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UNIVERSITÉ
DE
CAEN
UER DES LANGUES VIVANTES ÉTRANGÈRES
OÉPARTEMENT 0'ANGLAIS
THÈSE
PRÉSENTÈE EN VUE DE L'OBTENTION DU
DOCTORAT DE 3 e CYCLE D'ÉTUDES ANGLO-SAXONNES
Les Romans Africains de David Caule
Regard d'un Anglais Contemporain sur l'Afrique des Indépendances
Réalités et Mythes
par Fatoumata KEITA
Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Louis CHEVALIER
Juin 1984

A ma mère
Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie,
de ta forme qui est beauté !
J'ai grandi à ton ombre.'
(Senghors)

REMERCIEMENTS
Nous ténons a remerc~er tous ceux qui, en des
domaines multiples, nous ont apporté une aide indispensa-
ble à la réalisation de ce travail :
Mr le Professeur Jean-Louis Chevalier, qu~ a bien voulu
accepter la tâche ingrate de diriger notre thèse jusqu'à
son terme et qui a mis tout en oeuvre pour que nous puis-
sions la terminer à temps. Sa compétence, sa disponibilité
et l'intérêt qu'il a porté à notre travail ont été pour
nous un grand stimulant. Nous avons une pensée reconnais-
sante pour Mr Lacotte qUi a dirigé notre mémoire de mal-
trise à Abidjan et qui ~ous a dirigé vers un si bon Direc-
teur de tnèse.
Mr David Caute, pour nous avoir accordé de nombreuses en-
trevues à Londres. Nous l~ remercions tout particulièrement
pour tous les documents concernant ses livres, qu'il a gé-
néreusement mis à notre disposition, et aussi pour plu-
sieurs de ses oeuvres épuisées et qu'il nous a gracieuse-
mant offertes. Son amabilité et son fair-play nous ont
beaucoup ~idé.
Mr Léon-François Hoffmann, pour lJattention spontanée qu'il
a bien voulu accorder à notre étude. Les conversations que
nous avons eues avec lui se sont avérées très enrichissan-
tes. Son livre Le Nègre Romantique, nous a été d'une aide
précieuse.
Mr Léon Fanoudh-Siefer, dont les conseils lors des fruc-
tueux·entretiens qu'il a acceptés de nous accorder à
Abidjan, nous ont été très utiles. Nous avons tiré grand
parti de son ouvrage Le Mythe du Nèqre et de l'Afrique Noire.

Mr Le Gall Didier et Ms Margaret Davis, pour avoir eu la
gentillesse de nous aider à la relecture de notre travail.
Notre reconnaissance va également aux no~breux amis et
parents, â Caen, Paris, Londres, Abidjan, Ko~hogo, Bouaké,
Conakry, Bamako, Dakar .•• , dont les encouragements nous
ont apporté un soutien constant.
,

LES ROMANS AFRICAINS DE DAVID CAUTE
Regard d'un Anglais contemporain
sur l'Afrique des indépendances =
Réalités et Mythes

CONVENTIONS DE NOTATION
Pour les citations extraitGs de notre corpus, nous avons
indiqué à leur suite et entre parenthèses, les pages et
titres des ouvrages concernés. Les titres des livres en
question ont les sigles suivants ;
FP = At Fever Pitch
DW = The Decline of the West
KF = The K-Factor
Bien que Under the Skin, ne fasse pas partie de notre
corpus au même titré que les précédents livres - puisqu'il
ne s'agit pas d'une oeuvre de fiction - étant donllé que
nous y faisons souvent référence, nous lui avons également
donné un sigle : US.
Les coupures entre parenthèses
( ... ) apparaissant à l'in-
térieur des citations sont nos propres coupures. Les points
desu~pension se présentant sans parenth3se font donc par-
tie intégrante des citations.

. 1NTRODUCT 1ON
L'Afrique intéresse de nombreux écrivains depuis des
siècles. David Caute en fait le sujet de quatre de ses oeu-
vres, dont 'trois de fiction.
Il paraît important, afin de
situer cet auteur dans la longue tradition littéraire britan-
nique sur l'Afrique, de faire un bref historique des grands
courants qui ont marqué cette littérature, et qui petit à pe-
t i t , ont formé une image statique de ce continent.
Dès l'antiquité les Grecs et les Latins, déjà en con-
tact avec l'Afrique, donnent les premières représentations
de ce continent et de ses habitants. Si la supériorité qu'ils
éprouvent vis à vis de ceux-ci est plutôt d'ordre culturel
que d'o:Ldre racial, elle entraîne toutefois un g=and nombre
de des~ription~ défavorables q~i sont extrapolées durant les
siècles suivants. Les· récits de voyage des premiers marchands,
explorateurs et missionnaires de la Renaissance ajc~tent eux
aussi à l'image déjà tronquée G.'J. continent africain. L'Europe,
comme le souligne Harold Scheub, entre en relation avec
l'Afrique bien avant la période coloniale
Africa and Eurcrye were in contact long before
the relatively brief period known as "the
. colonial period"
(which did not begin until .
about 1850). Between the years 1450 and 1850,
there was much agonizing contact between the
two races in Africa. 1
Scheub fait allusion au florissant commerce d'esclaves qui
eut lieu durant cette période et qui fut un thème récurrent
1. Scheub Ha~old, A6~ican Image~, pv

..;. 4 -
dans les écrits, tant de ceux qui y étaient favorable que
de ceux qui dénonçaient l'esclavage. Ce commerce a profon-
dément marqué les esprits de part et d'autre des deux con-
tinents, et pour ce qui est de l'Europe, i l y a re~forcé
chez beaucoup un sentiment de supériorité que l'expansion
territoriale de ce continent dans le monde, n'a fait qu'é-
tayer. C'est un sentiment qu'on l i t très nettement dans les
ouvrages littéraires.
Pour ce qui est de la Grande-Bretagne, au début du
18è~e siècle, on peut considérer que Daniel Defoe avec son
célèbre Robinson Crusoe
(1719), symbolise l'esprit anglo-
saxon de liépoque et qu'il est ce que Martin Green appelle
"the prototype of literary imperialism".2
L'histoire de Robinson Crusoe peut en effet être in-
terprêtée comme illustrant la "supériorité" et la conquête
britannique dans toute leur ferveur,
ce qui fait dire à Green:
The 186 young men who rode north iILto
Mashonaland with Cecil Rhodes to fuund the
city of Salisbury in 1980; the young men
advertised for in St. Louis in 1822, to go
up into the Rockies for two or three years
( •.. ) the Cossacks who moved out from the
settlements into free land of the Russian
frontier -
these are the men (not aIl of
them so young i~ the literaI sense)
for
whom Crusoe stand~.3
La grandeur de l'oeuvre britannique est mise en exergue à
travers le personnage de Robinson dont Defoe souligne le
courage, la persévérance, l'intelligence dans la facilité à
2. Glte.e.n Malt.V.n,
Vlte.am.6 06 Adve.,I.ttLlte., Ve.e.d.6 06 Emp"<'lte., p5
3. ..<. b"<'d.,
p 83

~ 5" -
s'adapter à son nouvel environnement. Pas une fois l'auteur
ne semble condamner le fait que Robinson, avant son naufrage,
était mêlé à un trafic d'esclaves qui devait l'enrichir.
En fait Defoe préfère louer l'empire britannique plutôt que
d'évoquer les véritables origines de la richesse de cet
empire.
this is an example of what made fo~eigners
calI Englishmen hypocritical. 4
commente encore Green. Une étude des relations entre Robinson,
personnification de, la Civilisation, et Vendredi le sauvage
qu'il se met en tête de civiliser, est très intéressante car
elle révèle déjà l'idéologie colonisatrice qui présente le
colonisateur comme étant avant tout un éducateur.
Pendant près d'un siècle après Defoe, la gloire et
la puissance de l'empire britannique continuent d'être louées
dans la littérature. Ce courant de pensée qui s'épanouit à la
faveur d'un impérialisme triomphant,
répond au préjllgé de la
supériorité occidentale et à la primauté de la civilisation
européenne. Les écrivains de l'époque ne furent pas les seuls
à prôner ces idées : spécialistes en sciences sociales, an-
thropologues, ethnologues, géographes, historiens ajoutent
peu ou prou à cet européoc8ntrisme existant
The anthropologists of the day (19th century)
agreed that the fundamental source
of cul-
tural differences was race. Sorne people were
more "advanced" than others because they
derived from "superior" racial stock. These
superior stocks had evolved as a result of
the progress of natural selection in which
there was a "struggla for survival" and the
preservation of the "fit" over the "unfit".s
5. Ha~~i~ Ma~vin, Cul~u~e, Man, and Na~u~e, an int~odue~ion
~o gene~al anth~opoiogy, p446

1
1
.;.. 6 -
Les travaux de Darwin, on le voit, et particulièrement son
célèbre ouvrage The Oriqin of Species, paru en 1858, furent
pour beaucoup dans la consolidation de certains préjugës :
The inferiority of the native,
so common in
the earlier image, is reinforced by the po~
pulari ty of evolutionary the ory and the no.Jo
tion of the survival of the fittest.
The usè
oi race as a means of classifying mankind
and the no~ion of the scale of value, with
European man at the top and primitive at the
bottom,
are parts of the old image which
lived on,
strengthened further by post-
Darwinian anthropology.6
.
Robert Knox, anatomiste s'intéressant beaucoup aux questions
de races, marque lui aussi profondément le 19ème siècle. Ses
publications ont un retentissemp.nt éno=me dans le monde occi-
dental. On sait, par exemple, que ce sont ses théories qu'
Arthur de Gobineau, en France, reprend dans ses propres
travat:x :
The first important proponent in Great
Britain was Dr Robert Knox, the real founder
of British racism and one of the key figures
in the general Western movement toward a
dogmatic pseudo-scientific racism. 7
L'influence de ces "d§couvertes scientifiques" est très gran~
de et colore la littérature de l'époque.
Rudyard Kipling est l'~n des plus célèbres écrivains
impérialistes de ce siècle. On peut considérer, comme l'ex~
plique Jeffrey Meyers, que c'est lui qui ouvre le genre du
roman colonial
6. St~eet B~ian V., The Savage in Lite~atu~e, p9
7. Cu~tin Philip V., A6~ica and the We~t, p311

-
7 -
Kipling was the first major English writer
to deal extensively and seriously with the
British colonies, and he virtually invented
the genre of colonial fiction. 8
Kipling est un disciple de Cecil Rhodes qui déclaratt
We are the first race in the world, and,the
more of the world we inhabit, the better i t
is for the llUman race. 9
Kipling cultive le mythe de ce qu'il nomme "the white man's
burden", et cela transparaît très nettement dans ses écrits
It is undeniable that Kipling was a hugely
successful propagator of the imperial idea
and imperial fiction,
in England and abroad. 10
Des générations d'enfants et d'adultes se font une image du
"sauvage" et du "civilisé" 1 travers les oeuvres de cet au-
teur et aussi 1 travers d'autres écrivains qui reprennent
la même idéologie, des écrivains tels que, parmi les plus cé-
lèbres, :
- Rider Haggard qui fut lui aussi un grand admirateur de
Cecil Rhodes. Son Afrique est foncièrement barbare et cruelle.
- George
Alfred Henty dont les écrits ont d'autant plus
d'impact qu'ils ont un rôle éducatif. Ses livres sont tein~és
d'un racisme visiblement hérité d~ tous les travaux "scienti-
fiques" 'qui, inondent le 19ème siècle :
Henty borrowed a good deal from standard
histories and geographies,
so his books
were also educational. They rely on Anglo-
saxon racism, assigning stereotype iden-
tities to L~tins, Easterners, and "natives".
8. Meye~~ Je~6~ey, fi~tion and the Colonial Expe~ien~e, p29
9. Goon-etillek.e V.,
Vevelo:ûng ~oLLnt~ie~ in B~itL~h ~i~tion p 114
10. G~een, op ~it.,
p28S

-
8 -
By sheer Pluck describes Africans as being
"just like children . . . They are always
laughing or quarrelling. They are good-
natured,
~nd passionate, indolent, but will
work hard for a time, clever to a point,
densely stupid beyond." 11
- R.M. Ballantyne lui aussi ajoute au mythe du sauvage avec
notanunent son très connu 'l'he Coral Island,
(1858)
roman d'a-
ventures pour la jeunesse. Dans ce roman, dont l'histoire
ressemble beaucoup à celle de Robinson Crusoe,
(1719)
trois
jeunes garçons anglais ont échoué
sur une île quelque part
dans le pacifique. L'un d'eux déclare dès leurs premiers
instants sur l ' i l e :
"We've got an island aIl to ourselves. We'll
take possession in the name of the king ;
we'll go and enter the service of its black
inhabitants.
Of course we'll rise, naturally, to the top
of affairs. White men always do insavage
countries. You shall be king, Jack; Ralph,
prime minister, and l
shall be . . . " 12
Les écrits sur ce mystérieux continent qu'est alors
l'Afrique sont nombreux. Qu'il s'agisse d'oeuvres littéraires,
de documents politiques, ethnographiques, anthropologiques,
scientifiques, tous les prQpos se rejoignent:
l'Afrique a.st
primitive, ignorante, cruelle, superstitieuse, misérable, et
l ' horrune blanc y arrive corrune un sau'veur, .un éducateur, un re-
dresseur de torts.
Néanmoins on note quelques changements depuis la fin
du 19ème siècle. Une remise en question de l'empire colonial
se l i t très nettement dans les Lomans d'écrivains notoires
Il. '<'b'<'d.,
p221
12.
Ballantyne R.M., The Co4af I~land. p19 (e'~~t nOU6 qu'<'
6oul-i.gnon.o 1.

... 9 -
tels que Joseph Conrad, E.M. Foster, George Orwell, Joyce
Cary, pour ne citer que ceux-ci.
La position de Conrad est particulièrement intéres-
sante à analyser. Ses écrits recèlent de~ ambiguités et même
des contradictions.
Il cond~nne la colonisation mais se~~le
tout à fait convaincu de la supériorité du Blanc et de la
sauvagerie de l'''ir..d.igène'',
faisant somme toute apparaître
la colonisation comme une sorte de pi3-aller. Dans, Heart of
Darkness
(1902), par exemple, Marlow, personnage/narrateur
dit' avec sévérité :
"The conque st of the earth, which mostly
means the taking i t away from those who have
a different complexion or slightly flatter
noses than ourselves, is not a pretty thing
when you look ir.to i t too much.,,13
Par contre, c'est ainsi qu'il décrit un "sauvage" qu'il au-
rait "civilisé" :
"I had to look after the savage who was fire-
man. He was an improved specimen ;. he could
fire up a vertical boiler. He was there below
me, and, upon my word, to look at him was as
edifying as seeing a dog in a parody of
breeches and a feather hat, walking on his
hind-legs. A few months of training had dune
for that really ~ine chap.,,14
De'même Goonetilleke attire l'attention du lecteur
sur un passage de Thé Nigger of the Narcissus,
(1897) de
Conrad, qui, dit-il, l'horrifie
13. Con~ad Jo~eph, Hea~~ 06 VQ~~ne~~,
pro
14. ibid.,
p52

-·]:0 -
The nigger was calm, cool towering,
superb
( . . . )he held his head up in the glare of thé
larnp -
a head vigorously modelled into deep
shadows and shining lights -
a head powerful
and misshapen with a torrnented and flattened
face -
a face pathetic and brutal.: the tra-
gic, the mysterious, the repulsive mask of
a nigger's SOUl. 15
.
Ce qui inquiète Goonetilleke, c'est que Conrad, à partir
d'une simple description,
s'embarque dans une généralisation
quelque peu aberrante parce qu'injustifiée. Conrad, poursuit-
il,
considers Wait
(the nigger)
and aIl Negroes
as alike and as destined to have a cornrnon
unsatisfactory character and a cornrnon hard
fate.
He thinks aIl of them have one kind of
soul of a particuliar unsatisfactory kind
( . . . ) He speaks as if he is voicing proved
points accepted by aIl mankind.~
Conrad semble pourtant sensible au problème du préj~gé de
couleur puisque lorsque ce livre fut publié pour la premièré
fois aux Etats-Unis, il en fait changer le titre original :
The Nigger of the Narcissus devient The Children of the Sea,
"in deference to American prejudices", précise-t-il alors. 17
Ainsi, même les auteurs les plus progressistes ne
sont pas à l'abri de critiques acerbes quant à leur repré-
sentation d'un monde autre que le leur. Il semble, d'après
Jonah Raskin, que Joyce Cary et George Orwell soient passi-
bles du même genre de reproches.
Il remarque à propos du
second :
15. Con4ad J06eph, The Nigge4 06 ~he Na4ei6~U6,
p26-21
16. Goone~illeke, op ei~.,
p41
17. ibid.

-
I I -
Orwell is one of these left-wind intellec-
tuaIs who speak against imperialism, but who
are not ready to sacrifice the rewards of a
life as a colonial officer. He is a hypocrite.
"Theor~tically - and secretly
of course," he
writes,
III was aIl for the Burmese and aIl
against their o?pressors, the British ll •
He
feels that imperialism was lI an evil thing ll •
But in practical circumstances he acts like
a sahib. He is II s truck between my hatred of
the empire l
served and my rage against the
evil-spirited littl~ beas~who tried to make
my job impossible.,,18
Quant à Joyce Cary, un passage, par exemple, de Mister Johnson,
(1939)
laisse pla?er le doute, ou plutôt annonce clairement
certaines des pensées de l'auteur
Poverty and ignorancè, the absolute governrnent
of jealous savages, conservatives as only sa-
vages can be, have kept i t at the first fron-
tier ofcivilization. Its people'would not
know the change if time jumped back fifty
thousand years. They live like mice or rats
on a palacE:! floor ; aIl .the magnificence and
variety of the arts, the ideas, the learning
and the battles of civilization go on over
their heads and they do not imagine them. 19
On sait que le même genre de réflexions étaient -
sont encore-
émises pour· justifier la colonisation, appelée alors "mis-
sion civilisatri~e". Joyce Cary, dit encore Raskin,
cari be paternalistic and parade about a sense
of the superiority of white men to black men,
of European civilization to African. He can
be racist. 20
18. Ra~kin Jonah, !he Mytholugie 06 Impe~iali~m,
p14
19. Ca~y Joy~e, Mi~te~ John~on, pll0
20.
Ra~kin, op ~it., p295

- 12 -
( . . . ) with his sense of dut Y of white nations,
he takes us back to Kipling's white man's
burden. That is what neo-colonialism is : the
white man's burden with a new name. 21
Toutefois, on peut dire que l'empire colonial est de plus en
plus analysé sous une plume beaucoup plus critique, beaucoup
plus ironique.
Le vingtième siècle du monde littéraire s'ouvre avec
une condamnation générale du fait colonial. On note l'appa-
rition du "relativisme culturel" dont les anthropologues,
entre ~utres, "s'arment" désormais pour évolu~r dans leurs
recherches. C'est notamment pendant la période de l'entre-
deux-guerres et principalement pendant la deuxième guerre
mondiale que se font sentir les changements d'attitude
de
l'Europe vis à vis de l'Afrique et de ses colonies en géné-
ral. Pendant les deux grandes guerres mondiales, la France
et l'Angleterre sont unanimes à déclarer qu'elles luttent
pour une cause juste : la liberté, donc la fin de la tyran-
nie et de l'occupation. On remarque alors un changement dans
les mentalités. A ce propos, Jeffrey Meyers cite Clement
Attlee qui déclare en 1941
:
"We in the Labour Party have always been
conscious of the wrongs done by the white
races to the races with darker skins. We
have always demar.ded that the freedom which
we claim for ourselves should be extended
to aIl men.
l
look for an ever-increasing
measure of self-government in Africa. 22
Après la deuxième guerre mondiale, on. entre dans la
période post-impériale, puisque les colonies vont se libérer
21. .ibid.,
p378
22. Meye4~, op ei~., p98

- I3 -
une à une, avec tout d'abord l'Inde qui obtient son indé-
pendance en 1947, suivie, dix ans plus tard, du Ghana, puis
du Nigéria en 1960. Il n'y a plus aujourd'hui de colonie
anglaise en Afrique. Et dans le domaine littéraire s'amorce
ce que Meyers appelle "the decline of th~ colonial novel""
L'empire britannique a perdu de sa superbe, .et les écrivains
semblent s~ivre les événements de leur temps. Dès lors, le
roman colonial, tel qu'il existait précédemment, viant à
disparaître pour céder la place à une autre forme de roman,
celui de la période des indépendances et après-indépendances.
Parmi les facteurs qui influencent les romanciers de
cette épo~ue on note l'émergence d'écrivains noirs africains
qui se servent de l'arme qu'est alors pour eux la langue du
colonisateur pour dénoncer les injustices du système colonial.
On remarque également l'importance de romanciers blancs
d'Afrique, descendants de colons, tels que Doris Lessing,
Alan Paton, André Brink. Les critiques et accusations de ces
différents auteurs n'ont pu laisser indifférents les écri-
vains non-colonialistes de notre époque, dont David Caute.
David Caute, né en 1936, écrit son premier roman qua-
torze années après la deuxième guerre mondiale, en 1959, c'est
à dire deux ans après l'indépendance du Ghana, et ses deux
autres romans africains sont eu~ aussi écrits après les in-
dépendances des pays dont i l parle. Il a donc le privilège
d'un regard rétrospectif et un champ de vision très large
sur les problèmes de la colonisation et de la décolonisation.
Il fait. partie de ce que nous appelons la' période anti-impé-
rialiste du vingtième siècle.

- 14 -
Un point qui différencie Caute de pratiquement tous
les auteurs précédemment cités, c'est que contrairement à
eux, il n'a passé que des périodes relativement courtes en
Afrique. Il est resté en effet un an au Ghana où il a ef-
fectué son service militaire et c'est à son retour que son
premier roman a été écrit. Ses séjours au Zimbabwe furent
encore plus brefs. Caute écrit donc "du dehors", mais il a
tout de même le privilège d'avoir vu l'Afrique.
L'Afrique des romans de Caute est une Afrique tour-
mentée, en prise à des problèmes politiques, culturels so-
ciaux, économiques. C'est l'Afrique de l'aube des indépen-
dances.
Les pays africains que Caute décrit sont apparamment
fictifs, mais personne ne s'y trompe, il s'agit de pays qui
existent bel et bien.
Ainsi sont exposés dans le premier roman At Fever
Pitch, les conflits politiques d'un pays du nom de Bada,
qui ressemble à s'y tromper au Ghana des années soixante
Son deuxième ouvrage The Decline of the West, porte
un titre emprunté au célèbre livre d'Oswald Spengler du
même nom, sans doute par ironie, comme l'explique un article
de West Africa
The title of the nOvel is taken from
Spengler's work of the smne name, presumably
in mockery, as Spengler believed that impe-
rialism was "pure civilisation", while

-
15 -
Mr.
Caute's purpose is to expose the rotten-
ness of imperialism. Mr Caute's West is
declining because of imperialism, not because
imperialism is past its heyday.23
Le fait que ce soient. les deux personnages blancs les plus
sadiques et les plus machiavéliques qui, .dans le roman vé~
nèrent le livre d'Oswald Spengler, ne fait que confirmer
cette hypothèse.
Ce roman a pour cadre Coppernica, qui est un mélange
de Congo belge et d'Algérie française, où différents Occi-
dentaux luttent pour conserver leurs intérêts économiques
et politiques et ont alors à faire face à un nationalisme
montant.
Enfin,
l'histoire du troisième livre, Trre K-Factor,
se déroule au Zimbabwe avec les Blancs du pays en guerre
contre la guérilla, dans une atmosphère de peur et d'insé-
curité constante.
Sept années séparent les deux premiers romans de
Caute :
1959-1966, et vingt-quatre se sont écoulées entrp.
le premier et le dernier :
1959-1983.~
Il paraIt intéres-
sant d'observer l'évolution de l'auteur dans sa représenta-
tion de l'Afrique, de. révéler ce dont i l semble avoir héri-
té ou ce qu'il paraIt avoir rejeté des romanciers des siè··
cles précédents.
Nous avons choisi de consacrer notre étude à une
analyse des "Réalités et Mythes" qui apparaissent à la lec-
ture des romans africains de Caute. Cette option nous a
poussé à diviser notre travail en deux grandès parties.
23. K.W.,
"AJ1.U.-Spel'l.gielt", ~'e6t A61t..ic.a., 1966
24.
Ca.ute a. éc.lt..it d'a.utlte6 ltorna.J16 peJ1da.l'l.t c.e6 ..iJ1teltva.iie6,
~a...i6 qui J1e polttel'l.t pa.6 6Ult i'A61t..ique, NOU6 J1e l'l.OU~
..il'l.télte660J16 ic...i qu'à 6e6 iivlte6 6Ult c.e c.oJ1t..iJ1el'l.t.

-
16 -
Dans la première partie "Roman et Histoire", nous
nous proposons d'étudier l'imbrication des faits histori-
ques dans l'oeuvre romanesque. La colonisation puis la dé-
colonisation ont eu des conséquences considérables dans une
Afrique qui se métamorphose à vue d'oeil, entraînant des·
bouleversements, ~ant dans l'organisation politique et so-
ciale des colonies qui cherchent à se libérer que dans les
différentes mentalités des communautés blanches et noires.
C'est à l'illustration de tous ces phénomènes que nous ré-
.
.
servons la première section de notre analyse. Nous tentons
de montrer comment Caute manipule le réel, comment à tra-
vers des histoires fictives,
i l arrive à recréer l'atmosphè-
re vraL~mblable de l'Afrique en guerre, de l'Afrique des
indépendances. Nous voyons aussi, en mettant les différents
personnages en question en situation, de quelle manière i l
pénètre et dévoile la mentalité coloniale.
Dans la seconde partie de notre travail WImagologj~
l'Image héritée ou l'Afrique mythique", nous entreprenons
de faire une étude imagologique.
Il est bien entendu que
les romans de Caute sont fictifs et que l'auteur ne déclare
à aucun moment donner au lecteur une représentation fidèle
de la réalité. Néanmoins, nous pensons pouvoir dire que
Caute veut "mentir vrai" dans la mesure oü i l se sert sou-
vent de' certaines techniques de la vraLs...emblance inhérentes
aux livres de reportage et d'histoire, di~simulant à travers
elles le caractère fictif de sa n~rration. Nous essayons
d'illustrer cornrnent l'auteur, à travers ses récits, offre -
inconsciemment est-on tenté de croire - une représentation
de l'Afrique qui semble correspondre à une image mythique
classique qui ne diffère pas beaucoup de celle que l'on
trouve dans la littérature pré-coloniale et coloniale dont
nous avons fait un bref historique.

-
I7 -
Nous parlons de fiction certes, mais nous partons
du postulat que l'on ne peut dissocier l'oeuvre romanesque
et la représentation sociale qui y figure, d'une certaine
forme de "réalité", d'une interprétation de la réalité, et
cette interprétation n'e5c pas neutre. Nous ne reprendrons
pas l'éternel débat qui oppose le réel à la fiction, car ce
n'est pas notre propos. Le lecteur sait, en lisant un roman,
qu'il a affaire à du "roman", mais cela ne l'emp~che pas de
faire abstraction de ce fait lorsqu'il lit. En supposant
.
.
qu'un bibliothécaire ou qu'un libraire possède dans sa col-
lection de livres les romans de Caute et qu'un lecteur po-
tentiel lui demande un roman sur l'Afrique,
i l ne fait pas
de doute que le libraire ou bibliothécaire en question lui sug-
gèrera , entre autres,
les romans de Caute. Ce lecteur n'au-
ra pourtant pas demandé un roman sur une Afrique imaginaire.
Ces propos qui peuvent paraître byzantins soulignent l'im-
pact que semblent avoir. des ouvrages dits de fiction sur des
lecteurs qui, souvent, lorsqu'il s'agit d'Européens ont ~our
la plupart une vision monolithique et stéréotypée du conti-
nent africain.
Notre analyse dans cette deuxième section est donc
une sorte de sociocritique du texte, qui a pour but de déga-
ger une signification, une idéologie, qu'une lecture rapide
ou non critique n'aurait pas permis de déceler. Cette appro-
che nous a semblé particulièrement intéressante parce que
justement aucun critique -
et pourtant nombreux furent les
articles de jouLnaux qui commentèrent les livres de Caute à
leur parution - n'a fait ce genre de remarques, ce qui laisse
à penser que la représentation stéréotypée que Caute donne

- IB -
parfois des choses de l'Afrique est passée inaperçue,parce que
correspondant à une certaine image de la vérité, un statu
quo que peu de gens remettent en question.
Il est important ùe souligner que nous préférons
privilégier dans notre travail une étude des idées véhiculées
à travers les romans.
Une étude purement littéraire qui se-
rait assurément intéressante, sur l'ensemble des romans de
Caute pourrait faire l'objet d'autres travaux, d'autant que
ce romancier a lui même écrit sur li art d'~crire.25
25. Colli~ion~ et The Illu~ion. tou~ deux de~ e~~ai~ ~u~ le~
p~obl~me6 ~ue ~encont~ent le6 ~c~ivain~.

1
ROMAN ET HISTOIRE

-
21
A- r~ANIPULATION DU REEL
CAUTE TEMOIN DE 'L'HISTOIRE
Le Romancier va devoir localiser, tranchgr,
privilégier certains faits qui lui semblènt
importants,
laisser les autres dans l'ombre.
En un mot i l compose l'histoire en vue de pro-
duire un certain effet chez le lecteur, pour
retenir son attention, l'émouvoir, provoquer
sa réflexion.
Il organise donc la matière
première de son histoire pour lui donner une
forme artistique. 1
Tout romancier est avant tout ce que l'on pourrait ap-
peler un "ll'.3.nipulateur". David Cau:te n'échappe absolument pas
àce qualificatif,'et pourrait à juste tire être désigné comme
un manipulateur du réel, par excellence.
1. BOUll.l1e.u6 R. e;t Oue.Ue.t R., L' Uru.veJt6 du Roma.n, p25

22 -
Les romans africains de cet écrivain sont, bien enten-
du, des ouvrages de fiction, mais i l n'empêche qu'à travers
leur univers fictif transparaîssent de façon très nette des
êvénements et même des personnages appartenant, ou ayant ap-
partenu.
au monde réel, à l'Histoire.
Le roman joue sans cesse sur la fron~ière·
ambiguë du réel et de la fiction~?(c'est nous
qui soulignons)
C'est cette ambiguïtê même qui met parfois le lecteur dans
l"'embarras" et lui fait remarquer à propos d'un roman:
"Comme c'est vrai", ou "C'est invraisemblable: c'est de la
pure fiction", etc. Mais i l est bien connu que la réalité
dépasse parfois la fiction par son caractère justement in-
vraisemblable.
Roland Bourneuf et Réal Ouellet dans l'Univers du Roman, s'in-
terrogent sur cette ambiguïté :
On ne peut guère concevoir de "roman pur"
où tout serait totalement fabriqué,
détaché
de la rêalité ; en regard, on peut se deman-
der si le "récit brut" oü tout serait confor-
me à la réalité est possible. 3
Dans les romans africains de David Caute, fiction et
réalité s'imbriquent l'une dans l'autre laissant au lecteur
une impression de vraisemblable irréalité.
Pour ~es trois romans qui nous concernent, Caute
a choisi un temps de l'aventure qui correspond à l'époque
de l'aube des indépendances africaines avec tout leur cortè-
ge de conflits.
Il s'agit en l 'occurrmce , dans At Fever Fitch,
"de la période précédant l'indépendance du Ghana
dans The
2 ~
'<'b'<'d., pZ 6
3.
'<'b'<'d., pZ 5

-
23 -
Decline of the West, de laps de temps couvrant les révolutions
nationalistes algériennes et congolaises; dans The K-Factor,
du temps des conflits armés antérieurs à l'indépendance du
Zimbabwé.
Au moment où le narrateur écrit ces romans
(temps de la nar-
ration)
les événements dont i l parle se sont déjà déroulés,
le narrateur a donc un certain recul par rapport à
eux
et a donc l'avantage de celui qui sait.

24 -
I- AT FEVER PITCH
LE GHANA DES INDEPENDANCES
At Fever Pitch, écrit en 1959, a pour cadre des villes
aux noms fictifs
: Bada et Fanlaga.
Des noms inventés certes,
mais ainsi que le souligne un journal britannique, At Fever
Pitch est
·4
set in a country almost indecently like Ghana
Un hebdomadaire anglo~hone africain West Africa, ne manque pas
lui non plus de remarquer :
The country of his book is not called Ghana,
nor the capital Accra, nor the scene of di~
sorder, to which his unit is sent, K'~asi.
But who can doubtthat Fanlaga where stands
"the gleaming steel, glass and concrete Fan-
laga general hospital,
the largest in the
colony spaciously equipped with everything
except doctors "1s Kumasi; if that were not
'i
enough, close by is "the Modern National Bank".
C'est bien du Ghana des indépendances dont nous parle Caute.
Plusieurs éléments concourent â le prouver même si le narra-
te~r feint de vouloir le dissimuler. Non seulement donne-t-il
des noms géographiques fictifs, mais plus subtilement i l f~it
du Ghana et de son leader Nkrumah, le sujet d'une conversation
entre deux personnages d'At Fever Pitch.
Cette conversation a lieu entre 1 d'un cêté, J.e colo-
nel Ramsey qui prétend que les Africains seraient incapables
de diriger le pays si les Anglais se retiraient, et que ce
serait alors une occasion rêvée pour les communistes d'enva-
hir ce pays, et de l'autre,
l'officier Hughes qui, écoeuré
par ces propos,
rétorque alors :
4.
Yo/t~hVte. Eve.tU.rtg Po~.tt 1959
s. w~i A6JLi.c.at j, The. Atuny and A6JÛc.a" t 1959

-
25 -
"My good colonel", he said tersely, you seem
'to forget that we are not the first to make
the experiment. The ghastly myth that Afri-
cans
are incapable of ruling themselves was
exploded in I957 when the Gold Coast was trans-
formed into Ghana. Compared with sorne of our
own European politicians l would have thought
that Nkrumah and many of his colleagues stood
out both for their efficiency and their sin-
cerity".
(FP pp 29-30)
Par ce procédé, le narrateur donne au lecte 11r l'illusion que
l'intrigue de ce roman ne se déroule pas du tout au Ghana,
et pour renforcer cette illusion i l fournit des renseignements
vrais sur le Ghana, en l'occurrence la date précise de son in-
dépendance. Mais cette impression ne dure pas, car nombreux
sont les événements ayant effectivement précédé l'indépendan-
ce du Ghana qui se retrouvent dans ce roman : les rivalités
opposant le Nord et le Sud du pays ; l'opposition entre chefs
de village; l'armée britannique prétendant être là pour.main-
tenir l'ordre, etc. Caute fait revivre au lecteur la période
du Mouvement de Libération Nationale avec à sa tête Nkrumah
qu'incarne Ko~i Bandaya dans le roman. Comme le fait remar-
quer un journaliste de l'Evening News:
For Kofi Bandaya (in Mr Caute's Book)
read
6
Dr Nkrumah in real life.
Il Y a bien évidemment, dans At Fever Pitch, un mé-
lange de fiction et de réalité. L'auteur prend pour toile
de fond des événements de l'histoire auxquels i l ajoute quel-
quespersonnages fictifs et quelques personnages réels, mo-
delés toutefois à son goût, le tout donnant un tableau qui
peut paraître dérangeant, parce qu'à
la fois' caricatural ~t
vraisemblable.
Les soldats britanniques, par exemple, dont le
6.
john COI'lf1.e.U,
'Tite. ErJiY.J.0't2 Ü
:tf1I!-.C: pf..a.ypc:n "
EVé:nù1Ç:Nc~I:,!.>, I959

- 26 -
narrateur fait la parodie, sont pour la plupart décrits de
façon négative:
lubriques, alcooliques, et souvent racistes.
Description par trop caricaturale diront certains, dont le
journal anglais Granta :
"Mr Caute lays i t on a bit thick".7
Et pourtant le lecteur pressent bien qu'il est tout à fait
plausible que de tels personnages aient existé.
7. G~anta (Camb~dge magazine), 1939

-
27 -
2- THE DECLINE OF THE WEST
L'ALGERIE ET LE CONGO
DES INDEPENDANCES
The Decline of the West, est lui aussi tout à fait
caractéristique de ce chevauchement entre fiction et réalité.
David Caute se sert à maintes reprises d'événements "vrais Q
de l'Histoire à partir desquels i l construit sa propre his-
toire.
Il décrit certains épisodes de façon si fidèle qu'un
hebdomadaire londonien l'a accusé d'avoir plagié le repor-
tage de Benenson, Gangrene. 8
A l'intrigue principale du roman se rattachent plu-
sieurs autres intrigues qui en diffèrent tant du point de
vue des lieux où elles se déroulent, que du point de vue
des personnages secondaires qu'elles introduisent. Le lec-
teur est en effet transporté en un long voyage de plusieurs
escales.
Il se retrouve ainsi dans l'Algérie des premières
révolutions, dans le Paris de la même époque ; le Congo ~elge
des indépendances, en passant par le Kenya durant la révolte
des Mau-Mau; le Paris de l'occupation allemande et de la
Gestapo; le s~d des Etats-Unis alors que les tensions raciales
sont à leur point culminant. On pourrait facilement imaginer
qu'un tel amalgame de sujets nuise à la qualité du roman.
Mais pas du tout. Au contraire Caute réussit brillamment ce
brassage d'aventures, qui au fond, ont toutes un thème coœnun
l'oppression de l'homme par l'homme, l'injustice.
L'intrigue principale du roman se déroule dans un
pays francophone d'Afrique central du noru de Coppernica
(encore
un nom fictif). Après une révolution rappelant la révolution
8. VOi4 in64a., pp 37-32

-
28 .-
algérienne et débouchant sur l'indépendance de ce pays et
la constitution d'une administration locale, les nouveaux di-
rigeants africains se trouvent confontrés à l'hostilité mon-
tante de financiers étrangers
(français, américains et anglais)
qui, à l'aide de mercenaires blancs montent un coup d'éta~
renversant ainsi ces dirigeants qui n'avaient pas leur appro-
bation. A la tête du gouvernement fantoche qu'ils organisent,
ils placent un Africain de leur choix, un être cupide et niais
Ferdinand Ybele.
La similarité de ces événements d'avec la situation
politique et sociale du Congo belge de la fin des années cin-
quante est trop évidente pour passer inaperçue. Faisant une
analyse succinte de The Decline of the West,
le critique
du Daily Express écr~t :
As you wade through its bloody, desperate
616 pages, you keep thinking :
"This is .too
night-marish, too absurd". Bllt you know at
the back of your mind that i t undoubtedly
happened in th~ Congo.9
c'est précisément cette sensation de vraisemblable qui hante
le lecteur et rend le livre troublant. L'auteur a en effet
utilisé pour ce roman, et cela de façon trË!!s précise, des
histoires vécues.
Souvenons nous par exemple, de la scène de torture
de Camille Odouma. Camille, soeur d'un des principaux per-
sonnages noirs du roman,
incarne en quelque sorte la Résis-
tance au Coppernica. Dans cet épisode, elle est accusée sans
preuve d'avoir lancé une bombe dans un café et est interro-
gée et torturée par un sinistre commandant fr~nçais, le com-
mandant Laval et deux de ses acolytes.

-
29 -
Ce passage du livre est difficilement soutenable
tant la cruauté et la bestialité de ces trois bourreaux est
grande. David Caute, serait-on aisément tenté .de dire, exa-
gère, et pourtant un journal: The Belfast News Letter,
relève ce passage et s'indigne de ce que Davi~ Cau te
aurait ainsi relaté l'histoire vraie d'une jeune Alg~rienne
torturée durant la guerre d'Algérie. Pour ce journal, ces
faits furent trop pénibles pour être ainsi relatés
This seems to have been based too closely
on the real-life tragedy of an Algerian
girl who suffered terrible sadism and de-
gradation during Algeria's troubled times.
To capitalise on this in a novel seems to
me to be lacking in h~~an feelings}ù
De même, à travers le personnage de Raymond Tukho-
mada, l'auteur met en scène quelques passages de la vie de
Patrice Lumumba qui fut Premier ministre du premier gouver-
nement indépendant congolais,
rôle que Tukhorr.ada tient lui
aussi à un moment donné de l'histoire du roman.
Au début du roman, Raymond Tukhomada, bien avant qu'il ne
soit Premier ministre,
cherche à s'affranchir du monde pay-
san dans lequel i l a toujours vécu.
Il rêve de s'instruire
davantage et de connaître d'autres horizons. Par chance, i l
se voit offrir un stage de perfectionnement à Thiersville,
la capitale du Coppernica.
Il se rend donc dans cette ville
nouvelle pour lui, tout émerveillé et hébété devant cette
grande cité européanisée. Dans sa fascination,
i l bousc~le
distraitement une Européenne qui passe.
Il s'empresse de
s'excuser mais s'entend dire
"Tu ne peux pas faire attention,
sale ma-.
caque ?"
(DW p24)
ro. 1:J.M., The. Be..t6a.H Ne.wl.l le.t.teJt, 1966

-
30 -
Cette phrase est mot pour mot celle à laquelle Patrice
Lumumba aurait eu droit,
lorsque dans les mêmes circonstances
i l aurait cogné sans le vouloir,une femme blanche dans une
rue de Léopoldville. 11 L'épisode humiliant du roman, où
Tukhomada, qui tient à gr~vir les plus hauts échelons de
la société coloniale, passe alors les tests nécessaires à
l'obtention d'une carte d'immatriculation et est ridicülisé
et jugé in&pte à la recevoir, cet épisode serait lui aussi
extrait d'une expérience vécue par Lumumba. Patrice Lumumba
aurait tenté en effet, alors que son pays était encore co-
lonisé, d'obtenir cette immatriculation qui lui aurait con-
féré le statut d'''évoltié" ayant assimilé toutes les "finesses"
de la civilisation 'européenne. Après cette dégradante aven-
ture, Patrice Lumumba aurait été emprisonné et quand i l
serait sorti de prison
his heart was black - black with rage, but
also black. 12
De même, le personnage Tukhomada se révolte et change après
cette même expérience. Revenu de ses illusions quant aux
intentions pures de la France, i l crie sa rage:
He was a changed man ( ... ) henceforth, he
accepted the definition of himself on which
the French had insisted. Gone was the bour-
geois man of maderation.
(DW p36)
Il organise des grèves et est lui aussi arrêté. Il profite
alars de son procès pour dénoncer publiquement tout le sys-
tème colonial.
Il s'adresse
directement aux colons qu'il
tance vertement, se transformant ainsi en héros national.
Un mouvement de libération ~ationale se forme avec Tukhomada
comme président honoraire. Patrice Lumunilia,
fut, on le sait,
Il. Caüte Vav~d, F~antz Fanon, p4
12.
~b~ ., p 8 ,

-
31 -
le fondateur du Mouvement Nationaliste Congolais et milita
pour l'indépendance àu Congo belge.
Il fut assassiné un an
après l'indépendance de son pays. Tout comme Lumumba,
Tukhomada connait une fin tragique.
Il est lui aussi assassiné.
Curieusement, dans The Decline of the Wes-t:., ce sont
les épisodes les plus brutaux,
les plus invraisemblables qui
semblent être tirés d'histaires vraies. Telle cette scène du
chapitre 7 qui révèle comment Amah Odourna, alors étudiant à
Paris et militant pour la libération du Coppernica, est ar-
rêté par des "flics" et ensuite torturé. Christopher Ricks
du New Statesman dan~ un article sur The Decline of the West,
montre à quel point David Caute rapporte presque mot pour mot
les récits de tortures d'Algériens à Paris en 1958, récits
qui auraient été recueillis par Peter Benenson dans son livre
Gangrene. Dans ce passage de Gangrene, un policier dit à un
Algérien :
"C'est le règne des flics qui conunence.
WeIll make you piss blood. You like to wri-
te about tortures ? Nothing like experien-
cing them first. 1 experienced torture under
the Nazis
~ now 1 carry it out".13
David Caute met, presque intégralement, ces paroles dans la
bouche des personnages tortionnaires qui, dans le roman, cap-
turent et torturent Amah Odourna:
"C'est le règne des flics qui commence, ma-
caque".
"You like to write about tortures".
Bonaparte said.
His breath smelled of stale
wine and garlic."Nothing like experiencing
them firs t" .
"1 experienced torture under the Nazis. Arab
confided. Now 1 carry i t out. l'm a brute.~
(DW p99)
13. C~.:topheJt McR.6, The. net'" Sta..:te.~maJ1.
23/9/66

-
32 -
Prévoyant le cas où Amah déciderait de porter plainte,
un
des bourreaux lui dit~
"Complain to the Commission of Saieguard
i f you like
( . . . ) We don't give a bugger for
it. Every time there's an action against us,
the bose gives us a promotion.(DW p99)
Alors que, dans Gangrene,
les policiers annoncent à leurs
victimes .
We don't give a bugger for the Commission
of Safeguard. Everytime there is an action
against us,
the boss gives us promoti6n. 14
Une liste exhaustive des emprunts de David Caute aux
récits de Gangrene serait beaucoup trop longue pour être don-
née en entier. Notons encore néanmoins l'histoire de Malcom
Deedes, ce personnage écossais de The Decline of the West,
qui a vécu une expérience traumatisante au Kenya, expérience
elle aussi, précise Christopher Ricks,
inspirée d'une hiE-
toire de Gangrene.
C'est celle de la vie au Kenya du Capitaine
Ernest Law qui fut révoqué pour raisons "médicales". Revoca-
tion plus vraisemblablement due au fait qu'il osa dénoncer
les tortures que subissaient les prisonniers Hau-Nau au Kenya
en I955.
Le témoignage du Capitaine Law e~t "almost verbatirn in Caute"i
Gangrene :
"I saw the Chief Warder clapping
his hands with al~ his force sirnultanp.ously
on both ears on these women. The force was
enough to split the hear drums. l
actually
saw one woman pass her motion with fright.15
I4. J..b-i.d.
IS. J..b-i.d.

-
33 -
Le passage de David Caute donne ceci
At once Kosutu grabbed the nearest of the
women and clapped his huge hands over her ear-
drums, causing her to pass her motion with
fright.
(DW p5I8)
. Tous ces exemples posent le problème du
'Réel'.
D~vid Caute s'inspire d'événements réels mais si on ne peut
le lui reprocher, on peut tout de même être amené à se deman-
der, tout comme Ch. Ricks, pourquoi l'auteur
takes over not just the events but the very
phrasing of contemporary witnesses.16
Peut-être par souci de fidélité à l'esprit et à la lettre
d'origine, mais n'y a t-il pas alors contradiction puisque
ces passages sont introduits dans une, histoire fictive?
Dans The Decline of the West,
toutes les intrigues
fictives se trouvent en quelque sorte incluses dans des pé-
riodes, des atmosphères véc~es et dont la trame historique
est bien réelle.
Histoire et fiction s'y mêlent ingénieuse-
ment.
Prenons, encore pour exemple, l'épisode de Zoe Silk,
Américaine blanche, et de Jason Bailey, Noir américain, qui
décident de partir à deux en voiture dans le sud des Etats-
Un.is au moment où le racisme anti--noir est à son paroxisme,
et la ségFégation raciale toujours une institution. Sur le
caractère romanesque de leur aventure, se greffe toute l'at-
mosphère combien réaliste des années cinquante aux Etat~-Unis.
16. ibid.

-
34 -
3- THE K-FACTOR
LA MORT DE LA RHODESIE ET LA NAIS-
SANCE DU ZHiBABWE
Avec The K-Factor, le dernier roman de David Caute,
on assiste encore au même phénomène de fusion entre le réel
et la fiction.
Une diffé~ence néanmoins se fait jour dans
l'appeilationdes "lieux oü se d~roule l'action. Cette fois-ci,
en effet,
l'auteur ne prend plus la peine d'inventer un nom
fictif de pays.
Il parle nommément du pays auquel i l fait al-
lusion, en l'occurrence la Rhodésie en passe de devenir Zim-
babwe.
Le premier paragraphe du roman, qui sert en quelque
sorte d'introduction et de mise en situation du roman, pour-
rait très bien (mis à part quelques réflexions personnelles
et ironiques)
avoir été tiré d'un livre d'Histoire ou d'un
document sur les circonstances politiques et sociales de la
Rhodésie de 1979. Le rc~an s'ouvre effectivement ainsi
In the seventh year of the rebellion, 1979,
the war between black reached a new peak of
ferocity.
Even tiny babies were fair game.{ .. )
The insurgent blacks enjoyed certain advanta-
ges. They outnumbered the whites by a ratio
of twenty-for one. Their ancestors had occu-
pied the terrain for centuries ;
the whites
for less than ninety years. The neighbouring
black states supported the rebellion as best
the y could, providing bases across the bor-
ders and calling for justice in the great fo-
rums of the world.
Although encircled and uriiversally cündemned;
the whites persisted in regarding themselves
as theguardians of civilization.
(KF p3)
Le narrateur ne nomme pas la Rhodésie dans cette introduction,
mais tous les éléments qu'il donne alLlènent à conclure qu'il
s'agit bien de ce pays, ce qui se confirme par la suite dans
le récit.

-
35 -
On ne saurait étudier la nature du "réel" dans The
K-Factor sans se référer au livre-reportage Under The Skin,
de Caute.
Dans cet ouvrage, David Caute s'exprime en tant que
témoin, puisqu'en effet ce livre résulte en partie d'obser-
vations personnelles et de témoignages recueillis sur le ter-
rain. Under the Skin, décrit la situation sociale et politi-
que de la Rhodésie-Zimbabwe de 1976 à 1980, et l'auteur qui
a effectué de nombreux séjours dans ce pays,
relate quelques
aspects de son expérience vécue.
Il semble intéressant de noter les différences et les
similarités de ces deux livres que l'on pourrait symboliser
ainsi: Under the Skin == "Réalité"
The K-Factor == "Fiction""
Force nous est de constater que nous sommes obligé2, même
pour un témoignage comme celui donné parCaute dans Unàer.
the Skin, d'utiliser le mot réalité entre guillemets.
Certes nous ne reprendrons pas l'éternel débat qui soulève le
problème de la relativité, du degré plus ou moins grand dA
~réel"
dans des écrits dits historiques, documentaires ou de
Leportage, a fortiori dans la fiction.
Néanmoins nous pensons
que quelle que soit la forme donnée à un récit, il y a tou-
jours une part de subjectivité qui transparaît, et Under the
Skin n'y échappe pas. Les exemples qui vont suivre en témoi-
gnent. l7 Under the Skin, qui se veut une étude objective des pro-
blèmes du Zimbabwe n'est absolument pas neutre. Bien-sûr l'au··
teur y dévoile les vices cachés des deux communautés, mais i l
ne fait pas de doute qu'il est un sympatisant de la cause des
Noirs qui sont lésés du fait d'un régime politique et social
injuste et qui réclament leurs droits. Il est très évident aussi
qu'il se complait à dévoiler le racisme et les contradic-
tions dans lesquels vivent les Blancs de Rhodésie. Comme le
dit Hugh Herbert dans un article paru dans le Guardian :
17.
NOLL6
nOLLo pc.!un(?~:t.tovL~ d! ~ri.t""~odL4..-'Jtc. ,.~e-t un dé.vctopPClnc.Vl.t !:Ja--'1.ti-
.
,
cu.Li..c./'c.,
~flcU.~pe.lv.,aD.(.C:. il. .t' il.L:..L~::'..;.;rJ..()rl ae nct/1.e JY1.0po.~.

-
36 -
There are moments when,
as he plants a well-
aimed.boot in the rear of the Rhodesian Front,
he is plainly enjoying himself a 10t~1.8
De même, les sentiments de Caute sont évidents lorsqu'en par-
lant de l'évêque Muzorewa, i l déclare
Passing through London he regularly spends
a fortune
n clothes, on apple~green suits,
two-tone s oes, Liberian national costume,
the ~an is a clown.
(US
181
c'est nous qui
1
soulignons
Pratiquement tous les artic~es de presse commentant Under
the Skin, spéculent sur les Iprises de position de Caute.
(On peut se demander s ' i l est vraiment possible à qui que
ce soit, d'écrire sur un tel sujet sans se prononcer). Par-
mi les nombreux passages de ce livre qui laissent apparaî-
tre les préjugés de l'auteur, on note cet épisode: un jour,
il se trouve dans le bureau d'un certain Goddard, sous-direc-
teur d'une société de transport. A un moment donné, ce der-
nier laisse Caute seul dans le bureau. La réaction de l'au-
teur est immédiate
1 flick rapidly through the clipboards han-
ging on the wall, hoping to uncover sorne ra-
cist infamy but finding only dreary memos
about latrines and garbage disposaI.
(US
pI67, c'est nous qui soulignons)
Ce commentaire en dit long sur le3 sentiments que caute prê-
te systématiquement aux Blancs de ce pays.
D'autres éléments viennent encore étayer le carac-
tère subjectif de ce livre. Par exemple la faç~n dont cer-
tains événements sont décrits selon les circonstances. A
titre d'illustration, l'évocation des différentes scènes de
massacres dans le livre. L'auteur relate plusieurs génocides
18.
Hu.gll Hc.bc.'Lt. /lA VlOVc..i. um;n:.c...tnc-nt té: A6!(...u:.a", GUo..':.efJ...ar, !9S:r

-
37 -
.de part et d'autre des deux communautés, horribles d'un côté
comme de l'autre; néanmoins, lorsqu'il s'agit de crimes con-
tre la population blanche, le narrateur/auteur tend' alors a
forcer la sympathie du lecteu~, et ceci beaucoup plus que
lorsqu'il s'agit de tuerjes de Noirs. Voici comment se pré-
sentent quelques scènes de massacres de la population noire
After a short pause heavy and sustained fi-
ring was ùirected by the soldiers at the pros-
b:ate villagers from extremely close range(. •• )
Finally the soldiers withdrew, returning only
at dawn, by which time relatives were searching
for their dead. The sight and sound of that
scene of carnage and horror,
the piled-up bo-
dies, the wailing and screaming of the inju-
red and dying, the whimpering of those who
had crawled with their woundsinto the bush,
cannot be fully imagined. ,( ... ) Twen ty-two
people were killed, nineteen of whom were wo-
men and children. Only one was a guerilla.
(US
p246)
On 19 October Rhodesian bombs rained do~m on
them and the paratroopers went in, guns bla-
zing. A big cull, perhaps a couple of hundred,
with others injured or dying in the surroun-
ding bush, among the green, gold and orange
trees of early summer.
(US
p286, c'est nous qui soulignons)
Chimoio -
the second great massacre of the
war.
( ... ) The attack lasted for two days.
When Ingram finally reached the devastated
Zanu camp he saw nearly one hundred children,
aged between II and 14, buried in a mass gra-
ve. Ian Christie reported seeing the bodies
of twenty young girls aged between la and 14
piled in a single grave ;
the face of one was
marked by the stains of her tears ; from the
face of another the skin had been entirely
burnt off,
leaving only the white flesh be-
neath.
(US
pI4I)

-
38 -
Ces scènes sont assurément horribles. Le dernier exemple est
un des épisodes les plus émouvants parmi la longue série de
massacres de Noirs dont Caute fait état dans son livre.
Voyons pourtant le contraste avec les images qui suivent et
qui elles,
font référence à des exterminations de Blancs
The Rev. Evans lay with his hands tied, his
face hacked open. Beside him lay 55-year old
Miss Catherine Picken
( ... ) her white plastic
curlers, soaked in blood, were scattered in
the grasse A long-handled axe had been bur-
ied in the back of her head. Tree children
lay in a huddle, next to two women -
clusters
of bodies
( . . . ) The missionaries and their
children had in fact been dragged from their
apartments at 8.30 the previous evening, mar-
ched to the playing-field, split into groups,
beaten with logs, stabbed with bayonets, hat-
cheted, raped, mutilated in sorne cases. Two
children wore yellow pyjamas, one with a-rëd
dressing-gown ;
the third was in a flowered
~ightdress.
The youngest victim was only three weeks old.
Pamela Lynn \\V'as wearing a white smock wi th lar-
ge whi te wolly
sock-shoes
round 'her tiny feet.
Her eyes were closed. A bayonet had been thrust
through the left side of her head and her left
arm with its clenched fist remained raised and
frozen in death. Her mother Joyce Lynn,
36, lay
beside her, her left arm outstreched, her clen-
ched hand across her baby's stomach. Her head
had been battered in. A little girl with a
smashed skull had the imprint of a boot scar-
ring the side of her face.
(U S p255)
(c'est nous qui soulignons)
Ce passage continue encore sur plusieurs paragraphes, puis
vient l'évocation des funérailles:
There were eleven coffins immaculately set out
in a soldieriy row : baby Lynn had been laid
in the same coffin as her mother. The coffins
of the three children were small, white, heart-
rending to look at. Baby Lynn's brother and

-
39 -
sister, Timothy
(10)
and Rachel
(8), pupils
of Salisbury boarding-schools and therefore
spared the massacre, stood with their grand-
mother opposite the two coffins which held
their parents and baby sister : Rachel car-
ried a small stuffed owl which she had found
in her parentis ransacked home up in the Vum-
ba mountains. After the service she placed
i t on th~ coffin.
(US p255, c'est nous qui
soulignons)
. Un autre exemple encore, de massacre de Blancs :
Eleven-year-old Sharon Mc Roberts had lost both
her parents in a car accident when she was
3
and was now living with her grandparents on the
Sharnva farm.
On II March 1977 she and her gran-
ny, Mrs Muriel Hastings, were eating their sup-
per at 7.30 in the evening when guerillas broke
in.
( ... ) They shot Sharon as she tried to
run to her room,
then killed Mrs Hastings in
the dining-room.
(~.~) But the family tragedy
did not end with twodead. An hour later, while
giving details to the police, Hl;' Hastings.
suffered a fatal heartattack. Later Mrs Norma
Sim, Sharon's great-aunt, died in Salisbury of
a heart attack when told of what had happened.
(U S
p94)
Dans pratiquement toutes ses descriptions de massacres de
Blancs, Caute introduit de nombreux détails émouvants qui té-
moignent de son émotion propre, et de sa très grande sympathie
pour ces victimes blanches. Il serait exhaustif de les relever
tous. L'~uteur n'est jamais aussi prolixe pour les massacres
de populations noires, qui,
i l le remarque pourtant, sont de
quatre à cin1 fois plus nombreux.
Peut-être pourrait-on expliquer cette sympathie visi-
ble de l'auteur par .une sorte de sentiment "fraternel" qu'il
ressentirait malgré lui, du fait qu'il est,
lui aussi un Blanc.

