UNIVERSITE PAUL VALERY - MONTPELLIER III
Arts &Lettres, Langues et Sciences humaines
L'ŒUVRE NARRATIVE ET POÉTIQUE DE
M A X I M E D U C A M P
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THE8E
présentée et pUbliquement soutenue devant l'Université Paul Valéry à Montpellier
pour l'obtention du grade de DOCTEUR 3 e CYCLE êJ1Lettres Modernes
Spécialité: Littérature et Civilisation françaises.
Option: Moderne et Contemporaine.
par Kouadio KOUASSI
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- M. Pierre LAUBRIET, Professeur, Président
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- M. Jean BOISSEL, Professeur / "
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- Mme Claudine LACOSTE, Professeur
Assesseurs
Date: vendredi 2' octobre 1983

n 'non père et
A rna l'·1ère,
pour' leur patience.

L'occasion nous semble plus que jamais donnée d'exprimer nos
sentiments de gratitude à tous ceux qui, de près ou de loin, on t
contribué
à l'élaboration de ce travail:
Notre ma t r-e , !"lonsieur Pi erre IAUBRIET,
Professeur c'1 l'Uni versi té
î
Paul-Valéry de Hontpellier, pour son esprit d'ouverture, sa spontanéité et
la chaleur de ses contacts. En effet, Honsieur LAUBRIET fit preuve d'une
disponibili té exceptionnelle malgré> ses nombreuses charges arl.ministratives
et universitaires, et jusqu'~ la mise en page de cette thèse, il ne sut
jamais nous refuser ses conseils et ses encouragements.
- Que les professeurs èe l'Université Paul Valéry et tous ceux
qui ont accepté de satisfaire ':t nos sollici tations trouvent ,,! travers ces
lignes, l'expression de nos s i noèr-cs remerciements.

-
l
-
r NTRODUCTI ON
Parmi les hommes de lettres qui s'illustrèrent pendant la seconde
moitié du XIXè siècle en France, il en est qui ont acquis une renommée des
plus considérables.
Gustave FLAUBERT a ses fidèles, et chaque année voit s'augmenter le
nombre des ouvrages qui lui sont consacrés. Théophile
GAUTIER bénéficie du
même traitement. Il en est de même pour Gérard de NERVAL, Charles BAUDELAIRE,
Emile ZOLA, Guy de MAUPASSANT ••• pour ne citer que ceux-là. Même s'ils ne
jouissent pas de la même popularité, leurs noms ne sont pas pour autant
inconnus i leurs oeuvres sont rééditées, divulguées; ils demeurent immortels.
A côté de ces hommes exceptionnels qui donnent le ton général aux
grandes époques et aux grands mouvements de la pensée humaine, apparaissent
certains visages voilés, "neutralisés", dont la seule mission semble être de
faire ressortir et briller d'un éclat plus vif les gloires au milieu des-
quelles le sort les a jetés, malgré la fécondité dont ils ont fait preuve.
Tel est le cas de Maxime Du CAMP, journaliste, voyageur et surtout
homme de lettres français. De son vrai nom Maxime Del CAMPO D'aRGAS, il serait
issu d'une famille originaire d'Espagne, fixée depuis très longtemps en
France : " ••• Une tradi tion conservée dans ma famille - une tradi tion rien de
plus - prétend que nous sommes des maures convertis et que nous sommes venus
en France avec Charles le mauvai~' (1)
Son père, Théodore-Joseph Du CAMP fut un chirurgien de grand talent,
né à Bordeaux en 1793 et mort à Paris en 1824. Après avoir été successivement
(1) M.S. 3719. I. Papiers personnels - Fonds Maxime Du CAMP, Bibliothèaue de
l'Institut de l'Académie Française.
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2 -
attaché en qualité de chirurgien-militaire aux hôpitaux de Strasbourg, du
Val-de-Grâce, à Paris et au service de la garde impériale, il passa son
doctorat en 1815 et fUt reçu en 1820 membre de la Société de médecine. Il
s'attacha surtout à l'étude des voies urinaires. Doué d'un génie inventif,
possédant un rare talent d'observation, il semblait appelé à faire avancer
son art, et à conquérir une position brillante, lorsqu'il fUt prématurément
emporté par une malàdie de poitrine.
Alors que son mari réalisait d'énormes progrès dans les études
médicales, Madame Du CAMP était plutôt portée vers les lettres. Aussi, sa
bibliothèque fut-elle essentiellement littéraire. Elle mourut aussi précoce-
ment que son mari, au moment où le jeune Maxime languissait sur les bancs
du collège.
Fils unique, Maxime Du CAMP est né à Paris le 8 février 1822
en pleine effervescence romantique. Après des études assez négligées à la
pension Goubaux, au collège Louis-Le-Grand et à Saint-Louis, le jeune Maxime
baigna dans l'enthousiasme ro~tique de sa jeunesse. Comme presque tous les
jeunes de sa génération, il fut atteint du "mal du siècle" qui se traduisait
par le refus des dogmes sociaux et de l'esprit bourgeois, par l'exagération
des sentiments qui entraînait inéluctablement une insatisfaction presque
hallucinante et par un désir de liberté, de dépaysement et d'exotisme.
Au sortir des humanités, il décida de consacrer sa vie aux lettres
et aux arts contre la volonté de ses parents adoptifs. Nonobstant, malgré son
amour incommensurable pour la littérature et une production littéraire
considérable, il nIa pas encore trouvé la juste place qui lui revient de droit
dans l'histoire littéraire du XIXè siècle, pour des raisons jusqU'ici délicates
à cerner. En effet, Maxime Du CAMP fut un véritable polygraphe; il exerça ses
dons variés et subtils dans les genres littéraires les plus divers, et eut
même le mérite de n'avoir pas imité ces gens de lettres qui, par goüt ou par
stérilité, se cantonnent dans une spécialité dont ils prennent tellement
l'habitude qu'il leur est impossible d'en sortir.
Pour lui, le champ le plus vaste de la littérature n'eut presque
pas de terrains inconnus: Poésie, roman, nouvelles, contes, récits de
.../

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voyage, critique littéraire, critique d'art, histoire contemporaine, histoire
littéraire, études d'économie sociale, journalisme••• furent essayés par
l'écrivain.
Lorsque l'on regarde l'ensemble de son oeuvre, on reste surpris et
respectueux d'un si considérable travail, qui s'est étendu sans trop de diffi-
cultés, sur des sujets dont la diversité est prodigieuse, et qu'il a tenté de
traiter avec originalité, souvent même avec une maîtrise confirmée.
De même que Gérard de NERVAL, Théophile GAUTIER et bien d'autres,
l'Orient l'attirait
il y fit un premier voyage en (1844-1845) visitant la
Turquie d'Europe et d'Asie, l'Archipel et l'Algérie. Dès son retour, il
publia son premier ouvrage: "Souvenirs et paysages d'Orient" (1848) dans
lequel il décrivit ses excursions à Smyre, à Magnésie, à Constantino-
nople, à Scio, Le deuxième voyage eut lieu après les journées de juin qui le
trouvèrent à Pari SI où il fut grièvement blessé dans les rangs de la Garde
Nationale à la barricade du Faubourg-Poissonnière. A peine guéri, il reprit
son bâton de pèlerin et cette fois, nanti d'une mission du Ministère de
l'Instruction Publique, il courut visiter l'Egypte, la Nubie, la Palestine,
la Syrie, la Grèce, l'Epire, Rhodes, Caramanie, l'Asie Mineure et la Turquie
d'Europe. Rappelons que Maxime Du CAMP effectua ce voyage en compagnie de son
ami Gustave FLAUBERT déjà souffrant des nerfs. Sous prétexte que les pays
chauds lui feraient du bien, FLAUBERT obtint l'autorisation de sa mère sur
l'insistance du docteur CLOQUET, médecin de la famille et d'Achille FLAUBERT1
frère aîné de Gustave.
Maxime Du CAI1P rapporta de ce voyage une magnifique collection de
photographies et en fit paraître en 1852 une relation qui marqua une date dans
l'histoire de l'édition, car ce fut le premier ouvrage qui ait allié la typo-
graphie au daguerréotype, c'est-à-dire le premier ouvrage illustré de photo-
graphi es. (1) C' es t pour avoir mené à bonne fin et accompli gra tui temen t cette
(1) Egypte, Nubie, Palestine et Syrie - Paris, GIDE et J. BAUDRY, 1852 •
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mission archéologique dans ces divers pays que Du CAMP fut promu au grade
d'Officier de la Légion d'honneur. Deux dates contradictoires étaient avancées
pour cette promotion. Pierre lAROUSSE, dans le "Grand dictionnaire universel"
parle de l'année 1851 sous la République tandis que M. VAPEREAU la situe
en 1853 sous l'Empire. Les documents que nous avons consultés donnent raison
à M. VAPEREAU car la promotion a réellement eu lieu le 19 février 1853. (1)
Une autre relation du même voyage parut deux ans plus tard : le Nil (Egypte
et Nubie) (2) avec une carte spéciale.
C'est pendant cette pérégrination à travers l'Orient que Du CAMP
fit la connaissance de l'un des membres prestigieux du Saint-simonisme, en la
personne de Charles lAi'!BERT~EY. Ce dernier n'eut aucune peine à charmer, puis
à convaincre le jeune voyageur.
D'autres voyages d'étude furent organisés et d'autres ouvrages
parurent notamment
liEn Hollande - Lettre à un ami", suivi des catalogues des
musées de Rotterdam, la Haye et Amsterdam; (3)
"Orient et Italie, souvenirs
de voyage et de lectures
etc. (4) Nous pouvons répéter, à la suite de Paul
BOURGET dans le discours tenu à l'Adémie Française à l'occasion de la réception
de Maxime Du CAMP que la jeunesse de ce dernier, de 1840 à 1860 ne fut qu'une
longue aventure.
Pourtant, les années sédentaires ne furent point de tout repos ;
elles furent très fécondes en publications de tout genre. Ainsi, deux romans
virent le jour : "Le livre posthume. mémoires d'un suicidé" (5) et "Les Forces
Perdues". (6)
La majeure partie
des cri tiques, qui en voulaient terriblement
à Du CAHP, pour des raisons bien mystérieuses que nous aurons l'occasion
d'exposer dans un chapitre ultérieur, n'ont relevé que des points faibles et
(1) M.S. 3719 - Fonds M.D.C. de la Bibliothèque de l'Institut.
(2) Le Nil, (Egypte et Nubie), Paris, imprimerie de Pillet-Fils-Aîné, in-8, 1854.
(3) En Hollande ••• , Paris, Poulet-Malassis et de B., in-18, 1854.
(4) Orient et Italie •.• , Paris, Didier et Cie, 1868.
(5) Le livre posthume, ••• Paris, Victor LECOU, in-18, 1853.
(6) Les Forces Perdues, Paris, M.L.F. in-18, 1867.
.../

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des soit-disant ressemblances à certains livres de Gustave FLAUBERT notamment,
"Novembre" et "l'Education Sentimentale."
Laissons-là ces considérations pour
signaler que "Le livre posthume" fut tiré en 60 000 exemplaires à sa première
parution chez Victor LECOU en 1853 et épuisé. Le même ouvrage paru également
en 1855 à la librairie Nouvelle en un volume de 308 pages, en 1876 chez
CHARPENTIER et en 1890 chez HARPON et E. FLAMMARION dans la collection
"Auteurs cé Lèbr-esl' (1)
"Les Forces Perdues" fut quant à lui, jugé par
Théophile GAUTIER comme un véri table ·Chef-d' oeuvre". Ces romans méri tent en
conséquence une certaine considération.
D'autres ouvrages narratifs assez courts, c'est-à-dire des nouvelles
et des contes furent aussi à l'actif de l'écrivain: "Les six aventures" sont
un recueil renfermant six nouvelles : "Réis Ibrahim, l'âme errante, Tagahor,
l'Eunique noir, la double, aumône et les trois vieillards de Pierre" ; "La
vivante" (1858) ; "L'homme au bracelet d'or" (1861) ; "Le chevalier du coeur
saignant" (1862) ; "Les Buveurs de cendres" (1866) ; "Le manteau déchiré,
conte de No~l" (1891) ; "Richard Piedno~l" (1862) ; "Les hallucinations du
Professeur Floréal" (1861)
etc•••
-----.....,;.-----/
En 1855 et en 1858, en bon admirateur de Victor HUGO, de VIGNY et de
MUSSET, Du CAMP publia successivement : "Les Chants Modernes" et "Les Convic-
tions" dont l'apparition fit du bruit dans le camp de la critique. Avec ces
deux recueils, le poète rompt en visière avec les traditions poétiques con-
servées jusqu'à ce jour. La poésie, d'après lui, ne saurait avoir désormais
une vitalité sérieuse qu'à la condition de diriger le mouvement des idées
modernes. Il s'érige donc en vrai chantre de la littérature du progrès, de la
science et de la modernité: "11 est temps d'en finir avec ces vieux débris
de religions physiques de l'antiqUité, avec ces inventions flétries de
Zoroastre et des mânes qui se sont faufilées dans le catholicisme en passant
par la porte de la peur [;.:l
Aimons, travaillons, fécondons l'imprescriptible progrès, et
laissons les invalides de la pensée s'im~obiliser dans des regrets inutiles
et chercher naïvement derrière eux un paradis qui est là-bas, devant nous, au
bout de notre route, si nous savons la frayer courageusement."
(2)
(1) Le livre posthume, Paris, Coll. "Auteurs célèbres", n? 158, in-16 de
VIII - 311 p.
(2) Les chants modernes, Paris, l1ichel-Lévy-Frères, 1855, in-8, P 25.
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Le
poète exalte dans ces deux ouvrages la science et le progrès
il joint aux "chants modernes", sous forme de préface, des manifestes dans
lesquels il réagit vivement contre l'art pour l'art et contre toutes les
"vieilleries" ; il prêche une inspiration militante, en accord avec les
perspectives nouvelles.
Du CAMP fut aussi un journaliste de talent. Il devint en 1851, non
seulement journaliste et directeur de journal, mais aussi critique d'art et
critique littéraire dans différentes revues de l'époque. En effet, au mois
d'octobre de l'année 1851, avec ses amis Arsène HOUSSAYE, Théophile GAUTIER
et Louis de CORMENIN, ils créèrent "La Revue de Paris" dont il devint par la
sui te le directeur. A cette époque, l'auteur des "Chants Modernes" songeait
déjà à s'installer dans la vie et dans la littérature. Mais le moment n'était
pas favorable pour un esprit aussi féru d'indépendance politique que de
liberté intellectuelle, car ce fut l'une des grandes périodes de la dictature
impériale. Il La Revue de Paris" Il ti endra" jusqu'en 1858, non sans avoir
rendu
de grands services à la littérature. Rappelons pour mémoire que c'est elle qui
publia, sous la direction de Maxime Du CAMP "Aurelia", "Melaenis" et "Madame
Bovary" pour ne citer que les plus célèbres. Elle s'apprêtait à publier
"Le capitaine Fracasse" de GAUTIER lorsqu'elle fut victime de l'absolutisme
impérial. A cette revue collaborèrent surtout les écrivains que leur indé-
pendance éloignai t de "La Revue des Deux Mondes". Elle était essentiellement
conçue comme un théâtre des débutants ; elle fut supprimée le 17 janvier 1858.
Aussi tôt Du CAMP frappa aux portes de "La Revue des DeuX' Mondes" qui s'ouvrirent
à lui sans trop de difficultés. Parallèlement à cette revue, il fournissait
des articles au journal "Les Débats", au "Moniteur universel" •••
De 1855 à 1858, il rendait compte des Expositions Universelles et
des salons dans "La Revue de Paris". Ces comptes-rendus cri tiques furent
aussitôt publiés en volumes: "Les Beaux-Arts à l'Exposition Universelle
de 1855" -(1)
"Le salon de 185n' (2)
1
A la suppression de "La Revue de Paris", il déploya son talent de
(1) Les B.A. à l'Exp. Univ. de 1855, Peinture, sculpture, Paris, Lib.
Nouvelle, 1857.
(2) Le salon de 1857, Peinture, sculpture, Paris, Lib. Nouvelle, 1857.
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critique d'art dans "La Revue des Deux Hondes" : "Le salon de 1863"/(1)
"Les Beaux~rts à l'Exposition Universelle, Les écoles étrangères et l'école
française contemporaine" (2) •••
Vers les années 1870, Maxime Du CAMP changea ses orientations l i tté-
raires. Aux oeuvres romantiques de ses années de jeunesse se substitua une
li ttérature di te "sérieusell selon ses propres termes. La littérature de fiction
fit place à l'étude de la réalité sociale contemporaine. Dès lors, il parut
avoir complètement renoncé à l'oeuvre romanesque. A la manière des naturalistes,
il s'enfonça dans les profondeurs et les méandres de l'être et de la vie à la
quête de l'information utile. Ainsi, au ton lyrique de ses premiers livres se
substitua un tan familier, naturel et réaliste. Voici ce que l'auteur lui-
même disait de son nouveau procédé de travail à propos de l'un de ses ouvrages
"Rien ne serait plus curieux à écrire que l'histoire de ce livre sur Paris,
qui m'entraîna à faire tous les métiers. J'ai vécu à la poste aux lettres
j'ai été presque employé à la Banque de France; j'ai abattu des boeufs;
j'ai dormi sur le lit des hôpitaux; je suis monté sur la locomotive des
trains de grande vitesse et je me suis interné dans un asile d'aliénés pour
mieux étudier les fous ••• " (3)
Dans le domaine de l'histoire contemporaine, il publia successive-
ment les lISouvenirs de 1848" (1876), "L'Attentat Fieschi" (1877) et "Les
Convulsions de Par i s" (1878).
Le volume "Histoire et critique" parut en 1877 et les deux volumes
des "Souvenirs Littéraires" en 1882-1883. Il faut ajouter à cela l'ouvrage
critique consacré à Théophile GAUTIER publié en 1890.
Plusieurs autres titres furent publiés dans le domaine des études
d'économie sociale notamment: liParis, ses organes et ses fonctions dans la
première moitié du XIX è siècle" (1869), "La charité privée à Paris"
(1885),
(1) Le salon de 1863, Revue des Deux Mondes, 15 juin 1863.
(2) Les B.A. à l'Exp. Univ•••• , Revue des Deux Mondes, 1867, T. 4.
(3) Paris, ses organes et ses fonctions dans la première moitié du XIxè
siècle, Paris, Lib. Hachette, 1869-1875.
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"Paris bienfaisant" (1888), "La vertu
en France" (1887), "La croix-rouge en
France" (1889) •••
Sont en manuscrit: "Souvenirs d'un vieil homme de lettres" à la
Bibliothèque de l'Institut de l'Académie française (1) et "Les moeurs de mon
temps" à la Bibliothèque Nationale de Paris. (2)
On peut relever aussi à la
Bibliothèque de l'Institut des notes de voyage manuscrites, quelques oeuvres
de jeunesse, et des milliers de lettres écrites par lui ou reçues de ses amis,
parents, admirateurs et détracteurs, français ou étrangers. Il serait
/
enrichissant de les parcourir, si l'on veut completer sa vision du siècle
dernier.
Par ailleurs, il est important de savoir qu'une femme joua un rôle
monumental dans la vie de l'écrivain. Il s'agit de Madame Valentine DELESSERT,
épouse de Monsieur Gabriel DELESSERT, Préfet de Police de Paris. Cet amour
passionnel dura seulement hui t années, mais Maxime Du CAMP en fut af'f ec té
pour la vie. Son oeuvre narrative et poétique porte les empreintes de cette
idylle.
En 1880, l'auteur de "la vertu en France"
fut élu à l'Académie
Française en remplacement de Saint-René TAILLANDIER. Sa vie littéraire trouva
ainsi son couronnement. Ce fut à la fois un honneur et surtout une recon-
naissance à l'égard de celui qui consacra toute sa vie aux lettres et aux
arts.
Vieux parisien amoureux de sa ville natale, il avai t cependant
l'habitude de séjourner chaque été à Baden-Baden, qui était alors le rendez-
vous de la haute société européenne et où il était devenu, disait-on,
l'homme le plus en vue après le Grand Duc de Bade. Ce fut là qu'il rendit
l'âme le 8 février 1894, le jour même où il achevait sa soixante-douzième
année.
(1) Souvenirs d'un vieil homme de lettres, Bibliothèque de l'Institut
(manuscrit original) j op. cit. La copie chez Monsieur LANQUEST, notaire
à Paris.
(2) Les moeurs de mon temps, règne de Louis Philippe; règne de Napoléon III,
1830-1870 ; Côte 6245 du catalogue des manuscrits de la Bibliothèque
Nationale.
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Cette vie mouvementée, mais combien riche, faisait le l'auteur des
"Forces Perdues" un témoin privilégié de son temps. Quoi qu'on puisse penser
du caractère et de l'oeuvre de l'écrivain, on trouve sous sa plume, qui n'est
pas forcément géniale, mais qui n'est pas non plus privée de verve ni de
sensibilité, une restitution vivante de l'atmosphère littéraire de ce demi-
siècle qui vit se succéder tant de nouveautés.
Le tour d'horizon succinct de sa production intellectuelle que
nous venons de faire en est un témoignage. Il permet de constater que Maxime
Du CAMP a eu une vie intellectuelle d'une fécondité remarquable. En effet, il
a touché à presque tous les modes d'expression, à ces genres littéraires
traditionnellement étanches, d'où un itinéraire zigzagant menant d'un genre
à un autre et d'un sujet à un autre. Cette trajectoire d'un individu englobant
sous son seul talent toutes les formes d'expression littéraire aboutit à une
sorte de diversité totalisante. D'ailleurs, Du CAMP protesta vive~ent contre
l'abus des formules et des cloisonnements étanches dans l'art et dans la litté-
rature. A ce propos, il écrivait dans l'avant-propos de ses "Souvenirs litté-
raires"
"Depuis l'engouement pour le moyen-âge jusqu'à l' appari tian du natu-
ralisme, j'ai vu passer bien des formes d'art et de littérature; nul ne m'a
laissé indifférent, et j'en puis parler sans parti-pris, car je n'ai jamais
admis la prédominance d'une école sur une autre~••]je ne comprends pas que l'on
soit exclusif en matière d'art ••• ff (1)
Comme on le constate, s'il est un esprit impossible à classer et à
èataloguer ou à définir par une formule, c'est bien celui de Maxime Du CAMP.
L'amour de la liberté est l'un des caractères permanents de son oeuvre et de
sa vie, remarquables par une profonde aversion à l'égard de tous les conformis-
mes. Aussi, cet esprit,fouineur et dérangeur, "ambitieux-honnête" dans le
domaine exclusif de la littérature et de l'art, s'est-il heurté à l'in-
compréhension de l'avant-garde littéraire comme à celle des tenants de la
tradition. Plus d'un demi-siècle s'est déjà écoulé depuis sa mort, au cours
duquel la fortune de son oeuvre ne cesse de subir une dévaluation sans con-
teste. Son souhait et son désir secrets étaient de travailler pour la posté-
rité, mais cet espoir semble ne pas trouver d'écho, même de nos jours.
(1) Souvenirs littéraires, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1892, T. 1, P. 3.
.. ·1

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Pourtant, si l'on étudie certains grands courants littéraires du
XIXè siècle, on ne saurait passer son nom· sous silence. Désire-t-on brosser
un tableau du pittoresque milieu des revues et des magazines de cette
époque? On le voit immédiatement prendre place aux côtés de figures
diverses. Quiconque ayant l'ambition de consacrer un ouvrage à Gustave
FLAUBERT se garderai t d'omettre ceux de l'auteur des "Forces Perdues",
notamment ses romans, ses nouvelles, sa correspondance et des Souvenirs
l i ttéraires.
Sur l'heure, il serait pratiquement impossible d'énumérer tous les
sujets, littéraires ou autres, qui nécessitent une allusion, ne serait-ce que
cela, à cet écrivain d'une valeur indiscutable, et qui passe pour l'un des
mal-aimés de la grande famille de la littérature.
Ainsi, malgré une production littéraire très importante, (plus
d'une centaine d'ouvrages et d'articles de tous genres) Maxime Du CAMP est
classé de nos jours parmi les écrivains de "seconde zone" et donc complète-
ment mis à l'écart des hommes de lettres célèbres de son époque, même s'il a
fait partie des "quarante1 immortels" de son temps. Tiraillé par un désir très
réel de participer, dans la mesure de ses capacités, à la vie intellectuelle
et sociale de son époque et par un goùt irrésistible et invincible pour la
littérature pure, la contemplation philosophique et les cogitations abstraites,
il a laissé une oeuvre très délicate à cerner. Elle ouvre pour l'essentiel de
vastes horizons pour la connaissance de la psychologie et de la conscience
d'une époque, mais aussi et surtout, elle fait pénétrer le lecteur en un
monde où la littérature, la philosophie Ou encore les visions apocalyptiques
d'une imagination enflammée revêtent de l'importance. De ce fait, si elle
expose avec vigueur les problèmes sociaux les plus usuels, elle a bien plus
encore le pouvoir de guider le lecteur à travers les méandres capricieux de
la conscience d'une époque. A ce titre, nous estimons, sans méconnaître pour
autant la suprématie qui appartient de droit aux oeuvres de génie, que
l'histoire littéraire, considérée dans ses rapports avec l'histoire des
moeurs, des idées, des goÜts de chaque génération, ne devrait pas se borner
uniquement à l'étude des chefs-d'oeuvre. Nous pensons que toute production
qui, à une époque donnée, a obtenu un succès éclatant, - même si cela fut
passager - mérite qu'on s'y arrête, ne serait-ce que pour se rendre compte
des raisons de ce succès. Elle le mérite à cet autre titre, d'avoir vrai-
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-
i l -
semblablement concouru au progrès général de la pensée humaine et du
développement intellectuel de l'époque concernée.
Maxime Du CAMP appartient à cette catégorie d'intellectuels qui,
tout en gardant une conscience aigüe des réalités et des aspirations de leur
temps, s'obstinent contre vents et marées, à suivre leur voie au grand défi
des conformismes et des stéréotypes. Mais, pour le critique que nous sommes,
cette attitude même contribue à lui donner une place encore plus singulière
parmi ses contemporains.
Classé à tort ou à raison sous l'étiquette de réaliste, de roman-
tique et même de naturaliste, Du CAMP est en réalité très peu connu, car très
peu étudié; il apparaît dans les ouvrages d'histoire littéraire ou dans les
études consacrées à FlAUBERT comme un écrivain inégal, ambi. tieux, jaloux,
polémiste, et même parfois contradictoire. Il suffit de relire les pages et
les articles qui lui sont consacrés pour se rendre compte des limites dans
lesquelles l'on s'évertua d'étouffer son oeuvre. Dans l'ensemble, il apparaît
sous une forme antipathique ; il est présenté comme un écrivain de peu de
talent.
Ce portrait traditionnellement figé de Du CAMP, accepté avec trop
de complaisance par la critique moderne n'est pas conforme à la réalité. Ces
jugements péremptoires sont pour l'essentiel sans fondement ou reposent sur
une évaluation non approfondie des textes, de la portée philosophique de
l'oeuvre et du personnage. Sa mémoire peut et doit être libérée de telles
accusations.
Mises à part la thèse de Troisième cycle soutenue à l' "University
of Virginia" par Francis AJ·JTŒlY-AT'F:-::T en 1973 intitulée : liA l'ombre de
FlAUBERT, Du CAMP, auteur méconnu" (1) et celle de doctorat d'Université par
Joseph JIRIAN : "Les Forces Perdues de Maxime Du CAMP : "Des Illusions perdues"
(1) Francis ANTONY-ALBERT, - A l'ombre de FLAUBERT. D.C. auteur méconnu,
DS
Diss. Abst. XXXIV (173/74) 769 A (Thèse University of Virginia)
1973.
.../

- 12 -
à "L'Education
sentimentale" (1), présentée à Paris en 1964, aucune étude
récente de quelque importance n'a été réalisée jusqu'alors sur l'un de ses
livres, à plus forte raison sur son oeuvre entière. D'ailleurs, dans les
études que nous venons de ci ter, Du CAMP n'est appréhendé que par rapport à
un autre
La première par rapport à FIAUBERT et la seconde par rapport à
FIAUBERT et à BALZAC.
En définitive, tout ce qui permet de rattacher l'écrivain à un
groupe, à un mouvement littéraire ou à le placer "à l'ombre de FIAUBERT" est
privilégié au détriment d'une vue globale de l'oeuvre, dans sa liberté et
dans son mouvement.
Pour notre part, nous choisissons de porter notre étude sur
"L'Oeuvre narrative et poétique de Maxime Du CAMP". Nous nous intéresserons
donc essentiellement à toute l'oeuvre d'imagination (Romans, nouvelles,
contes, poésie). Aussi, l'artiste sera-t-il appréhendé dans sa totalité à la
fois quantitative et qualitative, d'abord parce que, sous cet angle, il
représente à la fois un témoignage et un symbole: Témoignage d'une époque
pleine d'enseignements par un écrivain célèbre en son temps, mais dit actuelle-
ment de "seconde zone", symbole d'une li ttérature conçue non plus comme
moyen ou un produit de luxe réservé à une consommation élitiste, mais comme
un instrument véhiculaire, qui traduit l'état d'âme d'une partie de la jeunesse
de la deuxième génération romantique.
C'est donc cet aspect de Du CAMP que nous voudrions montrer dans
cet ouvrage, en le situant le plus scrupuleusement possible dans le cadre
général de l'histoire littéraire française et de la pensée humaine du
XIXè siècle. Aspect passionnant entre tous, car il révèle la personnalité
même de l'auteur et ses tendances les plus profondes.
\\
Peut-être est-ce donc en définitive, le simple goÜt de la loyauté,
de la justice, de la difficulté, peut-être est-ce aussi la ferme volonté de
pénétrer ce siècle afin de le mieux connaître qui présida à notre choix
(1) Joseph JIRIAN, "Des Illusions perdues" à1jl'Education sentimentale:' Les
Forces Perdues de Maxime Du CAMP, Thèse Université PS. 1964.
. ··1

lorsque nous entreprîmes l'étude de cette oeuvre immense, presque "chao-
tique". A lire ces nombreux ouvrages trai tant des sujets les plus divers, ces
récits de valeurs inégales, à pénétrer peu à peu dans ce véritable labyrinthe
qu'est le monde intérieur de l'auteur, il nous vint l'envie soudaine de coor-
donner tant d'éléments disparates, de saisir les analogies, de démêler
l'écheveau, en un mot, de suivre la trace des fils plus ou moins tenus, mais
toujours présents, qui relient entre eux les aspects les plus contradictoires
de cette pers onnal i té si riche, de considérer la trame de cette oeuvre, toute
de pièces et de morceaux, afin de mettre à jour la texture même de la pensée
et son cheminement, en fai t le fil directeur de l'oeuvre. Certes, le terrain
n'était pas complètement en friche, certains articles et les rares ouvrages
consacrés à Du CAMP que nous avons déj à ci tés ont frôlé ou abordé succi.nct e-
ment des aspects que nous développerons dans notre travail, mais aucun
n'avait jamais envisagé une analyse d'ensemble, c'est pour quoi, il nous
semble enrichissant de réaliser ce travail.
Nous n'ignorons nullement l'ampleur et les difficultés de cette
étude, et cela à juste titre. Nous avons pour objectif d'approfondir nos
connaissances littéraires en axant nos investigations de recherche sur
le XIXè siècle français et ses nombreuses répercussions sur le mouvement de
la pensée humaine. En effet, le climat intellectuel de cette époque générale-
ment féconde, avait pour caractéristique essentielle le rejet d'un conformisme
systématique. Cette tendance collective se manifesta surtout par un foisonne-
ment d'essais, de revues et d'ouvrages doctrinaires appelant et préparant un
nouvel ordre dans la littérature.
A l'analyse de l'oeuvre laissée aux oubliettes, on découvre que
Du CAMP incarne toute une époque et que son étude pourrai t permettre d'avoir
une VUe d'ensemble des problèmes essentiels de ce moment capital dans
l'histoire des idées en France et dans le monde. La tâche est aride, voire
même rebutante mais nous pensons qu'une fois accomplie, elle serait source
de grandes satisfactions intellectuelles. Sans prétendre épuiser un sujet
aussi vaste et délicat, nous espérons apporter une contribution substantielle
aux travaux sur Du CAMP ; heureux et comblé si grâce à notre travail, cet
auteur connaît dans les années à venir un regain de popularité qui serait la
juste récompense d'un écrivain authentique et sérieux, d'une vie de luttes
intellectuelles entièrement vouée à la littérature et s'il permet en
.. ·1

- 14 -
conséquence un nouvel éclairage si minime soit-il, sur la littérature
française du XIXè siècle.
Pour arriver à cette fin, nous nous inspirerons de la "Socio-
cri tique" de Claude DUCHET. (1) Selon ce chercheur, le terme sociocri tique
désigne une forme d'intervention critique qui se situe entre la sociologie
de la création (Cf Lucien GOLDMANN) et la sociologie de la lecture (Cf entre
autre les travaux de Robert ESCARPIT) et qui intègre à la cri tique socio-
logique les préoccupations de la critique formelle des quinze dernières
années. C'est la conception de la littérature comme expression d'un social
vécu par la médiation de l'écriture dont le travail propre dévoile sa double
fonction de consommatrice et productrice d'idéologie. Il s'agit donc en
réalité d'installer le social au centre même de l'activité critique et non à
l'extérieur de celui-ci.
Dans le cadre précis de notre travail, l'utilisation de cette
méthode consistera essentiellement à mettre constamment en rapport : Oeuvre
littéraire et société. Une telle optique est d'autant préférable pour l'ana-
lyse de l'oeuvre de Du CAMP que celle-ci a pour caractéristique de témoigner
sur une réalité précise et d'immortaliser la conscience de la société fran-
çaise de cette époque. Il importe de souligner d'autre part que cette approche
littéraire reconnaît que l'objet de l'enquête critique se tient dans le
langage (Roland BARTHES) et qU'il convient de s'attacher en priorité à
l'étude du texte. Il n'est pas pour autant interdit de recourir à tous les
documents susceptibles de procurer davantage d'informations ayant trait à
l'époque et à l'oeuvre. Dans cette perspective, nous analyserons les rapports
du texte avec ce qu'il est convenu d'appeler la réalité. Cette doctrine
ouverte se veut tributaire des autres disciplines et de toutes les recherches
passées et en cours. Nous apprécierons donc à leur juste valeur l'apport des
sciences humaines telles que: l'histoire, la sociologie, la psychologie, la
géographie, etc. Nous ferons aussi des emprunts, si cela s'avère nécessaire,
à un certain nombre de concepts modernes d'analyse, notamment aux méthodes
structuralistes, linguistiques, stylistiques et comparatives.
(1) DUCHET Claude, Pour une sociocritique - perspectives sociologiques et
idéologiques sur la littérature française au XIXè siècle. Fasc. en 2 vol.
30 cm. Thèse Lettres, Paris 3. 1977.
. . ·1

- 15 -
Notre objectif étant d'analyser et d'apprécier l'oeuvre de Du CAMP,
nous retrouverons cons tamment deux niveaux d'analyse dans notre étude. A un
premier stade, c'est-à-dire à partir d'une analyse intertextuelle, nous
tenterons d'explorer le message que nous pourrons décoder à partir d'une
réali té, d'un fai t ou d'un événement relevant du texte. Au dernier stade,
nous essayerons d'établir des rapports entre les données du texte et la
société, entre les positions de Du CAMP et celles de ses contemporains •••
C'est à ce stade qu'interviendront nos propres jugements et les différentes
interprétations que nous pourrons faire à partir de la réalité textuelle.
Il s'avére en outre opportun de faire la mise en garde suivante: pour nous,
il ne s'agira surtout pas de chercher si le texte dit ou non la vérité à
propos de la réalité sociale, mais d'inventorier tout le savoir propre au
texte lui-même et de le si tuer à sa place dans le réel, car nous pensons
qu'aucune oeuvre n'est autoengendrée, et que tout texte entretient des
relations avec la société qui l'a vu naître.
En conséquence, nous nous attacherons à dépouiller la production
littéraire de "notre écrivain", à nous attarder sur les ouvrages les moins
connus, les plus difficiles, à rechercher dans la correspondance la plus
insignifiante en apparence la date ou le détail qui permettrait d'éclairer
d'un jour nouveau tel moment de la vie ou tel passage de l'oeuvre. Nous
aurons également recours, dans toute la mesure du possible, à des ouvrages
critiques et à des revues de l'époque faisant plus ou moins état de l'oeuvre
de l'écrivain. Les livres d'histoire littéraire, les anthologies ••• auront
leur juste place dans le cadre de cette étude. Bref, nous demanderons aux
faits eux-mêmes et non à des hypothèses plus ou moins hasardeuses, la
solution des difficultés qui se poseront à nous. C'est ainsi que nous
essaierons de combler certaines lacunes biographiques, et que nous tenterons
de confirmer ou d'infirmer telle affirmation faite par tel ou tel critique
qui demeure jusqu'alors inattaquable ou confus.
Au bout du compte, nous tenterons de donner cohérence et clarté à
cet ensemble d'essais et d'écrits, pour dégager les tendances principales de
la pensée de Du CAMP, pour étudier son attitude critique, historique et
philosophique. De ce fait, il faudrait
recueillir un peu partout des
remarques révélatrices, des théories plus ou moins clairement exprimées. Il
s'agit donc d'un travail de synthèse, puisque Maxime Du CAMP a cette
.. ·1

- 16 -
r'fâcheuse maniell de traiter les sujets les plus graves et les plus divers,
à propos de tout et de rien. Nous privilégerons un certains nombre d'aspects
b fonction de leur permanence et de leur fréquence dans l'oeuvre. Nous
faurions une idée incomplète si nous nous rapportions uniquement aux seuls
iessais littéraires. Pour percevoir la profondeur de ses réactions et de ses
/vues en présence des problèmes essentiels qui se posaient à l'écrivain, à
Il' historien, au journaliste ou au philosophe, nous dépouillerons quanti té
d'anecdotes ou de récits.
Du fait du caractère dense de l'oeuvre, plusieurs présentations
possibles s'offrent à notre étude. Ainsi, une présentation à vocation
synthétique pourrait s'articuler autour de trois grands pôles: Le premier
s'appuierait sur l'inventaire synchronique des différents thèmes contenus
dans l'ensemble de l'oeuvre ; le deuxième mettant en rapport d'une part les
thèmes énoncés et de l'autre la langue; le contexte historique d'autre part
serait réservé à une approche diachronique visant à dégager l'essentiel de
la pensée et de l'art de Du CAMP; enfin, la troisième partie consisterait
en une tentative de synthèse de l'idéologie dominante que véhicule l'oeuvre.
Cependant, une telle présentation, par ailleurs très coordonnée et
à la limite monolithique, outre qu'elle noierait au niveau de la première
partie le lecteur dans une étude fastidieuse de la multitude des thèmes, au
risque de se contenter d'une vue aussi énumérative qu'analytique, présente
l'inconvénient majeur d'atténuer dangereusement la progression du travail.
Aussi, opterons-nous pour une autre présentation qui, s'inspirant
de l'allure générale de la précédente, en corrige le caractère.
Nous consacrerons un chapitre liminaire aux rapports qui ont
réellement existé entre Du CAMP et FLAUBERT. Il serait d'ailleurs très
regrettable, dans le cadre de ce travail, d'écarter ce point qui aura pour
ambition de rétablir la vérité dans sa juste forme et de dévoiler au grand
jour le mouvement de dénigrement systématique de Du CAMP au profit de
FLAUBERT, de son oeuvre au profit de celle de son ami, orchestré par les flauber-
tistes et les multiples stéréotypes qui donnent une image inexacte de
l' académi ci en.
.../

- 17 -
Le premier chapitre portera sur les différentes phases de
l'évolution littéraire de la personnalité de l'écrivain. Nous tenterons de
présen ter son enfance, son adolescence et les Il foli es de j euness e" qui ont
forgé son caractère et sa personnalité. Nous ferons revivre, à travers des
détails parfois pittoresques mais révélateurs, les habitudes et les moeurs de
la grande bourgeoisie des années 1830, sous un angle exclusivement litté-
raire. Nous évoquerons l'enthousiasme romantique de sa jeunesse, la "révé-
lation" que fut pour lui IIles Orientales ll de Victor Hugo, qui fit naître en lui
de façon irrésistible, presque magnétique, une vocation littéraire. Nous
esquisserons, à travers cette tranche de vie, la génèse d'une personnali té
littéraire, prête à sacrifier toute sa vie à la muse et à la plume.
Les deux chapitres suivants nous introduiront déjà dans l'oeuvre
narrative et poétique de Du CAMP. Nous chercherons à savoir comment le mouve-
ment romantique et le mouvement réaliste y transparaissent, à partir de la
peinture des personnages et des transmutations de la vie réelle en oeuvre
d'art. Nous tenterons par ailleurs de dégager l' atti tude de l'auteur par
rapport à ces courants de pensée.
Le quatrième chapitre portera sur l'étude des thèmes obsédants qui
constituent la charpente fondamentale de l'oeuvre. Notre analyse insistera
sur les idées forces qui peuvent se ramener à quelques tableaux de tonalités
fort différentes. En effet, Du CAMP fut l'objet d'un refoulement et d'une
tension intérieure qui eurent pour résultat une instabilité perpétuelle.
Certaines hésitations et métamorphoses relevées dans l'oeuvre s'expliquent
par cette recherche constante d'un milieu ambiant adéquat à sa personnalité
impulsive. Nous serons à même de pénétrer ses conceptions religieuses,
morales et philosophiques, ses convictions profondes, partant, le visage
d'une société.
Le dernier chapitre tentera d'exposer d'une part les positions
esthétiques de l'écrivain en les mettant en rapport avec l'histoire litté-
raire, de l'autre de démêler les problèmes complexes posés par la narration
des faits et la composition textuelle qu'engendre l'oeuvre narrative et
poétique en tant que produit de l'esprit. Nous découvrirons entre autres,
à travers ces multiples prises de position, une toile de fond qui n'est
autre que la quête d'une liberté intellectuelle et philosophique.
.. ·1

- 18 -
Si une telle présentation donne au lecteur distrait l'apparence
d'études parallèles ou parcellaires, il n'en demeure pas moins qu'elle
présente l'avantage très important de nous amener à mieux pénétrer l'oeuvre
et la pensée de l'auteur et de rendre à notre étude un caractère inéluctable-
ment dynamique.
Au bout du compte, nous nous efforcerons de rendre notre développe-
ment cohérent afin de nous permettre une vue d'ensemble assez complète de
l'oeuvre de Maxime Du CAMP, qui. fut jadis l'objet de louanges mais aussi de
critiques passionnément cinglantes.
Cela dit, avant même d'entamer l'étude proprement dite, consacrons
quelques pages aux rapports entre Gustave FLAUBERT et l'auteur des
"Forces Perdues".

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CHAPITRE LIMINAIRE
NAXIHE DU CAMP ET GUSTAVE FLAUBERT.
Les relations entre Maxime Du CAMP et Gustave FLAUBERT ont fait
couler beaucoup d'encre et continuent de sus ci ter, même de nos jours,
d'acerbes polémiques. En effet, le nom de Maxime Du CAMP apparaît dans pres-
que tous les ouvrages consacrés à Gustave FLAUBERT. Presqu'aucun livre,
aucune étude, aucun article sur FLAUBERT ne s'abstient de faire allusion à
l'auteur des "Forces Perdues". C'est comme nous l'avons déjà signalé dans
l'introduction, l'occasion de "noircir" Du CAMP afin de glorifier FLAUBERT
déjà célèbre. Presque tous les critiques, sans aucune analyse profonde et
sans vérifier scientifiquement les différentes données de la question, sont
quasi unanimes pour accabler Maxime Du CAMP de propos diffamatoires, le plus
souvent injustifiés ; les mériméens et les flaubertistes - surtout les
derniers
s'évertuent toujours à l'attacher à un éternel pilori avec cet
écriteau
"faux ami, faux témoin, faux artiste". Voilà comment le jugement
porté sur l'homme rejaillit sur l'oeuvre. Mais, dans leur vindicte retros-
pective, ils sont allés si loin, ils ont tellement déformé la réalité qu'une
réaction en faveur de Maxime Du CAMP est déjà amorcée.
Sans prétendre résoudre définitivement ce problème, nous souhaite-
rions apporter un peu de lumière sur ce dossier important, mais combien
touffu et ténébreux. Il existe trop d'exagérations, trop de faussetés ; il
conviendrait d'établir maintenant certaines vérités pour la mémoire des deux
écrivains.
Pour ce faire, nous tenterons d'examiner, avec des preuves à
l'appui des hypothèses, la sincère amitié qui a lié FLAUBERT et Du CAMP, les
vraies relations qui ont existé entre les deux personnages, sans toutefois
oublier de relever les différences fondamentales et inévitables qui ont
constitué la personnalité de chaque individu. Nous repasserons en conséquence
en revue les points de vue passionnés des flaubertistes et de certains
autres critiques et nous essaierons de rétablir la vérité à l'aide de
documents publiés ou manuscrits.

-
20 -
AI LES FIANCAILLES LITTERAIRES
Dans son étude consacrée à Gustave FIAUBERT, (1) René DUMESNI L
soutient que
"malgré les apparences, malgré le "solus ad solum" qui semble
les lier, Du CAMP n'est jamais un véritable ami pour FIAUBERT ••• " (2)
Cette
affirmation n'est-elle pas péremptoire et ne répond-elle pas au besoin de la
cause? En tout cas, elle nous paraît à la limite excessive. L'amitié que
Maxime avait pour Gustave était sincère, même si, sur les chemins de l'exis-
tence, le ton a pu monter quelquefois. Quoi de plus normal! L'amitié entre
deux personnes ne représente-t-elle pas le symbole de la vie elle-même?
SItuons les grands moments de cette aventure.
En 1843, 11axime Du CAMP partageait le même appartement qu'Ernest
Le-MARIE, un ancien camarade de l'Institution Favard, sur le quai Napoléon,
au coin de la rue d'Arcole. Les deux jeunes gens passaient leur temps à
"rimailler", à jouer au piano, à noircir des tableaux et à "parler litté-
rature". Un certain jour du mois de mars 1843, Gustave FIAUBERT qui faisait
son droit à Paris, vînt rendre visite à son ami d'enfance et cw~rade de
collège Ernest Le-MARIE. La présentation fut faite de façon solennelle:
" ••• C'est le vieux seigneur! s'exclame Ernest Le-l'1ARIE, de son vrai nom,
il s'appelle Gustave FIAUBERT~' (3)
Ce fut le coup de foudre comme cela se
dit vulgairement. Et cette amitié qui ne tarda pas à naître se développa de
façon prodigieuse et connut d'intenses moments d'autosatisfaction1, mais
aussi de satisfaction mutuelle.
En effet, en cette année 1843, Maxime Du CAMP et Gustave FLAUBERT
avaient le même état d'âme, les mêmes goûts et le même idéal; ils avaient
les mêmes désirs d'indépendance, la même soif de paysages neufs, d'horizons
larges et lointains ; le comble, ils étaient tous les deux attirés par les
lettres. Leurs causeries étaient des enchantements et les répliques de
(1) René DUMESNIL, Gustave FLAUBERT, l'homme et l'oeuvre, Desclée de Brouwer
et Cie Editeurs, Paris, 1947, pp 110-111.
(2) Ibid.
(3) Souvenirs littéraires, op. cit. P. 160.
.··f

-
21 -
Maxime sonnaient comme un écho aux propos de Gustave.
Pour marquer cette symbiose de go11t et d'idéal, les deux amis
échangèrent des anneaux. Maxime offri t à son ami une bague de la Renaissance,
un camée représentant un satyre. Il reçut à son tour de Gustave une cheva-
lière avec son chiffre et une devise. Ce furent en quelque sorte les fian-
çailles intellectuelles, qui connurent des hauts et des bas, mais qui ne
furent jamais frappées de divorce. L'alliance de Maxime Du CAMP ne quittait
jamais ses doigts, surtout lorsqu'il était obligé de s'éloigner de FLAUBERT.
En partance pour l'Orient, il témoigna ainsi son affection à son ami : "Ma
bague es t à mon doigt, je l'aime comme une mai tresse!' (1)
C'est pendant ses multiples voyages que Maxime Du CAMP laisse
délibérément parler son coeur. Parfois, ce sont de pures déclarations d'amour.
Cet aveu est fait à Smyrne: "Tu es peut-être celui sur lequel ma pensée
s'arrête le plus souvent et avec le plus d'amour déclare-t-il. C'est seule-
ment lorsqu'on est loin, qu'on s'aperçoit combien on aime, rien n'accroît
l'amitié comme la séparation, tout l'embellit et l'augmente à travers le
prisme de l'éloignement. Tu dois maintenant être arrivé et installé au
Croisset, d'ici je te vois dans ton burnous blanc, te promenant sous tes
hauts tilleuls et donnant parfois quelques parcelles de ta pensée à celui qui
voyage et qui t'aime~' (2)
Pendant son premier voyage en Orient, Haxime Du CAMP immortalisa
cette idylle à Rome en Italie, au "temple de la Fortune". "J'avais été
visi ter les huit colonnes qui restent du temple de la Fortune au Forum
j'ai
écrit nos deux noms à côté l'un de l'autre: C'était presque une prière
muette à la déesse qu'elle ne nous separât jamais," (3)
Les rapports étroits qui unirent Du CAMP à FlAUBERT ne s' estompè-
rent pratiquement jamais jusqu'en 1880, année de la mort subite du dernier.
(1) Haxime Du CAMP, Lettres inédites à Gustave FlAUBERT, par Giovanni BQ}ffiC-
CORS() e1 Rosa Maria Di STEPA!Tr1, édas messina 1978, P.5, Arles, BercJ
15 mai 1844. L. n? 1.
(2) BONACCORSO, op. cit., Smyrne - ~amedi7 8 juin 1844. n04.
(3) Ibid, P. 90, LROme, ce L;;ar~ 26 9bre
1844, n°
19.
..·1

-
22 -
La correspondance qui débuta en 1843 fut elle aussi à l'image de l'amitié.
Elle aurait constitué un document d'un apport appréciable. Nous ne sommes
malheureusement pas en possession de la totalité de ces lettres qui auraient
été non seulement un héritage littéraire d'une valeur indiscutable, mais aussi
un outil de travail d'une grande importance.
Maxime Du CAMP nous en donne
les raisons dans ses "Souvenirs littéraires" : "Cette correspondance, très
considérable, classée et souvent annotée, a été détruite par nous, d'un
comnnm accord, lorsque la publication des "Lettres de Mérimée à une inconnue",
- que l'on connaît, - vint nous révéler à quels dangers, à quel abus de
confiance on s'exposait en laissant subsister ces confidences intimes ou les
mots "propres" ne sont point ménagés, où les noms sont prononcés, où le coeur
s'ouvre sans réserv~' (1)
Ils décidèrent d'un commun accord de conserver
celles qui leur rappelèrent leurs escapades de jeunesse ou qui ont à leurs
yeux, une valeur historique. le reste fut brÜlé avec beaucoup d'amertume et
de résignation. Une lettre de FLAUBERT datée de 1877 expose très clairement
ce sentiment: "OUf ! J'ai fini mon triste travail
Toute notre jeunesse
vient de défiler devant moi, j'en suis brisé.
Voici les seules lettres que je conserve

pour les relire quelquefois (je ne puis me résoudre à les anéantir) et

pour les utiliser comme document - Etais-tu gentil dans ce temps là
étais-tu gentil ! et comme nous nous sommes aimés ! 11 (2)
En réalité, FLAUBERT n'a pas tenu sa promesse; plus d'une centaine
de lettres de Du CAMP à FLAUBERT, précisément (142) furent publiées par
BONACCORSO Giovanni et Rosa Ma~ia Di STEFANO en 1978. Nous avons découvert
par ailleurs dans les papiers de Maxime Du CAMP à la Bibliothèque de l'Insti-
tut de l'Académie Française, 14 lettres de Du CAMP à FLAUBERT de 1844 à 1845
et 25 lettres de FLAUBERT à Du CAHP de 1846 à 1880 (3). Ces lettres ont servi
à l'élaboration des "Souvenirs littéraires" de Du CAMP. La correspondance de
FLAUBERT ne reproduit que 9 lettres de FLAUBERT à Du CAMP. Il est vraisemblable
que se trouvent d'autres lettres des deux écrivains dans les multiples papiers
(1) Souvenirs littéraires, op. cit., T. 1, P. 117.
(2) Oeuvres complètes de G. FLAUBERT, Correspondance, T. 2 1872 - juin 1877,
Conard 1954 LPari§l, Samedi 4 heures du soir, 3 mars 1877.
(3) M.S. 3751, Fonds M. Du CAMP - Souvenirs littéraires - Suite de Portraits •
.. ·1

- 23 -
de Maxime Du CAMP de la Bibliothèque de l'Institut, de la Bibliothèque
Nationale et de la Bibliothèque Mazarine.
Mises à part les lettres assez dures de 1852 qui constituent les
seules fausses notes de cette amitié et sur lesquelles nous reviendrons plus
tard, il conviendrait de mentionner que la presque totalité des lettres
échangées respirent une sincère affection. Quel que soit le thème de la
lettre, un chapitre est exclusivement réservé aux témoignages d'affection.
Dans un intervalle de temps relativement court, plusieurs lettres reviennent
sur cet aspect sous des angles différents. Citons quelques lettres de Du CAMP
en exemple:
"A tous les tiens mille souvenirs pleins d'affection
Toi, je
t'aime, je t'aime et t'embrasse à t'étouffer!' (1)
Ce cri .d'amour date du 15 mai 1844. Quelques semaines plus tard, il ré-
affirme avec force son indéfectible amitié:
"Je te permets de douter de tout excepté de mon ami t i
Je
é
,
t'aime et t'embrasse avec grande tendresse!' (2)
En 1860, Du CAMP s'engagea dans l'armée garibaldienne pour la réuni-
fication de l'Italie; il tendait allègrement vers ses quarante ans. Ses
premières pensées de cette campagne périlleuse furent pour FLAUBERT :
"Je n'ai reçu qu'une lettre de toi, celle du 9 8bre ••• Ton
écriture m'a sauté aux yeux comme un gros baiser et m'a
fait un plaisir indicible; il est si bon de ne pas se
sentir oublié par ceux que l'on aime!' (3)
En 1863, (ils avaient tous les deux dépassé la quarantaine).Du CAHP
invita son ami FLAUBERT à Baden-Baden où il avait pris l'habitude de passer
(1) BONACCORSO, op. cit., Arles, Lmercredi7 15 mai 1844.
(2) BONACCORSO, op. cit., Smyrne, ~amedi7 8 juin 1844 ou Constantinople
~amedi7 22 juin 1844.
(3) Ibid, P. 226. Napple 18 oct. L?bri! 1860. nO 68.
.. ·1

- 24 -
ses étés.
"Quand tu seras déclouté, quand tu seras las de ton travail,
quand tu voudras voir des sapins et des prairies, quand
tu voudras voir des gens qui t'aiment, prends le chemin de
fer de l'Est et arrive-nous : Ta chambre sera prête à ton
premier signal et tu feras plaisir à tout le monde et sur-
tout à mOif.:JA Dieu, Cher Vieux, je t'aime et je t'embrasse
de tout mon coeur."
( 1 )
En 1865, il réitère son invitation en y ajoutant une note nouvelle
pour inciter son ami à effectuer le voyage:
Il ... Si par harsard la petite question d'argent t'arrêtait,
ne te gêne pas, j'en ai.
Nous t'envoyons tous nos meilleures tendresses et, comme
toujours, je suis à toi - Max." (2)
Les quelques lettres de FLAUBERT à Du CAMP sont, elles aussi pleines de
charme et de délicatesse. En avril 1846, il termine l'une de ses lettres par :
"De plus en plus l'a ttachemen t que j'ai pour toi augmente!' (3)
En 1860, il s'inquiète au sujet de son ami qui s'est jeté imprudemment dans
les rangs des combattants de Garibaldi. Il écrivit une première lettre qui
demeura sans réponse ; il risqua une deuxième :
"Il y·.a un mois que j'ai envoyé à tout hasard une lettre à Palerme.
L'as-tu reçue? Je risque encore celle-ci?
Si tu as devant toi, cinq minutes, mon bon vieux Max réponds-moi -
envoie -moi un mot seulement - Que je sache ce que tu deviens mon
(1) EoNACCORSO, op. cit., P. 226, LPimanch57. 26 juillet /18/ 63. Allée HaUss
Baden-Baden.
(2) Ibid, P. 284. Baden-Baden fSamedJ - 5 août iJ'i165 - n° 100.
(3) Ctlt<te?hNQ~ ~ "lrW~r (,otJPr1l~ ,..-t,. c;J- t1. •'U [~I tg'lb]
,
/"r-,
l'Vt
J
l
'i
.../

- 25 -
Dieu! Si tu es mort, vit ou blessé! Je fais tout ce que je
peux pour ne point penser à toi mais ton souvenir me revient,
cent fois par jour - je te vois dans des positions atroces.
Adieu mon pauvre vieux Max. Je t'embrasse bien tendrement" (1).
C'est FLAUBERT qui écrivit la dernière lettre de cette amitié, le
jour même où i l fut emporté par la mort. En effet, Du CAMP reçut le dernier
billet de Gustave FLAUBERT le samedi 8 mai 1880. Il apprit le lendemain, par
voie de presse, la mort brutale de son ami, à l'heure même où il recevait la
missive. Elle était stipulée ainsi:
"Lundi prochain, j'irai embrasser ta seigneurie
j'ai à peu
près terminé mon livre; ce qui me reste à faire est peu de
chose; il Y a si longtemps que je ne t'ai vu, que je me
hâte
afin d'arriver avant ton dépare' (2)
Ainsi se fermèrent avec toute leur saveur et leur verdeur, les
pages d'une idylle, d'un amour, de deux vies. L'on a écrit jusqu'à présent
qu'il n'avait jamais existé d'amitié sincère entre FLAUBERT et Du CAMP et
que ce dernier ne fut qu'un ami cynique et hypocrite. Toutes ces thèses ne
relèvent d'aucune vérité historique. L'amitié exista; elle fut à la fois
réelle et sincère.
Mais, cette aventure passionnelle ne fut pas exclusivement faite
d'échanges de déclarations sentimentales; c'est d'ailleurs à cet autre
titre que cela nous importe. Depuis le premier jour de leur rencontre, les
deux amis résolurent d'être le plus souvent ensemble et même de ne plus se
quitter. Ils passèrent ainsi des journées entières à se raconter leurs
projets, ce que FlAUBERT appelait leurs "plans". Selon Du CAJ1P, ils
se seraient cristallisés dans leurs oeuvres futures.
FLAUBERT songeait déjà à un "conte oriental" qui a fini par se
cristalliser dans "Salammbô" mais aussi à son "Dictionnaire des idées reçues"
(1) Croisset, mardi 9 8bre L186g7 in M.S. 3751 - Fonds M. Du CAMP - Souvenirs
littéraires. Suite de Portraits - Dossier Gustave FLAUBERT.
(2) Souvenirs littéraires, op. cit., Avant-propos, P. 1.
.../

- 26 -
qui eÜt été le groupement méthodique des lieux communs, des. phrases toutes
faites et des prudhommismes.
Du CAMP pour sa part méditait d'écrire "Les mémoires du juif errant"
à la sui te de la lecture de "L'histoire des Français des divers Etats" ; ce
projet ne s'est-il pas cristallisé dans "Le Livre posthume, Mémoires d'un
suicidé"qui n'est plus l'histoire du peuple hébraïque, mais celle d'un roman-
tique usé par les excès de la vie et se sentant perpétuellement agressé et
persécuté par la société? Il pensait aussi à des romans historiques, à des
drames et à une histoire de Charles VI. Les études d'histoire contemporaine
réalisées par Du CAMP ne sont que les réminiscences de ces projets de jeunesse.
Outre ces projets individuels, ils décidèrent de consacrer dix
années aux études littéraires. La publication s'étalerait elle aussi sur dix
ans. Ils diraient alors volontiers Adieu aux lettres et se retireraient à la
campagne pour un repos mérité. Pour la fin de leurs jours, ils entreprendraient
ensemble un travail qui mettrait un terme à une vie littéraire bien remplie.
L'idée de ce travail des âges mftrs vint de Maxime et Put d'ailleur~
rapidement approuvée par son complice. Ils voulaient réaliser un dictionnaire
qui eÜt indiqué les modifications que les vocables d'origine latine ont subie~
dans les pays où ils ont été adoptés. Cette étude devai t être intitulée
"Les
Transmigrations du latin". Elle ne vit pas le jour, mais les deux amis
acquirent pour de bon le goÜt du travail difficile.
Toujours dans le chapitre des projets, il était question d'une
tragédie burlesque proposée par Gustave FlAUBERT et intitulée : "Jenner ou la
Découverte de la Vaccine". Louis BOUILLET s'était joint au duo pour la
réalisation de cette tragédie.
Tout ce que nous venons de survoler ne Put que des rêves même si
les conséquences furent pour la plupart bénéfiques au "duo littéraire". Il
conviendrait de revenir à la réalité dans les lignes qui suivront. Aussi,
essaierons-nous d'exposer les projets intellectuels qui connurent leur
réalisation, notamment les voyages que les deux amis eurent le bonheur de
réaliser ensemble.
. . ·1'

- 27 -
BI LE VŒAGE
Le voyage occupa une place de choix dans la vie intellectuelle de
Maxime Du CAMP. Déjà en 1844, c'est-à-dire à vingt-deux ans, il courut visiter
l'Orient et l'Italie. Il entraîna FLAUBERT, lui aussi avide de découvrir des
paysages nouveaux, dans deux de ses voyages : "Le voyage en Bretagne" et
"Le voyage en Orient". Loin de faire un exposé exhaustif sur le voyage, - un
chapitre ultérieur traitera de la question, du moins chez Du CAMP -, nous
présenterons brièvement ces deux voyages et leurs incidences sur les rapports
personnels et la vie littéraire des écrivains.
L'idée def voyage en Bretagne a germé dans la tête de Maxime Du CANP
alors qu'il parcourait l'Orient et l'Italie en 1844. Il sollicita aussitôt la
participation de FLAUBERT resté en France : Il
Puis un de vous , si faire se
peut, ou tout seul je partirai pour la Vendée et la Bretagne qu'il faut que
je visite pour un roman, Vendée 1832. Je resterai six semaines à faire ce
voyage que je me ferai préparer par Louis (Il s'agit de Louis de CORMENTN)
pendant mon absence!' (1)
Dès son retour à Paris, il arrêta le proj et
définitif avec FLAUBERT qui manifesta le désir de l'accompagner. Il négocia
en ces termes la participation de Gustave avec Madame FLAUBERT qui réglait la
vie de son fils: "En attendant les grands voyages que j'étais décidé à
entreprendre et que Gustave désirait faire avec moi, nous avions pensé que
nous pourrions employer trois ou quatre mois à parcourir une des provinces de
France••• " (2)
Les deux amis eurent plus de peur que de mal, Car Nadame
FLAUBERT reconnut que son fils avait besoin de liberté et de grand air. Le
voyage fut alors prévu pour le premier ~ai 1847. Dès lors, ils s'attelèrent
à le préparer. FLAUBERT se chargea de la partie historique tandis que Du CAMP
étudiait la géographie, l'ethnologie, les moeurs et l'archéologie.
Pour les deux compères, le voyage étai t es s en t i el Lemen t "un travail
littéraire". Ils transportèrent trente livres sur leurs épaules et prirent des
notes. Comme tous les voyageurs amoureux de littérature, ils trouvèrent dans
(1) BoNACCORSO, op. cit., Dimanche, 26 mai Lï84i7 - A bord du Scamandre, en
vue de Reggio et de Messine.
(2) Souvenirs littéraires, T. 1, op. cit., P. 241.
.. ·1

-
28 -
ce périple un élargissement de leur horizon et les impressions ressenties
devant les sites immuables, les monuments et les lieux célèbres qui furent
les témoins de l'histoire, le spectacle mouvant des moeurs et la diversité
des coutumes appelèrent à des méditations. Les projets littéraires fusèrent
donc de toutes parts et à tout moment.
La randonnée pris fin le 6 ao~t 1847.
Le récit du voyage en Bretagne fut écrit par les deux voyageurs et
intitulé: "Par les champs et par les Grèves". Ce titre fut choisi par FlAUBERT.
Ils s'assirent devant la même table et écrivirent six chapitres chacun. Du
CAMP écrivit les chapitres pairs qui demeurent inédits, tandis que FLAUBERT
se chargea des chapitres impairs. La rédaction achevée, les deux collaborateurs
firent établir une double copie, prise directement sur leurs brouillons, par
un scribe professionnel. De ces deux manuscrits, FlAUBERT en conserva un et
Du CAMP l'autre. L'exemplaire de Du CAMP fut légué par ce dernier à la
Bibliothèque de l'Institut où il est conservé sous la côte R. 63 D.
Il est vraiment dommage que les chapitres rédigés par Du CAMP ne
fassent pas partie de ceux de FlAUBERT publiés par sa nièce en 1885. L'ouvrage
aurai t gagné en uni té et en harmonie.
Quoi qu'aient pu dire les auteurs de "Par les champs et par les
Grèves If -
FLAUBERT dans une lettre à Loui se COLET trai te l'oeuvre de "pure
fantaisie et de digression, quoique d'une fidélité fort exacte sous le
rapport de la description", Du CAHP quant à lui affirme que "le livre est
agressif, touche à tout, procède par digression,C.Jréduit l'idéal humain él un
idéal littéraire
mêle le lyrisme à la satire sinon à l'invective ••. "
t"
,
_ nous es Imans
que cet ouvrage constitue un document irrécusable en ce sens qU'il fait partie
de l'évolution intellectuelle des écrivains. Au milieu de cesWdigressions",
resplendissent des touches excellentes qui sont de bon augure. Un voix plus
autorisée confirme nos propos, notamment au sujet des pages écrites par
FlAUBERT: "••• On y trouve des pages admirables, qui sont même parmi les
plus belles qu'il LYLAUBER!7 ait laissées
L~.i7on songe au Courbet de la
Rencontre - mais une rencontre qui aurait pour cadre, au lieu du paysage
languedocien, quelque lande de Bretagne. C'est bien la même vigueur du trait,
la même sincérité, la même puissance du relief et de la couleur. C'est bien
.. ·1

-
29 -
l'oeuvre d 'un maî tr-eë' (1)
La randonnée à travers la Touraine et la Bretagne fut le prélude
à un autre voyage, beaucoup plus long, plus lointain et plus riche en con-
séquence
c'est le voyage en Orient (1849-1851). En effet, le voyage en
Bretagne n'avait fait qu'aviver le désir déjà si fort chez les deux amis, de
parcourir les paysages d'Orient et de découvrir son soleil. Pour Maxime Du
CAMP, ce voyage s'inscrivait logiquement dans le plan d'études qu'il s'était
imposé avant d'affronter le monde littéraire. C'était donc en quelque sorte
la fin de son apprentissage, c'est-à-dire l'ultime étape avant d'aborder la
phase active du plan. Comme pour le voyage en Touraine et en Bretagne, c'est
encore lui qui fut à la base de la participation de FLAUBERT. Cela, personne
n'a osé le dire jusqu'à présent; l'on s'est toujours refusé à souligner le
rôle fondamental joué par Maxime Du CAMP dans la réalisation effective du
voyage en Orient de FLAUBERT. Dans l'étude que nous avons déjà citée, René
DUMESNIL présente FlAUBERT essayant de "convaincre sa mère, de lui faire
accepter l'idée d'une longue séparation". Ce voyage serai t donc, touj ours
selon René DUHESNIL, "une occasion {;iuy s' offrai t, bien tentante". L'on
constate ainsi que, pour les critiques qui ont parlé de ce voyage, Maxime Du
CAMP n'intervient qu'à la dernière minute, c'est-à-dire au moment où FLAUBERT
avai t déjà dé c.idé de partir: "Du CAMP, désireux lui aussi de visi ter
l'Orient ••• "
En réalité, les témoignages que nous avons recueillis contre-
disent cette version classique des faits. Il convient de souligner avec force
que c'est l1axime Du CAHP qui a non seulement suscité et entretenu l'esprit
d'un voyage en Orient qui était en état de veilleuse chez FLAUBERT - Comme
chez tous les jeunes de cette génération d'ailleurs - mais aussi qui a
occasionné sa réalisation. FLAUBERT, le sédentaire de Croisset avait même
tenté de dissuader Du CAMP lorsqu'il s'activait pour l'organisation de son
premier voyage en Orient en 1844. Sur le chemin du voyage, Du CAMP apprend à
son ami qu'il avait eu tort d'avoir voulu écarter un tel "bonheur" de sa
pensée: "Quel rêve que celui-là: j'ai douté de mon départ jusqu'à la
diligence, et maintenant, je ne puis croire encore que je vais en Orient
Lorsque pour la première fois, je t'en ai parlé, tu as cherché à écarter ma
pensée d'un tel bonheur, et cependant maintenant j'y touche et demain j'y
s er-ai.J' (2)
(1) G. FLAUBERT, Voyage, Texte établi et présenté par R. DUt1ESNIL, Société des
belles lettres, 1948.
(2) Giovanni BO}~CCORSO, op. cit., P. 12, Arles, ~ercred-i7 15 mai 1844.
.../

- 3 0 -
Maxime Du CJHiP commence sa manoeuvre de séduction à Scio ; il
n'est pas satisfait de son voyage car son compagnon de route ne lui rend pas
la tâche aisée. Il regrette de n'être pas allé avec FLAUBERT et prône à son
ami un autre voyage qu'ils feraient ensemble. C'est plus une prière qu'un
simple compte rendu de la vie de voyage: "Mais un jour viendra, n'est-ce
pas mon cher enfant, où tous deux nous partirons et alors, ensemble, nous
verrons véritablement cet Orient que tu as tant rêvé. Nous ferons le voyage
de Palestine et d'Egypte, nous verrons la Sicile. Enfin, nous voyagerons,
tâchant d'oublier ceux que nous laissons derrière nous, car c'est une idée
pénible qui vous serre toujours le coeurë' (1)
Il revient à la charge à Rome
le 2 octobre. Le voyage est en train d'engloutir toutes ses économies,
cependant, il tient absolument à ce voyage d'Orient avec son ami, qui se
terminera en Italie : "Nous ferons ensemble le voyage d'Italie, mon cher bon
Gustave, et si je n'ai pas le sou, ce qui est possible, tu m'emmèneras en
qualité de domestique, je te servirai de drogman et de Cicéron. Ce sera une
économie!' (2)
Une année plus tard, en 1845, Maxime Du CAMP achève sa manoeuvre
d'endoctrinement et de séduction en reprenant l'une des descriptions qu'il
avait faites le 8 juin 1844 dans une lettre de Smyrne adressée à FLAUBERT:
"Que ce serait doux, cher ami, de voyager avec toi. Montés sur nos chevaux,
nos armes à la ceinture, à l'ombre de quelques caroubiers, voir passer au
loin les graves chameaux conduits par l'âne au grelot sonore; au ciel quel-
que vol de cigognes, et dans l'herbe, à nos pieds, le bruissement des tor-
tues et des coul euvresl' (3)
A cette exhortation il convient d'adjoindre la peinture exotique
des paysages, des moeurs, et des cosmogonies orientales.
Assurément, FLAUBERT n'est pas resté indifférent ni insensible à
cette cour assidue. En 1847, il avoue, dans une lettre écrite à Saint-Malo
à son ami Ernest CHEVALIER, l'obsession d'un désir de voyage en Orient:
" ••• Chaque jour, j'ai de plus en plus besoin de soleil! Il n'y a guère que
(1) B0NACCORSO, op. cit., P. 10. nO 10, Scio : ce ~ercredi7 14 aoüt 1844.
(2) Ibid, P. 77, n° 11, Rome Lffiercr~ 2 8bre 1844.
(3) Ibid, P. 108, nO 16, Alger: ce Lmercredi7 8 janvier 1845.
. ··1

-
31 -
ça de beau au monde, le grand bec de gaz suspendu là-haut par les ordres de
Rambuteau inconnu !" (1)
Au bout du compte, c'est Maxime Du CAMP qui va lui permettre de
réaliser ce rêve. En fait, c'est en février 1849, à Rouen,que Du CAMP parla
de son voyage et de l'itinéraire qu'il comptait suivre à son ami. Déjà pré-
disposé, ce dernier manifesta le désir de s'en aller avec lui. Mais, il
fallait résoudre un problème cette fois épineux. Madame FLAUBERT était
réticente à une longue absence de son fils à cause de son état de santé. C'est
alors que Du CAMP fit intervenir Achille FLAUBERT et le Docteur CLOQUET qui
réussirent finalement à la convaincre.
Afin de réaliser le voyage dans des conditions satisfaisantes, Du
CAMP sollicita du Gouvernement des missions gratuites qui leur serviraient
de recommandations auprès des agents diplomatiques et commerciaux.
Ainsi, Gustave FLAUBERT fut chargé par le Ministère de l'Agriculture
et du Commerce de recueillir, dans les différents ports et aux divers points
de réunion de caravanes, les renseignements qu t i.L semblerait utile de commu-
niquer aux chambres de commerce. Maxime Du CANP lui-même obtint une mission
du Ministère de l'Instruction Publique. Par ailleurs, il adressa une lettre
à l'Académie Française précisant ses intentions et l'itinéraire qu'il
comptait suivre dans le dessein de solliciter des instructions et des re-
commandations destinées à le guider dans le voyage. Une commission spéciale
fut nommée par l'Académie des Inscriptions à cet effet. Un extrait du procès
verbal de la séance du vendredi 7 septembre 1849 établi par le Secrétaire
perpétuel de l'Académie a repris dans son intégralité le rapport de cette
commission. (2)
Les préparatifs terminés, il était temps d'envisager la date du
départ; mais coup de théatre ! FLAUBERT déclara qu'il ne pourrait partir
qu'après avoir terminé un roman qu'il était en train d'écrire. Il s'agissait
(1) Correspondance (1847-1852) de FLAUBERT, Conard, op. cit., T. 2, P. 28,
Saint-Malo, 13 juillet 1847.
(2) Tous les documents dont nous venons de parler sont réunis dans les papiers
de M. Du CAMP disponibles à la Bibliothèque de l'Académie Française sous
la côte: M.S. 3720 (1) Fonds M.D.C. II.1-9. Voyage en Orient.
.. ·1

- 32 -
de "La tentation de Saint-Antoine". Le départ fut alors fixé au 29 octobre.
Le 28, ce fut le repas des adieux auquel assistaient : Théophile GAUTIER,
Louis de CORHENI.N. Louis BOUILHET.
au Palais-Royal, dans un cabinet du
restaurant des Trois-Frêres-Provençaux. Il serait superflu de raconter tout
le voyage qui a commencé en octobre 1849 et qui s'est achevé en mai 1851 dont
16 mois en Orient et le reste en Italie. Pour des raisons sur lesquelles nous
reviendrons plus tard. le voyage fut écourté au grand mécontentement de
Maxime Du CAMP. La randonnée à travers la Mésopotamie, la Perse et la Georgie
fut enfouie sous le tumulus où dorment tant de rêves. Il serai t surtout
intéressant de savoir le profit intellectuel et surtout littéraire que les
deux amis tirèrent de leur voyage en Orient.
En ce qui concerne Gustave FLAUBERT, tous les exégètes sont d'accord
pour affirmer que ce voyage fut un tournant décisif dans sa carrière li tté-
raire. En effet, sous la hantise de la chose vue, son art, autrefois lyrique,
s'affirme et s'affine. C'est Jean-Marie CARRE qui évoque le mieux ce change-
ment : "Cet Orient, rêvé de tous les romantiques, est en train de guérir
FLAUBERT de son propre romantisme. Le réaliste s'éveille en lui. Ce qui lui
plaît par dessus tout, ce sont les scènes populaire~"JAucune illusion,
aucun mirage, aucune transposition romantique. L'expérience reçue dans son
authentique, sa brutale, sa grossière réalité, soulignée par les mots les plus
crus, les plus graveleux de la langue verte!' (1)
FLAUBERT retire donc un double gain de son séjour au bord du Nil :
"Une libération d'ordre esthétique d'une part, délivrance des procédés et des
artifices romantiques, accentuation vers le réalisme, approfondissement psycho-
logique et apprentissage de l'oeil surtout, une inspiration durable, aussi
profonde que diffuse d'une part, et cette couleur rutilante, cette poudre
d'or semblable aux sables d'Assouan, cette lumière d'Afrique qui enveloppera
"Salammbô".(2)
Il faut ajouter entre autres à ce palmarès, la conception de
"Salammbô", la modification profonde de "La tentation de Saint-Antoine" qui
était écrite avant le voyage, Hérodias, les fameuses notes de voyage et
(1) Jean-Marie CARRE, Voyageurs et écrivains français en Egypte, Le Caire,
Imprimerie de l' Insti tut Français d'Archéologie Orientale, 1932. P 87.
(2) Ibid.
.. ·1

- )") -
"Les trois contes". Si l'on croi t Maxime Du CAMP, Emma BOVARY, le nom de
l'une des héroïnes de FLAUBERT serait une trouvaille de ce dernier sur les bords
du Nil précisement à OUadihalfa, dans la Nubie fauve et dorée, près de la
seconde cataracte.
En ce qui concerne Maxime Du CAMP, i l eut en Orient des sympathies
avec les Saint-Simoniens, notamment avec l'un des responsables de ce courant
de pensée: Charles LAMBERT-BEY. Dès lors, ses idées sur le but de la litté-
rature se précisèrent. Dans le sens des Saint-Simoniens, il opta pour une
littérature militante et utilitariste. D'autre part, il revint en France, les
bagages bourrés de notes et de planches photographiques. Il fit éditer un
magnifique album de 150 planches photographiques intitulé
"Le Nil, Egypte,
Nubie, Palestine et Syrie", premier ouvrage qui ait allié la photographie à la
typographie. Il fut honoré de la légion d'honneur à la suite de cette publi-
cation. Par ailleurs, les romans, les nouvelles, les contes, les poèmes et
presque tous les ouvrages de Du CAMP regorgent d'une foule de détails relatifs
à l'Orient.
Le voyage en Orient a donc exercé une influence profonde et capitale
sur l'art et les choix littéraires de FLAUBERT et de Du CAMP. Beaucoup plus
qu'on en attend d'ordinaire, ils lui doivent non seulement des thèmes d'ins-
piration mais aussi et surtout les formes définitives de leur art et leurs
tendances profondes.
L'enchevêtrement de la vie des deux amis entraîne inéluctablement un enchevêtre-
ment ou du moins une interférence de leurs oeuvres. C'est ce que nous analyse-
rons dans le point suivant.
cl PRODUCTIONS LITTERAIRES ET ALTERCATIONS HUMAINES.
Sur le plan purement littéraire, quoique les flaubertistes aient
toujours affirmé le contraire, Haxime Du CAMP fut l'un des "conseillers l i tté-
raires "les plus assidus de Gustave FLAUBERT. Outre Louis BOUILHET qui fut
à juste titre proclamé "conscience littéraire" de l'auteur de "Madame Bovary",
Du CAMP lut presque tous les manuscrits de ce dernier avant leur publication
et contribua même souvent à leur succès.
.. ·1

- 34 -
En 1843, c'est Maxime Du CAMP qui le premier, eut le bonheur
d'écouter la première lecture de "Novembre". Rappelons que "Novembre" fut
le premier roman de FlAUBERT. D'une voix enchantéresse, FIAUBERT lut
"Novembre" à son nouvel ami qui l'écouta religieusement. Ce dernier fut
complètement subjugué et n'eut aucun effort à faire pour témoigner son
enthousiasme: "j'étais sous le charme et subjugué. Enfin, un grand écrivain
nous est né, et j'en recevais la bonne nouvelle. Mon émotion était sincère
et Gustave ne s'y m'éprit pas ••• " (1)
Cependant, naturellement sceptique,
Gustave nia la qualité de son livre et jeta brutalement à son ami encore
émerveillé : " ••• ça ne ressemble à rien!' (2)
En toute amitié, il existe deux types de caractères distincts: Un
caractère mâle, viril, protecteur, habile et un caractère féminin plutôt
rêveur, indolent et disposé à recevoir conseils et remontrances. Dans le
couple Maxim~Gustave, Maxime était l'homme et Gustave la femme. Pour s'en
convaincre, signalons à propos du voyage en Orient qu'au moment où Du CAMP
s'adonne aux préparatifs, trace les itinéraires, sollicite des missions et des
recommandations, résoud les difficultés de dernière minute, FLAUBERT s'occupe
d'autres choses et se contente d'attendre et de se rallier aux décisions
prises par Du CAMP. A la sui te du changement d' itinéraire survenu en Egypte,
FLAUBERT déclare à son ami qu'il aurait été avec lui en Perse s'il l' avai t
voulu. Quand on jette un regard cri tique sur les rapports entre Du CAMP et
FlAUBERT, l'on constate que presque tout est laissé à l'appréciation et à
la décision de Maxime. Ce dernier a saisi cette situation pour s'ériger en
véri table protecteur : "Il faut que tu sois mon protégé, mon cher enfant,
lui écrit-il d'Orient - car ma première lettre est pour toi et les autres
auront tout ce que j'aurai le temps de leur écrir~' (3)
Quelques jours plus tard, il s'inquiète de la santé de son protégé
"
Mon cher enfant aimé, liJ je ne suis pas tranquille en pensant que
depuis plus d'un mois je n'ai pas entendu parler de roi , •• " (4)
(1) Souvenirs littéraires, op. cit. P. 167.
(2) Ibid.
(3) BOHACCORSO"
op. cit., P. 11. nO 2 fi.ardY 21 mai 1844 4 hf:eure~ du soir.
(4) Ibid, P. 18, Smyrne ~amedY 8 juin 1844.
.../

- 35 -
C'est encore Du CAMP qui conseille des amis à FLAUBERT. D'orient,
il demande à FLAUBERT de lier amitié avec Louis de CORMENIN : "Ecris à Louis,
ce pauvre garçon sera bien triste et bien dénué pendant quelques temps" (1)
En face des hésitations de FLAUBERT, Du CAMP prend le contre-pied en mandant
à Louis de CORMENIN de chercher à le rencontrer. A bord du Scarnandre, i l
informe FLAUBERT de son initiative: "J'ai écrit à Louis afin de le décider
à t'aller voir, je serai heureux de vous voir liés ensemble aussi étroitement
que possible ••• " (2)
Nous avons des preuves que FLAUBERT fut séduit par cet esprit
raffiné et espiègle. Il suivit même ces conseils, du moins jusqu'à un certain
temps. La confession qui suit date d'octobre 1851 ; les deux amis étaient de
retour d'Orient, leur amitié avait déjà huit ans. FLAUBERT est absolument
incapable de prendre une décision en ce qui concerne les problèmes de publi-
cation et de son avenir littéraire. Il communique alors ses doutes et ses
tracas à son ami conseiller et protecteur: If ••• Dimanche prochain, nous
lirons tous les deux ; peut-être e~-ce ce qui ferait le mieux un ensemble.
Pas plus là-dessus que sur la question principale, je n'ai d'opinion à moi.
Je ne sais que penser: je suis comme l'~e de Buridan. On ne m'a pas jus-
qu'à présent accusé de manquer d' individualisme et de ne pas sentir mon petit
moi. Eh bien
Voilà que, dans la question la plus importante peut-être d'une
vie d'artiste, j'en manque complètement, je m'annule, je me fonds, et sans
effort, hélas !~.~ Les objections pour et contre paraissent également
bonnesL~~ Si je publie, ce sera le plus bêtement du monde, parce qu'on me
dit de le faire, par imitation, par obéissance et sans aucune initiative de
ma part L~. ~ jet' ai tout di t , autant qu'un homme peut-être de bonne foi
avec lui-même. Il me semble que je le suis. Je t'expose mes entrailles, je
me fis à toi, je ferai ce que tu voudras. Je te remets mon individu dont je
suis harassé !" (3)
A lire cette "déposition" et tenant compte de ce que nous avons
dit antérieurement, n'est-ce pas tendancieux lorsque René DUHESNIL affirme qu'en
(1) G. BONACCORSO, op. cit., P. 5, nO 1, Arles, L;ercredi! 15 mai 1844 en
partance à Alger.
(2) Ibid, P.
16, nu 3, mai L1841! Abord duScamandre, en vue de Reggio et de
Messine.
(3) G. FIAUBERT, "Correspondance" T. I ~1H29-1H)2), Paris, Lib. de France, 1922 •
. . ·1

- 36 -
somme, c' es t FLAUBERT qui exerce sur Du CAMP une influence au moins tempo-
raire 7'( 1)
En ce qui concerne Du CAMP, ne soyons pas étonné de rencontrer des
affirmations de ce genre, aussi gratuites que sans fondement, qui n'ont rien
à voir avec la réalité des faits. Si l'on doit parler en terme d'influence,
les textes que nous avons cités et lus (2) permettent d'opiner le rôle im-
portant joué par Maxime Du CAMP dans la vie intime et intellectuelle de
Gustave FLAUBERT.
Les rapports entre les deux amis ne furent pas que roses. A
l'image de tous les phénomènes naturels et existentiels, ils connurent des
hauts et des bas. Nous voudrions, dans les pages qui suivront, relater les
dissonances essentielles qui ont pertubé l'amitié.
Sur le plan littéraire, tous les manuscrits de Gustave FLAUBERT,
de "Novembre" à "Salammbô" en passant par "Madame Bovary" et "L'Education
sentimentale" sont passés par les mains de Du CAMP. La réciproque étai t
d'ailleurs vraie, mais l'intérêt que les uns et les autres ont accordé aux
épreuves respectives fUt inégales. Nous le prouverons ultérieurement. Pour
l'instant, signalons qu'après "Novembre", ce fUt "La tentation de Saint-
Antoine" que FLAUBERT lut à son ami en présence de Louis BOUILHET. Les deux
juges trouvèrent le livre trop confus et entaché de lyrisme et de romantisme.
FLAUBERT fUt ébranlé, mais aux dires de Du CAMP, il aurait reconnu, la déception
passée, que cette consultation et ce verdict lui furent salutaires et eurent
sur lui une influence décisive : "j'étais envahi par le cancer du lyrisme,
vous m'avez opéré; il n'était que temps, mais j'en ai crié de douleur," (3)
Ce fut la première friction sérieuse de cette amitié.
Cet incident se déroula quelques jours avant le voyage en Orient.
Dès leur retour en 1851, chacun était fixé quant au but de la littérature et
de la vie. FLAUBERT est revenu d'Orient, guéri du romantisme. Il est passé du
"lyrisme épidermique" au réalisme et s'est isolé dans le culte de l'art pour
(1) R. DUMESNIL, G. FLAUBERT, l'homme et l'oeuvre, Desclée de Brouwer et Cie
Editeurs, Paris,1947. P 110.
(2) Il existe d'autres textes publiés par BONACCORSO, par Du CAMP lui même
dans les "Souvenirs littéraires" ou disponibles à. la Bibliothèque de
l' Insti tut.
(3) "Souvenirs littéraires", ToI, op. cit., P. 316.
.. ·1

- 37 -
l'art. Au m~e moment, son ami Du CAMP s'est mis à prôner l'idéal utili-
tariste et social de l'art et la mission humanitaire du poète, à célèbrer
en bon saint-simonien la locomotive, et la vapeur et à vaticiner sur la
littérature sociale et régénératrice de l'humanité.(1)
D'autre part, avant le voyage en Orient, les deux amis rêvaient de
publier leurs oeuvres dès leur retour afin de se faire une renommée. Ainsi,
après le voyage en 1851, Du CAMP jugea le moment venu de se jeter dans la
tourmente littéraire. Esprit pratique, plein de ressources et d'entregent, il
estima la phase des recherches et des études terminées. Il était temps de
faire ses preuves. D'ailleurs, n'a-t-il pas affirmé à Madame FLAUBERT que le
voyage en Orient faisait partie de ses études? Pour ce faire, il se mit
assidftment au travail, parla de publier, se mêla au monde et tenta de creuser
son couloir qui devrait le conduire,vers le succès. FLAUBERT était quant à lui
toujours indécis. Il continuait de douter de lui et de ses potentialités, se
recroquevillait sur lui-même et demandait à son ami de faire de lui ce qu'il
lui plairait. Il est vraiment dommage que nous n'ay~ns pas toutes les lettres
de FLAUBERT sous les yeux ; elles corroboreraient les pages des "Souvenirs
littéraires" qui sont incriminées à tort, même de nos jours. Cette lettre,
dont nous citons des extraits, est très importante dans ce débat. Elle
répond à celle de FLAUBERT que nous avons déjà citée où i l donne l'autorisa-
tion à Du CAHP de décider de son avenir
Il
La question de la publication
est très complexe, malgré son excessive simplicité apparente, répond Du CAHP.
Veux-tu uniquement publier? C'est facile. Veux-tu arriver en publiant? Ceci
est mal aisé. Tu sais aussi bien que moi, que nous ne vivons plus à l'époque
où du jour au lendemain on était un homme célèbre parce qu'on avait fait
\\ILes Truands" ou "L'Ecolier de Cluny"[.] je tiens enfin quelque chose, j'ai
un centre d'activité sur lequel je puis m'user, je peux répandre à mon aise
le flot de vitalité qui me déborde, j'ai une lutte sérieuse à soutenir, une
victoire de vie ou de mort à remporte~ ••]
1
Tu me dis : fais de moi ce qu'il te plaira, decide de moi - cela ne
se peut, je refuse - je ne puis pas prendre ~ charge Il d'âmes - dussé-je
être mal compris et mal traité par toi je te laisserais ton incertitude. Je
te pourrai montrer les deux côtés, mais vis-à-vis de toi surtout, jamais je
n'indiquerai un parti à prendre[- ~
(1) H.D.C., Les Chants Modernes, Paris, Hichel-Lévy-Frères, in-8, 1855.
. .·1

- 38 -
Si tu veux réussir, si tu veux arriver, je dirai plUS, si tu veux
être vrai, sors de ta tanière où personne n'ira te chercher et viens au jour.
Frotte-toi au monde ; méprise-le assez pour être au dessus de lui, mais au
travers de ce mépris. apprends à vivre en le fréquentant. Si tu es plus fort
que lui, tires-en parti. Ecoute bien ce qu'il dit afin de le connaître et
parle-lui de haut pour qu'il t'écout{.J
Maintenant, on ne croit plus aux grands hommes inconnus. On
réclame impitoyablement son oeuvre à celui qui le dit fort, et s'il ne la
donne pas on doute de lui ••• " (1)
Toute la lettre est rédigée sur ce ton, pleine de mises au point
aux propos de FLAUBERT, mais aussi de conseils.
Ces fausses notes, que nous appellerons volontiers des malentendus,
connaissent leur paroxysme vers la fin de 1851 et le début de 1852 et pour
cause: Maxime Du CAMP avait entre-temps publié "Le livre posthume" ; i l
étai t devenu co-directeur de "La Revue de Paris" avec Arsène HOUSSAYE en
novembre 1851. A la même époque, la rosette de la Légion d'honneur récompensa
l'explorateur de la Nubie. FLAUBERT s'indigna du succès instantané de son
ami. Lui 1ui sovJ1aitait publier, faire son succès et réunir auprès de lui la
presse littéraire changea soudainement d'idée et se mit à traiter son ami
d'ambitieux et d'arriviste.
"Le livre posthume" était tiré à 60.000 exemplaires et épuisé. Les
adhérents affluaient à "La Revue de Paris". Ne comprenant pas l' agressi vi té
subite de son ami, Du CA}1P lui rappela alors les rêves qu'il caressait jadis
"Autrefois, tu rêvais fort à tes débuts, tu voulais jouer ton rôle, tu
désirais te faire un succès instantané en ralliant autour de toi les artistes
et les hommes de la presse. C'était bien là ton idée, il me semble, ce que tu
comptais faire avec beaucoup d'argent, je le fais maintenant avec rien et, tu
en est choqué contre moi, il te semble que ma conduite manque de dignité, il
te semble que j'aurais dÜ jeter ma prose et attendre tranquillement, les bras
croisés, que les admirateurs me vinssent ••• " (2)
(1) BONACCORSO G., op. cit., n° 49. Paris, mercredi. 29 8bre L1~ 51.
(2) Ibid.
.. ·1

- 39 -
En 1852, chaque ami ne se faisait plus aucune illusion. Chacun se
plaignait de son côté et accusait l'autre de trahison. Dans son revirement
de position, FLAUBERT jugeait son ami Du CAMP de très haut: "••• je te dirai
que tous ces mots: se dépêcher, c'est le moment, il est temps, place prise,
se poser, hors la loi, sont pour moi un vocabulaire vide de sens; ••• 11 (1)
Ce jugement est absolument erroné ; il est circonstancié. La raison de cette
diatribe est bien simple: FLAUBERT est sous la hantise d'un éventuel échec.
Il l'avoue d'ailleurs très explicitement dans l'une de ses lettres: Il ••• Si
je répugne au mouvement, c'est que peut-être je ne sais pas marcher. Il y a
des moments où je crois même que j'ai peur de vouloir faire un livre raison-
nable et de ne pas m'abandonner à tous les lyrismes, violences, excentricité
philosophico-fantastiques qui me viendraient - Qui sait? Un jour, j'accouche-
rais biij peut-être d'une oeuvre qui serait mienne au moins.
IIJ'admets que je publie; y résisterai-je? De plus forts y ont
péri - Qui sait si au bout de quatre ans je ne serai pas devenu un crétin ?~~
Comme le colimaçon, qui a peur de se salir sur le sable ou d'être écrasé sous
les pieds, je rentre dans ma coquille ••• 11 (2)
Les accusations fusaient de part et d'autre et la rupture semblait
totalement consommée. Indigné, FLAUBERT fit le triste constat : "Nous ne
suivons plus la même route, nous ne naviguons plus dans la même nacelle. Que
Dieu nous conduise donc où chacun demande ! Moi, je ne cherche pas le port,
mais la haute mer; si j'y fait naufrage, je te dispense du deuil~ (3)
Dans une lettre de mars 1853 adressée à Louise COLET, il avoue son
incapaci té à éprouver un sentiment quelconque à l'égard de son "ancien" ami
"Pour lui, ce bon Maxime, je suis maintenant incapable à son endroit d'un
sentiment quelconque. La partie de mon coeur où il était est tombée sous une
gangrène lente, et il n'en reste plus rien. Bons ou mauvais procédés, louanges
ou calomnies, tout m'est égal et il n'ya pas là dédain. Ce n'est point une
affaire d'orgueil, mais j'éprouve une impossibilité radicale de sentir à
(1) G. FLAUBERT - Correspondance - Bibl. Charpentier - Paris, 1900 - 4 tomes.
P. 117.
(2) Ce mardi 21 oct. 1851 in Souvenirs littéraires de M.D.C. T.II, op. cit.
P. 12-13.
(3) Correspondance de G.F., Conard, op. cit., Letne à Maxime Du CAMP, P. 117.

