier cette culture telle qu'elle est serait
.
-...
agir à l'encontre des intérêts bien compris du commerce local, de la colo-
nie -enti~reèomme de-lamêtropole" (1).
Plus tard le coton fera l'objet d'une culture obligatoire apr~s
l'introduction de la variété mono en 1952 par la CFDT (Compagnie Française
de Développement des Textiles) remplacée en 1974 par le CIDT (Compagnie
Ivoirienne de Développement des Textiles). La CIDT, société d'économie mixte,
assurel'encadremen~ des paysans et se charge de la réalisation du program-
me "Plan Coton" qui vise à la mise en place d'un syst~me de culture de
coton en association avec les cultures vivri~res notamment le maïs et le
riz pluvial.
Aujourd'hui, la région étudiée en plus de la sous-région d'Odienné
----onfproduit ensernblependantla _campagne 1977-78pr~s-de--la-moit:i:é de la--
production nationale soit 50 244 tonnes pour une surface totale cultivée
de 45 089 hectares, avec un rendement de 1 114 kg/ha. Le nombre de planteurs
s'él~ve à 42 489 bénéficiant tous de l'aide des services techniques de
(1) Michel Perron, "Situation économique et agricole en pays sénoufo :
notre rôle ll ,
in Bulletin de l'Agence Générale des Colonies, nO 286,
Me 1un, 1933, p. 8.

120
,
. r
1 Etat. Le prlx au producteur varle entre 70 et 80 F CFA"le kilogramme
selon la qualité du coton. Il est important de souligner que les structures
traditionnelles de la production n'ont pas résisté au développement indus-
triel de la culture du coton. De plus en plus, la culture du coton affran-
chit les jeunes du groupe familial qu'est le "narigba". Ils se désolidari-
sent pour ce qui est de la production et finissent par adopter un comportement
individualiste.
Le caoutchouc
Le caoutchouc est une plante qui pousse naturellement en région
de sa~ane: Deux facteurs ont contribué à lui donner un essor en pays sénoufo
la"~~emande"importante en Europe et la nécessité d'une cul ture commerciale
afin qué les Sénoufo s'acquittent de leurs impôts en ndméraires. Faute de
monnale l'imposable pouvait remettre à l'administration une certaine quan-
tité de caoutchouc.
De 1898 à 1905 l'exploitation ne concernait que les peuplements
naturels des lianes dites gohines (landolphia "owariensi et landolphia
hendolotii) qui poussent naturellement dans les savanes fortement arborisées.
L'administration essaya d'en imposer la culture mais sans succès.
Avant que les Sénoufo ne s'y intéressent pour des ralson~ fis-
cales et commerciales, la récolte de caoutchouc fut l'eouvre d'étrangers
Guinéens, Soudanais et Sénégalais qui l'échangeaient contre de la poudre
d'or ou d~fusils sur la cô~e. Avec l'arrivée des Sénoufo sur le marché,
le Gouverneur Clozel, dans le but d'améliorer la qualité du caoutchouc créa
par décision du 3 mars 1904 trois "écoles'pratiques du caoutchouc" à
Dabakala, Korhogo et Séguéla. La formation y durait 15 jours. Entre 1898
et 1905, le prix payé au producteur variait selon les régions de 1 à 3 F le
kilogramme mais s'élèvera par la suite
de 5 à 6 F.
Entre 1905 et 1909 le caoutchouc connut une autre phase
une
tentative de création de plantations par l'administration coloniale. Déjà
en 1899, le lieutenant Franco, Commandant de la Circonscription de Bandarna,
avait tente' d'introduire l'espèce ceria (arbre) mais échoua probablement à cause
de la mauvaise sélection des graines et de la semence tardive. Six ans

121
après
la plantation des pousses le bilan fut négatif
5 000 pousses sur
60 000 plantées dans la circonscription de Korhogo et 2 000 sur 6 000 dans
celle de Dabakala. En J906, nouvel échec de la variété funtamia elastica
malgré la création d'une école professionnelle par le Gouverneur Delafosse.
Cette école formait des moniteurs qui à leur tour encadraient les paysans.
Après l'échec des variétés arbustives cer~a et funtamia ela5tica,
la variété grimpante, poussant déjà à l'état naturel, s'imposa avec succès
en 1906 : création de 60 plantations de 75 000 lianes
dans le cercle de
Korhogo et formation de 50 à 80 élèves-moniteurs par canton. Mais la réces-
sion du caoutchouc ne tarda pas à cause de l'exploitation abusive mais aussi
de la Première Guerre Mondiale etd~~ concurrence du caoutchouc d'Indochine.
Aujou'd'hui··
l'exploitation
d~caoutchouc n'est plus qu'un souvenir loin-
tain que seuls quelques vieillards évoquent avec nostalgie. L'introduction
du caoutchouc chez les Sénoufo les avait fait avancer d'un pas vers la
----·-----·-~mànéfarisa-t-io-ri-deleur économie d'où l'insistance sur ce produit- qui a dis- ----
paru du Nord:
Le tabac
De par ses conditions climatiques favorables, la région sénoufo
cultive depuis longtemps lë, tabac, commercialisé par les circuits tradi-
tionnels en vue de ses propres besoins. Peu à peu, la CAlTA (Compagnie
Agricole et Industrielle des Tabacs), société privée, prit en charge l'en-
cadrement de la culture du tabac marchand dans les régions Nord et Centre
en vue d'alimenter la SITAB (1), manufacture de cigarettes sise à Bouaké .
... Pour la-campa'gne 1977'-78 le département· de Korhogo a vendu·
205 158 kg de feuilles sèches de tabac, soit les 3/4 de la production na-
tionale de tabac industriel. Les prix minima sont fonction de la qualité:
extra : 200 F/kg
- courant
170 F/kg
- inférieur: 80 F/kg.
(1) Société Ivoirienne des Tabacs.

122
Notons que la production du tabac traditiànnel est en baisse
(1 500 kg de feuilles sèches en 1978) par rapport au tabac industriel beau-
coup plus rémunérateur. Malgré le prix assez intéressant le tabac demeure une
culture de case,donc pas assez étendue et développée.
L'anacarde
Le Nord est par excellence la zone écologique de l'anacarde.
Près de 4 000 ha ont été plantés entre 1960 et 1968 dans une optique prin-
cipale de reboisement. Faute de commercialisation de la production,ces plan-
tations ont été en grande partie abandonnées ou détruites par les feux de
brousse. La SOVANORD, société locale créée plus tard, a prit en charge la
commercialisation et incite les paysans à sauver les plantatio,~ encore
productives avec projet de création d'une usine de transformation. La
SOVANORD a déjà exporté en 1972-74
300 tonnes vers l'Inde.
La canne à sucre
La canne à sucre et
son complexe construit à Ferké est la carte
décisive que les autorités publiques jouent dans l'industrialisation du
pays sénoufo. Pour la campagne 1977-78
5 900 hectares ont été récoltés et à
ce stade le complexe de Ferké fournit 3 500 emplois directs et distribue
600 millions de F CFA de salaires. A long terme, ce complexe agro-industriel,
vise à la transformation de la société sénoufo réputée rigide au changement.
Cependant, la canne à sucre ne fait pas l'objet d'une culture individuelle
: j"
pouvant être entreprise par la payspn sur sa propre initiative. Ce dernier
est plutôt appelé à s'intégrer dans un système de salariat agricole, rôle
---:-=~---~---q~uiiT a toujours-jOué dans l'éé-6noIiiie agricolè ivoirienne. Eri toùt état de-
cause, la canne à sucre et son complexe ne permettent aucune promotion
individuelle des Sénoufo et ce point pertinent semble avoir été ignoré par
le projet.
Le maraîchage
Le maraîchage offre des perspectives de développement dans la
mesure où le climat du Nord, sec et ensoleillé, se prête bien à la culture
d'une gamme variée de produits maraîchers et d'agrumes dont les besoins na-

123
tionaux (surtopt les centres urbains) sont en forte augmentation. La
SODEFEL (Société pour le Développement de la Production des Fruits et
Légumes), société
d'Etat créée en 1966 a pour charge non seulement d'ap-
provisionner les villes en légumes et en fruits mais aussi de pr~ter assis-
tance aux planteurs. Des périmètres de cultures fonctionnent déjà à
Ferkessédougou et à Sinématiali pour la production des tomates; oignons,
melons, mangues, laitues, etc ... Sinématiali abritera bientôt une usine
de concentré de tomates.
A la fin de cette partie sur les cultures marchandes signalons
que certains produits ont fait en leur temps l'objet d'une tentative de
développement par l'administration coloniale mais sans succès comme le
sisal, la cire, le kapok, le chanvre. Dans les années à veni~ le soja après
des expériences concluantes est appelé à devenir une des cultures impor-
tantes de la région sénoufo.
L'élevage
La croissance démographique de la Côte d'Ivoire a provoqué un
besoin croissant en viande. Selon les statistiques officielles, le taux
de couverture de la consommation globale de viande par la production natio-
nale est actuellement de 40%. Ce taux est très différent selon la nature
àes productions; il est de 88% pour le poulet, 86% pour le porc, 40% pour
le mouton et 17% seulement pour le boeuf. Entre 1972 et 1985 on prévoit
le triplement des besoins en viande passant de 60 000 tonnes à 180 000
tonnes alors que la progression tendancielle de la production est faible.
Le déficit est comblé par les importations en provenance du Sahel (Mali
- Haute-Volta) et -mêmede--l-' Afrique du Sud.
_-_ -
Le Nord regroupe près de 75% des bovins de la Côte d'Ivoire.
Produire de la viande pourrait être un des rôles éminents de la région
.sénoufo, d'autant plus qu'elle réunit les 'facteurs nécessaires au développe-
ment de l'élevage: les pâturages et le bétail. Malgré ces atouts natu-
rels l'élevage reste un domaine marginal à l'économie de la région sénoufo.
En effet le Sénoufo ne tire pas pleinement tous les bénéfices financiers

124
r
qui découlent de cette activité, et cela pour deux raisons: d'une part,l'inco-
hérence de la politique ivoirienne en matière d'élevage et l'attitude non
spéculative du Sénoufo vis à vis de son bétail. La première raison, con-
cerne précisément l'inadéquation entre le Ministère de l'E1evag~p1us connu
des paysans et mieux accepté et la SODEPRA (Société de Développement de la
J
Production Animale) créée en 1970 ayant pour mission de développer non seu-
lement l'élevage de bovins, de porcins et de volaille ---ef;égaJ!ement<:la
fabrication d'aliments pour le bétia1 mais aussi la formation des éleveurs.
Les paysans voient d-'un mauvais oeil l'intervention "dirigiste" de la
SODEPRA quia une mission ponctuelle : produire la viande. A cette divergence
de finalité les paysans sont dêse~més
devant l'absence de coordination des
deux services intervenant auprès d'eux. La deuxième raison tient à un fac-
teur humain et social. Le Sénoufo n'a aucune tradition pastorale et ne s'est
jamais intéressé à l'~pect spéculatif de son élevage, c'est à dire en tant
que source de revenus numéraires. Bien que important pour le statut social
du possédant, l'élevage est une activité économique très secondaire: Ici-le
nombre de bovins est une affaire de prestige, de statut social, d'instrument
d'autorité sur autrui. A cet effet le cheptel joue un rôle plus social qu'éco-
nomique. Concrètement le cheptel dissimulé dans plusieurs parcs est une ri-
chesse dans laquelle on ne puise qu'à l'occasion de cérémonie ou de récep-
tion ou en cas de force majeure comme le paiement de frais de scolarité des
enfants ou l'achat d'un vélo ou d'un vélomoteur. A ces exceptions près, le
Sénoufo semble encore de nos jours n'avoir aucune idée de rentabilité de
son troupeau, à part le prestige social qu'il lui procure s'il ne constitue
pas, à son niveau, une forme de thésaurisation. Ainsi le paysan confie la
garde de son troupeau à un Peul (1) qui en tire la quasi totalité des béné-
fices : contrepartie en vivre et salaire mensuel en plus du g-ain
tiré de la
vente du lait.
En plus de l'aspect social le troupeau joue un rôle très impor-
tant souvent non perçu de l'extérieur, rôle important qui fait que le Sénoufo
ne se sépare de ses bêtes qu'à contrecoeur: la fertilisation de la terre.
(1) Les Peuls, orlglnaires du Mali et de la Guinée, sont des éleveurs. Depuis
la grande sécheresse du Sahel leur mouvement vers le Nord de la Côte
d 'Ivoire
~/amp1ifie de plus en plus.

125
En effet, la divagation du troupeau en saison sèche et l'entassement
,
du fumier dans l'étable sont des procédés pour fertiliser le sol que le
paysan sait ingrat et très peu productif. L'importance du fumier est tel
que dans certaines localités, le propriétaire du parc se réserve le droit
exclusif du ramassage du fumier entassé dans l'enclos. Malgré l'introduc-
tion de l'engrais synthétique qui n'est pas toujours à la portée de toutes
les bourses, le procédé de fertilisation par le fumier demeure largement
utilisé et certains propriétaires de parc affirment que c'est le réel et
précieux bénéfice qu'il tire de l'élevage de bovins. Néanmoins, ajoutons
que la bouse de vache intervient dans la réfection des sols usés des cases,
dans la vannerie, comme matière combustible et même dans la pharmacopée.
En fin de compte l'élevage pour le Sénoufo est non seulement une affirma-
tion de son prestige social -en même temps qu' un moyen de thésaurisation,
mafu. aussi/chose très importante à ne pas négliger, un moyen d'accroître
la productivité de l'agriculture par l'apport du fumier.
Après ce tour d'horizon de la production agricole où nous
avons distingué cultures vivrières , destinées aux besoillns propres de la
population de la région étudiée et de l'ensemble de la Côte d'Ivoire, et
les cultures d'exportation, largement extraverties,
que pouvons-nous re-
tenir ?
1. Au point de vue importance. Les cultures vivrières bien
que concurrencées par les cultures d'exportation résistent encore. A propos
des cultures d'exportation destinées à procurer des numéraires la période
post coloniale n'a pas vu la véritable promotion d'une culture. Parmi celles
datant de la colonisation, seul le coton a connu et connaît encore un essor
malgr!Lles aléas qu:i,. pèsent, sur les producteurs., 1/ anacarde, le maraîçhag~,
,_
et la canne à sucre sont des cultures encore récentes. Les deux premières,
malgré l'engouement, ne sont pas encore assimilées et la canne à sucre, com-
me nous l'avions déjà dit, n'engendre pas la promotion des paysans sinon
qu'elle fait d'eux des salariés agricoles, donc des "vendeurs" de force
de travail.
2. Au point de vue encadrement. Seul le riz parmi les cultu-
res vivrières a bénéficié et bénéficie encore d'un encadrement et d'une
assistance technique dispensés par l'Etat, comme pour les cultures d'expor-
tation.

126
r
3. Sur le plan commercial. Seuls les vivriers comme le
maïs, le riz et l'arachide ont des prix garantis aux producteurs. Mais en
réalité, à l'exception du riz, tous ces produits concernés sont cwmmercia-
1isés par les circuits traditionnels, assurés par les Diou1a qui n'appli-
quent pas toujours les prix officiels. Il y a donc un manque de protection
du prix de ces vivriers contrairement aux cultures d'exportation.
4. Quant à l'é1evage,les autoritésy ont beaucoup investi et
beaucoup d'efforts ont été faits pour le promouvoir et en faire bénéficier le
paysan. Encore qu'il faille régler le conflit permanent entre agriculteurs
~\\.
.
"
et éleveurs, car les champs sont souvent dévastés par le troupeau, quelque-
fois avec l'intention délibérée des Peuls. De nos jours encore les intérêts
des agriculteurs et ceux ,~s éleveurs ne convergent pas. La solution serait
/
certainement dans l'association agriculture-élevage mais ce projet n'a en-
core pas eu d'application concrète.
Tels sont les faits saillants de l'agriculture et de l' é1e..... ·;";
vage. Ultérieurement nous reviendrons
à :," la dichotomie entre les cultures
du Nord et celles de la Basse Côte pour montrer, comment elle intervient en
tant que facteur accélérateur des migrations.
Artisanat
Avant de clore ce chapitre sur l'économie disons un mot
de l'artisanat.
Parler de l'artisanat dans la société sénoufo est une tâche
--- difficile parce qu'il n'a jamais fait- l'objet d "une'activitéà part entièr'e~- '-
Bien que nécessaires, les activités artisanales
d~meurent encore des occupa-
tions secondaires, les principales étant toujours les activités agricoles.
A l'exception du tissage, de la poterie et du métier de forgeron, l'artisanat
n'a pas encore la dimension d'une activité lucrative. Par exemple la sculpture)
traductrice de la culture sénoufo ne se dissocie pas du sacré.
l
En revanche, de nos jours le tourisme
commence à révéler
aux Sénoufo la dimension économique de leur artisanat et les bénéfices en numé-i:';:
raires qu'ils pourraient en tirer. C'est ainsi qu'en 1973, 1 000 artisans ont

127
êtê rêpertoriês'dans 80 villages essentiellement situês dans les dêparte-
ments de Boundiali
et de Korhogo. Certains villages se sont spêcialisês
dans des productions bien dêterminêes :
- Koni pour les forgerons
- Waraniênê pour les tisserands
- Fakaha pour le peinture sur toile.
Fonctionnant sur le modèle G.V~C. (Groupement à Voca-
tion Coopêrative) ces villages constituent des êtapes de circuits touris-
tiques organisês. Les touristes recherchent principalement :
les tissus (couvertures, nappes", tissêes main)
...'Ij>'
- les toiles peintes reprêsentant la vie quotidienne des
Sênoufo
- --------------- les objets en-bois (masques, instruments d'usage quoti-
dien)
les objets en mêtal (èaba, outils, productions à usage
touristique) .
A part ces quelques percêes, grâce au tourisme, l'artisanat
sênoufo, de nos jours encore, vise principalement à fournir les objets de
nêcessité courante au village: fabrication et rêparation d'outils, d'usten-
sils mênagers, de vêtements, de pagnes pour les funêrailles. En dehors de
ces cas, l'artisan sênoufo, du fait que l'exercice de son art soit liê au sa-
crê- et à toute:une idéo;Logie soèiale,rêsiste à la tentation de monnayer son
mêtier et ses talents. Toutefois signalons une reconversion rêussie avec
--les fo~gerons de la-sous-région-de Boundiali. En effet la C.loD.T. a intêgrê----
ces forgerons dans son programme de diffusion de la culture attelêe : après
une formation préalable; ils assurent la rêparation et même la fabrication
du matêriel agricole.
Ce tour d'horizon rapide sur l'artisanat clot notre
première partie dont le but est, rêpêtons-le, de nous permettre de faire
connaissance avec le cadre de l' êtude et le contexte socio-êconomique dans
,.
.
les migrations,
lequel s. _lnsCE.,::.:,:,_e!1:t. Tou~ ces elements évoqués ci-dessus nous permettront
de bien cerner dans
la deuxième partie les causes des migrations, les
conséquences qui en dêcoulent et sociologiquement ce qui fait la spêcifi-
citê de la forme sênoufo des migrations.

·.~
... _ DEUXIEME.PARTIE_:__ . .
MECANISME ET EFFETS DE LA MIGRATION

129
Cette partie se référera principalement au travail de terrain
afin de cerner dans toute sa dimension ce qu'il a été convenu d'appeler
le "fait complexe incitateur". Auparavant le "phénomène lama" a été défini
fondamentalement comme étant un fait social et la théorie qui permet de le
comprendre est le l1fait complexe incitateur". Cette théorie n'est rien
d'autre que ~a combinaison de plusieurs facteurs suffisamment déterminants
pour amorcer le mouvement migratoire. Le "lama" ou "toucomo" qui désigne la
désertion des jeunes vers la Basse Côte a pour origine la fabulation au
sujet de celle-ci. Cette fabulation qui atteint le fantasmatique, contient
toutes les causes envisageables: politiques, historiques, économiques et
psycho-sociologiques.
Rappelons une fois de-plu~que-les-véritablescontacts entre le
Nord et la Basse Côte remontent à l'époque des travaux forcés que les
Syanambélé devaient à l'administration coloniale. Nombreux sont ceux qui,
dans ce cadre, ont participé aux travaux de l'ouverture du canal de Vridi
en 1954 et de la construction du pont Houphouët-Boigny en ]958 sans compter
d'autres qui, depuis le début de la colonisation, travaillaient sur les
plantations des colons. A ces contraintes s'ajoutent les récits consciemment
magnifiés des colporteurs dioula et de certains prestataires sénoufo éblouis
qui, ensemble, sont à l'origine de la fabulation en question. Mais avant
d'arriver à la recherche des causes et des conséquences, il convient de
dégager le portrait-type du migrant sénoufo pour montrer comment le départ
en Basse Côte prend l'allure d'un véritable phénomène.
Portrait-type et identité du migrant
Le migrant-type, revenu provisoirement ou définitivement de Basse
Côte, se présente de la manière suivante :
- habillement : tricot généralement sans manche ou ensemble tergal selon
l'époque~ lunettes solaires portant encore son étiquette pour attester la
nouveauté, chapeau à large bord, lampe d'éclairage à piles (longue ou plate
selon le goût) souvent tenue à la main, chaussures en plastique ou en cuir,
pipe noire (allumée ou éteinte) bien serrée entre les dents généralement dans
le coin droit de la bouche. Somme toute, le jeune revenu de Basse Côte se

130
distingue avant tout par son élégance vertimentaire;
r
- attitude et comportement : généreux et volubile("à beau mentir qui vient
de loin"), fier avec un brin de vanité, expression en plusieurs langues
(Français, Dioula, Baoulé etc ... ) en plus de la sienne;
- effets de démonstration: bicyclette ou mobylette richement décorée, ma1-
son bien peinte et ornée de photos de publicité découpées dans les magazines,
plus récemment la radio à quoi s'ajoute une panoplie de gadgets propres à la
société de consoœmation.
En somme, des objets et des attitudes apparemment banales prennent
en cette occasion une proportion et une signification particulières et contri-
buent à la survalorisation du possédant qui, auparavant, était un travailleur
anonyme en Basse~Côte. Le migrant ainsi décrit comporte une dynamique dont
nous pensons être à même de montrer l'intérêt dans une telle recherche.
Après aV01r dégagé le portrait-type du migrant sénoufo venons-en
à l'identité proprement dite. Rappelons que l'échantillon se compose de 160
migrants, tous natifs de la rêgion sénoufo, analphabètes pour la très grande
majorité et ayant pour principale activité l'agriculture ou relevant de son
domaine (1).
Catégorie d'âge
bl\\
Tableau Il : Répartition des migrants selon l'âge
- - - - - - - - - -
A -G- E-
-
-
--- ..-
V • A. ------- -- --------- %-
-- -
. -- .
-
16 -
19 ans
3
1 ,88
20 -
29 ans
79
49,38
- -
30 -
39 ans
37
23 , 1 2
--
-.-
40 -
49 ans
29
18 , 1 2
50 ans
et plus
8
5,00
N.D.
4
2,50
TOTAL
160
100,00
(1) Pour ce,dernier caractère, précisons que les artisans comme les forgerons
et les tisserands sont considérés comme des cultivateurs dans la mesure où
l'activité artisanale ne les dispensent pas des activités agricoles. Ils
possèdent des exploitations agricoles comme toute autre cultivateur en
titre.

131
Le tableau ci-dessus confirme le fait que la migration concerne
,..
les jeunes dans la force de l'âge. Ainsi près de la moitié des migrants ont
un âge qui varie entre 20 et 29 ans. A ceux-là il faut ajouter les non m01ns
importantes classes de 30 à 39 ans (23,12%) et 40 à 49 (18,12%). L'âge moyen
des migrants est de 30 ans, ce qui prouve une fois de plus que les départs
en Basse Côte sont le fait des jeunes. Cette moyenne se révèlerait plus
importante encore s'il avait été tenu compte de la date d'arrivée. Néanmoins,
la grande majorité des personnes interrogées se trouvaient dans le "lama"
depuis près de cinq ans.
Situation matrimoniale
Tableau 12
Répartition des migrants selon la situation matrimoniale
Situation matrimoniale
V.A.
-.r%
Célibataire
- - ._ .. _..
52 --
--32,50 .
~--
1 épouse
: 85
Marié
2 épouses : 18
106
66,25
3 épouses :
3
Veuf
2
1,25
T
0
T
A
L
160
100,00
Le statut matrimonial peut révéler l'installation plus ou moins
longue des migrants sénoufo en Basse Côte. En effet, il est rare que la
première migration se fasse avec l'épouse ou tout au moins la fiancée.
Généralement on vient préparer le terrain pour accueillir l'épouse, deux
ou trois ans après. Ce serait le cas pour 66,25% des migrants qui sont ef-
fectivement mariés et parmi lesquels de nombreux monogames (85/106). La
monogamie dénote généralement d'un grand changement socio-culturel car con-
trairement à leur système matrimonial qui autorise la polygamie, les mi-
grants sénoufo se contentent généralement d'une seule épouse. Les difficultés
financières corollaires du mode de vie urbain leur imposent ce choix de rai-
son tant il est difficile de faire face aux besoins d'une trop grande famille
avec un salaire à peine suffisant pour le migrant citadin lui-même. Par
contre, rien ne les empêchera de prendre par la suite d'autres épouses si le
standing social s'élevait.

132
Quant aux célibataires, leur proportion n'est pas négligeable:
32,50% du total d~s migrants. Il s'agit surtout des jeunes qui n'ont pas pu
se marier avant leur première migration. Rien ne prouve qu'ils continuent à
aVOlr leurs fiancées réservées s'ils en avaient avant leur départ en Basse
Côte. Pour se marier plus tard deux solutions s'offrent à eux: épouser une
fille rencontrée en Basse Côte ou s'enfuir avec une femme du village lors
d'un retour temporaire. Nous verrons plus tard les problèmes que la seconde
solution entraîne. En effet le Sénoufo préfère toujours se marier à une fille
de la même ethnie que lui.
Dans le statut matrimonial figure toujours le nombre d'enfants.
A cet égard on constate ici que l'écart entre les migrants ayant des enfants
(55%) et ceux n'en possédant pas (45%) est infime. Par contre il serait in-
téressant de voir~e nombre total d'enfants pour aVOlr une idée du manque à
gagner dans le milieu d'origine des migrants. En effet 88 migrants ont au
total 258 enfants, ce qui est considérable. Les 45% n'ayant pas d'enfants
----consti tuent le cas-type des nouveaux migrants, - généralement céEbaTaiies- et
sans enfants. Ce fait se ressent sur le nombre moyen d'enfants par migrant
qui n'est que de deux, moyenne sans doute faible à ce qu'elle aurait pu être
dans l'hypothèse d'une absence de migration.
-(
Tableau 13
Nombre d'enfants par migrant
,
NOMBRE
D
ENFANTS
V • A.
%
0 enfant
72
45,00
1
"
20
12,50
2
"
25
15,62
3
"
21
13,12
-
-_ .. _-
-- -
-
-
-
-- -_
4
"
-
----
- --
..
9
2,50-
5 enfants : 5
-
5 et
6
"
: 2
13
8,12
plus
7
"
:
1
8
"
: 2
9
"
:
1
la "
: 2
T a T A L
160
Nombre total d'enfants: 258
Nombre moyen d'enfants par M'\\ j ~rd.nr
2 (théorique)

133
Religion d'origine
r
La religion d'origine nous permettra de saisir l'aptitude ou non
du migrant au changement. Pour le moment, le tableau ci-dessous révèle un
enracinement des migrants sénoufo a leur croyance d'origine que tous les
chercheurs appellent "religion traditionnelle" et qui n'est autre que le
"panthéon sénoufo" qui rassemble tous les ancêtres autour d'un culte. La
moitié des migrants s'en réclament. En deuxième position vient l'islam
(43,12%) ce qui témoigne de l'influence de leurs voisins, les Malinké, du
prosélytisme des conquérants zélés jusqu'à l' infil t'ration pacifique des mar-
chands dioula. Les quelques chrétiens sont pour la plupart des jeunes ayant
passé un ou deux ans à l'école missionnaire catholique et qui doivent leur
foi plus à leur nom de baptême qu'à une conviction. Ce sera aussi le cas de
""
,.
certains musulmans. D'ailleurs, chrétiens et'~usulmans réussissent plutôt
bien que mal à résoudre les contradictions entre ces religions dites modernes
et le panthéon sénoufo qui, il faut bien le souligner car on l'ignore souvent,
.._-
-
- - - - - - - - --
-
~-.~-
---~------
_.~---_._-_...
-
-
est monothéiste ne serait-ce que par la profession en "Koulotcholo",Dieu
Suprême.
Tableau 14
Répartition des migrants selon leur religion(avant migration)
Religion d'origine
V.A.
%
Traditionnelle(panthéon sén. )
80
50,00
Chrétienne
Il
6,88
Musulmane
69
43,12
Total·
,
..
_. -- -
---- .__ .
- -_.
... ···160
100,00

134
Sta tu t social
Tableau 15
Répartition des migrants selon le statut social
-
S T A TUT
SOC l A L
V.A.
%
Sous-tutelle de l'oncle maternel
58
36,25
Sous-tutelle du père
84
52,50
i
Sous-tutelle d'un membre quel-
1
16
10,00
r
!
conque de la famille
Emancipé
2
1,25
TOT A L
160
100,00
.\\
Le statut social est d'une importance capitale pour comprendre la
migration des Sénoufo du fait que le phénomène "lama" se définit conune un
fai t social. -Selon-Te-TéiblèàiC c:i--dèssus ,--seuls-{ - r; 25% soit deux migrants en
.,
valeur absolue ont déclaré avoir été "émanèipés"avant leur migration. Nous
entendons par "émancipé" tout Sénoufo ayant achevé son cycle de"poro" et
ayant reçu légalement une épouse de ses parents pour former un "gbô" (case
au sens de ménage). Ce statut~lui donne le privilège de recevoir du chef de
lignage une parcelle pour subvenir aux besoins de son foyer sans pour autant
cesser de participer aux travaux du champ collectif. C'est donc après toutes
ces formalités qu'il devient un membre social accompli en regard du système
social sénoufo. Ce long processus de maturation sociale survient, du moins
jadis, entre 25 et 30 ans. La définition du "Sénoufo émancipé" permet d'ima-
giner la condition de celui qui ne l'est pas encore. Etre sous-tutelle ne
signifie pas être un sous-homme mais désigne tout individu n'ayant aucune
- - ---=-autoriomie: travail sUr le champ collectîf ·sans- ·compensation individuelle.
Dans ce cas, c'est le chef de lignage qui répartit la production, fournit la
nourriture, supporte les frais d'initiation au poro, se charge de trouver
une épouse etc ••. En somme, il survient à tous les besoins du dépendant tel
que nous l'avons décrit dans le système politique et social. Une fois de plus,
c'est une période de longue maturation sociale où le Jeune n'a aucune ini-
)
tiative importante. Le terme approprié serait certainement celui d'aide fa-
milial . Ainsi 98,25% des migrants avant leur départ en Basse Côte étaient
dans une condition de m~se sous-tutelle soit de l'oncle maternel (36,25%),
soit du père (52,50%~ soit d'un membre quelconque de la famille (10%).

135
A titre de comparaison nous avons relevé dans l'étude du Ministère
r
du Plan qu'en 1968, 85% de jeunes adultes sénoufo de 30 ans étaient encore
des aides familiaux contre 25% chez les jeunes Baoulé du même âge (1). Les
résultats du tableau et la comparaison montrent combien le phénomène "lama"
est d'abord sociologique compte tenu des besoins des jeunes auxquels les
chefs de lignage doivent faire face. La particularité de ces besoins réside
dans leur nouveauté, c'est-à-dire qu'ils sont étrangers au système social
sénoufo. Ainsi la société sénoufo subit une crise sociale et la gérontocratie
qui gouverne cette société n'a pas trouvé de réponse à la nouvelle situation
pour pr€server
le système social.
Après le portrait-type et l'identité des migrants nécessaires à la
compréhension de la suite, venons-en à la recherche des causes.
l -LES CAUSES DE LA MIGRATION OU LE "FAIT COMPLEXE INCITATEUR"
Il faut distinguer des causes exogènes et des causes endogènes.
Les causes exogènes relèvent des facteurs extérieurs au milieu physique et
social des Sénoufo. Ces différents facteurs pourraient être qualifiés d "élé-
d"'élémenupertubateurs" dans la mesure où ils viennent remettre en cause la
structure sociale et économique existante. Quant aux causes endogènes, elles
sont inhérentes au milieu physique et social des Sénoufo.
A. Les facteurs exogènes ou externes
Ils sont de trois ordres
historico-politiques, économiques et
psycllo-socio logi.9~e_s-,,
_
1. Les facteurs historiques et politiques
al Les guerres mandingues
Dans l'état actuel de nos connaissances, le premier 'indice histo-
rique de la migration des Sénoufo se situe à l'époque des guerres mandingues
(cf. partie historique). Après l'invasion de la région, les captifs de guerre
(1) Ministère du Plan. Le nord en mutation. Op. cit. p. 32.

136
allèrent grossir, soit l'armée, soit la ma~n d'oeuvre des vainqueurs. C'est
r
ainsi que Vakaba Touré, fondateur d'Odienné, en guerre contre les Sénoufo
Nahoulo, en 1948 regroupait tous les captifs de guerre dans un camp retran-
ché appelé le Sofadougou. Ces captifs portaient le nom de "fourouba-djon",
c'est-à-dire "esclaves de la communauté". Ils étaient utilisés soit dans
l'armée comme guerriers, soit sur les exploitations agricoles du ro~ comme
serfs. Gaston rapporta les chiffres d'un rapport administratif qui estimait
à 3 000 le nombre de captifs de case et à 4 500 ceux de la couronne, le tout
contre 6 000 hommes libres dans le royaume (l).
De 1881 à 1895 ce fut le tour de Samory Touré à qui se rallieront
d'ailleurs Vakaba Touré d'Odienné et Mory Touré de Marabadiassa pour mener,
ensemble, une campagne sanglante contye les Sénoufo. Devant la puissance des
armées, Gbon Coulibaly, chef des Tiembara (Korhogo) signa un protectorat avec
Samory et lui fournistait en échange des contingents de jeunes pour l'armée
~ ~~de_l-'~Al~amy e!1_camp~Kn~_contre Sika~so, le Tagbana et le Palak.:t.~_~qua!.1t__.:tllX_~~
_
autres Sénoufo qui refusèrent la soumission de Samory, après dévastation de
leur pays, ils constituèrent le gros des continge~ts de captifs de guerre
échangés contre des fusils, de la poudre à fusil et des chevaux. Samory,
poursu~v~ par les Français traînait dans sa retraite 50 000 captifs selon
Binger (2) et 100 000 selon Gaston (3). En ]882 ce fut le tour de Tiéba et
en 1893 celui de son frère
Ba Bamba, ro~s successifs de Sikasso de mener la
guerre contre les Sénoufo. Le premier essuya une défaite devant Sinématiali
et réussit malgré tout à faire des captifs de guerre pour élever la double
enceinte autour de Sikasso dont Samory faisait le siège. Ces fortifications
nonnnées "diassa" étaient destinées à barrer la route à Samory. Ironie du sort,
Samory utilisait les Sénoufo pour prendre d'assaut les fortifications que
d'autres Sénoufo avaient élevées sous Tiéba.
Tout compte fait, l'histoire dévoile que les guerres mandingues
avaient provoqué une migration obligatoire des Sénoufo pris comme captifs de
(1) Gaston, J. Op. cit. p.
]51.
Ces chiffres sont assurément exageres pour qui connait Odienné. En
fait Odienné n'était qu'un petit royaume et en aucun cas le nombre de
captifs ne pouvait dépassé celui des "maîtres"; du moins la tradition
n'en fait pas cas. Enfin il faut atténuer la suprématie du royaume
d'Odiennéqui a plusieurs fois été vaincu par d'autres royaumes obligeant
Vakaba Touré à signer des traités de voisinage pacifique.
(2) Binger, L.G. Op. cit.
(3) Gaston, J. Op. cit.