-
40 -
c'est ce que l'on croit comprendre à travers un des ses com-
mentaires:
un jour qu'il est au volant de sa voiture en direc-
tion d'Umtali, une ville à concentration blanche, avec à son
bord quelques Africains, i l voit trois policiers blancs en
train de stopper des véhicules pour des contrôles. L'un d'eux
lui fait signe de s'arrêter et comme il arrive à son niveau,
le policier lui fait signe de passer, Caute commente alors:
At the laat minute he waves us on ; involunta-
rily rny hand lifts from the steering wheel in
a gracious white salute, a
esture of corn li-
city.
(US
?I68) (c'est nous qui sou ignons
On aurait pu lire de l'ironie dans le geste de Caute, s ' i l
n'avait été involontaire, comme i l le précise.
Il faut noter à propos des carnages qui sont décrits
dans ce livre, que Caute n'a assisté à aucun d'entre eux. Il
s'est fié à la presse et aux témoignages qui lui ont été faits.
Il est donc entièrement responsable de l'échantillonmge qu'il
choisit de faire connaître, et de publier.
Certains vont même jusqu'à penser qu'il y a plus de
réalisme dans la forme romanesque que dans les oeuvres d'His-
toire
Le romancier, tandis qu'il paraît tout entier
livré à l'imagination, trace des tableaux plus
voisins de la vérité que ces fictions honorées
du nom d'histoire. Celle-ci d'ailleurs n'arrê-
te ses superbes regards gue sur les rois, sur
leurs entreprises particulières, et sur les
vastes et ténébreuses opérations de leur poli-
tique. Le roman moins altier embrasse la fou-
le des individus, et suit la marche du carac-
tère national. 19
I9.· B6i.Utn.e.u6-0ue.Ue.t, op.ca., p120

-
41 -
Pour preuve de cette relativité, nous avons les commentaires
effrénés qui ont suivi la parution de Under the Skin. De nom-
breux journaux ont en effet dénoncé ce qui leur semble être
la partialité de David Caute dans cet ouvrage. Certains ont
poussé la critique - exagérément semble t - i l -
jusqu'à lui
dénier toute objectivité, ceci, dans des commentaires fri-
sant parfois l'injure, tel l'?rticle du Glasgow Herald très
évidemment outré des révélations de ce livre. Le titre de
cet article est d'ailleurs très éloquent:
"Partial view of
whi te Rhodesia' s demise" , quant au ton i l est on ne peut
plus sarcastique
People's Honorary Commissar David Caute( a
real person) who was there as a pseudo-jour-
nalist rips the mask off the racism which
posed as civilisation in central Africa. You
can even see his well-fed face staring from
inside the back dust-jacket. He looks white
but this tie-Iess anti-Aryan exposed white
fascism again and &gain ; and even proved ca-
pableof identifying Uncle Toms among those
Africans who thought jaw jaw better than war
war. 20
Si tous les journaux ne sont pas aussi féroces. dans
leur jugement, presque tous néanmoins, se posent la question
de savoir,
sinon à quel point tous les récits de Caute sont
véridiques, du moins qu'elle est la part de l'apport personnel
de l'auteur .dans la formulation~
Under the Skin is often brilliant in its
sketches of late~Rhodesian life. Characters
talk themselves off the page. Sorne of them
the expert reader can identify. Others -
su-
rely ? - must be characters, caricatures, in-
ventions. 21
20. Mc. Laughla.n. Robe.!Lt "Pa/Ltia1. view 06 wli-Lte. Rhode.l>ia'J.> demùoL",
Glal.>gow He.~d,
1983
21. Jonel.>, J.V.F., "Zvl1babwe. ù
/<.e.nge.", London Re.vie.w 06 BookJ.>, 1983

-
42 -
Caute pour son roman The K-Factor, emprunte
beaucoup à Under the Skin, ce qui .rend une étude simultanée
des deux livres particulièrement intéressante. On retrouve
en effet dans The K-Facto;t:', d8 nombreux épisodes qui figu-
rent aussi dans le reportage de David Caute. Certains des
personnages du roman,
semblent également être des portraits
de personnes que l'auteur aura~t connues lors de ses séjours
au Zimbabwe.
Le roman se déroule dans la Rhodésie de 1979 durant
une période que David Caute étudie à fond.dans Under the Skin,
c'est à dire l'époque de tensions et de conflits armés des
années précédant l'indépendance. Dans ce roman, le narrateur
s'intéresse particulièrement à une ferme de fermiers blancs:
Hastings Farm,
ferme caractéristique de celles des Rhodésiens
blancs dans cette période de terreur.
Il est intéressant de
voir comment David Caute utilise la '~matière première" qu'-
est pour lui son expérience vécue dans ce pays, comment i l
la façonne,
la module à son gré pour donner au lecteur du
roman un ., produi t
fini" qui se traduit par une atmosphère
paradoxalement fictive et vraie à la fois.
Dans Under the Skin, David Caute raconte que lors
de l'un de se,;:> séjours au Zimbabwe, i l a rendu visite, un
jour, à des fermiers blancs. Il dépeint ainsi le décor qui
s:est offer~ à l u i :
Cumberland Farm is surro~nded by trees a~d
a security fence: The gates are padlocked.
Two large dogs bound across the lawn and
rear up,
their paws gripping the wire, ag-
gression spurting from their throats , hot
of ton gue and terrible jaw. Sasha Randall
follows them at a leisury pace, wearing

-
43 -
jeans and chewing gurn :
"Its aIl right," she
says,
"you're white".
l
drive in and she locks
the gate behind me even though i t ' s mid-mor-
ning.
(US p228)
Dans the K-Factor,
c'est un visiteur bien différent, puis-
qu'il s'agit d'un Noir, qui se rend dans une ferma de Blancs,
ici la ferme des Laslet : Hastings Farm.
Hector caught his first glimpse of the home-
stead surrounded by a high security fence.
( . . . ) Parking the Mazda outside the padlocked
steel gate, he l i t a cigarette with an
unsteady hand,
then forçed himself to climb
out,
( . . . ) Already the two dogs were racing
across the lawn towards him, barking furious-
ly,
their jaws dripping
( . . . ) A woman was
walking accross the lawn towards him, grip-
ping a small pistole
( . . . )
Now the security gate was open.
She held the
dogs collars lightly,
tolerantly, while
they reared and snarled.
"It's because you're black", she said.
(KF pp3-4)
Même scène, même décor, même atmosphère,
seuls les circons-
tances et les personnages changent. 22 Bien attrapé serait
celui qui voudrait de nouveau accuser David Caute de plagiat,
puisque ce dernier est l'auteur des deux livres en question.
Examinons co~nent s'opère le changement dans la deux-
ième
formulation,
c'est à dire celle du roman. Prenons le
passage de l'arrivée des chien3 dans les de~ différentes
scènes. Dans Under the Skin, ce passage tient en une phrase
Two large dogs bound across the lawn and
rear up,
their paws gripping the wire, ag-
gression spurting from their thro2ts
,
hot
tongue and terrible jaw.
(US p228)
22.
Ef1 nad de C.ha.f1gc.mc,nt. -U Hmb/:-c' oue 6c.u.l, Vav-i.d Ca.u:te!:Jcü: Jte-m-
ptac.é pM He.Gto~~. Sa.6iLa. c-t SOI1~o. PaJ'..c'lL~'~.(2Jlt f1C 6CU-tLC qu' u.ne •

-
44 -
Les termes sont ponctuels et suffisamment évocateurs de la
férocité des bêtes. Dans the K-Factor par contre,
le narra-
teur décuple cette sensation d'agressivité. La description
des chiens est beaucoup plus détaillée et leur "état d'âme"
est exposé
. Already the two dogs were racing across the lawn
towards him, barking furiously,
their jaws
dripping,
their lean, almond-shaped eyes
livide Reaching the meshed security fence,
they reared up,
their talons gripping the
wire, murder spurting from their throats
.
(KF p4)
Non seulement les deux fermes en question sont jumelles,
ainsi_que leurs chiens, mais leurs propriétaires respecti-
ves toutes deux des femmes qui ne savent pas trop où se
trouvent leur mari, ont la même prédilection pour le che-
wing-gum.
Sasha Randall, insiste David Caute,
"chews gum
a lot"
(US p229). Et de même, Hector de son côté remarque
que Sonla Laslet aime à mâchonner :
He noticed that her jaw worked nonstop on
a blob of chewing gum which she periodical-
ly juggled on the tip of her tongue.
( . . . )
a handsome woman, carefully groomed and wear-
ing
a pair of tight jeans
(KF pp3-4)
Toutes les deux, on le remarque, sont vêtues de jeans. L'ima-
ge que donné David Caute dans le roman est donc une repro-
duction améliorée, parce que plus détaillée, de celle qu'il
présente dans son.reportage. Peut~être pourrait-on la com-
parer à une phcto retouchée. L'auteur procède manifestement
à une adaptation des scènes de son documentaire, dans son
oeuvre de fiction.
Il opère tout comme le metteur en scène
qui adapte une oeuvre littéraire pour le cinéma en lui con-
férant bien sûr, sa vision propre.

-
45 -
Dans The K-Factor, on reconnaît de façon presque
palpable l'origine de certains de ces passages. On se sou-
vient par exemple, de ces mystérieux souliers cloués à la
porte du grenier de la ferme 1es Laslet. On apprend par la
suite que ce sont des chaussures ayant appartenu
à des
"terroristes Zanla" que Bekker, inspecteur de police spé-
cialisé dans la chasse aux "tel.rs", avait attirés dans un
piège et tués
He
(Bekker)
is proud of those shoes. Two
months ago he hung·them there,
as a sign
of his autority, the power of his hidden
eye. They had belonged to a couple of Zan-
la terrorists he had trapped in the labour
compound
of Hastings Farm ( ... ) No one
had dared to pull the shoes down, much as
they loathed their evil presence.
(KF pI20)
Cet épisode, David Caute l'a bien évidemment tiré d'un récit
que lui fait un fermier blanc du Zimbabwe. Ce fermier. lui
raconta comment, averti qu'il avait des "terroristes"
barmi son Dersonnel magasi:1ier,
i l régla ce problème :
"1 went àown there, killed one and injured
seven. One of the injured gooks got away
without his shoes. l
nailed those shoes to
the door and told my kaffirs this was bad
magic and would make the terr hobble.
Later
r ambushed that same terr at the other
end of this farm and killed him."
(US p232)
Certes, Da'Tid Ca·l.4te transforme cette information, cette "v~­
rité" qui elle même n'est qu'hypothétique, mais malgré tout,
on retient une représentation commune aux. deux évocations :
ces vieilles chaussures de "terroristes" clouées à une por-
te, symbole en quelque sorte d'une violence tapie, prête à
surgir n'importe où, n'importe quand, d'une violence née de
la violence et qui ~ngendre la violence.

-
46 -
The K-Factor,
tout. comme les précédents romans
afr~cains de David Caute, recèle des péripéties sanglantes,
difficiles à imaginer et à croire, et qui pourtant.sont des
scènes calquées sur des événements malheureusement vrais.
On se remémore à cet effet ce reportage télévisé diffusé par
une des chaînes de la
t2lévision britannique et dont
Caute' fait mention dans Under the Skin. Ce reportage sur
les actes de violence en Rhodésie, montrait, entre autres,
des images terrifiantes où l'on voyait des corps de "ter-
roristes"
as they are dragged by their heels to the
helicopters or hung like meat for the bene-
fit of villagers.
(US pSI)
David Caute révèle également comment les corps de "terro-
ristes" noirs sont montrés aux enfants dans les écoles de
missionnaires
Parading kids beforecorpses, or cor~ses be-
fore kids, was common practice.
It happe-
ned inI976 at Chikore mission school, ( •.• )
when on three occasions pupils were shown
bodies which the security forces had brought
~o the school and dumped_in the parking
lot - genitals exposed,
fingers cut off
from the knuckles, horrifying. Not surpri-
singly, I40 of the school's 380 pupils res-
ponded to this treatment by walking across
the border into Mozambique.
(US pS9)
Nous retro~vons ces horribles séq~ences dans The K-Factor ..
Dans le passage qui suit, le père Joseph, constamment in-
quiété par la police qui le soupçonne d'entretenir les
"boys", voit venir vers sa plantation des hélicoptères

-
47 -
Joseph cries out in horror when he realises
that the objects swinging from the belly of
the flying machines are hurnan bodies.
(KF pI52)
Ces corps mutilés,
sont comme dans la réalité, exposés aux
regards des enfants :
Now the ritual of the identification parade.
Each and every pupil, young and old, male
and female,
is made to file slowly past the
corpses,
to pause, to stare at the frozen
eyes,
the ragged wounds,
the spilling
intes-
tines with their crawling maggots and their
awful smell.
(KF pI63)
Un grand nombre des élèves du père Joseph abandonneront eux
aussi les bancs de l'école pour aller se joindre à la g~éril­
la.
Le cauchemar dans lequel vivent les missionaires du
roman est le même que celui des religieux de Under the Skin.
Ils souffrent les mêmes angoisses, les mêmes déchirements,
car bien qu'ils soient
sympathisants des revendications
des "boys", ils sont également désemparés devant les bruta-
lités et les crimes de ces derniers.
Ils sont inexorablement
pris entre deux feux.
On se souvient aussi, dans Under the Skin, de la hai-
ne des Blancs de Rhodésie pour ceux qu'ils appellent les
"évolués" c'est à dire ces Noirs lettrés, dangereux parce
qu'ils "réfl~chissent" et qu'ils ont souvent des tendances
communistes. Un exemple de cette aversion est donné à tra-
vers l'interview d'un fermier blanc, Bob Pennington. Il ra-
conte à David Caute comment i l fut écoeuré, un jour, par
l'arrogance d'un de ces Noirs à qui i l demanda son laisser~
passer et qui, en guise de réponse, lui montra un passeport

48 -
britannique, en lui rétorquant qu'étant sujet britannique
il n'avait nullement besoin de ce laisser-passer. pennington
continue ainsi son récit~
"Educated voice. The smile was kind of fix-
ed to his face and l thought :
this is what
we're up against, this kind of kaffir."
( •.. )
"anyway this character had got right under
my skin so l
said to him,
"How many English
girls have you had, boy?"
(US p35)
L'utilisation de l'expression "under my skin~ est particu-
lièrement intéressante quand on sait que l'auteur la reprend
pour le titre de son livre
Under the Skin. Les Noirs du
Zimbabwe sont devenus plus que jamais un problème "épidermi-
que" pour les Blancs.
Les premiers acceptent de moins en
moins le rôle qui leur est imposé par les Blancs, ce que
ceux-ci ne peuvent souffrir. On ne peut lire ce passage
sans se remémorer Hector Nyangagwa hôte de Sonia Laslet,
qui lui aussi revient de Londres, et dont Patricia, l'amie
de Sonia, dit
liA clever kaffir ( •.. ) They're the worst."
(KF p6)
Quant à Sonia, comme Bob Pennington, elle finit par lui de-
mander :
"Tell me, Hectorr : how rnany white women
did you sleep with in London ?"
(KF p30)
On est incontestablement en présence de la même atmosphère
de méfiance et de dégoüt pour ces Noirs qui ne sont pas com-
.me ils devraient paraître et rester.
Il serait trop long de relever toutes 'les séquences·
,du roman que David Caute emprunte à Under the Skin. L'échan-
tillonage déjà présenté semble bien refléter l'importance de
ces emprunts.

-
49 -
De telles similarités entre le reportage et le roman
sont de nature à diminuer quelque peu la crédibilit~ du re-
portage, prétend J.D.F. JONES dans un article concernant les
deux livres de David Caute :
It provokes sorne worrying question about
the ostensibly non-fictional Under the Skin.
For instance, is i t real ? Are you tellinî
your children, fact,
fiction or faction? 3
23. Jo~eh, London Review 06 Book~
Q.uelqueh pM!.lage!.l de Undelt the Skin, viennent lten60ltc.eJt le~ qUehûo~ que
l'on pauMait ~e. pO!.le..-'[, quant à la totale véltaUfé. deh 6~ lteJ:..atéJ.> da.~
c.e iivlte. En e66et, David Caute da~~ c.e!.> pal.>!.lage~ enthe ~eh, ~e c.om-
plait à donne.1t deh dé.tail!.> dont on peLd !.le demandelt d'où. i l le6 ûer..t :
- p179 dehCkipûon de. la.mo4t d'un RhodéJ.>ie.n blanc. :
Wi..R..fA..a.rru ( ••• J Wal.> dJUving in :the. Nyakapinga FoJte!.lt
Reh eltve ,Ù1 the eMteJtn H,[ghlandJ.> when he noûc.ed a
gltoup 06 A6Jtic.aM neaJt the JtOadJ.>ide. AMwni~g them
ta be P.oaMng laboU/teM, he got out 06 ~ veMc.le,
Iteaiized hi!.> ~~take tao iate, !.lhot dead one gueJtil-
la and wounded a~otheJt with 6ive ltoundJ.> 6ltom ~ Ite-
volveJt be60lte automatic. 6iJte W
Mm in the leg-b.
FUJttfteJt !.lhot!.> killed fUm.
- p92 la 6uite étonnante d'une 6emme et de !.leh 3 e~6a~ -bo~ le nez de
4 "teJtJtow teh " :
MM GeJtalcüne Melh.o!.l e had bltought heJt thJtee c.hlldJten
oveJt 601t tea .. It tUltned ou.:t. ta be an unhappy tea paJt-
ty. Two A6Jtic.a~ aJtmed with a !ti61e and a mac.Mne-gun
walked thJtough the 6ltenc.h W-i.ndow!.l wltUe 60U/t malte Wa-tf;-
,ed otLt6 ide. ( ... J MM MeiJto.6 e Wal.> able ta gltab helt
tftJtee cJU...e.et"..e.n, j wnp into heJt c.a.Jt and lteveM e awc..q
at !.lpeed. They !.lhoi aJ: heJt but mfA!.led.
- p142 le tangage piLLtôt -tYlx.eUec.:t.uel d'un gaJtçon de 14 a~ qu...<. a pw le
ma.qtU.6 :
"We m~t 6ltee OUlt people 6Mm the yoke 06 hnpe!tiaLi.6m.
Ole will :tJU.wnph oveJt the Jtawt Opplteh-bOM."
On peu..t a.J.L6!.li pe~eJt que le tangage 'que David Cau.:t.e p,'[,ê.te aux Blanc.!.> de
RhodéJ.>ie eht exagé.Jtément ab~i6, c.' eht e.n tou..t C.M c.e que pe~ e 1Uc.ha.Jtd
Weht du ~unday Telegltapft du 27/2/1983
Muc.ft 00 the quoted !.lpeec.h doeh not !ting bw.e. r
!.lhnply do not bc.iieve thû..t !.la many people who tail<-
.J2..d ta Mit Caute Jte6eMed ta Ao,Uc.anb a6 "c.oon.6" Olt
"mUllt~" ( ... 1 m06t wltztc. Rhodeüan.b (a.nd wltUe. SoU-th
A~Jv~car, 6c:,tita.:t ma.Uc.!:.) ita.l'f:'. a..ÛlJ('t~.(.& bc.cy ~c. oLLé. ,te
Wa.tc..r:.
ti1W Language., C6pCUa-Uy .{./', th.e p.ltebe.nce
o ~ .:> .t~ccUl9 eJt4. •

·
-
50 -
Mais on peut par contre arriver â la conclusion que ces res-
semblances entre la fiction et le documentaire ne font qu'a-
jouter â la vraisemblance du roman puisque le roman ne re-
flète pas' la réalité, mais la traduit, l'interprète. Jones,
quant à lui demande carrément
1s i t t h e novel that offers the truth ? 2~
The K-Factor,
il faut l'avouer, malgré l'énigme du
bébé de Sonia Laslet, ce bébé fantôme qui tour à tour existe,
n'existe pas, est enlevé,
abandonné dans la brousse, rempla-
cé par un autre nourisson,
tout ceci pêle-mêle, ce roman se
donne toutefois par moments des airs de documentaire.
. Nous
avons déjâ mentionné comment le narrateur situe l'époque à
laquelle se déroule son récit, dans une introduction
(mis
à part quelques réflexions ironiques personnelles)
digne d'un
journaliste ou d'un historien. 25 S'ajoute â ceci, cette fa-
çon qu'a le narrateur d'utiliser librement ce que l'o~ pour-
rait considérer comme une pléthore de mots
'spécialisés' ou
encore, de mots empruntés au vocabulaire des langues afri-
caines, comme le ferait,
peut-être un journaliste pour un re-
portage. Mais ce qui serait nécessaire et d'actualité dans
un reportage, devient quelque peu incompréhensible dans ce
roman.
Dans The K-Factor, on voit foisonne~ comme si le lec-
teur était parfaitement capable d'en capter toutes les conr.o-
tations :
-
les noms spécifiques des différents groupes en conflits :
Selous Scouts : Vackhomana
Rhodesian Special Branch ;
Zanu ;
Zanla: Pfumo re Vanhu ;
...
- des mots africains : Mfundisi
Nkosikazi
etc, un peu à
la manière d'Alan Paton. 26
2 4. .<.b'<'d •
25.
vo.{)r. 6U.pJta., p 34
26. a.vec. la d.<.66éJteYlc.e qu'Alan Pa..ton, dan!.> C.'1.Ij, The. Be.love.d Coun:tJr..lj, pM
c.x.c.mp.c.c., d.onne. (Hi l c.x.,-~ uc t'Lid dé "tiL.Leu:. ac.", no: -r~, ~~:' z. ~ :';'::'Z..GL!.> c de
1

C
'
~ r i · , ' 0 ~ • (. (o l
~J 0'" j'"
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Cl'";1 f.
te. bou.-
Caçol! p{..u~ YlO...tU·cL,-,-C IJL>......:; cL ,~.,_ .... l'-' "l:'-'\\. ..'-- !_''-~'~
;.>(",v\\::.
.,.
~ --
- -
"
c.ite de, c.cux qu..{. r.)aJ'J:.C.f~~· ta .Langue. en qUc.6uon.

- SI -
- le lecteur a aussi droit à tous les noms des différents
chefs de l'opposition
Reverend Ndabaningi Sithole ; Josua
Nkomo
Robert Mugabe
Ian Smith, Muzorewa, etc. Si ces
noms là sont plus connus, par contre certains acronymes
le sont moins : SAS ; RLI ; CT.
Autant de mots qui, dans leur ensemble, rendent la lecture
de quelques passages de ce livre un peu astreignan~e. On peut
facilement imaginer que le lecteur peu au fait de l'actua-
lité du Zimbabwe, se sent6 perdu, perplexe et. même parfois
lassé par toutes ce~ express~ons, mots et noms qu'il ne con-
nait pas, et pour cause. Le langage de Caute, dans The K-Fac-
tor est effectivement souvent trop spécialisé, et semble,
par cela même, n'être destiné qu'à des connaisseurs. Peut-
être le narrateur dans son désir de donner une illusion de
vrai, forc~ t-il un peu sur l'authenticité, c'est ce que lui
reproche Roger Owen
The novel tells an action-packed and violent
tale with a dazzling display of know-how. 27
Ce désir de vraisemblance se lit aussi à travers des phra-
ses apparemment anodines telle celle oü le narrateur parle
d'un des personnages en le comparant aux personnages
de fiction :
Jethro expressed his sentiments by spitting
a wad of juice into the red-brown earth, aS
old countryman in fiction like to do.
(KF P
77)
Manipulateur du réel, Caute l'est manifestement,
dans ses trois romans sur l'Afrique. Le thème central com-
mun à ces livres est l'aube fiévreuse des indépendances et
la mort de certains empires. Caute situe en effet ses ouvra-
ges dans la période post-coloniale, ou plus exactement, au
début de la fin de la période coloniale, avec tout ce que
cela implique comme bouleversements en Afrique dans. la com-
munauté occidentale comme dans la communauté autochtone.

-
52 -
La désintégration des empires coloniaux est donc le thème
central des romans africains de Caute. La nouveauté qu'ap-
porte cet auteur dans l'évocation de ce sujet c'est que
contrairement à beaucoup de ses prédécesseurs de la tradi-
tion littéraire coloniale, i l s'attache non plus à montrer
principalement ce que Kipling a appelé "le fardeau de l'hom-
me blanc", mais i l met à nu la culpabilité, le côté négatif
du colonisateur, et pénè~re la mentalité coloniale de l'épo-
que. Ce faisant,Caute s'attire l'hostilité de certains qui
ne voient en lui qu'un négrophile invétéré - dans le sens
péjoratif du terme, bien entendu - déterminé à ne décrire
les Occidentaux que comme de noirs imposteurs. C'est ce que
regrette amèrement Peter Chambers, dans un article du Daily
Express
: à propos du roman The Decline of the West :
The novel,
for aIl its vast scope, does not
emerge as a picture of life. Where are those
dear, bumbling, whisky district officers
who brought justice and r~asonableness to
Africa ? Nowhere in this book. The author
is so determined that the West shall decline
in a sunset of blood,that he pictures
everyEuropean as a cynic or afool or a
pervert. 28
Cau te procède un peu à une démystification du Blanc qui pas-
se par une réhabilitation des Noirs/lesquels assument,
pour certains en tous cas, des rôles nouveaux,
différents
de ceux qui leur sont généralement attribués dans la tradi-
ri on littéraire. C'est, on peut le croire, un regard dif-
férent qui est jeté sur l'Afrique des périodes chaudes des.
indépendances. Ceci rappelle beaucoup l'image nouvelle do~­
née à l'Indien des Amériques, après que celui-ci ait long-
temps été décrit, dans les livres comme au cinéma, comme un
sauvage collectionneur de scalps, sans coeur et à éliminer
:.:!8. ChainbeJt6 PueJt, VaiJ..y EXpILe.Hl, 1966

-
53 -
à tout prix.
Tout comme l'on a attribué une nouvelle dimen-
sion à ce dernier, reconnaissant en lui une victime ayant
une civilisation et des coutumes, non pas "sauvages" mais
différentes, et surtout voyant en lui un homme avec une di-
gnité, une intelligence et des faiblesses d'homme, certains
personnages noirs de Cavte, eux aussi, loin d'être des sté-
réotypes, sont des hommes tout simplement, dont l'auteur es-
saie d'analyser et de comprendre la personnalité.
On a vu comment le narrateur utilise des événements,
et même des personnages réels de l'histoi~e africaine, dans
ses romans, cownent i l les transforme afin de les insérer
dans ses récits. On va maintenant observer comment Caute
réussit encore à reproduire des situations sociales propres
à l'Afrique de l'époque,
à l'Afrique d'aujourd'hui, bref à
l'Afrique que le passage des colons a profondément transfor-
mée.

-
54 -
B- L'AFRIQUE NOUVELLE
UNE AFRIQUE COMPARTIMENTEE
Nous traitons plus tard, de l'Afrique d'avant les
Blancs telle qu'elle est esquissée dans le roman de CautG. 1
L'auteur n'en parle pas longuement, mais ce qu'il en dit
suffit à la symboliser par ce que les Anglais ont appelé
"The Dark Continent"
: une Afrique mystérieuse, enfouie au
fin fond de la brousse, en proie à de grotesques supersti-
tions. Cette Afrique-là se meurt d~s lors qu'arrivent les
premiers Blancs. La nouvelle Afrique naît. Des écoles sont
alors ouvortes permettant à certains enfants africains de
s'alphabétiser, se transformant ainsi en ~e qu'on a appelé.
les "évolu~s", dont certains formeront l'élite. Ces "évolués"
sont des êtres à part qui, en règle générale,
se distinguent
assez nettement de la masse populaire africaine analphabète.
1.
VO,Ut
-i.n6Jta. p214-216

-
55 -
Cette distinction assez typique dans la société africaine,
David Caute la traduit admirablement à travers ses trois
romans.
Pendant la périoQ8 coloniale, en effet,
il s'ins-
taure une hiérarchisation nouvelle au sein de la société
africaine.2 L'environnement 0éographique, lui, aussi,
change,
se compartimente.
2. Van~ t'A6~ique p~é-Qotoniate, it exi~tait bien-~û~, une
hiê~a~Qhi~ation au ~ein de ta ~oQiêtê a6~iQaine, mai~ it
~'agi~~ait d'une divi~ion d'un type di66ê~ent, aveQ te
ptu~ ~ouvent un ~y~tème de Qa~te~.

-
56 -
l
-
LA COMPARTIMENTATION GEOGRAPHIQUE
Dans l'Afrique née de la colonisation,
l'organisation
spatiale est fortement s€grégative.
Différents quartiers nais-
sent :
- des quartiers blancs, ou résidentiels
- des quartiers noirs, ou !I indigènes", corrune on les nommait
à l'époque coloniale.
Cette physionomie compartimentée de l'Afrique se re-
trouve dans les trois romans africains de Caute,
i l est vrai
qu'il s'agit là d'un fait réel et toujours actuel sur ce
continent.
Dans At Fever Pitch, on se souvient de ce bar-dancing
"The Bada Sports Club" où les Blancs de Bada se récréent, et
où les Noirs ne vont pas, et pour cause
Africans ~ot admitted.
(FP p13)
Les Ncirs eux, ont leurs bars, comme celui où Sulley et son
compagnon Ali vont danser au son de "highlife ll aux rythmes
endiablés.
Bada, comme toutes les villes africaines, a son
quartier hlanc :
Set back in spacious exotic gardens were
the glea~ing White houses of the wealthier
Europeans, the businessmen,
railway managers,
senior colonial servants and army officers.
(FP p76)

- 57 -
Il arrive, quelques rares fois,
précise le narrateur, que
quelque riche noir y réside
:
An occas~onal African might reside here
a
judge perhaps or a senior Government
official.
(FP p77)
Mais d'une maniêre générale "l'élite" préfêre se retrouver
parmi ses membres.
The Choku Atuhopes and even the Kofi Banda-
yas preferred another district where an
African élite had gradually congregated,
an élite whose membership required certain
fixed conditions: membership of the Peoole's
Progressive Party, an understanding that~
although the Whites are now our very goods
friends they ~ust saon go - and money.
(FB p77)
Michael Glyn ne manque pas d'~~lleurs d'être très étonné de
ce que le prolétariat africain ne soit apparemment pas per-
o
turbé par le fait que les Blancs vivent dans un tel luxe :
It is a curious paradox that the African
proletariat has no great abjections to the
white man living in wealth and luxury. That,
i t feels,
is the order of thinqs. But when
its more prospeLous brothers move in, then
there will be trouble.
(FP p77)
Cela s'explique certainement un peu par le. fait qu'en Afrique
les termes "Blanc"'et "riche", bien souvent, ne font qu'un.

-
58 -
On retrouve, bien entendu, cette répartition spatia-
le dans The Decline of the West. Lorsque Tuckhomada quitte
son village natal, Twibi, pour la capitale, Thiersville, où
i l a trouvé du travail,
i l sait automatiquement où i l doit
se chercher un logement
He found inex~ensive lodgings in the native
quarter,
the cité. Convinced that he would
soon l i f t himself out of the mire and pur-
chase a tidy house on the fringes of the Eu-
ropean ville, he found i t easy to divert his
eyes from the squalor in which he lived-the
overflowing refuse·bins, ·the hungry pie dogs
scrabbling in monsoon ditches swirling with
garbage and filth,
the walls flecked with
urine and excrement, the pitiful beggars,
the stench of blocked drains.
(DW p24)
La différence entre ce quartier noir de Thiersville et le
quartier européen, où se situe la spacieuse et belle villa
de l'Anglais Soames qui y reçoit des invités, est gigantesque
In the large villa situated in ~he most ex-
clusive enclave of European Thiersville,
three families had gathered for lunch.
The gues~drank Martinis on a veranda over-
looking spacious and exotic gardens
(DW p41)
c'est là un contraste surprenant, caractéristique des villes
africaines. D'un luxe plus insolent encore, la villa de
Fenlinilld Ybele, Africain riche placé à la tête du Coppernica,
se dresse à l'instar de ces nombreuses habitations somptueu-
ses qui jalonnen~ les quartiers résidentiels de l'Afrique ~n­
tière. Soames, se .rendant un jour 'chez Ybele, est stupéfait
devant la magnificence de sa demeure
The cadillac turned into Ybele's driveway( ••. )
Hestood for a moment among the parked
Peugeots, Citroëns and Simcas, admiring
the

-
59 -
magnificent design of Ybele's new villa,
the work,
as was the American Embassy, of
the Swedish-American architect Sven Lunquist.
(
) a short flight of Sienna marble steps
(
) a long, air-conditioned reception room
(
) The sweep of the room cornrnanded Soames'
admiration.
(DW p53)
Entre les deux extrêmes que forment les quartiers populaires
et les quartiers résidentiels, on trouve des lieux de récréa-
tion comme le "France-Empire shack-café", où ceux que le nar-
rateur appelle les "évolués" aiment à se retrouver. Ce sont
'_ 'lX
qui élisent domicile aux abords des quartiers blancs.
Comme l'on s'y attend, parce que l'histoire de ce ro-
man se déroule au Zimbabwé, dans The K-factor,
la démarcation
est encore plus nette entre les différentes communautés d'un
pays où la ségrégation raciale est un lot quotidien. L'image,
en couverture de ce roman,
illustre d~ façon probante la.di-
vision totale de deux mondes totalement différents. Cette il-
lustration représente en effet une immense grille séparant
une femme blanche armée d'un fusil et flanquée de deux énor-
~es chiens, de quelques ncirs que l'on aperçoit à l'arrière
plan, par-delà la grille. Le roman s'ouvre d'ailleurs sur une
scène montrant l'extrême nervosité, l'extrême tension du Noir
Hector alors qu'il se rend dans une ferme de Blancs. Il lui
faut un courage énorme pour approcher cette ferme,
et le nar-
rateur de remarquer :
Here was the country where he had been born
and raised -
though not here precisely, not
on a white farm. He stood like an arrested
street thief.
(KF p4, c'est nous qui souli-
gnons)
Bien que la ferme des Laslet ne soit que très peu décrite,
on devine le confort qui la caractérise. On sait qu'elle

-
60 -
possède un système d'alarme et de défense anti-terroristes
très sophistiqué et que la chambre spacieuse de Sonia donne
sur une piscine qui fait la fierté de sa propriétaire, qui,
apprend-on
adored her possessions, the wealth that
. Charles Laslet had finally won through flair
and dedication
(KF p30)
C'est avec une très grande fierté qu'elle fait visiter sa
productive ferme à Hector.
On ne peut absolument pas éonfonàre les quartiers et
habitations des communautés blanches et noires du Zimbabwe,
le contraste entre elles étant tellement frappant. On en veut
pour preuve la réaction de ce groupe de Noirs dans un bus a-
lors qu'il traverse un quartier blanc. Le luxe qui s'offre
alors à leur~ yeux leur coupe le souffle, les intimide :
the singing died to silence as the bus ente-
red the opulent white suburbs of the towns,
passing the fine bungalows cushioned by vel-
vet gardens,
the kidney-shaped s,.,imming pools
set behi~d high walls,
( ... ) There was no-
thing th~eatening, particularly, about those
suburbs, yet everyone fell into a subdued
hush.
(KF p61-2)
La saisissante magnificence des quartiers blancs sert aussi
de rep!re aux "terroristes" noirs qui savent sans se tromper
où poser leurs bombes :
On the open road, you could always tell tne
unmarked boundary between the European far-
ming areas and the tribal trust lands : the
dearth of trees, all felled for firewood
and shelter, the cattle grid across the road,
the sudden fencing round the white-owned pas-
tureland,the neat signboards announcing the
white farmers'
names at the entrance to pri-
vate dirt roads -
i t was here that the "boys"
would lay their "eggs" and their deê;dly
"sweet pota toes".
(KF p62)

-
61 -
Dans At Fever Pitch, ce sont ces quartiers riches
qui sont par contre épargnés par les conflits armés,
si bien
que certains ignorent même que le pays est en guerre
In Fanlanga the handsome residences of the
Europeans and the wealthier Africans were
set out amidst spacious and exotic gardens
on the south-~est side. This struck Glyn as
being a world apart,
a haven of beauty,
peace and lemon shandies. The perennial but-
chery of Fanlanga, the explosions,
stabbings,
and shootings all took place beyond the val-
ley on the north-e~st side
( ... ) A wealthy
English lady who lived in Fanlaga had once
told Glyn in Bada :
"Violence ? i t all seems
rather remote, you know, but terribly roman-
tic."
(FP p121)
Caute dans son étude sur le Zimbabwe, Under The Skin
insiste sur les extrêmes qui existent dans ce pays à tous les
niveaux entre Blancs et Noirs. Le luxe et le confort semblent
être l'étiquette de la communauté blanche: ce que Caute ~PFd­
le "white man's frontier" en faisant référence, dans son re-
portage, à des hôtels luxueux pour Blancs. Par-delà le pano-
rama de ces hôtels,
se trûuve un autre monde: celui de l'A-
frique noire :
The white man's frontier : across the broad
grey waters hurtling towards the great, two-
kilometre-wide Falls Black Africa began.
Civilization stops here.
(US p169)
"Civilization stops here",
l'auteur se montre-t-il ironiqne
ou se laisse-t-il aller à un certain ethnocentrisme qui veut
que la Civilisation soit européenne, en tout cas occidentale?
On ne peut abonder de façon quasi ce~taine dans l'une ou. dans
l'autre thèse, les deux interprétations étant possibles. On
pourrait néanmoins être très tenté par la deuxième explica-
tion car la même idée,
le même esprit, semblent se dégager

-
62 -
d'une phrase de The K-Factor. Le narrateur décrit ici le
paysage que traverse un de ses personnages, en ces termes
Charles Laslet had travelled the four hun-
dred kilometres from Salisbury in less than
four hours,
spurning the armed convoys and
burning up the straight, empty roads laid
dO'Nn by a superior civilization.
(KF p47)
Ironie suprême àe la part du narrateur ? Rien ne permet de
l'affirmer. 3
Cette notion de supériorité occidentale est en tout
.
.
cas très répandue,
si répandue qu'on la retrouve en Afrique
à travers diverses attitudes sociales africaines, qui serait-
on tenté de dire,
sont justement nées de l'assimilation de
ce concept. 'Beaucoup d'Africains semblent en effet s'être im-
prégnés de l'évidence de la supériorité de tout ce qui est
occidental. C'est un phénomène que.Caute rend très bien dans
ces romans.
Il montre à travers des scènes quotidiennes la
nouvelle hiérarchisation sociale de l'Afrique au contact de
~a civilisation européenne.
A chaque type d'habitations, de quartiers pré-cités,
correspondent différents groupes sociaux, différentes couches
sociales. Les illettrés vivent au village, et quand ils vien-
nent à la ville,
ils se retrouvent dans des bidonvilles: les
quartiers "indigènes"
; les lettrés quant à eux se regroupent
selon ·leur richesse, aux abords des quartiers riches, ou dans
les quartiers résidentiels.
3.
In~e44ogé à ee ~uje~, l'au~eu4 ~e mon~4e a~~ez éva~~6
quan~ à la po~~~b~l~~é d'un eS6e~ (~on~que de ta ph4a~e.
Il ~n~~~~e pa4 eon~4e ou4 la not~on de e~v~l~~a~~on, ~u4
l'amb~gu~~é de ee mo~, que ee4ta~n~, ~elon lu~, aU4a~ent
tendanee à ut~t~~e4 dan~ un ~en~ t40p 4e~t4~et~6 et done
~ent~mental, voulant pa4 là 6a~4e admett4e !'égal~t~ de
toute~ '-e~ e~vili~ation~. La e~v~li~at~on 4oma~ne,
pa4
exemple, ~n~i~te-t-il, 6ut man~Se~tement une eivil~~ation
b4~llante, une eivili~ation ~upé4ieu4e, malg4é le~ at4o-
c~t~6 qu~ ont pu eX~hte~ a crtte ~poq~e.

-
63 -
2 - LA COMPARTIMENTATION SOCIALE DU MONDE NOIR
Pratiquement tous les personnages noirs des romans
de Caute sont des êtres désorientés,
tant chez eux, qu'en
dehors de chez eux. Une ~lassification sociale nouvelle
s'instaure parmi eux, avec, au bas de l'échelle les illet-
trés qui font souvent les frais d'attitudes sociales nouvel-
les.
Sulley Azambugu, le jeune boy de Michael Glyn dans
At Fever Pitch,
illustre à merveille ce personnage noir anal-
phabète qui quitte sa région natale ainsi décrite :
a land of small clustered villages where
they spoke the lingo of the North and knew
little of the white men.
(FP p16)
pour se rendre dans le sud du pays où
i t was said there were many towns and Af~i­
cans of a different race who used the ways
of the white men.
(FP p16)
Avant même de partir pour ces étranges régions, Sulley a dé-
jà un avant-goût de ce que sera son statut, une fois là-bas
un jour, en effet, qu'il discute avec les hommes qui cons-
truisent la route menant vers ce fameux sud :
Those men talkcd boastfully of the big ci-
ties the American cars and cinemas, the
night clubs and the riches of the South
where men could aIl read and write.
( ... )
The strangers used to laugh and say that·
the people of the North were only bushmen.
(FP p16-17)
Sulley est déjà très impressionné par ces propos, si bien
qu'il ne tarde pas à adopter le même langage, et à se consi-
dérer déjà comme appartenant à cette race "supérieure" des

-
64 -
hommes du sud qui vivent comme les Blancs. C'est ce que l'on
retire du dédain avec lequel i l réprimande son épouse Nana,
à qui i l trouve A présent des défauts que l'on ne retrouve-
rait certainement pas chez les femmes du sud. Quand Nana com-
mence à sentir les douleurs de l'enfantement
"he grew impatient when his wife complained
of her pains, telling her that the women of
the South never grwnbled about such things,
for they could read and write.
(FP p17)
Ce qui va à l'envers de l'idée communément répandue en Europe
que moins une femme est sophistiquée mieux elle accouche,
d'oU les techniques "naturelles" modernes. Pendant que l'Occi-
dent, dans certains domaines,
semble vouloir retourner à la
Nature, les Africains quant à eux sont anxieux de paraître
modernes.
Il s'agit là, manifestement, d'une récupération langagière et
idéologique extrêmemen~ rapide et dent l'influence est tr~s
grande, très "contagieuse". C'est un phénomène actuel, que
l'on observe souvent en Afrique. Sulley, déjà, emprunte un
langage, une attitude, qui lui étaient jusqu'alors inconnus.
On ne peut penser à cette forme de mystification sans se rap-
peler Johnson dans Mister Johnson, de Joyce Cary. Johnson,
commis aux écritures,
imbu de sa personne parce que travail-
lant dans un bureau pour et avec des Blancs, promet à celle
qu'il veut épouser, de la sortir de sa sauvagerie et de la
transformer en vraie dame civilisée
"Oh, Bamu, you are only a savage girl here -
you do not know how happy l will make you.
l will teach you to be a civilized lady and
you shall do no work at aIl.'!"
4.
Ca~y Joyee, Mi~te~ John~on, p14

-
65 -
Et lorsque, marié à Bamu, celle-ci se sauve un jour de chez
lui et qu'un de ses amis lui conseille de battre sa femme
pour la corriger, lui qui n'a jamais mis les pieds en Europe,
répond avec suffisance :
"No, no in England, Waziri, we do not beat
our wives. That is a savage,
low custom."5
De cette nouvelle attitude sociale, Sulley ne tarde
pas lui-même à pâtir. Une nuit qu'il va en ville avec un ami
pour se récréer dans une boîte de nuit,
i l est agressé et ri-
diculisé par un homme qvela foule présente, applaudit et en-
courage :
"Men, here we have a bushrnan 1"
They laughed .. The ring around Sulley Azambugu
tightened.
( ... )
"What' s i t like t.o see a. real town, boy ? "
"How do you like cars, bush baby? " chanted
another.
"So you <;'lork for the white men on the hill ? "
"When you going to learn to read, .chicken ? "
"Ashamed·of the colour of your skin, are YQU ?"
"Where's yo\\;r loin-cloth, muscle man? "
( ... )
"What have the Europeans got that we lack,
slave boy ? "
The Chorus :
"A white skin. Just a white skin"
The tall man grew bolder .. "l'Il tell you some-
thing,
friendof my heart .. 1 have been to
England ! "
Frenzied shouts of admiration
( ... )
"Why has the white man held us under the yoke
of imperialism so long"
( . . . . )
"It is because of the bushmenand savages of
the North who have no education, no towns,
no cars,no cinemas"' ( ... )
(FP p19-20)
Ce passage est tout A fait caractéristique de la contradic-
tion dans laquelle vivent beaucoup d'Africains.
D'un côté,
ils veulent vivre le plus ?ossible à l'européenne,
assimilent et adoptent le langage idéologique des Blancs, de
l'autre,
ils se montrent très critiques à l'égard de ces
derniers.
. t . ,
5 . ~., P 7- 3

-
66 -
"1 have been to England !" On retrouve ici, tout le
mythe de l'Europe. Le fait d'avoir séjourné en Angleterre,
ou tout au moins de le prétendre, lui confère une certaine
supériorité, un vernis que les autres lui envient, car,
bien entendu, même s ' i l mena u~e vie de misère dans ce pays,
i l se fait un devoir de présenter l'Angleterre comme un
pèyS de cocagne où tout n'est qu'intelligence et splendeur,
puisque c'est un pays de Blancs.
Ce désir de se dissocier de "la masse populaire, des
"bushmen", on le retrouve très souvent dans les personnages
noirs de Caute.
Ils veulent paraître "civilisés" et, partant,
se jugent à travers des critères d'évaluation qui ne leur
sont pas propres. Caute relate là un phénomène qu'il a cer-
tainement observé en Afrique. C'est ~n effet une attitude
sociale que l'on retrouve encore aujourd'hui, même si l'on
peut penser qu'elle va disparaître. Cela ne semble pas être,
en tout cas l'avis de l'Ivoirien Abdou Touré qui fait le
"procès d'occidentalisation" de son pays:
La volonté de reproduire l'avenue des Champs-
Elysées sous le nom de boulevard V. Giscard
d'Estaing, puis l'avenue Foch sous celui de
Voie Triomphale; l'incitation à développer
le café comme lieu de rencontre et du discours -
à l'instar de P~ris ; la similitude de deux
restaurants célèbres, à savoir le Toit d'
Abidjan sis au sommet de la tour de l'hôtel
Ivoire et la Tour d'Argent à Paris; la dif-
fusion avec insistance des manières de table
occidentales pour la bonne éducation des
Ivoiriens; la répétition de l'idéologie de
l'alphabétisation presque sur le même mode
qu'en France;
la permanence de l'occidenta-
lisme dans les manuels scolaires pourtant
conçus et fabriqués en Côte d'Ivoire
( .•• )
l'initiation-exhibition de l'élite bureau-
cratique au goût artistique occidental, etc,
n'en voilà-t-il pas assez pour mettre en re-
lief la dépendance culturelle voulue et même
considérée comme seule voie du salut ?6
6. Tou~ΠAbdou,
La Civili6Gt~on
Quotid~enne
en Cate d'7voi~e,
P~OC~l drOccidcn~Q~~6C~~on, p7

-
67 -
Cette digression pour illustrer certaines contradictions
africaines que Caute met à
jour dans ces romans.
Pour en revenir à At Fever Pitch, on se souvient du
prêtre Alexander Tikwe, aui est le premier personnage africain
à apparaît~e dans ce livre. Ennuyé par les sarcasmes et la con-
descendance du jeune officier ctnglais,
Savile à son égard, il
lui rappelle -
réflexe caractéristique - qu'il n'est pas un
ignorant, un homme de la brousse :
"I bring the word of God to you, and what
do you do ?
( ... ) You talk of money. Am l
the son of Mammon ? And because l
am an
African you speak of daShas if l
did not
understand English.
Am l
a bushman ?
(FP pl, c'est nous qui
soulignons)
Quant à Sulley, qui continue à se plaindre de sa
femme,
il est vertemer.t "remis à sa place" par son patron Glyn
"She be foolish woman."
( ... ) She cornes
from bush. She knows nothing."
"And where the hell do you think you come
from ?"
(FP p70)
Mais ~algré ces remontrances, Sulley n'en arrête pas moins de
traiter sa femme de sauvage
"You are from the bush ( ... ) and you know
nothing.'
(FP p74)
Cette façon nouvelle de l'Africain qui a été au con-
tact des Blancs, de se considérer par rapport aux autres Afri-
cains dont il souhaite se détacher, a été aussi habilement ana-
lysée par Albert Memmi, dans un chapitre intitulé "L'amour du
colonisateur et la haine de soi"
:
La première tentative du colonisé est de
changer de condition en changeant de peau.
Un modèle tentateur et tout proche s'offre
et s'impose à l u i : précisément celui du

· -
68 -
colcnisateur. Celui-ci ne souffre d'aucune
de ses carences, il a tous les droits,
jouit
de tous les biens et bénéficie de tous les
prestiges i
il dispose des richesses et des
honneurs, de la technique et de l'autorité.
Il est enfin l'autre terme de la comparaison,
qui écrase le colonisé et le maintient dans
la servitude. L'ambition première du colo-
nisé sera d'égaler ce modèle pr~stigieux,
de lui ressembler jusqu'à disparaître en lui. 7
Ceci rappelle aussi, à un degré plus fort,
bien sar,
l'analyse que L-F. Hoffmann fait d'une certaine attitude socia-
le en Haiti, dans Le Roman Haitien, attitude qui veut que l'on
s'assimile le plus possible aux Blancs, et dont Hoffmann fait
remonter les causes aux temps de la colonie. Il explique notam-
ment l'opposition entre Noirs et Mulâtres, ces derniers se sen~
tant supérieurs aux Noirs. 8 Il semble que l'on puisse, dans un
certain sens, assimiler ce sentiment des Haitiens mulâtres vis
à vis des Haitiens noirs, au sentiment du personnage Noir amé-
ricain Jason, dans The Decline ùf the West, vis à vis des Afri~
c~ins noirs du Coppernica. Jason est en effet un être complexé,
mal dans sa peau dont il voudrait changer la couleur: c'est
pourquoi son plus cher désir est d'épouser l'Américaine blan-
che Zoe Silk, changeant ainsi de statut à travers elle :
He wanted to endow the whole span of his
black life with her white beauty, her ~ealth,
her style, her class, her elegance, her
ideas, her friends. He Wanted to escape from·
his condition the bleak destiny of his pig-
mentation i
in the violent chemistry of me-
tamorphosis,
Zoe Silk would be his lifelong
catalyst.
(DW p404, c'est nous qui soulignons)
7.
Memm~ A{be~t, Po~t~a~t du Co{on~~é,
pI48-9.
8. Mime ~'i{ ~'ag~~ {a,
p~~»c~pa{ement d'ün antagon~~me de cou-
{euA,
on pe.ut tout de. mir.re. 6a~~e. un ce.~ta~n p~-:a~{~{e. .av~c
ce.t antagon~~me. nouve.au de. c{a~~e. dan~ {a ~oc~ete a6~~ca~ne..
V'ail{eu~6 au mot '~~che~6e' e6t 60uvent a~6oci~ l'exD~e.~~~on
Ir m0 YI d c
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b .t a YI c.,6" (' r: A6,'t iCi u. c .