-
40 -
cause de lui, pour lui, quoi que ce soit, amitié, haine, estime ou colère.
Il est parti comme un mort sans même me laisser un regret ••• " (1)
De son côté, Maxime Du CAMP était blessé dans son amour· propre. Il
criait à qui pouvait l'entendre la trahison de son cher ami. Le poème inti-
tulé : "Tristesse", écrit à la même époque et publié en 1855 dans "Les ChéUlts
Modernes" est le témoignage de ce drame amical :
"Tais-toi ! tais-toi ! moncoeur, et sanglote en silence
Etanche ta blessure et ne la montre pas,
Comme les flancs du Christ garde ton coup de lance !
Baigne-toi dans ton sang en te plaignant tout bas !
Ne vas pas découvrir à toute cette foule
Qui s'afflige et qui rit de tout en même temps,
La plai e à large bord par où ton sang s'écoule
Entraînant avec lui ton rêve de trente ans !
pleure en voyant passer l'ombre de ton enfance
Qui porte dans ses bras ton meilleur souvenir,
Quand tu battais joyeux en calculant d'avance
L'instant où ton ami pourrai t enfin venir
Pleure en voyant passer l'ombre de ta jeunesse
Qui pourrait te compter tes rêves avortés
Quand tu croyais encore en sa sainte promesse,
Que tes jours par les siens ne seraient pas quittés.
Pleure mais ne vas pas exposer aux outrages
Ce nom que tu rêvais si grand à l'horizon
Au dedans de toi même amasse tes orages,
Seul et sans le haîr pleure sa trahison !
Tais-toi ! tais-toi ! mon coeur, et sanglote en silence
Laisse s'évanouir ce fantôme endormi,
Il fallait bien savoir ce que dans la balance
Peut peser de douleur l'abandon d'un ami !" (2)
(1) BONACCORSO G. Lettre à L. COLET, Croisset, nuit du sam. 1 h L5-6 mars 18517
P.
109.
(2) Les Chants Modernes, PP. 217-218.
. . ·1

- 41 -
La date d'écriture de ce poème n'est pas préciséedans "Les Chants
Modernes'~, contrairement aux autres pièces contenues dans le recueil.
Cependant, il ne fait aucun doute qu'il date de 1852. ~mme les lettres de
FLAUBERT, il est écrit sous le coup de la colère et sous le choc de la
désillusion.
Malgré ces cris de douleur et ~es véhémences, cette brouille fut
passagère. Les deux amis apprirent dès lors à se connaître et à s'accepter sous
d'autres formes et donnèrent une autre tournure et une impulsion nouvelle à
leurs rapports. Du CAMP résume très clairement l'évolution de ses rapports
avec FLAUBERT: "Plus tard quand nous serons de véritables scheiks nous
causerons de tout cela. Tout ce que je puis te dire maintenant c'est que je
t'avais aimé sous une forme que tu n'as pas = Lorsque je m'en suis aperçu,
il m'a fallu replier mon amitié à cette nouvelle nature que je découvrais en
toit ••• " (1)
L'amitié fut rudement secouée à la suite de cet incident, mais
elle résista. La publication de "Madame Bovary" de Gustave FlAUBERT va être à
nouveau une occasion de discorde. Ce sera la troisième friction.
A en croire Haxime Du CAMP, "Hadame Bovary" n'aurai t pas exi s té
si "La Tentation de Saint-Antoine" avait satisfait ses premiers juges, en
l'occurence BOUILHET et lui. En effet, après le rejet de la première version
de "La tentation de Saint-Antoine", BOUILHET aurait proposé à FIAUBERT
d'écrire l'histoire vraie de DEIAUNAY, officier de santé qui fut l'élève du
père de FIAUBERT. "Madame Bovary" serait donc née ainsi.
Le roman terminé, FLAUBERT se décida à le publier. C'est encore à
Maxime Du CAMP que revint l'honneur et surtout la lourde responsabilité de
diriger les premiers pas du jeune auteur. Il le lui avait d'ailleurs promis
en 1851 : " ••• Seulement quelle que décision que tn prennes, à quOl~'eJ&lii:ll. iji 'fH~
tu t'arrêtes, je suis là et"crois':'moi, je tiéviterai le plus dur de la besogne.
Le jour où tu voudras publier tu trouveras, ce qui n'arrive à personne, ta
place prête et réservée. Pas une seconde je ne t'ai séparé de moi dans ma
pensée. J'ai travaillé pour trois, BOUILHET, toi et moi - Voilà longtemps
(1) BON.-'\\.CCORSO G., op. câ t , , nO 49, P. 197, ifariij mercredi 29 8bre l1Y51 .
.../

- 42 -
que ça dure et vous ne vous en êtes jamais douté:' (1)
"Madame Bovary" fut alors publié en six numéros, du premier
octobre au 15 décembre 1856 dans "La Revue de Paris".
Avant la publication proprement di te dans la revue, Du CAMP lut
comme toujours le manuscrit et fit savoir ses impressions à san ami. Pour lui,
"Madame Bovary" serait plutôt "fastidieuse", car c'était une oeuvre "em-
brouillée" à laquelle le style ne suffi sai t pas pour donner de l'intérêt,
tout en reconnaissant que le roman avait une "force exceptionnelle". Le
roman serait donc "enfoui sous un tas de choses bien faites, mais inutiles,
qui empêchait de le voir assez. Il fallait en conséquence "élaguer" l'oeuvre
qui étai t trop "rembourrée". (2)
Dans la même lettre, Du CAMP appr i t à FIAUBERT que Laurent PICHAT
qui avait lu le roman partageait son opinion: "Cher vieux, Laurent a lu ton
roman et il m'en envoie l'appréciation que je t'adresse. Tu verras en la
lisant combien je dois la partager puisqu'elle reproduit presque toutes les
observations que je t'avais faites avant ton départ. J'ai remis ton livre à
Laurent sans faire autre chose que de lui recommander chaudement, nous ne nous
sommes donc nullement entendus pour te scier avec la même scie ••• " (3)
Outre ces appréciations d'ordre général, Du CAMP pris des initiatives
personnelles pour le succès du livre : "j'envoie le bon à tirer de tes
épreuves: Tout est bien, sans corrections et j'espère sans faute t'~ - j'ai
mis Fanal; au reste le mot n'y est qu'une fois.
Vingt cinq
francs de citrons al un mois: les citrons les plus magni-
fiques coûtent 5 sous; . cent citrons pour des ongles, c'est peut-être' exagéré même
pour Yonville.
Tu n'avais pas indiqué la coupure VII ; je l'ai mise après le
départ de Léon - La phrase qui re-commence est : Le lendemain pour Emma fut
( 1 ) BoNACCORSO G. , op. ci t , , P. 194, nO 49. 1851.
(2 ) BJNACCORSO G. , op. ci t , , P. 205, nO 53, Paris, lundi __ 14 juillet .L185§1.
(3) Ibid.
. ..f

- 43 -
etc ••• " (1)
D'autres lettres de ce genre témoignent de la contribution et de la
bonne volonté manifeste de Du CAMP.
Ces objections alors justifiées sans nul doute fUrent encore
accrédi tées par Louis BOUILHET qui engagea FL\\UBERT à éliminer les "in-
salubrités" de son livre, en l'occurence la description d'un jouet exotique
qui occupait douze pages.
FL\\UBERT n'était pas homme1 à accepter de bon coeur les critiques
de ses amis. Cependant, dès que les premiers chapitres parurent dans "La
Revue de Paris", les abonnés s'insurgèrent; on cria au scandale et à l'im-
moralité. On accusait les responsables de la revue de "calomnier la France et
de l'avilir aux yeux de l'étranger". Pire encore, la revue reçut des avertis-
sements et une 'poursuite en police correctionnelle; une condamnation pouvait
donc la supprimer.
Tiraillés par ces menaces, Du CAMP et surtout Laurent PICHAT
demandèrent à FLAUBERT de supprimer des scènes jugées trop audacieuses ou des
paragraphes qui irriteraient l'opinion publique comme l'épisode du fiacre.
Mais FLAUBERT n'entendit pas la chose de la même oreille et demeura inflexible.
Halgré cette opposition systématique de l'auteur, "Madame Bovary" fut "élagué"
à la sui te d'un arrangement entre les deux parties. Du CAMP proposa à son ami
de rédiger une note qui serait jointe aux dernières publications qui stipule-
rait que l'auteur n'acceptait plus la responsabilité de son oeuvre "mutilée" et
que les lecteurs étaient priés de n'y voir que des fragments et non un
ensemble. Tout semblait être rentré dans l'ordre quand pour des raisons que
seule la nervosité de FLAUBERT pouvait expliquer, il compulsa la collection
de "La Revue de Paris", y releva les phrases scabreuses et les situations
délicates. Il constitua un petit dossier qu'il remit à un chroniqueur qui
publia un article qui ne pouvait qu'être remarqué. FL\\UBERT, Laurent PICHAT
et A. PILLET l'imprimeur, furent traduits en police correctionnelle le
31 janvier 1857 pour "outrage à la morale publique et religieuse et aux
bonnes moeurs".
(1) BOJ~CCORSO G., op. cit., P. 210, nO 57, Paris, 12 ou 13 octobre 1856.
.../'

- 44 -
Du CAHP et "La Revue de Paris" ne furent pas visés par la citation.
Malgré les agissements de FLAUBERT, Du CAMP prit fait et cause pour lui et
entreprit de le défendre. Il lui expliqua la stratégie de "contre-attaque"
"Ton livre est brutal, reconnut-il, sa brutalité même a servi à faire
res-
sortir la brutalité plus grande de certains passages; ils sont comme la
plupart des bourgeois qui en parlent, ils prennent la brutalité pour l'im-
moralité, il faut leur prouver qu'ils se trompent ••• " (1)
Par ailleurs, Maxime Du CAMP était indigné par des articles per-
fides publiés par des cri tiques "malintentionnés" comme Sainte-Beuve et se
plaignait que "Madame Bovary" rot régulièrement associée à succès de scandale
"vouloir que tu aies cherché, en écrivant la Bovary, uniquement un succès de
scandale, m'exaspère, et je suis horripilé quand je vois ton nom éternelle-
ment accollé à celui de FEYDEAU et qu'on fait rimer toujours Fanny et Bovary.
Ilest-ce mauvaise foi, est-ce bêtise? Je n'en sais rien. Aujourd'~~ui on te
fait un succès de savantasse, ce qui est aussi bête que de te faire un succès
de paillard. Tu traites ton sujet à ton mieux, mais quelque soit ton sujet,
il n'est jamais pour toi qu'un prétexte, qu'une matière à style. A mon avis,
tous ceux qui s'éloignent de cette appréciation de toi, se mettent le doigt
dans l'oeill1 (2)
L'action de Du CAMP en faveur de son ami n'est pas restée au stade
des répliques au~ propos malintentionnés. Il utilisa les influences de ses
amis pour sortir FLAUBERT et "La Revue de Paris" de cette situation difficile.
Dans cette lettre qui date de novembre 1856, il sollicite l'intervention du
"père ENFANTIN" : " ••• Vous êtes lié avec un homme important du Ministère de
la Justice
écrivez-lui, je vous prie; voyez-le quand vous serez à Paris ;
aidez-nous à nous tirer de là, car ce serait vraiment trop triste de crever
ainsi, juste au moment où nous touchons au but ••• " (3).
( 1 ) G. BONACCORSO, op. ci t , , P. 221, n° 65, Paris, janvier 1857.
(2 ) G. BONACCORSO, op. ci t., P. 24 6, nO 77, Paris, mercredi 24 décembre 1862.
(3) Paul BONNEFON, H.D.C. et les Saint1-simoniens, R.H.L.F., oct-déc. 1910
T XVII, PP. 709-735, Lettre du 8 novembre 1856, P. 727.
. ··1

- 45 -
Quelques semaines plus tard, Du CAMP remercie ENFANTIN, car i l a
IPU rencontrer le "personnage Impor-tan t"
qui jouera sans doute à leur faveur
(liCher Père, j'ai tellement été pris par des courses et des démarches pour
notr-e affaire que je n'ai pas encore eu le temps de vous écrire pour vous
!remercier. J'ai vu Monsieur Rey de FORESTA ; il m'a bien reçu. Hier, je l'ai
revu et il m'a rendu compte d'une démarche fort aimable qu'il a bien voulu
faire près du Ministre
de la Justice et du Procureur GénéraL •• " (1)
Monsieur Rey de FORESTA était un administrateur de la Compagnie du
chemin de fer de Paris à Lyon et à la Médi terrannée, à laquelle appartenait
également Prosper ENFANTIN. Sa fille avait épousé le fils du garde des sceaux
ABBATUCCI, excellente condition pour provoquer l'indulgence en faveur des
prévenus. Est-ce à cette circonstance que FLAUBERT et Laurent PICHAT durent
leur acquittement? Nous n'oserons émettre une telle affirmation mais, en
tout cas, Haxime Du CAMP avait fait avec empressement tout ce qui lui était
possible pour garder ses amis de la mésaventure.
"La Revue de Paris" ne résista pas à cette bourrasque malgré la
volonté manifeste des uns et des autres de la sauvegarder. Elle fut supprimée
deux ans plus tard, en 1858. La goutte d'eau qui fit déborder le vase fut
"Le coup de Jarnac" par MICHELET et "Lt âme du bourreau" par Maxime du CAMP.
an pensa que le livre de MICHELET ne pouvai t être qu'une allusion au coup
d'état du 2 décembre; celui de Maxime Du CAMP, écrit pour expliquer la trans-
migration des âmes, a paru une analyse psychologique de N1\\PnT,~n~~ 1er ou de
NAPOLEON III.
Notre analyse démontre clairement le rôle fondamental joué par
Maxime Du CAMP pendant les premiers pas littéraires de Gustave FLAUBERT. En
effet, de la conception à l'exécution de "Madame Bovary", de son lancement au
succès inattendu en passant par le procès, l'image de l'ami Maxime plane sur
l'oeuvre. Malheureusement, malgré l'énergie physique et intellectuelle
dépensée pour ce roman, malgré la suppression de "La Revue de Paris", les
flaubertistes s'obstinent à mettre en exergue la perfidie caractérisée de
l1axime Du CAHP le "douteux", pour ne pas dire l'ami "jaloux et envieux".
(1) P. BDNNEFm~, J1.D.C. et les Saints-simoniens, R.H.L.F., oct-déc. 1910,
T XVII, PP 727-728, Lettre du di manche Ldécembre 1859.

- 46 -
Selon eux, Du CAI1P mutilai t intentionnellement un ch ef'e-d 'oeuvre, et le lançai t
pour le mieux couler. Ayons l'obligeance d'avouer que si tout Directeur de
revue qui "cOUpé" était suspecté de perfidie et de suspiscion, "perfide"
devrai t ·être appliqué, comme épi thète de nature, à "directeur de r-evue" ou à
lIéditeurll • Rappelons d'ailleurs que "La Nouvelle Revuell, proche du gouverne-
ment en 1881, dut procéder à des coupures avant d'imprimer le roman posthume
de FIAUBERT, "Bouvard et Pécuchet ll, alors que l'année 1881 n'a aucun rapport
avec l'année 1856. L'on jugea quand-même utile de faire des coupures quoique
la vindicte publique fat aussi endormie en 1881 qu'elle était éveillée en 1856.
C'est l'un des plus savants et des plus tendres flaubertistes qui soit,
Monsieur Gérard GAILLY, qui a, sur ce point précis, rendu justice à Du CA.MP
"songeons, écrit-il, à sa situation difficile. Il dirige une revue suspecte à
l'absolutisme gouvernemental et qui, d'ailleurs, sera bientôt supprimée par
ordre••• Peut-on blâmer l'ami Maxime d'avoir ·eu des craintes que l'expérience
justifia presque aussitôt? Elles ne le retinrent pas, au prix de quelques
coupures, de présenter et d'imposer l'explosif chef-d'oeuvre à un public
récalcitrant; et quoique l'on argue, quelques pierres qu'on lui jette, on
ne lui ravira jamais cet insigne honneur:' (1)
L'omniprésence de Maxime Du CAMP dans la vie littéraire de Gustave
FIAUBERT se manifeste à nouveau lors de la publication de "Salammbô". Du CA.MP
eut comme toujours l'honneur et le devoir de critiquer le texte en manuscrit.
Il lut le roman à quatre reprises et formula sept pages d'observations dont
FIAUBERT a nécessairement dû tenir compte. Du CA.HP trouve le roman "r-ai d e et
fort", d'une IIg r an d e puissance peut-être trop plantureuse et qui étouffe un peu",
mais "pui s sance réelle" (2) qui devrai t faire son effet. Néanmoins, il
remarque que "le roman est caché derrière l'histoire" (3)
Car l'auteur y a
mis "tir-op de batailles, trop de calottes ou trop de ventres ouver t s" (4) etc•.•
Plusieurs autres remarques sont faites sur ce ton.
Après "Salammbô", c'est "L'Education sentimentalell, autre succès
littéraire de FLAUBERT, qui donne à nouveau l'occasion de réaffirmer le rôle
(1) Les véhémences de Louise COLET, P. 227.
(2) G. EONACC0?~O, LParis, vendredi! 11 juillet 1862 au soir.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
•. •J'

- 47 -
important joué par Maxime Du CAMP dans la carrière littéraire de l'auteur de
"Madame Bovary'", Des lettres échangées par les deux amis pendant la conception
et l'écriture du roman attestent une contribution de Du CAMP. En effet, il lui
l ivra, à sa demande, des documen ts et des rensei gnemen ts rela ti fs au roman.
Dans cette lettre de Du CAMP à FLAUBERT, qui date du 20 juin 1868, il est
question de gardes : "Les gardes commençaient à 10 hfëureil du matin et
finissaiLe:Y't le lendemain à la même hev.re[••JTu peux admettre que ton jeune
homme. a été monter la garde d'un ami dans une légion qui n'est pas la
sie[o/'ne[=- •.:7
A cette époque (48) on changeait l'uniforme et l'on substituait le
ceinturon aux buffleteries. Cela peut te donner occasion d'une bonne conversa-
tion d'imbéciles, à ce suj etl' (1)
FLAUBERT utilisa vr-ai.semhLabl.emen t ces
informations quand il écrivit la scène où Frédéric MOREAU monta la garde à la
place d'ARNOUX.
D'autre part, une lettre du 19 février 1869 atteste que Du CAMP a
passé une journée à la police pour chercher des réponses à des questions que
FLAUBERT lui posai t, relatives à tlL' Education sentimentale". (2)
Quelques
semaines plus tard, il interrogeait deux pédérastes et livrait à FLAUBERT le
résul tat de son enquête: "Si tu racontes l'anecdote ne dis pas que tu la tiens
de moi!' (3)
Le roman terminé, Haxime Du CAHP eut encore la lourde tâche de le
revoir. Il le lut entièrement et proposa 251 (4) remarques à l'auteur. Entre
autres critiques, il reprocha à son ami certaines "vulgarités" qui nuisaient
à la quali té du ré ci t
: "Dans H5dslme Bovary, vi tupère-t-il, /!tu étais fier
d'avoir fait parler des paysans en français tout en les laissant paysans. Ici,
tu fais tout le contraire et si la littérature est la reproduction littérale
de ce qui se dit, il est inutile d'écrire. Je persiste absolument et je crois
que tu ferais lli1e sottise de laisser SUbsister toutes ces vulgarités inutiles~ (4~
(1) BnN~CCORSn G., P. 306, nO 115, ~aris, samedi1 20 juin L1§ï68.
(2) Ibid, Paris, vendr~ii 19 février 1869.
(3) Ibid,
LYaris, vendred~ 23 avril L1§769, P. 310, nO 119.
(4) G. PLAUBERT
L'Education sentimentale, introduction, notes et relevé de
variantes par Edouard HAYHIAL Paris, Garnier Frères, 1964, P. 430.
.../

- 4B -
FLAUBERT a effectivement tenu compte de ces observations dans la
plupart des cas. De son propre aveu, il lien envoya promener 87, (1) s'auto-
risant de "Littré'!
Tout ce que les flaubertistes inconditionnels ont raconté jusqu'à
présent ne s'avère-t-il pas injustifié lorsqu'on étudie de près les documents?
Comme le démontre cette analyse, Du CAMP fut non seulement omni.pré sent dans
la carrière littéraire de FLAUBERT, mais aussi et surtout, il fut pour beau-
coup dans son ascension fulgurante.
L'étude que nous venons de faire justifie cette hypothèse et contre-
dit les flaubertistes dans l'essentiel de leurs affirmations qui nous parais-
sent tendancieuses. Du CAMP avait été l'artisan indirect et même parfois
direct de la montée en flèche de FLAUBERT sur la scène littéraire, mais que
reçut-il en récompense ?
DI DES VERITES BON1TES A DIRE.
Alors qu t i L fut le premier à reconnaître "La force plantureuse" de
"Salammbô" et son "originalité
intrinsèque et essentielle", alors qu'il
contribua à l'élaboration de "L'Education sentimentale" et qu t i I salua le
roman terminé comme un chef-d'oeuvre, alors qu'il expliqua et défendit
"Hadame Bovary" en correctionnelle, enfin, alors qu'il jubila au succès des
"Trois contes" et qualifia le "Saint Julien" de "pur chef-d'oeuvre", FlAUBERT
écorchait et ridiculisait Du CAMP aux yeux des autres.
En effet, FlAUBERT avait suivi pas à pas la genèse et la publication
du "Livre posthume, mémoires d'un suicidé" dans "La Revue de Paris" en 1852.
Les informations relatives à ce roman lui étaient fournies aU fur et à mesure
par son ami : "Le livre posthume" tiendra encore le numéro de février et de
mars. On le remanie en volume charpentier immédiatement ; ça aura la force de
l'Italia de GAUTIE~••JLes éditeurs me font un peu la cour
Il
(2)
(1) G. FLAUBERT' l'Education sentimentale, introduction, notes et relevé de
variantes par Edouard HAYNIAL" Paris, Garnier Frères, 1964, P. 430.
(2) BONACCORSOG., op. cit., Paris, fin décembre 1852, n" 52, P. 203.
.. ·1

- 49 -
Mais, à peine les premiers nwnéros publiés, FLAUBERT, dans une
lettre à Louise COLET le 9 décembre 1852, dénoncait le manque d'originalité
du livre. Tout le volume lui paraissait banal, conventionnel, faux y compris
7
.
f,ein.
les thèmes et le romanesque. "J'ai lu "Le Livre posthume" ; est-ce pi toyab.Le,
Je ne sai s pas ce que tu en as di t à BOUI LHET, mai s i l me semble que notre
ami se couleE: -]On y sent un épuisement radical ; il joue de son reste et
souffle sa dernière noter -]s' il me demande jamais ce que j'en pense, je te
promets bien que je lui dirai ma façon de penser entière et qui ne sera pas
douce. Comme i l ne m'a pas épargné du tout les avis quand je ne le priais
nullement de m'en donner, ce ne sera ertlJ.e. rendu[- j je ne sais si je m'abuse
( ••• )~ mais i l me semble que dans tout "Le livre posthume" i l y a une vague
réminiscence de "Novembre" et un brouillard de moi, qui pèse sur le tout; ne
serait-ce que le désir de Chine à la fin. Du CAMP ne sera pas le seul sur qui
j'aurai laissé mon empreinte••• " (1)
Il faut remarquer au passage le caractère rancunier de cette lettre.
Louise COLET n'était pas de l'avis de FLAUBERT; elle disait avoir admiré
dans le roman de belles pages et des choses bien faites. Mais, FLAUBERT ne
désarma pas et revint à la charge quelques jour,", plus tard : "Quand au "Livre
posthume", la fin répond au commencement. J'ai admiré comme toi la croix,
Porcia, le couvre-pied, etc. Il a fourré là jusqu'à son rêve qu'il a fait en
voyage et que je l'ai vu écrire ••• "
Après "Le livre posthume", c'est le deuxième roman de Du CAl1P,
"Les Forces Perdues" qui donne l'occasion à FLAUBERT de faire étalage de
son ingrati tude. Le roman commencé en 1864 fut publié dans quatre numéros de
"La Revue Nat i onal e'", FLAUBERT fut le premier à avoir le privilège de lire et
de critiquer le texte entier réuni da~s les quatre numéros. Il en fut ému et
se déclara satisfait de l'ouvrage. Tious en avons la trace dans une lettre que
Du CAMP lui a adr-es séa Le 7 décembre 1866 : "Je ne me monte pas le boufd
richon cher vieux - proclame-t-il avec humilité - et si tu as pleuré comme
une vache, c'est que tu es énervé par ta vie nocturne, par la solitude et par
un excès de travail. Je suis content néanmoins et très content que cela t'ait
(1) Correspondance de G. FLAUBERT, Conard, op. cit., (1852-1854), Lettre à
Louise Colet, groissey jeudi, 1 heure d'après midi g décembre 185~
P. 56, nO 354.
.../

- sc -
plu~' (1)
Dans une autre lettre de la même époque, FLAUBERT fit parvenir à
son ami une liste d' observations et surtout il réitéra les notes élogieuses qui
Ipromettaient un succès au volume. Du Ci\\HP fut sensible à ces éloges et à ces
:remarques et promit d' en tenir compte : "Cher vieux, j'ai reçu ta lettre et
Iles 4 numéros ; j'ai parcouru ces derniers pour me rendre compte de tes
IObservations ; elles m'ont paru toutes parfaitement justes et tu peux être
Icertain que j'en tiendrai compte en corrigeant les épreuves destinées à
Il'impression. Il y a certaines notes élogieuses qui m'ont mouillé l'oeil
Iplaise à Dieu que tu ne te trompes pas et qu'en tout ceci il n'y ait pas plus
d'amitié que de critique. Je te remercie bien sincèrement de ce travail bien
fastidieux, en relisant le volume, tu pourras voir combien je l'ai utilisé:'(4J
Remarquons par ailleurs que c'est FLAUBERT qui, "séduit par le
roman, - du moins comme il l'a fait croire - demanda à Du CAMP de le publier
tout de suite en volume . "
C'est toi qui me décides à publier tout de
suite en volume; mon intention première était d'attendre à l'année prochaine,
en 1868,11(2)
Cependant, lorsque "Les Forces Perdues" parut, alors que Théophile
GAUTIER accueillait le roman avec enthousiasme et le traita de "chef-d'oeuvre",
FLAUBERT, mÛ. par des intérêts personnels, n'en remarqua que le côté "naïf" et
"ressemblant" au livre qu'il écri vai t , "Avez-vous remarqué, écri t-il à George
SAND le 15 décembre 1866, comme il y a dans l'air, quelque fois, des courants
d'idées communes? Ainsi, je viens de lire, de mon ami Du CAMP, son nouveau
roman "Les Forces Perdues". Cela ressemble par bien des côtés à. celui que je
fais. C'est un livre (le sien) très naïf et qui donne une idée juste ~'est
FLAUBERT qui soulign~ des hommes de notre génération devenusde vrais fossil-
les pour les jeunes gens d'aujourd'hui. La réaction de 48 a creusé un abîme
entre les deux Pr-ance" (3)
(1) BONACCORSO G., P. 294, n? 106, garis, vendr~ 7 décembre {ï.§166.
(2) Ibid!
(3) Correspondance de G. Flaubert, Conard, op. cit., T 5., (1862-1868)
Croisset, nuit de samedi 55-16 décembre 18~.
.../

- 51 -
Le livre dont FlAUBERT parle est "L'Education sentimentale" qui
était à peine ébauché lorsqu'il eut l'occasion de découvrir "Les Forces Perdues".
Comme le remarque FlAUBERT, les deux livres se ressemblent étrange-
ment "par bien des côtés" 1 l'atmosphère d'étouffement dans les collèges et
l'esprit d'insoumission, l'aventure passionnelle, la nausée de l'existence et
le désir d'anéantissement, mais aussi les traits moraux et physiques de
certains personnages. L'explication de cette coincidence par les_flaubertistes
est résumée par Monsieur PARTURIER qui lui-même rejoint l'exclamation de
FIAUBERT : "Il y a eu rencontre de deux écrivains sur le choix d'un modèle
commun". Loin de rejeter cette interprétation, nous ferons simplement une
remarque. Lorsque Du CAHP avai t publié "Le livre posthume", FIAUBERT Y avait
vu une réminiscence de son roman intitulé "Novembre". Les inconditionnels de
ce dernier adoptèrent cette explication et considérèrent "Le livre posthume"
comme une "reprise mal digérée" de -Novembre".
Dans le second cas, c'est Haxime Du CAHP qui devance son ami.
Gustave lit le roman de Maxime dans son intégralité, y apporte des corrections,
le pousse à le publier d'urgence, alors qU'il est à mi-chemin de "L'Education
sentimentale" ; ce dernier ouvrage achevé, l'on constate des points de
ressemblance très nets avec le premier ouvrage, c'est-à-dire "Les Forces
Perdues". Dans ce cas précis, on trouve qu'il ya eu "des courants d'idées
communes" et "rencontre de deux écri vai ns sur le choix d'un modèle commun ••• "
Nous n'oserons pas parler de plagiat, ce serait plus qu'un blasphème,
c'est-à-dire mésestimer le génie de FlAUBERT; nous dirons simplement que la
vie des deux écrivains a été telle~ent mêlée qu'il était pratiquement im-
possible que leurs livres, qui se veulent à la fois témoins et images de la
société dans laquelle ils vivent - c'est-à-dire leur propre vie - fussent
foncièrement différents. Le dernier, s'il a eu écho du premier com~e c'est le
cas, ne fera que reprendre SOUs d'autres formes ce qui a déjà été fait.
FlAUBERT, malgré sa perspicacité, son intelligence et son talent, ayant lu
et corrigé "Les Forces Perdues", n'a pu s'en détacher complètement, s'en est
même inspiré pour la réalisation de son roman. Il n'est pas pour l'heure
nécessaire de revenir sur les mul tiples détails des "Forces Perdues" qui se
retrouvent presque textuellement dans "L'Education sentimentale".
,
.../

- J.~ -
Gustave FLAUBERT a donc toujours eu le privilège de lire les
ouvrages de Maxime Du CAMP, s'est la plupart du temps déclaré satisfait ou
ému, mais a été paradoxalement l'un des premiers à les discréditer aux yeux
de leurs autres amis. Pendant ce temps, Du CA!1P défend "Madame Bovary", se
documente dans les bibliothèques et à la police pour la réalisation de
"L'Education sentimentale", lui propose même des ouvrages à lire ou des
sujets à traiter.(1)
Cette attitude hypocrite et inamicale se retrouve dans les jugements
que FIAUBERT porte sur la personne de Du CAMP en l'absence de ce dernier. En
1851 par exemple, Du CAMP s'étonnait que FLAUBERT fût allé parler de lui à
GAUTIER alors qu'il pouvai t s'adresser à lui : "Tu t'es étonné à ton retour
d'Angleterre du mouvement inusité qui se faisait en moi et tu as été confier
tes surprises à GAUTIER ••• " (2)
En 1852, Du CAHP devenu Directeur de "La Revue de Paris" invita son
ami à y collaborer. A Louise COLET, FLAUBERT expliqua son refus en ces
termes : "Tu le !yu CA!i!l verras attraper une place d' honneur et laisser là
cette bonne li t tér-atur-e" (3)
L'histoire donna une fois de plus raison _3-
Haxime car "La Revue de Paris", qui vécut jusqu'en 1858, a effectivement
rendu de grands services à la littérature. Elle s'était refusée de faire de
la politique et était essentiellement conçue comme le champ d'expression des
jeunes. C'est cette même "Revue de Paris" que FLAUBERT rejeta jadis, qui
publia "!1adame Bovary" et qui projeta le jeune écrivain au sommet de la
célébrité.
Dans ce même laps de temps, Hadarne Valentine DELESSERT devint la
maîtresse de Du CAMP. FLAUBERT vit en cet amour l'expression de l'ambition
démesurée de ce dernier. Il le traita d'orgueilleux, de faible, de courtisan,
"enchanté d'être reçu dans les brillantes sociétés. Tout se confond dans sa
tête: Femme, croix, art, bottes, tout cela tourbillonne au même niveau, et,
pourvu que ça le pousse, c'est l'important:', (4)
Presque tous les flaubertistes
(1) Cf Lettre du 20 août; L1'§163 in EON;.\\CCORSO G., op. ci t ,
(2) Ibid, fjariil mercredi 29 8bre [J§751.
(3) Corresp. de G. Fh~UBERT, Conard, op. cit. T 3, L)j852-18517 P86, n° 362,
groisse!? samedi soir, 3 h 5) janvier 18227.
(4) Ibid.
.../

- 53 -
ont accepté ces affirmations et s'y sont tenus i lorqu'ils rapprochent les
deux noms : FLAUBERT et Du CAI1P, c'est le plus souvent pour les opposer, car
"l'un 'festdemeuré conune le symbole de la conscience et de l'élévation, l'autre
comme un exemple de gloire viagère obtenue par tous les moyens qu'inspire
la seule habileté." (1)
AURIANT est de cet avis i voici d'ailleurs comment
il conclut l'une de ses études sur Du CAMP
"Il I§u CAMij n' avai t pas senti
une chose forte, originale, nouvelle ••• Il renierait encore bien des choses,
trahirait bien des gens, braIerait ce qu'il avait adoré, blasphémerait contre
les idées qui l'avaient exalté, bafouerait en les livrant au mépris des
bougeois, ceux qu'il avait jadis aimés et respectés i tout cela pour arrive2' (2)
Ces propos sont à la fois excessifs et injustifiés. Pour mieux cerner
le débat, il convient de le situer dans son contexte, ce qui a été rarement
fait. L'on s'est toujours contenté de quelques portions de phrases, voire de
quelques mots, pour bâtir une hypothèse. En effet, cette acrimonie de
FLAUBERT à l'égard de Du CAMP se situe vers les années 1852, c'est-à-dire
après le voyage en Orient réalisé par les deux amis. Maxime Du CAMP pensait
avoir achevé la première phase de ses études et avait commencé à publier. Son
ami FLAUBERT au contraire était toujours dans l'expectative i il hésitait,
n'était pas sûr de lui, se recroquevillait dans la solitude et demandait
conseil à Du CAHP.(3)
Ce dernier lui proposa de s'ouvrir au monde, de le
fréquenter, de le comprendre afin de le dominer, mais dans le travail sérieux
et bien fait. Entretemps, après les premières publications, le nom de Maxime
Du CAMP avait commencé à sortir des ténèbres. FLAUBERT - peut-être froissé
dans son amour propre - changea alors de ton et s'érigea contre son ami. La
sui te des événements nous donne raison. En effet, à partir de 1856, "Hadame
Bovary" fi t le succès de FLAUBERT (importance de la date). Dès lors, le
solitaire de Croisset ne répugna plus à la fréquentation du monde i il ne
reprocha plus à Du CAHP son amour du "monde" et de la "haute société".
FLAUBERT semblait non seulement décidé à jouir de sa gloire, mais surtout à
l'étendre et à l'entretenir. Il passait alors une partie de l'année à Paris.
(1) René [IUHESNIL, G. FIJ\\UBE~T, l'homme et l'oeuvre, op. cit. P. 108-109.
(2) Ibid, note nO 2 (cité par René Dumesnil).
(3) Cf documents déjà cités.
.. ·1

Il était devenu "l'élégant des salons et des dîners parisiens où il se lia
d'amitié avec des hommes célèbres. Du CAMP donne dans ses "Souvenirs d'un
demi-siècle - Au temps de Louis Philippe et de Napoléon III", un aperçu du
comportement de FLAUBERT aux dîners Magny du dimanche, où ce dernier se lia
d'ami tié avec Les GONCOURT, TOU~GUEIHEFF' •• ' et même le prince Napoléon
"••• Comme i l !Je prinE.!:l étai t un classique convaincu et que FLAUBERT se
faisait gloire d'être un romantique à outrance, on s'emportait, on ne cherchait
pas ses mots dans. les ripostes,
on se serait cru revenu au temps
de If Hernani If et du "Roi s'amuse". George SAND, placide comme Isis, souriait de
tant de vivacité et je conviais les ergoteurs à un éclectisme qui leur permît
d'admirer tout ce qui est admirable, sans distinction d'école ou de cBterie.
Nous avons ainsi passé plus d'une soirée chez Magny ou au café Anglais
••• " (1)
D'autre part, FLAUBERT remportait des succès mondains à Paris, chez
la princesse l1athilde et même à Compiègne, chez l'impératrice. Il était
sensible à la faveur des Ifgr ands", évoluait à l'aise dans ces hautes sphères
libérales, propices à une certaine liberté des moeurs et à une société mêlée
et artiste.
Comme on le constate, le temps n'était plus où FLAUBERT méprisait
les invités de Du CAi1P, traitait de très haut la trahison de tant de Ifclercs
arrivistes", et jugeait son ami d'homme "prétentieux et ambitieux". Dans la
conclusion de son étude sur Gustave FLAUBERT, Albert THIBAUDET résume les
faveurs qui profitèrent à l'auteur de "Madame Bovary" : La République de 1848
lui donna une mission en Orient ; le second empire le décora, la Légion
d'honneur le récompensa; la Troisième République lui donna une pension de
trois mille francs.
FLAUBERT ne fut donc pas persécuté ; il accepta bon gré mal gré
tous ces honneurs. Haintenant que tous ces faits sont exposés, peut-on tou-
jours accréditer les jugements de FLAUBERT à l'égard de Du CAMP? Le cri de
colère poussé jadis contre Du CAI1P sortait-il du fond du coeur de l'ami ou
était-il motivé par d'autres mobiles? Pour répondre à cette question, citons
(1) Maxime Du CAUP, "Souvenirs
d'un demi-siècle - Au temps de Louis Philippe
et de Napoléon III If , 1830-1870, Hachette, 1949, ch. V : Le Prince Napoléon •
.. ·1

- 55 -
la dernière partie de la conclusion de Monsieur THlBAUDET : "L'habit vert le
tentait d'autant moins que l'Académie ne l'eÜt certainement pas élu. En 1880,
i l écrivait: "La nomination de Du CAMP à l'Académie me plonge dans une
rêverie sans bornes et augmente mon dégoÜt de la capi tale1' (1)
Dans le même
ordre d'idée, Guy SAGNES, dans son étude sur l'Ennui (2), affirme que
"FIAUBERT en 1880 "rêve" sur sa nomination à l'Académie ; sa nièce lui ayant
fait savoir que Du CAI1P s'était montré grossier à un dîner, il donne ainsi
son point de vue sur le personnage deux mois avant sa mort: "ça m'intrigue
et me trouble. Depuis qu'il est académicien, sa cervelle légère doit en avoir
tourné!' (3)
Le succès littéraire de FlAUBERT fut en partie dû à Du CAMP. Pour-
tant FlAUBERT accabla son ami à son insu. La postérité n'a fait que détecter
en Du CAMP l'''arriviste", l'''ambitieux'' ou l'''ami jaloux", c'est-à-dire
épouser les affirmations de FIAUBERT, mais aussi chercher à les justifier et
à les légitimer à tout prix.
Les "Souvenirs li ttéraires" de Maxime Du CAMP parurent en 1881,
c'est-à-dire un an après la mort de FIAUBERT. Ils donnèrent à nouveau 1
.'l'occasion d'entretenir cette discussion. Les uns (une minorité) apprécièrent
le livre à sa juste valeur en y reconnaissant les dons du pittoresque, de la
verve anecdotique et la valeur littéraire et documentaire. Ecrit avec élégance,
aisance et sobriété, il porte la marque d'un vrai lettré. Les autres (les flau-
bertistes pour la plupart) crièrent au scandale parce que Du CAMP aurait fait
des révélations qU'il n'aurait pas dÜ faire à propos de FLAUBERT; on conclut
alors précipitamment que c'était la jalousie et de "bas sentiments ll qui l'au-
raient poussé à de telles actions. Citons la réaction de René Dill1ESNIL : IIEt
quand on lit les "Souvenirs littéraires" qui, sous l'hypocrite vernis de
l'amitié, cachent les plus bas sentiments de jalousie, on s'étonne en effet
que FIAUBERT ait pu se laisser prendre••• " (4)
Que reproche-t-on exactement à l'auteur des "Forces Perdues" ? On en
(1) G. FLAUBER:r par Albert THIBAUDET, Gallimard 1935.
(2) Guy SAGNES, l'Ennui dans la littérature française de Flaubert à Laforgue
(1848-1884). Thèse Université de Paris, Fac lettres, 1969.
(3) Correspondance, T IX, P.5, 14 mars 1880 in Guy Sagnes, op. cit. P.33.
(4) René DU11ESNIL, op. cit.
.. ·1

- 56 -
voulai t à Du CAMP d'avoir essentiellement révélé dans ses "Souvenirs li tté-
raires", l'épilepsie dont souffrait FLAUBERT, d'avoir diminué ce dernier
pour se grandir, ••• On lui reprochait aussi de n'avoir accordé au romancier
-
qu'un "talent exceptionnel" et de lui avoir refusé du "génie". L'intention
de dénig'èment est flagrante, disent les flaubertistes
"FLAUBERT avait du
~énie et n'était pas épileptique".
Jean POHHIER publia quant à lui,
dans le progrès médical", un article au titre expressif qui en dit long
"FLAUBERT mort, Du CAHP mit en avant l'épilepsie~' (1) •••
L'érudition est cependant impitoyable. FLAUBERT souffrait réelle-
ment d'une terrible maladie des nerfs. Ce mal implacable l'avait saisi vers
la fin de sa vingt-deuxième année et ne l'a plus lâché pendant toute son
existence. Il vécut sous cette hantise perpétuelle, malgré une vigueur
apparente. Du ~1P suivit d'un bout à l'autre l'évolution de cette maladie.
A Croisset dans la maison familiale, en Bretagne "par les champs et par les
grèves", sur les bords du Nil, Du CAMP eut l'occasion d'assister à des crises
qui se manifestaient toutes de la même façon. Bien qu'à Croisset, la famille
eût une certaine pudeur à révéler le nom exact de la maladie de Gustave, Du
CAMP savait depuis longtemps qu'il s'agissait de l'épilepsie, car il avait
interrogé des médecins.
En ce qui nous concerne, nous avons lu et relu les "Souvenirs li tté-
ra.ir-es", Contrairement aux flaubertistes, nous ne voyons pas vraiment en quoi
cette déclaration était si inconvenante dans la mesure où elle n'enlevait rien
au génie de l'auteur de "Hadame Bovary". Au contraire, elle devrait nous per-
mettre de mieux connaître le personnage afin de mieux apprécier le génie.
N'ignorons surtout pas que FLAUBERT a écrit IIMadame Bovary", "L'Education
sentimentale", "Salammbô", etc; savoir qu'il a produit ces chefs-d'oeuvre
dans le tiraillement, la peur, et sous la hantise d'un mal nerveux implacable
nous autorise à avoir plus de respect pour le génie. Cela relevait donc à
notre sens, de l'honnêteté intellectuelle, du courage et de la conscience de
l'ami, de mettre en lumière cet aspect du romancier. C'est d'ailleurs à juste
ti tre et avec beaucoup d'aplomb qu'Henri LEMAITRE rend justice à Du CAHP en
livrant ses impressions à propos de cette polémique :
(1) Jean POMHIER' Le progrès médical, aoftt 1947.
.. ·1

- 57 -
"A lire honnêtement les pages consacrées par Du CAMP à la
maladie de FLAUBERT, on ne peut conclure à la même malvaillance : Tout au
plus, sa pitié est-elle celle d'un homme plein de santé qui ne comprend guère
la maladie d'autrui que de l'extérieur. Et s'il fut jaloux de la réussite
littéraire de FLAUBERT, cette jalousie reste dans les limites permises et ne
l'a jamais conduit à se montrer injuste •. Il n'a peut-être pas pénétré ce qu'il
y avait de plus neuF et de plus puissant dans le génie de FLAUBERT, mais il
nous apporte sur la personnalité, sur sa vie quotidienne et littéraire, sur
son caractère tourmenté et exalté, encore déséquilibré par le mal de ses nerfs,
des lumières qu'il serait maladroit de vouloir ignorer, car le génie y gagne
d'être plus humain, et ses faiblesses mêmes, évoquées sans rancoeur, quoiqu'on
dise, aident parfois à comprendre la singulari té de sa grandeur !" (1)
Il faut aussi saluer l'article de Monsieur AUDIAT intitulé:
"Maxime Du CAHP ou le médisant scrupuleux". En eFfet, tout en corroborant les
propos de Maxime Du CAr1P, Honsieur AUDIAT pour sa part, évoque le scrupule de
l'auteur de "L'homme au bracelet d'orl! et invite à avoir beaucoup plus de
respect et de crédibilité à l'égard des "Souvenirs littéraires" mais aussi de
l'ensemble de sa production littéraire. Selon Monsieur AUDIAT, Du CAMP était
au courant de la maladie de FLAUBERT depuis 1843 ; il lui était par conséquent
facile de glisser quelques allusions sournoises à une maladie qualifiée
encore de "honteuse". Il s'est obstinément tü jusqu'à la mort de ce dernier.
D'ailleurs, postule-t-il, "De la discrétion de Maxime Du CAHP nous possédons
bien d'autres preuves; ainsi, connaissant admirablement la vie intime de
FLAUBERT, capable de désigner les noms véritables de tous les personnages
figurant dans "L'Education sentimentale", il n'a jamais lâché la moindre corfi-
dence, laissant aux historiens du XXè siècle le soin de découvrir que Madame
ARNOUX s'appelai t en réali té Mé:ldame SCHLESINGER~' (2)
Gustave FLAUBERT, tel qu t i L est pré serrté dans les "Souvenirs litté-
raires", est FLAUBERT tel qu'il apparaît dans les lettres et les documents
que nous avons pu compulser; c'est donc FLAUBERT tel qu'il fut dans la
(1) Souvenirs littéraires, T I, op. cit., Introduction par Henri LEM~ITRr.
(2) Haxime Du CAHP ou le médisant scrupuleux, Revue de Paris, avril-juin 1949,
P. 121-126.
.../

- 58 -
réalité. Maxime Du CAMP a tenté, malgré le recul du temps, de replacer
l'homme et l'écrivain dans leur cadre réel, dans leur mouvance contextuelle.
Apparemment, il y a réussi, car le portrait de FLAUBERT qui ressort des
"Souvenirs littéraires" trouve sa confirmation dans les traits et les carac-
tères dominants qui émanent des documents disponibles. Si l'on y relève des
inexactitudes, cela peut être dÜ à une faiblesse de la mémoire. Citons un
exemple caractéristique pour étayer nos propos. Maxime Du CAMP révèle dans
IILes Souvenirs littéraires ll que le voyage en Orient avait été écourté à cause
de la mère de FLAUBERT qui voulait absolument voir son fils. Il convient de
rappeler que le programme initial tracé par les deux amis devait se poursuivre
en Mésopotamie, en Perse et en Georgie. Les flaubertistes, notamment Jean-
Marie CARRE, crièrent encore au mensonge de Du CAMP. Voici comment ce dernier
évoque cette situation: Il ••• A en croire Haxime Du CAMP, (?) saffLAUBERY
mère lui aurait écrit en cachette pour le conjurer d'accélerer le retour et
c'est ainsi que la Mésopotamie, la Perse, et la Georgie aurait été abandon-
nées:' (1)
Il explique, en note n? 2, en s'appuyant sur une lettre de FLAUBERT,
que le projet s'est estompé parce que les deux amis n'avaient plus II ni temps,
ni arcent ", Du CAHP avai t donc encore menti pour se grandir et diminuer
FLAUBERT; le manque d'argent serait donc selon lui "l'explication la plus
invraisemblable!' (2)
La vérité est à nouveau du côté de Du CAMP, car c'est l'explication
fournie dans IILes Souvenirs littéraires" qui est juste. La correspondance
(Du CAMP/FLAUBERT) nous en fournit la preuve. En effet, Maxime Du CAMP reçut
à Beyrouth une lettre de Madame FLAUBERT dans laquelle elle exprimait son
inquiétude de voir son fils aller au-delà de l'Euphrate et son impossibilité
de rester longtemps à attendre ses nouvelles. Elle pria donc Du CAMP d'écourter
le projet initial afin qu'elle retrouvât son fils en Italie. }adame FLAUBERT
ne voulut pas que l'on sÜt qu'elle était responsable du projet compromis. Elle
inventa alors plusieurs histoires que Du CAMP devai t répéter mécaniquement
à qui voulait en savoir plus, afin de dissimuler sa responsabilité. Dans la
lettre qui suit, qui est la pièce justificative, les deux amis sont à Paris,
de retour de leur voyage
Du CAHP apprend à FLAUBERT le rôle qu' i l a joué

dans le scénario mon té par sa mère : "Voilà ce que j'ai dit et ce que tu peux
(1) Jean.Marie CARRE, Voyageurs et écrivains français en Egypte, op. cit. ch.III.
(2) Ibid, note nO 2.
.../

5') -
répéter et on en croira pas un mot : ta mère a changé trois ou quatre Fois
de versions, de sorte que on se doute parFaitement que tout cela n'est qu'un
ramassis de cachotteries inutiles et surtout puériles ; on ne comprend pas
pourquoi ta mère qui est assez majeure pour Faire ce qu'elle veut n'a pas dit
tout simplement qu'elle venait te retrouver parce que ça lui,faisait plaisir
Enfin et quoi qu'il en soit, comme ta mère m'avait fait la leçon, je l'ai
ré ci tée et n'en est point démordu : avi s]' (1)
L'on pourrait ainsi citer d'autres exemples pour réhabiliter
Maxime Du CAMP. (2)
Sachons simplement que tout ce que l'on dit de Maxime Du
CAMP, tout ce que l'on raconte sur son oeuvre - sans la plupart du temps
l'avoir lue - ne relève que d'une image d'épinal forgée de toute pièce pour
noyer le personnage et discréditer l'écrivain. L'amitié entre Du CAMP et
FLAUBERT fut réelle, eut des frictions comme tout phénomène naturel, mais se
poursuivit contre vents et marées jusqu'à la mort de FLAUBERT en 1880. Elle
fut tout à l'avantage de FLAUBERT qui ne ménagea pas en retour son ami. Le
roman "Madame Bovary" aurait-il été si cette amitié n' avai t pas existé?
Maxime Du CA}Œ fut le grand perdant, du moins sur le plan littéraire. On
l'assimila à ces trois expressions: Faux ami, Faux témoin donc Faux écrivain
le jugement négatiF sur la personne rejaillit donc inéluctablement sur l'écri-
vain. L'oeuvre de Du CAHP n'a pas certainement cette " aura" qu'a celle de
(1) E0NACCORSO G. op. cit., LPari§7, lundi matin: 2 juin 1851.
(2) C'est entre autre l'exemple de l'origine de GOBINEAU et de la condamnation
de sa mère révélées par Du CAHP .lors des premières publications des
"Souvenirs li t tér-ai r-es" dans "La Revue des Deux Mondes". A la sui te des
protestations du Comte de GOBnmAU, l'auteur rectifie son "err-eur:'
dans l'édition définitive de 1881. Hais, en 1968, c.l1. CONCAS'lY,
Marie Louise confirme les premiers propos de Du CABP dans un article
"Quand Du CANP ne mentait pas"*...
Pour plus de détails, CF au
chapitre II : Maxime Du CAMP et le romantisme (Les cousins d'Isis).
*
C.H. (ONCASTY / i'laric Louise, Quand Du CAMP ne mentai t pas,
Etudes Gobiniennes 3 (1968/19 69), 137/168.
.../

- 60 -
FLAUBERT. Notre préoccupation n'est d'ailleurs pas de les comparer. Du CAMP
lui-même ne s'est jamais fait d'illusion et a toujours reconnu la supériorité
littéraire de son ami : "Bouilhet et moi, affirmait-il dans les "Souvenirs
littéraires", nous avons toujours reconnu la supériorité artiste de FIAUBERT,
et jamais l'idée de la discuter ne nous a effleurés; nous n'étions pas
effacés, nous étions aplatis devant lui
nous avions en son talent une foi
impertubable et notre confiance n'a pas été trompé~' (1)
Nous affirmons avec fermeté que Maxime Du CAMP n'est pas forcément
ce qu'on a toujours dit qu'il était, et qu'en conséquence, son oeuvre, autre-
fois clouée au pilori, mérite et exige un nouveau regard.
Avant de s'engager dans l'étude détaillée de l'oeuvre proprement
dite, il convient de rappeler très rapidement les grands moments de
l'éducation littéraire de l'écrivain.

- 61 _
CHAPITRE
r
L'EDUCATION LITTERAIRE
"Les livres que j'ai lus quand j'étais tout enfant
/ le
m'ont_fait espérer. Ils m'ont gâté la vie ••• "
Charles BAUDElAIRE, "Poésie", Spleen,
T II, P. 273.
AI LE CERCLE FAMILIAL
L'éducation littéraire primitive de Maxime Du CAMP s'est faite de
concert avec celle de Louis de CORMENIN, qui est resté l'un de ses meilleurs
amis. Les deux familles habitaient des appartements contigus
la mère de
Louis devint ainsi l'amie et la confidente intime de la mère de Maxime. Les
deux femmes se relayaient auprès de leurs fils pour leur donner des leçons de
lecture lorsque le temps fut venu de leur apprendre à lire. Très rapidement,
les gamins épuisèrent le fonds d'histoire que leurs mères tenaient en
réserve. Ainsi nacquit, de façon inconsciente, leur amour de la fiction et de
"chose racontée".
La grand'mère de Maxime suppléa les deux femmes. Elle était
d'ailleurs la ressource suprême car, contrairement à Madame Du CAMP et à
Madame de CORMENIN, elle ne contait pas d'histoires, mais plutôt elle chantait
des chansons qui ne pouvaient qu'enflammer l' ~agination déjà fertile des
enfants. C'étaient: "La chanson des dragons de Beaufremont", celle du moine
qui "ognait" à la porte, du grand roi du Maroc (se chantait en éteignant et en
rallumant une bougie), et des trois beaux enfants vêtus de blanc, que l'on
jetait à l'eau parce que le pain manquait à la maison.
La curiosité infantile ainsi éveillée, les bonnes dames reconnu-
rent leur insuffisance à satisfaire ces jeunes assoiffés. Elles leur donnèrent
. ··1

- 62 -
alors des livres: "Le Prince chéri", "les Contes de Perrault" et "l'histoire
du petit Savinien" furent parmi les premiers ouvrages qui firent pleurer le
jeune Maxime. "L'histoire du Petit Savinien" surtout, resta gravée dans sa
mémoire. Dans ce récit, il'~tait question d'un enfant trouvé qui avait toutes
les vertus, tous les malheurs, tous les héroismes, et qui finissait par re-
trouver son père auquel il sauvait la vie. Après la lecture, les deux enfants
se mettaient dans un état tel, que l'on jugeait à propos de leur enlever le
livre qui leur causait de si grands émois. Dans ses "Souvenirs li ttéraires",
c' es t-à-dire au soir de sa vi e, Du CAMP lança un appel émouvant au lecteur
afin de retrouver les premières amours l i ttéraires de son enfance : "0 Lecteur
Si dans le fond de quelque bibliothèque vous découvrez "l'Histoire du peti t
Savinien", envoyez-la moi; que je puisse tenir ~~core d~s mes mains, que je
puisse relire ce ré ci t qui nous a tant fai t pleure:' !" (1)
La réponse ne se
fit pas attendre; l'un de ses fervents admirateurs Toulousains lui fit par-
venir l'ouvrage
"Si vos ouvrages ne sont pas dans ma bibliothèque, ils sont
dans mon esprit à côté de L. VEUILLOT, du peintre jésuite BOURDALOUE. C'est
donc avec un vrai bonheur que je vous envoi e "le peti t Savini en~1 , (2 )
Des personnes étrangères aux deux familles participèrent à l'éveil
émotionnel des enfants. Il s'agissait essentiellement de Monsieur ALBIN,
coiffeur de Mesdames Du CAMP et de CORMENIN, de Monsieur "Têtedoux" le
précepteur et de Monsieur "Petibon" le maître à danser. Le premier était très
sollicité pour son'histoire du charcutier". Le récit était mimé, dramatisé et
les enfants se sentaient chaque fois au comble de l'émotion. Honsieur ALBIN
faisait chaque jour la même chose; les paroles et les gestes se reproduisaient
avec une concordance inaltérable. Malgré les répétitions quotidiennes, il
était toujours considéré comme un héros et le personnage principal Joseph,
apparaissai t toujours comme un demi-dieu : "Dès que Monsieur ALBIN, frisé à
l'enfant, souriant avec condescendance, la manche légèrement retroussée,
faisant les trois saluts d'usage, entrait dans l'appartement, le coeur nous
battait; nous restions silencieux, ne le quittant pas du regard, ayant peur
qu'il n'eÜt hâte de partir, trouvant qu'il était bien lent à édifier ses
(1) Souvenirs littéraires, T 1, P. 8.
(2) Lettre manuscrite. Toulouse - avril, 89 - Fête Saint~mbroise. in Papiers
de l'Institut, nO 3752 - Liasse de Lettres d'admirateurs.
.../

- 63 -
coiffures, car nous espérions lui faire raconter, pour la vingtième fois peut-
être, l'aventure dont le récit nous faisait frissonner:' (1)
Ces impressions d'enfance n'ont pu être émoussées par le temps car
à l'âge adulte, les deux amis ressentaient toujours un trouble indicible
lorsqu'ils évoquaient l'histoire du Charcutier.
Les leçons de Monsieur "Têtedoux" et de Monsieur "Petibon", les
fées, les génies, les infortunes du "petit Savinien", les cosaques et le
Charcutier suffisaient à occuper les loisirs des enfants qui ne demandaient
rien de plus. Ce bonheur ne devait cependant pas durer, car les deux familles
se séparèrent à la même époque. En effet, simultanément, et pour des causes
différentes, elles qui ttèrent la "Place vendôme". Monsieur de CORHENIN alla
habiter "rue Saint-Honoré" et les Du CAMP "rue d'Enfer", dans l'ancien hôtel
de Chaulnes, entre la maison des "sourd-muets" et le couvent des "Carmélites"
où un événement d'une importance capi tale a ttendai t le jeune Maxime : L'Ecole.
BI L'ECOLE
Comme il le dit lui-même avec amertume, on l'''expédiait'' chaque
matin à la pension "Saint-Victor", si tuée "rue Chanteraine" qui devint la rue
de la "Victoire" après les journées de juillet. Ern'ë:st FEYDEAU étai t alors
écolier dans cet établissement. Lorsque c'était son tour d'être moniteur, il
racontait des histoires au lieu de faire lire les préceptes de morale imprimés
sur les tableaux. Ernest FEYDEAU racontait l'histoire de la retraite de Russie,
de la bataille de Leipzig, de la Campagne de France et de la bataille de
Waterloo, comme un conspirateur qui se confiait à des complices. Il faisait
croire aux enfants qu'il avait assisté aux événements, qu'il y était en
personne ; il poussait tellement l'illusion romanesque que le jeune Du CAHP
dont l'esprit était déjà préparé à ce genre de sensation, le croyait. A la fin
de chaque récit, il était haletant et fiévreux. Ernest FEYDEAU recueillait ces
récits bouleversants auprès du cercle familial. En effet, son père avait été
officier d'administration dans l'armée du roi de Westphalie et c'est lui qui
livrait à son fils les récits d'un temps regretté. Le jeune Ernest, très féconà~
(1) Souvenirs littéraires, T. l, P. 9.
.../

- 64 -
en imagination, modi~iait ces histoires, les arrangeait et les exagérait
avec une faculté d'invention déjà considérable.
Pendant la même période, Maxime Du CAMP fut retiré de pension. Il
déménagea avec sa mère et sa grand'mère à Fresnay-le Vicomte chez Monsieur
CONTENTIN, son oncle. Homme d'infiniment d'esprit, d'une instruction étendue,
railleur, d'opinions légitimistes exalfées, Monsieur CONTENTIN vantait quant
à lui les batailles et les victoires de l'Empire, les capitales conquises, les
peuples domptés. Cela contrariai t les idées de Maxime qui avait en tête les
combats dont la Bretagne, la Vendée et l'Anjou avaient été le théatre, racontés
par Ernest FEYDEAU. Il était d'autant plus troublé que le garde-champêtre de
Fresnay-le-Vicomte, un ancien soldat de l'Empire resté fidèle au souvenir de
ses jeunes années, corroborait les récits de son oncle. L'esprit de l'enfant
vacillait donc alternativ.ement vers l'un et l'autre camp. Il aurait crié
volontiers, dans la même journée: Vive l'Empereur! et vive le Roi! C'est
pendant ces moments de grande indécision où l'esprit infantile troublé se
cherche sans pouvoir se retrouver qu'il eut l'occasion de s'acheter le premier
livre de sa vie. Il nous semble important d'en rappeler les circonstances. En
effet, pendant la foire de Fresnay-le-Vicomte, Maxime obtint de ses parents
l'autorisation de se procurer ce qui lui plaîrait. Au lieu de courir dans le
magasin voisin pour s'acheter des bonbons ou un de ces gadgets dont raffolent
les enfants de son âge, déjà obnubilé par les récits, par l'imaginaire, par
le romanesque, il courut à l'étalage d'un libraire et bien servi par le
hasard ou par l'instinct, fit l'acquisition du "Robinson suisse". La lecture
de ce livre l'absorba complètement. Dès lors, il vécut dans un songe permanent.
Il s'en allai t "au delà des mers", dans les pays où il y avai t des "cavernes
de sel", des autruches sur lesquelles on pouvait monter et des animaux dont on
ne savait pas le nom. Il dramatisait pour ainsi dire dans un champ qui
s'étendait au-devant de la maison de son oncle, tout ce qu'il avait pu com-
prendre et retenir de ces récits extravagants. C'est ainsi qu'il projeta la
construction d'un radeau qu'il chargerait de provision et sur lequel il
s'abandonnerait aU cours de la Seine pour regagner une île déserte où il
dresserait"des buffles" ••• Il écrivit alors à son ami et complice Louis de
CORMENIN, lui recommanda le livre et lui fit part de ses projets. Bien
qu'enthousiasmé par les aventures livresques, Louis de CORMENIN, plus lucide,
fut sceptique quant à la réalisation du projet. Ce dernier eut raison, car
malgré une détermination sans faille, Maxime Du CAMP n'eut pas le temps
d'aller à la recherche de l'Ile déserte. Le collège lui ouvrit ses portes.
.. ·1

- 65 -
cl LE COLLEGE.
Maxime Du CAMP fut inscrit au collège IILouis-Le-Grand" le 21
octobre 1831. Un erreur s'est glissée à la page 53 du chapitre III des
"Souvenirs littéraires" à propos de cette date. Il est marqué 21 octobre 1821
au lieu de 1831 (1)
C'est entre les murs de ce collège que germa son goÜt pour la
doctrine romantique. En effet, le jeune collégien fut à la fois étourdi et
émerveillé par les protestations des "jeune Fr-ance" qui laissaient croître
leurs cheveux, à la suite de l'interdiction qui frappa les représentations du
"Roi s'amuse" de Victor HUGO, provoquée par le tumul te de la première re-
présentation mais qui, d'un autre côté suscita les applaudissements des "perru-
ques". Comme presque tous les adolescents de cette époque, cet esprit déjà
enflammé par les récits fantastiques ne pouvait que pencher du côté des con-
testataires et des fougueux. Dans cette optique, signalons que Maxime Du CAMP
et ses camarades de "Louis-Le-Grand" estimaient que les élèves du "collège
Stanislas" étaient les plus heureux de Paris parce que l'un de leurs profes-
seurs, Théodore BURETTE, ne dissimulait point son admiration pour la nouvelle
école. Il fut le chef de file d'une trentaine de jeunes désoeuvrés qui, pour
se singulariser, s'habillaient de "veste de velours" de "surcots de laine"
et de "jaquettes
de nankin". Maxime Du CAMP fut, à tout hasard, témoin de ce
manège. Le lendemain, au collège, pendant la première récréation, il se hâta
d'initier ses camarades à ce genre de promenade qu'il dirigea lui-même. Cela
s'appelait la "grande chevauchée de la côtelette de porc frais". (2)
Ce
défilé ne fut pas du goÜt d'un maître d'étude qui l'envoya terminer la
journée aux arrêts. Il rêvait aussi de porter un "buffle" et d'être chaussé
de souliers à la "poulaine", C'était des sujets d'admiration d'autant plus
vive qu'il ne savait pas ce que cela signifiait.
Les sujets de cet ordre et ces groupes fantaisistes furent de mode
dans les années 1830 en France. Les jeunes pour l'essentiel, en majeure partie
des artistes, des gens de lettres, des petits boursiers, des employés de
(1) Souvenirs littéraires, T.I, ch. III, P. 53.
(2) Ibid, P. 74.

66 -
ministère se réunissaient et se cotisaient pour dîner ensemble. Ils for-
maient des groupes qui se distinguaient pour la plupart par des dénominations
rocambolesques, parfois même crapuleuses et grotesques. C'est le cas entre
autres des "Quarante cinq jolis cochons". Ces aventures et ces histoires en
vogue n'étaient point inconnues au collège. Maxime Du CAMP et ses camarades
se les racontaient en les exagérant à leur guise. L'un des recours les plus
assidus et les plus féconds de Maxime était le domestique qui allait le
chercher les jours de sortie. En effet, ce dernier, conscient de l'intérêt
que le jeune homme accordai t à ces histoires, le tenai t régulièrement au
courant de ce qui s'était passé pendant son absence. Lé collégien éprouvait
alors des émotions tellement fortes qu'il magnifiait et déifiait ceux qui en
étaient les héros.
Cette fresque d'émotions ne constituait en fait qu'un "sous-
bassement" diffus dans la conscience juvénile et instable du collégien. Le
théâtre va, pour de bon, jouer le rôle de "détonateur" dans sa destinée.
DI L'INITIATION
En matière de théâtre, Maxime ne connaissait que le "cirque
olympique". Il y avait battu des mains aux drames de "l'épopée impériale" et
y avait admiré une pièce intitulée "Les Polonais" dans laquelle il y avait
des combats, des escadrons d'amazones et des couplets qu'il avait trouvéS
formidables. Le personnage principal s'appelait Paulinski
c'était un homme
du peuple qui donnait le signal de la révolte. Les pièces du "Cirque Olympique"
étaient
significatives à plus d'un titre; elles concrétisaient en fait les
récits fantastiques qu'il avait lus ou entendus, mais aussi les attitudes et
les comportements hors-du commun des jeunes gens de son époque, d'où l'inté-
rêt certain qu'il manifestait à leur intention. Tout en sachant pertinemment
que le héros Paulinski était un personnage fictif, son imagination débridée
et passionnée se refusait à le croire; il était convaincu de l'existence
réelle de tous les personnages, particulièrement des héros
en conséquence,
il avait peine à croire qu'ils n'étaient pas des personnages historiques.
Le déclic, on pourrai t même dire "le détonateur" qui fit basculer
.··1

- 67 -
l'imagination de cet enfant se produisit le 12 février 1835. Il avait alors
13 ans lorsque ses parents l'emmenèrent à la "Comédie Française" où on don-
nait une pièce nouvelle. C'était la première représentation de "Chatterton",
l'une des oeuvres maîtresses de l'école romantique. Pour la première fois,
l'adolescent entendait une langue exquise dont la richesse, la mélodie, et
les qualités multiples le charmèrent comme une symphonie. Pour la première
fois, il assistait à un véritable drame, très savant, sous sa forme simple
et dont les péripéties sont produites par le caractère mêmes des personnages
et non point par une série d'événements arbitraires et extravagants. Les deux
acteurs : Marie DORVAL et GEOFFROY, qui jouaient Kitty BELL et CHATTERTON lui
semblaient avoir atteint dans cette pièce le plus haut degré de l'art théa-
tral. De la loge d'avant-scène du rez-de-chaussée où il était, Maxime, fasciné,
tenait les yeux attachés sur ces acteurs; il lui semblait que Marie DORVAL
essuyait des larmes réelles, que les acteurs ressentaient les douleurs qu'ils
n' avai en t qu'à expr-i.mer, A la fin de la représentation, quand on proclama le
nom de l'auteur, le comte Alfred De VIGNY, la salle explosa et crépita
d'applaudissements ininterrompus. Quant à Haxime Du CAMP, il entendit des
cloches tinter dans sa cervelles: "Je n'avais pas parlé, je n'avais pas
applaudi, j'étais terrifié~' (1)
En effet, il était incapable de réagir, car
il perdit connaissance. C'en était fait pour lui, car le Dieu des lettres
venait de lui ouvrir pour toujours les portes des lieux de son culte. Le goÜt,
la passion des lettres l'avaient saisi et ne devaient plus le quitter. A
partir de cette heure, il n'imaginait pas qu'il y eÜt au monde une fonction
plus belle que celle de l'écrivain. Sa mère regretta de l'avoir conduit si
jeune à cette soirée solennelle et résolut de ne plus recommencer, alors que
l'enfant ne rêvait que de renouveler
l'émotion qu'il avait éprouvée.
Madame Du CAI1P tint parole et puisqu'il lui était désormais interdit
d'aller au théâtre, le jeune Maxime se consacra à la lecture des pièces que
l'on y jouait et fut donc pris d'une véritable rage de lire. Dès lors, tout
son argent de poche fut employé à acheter des drames, des comédies et des
vaudevilles. Tout lui semblait merveilleux, et, avec l'insatiable curiosité
de l'enfant, il passait d'un sujet à un autre sans même s'apercevoir de l'in-
cohérence de ces lectures. La première pièce qu'il lut ainsi était: "La nonne
sanglante", un drame d'Anicet BOURGEOIS et de HAIUAN qui obtint un certain
(1) Souvenirs littéraires, T.I, P. 83.
.. ·1

68 -
succès à la "Porte-Saint-Martin". Il commence dans les catacombes de Rome
où pullulent des bohémiens, des assasinats et finit par un meurtre et par
un incendie. Ses jours de sortie sont essentiellement consacrés à la lecture.
Il puisait à pleines mains dans la bibliothèque de sa mère qui était toute
l i ttéraire et avalait indistinctement aussi bien -La découverte de l'Amérique"
par ROBERTSON, "Les contes moraux" de MARMONTEL, "Les frères Jacques" de Paul
KacK, que "Les derniers des mohicans"
etc •••
Ainsi, la petite tête de Maxime n'était pleine que d'aventures
tragiques et rocambolesques, le plus souvent "sans queue ni tête" ; il vivait
perpétuellement dans un monde invraisemblable, où les péripéties se succé-
daient et s'amalgamaient incessamment ce qui lui rendait plus haIs?able-enc9re
la monotonie de l'existence cloîtrée et le régime général du collège.
Pendant ce temps, Louis die CORMENIN, plus serein dans son goüt, re-
cherchait les poètes. Avec sa mansuétude naturelle, il démontrait à Maxime la
supériorité de la poésie sur la prose; les deux adolescents conclurent alors
que leur devoir était de devenir de grands poètes. Ils étaient encouragés par
le père de Louis, Monsieur de COR~œNIN, qui, en dehors de ses fonctions offi-
cielles, faisait lui aussi de la poésie.
C'est encore Monsieur de COR}IENIN qui permit à Maxime Du CAMP de
savourer les mélodies de la musique. En effet, sa première et forte émotion
musicale se produisit en 1836. Ce jour là, Monsieur de CORHENIN le conduisit
avec Louis bien entendu, à l'opéra où l'on donnait "Les Huguenots". La voix
de "NOURRIT" et de "Cornelie FALCON" se mariaient dans des intonations à la
fois si puissantes et si douces qu'il se sentait emporté dans un rêve d'harmo-
nie. Au quatrième acte, pendant le duo de Raoul et de Valentine, écoutant le
choeur des instruments à cordes, il ne fit aucun effort pour retenir ses larmes.
A la fin de sa classe de cinquième, il fut renvoyé de "Louis-Le-
Grand". Son gotlt encore instable s'orienta vers les romans maritimes que
"La Salamandre" d'Eugène SUE avai t mis à la mode. Pendant ce temps-là, i l eut
l'occasion de revoir plus régulièrement Louis De CORMENIN et les deux adoles-
cents formèrent le projet de vivre côte à côte et de travailler à des poèmes,
à des romans, et à des drames, .aussi tôt sortis du collège. Ils signeraient
leurs oeuvres de leur double nom réuni en un seul,: Maxime de CORMENIN ou
.. ·1

-
Oj
-
Louis Du CAMP, en témoignage d'une fraternité qui n'eut rien d'éphémère.
En réalité, ce fUt au collège Saint-Louis, en troisième, c'est-à
dire pendant sa seizième année, qu'il mit la main sur des livres de litté-
rature réelle. L'un de ses camarades de classe, Ernest DESJARDINS, qui fUt
de l'Académie des Inscriptions et Belles lettres (décédé en 1886), lui fit
savourer "les Orientales" de Victor HUGO. Ce fUt la "révélation". Dès lors,
les romans, les pièces de théâtre dont il s'était épris s'évanouirent devant
le chef-d'oeuvre du maitre dont il s'enivrait pour la première fois. Dès qu'il
eut lu du Victor HUGO, le jeune Maxime ne voulut plus lire autre chose.
Nonobstant sesmaâ.qr-es moyens, il se mit en quête de l'oeuvre du maître. Il
acheta ainsi, avec l'argent de poche de l'une de ses sorties, "Les feuilles
d'automne" qu'il dévora d'un trait. Halheureusement pour lui, l'on découvrit
ce livre "immoral" pendant "la visite des pupitres". Il reçut une semonce
effroyable car, dit-on, il était W1e "brebis galeuse" qui empoisonnait le
troupeau; on lui reprochait d'introduire de mauvais livres au collège et de
pervertir ses camarades. Rappelons à cet effet que Victor .HUGO était alors
considéré comme un ennemi public. Cependant, alors que les hommes d'un certain
âge le haïssaient et souriaient avec commisération lorsqu'on parlait de lui,
la jeunesse l'aimait, l'admirait et l'adorait. Les livres de Victor ffiJGO et
de bien d'autres écrivains étiquetés "douteux" étaient prohibés, mais ils
étaient les plus lus. Lorsque Maxime Du CAHP et deux de ses camarades,
dépités par les règles rigoureuses et contraignantes du collège, s'évadèrent
de Saint-Louis, ce fut dans un cabinet de lecture qu'ils passèrent la première
journée de liberté
retrouvéewils lurent "Lucrèce Borgia" et "Le roi
s'amuse". Ces propos ci-dessous, tenus par Haxime Du CAMP retracent exacte-
ment cette ambiance et soulignent par ailleurs le rôle fondamental joué par
l'auteur des "Orientales" dans la vie intellectuelle de ce dernier
"L'émotion caUSée. par "Chatterton" me donna le goÜt des Lettres, l'admiration
que m'inspira Victor HUGO m'y maintint, et malgré les combats que j'eus plus
tard à soutenir pour ma propre cause, lorsque l'heure fUt venue de choisir
une carrière, je n'ai jamais hésité, estimant, dès cette époque, qu'il est
préférable de tomber sur la route parcourue par les grands hommes que de
marcher allègrement sur celle où se prélassent les hommes inférieurs~'
(1)
(1) Souvenirs littéraires, T.I, P. 96.
.. ·1

- 70 -
Après s'être ainsi gorgé de cet "amas de salade li t tér-ad r-e'", Maxime Du CAMP
crut le moment venu d'inscrire son nom sur la liste des IIgr ands hommes",
El LES PREMIERS PAS
Pendant les deux dernières années de sa vie de collège, il s'inté-
ressa intensément à l'histoire pour laquelle il avait du gOÜt, mais surtout à
écrire des vers, des nouvelles et des romans. On retrouve la trace dans le
"Fonds Maxime Du CAMP" de la Bi bl.Lothèque de l'Institut. L'un de ses premiers
essais littéraires est un poème intitulé "Wistibrock l'Islandais ll • Ce titre
constitue à lui seul un programme; il ne signifie absolument rien en lui-
même; l'auteur s'empresse d'ailleurs de le souligner dans ses "Souvenirs
Li t tér'ai r-es" et il ajoute qu"'il fallait le trouver ainsi, horripilant et
farouche, formé de vocables extravagants et de saveur abr-acadabrant el' (1)
Ce poème est inspiré d"Albertus" de Théophile GAUTIER que lui avait prêté
Louis d.e CORMENIN. Après la lecture d' IIAlbertus" il se mi t en devoir de
composer un poème fantastique, c'est-à-dire, d'inventer une fable dans
laquelle le diable aurait le beau rôle et de réunir le plus d'invraisemblances
possible. Le poème commence par la présentation du personnage principal
(Wistibrock) et du cadre spatio-temporel dans lequel il se situe:
"La scène est à Paris : Dans la chaude Bergère
Wistibrock est couché mollement étendu,
D'un foyer mal éteint la lueur passagère
l'illumine parfois d'un enclos pauvre et nu -
Voyons l'appartement - C'est une chambre étrange,
Grotesque museum, où rien n'est déplacé,
C'est un tohu-bohu, c'est un vaste mélange
D'horreur et de beauté - un Bynar-d enlacé!' (2;
A la fin du poème, Satan est sollicité, car la chasse est fructueuse
(1) Souvenirs littéraires, T. l, P. 102.
(2) M.S. 1(3719) - Papiers personnels - Fonds Maxime Du CAMP àe la Biblio-
thèque de l'Institut - P. 1.
···1

- 71 -
et le butin se doit d'être partagé.
" Satan ! Satan ! Satan ! accour e i ci mon maî tre,
Hideux, sanglant, meurtri, nous le voulons connaître,
Satan! nous t'attendons
obéit au destin
Gn8mes, géants, Dauson ! Donne nous notre proie,
La Foudre du bien haut, nous dansons, chantons ;
Jehevah ! De mépris tout notre corps frisonne
Satan! Satan! nous t'attendons!1I (1)
Ces vers sont écrits en 1840 ; le poète avait alors dix huit ans.
Au soir de sa vie, Maxime Du CAMP ne s'y reconnaissait plus et portait les
jugements suivants
"Voilà les turludaines que j'écrivais au cours de ma
dix-huitième année
c'est une sorte de poème Lil17 qui n'est bon qu'à faire
rire et à dégoQter de ce genre de sornette~ (2)
Ce jugement nous semble un
peu sévère; il convient de situer cette oeuvre dans son cadre historique
pour mieux l'apprécier avec ses fantaisies, ses libertés et ses horreurs. La
plupart des écrivains n'ont-ils pas leur "peti t jardin de jeunesse" qui n'est
pas destiné à la publication mais que le critique viole souvent ignoblement?
Théophile GAUTIER signale à cet effet dans son IIHistoire du romantisme" qu'il
avait fait lui aussi son "morceau comme les autres, cela s'appelait IIElias
WI LDMANSTADl US , ou l' homme moyen-âgell• (3)
En 1839, Maxime Du ·CA11P lut avec Louis de CORMENIN l"lhistoire des
Ducs de Bourgognell de M. de BARANTE. Ils décidèrent alors d'écrire un roman
historique. Maxime se chargea de trouver le sujet et de le diviser en cha-
pitres qu'ils se distribuèrent par parties égales. Son choix se porta sur
l'année 1418, au point culminant de la querelle d'Armagnac et de Bourgogne.
Le roman fut naturellement intitulé
"Capeluche le Bourreau ou l'homme rouge".
(1) 11.S. 1(3719) - Papiers personnels - Fonds 11axime Du CA11P de la Biblio-
thèque de l'Institut. P. 40.
(2) Ibid.
(3) Théophile GAUTIER, Histoire du romantisme. Paris, Charpentier, Editeurs,
1877, IV : Célestin NANTEUIL, P. 52.
.../

- 72 -
Au cours du travail préliminaire, les deux amis décidèrent de
présenter l'ouvrage en deux volumes de trente chapitres. Sous l'influence
.Illiill
des usages romantiques, chaque chapitre était précédé d'un nombre indéterminé
d'épigraphes. Maxime Du CAMP en réunit une prodigieuse quanti té, grecques,
latines, françaises, italiennes, espagnoles •••
OUtre le roman lui-même, c'est sa préparation qui eut un résultat
inattendu sur la formation littéraire des romanciers. En effet, pour arriver
à bout de leur besogne, il leur parut opportun et même indispensable d'étudier
l'époque sur laquelle portait l'oeuvre. Ils achetèrent à cet effet, les prin-
cipales chroniques relatives aux anales françaises publiées par Alexandre
BUCHON dans "Le Panthéon littéraire" qui concernaient les époques comprises
entre 1380 et 1430. Ils lurent alors FROISSART, Pierre De FENIN, Christine
De PISAN, MONSTREIET, etc. Le roman - qui fut effectivement écrit - est une
sorte de tragi-comédie où des personnages historiques s'adonnent à des manies
de toutes sortes. On y surprend le duc de Bourgogne prenant le menton de la
reine ISABEAU, pendant que CHARLES VI joue aux cartes avec Odette de CHAMP-
DIVERS. Il est par ailleurs plein de tuerie, de coup de dague, d'assasinat,
de vols, de viols, etc. On brÜle, on massacre, et on torture à chaque para-
graphe. En fait, i l se situe naturellement dans la lignée de l'esprit "jeune
France" des années 1830. Conformément à la tradition historique, Capeluche
était décapité aux Halles par son propre valet, auquel avant de mourir, il
donnait ses instructions: "Et surtout, corne du Père! Que ta main ne tremble
pas. Par messire Satanas, qui est le patron des juifs, tu seras vilain, pou-
acre et sabouleux, si mon chef ne choit pas à ton premier heurt 1" (1)
Pour les auteurs, l'ouvrage étai t un chef-d'oeuvre. Ils projetèrent
par ailleurs d'en extraire un drame qui devait être joué à la "Porte Saint-
Martin" •
Marie DORVAL ferait Isabeau de BAVIERE et Frédéric LEr~ITRE jouerait
le personnage de Capeluche. Le drame resta en projet mais le manuscrit du
roman demeura.
Pour atteindre à jamais la célébrité, Louis et Maxime envisagèrent
(1) M.S. 3719, op. cit., Capeluche le bourreau ou l'homme rouge, Cité par Du
CAMP dans Les Souvenirs littéraires, T. 1, P. 105.
.. ·1

- 73 -
de réaliser une oeuvre nationale dont l'héroisme serait apprécié par les
générations futures. Pour ce faire, ils décidèrent de mettre en roman toute
l'histoire de France. Leur devoir étant de respecter l'exactitude historique,
comme ils l'avaient fait pour "Capeluche ••• ", ils ne s'appuieraient
essentiellement que sur des textes positifs. Cette fresque romanesque devrait
couvrir la période qui part de l'invasion des GAULES par Jules CESAR à la
Révolution de Juillet. Il faut avoir dix-huit ans pour concevoir de tels
projets et les envisager sans effroi. Ils ne connurent pas le jour.
Maxime Du CAMP obtint son baccalauréat en 1840, au marnent même où
la France connaissait des troubles ininterrompus. En effet, un souffle de
guerre avait passé sur l'Europe et le chauvinisme avait gagné presque tous
les citoyens de façon irrésistible; on ajoutait des phrases belliqueuses aux
pièces jouées sur les théâtres où toute allusion tendancieuse était applaudie
dans les salles de spectacles, les orchestres jouaient des airs patriotiques
les plus célèbres écrivains n'étaient pas en marge de ce mouvement. Ainsi,
IAMAR'l'INE. chantait "La Marseillaise de la paix" ; Alfred De MUSSET répondait
à BECKER par les strophes du "Rhin allemand" ; enfin Victor HUGO, le maître
lui-même, faisait entendre sa grande voix à travers ses poèmes. Mais, le jeune
Maxime, comme tous les adolescents de sa génération, ne s'intéressait à ces
événements que par le parti que la littérature en pouvait tirer; dans la possi-
bilité d'une guerre par exemple, il ne voyait qu'un sujet de chant belliqueux
du procès de Madame LAFARGE, il comptait faire un drame intime, et le retour
des cendres de NAPOLEON en France lui inspirait des Odes où "les sables
brillants du désert" servaient d'antithèse au "blanc linceul des neiges de la
Russie". Partant de l'idée que les poètes devaient s'inspirer des grands
spectacles de la nature, Louis de COR!'1ENIN et Maxime Du CAMP allaient se
promener et rêvasser à l'ombre, au "parc Monceau" qui était à cette époque la
plus admirable retraite qui se püt voir. Ils y étaient presque toujours
seuls, car l'endroit était très peu fréquenté. On n'y voyait que de rares
amoureux qui se perdaient dans les herbes. C'est là, dans ce "paradis terres-
tre" qU'ils ébauchèrent des sujets de romans ou de poèmes. Ils lurent, dans
ce cadre propice à la réflexion et 0. l'imagination, la "lénore" de BURGER. Ils
en furent tellement épris qU'ils la récitèrent strophe par strophe au bout de
quelques heures. En imitation de ce poème, ils écrivirent une pièce de vers.
Croyant sincèrement au chef-d'oeuvre, les adolescents trouvèrent sage de
solliciter les jugements d'autrui.
.. ·1

-
'f 4 -
FI LE TEST LITTERAIRE
Maxime Du CAMP choisit Victor HUGO comme premier juge littéraire
n'est-ce pas tout ce qu'on peut trouver de mieux en pleine effervescence
romantique? - tandis que Louis de CORMENIN fit appel à Alfred De MUSSET. Les
deux juges sollicités n'étaient pas des moindres; ce qui traduisait très
bien la détermination et la conviction des adolescents. Les réponses des
maîtres furent contradictoires, mais décisives, du moins pour Maxime Du CAMP.
Les deux lettres existent en manuscrit; elles sont aussi reproduites par
Du CAMP lui-même dans ses "Souvenirs littéraires". Victor HUGO fut le premier
à répondre :
"Ha gloire, monsieur (si j'en ai une), est moins
dans ce que je dis que dans ce qu'on me répond, moins
dans ma voix que dans mes échos. Vous suffiriez à
vous seul pour le prouver. Je ne sais pas si je suis
un poète, mais je sais que vous en êtes un. Courage,
Monsieur, étudiez, rêvez, apprenez, grandissez de
toute façon. Vous êtes déjà un poète, devenez un
homme. Je vous remercie de vos très beaux vers:' (1)
"Victor HUGO"
Pour un jeune homme de di x-hui t ans, né dans la France du XIXè
siècle, cette lettre émanant du maître incontesté de l'école romantique ne
put que le bouleverser. En effet, l'auteur de "Wistibrock l'Islandais" se mit
à "é tuô i er-, à rêver, à apprendre, et à grandirll • Il crut en son étoile et en un
avenir plein de réussite et de gloire. Louis partagea cette euphorie qui ne
fut d'ailleurs pas de longue durée. En effet, la réponse de ~mSSET, qui se
faisait attendre, arriva enfin, moins complaisante et plus critique
"J'e suis bien en retard envers vous i une indisposition
qui m'a retenu quelque temps au lit m'a empêché de vous
remercier plus tôt des vers que vous avez bien voulu
(1) Souvenirs littéraires, T. I, P. 113.
. ··1

- 75 -
m'adresser et qui m'ont fait le plus grand plaisir.
Vos vers sont jeunes, monsieur, vous l'êtes aussi
sans doute. Ils m'ont rappelé le bon temps, le premier
qui n'est pas encore bien loin de moi. Je serais charmé
que ma bonne étoile pÜt me faire faire connaissance
avec vous.
"Agréer, Monsieur, l'assurance de mes
sentiments distingués.
A. de MUSSET" (1)
Cette lettre incisive, froide et polie, mit fin à l'éuphorie causée
par les louanges de Victor HUGO. Les deux poètes comprirent que rtvos vers
sont jeunes" signifie.
que vos vers sont mauvais. Ils relurent attentivement
les strophes qualifiées de "très beaux vers" par Victor HUGO et furent
éclairés par une lueur de bon sens. De l'excès de jubilation, ils tombèrent
dans l'excès de dévalorisation systématique. Ils trouvèrent alors le~vers
pi toyables. Ce fut douloureux, mais sain pour Maxime Du CAMP, car de ces deux
lettres, il ne retint qu'un conseil : "Travaillez" et il travailla.
En dehors des préoccupations purement littéraires, deux personnes
exercèrent sur le jeune Maxime une influence indélébile. Le premier, qui fut
un romantique convaincu, mais reconverti, essaya de l'éclairer sur les "périls"
et les "puérilités" des excès romantiques. C'était un poète, avec infiniment
d'esprit, âgé d'une trentaine d'années. Il s'appelait Ausone de CHANCEL.
Comme tout jeune homme de trente ans de cette époque, il était lié avec
beaucoup d'artistes et d'écrivains, avait touché au Saint-simonisme, au
fouriérisme et n'ayant pu s'assimiler les doctrines nouvelles, il retombait
parfois dans des accès de dévotion dont il sortait avec éclat à la suite de
quelque partie de plaisir. Ayant dilapidé toute sa fortune, il se mit à
écrire des livres de statistiques, d'économie politique, et de géographie
pour le ministère de la guerre; le Général DAm1AS l'associa à ses travaux,
et cet indépend~1t qui supportait avec peine le joug de la vie sociale finit
par entrer dans l'administration et mourut Sous-Préfet dans quelque ville
(1) Souvenirs littéraires, T. l, P. 113.
i
• el

. 76 -
d'Algérie. Revenons au point précis qui nous intéresse. Ausone de CHANCEL
venai t de publier un poème d'environ quinze cents vers, intitulé "Mark"
lorsque Maxime Du CAMP fit sa connaissance, vers le mois de juillet 1840.
Selon l'usage des "En::::elades", qui du premier bond voulaient escalader les
cieux, "Mark" était bourré d'injures aux bourgeois, aux savants et aux
critiques. Le poète s'attendrit cependant à certains moments et revint aux
sentiments où l'homme ici-bas trouve sa consolation. Ce poème qui était d'une
facture remarquable, passa inaperçu.
Ausone de CHANCEL s'était pris d'amitié pour Maxime Du CAMP dont
l'extrême jeunesse justifiait la familiarité. Il avait épousé le principe
allopathique de la vie et conseillait volontiers à son jeune ami que le bon
moyen d'aspirer au repos était de remuer toujours. Il professait ainsi le
respect des lettres et la nécessité du travail. Ainsi que tant d'autres, il
avait sans doute la conception très élevée, très claire, mais l'action molle
et l'exécution indécise. Il opinait même parfois avec ironie: "J'ai des chefs-
d'oeuvre dans la cervelle, mais ils n'en veulent pas sortir !"
Maxime Du CAMP profita de cette familiarité pour lui présenter les
vers que Victor HUGO avait loués, dans l'espoir de dissiper le doute qui
s'était emparé de lui après la réponse de MUSSET à Louis d~ COR1·ŒNIN. Ce fut
un véritable désastre car Ausone de CHANCEL les examina, les éplucha avec une
sévérité impitoyable. Rien ne le satisfi t, ni l'idée, ni le plan, ni même
l'exécution : "Je te fais mal, me di sai t-il , je te permets de crier, mais
c'est pour ton bien. Tou.t cela n'est bon qu'à allumer ton feu!' ( 1 )
Maxime
Du CAMP ne se crut pour autant pas battu et sortit la lettre de Victor HUGO.
Aux dires de Du CAMP lui-même, Ausone de CHANCEL aurait été parcouru par un
sentiment de commisération pendant la lecture du message du maître. Il tint
ce discours bouleversant et pathétique dont il convient de reprendre quelques
extraits: "Pauvre petit! il n'est vraiment pas permis de se moquer si em-
phatiquement d'un enfant. Si HUGO a lu tes vers, il les a trouvés misérables
il te dit qu'ils sont beaux, il te verse un verre de son plus gros éloge, il
te grise et fait de toi un claqueur pour son prochain drame. J'ai vu plus de
cinquante lettres pareilles à celle -ci, écrites par lui à des morveux sans
rime et sans césure; il est coutumier du fait; pourvu qu'il soit adoré, que
lui importe l'adorateur. Si tu regardes cette lettre comme un passeport pourla
postérité,
(1) Souvenirs littéraires, T. l, P.
122.
. . ·1

- 77 -
tu n'es qu'un nigaud [;.:1.,. Il y en a, je le sais, qui du premier élan
arrivent au palier supérieur, mais ceux-là sont des gens de génie. Or, non
seulement tu n'as pas de génie, mais tu n'as même pas de talent. Tu me trouves
brutal ? Bath ! Les amers sont FortiFiants ! Tu sors du collège, tu crois que
tu sais quelque chose, tu ne sais rien. Sais-tu lire? A la Façon dont tu
écris, on en pourrait douter:' (1)
Ce Fut le dernier coup de glas qui abattit littéralement l'adolescent.
Ausone de CHANCEL essaya alors de lui remonter le moral. Il s'érigea pour ce
Faire en vrai conseiller et tenta d'inculquer à son interlocuteur les notions
Fondamentales de la vie. Il partit de son expérience personnelle, expliqua
l'échec de sa vie par la négligence et le laisser-aller, et prôna l'assiduité
au travail, Facteur essentiel sans lequel aucune besogne ne porte ses Fruits.
Maxime Du CA~œ ne devait pas se désoler, car il pouvait acquérir aisément ce
qui lui Faisait déFaut au cours de ses années de jeunesse, pourvu qu'il
s'adonnât allègrement au travail acharn~. Il révéla d'autre part une Force que
le jeune Du CAMP ne soupçonnait pas, ma~s qu'il devrait utiliser à son proFit.
Sa vie matérielle étant assurée, il aur4it la possibilité de Faire ce qui lui
plairait au moment désiré. Selon lui, cJest l'indépendance de la Fortune qui
Fait l'indépendance de la pensée, car l'on n'est libre qu'à la condition
d'avoir de quoi vivre. Ce qui est absolwnen t vrai.
Après ces réFlexions, il traça pour Du CArIP un plan d'existence d'où
le plaisir n'était pas exclu, mais où le travail divisé et varié tenait la
meilleure place. Selon cette recette, Maxime Du CAMP devait travailler pendant
dix ans, avant de s'extérioriser au monde, c'est-à-dire au public, s'il croit
le moment opportun. Les études de paléographie, d'archéologie, d'histoire, de
métaphysique, et d'histoire naturelle devaient occuper son temps. Il l'exhorta
par ailleurs à la lecture des grands maîtres de la langue Française en
l'occurence : VOLTAIRE (Candide et Zadig), LA BRUYERE, MOrITESQIEU (Le dialogue
d'Eucrate et Sylla) et TACITE •••
Ces paroles qui l'attristèrent dans un premier temps furent absolu-
ment opportunes. Elles conFortaient la posi tion d'Alfred de HUSSET et étaient
plutôt salutaires, PUt-ce au prix d'une souFfrance, car elles le rappelèrent
(1) Ausone de CJffiNCBL in Souvenirs littéraires, T. 1, P. 123.
(
.../

- 78 -
à la raison, d'où la lettre de Victor HUGO l'avait un peu fait sortir.
Ausone de CHANCEL a eu le mérite de montrer à Maxime Du CAMP, au sortir de
l'adolescence, l'existence réelle de l'écrivain, sérieuse, austère et cons-
tante au labeur. Cette rencontre fut donc déterminante dans la vie de l'auteur
des "Forces Perdues", car on venait là de lui montrer le but de la vie. Il
a peu revu Ausone de CHANCEL, mais ses paroles ne furent pas lettres mortes.
Maxime Du CAMP se les appropria et tenta de les mettre en pratique durant
toute son existence.
Peu de temps après avoir vu s'écrouler si brutalement ses illusions,
le hasard le mit en rapport avec un autre homme qui, lui aussi, par ses
conseils, son intelligence et sa bonté, fut déterminant dans l'orientation de
la vie du jeune homme. C'était à Pornic, à la suite d'une maladie qui l'obligea
à prendre des bains de mer. Parmi les personnes présentes à Pornic, il en
était une qui ne dédaignait pas la compagnie d'un enfant à peine sorti de
collège. Il était le compagnon fidèle de Maxime dans ses multiples promenades.
L'adolescent ressentait ainsi pour lui une affection respectueuse que comman-
daient l'âge, le savoir, l'intelligence, et l'aménité du caractère. Il s'appe-
lait le chevalier Amedée JAUBERT. Il était si indulgent, si paternel, qu'ou-
bliant la différence d'âge qui aurait dÜ le rendre plus réservé, Maxime
l'avait pris pour le confident de ses rêveries. Il lui lut quelques-uns des
vers que Victor HUGO a loués et qu'Ausone de CHANCEL a blâmés. Le verdict
tomba : "Plus de facilité que de talent, il ne peut guère en être au tr-ement à
votre âge , expression trop précise, pensée trop confuse ; vous êtes comme
tous les jeunes gens, vous manquez de réflexion: ça viendra plus tard:' (1)
Le Chevalier Amedée JAUBERT ne s'attarda pas sur ces vers jeunes; il parla
surtout des poètes orientaux, fit à ce jeune coeur perméable, un exposé
captivant sur les vertus du voyage et le conseilla de s'en aller par-delà
les mers aussi tôt ses humanités
terminées. Le Chevalier JAUBERT ne perdit
pas son temps car une bonne partie de la vie de Maxime Du CAHP fut effective-
ment consacrée aux voyages. Nous aurons l'occasion de revenir dans un chapitre
ultérieur sur le Chevalier JAUBERT lorsque nous analyserons le thème du
voyage.
Nous nous sommes peut-être longuement étendu sur cette phase de la
(1) Le Chevalier Jaubert in Souvenirs littéraires, T. l, P. 127.
.../