137
guerre pour être ensuite utilisés comme guerriers ou comme main-d'oeuvre. On
peut remarquer qu~ ce mouvement était faible mais assez symptômatique de ce
qui allait arriver avec la colonisation française.
bl La colonisation française
Si les Sénoufo ont cessé d'être les captifs de guerre des conqué-
rants manding c'est pour devenir un réservoir de main-d'oeuvre où puisera
l'administration coloniale pour la mise en oeuvre de ses grands projets.
L'ethnologie est-elle fille de la colonisation? C'est la grande
polémique qui a encore cours en anthropologie, quoique atténuée par pudeur.
A la question, le cas des Sénoufo semble apporter une réponse, malheureuse-
·'9 mentCaffirmative. En effet c'est à partir de la description du caractère du
Sénoufo par la littérature coloniale qu'on allai~attirer l'attention de
administration coloniale sur une éventuelle possibilité de faire de ce peu-
ple une mine de main-d'oeuvre. Il est impoitanT-dë-souligner que les ethno-
graphes et les ethnologues étaient eux-mêmes pour une bonne proportion, des
agents de l'administration coloniale (1) qui reconnaissaient aux Sénoufo des
prédispositions "naturelles" aux grands labeurs. Les premières -descriptions
morphologiques et caractérologiques laissèrent entrevoir ce à quoi les
Sénoufo pourraient servir. Gaston (2), à propos de leur constitution physique
écrivait qu'après examen de 18 000 individus répartis sur toutes les ethnies
de Côte d'Ivoire en vue du recrutement (?) "les groupes malinké et sénoufo
ont fourni de très beaux hommes, à attaches fines, à musculature non massive;
dans le district de Boundiali, la moyenne de la taille a été de 1,70 mètre, du
périmètre thoracique de 0,87 mètre et du poids de soixante kilos".
En" ajoutant à cette d-escription le caractèr-e mor-al il ne restaft".··------·---·--
plus qu'à en faire une bête de ... travail. Toujours selon Gaston (3)
:
._--~-_._------ ----- _._- .. - ._-----.._------
. _.._--~-
- '..
.
-
-- --_.
"Cultivateurs très attachés à la terre, laborieux, doux, crain-
tifs, peu intelligents, obéissants à des chefs puissants, les
Sénoufo ont subi l'invasion mandé sans opposer aucune résistance.
Physiquement bien constitués, obligés de travailler beaucoup pour
faire rendre un sol souvent ingrat avec un outillage des plus rudi-
(1) Le plus connu par ses écrits est J. Delafosse ma1S aUSS1 Binger,
Angoulvant, Gaston etc ...
(2) Gaston. Op. cit. p. III.
(3) Gaston. Op. cit. pp.
103-104.

138
mentaires, les Sénoufo sont recherchés par les industriels et les
exploitants forestiers à qui ils fournissent une main-d'oeuvre
appréciée. Ils descendent travailler en forêt et sur la côte où
ils constituent de fortes équipes que leurs employés doivent rele-
ver tous les six mois s'ils veulent utiliser d'une façon constante
leurs services, car ces noirs n'aiment pas à rester éloignés trop
longtemps de chez eux".
A quelques détails près Vendeix (1) dit la meme chose. Après avo~r
décrit les Sénoufo COIIlIIle un peuple ayant conservé "un esprit timoré, inquiet,
soupÇonneux et renfermé ... une mentalité primitive faite de puérilité, de
naiveté, de dissimulation, de crainte et de ruse ... " et de surcroît "rebelle
à la compréhension", il finit par leur lancer ces "fleurs"
"Et cependant, quelle bonne pâte le._Sénoufo ... Peuple doux,
facile à mener à condition d'être guidé, soutenu, encouragé et
bien cOIIlIIlandé ... ConstaIIlIIlent penché sur la terre ingrate, qu'il
travaille et~mue toute l'année, c'est un rude paysan, laborieux,
rustique, dur à la tâche et économe".
A son caractère physique et moral, on ajoute auss~ son aptirude_à
s'adapter à des conditions de vie difficile et à ce propos le capitaine
E.A.S. (2) écrivait: "Le Sénoufo est en général assez bien constitué. Il
est robuste, capable de supporter de grandes fatigues, et sobre, quand il
faut l'être".
Voilà donc réunis tous les caractères à base ethnographique qu~
allaient typer le Sénoufo et faire de sa région la "vache à lait" de la colo-
nie selon l'expression de l'administrateur des colonies Michel Perron. Cela
se concrétisera lorsque l'administration coloniale élaborera des projets de
grande envergure et que le problème de la main-d'oeuvre se posera.
Avant d'entrer dans les détails voyons COIIlIIlent se posa~t
_la ques-
tio-n- dé Li-main d'oeuvre d;ms la colonie de Côte cl 'Ivoirë- dans les années
30 (3).
(1) Vendeix , M.J. - Nouvel essai de monographie du pays sénoufo. Librairie
Larose, Paris 1935, pp.
11-]2.
(2) Capitaine E.A.S. - "Notes sur la Haute Côte d'Ivoire". In Bulletin de la
Société de Géographie Commerciale. Tome ~~rvIII, Paris, 1906 (extrait
d'une conférence), pp. 299-312.
(3) Vers 1930 le recrutement intéressait en permanence 3 000 personnes pour
la subdivision de Korhogo. Le séjour en Basse Côte durait en principe
soix mois et n'était pas renouvelable.
SEDES, rapport sociologique, op. cit.
p. 25.

139
Toute politique de ma~n d'oeuvre visait à faire des économies sur

le buget général de la colonie et particulièrement celui des travaux neufs.
Jusqu'en 1930, il existait le système appelé main-d'oeuvre prestataire ce
qui revient à dire une main d'oeuvre gratuite. Le régime de prestation s'ap-
pliquait à l'exécution des travaux d'intérêt général: construction et en-
tretien des routes, des postes, des pistes télégraphiques, des bâtiments
administratifs, l'exécution des travaux intéressant l'hygiène et l'assainis-
sement des villes et des villages.
Des conditions particulières s'appliquaient à l'utilisation de la
main-d'oeuvre. Le nombre de jours par personne et par an variait entre dix
et douze jours. En principe les traVaux devaient" être exécutés sur le terri toire du
village ou du canton. Toutefois il était possible~d'employer les prestataires
'':>/r
.
en dehors de ces limites fixées. Dans ce cas alors, ils bénéficiaient d'une
ration journalière en nature ou d'une indemnité équivalente s'ils travail-
laienLà.Qg.ldx.. kilomètresde .1euL résidence. Le régime de prestation s' ap-
pliquait à tout sujet de 15 à 60 ans mais rabaissé à 45 ans par arrêté du
17. 10.38.
Evidemment il y aura beaucoup d'abus et meme une utilisation de la
main-d'oeuvre contraire à la loi, pratique abusive dont nous verrons ulté-
rieurement les conséquences sur la population. Le décrêt du 21.8.30 instituant
le travail forcé ne fit que renforcer le régime de prestation. Variant lé-
gèrement du décrêt l'arrêté du 18.2.33 précisa l'application de cette loi en
Afrique eccidentale française avec un régime plus dur appelé "travail public
obligatoire". Il ne s'agissait ni plus ni moins que d'une main-d'oeuvre ré-
quisitionnée. Dans ce cadre plusieurs Sénoufo furent envoyés en Basse Côte
__ sur les chantiers.publics. etrnême sur .les.plantations des colons. En effet _ ..
des administrateurs parallèlement faisaient office d'agents recruteurs de
" .
t:'. ~.
main-d'oeuvre pour les colons planteurs d'où un autre grand abus.
Une
autre variante de main~d'oeuvre était la main-d'oeuvre pénale,
"employée à toutes les besognes" selon l'expression de Semi-Bi Zan (1).
Comme il le décrit si bien, il s'agissait de prisonniers dont 'les crimes va-
riaient: négligence dans l'exécution des prestations, fuite pour éviter de
payer l'impôt, dissimulation pour ne pas se faire inscrire sur la liste no-
minative etc ...
(1) Semi-Bi Zan, Op. cit.

140
Quelles ont été les répercussions exactes de ces lois sur le pays
r
sénoufo ?
Pour revenlr à la littérature ethnologique de l'époque coloniale
qUl contribua à la "connaissance" du peuple sénoufo connne généreux dans
l'fffort ,il faut citer une fois de plus la fameuse phrase de Halas, repré-
sentant d'un fort courant de pensée :
"En résumé, considéré dans son ensemb·le, le Sénoufo représente
un élément précieux pour l'autonomie économique de la Côte d'Ivoire
(sous-entendu en tant que main-cl' oeuvre) et, davantage encore, pour
l'équilibre politique de ce territoire" (1).
Mais en fait le mouvement avait connnencé déjà, très longtemps.
Delafosse en 1905 écrivait :
"On a considéré parfois le cercle de Korhogo corrnne une mine\\de
travailleurs pour tous les travaux à exécuter dans le reste de la
colonie '"
Aussi bien que disposés à exécuter toutes sortes de
travaux à pro~i:E(liE_~_ de_<::~~z_ e~x ils fournir0t:l_t_peu de travai Heurs
volontaires pour des travaux à exécuter au loin et devant les
tenir absents durant plusieurs mois" (2)...
Il conclut par une mise en garde contre les prélèvements trop
abusifs de prestataires en pays sénoufo, idée reprise par Perron pour qui la
région "bien qu'elle n'ait pas ce qu'on dénonnne "produits riches", est ce-
pendant loin de manquer d'intérêt. Sa population sénoufo, douce et travail-
leuse, mérite qu'on tire d'elle autre chose que de misérables et ahuris
"Korhogo" pousseurs de billes au wharf de Grand -Bassam ou dans la forêt,
humide et malsaine pour eux" (3).
Le tableau ci-dessous donne une idée du nombre de prestatàires re-
crutés dans la région sénoufo. Il montre éloquerrnnent comment en 1928 le nord
--
._".
-
._-_.
-
-- ---- ------ -- - - - - - - - -_.
sénoufo a été saigné pour le développement de la colonie. Il faut ajouter
que d'année en année le nombre de travailleurs recrutés augmentait et les
Sénoufo avaient du mal à faire face à la demande trop fantaisiste de l'ad-
ministration coloniale. C'est alors qu'on assistera à des révoltes.
(1) Halas, op. dt. p. II.
(2) Delafosse, cité par M. Perron - "Agriculture et industrie indigènes chez
les Sénoufo du cercle de Kong", in Bulletin de l'Agence Générale des
Colonies, nO 282, Melun, 1932, pp.
1-]3.
(3) Perron, M. Op. cit. p. 12.

141
Tableau 16 :, Provenance précise et destination des travailleurs re-
crutés dans le cercle de Kong. Année 1928 (1)
SERVICES
PUBLICS
.PROVENANCE
DES
NOMBRE DES
RECRUTES
RECRUTES
\\olharfs de Grand-Bassam
Korhogo
500
Boundiali
150
Travaux publics
Korhogo
394
(construction et réfection
Ferké
114
de routes)
Boundiali
50
Chemin de fer
Korhogo
560
(travaux neufs)
Ferké
260
Boundiali
400
En plus du recrutement de main-d'oeuvre que nous venons de voir,
-le portage et --l'impôt de capitation allaient être-des facteurs ,- politiques.
et historiques, précurseurs de la descente des Sénoufo vers la Basse Côte.
Le portage institutionnalisé par l'administration coloniale et les
commerçants européens dès la pénétration, fut entériné par le décret du
14.12.1902 avec la création de la première compagnie des porteurs de Kong.
Elle comprenait 200 porteurs divisés en quatre sections, chacune commandée
par un chef porteur et deux sous-chefs porteurs. La compagnie était dirigée
par un officier ou un sous-officier européen. L'objectif de la compagnie
était, d'une part, de pourvoir au ravitaillement en vivres et en munitions
des troupes coloniales engagées dans les opérations de "pacification" du
Baoulé et~ d'autre part, de transporter le matériel ferroviaire et télégra-
phique- ou d'acheminer -le courrier- depos te en -pos te (2). Leur salaire_ variait
selon le nombre d'étapes et des conditions du relief : de IF à l,50 F aller-
retour. Une fois le porteur chargé la rénumération allait de 5 à 12 F (3).
(1) Tableau tiré à la p. 266 de la thèse déjà citée de Semi-Bi Zan.
(2) Outre le ravitaillement et le transport de matériel, les porteurs trans-
jp~rt~ientdans des hamacs tout le personnel -colonial europ,éen en longs
déplacements.
(3) Au cours de notre étude sur le terrain, nous avons eu l'occasion de ren-
contrer quelques vieillards témoins de cette époque et même un ancien
porteur qui garde'
encore des souvenirs amers du portage. Le poids des
bagages pouvant atteindre 50 kg était porté sur la tête. L'éloignement
des étapes (près de 200 km entre Korhogo et Bouaké par exemple) obli-
geait ces hommes à s'absenter de leur village durant
plusieurs m01S.
Ils avaient à affronter aussi tous les dangers du voyage.

142
En pr~nc~pe le recrutement des porteurs se faisait par engagement
'"
ma~s devient obligatoire devant la répugance des Sénoufo. Salarié ou réqui-
sitionné, le portage éveilla de sourdes oppositions (fuite de population)
ou résistance ouverte comme les Palaka.
En fin de compte/comment le portage intervient-il comme élément
précurseur de la migartion des Sénoufo ? La direction était toute indiquée
car les différentes marchandises étaient acheminées vers la côte, donc en
Basse Côte. Le portage donna l'occasion à bon nombre de Sénoufo de décou-
vrir malgré eux la Basse Côte.
Quant à l'impôt de capitation, officiellement établi en la colonie
de Côte d'Ivoire suivant les dispositions de l'arrêté du ]4.]. ]90], est une
contribution nominale préalablement fixée par un recensement le plus souvent
fictif (]). Est imposable tout "indigène" de tout sexe à partir de ] 0 ans.
Chefs_ de _çanton _e!_ de~village pour l' ~ccasion se transformaient en percePJ:~_~~_~
~
sous le contrôle de l'administrateur (cf. partie historique).
D'année en année le montant de la contribution augmentait : en
1901 il était de 2,50 F (mais en fait 5F par plusieurs subterfuges)alors qu'en
]899 l'imposable payait 0,75 F. A la veille de la première guerre mondiale
la redevance variait de 5 F à 10 F selon les régions.
Quelle est la part de l'imp~t de capitation dans l'explication du
phénomène migratoire ?
L'impôt de capitation intervient ici comme un facteur précurseur
dans lé! mesure_ ()li Jes _impos~bles ne pouvaien t _s_~ ac:,qlli ~t_e~ gu '~n numéraires
et accessoirement en nature: caoutchouc, ~vo~re, cire, grains, animaux etc ..
Les Sénoufo, généralement, s'acquittaient de leur impôt en nature évitant
ainsi de s'éloigner de leur terroir qu'ils ne quittent qu'en cas de force
majeure. Mais la surévaluation de la population imposable et l'attitude de
(]) Selon nos informateurs, les recenseurs rémuneres selon le nombre d'impo-
sables recensés, gonflaient fictivement les chiffres sous l'oeil tolérant
sinon complice de l'administration coloniale bénéficiaire. Aberration du
système: les femmes en grossesse étaient recensées double, le futur bébé
étant imposable. Des villages qui ne comptaient que 100 habitants voyaient
leur population doublée par le recensement et il fallait absolument payer.
Les administrateurs eux-mêmes gonflajent leurs chiffres pour augmenter
leur quota dans la répartition du buget général.

143
l'administration de plus en plus hostile à accepter les produits obligèrent
II'
les Sénoufo à migrer en Basse Côte pour trouver l'argent nécessaire pour le
paiement des impôts. C'est dans ce contexte que plusieurs chefs de "narigbaha"
envoyèrent plusieurs membres de leur famille en prestataires salariés sur les
grands chantiers et les plantations des colons en Basse Côte. Ce mouvement ne
pouvait que s'accentuer car l'administration coloniale refusait l'acquittement
de l'impôt en cauris, monnaie locale. Ainsi pensons-nous que la fiscalité, à
un moindre degré que le travail forcé, a contribué historiquement et politi-
quement à la migration des Sénoufo en Basse Côte.
En gu~se de conclusion partielle sur les facteurs historiques et
politiques, le pays sénoufo comme réservoir de main-d'oeuvre mobile résulte
du poids du passé depuis les guerres mandingues jusqu'à la conquête fran-
}~ çaise. Après avoir fourni des captifs de guerre, de la main-d'oeuvre et même
des guerriers aux conquérants mandingues, les Sénottfo saluèrent avec Jo~e
l'arrivée des Français qui les en débarrassèrent. Fort de cet état moral les
Français, sauveurs d'un moment, en profitèrent pour y recruter une bonne par-
tie de la main-d'oeuvre prestataire nécessaire poür l'exploitation de la co-
lonie et notamment de la Basse Côte. La mobilité des Sénoufo, historiquement
et politiquement, est liée à ces deux facteurs (prestation et fiscalité) qui,
d'une manière ou d'une autre, esquissèrent la direction des migrations
observées aujourd'hui.
2. Les facteurs économiques
Revenons à l'enquête ponctuelle. Les facteurs économiques qui ont
inspiré les modèles, presque mécanistes de certains économistes, sont iso-
lables dans le tableau ci-dessous qui résume toutes les réponses des migrants
à la question "pour quelles raisons avez-vous quitté -le- village pour la Basse-
Côte ?"
. .

144
Tableau 17 : Répartition des migrants selon les ra~sons dé départ évoquées
(classification par ordre d'importance). Possibilité de réponses multiples.
RAISONS
DE
DEPART
V.A.
%
Candit. naturelles défavorables
1
(rendement faible de la terre
60
37,50
et pluviométrie aléatoire)
2
Chercher un emploi salarié
40
25,00
Marginalisation (décès des
3
parents ou jalousie des villa-
37
23, ] 2
geais)
~>
4
Maladie (sorcellerie)
31
19,37
---
Acquérir des biens matériels
- --
5
(vélo,vélomoteur, radio,effets
30
]8,75
d'habillement~.. )
--
Ouverture d'esprit(découvrir
6
d'autres régions de la Côte
16
10,00
d'Ivoire)
7
Apprendre un métier
] 1
6,87
Se soustraire de la
8
dépendance des
]0
6,25
parents
9
Arrêt prématuré des études
5
3, ] 2
" - - - -
_.
- ..-
-
-
-
---
..
--
"
]0 Incorporation dans l'armée
3
1,87
al Les facteurs naturels défavorables
Les raisons d'ordre économique les plus €voquées
cons'ti tutent les
conditions naturelles défavorables (37,50%). Il s'agit principalement de la
terre et de la pluie. En effet, l'étude du milieu physique montrait le pays
sénoufo comme une zone défavorisée par la nature: terre soumise à l'érosion
faisant remonter la cuirasse latéritique infertile, pluviométrie aléatoire et
de surcroît mal répartie sur l'année. Leur incidence sur l'économie se tra-

145
duit par la concentration des activités agricoles sur les quatre ou s~x mo~s
r
de la saison pluvieuse. Toutes ces conditions défavorables ainsi réunies
baissent les rendements et la productivité, improportionnellement à l'effort
investi par le cultivateur. Aussi, ira-t-il en Basse Côte quï bénéficie de
meilleures conditions naturelles. En fait le départ en Basse Côte est un
moyen d'utiliser pleinement sa force de travail pour acquérir non des pro-
duits agricoles mais de l'argent.
Dans l'enquête ponctuelle comme dans les entretiens collectifs, les
migrants ont évoqué avec insistance l'infertilité du sol et la non rentabili-

té des cultures. Tout cultivateur n'ayant pas fait une bonne récolte est con-
traint de s'approvisionner en vivres sur le marché pendant la période de sou-
dure, notamment en saison sèche. Or le nord sénoufo se caractérise par une
!\\I.:

.....-=9'
.
faible circulation de dividendes numéraires d'où la migration en Basse Côte
pour se procurer l'argent nécessaire aux besoins fondamentaux de la famille.
b/ Insuffisance d'emplois modernes
Après les mauva~ses conditions naturelles, la deuxième raison
d'ordre économique est la
recherche d'un emploi (25%). L'entretien collectif y
a m~s un accent particulier. Les interlocuteurs déplorent le manque d'usines
et de grands chantiers pouvant offrir beaucoup d'emplois. A ce propos ils
citent l'exemple positif des plantations de tecks, arbres destinés au reboi-
sement du nord qui en leur temps offraient un peu d'argent aux paysans enga-
gés à temps partiel. Plus récemmentl'e~ploitationdu périmètre sucrier de
Ferkessédougou
laissait une marge d'emplois non qualifiés aux paysans. Les
migrants affirment que la SODESUCRE aurait retenu les jeunes appelés à migrer
.
un jour ou l'autre et .ceux-:,ci, toujour.s selon les .interlocuteurs, connaissent ..
une amélioration de leur sort, du fait qu'ils réussissent à exploiter quelques
parcelles en plus de leur emploi.
Dans les entretiens individuels et collectifs il y a une unanimité
des migrants à souligner la concentration des emplois industriels dans les
villes de Basse Côte. Cette concentration des emplois en milie~ urbain cons-
titue la base du modèle todaro qui, indépendamment de son explication hyper-
économiste n'en exprime pas moins une réalité. L'étude du cas des Sénoufo
révèle des convergences avec le modère quant aux chances d'embauche et à la
rémunération assez confortable (cf. tableau 18).

146
Tableau 18
Activités et revenuS des migrants
E M PLO l
~SSE
REVENU
Catégorie
SALARIALE
MOYEN
V.A.
%
d' emploi
(en FCFA)
(mensuel)
--
1. Hanoeuvres
103
64,38
4.236.000
41 • 125
ouvriers
2. Tailleurs
9
5,62
530.000
58.880
couturiers
3. Jardiniers \\
6
3,75
295.000
49.166
maraîchers
4 Commerçants
5
3, 12
540.000
108.000
5· Chauffeurs'
5
3, 12
315.000
63.000
tractoristes
.-
.-
6· Mécan iciens
3
1,88
185.000
61. 166
7. Cuisiniers
3
1,87
102.000
34.000

8. Elec tric iens
3
1,88
135.000
45.000
1
9_Divers(maçon,
menuisier,
3
1,87
170.000
56.666
charbonnier)
10-Chômeurs,
1
20
12,50
-
-
apprentis
T'O T A L
160
100,00
-----~----·--Masse salariale- (total)
6.508.000 -
Revenu moyen
40.675
Le tableau des emplois occupés montre que 64,38% des 160 migrants
interrogés, au départ quasiment des agriculteurs, ont pu trouver des emplois
de manoeuvres ou d'ouvriers dans les différents secteurs économiques. Un tel
changement de catégorie socio-professionnelle dans l'état actuel des choses
est impossible dans le milieu d'origine des migrants. En plus de cela/la
ville offre une possibilité d'apprendre un métier, donc d'avoir une qualifi-
cation professionnelle. Tels sont les cas des tailleurs-couturiers .(5,62%),
des chauffeurs et tractoristes (3,12%) et de quelques mécaniciens et élec-
triciens. Nous développerons ultérieurement les raisons et les conditions de
l'apprentissage d'un métier une fois le migrant arrivé en Basse Côte.

147
Quant à", la rémunération, elle montre bien que la plus grande
masse monétaire circule dans les centres urbains. La masse salariale des
160 interlocuteurs est de 6.50S.000 FCFA, alors qu'avant leur migration
l'ensemble des revenus était de 26.100 FCFA. Le revenu moyen du" migrant sénoufo
est de 40.675 FCFA, sept à huit fois supérieur à celui qu'ils avaient avant
la migration. Les plus grands bénéficiaires en sont les manoeuvres et ou-
vriers (revenu moyen: 41.125 FCFA) alors qu'ils n'avaient rien ou presque
en tant qu'aides familiaux au village. Enfin le tableau montre que certains
migrants peuvent même espérer avoir des revenus sup~rieurs au S.M.I.G.
(25.000 FCFA) et même d'être de la catégorie des économiquement forts en
exerçant certaines activités comme le commerce (IOS.OOO FCFA de revenu moyen),
de chauffeur ou tractoriste (63.000 FCFA) , de mécanicien (61.166 FCFA) , de
tailleur (5S.SS0 FCFA) , et même de simples artisans (maçons, menu~s~ers,
charbonniers: 56.666 FCFA).
Ces-analyses chiffrées ont inspiré des~explications mécanistes
comme le modèle todaro. Nous verrons ultérieurement que les chances de trou-
ver un emploi assez bien rémunéré en ville ne suffisent pas à expliquer le
phénomène migratoire. Revenons au tableau17 p. 144
pour voir la troisième
raison d'ordre économique qui pousse les Sénoufo à aller en Basse Côte.
L'apprentissage d'un métier
L'apprentissage d'~n métier, évoqué par 6,S7% des migrants, cons-
tituerait la troisième raison d'ordre économique. Pour ceux-là, apprendre
un métier en Basse Côte relève d'une stratégie pour réussir leur migration.
Mais nous verrons plus tard que cette stratégie dont les migrants reconnais-
,-------,-~- sent la-rentabilité à-,long~tenne,dans la pratique, ne les intéresse pas
beaucoup pour plusieurs raisons.
Après avo~r évoqué les trois principales ra~sons d'ordre économique
de la migration, nous nous sommes posés la questfon de savoir si des carac-
téristiques tels que l'âge, la profession et le statut social pourraient
avoir une incidence quelconque sur ces raisons. Le croisement des raisons de
départ successivement avec l'âge, la profession et le statut social ne nous
apprend rien de plus de ce que nous savons déjà, à savoir que les migrations
vers la Basse Côte concernent principalement les jeunes pour la grande majo-
rité des agriculteurs encore sous-tutelle.

148
En résumé, conditions naturelles défavorables, manque d'emplois
,
salariés, intention d'apprendre un métier, tels sont les facteurs d'ordre
économique que révèlent l'enquête et les entretiens collectifs. Mais à
quelle explication théorique rattacher tous ces faits fragmentaires?
cl Dichotomie entre le nord et le sud
Les facteurs économiques générateurs en partie de migrations pro-
cèdent du développement inégal de la Côte d'Ivoire depuis la colonisation
jusqu'à nos jours. Les migrants ruraux sénoufo n'ont de vision de leur mi-
lieu d'origine que par rapport à la Basse Côte et tous les problèmes subsé-
quents découlent de la marginalisation du nord dans l'économie ivoirienne.
Les différe.nces entre le Nord et la Basse Côte tiennent à une certaine dicho-
" ...
tomie,voire une antinomie que le tableau ci-dessous essaie de montrer.
Tablèau· 19· Dicnotomiè· entre le Nord et la Basse Côte (économieagricole-)-- ----.-
NORD
SAVANE
BASSE -
COTE
Cultivateur
Planteur
Travail communautaire
Possibilité de salariat
(aide familial)
Cultures annuelles
Cultures pérennes
.-
--
Techniques locales
Encadrement moder~e
Méthode empirique
Recherche scientifique
villageoise
Consommation locale
Expor tation._._ --- -
--- ---
.
.-
nationale
-
Prix spéculatif
Prix garanti
.. ·.i·
.'~ .. -~
Sans émettre de jugement de valeur ni polémiquer sur les avantages
et les inconvénients entre une économie extravertie et une économie propre
aux besoins de la population, placé sous l'angle de la contrepartie monétaire,
on constate qu'à l'opposé de la Basse-Côte le Nord Savane ne se prête pas to-
talement à une promotion individuelle de ses habitants. Cette différence,'les
migrants la perçoivent et se comportent en conséquence. Il serait impossible
dans le cadre de notre recherche d'approfondir chacune des différences, au

1 4 '3
reste non exhaustives. Par contre il y a un intérêt certain à ·en approfondir
deux qui résument assez bien les problèmes soule~~ : la situation des em-
plois modernes au nord et la disparité des reven~~~ Ces deux aspects sont
d'ailleurs conformes aux deux problèmes d'ordre économique évoqués par les
migrants.
Absence d'emplois salariés
Il a été noté plus haut l'absence d'usines et de grands chantiers
dans le nord pouvant procurer des emplois non agricoles aux jeunes Sénoufo.
Pour illustration, voyons la situation de l'emplo~ en 1980 dans les secteurs
primaire, secondaire et tertiaire.
D'abord le secteur primaire. Dans la mesure où les exploitations
....
agricoles sont familiales et que le jeune reste longtemps "aide familial", le
secteur primaire n'est pas- créateur d'emplois-salariés. Seul -le "tiowa" dont
la pratique remonte à une date assez récente apparaît comme une forme de sa-
lariat agricole. Il consiste en une embauche occasionnelle, le plus souvent
journalière. Sa pratique se situe notamment en saison de pluLe où l'activité
agricole atteint son maximum. On aperçoit d'es cultivateurs, la houe attachée
sur leur bicyclette, parcourir les rizières à la recherche d'une embauche
journalière valant 200 FCFA jusqu'en 1979. La pratique a également cours chez
les femmes qui repiquent le riz au taux de 150 FCFA la journée.
Des fois, plusieurs cultivateurs se mettent en groupe et "prennent
un contrat", c'est-à-dire un travail à exécuter à un prix forfaitaire. Ils se
répartissent ensuite l'argent gagné. Le salariat agricole se pratique notam-
ment- dans la zone- dense de manière-_ occasionnelle et-_dans la région de Boun-'----
diali où la culture du coton permet une embauche à tout moment de l'année.
"Tiowa" ou "contrat", ces différentes formes de salariat agricole
ne peuvent être considérées comme des emplois fixes. C'est plutôt un moyen
pour le jeune Sénoufo d'avoir un peu d'argent de poche pour ses besoins pre-
miers comme l'achat de tabac pour sa pipe. La somme gagnée est si minime que
le chef du "narigbaha", gestionnaire des biens de la communauté familiale,
;-
n'en cherche pas le contrôle comme il en a le droit.
Ensuite le secteur secondaire moderne.

150
Tableau 20
Chiffres d'affaires et d'emplois (l)
]975
1977
Chiffres d'af- Nombre
Chiffres
Nombre
faires (MiF
d'emplois
d'affaires/
d'emplois
lions de FCFA
Emplois
Boundiali
l.976
130
15,2
130
Ferkessédougou
1.304
1.100
l ,2
1.050
Korhogo
2.930
410
7, 1
510
TOTAL (Nord)
6.210
1.640
-
1.690
TOTAL (Côte d'Ivoir~"
335.882
53.000
-
62.770
-...
Ce tableau montre bien que le chiffre d'affaires le plus élevé par
emploi a été réalisé par Boundiali et ce, grâce au coton principale culture
industrielle en pays de savane. La classe politique ivoirienne, toujours
friande de gadgets a qualifié le coton de "café du nord" pour signifier
l'importance de cette cul ture pour l'évolution économique et sociale de cette
région. Il faudrait remarquer qu'en dépit du chiffre d'affaires relativement
élevé le nombre d'emplois stagne parce que la région de Boundiali ne trans-
forme pas son coton.
Ferkessédougou,
bien qu'ayant le nombre d'emplois le plus élevé,
réalise un faible chiffre d'affaires. Néanmoins le nombre relativement élevé
d'emj:ïIoispr-ovién-tdu démarrage du complexe sucrier -qui -a renonce pour un-
temps à la mécanisation totale pour embaucher une main-d'oeuvre non qualifiée
notamment pour l'entretien des plantations et la coupe des cannes à la mat-
chette. En toute connaissance de cause et du point de vue de la rentabilité,
l'abondance de la main-d'oeuvre salariée non qualifiée est l'un des critères
qui a déterminé le choix de l'emplacement du projet sucrier.
(1) Tableau tiré du Bilan diagnostic nord (préparation du Plan Quinquennal
1981-84). Ministère de l'Economie, des Finances et du Plan. Direction
du Développement Régional. Abidjan, 1980, p. 23.
N.B. Des totaux nous avons exclu la région d'Odienné qui ne fait pas par-
tie de notre zone d'étude, d'où une différence de ces totaux avec ceux
du tableau original.

151
Enfin ~orhogo, c'est la région qUl contrairement à Boundiali et
Ferkessédougou n'a pas beaucoup bénéficié, à l'exception de l'usine de trai-
tement d'anacarde, de mesures volontaristes susceptibles d'accroître le nom-
bre d'emplois. Cependant celui-ci, en deux ans a augmenté de 100, passant de
410 en 1975 à 510 en 1977. En fin de compte, pour tout l'ensemble du nord,
le secteur secondaire offrait en 1977, 1690 emplois, ce qui est
nettement
insuffisant compte tenu de la préférence des futurs migrants à occuper des
emplois industriels même sans qualification précise.
1690 emplois pour un bésoin théorique de 411.100 ruraux (1), cela
est plus qu'insuffisant et ce déséquilibre ne peut que provoquer une migra-
tion quand on sait que 62.770 emplois dans le secondaire se trouvent ailleurs
en Côte d ',voire et principalement en Basse Côte.
Enfin le secteur tertiaire et la Fonction Publique
Tableau 21
Emplois dans le tertiaire et dans la Fonction Publique en 1975(2)
Secteur moderne
Fonction
tertiaire
Publique
Boundiali
90
570
Ferkessédougou
250
670
Korhogo
490
1.660
Le secteur tertiaire moderne et la Fonction Publique ne peuvent
- être créateurs d'emplois que -si le sec teur secondaire atteint sa vi tessede
croisière. Or ce n'est encore le cas dans le nord de la Côte d'Ivoire comme
l'a démontré précédemment l'analyse du secteur secondaire. Ainsi, le tableau
ci-dessus montre qu'en 1975 le nord offrait 830 emplois dans le tertiaire
moderne contre 75.140 pour l'ensemble de la Côte d'Ivoire avec une très
grande prépondérance d'Abidjan-Ville (59.140).
(1) Selon le recensement de 1975, le nord étudié regrouperait 411.100 habi-
tants dans le milieu rural et 88.500 en milieu urbain.
(2) Bilan diagnostic nord. Op. cit. p. 25

152
Les emplois de la Fonction Publique, en pr~nc~pe, ne peuvent être
r
des emplois réservés à des régions précises car tout agent est tenu d'accep-
ter son affectation en tout lieu de la Côte d'Ivoire. A côté de cette con-
trainte le fonctionnaire ivoirien a tendance à s'éloigner le plus possible
de sa région d'origine et cela pour des raisons sociologiques. Le nord en
1975 disposait de 1900 emplois (inégalement répartis entre les trois sous-
régions) dans la Fonction Publique contre 36.930 pour l'ensemble de la Côte
d'Ivoire, toujours avec une prépondérance d'Abidjan-Ville où résident les
3/4 des agents de la Fonction Publique.
Ainsi s'achève l'analyse de la situation de l'emploi dans les
trois secteurs, situation caractérisée par une carence d'emplois faute
d'usinesetde chantiers de grande envergure. Deuxième fait à remarquer: la
Basse Côte, grand pôle de développeme~, concentre la majorité des emplois
avec une grande prédominanced'Abidjan esquissant ainsi la direction que sui-
vront les migrants surtout que ceux-ci préfèrent des emplois non agricoles.
~ ~ ~ - - - - - - - -
Les emplois occupés en Basse Côte ont non seulement l'avantage d'être mieux
rémunérés mais s'accompagnent d'un certain réconfort psychologique (1). En
effet, les emplois de type industriel ou moderne dits "travail de Blanc" ou
"travail propre" selon les migrants, rehaussent le prestige de tout individu
les exerçant comme nous le verrons ultérieurement dans les facteurs psycho-
sociologiques.
Après la carence des emplois, le deuxième problème consécutif au
développement inégal est la disparité tant au niveau régional que des revenus.
(1) A propos de l'impact psychologique des emplois de la Fonction Publique,
Hugon--d~lDs--soti- ilrtklè-"Lesb loc-ages- socio~ctilturel s- du développement
en Afrique", pp. 699-709 in Revue du Tiers-Monde, tome VIII, nO 31, jui1.-
sept. 1967, écrit:
"La Fonction Publique correspond davantage aux goûts des déruralisés.
Le désir de vivre dans un cadre fixe, de participer à la force d'une so-
ciété moderne et de s'approcher du pouvoir explique son attrait. Le fonc-
tionnaire a le sentiment d'appartenir à un monde évolué".
C'est pour cette raison qu'on retrouve les migrants et parmi lesquels
des Sénoufo comme coursiers, vaguemestres, plantons, chauffeurs, etc ...
dans les services de l'administration publique. Qu'importe le poste oc-
cupé, l'essentiel est d'être un fonctionnaire de tel ou tel ministère,
une véritable fascination.

153
Disparités entre régions et revenus
Entre le Nord et la Basse Côte existe une disparité que nous avons
fait ressortir dans la première partie
et que spécifie le questionnaire et
les entretiens de groupe. Si cette disparité se traduit au niveau du PIB,
du volume des investissements et du nombre d'emplois disponibles, il le fait
également au n~veau des revenus individuels que l'enquête ponctuelle nous a
permis de dégager.
Examinons d'abord le patrimoine de tout jeune Sénoufo dans son
village. si on définit grosso modo le patrimoine comme l'ensemble des biens
matériels appartenant au jeune Sénoufo préalablement demeuré au village, on
remarquera que la liste de ces biens est brève comme nous l'avons précédem-
-\\.
ment démontré. En pays Sénoufo deux éléments capitaux constituent l'essentièl
des biens précieux: la terre et le bétail. Que démontre notre enquête à ce
propos? _Voyons_ tou.t_cela_dans _le tableau _suivant.
Tableau 22
Patrimoine du Jeune villageois
PATRIMOIN~ DU JEUNE VILLAGEOIS
V.A.
%
ou~
13
8, 12
Terres
non
147
91,88
TOTAL
160
100,00
ou~
20
12,50
Bétail
non
140
87,50
TOTAL
160
100,00
-
--- --
-- .-
---
--- -
- - -
--
Le tableau montre que parmi les migrants interrogés 8,12% seulement
avaient, avant leur migration en Basse Côte, des parcelles propres à eux. Si
cette situation est imputable au droit foncier sénoufo qui a érigé en règle
la propriété commune familiale des terres, il faut faire auss~ la part de la
pression foncière notamment dans la zone dense de Korhogo. Cette zone sous
l'action conjuguée du système et de la pression fonciers incitent les Jeunes
à chercher leur autonomie dans la migration.