-
69 -
En Afrique, Ja.son ne sent aucun lien corrunun entre
lui et les Africains.
Il feint de n'accorder aucune impor-
tance à la couleur de la peau lorsque le commandant Laval
lui rappelle sarcastiquement qu'il est de la même race
qu'eux.
"And you are now prepared toslaughter your
own kind without scruples or regrdt ?"
"My own kind ?"
"Les noirs."
"1 don't happen to see i t that way,
Corrunan-
dant.
l've never taken much account of
colour."
(DW p413)
Vers la fin du roman,
Jason se retrouve seul avec les prison-
niersTuckhomada et Amah. Amah voyant que Jason est noir,
c~oit
pouvoir le rallier à leur cause et tente de le convaincre de
les détacher: Un dialogue s'instaure entre-eux.
Dès le départ
Jason tient à leur montrer qu'il n'a rien en corrunun avec eux
pauvres noirs
"l.olhere do you come from ?" Amah asked
"New York" Jason said sullenly
"Harlem ?"
''l've lived around the city," he said ca-
sually.
"In my country there are no guetto~s."
(DW p575,
c'est nous qui soulignons".
Ce n'est que lorsque Amah fait allusion à sa liaison avec Domi-
nique que Jason se sent
moved by a
sense of brotherhood verg~ng on
complicity.
(DW p577)
La version qu'il leur donne de ses relation~ avec Zoe témoigne
de sa mauvaise foi et de son profond complexe vis à vis des
Blancs :
"1 had a girl," he said,
"a white girl
funny thing is,
she was pretty beautiful,
you know,
everyone was crazy about her,
she
was rich,
so ~hy did she have to pick me ?"
( ... )
"1 likedher quite a bit,you know,
if some-
one's crazy about you,
i t flatters the male
ego
( . . . ) Anyway, my girl became pregnant."

-
70'-
Her family were furious.
She wanted to marry
me, poor kid,
but they wouldn't let her."
"Did you want to marry her ?"
Jason shrugged.
"I was easy."
(DW ~S78)
Face à des Noirs,
i l essaie de montrer que les Blancs ne sont
rien pour lui, mais i l n'est lui-même fidèle à rien. Contraire-
ment à' son frère Haydon, vis à vis duquel i l s'est toujours
senti inférieur et qui lui déclare vouloir être un des "lea-
ders of the Negro race in Harlem", Jason est un Noir qui veut
oublier qu'il est noir tout en feignant le contraire.
On peut penser que s ' i l ne délivre pas les' prisonniers c'est
précisément parce qu'ils sont noirs comne lui, ce qu'il rejet-
te.
Il finit d'ailleurs par être la victime de la différence
qu'il veut évidente entre les Africains et lui. Quand, à un
moment donné,
i l se sent menacé de mort par des Noirs d'Afri-
que,
i l essaie alors pitoyablement d~ se rapprocher d'eux, en
vain. 9
Ceux-ci ne s'y trompent pas, dans The Decline of the
West, on retrouve, comme dans le premier roman de Caute, ce
sentiment de supériorité des lèttrés vis à vis des illettrés
africains. On le remarque 8n effet chezceux que le narrateur
appelle les "évolués"
(sic). Ces jeunes gens se retrouvent no-
tamment au "France-Empire shack café". Ils se distinguent de
la masse populaire, non seulement parce qu'ils sont lettrés
et parlent donc français, mais parce qu'ils rejettent délibé-
rément leurs habitudes propres pour adopter un mode de vie qui
les rRpprochent plus des Français ;
Contemptuous of the ignorant masses, the y re-
jected beer and orange juice for wine, argued
fiercely in French and listened avidly to ra-
dio programmes broadcast from Coppernica's
national capital, Thiersville, and even from
Paris.
(DW pIS)
9. va,Ur. -tn6Jta., p249

-
7I -
Paradoxalement, ceux-là m~me qui cherchent à se dissocier du
peuple en adoptant des habitudes françaises,
sont ceux qui
critiquent les colons avec le plus de véhémence,
les traitant
entre autres de "bunch of thieving criminals"
(DW pIS)
On observe la même suffisance,
les m~mes airs affec-
tés, 6t surtout le même désir de paraître le plus occidental
possible chez ce groupe de gens à l'apparence riche, que le
Général Ridley-Smithobserve un jour, dans ~t Fever Pitch
Behind the Land Rover a large car drew up,
disgorging a bevy of prosperous-looking
Africans of both sexes. They rnoved in close
to the Brigadier, passing comments in English
loudly, as if to dissociate themselves from
their plebeian compatriots.
"And how," queried one affectedly,
"are things
in London ?"
"Oh, the U.K.," replied another laconically,
"is the same as ever."
(FP p122)
Un moyen très simple qu 1 (;nt aussi les femmes de ce mi-
lieu pour se distinguer de leurs soeurs ignorantes, est le
port de la robe à l'occidentale
The women wore European frocks,
a featur.e of
dress which was coming broadly to disti~guish
the literate
female from her
illeterate s1s-
ter who still cleaved to Willy Dickinson's mo-
dest garb.
(FP p123)
Ces Africains lettrés se placent donc pux-mêmes sur un
piedestal et .paradént devant leurs compatriotes analphabètes
qui les admirent souvent'. Comme l'explique très bien Abdou
. Touré en y faisant référence:
Centre autour duquel gravitent les autres
/
institutions, l'école est devenue un fétic
qu'il faut adorer de gré ou de force. Car
verdict est impitoyable. A preuve la sup~
rité dont le système social auréole les
l

-
73 -
3 - LES AFRICAINS LETTRES
·DES PARIAS
a)
vis-à-vis d'eux-mêmes
Les Africains lettrés sont en effet très souvent des
êtres qui se cherchent une identité propre, et ils se trouvent
parfois dans de terribles dilemmes.
Se défendant farouchement
d'être des Occidentaux, et n'étant pourtant plus entièrement
Africains, une partie d'eux-mêmes rejette l'autre et vice et
versa.
The Decline of the West, dans lequel l'auteur s'inté-
resse aux conflits intérieurs de plusieurs de ses personnages
noirs, montre admirablement bien le dilemme dans lequel se
trouvent ce~ Africains dans une Afrique en transition .
. Amah Odouma,
jeune Africain du coppernica, retourne
chez lui, après avoir fait ses études à Paris, et entre alors
activement dans la lutte politique contre le colonialisme.
Il symbolise par excellence cet être désorienté qu'est l'in-
tellectuel africain, un peu déraciné, et en quête d'une iden-
tité en laquelle il se retrouverait pleinement. Arnah tente
d'expliquer ce conflit intérieur à son amie française Dominique,
à Paris :
"We live in two worlds, those of.us who corne
to Paris," he sa id gently.
"You and your
friends a~e one thing, the whites at home
quite another. We s~ffer from a constant cr1-
sis
of identity. Treason, the spectre of
betrayal, haunts UE. Before
l
left Thiers-
ville, Camille saiei to me,
"What joins a sla-
ve to his masters is more tragic th an what
separates him."
(DW p 108)
Ce tiraillement intérieur propre aux Africains instruits à
l'école des Blancs, est encore plus aigu lorsqu'un conflit
ouvert éclate entre la communauté blanche et la communauté

-
74 -
noire. C'est ce qu'essaie de faire comprendre Amah à Dominique
"Treason,
the spectre of betrayal,
haunts us".
En effet, en
défendant la cause des Européens en prenant partie pour elle,
l'Africain risque en fait,
d'être tout simplement rejeté par
les siens, et d'être alors traité comme un paria, un traître.
Pourtant d'un autre côté,
i l se sent beaucoup d'affinités avec
celui qui doit être son ennemi dans une Afrique en guer~e. Il
souffre d'ailleurs des décisions qu'il se voit obligé de pren-
dre, parfois.
Il était presque inévitable que sa relation
amoureuse avec la Française Dominique s'effrite, et que s'ins-
tallent à sa place antagonisme et mèfiance.
Tous deux, alors
que le Coppernica lutte pour son indépendance et que colons et
colonisés s'y entretuent, vont vivre ces évènements de façons
totalement différentes,
chacun prenant aveuglément parti
pour
le groupe racial auquel i l appartient. Un dialogue de sourds
s'instaure à présent entre eux,
ils ne sont plus capables d'évo-
quer ces problèmes sans leur donner un caractère personnel.
Aucun recul ne leur est possible : Dominique devient le sYmbole
du colon aux yeux de Amah,
et pour Dominique, Amah 3ymbolise
ce colonisé que la haine aveugle transforme en terroriste.
C'est progressivement que cet untagonisme naît entre eux. Tout
d'abord de façon assez anodine dans certaines allusions
"Why do you hate me, Amah ?"
( . . . )
One cannot hate what is one's own"
"l' m a free WOIr.:l.D. My love for you makes me
freer. J1
Il A
lock belongs to i ts key."
"No,
the lock is the measure of the key.
It
is you who are condemned to become like m'ë:""
"That ' s the illusion of aIl slave-owning
classes."
( . . . )
"r'm a Communist Amah."
"rn Coppernica you would be a colon's wife.
And if r were round in your bed l'd be whip-
ped."
(DW plIe)

- 75 -
Puis la tension grandit au fil des jours. Amah est tellement
contre l'occupation de ~on pays, qu'il se laisse aller à des
généralisations blessantes pour Dominique
"There are twelve million Africaas in Copper-
nica and half a million whites.
That is all
there is to know. As for the French proleta-
riat,
they mean nothing to the people of my
country. To them a white is a white,
and when
he cornes to Coppernica he does not forget it.
(m'1 p1l2)
Amah est passionné, et il ne comprend pas que l'on puisse re-
mettre en question ses revendications.
Il sent bien pourtant,
que le fossé qui le sépare de Dominique s'élargit de plus en
plus :
This woman whom he had grown,
is a sense, to
love, whose body and soul he had explored un-
t i l virtually no secret remained unrevealed-
this white woman- now sat apart
from him,
wa~ching him critically, impatient with what
she regarded as his immature and vain postu-
ring,
his refusaI to submit himself to a pro-
per discipline.
(DW pll3)
Chacun d'eux continue à se retrancher dans ses convictions .
.
Amah, quotidiennement confronté au racisme dans les rues de
Paris, n'en continue pas moins pourtant, d'aimer Dominique.
Un jour qu'ils sortent ensemble, elle est obligée de lui venir
en aide,
face à l'animosité de 5es compatriotes blancs. Le nar-
rateur alors d'expliquer:
The black, like the Jew before him, had become
the quintessential woman of a Europe in which
even the magistrates were rapists.
(DW p116)
Leurs relations finissent par se dégrader complètement, il ne
leur manque plus qu'un prétexte pour se séparer. Ce prétexte
se présente sous la forme d'un massacre de Blancs au Coppernica.
C'est ~a nouvelle que fait lire Dominique à Amah dans un journal.

-
76 -
Dominique est horrifiée,
tandis qu'Amah trouve cet acte justi-
fiable
:
"There are limits," Dominique said.
"Ah. For whom ?"
"For those who wish to be consid3red within
the pale of civilization."
"The Blue Berets, for instance ?"
( ... )
"Listen, Amah, The Germans occupied France
dùring the war, but we never did that to them.
( . . . ) These people
( ... ) these women, this
doctor, this priest, had nothing to do with
the war."
(. .. )
"You can only visualize a country under mi-
litary occupation. But a colony is different.
In a colony every white is a soldier in dis-
guise,
an element in the totality of oppres-
sion. The oppression is total and the confron-
tation is total."
"You'd better hurry home to see how many
women you can rape while the going's still
good." Dominique stood trembling. He packed
his things hurriedly and offered money for
the rent.
(DW p118)
Dominique et Amah ne· parlent manifestement plus le même langage
et aucun compromis ne semble g11ère plus possible entre eux.
Amah, plus tard, résume admirablement les raisons de leur rup-
ture :
"1 realized that the break had come about not
through passion butthrough empathy.
It wasn't that each of us wanted to justify
our own side : far worse,
i t was that willy-
nilly we were bound by racial affinity to be
one side or the other ; we had spilled one
another's blood, we could no longer share the
same bed."
(DW p484-5)
Quand Amah rentre au pays après avoir été torturé en France
pour ses activités révolutionnaires, son pays, plus que jamais,
est entre les mains des Occidentaux qui ont réussi à faire
avorter la révolution nationaliste qui s'amorçait.

-
77 -
Il apprend que sa soeur Camille a été torturée et violée par
des soldats blancs.
Il prend alors le maquis,
son choix est
fait.
Il se joint à l'armée rebelle du leader paysan Maya.
C'est alors qu'il se trouve de nouveau confronté à un problème
d'identification. Amah, tout convaincu qü'il est ü'appartenir
au groupe des opprimés, des Africains,
se trouve en face d'un
problème auquel i l ne s'attendait certainement pas:
il sent
qu'un gouffre le sépare de ses frères de sang qui sont illet-
trés.
La formation qu'il a reçue,
son mode de vie,
sa façon
de voir le monde,
i l le constate alors,
le séparent d'eux. Au
sein de cette armée constituée de Noirs, i l se sent malgré
tout isolé, étranger
His complete isolation he found harder to
adjust to.
He never saw another évolué, ano-
ther educated African.
It was Maya's policy
to keep them apart, ta scatter them like
"grated cheese."
(DW p 152)
Les Africains lettrés, s'ils ont du mal à se définir,
sont en tout cas traités avec méfiance et même parfais anti-
pathie par leurs compatriotes analphabètes.
b)
vis-à-vis de la masse populaire:
JI.mah,
l'intellectuel, es-i: donc confronté à l'extrême
méfianc~ de Maya et de ses partisans, qui ne peuvent justement
faire confiance à cet Africain qui én tous points, hormis la
couleur de sa peau, ressemble à un Blanc. Il devra faire ses
preuves.
I~exigent de lui un témoignage probant de sa totale
adhésion à la cause africaine
"You will ceaSA to be a Frenchman, " Moise
told him, when you have killed one". (DW pISI)

-
78 -
Arnah doit s'exécuter, mais son coeur se serre à chaque san-
glante embuscade. Voici ce qu'il ressent, un jour qu'un de
ses compagnons tire sur deux jeunes Blancs.
The face which i t b1asted away had been in
that instant ail the young faces Arnah had
ever known in Paris, at the Sorbonne, in the
party ce11s,
in the cafés and museums.
It
was himse1f and i t was white.
(DW p1S3)
Le dilemme d'Amah est cuisant: i l se sent étranger à une so-
ciété à laquelle i l appartient malgré tout, et d'un autre cô-
té,
il lui semble qu'une partie de lui même fait corps avec
un monde auquel i l ne peut adhérer
In the rebe1 army Amah came face to face with
the ug1iest
(yet most easi1y concea1ed) of
al1 social rea1ities:
the immense gu1f, amoun-
ting a1most to a difference in species, bet-
ween the men of the higher social classes and
the men of the 10west of a11. An educated
African, he sometimes fe1t,
revo1ving slow1y
in the vacuum of silence which cocooned him,
is the wor1d's turd.
In Paris he had 1earned
that a black is not a White ; that a white
woman 1s not a black woman. To prove it, he
had his scars.
"Your victims know you by their
wounds." Now in harrovling conditions, he 1ear-
ned for the first time that a black is not a
black. The wor1d after a11, was f1at.
(DW p1S2,
c'est nous qui soulignons).
Quand Amah se décide enfin à prouver son engagement total à la
libération de son pays et son désaveu du monde occidental, il
choisit pour victime Madame Trignon, une Française aimée de
toute la région pour ses bienfaits et son assistance aux Afri-
cains. Amah lui laisse entendre qu'elle n'est qu'une exception
"Nine colons out of ten exploit and rob their
peasants. And nine urban emp10yers out of ten
exploit and rcb their native workers. Copper-
nica is bled of its minera1 wea1th by forei-
gners, and its people are denied e1ementary

-
79 -
justice and the right to live where they
choose by a brutal army occupation. That is
the ugly reality."
(DW p159)
·Amah est alors aveuglé par son "devoir". Madame Trignon lui
dit, dans une dernière tentative pour l'empêcher de commettre
l'irréparable
"My husband and l
always hoped that others
wculd follow our exemple, you will not impro-
ve the worst by cutting down the bcst."
(DW p160) .
Il reste sourd à ses appels, et c'est l'intellectuel en lui,
précise le narrateur, qui finit par la tuer,
écoeuré par son
refus de croire aux atrocités commises par Laval notamment
And so i t was the intellectual in him (it
seemed)
who pounced on the one crime meriting
death : ignorar.ce. The ignorance of those
who look away.
(DW p160)
Tout comme Arnah,
Raymond Tuckhomada, a connu l'écart
qui sé~are ceux qui, en Afrique, ont été instruits à l'école
européenne de ceux qui ne l'ont pas été. Tuckhomada fut lui-
même paysan, tout jeune, et c'est grâce à un prêtre blanc qu'
il a e~ l'occasion d'apprendre à lire et à écrire, ce qui dès
lors lui confère un statut différent de celui des autres pay-
sans
an unbridgeable gulf lay between them and the
aloof Raymond
(DW p18)
Cette division entre illetrés et le~trés, se retrouve dans
The K-factor. Ici encore, le mur qui les sépare semble infran-
chissable, et ce sont toujours les Africains non instruits qui
se montrent l~plus soupçonneux vis à vis de ces Noirs euro-
péanisés qui semblent à leur aise au milieu des Blancs, et
qu'ils arrivent à dépister rien que par leur apparence. On se

-·80 -
souvient d'Hector dont la tenue vestimentaire n'est certaine-
ment pas celle d'un simple travailleur noir:
an elegant young man wearing good English
shoes, a freshly laundered shirt patterned
with flowers,
and trousers with meticulous
creases. Two ballpoint pens perched in the
breast pocket of his tropical jacket.
In his
left hand he clutched an
executive brief-
C::lse.
(KF p4)
Une apparence qui ne trompe ni les Blancs; ni les Noirs. C'est
avec animosité que ces derniers observent les faits et gestes
de Hector alors qu' i.l est l ' hôte des Laslet, des fermiers blancs
From the small thatched huts of the domestic
servants'
compound he could see women watching
them with sullen hostility. ( . . . ) Something
had gone bad here : even the dusty,
frolicking
piccanins froze into the shadows of their mo-
thers'
bulky bodies.
(KF p14)
Sa présence parmi les Blancs est perçue comme suspecte et c'est
désespérément, mais en vain, qu'il essaie de s'approcher des
travailleurs noirs. Ceux-ci n'ont pour lui que méfiance et
mépris :
He hailed
every African he passed but no one
really returned his greeting ; ~hey averted
their eyes.
(KF p75)
Il tente d'établir un dialogue avec l'un deux, le vieux Jethro.
Les pensées de ce dernier en disent long s~r ce que représente
Hec~or pour lui :
Jethro clearly wished Hector would go back
where he came from, wherever that was.
(KF p75)
Jethro ne le considère certainement p~s comme un des leurs.
Seuls les tous petits enfants osent l'approcher, les autres le
fui~nt comme un pestiféré, un paria

-
81 -
Only the youngest boys,
skinny and cheeky
Mowglis caked in mud, dared to corne and
stare at the smart stranger.
(KF p76)
Certes i l Y d'autres éléments qui entrent en ligne de
compte dans l'attitude hostile des travailleurs nojrs envers
Hector. Ce ressentiment ne vient pas uniquement du fait q~'il
appartienne ~ une couche s0ciale différente et que tout dans
son apparence le laisse présager.
La situation politique àu Zi~babwe de la période de la guerre
d'indépendance ajoute certainement au climat malsain, chacun
se méfiant de l'autre.
Il n'en demeure pas moins que l'allure
d'Hector, par trop oecidentale, ne peut que paraître suspecte.
On comprend"peut-être alors la tactique du dirigeant noir Kofi
Bandaya, dans At Fever Pitch, qui a pris conscience du fait que
pour garder la confiance du peuple,
i l faut se rapprocher de
lui, et pour ce faire i l faut,
entre autres,
lui montrer que
l'on est toujours un fils du pays. Kofi Bandaya prend donc bien
soin de s'habiller à l'africaine lors de ses apparitions publi-
ques. Ses ministres sont obligés de faire de même, que cela
leur plaise ou non :
From the cupboard by the window were extrac-
ted brightly coloured native togas and san-
dals. They changed in silence. Bruce with
obvious dtstaste,abhorring this gestUre ~o
popular s8ntimentality,
C••• ) Atuhope, où
the other hand,
rclished the opportunity to
rid himself of the unatu~al European garb
and the stiff white collar which stifled him
in the heat.
(FP p~9)
Bandaya n'hésite pas non plus, preuve indiscutable qu'il est
bien un fils du pays, à entraîner ses ministres dans les dan-
ses populaires qui précèdent "ses discours publics :

-
82 -
Bandaya i5 flanked by Atuhope and Bruce.
Almost immediately theybegin to dance on the
platform,
in rhythm with the drum.
Dance, men, dance, pant in the midday sun.
Do as Bandaya does. Look, Kofi can dance,
Kofi likes to dance,
sons of Mammon. He is
a man of us
(FP p41, C'8St nous qui soulignons)
Si les Africains lettrês, ces Noirs n aux manières de
blancs" sont traitês avec mêfiance et hostilitê par leurs
frères noirs qui ne se reconnaissent pas en eux,
ils le sont
encore plus par la communautê blanche qui les considère com-
me des individus dangereux
et reg~ette finalement, de les
avoir "civilisês". Leur êducation,
leur savoir, leur collent
à la peau comme une gangrène,
ils sont une fois encore des
parias:
la bête noire des Blancs.
c) vis-à-vis des Blancs :
Si Sulley, dans At Fever Pitch, est le stêrêotype du
bon r.oir,
fidèle,
rieur, grand enfant, i l est également un
personnage sympathique, qui évoque la tendresse.
Peut-être cette tendresse vient-elle justement de cette inno-
cence, de cette candeur présw~ées du bon sauvage, non perver-
t i encore par les connaissances et le monde occidentaux.
C'est d'ailleurs ainsi que les personnages noirs sont le plus
apprêciês des personnages blancs, car ils semblent alors
inoffensifs et dociles. On comprend dans ce même roman,
la
préférence du colonel Ramsey pour les Af~icains du Nord du
pays, que la civilisation occidentdle n'a pas encore "êveil-
lês"
:
"Sorne of them are darned fine fellows.
l'd
be the la st to deny it. Especially the North-
eners. Don'~ think too much. Sound material."
(FP p29)

-
83 -
Quant aux autres Noirs qui veulent se distinguer de
cette image,
leur "prétention" est mise en exergue. On se
souvient de ces Africains, que le narrateur situe dans une
classe sociale un peu "supérieure" à celle des paysans
les employés de bureau, et les boutiquiers, dont est mis à
nu le ridicule à vouloir se distinguer des paysans par des
airs guindés et des habits européens :
At seven o'clock,
( ... ) clerks and shopkee-
pers trimly starched in European clothes .
and half-assimilated European ideas, the
backbone of Bandaya's Peùple's Progressive
Party, ride to work on bicycles from which
the wrapping paper has never been removed,
for a new bicycle is a great thing, and a
bicycle clothed in brown paper can seem new
forever.
Or a long time.
(FP p3)
c'est avec plus d'ironie encore, que le narrateur pré-
sente ce groupe d'Africains riches, imbus d'eux-mêmes et
grotesques dans leur désir de souligner qu'ils sont des "évo-
lués"
: "as if to dissociate themselves from their plebeian
compatriots" précise-t-il. Le Général Ridley-Smith qui les
observe, ne manque pas de mettre le jeune Glyn en garde con-
tre cette catégorie de Noirs aux grands airs qu'il déteste
manifestement:
One gets that type everywhere, Michael. India,
Egypt, everTwhere. They always try and infil-
trate into the club~. You simply ignore them.
(FP p123)
Les Blancs les trouvent donc prétentieux, car, ne se
voyant plus "noirs", ces Africains se croient déjà "blancs".
A ce mépris de la part des Blancs s'ajoute un sentiment d'in-
quiétude, car la candeur et l'innocence du bon sauvage ont
fait place à l'orgueil, l'insoumission, pis, à la contestation.

-
84 -
c'est ce que fait remarquer avec amertume,
le Colonel Béranger
à propos des étudiants Africains envoyés en France pour leurs
études :
"1 must point out," insisted the Frenchman,
"that the French Governement has spared no
efforts to send African students to tr.8 Sor-
bonne i~ Paris. And what is the result ? l
ask you,
what is the result 7( . . . ) The same
students that we have sent to Paris come
back with a pernicious
(if that i~ your ward)
mixture of communism and nationalism in their
heads."
(FP p92)
Le danger "rouge" est aussi un th~me récurrant dans
les trois romans africains de Caute. Tous les personnages
blancs de ces romans voient en effet en l'insurrection des
Noirs lettrés,
la marque du communisme.
Ce qui leur sert de
prétexte à une surveillance et une tutelle encore plus étroi-
tes des pays sur lesquels ils tiennent à avoir la mainmise.
Le communisme guette ce pays explique le colonel Ramsey.
"When we clear out there will be anarchy.
That1s my view. The reds will come straight
in ."
(FP P 2 9 )
Les Africains instruits sont des êtres dangereux, ne
sont-ce pas eux d1ailleurs, qui, en règle générale,
fomen-
tent les révolutions africaines ? Il faut donc prendre beau-
coup de précautions avec eux, et entre autres, ne pas leur
révéler certaines connaissances dont ils pourraient user
par la su'ite contre ceux-là mêmes qui les ont instruits.
C1est la sérieuse mise en garde du Général Ridley-Smith à
Glyn, dont i l semble vouloir élargir les connaissances
africaines. Le général parle ici du Secrétaire à la Défense,
un Africain qui,
i l le sou~çonne, finira par se retourner
contre lui, un jour

-
85 -
"Unbelievable fellah. Quite well intentioned.
Never gives me any trouble. But you wait. He
will. You~ll meet him when you come to dine
with us tonight.
For God's sake don't let
him know which end of a rifle the bullet cornes
from, what ! The moment he gets a clue to that
one our tropbles begin. Don't tell him any-
thing. Bluff him off, give him another drink."
(FP p76)
Le danger en puissance que représente l'instruction
chez l'Africain, se l i t encore dans The Decline of the West.
Dès les premières pages, on sait que le Père Leblanc en a
l'expérience avec son protégé Raymond Tuckhomada. Il adopte
le jeune Raymond et lui apprend à lire et à écrire. Quand i l
se rend compte que son élève en sait finalement autant, sinon
plus que lui, il décide d'arrêter son instruction et de le
guider entièrement vers la religion. Raymond qui a soif diap-
prendre toujours plus, proteste mais s'entend dire
"In the wrong hands, my ~on,
science becomcs
heresy," Leblanc assured him.
"But father, my hands are clean"
"You speak with pride. A man must be what he
is. God wills it. The physical development of
this colony will remain a matter for the
French. You have been calledto cure souls."
Raymond kicked stubbornly.
"The Devil of pride ... " Leblanc complained.
(DW p14)
James Caffrey, est aussi de ceux qui s'indignent contre l'in-
gratitude des Africains :
"We have sorne rights, damn i t
!
( ... ) We've
done a lot for these countries. The very peo-
ple who have benefited the most are the first
to kick us in the teeth, as if their educa-
tion, their language and their well-paid jobs
were not the direct result of English good
will."
(DW p225)

-
86 -
Les Blancs ont le sentiment que ces Africains-là ne
savent plus quelle
est leur place traditionnelle, et sont
d'une insolence qui les irrite au plus haut point. On se
rappelle l'incident quand Tuckhomada,
â Thiersville,
bous-
cule par inadvertance,
une femme blanche dans la rue.
Lors-
qu'il lui présente ses excuses :"My apologies, Madame." elle
le trouve "insolent~. Sans doute parle-t-il trop bien pour
un nègre. Elle l'insulte alors, et lorsqu'un policier inter-
vient, demandant arbitrairement â Tuckhomada de s'excuser de
nouveau,
celui-ci exige â son tour que cette femme retire
avant tout son injure. Dans la foule qui s'est formée autour
d'eux, un Blanc alors de maugréer:
"They' re gettinq unbearably cock~" (DW p25)
(c'est nous qui soulignons)
Aussi, quelle n'est pas l'indignation des Blancs du
Coppernica, devant ce qu'ils considèrent être l'extrême pré-
tention de Tuckhomada et d'Odouma à vouloir prendre le pou-
voir. Comme l'exprime Armand Keller, un politicien français
ami de Laval :
"The crime of Tuckhomada and Odouma has been
their unnatural attempt to discard their ani-
mal status and to usurp the higher function."
(DW p240)
Dans The K-Factor également, Caute met en relief la
grande méfiance,
l'antipathie, qu'ont les Blancs pour ces
Noirs "évolués". C'est un point qu'il développe aussi dans
Under the Skin. 12
12.
VoilL J.l uplLa
p48

-
87 -
Le commentaire de Patricia, amie de Sonia Laslet,
lorsqu'elle
apprend qu'Hector est titulaire de trois "A levels and a de-
gree", est tout à fait caractéristique de cet état d'esprit
"A clever Laffir ( ... ) They're the worst."
(KF p6)
Dans ce
livre également,
les Blancs considèrent que les insurgés noirs,
auraient été aussi endoctrinés par l'Union Soviétique. Ils les
considèrent comme des "Marxist-indoctrinated Kremlin inspired
terrorist thugs".
(KF p28)
A propos du danger que représente l'instruc~ion sco-
laire, on peut se demander si le fait que ce soit justement
une forte proportion d'élèves qui quittent les bancs pour
prendre le maquis -
"My best pupils" dit le Père Lawrence -
est une coïncidence. De l'avis de Chase,
le mari de Sonia,
les écoles de missionnaires devraient être fermées, car elles
sont :
"A nest of subversion. We all remember when
those sixth-formers at St Luke's abandoned
everything, burned their precious certifica-
tes, and crossed into Mozambique to join
Zanla."
(FK p15-6)
Entre l'Africain illettré,qui ne compte pas, ou très
peu, et l'Africain lettré contestataire, se trouve une autre
catégorie de lettrés nantis, eux, avec qui les Blancs sont
obligés de ~ompter puisqu'ils sont chefs d'Etat, et qui sont
en quelque sorte, des médiateurs entre le peuple et les
Blancs: l'élite, ce que d'aucuns ont appelés les mandarins
de l'Afrique.

-
88 -
4 - L'ELITE
LES DIRIGEANTS AFRICAINS
Dans la panoplie des personnages noirs,
le dirigeant
africain occupe une place assez importante dans le roman de·
Caute. On sait le rang qu'occupe cette personnalité dans une
Afrique en grande partie analphabète et peu au fait des tran-
sactions internationales. C'est non seulement lui qui repré-
sente son pays aux yeux du monde, mais c'est presque exclusi-
vement de lui que dépend l'avenir de ce pays - quand i l n'est
pas le jouet de quelque puissance occidentale.
Caute met en scène, dans ses romans,
un échantillon-
nage intéressant de dirigeants africains que l'Qn pourrait
regrouper en deux grandes catégories :
- i l Y a ceux que l'auteur présente principalement au stade
de la rebellion héroïque, et dont le portrait laisse trans~
paraître la sympathie de l'auteur. On pourrait les appeler
les Vrais Leaders.
- et puis i l y a les autres presonnages politiques arrivés
ou arrivistes dont le narrateur fait un portrait assez sati-
rique et parfois caricatural. Ce sont souvent des horr~es ma-
nipulés, des marionnettes.
Les Vrais Leaders :
Appartenant à ce groupe qui a de toute évidence la
sympathie du narrateur,_ et partant, du lecteur, on retrouve
principalement Raymond Tuckhomada et Arnah Odouma dans The
Decline of the West. De ces deux personnages,
l'auteur révè-
le la nature profonde,
l'intégrité,
la sincèrité et les dé-
fauts aussi,
sans toutefois en donner une vision stéréoty~ée.
A travers eux,
le narrateur procède en quelque sorte à une
réhabilitation du personnage noir dans la littérature~ Il en
-fait des hommes à part entière.

-
89 -
D'aucuns diront' que Caute choisit une méthode assez
facile pour susciter l'estime du lecteur envers ces person-
nages, puisqu'il les présente en héros révolutionnairAs et
en victimes de l'impérialisme. Tuckhomada et Odolli~a sont, il
est vrai, des êtres intègres et sincèrement dévoués à la cau-
se de leur pays, et qui n'ont pas l'occasion d'exercer long-
temps le pouvoir chez eux. Un pouvoir qui aurait peut-être
finit par les changer, par les corrompre. L'intermède pendant
lequel Tuckhomada est Premier ministre du Coppernica avec
Odouma pour ministre de l'Intérieu~, est très bref, le narra-
teur préférant les montrer en tant que résistants nationalis-
tes et, plus tard en fugitifs,
victimes de mercenaires blancs.
Le lecteur peut suivre l'évolution de Raymond Tu~
par exemple, depuis son adolescence jusqu'au moment où i l
prend les rênes du pouvoir. Le narrateur dévoile comment s'o-
pèrent en lui les différents changements de mentalité. On voit
comment, d'ami, admirateur et défenseur de la France alors
qu'il est le protégé de l'ingénieur français Henri Faure, qui
l'arrache aux travaux champêtres, lui permettant ainsi de
s'instruire et de connaître d'autres horizons,
il devient pro-
gressivement un contestataire, un révolutionnaire invétéré.
Il découvre en effet les véritables raisons de ce qu'il avait
pris pour la bonté désintéressé8 de Faure et puis il finit
par comprendre la mentalité sournoise des Blancs de son pays~3
On observe ensuite Tuchpmada pendaDt le laps de temps que
dure son mandat. Le narrateur explore alors l'effroyable di-
lemme dans lequel i l se trouve avec d'une part, les membres
extrémistes de son gouvernement qui exigent l'expulsion im-
médiate et sans ambages des' Français du Coppernica, et d'au-
tre part avec le besoin primordial et
inéluctable de son
pays en apports technologiques d'où la nécessité de la pré-
sence·de ces Français. Des pressions se font sentir au sein
de son gouvernement :

-
90 -
Maya had never accepted the French officers.
"Thei'll stab you in the back, he had warned
aga in and again. "Do you imagine that they
have accepted their defeat ? If l
overpower
a thief in my house,
l'm a fool to trust my
gun into his hand." In these sentiments Maya
was not alone. But Coppernica needed French
aid and French technicians
~. by retaining a
number of French officers Tuckhomada haù ho-
ped to reconcile Paris to his government and
to begin tr-e year one on a note of concilia-
tion.
(DW p6J.)
Il. s'agit là d'un problème que le narrateur présente de fa-
çon très réaliste. C'est une difficulté qu'ont dû affronter
bon nombre de dirigeants africains notamment au lendemain
des indépendances de leurs pays. Peter Abrahams dans A Wreath
of Udomo, a lui aussi magnifiquement traduit l'embarras des
gouvernements africains face à ce dilemme. Dans ce roman, le
héros Udomo,
lui aussi nouvellement à la tête de son pays
grâce au soutien de son peuple, se trouve confronté à l'in-
transigeance de certains membres de son gouvernement. Comme
il l'explique à un de ses amis:
"These negociations l'm worrying about now ;
they're part of my industrialisation project.
As you've gathered, there's sorne opposition
among our own people. Not to industrialisation
as such- r've cunvinced them at last that this
is the only way we can become strong in terms
of world power. The oppo~ition is to the fact
that we need European technicians and European
capital to do it. but there's no other way.
The great inland lake can be made to supply
power throughout the country. But we can't do
i t without European capital and technical
skill.
( . . . ) l've promised to ged rid of the
Europeans. The people are with me because of
that promise
( ... ) But l
need the Europeans".
( ••• )1'1
14. Ab~aham~ Pe~e~, A W~ea~h 6o~ Udomo

-
9r -
Cela finit très mal pour Udomo qui paie de sa vie son pacte
pour une aide technologique, avec un pays que l'on soupçonne
être l'Afrique du Sud. Ses amis africains, dont il avait le
soutien, ne lui pardonnent pas sa trahison et l'assassinent.
Tuckomada, pour en revénir à lui, paie lui aussi très
cher ses hésitations à arrêter, comme le lui conseillait
Odouma, les Européens qui organisent le coup d'état qui le
renverse, et qui finissent par le tuer.
A chacune de ses apparitions dans le roman, Tuckhomada
est présenté comme un être mûr, réfléchi et modéré. Le lec-
teur ne peut s'empêcher d'apprécier ce personnage qui a tant
de difficultés à faire entendre raison à son entourage. Il
est désintéressé et travaille avec acharnement pour le bien-
être de son pays. Quand Tuckhomada est arrêté par la bande
de mercenaires du détestable commandant Laval, celui-là même
qu'il ne se décidait pas à emprisonner, pour ne pas se con-
duire en dictateur,
le lecteur, avec lui, ne peut qu'être
déçu des conséquences de sa tolérance et de son libéralisme.
On comprend sa douleur lorsque prenant la fuite en compagnie
d'Odouma et de Maya,
il reconnaît ses erreurs et sa défaite
"Amah, l
have failed" avoue-t-il, regrettant ses scrupules.
Il a le mérite de reconnaître humblement ses fautes,
ce qui
a pour effet de le grandir encore :
"If we'd taken your advice, Amah, and arres-
ted those five men three weeks ago, aIl this
could have been avoided."
"I suppose so."
"You know so. The scruples which we entertai-
ned about so small an act of violence look
remarkably pathetic against what we have just
seen.I don't know why I was so blind that mor-
ning. Power dissipates one's alertness. Con-
viction gives way to overconfidence. r
(DW p481)

-
92
-
Tuckhomada est manifestement présenté comme un personnage
sympathique. C'est un homme qui souffre de la bêtise humaine
et, qui plus est, c'est un martyr puisque c'est en cherchant
le bonheur de son pays qu'il meurt assassiné. Mais,
si l'au-
teur en fait un héros,
il n'&n fait pas un saint. Comme à
un homme,
i l lui donne des faiblesses et des défauts. On le
voit par exemple,
jaloux du leader paysan Maya qu'il soup-
çonne de vouloir le concurrencer en briguant lui aussi le
pouvoir. Alors qu'il n'est pas encore Premier ministre, il
voit en Maya, un redoutable rival.
Il se montre outré lors-
que Amah sous-entend que c'est grâce à l'armée de Maya que
le pays est ,en voie de devenir indépendant:
"Ah !" The tall man leaped up in a stat.e of
intense excitement ( . . . )
"I knew this was coming ! l knew i t ! What
does he want, what are his terms ? the Minis-
try of War, the Foreign Ministry, Vice-Premier '?"
(DW plG4-5)
.
Et quand i l est en fuite,
poursuivi par Laval, son aversion
pour Maya est telle qu'il répugne même à lui adresser direc-
tement la parole.
Amah est lui aussi un personnage important dont le nar-
rateur explore le moi intérieur. Il fait partie de l'équipe
gouvernementale de Tuckhomada qui en fait son Ministre de
l'Intérieur et des Finances. Le lecteur le suit égalemept à
travers l'évolution de' sa vie. D'un caract~re bouillant, vin-
dicatif et parfois haineux, il suscite néanmoins la sympathie
.du lecteur parce qu'il est lui aussi présenté comme une vic-
time, comme un révolutionnaire revendiquant une cause juste.
Il souffre peur plusieurs raisons:
i l est torturé d'une
part, par un problème d'identification. 15
Tout comme
15.
Vo~~ Sup~a, p73

-
93 -
Tuckhomada, il lui est pénible de voir son pays aux mains
des colonisateurs, et, beaucoup plus impatient et" expéditif
que ce dernier,
il voudrait, pour résoudre ce problème, des
solutions radj.cales,
CC!Uffie par exemple la saisie par son
gouyerneruent, des mines de cuivre du pays actuellement con-
trôlées par des Blancs.
Il se dit prêt à affronter l'animo-
sité de l'Occident en demandant ailleurs l'aide technologi-
que nécessaire au Coppernica
Every morning AmahOdouma pressed for an im-
mediate seizure of the mines.
( ... )
Tuckhomada, burdened by the ultimate respon-
sibility, was convinced that any such move
would lead the European technicians, without
whom i t was impossible to run the mines, to
pack their bags and catch the first plane home.
"Then we must turn elsewhere."
"And set the West irrovocably against us 1"
Amah shrugged.
"Twenty million Coppernica.ns
requir~ food and education. Whoever is offen-
ded by that need, then let him be my enemy."
(DW p63)
Sa haine pour ceux qu'il considère comme des envahisseurs,
se décuple lorsque sa soeur Camille est violée et tuée par
des mercenaires blancs. On est ainsi amené à partager, ou
tout au moins à comprendre le dilemme d'Odouma pendant sa
relation amoureuse avec Dominique, la française. Le lecteur
est partagé entre une certaine compassion pour Amah Odouma
dont l'hostilité pour les Blancs qui occupent son pays est
justifiahle, et un agacement quant à sori comportement vis
à vis de Dominique. 16
s ' i l est possible de comprendre l'objet de sa viridic-
te et de ses ressentiments, on ne peut toutefois justifier
le crime odieux qu'il commet lorsqu'il tue la française,
Madame Trignon simplement pour se prouver qu'il hait véri-
. tablementles Blancs. Malgré cet épisode qui a sans doute
16.

·
-
94
-
pour but de montrer que ce ne sont pas des saints qui font
les révolutions, Caute réussit néanmoins à laisser transpa-
raître une lueur d'espoir à travers le personnage d'Odouma.
Vers la fin du roman,
une certaine tolérance commence à
poi~dre en lui. Il devient plus modéré et arrive à faire
des distinctions entre les Blancs, c'est ce qu'il tente
d'expliquer à l'Anglais James Caffrey :
"1 have told you what Laval did ta my sister,
but not how beautiful she was,
and how up-
right,
nor have l
told you about the French-
man who stood by me and who fought for her
release.
It's possible, you see. One day l
hope to raise a monument to the white men
who rallied to us when i t took the most cou-
rage to do so."
IDN p585,
c'est nous qui sou-
lignons)
Lorsque James tue Laval qui vient d'exécuter Tuckhomada,
Amah lui en est reconnaissant ~t lorsque la milice africaine
vient à leur secours il tient à son tour à préserver la vie
de James :
"The white man at the back", he said,
"on no
account treat him badly. Do you unders~and
me ?
1 ••• ) It's not for us to judgc these
things. The nation will judge him. Nothing
is simple in this world."
IDW p615-'6)
Tuckhomada et Odouma sont donc des personnages qui
ont le respect et l'admiration du narrateur qui réussit h~­
bilement à les faire adopter par le lecteur.
Ce sont des
résistants sincères et désintéressés ayant pour principal
objectif la libération de leur pays.
Il serait injuste de ne pas noter dans ce roman,
la
présence de Maya,
leader paysan qui mène une lutte effrénée
contre Laval et ses hommes avant d'être tué par ceux-ci.

· -
96 -
Wonderful a aussi le mérite d'avoir l'honnêteté de recon-
naître que les problèmes de son pays ne viennent pas que
des Blancs.
Il n'éprouve que dégoût pour le traître
(sic)
Muzorewa :
Wonder fuI shook his head and clicked his
tongue - the mistakes that black pp.ople
make.
( . . . ) What a puppet, what a traitor
that. litt~e Bishop, to sell himself to Ian
Smith ! Wonderful could resp3ct Smith. That
man did his best for his own people,
the
whites. But no respect for Murorewa.
(KF pl?3)
Encore, comme pour susciter la sympathie du lecteur,
l'auteur met Wonderful en scène dans un horrible épisode
dans lequel des enfants noirs sont massacrés par des Blancs.
La scène se passe au Mozambique dans un camp de réfugiés
zimbabwéens '.
At Chimoio Wonder fuI had help~d to dig a
mass grave for ~he children slaughtered by
the Hawker Hunters and Canberras ; after
the air attack white troops with blackened
faces had descended from helicopters to
crack the skulls of these children. Like
so man y nuts. He remembered one small girl
whose tears still stained her cheeks and
he,
too, had wept at the sight of her, had
hugged her little broken body to hic as if
she were his own; When he had finally lif-
ted and tossed her on to the grotesque pile,
her legs had stu~k up in the air with her
torn skirt s~ unbearable that he had attemp-
ted to crawl across the heap of young bodies
to reach her, but the weight of him proved
too much and he began to sink down among
the dead children ; he remembered the sky
disappearing and a sensation of grief so
profound that i t sapped his will to sur-
vive.
(KF pl?3)

-
97 -
Cet épisode fait de Wonderful un personnage qui a ~ne cer-
taine profondeur. Le fait qu'il tente ainsi de sauver la
dignité de cette enfant violée en quelque sorte, par la
mort,
le rend particulièrement émouvant. Mais l'image ave-
nante et sympathique de Wonderful ne dure pas,
le narrateur
en dissipe fortement l'illusion en faisant par la suite un
portrait de Wonder~ul complètement perverti par l'alcool et
la drogue. Un Wonderful terroriste et racketteur, comme le
jour où i l fait irruption à la mission du Père Joseph et lui
extorque l'argent de la mission pendant que ses hommes or-
ganisent une véritable orgie dans les dortoirs des jeunes
filles.
Parce qu'il se transforme en terroriste,
en tueur,
on ne peut considérer Wonderful comme un "vrai leader" comme
c'est le cas pour Tuckhomada et Odouma, mais i l a toutefois
des points communs avec ceux-ci.
Quant à Kofi Bandaya dans At Fever Pitch, dirigeant
africain pleinement dans l'exercice de ses fonctions de
Premier ministre, i l a lui aussi un attrait que l'on ne peut
lui dénier. Il jouit d'ailleurs d'une grande popularité, sait
haranguer les foules et les mettre en confiance. Comme le
remarque un de ses ministres, lors de ses discours, le savoir-
faire du Premier ministre est inimitable "the technique - i t
was so perfect, so calculated,
S~ measured, so perfect". (FP p41)
Il est lui aussi un "vrai leader", mais d'une trempe diffé-
reI1te de celle de Tuckhomada et Odo~'ma qui eux sont présen-
tés comme des héros incorruptibles et loyalement au service
de leur pays. Certes, Kofi Bandaya recherche comme eux le
bien-être de son pays, mais i l cherche avant tout à assurer
sa place à la tête de cette nation.

-
98 -
Pour ce faire il est prêt à user de tous les moyens
nécessaires.
Il n'hésite pas par exemple à faire montre de
démagogie avec son peuple. On a vu effectivement corrunent,
avant ses discours publics i l se vêt de l'habit t~adition­
nel national, et corrunent il prend part aux danses populai-
res. 17
Plus grave encore,
i l peut être un individu extrêmement
dangereux lorsque lJ:uelqu'un tente de se mettre en travers
de son chemin.
Il n'a aucun scrupule alors à utiliser les
"grands moyens"
: aux approches des élections,
son minis-
tre des Finances, M~ndu Bruce, menace de lui retirer publi-
quement se~ voix, mettant ainsi en péril sa réélection. A
peine ce chantage ébauché, Bruce sent déjà qu'il s'est mis
dans une situation périlleuse :
They faced each other accross the sofa.
Bruce was breathing heavily. Like a child
who has uttered ~ futile threat just for
the joy of heariug it leave his lips, Bruce
sought for a way ta retract without losing
face.
He wanted ta live. He must retract.
(FP p154, c'est nous qui soulignons)
Quelques jours avant les élections, Mandu Bruce est abattu
par un "inconnu", quant à Kofi Bandaya et Choku qui se trou-
vaient alors avec lui au nloment du meurtre,
ils auraient
été ratés de justesse. Ce genre de procédés différencie
totalement Bandaya des véritables leaders précéderrunent dé-
crits. Un autre point les démarque ~onsidérablement : la
mentalité nouveaux riches,
arrivistes d'horrunes corrune
Bandaya ainsi que des gens qui l'entourent. Responsables de
gouvernement ils n'hésitent .pas à puiser dans les fonds
publics pour leurs besoins personnels.
Ce
sont des escrocs
- personne n'ose les appeler ainsi, bien entendu - et des
parven.us.
17.
\\.'O.i..JL~U.p'Ul., pp87-82

";" 99 -
Les Parvenus
Kofi Bandaya, s ' i l a un côté vrai leader puisqu'il
dénonce la colonisation et prétend se battre contre elle
pour le bonheur de son peuple, n'en est pas moin~ un per-
sonnage politique corrompu et arriviste.
Il en est de mê-
me pour les membres de son gouvernement qu'il a d'ailleurs
sans doute choisi~ à dessein.
C'est préférablement ce genre de personnages que le narra-
teur choisit de caricaturer. Sans doute pourrait-on en dé-
duire que pour les héros:
les noirs leaders~ Caute reste
un peu dans l'analyse psychologique juste et classique du
héros.
Kofi Bandaya et ses ministres sont des gens nantis
vivant dans le luxe insolent de quartiers résidentiels. On
se souvient en effet de la somptueuse villa de Bandaya qui
explique bien ses raisons de vouloir rester au pouvoir_
Kofi Bandaya rappelle beaucoup le personnag3 de
Nanga, dans A .Man of the People, de Chinua Achebe,
Nanga,
Premier ministre, lui aussi, véritable démagogue, retire
manifestement beaucoup de profits de l'exercice de ses
fonctions.
Comme le remarque un jour un invité de Nanga,
il comprend qu'après avoL:- "gonté" aux avantages suprêmes
que lui confère son statut, un ~inistre veuille rester
ministre ~e plus longtemps possible : il est ébahi devant
la magnificence de la demeure de sen hôte Nanga :
l was simply hypnotized by the luxury of
the great suite assigned to me. When l
laydown in the double bed that seemed to
ride on a cushion of air,
and switched on
that reading lamp and saw all the beauti-
ful furniture anew from the lying down

- ·lOO -
position and looked beyond the door to the
gleaming bathroom and the towels as large
as a lappa l
had to confess that if l were
at that moment made a minister l would be
most anxious to remain one for ever. 19
Caute, dans ses rcmans,
révèle sans ambages l'orlgi-
ne de la fortune colossale de cette classe de nantis. Dans
At Fever Pitch, c'est à travers une discussion privée entre
Bandaya et deux de ses ministres qu'on le découvre. Mandu
Bruce, le ministre des Finances craint une co~mission d'en-
quête sur les finances de l'Etat, car il sait qu'elle rel~­
verait un bon nombre d'irrégularités:
"The commission has proved unbribable and
as yet we have devised no effective threat.
We dare not ...,ith two Ellglishmen on the board ..
God knows why you had to go and fill your
pockets with the public purse . . . "
Atuhope was beside himself."Why put that on
me, you bloody man? You and Kafi did the
same
... "
"At least we were discreet."
Bandaya cut in. "There is no point in coming
to blows. We stand or fall together."
(FP p36l
"We dare not with two Englislunen on the board", le ministre
des Finances sous-entend ainsi que les Anglais seraient in-
corruptibles, ou alors. exprime-t-il ainsi sa crainte de
voir ceux-ci tirer partie de cette bévue.
Nogubogo, le secrétaire à la Défense du gouvernement
de Bandaya, semble être le personnage le plus caractéristi-
que de cette classe de profiteurs enrichis. Il est le stéréo-
type
même du nouveau riche. Le narrateur en fait un être
balou.rd,
vantard,
inintéressant et ~ar dessus tout ridicule,
à preuve,
la description qu'en fait le général Ridley-Smith :

-
lOI -
"Calls himself Nogubogo, which is in itself
absurd and quite typical of the man. Ras an
almost inexhaustible capacity for the fatuous.
Funny little man, drives an enormous American
car, at the tax-payer's expense no doubt, and
sports a large top hat which dwarfs him to-
tally, unbelievable fellah."
(FP p76)
On le voi~ dans toute sa stupidité lors d'un dîner offert
par le général et réunissant colons français et apglais, et
africains nantis.
Ridicule, i l l'est tout d'abord de par
son physique qui est "immensely ti:1Y", puis par ses mimi-
ques et les nombreuses bagues -
signe de richesse - qui
ornent sa main droite :
Mr Nogubogo sported a permanent grin, all
lip and flashing teeth.
His right hand,
which glimmered with a variety of rings,
he denied ta no one.
(FPp89)
Quand i l s'asseoit enfin après avoir gratifié chacun de
ses platitudes
Mr Nogubogo sat down and began ta dr.ain the
sweat from his neck with a napkin. Glyn no-
ticed that the African's efforts at tying
a bow tie had bee:1 somewhat lessthan fruit-
ful.
(FP p90)
Il n'a aucune tenue 1 tahle et est d'une maladresse affli-
geante comme le remarque l'un de ses convives:
The Judge cast a wa~y eye towards the Secre-
tary of Defence, who was at that moment en-
gaged in trying ta flick the red cherry from
the table-cloth bn ta his spoon.
(FP p90)

-
102 -
Imbu de sa personne,
i l discute avec ferveur et en gesticu-
lant de telle sorte qu'il devient difficile A son voisin
de table,
Glyn, de manger. Sa serviette de table trouve le
sol maintes fois.
Ses propos, qui, dans le fond,
ne man-
quent pas de sens, sont absolument annihilés par l'absurdi-
té et la lourdeur de son allure et de son comportement
Mr Nogubogo had tucked his napkin into his
cullar with the result that his bow tie had
corne almost completely adrift. At the same
time he was brandishing d
knife on the end
of which were two peas, miraculously balan-
ced. Glyn wondered whether this was a tri·-
bal art.
CFP p93)
Cette dernière phrase est sans doute ironique, mais elle
peut aussi sembler assez caractéristique de l'interpréta-
tion que peut avoir un Européen, en l'occu~ce Glyn, sur
les choses de l'Afrique. En effet, au lieu de se demander
par exemple s ' i l s'agit là d'une habitude propre à Nogubogo,
Glyn se demande s ' i l ·est en présence d'une coutume tribale.
On retrouve un autre personnage du même gen~e dans
The Decline of the West,
i l s'agit de Ferdinand Ybele, Pre-
mier ministre fantoche du Coppernica. Ybele est lui aussi
manifestement de ceux qui s'accrochent au pouvoir pour la
richesse et le prestige qu'il lui apporte. Placé à la tête
du coppernica par un groupe de colons qui le manipule à
souhait, il a pour seuls soucis de préserver sa place et
de s'enrichir le plus possible. Le financier anglais Soames
a vite fait de déceler la cupidité de Ybele sur laquelle i l
joue pour arriver A ses fins.
Pour régler une affaire comme
il l'entend, i l n'hésite pas à proposer de l'argent à Ybele

-.103 -
"Three million.
I should perhaps add that
i t is quite customary for the agent who ne-
gociates a deal such as this to take a per-
centage,
a commission. We have advisers
who could ensure that the three million
passed into your private account - in Swit-
zerland,
if you prefer - without publicity."
(OW p330)
Tout comme Nogubogo,
Ybele est l'image même du ridicule.
Comme lui,
ses mains sont ornées de bagues scintillantes,
et lui aussi aime le faste,
le luxe. Le jour oü il devient
Premier ministre,
il se présente à la tribune vêtu de "one
of his tw~nty business suits"
(p251). Une précision qui
met en relief le côté irresponsable, superficiel et guindé
de ce personnage.
Dans le dernier roman de Caute, The K-Factor,
le di-
rigeant africain n'apparalt pas. Les autres personnages y
font allusion de temps à autre, mais lui-même n'est pas mis
en scène dans l'histoire du roman. Néanmoins à travers di-
verses réflexions et sous-entendus, on a une idée du mode
de vie des leaders noirs du Z~mbabwe. Par exemple, lorsque
Hecto~ s'adressant à un groupe de journalistes, dénonce le
mode de vie de ces leaders :
"Journalists like yourself should under-
stand that many cornrades in Zanu resent
the habit of certain party officials who
stay
in posh hoteis during flying visits
to London. Do the y want to be likened to
Nkomo and his entourage ? Comrades should
accept the simple hospitality of party mem-
bers. After all,
the boys in the bush don't
sleep in s~ft beds."
(KF p90)

-
104 -
Hector n'est certes pas un leader ou un dirigeant
politique, mais tout porte â conclure, â en croire l'épi-
logue qu'il est un dirigeant potentiel. Tout,
le laisse
entendre :
Hector Nyangagwa waa appointed lecturer in
agrarian studies at the university two weeks
after innependence. He is currently secon-
ded to the ~Iinistry for Rural Rehabilita-
tion as Personal Assistant to the Minister.
(KF p213-4)
A supposer qu'Hector entre effectivement au gouvernement,
on peut déjâ, par anticipation, le classer dans la catégo-
rie des parvenus. En effet, alors qu'il est étudiant à
Londres et prétend militer pour l'indépendance de son pays,on
a déjâ un aperçu de son esprit calculateur, cupide et mal-
honnête. Il aime â faire des discours "révolutionnaires"
dénonçant népotisme, tribalisme, corruption, mais parado-
xalem~nt, il n'hésite pas â invoquer la cause pour laquel-
le il prétend se battre, pour extorquer de l'argent â ceux
qui l'écoutent. C'est ce que ne manque pas de lui ~eprocher
Madame Miller, l'épouse d'un d~ ses professeurs:
Indeed Hector's most recent visit to the
Miller home for supper had brought on a
sharp bedtime altercation when Mis Miller,
( ... ) had annou!lced tha t
she would have
greater respect for Hector's denunciations
of corruption in ~ozambi~~e if he didn't
exploit every visit to "touch" her for ten
pounds.
(KF pZ3)
Howard, le frère de Sonia Laslet, est lui aussi, entre au-
tres, une "victime" d'Hector

-
105 -
Learning that Howard was a journalist,
Hector had invited him to attend a meeting
of the Zimbabwe Study Group
( ... ) and
asked him whether he could possibly lend
him thirty pounds "to help Zanu."
"1 don't carry that amount of cash."
"A cheque would be fine."
"Made out to Zanu ?"
"Fine. On second thoughts, make i t out to
me personally."
"Oh ?"
"My grant i::; overdue. In lending to me you
are lending the party."
(KF p87)
Dans l'ensemble, ces personnages africains, même
s'ils occupent pou'r la plupart àes postes importants, ne
suscitent que le mépris des personnages blancs, et le fait
que le narrateur mette l'accent sur le ridicule de certains
d'entre eux, ajoute à l'image négativ8 que l'on a d'eux.
La fin de At Fever Pitch, par exemple, est une preuve in-
déniable de l'impuissance totale du Premier ministre Kofi
Bandüya devant les colonisateurs de son pays. Le jeune
appelé Glyn, pris de panique lors d'une émeute,
tire sur
la foule menaçante, tuant ainsi vingt-cinq Africains, ceci
au lendemain des élections qui portent Bandaya au pouvoir.
Glyn est emprisonné par le gouvernement africain et Bandaya
voudrait que Glyn soit jugé de façon exemplaire:
"In a democratic country you can't be res-
ponsible for twenty-five neaths without
sorne forro of judicial pro.::eedings." (FP p201)
Mais les Anglais le font chanter : si les poursuites judi-
ciaires ne sont pas immédiatement annulées,
les troupes
anglaises seront retirées du pays. Une situation à laquel-
le Bandaya ne pourrait faire face, comme l'explique le
général Ridley-Smith :

-
106 -
"1 doubt", he ventured with an assumed ca~
sualness,
"whether you could really afford
to dispense with security forces for an in-
definite period, especially in view of the
present unrest
( ... ) Unless the prosecution
is withèrawn and the officer flown out of
the country by
tomorrow evening. l
am com-
pelled to issue the withdrawal order."
(FP p200)
Bandaya constate avec ameLtume que même dans son pays à pré-
sent indépendant, les Blancs n' ont rien p.erdu de leur "ar-
rogance"
:
So ; even in the New Africa which he had
created they dared to cross - question him
as if he were a serf. The ir.corrigible ar-
rogance of the white race 1 (FP p196)
Bandaya est obligé de s'exécuter. On note toutefois
une allusion à un début de changeme~t dans les rapportsds
force entre Blancs et Noirs, changement que les Blancs ne
sont pas près
d'accepter, en tout cas pas le général de
brigade Ridley-Smith :
Subconciously he had found the way to es-
cape from the detestable predicament of
serving Africans who took aIl the credit
for your achievements and loaded you with
full responsibility for their mistakes.
Even Nogubogo, the Secretary of Defence,
had adopted a patronizing tone. Nogubogo 1.
Never again would he address an African
as "sir".
It was contrary to the law of
nature dnd there were biblical quotations
to prove it.
(FP p200)

-
ra7 -
Quant à Ybele dans The Decline of the West,. on pour-
rait résumer son portrait à ce que l'Anglais James Caffrey
dit de l u i :
"Ybele is merely our instrument."
(p580)
On constate que dans sa représentation du leader
africain, Caute réserve un traitement particulier aux·
"vrais leaders"
qu'il choisit de montrer
au stade de la
rebellion héroïque. L'effet n'est pas indifférent:
il
devient très facile èe distinguer ~es bons des mauvais
personnages, et partant, de déceler les dénonciations
implicites de l'auteur à travers son roman.
Dans les romans de Caute,
les rapports de force
entre colonisés et colonisateurs sont en train de changer,
mais les Blancs essaient èésespérément de freiner ce chan-
gement dans un continent où ils ont encore un grand pouvoir.