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vie de Maxime Du CAMP. Il convient de savoir que nous avons tenté d'abréger
au maximum toute cette fresque bourdonnante, impersonnelle, indécise, qui a
influencé l'orientation de la carrière de l'écrivain. C'est grâce à ce vaste
ensemble d'influences, que Maxime Du CAMP est devenu homme de lettres. Il
importe donc de le savoir. En effet, lorsque le jeune Maxime,. "frotté de grec,
bourré de latin, badigeonné de philosophie, orné de réthorique, muni d'his-
toire et verni de quelque scienceL~d" (1) Put reçu à son baccalauréat, ses
parents lui demandèrent de choisir entre la diplomatie et la magistrature. Sa
réponse Put raide et sans concession : "Ni l'un ni l'autre", "et je déclarai
que je serai homme de lettres, rien de plus , rien de moins!' (2)
Et d'ailleurs,
Maxime Du CAMP Lui-enême n'a jamais cessé de reconnaître l'influence décisive
qu'exercèrent les vieilles histoires de son enfance et les impressions et
émotions de son adolescence qui ont été fidèlement conservées dans sa mémoire.
Son oeuvre narrative et poétique en fUt pour une part si minime soit-elle,
imprégnée. C'est d'ailleurs pour accréditer cette idée que le vieil homme de
lettres, habité peut-être par ce qu'il appelait "la fée des lointains", (3)
écrivait cette pensée dans ses~propos du soir" : "Lorsqu'un vieillard a
failli être appelé aux destinés d'outre-tombe, lorsqu'il a traversé une crise
que l'on avait cru mortelle et que, revenu à la santé, il parle des images qui
s'évoquaient spontanément en lui, on constate presque toujours le même phéno-
mène : ce qu'il a rew dans les heures où il avait perdu sa propre direction,
c'est son enfance, c'est sa prime jeunesse, celle de l'initiation, de l'entrée
impétueuse dans le tumulte de la vie ••• " (4)
Ayant choisi de devenir homme de Lettres, Maxime Du CAMP frappa
aux portes du dogme nouveau. Le romantisme qui était alors en vogue, l'ac-
cueillit avec fougue. Il s'y engloutit totalement, s'y confondit presque j
c'est pourquoi il constitue l'un des grands traits de l'oeuvre de l'auteur
des "Mémoires d'un suicidé".
(1) Propos du soir, Revue des deux Mondes, 1892, T. 4, P. 316.
(2) Souvenirs littéraires, T. l, P. 136.
(3) Propos du soir, ibid, P. 304.
(4) Ibid.
. . ·1

- 80 -
CHAPITRE
II
MAXIME DU CAMP ET LE ROMANTISME
Le mouvement romantique revêt une forme toute particulière dans la
production narrative et poétique de Maxime Du CAMP. Nous serons inéluctable-
ment amené à en reparler, notamment à propos de l'analyse thématique et des
choix esthétiquesde l'écrivain. Dans le présent chapitre, nous nous consacre-
rons essentiellement à montrer d'une part l'omniprésence du romantisme dans
les romans et nouvelles de l'auteur à partir de la vie et de la philosophie
de ses personnages, de l'autre, nous exposerons sa position exacte à l'égard
de cette tendance littéraire.
Nous suivrons l'itinéraire de certains héros pour découvrir, à
travers leurs yeux, le romantisme tel qu'ils l'ont vécu ou ressenti.
AI PERSONNAGES ROMANTIQUES
Tous les livres écrits par Maxime Du CAMP sont des ouvrages à thèse
où il expose, par le truchement de ses narrateurs, à l'aide d'analyses et de
réflexions, les pensées qu'il entend communiquer aux lecteurs. Il s'érige en
conséquence, en témoin critique et moralisateur de son époque.
Presque tous ses héros ont moins de vingt ans, âge idéal où l'on
pense être le maître de la terre. Ils appartiennent à cette race maladive et
douloureuse qui a pris naissance sur les genoux de "René", qui a pleuré dans
"les médi tations" de lAHARTlNE, qui s'est déchiré le coeur dans "Obermann",
qui a joui de la mort dans le "Didier" de Harion DELORME, qui a craché au
visage de la société par la bouche d "'Antony". C'est à cette génération
rongée par des ennuis sans remède, repoussée par d'injustes déclassements,
attirée vers l'inconnu par les désirs des imaginations déréglées que Jean-
Marc du "Livre posthume", Horace DARGlAIL des "Forces Perdues, George
d'ALFAREY de "L'homme au bracelet d'or", Paulus de "La double aumône" •••
appartiennent. Tous offrent, à quelques variantes près, le même type
d'individus en proie aux mêmes angoisses intimes et évoluant parmi les

- SI -
aventures sensiblement similaires à tel point que les uns sembleraient être
des répliques ou des compléments des autres.
Le cas d'Horace est révélateur à plus d'un titre. En effet, ce
personnage fut victime de l'exaltation du sentiment, d'émotions et de sensa-
tions intenses et inassouvies. Il joua durant sa vie, comme Lucien de
RUBEMPRE, la carte de l'inutile et de l'impossible. Il se faisait dans ses
rêveries, une haute idée de l'existence à laquelle il demandait plus qu'elle
ne contenait et ne lui pardonnait pas de ne lui offrir que ce qu'elle renfer-
mait. Horace était un éternel insatisfait, perpétuellement sous la hantise
hallucinatoire' d'un nouveau besoin ou d'un désir inconscient. Quand enfin,
l'expérience et la réalité quotidienne eurent fait la lumière en lui, il
arrivait souvent à cette amère conclusion que "changer d'amis, de position,
de patrie, de maîtresse, ce n'est le plus souvent que changer d'ennui:' (1)
Il aspirait à l'infini, à l'éternel, à l'immaculé, et comme, de sa nature,
il était fini, mortel, vicieux, il passait sa vie dans des contradictions
douloureuses, qui de chute en chute, de déboire en déboire, le conduisirent"
jusqu'à la mort. A un moment donné de sa vie, il avait eu le choix entre
s'isoler à Dumbarton dans la propriété "Sai.nt e-êîar the" de M. VERCEIL son
oncle, épouser sa. cousine..Hê Lène , y mener une existence calme, dépourvue
d'aléas et la vie tumultueuse de Paris, avec ses contradictions et ses con-
trariétés. Le tempérament d'Horace s'opposait naturellement à l'existence
suave, douce, méthodique, calculée, dénuée d'émotions et de rêveries de Dum-
barton. Il lui préféra la vie cahotique et imprévisible de Paris. Huit jours
après son arrivée dans cette ville, il perdit sa mère et se trouva soudain
seul, libre et riche. Sa petite fortune réunit alors autour de lui des amis de
circonstance. Cependant, les curiosités intellectuelles l'entraînèrent plutôt
vers le monde des artistes. Il fut pour ainsi dire, un des assidus de la
"Chi Ldeber-t e" qui s'élevait en façade sur "la place Saint-Germain des prés")(2)
et qui pendant bien des années, fut exclusivement occupée par des peintres.
Ces réunions d'un petit nombre d'intellectuels: artistes, hommes de lettres,
philosophes, qu'on appelle des cénacles étaient en vogue au XIxè siècle. Dans
la nouvelle intitulée "Richard Piednoël", un groupe de jeunes gens se re-
trouvait un soir par semaine, tous les jeudis, pour "causer de choses
sérieuses". Ils se réunissaient dans l'atelier du peintre Richard j l'hospi-
(1) Les Forces Perdues, P. 46.
(2) Le livre posthume, P. 87.
.../

- 82 -
talité était fort simple: "Une tasse de thé en hiver, de la bière en été,
et du tabac à discrétion:' (1)
De jeunes inhabitués se mêlaient parfois aux
artistes et aux littérateurs. Pendant ces réunions régnait une liberté de bon
aloi qui n' avai t jamais dégénéré en licence : "On causait beaucoup, on ne
jouait jamaisJ' (2)
Cette décence et ce sérieuxs~xpliquaient en totalité par
la présence d'une jeune ferrune qui recevai t les invi tés. Selon les habi tudes
du monde artiste, on l'appelait "Mme PIEDNOEL". La présence de cette jeune
personne imposait donc une certaine réserve aux causeries, qui ne sortirent
jamais du cadre des plaisanteries permises. Ce n'est pas du~tout la même
ambiance dans la "Childeberte"d'Horace. En effet, contrairement aux jeunes
gens du cénacle de Richard, les retrouvailles dans la "Childeberte" étaient
l'occasion pour Horace et ses amis de montrer à la société les flots de vita-
lité, d'imaginations et d'obsessions dont ils débordaient: "On riait beau-
coup lorsqu'on peignait en tigre un chien de boucher et qu'on le lâchait,
avec une casserole attachée à la queue, à travers les femmes épouvantées qui,
le dimanche, sortaient de l'église après la grand'messe. On trouvait fort
divertissant de se déguiser en bédouin et de s'en aller, affublé d'une
couverture en guise de burnous, s'asseoir en cercle sur la place, et d'y
fumer gravement un manche à balai en s' émouchetant avec un plumeau~' (3)
C'étaient les belles joies de l'époque où le romantisme avait tourné toutes
les têtes: " ••• On jurait foi de gentilhomme! On s'appelait sérieusement
messire ! Les plus hardis portaient des pourpoints, et dans les restaurants
on demandait une bonne côtelette de Tolède ••• " (4)
Les groupes ainsi constitués étaient cosmopolites. Ils étaient
composés d'un monde futile, intelligent néanmoins, mais singulièrement
diminué par l'esprit de coterie. L'habitude de contempler la société sous son
aspect extérieur le condamnait à n'être la plupart du temps que ridicule et
amusant.
En ce qui concerne les amis de la "Childeberte", Horace ne fut pas
long à comprendre les vilenies, les symptômes morbides et les risques vers
lesquels il orientait sa vie. Il s'éloigna en conséquence avec regret de ces
(1) R. Piedno~l, Revue des Deux Mondes, 15 janvier 1863, T. l, P. 340.
(2) Ibid. ;
(3) Les Forces Perdues, P. 87.
(4) Ibid.
.. ·1

- 83 -
hommes que dans le principe, il avait recherch~ avec illusion et plaisir;
De leur fréquentation néanmoins, il conserva dans les allures, dans la dic-
tion, dans l'habitude générale de son esprit et de son corps quelque chose
d'original et d'imprévu qu'il n'avait pas auparavant. Ne pouvant pas se
résigner à vivre en esthète, i l rechercha à nouveau la compagnie de jeunes de
son âge et tomba cette fois-ci sur la société des jeunes gens dits: "Comme
i l faut") (1)
c'est-à-dire ceux qU'on appel~it encore communément "les fils
de famille". Horace en connaissait beaucoup et se mêlait parfois à leurs
plaisirs. Ils allaient ensemble au bois de Boulogne, à l'Opéra, aux restau-
rants en vogue où l'on soupait alors. La différence entre les amis de la
"Childeberte" et les "fils de famille" était très mince, mais significative.
Elle existait essentiellement dans le fait qUe ces derniers étaient essentielle-
ment préoccupés par leurs fortunes et donc par leurs intérêts. Les soupers
des "gens dits comme il faut" se déroulaient pr-esque toujours à grand
fracas : "Il y avai t là la fine fleur des élégants du moment et quelques unes
de ces beautés interl9pes, d'autant plus impudentes dans leur célébrité
éphémère que les exigences de la vie les mènent rapidement de la loge de
portier où elles sont nées jusqu'au grabat d'h8pital où elles doivent
mourir." (2) La composition des membres de la "Childeberte" était révélatrice.
Elle reflétait fidèlement l'ambiance qu;y régnait: "[;.;7 Un vieux comte,
connu pour son bonheur au jeu, un jeune marqui s déjà épuisé, deux ou trois
petits vicomtes habitués des courses de chevaux, le fils d'un baron de
l'empire enrichi dans les fournitures, le descendant en ligne directe d'un
fabricant de bougies, le neveu d'un ex-carrosier du roi, formaient le person-
nel masculin et fort mélangé de cette réurri on:' (3)
La gent~ féminine étai t quant à elle "aussi bête que décolletée.
On les L2[emmeil appelait par des sobriquets plus piquants les uns que les
autres: Amadou, Clarinette, Trombonne, Pierre à fusil !" (4)
Contrairement aux membres du cénacle de Richard, Horace et ses
amis disaient beaucoup d'obs~nités, et buvaient des verres pleins de Cham-
pagne glacé sur les épaules des demoiselles. Sous l'effet de l'alcool ou de
quelque autre excitant, ils s'amusaient à dramatiser les scènes de la vie
(1) Les Forces Perdues, P. 89.
(2) Ibid, P. 90.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
.../

- 84 -
quotidienne. Ils se plaisaient par exemple à imiter la voix d'un "cabotin
subalterne", ce qui était de mode. En outre, ils entonnaient des chansons
sans nom"
sur des airs impossibles. Les thèmes qU'ils développaient
traduisaient nettement leur état d'esprit et l'animalité dans laquelle ils
s'enfonçaient au jour le jour:
"Je reviens d'enterrer ma tante,
je l'ai mise dans son cercueil,
elle me laisse assez de rente
pour me permettre un joli deui l '" (1)
Après ces billeversées débitées d'un ton sarcastique et saugrenu,
c'étaient toujours l'euphorie traduite par des acclamations. D'autres se
succédaient naturellement pour remporter des succès inévitables. Le ton,
ainsi que les thèmes sont toujours les mêmes
"Hon oncle est mort ! Ah ! nouvelle charmante
De lui j'hérite, et j'en avais besoin!
Je vais avoir cent mille livres de rentes,
Et j'ai, de plus, un vieil oncle de moin~t
(2)
Les nouveaux amis d'Horace n'avaient pour ambition que de s'enrichir,
peu importait l'origine de la richesse.
Le héros du "Livre Posthwne", Jean-Marc, n'est pas obnubilé par
l'acquisition d'une fortune. Il représente le type m~ne du romantique
rêveur, naturellement insatisfait et perpétuellement en quête d'hypothé-
tiques découvertes. Agé de dix-sept ans, il rêvait de toutes les gloires et
aspirait à toutes les joies; il avait besoin d'aimer passionnément et d'être
aimé en retour àe la sorte, faisait des vers, méditait des drames, lisait
sans cesse IIAntony" et "René". Rongé par des désirs Lmmodér-é s de liberté,
il enviait la vie de "bas de cuir" au fond des bois, songeai t à des voyages
(1) Les Forces Perdues, P. 90.
(2) Ibid, P. 91.
1
.../

- 85 -
sans fin dans des pays lointains et inconnus et se sentait plein de force ~
dévorer l'avenir.
Après ses premières ill1nées d'affranchissement, Jean-Marc se re-
trouva emporté vers tout par une curiosité immodérée. Il vivait sans mesure,
comme un prodigue, jetant ses jours à travers les hasards. Il avait une soif
inextinguible de liberté, mais, semblable à ceux qui, après un long jeûne,
se gorgent imprudemment de nourriture, il la dévora jusqu'à en mourir.
L'essentiel de ses activités était consacré aux chevaux, aux assauts d'armes,
aux chasses à courre, au.: f emmes perdues, aux orgies nocturnes, aux jeux, aux
paris insensés, aux veilles, au théâtre, aux folies de tout genre, aux extra-
vagances de toutes sortes, aux absurdités de toute espèce et, à la satisfaction
inepte d'un amour propre stupide. Il était régulièrement l'un des principaux
acteurs des multiples duels dont Paris~ était le théâtre. A peine remis de
ses blessures qU'il recommençait sa vie de dévergondage. Ce n'était pas les
lieux de prédilection qui pouvaient faire défaut : Le bois de Boulogne le
recevait tous les jours, les coulisses tous les soirs et les cydalises toutes
les nuits. Il ~archait ainsi rapidement vers le gouffre, non pas de la ruine -
ce qui n'est rein - mais de l'abrutissement - ce qui est bien pis.
Jean-Barc fit une première tentative pour sortir de ce Chemin
hasardeux et destructeur. Pour fuir la vie bestiale de la ville afin cl' em-
pêcher l'effritement moral et physique de sa personne, il entreprit un voyage
dans un village des Vosges où il passa de longs mois dans l'étude et dans la
corrt ernpLa t i on des choses de la nature. Il n'eut malheureusement pas le temps
de se refaire que sa majorité le rappela l Paris.
Pour éviter de retomber d~~s cet abîme sans fond de la débauche et
de la sottise humain e , il choisit de devenir un rêveur et un méditatif: flje
d evi.ns , - j'ose .:' peine le dire, tant le mot est pr-ê t en t i eux, - je devins W1
rêveur. Tout le jour, assis ou couché, immobile, les mains pendantes, l'oeil
perdu dans des contemplations étranges, je m'absorbais dans des rêveries
infini.es qui me laissaient tomber tout meurtri sur la réalité. Je m'en allais
bien loin, dans lli1e vie meilleure, accrochant ma pensée à tout ce qui passait
et faisant aliment de tout pour nourrir l'insatiable démon qui m'habitait.
De bonnes journées sc sont écoulées ainsi,"
(1)
(1) Le livre posthume, P. 39.
.../

- B6 -
Ce Jean41arc rêveur, philosophe, presque mystique, est un byronien,
un blasé, qui a abusé de la vie et qui en sortit meurtri et épuisé. Le
~pleen, l"'histéro-mélancolie", travaillai t son cerveau malade. Las de
désolation, il opta pour le suicide j mais avant d'accomplir cet acte
suprême, il tint à expliquer et à. raisonner sa détermination : "Je croyais à
ma mort prochaine, car bien souvent, lorsque je portais mon mouchoir à mes
lèvres, je le retirais marbré de tâches sanguinolantes." (1)
De là, il se
perd en conjecture, dans d'interminables théories sur le suicide, sur la
mort consolatrice,. sur le "taedium vi tae" - le tout appuyé de l'exemple des
suicidés célèbres: CHATTERTON, GILBERT, Léopold ROBERT, Alphonse RABBE,
ESCOUSSE et LEBP.AS, Don José de IARRA. Hélange d'Antony et d' Oberrnann , Jean-
!'lare laisse trop voir son éducation romantique.
Haxime Du CAHP avai t d'autant plus de raisons de compter
CHATBAUBRIAND D'armi "oeux qui remuèrent le plus intimément son coeur" qu'il
a dÛ., comme FIAUBERT, exorciser en lui-même plusieurs fois le démon de René.
"Le livre posthume, mémoires d'lm suicidé" est sans doute vo l on tai r-ement
voisin des "Hémoires è.'outre-tombe" ; il présente Jean-Barc comme fils
naturel de René, ~u1uyé dès le collèae, déçu par l'~'TIour, vainônent séduit
par le saint-simonisme, à la fois convaincu de son inutilité et prisonnier de
l'inaction, qui se tue d'un coup de pistolet. Dès les premières pages, il est
donné comme un "fils naturel de René élevé par Antony et Chatterton" (2).
Cette filiation est plusieurs fois soulignée au cours du rom~~ -
Rappelant ses années de collège, J'ean-ëlar-c écri t dans ses mémoires: "j'avais
besoin d'aimer, je faisais des vers L~'~ je lisais sans cesse Antony et
René!' (3::.
Il défini t ses états ::' âme en fonction rje ceux c:e son morlè Le
"comme René j ' envi a i s ceux qui ont pour occuper leurs pensées le po i ds ~ 'un
Le livre posthume, P. 36.
Ibid.
Ibid. P. 36.
/
.../

- 87 -
malheur réel, je jalousais l'huffiill1ité ô1tière et je rêvais con~e toujours de
m'en aller vivre avec les sauvages des Hontagnes rocheuses ou du Labrador." (1)
Ailleurs, René dicte, en même temps que les pensées, le ryth~e des
phrases : "je m'emportais à mon propre lyrisme, je marchais à grands pas,
poussé par la violence de mes idées, ardent et déraisonnant sur mon état que
je ne pouvais impartialement juger. J'en finirai bientôt, disais-je en jetant
mes phrases au ventJ' (2)
Et lorsque vers la fin de ses mémoires, Jean-Marc s'est douloureuse-
ment convaincu de toutes les illusions qui se cachaient sous le mal de René,
c'est encore à ce dernier qu'il se réfère pour éclairer son ami Probus sur la
véri table condition du poète : "Ouvre René et relis cette phrase qui est tou-
jours vraie : "Ces chantres sont de race divine" ~ (3)
Ces similitudes et ces allusions à René ont été merveilleusement
signalées par Guy SAGNES dans son livre
"L'Ennui dans la littérature fran-
çaise de FLAUBERT à lAFORGUE"; l'auteur a fait remarquer par ailleurs que
René n'est pas explicitement nommé dans "Les Forces Perdues" mais que ce
roman qui oppose sans cesse la vie réelle et pratique aux vaines aspirations
vers l'infini est en réalité écrit pour faire taire à jamais les appels
menteurs de René.(4)
.Jean-Har-c, le héros rêveur, est transposé dans un autre personnage
de Du CAI1P, en l' occurence Godefroy de PRANAT de la nouvelle "Réis Ibrahim".
Ce dernier est l'exacte réplique de l'''inadapté'' et du "désoeuvré" du
"Livre posthume". En effet, Godefroy passait lui aussi tout son t emp s vi des
rêvasseries abstraites et désordonnées, dans lesquelles il se réservait
naturellement le meilleur rôle parmi les personnages dont il peuplait cette
vie idéale. Aussi, prit-il en répulsion le monde banal et ignare qui choquait
(1) Le livre posthv~e, mémoires d'W1 suicidé, P. 114.
(2) Ibid, P. 114.
(3) Ibid, P. 218.
(4) Guy SAG}ŒS, l'Ennui dans la littérature française de FLAUBERT à ù\\FORGUE
(1848-1884), Thèse Université de Paris, 1869. PP. 100-102.
.../

-
üO -
ses instincts ou tout au moins ses susceptibilités. Lorsque l'esprit en per-
!Pétuel éveil n'était pas porté à voir les choses en beau, Godefroy suivait
lavec condescendance les voies de tristesse que lui ouvrait sa périlleuse
imanil." .il en arrivait dans ces conditions, à supporter d'intolérables douleurs
~
Sans cesse sollicité par ces attractions singulières vers le chagrin et le
regret qui meuvent les natures affaiblies et nerveuses, il apprivoisait ce
mal qui le dévorait, le recherchait, le provoquait et s'y abandonnait com-
plaisamment sans mesure. Il subissait donc l'attrait de la souÎÎrance.
Cette tendance à l'opportunisme, au libertinage, à l'oisiveté et à
la rêverie avait élu domicile dans bien des coeurs de personnages romanes(~es
du XIXè siècle. Ils aspiraient, non seulement aux choses paradisiaques, mais
aussi ils rêvaient de prendre possession de l'infini et étaient tourmentés par
un panthéisme vague dont la Îormule n'a jamais été trouvée. Comme René, ces
héros éprouvaient des sensations vagues, indéterminées et inexplicables, une
sorte de lassitude organique.
Quand Julien SOREL s'entête à parcourir la société afin d'en dé-
couvrir
souvent naïvement - les structures, les mécanismes et les réalités
sordides, il fait figure d'une espèce de "sauvage", d'une sorte dfl'Ingénu"
transposé dans la France du XIXè siècle.
En effet, la confrontation du héros avec le monde, son apprentissage
puis sa désillusion, ne sont pas èes cas fortuits. Ils reflètô1t l'expérience
de toute une partie de la jeunesse française de l'époque et rejoignent nombre
d'écrivains du temps: HUSSET dans "La confession d'u..'1 enfant du siècle",
VIGNY dans le premier chap i tre de "Servi rude et grandeur mili taire", BALZAC
dans "Le père Goriot" et "Les illusions perdues", enfin, Gustave FLAUBERT
dans "Hadame Bovary" et "L'Education sentimentale" •••
Un sentiment de malaise inexprimable avait alors fermenté dans ces
esprits. Condamnés au repos par les souverains du monde, livrés aux cuistres
de toute espèce, à l'oisivité et él l'ennui, ils "voyaient se retirer d'eux
les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leurs bras:' (1)
(1) Alfred de ~~SSET, La Confession d'tU1 enfant du siècle, ch l, Paris,
Lemerre, 1876.
.../

- 89 -
Il n'y avait plus pour eux, aucune perspective, provinciaux ou
parisiens, qu'ils s'appellent RUBEMPRE ou RASTIGNAC, Jean-Marc ou Horace
DARGLAIL. Les difficultés matérielles, l'ennui, l'atmosphère étouffante, tout
est fait pour les rebuter dans une société qui refuse les idées neuves et qui
ne connaît que la valeur des titres nobilaires, plus encore celle de l'argent.
Dans cette atmosphère étouffante, ils deviennent tristes et mélan-
coliques ; c'est le "Spleen", le dégol1t de la vie, l' atti tude théâtrale, le
désir de la mort. Quelque fois, c'est presque le délire: "J'ai pris l'exis-
tence à rebours, avoue Jean-Marc, et voilà que je meurs dégol1té de la vie,
sans avoir jamais vécu - Que Dieu me pardonne, car je ne l'ai pas compri~' (1)
Les désirs et les sentiments poussés au paroxisme leur furent fatales et ils
aboutirent irrémédiablement à l' auto-destruction. Par exemple Jean-Marc,
Horace, George••• souffraient de n'avoir pas su aimer à la juste mesure les
femmes pour lesquelles ils éprouvaient un réel sentiment amoureux. Jean-Marc
se suicide "romantiquement" à la fin de l'ouvrage, George se fait tuer à la
guerre par excès de zèle tandis qu'Horace meurt d'étiolement et d'épuisement.
Tous les ouvrages de Du CAMP : Romans, nouvelles et contes portent
,
des empreintes indéltbiles qu'il ne faudrait surtout pas sousestimer si l'on
voulai t percer les mystères du mouvement romantique. Ils constituent un docu-
ment véritable. C'est donc avec justice que certains travaux commencent à
tenir compte du témoignage de l'auteur des "Forces Perdues". Certains livres,
ceux de la prime jeunesse sont essentiellement lyriques ; ils illustrent les
théories et les thèmes romantiques. La plupart sont écrits pour dénoncer les
abus, les excentricités et les inconvenances du mouvement; tous se situent,
de près ou de loin, dans le canevas tracé par la préface impétueuse de
"Cromwell". Romuald dans "La dette du jeu", Paulus dans "La double aumône"
Fabio dans "Le chevalier du coeur saignant", Réis Ibrahim dans "Réis Ibrahim"
ainsi que Jean-Marc, Horace, Richard PIEDNOEL••• sont de véritables héros
werthériens et byroniens à la fois. Ils sont rêveurs, exaltés, passionnés,
insatiables et d'un pessimisme existentiel. Romantiqu~, ils le sont par leur
sensibilité à fleur de peau, par les idées dont ils sont porteurs, par les
images qU'ils expriment. ~r présence engendre donc inéluctablement les
thèmes romantiques par excellence de l'impuissance et de la misère humaine.
(1) Le livre posthume, Prologue, P. 20.
.. ·1

- 90 -
Leur pessimisme est non seulement universel n~is aussi existentiel. Pour ces
héros désillusionnés par les réalités quotidiennes de l'existence, toute
connaissance est factice, tout désir est illusion, la vie est absurde car le
mal est partout et le grotesque seul triomphe.
Les uns sont perpé-
pétuellement à l'affût de sensation~fortes, d'émotions vives, d'aventures
rocambolesques, en un mot, ce sont d'éternels mécontents; les autres, blasés
et ravagés par les passions inassouvies, en veulent à la vie. Tous se rebiffent
et rêvent d'une existence supérieure dépourvue de toute matérialité. A vingt
ans, ils rêvent àéjà de mourir. Dans la quasi totalité des cas, ils se
révoltent contre les usages désuets de la société, avant que, harassés, ils
n'optent pour la solution ultime. Ils s'érigent contre les idées reçues et
tentent avec fougue de révéler au grand jour leur personnalité étouffée par
des dogmes sociaux contraignants.
Ces personnages fictifs ne sont en fait que l'expression exacte de
la jeunesse de cette époque. C'est, nous semble-t-il, Théophile GAUTIER qui,
dans son ouvrage : "Ecri vains et artistes romantiques" donne le meilleur
témoignage sur l'état d'esprit passio~~é et excessif de cette génération qui
veut rompre avec les habitudes imposées et les comportements sclérosés et
figés. Pétrus BOREL s'est imposé comme chef de file du "peti t Cénacle" grâce
à "une barbe fine, soyeuse, touffue, parfumée au banjoin, soignée comme une
barbe de sultan ~.~ Il portait ses cheveux très courts, presque en brosse,
pour laisser toute l'importance .J. sa barbe ••• " (1)
GAUTIER lui-même en
était séduit: "Une barbe! cela se'!1ble bien simple aujourd'hui, mais alors
il n'yen avait que deux en France: La barbe d'Eugène DUVERIA et la barbe de
Pétrus BOREL! (2)
Pétrus BOREL faisait l'admiration de ses camarades car "il
semblait toujours venir du fond du passé, et on eût dit qu'il avait quitté
ses aïeux la vei Ll.cl' (3)
~léanmoins, les imberbes n'étaient pas rejetés de
la féerie. Ils gardèrent leurs fines moustaches et les arrangèrent à leur
façon, le plus souvent aux commissures des lèvres et tentèrent de contre-
balancer l'effet de la barbe abondante par une "prolixité mérovingienne des
cheveux". (4)
(1) T. C~UTIER. Ecrivains et artistes romantiques, Paris, lib. Plon, 1933, P.1S.
(2) Ibid.
(3) T. GAUTIER, Histoire du romantisme, Paris, Charpentier, 1877, P. 21.
(4) Ibid. P. 21.
.../

- 91 -
Il régnait dans les costumes des membres du "petit cénacle" la
fantaisie du goüt individuel. On faissait subir une transformation aux noms
pour mortifier les bourgeois. Auguste I1AQUET se faisait appeler Augustus Mac
Kaët, Philothée O'Neddy n'est autre que Théophile DOUDEY, etc. Au bout du
compte, les membres du "petit cénacle" étaient les plus parfai ts spécimens de
l'idéal romantique et eürent pu poser pour le héros de Byron. Quoi qu'il
advienne, la plus noble mission de cette génération était de faire une "trou-
vaille" qui aille contre les habi tud es , Par leurs aspects physiques et moraux,
leurs comportements, leurs actes et leurs pensées, les jeunes romantiques
avaient pour idéal fondamental de marcher sur les règles contraignantes, res-
trictives et rétrogrades afin de refaire la société à leur image, une société
qui les reconnaîtrait et qui permettrait l'épanouissement de leur personnalité
en mal d'affirmation.
Maxime Du CAMP rapporte à ce sujet, dans son étude consacrée à
GAUTIER que ce dernier s'écriait souvent : "Notre rêve était de mettre la
planète il l'envers;' (1)
Cette jetUleSse unie spontanément par le même idéal et la lnême ferveur
était pour la plupart composée de peintres, de statuaires, de graveurs, d'archi-
tectes, de poètes en herbe à la recherche du talent. Ils se retrouvaient très
souvent dans des endroi ts où le Luxe et l'apparat n'étaient pas de mise.
Cependant, la noblesse des pensées, les vers qu'ils écrivaient ou débitaient,
suppléaient large~ent ~ l'insuff~sance des commodités de la conversation. Peu
importai t donc les précarités des lieux de rencontre ; l'essentiel pour eux
étai t de se retrouver, de d i scut er-, de refuser de se soumettre aveuglément aux
dogmes anciens, ct de provoquer beaucoup de bruits autour d'eux pour se faire
entendre. N'est-ce pas à juste titre que Philotée O'NEDDY appelait ses ca~a­
rades : "Les brigands de la pensée" ? (2)
Comme la quasi-totali t
des jeunes de cette époque, Haxi me Du r.JÜ1P
é
avait lui aussi appartenu à ces courants d'idées. Il faisait du moins partie
de la dernière génération di te "fin de siècle" qui n'a été en fai t qu "une
(1) Théophile GAUTIER par l'·I.D.C., P. 33.
(2) Ecrivains et artistes romantiques, P. 18.

- 92 -
continuité logique du mouvement porté ~1 triomphe en France par Victor HUGO.
BI 11AXIl1E DU CAlf? RONANTIQUE.
L' écrivain Haxime Du CABP n'a pas eu. trop de recherches à faire
pour découvrir le prototype de ses personnages romantiques qui ont été l'objet
de l'analyse précédente. La raison en est bien simple: Il s'était lui-mê~e
donné presque sans réserve à l'école nouvelle; il appartenait au groupe très
restreint qui y était entré le dernier, au moment même où la fusion de toutes
les théories littéraires allait produire une sorte d'éclectisme dans lequel
chacun aurait le droit de se mouvoir à son gré. C'était en 1840-1841, époque
où le temple commençait déjà à se lézarder, mais où les grandes statues y
brillaient toujours : LARl1ARTI}Œ, Victor HUGO, Alexandre DUl·ffiS, Alfred de
VIGNY,
y apparaissaient encore IlLa tête nimbée d'or et en possession d'une
gloire qu'on ne leur avait point contestée~ (1)
Son esprit, imprégné des
idées au milieu desquelles il avait grandi, était exclusif et repoussait tout
ce qui ne datait pas du mouvement éclos pendant la Restauration et dont
CHATEAUBRIAND, GOETHE et BYRON avaient, en réali té, été les initiateurs. Son
idéal étOit, comme l'a affirmé SAINTE-BEUVE, "la man i e et la gageure de tous
les René, de tous les Chatterton de notre temps, c'était d'être grand poète et
de mourir". (2)
Il s'était laissé envahir par cette tendance "glorieuse" et "sombre",
sans résistance et même avec conviction. Rappelons quelques faits historiques
pour illustrer nos propos :
Maxime Du CAM? s'était lié d'amitié avec Roger De BEAUVOIR que:
"L'Ecolier de Cluny" avait rendu célèbre en 1832. Un jour, ce dernier lui
proposa de fonder "La société des champs clos de France". L'objectif de cette
société fut exposé par l'initiateur du projet: "Il faut, dit-il, ressusciter
le moyen-âge; nous périssons d'ennui; nous nous noyons dans la médiocrité;
les traditions se perdent. C'est à nous de les faire revivre et de sauver la
France qui s'étiole et va mourir
elle a les pâles couleurs, fortifions-la
(1) Souvenirs littéraires, T. r , P. 116.
(2) SAIN'ITrBEUVE, in Souvenirs littéraires de l1axime Du CAMP, P. 117.
. . ·1

- 9"3 -
en lui donnant du fer:' (1)
Cette société en commandite devait refaire le
tempérament de la France par un traitement à la fois physique et moral. Des
tournois seraient organisés auxquels toute l'Europe participerait (tournoi à
lance émoussée toutes les semaines - tournoi à lance franche, deux fois par
an). Le seul prix des places constituerait alors un revenu considérable
"Non seulement nous aurons relevé le moral du pays, explique Roger De
BEAUVOIR, mais nous aurons fait fortune:' (2)
Ce dernier informe par ailleurs
son complice que Victor HUGO serait président d'honneur pour avoir chanté le
"Pas d'armes du roi Jean".
Ce proj et parut d'une beauté supérieure à Du CAHP qui étai t
entièrement d'accord mais qui n'ayant pas atteint ses vingt ans, promit à
BEAUVOIR d'en tenir son tuteur informé. Ce dernier l'écoQta sans broncher et
le dialogue suivant mit fin à la conversation:
110ù donnerez-vous vos
tournois? manda le tuteur,
dans l'ancien Tivoli répondit Maxime
L'emplacement est peu convenable; vous devriez les
donner dans la grande cour de Charenton ; là du moins,
vous s er i ez chez VOUs~' (3)
Haxime Du CAHP ne fut donc pas actionnaire des "Champs clos de
France" comme toutes les personnes auxquelles Roger De BEAWOIR fit part de
son proj et.
~ous nous som~es largement étendu sur ce fait parce qu'il est
caractéristique de l'état d'esprit et de l'état d'âme de la jeunesse de cette
époque, de l'intensité, du degré et de la dimension des idées qU'ils
mûrissaient.
Le projet de BEAUVOIR n'a pas pu voir le jour. Maxime Du CA}!F entra
vers la fin de l'année 1841, en relation avec "Les cousins d'Isis". A cette
époque, il vivait sans occupation déterminée, vaguait au hasard dans l'exis-
(1) Souvenirs littéraires, T. l, P. 140.
(2) Ibid.
(3) Ibid, P. 141.
.../

- 94 -
tence, suivait sa fantaisie, touchait à bien des choses sans rien approfondir.
Il faisait de la peinture, des vers, de l'anatomie, de l'archéologie, de la
métaphysique et m~ du magnétisme. La rencontre avec "les cousins d'Isis"
lui fut salutaire. La société s'appelait 1I1es Cousins d'Isis" mais le vrai
nom était en fait les "Scelti tl • C'était la réunion des "Clos", des "Choisis",
des gens qui devaient tout dépasser. Ils étaient "cousins d'Isis" c'est-à-
dire parents de la personnification du mystère le plus profond. Ils voulaient
un nom par une raison très péremptoire: HOFFMANN et ses amis s'étaient
appelés "Les Frères Sérapion". Ce qu'HOFFMANN avait fait, il fallait le faire.
Ils étaient au total huit: MOLENES, Henry de VILLARCEAUX, son frère, LABRADOR,
Hercule de SERRE, Gaston de SERRE, le fils d'une ancienne femme de chambre et
le Comte de GOBINFAU. Ces jeunes gens semblaient s'être donné rendez-vous de tous
les coins de l'horizon social. Deux d'entre eux portaient le nom d'un garde
des sceaux, deux autres étaient les fils d'un employé; un cinquième avait
pour pè~e un marquis, ambassadeur d'Espagne au congrès de Vienne; un sixième
appartenait par sa famille, à la magistrature, un septième était fils d'un
ancien officier de la garde royale; le huitième, enfant d'une femme de chambre
protégée par ses maîtres. Puisque nous y sommes, ouvrons une parenthèse pour
signaler l'incident qui s'était produit entre le Comte de GOBINEAU et Maxime
Du CAMP, à la sui te des premières publications des "Souvenirs littéraires".
Maxime Du CAMP a fait passer GOBINEAU dans un épisode de ses "S0U -
venirs littéraires"
parue dans la "Revue des Deux Mondes" pour le neveu d'un
épicier de Bordeaux. Indigné, GOBINEAU protesta: " ••• Tout réfléchi, on m'a
dit que M. Buloz disait assez volontiers beaucoup de mal de moi. Peut-être
l'histoire dont je m'étonnais tout à l'heure sur le neveu de l'épicier se
rapportait à moi. C'est facile à apprécier. Je suis né le 14 juillet 1816 à
Ville-d'Avray, près de Paris, et on trouve là, à la mairie, sans aucune dif-
ficulté mon acte de naissance:' (1)
"Comte de GOBINEAU"
Maxime Du CAMP s'empressa alors de remercier le Comte de GOBINEAU
de ces renseignements qui devront lui permettre de rectifier les erreurs
qu'il avait commises quand ses "Souvenirs littéraires" paraîtront en librairie.
Il tint promesse, mais ne parut pas convaincu et écrivit en marge de la lettre
manuscrite du Comte de GOBINEAU: "Rep, 12. Tout ce qui touche à l'origine
de GOBINEAU est faux. Il est sorti de très bas. Sa mère a subi une
(1) AURIANT, Trois lettres du Comte de GOBINEAU, N.E.F. mai, 16-18, 1949,
PP. 58-64.
.. ·1

- 95 -
condamnation infamante, et il vivait à Paris d'une pension que lui faisait
l'oncle de Bordeaux qui était épicier. Il avait la folie de sa noblesse. Il
a d'abord pris le de, puis un titre de Comte. Dans la diplomatie, c'était le
secret de Polichinelle et on en riai t~' (1)
Les affirmations de Du CAMP ont été plus tard confirmées par C. M.
CONCASTY dans son article : "Quand Du CAMP ne mentai t pas". (2)
Fermons la parenthèse pour revenir aux "Scelti". Le groupe des
"Cousins d'Isis" se consti tua au "bal de la Renaissance". Haxime Du CAHP et
Louis r:~e CORNENIN les rejoignirent un peu plus tard, mais ils n'en partagèrent
pas moins les grandes directions. Les "cousins d'Isis" étaient alertes,
ambitieux, cherchant fortune et unis par des idées et des habitudes communes
ils s'imaginaient volontiers qu'ils formaient une société analogue aux "Treize"
de BALZAC et rêvaient de faire leur trouée dans la foule. Ils se réunis-
saient quelquefois et allaient s'asseoir vers minuit à une table du "café
Anglais" et, sans avoir ni faim ni soif, ils soupaient. Etaient-ils gais?
Ils étaient bruyants et cela suffisait à leur vingtième année. Au dessert, ils
chantaient ou déclamaient les vers qu'ils écrivaient.
C'est pendant cette même période de libertinage que Du CAMP obtint
de partager l'appartement d'Ernest Le-MARIE, l'un de ses anciens camarades de
l'Institution FAVARD. Ils habitaient sur le quai I~POLEON, au coin de la rue
d'Arcole, dans une maison qui était de construction récente. C'était la cité,
non pas telle qu'on la voit aujourd'hui, mais telle qu'Eugène SUE l'a
décri te dans "Les mystères de Paris", sale, boueuse, mal éclairée, pleine de
bouge où le vol et la prostitution vivaient pêle-mêle. Les deux jeunes gens
vivaient côte à côte, fraternellement, noircissant du papier, peignant des
scènes moyen-âge sur les carreaUx de leurs fenêtres, faisant des scénarios
de drame, et menant une existence à la fois laborieuse et triste dans leur
appartement dont le souvenir est revenu à Gustave FLAUBERT lorsqu'il écrivait
"L'Education sentimentale".
(1) M.S. 3728, Fonds Maxime Du CAMP de la Bibliothèque de l'Institut.
(2) C.M. CONCASTY Marie Louise, Quand Du CAMP ne mentait pas, dans Etudes
Gobiniennes 3(1968/1969), 137/168.
.../

- 96 -
Par ailleurs, tenant compte des exigences à la mode, Du CAHP n'a
dédaigné aucun genre de plaisirs: Il était un habitué des cha~sses à courre,
de certains théâtres, des lieux de prédilection de la débauche et faisait
partie des "chevaliers du crottin" du cirque olympique.
Le jeune homme fut très vite dépité par cette vie de bohème qui se
solda en définitive par une haine de l'existence. Plusieurs heures s'écou-
lèrent alors dans des rêveries sans fin et dans des crises atroces où la
raison et la folie se partageaient le meilleur rôle
"Suis-je bien certain
de n'avoir pas frôlé la folie, lorsque, dix ans après l'heure dont je parle,
j'ai écrit "Les mémoires d'un suicidé" ? (1) Comme ses personnages, iL
rêvait aussi de mourir afin d'aspirer à une existence autre que celle qu'il
était en train de mener. FLAUBERT témoigne le mieux de cet état d'esprit
suicidaire, morbide et funèbre : "Nous étions il y a quelques années, en
province, une pléiade de jeunes drôles qui vivions dans un étrange monde, je
vous assure. Il y en a qui se sont tués, d'autres qui sont morts dans leur lit,
un qui s'est étranglé avec sa cravate, plusieurs qui se sont fait crever de
débauche pour chasser l'ennui - c'était beau !" (2)
Pour cette jeunesse romantique, l'idéal était, comme le définit
SAINTE--BEUVE "... d'être grand poète et de mourir". Cela étai t vrai, car
jamais mort n'a été plus aimée. Ce n'était pas seulement une mode, comme on
pourrait le croire, mais une sorte de défaillance générale qui rendait le
coeur triste, assombrissait la pensée et faisait entrevoir la mort comme une
déli vrance. On eût dit que la vi e enchaînai t des âmes qui avai ent senti quel-
que chose de supérieur à l'existence terrestre. Maxime Du CAHP aurait
volontiers abandonné sa personne au bourreau comme l'un des héros de Pétrus
BOREL et lui aurait demandé : "Je désirerais que vous me guillotinassie~"
(3)
Que de temps gâché! Que d'énergie dépensée! Que d'illusions perdues! Que
de forces perdues! •••
C'est à partir de cette vision partielle que le mouvement romantique
(1) Souvenirs littéraires, T. l, P. 119.
(2) Lettre à Louise COLET, Croisset, début novembre 1851, P.74 in G. FLAUBERT,
l'homme et l'oeuvre par René DID1ESNIL, Paris 1947.
(3) pétrus BOREL cité par M. Du CAMP, Souvenirs littéraires, P. 119.
.. .1

- 97 -
fut considéré comme "Le mal du siècle". L'expression "mal romantique" était
devenu usuelle et entrait de plain-pied dans la langue de cette époque. Des
voix plus autorisées ont d'ailleurs traité de la question
En effet, Jules
LEMAITRE, Pierre LASSERRE, Ernest SEILLERE et bien d'autres encore ont sou-
tenu que le romantisme, c'est-à-dire "l'impérialisme irrationnel"/( 1) procédait
en fait d'une "altération de la sensibilité et d'une déviation de la moralité
humaine: (2)
Les hommes célèbres comme CHATEAUBRIAND, Victor HUGO, STHENDAL,
MICHELET ••• pour la France; SCHLEGEL, NOVALIS, SCHELLING, HEGEL, SCHOPENHAUER,
NIETZCHE, WAG~ŒR ••• en Allemagne i BURNS, SCOTT, BYRON, SCHELLEY, Les Lackis-
tes ••• chez les britanniques; FOSCOLO, MANZONI, LEOPARDI ••• en Italie; Les
polonais: SLOWARKI, KRASINSKI, MICKIEWICZ; enfin POUCHKINE, LERMONTOV •••
pour la Russie, qui ont été les premiers continuateurs fervents du mouvement
romantique ne représenteraient-ils que "des écoles de dégénerés supérieurs ?" (,)
TAINE se situe dans le camp de ces "anti-romantiques". Dans une
lettre écrite à Georges BRA~IDES, il a fait savoir en ces termes ce qu'il
pensai t de Victor HUGO : "Notre HUGO, qui est chez nous le représentant attardé
est maintenant un cerveau à l'envers; sauf deux cents vers, "Les contemplations",
"La légende des siècles" sont un mélange de folies, de parade, et rien ne me
déplaît aussi fort que les charlatans mystiques. Vous avez très bien décrit
et suivi dans toutes ses conséquences cette maladie intellectuelle, le délire
ambitieux que décrivent les aliénistes et qui se complique fréquemment de
mélancolie, de surexcitation nerveuse, de tics et de langueurs érotiques en
est le Fond;' (4)
Le romantisme de Haxime Du CAHP raconté par lui-même ou par ses
pairs ou tel qu'il est présenté à travers la vie des personnages de ses
livres épouse grosso-modo les définitions ci-dessus mentionnées. Maxime Du
CAMP fut effectivement dans la vie, pendant les années de sa jeunesse, un
(1) Le "mal romantique" par Virgile ROSSEL, in Revue dt Histoire li ttéraire de
la France, 17è année, XVII, P. 736.
(2) Pétrus goREt, .ci té par Maxime Du CAMP, Souvenirs littéraires, P. 119.
(4) Lettre du 23 juil. 1873 cité par J. JIRIAN, Des illusions perdues à
l'Education sentimentale 1 les Forces Perdues de M.D.C., Thèse Un i v,
Paris, 1864, P. 9.
(3) Le "mal romantique" par V. ROSSEL, in Revue d'Hist. Li t té , de la F. 17è année,
XVII, P. 736.
. ··1

- 98 -
personnage triste, ennuyé, insatiable, rêveur, hanté par la mort, en un mot,
un héros byronien. Comme il le confesse dans ses "papiers personnels", c'est
vers la quarantaine qu'il eut "le dernier soubressaut de sa jeunesse" et
c'est alors seulement qu'il "trouva son équilibrell . ( 1)
C'est donc seulement à partir de cette époque, c'est-à-dire après
quarante ans, qu'il tenta de donner un sens à sa vie et de lui fixer un but
en toute lucidité. La raison en est bien simple: Le jeune homme s'est
assagi avec l'expérience de la vie, ayant trouvé insensé les comportements
outrés et les sentiments excessifs de sa vingtième année. Cette réaction de
mettre un terme à la vie de bohème, c'est-à-dire aux folies de jeunesse,
avai t cependant commencé un peu plus tôt, fut-elle de façon inconsciente.
En effet, comme FLAUBERT, l'écrivain n'a recherché dans ses ouvrages narratifs
que les aspects violents, étranges et pittoresques; il n'a mis en exergue
que les comportements virulents, passionnels et les prises de position
excentriques et irréalistes des personnages, nuisibles à eux-mêmes, mais aussi
à l'ordre social, dans le dessein de faire ressortir leurs conséquences néfastes.
C'est une manière détournée, mais explicite, de rejeter, cette façon de conce-
voir et d'agir qui ne faLt qu' "altérer la sensibili té et dévier la moralité
humaine", (2)
Cela est d'ailleurs clairement exposé dans "Le livre posthume",
mais aussi dans "L'homme au bracelet d'or" ••• livres malsains, qui sont la
confession de cerveaux malades sans le savoir.
Par ailleurs, en faisant mourir les héros de ses livres, notamment
Fabio, Flavio, Jea~-11arc, Horace, George ••• Maxime Du CAI1P désavoue Gustave
(FLAUBERT), Charles (BAUDELAIRE), Gérard (De NERVAL), Haxi me (DU CAHP) etc,
jeunes adolescents romantiques. Il fait une autocritique de leur vie écoulée,
traduit cette génération "déficiente" devant le tribunal de l'histoire, fait
l'autopsie de leur culpabilité et établit le verdict afin d'éviter de tels
errements aux nouvelles générations. C'est à cette mission que Jean-Marc, lui-
même héros au cerveau malade, s'attelle en laissant à Maxime Du CAMP la
possibilité de publier ses mémoires : "Ces notes vous seront peut-être utiles,
aussi je vous les envoie, faites-en cc que vous voudrez, et puisque vous
(1) "H.S. -3719, Foncts',Naxime Du CAMP, r , Papiers personnels, n? 18.
(2)
Ibid.
.../

- 99 -
appartenez à ceux qui recherchent les effets et les causes, usez-en comme
vous l'entendez, je vous les abandonne, si vous leur trouvez un côté sérieux
et moralisant, publiez-les sans crainte~ je vous y autorise, car je me r~
jouirais, en entr'ouvrant ma tombe, si je pouvais penser que leur lecture
apprendra à quelques cerveaux troublés, comme le mien, ce qU'il faut éviter
pour ne pas trop soUÎfrir~' (1)
Cela dit, l'on constate que les romans et nouvelles de Maxime Du
CAJ1P constituent un véritable pamphlet contre le mouvement romantique donc
contre ses propres expériences de la vie. Il renie avec fougue et sans com-
plaisance ce qu'il avait fait et adoré jadis. Il s'était déjà régimbé et
n'avait donc plus rien de romantique à l'époque des prises de positions et des
déclarations auxquelles nous venons de faire allusion. C'est pour cette
raison d'ailleurs, que lors de la nouvelle édition du "livre posthume", il
avoue ne plus reconnaître Jean-Marc, ce héros des premières années de sa vie.
Il affirme même qu'il lui a fallu "un grand effort de mémoire" (2) pour re-
constituer ce Jean~1arc dont jadis il a publié le manuscrit posthume. Il
jugeait les douleurs de Jean-Marc "naturelles et légitimes" au temps de sa
jeunesse mais avoue à cette époque qu'elles lui semblaient "passablement
incompréhensibles". (3)
Cette métamorphose n'est d'ailleurs pas fortuite. Elle fait partie
de la nature et du caractère de cet homme de réflexion et d'action qui a
cherché pendant toute son existence, les voies possibles pour accomplir saine-
ment et sagement sa mission d'ici-bas. Il convient, nous semble-t-il de se
pénétrer d'une vérité de référence: le penseur, le philosophe, l'écrivain,
en un mot l'homme n'est pas immuable. Même s'il est coupable de versatilité,
il n'est guère responsable de ses propres métamorphoses, car il est modifié
par des causes multiples, incessantes, qui agissent sur lui sans qU'il en ait
parfois conscience. Pour sa part, Haxime Du CAMP a singulièrement changé et il
suffit qu'on le compare à lui-même, qu'on jette un regard attentif et attendri
sur les confins de son existence pour s'en convaincre. Il avoue d'ailleurs
dans ses "Propos du soir", - à l'heure où l'homme jette un regard critique
(1) Le livre posthume, mémoires d'un suicidé, P. 21.
(2) rbi a, PP. 1-2.
(3) Ibid.
. .·1

- 100 -
sur ses années écoulées - dans le dessein de marquer son passage du romantis-
me "irrationnel" à l"'équilibre mental". "Plus d'une fois, confesse-t-il, je
me suis senti subitement rougir, lorsqu'un soubressaut de ma mémoire me
rappelle quelque sottise de ma vingtième année. Il m'arrive d'en sourire, le
plus souvent j'en reste confus et mal à l'aise: Est-il possible que j'ai
été aussi nigaud? Toute cette période m'apparaît alors comme une sorte de
bal masqué que j'aurais traversé avec un faux costume, un faux nez, de faux
sentiments et surtout de fausses sensations. A cet âge l'équilibre mental
est-il complet? Pour beaucoup l'on en peut doute~' (1)
Ce romantique convaincu s'était donc rebellé et s'était désintoxiqué
de son infection. Ce revirement de situation se traduit encore plus élo-
quemment par une rupture presque systématique dans la chronologie de sa
production littéraire. En effet, la n~tamorphose de l'homme coîncida avec
celle de l'écrivain car, à la même époque, Maxime Du CAMP renonça délibéré-
ment à la littérature d'imagination pour se consacrer essentiellenent à celle
qu'il qualifia de "sérieuse" c'est-à-dire en fait, à l'étude de la réalité
contemporaine. Une première démarcation du mouvement romantique se fit à
partir de la publication en 1855 du recueil de poèmes intitulé; "Les chants
modernes". Bien qu'inspirés de la Préface de "Cromwell" de Victor HUGO, "les
chants modernes" tentent de frayer de nouvelles voies à la poésie en exaltant
la science, l'industrie et le progrès modernes. Le
poète
joint à ces vers,
sous forme de préface, des manifestes dans lesquels il réagit vivement contre
l'art pour l'art et prêche une inspiration militante, en accord avec les
perspectives nouvelles. Dans cette préface altière, Maxime Du CAMP reconnaît
aVec justice la SUprématie
indiscutée et indiscutable des "grands maîtres"
de la littérature française, en l'occurence Victor HUGO, LAI'~RTINE, Alfred de
VIGNY et Alfreè de }fUSSET, ceux-là mêmes pour lesquels "on a battu des mains,
et que, d'un seul élan, on a placés si haut que nul encore ~.~n'a pu les
at t e indr-e;' (2)
l-lais, l'auteur des "Chants modernes" ne craint pas d'attaquer
les "illustres maîtres" du fait de leur participation à la vie de l'Académie
française, "corps essentiellement antili ttéraire qui corrompt ou qui tue". (3)
(1) Maxime Du CAMP, Propos du soir, Revue des deux Mondes, 1892, T.4, PP.301-337.
(2) M.D.C., Les Chants modernes, Paris, Michel-LéVY-Frères, in-S, Préface, P.2.
(3) Ibid. P. 12.
.../

- 101 -
Selon l1axime Du CAHP, f10nsieur Alfred de MUSSET "est mort" depuis
qu'il est entré à l'Académie française et, ajoute-t-il~chaque jour il assiste
à son propre enterrement" (1). H. de VIGNY et M. Alfred de MUSSET eurent
grand tort d'avoir occupé des fauteuils parmi les quarante immortels car
continue Du CA.HP : "On voulut tuer l'un, on étouffa l'autre~' (2).
IAHARTINE et même HUGO ne furent point épargnés car malgré "toute
l'admiration" et "toute la vénération" qU'il avait pour leur incomparable
génie, leur entrée à l'Académie française fut "le crime de leur vie". Les
efforts et les tendances de cette institution étant "antilittéraires", il y a
peu d'hommes dans son sein dont "les actes n'aient nui aux lettres ou ne les
aient flétries ••• " (3)
A lire sérieusement cette préface, l'on peut faire 'le constat sui-
vant : Maxime Du CAMP voulut très tôt de démarquer du mouvement romantique
tel qU'il fut prôné et vécu par ses pairs. En conséquence, il tenta de se
retirer de la tutelle des "maîtres", car il ne lui convînt pas de disputer
leurs restes aux néophytes qui les ramassaient avec plus d'ardeur que d'origi-
nalité. Aussi, abandonna-t-il le moyen-âge aux autres et n'y toucha pas;
s'il y touche, en passant, dans certaines nouvelles et dans certains poèmes,
c'est pour lui manquer de respect. Il convient par ailleurs de mentionner que
Du .CAMP acceptait volontiers d'adopter les principes généraux, d'applaudir
aux efforts collectifs, de se mêler aux lutteurs et de les encourager, mais à
la condition de se battre en partiswl, avec ses armes personnelles, sous sa
propre bannière. Il entendait ainsi garder son indépendance; il la garda
jusqu'à la dernière heure, conserva son individualité intacte et ne se laissa
pas entamer, malgré la dévotion qu'il professait pour Victor HUGO.
Pour parachever cette cure de désintoxication, Maxime Du CAMP
mili ta en faveur de l "'Ecole du Bon sens". Elle avait pour obj ectif de\\\\re-
mettre tout en ordre, de rendre l'équilibre aux esprits et de ramener les
désespérés à l'intelligence de la vie".(4)
Elle avait commencé en 1843 avec
Les'Chants Modernes, P. 13.
Ibid, P. 14.
Ibid.
Souvenirs littéraires; T. l, P. 118.
.../

- 102 -
la "Lucrèce" de Ponsard (Lequel avait pourtant débuté par une traduction de
Byron) et exigeait le "sérieux" en littérature. L'Ecole du Bon sens se voulait
nationale, rejetait l'influence exotique et se situait entre les "fantas-
magories romantiques" et les "outrecuidances réalistes". Cette école qui
choisit VOLTAIRE comme Porte-drapeau suivi de Prudhomme, n'eut ni préface, ni
manifeste. Cependant, ses adeptes mirent volontiers leur talent et leur art
au service de la destruction du mouvement romantique: "Le romantisme n'est
plus qu'une grande ruine qui en impose encore aux badauds. Démolissons-le.
Qu'il n'en reste plus qu'un souvenir, une place vide où nous écrirons: ci-
gît la littérature de 182~' (1)
Le rejet du romantisme, considéré comme un
"mal" s'exprime plus expli ci temen t dans "Les Forces Perdues,.
"-
En effet, Maxime Du CAMP y clame son amertume et sa déception et
fait résumer, par la bouche de son héros Horace,
jeune romantique malade
aux rêves déçus et aux aspirations estompées, les leçons de sa jeunesse roman-
tique et les enseignements utiles pour les générations futures : "Ah ! si je
revenais à l'âge de vingt ans, et si, ayant, par miracle, l'expérience que
j'ai si péniblement acquise, je restais maître de diriger ma vie dans les
sentiers que j'aurais choisis moi-même, je sais bien ce que je ferais, et, ~
coup sar, ce n'est pas ce que j'ai fait. Par cela même que je ne l'ai pas
trouvé, que je l'ai dédaigné lorsqu'il se présentait à moi, je sais maintenant
où est le bonheur. Il est sur les bords de la Clyde, dans l'affection partagée,
dans le devoir accompli, dans le sacrifice mutuel, dans la tâche commune. Il
est dans la réalité, en un mot, et moi je l'ai cherché dans le rêve ~.~
Ha vie n'aurai t pas été une sui te de déboires et de mécontentements de moi-
même et des autres, et je ne serais pas ici, hors de mon milieu, m'efforçant
de me plaire à des occupations puériles que je me suis imposées, ne m'estimant
guère, n'ayant aucun but devant moi dans l'avenir, et regrettant tout tians mon
passé, tout ce que j'ai refusé et ce que j'ai perdu par ma faute ~.~ Or,
j'ai vécu dro1S les songes, ils m'ont souvent emporté bien haut, mais où
m'ont-ils laissé retomber, grand Dieu !" (2)
Au vu de ce bilan éloquemment sombre et impitoyable, "Quelle vie
manquée, que de facultés restées stériles, que d'efforts avortés, que de
(1) Ceci n'est pas un livre", P. 111 in L'''Ennui dans la littérature française
de FIAUBERT à IAFORGUE -" de Guy SAGNES, op. ci t ,
(2) Les Forces Perdues,P. 296.
. . •J'

- 103 -
forces perdues !11 (1)
considérant ce réquisitoire accablant que l'écrivain
dresse du romantisme, est-ce à dire que ce mouvement ne fut que nuisible à
la génération qui s'y était adonnée à coeur joie? Serait-ce donc une influence
néfaste à tous égards que celle exercée par cette exagération du sentiment et
par ce tumulte d'idées nouvelles? Le romantisme de Victor HUGO serait-il
condamné sans nuance et sans recours possible ? Nous nous empressons de
répondre par la négative. Maxime Du CAMP lui-même savait pertinemment que le
romantisme n'avait pas que des aspects négatifs. En fait, il a délibérément
privilégié dans ses ouvrages la "perversion de la sensibilité ll pour parler
comme Ernest SEILLERE, par rapport aux autres aspects du dogme nouveau, notam-
ment à l' " es pri t révolutionnaire" qui constitue à notre sens son axe principal.
La raison en est bie~ simple: Pour Du CAMP, toute oeuvre littéraire se doit
avant tout d'être porteuse de messages et d'enseignements, c'est-à-dire
d'être moralisatrice. Sa préoccupation première est de mettre à nu les im-
perfections h~~aines afin que de nouvelles générations ne retombent pas d~1S
les mêmes erreurs. Ce qui est déjà parfait a-t-il besoin de reproche? Ce n'est
pas une ignorance de la part de l'auteur, mais seulement un choix littéraire
et philosophique. Il justifie cette interprétation lorsqu'il définit le roman-
tisme dans son
tud e cri tique sur Théophile GAUTIER : "Ce n'est ni contre
é
l'art, ni contre la poésie, ni contre le théâtre de la Grèce que le romantisme
s'était dressé
c'était contre l'imitation maladroite des chefs-d'oeuvre,
c'était contre une littérature anémique, contre une architecture décadente,
qui, sous prétexte de respect pour la tradi tion, se répétai t sans cesse, re-
produisait des formes àont elles avaient perdu le secret et semblaient re-
tombées en enfance ~.~~ Il était temps que la rénovation se fit; car on
arrivait au dernier degré de la sérri.Li té;' (2)
Ainsi, queJ1ftuej ~soient les
subdivisions et les ramifications qu'on peut opérer dans le mouvement roman-
tique, il importe de savoir que son essence fondamentale découle d'une crise
de stabilité qui a été provoquée par l'épuisement, l'effritement et la déca-
dence du classicisme dont les for~ules rétrécies, les dogmes et lcs règles
figées ne pouvaicnt répondre aux aspirations de la nouvelle génération en rna L
d'affirmation. Le romantisme n'est donc pas dans sa quintescence, une insur-
rection du sentimer-t ou plutôt de l'instinct contre la raison; sa nouveauté
essentielle a été "de prendre avec ampleur l'insatisfaction humai rie comme un
(1) Les Forces Perdues, P. 301.
(2) Théophile GAUTIER par Haxime Du CAHP, P. 126.
. ··1

- 104 -
fait, de considérer comme une réalité l'incapacité de se satisfaire de la
réalité ~.~ L'apport le plus original de la littérature romantique est
d'avoir passionné l'holnme pour ses rêves~ (1)
C'est Virgile ROSSEL qui, dans son analyse du "mal romantique"
d'Ernest SEILLERE semble à notre avis avoir le mieux compris et défini le
romantisme. Tout en reconnaiss~lt la manière presque brutale et parfois même
excessive avec laquelle les romantiques ont frappé à la porte de l'histoire
littéraire internationale, il affirme que le romantisme est dans son essence
"La protestation de l'individu contre ce qui le rétrécit et l'opprime, que
cette protestation soit outrée, emphatique, extravagante, nous ne l'ignorons
pas: Il est bon que l'on entende~ (2)
C'est donc l'éternelle question de la
forme et du fond, du contenant et du contenu. La manière à dû être fougueuse,
irrévérencieuse à l'encontre des dogmes sociaux et des stéréotypes classiques
soit, mais le but, c'est-à-dire le fond, l'essence, restent splendidement in-
tactes et nobles. D'ailleurs, mêmes les démolisseurs les plus .aquer-r i s et les
plus violents du romantisme, les avocats et les propagateurs de "l'impéria-
lisme rationnel", de la "raison prévoyante et sagement utilitaire" (3) sont
unanimement persuadés que l'on guérit du mal romantique. Cela signifie en
d'autres termes que le romantisme n'est pas dangereux à l'excès puisque ceUx
qui le poursuivent de leurs blâmes et de leurs anathèmes l'envisagent comme
une maladie de jeunesse qui cède à l' expéri ence ct à la pratique de la vie
réelle.
Que ce soient Victor HUGO ou Théophile GAUTIER à l'heure de
"la bataille d 'Hernani" pour la première génération, ou Maxime Du CAHP et
Gustave FLAUBERT pour la seconde, la guérison, c'est-à-dire le passage de la
jeunesse tumultueuse à l'âge mOr raisonné fut quasi parfaite. Le cas de
FLAUBERT en est un exemple édifiant. En cffet, de "Novembre" et de la
pr-emièr-e "T'ent at i.on de Saint-Antoine", oeuvres lyriques et égocentriques où
son "moi Il occupe le premier rôle, il aboutit il "Hadame Dovary", c\\ Il L' Educa-«
(1) L'Ennui clans la littérature Fr-ariçai s e de FIAUBERT à LAFORGUE (1 848-1884)
de Guy SAG~ŒS, P. 478 (Conclusion).
(2) Le mal romantique, P. 744.
(3) Ibid.
..·1

- 105 -
tion sentimentale", à "Salammbâ" ••• , romans réalistes et analytiques où le
principe de l'art pour l'art demeure le maître mot.
Comme chez FLAUBERT, le r~isme littéraire est aussi de règle dans
les ouvrages de Du CAI-IP. On peut y décéler très aisément un nombre important
de passages empreints de réalisme mais aussi des morceaux autobiographiques
qu'il est facile de détecter et d'élucider en se donnant la peine de com-
pulser minutieusement les documents relatifs à la vie de l'auteur. C'est pour
cette raison que, si l'on veut mieux comprendre l'oeuvre narrative et poétique
de Du CAMP, il convi~1drait d'éclairer les ouvrages ou les passages précis
qui répondent à cette préoccupation.

106 -
CHAPITRE
III
"TRANSI·IDTATION DE LA VIE EN OEUVRE D'ART"
Autobiographie et Réalisme.
AI DE L'AUTOBIOGRAPHIE LITTERAIRE
liCe ne sont pas mes actes que je décris,
C'est moi, c'est mon essence même".
MONTAIGNE.
Les ro~anciers et les nouvellistes de race se reconnaissent à deux
traits essentiels:
Les uns ont une fécondité inépuisable d'invention et l'impuissance
presque absolue de faire autre chose.
~es autres privilégient l'exaltation de leur "moi" par rapport à l'it1-
-a
vention etVl'imagination. Pour eux l'oeuvre narrative n'est qu'un moyen d'analyser
ou de se raconter cux-mêmes , de peindre leurs impressions ou leurs rêves ; ils
y étalent ce qu'ils ont été, ce qU'ils auraient voulu être, leur qualité
dominante, c'est-~-dirc la matière vivante et personnelle de leur personnalité
ou les déboires qu'ils ont connus durant leur existence. Les écrivains
qui ont ce tal~1t peuvent varier les circonstances et le cadre de leur fiction
au fond, ce sont toujours les mêmes, l'histoire idéalisée ou le bilan critique
de leur propre vie.
L'oeuvre narra ti ve de Haxime Du CAHP s' apparen te incon tes tablemen t
à la seconde catégorie. En effet, quoi qU'il fasse, Haxime Du CAHP est en plein
centre de ses écrits. Quoi de plus normal à cette époque où le romantisme
instaurait le culte du "moi".
.../

- 107 -
Rappelons très succinctement,à l'aide d'une analyse diachronique,
les conditions dans lesquelles lelyriSlne s'est propagé dans la littérature
du XIXè siècle.
Au XVllè siècle, le "moi" est haïssable et c'est à peine si l'on
supporte un peu de révélations, non pas sur la vie privée, mais sur les goÜts
et l'histoire de l'esprit des écrivains. MONTAIGNE fut par exemple traité de
vaniteux par HALBRANCHE après la publication de ses "Essaisll. Il l'accusait
d'une vanité II r i di cul e et indiscrète" et lui reprochait de parler avantageuse-
ment de lui-même à tout moment, tandis que les passages qui faisaient res-
sortir les défauts de l'écrivain étaient traités de "vani té encore plus
extravagante".
ROUSSEAU inaugure un nouveau mode de pensée. Dès lors, ce sont
les secrets les plus intimes que l'on ne craindra pas de livrer à la curio-
sité publique. La littérature devient désormais autobiographique.
Dans l'oeuvre de COR}ŒILLE, il y a des Rodrigue, des Camille, des
Polyeucte ••• Dans l'oeu~Te de MOLIERE, il Y a des Arnolphe, des Tartuffe,
des Alceste, des Harpagon ; dans l'oeuvre de RACINE, il Y a des Andromaque,
des Phèdre, des Athalie ••• Hais dans l'oeuvre de ROUSSEAU, il n'y a que
ROUSSEAU, comme il n'y a que BYRON dans l'oeuvre de BYRON, CB.ATEAUBRIAND
n'a jamais eu qu'un type: René, c'est-à-dire CHATEAUBRIA}ID lui-même;
Benjamin CONSTANT n'a jamais su peindre qu'un per sonnaqe : Adolphe, c'est-à-
dire lui-même.
Sans trop exagérer, on peut rattacher Haxime Du CAnp il ce second
groupe. En effet, le "moi" est l'un des motifs essentiels de son imagination,
aussi lui est-il difficile, voire même impossible de s'enflammer pour un
sujet avec lequel son caractère et ses intérê~ne s'identifient point. C'est
moins une création qu'un souvenir, moins un roman dans toute la liberté de
l'art qu'une confession publique où le pénitent ne se repent que du bout 0CS
lèvres en se complaisant volontiers dans un cxamen de conscience. Aussi,
consciemment ou non, Du CAMP a introduit des réminiscences pcrsonnelles dans
son oeuvre narrative et poétique. Pour l'introverti et lc moralisateur qU'il
était, l'autobiographie représentait le moyen idéal de se livrer Q l'analyse
minutteuse èe sa vie écoulée et de ses moindres réactions en face dcs pers-

-
108 -
pectives nouvelles. En s'analysant, il se voyait à juste titre contraint
d'effectuer un retour sur lui-même et d'évoquer son passé qui exerça sur
lui un irrésistible attrait. Du CAMP satisfaisait ainsi le besoin d'épanche-
ment qui sommeillait en lui et faisait par la même occasion l'autocritique
de ses années juvéniles. Cet aspect de son oeuvre donne entièrement raison
à Paul BOURGET lorsqu'il s'écriai t
: 110 malheureux et noble écrivain, vous
croyez que vous pouvez être le prosateur que vous êtes et ne pas vous
confesser tout entier que dans le choix de vos épithètes, la qualité de votre
langue, votre éloquence, même continue ? Cela est si vrai que dans cette
oeuvre de volonté que vous avez rêvée impersonnelle et scientifique, c'est
votre personne que nous allons rechercher, que nous découvrons, que nous
plaignons, et que nous ai mons;" (1)
Qu'entreprend-il de raconter de lui-même? Choisit.il ce qu'on peut
appeler une autobiographie intérieure où l'évolution du personnage central
compte infiniment plus que les événements extérieurs, ou s'attache-t-il, au
contraire, à narrer sa vie du dehors, comme eÜt pu le faire n'importe lequel
de ses proches? Il est difficile de répondre, car si Du CAMP s'applique
souvent à situer avec précision tel ou tel incident, il s'efforce bien plus
encore de nous décrire le développement de sa personnalité.
Il convien~ à présent de mettre à nu dans les pages qui suivront,
quelques exemples représentatifs de IImorceaux autobiographiques ll qui émail-
lent les écrits narratifs et poétiques de l'auteur.
La vie de Jean-Marc du "Li vr e posthume", mémoires d'un suicidé",
jeune romantique excédé et abusé par l'existence, est à quelques détails près
celle de Maxime Du CAMP. Nous l'avons signalé dans le chapitre précédent.
Notons simplement que la deuxième partie du "Livre posthumell (2) relative aux
années de collège du héros se retrouve presque textuellement dans les IIS 0 U -
venirs l i t tér-ai r-es" (3).
En effet, la petite cervelle de Jean-Marc, à la fois contemplative
(1) Paul BOURGET in G. FLAUBERT, l'homme et l'oeuvre, op. cit.
(2) Le livre posthume, PP. 43-93.
(3) Souvenirs littéraires, t; 1, ch. III.
. . ·1

- 109 -
et ardente à l'étude commençait à se défricher lorsqu'on lui fait quitter
la maison familiale pour le mettre au collège. Habitué aux tendresses, aux
fantaisies et à l'indulgence du foyer maternel, il eut en aversion la
discipline destructive des gaîtés de l'enfance, la régularité fastidieuse
à force d'être monotone, la vie en commun odieuse aux natures délicates, la
camaraderie sans tendresse, la grossiéreté des maîtres subalternes, les
préaux sans verdures, les longs corridors, les dortoirs où les lits sont
trop nombreux, les réfectoires dont l'odeur seule chasse l'appétit, les
punitions, les portes closes et l'aspect général qui est bien plus celui
d'une maison de détention que d'une maison d'enseignement. Aussi, Jean-Marc
était-il en perpétuelle opposition avec tous les règlements. Révolutionnaire
fougueux comme on le dit dans les assemblées parlementaires, il ne rêvait que
résistance, émeute, révolte, affranchissement et représailles. Il accusait
l'administration de torturer sa jeunesse; grave et sérieux de tempérament,
il vivait presque solitaire, jetant sa pensée par dessus les murailles em-
prisonnantes du collège, bien loin, dans les espaces où il aurait voulu se
perdre en liberté. Il garda ainsi un très sombre souvenir de ces années de
collège qui, pour la plupart des enfants, constituent pourtant le plus beau
temps de la vie: "j'ai souffert, j'ai été souvent malheureux, mais je
déclare que jamais je n'ai regretté ces jours écoulés sans liberté, sans
famille, sans tendresse, loin de tout ce qui vous aime et sous une règle
uniforme régissant à la fois cinq cents caractères différents. Jamais je n'ai
regretté les couloirs humides, les dortoirs glacés, les salles fétides, le
réfectoire infect, les escaliers usés où brille un quinquet Fumeuxv " (1)
Ce récit poignant que Jean-Marc donne de ses années de collège
explique l'influence déplorable" qu'elles exercèrent sur son caractère. Elles
assombrirent son humeur naturellement triste et le dégoÜtèrent du travail,
ne sachant pas le rendre attrayant.
L'on fut dans l'obligation de luifQire changer trois fois d'établisse-
ment. On l'avait d'abord retiré de son premier collège parce qu'insoumis, il
avai t été frappé jusqu'au sang par un pion. On le mi t dans un autre où i l ne
se sentit ni moins bien, ni plus mal. Il quitta celui-là dans des circons-
tances assez singulières et termina enfin ses humanités à l'Institut X•••
(1) Le Livre posthume, P. 49.
. . ·1

- 110 -
Nous avons la nette conviction que Maxime Du CAMP s'est servi
du "Livre posthume" pour écrire ses "Souvenirs littéraires" en 1880 ; en
effet, lorsque l'on parcourt certains passage du "Livre posthume", notam-
ment où Jean-Marc raconte ses années de collège et 1-es pages des "Souvenirs
li ttéraires" où Maxime Du CAMP évoque ses souvenirs de collège, on se rend
compte qu'on se retrouve devant les mêmes mots, les mêmes paragraphes, voire
les mêmes phrases et le même esprit
"J 'y L-;'ollègiï suis resté pendant neuf
années, et pendant neuf années j 'y ai souffert L~.J j'ai eu mes chagrins, mes
misères, mes affres, et j'ai souvent porté plus que mon faix
mais le regret
du temps du collège ne m'a jamais visité ; au contraire, cette époque de ma
vie ne m'a laissé que des souvenirs exécrables L-:.d j'étais un insurgé. La
disèipline m'était insupportable et je ne pouvais y plier ma nature.
Cette règle brutale, uniforme pour cinq cents caractères différents,
la tristesse des cours entourées de hautes murailles et semblables aux préaux
des prisons, la grossièreté pour ne dire plus, des garçons qui nous servaient,
la saleté des quartiers et des classes ~-:J l'absence de liberté, l'oppression
des individualités qui se redressent contre une domination systématique, ont
fai t pour moi du collège un enfer où j'ai touj ours lutté et où j'ai touj ours
été vaincu." (1)
Ces paroles ne sont plus de Jean-Marc ; elles sortent de la bouche
de Maxime Du CAHP. Les mêmes mots et les mêmes expressions tels que : "sou-
venirs exécrables", "règles brutales", "cinq cents caractères différents"
"absence de liberté", "enfer" et l' espri t d'ensemble apparaissent identique-
ment dans l'un et l'autre livre bien que le premier soit une oeuvre de fiction
donc imaginaire et que le second ait pour dessein d'évoquer des souvenirs donc
plus vraisemblable. Sur ce point précis, l'auteur s'est complètement confessé
dans l'oeuvre romanesque puisque les souvenirs évoqués confirment totalement
ses dires. La sincérité est donc effective d'un côté comme de l'autre. L'auteur
garda une telle haine du collège que, lorsque le 8 février 1873, muni d'une
lettre ministérielle, il eut pour mission de visiter le collège Louis-Le-
Grand, son premier souci fut de monter aux arrêts. A sa grande
stupéfa~tion il ies·-tetroùva tels qu'il les avait
(1) Souvenirs littéraires, t. 1, PP. 55-56.
. . ·1

- 111 -
connus lorsqu'il était au collège. Il écrivit alors à Monsieur Jules SIMON,
Ministre de l'Instruction Civique, lui fit la description des arrêts de
Louis-Le-Grand et lui demanda de les supprimer. Le ministre répondit en ces
termes :
"Je vous envoie, cher monsieur, ma circulaire du 27 septembre, qui
ne méritait pas l'honneur d'être injuriée avec tant d'éclat. Quant aux arrêts,
je pense qU'ils ont quelques analogies avec les plombs de Venise. Gresset
y a gémi
; mais ils ne sont sans doute plus qu'un épouvantail. A tout hasard,
je les fait ferme~' (1)
Cette circulaire fut considérée comme non avenue et les arrêts ne
furent pratiquement supprimés que le 2 mai 1883 par décision de Jules FERRY,
Ministre de l'Instruction Publique. Laissons-là les arrêts et revenons à nos
préoccupations.
Maxime Du CAMP confirme le rapprochement que nous faisons dans
ses dossiers de la Bibliothèque de l'Institut en dévoilant l'aspect auto-.
biographique de son livre: "A neuf ans, on me mi t au collège; je fus ren-
voyé de Louis-Le-Gra~d, je m'évadai.
de Saint-Louis, je terminai mes études
à Charlemagne C.:l#- Dans "Les mémoires d'un suicidé", j'ai très exactement
raconté mon évasion du collège Saint-Louis" (2)
"Les Forces Perdues" quant à elles ne sont qu'une autobiographie
romancée. En effet, l'auteur y a raconté, à quelques nuances près, l'his-
toire de sa vie. Horace et Viviane dans "Les Forces Perdues" ne sont que
Haxi me Du CAHP et l'objet de sa passion. Revenu d'Orient en 1851, l'auteur
du "Livre posthume" tomba amour-eux. Ce fut le véri table bonheur et dès lors,
cet amour devint le seul but de sa vie. Voici comment l'événement est
présenté dans "Les Forces Perdues" : "Il (Horace) devait partir dans huit
jours, lorsqu'un événement imprévu, fort insignifiant en apparence, un de ces
hasards qui remplissent la vie, vint tout à coup modifier ses projets et
changer pour toujours le cours de son exi s t encel' (3)
Nous sommes au commence-
(1) Souvenirs littéraires, T.I, P. 62.
(2) M.S. 3719, Fonds M.D.C. 1. Papiers personnels.
(3) Les Forces Perdues, P. 97.
. . ·1

- 112 -
ment des rapports entre Horace et Viviane. La confirmation est encore fournie
par le "Fonds Haxime Du CAMP" : "Je devins amoureux, amoureux dans une passion
sans mesure et ma vie pivota. Je me ruinai sans réserve, tout entier, comme
une déesse à son Dieu ~.~ j'ai raconté cette histoire ou à peu près dans
IILes Forces Perdues!", un roman que j'aurais mieux fai t de ne pas écrire parce
que, sauf le dénouement, la fiction n'y tient pas assez de place~ (1)
Nous
parlerons amplement de cet amour passionnel et de la femme aimée dans un sous-
chapitre ultérieur.
Le dénouement de cette aventure bouleversante n'est pas raconté dans
IILes Forces Perdues" mais dans "Le Chevalier du coeur sei qnan t!' publié en 1859.
Cette fois-ci, les actions sont situées en Italie; Du CAMP s'appelle le
Chevalier Fabio ~~SCARPI et sa protagoniste Annunziata. Fabio a un riche patri-
moine et une instruction suffisante. Comme Maxime Du CAMP, il perd très tôt
ses parents. Il rencontre Annunz i ate pour la première fois dans une-lOge de
théâtre de San Carlo et en est aussitôt épris. Cette dernière, mariée très
jeune au vieux SPADlCELLI, "anci en et beau cava Li er-", "açr-é ab Le et gala.'1t ll (2),
qui n'avait pour passion que les coquillages, agrée favorable~ent sa solli-
citation. Dès lors, Fabio n'est animé que par un souci: Savoir si Annunziata
avait eu des amants avant lui. Possédant des facultés extra-humaines, il
découvre le passé de sa maîtresse. Dans le coeur d'Annunziata endormie, il
parvint à voir trois hommes: ilLe premier était un prêtre; couvert de sa
soutane comme d'Q'1 linceul, il semblait disparu dans l'ombre; le second
avait l'insignifiante beauté de ces jeunes gens médiocres qui savent répéter
les bons mots d'autrui, et s'empressent autour des femmes avec des façons
d'être dont l'élégance excuse à peine la banalité; le troisième était
terrible à voir: huit trous sanglants ouvraient sa poitrine nue, et l'on
eût dit que les derniers frémissements d'une vie violente l'agitaient
encor-el' (3)
Devant ces découvertes provoquées, la vie de Fabio pivote. Il
devient .j a Lou.: et vit dès cet instant clans un songe éternel et dans une
hallucination perpétuelle.
(1) M.S. 3719, Fonds M.D.C. J. Papiers personnels.
(2) Le Chevalier du coeur saignant, P. 706.
(3) Ibid, P. 712.
.../

-
113 -
Mis à part l'univers f~1tastique qui entoure cette nouvelle, c'est
la fin de l'idylle racontée dans "Les Forces Perdues", c'est-é\\-d.ire de
l'aventure amoureuse de Maxime Du CAMP qui est explicitement exposé~.
L'extase et la félicité qui avaient envahi Du CAMP, créées par cet amour
passionnel, furent de brève durée i des révélations fusèrent de toutes parts
et anéantirent cet espoir: "J'étais parfaitement heureux, cela ne pouvait
durer. Les révélations arrivèrent, on ne me les épargna pas et on prit soin
de ne pas me laisser ignorer, que non seulement je n'étais pas le premier,
mais que j'avais eu de nombreux précédents. Je fus littéralement foudroyé et
je pris les Dieux à témoin de mon infortune i les Dieux parurent ne s'en
soucier que médiocrement. Je souffrais beaucoup, je souffris d'autant plus
que j'étais fou d'elle et que la partie de la quitter ne m'effleurait même
pas. A mes reproches absurdes, à mes colères, elle n'opposait que l'expres-
sion de ses regrets et une tendresse dont je m'enivrais. J'ai traversé à
cette époque des altern~tions de désespoir et de bonheur extraordinaire;
on en retrouvera trace dans une nouvelle inti 'tu Lé e : "Le Chevalier du coeur
saignant" qui malgré son appareil fantastique est la réali té même ; lorsque
je l'ai écrite en 1859, tout allait finir et le lien qui nous avait si forte-
ment attaché l'un à l'autre, était presque r-ompu;' (1)
Ce lien se rompi t en 1860. Du CAHP fut dans QYJ état douloureux et
lamentable: "En 1860, j'avais gravi l'échelle de Jacob. L'ange qui la tenait
la secoua i je tombai, et comme je tombai de haut, je me fi s t r-è s mal~' (2)
La nouvelle intitulée: "L'homme au bracelet d'or" résume la con-
séquence de cette rupture. George d'ALFAREY, le héros de la nouvelle se voit
contraint de s' exi Ler- en Orient, pour non seulement sauvegarder le foyer de
la fem~e aimée, mais aussi bénéficier de son estime. C'est la mort dans l'âme
qu'il avoue à. sa dulcinée: "Je pars pour un exil qui n'aura de terme que par
votre vo l on té," (3)
A Stamboul, George fait la connaissance du Comte Ladislas Palki,
conspirateur et sorte de soldat d'avant garde. Il décide de l~ suivre en
(1) M.S. 3719, Fonds N.D.C., Bibl. Institut.
(2) Souvenirs littéraires, T. II, ch. XXII, En guerre, P.
165.
(3)
L'Honune au bracelet d'or, P. 311.
. . ·1

- 114 -
Hongrie pour participer à la guerre de libération du peuple ~I\\agyar, n'ayant
point de destination, d'occupation et de buts précis: 1111 y a Là une belle
guerre, je veux m' y
mêler; proclame-t-il, il y a un beau principe, je veux
le servir de toutes mes forces!' (1)
Il est en fai t question dans la nouvelle
de la lutte du peuple ma~ pour la cause sacrée de son indépendance contre
les envahisseurs Russes et Autrichiens.
Cette atmosphère de guerre et de conspiration se retrouve identique-
ment dans IILes buveurs de cendres". En 1860, pendant son séjour en Sicile,
Maxime Du CAHP avai t appris d'un ami l'étrange histoire d'un "Lnves t i " ou
chef de société secrète. Il choisit trois épisodes de cette histoire et les
fi t édi ter en 1866. Selon Pierre IAROUSSE dans "Le grand dictionnaire du
XIXè siècle", ce titre bizarre mais exact est la traduction du mot grec
IITéphrapotell , nom de ralliement adopté par les adhérents d'une société
secrète. Les trois premiers fondateurs, disciples de SAVONAROLE, après avoir
bu du vin où étaient mêlés des parcelles de la cendre humaine du réformateur
et du sang humain, avaient juré de combattre jusqu'à ce qu'ils eussent rayé
de la surface de la terre le pouvoir pontifical et les puissances qui en
dérivent. Les sept
chefs des buveurs de cendres prirent donc le nom des sept
premiers rois ù'Edom et les transmirent à leurs successeurs, de sorte que
l'on pourrait croire que les fondateurs de cette singulière société sont im-
mortels. L'introduction de cette nouvelle est une étude historique, neuve et
fort attrayante où l'auteur indique à grand trait le rôle politique des
"Téphrapotes ll en Europe, depuis SAVONAROLE jusqu'au XIXè siècle: En Orient
contre les Turcs, en Allemagne contre l'Autriche, en Italie contre le pouvoir
temporel du Pape et en France contre les vestiges du droit divin. La nouvelle
proprement dite est une oeuvre de politique dans un cadre de fantaisie; cette
fois-ci, Du CAIIP substitue à ses héros maladifs, aux: fils de René, LLYl autre
type de per-sonnaqe ; le héros conspirateur. Ces mystères, cette mi s e en scène
é1e s
conjurés autour d'une libation symbolique, le prestige de ces autori tés
occul tes, reconnues par des affini tés nombreuses, les engagements auxquels la
vie de chacun ùes conjurés était liée et comme suspendue, le caractère étrange
des événements amenés par des pouvoirs ténébreux, ce qu'on pourrait appeler le
côté nocturne de l' histoire, tout cela s'idéalise dans un es pr i t averrtur eux,
Les conspirateurs des IIBuvcurs de cendres" se battent sur plusieurs fronts il
(1) L'homme au bracelet d'or, P. 313.
1
.../

- 115 -
la fois. Il est même aussi question des armées magyares aux côtés desquelles
avai t combattu George de "L'homme au bracelet d'or" : "Il (Jean) conçut avec
Samla, qui luttait à Rome même, le hardi projet d'amener en Italie les armées
magyares attaquées sur le Danube par l'Autriche et la Russie ••• " (1)
Plus
tard, ces faits obscurs évoqués par l'écrivain vont être éclairés par des
études sur des conspirateurs réels, tels que ceux qui ont agité le régime de
Louis Philippe. A la lumière de ces faits réels, il a établi la vérité et la
proportion des choses.
Or, toutes ces conspirations, ces aventures tumultueuses, ces
révolutions et ces combats héroïques furent en partie vécus par l'auteur.
George, l'aventurier des armées magyares de Hongrie, Flavio et Jean, conspi-
rateurs des "Buveurs de cendres" ne sont en réali té que Haxime Du CAHP dans
les Campagnes pour l'unité italienne. L'écrivain a transposé dans les deux
nouvelles ce qu t i L a réellement vécu en Italie pendant le "révolution
Garibaldienne".
En effet, en 1860, après la rupture dont nous avons précédemment
parlé, Maxime Du CAHP répondi t au coup de clairon de Garibaldi : "Cet accès
de spleen ne pouvait durer explique-t-il, il est dans ma nature de réagir,
d'accepter le combat et de vaincre l'ennemi que je porte en moi. Ce fut ~
coup de clairon qui me r-évei Ll.a;' (2)
Ainsi, pour oublier ses déboires sentimentaux, pour sortir de la
solitude, pour dissiper son spleen, Du CAHP choisit de combattre pour l'unité
du peuple d'Italie. Il explique clair~nent cette situation dans ses papiers
de la Bibliothèque de l'Institut: "J'étais au printemps de 1860 dans un état
de marasme insupportable. Le Comte Téléki (Santok) que je connaissais, partait
pour rejoindre Garibaldi qui partait se jeter dans l'aventure de l'expédition
des Deux Siciles ; il me proposa de l'accompagner, j'acceptai
j'achetai des
chevaux à Lusin, j'endossai la casaque rouge et je fis toute la campagne en
volontaire et à mes frais. Ce fut très intéressant et, malgré les reproches
qui ne me furent point épargnés, je n'ai jamais regretté cette escapade~ (3)
(1) Les Buveurs de cendres, P. 562.
(2) Souvenirs littéraires, P. 166.
(3) M.S. 3720 - Fonds l'laximc Du CAm).
.../

- 116 -
Remarquons au passage que c'est le ~~~êdislas Palki qui
George de "L'homme au bracelet d'or" en Hongrie j c'est le comte ~~~
Téléki qui entraîna dans la réali té, Haxi me Du CAMP en Italie.
Comme on le constate, l'écrivain s'est, la plupart du temps, re-
présenté dans les personnages qu'il a créés. Son oeuvre littéraire a donc été
pour lui l'occasion de se refaire une seconde vie, à partir des segments de
la sienne propre.
Par ailleurs, il convient de mentionner que les poèmes publiés par
Haxime Du CAHP dans "Les Chants modernes" en 1855 et "Les convictions" en
1858 renferment pour une bonne part des pièces éminemment autobiographiques.
Les poèmes des "Chants modernes" sont regroupés sous trois chapitres : chants
divers, chants de la matière et chants d'amour. De ces trois divisions, il
n'y a que la seconde, les chants de la matière, qui réponde aux théories
développées dans la préface. Il en est pratiquement de même des "Convictions"
qui renferment des poèmes essentiellement à thèse. A l'instar des vers
regroupés dans les "chants de la matière", le poète exhale ses sentiments,
ses regrets d'enfance, ses blessures secrètes et ses tourments de jeunesse.
Ces pièces charmantes sont en fait des variations délicieuses de trois thèmes
anciens: la beauté, la nature et l'amour.
D'ans le poème intitulé: "La maison démolie", le souvenir mélan-
colique du poète s'assoit sur les ruines dan~ la pose de l'ange d'Albert
DURER, et rappelle en stances harmonieuses les joies, les peines, les deuils
et les paisibles heures d'études qu'ont abrités ces murs attaqués par le pic
du maçon. Ce poème est, selon Théophile GAUTIER, "La tristesse d'Olympio"
des "Chants modernes" :
"Car c'était la maison où, pendant dix années,
j'avais passé ma vie au courant des journées,
Rêvant, aimant, cherchant en silence,
L'esprit rempli d'ardeur ou rempli d'indolence,
Et toujours loin de terre ainsi qu'un songe creux~H
Ces mêmes souvenirs d' enfance, cette même maison sont évoqués

- 117 -
trois ans plus tard èans "Les convictions"
le poème est intitulé "l'enclos".
"Nous habitions alors - oh
la belle demeure,
[;.:1
Une vaste maison dans un quartier lointain
[;.:1
C'est un pays plus beau que bois, désert et grève,
Un pays assez grand pour contenir mon rêve :
L'Enclos où j'ai couru lorsque j'avais cinq an~' (1)
Dans "A Aimée", c'est avec émoi et reconnaissance que le poète
célèbre avec coeur sa bonne servante qui l'avait jadis soigné, en rappelant
les promenades qu'il!: faisaient gaîment dans le jardin de Luxembourg :
"Et le froid Luxembourg où le long des parterres
j'arrachais, malgré toi, les fleurs à pleines mains,
pendant que tu causais avec des militaires
vers qui tu penchais en disant : "A demain" .."
Dans le même poème, suffoquant de tristesse, il rappelle ses bons
parents défunts :
"Ha mère allait mourir! sa lèvre mince et pâle,
Presque froide déjà, murmurait faiblement
Des mots tristes et doux qu'interrompait le râle,
Comme un choeur qui s' tein t et renaî t par moment
é
"Vous ne resterez pas seul et pleurant sur terre,
"Vous avez près de vous, pour escorter vos jours
" et vous aimer encor, votre vieille grand-mère
" et moi, pauvre peti t, qui vous sui vrai touj our-s" (2)
(1) Les convictions, PP. 189-200.
(2) Les Chants modernes, P. 155.
..'/

- 118 -
A partir de l'année 1851, l'amitié entre Du CAMP et FLAUBERT
connut une rude secousse. L'occasion fut propice au poète pour crier sa
trahison dans une pièce intitulée: "Tristessell
"Tais-toi ! tais-toi ! mon coeur, et sanglote en silence
laisse s'évanouir ce fantôme endormi,
Il fallait bien savoir ce que dans la balance
peut peser de douleurs l'abandon d'un ami !" (1)
A Porcia la bien-aimée et la femme idéale, il chante ses rêves et
son amour. Dans un poème d'un lyrisme éclatant et de belle facture, il rappel-
le leur passé et envisage la survie de leur amour dans l'éternité:
"Au d(!!là de la mort, il est une autre vie
où l'on peut ressaisir les rêves effleurés
Là, nous retrouverons la tendresse ravie
Que rien n'a pu flétrir dans nos coeurs separés
Rien alors ne pourra disjoindre nos tendresseS,
Rien ne pourra ternir notre sérénité
Rien ne pourra calmer nos sublimes ivresses,
Et notre rendez-vous sera l'éternité !11 (2)
Les ~tranches de vieil ou les "morceaux autobiographiques" que nous
venons de relever, qui ne représentent en fait qu'un échantillon significatif,
expriment les sentiments intimes de l'écrivain au moyen de rythmes, d'images
et d'événements propres à communiquer son émotion au lecteur. C'est en réalité
la transmutation de sa propre vie en oeuvre d'art. Soulignons à juste titre
d'ailleurs, que l'influence du "moi" dans les oeuvres littéraires n'est pas
seulement l'apanage de l'auteur des IIForces Perdues ll ; Gustave FIAUBERT
lui-même, l'apôtre de l'art pour l'art et le maître (lu réalisme est tout
(1) Les Chants modernes, PP. 217-218.
(2) Ibid, P. 323.
.. ·1

- 119 -
présent dans son oeuvre. On sait d'ailleurs quelle très grande part l'auto-
biographie tient dans "L'Education sentimentale" et comment de son rêve
d'adolescent, de sa longue passion pour Elisa SCHLESINGER, FLAUBERT a tiré
son chef-d'oeuvre. Le cadre extérieur, le scénario historique et le décor
topographique lui sont fournis par ses souvenirs personnels revivifiés par
des lectures et des voyages. BALZAC n'échappe pas à cette tentation. Il s'y
est par exemple mis dans le personnage de Lucien de RUBEMPRE, avec ses aspi-
rations démesurées et ses chimères, son besoin de femmes mOres (Madame
Bargeton), son désir de pouvoir et de fortune, ses déboires, sa naîveté
inconsciente et son manque de scrupule ingénu. La plupart de ses ouvrages
constitue ainsi un ensemble homogène, à la trame serrée d'un intérêt d'autant
plus puissant qu'on y sent à chaque ligne vibrer la personnalité et la vie
même de leur auteur. C'est partant de ce constat que l'on a attribué au
XIXè siècle et au romantisme en particulier le mot "relatif". Dans son
ouvrage "Le Classicisme des romantiques" Pierre HOREAU expose le phénomène
en.faisant remarquer que l'admiration des romantiques se plaît à la diversité,
que cette diversité se nomme couleur locale, couleur historique, ou moi; à
la raison, faculté sociale et humaine, il substitue le primat de la sensi-
bilité et de l'imagination, et c'est par là qu'il est lyrique. Le romantisme
préfère, poursuit Pierre MOREAU, aux oeuvres d'une signification humaine,
absolue, celles qui sont relatives à leurs auteurs. Ces oeuvres seraient
alors relatives au temps et aux pays qu'elles peignent. Il est bien sûr
d'autres définitions du romantisme - éloges ou griefs, conclut Pierre MOREAU,
mais ce mot de relatif se retrouve au bout de chacune d'elles; on loue et
on accuse en même temps le romantisme d'avoir mis le relatif à la place de
l'absolu.
Est-ce à dire que la production littéraire qui répond à cette
définition perdrait de sa qualité? Nous avons la ferme conviction que ce
facteur n'influe absolument pas sur la quali té de l'oeuvre. L'oeuvre en elle-
même, considérée dans sa valeur intrinsèque, n'est pas moins intéressa~te,
elle n'est pas non plus d'une psychologie moins neuve. Au contraire, des-
cendre ainsi jusque dans les plus obscur~profondeurs du moi, c'est en fait
sonder toute une partie de la nature humaine demeurée jusqu'alors presque
inexplorée.
. . ·1