154
La situation de ceux qui possédaient du bétail n'est guère dif-
férente de celle de la terre. En effèt 12,50% seulement des migrants dispo-
saient d'un bétail sinon de quelques têtes de boeufs contre 87,50% qui ne
possédaient rien. Or la richesse personnelle de tout Sénoufo se reconnaît
au nombre de boeufs que constitue son troupeau. Aussi tout jeune non encore
autônome, donc n'ayant pas encore acquis son statut de membre à part entière
de la société·, camoufle ses boeufs à travers les parcs des villages voisins
et même lointains pour éviter qu'ils tombent sous le contrôle du chef du
"narigbaha".
Dans la même rubrique le questionnaire cherchait à déterminer H
certains jeunes Sénoufo avant leur migration en Basse Côte avaient un droit
de regard sur leur production, ne serait-ce qu'en en vendant une partie. Là
encore les résultats du tableau ci-dessous ne surprennent pas.
Tableau 23
Répartition des migrants pouvant vendre une partie de leur
production
REVENU RAPPORTE
V.A.
%
O.
ou~
11
6,88
1.
non
145
90,62
2.
N.D.
4
2,50
TOTAL
160
100,00
(:t)
Revenu des 11 exploitants agricoles
500,600,5000,7000,13000.
Revenu moyen : 5 220 F CFA
En effet, seulement 6,88% des migr~nts vendaient leur production,
tout au moins une partie, contre 90,62%.
A partir des données recueillies calculons le revenu moyen rural.
Pour les 11 exploitant vendant effectivement leur production le revenu moyen
s'élève à 5.220 F CFA. En revanche, si nous considérons l'ensemble des 160
migrants interrogés, le revenu moyen s'abaisserait à 360 F CFA. Ces deux
taux calculés, réel et théorique, sont insignifiants comparés aux moyennes
nationales.

155
De surc~oît le peu d'argent gagné s'engouffre dans des dépenses à
caractère socio-religieux : achat de couvertures funéraires, frais d'initia-
tion au~poro~ achat de boeufs ou de moutons à offrir ou à sacrifier en de
grandes occasions. Du point de vue de la "rationalité" économique, l'argent
gagné n'est pas destiné en priorité à des investissements productifs à court
ou moyen terme. Un des migrants caricaturant cet état d'esprit avance que si
le Sénoufo émigre en Basse Côte c'est dans l'intention de trouver les moyens
d'honorer toutes ces dépenses à caractère social.
La disparité des revenus provient également de la différence de
rémunération des produits ~gricoles. Or nous avons montré précédemment que
les cultures du nord, pour la majorité vivrières, n'ont pas de prix garantis
commes les cultures d'exportation de la Basse Côte. Actuellement la Caisse
de Stabilisation (1) intervient dans la fixation des prix de huit produits
- le café
- le eacae-~-
- le coprah
le coton
- l'anacarde
le riz paddy
- les produits du palmier
le tabac.
Si en nombre absolu il y a égalité entre les produits de la savane
(coton, paddy, tabac, anacarde) et ceux de la Basse Côte, cet équilibre est
rompu dans la rémunération pour une ra~son de marché (cf. tableau ci-dessous).
(1) La Caisse de Stabilisation et de Soutien des Prix des Produits Agricoles
(C.S.S.P.P.A.), société d'Etat créée en 1966 a pour mission la régulari-
sation des prix des produits au moyen d'une compensation entre les prix
d'achat garantis aux producteurs et le prix de vente à l'exportation des
8 produits énumérés ci-dessus dans le texte.
.

156
Tableau 24 ~ Prix garantis aux producteurs agricoles 1978 (1)
PRODUITS AGRICOLES
OUALITE
OU
GRADE
Prix en
Kg! F CFA
vert
250
Café
en cerises propres ou séchées
125
Cacao
fermenté et séché
250
grade l
70
Coprah
grade II
60
blanc, trié
80
Coton "Allen"
blanc non trié et "Allen" Jaune
70
au producteur
-or
65
Riz paddy
dans le magasln de collecte
70
--
._.
-
" - - - - - "
- _ . - - -
---
dans les rlzerles
75
Palmier à huile(régime)
prix du kg au régime
10
qualité extra
200
Tabac
qualité courante
170
qualité inférieure
80
Anacarde
-
200
AUTRES
PRIX
FIXES
PAR
LE
GOUVER:t\\TEMENT
Mais
-
25
Arachide
-
50
-
- - -
-
_ _ _ o.
-.
-"
--
- 0 - - ' _ _ _ •
- ~ - -
.. ~
- -
----
- --_.
.
- ~
-
_ _ _ _ ~ _
-
--
- - - .
- -
au départ de la plantation
13
- --
Ananas conserve
rendu USlne
15
Sucre
pas de vente à l'usine qUl a ses propres
plantations de cannes
(1) Tableauco~posé.~ar nous à partir des informations des Statistiqties
agricoles, Direction des Statistiques Rurales~des Enquêtes Agricoles.
Ministère de l'Agriculture, Abidjan, 1977, pp. 9-12.

, .
157
En ajou~ant les pr~x des produits garantis par le gouvernement le
Nord savane a même un léger avantage, toujours en nombre absolu. Mais au
niveau des prix aux producteurs le constat du déséquilibre reste le meme.
Parmi les cultures du nord seul le tabac est bien payé, 80 et 200 F CFA
selon la qualité. Bien que
bien rémunéré il ne fait pas l'objet d'une
culture de dimension industrielle. De nos jours encore le tabac demeure une
culture de case à laquelle s'adonne le paysan comme activité très secondaire.
En dépit de cette absence d'engouement la région de Korhogo, pour la campagne
1977-78, a fourni les 3/4 de la production nationale de tabac industriel soit
215.000 kg.
En deùxième position vient l'anacarde. A 200 F CFA le kilogramme,
les no~x d' anacarde, ~.~ne source de revenus, ne présentent en plantation
que 4.000 ha au total. A cette faible occupation spatiale il faut ajouter .,..
les problèmes de marché.Jusqu'ici seules 300 tonnes de noix ont été vendues
à- l'Inde au cours de la campagne 1972-74. Actuellementla SAVfu~ORD avec sen
unité de traitement d'anacarde représente un certain espoir pour le dévelop-
pement de cette culture.
A part le tabac et l'anacarde, produits bien rémunérés ma~s pas
assez développés, la différence de prix garantis aux producteurs entre les
cultures du nord savane et celles de la Basse Côte passe facilement du s~m­
pIe au quintuple. Tel est l'exemple parmi d'autres de l'arachide (50 F CFA
le kg) et le cacao ou le café(250 F CFA le kg).
Un autre facteur qu~ pourrait s'attacher à ceux relevant du domaine
économique est la pression foncière. Pour les géographes, les migrations
- seraient·dfies-à une pression fonci~re, c'est-à-dire rupture d'équilibre entre--
les terres disponibles et les exploitants. Dans ce cas il n'y aurait pas assez
de terres pour tout le monde. Si ce facteur a une quelconque influence dans
la migration des Sénoufo il ne serait valable que pour la zone dense. Or les
densités évoquées montrent que la saturation de la terre n'a pas encore at-
teint le seuil fatidique et s'il l'était, on trouverait une solution dans la
colonisation des terres encore vides à une centaine de kilomètres environ. Tel
est le cas observé dans l'occupation progressive de la vallée du Bandama après
la mise en place de certaines infrastructures de base et de l'éradication de
l'onchocercose. Au nombre des causes de migration la pression foncière semble
n'avoir pas une très grande incidence. Cependant il y aurait effectivement un
problème de terre mais celui-ci découle moins de l'insuffisance de la terre

158
que du droit foncier sénoufo avec l'appropriation collective des terres

inaliénables dont la gestion appartient à la gérontocratie, le plus souvent aux
patriarches des matrilignages.
Pour terminer avec les facteurs économiques, nous pensons que les
migrations procèdent fondamentalement de la dichotomie entre le Nord ~t la
Basse Côte, dichotomie eUe-même basée sur le développement inégal qui obéit
à des facteurs naturels favoralbes ou défavorables et à des contraintes de
marché. Cette inégalité touche une catégorie précise de la population: les
,
jeunes dans. la force de l'âge et de statut sociàl non autonome. Pour échap-
per à ce double effet ils immigrent dans des zones susceptibles de leur ap-
porter un plein épanouissement social, d'où les facteurs psycho-sociologiques
que nous allons examiner maintenant.
..~
3~ Les facteurs psycho-sociologiques
Pour une question de clarté et d'unité nous ne distinguerons pas
comme nous l'avons fait jusqu'ici facteurs exogènes et facteurs endogènes.
al Marginalisation sociale et nouveaux besoins des jeunes
Revenons au tableau17 p. 144
pour vo~r les ra~sons d'ordre psycho-
sociologiques évoquées par les interlocuteurs. Par ordre d'importance, ce sont
les suivantes
marginalisation (décès des parents, victime de la jalousie des villageois)
23,12%
- maladie par sorcellerie :. 19,37%
__ _ _.
_
- acquisition de biens matériels (vélo, radio, effets d'habillement)
18,75%
- ouverture d'esprit (découvrir d'autres régions du pays, curiosité)
10,00%
- se soustraire de la dépendance des parents : 6,25%
- arrêt précoce des études: 3,12%
Ces facteurs psycho-sociologiques ajoutés à ceux d'ordre politico-
historiques et économiques ne peuvent rendre que plus complexe toute théorie
voulant expliquer le phénomène migratoire. Mais en fait tous les ordres de
facteurs entretiennent entre eux des liens très étroits. Revenons aux ra~sons
sociologiques des migrations. Les deux premières~ marginalisation et sorcelle-
rie, ne peuvent se comprendre qu'en rapport avec la mentalité sénoufo. En

159
effet les Sénoufo croient aux forces maléfiques et le pouvo~r qu'ont les
r
sorciers de les manipuler à leur guise. La mort ou la maladie peuvent être
imputables à un individu jeteur de mauvais sorts. Ainsi, aprês le constat
de plusieurs décês "inexpliquables" ou de plusieurs cas de maladies au sein
d'un même "mrigbaha"on conclut qu'un ennemi en veut à cette famille. Alors,
pour échapper à cet éventuel ennemi il faut s'en éloigner le plus possible,
d'où la migration comme un moyen de défense.
En fait plusieurs migrants ont évoqué cette raison pour déculpa-
biliser leur départ du village ou tout au moins pour s'en donner bonne cons-
c~ence. A l'opposé, une minorité évoquant ces raisons y croit fermement. La
sorcellerie a constitué un des points de discussion houleuse au cours d'un
entretien de groupe et les témoignages émouvants ne font pas défaut. Par
.-~
exemple ce migrant approchant la cinquantaine, chef de famille, jure avo~r
plus d'avantages à demeurer au village qu'à Abidjan. Il relatait les c~r­
constances dans lesque].l~s iL...E__~~~_ç~_~l'j,ve1J1eDt perdu.son épollse et quatre
de ses sept enfants. Selon lui, seule la migration à Abidjan aurait sauvé
le reste de son ménage.
Un autre interlocuteur conceptualise cet état d'esprit dans le
vocable sénoufo "pargui" c'est-à-dire la méchanceté (méchanceté au sens
d'en vouloir à mort à quelqu'un) de certains à l'égard de leurs semblables.
Un troisiême lance à la cantonnade "ce sont les devins qui sont à l'origine
des migrations car il suffit qu'il vous révêlent un ennem~ pour que vous
cherchiez votre salut en migrant". S'ensuivent tous les récits de transmis-
sion de maladie ou des cas de décês par des phénomênes autant mystiques que
mystérieux.
Quant aux autres raisons - acquisition de biens matériels, ouverture
d'esprit,aspiration à l'autonomie, échec précoce des études - elles ont un
rapport direct avec l'ouverture des Sénoufo à d'autres systêmes de valeurs,
notamment ceux véhiculés par la société occidentale et ce, depuis la coloni-
sation.
Les premiers migrants "volontaires" avaient rapporté de la Basse
Côte des objets qui allaient avoir un attrait puissant sur les jeunes Sénoufo

160
comme le vélo, l~~vélomoteur Cl), la radio et
depuis peu la voiture. Ces
signes extérieurs traduisent la réussite d'une migration en Basse Côte.
Comme nous le verrons ultérieurement dans les conséquences la migration
appelle la migration. Ces "produits des Blancs" rapportés de Basse Côte ne
signifient rlen en eux-mêmes. Seules leurs incidences sociales font leur
attrait. Depuis que la colonisation par divers subterfuges a introduit sa
monnaie et l'esprit de son utilisation, le Sénoufo comme tous les autres
Ivoiriens a constaté comment ce puissant moyen permettait l'accès à tant de
choses désirées. Des biens et des services obtenus jusqu'ici par maints
efforts physiques et moraux sont maintenant acquis avec quelques pièces de
monnale ou quelques billets de banque. Même le"poro"si sacré et hors de
spéculation voit certaines de ses épreuves réduites à un prélèvement de
"taxes" forfaitaires en argent sur les novices.
En tout cas
le vélo, le vélomoteur, la radio, la voiture, les
- - beaux habits en "tergal" constituent le support matérieLdela-modernité
vers laquelle aspirent les jeunes Sénoufo. Ces éléments représentent à leur
esprit une évolution sociale plus rapide que ne le permet leur société
d'origine.Aussi banals qu'ils paraissent, ces produits manufacturés de l'in-
dustrie moderne, tant convoités, ont un grand pouvoir de séduction et ce
n'est pas une surprise si les migrants en visite au village réussissent à
"enlever" certaines filles.
Une autre ralson évoquée est aussi l'ouverture d'esprit que per-
met la migration pour tout jeune Sénoufo, jusqu'ici confiné dans son village.
Nous avons déjà montré comment la colonisation a jeté le pont entre le nord
et le sud de la Côte d'Ivoire. Les jeunes Sénoufo ont compris tout de suite
:----que-seul_:-l~voyageformait.-Sortir de-leuT-cadre restreint deviendra un ob-
jectif primordial d'autant plus que les moyens de transport le permettaient
et ce désir devenant de plus en plus pressant avec les idées et les images
développées par les mass média et les récits magnifiés des premiers migrants
"volontaires" et des colporteurs dioula. Or, à l' époque,'la Basse Côte
affa-
bulée pour les raisons évoquées antérieurement, constituait le point d'at-
traction que tout jeune Sénoufo rêvait de connaître un jour ou l'autre.
Cl) Le deux-roues est un moyen commode de déplacement au nord pour aller de
village
à village et de champ à champ, reliés pa'r de simples chemins.
En même temps qu'une nécessité à l'instar de la voiture pour l'urbain,
le deux-roues est un produit de luxe et de prestige pour le villageois.

161
Face à tous ces facteurs sociologiques les ra~sons économiques
i"
s'atténuent pour prendre en compte les éléments moins manifestes, matérielle-
ment. Le départ des jeunes Sénoufo en Basse Côte dans les années 60 relevait
du snobisme et la migration d'adolescents de 12 à 15 ans avec l'aide d'un
racoleur ou d'un ancien migrant cessait d'être des cas rarissimes. A cette
époque la migration, véritable épreuve de"virilité" comme le disent les
Sénoufo, prit un caractère de symbole au même titre ou presque qu'une ~n~­
tiation au poro, côté endùrance. Avoir été en Basse Côte représentait une
phase importante du curriculum vitae du jeune Sénoufo, surtout s'il y rame-
nait les objets énumérés plus h&ut.
Au cours des entretiens collectifs certains migrants ont parlé du
"kayagui" , c'est-à-dire la mort qu'on aurait dans l'âme si on n'avait pas
fait son tour dans le "toucono". Ceux qui réussissent leur "aventure" migra-
toire font automatiquement des jaloux, donc des migrants potentiels.
Deuxième fait important~ La migration en Basse Côte n'est pas seu-
lement un fait de snobisme/mais aussi une stratégie sociale pour les familles
ayant plus d'enfants que de terres disDonibles ou celles au se~n desquelles
un conflit oppose les différents membres. Dans l'un ou dans l'autre des cas,
le chef de famille invite un ou plusieurs de ses dépendants à migrer en
Basse Côte généralement dans leur propre intérêt et peut être rentable pour
toute la famille en cas d'enrichissement.
Enfin viennent ceux qui émigrent pour se soustraire de la dépen-
dance de leurs parents. En fait ces cas sont rares et nous verronsjultéiieu-
rement/que quoi qu'il advienne tout Sénoufo émigré reste étroitement attaché
à s.;i ~co_~':lnauté de base._J~'_ailleurs une bonne partie _g~ t~_élJ:"geD~ gélgIlé en
Basse Côte revient aux parents demeurés au village.
,c.-.
Après l'analyse des données brutes on peut se poser la question de
savoir s~ les facteurs psycho-sociologiques ont un certain rapport avec des
variables
tels que l'âge et le statut social.

162
Age et raisons sociologiques de migration
Tableau 25
Age et ra~sons de migration (1)
-~ 16-19 20-29 30-39 40-49 50 et
.
d -
Ra~sonE
N.D.
TOTAL
e
epar t
ans
ans
ans
ans
plus
Conditions naturelles
(60)
91 , 14
35, 13
41 ,48
défavorables
37,50
Chercher un emploi
(40)
18,99
32,43
37,93
salarié
25,00
Marginalisation(décès
(37)
des parents ou jalou-
-
15, 19
21 ,62
24, 13
23, 12
sie des villageois
Maladie,\\-
(31 )
-
22,78
16,21
27,59
(Sorcellerie)
19,37
Acquisition de biens
(30)
matériels(vélo,vélo-
-
18,75
-
- moteur, radio ... )
- --
---
....
-
- - . -- -----
.- ..
Ouverture d'esprit
(J 6)
(découvrir toute la
-
20,25
18,91
-
-
10,00
Côte d'Ivoire)
Apprendre un
-
(1 1)
-
-
-
métier
6,87
Se soustraire de la
(JO)
dépendance des pa~
-
-
6,25
rents
Arrêt spontané
-
-
(5)
des études
3, 12
Incorporation
-
(3)
-
-
dans l'armée
1,87
(3)
(79)
(37)
(29)
(8)
(4)
-'fOTAL
_ 1,88
--- --
49,38~
0 " -
_ _ • • • _ .
-23,12 -
18, 12
5,00 __ -
2,5D
~
(1) Dans le tableau les chiffres entre parenthèse indiquent la valeur
absolue et le deuxième nombre la valeur relative.
Les traits correspondent à 0 et les cases vides à des pourcentages
non significatifs (inférieurs à 10).
Ces indications sont valables pour tous les autres tableaux croisés
n° 26-29-40.

163
La marginalisation et la sorcellerie comme raIsons de migration
. r
ont êtê principalement soulevêes par les migrants dont l'ige varie entre
40 et 49 ans: 24,13% pour la première raison et 27,59% pour la seconde.
En revanche les jeunes de 20 à 39 ans se montrent peu sensibles à ces fac-
teurs certainement du fait qu'ils sont venus très tôt en Basse Côte avant
d'être fortement enculturês pour se dêcouvrir des ennemis aux pouvoirs mys-
têrieux.
La migration comme moyen d'''ouvrir son esprit" est encore le fait
de cette même catêgorie d'ige de 20 à 39 ans. Pour eux, dêcouvrir les
autres rêgions de la Côte d'Ivoire êquivaut à entreprendre une vêritable
aventure. Le dêsir d'entreprendre cette aventure se situe, à l'origine
dans l'affabulation de la Basse Côte voire dans la psychose collective du
""
'.
"toucono". Chez certains, ce dês~r ne se dis tingue pas de l'obsession.
Ainsi on observe une relation entre l'âge et les raisons psycho-
sociologiques de la migration: les jeunes de 20 à 39 ans recherchent les
moyens d'amêlioration de leur existence matêrielle et un besoin d'affirma-
tion d'eux-mêmes par l'''aventure'' alors que les migrants de 40 à 49 ans
subissent l'emprise des croyances magico-religieuses de la sociêtê sênoufo.
Statut social et raIsons sociologiques de migration
Dans le tableau 26 (ci-dessous), une seule donnêe mêrite de
retenir l'attention: les 43,75% des migrants tombês sous-tutelle d'un
membre quelconque de la famille après le dêcès de leur parents. La mort des
parents conune partout ailleurs conduit à une "marginalisation" des enfants
et leur mise sous-tutelle d'un g!lc}e pate!'!1~l, d'un frère aînê et même du
neveu hêritier ce qui aboutit à des relations conflictuelles. En effet,dans
la sociêtê sênoufo, les devoirs et les obligations d'un individu ne se com-
prennent que dans le cadre d'une dêpendance soit du père soit de l'oncle
maternel. Tout autre situation de dêpendance ou de sous-tutelle est prêcaire
et ne garantit aucun droit du dêpendant, notamment dans le domaine de suc-
cession. Juridiquement on ne peut hêriter que de son oncle maternel ou tout
au plus recevoir du vivant de son père biologique une parcelle attribuêe à
titre dêfinitif devenant ainsi la propriêtê individuelle du fils. Aussi à la
mort du père, ses fils quittent le village à l'arrivêe de leur neveu hêritier
pour lequel ils devraient travailler sans attendre une vêritable compensa-
tion. Plusieurs candidats à la migration se recrutent dans la catêgorie de
ces "marginaux" qui n'ont plus rien à attendre en demeurant au village.

164
Tableau 26 : Statut social et raIsons de migration
----_.
Sous-
Sous-tut': S . tu t.
Emancipé
~ tutelle tutelle d'1mem-
TOTAL
de l'on- du père
quelc.de
STATUT
cle ma-
la fam;
SOCIAL
ternel
Conditions naturelles
(60)
36,20
40,48
68,75
défavorables
37,50
Chercher un emploi
(40)
salarié
27 ,58
27,38
25,00
25,00
Marginalisation(décès)
(37)
des parents ou jalou-
18,96
16,47
43,75
23,12
\\
sie des villageois
Maladie
(31 )
(Sorcelleriè)
17,24
22,61
37,75
19,37
- -- .----
-
----~--_.-
- - - - - -
.. - -
--
--
-
.
- - -
-
-
Acquisition de biens
(30)
matériels (vélo,vélo-
18,75
moteur, radio ... )
Ouverture d'esprit
(16)
(découvrir toute
22,41
13,09
10,00
la Côte d'Ivoire)
( 11)
Apprendre un métier
6,87
Se soustraire de la
(10)
dépendance des pa-
6,25
rents
Arrêt spontané des
(5)
études
3, 12
1
_
--
--
---
1
- -
Incorporation dans
(3)
l'armée
1,87
1
TOTAL
(58)
(84)
(16)
( 2)
36,25
52,50
10,00
1,25
~

165
Avant de terminer avec les facteurs exogènes de la migration
i~'
exam~nons deux autres facteurs que les entretiens de groupe ont mis en relief
l'influence de l'urbanisation et l'aspiration au changement socio-économique
auquel aspirent les jeunes
ruraUX
sénoufo.
bl Influence de l'urbanisation
Le mode de v~e auquel aspire le jeune Sénoufo relatant sa v~e de
migrant insiste sur ce qui l'a frappé en découvrant une ville: foule grouil-
lante, anonymat, gratuité de certains services, building, facilité de tout
acquérir avec de l'argent, l'éclairage électrique la nuit, etc ... La pudeur
aidant, les migrants s'efforcent de ne pas se souvenir des idées utopiques
et incrédules auxquelles ils croyaient avant de découvrir eux-mêmes une
ville réelle.
.:.~
La plupart des migrants finissent par résider en ville après un
ou plusieurs séjours dans les plantations en tant qu'ouvriers agricoles. La
ville exerce une telle attraction au point que la migration agricole, le plus
ancien mouvement, glisse de plus en plus vers l'exode rural, c'est-à-dire,
passage direct du village à la ville. Les interlocuteurs ont fait remarquer
à juste titre qu'aucun migrant ne quitterait un emploi urbain pour un autre
dans une plantation agricole, quels qu'en fussent les avantages. Pour eux,
seul un séjour en ville fait la différence entre celui qui a migré et celui
qui n'a jamais quitté son terroir villageois. Aussi, indépendamment des nom-
breux problèmes engendrés par la croissance urbaine, le mode de vie urbain
offre à un certain nombre de migrants une raison implicite de départ. Tout
ce dont il pourra se faire valoir en retournant chez lui, temporairement ou
définitivement, ce sont ses attitudes d'urbain et toute la panoplie d'articles
achetés en ville. Nous retrouverons ultérieurement ce même migrant de retour
chez lui comme un agent de diffusion du mode de vie urbain et moderne.
cl Aspiration au changement socio-économique
La profession exercée en ville et l'attrait du salaire fixe ap-
paraissent comme des paramètres pouvant donner une idée de l'aspiration au
changement socio-économique.
Comme nous l'avions dit précédemment le-migrant n'a de v~s~on de
son village qu'en rapport avec la ville et les emplois en Basse Côte. Ce

166
schéma théorique s'applique également à la profession exercée par le m1-
r
grant. Tout migrant dont le séjour en Basse Côte excède douze mois est prêt
à occuper tout emploi sauf celui du travail de la terre, c'est-à-dire les
emplois agricoles. Parmi les migrants interrogés seuls 3,75% exerçaient dans
l'agriculture mais comme maraîchers, profession considérée par eux comme ayant
plus de valeur que celui de simple cultivateur. Nous savons également qu'en
ville la qualification professionnelle joue un rôle important. En l'absence
de cette qualification pour les emplois urbains industriels on retrouve les
migrants dans des emplois subalternes des secteurs secondaire
et tertiaire
comme manoeuv~es ou ouvriers. S'il lui venait la tentation d'apprendre un mé-
tier, celui de tailleur-couturier l'attirerait plus et accessoirement ceux de
chauffeur et de mécanicien (cf. tableau 19).
Tous ces emplois urbains supposés exercés ou offerts par les
"Blancs" (eni:endez-là l'industrie moderne occidentale) se disent en Sénoufo
"tababou fâ~ü_':~ c'est-à-dire "travail de Blanc". Leurs avantages demeurent
. _ - ~ - - _ . - - -------
-_. ---
le salaire fixe et régulier indépendant des facteurs naturels à l'opposé de
l'agriculture conditionnée par la fertilité du sol et la pluie. Il faut ajou-
ter le fait qu'aucun chef de famille n'a droit de contrôle sur le revenu du
migrant, avantage auquel s·'ajoute la puissance de l'argent qui lui permet
d'acheter non seulement la nourriture qu'il avait du mal à produire quand il
était cultivateur mais aussi de se procurer les articles manufacturés, de
tout genre.
Que retenir à la fin de cette analyse sur les facteurs exogènes?
Jeune, dominé parce que sous-tutelle d'un parent, n'ayant d'autre
p~~s_ib~}_~té_cl-'_a~tivitéqu'agricole_~o_~~_~=s_"0_~~~~_rsde production et la li-
bre disposition du produi t lui échappent, tel se présente le jeüne Sénoufo
demeuré dans son village. A la suite des effets du développement inégal et
dont la Basse Côte représente l'antinomie de son milieu trop coercitif, le
jeune Sénoufo cherche dans h
migration une réponse aux problèmes qui em-
pêchent son épanouissement. Ainsi apparaissent les principaux facteurs exo-
gènes tant historiques, politiques, économiques et psycho-sociologiques
dont la combinaison détermine
en partie la migration des jeunes Sénoufo
connue sous le vocable "toucono". Cependant ces facteurs exogènes ne sauraient
expliquer à eux. seuls ce mouvement migratoire. Ils ont plutôt rencontré u~_
terrain favorable ou rendu tel par eux. Cela suppose l'existence d'autres
facteurs qui sont inhérents au milieu, donc internes à la société sénoufo.

167
Il est donc possible de penser que les facteurs exogènes ne feront qu'exploi-
ter les contradict~ons ou les dysfonctions qu'ils auront contribué à faire
apparaître à l'intérieur de la société sénoufo. Ce sont ces facteurs endo-
gènes qui font l'objet de l'analyse du deuxième sous-chapitre.
B. Les facteurs endogènes ou internes
le poids des institutions et de
l'éthique sénoufo
Les facteurs endogènes par définition sont internes à la société
ce qui nous amène à insister sur le poids des coutumes et des institutions.
Pour l'essentiel les facteurs endogènes seraient sociologiques. Nous ne re-
viendrons pas sur le problème agricole traité dans les facteurs exogènes
qui peuvent être aussi endogènes. Il serait même mieux de parler de facteurs
indépendants car la pauvreté du sol ~t la précarité de la pluviométrie ne dé-
pendent pas des Sénoufo. Par contre la superstructure, c'est-à-dire l'organi-
sation sociale pour s'adapter au mieux à ce milieu dit hostile, est de leur
ressort. A ce propos, les enquêtes et les entretiens de groupe font ressortir
deux facteurs principaux : la gérontocratie comme exercice du pouvoir par une
classe d'hommes avancés en âge et le "poro" comme 'seul système d'insertion et
d'évolution sociale.
Analysons en prem~er lieu cette gérontocratie.
1. Conflits gérontocratie-nouvelles générations
La gérontocratie, exercice du pouvoir par les vieux du village en
vertu du système social sénoufo, se traduit pour les jeunes dans des rapports
de dépendance et de contraintes. Tout rapport aîné-cadet est un- rapport de
subordination avec des applications concrètes comme la difficulté d'accession
à un statut d'autonomie socio-économique, contrôle de tout bien produit, du
patrimoine foncier et du système matrimonial.
Dans le souci de raffiner les causes de migration le questionnaire
proposait aux migrants de désigner entre les vieux, les jeunes et les autori-
tés publiques ceux qui ,selon eux,poussaient implicitement ou explicitement
les jeunes à la désertion. Le tableau ci-dessous situe la part de responsabi-
lité de chacun des agents.

168
Tableau 27
Part de responsabilité dans le départ des Jeunes
RESPONSABLE DU DEPART DES JEUNES
V.A.
%
o. les v~eux
33
20,63
utilisation de leurs pouvo~rs maléfiques(sorcellerie)
pour nUire. duX
jeunes.
_
égoisme foncier(refus de partager les parcelles de
terre avec les jeunes).
· incapacité de satisfaire les besoins des Jeunes
comme dans le système traditionnel.
· migration comme stratégie contre la pauvreté de la
famille,migration d'un fils en tant que placement à
)ll us oUflloins long terme po~r ~es fami lles dém~nie:
-~ terr~s de cultures(s'enr~ch~r et ven~r en a~de a
la famille).
- " \\ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - + - - - - - + - - - - - 1
1. les autori tés publiq u e s - -
11 -
6,87
· concentration des us~nes dans la capitale
disparités régionales
..
· plus grande rémunération des cultures de B.C.
(café, caco) au détriment des cultures du nord
métier n'ayant pas d'emploi auNord
2. les jeunes eux-mêmes
116
72,50
(raisons par ordre d'importance)
· vélo + effets d'habillement
· amélioration du niveau de v~e (argent ... )
· ouverture d'esprit, découvrir d'autres régions de la
Côte d'Ivoire, aventure
· ra~sons d'ordre affectif ou sentimental
indpti tude. d.u
travail dur de la terre, ce
qui entraîne des moqueries pour les paresseux
- snobisme(attrait du mythe des villes comme
---- -- Abidj an)- -
-
- -
- - - - - - - -
- épouse "enlevée" par un migrant
TOT A L
160
100,00
Comme le tableau l'indique les v~eux interviennent pour 20,63%,
les autorités publiques pour 6,87% et les jeunes eux-mêmes pour 72,50%. tu
égard à ces données statistiques, les départs des jeunes sont imputables à
eux-mêmes. Mais à la lumière des discussions de groupe où l'accent a été m~s
sur les relations aîné-cadet, logiquement les vieux paraissent être les prin-
cipaux responsables du départ des jeunes. Essayons de le démontrer.

169
Pourquoi les jeunes acceptent-ils d'avoir choisi de migrer, donc
d'être responsabl:' de leur départ? Il Y a deux raisons à cela
- raison d'ordre matériel et d'esprit de curiosité: acquisition de vélo et
de beaux habits, amélioration du niveau de vie (argent), ouverture d'esprit
par le voyage et l'aventure.
- raison d'ordre affectif et personnel
aversion pour le travail de la
terre, snobisme, etc ...
Au cours des entretiens de groupe les migrants ont m~s surtout
l'accent sUr la première raison, c'est-à-dire les raisons d'ordre matériel. Le
système social sénoufo dominé et contrôlé par la gérontocratie n'a pas pu
donné satisfaction aux nouvelles\\spirations des Jeunes. Comme le disait un
des interlocuteurs , "les vieux n'ont plus les moyens de subvenir à nos
besoins". En fait les nouvelles exigences des jeunes sont inconnues du sys-
tème social sénoufo et qui de plus par la gérontocratie interposée n'a pas
sécrété en son se~n un processus d'adaptation à la situation de changement.
Tant qu'il s'agissait pour la gérontocratie de prendre en charge les "frais"
d'initiation au poro de leurs dépendants, de leur trouver une épouse et de
leur attribuer une petite parcelle de terre, elle avait ses solutions toutes
faites. Mais comment fournir des bicyclettes et beaucoup d'habits, distribuer
de l'argent aux jeunes comme on distribuait des houes et les produits tirés
du travail commun! La gérontocratie était en face d'un nouveau genre de pro-
blèmes et elle ne disposait pas de réponse adéquate pour endiguer les sou-
bresauts
du changement social. Encore faut-il convaincre les jeunes de res-
ter fidèles aux structures communautaires de la société.
1
Facteur aggravant, l'incompréhension d'aspirations aussi complexes
que le désir de voyager - précisémment en Basse Côte dont les v~eux gardent
encore de mauvais souvenirs - et d'être autonome en s'individualisant. Toutes
ces aspirations s'inscrivaient en faux contre l'idéal sénoufo bien ancré dans
la mentalité et dont les vieux se veulent, volontiers, les garants et les dé-
fenseurs. Face à cette crise la gérontocratie a tenté de reprendre le contrô-
le social en utilisant dans un premier temps la peur, plus psychologique que
réelle en ayant recours à la sorcellerie. Sans lâcher du lest, elle a jugé
bon de faire une démonstration dissuasive de son pouvoir en refusant d'oc-
troyer aux jeunes des parcelles individuelles et en s'opposant à rendre effec-
tives
les fiançailles auparavant contractées en faveur de leurs dépendants.

170
Ainsi les 20,63% d~s migrants qui tiennent les v~eux responsables de leur
départ déclarent l'incapacité ou mieux l'inaptitude de ces derniers à satis-
faire leurs besoins conformément à leurs obligations de responsables comme
dans le contexte traditionnel sénoufo. Comme le dit si bien le dicton: "à
nouvelle génération, nouveaux problèmes, donc nouvelles solutions". Cette
nouvelles génération s'est faite une nouvelle idée de son statut social et
de ses conditions de vie à partir de l'idéal individualisme diffusé implici-
tement ou explicitement par la colonisation.
Enfin comment comprendre que les 6,87% des migrants qu~ attribuent
la responsabilité de leur départ aux autorités publiques?
En fait, les autorités publiques par la créa"ion d'emplois et de re-
venus offrent aux jeunes Sénoufo un moyen d'autonomie. Le reproche implicite
et même explicite fait aux autorités se situe dans la concentration des nou-
veaux emplois-salariés--seulement en Basse Côte et principalement à Abidjan.
Autrement dit et jusqu'à preuve du contraire, il est possible de supposer que
si leur région offrait des emplois non agricoles et s'ils disposaient libre-
ment des revenus escomptés, une bonne proportion des jeunes Sénoufo ne migre-
raient pas en Basse Côte et encore moins ne s'y installeraient définitivement.
Preuve: le Sénoufo immigré en Basse Côte reste attaché à son "narigbaha" et
à son "ségninhê" et tout ce qu'il y entreprend c'est en faveur de ses "fa-
milles" et en vue de sa ré-insertion prochaine. Le tableau des aspirations
ci-dessous l'atteste. En tout état de cause le migrant cherche dans le tra-
vail salarié non seulement le moyen de satisfaire ses nouveaux besoins ma~s
auss~ à y trouver surtout un moyen de se substituer à l'autorité gérontocra-
tique pour un statut d'autonomie.