1
;
-
108 -
C - LES BLANCS D'AFRIQUE
..
A l'origine d'une Afrique compartimentée et trans-
formée,
se trouve l'homme ~lanc dont la venue sur ce conti-
nent en fait basculer les valeurs traditionnelles. L'on ne
saurait mentionner l'Afrique des indépendances, celle dont
le romancier parle dans ses trois romans,
sans faire réfé-
rence aux Occidentaux qui-y vivent, et qui souvent, voient
passer l'ère coloniale avec nostalgie et amertwne.
-On voit apparaître dans les trois ouvrages de Caute
toute une panoplie de personnages blancs, _tous différents
les uns des autres-, mais avec tout de même un certain point
commun: à quelques exceptions près, ils sont tous adeptes
de la colonisation et imbus de leur race par rapport aux
Noirs .L' auteur se -complaît à les montrer sous une

-
I09 -
nature presque exclusivement négative,
ce qui a pour effet
de donner à ses romans une résonance anti-colonialiste, en
tout cas anti-impérialiste. 1 Ceci, surtout dans son deuxiè-
me roman The Decline of the West, dont le thème principal
est le déclin,
la désintégration des valeurs morales et hu-
maines des Blancs dans une Afrique en transition. Le parti
pris de çaute dans ce roman est sans équivoque, comme le
souligne F. McGuinness
Caute handles all this with the bola convic-
tion of one who is determined to blast away
the accumulated cant and hypocrisy·of a de-
cade nt civilization at one swoop. Loyalists
should take heed. His savage and uncompromi-
sing analysis of Western imperialism is cal-
culated to get under all but the thickest of
white skins and inflame those areas of preju-
dice from which few of us are entirely free. 2
Certains ont même trouvé Caute exagérément sévère avec ses
personnages blancs, et sont allés,
comme Mary Kenny,
jusqu'à
conclure "Perhaps i t is even an anti-white novel"3. Toujours
est-il que Caute présente tout un échantillonnage de personna-
S'as blancs qui va du farouche "baroudeur" nostalgique de
l'épopée coloniale, au jeune appelé faisant son service mili-
taire en Afrique, en passant par des mercenaires, des diplo-
mates, des financiers,
pour ne citer que ceux-ci. Tous sont,
à des degrés plus ou moins importants en porte-à-faux par
rapport à l'Histoire dont ils voudraient freiner l'évolution.
A travers eux, Caute dévoile la D~ntalité coloniale, révélant
comment elle tente de se justifier, comment elle s'argumente,
comment les membres de la communauté blanche l'extériorisent.
1. vo.ùt .6u.pJta., p 52
2-. Mc. GlL.Ùme.M FJta.nc./z., London MagaÛne, 1966
3. Kenny MMY, "You. can t2.Lt
,tAe villaJ.rt.6 by the.Uz. .6/z..{.n . •• " Eve'vlng
Standa.Jtd, 1966

"7
110 -
1- LA CO~L~UNAUTE
BLANCHE ET LA MENTALITE COLONIALE
On a vu déjà la compartimentation géographique des
communautés blanches et noires des villes africaines où se
déroulent les ftifférentes intrigues des trois romans de
Caute. 4 Ces deux sociétés vivent séparée~ l'une de l'autre
et il n'existe entre elles que des rapports de force,
les
Blancs méprisant les Noirs. Lorsq~e les Occidentaux se re-
trouvent entre eux, ieurs sujets de convers~tion favoris
sont
les Africains et leur incompétence,
leur inaptitude
à diriger quelque affaire que ce soit et a fortiori·leur
pays. Tel Atkins dans At Fever Pitch, Directeur d'école qui
se plaint de ses enseignants africains :
"My African teachers are useless, quite ut-
terly useless. Oh, l know they make excel-
lent clerks. But as creators ... they just
could not care less. You see the same atti-
tude everywhere. It spreads like the plàgue.
An african who cannot do si~ple arithmetic
will suddenly take i t into his head to do
.
calculus. Naturally you refuse. What happens?
They all feel resentful on his behalf and
claim that you're insulting his intelligen-
ce because he's an African."
(FP p491
L'immaturité et l'irresponsabilité des Africains,
un commentaire qui revient sans cesse dans les convorsations
des Européens,
tel un leitmotiv qui leur sert en fait, daùs
la théorie, à transformer la mission colonisatrice qu'ils
se donnent en Afrique, en mission civilisatrice. Ils leur
faut à tout prix justifier la tutelle occidentale, ce que
ne manque pas de faire par exemple, le Colonel français Be-
ranger du Dahomey :
4. vo~ ~up~a, p56

III
-
"Experience has taught me that the people
of Africa are fine and loyal and brave, But
the y are not yet ready to govern themselves".
(FP p93)
De son côté le général Ridley-Smith essaie d'en convaincre
le jeune Glyn qui prétend que
"Colonialism ( ... ) is f~unded on self-int~­
rested economics and pride. You take another
man's country and tell him you are doing him
a sérvice".
(PP pI28)
Le général de lui répondre
"But supposing this other man.is blatantly
unfitted to look after his own interests.
Supposing, as here, he fights his own peo-
ple all the darnned time ?
( ... )
theyare
not ready for i t yet."
(FP pI28)
Dans The Decline of the ~est également, les person-
nages n'ont de cesse de donner des justifications nobles'à
la colonisation. 5
The K-Factor illustre à souhait l'incapacité congé-
nitale que la communauté blanche attribue aux Noirs. Le ~i­
tre même de ce roman en est le symbole :
"the K-Factor"
c'est ce que les Blancs du Zimbabwe considèrent être: c'est
l'incompétence du Noir africain, son ignorance, sa bêtise
même. Comme ils le répètent souvent:
"You can't beat the·
K-Factor".
D~oü la nécessité, ex~liquent-ils, d'encadrer
les Africains, de les diriger, de les contrôler à l'instar
de pays comme l'Afrique du Sud et la Rhodésie de lan Smith-
tous, bien entendu, émettent des réserves sur l'appartheid-
oü le niveau de vie des Noirs serait le plus élevé de tout
5. vo~~ ~n6~, ppI23-127-132-139

-
II2 -
le continent, et où ceux-ci se tiennent tranquilles. Dans
At PeVer Pitch,
les propos de l'Anglais Atkins sont tout
à fait caractéristiques de cette conception:
"As 1 see it, the whole situation has got
out of hand here. Now take Rhodesia.
1 was
in Salisbury for a couple of years and 1
can tell you things are. very different the- .
re, and no worse,
l'd say.
In Salisbury, if
an African is rnde to you then yeu push him
into the gutter and no mistake. On the other
hand his living conditions are first-class.
Now here the standards are not improving at
all.
Just look at the new housing estate
they are putting up off George Street. No
sanitation, houses made of paper, and li-
berty. But at the same time you have a si-
tuation in which they are all jumping into
the big jobs, political, local goverments
( ... l 1 tell you when an African cornes back
from a U.K.
training all his ideals vanish
into thin air and he just puts his feet up,
draws a huge salary, and waits for someone
else, usually us,
to do the work. They ~ave
no notion of service at all.
They think they
can pick up ir. a flash what i t has taken us
centuries to learn. What's the result ? The
savvy, I-know-as-much-as-you attitude."
(FP p48l
En d'autres termes les Noirs ne doivent pas être livrés à
eux-mêmes. Pour éviter l'anarchie, i l faut les contenir.
Et Atk~ns de poursuivre le fil de ses pensées :
"As 1 see it, the whole continent is upsi-
de do~m. Now take South Africa.
( ... l
The
living standards of black and white are to-
tally different. You have history to blame
for that, but i t is a fact and as such should
be respected. They must ~ive apart for the
benefit of both parties. Hind you,
l'm not
the one to support the principle of apartheid
( ... l 1 won't deny there's a lot of injustice

-
II3 -
.
down there. But l 'm not sure that i t ' snot
a darned sight preferable ta all the palaver
here."
(FP p49)
Charles Laslet, dans The K-Factor,
exprime la même
opinion : un pays gouverné par des Africains ne peut être
que mal dirigé~ Il fait ici référence au Kenya, lequel pays,
d'aorps lui court à sa perte:
"Half the creame:r:ies in Kenya have closed
down. Ch~rles continued blandly.
"The stud
books, breed societies and milk-reccrding
schemes are all defunct. East Coast fever
is decimating the cattle because they use
under-strength dip. Cholera is countrYVlide,
at its worst near the Tanzanian border -
which is closed of course. As for elephant
and zebra, they are fast disappaaring and
the indigenous forests,
tragically, are be-
ing destroyed.
If you care about Kenya as
l
happen ta do,
i t ' s well,
frankly heart-
breaking."
"It's Black Africa, you mean ? Howard h~d
jibed. "
"Quite possibly. Or call i t the K-Pactor."
(KF p70)
(c'est nous qui soulignons)
Comme on le constate après avoir lu Under the Sk~E.'
Caute met dans la bouche de Charles les justifications que
les Blancs du Zimbabwe donnent pour expliquer l'intérêt et
la nécessité d'une gérance presque exclusive du pays par
leur communauté. S'il est vrai que la situation socio-poli-
tique du Zimbabwe est différente de celle
des pays auxquels
Caute fait allusion dans ses deu~ premiers romans, de part
et d'autre la lutte des Blancs pour conserver leurs intérêts
et leur suprématie demeure identique. De même,
les revendi-
. cations des Noirs sont comparables.

I I 4 -
La plupart des personnages blancs des romans de Cau-
te aiment à souligner la nécessité de leur mainmise sur les
pa~s africains dans lesquels ils se trouvent: c'est, répè-
tent-ils tous, pour le bien du pays lul-même. C'est un point
sur lequel le colonel anglais,
Ramsey, dans At Fever Pitch,
insiste alors qu'il d~crit la désorganisation et la corrup-
tion du leader noir Kofi Bandaya :
nI mean take thi~ Bandaya ~ellow. Kill his
own grandmother. You can't humbug me.
l've
knocked about too long. What about this
bloody revenue inquiry ? Clear-cut case of
jobbery. Bandaya's boys in i t up ta their
necks. This sort never happens in the U.K.
No good putting your head in the sand, Hughes
When we clear out the~e will be anarshy.
'rhat's my view."
(?P p29J
Dédaigneux vis à vis d'un peuple qu'ils estiment in-
férieur, les Blancs ~iment à se retrouver entre eux, même
lorsqu'il s'agit du devenir d'un pays africaj.n, c'est en~re
Blancs que ce devenir se discute. Mychael Glyn le constate
avec étonnement. A la veille de l'indépendance, le sort du
~ays est tracé par le gouverneur et les militaires anglais
Glyn glanced around the room and was asto-
nished by the realization that there was
not one African present. Not one single
African. The significance of this escaped
him since he rejected the superficial eY~
planation of militant colonialism.
(FP p79)
De même, dans les déux autres romans de Caute, la
destinée des pays africains dont i l est question, dépend en-
core fortement du colonisateur, mais celui-ci pressent bien
que le vent est en train de tourner à son encontre et qu'i~
lui faudra désormais compter avec certains africains qui

~ 115 -
voient d'un mauvais oeil la suprématie occidentale dans leur
pays. Les personnages blancs des romans africains de Caute
sont tous, évidemment,
conscients de ce changement en cours,
presque tous le regrettent avec plus ou moins de passion.

- II6
-
2- COLONISATEURS ET COLONIALISTES
Caute,
dans ses trois romans africains, donne une
image négative des Blancs dans une Afrique en voie d'indé-
pendance. Le lecteur n'est amené à sympathiser avec aucun
des principaux 2ersonnages occidentaux. On comprend pour-
quoi la journaliste Mary Kenny a intitulé son commentaire
critique sur !he Decline of the West :
"You can tell the
villains by their skin . . . ".
Presque tous sont des êtres
égoïstes, pervers,
colonialistes et racistes, et par des-
sus tout,
imbus de leur personne. L'Afrique les grandit,
leur donne une dimension différente de celle qui fut la
leur dans leur pays d'origine. En Afrique ils entrent dans
la peau du colonisateur,
ils appartiennent au monde conqué-
rant et dominateur,
au monde riche. Comme l'explique Albert
Memmi dans le portrait qu'il fait du Blanc des colonies:
Qu'il l ' a i t désiré expressément ou non, i l
est accueilli en privilégié par les insti-
tutions,
les moeurs et les gens. Aussitôt
débarqué ou dp.s sa naissance, i l ~e trou-
ve dans une situation de fait,
commune à
tout Européen vivant en colonie, situation
qui le transforme en colonisateur. 6
Les personnages blancs centraux de Caute, acceptent
tous ce nouveau statut qui leur est offert et en jouissent
sans grands scrupules,
engageant ainsi leur responsabilité.
Il semble intéressant pour analyser les différentes catégo-
ries de Blancs qui peu?lent le monde colonial des romans
de Caute, d'adopter la classification qu'Albert Memmi fait
des Blancs des colonies.
Il -distingue trois grands groupes
6. Memmi Atbe~, Po~t~ait du colo~é. pp46-7

-
II? -
le colonial, le colonisateur qui se refuse, et le colonia-
liste ou colonisateur qui s'accepte.
Le colonial
Selon l1emmi
Le colonial serait l'Européen vivant en co-
lonie mais sa~s privilèges, dont les condi-
tions de vie ne seraient pas supérieures à
celles du colonisé de catégorie économique
et sociale équivalente. Par tempérament ou
conviction éthique, le colonial serait l'Eu-
ropéen bienveillant, qui.n'aurait pas vis-à-
vis du colonisé l'attitude du colonisateur.
Eh bien ! disons-le tout de suite, malgré
l'apparente outrance de l'affirmation: le
colonial ainsi défini n'existe pas, car tous
les Européens des colonies sont des privi-
légiés.?
Dans le roman de Caute, ce type de colonial n'existe pas
non plus. S'ils ne sont tous fortunés;
les personnages blancs
sont tous d'un statut social supérieur à celui des africains,
et ils ne manquent pas d'ailleurs de le manifester. Ils adop-
tent une attitude condescendante vis-à-vis des Noirs et ceci,
même lorsqu'ils ne sont que de simpleS soldats. C'est le cas
du jeune Savile par exemple, que le narrateur introduit au
début du roman et qui se montre sarcastique et supérieur
avec un prêtre africain à qui i l parle "petit nègre", sans
doute dans son esprit, pour se mettre à son niveau.
"La situation coloniale pourrit l'Européen des co-
lonies"8,llit encore Memmi, et ceia paraît être un fait que
Caute veut illustrer à travers le personnage du jeune Michael
Glyn, qui à peine arrivé en Afrique, adopte avec une facilité
déconcertante,
les "coutumes" coloniales. Le narrateur le
7. ;'b;'d.. p40
8. ;'b;'d., p94

- Il8 -
met en situation avec son boy Sulley. Le comportement de
Glyn vis à vis de Sulley est abusif, autoritaire, condes-
cendant et paternaliste. Un soir, par exemple, que.Sulley
est absent,
i l n'en finit pas de maugréer :
Sulley ~las a swine not to be here. He had
forgotten to tuck in the mosquito net .
. (FP pI3)
Il use de son autorité pour séduire le jeune africain qu'il
finit par rejeter, ma par un sentiment raciste: "Can't ha-
ve an African o~ my bed" se dit-il plusieurs fois par la
suite. Pas une fois le narrateur ne laisse le lecteur avec
l'impression que Glyn s'en veut d'avoir eu des relations
intimes avec un homme. Son seul dégoût semble venir du fait
qu'il s'agit là d'un Noir. Son attitude devient par la sui-
te de plus en plus dure et même tyrannique:
"Come and take my boots off". The African
squatted down before him on his haunches
and Glyn held out his legs, stiff to ta-
ke the strain.
(FP p69)
Un jour, i l vomit de dégoGt devant ce Noir qui a l'audace
de lui faire à so~ tour des avances :
Glyn felt the nausea flood up into his
head.
He ran inside and was sick into the
basin, retching violently several times.
When i t was aIl over he felt much better ~.
not only his stornach but also his head
had cleared.
He turned to his servant.
"WeIl, for God's
sake, mop i t up."
(FP p70-I)
,

-
II9
-
Ceci fait penser aux propos de Doris Lessing, dans
The Grass is singing,
lorsqu'elle tente d'expliquer la mé-
tamorphose spectaculaire de jeunes Européens nouvellement
arrivés en Afrique du Sud. Elle raconte comment et pourquoi
en un temps record, ces jeunes gens se transforment en vé-
ritables despotes
:
Most of these young men were bro~ght up
with vague ideas about equality. They were
shocked, for the first week or sa, by the
way natives were treated.
They were revol-
ted a hundred times a day by the casual
way they were spoken of, as if they were
sa many cattle ; or
by a blow, or a
look. They had been prepared ta treat them
as human beings. But they could not stand
out against the society they were joining.
It did not take them long ta change. It
was hard, of course, becoming as bad one-
self. But i t was not 'lery long that they thou-
ght of i t as "bad". And anyway, what had
one's ideas amounted ta ? Abstract ideas
about decency and goodwill,
that was all
merely abstract ideas. When i t came ta the
point, one ever had contact with natives,
except in the master-servant relationship
One never knew them in their own lives, as
human beings. A few months, and these sen-
sitive, decent young men had coarsed ta
suit the hard, arid,
sun-drenched country
they had come to. 9
Malgré sOn comportement vis-à-vis de S0n dOillestique,
Gly~, comme on va le voir, se présente en théorie, comme un
anti-colonialiste.
Le colonisateur qui se refuse
Memmi voit plusieurs sortes de colonisateurs. On ne
retiendra que celle de l'Européen qui, ayant débarqué en
Afrique
9. LeA~,Ü1.g Vou!>, The GJuv.>6 il; SÜ1.gil1.q, p18-19

· - 120 -
mais ayant découvert, et incapable d'oublier,
le scandale économique, politique et moral
de la colonisation, i l ne peut plus accepter
de devenir ce que sont devenus ses compa-
triotes
; i l décide d2 rester en se promet-
tant de refuser la colonisation. lD
Ce personnage blanc est rare dans le roman de Caute. Cer-
tains néanmoins, comme Glyn, semblent éprouver quelque an-
tipathie pour le régime dans lequel ils vivent. On voit
Glyn,
lors d'une discussion avec son supérieur,
le général
Ridley-Smith, déclarer avec passion que le colonialime n'est
qu'exploitation pure et simple:
"Colonialism,"
the subaltern had retorted
hotly,
"is founded on self-interest econo-
mies and pride. You take another man's coun-
try and tell him you are doing him a service.
(FP pI27)
Mais Glyn n'a pas vraiment le courage de ses convictions,
il ne se donne pas les moyens de lutter contre des attitu-
des colonialistes. ll
C'est d'ailleurs lui dans un moment
de panique qui lors d'une émeute, tue vingt cinq Africains.
La dernière image que l'on voit de lui est celle d'un hom-
me endormi, aucune mention d'un quelconque regret.
Il existe néarnmoins une exeption dans The Decline
of the West dans lequel on trouve ce "colonisateur qui se
refuse".
Il s'agit d'un personnage secondaire qui apparaît
une seule fois dans le roman et de façon très succind.e,
peut-être par souci de réalisme de la part de l'auteur, car
être franchement et ouvertement anti-colonialiste à l'épo-
que coloniale, c'était pour un Blanc des colonies, se met-
tre au ban de sa communauté raciale. Ce personnage hors du
10. Memm~, op cit., pSO
11. vo~ ~up~a, plIS

- 121 -
commun c'est Jock McLeish, officier anglais que le viel Ecos-
sais Malcom Deedes rencontre alors qu'il est en service au
Kenya. McLeish est un être étrange, replié sur lui-même. Il
intrigue Deedes qui parvient à découvrir les raisons de
l'isolement et de l'amertume visible de cet homme. :1cLeish,
en fait,
condamne le système colonial. Un jour qu'il dis-
cute avec Deedes à propos des prisonniers poli~iques Mau-Mau'
en insurrection contre le gouvernement colonial, lorsque
celui-ci prétend que. les détenus,
arbitrair~ment torturés,
n'ont que ce qu'ils méritent, McLeish lui signifie snns am-
bages son désaccord, et lui révèle ses sentiments:
"You said there's only one language they
understand. You meant violence. The truth
is, that's the only language we understand.
Wait a minute, hear me out. We're very ci-
vilized and gentle so long as they do what
we say. But as soon as they begin to argue,
we dig our heels in, and when they push a
bit we rap them over the knuckles. After
all, if we
detest violence so much, we
only have to give them what they want."
"And what's that ? "Deedes said sceptical-
ly.
"Everyone of us knows what they want. We
know."
(DW p52I)
(c'est nous qui soulignons)
Mc Leish ne sait pas que quelqu'un d'autre a écouté ses propos.
Quelques jours plus tard, i l est arrêté, démis de ses fonc-
tions, et déporté "pour raisons médicales".
Parmi les autres rares p~rsonnages Blancs qui éprou-
vent des sentiments de culpabilité, on retrouve l'Américai-
ne Zoe Silk, fille de l'ambassadeur des Etats-Unis au Cop-
pernica. Co~naissant l'absence de scrupules, le cynisme et
la cupidité de son oncle Soames Tuf ton, elle lui demande

- 122 -
de ne pas influencer en mal son père dans la direction des
affaires africaines. Les Noirs pense-t-elle, n'ont que trop
souffert déjà :
"Soames,"
she said sadly,
"you're rich.
l
don't know how rich, but almost as rich as
Pa,
l
expect. And you understand Africa 50
much better th an he doe·s."
"Thank God for that"
"Ma tells me that your business connections
are. very close now.
In the copper mines."
"50 ?"
( ••• )
11 So
don 1 t
lead him into bad 'tlays. We ought
not to hurt them, the black people, either
here or at home.
It's their turn té punish
us.
l know that to be true."
(DW p48)
On ne peut tout de même pas considérer Zoe Silk comme un
personnage qui remet systématiquement la colonisation en
question. C'est d'ailleurs la seule fois où elle exprime
ce que l'on peut considérer comme une condamnation du sys-
tème. L'auteur se sert de son personnage, plutôt pour ex-
poser le problème des couples mixtes aux Etats-Unis.
Dans le même roman, Alex Caffrey,
le frère de James,
oien que personnage secondaire que l'auteur n'évoque que
peu de fois dans ce livre, i l est tout de même un personna-
ge particulièrement important quant aux prises de positions
des Blancs envers la colonisation. Alec meurt très jeune.
Il ne va pas en Afrique mais on peut penser sans hésitati0n
que s ' i l y était allé,
i l aurait été le prototype même du
"colonisateur qui se refuse". On peut le déduire de par sa
position vis-à-vis du problème du canal de Suez dont la na-
tionalisation par les Egyptiens provoque la colère des An-
glais, entre autres.
Lui approuve les Egyptiens contre lesquels

-
I23
-
i l refuse d'aller se battre. Alors qu'il accomplit son ser-
vice militaire, son bataillon reçoit l'ordre de partir pour
Chypre. Alec se mutine et refuse d'obéir aux ordres. Il ir-
rite son supérieur Lammon qui n'arrive pas à le faire reve-
nir sur sa décision :
"So you're in favour of Nasser then ?"
"The Egyptians seem to be,·sir."
"But YO'J.' re not an Egyptian.
You are- Gad
help us·· a British subject. As a matter
of fact,
I myself have a certain admira-
tion for Nasser. But that doesn't mean we
have to stand around while he robs us in
broad daylight."
"The Canal runs through Egypt," Alec sald.
"But the Egypti.ans didn't finance or build
i t . "
"They certainly built it. Every yard was
dug by Egyptians."
(. .. )
"The breaking of treaties, of internatio-
nal law, at the expense of this country
doesn't disturb you ?"
"Bombing and invading Egypt arc; strange
ways of paying homage to international
law."
(D'i'l p214)
Son frère James, appelé à la rescousse, essaie lui aussi
de lui faire entendre"raison". C'est finalement sous le.
chantage de Lemmon qu'Alec finit par céder et s'embarque
pour Chypre. Mais, une fois là-bas, lorsqu'il se rend com-
pte que le départ pour l'Egypte, qui va visiblement être
attaquée, est imminent, i l se rebelle de nouveau.
Il dis-
paraît mystérieusement du bateau qul le transportait:
"He
must have fallen overboard",
tel fut le rapport.
Les cas de McLeish et d'Alec dans ce roman,
semble
étayer les propos de Memmi ~orsqu'il prétend que les reven-
dications du colonisateur qui se refuse sont vouées à l'échec.

-
124
-
Ce dernier n'a pas le choix
i l doit faire partie du "clan
colonial" et
s ' i l s'obstine, i l apprendra qu'il' s'embar-
que pour un inavouable conflit avec les
siens, qui restera toujours ouvert, qui ne
cessera jamais, sinon par sa défaite ou par
son retcur au bercail colonisateur. On s'est
étonné de la violence des colonisateurs con-
tre celui d'entre eux qui m2t e~ péril la
colonisation.
Il est clair qu'ils ne peu-
vent le considérer que comme un traître.
Il met en question les siens dans leur exis-
tence même, i l menace toute la patrie mé-
tropolitaine, qu'ils prétendent représenter,
et qu'en définitive ils représentent en co-
lonie. 12
'
Dans son dernier roman,
The K-Factor,
le romancier.
ne fait pas du tout apparaître ce personnage que les injus-
tices torturent. Mis à part les exceptions 'que l'on vient
de citer, les autres personnages blancs des trois romans
sont des adeptes de la colonisation, ou du moins en accepumt-
ils les conséquences,
les avantages. Certains même, sont
carrément impérialistes.
Le colonialiste
Le colonialiste n'est, en somme, que le co-
lonisateur qui s'accepte comme colonisateur.
Qui, par suite, explicitant sa situation,
cherche à légitimer la colonisation. Atti-
tude plus logique, affectivement plus cohé-
rente que la danse tourmentée du colonisa-
teur qui se refuse, et continue à vivre en
colonie. L'un essaye en vain d'accorder sa
vie à son idéologie; l'autre son idéologie
à sa vie, d'unifier et de justifier sa con-
duite. A tout prendre, le colonialiste est
la vocation naturelle du colonisateur. 13
12. Me.nimi, opc.U.., p51
13. ù))..d., p75

-
125 -
Dans les romans de Caute, la majorité des personna-
ges blancs sont, consciemment ou non, des colonialistes, qui,
comme le dit Memmi, cherchent à légitimer la coloni.sation,
à lui donner une coloration noble. Que deviendrait l'Afri-
que sans eux, s'exclament-ils à tout venant. Ces Blancs
sont arrivés en Afrique pour diverses raisons, et selon les
individus, on di.tingue différants degrés dans leurs con-
victions colonialistes.
L'on voit par exemple, dans At Fever Pitch, des in-
dividus comme Mychael Glyn, qui effectue son service mili-
taire dans un pays africain. On a observé comment, nouvel-
lement débarqué en Afrique, i l se comporte en colon -
au
sens péjoratif du terme -
avec son domestique. 14 Dans la
même catégorie et peut-être à un degré plus fort, on trou-
ve un autre jeune officier anglais Julian Savile. Julian
n'a que condescendance pour les Noirs qu'il cotoie. Le ro-
man s'ouvre d'ailleurs sur son sarcasme et son mépris albrs
qu'il s'adresse à un prêtre noir. Son attitude est teintAe
d'insolence et c'est avec suffisance qu'il explique au prê-
tre que sans ceux qu'il 01'.:8 appeler "white imperialists",
i l ne saurait ni lire ni écrire :
Savile- l i t a cigarette without offering
one. The smoke drifted into the African's
face.
"Has i t ever occured to you holy
Father,
that but for these imperialists
you would never have learned to read or
write."
(FP p2l
Plus tard dans le roman, c'est encore avec le même
mépris qu'il s'adresse aux employés de bureau africains qui
ont l'audace de se moquer de lui quand i l est réprimandé
par ses supérieurs.
"Bloody savvy boys", pense-t-il alors.
14. vnbr. ).,upJul, plI g

-
126
-
1
Dans The Decline of the West,
l'Afrique représente
une échappatoire pour les principaux personnages Blancs.
Ils y transportent tous des problèmes personnels qui n'ont
rien à voir avec ce continent. Ils che:::chent à se réaliser,
parfois à matérialiser leurs rêves, leurs fantasmes,
ce qui
leur a été impossible chez eux.
Tous voudraient retenir le
cours de l'Histoire afin de prévenir "le' déclin de l'Occi-
dent" ou la chute des empires coloniaux.
Si l'on prend, par exemple, le personnage de James
Caffrey dans ce roman, on se rend compte que l'Afrique est
pour lui un remède à son désarroi personnel, au complexe
d'infériorité qu'il nourrit vis à vis de son frère Alec.
James e$t un être qui se cherche, et lorsque la proposition
lui est faite d'aller au Coppernica, i l accepte pensant pou-
voir s'y réaliser. La proposition est d'autant plus alléchan-
te que Soames Tuf ton, qui en est l'instigateur, la lui pr§-
sente en in3istant sur sa nature noble et généreuse.
Il
n'hésite pas à utiliser des termes comme "tragic hurnanism",
"the frontiers of destiny",
"th!:: re-creation of man". James
est mal dans sa peau et quand i l pense à son frère qui pour-
tant n'était ni
physically strong, nor successful in class,
nor distinguished according to any of the
accepted avenues of advancement.
(DW pI8S)
sa déception .n'en est que plus grande car i l voit en Alec,
ce que lui n'est pas: quelqu'un d'équilibré et d'épanoui:
He recognised in Alec's innocence his free-
dom, and therefore his superiority.
(DW p
187)

- 127 -
L'offre de Soames 2ui paraît alors la solution rêvée à ses
problèmes. Au Coppernica, i l espère trouver :
"action, and
therapy through action". Mais une fois là-bas, i l s'ennuie
et se plaint de l'inertie totale dans laquelle i l se dit
plongé. Quand LI menace de repartir en Angleterre, Soames,
dont le seul souci
est en fait de retenir sa fille Sara
qui risque de suivre James si celui-ci partait, trouve bien
vite le moyen de le faire rester.
Il fait appel à son sens
patriotique :
"James
( . . . )
l ' ve been talking to Ybele.
TLme is running out for the regime. The
West,
thank God,
is about to recapture-
lo.st territory - with your help."
''l'm flattered."
(OW pI29)
James essaie de prendre son rôle à la lettre, ce qui n'est
pas, a priori, un problème pour lui puisqu'il était déjà
convaincu du droit des Occidentaux en Afrique, droit qui
leur serait dû, du fait de la Civilisation qu'ils y ont
implantée.
Mais la pratique n'est pas si simple, et James
s'en rend bien vite compte. Il est mis à l'épreuve par le
commandant Laval qui le prend à son service. Il a pour mis-
sion de surveiller les prisonniers Tuckhomada et Odouma,
précédemment leaders nationalistes du Coppernica et que le
coup d'Etat orchestré par Laval a destitués. C'est un rude
test pour James qui est partagé entre son désir d'être à
la hauteur de la tâche qui lui est assignée au nom de la
civilisatiorr occidentale, et son en7ie brûlante de libérer
ces hommes torturés sous ses yeux, des hommes qui somme
toute,
l'impressionnent:

- 128 -
Men who, only a day earlier, had commanded
the ressources of a nation,
twenty million
people, now lay in the dust like beasts in
a zoo.
( ... ) The impulse to cut these men
free,
to commit treason against his civi-
lization, caught him like a blow between
the shoulder blades.
(DW p267)
James est complètement désorienté, sa conscience se dresse
contre ses .convictions. Laval essaie de comprendre les vé-
ritables raisons de sa présence à ses cOtés dans cette mis-
sion dangereuse ~
"Why are you here ?"
"l'm hoping to find myself."
RYes, yes, but more precisely."
"I don't know. One can't know. Men only
touch the sublime when they con front the
unknown."
(DW p266)
(c'est nous qui souli-
gnons)
c'est finalement la recherche d'une véritable identité qui
va le
pousser à aller jusqu'au bout du rôle qui lui est
confié
There were times when he felt sure of no-
thing except ~hat Alec had proven himself
against the solitude and loneliness of man.
Alec had shouldered the boulder of self-
creation, recognizing himself for what he
was and what he might become in·a real
world heJd togcther by a single God.
Una-
ble to face fa~lure where Alec had succe-
eded. James coulè r.o longer discern any
pilgrim's way exceot the one upon which
he had embarked. T~ haIt back would be to
spiral into a bottomless ravine.
(DW p5IO)
(c'est nous qui soulignons)

-
I29 -
Les convictions impérialistes de James ne sont au fond que pré-
textes à sa propre réalisation. Mais assez vite i l se rend
compte de l'esprit diabolique de Laval.
Il pressent la folie
et le fanatisme de ce dernier, mais, par faiblesse, n'~rri-
ve pas à s'en désolidariser., malgré les propos culpabili-
sants auxquels i l est tout de même sensible, des prisonniers.
Contrairement à Laval, i l est inconséquent. Celui-ci ne illan-
que pas de le lui reproch2r.
En effet, lorsque Laval, pour
qui la fin justifie les moyens, décide de torturer les pri-
sonniers et que James essaie de s'interposer, Laval s'éton-
ne de ce type d'hypocrisie:
"You look dismayed. Why is ft legitimate
to kill a man, but not to
torture him ?"
"in the heat of battle . . . "
Laval eut him short contemptuously.
"You
remernber those planes we used at Zolanga ?"
"Yes ll
"WeIl, child, think about it."
(DW p555)
James se sent à présent mal à l'aise dans un rôle, lequel i l
le réalise enfin, est .un rôle de mercenaire. Il pensait
trouver une solution à ses problèmes en venant en Afrique.
Il espérait se grandir, s'affirmer, se débarrasser de ses
complexes:
"therapy through action". Il a échoué, sa vie
n'est plus que chaos. Ce n'est que dans les dernières pages
du livre qu'il se "rachète" un peu. Alors que le dément
Laval vient de tuer Tuckhomada i~ force Laval à lui faire
face et le tue à son tour de quatre balles de revolver, sau-
van~ ainsi la vie d'Odourna. Odouma lui en est reconnaissant,
mais on lui prédit un bien sombre avenir au vu du ressenti-
ment et de l'aversion qui se lisent sur le visage du chef
de la patrouille militaire qui vient les secourir.

-
130 -
Malcom Deedes, quant à lui, ne va au Coppernica que
pour les intérêts pécu~iaires qu'il retire du contrat de mer-
cenaire qui lui est proposé. Soldat de carrière, i l a servi
en Inde puis au Kenya d'où il ramène des souvenirs tral~ati­
sants. Au Kenya,
les sentillients de Deedes sont ambigüs. En
service à la prison de Mount Kenya,
i l est perturbé par les
brutalités dont sont l'objet les prisonniers. politiques Mau-
Mau. Au départ, toutefois, il est persuadé que
hThese men here would eat their own granny
if she didn't go along their filthy oaths
and mumbo jumbo."
(DW pSI6)
Ses oeillères ne lui servent pas longtemps, i l trouve la si-
tuation intolérable et essaie de faire cesser les punitions
corporelles des prisonniers, mais ne rencontre que l'hosti-
lité de ses supérieurs. Ses relations avec le marginal Mc
Leish ne font qu'ajouter à cette animosité. Quelques jours
après une discussion qu'il a avec McLeish sur le régime po-
litiqu~ en place au Kenya, DeedeB, tout comme son compagnon,
est démis de ses fonctions~5Lui aussi a un "rapport. médical
négatif". Moralement brisé et en mauvaise santé, i l se re-
trouve à laver les latrines et les cuisines de sa section.
Plus tard - petite promotion -
i l est chargé de ravitailler
en eau potable les prisonniers travaillant dans un champ à
quelques kilomètres de la prison. Tout lui est indifférent
à présent et i l n'a plus l'intention d'avoir des pensées
"pures" qui pourraient le mettre de nouveau en difficulté
He was no longer prepared ta indulge his
qualms and flatter his conscience as the
insidious McLeish had incited him ta do.
(DW pS3I)
15. vo~ ~up~a. plZ1

-
131 -
"to indu Ige his qualms and flatter his conscience", pour
Deedes, la diatribe de McLeish sur les points négatifs du
système colonial ne se résume qu'à d'hypocrites propos pour
se donner bonne conscience. Lui ne se sent pas concerné.
Malheureusement pour lui, i l est témoin malgré lui, d'une
scène dont i l croit pouvoir tirer parti, mais qui cause sa
perte. Ce jour là, dans le champ
des travailleurs qu'il
vient d'app~ovisionner en eau, se produit une émeute au cours
de laquelle les prisonniers Mau-Mau en révolte attaquent les
gardes.
Il s'en suit une répression brutale qui se solde par
la mort de dix détenus. Le narrateur décrit alors un Deedes
nullement écoeuré par ce dont i l vient d'être le témoin, mais
calculant déjà qu'il pourrait sûrement marchander son silen-
ce contre son départ pour Londres. A sa grande surprise c'est
lui qui est l'objet d'un chantage.
Il s'entend dire que les
morts auraient été empoisonnés par l'e~u qu'il a apportée.
Il est intimidé, menacé et forcé à se taire par ses supérieurs
qui finissent par le rapatrier à moitié fou en Angleterre.
Une fois à Londres, malgré tous ces déboires et en dépit de
sa santé défectueuse et de son âge avancé, i l est encore
prêt à s'aventurer en Afrique,
~lléché par un contrat lucra-
tif au Coppernica. Les problèmes de la colonisation ne le
concernent pas, mais i l en défend le système puiqu'il en
tire profit.
C'est finalement un colonialiste endurci.
L' anglais
Soames Tufto.l est un autre genre de co-
lonisataurendurci. Opportuniste, cup~ae et sans scrupules,
son départ pour le Coppernica d'où il tire de gros profits
provenant essentiellement de l'exploitaU.on des mines de
cuivre de ce pays,
s'explique facilement.
Comme i l le dit
lui-même à sa fille avant sOn départ :

- 132 -
"It's essential that 1 be in Coppernica
before power is handed over to the Africans.
After independence, anything can happen".
(DW p230)
En fait,
rien de bien explicite n'est dit dans ces deux phrases,
mais les insinuations qu'elles transportent sont évidentes:
la véritable préoccupation de Soames est d'ordre financier.
Mais Soasmes est un hypocrite: i l n'hésite pas à donner des
justifications nobles,
à ce qui, pour ce qui le concerne tout
au moins, n'est qu'exploitation et assujetissement.
Il est de
la trempe du colonisateur qui affirme la nécessité et la no-
bles.se de la "mission impérialiste" de l'Occident. Pour lui,
seuls les intérêts d.e l'Europe comptent :
"The· West is about
to recapture lost territory"
disait-il à James.
Il veut faire
croire qu'il cherche à sauver le monde occidental
"Man,
too,
is in mortal danger. Man will
die when we cease to believe in him. We
have i t
as our dutY to re-creat.. him, to
worship him-not the passive, superstitious,
submissive man of the Orientals, but Western
man,
the man who seizes destiny by the
throat."
(DW pp233-4)
Il prêche l'action et le déterminisme pour la sauvegarde de
l'Occident. Lors d'une discussion au sujet des pays africains,
i l déclare sans ambages :
"They must be guided to our advan-
tage".
(DW p227)
L'Afrique ne l'intéresse que par ce qu'il
peut en tirer.
On comprend alors son amertume lorsque le
Coppernica obtient son indépendance ~vec Tuckhomada, le na-
tionaliste, à sa tête. Quand le Noir américain Powell Bailey
lui exprime sa satisfaction à ce sujet, i l ne peut que laisser
éclater sa colère :

- 133 -
''l'm certainly pleased to see Africans
standing on their own feet,
sir."
"Standing on our necks, you mean.
Personally,
l
have never fully adjusted to
the idea of France's wealthiest colony
becoming overnight France'swealthiest ex-
colony.
If, as now seems certain, a huge
area of central Africa ri ch in copper,
cobalt,
zinc, gerènium
, and uranium-
radium ore has fallen into· the clutches
of the enemies of Western civilization,
then l , for one,
judge i t a castatrophe."
(DW p50)
A la vérité Soames se soucie uniquement de ses intérêts
personnels dans la société AIDcol, une société d'exploitation
de cuivre qu'il dirige en collaboration avec Chester Silk
l'Ambassadeur des Etats-Unis au Coppernica.
Des intérêts
financiers l'opposent au Français Aristide Plon, Vice-Pré-
sident de la "Union de Coppernica", la plus grosse entrepri-
se d'exploitation de cuivre du pays. Plon, autre colonialiste
convaincu, tient les rênes èu Coppernica, c'est lui qui or-
ganise et finance le coup d'Etat qui renverse Tuckhomada :
It was he who had masterminded and financed
the coup, i t ;las Plon' s mili tary agents who
had engineered the grand massacre and i t was
Plon's friends and creatures among the fo-
reign correspondents in Thiersville who had
explained to the world that the.slaughter
of innocent children, the rape of so ma~y
women, had been a devilish plot designed
by Tuckhomada and Odouma to oust the white
community from Copperni~a. (DW'p253)
C'est manifestement Plon qui tire les ficelles du
pantin africain Ybele, qu'il place à la tête du pays. Mais
le machiavélique Soames arrive tout de même avec force

- 134 -
chantage, à faire agir Ybele selon ses désirs. Pour le
convaincre de privilégier la société Amcol de laquelle les
Américains aussi tirent des profits, par rapport à l'entre-
prise de Plon, i l n'hésite pas à ruser.
Il sait que l~s
Etats-Unis ont des scrupules à reconnaître un gouvernement
qui a usurpé le pouvoir à des dirigeants qui avaient la
majorité électorale. Soames trouve en ceci un moyen de
pression contre Ybele
''l'm labouring night and day on your behalf.
But l
think you'll have ta face one fact :
if Washington is ta be seduced, the stakes
will have ta be raised. Remember that Africa
is against you ; and that weighs heavily
in America."
(DW p255)
Lorsque quelqu'un se met en travers de son chemin,
i l use de tous les moyens possibles pour s'en débarrasser.
Il se r.end compte, par exemple que le diplomate
amé-
ricain Powell Eailey a beaucoup d'influence sur l'Ambas-
sadeur Silk qu'il presse de ccn~amner le gouvernement de
Ybele. Il se fait un devoir de neutraliser cette i~fluence
en se servant de Jason Bailey le fils du diplomate, dont
l'ambassadeur Silk aimerait bien se débarrasser parce qu'il
s'intéresse un peu trop à sa fille Zoe.
Il s'arrange pour
faire engager Jason par le mercenaire Laval, mettant ainsi
Powell dans une position délicate. Perfide calculateur,
i l
sait comment réduire Ybele complètement à sa merci, Ybele
dont i l rit et qu'il méprise profopdément. Quand par exem-
ple, Ybele se plaint d'avoir été dupé par lui car i l ne se
voit pas payé en retour pour ses "services", et qu'il lui
demande des comptes, Soames se montre totalement indifférent

- 135 -
"You owe me an explanation, Tuf ton."
Soames offered him a cigar.
"A friend
brought me back a thousand from Havana. He
was buying
furniture on my behalf, mainly
from the homes of exiled Cuban
Bourgeoisie.
The priees are very low at the moment. When
you next visit England you must allow me to
show you the high -backed Spanis;l-Arnerian
chairs:
innocent and sublime."
"Tuf ton, you promised me that i f I guarantee
Arncol parity of taxation with the Union and
put that guarantee in writing, you would
secure Arnerican recognition of my Goverrnent.
What have you to say?"
Soarnes extended his arms in a gesture of
outraged innocence.
"My dear Prime l1inister,
I made no such
promise.
I carefully limitedmyself ta
working on your behalf.
l'm not God. I have
no recipe for instant miracles."
(DW p254)
Quand Ybele lui exprime sa peur d'essayer de duper Plon:
"l1ore than once he has'promised to be the
chief maurner at my funeral."
Soames est encore plus narquois
"An honour for which I would compl::te most
strenuously."
(DW p328)
Son mépris pour les Noirs est grand.
Il ne peut par
exemple, se résoudre à traiter le diplomate noir américain
Powell, en égal: i l l'appelle ~~ Bailey, et le narrateur
de pré(;iser :
Generally he anly referred to butlers and
game-keepers as "mister".
(DW p49)

-
I36
-
On retrouve dans le personnage d'André Laval, le plus dan-
gereux des coloniali)~s invétérés. Comme Soames, il se pré-
sente comme un véritable patriote, comme un inconditionnel
de la France, avec la différence toutefois que lui est sin-
cère dans sa folie.
Il veut sauver la France qui, pense-t-il,
se meurt de n'avoir plus d'hommes vaillants prêts à tout
pour elle. C'est un nostalgique de l'époque' glorieuse de
l'expansion coloniale. Très jeune déjà .il se révolte contre
ce qu'il considère être un amollissement de la France et de
ses hommes. Ses premières déceptions commencent au collège.
Un jour, les travailleurs d'une usine se mettent en grève
pour protester contre une réduction de salaire, et Laval
prend à son compte d'organiser dans son école un mouvement
de soutien aux grévistes. Mais ses camarades de classe sont
beaucoup plus préoccupés par leurs examens, et ne s'y inté-
ressent pas. Avec passion, Laval crie alors sa déception:
"What a generation of petit bourgeois egoists
and squirts France can look forward toI
( ... )
l
find that my fellow human beings lack all
sense of altruism, of heroic sacrifice. We
are losing the capacity to reach Deyond the
horizon of our own selfish ambitions."
(D\\-;r p280)
L'image que le jeune Laval se fait de lui-même est
déjà évidente: i l se voie en héros appartenant à une race
en disparition, une race téméraire et désintéressée. Ecoeuré
devaht l'inertie et l'indifférence de se~ camarades, et qui
plus est, l'incompréhension de son professeur, i l quitte
l'école, abandonnant ainsi ses études. En claquant la porte
i l lance

- 137 -
"A man must fashion himself out of rock! ... )
He must make himself invulnerable ta
mediocrity and the charms of modesty."
(DW p28I)
Il essaie de se façonner à l'image qu'il se fait d'un vrai
Ho~ne : d'un dur.
Il se fait défenseur de la France. A tout
instant, i l vit ses rêves. Même dans ses relations amoureu-
ses avec celle qui devient sa femme, Simone, il lui faut se
recréer une situation dans laquelle i l se donne le rôle
d'un héros justicier. Dans la scène qui suit, Laval et Simone
se trouvent dans un bois, Laval met en action tout un scé-
nario sans lequel i l ne peut trouver de plaisir :
"France is doomed, Simone, condemned ta
grovel and worship alien energy, doomed
ta concede that the epoch of feminizing
talk is over, the centuries of argument
and debate and inaction . . . Walk backwards
five steps, go on, ·do as l command, do as
1 . . .
Good. Now take off your skirt and
blouse,
( ... ) hold your shoulders back
look proud"
( . . . )
"No "buts" Obe~!( ... ) l
am asleep in
the wood, right ? Look, here l
am now
lying ag~inst this tree asleep. You are a
famous wùman bandit, notorious and fierce,
fearless and impertinent. ( ... ) You decide
ta rob me
( . . . )
You must look fierce- and proud ( ... ) At
the very moment that your hand finds my
wallet,
l
wake up.
Instead of taking ta
your heels, you are determined ta rob me
and ta kill me if necessary. You seize
this large stick, this one here, and you
beat my brain out.
( .•. ).
Be agg=essive
( ... ) remember ta try and
kill me."
( ... )
Footsepts sounded softly in the wood. A
twig cracked. He waited tensely until he
could sense her shadow fall across him.

- 138 -
Deft fingers found his wallet, something
which was his was being taken f~om him,
his capacity to de fend his own was being
challenged, the foreign invaders were
trampling his face in mud, spitting on
France, he opened his eyes and saw the
bandit girl reach for the stick, a girl
standing astride him .•. He rose at her
like an eagle.
(DW p292)
(c'est nous qu~ soulignons)
Ce scénario que Laval monte, est tout à fait caractéristi-
que de sa mégalomanie. Il se croit ttès puissant, i l lui
faut donc un ennemi de taille, afin qu'en venant à bout
de lui, i l se sente vraiment un surhomme.
Il trouve l'oc-
cas~on rêvée de se réaliser dans la Résistance, pendant
l'occupation allemande de la France. Flanqué d'un groupe
de résistants,
i l organise toutes sortes de sabotages et
d'attentats contre les Allemands. Sa vie a enfin un sens
The Resistance beckoned to the total man
in him, offering him a purpose, an identity
and a release from the narrow,
sectariansquabbles
about party and class which had eaten in~o
the fabric of stricken France.
( •.. )
Never in his life had he felt so necessary,
so close lo self-fuI filment- to be a
lieutenant already, a commander of men.
(DW p295)
(c'est nous qui soulignons)
"A commander of men",
telle est la représentation que Laval
se fait de lui-même, aussi, quelle n'est pas sa déconfiture
lorsqu'au cours de l'attaque d'un train, lui et ses hommes
sont capturés et torturés par la gestapo. Laval, alors que
ses compagnons tiennent bon sous la torture, cède et révèle
le nom de ses associés.
Son humiliation est à son comble,
l'aura dans laquelle i l s'était enfermé s'écroule.