120 -
Partant de ces considérations, il convient d'objecter que dW1s
toute création de l'esprit, on retrouve non seulement le créateur, mais on
trouve aussi la nature qU'il a observée, c'est-à-dire en fait le cadre réel.
N'est-il pas vrai que même à l'oeuvre d'imagination la plus complètement
inventée, il faut un point de départ, une assise dans le monde réel ?
BI LE REALISI1E LITTERAIRE
Nous estimons, que l'Art doit s'enraciner dans la vie de tous les
jours, mais aussi créer des symboles assez larges pour qU'ils intéressent
l'humanité du fait de leur universalité. En outre, nous objectons, à la suite
d'Emile MONTEGUT qu'une des plus grandes erreurs que l'on puisse commettre,
c'est de considérer la littérature et spécialement la littérature d'imagination
comme existant par elle-mê~e, comme possédant en elle-même son principe de vie,
comme maîtresse de précipiter ou de ralentir à son gré le cours de son exis-
tence, de choisir ses sujets, ses thèmes favoris d'inspiration, ainsi qu'un
homme choisit ses amis, ses habits ou ses logements. Il n'y a rien de plus
faux. La littérature d'imagination n'existe pas par elle-même et n'est pas
maîtresse de ses destinées, elle n'a pas en un mot une personnalité tranchée,
comme la religion, la politique, la philosophie ou la science qui existent
par elles-mê~es et ont en elles-mêmes leur principe et leur but. Elle n'est
qu'un produit, un résultat, un composé. Elle est formée par le concours de
toutes les énergies humaines, et révèle selon la forme qu'elle a revêtue, soit
l'harmonie existant entre ces énergies, soit leur désaccord et leur hostilité,
soit encore la prédominance de l'une de ces énergies sur toutes les autres.
Toute oeuvre littéraire est en conséquence un produit social donc le reflet
d'une certaine réalité.
Il importe de souligner d'autre part que les écrivains du milieu
du XIXè siècle sont particulièrement sensibles à "cette réali té", que
ct' autres ont nommé "couleur locale" ou ''li ttérature nationale". En effet,
nous sommes en pleine époque "réaliste" ou l'écrivain ouvre tout grand les
yeux sur la vie, le monde, la société. Cette littérature "réalistell -
même
pour ceux qui font profession d'idéalisme, - peint et décrit les objets, les
sites, les êtres, et l'auteur, particulièrement le romancier, se donne pour
tâche non seulement d'observer ce qui est, mais aussi de noter ses propres
.../

- 121 -
impressions. L'oeuvre poétique et narrative de Maxime Du CAMP se situe sans
conteste dans cette bivalence. Elle est empreinte d'un romantisme lyrique et
autobiographique, mais aussi elle est le reflet d'une réalité sociale.
Emile FAGUET voit par exemple en FIAUBERT deux hommes : un romantique et un
réaliste qui se combattent, se succèdent ou se combinent. Contrairement à
cette définition de FIAUBERT, nous n'apercevons pas chez Du CAMP d'anta-
gonisme entre romantisme et réalisme. Ces deux formes de pensée et d'expres-
sions existent effectivement sous la plume de l'écrivain, mais, loin de se
combattre ou de se livrer un duel permanent, elles s'enchevêtrent harmonieuse-
ment et forment l'ossature même de l'oeuvre. Du CAMP est d'ailleurs trop
indépendant pour se réclamer d'une école. Pour lui, le phénomène d'école ne
relève que des tempéraments; c'est pourquoi tandis que le romantisme levait
sa voix traînante et passionnée, le réalisme se faisait l'écho et améliorait
le choeur : "Depuis l'engouement pour le moyen-âge jusqu'à l' appari tion du
naturalisme, j'ai vu passer bien des formes d'art et de littérature, nulle ne
m'a laissé indifférent, et j'en puis parler sans'parti-pris, car je n'ai
jamais admis la prédominance d'une école sur une autre ~.~ je ne comprends
pas que l'on soit exclusif en matière d'art ••• " (1)
Pour en revenir au réalisme, soulignons que jamais en aucun t emps
les rapports de la littérature et de la peinture n'ont été plus étroits,
jamais non plus les influences réciproques de ces deux arts n'ont été plus
vives. Signalons d'ailleurs que le réalisme est né dans l'atelier du peintre
COURBET. Dès lors, les mots peindre, peinture, tableau reviennent tel un
leitmotiv,
sous la plume des hommes de lettres.
Pour Du CAMP plus que pour tout autre - il avait fréquenté des
ateliers de peintre et s'était même essayé à la peinture - le détail de la
vie matérielle revêt une importance capitale. C'est d'ailleurs à juste titre
qu'il a dédicacé ses comptes-rendus de salons à son ami de jeunesse Jules
DUPIAN : "C'est en souvenir de notre vingtième année, du temps où tous deux
nous nous sommes accidentellement essayé à la peinture que je te dédie ce
l ivre qui reproduit les salons publiés par moi dans la "Revue des Deux
Mondes".(2)
Comme GAUTIER, c'est un homme pour qui "le monde visible
(1) Souvenirs littéraires, Avant-propos, T. l, P. 3.
(2) Les Beaux Arts~ l'Exposition Universelle et aux salons de 63,64,65,66,67,
Paris, Vè Jules RENOUARD, lib., 1867.
.../

- 122 -
existe". (1),
Ainsi, les personnages quotidiens, les scènes ou histoires vécues
ou entendues, les cadres réels constituent le substrat
de sa production
littéraire; le monde qui l'entoure, le monde dans lequel il vit ou qu'il
découvre, concret et visible est le domaine privilégié que Maxime Du CAMP
s'efforce de reproduire d~ tous ses ouvrages.
'1S
a - Des personnages réels
L'oeuvre de l1axime Du CAMP est au "féminin" si l'on peut se per-
mettre de parler ainsi, et pour cause, un personnage féminin la jalonne
majestueusement, l'oriente, la structure et la dynamise. L'auteur a beau
faire varier la fiction, on reconnaît l'héroine principale à certains détails
expressifs. Presque tous les ouvrages mettent à nu les positions parfois
outrées de ce dernier à l'égard de la femme et de l'amour pendant la seconde
moitié du XIXè siècle en France. Nous aurons l'occasion de nous étendre sur
ce thème dans un chapitre ultérieur. Pour l'instant, on peut affirmer sans
se tromper que "L'Education sentimentale" de Gustave FlAUBERT pourrait bien
se concevoir sans "Madame ARNOUX". Il en est de même d'un certain nombre de
romans balzaciens. Les héroines de ces livres pour la plupart, bien qu'elles
jouent un rôle de premier plan dans le récit, font partie, avec tant d'autres
éléments, de l'ensemble des facteurs qui créent l'oeuvre. Tandis que dans le
cas des ouvrages de Du CAMP, si l'on supprime Viviane des "Forces Perdues"
ou Hélène du "Livre posthume" ou Pauline de "L'homme au bracelet d'or", ...
l'histoire s'estompe. Les fils de l'intrigue se rompent, la colle qui les
tient se dessèche automatiquement et tout retombe inexorablement en un amas
inerte et incompréhensible.(2)
Cette femme, qui est omniprésente dans l'oeuvre de Du CA?1P est
un personnage historique réel; elle se nomme Madame Valentine DELESSERT.
(1) Journal, 1er mai 1857, Edition Ricatte, T. l, P. 343, rapporté par
les G ONCO~T
(2) Cf Les problèmes de la composition au ch. V.
.../

- 123 -
a'i Madame Valentine Gabriel DELESSERT, un personnage littéraire
Le voile s'est graduellement levé sur les oeuvres de certains
écrivains pour démasquer le personnage qui se cache derrière leur héroïne.
En ce qui regarde Du CAMP, il s'agit en réalité de Madame Valentine DELESSERT,
femme de Monsieur Gabriel DELESSERT, préfet de police et pair de France.
René DUMESNIL affirme dans son "Histoire de la littérature française" qu'elle
est Madame de PIENNES dans "Arsène GUILLOT" de MERIMEE ; qu'elle est Porcia
dans "Le livre posthume" et Viviane dans "Les Forces Perdues" de Haxime Du
CAMP.
En 1932, Fernand VENDEREM et M. PARTURIER ont prouvé que Madame
rambreuse de "L'Education sentimentale" de FlAUBERT était aussi Hadame
Valentine DELESSERT. Comme on le constate, cette femme du monde qui adorait
les lettres et qui aimait surtout s'entourer d'hommes de lettres célèbres,
dut payer son tribut à la littérature. Trois écrivains, et non des moindres,
eurent à se servir d'elle comme modèle littéraire.
Concernant précisément Naxi me Du CAMP, il convient de noter que
l'on s'est perdu longtemps en conjecture faute d'analyse approfondie de
l'oeuvre de l'écrivain. René DESCHARMES en fait bonne illustration dans son
étude sur "FlAUBERT avant 1857" ; en effet, le cri tique déclare n'avoir pu
identifier la Suzanne du "Livre posthume" ni la Viviane des "Forces Perdues"
où il serait disposé à ne reconnaître qu'une seule et même personne. A cette
époque, Fernand VENDEREH hési tai t encore et à la sui te de René DESCHARHES,
il conclut que ces deux héroïnes devraient alors être Madame DELESSERT si ce
que son prédécesseur a affirmé était fondé: Or dans ce cas, argumente-til,
vu l'époque où paraît le premier des deux romans (Le livre posthwne), cette
personne ne serait-elle pas Mad~~e DELESSERT, que le jeune Du CAMP avait
ravie à. ce gra.."ld naïf de HERIMEE ?" (1)
Par ailleurs, s'agissant de Suzanne et de Porcia du "Livre posthume"
ou de Vi viane des "Forces Perdues", Joseph JIRIAN a merveiIl eus emeri t résumé
le débat en regroupant les "delessertistes" et les "non-delessertistes" tout
en évoquant les arguments de chaque partie,(2)
(1) F. VENDE REM, Bull. du Bibliophile et du bibliothécaire, Paris, L. GIRAUD-
BADIN, 1931.
(2) J. JIRIAN, des Illusions perdues à l'Educ. Sentim., Les Forces Perdues de
1'1. D. C., op. ci t.
.../

- 124 -
Pour notre part, nous essayerons de revenir sur certaines données
avant de démontrer le rôle capital joué par cette femme dans la vie et dans
l'oeuvre de Haxime Du CAMP avec des documents inédits.
La famille DELESSERT entre pour la première fois dans la vie de
Maxime Du CAMP en 1850 en Egypte pendant le voyage en Orient avec Gustave
FLAUBERT en 1849-1851. C'est précisément à Constantinople qu'il fait la
connaissance de deux français : l'un est M. de SAULCY, membre de l 'Insti tut
et Directeur du musée de l'Artillerie; l'autre est Edouard DELESSERT, fils
de Madame Valentine DELESSERT et de M. Gabriel DELESSERT, préfet de Police
et pair de France.
En 1851, Du CAMP de retour d'Orient est devenu co-directeur de .
"La Revue de Paris". C'est dans cette fonction qu'on retrouve à nouveau
.son
nom associé à celui de la famille DELESSERT. En effet, à en croire René
DUMESNIL, (1) Théophile GAUTIER alors collaborateur à "La Revue de Paris"
aurai t écrit, au sommaire des premiers numéros, quelques lignes sur Alexis
de VALON, gendre de Madame DELESSERT, qui venait de mourir. Louis de CORMENIN
aurait, quant à lui, fait un long article sur ce jeune poète dont, V~ peu plus
tard, on insérait une pièce de deux sonnets. "Le voyage aux villes maudites"
d'Alain DELESSERT aurait eu, toujours selon René DUMESNIL, sa place de choix
dans "La Revue de Paris". En réalité, ces publications touchent Maxime Du CAMP
pour la simple raison qu'il est co-directeur de "La Revue de Paris". Au fond,
cela n'est guère étonnant dans la mesure où "La Revue de Paris" s'était donné
pour mission d'aider les jeunes écrivains dans leur début. Cette explication
p~
nous semble plus crédible, car nous ne disposons~d'éléments matériels fiables
pour conclure comme René DUMESNIL à une manoeuvre orchestrée par Du CAMP
"fort pressé d'arriver".
Tout ce que nous savons et que hvl/oS poUVO"S cJlH·,ll..lI'/er ~tlec cer uu/de eSt-
que Madame Valentine DELESSERT est devenue la maîtresse du jeune Du CAMP en 1851.
Il avait alors vingt-neuf ans - et non trente comme l'affirme René DUMESNIL
dans l'étude déjà citée - lorsque qu'il fut présenté pour la première fois à
cette parisienne de la haute société. Les relations amoureuses commencèrent
effectivement au début du mois de septembre 1851. La correspondance
(1) René DUMESNIL, G. FLAUBERT, l'homme et l'oeuvre, 1947.
(2) Ibid.
. . ·1

125 -
entre Du CAMP et F~UBERT le confident, retrace d'ailleurs très fidèlement
la g~nèse de cet a~our. La lettre qui suit est fondamentale car c'est la
première d'une longue série qui fait état de ces rapports. Du CAMP raconte
sa victoire à son ami : "Tout s'est passé ainsi que nous le pensions, mon
cher vieux, et la Valentine appartient à ton ami. Cette histoire à la Ninon
a quelque chose qui me plaît beaucoup. La chose s'est faîte avec une simpli-
cité charmante qui prouve une assez longue expérience ~.~~ Elle était chez
sa soeur, j'ai attendu au salon pendant qu'on allait la chercher. Elle est
arrivée en courant dans le jardin (je la voyais par la fenêtre). Sur le
seuil, elle a hésité à me faire monter dans sa chambre, puis, comme toujours
on recule avant de sauter, elle s'est décidée à me recevoir où nous étions~ (1)
Valentine était plus âgée que Naxi me, Elle avait alors la quaran-
taine. Ce n'était donc pas, dès le départ, ce qu'on appelle communément le
coup de foudre. La même lettre corrobore cette hypothèse : "Ce sera un amour
de grand 'mère, avec des moments très frénétiques: Elle dodeline ma tête dans
ses bras en m'appelant: Hon petit enfant ! .•• II
En N.B., Du CAHP fait par ailleurs remarquer qu'lI ell e était garnie
pour ses règles ll et que IIcela tombe trop bien à point pour ne pas être un
raj eunissement factice" car il pense qu "'elle ne marque certainement plus Il •
Cependant, au fur et à mesure que les jours s'écoulent; cet a~our
né naturellement et maternelle~~~t comîaît des proportions insoupçonnées.
FlAUBERT est toujours le confident idéal : "OUi ma dulcinée est bonne: ça
prend de crânes proportions : Voici qui te la fera juger bien mieux que
toutefo/mes descrij)tions, c'est une lettre qu'elle m'a envoyée avec sa "mai n
en plâtre". (2)
Ces lettres que Du CAi'IP qualifie de "pe t i ts chefs-d' oeuvr-e" abon-
dent et agrémentent leurs rapports. Il en est fortement ému: IIC'est superbe
elle m'écrit de petits chefs-d'oeuvre et c'est bon comme tendresse fondue~' (3)
(1) G. 80~\\CCORSO, op. cit., LJ?ari§Ï mardi soir Lftébut septembre 18527
nO 42, PP. 180-181.
(2) G. BONilCCORSO, op. ci t., n? 44, P. 184, fjarisJ lundi matin 52 sept 185.2?-
(3) Ibid, Paris, mardi soir - 30 7brc L18527 n° 45, P. 185.
/
.. -;

- 126 -
Les choses évoluent alors très rapidement ; une lettre datée du
5 octobre 1851 rés~~e la tournure passionnelle que prennent les événements.
Valentine perd petit à petit la tête et la maîtrise d'elle-même ; elle vit
dès lors sous la hantise de la passion dévorante: "Elle n'y tient plus : La
tête lui en pête ; elle me débagoule des lettres qui, à force d'être charmantes,
finissent par n'avoir plus ni queue ni tête = ~.~
Elle ne dort plus, elle
ne mange plus, elle ne fait plus ses besoins, elle a la fièvre, je suis
enrhumé. ~.~ elle a des yeux qui me remuent les entrailles, son pied est
charmant, sa main est dê Li ci euse;' (1)
Cette fe~e occupa neuf années d'une importance capitale et
décisive dans la vie de Maxime Du CAMP (de 1851 à 1860). Elle bouleversa
totalement le cours normal de son existence. En effet, pour des raisons qU~
nous avons évoquées dans un chapitre antérieur, le voyage en Orient de
1849-1851 fut écourté. Voyageur inlassable, Ha xi me Du CA!1P entretenait un
secret espoir de repartir tout seul dans le dessein de visiter les pays qu'il
n'avait pas pu voir. C'était sans compter avec les vicissitudes de la vie
car "L'homme propose et la fenune dispose, ironise-t-il. Je devins amoureux,
amoureux dans une passion sans mesure et ma vie pivota~ (2)
Dans cette mê~e confession, Du CAMP dévoile ses tendances les plus
intimes qU'il aurait Sill1S doute cultivées s'il n'avait pas été amoureux
"Sans la liaison dont je viens de parler et /i\\y à l'heure qu'il est, malgré
mes soixante quatre ans bi~~ sonnés - j'écris ceci le 9 octobre 1886 - je ne
puis me souv~~ir sans être étouff~ d'émotion, je repartirais pour l'Orient
vers la fin de 1851 ; il est probable que j'aurais essayé de reprendre ~11Ï
j'aurais viré vers l'archéologie, pour laquelle j'avais du goût: Peut-être
aurais-je adopté la vie nomade qui m'attirait, peut-être retourné en Egypte,
aurais-je acheté l'Ile d'éléphantine, comme j'avais eu l'intention afin d'y
vivre au soleil, sous les palmiers, de la
vie contemplative, pèut-être aurais-je
habi té Beyrouth dont les paysages m' avai ent charmé!' (3)
,..-
.....,
,....
-,
(1) G. BOl~CCORSO' op. cit., nO 46, P. 187, [Pari§!' lundi 5 8bre L185.1/.
(2) 1'1. S. 3750, Fonds ltaxi.me Du CAIlP.
(3)
Ibid.
. ··1

- 127 -
On voit ainsi le rôle joué par Madame Valentine DELESSERT dans la
vie de Maxime Du CAMP. Mais hélas ! Comme toute chose humaine soumise aux
lois naturelles, cette liàison se désagrégea peu à peu et se rompit en 1860
au grand bénéfice de la littérature: ·Cette liaison où j'ai trouvé tant de
joie et tant de souffrance, qui a été le point tournant de ma vie se brisa,
pour toujours, en 1860, après une lutte lamentable dans laquelle nous nous
débattimes pendant près de deux ansl' (1)
Comme les relations amoureuses dont nous venons de parler furent
le point culminant et le tournant décisif de la vie de Maxime Du CAHP, Hadame
Valentine Gabriel DELESSERT fut la seule raison, on pourrait même dire le
seul "motif" d'une partie significative de son oeuvre narrative et poétique.
Sa robuste personnalité crée l'oeuvre et la transcende. A quelques variantes
près, les descriptions physiques et morales des héroïnes sont sensiblement
les mêmes. Correspondent-elles à la réalité? Nous sommes tenté de le croire
bien que la correspondance de Du CAI1P ne révèle presque rien. C'est l'omni-
présence presque envahissante de la femme connue et aimée qui pousse Eugène
de FALLOIS à privilégier e~ Maxime Du CAMP, l'homme par rapport à l'écrivain
"Mais, ce qui est le plus intéressant en Maxime Du CAMP, c'est l'homme et
non l'écrivain. On l'a posé en héros de roman, c'est un ridicule gratuit. Il
fut un héros de la vie du coeur, ce qui est tout autre chose et infiniment
rare parmi nos contemporains."
(2)
Nous voudrions donner un éclairage nouveau
sur quelques héroïnes de Maxime Du CAMP bien que beaucoup d'équivoques soient
déjà levées concernant "Le livre posthume" et "Les Forces Perdues".
En 1931, Fernand VENDEREH, à la sui te de René DESCHARI1ES était
disposé à croire que Suzanne du "Livre posthume" étai t Valentine DELESSERT.
Il révisa ce point de vue en 1932. Les critiques furent par la suite unanimes
à reconnaître que Suzanne n'était pas Valentine. On peut citer entre autres
Emile HENRIOT, Maurice PARTURIER, René DESCHAR~ŒS, René DUMESNIL, el~ •.• Qui
était donc cette Suzanne?
Nous serons plutôt enclin à voir Suz~~e sous les traits de Laure
(1) H.S. 3750Je. Fonds Maxime Du CAMP.
(2) H. Eugène\\lFALLOIS, Revue politique et littéraire
Revue bleue nO 1.
4è série T. VI; 4 juillet 18~6.
.../

- 128 -
qui fut l'une des maîtresses de Du CAl'1P. Suzanne, l'héroïne du "Livre
posthume" avait vingt-deux ans lorsqu'elle épousa M.B ••• j la vie conjugale
fut pour elle un calvaire, car elle était malheureuse en ménage. Jean-Harc
la rencontra dans le monde et il lui fut très facile d'en faire sa maîtresse.
Malheureusement pour les deux amarrts , cette liaison ne devai t durer j H.B••• ,
le mari de Laure, intercepta une lettre que sa femme adressait à Jean-Marc.
L'honneur détruit et bafoué, M.8••• , exigea l'éloignement de Jean-Marc de
Paris quelque temps et la promesse de ne jamais chercher à revoir sa femme.
M. B••• menaçait entre autre de provoquer un scandale au cas où Jean-Marc
refuserait d'accéder tt ses demandes fort légitimes. Il comptait remettre la
lettre saisie entre les mains du Procureur de la République qui établirait
le délit et condamnerait les amants.
Suzanne eut une dernière entrevue avec son amant et lui d~da de
se plier à la volonté de son mari pour éviter le scandale. "Oh! mon pauvre
ami, lui dit-elle, il faut que tu aies le courage de t'effacer devant la
volonté de cet homme, il faut faire tout ce qu'il demande j il faut partir,
me fuir, ne jamais me revoir; il faut brÜler mes lettres, oublier jusqu'à
mon nom!' (1)
Cette intrigue est tirée d'un fait réel. On retrouve l'original
dans la corresponda~ce de Du CAMP ~ Fh~UBERT. En réalité, Suzanne s'appelle
Laure, qui est l'épouse de B.X•.• , que nous n'avons pu identifier, et maî-
tresse de Du CAI:IP. Comme dans le cas précédent, H.X••• , intercepte' une lettre
de sa femme adressée à Du CAHP. Il profère alors des menaces
et du scandale.
Comme dans "Le livre pos thume" Laure intervient auprès de son amant pour lui
demander de céder aux exi cences de son mari qui demeure inébranlable : "Le
Hercredi, je vis Laure qui m'assura que je n'obtiendrais rien de son mar-i.;' (2)
En face de l'intransigeance de M.X ••• , Du CAMP rappe~e fermement sa posi-
tion à Me FREDERIC son notaire: "Hl' Du CAMP brûlera les lettres mais H.X•••
p
br-û Ler-a aussi celle qu'il a saisie. N- FREDERIC sera chargé de l'exécution~' (3).
(1) Le livre posthtme, P. 137.
(2) BONACCORSO, op. cit., nO 34, PP. 156-157. Rouen
Llund!7 12 mai LT§751.
(3) Ibid.
1
. . el

- 129 -
Suzanne du "Livre posthume" n'est donc pas Valentine DELESSERT
cette dernière se trouve quand même dans "Le livre posthume" ; elle est
plutôt la Porcia du dénouement du livre à qui Jean-Marc dédie ses notes
"C'est à vous, Porcia, que je dédie ces notes d'une existence qui va
s'éteindre". (1)
Le héros du livre se confesse tout entier en faisant ses
adieux à Porcia, la femme aimée: "Je vous ai rencontrée trop tard, vous
avez pu galvaniser mon cadavre, mais non pas, hélas ! rendre le souffle à
cet être épuisé, endolori, vaincu et prêt à partir. C'est vous, ô Porcia!
qu'à travers mes passions, mes ennuis, mes découragements, mes voyages, mes
aspirations éperdues, c'est vous que J'appelais, que j'invoquais, que je
voulais:' (2)
Cet hommaqe était complet et sortai t du plus profond de J ean-
Marc car pour lui, Porcia fut le seul bonheur de son existence: "Vous
seule avez peuplé ma solitude, vous seule m'avez consolé du départ de ceux
qui ne sont plus ; vous avez été à la fois mon épouse, ma soeur et ma mère
vous auriez été ma joie, ma consolation et ma force, si déjà je n'avais
appartenu à cette autre amie fidèle qu'on appelle la mort~1 (3)
Une précision que Jean-Marc a tenu à faire consolide notre point
de vue et vérifie notre hypothèse: "Dans ces notes, aucune ne s'adresse à
vous
elles étaient closes déjà en partie, le jour où, pour la première fois,
vous avez mis votre main dans la mi enne!' (4)
En effet, "Le livre posthume"
fut publié en 1852, au moment même où com~ençaient les relations amoureuses
de Du CAMP avec Madame Valentine DELESSERT.
La dernière phrase du livre est plus qu'éloquente ; elle idéalise
et éternise l'amour de la femme aimée. La séparation causée par la mort
prochaine de .Jean-ètar-c n'est que momentanée : "0 Porcia ! Que Dieu vous garde
et vous récompense du bien que vous .m'avez fait; et s'il ne veut pas me
punir trop cruellement de mes fautes, qu'il me réunisse à vous dans cette
existence nouvelle où tout à l'heure je vais faire le premier pa~1 (5)
(1) Le livre posthume, P. 307.
(2) Ibid.
(3) Ibid, 'P; 308.
(4) Ibid.
(5) Ibid, P. 310.
.../

-
130 -
Il est encore question de Porcia dans "Les chants Bodernes". Le
dernier poème du recueil est dédié à Charles lANBERT et à Porcia :
"Car vous avez toujours, pendant mes défaillances,
Quand mon âme énervée oubliait ses vaillances,
Vous avez soutenu, sous votre effort vainqueur,
Vous Lambert, mon esprit; toi Porcia, mon coeur ! "
Tous ces hommages véhéments, ces sentiments déclamés et ces
aveux solennels s'adressent en réalité à Valentine DELESSERT au delà du
roman et du poème. Le chapitre consacré
Porcia dans "Le livre posthume"
à
date d'octobre 1852. Il Y avait alors un an que Valentine était devenue la
maîtresse de Haxi me , Le poème dédié à Porcia date du 4 janvier 1855 ; les
liens entre Valentine et Maxime avaient alors quatre ans ; à cette époque-
là, les relations entre les deux amants étaient encore au "beau fixe".
Fier
de sa conquête, Du CAHP rêvait cl'un amour inexingui ble et éternel.
Porcia se retrouve dans "Les Forces Perdues" avec un autre nom,
Vi viane ; elle est touj ours Valentine DELESSST{f oe la réali té. Aux dires des
exégètes de FlAt..rBERT, Hadame Dambreuse de "L'Education sentimentale" serai t
aussi Valentine DELESSERT. C'est :1 liaur i ce PARTURIER que revient le mérite
d'avoir le premier relevé et souligné d'étranges rapproche11ents entre
Viviane des "Forces Perdues" et Hadame D.J.:nbreuse de -l'SducatioYl sentimentale".
Emile HENRIOT fait remarquer à son tour certains de ces rapproche~ents dans
son livre consacr-é aux réalistes et aux naturalistes. En fait, sachons que
la plupart des épisodes du li vr c de FU~UBERT où paraît Hacla.;:le D é.\\'ibreusc se
trouvaient déj
presque identiquement clans le r-oman de Du G.q.!'IP. Le por t r-ai t
à
physique et moral de Vi viane et Je >Iildame ~) ambrcus e sont presque les mêmes.
Viviane n'était point jolie mai c toute sa i)ersonne avait "un charme inexpri-
mable". Sa grâce Yl'était point feinte,
elle en avait dans tous ses mouve:nents
et dans chacun de ses gestes. D'tille nonchalence naturelle, son teint ava i t
"une blancheur mate ct ses yeux un e nuance" presque orangée"
ses lèvres
un peu pâles étaient J.'une forme allongée;
elle avai t aussi des cheveux
châtains très brillants. Tout cela lui d onna i t "une physionomie étrange qui
attirait et retenait l'attention ••• "
sa bouche cie "forme finc" appuyée sur
/
.../

un large menton, avait quelque chose "d'implacable qui ne pouvait di~simuler
la douceur du sourire" i ses mains étaient fines, longues, d'une " a gili té
et d'une adresse extraordinaires"( 1) .••
FlAUBERT parle lui aussi à propos de Madame l'ambreuse' de " peau
mate de son visage &J paraissai t tendue", des cheveux tirebouchonnés à
l'anglaise plus fins que de la soie", d"'yeux d'un azur brillant", de "g estes
délicats. Madame Dambr-euse avait aussi de "1ongues mains étroites, un peu
maigres, avec des doigts retroussés par le boutl' (2).
Dans l'ouvrage de Du CAHP, Viviane posa la question suivante à
Horace
- "Si j'étais libre, m'épouseriez-vous ?" (3) Horace hésita à
répondre, surpris par la question.
Dans "L'Education sentimentale", on retrouve presque la même ques-
tion avec les mêmes hésitations. Au chevet de son mari qui venait de mourir,
Madame Dambreuse demanda à Frédéric
- "Veu.r--tu m'épouser?
Il crut d'abord n'avoir pas comprisj ~.~ Elle répéta plus haut
- "Veux-tu m'épouser'" (4)
Chez Du CANP, Viviane arrive en fiacre aux rendez-vous de son amant,
qu'elle a quitté la veille et qu'elle retrouve cependant "comme s'ils se
retrouvaient après dix ans d'absence et se àisaient : "Enfin !" (5)
(1) Les Forces Perdues, PP. 99-100.
(2) G. FLAUBERT, l'Education sentimentale, Histoire d'un jeune homme, Edition
Garniers-Frères, 1964, F~. 130-131.
(3) Les Forces Perdues, P. 134.
(4) L'Education sentimentale, P. 378.
(5) Les Forces Perdues, P. 111.

- 132 -
La scène se retrouve presque identiquement chez FLAUBERT. Lorsque
les deux amants se rencontrent dans leur "maison perdue", /'1adame Dambreuse
poussait des cris d'allégresse "comme un soupir d'exilé qui revoit sa
pa tri e !" (1)
Vi viane ainsi que Hadame r:.ambr'euse sont des "dames du monde" qui
reçoivent hebdomadairement des invités de la "haute société" •••
Ces rapproche-
ments assez bizarres pourraient s'expliquer par le fait que FLAUBERT était
informé des rapports que Du CAMP entretenait avec Valentine DELESSERT (Cf
confidences des correspondances). Mais nous soutenons toujours qu'il convient
d'avoir en esprit le fait que "Les Forces Perdues" paraîssait quand FLAUBERT
était encore à nli-chemin de "L'Education sentimentale". Il avait non seule-
ment lu le manuscrit de Du CAMP, mais aussi le livre publié. Nous disons
alors qu'il a dft en être influencé.
Hadame na:nbreuse et Viviane, sont toutes deux Hadame Valentine
DELESSERT. En ce qui concerne Viviane, Haxime Du CAHP lui-même l'a avoué
dans ses papiers de la Bibliothèque de l'Institut, aveu confirmé par la
correspondance et par les ra?ports qu'il a entretenus avec Eugène de FALLOIS.
Dans une lettre du 11, juin 1886 écrite él Baden-Baden, Du CAHP mentionne la
portée éminenuncnt réaliste des "Forces Perdues" il. son interlocutrice
"Le
livre que vous avez lu n'est pas une apologie
ce n'est même pas un plai-
doyer. C'est une h~stoire vraie, c'est-à-dire aussi vraie que peut.être une
histoire racontée au public .•• " (2)
Il conserva d'ailleurs pr-é ci eus emerrt le
portrait de Viviane c'est-à-dire de Valentine. En témoigne ce dialogue entre
Eugène de FALLOIS et lui où aucune retenue n'est permise; il est relaté
par son interlocutrice :
"Un jour que j'étais debout, prête à partir, après une longue
causerie, je lui dis :
- Vous avez certaine~ent le portrait de Viviane, montrez-le moi!
Il ouvrit la porte de sa chaJnbre::l coucher, et d 'un geste silencieux,
(1) L'Education s~1timentale, op. cit.
(2) Eugène de FALLOIS - l'.D. C. Revue Bleue, T. VI, 1886, P. 290 à 294.
Lettre du 4 juin 1886.
.../

-
1)
m'indiqua vers la cheminée une tête de femme au crayon. Je m'en approchai.
C'était un frêle visage aux traits eff~cés, dans lequel resplendissaient,
sous l'ombre d'épais bandeaux, des yeux 'qui semblaien't des étoiles,
C'est le portrait d'une ~ne, dis-je; est-ce qu'elle est encore
de ce monde ?
Oui
1'avez-vous jamais revue?
J amai s."
( 1)
Cette même dame, Hadame Valentine Gabriel DELESSERT se retrouve
dans presque toute l'oeuvre narrative et poétique de Du CAHP sous les trai ts
d'autres persŒtnages féminins.
L'Héroïne de la nouvelle intitulée: "Le Chevalier du coeur saignant"
se nomme Annunziata SPADICELLI. C'est une belle jeune femme qui habi te une
maison de campagne sur les bords de la mer. Comme Valentine, elle est char-
mante, douce, bonne et belle ; comme Valentine, elle se laisse séduire par
un jeune homme en la personne de Fabio qui devient son amant sous les yeux
complaisant de son mari qui est reV~1U de ses belles illusions •••
Cette autre héroïne de IIL'holTtîle au bracelet d'or ll est appelée
Pauline de CHAVRY par l'auteur. Elle a les mêmes traits physiques et moraux
que Valentine. Elle est aussi charmante, avec un énorme noeud de cheveux
blonds, une voix légèrement voilée et un regard profond couleur de la mer.
Ses mains sont agiles et ses doigts un peu longs. Pauline n'est pas aussi
heureuse dans sa vie conjugale, car son mari, plus âgé qu'elle, est plutôt
attiré par des préoccupations qui ne l'enchantent guère •••
La Comtesse Clotilde PRANl\\.T, personnage de la nouvelle "Ré i s
Ibrahimll , n'est elle aussi/autre que Valentine, présentée sous son angle
littéraire. Elle est veuve, - ce qui est sensiblement pareil aux maris
d'étiquette - "d'un gcntillâtre r-ui né " et mêrie u...'1e vie oisive ct bourgeoise.
Elle est aussi charmante et entretient quotidiennem~1t cette coquetterie.
Clotilde tenait un salon fort recherché et fort fréquenté ou " ell e recevait
un monde assez recherché, .achetat t des tableaux, sous prétexte de protéger
(1) E. de FALLüIS, op. cit.
.../

-
1. 34 -
les arts, se montrait souvent aux Italiens, donnait par an deux ou trois
concerts, faisait les étés à la campagne et ne reculait pas devant le luxe
de quelques amantsj' (1)
c'est presque avec les mêmes mots que Du CAMP parle de Valentine
DELESSERT
"Elle était intelligente d'esprit curieux, s'éprenant volontiers
de ceux que la renommée lui désignait et qu'elle attirait de préférence dans
son salon qui était très recherché!' (2)
Pour conclure sur l'identification des héroïnes, remarquons avec
force que les descriptions physiques, morales et psychologiques des person-
nages féminins de Haxime Du CAHP, leur vie de famille et la nature de leur
ménage sont tirées de la réalité m~~e. Tout est presque calqué sur Valentine,
mariée très jeune d'une "façon inférieure" à Honsieur Gabriel DELESSERT,
préfet àe Police, séduite par la suite par le jeune Maxime qui devient son
amant. Il convient de signaler par ailleurs qu'en aucun cas et nulle part,
Haxime Du CAEP il' a dévoilé ni mentionné le nom exact de la femme qui fit
pivoter sa vie, même dans le "fonds Du CAllP de la Bibliothèque de l'Académie
Française" ni dans ses "Souvenirs littéraires" où toutes les confessions sont
permises. Cependant, les aveux sont tellement précis et dépourvus d'ambiguité
que le voile est très mince et même très facile à lever. Voilà comment il
confirme les identifications et les rapprochements que nous venons de faire
et corrobore par la même occasion notre démonstration ; il évoque sa passion
pour j>iadame DELESSERT et ses illusions perdues : "J'avais 29 ans cependant
(1851) et j'aurais dÜ être moins crédule; il est probable que mon amour-
propre y trouvait son co~pte ct j'aurais juré que j'étais le premier à
posséder celle pour laquelle j'éprouvais une inestimable passion. C'était
une grande dame, comme l'on dit~~mariée d'une façon inférieure à des al-
liances de famille qui l'apparentaient au;< meilleures maisons du Faubourg
Saint~ermainC ..:.] Un peu plus d' cxpèri.ence m'eût appris que dans ce monde-
là, il Y a peu de scrupule, parce que le" prir;cipes n'y sont que ~e surfac~l (3:
(1) Réis Ibrahim, in les s i x aventures, P. 1.
(2) N.S. 3719 - Fonds H.D.C. l - Papiers personnels.
(3)
Ibid.
.../'

Nous nous sommes exceptionnellement étendu sur ce personnage
historique et surtout littéraire qu'est Madame DELESSERT dans la mesure où
non seulement elle a joué un rôle inestimable dans la vie de Du CAl1P, mais
aussi parce qu'elle apparaît sous la plume de presque tous ceux qui travail-
lent sur FLAUBERT de façon très sporadique et même floue. Il était opportun,
nous semble-t-il, d'apporter des pièces nouvelles pour enrichir le débat.
Cette parisiennne est par ailleurs l'incarnation même de la bourgeoise
du
XIXè siècle amoureuse des lettres et des arts mais dont les concepts philoso-
phi co-moraux ne sont que d'apparence. Il conviendrait, dans les lignes qui
suivront, de relever è'autres transmutations de personnages réels en person-
nages fictifs.
b'/ Les Comparses
1/ La mariotte = Jeannette
Dans "Les Forces Perdues", Madame DARGLAIL, mère d' Horace, possède une pro-
priété en province. Elle y mène son fils alors je~me collégien pendant les
vacances scolaires. Là, Horace rencontrait régulièrement la Hariotte qui est
la fille de la fermière. Elle avait 16 ans - un peu plus qu'Horace qui en
avait 14 - et possédait de beaux cheveux blonds et épais. L'adolescent était
amoureux d'elle et la couvrait de cadeaux qu'elle provoquait d'ailleurs en
abusant un peu de sa naiveté infantile. La !1ariotte n'est autre que Jeannette
qui étai t la fille de l'un des fermiers de la famille de Ha~:ime Du CAIfP. Ce
dernier la retrouvait aussi tout heureux, avec sa mère, pendffi1t toutes ses
vacances d'été. Co~e la mariotte, elle était plus âgée que Maxime, co®ne la
mariotte, elle aimait et provoquait les cadeaux, comme la mariotte, le jetL~e
Maxime l'adorait presque, avec toute sa volupté juvénile. Ce sont cette fois
"Les Propos du soir" qui nous en donnent la confirmation: "J'aimais Jean-
nette, la fille d'illl des fermiers, plus âgée que moi de trois ou quatre ans,
paysanne avisée, éprise de cadeaux, sachant les provoquer." (1)
Jeannette
avait aussi des cheveux blonds et épais: "Ah ! qu'elle était jolie avec ses
yeux bleus qui s'efforçaient d'avoir un regard modeste, avec !:>es cheveux
blonds
chappé s de la coiffe empesée;' (2)
Les mêmes mots sont repris dans
é
(1) Propos du soir, P. 337.
(2) Ibid.
.../

- 136 -
"Les Forces Perdues" à propos de la Mariotte: "Et quand sa coiffe se détachait,
elle ne se pressait-pas de'la remettre, aÎi~ qu'on eut"le temps de voir ses
clteveux blonds et épais."' (1) A la grande déception de Du CAMP, la belle Jeannet-
te fut séduite et épousée par un aütre jeune homme de la ferme comme la Hariotte
qui se maria avec "le grand gars ll •
2/ ilLe Grand Garsll
Le Grand Gars est W1 jeune homme de vingt quatre à vingt cinq ans,
d'une beauté primitive, d'une taille et d'une force peu commw1es. C'était le
premier concurrent ct 'Horace et le sérieux prétendant de la mariotte. C'est
lui qui fut en définitive victorieux alors que le jeune Horace usait ses
culottes sur les bancs du collège.
Dans la réalité, Haxime Du CAHP parle jalousement d 'tm "solide
gars ll qui ravit la belle Jeannette et l'épousa: "Les niaiseries platoniques
d'un enfant de qVMtorze ill1S servaient à marquer les prétentions plus sérieuses
d'un solide gars de la ferme. Il fut vainqueur. Un beau jour, pendant que
j'étais au collège ânonnant la gra~aire grecque du Burnouf, il conduisit
sa victime à l'autel:! (2)
A lire ces lignes, où transparaissent les mill1ifes-
tations d'une jalousie rétrospective, on se rend nettement compte que même
au crépuscule de sa vie, HaxiT:le Du CAEP n' avai t pas encore acc'cFté de bon
coeur le succès du Gra~d Gars.
3/ L'AcadéT:licien ::: Prosper liERUIEE = Victor COUSIN ::: Charles de
RElmSAT.
Ha~cime Du CAIIP avait eu, ;1 W1 moment de sa vie, une haine féroce
contre l'Académie française et les académiciens. En 1854 déjà, la nouvelle
inti tulée "Ré i.s Ibrahim" donne le ton de cette bataille ; la ci tation qui sui t
présente un académicien dans ses bonnes oeuvres. Ce dernier fait partie d'une
vingtaine de perso~~es qui fréqu~1tent le salon de Clotilde Plli\\r~T. Le narra-
t eur ne ménage as cur-émcnt pas ses mots pour mettre à nu les défauts et les
maladresses de ce "cuistre". Prenons connai s sance du texte: "L'académicien,
qui ne manquait jamais une soirée de Clotilde, parce qu'il aimait fort les
(1) Les Forces Perdues, P. 13.
(2) Les Propos du soir, P. 337.

- 137 -
petits gâteaux, et aussi parce qu'il espérait obtenir par elle une croix
napolitaine dont il avait envie et une place dont il n'avait pas besoin,
l'académicien qui n'avait jamais reculé devant aucune platitude pour s'aug-
menter un peu ; qui Il fils de VOLTAIRE r: votai t par intérêt pour les "fils des
croisés" ; qui avait servi tous les gouvernements avec un égal dévouement
toujours récompensé; l'académicien, qui n t eût été jadis qu'un cuistre de
collège et qui, maintenant, à force de vilénies habilement dirigées, était
arrivé à se faire une sorte de position, voulut ce soir là donner de son
savoir une opinion .favorable:' (1)
Halgré son aspect extérieur de "savantasse", l'académicien ne fait
que spéculer inutilement : "Il parla de tout et sur tout, développa des idées
saugrenues à l'aide de ce langage conventionnel et de ces phrases toutes
fai tes que le monde semble avoir réservé pour son usage:' (2)
Toutes les occasions lui semblent bonnes pour faire étalage de son
savoir, cependant, il manque presque toujours l'effet souhaité: "L'académi-
cien profita de la circonstance pour donner un aperçu du sort des esclaves
dans l'antiquité, cita quelques textes latins et fit baîller d'ennui tout
ceux qui l'entendirent!' (3)
Cette mascarade d'injures et de dénigrement trouve son apogée une
année plus tard, dans la virulente préface des "Chants modernes". Pour
Haxime Du CAHP en 1855, l'Académie Française "entretient avec grand soin le
culte des idoles vermoulues", elle "voudrait rendre l'esprit humain immobile",
elle n'est plus "un corps littéraire", elle est un "corps essentiellement
poli tique". Quelques lignes plus loin, Du CAHP se reprend pour mieux exprimer
son idée: "J'ai dit que l'académie n'était plus de nos jours un corps litté-
raire; j'ai cu tort. J'aurais dü dire qu'elle est un corps essentiellement
antilittéraire : Elle corrompt ou elle tue:' (4)
(1) Réis Ibrahim in Les six aventures, pp 19-20.
(2) Ibid, P. 29.
(3) Ibid.
(4) Les chants modernes, Préface, P. 12.

..Ljb -
Dans ce réquisitoire excessif, il épargne les maîtres de la langue
française qui sont selon lui : "Victor HUGO, Alfred de VIGNY et Alphonse de
IAHARTINE~ (1;.
La raison officielle de cette haine "bilieuse" de L'Académi.c.i e
française et des académiciens est d'ordre l i ttéraire. En effet, Du CAHP est
le chantre de l'évolution et du progrès moderne opposé à tout ce qui est
ancien et retrograde. A ce titre, l'Académie française, qui est pour la plu-
part composée de personnes d'un certain âge, ne peut que faire les frais de
cette répulsion surtout que d'après lui, elle ne cultive que le culte du
passé. Voici la version officielle connue jusqu'à présent.
Quel paradoxe! pourrait-on s'écrier en lisant ces lignes, lors-
qu'on sai t que Haxime Du CAHP fut admis à siéger parmi les "Ouar-an t e im-
mort e.l s " en 1880. Qu1 en est-il de la réalité ?
C'est encore la passion amoureuse qui est à la base de cette rude
invective contre l'Académie française et les académiciens. On en sourirait
aujourd'hui, car en fait, il n'y a rien d'intellectuel concernW1t ce point
précis. La raison du coeur a triomphé sur la raison de l'esprit. En effet,
c'est encore l1adame Valentine DELESSERT qui est au centre de ce débat
passionné. Cette bourgeoise de Paris, qui aimait s'entourer d'hommes de
lettres, fut successivement la maî tresse de Charles de RET'iUSAT, de Victor
COUSIN et de Prosper IŒRIHEE, pour ne ci ter que les plus illustres. Haxi.me
Du C./'I.HP découvrit ces vérités cruelles au moment où elle était devenue sien-
ne, où il lui vouai t un amour et une adoration qu'il croyait inextinguibles.
Elles le foudroyèrent et une jalousi e rétrospective le saisit au collet. Ne
pOUVW1t pas attaquer ces messieurs de front, il se servit de la littérature.
Sa haine pour ces trois écrivains, surtout pour HERIHEE qui selon lui exerça
sur elle une t1influence dé t es t ab.l e'! , était indélibile et intacte, même à. la
fin de son existence : "~.~ Prosper Mérimée, un cynique, Charles de Rémusat,
cuistre et paillasse, mais de larges cervelles, avait été dans ses LYalentin~
bonnes grâces, j'~1 fus exaspéré, j'aurais tout donner pour échanger quelques
coups d'épée avec eux, surtout avec Mérimée qui avait exercé sur elle une
détestable influ~1ce ~.~ Je ne pouvais l'attaquer de front et sous peine
(1) Les chants modernes, Préface, P. 12.
...1

- 139 -
de manquer aux plus simples convenances, il m'était interdit de laisser
soupçonner le motif qui me poussait. Lui chercher querelle - je crus prendre
un moyen détourné qui ne produisit aucun résultat. Je publiai en 1854 ou
1855, - C'est en 1855 - je ne me rappelle plus exactement, un volume de vers
fort médiocre -, "Les Chants modernes" que je fis précéder d'une préface
virulente, agressive où j'attaquais l'Académie Française, afin de pouvoir
frapper sans mesure les RE}IDSAT, COUSIN et MERIMEE. Sans les nommer, je les
désignais si c.Lair ement que nul ne s'y méprit!' (1)
En outre, "Les Chants modernes" contiennent un poème à l'intention
de MERlrŒE. A la publication de l'ouvrage, Du CA}1P lui fit parvenir le volume
de vers en ayant soin de lui préciser le poème dont voici des extraits. Il
s'inti tule "Halédiction":
"Puisque je ne peux dans ma vie
He retourner sans voir cet homme que je hais,
Que mon ombre toujours par son ombre est suivie
Et que tant qu'il vivra je n'aurai point de paix
c.:
Que son nom soit offert en risée à la foule
Que tout ce qu'il pourrait aimer, vouloir, rêver,
commencer, désirer, chercher, tenter, s'écroule
pour ne ja~ais se relever !
De ses peines sans nom que rien ne le délivre!
Qu'on le chasse partout comme un honteux bandit
Qu'il ait peur de mourir! Qu'il ait horreur de vivre
Qu'il soit maudit! Il (2)
A l'occasion de son élection à l'Académie Française C~ 1880,
Maxime Du CAMP dut faire montre d'un tact exceptionnel pour s'expliquer
devant l'électorat. Et pour cause, ses adversaires avaient ressuscité cette
(1) H.S. 3719. Fonds H.D.C., op. cit.
(2) Les chants modernes, P. 187-191.
.../

- 140 -
vieille polémique ; ils reproduisaient purement et simplement dans la presse
des extraits de la préface des "Chants modernes" relatifs au sujet qU'ils
agrémentaient de commentaires qui ne manquaient pas de piquant ni d'origina-
lité. Du CAMP évoque très explicitement cette séquence de sa vie dans ses
papiers de la Bibliothèque de l'Académie Française:
"
Et c'est à qui s'empresse de citer les fragments les plus
vite
de la préface des "Chants Bodernes", l'effet fut manqué, car j'en
avais parlé individuellement à tous ceux de mes futures confrères dont
j'avais sollicité le suffrage, ce n'était de ma part qu'un geste de
loyauté, mais je n'ai soufflé mot des motifs trop personnels qui m'avaient
fait agir et des sentiments très douloureux qui m'avaient guidé~' (7)
Les personnages mis en·scène par Du CAHP dans ses romans, nouvel-
les et poésies sont donc pour la plupart tirés de la réalité de la vie. Ils
ont fait partie, pour l'essentiel, de l'entourage quotidien de l'auteur. Il
les a aimés, haïs, vus et entendus. C'est donc dans la réalité et dans la
vie quotidienne que l'écrivain puise les détails de ses mises en scène. Les
faits de l'histoire dont il a été l'objet ou le témoin oculaire forment le
fond d'une grande fresque sur lequel se détachent, avec un relief saisissant,
les personnages de l'oeuvre narrative et poétique. Leurs actes supposés,
fictifs, se mêlent aux actes vécus et réels de personnages ayant existé ;
l'aspect imaginaire des personnages de roman est si bien tissu de réalité,
qu'il devient impossible d'apercevoir le point où l'oeuvre cesse d'être
vraie. N'est-ce pas là la qualité essentielle d'une oeuvre d'art?
Il est bia~ évid~~t que le regard des personnages romanesques
délimite et structure \\L~ espace géographique, d'autant que nous avons
affaire à des narrateurs en perpétuels déplacements.
b - Aspects de l'Univers Spatial
Comme nous l'avons déjà. souligné, notre souci n'est aucunement
de nous perdre dans une présentation exhaustive des moindres détails qui
(1) M. S. 3719 - Fonds l1axime Du CAHP.

- 141 -
jonchent l'univers spatial circonscrit par les narrateurs des récits de
Maxime Du CAMP, mais seulement d'en présenter quelques aspects réalistes à
travers des exemples caractéristiques. Une étude autonome de l'univers spatio-
temporel dans l'oeuvre narrative et poétique de Maxime Du CAMP mériterait
d'être faite.
L'espace géographique circonscrit est délimité par les déplace-
ments des narrateurs; la vision spatiale de l'écrivain se promène au fil
du déroulement ininterrompu du Temps, c'est-à-dire au fur et à mesure que le
narrateur se déplace dans le cadre spatio-temporel. Observateurs méticuleux,
les narrateurs parcourent provinces, villes et pays et peignent les espaces
qui s'offrent à leur perception. Cet espace géographique est ouvert, dans
la mesure où les faits qui y sont relatés se déroulent dans des unités de
lieu différentes. En termes précis, nous voudrions signifier que les romans
et les nouvelles si tuent leurs actions dans plusieurs uni tés de lieu. Deux
univers spatiaux viennent en première ligne : la France avec Paris, les
provinces et les campagnes, ensuite l'Orient qui n'est autre que celui des
voyageurs romantiques; puis suivent l'Italie et l'Ecosse. En guise d'illus-
tration, signalons que les scènes du "Livre posthume" se déroulent à Paris,
en Orient et en Italie. Le roman "Les Forces Perdues" est quant à lui
harmonieusement réparti sur quatre unités de lieu
France: Paris et
campagne ; Ecosse : Dumbarton et Glasgow ; Orient
Egypte et Nubie ; et
Italie : Rome, Palerme, Florence, €'.tc::, .••
Le recueil de nouvelles IILes Six aventures" constitue aussi une
nette démonstration. En effet, "La double aumônell situe ses actions en
Italie,~Réis I br-ahi m'' en Egypte et à Paris, "Les Trois vieillards de Pierrell ,
"L'Eunuque noir", et "Tagahor" en Orient, enfin la dernière, "L'âme
errante" se déroule dans un temps et dans un espace mythiques.
L'inventaire rapide que nous venons d'établir nous permet de
faire cette remarque. Presque tous les espaces dans lesquels Du CAMP a
situé son oeuvre narrative ne lui sont pas étrangers. En fait, il n'a fait
que "Reproduire" d'une certaine façon des réminiscences et des souvenirs
réels. La chose vue prime sur la chose inventée. Tout est tiré de la réalité.
Il s'agissait en fait pour l'écrivain de peindre des personnages réels, pris
SUr le vif, dans leurs milieux naturels et vivant de leur vie propre, dans
.../

- 142 -
leurs cadres quotidiens, sans autre intervention de sa part que de les
fixer dans un moment de leur durée. Pour cela, il n'a décrit que ce qU'il
a vu ou connu parfaitement. Dans la quasi totalité des cas, il indique
explicitement le nom propre des lieux qui deviennent les centres des actions.
Par exemple, l'intrigue des "Trois vieillards d.e=Pt~elt-'s'est _ti9Sé-è à Damas
.
l '
,,-
dans les contrées musulmanes : IIAutrefois, à une époque si éloignée que les
hommes d'aujourd'hui 61 ont perdu le souvenir, un vieillard vivait dans la
ville de Damas~' (1)
Le poète Ain Saher, héros de la nouvelle, entreprend un
pèlerinage qui mène vers l'éternité, de IIDamas à Bagdad" pour mettre un terme
. à son éducation religieuse •••
L'auteur ne se pose donc pas à proprement parler le problème usuel
de l'espace dénoté et de l'espace connoté. Le référent est vérifiable car le
signe, c'est-à-dire le nom des rues, des villes et des pays renvoie à une
réalité existante. Les énoncés romanesques se prêtent ainsi à une procédure
de vérification et la projection de l'espace du roman est fort possible.
L'écrivain obéit sans doute à cette contrainte résultant d'une convention
littéraire qui interdit au romancier de créer un espace comme il crée un
personnage. C'est le cas du cadre d'évolution de Jean-Harc du "Livre posthume".
On peut identifier sans trop de difficultés, même de nos jours, son cadre
idéal de vie en plein Paris : II~.~
Et comme nous nous promenions au Palais-
Royal, nous entrâmes dans un cabinet de lecture ~.~ Et nous prîmes notre
route pour gagner la rue de l'Odéon ~.~ Arrivés au milieu du Pont-Neuf,
nous nous assîmes sur le parapet ~.~ Le vent agitait les becs de gaz qui
vacillaient devant l'hôtel de la monnaie; la Seine noire et rapide se brisait
aux piliers du pont ~.~ Deux heures du matin sonnaient à Saint-Germain-
l'auxerrois, avant de mettre le pied à la rue Dauphine, je m'arrêtai~' (2)
Cepend~lt, le renseignement topographique donné par les personnages
n'est pas toujours suivi d'informations utilitaires comme dans un guide. Cette
fonction est estompée dans l'oeuvre de fiction dans la mesure où tout renseigne-
ment topographique suppose par exe~ple qu'une rue, qu'une ville ou qu'un
paysage désigné ait une valeur socio-culturelle. C'est en fait la question de
la valorisation de l'espace dans une oeuvre fictive par rapport à l'espace
(1) Les Trois vieillards de Pierre, in les Six aventures, op. cit.
(2) Le livre posthume, PP. 74-77.
/
...;

- 143 -
réel. En d'autres termes, toute indication de l'espace suppose chez le
narrateur des références qui renvoient à une pratique sociale. A ce problème
s'ajoute aussi la question du rapport symbolique entre lieux, personnages
et intrigues. Chez Du CAMP, cela relève non d'un esthétisme, ou d'une philo-
sophie, mais plutôt d'un souci constant de réalisme, mieux, d'une incapacité
de se détacher de la réalité, de la "chose vue".
Par ailleurs, il est à noter que les trajets parcourus par les
héros traduisent tantôt une valorisation, tantôt une dissimulation, tantôt
une dégradation de l'Espace. Dans ces cas, c'est le nom des sites qui sert
à désigner par déduction la fonction narrative et la nature de tel ou tel
épisode romanesque. Ainsi, le texte romanesque renvoie toujours à une masse
de discours sur l'Espace représenté. Il renvoie aussi à une sorte de con-
sensus sur l'organisation et les valeurs de l'Espace. Les noms de pays, de
villes, de rues et de sites historiques choisis par l'auteur renvoient par
exemple à une entité géographique et socio-culturelle. La nouvelle "La double
aumône" est par exemple si tuée en Italie, précisément à Rome. Ce si te
géographique permet à l'auteur de mettre à nu les sentiments à fleur de peau
de Paulus le romantique en perpétuelle quête d'étrangeté et d'émerveillement.
Le choix de cette ville historique place le récit dans une atmosphère "moyen-
âgeuse" scienunent voulue par l'écrivain: "Il rencontra à Rome des émotions
qu'il ne soupçonnait pas et des rêveries profondes comme l'infini ~.~ Il
vivait ~~ pleine antiquité et s'étonnait de ne point porter la toge et l'an-
neau des chevati er-sl' (1)
Horace des "Forces Perdues" "valorise" l'espace Egyptien. En effet,
il parcourt l'Egypte et s'extasie devant les paysages qu'il découvre
son
lieu de prédilection est l'île de Chio, éblouissante dans les rayons du
soleil levant, avec ses forêts d'orangers et ses petits palais génois sus-
pendus aux fl~~cs roses de la montagne; il se promène sans répit dans les
plaines de Coelé-Syrie où paissent les troupeaux de dromadaires mêlés aux
bandes de cigognes ; les cimes blanches du Liban et les ruines de Balbeck
noyées dans les brumes nacrées qu'il aperçoit à l'horizon font l'objet de
son admiration.
(1) La double aumône, P. 241.
.../

- 144 -
Ailleurs, il s'enthousiasme devant l'île d'Eléphantine. Il s'en
fallut de peu qu'il ne l'achetât. Cette île est un bouquet de palmiers sur
le Nil, aux confins de la Haute Egypte et de la Nubie inférieure, à l'entrée
de la deuxième cataracte. Voici comment il manifeste son ivresse: "De l'autre
côté d'un très étroit bras du fleuve, une île charmante sortait des flots
comme un bouquet de verdure [;. J. Une fraîcheur parfumée planai t au dessus
du fleuve; le soleil venait de paraître; c'était partout comme une fête de
couleur et de clarté [;.J. C'est l'île d'Eléphantine, la Syène des
anciens [;.J" (1)
Par contre, le bref séjour de Réis Ibrahim à Paris traduit une
dégradation de l'Espace. Le narrateur oppose sans cesse la vie "primitive",
simple, insouciante et ensoleillée d'Egypte à celle matérialiste, sophis-
tiquée, égoïste et sclérosée de Paris •••
Au bout du c~mpte, quelles que soient leurs fonctions, les éléments
qui composent l'univers spatial de l'oeuvre de Du CAMP sont tirés de la
réalité la plupart ~u temps~ Lorsque, pourAles besoins de l'intérêt romanesque
. . '
l
,
'
l ',auteur tente (tlégar~ le lecteur ou le cr-Lt i que, i l
es t très
aisé de rétablir la vérité de la vie, pourvu que l'on se donne la peine de
compulser les documents. Le cas de "Chailleuse" en est un exemple
caractéristique.
Du CAf1P si tue une bonne partie des "Forces Perdues" à Chailleuse.
C'est une propriété que Madame DARGLAIL possédait en province et où elle
menait Horace dès que les vacances avaient commencé. En réalité Du CAMP
emprunte ce nom à une terre ayant appartenu aux CORMENIN, originaires de
Joigny. Nous devons cet éclairage à JIRIAN Joseph grâce à son étude sur
"Les Forces Perdues". Selon lui, Chailleuse fait partie du département de
l'Yonne. C'est un hameau situé à deux kilomètres au sud-ouest de Senan, com-
mune de l'arrondissement de Joigny. En fait, Chailleuse n'est qu'un paravent
pour Du CAMP pour désigner une réalité précise. Ce n'est qu'un nom. Chail-
leuse "réelle" est si tuée en plein coeur de France, dans le Haine, dans la
vieille contrée de Chouannerie où les bleus et les blancs ne se ménagèrent
ni les embuscades, ni les assassinats: "C'est là, dans une ancienne com-
(1) Les Forces Perdues, P. 243.
. . ·1

- 145 -
manderie de templiers, qui avait apparence d'un repère de malandrins perdus
au milieu des bois que, jusqu'à l'année 1836, je passais mes vacances
d'écolier." (1)
C'est toujours l'étude de JIRIAN Joseph qui permet de re-
placer les choses à leur juste place. En réalité, Chailleuse n'est autre que
Fresnay-Le-Vicomte. Le cadre rustique dans lequel se déroule la première
partie des "Forces Perdues" est donc celui de Fresnay-Le-Vicomte où la grand'
mère maternelle de Du CAMP possédait plusieurs fermes. Les documents relatifs
à ces fermes existent dans les papiers de la Bibliothèque de l'Académie
Française. Fresnay-Le-Vicomte, actuellement appelé Fresnay-sur-Sarthe, est
un chef-lieu de Canton du département de la Sarthe. C'est la région dite des
Alpes mancelles qui fait partie de l'arrondissement de Mame~s.
La partie
située à l'ouest se rattache au massif breton et tout le reste du départe-
ment au bassin de Paris.
Fresnay-sur-Sarthe s'étale sur un coteau qui domine la rive gauche
de la rivière qui a donné son nom au département. La principale occupation des
Fresnois est l'exploitation de marnières et la bonneterie. On compte en outre
dans le bourg des fours à chaux, des tanneries et des fabriques de toile.
Dans la deuxième moitié du XIXè siècle, époque à laquelle se situe l'action
du roman, les habitants du bourg étaient de simples paysans travaillant sur
des terres appartenw1t à des propriétaires dont la fa~ille de Du CAMP.
Le tableau que Du CAHP donne de Chailleuse est tout empreint de
réalisme. Toutes les descriptions trouvent leur fondement dans la réalité
même. On peut retrouver sans peine ces lieux où, Horace, libéré des con-
traintes du collège, trouvait abondance de plaisirs. Il était presque tou-
jours seul, sans compagnon de son âge, mais avait pour lui les champs, les
bois où il s'était construit une hutte de feuillages, et les prés où il
faisait la chasse aux capricornes musqués; Horace était connu de tous les
paysans de la ferme et lorsqu'il avait faim, il entrait dans la première
ferme qui se rencontrait sur sa route. C'était son domaine, il en connais-
sait tous les coins et recoins, tous les sentiers et tous les arbres. Les
escapades d'Horace, l'esprit des propriétaires de fermes et celui des
paysans de Chailleuse, c'est-à-dire de Fresnay-Le-Vicomte sont peints avec
une sincérité indéniable doublée d'un réalisme saisissant.
(1) Propos du soir, P. 335.
. . ·1

- 146 -
Pour conclure sur l'univers spatial, il convient de dire que Du
CAMP ne s'est pas donné trop de peine pour trouver les cadres d'évolution de
ses personnages. Son souci constant de réalisme se manifeste tout au long de
son oeuvre par le choix de repères historiquement existants, même dans les
récits où cohabitent le réel et l'invraisemblable.
c - Récits fantastiques et Réalisme
Les écrits de Maxime Du CAMP ont tous leurs racines solidement
implantées dans la réalité quotidienne. Néanmoins, l'on constate dans cer-
tains cas un amalgame synchronisé entre le fantastique et le réel. Dans ce
cas précis, - rare dans l'oeuvre - le récit commence sur un ton réaliste
et glisse peu à peu vers le fabuleux, l'imaginaire et le surnaturel à tel
point, qu'à la fin, l'on ne sait plus très exactement quel aspect prime
sur l'autre.
La nouvelle intitulée: "L'homme au bracelet d'or" entre dans ce
registre. Le héros George d'ALFAREY en mal d'amour se jette dans une guerre
en Hongrie pour oublier ses problèmes de coeur. Pendant les rudes combats
qui se succèdent au jour le jour, George et l'un de ses compagnons de com-
bats sont chargés de reconnaître la position exacte du corps ennemi. Dans
cette forêt hongroise se produisent des choses étranges, voire surnaturelles.
En parcourant ces pages, on se croirait en train de lire du SHAKESPEARE. On
retrouve presqu'e)~ctement les sorcières qui avaient prédit l'avenir de
Macbeth. Le cadre, l'ambiance et l'atmosphère s'y prêtent à merveille. Chez
Haxime Du CAHP, il est plutôt question d'une bohémienne. Elle est jeune,
laide et s'appelle Mezaamet, ce qui signifie couleuvre en arabe. Elle
apprend l 'histoire de George grâce au chant des corbeaux: "hier vous passiez
près d'un bois, et il y avait de vieux corbeaux perchés sur un chêne qui
m'ont raconté votre hi s t oi r-e;' (1)
J.1ezaamet lit dans la paume de George mais
refuse de lui révéler la vérité car l'avenir est très sombre pour le jeune
combattant: "Non, répondit-elle d'une voix mélancolique et traînante, car
je ne veux ~~oncer que des choses heureuses à l'homme au bracelet d'or
(George)." (2)
(1) L'homme au bracelet d'or, P. 321.
(2) Ibid.
. . ·1

- 147 -
Mezaamet est par la suite suppléée par des sorcières beaucoup plus
âgées qu'elle. L'une d'elles tire d'un sac rapiécé qui pendait à sa ceinture,
une coupelle de bois qu'elle remplit de sable, et y dessine des lignes
bi zarr~ en murmurant des paroles étranges qu'elle prononce très vite et très
bas. Voici ce qu'elle dit: "Au nom divin et humain de SchaddaI, par le
signe tout puissant du pentagramme, au nom d'AnaIl, par la force d'Adam et
d'Héva, qui sont jotehavah, retire-toi, Lilith, retire-toi, Nahémah ! Par les
saints EloIm, par les noms des génies Cashiel, Séhaltiel, Aphiel et Zara-
hiel, au commandèment d'Orifiel, détourne-toi de nous, Moloch! détourne-toi,
tu n'auras pas nos enf'ants à dévorer !" (1)~ En face de ces sinistres prédic-
tions, la sorcière conseille à George d'arrêter la guerre pour rejoindre son
pays le plus vite possible: "Va t'en! va-t-en ! cette terre est mauvaise
pour toi C.:? Il y a du sang à ton cou, et ta blanche chémise est devenue
toute rouge C.:? Va-t-en ou la terre des magyars ne te laissera plus partir." (2)
Conune dans "Macbeth", ces prédictions se réalisent à la seule dif-
férence que George meurt pour avoir refusé de croire aux mystères.
Le fantastique du "Chevalier du coeur saignant" est d'une autre
nature. Le héros de la nouvelle, Fabio, est l'un de ces romantiques malades
qui prennent leur imagination pour la réalité. Il est l'amant d'Annunziata,
belle bOUrgeoise en plein centre d'Italie. Eternellement insatisfait, il use
de ses facultés extrahumaines pour savoir qu'il est le premier et le seul
à posséder sa maîtresse. Mais les révélations sont terribles. Dès lors,
une jalousie rétrospective l'envahit et il en devient malade. Il est atteint
d'un mal de l'âme incurable puisque indéfinissable. L'état dramatique de
Fabio est l'exemple d'une de ces maladies mystérieus'es que la physiologie
constate sans trop pouvoir parvenir à l'expliquer; Fabio est jeune, solide,
sain, et cependant il souffre d'une blessure qu'il voit, qu'il touche, et
qui n'a jamais existé que dans son imagination. Ses peines morales sont
devenues pour lui une douleur physique; l'on se trouve devant l'un de ces
renversements de facultés auxquels les aliénés sont fréquemment sujets. Chez
(1) L'homme au bracelet d'or, P. 321.
(2) Ibid.
···1

- 148 -
lui, le sentiment s'est tourné en sensation, et dans toute sa vie d'ailleurs~
il en a toujours été ainsi i il a vu ce qU'il éprouvait, ses inquiétudes ont
pris un corps et l'ont obsédé jusqu'à le réduire à ce douloureux état où la
raison oscillante a perdu sa direction. Il est possible qu'il soit fou, il
est possible qU'il ne le soit pas.
Une autre nouvelle fantastique qui s'apparente au dernier exemple
que nous venons de citer aborde les problèmes de l'hallucination. Elle est
intitulée: "Les hallucinations du Professeur Floréal" : c'est en fait
l'histoire des remords causés par un de ces assassinats assez fréquents au
XIXè siècle, qu'on pourrait appeler en empruntant le langage du "Confiteor"
l'assassinat par omission. En effet, 11arius FLOREAL-Longue-Heuze est né à
l'époque de la tourmente révolutionnaire. Il avait des jambes et des bras
démesurés ce qui faisait de lui un être osseux, mal attaché et sans proportion.
Il ressemblait à un pantin dont les fils s'étaient desserrés. A cause de ces
anormalités physiques, !1arius était doux de caractère i sa timidité extrême
encourageait les railleries de ses camarades de collège. Un pur hasard
devait lui faire jouer un rôle de premier rang dans sa ville. Un soir, dans
un café où il allait quelquefois pour discuter avec les étudiants qui s'y
réunissaient d'habitude, il était assis sur un tabouret; sans méchante
intention de sa part, ses malheureuses jambes s'étendaient jusque sur l'es-
pace libre ménagé entre les tables pour la circulation des allants et venants.
Un officier entra, le chapeau sur l'oreille, l'oeil provoqu~~t et la mous-
tache en crocs; Floréal se mit à le regarder, admirant ses allures hardies
et dégagées lorsque, passant près de lui, il s'embarrassa dans ses jambes
et tomba. Plaisanteries et rires fusèrent de partout. L'officier se releva
rouge de colère, et co~ne Floréal se penchait vers lui pour lui faire ses
excuses, il le frappa au visage. Ahuri et vexé, Floréal se résolut à déposer
une plainte régulière au parquet du Procureur du Roi. Hais, le lendemain
matin, des témoins de la scène entrèrent chez lui et l'~~traînèrent Q ~~ duel
avec l'officier. A tout hasard, le coup de Floréal partit le premier et
brisa le crâne de l'officier. Dès cet instant, il devint un héros. Le régiment
de la ville reçut l'ordre de ch~1ger de garnison, ce qui mit un terme au
despotisme d'une soldatesque effrenée dont la ville était le théâtre.
L'opinion fut ô1 sa faveur et on le nomma professeur titulaire d'une classe
de cinquième aU collège. Ce ne fut pas la fin des malheurs du pauvre Floréal,
.. ·1'

- 149 -
on peut même dire que ce fut la fin de sa tranquillité. Il devient un éter~el
tourmenté, voire un halluciné. Il sentit perpétuellement s'agiter dans les
profondeurs de son âme un drame terrible qui ne lui laissait plus aucun
repos. Floréal venait de faire sur lui une découverte psychologique extrême-
ment grave dont les conséquences physiologiques ne furent pas des moindres.
Nous avons délibérément insisté sur les conséquences psychiques
et physiologiques de cette aventure qui abîmèrent la vie de Floréal. Nous
estimons qu'il était nécessaire d'expliquer les curieux phénomènes dont il
a été le siège, afin qu'on pût bien comprendre comment, amené à commettre
un crime inexplicable sans participation morale, i l devint un halluciné:,
c'est-à-dire un élément redoutable pour la société. Un commission de médecins
légistes examina Floréal avec soin, et le rapport le déclara un halluciné
sujet à des colères pouvant dégénérer en folie furieuse. Par mesure de
sûreté, il fut enfermé dans un asile psychiatrique. La qualité essentielle
de cette nouvelle est d'avoir traité physiologiquement une donnée morale,
et d'avoir fait porter au corps le châtiment de l'âme. Tout se passe dans
l'â~e et découle de l'âme, et cependant les effets du remords détruisent
l'individu.
Pour revenir au problème "fantastique - Réali té", il convient de
souligner que malgré cette atmosphère d'invraisemblance, de phantasme et de
mystère, la réalité tiŒ1t une place de premier choix dans .le récit. Cela
tient au fait que malgré toutes les apparences, le fantastique romanesque
est un genre dans lequel la réalité joue un rôle considérable: où elle
joue même le seul rôle, quoiqu'il ait en apparence des prétentions toutes
contraires. D'ailleurs, HOFFHANN lui-même, le maître du genre, était ml.
réaliste dans la bOl~~e et juste acception du mot; le dernier poète qui ait
manié le fantastique C~ maître, l'Américain Edgar POE, est aussi un pur matéria-
liste, en dépit de ses affectations métaphysiques.
Ainsi, à la suite des maîtres du genre, presque tous les éléments
dont se composent les récits fill1tastiques de Maxime Du CA~fP sont matériels,
corporels, physiques; il n'yen a pas un, pris isolément, qui soit du
domaine du fantastique ou du merveilleux. Les impressions fantastiques nais-
sent de la tyraru1ie du corps et des agents matériels sur l'âme, de la coïn-
.../

- 150 -
cidence de certaines circonst~lces extérieures que l'imagination n'a pas
coutume d'associer, mais chacune de ces circonstances est naturelle et chacwl
de ces agents peut être décrit scientifiquement. Tous ces éléments sont
parfaitement réels, et cependant, réunis et associés, ils prennent une âme
magique, qui exerce sur nous un pouvoir occulte.
Haxime Du CAHP s'est certainement inspiré du maître de la l i tté-
rature fantastique pour écrire les nouvelles que nous venons d'évoquer. Son
fantastique se situe en gros dans la lignée de celui très classique d'HOFF-
}~m~. Cela se constate nettement à travers la création de l'univers fantas-
tique. Comme chez le mattre, le fantastique de Du CAMP est solidement encré
dans le monde réel
il découle ôl général de la réalité et tend peu à peu
vers l'univers des songes et de l'irréel. Dès lors, l'imagination s'abandon-
ne à toute l'irrégularité de ses caprices et à toutes les combinaisons des
scènes les plus bizarres et les plus burlesques; elle ne s'arrête que
lorsqu'elle est épuisée. Les transformations les plus imprévues et les plus
extravagantes ont lieu par les moyens les plus improbables. La définition
qu'Albert BEGUIN dor.u~e du fantastique d'HOFFMANN pourrait s'appliquer à
celui de l'auteur des "Hallucinations du Professeur Floréal" : liChez HOFF-
~~NN, affirme-t-il, les institutions deviennent des personnages, les événe-
ments des atmosphères, et tout ce monde, dont la première qualité est d'être
étonnamment réel, se pénètre peu à peu d'étrangeté. Aucun parti pris, aucune
volonté de symbolisme ne le dirige d'abord; il semble s'engager dans Q~e
aventure saris mystère ; et voici qu'insensiblement, on est enlevé à. cette
apparente simplicité. Les personnages, comme les objets et toute l'ambiw1ce,
se mettent ~ devenir trill1Spar~1ts, révélant à l'improviste leur double et
triple signification. Ou bien à l'inverse, ils se font opaques, menaçants,
chargés de hantises et de lourdes réminiscences ataviques, soudain grimaçants.
Le rêve surgit au milieu de la vie présente, très concrète pourt~~t i il Y
perce des trouées Immenses qui ouvrent sur le monde invisible de l'art ou
sur les obscurs domaines du cauchemar;'
(1)
Par ailleurs, HOFFHANN a usé de l'univers scabreux crée par les
animaux et les oiseau:: tels que les corbeaux et les mouettes dont le croasse-
(1) HOFFIlA.HH, Contes fantastiques, José lAHBERT, Paris, GARNIER-FlAHHARION,
1979 (résumé sur la couverture par Albert BEGUIN).
/
.../

- 15 1 -
ment et le sifflement annoncent l'orage et non les splendeurs des contes de
fées. Le mê.'l1e procédé se retrouve dans "L'horrune au bracelet d'or" où il e5t
question de couleuvre, de corbeaux, de chauve-souris ••• dont les cris et les
chants annoncent de terribles orages et de fortes pluies.
Dans le même ordre d'idée, notons aussi que Du CAHP a même emprunté
un personnage à HOFFI1ANN. Il s'agit d'Annunziata de "Doge et Dogaresse" (1)
d'HOFFMANN qu'on retrouve nommément dans ilLe Chevalier du coeur saignant" de
Maxime Du CAI1P. Ce personnage historique (Cf les amours d'Anton et d'Annun-
ziata), est chez le maître du fantastique ilIa colombe blessée", douce et
gémissante à souhait, tendre et pure comme tant d'autres jeunes filles et
jeunes femmes de ses oeuvres
elle ne s'abandonne qu'une fois veuve et
subit jusqu'au bout son destin de victime: victime de la politique, des pas-
sions qui l'entourent, et des "éléments déchaînés ll •
La très parfaite fusion
du romanesque et de l'histoire, du pittoresque et de l'humain, une certaine
richesse d'invention à l'intérieur d'w1 cadre donné d'avance, le contraste
entre les noires intrigues de la politique vénitienne et la candeur de deux
jeunes amoureux, contribuent
donner à cette brève nouvelle un véri table
à
charme. Annunziata de Du CAMP est aussi victime des circonstances de la vie,
mais surtout de la passion d'un homme devenu déséquilibré pour ses caprices.
Halgré ces rapprochements entre le fantastique d 'HOFFI'IMŒ et celui
de Du CAI1P, il importe de signaler la différence essentielle entre les deux
personnalités. Du CAIW est de nahtre lucide et équilibré tandis que l'écrivain
allemand, ilLe premier auteur célèbre qui ait introduit dans sa composition le
FANTASTIQUE ou le grotesque surnaturel, était si près d'un
véritable état de
foli e, qu'il tremblait devant les fantômes de ses ouvr-aqesl' (2)
Fermons la parenthèse pour revenir ,]. l'auteur du "Chevalier du
coeur saignant". En écrivant les nouvelles fantastiques dont nous venons de
parler, l'écrivain s'est sans doute donné le double but d'être .\\ la fois
émouvant comme le mystère et vrai comme la science.
(1) HOFFHAm~, Trois contes : 1,' homme au sable, Le conseiller Krespel, Doge
et Dogaresse, Aubier, Edition Hontaigne, Paris, 1947.
(2) HOFF1'fANH, Contes fantastiques, op. ci t , , P. 47.
. . ·1'

152 -
Que dire pour conclure partiellement ce chapitre? Comment s'est
effectué chez Haxirne Du CAl1P "la transmutation de la vie réelle en oeuvre
d'art", le passage de l'autobiographie au réalisme ou vice-versa? Qu'entre-
prend-il de raconter? Choisit-il ce qu'on peut appeler une autobiographie
intérieure ou l'évolution du personnage central compte infiniment plus que
les événements extérieurs, ou s'attache-t-il, au contraire à narrer sa vie
du dehors, comme eüt pu le faire n'importe lequel de ses proches? On hésite
à répondre de façon tranchée
à ces questions/car si Maxime Du CAMP trans-
pose dans son oeuvre le développement de sa personnalité, il n'en demeure pas
moins qu'il s'applique le plus souvent à situer avec précision tel ou tel
incident, et même à immortaliser des traits saisissants et constants de son
époque.
Que ce soit l'autobiographie romancée ou la peinture réaliste de
son époque, il ne serait peut-être pas superflu de se poser des questions
relatives à l'authenticité des faits.
Sous l'angle de la vérité psychologique, l'on constate que les
états dépressifs, tristes et ennuyeux marquèrent davantage l'écrivain que
les états euphoriques et qU'il en vint souvent à oublier ses moments de
plénitude et d'entrain pour tracer de lui et de son époque un portrait sinon
pessimiste, du moins incomplet. Rien n'étonne à ce sujet car Haxi.me Du CAEP
est avant tout W1 écrivain moralisateur. Il a d'ailleurs toujours clamé le
rôle d'apôtre et d'éducateur que doit jouer l'homme deI lettres. Selon lui,
ce dernier se doit de mettre à nu les maladresses, les excentricités et les
"bêtises" des mortels afin que les générations futures ne retombent pas dans
les mêmes erreurs. En conséqu~~ce, ce choix des tendances les plus fortes
aUx dépens des plus faibles aboutit à une stylisation du récit où le person-
nage central devient un type plutôt qu'un caractère. Il a beau nous décrire
la complexité des personnages, il ne met presque toujours en relief que des
traits du même ordre. l1û peut-être par le désir de donner une unité de ton
à la description, il ca~pe W1e époque et une génération frappées par le des-
tin et vouées à la tristesse, à la maladie, à l'ennui et aux forces perdues.
Nous voici donc bien loin de l'autobiographie idéale. L'on est plutôt à
cheval sur le réalisme et le naturalisme. C'est donc à juste titre que
Joseph JIRIAN a souligné le rôle précurseur joué par Maxime Du CA~1P dans
l'avènement du naulralisme. La reproduction factice et motivée et l'idéalisa-

- 153 -
tion obsessionnelle n'ont point de terrain dans l'oeuvre de l'écrivain.
Cependant, la seule réalité qU'il reconnüt, se réduisit à ses réactions
propres en présence d'événements donnés. Aussi, le problème du temps psycho-
logique se pose-t-il dans certains cas, avec une acuité particulière. Du
CAMP s'étend intentionnellement sur un certain nombre d'aspects de sa vie et de
son époque sans même faire aucune allusion à des événements qui furent d'une
importance non négligeable. Pour ex~nple, rappelons qU'il n'a jamais voulu
s'engager politiquement et, mises à part quelques réflexions qu'il jette par-
ci par-là, l'oeuvre narrative et poétique n'aborde pas à proprement parler
les questions politiques. Ce caractère non moins négligeable de l'oeuvre de
Du CAMP se retrouve d~1s les thèmes que nous aurons à étudier dans un
chapitre ultérieur. C'est l'éternel problème du choix qu'opère l'écrivain
pour la réalisation d'une oeuvre littéraire.
Peut-on donc en réalité et en toute objectivité, parler de l'objec-
tivité d'un récit, d'Ul1 discours ou de tout autre communication?
A notre avis, tout discours, qu'il soit littéraire ou autre est
d'ordre "téléologique" c'est-à-dire qU'il constitue au bout du compte un
rapport de finalité. Hême les théoriciens de l'art pour l'art, FLAUBERT en
l'occurence, qui affirment que ce n'est que par la beauté de la forme que
l'artiste donne aux symboles leur valeur éternelle n'échappent pas aux
caractères téléologiquesdu récit. A la suite de René DUNESNIL, nous objec-
tons que pour atteindre cette perfection de la forme qu'il poursuit, l'artiste,
quel qu'il soit, ne peut cependant pas dépouiller sa perso~~alité. L'ho~~e
n'est rien, l'oeuvre est tout, avait coutume de répéter FLAUBERT; soit, mais
puisque c'est l'homme qui crée l'oeuvre et la matière qu'il pétrit, il ne
peut Si empêcher c~ 'y laisser son empreinte. C'est donc pour cette raison que
René DŒ1E8NIL soutient que par les détails de composition, par le choix des
épisodes, par le style même, le romancier le plus objectif "signe" son ouvra-
ge tout aussi sürem~1t que le plus subjectif des auteurs.
L'objectivité en tant que telle cesse du moment qu'on l'e::prime
car l'expression suppose un choi:c, Ul1e ordonnance où s'affir~e la personna-
lité de l'orateur ou àe l'écrivain. C'est le tempéra~ent de l'auteur, ce sont
les influences qui s'exercent sur lui, qui décident de ce choix, et d'ailleurs
l'idée 2. priori qui précède tout raisonnement n'est-elle pas elle-même
.. ·1

- 154 -
idéologique, c'est-à-dire motivée et subjective?
En dépit de son caractère autobiographique, l'oeuvre de Du CAMP
est le résumé brOlant de tout un ordre de luttes intimes qui ont agité l'âme
d'une génération. Il est tel
livre où, à travers la grâce énergique d'un
récit tout d'imagination ou d'évocation recréé de soi, se dessinent quelques un des
phénomènes, quelques-unes des luttes et des préoccupations intérieures d'une
société où tout se transforme, où tout est en fusion. Sans atteindre à
l'idéal un peu ambi t i eux de "La Comédie humaine" de BALZAC, les livres de Du
CAMP, révèlent assurément certains côtés du monde contemporain ; ils fouillent
dans les moeurs modernes et en font surgir des types frappants et révélateurs.
Les personnages de l'auteur des "Forces Perdues" exhalent un charme inexpli-
cable, car une fois crées, ils ne vivent uniquement que par la puissance de
l'imagination, mais ils sont aussi vTais et émouvants que des personnages
réels qu'on reconnaît à leur allure, à leur physionomie, à leur comportement
et à leur langage. C'est pour cette raison d'ailleurs que nous avons jugé
utile de savoir comment partant d'une réalité vécue, l'écrivain a réorganisé
son univers livresque; cet univers recréé est, d'après Marie Jeanne DURRY,
une façon de restituer l'existence selon son déroulement. L'écrivain a donc
tout droit de réorganiser sa perception dans un temps et dans un lieu qui
deviennent ceux de son oeuvre. Il part d'une réalité sociale en général vécue,
puis réorganise et crée selon ses phantasmes un autre univers qu'il situe
dans un temps et dans un Espace déterminés. Temps, Espaces, Personnages, fic-
tion étant des notions abstraites, la façon dont l'écrivain les conçoit,
conditionne ses attitudes à l'égard du monde extérieur, de l'univers.
La plus belle oeuvre romanesque ne serait-elle pas celle où la
conception est si naturelle, où l'observation est condensée avec tant d'art,
où la composition est si parfaitement ag~1cée, qu'on ne sait plus bien où
finit la réalité, où commence la fiction et où tr~1sparaît l'autobiographie?
C'est ce que l'on nomme "la vr-ei s embLance lumineuse et s a'i s i s s an t e!' qui
résulte d'une juste combinaison de tous les éléments humains, qui se re-
trouvent là même où la fantaisie semble avoir le plus grand rôle. Les inter-
rogations de Du CAHP à propos des "Forces Perdues" répondent à nos pré-
occupations et confirment nos r-éf'Lexi ons : "Est-ce un roman? Est-ce l' his-
toire réelle d'un homme qui a vécu parmi nous ? Je ne pourrais trop le dire
moi-même. J'ai connu Horace et je sais sa vie
à des faits vrais, dont j'ai
/
.../

- 155 -
été le témoin ou le confident, j'en ai ajouté d'autres qui m'ont paru
probables, qui comblaient des lacunes, et qui sont, à mon avis, nécessaires
pour compléter le récit d'une existence entière. J'ai fait en un mot, ce que
les architectes appellent une restauration, lorsqu'à l'aide de ruines et de
documents, ils rétablissent les plans d'un monument détruit,(1)
Il n'est donc pas question de distinguer dans l'oeuvre ce qui re-
lève de la fiction et ce qui appartient à la littérature d'aveu; il existe
des interférences harmonieuses entre l'univers du roman et celui du témoi-
gnage vécu. Henri FLUCHERE a relevé la "cohabitation du couple Confession
Fiction" à propos de l'oeuvre de Laurence STERN dont le "Tristram Shandy"
appartient dit-il, "au genre hybride confession,- fiction, compromis mal
défini entre le vrai et l'imaginaire, autobiographie volontairement équi-
voque où les faits circonstanciés sont inventés et où la plupart des com-
parses (sinon tous) n'ont pas de modèles avoués ni faciles à retrouver,
tandis que les éléments de la vie psychologique peuvent passer pour authen-
tiques, si l'on tient compte, bi~1 entendu, des nua~ces de ton et d'intention
qui modifie et color~~t diversement la fiction et la confession présentée
l'une et l'autre comme ezpéri ence vécue;' (2)
Au lieu d'une duali té "Conf'es s i on - Fiction", nous parlerons plutôt
d'une trilogie "Confession - Réalisme, Fiction", à propos cie l'oeuvre narra-
ti ve et poétique de Ha):ime Du C.tÜ':P.
En réalité, le talent de l'écrivain est d'avoir observé le monde,
la société, la nature morale, son moi, sous leurs aspects divers et de s'être
pénétré de cette pensée que l'art n'est pas un simple procédé de reproduction
photographique, et qu'il n'est justcm~lt une création que parce qu'il trans-
forme les élémô1ts humains ~1 les combinant dans la mesure d'une vérité plus
générale, plus pure et plus éternelle. C'est là justem~1t,le cnarme de ses
livres; ils repos~~t de la réalité, de l'autobiographie, de l'imaginaire;
ils les continuent sous une forme nouvelle et y supp Lé en t quelquefois.
-
(1) Les Forces Perdues, Dédicace.
(2) Laurence STERN, "Tristram Shandy" in "la ceinture du feuillage" par
l1arcel LOBET, Paris, la Renaissance du livre, 1966, P. 20.

- 156 -
L'écrivain s'est particulièrem~1t intéressé à l'univers spatio-
temporel qui a vu l'éclosion de son oeuvre; il a donc jeté un regard pers-
picace et critique sur les problèmes contemporains. En conséquence, son
oeuvre narrative et poétique fait ressortir ses visions profondes du monde et
de la vie.

- 157 -
CH/I.PITRE
IV
VI SAGE D'UNE SOCI3TE
PHILOSOPHI E DE LA VIE.
AI CONSTANCE THEIlATIQUE
Cette étude s'avère délicate parce que Maxime Du CAMP a été très
fécond en publication littéraire. La profondeur des idées véhiculées est
consignée dans cette oeuvre compacte. Hanté par un besoin incessant de
liberté, il n'a jamais hésité à réviser ses propres convictions. L'esprit
de synthèse et la netteté qu'il faudrait donner à une étude de ce genre ne
sauraient faire oublier que les choses ne sont pas si simples, dans le jeu
des existences particulières. Si Maxime Du CAMP livre dans certains ouvrages
les inquiétudes et les interrogations constantes de sa vie, une exultation
dans un roman n'est parfois qu'un moment de la journée tandis qu'un blas-
phème peut n'être que le plaisir d'un poème.
a - L'Amour et La Femme
111 1 ne suffit
pas d'aimer, il faut savoir aimer,
et c'est peut-être la plus difficile de toutes
les sci ences Il •
Les Forces Perdues, P.
133
liChez la fenune,
l' inorati tude est organique
ct l'infidélité est un vice utérinement congénital".
H.S. 3728 - 1 - Idées. Fonds Haxime Du CA;'1P,
Bibliothèque d e l'Institut.
Lorsqu'on scrute l'oeuvre narrative et poétique de Haxi rne Du CAHP,
on ne peut qu'être frappé par la place 'le cho i x que tiennent les per oonna-tes
féminins. Nous l'avons dé j
si~]naL~
à
.\\ ;.ropos de !1adame Gabriel ::lELESSEli'T.