171
Aspiration
demeurer au seln de la solidarité familiale tout en étant
autonome
Tableau 28 : Les différentes aspirations des migrants (Possibilité de répon-
ses multiples)
ASPIRATIONS
V.A.
%
o. Construire de belles malsons au village
105
65,62
1. Aider financièrement mes parents
19
11,87
2. Faire du commerce
14
8,75
3. Avoir beaucoup d'argent
12
7,50
4. Acheter une voiture
11
6,87
5. Faire de l'élevage --- --
-
-
-- _.-
--
-_.~---_.
~----
9
-
___ 5,62
6. Héberger mes parents avant leur mort
5
3, 12
1
7. Etre libre et responsable de mes décisions
3
1,87
Nous verrons ultérieurement comment les migrants conservent les
relations avec leur communauté de base, moule dans lequel ils ont été
"coulés" et qui leur donne le fondement de leur plein épanouissement social.
De ce fait, s'ils émigrent en Basse Côte à la recherche d'un emploi rémunéré,
leurs objectifs déclarés, c'est d'aider financièrement leurs parents (11,87%)
ou tout au moins de pouvoir leur offrir des maisons de construction moderne
(3,12%), s'acquittant ainsi d~ leurs devoirs filiaux en vertu de l'éthique
soc.id.le:----Sênoufo.-nëuxième Liù irrÏÎlO""rtant : ce tableau -est assez i:évéLiteur --
de certains faits. Aucun migrant n'aspire à retourner dans des activités
agricoles, quèls qu'en
soient la forme et les avantages. Ce fait dénote
d'une réalité bien connue des mig~ants sénoufo
la difficulté d'accession à
la pleine propriété foncière en tant que facteur fondamental de la production.
Par contre on remarquera leurs aspirations à construire de belles maisons
principalement au village (65,62%). C'est bien là une preuve de l'attachement
à leur milieu d'origine. Cependant une autre raison demeure. En effet,l'im-
mobiler constitue le deuxième domaine - après celui de l'emploi salarié - où
les jeunes peuvent s'assumer en dehors de toute contrainte et d'un quelconque
contrôle de la gérontocratie.

172
Incidence de l'âge sur les aspirations
Tableau 29 : Données croisées entre l'âge et les aspirations
~ 16-19 20-29 30-39 40-49 50 dnS-- N.D. TOTAL
ASPIRATIONS
ans
ans
ans
ans
e...t ~luj
Construire de bel-
(105 )
les maisons au
64,56
70,29
75,86
65,62
village
Aider financière-
(19)
ment mes parents
15, 19
13,51
13,79
-
1 1,87
Faire du counnerce
-
17,24
-
-
(14)
8,75
Avoir beaucoup ~
(12)
d'argent
-
-
7,50
__ .. -_0- . - ---
.-
Acheter une
( 11)
voiture
-
-
6,87
Faire de
(9)
l'élevage
-
-
5,62
Héberger mes pa-
(5)
rents avant leur
JO,13
-
3, 12
mort
Etre libre et res-
(3)
ponsable de mes
-
10,81
-
1,87
décisions
TOTAL
(3)
(79)
(37)
(29)
(8)
(4)
1,88
49,38
V,I.2._ _J $ ,12
5,00
2,50
. -
--
- ----- .-
-
-
_._--._--.----~--
~-
~
100,00·
-
-
L'âge a-t-il une incidence sur les aspirations J A l'examen de ce
tableau l'âge paraît avoir peu d'incidence sur les aspirations. On observe
qu'il n'y a pas une grande différence entre les différents groupes d'âge sou-
cieux de construire de belles maisons au village: 64,56% des 20 à 29 ans,
70,27% des 30 à 39 ans et 75,86% des 40 à 49 ans. Il est important de noter
que la même différence s'observe au niveau de ces mêmes classes d'âge concer-
nant ceux qui ne se dispenseraient pas d'aider financièrement leurs parents.
Quant au rêve de pouvoir se payer un jour ou l'autre une voiture, il concerne
essentiellement les jeunes de 20 à 29 ans(20,25%) et de 30 à 39 ans (16,21%).

173
Le fait que l'âge ait peu d'incidence sur les aspirations des
"
migrants sénoufo montre les possibilités limitées de promotion sociale.
L'échelle~st restreinte car au nom de l'égalitarisme en vigueur, toute promo-
tion ne se réalise que par le ''poro "que nous ànalysons à présent.
2. Para
cadre un~que de promotion sociale
Dans le premier chapitre nous avons déjà exposé ce qu'était l'esprit
du
"poro"
. (l). A présent apprécions son impact sur le phénomène migra-
toire. Comme il a été dit plus haut, le"poro"demeure' le cadre fondamental·
d'évo-
lution sociale
dans le contexte de la société sénoufo. Il joue efficace-
ment son rôle du fait de son caractère globalisant. Les institutions sociales,
religieuses et économiques forment un tout indissociable qui s'exprime dans
le "poro", ce qui le fait apparaître comme le "régulateur global de la v~e
collective" selon l'expression de Bochet (2).
L'aspect économique du'poro"se voit avec les jeunes en coursd'ini-
tiation
car
ceux-là constituent une véritablema~n d'oeuvre potentielle
prête à être mobilisée à toute occasion. D'autre part les offrandes exigées
et les amendes infligées (3) aux nov~ces provoquent un transfert de biens des
actifs au profit des vieux.
(1) Nous disons bien l'esprit du poro et non le poro lui-même car seul un
initié peut parler de cet enseignement initiatique, ésotérique et sacré.
Mais une fois initié il est tenu au serment du secret. Toute tentative
de divulgation des enseignements du"poro"est étouffée par la répression
qui a recours à tous les procédés (amende par exemple) y compris les plus
mystérieux.
(2) Bochet, G. - En Côte d'Ivoire, le pays sénoufo. Plaquette d'information
du Ministère du Tourisme.
(3) Les offrandes exigées et les amendes infligées aux nov~ces sont en fait
payées par le chef de famille puisque le jeune ne dispose d'aucune res-
source. L'amende est donc en fait infligée à un "narigbahafolo" qu'on
jugerait trop riche pour maintenir l'égalitarisme de la société. Si le
chef de famille laissait l'occasion à un de ses enfants de s'enrichir, ce
qui arrive quelquefois, les dignitaires duPporo·par des suhterfuges lui
infligent
.~ toutes sortes d'amendes: boeuf, mouton, volaille, "dolo"
(bière de mil) et même des cauris. Alors que les offrandes sont fixes et
égales pour tous les novices, les amendes dont le but est de maintenir
tout le monde à un certain seuil d'enrichissement sera proportionnelle à
la richesse du contrevenant.

174
Le "para "s' inscri t également dans le cadre de socialisa tian et
...
.
r
d'enculturationcletout Jeune Sénoufo, le but de 21 ans de cycle initiatique
étant le processus de maturation et de réalisation de Î'être social~ stricto
sensu. En effet, les épreuves endurées ensemble soudent de façon définitive
les liens à l'intérieur du groupe en cours d'initiation obligé de solidariser
avec les classes d'âge supérieures dépositaires des secrets du para. Ainsi
le"poro"transcende les liens du sang pour privilégier la classe d'âge par
rapport au "narigbaha" ,fondement de la communauté sociale comme il a été dit
auparavant. Rappelons à la même occaSlon que seul l'accomplissement complet
du cycle du-poro~permet à tout initié de participer à la direction collégiale
du village.
Quant à la fonction religieuse, le·poro~est indispensable pour
l'exlcution"des cérémonies funéraires qui ne sont ni plus ni moins que la sé-
paration du défunt du monde des vivants. Le dogme religi~ux sénoufo enseigne
que tout défunt, pour son deuxième bonheur dans l'au-delà, doit entrer dans
. -
" - - -
-
--
-
le "kousségué", c' es t-à-dire le champ des morts bienfaiteurs. Seul le- para"
peut exécuter cette cérémonie et il n'accorde ce privilège qu'à ses adeptes,
d'où l'efficacité morale de cette institution sur le Sénoufo et même sur le
migrant qui, bien que dénonçant l'endurance des épreuves ne la rejetté pas.
A la suite des prérogatives du·poro-on imagine à quel point il
peut être contràignant. A cela il faut ajouter que chaque chef de famille
dispose sous son autorité d'un certain nombre de garçons et de filles. Chaque
mariage contracté en faveur de l'un ou de l'autre ne devient légal qu'après
un certain stade de l'initiation au para, ce qui donne droit à un ménage
"séparé" et à une parcelle pour les petits besoins du couple.
Après la description du para dans Id.. première rd.~ti-e.
et l'analyse
dans son aspect globalisant que nous venons de faire, force est de constater
sa prééminence dans la société sénoufo et le strict secret qui l'entoure. De
là provient la difficulté de le cerner totalement. Le situant dans son con-
texte social, Kientz en a vu un "microcosme" c'est-à-dire "une image réduite
et sublimée du groupe et, en même temps, un condensateur de l'énergie sociale
fournissant toutes les valeurs indispensables à la perpétuation de la vie et
au maintien de l'ordre" (1).
(1) Kientz, A. - "Optimalisation de la communication et agencement de l'espace
Le modèle sénoufo". In Cahiers d'études africaines, n° 63-64, vol. XVI,
cahier 3-4, Paris, 1976, pp. 541-552.

175
Pour reven~r aux facteurs internes qui expliquent partiellement la
migration, le'~oro'~ joue un rBle important en tant qu'instrument contrai-
gnant détenu par la gérontocratie pour contrôler les jeunes, les dogmatiser
et miroiter les éventuelles promotions sociales d'une part et, d'autre part
en tant que seule voie d'accès à l'attribution d'une parcelle et à la légali-
sation de tout mariage contracté. A ces deux contraintes il faut ajouter trois
problèmes non moins importants :
- l'endurance des épreuves que répugnent de plus en plus les jeunes
- l'opposition à tout "enrichissement" individuel. Plus le "narigbaha" dont
on est issu est riche, plus les amendes sont fréquentes et élevées
idéologiquement, la trop grande réduction du bonheur que le" poro" si tue après
la mort, ce qui astreint les Sénoufo à mener une vie humble et presque
dépouillée.
Ces différents aSl)~cts I!10ntrc:nt ~o~~_i_~n le" poro" à travers les dé-
positaires que sont les gérontocrates réduit de manière considérable l'échelle
de réalisation et de promotion des Sénoufo. Le poro pense "collectivité" voire
partage du bonheur comme du malheur alors que les nouvelles aspirations en-
seignées par la colonisation s 'y opposent de par -leur philàsophie de "liberté"
et d'individualisme. De là Bochet a perçu l'une des causes du déclin du·poro·
au contact des idéaux de l'Occident
"Le contact est maintenant établi, solide, irréversible, avec
le monde industriel. Les Sénoufo savent désormais que l'image qu'ils
se fa~saient du
monde
ne correspond pas à la réalité. Deux con-
cepts étaient absents dans leur philosophie : bonheur et libetté.
Ils leur sont maintenant présents comme valeurs suprêmes, liés à la
pratique d'une économie de croissance monétaire, apparemment de
quelqll~_côt_équ' on se tou_rt:J:~''-_(D.
Il Y a du vrai dans ce que dit Bochet quant au heurt des deux cul-
tures et des conséquences qui en découlent. Cependant,et cela indépendamment
de toute polémique et prise de position idéologique, l'auteur aurait trop vite
enterré le"poro~que ne l'ont réussi jadis l'administration coloniale, les
missions catholiques et de nos jours encore l'Islam. En fait le·poroHrevient
en force, ne serait-ce que dans sa dimension spirituelle, après que les
Sénoufo aient constaté que bonheur et liberté à l'occidentale n'étaient pas
(1) Bochet, G. Op. cit.

176
des valeurs absolues. Ultérieurement nous verrons que les migrants bien qu' ins-
.
ta llés
provisoirement ou définitivement en Basse Côte, ne manquent aucune
cérémonie Ï!mportante du cycle-poro: soit le "cafo" des Nafara, soit le
"tchol'gue" des Tchébala, soit le "koto-tcholo" des Fodonon. Ils ont même
transféré
en Basse Côte les danses profanes que peut tolérer le"poro"au
public, à titre distractif. Les entretiens de groupe ont montré que le"poro'~
à travers la gérontocratie,s'adapte un petit peu à sQn environnement social
en prenant en compte l'aspiration à un plus grand bien-être social auquel les
jeunes répondent par la migration.
C'est sur ce constat d'une société communautaire et égalitaire en
contradiction avec les idéaux actuels de liberté, d'individualisme et de mo-
nétarisation que prend fin l'analyse des facteurs déterminants de la migra-
tion interne des sêioufo. Cette contradiction entre les deux idéologies à la-
quelle s'ajoute le poids du passé et les problèmes économiques agricoles dé-
. _ .finLssent .toute la dimension du Pllénomène "toucono.". ~~s_départs_ma~ifs. des
jeunes ainsi engendrés ne peuvent être sans conséquences, d'où le deuxième
chapitre.
II - LES CONSEQUENCES DE LA MIGRATION
Ici il s'agira principalement de cerner les effets des migrations
sur le lieu d'origine, c'est-à-dire le pays sénoufo. Quant aux conséquences
sur le milieu d'accueil - pour rester fidèle au dualisme qui a jusqu'ici ca-
ractérisé notre démarche méthodologique - nous les traiterons en rapport avec
les relations des migrants avec leur milieu d'origine.
A la question
"Etes-vous conscient des pertubations causées par
le départ massif des jeunes en Basse Côte", la grande majorité des migrants,
soit 91,88% répondent par l'affirmative. La synthèse des réponses révèlent
quatre conséquences principales :
diminution vo~re carence de la main-d'oeuvre agricole
manque de jeunes nécessaires pour assurer la relève notarnrnedt au n~veau du
"poro lô •

177
- plus de jeunes pour faire les "commissions des vieux" (1)
.
- vieillissement de la population
Essayons d'approfondir ces différents problèmes soulevés par les
migrants en distinguant les conséquences économiques, les conséquences démo-
graphiques et les conséquences socio-culturelles.
A. Les conséquences économiques
Le départ des jeunes actifs ne peut qu'accentuer le déséquilibre
régional déjà perceptible pendant la période coloniale. A cette époque même
où le pays sénoufo constituait déjà une réserve de main-d'oeuvre, l'inspecteur
"'~
Kair (2) dans un de ses rapports de mission d'inspection en la colonie de
Côte d'Ivoire, s'était levé contre le recrutement abusif des Sénoufo pour les
____travaux ..:Eorcés en Basse Côte .. L'excessif prélèvement de main-d'oeuvre par
rapport àla population mâle se chiffrait de la manière suivante :
-
1928
7 803 hommes soit 9,8% de la populatior. reâle
-
1929
6 324
"
"
7,9':0
'1
"
-
1930
5 555
"
"
7%
"
"
Passons outre les traitements inhumains infligés aux prestataires
que décrit l'inspecteur Kair dans le même rapport. En revanche sa conclusion
nous intéresse à plus d'un titre
car elle montre bien les conséquences éco-
nomiques que peut entraîner un tel départ massif d'hommes:
(1) "Faire les commissions des vieux" est une expression populaire en Côte
d'Ivoire voulant dire faire des courses au profit des vieux. En effet,
il est de rigueur en pays sénoufo comme dans toute la Côte d'Ivoire, que
tout homme avancé en âge attend des jeunes beaucoup de services comme
l'exige m morale vis-à-vis de ce dignitaire âgé qui a droit au repos. Mais
aujourd'hui on voit par exemple des vieux couvrir la distance entre deux
villages pour annoncer le décès d'un membre de la famille. Jadis, une
telle course incombait aux jeunes.
(2) Mission Kair. Rapport ·sur la main~d'oeuvre dans le cercle de Kong, 1931-
1933. Archives nationales (Paris)
: Affaires politiques, carton 2797,
dossier Il.

178
"Ce n'est plus du recrutement de la main d'oeuvre, c'est de la
razzia e~, de surcroît, de la pure folie, car l'on sait - et les
Anglais et les Belges ont abouti à cet égard à des conclusions à
retenir, à la suite des études minitieuses auxquelles ils ont pro-
cédé dans leurs colonies - qu'un prélèvement supérieur à 2% effec-
tué sur une population met en péril son développement économique
et social"
La réponse du Ministre des colonies alla plus loin que le rapport
de l'inspecteur Kair en montrant comment la survie de la population pouvait
être mise en danger :
"Si l'on ajoute que, dans ce cercle de Kong, il a été fait ap-
plication de méthodes rigoureuses de "pressions administratives"
pour obtenir le développement de cultures nouvelles, non appro-
priées au pays, le stockage de produits et leur fourniture à un
industriel, on comprend que des mouvements d'insubordination aient
été relevées dans la région de Tingrela, que la population~in­
suffisante en nombre, surchargée de travail, ait dû négliger ses
cultures vivrières, qu'il ait pu être question de famine ... " (1)
Telle
fut la situation de la migration obligatoire des Sénoufo en
1932. Le plus important à retenir de cette situation c'est d'une part le
seuil de "migration" à ne pas dépasser si on veut maintenir le mécanisme de
développement économique et social et d'autre part l'ultime effet du départ
des hommes que pourrait être la famine.
De nos jours le système colonial a pris fin et les migrations des
Sénoufo a continué en s'accélérant avec près de 2 200 départs par an selon
les estimations de la S.E.D.E.S. en 1965. Cette migration explique en partie
la situation marginalisée de l'économie du nord due non seulement à l'absence
de cultures de rente,mais aussi à la désertion de la force de travail seule
capable de re-promouvoir une processus de développement. A ce propos il con-
vient de -modérer la thès~-en vigueur qui fait croire que la migration dans la
zone dense de Korhogo empêche la rupture entre population et ressources. Selon
cette thèse la migration serait salutaire en tant qu'auto-régulation pour
maintenir la saturation de l'espace dans la limite de l'acceptable. Mais une
observation attentive refute toute conclusion "catégorique. En effet, avec des
maxima de 80 hts/km2 , on ne peut pas parler d'un
véritable surpeuplement n~
d'une saturation de l'espace. Si tel était le cas il y aurait des solutions
d'ajustement notamment par la colonisation de nouvelles terres dans la zone
(1) Mission Kair - Réponse du Ministre des colonies au gouvernement général
de l'A.O.F., rapport Kair déjà cité.

179
igname encore disponible et pas trop éloignée de la zone dense. Dans un tel
r'
cas de figure les "migrants" transfèrent leurs activités économiques ma~s
continuent de participer à la vie sociale de leur village d'origine comme
c'est actuellement la pratique. En deuxième lieu il faut noter qu'une bonne
proportion des migrants de Basse Côte finissent par revenir au village et
trouvent toujours un lopin de terre . Seulement ~eur âge ne leur permet plus
d'être productifs comme ils l'auraient été pendant leur jeunesse. Pour nous,
le vrai problème paraît être moins celui de la rupture de l'équilibre popu-
lation/ressource que celui du régime foncier et du sytème social en place.
Faudrait-il rappel 1er que certaines régions de Basse Côte, justement là où
émigrent les Sénoufo, ont des densités plus élevées que celle de la zone
dense.
Revenons aux conséquences économiques pour dire que la carence de
main d'oeuvre jeune et masculine aboutit inéluctablement à l'accentuation du
déséquilibre régional. Deuxièmement, cette même carence se traduit par la per-
"
0__
__
_
__
. __
_.
_
~_.
~
~.
turbation du mode de travail jusqu'ici communautaire. On assiste de plus en
plus à un
émiettement des parcelles dans les zones où l'individualisme a pu
se substituer au système d'exploitation collectif. Malheureusement ce change-
ment ne s'accompagne pas d'un changement de technologie et encore moins de
mode d'exploitation. Résultat: le travail individuel n'est pas rentable et
on constate de plus en plus, chose rare et autrefois considérée comme une
honte en pays sénoufo, que des paysans sont obligés de s'approvisionner en
vivres sur le marché en dépit des parcelles possédées. De manière générale
les modes de travai l connue le "yéfouolo", le "léguéré" décri ts dans l~ pre-
mière. partie
relèvent de cas de plus en plus rares, tout juste du folklore
ou les symboles d'un ancien mode d'exploitation. Ainsi le mode de travail
chez les Sénoufo, suite à la migration des jeunes, a changé mais pas dans le
sens- d' une ~volution mais pfutôt d'une régression ressentie à tous les ni-
veaux de l'économie agricole.
B. Conséquences démographiques
Trois paramètres traduisent bien les conséquences démographiques
le vieillissement de la population, le déséquilibre du sex ratio
et la
baisse de la fécondité.

18cr
Faute de temps et de moyens nous n'avons pas procédé à une en-
r'
quête quantitative en amont pour mesurer ces impacts démographiques. Cepen-
dant l'enquête qualitative et une observation de longue date permettent de
les esquisser à grand trait. Aujourd'hui nous savons que le taux de fécondité,
compte tenu non seulement de l'insuffisance de l'infrastructure médicale mais
aussi des effets de la migration) est descendu à 1,5% alors que le taux ~~yen
de la Côte d'Ivoire est de 4% (1). Ne serait-ce qu'en traduisant le tableau
de la situation matrimoniale où nous avons dénombré 258 enfants pour 160 mi-
soit
grants~en moyenne
2 enfants par personne, on voit bien le manque à gagner
dans le milieu d'origine de ces migrants. Encore que de cette moyenne apparem-
ment faible, il faudrait exclure les 45% des migrants célibataires qui en
toute hypothèse, s'ils étaient demeurés et mariés au village, auraient eu des
enfants.
Le caractère""jeune des migrants (20 à 39 ans) implique le vieil-
lissement de la population demeurée au village. Toutes les études s'accordent
à le reconnaître car elles montrent bien que la migration est le fait des
jeunes actifs dans la force de l'âge. Les vieux n'ayant rien à gagner en mi-
grant demeurent au village. Ces affirmations se vérifient quand on parcourt
certains villages sénoufo surtout dans la zone dense plus touchée par le
phénomène. Ces vieux, du reste dépassés par l'événement et plongés dans leur
solitude ou presque se contentent de faire le constat de la mutation en af-
firmant que "le monde - monde ayant sens de l'humanité - a changé". C'est ce
changement qu'ils appellent "le soleil des indépendants".
(1) Au moment où nous terminons la rédaction de cette thèse des statistiques
plus précises, basées sur le recensement national de 1975 nous sont par-
-----~------ venues. Elles-expriment- bien- la situation-démographique -du nord ._D' après_
l'étude conjointe Banque- Mondiale - OCDE (cf Bibliographie K.C.Zachariab,
tableau p. 11), la population de la région nord de 1965 à 1975 est passée
de 810.000 à 859.000 habitants, soit un taux d'accroissement de ... 0,6%.
A titre de comparaison, dans la même période le sud qui a connu la plus
forte croissance est passé de 1.000.000 à 2.313.000 habitants, soit un
accroissement de 8,4%; la plus faible croissance avant le Nord est la ré-
gion ouest qui a vu sa population passer de 460.000 à 662.000 habitants,
soit un accroissement de 3,2%. Ainsi le nord en 10 ans n'aura augmenté que
de 49.000 habitants, soit "une croissance presque nulle", conclut l'étude.

181
Ainsi s'explique la baisse du taux de fécondité car les vieillards
i~'
ne sont plus à même de procréer. ~1aintènant qu'on assiste de plus en plus au
départ des femmes - cas non mOlns intéressant que nous n'avons pas inclu dans
notre recherche - avec leur époux ou fiancé et même séducteur, on ne peut
aboutir à long terme qu'à une mort lente de la société sénoufo Sl aucun pal-
liatif n'intervient pour diminuer, VOlre freiner le mouvement.
Sur le sex ratio nous ne disposons pas de données chiffrées pour
montrer le déficit
hommes dans les villages sénoufo. Cependant nous savons
déjà que la migration est le fait des hommes. Le statut de la femme en tant
que patrimoine génétique et élément de base de la stratification sociale
agit de manière coercitive sur sa décision de migrer. Comme nous l'avons dit
précédemment la gérontocratie ne tolère pas la migration des femmes. C'est
,~ dans ce sens que tout jeune voulant émigrer en Basse Côte sans le consente-
ment de ses parents perdait le bénéfice du mariage~contracté par sa famille.
En effet les parents (père, mère, oncle ou tante maternels) d'un commun ac-
cord ont le devoir de trouver pour leur fils ou neveu une épouse. Pour dis-
suader celui-ci de.son départ en Basse Côte, ils lui enlèvent la fiancée (les
candidats à la migration sont encore jeunes et célibataires). D'ailleurs les
parents de la fiancée s' 9Pposeraient à toute migration de leur fille car ils
attendent d'elle le grossissement de la fami lle et l'éventuelle corn pe..nsatioY'l
matrimoniale en travaux agricoles que tout gendre doit à ses beaux-parents
(cf. "léguéré" première. p~rtie.). Ce désaccord explique les cas d'''enlève-
ment" de filles commis par les migrants une fois bien installés en Basse Côte.
Pour les migrants ayant réussi en Basse Côte les parents reviennent quelque-
fois sur leur décision - bon gré mal gré - et lui trouvent une autre épouse
qui le rejoint,', en Basse Côte.
Le conflit d'ordre matrimonial entre migrants et leurs parents
explique le célibat prolongé de certains ou le mariage extra-ethnique qui n'a
pas la primeur des migrants. Ainsi le départ des hommes Jeunes, ne peut que
déboucher sur le déséquilibre entre hommes et femmes et toutes les conséquen-
ces qui s'en suivent comme la baisse de la fécondité et là diminution de la
main.d'oeuvre masculine.
Toutefois, rappelons que la situation est en train de changer en
faveur des migrants qui en visite au village séduisent les filles et les
amènent avec eux en Basse Côte. A long terme ce système rétablira-t-il
l'équilibre? Dans le cas affirmatif ce sera un équilibre négatif car mainte-

182
nant au lieu d'un déficit hommes, ce sera un déficit des deux sexes d'autant
.-
plus que les migrants une fois fortunés n'hésitent pas à prendre plusieurs
épouses. Après les conséquences démographiques, voyons les effets de la mi-
gration au niveau socio-culturel.
C. Conséquences socio-culturelles
Les conséquences économiques et démographiques présagent l'impact
socio-culturel, compte tenu de l'interdépendance entre les différents aspects
de la migration. Diabaté, à la suite des écrits sur la culture a défini celle-
c~ comme "l'ensemble des ressources matérielles et innnatérielles qu'un peuple
éprouve le besoin d'accumuler, de transformer et de transmettre. La culture
est en effet la source d\\l'accomplissement de l'identité, de la significa-
tion, de la survie, de l'expression et de la dignité" (l).
---- Eu égard à cette défini tion,- on pourrai t env~sager à long- tenne-- -
la mort lente de la société sénoufo, en ce qu'elle a de sénoufo. Les migrants
eux-mêmes en sont conscients. Dans la définition de Diabaté, deux mots-clés
méritent de retenir notre attention: transmission et identité. En effet,
comment se perpétuera l'identité des Sénoufo s'il n'y a pas d'agent de trans-
~ss~on ? Encore faut-il que les intennédiaires connaissent leur identité. Il
est vrai que ce problème n'est pas spécifique aux Sénoufo mais à toutes les
sociétés africaines engagées de gré ou de force sur la voie de l'occidentali-
sation. En effet la désertion des jeunes affecte dangereusement la culture
d'un peuple et les migrants interrogés le notent avec un certain regret. Ils
notent deux maux essentiels: l'appauvrissement des institutions et l'indivi-
dualisme de plus en plus prononcé en pays sénoufo.
Dans l'analyse de l'organisation sociale des Syanambélé, le
"para" et le "narigbaha" apparaissent comme les deux piliers pr~nc~paux car
c'est autour d'eux que se comprennent les différentes unités économique, so-
ciale et de travail. Or ces deux institutions régressent suite à la mutation
depuis l'époque coloniale. Bien qu'assistant régulièrement aux phases i~portantes
de l' ini tiation au "para" les migrants n' en'~ participen t plus pleinement did~üt de
leur éloignement. Aussi les fonctions premières du'poro"se perdent et son
esprit s'effrite. Dans certaines régions il n'est plus que du folklore qui
(1) Diabaté, M. - Nakadiallahé. Notes d'enquête sur les besoins culturels des
Ivoiriens en milieu urbain d'Odienné et de Séguéla. Université d'Abidjan,
1976

183
n'a meme plus de valeur de symbole. En plus, les épreuves tant physiques
r
qu'intellectuelles sont remplacées pour les migrants par le versement d'une
somme forfaitaire, ce qui aboutit pour le"poro"à un enseignement au rabais.
De par leur autonomie financière, les migrants se dérobent aux obligations
du~poro·et sont exelus des prérogatives qui devaient être les leurs en tant
que. II lêo", "olêo" ou "gnafolo" c'est-à-dire des aînés ayant bouclé tout le
cycle du" poro~ Dans ce cas nous sommes loin de l' "universi té" que Kientz
voyait dans le système éducatif du~poro: Les villages les plus touchés par la
migration ne comprennent pas plus de cinq jeunes pour composer la génération
à initier. On voit même de temps en temps des vieux déjà initiés depuis fort long-
temps assurer eux-mêmes un minimum de rituels du~poro~au cours de funérailles,
chose dont le droit d'aînesse les dispense. En tout cas le~poro'souffre du
manque des jeunes que la migration lui a arrachés . ......~
Tout comme le poro, la famille s'effrite. La migration d'un jeune
provoque un conflit plus ou moins long avec ses parents, ce qui est déjà un
-
- - -
- -
- - ~ - - - - - - -
.- --.. --
---"
symptôme de la dégradation de la famille. Si on ajoute à cela les représailles
qu'entreprennent les parents (malédiction, destitution du droit d'hériter ou
d'épouser la fiancée retenue, psychose de la sorcellerie, cas d'empoisonne-
ment, etc ... ) on comprend mieux la décomposition sociale de la cellule fami-
liale. Ces représailles expliquent en partie les cas de migration suivie d'une
ins tallation
définitive en Basse Côte, ou tout au moins durable. La ten-
sion même une fois atténuée avec le temps oblige le migrant en visite dans
son village à se maintenir dans des attitudes de méfiance, de suspicion et
de défense qui faussent les relations avec chacun des membres dela famille.
Une autre variante de l'affaiblissement de la famille élargie est
le cas où un-narigbahafolo~voit tous ses dépendants l'abandonner pour migrer
- - - -- - ---
en Basse Côte. Il perd ainsi de sa notoriété car ses dépendants ne sont plus
là pour assurer les relations inter-sociales avec les autres familles. Pour
ce~narigbahafolôisoléc'est la déchéance sociale puisqu'il ne peut plus
interchanger, condition sine qua non pour garantir la position de tout être
social dans les sociétés communautaires.
Après l'appauvrissement des ins ti tutions "poro "e t "narigbaha:' voyons
à présent l'individualisme de plus en plus affirmé aux dépens du "communauta-
risme". L'analyse du système social syenaon avait montré à quel -point cette
société avait érigé en valeur-canon, l'égalitarisme et le collectivisme pour
une meilleure adaptation à leur milieu : appropriation familiale de la terre

184
et inaliénabilité de cette dernière, travail communautaire tant au niveau
,-
de la famille que du village, éducation commune au sein du"poro': etc .. Le
système était tel que tout membre tenté de se démarquer ou de se marginaliser
par rapport au groupe ne pouvait trouver de solution de rechange. Aujourd'hui
tous
ces
principes-premiers de la vie communautaire sont battus en brèche
par l'individualisme né de la- société occidentale, véhiculé par la colonisa-
tion et aujourd'hui diffusé par un canal bien approprié qu'est la migration.
La migration en Basse Côte procure de l'argent qui à son tour affranchit tout
individu
"fortuné"
des contraintes de la vie communautaire villageoise.
Nous avons noté précédemment que l'argent permettait au migrant de réaliser
non seulement beaucoup de ses rêves mais aussi de se concilier, voire d' as-
serv~r
d'une manière ou d'une autre ceux qui auparavant géraient ou con-
trôlaient le système social. La gérontocratie devant cet état de fait se mon;
._~
tre impuissante. Une autre particularité non moins importante de l'argent est
son caractère d'appropriation individuelle, contrairement à la terre et au
bétail. En plus de(.~s .~a_:"'Qc..tù;sti~otS/la_rare.té_ de l'argent en pays sénoufo ex-
plique la nécessité d'une utilisation individualiste pour qui voudrait en
jouir pleinement. Nous verrons ultérieurement les tentatives de distribution
de la part des migrants selon le principe du partage cher à la vie communau-
taire et solidaire. Mais vite ils se rendront compte de l'inadéquation de cet
acte de générosité.
Venu d'ailleurs et conçu à ses origines pour répondre à
des préoccupations bien précises ,l'argent ne peut être utilisé autrement que
ce pour quoi il a été inventé. Tout cela remet en cause un certain nombre de
valeurs de la société sénoufo comme le travail collectif indispensable à la
survie du groupe et la solidarité qui fait que l'ensemble de ce groupe, selon
les circonstances partage le bonheur ou le malheur. Grâce à cette solidarité
à tous les niveaux, les Sénoufo comme la plupart des sociétés en Afrique ont
tr~v_er~i_Jgs__ .1eJIlPs_sans que la survie souffre.demoyens de subsistance et en----
core moins de famine. Sans aller jusqu'à la famine,certains villages connais-
sent aujourd'hui la disette en certaines périodes de soudure depuis que le
Sénoufo est obligé de payer sur le marché le minimum nécessaire pour sa nour-
riture. Nous ne sommes pas encore prêt
d'aboutir à la généralisation d'un tel
tableau sombre comme nous venons de le décrire. Mais à long terme si rien.
n'est fait pour maintenir la migration interne des Sénoufo dans la limite de
l'acceptable,cette société à coup sûr sera contrainte un jour ou l'autre de
faire face à
de
graves problèmes de survie.
Carence de main-d'oeuvre accentuant le déséquilibre régional, aléas
démographiques engendrés par le vieillissement de la population masculine,

185
déséquilibre du sexe ratio:tels sont les facteurs qui conduisent inélucta-
.-
blement à l'appauvrissement des institutions "poro" et "narigbaha" de nos
jours encore piliers de la société sénoufo. Mais ébranlés sous les effets
conjugués de la migration ces bastions font de plus en plus place à une so-
ciété individualiste. C~t
individualisme n'a pas encore triompher tota-
lement à cause du moule social dans lequel les Sénoufo-ont été coulés, d'où
cette ambiguité de relations bipolaires que nous allons analyser à présent.
D. Une situation ambiguë
le bipolarisme relationnel
L'ambiguité qUl caractérise le migrant sénoufo demeure le maintien
de sa double relation. En effet ces relations sont différentes selon qu'elles
se situent en Basse Côte supposée satisfaire ses aspirations mais sans enra-
cineme;t réel,ou dans son village d'origine auquel il est intimement attaché
_ma i2..-_qu i_ ne saurait satisfaire ses besoins. A t' aide _de__l~gnqllê_~e _~t des en-
tretiens de groupe nous tenterons de faire ressortir comment le migrant vit
cette situation.
1. Le lieu d'accueil
Il s'agit ici de décrire les conditions de Vle du migrant en Basse
Côte et les différents rapports sociaux qu'il y lie. Mais avant,' voyons le
processus de départ.
al Processus de départ
______ La, décision departir __ét:_anL lig~ __ ~ l' acco_r:d préalable des parent?__
qUl généralement se montrent hostiles, il devient intéressant d'analyser les
différents modes de départ.
83,12% des migrants affirment aVOlr migré avec la permlSSlon de
leurs parents contre 13,12% qui seraient partis sur une initiative personnelle
et 3,76% sur conseil d'une tierce personne. Mais en confrontant les informa-
tions du questionnaire et des entretiens collectifs on constate que la réalité
est autre. Avant 1979 - et de nos jours encore - la plupart des départs se sont
effectués sans l'accord des parents. Les "narigbahafolo" pour une question
d'affectivité mais aussi pour un souci de préservation de la main-d'oeuvre cne
tiennent pas à voir le nombre de leurs dépendants diminuer , ni à laisser ceux-

186
c~ courir vers une aventure jugée d'avance négative. Dans ce cas précis, les
r"
migrants, en général, partent sans l'avis de leurs parents et les interlocu-
teurs ont passé sous silence les cas qui relèvent d'une véritable désertion,
le plus souvent à la faveur de la nuit. Il y a également les cas très fré-
quents où les racoleurs, généralement des migrants en visite magnifient la
Basse Côte et, en complice9,proposent un voyage au jeune rural. A côté de
ceux-là opèrent des recruteurs sénoufo ou non pour le compte des planteurs
en besoin de main-d'oeuvre.
Racoleurs et recruteurs parcourent les marchés hebdomadaires où
affluent les jeunes très désoeuvrés en saison sèche. Au cours des entretiens
collectifs certains migrants relatent encore leur première expérience en
Basse Côte et comment ils ont été exploités par leurs recruteurs qui défal-
quaient sur leur salaire annuel les frais de voyage, de nourriture, drhéber-
-.r
gement et autres retenues pour le mo~ns injustifiées.
Depuis 1970 le processus de départ a quelque peu évolué. Faisant
bon coeur contre mauvaise fortune à cause de la décision irrévocable de leurs
enfants, ne serait-ce que pour une stratégie sociale, les parents sont de
plus en plus consentants. Il faut ajouter à cette raison que le "toucono"
n'est plus l'aventure des années 40 et 50 car il y a toujours un
proche
parent qui accueille le nouveau migrant comme nous allons le montrer mainte-
nant.
bl Réseau d'accueil
Le tableau ci-dessous fait ressortir le réseau d'accueil dont dis-
pose_ toutID_igrant sénoufo en dé1:lélrquant en Basse Cô_t~_._~
~
!---

187
Tableau 3.0
Réseau d'accueil en milieu urbain
ACCUEIL
V.A.
%
o. mon employeur (recrutement sur place)
6
3,75
1. par un frère de la même région
31
19,38
2. par un frère du même village
50
31,25
3. par un parent
65
40,62
4. par l'association régionale ou villageoise ..
-- .
1
0,62
5. par personne
7
4,38
....
~
TOTAL
160
100,00
+
Comme il a été dit plus haut, migrer en Basse Côte ne relève plus
de l'affrontement de l'inconnu ou de l'aventure. Les cas d'odysée autrefois
fréquents se réduisent au maxlmum. Le tableau met en évidence un réseau
d'accue:ilqui
s'étend du plus proche parent à l'anonyme bienfaiteur qui tend
une main secourable à un jeune de la même ethnie que lui. On remarquera
l'ordre croissant en fonction de la distance parentale et ethno-régionale
la
région, le village, les parents. Le tableau montre que 3,75% des migrants ont
affronté l'aventure malS avec un minimum de sécurité parce que recrutés sur
place par leurs employeurs et 4,38% ont pu
bénéficier du diffus réseau
d'accueiLmis en place par les Sénoufo. Nous développerons ultérieurement
comment l'ensemble des migrants sénoufo,malgré la distance qui sépare les
différents quartiers d'une même ville, forment une-communaut.é., véritable copie---·-~·=·
conforme de leur ancien mode de vie villageois .