-
139 -
Quelques années plus tard néanmoins, une offre ines-
pérée lui est faite
: celle de rétablir le prestige et la
domination de la France en Afrique, au Coppernica. C'est le
politicien colonialiste, Armand Keller, chef du Parti Popu-
laire de France, qui lui en fait la proposition
"Coppernica is due to explode any moment
riow.
It is there that France confronts her
destiny."
(DW p319)
En Afrique, Laval redevient le héros de ses rêves.
Il croit en la mission qui lui est a.ssignée. Coppernica est
pour lui l'instrument nécessaire à sa réhabilitation dans
sa propre estime.
Il se voit de nouveau comme le héros d'une
mythologie vivante. Nostalgique de l'épopée coloniale, son
but est de se débarrasser des dirigeants nationalistes
Africains qui ont pris le pouvoir au Coppernica qu'il veut
restituer à sa chère France :
the promised return to Thiersville, the
city of French streets and French smells,
the day the blown-up portraits of Tuckhomada
would be torn from the public buildings and
the hysterical agent of the universal cons-
piracy put down like a mad dog.
(DW p82)
Laval s'accroche désespérement au passé qu'il veut faire
revivre.
Il sait que sa tâche est ardue puisque, comme i l
le dit lui-même
,i l
belong to a rac,e wi thout doubt disappearing
in our time, that of the "fanatical" soldier
who loves only the Army and whose religion
is the cult of the Fatherland."
(DW pI54)

-
I40 -
Il met tout en oeuvre pour atteindre ses objectifs, et lors-
que vers la fin du roman,
i l capture et torture le chauffeur
des fugitifs, afin que celui-ci lui révèle où se terrent
Tuckhomada et Odouma, et que J~mes désapprouve visiblement
son sadisme, i l explose devant l'incompréhension de ce dernier:
"Listen, we were once like a woman, we of
the West. We snored away, heads down, the
bats of history, casting away our possession,
our soul, in a rapid, delightful cadence.
And the university types,
the intellectuals,
the writers, offered their soft cheeks to
those who were striking
~s and brandi shed
their ridiculous little fists and screamed
like girls at us who were defending their
freedom to scream. Look at you! you! You
are the same!"
(DW p557)
La déception de Laval vis-à-vis de ses contemporains rappelle
beaucoup les p~opos de Ian Smith, ancien
Premier ministre
de Rhodésie, que Caute a recueillis dans Under the Skin :
"If Churchill were alive today", he said
"I believe he'd probably emigrate to Rhoùesia-
because l believe that all those admirable
qualities and characteristics of the British
we believed in, loved and preached to our
children, no longer exist in Britain."
(US p90)
Colonialiste raciste, Lav~l considère que les Noirs
ne sont ~as êtres humains. Il le souligne à plusieurs repri-
ses, comme lorsqu'il demande à la jeune Camille Odouma, qu'il
torture, si elle est vierge et que celle-ci baisse les yeux
"Modesty", he announced,
"is a quality
reserved for human beings"
(DW p86)

- In -
ou encore comme lorsqu'en se présentant à lui, croyant ainsi
l'impressionner, Soames lui précise qu'il est un ami de Ybele.
Laval lance dédaigneusement
"Ybele is a nigger".
(DW p93)
Le fanatisme de Laval fait beaucoup penser à celui
d'Hitler, d'ailleurs, curieuse coïncidence,
tout comme ce
dernier proclamait la supGriorité de la race aryenne, Laval
de son cOté déclare apprécier les hommes blonds et au teint
clair. C'est en tout cas co~~e cela qu'il explique son esti-
me pour James Caffrey
"You interest me
(
) you have education,
breeding, class
(
) And you are good-looking,
fair.
l
like that. My friend Jean Martignac
is also fair.
(DW p208)
Un peu plus tard dans l'histoire du roman, i l répète encore:
"already you are only second to Jean Maritgnac
in my affection. You are fair-skinned."
"DW p266)
On peut résumer la portrait de Laval en disant qu'ii est
l'image caricaturale- quoique Hitler ait bel et bien existé-
du colonialiste convaincu.
Parmi les principaux personnages blancs de At Fever
Pitch, celui que l'on peut le plus rapprocher de Laval est
le géné~al de brigade Charles Ridley-Smith, Anglais ayant
ser7i en Inde puis au Caire lui aussi est décrit comme "a
man of action". La lecture de Kipling est pour lui une ré-
vélation :

142 -
Charles had discovered Kipling. A new world
of the intellect opened up before him
(FP p67)
Ridley-Smith se prend effectivement pour un héros de Kipling
et croit en ce que ce dernier a appelé:
"the white man's burden','. On se souvient de sa discussion
avec Glyn au sujet de la colonisation :
"I tell you, Michael,
"the senior officier
had begun,
"when l
was stationed in India
before the war, and Egypt too, one only had
to mention the words "British officer", and
your slightest whim was their corrmand. This
was not imperialism or racialism or whatever
you hot-heads call i t now.
It was a noble
relationship
of mutual service based on
quality. You're surely not going to tell me
that all men are equal. All the mass of
Egyptians are good for is selling dirty post
cards. Of course we are all Blimps, my gene-
ration, because we hang on to own outworn
beliefs in service, loyalty, patriotism, and
God .•.
(FP pI27)
,
A son avis ,
le colonisé est absolument incapable de diriger
ses propres affaires et a fortiori de gouverner son pays d'où
la nécessité de la présence des Occidenta~x en Afrique. l 6
On le voit à la fin du roman, complètement déconcerté
et déçu, alors que le gouverneur anglais est parti, et que
des dirigeants africains sont à présent à la tête du gouver-
nement. Il a rendez-vous avec le Premier Ministre qui se
fait attendre :
Prime Minister Bandaya was fort y minutes late
for the
interview. The Brigadier paced up
and down the long Room of Government House,
recalling the days when Sir Robert Pawson
16. VO~h ~upha,pll 1

- 143 -
had presided here.
The past,
remote,
like
the scent of flowers.
Nostalgia.
(FP pI9I)
(c'est nous qui soulignons)
Il assiste, impuissant, à un renversement des valeurs colo-
niales.
La rage au coeur, i l se demande si le retard du
Premier Ministre n'est pas délibéré:
Why was the Prfme Ministre so late ? Perhaps
i t was a deliberate insult. One never knew
these days.
(FP pI9I)
(c'est ndus qui sou-
lignons)
Il est outré de devoir faire des révérences à ceux qui, hier
seulement, étaient sous ses ordres. Il ne l'accepte pas
"Never again would he address an African as "sir".l?
Il n'est pas le seul d'ailleurs,
à enrager de la
sorte: on se souvient des propos rageurs du Colonel Ramsey,
qui soutient qu'il n'acceptera jamais d'être sous les ordres
d'un nègre
"When we clear out there will be anarchy.
That's my view. The reds will come straight
in. But l
tell you one thing.
l ' l l not stay
on even i f they go on their bloody knees.
If you think l'm going ta be taught myjob
by a nigger ... "
(FP p29)
Les personnages blancs du dernier roman de Caute sur
le Zimbabwe, ne bénéficient pas è-e la part de l'auteur d'un
traitement plus favorable que celui des Blancs des deux au-
tres romans. Leur situation sociale est différente de celle.
des autres puisque eux sont des descendants de colons, ins-
tallés dans cette partie de l'Afrique depuis des années,
voire des générations. Alors que les Occidentaux des deux
premiers romans étaient les étrangers de l'Afrique, eux lui
17. voÙt .6upJta, p 106

- 144
-
appartiennent désormais.
Ils ne craignent donc pas, comme
les autres,
d'être chassés de ce continent, cela ne figure
pas parmi les revendications des insurgés noirs qui 9nt pris
le maquis. Par contre, ce qui les rapproche des autres Blancs,
ce sont leurs revendications propres. Co~me ceux-ci, ils veu-
lent conserver leurs multjples privilèges et la suprématie
auxquels ils sont habitués. Eux aussi sont prêts à tout pour
Fréserver ces intérêts-ci. Mais, pour eux également,
la si-
tuation est en train de changer :
fini
le temps où les Noirs
acceptaient sans mot dire,
le sort qui leur était réservé.
Beaucoup d'entre eux ont été instruits à l'ecole occidentale
pour le malheur de certains blancs qui détestent ces Noirs
instruits - et prétendent à des postes qui leur étaient
jusque là défendus. 1B
Pour se protéger contre les attaques de la guérilla,
les Blancs, dans The K-Factor, se sont organisés en vérita-
bles commandos qui s'occupent de fair~ la chasse à ceux qu'ils
appellent des terroristes. C'est le rôle que se donne la
"Special Branch"
:
la police rhodésienne à laquelle tous les
Blancs joignent leurs efforts. A la tête de la "Special
Branch", l'inspecteur Mike Bekker que l'on pourrait assimi-
ler au personnage de Laval pour son fanatisme et son sadisme.
Lui aussi -
c'est le narrateur qui le précise -
est un mer-
cenaire :
Inspector Mike Bekker, Special Branch 2 :
life as a film set, the dialectic of the
mercenary in Africà.
(RF pII3)
Lui également se prend pour un héros, :La lecture des aven-
tures de Rider Haggard l'enchante et laisse libre cours à
son imaginatiQn. Caute le ~ntre dans toute sa méchanceté,
18. vo~~ ~up~a PP85-86

- 145 -
dans toute sa bêtise. Comme lorsque le narrateur le décrit
malmenant les travailleurs noirs qu'il soupçonne de donner
de la nourriture aux "terrs". Sa devise est simple
The essence of counter insurgency is to
punish those you can lay hands on for the
sins of chose you cannot.
(KF pISI)
Ses manoeuvres sont détestables et malhonnêtes. Un jour qu'il
est l'hôte de Sonia et qu'il a bu un verre de trop, i l avoue
que cela a failli mal tourner pour lui une fois,
mais qu'il sut
vite comment résoudre son problème
A white magistrate had "lost his cool" after
hearing a prisoner complain of being repeatedly
"bitten" by the "electric snake".
"Ei ther you' re lying or the police are", the
magistrate had announced rising and comman-
ding every white policeman in court not to
move until further notice. The magistrate
then drove with the prisoner and a warder
straight to the police station.
"Here we &re
then,
show me this "electric snake". Which
the prisoner did.
In a cupbord.
RetuI:ning
to the court,
the magistrate ordered the
prisoner's immediate release.
"What did you do Mike ? "Sonia had asked
her guest.
"~vell, l knew this Af was a gook though
l
couldn't pin i t on him. So l
arrested him
on the steps of the courthouse and sent
him to Wha Wha for indefinite detention.
No more trials or crazy magistrates.
(KF pI4S)
Il défend farouchement ses intérêts- par toùs les moyens, et,
comme i l le dit
Rhodesia is a super country,
GOd's own,
l was born and raised here and no ways
am l
going to quit.
(KF pII6)

- 146 -
Tout raciste impénitent qu'il est,
il n'a pas vraiment le
courage de faire face au regard des Noirs qu'il ne veut pas
lire, de peur de comprendre sans doute, que le début de la
fin de son règne est déjà amorcé
You can be arrested for looking too hard,
particul~rlyat Mike Bekker. In a colonial
war the gaze of every native is potentially
insolent i
the conqueror reads his own
nightmares into the neutralized eyes of the
conquered.
(KP pII6-7)
Un autre défenseur farouche des intérêts des Blancs
est Charles Laslet que l'on voit assez peu dans le roman, mais
dont les idéaux
sont clairement énoncés. Voici la descrip-
tion qu'en fait Sonia à Hector:
My husband Chas is fine man, a wide-angled
man, but l must warn-you, Hector, that he
does still refer ot Afs as nigs, nig-nogs
and golliwogs-off-a-jam-jar. He calls Afs
he respects "white men". But he' s never .
had one at his table.
(KF p6)
Il se dit libéral mais avoue sous-payer ses employés afri-
cains, clamant que s' i l le~r donnait pl us "
They'd only spend i t on booze and women.
And my neighbours would lynch me.(KF p43)
On s~ souvient de son mêpris profond pour ce qu'il
assure êtra l'incompétence et l'ineptie des Noirs. 19 Cela
lui est pénible de constater certains changements qui se-
lon lui èevraient etre retardés le plus possible ou mieux,
empêchés. C'est la remarque qu'il fait à une de ses connais-
sances i
Phil, lorsque ce dernier le présente à un homme
d'affaires africain "

- 147 -
"A client"
Phil explained apologetically
"1 s'pose we have to let the munts in as
part of this internal settlement palaver.
l
remember when 1di Amin took over in
Uganda Afs were free to join the Kampala
Club but none of them got elected -excellent
compromi se."
(KF p49)
. Quant à l'épouse de Charles, Sonia Laslet, bien que
partie intégrante du système, elle évoque par dessus tout
la pitié,
toute sa vie est un échec. Délaissée par son in-
fidèle mari, elle se console dans les bras d'une lesbienne,
Patricia Rawls, qui finit elle aussi par liabandonner. Son
bébé, dont on ne sait vraiment s ' i l existe et s ' i l est le
sien, est tour à tour enlevé puis restitué sans que l'on
soit sûr qu'il sagisse du même bébé. A la fin du roman,
elle est, comble de ses misères, violée par le terroriste
.~
.
Willy :
"a fate worse than death. But the death
of white Rhodesia is a slow one".
(KF p209)
L'histoire de sa vie illustre, symbolise ce que l'auteur
appelle "la mort de la Rhodésie blanche". On voit en effet
comment de riche fermière en Rhodésie, elle se retrouve
à
finir sa vie dans une petite boutique dans un quartier
de Londres.
Son attit~de est ambiguë tout le long du roman.
Avec son hôte africain Hector, elle est tour à tour hautaine,
sarcastique,
raciste, aimable. Elle lui fait même des avances
sexuelles ce qui ne va pas sans surprendre vu le contexte
de l'histoire. Elle fait partie de la classe des privilégiés
et compte bien le demeurer, puisqu'il s'agit selon elle, de

-
148
-
privilèges mérités
She adored her possessions, she wealth that
Charles had finally won through flair and
dedication.
(KF p30)
Comme elle l'explique à Hector, la devise "diviser pour ré-
gner" est de rigueur pour les Blancs :
"Where would our security forces be without
black policemen, the black Guard Force in
the protected villages,
the three black
battalions of the Rhodesian. African Rifles,
the slack trackers of the.Selous Scouts ?"
"Imperialist strategy : divide and rule
"Well, of course, Hector. Always set a
native to flog a native."
(KF pI6)
Elle aussi est de ceux qui ont du ressentiment pour les chan-
gements manifestement en cours dans ce pays. On se souvient
de sa réponse lorsqu'Hector lui demande où elle est née
"Were you born in Zimbabwe ?" he asked
"I wasborn in Rhodesia".
(KF plO)
Elle aussi se raccroche désespérement au passé.

-
149
-
3 - LES MISSIONNAIRES
Dans les romans de Caute, les missionnaires blancs
reçoivent de la part du romancier un traitement sensible-
ment .diffêrent de celui des a\\\\tres personnages blancs
qu'il dépeint dans ce qu'ils ont de plus fourbe et de plus
négatif. L'auteur semble éprouver une certaine sympathie
pour cette catégorie de Blancs. Une appréciation qui ne
saurait être entièrement étrangère à la conception classi-
que que l'on se fait du rôle du missionnaire européen en
Afrique et notamment des bienfaits du christianisme. 2o
Images universelles que l'on retrouve dans la majorité des
oeuvres littéraires sur les pays dits exotiques, 21 ceci de-
puis bien longtemps déjà. On en veut pour preuve, entre
autres, le célèbre roman de Daniel Defoe,
Robinson Cruso~,
dans lequel le héros Kobinson, se donne à un moment donné
de l'histoire, le rôle d'un missionnaire faisant l'éduc~­
tion spirituelle, de son esclave Vendredi,
lui apportant
la parole du Christ, afin notamment de lui enlever ses
instincts cannibales.
S'il est vrai que l'auteur ne décrit pas les mis-
sionnaires de ses romans comme de fervents colonialistes,
puisque eux, contrairement aux autres Blancs, ne se con-
duisent pas en despotes, ne cherchent généralement pas à
s'en:r:-ichiJ..: mais construisent des ~coles, ·des hôpitaux et
enseignent leur religion, i l nlen demeure pas moins vrai
que Caute n'en fait pas non plus, et de façon systématique,
des anti-colonialistes.
20. Vo~~ ~n6~a, p214
21. on entend pa~ la tout pay~ non habité pa~ ee~ Blan~~
a e'o~igine, notamment le~ ~ee~ du Pa~i6ique et ee~
pa~~ de l'A6~ioue no~~e et l'Ahie.

- ISO -
Il ne les idéalise pas et n'en fait pas des saints, Il mon-
tre m~me, à travers certaines scènes, comment, de façon
consciente ou non,
le missionnaire contribue à la colonisa-
tion. On peut penser d'ailleurs que le prosélytisme reli-
gieux est une forme de colonisation. On se rappelle les
propos du Père Leblanc dans The Decline of the West,
alors
que son élève Tuckhomada dont il veut arrêter les études,
et manifeste le désir de s'instruire davantage:
He would have liked,
in addition, to learn
something about the physical forces gover~
ning the universe and the principles on
which men constructed machines.
"In the wrong hands, my son, science beco-
mes heresy", Leblanc assured him ( .•• )
A man must be what he is. God will.s it.
The physical development of this colony
will remain a matter for the French. You
have been called to cure souls."
(DW p141
(c'est nous qui soulignons)
On peut même dire que le Père Leblanc soutient carrément
la politique coloniale à l.aquelle il adhère d'une certaine
manière. En effet, lorsque le Coppernica obtient son indé-
pendance avec des leaders nationalistes noirs à sa tête,
le Père Leblanc manifeste son mécontentement:
He made no bones of his beliefs that the
year one was an enterprise as pagan as it
was foolish
( ..• ) Having instructed his
priests that membership of Tuckhomada's
~~N wa~ incompatible with the granting
of the sacraments, he listened impatiently,
to their laments that strict enforcement
of this provision would leave his grace
virtually without a flock.
(DW p545)

-
ISI
-
Le fait que l'auteur choisisse d'appeler ce missionnaire
français "Leblanc" n'est sans doute pas innocent. P~r
"T,eblanc" on pourrait comprendre "L' homme blanc" qui vient
apporter la lumière dans un continent noir.
Qu'ils le veuillent ou non les missionnaires se trouvent
mêlés à la politique coloniale. Roland Pichon, qui a lui-
même été missionnaire au Zimbabwe pendant six ans, dans
une étude de ce qu'il appelle "Le drame Rhodésien", définit
ainsi la position des missionnaires_dans cette partie de
l'Afrique:
S'ils blâmaient la tactique et les moyens
employés,
ils ne condamnaient nullement
les "principes"
de la colonisation. Ils
approuvaient la politique des colons : i l
fallait intégrer les africains dans la
"civilisation du travail",
former des
"travailleurs."
Ils entendaient leur ap-
prendre à se soumettre "à Dieu et au gou-
vernement." 22
Dans The K-Factor, Caute quant à lui, se montre bien moins
sévère dans son portrait des missionnaires dont i l dépeint
l'effroyable dile~~e. D'un côté, ils sont hais par la majo-
rité des Blancs qui les considèrent comme des -traitres puis-
qu'ils les accusent de donner leur soutien aux "boys in the
bush".
On se souvient de la lettre aux propos acerbes que
le Père-Joseph Lawrence reçoit d'un couple de Blancs qui se
déclarent ~rofondément déçus par lui et terminent leur le~­
tre en ces termes -:
"Mal'· god forgive you for we cannot".
(KF p28)
22. Pichon Roland,
Le Vhame Rhodéoien,
p70

-
152
-
De l'autre cOté, ils sont harcelés par les "boys" qui vien-
nent - de force -
se ravitailler chez eux en vivres et mé-
dicaments et en argent, et dont malgré tout,
ils compren-
nent les revendications.
Pour preuve cette pensée du Père
Joseph :
After all, he could hardly seize a gun
and start firing back at young men who
where merely demanding the elementary
human rights, the prirnal dignity, denied
them by lan Smith and 225,000 whites.
(KF p25l
Les missionnaires sont e~outre, les cibles faciles d'élé-
ments extrémistes et fanatiques.
A l'instar de la population locale, ils sont, dans ce roman,
présentés comme les véritables martyres de cette guerre
impitoyable et interminable, et qui plus est, ils semblent
prêts à accepter de sacrifier leur vie pour la cause dans
laquelle ils sont engagés.
Les missionnaires blancs ont d'autre part une
grande importance en Afrique puisqu'ils réussissent à con-
vertir un nombre relativement important d'Africains et
parmi ceux-ci, certains deviennent eux-mêmes des religieux
qui chercheront eux aussi à propager le plus possible la
religion qui leur est ainsi apportée : la religion des
Blancs. Ces convertis, ces missionnaires noirs renient leurs
propres croyances au profit du christianisme. On se souvient
de la conviction avec laquelle le prêtre africain Harris,
dans At Fever Pitch,
loue les bienfaits de cette nouvelle
religion, car avant l'arrivée des Blancs, déclare-t-il :

- I53 -
"Things had not been at a11 good.Too
much juju and sacrifice pa1aver. Too
much humbug p1enty for tree gods. So when
white man come with Christian Jehovah-
"t"V"Peqnd this be fine god past aH."
(FP p138, c'est nous qui soulignons)
Ces religieux noirs ont aussi, parfois un r01e politique
très important, comme c'est le cas du Père Patrick dans The
K-Factor. Ce dernier, tout en appartenant à la mission du
Père Joseph, est en contact permanent avec la guérilla
qu'il soutient et qu'il aide de son mieux. Lorsque le bébé
de Sonia Las1et est enlevé, c'est lui qui, accompagné d'un
évêque blancs est envoyé auprès des "boys" pour négocier
la libération de l'enfant. Sa position est très nette lors-
qu'il demande au prêtre blanc
"What will the regime offer us in return
for the white baby?"
Patrick asked :.
"Understand that l do not negociate on my
own beha1f - r am mere1y an intermediary."
"One does not barter in human lives."
"How mail y African po1itica1 prisoners are
worth one white baby?" Patrick persisted.
(RF p176)
Son àppartenance au monde chrétien ne lui fait pas oublier
les revendications de son peuple.
Pour conclure cette étude sur les Blancs d'Afrique
dans le roman de Caute,
il faut souligner que dans sa mise
en situation de ces pecsonnages," l'auteur fait resscrtir
que leurs rapports avec les Africains sont toujours des
relations de dominants à dominés. Caute illustre bien l'ef-
fet magnifiant de l'Afrique sur ces Blancs coloniaux: le
miroir grossissant qu'est l'Afrique pour eux, leur donne

- 154 -
une dimension extraordinaire. Ils y ont un rôle demaltre
suprême avec tout le lot de possibilités et d'avantages
nouveaux que cela implique.
L'auteur fait manifestement la
satire de ce monde égoïste. On se souvient particulièrement
d'un passage de The Decline of the West où Caute décrit le
faste dans lequel se délectent l'Anglais Soames et ses in-
vités
In a large villa situated. in the most exclu-
sive enclave of European Thierville, three
families had gathered for lunch.
(DW p41l
On les voit, un peu plus tard,
se rendant, en cadillac, chez
le riche Premier ministre africain, Ybele. Le narrateur por-
te alors son regard sur une autre scène :
In the shade of the jacaranda trees,
a sha-
ven-headed child stood openmouthed as the
big car swept past, black and silent. The
boy was clutching a begging bowi.
(DW p43l
La juxtaposition de ces deux scènes n'est certainement pas
innocente,
au contraire elle souligne la condamnation de
l'auteur en mettant à nu l'égoïsme de ce monde de nantis.
La désorganisation et la misère que les Blancs cons-
tatent souvent dans les pays africains,
leur fait encore
mieux ressentir le contraste qui existe entre ces pays et
le leur, qui leur semble alors magnifique. C'est ce qu'a
l'air de dire en d'autres termes,_Caute lui-même dans son-
reportage Under the Skin lorsqu'il décrit le lieu de tra-
vail des représentants des employés noirs des chemins de
fer du Zimbabwe:

- 155 -
On the corner of Lobengula and 13th Avenue
is the office of the all-black Railway and
Associated Workers'
Union
(mernbership 9,800)
representing "category 3"railway workers.
The entrance corridor is Third World : any
active economic unit operates like a honey-
pot round which swarrn and lethargically
buzz friends,
relatives, people in from the
reserves, people hoping for work, boys an-
xious to carry messages, vendors of food
You push your way through feeling white.
(US p164)
c'est nous qui soulignons.
.
.
"You push your way through feeling vlhite", on ne peut
s'empêcher de penser qu'il y a dans ce sentiment, un mé-
lange d'orgueil et de fierté, dû à son appartenance à une
civilisation dite supérieure.
Ces propos nous amènent à
aborder la deuxième partie de notre travail qui consiste
à découvrir l'image que Caute montre de cet autre monde
auquel il n'appartient pas: celui de l'Afrique.

n
IMAGOLOGIE
L'!MAGE HERITEE ou L'AFRIQUE
MYTHIQUE

- 158 -
A- DE L'EXOTISME
Le dictionnaire donne conune déflnition du mot exo-
tique:
"qui appartient aux pays étrangers, qui en provient".l
Mais i l semble que dans l'usage courant que l'on fait de ce
mot, se dégage- un sens bien plus restrictif, bien plus par-
ticulier : est exotique tout ce qui vient de pays lointains-
par rapport à l'Europe -
des pays chauds en particulier.
L'Afrique -
pour ce qui nous intéresse ici - est, dans cette
logique, un continent exotique par excellence. Ce mot véhi-
cule toute une foule d'impressions qui excitent la curiosité
et présentent les hommes ou choses en question, comme plein
de séduction, ou au contraire répugnants, en tout cas, conune
étranges et mystérieux :
1. Pe-tLt LaJLOuAf.>e -UtfL6.ttLé, 1983

-
159
-
Sous sa forme la plus élémentaire, l'exotisme
répond donc à un besoin d'évasion:
tous les
ho~mes, à un moment de leur vie, éprouvent
le désir confus d'un départ, souvent impossi-
ble : retour à une vie primitive ou décou-
verte d'une autre civilisation. Las d'une
existence implacablement réglée, ils souhai-
tent changer de cadre et de condi~ion, con-
naître un sort meil1.eur,
un destin moins
banal. Mais cette aspiration ne devient sen-
timent exotique que s ' i l s'agit de régions
éloignées, où la vie est très différente de
ce~le que nous subissons. L'exotisme, c'est
toujours la volonté de découvrir un nouveau
monde. 2
On peut penser que des romanciers comme Caute, qui
"plantent"
le décor de leurs romans dans des pays dits exo-
tiques, satisfont un peu ce besoin d'évasion en transportant
le lecteur dans ces contrées éloignées, et en lui assurant
aussi cette impression d'étrangeté dont i l est friand. En
utilisant l'Afrique comme toile de fond,
ou même comme thè-
me principal, ces écrivains garantissent également un carac-
tère pittoresque et singulier à leurs récits.
Dans les siècles derniers, les écrivains pouvaient
se permettre, sans paraître incohérents ou extravagants, de
laisser errer leur imagination vers des régions qui leur
étaient inconnues, ou même, qu'ils connaissaient mais aux-
quelles ils donnaient souve~t des représentations tout à
fait fantaisistes.
Leurs récits n~ subissaient nullement
l'épreuvo de la vérité:
Virgile et les Latins du 1er siècle avant
notre ère s'imaginaient l'Inde comme un
pays fabuleux où les rivières roulaient de
l'or et des diamants. Les navigateurs du
XVe siècle cherchaient un Cipango gorgé
2. Malhé Roge~, l'Exo~~me, p14

-
160 -
d'épices et de pépites. Tous éprouvaient
un sentiment exotique fondé sur une erreur. 3
L'Afrique, quant à elle, était la source inaltérable
de mille et un phantasmes. Mais de nos jours, alors que les
moyens de communication rendent accessibles à tous les par-
ties les plus reculées du monde, et que l'image, mcyen révo-
lutionnaire, en fournit une formidable documentation, les
écrivains se doivent, dans leurs descriptions de contrées
lointaines, de donner à leurs récits une certaine vraisem-
blance qui leur confère une crédibilité auprès du lecteur.
Celui-ci est devenu beaucoup plus ex\\geant, plus critique,
et ne s'en laisse plus conter:
Voilà l'indigène qui proteste, ou bien,
plus cruellement,
les faits historiques,
en se déroulant, vont démontrer que le
diagnostic était imprudent et faux l'angle
de vision; que l'Allemagne n'était pas
abîmée dans le rêve, ni l'Italie dans l ' i l -
lusion, que la Russie n'était pas si heu-
reuse, ni l'Inde si malheureuse. 4
Ceci nous amène à évoquer le problème de l'ethnocen-
trisme de l'écrivainS, et par la même occasion d'un lecteur
"inattendu" ou lecteur critique : celui qui fait souvent,
l'objet de la: narration : "Voilà l'indigène qui proteste".
Il est ml fait que les écrivains européens, parlant
de l'Afrique par exemple, l'ont le ~lus souvent fait,
sinon
avec une certaine condescendance, du moins avec un semblant
de paternalisme et avec, consciammeni.. ou non,
au fond de
leur pensée une échelle d'évaluation qui fait de leur pays
un modèle de civilisation par rapport auquel tous les autres
pays sont jugés. A propos de -ce sentiment Lévi-Strauss explique
3. -i.b-i.d.. p 30
4• -i.b-i.d., p 162 Ma.tfté Ute -i. e<. F. Ba..f.de.iu, peJtg e.ft
5. noU6 paJt1ol1.6 -i.e<. de f' éc/uva.-ln etL-'Lopée.n

- I6I
-
"Habitudes de sauvages",
"cela n'est pas de
chez nous"
( . . . ) autant de réactions gros-
sières qui traduisent ce même frisson, cette
même répulsion, en présence de manière de
vivre, de croire ou de penser qui nous sont
étrangères. Ainsi l'Antiquité confondait-elle
tout ce qui ne participait pas de la culture
grecque
(puis gréco-romaine)
sous le même
nom de barbare ; la civilisation occidentale
a ensuite utilisé le terme de sauvage dans
le même sens. Or derrière ces épithètes se
dissimule un même jugement : i l est proba-
ble que le mot barbare se réfère étymologi-
quement à la confusion et à l'inarticulation
du chant des oiseaux, opposés à la valeur
signifiante du lang~ge humain; et sauvage,
qui veut dire "de la forêt",
évoque aussi
un genre de vie animale, par opposition à
la culture humaine.
Dans les deux cas, on
refuse d'admettre le fait même de la diver-
sité culturelle ; on préfère rejeter hors
de la culture, dans la nature,
tout ce qui
ne se conforme pas à la norme sous laquelle
on vit. 6
Certes, à la lecture de ses romans, 011 ne peut pas reprocher
à Caute de faire montre d'une antipathie aussi ouverte po~r
les hommes et les moeurs dont i l parle. Hais on peut être
amené à croire qu'inconscie,nment, i l n'en pense pas moins.
Seulem~~t dans son désir, justement, de ne pas laisser
transparaître des réprobations implicites, i l tente de pré-
senter ce qui, pour un Occidental pourrait paraître étrange)
comme banal et évident dans un univers africain, mais i l en
rajoute. ·Caute choisit de faire raconter ses histoires par
un narrateur omniscient et omniprésent et plusieurs facteurs
permettent a'affirmer que ce narrateur est un Occidental,
un Blanc avec une vision du monde assez caractéristique de
ses origines.? Sa façon de traduire les différentes pensées
des personnages noirs en dit long sur la vision de
6. Lév1-StJtauM C.e.aude.,Race. e..:t HÜ-toilte., pp19-20
7. voilt 1n6~a, chap1tJte. C

· - 162 -
l'Afrique de l'auteur. Lorsque, par exemple,
le narrateur
"se met dans la peau"
d'un de ses personnages noirs, Sulley,
le jeune domestique dans At Fever Pitch et qu'il essaie de
donner le point de vue de ce dernier en tant qU'Africain,
i l n'arrive en fait qu'à donner une représentation stéréo-
typée d'Européen sur les habitudes africaines. Une des
raisons fondamentalesde ce phénomène semble être le fait
que l'auteur écrit pour un public particulier: pour son
public, un public blanc. 8 Connaissant bien ce~x pour qui il
écrit,
i l le fait en tenant compte de leurs goUts, se fai-
sant ainsi
leur complice. Sans doute pourrait-on se référer,
pour mieux expliquer l'attitude de l'auteur, à ce que Sartre
dit lorsqu'il se pose la question:
"pour qui écrit-on i"
:
Qu'il le veuille ou non et même s ' i l guigne
des lauriers éternels,
l'écrivain parle à
ses contemporains, à ses compatriotes, à
ses frères de race ou de classe. 9
Sartre explique encore que lorsque l'écrivain ne s'attend
pas à ce que des éléments extérieurs à son publtc puissent
lire ses oeuvres, ou qu'il n'en tient pas compte, i l répond
à fond,
au désir de son public. C'est ce qui se produisait
au XVIIe siècle chez les écrivains qui à cette époque avaient
un public-lecteur réduit à l'élite
Au XVIIe siècle, puisque le public virtuel
n'existe pas, puisque l'artiste acçepte
sans la critiquerl'idéologie de l'élite,
i l se fait complice de son public, ~ul re-
gard ne vient le troubler dans ses jeux. lU
(c'est nous qui soulignons)
8. VOih in6~a, p219
9. S~e Jean-Paul, QU'c6t-ce que ta tLtté~e ?p88
10. ibid., p116

-
I63
-
Le public virtuel de Caute n'est évidemment pas aussi res-
treint, mais le clin d'oeil de l'auteur ne s'adresse
pas
à tous.
C'est alors que peut intervenir ce lecteur "inattendu"
déjà mentionné. Ce lecteur-ci, au lieu de retrouver, dans
les livres de Caute, un parfum d'exotisme dû aux éléments
pseudo-réalistes sur ce qui touche aux manières de vivre
africaines, - et qui semble familier
et vraisemblable
au lecteur blanc, qui souvent ne connaît pas l'Afrique mais
en a une idée toute faite - y voit plutôt une répresentation
mythique de l'Afrique, nourrie de stéréotypes et d'archétypes
issus d'un subconscient qui ne peut qu'être occidental.
Dans sa technique narrative,
l'auteur ne s'indigne
pas, ne s'insurge pas contre des coutumes qui telles qu'elles
sont décrites ne sauraient qu'être choquantes. Au contraire,
i l les fait apparaître comme tout à fait naturelles dans un
contexte africain. On retrouve dans la narration une multi-
tude d'expressions telles que:
"It was a tribal tradition",
"everyone knows that ..• ",
nit is in the order of things ... ".
Des affirmations qui ont pour but d'accentuer le caractère
banal et quotidien des pratiques décri tes. Il Elles ent en plus
le don d'intriguer, d'amuser,
d'éveiller l'attention d'un
lecteur en mal d'insolite et de pittoresque.
Il est vrai
que ce ne sont pas les réalités de sa vie quotidienne qui
peuvent donner au lecteur un semblant de dépaysement. De
manière générale d'ailleurs, même à travers la littérature,
i l semble de moins en moins possible de s'évader. Roger
Mathé parle même de "déclin" de la littérature exotique,
les pays les plus lointains n'offrant pratiquement plus de
mystère et étant souvent le théâtre de violents affrontements
11. VO-ÙL Ùtn.tr.a, p229

- 164 -
Depuis la seconde guerre mondiale,
la poli-
tique de décolonisation, l'importance ac-
cordée aux pays en voie de développement
précipitent ~e déclin de l'exotisme. En
effet,
l'espace exotique correspond en gros
aux pays du Tiers-Monde. Trente années de
guerres coloniales,
tribales,
séparatistes,
révolutions incessantes,
intrigue3 et com-
plots, insécurité chronique, voilà des con-
di tions peu propices à la recherche d' é1l10-
tions exotiques!12
Si le continent africain est devenu moins "exotique"
parce qu'en transition et en guerre, parce que ressemblant
de plus en plus à l'Occident avec l'émergence parfois spec-
taculaire de ses villes européanisées, i l n'en demeure pas
moins qu'il. est toujours un centre d'intérêts pour beaucoup
d'écrivains justement à cause de tous les événements qui y
ont lieu. En quelque sorte l'actualité a pris le pas sur
l'exotisme. Caute est de ceux qui ont su tirer parti de cette
situation, précisement en écrivant sur cette Afrique en guerre.
Mais, pour conserver tout de même,
dans ses romans,
ce pit-
toresque, cette sensation d'étrangeté dont le lecteur ne
cesse de se délecter, Caute a recours à ce que l'on pourrait
appeler un "exotisme artificiel".
Il introduit dans certaines
de ses descriptions des images parfois assez extraordinaires
qui témoignent du désir évident du narrateur de produire du
pittoresque tout en conservant la représentation que celui
qui ne connaît pas l'Afrique s' el' fait souvent. Pour preuve,
la façol1 dont i l évoque un crépuscule africain dans At Fever
Pitch :
The sun slid down the s~y and the afternoon
prepared to die.
( . . . ) From the cool sanc-
tuary of the water pipes the cobras began
to slither, in searc~ of frogs.
(FP p2)
(c'est nous qui soullgnons)
12. Math~, op cit, p766

- 165 -
Cette dernière phrase peut donner l'impression,
à celui qui
ne s'y connaît pas, d'être une description très fidèle,
très
vraisemblable, d'un paysage de ce continent où, on le sait,
on trouve beaucoup de serpents. Comme i l décrit le soleil
couchant, avec la même banalité, le narrateur observe les
les activités des cobras -
une espèce des plus dan~ereuses
et des plus rares -
ce qui semble paradoxalement souligner
l'évidence,
la vraisemblance de ce décor africain.
Caute n'hésite pas non plus, pour agrémenter son
texte, à recourir à d'autres ingrédients tels que les mythes
et archétypes populaires de l'Europe sur l'Afrique. L'écri-
vain, affirme Caute,doit-être libre de s'exprimer comme i l
l'entend,
i l se ferait violence s ' i l s'auto-censurait.

- 166
-
B- DE LA LIBERTE D'EXPRESSION
On ne saurait trop souligner l'importance
de cette branche de la littérature comparée
qu'on appelle l'imagologie et qui étudie
à travers les documents écrits la repré-
sentation que les peuples se font les uns
des autres. Plus les travaux se multiplient
dans ce domaine, plus on est convaincu que
les relations internationales ont été conâi-
tionnées en grande partie jusqu'à nos jours
par des images stéréotypées qui se trans-
mettent de génération en génération et qui
ont donné naissance la plupart du temps à
de véritables mythes. 1
1. Mic..ha.u.d Guy, Pltê6ac.e de Fanough-S-ie6elt, Le Mythe. du Nèglte et de
l'A6~que No~e, p9

- 167 -
Plusieurs études sérieuses et particuliêrement révé-
latrice ont été faites sur l'imagologie. On pourrait facile-
ment croire que ces travaux relatifs pour la plupart aux
romans coloniaux et post-coloniaux soient aujourd'hui dépour-
vus de sens. On a en effet souvent tendance à croire que la
littérature "sérieuse" du vingtiême siêcle est exempte de
ces maladresses qui ont éte,
les siêcles précédents, l'apanage
d'ouvrages scientifiques, anthropologiques, ethnographiques,
scolaires et a fortiori d'oeuvres de fiction. 2
2. A pJtopoJ" de/.> ouvJt({gu. J"cotaiJte6 de géogJtaplUe, l.LtiliJ.>éJ" de 110J" JOUlt6
el1 GJtal1de-l3Jtetagl1e, et Jte{ctû.66 aux pa.yJ" du TteM-Mol1de et aux 1lK110-
!td.é.6 MCÙt.tU. el1 GJtal1de-BJtetagne, Dave H-<-ckJ" a 6tUt Ul1e étude pM-
U c..u.U èJtemeltt Jtév é.ta..tJu:.ce J" UIt .t' et/ma cent/U.-6 me et même .te Jta.cÙ>me
que .t'011 peI.Lt déce.teJt daM cel.> tivJtel.>. SOI1 al1a.tYJ"e d'un échaYLt-<.t-
tOl1l1age UnpoJtta.nt del.> tivJtel.> te;" pM ~ éJ" tu-<. pe,~met de cOI1c.tt.L'te
1.t cal1 be J"a.-<.d tha...t .they. cOHvey the 60Uow-i.l1g meJ,,-
J"agel.> about l3Jt-i.ta.-i.11 and the "Tlt-tJtd woJr.-td" :
1. The ma.-<.11 pJtobtem -i..6 .the Th-<.Jtd WoJr.-td.
2. Th-<.JtdWoJtld poveJt.ty -i..6 due ta a comb-i.IULû.OI1 06
c.hal1ce anc! -<-nbll.,J-t abJ.>taetel.> •
3. FoUow th~ exa.mpfe 06 .the NoUh al1d "take 066"
ta deve.topment w,ift OCCUlt.
4. TheJte Me tao mal1Y IWl1gJty peopte -i.11 .the T~
WoJr.-td
5. PeM altt 6MmeM l1eed educa.til1g al1d eveJtyol1e
l1eed6 hetp 6Jtom tlle NoUh.
6. Cotol1-i.a.tiJ"m -i..6 110tlUl1g ta do wi...th geogJtaphy.
,. W.l1o!td.y gJtoupJ" Me bac.kwa.Jtd al1d l1eed he.tp.
8. Mt.LU-i. - ethl1-i.c /3Jt.L:ta,t11 -i..6 a 6-i.9ment a 6 .the ,{ma-
g-i.l1a.tiol1.
H-i.ckJ" 110te. que t' 011 Jte.tève daM Cel.> O[wJtag {',6 J" co.tClÛteJ", de 110mbJte1.L6 el.>
"-i.mage.J" 06 .the "Th-<.Jtd WoJr.-td" tJta...t Me etJ1l10cenvuc a.nd Jutcüt." U
coMtate au6J,,-<- que ja.mai./., .tel.> vé!td.abtel.> cau6e~ du M[l.~ -dévetoppemeltt
l1e J"ont aboJtdéM, te~ auteUlt~ p,'té ,)é,'taJtt
J" ~ boJtneJt à de ,~.u!1ptel.> COIt!>-
.ta..ta..t.LOl1~. Ve Cel.> -i.ma.ge.~, te!> éco.t'J.eM ne peuvent JtetClf1,{'/t que del.>
JtepJté.6entatiol16 -i.ncoJtJtecte6 du monde, el1 dédu-<.t--<..t.
(H-i.ck.6 Vave, B-i.tH -<-Il GeoqJta.pfty TextbookJ" : ImageJ" 06 tJle TIMd WoJt.td
al1d Mt.LU-i.-E.thl1-i.e l3Jtü/Ùl1, p29)

- 168 -
c'est souvent avec un soupçon de condescendance que l'on
aborde ce thème comme s ' i l s'agissait d'un raisonnement tout
à fait éculé et byzantin.
Il nous a semblé intéressant, pour-
tant, de nous pencher sur cette étude à travers les romans
de Caute.
Certes beaucoup des aberrations que l'on pouvait
lire à 9ropos du monde noir ont disparu ou du moins tendent
à disparaître et ceci notarrunent depuis la fin de la deuxième
guerre mondiale, avec des auteurs qui, entre autres, condam-
nent le système colonial. 3 De nos jours, les gens voyagent
de plus en 91us et i l n'est plus possible aux écrivains
d'écrire n'importe quoi sur des pays même très lointains.
Une certaine réalité de surface s'impose à eux,
les obligeant
à être moins fantaisistes dans leurs récits.
Parmi les cau-
ses de ces changements dans les écrits, on peut certainement
noter également l'influence d'écrivains blancs d'Afrique,
descendants de colons, tels que Alan ?aton et André Brink,
pour ne citer que ceux-ci. Il faut également remarquer
l'émergence des écrivains noirs africains qui se servent de
la langue du colonisateur ~our dénoncer ce dernier et récla-
mer justice, et surtout pour éclairer le lecteur sur ses
véritables états d'âme. Triomphe du colonisé, diront certains,
triomphe de la colonisation, diront d'autres. Toujours est-il
que ces écrits n'ont pu être indifférents aux écrivains blancs
non colonialistes, dont Caute. Et pourtant, même dans les
romans de Caute, i l nous semble reconnaître quelques trait~
caractéristiques de. cette vieille représentation stéréotypée
de l'Afrique et de ses habitants. Il paraît donc intéressant
de relever dans les romans africains de cet auteur, quels
sont les éléments qui, dans son approche du monde noir, se
3. vo-Ut MpJta.., pp .12-13

- 169
-
distinguent de l'image qui en est traditionnellement donnée,
et ceux qui par contre,
sont restés les mêmes.
Caute lui-même n'ignore pas l'importance que peuvent
avoir les diverses représentations systématiquement appli-
quées à certains groupes ne personnes, notamment les Noirs
et les, fernrnas,
dans la littérature, ou du moins,
l'importance
que l'on peut leur accorder. Le problème des stéréotypes
fut en effet le sujet d'une petite guerre verbale qui fut
déclenchée dans The New Statesmen, après la parution d'un
article de Caute sur les problèmes du "racisme" littéraire
et du sexisme dans la littérature pour enfants. Se sont alors
opposés dans une série d'articles sous une rubrique intitu-
lée "Race, sex and class in children's books", d'Un côté,
les partisans d'une forme d'auto-discipline qui contrôle-
rait
le langage de l'écrivain afin que n'affleurent pas
dans ses écrits des stéréotypes à caractère sexiste ou ethno-
centrique, et de l'autre, ceux qui co;nme Caute pensent que
To force a work of literary imagination
t'1roughthe sieve of an "ism" is to do
violence ta the complex interplay between
the overall narrative structure and the
reader. 4
Dans cet article provocateur, que Caute intitule "No more
Fi~emen"5, il dénonce ce qu'il pense être une atteinte à
la liberté d'expression de l'écrivain.
4. Cau.te. Vavid, "No molle. FiIle.me.n", The. nCN S.tateAman, 1980, p19
5. ibid., Caute. 6a.d ici.. llé6éAe.ne.e. à deA pllopoûliofL6 6a.i.teA pM deA .
CëIae.uM don.t Aie. GJuuu-HiU., qu.i. .6uggèlte.n.t aux diIle.c..tWM de. pubü-
c.a..tio YI.~ e..t aux: auteuJrl> de. ü vlleA poM e.n &an.t.6, de. pilé 6éJt C.fl. à d rA
mo.t.6 .6.tJUc..tcmen.t 1lé.~e.llvé.6 aux: homme.,~ c.t aux 6e.mmc--~, ou a de..6 mo.t6
péjoltOliS.6, de..6ma.tt. moil~ lleA.tJtic..ti6.6 e..t dépoMvM de. e.onno.ta..tiofL6
néga..tive..6 :
No : The. 6a.i1l 6e.x:
.Ye.~ : Wome.n
No : Man made.
Ye..6 : M..tiMci..a..t, 6Ylu:hUie., mallJ,J.oac..twz.e.d
No
: Filtc.man, FOlte.?UU1
}I~ ; r,L-!t{':-~-égh-tc!~!' SupVttJ.{...~e,':
No : P-i..oncc.--ul mo\\.~c-d WQ.~.t, t.a~,,:,-J1.C .tJ1.c..{.'L w.Zvc. a.nd cFi,-~.Ld/LLYJ uJ.,Lth them
Yu : Fi-uJ1t:Ç!j"l.. men o_l<td. l-UL'man 1Y:L'u'é.d WI2.-~,t, -tai.;/L,HQ tJ1.c·(.,~ c.h·{j':"c','Le.h. VJc...th .them.

- no -
Si l'on peut partager sa crainte de voir le monde
littéraire emmuré dans une censure qui l'empêcherait de
s'exprimer valablement, on peut par contre s'interroger sur
la valeur de cette liberté, au vu des conséquences qu'elle
peut parfois entraîner.
Dans son propos, ~aute condamne la production par
le Educational publisher's Coun~il, en collaboration avec
The Equal Ooportunities Commission, d'une brochure identi-
fiant le caractère sexiste ou non de certaines expressions
dans la littérature pour enfants et proposant aux enseignants
.
.
et aux éditeurs des directives qui pourraient les aider à
supprimer toute forme de sexisme et de stéréotypes dans les
livrés. Caute assure ne voir aucune raison valable justi-
fiant l'immixtion de tels organismes dans ce qu'il appelle
"The cultural and semantic mine field surrounding fiction
and history".6 Qu'une telle initiative soit prise, insiste
t-il, est "bad news".
On peut s'étonner qu'un auteur aussi libéral que
Caute puisse s'insurger aV8C autant de vigueur contre de
telles idées qui au fond n~ sont que suggestives. Caute dit
en effet :
What we dont need- never need -are voluntary
guidelines disseminated by centralised bo-
dies such as the EPC and the EDC, guideli-
nes which no publishers
(and therefore author)
will risk violating for fea.r of commercial
extinction.?
Cela n'a rien de surprenant pourraient rétorque! certains:
il s'agit effectivement d'un auteur qui se présente comme
un libéral et qui dit libéral, dit favorable à la liberté.
6. ibid •.
7. ib-<.d.

- In -
On est toutefois à même de se demander ce que peut va-
loir cette liberté qui prend parfois valeur de licence,
lorsqu'elle a pour conséquence,
justement à travers ses mo-
des d'expression, d'enfermer c2rtaines catégories de person-
nes dans un carcan dont i l leur est difficile de se débar-
rasser.
Pourtant Caute reconnai~ volontiers par ailleurs
que la langue anglaise est très sexiste :
There is no disputing that our language is
saturated DY assumptions of male superiority
and that children's books have traditionally
affirmed the ascendancy of the male. 8
En outre, dans une étude critique sur l'oeuvre
de Frantz Fanon, Caute, analysant les problèmes d'identifi-
cation de ce Noir des Antilles pendant qu'il vivait en France,
montre qu'il a alors une perception très nette des consé-
quences que peuvent avoir, par exemple, des images stéréo-
typées automatiquement réservées à l'homme noir.
Il nous
explique comment cela peut être difficile à vivre
It was aIl very weIl to go to the movies in
Fort-de-France and to laugh at the wild antics
of Bushmen and Zulus,
to support Tarzan
against the malevolent blacks, but to sit
in a French cinema in the face of the same
rubbish was a petrifying experience.
In
the context of a white audience, the Negro,
whether he liked i t or not, found himself
identified with the Bushmen and Zulus. He
was condernned. 9
.
Caute, nous le constatons nettement, est parfaitement cons-
cient du poids que peuvent avoir certaines images, mais
insiste t-il dans son article du New Statesman, une "véri-
table révolution culturelle"
exige :
8. ib-i-d.
-
9. Caute David, F~~z Fanon, p5

-
172 -
a process of cumulative conversion -
and
the extraordinary transformation undergone
by children's books indicates that thisis
indeed taking place. ID
Pour Caute donc,
les changements de mentalité interviennent
très rapidement et i l en est satisfait. Et pourta~t - si
l'on peut se permettre une petite digression- ses romans
ici étudiés, ne sont pas exempts d'un certain sexisme. On
trouve en effet dans ses livres de nombreuses expressions
à caractère condescendant peur les personnes du sexe fémi-
nin. Lorsque le narrateur, par exemple, dans At Pever Pitch
veut dépeindre l'effervescence, l'excitation du jeune Sulley
de retour dans sa région natale, sa description donne ceci
Now awake, he was ou~ of the Land Rover
among his own people,
feverish with excitement,
sniffing the warn, rain-laden air,
like a
bitchin heat.
(pp pI30, c'est nous qui
soulignons)
De mêmG,
lorsque pris de panique Mychael Glyn tire sur la
foule en colère, le narrateur décrit son affolement de la
sorte
Glyn, the inveterate coward who hates
violence, responds in desperate anger, not
in bravery, but in terrified fury.
The
female at bay. (pp pI89, c'est nous qui
soulignons)
On note également cette scène dans laquelle le colonel
Ramsey et l'officier Hughes discutent de certains aspects
de la colonisation. Hughes est abasourdi par les propos
racistes de Ramsey :
10. Cau..te, "No molle FbtemC'.Yl", ~.,

- 173 -
Hughes was disconcerted,
incredulous, like
a young girl encountering ternptation for--
the first time.
(FP p29, c'est nous qui
soulignons)
Ou encore l'épisode au cours duquel Glyn soliloque sur son
manque d'énergie:
son "impotence".
Il se dit qu'il succom-
bera certainement aux avances du rép'lgnant Ramsey :
Yes, you will.
It's in your nature. The
line of least resistance, the easy way out.
Remernbe~ lying in the grass near Windermere,
the desire to have ~rasped at manhood, to
have watched i t linger, a stunted growth,
to have felt i t decay gradually,
then to
have lapsed into womanhood and complete-
impotence.
Remernber ?
(FP pI3I, c'est nous qui soulignons)
Ce sont là autant d'exemples qui dénotent un dédai.n profond
du narrateur pour ce qu'il considère être des défauts pro-
pres au sexe dit faible. A chaque fois qu'il s'agit de dé-
crire des personnage8 masculins dans ce qu'ils ont de plus
négatif et de plus faible,
Caute a le réflexe de les comparer
à des femmes.
Comme si le fait d'être excité était ~ne mani-
festation particulièrement féminine, et qu'il serait impen-
sable d'imaginer un jeune garçon désemparé face à sa première
tentation. Comme si, comble du sexisme, la lâcheté et l'im-
potence étaient l'apanage d'une sous-humanité qui comprenèrait
les feITmes et les hommes veules et sans volonté. En résumé
l'homme 5erait force et détermination et la femme faiblesse
et impotence.
Les mêmes allusions sont aussi présentes à travers
les commentaires d'un personnage
féminin,
Hilda Carstairs
alors qu'elle pense au jeune Savile :

-
174 -
God,
l
hate him, but no, only for a second
or less even, he looks so sulkv and stuoid,
like a girl.
(FP p86, c'est nous qui sou-
lignons)
Dans The Decline of the West également, on retrouve
les mêmes connotations péjoratives. Dans le passage qui suit,
Jason qui n'avait cessé d'essayer de convaincre James de se
débarrasser du dangereux Laval, est surpris et décontenancé
lorsque James accep~e enfin :
"You're right.
The thing has got to stop.
We must act quickly.
Like a woman who had orovoked her husband
to leave her once too often, Jason felt
panicky ; the inflatable currency of words
was now threatening ta convert itself into
the harder metal of action.
(DW p56I, c'est nous qui soulignons)
Dans ce roman,
les personnages eux aussi utilisent assez
fréquemment ce g~nre d'expression plein de sous-entendus.
On note sur une même page le triple emploi du mot "effeminate 'l
suivi et précédé d'autres qualificatifs négatifs.
Ici, James,
qui se sent mal dans sa peau depuis la mort de son frère,
soupire :
"Quite often l
can distinguish no reaction
in myself except anger. 50 weak, so futile,
so efferninate.
(DI'l p233, c'est nous qui
soulignons)
Soarnes Tuf ton à qui i l s'adresse lui répond:
"In certain circumstances you would no
doubt risk your life for the sake of sorne
other living creature. But not for an idea
( . .. ) It's wet, effeminate, false.
( . . . )

-
I75
-
You suspect, poor devil, that Alec's final
renunciation of his own life was not the
folly,
the effeminate cowardice that i t
appears to have been.
(DW p233, c'est nous
qui soulignons)
The K-Factor est l'occasion pour Caute de discuter
du problème des stéréotypes féminins,
du sexisme dont se
plaignent les féministes.
Il se complait à minimiser ce
qu'il croit être le caractère dérisoire de leurs récrimina-
tions. Les propos de Patricia - que l'on soupçonne être les
vues personnelles de l'auteur
en témoignent.
Dans cet épi-
sode, Patricia,
l'amie de Sonia Laslet, écrit à son autre
amie Gertie, qui l'a abandonnée. Dans son amertume elle a
le courage .de lui révéler les doutes qu'elle a toujours eus
sans jamais oser le dire, sur le bien fondé de ses revendi-
cations féministes
l
didn't say this before, Gertie, but there
are limits, l mean you can fall off the rim
of the world if you don't calI a haIt. So
what is a goddam "stereotype", l mean the
whole thing turns full circle abou~ once a
month like the curse - we aIl sit ~ross­
legged on the stage and decide that in
breaking free of stereotypical role we're
merely apeing masculine images and fetishes
careers are fine, women running the country
are fine,
but wait, sisters,
let's remain
true to ourselvp.s as women, which means
motherhood and caring and personal insights.
Then a month later we come full circle :
aren'twe in danger of arriving back at
the old patriarchal image of wompn as
emotional, intuitive and fundamentally non-
rational ?
(KF p98)
On constate également, pour en terminer avec cette
légère digression, que Caute n'accorde à ses personnages

- 176 -
féminins que des rôles succincts et secondaires dans les-
quels elles sont le plus souvent représentées comme des êtres
faibles,
objets sexuels bien entendu. Seule exception :
Sonia Laslet, qui est un des personnages centraux de The
K-Factor, mais c'est ~ne déséquilibrée hystérique et perverse.
Il semble important de souligner, alors que Caute
parle de grandes transformations dans la littérature pour
enfants, qu'en Angleterre,
les livres suivants sont encore
très populaires :
- The Coral Island de R.M. Ballantyne
(1858)
- The Story of Little Black Sambo de Helen Bannennan (1899)
-
The Little Black Doll d'Enid Blyton
(1937)
- The Three Golliwogs d'Enid Blyton
(1939)
-
Robinson Crusoe de Daniel Defoe
(1719)
Des ouvrages, entre autres, qui tous dénotent de la supério-
rité morale ou intellectuelle du Blanc sur le Noir, ou souli-
gnent le côté clownesque du Noir. Ces remarques ont leur
importance car comme le souligne Bob Dixon qui œ étu0ié à
fond le problème des stéréotypes dans les livres pour en-
fants
:
Anyone interested in how ideas -
political
ideas in the broadest and most important
sense -
are fostered and grow up in a
society cannot aiford to neglect what
children read. 11
Analysant les classiques de l~ littérature pour en-
fants, Marion Glastonbury constate :

- I77 -
Apparently young blacks nowadays fail to
see the joke. Well, i t was never intended
to amuse them. 12
Elle conclut gravement :
It has been estimated that our children
will read on average not more thall 200
books each before they grow.up.
In doing
50,
may they be spared any reinforcement
of the delusions, arrogance and hatred
th~t now threaten to cost us the e~rth.13
12. Gk'.CL~tonbuJt.y ,\\faJUon "Po..-vuMc.heLk'. o..-ttU:udeA
The New Sta.-teAman, 198ù
Une .tettJte. paJiue daM The Ti.me~ du 1 mai 1972 vient êtayelt c.e p.'topo~.
L' ex:pêcf.<..t,uc.e. de .ta .tettJte, une "Bfac.fi. 8JLUon", dé.c.Jtit <l e~ .~ e.YLÛmenU
v~ à v~ d'un üvlte c.omme LUUe B.tac.fi. Samba :
SiIt, the ewtenc.e. 06 Lilile B.tac.fi. Samba 601t 73
tjeaM .tead<l one ta tMnk. Dlat .a. ri1-tght weil have.
c.ontM.buted (eLk'.ong ~,u.th othe't .tIU.llg~) ta the plte-
jucüc.e tha.-t many white BJUtùh have agaùl~t non-
wlu.te~ ( ... ) .the datj.~ have gone wlte.n the &U:û~h
c.oui.d .ta.tfi. 06 SambM, glteM e!!.~, wog.~, f1iggeJu.>, alld
c.hunf1.<l, and not 6/nd one 06
.tIl~~ beh~nd h~m, lte6uoing
.:ta ac.c.e.pt ~~ deA uUplion and demaniÜng to be t/te.'Lted
with iÜgr~ty. We noW have to tafi.e note .tJla.-t we üve.
in a mu.-tti-ItauC1..-k'. MuetY, and need to c.oMideJl
not whethe't the whde c.WdJlen Mnd L. B.S . .tovab.te ( ••. l
but whetlte't the. b.tacJz c.Wd and teache't 6ee..t the
~ame way. A6 a btac.fi. &u.ton, boltn and educ.a.-ted ih
th~ c.owltJty, l dUeA.ted L.B.S. cU muc.h <16 l iÜd
the O-tile't tex..tboof1.<l wiUc.h plteA eYLted non-wM.te peop.te
M
Uving and having ne c.u.Uu.Jte.. l d~d not 1te1a.-te
to ~, but the wM.te c.hildvn in illY c..e.M.~. idenûùied
me with ~. ( ... )
Hûen BanneJtman WM a typic.aY.. pltoduc.t 06 the. age in
w~c.h ~he Uved : -tilen -ti!e b.tac.ll~ we./te :t:te.a.-te.d will
a.-t the mo·~t c.oYLtempt and at .tI!e fe.Mt )JateJtna.t.0~m.( ..• )
l wou.k'.d Ilot MggeA t -tiw..t we bu.Jtn .the boofi.~, but lta.-theJt
put them in a pvunaneYLt c.x.~bd{oll C1..-k'.ong WW! Mme
Où the jofi.eA 06 "The ComeiÜan~", the. ex.~biûon c.ou..td
be litk'.ed "Ec.hoe~ 0 6 B!!.Ltann~a' ~ Ru.te." - ~ub.tUi.ed -
" In 6oJtmC1..-Ûo n tha.-t made th e &'tW~ h -tiÛM they We'te
gJtea.-t".
13. G.e.a~tonbu.Jty,· OP cd.,'

_. 178 -
Essayons de voir à travers les romans de Caute où
en est ce processus de transformation de l'image de l'Afrique.
Nous tenterons de souligner dans quelle mesure il nous sem-
ble que cet auteur du 20ème siècle donne l'impression d'être
lui aussi, parfois prisonnier d'une certaine vision de
i'Afrique, vision à la fois ancienne et actuelle.
Un passage
de l'article de Caute "No more Firemen",
est oarticulièrement
important dans le cadre de cette seconde lecture que nous allons
faire de ses romans.
Il'dit en effet ceci:
Good books, particularly works of the
imagination owe a greater debt to social
reality, past or present, th an to an
idealised,
sanitised vision fostered by
crusading reformers. 14
(c'est nous qui
soulignons)
Quelle realité sociale l'auteur présente-t-il dans ses ro-
mans, et notamment quelle représe~tation donne t-il de
l'Afrique et de ses habitants? Nous allons ce~trer notre
intérêt sur le personnage noir, sa représentation morale
et physique,
ses moeurs et coutumes,
sur l'Afrique et sur
la vision globale qui semble se dégager de cette textuali-
sation.
14. Caute, "No malte F.i.Jtemen", op ut.