- 153 -
La femme apparaît co~ne l'objet de toutes les quêtes romanesques. En effet,
c'est pour prouver son amour à Suzanne que Jean-Marc du "Li vr-e pos t hume"
abandonne la vie parisienne pour des aventures périlleuses en terre orien-
tale; c'est exactement pour les mêmes raisons que George de I1L'homme au
bracelet d'or l1 se fait tuer à la guerre en Hongrie i quant à Horace des
I1Forces Perdues l1 ,
il s'exile vers les pays des palmiers et du soleil pour
oublier la femme aimée •••
Aucun héros masculin ne réalise sa destinée de façon autonome,
indépendamment de la femme. Toute action commence et finit par une quête
presqu' hallucinatoire <'. 'un amour réel ou idéal. Les nouvelles et les romans
c1_e Du CAHP bâtissent ainsi leurs messages autour 'Î 'une histoire d'amour, ou
plus précis~rnent sont le lieu de l'expérience, par deux ou plusieurs person-
nages, d'un authentique amour qU'ils acceptent ou rejettent selon leurs
tempéraments. La femme est pour ainsi dire le personnage dont la rencontre
est nécessaire à l'élaboration et ~ la naissance de l'intrigue i mais, dès
lors qu'elle apparaît, elle devient le centre polarisateur du récit. Néan-
moins, le héros masculin, le narrateur et parfois, d la faveur d'une identi-
fication évidente, l'auteur, se partagent la vedette et affirment le primat
d'un certain point de vue masculin. C'est ce point de vue qui se dégage de
l'oeuvre, qui n'est autre que celui de Du C;I.]1P que nous voudrions exposer
et analyser. I l s ' agira donc essentiellement de montrer comment; l'Amour et
la Femme sont présentés dans l'oeuvre de l'écrivain, c'est-l-dire sous quelle
forme le héros masculin présente-t-il l'image de la femme? Il convi ent de
savoir que ce sera définir la ferrune non en elle-même, mais du l'oint de vue
de l'écrivain, conformément à une tradition florissante à cette époque.
, C'est ce qui donne intérêt .J. ce travail qui nous amènera'! prospecter les
sources et les rno t i vations des différentes tendances. C'est pour ce motif
d'ailleurs que nous serons tenté de chercher dans la vie privée du romancier,
la silhouette de cette femme originelle qui sans cesse renaît et sans cesse
est sacrifiée car la blessure secrète de l' âme se dessine imperceptiblement,
malgré la d i s s i rauLat i on et l'objectivité voulues.
a'i L'Amour
L'Amour tel qu t i I est présenté chez Du CAl'1P se manifeste sous
plusieurs formes :
.../

- 159 -
1/ Amour - Instinct
Cette forme d'amour est surtout l'apanage de l'adolescence c'est-
à-dire cette tranche d'âge qui succède à l'enfance,
immédiatement après la
crise de la puberté. Cette période est d'après Victor HUGO "La plus délicate
des transitions, le commencement d'une Femme dans la fin d'un enfant Il •
La
défini t i on de KI\\UROIS semble illuminer mieux notre démarche : "Les adolescents
écartelés entre l'appel de la chair et la terreur du pêché". Cet amour est
vague, diffus, informe mais tracasse le jeune homme ou la jeune fille. En
présence de l'être fascinant,
ils ressentent des sensations diverses et des
troubles inexplicables, mais ils ne comprennent que vaguement ce qui se passe
en eux. Ils éprouvent même des douleurs indéfinissables, en souffrent s~~s
savoir réellement l'origine du mal.
Horace des "Forc~s Perdues" en est l'exemple typique dans l'oeuvre
de Du CAHP : En effet, "I l étai t agi té d'un trouble singulier et physique ;
il ne Jouait plus, mangeait sans appétit, et dormait mal,"
(1). Horace avait
quinze ans et aimait une jeune paysanne dénommée La Mariotte qui en avait
seize. Il la trouvait belle du "talent au cimier". Il eût été incapable de
définir le s~1timent qui l'agitait auprès d'elle, mais il subissait ~~e forte
émotion
et comme cette émotion lui étai t douce et charmante,
il s'y abancton-
nait sans la raisonner i du reste,
quoi qu'il fut au collège où les écoliers
abordaient sans gêne (les d i scusr i ons ..~ ce sujet, il étai t d'une innoce11c:e
remarquable pour les enfants de son âge. Le jeune collégien soupçonnait :nal-
gré tout, vaguement, des différences essentielles entre l "honme et la fe!'1r.1e,
mais quand. il cherchait à les comprendre, il tombait dans d e s rêveries sans
fin qui ne savaient que répondre \\ ses questions. Il était irrésistiblement
entraîné vers la j eun e paysanne, aimai t \\ la voir,
;\\ s'en approcher et
\\ lui
parler. Il sentait donc bien qu t i I cxi s t a i t un mystère ,\\ dé couvr i r , ua i s qui
pourrai t l'y airicr ? Si pendan t les vacances, Horace r-echcr-cha ; t s anx cc s sc la
Har i o t t e , c'était simplement pour- êtrc auprès d'elle et pou.r le pla.isir de s c
laisser régenter par cette fille a9réable qui le r-eqar-da i t furtivement du coin
(le l'oeil. Qu'eût-il répondu si on l'eût interrogé sur ses troubles fréquente;
Rien, car il ne savait rien sur Lui e-mêmc,
Il étai t cependan t assez ?rofond(~­
ment troublé pour se sent·;r dans un
t a t anormal mais i l ne]cvj.nai t point la
ô
(1) Les Forces Perdues, P. 8.
/
.../

- 160 -
cause réelle de son malaise: "Il employait volontiers le mot amour, mais il
en ignorait volontiers la vraie signification~' (1)
Dans ce jeune coeur parfaitement pur et auquel la femme inspirait
une sorte de terreur mystérieuse, le platonisme seul remuait confusément. Nul
désir sensuel ne l'agitait et ne pouvait l'agiter, car il n'aurait su en
formuler aucun. Ainsi, Horace adhère malgré lui, inconsciemment, à cette
croyance générale aUx adolescents, que la femme est une idole et que ce
serait la profaner que de l'adorer de trop près. L'illnour devient en consé-
quence une sorte d'attraction instinctive, naturelle, qui postule vers
l'inconnu ou l'indéterminé.
Lorsqu'Horace surprit la Mariotte en pleine conversation ~oureuse
avec le
Grand Gars, qui est le prétendant sérieux et l'élu de cette dernière,
il ne comprit pas grand 'chose, mais un éclair parcourut son coeur endolori.
Les propos qu'il venait d'entendre et dont il soupçonnait la signification
lui firent des douleurs cuisantes. En réalité, il n'aurait point su dire ce
qui s'était passé entre la Mariotte et le Grand Gars, mais il sentait bien,
à sa vive émotion, que c'était quelque chose d'insupportable pour lui.
Il
s'absorba complètement dans cette souffrance, la soulageant à force de pleurer.
Ce fut la première douleur réelle que cet adolescent dut aux femmes ; elle
fut amère, et d'autant plus cruelle qu'elle était irraisolmée.
L'''Amou.r-Instinct ll ainsi défini, bien qu'étant à l'état embryon-
naire chez le jeune garçon ou la jeu~1e fille, se solde toujours par une
insatisfaction de l'actant-quêteur ponctuée de douleurs inexprimables.
Lorsque les adolescents sortent de cette phase délicate de la vie,
ils sont psychologiquement plus à même de s'ouvrir à l'amour eztériorisé.
2/ Amour - Passe-temps
Cet amour, qui s'est particulièrement développé au XIXè siècle,
fait partie de l'ensemble des procédés artificiels (paradis artificiel) ~
que les jew1es de ces années-là ont cherchés pour résoudre leur instabilité
(1) Les Forces Perdues, P. 23.
/
•• ·1

- 161 -
congéni tale. J'ean-Har-c du "Livre posthume" explique clairement en ces lignes
les raisons qui l'ont poussé à aimer: "A mon retour 5'Orien!7, j'aimai une
femme. Peut-être en m'attachant à cette branche que le hasard tendait au-
devant de moi, aurais-je pu me sauver
mais il n'en fut rien, ce fut une
pâture de plus jetée à ma PoI i.e]' (1)
L'amour ainsi conçu est fondamentale-
ment considéré comme un palliatif, un simple passe-temps. Ecoutons à nouveau
Jean-Marc dans l'un de ses multiples moments de folie: "Non, tu n'existes
pas, sentiment bâtard et intéressé ; tu peux être un passe-temps agréable,
une distraction momentanée; mais tu ne sauras jamais remplir une poitrine
large, ni faire battre le coeur d 'un For-t;' (2)
Quelques pages plus loin, il cherche à attenter à sa propre vie
parce qu'il n'a plus ni parents, ni amis, mais surtout ni maîtresses : "Des
maîtresses, avoue-t-il, j'en ai eu. Si elles m'ont aimé, je les ai aimées;
nous sommes quittes; elles n'ont plus rien à me demander. Comment ont-elles
compris l'amour? Hélas! comme je l'ai compris moi-même: comme un passe-
temps, une distraction, un échange de bons procédés et de caresses agréables,
comme une occupation de quelques heures par s emai ne;' (3)
Cet "Amour - Passe-temps" est avant tout une sorte de curiosité
galante. Chacun des protagonistes est à la quête de quelque chose d'inconnu.
L'on cherche d'abord avant tout à découvrir un univers différent du sien
propre. L'amour intellectuel, philosophique et passionnel n'est pas le fonde-
ment premier du sentiment amoureux. Les rapports entre Jean-!larc et sa maî-
tresse durèrent d eux ans: "la première année s'écoula à travers la satis-
faction d'une curiosité assez t endr c," (4)
1'e:œ':1ple le plus r enar-quabLc est celui des liens amoureux tissés
entre Réis Ibrahim et Clotilde
PRAiTAT.
(5) Réis Ibrahim est un arabe
vigoureux, patron de barque sur le Ili L, qui s'est retrouvé ,'1 Paris \\ cause
d'un jeune aventurier français en mal d exo t i sme, Godefroy, - c'est le nom
î
( 1 )
Le livre posthume, P. 41.
(2 ) Ibid, P. 42.
(3 ) Ibid, P. 266.
(4) Ibid, F. 41.
(5) Réis Ibrahim, in Les six aventures.
..·1

- 162 -
du jeune français - avait une soeur qui fréquentait la haute société; elle
s'appelai t Madame la Comtesse PORTANT née Clotilde PRANAT. Veuve d'un "g entil-
lâtre ruiné", elle recevait Q~ monde recherché dans son salon. La vue du
jeune arabe que son frère fit venir éveilla chez elle des sentiments in-
soupçonnés. Elle fut saisie d'une forte curiosité dont seule l'assouviss~nent
était le remède. Réis Ibrahim lui paraissait plus beau que la plupart des
" peti ts messieurs qui grasseyaie.~t dans son oreille des phrases amoureuses." (1)
Voici une dizaine d'hommes qui passe1t pour élégants et agréables, pensa-t-
elle; ils ont "des favoris frisés, des cheveux pommadés, des mains étroite-
ment gantées; ils sentent toutes sortes d'odeurs achetées chez le perru-
quier du coin f ~.~~ On les trouve beau et spirituel; on les attire et
parfois on les aime, et cependant comme ils sont pauvrement mesquins, étiOlés,
surfaits, minaudiers, bavards et vides, en présence de cet arabe bronzé,
simple, vigoureux, primi tif et superbe cians son large cos tunej' (2)
Clotilde n'aimait pas ~ proprement parler le Réis, mais il lui
plaisait et elle se sentait curieusement attirée vers lui. L'amour vrai
n'avait en réalité aucune part dans l'acte violent par lequel elle avait
capté Ibrahim. Un désir ardent, ou, pour dire vrai, "une curiosité dé-
pravée" (3) l'avait seule poussée vers cet acte qui ne lui laissa qu'un sou-
venir semblable à un remords.
Lorsque la curiosité est satisfaite, elle se transforme purement
et simplement dans sa durée, en une habitude. Les liens affectifs qui sur-
vivent deviennent une pure nécessité ou un simple conformisme. Les acteurs ne
rompent pas la plupart du temps de peur de modifier cette habitude qu'ils se
sont créée ou cette vie qU'ils ont réglée d'une certaine façon. Il s'agit
essentiell~nent de la peur de l'inconnu. Les recherches effrenées d'émotions
et de sensations fortes s'émoussent, s'affaiblissent et finissent par
s'éteindre, Les protagonistes se trouvent alors envahis par W1e sorte de
torpeur mal définie de jouer lU1 rôle m~quel ils ne sont plus propres. Dès
lors, la présence de l'autre d ev i en t insupportable. Ainsi, J can-Har-c imagine
(1) Réis Ibrahim, in Les six ave1tures, P. 21.
(2) Ibid.
(3) Ibid, P. 36.
;'
.../

- 163 -
des moyens originaux pour éviter le contact physique avec sa maîtresse:
"Comme elle avait une fort belle voix, révèle-t-il, je la faisais chanter
non pas pour me domler le plaisir de l'entendre, mais afin de ne pas subir
l'obligation de causer avec elle, et afin aussi de ne pas être contraint à ce
mensonge charitable d'affirmer un amour qui n'existe pa~' (1)
Lorsque la séparation est décidée malgré tout, on n'est pas non plus
heureux parce qu'on y laisse une partie de soi-même, ne serait-ce que cette
habitude de la "non-satisfaction" quotidienne: "Depuis que j'ai quitté
Hadrienne clame Je~~-Harc, je m'ennuie, et cependant je l'ai quitté parce
qu'elle m'~~uyait. Ce n'est pas elle que je regrette, je le sais, c'est
l'habitude que j'avais d'aller chez elle, d'y rester de longues heures, d'y
écouter de la musique, d'y perdre mon temps. Je suis désoeuvré de n'avoir
plus ce désoeu'T.r~nent. Cette rupture me laisse du vide, je sens que j'ai
perdu quelque chose, ne serait-ce que l'habitude de m'ennuyer è1 certaines
heures d'une certaine façon~' (2)
L' "Amour - Pas s e-et emp s " débouche lui aussi sur une insatisfaction.
La soif de l'incollilu et la quête du plaisir physique se noient dans la tour-
mente fièvreuse de la quotidienneté la plus monotone et l'on en ressort
désabusé: "La lassi tude vint d'abord, puis la satiété, puis le dégoo.t1' (3)
A qui r-cvi en t la faute? Qui en est responsable? C'est une fois
de plus, .Fean-èiar-c qui répond ;J. ces interrogations: IlJi'a-t-elle véritable-
ment aimé? Je n'~l sais rien
je suis moi e-mêrne dans le doute sur l'état de
mon propre coeur, et j'ignore si le sentiment qui m'a poussé vers elle
n'était pas un simple besoin de distraction à trouver et de curiosité à
satisfaire. Nous avons été dupes l'lUl de l'autre; nous avons pris pour llile
affection sérieuse cette exaltation naturelle aux jeunes g~'1.S lorsqu'ils
touchent à des choses inconnues ou nouvelles, et nous eûmes bientôt perdu
toute joie de nous voir quano nous en eûmes pris L' hab.i tuo c, Nous ne nous
sommes pas aimés, nous avons cherché l'lm dans l'autre ce qui n t cccis t a.i t
pas:' (If)
( 1 )
Le livre posthume, P. 41-
(2 ) Ibid, P. :~4 .
(3) Ibid, P. S5.
(4) Ibid.
!
• •
t /

- 161 -
rl cxi s t c pourtant cet amour réel, passionné, où le coeur bat
tellellent vite que les victimes perdent toute raison.
3/' Amour - Passion.
"'Le "Pet::' t Robert" défini t ainsi la passion amoureuse : "l'amour
quand, il apparaît comme W1e inclination puissante et durable, dégénérant
parfois en obsession". Nous retiendrons essentiellement deux points dans
cette définition: "inclination puissante" et "obsession ll qui traduisent
l' "Amour - Passion", tel qu'il sc dégage de l'oeuvre de Du CAiIP. En effet,
sans pour auta'1t que ce soit le lI COU p de foudre ll , la passion amoureuse chez
le romancier naît progressivement et s'installe définitivement dill1S le coeur
des sujets concernés avec sa cohorte de perturbations et de violences. Voici
comment Jeill1-j"iarc explique les débuts de ses rapports amour-eux avec Suzanne
lIComllent nous nous aimâmes, cela est bien simple : naturellement, parce que
nous étions jeunes tous deux, parce qu'elle étai t lasse de son intolérable
vie, parce qu'elle arrivait à cet âge où la femme a besoin 6e tendresse pour
remplir son coeur, parce que je cherchais à donner les trésors d'affection
qui dormaient en no i , par-ce qu'il y avait dans nos deux existences, c.rtêr i cur-e-
ment si différentes, œ1 point de similitude qui était la souffrw1ce occulte
qui nous dévorait. rl n'y eut séduction ni de sa part, ni de la mienne;
l'amour vint ~aïv~~~'1t, et je fus son ~nant avant mêae d'avoir pensé que je
pourrais le deveni:r:,l1 (1)
Cet amour est né "na'îvemen t " avant de s'agrandir, è.e se fortifier
et d'atteindre des pr-opor-t i ons Lncoupçonnab I es ,
Horace quant à lui s'est intéressé à Viviane d'abord par une si~plc
"curi os i té mondai nc", (2)
A cet stade de son évolution, il demeure encore 1I11umanisablell ou
mi eux "Ln t e l Lectua Li sab.l e'", On peut alors le ramener ,\\ sa juste pl'oportior:
humaine et raisonnable afin de le maîtriser. En tm mo t , on a encore la possi-
bili té de sc corriger ou de se laisser complètement aller. Hais, an f'ur- et- èl
(1) Le livre posthume, P. 128.
(2) Les Forces Perdues, P.
102.
/
••• 1

- 165 -
mesure que le temps s'écoule, il s'enracine so l i d emen t , germe maj es tu eus emen t
et finit par s'affirmer comme une obsession bien réelle et d'autant plus
tyrannique que les protagonistes y recherchent le bonheur. Dans cette première
phase, la passion se présente comme une force magnétique qui épanoui t
et trans-
forme l'individu. Ce dernier croit avoir rompu avec la monotonie de tous les
jours et avoir trouvé enfin le bonheur tant désiré. Il n'hésite pas à le crier
par dessus les toits, à qui veut l'entendre et à braver les multiples dangers
qui jonchent son chemin. C'est le cas de Fabio de la nouvelle intitulée : "Le
chevalier du coeur saignant" qui tombe li ttéralement foudroyé sous le charme (1 e
la ravissante Anmne i.at a t "Par ta beauté qui m'ébloui t ,
je te jure que demain
ne se lèvera pas sans que je t'ai rapporté ton bouquet, dussent tous les bar-
tholos de la terre me le clouer au coeur à coup de couteau ! C. J
Lorsque
je revins dans ma chambre, j'étais fou d'orgueil et de joie; l'amour m'illu-
minait, une force mystérieuse était descendue
en moi: j'aurais soulevé le
monde. Je restai longtemps en extase, emporté dans des rêves plus bleus que
le parad i al'
(1)
Dans 1/1 'homme au bracelet d'or:' l"'Amour -
Passion" fait perdre la
tête aux amour-eux,
Pauline,
l' héroïne est une jeune femme mariée, éduquée
dans des conditions strictes et demeurée vertueuse jusqu'à son idylle avec
George, un jeune homme d'une vingtaine d'année. Ils se noient t o t a l.ernen t ("jans
cet amour violent jusqu'à braver tous les tabous conjugaux et sociaux.
Les
deux amoureux tentent, du moins dans les débuts, de contenir ce f Iu: dé bor-dan t
et envahissant, ct ce ne sont que de perpétuels combats intérieurs: "Ces
luttes se renouvelaient, et c'est par miracle qu'ils résistaient encore. Au
fond,
ils sc s ent a i en t
perdus; mais comme il arrive presque toujours en r a r c :'1-
le ci r-cons tance , quand l'un faiblissai t, l'autre se relevait,
et c'est a i nr.;
qu'ils marchaient dans la route choisie par eux - mêmES vers un but qu' ils
n'osaient plus ;:,révoir"," (2)
Au stade avancé de l'évolution de l"'A'nOl...lr -
Passion", les pr o t aqon i s tes rerde..'1.t le contrôle d e leur raison ; dès lors,
lCé~
compromis leur parai~,:jeJ:1t insuffisants. C'est la solution ext r ême -lu "tout ou
rien" : "l'li l 'lm, ni l'autre, avec la passion qui les dèvor-a.i t, ne sc s er a i t
accomodé de ces compromis douteux que voilent les convenances et qu'acceptent
les âmes froides!'
(3)
Le chevalier du coeur saign~1t, P. 705.
L'Homme au Bracelet d'or, P. 306.
Ibid.
. ..;"

- 166 -
Du fait rie ~~a force tyrannique, cet amour est assimi lé .\\ un combat,
~ une lutte réitérée qui entraîne inéluctablement la désagrégation physique
et morale des li lutteurs" : "De tels combats s ' inscrivent en lignes indélé-
biles sur le visage des lutteurs et madame d'ALFAREY Lïa mère de Georg3!
s'inquiéta bientôt de l'altération profonde qu'elle remarquait sur les traits
de son fils:' (1)
Il est par ailleurs assimilé à une maladie: "Ils étaient arrivés
aux dernières limites ~e leurs forces et ils touchaient à une de ces heures
fatales pour les maLad i es de l'âme comme celles du corps, au de Là des qu e Ll e s
les médecins ajournent l'espérance~' (2)
Fabio est lui aussi atteint d'une
de ces maladies incurables à la suite d'une obsession passionnelle. Il est
devenu un halluciné il force d'exagérer ses sentiments et interné dans un
asile psychiatrique
"c'est un halluciné" avoue le docteur D.• A la ques t i on
de savoir si Fabio pourra recouvrer ses sens, il répond: "Hon cher enfant,
~.~ quand nous saurons ce que c'est que l'âme et ryJ est le siège exact de
ses maladies, je vous répondra~' (3)
Les personnages de Du CAi'1P qui ne perdent pas totalement le contrôle
de leur raison recherchent le salut dans la mort qui apparaît alors comme
une cléli vrance. Pauline et George furent tourmentés par ces idées sombres
"l'idée de la mort, d'une mort commune et volontaire, leur traversa une fois
l' espri t
; ils en par-Lèr-en t avec exaltation en des termes qui prouvaient
l'affolement de leur coeur," (4')
(;eorge répétai t presque machinale:nent et
quotidiennemen t
"croyez-vous donc qu'il ne vaudrait pas mi eux mourir 7"
Les amoureu;-; qui ne réclament pas la mort perdent quand même
quelque chose dans cette aventure passionnelle. C'est le cas de cet arabe il
Paris, qui, ,3, cause de son amour pour Clotilde, se dépersonnalise en avouant
sans vergogne être ~ même de renier ses croyances (quel sacrilège!) pour sc
vouer uniquement cl elle. C'est en ces termes cyniques et insul t àn t s qu'il
(1) L'Ho®ne au bracelet d'or, P. 307.
(2) Ibid.
(3) Le chevalier du coeur saignant, P. 731.
(4) L'Homme au bracelet d'or, P. 30~.
i
'" '" '"/

- 167 -
mande Godefroy de se faire l'écho de son coeur enflammé auprès 1e sa soeur:
"Eh bien, Godefroy, va chez ta soeur, dis-lui que je meurs ,1.'arnour pour elle
dis-lui que ma vie!:; 'use dans les angoisses ; :1is-lui que je mérite sa tendres-
se par la grandeur de ma passion ; dis-lui enfin, ajouta Ré i s Ibrahim en bais-
sant la voix, que je renierai ma croyance, et que, si elle le veut, je me
ferai chrétien pour arriver jusqu'~; clle~' (1)
Pire encore,
le Réis renie la patrie de ses ~1cêtres et envisage
d'élire domicile ù Paris afin d'adorer sa déesse: "Qu'importe l'Egypte, et le
Nil, et le soleilil se disait-il ; ~a vraie patrie, c'est 10 où habite Clotilie
ma seule religion, c'est sa t~ldrcsse. Je resterai en France, à Paris, près
d'elle. Que pourrais-j e faire mai n t cnan t
loin de ses yeux ? na vi e est d~1S son
coeur, mon bonheur est sur ses lèvres,
je ne veux plus quitter celle qui a
tant fait pour mo i,"
(2)
L' "Amour -
Passion" n'est Fas non plus un refuge pour les personnages
de Du CAMP. Il nous semble que c'est lui ~ui les engage parfois 0 opter pour
la vie conjugale où on est deux, où on s'appartient e xcLus i vemen t
et entière-
ment et où tout semble promettre le bonheur.
Le mariage en tant qu'institution sociale est beaucoup controversé
par les personnages. Il apparaît è'c tous les po i.n t s de vue comme la fin èes
libertés: "le T:lariage est une s o t t i s e , affirme Horace
[:'':.7 Il faut user
de la vie avant cl 'y r-enoncer," (3)
DU::1S
Ul1
monologue intérieur, Jean-;!;arc
donne son point de vue : "Ne te connais-tu pas assez pour savoir que toute
chaîne te d evi cndr-a insupportable, '1.~s, que tu ne pourras pas la briser ?" (1-::
Cependan't ,
le principe rte L'Amour - ';ariCl.:.;e n'est pas totalement
renié
on y pense, mais pour plus t ar-ri , c'est-'\\-dire lorsqu'on aura lar0e-
ment profité de l'e:-:istence : "C'e~jt le d er'n i er' port que l'homr:le ait -'1 toucher
dans l' exi s t ence
[;'':.7 Buvons t oujour s, nous verrons ';a plus t ard," ('5"1
(1) Réis Ibrahim, P. 63.
( 2) l bi ct, P. 3 1.
(3) Les Forces Perdues, PP. 54-55.
(4) Le livre posthume, P. 102.
(5) Ibid.

·1

168 -
Lorsqu'on admet le moment venu et qu'on se décide enfin, c'est
avec beaucoup plus de sé r i eux et de gravi té. L' "Amour - Hariaae" semble au):
personnages de Du CAi'IF une chose importante et déterminante. Pour eux,
le
choix d'un ou d t une partenaire est définitif; c'est pour toute la vie; ils
sont résolus à partir sur le même radeau pour la terre promise ou pour le
naufrage. Les expressions conventionnelles: "être marié, c'est être deux '"
ou "pour le meilleur et pour le pire !" qui dans la bouche d'un quelconque
inch vidu auraient ser:lblé W1 lieu-commun banal étaient dans les leurs une
profession de foi absolue. I l'~ allai en t au mariage comme on partai t au
cloître, avec o.cs voeu): éternels. Contrairement à une pratique courante du
XIXè siècle, les personnages de Du CAl~rp n'allaient pas au mariage pour aug-
menter leurs fortunes.
Ils exigeaient leur partenaire tout entier parce qu'ils
se donnaient eu::-m~nes tout entiers. Dans cet état d'esprit, ils étaient
tristes, angoissés,
sincères ct pleins de fluctuations douloureuses.
L' "Amour - >;ariage" s at i s f a.i t-il l'attente ries protagonistes? y
trouvent-ils le salut recherché ? i.ous tenterons de répondre 2. ces in terro-
gations i~ travers quelques exemp l c s ,
Pauline ële CHAVRY , cette da::1C~ rj 'tme é(~ucation l''"igoill'euse avait
imaginé trouver c'tan:; l'''h.!nour - ;:ariage" la réalisation de tous ses rêves. Or,
son rêve par exce l ence avai t
t
celui qui fai t battre le coeur (~es resn1ce"
ï
é
è
créatures plus intentionnelle,"7lci1t vcr-tueus es (lu'on ne le pcn s e , plus rJénéro.lc-
ment déçues que décevantes, ct qui toutes,
:\\ part quelques except i ons , ont
rêvé et cherché 1'2,;.10'\\),1' dans le bonheur des promesses tenues c' est-,\\-hre
dans le devoir.
Les premières années de sa vie conjugale furent sublimes et
Pauline crut na'î vemcrrt et avec la bonne foi des âmes hœmêtes que son rêve
était réalisé; mais, c'est joucr la carte de la vie sans co.np t cr avec le
Temps : "Lt i Llus i cn s'effaça »cu .'. l'CU,
l'amour s'envola un beau jour, et
seul, austère et ']ravc, lc (lc'\\':)~r r c s ta;' (1 \\
Les r-a i cons .ic cettc ,;2sillus::'oll sont ::iverses."
de CHAViN étai t
plutôt bon nar-; et croyai t lui ausé',j, au bonheur. ;iais, i l avai t ses hab i t',.L;es
qui étaient entre aut r es les clubs, le 1:;0]1(1e, les galanteries,
les j~1.r;, e t c ,
Aussi, Paulinc nc lui ~ardonn& lu0re le vide énorme 00 il la laissait sla~jtcr
sans point d'o.f'pu:~ entre les oc s oi nc '_l'ai)~er, qui, restant inassouvis en elle,
( 1) L' honuno av br acc l ct '1 r or,
P. :2 _ ) •
. .. /

- 169 -
criaient souvent pl.uc :'laut qu'elle n'aurait voulu, et la vo i x du devoir, dont
les impérieuses exhortations la poussaient sur les durs chemins du sacrifice
et de l'abnégation.
La vie conjugale de Suzanne et 11.B. du "Livre posthume" est sensible-
ment la même que celle que nous venons d'évoquer. C'est dans la vie de mariage
que les époux se sont réellement découverts. Ils constatent ainsi tardive~ent
leurs incompatibili tés. Dès lors, la vie à deux devient un vé r i table "enfer".
Suzanne qui constata très' tôt l'échec de sa vie feignit quand mê~e le bonheur,
cacha aux autres la vue de ses chagrins et de ses infortunes et se consacra
entièreme1t à son fils. C'est la même attitude que Pauline adopta pour se
donner une raison de vivre: "Puisqu'il ne m'a pas été donné d'être l'épouse
que j'aurais voulu être, se dit-elle, je serai mère, rien ~e plus rien de
.
mOlns ... "
L' "Amour - !1ariage" est plus qu'une désillusion ; les passions
lassées ou déçues entraînent un effondrement total. Le mariage est d'autant
plus attristant que le résultat est plus impitoyable et plus cruel.
L 1IlA~our - ]jariage" étant source ('le conflits et de douleurs, Len
protagonistes t en t eron t de reconquérir leur bonheur perdu -Ians ;1es expôr i ences
extra-conjugales. Y trouvent-ils satisfaction?
Encore sur ce point, détrompons-nous car on abouti t très rapiè.ement
il la désillusiol1 des sens.
Les passions frénétiques et le désir de l'inconnu
s'évaporent peu 21 peu et laissent la place :1 Un sentiment de dérroût. En effet,
à la sui te de l'échec de sa vie conjugale, Pauline chercha le bonheur ai Ll eur s ,
rnai s elle ne trouva qu' impossibili tés et déceptions. Suzanne rie son côté y
dé couvr i t d' aborcl la joie des premières curiosi tés et très rapidement,
la
fièvre du désenchantement. Annunziata quant à elle accepta :l'aimer le chevalier
Fabio; mais le résultat fut tout autre que ce qu'elle attendait et elle re-
vint très vite ~ la réalité de la vie.
Cette conception pessimiste de l' "Amour - Hariage" et de l' amour
en dehors du mariage n'est pas particulière à Haxime Du CA NF • C'est sans doute
(1) L'Homme au bracelet d'or, P. 296.
.../

- 170 -
l'originalité de la littérature des années 1860 d'avoir dit et répété que
Ille vice ennuie tout autant que la ver-tu]' (1)
Lt expression est de FlAUBERT,
mais l'idée est également de BAUDElAIRE découvrant au terme du voyage Il Le
spectacle ennuyeux de l'immortel pêché~ (2)
Il convient de noter que cette
conception s'oppose par ailleurs à celle traditionnellement admise qui stipule
que l'amour en dehors du mariage paraissai t réserver le bonheur. Guy SAGNES
confirme dans son étude que cette idée se retrouve dans "Polyeucte", dans
~a Princesse de Clèves", dans l'oeuvre de George SAND et dans celle de
ClAUDEL.
Le thème de l'amour tel qu'il transparaît dans l'oeuvre de Du CANP
apparaît presque toujours comme une impossibilité. L'oeuvre est empreinte
d'un pessimisme existentiel; en effet, l'amour à tous les stades dans la
quête d'un
hypothétique bonheur se solde toujours par un échec. Maxime Du
CAMP considère l'amour cormne une force à la fois psychologique et sociale,
facteur de stabilité, mais indépendante de l'homme: "11 ne savait pas que
l'amour est une force indépendante de l'homme, qu'elle lui est donnée momenta-
nément en vertu de raisons et de circonstances dont souvent il n'a pas cons-
cience et dont il est rarement responsable:' (3)
Nous sommes là en pleine
philosophie fataliste. Cependant, cet amour né à l'insu de la raison humaine
se doit d'être apprivoisé, éduqué et entretenu par l'homme, au risque de le
voir s'effriter:
"11 ne suffit pas d'aimer, il faut savoir aimer, et c'est peut-
être la plus difficile de toutes les sci ences]' (4)
C'est cette science que les personnages de Du CAMP n'ont pas
réussi à comprendre malgré leur volonté manifeste et c'est pour cela qu'il
leur fait la leçon. Les amertumes et les échecs successifs s'expliquent par
le fait qu'ils n'ont pas véritablement su aimer. Ils n'ont pas pu ou su
s'imprégner de cet art à la fois simple et délicat, solide et fragile qui a
(1) Correspondance:, Conard, op. cit., T. r , P. 61, 19 novembre 1839.
(2) Les Fleurs du mal, le voyage, Paris, Gallimard, 1861, P. 170, 90.
(3) Les Forces Perdues, P. 47.
(4) Ibid, P. 33.
.../

- 171 -
besoin d'être perpétuellement ménagé. Et c'est à partir de ce triste constat
qu'il fonde sa propre théorie de l'amour qui s'articule autour de deux axes
convergeants et complémentaires.
Le premier pele se construit autour de la façon d'aimer des person-
nages. Ces derniers ont abordé l'amour avec sérieux et gravité. Ils ont aimé
de façon exclusive, absolue et sans mesure. Imprégnés par les idées de "René",
le romantisme s'était installé en eux. Cette façon absolue d'aimer était
l'exacte expression de leur époque. Al' amour commode et joyeux, ils avaient
substi tué l'amour violent, exclusif et presque tyrannique ; peu à peu, à
force de considérer les choses sous cet angle, ils étaient arrivés à légitimer
et à rendre naturelle une exagération qui, dans le principe avait été feinte.
Ils avaient recréé leurs partenaires à leur image, en fonction de leurs cri-
tères propres, et exigeaient d'eux des sentiments qui leur étaient étrangers.
Ils les voyaient non pas tels qu'ils étaient, mais tels qu'ils se les imagi-
naient. L'''Amour - Passion" satisfaisait, du moins momentanément cette illu-
sion, mais tout s'évaporait dès que les ardeurs de l'élan étaient apaisées.
La raison aidée par l'expérience reprenai t très vi te le dessus et les parte-
naires se découvraient alors tels que la nature et la société les ont faits
ils cherchaient alors vainement en eux les qualités séraphiques et merveil-
leuses dont ils s'étaient plu à s'enrichir. A la place de l'ange dévoué,
immaculé, immuable/qu'on avait adoré, on ne trouvait plus qu'un être vulgaire,
inconsistant, et surtout aux multiples défauts. La douleur de cette désillu-
sion est du reste égale pour l'homme et pour la femme; quand, après s'être
aimés pendant longtemps, les partenaires se découvrent tels qu'ils sont véri-
tablement, ils ne se reconnaissent plus et s'accusent mutuellement ; la
déception n'en est que plus atroce. L'idée est traduite dans cette phrase des
"Forces Perdues" : "Plus un homme est monté haut dans l'estime d'une femme
lorsqu'il est son amant, plus il y descend bas lorsqu'il a cessé de l'être~' (1).
Maxime Du CAMP postule que c'est la liberté sans limites dont jouissaient ses
personnages qui, insensiblement, les a menés à leur perte, car l'absence de
contrainte engendre volontiers l'abus; les joies les plus recherchées finis-
sent par dégénérer en habitude. Malgré cette dégradation du sentiment humain,
les partenaires demeurent les mêmes car rien en apparence n'est modifié dans
leur vie. Ils tentent même parfois de soigner l'image extérieure de leur
(1) Les Forces Perdues, P. 158.
."/

- 172 -
couple, et cependant, quelque chose d'inaccoutumé, une vague et imprescrip-
tible lassitude les alanguit lorsqu'ils se retrouvent l'un en face de l'autre.
Ainsi, si violente et si passionné soit-il, l'amour se développe
à l'insu des partenaires, entrecoupé de moments de bonheur, d'accès de
succeptibilité, de crises de jalousie, de déceptions et de désillusion
cet état lamentable et cette atmosphère invivable se dégrade au jour le jour
et connaît au bout du compte un stade de non-retour qui aboutit à une rupture
définitive avec toutes ses conséquences désolantes.
Le second axe de la théorie de l'amour de Maxime Du ruu4P se résume
par cette belle image à la fois symbolique et poétique :
"L'amour, ô Naharadja, répondit le mâçe en s'arrêtant, est comme
le Gange qui coule devant toi: D'abord, ce n'est qu'un petit ruisseau qui
murmure sur les blancs graviers ; peu à peu il augmente, i l s'élargi t, il
devient immense, il est fleuve; il déracine les forêts, submerge les îles,
renverse les rochers et emporte ses rivages ; mais bientôt il se sépare, il
se divise en cent branches qui toutes s'appellent d'un nom différent, et
l'on sait à peine laquelle est le Gange superbe qui tout à l'heure était si
grand qu'on croyait qu'il coulerait toujours, puis il arrive à la mer, qui
le prend et l'engloutit si bien que jamais tu ne pourras y retrouver sa
tr-acel' (1)
Pour Du CAHP, les sent i ments amoureux ne peuvent pas demeurer
éternels parce qU'ils subissent comme tout phénomène humain, la loi universel-
le de la dégradation naturelle. C'est dans "Les Forces Perdues" que cette
idée est explicitement exprimée : "Après de si beaux jours, après tant d' an-
nées si parfaites, ils devaient sur eux-mêmes, reconnaître que rien ici-bas,
ni dans l'ordre des sentiments, ni dans l'ordre physique, ne peut-être sous-
trait à la loi universelle, qui est la désagrégation, la dispersion et l'anéan-
t i s semen t;' (2)
/
(1) Tagahor in Les six aventures, P. 144.
(2) Les Forces Perdues, P. 120.
.. ·1

- 173 -
Maxime Du CAHP fournit ainsi un fondement scientifique à un phéno-
mène d'ordre psychique. Sa volonté de rendre l'amour scientifique, ou mieux
mathématique s'est très clairement manifestée dans "Le livre posthume" :
L'amour, aux dires de Jean-Marc, croît comme la racine carrée des espaces
parcourus.
Aussi, constate-t-on que le sentiment humain, force essentiellement
psychologique et morale, devient un phénomène rationnel et positif. Imbu de
ces considérations, Du CAMP soutient alors que les influences du milieu et
la responsabili té humaine ne jouent en fai t qu'un rôle secondaire. Elles ne
font qu'accélérer ou ralentir selon les cas, le processus de dégradation qui
s'inscrit dans l'ordre normal des choses. En définitive, l'idée profonde de
l'auteur est que les romantiques, avec leurs sentiments à fleur de peau et
leur tendance à l'exagération, n'ont fait que favoriser la perte naturelle
du sentiment amoureux. Cette conception relève du fatalisme. Elle nous semble
à la fois commode et dangereuse dans la mesure où les principaux concernés,
c'est-à-dire les hommes, sont totalement irresponsabilisés.
En réalité, il convient de souligner avec force que Du CAMP n'a
jamais renié le phénomène de l'amour en tant que tel. Il considère que :
"l'amour est l'armature de l'homme", (1)
mais qu'il a eu une coloration parti-
culière à cause de l'état d'esprit de l'époque. Au soir de sa vie, Jean-Marc
privilégie l'amour en tirant les leçons de ses expériences passées: "Si je
recommençais à vivre en gardant mon expérience, c'est à l'amour peut-être
que j'irais demander ces enivrements qui font à l'homme une invulnérable
ar-mur-el' (2)
.1
L'amour pur, éternel; l'amour psychique et physiologique, qui
réalise la symbiose parfaite des facultés humaines de l'homme et de la femme
est impossible chez Du CAMP. Cet amour terrestre, physique et moral se solde
toujours par un échec cuisant, essentiellement dÜ non satlement à la loi
universelle de désagrégation naturelle, mais aussi aux caractères exclusifs
et inconciliables des partenaires.
(1) Le livre posthUMe, P. 263.
(2) Ibid, P. 43.
.../

- 174 -
C'est pour satisfaire ce besoin d'amours par définition impossibles
que Du CAHP a écrit une série de nouvelles où le fantastique et le merveilleux
tiennent le premier rôle, cherchant dans un genre où tout est permis, une
illusoire compensation à son énorme inassouvissement et à sa perpétuelle
insatisfaction.
5/ Amour - Au-delà
L'Amour - Au-delà se dessine en filigrarnrne dans l'oeuvre de Du CAMP
car l'idée est toujours sous-jacente, même dans les cas que nous venons
d'évoquer c'est-à-dire quand l'amour est considéré comme impossibilité.
Il se présente d'abord sous la forme d'un voeu pour l'accomplisse-
ment de rêves insatisfaits. Il faut partir, quitter cette terre infortunée
pour demander asile "au bon Dieu" :
"Bi en vi te allons demander- au Bon Dieu
"un peu d'éternelle tendresse
"montons, montons vers le grand pays bleu,
"où tout geste est une caresse !" (1)
Il faut mourir aV~1t de partir, car seule la mort permet la délivrance
"Hour-ons tous deux ! notre amour est trop gra.nd
"pour pouvoir habiter la terre;
"lIe perdons pas son parfum enivrant
"parmi ce monde délétère:' (2)
L'avenir rêvé sera plus radieux et l'amour à jamais éternel
"Partons pour l'avenir béni
"Dans l'infini, développons nos ailes
"I-ion tons aux sphères éternelles,
/
"où l'amour n'est jamais fini !" (3)
(1) Les chants modernes, Aspiratim1, PP. 211-213.
(2) Ibid.
(3) Ibid.

- 175 -
Malgré les échecs réitérés enregistrés, les partenaires entretiennent le
grand espoir d'un amour qui subsiste:
"Au dessus des douleurs, au dessus du naufrage,
sur la mer assombrie et sous le grand ciel noir
je sens, ô Porcia! mon amour qui surnage,
Et garde sans pâlir l'incorruptible espoir !" (1)
Cet espoir consiste en un ultime rendez-vous; celui de la fusion parfaite de
l'être et de l'âme, de la réalisation des rêves à peine effleurés, et de
l'acquisition d'un bonheur éternel:
"Au delà de la mort, il est une autre vie
où l'on peut ressaisir les rêves effleurés,
Là, nous retrouverons la tendresse ravie
Que rien n'a pu flétrir dans nos coeurs séparés
Rien ~lors ne pourra disjoindre nos tendresse~1
Rien ne pourra ternir notre sérénité;
Rien ne pourra calmer nos sublimes ivresses,
Et notre rendez-vous sera l 'éterni té." (2)
Le poète se dépouille totalement des contraintes de la vie humaine
et cherche enfin à trouver la plénitude avec la femme aimée, hors de l'Espace
et du Temps. Echapper ainsi à l'Espace et au Temps, c'est refuser la matéria-
lité du corps et la réciprocité de la communication, c'est-à-dire la cause
directe de l'échec de l'expérience humaine. Tout est donc bon pour échapper
aux principes m~les de la vie quotidienne et de la réalité vivante et palpable.
Mais nier l'Espace et le Temps, n'est-ce pas vouloir l'éternité?
Cette universelle entropie semble sans remède et cependant, dans un
ul time sursaut d' imagination, Haxi.me Du CAHP nous offre, dans une nouvelle
(1) Les Chants modernes, A Porcia, P. 323.
(2) Ibid.
/
.. -;

- 176 -
d'une facture très réussie intitulée: "Les Trois vieillards de Pierre" son
fantasme dernier, un amour' enfin réussi et éternel. Dans le refus radical de
la réalité, s'accomplit l'impossible rêve d'unité de l'homme et de la fe~e.
L'auteur explique que la nouvelle avait été écrite pour honorer
une promesse à une dame qui avait lu avec délectation "Les mille et une nuit"
et qui lui aurait demandé d'écrire quelque chose qui pû.t lui rappeler les
contes merveilleux de Shéhérazade. Etant dans l'incapacité de satisfaire à
cette demande, il fit traduire en français un manuscrit en langue "himiari te"
que lui aurait donné un moine copte pendant son séjour en Egypte : "Si je le
signe, affirme-t-il, c'est que mon amie l'a impérieusement exigé. Je l'ai revue,
j'y ai effacé quelques longueurs, j'y ai ajouté ça et là des notes
explicatives ••• " (1),
Par "ce procédé de di s s i.muLa't i onP l'auteur cherche à égarer le
lecteur à l'aide de cette histoire forgée de toutes pièces. En fait, c'est à
Madame Valentine DELESSERT qu'est destinée cette nouvelle écrite par Maxime
Du CAMP lui-même. Le récit évoque la totale désincarnation de deux amants qui
ne sont plus ~l'esprits et créatures immatérielles. Ils accèdent à un état
supérieur du couple après avoir accepté la mort pour sauver l'amour. La
relation manquée jusque-là devient chose réelle. Dans l'imaginaire, l'union
des coeurs et des corps se réalise à la faveur d'un destin accompli. Ce conte
merveilleux se résume comme suit:
Poète de fonction, Ain Saher (2) reçut de son père une éducation
religieuse et ascétique. Pendant la réalisation du pêlerinage vers "l'éternité"
à la suite d'un miracle inexplicable, le poète se réveilla au pied d'W1
sycomore, à Djarbékir qui devint son village d'adoption. Conformément aux
usages du village de croyance musulmane, c'est une princesse de très grande
beauté qui occupait le trône. Elle s'appelait 0Um-Ech-Chaour.(3)
Quoi que
très belle et très riche, la reine était malheureuse car elle ne pouvait pas
se marier. En effet, sous le coup du sort, tous les prétendants qu'elle
choisissai t devenaient subitement infirmes ; or, comme i l existait à Djarbékir
(1) Les trois vieillards de Pierre, P. 254.
(2) Ain Saher signifie: l'oeil qui fascine.
(3) Oum-Ech-Chaour : la mère aux cheveux.

011
.1

-
·L'ff -
une loi selon laquelle tout homme infirme ne pouvait accéder au trône, les
différents prétendants étaient évincés. La reine avait une soeur qui était
son contraire. Du nom de Djoufina,(1)
elle était laide et ~chante. Autant
Oum-Ech-Chaour était aimée, autant Djoufina était redoutée et détestée. Hais,
lorsque les prétendants se virent forcés de renoncer à la reine, comme ils
n'étaient pour la plupart que des ambitieux sans valeur, ils penchèrent du
côté de Djoufina, à qui revenait au bout du compte le sceptre de Djarbékir.
Sollicitée par les instincts de sa mauvaise nature, elle arrêta son choix sur
un j eu.ne homme si fourbe et si avide qu'on avait nommé Kaf'er; (2). Accédés au
trône, Djoufina et Kafer violentèrent la reine et ordonnèrent son exécution.
Heureusement pour cette dernière, la femme du geolier qui lui était restée
fidèle, simula l'exécution et la cacha dans une chambre, à l'abri de tout
soupçon. Aù même moment,le poète était condamné à être exécuté par les nou-
veaux maîtres et pour cause; il refusait de chanter leur louange. En effet,
Ain Saher étai t tombé amoureux de Oum-Ech-Chaour au moment même où Kafer et
Djoufina décrétaient son exécution. Depuis ce jour, il perdit complètement
le goo.t de vivre. Dans sa cachette, Oum-Ech-Chaour remarqua, au travers de
quelque ouverture, la beauté éclatante d'un jeune homme qui n'était autre que
Aïn Saher. Avec la complicité de la femme du geolier, les deux jeunes gens
se retrouvèrent, s'aimèrent follement et s'enfuirent de Djarbékir car "l'amour
seul est le principe fécondant" qui donne aux facultés humaines "leur développe-
ment natureU' (3)
l1ais, le manège fut bientôt découvert et Kafer alla en
guerre contre les fuyards. Dès qu'il se fut éloigné de Djarbékir, les peuples
qui le haïssaient, ne sentant plus peser sur eux son insupportable tyrannie,
se soulevèrent en masse et chassèrent ses partisans. Aussitôt la bataille
terminée, la population se mit en devoir de retrouver sa reine afin de la
consacrer à nouveau. C'était déjà trop tard car Cheik-Saïd le vieillard,
détenteur de pouvoirs surnaturels, qui les avait protégés, a exaucé leur
voeu. Elle découvrit, près d'une fontaine au platane, Ain Saher endormi por-
tant sur ses genoux ~~-Ech-Chaour qui le tenait enlacé dans ses bras. Dans
le ciel, les constellations apparaissaient une ~ une, et parmi elles, se
distinguaient deux étoiles liées entre elles par un trait de j eu qui couraient
dans l'espace infini avec une rapidité éblouissante. Aux différentes questions
/
(1) Djoufina : la mère aux paupières.
(2) Kafer : L'infid~le.
Les trois vieillards de Pierre, P. 32).

- 178 -
qui fusaient dans la foule, le vieillard Cheik-Saïd répondit: "Les voiliJ.,
en levant la main vers cette étoile jumelle ; Dieu les a réunis à jamais Clans
des noces éternelles, et il en a fait un des astres qui roulent sous ses pieds
parmi l'immensité glorieuse qu'il habit~' (1)
Le sage Cheik-Saïd toucha les deux corps entremêlés qui tombèrent
en poussière. Un talisman s'échappa de cette dépouille et roula jusque dans
la fontaine où on vi t germer, grandir et fleurir trois lotus enlacés.
La reine ourn-Ech-ehaour et le poète Ain-Saher donnent l'exemple
d'un amour vrai, pur, enfin réussi ; encore que pour le trouver, il a fallu
passer le styx, se fondre avec l'aimée et gagner un autre monde. Cette évasion
mieux cette évaporation dans les espaces intersidéraux est en réalité le
dernier remède au morcellement initial et à l'atomisation dramatique du moi.
Maxime Du CA}œ s'est particulièrement intéressé à la question dans la mesure
où i l n'a pas lui-même connu ce bonheur dans la vi e, Néanmoins, on trouve la
marque des différentes questions qu'il s'est posées dans son oeuvre narrative
et poétique. L'amour humain étant impossible sur terre, il reste à l'écrivain
de se rabattre sur l'imaginaire. Aussi, à force d'idéal et surtout à force
d'enrichir son imagination, se laisse-t-il entraîner vers les contrées mysté-
rieuses et inaccessibles dans "Les Trois vieillards de Pierre" qui baigne en
plein merveilleux. Ce qui est sous-jacent dans le dénouement de la nouvelle,
c'est l'image d'un paradis terrestre impossible et d'une éternité de bonheur ~
dans l' "Au-Delà".
Maxime Du CAMP développe et soutient que la raison essentielle
pour laquelle l'amour terrestre ne procure pas le bonheur recherché par le
couple est le caractère naturellement vicié de la femme. Cette position
émanant d'un intellectuel d'avant-garde et surtout de celui qui a toujours
été le symbole des idées nouvelles, progressistes et modernes étonne et
dérange. Passons en revue les idées de l'auteur afin d'en saisir les motiva-
tions essentielles.
(1) Les Trois vieillards de Pierre, P. 325.
. . •J'

- 179 -
b ' / La Fermne
Il se dégage de l'oeuvre romanesque une image singulière de la
femme. Elle est perçue, non pas par rapport à elle-même, mais par rapport à
l'homme. Elle se révèle comme un être foncièrement négatif, car l'auteur ne
lui r econnaî t aucune quali té. Par rapport à l' homme qui es t la marque de
référence, la femme est un être sans scrupule, marquée par des tares originel-
les. Son image est éloquemment assimilée à cette parole de l'Ecclésiaste que
Du CAMP se plaît à citer dans ses romans et dans ses nouvelles: "Et j'ai
reconnu que ses mains sont des chaînes!' (1). Nous releverons les grands points
sur lequels sont centrées les démonstrations de l'auteur.
1/ Egoisme
La femme est excessivement attachée à elle-même ; elle ne recherche
dans ses relations amoureuses, que son plaisir et son intérêt personnel.
L'exemple le plus caractéristique est celui des protagonistes de la nouvelle
"Réis Ibrahim" (Cf Amour - Passion). Clotilde, l'héroine avait trouvé en Réis
Ibrahim un type de beauté mâle qu'elle eut soudain un impérieux désir de
sonder. Dès lors, elle mit en oeuvre un processus de séduction et d'ensorcelle-
ment. Profondément dépravée par son éducation, corrompue par un mariage sans
amour, accoutumée à des liaisons pleines de complaisances, sachant que la
société accepte, par un accord tacite tout ce qui ne heurte pas trop la
mesquinerie de ses habitudes, elle n'eut pas trop de peines à obtenir l'objet
de sa convoitise. Réis Ibrahim devint alors l'amant d'une nUit de cette fe~~e
du monde. Nonobstwlt, la curiosité et le désir satisfaits, la passion
assouvie, elle se sentit honteuse, humiliée et diminuée vis-à-vis d'elle-
même. Elle ne se reprochait pas sa conduite du point de vue de la morale
absolue, elle ne s'indignait pas d'avoir trompé son amoureUx, car l'éducation
que le monde lui avait faite ne lui permettait pas d'avoir ces idées étroites.
A l'endroit de l'amour, Clotilde était "un esprit fort" et une t1ferrune
pratique". (2)
Ce n'étaient donc pas les récriminations d'une vertu repentante
qui la rendait maussade; ce n'était pas non plus le chagrin d'avoir, dans
/
un instant de délire, trompé la confiance d'une affection agréable; c'était
(1) Le Crépuscule, Propos du soir, op. cit., P. 298.
(2) Réis Ibrahim, P. 36.
.../

- 180 -
"un sentiment très égoïstement per-sonnel." (1) qui la tourmentait. Elle ne
s'en voulait pas d'avoir fait une folie, elle s'en voulait simplement d'avoir
commis une sottise dont les conséquences l'effrayaient. Elle devint alors très
embarrassée de sa conquête: "Hélas! se disait-elle en levant les épaules
avec colère, qu'est-ee que je vais faire de ce moricaud 111 (2)
Harcelée sans
cess« par ses souvenirs, inquiète des conséquences possibles, elle se sentait
prise de rage contre Réis Ibrahim et contre elle-même. A son embarras des
premiers jours avait succédé une horreur mêlée de déqoû't : "Moi ! moi
se
disait-elle, en t~~blant de colère, et cet arabe qu'on montrerait à la
foire !" (3)
Elle prit alors la résolution d'éloigner le Réis d'elle à
jamais afin de ne donner aucun éveil aux familiers de ses soirées mondaines.
Voici en quelques lignes comment, la femme, égoïste de nature, se
sert de l'homme pour assouvir ses plus bas instincts et le renie aussitôt
après satisfaction, au moment même où la passion qu'elle a allumée et entre-
tenue prend de l'ampleur dans le coeur de ce dernier.
La femme n'est pas seulement égoïste
elle excelle aussi dans
l'hypocrisie et dans l'ingratitude.
2/ Hypocrisie et Ingratitude
Chez Du eAHP, toute la vie sentimentale et amoureuse de la femme
n'est que mensonge, ruse et fourberie. Elle feint toujours des sentiments
qu'elle n'a pas. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il domle le conseil
suivant aux hommes: IISi vous voulez savoir la vérité, croyez le contraire
de ce que vous dit une femme; si vous voulez avoir la paix, feignez de
croire ce qu'une femme vous di t~1 (4)
La vi e du coupl e, du moins tel que
le pratique la femme, est un
véritable jeu de "cache-cache" où ses senti-
ments véritables sont à peine dévoilés. Cette situation délicate se crée
surtout au moment où a agi ilIa loi de la désagrégation naturelle". Au bout
du compte, après un certain nombre d'années de vie commune, la femme, parti-
(1) Réis Ibrahim, P. 36.
(2) Ibid, P. 37.
(3) Ibid, P. 38.
(4) H.S. 3758 - 1. Idées. Bibliothèque Insti tut.

- 181 -
culièrement sensible à la durée, se pose de multiples questions sur l'état
de son coeur, ne croit plus en son amour et souffre même d'une certaine
morosité de son existence. Mais elle feint toujours d'aimer son partenaire
dans le seul souci de préserver sa propre image extérieure. C'est le cas de
Pauline
de "L'horrune au bracelet d'or" qui n'avait plus d'amour à offrir à
son mari et qui croyait résoudre le problème en se consacrant exclusivement
à un enfant: "Puisqu'il ne m'a pas été donné d'être l'épouse que j'aurais
voulu être, se dit-elle, je serai mère, rien de plus, mais rien de moins~ (1)
Annunziata SPADICELLI chante à toute heure son amour pour son vieux
mari alors qu'elle le trompe "outrageusement" et "hypocritement" avec Fabio
d'abord et Lélio ensuite, à la "barbe" du premier. Entre l'hypocrisie et
l'ingratitude, il n'y a qu'un pas à franchir.
La fermne se révèle comme étant naturellement ingrate parce qu'elle
est incapable de reconnaissance. Elle se montre presque toujours disgracieuse
et désagréable à l'égard de l'homme qui non seulement l'aime avidement
mais
aussi est dans bien des cas son bienfaiteur. C'est le cas de Thaouleh,
héroïne de "L'Eunuque noir". Cette nouvelle raconte l'histoire d'un jeune
homme nommé Arbagi qui part à la recherche de sa fiancée, achetée par des
marchands d'esclaves, au moment où il s'était retiré en brousse pour re-
cueillir la dot nécessaire au mariage. Après plusieurs mois de pénibles
épreuves et grâce à des ruses inimaginables, Arbagi réussit à rejoindre la
caravane, à s'y introduire et même à retrouver la f~rone de ses rêves. La con-
versation qui s'engagea entre les amoureux est éloquente et révélatrice à
propos du caractère de la fe%~e. Fou de joie, Arbagi s'éla~ça vers Thaouleh
sans mot dire et la serra dans ses bras
"- Enfin s'écria-t-il d'une voix sourde après quelques instants de
silence
j e t ' ai donc retrouvée!"
Il lui raconta sa douloureuse aventure
sa maîtresse lui répondit simplement
et froidement :
" - Oui, tu as bien souffert
mais aussi c'est de ta faute, pour-
(1) L'Homme au bracelet d'or, P. 2%.
...;'

- 182 -
quoi as-tu qui tté Farkana LIeur village nataY pour courir après moi ?II (1)
A la question de savoir si elle a été maltraitée par ses maîtres,
Thaouleh répondit avec une contenance tranquille qui exaspéra Arbagi :
Il
_
Non, les Djellabs ne sont pas méchants ; ils ont eu des soins
pour nous
~.~ On riait, on chantait, on dansait. Nos maîtres nous don-
naient du riz et de bonnes lentilles à manger, nous n'étions vraiment pas
maIl' (2)
La jeune fille accepta les rendez-vous discrets que lui proposa
son amoureux. Mais, faut-il en conclure qu'elle aimait Arbagi autant qu'elle
en était aimée? Non pas! elle trouvait avec lui certaines satisfactions
qui plaisaient à sa nature grossièrement obtuse
mais, elle n'aurait rien
quitté pour lui, et elle ne comprenait même que très imparfaitement pourquoi
il avait abandonné son pays et traversé tant de souffrances dans le seul
espoir de la rejoindre.
Les maîtres de Thaouleh découvrirent les supercheries des jeunes
gens. Ils efféminèrent Arbagi et battirent Thaouleh. Malgré les sévices
subies, Arbagi l'ent~té voulut quand même revoir celle qui était responsable
de ses malheurs. Il fut déconcerté par les propos ingrats qu'elle lui tînt
Il
_
Va-t-en ! va-t-en ! Que viens-tu faire ici ? Depuis un mois que je ne
t'avais pas vu dans la cour, je croyais qu'on t'avait tué et j'en remerciais
Dieu ; tu es comme un mauvais génie attaché à mes pas ; va-t-en, je ne veux
plus te voir. A cause de toi, j'ai été battue, battue si longtenps que je
suis restée comme morte; va-t-en, OU j'appelle les eunuques à mon
secours !" (3)
Comme Thaouleh, Hammoëly de la nouvelle intitulée IITagahor." est
aussi d'une ingratitude caractérisée. En effet, elle bénéficia d'une i@nense
richesse que lui légua Tagahor son mari qui accepta volontiers de devenir
mendiant pour faire chaque jour "un pas vers la di vini té Il • (4)
Quelques
( 1 ) L'Eunique noir, P. 214.
(2 ) Ibid, P. 215.
(3) Ibid, P. 22';.
(4) Tauahor, P. 1'//.
• •• i

- 183 -
années plus tard, M~~oëly explosa de rage lorsqu'elle vit le mendiant -
celui qui l'a rendueriche - s'approcher de sa demeure i les paroles sonnèrent
comme un glas aux oreillesde Tagahor : "Va t-en ! Est-ce que je te connais,
mendiant infect? s'écria Mammoëly ; va t-en ou je vais te chasser à coup
de fouet!' (1)
Notre dernier exemple d'illustration de l'ingratitude féminine
concerne
Genevièv.e- de la Nouvelle "Richard PIEDNOEL". Richard recueillit
chez lui, d'abord par chari té, ensui te par amour une jeune fi Ile très pauvre
livrée en pâture à la vie. Elle retrouva dans cette maison l'équilibre
psychique et moral qui lui faisait défaut et un homme qui l'adorait presque~
Cependant, elle n'eut aucun remords à partir avec un autre homme,
à la grande désolation de Richard. C'est avec amertume que ce dernier
évoque cette affaire: "Tous les jours on voit un brave garçon recueillir
chez lui une pauvre fille qU'il aime, suer sang et eau pour elle, la respecter,
l'adorer, et tous les jours on voit la femme l'abandonner pour un imbécile
qui a des moustaches frisées et des boutons d'or à ses manchettes~' (2)
Les femmes de cette espèce sont nombreuses et rageusement dénoncées
dans l'oeuvre de Du CAMP qui considère volontiers que "l' ingrati tude est
organique" (3) chez la femme.
L'hypocrisie tout GOmme l'ingratitude sont procréatrices de sentiments
malsains dont l'infidélité.
3/ Fidéli té
Concernant cette qualité humaine, les idées de Du CAMP sont com-
mandées par cette phrase: "Chez la femme, l'infidélité est un vice utérine-
ment congénital!' (4)
Partant de ce principe établi par lui, l'auteur dé-
montre l'infidélité "organique" du "sexe faible".
(1) L'Eunuque noir, P. 160.
(2) Richard PIEDNOEL, P. 345.
(3) M.S. 3758.1. Idées.
Ct) Ibid.

- 184 -
La fcr.1me est infidèle parce qu'elle est naturellement fragile. Dans
Il Les
Buveurs de cendr-es.", Flavio eût tout pardonné à sa maîtresse Sylvérine,
même une trahison, car il savait que ilIa femme §taii! une créature
fragile~' (1)
En trompant Flavio avec son ami Jean, elle obéissait Il au double
instinct dominant des femmes, la fragilité et la perfidie'! (2)
Dans IILes
Forces Perdues ll, le narrateur démasque le vrai visage de la femme après les
premiers chocs de la passion: IIQuand la raison, aidée par l'expérience,
reprenait lé dessus, on voyait alors la femme tel que la nature et la civili-
sation l'ont faite, on cherchait vainement en elle ces qualités séraphiques
et merveilleuses dont on s'était plu à l'enrichir
~.~ On ne trouvait plus
qu'un être vorace,troublé, mobile, auquel on pouvait presque toujours appliquer
le mot que SHAKESPEARE et GEOTHE en ont dit: "Ton nom est fragilité~ (3)
Sylvérine
de son côté était IIflottante vis-à-vis d'elle-même ll • (4)
Consé-
quence de cet état, elle avait des alanguissements singuliers, des rêveries
..
sans fin, des énervements subits et incontrôl~s. Elle était donc une femme
souffrant de toutes IILes misères féminines ll . (5)
L'émotion quelle qu'elle
fût avait pour elle un attrait qu'elle ne savait vaincre; elle était toute
lIexpansionll et lI emportement ll•
La fe~e est donc un être inconsistant, sans épaisseur psychologique.
Aussi, est-elle pleine de contradictions.
Poussée peut-être par une certaine force, elle est infidèle sans
trop savoir el Le-enême les raisons de cette inconstance.
Juliette' des
"Forces Per-dues" est une femme qui vol tige ct 'un homme ,,\\ un autre à la quêtc
d'un hypothétique bonheur. Voici comment elle parle de son destin : "Je vous
quitte pour suivre Sir William, comme j'ai quitté Sir John pour vous suivre,
avoue-t-elle 0. Horace; en s omrie , c'cst ma destinée que je sui s;' (6)
Sylvérine est elle aussi sans doute ensorcelée par son destin. En effet,
elle trompe Flavio pour Jean, mais semble toujours aimer les deux amis, le
(1) Les buveurs de cendres, P. 528.
(2) Ibid.
(3) Les Forces Perdues, P. 163.
(4) Les buveurs dc cendres, P. 528.
(5) Les Forces Perdues, P. 284.
(6) Les buveurs ~lc ccndr cs , P. )3').
1
.../

- 185 -
premier presqu'autant que le dernier. Et pour cause, elle regrettait Flavio
avec une ferveur qui eû t pu lui faire croire qu'il était uniquement aimé, si
elle n'avait su elle-même à quel point elle aimait Jean. Cette nature parti-
1
culière de femme l'entraînait à des sentiments contradictoires et à. d'imp.p.ri·-
~ses sensations de sorte qu'elle "eût volontiers trompé Jean pour Flavio,
comme jadis elle avait trompé Flavio pour Jean:' (1)
En face de cette inconstance caractérielle de la femme, les hommes
adoptent généralement deux attitudes bien tranchées. Dans la plupart des cas,
ils s'accomodent de la situation et font semblant de ne rien remarquer. C'est
par exemple le cas du mari d'Annunziata SPADlCELLI qui a trouvé une idée
originale pour donner une raison à sa vie : "je crois qu'il est revenu sur
ses belles illusions, déclare ironiquement le narrateur; maintenant il aime
les coquilles et il prétend qu'elles sont moins trompeuses que les femmes~' (2)
D'autres hommes n'admettent pas la réalité qU'ils trouvent humi-
liante et déshonorante. Dans cette situation, la rupture est inévitable,
elle est même un mal nécessaire. C'est le cas de Richard PIEDNOEL qui avait
épousé une femme "peu digne de lui" (3), qui le trompait" scandaleusement"
sans qu'il s'en aperçut, et qu'il avait enfin abandonnée lorsqu'il n'avait
pu se refuser à l'évidence.
La femme infidèle est une créature insaisissable, perpétuellement
attirée par des forces indéfinies. Pour atteindre à cette idéalité, à ce
besoin inassouvi d'ej~ansion et d'emportement, elle utilise tous les moyens
qui s'offrent ~ elle, quelque soit leur degré de moralité.
4/ Perfidie
La perfidie est la résultante logique des trois premiers points.
La fôn~e est non seulement d'une traîtrise confirmée, mais aussi et surtout,
elle est un élément dangereux pour l'ordr~ social. Elle n'hésite pas à se
servir de l'homme, rien que pour satisfaire ses instincts. C'est par exemple
(1) Les buveurs de cendres, P. 539.
(2) Le chevalier du coeur saignant, P.
7(v]..
(3) Richard PIEDHOE~, P. 33:'.

- 186 -
le cas de Clotilde qui "utilisell Réis Ibrahim l'arabe pour assouvir ses
désirs. Sans avouer la haine subite qui l'anime de peur de dévoiler le
mystère, elle pousse son frère à se débarrasser d'Ibrahim à l'aide d'accusa-
tions calomnieuses et pernicieuses : "- Voilà bien assez longtemps que tu
traînes ton arabe à la remorque, fait-elle remarquer à son frère. A quoi te
sert-il ici? A rien. Il te coÜte de l'argent, et voilà tout. Sa présence a
pu étonner pendant les premiers jours, mais maintenant qu'on y est habitué,
on commence à rire de toi et à trouver que tu fais un métier de dupe.
Tes amis en font des gorges chaudes quand ils parlent de toi. Je
t'engage donc à te débarrasser de cet Lr-oquoâ sl' (1)
C'est ainsi que Clotilde convainquit Godefroy qui jeta Réis Ibrahim
à la rue sans aucun moyen de subsistance.
Un degré de plus dans la tendance à la perfidie de la femme est
franchi avec l' héroïne du li Li vre pos thurne". Suzanne, l'amoureuse de J ean-ëïar-c
souhaitait vivement la mort de son mari afin de rejoindre son amant en
Egypte : "je me dis: Peut-être a-t-il été écrasé sous quelque voiture
peut-être va-t-on me le rapporter sur une civière!" (2)
Une femme qui
délire de la sorte hésiterait-elle à tuer elle-même son propre mari ?
En général, les fe~es ne vont pas jusqu'au bout de leur détermi-
nation et restent au stade des prières. C'est Zaynèb, cette esclave de
Beyrouth qui aura le triste sort d'accomplir l'acte suprême. Achetée par Jean-
Marc, elle devint sa maîtresse dans sa retraite d'Orient. Hais, tout se co~­
plique dès lors que Suz~~e, la maîtresse parisienne, débarque en Egypte
de façon impromptue pour créer la surprise à son amant. Le dénou~~ent se
précipite très rapidement car la nubienne est jalouse de Suz~~e qui a com-
mencé à lui ravir sa place. Sro~s hésiter, elle empoisonne froidement sa
rivale avec une maîtrise "digne d'une femme".
La femme est un être perfide et dangereux
il faut donc s'en méfier
surtout qu'elle est incapable de raiso~~er.
(1) Réis Ibrahim, P. '1-5.
(2\\ Le livre rost~w~e, P. 150.
... '1

- 187 -
5/ Femme et Raison
La raison est masculine tandis que la sensation est féminine. Pres-
que toutes les femmes qui "vivotent" dans l'oeuvre ne sont pas douées de la
faculté "masculine" de raisonner. L'héroïne des "Hallucination du Professeur
Floréq.l" par exemple "ne raisonnait pas ses impressions, elle les subis-
sai t!", (1)
Horace des "Forces Perdues" soupçonne que "la femme est naturelle-
ment dénuée de raisonnement". (2)
Il estime d'autre part qu'il n'a peut-être
manqué à Vi viane sa maîtresse "qu'une moralité mieux forgée ou de meilleurs
exemples pour s'élever tout à fait au dessus de son sexe, et 61trer de plain-
pied dans la région du raisonnement en quittant celle de la sensation dont la
femme, jusqu'à présent, n'est pas encore parvenue à sortir". (3)
Là en effet,
conclut-il, "gît la différence essentielle qui sépare l 'homme de la femme.
Le premier est un homme de sentiment et de raisonnement ; le second est un être
de sensation et d'impression". (4)
Les femmes elles-mêmes sont conscientes de cette situation. Elles
le proclament souvent avec une certàine teinte de fierté de Femme : tlQuel
ménage nous faisons
disait Sylvérine à Flavio: je chante et tu calcules
je suis une romance mariée à un théorèm~' (5)
En conséquence, les hommes évitent d'engager des discussions avec
elles parce qu'elles n'en seraient pas capables: "je savais par expérience,
retorque Floréal, qU'il est inutile de raisonner avec une femm~' (6)
Mentionnons par ailleurs que la femme dont il est question est
ess~~tiellement la Parisienne et généralement l'adulte qui a reçu un certain
type d'éducation qui lui a fait croire que son unique fonction dans l'exis-
tence est "de se décolleter, danser et plaire". (7)
( 1 ) Les hallucinations du P••• P. 572.
(2 ) Les Forces Perdues, P. 130.
(3) Ibid, P. 112.
"
(4) Ibid.
(5) Les buveurs rie cendres, P. 523.
(6) Les nallucinations,.. P. 575.
(7 ) Les Forces Perdues, P. 54.

-
.LBS -
Contrairement à celle-ci, Horace trouve par exemple en sa petite
cousine Hélène,
élevée et vivant en Ecosse "une petite personne fort raison-
nable ll • (1), Elle est fondamentalement différente des parisiennes caracté-
risées par "leurs futilités, leurs coquetteries hypocrites, leurs conversa-
tions insipides, la pauvreté des intérêts qui les occupent". (2)
A l'opposé
des mijorées de Paris, Hélène "pense et ne rêve point".(3)
Telles qu'elles sont présentées, les femmes sont généralement
dénuées de la noble faculté de raisonner. A quoi servent-elles en défitive ?
A être charmantes et belles pour le plaisir de l'homme. C'est d'ailleurs
leur seule ambition. Voici comment Juliettedes "Forces Perdues" corrobore
cette idée; pour elle en effet, "le premier devoir d'une femme est d'être
belle, le reste importe peu". (4)
La femme passe donc son temps à rêver à l'amour et à un hypothé-
tique bonheur. A dix-sept ans, lorsqu'on essaya de démontrer l'utilité de
l'astrologie à Sylvérine, elle n'eut aucune peine à révéler une pensée
profonde qui animait toutes les héro5:nes de Du CAHP : "Il n'y'rien d'utile
que ce qui sert à aimer !" (5). Sylvérine saura-t-elle aimer comme elle
le dit, surtout lorsqu'il s'agit d'un homme un peu particulier?
6/ Femme et Artiste
Comme épitaphe à son tombeau, le héros des "Buveurs de cendres"
a choisi cette formule célèbre
"La femme est plus amère que la mort, et
ses mains sont des chaînesl' (6)
Non seulement la femme est dangereuse pour l'homme, mais aussi
elle est nuisible à l'épanouissement de l'artiste. En effet, elle excelle
à attirer près d'elle et à retenir loin du labeur les horrnnes dont la noto-
riété a quelque rayonnement ; elle trouve dans ces rapports, des satis-
(1) Les Forces Perdues, P. 52.
(2) Ibid.
(3) Ibid, P. 208.
(4) Ibid,
(5) Les Buveur-s de cen.ir-es , F. )23.
(6) Eccl., c. '111, \\727. in fiLes :Jtrvcur~~: Je cCll:lrcs", r. ~)',~3.
. ../

- 189 -
factions d'a~our-rro~re p01ùant les jours de réception ct ill1e distraction
agréable lors des tête-ù-tête et des entrevues. Sans scrupule et avec lLYJe
sérénité qui dénonce l'amour de soi-même, elle enlève il l'artiste ce qu'il
a de plus pr-é c.i eux, c'est-à-dire le temps de la réflexion et du travail.
Richard PIEDHOEL se laissa ainsi accaparer par une femne oisive,
irrespectueuse des fonctions de l'esprit et ne se souciant guère des labeurs
intellectuels, pourvu qu'elle pÜt échapper à l'ennui qui la dévorait
"Quant à Richard, il était touj ours le même, taciturne, travailleur ; il
n'avait fait aucun progrès; ses souvenirs le r-avaçeai.en t]' ((1
Peintre de
grandes aptitudes et de grands talents, Richard fut cloué au pilori depuis
la venue de cette f6n~e dans sa vie, sacrifiant ainsi un avenir qui s'an-
nonçait prometteur: ilLe temps, le travail, le voyage avaient émoussé sur
lui leurs forces destructrices: il était amoureux et plein de regret comme
au premi er j our." (2)
L'écri vain fait une nette distinction entre l' Herme au sens
générique du terme et l'artiste. Ce dernier est plus sensi ble aux soubresauts
de l' exi s t ence et par conséquent plus malléable par la fer.une : "S on LRichary
â~e, si ferme, si précise pour ainsi dire lorsqu'il s'agissait du devoir et
de l'art, devenait molle et flottante dès que le coeur était en jeu. C'était
un artiste, ce n'était pas un homme; il ignorait la vie: soit par noncha-
lence, soit par Ul1 de ces inexorables besoins d'aimer qui poussent les
meilleurs esprits dans des voies mauvaises; il se laissait souVô~t entraîner
par des folles cr~atur~ qui le bernaient à
. .
. "
qua nu eux rrueux;
Ce t hème (rapport Femme et Artiste) n'est pas nouveau. Du CiI.:'!P l'a
trai té comme nombre de ses con t empor ai ns ,
Créature
absorbw1te, la fen~e est nocive à l'artiste, ~ais aussi
à. L' ami t i.é entre les hommes, Elle accapare l'homme qui ne parvient plus d
cultiver ses rapports sociaux. La belle Annunziata accapare Fabio à tel point
(1) Richard PIBDNOEL, P. 351-
(2 ) Ibid, P. 353.
(3 .) I bicl, P. 'J"" Ç)
..J) L-'.

- 190 -
qu'il n'arrive plus à tenir ses engagements auprès de son ami "Lélio" :
"Je ne pensais plus à la quitter avoue-t-il,. L-:.J et je m'étais accoutumé
à l'absence de Lélio. Je lui écrivais cependant; mais, je dois l'avouer,
ce n'était pas pour m'informer de sa santé et de ses progrès que je lui
envoyais de longues lettres: c'était afin de lui parler de ma vie, de lui
raconter le bonheur qui me débordait et m'eut étouffer sans les épanchements
de la confidence," (1)
La femme est aussi source de zizanies et de discordes entre les
amis. Flavio, l'un des chefs des "Buveurs de cendres" était le père spiri-
tuel de Jean SCOOLrO qu' i l éleva et pour qui il portai t une amitié si absolue
qu'on l'eQt prise pour de la faiblesse. Comme Flavio, Jean devint lui aussi
chef des "Buveurs de cendres". Cependant, cette idylle sans nuage sera inter-
rompue car Sylvérine, la maî tr-esse de Flavio tomba amoureuse du jeune Jean
qui ne pftt résister à la tentation ensorcellante de cette femme. Dès lors,
leur destin, jadis tracé dans le même chemin, s'obscurcit et finit par sombrer
avant d'arriver à terme.
Les charmes eneoûtant s de la femme lui confèrent la puissance de
détourner l'homme_de son devoir et de ses responsabilités. C'est exactement
le cas de
Jean
dont nous venons de parler, qui reçut l'ordre de ses supé-
rieurs de prendre la direction d'un mouvement préparé depuis longtemps et
qui refusa d'obtempérer pour la simple rai son qu'il ne vou lai t point qui tter
la femme auprès de laquelle il se sentait si heureux.
Le thème de la dégradation de l'Homme pour la Femme, est une idée
romanesque, mais qui était presque de mode au Xl Xè siède. En effet, les roman-
. tiques pour la plupart et les écrivains du XrXè siècle en ont fait usage, que
ce soit dans leurs oeuvres narratives ou dans leurs essais. La première idée
que FlAUBERT avait formulée pour son proj et de roman "sous NAPOLEON In" avai t pour
thème la dégradation de l'homme par la femme. Guy SAGNES signale dans son étude(2)
que les GONCOURT analysent dans deux de leurs romans, dans toutes ses pitoyables
étapes, l'anéantissement, l'une d'une carrière d'homme de lettres, l'autre
d'une vocation de peintre, par la faute d'une femme qui s'est emparée de leur
;/
cerveau de l'intérieur. ('Paul BOURGET
s' inscri t dans le même caneva en
(2) Guy SAGNES, L'Ennui ••• , op. cit., P. 382.
(1) Le Chevalier du coeur saignant, P. 707.
. . ·1

- 191 -
montrant dans "Cruelle Enigme" une femme abêtissant un jeune auteur jusqu'à
le rendre à la fin "com.me les autres", attristante formule qui donne son
titre au dernier chapitre du roman.
Nous voudrions, pour terminer cette analyse, faire une longue
citation qui nous semble regrouper l'essentiel des points évoqués ci-dessus.
L'auteur laisse la parole à SamLa, l'un des principaux chefs des "Buveurs d~
-
~", qui tente de convaincre son collègue Jean afin qu'il accepte sa
mission
"De quelle misérable argile as-tu donc été pétri pour te laisser
arrêter par une femme
sur le chemin de ton devoir? Qu'est-ce qu'un senti-
ment de cet ordre ab~ol~ent secondaire en présence du but que nous pour-
suivons? Chacun de nous, sache-t-en souvenir, a juré de dire aussi à celle
qui voudrait le retenir: "Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ?"
Tu t'es donné à une abstraction, et la femme, qui est un être essentiellement
rela tif, ne peut la compr-endr-e, Nous sommes Aes soli taires, la compagni e des
femmes est mauvaise pour nous, ne l'oublie jamais. Vois où cette créature
dont tu es fou vous a condui~tous les deux. Te voilà, toi notre homme
d'action par excel.Lence, notre porte-glaive, devenu plus débile qu'un vieux
prêtre qui a peur de l'enfer; voilà Flavio, notre lumière la plus vive,
notre projection de pensée la plus lointaine, qui s'étiole, s'obscurcit et
s'en va, sans pouvoir se reconnaître au mil~~~ de ses idées troubles ~.~
Morbleu! soyez des hommes! vous n'êtes faits pour être ni des maris ni
des amants ! Amusez-vous, si cela vous plaît, mais par le ciel ! ne donnez
rien de votre coeur, rien de votre cerveau, à ces êtres inférieurs et sen-
suels qui prennent un honune comme un singe prend une noi x, et le rej ettent
après l'avoir dévor-é," (1)
A propos de l'oeuvre narrative et poétique de Ha::irne Du CABP, on
pourrai t écrire le mot femme en
majuscule car il s'agit de la FEI'U'lE au
sens générique du terme. La plupart de celles qui évoluent dans ses ouvrages
sont des bourgeoises parisi~nnes (Clotilde, Suzanne, Viviane ••• ). On serait
par conséquent tenté d'évoquer les rapports que l'écrivain a eus avec la
"Haute société ll et les femmes bourgeoises. Mais, outre ce que nous savons
déjà, c'est-à-dire, la.vie bourgeoise de l'auteur à Baden-Baden pendant ses
dernières années, ses contacts avec certains milieux aisés de la capitale,
(1) Les Buveurs de ccndr es , PP. 541-511.
.../

- 192 -
les documents dont nous disposons ne nous permettent pas de pousser plus
loin notre analyse. De toutes les façons, ce qui nous importe dans le cadre
de cette étude est que chez Du CAI'1F, toutes les réflexions antérieurement
évoquées s'adressent a la FEW1E; qu'elle soit de la grande bourgeoisie
parisienne (Viviane, Clotilde••• ), qu'elle soit de la bourgeoisie britam1i-
que (Juliette) qu'elle partage la pauvre vic d'un artiste (Geneviève), qu'plIe
soit la maîtresse d'un chef de société secrète (Sylvérine), ou qu'elle soit
esclave en Egypte (Zaynèb) ••••
Peut-être peut-on rapprocher l'auteur des "Forces Perdues" de
certains poètes et romanciers du XIXè siècle qui, trahis et blessés par la
fe~e, se sont vengés d'elle par leur dénigrement ou leurs insultes. Les
similitudes flagrantes ne font-elles pas croire que l'attitude de Du CAMP
vis-à-vis de la FElll1E pourrait provenir d'une déception d'amour de jeunesse,
une déception qui l'aurait marquée pour toujours? Il nous semble opportun,
pour répondre à ces interrogations, de rappeler quelques traits de la vie
sentimentale de l'écrivain, car l'image qu'il propose de la fe~e n'est
jamais que l'histoire d'une vie, sa propre vie. La fe~~e qui fait en
réalité les frais de ces prises de position extrêmes n'est autre que la
parisienne Valentine DELESSERT. Nous renvoyons le lecteur au chapitre limi-
naire (Du CAMP/FLAùvERT) et au chapitre III (Transmutation de la vie en
OeU\\Te d'art ••• ) de notre travail. Après l'échec des rapports entre Valentine
et Du CAMP, la réalité de la vie fut plus que cruelle pour ce dernier.
L'amoureux "tomba de très haut" en voyant tout d'un coup ses espoirs voler
en éclats et ne put se relever. A parcourir l'oeuvre de l'écrivain, on se
rend aisément compte qu'il attribue la responsabilité de l'échec de son
expérience amoureuse à sa partenaire, d'où cette haine morbide qu'il n'a
cessé d'entretenir à l'égard de la FEHME. La haine il l'égard de Valentine
DELESSERT rejaillit donc sur toutcs les Eemmes.
Cette mésaventure aurait été bien banale, surtout en ce siècle
où les jeunes gens ne rêvaient que d'amours platoniques et de femmes idéales.
Hais, à la manie de la jeunesse de ce siècle de tout exagérer et de tout
idéaliser, s'ajoute chez Du CAHP la spécificité de son éducation. En çffet,
il perdit très t ô t son T'ère et fut élevé par sa mère jusqu 1:\\ l'âge de quinze
. . . . . 1

- 193 -
mité avec sa grand'mère dont la mort seule le sépara alors qu'il entrait
allègrement dans sa vingt-hui t i ème année. Il l'avoue Lur-cnême dans ses
notes manuscrites de la Bibliothèque de l' Insti tut de France : "Non éducation
faîte par ma mère et par ma grand'mère avait mis en moi un tel fond de
respect pour les femmes que malgré l'expérience de la vie de mes soixante
ans, il n'est pas encore tout à fait épuisé:' (1)
Ailleurs, dans les mêmes papiers, il fait allusion
à sa naiveté d'antan: "je croyais volontiers que· les femmes sont des anges
et qu'elles savent garder la blancheur de leurs ailes à l'abri de toute
soui Llur-e;' (2)
Les idées de Du CAMP à propos de la FEMME trouvent certainement
leurs origines dans ces hypothèses. Son cas n'est en fait que l'histoire
banale de la quête de la "Hère vénérée", de "Dieu", à travers une maîtresse.
Valentine DELESSERT ne fut que la victime innocente d'une quête de l'inac-
cessible, de l'absolu. En effet, tout bon romantique qu'il fut, il a rêvé
d'une femme à son image, pure et im~aculée ; la réalité fut tout autre.
Mais, malgré cette déception, il a toujours rêvé l'avènement de cet
"Amour-Bonheur", de cette "Mère-Dieu". L' écri vain fait exprimer ce désir
toujours existant par l'un de ses personnages : "Si je recommençais à
vivre en gardant mon expérience, c'est à l'amour peut-être que j'irais
demander ces enivrements qui font à l'homme une invulnérable armure" (3)
Il renchérit quelques pages plus loin : "Quoi qu'il en soi t, je
rechercherai les femmes, je tâcherai d'en aimer une et j'essayerai de
devenir enfin heur-eux, Que trouverais-j e ? joie ou douleur? Qu'importe
encore? Aimons et Dieu fera le reste !" (4)
Hais, malgré cet air d'espoir secret, Haxime Du CAHP n'est pas
assez naif pour se satisfaire d'une débauche de lyrisme intériorisé et
son oeuvre narrative' et po~tique en est la trad~ction. L'Approçhe. du
( 1) M. S.
3758 - 1. r dé es.
(2) B.S. 3719. Fonds H.D.C. l
Papiers personnels.
!
.
\\3) Le livre pos t hune , 1'.13.
(/). ') r bi ':, P. 123.


·1

- 194 -
t hème de l'Amour etJc:: ~_;). F'ernrne est tout 3. la fois reflet et dédain ; reflet
d'un idéal, dédain d'un type ou d'ill1 état insatisfait d'où crises multiples
et réflexions amères.
De son côté, l'artiste n'a fait que suivre les traces de l'homme.
Au lieu d'accepter la désillusion et l'impuissance et s'accomoder d'une
réalité grave et cruelle, il use de ses dons naturels pour exposer aux yeux
de tous les haines de sa conscience bafouée, projetant en même temps dans
l'au-delà, la réalisation hallucinante de ses désirs insatisfaits (cf Amour
Au-delà).
N'ayant point trouvé le repos tant recherché dans l'amour et
auprès de la fe~e aimée, l'écrivain espère rencontrer ailleurs, loin de sa
vie quotidienne, la sérénité et l'accalmie dont il a besoin. Voyager devient
alors un moyen de délivrance; il vaut du moins mieux qu'aimer :
"Je ne veux pas aimer; j'aime mieux, sur les ondes,
Regarder le soleil descendre et s'abîmer
j'aime mieux m'en aller par les forêts profondes
L'amour me fai t trop peur; je ne veux pas aimer."
(1)
b - Le voyage
"Ha::i~ne Ju CAHP est avant tout un voyageur", se sont plu:) dire
un certain nombre de critiques. Cela est vrai, et nous estimons que le
thème du voyage mérite ill1e place particulière dans son oeuvre narrati~e
et poétique et une étude détaillée comme celui de l'amour. En effet, plus
que chez quiconque, ~ l'instar des récits de voyage et de la correspondance,
la production romanesque et poétique est pleine de vestiges de voyage. Par
exemple, les péripéties du "Livre posthume" se trament et se dénouent en
Orient. Les "Forces Perdues" situent leurs actions à Paris, en province
française, ~1 Ecosse, en Italie et en Nubie où elles s'achèvent. Il en est
/
de même de presque toutes les nouvelles ainsi que d'un nombre important de
poèmes qui sont ct 1 ailleurs pour la p Lupar-t écrits ,) l'étranger et <lui trai-
t en t le t hèrnc du voya';e.

- 195 -
a'i Pourguoi partir?
"Voyageur ! voyageur ! pourquoi marcher sans cesse 7
Pourquoi toujours chercher un nouvel horizon 7
Pourquoi sur l'Univers répandre ta jeunesse 7
Pourquoi ne pas dormir quand le sommeil te presse 7
Pourquoi toujours la tente et jamais la maison 7" (1)
Les raisons qui poussent les personnages de Du CAMP à partir sont
variables. Leurs multiplicité dans un même ouvrage ou lorsqu'on considère
l'ensemble de notre corpus fait apparaître un certain nombre de contradic-
tions qui pourraient rendre cette étude délicate. En effet, parce que sa
facilité et son obsession l'ont mêlé à la vie quotidienne, le voyage est
devenu un élément littéraire si fréquent qu'il a pu prendre les significa-
tions les plus variées et les plus contradictoires. Mais on réussit à
démêler tout cela lorsqu'on se réfère à la symbolique même du voyage.
Voyager est un acte hardi qui oblige à rompre, même si la ru~ture n'est que
provisoire; en cela, le voyage est l'image de toutes les ruptures. Aussi,
l'idée du voyage prend-elle en charge A la fois l'espoir et la hantise d'un
ailleurs; partir, c'est donc oser aller de l'avant, c'est franchir les
bornes d'un monde connu. On peut changer simplement de ville ou demander
asile à la nature provinciale: A la suite des multiples disputes avec sa
bien aimée, Horace pense instinctivement que voyager est le seul remède à
leurs maux. Il se résout alors : "d'aller passer un mois ou s i x s emai nes à
la campagne, afin de se reposer lui-même, car il était hqrassé
par tant de
luttes, et afin de laisser Viviane seule avec ses réflexions, qui peut-être
la ramèneraient à la véri té~' (2)
C'est aussi à la campagne consolatrice que Ri char-d PIEDNOEL s'en
remet lorsqu'il souffre à Paris: "je m'en allais à la campagne, au hasard
de mes pas, qui m'emmenaient où i l leur plaisait:' (3)
(1) Les chants modernes, le voyaS]eur, P. 103.
(2) Le':.: Forces Pcrclue~;, P. 13~'.

- 196 -
Contrairement à BAUDELAIRE qui détestait la campagne au plus haut
point et à VERLAIIŒ qui fit la proclamation suivante,
"Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs
Nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales
Siciliennes, ni les pompes aurorales,
Ni la solennité dolente des couchants ... 11 (1)
le poète espère y trouver un air purificateur.
"Je veux aller voir si dans la nature
il reste encore un coin du ciel aimé,
Quelque pays par les fleurs embaumés,
Et pour y boire une fontaine pure~ (2)
Le voyage peut pourtant être très lointain, c'est d'ailleurs ce
qui prédomine. Les pays ori errtaux du soleil sont de loin les plus sollicités.
Godefroy de la nouvelle IIRéis Ibrahimll n'hésite pas à choisir l'Egypte pour
ses premières randonnées étrangères : 1111 voulait faire un voyage sérieux,
un voyage lointain, un vrai voyage, et après beaucoup d'hésitations il se
décida pour l' Egypt~' (3)
.Jean-ëtarc du "Livre pos t hume" décide quant à. lui
de faire un "long voyagell (4) qui n'est autre qu'un p~lerinage en Epire,
en Turquie, en Asie lIincure, en Grèce et en Italie. Horace des "For ces Per-due s "
est lui aussi sous le joug oriental car "il avait envie de tout quitter
pour aller de~ander ~ l'Orient le bonheur négatif de la vie contemplative
qui lui apparaissait actuellement comme le point culminant de la félicité
humaine:' (5)
Ce sont 61core les pays du soleil que le poète chante dans
"Las s i tude" :
(1) L'Angoisse, Poèmes Saturniens, "oeuvr-e poétique de VERIAUlE", Edit. de
Jacques, RŒ3ICHEZ, Paris, Garnier, 1969, P. 30.
(2) Les Chants Hoder-nes , En fui te, P. 345.
(3) Réis Ibrahim, P. 3.
(4) Le Li 'I,,'Te Pos t humc, P. 40.
(5) Les Forces Perdues, P. 218.
.../'

- 197 -
IfA Beyrouth
! A Beyrouth ! c'est là que mon rêve
C'est à côté des flots baissant sa blonde grève,
Auprès du bois de pins sur le mont relégué,
que je voudrais, avant que mon destin s'achève,
Aller bâtir mon nid, pauvre oiseau fatigué.
Ah ! c'est là que j'irai, poussé par l'expérance,
sortant, enfin calmé, de ma lente souffrance,
Comme on sort de la nuit, le matin, au réveil
Et sans me retourner vers le seuil de la France,
J'irai livrer ma vie aux pays du soleil!" (1)
Qu'ils partent en province française, en Italie, en Oriènt ou
ailleurs, tous fuient la réalité quotidienne et aspirent à un certain change-
ment. Ils sont attirés de façon irrésistible par un'ailleurs" qui leur fait
signe d'autant plus qu'il marque une rupture avec leur environnement
habituel et promet de leur créer des émotions nouvelles. Le voyage devient
alors un symbole, celui de toutes les ruptures c'est-à-dire, le désir d'une
initiation à autre chose et la quête du progrès dans l'ordre moral et philo-
sophique. Jean-Harc part au Sahara pour fuir la tentation de l'habitude:
"Puisque je suis assez lâche pour ne pas demander à un travail sérieux et
soutenir un soulagemnt à ces rêveries qui m'épuisent j puisque j'ai si peu
de courage que je regrette ce qui m'a fait souffrir j puisque, si je reste ~
Paris, je rechercherai les occasions de revoir Hadrienne, afin de retomber
dans les voies toutes tracées de l'habitude, je partirai j je traverserai
la mer, j'irai en Algérie, sur la lisière du Sahar~' (2)
En ce qui concerne
Horace, il "voulut se secouer, changer de milieu, fuir le séjour habituel de
ses souffrances".(3)
Il n'avait jamais voyagé et pensait que le "spectacle
de pays, de moeurs, d'hommes inconnus, ferait diversion aux pensées dont il,
ne pouvait se débarrasser chez lui, dans sa solitude ordinaire". (4)
(1) Les Convictions, Lassitude, PP. 232-233.
(2) Le Livre Posthume, P. 102.
(3) Les Forces Perdues, PP. 185-186.
(4) Ibid.
;'
.../

- 198 -
De son côté, le poète espère trouver dans le voyage un salut pour
échapper au "Sp.l een" comme le dirait Charles BAUDElAIRE. Dans "En route" qui
est une invitation au voyage, il lève sa grande voix et chante les joies du
changement :
"Quand, sans force et sans joie, on s'ennuie à Paris,
qu'on est las de concerts, qu'on est las de théâtres,
Et qu'on porte envie à l'existence des pâtres,
Qui mènent leurs troupeaux dans les ajoncs fleuris.
Il faut s'en aller vite, il faut plier bagages,
laisser là ses ennuis, ses peines, ses fardeaux,
prendre le bâton blanc, mettre le sac au dos,
et partir lestement pour un joyeux voyaçe;' (1)
Le poète est non seulement envahi par le "Spleen" comme l'indique
le poème précédent, Inais il est aussi et surtout affligé et suffoqué car le
monde saturé qui l'entoure lui est devenu presqu'invivable; c'est le poème
intitulé "En fuitell qui souligne cette réalité:
"Ah ! je voudrais m'en aller loin d'ici
Bien loin! bien loin! Tout m'afflige et m'irrite
Tout me fait mal dans ce monde hypocrite,
Tout fait saigner mon coeur endurci
Je meurs ici ; tout m'accable et me choque
De l'air! de l'air
ma poitrine suffoque
De respirer au milieu des méchants ;
je veux porter mon chagrin et mes peines
sur les flots bleus, dans les bois, dWlS les champs !" (2)
Le voya0e est donc un remède. Comme dans le cas précédent, voyager
(1) Les Chants !lodcrncs, En route, P:. 1O~-114.
\\1

;'
_ .
...)
')
1-
( 2;
IblC1 ,
En Fu i t c , 1 • .;4).
..."

- 199 -
est une recherche de guérison d'un mal moral. Jean-Marc par exe~ple est un
hypocondriaque presque chronique. Il est atteint d'une névrose caractérisée
par un état d'an)dété habituelle et excessive qu'il s'est créée lui-même.
Lorsqu'il sentit le danger de cette force mystérieuse et redoutable, il
établit le diagnostic
et se prescrivit une méthode allopathique: "j'avais
développé certaines facultés intellectuelles de mon individu, mais j'en avais
faussé d'autres, et j'en étais arrivé à cultiver à ce point ma sensibilité,
que tout m'irritait et me faisait mal. Je voulus en finir d'un coup avec
cette maladie avant qu'elle fut devenue mortelle, et je me résolus à faire
un long voyag~1 (1)
Dans certains cas, très rares du reste, car nous n'en avons
relevé qu'un seul, le personnage explique son désir de partir par une souffrance
physique: Jean-Marc espère guérir d'un mal 'de poitrine en allant en Orient,
grâce au soleil et au climat. Ce désir- de partir est provoqué par ~l'instinct
latent de la conservation" (2) qu'il appelle aussi de façon amphatique
"l'attraction irraisonnée de l'hygiène idio-syncrasique".(3)
Il devient plus
explicite quelques lignes plus loin en rendant la formule plus accessible:
"La délicatesse excessive de ma poitrine devait se trouver bien d'un séjour
dans les pays chauds, et c'est peut-être cela qui, à mon insu, me poussa
vers le so Lei.L;' (4)
Guérir, ce n'est pas seulement extirper un mal physique et moral
de soi, c'est auss~ échapper à soi-même, changer de personnalité. Le voyage
devient alors le refus de soi, l'acceptation de deverri.r- autre et de vivre
autrement: "Ce qu'il y a de positif dans ces désirs de voyage, affirme
Jean-Marc, c'est le besoin d'échapper au milieu qui m'entoure et peut-être
à moi-même!' (S)
Par conséquent, il espère "ensevelir à jamais" cette vie
qu'il a toujours portée "à contre coeur". (6)
Aussi rêve-t-il de façon
obsessionnelle à devenir musulman : "Les ijées les plus extravagantes
travaillaient ma pauvre cervelle troublée, il en est une qui revenait sou-
vent, c'était l'envie de me faire musulman, afin de fuir cette société que
(1) Le Livre Posthume, P. 40.
(2 ) Ibid.
(3) Ibid.
C+:' Ibid.
(~) ) Ibid, P. 271.
(6) Ibid, P. 14
.../

- 200 -
je jugeais méchante ct impitoyable, car je me croyais abandonné par tous!' (1).
Ces rêves ne tardent pas à se préciser car il sait déjà, de façon
certaine, ce qu'il fera lorsqu'il foulera le sol oriental: "jlirai demander
l'hospitalité à une tribu voyageuse, je dormirai sous la tente, je chasserai
la gazelle avec les bédoins, je mangerai le kouscoussou aprêté par les
femmes, je porterai le burnous, je ferai la razzia sur les peuplades
ennemi es!' (2),
Il s'habitua d'ailleurs très rapidement au nom que les
autochtones lui donnèrent :"Abou Kelbllqui signifie "le père du chien" ..(3)
Horace aussi changea de nom et se fit appeler "Abou Schellal"
c'est-à-dire "le père de la cataracte". (4)
Il apprenait l'arabe et se
familiarisait avec le pays pour se mettre dans la peau de son nouveau person-
nage. En haute Egypte où il s'était installé, précisément à "Eléphantine", i l
essaya de toutes ses forces de se dépouiller de son masque de fr~1çais pour
vivre pleinement la réalité orientale. Ainsi, il "tuait en lui l'horrune
civilisé auta~t qu'il le pouvait, et faisait de grands efforts pour se
détacher de Lur-cnême et des souvenirs de sa vie privée".(S)
L'Ile dlElé-
phantine qui a servi de lieu de métamorphose à Horace est évoquée dans le
poème intitulée "le palais génois". L'aveu est sans conteste:
"C'est là que je veux me bannir
pour effacer les tristesses passées,
N'emportant dans mon coeur, au fond de mes pensées,
qu'un cher et pi eux souvenir!" (6)
Le voyage représente ainsi un espoir, espoir de sien aller loin de
la misère morale et physique, de cmu1ger de vie et de se changer soi-même.
( 1 ') Le Livre Posthume, P. 85.
(2) Ibid, P. 102.
(3) C'est l'auteur qui souligne.
(4) Les Forces Perdues, P. 263.
(5) Ibid, P. 289.
(6) Les Chan t c : IOélcn:c::::,
le PeLai s 'J~nois, PP. 6~-72.
. .. '

- 201 -
"Ah! c'est,lèt que j'irai, poussé par l'espérance,
sortant, enfin calmé, de ma lente souffrance,
comme on sort de la nuit, le matin, au réveil,
Et sans me retourner vers le seuil de la France,
j'irai livrer ma vie aux pays du soleil !11 (1)
Voyager, c'est aussi aspirer à un repos extatique et total, qui se trans-·
forme très rapidement en une quête de paix et d'absolu
"Et je resterai là dans une paix immense,
N'aimant plus que le ciel, les arbres, le silence,
Et la mer où s'ébat l'aile des grands oiseaux,
jusqu'au jour où, partant pour une autre existence,
la mort m'emmènera vers des pays nouveaux !" (2)
George de "L'homme au bracelet d'or" convie sa maîtresse à. un
voyage au-delà. de l'accessible: "Oh! s'exclame-t-il, m'en aller avec vous,
bien loin, au delà des mers C.:7 N'avoir pour souvenir, pour espérance,
que l'éternelle adoration dont mon ~~e est remplie !~.
(3)
Horace est arrivé en Egypte avec l'intention bien arrêtée de s'y
faire une vie nouvelle, purement contemplative, et dégagée de toutes les
préoccupations douloureuses qui n.e l'avaient que trop alangui pendant plusieurs
années. Il chercha non pas seulement une retraite définitive et agréable,
mais "un refuge inaccessible où jamais le monde et son bruit ne pourraient
l'atteindre l1.(4)
Au cours de ses TTn.l.ltiples périples, il rencontra à I1Paler-
me" en Italie une jeune Anglaise elle aussi atteinte du mal du pays. Juliette
essaya de convaincre Horace afin que ce dernier l'emmenât en Egypte sur les
bords du Nil: "Ah! si j'étais homme
C.:7 c'est là que j'irai terminer
(1) Les Convictions, Lassitude, P. 229.
(2) Ibid.
(3) L'Homme au bracelet d'or, P. 307.
(4) Les Forces Perdues, P. 238.