188
cl Recherche d'emploi
Tableau 31
Intermédiaire d'embauche
INTERMEDIAIRE D'EMBAUCHE
V.A.
%
o. moi-même
62
38,75
l. un parent
68
42,50
2. un am~
28
]7,50
3. pas d'emploi
2
1,25
TOTAL
160
100,00
L'une des principales ra~sons de la présence d'un migrant en Basse
Côte est de trouver un emploi moderne. A en juger par le tableau ci-dessus,
le réseau d'accueil correspond à peu près avec celui de la recherche d'un
emploi. En tout cas la structure est la même. 68 migrants, soit 42,50% du
total auraient été embauchés par l'intermédiaire d'un parent et 28 autres,
soit 17,50% auraient bénéficié des relations d'un ami.
Le tableau révèle également une nouvelle situation que les Sénoufo
n'ont jamais connue chez eux: le chômage. En effet la division sociale du
travail en pays sénoufo est telle que personne ne peut être en situation de
chômage ou du moins de sans travail. Toutes les catégories d'âge rentrent
dans un système de production qui leur procure du travail. Parallèlement on
remarquera que peu de migrants sénoufo chôment. Cela s'explique par le fait
que le migrant ,faute de qualification pour l'emploi moderne est prêt à pren-
-
- -
. - - . - -
-
- -
- - - -
- _ .
" -
_ _ o.
_~ -
-
-
~


_ _ •
_ _
-
• • •
,
-
__

• • _ . _
dre tout autre emploi même considéré dérisoire. Contrairement à d'autres cas
on constate ici que la non-qualification augmente la chance de trouver un
emploi pour cette catégorie de travailleurs prêts à prendre tout ce qu~ se
présente. En effet, les secteurs secondaire et tertiaire disposent, pour le
moment, de beaucoup d'emplois pas assez rémunérés parce que ne nécèssitant
pas une formation particulière (plus de la moitié des migrants -interrogés
sont manoeuvres ou ouvriers). Mais le migrant sénoufo pour un temps y trouve
un avantage, car pour lui cet emploi moderne représente une mutation sans
précédent : travailler huit heures seulement par jour pour un revenu régulier
à l'abri de facteurs impondérables comme le salau la pluie. Une telle atti-
tude face à tout emploi moderne ne peut se comprendre que par rapport à la

189
situation que connait tout jeune Sénoufo dans son terroir. Rappelons une fois

de plus qu'il évolue dans le cadre d'une production collective dont il ne
contrôle pas la production. Cette situation antérieure, en toute évidence
fait que les migrants Sénoufo n'ont aucune conscience de leur exploitation,
tout au moins au début de leur embauche. Mais très vite i1s déchantent et
doiven~ se maintenir en réduisant au maximum leurs aspirations qui auparavant
ne tenaient pas compte des réalités.
A la question "le revenu que vous procure votre emploi, est-il suf-
fisant ?", 118 migrants, soit 73,75% de l'échantillon répondent par la néga-
tive, contre 25% qui le trouvent suffisant.
En approfondissant ces différents aspects au cours des entretiens
de groupe, la majorité des migrants affirment que le s'~rt qui fut
le leur
au village était nettement miéux que celui de migrant. Ils vont jusqu'à af-
__ firmer_que_leurs __ ca_maradesrestés. au_yillageS'en tirent miéux. Mais_<:es m~­
grants n'envisagent pas un retour immédiat car revenir au village sans avoir
fait fortune) aussi petite soit-elle, serait reconnaître son échec. C'est la
pire des situations que redoute tout migrant sénoufo car l'échec lui attire-
rait les moqueries de la part des villageois. Aussi comprend-on maintenant
pourquoi certains migrants en dépit d'une vie trop précaire due à la modicité
des salaires urbains préfèrent encore souffrir dans cette situation tout en
espérant trouver un jour un emploi mieux payé, l'ultime but étant de faire
fortune avant de rentrer définitivement au village.
d/ Association régionale
rencontres, loisirs, solidarité
1------
_Auparavant nous (3.vol}s eu_à signaler que l'is91_ement des migrants
_
créé par l'éloignement de leur milieu d'origine les avait condui~à une re-
1
1
constitution du mode de vie villageois en plein milieu urbain. Quand plusieurs
Sénoufo se retrouvent en nombre suffisant, en tout lieu de la Basse Côte, ils
se regroupent en une association dont la fonction est triple :
- lieu de rencontre et d'échange des adhérents éprouvant le besoin de recréer
la solidarité villageoise pour mieux affronter les difficultés de la vie
urbaine.
- cadre d'animation et de loisirs par le transfert en milieu urbain de cer-
taines danses de réjouissance du terroir comme le balafon (xylophone) et
même des danses profanes' attachées au poro (exemple du "boloyi" des Fodonon).

190
- un cadre de solidarité à usage polyvalent : entraide pour faire face aux
r
dépenses occasionnees
par les funérailles, information et aide à tout nou-
veau migrantsénoufo à la recherche d'un emploi, accueil de tout nouveau m~­
grant n'ayant pas de proche parent en Basse Côte, etc ...
Ainsi comprend-on pourquoi et comment dans une grande ville comme
Abidjan rassemblant plus d'un million et demi d'habitants que tous les Sénoufo
se connaissent ou presque. Avant de développer une certaine réflexion que nous
inspire le phénomène d'association ethnique ou régionale en milieu urbain
ivoirien" écoutons d'abord ce qu'en disent les migran'ts.
Sur l'ensemble des migrants interrogés~120 soit 75% appartiennent
à une association de Sénoufo contre 25% qui déclarent se tenir en dehors de
.•~
tout regroupement de ce genre. Les raisons d'adhésion varient d'un migrant à
un autre. Mais en les regroupant elles se répartissent en trois rubriques
classées ci-dessous par ordre d 'i-l11J>0r~a~c:.~~_:~ ~~ _
- recréer la solidarité villageoise au n~veau de Ici Bas~e. c.ôtl2.(s(. r~~rovr~
pour mieux s'entraider)
- déterminer des actions économiques ou sociales dans les régions ou
villages d'origine (construction d'école, de dispensaire, de maternité, de
foyer de jeunes, etc .. )
- se faire connaître par les autres Sénoufo (ethnocentrisme !).
Explicitons chacune de ces rubriques.
La re-création de la solidarité villageoise en milieu urbain demeure
le car~c:!è~~_c:<?_~~n_à~~outes les associations. Le Sén~yf~ gait_ par expérience
-
- -
que le groupe est sécurisant. La manifestation concrète de cette solidarité se
voit partout à l'occasion de la mort d'un parent de tout adhérent. Pour com-
prendre cela il faudrait rappeler brièvement ce que sont les funérailles en
pays sénoufo.
L'ampleur des funérailles demeure le signe extérieur "du statut so-
cial du défunt. La philosophie
du
couple vie/mort
est telle chez les Sénoufo
qu'ils préfèrent mener une vie modeste, fruste à la limite de la précarité mais
d'avoir des funérailles grandioses. C'est à peine exagéré,
quand on dit du
Sénoufo qu'il vit pour mourir et tout individu ayant la certitude que ses fu-
nérailles seront prestigieuses, s'en trouve déjà "heureux". Il y a toute une

191
hiérarchie de choi~ de parents dont les funérailles doivent atteindre "obli-
gatoirement" le paroxysme du prestige: l'oncle et la tante maternelle, la
belle-mère, le père, la mère. Aucun Sénoufo ne peut se soustraire à ce devoir
envers les défunts sans courir le risque de mettre en cause son honneur et
même de se voir marginaliser.
Deuxièmement, les funérailles offrent aux enfants l'occasion de
montrer non seulement la profonde affection à l'égard du parent défun~mais
aussi de faire une démonstration de leur capacité à faire face aux problèmes
1
de tout ordre, gage de leur maturité sociale. Durant les funérailles (trois
jours pour les hommes et quatre pour les femmes selon les sous-groupes sé-
noufo), la famille du défunt doit prendre en charge la nourriture de tous les
invités venus des différents villages pour l'enterrement et dépenser beaucoup
de cauris ou d'argent pour les danses de réjouissance et les cérémonies du
"poro" .T~us les membres de la famille et alliés fournissent ensemble cet ef-
forL.exceptionnel qui engage l'honneur de tous. -Telles. sont_brièvement_ es-_
quissées les funérailles, véritable test social.
Que fera donc un migrant en Basse Côte qui n'a n~ champs pour four-
n~r la nourriture nécessaire ni un salaire confortable pour supporter le coût
des funérailles? C'est alors qu'intervient l'association. A une réunion pé-
riodique le nouvelle de la mort d'un parent de tel adhérent est portée à la
connaissance de tous. Alors chacun donne ce qu'il peut pour aider l'adhérent
frappé par le malheur et devenu du coup un nécessiteux. Une autre variante
consiste à fixer une cotisation forfaitaire pour tous les membres de l'asso-
ciation. La somme ainsi réunie permet au bénéficiaire d'aller célébrer conve-
nablement les funérailles pour sauvegarder son honneur et celui de toute la
famille._
Aussi paradoxal que cela paraisse le Sénoufo à cette occas~on délie
plus rapidement sa bourse qu'il ne le fait d'ordinaire, lui qui connaît s~
bien la valeur de l'argent difficilement gagné. Cet état-d'esprit est si vi7
vace qu'au cours d'un entretien collectif le groupe à l'unanimité a conclu que
les associations n'existaient que pour les funérailles. Effecti~ement en ob-
servant ces associations on remarque un fort taux d'absentéisme aux réunions
de routine dont la date est définitivement fixée d'un commun accord des adhé-
rents. Mais il suffit d'un cas de funérailles et la réunion extraordinaire,
évideimnent improvisée, voit l'affluence de tous les membres. On est même sur-

192
pr1s de noter qu'il n'y a pas de dérobade alors que pour les réunions ordi-
r
naires tous les prétextes, réels ou fantaisistes, sont bons pour justifier
son empêchement d'assister à la réunion.
Il yale cas où un adhérent viendrait à mourir en Basse Côte. Alors
l'association prend en charge tous les frais nécessaires
hospi tali -
.sation,
services funéraires, achat de cercueil s'il y a lieu, enterrement,
acheminement du corps au cas où le défunt doit être enterré dans son village,
déplacement d'une délégation, etc ... En fait les Sénoufo comme tous les au-
tres groupes ethniques en Côte d'Ivoire ont horreur de la longue procédure
administrative étrangère à leur système. Mais en groupe ils arrivent à s'en
sortir.
Quant à entreprendre des actions de développement économique et
social en faveur de leur région~u village d'origine, deuxième rubrique, les
migrants sont unanimes à reconnaître que pour le moment c'est plutôt un voeu
pieux. Contrairement à d'autres associations similaires mais regroupant des
ressortissants de la Basse Côte, celles des Sénoufo n'ont pas encore atteint
ce stade, soit à cause de la diversité des villages dont ils sont originaires,
soit à cause de la modicité de leur revenu. Mais en s'associant aux "intel-
lectuels" (1) de la même ethnie ou de la même région, ils arrivent à partici-
per aux décisions concernant les projets de développement ou d'infrastructures
(équipements collectifs) entrepris par-les autorités publiques: construction
de- locaux de sous-préfecture, d'écoleset même la modernisation d'un village-
centre. L'exemple le plus réussi à cet égard est la Mutuelle de la Bagoé qui
a fait de Boundiali une véritable ville en la dotant d'équipements adminis-
tratifs et collectifs. Soulignons une fois de plus que c'est essentiellement
le fait des "intellectuels", des "cadres" et autres grosses fortunes de la
1· _.
région.
La troisième rubrique de l'existence des associations c'est de se
faire connaître de ses pairs. Mais en fait, c'est se faire connaître au cas
où ... j'aurai besoin d'eux au nom de la sécurité que garantit l'association
(1) En Côte d'Ivoire on appelle communément intellectuel ou cadre tout indi-
vidu ayant atteint un niveau d'étude assez élevé qui lui permet d'occuper
un poste assez important dans le public ou dans le privé. Ceux-là~grâce
à ces prérogatives/ont beaucoup d'influence dans leur région d'origine.

193
à tous ses membres: C'est ainsi que l'association peut aider à payer le loyer
de tout membre ayant perdu son emploi par exemple ou les frais d'hospitalisa-
tion de l'adhérent ou d'un membre de sa famille. Comme au village/tous ces
problèmes sont étudiés cas par cas, à la manière d'une palabre. Ainsi on dé-
cide collectivement en toute connaissance de cause si les problèmes évoqués
relèvent ou pas du ressort de l'association.
Connaître et se faire reconnaître par les autres Sénoufo témoigne
d'un certain ethnocentrisme. Selon les migrants sénoufo, se retrouver ensem-
ble ainsi c'est se reconnaître Sénoufo, d'où une affirmation et une sauvegarde
de l'identité.
~près aVOlr décrit les trois buts poursuivis par l'association,
.~
voyons son mode de fonctionnement.
Fonctionnement
Bien que reconstituant le mode de Vle villageois, l'association
fonctionne selon une structure propre aux associations de type moderne comme
en témoigne son organigramme :
- 1 Président
-
1 ou 2 Vice-Présidents
- 1 Secrétaire général
- 1 Secrétaire général-adjoint
- 1 Trésorier
-
1 ou plusieurs délégués à l'organisation appelés "commandant" ou "commis-
-<saire" dans le cas du type_ d'association qUl nQus intéresse lCl.
Tous ces membres de l'organe de direction sont élus ou désignés par
l'ensemble des membres réunis en assemblée générale qUl se passe de tout for-
malisme. si l'association est composée uniquement d'analphabètes, il ne faùt
pas s'étonner de ne voir aucun cahier de rapport ou de comptes. Cependant tout
fonctionne bien et comme nous l'ont fait remarquer certains interlocuteurs:
"c hacun a le rapport et l'état des finances dans sa tête". Certaines associa-
tions ne reléguant pas au dernier rang le formalisme déposent même des statuts
au Ministère de l'Intérieur comm2 l'exige la loi portant sur la création
d'association.Ce sont celles qui ont quelques lettrés parmi les adhérents. Tou-

194
tefois/signalons que les membres de l'organe de direction se recrutent parmi
r
les plus anciens migrants ayant une connaissance parfaite du milieu, ce qui
leur confère une certaine autorité.
Toute association a besoin d'argent pour fonctionner et de ce fait
des cotisations régulières sont fixées d'un commun accord. La majorité des
migrants interrogés (101, soit 63,12%) payent une cotisation qui varie de
100
à 1 000 F CFA
par mois. Comme nous l'avons vu,
l'association intervient pour
un certain nombre de problèmes et selon le cas, la somme peut être remboursée
ou allouée gratuitement.
Où se tiennent les réunions? C'est à cette occas~on que les m~­
grants sénoufo manifestent une fois de plus l'attachement à leurs institutions
\\
...
d'origine. En effet, que ce soit l'association des ressortissants de Karakoro,
de Boundiali, de Ferkessédougou, de Dikodougou, etc .. ,
les réunions se tien-V
nent chez le plus âgé des migrants, de préférence ayant une certaine noto-
riété, voire un minimum de fortune.
Rarement ce dernier fait partie de l'or-
gane de direction. Cependant, ayant acquis de la sagesse de par son âge et de
l'expérience de par son long séjour en Basse Côte, il participe à toutes les
délibérations en s'efforçant de prendre très peu la parole tant qu'il y a
accord unanime des membres sur un quelconque problème.
Chez les Sénoufo le
sage parle peu et quand il intervient c'est avec autorité et maturité. Ainsi,
en cas de désaccord, il écoute chaque interlocuteur, s'informe, argumente et
tranche. Tout le monde se soumet à son jugement.
Le sage généralement appelé "lêo" , c'est-à-dire le v~eux comme au
village, exerce l'autorité judi~iaire aidé de quelques membres influents. En
effet tout conflit opposant deux membres est porté à sa connaissance. Il tran-
-
- _. --
"- - --
-
-- -
-
-_.
_..
che souvent en conformité avec la tradition sénoufo qu'il connait bien et dont
il est le dépositaire et le garant en ces contrées "éloignées".
Nous avons observé que même au se~n des associations comprenant
des intellectuels et souvent des hauts fonctionnaires de l'Etat parmi lesquels
certains de formation juriste, personne ne conteste, du moins ouvertement,
l'autorité et
les verdicts du "lêo". Il détient tous ses pouvoirs de l'âge etde
son principal attribut, la sagesse. Le sage, véritable homme-orchestre, détient
le v~ritable pouvoir dans l'association tandis que le bureau élu se charge
principalement de l'administration. C'est encore lui qui assure les formalités
d'usage et les différentes démarches nécessaires en cas de mariage d'un mi-

195
grant (il est censé être le "père" de tous). En dépit de son effacement ap-
i'
parent par rapport aux membres du bureau, le "lêo ll incarne la sagesse et
garantit l'esprit de solidarité du groupe. Ainsi, l'association que créent
les migrants ruraux en milieu urbain, de par ses institutions calquées sur
celles du milieu d'origine avec un apport de modernisme, assure la sécurité
de tous au nom du principe bien connu que le groupe est sécurisant.
Avant de clore cette partie sur le phénomène d'association, di-
sons quelques mots sur les relations des Sénoufo avec les autres Ivoiriens.
De ce qui précède, on constate que le migrant Sénoufo polarise
une bonne partie de ses relations à l'intérieur de la communauté villageoise
reconstituée. Cependant il n'entretient pas moins de relations avec les autres
Ivoiriens) autres que ceux de son groupe ethirique. Dans ces rapports les autres
Ivoiriens ne tarissent pas dl éloges en son encontre: travailleur, courageux, gé-
______~~re_\\l~, ~r~s sociab~e et p_l~in de chaleur humaine mais aussi prisonnier de
son éducation qui privilégie le respect de la hiérarchie et de l'ordre établi,
ce qui fait de lui un être très tolérant, un peu trop même à leur avis. Cette
éducation fait de lui un homme de confiance à qui on peut se lier d'amitié, à
l'abri des coups de théâtre.
Après cette succinte analyse des relations du migrant sénoufo,
voyons sa position sociale une fois installé en Basse Côte.
Qu'ils soient ouvriers ou manutentionnaires dans un centre urbain
ou
manoeuvres agricoles dan~ une plantation en Basse Côte, les migrants sé-
noufo dans un premier temps au moins, grossissent la catégorie des prolétai-
_ ~es urbains _()u p_lus _exa<::~emen t l_acatégoriE! __d~s IIruraux prolétaris~sll. A ce
titre, ils accomplissent le même itinéraire que tout autre Ivoirien mis dans
les mêmes conditions suivant un processus qui mène vers la prolétarisation
des migrants d'origine rurale donc non qualifiés pour les emplois urbains
modernes (1).
(1) A propos
de la prolétarisation des migrants ruraux en milieu urbain,
deux travaux nous paraissent bien décrire le processus : celui de
Gibbal, J.M. - Citadins et villageois dans la ville africaine. P.U. de
Grenoble, Maspéro, 1974; et celui de Rey, P.P. déjà cité.

196
Ainsi les migrants ruraux non qualifiés occupent le bas de
.-
l'échelle de la communauté urbaine et leurs grandes ambitions au départ de
leurs villages n'obtiennent que de petites satisfactions. Ce nouveau statut
qui est le leur ne se réfère pas à celui qu'ils avaient auparavant chez eux.
Bien que peu ou pas épanouissante, l~ situation de prolétaire est relative
selon l'insertion urbaine réussie ou manquée du migrant, d'où la mobilité
sociale que comporte toute migration. Si du point de vue de l'analyse géné-
rale on s'accorde à reconnaître à priori une régression sociale du migrant,
celui-ci, par rapport au statut qui était le sien au village, voit néanmoins
dans sa nouvelle situation une promotion sociale en dépit des problèmes pro-
,pres à la ville. Comme le montre éloquemment le tableau ci-dessous, les quatre
dépenses prioritaires du migrant sont à lier à la vie urbaine : dépenses ali-
mentaires, loyer, habillement, transport. Certains interlocuteurs affirment
...
que ces dépenses engloutissent plus de la moitié, voire les 3/? de leur reve-
nu mensuel.
Tableau 32
Les dépenses du migrant en milieu urbain (Possibilité de réponses
multiples)
DEPENSES PAR ORDRE D'IMPORTANCE
V.A.
%
1 •
O. dépenses alimentaires
110
68,75
l. loyer
108
67,50
2. dépenses vestimentaires(toute la famille)
80
50,00
,
3. dépenses transport
54
33,75
4. -dépenses méàicaments(santé)
--- -
--
--
20
._.
12,50
5. scolarité des enfants
16
10,00
6. aucune dépenses et N.D.
12
7,50
Le tableau montre bien qu'en milieu urbain tout se paie en monnaie;
et le migrant doit s'adapter à cette nouvelle vie tout en s'efforçant à épar-
gner, car son objectif ultime c'est l~ satisfaction des besoins qui l'ont
pcyssé
à quitter le village et qu'il espère retrouver tôt ou ~ard. En plus,
habitué à son environnement villageois il supporte mal les débuts de sa cou-
pure brutale. Cet isolement le conduit alors à reconstituer une partie de son

197
milieu d'origine en formant des associations à base ethnique comme nous
i·'
l'avons déjà vu· . Les migrants par la force des choses deviennent créateurs
d'institutions.
Pour reven~r aux différentes relations des Sénoufo, il faut rap-
peler que dès leur arrivée en Basse Côte ils travaillent souvent comme de
simples salariés agricoles. Mis ainsi en situation d'infériorité ces~manoeu­
vres'; selon le terme consacré en Côte d'Ivoire et tout ce qu'il sous-entend,
peuvent être à un certain moment l'exutoire de l'ethnocentrisme ou du ré-
gionalisme de la part de l'environnement qui leur fo~rnit du travail salarié.
Entre employeurs et employés s'établit ainsi un rapport d'hiérarchie, de su-
périeur à inférieur avec une toile de fond d'ethnocentrisme. Cet état des
rapports est à l'origine du colportage de préjugés ethniques. Un exemple
concret est de considérer le nord de la Côte d'Ivoire comme le "parent
pauvre" du pays. Pour l'Ivoirien commun ou l'opinion publique, la Côte
d'Ivoire se limite à Bouaké, le nord en étant exclu. Déjà en 1932, l'adminis-
--
-~-
-
--.-_.------- --- - --.----
-
_.
--
trateur des colonies Perron notait avec une certaine amertume les conditions
des prestataires sénoufo :
"Les pauvres "Korokos" , parias du wharf de Grand-Bassam ou
des chantiers forestiers de la Basse Côte, si dédaignés là des
Blancs comme des Noirs (un "Koroko", ça vaut 2,50 F, disait un
chef d'équipe lagunaire" (1)
De nos jours encore les mentalités n'ont pas complètement muté.
Il demeure encore des survivances au niveau de ces préjugés dont l'origine
se trouve dans l'histoire des Sénoufo depuis les guerres mandingues et la
colonisation française. La situation des Sénoufo que nous venons de décrire
provient de leur statut socio-économique une fois immigré en Basse Côte.
---- ._--
-- -- - -
-_..- -- --
_._-_._---~
Après les relations des migrants dans leur nouveau milieu-de ré-
sidence voyons celles qu'ils entretiennent avec leur milieu d'origine.
2. Les relations avec le milieu d'origine
Il s'agit de cerner tous les moyens qu'utilise le migrant pour
maintenir ses relations avec son milieu d'origine. Parmi ces moyens, les ca-
deaux envoyés occasionnellement ou emportés lors des visites tiennent une
place de choix.
(1) Perron, M. - Un pays moyen. Le Soudan de la Côte d'Ivoire. Op. ciL p. 5

198
al RSle.des cadeaux et divers enV01S
A la question "Envoyez-vous quelque chose à vos parents demeurés
au village", le tableau ci-dessous indique les différentes réponses.
Tableau 33
Envois aux parents demeurés au village
CADEAUX
AUX
PARENTS
DU
VILLAGE
V.A.
%
o. our
136
85,00
- -
;: Enurnération :
· argent
:
118
· vêtements .,p
:
66
· savon,mobylette,valise ...
:
4
--
-
-
- - - -~.
-
- .-
_. ---_. ---~ -----
------
_.
1. NON
24
15,00
- -
Pourquoi ?
apprenti et chômeur
:
11
· salai re insuffisant
:
4
N.D. (honte de révéler qu'il
:
9
n'envoie rien)
TOTAL
160
100,00
A la question 85% des migrants répondent par l'affirmative. En
réperioriant-le-s diHérenfs- obj ets envoYés-aiix'parerits~on cons-tate que
l'arg~ntvienten tête suivi de loin par les vêtements et accessoirement de di-
vers articles manufacturés: savon, valise, vélomoteur, etc ...
Les 15% qui répondent par la négative ont des ra1sons précises
qui les empêchent de faire comme la grande majorité des migrants. Ce sont
essentiellement des chômeurs sans ressources ou des apprentis au salaire déri-
soire. Les non déclarés regroupent ceux qui pour une raison ou une autre -
mais qui leur est intime - éprouvent une certaine gêne ou honte de révéler
qu'ils n'envoient rien à leurs parents. "Oublier" ses parents auxquels est
liée toute une mystique ne présente pas bien. On pourrait également inclure
;: Plusieurs choses peuvent être envoyées à la fois.

199
dans la catégorie des non àéclarés, les marglnaux qui n'ont plus d'assise
rO
au village et les acculturés qui ont décidé de rompre avec la tradition
sénoufo pour ne penser qu'à leur propre épanouissement. Ainsi, à l'exception
de ces 15% on constate que les migrants sénoufo une fois en Basse Côte pen-
sent à leur famille et continuent d'une autre manière de s'acquitter de leurs
devoirs envers elle
Mais comment parviennent aux parents les cadeaux ? Les migrants
d'un même village ou de villages voisins se connaissent tous à l'intérieur
d'une même localité. Lorsque l'un d'eux se rend en v{site (1) ou rentre dé-
finitivement il
en informe
les autres. Chacun prépare alors un cadeau ou
une somme d'argent à remettre à ses parents et ce seul geste de générosité
constitue un simple signe d'affection et d'attachement à la famille. De cette
manière le migrant prouve qu'il conserve intact le sens de la famille. Il en
est de même quand un migrant rejoint sonYlieu de résidence en Basse Côte.
Après avoir discrètement prévenu les parents de ses camarades ceux-ci lui
remettent surtout des lettres et quelquefois de menus colis. Précisons qu'entre
les
migrants et leurs famill~ la correspondance joue un rôle primordial.
Toutes les lettres que le migrant adresse à ses parents visent à tranquilliser
ces derniers sur son sort en Basse Côte et attend d'eùx des bénédictions (2).
En retour les lettres en provenance du village se terminent par les prières
des parents qui demandent à Dieu et aux ancêtres de veiller sur leur enfant
isolé en Basse Côte. C'est d'autant plus émouvant que les parents ne con-
naissant rien à la Basse Côte ont l'imagination fenile
et féconde de ce que
furent les travaux forcés en leur temps avec leur cortège de mauvais souvenlrs.
Les parents sont également inquiets des différents dangers que leur fils doit
affronter dans cette terre lointaine ou la solidarité et encore moins l'huma-
nlsme à la sénoufo n'ont cours.
Un fai t important à noter dans 1°' envoi des lettres et cadeaux :
le rôle d'émissaire que jouent à tour de rôle les migrants à chaque occasion
(1) Après quelques années passées en Basse Côte, le migrant retourne au vil-
lage et rend visite à tous les membres de sa famille. C'est une pratique
très courante et il existe une expression en vogue en Sénoufo "mi sia
kaha wolo wélé", voulant dire "je vais voir les miens au village".
(2) Pour tout Sénoufo bien imprégné de sa culture le père et la mère relèvent.
du "sacré" et Dieu exauce toujours leurs prières - bénéfiques ou maléfi-
ques - quand celles-ci sont formulées à l'égard de leurs progénitures.
Raison pour laquelle les migrants indépendamment de l'affection, s'effor-
cent de se les conciler en ne leur manquant pas de respect et d'attention
bienveillante.

200
de retour au village. De cette manière se tissent des relations plus serrées
f';
et intimes entre les familles des différents migrants d'une même localité
même si celles-ci avaient eu auparavant des altercations/à propos de terre
comme c'est le cas fréquentJou tout autre différend. On pourrait même taxer
de "complicité" ces relations médiatisées par les enfants émigrés surtout si
ceUX-Cl tirent un profit notable de leur migration. Les familles des migrants
forment ainsi un sous-groupe social tendant à la marginalisation dans la com-
plicité, consciemment ou inconsciemment. Pour comprendre cet état de fait
faudrait-il. rappeler que les départs en Basse eSte se font dans le plus strict
secret et le cercle familial garde également secret le lieu de résidence de
leur enfant. On se contente de dire avec imprécision" notre fils est dans le
toucono".
• Après les cadeaux et les lettres, les visites périodiques consti-
tuent une autre forme de maintien des relations.
b/ Visites circonstancielles
Pour approfondir toujours l'aspect des relations avec le village,
il a été posé la question suivante: "Allez-vous souvent au village 7". Le
tableau ci-dessous montre avec éloquence l'attachement des migrants sénoufo
à leur village d'origine.
Tableau 34
Nombre de visites au village et leur périodicité
RETOUR
AU
VILLAGE
V.A.
%
1
O. OUI
146
91,25
... - -- - --
. -
-
-- .
- .
Périodicité
· 1 fois/an
:
125
· 2 fois/an
:
10
· chaque 2 ans :
11
1. NON
14
8,75
--
Pourquoi 7
· pour ne pas être malade
· plus de parents au vi llage
· pas de moyen (apprentis et
chSmeurs)
TOTAL
160
100,00

201
Ainsi 91,25% des migrants retournent au village et parmi eux la
grande majorité s'~ rend au moins une fois par an. Les autres, en toute
évidence ceux qui travaillent à leur propre compte, y vont deux fois par an.
Le tableau montre également que l'infime catégorie des migrants
qu~ ne vont pas au village (8,75%) se recrutent parmi ceux que nous appelons
d'un terme commun les"marginaux"dont les raisons essentielles sont les sui-
vantes :
éviter une éventuelle rencontre avec les sorc~ers et jeteurs de sorts.
- plus d'assise au village parce que orphelin de père et de mère.
manque de moyens financiers (apprentis et chômeurs) .
...
Précisons que la troisi~me catégorie constitue un cas à part car
une fois leur. situation d'emploi améliorée/ces migrants pourraient rendre
visite à leur famille.
Dans la mesure où la grande majorité des migrants rentrent périodi-
quement au village il devient essentiel de savoir à quelle occasion ils y
vont.
A la question "A quelles occas~ons allez-vous souvent au village ?"
. ,
le tableau ci-dessous donne les différentes réponses.
Tableau 35 : Occasion~ de retour au village (possibilité de réponse!'; multiples)
A QUELLES OCCASIONS ALLEZ-VOUS AU VILLAGE
V.A.
%
-O. - Congés (symbolique des congés chez les
80 -
50 ,00 .
villageois) -
- _.
._.
-
J. Funérailles
75
46,00
2. Appel de la famille(sacrifice ou parent
49
30,63
malade)
3. Mariage
4
2,50
4. Initiation au"poro"
2
] , 25
5 . Jamais retourné
6
3,75

202
Les rép,onses peuvent se regrouper en deux rubriques : les congés
(vacances) et la participation à la vie du village par le biais des diffé-
rentes cérémonies. Analysons-les.
cl Visites périodiques : les congés annuels
Les congés annuels sont une découverte récente qui ne laissent pas
les Sénoufo indifférents parce que inconnus en tant que tels dans le contexte
du système d'activités agricoles qui sont les leurs. Pour eux il n'y a pas de
repos tant que les facteurs naturels permettent de produire un tant soit peu.
Il est vrai qu'il y a une dépression des activités en sa~son sèche mais il
n'existe pas de repos au sens d'inactivité ou de désoeuvrement vo~re d'oisiveté.
Un des avantages attachés aux congés et qui séduit les S~oufo c'est le fait
de bénéficier pendant ce temps d'inactivité de son salaire contrairement à l'éco-
.m~e. agricole,
_ où toute autre période d'inactivité est sanctionnée par une
- baisse de-production. -Ainsi les congés, et. plus récemment les congés payés sont
,
devenus le symbole du travail urbain moderne. Il faut souligner encore que le
migrant en congé s'efforce de participer aux travaux agricoles du village d'où
l'occasion pour lui de montrer que son emploi urbain est très différent du
r'"
labour. S'il n'arrivait.à suivre le rythme du labour il était facilement par-
donné parce que supposé avoir perdu l'habitude de manier la houe. Mais s'il
arrivait à suivre le rythme et même à "tOYO" (cf. compétition labour dans la
première partie ), les autres cul ti vateurs étaient surpris de 'voir qu'il manie Encore
la houe avec virtuosjté.
En tout état de cause ,les congés représentent pour le migrant en
visite une occasion de montrer en quoi le séjour en Basse Côte le différencie
des autres jeunes demeurés- au village, ce qui-peut donner lieu à des tentati-
ves àe mystification. Mais les migrants y succombent peu par modestie, vertu
cardinale dans la société sénoufo. Cela ne l'empêche tout de même pas de mar-
quer la différence quelquefois par des propos ou des attitudes exagérément et
volontairement grossis pour faire du tape à l'oeil. Telle nous paraît la sym-
bolique des congés que le migrant a créée et entretient en milieu rural. A
présent voyons sa participation aux cérémonies du village, une autre manière
de maintenir les relations avec la base.