- 179
-
c- L'IMAGE HERITEE
Any reader who begins to be on the look-out
for implicit or explicit attitudes towards
race and colour in English fiction will be
struck by how much llDIloticed or forgotten
material there is in familiar stories. 1
c'est l'une des surprises que l'on a à la lecture des romans
africains de Caute.
1. Vwnme..t Ann, A pa't.tJtctU ai Engwl1 RacÜm, pZZZ

-
IBO -
1- LE MYTHE DU NEGRE
La caractérisation la plus populaire de l'homme noir
dans l'histoire de la littérature est celle qui consiste à
représenter le Noir comme un grand enfant au grand sourire
niais quand i l est heureux- et il l'est souvent puisque
c'est dans sa nature- boudeur quand i l a de la peine, ayant
de temps en temps quelques enfantines colères et générale-
ment pas très intelligent, à moins qu'il n'ait été "civilisé"2
Caute, qui, nous l'avons dit, s'insurge contre toute
réforme "brutale" dans le monde littéraire, admet néanmoins,
qu'une lourde tradition pèse sur les ho~~es blancs quant ~
façon de se représenter l'homme noir.
Dans son étude sur
Frantz Fanon, i l nous explique en effet d'où émanaient les
problèmes de cet Antillais français qui ne put jamais s'as-
similer aux Français de France, aux Français blancs:
The whi tes stubbornly clung to tlleir
archetypal image of the pidgin-speaking
nigger,
the grinning golliwog, even when
confronte à with a Fanon who spoke their
language perfectly. They sealed the Negro
into his blackness. 3 (c'est nous qui sou-
lignons)
Dans une certaine mesure,
le lecteur attentif des
romans africains de Caute, remarque que lui non plus ne
s'écarte pas toujours de cette vision et qu'il reprend
quelques un des stéréotypes "classiques" pt les utilisent
dans sa caractérisation des Noirs,
illustrant ainsi ce que
Léon-François Hoffman appelle "l'obsession collective" du
subconscient occidental. 4
2. CaU-te., ac.c.oJtde. un ,~-ta..:tLU: pl1JLÛ.c.!LÜc/r. a un cVtXiÙn -type. de. No-i.M
-<-n6.t/uL.U:6 qu'il f.> e.mbte. avo-iA e.n e,~-ti.me. comme. Tuc.homada ou Amah.
3. CaU-te., F!l.an-tz Fanon, pp5-6
4. !-/o66mann Léon-FJI.ançoÙ, Le Nèg!l.e. Romavl.-t<-qul!., plI
De t'llob.~eM-<-on collec.tive", ta ~é.!l.a..tuJte. n'ef.>-t
qu.:
u.Y1ê. c.on?I-,~':.aJi.t~ oa/!.m~ -t_,:H1~ dlo..u.-t'''l.G!' : ette. .t.' ex-
,:J/-vLmc.,
Cy .~.)<,:.,,,.;U.c.. t C)~[l ,c(~ c~E:t2.·"..rr..{J1c.. c.,.t .ta mcd.<. 5..tc,
C-i:
,Y.Ja.~J_c. ma.·L~ er~ rJLL·"I..r~.\\..l' ,~c.u...t:!.meJ'l'-::'.
L:: I:JOu.ti~'LH'_
~ U I1K'dc; ,(f.l· 11.-"l.-t~: t),c(.-:~\\~/~.ouc.6 e,: .t.c~ ,'tC'.2hC·'tC.;'ie.-~ _/

-
181
-
Comme l'expliquent Dorothy Hammond et Alta Jablow
dans The My th of Africa, dans la littérature sur l'Afrique
Africans limited to a few stock figures,
are never completely human,
and Africa
exhibits few changes over time.
It became
and remains the Africa of H.
Rider Haggard
and Joseph Conrad.
In short, the literary
image of Africa is a fantasy of a conti~ent
and of a ~eople that never were and could
never be.
a)
Le puérilisme
La marque du puérilisme universellement appliquée
aux Noirs dans la tradition littéraire se retrouve assez
nettement chez certains des personnages de Caute. Ce bon
nègre rieur, un peu simplet et fidèle par-dessus tout, rem-
plit idéalement le rôle du serviteur.
Dans At Fever Pitch, Sulley Azambugu incarne,
le
parfait stéréotype nùir. Sa premip.re apparition dans le ro-
man en est tout à fait symptomatique. La scène se dGroule
au camp du bataillon auquel le jeune appelé, Michael Glyn,
appartient.
Il est à peu près c~nq heures du matin, et Glyn
n'arrive pas à dormir. Après avoir cherché en vain son jeune
boy Sulley, i l s'allonge sur son l i t en proie à de violents
maux de tête et attend le retour de son domestique.
,;' ~Ue.Yl-Û6-LqLlU, l'évoùLt.i.on cL.t langa.ge. e..t lu pitéo-
c.upa.tA.o ~ Jte..e.-Lg-Le.~ e.,~, e. 1 e.n·~ e.-Lg neme.nt ,~c.olcUJte. e..t
le.~ Jtéa..e.-L.té.~ éc.ononuqLle.~ r.t MC.-i.al2-6 , la pe.,v...w-
.tanc.e. de.
my.tlte.~ e..t ee.~ muHèJte.~ du~ubc.cMue.n.t,
.tOu.te.6 le..~ pJtoduc.t-i.o YI ~ de. .ta c.o n6 ue.nc.e. de. l' homme.
pJte.nne.nt -Lc.-L vafe.~lJt de. .tŒ mo-i.g nag e. •
5. Hmmond VoJto.thy and Jablow A.I:;ta, The. muth 0) A6Jt-i.c.a, p13

- I82
-
Celui-ci arrive enfin, au grand soulagement de Glyn, dont on
soupçonne déjà les instincts homosexuels. Sulley avance alors
vers son maître en le regardant avec une adoration manifeste
et une innocence enfanti~e :
He looked through the net at his rnaster,
gently with a lovin~ curiosity, the ability
to see things each time with a fresh wonder,
a new enchantement.
(PP ppI4-IS)
Sulley est ainsi présenté dès les premières pages COMue un
enfant au regard émerveillé et candide. Il est très attentif
au bien être de son maître qu'il adore. Le mot fort qu'est
"loving"
témoigne bien de ce sentiment. Un rien suffit à le
combler de bonheur.
Un chapeau, par exemple, que Glyn lui
donne un jour, en signe de reconnaissance pour un serpent
qu'il avait tué.
Ce chapeau devient alors ohis pride and
joy".
(PP pI7)
Il est d'une simplicité et d'une naïveté amusantes.
Quand i l est endimanché, à l'effet comique de son accoutre-
ment, s'ajoute la drôlerie de ses gestes.
Dans le p~ssage
qui suit, Sulley est en train de s'apprêter pour aller faire
la fête en ville.
Il prend un soin minutieux à faire sa
toilette :
He washed hirnself all over which scrupulous
care, had his wcekly shave
(his master mocked
him about this) , pu~ on his best sandals, his
flowered shirt, his long trousers, and the
brown trilby hat which his master had given
him after he had killed the cobra under the
bed and which was now his pride and joy.
Delving low into the recesses of his soldier's
box, he produced the treasured mirror which
he had purchased from an Indian dealer.

- 183 -
Sulley combed his thin, wiry hair,
but could
make little impression on it. Satisfied at
length with his reflection in the mirror,
he found i t hard to repress a grin of delight
and nearly dropped the mirror in the process.
(FP pI7)
Ce chapeau fait toute sa joie, aussi quelle n'est pas sa
peine lorsqu'au cours d'une bagarre dans un bar i l perd sa
fameuse coiffure:
His head was bare. He had lost his hat, his
master's hat.
His pride and joy.
(FP p20)
De la description de Ferdinand Ybele dans The Decline
of the West,
se dégàge la même impression de puérilisme
et
de pitrerie.
Ybele, Africain que les financiers occidentaux
du Coppernica ont décidé de porter au pouvoir,
est ainsi
présenté :
Although weIl into his fifties,
his gurgling,
infectious laugh gave an initial impression
of boyish frivolity and ultimate detachment.
(DW p53)
Quand i l est mis à la tête du gouvernement après un coup
d'état organisé, et qu'au cours d'une discussion avec l'Anglais
Soames,
i l se rend compte que ce dernier n'est pas disposé
à s'acquitter de certains engagements, c'est un Ybele bou-
deur qui est dépeint
His lower lip jutt~d like that of a petulant
child.
(DW p256)
Comble de l'enfantillage, quand i l apprend que les membres
de l'ancien gouvernement, alors prisonniers,
se sont échappés
et pourraient chercher à l'assassiner,
i l pleure à chaudes
larmes :

- 184 -
he sank back into his chair and raised his
arms in a pathetic gesture of defeat.
"It's all over," he whispered.
"1 am finished".
Tears poured down his cheeks in a torrent of
self-pity.
(DI\\7 p342)
Michael Glyn, pour reprendre le fil de l'histoire
de At Fever Pitch,
fait des avances répétées à son boy,
Sulley, qui,
tout d'abord horrifié et apeuré,
finit par se
laisser subjuguer par son maître. Non seulement il se laisse
séduire, mais c'est lui qui plus tard prend les devants vis
à vis d'un Glyn dégouté, qui se dit alors:
.
.
l
can't have an African in my bed (FP p70)
b)
La Fidélité et la Servilité
Commence alors l'agonie de Sulley, qui se donne corps
et âme à son maître, le dévouement et la fidélité étant les
qualités sine qua non de l'image du bon domestique noir. On
se souvient avec quel soin i l s'occupe de Glyn:
Sulley Azambugu placed the tea-flask on the
table so that his master might claim it
when he awoke. Then he laid out the clean
white shirt and shorts which he had starched
and pressed with loving car~.
(FP pIS, c'est nous qui soulignons)
Le fait qUoi! Sulley soit présenté comme un domes·tique cons-
ciencieux n'est p~s négatif en soi, puisqu'après tout c'est
son métier, mais par-delà sa minutie, se dégage une impres-
sion de naïve adoration soulignée par l'expression "with
loving care".

- 185
-
Sulley,
initié à l'homosexualité par Glyn, y prend
goût au point de ne plus vouloir sa femme Nana. Quand Glyn
lui demande ce qui ne va pas entre sa femme et lui, Sulley
répond :
"1 think,
sah,
that the other thing be
better."
His soft chin sunk on to his chest,
laden with embarrassment
( . . . )
"\\.,Jhat do you m~an, "the other thing"? TNell
answer me. Look at me,
darnn your insolence.
l
won't eat you!"
"Bed palaver thing,
sah."
(FP pp 70-71)
Incapable de comprendre le dégoût soudain de Glyn, Sulley
s'évertue, en serviteur fidèle qu'il est, à gagner les fa-
veurs de son maître dont i l accepte tous les caprices :
"Corne and take my boots off." The African
squatted before him on his haunches and
Glyn held out his legs, stiff to take the
strain.
Sulley remained squatting.
(FP p69)
Même lorsqu'il est rabroué et chassé comme un chien par Glyn,
i l fait le beau et attend inlassablement. La première fois
que ses avances sont refusées :
Sulley Azarnbugu lay outside on the veranda
all night. (FP piS, c'est nous qui soulignons)
A la deuxième occ~sion :
The dark figure was sitting on the veranda.
"What, you again ?" said Glyn roughly. The
boy carne towards him smiling.
"1 think l wait for you sah,
"he murmured
happily.

- 186 -
"Why?"
Sulley gave a grin, half lechery, half hope.
"Be bed palaver, sah".
Glyn was almost sick again.
"1 told you last night. Get out of my aight!"
(FP pp97-98, c'est nous qui soulignons)
Tout l'univers de Sulley se trouve ainsi perturbé,
bouleversé par l'intrusion de Glyn dans sa vie sentimentcile.
Rejeté et bafoué par ce dernier, il n'en reste pas moins
fidèle jusqu'à sa mcrt 9rématurée
Never had Sulley known such troubled days
as these, now that he had come to love his
master.
In these days he was overwhelmed
bya great adoration and he had no time
for women.
(FP p99)
Ic' est nous qui sou-
lignons)
Un autre exemple de servilité et de docilité, se
retrouve dans le personnage de Isaac, domestique de Sonia
Laslet dans The K-Factor, et qui apparaît de façon très
succin~edans le roman. Effacé, timide, le regard fuyant,
i l est toujours prêt à témoigner de sa fidélité à Sonia.
Quand celle-ci, dans un moment da faiblesse,
dQ sans doute
à sa peur croissante de la guérilla,
lui demande de ne pas
l'abandonner, c'est d'un "Yes missus" qu'il s'empresse de
répondre en avançant vers elle :
Isaac had come back a bit and stood breathing,
as if on his hing legs, black and walnut-
wrinkled in his sta~ched white apron. But
now Sonia ignored him.
(KF p27)
Quand Sonia le presse de lui révéler ce qu'il sait sur les
activités deslVakhomana" durant la nuit, et insinue qu'il
met sa vie à elle en danger en ne révélant rien, i l se jette
à ses pieds en l'implorant:

- 187 -
Suddenly Isaac dropped to his knees.
"Nkosikazi" he whispered. It was a long
time since Joseph had heard that word used:
i t meant "honoured lady".
(K.F p27)
c)
L'intelligence obtuse
Glyn, dans At Fever Picht, pl~in de remords après
la mort de Sulley, dont i l se considère responsable, se re-
mémore avec attendrizsement ce jour où i l essaya à l'~ide
d'une orange, d'expliquer à Sulley que la terre est ronde.
Phénomène que, bien entendu, Sulley ne pouvait comprendre.
Il est d'ailleurs très difficile à ce dernier de se concen-
trer sur les explications de son maître.
En effet, en petit
gourmand qu'il est, i l n'a d'yeux que pour l'orange qui lui
met l'eau â la bouche:
Remember the day trying to explain to him
the world is round, using an orange.
Could'nt
understand when l
said that if you walk
forever in a straight line you come back
where you started. Demonstrated on the
orange. He scratched his head, pondered with
his wide eyes. Then he floored me.
"If you
walk in straight line,
sah, then you come
for bush and lion come chop you one time
and then you no go come back at aIl". He
wanted to eat the orange.
(PP pI78)
Il lui est particulièrement ~ifficile et pénible de réflé-
chir de façon abstraite, aussi quand on le questionne :
Sulley's thick lips fell slightly apart,·
a sure sign that his mind was unduly
exercised.
(PP p62)

- 188 -
Alors qu'il est complètement obnubilé par son "amour"
pour
Glyn et qu'en conséquence ses relations sexuelles et senti-
mentales avec sa femme sont désastreuses,
i l ne s'ex~lique
pas ce phénomène
He vaguely realized that this was not as
i t should be,
although he had no conception
why.
(FP p74)
Sulley n'est pas le seul personnage noir de ce roman
à avoir des difficultés à
faire fonctionner son cerveau. En
effet, la présentation que l'auteur ~ait des soldats noirs
de At Fever Pitch est tout à fait éloquente. Caute montre
effectivement, dès les premières pages du livre, des soldats,
soldats d'opérette devrait-on dire, lors d'une séance d'en-
traînement.
Ils sont alors sous les ordres d'un Mychael
Glyn au bord de la crise de nerfs,
s'évertuant à diriger
une bande de véritables abrutis:
"All right, cut out the talking
Chokosa
did you hear what l
said ?"
"Yessah."
"What did l
say?"
"I nos a vvy, s ah ."
(...)
"AlI right,
then. Corporal Quansah, will
you tell me what l
have said this morning
about internal security ?"
"You mean I.S. sah ?"
"Yes, Quansah, be the same as internal
securi ty. "
Corporal Quansah, aged forty-three, pucker~d
his low brow, openeA wide his mouth, and
grun ted,
'Aaah·.
"Well what have l
said this morning ? Just
tell me one thing."
Corporal Quansah looked troubled. But he
always looked troubled.
"1 think you say,
sah, er,
this thing, that
if sorne man go make palaver plenty for
politics hurnbug.

- 189 -
"Go on, Quansah."
"Aahh,
l
no savvy,
sah."
Glyn struggled to restrain his temper
( ..• )
"Can anyone remember what l
said five minutes
ago ?"
The black heads were nodding off under tne
fierce sun.
Darwin,
the Origin of Species,
Aristotle and Sepulveda on slavery ... the
women of Bloomsbury in faded mackintoshes . . .
(FP p6,
c'est nous qui soulignons)
On peut penser que le fait d'évoquer Darwin et son très
célèbre livre The Origin of Soecies, concourt d'une certaine
façon à appuyer la thèse qui veut que certains préjugés ac-
quis à travers ce que certains ont appelé
"pseudo-science"
ou encore "racisme scientifique", refassent surface à la noindre
occasion. La tentation est en effet très forte
: devant un
bataillon entièrement composé d'imbéciles, comment ne pas
penser que ces êtres là ne peuvent être que des êtres infé-
rieurs.
Le "Darwinisme social"
semble ici remplir le même
rôle que par le passé
A la fin du X1Xe et au début du XXe siècle,
le "darwinisme social" servi à justifier,
au nom de la lutte pour la vie",
l~ jungle
économique,
l'oppression des plus faibles,
i l permettait de parler de "sélection na-
turelle"
à propos de l'élimination de cer-
tains individus, voire certaines populations
ou ethnies, considérés comme inférieurs ou
inadaptés.
Peut-on sérieusement prétendre que cet état
d'esprit a entièrement disparu de nos jours?6
Cette doctrine évolutionniste est en tout cas très présente
dans les trois romans africains de caute. Ses personnages
blancs en sont très imprégnés, ou du moins ils sont pour
la plupart persuadés qu'il existe une différence fondamentale
6.
Chape.ville., GJta.Mé, Jac.ob, ~Ii.ru.o, P.-i.ve.,teau, de. 1UC.q.tè-6, Roge.Jt,
Thu-i...UJ..e.Jt, Le. Va!U.A.1Ù1h6mQ. aujoU!td' hu.i.., pp]-8

-
190 -
entre certaines catégories d'êtres humains, not~ment entre
les Blancs et les Noirs. Ce sentiment est très bien perçu
à travers
les rapports entre Occidentaux et Africains dans
The Decline of the West, ces derniers ne rencontrant que
mépris et condescendance de la part des Blancs du Coppernica.
On se souvient notamment d'Henri Faure, ingénieur
qui offre un travail de commis aux écritures à Tuckhomada
lorsque ce dernier veut s'arracher au monde paysan. Henri
Faure qui convoite alors Eugenie, la jeune soeur de ~lckhomada,
l'assure que:
the equality of peoples, of races,
"Faure
told Raymond,
"is proven beyond doubt.
Scientifically."
(mil pI6)
Mais Faure n'y croit pas beaucoup et i l le manifeste à la
première occasion : lorsque Eugénie déclare ne pas vouloir
de lui et assure qu'elle tient à rester fidèle à son futur
mari, Faure annonce alors :
An african girl, a simple creature fram
the bush, is in no position to entertain
such high and mighty nonsense.
(DW p2I)
Quant au commandant Laval, il est plus que persuadé de l'in-
fériorité de la race noire. Comme i l l'explique aux hommes
avec qui il torture Camille Odourna :
The African physiognomy,
( ... ) as he
scrupulously explained to the boxer Petit
and the butcher Parmelin, differ~d from
the Asiatic in that its most higly developped
regions were corporal rather than cranial.
(D W p8S)

· -
191
-
Comme le dit Brian V. Street, l'anthropologie a beaucoup
ajouté à la consolidation de l'image du Noir comme un être
inférieur :
"The use of race as a means of classifying
mankind and the notion oi the scale of
value, with European man at the top and
primitive at the bottom are parts of the
old image which lived on, strengthened
further by Post-Darwinian anthropology.7
The K-Factor,
illustre de façon encore plus probante
cette position affectée à l'homme noir. D'ailleurs le titre
de ce roman symbolise ce que les Blancs du Zimbabwe estiment
être ce côté négatif, et pour eux,
caractéristique des Noirs.
A un moment donné du roman,
le narrateur évoque le darwinisme
à travers la pensée de Howard, pour expliquer l'isolement de
Sonia qui se plaint d'être rejeté8 de tous:
Now Howard watched his sister relapse into
the haunting griefs of childhood, overwhelmed
by the ruthles5 Darwinism by which, even
from infancy, we select and reject our fellow
creatures, betraying the weak and the shy
to gain favour with the strong and boisterous,
ostracizing the ugly to buy liquorice fcë
the beautiful, bribing the humble into slavery,
envying girls with bigger houses
( ... )
(K-Factor pI8I)
La doctrine de Darwin a toujours, on le voit,
s~s adeptes.
Pour revenir à l'épisode des soldats dans At Fever
Pitch,
force est de constater l'insistance avec laquelle
l'extrême lourdeur de ces personnages est présentée. B
~1ychael Glyn donc, essaye laborieusement de garder
son calme devant des hommes dénués de la moindre intelligence
7. S.titee-t B!U.an V., The. Savage in LUeJta.tMe., p9
8. Lv.. cJ...ta.:ti.OYL6 MM déübé!l.ément .ton.gue.~ poU/t. bien. mon..tlteJ:. ce.tte.
iYL6~ta.Ylce.

- I92
-
Glyn's voice ca~e again, weary withthe
futility of it all.
"For God's sake listen to what l say.
C... )
Just listen.
Humbug terrible in tovm. Palaver
plenty .. Too much palaver for police. Too
much past all. Police officer he come to me
and he say, be too much ; you go USe platoon
or company. So we put wire fence on road.
You savvy this word "fence"? Now if rnan go
climb over fence l
go tell sorne soldier ta
shoot him.
You savvy?"
Watching the forty-five blank faces, Glyn
experienced a sudden flood uf compassion
and nausea.
God had a wicked sense of humour.
"Well, does anyone not savvy what l say?"
The forty-five blank faces.
"Oh my Gad! Sergeant Kofi, you tell them
what l
say"
C. . . )
"All right ! Thank you, Sergeant Kofi. Now
will anyone tell me what l
say about I.S.?"
The forty-five blank faces. C... )
"Zwinge, you tell me what happen if man go
climb over fence."
"Fence, sah ?"
"Yes,
Zwinge,
the fence."
"We go shoot'em, sah':
"\\fuat, all of them?"
The soldier grinned sheepishly and the others
laughed derisivelv. The chord was snapping
inside Glyn.
CFP pp6-7,c'est nous qui soulignons)
Hors de lui et n'en pouvant plus, Glyn s'éloigne des soldats,
et sa mémoire le transporte à Hyde Park Corner, à Londres,
où il a assisté un jour au discours passionné d'un Noir sur
les méfaits de la colonisation. Des visages tout d'abord
sans expression, eux aussi, sont levés vers lui. Ce sont
cette fois-ci des visages de Blancs. Au fur et à mesure
que l'orateur parle, accusant son auditoire de crimes en-
~ers l'Afrique, ces visages deviennent alors expressifs
un sentiment de culpabilité mêlé de honte se reflète en eux .'

- 193
-
The faces hY9notized with guilt, shimmering
in the heat,
fading,
change shape and colour.
(FP p8)
Il s'agit alors d'une atmosphère bien différente de celle à
laquelle Glyn est maintenant confontrê, devant ces quarante-
cinq visages noirs inexpressifs :
And now the forty-five blank faces.
(FP p8)
Ce passage, pénible à" lire, continue ainsi s~r quelques pages
encore. Le pauvre Glyn est au bord de la dépression:
"All right, now 'Ne'll see if we can do
this
( ... ) Number three on the right. Move!
No the right is this side, here, no this
side, Quansah, Christ alive! The other side
be left side."
( ... )
Finalement,
le Commandant Jim Boland vient à la rescousse :
"Michael, is this an arrny or a circus ?" ( •.. )
Glyn said "A cireus, sir."
"Well,
r ' l l say i t is
( . . . ) you lack the
right approach to these men. You're too
distant
( . . . ) Remember there are no Einsteins
here."
(FP p9,cc'est nous q'..li soulignons)
Cette dernière phrase du Commandant Boland résume sans amba-
ges ee qu'au fond,
Glyn pensait tout bas. Mais i l s'y prend
mal, lui explique Boland.
rl doit agir en fonction des gens
qu'il a devant lui, en l'occurence des Africains. Mais, le
Commandant Boland, lui-même, ne sait pas à quel point ces
hommes sont inintelligents, et lui aussi, se heurte à ce
mur épais :

- 194
-
"Right, Serge an Kofi, get these men seated
one time
( . . . ) all you men know that sorne men
no like Kofi Bandaya and sorne men go like
him fine fine.
Be so ?"
The circus "Be so, sah."
(. .. )
"Right. Corporal Quansah, which section are
you ?"
"Sah ?"
"1 said which is your section ?"
"This section sah."
"1 know that, Corporal Quansah. Which number
is i t ?
(Boland's tone carefully modulated.
Got to get their confidence)
"1 think i t be two section, sah."
"What's the use of thinking ? You must know."
RYes sah."
"Right. How many men have you ?"
"1 dont know,
sah."
"God, well count them, man. Show sorne
initiative. They are all sitting behind you."
"Aaaah . . .
be one . . . two . . . er . . . l
think be
five,
sah"
"1 make i t nine,
Corporal Quansah."
"Yessah, be nine, sah."
"Oh, all right Corporal Walla. You're a
bright man. How many men have you on the
Bren ?"
"On the Bren, sah ?"
RYes, on the Bren."
"Be one Bren, sah."
"1 said how many MEN ?"
"Nine men, sah."
"No that's your whole section. How many
men have you on the Bren section of your
section ?"
"1 p.o savvy this thing, sah."
"Why not ? Surely l made i t plain ?"
"Yessah."
"Blazes!"
(FP p9j
(c'est nous qui soulignons)
Le commandant Boland finit par s'en aller,
en jurant et hors
de lui. On pourrait
penser que l'attitude des soldats Noirs
est une réaction de défense, une manière de refuser des ordr~s

-. T9 5
-
qu'i~ne veulent pas exécuter, mais rien dans le texte ne
conduit à cette interprétation.
Seule la lourdeur de leur
esprit est mise en exergue. Les personnages Noirs illettrés
de At Fever Pitch sont donc pour la plupart des êtres, au
pire,
lourds et bornés, au mieux, candides et niais. Aussi,
lorsque l'un deux échappe à cette règle,
le narrateur ne
manque pas de le souligner
He
(Glyn)
was greeted shyly by his new
servant, RandU,
a sympatheti.c young man of
unusual intelligence.
(pp pI70, c'est nous
qui soulignons)
Aucun autre renseignement n'est donné quant à cette inhabi-
tuelle intelligence, seul son côté insolite est signalé.
d)
"The pidgin-speaking nigger"9
Allant de pair avec la lourdeur d'esprit que l'on
confère généralement au personnage stéréotypé noir, et élé-
mp.nt essentiel de ce portrait, le parler rudimentaire qui
lui est également automatiquement attribué, ne fait qu'ajou-
ter à son image de grand enfant comique. On peut penser,
comme le souligne L.F. Hoffmann, que :
Les écrivains qui font p~rler aux Noirs
une langue simplifiée et incorrecte contri-
buent -
consciero~ent ou non - à les pré-
senter comme des inférieurs. Une syntaxe
ou un accent défectueux n'est trouvé comi-
que que par quelqu'un qui pratique le bon
usage, et qui peut ainsi les juger du haut de
sa supériorité. Il est d'ailleurs généra-
lement convenu qu'une mauvaise façon de
s'exprimer reflète une insuffisance intel-
lectuelle . Faire parler aux Noirs une
langue rudimentaire, c'est les traiter en
9. NOM ~On6 -i.e.<. l' eJ(plte~.~-i.oYT de C~te dan6 Flwntz Fanon, aio!"v&
qu';..t· cJU...üque la 6açon qu'ont le6 B.tal1c.~ de -6 e lteplté~ el'LteJt le..~ No-iM.
vo-i../t -6 uplta., p
Oc. mê'ft1c. j)O(Ui.. Le_ -tA~t/'t(' du c.!-Lap"<',tJz.c. C!.! HTh.c GL{.!1~V~n.9 gc.tli(lJog"

-
I96
-
grands enfants, c'est rendre leurs aspira-
tions dérisoires, c'est préparer le pater-
nalisme colonialiste et son tirailleur
sénégalais bafouillant y"a bon Banania!lO
L'effet désopilant du "petit nègre" dans la litté-
rature est infaillible, d'où son utilisation fréquente.
Caute ne manque pas d'en faire usage bien que cela relève
d'un ~rchétype qu'il condamne, en théorie.
Dès les prerL\\ières pages de At Fever Pitch, on aurait
pu penser que Caute éviterait de prêter ce langage à ses
personnages noirs puisque le livre s'ouvre sur une mise en
évidence du caractère condescendant d'un tel usage.
Dans
cet épisode, le jeun~ soldat anglais Savile, répond en
"petit nègre" au prêtre noir qui s'adresse pourtant correc-
tement à lui. Le prêtre s'indigne de ce réflexe méprisant:
"1 suppose you want dash."
"Aha" , snorted the minister, his ebony
face breaking into a rash of angry lines.
"1 bring the word of God ta you, and what
do you do?
( ... ) And because 1 am a~
African you speak of dash as if 1 did not
underst.and English. Am I
a bushman .?"
(FP pl)
Le fait que Caute fasse adopter cette attitude moqueuse par
l'un de ses personnages les plus hautains et les plus imbus
d'eux-mêmes, ne fait que souligner la condamnation qu'il sem-
ble en faire en la mettant à nu.
Po~rtant, à peine quelques
pages plus loin, c'est ainsi quP. Cau;"e fait parler tout
d'abord un employé de bureau africain s'adressant à Savile
"1 think you be in trouble, sah."
10. Ho66ina~m, op cU., plOT

- 197
-
puis les soldats noirs que Michael Glyn est chargé de diri-
ger. On se souvient de l'extrême inintelligence de ces hom-
mes, doublée d'une incapacité à s'exprimer correctement.
Aux questions simples qui leur sont posées, ils lancent des
"I no savvy, sah" , ou des "I no savvy this thing, sah". Leur
crétinisme est tel que Glyn est obligé, malgré lui, d'uti-
liser ce charabia pour tenter d~ se faire comprendre
"( ... ) You savvy this word "fence"? Now if
man go cliœbover fence l
go tell sorne
soldier to shoot him. You savvy?"
( ... ) Glyn recalled. a War Office pamphlet
which forbade the use of both pidgin and
the vernacular.
(FP p7)
Alors qu'il essaie de séduire son domestique, Glyn, pour
se rapprocher de lui, lui parle avec ce que le narrateur
appelle "African's words"
"Sulley,
l
have not been able to sleep at
all.
Your massah have bad head past all. "
The Africon's words drifted laboriously
from his heavy mouth.
(FP pI5)
et Sulley de répondre dans le "petit nègre"
rituel
"1 think be bad for you sah. You go sleep
now plenty. Be Sunday. No palaver for you.
You go catch good sleep."
(FP pI5)
Dans The Decline of the West,
le personnage noir
illéttré ne s'exprime pas. On n'y retrouve donc pas le sa-
bir qui lui est réservé.
Mais, i l refait surface dans The K-Factor, tout
d'abord dans une discussion entre Sonia Laslet et son

- 198 -
domestique Isaac. Sonia, pour se faire comprendre, utilise
le langage qu'elle estime à la portée d'Isaac:
"c'mon, old Isaac,
spill i t out - big palaver
with the wakhümana last night,
eh? How many
sacks mealies you give'em, eh? They want
come straight in kill me but you say no,
missus plenty kind, missus rescued your
family from one of the Goverment's hated
protected villages, no kill her."
(FP p27)
ce à quoi Isaac répond par un "No, missus" approprié. Un
peu plus loin dans le roman,
c'est Jethro,
le frère d'Isaac,
qui parle "petit nègre" avec Hector :
"Police come take Isaac ta police place."
Caute, on le voit,
fait librement usage de ce parler.
Après tout, cela suit une certaine logique, puisque l'auteur
fai t
souvent apparaître les personnages qui s'expriment ainsi
comme àe grands enfants, il serait inconséquent qu'il leur
donne un langage d'adulte. Quant aux personnages blancs qui
l'utilisent, étant donné qu'ils sont persuadés qu'~ls
s'adressent à des êtres inférieurs en parlant aux Noirs,
on comprend qu'ils se sentent ainsi obligés de se mettre
à leur niveau.
A bien réfléchir, l'utilisation, dans un roman de
l
.
d'
.
11
,
.
bl
ce
angage r'l ~menta~re , n est pas crit~qua
e en soi.
Aprés tout, quelqu'un qui n'a pas ~ppris une langue à
l'école, et qui n'eh possède que quelques mots souvent dé-
formés qu'il utilise tant bien que mal pour essayer de com-
muniquer, ne peut certainement pas s'exprimer comme celui
dont c'est la langue maternelle, ou comme celui qui l'a
11. Qu.oiqu.e dam .ta. .ü.UéJta..tLvr.e, i.e. J.>' a.giM e pfutô.t d'Ut'! pa.Jt.&Jt i.l1a.gi-
YllUJte, J.>.téJtéo.typé et: doYlc. J.>.ta.U.que., w'tivc.Jt6eUemc.l"Lt u..t~~é pOM
/Lc.r)·':Œ,~CJlte.,~ le: tangage cL:. :~Jc,{.."... IL n' c"!..tcr; de c.C'.';-:mU/1 avec. .f.e6
v{''L~,tk''tb..LeL, ,Ja........LC/'V,) /i..u.dJ..n1f:.il/::a,C'Z.c..~
OU/L,
e.v: l'\\a,L",,~, va..,"~:.-,.2.n..t ,;>c..[cn .te...t oa-a-6
(1~ [:')1, r,fitJJ'c'Yl'
r, 1'1 VlCpl"....:'l;.f ''''O,... ,-,/,~ .. ,,·... f'IIIC,,"Uil"'Y.rt"!'II" 11'(1 C.O''lV'''''~- Vla.', -
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~,
Ou
t
11 a
l'Ja.~ \\..'/L.a.·unCJi.,t t,C(:lLt~ Ct ta.:'l.9a.gc qt:..'..LL c'6·ÔCLi..L de r...L~OH6t.-L-u.C.r..,· 1

-
I99
-
apprise sur les bancs de l'école. Le "problème"
vient de
toutes les .connotations péjoratives véhiculées par le "petit
nègre". Les Noirs qui utilisent ce langage, ne sont généra-
lement pas considérés comme des gens s'exprimant dan~ une
langue qui leur est étrangère, et que l'on devrait au con-
traire,
féliciter pour leurs efforts à se faire comprendre
dans une langue qu'ils ont apprise dans la rue. Leur "han-
dicap" est perçu comme une tare ou une preuve de leur in-
fériorité.
Frantz Fanon, qui a essayé de comprendre ce phé-
nomène, dit à ce sujet :
Je rencontre un Allemand ou un Russe parlant
mal le français.
Par gestes,
j'essaie de lui
donner le renseignement qu'il réclame, mais
ce faisant je n'ai garde d'oublier qu'il a
une langue propre,
un P?ys, et qu'il est
peut-être avocat ou ingénieur dans sa cul-
ture. En tout cas,
i l est étranger à mon
groupe, et ses normes doivent être diffé-
rentes.
.
Dans le cas du Noir, rien de pareil. Il n'a
pas de culture, pas de civilisation, pas
ce "long passé d'histoire".l2
/,'. MIt6 doute. pM hOUe<. de. /téa..Wme. e.t pOU!L JOlùte./t a -6011 /tomait Ull 60lld
d'e.x.omlne.. Ma-W t:e. .tal1gage. "'~OI1I1e. 6aux.".
I.e. e.-~t -i.nté/te.Maltt de. 110te.!L .te!. /teJ11aJLque. a peu. p/tu -6~.ta,{.Jte.
que. 6a,{..t W1 j OU!tI'ta..W te. bJt,{.tamu.q ue. a pJto po-6 du tMgag e. qu e. COJJ.te.
/J-'lUe. a .t' Et:OMtU-~ Ma.tt:om Ve.e.de.-O dalt-6 Tite. De.d:ZI1e. 06 the. We.6t :
A 6.tMhbad<. abou.-t Vee.de.-6 j -6 boyiwod<..6 .~poill,
howe.ve.Jt, be.t:atL-6e. M/t Caute. ha~ 110 e.aA éo/t St:o~h
cü.a.te.t:t. The. ·6 pe.e.t:h 06 1U..6 "rce.We.6" .ù., éaù e..
No St:o.t.~woma't wou..td cve..'l t:a..ti'. he.M e1.6 a "wzdde./t"
and Ve.e.dM wou.td l1e.ve./t -6ay "/ie' -6 got 60mat 011 1je.Jt,
dMIUe.". 1.t'-6 a /J.i..:tlj
he. dzdn' t g~t -6ome.OI1e. to vu
h.ù., EI1gtL6h ~de.a oé St:o.t-6 beéo/te. pubf.,{.t:at-tol1.
(U'lquhMt he.d, Q.x~o/td MaZ.t, 1966)

-
200
-
On oublie en effet,
trop souvent, que le Noir a sa
propre langue, ou bien,
si l'on en a conscience, on estime
que cette langue n'en est pas vraiment une. C'est aussi ce
qu'explique Louis-Jean Calvet
Le premi~r anthropophage est venu d'Europe,
il a dévoré le colonisé. Et, au plan par-
ticulier qui nQUS concerne, i l a dévoré ses
langues, glottaphage donc.
D'ailleurs, ces
langues n'existaient pas, n'est-ce pas.
Tout juste des dialectes, voire des patois. 13
Il s'agit là d'un reproche que l'on peut certainement
faire à Caute qui ne semble pas avoir une très grande opi-
nion des langues africaines. On le constate à travers maints
exemples dans ses trois romans.
Dans At Pever Pitch, par exemple, Caute appelle le
plus souvent,
les langues africaines par le terme "lingo".
Dans le passage qui suit, Sulley est en train de penser à
sa régioil natale
A land of small clustered villages where
the y spoke the lingo of the North.
(PP pI6)
Quand son épouse vient le rejoindre dans le sud, elle en-
tend.des "lingoes" qu'elle ne comprend pas:
As she journeyeà south men began to speak
fast in strange lingoes which she could
not understand.
(pp p73)
Par contre, lorsque le narrateur décrit une scène dans
laquelle on voit un militaire blanc qui arrive dans le
village de Sulley afin de recruter des volontaires, la
langue dans laquelle i l parle, et que les villageois ne
13, Ca.eveA: Lo!.L-W-Je.aYl, UYlgu.Ü:ti.que. eA: c.oicrua..i'..Üme., p12

- 20I -
comprennent pas, n'est pas alors, qualifiée de "lingo"
:
A white man come to the village in a green
car, wearing a soldier's uniform. The whole
village flocked to hear him speak in a
strange tongue.
(FP pI?)
Preuve encore plus probante des idées préconçues
de l'auteur,
lorsqu'il traduit ce que ses personnages noirs
se disent entre eux dans leur propre langue, i l lui arrive
de traduire ces dialogues en "petit nègre".
Ici, Sulley
s'adresse à son ami Ali:
He turned to his friend Ali and said in
Wulu :
"I go for town. "
"I come".
(FP pI?)
De même lorsque Sulley s'adresse à son amie Sinaya
"I must go now," he '.',hispered."Be six 0'
clock time"
(FP p23)
ou encore lorsque le narrateur révèle les pensées de Sulley
Soon his Nana come from the North. Then no
more palaver with massah.
(FP p24)
On trouve dans les romans de Caute, plusieurs expressions
qui viennent confirmer l'ethnocentrisme de l'auteur et même
son mépris pour le~ langues africaines.
Lorsque le Sergent Kofi s'exprime en Wulu, dans
At Fever Pitch,
le narrateur dit ceci :
Sergeant Kofi was babbling away in the
bas tard Wulu tongue which served as a lowest

· -
202
-
common denominator for men of fifteen
different tribes.
(FP p7)
(c'est nous qui
soulignons)
Dans The Decline of the West, Caute ne fait pas ap-
paraître de dialogue dans une langue africaine, mais à tra-
vers un commentaire du narrateur, on décèle les mêmes con~
notations péjoratives. Dans la scène dont i l est question,
Camille Odouma est torturée par Laval et ses hommes, mais
elle résiste sous les' tortures, et de son attitude il res-
sort une certaine grandeur due au fait que Camille ne se
conduit pas comme la sauvage qu'elle est présumée être:
The girl's stoical bravery,
her refusaI to
jabber in sorne native lingo, her insistent
reproaches -
"You are a swine, Monsieur,
to beat up a woman" -
in imoeccable French,
aIL this amounted,
( . . . ) to an aspersion
against their integrity.
(DW p87)
(c'est
nous qui soulignons)
"ta jabber in sorne native lingo",
"impeccable French~ le
ccntraste entre ces deux expressions qui dénotent respecti-
vement le mépris et le respect, met en évidence l'ethnocen-
trisme du narrateur. Camille inspire le respect parce qU'3lle
ne se laisse pas aller à des habitudes d"'indigène" en ba-
ragouinant un étrange sabir; qui plus est, elle connaît
"les bonnes manières"
: elle sait qu'un "j\\lonsie'.lr" ne bat
pas sa femme.
The K-Factor réitère les ~êmes a prior~ L'auteur
se sert de Sonia Laslet pour reprendre encore la même image
des Noirs s'exprimant dans un jargon sauvage.
Sonia, dans
ce passage,
se remémore l'accident qu'elle a eu un jour:

- 203
-
She remembered once driving through the
black township of Highfield with the car
doors locked, cocooned in her capsule of
steel and glass, until abruptly, at a moment
when her vigilance had lapsed, a child ran
out in front of her. A crowd had gathered,
hammering on her door,
on her roof, gesti-
culating,
jabbering their jibberish (KF p
182)
(c'est nous qui soulignons)
Dans les dernières pages du roman on assiste à un
dialogue en Shona entre Charles Laslet et un jeune africain
que les "boys" ont envoyé transmettre à Charles le montant
de la rançon contre laquelle son bébé lui sera rendu: Phé-
nomène étrange, Charles s'exprime correctement, tandis que
l'enfant, lui, adopte le "petit nègre" rituel:
"Tell Comrade Willy one thousand dollars
for the baby."
Charles sa id in Shona. ( ... )
The boy was stubborn.
"You must follow me",
he said in Shona.
"No waya
"You carry gun", the boy said
"You bet l
do"
"Willy says you must come without gun."
(KF pI79)
Un commentaire de Caute dans Under the Skin, permet
d'affirmer que le jugement dépréciatif que l'on peut déceler
à
la lecture de ses romans, sur les langues africaines, n'est
pas totalement conscient. Caute, en effet, alorB qu'~l fait
allusion au roman de Doris Lessing, The Grass is Singing,
critique l'attitude de l'héroïne principale Mary Turner,
qui n'a que mépris et condescendance pour les langues des
Noirs d'Afrique du Sud. Elle ne peut se résoudre à en appren-
dre une,
aussi lor~qu'elle cherche un domestique, essaie-
t-elle d'en trouver un qui, entre autres qualités, parle
l'anglais:

· -
204
-
When she doesn't get one her only resource
is rage, a fury compounded by a glimmering
suspicion that if she learned the houseboy's
language
(or "lingo"
-
can that maddening
monkey chatter she hears among the black
women be dignified with the name of
"language"?)
then she would do a lot better.
But she can't, or won 't, because she is
trapped in the cultural web of domination.
(US p55, c'est nous qui soulignons)
On peut croire que Caute, qui dévoile avec tant
d'ironie les convictions profondes de Mary Turner -
s ' i l
est sincère dans sa condamnation - ne peut, de façon.ré-
fléchie,
se complaire dans le même raisonnement qu'elle.
Hais les mythes et idées préconçues sur l'Afrique sont tel·-
lement profondément ancrés dans les esprits qu'il est par-
fois difficile de s'en défaire.
e)
"The grinning golliwog"
Une autre composante du stéréotype noir, est celle
qui consiste à présenter le personnage noir comme un "grin-
ntng golliwog"; pour reprendre une expression propre à
Caute. C'est une image, on se le rappelle, dont i l dénonçait
l'utilisation abusive par les Blancs. 14 Pourtant, c'est
ainsi que plusieurs de ses personnages noirs sont présentés.
Ces der~iers semblent en effet toujours prêts à déco~vrir
leurs dents, Go~e pour une publicité de pâte dentifrice.
On note toutefois, que si le Noir aime à sourire, il ne le
fait,
jamais "normalement". Son sourire est toujours trop
large, faisant plutôt penser à une grimace:
r'a grin", sou-
lignant peut-être ce côté simiesque qui lui est si souvent
attribué.
14. vo-Ut-6u.pna.., p180

. - 205 -
Par exemple, quand le capitaine Carlton Bazibi fait
sa première ap9arition dans At Fcver Pitch :
His white teeth fla shed into a grin
(FP p24)
C'est lui qu~, alors que Mychael Glyn a été envoyé en pri-
son par le Brigadier Carstairs, pour mutinerie, annonce
quelques jours plus tard à Glyn qu'il est libre
Carlton Bazibi had silhouetted himself
dramatically in the doorway of Glyn's room,
his teeth flashing white.
(FP pI70)
Kofi Bandaya, Premier Ministre, dans ce même roman,
est lui aussi un personnage "tout sourire", quoique, pour
rendre justice au romancier, i l faut reconnaître qu'il s'agit
là d'un personnage à qui il fait parfois délibérément porter
ce masque souriant nécessaire à son rôle de .démagogue. Ce
portrait semble néanmoins assez caricatural.
Ici, i l fait
son entrée dans la salle bondée de l'Assemblée "all smiles",
et quand i l en ressort :
Kofi Bandaya, his face set in a broad g~in,
forced his way past admiring supporters.
(FP p33)
Avant d'accompagner le Premier ministre qui doit s'adresser
à la foule,
le' ministre de l'Intérieur, AtuhopE, donne ses
dernières consignes à ses hommes de main. Il leur demande,
autant que faire se peut, d'éviter qu'il y ait des morts
en cas de manifestations lors du discours. Alors, d'un
sourire entendu
the action troopers grinned 50 that their
tribal scars stretched from ear to ear .
. (FP p39)

-
206
-
Vers la fin du roman, le ministre des Finances, Mandu Bruce,
est en désaccord avec Bandaya et le lui signifie en menaçant
même de ne pas soutenir sa candidature aux prochaines élec-
tions. Mais i l regrette très vite sa hardiesse, et prend
alors congé du Premier Ministre
Then the broad African qrin~s stretched
across their faces,
the white teeth flashed,
and their sticky hands clasped together.
(FP pI54, c'est nous qui soulignons)
Ce rictus grimaçant, particulier aux personnages noirs, se
retrouve encore chez le secrétaire d'Etat à la Défense, Mr
Nogubogo
Mr Nogubogo sported a pe~~anent grin, all
lip and flashing teeth.
(FP p89)
Nogubogo semble trouver dans ce "sourire" la solution à diffé-
rents problèmes : quand i l est gêllé :
"Mr Nogubogo grinned",
quand,
au cours d'un dîner offert par le général Ridley-Smith,
Nogobogo est ridiculisé par le hautain Colonel Beranger, et
n'a alors plus de réponses au sarcasme de ce dernier:
!~ Nogubogo subsided into a chair, grinning
weakly and trying to attune himself to the
idèa that his career was not, after all
ruined.
( ..• ) He grinned nervously.
(FP p97)
On se souvient aussi, dans les premières pages du livre,
des employés de bureau africains au service de l'adjudant
Carstairs, avec leur irritant sourire niais. Un jour que
Savile,
jeune appelé anglais est convoqué et réprimandé
par Carstairs, i l doit en plus subir la balourdise de ces
employés :

-
207 -
The African clerks were grinning.
(FP p4)
Quand Carstairs en a fini avec lui, et que Savile attend de
savoir quelles sanctions seront prises contre lui
The clerks were grinning. One of them said
slyly :
"1 think you be in trouble, sah."
Savile snapped :
"When 1 want the opini'Jn
of an African clerk, 1 will ask for it. Is
that clear ?"
"It is clear,
sah."
"And you can take that grin off your face."
"l'm sorry,
sah.
But they all continued to grin.
(FP p5)
Carstairs est lui aussi satisfait de la punition que reçoit
Savile. Mais,
lui ne grimace pas:
Carstairs looked pleased
(FP p5)
On ne saurait non plus omettre de mentionner ce "soldat"
africain que Glyn interroge lors d'une séance d'entrainement
et qui "grinned sheepishly" pendant que ses camarades laughed
derisively" 1 5
On
a également en mémoir~, l'attendrissant Sulley,
le domestique de Glyn, Sulley à l'heureuse nature et qu'un
rien comble de joie. 1G
Ferdinand Ybele, dans The Decline of the West, est lui
aussi, pratiquement à chacune des ses apparitions dans ce
roman, porteur de ce large "sourire-grimace".
Il est pré-
senté dès le départ comme quelqu'un ayant un "gurgling
infectious laugh", et quand Soames se rend chez lui, en le
recevant, comme on pouvait s'y attendre:
15. vo~ ~up~a. p19Z
16. vo~ ~up~a. p18Z

-
208 -
Ybele flashed him a metallic
smile.
(DW p53,
c'est nous qui soulignons)
Il s'agit là d'un sourire bien différent de celui, par exem-
ple, du Général Cartier,
lorsque celui-ci salue Soames
Cartier smiled gravely, like a gentleman.
(DW p55)
(c ' est nous qui soulignons)
Le contraste entre les deux mots "metallic" et "gravely"
est éloquent. Le premier évoque un certain a~tomatism8 arti-
ficiel tandis que le deuxième sous-entend une forme d'intel-
ligence.
Ybele, apprend-on, porte un dentier, mais cela ne
semble aucunement le gêner, au contraire
Ybele smiled,
revealing a perfect row of
false teeth, held in place by two bands
of slender gold wire.
(DW p76)
Lorsque Amah se rend à son cabinet, alors qu'il est encore
avocat à Thiersville, Ybele se présente à lui avec un "broad
grin".
Les quelques Noirs de The K-Factur, paraissent dans
l'ensemble, bien moins hilares.
On retrouve néanmoins,
le
bon vieux serviteur fidèle qui, cu~ieusement, fait son tra-
vail de boy avec un très large sourire fait,
lui aussi de
fausses dents :
Isaac, laying the table for breakfast and
srniling broadly,
showing his new dentures.
(KF p26)

- 209 -
Hector également, montre ses belles dents lorsque
Sonia s'adresse à l u i :
He grinned, offering her a row of beautiful,
regular teeth.
IKF p9)
On rencontre également cet homme d'affai.res africain,
qui n'apparaît qu'une fois dans le roman et qui est décrit
saluant Phil, une connaissance de Charles Laslet. Son "grin"
vient droit du coeur:
A noted African businessmanl . . . ) approached
Phil with a hearty grin.
1••• )
Presently the black departed, beaming regally.
IKF p49, c'est nous qui soulignons)
Quant au terrorist~Willy, le narrateur se complait
1
!
à lui attribuer toutes les caractéristiques physiques
du stéréotype noir par excellence: c'est l'image même du
petit, et si populaire personnage noir de la littérature
enfantine anglaise,
"Sambo", mais qui faisait la honte des
petits enfants noirs 17 :
Willy chuckle~; flashing his white teeth
in the traditional Sambo-cartoon style,
a nose broad enough for parody, heavy lips,
the proverbial beetle-brow , Willy has i t
all, straight out of central casting. His
cap is perched on the back of his woolly
head, lending hlm an air at once slapdash
and licentious.
IKF p206)
Ce large sourire hilare, on ne le retrouve chez au-
cun des personnages blancs pourtant majoritaires dans les
romans africains de Caute. Cela porte à conclure
17. vo~ ~upka, pl??