202 -
ma vie, rentrant par anticipation dans le sein de la nature et dans l'anéan-
tissement~ (1)
Pendant les premiers jours de sa vie orientale Horace affichait
un air de satisfaction car il se sentait complètement anéanti par la nature
protectrice: Itje rentre bien réellement dans le sein de la nature, disait-
il, je me fonds dan5 le grand tout; j'éprouve un plaisir singulier et un peu
maladif à m'~1éantir tout à fait, à ne plus vivre en relation qu'avec les
choses extérieures, et à me sentir emporté par l'ivresse de la solitude et
du mouvement!' (2)
A la quête de l'absolu, se substitue parfois une quête mystique
comme dans le Itperceval" de Chrétien de TROYES, l'un des plus célèbres auteurs
du XVllè siècle. Perceval doit retrouver le "Graal lt , vase sacré qui symbolise
la perfection chrétienne. Dans ce cas, le voyage représente les aspirations
les plus hautes de la civilisation, la recherche de la perfection. Il est
l'image d'une vie terrestre toute transitoire, dont le sens et l'achèvement
se trouvent seulement dans l' au-delà. Il représente alors une tentative pour
saisir une vérité toujours fuyante et informelle: "Parfois, je me crois en
quête d'une patrie dont je serai exilé" (3) affirme Jean-Marc. Il explique
ses nombreux voyages en Orient par le fait qu'il aurait des "affinités de
race" (4) avec les pays visités.
Les derniers vers du poème "En r ou t e"
expriment clairement l'idée de la quête d'une patrie lointaine, des origines
"Et si je vais toujours, et sans que rien m'arrête,
Chez les peuples lointains, c'est que je suis en quête
Des pas que sur la terre autrefois j'ai laissés
je cherche les vieilles patries
Où dans les autres temps mes j ours se sont passé s;' (5)
Nous venons de donner des réponses à la question "Pour-quoi parti rit ,
il convient, dans l'analyse qui suivra, de répondre à cette autre interroga-
tion : "Que fait-on en voyage ?"
( 1 ) Les Forces Perdues, PP. 214-215.
(2 ) Ibid, P. 2S5.
(3 ) Le Livre PosthW:le, P. 271-
1
\\
\\ 4)
Ibid, P. 40.
/
(~ ')
)
/
Les Chants .lodcr-nes , PP. 10>-114.

203 -
b'/ Activités de voyage
1/ Quête touristique
On pourrait assimiler, toute proportion gardée bien sûr, un certain
nombre de livres de Du CAMP - ouvrages narratifs entendons-nous - à des dncu-
ments touristiques. Dans le souci de ne rien négliger, le voyage est minutieu~e­
ment préparé par les personnages à l'aide de guides touristiques et de docu-
ments géographiques. C'est le cas d'Horace qui a soigneusement préparé ses
randonnées dans les pays d'Orient
"Il avait reçu ses cartes géographiques,
les étudiait, prenait ses points de répère, préparait son voyage, continuait
à étudier pratiquement la langue arabe, qu'il parlait déjà avec une certaine
facilité:' (1).
Sous cet angle, le voyage relève de deux qualités fondamentales:
Point d'expédition précipitée, point de but intéressé ou lucratif. Il devient
alors essentiellement une vocation. Jean-Marc avoue laisser derrière lui une
réalité trop connue, à la recherche d'autres planètes qui ont un parfum in-
connu mais aussi une "réalité géographique rassurante". Ces voyageurs sont
surtout ernportés par ce qu'on appelle "le vrai tourisme libérateur". Le
voyage devient alors une manifestation d'indépendance c'est-à-dire la sensa-
tion d'une liberté sans limite et la satisfaction d'être maître de sa destinée.
Prédisposés aux découvertes, les "personnages-touristes" de Du CAHP sont
émerveillés et même régénérés par tous les spectacles qui s'offrent à leurs
yeux. L'admiration que leur inspire le spectacle des choses nouvelles, la
curiosité qui tient en éveil toutes les facultés de leur esprit développent
en eux une vigueur et une excitation insoupçonnables. S'ils étaient heureux
en batifolant à travers les banlieues parisiennes ou les provinces françaises,
que pourrait-on imaginer lorsqu'ilS se perdaient sous les cyprès abritant le
champ des morts à Smyrne, sous les palmiers humides des bords du Nil ou
lorsqu'ils se mettaient à naviguer à travers les îles de l'Archipel? Comne
un enfant, Horace s'arrêtait à regarder les tortues nageant dans le Mélèze
auprès du pont des caravanes, écoutait le bruissement des cigales et contem-
plait les files de chameaux marchant
derrière le petit âne qui les précédait
(1) Les Forces Perdues, P. 289.
. ..,/

- 204 -
et qui les guidQjt. Pour un jeune parisien assoiffé de curiosité, qui ne con-
naissait que quelques campagnes et quelque station de bain de mer, c'était
une fortune et il en jouissait jusqu'à l'ivresse. Le héros était ému car il
découvrait un autre monde, un monde de féerie réelle dont il ne voyait que
les contrastes et dont il n'apercevait aucun inconvénient.
Dans tous les récits, le lecteur est entraîné à son insu, par les
pérégrinations des personnages qui choisissent librement leurs itinéraires
selon leurs instincts et leurs impulsions. Le cas du héros des "Forces
Perdues" est révélateur à ce sujet : "D'un bout à l'autre, et à dos de mulet,
il traversa la vieille Trinacria, couchant au hasard des gîtes, aujourd'hui
dans un village, le lendemain en plein air, sous un caroubier ••• " (1).
Ces vies nomades, au service du tourisme inconditionnel ne peuvent
qu'offrir des pages heureuses de description et de déclarations lyriques
du genre : "Le Nil est le plus beau fleuve du monde, et les voyageurs qui
ont eu la forttL~e de le parcourir ne l'oublient jamai~' (2)
Cette décla-
ration passionnée est suivie d'une description du grand fleuve et du
paysage alentour.
Dans Il Le Livre Posthume" Jean-I:1arc le héros fait état de la
"grande poésie" (3) qui émane des paysages égyptiens, de leur beauté, de
leur sérénité et de leur majesté.
Ces jeunes "voyageurs-touristes" se démarquent volontairement àe
leurs façons de vivre d'antan en acceptant de se mettre entièrement dans la
peau de leurs personnages. Plus qu'autre chose, la curiosité, la soif de
découvrir, de vivre autrement qu'à Paris, sont les mobiles essentiels 0e
leurs actions et de leurs comportements.
Pour être exhaustif, il importe de souligner qu'un personnage assez
singulier se distingue de cette galerie de "voyageur-touristes". Il s'agit
(1) Les Forces Perdues, P. 188.
(2) Ibid, P. 237.
(3) Le Livre Posthume, P. 147.

205 -
de Godefroy de la nouvelle IIRéis Ibrahimll • Ce jeune aristocrate part en
voyage après avoir .fait à la bourse lI un e opération mal réussiell.(1)
Il
avait quitté par ailleurs une danseuse qu'il aimait assez et qui le trompait
pour son coiffeur; son cheval favori était mort après lui avoir fait perdre
un gros pari; dans cet état de marasme, il voyageait parce qu'il s'ennuyait
à Paris et qu'il voulait changer d'air afin de revivre à nouveau. Cep endan t j,
l'état d'esprit qui l'animait était totalement différent de celui des autres
voyageurs. Il ne partait pas pour découvrir autre chose, mais pour rechercher
. ailleurs ce qu'il abandonnait à Paris. Il était de ceux qui "voyagent seule-
ment pour avoir voyagé", (2) de ces "cerveaux lymphatiques et mous SUr les-
quels toute impression glisse sans laisser de trace:' (3)
Godefroy se promena un peu partout, de Paris à Rome, de Rome à
Constantinople ••• et tout ce qui aurait fait sursauter Horace ou Jean-Marc
le laissa totalement indifférent. Il regretta volontiers Ille café de Paris
dans la Pagode de Kédaram ll,(4)
il pensa au "porrt neuf sur les bords de
l'Eurotas ll . ( 5)
Il aimait se déplacer, mais ne recherchait que les milieux
qui lui rappelaient son rythme de vie et son standing parisiens; il préférait
ses pérégrinations italiennes car lIà Naples il s'était promené sous les chênes
verts de la Chiaja ; à Rome il avait vu la Semaine Sainte; à Florence il
s'était montré en belle voiture au Caccine, et à Vénise il avait déjeuné au
café Florian, SUr la Place Saint-Harcll , (6)
Godefroy diffère des autres personnages qui, non seulement sont
des touristes curieux et insatiables, mais aussi s'intéressent aux hommes,
aux moeurs et aux institutions.
2/ Quête sociologique
Les personnages "voyaçeur-s-ctour-i st es" de Maxime Du CANP ne
s'étaient pas uniquement contentés de profit~r des plaisirs que leur offraient
les multiples émotions de leurs voyages. Ils s'étaient aussi intéressés à
(1 ) Réis Ibrahim, P. 3.
(2) Ibid.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) Ibid.
. . ·1

206 -
l'aspect sociologique, ethnologique et lnême anthropologique des sites visités.
Le contraire nous aurait d'ailleurs étonné quand on sait comment
l'auteur s'est intéressé dans sa vie, à ces questions. En effet, sa vie
intellectuelle comme nous l'avons déjà dit, s'est déroulée en deux temps
La prem1ere phase s'est structurée autour de la publication d'oeuvres
narratives et poétiques (celle qui nous intéresse particulièrement) et la
seconde s'est spécialisée dans l'étude de la société et des réalités con-
temporaines. Des ouvrages tels que : "Souvenirs de 1840", "La commune de 1871",
"Les convulsions de Paris" (1878), "La charité privée à Paris" (1885), l'im-
pressionnant "Paris, ses organes, ses fonctions dans la première moitié du
XIXè siècle" et "Les moeurs de mon temps" qui demeurent inédits relèvent de
cette deuxième catégorie. On pourrait trouver les germes de ces études plus
autonomes et plus spécialisées dans les oeuvres de fiction dans lesquelles
cohabitent déjà harmonieusement recherches sociologiques et matière littéraire.
Les remarques d'ordre sociologique des oeuvres romanesques sont
plus perceptibles à partir du moment où il s'agit d'un actant-quêteur
étranger aux pays, aux traditions et aux hommes qu'il découvre pour la
première fois avec des yeux neufs. Les descriptions, les remarques et les
réflexions sont limitées au seul point de vue de cet observateur nouvellement
arrivé ou ignorant, mais par là-mê~e réceptif. Ainsi, George, Jean-Marc et
Horace ••• sont-ils plus sensibles aux bruits, aux couleurs, aux mouvements,
aux nuances, car leurs perceptions sont plus vives. C'est aussi le cas de
Réis Ibrahim qui débarque à Paris, admire d'abord et renie ensuite la France.
Pour en revenir à Jean-Marc, signalons que sa ferme volonté de se convertir
en Arabe entraîne inéluctablement un regard dont il livre les réflexions aux
lecteurs. On pourrait citer de multiples exemples, entre autres les réflexions
relatives à la vie, à la mort, à la naissance, à la femme••• Par exemple:
"les orientaux regardent la femme comme un être supérieur à l' homme, et en
cela comme au reste en beaucoup de choses, ils sont plus conséquents que nou~1 (1)
Cette affirmation est suivie d'un long développement qui touche à la religion,
à la philosophie et à la sociologie, en un mot, à toutes les cosmogonies
orientales. Les pages de ce genre sont nombreuses dans le texte. Ailleurs,
(1) Le Livre Posthume, ?
258.
.../

-
207 -
il nous fait assister ~ un phénomène socio-historique ; il s'agit de la
traite des esclaves. Le lecteur a le privilège de suivre d'un bout à l'autre
le marchandage du "produit" jusqu'à l'acquisition par le nouveau propriétaire,
tout cela quelquefois pertubé par des explications et des réflexions du
narrateur. Etant candidat à l'acquisition d'une esclave, on lui fit procéder
à la vérification de sa beauté et de sa santé. Ce fut pour lui l'occasion
de se lancer dans des considérations générales sur la femme : "Dans ce pays
d'Orient où l'épouse n'est qu'un objet de luxe, une sorte d'animal charmant
doué de la parole, un être qui vi t en dehors de la vi e des hommes, qui ne
connaît que les fonctions de l'amour et les souffrances de la maternité, la
femme qu'on achète s'apprécie comme un cheval. Il me fallut subir les
démonstrations du Djellab, malgré les instincts civilisés qu'elles choquaient
en moU' (1)
Sur d'autres pages, c'est l'itinéraire des pélerins à la
*
mekke qui est décrit avec minutie.
Il en est de même pour Horace. Les moeurs, les habitudes alimentaires
et vestimentaires, les rites traditionnels des régions traversées sont passés
au crible. On se croirait en face d'un travail de journaliste doublé d'un
sociologue. Mais, contrairement à ce que nous avons dit concernant "Le Livre
posthume", Maxime Du CAl1P ne se contente pas d'un point de vue. Il n'hésite
pas à multiplier parfois les observateurs. De Kharthoum*au Sennar en passant
par le Nil bleu, Horace avait partagé sa cange avec un marchand d'esclaves,
autochtone de la région. Youssouf el Belbeyssi n'était point un compagnon
ennuyeux et racontait à son ami d'une route, les légendes des régions
parcourues.
La nouvelle intitulée: "L'homme au bracelet d'or" quant à elle
permet à l'écrivain de consacrer plusieurs pages de sociologie historique
à la guerre de libération de la Hongrie qui avait opposé les nationalistes
hongrois aux puiss~~tes armées russes et autrichiennes.
La France elle-même n'a pas échappé à ces réflexions sociologiques.
C'est sans doute Réis Ibrahim, cet arabe fraîchement débarqué à Paris qui
(1) Le Livre Posthume, P. 157.
*
s'écrit mecque, l'écriture actuelle.
*
écriture de l'auteur.
. ...;'

-
208 -
jette sur la société française les critiques les plus acerbes. Il a eu la
possibilité de fréquenter les grands milieux de la bourgeoisie française, des
salons parisiens, et de vivre avec la pègre des quartiers les plus déshérités.
Cette marche de l'une à l'autre classe sociale est ponctuée d'analyses et de
réflexions relatives ~\\ chaque entité "Lns pec'té e"; Le Réis d'Egypte est sortit
de ces contacts humains complètement déçu et désabusé par ce qu'il a pu
découvrir. Les moeurs lui semblent douteuses, la franchise inexistante,
l'humanisme en totale décrépitude. Les dernières paroles qU'il prononce
avant de retourner dans son Orient natal reflètent cette amertume débordante
"sois maudite, terre de mécréants, d'infidèles et d'incirconcis
Tes
chemins de fer, tes machines à vapeur peuvent te faire forte et puissante
mais le coeur de tes enfants est pourri à jamais. J'ai vu ce que tu appelles
ta société: Que la malédiction de Dieu soit sur elle! je retourne avec
mes frères, les fellahs d'Egypte que jamais je n'aurais dû quitter !II (1)
De la quête sociologique à la quête archéologique, il n'y a qu'un
pas à franchir et les personnages de Du CAMP l'ont fait en toute quiétude
et en toute sérénité.
3/ Quête archéologique
Maxime Du CA!1P s'est intéressé de très près aux recherches archéo-
logiques. Les voyages d'étude qu'il avait effectués en Orient ou en Italie
étaient pour une grande part consacrés à la découverte des choses anciennes.
Il lui fallait donc aller boire ~ la source de l'h~manité. Ainsi, contraire-
ment à Gustave FLAUBERT et à bien d'autres voyageurs, il fouillait les
musées et tout autre site ancien qui s'offraient à sa vue. Voici ce qU'il
disait de son voyage d'Italie dans 1I1es souvenirs littéraires ll : ilIa ville
est tellement riche en monuments, en objets d'art, en souvenirs, en curio-
sités, qu'il suffit d'y "fLârier-" pour s'instruire. L'antiquité, le moyen-
âge, la renaissance, le paganisme, le catholicisme n'ont pas été des maîtres
ingrats ; ils ont laissé de leur domination des traces impérissables où
l'artiste, l'archéologue, l'historien, le simple curieux rencontrent des
jouissances toujours renouvelées!' (2)
Du CAHP a par ailleurs publié un
(1) Réis Ibrahim, P. 76.
(2) Souvenirs littéraires, PP. 20ï-202.
.../

- 209 -
fascicule très savant intitulé: "L'emplacement de l'Ilion d'Homère" qui
est un document de pure archéologie.
Les romans et les nouvelles de l'écrivain ont profité de cette
passion. L'auteur y a jeté ça et là des réflexions et des allusions à sa
manie des choses anciennes. Par exemple, le héros de "La double aumône"
rencontra Mome "des émotions qu'il ne soupçonnait pas" (1) et "des rêveries
profondes comme l'inf'ini" (2) car i l vivait en pleine "antiquité" (3) et
s'étonnait de ne point porter ilIa toge et l'anneau des chevaliers".(4)
Une partie non moins importante du séjour de Paulus fut exclusivement con-
sacrée à la visite des musées romains.
L'allusion à l'archéologie est encore bien nette dans "Réis Ibrahim".
Godefroy, l'anti-hér.os de Du CAMP reçoit toute la désapprobation du narrateur
à cause de son insensibilité à l'égard des. choses anciennes. Il "admirait
de confiance, parce que d'autres avaient admiré avant lui,; il ne raisonnait
pas ses impressions et souvent pensait à tout autre
chose
qu'aux monuments
devant lesquels il criait au prodige" (5)
Il ne comprit pas "les mélancolies
fécondantes des ruines amoncelées", (6)
et ne s'attendrit pas à la vue "du
visage extatique et doux des pharaons séculaires".(7). Godefroy fut cependant
étonné par Karnak à cause de l'énormité de ses matériaux, mais il pensa
facétieusement qu'on ferait "une belle salle à manger dans le grand spéos
*
d'Ibsamboul".(8)
Les temples lui paraissaient toujours semblables et il se
fatigua très vite de cette monotonie.
L'importance accordée aux recherches et aux fouilles archéologiques
est une fois de plus exprimée dans "Les Forces Perdues". En effet, il aur-ai t
( 1 ) La.double aumône •. P. 239.
(2 ) Ibid.
(3 ) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Réis Ibrahim, PP. 6-9.
(6) Ibid.
(7) Ibid.
( 8) Ibid.
* écriture de l'auteur.
...;"

- 210 -
fallu
très peu de chance à Horace pour qU'il contribuât à l'éclaircissement
de l'histoire de l'Ethiopie. Il aurait fait inscrire son nom sur la liste
prestigieuse des grands savants de la terre, pour peu qu'il eüt fait attention
"Un jour, le hasard d'Wle de ses courses le conduisit vers un petit temple
carré, qu'on appelait, dans le pays, Beit el Melek, la maison du Prince j
c'était une découverte, car nul voyageur encore ne l'avait visité j il n'y
pensa même pas, il n'eut pas l'idée de dessiner les hiéroglyphes, de prendre
l'empreinte des cartouches, et d'ajouter un document de plus à l'histoire
fort obscure de la domination pharaonique en Ethiopi~' (1)
Par ailleurs, une carte touristique de l'Egypte à cette époque
nous aurait permis de repérer aisément les documents archéologiques qu,il
découvrait~ C'est ainsi que les mosquées, les minarets, les pharaons, les
Pachas, les sultans ••• étaient passés en aperçu.
En Italie, Horace fit son
métier d'archéologue en préparant, à l'aide d'un guide, ses excurs i ons de
la journée j il visita les églises, regarda les tableaux, monta au sommet
du campanile, parcourut les palais j il assista aux offices, jeta des fleurs
à la "Prima donna" en vogue, rêva sur la grève des lido quand il fut à
Vénise ••• Horace resta plus longtemps à Rome qu'ailleurs parce qu'il était
tombé amoureux d'un tableau qui n'est autre que la "Vierge du Bronzino" :
"j'arrange mes promenades de façon à passer chaque jour Place des Saints-
Apôtres; j'entre au palais Colonna, je vais voir la Vierge du Bronzin~1 (2)
Le custode le fit surnommer "L'amoureux de la madone".
Au total, les personnages de l'oeuvre narrative de Haxime Du CAl·1P
effectuent des voyages, non seulement pour admirer les paysages et les hommes,
mais aussi pour instruire et former l'esprit, en d'autres termes, pour
acquérir la Connaissance. Remonter ainsi vers le passé, les sources profondes
de l'humanité comme ils l'ont fait, c'est considérer que l'un des rôles
primordiaux du voyageur est d'affronter le mystère de l'Espace terrestre et
du Temps. Ils rêvent en réalité de réaliser ce grand et noble rêve humain et
naturel qui est d'atteindre à l'universalité.
(1) Les Forces Perdues, P. 292.
(2) Ibid, PP. 186-187.
,

- 211 -
En définitive, le voyage se résume à une quête dans l'oeuvre
narrative et poétique de l'auteur des "Chants Modernes ll : Quête d'un
"ailleurs", d"'autre chose", de "soi-mêmell , de III'absolu"
c'est en fait
une quête de la Connaissance, de la Vérité, de l'Universel, pour la redéfinition
d'une nouvelle persam1alité. Malgré le désir presque forcené de partir et les
multiples préoccupations de la vie de voyage, doit-on conclure que les
personnages de Du CAtœ sont satisfaits de cette expérience? Y trouvent-ils
la paix et la sérénité tant recherchées?
c'I Les résultats de la quête
La désillusion est énorme après les périples en territoires
étrangers. Au terme du voyage sombrent dans le néant et dans l' adversi té les
rêves nourris par les actants-quêteurs car le retour au bercail~st totalement
désenchanté. A l'exaltation de l'enfant prodigue s'oppose la désillusion du
voyageur effeuillant ses souvenirs. Qu'ont-ils trouvé ailleurs qui n'existe
pas chez eux? La célèbre formule: "L'on n'est mieux que chez soi" se
vérifie avec force. La nature, les paysages, les hommes, les monuments ne
sont pas capables de guérir les coeurs déjà endoloris et très affectés. Ils
ne font que faire ressortir plus tristement encore l'impossibilité fondamen-
tale de métamorphose, dans les limites de la réalité.
Richard PIEDNOEL avait cru pouvoir résoudre ses problèmes en
effectuant un voyage à la campagne : "Je me suis sauvé à la campagne, je me
suis plongé d~1s la nature, mais la grande consolatrice ne m'a point consolé.
J'en al voulu aux arbres de verdir, au ciel d'être bleu, aux étoiles de
briller i il m'a semblé que tout était heureux, excepté moi, et je me suis
demandé avec ~~ découragement sans bornes si je n'étais pas victime d'une
destinée qui me rendrait incapable de bonheurJ' (1)
Croyant que cet échec
s' exp Li quai t par le fait qu'il par t a.i t seul, il emmena Geneviève sa compagne
afin d'aspirer ensemble au repo~ mais quel que fût le cercle qU'il fît par-
courir à son esprit pour l'abstraire un peu de lui-même, il revenait toujours
et fatalement au "centre douloureux d'où partaient toutes ses pensées".(2)
(1) Richard PIEDNOEL, P. 348.
(2) Ibid, P. 349.

-
212 -
Horace aussi résolut de demander asile à la campagne afin de
laisser le temps arranger ses rapports orageux avec Viviane sa maîtresse.
La débacle fut plutôt accélérée car "leur correspondance fut plus aigre
peut-être encore que leurs paroles". (1)
Pire encore, ce fut là, pendant ce
séjour à la campagne où il avait été chercher le repos, que, la première fois,
pensant incess~~ent à Viviane, l'idée vint à Horace qu'une séparation éta;t
peut-être préférable à leur vie tourmentée.
En réalité, ces personnages qui médisent du voyage n'en sont pas
des détracteurs systématiques mais des amoureux dépités. Ce qu'ils mettent
surtout en accusation, c'est la rapidité du regard, l'accumulation hâtive
des impressions ou l'exotisme abîmé ou frelaté. Ils devraient plutôt accuser
leurs yeux, leur corps entier, letrr état d'âme. Le voyage les déçoit parce
qu'il n'a pas fourni le bonheur escompté.
Malgré sa ferme volonté de tout "ensevelir" en Orient afin d'accé-
der au moins à une existence moins douloureuse, les longs et nombreux voyages
de Jean-Marc n'ont servi qu'à aggraver son état d'inadapté: "j'étais parti
sauvage, je revins insociable; j'étais parti souffrant, je revins incurable!' (2)
Fabio du "Chevalier du coeur saignant" tient presqu'exactement
ces mêmes propos. Il tire les tristes leçons de sa vie de voyage et avoue
avec amertume la raison première de l'échec: "car partout, et toujours
j'ai porté avec moi le fardeau de mes regrets, que rien n'a pu calmer." (3)
Le retour en France fut alors Une rude épreuve :_"je suis revenu dans ma
patrie plus désespéré peut-être que je ne l'avais quittée." (4)
En ce qui concerne Godefroy de la nouvelle "Réis Ibrahim", il
avait emporté au cours de ses voyages "le ver rongeur de l'ennui".(s)
Ce
fut pour lui une grande joie de mettre un terme au voyage qu'il avait
personnellement tant désiré : "Heureusement que cette insipide absence
(1) Les Forces Perdues, P. 141.
(2) Ibid, P. 40.
(3) Le chevalier du coeur saignant, P. 729.
(4) Ibid, P. 730.
(S) Réis Ibrahim, P. 6.

- 213 -
touche à son terme, et que bientôt j'~urai rejoint l'asphalte des boulevards
que j'espère bien ne plus quitter. Je suis parti avec trop d'enthousiasme,
j'ai eu tort, car je ne pourrai, ~ mon retour, raconter tous les ennuis que
j'ai subis i on se moquerait de moi. Ces imbéciles qui n'ont jamais perdu
de vue le coin de leur feu s'imaginent que tout est charmant en voyag~t (1)
Malgré les vives invitations au voyage, le poète non plus n'en est
pas satisfait. Dans ses nombreux moments de marasme et de tristesse, ses
souvenirs les plus chers sont ceux de sa tendre enfance.
"Ce n'est pas le grand Nil vagabond et rapide,
l'Ji Rome au coeur meurtri, ni les parthénons ros~
Qu'évoquant près de moi mes désirs éloquents i
C'est un pays plus beau que bois, désert et grève,
Un pays assez grand pour contenir mon rêve :
L'enclos où j'ai couru lorsque j' avai s cinq ansl' (2)
C'est, nous semble-t-il, Horace qui a le mieux ~mpris les causes
de cette désillusion car "il s'était aperçu qu'on a beau changer de lieu,
vouloir oublier son mal, on en porte pas moins sa souffrance avec soi. Dès
lors, à quoi bon prolonger une absence qui était pour ainsi dire, inutile,
puisqu'elle ne menait pas au but cherché 7" (3)
Ce sentiment de désillusion
et de défaite est une attitude pr esqu s excLus i vemen t romantique. Le délabre-
ment et le désarroi à la fois psychologique et physiologique a mis les jeunes
gens de cette époque qui se réclamaient de ce courant de pensée, dans une
situation d'instabilité notoire. Ils se sentaient brimés et oppressés par
la société et étaient animés de désirs impossibles à satisfaire. Les besoins
d'aujourd'hui étaient reniés demain. Ils vivaient ainsi dans d'énorrnes con-
tradictions, dans des rêveries sans significations, dans des désolations sans
motif. C'est Jean~1arc, prototype même de ces esprits romantiques qui est
( 1 ) Réis Ibrahim, P. 11.
(2 ) Les Convictions, l'Enclos, P. 189.
(3 ) Les Forces Perdues, P. 190.
. ··1

- 214 -
leur meilleur porte-parole : IIDans les derniers mois de mon voyage, je
regrettais Paris, ma maison, mon existence civilisée, la musique et les
théâtres. Maintenant que je suis rentré en possession de tout cela, je
regrette le désert, les nuits sous la tente, la marche des caravanes C.J
Ce sera donc toujours la même chose! j'ai le mal du pays où je ne suis
pas,' (1)
L'écrivain lui-même reconnaît et exprime très clairement cette
impossibilité des voyageurs romantiques à accéder au bonheur et à la satis-
faction du retour, dans la dédicace de son livre : "Le Nil, Egypte et Nubiell
qu'il a- adI,'essél.à GAUTIER. Les voyageurs affirme-t-il, recherchent toujours
lI un e Vérité ll mais "presque partout nous rencontrons des
traces de son passage,
mais Elle, elle-même, elle dort dans son puits la Grande Déesse, en attendant
que les temps soient venus, et nous ne la saisissons jamais, et nous rentrons
dans nos demeures tristes, découragés, effrayés des maux qui nous ~ccablent,
perdus dans les ténèbres qui nous entourent, hésitants au milieu de ces
débris de religions, de libertés, de droits, de lois, de besoins qui chaque
jour s'amoncèlent plus haut à nos côtés; et nous nous sentons prêts à crier
comme le Dieu de la Genèse : Fiat Lux! Il (2). BAUDELAIRE exprime la même
réalité lorsqu'il s'écrit dans IILes Fleurs du maL"
"Amer- savoir ; celui qu'on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image
Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui !II (3)
FLAUBERT aurait volontiers entériné ces vers; lui qui, dans sa
retraite de Croisset rêvait de II sol eil ll et de II s able", est revenu de son
périple oriental plus que jamais dépité.
L'auteur des "Forces Perdues" connut lui aussi ses retours cie
r\\'?t'
déception et d'amertume; pourtant, contrairement à ses con t empor-afns , il
(1) Le Livre Posthume, P. 205.
(2) Le Nil, Egypte et Nubie, Dédicace à Th. GAUTIER.
(3) Les Fleurs du mal, Le voyage, Paris, Gallimard, 1961, V(110-114).
.. ·1

- 215 -
n'a jamais hésité à repartir toutes les fois qu'une occasion s'est présentée
à lui. Il regrettait ~Bne au soir de sa vie, de ne plus pouvoir reprendre
son bâton de pèlerin pour s'en aller à. la conquête du monde : "Au seuil de
la vieillesse, me retournant pour regarder les jours écoulés, avoue-t-il
avec un certain air nostalgique, je regrette de n'avoir pas bu au Zambèze,
au Niger, au Congo; je jalouse Stanley et j'envie la mort de Li vi.nçs t one;' (1)
Pour terminer cette étude, il serait enrichissant de se demander
ce qu'a été en réalité le voyage dans la vie intellectuelle de Maxime Du CAMP.
d'/ Le voyage dans la vie de Maxime Du CAMP
Le voyage et 1l1a littérature des voyages" se sont considérablement
développés au XIXè siècle grâce aux découvertes scientifiques, techniques et
technologiques. Les écrivains ne se contentaient plus de voyager à la manière
de Victor HUGO qui a écrit "Les Orientales" sans être jamais parti en Orient,
chacun cherchait à faire son propre voyage.
C'est ainsi que Gérard de NERVAL est parti et a ramené un chef-
d'oeuvre
"Voyage en Orient" ( 1850) • Théophile GAUTIER a lui aussi fait des
voyages en Orient, en Italie, en Espagne •.• dont les récits ont été relatés.
Il en a été de même pour Victor HUGO, CHATEAUBRIAND, Charles RlJ.UDELAIP8,
Gustave FLAUBERT et bien d'autres ••.
Ha::ime Du CAHP n'est pas resté il l'écart de ce grand mouvement ,
Son obsession pour les voyages est e.rtr-aor-diriai r-e, Nous avons plus ou moins
souligné cette manie dans des chapitres antérieurs. Les critiques qui se
sont intéressés à lui, du moins par t i cLl.ement , ont particulièrement insisté
sur cette pas s i on, C'est d'ailleurs pour cette raison que Charles BAUDELAIRE
lui a dédié l'tm de ses plus beaux poèmes intitulé "Le voyage". N'est-ce
pas tout un programme ?
En fait, Du CAI-rp a effectué plusieurs voyages en Angleterre
(Londres), en Hollande, à travers l'Italie et l'Algérie. Il est allé par
deux fois en Orient; la première en 1844 et la seconde de 1~19 Q 1851. Ce
( Î) Souvenirs l i ttéraires, ch. xt n , P. J j 1.
. . ·1

- 216 -
sont les deu:: principaux voyages de sa vie. Plusieurs provinces françaises
ont été visitées par lui, notamm~1t la Bretagne et la Touraine pendant quatre
mois en 1847. Ses dernières années se partagèrent entre Paris et Baden-Baden
(Allemagne) où il rendit l'âme en 1894.
Tous ces voyages ont été COUr01TI1és par des publications ou des
manuscrits divers: l'excursion en Touraine et en Bretagne enfanta :~par les
champs et par les grèves" qui demeure encore en manuscri t ~ la Bibliothèque
de l'Institut. Le récit de son pr~nier voyage en Orient fut publié en 1848 :
"Souvenirs et paysages d'Orient - Smyrne - Ephèse - Hagnésie - Constantinople
Scio". Le voyage en Hollande fit naître: "En Hollande, Lettre à un ami".
"Le Nil, (Egypte et Nubie)" couronna le second voyage en Orient.
Par ailleurs, en dehors des notes et des récits de voyage, des
lettres publiées ou manuscrites, des articles de journaux, l'oeuvre narrative
et poétique de l'auteur fourmille elle aussi de vestiges de ses voyages. Il
convient de rappeler d'autre part, que plusieurs nouvelles ont pour cadre
d'action les pays visités par Du CAMP, et que les personnages et les péri-
péties sont bien de ces pays l~. La couleur locale f
est donc fortement main-
tenue. Pour ne ci ter qu 'tm exemple, signalons que les nouvelles que renferme
le recueil "Les six aventures" : "Ré i s Ibrahim"
"L'âme errante" ; "Tagahor"
"L'Eunuque noir" ; "La double aumône" j et "Les trois vieillards de Pierre"
sont imprégnées des atmosphères de voyage. Les cinq dernières situent leurs
péripéties à l'étranger: l'une en Italie "La double aumône" et les quatre
autres en Orient dans un temps mythique ou contemporain, enfi n , la pr emi èr-e
en Orient et en France (cf ch. III, Aspects de l'univers spatial).
L'importance si considérable des voyages dans la vie et dans l'oeuvre
de Maxime Du CAMP trouve son fond6nent historique dans les premières influences
qui se sont exercées sur lui p~~dant son adolescence. En effet, il fit, à
dix-huit ans, la rencontre la plus déterminante de sa vie. Il s'agit de
moments presqu'inoubliables qu'il passa en compagnie du premier orientaliste
français: "Le chevalier Amédée JAUBERT". C'est lui qui inculqua au jeune
homme le culte de l'oiseau migrateur: "j'ai toujours cru que les conversations
du chevalier Jaubert avaient plus que tout
autre chose, déterminé le goQt des
voyages qui a été la passion, - la seule pas s i on , - de ma j euncs s el' (1)
(1) Souvenirs littéraires, T. 1, P.
132.
/
.../

- 217 -
Après cette rencontre décisive, le jeune homme se mit à se documenter
sur "la littérature des voyages". Il lut à plusieurs reprises les voyages de
"-LEVAI LIANT' et en eut "le coeur soulevé". (1) Ce fut alors le moment des
-
--,--~ ... , .
rêveries sans fin: "j'en avais l'imagination éperdue, je ne rêvais que de
Namaquas et de Gonaquas ; leur pays m'apparaissait;
. comme une partie idéale
où toute aspiration serait satisfaite~ (2)
Dans le même temps, par suite d'un hasard, il fit la connaissance
d'un petit-neveu de LEVAI LIANT. , lui aussi tourmenté par la passion qui avait
entraîné son oncle. Il préparait un voyage qui devait durer sept ans vers les
régions que les géographes appelaient encore "terr~incognitQe" et proposa
à Du CAMP de l'accompagner. Il s'en fallut de très peu qu'il s'en allât avec
lui mais,fut retenu d'une part par son jeune âge, de l'autre, par sa grand'
mère qu'il avait peur de ne pas retrouver à son retour. Il avait vingt-deux
ans (majeur) lorsque sa grand'mère mourut. Plus rien ne l'arrêtait alors pour
la réalisation de ses rêves les plus chers. C'est ainsi que sa jeunesse~
ne fut qu'une véritable "aventure".
Dans sa philosophie personnelle, les voyages représentaient pour
lui, une phase indispensable de son apprentissage intellectuel. La minutie
qui entourait les préparatifs en sont les justificatifs. En effet, dans les
dossiers inédits de la Bibliothèque de l'Institut relatifs à ses voyages,
Maxime Du CAMP a regroupé l'ensemble des études et des recherches qu'il
effectuait avant, pendant et après les périples. Elles portent généralement
sur la géographie, les langues, la sociologie, les moeurs, l'archéologie •••
On peut ainsi relever la documentation suivante: Notes relatives à l'étude
de la mythologie hindoue, du sanscrit (drame sanscrit de Castillassa traduit
par Chazi), de l'Islam, Notes extraites des manuscrits du colonel Mari
(Békir Bey) sur la guerre des wahabites, passages copiés d'Herbelot, Mirk-
hou~,Strabon, Chardin, Nestor l'Hôte, Volney, Plutarque, D'Amyot, Ritter,
Barentin, Montchal, D'Anville, Michaud et Poujoulat, Panathénées, Pline
Diodore de Sicile, Abdelhatif, Olivier Niebuhr, Balbi, Chateaubriand, Cham-
pollion, Prisse d'Avennes, Silvestre de Sacy, Conférence avec Khahl-Effendi
sur l'Islam, etc ••• L'auteur a réalisé dans ces notes une étude fabuleuse,
où se manifestent de façon incontestable un souci de classement, de méthode,
de sérieux et surtout une passion réelle témoignant d'un intérêt certain.
(1) Propos du soir, P. 330.
(2) Ibid.
. . ·1

-
218 -
A c8té de ces études, les notes maintenant publiées par BONA8CORSO sont
alertes, vives dans leur concision mais pleines de détails typiques et
réalistes voire même journalistiques, succeptibles d'une utilisation
ultérieure.
Conrne on le constate aisément, les voyages ont tenu une place de
choix dans la vie de Du CAMP, non seulement par le temps que leur a consacré
ce nb~ouin parisien", mais plus encore par l' in.fluence qu'ils ont exercée
sur sa vie intellectuelle et particu.lièrement sur son oeuvre littéraire.
L'écrivain a, non seulement chanté l'hymne radieux des voyageurs à travers
ses poèmes mais aussi il a habilement utilisé, au grand béné.fice des lettres
.françaises, la culture acquise et les .fortes impressions ressenties.
La quête du bonheur à travers l'Amour et La Femme s'est soldée
par un échec ; i l en est de même du voyage qui ne réussi t pas à combler
les espoirs nourris. L'écrivain se tourne alors vers le ciel qui semble être
le dernier recours.
c - Dieu dans l'oeuvre, Dieu dans la vie
L'étude du thème de Dieu paraît indispensable à notre avis. vu
l'importance que l'auteur lui a accordé. Elle nous permettra d'une part,
d'élucider ses conceptions religieuses. mais aussi de le situer par rapport
aux di.fférents courants de pensée de son époque.
Guy SAGNES • dans son
étude sur "L'Ennui dans la littérature .française••• 11 (1) a.fÎirme dans le
chapi tre VIII qu'aucun des écrivains sur lesquels avai t porté son enquête
ne pro.fessai t de christianisme orthodoxe et qu'aucun même n' avai t la .foi.
Cette aÎÎirmation nous semble un peu .forcée, car si ces écrivains ne
professent pas de christianisme orthodoxe, il n'en demeure pas moins que la
.foi persiste chez certains d'entre eux. C'est d'ailleurs le cas de Maxime
Du CAMP qui a été cité à plusieurs reprises par Guy SAGNES. Il n'était pas
un religieux orthodoxe. mais i l avait la .foi et croyait en Dieu. Quelle foi?
Quel Dieu? Nous répondrons à ces interrogations en étudiant le thème de
Dieu tel qu'il est appréhendé par l'auteur dans son oeuvre narrative et
poétique et en .faisant la lumière sur son expérience religieuse.
(1) Guy SAGNES, L'Ennui •••• op. cit.
.. ·1

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219 -
a'i L'idée de Dieu dans l'oeuvre
La notion de Dieu apparaS:t dans un certain nombre de romans, de nouvelles
et dans plusieurs poèmes comme un leitmotiV. En fait, la poésie a été pour
l'auteur le champ privilégié pour conEesser sa foi. Plusieurs poèmes parlc:at
non seulement de Dieu, mais aussi clament tout haut la foi religieuse du
poète.
"Puisque je crois en Dieu, que j'aime et que j'ai foi." (1)
L'idée est reprise dans un autre poème avec un accent nouveau.
Avec l'expérience de la vie, le poète exulte de bonheur, car il commence à
mieux comprendre les mystères de la vie:
"Mes croyances en Dieu. que rien ne peut ternir
je revois, je comprends les choses incertaines!' (2)
Dans l'oeuvre narrative, les personnages se sont parfois livrés à
de longues réflexions sur des problèmes philosophic04étaphysiques. Le
chapi tre IX du "Livre posthume" est éloquent à cet égard. Le motif choisi
par l'auteur est bien simple. A la sui te d'un duel, Sylvius, l'ami de Jean-
Marc, reçut un coup d'épée mortel. Le jeune homme agonisant clame sa
croyance en Dieu en expliquant les raisons fondamentales de ses convictions.
Dieu est amour créateur de jouissances vi tales
"Tu es l'amour, attraction irrésistible qui rend frémis-
santes toutes les molécules de ton essence répandues dans le
grand tout, et qui les pousse sans cesse l'une vers l'autre,
afin que deux parties de toi puissent se rejoindre momentané-
ment dans une union pleine d'extase!' (3)·.
(1) Les Chants Modernes, Epave, PP. 135-141.
(2) Ibid, Avataras, P. 236.
(3) Le Livre Posthume, P. 234.
.. ·1

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Il est le détenteur de toute véri té et de toute équi té
"Non ! je ne suis pas un impie, car je crois en toi, a
mon Dieu! source de toute vertu, de toute vérité, de toute
intelligence, de toute justice et de toute miséricorde!' (1)
Il est idée féconde et régérérescente
"8 mon Dieu! je crois en toi, tu es l'idée, puissance
indestructible, invincible, persistante, inaltérable,
toujours croissante, grandissante et fortifiante, mère
de la foi, de l'espérance, de la charité et de la
réhabili tation!' (2)
Dieu est indulgence et miséricorde
Sylvius repousse de toute sa raison l'épouvantail de peines éternel-
les, d'enfers pleins de flammes, de diables encornés et de satans maudits
qui ne sont que des fantasmagories dont les méchants ont usé pour terrifier
les faibles
"Je crois à un Dieu d'indulgence et de miséricorde. Le Dieu de
Vengeance est mort et ne renattra plus. " (3)
La mort de ce Dieu est d'ailleurs chantée dans le long poème
inti tulé "La mort du Diable". Dans ce poème fondamentalement idéaliste, le
Diable qui est le symbole du mal est vaincu par le "Seigneur" :
"Alors chacun cria dans un inunense choeur : "Il est mort
i l est mort ! Gloire! gloire au Seigneur!" (4)
(1) Le Livre Posthume, P. 234.
(2) Ibid, P. 232.
(3) Ibid, P. 239.
(4) Les Convictions, la mort du diable, P. 176.
.../

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221 -
Dieu est passé et futur, sauvegarde de la cohésion et de l'ordre
social
"Je crois en toi, qui connais tout par le souverain souvenir et la
prescience souveraine; je crois en toi, moteur de progrès, en toi, qui tire
les effets les meilleurs des causes les plus coupables ; je crois en toi,.
qui toujours de ton doigt divin nous montre les choses Eutures et qui jamais
ne dêtruis le passé, afin qu'il serve à améliorer l'avenir, car tu es
la loi,
Ô père de justice~ (1)
Ce Dieu idéal, bon, juste et généreux qui apparaît à travers ces
ci tations que nous avons voulues expressément longues, non seulement parce
qu'on a toujours négligé les textes de Du CAMP, mais surtout parce qu'il
faut prendre le temps de percevoir un accent, est celui du salut. En effet,
le plus souvent, c'est à partir d'une angoisse, d'une inquiétude réelle
ressentie ou imaginaire qu'intervient la question de Dieu. Le poète
l'invoque dans ses moments de souffrance et de spleen tandis que Sylvius
le fait sur son lit de mort. Le monde rêvèle alors sa fragilitê et ses
cruautés et les personnages laissent entrevoir une certaine inconsistance.
Le problème du sens de l'être et de l'existence apparatt alors sous sa forme
la plus cruelle. C'est ainsi que jaillit un appel, ou tout au moins une
ouverture à une réalité autre que celle de la vie quotidienne.
Accepter cet appel, n'est-ce pas reconnaître que l'homme ne
saurai t se suffire sur terre? Dieu apparaît alors comme un libérateur,
c'est-à-dire un être mystérieux qui est à même de mettre de l'ordre sur
la terre. Il est en conséquence un véritable signe d'espoir
"Un jour viendra, par Dieu fixé d'avance,
où, scintillant enfin à tous les yeux,
Le cor, brisant l'oubli silencieux~' (2)
Dans "la voix des apôtres", les envoyês de Diet.t promettent aux
(1) Le Livre Posthume, P. 234.
(2) Les Convictions, le cor d'Ivoire, P.
87.
. ··1

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hommes la liberté et l'amour
"Un jour tu me verras, vainqueur et légitime,
"écraser ton autorité,
"Car j'ai pour moi le droi t et l'avenir sublime
"je suis Saint-Paul, La LIBERTE !
"j'apporterai, joyeux, à la terre charmée
"l'atroce de son plus grand jour,
"Car, Dieu m'a réservé sa tâche bien aimée:
"je suis Saint-Paul, je suis l'AMOUR!' (1)
L'espoir devient plus vif et plus concret lorsque le poète, à la
recherche de la véri té, parcourt les pages heureuses de l'évangile :
"Hon doigt, mis au hasard, tomba sur le passage
où Jésus a guéri le fils de ce seigneur
L'Espoir gagna mon âme et je crus au présage:
1\\ Sois
en paix, ton fils vi t !" avait di t le Sauveur !" (2)
L'espoir ainsi créé et entretenu encourage le poète à solliciter
l'aide du Sauveur. Il n'hésite plus à lui réclamer sa part de bonheur
terrestre
"Toi qui vois nos serments, reçois-les, 8 Seigneur !
Donne-nous, 8 mon Dieu, d'être heureux sur la terre !" (3)
Le poète veut s'assurer que les appels réitérés qu'il adresse à
Dieu arrivent jusqu'à lui. Pour ce faire, les lieux de culte lui semblent
(1) Les Convictions, le cor d'Ivoire, P. 93.
(2) Les Chants Mod~~nes, Evangile selon Saint-Jean, P. 370.
(3) Ibid, Prière, P. 341.

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223 -
les endroits privilégiés pour ce genre de démarche
"j'irai, pèlerin de colère,
prier dans votre sanctuaire,
afin de vous parler de lui ;
j'irai vous raconter ma peine,
o Notre-Dame-de-la-Haine
et vous demander votre appui !" (1)
Dans "le Concile", il élève le débat en abordant les problèmes
relatifs à la condition humaine. Cette prière qui vise un objet réel est
adressée "A sa saintété PIE IX" :
"Père ! il est dans le monde un effrayant problème
Que nul n'a pu résoudre, incessant et suprême,
[;.:1
Ce problème effrayant, frères, c'est la "Misère"
[;.:1
Nous sommes de cette foule et nous suivons vos pas
Père, nous vous prions, ne nous repoussez pas !
Le peuple autour de vous s'amasse dans la plaine,
Depuis longtemps il souffre et la nuit est prochaine.
Il attend sans parler ; calmez toutes les faims
Apôtre de Jésus ! multipliez les pains!' (2)
Que répond Dieu à toutes ces exhortations ? Ces appels et ces
prières sont-ils exaucés? Le poème intitulé "Les soeurs sanglantes" répond
en partie à ces questions. L'auteur y met en scène deux pays : "La Pologne
sanglante, au front meurtri" et "la Hongrie éperdue, ouverte et chancelante"
à la suite de guerres fraticides. En présence de ces misères humaines, le poète
s'indigne et se révolte car il ne comprend pas la passivité de Dieu :
(1) Les Chants Modernes, Notre-Dame-de-la-Haine, PP. 145-148.
(2) Ibid, Le Concile, PP. 59-66.
.../

224 -
"Quand je vois tout cela, bien souvent je m'écrie
Que fais-tu dans le ciel, ô justice de Dieu!' (1)
Ces cris de révolte poussés ça et là n'entachent en rien sa foi
réelle et profonde. D'ailleurs, les longues citations que nous venons de
faire mettent en relief le caractère éminemment religieux du poète et des
personnages ci tés. Cependant, i l convient de préciser clairement que la foi
dont i l est question dans l'oeuvre ne s'adresse pas précisément à un Dieu
révélé; en d'autres termes, le Dieu tant sollicité n'est ni catholique,
ni protestant, ni musulman••• Le poète et les personnages romanesques sont
simplement croyants tout en s'efforçant d'éviter les idées toutes faites et
les sentiers battus. Ce caractère d'insurrection et de refus des croyances
dogmatiques se situe d'ailleurs dans la logique romantique. Le poème intitulé
"A George" attire l'attention du lecteur en précisant très clairement les
critères de la foi:
"Le fanal c'est la foi ! non cette foi facile,
Culte de souvenir, tradition fossile,
Croyance toute faite et commode à porter,
L-·· 0'
La foi qui, préférant le sentier non frayé,
Nous montre à chaque pas la vie universelle,
Dont l'effluve puissant dans nos âmes ruisselle,
Comme un souffle divin par Dieu même envoyé
La foi qui trouve Dieu dans toute la nature
qui le montre agissant dans chaque créature!' (2)
Ces vers sont explicites et dévoilent la conviction profonde du
poète. Nous sommes en plein univers panthéiste. Jean-Marc aussi adhère
volontiers à cette doctrine métaphysique selon laquelle Dieu est l'unité du
monde, car tout est en lui. Il appartient plus précisément au panthéisme
matérialiste, selon lequel Dieu est la somme de tout ce qui existe ; cette
(1) Les Chants Modernes, Les soeurs sanglantes, PP. 117-118.
(2) Les Convictions, A George, P. 256.
.../

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attitude d'esprit tend par ailleurs à diviniser la nature. Selon Jean-Marc,
Dieu n'annihile rien, car il est éminenunent créateur ; il transf'orme mais
ne détruit jamais; aussi, ne comprend-il pas pourquoi matérialistes et
idéalistes se battent, car "Dieu est partout, aussi bien dans la matière que
dans l'esprit~ (1)
Comme "'HICijELET'1 qui s'écriai t quelque part
"Oui, tout vit, tout sent et tout aime"/(2)
le poète voit la
présence de Dieu dans chaque créature. Le poème dont nous ci tons la dernière
strophe s'intitule "Vox Audi ta" :
"Tout ce grand bruit ruisselle,
Plein d'amour et plein de f'oi,
C'est la vie universelle,
Seigneur, qui monte vers toi
C'est le chant de la nature
Qui grandi t sous le ciel bleu,
Et dans chaque créature
je te sens vivre, 8 mon Dieu !" (3)
Le poème "En route" insiste sur la divinisation de la "Hère-
Nature", d'où s'élèvent "d'imposantes voix" :
"Elles disent la f'in et le secret des choses ;
Elles nous montrent Dieu qui s'agi te dans tout,
Dans les arbres couchés, dans les arbres debout,
Dans le chant des oiseaux, dans le parf'um des roses. " (4)
Pénétré par cette idée, Jean-Marc, jeune homme élevé dans les
(1) Le Livre Posthume, P. 242.
(2) Epigraphe du po~c Vox Aùdita, P. 245.
(3) Les Convictions, Vox Audita, P. 245.
(4) Les Chants Modernes, En route, PP. 109-114.
.../

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226 -
règles de la religion catholique, avoue en toute quiétude qu'il considère
Hahomet au même titre que Jésus, parce qu'il est un panthéiste déterminé. (1)
Pour lui, Dieu est partout, dans le "loran" comme dans l'Evangile, dans le
Deçatir comme dans les Védas ; ainsi, peu importe la forme sous laquelle on
l'adore, peu importe le langage qu'on lui parle en le priant, il suffit de
le reconnaître et de suivre les lois morales qu'il a dictées par la bouche
de ceux qui ont cherché à révéler son essence. Ce n'est donc pas pour
aspirer à "une formule supérieure" à sa religion de naissance qu'il s'était
décidé à embrasser l'islamisme, mais simplement pour avoir le droit de faire
le pèlerinage de la mecque. Quant à Sylvius, il avoue dans l'une de ses
lettres à son ami Jean-Narc qu'il a parcouru Jérusalem en curieux, sans
scepticisme et sans impiété, car "on peut ne pas partager une croyance, mais
toute croyance est r-espect ab'l el' (a)
Pour exprimer cette idée, l'auteur a
opposé, au chevet Œe Sylvius mourant, un prêtre de la religion catholique et
un représentant de l'Islam. Ces pages passionnées où les deux hommes cherchent
à s'attirer la sympathie du pauvre malade agonisant font partie des plus
pathétiques de l'ouvrage. En présence de l'intolérance des deux personnages,
Sylvius s'écrie d'un ton presqu'irrité qu'il croit à Jésus-Christ et à
Mahomet, mais il ne croit pas que l'un deux soit le seul fils de Dieu
"Et il y a eu et il y aura d'autres apôtres de Dieu ; rron Jésus n'est pas
le seul fils de Dieu ; non Hahomet n'est pas le sceau des prophètes !" (3)
Sylvius pousse son analyse jusqu'à magnifier les hommes qui ont marqué leur
époque au même titre que les apôtres. Il croit par conséquent à la mission
providentielle des hommes d'abnégation, apôtres et prophètes, qui ont élevé
l'esprit humain en l'initiant à des morales supérieures et qui ont jeté sur
leurs contemporains des semences dont les générations venues ensui te ont
récolté les fruits : "Je crois à Zoroastre, à Hanou, à Abraham, à Hoïse, à
Confucius, à Socrate, à Jésus-Christ, à Hanès, à Hahomet, à Luther et à
bien d'autres encore; je crois à ceux que j'ai vus de nos jours, doux, bien-
faisants, pacificateurs, réhabilitant la chair et fécondant l'esprit, et que
l'on abreuvait d'outrages, afin qu'ils eussent aussi leur martyre comme le
fils de l' hommel' (4)
(1 ) Le Livre Posthume, P. 164.
(2 ) Ibid, P. 250.
(3 ) Ibid, P. 232.
(4) Ibid, P. 239.
. . ·1

-
227 -
Il ressort très clairement de ces réflexions que quelle que soit
la religion d'un homme, elle est sacrée et respectable; elle doit donc être
à l'abri de tout bl8me lorsqu'elle le conduit à la vertu, l'incite à la
chari té et lui faï t concevoir la notion d'un idéal.
L'homme espère alors un "re-conunencement" de son existence terres-
tre dans un autre monde. La mort appanaî t en conséquence comme le passage
d'un monde à un autre: "La mort n'est qu'une phase de la vie" (1) af.firme
Jean-Marc et i l ne comprend pas pourquoi on la déplore tant. Pour ce lI pan_
théiste déterminé", rien dans le monde moral n'est perdu, comme dans le
monde matériel rien n'est anéanti. Toutes les pensées des hommes ne sont
ici-bas que le conunencement de sentiments et de pensées qui seront achevés
ailleurs. Les morts sont appelés par Dieu auprès de lui
liCe qu'ils sont devenus, les morts de tant de tombes ?
Ils ne sont pas restés dans un sépulcre vain
Ils se sont envolés ainsi que des colombes,
Emportés sous le ciel par un souIf'le divin!' (2 )
Les morts célèbres qui ont été ensevelis dans les tombeaux de
Grèce, dont on cherche aujourd'hui, à l'aide de l'archéologie, des vestiges
révélateurs, sont allés donner leur force à d'autres peuples de la terre.
"Dans l'uni vers entier ils ont été répandre
Leur service du vrai, leur amour, leur vertu
Ils ont soufflé les feux qui couvaient sous la cendre,
Ils ont crié : Debout ! aux hommes abattus.
C·J
Ils vont y rapporter, apôtres pacifiques,
Les préceptes nouveaux et les lois magni.fiquesJ' (~)
La mort est donc un relais qui donne des For-ces pour une vie
(1) Le Livre Posthume, P. 228.
(2) Les Convictions, Tombeaux Grecs, PP. 19-30.
(3) I1~id.
.. ·1

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228 -
nouvelle. C'est pour cette raison que Bedreddin déclare à son fils Atn Saher
que "La mort est une fin, mais c'est aussi un recommencement Il , ( 1)
Dans
le même sens, Sylvius parle de "séparation illusoire", (2) qu'il explique
par la persistance du moi qui est une "force latente" ou une "conscience
endormie" mais toujours vivante et qui se réveille le jour où la mort se
rend maitresse du corps; mourir n'est donc en définitive qu'"être approprié
à une transformation nouvelle", (3)
Les personnages de Maxime Du CAMP poursuivent leurs "spéculations
métaphysiques" en essayant de minimiser la volonté de l'homme sur la terre.
Jean-Marc et Sylvius considèrent par exemple que la mort est le résultat de
la volonté de Dieu. Ils nomment cela "La fatalité" qui est une force exté-
rieure et étrangère qui pèse sur les pensées et les actions des hormnes pour
les entratner hors de la voie librement choisie par eux. Bien qu'ils soient
conscients de l'existence du "Libre-arbitre" qui est une force intérieure
et personnelle qui sert à l'homme à diriger ses pensées et ses actions, ils
sont absolument convaincus que c'est essentiellement Dieu qui commande l'acte,
dans le cas de la mort physique. Entre la volonté de Dieu (fatalité) et la
volonté de l'hormne (libre-arbitre), s'allonge une marge relativement impor-
tante qui est "la Providence". (4)
C'est cette voie qui est naturellement
cherchée par l' homme ; c'est elle qu'il faut suivre, car si l' homme obéi t
seulement à l'objectif (fatalité) ou seulement au subjectif (libre-arbitre),
il s'éloigne de "la vérité, de la sagesse, de la vertu et de la rénumération"
qui sont "la ligne intermédiaire irrmobilisée dans la volonté du seigneur!' (5)
Pour illustrer cette démonstration, Jean-Marc prend l'exemple du
suicide. Il affirme que l'homme se suicide pour faire acte de libre-arbitre
et pour rétablir l'équilibre. Le suicide n'est donc que la résultante de la
volonté de Dieu et de celle du suicidé. "En effet, Dieu pense en nous, puis-
que notre âme est une émanation directe de son essence. Si donc la pensée me
Les Trois vieillards de Pierre in les six aventures.
Le Livre Posthume, P. 228.
Ibid.
Ibid, P. 233.
Ibid.
1
.../

- 229 -
vient de hâter l'instant où je quitterai ma forme actuelle, c'est à Dieu
que je la dois. Je reste maître, moi, avec mon libre-arbitre, de la discuter,
de la repousser ou de l ' admettrel' (1)
Nous n'osons pas réveiller une polémique qui ne trouvera jamais de
réponse scienti.fique. Nous a.f.firmons simplement que de ce point de vue,
l'homme n'est qu'un vulgaire exécutant car il a beau reculer, refuser ou même
accepter la volonté divine, il ne .fait que statuer sur des idées qui lui sont
insuf.flées de l'extérieur.
Revenons sur un autre aspect de la mort qui nous semble avoir
préoccupé davantage l'auteur des "Forces Perdues" car i l fai t l ' obj et de
plusieurs nouvelles, romans et poèmes, du moins partiellement. Il s'agit de
"la théorie de la transmigration des âmes". La mort n'étant qu'une phase de
la vie, comment l'homme continue-t-il son existence après cette épreuve?
Les réflexions métaphysiques que nous analyserons constituent en fait une
permanence dans l'oeuvre de Du CAMP. Il les aborde variablement dans tous ses
livres, les démontre et les soutient en les illustrant à l'aide d'exemples
divers dont nous citerons ultérieurement quelques-uns. Il semble même que la
théorie de la transmigration des âmes soit l'idée force de la conception
religieuse qui ressort de l'oeuvre.
Dans "Le Livre posthume" Sylvius et Jean-Marc en sont les véritables
interprètes. Sylvius pense .fermement qu'après la mort, l'âme, dépouillée de
son "enveloppe charnelle" qui l'emprisonne et dont elle cherche toujours à
sortir, rentre en pleine possession de l'exercice de son moi. Ainsi, elle
comprend les progrès qu'elle a déjà faits, aperçoit ceux qui lui reste à
faire, se rend compte de leurs effets et de leurs causes et s'incarne dans un
autre corps a.fin de continuer l'oeuvre pour laquelle Di eu l'a choisi e. Après
la disparition de l'homme physique et matériel à la suite de la désagrégation
et de la décomposition universelle$ l'âme c'est-à-dire l'esprit, demeure, se
retire du corps qu'autrefois il a habi té et prend siège dans un autre. Toutes
ces opérations se déroulent sous le contrôle de Dieu
(1) Le Livre Posthume, P. 13.
. . ·1

- 230 -
"je crois à mon âme, é~lation essentielle de Dieu, partie inté-
grante de lui, et divine comme il est divin ; je crois à mon âme im-
matérielle et progressive de sa nature, intelligente dans ses opérations,
éternelles dans sa destinée~ (1;
c orene Dieu dont elle est l'émanation, l'âme est douée d'ubiquit~,
car elle existe en plusieurs lieux à la .fois ; elle est une "agrégation de
monades diverses", qui est une légion composée d'essences di.f.férentes
empruntées aux autres âmes rencontrées, aimées ou hares, vaincues ou aidées,
perdues ou sauvées pendant les existences précédentes de 1 'homme. Ce sont
ces portions d'âmes, qui sont chacune en soi comme une âme entière, qui
s'agitent avec les passions, les vertus et les vices de l'homme; ce sont
elles qui, dépositaires des réminiscences des vies antérieures créent les
sympathies, les antipathies et les idées de l'homme. A.fin d'être persuasi.f
dans ses démonstrations, Sylvius n'hésite pas à .faire des comparaisons bien
osées. Il compare les monades à une "sorte d'Assemblée délibérante" qui
discute, juge, condamne, approuve ou rejette des idées. C'est donc cet
ensemble qui va toujours croissant en intelligence et en nombre qui cons-
titue:l'âme éternelle qui a "toujours existé et fjJ.Jl toujours existera". (2)
Cette âme qui a déjà vécu ira gravissant l'échelle ascensionnelle de
l'agrandissement intellectuel; quand elle sera devenue la monade la plus
élevée de cette planète, elle pressentira la venue prochaine des temps
nouveaux", elle activera la marche de l'humanité, "illwninée de ses rayons"
et l'entraînera toute entière à sa sui te vers les "monades supérieures" où
il existe des "sensations plus multiples et plus vives, des raisons plus
hautes, une compréhensivité plus étendue" ; c'est donc cette monade qui
guidera les autres, dépouillées de leurs "instincts prévaricateurs", vers
l'essence même de Dieu, qui est "la suprême justice, la suprême intelligence,
la suprême vérité, le suprême amou~".(3)
Le vieux Bedreddin de "Les Trois vieillards de Pierre" af.firme
avec certi tude que la mort de sa .femme n'est qu' "une apparence qui peut
troubler les ignorants", (4) tout en permettant aux initiés de rester toujours
(1) Le Livre Posthume, P. 236.
(2) Ibid, P. 237.
(3) Ibid, P. 236.
(4) Les Trois vieillards de Pierre, PP. 81-103.
.. ·1

- 231 -
heureux : "La .forme palpable de son être m'a abandonné pour rentrer au sein
des choses, mais son esprit est toujours en moi aussi tendre, aussi charmant
qu'aux premières heures de notre uni on]' (1)
Il avoue même écouter pendant
ses jours de langueur, la voix de sa .ferrune lui sursurrer tendrement : "Je
suis avec toi ; canme je t'ai aimé pendant ma courte vie actuelle, je
t'aimerai pendant l'éternité entière; nos actions ne sont point passagères,
elles se prolongent dans l ' in.fini, et grandissent en .force et en vertu dans
le sein même de celui qui créa le ciel et la terre!' (2)
La question des en.fants qui meurent en bas âge sans avoir même
goftté au charme de l'existence terrestre est posée par le poème "La veillée".
Le poète rassure les mères qui s'épouvantent devant le drame :
"Ils revivent en nous, ces chers nourrissons roses,
"Par qui lorsqu'ils s'en vont, nos douleurs sont écloses!' (3)
Plusieurs exemples concrets viennent corroborer les démonstrations
théoriques de l'écrivain. Nous en citerons quatre, du .fait de leur spéci.fici té.
Le premier est un poème qui raconte l'histoire d'une âme qui
vécut sur terre, qui .fut six .fois .femme;, et qui, libre de tout lien charnel,
est allée reposer au sein de l'éternel. IlS~ntitule "La vivantel/et se ter-
mine par ces beaux vers :
"Elle veut conquérir l'ardente véri té
qui s'apprend mot par mot pendant l'éternité,
s'enivre de tendresse auprès de Dieu lui-mêne,
Vivre, mourir, revivre, et dans l'astre suprême
Pouvoir comprendre en.fin Dieu dans chaque attribftt
Car c'est là le devoir, l'espérance et le but !" (4)
Les Trois vieillards de Pierre, PP. 81-103.
Le Livre Posthume, P. 258.
Les Convictions, la veillée, P. 273.
Ibid, La vivante, PP. 305-372.
. ··1

-
232 -
Le deuxième exemple traite précisément de la résurrection des morts
dans les vivants et surtout des conséquences psychologiques, physiologiques
et sociales chez l' individu. Floréal tua malgré lui, un soldat au cours d'un
duel i il crut depuis ce moment que cet officier vivait en lui ; dès lors, sa
vie jadis calme et normale connut des troubles insupportables : "On a cru
jusqu'à ce jour que les morts enlevés du milieu de nous n'existent plus, si
ce n'est qu'ils nous inspirent. C'est là une erreur capitale de nos philo-
sophies incomplètes. Je fis sur moi la triste expérience que certains morts
vivent toujours, que leur âme ne suit pas leur corps, disparu à jamais/ et
qu'elle vient au contraire se mêler à l'8me des vivants pour l'effrayer, la
diriger, la conduire, selon ses propres tendances, au bien et au mal C ..:?
Cet home, dont on m' avai t contraint de devenir le meurtrier, cet honvne
n'était point mort, il vivait en moi, visible,' presque palpable, me raillant,
1!!' accablant de reproche, et bouleversant incessamment mon esprit en faisant
combattre ses idées contre les miennes!' (1)
On découvrit après la mort de cet halluciné, un énorme manuscrit
rédigé en langue latine intitulé : "De la résurrection des morts dans les
vivants, et des modifications que cette importante découverte doit apporter
aux lois morales, philosophiques et politiques qui sont actuellement en
vigueur, par Marius-Floréal Longue-Heuze autrefois professeur au collège
de Caen"
Notre troisième exemple porte sur la nouvelle "L'âme errante" ; le
titre en lui-même est significatif. L'auteur a appelé le personnage principal
de la nouvelle Jean-l1arc i ce n'est plus Jean-Marc du "Livre Posthume" mais
en réalité, les deux personnages diffèrent très peu. Un jour, au moment où
Jean-Marc s'apprêtai t à conunencer un roman, il vi t une plume qui se dressa
toute seule sur sa table de travail i elle se trempa dans l'encre et se mit
à écrire pendant deux heures. Cette plume n'était qu'une "âme errante" c'est-
à-dire une "âme en peine') (2). qui vogUe à. .travèrs' :Ires -es-paae:s .enat'tendant un
,
corps. C'est donc l'histoire de sa dernière transmigration qu'elle venait
l
de raconter à J ean-èïar-c, Cette âme habitaIt jadis le corps d'un j eune homme
de vingt ans qui étai t follement amoureux d'une jeune fille de quinze ans
(1) Les Hallucinations ••• , P. 561.
(2) L'âme errante in les six aventures, P. 83.
.. ·1

- 233 -
nommée "Harguerite". Halheureusement, il ne pouvait pas la rencontrer il sa
guise à cause d'un certain nombre de contraintes sociales. Dès lors, l'idée
d'être toujours auprès d'elle devint pour lui une obsession. A force de
désirer, il lui sembla qu'une puissance inconnue descendai t en lui : le
miracle se produisit car son âme rejoignit la femme adorée et son corps perdit
la faculté de se mouvoir. Hais un jour, enivré d'amour et de tendresse, l'â~e
oublia de rejoindre le corps qui l'attendait pour se réveiller. Les parents
pensèrent qu'il était mort et l'inhumèrent: "Pendant l'absence de mon âme,
on m'avait cru mort; on avait appelé les médecins; ils avaient longuement
discuté, et s'étaient résumés en déclarant que j'avais succombé à une
apoplexie foudroyante!' (1)
Cette âme ainsi dépourvue de corps erre dans le vent dans l'attente
d'une nouvelle transmigration : "Voilà. deux ans de cela, et depuis ce t emps
je fais partie de ces légion5 d'âmes voyageuses qui errent dans les espaces
sans forme et sans brui t, et qui demeurent inconnues dans les airs jusqu' ,\\
ce qu'il plaise ~~ Dieu de les enfermer dans de nouveaux corpsJ' (2)
Nous potrrrions continuer à citer d'autres exemples pour illustrer
ce thème ; mais il convâ errt de conclure avec "L'âme du bourreau" dont les
dernières phrases résument clairement les idées dégagées dans notre analyse.
Un bourreau professionnel qui était en proie à des crises ~
répéti tion déclare avant de nour i r- au docteur 'vANITEL
qui était chargé rIe
le soulager : "je pars pour mon incarnation nouvelle et je vais continuer
mon expiation!' (3)
Le docteur s'interroge, perplexe
"Ce n'est pas facile, mes enfants, nous répondit-il
je me souviens
qu'un de nos philosophes modernes a dit: "Tu as été avant de naître, tu
seras après ta mort !" (4)
Ce philosophe moderne n'es t autre que le" Père ENF.'\\.NTI N" don t i l
sera souvent question dans le chapitre suivant.
(1) L'âme errante in les six aventures, P. 97.
(2) Ibid. P. 98.
(3) L'âme du Bourreau,
;'aris, Lévy-Fr-èr-es , Lib. Editeurs, 1862.
(4) Ibid.
.. ·1

-
234 -
Qu'en a-t-il été de l'expérience religieuse de l'auteur lui-même?
Le Dieu de la réalité est-il le reflet du Dieu de l'oeuvre?
b'l Dieu dans la vie ou l'Expérience religieuse de Maxime Du CAHP
Guy SAGNES affirme dans l'étude que nous avons déj à ci tée que la
dispari tion irrémédiable de Dieu chez les écrivains qu'il a étudiés fut
ressentie par tous comme une absence sombre s'ajoutant aux autres formes de
solitude pour composer la grande absence qui définit l'ennui. Cette génération
avait donc refusé le Dieu que CHATEAUBRIAND avait mis au terme de son apolo-
gétique fondée sur les postulations de la sensibilité. Leur expér-i ence de la
vie, les réfle::ions de leur temps, les excès d'un esthétisme de compensation
les ont détournés de lui, mais leurs oeuvres posaient en permanence la ques-
tion de Dieu·: "Il n'y a guère eu d'époque plus irréligieuse que la n8tre,
et cependant l'on en trouvera que difficilement une autre que les questions
religieuses aient agitée plus profondément!',(1) affirme HARTMANN.
La question est posée différemment selon qu'on est en 1830, 1840
ou en 1860, car si intellectuellement la lucidité de ces âmes déchristianisées
est la même, le ton avec lequel ils abordent le problème des croyances
religieuses n'est plus le même. Aussi, pour lAI1ARTlNE, HUGO, VIGNY, George
SAND, DElACROIX, CHATEAUBRIAND, FlAUBERT, Les GONCOURT ••• Dieu a-t-il un
contenu différent. !1ême l'auteur des "Fleurs du Hal" qu'on considérait plus
ou moins religieux a été assimilé par Guy SAGNES à cette cohorte d'incroyants
"On pourrait certes obj ecter le cas de BAUDElAIRE déclare-t-il. l'!ais on a vu
ailleurs que sa religion est moins la foi dans une personne divine que la
coïncidence de sa psychologie et de son expérience avec le dogme du péché
originel ou du moins d'une nature viciée. La puissance de Satan y est plus
souvent reconnue que la puissance secourable de Dieu~' (2)
Une fois de plus, Haxime Du CAMP se démarque des écrivains contem-
porains en affirmant fièrement son indépendance spirituelle; c'est d'ailleurs
en cela que notre étude trouve son intérêt. En effet, contrairement aux
(1) HARTI1A1IN, la religion de l'avenir, 3è édition, 1881, P. 7, cité par Guy
SAGNES, P. 421.
(2) Guy SAG1ŒS, op. cit., P. 441.
.. ·1

- 235 -
affirmations de Guy SA.GNES, Haxime Du CAI'IF avait la foi. Il ne croyait pas
à un Dieu orthodoxe, révélé, - cela irait d'ailleurs contre son indépendance
naturelle - mais à un Dieu qui serait en toute chose, quelqu'il soit et où
qu'il soit.
L'auteur a livré ses conceptions religieuses et spirituelles dans
"Les propos du soir" publiés deux ans avant sa mort et dans ses notes manus-
crites léguées à la Bibliothèque de l'Institut.(1~
Au sujet de la mort, il pense qu'elle est odieuse, mais qu'elle n'a
rien de redoutable. Elle lui apparaît sous forme "d'une horizontalité
blanche" (2) qui est la détente des "efforts accumulés", le "repos sans
rêve" et la sérénité que rien ne trouble. Ce qu'il y a de laid dans la mort,
ajoute-t-il, ce qu'il y a de malpropre, c'est l'appareil dont elle s'entoure,
c'est le cortège qui l'accompagne. Ce n'est pas la fin qui est pour faire
reculer, c'est plut8t ce qui la précède et la lente décomposition de la
matière; c'est la souffrance agissant comme un tortionnaire qui prolongerait
le supplice pour se divertir; c'est aussi l'agonie qui dure non seulement
pendant des heures, mais pendant des jours, parfois pendant des semaines.
Là est d'ailleurs l'iniquité suprême et bien qu'elle soit expliquée par la
physiologie et commentée par la science, la raison de l'homme se refuse à
comprendre et bien des coeurs en sont révoltés.
L'homme a la manie de chercher des causes morales i\\ toute chose,
même à des accidents exclusivement physiques
cela prouve, poursuit Du
CAHP, qu'en notre pauvre race, les erreurs ont la vie dure, car faire re-
monter à la divinité, quelle qu'elle soit, la responsabilité des incidents
de la vie hwnaine, c'est accepter la pensée qui semble naître avec le monde
historique et que l'on trouve inscrite en tout chapitre des premiers livres
de la bible : L'homme est ici-bas récompensé ou puni selon ses mérites et
ses fautes, non point par le groupe au milieu duquel il vi t, mais par celui
auquel un mot a suf'fi pour créer le ciel et la terre. Cette conviction s'est
emparée des esprits et les croyants les plus convaincus d'une vie future et
(1) M.S. 3719. I. Papiers personnels.
(2) Propos du soir, PP. 307-308.
.. ·1

-
236 <-
rémunératrice la subissent, s'y soumettent et font des actes de contri~tion
afin d'éloigner un malheur qu'ils redoutent ou de recevoir une faveur qui
leur sera précieuse. Ainsi, pour ce qui lui paraît inexplicable, l'homme fait
intervenir la puissance mystérieuse d'où tout émane, c'est pourquoi il a sans
cesse le nom de Dieu sur ces lèvres et c'est pourquoi de toute région, en tout
idiome, à tout instant, un flot de prières monte vers le ciel. Voici comment
Du CAMP explique les multiples tentatives de l'homme à se donner l'espoir d'une
vie ailleurs que dans le monde matériel.
Partant de ces considérations presque générales, l'écrivain s'est
posé de multiples questions sur les phénomènes métaphysiques qui l'assaillent,
mais aussi sur ses propres tendances spirituelles. La réponse qu'il formule
est bien mitigée : "Ai-je des convictions religieuses? Je n'en sais vraiment
rien, mais je suis absolument respectueux pour la foi d'autrui... je pencherai
vers le panthéisme plutôt que vers toute autre théorie : il est facile de cons-
tater les permutations perpétuelles et permanentes de la matière."
( 1 )
On note dans ces lignes l'esprit un peu espiègle, libéral de l'auteur
qui est fortement animé de la théorie de la relativité et de la liberté des
consciences prônées jadis par DIDEROT. En effet, il est absolument convaincu
que Dieu est une abstraction qui prend la forme que la foi lui donne ; or cette
forme est en elle-même respectable, et féconde si elle incite au bien et écarte
le mal. Même si la prière faite par l'homme n'atteint pas celui à qui elle
s'adresse, elle n'en est pas moins bienfaisante pour celui qui prie; ne serait-
elle que le moteur de l'espérance, elle est respectable, et c'est être cruel
que d'en démontrer l'inefficacité. L'existence est si fertile en infortune
qu'il faut conserver à l'homme tout ce qui peut l'aider à la supporter, fut-ce
une intenable surpersti tion. Tout ce qui fait du bien à la créature humaine,
tout ce qui la soulage en ses misères, tout ce qui est comme une étape de
repos sur son dur chemin est digne de respect et ne doit jamais être raillé.
Il est facile de nier Dieu, lance-t-il aux athé~; mais on ne l'a pas encore
remplacé dans les coeurs de ceux qui ont besoin d'y croire; la raison ne
satisfait que le raisonnement et le raisonnement est impuissant contre la
souffrance et le désespoir. Cette démonstration nous paraît assez
sage car nous pensons comme l'auteur qU'il n'existe pas de crime comparable
(1) M.S. 3719.1. Papiers personnels.
.../

-
237 -
à celui de troubler les consciences des hommes. Il avoue d'ailleurs qu'il
s'est contenté de cette philosophie pour se faire une raison de l'existence
humaine: "il m'a suffi pendant mon existence et j'espère qu'il va suffire
à l'heure de ma mortJ' (1) Ne sachant pas pourquoi il naît, pourquoi il
existe, pourquoi il meurt, l'homme a inventé des hypothèses qui satisfont
plus ou moins sa tendance au surnaturel et son besoin de croyance, mais qui
n'arrivent pas à expliquer l'inexplicable. C'est ainsi qu'en voyant la
quantité prodigieuse de Dieux qui ont règné depuis que le monde est sorti
du chaos, il s'étonne de la fécondité des imaginations, mais il reconnaît
que chacune de ces divinités a été, en son heure, un stimulant et un point
d'appui pour l'âme humaine". Il est possible que tout ce que l'on nous a
enseigné n'existe pas, s'interroge-t-il, mais il n'en.faut pas moins conduire
sa viè éomme si tout cela existait, ceci, dans le seul intérêt de la cons-
cience, par devoir envers soi-même; je dirai le mot brutal: par propreté
"(2)
é'est à ce'stade'du développement que Du CAMP, livre la profondeur de ses
conceptions religieuses : "Cette pensée est irréductible à moi ; elle me
vaudra, j'espère, l'indulgence des "esprits forts" qui professent ce que
MONTAIGNE appelait "l'opinion si rare et incivile de la mortalité des âmes",
opinion qu'il m'est impossible d'admettre. Sans essayer de discuter des théories
et des dogmes, je m'en tiens à la formule d'Epicure que Lucrèce à interprêtée,
disant
"Rien ne vient du néant, rien n'y peut retourner." (3)
I l explique ses convictions par le fait que quand bien même la
race humaine, rejetant toute doctrine spiritualiste, s'abîmerait dans les
bestialités du matérialisme, l'homme individuel, en toute circonstance
grave de sa vie, ne pourrait s'empêcher de prier, ne serait-ce que par une
involontaire exclamation. Un mot ou une seule parole, n'est-il pas souvent
une oraison complète ou une invocation à
une puissance supérieure infaillible?
La doctrine spiritualiste à laquelle Du CAMP adhère soutient
qu'ici-bas, rien ne peut être anéanti; si l'âme est autre chose que le
( 1) M. S. 3719, op. ci t ,
(2) Les Propos du soir, P. 309.
(3) Ibid.

- 238 -
résultat du jeu des organes, pourquoi n'en serait-il pas de l'esprit comme
de la matière indestructible et toujours permutable? Ainsi, selon cette
philosophie, les morts, qui ne sont en fait pas morts, vivent en Phonune,
lui donnent des conseils, le modifi ent, et le souvenir qu'il conserve d'eux
n'est que la vibration de leur présence en lui-même. En d'autres termes,
ceux qu'on a aimés et qui sont morts ne sont plus où ils étaient, mais ils
sont toujours et partout où l'on est. Cette pensée, mise dans une formule
célèbre par le Père ENFANTIN, fut le credo des réflexions métaphysiques de
Maxime Du CAl·n' : "Dans la lettre sur la vie éternelle que le Père ÉNFANTIN
a envoyée à Charles DTNEYRIER, il est une forlll.Ùe que j'accepte absolument,
clame-t-il : "Tu as été avant de naître, tu seras après ta mort" - les trois
temps : Passé, Présent, Futur, du verbe être renf'erment la meilleure gril
des conceptions relatives aux destinées de l'âme: j'ai été, je suis, je
seraiJ' (1)
La célèbre formule du Père ENFANTIN à laquelle Du CAHP adhère si
exclusivement est le fondement métaphysique de la doctrine Saint-Simoniem1e.
On ne saurait donc traiter de l'expérience religieuse de l'écrivain sans
parler de ce mouvement religieux qui fut prêché de 1828 à 1832. Notre
dessein n'est pas d'en faire une étude e~1austive mais de l'analyser à
travers les rapports que Du CAHP a entretenus avec lui. Il fut d'ailleurs
très réservé lorsqu'il aborda la question dans ses "souvenirs littéraires",
se bornant à souligner des contacts plus ou moins étroits qu'il entretint
avec les responsables, en 1 'oceurence le père ENF/\\.TTTIIJ et Charles
r,:.:m::::RT-
~;Y •. Le dernier fut convertit aux idées saint-simoniennes par le premier qui
fut d'ailleurs le père fondateur du mouvement. I l était en Egypte où il avait
suivi son initiateur pour les travaux préparatoires au perce~ent de l'isthme
de Suez. Sédui t par le pays , Charles L'\\JillE~1'-BEY s' Y fi xa malgré l'abandon
du projet de perce~ent. C'est à cette époque, précisément ~1 1850 en Egypte
que Haxime Du CA}IP fit sa connaissance lors de son deuxième voyage en Orient
avec Gustave FIAUBERT. Quelques années plus tard, il se retrouvèrent à Paris,
Du CAMP ayant terminé son vayage (mai 1851) et LAJlBERT-BEY
ayant pris congé
du Vice-Roi d'Egypte. Plus Saint-Simonien que jamais, se considérant comme
l'apôtre de la doctrine, r.:,;'DE.RT-BEY renouvela avec son ami les conver-sati ons
( 1) H.S. 3719, op. ci t ,
1
..-;

239 -
du Caire sous la persistance des mêmes préoccupations métaphysiques. C'est
à la sui te de ces débats philosophico-métaphysiques que Du CAHP épousa
l'essentiel du dogme saint-simonien. Hais, c'est seulement le 24 février 1853
qu'il eut le premier contact avec le père de la religion. En ef.fet, Prosper
ENFANTIN habitait alors Lyon où il était retenu par ses .fonctions d'adminis-
trateur du chemin de fer de Paris à la Hédi terrannée ; il ne venai t que
rarement à Paris pour voir "ses fils". Dès le premier contact, Du CAMP fut
séduit par la simplicité et la bonhommie attrayantes du Père dont l'affabilité
et le sans-façon de la causerie laissaient voir plut8t qu'il ne montrait, de
la prétention à l'universalité.
Du CAHP n'a pas été totalement endoctriné par les ap8tres du mouve-
ment comme on pourrait le penser, - ce serait d'ailleurs mal connaître cet
esprit féru d'indépendance et de liberté; - il s'y était intéressé de très
près, "disons même qu'il l'avait accepté par certains aspects, grâce à un
certain nombre de pr-édd sposi tions di.ffuses en lui. La véri té est que, malgré
des divergences importantes sur bien des points importants, il partageait
entièrement avec les saint-simoniens leur conception métaphysique. En eFfet,
la mystique saint-simonienne fait de la théorie de la transmigration des
âmes, c'est-à-dire des réincarnations successives de l'âme h~~ine après la
mort le fondement de
sa
vision métaphysique. Les tendances au panthéisme
et les convictions spiritualistes de Maxime Du CAMP ont donc favorisé le
rapprochement et le mariage avec le mouvement. Il convient de signaler à cet
effet que la nouvelle "L'âme errante" qui soutient la théorie des réincarna-
tions successives de l'â~e est publiée en 1845 c'est-à-dire quatre ans
avant la rencontre historique de l'auteur avec IA~m=:;:T-J3;;,'Y en Egypte. Les
lettres échangées entre Du CAHP et les saint-simoniens, et spécialement avec
le Père ElTPAIrTUI révèlent les convictions profondes de l'auteur et le si tuent
par rapport au mouvement. Elles sont plus que véhémentes ; elles sont passion-
nées j celle que nous citons est l'une des premières adressées au Père
ENFANTIN
où il exp.Li que sa .façon de comprendre la mystique saint-simonienne
"Hon âme a toujours vécu, elle vi t, elle vivra toujours car elle est éternel-
le comme Dieu dont elle fait partie: elle a été et sera toujours revêtue
d'une Forme e'7l:î r 'lm t é e :t la matière qui est éternelle comme l' espri t C ..:?
Les mor-ts vivent en moi, je vis (~ans les morts, mais les morts et
...,/

-
240 -
moi nous vivons particulièrement, idiosyncratiquement." (1)
Fort de ces convictions, qui sont celles que nous avons largement
dév.eloppées dans le premier point (Dieu dans l'oeuvre), Du CAMP se mit au
service de la doctrine avec dévouement, zèle' et détermination.
En 1853, de concert avec lAMBERT-BEY, fixé à Paris tandis qu'ENFANTIN
demeurait toujours à Lyon, Du CAMP proposa au Père d'organiser des réunions
chez lui où on exposerait les points principaux de la doctrine afin d'attirer
de nouveaux adeptes. Le père ENFANTIN flaira quelques dangers à ces genres
d'assemblées et fit obstacle au projet.
En 1854 déjà, il s'i'mposa à ses
coreligionnaires comme un Lns pi r-at eun
du mouvement. Ses poèjees furent lus et chantés au cours de leurs réunions
même en son absence, Cette lettre qui émane de lAMBERT-BEY rend compte à Du
CAMP de l'impact de ses poèmes sur les Saint-Simoniens : "L:~.~ Puis Gallé
a demandé à Bally du Maxime. Et le brave Lil1( a récité de mémoire votre pièce
"aux poètes" qui a eu au milieu de ces L:ilJJ chauds que dans les réunions chez
Desplancher le tailleur ~.~ Puis Boissy, toujours avec votre livre mais en
ne se servant pour ainsi dire pas, a dit "Le concile", et très bien cette
fois." (2)
Les poèmes dont il est question sont d'inspiration purement saint-
simonienne. Ils. sont des hommages à l'activité humaine et surtout à l'activité
industrielle fort prônée par la doctrine. C'est d'ailleurs de ce point de vue
qu'on observe une influence profonde du saint-simonisme sur l'auteur des
"Chants Modernes ll • En effet, mis à part des préoccupations métaphysico-
philosophiques, le saint-simonisme avait pour ambition de réorganiser l'acti-
vité industrielle. Cet objectif était clairement défini dès les premiers
jours de la naissance du mouvement, dans "le Producteur ll , journal de doctrine,
qui était à l'état de projet à la mort de SAINT-SIMON en mai 1825. Dès le
premier numéro, il affirme que l'avenir est à "l'état industriel" (3) et que
le but à atteindre est "l'exploitation du globe par l'activité matérielle,
intellectuelle et morale de l 'humani té associée". (4)
(1) Vendredi 28 avril 1854 in Revue d'Histoire littéraire de la France: I1.D.C.
et les Saints-Simoniens (publié par P. BONNEFON) oct-déc. 1910, T. XVII.
PP. 709-735.
(2) M.S. 3765 (L.P.) 347 lettres. L. BEY : 15-32. 21 Echaux 15 8bre 1854.
(3) S. CHARLETY, Hist. du Saint-Sim., 1825-1864, Edit. Gonthier, 1965, P. 33.
(4) Ibid.