203
d/ Participation aux différentes cérémonies
,-
Se rendre au village à l'appel de la famille ou pour réconforter
un parent malade, participer aux cérémonies de funérailles, de mariage et
même d'initiation au"poro"sont des comportements assez significatifs de
l' attachemen des migrants à leur communauté de base mais aussi de la volonté
de jouer leur rôle au sein de la famille. Le fait que seuls 3,75% des m~­
grants ne soient pas retournés chez eux atteste cet attachement et ce souc~
de participation de la grande majorité. Nous avons déjà parlé de l'impor-
tance des funérailles en pays sénoufo où tout un chacun y compris le migrant
est tenu de faire preuve de ses capacités et de marquer l'affection au pa-
rent défunt en l'honnorant. C'est à ce seul prix qu'on sauve le prestige
de la famille.
A un autre n~veau le migrant en Basse Côte doit participer à la
pr~se des décisions qui engagent la famille (initiation d'un membre de la
famille au'poro'~mariage d'une fille du cercle familial, sacrifice néces-
saire pour la paix et le bonheur de la famille, etc ... ). Pour toute démar-
che auprès de l'administration moderne il joue le rôle d'éclairé pour avoir
eu une large expérience en Basse Côte. A ce niveau-ci, l'initiative et la
décision lui reviennent et les autres membres de la famille ne feront que
suivre.
La présente analyse tend à montrer que la distance géographique
ne conduit pas inéluctablement à une distance par rapport àtout ce qui concerne
la communauté familiale et villageoise. Au contraire; plus le migrant
s'éloigner œson milieu d'origine plus il prend conscience de la nécessité de
participer au jeu social qui régit la communauté villageoise et familiale.
Après cette brève analyse
des
relations que les migrants
entretiennent avec le village voyons les retours de migration à proprement
dit et les différentes incidences.
3. Les migrations de retour
Nous désignons par retour migratoire tout retour au village ou
tout au moins dans la région d'origine, qu'il soit provisoire (congés an-
nuels ou toute occasion de visite) ou définitif. L'objectif de cette partie
est de cerner les effets de ces retours sur la communauté villageoise d'une
part, et d'autre part de voir si la migration en Basse Côte peut se solder par
une aptitude au changement conunelo; pourrait le cÇoire de prime rlhord.

204
al Effets de retour
Dans un premier temps voyons ce que le migrant fait de son argent
gagné en retournant chez lui. En d'autres termes quelles sont les dépenses
qu'il effectue. Le tableau ci-dessous indique l'utilisation de cet argent
durement gagné.
Tableau 36 : Destination de l'argent lors du retour au village (Possibilité
de réponses multiples)
UTILISATION DE L'ARGENT GAGNE (RETOUR)
V.A.
%
o.Achat de pagnes funéraires,effets d 'habi llement
56
35,00
1.Ar~ent aux parents et cadeaux aux " v ieux" du quartier
34
21,25
LAchat de matériaux de construction
-- ---
--
----------
- l 7-~-
..
- -
10,62 _
3.Engager des ouvr~ers agricoles temporaires
11
6,87
4.Achat de vélo,vélomoteur,radio,torche,médicaments,
68
42,50
bétail ...
Par ordre d'importance on constate que le migrant cherche avant
tout à satisfaire ses besoins personnels en se procurant de toute une pano-
plie d'articles manufacturés: vélo, vélomoteur, radio, lampe de poche ...
Ces objets symboliseront
son retour triomphal de Basse Côte et le démarque-
rontdes autres jeunes. C'est à ces signes extérieurs que se ronnaît un
jeune que son audace a amené à affronter l'inconnu en migrant en Basse Côte.
Après ces produits de la société de consommation vient l'achat
d'objets destinés à soigner son prestige vis-à-vis de la communauté villa-
geoise en rapport avec le système de valeurs. N'a de valeur et de considéra-
tion que tout Sénoufo capable d'offrir des funérailles'grandioses à ses pa-
rents. Or l'honneur du défunt et le prestige de ses enfants se mesurent au
nombre des couvertures mortuaires et à leurs dimensions. Plus ces couvertures
sont grandes et nombreuses mieux les funérailles sont honorables et presti-
,
gieuses. Alors tout migrant de retour engloutit une bonne partie de sa petite
économie pour constituer un bon stock de pagnes mortuaires en attendant avec
assurance les jours fatidiques.

205
Toujou~s en regard de son prestige, l'image de marque du migrant
ne sera rehausséee que s'il s'habille commes les gens de la Basse Côte en
portant non plus des cotonnades de fabrication locale mais des habits à la
mode, en tissu tergal notamment. Il s'en procurera pour ses parents, ses
jeunes frères et soeurs et surtout pour sa fiancée ou sa femme. N'est-ce pas
vrai que dans le contexte qui est le sien une femme bien parée fait l'honneur-
de son fiancé ou de son époux qui fait ainsi une démonstration de ses nou-
velles capacités financières. C'est en quelque sorte une exhibition de sa
richesse. Par de tels détours - et les migrants rivalisent d'imagination
pour l'invention des gadgets - il
doit
être à même de révéler le succès
de son entreprise.
En troisième lieu vient la répartition en espèce de l'argent
gagné. C'est l'aspect le plus ostentatoire, le plus exhibitionniste et le
plus vaniteux du retour des migrants. Après avoir mis de côté l'argent des-
tiné à ses parents, le migJ?ant - bien vêtu à l'occasion - sur conseil de ses------------
parents prévoit une certaine somme d'argent pour chaque dignitaire et notable
et autres vieux du village sans oublier les amLS de la famille. Allant de
porte en porte pour saluer chacun d'eux, il répartit ainsi une bonne partie
de l'argent amassé en Basse Côte accomplissant ainsi ses devoirs envers toute
la communauté villageoise. Il versera aussi quelques piè'ces ou billets de
banque sur les tombes des membres de la famille à l'enterrement desquels il
n'avait pu assister.
En dernier lieu notons les
investissements qu'on pourrait quali-
fier de productifs : achat de matériaux de construction et engagement de
journaliers pour certains travaux agricoles. Il est très important de noter
-qu' il- y a un grand écart entre les aspi rations des migrants dont-la maj ori té-
aurait aimé construire de belles maisons et l'utilisation effective de l'ar-
gent dont une partie importante est destinée à des dépenses à caractère so-
cial.
Après ce retour "triomphal" qui se traduit dans les différentes
destinations de l'argent, quelle est l'attitude des parents à l'égard de leur
fils,que celui-ci ait migré avec ou sans leur consentement?

206
Attitude des parents
Nous savons que généralement les parents s'opposent dans un pre-
m~er temps au départ de leurs enfants d'où les cas de "désertion" constatés.
Mais au retour les parents semblent, à en juger par le tableau ci-dessous,
accepter non seulement le fait accompli mais tirer une certaine fierté de
l'entreprise de leur fils. Est-ce à cause de l'argent et de cadeaux rapportés
ou bien le recul leur a-t-il permis de prendre conscience de certaines réali-
tés irréversibles ! Il est difficile de répondre de manière sûre à ce volte-
face des parents. Cependant une chose
est certaine: les cas rares de re-
présailles contre des jeunes ayant migré malgré l'opposition de leurs pa-
rents. Le migrant, une fois de retour est accueilli avec joie, un accueil
~~digne de l'enfant prodigue qui retourne chez les siens. Selon le tableau
91,88% des migrants déclarent que chaque retour, provisoire ou définitif, fait
la joie et la fierté de leurs parents.
Tableau 37
Attitude des parents lors des migrations de retour
ATTITUDE DE VOS PARENTS (RETOUR)
V.A.
%
O.Contents et fiers de moi
147
91,88
I.Mécontents
3
1,88
2. Indifféren ts
1
0,63
3. N.D.
9
5,63
TOTAL
160
100,00
Pour juger toujours des effets des migrations de retour, après la
joie et la fierté des parents, quelle est l'attitude des camarades du mi-
grant demeurés au village?

207
Atti tudedes camarades d'âge
impact des effets de démonstration
Tableau 38 : Attitude des camarades d'âge,
demeurés au village
(Possibilités multiples de réponses)
ATTITUDES
DE
VOS
CAMARADES
V.A.
%
O. médisances (critiques)
16
10,00
1. indifférents
41
25,62
2. admiration
103
64,38
.effets d 'habi llement
85
.vélo et v~omoteur
33
. langues apprises en B.C .
8
.comportement(ouv.d'esprit
6
train de vie, manière- de
causer)
.beauté du corps (peau lisse
4
et de teint clair)
.valise
4
.poste de radio
7
.idée que Je su~s riche
3
.voiture
1
. courage
1
1
1
ou~
84
52,50
3. env~e de migrer
non
76
47,50
1
4. conseils
.rester au village
- -
68
42,50
-
---
-- ..- ------
- -
-
.que chacun tente sa chance
19
11,87
-,préparation psychologique et
10
6,25
pratique
5
3, 12
. quitter le village car pas
'd'emploi
5. N.D.
58
36,25
Selon ce tableau, 103 migrants soit 64,38% péclarent faire l'ad-
miration de leurs camarades à chaque retour contre 25,62% qui les trouvent
indifférents et 10% qui pensent qu'on dit plutôt du mal de leur entreprise.

208
Mais la question ~rend une autre dimension non moins importante quand on
demande aux migrants de préciser ce qui fait leur admiration. On retrouve
là en tête des objets déjà énumérés : les beaux habits, le vélo,
le vélomoteur, la radio, les langues apprises en Basse Côte mais auss~ un
certain comportement caractéristique des migrants comme l'esprit très ouvert,
le train de vie pendant les jours immédiats du retour, volubilité, etc ...
Que pouvons-nous comprendre de toutes ces attitudes des parents
et des camarades du migrant ?
On constate d'abord que les migrants de retour diffusent en m~­
lieu rural les articles de l'industrie moderne notamment consommés ou utili-
sés dans les centres urbains. Tels sont les cas des moyens modernes de loco-
~
motion (vélo, vélomoteur, voiture), de communication (radio, magnétophone),
mais aussi des articles un peu banals comme la valise. Ces objets utilisés
--
de__manière ostentatoire et vaniteusement, constituent des effets de démons-._
tration qui ne laissent pas indifférents les jeunes demeurés au village et
qui ne peuvent y accéder en demeurant dans leur milieu rural. Conséquence lo-
gique : le même tableau fait ressortir qu'un peu plus de la moitié des mi-
grants notent, de la part des jeunes villageois, une env~e de migrer aussi
en Basse Côte. C'est bien là la vérification de l'hypothèse émise auparavant
à savoir que "la migration appelle la migration" et qu'en fait le retour du
migrant serait aussi, par les effets de démonstration, un facteur assez déter-
minant dans le phénomène "toucono". Dans l'analyse précédente sur les effets
de migration nons n'avons pas évoqué la beauté du corps (peau lisse et de
teint clair, physique agréable), la possibilité de faire fortune en Basse
Côte et aussi l'acte de courage que nécessite le départ à l'aventure. Une
telle aventure,. tout. jeune-serait tenté de l'.entreprendre d'autant plus qu'elle
est prometteuse. Les éventuels migrants n'y voient que des bénéfices, ne se-
rait-ce que l'accès à tous les objets et effets psychologiques qui font la
convoitise de la jeunesse rurale.
Quant aux conseils que donnent les migrants aux Jeunes villageois,
ils se résument à deux attitudes : ceux qui leur demandent de rester au vil-
lage compte- tenu des dures difficultés à affronter en Basse Côte et ceux qui
les laissent envisager un éventuel départ mais à condition de s'y bien pré-
parer. Quant aux non déterminés, assez nombreux, ils concernent principale-
ment les migrants qui s'abstiennent de donner des conseils pour éviter de
provoquer de la part des jeunes villageois des réactions bien connues du genre
\\
'

209
"n'est-ce pas vrai' que tu ne me conseilles pas d'aller en Basse Côte parce
que tu ne veux pas que Je réussisse comme toi". Ceux-là savent que leurs
consei ls ne dissuaderont aucun jeune
vi llageois décidé à aller fai re son tour
en Basse Côte. Ces 36,25% des migrants perçoivent bien la contradiction dans
leurs conseils, certes de bon sens, mais contre lesquels les effets de démons-
tration dont ils sont d'ailleurs "coupables" jouent en sens inverse.
Après les effets de retour voyons dans ce deuxième volet du sous-
chapitre si les migrations de retour, notamment les retours définitifs, cons-
tituent un facteur de changement ou d'immobilisme.
bl Migration de retour
changement ou immobilisme
..\\-
Après toutes les expériences vécues en Basse Côte on est ~plutôt
porté à croire que le migrant de retour dans sa société d'origine peut être
un facteur de- chaIlg~eme-nt~Aviil.t de ~~répondre-dêfinrù~vementà cette question,
voyons d'abord si au cours de sa migration on peut déceler de la part du
migrant une attitude favorable au changement à trois niveaux: la profession,
la religion et l'apprentissage d'une langue. Pourquoi ces trois paramètres?
Ceux-ci constituent les caractéristiques les plus visibles chez les migrants
de retour pour déceler en eux une éventuelle volonté au changement.
Mobilité géographique sans réelle mobilité professionnelle
réussite ou
désillusion
Le tableau
39
ci-dessous montre bien qu'un peu plus de la moi-
tié des migrants sénoufo, une fois arrivés en Basse Côte, ne consacrent pas
-~--une-part1e de leùr- séjo-ur- à l' apprendssa.ge ~d' un métier -pour m1euxs 'intégrer
1 ~
dans le système urbain (57,50% contre 42,50%). Les raisons en sont de deux
,
ordres: l'âge relativement avancé des migrants qui n'est pas un facteur fa-
vorisant l'apprentissage d'un métier et le manque de moyens financiers durant
la période d'apprentissage. A propos de la deuxième raison rappelons que
l'ap-
prei1tissage d'un
métier chez un patron n'est pas rémunéré
en .tant que tel.
Cependant l'âge avancé et le manque de structure adéquate à l'apprentissage
d'un métier ne sont pas les seules raisons. Il en existe une troisième plus
profonde qui relève de la stratégie du migrant. En effet, tout migrant vient
en Basse Côte amasser le maximum d'argent et le plus rapidement possible. De
ce fait toute activité exercée doit être productive et rentable, donc lui
rapporter de l'argent dans l'immédiat. Il n'est donc pas rationnel pour lui

210
Tableau 39
Métier appr~s en Basse Côte
-
METIER
APPRIS
EN
BASSE
COTE
V.A.
%
O. ou~
68
42,50
- -
I. tailleur
:
25
2. mécan.auto
15
3. chauffeur
9
,
4. électricien
7
5. maçon
3
6. commerce
5
7. menuisier
2
8. coiffeur
1
9. cu~s~n~er
1
L· non
-
----_._-- ---92-~-.
-57,50
~ -
- -
Pourquoi ?
_.
I. trop âgé
2. manque de moyens
3. sans ra~son apparente
TOTAL
160
100,00
de se mettre en apprentissage non rémunéré et sans trop savo~r si le métier
appris lui rapportera plus tard. Cela est encore plus vrai pour les migrants
qui viennent pour un ou deux ans amasser un peu d'argent pour se payer une
bicyclette ou une motocyclette. Ainsi les facteurs âge, temps et rémunération
constituent des handicaps à l'apprentissage d'un-métier, ce qui explique le
fai t que 64,38% des_ migrants soi t plus de la grande maj ori té travai llant comme ma-
noeuvres ou ouvriers dans les différents secteurs de l'activité économique.
Au cours d'un entretien,un migrant d'une quarantaine d'années avait lancé:
"Je suis venu en Basse Côte pour avoir de l'argent et non pour apprendre un
métier". Une fois de plus, l'apprentissage d'un métier facteur de mobilité
professionnelle ne fait partie de la stratégie de beaucoup de migrants sénoufo
alors que la même enquête montre que ceux qui ont appris un métier touchaient des
revenus assez élevés, en tout cas plus importants que le revenu moyen des
manoeuvres-ouvriers (cf. tableau 1~ p. 146 ) ~

211
Revenons à ceux qui ont appris un métier. 42,50% des migrants se
classent dans cette catégorie et les métiers les plus représentés sont de
loin la couture et la mécanique (en fait des réparations de voitures), ensuite
les chauffeurs, les électriciens et les commerçants et enfin en nombre ~n­
fime les artisans comme les maçons, les menuisiers, plus un coiffeur et un
cuisinier. Spécifions tout de suite que les métiers appris ne sont pas forcé-
ment ceux dans lesquels exerçaient les migrants lors de l'enquête, d'où la
différence des données ci-dessus et le tableau 18. La différence vient du fait
que certains,bien qu'ayant appris un métier,exercent dans une autre branche
en attendant de trouver l'embauche adéquate ou d'avoir les moyens d'ouvrir
un atelier à leur propre compte. On peut entrevoir que c'est parmi ceux-là
que se recruteront principalement les migrants qui s'installeront définitive-
ment ou tout au moins durablement en Basse Côte.
-.r
Après toutes ces considérations d'ordre général approfondissons
---------le critère âge-qui semble très capital dans la décision d'apprendre ou non
un métier.
Tableau 40
Age et apprentissage d'un métier
-
. J_
~
AGE
-.16-:-19
20-29
30-39
40-49
50 et
N.D.
TOTAL
MtH~E-mét~e
ans
ans
ans
ans
olus
(68)
OUI
60,76
51,35
41,38
42,50
(92)
NON
39,24
48,64
58,62
-
57,50
(3)
(79)
(37)
(29)
(8)
( 4)
TOTAL
1,88
49,38
23, 12
18, 12
5,00
2,50
100,00
. -
- _.
.
- -
-
-- -- ---
-----,
----
-------
- ~
- - -
-._--
0 -
Ainsi que le tableau l'indique
la catégorie des jeunes de
,
20 à 29 ans il y a une différence significative entre ceux qui ont appris un
métier (60,76%) et ceux qui ne l'ont pas fait (39,24%). La différence finit
par se réduire considérablement pour les migrants de 30 à 39 ans (51, 35%
contre 48,64%) pour s'inverser complètement avec ceux de 40 à 49 ans (41,38%
contre 58,62%).
Ainsi se vérifie l'hypothèse que l'âge influence la décision d'ap-
prendre un
métier rentable. Néanmoins, comme tous les autres au départ

212
l'idée de ceux-ci était d'accumuler le
plus d'argent possible et le plus
i
rapidement souhaitable. C'est durant le séjour migratoire en Basse Côte que
certains ont changé de stratégie vu le facteur favorable qu'est l'âge et la
rentabilité à long terme d'un métier.
Une deuxième constatation importante: le fait que plus de la moi-
tié des migrants n'aient pas appris un métier prouve que la mobilité géogra-
phique n'entraîne pas une mobilité professionnelle, contrairement à ce qu'on
pourrait supposer de prime abord. Même si les migrants sénoufo travaillent
dans des secteurs autres que l'agriculture qui exige un minimum de formation,
ne serait-ce que sur le tas, n'empêche que leur séjour ne se solde pas par
un véritable changement professionnel. Leur domaine d'activité ne se limite
qu'à la manutention, comme dans l'agriculture. Aussi la migration, du point
de vue changement professionnel du migrant, peut-elle être considérée comme
un facteur d'immobilisme sinon de régression car en fait, il perdra la main
-- en ce qUl concerne les travaux agricoles. En filigrane on peut déjà conJec-_
turer sur ce que sera sa retraite; en tout cas un recyclage difficile.
Après le changement professionnel qui n'existe pas véritablement,
voyons celui de la religion qui constitue également un des caractères visibles
du migrant de retour.
Enracinement dans la foi d'origine
A la question "Avez-vous changé de religion au cours de votre
migration 7", on constate que, tout comme la profession, les migrants sont
restés enracinés dans leur foi d'origine, en tout cas celle qui était la
leur avant de migrer. Seuls 33 migrants-soit 20,63% ont changé-de-religion
(30 pour l'Islam et 3 pour le Christianisme) .Les raisons de changement varient
d'un individu à un autre: qui par l'influence de son entourage, qui par sno-
bisme.
L'essentiel à noter ici ce sont les noms musulmans que les migrants
de retour aiment à se donner parce que cela fait snob. Ce nom d'adoption,
vulgarisé avec la complicité de ses camarades ne correspond pas à un chan-
gement de religion et encore moins à une véritable adhésion à cette foi. Pour
comprendre une telle attitude il faudrait rappeler que les Sénoufo sont très
voisins des Malinké islamisés de longue date et dont il subissent l'influence
en matière de religion.

213
Essay6qs de
rattacher les nouveaux convertis à leur religion d'ori-
glne
pour
mieux cerner l'amplitude du mouvement à travers le tableau ci-
dessous.
Tableau 41
Religion d'origine et nouvelle religion
~ Traditionnelle Chrétienne
~pan-
orlglne
Husulmane
TOTAL
emeït
e
re 19lon
(33)
OUI
27,50
8,70
8,70
20,63
( 127)
NON
72 ,50
72,73
91,30
79,37
(80)
( 11)
(69)
·~TOTAL
50,00
6,87
43, 12
100,00
La majorité des convertis se recrutent dans~e groupe de religion
traditionnelle c'est-à-dire le Panthéon sénoufo. Ainsi 27,50% des migrants
de cette catégorie se seraient convertis à l'Islam ou au Christianisme. Les
"fui tes" du côté des chrétiens (3 sur II) et des musulmans (6 sur 69) cor-
respondent à des cas isolés et concerneraient les retours à la religion tra-
ditionnelle en mal d'identité culturelle sénoufo selon eux.
Après la profession et la religion analysons maintenant le troi-
sième élément, indice de changement, l'apprentissage d'une langue "étrangère"
au cours de la migration.
Attrait des langues
S'exprimer en une autre langue autre que le Sénoufo est un des
aspects manifestes et les migrants entre eux s'en donnent à coeur joie pour
susciter l'admiration des villageois. Autant le changement professionnel et
religieux ne l'intéresse guère, autant il mettra du zèle à apprendre une
langue de la Basse Côte. En dégageant antérieurement le portrait du migrant,

nous l'avons caractérisé comme quelqu'un de volubile s'exprimant en plusieurs
langues. Dans l'échantillon seuls 22,50% des migrants n'avaient appris aucune
langue. Parmi eux il y a en fait ceux qui,bien avant leur migration en Basse
Côte, parlaient déjà le Dioula ou le Français après un début de scolarisation
(cours préparatoires).

214
L'appreptissage d'une langue a autant d'importance que l'acqui-
sition d'une bicyclette et sans l'un des deux, s~non les deux, le migrant
ne tirera aucune vanité de son séjour en Basse Côte. A présent voyons les
langues les plus prisées par les migrants.
Tableau 42
Langues appr~ses en Basse Côte (Possibilité de réponses multiples)
LANGUES
APPRISES
V.A.
%
tO. Dioula
91
56,87
1. Français
74
46,25
2. Baoulé
15
9,37
3. Attié
"
2
1,25
4. Bété
2
1,25
5. Mossi
2
1,25
6. Ebrié
3
1,87
7. Adioukrou
1
0,62
8. Aucune langue
36
22,50
En tête des langues apprises se classe le Dioula-Malinké parlé
par 58,87% des migrants. Alors qu'ils sont voisins, paradoxalement c'est en
Basse Câte que le Sénoufo a l'occasion d'apprendre cette langue importante
à deux titres: la langue la plus parlée en Côte d'Ivoire et le caractère
snob. En fait bien avant la migration, le Sénoufo subissait l'influence de
- -
-
_ . 1
_
__
.-. - -
__ ... - --
- -
_..
-
cette langue en raison du voisinage. Indépendamment de cette raison, le Dioula
(Malinké vulgarisé) est la langue commerciale et à ce titre beaucoup prati-
quée dans les centres urbains. Encore faut-il rappeler que le Dioula (1) est
avant tout un commerçant et que son activité a pour cadre principal la ville.
(1) Etymologiquement "Dioula" veut dire commerçant et à ce titre désigne tout
Malinké qui s'adonne à cette ac ti vi té. "M'bé dioula ya kê" pour les
avertis signifie "je fais le commerce" au sens de "je suis un commerçant".
En Câte d'Ivoire, les Malinké comme nous l'avons dit dans la partie his-
torique vivent autour d'Odienné, la capitale régionale.

215
Après \\e Dioula suit le Français que 46,25% des Sénoufo auraient
appris ou "perfectionné" au cours de leur migration en Basse Côte. Rappellons
que le Français est la langue officielle en Côte d'Ivoire et pour le Sénoufo
comme tout autre Ivoirien, c'est signe de modernité. Sa pratique confère un
certain privilège et l'on ne peut comprendre sa portée qu'en le rattachant
au contexte psychologique depuis la période coloniale jusqu'à l'indépendance
où librement la Côte d'Ivoire l'a adopté comme langue officielle et adminis-
trative.
La troisième langue par ordre d'importance est, curieusement, le
Baoulé. Curieusement avons-nous dit, parce que l'enquête a eu lieu à Abidjan
et environs immédiats et dont la langue parlée est l'Ebrié. Seuls 3 migrants,
soit 1,87% l'auraient apprise. L'explication ess~tielle se situe au n~veau
du cosmopolisme d'Abidjan devenue la capitale de la Côte d'Ivoire. La langue
autochtone, l'Ebrié, serait noyée parmi une multitude de langues du fait de
-l-.!...apport-migratoire ayant engendré le cosmopolirisme. Pour revenir au Baoulé
appris par 9,37% des migrants sénoufo, il témoigne d'une migration par relais.
Le dépouillement du tableau 111-13 (cf. Questionnaire p. 5
) révèle une
progression par étape en direction d'Abidjan, et Bouaké et toute sa région,
chez les Baoulé, constitue un des plus important relais. Telle s'explique
l'importance de la langue baoulé classée ici en troisième position.
Les autres langues peu représentées comme l'Attié et le Bété, in-
diqueraient comme le Baoulé des migrations de relais. Toutefois signalons que
le Mossi, une autre curiosité du tableau, est une langue allogène, du pays
voisin, la Haute-Volta ,et dont les ressortissants constituent une colonie
très importante en Côte d'Ivoire. Quelques Sénoufo auraient appris cette lan-
gue-du fait du contact prolongé, soit dans les plantations ou chantiers, soit-
du fait du voisinage très prononcé imposé par la structure des quartiers
réservés aux communautés pauvres de la ville. Mais en fait,seule une infime
partie représentant 1,25% des migrants seraient concernés par ce cas.
Au titre du "bipolarisme relationnel" quelle conclusion partielle
pourrait-on tirer?
Tout au long de l'analyse et meme antérieurement, notre objectif
constant a été de cerner au maximum le mouvement d'aller-retour (feed-back)
entre zones de réception et d'émission de migrants. Sociologiquement, la
migration - pour revenir aux effets négatifs sur la zone d'émission - ne

216
profite pas plein~ment à la communauté villageoise car le migrant de retour
ne peut apporter aucune modification,aussi légère soit-elle,à l'ordre social
établi. Il ne peut non plus agir sur les facteurs endogènes générateurs des
départs des jeunes. Rares sont les cas où il prend une quelconque initiative
de grande envergure. Au contraire. Ayant acquis une certaine expérience en
Basse Côte, le migrant la met au service de la gérontocratie et collabore
étroitement avec celle-ci, ce qui est déjà une promotion sociale pour lui.
Cependant son attitude s'explique car la gérontocratie (l),au nom de l'idéal
égalitarisme ,dispose encore de tous les moyens de pression (main haute sur la
/
répartition des terres et des femmes) et de contrôle social avec l'entretien
d'une psychose de la sorcellerie, sorte de gendarme réprimant toute tentative
de déviance. Face à ces moyens permanents de contrôle le pouvoir financier du
migrant ne peut faire le poids du fait de sa précarité - les vieux Séno~fo
ont l'habitude de dire que l'argent n'est rien car les riches d'aujourd'hui
sont les pauvres de demain -. En plus les biens suprêmes comme la terre et
la "femme" d'une part,et~~~une~ source de--pouvoir comme la sorcellerie d'autre
part,ne sont pas spéculatifs. Cet imbroglio explique le fait que tout migrant
de retour qui voudrait évoluer en dehors de ce cadre décrit,se voit dans
l'obligationdes'installer dans un autre centre urbain proche s'il a appris un
métier ou dans une zone de colonisation agricole assez éloignée de son village
d'origine (exemple de la vallée du Bandama). Ainsi la société sénoufo ne sem-
ble offrir aucune mesure moyenne à ses jeunes revenus de Basse Côte. Des
deux extrêmes, le migrant de retour doit choisir : collaborer en se soumettant
ou partir. En définitive, la migration n'aurait d'autre objectif que de soi-
gner le statut social de celui qui l'entreprend.
A la suite de cette conclusion partielle gardons-nous de croire
--~-que-Ie-tableau du bilan ~gratoire ne compor:teque des ombres. A ce propos-
un point positif mérite d'être souligné: l'injection de l'argent au sein de
la communauté villageoise, avec tous les avantages et inconvénients, la réa-
lité étant qu'aucune communauté ne peut aujourd'hui se mettre hors du circuit
monétaire moderne. L'ins~ffisance de l'argent en circulation en pays sénoufo
lui confère un caractère de puissance et de prestige. Et cela les Sénoufo
(1) L'exercice du pouvoir politique et du contrôle social ne sont pas l'apan-
nage de la gérontocratie sénoufo. En transposant le fait au niveau des
Etats, en Côte d'Ivoire comme ailleurs, on est surpris de voir comment les
"vieux" s'accrochent avec acharnement au pouvoir. Dans toute nomination
ou toute élection au niveau national, il y a une nette tendance à exclure,
d'une manière ou d'une autre, les jeunes.

217
candidats à la mi~ration l'ont compr~s. Néanmoins les migrations de retour
peuvent aboutir à deux situations extrêmes : la réussite ou la désillusion.
Revenons à la gérontocratie pour lui rendre justice en atténuant
l'immobilisme dont nous l'avons taxée. L'hémorragie des jeunes depuis 1960
a mis à nu certaines réalités que la gérontocratie ne pouvait longtemps
ignorer, notamment l'absence d'une dynamique sociale du fait du départ massif
des jeunes. Elle avait également perçu l'impossibilité de renverser le mouve-
ment migratoire en dehors d'un léger desserrement de l'étau social. Aussi a-
t-elle procédé à quelques réajustements,mais combien fondamentaux,pour atté-
nuer cette hémorragie. Dans un premier temps les "vieux" ont attribué,à titre
définitif,des parcelles de terre à leurs enfants biologiques avant que leurs
neveux utérins n'accaparent tout à leur mort en vertu du droit de succession
en vigueur a~ pays sénoufo. Deuxième phase, dans l'impossibilité d'arrêter la
....
montée de l'argent qui pousse les jeunes à migrer, les "vieux" leur concèdent
à titre d' utilisation individuelle, personnelle et autonome _des parcelles de
_
bas-fonds en saison sèche pour la culture de tomate et en saison de pluie
pour la culture d'arachide. Ces deux produits relativement bien rémunérés
sur le marché national permettent aux jeunes d'avoir un peu d'argent pour
satisfaire certains besoins propres à leur génération. Certains chefs de
famille assez fortunés vont même jusqu'à acheter des vélos ou des vélomoteurs
à leurs enfants pour assouvir en eux le désir brûlant de migrer en Basse Côte.
Nous ne reviendrons pas ici sur le"poro"qui à la faveur des mutations diverses
assouplit peu à peu certaines épreuves de l'initiation jugées trop éprouvantes.
Avec cette analyse sociologique prend fin le deuxième chapitre.
Une recherche sur les migrations internes en Côte d'Ivoire ne saurait at-
teindre son but si on ne faisait -pas-aH usion, un -tant soit peu, à la poli tique
ou à la stratégie pour freiner le phénomène, troisième chapitre.

218
III - LA POLITIQUE;IVOIRIE~~E
DE LUTTE CONTRE LES MIGRATIONS INTERNES
Face à ce problème des migrations internes les autorités publiques
ont-elles unestratégie politique? Si oui, en quoi consiste-elle? Les moyens
sont-ils suffisants et adéquats
pour atteindre l'objectif? Telles sont les
questions que nous examinerons dans ce dernier chapitre.
A. La stratégie des autorités publiques
Apparemment,les autorités publiques semblent aVOlr une solution à
ce mal et nous avons montré antérieurement comment les migrations internes
devenues un "fléau national" étaient combattues ne serait-ce qu'à travers
tous les mass médià.
Dans le Plan Quinquennal 1976-1980 (1) au chapitre des migrations
internes les autorités publiques constatent que la population urbaine repré-
sente, en 1975, 32% de la population. totale résidant en Côte d'Ivoire. Au
cours de la décennie, la population urbaine a crû deux fois plus vite (8%
l'an) que la population totale (4% l'an).
La population totale de la zone de forêt représente 70% de la popu-
lation totale résidant en Côte d'Ivoire en 1975; elle inclut les villes les
plus importantes, à l'exclusion de Bouaké. Si l'on s'en tient à la population
rurale de la zone de forêt, on constate qu'elle représente 45% de la popula-
tion totale en 1975 et qu'elle a crû de 3,5% l'an sur la décennie,.
Par contre, la population rurale de la zone de savane n'a crû, de
1965 à 1975, que de 0,7% l'an; elle représente 23% de la population totale
en 1975.
En fait, à ces données alarmistes il faut ajouter que la migration ru-
rale-urbaine au niveau de toute la Côte d'Ivoire réduisait la croissance ru-
rale de 17%.
(1) République de Côte d'Ivoire. Ministère du Plan. Plan Quinquennal de Déve-
loppement Economique, Social et Culturel 1976-1980. Volume III, p. 475
et suivantes.

219
A la suite des constats chiffrés ci-dessus, le Plan Quinquennal fait
r
état d'une diminùtion de la mobilité, diminution due d'une part à des difficul-
tés croissantes que rencontrent les migrants pour accéder aux revenus moné-
taires dans les différentes zones d'accueil, notamment au niveau des emplois
urbains salariés et d'autre part, à la création d'emplois dans des villes de
l'intérieur et les actions de développement agricole ou agro-industriel en
milieu rural, notamment de savane.
Quels sont les objectifs précis du pouvoir central ? Il est énoncé
dans le même document officiel: effort d'orientatio~ des flux migratoires et
externes en vue d'un développement régional plus équilibré. En d'autres termes,
la stratégie a pour objectif principal de parvenir- à une meilleure maîtrise
des courants migratoires ce qui se traduit d'une part, par une intention de
...~
freiner et d'orienter vers les villes, petites et moyennes, de l'intérieur un
exode rural qui restera en partie inéluctable: et même, à te~me, nécessaire;
et d'autre part, par une_ v~lonté de fr~ine!_les migrations inter-rurales de la
savane vers la forêt, surtout au moment où les principaux bassins d'émigration
de savane s'avèrent recéler des possibilités de développement maintenant ex-
ploitables.
Après la définition de l'objectif quels sont les moyens mis en
oeuvre pour l'atteindre? Le Plan Quinquennal reconnaît que l'orientation
actuelle des flux migratoires internes tend à renforcer les déséquilibres et à
dévitaliser le milieu rural. "L'ensemble des moyens, poursuit-il, visant à
réduire les disparités entre zones et milieux au niveau des revenus par la
production et la productivité, et au niveau du cadre de v~e par les consom-
mations collectives, relève essentiellement des politiques d'aménagement du
territoire et de~_ secte:urs productifs. Il Y a des_ moyens à court terme ~_t_des
_
objectifs à long terme. Le court terme a trait d'une part à l'accroissement
du revenu, à l'amélioration des conditions d'existence et du développement des
offres d'emplois dans les zones de départ et d'autre part, la promotion d'un
réseau dé villes moyennes, susceptibles de freiner la migration vers les plus
grands centres et notanunent Abidjan. Quant au long terme il porte sur la ré-
forme du système d'éducation et la valorisation de modèles culturels ruraux
(promotion d'un paysannat moderne) qui devront conduire à des nouveaux modes
de vie, hors des grandes villes, concurrentiels avec les modes de vie urbains
acuuels. Cetteiévolution implique de nombreuses transformations dans l~action
des mass média, les systèmes de production agricole, les rapports entre géné-
rations, le statut et l'activité féminins".

220
Telles sont les grandes lignes du Plan Quinquennal 1976-1980 sur
ï
les problèmes de migrations internes au niveau du diagnostic, de l'objectif
et des moyens. Tous ces moyens précaunisés s'appliquent a tout l'ensemble de
la Côte d'Ivoire. Comment se traduisent-ils au niveau de la région q-li nous intéresse
ici, c'es ta dire le nord, une 10 ca l i té des plus touchées par les migra tions internes ?
La première action concrète au nord pour freiner la migration ln-
terne est le développement économique, social et culturel. A ce titre les
objectifs au nord ne sont pas différents de ceux définis au niveau national.
Le Plan Quinquennal 1976-1980 s'efforce de réaliser les objectifs nationaux
exprimés par celui 1971-1975, à savoir:
- poursuite de la croissance,
répartitio~$des fruits de cette croissance,
- promotion humaine accélérée.
Après aVOlr constaté que le nord était en marge du développement
ivoirien la décision fut prise de faire de cette région une zone pilote de
développement. Un scénario de trois phases fut défini :
. 1ère phase : recherche et mlse en oeuvre des actions et aménagement suscep-
tibles de réaliser les objectifs de développement
2ème phase
mlse en valeur systématique des potentialités régionales
3ème phase
prise en charge, par une société rénovée, de son propre dévelop-
pement.
1. Les programmes et les réalisations économiques
Tous ces efforts de développement s'articuleraient autour des trois
vocations de la région nord :
- grenier vivrier
- élevage
- industrialisation valorisant sur place les productions régionales.
Développer le nord impliquerait pour les autorités un infléchissement
des migrations internes. Selon la première esquisse du schéma directeur d' amé-
nagement
.'~aintenir l'exode rural dans des limites raisonnables est donc
impératif, que l'on ne peut respecter qu'en donnant au monde rural des rai-
sons solides de croire en son avenir". (1)
(1) Ministère du Plan.DATAR. Ensemble régional nord de Côte d'Ivoire. Première
esquisse de schéma directeur d'aménagement. Tome I-Cadre régional.BNETD-
DATAR, février 1975, p.
12.