-
2rO -
que l'auteur y voit une caractéristique typiquement noire.
C'est en effet ainsi que le Noir est traditionnellement dé-
peint.
Il y a donc là, paradoxalement, une certaine "vrai-
semblance", puisque ce Noir .correspond effectivement au Noir
que l'on "connait".
Cette vraisemblance,
se l i t encore dans la manipula-
tion q~e l'auteur fait de la tradition africaine, tradition
qu'il travestit quelque peu, peut-être pour lui donner une
"couleur locale", qui· est en fait une vision très européenne
de l'Afrique:
l'Afrique des Sauvages.

-
2II -
2- L'AFRIQUE DES SAUVAGES
Many had accepted the Western notion that
the black man was an inferior being, that
he was a
"pagan",
that he was not a human
but a
"native",
that he lived not in a
house but in a
"hut", that he spoke not a
language but a
"vernacular",. that he beLonged
not to a nation or cultural group but to a
"tribe",
that he was a cannibal,
a barbaria~
a savage. 18
Une telle représentation de l'Africain sans civili-
sation, barbare et cruel, reste encore très présente dans
les esprits comme dans les écrits,
surtout lorsqu'il s'agit
de faire référence à l'homme de l'Afrique pré-coloniale, et
ceci, malgré de nombreux travaux de recherches d'historiens
et d'anthropologues,
entres autres, qui ont tenté de corriger
la représentation dévoyée du continent noir.
Cette Afrique
stéréotypée d'avant la pénétration occidentale, c'est para-
doxalement bien à elle que Caute fait parfois allusion
dans
ses romans, malgré sa condamnation manifeste de l'ère colo-
niale et du colonisateur en particulier. Certes les diffé-
rentes histoires de ses trois romans africains ne se situent
absolument pas dans l'Afrique pré-coloniale, mais l'auteur
fait implicitement et même explici.tement allusion à cette
Afrique-là,
comme pour souligner que la présence occidentale
en Afrique,
sous sa forme colonisatrice, fut peut-être une
sorte de pis-aller. On se souvient à ce propos des paroles
sarcastiques de Julian Savile dans At Fever Pitch, en réponse
à un prêtre noir qui se félicite qu'il y ait à présent un
dirigeant africain à la tête du pays,
empêchant ainsi,
ceux
qu'il appelle:
"white imperi~lists" de diriger son pays.
18. Scheu.b HCVtOld, A6JUcan Image,6, l'v

-
212
-
Savile lui réplique alors
"Has i t ever occured to you, old holy Father,
that but for these imperialists you would
never have learned to read or write.
(FP p2)
Certes on pourrait rétorquer que ces paroles sont mises dans
la bouche d'un personnage particuliê~ement antipatnique afin
de révéler une certaine mentalité, mais ces phrases-là rap-
pellent étrangement des propos que Caute reprend dans son
étude sur Frantz Fanon. Dans Frantz Fanon, en effet, Cau te
après avoir énuméré les points sur lesquels i l lui semble
que Fanon est fondé de se révolter sur les méfaits de la
colonisation, souligne son désaccord avec ce dernier sur la
notion d'ex~loitation que Fanon considère être le but et
l'effet premiers de la colonisation. Caute reconnalt que
le système colonial a eu des conséquences désastreuses pour
l'Afrique, mais,
continue t-il
as to what constitutes "exploitation", men
do not agree.
We might solve the problem by inventing a
Brechtian parable : the white man cornes ta
the wide and roaring river ; he jumps on
the black man'f' back and shouts to him,
"Swim!" The black man toils and finally
reaches the far bank, exhausted ; his hand
reaches up for recompense, but the white
man is indignant.
"Without me," he says,
"you would never have crossed the river.,,19
Il apparaît que cette parabole -
semblant ùe compromis -
vient mal à propos puisqu'en fait el~e illustre une forme
d'exploitation étant donné que le Noir n'avait ni envie ni
besoin de traverser cette rivière, et si cela avait été le
cas, sans doute aurait-il pu y arriver d'une autre manière.
19. Caute, FQ~o~, op cLt, p72

-
213
-
Qui plus est,
le Noir pourrait arriver à la même conclusion
"sans moi ...• ': Il semble qu'à travers cette illustration
Cau te fasse montre d'une certaine ambiguïté. Pourtant, dans
Under the Skin, i l se complait à mettre à nu, et de façon
très ironique,
les médisances d'un Blanc du Zimbabwe au
sujet de ses travailleurs noirs :
Two blacks carry the tools of his trade and
they're really lazy,
these munts, unless you
get on top of them. Otherwise they'll do
nothing.
(US pI03)
De telles remarques ont très souvent servi de justification
à l'occupation européenne de l'Afrique. Michael Crowder, dit
à ce propos
Thus the colonial stereotype of the African
became that of a
people saved from themselves
by the benevolence of their colonial rulers.
The history of Ghana andSonghai, Oyo and
Benin were conveniently forgotten.
"Without
us they would be back in the trees".20
Les distortions et exagérations dans les récits de
voyages,
les rapports ethnologiques et anthropologi~ues du
début du XIXe siècle sont sans doute pour beaucoup dans cette
n
représentation mythique encore persistante de l'Afrique en
Europe. Les premiers missionnaires blancs en Afrique, auraient
eux aussi, malgré toute leur bonne foi,
leurs bonnes inten-
tions et un travail souvent pénible, ~jouté à l'image "sauvage"
de ce co.ltinent. Conune l'explique Ph;'lip D. Curtin dans une
excellente étude sur les différentes origines de l'image de
l'Afrique chez les Britanniques:
The burden of the argument in all the popular
missionary publications was to demonstrate
20. C/towdvz. M.i..c.he1., WMt A6Jt.i..c.a wtde-~" CO.e.OMo-~ Rute, plI

-
2I4
-
the overwhelming need for
missionary work.
They insisted on the ultimate racial equality
of all men,
but they also embodied the worst
aspects of cultural chauvinism ! It was not
enough to show that the unconverted Africans
were doomed here after as worshippers of idols
and followers of false gods. They were doomed
on this earth as well to a nasty and barbarous
way of life from which only chri~tianity could
save them. The darker the pictures of ~frican
barbarism the more necessary the work uf the
missiona.cies. 21
Ce rôle joué par les missionnaires en Afrique apparaît très
nettement dans les romans de Caute. C'est en effet souvent
parleur intermédiaire que l'auteur présente cette Afrique
d'avant.
a)
Le christianisme et les croyances primitives
Dans At Fever Pitch,
Harris, prêtre noir dûment
converti au christianisme, explique ce dont les missionnaires
blancs l'ont cODvaincu :
Harris explained. Before the white men came
to Africa, he said,
things had not been at
all good. Too much '-juju and sacrifice palaver.
Too much humbug plenty for tree gods. SA
when white man come with Christian Jehovah-
type Gad this be fine ·God past all. First
there come White Fathers. They teach Africans
many things reading and writing palaver,
clothes for mammies and one-wife living.
(FP pI3B)
Le fait que l'auteur prête
ces propos à un africain, a pour
effet de rendre encore plus crédible l'oeuvre salutaire du
christianisme. L'idée que le christianisme est la religion
qui vient sauver le "sauvage" en le sortant des tén~bres de

- 215 -
sa barbarie,
se retrouve très souvent dans la représentation
classique de l'Afrique dans la littérature. On se souvient,
par exemple, dans Coral Island, de Bill, un des corsaires
qui ont enlevé le jeune Ralph sur leur bateau. Bill, qui
veut aider Ralph à s'enfuir,
lui explique pourquoi i l serait
sans danger de s'échapper sur l'une des îles proches de
Tahiti,
les habitants noirs de cQtte région étant inoffensifs
parce que convertis au 'christianisme:
"If the caol:ain would only sail for some 0'
the islands near Tahiti, we might run away
there well enough, becausethe natives are
all Christians
; an'
we find that wherever
the savages take un ~ith_Christianity they
always give over the~r bLoody ways, and
are safe to be trusted.
l never cared for
Christiani ty myself,
"he continued ( ... ).
but a man with haIt an eye can sec what ~t
does to these black critters. 22
Il faut souligner que le christianisme fut pendant longtemps
décrit,
non seulement dans les oeuvres de fiction mais aussi
dans les ouvrages scolaires, comme étant la religion civilisée,
d'où la persistance de ce concept. 23
Les mots que Caute utilise sont certes différents de
ceux de Ballantyne, mais leur contenu idéologique demeure le
même. Dans The Decline of the West,
le narrateur dans un pro-
logue, décrit comment était Twibi, un village du Coppernica
à l'arrivée du premier missionnaire blanc,
le Père Leblanc:
22. Ba.Uantyne R.M., The CoM1. IÛand. p794, c' e-:lt no~ Qui -:lauJ-<.gnom .
23. On note Que le-:l Uvlte-:l -:1 colaJAe-6 nJtança.-W nu.-'le.nt pailicuUè/teme.nt
e.thnocel1-tlU.Que-6 à ce -:luje.t, tel le Pet.d COu.-'L6 de. Qé01ltaplue. ~éné­
M1.e et de géog/tap/Ue de FlUl.nce. pM M. E. Co:Ltam6o[.t ( ~41) qu-t
déClaM :
TOlL6 fe-6 homlJ1e-6 oYlt .e' .idée d'une pUù-6ance -6upé-
/tÜUM Qui gouveJtne .te monde : maü i l y a b.iN de~
cOYl-tJtée-6 ceUe .idée e-6t enve-toppée de Cltoyance-6
g/toM.i.è/te.6 et -:lupc/l.-6.t.i..t.i.eu6 c.6 : ca/r. i l ewte ma.f-
hC-u.,....~C.u..6 rm.:.nt C.Ylê.O·"'..C bc·auc.(!rJ..~ de p.:tZ c.J1~,
C 1 e.,~.t a
dL"Lt. d' h.L.:mrntz,~ Cfu-.i f1' a.dO-lte..li.r7 pa..: 1 c..::'nnllC nou..6, un -6eu..(
a<.-eu... c:~. qUA ~c. 6-<-fHL"...2.nt. qu.·' -LL u a rLi.,~)..c.i.L:!l. cU.vi. ...
nJé-6.
[ ... )
"
1.

-
216
-
When he had first come ta Twibi,
seven years
previously,
i t was still a small and backward
village buried in dense jungle ninety miles
southwest of Potonou
( ... ) The Natives,
entirely at the mercy of witch doctors,
juju
peddlers and the crudest superstitions, knew
little or nothing about the outside world.
(DW pI2, c'est nous qui soulignons)
Les mots "backward",
"entirely at the mercy",
"crudest supers-
tition"
soulignent avec force l'extrême sauvagerie dans la-
quelle les "natives" étaient plongés avant que le Père Leblanc
ne vienne leur "ouvrir" les yeu.x.
Avec ces propos, on n'est
pas très loin de ceux de Robinson Crusoe qui, lorsqu'il se
rend compte des croyances superstitieuses de Vendredi, se
donne le devoir de l'''éclairer'' :
By degrees l opened his eyes~
( . . . )
l
endeavoured to clear up this fraud to my
man Friday.24
Le3 innombrables bienfaits du christianisme, Raymond
Tuckhomada, dans The Decline of the West,
les apprend par le
Père Leblanc alors qu'il est son élève:
From Leblanc he learned many times over how
the Gallican Church and its missionary
societies had not only freed his people from
the burden of Arab slavery, but also waged
war on disease,
starvation and ignorance.
(DW pI3)
./ . L~ pe.u.pte..~ anllic.cUM M n-t ploI1géJ.. dan~ w! .:t!UAte.
état de. baJtballie., et il~ ne c.OIU1CU:'H e.n-t pM, e.n
génénal, .ta ~elig{on c.hné.ttenne..
24. Ve6oe. Vanù.l, RobbMOIl C!U.L~oe., p218

-
217 -
Le christianisme est indubitablement présenté comme le rédemp-
teur de l'âme noire, mais force lui est parfois de s'avouer
vaincu,
tant la "sauvagerie" semble inhérente à l'Afrique qui
ne peut se résoudre à abandonner certaines pratiques telles
que les sacrifices humains, par exemple.
b)
Les sacrifices humair.s
On se rend compte, à travers At Fever Pitch, que
l'Afrique "primitive et barbare" que l'on considère être
celle d'avant les Blancs, n'a pas véritablement disparu
aujourd'hui. En fait c'est son as?ect extérieur seulement
qui a changé. Ses rites -
car c'est une Afrique qui malgré
tout se modernise -
sont à présent cachés. C'est ce que l'on
découvre dans ce passage du roman qui fait allusion aux sa-
crifices humains, sacrifices qui furent pendant longtemps
considérés comme inhérents à l'Afrique toute entière. Cet
épisode met en scène un roi africain :
"The Manhene Unal
Rempah Unala III", entouré de différents chefs de villages,
lors d'une assemblée. Le na~rateur décrit la scène où l'on
voit ce roi assis sur son trOne, avec, à ses pieds, ses ser-
viteurs qui se prosternent devant lui, les yeux respectueussrent
et craintivement rivés au sol. Pendant que les différents
chefs discutent entre eux, ces serviteurs restent ainsi im-
mobiles,
la tête servilement baissée. Leur triste sort est
alors révélé :
The armed servants' continued to crouch on
the floor,
immobile, servile, gazing at
their opaque reflections in the marble
slabs which their ancestors had dragged up
through the great forests at the cost of
their lives. When the l'lanhene' s father had

- 218
-
died his servants had been publiclysacrificed.
( ... ) Now,
in the aqe of Dolice,
local
conciliar control from Bada, and British
District Officiers, the servants would die
in secret. But die the v would, with the swift
slitting of throasts, the single screech
in the night,
the sobbing of a widow who
has the smell of fresh blood in her nostrils.
Thus the old world and the new embrace.
(FP pII8, c'est nous qui soulignons)
Dans l'Afrique ainsi présentée, passé et présent ne font qu'un.
L'Afrique d'hier, que l'on aime à imaginer archaïque et sau-
vage, est aujourd'hui profondément la même.;
simplement, elle
s'est recouverte d'un vernis qui ne trompe pas ceux qui la
"connaissent" vraiment.
"Now,
in the age of police ... " i l
est clairement sous-entendu ici que les nouvelles valeurs
occidentales ne sauraient cotoyer de telles pratiques, mais
comme l'Afrique ne peut s'en passer, elle est obligée de les
dissimuler.
Même dans des descriptions tout à fait anodines,
l'existence de cette Afrique-là est signalée. Dans ce pas-
sage, Glyn observe son boy, Sulley, qui est ainsi dépeint:
His gaze rested for an instant on Sulley's
mild, saucerlike eyes, the gentle curve of
his broad nose, his heavy lips, the tiny
girlish chin, and the slender neck ripe for
an unexpected sacrifice to the gods.
(FP pS3, c'est nous qui soulignons)
Les sacrifices humains furent pendant longtemps, et sont
encore, un ~hème favori de la littérature sur l'Afrique.
Ces pratiques rituelles, qui auraient existé dans quelques
régions de l'Afrique, sont exagérement et parfois grossière-
ment utilisées par les écrivains. Le plus souvent, elles sont
évoquées hors du contexte dans lequel elles sont pratiquées,

-
219
-
et qui plus est, elles sont censées représenter un aspect
essentiel de la "réalité"
africaine. Avec de telles évoca-
tions,
on n'est pas très loin de la fiction de Rider Haggard,
pour ne citer que lui. Un de ses romans, Nada the Lily, par
exemple,
raconte l'histoire du fameux Chaka,
ce roi zoulou
pour lequel la vie de ses sujets n'avait aucune valeur et
était sacrifiée au moindre caprice.
Près d'un siècle plus tard,
force est de constater
que l'image de l'Afrique dans la littérature n'a pas beau-
coup changé, elle reste égale à elle même : barbare et san-
guinaire :
In book after book about Africa identical
images appear expressing similar attitudes
and concepts, often simlarly phrased.
Literary license allows each author to depict
Africa in much the same way as every other
author. Such conformity cannot be the result
of chance.
It clearly.indicates a governing
literary tradition, quite di~ferent from the
tradition guiding the scientific writing. 25
On peut en effet se demander pourquoi cette persistance, ce
maintien de certains mythes et archétypes, chaque fois que
l'Afrique ou l'homme noir sont évoqués. Peut-être faudrait-il
pour le savoir s'interroger sur le public de l'auteur. A quel
public-lecteur s'adresse t-il lorsqu'il écrit sur l'Afrique?
Il ne semble pas erroné de prétendre qu'un écrivain, même
s ' i l aspire ~ un Fublic universel, a à l'esprit, souvent
inconsciemment, un certain public dont i l connaît les goûts
et dont i l est souvent le complice. Léon-François Hoffmann,
dit à ce propos en évoquant les rapports entre personnages
blancs et personnages noirs
25. Hammond et Jab.tow, The ,~IIJ·th 06 A6Üca, p13

-
220 -
Tout écrivain exprime la mentalité collective
autant sinon plus qu'il ne l'influence. En
choisissant pour protagoniste un membre de
cette collectivité, on ne peut,
sous peine
d'en faire un énergumène,
lui donner une
vision du monde radicalement différente de
celle de ses contemporains. 26
On peut penser que pour le public: de Caute, l'Afrique est
un ailleurs,
un ailleurs dont i l a une certaine conscience.
L'auteur procède alors à une sorte de théâtralisation de
l'Afrique.
Il semble très difficile à un écrivain étranger du
pays ou au continent sur lequel i l écrit, d'oublier totale-
ment certaines conventions littéraires. Plus ou moins cons-
ciemment, i l réitère quelques mythes, victime en cela de
certains automatismes psychiques.
Pour G.D. Killam :
The generality of authors adhere strictly
in their treatments 0:: the African setting
to an image of Africa which was in large part
formed before they came to write their books. 27
Il faut dire que la mythologie de l'Afrique est très forte,
le pass~ historique de ce continent, dont beaucoup n'ont
qu'une connaissance éculée et dévoyée, ne pouvant être écarté,
d'où la difficulté de l'écrivain à ne pas introduire dans
ses ouvrages certains clichés, qui, comme le dit si bien
Killam, ne sont pas uniquement le fait de celui qui écrit,
mais en quelque serte des clichés universels dont i l a hé-
rité. A l'ai~e de ces archétypes Caùte, paradoxalement, s'arme
d'une certaine vraisemblance à laquelle le lecteur s'attend
souvent d'ailleurs. Hammond et Jablow ont très bien expliqué
ce phénomène :
26. H066T1IQYut, or c.d, Le. Nèqltc ltOmallt-i.que., p265
27. ~ G.V. A6~c.Q in EIl9ti~~ Fiction, px

-
221
-
The continuing dominance of the tradition
can be partly accounted for by its acceptance
as the only way to write about Africa.
Authenticity secms assured when a writer
gives this narrative "verisimilitude" br
using the expe::::ted conventional images.
8
c)
La sUDerstition
L'homme noir est traditionnellement dépeint dans la
littérature comme quelqu'un de très superstitieux -
avec tout
ce que ce mot comporte de connotations péjoratives -
le dic-
tionnaire en donne d'ailleurs la définition suivante
-
Déviation du sentiment religieux,
fondée
sur la crainte ou l'ignorance, et qui
prête un caractère sacré à certaines pra-
tiques, obligations etc.
- Croyance à divers présages tirés d'événe-
ments fortuits.
- Attachement excessif. 29
Dans les romans de Caute, cette caractéristique prè-
tée au Noir est aussi très présente dans la description qu'il
fait de certains de ses personnages africains ou de leur mi-
lieu. Ceux-ci ne semblent pas vraiment avoir de religion,
tout juste des croyances primitives que l'introduction du
christianisme sur ce continent par les missionnaires blancs
fait un ~eu reculer. Mais la superstition ne disparaît pas
complètement pour autant comme plusieurs scènes viennent le
confirmer.
Dans At Pever Pitch , un jour,
le Colonel Ridley-Smith,
alors qu'il est au volant de sa voiture, écrase une poule.
par inadvert~nce. La propriétaire apparaît:
28. Hammond and Habiow, op ut, pl?
29. Petit
LaA0U66~ rttu6~é

- 222 -
she bemoans the fact that they have knocked
down her hen in the roadway,
now fluttering
convulsively, now still, but be badjuju ta eat
hen killed by motocar.
(FP pII4, c'est nous qui soulignons)
Le narrateur, ici, emprunte le parler de cette Africèine,
3ans doute pour souligner qu'il s'agit bien là d'une croyance
typiquement noire.
Un autre épisode vient encore illustrer la supers-
tition des Noirs, cette fois-ci,
à une échelle plus grande
puisque c'est d'un~foule africaine qu'il s'agit. La scène
se déroule durant la campagne électorale précédant l'~lec­
tian du Premier Ministre. Un opposant de Rofi Bandaya se
prépare à faire un discours en face d'une foule gigantesque.
L'atmosphère est tendue car on s'attend à des confrontations
violentes entre supporters et opposants de l'orateur. Le
temps se couvre et i l semble qu'un orage se prépare. Le co-
lonel Ridley-Smith qui observe les agitations de la foule
craignant le pire, pense alors
"Only rain," he said, "can save the day".
(PP pI25)
Il ne s'y trompe pas car, comme le décrit le narrateur:
An enormous roar of thun~er rent the sky,
crashing and reverberating around t~e hollow
sa that the people were petrified into a
superstitious silence.
(FP pI25)
Quand la pluie finit par tomber, le narrateur commente, à
travers les pensées de Sulley :

-
223
-
Sulley had returned to his native land, but
there was no joy in his eyes.
The rain
was
seeping through the canvas flaps at the back.
In the mud villages already the election
flags and posters hung limp and soggy. The
wealth of the tin mines lay far behind. This
was the oerennial ounishment of the juju
gods on a land of profound poverty which
reached up to the great desert itself.
(FP pI27)
Ce passage rappelle b~aucoup ces histoires d'aventure 30
ayant pour cadre un pays d'Afrique, ou tout autre pays dit
exotique, où des Blancs sont aux prises avec des hordes de
sauvages.
Il arrive souvent que dans ces histoires-là,
les
Blancs soient sauvés in extremis de la cruauté et de la fé-
rocité des sauvages par quelque phénomène naturel tel une
éclipse solaire, une éruption volcanique, ou même une simple
averse tombée au moment opportun et que ces primitifs prennent
pour un sortilège, une malédiction ou encore comme la preuve
de la supériorité du dieu des hommes blancs, et partant des
Blancs eux-mêmes. La fin du romar, rejoint encore, d'une autre
manière, cette interprétation. Michael Glyn, qui dans un
moment de panique a fait feu sur une foule tuant ainsi vingt-
cinq africains, doit être jugé dans une nation nouvellement
indépendante, une nation africaine. Le colonel Ridley-Smith
essaie à l'aide de chantage, de faire annuler le jugement,
ce à quoi Bandaya se refuse tout d'abord:
"I am in no posi .....ion", he sa id quietly,
"to halt the processes of justice".
The Brigadier seemed half asleep.
"8e'11
die, he muttered. They'll hang him."
(FP pI95)
30. ÙIt pe.YL6e. à de. ltombJte.u.x 6WM comme. ceux de. Taltzan, e.:t de. Kù1.g-/(orlg,
pOWl ne. C-UVl l{tte. ce.ux - u, e.:t f-uAA aUM.t :tou:te. Ulte. panopüe. de. b.mde.J.>
deAûlté.eA
IAIùm, Ze.mb.ea, e.:tc •• )

-
224
-
Glyn risque donc la corde s ' i l est jugé, mais Bandaya, tout
lettré, tout "évolué", tout instruit qu'il est a l'école des
Blancs, n'arrive pas, au fond de lui-même, à vraiment croire
qu'il leur soit possible, à eux Africains, de pendre un Blanc
As an intellectual proposition, this seemed
probable.
The young officer whom te had
watched in court over the weeks would h?ng.
And yet ... hardly credible that a white man
should be hanged by Africans. Those pale
ey~s would never acknowledge the presence
of the rope.
The ropc would disintegrate
around his neck. Bandaya remembered his
juju gods
was he ever really free of their
influence ?
CFP pI9S)
Ses croyances semblent l'emporter sur la raison, sur la lo-
gique, et si finalement i l aQ~et que cette exécution peut
avoir lieu, elle prend la forme, dans son esprit, d'un rite
sacré
And yet i t could happen. In a flash the sa-
crifice is made and the nation lets out a
long sigh. Vengeance. The vendetta of
centuries. Now we can breathe again, relax,
live, construct a new world fit to live in.
The sacrifice.
CFP pI9S)
Preuve qu'il ne s'est pas vraiment libéré de l'influence de
ses "juju gods" et qu'il n'est rassuré que lorsqu'il se sou-
met à un système de rite, de sacrifice.
!)ans l'Afrique de The Declin~ of tl,e West la supers-
tition est aussi un des maux majeurs de ce continent avant
l'arrivée des missionnaires blancs. Les Africains y étaient
il la merci de "crudest superstitions". 31 Tout comme Kofi
Bandaya, le Premier ministre africain du Coppernica n'est
pas, lui non plus, libéré de ses croyances :
31. :6upJLa, 1'216

-
225
-
Millions were said to worship him ; he was
know to fawn before witch doctors and
constantly to invoke magic cults to cripple
his political enemies. The whites were
unanimous about this.
(DI'i p267)
Les mots "fawn" et "constantly", illustrent bien le côté
excessif de ces pratiques, et le fait que ce soient des. Blancs
qui en témoignent unanimement, semble vouloir confirmer l'au-
thenticité de ces faits.
Il est intéressant de noter que dans The K-Factor,
les superstitions africaines semblent être adoptées, ou en
tout cas considérées comme pouvant être plausibles, par cer-
tains Blancs. C'est ce qu'affirme l'inspecteur de police
Bekker en s'adressant au frère de Sonia Laslet, le journa-
liste Howard Milne.
Il lui explique comment certains prison-
niers prétendaient devant les tribunaux que leurs aveux
avaient été arrachés sous la torture, alors qu'en fait les
blessures qu'ils exhibaient pouvaient avoir une toute
autre origine :
They had
no proof ta support thesc allegations
except scars which might equally derive from
malnutrition kwashiorkor carelessness bites
and burns that turned septic - or the curse
laid by witches.
"You may be sceptical about that, Mr Milne,"
Bekker had said ( .•. ) "And 1 was tao. Bul
l've seen witchcraft work tao often.
l've
seen a man wither and die after a curse
was laid on him. And he warned the journalist
ta beware the natural tendency of Afs ta
exaggerate, ta tell gullible while hurnani-
tarians what they wanted to hear."
(KF pI48)
Les croyances superstitieuses de certains personnages
africains les poussent parfois à d'inquiétantes pratiques
telle celle du cannibalisme.

-
226
-
d)
Le cannibalisme
On retrouve un autre cliché chez Caute, qui vient
renforcer cette représentation "mythique-réaliste" de l'Afrique,
c'est celui qui consiste à faire de l'Afrique un continent
de cannibales. Le cannibalisme est en effet parmi tous les
clichés sur l'homme nqir,
la caractéristique par excellence
du stéréotype noir, du parfait sauvage:
50 valuable an adjunct to the literary
tradition was the theme of. cannibalism that
i t remained one of the most persistent
conventions. 32
c'est dans The Decline of the wes~, un de ses romans
qui remet le plus en question la présence des Blancs en
Afrique et qui met le plus ert relief leurs aspects négatifs,
que Caute va justement introduire le cliché du nègre cannibale.
Ferdinand Ybele, Président du Coppernica, a, apprend-on à
maintes reprises dans le roman, un père qui, pour retrouver
sa virilité perdue, a consumé une fillette de trois ans :
(Ybele)
the man whose father, a tribal chief
in Eastern Province, was reputed to have
consurned a three-year-old chilà in a attempt
to restore his waning virility.
(DW p59)
Le passé d'anthropophage du père d'Ybele se retrouve dans
les comportements et gestes du fils, qui pourrait bien avoir
lui aussi, en le soupçonne, des prépispositions latentes pour
le cannibalisme.
Un jour qu'il discute avec l'Anglais 50arnes,
pour expliquer la situation périlleuse dans laquelle i l se
trouve, i l s'exprime ainsi:
32.
HaJnll1and e-t Jablaw, ap cd;, p95

227
-
Ybele enacted the slitting of his own throat
with a macabre gusto reminiscent of his yellow
peril and of his father's lusty cannibalism.
(DW p78)
Le cannibalisme est décidement un thème dont ne se
lassent pas les romanciers, même de nos jours. L'anthropo-
logie moderne émet pourtant bien des doutes quant à l'éten-
ùue de cette pratique en Afrique, comme l'expliquent encore
Bammond et Jablow :
The evidence would seem to indicate that
the practice of cannibailsm was extremely
circ~~scribed, and occured only within the
context of sorcery and witchcraft. 33
Ces doutes ne semblent absolument pas gêner les écrivains
qui ont sans doute trouvé en ce thème une source inaltérable
de sensationalisme destiné à faire frémir d'horreur des lec-
teurs en quête d'émotions fortes.
C'est un thème qui est.
utilisé à l'envi dans la littérature sur l'Afrique, par des
générations successives d'écrivains, et cela porte à croire
que c'est un mythe qui a elLcore longue vie. Comme ironisent
Hammond et Jablow dans leu= livre The My th of Africa :
The literary play upon this theme reached
its apex during the height of empire and
has since diminished little, if at aIl.
The extent of cdnnibalism in the literature,
even now, gives the impression that i t is
a major industry, and that human flesh wa3
once, i f i t is no.longer,a staple in the·
diet of most Africans. 34
Ferdinand Ybele, en tout cas, parait très fier du
passé de son père et i l ne manque pas de le faire savoir
à tout venant :.
33. ibtd.
34. ibid .• p 140

· -
228
-
Ybele's papa had eaten a little girl because
after nineteen children his virility had
flagged and Ybele never let his subordinates
forget it.
(DW p244)
Le narrateur tient manifestement à ce que le lecteur n'oublie
fas que ce personnage e~t un descendant d'anthropophage, et
par conséquent, sans doute lui même un cannibale potentiel.
Si David Caute ne fait pas mention du cannibalisme
dans son dernier roman, il n'en demeure pas moins que c'est
un sujet qu'il a toujours à l'esprit. On en veut pour preuve
le fait qu'il ne puisse résister à la tentation de revenir
sur ce thème, quand dans son livre-reportage Under the Skin,
il évoque des massacres perpétrés par des terroristes noirs
dans la mission protestante d'Elim.
Caute, après avoir annoncé
le massacre, décrit la scène du désastre :
The scene encapsulated almost every nightmare
whi te people had ever entertai.ned about the
barbarities of primitive Africa : rape, the
bayoneting of a tiny baby, banana skins
scattered about as a sign of apish brute
indifference. Only one legendary horror was
withheld ; the victims had not been eaten.
(US p253, c'est nous qui soulignons)
Avec cette évocation, l'auteur étaye doublement notre pro-
pos. En effet, même dans un ouvrage tout à fait sérieux
puisqu'il s'agit là d'un documentaire, le mécanisme psychi-
que fonctionne de façon identique. Même si l'auteur, peut-
être pour édulcorer quelque peu son commentaire, annonce
que les Blancs ont une vision phobique de l'Afrique, le fait
même de reprendre cette perception et, qui plus est, de faire
référence au cannibalisme alors que rien n'en laissait pré-
sager, est tout à fait significatif. Cet exemple illustre,

-
229
-
le fonctionnement d'un automatisme psychique qui déclenche
certains réflexes amenant à faire des associations, qui
elles-mêmes semblent dictées par le subconscient, par la
représentation mentale plus ou moins consciente que l'on a
des choses.
Le lecteur "reconnaît"
encore l'Afrique à traVers
ses "traditions" que Caute: présente, notamment dans At Fever
Pitch.
e)
Les traditions africaines ou pseudo-traditions
Avec At Fever Pitch, dans son approche de la tradi-
tion africaine, Cau te utilise une méthode qui renforce une
certaine vraisemblance de sa présentation de l'Afrique. En
effet,
lorsque le narrateur décrit des pratiques présentées
comme typiquement africaines,
i l en parle COWIDe un connais-
seur, aVec une simplicité qui sous-entend l'évidence même
de ses propos, et le coté naturel, et donc vrai, de Ce qu'il
raconte.
Dans son désir de faire vrai, ou "couleur locale"
comme diraient certains,
l'auteur se laisse aller à des in-
terprétations qui, est-on tenté de conclure, émanent singu-
lièrement d'idées reçues sur les traditions africaines.
De
même, on peut être amené à croire que dans sa description
des coutumes africaines,
le narrateur procède un peu comme
les voyageurs du XIXe siècle qui rane:1èrent des images tron-
quéeset caricaturales de l'l'.frique.
Philip D. Curtin, ex-
plique comment ces gens là raisonnaient :
The travellers
(and even more,
the analysts
at home)
took the European "weltanschauung"
as their point of departure. They did not
ask "What is Africa like, and what manner

-
230 -
of men live there", but,
"How does Africa,
and how do the Africans,
fit into what we
already know about the world 7"
In this sense,
the image of Africa was far more European
than African. 35
On a en effet l'impression, que pour construire ses tradi-
tions africaines, Caute ccllectionne toutes sortes de croyances
"classiques". Pour preuve, par exemple, sa façon d'aborder
la sexualité des Africains.
On retrouve avec ce thème d'amu-
sants clichés.
La sexualité du Noir
Elle a été, elle aussi, ur. thème très important de
la tradition littéraire sur l'Afrique, et a été notamment
sujette à toutes sortes de fantasmes, c'est le cas de le
dire, soulignant, une fois encore l'aspect bestial et brutal
du Noir, et sa libido débridée.
Une des premières scènes africaines de At Fever Pitch,
en est tout à fait démonstrative. Sulley,
le domestique de
Mychael Glyn, après une soi~ée dans un bar-dancing qui s'est
terminée par une bagarre,
se rend chez son amie Sinaya, dont
i l semble payer le père Kulu Azambugu, afin de pouvoir la
rencontrer.
Un peu plus tard, alo~s que sont réunis dans la
même pièce,
le père et sa femme ainsi que Sulley et Sinaya,
le père,
le vieux sergent, décide tout d'un coup d'avoir des
relations intimes avec sa femme :
In the far corner of the room the old Sergeant
climbed on this bed of straw and had decided
that he had i t in him to take his wife tonight,
aged as she was.
(FP p22)
Sulley qui les entend, a tôt fait de faire de même de son
côté :

- 231
-
From the far corner of the roorn he could
hear the Sergeant's wife cry out in pain.
The Sergeant was grunting like a pig.Sulley's
anger increased. He began te rip off his
clothes
( . . . )
"Sulley", the girl moaned,
"you're hurting
me". Sulley Azambugu also began to grunt like
a pig. It was a tribal tradition.
(FP p2~ ~'est nous qui soulignons)
Le fait même de prêter cette promiscuité à des Afri-
cains avec père et fille ayant chacun des rapports sexuels
dans une pièce commune, et en même temps, peut sembler sau-
grenu, quand bien même on sait qu'il. s'agit là d'Une oeuvre
de fiction,
lorsqu'on connaît l'extrême pudeur qui caracté-
rise l'Africain traditionnel,
l'Africain du village, en cette
matière, et surtout la distance et le respect qui exist~tentre
un père et sa fille en Afrique. 36
" ... to grunt like a pig.
It was a iribal tradition",
ces mots réitèrent de façon probante ce mythe qui veut que
le Noir ait un comportement sexuel très voisin de celui de
l'animal. A propos de ces mythes sur la sexualité des Noirs,
Frantz Fanon résume ainsi une représentation qu'il dit très
fréquente en Europe à propos de l'homme noir
Les nègres, eux, ont la puissance sexuelle.
Pensez donc! avec la liberté qu'ils ont,
en pleine brousse! Il paraît qu'ils cou-
chent partout, et à tout moment. Ce sont
des génitaux. 37
Pourtant Caute, lui aussi, dans Under the Skin~ révèle,
en ironisant, quelques unes de ces idées toutes faites que
les Blancs du Zimbabwe ont sur la sexualité des Noirs.
Il
rapporte par exemple les paroles d'une Rhodésienne blanche
qui lance avec désapprobation :
36. L' A6!Ûe.a...<..n :t!ta.<Ü:ÛOY!l1e.t, e.' e.6t a (Ü)!.e. t'A6!Ûe.a..Ln "pl1JI.", non e.I1JI.opé-
a.~üé, e.-t dune. :t!tèf.> pud.i..que. pM. dé5ù1..Ltion, pM. oppoûtion à t'A6!Û-
~n de. ta. v~e., qui e.6t pe.ut-~tc. mo..tn6 ~é6C.~vé 6~t e.c. point, ma..Lf.l
Cti.U-,
on etou YLéa.J-vno..[n~ F-iou\\.'c-z':. i' a~~.{.""•.mc/!.. ~c·'tcu::.t ch':~:1If.L2 pa.-'t de
,.tc-e.,[e~ pJta:t{.qtLe~. (PDU."~ CL qu.-( c.~~ crc~ Ct4-{~~'CqU.L clc-~f~'O~c~,,-t 12.1'l tOLL6 c.a6)

-
232
-
"The African male does his exhausted wif~
five times a night every night".
(US p37)
Caute,
tout au long de ce livre, explique bien qu'en fait,
même s'ils vivent dans le même pays que les Noirs,
les Blancs
du Zimbabwe n'ont des Noirs qu'une connaissance dévoyée,
"nourrie" de stéréotypes. Toutefois dans la création de ses
personnages noirs, Caute 9uise lui aussi dans certains de
Ces clichés. L'homme noir, dit-on, est un génital, mû spon-
tanément par ses instincts, aussi n'est-on pas très surpris
de retrouver cette caractéristique chez Amah, par exemple,
dans The Decline of the West, Amah, dont la liaison avec
Dominique, la Française qu'il rencontre alors qu'il fait ses
études en France, est racontée.
Signe particulier cl 'Amah et
qui choque d'ailleurs Dominique:
i l se dépouille de ses habits
avec frénésie au moindre désir amoureux
In those days she could not adjust to the
rapid stripping down the forthright leap
into nakedness which he took for granted.
Although a victlm of the cold,
of the intense,
damp ice-fire which cripples the flesh of
students, he did not lose the habit of
throwing off his clothes at the first onset
of desire.
(DW pI08)
Certes, on pourrait penser que cette caractéristique, ce
signe particulier, est une habitude individuelle propre à
Amah, mais l'insistance avec laquelle le narrateur soulign~,
par la suite la différence fondamp.ntale qui existerait entre
Blancs et Noirs dans le domaiùe sexuel, ne permet pas vrai-
ment de le conclure :
The possibility of entirely separate racial
habits, which their mutual culture denied,
dawned darkly.
(DW pI09)

- 233 -
Le narrateur explique alors,
à travers Amah,
une méthode
africaine des relations amoureuses où le mâle est, comme on
pouvait s'y attendre, celui qui domine, qui dirige, qui pos-
sède :
In Africa, he was accustùmed to tlie teasing
eroticism of separateness
( . . . ) Even as he
entered an African girl he would hold hJ.mself
away from her
( ... ) and he would watch himself
having the girl whom, when he had se en her a
few moments before in her clothes, in her full
social regalia, he had chosen to possess.
(DW pI09, c'est nous qui soulignons)
L'homme noir est d'ailleurs souvent imaginé ayant des ten-
dances au viol, viol de femmes blanches notamment. C'est un
fantasme qu'entretient Zoe Silk dans ce même roman, alors
qu'elle veut être possédée par le Noir américain, Jason Bailey
It was happening, i t was. The escaped slave
of whom she had dreamed ran gasping from the
swaTups into the barn and took her wi th the
futile yet noble remorse of an animal seeking
refuge in sensual oblibion.
( . . . ) Saon he
would rise with dripping loins and kill the
first man who entered the barn in pursuit.
(DW p434-5)
Ce mythe du Noir violeur de femmes blanches se re-
trouve encore dans The K-Factor. On peut trouver ici l'expli-
cation des appréhensions de Sonia Laslet à se dénuder pour
prendre ~es bains de soleil au bord de sa ~iscine pourtant
privée. Le narrateur d'explique~ alors
Despite her love of the sun, Sonia's breasts
and loins were not brown - he~e her bikini
had left its negative print across her flesh.

-
234
-
Happy to wander topless along Greek island
beaches,
she shrank from such exposure in
Africa, even behind the high NoorIsh wall
surrounding her swimming pool.
"I just feel vulnerable,." she had told Tricks.
(KF pSI)
(c 1 est nous qui soulignons)
"she shrank from such exposure in Africa", les craintes de
Sonia, bien que non spécifiquement d~finies, sont faciles à
deviner.
Ironie du sort, ou événement venant confirmer ses
pressentiments, ellp. se fait violer, à la fin du roman par
le terroriste noir, Willy. Willy qui est un personnage par-
ticulièrement antipathique rêve -
fantasme généralement prê-
té aux Noirs -
"to have eveJ:Y white ;'lOmen in Johannersburg"
(KF p57). Willy a toutes les caractéristiques du violeur, du
violeur noir en particulier, et Sonia ne manque pas de le
remarquer :
It doesn't seem possible to her that a man
can have a penis that size.
(KF p206)
Roger Owen, dans un article du TL~es Literary Supplement,
s'étonne lui aussi de l'évocation de ce détail:
There is also ~ rape scene - now almost
mandatory in novels about Africa -
( . . . )
The black guerrilla leader has an "enormous
penis".
Is i t a real one? Ts its enormity
imagined ?38
Coincidence ? toujours est-il que ddns la représentation men-
tale européenne, l'homme noir est censé aV0ir des mensurations
extraordinaires.
Un autre détail peut attirer l'attention du lecteur
quant au comportement de Willy alors qu'il viole Sonia:
Willy is grunting like a pig.
(KF p208)
38. Owen RogeJt, "ClUpp-tng a..t -tite Baobab", T0ne~ Ute.rûVllj Supplement

-
235
-
On retrouve là,
la même expression que celle utilisée par
le narrateur de At Fever Pitch, qui précisait alors:
"it was
a tribal tradition".39 On pourrait certes encore croire à
une coincidence mais la réapparition de cette expression
semble plutôt conforter la thèse qui veut que le Noir ait
'm comportement sexuel animal et une très forte libido. De
là à cùnclure que certains y voient
une des raisons pour
lesquelles beaucoup d'Africains sont polygames, le pas est
vite franchi.
Le narrateur de At Fever Pitch affirme d'ail-
leurs, en faisant allusion au contexte africain:
Everyone knows that man cannat be contented
with one woman alone and that i t is the arder
of things that a man should have many wives
ta look after him and keep him happy at
night.
(FP p99l
Avec cet exemple, on voit très bien comment l'auteur prend
une tradition africaine réelle,
ici la polygamie, la dépouille
de son contexte socio-culturel et lui donne une signification,
un sens tout à fait fantaisiste ~t imaginaire qui, tout compte
fait,
souligne et illustre certaines préconceptions.
Dans sa façon d'utiliser les traditions africaines et
de les présenter ainsi sur un ton détaché, comme pour souli-
gner l'évidence de ce qu'il dit, Caute rappelle beaucoup le
style exotique de René Maran, dans son rowan Batouala, qui
fut d'ailleurs couronné du prix Goncourt en 1921, parce
qu'entre autre"s qualités, il étai'<:- censé montrer la "vraie"
vie africaine. Batouala défraya la chronique par son attaque
virulente de la colonisation, mais fut vivement loué pour sa
~escription "véridique"
de l'Afrique, et pourtant, quelles
ne sont pas les inexactitudes que Maran fait dans l'interpré-
tation et la représentation de certaines coutumes de l'Afrique,
39. vo~ ~up~a , pZ31

· -
236
-
soulignant ainsi l'indigence de sa connaissance de ce monde.
Le livre, recèle des balourdises et prête à rire pour ceux
qui connaissent ces coutumes. Maran, malgré toutes les bonnes
intentions dont i l semble s'être muni, puisqu'en fait le but
de son roman n'était pas une critique du Noir mais plutôt
du colonisateur, dessert, ceux dont i l prend la déf.~nse en
les présentant comme de bons sauvages, dont les seuls soucis
avant l'arrivée des Blancs sont ainsi présentés
Les belles journées, que les journ§es de
cette époque
! Foin de souci
! Pas de por-
tage.
Pas de caoutchouc à faire ni de routes
à débrousser. On ne pensait qu'à boire, à
manger, à dormir, à danser,
à chasser et à
chevaucher nos femmes.
Yaba ! c'était le
bon temps .•. Parurent les premiers blancs. 40
Maran présente par ailleurs, quelques séries de cérémonies
rituelles telles que l'excision et la circoncision, qu'il
travestit et auxquelles i l donne Wle signification tout à
fait grotesque. Caute fait un peu la même chose lorsqu'il
présente la polygamie comme un moyen de satisfaire la libldo
débridée de l'Africain. ~ette interprétation par trop sim-
pliste et dévoyée de cette pratique fait apparaltre les hommes
co~~e d'insatiables étalons. On se rappelle à ce sujet, que
le père de Ferdinand Ybele, dans The Decline of the West,
après avoir eu.dix neuf enfants n'hésita pas, quand il sentit
faiblir sa virilité, à manger une fillette de trois ans afin
de retrouver sa puissance sexuelle. 41
40. MatlaY! Re..Y!é, Ba.-tou.ala, p61
41. vo~ ~up~, pZZ6

-
237 -
La femme africaine
On assiste encore au même procédé d'interprétation
lorsqu'au début de At Fever Pitch,
le narrateur explique
comment et pourquoi Nana, la jeune épouse de Sulley, porte
pour lui les lourdes charges
She, after the righful custom of her people~
would walk at a respect fuI distance behind
her husband.
And if he had something heavy
to carry,
then she would bear i t for him on
her head.
P~d this was good,
for she was
only a woman.
(FP pI6)
Hormis le fait qu'il semble fort peu probable que dans cette
partie de l'Afrique, une femme marche derrière son mari, la
tradition voulant en effet dans ces régions là,que la femme
marche devant son mari afin qu'il puisse intervenir rapide-
ment en cas de danger, le plus marquant est l'insistance
avec laquelle le narrateur présente la femme africaine comme
un être servile,
sans valeur, sans personnalité, et objet
sexuel par excellence. Quand le narrateur révèle par exemple
comme Nana éveille les sens de Su11ey, i l s'exprime en ces
termes :
A woman is a woman and an instrument of
man's pleasure and soon Sulley fell victim
to his wife.
(FP p73)
Plus tard, on apprend encore que "The act of love is the
symbol of an African woman's security"
(FP p74)
Exception faite de Camille Odouma, la soeur d'Amah,
dans The Decline of the West, qui fait une très brève appa-
rition dans ce volumineux roman, et qui occupe un rôle rela-
tivement important - non pas tant par sa personnalité qui
est à peine ébauchée ni par le fait qu'elle déteste les Blancs,

-
238
-
mais parce qu'elle est celle qui est si injustement et si
cruellement torturée et violée par les hommes du commandant
Laval -
la femme noire des romans de Cau te n'est qu'un être
lascif et sans beaucoup de caractère. C'est une "mammy" comme
i l aime à l'appeler.
Dans At Fever Pitch, le narrateur semble faire preuve
d'un certain ethnocentrisme lorsqu'il décrit ses femmes-là.
En effet
parce qu'elles étaient nues avant l'arrivée des
Blancs, elles sont considérées comme des êtres sans pudeur
The satin-skinned ma~ies bearing loads of
bananas and plantains on their heads with
the youngest of their young fixed to their
backs by that monstruous assembly of garments
which outraged missionaries and Lancashire
cotton magnates had once decided should
conceal their immodesty.
(FP pp5-6)
On rencontre aussi de curieuses remarques comme celle que
le narrateur utilise pour décrire cette "mammy" qui passe
devant un contingent de soldats ;
A young mammy waddled shamelessly past them,
her bare feet splayed out on the brown earth.
(FP p6)
(c'est nous qui soulignons)
On peut se demander pourquoi l'utilisation de l'adverbe
"shamelessly" si ce n'est pour renforcer l.'impressioJ! d'im-
pudeur. Un objet sexuel, c'est en tout cas la sensation qu~
l'on a presque' chaque fois qu'une femme noire est présentée.
C'est de toute évidence ce quP. ressentent les soldats qui
regardent passer cette jeune femme
:
The men watched her buttocks
disappear
into the. long grass
(FP p6)

-
239
-
Se dégage aussi une impression de disponibilité, et même de
lascivité, de la description des femmes qui,
lorsqu'on les
~ 1
'I
voit pilant leur fu fu,
sont assises sur des bidons d'huile
"with their strong legs thrust invitingly apart"(FP p23, c'est
nous qui soulignons)
Elles sont tout' au plus des valeurs marchandes que
l'on peut échanger avec plus ou moins de profit. On se rap-
pelle à ce propos,
les pensées du sergent Kulu AZillnbugu au
sujet de sa fille Sinaya qu'il cherche à mari~r :
"Heaven knows a daughter is worth only two
cows or three if she is fair with fine breast,
but Sinaya shall not be sold to these swine.
Soon the battalion shall return to Mapata
in our country and l will find her a man of
our people."
(FP p2I)
(c'est nous qui souli-
gnons)
Si aux yeux d'un Occidental, un Africain mariant sa
fille,
peut donner l'impression qu'il est en train de la
vendre à cause de la dot qu'il perçoit parfois selon certaines
traditions,
i l semble assez saugrenu que cet Africain pré-
tende lui-même qu'il a l'intention de la vendre. L'auteur
en essayant de se mettre dans la "peau" de son personnage,
ne réussit qu'à donner une interprétation pour le moins
bizarre de la signification d'un mariage traditionnel afri-
cain. L'auteur ne montre avec insistance que le côté intér~ssé
du sergent qui. est d'autant plus inquiet que sa fille commence
à vieillir prématurément
She had never been a great beauty and now
her breas~were beginning to sag. Sergeant
Kulu was vlorried : flabby breasts could
mean a cow less
(FP p2I)

-
240 -
Cette évocation de la femme africaine comme objet,
une sorte d'esclave sans droits, est présente encore dans
The K-Factor,
à travers une virulente diatribe que Patricia
lance, lors d'une discussion avec Hector, contre ce qu'elle
considère être le "super-chauvinisme" des hommes·noirs du
Zimbabwe et leur traitement abusif de leurs femmes. Elle s'en
prend alors à Hector qui se dit révolutionnaire luttant
pour la libération de son pays. Que font les révolutionnaires
noirs pour leurs femmes,
si ce n'est les mai~tenir dans
l'esclavage, demande Patricia à Hector,
leq'lel a décidément
de très faibles réparties:
"So you're a revolutionary. But when you
marry, your bride will be negociated by
uncles and a loloba agreed -
so many cows
for a human cow ?
( . . . )
"And wha t," Patricia
pressed,
"does your party, your Zanu, have
to say about the fact that women in Zimbabwe
enjoy the legal status of minors ?"
Hector shrugged.
"Under colonial regime-"
"Oh no, my dear.
It's rooted in your own
tribal law."
(KF p93, c'est nous qui soulignons)
Le problème semble être toujours le même:
l'interprétation
hâtive, hors contexte et ethnocentrique, de ce qui est ap-
parent. Sonia interprète, ce qu'elle voit,
sans vraiment
connaître les lois qui régissent des pratiques qui la cho-
quent parce que, ayant évolué dans un autre milieu, elle en
a une conception différente. Certes,
i l y a plusieurs points
sur lesquels l'on pourrait trouver à redire dans les rapports
entre les hommes et les felnmes en Afrique, mais en y apportant
un regard et une critique occidentaux, on ne fait que rendre
le problème encore plus complexe.