- 241 -
Maxime Du CAHP s'est donc peu à peu laisser convaincre par ces
idées à partir de 1854. Il en devint l'un des porte-parole écouté, parfois
même un peu zelé : "••• je suis tout près à chanter le choeur des "Huguenots"
"Pour cette cause sainte, etc" (1) avoue-t-il au Père EUFAN'I'IN.
"Les Chants modernes" sont écrits à cette époque, sous cette in-
fluence, avec une préface altière où l'auteur af'fecte la prétention assez
hardie d'ouvrir la voie à des chants nouveaux, à l 'hymne des forces physiques,
des machines et de l'industrie. Un long chapitre de plusieurs poèmes est
dédié à Charles· IAI1BERT-BEY intitulé : "Les Chants de la matière" dans le-
quel s'épanouit la théorie saint-simonienne. Les poèmes regroupés dans ce
chapi tre avaient d'abord été appréciés par le Père-ÉNFAHTIN ; certains ont
même été lus par les "Frères" au cours des assemblées saint-simoniennes. Dans
la lettre qui sui t, on remarque comment ENF1\\N'I'IN a agi sur les poèmes d' obé-
diance saint-simonienne: "Cher Père, je vous envoie "la locomotive" et "la
Fauliaf'in que vous vouliez bien les lire, si vous avez le temps. Les correc-
tions que vous avez bien voulu indiquer au vieux blanc (Louis J0URDAIT )
avaient déjà été faites dans le sens que vous désiriez. J'ai remplacé le mot
"abaissement" que vous signaliez par celui d'affaissement" qui est plus vrai
et qui montre plus les tristesses qui saisissent celui qui se voit encore
loin de son but. Au reste, comme ces vers ne para~tront que le 1er octobre,
nous aurons le temps d'en causer. Vous seriez bien aimable de m'écrire un
petit mot aux bureauKde "La Revue de Paris".(2)
On le sait, la Revue entretenait volontiers ses lecteurs de ques-
tions philosophiques traitées surtout au point de vue des théories d' srw:,?lTIIJ
Le 15 mars 1856, par la plume du littérateur genevois Marc MONNIER, elle
consacrait un long et bienveillant article à la doctrine Saint-Simonienne,
destinée à la faire connaître et à lui attirer de nouveaux adeptes.
Comme on le constate, Du CAHP a aidé la propension du mouvement
Saint-Simonien grâce à son influence personnelle et à la fonction qu'il
exerçait. Mais, il est important de savoir que son orthodoxie n'était pas
(1) Lettre publiée par Paul BONNEFON, op. cit., 9 octobre 1854.
(2) Ibid, 12 septembre 1854, mardi, P. 718.
.. ·1

-
242 -
parfaite malgré ce dévouement; et si des prédispositions et le parti que
la littérature pouvait tirer dans ses rapports avec le mouvement l'attiraient
vers certaines affirmations, la raison s'est toujours refusé d'admettre des
principes qu'elle jugeait inadéquats ou inacceptables. Ce que Du CAMP a dit
dans ses "Souvenirs littéraires" est le reflet de son attitude envers la
doctrine. En effet, le disciple n'a pas caché au père ENFANTIN dès leurs
premiers contacts les limites de sa Ilf oi " : "Dès le début de nos relations, je
lui avais dit que je n'entendais rien ni aux questions économiques, ni aux
questions industrielles, ni aux questions financières
[;.;/
Que jamais je
ne reconna~trais que la finance et l'industrie puissent ~tre considérées
comme. les égales de l'art et de la littérature au service de la science, de
l'industrie••• " (1)
Après la métaphysique, les finances, l'industrie et l'économie,
l'un des axes les plus importants du saint-simonisme est son aspect politique.
Comme le soutient Emile DURKHEIM, le socialisme voit ses sources profondes
dans la doctrine saint-simonienne. (2)
Mais, peut-on parler de socialisme
chez Du CAMP ? Ce serai t trahir l' écr-ivain que de l'assimiler à une doctrine
poli tique. Comme il affirmait ne rien entendre ni aux questions économiques,
ni aux questions industrielles, ni aux questions financières, il n'entendait
rien aussi aux questions politiques. Si l'on veut le cataloguer à tout prix,
on dirai t plutôt qu'il est un "idéaliste humaniste" (cf étude sur la bour-
geoisie). Le disciple est donc resté en réalité sous le péristyle du temple,
plutôt que dans le temple lui-même malgré le zèle du début et la coordialité
des membres du groupe.
D'un tempérament naturellement indépendant
et critique, il n'a
pas hésité à exprimer au Père son désaccord sur des points précis concernant
l'orientation saint-simonienne de la vie. La dissenssion la plus importante
porte sur le problème de la femme. En effet, l'un des aspects essentiels de
l'apostolat saint-simonien.est l'affranchissement de la femme et son associa-
tion par égalité avec l'homme. La formule saint-simonienne telle qu'elle fut
publiée dans "l'organisateur" est celle-ci: "L'Homme se souvient du Passé;
(1) Souvenirs litt., T.2, P. 87.
(2) E. DURKHEIM, Le Socialisme, sa ctéfinition-ses débuts - la doctrine saint-
simonienne, Paris, PUF, 1928.
. .·1

-
243 -
la Femme presscmt l'avenir; le couple voit le Présent i" (1)
ce qui
signifie d'une part que l'être complet est composé de l' homme et de la
femme réunis i (1' autre part, que l' homme restant tourné vers le passé et la
femme vers l'avenir, leur inégali té crée entre eux un intervalle 0''> le temps
présent, c'est-à-dire la vie actuelle disparaît dans une série de désaccor41
et de malentendus qui engendrent les malheurs de l'existence. Donc, pour que
l'humanité soit heureuse, il faut que l'homme et la femme, appuyés l'un sur
l'autre, ayro1t les mêmes droits, marchent du même pas, avec la même volonté,
vers le même but. Cette action de deux énergies fondues en une seule n'est
possible qu'à la condition que la femme livre le secret de son être moral,
intellectuel et physique. Ainsi, la femme libre, "la Mère", peut seule faire
cette révélation et ouvrir les arcanes. Cette mère devait être une femme
de réflexion et de raisonnement qui, ayant médité sur le sort de ses "soeurs",
connaissant les besoins féminins, ayant approfondi les aptitudes féminines
que l'homme n'a jamais pénétrées complètement, ferait la confession de son
sexe, sans restriction, sans réserve, de façon à fournir les éléments indis-
pensables pour formuler la déclaration des droits et des devoirs de la femme.
"Hadame de 3TAEL" fut pressentie par SAINT-SElm~ lui-même; George 8;'.1'JD par
les adeptes mais en vain. Ne trouvant pas cette Mère en Europe, l'ingénieur
"Emile RAT?P..l\\.ULTI ,
(membre du collège au premier degré) imagina de dénicher
dans la solitude des harems, quelque "odalisque" qui aurait réfléchi sur la
condi tion de la femme et qui s'empresserait de livrer au monde le résultat
de ses méditations. Tous ces efforts fUrent vains.
Pour revenir à Haxime Du CAJ'lP, disons qu'il ne partageait pas
cette démonstration. Pour lui, la femme messie n'a pas besoin d'être trouvée
par l'homme, car si elle était telle, elle s'imposerait elle-même aux yeux
du monde. Cette attitude n'étonne aucunément lorsqu'on sait la position de
l'auteur ,\\ propos de la femme, que nous avons déj à exposée. Ce billet non
daté que nous avons extrait des papiers de la Bibliothèque de l'Institut est
adressé au Père ENFAllTIN. Du CAHP se prononce sur le suj et
Au père ENFANTIN
"J'ai vu des larmes véritables, des larmes bnllantes
rouler à ma parole, dans des yeux d' hommes
(1) Souvenirs littéraires, T. 2, P. 93.

qui n'avaient jamais pleuré, parce que je commandais en ton
nom de briser les chaînes de la femme; et j'ai vu les
yeux de la femme se sécher et ne plus pouvoir pleurer
parce que
je détachais les fers auxquels elles s'étaient habi tué es"
(Le Père Enfantin s'étant donné ce titre, nous le lui
conservons) •
Comment noble esprit n'as-tu pas compris l'instinct de
ces femmes
aux yeux desquelles les larmes se séchaient?
Tu voulais briser leur chaîne 111 Penses-tu donc qu'elles
ne puissent les briser elles-mêmes
Le Christ, le messie mâle, le premier né, d'une race
nouvelle a-t-il eu besoin de l'aide de la femme pour
briser les siennes? non n'est-ce pas? Eh bien, il en sera
de même de la femme : De cette marie qui écrase, sur terre la
tête du serpent qui n'est pas la mère du Christ mais sa
soeur
la fille de Dieu comme lui, la première ressuscitée, la
première
connaissant le secret de la renaissance dont parle
l'apôtre Saint-Jean••• " (1)
Maxime Du CAHP reprochait par ailleurs au Saint-simonisme sa struc-
ture qu'il assimilait volontiers à celle du catholicisme. Il traitait la
hiérarchisation saint-simonienne de "despotisme théocratiquell (2) estimant
que les saint-simoniens substituaient au Pape le Père et la révolution
métaphysico-sociale. L'un des axiomes fondamentaux du saint-simonisme est
"A chacun selon sa capacité, à chaque capacité selon ses oeuvr-es", Il trouvait
la formule assez séduisante, mais s'interrogeait sur l'appréciation des
(1) 11.S. 3743 (1 à 3) Fonds H.D.C. :{XV- P. 6.
(2) Souvenirs littéraires, P. 90.
1
. • e/

- 245 -
capacités et le jugement des oeuvres. Est-ce le Père ou ses délégués qui
auront cette responsabilité? Pour lui, en tout état de cause, cette formule
ne fera que comprimer les libertés les plus élémentaires: "C'est le despo-
tisme théocratique dans ce qu'il y a de plus étroit affirma-t-il. Hors du
dogme point de salut. La liberté humaine s'effondre et ne peut sortir des
lignes parallèles où elle est maintenue!' (1)
Du CAHP ne s'est pas seulement contenté de discuter certains aspects
de l'apostolat saint-simonien ; il n'a pas hésité, avec toute la rigueur,
l'impétuosité et la loyauté qu'on lui connaît de critiquer ouvertement la
condui te du Père ENFANTIN. La longue lettre dont nous citerons des extraits
est déterminante à plus d'un titre: D'abord, elle met à nu le caractère
naturellement insurrectionnel de Du CAMP, en plus, elle constitue un tournant
décisif dans son militantisme saint-simonien. Le Père ENFANTIN s'apprêtait
à dédier - et il 1'a fait - son volume de philosophie religieuse, "La science
de 1 'homme" à l'empereur NAPOLEOn III. Cette intention offusqua l'auteur des
''Forces Perdues" qui, dans une verve vibrante et presque dégofttée, lui
adressa ses protestations. La lettre est très longue et très intéressante
il aurait donc été enrichissant de la reproduire intégralement mais commodi té
oblige, nous ne nous en tiendrons qu'à de larges extraits:
"Cher Père, je viens d'apprendre que votre livre de physiologie
religieuse doit être précédé d'une lettre adressée par vous au chef actuel
de l'Etat. Que cette nouvelle m'ait été douloureuse, vous n'en pouvez pas
douter, et tout en me rendant compte de ce que ma nature sans pondération
a d'excessif et d'absolu, j'ai compris que le chagrin que j'éprouvais
était trop vif pour n'avoir pas de raison d'~tre. Permettez-moi donc, Cher
Père, de vous ouvrir mon coeur à ce sujet. Quoi que je ne sois qu'un des
derniers venus dans l'école, quoique j 'y ai plut8t combattu en partisan
racoleur qu'en soldat, je croi s que mon dévouement sans bornes pour vous
me donne presque le droit de vous soumettre quelques observations dont
votre sagesse fera ce qu'elle jugera convenable, sans que je puisse en
être blessé.
Votre livre est philosophique et religieux, pourquoi le lui adresser,
à lui qui n'est ni philosophe, ni religieux, mais exclusivement et seule-
ment politique?
(1) Souvenirs littéraires, P. 90.
.../

- 246 -
Que respectez vous en lui? est-ce l'autorité? Mais alors qu'est-
ce donc que l'autorité, telle que vous la comprenez? C'est donc l'autorité
brutale, l'autorité du baillon sur la bouche, du bâton sur l'omoplate, de
la baIonnette dans le ventre'?
De deux choses l'une : ou les idées contenues dans votre livre
sont bonnes et alors elles feront fatalement leur chemin, rien ne les
empêchera de porter leur mission, ni le temps, ni les hommes, ou elles sont
mauvaises, et alors nul ne pourra les soutenir et les faire fructifier,
.rot-il à la fois Charlemagne et Léon X. Dans les deux cas, elles n'ont pas
besoin de patronnage.
Je voudrais vous voir marcher toujours couronné, comme un Dieu
antique, d'un nimbe de grandeur et de moralité ; or, je trouve que dans ce
que vous méditez de faire, il n'y a ni moralité ni grandeur.
Que répondrai-je à vos petits fils, à ces jeunes hommes que j'ai
menés vers vous et il qui j'ai dit: "Ecoutez le père et aimez-le; il vous
apprendra les devoirs de l'existence, il agrandira votre âme, fortifiera
et calmera votre coeur ••• If ( 1)
Pros?er E~WAIITIN répondit à cette lettre, tenta de convaincre Du
CAHP de la mot ivati on de son action et dédia son ouvrage à nAp'"1LEIJI~ III.
Les rapports et la correspondance entre le Père et le fils sur-
vécurent ;\\ cet incident. Hais, il semble que dès lors, l'image tranquille
et infaillible du Père se trouve hR~anisée car désormais vulnérable. I.'en-
sorcellement et le charme philosophico-métaphysique semblent .'1 jamais
rompus pour ne laisser la place qu'à. une certaine torpeur qui entretient
quand même la courtoisie du fils envers l'apôtre. Le père ENFANTIN ayant
symbolisé pour Haxi.me Du CAHP la doctrine 5aint-simonienne elle-même, la
remise en question de son attitude entraîne inéluctablement la remise en
(1) Publiée par BONlTEFON, PP. 729-734, Paris, 9 octobre 1859.
.. ·1

- 247 -
question de sa propre conviction. C'est alors que cet esprit foncière~ent
indépendant, épris de liberté sans tuteur, se démarqua peu à peu de la
doctrine pour aboutir à une rupture définitive les années faisant. Il est
par ailleurs éclairant de savoir que son idylle avec le saint-simonisme
cotncide avec ses années de romantisme c'est-à-dire de recherche de sa
personnali té et de la voie à suivre.
Au bout du compte, les documents consultés permettent d'affirmer
que la doctrine saint-simonienne joua un r8le de première importance dans
la vie de Maxime Du CAHP, contrairement à ce qu'il a voulu faire croire
dans ses "souvenirs littéraires". Malgré quelques protestations véhémentes
et passionnées, il s'adonna presqu'à coeur et avec fougue à la doctrine
nouvelle mais s'en détacha presqu'aisément comme" cela est de son caractère,
lorsque sa euriosi té fut satisfaite, pour n'en conserver que ce qu'il
avai t en y entrant : la foi en la théorie de la transmigration des âmes et
dans le progrès. Quoi qu'on puisse dire, son passage à travers le saint-
simonisme ne fut pas inutile car son oeuvre narrative et poétique en porte
une marque indélébile.
BI PELE-MELE
Les trois thèmes que nous venons d'étudier font ressortir la
philosophie de la vie de Haxime Du CAI1P, partant, le visage d'une génération
dont il a été l'un des acteurs les plus intéressants. Les trois dernières que
nous traiterons entrent également dans ce registre néanmoins avec une cer-
taine particularité due au fait qu'ils ne sont abordés que pêle-mêle par
l'écrivain. Leur étude tant soit peu rapide s'impose par le fait qu'ils
exposent parfois avec originalité la philosophie profonde de l'auteur quant
aux problèmes cont enpor-aâns et complètent l'étude précédente. Hê'l1e si certaines
idées ne sont pas originales, il n'est peut-être pas inutile de le savoir.
Ces thèmes, moins révélateurs sans doute et surtout dépourvus de l'ampleur
et de l' homogénéi té des précédents ne méritent pas moins qu'on s 'y attarde
quelque peu et qu'on les prenne en considération.
.. ·1

- 248 -
a - La bourgeoisie
Il n'y a pas chez Du CA.MP de roman ou de nouvelle dont le bourgeois
est le personnage principal. Il a néanmoins fait ça et là allusion à cett~
classe sociale sous forme de réflexion comme : "La plus mince bourgeoise
s'imagine qu'il suffit d'avoir trop d'amants pour être une grande dame~ (1)
Parfois, il évoque le personnage bourgeois sans prononcer le mot, à travers
la présentation des personnages aux premières pages des récits. Le père de
Maurice CASTAS par exemple, personnage de la nouvelle "Richard PIEDNOEL" est
un "honorable et riche commerçant" qui rêvai t pour son fils ce qu'il apPelai t
lui-mêne "une carrière à cravate blanche". Celui de Romuald de "la dette du
jeu· nous introduit dans le monde impi toyable des affaires où le sentiment
et la stabilité ne sont pas de règle. En effet, il appartenait au monde de
la "haute banque et des grandes affaires commerciales de Marseille". (2)
Hais,
à la suite d'un mauvais coup de ses partenaires, il se replia vers le petit
négoce. Il devint par la suite banquier bien humble, rendu timide et assagi
par l'expérience, prêteur d'argent à court terme; non sans peine, il était
devenu bien riche lorsque malheureusement une spéculation tentée en Espagne
pendant la guerre échoua. Elle eut des conséquences onéreuses, ne fut
honorablement liquidée qu'au prix de lourds sacrifices et ramena l'incerti-
tude dans la maison sans pour autant entraîner la banqueroute. Tel père tel
fils, dit un dicton. Le fils Romuald) héros de la nouvelle a suivi les traces
du père dans les affaires et était devenu l'agent et l'associé d'une société
de Marseille qui faisait la commission, la banque et le négoce à l'aide de
comptoirs installés à Naples, à Hessine, à Tunis et à Beyrouth. Il dirigeait
la succursale de Naples ce qui lui donnai t l'importance due à un homme dont
"la signature vaut argent comptant".(3)
Romuald semble avoir compris les
leçons de son père et se tire bien des tracasseries des affaires, ce qui
n'est pas le cas de Godefroy de PRANAT de la nouvelle "Réis Ibrahim". Ce
dernier hérite de son père Jacques PRANAT qui avait fait grosse fortune dans
le commerce des cuirs. Mais au lieu de faire fructifier le patrimoine et les
affaires de son père, il se jeta très vite à travers les tristes élégances
(1) Les Forces Perdues, P.94.
(2) La dette du jeu, Edited wi th notes and vocabulary by V. Payen-Payne ,
Cambridge: at the University Press, 1911.
(3) Ibid, P. 1.
.. ·1

- 249 -
de son époque. Godefroy laissa facilement ses fournisseurs et les amis qui
lui empruntaient de l'argent ajouter une particule à son nom roturier ; il
rompi t en apparence avec les gens de bourse que fréquentai t son père, eut des
"chevaux anglais", entretint des cydalises, joua gros jeu et fit le grand
seigneur, tout en surveillant très attentivement lui-même ses placements,
transferts, transports et mutations de rentes, ainsi que le lui avait appris
son père. En dehors des affaires qu'il escamotait, i l était "un jeune homme
comme il faut" 1 (1) c'est-à-dire qui "florissai t" sur le boulevard, au bois
de boulogne et à l'opéra et qui "marchai t touj ours en raison directe de
l'idée reçue"l (2)
tout" jugement consacré" lui paraissant inattaquable.
Ces réflexions quelque peu satiriques sont disséminées dans l'oeuvre
narrative de l'auteur. Cependant, on se tromperait énormément si on s'y
arrêtait pour formuler la .conviction profonde de Du CAMP quant à cette classe
sociale qui s'est épanouie au XIXè siècle en France. En réalité, les réflexions
cri tiques que nous avons relevées ne sont que de façade ; Maxime Du CAMP
avait une toute autre opinion du monde bourgeois, du moins, de la bourgeoisie
des affaires. C'est au bout du compte, le personnage de M. VERCEIL des
"Forces Perdues" qui permet de saisir ce qu'il en pense réellement. En effet,
à travers ce personnage, Maxime Du CAHP se fai t le porte-parole d'une
bourgeoisie ascendante, la bourgeoisie industrielle du milieu du XIXè siècle.
C'est d'ailleurs partant de ce constat que Joseph JIRIAN a affirmé qu'à un
siècle d'intervalle, l1axime Du CAHP a repris à son compte "comme la meilleure
leçon de sagesse, comme un idéal de vie, le fameux slogan de VOLTAIRE lancé
dans "Candide" : CUltivons notre jardin~', (3)
VOLTAIRE ayant été le porte-
parole de la bourgeoisie commerçante de la seconde moitié du XVIIIè siècle.
L'un comme l'autre, toujours d'après JIRIAN Joseph se veut bourgeois humani-
taire et philanthrope; Du CAHP plus que VOLTAIRE, du moment où il formule
nettement la nécessité d'intéresser la classe laborieuse au développement de
l'entreprise, puisqu'il y va de l'amélioration de son sort aussi bien sur le
plan matériel que sur le plan mor-al. et culturel. C'est exactement ce qu'a
(1)
, .
.
RelS Ibrahlm, P. 1.
(2) Ibid.
(3) Joseph JIRlAN, op. cit., P.
381.
1
.../

-
250 -
pu r-é
avec beaucoup
sagesse et
'l&'\\tri<;e 1:. VS~c;EIL '\\
a
L i
s c r -
r i e
, l e
D u m b a r
r o n
en Ecosse. Afin ~lc mi eux compr-endr-e les affir:'lati ons ,le l'auteur, et '1'!
connaître rlavantage le personnage, il convient ne rappeler le chemin par-
couru par ce dernier.
N. VERCEIL est en fai t parti de rien ; il a traversé les pires
difficultés avant d'arriver à se stabiliser après de longues années de
souffrance. A 21 ans, il était orphélin et maître d'un patrimoine qU'il
gaspilla très rapid~ent. C'est alors que les membres de sa famille lui
rernirent une petite somme et "l'expédièrent" en Amérique pour qu'il y fît
sa vie. Les premières années sur la terre américaine furent d'une dureté
presqu'insoupçonnable : "ça été dur ! j'ai dormi plus Cl 'une fois blotti
derrière des balles de coton, dans les hangars que l'insouciance américaine
laisse ouverts pendant la nuit. Il ya des jours où je n'ai point mangé:' (1)
M. VERCEIL fut obligé de faire tous les métiers, avant de devenir, à force
de courage, de ténacité et d'abnégation, l'associé de M. FAVERTON, l'un des
gros négociants en grains de New-York, comme c'était usuel aux Etats-Unis.
H. FAVERTON se retira et H. VERCEIL devint alors le seul propriétaire de
l'affaire. Sa fortune faite, il revint en France où il voulut s'établir en y
construisant des moulins anglais. Hais, après plusieurs m;'is de démarches
administratives, il renonça à s'établir dans ce pays "hérissé de si tracas-
sières difficultés" ; c'est ainsi qu'il se rendit en Ecosse Olt, quelques
jours après son arrivée, il était installé sur les bords de la Clyde, entre
Glasgow et Dumbarton ~~ il fit construire des moulins, des magasins à blés,
des écuries •••
11. VERCEIL a donc réussi à mettre à la circulation générale l'argent
que ses parents lui ont donné; il s'est reconstitué une fortune à force de
volonté et de labeur: "je n'ai d'obligation à personne, affirma-t-il fière-
ment, pas même à FAVERTON, car je l'ai ampl ement payé par mon travail, et
tout cela parce que j'ai voulut' (2)
M. VERCEIL est un homme arrivé grâce à ses propres efforts et ~
(1) Les Forces Perdues, P. 61.
(2) l bi d , P. 63.
/
.../

-
251 -
un travail assidu. Sa philosophie de l'entreprise et les rapports qu'il
entretient avec ses ouvriers lui confèrent un cachet particulier parmi le
nombre important de patrons "inhumains" qu'a engendré le XIXè siècle
industriel.
Les condi tians de vie et de travail des ouvriers de M. VERCEIL sont
des plus satisfaisantes, ce qui entra!ne inéluctablement une complicité
taci te entre Les ouvriers et le patron, par conséquent un rendement meilleur.
En effet, dans cette minoterie à taille humaine, M. VERCEIL a su instaurer
entre ses ouvriers et lui une parfaite organisation des rapports humains et
économiques. Seul maître de l'entreprise, détenteur du capital d' exploi tation,
vivant dans un système de libéralisme et d'individualisme capitaliste, i l n'a
pas été tenté par l'abus de pouvoir et le profit à tout prix, contrairement
aux autres chefs d'entreprise. 1'employé de la minoterie de Glasgow est dans
ces conditions un collaborateur plus qu'un vulgaire salarié. Au même ti tre
que le chef de l'entreprise, son intér~t est de contribuer de toute son
énergie à la bonne marche et à la prospérité de la maison. Il devient presqu'un
partenaire digne du patron qui ne fait que faire respecter les grandes options
et orientations de l'entreprise.
Au plan purement social, ce patron modèle par excellence avait lui-
même créé pour ses ouvriers une école, une infirmerie et des salles de bain.
Au moment de la visite de son neveu Horace, il s'apprêtait à leur construire
un lieu de culte : "j e vais leur bâtir une chapelle, disai t-il à Horace. Ces
gens-là sont religieux, et le culte leur manque; je ferai venir un cl~rgyman
et tout ira bieru' (1)
Bn plus, c'est lui-même qui veillait personnellement
à la propreté des locaux et aux conforts de ses hommes. C'est ainsi qu'Horace
découvrit des cours point encombrées de fumier et de saletés et un milieu
t1 a c t i f ,
confortable et saintl.(2)
En outre, la fille de M. VERCEIL s'était érigée en infirmière et
en institutrice. En effet, d'éducation solide et pratique, c'est elle qui
soignai t les ouvriers blessés dans les travaux souvent dangereux de la
(1) Les Forces Perdues, P. 52.
(2) Ibid, P. 49.
..·1

-
252 -
minoterie; c'est elle aussi qui faisait l'école aux enfants des ouvriers
de son père.
Enfin, pour concrétiser sa bonne volonté et sa considération à
l'égard des ouvriers, il maria sa fille avec un jeune ouvrier de la minoterie.
H. VERCEl L donne l' occasi on à Maxime Du CAMP d'exprimer ses idées
relatives à la "nouvelle société l1 • En effet, les valeurs positives dont
relève ce "bon patronll constituent un symbole: D'une part la consécration
d'une supériorité d'organisation sociale, d'autre part la grandeur d'âme qui
entraîne la tolérance. Se voulant intentionnellement moralisateur, Du CAMP
pensait qu'il était opportun, et du devoir de l'écrivain, d'attirer l'attention
sur la bonne gestion économique et humaine de l'entreprise, source de pros-
périté et de stabilité sociales. Il a établi son personnage en Ecosse,
société jadis plus industrielle que la France, pour montrer aux Français
l'exemple à suivre.
En fait, Du CAMP fait montre d'un certain idéalisme qui se situe
dans la ligne générale de sa conception de la vie. Il a toujours prôné et
oeuvré pour la facili tation de la vi e de l'espèce humaine sur terre, en
quelque domaine que ce soit. En ce qui concerne la cohésion sociale, il a
toujours préconisé une solidarité sociale et une compréhension mutuelle qui
auraient pour conséquence d'annihiler les confli ts de compétence et
d'intérêt. Ce bourgeois exemplaire qu'est M. VERCEIL, cette société idéale
capitalo-socialiste et humaniste prônée par Maxime Du CAMP ne peuvent
exister que dans la mesure où le travail quotidien est le maître mot de
l'existence. D'ailleurs, M. VERCEIL n'est arrivé à ce résultat que grâce à
un travail contraignant. Son enrichissement ne fut ni illégal ni illicite;
c'est comme on le dit, à la sueur de son front. C'est pour cette raison que
l'écrivain a fondé l'un des aspects de sa philosophie de la vie sur le
cul te du travail. Jean-Marc du Il Livre Posthume" par exemple regrette d'avoir
gâché inutilement sa vie et de n'avoir pas pensé plus tôt au travail. D'autre
"
part, un certain nombre de poèmes de l'auteur ont été écri ts pour louer les
vertus du travail. Séduit par la "robuste Amérique", l'écrivain rêve d'un
pays mettant ses destinées exemplaires qui sont le résultat d'un travail
sérieux, aux mains d'un poète, IId'un de ces hommes rares que Dieu a créés
.··f

- 253 -
pour illuminer les esprits et rassénérer les âmes~' (1)
Certains poèmes
regroupés sous le chapitre: "Les chants de la matière" exaltent le travail
et ses bienfaits, facteurs de progrès et de bien-être social. Le second
recueil publié quelques années plus tard développe aussi, dans certaines de
ses pages, le thème fondamental de la philosophie de la vie fondée sur le
principe du labeur sacré, source de stabilité et de paix sociales. "A George"
célèbre la fortification de l'homme par le travail :
"Le bâton, mon enf'ant, c'est le travail austère
Prend le donc hardiment et ne le qui tte pas
Il te rendra plus fort à chacun de tes pas!' (2)
Au bout du compte, c'est dans le prologue du "Livre posthume" que
Du CAMP donne du travail une définition résumant son assertion du thème
"Le travail, c'est la massue d'Hercule qui écrase tous les monstres". OU "la
paresse est au travail ce que la paralysie est au mouvement" (3) ••• Toute
personne qui utilise cette massue, qui est la "Loi universelle de toute
société" pour s'épanouir est à louer et mérite des égards. Ainsi s'explique
l'admiration inconditionnelle de Du CAHP pour H. VERCEIL, et son souci d'une
société ainsi construite 00nt le travail serait le seul mot d'ordre et la
distribution équitable et loyale des résultats le seul écho, pour le bonheur
de l'humanité. Il enseigne, à cet eFfet, cet art de vivre heureux dans ses
"Propos du soir" en conclusion du chapitre }..'VI sur "Le langage et le socia-
lisme". L'auteur adresse èt tous les hommes (Je lettres, - nous ajouterons à
toute l'humanité - des conseils afin de leur permettre de réussir leur
carrière littéraire: "Je répéterai la parole prononcée en des jours néfastes,
digne d'être le mot d'ordre d'une nation vivace, respectueuse de son passé,
soucieuse de son avenir et je dirai :
Laboremus, travai Hons !" (4)
(1) Les chants modernes, PréFace, P. 37.
(2) Les Convictions, A George, P. 255.
(3) Le Livre posthume, P. 270.
(4) Propos du soir, op. cit., Le langage et le socialisme, ch. XVI.
. ··1

- 254 -
Cette conception de la vie et des réalités sociales est bien noble
et constructive, mais combien idéaliste et même utopique. A-t-elle existé
ou existe-t-elle quelque part ? A notre humble connaissance, nous n'en avons
pas encore eu écho et du XIXè siècle jusqu'à nos jours, les conflits entre
les patrons et les ouvriers, en Grande-Bretagne et aux Etats~nis en passant
par l'Allemagne et la France n'ont cessé de secouer la vie des entreprises
et d'engendrer de rudes con.fli ts sociaux, car l' homme, foncièrement égoiste,
est plut8t préoccupé par ses propres intérêts.
Une .fois encore, Maxime Du CAMP se si tue à contre courant de l'idée
prépondérante véhiCl1lée par ses contemporains. En ef.fet, presque tous les
écrivains du XIXè siècle, même les plus bourgeois, étaient atteints de la
haine du bourgeois ; ce thème qui est essentiellement littéraire servait
déjà chez MOLIERE non seulement à étaler le vanité, l'avarice, la cupidité,
les prétentions nobiliaires du bourgeois mais aussi à présenter la classe
conme aisée, travailleuse, patriote, pleine de bon sens et assez cul tivée•••
Mais au XIX.
siècle, à la sui te du triomphe de la bourgeoisie
è
après la Révolution et l'Empire, les écrivains s'adonnent à la peinture
minutieuse des spécimens les plus .frappants de cette race "privilégiée" de
l'époque moderne, mettant l'accent sur un caractère corranun : Le ridicule. Le
type du bourgeois borné et ridicule avait tellement la .faveur du public, des
livres et du théâtre que même les chansonniers s'en étaient emparés. L'un
des porte-paroles les plus remarquables de ces écrivains anti-bourgeois est
l'ami de Maxime Du CAlfP, Gustave FIAUBERT. Inadapté à son époque et à son
mi lieu, FLAUBERT nourrissait une haine .farouche pour les Charles BOVAR'l, les
PECUCHET, les HO}~IS, les BOUVARD ••• Sa révolte était totale et la recherche
de la sottise humaine de ces "bourgeois glabres" était chez lui une véritable
hantise. A la sui te de FIAUBERT, HUYSHANS le naturaliste leur avait aussi
ouvertement déclaré la guerre. En e.f.fet, dans la longue galerie de portraits
qu'il a peints, le bourgeois est certainement celui qui était traité avec
le plus d'animosité. Aucune sympathie ni aucune indulgence, car de l'en.fance
à la vieillesse, le bourgeois n'est que Vices, compromis, bassesses, lâchetés,
hypocrisie, cruautés •••
Dans l'ensemble, il plane une acrimonie bilieuse et une haine
.. ·1

-
255 -
incommensurable sur la bourgeoisie, car les écrivains la considèrent comme
essentiellement intéressée et ennemie de l'art, de la poésie et du Beau.
Cette campagne de dénigrement spécialement orchestrée par le romantisme
atteint son point culminant avec Gustave FlAUBERT avant de se cristalliser
chez Emile ZOU et l'école naturaliste.
M~me Du CAMP, volontiers moralisateur et d'esprit conciliant,
se singularise à nouveau par ses thèses en préconisant une "bourgeoisie
aristocratique" certes, mais à caractère humain. M. VERCSIL en est l'heureuse
illustration.
A l'opposé du monde bourgeois représenté par le laborieux et
l'assagi M. VERCEIL des "Forces Perdues", se si tue le monde paysan, pauvre,
mais gai, vivant dans la monotonie du travail de la terre.
b - La paysanneri e
Le bourgeois ne pense qu'à agrandir son entreprise, qu'à faire
fructifier son capital et s'il est comme M. VERCEIL, qu'à améliorer les
conditions de travail et de vie de ses ouvriers, tandis que le paysan ne
cherche qu'à subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Comme dans le cas
de la bourgeoisie, aucun ouvrage de Du CAI.w n'est totalement consacré à la
vie paysanne; aucun personnage ne se détache pour en ~tre le seul re-
présentant. Par exemple, M. VERCEIL, ce bourgeois provincial, bien qu'indi-
viduel et caractérisé, a des traits qui peuvent s'appliquer à toute une
catégorie et m~e à l'ensemble de la classe, du moins tel que le conçoit
l'auteur ; il représente donc un type, un genre, une classe. Aussi, bien
que n'ayant consacré aucun livre à la bourgeoisie, ce personnage nous a
permis de résumer les positions de l'auteur à propos de cette classe. Il
n'en est pas de même pour les paysans; non seulement rien ne leur est
exclusivement consacré, mais aussi aucun personnage ne se détache pour les
représenter. C'est encore le roman "Les Forces Perdues" qui nous introduit
dans le milieu. Quatre personnages, séparénent, en sont le porte-parole
Une fermière, sa fille nommé La l1ariotte, le grand gars (amoureux de la
Mariotte) et Horace, le jeune parisien en vacances à la campagne. On dé-
couvre donc la vie paysanne à travers le comportement, les réflexions et

-
256 -
la vie de ces paysans, mais aussi Q partir des remarques et des réflexions
perspicaces émises par Horace, étranger au milieu.
Nous présenterons l'univers de la paysannerie tel qu'il se
dégage de l'oeuvre de Du CAMP tout en établissant si possible des compa-
raisons et des rapprochements avec d'autres écrivains de l'époque ayant
abordé le thème.
Les paysans des IlForces Perdues" reconnaissent la légalité de leurs
maîtres, propriétaires des terres et des fermes qu'ils cultivent. Ils ne sont
absolument pas mas par un quelconque esprit de révolte. Horace, fils de la
propriétaire, qui n'avait que quinze ans était traité avec des égards parce
qu'il serait le maître demain. Les jeunes de son âge qui ne se conformaient
pas à cette discipline étaient rappelés à l'ordre par leurs parents. Un jour,
La Hariotte reçut vertement Horace qui la dérangeait dans sa besogne
la
fermière, sa mère, lui lança sèchement en guise de remontrance : "- Eh ! la
Hariotte, i l ne faut point rabrouer le jeune Honsieur, plus tard, c'est lui
qui sera notre maître !" (1)
Tous les jeunes paysans de la ferme sont conscients de cet état.
Ils évoquent volontiers la différence de classe pour calmer le jeune maître
qui s'est plaint à eux de l'attitude du grand gars: "- Eh ! monsieur Horace,
il ne faut pas en vouloir au grand gars de ce qU'il a dit sur les parisiens,
ce n'était point pour vous déplaire: il sait trop bien que vous serez notre
maître dans un jour à venir, et qu'il vous doit du respect!' (2)
Ainsi,
instruits de cette réalité, les paysans édifient les bases de leurs rapports
avec leurs maîtres. Dès lors, on assiste A des relations de type : employeur-
employé, patron-ouvrier, où les uns et les autres savent exact ernen t le rôle
il jouer.
Les paysans de Chailleuse sont bi~l servis par le sort, car leur
patronne est clémente et répond la plupart du t ernps Favor-abl enen t i\\ leurs
multiples doléances. En effet, chaque arrivée rle i~ada.ne DARGIAIL ,., la f'er-nc
( 1) Les Force" PC!'(lue~;, P. 1G.
(2) Ibid, P. 20.

-
257 -
répondu à quelques questions bienveillantes d'usage, elle entamait l'éternel-
le litanie des tenanciers en présence des propriétaires: "Ah! c'est que
l'année a été bien mauvaise; le blé a versé sous la pluie; il a Îait un
vent abominable
C..J Nous avons bien du mal à joindre les deux bouts,
mon homme et moi pour payer notre bail, qui est bien lourd, au dire de tout
le monde••• " (1)
Vingt-huit années après ces phrases, c'est au tour de la Mariotte
de reprendre cette litanie Pami Li.èr-e aux paysans. Dès qu'elle vit le maî tr-e
arriver, elle se mit naturellement à geindre sur les mauvaises récoltes, les
diÎÎicu1tés de gagner sa vie et de payer la Ferme qui était "bien lourde".
Ces paysans témoignent des sentiments respectables à leurs martres
parce que ces derniers se montrent sensibles à leurs diÎÎicu1tés et à leurs
problèmes. C'est la Îerrnière m@me qui loue les qualités de la propriétaire :
"- Ah ! bien sûr , vous Îerez quelque chose, monsieur Horace, car déEunte
madame DARGlAIL nous aimait bien~ (2). Horace n'hésita pas à son tour de lui
accorder tout ce qu'elle avait demandé.
Bien qu'une concession de la part du maî tr-e ou de la maîtresse en
entz-aîne une autre, les paysans de Du CAMP sont d'une honnêtété et d'une
moralité presqu'induscutab1es. En cela, ils diÎÎèrent Îoncièrernent de ceux
que BALZAC a peints dans "Les Paysans". Dans cet ouvrage, BALZAC présente
des paysans irrévérencieux, cupides et voleurs. Etant en mauvais terme avec
le martre, ils organisent minutieusement des vols non seu.1ement pour se
procurer un peu d'argent, mais aussi en vue de l'exaspérer aÎin de l'acculer
à recourir à la violence. Toutes les occasions leur sont bonnes pour mettre
leurs "plans" à exécution. Ils ne répugnent pour ainsi dire pas l'escroquerie
qu'ils jugent méritoire car plus adroite et plus proÎitab1e, destinée pour
la plupart aux parisiens de passage.
L'auteur ne s'est pas contenté de décrire les rapports entre
tenanciers et propriétaires ; il s'est aussi intéressé de très près aux con-
(1) Les Forces Perdues, P. 12.
(2) Ibid, P. 228.
.../

- 258 -
ditions matérielles et morales de vie de ces hommes analphabètes, dont
l'univers se limite à leurs fermes.
Les paysans de Chailleuse sont aussi pauvres que tous les paysans
en France à cette époque. Du CAHP dénonce cette misère presque chronique
dans l'évocation de .raits précis concernant certains personnages. Par
exemple, les che-veux de la jeune et belle Mariotte étaient retenus tant bien
que mal par "un vieux peigne en corne". (1)
Elle ne mettait de bas que "le
dimanche et aux fêtes carillonnées".(2)
D'habitude, elle ne portait que
des "sabots à pieds nus". (3)
Cette vie misérable de privation perpétuelle
joue inéluctablement sur leur approche du monde. Comme chez tous les hommes
qui souffrent, qui luttent et qui s'épuisent pour arracher à la terre une
nourriture souvent insuffisante et une satisfaction morale et matérielle
infime, la Hariotte était devenue précocement raisonnable. En effet, plusieurs
mois avant l'hiver, elle se confectionnait de quoi se protéger contre le
froid : "... Je me tricotte des bas de laine, dame ! di t-elle fièrement à
Horace. rl faut penser au froid, voilà l'hiver qui vientr (4)
Par ailleurs,
d'esprit âpre et positif, elle aimait "les robes de drap" parce qu'elles
duraient longtemps et les boucles d'oreille- en "forme d'anneau" parce qu'elles
étaient pleines. Lorsqu'Horace lui demanda de choisir un objet qu'il lui
achèterait en gage d'amour, elle hésita pendant longtemps, n'osant pas se
prononcer parce qu'elle trouvait!' obj et de son désir extrêmement cher :
"Elle hésita encore, souriant, rougissant, regardant Horace avec des yeux
presque troublés!' (5)
Cet emblème destiné à rappeler l'amoureux absent
que la Mariotte trouvait si précieux et si cher n'était qu'un parapluie.
Du reste les conditions dures d'existence ont engendré chez cette petite
paysanne une maturité d'esprit presque précoce. A seize ans, elle était fort
instrui te pour son âge, car la vie des champs n'est point précisément faite
pour laisser à "l'innocence le temps de mourir de vieillesse". (6)
( 1) Les Forces Perdues, P. 14.
(2) Ibid.
(3) Ibid.
(4) Ibid, P. 371.
(5) Ibid, P. 40.
( 6 ) l bi d , P. 15 •
.. ·1

- 259 -
L'une des conséquences directes de cette vie de privation perma-
nente est l'esprit de spéculation. Le paysan espère ainsi améliorer ses
condi tions matérielles d'existence. H&ne la !1ariotte n'en est point épargnée
"Elle savait au juste combien il faut de pièces de six liards pour faire un
écu de 6 F." (1)
Cet esprit calculateur, mercantile et intéressé se manifeste m~e
dans les affaires matrimoniales. Le paysan utilise son flair le plus subtile-
ment possible pour choisir "la bonne partie". Mis à part l'amour-propre et le
sentiment, le prétendant est surtout attiré par la dot de la jeune fille. En
témoigne ces propos de deux jeunes paysans au sujet de la Mariotte: "Voilà
la Mariotte qui devient grandelette et belle fille, tout de m~e ; son père
a des écus dans tm sac, bien sÜI', et elle ne chômer-a podrrt d'épouseur_" (2).
D'ailleurs, le grand gars venu récemment à Chailleuse savait bien ce qu'il
faisai t en se louant pour une année par le père de la Hariotte. Son objectif
était d'emporter à la fin de l'année et le gain de son travail, et la Mariotte,
et la dot. Un jour qu'il eut des démêâés avec elle, il ne sut que s'excuser
pour préserver ses chances : "Le grand gars, qui pensait aux écus du fermier,
reprit d'une voix moins dure~ (3)
Sur cette privation due à la pauvreté se greffent des conditions
pénibles de travail. L'auteur ne s'est pas particulièrement attardé sur les
travaux pénibles en eux-mêmes , mais les allusions sont nettes Lor-squt on
constate les conséquences sur les hommes. La Mariotte avait des "mains
grosses, lourdes, fortes, noirâtres, accoutumées aux plus rudes ouvrages de
la Permel' (4)
Lor-squ 'Horace revint à Chailleuse dans l'espoir de revivre
la passion de ses années d'adolescence, il lui fallut toute la subtile
saçacf té des souvenirs pour arriver à reconnaître la Mariotte vieillie.
Elle avait alors quarante-quatre ans, mais était devenue très vieille dans
toute l'acception du mot, car les durs travaux de la campagne ne l'avaient
point ménagée. Ses cheveux étaient "grisonnants", son "cou ridé" ; en un mot,
(1) Les Forces Perdues, P.15
(2) Ibid, P. 25.
(3) Ibid, P. 34.
(4) Ibid, P. 14.
.. ·1

- 260 -
elle était "affreuse" avec de "grosses mains noires". (1)
Quant à la fermière,
bien qu'encore active comme au temps de sa jeunesse, elle avai t vieilli et
étai t totalement "désséchée" .(2)
Relativement aux moeurs paysannes, l'auteur fait état du manque
de pudeur des hommes et des femmes de Chailleuse. Ce caractère prédomine
surtout chez les adolescents en quête de découverte d'eux-mêmes et des
autres. Il expl i que ce phénomène par le manque d'instruction et l'absence
d'apprentissage de la morale qui "infligent vi te aux moeurs de la campagne
des allures .faciles et souvent provoquant es Il • (3)
A Chailleuse en eF.fet, le
manque d'infrastructures adéquates ct l'organisation du travail entraînent
une promiscuité né.faste quant au r-espect des moeurs. Le contact permanent <les
hommes et des femmes, la vie presque toujours en commun aiguise les instincts
grégaires des paysans qui les laissent librement se manifester. Les jours de
.fête représentent !es meilleurs moments de retrouvaille et de laisser-aller.
Pour fêter la "saint-Firmin" qu'ils appelaient "le jour d'Assemblée", les
paysans de Chailleuse ainsi que ceux des villages voisins se retrouvaient à
"Paper-çal Les"; C'est plus que jamais l'occasion de noyer leurs ennuis quotidiens
dans les disputes, dans les galanteries et les coquetteries, et dans l'alcool.
Le grand gars par exemple buvai t à lui seul "vingt pichés f.Siil de cidre sans
U
en être troublé (4)
Une salle d'auberge était pleine de "buveurs qui .fumaient,
parlaient, chantaient, se disputaient",(S)
Ils riaient à gorge déployée
lorsqu'une fille maladroite, tenant mal son cavalier, "manquai t de se laisser
choir et montrait ses mollets". (6)
Horace se sentit humilié de se voir dans ce "milieu grossier" où
l'on débattait des "intérêts inférieurs" qui lui étaient étrangers.
Cependant, comme pour remédier à tout cela, les paysans de Chail-
Leuse étaient .fidèles chaque dimanche à la messe qui se disait à la "bourgade
(1) Les Forces Perdues, P. 231.
(2) Ibid, P. 227.
(3) Ibid, 16.
(4) Ibid, P. 27.
(S) Ibid, P. 18.
(6) Ibid. P. 26.
.. ·1

- 261 -
voisine".
Le monde paysan des "Forces Perdues" est aussi caractérisé par ses
jaseries et ses commérages. Ainsi, si la mère d'Horace tient, surtout durant
ses séjours à Chailleuse, à garder à l'abri de tout soupçon sa réputation de
femme honnête, la raison en est que la crainte du qu'en-dira-t-on est très
développée dans le milieu paysan. Les paysans mêmes en sont conscients -
surtout les .femmes - et se soupçonnent en conséquence les uns les autres.
C'est .forte de cette expérience que la Mariotte demande au grand gars
d'activer sa demande en mariage: "- Dép!che-toi, mon grand gars, de lui
Là son P~ parler C.J car on cormnence à jaser sur nous dans le pays et
le dimanche, ça me .fait honte pour aller à l ' église~ (1).
t
L'auteur n'échappe pas par ailleurs au stéreotype du paysan solide.
Le grand gars était un "paysan vigoureux". On le surnommait ainsi à cause de
sa "taille et de sa .force peu. communes". Il "renversa sur le flanc" en le
saisissant par les cornes un j eunei taureau de quatre ans qui sortit inopiné-
ment de son étable.
Au bout du compte, la peinture des paysans de Chaillel1Se vaut par
sa valeur de témoignage à la fois sociologique, mais surtout psychologique.
L'aspect le plus remarquable qu'il convient de mettre en exergue est que les
paysans n'ont pas que des défauts ; ils ont aussi des qualités appréciables
qui compensent les dé.fauts évoqués plus haut. D'ailleurs, Du CAMP explique
les dé.fauts du monde paysan par les condi tionnenents sociologiques. C'est
le milieu. paysan lui~ême, avec ses contraintes et ses privations qui crée
et façonne l' individu. La campagne n'est pas en elle-même hostile et in-
vivable. La preuve, chaque année, à l'approche des vacances, Horace était
heureux, car il allait se rendre à nouveau à Chailleu.se. Lorsqu'il y était,
il vivait en pleine indépendance, en communion perpétuelle avec la nature
et en parfaite harmonie avec les paysans. Quand l'heure était venue de
IIQ
rejoindre Paris et le collège, Horacel'pouvai t retenir sa tristesse : "- Hélas
[;.J il .faut déj à partir !" (2)
(1) Les Forces Perdues, P. 31.
(2) Ibid, P. 36.
.. ·1

-
262 -
En définitive, plus que les autres romanciers, Ha::-:ime Du CAHP a
jeté sur les gens de la campagne un regard perspicace, ayant passé une
partie de son adolescence dans leur intimité. Bien que mettant 5. nu sans
fioriture leurs comportements "grossiers" et "grotesques" aux yeux des
citadins, bien que révélant leur cupidité et leur ruse, i l s'est toujours
montré compréhensif et amical envers eux. Il diffère de la plupart des
écrivains du XIXè siècle qui se sont intéressés à cette classe sociale.
D'abord, le grand BALZAC qui dresse majestueusement sa forte stature aux
carrefours du roman au siècle dernier se distingue surtout par son acrimonie
à l'égard de la paysannerie. L'allusion que nous avions faite au début de
cette analyse annonçait déjà le ton. En effet, dans son roman "Les Paysans",
BALZAC a décrit un type de campagnards n'ayant que des vices et des défauts
cupide, mesquin et cruel, matois et borné à la fois; il ne s'arrêtait même
pas au seuil du crime. Il était inférieur, ignorant et irreligi~{. La raison
profonde de cette hargne est que BALZAC pensait avoir flairé un certain
"danger paysan". Son intention était, nous semble-t-il, de prévenir le danger
de cette classe qui, libérée par la Révolution, arriverait sans doute à
supplanter la forte bourgeoisie. Le roman est donc plutôt de portée socio-
logique car il illustre un aspect de la lutte des classes en France au
XIxè siècle.
HUYSHA.NS a presque sensiblement les mêmes attitudes que BALZAC.
Comme chez ce dernier, les paysans de HUYSHA.NS n'ont que des défauts. Ils
sont roublards, instinctifs, ladres, antipathiques et antipatriotiques. A
l'aide de sa méthode naturaliste, il fait rejaillir sur la campagne les
défauts de ses habitants et détruit du même coup les lieux co~~s surannés
de la beauté de la terre et de la splendeur des récoltes, de la solitude
tutélaire et de la sérénité d~pêtre. La campagne est répugnante et hostile
les hommes qui y vivent sont frustes, grossiers, ignorants, analphabètes •••
HUYSMA.NS considère que les paysans ne sont pas à plaindre, car leur situation
est meilleure que celle d'autres classes sociales, notamment les ouvriers.
En fait, il a dressé un véritable réquisitoire contre ce monde qu'il ne com-
prenait certainement pas, parce qu'il le connaissait très peu.
Cependant, le monde paysan n'a pas été que l'objet (~e critiques
négatives. D'autres écrivains, comme :ra~(ime Du CAI'lP, avec leurs particularités
.. ·1

- 263 -
respectives bien 5Ür, ont cherdlé à comprendre ce monde sociologiquement
fermé et se sont montrés par conséquent plus sympathiques envers lui.
George SAND par exemple, qui a vécu au milieu des paysans et les
a connus dans leurs réalités intimes, s'est efforcée d' exal ter leurs vertus
qu'elle opposait à leur misère quotidienne. "La petite fadette", "La mare
au Diable", "François le Champi" présentent les paysans tels que l'écrivain
aurait voulu qu'ils fussent et non tels qu'ils étaient en réalité, l'auteur
s'étant un peu trop projetée sur son oeuvre.
L'attitude de HICHEIET se rapproche beaucoup plus de celle de Du
CAMP. En effet, il reconnaît les défauts des paysans qu'il justifie; mais
aussi n'omet pas de souligner leurs quali tés.
Enfin, l'un des témoignages les plus retentissants à ce sujet est
celui de HAUPASSANT qui avait passé son enfance dans l ' intimi té des paysans
et des pêcheurs. Il leur a consacré une foule de contes d'un réalisme absolu,
toujours compréhensifs et parfois même nostalgiques. Sans parti pris et dé-
fiant tous les stéréotypes surannés, il a décrit leurs défauts qui corroborent
ceux déjà mentionnés ainsi que leurs qualités qui ne sont pas des moindres.
Comme on le constate, Haxime Du CAHP n'était pas le seul à sympa-
thiser avec les paysans, il exposer leurs rudes condi tions de vie et de
travail. Il serait 51richissant de savoir si la présentation faite par l'auteur
-:3.es "Forces Perdues!' ne relève pas d'un cliché suranné. Du CAIT a-t-il vrai-
ment connu et compr i.s les paysans ? Fe sont-ils pas vus de l ' e::téri eur ? ••
Ce que nous pouvons affirmer avec certitude, c'est ~le les études socio-
logiques et êconorai qucs que nous avons consuâ té ëj coz-r-obor-ent en partie les
idées é:nises ci-dessus (dureté du travail, paupérisation presque chronique
de la classe agricole, contraintes de revenus ••• ) (1)
Ce qui est encore sDr,
(1) Nous avons consultés entre autres:
G. DUBY et A. \\[ALLON, Histoire de la France rurale, 4 tomes, Editions
du Seuil (édition de base).
il. Gt:RVAIS, C. SERVOLUr et J. H~IL, une France sans paysans, collection
société, Edition du Seuil, 1965.
2
Henri HGl-mp...:'\\.s, la fin des paysans, collection u , Armand Colin 197().
Cahiers Fr-ançai.s , n? 187, juil-sept. 1?78 : "le monde paysan".

-
264 -
c'est que Du CAlf? a effectivement eu des contacts saisonniers avec les
paysans de façon réguli ère jusqu'à l'âge de quinze ans. Au vu de ces con-
sidérations nous pouvons dire que la description de Du CAHP présente un
caractère réaliste. Encore une fois, nous répétons qu'il ne s'est pas parti-
Culièrement intéressé à cette entité sociologique comme BALZAC, HAUPASSAJI~,
HUYSMP.NS ou George SAl-ID ••• qui lui ont consacré plusieurs ouvrages. Néanmoins,
les allusions et les réflexions que nous avons mentionnées plus haut nous
intéresse à plus d'un titre dans le cadre de cette étude. En effet, la note
particulière et intéressante qui se dégage chez l' écri vain est qu'en prenant
la défense de ces hommes, il se situe dans la droite ligne de sa philosophie
générale de la vie. Rappelons qu'il est un "idéaliste humani taire mor-al.i sarrt"
qui a toujours prané la paix, la tolérance et la compréhension sociale. Aussi,
prendre la défense des "sans-voix", présenter et expliquer la vie paysanne
pouvai t engendrer une prise de conscience et faire disparattre des idées
reçues et des images d'épinaI relatives à cette classe.
Dans un poème intitulé : "les semailles", Du CAHP exal.t e le travail
et la vie champêtres, en comparant volontiers le laboureur au penseur, à
l'écrivain, au poète. En abordant le thème de l'écrivain, il se situe cette
fois bel et bien sur son propre terrain, car écrire fut la seule passion de
sa vie :
"Comme le laboureur jetant la graine au vent,
jetons notre pensée à travers tous les hommes
sans nous lasser jamais, 8 semeur que nous sommes
Nui t et jour, jeune ou vi eux, au ponant, au levant,
Partout, toujours, jetons la semence éternelle :
Dieu saura la conduire où l'on a besoin d'elle~ (1)
c - L'homme de lettres
Les "Souvenirs littéraires", les ouvrages de médi tation te1s que
"Les Propos du soir", les récits d'ordre documentaire ou historique, les
ré ci ts de voyarje de l laxi.me Du Cr'\\!;P••. regorgent de développements relatifs à
(1) Les Convictions, Les semailles, P. 1J.

- 265 -
l'homme de lettres et à son existence quotidienne par rapport à sa cité.
Cependant, notre préoccupation essentielle, dans le cadre de ce travail est
de mettre à jour les points de vue de l'écrivain par rapport à ce thème,
dans la mesure où l'oeuvre narrative et poétique le suggère et s'y prête.
Que pense l'auteur du "métier" d'écrivain, de l'homme de lettres en tant
qu'individu, en tant qu'être social? Telles sont des interrogations aux-
quelles nous tenterons d'apporter des réponses. La. substance des idées que
nous mettrons à'nu est contenue dans un' chapitre du "Livre Posthume" où
Jean-l1arc s'évertue à prodiguer des conseils à Probus son cadet à propos du
choix d'une carrière et dans la préface des "Chants l1odernes".
Dès le départ, Haxime Du CAl·fi' précise le sens qu'il donne au mot
écrivain pour éviter toute confusion sémantique. Pour lui, l'écrivain est
celui qui consacre toute sa vie à écrire des livres, qui s'obstine à créer
malgré les difficultés inhérentes à ce genre de vie et qui ne crée que ce
qu'il juge intelligible sans trop tenir compte des "Quand dira-t-on". Le
travail dans l'abnégation et dans l'obsession est le seul facteur qui compte,
le reste importe peu : "Lorsque je parle de l'écrivain, j'ai en vue surtout,
sinon exclusivement, celui qui fait des livres, qui connaît les labeurs de
longue hal eine et qui, voulant être bi en avec lui-même, di t ce qu' il pens e,
sans trop se soucier de ce que pensent les autres. Les satisfactions de son
esprits sont dans le travail plus que dans le bruit qui peut en résulter.
Celui-là, quelque soit son talelt, est le vrai littérateur
Il est possédé,
il sert sa passion!' (1)
Cette définition est la somme des réflexions d'une
vie, car elle est faite deux ans avant la mort de l'auteur; elle résume la
vie intellectuelle et sociale de l'homme de lettres tel qu'il le concevait.
Sur ce point précis, il avait d'ailleurs très peu changé car ces mêmes idées
apparaissaient déjà au chapitre VIII du "Livre Posthume" en 1852 c'est-à-
dire quarante ans avant, dans leur acuité.
Ayant terminé ses études, le jeune Probus est plein d'irrésolution
quant au choix d'une carrière. Il tendrait plut8t vers "les gloires litté-
raires" ; c'est alors que Jean-l'lare, expérimenté, déjà blasé par la vie, lui
ouvre les yeux sur la spécificité de l'écrivain et les exigences de son
(1) Propos du soir, P. 296.
/
.../

- 266 -
existence : "La mission de l ' écrivain est la plus difficile, la plus élevée,
la plus calomniée, la plus sainte qui soit sous les étoiles !" (1) p~ofesse­
t-il.
Les écrivains ainsi définis sont classés en deux catégories :
ceux pour qui la littérature est un moyen et ceux pour qui la littérature
est un but. Jean-Barc glorifie le second groupe qui ne demande aux lettres
que le droit de les aimer, de s'y abandonner exclusivement et de les cultiver
de son mieux. En revanche, ceux pour qui la littérature constitue un tremplin
sont traités "d'intrigants vulgaires" (2) qui ne voient dans les lettres
qu "'un marche-pied pour arriver à quelque place grasse et tranqui lle!' (3)
Le premier groupe est par ailleurs fiché sous la rubrique
"nul li té et
bien-être" qui relève de la vie presque folklorique de tous les jours tandis
que le deuxième sous le chapitre "intellignece et martyre" (4) qui est
l'apanage même de la noblesse et du sacré.
Partant de ces considérations, l'écrivain doit savoir orienter et
organiser sa vie littéraire pour que son génie soit épargné par les vissi-
ci tudes de l'existence.
Il ne doit pas s'occuper de poli tique, car celui que la nature
a doué de qualités exceptionnelles pour les lettres ne doit jamais descendre
dans le champ des ambitions où s'entrechoquent les esprits médiocres. En
qui ttant les hauteurs où son génie l'a placé, en se mêlant à la foule que
meuvent des intérêts vulgaires, il fait preuve de plus de vanité que d'or-
gueil, dédaigne sa mission et s'abaisse à des satisfactions éphémères.
S'adonner à la politique pour un écrivain, c'est préférer le fragile honneur
d'être le chef de quelques honmes à la gloire de dominer sur l ' humani té.
C'est pour cette raison que !1a:d.me Du CAJ1P prend à partie IAHARTINE et HUGO
dans la préface des "Chants Hodernes". L'âge n'a point modifié ses idées
sur ce point et i l réitère les mêmes observations dans ses "Souvenirs li tté-
r-ai.r-es"; IAJ:fARTINE était devenu "le grand maître du pouvoir" et Victor HUGO,
( 1) Le livre pas t hune , P.
214.
(2) Ibi:~~, P. 2:~2.
(3) Ibi,1.
(.i-) Ibid, P. 220.

- 267 -
"le grano pr~tre de la poésie, notre idole, celui dont nous ne parlions
qu'avec humilité, s'était fait nommer maire de son arrondissement et se
pré sen tat t aux élections législatives. Le temps a marché depuis cette
époque, et l'c~~érience ne m'a pas épargné ses enseignements j mais sur ce
point, elle a fortifié mon opinion. Les poètes se diminuent en touc~ant à
la politique" (1)
Le poète Ain-Saher de la nouvelle intitulée "Les trois
vieillards de Pierre" parle ce même langage en expliquant à l'aide d'une
image, les raisons du tarissement de son inspiration : "La poésie est semblable
à la source d'eau vive qu'on rencontre parmi les sables j quand le vent est
mauvais et que l'atmosphère est lourde, elle tarit et nul n'y peut plus
bo i r-el' (2)
La politique est incompatible avec là vie littéraire, néanmoins,
l'écrivain peut-il exercer un métier devant lui permettre de mener une
existence commode et épargnée de soucis matériels? Jean-l1arc répond à cette
question par la négative j c'est soit les lettres, soit le métier, car il
estime que la recherche du pain quotidien ne favorise pas l'épanouissement
de l'esprit et l'indépendance de la pensée. L'écrivain idéal serait alors
celui qui est indépendant de caractère, ayant échappé aux mauvais conseils
de la pauvreté et qui, en conséquence, ne dit que ce qu'il a envie de dire,
en tout temps et en tous lieux. Cet écrivain-là n'est ni soumi s aux hiérarchies
administratives, ni obligé de mentir à sa conscience en dissimulant sa pensée
derrière des subtilités diplomatiques ou administratives i il est son propre
maître car il est sin~ère sans craindre de voir sa sincérité blâmée par un
supérieur. Il jouit ainsi d'une liberté presque totale qui lui permet de
produire ses oeuvres en toute sérénité et en toute quiétude.
Jean-Harc reconnaît que cela relève presque de l'idéal - bien que
ce soi t l' ex-pression exacte de la vie littéraire de Hax'i.me Du CAHP - car
presque tous les écrivains sont obligés, pour vivre, d'exercer un emploi qui
donne à peine le pain et l'abri. Cette existence truffée d'embuches est une
torture pour celui qui la vi t; Le culte des lettres est donc celui auquel
on fai t beaucoup de sacrifice et où on endure le plus de souf'france.
(1) Souvenirs littéraires, P. 378.
(2) Les Trois vieillards de Pierre, P, 315.
. .·1

- 268 -
L'écrivain qui détient une fortune préalable n'est pour autant
pas épargné par cette existence de privation et d'abnégation. En général,
les premières années se vivent la plupart du temps assez aisément ; mais
dès lors qu'il s'est installé dans cette famille de gens dénnmis par
excellence, le patrimoine fond à peti t feu : ItDès que tu seras entré dans
cette lamentable famille des artistes et des poètes, tu ne t'appartiendras
plus en propre, tu seras à eux comme ils seront à toi, tu seras solidaire
de leurs tourments dont tu réclameras ta part, tu ouvriras devant eux ton
coeur et ta main, et tu détesteras ce monde injuste et méchant d'où tu
sors!' (1)
En définitive, le résultat est le même que dans le cas précédent
car il finit par sanbrer dans la misère, qu'on appelle autrement la bohème.
Cette bohème est très dangereuse et destructrice ; non seulement elle
use sès facultés intellectuelles, mais aussi elle le tue. Jean~'~c carac-
térise cet état critique de l'homme des lettres par les phrases suivantes:
"C.J subir les tiraillements, les humiliations, les déboires de la pauvreté
loger dans des mansardes glaciales en hiver et bI1llantes en été C.J
Chercher peut-être dans un accès de débauche des consolations qu'on ne trouve
pas ; sentir ses facultés baisser sous la pression permanente de la misère
et du désespoir; être réduit à un travail qui ne donne même pas à manger
être exploité par les uns, vendu par les autres, repoussé par tous}' (2)
Il est par ailleurs convaincu que l' assidui té au travail littéraire et même
la vente d'ouvrages ne sont pas à même de permettre à l'écrivain de postuler
un sort meilleur parce que"la littérature ne nourrit pas son homme" : "Tu
travailleras, tu écriras, tu vendras tes oeuvres ! a cher Lnnocerrt , on ne
gagne pas d'argent avec la littérature; tu connais la vieille chanson
"Pégasse est un cheval qui porte
"Les grands hommes à l' hôpi tal!' ( 3 )
Haxime Du CAI·IF ne reste pas muet en présence de cette situation
presque sans issue. Pour sauvegarder le \\'métier" d'écrivain et lui octroyer
sa vraie place dans la cité, il préconise la création d'une association qui
(1) Le Livre Posthume, P. 227.
(2 ) Ibid, P. 223.
(3 ) Ibid, P. 221.
/
..."

-
269 -
regrouperai t l'ensemble des écrivains car "La littérature a soutenu assez
de luttes, rendu assez de service, découvert assez de soleil pour mériter,
exiger et obtenir son droit de cité". (1)
Le mot d'ordre de cette association
serai t l'union et la fraternité de tous les militants qui oublieraient les
"vieilles dissidences", les "sots malentendus", les "puériles d'i ss ens i ons" af:
s'assembleraient sous le même drapeau dans ce double et magnifique but
~'agrandir l' esprit lnJmain et de combattre l'Erreur". (2) Ce regroupement
d'hommes de lettres est volontiers comparé à un corps d'armée victorieux où
on verrait: "en tête, le poète, celui que Dieu a baisé au front, l'élu!
puis vient l'infanterie des romanciers C.;; les historiens [;.;; Derrière,
en bel ordre, s'avance la grande cavalerie des dramaturges [;. J sur le
flanc, la cavalerie irrégulière des journalistes, des vaudevillistes C.;;
Puis, de-ci delà, les volontaires, les ~1fants perdus, comme vous, comme moi,
un peu indisciplinés peut-être, n~is aimant le drapeau jusqu'à mourir pour lui.
Lente~ent mais incessamment chemine le corps du génie, philosophes
et dialecticiens traînant dans de grands charriots les arguments qui font
la sape et les raisonnements qui ouvrent la tranchée': •• " (3)
Au cas olt l'association se heurterait à l'incompréhension et à
l'hostilité des pouvoirs publics, taxime Du QU1P envisage une grève générale
qui mobiliserait l'opinion publique, et qui attirerait l'attention de tous
sur les problèmes réels posés par les militants: "Figurez-vous ceci ce-
pendant
la littérature de France se déclarant en grève et restant dans le
silence
l'Europe épouvantée se tournerait de toutes parts pour chercher
la lumière et roulerait, pleine d'angoisses et de terreurs, à travers les
ténèbres sans fin~' ('1)
L'auteur des "Chants Iîoder-nes" a donc été l'un des précurseurs
des multiples associations d'hommes de lettres qui abondent en ce siècle
dans presque tous les pays. Bien que n'ayant pas encore pu résoudre l'ensemble
(1) Préface d es Chants lIodernes, P.
36.
(2) Ibid, P. 35.
(3) Ibid.
(.1-) I bi d . P. :3 G.

-
270 -
des problèmes relatifs aux militants, il n'en demeure pas moins qu'elles
leur permettent de mieux se connaître, d'échanger des idées et des e;:.:pé-
riences, de protéger et de défendre la profession.
Face à son environnement social, l ' écrivain doi t avoir un comporte-
ment digne qui reflète le caractère particulier du rôle qu'il a à jouer. En
effet, il doit toujours planer au-dessus de ses passions qui devraient
normalement "augmenter sa puissance au lieu de la délibiter~' (1)
Sa vie
doit être sobre et solitaire, car tout ce qui le détourne de sa vocation est
préjudiciable à son travail et peut, en certains cas, affaiblir son inspiration.
Son caractère originel fondamentalement "antisocial" et ses instincts "inten-
t i onnnel.Lement e::agérés" (2) font de lu:!. un être dont le fréquentation
n'engendre que douleurs et déceptions : "Tu deviendras un être contagieux,
tu répandras autour de tes tendresses les chagrins, les inquiétudes, les
angoisses qui vont se nourrir de toi, et rien qu'à t'aimer, une femme devi~~~r~
raalheureuse, car elle aura respiré sur tes lèvres l'énivrant parfum de ta
t r i s t ess el' (3;
Par ailleurs, il n'a ri~1 à gagner en prenant part aux distractions
du monde i ses relations hn~ines doivent être peu nombreuses, choisies aVec
soin et comporter le caractère de l'intimité parfaite qui jamais ne gêne la
liberté, car la solitude lui est indispensable. Il doit, par conséquent vivre
replié sur lui-même sans jamais parler du travail qui l'occupe. En
revanche,
il a un devoir envers le public qui apprécie son oeuvre, celui que Du CAHP
appelle ilLe public anonyme" c'est-à-dire "les amis inconnus avec lesquels
il est en communication par le livre imprimé", (4)
Ainsi, quoi qu'on dise,
tout écrivain est, par certains côtés, un homme public, puisqu'il livre une
portion de lui-même à discussion, c'est-à-dire aux éloges et aux blâmes des
tDlA.~
lecteurs. Il doit donc accepter philosophiquementvles caprices, car ceux dont
on choque les opinions - Dieu seul sait s'ils sont nombreux - ne le pardon-
nent guère et le manifestent instantanément. l-falgré cela, le public n'est en
(1) Les Forces Perdues, P. 220.
(2) Ibid, P. 221.
(3) Ibid.
(4) Propos du soir, P. 300.
. . ·1

- 271 ..
aucun cas responsable du déclin des lettres car, quelles que soient ses
exigences, il sait toujours approuver le "Beau" et l'''intéressant'' : ilLe
public n'est ni ingrat ni indifféren{. J I l veut qu'on ne lui rabache pas
toujours les mêmes sornettes aux oreilles, il veut qu'on lui dise des
chose~ nouvelles!' (1)
Incompris par les autorités politiques et a~~inistratives, in-
sociable, tiraillé par le public, etc, l'écrivain est au bout du compte un
martyre dans la vie, condamné à une existence douloureuse. Sa propre nature
et le statut social de sa fonction contribuent en grande partie à cette vie
presque ascétique
"Ton martyre sera de tous les jours, ta lutte de toutes
les heures, lutte terrible, lutte du plus faible contre le plus fort, lutte
de l'unité contre la pluralité, lutte contre l'envie, la calomnie, la colère,
la compassion, la méchanceté, l'hypocrisie, la sottise, le mensonge, l'in-
justice, la défiance, la vanité, l'indiscrétion, le mépris et la haine !" (2)
Halgré cette vie de sacrifice et d'abnégation, l'écrivain doi t absolument
préserver son indépendance qui consti tue la force primordiale de la création
"Verse en riant jusqu'à la dernière goutte de ton encre et au besoin de ton
sang; que tan sacrifice soit complet, absolu, radical! N'aliène jamais ton
indépendance, car sans indépendance il n 'y a plus ni force ni ver-tut' (3)
D'ailleurs, selon Jean-Harc, c'est cette souffrance qui engendre le chef-
d'oeuvre car "ils seraient moins grands s'ils n'étaient pas si misérables!' (·1)
Cependan t , malgré ces tortures, demeure immuabl e chez l' homme de lettre un
sentiment vivace de sa digni té et de sa fierté qui n'est autre que l'orgueil,
"cette vertu sublime qui est la conscience de sa propre force, comme la
vani té en est l'illusion". Par conséquent, en dépit des diffieul tés de tous
ordres, l ' écrivain ne doi t en aucun cas renoncer à aller à Il la conquête des
idées de lumière" car les gloires et "les apothéoses" ne sont la plupart du
temps atteintes qu'après la mort. Les conseils à Probus se terminent sur
cette grande idée chère ~ Jean~1arc qui consiste à prôner le désintérêt im-
médiat en matière de succès littéraire4 et l'espérance, même outre-tombe,
( 1) Les Chants lIodernes, P. 2.
(2)
Le l.i vre posthume, P. 220.
(3) Ibid, P. 227.
(4) Ibid, P. 220.

-
272 -
d'une justice de la postérité qui sait apprécier avec beaucoup de perspica-
ci té et de recul. "C.J Jette ta pensée par delà la mort et espère ! Tu
le sais, cher Probus, celui qui sème ne récolte pas toujours ; mais la
graine tombée en terre n'est jamais perdue. Qu'elle nourrisse l'homme ou
l'oiseau, qu'importe ! Dieu la fait germer là où elle est uti Le]' (1),
La conception de la vie de l'homme de lettres qui ressort de cette
analyse est sensiblement celle qui a présidé à la vie littéraire de Maxime
Du CAMP. Cette existence d'ascète, de noblesse et d'indépendance est
presqu'exactement celle vécue par l' écrivain, à la seule différence que ce
demi er a bénéficié dès l'âge de sa majori té d'une fortune de famille qui
lui a épargné les ennuis matériels. Tout ce qu'il a fait donc dans la vie,
même ce qui à première vue n'offre aucun rapport avec les lettres, n'a
été fait que pour elles ou du moins au profi t personnel du culte qu'il leur
a voué; ses multiples voyages à travers l'humanité, "La Revue de Paris",
sa participation à la campagne garibaldienne••• tout cela ne l'a intéressé
que pour le profit que la littérature pouvait en tirer ; et depuis son
adolescence où il a opté pour les lettres contre ses parents, jusqu'aux
derniers jours de sa vie, il n'a cessé d'adorer l'objet de sa passion et de
le servir avec dévouement, abnégation et honnêtété. L'ampleur de sa produc-
tion intellectuelle l'atteste et le témoigne. C'est donc avec beaucoup de
vérité qu'il a écrit dans la conclusion des "Souvenirs littéraires" : "Je
ne connais pas de fonction plus belle que celle de l'écrivain indépendant
et désintéressé:' (2). C'est pour cette raison qu'il espère redevenir esclave
soumis de la plwne dans son existence ecrtr-a-bumaâne
"Au moment où je serai appelé à reparaître parmi les hommes, si
le génie qui préside à la transmigration des âmes et à la renaissance des
créatures, dai~lait me dire : ch9isis la fonction de ta proc~4ine existence,
je lui répondrais :
Rend ez-encd ma mie, ô gai
Rcndez-moi ma mie !
(1) Le livre posthume, P. 227.
(2) Souvenirs l i t tèr-a'iz-es , T. 2, P. /~OO.

- 273 -
et permettez~oi d'être encore, d'être toujours ce que j'ai été, un passion-
né de la plume, lm a~orateur des lettres, un artisan assidu ~te son assi-
duité suffisait ~ satisfaire~ (1)
Les thènes que l'lOUS venons cl' analyser constituent la substance
profonde de l'oeuvre narrative et poétique de Haxi me Du CAjiP. Plus ou
moins obsédants, plus ou moins fugitifs, ils prouvent l'intérêt particulier
que l'auteur accorde à
ce qui l'entoure, à ce qui le concerne directement ~
à ce qu'il voit, au milieu dans lequel i l vit et aux milieux qui ne sont
pas les siens, mais auxquels il s'intéresse par curiosité intellectuelle ou
simplement par choix idéologique. L'académicien François COPPEE disait de
lui qu'il avait une telle personnalité qu'il arrivait presque toujours à
imposer ses points de vue, même aux Assemblées de l'Académie Française où
il se distinguait par "une opinion directe, personnelle", tout en faisant
"1 'homme soûl,", "La. vérité est une grande force affirme François COPPEE.
En définitive, c'était presque toujours à Du CAHP qu'on donnait raison ll• (2)
Si l'on considère cette révêlationde François COPPEE, il ne serait pas
inexact de dire que l'oeuvre de Du CANP reflète toute une position de
l'histoire. Aussi, l'intérêt profond de son étude du point de vue thématique
réside dans le fait que si elle dégage la philosophie de la vie de l'écrivain,
du même coup elle met à nu le visage de toute une génération née et morte
au XIXè siècle, et même de la société française tout entière avec sa fécondité
ima]inati ve, .~ u>n~n<e~ .ir e,.e,., c-""Ira.rJ.JWr\\d.
Cela dit, il conviel1.t d'aborder aans le chapitre suivant, les
problèmes posés par la narration des faits dans les ouvrages de Du CAMP.
(1) Propos du soir, P. 312.
(2) François COPPEE (académicien), Le journal, 10 février 1894 in Dossier
l'l.D.C. aux Archives de l'Académie française, suppLérnerrt de:Du CAHP
Haxime, dossier 1 G. 24.

- 274 -
CHAPITRE
V
Hl\\XIME DU CAHP ET lA NARRATION DES FAITS
CHOIX ESTHETIQUES.
Le XIX: è siècle français a été l'un des plus féconds surtout dans
le domaine littéraire. Plusieurs options littéraires se sont succédées,
cotoyées, voire même enchevêtrées sans pour autant se désagréger : le roman-
tisme, le parnasse, le réalisme, le naturalisme, le symbolisme ••• pour ne
ci ter que les plus influents. Haxime Du CAHP était trop indépendant d' espri t
et de tempérament pour "mi li ter" au sein de l'une d'elles et trôp sûr de s es
possibilités intellectuelles pour ne pas s'affirmer comme Victor HUGO, messie
de nouvelles idées. Deux phases analytique se distingueront dans ce chapitre
d'une part, nous exposerons Les principales théories littéraires émis es ou
épousées par l'auteur avec à l'appui leurs applications directes en guise
cl' exemple
dans l' oeuvre narrative et poétique ; de l'autre, nous évoquerons
des aspects de son art d'écrire.
AI IDEES THEORIQUES
a - Hission sociale et éducative de l'écrivain
Haxime Du CABl' a défendu durant toute sa vie la thèse selon laquelle
l'art devrait se mettre au service d'une cause humaine. Cette thèse jadis
prêchée par Victor HUGO, mais aussi dont les saint-simoniens ont été les
interprètes s'oppose, dans son essence même, à la théorie de l'Art pour l'Art.
Pourtant, cette esthétique dont GAUTIER et FlAUBERT avaient été les illustres
arti sans, du fai t de son non-engagement aurai t dû séduire Du CAHP l' apol i ti que
invétéré. En effet, l'Art pour l'Art accorde, dan!: l'eÀ~cution de l'oeuvre
d'art, toute l'importance 0. la forme c'est-:'i-dire au s tyl,c, D'apr~s ses actcp t cs ,
c'est la forme qui crée l'idée ou qui la conditiow1e. En d'autres termes,

-
275 -
l'id~e est subordonnée à la forme, car sa valeur et sa qualité tiennent
d'elle. C'est donc la pureté de la forme qui fait la puret~ et la réson-
nance de la pensée. L'artiste trouve ainsi dans son art sa raison d'être,
d'autant plus qu'il le cultive avec foi et désintéressement. Il se retranche
derrière son art, en dressant une barrière entre le monde extérieur et lui.
Son oeuvre, aristocratique, ne s'adresse qu'aux cercles ~troits des initiés,
lettrés et artistes comme lui. Il ne demande à son art ni la gloire, ni
une amélioration de sa condition de vie. Partant de ces principes, il vit
dé l i.bér-émen t en marge de la société et ne s'occupe que de son art, de peur
de faillir à sa sainte mission ou d'abdiquer toute aristocratie de pensée
et de sentiment. Le rôle du poète est alors d'être un contemplateur du
"Beau", car prêcher est interdit lorsqu'on s'occupe de l'art noble. L'homme
de lettres n'a donc pas à vouloir moraliser les hommes car toute morale
relève d'une idéologie et n'a en conséquence rien de sacré ni d'éternel. Lors-
que l'art devient démonstratif comme la morale, il illustre une thèse et perd
de sa qualité. L'écrivain ne doit s'attacher qu'au culte de la forme, fonda-
mentalement objectif et artistique, la moralité devant se dégager d'elle-
même; i l revient au lecteur de se faire une opinion qui dépendra certaine-
ment de sa propre lnoralité. Ce principe qui situe la théorie par rapport à
la morale, stipule que la quête du "Beau" constitue le but en soi de l'art
. .
\\'
l 'amour du "Beaull se double de l'amour du ''Vra~1I qu~ s'oppose à l'utile"
qui est l'apanage de l'efficacité.
L'art ainsi conçu se situe nettement à l'OPposé de la conception
de Maxime Du CAMP qui rejette cette théorie. Dans son oeuvre narrative et
poétique, il s'en est pris avec virulence, dans l'essentiel, à deux des
principes fondamentaux de la théorie de l'Art pour l'Art: Le culte formel
et le but assigné à la littérature.
Concernant le premier point, l'écrivain ironise volontiers, dans
"Aux poètes" sur l'obsession de la forme chez les adeptes de l'Art pour l'Art
IIQuelques uns vous ont dit: la forme seule est belle
En vous parlant ainsi, c'est un non S~1S qu'ils font
La Forme est belle, soit! quand l'idée est au fond!
Qu'est-ce donc qU'ill1 beau front qui n'a pas de cervelle ?" (11
(1) Les Chants Bodernes, i;U·r . ' "('t,.,r-
Tl
)c-s •
• ~.
~
' - - - " ,
l .

-
276 -
La même idée est reprise dans la préface des "Chants Hodernes". t.
où l'auteur accuse la littérature de s'~tre dérobée de ses responsabilités
en pensant se rajeunir par la forme, cette forme qui, sans le fond, n'est
qu'amalgame de mots : "Alors, la forme es t devenue tout pour elle,
son premier et son dernier mot ; son alpha et son oméga. Cette
forme, il a fallu la changer, la varier, la modifier à l'infini; il a fallu
la rendre plus feuillue, bien plantureuse, bien luxuriante, afin qu'elle
pût cacher le vide sans fond qu'elle recouvrait. Abordez-la hardiment cette
forme, déroulez ses volutes, regarder derrière ses images, et vous ne
trouverez rien, rien ; et si comme polonius je vous demande : Que lisez-vous
là Monseigneur 7 Vous serez en droit de me répondre comme Hamlet : Des mots!
des mots ! des mots ! Il (1 )
A la phase exécutoire de l'oeuvre d'art, l'organisation matérielle,
superficielle du texte importe aux écrivains beaucoup plus que la formulation
d'une pensée. Selon Du CiU1P, ces écrivains "parlent pour ne rien d i r-e" car
lion accumule images sur images, hyperboles sur hyperboles, périphrases sur
périphrases ; on jongle avec les mots, on saute à travers des siècles de
période, on danse sur la corde raide des alexandrins, on porte à bras tendus
cent kilos d'épithète, et l'on fait le saut périlleux par dessus le dén~~ent.
De but, il n'yen a pas. Le plus fort est celui qui a le plus de mots à son
service, on polit des phrases, on fait battre des antithèses, an surveille
les enjambements, on alimente le jeu croisé des rimes ; on parle pour ne
rien dire. OCt sont donc les écrivains? Je ne vois que des virtuoses". (2 ~
Le littérateur qui croit avoir accompli sa mission lorsqu'il a
"savammen t agc.ncé:1.es mot s , ac;sC::1blé de rayonnantes images et co'l.or-ô son
style de toutes les nuancee rle l' ar-c--en-eci el " est à un véri table é cr i va.i n ce
qu"lun maître r1'cscr~_!"11~ est '\\ 'LU1 vaillant capitaincll . (3:
!'1axime Du CAlfP désavoue donc les inconditionnels du cul te de la
(1) Les Chan t s ~;O'_Cl')"CS, Préface, P. 18.
(2) Ibid,
P. 4.
(J) Ibid, P. 38.
. . 1
"
/

- 277 -
forme qui à force de se préoccuper d'elle, à force de soigner le style,
négligent et finissent par oublier l'âme.(1)
Il mil ite plutôt en faveur d'une pensée fortement conçue, et
exprimée à travers W1 style riche. Il convient, à cet égard, d'accorder
une importance certaine aux deux aspects, car la valeur d'une oeuvre
littéraire accomplie se distingue par une expression forte au service
d'une idée forte:
"Elles sont toutes deux comme des soeurs jumelles
Qui ne doivent marcher que les bras enlacés
Les jours de 1 "'Art pour l'Art" me semblent bien passés
Ensemble seulement elles sont immortelles
Cherchez-la, cette forme, et par tous les moyens
Choisissez la plus pure et la plus condensée,
Mais dans ses bras charmants mettez une pensée,
Où vos vers ne seront que des diseurs de rien~l;. (2)
Haxime Du C.t\\.HP aborde la même question dans ses "Propos du soir"
où i l soutient que lorsque la pensée fait défaut à une oeuvre, ce qui
reste ne mérite guère que l'on s'y arrête, car "Tout peut se résumer dans
l'expression sincère d'une pensée fortement conçue et bien distribuée en
ses parties:' (3)
C'est pour cette r-ai son que dans toute oeuvre li tté-
raire le choix du sujet a une importance capitale; en effet, c'est lui
qui entraîne la solidité de l'exécution ou en fait excuser la faiblesse.
Bien des livres, dont la forme était au moins défectueuse, ont da. leur
succès au sujet adopté par l'auteur. Ainsi, si la forme est forte comme
le sujet traité, le chef-d'oeuvre est inévitable. Du CAMP croit par
ailleurs qu'e1 littérature comme en toute chose, il est bon de se pénétrer
d'une vérité émise par Ernest RENAN: "Tout ce qui ne contribue pas au
(1) Les Forces Perdues, P. 88.
(2) Les Chants llodernes, P. 55.
(3) Propos du soir, P. 306.

- 278 -
progrès du bien et du vrai n'est que bulle de savon et bois pourri!' (1)
Or, le bien et le vrai n'ont point de domaine exclusif, parce que l'univer-
salité leur appartient: leur action est permanente, tandis que celle de
la forme est éphémère parce qu'elle subit les fantaisies de la mode, qui
semble se plaire à dénigrer ce qu'elle a exalté. Ainsi, pour l'auteur du
"Livre Posthume", l'oeuvre littéraire n'a pas seulement pour devoir de
créer le BEAU et le VRAI, mais aussi l'UTILE. Elle doit donc déterminer
-
-
non seulement la "beauté physique", mais aussi et surtout "la beauté
morale- en fixant pour toujours les grandes idées et les grands actes de
l' humani té. Prétendre par conséquent que la l i ttérature n'a dt autre but
que de reproduire le réel, la nature, le beau formel et figé, c'est faire
preuve d'impuissance et d'irresponsabilité. Sur ce point précis, Maxime Du
CAHP partage entièrement ce que PLINE disait de l'oeuvre de TIHANTHE : "Dans
tous les ouvrages de ce peintre, il y a quelque chose de sous-entendu, et
quelque loin qu'il ait poussé l'art, son esprit va encore au delà." (2)
A travers ces dernières phrases, on entrevoi t la mission que Du
CAMP assigne à l'écrivain et à la littérature. Pour lui, le monde est
tell~ent imparfait que la littérature se doit de se mettre à son service.
Sa mission et sa raison d'être sont de travailler sans relâche à l'agrandis-
sement de l ' espri t humain. Son but et son devoir sont de chercher la véri té
en tous lieux et par tous les moyens en son pouvoir. Dans la préface des
"Chants l'lodernes", i l rappelle la célèbre formule de Victor HUGO avant de
développer les fondements de sa doctrine : "Le poète a charge d'a'les!";
C'est M. Victor HUGO qui l'a dit. N'oublions pas cette sainte vérité: Le
fardeau est trop glorieux pour que nous le rejetions, dût-d L nous écraser l " (3)
A l'image de la vie elle-même, la vie littéraire est un véritable
combat ; tout écrivain qui se désolidarise de ce principe sacré, qui ne
se sent pas "à la fois apôtre et soldat fera bien de se taire"/ (4)
car il
(1) Propos du soir, P. 307. cité par Du CAMP.
(2) Les beaux arts Q l'expo. univers. de 1855. Lib. Nouv, Paris, cité par H.D.C.
(3) Les Chants Hoderncs, P. 38.
(4) Ibid.
.. ·1

- 279 -
est inutile. Il est détenteur d'une vérité, de la connaissance qu'il doit
divulguer afin de la mettre au service de 1 'hurnani té toute entière:
"Non ! malgré les douleur.!!!, il ne faut pas nous taire,
rI ne faut pas faiblir en ces jours douloureux
Il faut parler encore et, d'une voix austère,
répéter sans repos nos hymnes valeureux !" (1)
Dans les heures de trouble où le monde vacille, le soldat, c'est-
à-dire l'écrivain doit marcher hardiment sans fléchir sous le poids car
son droit et son devoir sont de prendre "le grain de vie" et de le semer
en tous lieux pour une naissance nouvelle.
Ap8tre de son état, il doit s'ériger non seulement en médecin
de l'âme et de la conscience humaines pour réconforter les désespérés,
"Va chercher l'espérance et la foi qui console,
Va secourir celui que l'infortune isole,
Va chercher les souffrants, les faibles, les maudits,
Va leur porter la joie et la bonne parole~ (2)
mais aussi en médecin du corps physique souffrant
"E;d1orte ce qui meurt , relève ce qui tombe
Ramène les douleurs et les désespérés
Tend un bras toujov~s fort à celui qui succombe,
Et gnir1_e les vaillants ~ nos combats sacr-és !" (3)
La littérature a par aillet~s tm r8le didactique non moins
négligeable. Les éerivains, du haut r1e leur piédestal, dotés de cette force
(1) Les Convictions, Devoir, P. 211.
(2) Ibid, Debout, P. 235.
(3) Jbi0.
... /,

-
280 -
qui les différencie des autres humains, doivent prêcher la bonne nouvelle
de la perfection et de la régénérescence :
"Si vous ne devenez d'ardents éducateurs,
Si vous ne prêchez rien du haut de vos poèmes,
Si vous ne dites pas les paroles suprêmes,
Qui seules font de vous des régénérateurs
(1)
l "
Le vrai écrivain est donc un enseignant
"Si vous n'enseignez rien, - vous êtes inutile III (2)
Pour prodiguer un enseignement à la société, guérir les hommes,
les éduquer, en un mot, pour être utile à l'humanité, l'écrivain doit être
de son temps; il doit témoigner sur son temps et sur le comportement social
de l'homme contemporain. Tout écrivain qui, porteur d'idées fécondes et de
nobles ambitions, s'engage résolument dans cette voie, se rend plus utile,
car il met sa science au service de l' humani té vi vante. La littérature étant
un apostolat, elle sera d'autant plus efficace qu'elle s'exercera directement
sur les moeurs, les esprits et les consciences des contemporains dans la
mesure où chaque époque a ses caractères propres.
IILes efforts de nos jours doivent vous importer.
Nous avons nos ardeurs, nos désirs, nos colères,
Nos haines, nos pardons, nos pleurs et nos mystères!' (3)
L'oeuvre de l'auteur s'est entièrement mise au service de cette
théorie. En effet, il s'est érigé en vrai moralisateur et éducateur dans son
oeuvre narrative et poétique pour illustrer cette idée. Les plaies de la
(1) Les Chants Hodernes, Aux Poètes, P. 56.
(2) Ibid.
(3) Ibid, P. 49.