221
al Implantation d'unités agro-industrielles
c'est la premi~re concrétisation des actions destinées à sortir le
nord de sa léthargie économique.
Le complexe sucr~er de Ferkessédougou
La période quinquennale 197]-]975 a vu comme prévu la construction
et le démarrage du complexe sucrier de Ferkessédougou faisant partie d'un
vaste plan sucrier et comprenant les complexes de Borotou, de Zuénoula, de
Niakaramadougou,de Katiola etdeMarabadiassa. L'objectif de production est de
550.000 tonnes dont 450.000 tonnes environ destinées à l'exportation à l'ho-
rizon 1985. Celui de Ferké a déj à pri,dui t 21. 000 tonnes pendant la campagne
1975-1976. Sa capacité maximale dans les années suivantes sera de l'ordre de
50.000 tonnes de sucre. Confié à la SODESUCRE (Société de Développement des
P-lantationsde Canne-à Sucre), Société d'Etat créée en 1971, le complexe su-
crier de Ferké emploie 4.600 personnes dont 500 à l'usine. Cette activité
industrielle n'est pas sans conséquence sur la ville de Ferké, non seulement du
..
ooint devuerevenu et dévellippEment utbain,mais aussi dupoiI"ct de vœ
géopoli tique car
Ferké empi~te peu à peu sur la suprématie de Korhogo. Même Ferké II, un autre
grand projet sucrier, bien que plus proche de Korhogo et de Badikaha que
de Ferké dont il porte le nom, n'arrive pas à établir l'ancien équilibre.
Les orientations générales du complexe de Ferké sont celles que
suit tout le plan sucrier à savoir :
- l'augmentation du revenu national et des revenus paysans,
l'augmentation et. la-diversification .des exportations,
- la réduction des diparités régionales et la mise en valeur des potentialités
agricoles,
- la promotion de l'agro-industrie.
Le plan sucrier dont fait partie le complexe de Ferkessédougou est
un programme tr~s ambitieux et à ce ti tre, il pose pas rml de probl~mes que nous
analyserons ultérieurement plus en détail.

222
L'usine d'anacardeide la SOVANORD
D'après les études, le nord est par excellence la zone écologique de
l'anacarde. Entre 1960 et 1968, 4.000 hectares ont été plantéi autour de
Korhogo dans une optique,principale de reboisement afin d'atténuer l'érosion
du sol. Faute de commercialisation de la production, ces plantations ont été
en grande partie abandonnées ou détruites par le feu. Afin de relancer cette
culture il a été créé une société locale de développement, la SOVANORD, pour
commercialiser (1) la production et inciter les paysans à sauver les planta-
tions encore productives. Dans son programme la SOVANORD prévoit une unité de
transformation (3.000 tonnes de noix) qui traitera la production de ces plan-
tations villageoises d'une part et d'autre part celle d'un bloc industriel de
600 hectares que créera la SODEFEL (2). En plus de la prod~ltion des environs
de Korhogo, l'usine de la SOVANORD drainera celle de Bouna, Boundoukou et
Odienné.
L'un des effets induits de la création de l'usine demeure l'emploi.
Le projet laisse une part notable à la main.d'oeuvre féminine: 40% des
emplois.
L'usine de concentré de tomate de Sinématiali
Depuis 1975 la SODEFEL a entrepris à Ferkessédougou la culture de
légumes et principalement de tomates sur deux périmètres : l'~n en régie
avec 110 manoeuvres, l'autre en cultures individuelles avec 23 paysans sur
28 hectares. Compte tenu de l'intérêt que manifestent les paysans tout le
projet s'est transformé en culture paysanne. Sur le même système un périmètre de
I~~-----~----1.800 hec-tares-a été créé en 1977 à Sinématiali.-Le projet prévoyait.une mé-
canisation poussée avec des parcelles plus importantes en taille. La produc-
(l) Pendant la campagne 1972-1973, la SOVANORD a exporté près de 300 tonnes
de noix vers l'Inde.
(2) Avec le marché potentiel des amandes le projet de la Société pour le Dé-
veloppement des Fruits et Légumes (SODEFEL) prévoit la création de 20.000
hectares répartis en 4 ensembles de 5.000 hectares dont 4.500 hectares en
plantations villageoises.

223
tion de ces deux p~rimètres, Ferkessédougou et Sinématiali, ont abouti à la
création d'une usine de transformation de tomate. Les premières boites de
concentré de tomate sont apparues sur le marché en fin d'année 1979 (1).
Les trois unités agro-industrielles ci-dessus analysées constituent
l'effort d'industrialisation du Nord afin de l'intégrer dans l'économie na-
tionale. Selon un document du Ministère du Plan, l'industrialisation est une
carte décisive à jouer :
"Seule l'industrialisation est en mesure de créer la croissance
nécessaire pour que l'économie du nord cesse de régresser par rap-
port aux autres régions. Offrant sur place des emplois non agricoles,
elle ralentirait l'exode régional, favoriserait l'urbanisation et
donc l'apparition d'un marché plus concentré et plus susceptible à
terme de créer une demande suffisante pour justifier l'implantation
\\
d'activités vers le marché régional" (2)
Le même document souligne. que pour préserver l' aveniL industriel de
la région il faut lui accorder la priorité pour la gamme d'industries, très
restreintes, à court ou long terme, valorisant sur place les ressources de la
région. C'est ce qu~ fut fait non seulement dans l'effort d'industrialisation
démarré plus tôt mais aussi dans d'autres domaines depuis la visite historique
du Président de la République en mars 1974. Ayant constaté sur place le retard
qu'accuse le nord dans le domaine du développement économique, il a décidé,
au nom de la solidarité nationale, un programme d'urgence pour atténuer les
disparités régionales et guérir les jeunes de la démangeaison de l'exode ru-
ral.
Le programme d'urgence décidé en 1974, su~v~ d'un séminaire de la
recherche_séientifique en 1976., en plus de tout ce qui étai t. prévu par le
1: - ---
ESIE définissent aujourd'hui la politique des autorités dans le nord et les
réalisations concrètes citées ci-dessus.
1
1
1_
(1) Nous ne disposons pas de toutes les informations sur le projet qui semble
connaître un succès. L'objectif pour la campagne 1976 prévoyait l'instal-
lation de 150 paysans regroupés en G.V.C. sur 5 périmètres de 60 hectares.
Le revenu procuré s'élevait à 250.000 F CFA par an. Avant le démarrage de
la deuxièm~ partie du programme, 400 condidatures furent enregistrées:
(2) Le nord en mutation. Op. cit. p. 75.

224
bl Tentative d'introduction de cultures spéculatives
A part le sOJa dont les expériences dépassent les espoirs, les
autres actions sont des tentatives d'encadrement de cultures connues comme
le kénaf, le tabac, la mangue, le karité, les agrumes, la goyave, la grena-
dine, la papaye, etc ... Les véritables innovations qui sont encore au stade
de recherche ou d'expérimentation se limitent aux cultures fourragères irri-
guées (panicum, bracharia), le triticale (hybride de blé et de seigle, très
productif et d'une grande valeur nutritionnelle) et la pomme de terre. La ré-
cente création de l'Institut de Recherche des Savane~ pourrait bien étendre
la gamme des ressources naturelles plus rémunératrices.
cl Mise en valeur de nouvelles terres
Ùne des priorité en matière d'action de développement agricole est
sans doute__la mise en valeur de grands aménagements_ hydrÇl~é!gIi_çol_~~,_ ç'es_t-
à-dire la maîtrise de l'eau. Dans les chapitres introductifs nous avons déjà
fait état des aléas de la climatologie et leurs conséquences sur les réserves
d'eau. Après plusieurs études de bassins versants, le bassin du Bandama a fait
l'objet d'un vaste programme de barrages hydro-agricoles dans l'espoir que ces
nouvelles terres mises en valeur retiendront les jeunes destinés à la mlgra-
tion. Ces études ont abouti au projet d'aménagement de 5.000 hectares
rrrigués, répartis principalement sur les bassins du Haut-Bandama et de la
Bagoé, ce qui permet une riziculture de deux cyles annuels à une surface de
récolte de 10.000 hectares. Concrètement ont été réalisés les projets suivants
- le bassin du Solomougo avec 1.500 hectares à aménager. Déjà 55% du bassin
_ est __contrô1é_._ Cette zone, une des_mcüns cleJlsx?clu nord,. accueille de plus en
plus des exploitants venus de la"nébuleuse',' de Korhogo.
le bassin du Lafigué : 700 km2 à aménager. Sur ce fleuve le premier barrage
créé permet de contrôler 40% du bassin.
- l'aménagement du Lokpoho permet l'approvionnement en eau du complexe sucrier
de Ferkessédougou et des besoins industriels et domestiques de cette même ville.

225
Tels sont les principaux aménagements hydro-agricoles - en plus de
,
ceux exécutés dans le cadre du programme d'urgence - dans le but d'infléchir
indirectement
la distribution de la population et notamment de freiner
la migration y,crs la Basse Côte. Ces programmes sur les différents bassins
s'accompagnent de la construction ou de l'amélioration des ponts sur les
fleuves et de l'éradication de l'onchocercose,ce qui décongestionnera des
vallées très fertiles ma~s jusqu'ici isolées. Pour le Plan Quinquennal la
maîtrise de l'eau est plus que nécessaire pour que soient réalisées les vo-
cations productives du nord. A cette maîtrise de l'eau, il convient d'ajouter
la mécanisation (culture attelée et motorisation) et le système de production
fondé sur l'assolement (protection des sols) comme facteurs de réussite du
développement.
Après l'action des autorités publiques dans le développement écono-
mique voyons ce qu~ a été fait p~r la promotion humaine.,
2. Les programmes soc~aux ou les actions de promotion humaine
le programme
d'urgence
Tous les diagnostics
des
serv~ces de l'administration cen-
trale a~ns~ que les constats des organismes internationaux et bureaux d'étude
s'accordent à reconnaître, dans le domaine du développement social et de la pro-
motion humaine, le retard du nord par rapport aux autres régions du pays.
Comme nous l'avons déjà dit dans le chapitre introduction, le retard dans la
promotion humaine est elle-même la conséquence inéluctable de la marginalisa-
tion de l'économie du nord par rapport à l'économie nationale. C'est dans le
but de combler ou du moins de réduire cet écart que le Président de la Répu-
bliqu~ M; Houphouet-Boigny, par initiative personnelle; a~débloquéunfonds
de 12 milliards de francs (CFA) pour la mise
en oeuvre d'un "programme d'ur-
gence nord".
Le "programme d'urgence"
La dénomination de ces fonds est assez éloquente pour exprimer le
souci des autorités. Mais avant de vo~r son contenu voyons sa traduction dans
le jargon politique car c'est dans ce cadre que la décision a été prise.
Le "programme d'urgence" résulte du choix d'une série d'options (1)
(1) Programmé d'urgence nord. BNETD, Abidjan, juin 1976, p.
15

226
- volonté de faire ,accéder à un nouveau type de société caractérisé par un

bien-être régional obtenu par la nécessité de "guérir de la démangeaison du
départ" et l'obtention de changement et de participation.
- dans le domaine de la production agricole, la réalisation de projets d'en-
vergure en relation avec les prix des produits dans la perspective d'une
"juste rémunération des fruits du travail",
- consolidation des structures d'encadrement social, administratif, économi-
que et culturel dans le but de faciliter la pénétration du progrès et la
transformation d'une société traditionnelle en une société adaptée.
Le programme d'urgence a été surtout caractérisé comme étant
."
')l'expression de la solidarité nationale d'une Côte d'Ivoire soucieuse de
réduire ses disparités sociales et régionales"
Ce~ 12 milliards octroyés
aux trois sous-régions auxquelles. s.'ajoute cell_e d..'..Qçiienné, ont fai.t l'objet de
diverses interprétations que nous analyserons ultérieurement.
Concrètement, quel est le programme social et humain que le pro-
gramme d'urgence veut réaliser
? Concrètement il s'agit de donner une cer-
taine envergure à l'administration locale afin d'augmenter qualitativement et
quantitativement les infrastructures de base. Cela revient à donner une lmpor-
tançë à l'aspect sorio-administratif, notamment par la renovation et la re-
structuration des villes du nord sans oublier les équipements collectifs qui
sont aujourd'hui les agréments de la vie moderne. Dans cette optique la poli-
tique ivoirienne consiste à transplanter en milieu rural un mode de vie
urbain. C'est à cette fin qu'a été utilisée une grande partie des 12 milliards
de_f~ancs (ÇF~) répartisdeJa manière suivante _
1-- --
-infrastructure routière: bitumage de grands axes, bitumage urbain, amélio-
1
ration des pistes, mise en place d'ouvrages, construction de ponts "straté-
giques",
- aménagement rural : agriculture et élevage (construction de barrages et a-
ménagement de périmètres irrigués, défrichement et préparation de terrains,
renforcement de l'infrastructure technique, de l'encadrement et de la forma-
tion).
'-

227
- éducation nationale : primaire et secondaire (construction de classes et
r
de logements de maître> dans les villages, renforcement de l'infrastructure
secondaire),
- santé publique: renforcement et création d'infrastructures sanitaires
(construction d'unités d'hospitalisation, maternités, disDensaires dans les
sous-préfectures),
- postes et télécommunications: renforcement de l'infrastucture de télécom-
munication (hôtels des postes, bureaux de postes, extension du réseau),
- administration sous-préfectorale
construction de bureaux et de résidences
dans les sous-préfectures, ~
équipement commercial
construction de modernisation de marchés.
Telles ont été les réalisations au
nord avec cet effort financier
,-
exceptionnel destiné à rendre un cadre de Vle plus prometteur et plus agréable
pour guérir les jeunes de la démangeaison de la migration. Pour mieux parti-
ciper à ce programme de développement, les cadres natifs de la région se sont
constitués en quatre comités - sèlon les quatre sous-régions - de coordina-
tion et de surveillance des travaux entrepris. Malgré l'unité géographique
et linguistique à l'exception d'Odienné où on parle le Malinké, des divergen-
ces apparurent pendant le "partage du gâteau". Certains politiciens ou tech-
nocrates, de par leur influence, imposèrent leurs idées quant à la réalisation
concrète des types de projets. Sans entrer dans les détails nous pourrons dès
lors,poser la question de savoir si les cadres de la région étudiée, à l'ins-
ta! deçeux d_es_autres régions, participent
efficacement au développ~ment
de leur région? Nous répondrons ultérieurement à cette question quand nous
ferons le bilan de tous les moyens mis en oeuvre pour infléchir la migration
des Sénoufo. Dès lors nous pouvons évoquer l'échec de la tentative d'unité
d'action de développement du "Club ~.;robin" (J) dont aucune action n'a eu d' in-
cidence sur l'hémorragie des jeunes Sénoufo.
En marge du "programme d'urgence" des
options, notamment dans le
développement urbain, avaient été faites pour faire des villes du nord un
(J) Le mot sénoufo "\\.;robin" signifie uni té, union.
Le Club Wobin regroupait les
cadres originaires des trois départements dans l'optique de définir une
politique commune en matière de dêveloppement régional.

228
cadre de Vle qui n'ait rlen à envier à celle de la Basse Côte. Korhogo jusqu'à
une
date récente semblait toute désignée pour jouer le rôle de capitale
régionale. Mais Ferkessédougou du fait de sa proximité du chemin de fer et
du fait de son avenir industriel avec la SODESUCRE prend de plus en plus
d'im-
portance
Si aucun facteur extérieur n'intervient à Korhogo, Ferkessédougou
établira l'éqvilibre constituant ainsi deux pôles urbains (1). Ouoi qu'il en
soit, les deux villes reçoivent de plus en plus d'équipements collectifs ce
qui leur donne de plus en plus le caractère urbain tant recherché par une
catégorie de migrants. Quant à Boundiali, ville assez éloignée des autres,
elle se développe de manière autonome sans que le bipôle Korhogo - Ferkessé-
dougou n'entrave son processus. A l'intérieur des trois départements, plu-
sieurs sous-préfectures ont été créées et une partie des fonds du "programme
d'urgence" ont servi à la construction des bureaux et résidences. L'Office
National de Promotion Rurale (ONPR) avec son programme de fon~s d'aide rurale
a défini des villages-centres qui sont appelés à recevoir des équipements
collectifs (é~o~~~,_~~n~~~s ?e soins, puits ..• ) à partager avec les villages
environnants. L'objectif de l'ONPR est de créer en milieu rural un cadre de
vie le plus satisfaisant possible : une plus grande espérance de vie, une
santé meilleure, un habitat confortable.
Dans cette
partie
nous
venons
de
voir en quoi consiste la
stratégie des autorités publiques pour agir sur le phénomène "lama" dans le
nord de la Côte d'Ivoire. Ces mesures vont des actions de l'intégration de l'éco-
nomle
du
nord, jusqu'ici marginalisée, jusqu'à une volonté de promotion so-
ciale et humaine en passant par des programmes d'urgence pour hâter le chan-
gement. Si cette stratégie a obtenu des résultats ponctuels satisfaisants elle
a par contre beaucoup de limites·Ellenesemble même pas avoir touché le pro-
blème le plus épineux qu'est la fuite des forces vives de la région, c'est-à-
.--- ...
-
-
--
-
dire eelles-mêniequi devraient prendre en main le développement de If! région.
Que valent les projets de grande envergure et les fonds spéciaux débloqués
pour les réaliser en l'absence de "bras forts" pour la rentabiliser?
C'est dans ce sens que nous aborderons les limites de la statégie
pour infléchir le phénomène de la migration interne dans le nord de la Côte
d'Ivoire.
(1) A vol d'oiseau Ferké est distant de Korhogo de 50 km, alors Boundiali
plus en retrait est à 105 km de Korhogo.

229
B. La portée et les limites de la politique ivoirienne
Deux remarques générales s'imposent d'abord. Premièrement, dans la
stratégie générale des autorités publiques le souci est moins celui d'arrêter
le phénomène migratoire que celui de le maîtriser afin de l'orienter selon
les besoins des secteurs économiques. Cela est encore plus vrai pour les mi-
grations sénoufo qui pendant la période coloniale et bien avant la descente
massive des Voltaïques a fourni la main-d'oeuvre nécessaire aux chantiers et
plantations du sud forestier. Il n'est pas impossible de penser qu'aujourd' hui
le
phénomène "toucono" constitue une solution de rechange au cas où la
source voltaique, pour une ralson ou une autre, viendrait à tarir. Deuxième
remarque, toute tentative de freiner les courants migratoires internes s'op-
poserait à la philosophie du libéralisme économique qui jusqu'ici a fourni à
la Côte-d'Ivoire les moyens de la croissance économique réalisée. A ce propos
il faut tenir compte de la co~rélation qui existe entre capitalisme et maln
d'oeuvre
la mobilité de l'un suppose le déplacement spatial de l'autre.
Quoi qu'il en soit,le constat à propos de l'attitude des autorités
publiques est sans ambiguité : les mouvements internes de population ne les
préoccupent que lorsque les effets négatif~ des arrivées massives de ruraux
supputent des problèmes dans les villes qui en sont les principales zones
~accueil.Heureusementque de plus en plus on prend conscience du fait que les
solutions ne se trouvent pas dans la description catastrophée du quotidien
urbain,mais aussi par une connaissance réelle des zones émettrices qui com-
portent, certes, des facteurs de répulsion mais surtout accélérés par les
facteurs d'attraction des zones d'appel selon un "feed-back"
perpétuel entre
les deux milieux.
Après ces considérations d'ordre général, voyons concrètement les
faiblesses que comporte la stratégie des autorités ivoiriennes pour freiner
sinon atténuer le phénomène "lama".
D'abord au nlveau des projets de développement analysés antérieure-
ment et dont le trait commun était de "guérir les jeunes de la démangeaison
de départ en Basse Côte" selon le Ministère du Plan. A cet effet, le plus
grand projet destiné à fournir des emplois modernes non agricoles aux jeunes
du nord demeure le complexe sucrier de Ferkessédougou qui pour l'instant em-
ploie 4.600 personnes et dont les effets induits toucheront 20.000 ruraux
qui doivent s'accomoder d'une Vle ouvrière en milieu quasi urbanisé. Tel que

230
conçu initialement le projet sucrier ne pouvait aboutir qu'à un salariat
,
agricole dans la mesure où ce projet ne demande aux hommes que leur force de
travail pour un salaire loin de représenter une véritable compensation si on
ajoute les terres spoliées. Dès lors il est illusoire de croire que la culture de
canne à sucre,d'où sont,exclus les paysans,peut aboutir à une promotion individuelle
de ceux-ci à l'exemple des planteurs de café et de cacao de la Basse Côte.
Tout
aussi est illusoire et même démagogique
l'idée
que
ce
projet
peut provoquer des retours définitifs de certains migrants de Basse Côte à
leur milieu d'origine. En effet, les migrants ayant connu la Basse Côte pré-
fèrent y demeurer quel que soit l'emploi occupé plutôt que d'accepter de nou-
velles conditions de salariés agricoles chez eux. Dans tous les cas le pro-
blème foncier qui les a poussés à partir du village demeure le même car au
lieu de la gérontocratie c'est l'Etat qui en devient le nouveau détenteur,
du moin~ sur le périmètre sucrier s'étendant sur ] 2.000 hectares de terres
fertiles,
tout autour des principaux cours d'eau. Dans ce cffangement de pro-
priétaire le jeune villageois dont le souci primordial est d'accéder à la
pleine propriété de la terre demeure, dans l'impasse. En somme, la SODESUCRE
est tout le contraire du projet de concentré de tomate de Sinématiali au-
jourd'hui débordé par les demandes des jeunes. Ce projet les transforme en
véritables exploitants agricoles.
Quant à la distribution de revenus décents aux paysans,les voeux
pieux de la SODESUCRE n'ont pas atteint pleinement les résultats escomptés.
En effet,la grève des manoeuvres en 1978 avec occupation de l'usine et
menace de l'incendier a mis à nu les misérables salaires distribués:
5.000
à 7.000 F CFA par mois pour les manoeuvres sans aucune qualification préala-
ble. Le moins qu'on puisse dire c'est que la cote ... d'exploitation était
.. dépassée. ,quand on sait que le salaire alloué ne compense pas les terres ex-
propriées, même à long terme, et que ce même salaire est loin des 25.000 F CFA
1
de SMIG et des revenus moyens ruraux, par exemple les 30.000 F CFA des
1
planteurs de la région du sud-est.
Le plan anacarde avec la SOVANORD comporte également des fai-
blesses quant à son intention de promotion du paysan et de création d'emplois.
Ici encore - hélas! - il ne s'agit pas de culture individuelle mais de blocs
industriels où chaque paysan pourra venir cueillir les noix de cajou pour les
vendre à la SOVANORD. En l'absence d'une véritable structure d'exploitation
il est possible d'envisager les conflits qui pourraient opposer les paysans.
Le bénéfice substanciel pour les paysans aurait été les emplois fournis par

231
l'usine de traitement. Mais là encore ils restent en marge car les emplois
demandent une haute qualification qu'ils n'ont pas. Ici encore, tout comme
à la SODESUCRE, le paysan se confinera dans le salariat agricole en offrant
ses bras pour la culture, l'entretien et l'exploitation des blocs industriels.
Même à ce niveau le problème n'est pas résolu car le projet initial de la
SODEFEL qui comprenait 20.000 hectares tarde à être réalisé. Conçu dans l'eu-
phorique
croissance économique de la Côte d'Ivoire,ce projet ambitieux
pourrait être revisé pour le ramener à des proportions modestes. Autant
dire que ce sont des emplois agricoles en moins qu'on serait amené à supprimer.
Après l'examen des faiblesses des deux grands projets sectoriels,
voyons à présent celles de la stratégie globale. Elle pèche
à plusieurs en-
droits car les investissements n'~t jamais privilégié la valorisation sur
place des ressources de la région. Rappelons à l'occasion que lés migrants
sénoufo enquêtés avaient relevé des cas d'implantation irrationnelle d'unités
de transformation de produits qui,en toute logique et en toute objectivité,
devraient revenir au nord. Des cas concrets avaient été cités : la cons truc-
tion de l'usine de textile dans la région d'Agboville non productrice de la
matière première qu'es t le coton et paradoxalement nommé "l'or b lancdunord" ou
"le café dunord". A cet exemple s'ajoute celui de l'usine de beurre de kari té
(TRITRURAF) à Bouaké alors que le nord est la seule région où pousse à l'état
naturel
l'arbre d'où est tiré le karité et dont la production artisanale
est assurée par les femmes. La même observation s'applique également à la
manufacture de tabac installée à Bouaké dont le nord est un des principaux
fournisseurs de feuilles de tabac. Fait encore plus remarquable c'est l'absence
d'abattoir moderne malgré la prépondérance de la région dans l'élevage bovin
et le fait qu'elle constitue le relais pour les troupeaux de boeufs en pro-
venan~eàu Mali et de la Haute-Volta~
r-
,
Nous ne nous apesantirons pas sur tous les cas. Somme toute, c'est
1
1
la carte des investissements en Côte d'Ivoire qu'il faudrait revoir en ayant
souci du lien de logique entre production de matière première et transforma-
tion de celle-ci, système qui permettra à chaque région de Côte d'Ivoire
d'avoir quelque chose.
Vu la prépondérance des autorités publiques en matière de création
d'emplois et de la nécessité de la participation de natifs de la région à la
politique de développement,c'est l'occasion de répondre à la question que
nous avions posée auparavant à savoir si les cadres et intellectuels origi-

232
na~res de la région, à l'exemple de ceux des autres régions, participent
efficacement au développement de leur région. Dans l'état actuel des choses
et au vu des faiblesses des projets relevées ci-dessus, nous pensons que
leur participation-quand elle existe-et leur efficacité pratique restent 1imi-
tée~ voire inexistantes dans certains cas. Leur participation à l'établisse-
ment du programme d'urgence de 1974 demeure de la poudre aux yeux,sinon une
opération politique réussie pour certains. Leur
participation,bien que
souhaitab1e)ne nous paraissait pas absolument indispensable car les fonc-
tionnaires de l'Etat en poste au nord, pour peu
que ceux-ci aient une éthique de
leur rôle, auraient pu assurer l'exécution et la coordination des travaux.
D'ailleurs le programme d'urgence ne comportait aucun projet nouveau du fait
que ceux conçus depuis plusieurs années dormaient dans les tiroirs des minis-
tères faute de défenseurs, ce qu'auraient pu faire les cadres et les inte1-
't,
1ectue1s originaires du nord. D'ailleurs,il aura fallu les critiques alar-
mantes et insistantes sur les insolentes et flagrantes inégalités régionales
des organismes internationaux pour que l'autorité centrale fasse un geste
sous forme de solidarité nationale. Le sous-développement du nord dont la
résultante est la margina1isation de son économie faisait fausse note avec
la croissance économique tant exhibée. Nous disons donc que les cadres et les
intellectuels ne se sont pas montrés combatifs pour qu'une partie des ~n­
vestissements assez ,prorœtteursreviennent au nord, ou tout au moins ce à quoi
la région avait droit et qui avait été programmé plusieurs années auparavant.
Par exemple, au titre de l'infrastructure routière le projet de bitumage de
l'axe Bouaké-Ferké-Korhogo-Boundia1i existait depuis les années 60. Il en
est de même pour l'habitat rural et de l'infrastructure sanitaire.
Avant de conclure cette analyse il nous paraît intéressant de
------ - - - --- -- demandeLaux migrants enquêtés de proposer des solutions pour. _diminuer le
flux migratoire en direction de la Basse Côte. A la question "que précauni-
sez-vous pour que les jeunes restent au village", les solutions répertoriées
sont
présentées dans le tableau ci-dessous.

233
Tableau 43 : Précautions pour éviter le départ des jeunes en Basse Côte
(Possibilité de réponses multiples)
PRECAUTIONS POUR EVITER LES DEPARTS DES JEUNES
V.A.
1
%
o. création d'emp1ois(unités agro-industrielles)
101
63, 12
I. promotion de cultures indus trielles pour élever le n~
veau de v~e des Jeunes
12
7,50
2. équip.éduc.,sanitaires et loisirs(élec.,école, mater-
hi ti , foyer de jeunes, complexes
8
sportifs •.. )
5,00
3. scolarisation des enfants et alphabétisation des
adultes
16
10,00
4. que les v~eux cessent de s'opposer aux idées modernes
des jeunes
3
,
1,87
De pr~me abord on cons t~tl2:__que _l~~ s o}u~ions précaunisées ont un
lien logique avec les critiques que nous avons faites de la stratégie na-
tionale. Le tableau fait ressortir la préoccupation primordiale des
jeunes
Sénoufo :
trouver un emploi, un emploi moderne non agricole qu~ les arrachera
du rouage du système traditionnel de production.
Il ne faut pas comprendre
là abandon de la terre par tous les jeunes mais une moindre diversification
des activités économiques. En fait,jusqu'ici le Sénoufo ne connaissait que le
travail de la terre. Aussi la création d'emplois modernes par l'installation
d'unités industrielles lui
paraît être la solution primordiale (63,12%)~de­
vançant ainsi toutes les autres. La préoccupation de cette majorité de mi-
grants se justifie quand on sait combien les jeunes enthousiasmés par le
complexe sucrier de Ferké y ont accouru indépendamment d'offres d'emplois
précaires_~co1Jpe_At=J~_cé!:!1neà stlcre,_désherbage, entretien des blocs ... ).
Comme
deuxième solution vient l'instruction au sens de scolari-
sation des enfants que d'alphabétisation des adultes (10%). Au début de
fétudenous
avons souligné le sous-équipement scolaire du nord ce qui n'est
pas fait pour combattre l'opposition de la gérontocratie au système scolaire
moderne qui concurrence l'école du"poro".Aujourd'hui,les frontières de cette
résistance ont reculé face aux avantages qu'offrent la nouvelle école, mais
les structures n'ont pas suivi. Alors,pour assurer le maximum de chance de
réussite scolaire à leurs enfants les parents les dirigent vers la Basse
Côte qui offre une meilleure infrastructure scolaire.

234
Troisième solution:
le développement de cultures industrielles
de rente que les migrants sénoufo jugent à même d'élever le niveau de v~e
des paysans. Auparavant nous avons eu à relever le manque de cultures de
rente qui ont tant fait la richesse des planteurs du sud en leur garantis-
sant un
revenu relativement élevé.
C'est pour cette ra~son - rappelons-le
une fois de plus -
que le complexe de concentré de tomate connaît u~ immense
succès au point que la SODEFEL qui assure l'opération est submergée par les
demandes des jeunes très intéressés par le projet.
Du point de vue rentabilité le soja porte actuellement l'espoir
des cultivateurs du nord vu les bonnes perspectives du marché national et
même international. Pour le moment le coton demeure la seule culture indus-
trielle malgré une modeste rémunération.
Enfin viennent les équipements collectifs qu~ aux yeux des migrants
-représentent-Ie- support matériel de la moderni té et d'un bien êtr-e--sociàl
collectif. Nous ne nous appesantirons pas sur la carence des écoles, des
centres de santé, des centres de loisirs de jeunes, etc ... Pour pallier
cette carence le Ministère du Plan a élaboré un programme de modernisation
du monde rural en essayant de déterminer des villages-centres destinés à
recevoir les équipements collectifs de base à utiliser en commun avec les vil-
lages environnants. D'une manière générale la politique ivoirienne en matière
d'équipement consiste à transporter en milieu rural tous les agréments qu'of-
frent
la ville. ~mlgré tout la politique de modernisation du milieu rural
nous paraît insuffisante,car en dépit des efforts déployés par les autorités,
les jeunes déserteurs ne se dirigent pas de manière prioritaire vers les
villes équipées du nord.
Les résultats de ce tableau confirmentunefoisdeplus,que l'essen-
tiel pour les jeunes du nord demeure la dimension économique voire monétaire
de l'activité de production compatible avec leurs aspirations sociales et
conforme au niveau de vie général de l'ensemble du pays. Ils n'entendent pas
être les laisser pour compte de la croissance économique et de ce fait,iront
en direction des zones qui leur garantissent un avenir meilleur,en leur of-
frant des possibilités de mobilité sociale
échappant au contrôle de la gé-
rontocratie villageoise.
A la fin de cette étude quelles conclusions pouvons-nous tirer ?

CONCLUSION

236
Que retenir ou ter ...... e. de cette re.c.h4!-rc..he.?
La première partie intitulée "migration et phénomène lama" avait
trait à l'aspect théorique du phénomène migratoire et à la description du
contexte socio-économique de la zone d'étude. De cette première partie il
faut retenir deux faits. Premièrement, l'anproche théorique a montré comment
chaque discipline des Sciences humaines, selon ses préoccupations propres,pri-
vilégiait excessivement certains facteurs ce qui a abouti à des explications
de type mécaniste. Tels sont les cas de la recherche de hauts revenus chez
les économistes dont le modèle Todaro est un des plus illustres, de la sur-
charge foncière chez les géographes, de la surpopulation chez les démographeset
de la propension à la migration chez certains sociologues. Plus qu'uœ théorie
l'approche de l'inégal développement situe avec précision le contexte capita-
liste qui a favorise ou créé les courants migratoires en Afrique. A l'encontre
de ces explications déterministes le "fait complexe incitateur" nourrit l'am-
bition de donner au phénomène migratoire l'unité qu'il
recouvre. Une véri-
table explication du fait de migration ne peut être que globale. Deuxième
fait à retenir. Le phénomène "lama" est le prolongement des migrations obli-
gatoires en Basse Côte des prestataires senoufo à l'époque coloniale mais
cette fois-ci sous l'impulsion du libéralisme économique de la période post-
coloniale. Elles ont perdu leur caractère d'obligation pour devenir volontai-
res. Dans ce processus intervient la théorie de l'inégal développement et
dans l'étude nous avons bien mis en relief la marginalisation de l'économie
du nord qui en est le résultat.

237
La deuxième partie - en fait le résultat de l'étude sur le ter-
ra~n - est l'application concrète du "fait complexe incitateur" pour com-
prendre les mécanismes et les effets de la migration chez les Sénoufo. Pour
la recherche des causes il faut faire appel à une combinaison de facteurs
assez déterminants pour amorcer le processus migratoire. Dans le cas des
Sénoufo; en plus des facteurs économiques assez connus, nous constatons que
les facteurs historico-politiques mais aussi les facteurs sociologiques sont
d'une grande importance. En persepctive on perçoit combien le "fait complexe
incitateur" peut être d'une grande efficacité pour repérer minitieusement
les facteurs de la migration en vue d'une action. Quant à l'analyse des con-
séquences nous nous sommes écartés volontairement de l'attitude généralement
adoptée qui consiste à déplorer les effets des migrations seulement au niveau
des villes, points de chute des ruraux. On a trop souvent négligé dans les
études de migration
les effets des départs sur les milieux ruraux. Ces effets
ont pour noms: accentuation du déséquilibre régional, carence de main- d'oeu-
vre ,
vieillissement de la population, appauvrissement des institutions,
--
-- -
- .
- -
développement de l'individualisme etc ... Dans le même chapitre un accent par-
ticulier a été mis sur ce qu'il est convenu d'appeler le "bipolarisme rela-
tionnel" pour caractériser la double appartenance du migrant d'une part à la
Basse Côte qui satisfait partiellement ses nouvelles aspirations et d'autre
part à son village d'origine dont il porte encore toutes les valeurs sociales.
Quant aux retours migratoires - provisoires ou définitifs - c'est le triomphe
des effets de démonstration avec toutes les conséquences sur le milieu vil-
lageois et notamment sur les jeunes. Concernant la stratégie de lutte contre
le phénomène migratoire en Côte-d'Ivoire - troisième chapitre - il y a une
réelle volonté de la part des autorités publiques de diminuer le flux. Mais
les actions ponctuelles entreprises demeureront très limitées tant que les
cadres locaux ayant rang de responsables n,ationau?, ne particip,eront pas_ef~
fectivement à la conception des programmes en faveur de leur région et que la
dichotomie entre le Nord et la Basse Côte ne cessera d'inspirer la politique
ivoirienne en
matière de développement et de mise en valeur des régions.
Tel est le cheminement de notre investigation et les enseignements
tirés du phénomène "lama" comme forme de migration interne.
Quels sont'cependant les résultats par rapport aux deux hypothèses
de base émises ?