-
24I -
On peut penser que, malgré son désir de parler de
l'Afrique et de son monde, Caute n'en a pas toujours assimilé
le sens réel et profond. Il commet d'autres petites erreurs,
qui,
si elles sont amusantes semblent prouver que l'auteur
ne connaît pas toujours bien ce dont il parle, ou, tout au
moins, se montre quelque peu distrait. Lorsque dans At Fever
Pitch, par exemple i l introduit une scène où l'on voit Nana,
la jeune épouse de S~lley, en voyage, assise dans un camion
avec son bébé attaché.dans le dos, on ne peut qu'être surpris
Nana had travelled the long miles from the
North in a mammy wagon with the baby strapped
to her back and a heavy bundle of clothes,
pots.. ..
(FP p73)
En effet, le premier réflexe d'une femme africaine qui veut
s'asseoir alors qu'elle a un enfant dans le dos, est de déta-
cher son pagne afin de faire passer l'enfant devant elle sur
ses genoux.
Il est impensable qu'elle puisse rester assise
pendant un si long trajet en portant ainsi son enfant.
Autre détail amusant, dans The Decline of the West,
les personnages noirs rougissent et pâlissent. Tics de lan-
gage diront certains, méconnaissance de son sujet, réplique-
ront d'autres. 42 Toujours est-il que Tuckhomada, au début
du roman, alors qu'il tente d'obtenir sa carte d'immatricu-
lation et qu'il est ridiculisé par ses juges au tribunal,
réussit,
tout noir qu'il est,
à être rouge de colère devant
les sarcasmes des hommes de loi
The three judges laughed.
Raymond blushed
furiously and clenched his fists,
struggling
for self-control.
(DW p3I, c'est nous qui soulignons)
42. 011 110te. éga..f.e.me.11.t que. Ca.u..te. 6cU..t a..eJ.u.,~.i.on a.u P)U:J'LteJllp~ a.u. Coppvwic.a.
111 the. 6pJU.ilg, and aga.<.~ .Ln Augu.~t-Se.pteJllbe.Jt,
.the.
Il.oa.d lil1!ul1g Tw.i.b.i. w.U.il Potonou wa.~ liable. to b~
.oe.vC!te.d by 6lcodwat~. (VW pl Z, c.' eAt nOM qu..i. Mu.-
lignon6l

-
242
-
Quand sa femme, Sofie, est à son tour appelée à la barre,
elle aussi, malgré sa pigmentation, s'empourpre
Sa fie carne from the gallery and rnounted the
witness-box wearing her best French clothes
and a furious blush.
(OH p32, c'est nous qui
soulignons)
Qui plus est, le rouge aux joues de ces personnages-là, est
particulièrement "visible" puisque le narrateur insiste là-
dessus en le qualifiant de "furious".
Arnah Odouma également est "victime" de cette mani-
festation singulière. Un jour qu'il se trouve dans l'amphi-
théâtre d'une université parisienne, i l se penche indiscrè-
tement sur les notes de sa voisine. Celle-ci le surprend,
et alors :
"He blushed"
(OW pIOI). Les mêmes manifestations
physiques apparaissent lorsqu'en discutant avec Tuckhomada,
ce dernier le réprimande: Arnah "blushed"
(OW p484).
De manière tout aussi extraordinaire, i l a la fa-
culté de perdre ses couleurs lorsqu'il est en colère, comme
le jour où ses amis africains désapprouvent les solutions
politiques expéditives qu'il préconise contre les Blancs ùu
Coppernica
Arnah clenched his fists
he was pale with
fury.
(OW pI7I)
De même, avec ~'the blood rushed ta Jason's face"
(DW p332),
"pale with fury"
(DW p406),
"pale and tense"
(DW p4I6), Jason,
Noir américain semble lui aussi changer de couleur au gré
de ses humeurs. Son père aussi d'ailleurs.
Après la notation de tels phénomènes, on peut par
parenthèse , se demander si la langue du Noir a~éricain Jason,

- 243 -
qui est noire d'après la description du narrateur, a atteint
cette couleur parce que Jason, prisonnier,
est assoiffé
He was drenched in sweat and his black ton gue
hung out of his mouth like a dog's.
(DW p559)
ou si l'auteur imagine ainsi sa ~ouleur "naturelle". Jason
n'est pas le seul dans le roman à avoir la langue noire.
Lorsque Malcom Deedes est au Kenya, i l assiste à une révolte
de prisonniers qui s'en prennent à leurs gardes. Après de
violents affrontements, prisonniers et gardes - tous ~es
Africains -
se dirigent,
la langue noire, vers la citerne
d'eau:
Strangely, after such a conflict, prisoners
and askaris milled about together, dazed
and disoriented,
groping with black tongues
for the water
cart.
-
(DW p532,
c'est nous qui soulignons)
Certes,
tout comme Jason, eux aussi ont soif, mais si c'était
là la véritable cause de la noirceur de leur langue, ce serait,
i l faut l'avouer, une bien curieuse "réaction organique col-
lective".
Dix-sept ans plus tard, dans son dernier roman sur
l'Afrique, The K-Factor, Caute semble enfin se demander si
les Noirs pâlissent.
C'est en tout cas la question qu'il
fait poser à Sonia Laslet, Blanche du Zimbabwé qui pourtant
devrait bien connaître les Noirs pour être née et avoir
vécu dans ce pays. Sonia s'adresse ici à son hôte africain
Hector qu'elle accuse d'être pâle de frayeur à l'idée de
se faire tuer par une bombe :

-
244
-
"1 take i t the Land Rover is also mine-
proofed 7"
He inquired stiffly.
She laughed at his cowardice( ... )
"your
Zanla pals are getting quite switched-on
about laying eggs, which no doubt accounts
for yourpallor -
do blacks turn pale 7"
(KF pI4)
On peut se demander si Sonia, victime elle aussi d'un tic
de langage, se reprend en demandant s ' i l est vraiment pos-
sible à un Noir de blêmir, ou s ' i l n'y a pas de sa part,
une supposition que les Noirs ont tort de ne pas pâlir, ce
qui sous-entendrait alors qu'elle leur reprocherait d'être
des individus dépourvus de sensibilité et d'émotions: des
sauvages.
Il se dégage d'ailleurs assez souvent, à travers
les romans de Caute, une impression d'absence de sensibilité,
de raffinement, de délicatesse et aussi de tendresse du monde
noir,
tel qu'il y est décrit.
La première page de At Fever
Pitch s'ouvre sur une réflexion du narrateur qui sous-entend
cette "carence" chez l'Africain. Le narrateur, décrit un
prêtre africain en train de mon~er la colline menant au quar-
tier général des officiers anglais.
Derrière lui se trouve
l~ cimetière
The minister mopped his face.
Below he could
see the cemetery,
the rows of white graves
sYInInetrical beneath the palm trees.
A European might have found this macabre .••
(FP pl, c'est nous qui soulignons)
Le narrateur laisse au lecteur le soin de terminer sa ph~ase
que la logique inciterait à compléter avec les mots "but not
an African". A travers ce commentaire, i l révèle de façon
indirecte, ce qu'il croit être une conception africaine.

-
245
-
Dans une autre scène, le narrateur raconte comment,
alors qu'il était en service au Nigéria,
l'officier anglais
Chadwick trouva une solution au problème qui se posa à lui
lorsqu'il dut faire face à une meute de mineurs noirs en co-
lère. Pour les calmer, i l leur promit de tenir compte de
leurs objections, mais les mineurs ne voulurent pas se satis-
faire de vagues promesses et se montrèrent de plus en plvs
menaçants.
C'est alors qu'il lui vint une idée qui le sauva
de cette situation périlleuse:
"It's my dinner-time", he told the mob,"and
l
always have my dinner on time." He sent
his servants off and soon they were back
with a table, chair, and well-cooked meal.
Chadwick sat down before his astonished
audience and began to eat
( . . . ) The crowd
watched in hungry silence. Besides, you
can't attack a man when he's eating his
dinner.
Even the Afric~ns had picked up
that arnount of colonial etiquette. Gradually,
in small groups they broke away and dlspersed.
(FP p30,
c'est nous qui soulignons)
Le narrateur semble prendre le lecteur directement à témoin
et le mettre devant l'évidence de ses propos. Avec l~ mot
"even", i l introduit un jugement de valeur sur les Africains.
"Even" paraît sous-entendre que les Africains, bien qu'ils
soient rustres ou "sauvages" ont tout de même réussi à assi-
miler certaines "bonnes manières" occidentales.
TTn autre épisode encore,
illutitre d'une autre façon,
le "naturel sauvage" des Noirs.
Il s'agit de la scène dans
laquelle on assiste à une bagarre entre Nana, ,l'épouse de
Sulley, et Sinaya, son amie.
Sinaya, enceinte de Sulley, se
rend chez lui avec l'espoir qu'il la prendra également pour
épouse. Sulley, qui est alors "amoureux" de son patron, n'a
que faire de deux femmes et répond :

-
246
-
''l'm hungry.
l
can have one of you for a
wife, but only one. The other must go."
(FP p99)
Les deux jeunes femmes essaient de l'amadouer afin qu'il les
garde toutes les deux, mais Sulley est intraitable
Sulleyfinished his meal, wiped his mouth,
and declared finally :
"I can have only one
of you. That is that. One of you mU3t leave~
And he walked out into the e'!ening sunlight
with a ha rd heart to talk to the other men
and not to listen to the "agging women.
(FP p99)
Nana et Sinaya commencent à se disputer, puis elles en vien-
nent aux mains.
Le commentaire du narrateur est alors parti-
culièrement révélateur de ses préjugés :
The women quarrelled bitterly in the small
house of one room. Now there is a law, as
old as the Ten Co~andments and (sorne say)
more val id,
forthis law is a!:i universal a~
the world itself. This is the law of the
jungle, where Might is Right.
If this is a
cruel law,
then life is cruel, for aIl over
the world there is terrible cruelty and
violence, aIl the time. Now where men hav~
learned many ~hings so also do they learn
to restrain the law of the jungle. But where
little is know~and emotions rule, then the
law of force is more aoparent. And in the
jungle itself there is'only one law.
(FP pIOO, c'est nous qui soulignons)
L'ethnocentrisme du narrateur est très apparent à travers
ces remarques qui semblent servir d'explication à un lecteur
qui ne comprendrait pas bien lès raisons de cette violence.
La loi de la jungle est universelle, mais dans les pays OÜ
les hommes savent beaucoup de choses -
sous entendu en Occident -

-
247
-
ces hommes ont appris â maîtriser cette loi,
"but where
little is know and emotions rule . . .'. Ces propos réitèrent
également le mythe qui veut que le Noir ne réponde, en toutes
circonstances que par ses instincts,
tandis que le Blanc,
lui, réfléchit. A partir d'un événement qui aurait pu être
accidentel ou particulier aux personnages en quescion,
le
narrateur s'embarque dans des généralisations sectaires.
Un
simple incident devient l'illustration de "l'état sauvage"
du Noir. Le narrateur ne se contente pas d'octroyer à l'Afri-
que ce qu'il appelle la loi àe la jungle, il continue son
récit en lui donnant encore d'autres attributs, qui, pour
quiconnalt l'Afrique, lui sont gén~ralement étrangers
l'individualisme et ·l'indifférence. Alors que les deux fem-
mes se battent dans la maison, les voisins qui entendent le
bruit qu'elles font,
n'interviennent pas
For sorne time the anger of the women was
enough. They fought in the small house of
one room so that the baby cried ou~ and the
furniture fell to the floor and out:3ide the
men smoked their pipes and mocked Sulley
with their smiles. But this was hi~ affair
and if he wanted to let things run their
course then they would not interfere. For
this was their law.
(FP pIOO)
Cette scène illustre une fois de plus l'interprétation fan-
taisiste que Caute fai.t dew traditions africaines. 43
Les Africains de At Fever Pitch ont décidement des
manière3 de sauvages : on le constate encore dans les pre-
mières pages du livre lorsque le narrateur décrit le réveil,
au petit jour, de la ville de Bada:
43. L' J.ncüvJ.du.a1J.A me U le dé.ta.c ft eJl1e.n.,t v-i-6 à v-i-6 d' au.:tJu.usembleYLt pfutôt
ê.:tJte dM no.:ûon!.> 0 cc<.de.Iu:a..e.e.L VaH~ la -iltadilion a~Jt.{.ccUne.. .t' J.ncüv.uLu
n'Mt jama.-i-6 ~eul dan~ ~~ déu~/OI16. daM ~e..6 plw6lèll1M. dan!.> l'olt-
gan0~a..t<.on de -6a vJ.e.. daYl!.> .~a vù..

- 248 -
At five thirty in the morning Bada struggles "
to its feet.
( . . . ) Women kick their men and
light fires.
(FP p3, c'est nous qui soulignons)
La brutalité,
le manque de tendresse semblent être ordinairds
dans ce monde où les femmes réveillent leur5maris d'un coup,
de pied comme elles vaquent à leurs occup~tions qU2tidiennes.
Il peut toutefois paraître surprenant que ces mêmes femmes
qui ont, dans le roman, un statut d'inférieures par rapport
à leurs hommes,44 puissent les traiter de la sorte.
La sauvagerie est tant de fois soulignée dans les
faits et gestes des Africains, que l'on peut se demander si,
en décrivant les cheveux de Sulley, c'est "innocemment" que
le narrateur utilise le mot "untamed"
:
( ... ) a crop of wiry, untamed hair.
(FP p24)
Dans The Decline of the West, Caute ne met pas en
scène l'Afrique traditionnelle,
l'Afrique profonde. Les prin-
cipaux personnages africains y sont pour la plupart, des
intellectuels, ceux que l'on appelle des "évolués". !::ux sont
censés vivre de façon plus raffinée ayant acquis les "bonnes
manières". Le narrateur n'a donc que peu de fois l'occasion
de souligner l'aspect barbare de ce monde. Toutefois l'Afri-
que primitive et sauvage existe quand même dans ce roman. On
le note particulièrement à la fin du récit, où cette Afrique-
là refait surface. Six hommes se trouvent alors au milieu de
la jungl~ : deux prisonniers Amah et Tuckhumada, et les mer-
cenaires Deedes, James et Jason dirigés par Laval. Ils vont
bientôt être rattrapés par les patrouilles militaires ayant
pour mission de délivrer les détenus, mais le danger le plus
immédiat qui les guette est la jungle elle-même, qui ~ecèle
44. ~U.plÛ1, P 231

- 249 -
des sauvages. Deedes et Jason pàient de leur vie d'avoir osé
s'y aventurer seuls, Deedes le premier : apr~s avoir marché
plusieurs heures à travers la forêt :
A spear travelled through the trees with
the speed of light, ending his journey.
(DW p585)
Puis c'est au tour de Jason le Noir américain, de connaitre
la cruauté de la redoutable jungle. Croyant ainsi sauver sa
vie, i l décide d'aller vers ceux qui ont la même peau que
lui, sûr d'arriver à les persuader qu'il e~t un des leurs.
Mais, comme i l progresse, des cris lugubres et menaçants se
font entendre. C'est alors qu'horrifié,
i l découvre, empalée
sur un pieu et entourée de mouches bourdonnantes, la tête
coupée de Deedes
Impaled ori the stake. was Deedes'head. Flies
swarmed in squadrons around his nostrils,
the eyes,
the mouth,
the ears, the red
blubber of the severed neck.
(DW p609)
Cette effroyable image témoigne de l'extrême bestialité des
sauvages avec qui Jason se ~etrouve bientôt nez à nez
He turned to run ; and as he did so, the
faces watching him from between the trees
leaped into focus. They were intent,
interested faces.
( . . . ) Falling to his knees,
he searchedamong their impassive fac~for
sorne sign, sorne clue, sorne gesture which
would enable him to convince them that he
was a Neqro, an A~rican like themselves.
From another tribe, maybe.
(DW p6IO)
Après avoir donné des sueurs froides au lecteur, le narra-
teur lui laisse le soin d'imaginer la fin de Jason. On re-
trouve avec cette scène,
tout le mythe de l'Afrique sauvage

-
250 -
et dangereuse, un mythe que l'on retrouve dans tant de romans
sur l'Afrique et notamment dans les livres d'aventure
pour
enfants. Un article du Times Literary Supplement relève éga-
lement l'importance de ce passage du roman et en souligne
la signification
Surprisingly, in this overtly Negrophile
novel, there is an tinderlying fear of Africa,
a touch of The Emperor Jones and Heart of
Darkness : i t cornes across in the scene of
Jason Bail8Y's death,
against a thick wall
of jungle, stiff with unseen watching "natives"
and impaled heads. Admittedly, though, the
prime horror is the West. 45
On note également la description que le narrateur
fait de Jason quelques temps avant sa mort :
Thick, accumulated stubble 'had almost robbed
his moustache of its' identity. His finely
modelled features,
bombarded by forces which
he no longer understood, had relapsed into
savagery,
into a state of nature. (DW p604,
c'est nous qui soulignons)
"had relapsed into savagery;',
le mot "relapsed" suggère qu'il
Y avait déjà à l'origine, de la sauvagerie en Jason, héritée
peut-être de ses aieux africains.
Caute, dans The K-Factor,
ne dépeint pas non plus
l'Afrique trapitionnelle,
toutefois les personnages blancs
de ce roman en dénoncent à l'envi la barbarie, qui selon
eux,
fait pd.rtie intégrante de ce qu'ils nomment "the Y.-
Factor" .
Dans Under the Skin, par contre, qui n'est pas une
oeuvre de fiction,
c'est l'auteur lui-même qui réitère l'ima-
ge de l'Afrique sauvage. On se souvient en effet, du commentaire
45. "Pubüc. 6a.c.e".>, plUvate. p.e.a.c.eh", The. T.un~~ We)tQ.!r.u Supp.e.e.me.YLt

· -
25I -
qu'il fait après avoir évoqué l'horreur d'un massacre de
missionnaires et d'enfants par des terroristes noirs. 40
/
Dans une autre occasion, en éyoquant encore un massacre de
Blancs, i l compare l'un des survivants qui rencontre l'hos-
tilité des villageois africains au héros de Rider Haggard,
tülan Quatermain assiégé par des "natives"
:
Like Ridder Haggard's Allan Quaterrnain,
beleaguered among.hostile natives, McLaren
possèssed" and displayed
( . . . ) presence of
mind and strength of character.
(US p274)
Caute, comme On l'a vu à travers ces différents exem-
ples, conserve dans la description qu'il fait du monde des
Noirs, plusieurs archétypes qui font que l'on retrouve, mal-
gré l'actualité de ses romans,
l'image classique d'une Afri-
que de sauvages. On se doit toutefois, de se demander si
cette image a évolué, s'est modifiée d'un roman à l'autre.
\\
\\
"
46. f.>u.p!La., p228

- 252 -
f)
Evolution de l'Image à travers les trois romans
De nombreuses années séparent les romans africains
de Caute les uns des autres."7
Après avoir essayé de montrer
~e que ce romancier, a maintenu,
à traver~ eux, de l'image
classique et stéréotypée de l'Afrique, voyons si cette repré-
sentation traditionnelle a connu des transformations au fil
des ans.
Il aurait été possible de donner une réponse catégo-
rique et sans aucune équivoque, si, dans ses trois romans,
Caute mettait en scène à peu près les mêmes catégories de
personnages et dépeignait les mêmes milieux africdins. Or il
se trouve que, bien que les trois oeuvres soient sur l'Afrique
des indépendances, ce ne sont pas toujours les mêmes aspects
de l'Afrique, les mêmes classes sociales que Caute décrit. Le
personnage de Sulley, le jeune domestique dans At Fever Pitch
par exemple, est très stéréotypé, i l est l'image même du bOll
serviteur fidèle et souriant, du noir-enfant, du noir sauvage
f
1
;
,
aussi. Ce type de personnage n'existe pas dans The Decline of
the West dans lequel les principaux personnages noirs sont
des leaders africains. s ' i l y avait eu dans ce roman un domes-
tique noir présenté
au lecteur de façon différente, alors on
aurait pu constater une transformation de l'imagp-. Mais le
personnage disparaît tout simplement sans pour autant que
l'on puisse parler d'évolution.
Il réapparaît néanmoins dans
The K-Factor, avec quelques clichés classiques, mais i l a un
rôle si succi~ct que presque rien n'est dit sur lui. En effet,
on sait rarement ce que pense le vieil Isaac,
le domestique
47.
FP
7959
Vw.
7966
KF
7983

- 253
-
des Laslet, et encore moins comment il vit.
Le narrateur de
ce roman ne fait jamais pénétrer le lecteur dans l'univers
intime de l'Africain. On pourrait conclure qu'il y
a l~
une certaine prudence de la part du romancier qui préfère
ne plus se hasarder dans un domaine qu'il ne connait pas bien.
Peut-être, dans ce cas-ci, pourrait-on parler d'une cert~ine
forme d'évolütion puisque son narrateur ne se permet plus le
même genre de commentaires que par le passé. Pourtant clichés
et archétypes ne disparaLssent pas de ce roman, comme on va
le voir plus tard.
Si l'on ne retrouve pas les mêmes personnages dans
les deux premiers livres de Caute sur l'Afrique, on peut tou-
tefois dire que l'Afrique traditionnelle -
sans les Blancs -
y est de part et d'autre profondément la même. Des deux côtés,
1 1
on sait qu'elle était primitive et païenne avant l'arrivée
des missionnaires blancs et qu'elle était, et est peut-être
encore, le théâtre d'horribles r i t e s :
sacrifices humains
d'un côté, cannibalisme de l'autre. A première vue, on pour-
rait dire que c'est dans At Pever Pitch que l'on retrouve le
plus la vision classique et mythique du continent noir, et
cela semble s'expliquer par le fait que le narrateur, dans ce
livre, montre au lecteur un univers qui ne lui est pas fami-
lier.'Ne pouvant faire appel à ses seules connaissances, i l
se sert de son imagination et ce faisant i l réitère - proba-
blement inconsciemment -
les mythes les pl~s tenaces sur
l'Afrique et ses habitants. Dans The Decline of the West,
Caute se préoccupe plus du monde des Africains lettrés. On
peut penser que l'auteur considère ceux-ci "évolués", et est
ainsi moins tenté d'en faire des stéréotypes. Néanmoins,
peut-
être pour donner un "parfum d'exotisme"
à son roman, ou pour

-
254
-
ne pas trop décevoir un lecteur avide de sensations et de
pittoresque, Caute utilise ça et là quelques archétypes
conventionnels et qui plus est,
il termine son roman sur
une image qui confirme bien que l'Afrique des sauvages est
malgré tout toujQurs vivante avec sa jungle remplie de pri-
mitifs armés de flèches redoutables. 4B
On ne peut donc pas vraiment parler d'une évolution
de la représentation de l'Afrique, dans le deuxième roman,
par rapport au premier.
Dans le dernier roman de Caute, The K-Factor, comme
dans le deuxième, le narrateur ne pénètre jamais dans le
monde des Noirs. Pourtant les personnages noirs y sont nom-
breux mais on ne les voit jamais dans leur· intimité. En cela,
sans doute Caute semonb:e-t-il plus réaliste car ainsi i l ne
leur invente pas un univers fantaisiste. Mais pourtant les
clichés et archétypes n'ont pas disparu de ce roman. L'au-
teur a changé sa technique narratrice dans ce dernier ouvra-
ge :
le narrateur y fait beaucoup moins de commentaires
"personnels". La plupart des opinions toutes faites et les
stéréotypes sont réitérés à travers les commentaires des
personnages blancs. Si l'on prend un exemple concret: dans
}I.t Fever Pitch,
le lecteur est transporté dans une maison
africaine et assiste à une discussion entre les membres de
la famille, découvrant ainsi leur façon de vivre, leurs C0U-
turnes. C'e3t ainsi que l'on entend le père de Sinaya, l'amie
.
.
de Sùlley, se plaindre de ce que sa fille ne lui rapportera
pas grand chose quand il la vendra. 49 Dans The K-Factor par
48.
,~uplta, p249
49 •
.in6Jta,
p239

-
255 -
contre,
la même interprétation du mariage traditionnel afri-
cain subsiste, mais cette fois-ci l'auteur ne met pas en
scène des personnages africains. Il renouvelle cette image
par l'intermédiaire d'un de ses personnages blancs. On se
souvi~nt en effet de Patricia disant à Hector :
When you marry, your bride will be negocia-
ted by uncles and a loloba agreed -
so many
cows for a human cow ?
( •.. ) It's rooted in your own tribal law.
(KF p93)
Un autre exemple, dans les trois romans i l est fait
mention de l'odeur des Noirs.
Bien qu'elle soit abordée de
façon différente dans chacun des livres,
le lecteur en reti-
re une conclusion identique : les Noirs do·ivent avoir une
odeur bien particulière, une mauvaise odeur. Dans At Fever
Pitch,
le narrateur dévoile les sentiments racistes du jeùne
Anglais Michael Glyn, vis à vis des Noirs :
He knew the instinctive phvsical antipathy
between black and white; When they had qone
to bush camp and the men had dug slit
trenches under the burning sun, they used
to sweat and smell of garlic. They did not
eat garlic ; they simply smelled that way.
Glyn had been repelled. Sulley had never
smelled of garlic. He knew that the hosti-
l i tY to mixed marriages displayed by Iris
Rimbault and Hyacinth RidleY-Smith was mc~e
than mere snobbery i
i t was a basic physical
repugnance. But i t can be overcome.
( . . . )
The women of Bloomsbury have overcome i t
and he also, with Sulley ..• So lust is
potent.
(FP ppl06-7, c'est nous qui souli-
gnons)

- 256 -
"He knew the instinctive physica1 antipathy between black
and white", le narrateur. avance ces propos comme s ' i l s'a-
gissait d'une vérité universelle. L'utilisation de l'arti-
cle défini "the"
renforce cette impres~ion, et 1~ fait de
poursuivre le commentaire par un témoignage de la mauvaise
odeur des ,Noirs semble avoir pour but d'expliquer que ce
que le narrateur appelle la répulsion physique inRtinctive
entre Blancs et Noirs, est en fait une répulsion du Blanc
pour le Noir du fait de son odeur. Les sentiments du narra-
teur se mè1ent ici à ceux du personnage.
Dans The Decline of the West,
les mêmes affirmations
reviennent, mais cette fois-ci le narrateur en laisse la
"paternité" entière à un personnage blanc
il s'agit ici
de Bob Bendix, un fermier blanc vivant au Kenya. Après
avoir recueilli le vieux Ma1com Deedes à la suite de ses
déboires avec l'armée, i l finit par le faire partir pour
le Nlgéria. Alors qu'il le fait monter à bord d'un bus lo-
cal, Bendix pense à ce qui attend Deedes le long de son
voyage dans ce bus plein de Noirs
He knew that he wasn't fit enough for such
a journey ; the sun wou1d crack his skull
open before noon
( ... ) his bowe1s wou1d
ache and his stomach wou1d retch at the
sme11 of the c10sely packed Africans. The
oasis of racial enmity, Eendix be1ieved,
was sme11.
(DW p52?)
Caute procède de la même manièr~ dans The K-Factor :
il fait encore parler ses personnages blancs qu'il fait
revenir sur le même thème. -C'est tout d'abord le père
Joseph Lawrence, missionnaire blanc, qui,
indirectement,

- 257 -
fait allusion à l'odeur des Noirs. Ami des Laslet, i l passe
un week-end à la ferme de ces derniers. Dans la nuit alors
qu'ils sont tous couchés, des bruits confus se font enten-
dre au dehors. Le père Joseph q'li aurait. aimé aIl er rassu-
rer Sonia, n'ose pas sortir de sa chambre qui se trouve
dans une dépendance près de la maison.
Il a peur de ne pas
être reconnu par les chiens, et le narrateur d'expliquer
entre parenthèses :
(Joseph had spent so many years rubbing
noses with Africans that he wondered whether
he .smelled quite white enough)
(KF p25)
On peut penser, en faisant également une parenthèse, qu'il
semble d'assez mauvais goût de la part de l'auteur de prê-
ter ces pensées à un homme de religion, mais peut-être
veut-il montrer qu'un prêtre n'est pas un saint.
Un autre personnage blanc dans ce roman souligne
encore l'odeur des Africains.
Patricia, l'amie de Sonia
Laslet se déclare elle-même raciste. Elle écrit icl à son
amie Gertie :
Did l
confess to you about my racism ? No ?
( ... ) l
wouldn't fancy i t with a black,
even a black woman.
( . . . )
l don't know
whether l'd lik2 Africa,
i t seems to me
they eat a lot of gèrlic or sorne root which
smells bad : is every
daughter of the mas-
ter race obliged ta give herself to Hector
and Co.
in eternal expiation ?
(KF p96)
L'occuncnce de ces propos sur l'odeur des Noirs
dans les trois romans est très frappante.
On serait tenté
d'y lire une obsession propre uu romancier.

-
258 -
Dans son dernier roman donc, Caute,
le plus sou-
vent, attribue à ses personn~ges blancs la représentation
stéréotypée des Noirs. Sans doute est-ce là une façon plus
neutre de s'exprimer, pvisqu'avec cette technique on ne
peut lui imputersystématiqueruent toutes les remarqueS par-
tisanes et ethnocentriques de son oeuvre. Mais on ne peut
pas non plus parler d'une évolution de l'image de l'Afrique
dans ce livre par rapport aux précédents, parce qu'encore
une fois,
si l'auteur ne fait pas référence à certains as-
pects de l'Afrique comme il le faisait avant,
il n'améliore
rien pour autant. S'il ne dépeint plus le milieu tradition-
nel africain, cela ne veut pas dire qu'il en fait une meil-
leure approche.
Le narr~teur se montre d'ailleurs assez am-
bigü à certaines occasions comme lorsqu'il fait référence
à des "empty roads laid down by a superior civilization". 50
Et puis i l y a ce commentaire dans Under the Skin à propos
de l'image que les Blancs ont de l'Afrique, qui vient con-
firmer l'impression que l'on peut avoir que dans l'esprit
de Caute, l'Afrique des sa~vages - telle qu'on l'a toujours
connue dans la littérature -
n'est pas tout à fait morte. 51
Il parait intéressant aussi de noter, dans l'ana-
lyse des romans de Caute,
que s ' i l est possible au lecteur
de déceler,' à la lecture de ces oeuvres,
l'origine de l'au-
teur et partant de son narrateur,
à travers le type d'ima-
ges qu'il donne de l'Af=ique, un autre élément vient encore
faciliter cette identification:
i l s'agit de l'utilisation
assez fréquente qu'il fait d'un certain vocabulaire. 52
On remarque, par exemple dans At Pever Pitch,l'usa-
ge presque exclusif du mot "mammies" pour désigner les fem-
mes africaines :
50.
Voilt 6Uplta., p6 Z
51.
Vo.ü .6uplta., pZZE
52. Vo~ab~lai~e te Dlub ~ouvcn~ ~~6C~V[ aux Nci~6 - ou aux
aut·H{ hab~.ta.Y1..t6 de pa~n d-i.t:, cxot..;.quc.o - c.:: .~C'UVCH.t è.
~oYl.no.ta..tiOYl.6
p~jo~at.{ve6.

-
259 -
Across the grass, outside the servants'
quarters, the mammies had stopped pounding
fu fu.
(FP p2)
His pale brown eyes focused on the satin-
skinned mammies
(FP p5)
A young mammy waddled shamelessly
(FPp6)
Presently he paused awhile to survey the
married servants' giders across the grass
where the mammies were chattering and
pounding fu fu
(FP.pI5, o'est nous qui sou-
lignons)
Ce mot revient à maintes reprises dans le roman. Dans les
deux autres livres de Caute sur l'Afrique, on ne retrouve
pratiquement pas de femmes parmi les personnages noirs,
cela explique peut-être la disparit.ion presque totale de
ce mot dans ces oeuvres.
On le rencontre une fois dans The Decline of the
West, dans la scène qui s~it un massacre de villageois par
le sadique Laval. Une des victimes est décrite, d'abord
comme une "large woman", ensuite comme une "big mammy"
(DW p440)
On peut se demander également, pourquoi les enfants
afiicains, chez Caute sont des "pickins" ou des "piccannins"

The mammies forget about the pickins on
their backs.
(FP -p40)
Pickins, tiny from roadside wave
(FP p113)
Frolicking piccanins froze into the shadows
of.their mothers' bulky bodies.
(RF p14)

-
260 -
Tout comme on a remarqué l'emploi du mot "lingo" 53
l'on rencontre également les termes "tribe" ou "tribal".
Beaucoup condamnent l'utilisation de ces termes pour dési-
gnerles peuples non occidentaux. Pour Chinweizu,
le mot
"tribu", est un mot délibérément péjoratif:
The 13 million Yorubas, more numerous than
the Swedes or the Welsh or the Scots, are
just a tribe ; the Bausas, whose cities
include the thousand-year-old Kano, are
just another tribe
( ••. ) the Fulani, whose
Islamic sultanate lasted a century and
covered an area the size of Texas are just
another tribe
( ... ) Clearly, the designa-
tion "tribe"
is just an imperialist pejo-
rative. 54
Il serait injuste, toutefois, de ne pas relever que Caute
dans Under the Skin, utilise ce terme en parlant des pre-
miers pionniers blancs en Rhodésie. Mais i l serait tout
aussi partial de ne pas souligner que dans l'emploi qu'il
en fait,
le terme "tribu" prend alors une majuscule
A short history of the White Tribe in
Rhodesia.
(US p28)
L'introduction de la majuscule dénote un certain respect,
une admiration, ou alors c'est une façon, pour l'auteur,
de se faire "pardonner" d'avoir osé employer ce mot en ré-
férence à'des Blancs, ce qui n'est pas de coutume. La ma-
juscule servirait alors d'édulcorant.
On constate aussi chez Caute,
l'utilisation exces-
sive des mots "Black" et "Negro",
ce qui ne fait encore
que souligner les origines de l'auteur. Ceci se remarque
53.
VoÜ wplta,
pp 202-203
54. Ch~nwe~zu, The We~t and ~he Re~t 06 u~,
p387

-
26I -
particulièrement dans certains passages de The Decline of
the West. Voyons par exemple comment le narrateur intro-
duit Soames Tuf ton et les invités qui sont réunis chez lui,
un jour :
In a large villa situated in the most ex-
clusive enclave of European Thiersville,
three families had gathered for lunch.
( •.• )
Then the' telephone rang.( .•. )
"It's for you,
father," Sarah Tuf ton said.The Hon. Soames
Tuf ton apologized to his guests
( •.. ) The
Englishman took up the receiver.
( ... )Sara chose a place beside a tall young
man with fair hair ( ... ) His name was James
Caffrey.
( . . . ) Chester Silk, dragging on an
unlit cigar, was half asleep ( . . . ) His wife,
Amanda, Soames'
sister, sat thin and stiff,
scrutinizing her daughter,
Zoe
( . . . ) The
Baileys - The fu~eric~n Negroes -
( •.. )
Powell Bailey
( .•. ) Lucille
( . . . ) as for
their son Jason.
(DW p41-43)
Après avoir, implicitement et ~xplicitement défini la "cou-
leur" de ces différents personnages, poùr se référer: il eux
par la suite, i l utilisera le plus souvent, pour les per-
sonnages blancs: leurs noms respectifs, quant aux persvn-
nages noirs, ils auront en plus de leurs noms ou il leur
place,
un déictique se rapportant il leur couleur
Jason threw Zoe Silk a brief, anguished
plea. But she, cocooned in her private mys-
tery, would not acknowledge the young
Negro' s existence.
(DW p43)
Lorsque Soames et Bailey se toisent du regard, le narrateur
note :
He and the Negro stared at one another
painfully.
(DW p46)
Et quand les hommes discutent entre eux,
on l i t

-
262 -
"You know something" Chester Silk yentured.
"Its never been clear ta me why this goddam
country is called Coppernica"
( . . . )
"l' m sure Hr Bailey Knows," Soames said
( ... )
The Negro waited ta be called.
"Sa go on, Powell,"Chester Silk commanded.
(m.;r p49)
La conversation continue entre les trois hommes, et devant
l'irritation croissante de Chester Silk :
The Negro diplomat withdrew into his shell.
(DW p50)
Dans la mesure où le narrateur a déjà précisé, dès leur pre-
mière apparition dans le roman, que les Bailey étaient des
Noirs américains, le mot "negro" semble désormais redondant,
ou alors souligne-t-il le côté insoiite de cet "état". Lors-
qu'il se réfère à Chester Silk,
jamais on ne l i t "the white·
diplomat" ou encore "the white ambassador". Sébastien
Joachim, dans une étude intitulée Le Nègre dans le Roman
Blanc, remarque
Colette Guillaumin, dans sa belle étude
"L'idéologie raciste", une analyse de con-
tenu de la presse française
(1945-1960)
n'a pas manqué de souligner "l'irrelevance"
de /indigène/,/africain/, et autres termes
semblables quand ils sont appliqués à un
monsieur qui s'appellerait Modibo Keita,
ou qui naîtrait en texte ·sous le signe "le
président de la République du Mali". Nul
écrivain français ne s'aviserait d'intro-
duire en texte M. Giscard d'Estaing par
l'expression: Le Blanc Giscard d'Estaing/
ou l'indigène. Cela sentirait une charge
du "Canard enchaîné"
ou un parti pris idéo-
logique, comme celui de Jacques Floran

.• 263 -
(Suis-je assez blanc pour vous ?, Mercure
de France, 1974) ou celui de Jean Anglade
(Les Singes de l'Europe). Dans leur récit,
ces auteurs inverse~t les rapports de for-
ce au profit du Tiers-Monde, en plaçant la
sauvagerie en France et la civilisation
respectivement à Abidjan et dans l'Amazonie. 55
Chez Caute les appe~latiQns en référence à la couleur noire
semblent véhiculer une impression d'étrangeté, et même, par-
fois de sensationnel, comme lorsque l'on assiste à une invi-
tation offerte par le Premier ministre du nouveau gouverne-
ment du Coppernica. Le narrateur décrit les différents invi-
tés éparpillés ça et là dans une pièce, puis i l s'arrête sur
Soames en train de discuter avec le Général Cartier, c'est
alors que quelqu'un touche Soarnes à l'épaule:
At this juncture a hand descended firrnly on
Soarnes'
shoulder.
It was black.
(DW p59,
c'est nous qui soulignons)
Ou encore, comme lorsque le narrateur dépeint l'arrivée de
Zoe Silk et de Jason Bailey à Washington chez la tante de
Zoe
They reached Laura Silk's house soon after
nine. A Negro servant took their cases
( ... )
She clasped Zoe to her coldly ( ... ) Finally
she focused cold,
frog's eyes on the young
Negro
( ... )"Jack will show you to your room"
she said dismissively. He followed the black
servant upstairs
(DW p419, c'est nous qui
soulignons) .
55. Joachim Séba~~ien, Le Nèg~e dan~ le Roman Blanc, p47

-
264-
On note l'insistance marquée du narrateur sur l'appartenan-
ce raciale du domestique et de Jason. Par contre, lorsque
le maître d'hôtel est introduit,
le procédé narratif est
tout autre :
She pressed a bell and the butler appeared.
"Bring sorne more ice, Pedro, to freshen the
drinks."
Pedro bowed and went out.
"He doesn't understand much English," she
explained,
"he cornes frcm sorne Spanish
island.
(DW p420)
On constate donc chez Caute, une espèce d'''obses-
sion" sur ce qui est noir, ce qui lui fait donner parfois,
dans ses descriptions, des détails pour le moins amusants,
comme lorsque dans The K-Facto~, il raconte les mésaventu-
res du terroriste Willy qui, à l'âge de treize ans entra
clandestinement en Afrique du Sud, et après avoir erré pen-
dant plusieurs jours, finit par se faire arrêter par la
police. Le narrateur décrit alors l'état dans lequel on le
trouva :
By the time the y picked him up in Soweto,
his black buttocks were naked through his
torn trousers and he stank so bad that
even the police dogs fainted.
(KF p57)
.On peut se demander pourquoi la précision "his black
buttocks" à moins qu'il ne soit pa.cticulièrement singulier,
pour un Noir d'avoir les fesses noires. Ou alors le narra-
teur a-t-il voulu signifier que Willy a le derrière parti-
culièrement noir par rapport au reste de son corps, ce qui
ne semble pas vraiment être le cas ici.

-
265 -
Tous ces "petits" détails semblent confirmer le
fait que malgré sa connaissance de l'Afrique, c'est tout de
même un regard d'étranger que Caute porte sur elle à tra-
vers ses romans. Non pas qu'il soit absolument i~possible
à quelqu'un d'extérieur à l'Afrique d'écrire sur ce conti-
nent, mais plutôt qu'il lui est souvent difficile de le
faire sans laisser transparaître certains a prioriss'il n'y
prend garde.

-
267 -
CONCLUSION
Ecrivain du vingtième siècle, Caute,
à travers ses
romans sur l'Afrique, donne à ses lecteurs une représentation
à
la fois réaliste et mythologique de ce continent.
Nous avons montré dans la première -partie de notre
travail combien le "réel",
c'est à dire les événements vrais
et appartenant à l'histoire de l'Afrique,
était utilisé par
l'auteur et imbriqué dans ses récits fictifs. Caute se mon-
tre un manipulateur du réel par excellence. Le lecteur,
s ' i l
est un tant soit peu averti des choses de l fAfrique , n'a au-
cun mal à reconnaître le Ghana dans At Fever Pitch,
le Congo
belge dans The Decline of the West, quant au troisième roman
The K-Factor,
l'auteur ne se donne même plus la peine d'us~r,
comme dans les deux premiers livres, du subterfuge des noms
fictifs,
puisque le pays où se déroule l'action se nomme le
Zimbabwe. La situation politique et sociale de ces différents
pays est visiblement empruntée à la réalité. Les conflits
relatifs aux indépendances y sont reproduits de façon fidèle,
permettant justement au lecteur d'identifier les pays en
question.-
L'un des regards que Caute jette sur l'Afrique, et
que nous analysons dans cette première section, le différen-
cie de ses prédécesseurs, romanciers pré-coloniaux et colo-
niaux, en ce sens qu'il essaie d'aller plus loin qu'eux dans
sa présentation de ce continent. Dans ses romans, en effet,

-
268-
l'Afrique n'est plus uniquement un décor exotique oü se dé-
roulent des aventures avec et entre des Européens, et ·où les
Africains ne sont que des éléments de ce décor.ou,
tout au
plus des figurants.
Caute donne à certains de ses personnages
noirs· un rôle intéressant qui leur permet de s'affirmer en
tant qU'Africains.
Il arrive de façon extraordinair~ à ren-
dre l'atmosphère brûlante des pays africains à la veille ou
au lendemain de leurs indépendances. L'Afrique nouvelle qui
nait de tous ces bouleversements est très bien vue, notamment
les nouvelles catégories de classes sociales africaines qui
apparaissent. Cette Afrique a existé et existe encore, même
si el~e est vue ici à travers des oeuvres romanesques.
Caute lui même, d'ailleurs,
semble convaincu de
l'image du réel que peut véhiculer un roman. Lorsque, par
exemple, dans son livre-reportage Under the Skin, i l décrit
la pénible vie qui fut celle des premiers Blancs dans le
sud de l'Afrique,
à titre d'illustration i l prend l'histoire
de la vie d'un couple de fermiers blancs, qu'il extrait non
pas d'un livre d'histoire, ou d'un documentaire"ou encore
d'un témoignage d'histoires vécues, mais d'un roman Ge Doris
Lessing : The Grass is Singing :
It was a hard life, of course:
the Pioneer
men and women are for the most part extraor-
dinarily tough people
( •.. )
No one who reads Doris Lessing's remarkable
novel The Grass is Singi~g, will forget
the grinding poverty of Richard and Mary
Turner, their desperate farm at Ngesi, the
tiny house with its tin roof and terrible
heat, the inevitable failure of Dick's
farming schemes and calculations, hard
though he toils.
(US p54)
Caute parle des Turner comme s'ils avaient existé ou comme
s'ils représentaient le prototype même des pionniers blancs

-
269 -
dans cette région de l'Afrique. Cette représentation lui
semble correspondre à la réalité.
Plus loin, dans le
même livre, i l raconte comment un avion transportant des
Blancs fut abattu par la guérilla et comment les survivants,
marchant à travers champs,
rencontrèrent l'hostilité des
uillageois. En décrivant l'un de ces rescapés, Caute s'ex-
prime ~n ces termes :
When he finally extracted sorne water McLaren
took i t back to the survivors at the scene
of the crash before returning to the village
for more. Like Rider Haggard's Allan Quatermain,
beleaguered amona hostile natives, McLaren
possessed and displayed what Mrs Cole later
called "Presence of mind and strengh of
character.
(US p274, c'est nous qui soulignons)
Ces deux exemples viennent étayer notre propos, lorsque nous
estimons que l'on ne peut séparer l'oeuvre romanesque d'une
certaine réalité sociale présente dans cette fiction.
Dans les romans de Caute, la suffisance et le manqu3
d'auto-critique des Blancs d'Afrique sont très nettement mis
en relief, ce qui donne à ses intrigues une résonance anti-
colonialiste. Mais une lecture attentive de ses livres ré-
vèle une certaine ambiguïté chez l'écrivain. On constate,
contrairement à ce que ses opinions auraient pu laisser pré-
voir, une certaine constance imagistique, que l'on remarque
dans la littérature classique. Caute reprend en effet plu-
sieurs des mythes et archétypes traditionnellement appliqués
aux Noirs et à l'Afrique. On peut se demander, alors que
l'auteur semble dénoncer le système colonial, le pourquoi
4u maintien de ces représentations stéréotypées qui, du
temps de l'empire colonial, servaient, entre autres, de
justifIcation à la tutelle européenne en Afrique :

-
270 -
Dès l'époque OÜ la colonisation est-identi-
fiable comme extension ultra-marine des
structures de l'économie de marché implantée
en métropole, l'image du Noir paraît en lit-
térature systématiquement tronquée et figée
dans certaines attitudes
(les stéréotypes)
le mauvais nègre,
le nègre bon enfant,
le
nègre lubrique, sot,
ignorant, barbare
( ..• )
Le "fardeau de l'homme blanc" trouve sa cau-
tion morale dans l'image' du nègre qu'il
s'agit de sauver des ténèbres de l'ignorance
et de la superstition. 1
Il semble que chez Caute la reprise de certains de ces cli-
chés ne soit pas tendancieuse, mais plutôt qu'elle r~lève
d'une sorte de réflexe, d'une habitude de pensée, que l'on
croit pouvoir qualifier d'européens.
Elle illustre la difficulté que rencontre un écrivain euro-
péen à évoquer un monde qui, de tout temps, a été dévalué,
caricaturé, infantilisé dans les livres qui ont fait partie
intégrante de son éducation, et qui ont, nous le pensons,
joué un rôle important dans l'image inconsciente qu'il s'est
faite de l'Afrique. 2
De nombreuses études faites sur l'image du Noir et
de l'Afrique dans la littérature
(française, anglaise, C2na-
dienne)
en révèlent une représentation stéréotyp~identique.3
L'exemple de Caute ne saurait être une coïncidence : i l donne
au lecteur une vision européenne de la "réalité africaine".
Il retombe malgré lui dans les ornières communes.
Si cette vision pe~t parattre dépassée, en y regar-
dant de plus près on constate qu'elle s'inscrit en fait
dans un courant de pensée encore très actuel en Europe, et
qui se manifeste de façon
diverse
on le remarque de fa-
çon très fréquente dans le comportement de nombreux Européens
vis à vis des Noirs de passage ou vivant sur leur continent:
1. VO!L6-<-nville. Max, plté&ac.e. a. Joac.lul11 Séba.6-ûe.I1, Le. Nèglte. dan-b le. IwmM
blanc. pp12-13
2. Ol~ ltc.tJWUVQ d' cU.Ue.U!',,~. a~ ~ c.:~.cu.vcn:t le.~ 110111:' de KZpJ.:.Ùlg, Dar..w'<'n,
hagga/1.a dan,6 te.<> .'wmaIt6 d'2 Cau.tc..
3. vo..iA b'<'blio gtutpiue.

-
271 -
le cinéma,
la télévision,
les journaux, les livres -
les·
livres pour enfants notamment - en fournissent aussi une
illustration assez éloquente.
Il n'a pas été question, bien entendu, de faire le
procès de David Caute, mais de souligner un point qui nous
paraît important à une.époque où le lecteur est universel,
d'autant plus que nous sommes convaincue que c'est un fait
qui a dO passer inaperçu pour bon nombre de lecteurs non
critiques
Le devoir du chercheur en littérature rejoint
ici celui de ses collègues biologistes, psy-
chologues, historiens. Montrer au lecteur
qu'une longue tradition pèse sur lui, que
sa vision des Noirs ne diffère pas encore
essentiellement de celle de ses aïeux,
qu'il raisonne selon des catégories trans-
mises de père en fils,
c'est peut-être le
mettre en face de ses responsabilités. 4
4. Ho 66ma.I1.Y!, op cU:.., P 2b 'a

- 273
-
BIBLIOGRAPHIE
Nous ne prétendons pas présenter une bibliographie
exhaustive, ni sur les écrits de Caute, ni sur l'Afrique
dens la littérature a~glaise. On ne trouvera référencé que
les ouvrages qui de près ou de loin, nous ont été utiles
pour une meilleure approche analytique de nos romans, ou
qui nous ont paru intéressant dans le domaine qui nous
importe.
l
- Livres de Caute (ordre chronologique)
1 . Romans étudiés :
CAUTE David, At Fever Pitch, London, Quartet Books, 1973
, The Decline of the West, London, André Deutsch,
-------- 1966.
_ _ _ _ _ _ , The K-Factor,
London, Michael Joseph, J983.
Nous faisons souvent référence aux ouvrages politiques sui-
vants :
CAUTE David, Frantz Fanon, New York, The Viking Press,
1970.
, Under the Skin, The Dea~h of White Rhodesia,
------- London, Allen Lane, 198J.
2 • Autres ouvrages de Caute,
CAUTE David, Comrade Jacob,
(1961)
London, Quartet, 1973.
___________ , The Demonstration,
(1970)
London, Panther, 1973.
The Occupation,
(1971)
London, Panther,
1972.
________ , The Illusion,
(1971)
London, Panther, 1972.
__________ , Collisions,
(974)
London, Quartet, 1974.

274 -
t .
II
-
Ouvrages généraux
(ordre alphabétique)
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1982.
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"War Cries and Swan Songs", London Magazine,
June .
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Les deux livres sont traités dans le même article.
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"A Novel Commitment to Africa", Guardian, May 30.
JONES J. D. F.,
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July 20.

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(Race, Sex and Class in Children's Books)
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GREENFIELD Meg, "The Condescension of Whitespeak" , Newsweek,
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-
291 -
ANNEXE
Biobibliographie succincte
David Caute est né en 1936 à Alexandrie où son père était
alors dentiste dans l'armée britannique.
Il effectue son service militaire au Ghana de décembre 1955
à
septembre 1956 : à son retour i l écrit At Fever Fitch.
En 1979 et 1980 il est "Literary Editor"
du New Statesman.
S'intéressant aux problèmes politiques du Zimbabwe, i l ef-
fectae dans ce pays plusieurs brefs séjours. Caute est à
la fois historien, politologue, dramaturge essayi~te et
romancier.
L'ensemble de ses oeuvres comporte :
1 . Romans
At Fever Pitch
(1959)
Comrade Jacob
(1961)
The Decline of the West
(1966)
The Occupation
(1971)
The K-Factor
(1983)
2 . Etudes Politiques
Communism and the French Intellectuals,
1914-60 (1964)
The Left in Europe since 1789
(1966)
Essential writings of Karl Marx
(Ed.)
(1967)
Frantz Fanon "(1970)
The Fellow-Travellers : A Postscript to the Enlightenment
(1~73)
The Great Fear : The Anti-Communist Purge under Truman
and Eisenhower
Under the Skin
The Death of White Rhodesia
(1983)
1

-
292 -
3 . Divers
·The Illusion: An Essay on Politics, Theatre and the Novel
(1971)
The Demonstration, a Play
(1970)
Collisions, Essays and Reviews
(1974)
Cuba; Yes ?

-
293 -
TABLE DES MATIERES
lNTRODUCTI ON
3
- ROMAN ET HISTOIRE
A - MANIPULATION DU REEL: CAUTE TEMOIN DE L'HISTOIRE
21
1. At Fever Pitch : Le Ghana des Indépendances
24
2. The Decline of the West: L'Algérie et le Congo
des· indépendances
.
.
.
• .
• .•
.
. 27
3. The K-Factor : La mort de la Rhodésie et la
naissance du Zimbabwe
.
.
.
.
.
.
.
. •
.
. . 34
.
B - L'AFRIQUE NOUVELLE
UNE AFRIQUE COMPARTIMENTEE
54
1. La Compartimentation Géographique
. . . .
56
2. La Compartimentation Sociale du Monde Noir
63
3. Les Africains Lettrés : des Parias
73
a) Vis-à-vis d'eux-mêmes . . . . .
73
b) Vis-à-vis de la masse populaire
77
c) Vis~à-vis des Blancs
. . . . .
82
4. L'Elite : Les Dirigeants Africains
88
C - LES BLANCS D'AFRIQUE
.108
1. La Co~~unauté Blanche et la Mentalité Coloniale . . 110
i
2. Colonisateurs et Colonialistes
.116
,
3.·Les Missionnaires
.149

-
294 -
II - IMAGOLOGIE : L'IMAGE HÉRITÉE OU L'AFRIQUE MYTHIQUE
A - DE L'EXOTISME . . • • . . .
158
B -
DE LA LIBERTE D'EXPRESSION
166
c - L'IMAGE HERITEE . . "
179
1. Le Mythe du Nègre
180
a)
Le puérilisme
.
181
b)
La fidélité et La servilité
184
c)
L'intelligence obtuse . . .
187
d)
"The pidgin-speaking niggei"
195
e)
"The grinning golliwog"
204
2. L'Afrique des Sauvages
211
a)
Le christianisme et les croyances primitives
214
b) Les sacrifices humains
217
f
1
c) La superstition
221
d)
Le cannibalisme
226
e)
Les traditions africaines ou pseudo-traditions 229
f)
L'évolution de l'image à travers les 3 romans
252
.,
CONCLUSION
267
l '
BIBU OGRAPH lE
273
1
ANNEXE
BIOBIBLIOGRAPHIE
291
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)
TABLE DES MATIERES
.
.
.


.
.

.
. . . . . . . . . 293
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1

RESUME
L'Afrique de la période ctlélude des indépendances est celle des
trois rornans africalfls de Caule. À trélvers des Ilistoires fictives il
recrée des atrnospllères vraisemblables au point que le lecteur
peut y reconnaître, ici le Ghana, là k, Congo belge, ailleurs le
Zimbabwe. Réel et fiction s'y irnbriquent élbondarnrnent l'un dans
l'autre.
L'auteur s'il diffère di? sos urédeC8s~;8urs roméHlciers anCJlais
des siècles demiers en ce qu'il 8tucJ!l; plus profondérnent et
sérieusernont les problèrnes du continellt élfricain _._- lequel ne lui
sert tl3S u'liquernent de décor exotique
o.
se rapproche nean-
moins cJ'eux dans SCl pr"sell'atic111 de: l'Afrique: plofonde, en réité-
rant cer1ains vieux cliches et rnyt1ws cl3ssiques de l'Europe sur
l'Aliique.
MOTS-CLES:
Caute. OélVld - AncJlilis (!Itlr.;raturc) - XX' sil::cie - Roman
- Afrique
-
Colonisatl()[l
lk~ciJlulllSéltioll - Ghana - ConclO
.. Kenya
Zimbilhwo
HIIOd"~;lr;
Mercenall'!
Guerilla
- Problc"rne noir
HCélllSITlC - IIIl'llJulogie - Mylile - Steréotype
- Occident - IcJéolor]ie - Politique,
...