238
La première hypothèse concernait l'explication théorique des m~­
grations. A l'encontre des apriorismes et des explications de type mécaniste,
le "fait complexe incitateur" se caractérise par la recherche des causes dé-
terminantes. Du fait de son caractère social la migration se présente comme
le résultat de la combinaison de plusieurs facteurs tendant à déclencher le
mouvement pour peu que celui-ci rencontre un terrain-favorable ou rendu tel.
Le cas des Sénoufo a démontré que les critères de revenus, de pression démo-
graphique et de surcharge foncière à eux seuls ne suffisent pas à pousser les
jeunes à la migration dans la mesure où la zone géographique habitée offrait
des solutions internes. Outre ces critères il a fallu ajouter les contradic-
tions et les dysfonctions apparues au se~n de la société sénoufo au contact
des idéaux comme l'individualisme, l'autonomie et l'appropriation individuel-
le, véhiculés par la colonisation et plus tard par le capitalisme. En fait
il y a eu création de contradictions et exploitation de celles-ci par le ca-
pitaiisme qu~ a agi en catalyseur après avo~r miroité une société plus épa-
nQuie pour le jeune. La dimension d'une telle analysedipasse largement les
explications mécanistes, les apriorismes et le psychologisme. Ainsi le phé-
nomène migratoire apparaît infiniment plus complexe et les échecs répétés
des tentatives pour arrêter ce "fléau". selon le terme consacré des politiciens
et experts ,attestent de cette complexité. La création d'emplois assez bien
rémunérés et le mimétisme du mode de vie urbain en milieu rural n'ont guère
empêché les jeunes de quitter massivement les villages en direction de la
Basse Côte.
La deuxième hypothèse, qui se voulait plus pratique, avait trait
particulièrement aux conséquences des migrations. Tout au long de l'étude
nous avons démontré que le phénomène "lama" en tant que cas de migration in-
terne revêt une forme incontrôlée et _po_urIe moment incontrôlable. Il ac~en-_
tue le déséquilibre régional rendant impossible tout idée de développement
égalitaire. Pour les zones de départ les migrations se traduisent par la
perte sans compensation du capital humain et le traumatisme social. Ainsi le
phénomène "lama" a eu pour conséquence l'instauration d'idéaux contraires à
l'éthique sénoufo. L'analyse des effets aurait pu s'étendre aux problèmes
que connaissent les centres urbains où affluent ces ruraux en quête d'em-
plois et de modernisme. Une fois de plus cet aspect a été quelque peu négligé
volontairement compte tenu des nombreuses recherches qui s'y sont intéressées.
En définitive le phénomène "lama" dans ses effets apparaît comme une réponse
au système socio-économique.

239
Si les deux hypothèses de base sont confirmées il y en a une, se-
condaire mais non moins importante, que l'analyse infirme: le dynamisme des
migrants de retour. Dans le cadre de notre mémoire de D.E.A., une observation
empirique et non approfondie portant sur le retour du migrant nous avait ins-
piré
la réflexion suivante : "Le migrant une fois de retour chez lui - pro-
visoirement ou définitivement - est débordant de dynamisme. Grâce à son acti-
visme il devient "entraîneur d'hommes" ... En outre il se montre plus apte aux
changements de divers ordres allant de l'adoption de nouvelles culture~ en
passant par l'apprentissage d'une nouvelle profession jusqu'à l'acceptation
de nouvelles idées (religion, individualisme, etc ... )" En un mot le migrant
de retour nous apparaissait à l'époque comme un potentiel novateur. Or l'ana-
lyse approfondie montre que le migrant, bien qu'''éclairé'' et auréolé du grand
prestige de l'homme qUl a vécu en Basse Côte, s'abstient de se mettre en po-
sition de déviance. Il n'entreprend aucune initiative pouvant troubler l'an-
.,..
cien ordre social basé sur l'égalitarisme et le conformisme régi par la gé-
rontocratie qui en détient t-ous les moyens de contrôle, de régulation, de
pression et de répression. Mieux. Le migrant de retour collabore avec la gé-
rontocratie et le privilège d'être consulté par celle-ci pour certains pro-
blèmes bien spécifiques équivaut à une promo~ion sociale. Conclure que la
migration d'un Sénoufo n'aurait d'autre but que de rehausser son prestige et
son statut social n'est pas une vision exagérement réduite du phénomène
"lama". Par contre une chose est certaine. Si le migrant de retour tire de
son séjour basse-côtien quelques satisfactions individuelles, sa communauté
d'origine ne peut escompter tirer profit de son expérience. L'effet notable
dans la dynamique des migrations de retour demeure le "feed-back", la réper-
cution sur la communauté villageoise. En effet le jeune Sénoufo revenu au
village fait étalage de tout ce que la migration lui a rapporté: le vélomo-
teur; les vêtements neufs- et autres gadgets de consommation urbaine ,---1 'argent
parcimonieusement épargné pour être "dilapidé" en quelques jours au village,
les langues apprises pour épater les autres villageois, etc ... De tous ces
effets de démonstration il découle que "la migration appelle la migration".
S'agissant de la stratégie ivoirienne pour diminuer le flux migra-
toire elle a montré ses limites. Pour une plus grande cohérence deux facteurs
concomitants méritent d'être pris en compte: le temps et une réelle volonté
politique de résoudre le problème. Le schéma proposé ci-dessous s'inspirent
de ces deux éléments de base.

240
A court et à moyen terme
Le premler problème qui se pose et qui doit correspondre à une
réelle volonté politique d'y rémédier c'est la création d'emplois modernes
dans le nord Sénoufo de la Côte d'Ivoire,d'où la nécessité d'implantation
d'unités agro-industrielles valorisant sur place les ressourc~s de la région.
De ce fait l'élaboration d'une~carteJ~s investissemenn~s'impose. Cette carte
définirait des~espaces d'investissement: Depuis longtem~ les investissements
privés, selon le principe de la recherche du profit maximal notamment par la
réduction du coût de production se concentrent dans le sud basse-côtien.
Contrairement au secteur privé et dans le souci d'un meilleur équilibre na-
tional une grande partie des investissements publics devraient se faire au
nord~l) 9\\J~~d bien même experts et autres planificateurs n'y verraient pas
une rentabilité immédiate. Au contraire. L'investissement public dans les
-or
régions délaissées par le privé a l'avantage de soustraire une partie de l'éco-
pomie.
nationale au contrôle du capital international~-Ainsi s'amorcerait
un développement autocentré selon les besoins et les capacités du pays.
Le deuxième problème à résoudre à court et moyen terme avec u~e
réelle volonté politique demeure la rémunération réservée aux produits agri-
coles du nord. A ce niveau il y a un choix à faire entre un prix d'achat
assez élevé des produits du nord,bien que ceux-ci soient composés en grande
partie de vivriers, et une recherche forcenée de cultures de rente soumlS au
marché international comme celles de la Basse Côte. Le premier cas incitant
implicitement le paysan à produire plus a l'avantage certain d'aboutir à une
auto-suffisance alimentaire dans la mesure où la grande partie des produits
du nord comme le riz, l'igname, les fruits et les légumes sont de consommation
narionate. Deuxième avantage: la Côte d'Ivoire s'assurera ainsi le contrôle
d'une partie de son économie,en tout cas celle qui concerne son indépendance
alimentaire. L'inconvénient à noter demeure qu'une telle politique ne pour-
voiera pas des devises monétaires vu que la Côte d'Ivoire n'a pas encore de
capitaux nationaux
consistants. Dans le deuxième cas de figure, il y a jus-
tement apport
de devises monétaires provenant de l'extérieur mais les lncon-
(1) La région nord est entendue ici au sens de référence. Autrement dit la
"carte des investissements" définissant des "espaces d' inves tissement" sr a-
dresse à toute région déjà dépeuplée par les migrations et en voie de
délaissement par sa population.

241
vénients demeurent,
les aléas du marché international ponctué de cr~ses en-
traînant toutes les conséquences possibles mais aussi une accentuation de
l'extraversion de l'économie du pays. En ce moment même la Côte d'Ivoire fait
les frais de cette politique trop grandement ouverte au marché international,
la chute des cours du café et du cacao ayant entraîné la réduction, voire
l'arrêt total de certains projets d'infrastructure.
A long terme
Concernant le long terme
:
ici il relève principalement du système
social. Deux problèmes se posent
: le statut social des jeunes et le régime
foncier. Côté statut social, nous avons vu que le jeune Sénoufo pendant très
longtemps reste dépendant du chef de famille.
Sa majorité et son autonomie ne
deviennent effectives qu'après\\' accomplissement du cycle complet du "poro"
et qu'après un prem~er rnariage,ce qui ne survient qu'aux environs de la tren-
y
taine. Pour remédier à cette "adolescence" prolongée dont souffre visiblement
les générations actuelles,
une reconversion des mentalités s'avère nécessaire.
Mais une telle entreprise se revèle difficile à cause même du caractère des
mentalités qui opposent au changement une forte résistance.
Il semble qu'une
campagne de sensibilisation offrirait certainement des moyens de débrayage.
D'ailleurs la gérontocratie a senti après plusieurs cas de désertion de jeunes
la nécessité du changement, ce qui se tradui t
de pl us en 1)1 us par un léger
desserrement de l'étau social comme nous l'avons déjà montré. Cependant il
serait plus réaliste de laisser également le temps agir,
l'espace d'une géné-
ration de gérontocrates vivant encore les valeurs pures de l'ancien système
social. Ce changement ne pourra se faire
sans le sacrifice d'une génération à
qui ne sera pas remboursée la dette sociale. Précisons ici que nous ne préco-
n~sons pas un changement de système social ou un quelconque bouleversement mais
une access~on plus rapide du Sénoufo au statut d'autonomie.
Le deuxième problème,
corollaire au premier,
concerne le régime
foncier. Pour chaque "narigbaha" la propriété des terres est collective mais sa
ge.stion appartient au patriarche de la famille,
en l'occurence,
un gérontocrate.
Celui-ci ne peut attribuer de parcelle à un quelconque membre de sa famille que
dans des conditions particulières, ce qui contribue à maintenir très longtemps
le jeune dans sa condition de simple,aide familial.
Ainsi le système foncier
demeure un handicap sérieux à l'autonomie et à l'évolution sociale dans une
échelle déjà assez réduite du Sénoufo, ce qui le pousse à décider de son départ
en Basse Côte.
Il faudrait donc parvenir à assouplir le régime foncier.
Les

242
vieux ont d'ailleurs compris cette nécessité et bien qu'à contre-coeur
ils font des gestes allant dans ce sens. Mais il y a plus urgent. Plus que
l'appropriation collective des terres c'est le système d'héritage dont
les terres constituent l'essentiel qui pousse les jeunes à migrer en Basse
Côte. Comme nous l'avons déjà dit, l'héritage notamment les terres revien-
nent au neveu utérin et non aux enfants biologiques d'un individu. Il fau-
drait remédier à un tel système où les enfants après plusieurs années de
travail sur les terres de leur père se sentent lésés. D'ailleurs ce régime
loin d'être l'apanage des Sénoufo est combattu par la nouvelle loi qui
uniformise pour toute la Côte d'Ivoire la succession de père en fils. Par
contre il serait bon que l'exploitation familiale et même la propriété col-
lective des terres puissent être maintenues, le changement urgent étant
.~
celui du régime de transmission des terres.
______.
.
Sur ces propositions s'achève
notre recherche. Elle n'a pas
la prétention d'avoir été exhaustive notamment au niveau de la stratégie
de lutte contre les migrations et les solutions proposées. Approfondir
ces deux aspects pourrait faire l'objet d'une autre recherche très orientée
vers l'aménagement du territoire et le développement régional. Notre objec-
tif principal était de montrer par un cas précis la genèse des migrations
contemporaines en Afrique, leurs mécanismes et les effets qui en découlent.
Une fois ces trois éléments cernés on peut mettre en oeuvre une stratégie
tendant à maintenir les migrations dans les limites de l'acceptable, avec'
un maximum d'efficacité et de cohérence.

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\\
~.
1

ANNEXES

257
UVERSITE
DE PARIS
1
-PA1';'THEON-SC>RIDNNE
rnSrTTUTD 'EIUDE DE DEVEIDFPE11ENI'
ECDNŒ1IQJE ET S=X=I..i\\L
lE PI-IENCl'-1ENE
"IP.!'1A"
ET/CU "'IDJCCXJ "
CO
LA
rvlIGRATIÜl\\J
DES
SEN'OUFO DE
COI'E-D 1 NOIDE
QUESTIONNAIRE
LIEU
DATE
OB3ERVATION

258
l
IDENI'ITE DU MIŒANI'
l
- Nan :
2 - Prénons
3 - Date de naissan::e
4 - Lieu de naissance
5 - Situation matrimoniale
6 - Nanbre d'enfants :
7 - Religion d'origine
8 - Niveau d' instuetion :
9 - Profession
avant migration
perrlant la migration
II
-
PA'IRIMJ!NE DU JEUNE VITLAGEDIS
l
-
Avant de migrer quel était votre statut social ?
0 - Sous-tutelle de l'oncle maternel
.
l
- Sous-tutelle du }:ère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . .
2 - Sous-tutelle d'un membre quelconque de la famille
.
3 - El'nancipé
.
4 - Chef d'un "Nargbaha"
(matrilignëqe)
.
______~5_. ~_.Autres
(à-JIr'éciser.) -..
-.·o~ o·-.-~ •• -. ~-~~.., .•..•••.•.••
~ -
- - - - - - " . _ - - -
I-
- 0 · . · .
0
0
• • - . - • •
0

- - - - -
'
j
.:-"."-'
, .:
i
",!.J."".
I
2
Avant de venir en Basse côte, possÉtHez -vous
o - Des terres de culture
• 0Ui. . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . 0 ••••••
· Non
0
• • • • • •
0
• •
l
- Du bétail (boeufs)
()Ji • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Canbien ?
- - -
· Non
.
J. - IÎIILrl':;
Cl pr(.ci:;cr·) ..•......................

,-
259
3
Si vous disposiez libranent de votre prcduction, vendiez-vous une
partie FOur vous ~er de l'argent ?
. 0.li
.
. Non
.
Combien vous raporte-t-elle ?
F/CFA
Que faisiez-vous avec l'argent gagné ?
.........................................................
III
MOTIVATIOl'lJ"S DE L'EMIGRATION
l
Enunérez les raisons
~ vous ont fait quitter le village.
o -
---1--
2
3
4
5
6
...................................................... .....
7
2
Aviez-vous quitté le village
o
Avec la penmission de vos Parents
.
l
- Par initiative personnelle (fuite ou sans pennission)
2 ;;"~'SUr'-conseird 'une tie-fcc!X'rsbrinè -(p.:i.fCllFou-~iini)
t
3
SUr conseil et canplicité d'un ancien mi0Y ant
1
4 - Autres (à préciser)
3
Quels sont vos aspirations en tant que jeune? Enumérez-les.
o
l
2
3
1)
5

260
4
Le village ne vous ~rrnet-il pas de satisfaire ces aspirations ?
o - Oui ••...... '"
.
Si oui pourquoi avez-vous quitté le village ?
1 - Non
.
..\\.
5
Quelle est votre activité principale en Basse Côte et le revenu rapporté ?
F/CFA
- - - - - - - - -
6
Qui vous a trouvé ce travail?
o - nloi-rnêne •••••••••••......••.•••
1 - un parent
.
3 - autres (à préciser)
.
7
-
Le revenu que vous orocure votre travail est-il suffisant?
o - Oui ••.••.•••••..............•
1 - Non
.
1
l,'.
8
Que faites-vous avec l'argent gagné ? Enum6rez les dé~nscs par ordre de
priorité.
o -
,
1
................................................................
2 -
3 -
4 -

261
RESEAU D'ACCUEIL
9
Par qui avez-vous été accueilli en Basse Côte ?
o - M:>n employeur (il m'a recruté dans mon village)
l
Par un frère de la mÊme rég ion
2 - Par un
frère du mÊme village
3 - Par un parent (à préciser)
4
Par l'association des ressortissants de ma région ou .~
de mon village
5 - Par
personne (je me suis débrouillé seul)
-
-----_._-_.- ---~~.;~.--~--_._---------
10
Existe-t-il une asiociation des ressortissants de votre région
ou de votre village ?
o - Oui..........
si oui, à quoi sert cette association
et p::mrquoi y adhérez-vous?
l
- non
.
:.'~''-;'''::
__ l-~_: ~a_y~:?:=vous une cotisation ?
;;= ~.
._- - ~-- L~::-':-.
L·_:.-
F!t
o
Oui .••......
Scmne versée et péricrlicité
CFA_ _ ~Wt.-
l
Non
.
12 -
Quelle est l'utilisation de cette cotisation?
o -
.
l
-
.
2 -
.
3 -
4 -

262
13
-
fubilité géoJraphique et professionnelle. Indiquer les étapes d,:!
vos différents changanents de résidence, les Emplois corresp::mdmts,
, ,
le gain et les raisons du changEment.
r
Lieu
Emploi
Gain
Raison du changEment
~ere étape
t-- .....
- --
-
- - - -
- - - - - - - - ------------ -- ---
e
4
étape
I~~-------::-:~~-.:------:-
N
-
REIATION AVEf:. LE VILLAGE
!..-;.;~.
---1 ~_.;:.
'~:
1
i :.
l,
~
.
.~.
l
Allez-vous souvent au village ?
o - Oui .... " .•..•.. " "
Péricdicité :
l
- Non .. ""
.
Pourquoi ? ..•....... "
_" . "
.

263
','
,;
2
A quelle occasion allez-vous au village ?
o
.................................................................,
..
l
2
3
4
5
........................................................................
..
,
."
3
Envoyez-:-vous quelque chose à vos parents demeurés au village ?
o - Oui. .. ._-- En\\.I11érez-les •....•.............•...................
" , .
-
.
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
l - Non ..
Pourquoi? .
Quan::1 vous retournez au village, que payez-vous avec l'argent gagné?
Enumérez-les.
---O--""---~-.-.
-.- .-..-
I-
l
I
2
....................... ..
..
-
-:-;t./"';;
:7,-.. '
1
3
1
4
5
5
1\\ votre retour <.lU vi.lli.l(Jc ([uelle est .1 1 aLti Lude de vos }X1H'nLs -)
o
Contents et fiers de moi.
l
Mécontents ..
2
IncH férc:nt.s .
J
AllI.. rc:-;
_
f '
- --
-_
_----
---~_ ....... ~-'.
..~-..•
..•....-.--.~--

264
6
- A votre retour au village, quelle est l'attitude de vos camarades d' âge ?
o
médisances (critiques)
.
l
indiférents
.
2
admiration
.
Qu 1 admirent-ils en vous ?
3 - ont-ils~l}Yi~d~ aller ell.-Passe Côte cœme vous ?
OUi •••
Non .....
4 - que leur conseillez-vous ?
.
1------
v
AProRl'S DE LA EA.SSE corE AU MIGRANT
(Changements socio-éconanigues)
1

1
l
AveZ-vous appris un métier en Basse Côte?
o
OUi.
Lequel ? ..
l
Non.
Pourquoi 7.

265
','
~
2
A\\~z-voUS changé de religion en Basse Côte
?
a - OUi •••••••.••••
Laquelle et pourquoi ?
_
.
. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . ..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
4
..
l - Non •....•.....•
3
Enumérez les langues apprises au cours de votre séjour en Basse Côte.
-~
.
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
4
- Avez-vous l'intention de retourner au village?
a-OUi ....
quel travail ferez-vous en arrivant ?
.
l - Non, j'ai l'intention de m'installer ici ...
Pourquoi ? .,.
_.5__ - Etes-vous- conscient -que le départ.- des- jeunes en Basse- Côte crée des-
pertubations au sein de la communauté villageoise ?
a - Oui
.
Si oui, énumérez ces pertubations
.
l - Non
.

266
6
selon vous, qui est resfXJ11sable du départ des jeunes en fusse Côte?
Les vieux du village
Les
zutorités ~ubliques
Les jetmes eux-mêmes
Expliquez et justifiez votre rép:mse.
"~
Que-précauntsez-vous- fOur que les jeunes restent au village'?
..............................................................................
...... .. .. ............. . . .. .. ..... .. .. ... .. .. .. .. .. .. ........ .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... .. .. .. .. .. .. ... .. .. ..
',------
..,., " ,
l - '
1
1
1

LISTE DES TABLEAUX
Tableaux extraits de divers documents (O.C.D.E., Ban~ue Mondiale,
Ministère du Plan, de l'Economie et des Finances de Côte-d'Ivoire etc.)
Tableau l
Importance des migrations internes en Côte-d'Ivoire. p.Il
Tableau 2
Nombre de migrations /'pourcentage de migrants.
p.51
Tableau 3
Répartition par sexe et par âge de 1000 migrants absents.
p·52
Tableau 4
Pourcentage de retou~ par rapport aux départs. p·53
Tableau 5
Etat de la population et migration de 1965 à 1975. p.54
Tableau 6
Population zone rurale et zone urbain~ de 1963 à 1976. p·55
To.bleau 7
Répartition des migrants selon leur destination. p.58
Tableau 8
Etat dès é~uipements collectifs. p.72
--
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ,
--
- - - - - - - "
-
-
- - - -
Tableau 9
Evaluation administrative de la population depuis 1915. p.93
Tableau la
Evaluation des groupes et sou~,-groupes sénoufo. p.94
Tableau II
Cultures pures et cultures en association chez les Sé-
noufo. p.Il4
Tableau 16
Provenance précise et destination des travailleurs recrutés
dans le cercle de Kong (année 1928). p.141
Tableau 20
Chiffres d'affaires et d'emplois. p.150
Tableau 21
Emplois dans le tertiaire et dans la Fonction P,ubli~ue.p.151
Tableaux composés à partir de l'en~uête ponctuelle.
Tableau 12
Répartition des migrants selon le statut matrimonial. p.131
, Tableau 13 • Nombre d'enfants par migrants. p.132
1.
Tableau 14
Répartition des migrants selon leur religion (avant migra-
1
tion). p.133
Tableau 15
Répartition des migrants selon le statut social. p.134
Tableau 17
Répartition des migrants selon les raisons de départ
déclarées. p.144
Tableau 18
Activités et revenus des migrants. p.146
Tableau 19
Dichotomie entre le Nord et la Basse-Côte (économie
agricole). p.148
Tableau 22
Patrimoine du jeune villageois. p.153

Tableau 23
Répartition des migrants pouvant vendre une partie de
leur production agricole. p.I54
Tableau 24
Prix garantis aux producteurs agricoles (année 1978). p.I56
Tableau 25
Age et raisons de-migration. p.164
Tableau 26
statut social et raisons de migration. p.168
Tableau 28
Les différentes aspirations des migrants. p.171
Tableau 29
Données croisées entre l'âge et les aspirations. p.172
Tableau 30
Réseau d'accueil en mil ieu urbain". p. 187
Tableau 31
Intermédiaires d'embauche~ p.I88
Tableau 32
Dépenses du migrant en milieu· urbain. p.I96
.
Tableau 33
Envois aux parents demeurés au village. p.I98
Tableau 34
Nombre de visites au village et leur périodicité. p.200
Tableau 35
Occasions de retour au village. p.201
Tableau 36
Destination ..de L'J~,rg~nj;._lQrs_du_retour__ au_ villé:l,ge. p.204
Tableau 37
Attitude des parents lors des migrations de retour. p.206
Tableau 38
Attitude des camarades d'âge demeurés au village. p.207
Tableau 39
Métiers appris en Bass~Côte. p.2IO
Tableau 40
Age et apprentissage d'un métier. p.2I1
Tableau 41
Religion d'origine et nouvelle religion. p.213
Tableau 42
Langues apprises en Basse-Côte. p.214
Tableau 43
Précautions pour éviter le départ des jeunes en Basse-
~:
Côte. p.233
LISTE DES CARTES
Carte l
Localisation géographique des Syenambélé. p.46
Carte 2
Distribution des migrants (non revenus) selon leur desti-
~ -
._.-
nation. p.59
Carte 3
Densité démographique et ethnique. p.75
Carte 4
Zones et sous-zones homogènes. p.IIO

TABLE DES MATIERES
Avant-propos
p · 3
INTRODUCTION
p · 5
Justification du thème
p · ,6
Problématique
p · 9
Méthodologie
p · 10
,-
~;..,:;
~i.:"
-.--.,.
Plan
p
20
f;~1
·
fj~~
~),i:
PREMIERE PARTIE : MIGRATION ET PHENOMENE "LAMA"
':..-,--;
'<
l - APPROCHE THEORIQUE DES MIGRATIONS
p. 24
~_-__Définition
_ ..
.... _.
~. p. __2 6__
B - Typologie
p. 29
C - Différentes théories en Sciences Humaines
p. 35
II - ETUDE DE CAS : LE PHENOMENE "LAMA" ET/OU "TOUCONO"
A - Etymologie
p. 47
B - Statistiques révélatrices
p. 49
C
Historique du phénomène
p.
60
1 - Période préco1onia1e
p.
61
2 - Période coloniale
p.
62
-
______.
.__ . __3_ ~.I'ériode post-co1onia1e
_
I--~---------- -
p.
62
III
ESQUISSE SOCIo-ECONOMIQUE DU CADRE D'ETUDE
A - Côte d'Ivoire: bilan du libéralisme économique
p. 64
1 - Données économiques d'ensemble
p. 66
2
La place du Nord dans l'économie ivoir ienne
p.
69
B - Etude du Nord Sénoufo
p. 74
1 - Milieu naturel
p. 76

21'0
a) Relief et sol
p. 76
"
b) Climat et hydrographie
p. 77
c) Végétation
p. 78
2 - Milieu humain
p. 78
a) Histoire du peuplement et données démogra-
phiques générales
p. 79
b) Organisation politique et sociale
p. 96
3 - Activités économiques
p. 99
a) Facteurs humains de la production
p.l0l
-."
b) Production agricole et élevage -
P .111
c) Artisanat en pays sénoufo
p .126
DEUXIEME PARTIE
MECANISMES ET EFFETS DE LA MIGRATION
X
Préliminaire
Portrait-type et identité du migrant
sénoufo
p.129
l
-
LES CAUSES OU LE "FAIT COMPLEXE INCITAT~UR"
p.l35
A - Les facteurs exogènes ou externes
p.135
1 - Les facteurs historiques et politiques
p .13 5
a) G.:uerres mand ingues
p.l35
b) Colonisation française
p.l37 .
2 - Les facteurs économi'qlies
p .143
a) Facteurs naturels défavorables
p.144
b) Insuffisance d'em~lois modernes
p.145
c) Dichotomie entre le nord et le sud
p.148
• Absence des emplois salariés
p .150
Disparités entre régions et revenus
p.153
3 - Les facteurs psycho-sociologiques
p.158
a) Margina1isation sociale et besoins nouveaux
des jeunes
p.158
b) Influence de l'urbanisation
p .165
c) Aspiration au changement socio-économique
p .165

27TI
B - Les facteurs endogènes ou internes : le poids des
institutions et de l'éthique sénoufo
p. 167
1 - Conflit gérontocratie - nouvelles générations
p. 167
2 - Poro : cadre unique de promotion sociale
p. 173
II - LES CONSEQUENCES DE LA MIGRATION
p. 176
A
Les conséquences économiques
p. 177
B - Les conséquences démographiques
p. 179
C - Les conséquences socio-culturelles
p. 182
D - Une situation ambigÜe : le "bipolarisme relationnel" p. 185
p. Œ5-
a) Processus de départ
p. 185
p. 186
b) Réseau d'accueil
c) Recherche d'emploi
p. 188
d) Association régionale
rencontre, loisirs,
solidarité
p. 189
2 - Les relations avec le milieu d'origine
p. 197
a) Rôle des cadeaux et divers envois
p. 198
'b) visites circonstancielles
p. 200
c) Visites périodiques : les congés annuels
p. 202
-
- - - - - - "
d) Participation aux différentes cérémonies
p. 203
3 - Les migrations de retour
p. 203
a) Effets de retour
p. 204
b) Le migrant de retour
changement ou immobi-
lisme
p. 209
III - ~A POLITIQUE IVOIRIENNE DE LUTTE CONTRE LE PHENOMENE
"LAMA"
p. 218
A - La stratégie des autorités publiques
p. 218
1 - Les programmes et les réalisations économiques
p. 220
a) Implantations d'unités agro-industrielles
p. 221
b) Tentative d'introduction de nouvelles cultu-
res de rente
p. 224
.A
c) Mise en valeur de nouvelles terres
p. 224

2112
"
,'<V:'AFR~"
2 - Les programmes sociaux et les actions de~,t~tomQ~tiO~~~
humaine: le programme d'urgence
,: ,- ~c
-4
C'p) 225
,.:::
'!lt
l>
B - Porrée et limites de la politiques iVOir~~~ 229
CONCUJS ION
'< ..'<;0, /))1'11), Supé~\\e
p. 235
,~
/
"';.:,.,} ...... ,.,
BIBLIOGRAPHIE
p. 243
ANNEXES
p. 256
1
1

or-"
.~.
I-------~-
vu
Le Président
vu
Les 'Suffragants :
M.
MM. HUGON Philippe
ROUSSEL Louis
HAUBERT Maxime
.-
Vu et permis d'imprimer
le Président de l'Université de Paris l, Pantheon-
Sorbonne

r~'
UNIVERSITE
DE PARIS
l
-PANI'HEüN-SORIDNNE
INSrT.TU D'EIUDE DE DEVElDPPEMENr
ECONCMIQJE Er 8X:IAL
LE PHE:r'-K:MENE
"I./I.MA"
El'/ ru "'IDJCCU"
ru
LA
MIœATION
DES
SENOUFO DE
COI'E-D' NomE
Q U E S T I O N N A I R E
LIEU
DATE
OBSERVATION

l
IDENI'ITE DU MIGRANI'
l-Nan:
2 - Prénans
3 - Date de naissance
4 - Lieu de naissance
5 - Situation matrimoniale
6 - Nanbre d 1 enf ants :
7 - Religion d'origine
8 - Niveau d' instuetion :
9 - Profession:
avant migration
.. --- -----. -----
- .. -perrlanY -la-migration- -:-
II
PA'IRIM)INE DU JEUNE VllJ.AGEOIS
1
-
Avant de migrer quel était votre statut social ?
o - Sous-tutelle de l'oncle maternel
.
1 - Sous-tutelle du p2r9
.
-2
Sous-tutelle d'un rrienbrequelcoDqUe de la fanüle~-.-:~-~_-_·_-_ _
3 - Ehlancipé
.
4 - Chef d'un. "Nargbaha"
(matrilignage)
.
t
5 - Autres (à préciser)
.
i
~.
2
-
Avant de venir en Basse Côte, JX)ssé:liez -vous
1
o - Des terres de OJlture
• 0U.i. .•••••••••••.••••••.•.••••••••.
Non ••.•.••.•••..•.••••••..•....•••
1 - Du bétail (boeufs)
01 i
.
Canbien ?
- - -
- - - - - -
Non ..•••••..•..•..•......
/.
-
/\\Ilil·!..':;
(:,
Illl·(:i:;I.'r·)
.

2
3
Si vous disposiez librffilent de votre prcrluction, verrliez-vous une
partie PJur vous ?I"0curer de l'argent ?
Oli
.- - -
· Non
.
· Combien vous raporte-t-elle ?
F/CFA
· Que faisiez-vous avec l'argent gagné?
.
III
-
MOTIVATIONS DE L'EMIGRATION
1
Enunérez les raisons
qui vous ont fait quitter le village.
o -
1 -
2 -
3 -
4 -
5 -
6
.................................................................................................. .. ".
7 -
............................................................................................................ .. '.
2
-
Aviez-vo_~_.~!-~é__ ~e village :
.
_
o - Avec la permission de vos parents
.
t'...
1 - Par initiative person.'1elle (fuite ou sans pennission)
2 - Sur conseil d'une tierce p-~rsonne (IA-.rcnt ou ZIlTli)
3 - Sur conseil et complicité d'un ancien mi0Yant
4 - Autres (à préciser)
3
Quels sont vos aspirations en tant que jeune? Enumérez-lcs.
o -
1 -
2 -
3 -
Il -
r-1 --

r:
3
4
Le village ne vous p2rrnet-il pas de satisfaire ces aspirations?
o - Oui
.
Si oui [Durquoi avez-vous quitté le village
l
- Non
.
5
Qtlelle est votre activité principale en Basse Côte et le revenu rapporté?
_ _ _ _ _ _ _ _ F/CFA
6
Qui vous a trouvé ce travail ?
o - nlOi -nlêne
.
l - un parent
.
3 - autres (à préciser)
.
7
Le revenu que vous orocure votre travail est-il suffisant?
o - Oui
.
i
l - Non
.
l,
1
8
Que faites-vous avec l'argent gagné? Enumérez les dépenses par ordre de
priorité.
o -
l
-
2 -
3 -
4 -

4
PESEl\\U 0 'ACCUEll..
9
-
Par qui avez-vous été accueilli en Basse Côte ?
o - IvDn employeur (il m' a recruté dans mon village)
l
- Par un frère de la mène région
_______ ~
~2_ - Par un
frèred~_ mÊffi~_,!i~_lé1ge
3 - Par un parent (à préciser)
; ,
4 - Par l'association des ressortissants de ma région ou
,~~
de mon village
~
~
~
5 - Par
personne (je me suis débrouillé seul)
~:
~:
':. ;
~;
f
.Ô: !
t
1;'
"
!~
~
Existe-t-il une association des ressortissants de votre région
~
i
l 0
~\\
ou de votre villagè ?
o - Oui
.
si oui, à quoi sert cette association
- - - -
et pourquoi y adhérez -vous ?
l
- non............
~
- - - -
I l
Payez-vous une cotisation?
o - Oui
.
Scmne versée et péricdicité
CFA
- - - - -
l
- Non ..•......
12 -
Quelle est l'utilisation de cette cotisation?
o -
.
l
-
.
2 -
.
J -
................................................................
4 - ................................................................

.,
13
r-bbili té géo:rraphique et professionnelle. Indiquer les étap2s d~
vos différents changements de résidence, les emplois correspond mts,
le gain et les raisons du changement.
Lieu
Emploi
Gain
Raison du changement
lere étap2
e
.
...
2
étap2
----
- -
- ----- -
-
--- --_.- - .__.._-
.
.
--
- ~
---
------
-"--- .. --
-_._--
. - ...
..
-- -- -"
e
3
étap2
e
4
étape
5e'é~
IV
RELATION AVF'f: LE VII...IAGE
l
-
Allez-vous souvent au village ?
o - Oui .......•......
Péricxl.icité :
l
- Non
.
Pourquoi ?
.

6
2
A quelle occasion allez-vous au village ?
o
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .
..
l
2
.......................................................................................................... " ........
3
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
LI
. . . . . . . .
4
.......................................................................................................... " ........
5
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
10
. .
3
Envoyez-:-vous guelque chose à yps paJ"ents deneurés au village?
o - Oui
_
_ Enumérez -les
.
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .
l - Non
_
Pourquoi ?
.
4- -
Quand vous retournez au village, que payez-vous avec l'argent gagné?
Enumérez-les.
o
l
2
3
4
5
')
l\\ vot.n' rcl:our ilU vi.
LJ(Y~~ quelle c~;L l' dU j Lude' ùe vos pitrCIlLs .;>
o
Contents et fiers de moi. ..
l
Mécontents. .
.
.
2
Incl i. frH'n (~~; .
.
.
fil Il n':;
(,-1
l'r{'(·i:;(~r).

.,
7
6
- A votre retour au village, quelle est l' atti tille de vos camarades d' âge ?
o
médisances (critiques)
.
l
indiférents
.
2
adInirat ion
.
Qu'admirent-ils en vous ? •.
3 - ont-ils envie d'aller en Basse Côte comme vous ?
OUi.
Non
.
4
que leur conseillez-vous ?
v
APFOro'S DE rA P:A.SSE carE AU MIGRANT
(Changanents socio-éconaniques)
l
Avez-vous appris un métier en Basse Côte ?
o
OUi.
Lequel ?
l
Non.
Pourquoi ?

8
2
Avez-vous changé de religion en Basse Côte
?
o - Oui
Laquelle et pourquoi ?
.
----
'" l
- Non .....•......
4
- Avez-vous l'intention de retourner au village?
o - Oui ....
quel travail ~erez-vous en arrivant ?
.
l
- Non, j'ai l'intention de m'installer ici ... _ _~P.ourquoi ? ..
5
Etes-vous conscient que le départ d!c:s jeunes en Basse Côte crée des
:rertubéltions au sein de la ccmnunauté villageoise ?
o - Oui
.
Si oui, énumérez ces pertubations
.
l
- Non
.
-'

le.
9
6
selon vous, qui est responsable du départ des jeunes en Basse Côte?
Les vieux du village
Les
zutorités 'jubliques
Les jeunes eux""il1êmes
Expliquez et justifiez votre réponse .
................. .... ................................ ... .........
7
Que précaunisez-vous p:Jur que les je\\.mes restent au village?
-'