-281 -
société contemporaine Y sont étaléeg sans aucune complaisance pour que les
générations futures ne retombent pas dans les mêmes er-r-emen t s qui conduisent
inévi tablement il la déchéance morale et physique. Jean-!>farc, Horace DARGlAI L,
George D'ALFARG~, Richard PIEDNOEL ••• sont morts très jeunes pour n'avoir
pas su comment vivre. Au moment même où ils se rendaient compte de la
mauvaise orientation de leurs vies respectives, il était trop tard. Cela
n'aurait-il pas pu être évité s'ils avaient été prévenus à temps? Si un
directeur de conscience avait attiré leur attention sur les dangers qui les
guettaient? Du CAHP est absolument convaincu que si quelque chose avait
été tenté au moment opportun pour orienter et conseiller ces jeunes désoeuvrés,
le pire ne se serait pas produit. C'est pourquoi, fort de son e~~érience
personnelle, il s'est assigné ce rôle non moins délicat. Son oeuvre litté-
raire est donc de portée essentiellement utilitaire; c'est en fait une
contribution à l'éducation d'une génération. Cette idée était tellement e~crée
en lui que lorsqu'il a abandonné l'oeuvre narrative et poétique, c'est aux
mécanismes du fonctionnement de Paris qu'il s'est intéressé pour les mettre
au service des habitants de la grande ville afin de leur faciE ter la vie.
Cette littérature sociale, didactique, humanitaire et utilitaire,
qui doit s'impré01er dcs réalités de son temps ne peut pas s'empêcher oe
prendre en considération l'avèn~nent des découvertes nouvelles qui assaill~1t
l'hurnanité. La science et l'industrie, phénomènes nouveaux mais en plein
essor en ce Xr:-:è siècle se doivent de se laisser guider par le génie des
lettres. Voi Là ainsi formulée la .-leuxième théorie.
b - La littérature aU service du progrès, de la science et de
l'inrlustrie.
Dans sa réaction contre l'Art pour l'Art, ?;axime Du CA:;P prêche
une inspiration militante, en accore: avec les perspectives nouvelles. L' exa I>-
tation du progrès humai n et des idées no.ler-n i s t es constitue le jalon princi-
flal de cette t hé or-Le, Il convient de souligner aussi avec justice que cette
idée n'est rrul.Lemcn t une trouvaille :-l.e l'auteur ries "six aventures" et
qu'elle existe :'.ans la conscience intellectuelle et collective depuis bi en
des dé cenni es , Il ne serait d'ailleurs pas superflu ct' esquisser un bref
rappel historique pour si tuer les ::,osi t i ons exactes de Du CAln~ afin cl' actua-
.../

-
282 -
liser le débat. Pour ce Îaire, nous saisirons les grands traits qui marquent
l'évolution et la permanence de cette idée de progrès.
Roger BACON était un esprit essentiellement novateur. Il était
particulièrement mécontent de son siècle et se plaignait surtout de l'auto-
rité exclusive qu'on accordait à ARISTOTE. Il regrette que ses contemporains
perdent vingt ans à lire les raisonnements d'un ancien j au lieu d'étudier
la nature ou les choses nouvelles: "Pour moi, dit-il, s'il m'était donné
de disposer des livres d'Aristote, je les Îerais tous brüler, car cette
étude ne peut que Îaire perdre le temps, engendrer l'erreur et propager
l'ignorance au delà de tout ce qu'on peut imaginer~' (1)
Dans la première moitié du XVIIè siècle, quelques hommes de
lettres logés en diÎÎérents endroits de Paris, ne trouvant rien de plus in-
commode dans une aussi grande ville, que de se chercher souvent les uns les
autres sans pouvoir. se rencontrer, Îixèrent un jour de la semaine pour se
réunir sous une autorité publique j ainsi nacquit l'Académie Française en
janvier 1635 j chacun des illustres membres devait prononcer un discours
pour le baptème. BOrS-ROBERT, le quarantième et protégé du Cardinal de
RICHELIEU choisit pour sujet la déÎense du théâtre moderne, comparé à celui
des anciens. Hüt-'lERB eut le plus à souÎÎrir de la harangue, car il fut
assimilé par BOIS- ROBERT aux "chanteurs de car-r-efour-s dont les vers
r~jouissent la canaille". (2)
Charles PERRAULT publie quant à lui, de 1688 à 1697 "Les parallèles
de Anciens et des Hodernes". 1'auteur reprend dans son étude l'inépuisable
"palabre des Anciens et des Modernes", laissant poindre d'une part l'idée
du "progrès à l'inÎini", de l'autre, celle de la Îixité des lois de la
naturell , (3)
Au XVrnè siècle, l'idée jadis embryonnaire connaît un développe-
ment spectaculaire. Déjà, on entrevoit la cohabitation de la science et de la
(1) R. BACON, Compendi~~ Théologive, Pars l, Cap 2.
(2) PELISSON, histoire de l'Acad. Fr-anc, ci té par A. HICHIELS, Hi s t , des idées
litté. en France au XIXè s. et leurs origines dans les siècles antérieurs,
4è Edit., Paris,E DENTU, Editeurs, 1863.
(3) Fe BRUlŒTIER.::, Btudes sur le :~IIIè s , , la formation de l'i r1ée, ;{evue
des Deux EonG.es, T.5, 15 octobre, PP.
886 à 887.
/
..-;

-
283 -
l i ttérature. Ferdinand BRUNETIERE expose à ce suj e t dans "La Revue des Deux
Mondes", le rôle capital joué par FONTENELLE. Avant donc VOLTAIRE et
BUFFON, le mérite et l'honneur reviennent à FONTENELLE d'avoir annexé à
la littérature le domaine de la science.
L'idée du positivisme modenliste séduit aussi l'Allemand GEOTHE
qui Y voit l'un des .fondements de sa pensée nouvelle. Dans son "Wilhem
Meister", il ne néglige rien de ce qui intéresse à son sens le temps présent.
Le mouvement scienti.fique, l'explication plus profonde des mystères de la
nature, le désir d'un idéal nouveau, la puissance croissante de l'industrie,
lui apparaissent comme les éléments premiers d'une vie nouvelle, comme la
couche première sur laquelle le temps et les passions humaines, la force
même des choses et la volonté de caractère, en se combinant et en s'a'1'lalga-
mant, fonderont peu à peu une autre civilisation, toute brillante de nuances
inconnues. C'est l'industrie ~li tient la première place dW1~ toutes les
rêveries sociales et dans toutes les spéculations philo~ophi~les ~u grand
poète. GEOTHS était absoLumerrt convaincu que l'industrie serait le nouveau
principe qui communiquerait aux arts une vie nouvelle; qu'elle établirait
~1tre les hommes èe nouvelles relations, que l'obéissance et le respect, le
devoir et la vertu trouveraient 61core à s'exercer avec elle, ct que la
beauté et la poésie jailliraient de ses profondeurs.
Evidenme...'1t, le XIXè siècle ne fut pas épargné par cette .i dé e
révolutionnaire. Un courant de pensée non moins important se forma, mais en
vain, car l 'horme ne r-enonce pas facilement à ses croyances, fussent-elles
ressassées. Laurent PICHAT, les GONCOURT, Théophile GAUTIER, AI.fred MICHIELS
entre autres, pour ne citer que les littéraires, demandèrent à l'artiste de
faire porter par son oeuvre le cachet de son époque. Le célèbre Sully
PRU'HOlIHE, parnass i en quant aux moyens d'expression, cesse de l'être par son
inquiétude fondamentale et surtout par sa volonté de mettre son art au
service d'une cause humaine. Quel dommage que l'oeuvre entreprise dans ce
sens soit restée inachevée.
Certes, l'esprit qui anime ces écrivains et le but qU'ils se
proposent ne sont pas identiques, mais il n'empêche que l'intention étant
la même, leurs vues soient concordantes.
J
00 0/

-
284 -
Pourtant, malgré quelques velléités, l'idée de progrès était
plutôt entrevue par les uns, ébauchée par les autres que réellement conçue.
Elle flottait donc dans l'air sans que quelqu ''lm eO.t essayé de se l' appro-
prier. Haxirne Du Cl\\HP a tenté l'expérience en en faisant l'un des principaux
fondements de sa conception littéraire. En effet, soutenu par une ferveur
générale, il ouvrit sa voile au vent nouveau qui soufflait. Avant de récuser
les idées modernistes émises dans la préface des "Chants Modernes", l'auteur
de l'article intitulé : "La littérature nouvelle" reconnaît l ' espri t
collectif dont elles relèvent: "C'est à Maxime Du CAl1P qu'appartient le
rôle de Pierre l'hermite, et j'ai lieu de penser que ce rôle lui a été
dévolu par voie d'élection, car il y a dans son accent quelque chose
qui indique une force collective. On sent qu'il ne parle pas en son nom ~
seulement, mais au nom d'une armée frémissante qui n'a pas encore tiré
l'épée, et qui demande à grands cris le combat!' (1)
La préface des "Chants
Modernes" et 'lm certain nombre de poèmes définissent expli ci tement la
théorie et ses applications littéraires.
Du CAUP prit pour devise le mot de MOLIERE qu'il brandit en
exemple pour notifier ses affirmations : "Les anciens sont les anciens, et
nous sommes les gens de maintenant!' (2)
Dans ses propos, il s '~fforça de
montrer que le temps était venu d'élargir ou de changer le système entier
de l'éducation littéraire; qu'après tout, le meilleur moyen, le plus sOr
du reste de rivaliser avec les anciens, de les surpasser, était de s'ins-
pirer de ses propres moeurs, de ses usages, de ses croyances comme ils
avaient eux-mêmes fait des leurs; et qu'au lieu de vivre dans l'éternelle
contemplation des modèles antiques, il convenait de les connaître, mais de
les ignorer afin de profiter de tout ce que la science, la connaissance de
l'homme et les moyens de l'art avaient réalisé depuis eux d'acquisitions ou
de progrès durables: "Aimons, travaillons, fécondons l'imprescriptible
progrès, et laissons les invalides de la pensée s'immobiliser dans des
regrets inutiles et chercher naïvement derrière eux un paradis qui est là-
bas, devant nous, au bout de notre route si nous savons la frayer
courag~usement~ (3)
(1) La Revue des Deux Jtondes , La littérature nouvelle, 1862, T. 4.
(2) Les Chants l-lodernes, PréFace, cité par H.D.C.
(3) Ibid, P. 25.
.../

-
285 -
Ce réquisitoire n'épargne aucune idée "vermoulue", aucune insti-
tution jugée par lui caduque. Hê'1le la célèbre Académie Française fut
classée dans le rang des obstacles à l'évolution car l"'âge d'or est
devant et non derrière" :
"Ne revenez jamais sur les choses éteintes,
Laissez le passé mort au fond des tombes saintes,
Vers l'avenir levez le front!" (1)
Le théoricien ne défend pas l'étude du passé; il estime qu'il
est utile et même indispensable de voir, de savoir et d'apprendre in-
cesaanmerrt i mais entre l'étude et le cul te, il existe un abîme difficile-
ment contr8lable : "Sachons l'histoire du siècle de Périclès et du siècle
d'Auguste, fort bien, mais vivons et pensons dans le XIXè siècle C.:7
Tout cela est fâné, usé, rapetassé i il faut le savoir, mais ne plus le
raconter!' (2)
Les structures qui rappellent le passé ou qui sont destinées à le
préserver sont des forces rétrogrades, donc nuisibles à l'épanouissement
de l'homme; même les vieillards ne sont pas épargnés
"Laissez les jeunes gens tout bouillonnants de sève,
Regarder ardemment les choses à venir i
Comme vous autrefois, ils ont aussi leur rêve
Vous êtes le passé, vivez de souvenirs,
Hais laissez-les au moins se nourrir d'espérance '" (3)
L'Amérique industrialisante séduit Maxime Du CAHP qui regrette
l'esprit non évolutionniste de la France, malgré les prouesses du siècle
qui a eu le bonheur de connaître la découverte des planètes et des mondes
(1) Les Chants Hoder-nes , P. 30.
(2) Ibid, PP. 30-32.
(3) Les C., Puero Reverentia, PP. 78-79.
.../

- 286 -
nouveaux, les applications de la vapeur, l'électricité, le gaz, le chloro-
forme, l'hélice, la photographie, la galvanoplastie ••• mais aussi des
hommes célèbres comme SAINT-SIMON, FOURIER, ŒYEN••• "Nous voyons la jeune
Amérique qui fait la part belle à la civilisation prochaine; nous voyons
l'Australie qui se prépare à recevoir l'héritage de l'Amérique; et nous
ç~mmentons de mauvaises traductions de PLATON, et nous faisons des tragédies
sur ULYSSE, et nous rimaillons des épî tr-es à Clio, et nous évoquons dans
nos vers tous les Dieux morts des olympes détruits ; cela est insensé!
cela est fou! cela est impie !" (1)
Cette croisade organisée contre les "gérontes littéraires" par
la "jeune phalange" préconise par ailleurs l'utilisation d'une langue con-
temporaine au risque de demeurer incompris : "Ils ont inventé de véri tables
logogriphes pour dires les choses les plus ordinaires ~.~ On croirait
entendre parler des ombres, cela s'appelle conserver la tradition~' (2)
Ainsi, au lieu de ternir son langage et son style avec "des chimères
éteintes", le poète doit utiliser un vocabulaire et un style en conformité
avec les exigences de son époque :
"Poè tes , croyez-moi ! ne di tes plus : "Ha lyre!"
He di tes plus : "0 Huse !" OUbliez ces vieux mots
Imitez Rabelais quand il disait: les pots!
Au lieu "du Dieu Bacchus et de son Saint délire !"
Laissez tous les Dieux morts dans leurs cieux oubliés
Déli vrez-nous de la mythologie ;
Laissez le vieux Silène et sa panse élargie,
Et ses grands boucs lascifs de guirlandes liés
~.~
Le mot soleil est tout aussi beau que Phoebus
Pourquoi dire: Phoebé, lorsque l'on dit: la lune
Le langage français n'a rien qui m'importune;
Pourquoi donc, aujourd'hui, nous parler en rébus 7" (3)
(1) Les Chants Hoclernes, Préface.
(2) l bi cl, P. 9.
(3) Ibid, Aux Poètes, PP. 43-46.
1
.../

-
287 -
L'homme n'est pas immuable; il se modifie au fil des années
ainsi que ses idées. En conséquence, l'expression ne peut rester ~tation­
naire
la modification des unes entraîne fatalement la modification de
l'autre; c'est pourquoi l'homme du XIXè siècle ne peut parler le langage
du XVIIè siècle. Il faut qu'il en soi t ainsi, affirme Du CA.;œ, car on ne
peut traduire les idées de son époque que 0ans le langage de son époque.
Ainsi,~ chaque idée nouvelle, i~ toute V~couvcrte, la langue se mod'i Ei e ,
~'actualise afin d'être toujours le support approprié du fait à mettre c~
lumière ou ,le la pensée ,'1 énoncer. Une langue qui se refuserai t
tout
à
changement, à toute actualisation serait bientôt aussi inutile qu'une
"langue morte".
En conséquence, le XI:~è siècle étant marqué par le développement
de la science et de l'industrie et les bouleversements causés par elles
dans tous les domaines de la vie, !la;:ime Du CAEP assigne à l 'écrivain un
nouveau rôle : celui d' expf i quer ces phénomènes afin de les mettre .3. la
portée du public. Dans l'avenir ainsi conçu, le rôle de la littérature sera
de formuler définitivement le dogme nouveau, de dépouiller la science des
nuages obscurs où elle se complaît et de diriger l'industrie. Apôtre et
garante de l'avenir, la littérature ferait mieux de marcher résolument dans
ces deux voies ouvertes devant elle si elle ne veut pas être toujours dé-
daignée et laissée en arrière.
L'auteur "des chants modernes ll pense aussi que bien des choses
ont concouru à enfermer la science dans Wle impénétrable citadelle, car il
fallai t avoir un "mot de passe" pour arriver jusqu'à elle. La littérature
nouvelle se doit de démythifier la science afin de la rendre accessible à
tous. Le but souhaité est en fait la communion entre la littérature et la
science pour que cette dernière soit plus utile à l'homme, en étant vul-
*
*
garisée
IlElle
doit la
prendre corps à corps, lui arracher un à un les
vêtements de convention dont on l'entoure malgré elle, et la montrer aux
hommes étonnés telle qu'elle est, jeune, charmante, souriante, indulgente
et radieuse. Elle parle encore une langue hérissée de termes singuliers
* La littérature
*
La science.
...,

-
288 -
comme une forteresse est hérissée de canon : il faut, en un mot, que
chacun pui s se l'approcher, la toucher, la comprendre et lui donner- le
baiser de la communi on" (1)
Comme la ~cience, l'industrie a elle aussi des splendeur~ qui
méritent d'être racontées. Ses efforts inlassables, ses inventions in-
cessamment fécondes, ses tâtonnements, ses longues méditations, ses
rivalités, ses chutes sont dignes d'avoir leur histoire.
L'auteur soutient les démonstrations de sa nouvelle doctrine
par des exemples. Nous résumerons l'un d'eux qui constitue l'application
pratique de la théorie développée. Du CAHP a choisi le livre d'Aley..andre
HUMBOIDT intitulé : "Le Cosmos". L'auteur, selon lui, a cherché sinon
trouvé une voie nouvelle pour la science. Il a eu le mérite d'avoir fait
un livre à la fois littéraire et scientifique, bien qu'il n'ait pas atteint
le succès escompté. En effet, il a surtout cherché à intéresser, en oubliant
d'une part de parler un langage accessible, de l'autre en sortant volontiers
du tabernacle où seut.s les élus peuvent pénétrer. Ainsi, les purs savants
regardent le cosmos comme une oeuvre un peu légère tandis que les gens du
monde, au contraire, le trouvent abscur, ne comprenant pas son côté scienti-
fique notamment la signification de certaines énigmes algébriques. Cependant,
le théoricien estime que cette lIdouble condamnation" est à l'actif de
l'auteur qui était trop écrivain pour faire un livre de savant et trop
savant pour faire un livre n'écrivain
"Ah
s'exclame-t-il, ce serait un
grand progrès que ct' avoir la science et de ne pas être un savant 1" (2)
Que précollise-t-il pour rendre le livre plus intéressant et plus
utile? Rien de plus simple : i l suffi t de le donner- à un poèt e , ;\\ un
ho~~e familiarisé avec les ressources du langage, avec la valeur des mots,
avec la science des effets pour qu'il fasse des volumes : "plus amusant s
que tous les romans, plus intéressants que toutes les chroniques, plus
instructifs que toutes les encyclopédies:' (3)
Ce poète saura raconter
(1) Les Chants :'Iooernes, Préface, P. 22.
(2) Ibid, P. 27.
(3) Ibid.
..-/

-
289 -
"le~ histoires imposante!3 des mondes planétaires", décrire en phrases
harmonieuses "le déchirement de la voie lactée", dire les aventures "des
étoiles disparues" et les destinées "des étoiles qui doivent appara~tre".
En un mot, il "expliquera et commentera les richesses, les étrangétés, les
mystères de cette planète que nous habitons et que nous connaissons si peu]' (1)
Ma:d.me Du CAMP aborde toutes les questions ci-dessus évoquées
dans "Les Convictions" et dans "Les Chants Hodernes". Il a, en particulier
dans ce dernier livre, s'inspirant de sa préface, tenté d'ouvrir la route
à des chants nouveaux, à l'hymne des forces physiques, des machines et de
l'industrie. Les poèmes .regroupés sous le chapitre "Les Chants de la matière"
répondent spécialement aux théories développées dans la préface. Un total
de cinq longues pièces abordent la question ; ce sont : la Vapeur, la Faulx,
la bobine, la locomotive, et le sac d'argent. Malgré la "rudesse" et la
"robustesse" des idées, ils furent salués par quelques-uns, et non des
moindres, comme des révélations. SAINTE-BEUVE avait dit alors de l'auteur
.,qu' aujourd' hui, cependant qu'il entre dans la vie littéraire plus franche-
ment, et non pas en simple et riche amateur, il nous permettra de compter de
plus près avec lui et de peser ses parole~' (2)
Ces vers furent récités et
chantés par les saint-simoniens au cours de leurs assemblées. Dans l'ensemble,
les modernistes exultèrent de joie. Quelques années plus tard, Alfred
MICHIELS, l'un des partisans convaincus de la littérature progressiste
célébrait avec délèctation le courage et la réussite de Du CA!1P, dans son
livre sur l'histoire des idées en France: "Et pour mettre ses oeuvres en
harmonies avec ses principes, l'auteur aborde dans le volume toutes les
questions modernes ; il pare de la forme poétique certains suj ets que l'on
croyait ne pouvoir les revêtir. Les morceaux intitulés: la vapeur, la
faulx C ..:7 sont des entreprises audacieuses parfaitement réussies. Le
courage de 11. Haxime Du CAMP lui a porté bonheur. C'est au surplus un
privilège des grandes nations que, dans la foule d ' individus qui Les com-
posent, il y a toujours des e!lprits vaillants et judicieux pour combattre
l'erreur, pour proclamer la vérité!' (3)
(1) Les Chants Modernes, Préface, P. 27.
(2) SAINTE-BEUVE, Causeries du lundi, Garnier Frères, T.XII ; 28 juil.1855, T.5.
(3) Alfred MICHIELS, Histoire des idées litt. op. cit., P. 627.
.. ·1

- 290 -
Il ne serait pas inutile de citer assez largement l'un des poèmes
en question pour montrer comment l'auteur met en. application ses propres
convictions. Nous choisirons le premier de la liste: "1a Vapet.tr". Cormne
dans S~ oeuvr-es narratives, i l commence par une citation célèbre qui
illustre les idées contenues dans le poème; les vers sont de Laurent
PICHAT :
"Ami, je ne suis pas méchante,
Tu peux me délivrer sans peur-
La Îée invisible qui chante,
Sais-tu son nom '1 c'est la vapeur
Laurent PICHAT.
Le poète explique et commente les qualités de "la vapeur" qui
constitue indubitablement une source irrécUsable de progrès et de bonheur.
Elle possède en elle une Îorce de résurrection :
"Je renouvellerai le monde,
Faci1ement et sans ef'Îort,
je porte en ma Îorce Îéconde
De quoi ressusciter la mort!"
La vapeur Îaci1ite le travail humain et améliore les conditions
d'existence des ouvriers : "Je descends dans le gouÎÎre sombre
où 1 1ouvrier pâle et chétiÎ
travaille enseveli dans l'ombre
En cherchant le ,filon furtiÎ
11 enlève des roches en ti ères
AÎin dlélargirvos chemins,
,
Et je détourne les rivières
pour les jeter sur vos moulins!'
.. ·1

- 29t -
Source .fêconde de fraternité et d'amour, elle se charge d'annihiler Les
misères terre5tres : "Par moi leg hommes geront frères,
Ce que Dieu veut, je le .ferai
Les pauvretés et lez misère~,
C'est moi, c'est moi qui les tO.rai !II
L'une de se5 missions essentielles, c'est d'oeuvrer à l'acquisi-
tion de la liberté
C·;?
"SUr ce char que ne peut retarder Dieu lui-même
car il ne peut vouloir arrêter ce qu'il aime,
je saurai .faire asseoir la blanche Liberté l "
En5uite viennent successivement les louanges du chloroforme, de
l'électricité et de la photographie. Le premier ~e glori.fie d'avoir vaincu
la douleur: "Ecoutez
c'est le chloroforme
Qui di t : "j'ai tué la douleur!"
le ~econd d'avoir envahi toute l'humanité
C·;?
"C'est ma soeur l'électricité
Qui vole et passe d'~~ coup d'aile
Au travers de l' Lmmens i té !"
le troisième d'avoir rendu d'énormes services aux amoureux de la peinture
"Avec vous je vais en voyage,
"Et m'arrêtant à tous moments,
Il je ramasse les
paysages,
"Les villes et les monuments
"je viens en aide à la peinture
"Pei.ntr-es qui courez les chemins,
Il je m'empare de
la nature
"Et je la mets entre vos mains!' (1),
(1) Les Chants Hodernes, la Vapeur, PP. 250-270.
.../

-
292 -
Ce poème est le prototype de ceux développés dans "les chants de
la matière". Maxime Du CAMP a, à notre humble avis, réussi à mettre en
pratique les théories qu'il a émises. Evidemmept, la formule est tellement
nouvelle et inattendue qu , elle surprend plus d'un espri t et bouscuâe bien
des idées. Cela expû Lque bien les controverses que le livre a soulevées au
moment de sa publication. La conclusion de l'étude de SAINTE-BEUVE à propos
de cet ouvrage est significative et mérite d'être citée: "En résumé, à lire
les vers et même la prose de 1"taxime Du CAMP, que je n'ai pas l'honneur de
connaS:tre, je me dis : ce doit être une nature forte, franche, un peu rude et
dure de fibre, un peu crue, courageuse, véhémente, violente m@me, mais qui
croit avoir plus de haine qu'elle n'en a, car elle est généreuse; une
nature plWl robuste que délicate C.;; Poète, il a du mouvement, de l'ardeur,
de l'âme!' (1)
Après avoir reconnu ces qualités certaines, il mentionne les
motifs de ses insatisfactiqns : "je lui voudrais un souffle plus vaporeux
il lui manque en tout une certaine douceur qui sied si bien, même aux
natures énergiques, et que je ne puis mieux exprimer qu'en traduisant un
délicieux sonnet de Wordsworth C.;;" (2)
En fait, ce que 'SAINTE-BEUVE
reproche à Du ~1P, c'est d'avoir fait autre chose que ce qui se fait
d'habitude; c'est de s'être dégagé de l'ornière classique pour se creuser
un lit nouveau. C'est d'ailleurs essentiellement à cette difficulté majeure
que le poète s'est heurté, l'esprit de renouveau et de réforme étant toujours
appréhendé comme insurrectionnel.
A ces facteurs s'ajoute une difficulté naturelle. Il faut bien
reconnaître que l'humanité a en général peu de goftt pour les systèmes d'art
et de littérature. Non seulement elle ne les aime pas, mais elle ne s'en
occupe guère. Il est vérifié que les ouvrages qui renferment des considé-
rations théoriques sur le "Beau" et ses diverses formes sont les moins lus
et donc les moins populaires. Malgré l'importance et le charme de ces ques-
tions, les hommes préfèrent les oeuvres d'imagination qui, par leur nature
même, exercent un puissant empire/car
comme elles sont le reflet du monde
et de la vie, ils y retrouvent les beautés qu'ils admirent quotidiennement
autour d'eux ou dont ils rêvent obsessionnellement la réalisation. Le cas
(1) Causeries du lundi, op. cit., PP. 16-17.
(2) Ibid.
/
.../

- 293 -
des "Chants I1odernes" en est un exemple caractéristique. En ef.fet, dans les
deux autres parties du recueil, - Chants d'amour et chants divers - le
poète exhale ses sentiments/se~ regrets d'enfance, ses blessures secrètes
et ses tourments de jewlesse. Ce sont les vers réunis ~ous ces chapitre~
que SAINTE-BEUVE semble
apprécier: "Il y a de beaux ver-s , surtout des
poussées éloquGltes. La plus remarquable pièce du recueil est incontestable-
ment la pièce intitulée "Malédiction", et dont le dernier cri est: Qu'il
soit maudit! qu'il soit maudit !" (1)
Le dernier recueil de Haxime Du CAHP reprend en filigranne les
thèmes ci-des5Us évoqués, mais in3iste davantage sur la mission sociale de
l'écrivain qui est non seulement un soldat, mais aussi un apôt r e, Les
larges extraits de poèmes que nous avons ul téri eurement ci tés en sont les
justificatifs. L'artiste doit être de son temps et porter dans son oeuvre
le cachet de son t emps, car c'est à ce seul prix qu'est la vie durable,
comme le succès. Il n'est pas interdit de connaître l'antiquité, comme
d'ailleurs tous les siècles antérieurs, de se pénétrer de son esprit afin
de mieux la comprendre et l'admirer com~e il se doit; mais il importe
d'eÀ-primer dans les oeuvres l' espr-i t du siècle nouveau et de chanter à haute
voix les poèmes des aspirations nouvelles.
L'oeuvre littéraire doit être de son temps, c'est-à-dire qu'elle
doit être le reflet de la société qui l'a vue naître et du milieu qui a
contribué à son éclosion. Pour l'élaboration de son oeuvre, l'écrivain
devrai t alors tenir uniquement compte de ce milieu qui influence et
oriente la vie de ses protagonistes. Nous voici en plein dans le dernier
principe théorique dont s'est inspiré Haxi me Du Cl\\HP pour la réalisation
de ses ouvrages narratifs.
c - Le milieu est seul utile ~ l'écrivain
Haximc Du CAHP définit très explicitement ce principe dans la
dédicace des "Forces Perdues". Il fait une différence essentielle entre
la fonction de l'homme qui est un état, donc éphémère et le milieu qui lui,
(1) Causeries du lundi, op. cit., PP. 43-14.
. ··1

- 294 -
est capable d'a~ercer une force profonde sur lui: "je n'ai point dit
qu'elle fonction Horace exerçai t ou tenta d'exercer ; cela, en effet, eût
été superflu : Le milieu est seul utile au romancier." (1)
La situation
sociale des personnages doit donc lui rester indifférente, si elle n'a
pas une action essentielle et directe sur eux, les passions qui les font
mouvoir étant absolument indépendantes de ce qu'on appelle "un état". (2)
D'après lui, l'homme apparaît toujours dans la vie avec ses passions
innées, ses sentiments développés par les influences ambiantes, aes aspi-
rations servies ou brisées par les circonstances, quelle que soit la fonc-
tion sociale qu'il a exercée. Partant de ces considérations, c'est à
l'homme seul, en tant que produit social, abstraction faite du rôle exté-
rieur et factice qu'il a pu jouer momentanément dans la vie qu'il s'est
intéressé en qualité d'écrivain.
Il cï.asae les écrivains en deux catégories : "L'école de myopes"
et "l'école des presbytes". Le premier groupe a une vision morcelée; il
voit les choses par le menu, les unes après les autres, étudie ~ chaque
contour, donne de l'importance à chaque élément parce que chaque élément
lui apparaît isolément. Les partisans de cette tendance arrivent à la
puissance de l'oeuvre littéraire par l'accumulation, la superposition et la
précision des détails. Les presbytes au contraire se caractérisent par une
vue d'ensemble où les détails s'estompent pour former une "sorte d'harmonie
générale". Du CA.HP se si tue volontiers dans ce dernier groupe qui ne
5'attache pas particulièrement dans ses descriptions 3 chaque contour ou à
chaque menu détail; il n'envisage ?a~ chaque chose isolément, car le détail
n'a pas d'import~lce particulière en lui-même, à moins qu'il ne présente
un intérêt e~thétique indéniable. C'est fort de ces idées qu'il crée des
personnages évoluant n011 pas de façon autonome, mais surtout comme faisa.."lt
partie d'un enscmbl,e de circonstances dont le mouvement collectif condi tion-
ne chaque élément.
(lans s cc oeuvr ec romanesques. Pour ne ci ter que quel ques e: CC'7lp l cs , signalons
que le r-onan "Les Forces Perdues" est l' ;1:'s t oi r-e r1 'un homme qui, né honnê t e
(1) Les Force~ Per~ucs, P. 1.
( ') \\ I b.i ,1
P
')
\\ ' - l
~,
• •
' - .
... ',

- 295 -
et intelligneiit,n'a pu se créer qu'lme existence douloureuse et peu
enviable, par cela seul qu'il vivaï t dans des jours indécis, au milieu
d'un monde qui sacri.f'ie volontiers le devoir au plaüdr et prend ses inté-
rêts pour des principes.
En effet, Horace le héros est né pendant les années qui suivirent
immédiatement les grandes défaites du prer.tier Empire. Tous les jelmes de
cette génération ont porté, leur vie durant, quelque chose de triste et de
pesant, comme si leurs pères leur avaient légué les mélancolies et les
. humiliations que leur imposa la double ruine de leurs espérances- et de leur
patrie. Par conséquent, qu'importe le raIe social ou la fonction qu'a occupée
Horace, qu'il ait été poète, médecin ou diplomate, sous ces différentes
formes, i l apparaî:t toujours comme un homme qui est né avec ses tares ori-
ginelles que les influences fluctuantes du milieu ambiant ont grossies. Dans
ce passage, il est question de la race d'Horace qui a forgé son caractère:
"Horace n'était point querelleur, mais i l appartenait à cette race gauloise
qui n'aimait pas reculer." (1)
Ailleurs, c'est le milieu qui est privilégié
par rapport à l ' individu : "Le mili eu où nous sommes nés, où nous avons
grandi, où nous avons vécu, nous a donné des besoins qui sont devenus aussi
importants à notre exi s tencel' (2)
Enfin, dans ces phrases, l'auteur
explique l'attitude personnelle du héros par rapport aux comportements en
vigueur à l'époque : ' I l est cependant utile de dire qu'en aimant de la sorte,
exclusivement et absolument, Horace fut l'exacte expression de son époque,
i l avait été pénétré par ce qu'on appelait alors le romantisme:' (3)
Les autres ouvrages de l'auteur découlent presque tous de ce
principe. "Les Hallucinations du Professeurs Floré§.l" semble être conçu
pour démontrer essentiellement cette théorie de la loi du milieu sur
l'individu. Le héros est né à l'époque de la tourmente révolutionnaire d'lm
père greffier de justice. Doux de caractère, voire même un peu timide,
toujours raillé par ses camarades de collège mais bon élève, il en vint,
par les forces pressantes du milieu, à jouer dramatiquement sa vie*.
(1) Les Force~ Perdues, P. 192.
(2) I bi d , P. 2 83 •
(3) Les Hallucinations du Profc~~eur. Floréal, P. 558.
*
Cf Chap , III. 'I'r-ansmutat , cIe la vie en oeuvre d'art ••• (nécits fanta!>-
tiques et Réalisme).
. ..1

- 296 -
Voici convnent i l raconte, d'un air indigné, ce qui lui était arrivé contre
sa propre volonté :
"Lorsque plusieurs jeunes gens qui avaient assisté à la scène
entrèrent chez moi "Allons
êtes-vous prêt ? me dirent-ils - Prêt à quoi ?
mais à vous battre. C.J
J'eus beau protester, on ne m'écouta pas et l'on m'entraîna C.:1 (1)
Sur le plan de la thématique, on peut dire que la vision du monde
paysan de Chailleuse repond aussi à cette problématique. En effet, selon
Du CAHP, le milieu paysan ne peut être compris et aimé que si l'on cherche
à pénétrer sa psychologie sociale et l'ensemble des facteurs qui définissent
son fonctionnement. Au fil des siècles, les hommes de la terre se sont créés
un cadre de vie, une permanence de pensées et d'attitudes qu'on ne peut
comprendre et expliquer qu'en se référant aux caractères spécifiques de
leurs aptitudes et de leurs facultés primitives permanentes.
Haxime Du CAHP adhère donc entièrement à la célèbre formule de
TAINE: "l'homme n'est rien, la société est tout". Joseph JIRIAN fait
d'ailleurs remarquer la profonde influence de ce dernier sur "Les Forces
Perdues" ; on pourrait même ajouter, eu égard à notre analyse, sur l'oeuvre
narrative de l'écrivain. S'il est un écrivain du Xlxè siècle, affirme-t-il,
qui a exercé une influence en profondeur sur "Les Forces Perdues", c'est
TAINE dont par ailleurs les sympathies pour Du CANP sont bien connues,
TAINE ayant été, aux dires de RENAN qUe citent les GONCOURT dans le tome XII
de leur journal, ·le premier à soutenir la candidature dé l ' ~ut~r du "Livre
posthumell à l'académie; d'abord au fauteùil de SACY. et par la suite à_celui de
Saint-René TAIL1lI.NDIER auquel Du CAl·IF a succédé. Cette fameuse théorie qui
tend à expliquer l'individu par la race, le milieu, le moment,est la faculté
maîtresse des essais cri tiques de TAINE bien que la paternité en revienne
,'1 HOHTESQUIEU. TAINE es t i me qu'il existe toujours un élément commun danf>
toute société humaine qui es t "le caractère et l' eapri t propres ,~ la race,
t r ansrni s de génération en génération,
les mêmes ,";, travers les chançements
(1) Les Hallucinations du P~ofesseur Floréal, P. 558.

-
297 -
de la culture, les diversités de l'organi~atian et la variété de~ produits.
Le caractère et cet esprit, une fois constitué, se trouvent plus ou moins
enrichis à la discipline ou à l'indépendance personnelle, plus ou moins
au raisonnement fin ou à l'émotion poétique, plus ou moins disposés à la
religion de la conscience, ou de la logique, ou de l'habitude, ou des yeux.
A un moment donné, pendant une période, ils font une oeuvre, .. et leur nature,
jointe à. celle de leur oeuvre est la "Condition" de l'oeuvre qui suit, comme
dans un corps organisé le tempérament primitif,' joint à l'état antérieur, est
la condition de· l'état suivant!' (1). Cela dit, TAINE pense que les critiques
l i ttéraires peuvent montrer que chez un même artiste, dans une même école,
dans un même siècle, dans une même race, les personnages les plus opposés
de condi tian, de sexe, d' éducatian, de caractère, présentent tous un type
commun, c'est-à-dire un noyau de facultés et d'aptitudes primitives qui
participent aux différentes interactions des éléments du groupe. Ces idées,
Du CAMP les a appliquées dans une certaine mesure. Il s'est surtout attaché
à démontrer l'influence du milieu, de la société sur l'individu. C'est donc
en partant de ces considérations c'est-à-dire en voulant saisir la psycho-
logie de l'homme à travers celle de la société qu'il a fait porter à san
oeuvre littéraire, les couleurs de son temps. En effet, l' écrivain didac-
tique et humanitaire dont i l se réclame, qui a une responsabilité sociale
de premier ordre, ne peut envisager dans son oeuvre que les problèmes et
les faits qui révèlent en réalité le visage d'une ~ociété donnée, à un
moment précis de son évolution historique. Paulus, Horace, Fabio, Jean-Marc,
George ••• , ces personnages de livre ne sont en fait que les types re-
présentatifs d'w1e génération, d'un monde. Leurs existences vécues, parfois
avec une allure de singularité, ne sont en fait que la saisie presque
photographique, du moins réaliste, de l'image de la société qui les a
régentés. Voici e:~osés les grands principes théoriques qui ont servi de
"garde-fou" à Haxime Du CAHP pour la recherche du "Beau" littéraire et leurs
applications dans l'oeuvre narrative et poétique. Ils ont sans aucun doute,
.;
guidé l'artiste sur Lee chemins de la création.
Cette étude ne devr-ai t pourtant pas nous faire per-dr-e vle vue tm
aspect important de l'oeuvre cr-éa tr-i ce : La raat i èr-e substantielle qui
échappe par-Foi s au.: dOgl:1cs, mais qui con s t i tue la charpente pri.l1cipale ct la
(1~ H. TAINE, E!::sais de critique et d'histoire, 2è édition, Paris, Librairie
Hachette, 1866, P. 23.

- 298 -
BI ASPECTS DE L'ART DE MAXIME DU CAMP
"De même qu'il y a à l'intérieur du récit, une grande fonction
d'échange (répartie entre un donateur et un bénéficiaire), de même homo-
logiquement, le récit, comme objet, egt l'enjeu d'une communication: il y a
un donateur du récit, il y aun destinataire du récit~' (1)
Ces paroles
sont de Roland BARTHES. JAKOBSON évoque la même réalité en stipulant que
"le message requiert un contact, un canal physique et une connexion psycho-
logique entre le destinateur et le destinataire, contact qui lui permet
d'établir et de maintenir la communication~ (2)
Ces réfle:x"Ïons signifient en clair que dans toute oeuvre l i tté-
raire, partant dans tout récit, le narrateur utilise un langage intentionnel
qui est exclusivement fonction de l'effet que l'auteur veut produire ou de
l'influence qu'il veut exercer sur le lecteur. C'est alors à juste titre que
l'on dit que le discours est d'ordre téléologique c'est-à-dire qu'il cons-
titue au bout du compte un rapport de finalité. E. BENVENISTE, dans
"Problèmes de linguistique générale" corrobore cette idée en affirmant que
toute énonciation suppose un locuteur et un auditeur i chez le premier,
l'intention d'influencer l'autre en quelque manière reste foncièrement latent.
Dans le cadre de cette analyse, notre problème n'est pas de
recenser les motifs des narrateurs ni les effets qu'ils produisent sur le
lecteur ; il est essentiellement de tenter de décrire des aspects du code
à travers lequel narrateurs et lecteurs sont signifiés le long du récit
lui-même afin de dégager les "implications narratives" de l'auteur. En
d'autres termes, nous chercherons à savoir comment la personne qui parle
raconte ce qui se passe i quel est le matériau dont l'auteur s'est servi
pour construire son texte?
Cette démarche nous amènera inévitablement à aborder des aspect~
des techniques narratives de l'auteur tout en analysant la logique qu'il
suit dans la succession du message qu'il livre. NOU5 parlons d'aspects
(1) R. BARTHES, ~v. 1~'\\.YSER, T..J .C. BOOTH, Ph. HAHON, "Poétique du récit",
Points, éditiœ1 du :.euil, 1977, P. 38.
(2) JAKOnSON, "Es sai s cie linguistique générale" édition de minui t, Par i s ,
PP. 213-221.
1
.../

- 299 -
parce qu'il nous para~t utopique, voire même impossible d'analyser l'art
d'écrire de Maxime Du CAMP dans son intégralité dans l'ensemble de son
oeuvre narrative et poétique. Un ou deux ouvrages se pr-êt er-ai ent plus
aisément à une telle démarche.
a - L'importance du sujet et de la composition
Haxime Du 001P es t fortement convaincu que la qualité d'un livre
tient en partie à la conception et à la solidité du sujet, mais aussi à la
composition de l'ouvrage. Avant toute ébauche de ses ouvrages, il se con-
.vainc. totalement du sujet qu'il aborde, le laisse se condenser avant de
s'y absorber au besoin, à tel point qu'il devient sa seule préoccupation.
A FLAUBERT qui se plaint de l'ennui et de l'impossibilité de travailler,
i l adresse les conseils suivants : "Ce qui m'embête le plus pour toi, ce
ne sont pas encore res clous, c' es t que tu n' arrives pas à te pas s i onner
pour un de tes ~ujets, or, c'est là, je crois, maintenant une des nécessités
de ta vie et tu me fais l'effet d'une carpe [;.;7 Tu n'as pas quelque bon
sujet dans lequel tu as pu t'absorber. Tu ferais peur-êtr-e bien, au lieu
de chercher et de creuser ton affaire, de te reposer tout stupidement et de
laisser ton sujet se condenser tout seul, de lui-même et pour ainsi dire
à ton insu. J'ai souvent usé de ce procédé et je m'en suis toujours bien
trouvéJ' (1)
Parfois, en pleine rédaction surgissent des difficultés inattendues
alors, il arrête d'écrire, attendant que les choses se cristallisent d'ellc3-
m~es : "je continue Horace révèle-t-il à FlAUBERT, parfois j'y rencontre
des difficultés qui m'arrêtent ; 10rL'~que je n'ai pu les résoudre je passe
outre, attendant pour y revenir que je sois devenu plus fort~' (2)
Comme
on le constate, c'est le choix (lu sujet qui entraîne la sol i.d i té .-le l ' exé-
cution, L'ouvrage a inrri achevé se r-évè l.o a l or-s comme "un t ou t ;l,ont chaque
partie concour-t ~ l' cns enbl e" et non pas "un as s ernb.La.j e de ;)~1rase!:: qui,
si bien fai.tc~ (i1,lcllc~ ~'('l::'cnt, n'ont <l e valeur que ;-,rise" :ic-ol'~:1cnt!' (3)
( 1) BOliACCORSO, [fzrri~:, ven(1rc:1i? 8 mai 1863.
(2) Ibid.,
,arr,::' soir, ga.ris, octobre? 18477.
(3\\ Souveni r-s littéril7Tcs, T.
'j-.
P. 31G.

- 300 -
La notion de l'uni té et de l'ensemble transparaît déj à à travers
ces lignes car chez Du CAHP, une oeuvre littéraire tient ess entd eLl ement
sa qualité de la solidité et de l'harmonie de la construction. Sur ce point
précis, il a eu à plusieurs reprises, du moins au début de sa carrière
littéraire, maille à partir avec son ami FLAUBERT. Il reprochait à ce
dernier le caractère décousu et non construit de la première version de
"La tentation de Saint~ntoine". Il admirait les belles phrases habilement
construites, harmonieuses, redondantes, faites d'images et de métaphores
mais déplorait qu'elles ne constituaient pas un ensemble homogène: "Rien
que des phrases que l'on pouvai t transposer sans que l'ensemble du livre
en rot modifié~' (1), L'ouvrage ne connaissait par conséquent aucune progre~­
sion car il n'est constitué que d' "une seule scène jouée par des personnages
divers et qui se reproduit incessà.mJ!tentJ' (2)
On retrouve à nouveau le problème du sujet, car Du CAHP estime
que la composition d'un ouvrage est corrolaire du sujet abordé. Un sujet
bien "condensé" et bien possédé s'apprivoise mieux et pour cause, l'auteur
peut le maîtriser à sa guise et éviter les "errements" ou les tâtonnements
nocifs à la qualité de la comp05ition ; en littérature, sous peine de
s'égarer, i l faut marcher entre des lignes parallèles du début à la fin de
l'ouvrage. Lorsque l'écrivain procède par "expansion", i l finit par oublier
le point de départ, car un sujet entraîne un autre et il devient très diffi-
cile de contrôler la structuration de l'ensemble. L'idée est traduite par
une belle image dans les "Souvenirs littéraires" : "Une goutte d'eau mène
-==
au torrent, le torrent au fleuve, le fleuve au lac, le lac à l'océan,'
l'océan au déluge; tu te noies, tu noies tes personnages, tu noies
l'événement, tu noies le lecteur, et ton oeuvre est noyée!.' (3).
Pour éviter cette noyade généralisée, Maxime Du CA}W a accordé
une importance particulière à la notion de composition qui cons i s t e , dans
le domaine de l'art, à "faire concourir tous les personnages à une action
commune" • (4). Tou!'; ses ouvrages, des romans aux recueils de poèmes en passant
par les nouvelles d'humbles dimensions, dénotent une rigueur dans la compo-
(1) Souvenirs littéraires, T. 1, P. 314.
(2) Ibid.
(3) I bi d, P. 3 1G•
(,1) Lee Beau: Arts ù L' expo, un i v.
ct au.: salons de 64, G4, 65, G6, 67,
Jules RENOUA?.D, Lib., 1867, P. 15.
. ··1

-
301 -
sition.. Sa correspondance avec FLAUBERT souligne cette manie et fait état
de son insatisfaction constante quant à l'organisation interne de ses
ouvrages: "Depuis que je t'ai quitté, avoue-t-il à FLAUBERT, j'ai
recalé, refondu, replltré, démoli et reconstruit l'âme en peine C.;]
Enfin, je l'ai entièrement boul eversêl' (1)
Même sOUS presse, il n'hésite pas à tout recommencer s'il
trouve des motifs d'insatisfaction: "ce matin, je suâ s parti à 10 h5ilres
pour Corbeil, le ~pitr~ était composé, je l'ai fait démolir et lundi
je dois recevoir l'épreuve avec la correction. Quant au XVII, je le four-
rerai avec des transi tions dans le chap!Jtr§Ï' XIX qui n'es t bourré que de
généralités; j'ai déjà vu comment je vais opérer cette refonte et je vais
m'y mettre ce soin" (2)
Ces hésitations et ces refontes terminées, chaque livre qui naît
au bout du compte est un petit chef-d'oeuvre de composition, de combinaison
et d'organisation où règnent des harmonies et des correspondances. Rien
n'est laissé au hasard et tout le matériau de l'ouvrage se tient comme
chaque partie du corps humain. C'est, nous semble-t-il, LouÎ1'; BOUILHET qui,
de ce point de vue, a le mieux perçu la force secrète et l'une des qualités
essentielles des livres de Maxime Du CAMP. En effet, il n'a pu retenir son
admiration après la première lecture des "Forces Perdues" : "Ce livre C.;]
a une qualité que je comprends aujourd'hUi que je fais des pièces, c'est
à dire des choses combinées; une qualité mathématique i toutes les parties
répondent les unes aux autres. Ce livre est pondéré, harmonieux, magistral.
L'auteur y plane au-dessus des choses!' (3)
A ce stade de notre analyse, il conviendrait de passer en revue
les procédés de composition qui ont permis à l'auteur d'atteindre cette
"qualité mathématique" que relève BOUILHET.
Cherchons d'abord à résoudre, dans un premier point, la question
relati ve au narrateur. Qui parle dans les réci tg de Du CAMP?
(1) G. BONACCORSO, LYaris, novembre? 18427 n° 22, P. 124.
(2) Ibid.
(3) M.S. 3763 - 3766 - Fonds M.D.C. Corre~pondance 1835-1893.
.../

-
302 -
Roland BARTHES affirme daaa "Poé t I que du récit" qu'à par t i e des
conceptions réalistes, trois attitudes semblent avoir été, jusqu'ici
énoncées pour déterminer le donateur du récit: La première considère que
le récit est émis par une personne (au sens pleinement psychologique du
terme) ; cette personne a un nom, c'est l'auteur, en qui s'échangent sans
arrêt la "personnalité" et l'art d'un individu parfaitement identifié, qui
prend périodiquement la plume pour écrire une histoire: Le récit, notam-
ment le roman, n'est alors que l'expression du "je" qui lui est extérieur.
La deuxième conception fait du narrateur une sorte de conscience
totale, apparemment impersonnelle, qui émet l'histoire d'un point de vue
supérieur, celui de Dieu : Le Rarrateur est à la fois intérieur et exté-
rieur (puisqu'il ne s'identifie jamais avec l'un plus qu'avec l'autre).
Dans la troisième conception, la plus récente (Henry JAMES,
SARTRE), le narrateur l imi te son récit à ce que peuvent observer ou savoir
les personnages : Tout se passe comme si chaque personnage était tou1" à
tour l'émetteur du réci t}' (1).
En ce qui nous préoccupe précisément, nous pouvons rattacher les
ré ci ts de Maxime Du CAMP aux deux premières conceptions. Dans la première
se regroupent les ouvrages tels que : " Le livre posthume", "Ri char-d Piednoël",
"Les Hallucinations du Professeur Floréal", "Le chevalier du coeur saignant"
••• Les différentes péripéties des récit~ sont narrées à la première person-
ne du singulier "je"
dans la presque totalité des cas et quelquefois à la
première personne du pluriel "Nous". Exemple : "Je" me suis r emis au
travaiL •• "Je" fais une Ariane ••• Je ne me laisserai point abattre ••• " (2)
Lorsque c'est la première personne du pluriel qui est utilisée,
"je" est toujours inclus dans "Nous", c'est-à-dire en fait que le narrateur
parle non seulement de lui mais, aussi des protagoniste~ momentanés. Il est
donc omniprésent et c'est toujours lui qui mène le récit: "Donc un matin,
"nous" par t îmes tous trois~' (3). Il s'agit de Békir-Aga L' ar-naut e , Boadbil
(1) Roland BARTHES, "Poétique du récit", P. 39.
(2) Richard PIEDHOEL, P. 348.
(3) Le Livre Port hume , P. 1-+3.

- 303 -
le chevreuil et Jean-Barc du "Livre Posthume". Dans ce cas, le narrateur
"Je" ou "Nous" a la même vision que le personnage c'est-à-:iire Narrateur =
Personnage: N = P. C'est ce qu'on appelle le narrateur - persor~age.
Concernant la seconde conce~tion, on note sur le ~lan Ge la
narration, le phénomène ne la distanciation. On remarque que le narrateur
occupe dans le~ ou\\~'age~ concernés une position souveraine ~ar rapport au
contextes spatio-temporel, socio-culturel et par rapport aux événements et
aU( héros.
Par rapport au .cont ext e.
spatio-temporel et soci o-cul, turel,
cette attitude qui relève de la focalisation Zéro (c'est-à-dire le point
de vue de Dieu), se manifeste dans la vision exhaustive du Temps et de
l'Espace concernés. De fait, le narrateur semble dominer, transcender les
faits qu'il relate; il est le seul détenteur des informations qu'il porte
à l'intention du lecteur, car il était le seul témoin quand l'événement
s'est déroulé. C'est le cas des "Forces Perdues", de "L'homme au bracelet
d'or" •••
Par rapport au héros, la position souveraine du narrateur se
manifeste par l'usage de la troisième personne du singulier "il" qui
relègue le premier au rang de simple référant du message, mais aussi d'un
point de vue temporel par un procédé qui consiste à éclairer le présent
du héros par son avenir, procédé sur lequel nous reviendrons plus tard.
Dans l'un ou l'autre cas, le narrateur ainsi défini est en
"autonomie différentielle" (1) ce qui signifie qu'il apparaît la plupart
du temps seul ou conjoint avec n'importe quel personnage, mais ses appa-
ri tions ne sont en aucune façon dictées ou influencées par quelque person-
nage que ce soit. Dans le cas du Narrateur - Personnage, c'est-à-dire
quand c'est le héros lui-même qui émet son propre récit, il est présent ~
toutes les pages du livre, joue le rôle d'observateur voyeur, de dlroni-
qùeur de sa propre vie, mais ausgi ne "chroniqueur social" auquel sa con-
dition de perpétuel voyageur permet de jeter sur le monde un regard parti-
culièrement aigu.
(1) Philippe Hl\\.H01! : Pour un statut sémiologique du personnage, P. 55,
in Poétique du récit, P. 112.
. . ·1

- 304 -
Dans le second cas, où le narrateur est une conscience supér-i eur-e
qui raconte la vie d'un personnage, le récit est exclusivement consacré à
ce dernier. Tous les .faits et événements nar-rés sont si tués par rapport à
lui. Il est comme dans le premier cas omniprésent au centre des péripéties.
Aussi, dans l'un comme dans l'autre cas, le déroulement des faits n'est
jamais perçu qu'à travers la personnali té du hér-os , Tout le long des
ouvrages, CD découvre le monde avec le personnage principal, progressive-
ment, en même temps que lui et on n'en perçoit que ce qu'il en retient. Le
monde moral et physique n'existe pas quand i l ne le regarde pas ou quand
il n'a aucun rapport avec lui.
Tous les autres personnages à part le hêros sont en "distribution
différentielle".(1)
La plupart d'entre eux ne S01'lt aperçus qu'une seule
.fois, dans un chapitre précis du livre. Ils s'évanouissent pour ne plus
reparaître lorsque le narrateur les élimine de son champ mental. Tout est
donc lié au personnage principal qui commande le déroulement des faits à
sa guise. Ainsi, un personnage dont le héros prend congé est "mort" à
jamais, car il ne réapparaîtra peut-être plus jamais jusqu'à la fin du
livre, à moins qu'il décide volontairement de la remettre en "circulation".
C'est par exemple le cas de Suzanne du "Livre Posthume" qui réapparaît
subi tement dans la vie de Jean-Marc dans sa retrai te d'Eléphantine.
Ce procédé de compo~ition romanesque est plutôt une caractéris-
tique fondamentale du genre littéraire "Le journal" qui est une oeuvre
d'art qui, en 110mbre de ses pages, recueille au jour le jour le matériau
qui s'incorpore au récit ou au dialogue. C'est convaincu de cette consi-
dération que Philippe HAHON a estimé dans son étude que ce procédé de com-
position est dü à une certaine "prédésignation conventionnelle" (2) c'est-
à-dire que c'est le genre qui définit ipso-facto l'apparition autollomique
du narrateur et l'apparition distributiolulelle des personnages.
L'analyse de l'ocuvreJe ;1a,~ime Du CAHP, du point de vue rie la
narration des fait.s, permet d'ajouter qu'il. l'instar du ge.."1re, le sujet
traité peut lui aussi ôltraîner l'utilisation de ce procédé littéraire. En
(1) Philippe IrA1IOH, op. ci t ,
(2) r bi:i , P. 15 8.

- 305 -
effet, daJ" tOWl ses livres, l'auteur a choid de raco.ter la vie d'ta
certai• •ombre d'iJldividus eJl se situa.at à la foi. sur l'axe syJltagrnatique
et sur l'axe paradigmatique du récit. Il s'agit d'Horace, de Jea--Marc, de
George, de Floréal, de Fabio ••• Co.vai.ctl de so. rôle d'éducateur et de
moralisateur, il racoate ces vies maaquées qui .'o.t co. .u daas leur exis-
teJlce que des déboires, des souffrances et des échecs, aaalyse les raisoKs
profo.des de ces illusioas perdues afi. de permettre aux autres jeuaes d ' a
tirer les leço~s nécessaires. Le héros est ainsi saisi sur le vif depuis
le àébut de son aventure romanesque jusqu'au dénouement. Entre ce commence-
ment et la fin presque toujours dramatique, plusieurs péripéties sont
narrées, plusieurs autres personnages défilent et disparaissent ; certains,
- les plus chers comme Viviane des "Forces Perdues" - sont intériorisés
dans la conscience du héros (bien que ne réapparaissant presque plus
jamais). En réalité, c'est toujours autour du personnage dont l'histoire
est contée ou qui raconte son histoire que tout se passe, c'est par rapport
à lui que les intrigues se nouent et se dénouent, que les personnages se
créent et que le ré ci t s'organise.
Dans le même souci de composition et d'agencement cohérent,
Maxime Du CAMP a recours à la forme épistolaire. Tous les romans et toutes
les nouvelles contiennent des lettres adressées par le héros aux personnages
secondaires ou par ces derniers au héros. "Le Livre Posthume" par exemple
regorge d'une multi tude de lettres : "Lettre de Suzanne à Jean-Marc" aux
pages 149 à 150 et 165 ; "Lettre de Jean-Marc à Probus" de la page 215 à
227 ; "Lettre de Sylvius à Jean-Marc" de la page 245 à 263 ••• Le ré ci t
dans "Les Forces Perdues" de la page 284 à 288 est agencé de lettres.
La forme épistolaire est d'autant plus importante qu'elle con-
court non seulement à la compréhension du récit, mais aussi à l'évolution
de l'intrigue et de l'action. Ci tons-en un exemple. De Mal te, George de
"L'homme au bracelet d'or" adresse une lettre à Pauline ainsi libellée:
"Hier, j'étais assis dans un café sur le quai de Bebèk ; j'entendais sans
l'écouter un pauvre Bulgare qui chantait un air triste et lent en s'accom-
pagnant d'une tégéhour ; je tenais machinalement entre mes doigts les longs
tuyaux d'un narghilé éteint L-:· J
Sur le quai, un homme à cheval passa, qui jeta un cri de surprise
en m'apercevant; je courus à lui: c'était le Comte Ladislas PALKI L~.~
.. ·1

- 306 -
la missi~n qu'il était venu accomplir à Paris avait échoué ; d'Allemagne,
où il était retourné, i l vint en Italie, puis ici, et maintenant i l va se
jeter en Hongrie. Ne soyez pas surprise, Pauline, je vais l'accompagner
L7.J Quand vous saurez que mon sort est mêlé à celui des armées qui se
heurtent sur les rives du Danube, alors vous penserez à moi, vous prierai
pour moil' (1)
Cette lettre est non seulement informative, mais aussi elle
~elance l'action de la nouvelle. la rencontre du Comte ladislas PALKI,
"gentleman combattant" omniprésent à toutes les guerres, et cette décision
subite de George de le suivre sur les fronts de bataille constituent l'un
des points culminants et le tournant décisif de la nouvelle. Tout bascule
dès cet instant ; George brave les dangers de la guerre tandis que Pauline
met tout en oeuvre pour se débarrasser de la tutelle d'un mari encombrant.
Cependant, au moment même où elle obtient sa liberté, ladislas PALO vient
lui annoncer la mort de George tué dans les combats sur les bords du
Danube.
A l'utilisation de la formule épistolaire s'ajoute aussi celle des
dramatisations dans lesquelles l'auteur met en scène soit le héros et un
ou plusieurs personnages secondaires, soit les comparses entre eux. Ce sont
en fait des "re-présentations" c'est-à-d.ire des reproductions artificielles
d'événements, d'actions ou de faits. Les modes de mise en scène varient
selon les circonstances et selon les effets que l'auteur veut en tirer.
Cette théâtralisation du discours romanesque se veut la traduction d'une
réalité, la représentation du réel, la parole et l'action mises à nu, non
mutilées, éliminant du coup toutes les formes de distorsions notamment
sémantiques, du fait de l'utilisation du style direct. Le bUt recherché
par l'auteur est de prouver par la démonstration pour convaincre. Dans le
dialogue qui suit, Horace des "Forces Perdues" se déclare prêt à offrir
un cadeau à sa petite amie avant de rentrer au collège : "- je ne voudrais
pas m'en aller Mariotte, sans vous laisser un peti t souvenir de moi, lui
dit-il; dites-moi ce qui pourrait vous faire plaisir ~.~
Sur l'hésitation de cette dernière, il poursuit
- Eh bien, 11ariotte, reprit Horace, ne voulez-vous pas me dire
(1) L'Homme au bracelet d'or, P. 313.
.../

-
307 -
ce que je puis vous donner '/
- Oh
si répondit-elle en prenant un air naIf, mais je n'ose pas.
- Et pourquoi donc ?
- Dame! c'est que ça doit coftter terriblement d'argent, et ça
ne se trouve qu'à la ville.
[;.J
Eh bien
dit-elle, je voudrais un parapluie
••• n (1)
La Mariotte est embarrassée d'avouer l'objet de son désir à
Horace; Horace est étonné de la trivialité de la demande. Ce dialogue
entre un jeune parisien de famille riche et une jeune paysanne de famille
pauvre se révèle essentiellement comme étant une "re-présentation" de deux
réali tés, de deux mentalités et de deux psychologies fort différentes.
Dans "l'homme au bracelet d'or", ce sont des personnages fugitifs,
des comparses, qui sont mis en scène. Le héros n'est pour autant pas absent
dans la mesure où le sujet de la discussion porte sur sa mère et lui et où
il assiste en personne malgré lui à la scène. Le lecteur apprend des choses
très importantes sur le héros en même temps que lui-même d'ailleurs, choses
qui condi tionneront inéluctablement la sui te de l'action
"_ Mme D'Alfarey lia mère de George le héroij est encore belle,
dit l'un.
- Bah ! répliqua un autre, la galanterie conserve les femmes comme
l'esprit-de-vin conserve les serpenlVs.
- Est-ce toujours le grand C••• qui est son amant ?
1
L··d
- Mais qui diable était donc son amant quand ce fils LGeorg~
est apparu un beau matin comme un nouvel enfant du miracle?
C'était V ••• , non c'était R••• , ma foi, je n'en sais plus rien,
mais à coup sûr- c' étai t quelqu 'un~' {2)
{1) Les Forces Perdues, PP. 39-40.
{2) L'homme au bracelet d'or, P. 290.
.. ·1

-
308 -
Cela se passait à un bal où George avait été conduit. par sa mère.
Il avait écouté sans mot dire ces révélations sur les comportements de sa
mère. Depuis ce jour, il s'instaura en lui des changements sans précédent
qui in.fluèrent irrémédiablement sur le cours du réci t.
Les dialogues établis entre les diÏÏérents protagonistes dans
ces mises en scène permettent d'évoquer un autre procédé de composition.
En eÎÏet, à la manière d'un cinéaste ou d'un photographe, l'auteur proÏite
de ces dramatisations pour saisir les personnages sur le viÏ et reproduire
de Ïaçon systématique leur jargon en les adaptant aux circonstances et aux
atmosphères. C'est le cas des exemples sus-mentionnés, c'est aussi celui de
cet académicien de la nouvelle "Réis Ibrahim" dont le narrateur reprodui t
les paroles pour en désamorcer et souligner le vide prétentieux. Voici
conunent il s'adresse à Réis Ibrahim, cet arabe nouvellement débarqué à
Paris, qui connaît à peine la langue et la culture Ïrançaises : "Tu n'as
certainement lu ni HERODOTB, le père de l'histoire, ni PLINE le naturaliste,
ce martyr de la science, et tu ne sais pas sans doute ce que c'est que le
trochilus, que les classiÏicateurs modernes ont rangé dans la Ïamille des
percheurs ténuirostres, mais, en voyageant sur les ondes inconstantes du
Nil, tu as pu remarquer que souvent un petit oiseau entrait dans laquelle
beauté des crocodiles aÏin d'enlever les mouches qui C.J" (1)
Ce moyen permet à l'auteur de donner des précisions à propos
d'un certain nombre d'agents indiciels ou de codes indicateurs qui régis-
sent le ré ci t afin de dégager les signiÏications proÏondes qui en découlent.
Il est d'autre part un procédé sur lequel nous ne saurions passer.1
c'est celui des systèmes d'opposition. Le caractère antithétique
des
événements se mani Pes te souvent par la rupture brutale du cours du récit
par un événement dont l'importance déterminera les actions ultérieures.
Cette rupture est marquée au niveau du "temps d'itinéraire" par des
l
expressions ou des termes conune "Mais", "un jour", "tout à COUpll ••• et au
niveau du temps modal par le passage brusque de l ' Lmpar-Pa'i t au passé simple
de l'indicatif. C'est le cas par exemple dans cette phrase: "Il était donc
décidé à se rendre en Ecosse pour épouser Hélène. Il devai t partir dans
(1) Réis Ibrahim~ P. 39.
···1

- 309 -
huit jours, lorsqu'un événement imprévu, fort insignifiant en apparence,
un de ces hasards qui remplissent la vie, vint tout à coup modi.fier ses
proj ets et changer pour touj ours le cours de son existence:' (1)
Mais le caractère antithétique des .faits se traduit aussi par les
oppositions entre les personnages, entre la petitesse ou l'étroitesse d'un
obj et et l ' inunensité de son pouvoir ou de son in.fluence, etc... A propos
des personnages, signalons par exemple les oppositions suivantes: Horace
et M. VERCEIL son oncle s'opposent quant à leur conception de la vie.
Horace voit "romantiquement" l'existence tandis que son oncle rejette le
domaine des rêveries et des aspirations abstraites. Le narrateur se fait
l'arbitre de la situation et donne raison à M. VERCEIL car Horace avoue
lui-même à la fin de l'ouvrage que s'il avait l'occasion de reconunencer sa
vie, i l irait rechercher le bonheur sur "les bords de la Clyde, dans
l'ar.fection partagée, dans le devoir accompli, dans le sacrifice mutuel,
dans la tâche commune"J (2)
Comme le lui avait conseillé son oncle. Con-
cernant Hélène et la Mariotte, il s'agit d'une opposition de classe. La
première est la fille d'un bourgeois enrichi, la seconde est une pauvre
paysanne. Ces deux jeunes .filles s'opposent nettement quant à leur manière
de comprendre la vie et de se comporter vis à vis du jeune parisien.
Dans "le livre posthume", l'auteur oppose, autour de Sylvius
agonisant, Békir"'1\\ga le musulman et un prêtre de la religion catholique,
apostolique et romaine : "Une servante dévote avait été chercher un prêtre
qui arriva et marcha vers Sylvius, auprès duquel i l s'arrêta. A ce moment,
Bélcir"'1\\ga, qui était resté avec moi, alla lentement se placer au chevet du
lit, en .face du prêtre!' (3)
Le .face à .face entre ces deux hommes est en .fait l'opposition de
deux religions, deux pays, deux cultures, deux civilisations. La nouvelle
"Réis Ibrahim" évoque aussi ce thème. Cette fois, c'est un seul homme qui s'oppose
à tout un pays. Esseulé nans les labyrinthes parisiens, Réis Ibrahim découvre
les réalités du nouveau monde et esquisse des comparaisons avec
son propre pays qui est l'Egypte. Dès lors, les
(1) Les Forces Perdues, P. 97.
(2) Ibid, P. 296.
(3) Le Livre Posthume, P. 230.
···1

- 310 -
réflexions relatives à la France sont exclusivement limitées au seul point
de vue du nouvel observateur perspicace mais ignorant, et par là-m&te plus
réceptif. Il est plus sensible aux bruits, aux couleurs, aux mouvements et
aux comportements des sociétés françaises qu'il découvre grâce à son ami
Godefroy. Mais l'auteur ne se contente pas d'un seul point de vue, modifiant
ses impressions en ~onction de ses sentiments et de ses expériences. Ses
premiers jours à Paris se déroulent dans une euphorie sans conte$te mais
ses illusions tombent dès lors que les curiosités de ses h8tes sant satis-
fai tes : "Tous ces hommes sont bons, on doi t être heureux de vivre au
milieu d'eux" (1) a~-t-il tout naIvement au début de sa randonnée pari-
sienne. Mais, c'est avec amertume qu'il livre ses derniers jugements sur
la France et ses ~bitants : "Sois maudi t e, terre de mécréants, d'infidèles
et d'incirconcis ! Tes chemins de fer, tes machines à vapeur peuvent te
faire forte et puissante ; mais le coeur de tes enfants est pourri à
jamais L7.J Je retourne avec mes frères, les fellahs d'Egypte, que jamais
je n'aurais dû qui~ter !" (2)
Les intrigues se déroulent autour de ces constructions anti théti-
ques qui polarisent l'intérêt de la narration des faits et contribuent par
là-même à l'évolution et à l'orientation du récit. Ces oppositions consti-
tuent aussi pour l'auteur l'occasion d'exposer plusieurs attitudes ou
plusieurs points de vue à propos d'un sujet précis tout en se gardant le
privilège de glisser son propre point de vue qui devient la morale à tirer
de la construction.
Les phénomènes d'anticipation et de retour en arrière sont aussi
utilisés par l'auteur. Ils marquent la multiplicité de la temporalité du
récit. Ces procédés de composition dénotent le souci constant de construc-
tion et de clarté de la démonstration. Toutes les structures des textes
sont soutenues par ces figures de construction qui éclairent le récit. Par
exemple, à la page 9'7 des "Forces Perdues", le narrateur annonce la modifi-
cation des projets d'Horace avant d'expliquer plus tard les raisons de ce
changement. Dans "L'honune au bracelet d'or", c'est l'avenir de George qui
est prédit par le narrateur : "Ils f§eorge et Pauli~ apercevaient alors
(1) Réis Ibrahim, P. 18.
(2) Ibid, P.· 76.
.../

- 311 -
au bout de leur horizon une séparation éclatante, un grand scandale en un
mot, et ils .fermaient les yeux comme pour cbasseï- cette vision .ftmest~1 (1)
George part e.f.fectivement pour un long voyage où il meurt au cours d'une
guerre. Ces procédés de prédiction et de retour en arrière semblent à
notre avis nuire au romanesque et à l ' intér~t pathéti que du ré ci t, car ils
tuent ou du moins a.fEaib1issent l'émotion qui constitue la qualité première
d'une oeuvre de .fiction.
Dans ce même chapitre, signalons les parallélismes de construction
qui se présentent comme des rappels du passé pour étayer le présent a.fin
d'envisager l'avenir. C'est l'évocation amère du passé par le souvenir,
c'est-à-dire la rétrospective qui permet aux personnages de juger leur
présent en fonction de leur passé. Le chapitre XIII par exemple du "Livre
Posthume" reprend, parallèlement, d'un point à l'autre, les scènes im-
portantes des chapitres ultérieurs pour tirer les leçons de l'échec de .'"
l'existence de Jean-Marc. La dernière phrase du dernier chapitre est d'ail-
leurs ainsi libellée: "j'ai .fait comparaître ma vie devant moi-même, juge
impartial que je ne récuse pas ; je lIai interrogée, elle est coupable,
mauvaise, désespérée; je l'ai condamnée à mort, et bient8t j'exécuterai la
sentencef (2)
Les phénomènes d'anticipation, de prédiction et de retour en arrière
ou {flash~backf concourent à rendre le récit subjectif. Ils sont renforcés
dans ce sens par de fréquentes intrusions de l'auteur. Dans une lettre
adressée à FIAUBERT lors de la rédaction des "Forces Perdues" Du CAMP
explique les raisons de son irmnirion
dans le récit: "Quant au je, je
l'ai supprimé partout et ne l'ai laissé subsister qu'au moment où j'entre
en scène, moi-même, par une conversation avec Horace. C'est le seul moyen
de préparer la correspondance de la 4è partie et le raIe que je joue à la
fin. Sans cela, il m'aurait fallu, dès le début,
introduire un nouveau
1
personnage épisodique "qui m'aurait fort gêné et aurait inutilement ralenti
le ré ci tU. (3)
Ainsi, à certains moments, l'auteur se présente comme étant à la
(1) L'Hormne au bracelet d'or, P. 307.
(2) Le Livre Posthume, P. 273.
(3) BONACCORSO, [faris, dimanch!16 janvier 1867.
.. ·1

- 3J-2 -
fois le conseiller et le confident de ses personnages, ayant écrit ses
livres du point de vue exclusif des narrateurs avec une vision unilatérale.
Aussi, compense-t-il cette restriction de champ par des intrusions fréquentes,
directes, qui lui permettent soit d'ajouter un complément d'information soit
d'émettre des notations personnelles. George apprend presque par hasard
dans "L'honune au bracelet d'or", les comportements indignes de sa mère.
Par le truchement du narrateur, l'auteur met à nu le combat intérieur qui
déchire l'adolescent : "George fut-il dupe de la supercherie de son père ?
je l'ignore mais je sais que dès ce jour il sentit malgré lui s'étioler
l'affection qu'il portait à sa mère et se faner cette fleur de respect qui
est le parfum des vraies tendresses." (1)
Dans "les Forces Perdues", c'est une voix souveraine qui se subs-
titue au narrateur pour s'adresser directement au héros qui s'est engagé
sur la mauvaise pente: "Tu fais une 'sottise
le bonheur est peut-être ici".
Cette voix, il devait l'entelldre encore plus tard, parlant alors avec l ' au-
torité de l'expérience et lui disant: "Le bonheur était là, tu n'avais qu'à
l'accepter lorsqu'il s' offrai t à toi!' (2)
Grâce à ces divers procédés, Maxime Du CAMP dénonce les comporte-
ments immatures de ses héros en cri tiquant le plus souvent avec amertume
leur caractère adolescent et leurs attitudes romantiques. Il adopte, comme
le disent certains critiques, un point de vue rationnel et adulte, pragma-
tique et réaliste, motivé par son souci d'éducateur et de moraliste.
Certes, l'appréhension du lecteur et de la critique, la crainte
de se voir identifié à ses personnages sont indéniables chez Maxime Du CAMP,
de même qu'un certain plaisir à se montrer plus lucide que ses créatures.
Cela est d'autant plus vrai qu'il les a créées à l'image du jeune roman-
tique qu'il fut et qu'il dénonce vigoureusement dans ses ouvrages. Ses
interventions ont pour dessein d'une part, d'éclairer sur les problèmes
qu'ils ont à résoudre afin de leur donner une meilleure orientation et de
meilleurs conseils, d'autre part d'émettre des réflexions et des jugements
sur l'état de la situation afin de permettre une meilleure compréhension
du lecteur.
(1) L'Homme au bracelet d'or, P. 291.
(2) Les Forces Perdues, PP. 65-66.
.. ·1

- 313 -
Malgré cette présence Îeutrée mais manifeste, l'auteur tente
de dissiml1ler sa responsabilité vis-à-vis de chaque livre. En ce qui con-
cerne "le livre posthume" par exemple, il nous apprend dans un prologue de
vingt-trois pages qu'il avait rencontré Jean-Marc l'auteur du récit en
1850, pendant le voyage qu'il avait eÎÎectué en Egypte. C'est ainsi qu'il
noua une amitié sincère avec cètautre voyageur qui n r avai t plus aucune
attache en France. De retour à Paris, il reçut un colis de papiers divers
émanant de son ami de voyage qui venait d'attenter à sa vie. L'une des
trois sOllScriptions était ainsi libellée :
"Ceci est l'expression dernière de ma volonté. J'ordonne que ces
papiers, ainsi cachetés et scellés de mes armes, soient remis à Monsieur
Maxime Du CAMP. Je ne reconnais à personne le droi t de s 'y opposer ou de
demander au sus-nommé compte de ce qu'il en aura fai t., Je déclare n'agir
ainsi que pour le plus grand soin de ma mémoire et la plus grande utilité
de tous, et je signe :
Jean-Mard' (1)
Aussi tat, Du C'AMP donna communication de ce manuscrit à plusieurs
de ses amis et il décida de le publier: "Je n'ai rien voulu y changer ;
j'ai religieusement gardé ces notes dans l'ordre où je les reçues, et ce
sont elles qui forment le présent voâumel' (2)
Le manuscrit des "Hallucinations du Professeur Floréal" lui, serai t
remis par un ancien compagnon de collège épris de diplomatie, marié et ins-
tallé à Rouen: "Je lus cette bizarre confession, je la reproduis textuel-
lement!' (3)
Quant au "Chevalier du coeur saignant", c'est un docteur qui lui
aurait raconté l'histoire de Fabio: "Je racontai au docteur, dès que je fus
seul avec lui, les scènes dont Fabio m'avait rendu le témoin, et je le
priai de me dire l'histoire de cet étrange garçon~ (4)
(1) Le Livre Posthume, P. 18.
(2) Ibid, P. 22.
(3) Les Hallucinations du Professeur Floréal, P. 557.
(4) Le Chevalier du coeur saignant, P. 698.
.. ·1

- 314 -
Au terme de la nouvelle ItRéis Ibrahim", l'auteur intervient pour
signaler que "les personnages qui ont joué un raIe dans cette très véri-
table histoire vivent encore, et je puis en parler avant de clore mon
ré ci tl' (1)
On pourrait prolonger la liste, car chaque ouvrage est sujet à
des notations pareilles.
Cette dérobade de l'auteur à l'égard de son récit s'explique par
une préoccupation essentielle: le message ou du moins les enseignements
de ses livres, il les veut vrais, authentiques et sans .f'al.si.ficatio~.
Aussi, recherche-t-il dans leur retransmission un certain nombre de procédés
ou de sub.fertuges pouvant lui permettre de leur conférer un caractère
objecti.f. Entendons par objectivité la qualité de ce qui donne une re-
présentation .fidèle d'un objet, d'un .fait ou d'un événement. Avec cette
assertion, la vérité littéraire selon laquelle l'artiste ne doit pas chercher
à idéaliser, à .falsi.fier le réel ou iJ. en donner une image épurée, nous semble
une tendance à l' obj ectivi té.
D'ailleurs, tout discours littéraire s'inscrit dans un système de
valeurs, ce système s'inscrivant lui~ême dans un code idéologique. Le
processus de subjectivisation du récit chez Du CAMP se trouve accentué par
l'utilisation de certaines Permes littéraires qu'exige la visée même du
message livré. L'utilisation de phrases particulièrement longues, .fleuves
même, qui relèvent du souci constant de démonstration de l'auteur répond à
cette même préocccupation. En e.f.fet, dans leur essence, les phrases longues
répondent à une vision totale et complexe et à une volonté de synthèse.
Antérieurement à l'énoncé, l'esprit a pris conscience de l'ensemble des
.faits et de leurs rapports. Le mouvement de la phrase sera ainsi en harmonie
avec le déroulement des .faits, qui n'est lui-même qu'un mouvement de la
pensée. En conséquence, la pensée n'est extériorisée qu'à partir du moment
où la synthèse du sujet et du prédicat a été e.f.fectuée. Ces phrases .fleuves
consti tuent pour l'auteur, l'outil de la démonstration et de la conviction.
Aux procédés déjà mis en évidence, ajoutons pour complé'ter la
(1) Réis Ibrahim, P. 78.
.. ·1

série, la part faite belle aux citations, aux références et aux exemples.
Ayant essentiellement écrit des ouvrages d'analyse, l'auteur a, nous semble-
il, cherché avant tout à démontrer et à prouver afin de convaincre. On se
croirai t à certains moments en train de lire une dissertation, un exposé
ou une thèse. Aucun de ses livres n'échappe à la tyrannie de cette obsession.
Dans "Les hallucinations du Professeur Floréal" par exemple, il ci te
SHAKESPEARE, MONTAIGNE, OVIDE, VIRGILE, HORACE, CREVIER••• Dans "Richard
Piedno~l", il est question de DIDEROT, du "mariage de Figaro", de SHAXES-
PFARE, d'HOMERE, de Victor HUGO ••• Il en est de même des autres ouvrages
du corpus qui regorgent eux aussi de citations diverses du type : "Quand on
fai t tant que d'aimer une femme, il faut en être éperdu !" (1) (DIDEROT) ou
"Le vice laisse comme un ulcère à la chair, une repentance en l'âme qui
toujours s'égratigne et s'enSanglante elle-même". (2) (MONTAIGNE) ou cette
allusion : "Et pour la première fois leurs lèvres se rencontrèrznt dans un
de ces baisers dont BYRON a parlél' (3) •••
Au bout du compte, l'analyse des procédé7 de composition et du
raIe qui leur est assigné par Maxime Du CAMP dans son oeuvre .nous autorise
à souligner le scrupule de ce dernier quant à la "fabrication" de la matière
des ouvrages. Il se dégage très nettement de ses livres un souci primordial
de construction esthétique et d'enchaînement logique. En témoigne les coor-
dinations et les transi tions scrupuleusement choisies qui lient les éléments
lexicaux, syntactiques ou les parties ou sous-parties des ouvrages selon
une combinaison cohérente en vue d'une fin déterminée par l ' écri vain.
Même les recueils de poèmes sont composés avec les mêmes scrupules.
Nous avons déjà signalé antérieurement les trois parties que reni'erment
"Les Chants Modernes" en plus de la préface. Chaque partie renferme une
unité thématique, lexicale et sémantique.
"Les Chants de la matièrell contiennent six poèmes. Comme nous
l'avons déjà souligné (cf théories littéraires), l'écrivain inaugure un
champ lexical et thématique nouveau dans le domaine poétique. Il célèbre
(1) Richard PIEDNOEL, P. 343.
(2) Les Hallucinations du Professeur Floréal, P. 552.
(3) L'Homme au bracelet d'or, P. 308.
. ··1

-
316 -
et chante à travers ces pièces les découvertes nouvelles. "La Faulx" par
exemple glorifie la noble .fonction qui est la sienne. On y relève le lexique
suivant : Couper, .frotter, aiguiser, pierre, grincer, râteaux, crocs,
herbe, table, foin, étable •••
"Les chants d'amour" en renferment dix-sept. Dans ce chapitre, le
poète ouvre largement son coeur et laisse étaler sans aucun ménagement ses
sentiments les plus pro.fonds et les plus intimes. Ses fougueuses amours de
jeunesse mais aussi ses mélancolies, ses tourments et ses regrets y appa-
raissent comme un lei tmoti v.
.lepremier poème de la série est intitulé,
"A Porcia- (cf chapitre III, Transmutation de la vie en oeuvre d'art ••• ).
Porcia est la femme aimée, presqu'adorée par le poète. Mais, au grand
regret de ce dernier, cette femme idéale s'éloigne peu à peu de lui, jus-
qu'à la rupture totale. Il ne désarme pourtant pas et entretient minutieuse-
ment le secret espoir de la reconquête :
"Au dessus des douleurs, au dessus du naufrage,
Sur la mer assombrie et sous le grand ciel noir,
je sens, 8 Porcia! mon amour qui surnage
Et garde sans pâlir l'incorruptible espoir !" (1)
Le champ lexical et sémantique est bien sûr à l'image de cette
thématique : Amour, vie entière, cul, te, sacré, soleil, lumière, Dieu, coeur,
adoré, bonheur, serments, aimer, tendresse, ivresse, éternité •••
Les autres poèmes reprennent plus ou moins la même thématique.
Dans "les chants divers", le poète laisse voguer son imagination
et raconte tout ce qui fait partie de son univers vital quotidien. Citons
en illustration le thème du voyage puisque nous l'avons déjà développé dans
/
le chapitre précédent. On le rencontre à travers les poèmes suivants : La
maison démolie, le voyageur, le palais génois. En route ••• On y retrouve ~êle-~êle
le lex~que suivant: s'en aller, plier bagage, bâton blanc, sac au dos, voyage
paysage, espace, désert, sable, 'bédoin, soleil, orient .••
(1) Les Chants Modernes, A Porcia, P. 326.
. . ·1

-
}17 -
Cependant, malgré ce scrupule de l'écrivain, il convient de
souligner que les procédés de composition que nous avons exposés sont dans
l'ensemble d'inspiration classique. on les retrouve plus ou moins chez
MOLIERE, chez VOLTAIRE ••• On ne peut donc pas, sur ce plan, parler de
"révolution" de la part de l'auteur, mais plutôt de prouesses qui relèvent
de son tempérament propre.
Le moment nous semble par ailleurs venu de signaler le défaut le
plus important que nous avons relevé dans les ouvrages de Du CAMP. Il est,
comme on ne peut s'en douter, l'ap~age des ouvrages qui se soucient
davantage de la solidité de l'agencement et de la structure du texte en vue
d'un résultat déterminé. En effet, lorsque l'on vise à émettre des leçons,
à ineuJ.quer une morale, il faut pouvoir être convaincant, il faut démontrer
pour démontrer il faut des preuves, des détails, des exemples à l'appui des
analyses et des affirmations. Mais, à force de vouloir prouver, le romancier
ou le nouvelliste en vient à abuser des artifices qui ne sont pas absolument
indispensables à une oeuvre narrative. Bien que certaines de leur utilisation
viennent à point, l'abus de ces procédés nuit à la clarté du récit et à
l'évolution de l'action.
Les problèmes suscités par la narration des faits dans l'oeuvre
de Maxime Du CAMP ne se limitent pas seulement à leur seule dimension di-
dactique. Ce serait en effet atrophier les textes d'une partie essentielle
et méconnaître le talent de l'auteur que de passer sous silence le style
dans lequel i l a tenté de véhieuJ.er son message. Aussi faut-il signaler,
outre ces divers procédés propres à la composition, certains éléments
stylistiques qui, ajoutés aux techniques narratives, donnent toute son
efficacité au récit.
b - L'expression
L'auteur a profité de toutes les occasions qui se sont offertes
à lui pour déclarer l'importance qu'il accorde à l'expression, c'est-à-dire
au style et à la grammaire, dans une oeuvre littéraire. Il n'a cessé de
corriger les petites fautes grammaticales que commettait FLAUBERT dans ses
lettres. En 1864, FlAUBERT lui annonce qu'il vient de commencer un nouveau
roman. Du CAMP le félicite mais ne reste pas indifférent à une faute
.. ·1

- 318 -
grammat~cale qu'il relève à bon escient : "Mais pourquoi m'écris-tu textuel-
lement ceci : "Il y en a déjà une page d 'écri te" : C'est comme si tu disais
ce n'est pas de ma Paute. Ce qui est antigrammatical:' (1).
Les échanges des manuscrits sont aussi des occasions propices à
ce genre de réaction. Par exemple, à propos de "Salanunb8", Du CAMP reproche
à son ami l'utilisation abusive de la conjonction et : "D'abord tes "et".
Tu peux, sans crainte, en retrancher 300 ou 400 C.J Tu joins par un et,
par une "conjonction", des membres de phrases qui n'ont aucun rapport, mais
aucun rapport entre euxt'. (2).: Une autre observation faite dans cette même
lettre porte sur les "amphibologies" qui tiennent selon Du CAMP, à l'horreur
de FLAUBERT de répéter les mots. Sept pages d'observations de ce type ont
été adressées à ce dernier à cette même occasion.
Les raisons de cette obsession de la perfection de l'expression
chez Maxime Du CAl.fP sont évidentes. En effet, contrairement à nombre de ses
contemporains du XIXè siècle qui décrètent réserver la littérature à des
initiés, Du CAMP milite en faveur d'une oeuvre claire, limpide, accessible
à tous et au service de tous. Il répugne aux oeuvres "embrouillées", "in-
complètes·et trop rembourrées· dans lesquelles l'expression cesse d'être
transparente pour devenir un obstàc1e à la compréhension, une fin en soi,
une recherche autonome. Pour évoquer ce phénomène, Roland BARTHES parle de
la forme littéraire qui développe "un pouvoir second, indépendant de son
,
.
r
7"
econorrue L •• !.I
cette forme "fascine", "dépayse", "enchante" ; elle a
"un poids". La littérature n'est plus alors sentie comme "un mode de
circulation socialement privilégié, mais comme un langage consistant,
profond, plein de secrets C.~ Tout le XIXè siècle a vu progresser ce
phénomène de concrétion'.' (3)·
C'est contre cette tendance à la mystification du récit que
Maxime Du CAMP a lutté sa vie durant. Son expression a bien des égards
continue celle du XVlllè siècle, période durant laquelle elle s'est révélée
(1) BONACCORSO, ffiaden-Baden, dimanch,y 11 septembre iJil64. nO 97, P. 278.
(2) Ibid, L0?aris, vendredi! 11 juillet 1862 - au soir. nO 14, PP. 295-296.
(3) Roland BARTHES, Le degré zéro de l'écriture, Seuil, PP. 10-11.
. ··1

une arme, un instrument de dialogue ou de satire, et où tout était rationnel,
clair, à la taille de l'homme. De ce point de vue, elle se rapproche beau-
coup plus de celle de STENDHAL. Dans le même ordre d'idée, Maxime Du CAMP
affirme dans "Les Souvenirs littéraires" que le style et la rhétorique sont
deux choses différentes que les écrivains confondent le plus souvent. Selon
lui, il faut absolument éviter la conf'usion pour bien écrire et toujours se
rappeler le précepte de la BRUYERE : "Si vous voulez dire il pleut, dites :
il pleut!' (1)
Du CAMP n'éprouve jamais le besoin de rompre avec l'usage, bien
que n'entendant pas subir aveuglément la tyrannie des règles. Il ne recherche
pas l'effet par l'emploi de l'incorrection grammaticale ou du néologisme.
L'expression claire, sans emphase ni excentricité n'est pour autant pas
synonyme de vulgarité. L'écrivain n'admet pas pour cette raison "le réalisme
photographique" qui selon lui, vulgarise ou prostitue le langage. Il écarte
délibérement la description pour elle-même, le tableau pittoresque en soi.
Comme MAUPASSANT, il estime que toute réali té n'est pas nécessairement inté-
ressante et que le rôle de l'écrivain consiste à ne choisir que ce qui lui
paraît significatif. L'oeuvre d'art ne consiste donc pas à donner une copie
de la réalité, à l'inventorier dans ses moindres détails, mais bien à l'inter-
prêter pour en dégager les lignes de force (procédé des presbythes/myopes).
Après la lecture du manuscrit de "Madame Bovary", il faisait à
FlAUBERT les remarques sui vantes : "Si la littérature est la reproduction
littérale de ce qui se dit, il est inutile d'écrire. Je persiste absolument
et je crois que tu ferais une sottise de laisser subsister toutes ces vulga-
rités inutiles!' (2)
Il lui mande dans une autre lettre de supprimer un
certain nombre de détails "dangereux" et nuisibles à la qualité du ré ci t
"On monte en fiacre et plus tard on en descend, cela peut parfaitement passer,
mais le détail 'est réellement dangereux~ (3)
$ /
C'est encore pour ces mêmes motifs qu'il nourrit une haine indicible
à l'égard du chef de file naturaliste Emile ZOlA et qu'il désavoue l'oeuvre
du peintre COURBET.
(1) Souvenirs littéraires, T. 1, P. 316.
(2) BONACCORSO, Dimanche 14 juillet L1~69, nO 126, P. 320.
(3) Ibid, Paris, mercredi 19 novembre 1856, nO 60, P. 215.
.' ·1

-
320 -
Pour le premier, les documents que nous ci tons sont consignés
dans les manuscrits de la Bibliothèque de l'Institut. Selon Du CAMP, le
naturalisme consiste pour quelques écrivains nà appeler les choses par le
nom dont on ne doit pas les appeler". Emile ZOlA appartient évidemment à
cette catégorie d'écrivains pour qui nl'expression la plus sale est toujours
le mot propre". Aussi, enseigne-t-il la prudence aux lecteurs à propos de
ses livres: nIl ne ~aut lire tout bas que les livres que l'on peut lire
tout haut n, IIL'Assommoirll est particulièrement visé car il "es t à la l i tté-
rature, ce que la commune fut à la légalité, une inexcusable insurrection". (1 )
Concernant le peintre COURBET, Du CAMP le considère comme un
artisan plut8t qu'un artiste parce qu'il copie la réalité sans y apporter
un supplément d'âme. Il l'accuse en .fait de ne reproduire que les objets
qu t i I voit et absolument tel qu'il les voit; ce qui, à ses yeux, n'est
qu'une imitation pure et simple. Pour lui, en matière d'oeuvre littéraire
ou d'oeuvre d'art, ilIa vérité inventée est supérieure à la vérité observée"
car la première peut4têtre "absoluell ,
tandis que la seconde n'est jamais que
"relative". Pour ce .faire, dans les documents qu'o.f.fre la nature, il faut
savoir choisir et interpr~ter afin d 'évi ter de copier de .façon servile.
Prendre au hasard ce qu'on aperçoit, c'est se réduire à IIl'état de pante-
graphell et abdiquer d'un seul coup toutes les .facultés du cerveau. C'est
"réduire à néant l'observation, la comparaison, l'élection", (2)-
Du CAMP partage donc entièrement cette idée de STENDHAL : "On
arrive à la petitesse dans les arts par l'abondance des détails et le soin
qu'on leur donneJ' (3)
Il ajouterait volontiers : "surtout de détails
inutiles et cornpr-omet tarrt s "; A travers ces lignes point la troisième
théorie littéraire que nous avons précédemment énoncée. On trouvera par
conséquent très rarement chez lui de grands tableaux exhausti.fs campant
longuement le décor de l'action comme chez BALZAC ou de longues scènes
décrivant dans les détails des séquences du roman comme chez FLAUBERT ou
m~e chez ZOLA. Cependant, il ne se contente pas de généralités; il em-
prunte des .faits précis, par.fois réels, parfois imaginaires à son actualité,
(1) M.S. 3728 - 1.
Idées.
(2) M.D.C, Les beaux Arts à l'exposition universelle de 1855, Peinture,
sculpture, Paris, Lib. nouvelle - 1855.
(3) STENDHAL, Rome, Naple et Florence, P. 67.
.../

-
321 -
ce qui donne l'impression du vécu. Tous choisis, participent à une dé-
monstration et corroborent une thèse préalablement élaborée par l'auteur.
Est-ce pour autant qu'il n'y a pas entre le milieu et les personnages de
relation directe de causalité ? Ou du moins, que le milieu ne détermine pas
le personnage de l'extérieur? Chez Du CAMP, le milieu sécrète mécanique-
ment et fatalement l'individu (Deuxième position esthétique), aussi, le
cadre qu'il prête à ses personnages est-il toujours chargé de significations
et aide-t-il à comprendre les protagonistes. Il en va de même de l'utilisa-
tion de termes locaux, de langues étrangères telles l'Arabe, le Hongrois,
l'Anglais ••• des expressions familières propres aux différents milieux
sociaux. Ces emplois permettent de caractériser les personnages et de marquer
les différences de milieux et d'atmosphère. Néanmoins, il convient de re-
marquer qu'il n'y a pas particulièrement de "prouesse nt de tentatives lin-
guistique" chez Du CAMP comme chez ZOIA, du moins concernant l'oeuvre narra-
tive. La syntaxe reste traditionnelle ainsi que la narration des faits qui
est elle aussi faite par des artifices rhétoriques hérités de la tradition
romanesque et soulignant tout le conformisme de l 'écri ture. Le style est
clair, mais non pas simplistè. Comme chez tous les écrivains de talent, il
ne réflète pas seulement les intentions conscientes deI' auteur, mais aussi
les tensions inconscientes ou "les implications inavouées" de sa personna-
li té, les formes de sa sensibilité et la dynamique de sa rêverie. Il répond
aussi aux nécessités de l'analyse psychologique. Voulant avant tout dé-
montrer, il met son expression au service de ses idées et de ses convictions
personnelles afin d'atteindre le résultat recherché.
Cette tendance apparaît de façon nette dans le choix des images
et dans l'utilisation romanesque que l'auteur en fait. Le registre de
l'imaginaire renferme toutes sortes d'images: sonores, olfactives, senso-
rie~lauditives... Cependant, les motifs visuels sont de loin les plus
importants. N'avons-nous pas déjà signalé que Maxime Du CAMP excelle dans
la "chose vue ?II
/
Les sources des images utilisées sont très variées
- La vie champêtre : "Nous nous sommes quittés comme on abandonne
un champ épuisé et devenu s tér-i Lel' (1).
(1) Le Livre Posthume, P. 95.
.. ·1

-
322 -
La flore: "Hélas! il en est de la Félicité des hommes comme de
ces jardins qu'enferment des murs défendus par des brouissailles de fer!' (1).
- Les oiseaux : "Peu à peu, comme des oiseaux qui s'échappent
l'un après l'autre de la volière" (2) ou
"Le rire jaillissait de ses lèvres comme une volée d'oiseaux qui
s'échappent d'une cage allègrement et en battant de l'aile". (3)
etc•••
La science, la justice, la mer, la religion, la jungle, la guerre,
le voyage, l'amour, la mythologie••• sont utilisés comme source de multiples
images que renferme l'oeuvre.
Quelles qu'elles soient, ces images sont appropriées à un} con-
texte autonome et ont pour dessein de rendre la pensée plus saisissante de
vigueur. Par exemple : "Quand une roue est arr~tée, immobile, sur une pente,
il suffi t de l'impulsion la plus légère pour la précipiter ; il en est de
même des relations humaines!' (4) , Cette image est non seulement le constat
d'un état de fait (la précarité de l'amour entre Horace et Viviane au paro-
xysme de leur crise) mais aussi elle laisse entrevoir le sombre avenir qui
guette les deux amants.
Cette autre image caractérise une situation et invite à un
retournement de tendance : "Les écailles sont tombées de mes yeux ; tu as
raison: aimons-nous [:.J et tuons les fant8mes qui nous assd èqerrtj (5)
On pourrait réaliser une étude très détaillée et très enrichissante sur les
images chez Du CAMP, car il y en a un nombre impressionnant. Mais tel n'est
pas notre objectif; l'essentiel pour nous étant d'en présenter un échantil-
Ion
*
significatif •
Soulignons dans le cadre précis de notre étude, que l'utilisation
des images double le romancier et le nouvelliste d'un véritable poète. Sa
prose, à certains endroits, devient purement poétique. C'est après avoir
(1) L'Homme au bracelet d'or, P. 308.
(2) Ibid, P. 317.
(3) Le chevalier du coeur saignant, P. 702.
(4) Les Forces Perdues, P. 185.
(5) Ibid, P. 143.
* Ce~te étude as~ez générale pourrait être complètée par celle plus réduite
maJ.s plus détaJ.llée consacrée aux "Forces t'erdues" réalisée par J. JIRIAN
(cf le chapitre: l'art des Forces Perdues).
.. ·1

- 323 -
constaté cette poésie que BOUILHET a déclaré à propos des "Forces Perdues"
"Le style en est limpide, pr-éci s , français, avec les puissances contenues
d'un poète qui se dérobe et ne jette par-ei, par-là, qu'une fleur de son
herbier, au lieu de tout un jardin botanique, dans l'heureuse vivacité de
l ' act Lonl' (1)
CARO intervient dans le même sens en affirmant que Du CAMP est
un véritable poète par "la sensation intense" et par "la couleur de
l'expression" dès lors qu'il s'intéresse au paysage oriental des bords du
Nil : UVous êtes resté un maître égalé parfois, non surpassé dans le
paysage Egyptien~ (2)
Dans certaines descriptions, on est fortement frappé par le
miroi tement des couleurs : "Quelques cheveux blonds brillaient au soleil
comme des fils d'or" ou bien "Eléphantine tout empanachée de verdure".
Ces touches superbes, presque pittoresques, font irrémédiablement
penser au bref passage de l'auteur sur les chemins de la peinture pendant
son adolescence, surtout à son expérience de critique d'art dans "La Revue
de Paris" et dans "La Rewe des Deux Mondes".
Ces images, qui n'ont pas simple valeur d'agrément, sont quelques
rares fois destinées à servir de parure qui relève la beauté du style. La
peinture du passage ou du cadre naturel est aussi occasion de poétisation.
Parfois par petites touches successives, parfois de façon très prolixe,
l'auteur laisse voguer au gré des vents et des tempêtes, les zigzags ondu-
lants de son pinceau : "Au dessus des nuages, la lune, brillante et large,
semblait se reposer sur d'i~Qnses coussins bordés de couleur de l'iris. Les
arbres noirs détachaient leur silhouette mobile sur la lumière du ciel.
Quelques uns étaient si hauts, qu'ils paraissaient porter les étoiles,
épanouies au sommet; de leurs branches, comme des fleurs de feu~ (3)
Au bout du compte, il ressort que l'image chez Maxime Du CAMP
(1) M.S. 3763 - 3766 - Correspondance 1835-1893. 3762 (A-C).
(2) CARO, réponse au discours de M.D.C. à l'Académie française.
(3) L'Homme au Bracelet d'or, P. 307.
. . ·1

-
324 -
n'est pas uniquement un ornement du discours li ttéraire ; elle est à la
fois un instrument d'analyse, une distraction enjolivante pour l'oeil.
.: ou pour l'imagination du lecteur, une concrétisation pour
l ' espri t et l'expression d'une correspondance intense entre les sentiments
et les sensations des personnages.
En dehors du choix et du traitement des images, la vision du
monde de Du CAMP s'inscrit dans l'organisation de la phrase, dans le rythme.
Le mouvement du réci t, les élans ou les remous de la sensibili té sont rendus
par les coupes, la longueur des groupes de mots dans la phrase, et les
rapports réciproques des parties du discours. Ces types de phrase consti-
tuent en fait une juxtaposition de procès divers, de pensées parfois non
organisées mais livrées en vrac dans leur apparition chronologique avec un
rythme haché destiné à évoquer le débit réel de l'action: "Ce ne fut qu'un
éclair. Pauline jeta un cri et se sauva en courant L-:•.J George s'approcha•
..'
Elle se leva, passa son bras sous le sien, marchant et se soutenant à peine
elle le conduisit ainsi jusqu'à la porte du salon L-:.:7 George obéi t." (1)
Lorsque la phrase déboule sur elle-même comme c'est le cas dans
cet exemple, elle charrie les images et les mots; l'énumération est alors
"arythmique" et la mise en phrase retrouve la mise en scène.
Contrairement à l'oeuvre narrative, la production poétique de
Maxime Du CAMP a contribué à l'enrichissement et à l'innovation de la litté-
rature française. Elle mérite donc une attention toute spéciale parce qu'elle
ouvre un chemin nouveau. Peut-être est-ce l'enthousiasme révolutionnaire
(dans le domaine exclusivement littéraire entendons-nous) et son ardent
désir de liberté qui ont fait de lui l'un des poètes du siècle dernier à
découvrir l'enthousiasme et la liberté poétiques. Pour lui, plus de culte
de la forme sans renouvellement de l'inspiration poétique. Dès les premiers
poèmes inaugurés dans "Les Chants Modernes", il est clair que le poème
cesse d'être conçu comme simple objet esthétique offert à la jouissance
d'une contemplation ou à l'intelligence d'une méditation, mais se fait et
s'affirme réellement comme le lieu privilégié de la naissance d'un sens, un
espace complexe d'instauration d'un message.
(1) L'Homme au Bracelet d'or, P. 308.
. . ·1

l,
- 325 -
Les ,i1.()UVel1es théories développées par l'auteur l'ont inéluctable-
ment entrainé à une "prO\\1esse linguistique", . qui elle-même a engendré une
atmosphère et un style particuliers. Tout ce qui est soupçonné de "vieux",
de "ressassé" est banni du langage et de l'expression poétiques et rejeté
au profit d'une nouvelle ganme de mots ou d'expressions qui fai t bruyanunent
irruption ou qui viole la chasse gardée. Le poète utilise par exemple les
mots: "soleil" en remplacement de "Phoebus", "Lune" au lieu de "Phoebé" (1)
••• Il s'entête à chanter la vapeur, la locomotive, l'é1ectri~ité, la
faulx. •• c'est-à-dire des mots et des thèmes qui ne sont jamais entrés dans
le domaine exclusif de la poésie, qui en étaient même jadis proscrits.
L'originalité du vocabulaire poétique est liéeà la volonté de changement de
l'écrivain et prolonge pour ainsi dire, avec audace et témérité, la révolution
romantique de la célèbre "Bataille d'Hernani" des années 30.
Cette liberté linguistique, presque inattendue a nourri chez les
cri tiques des jugements qui nous iemb1ent pour la plupart inadéquats. SAINTE-
BEUVE regrette à propos des "Chants Modernes" la rudesse et la crudité du
style et souhaite un souffle plus léger, plus paysagiste, des crépuscules,
des fonds vaporeux (2)...
L'auteur d'un article de "La Revue des Deux Mondes"
sur "la littérature nouvelle" estime que la s tr-ophe.. est nombreuse, sans
être poétique, dans les poèmes de Du CAMP, qu'il parle une langue qui n'est
ni "prose ni vers" qu'il qualifie ingénieusement de "prose rimée". (3)
BOUILHET s'extasie d'abord devant le charme des vers de Du CAMP, avant de
relever leur originalité intrinsèque
"Quand tu veux faire des vers et que
tu les soignes, tu les fais aussi bien que qui que ce soit - Parce que tu
es garçon d'esprit et de style (Saluez !).
Mais au milieu de ces vers qui sont à la hauteur de leur époque -
et que tout le monde serait heureux de signer, j'en remarque tant dans ce
volume que dans l'autre, une bonne quantité plus particulièrement marquée
à ton effigie. Des vers à toi tout seul. Ils sont concis, roides, et donnent
(1) Les Chants Modernes, Aux poètes, P. 43.
(2) Causeries du lundi, op. cit., PP. 40 et 16.
(3) Revue des Deux Mondes, T. 4, 1862, P. 828.
.. ·1

-
326 -
le coup de fouet; conune une lame de fleuret C.;', Ils sont satiriques
et belli queux': (1)
Ces jugenents nous paraissent inopportuns et injustifiés ; dans
une moindre mesure ceux de BOUILHET qui retombent dans les mêmes erreurs,
mais qui reconnaissent quand même les particu.larités propres des vers de
Du CAMP.
En réalité, l'auteur des "Convictions" a courageusement apporté
quelque chose de noaveau à l'art poéti que français, mais conune touj ours en
pareille circonstance, il a été jugé, non pas par rapport à ce qu'il a fait,
mais en fonction de ce qui existait déjà, c'est-à-dire de la métrique
classique et de la vision personnelle des juges. Nous estimons, qu'il im-
porte qu'à mots nouveaux, qu'à pensées et thèmes nouveaux, qu'à inspiration
nouvelle, correspondent allure nouvelle du poème, atmosphère nouvelle de la
strophe, cadence nouvelle du rythme.
Le rythme des poèmes de Du CAMP est effectivement parfois brut et
cru, surtout quand il s'agit de ceux regroupés sous la rubrique "~esp_~~s
de la matière" dans "Les Chants Modernes" ; mais, cela est en cohérence avec
• •

_
, _
c ·
~ .
les orientations antérieurement définies par le poète. A notre avis, l'erreur
principale de Du CAMP n'est pas d'avoir tenté de frayer des voies nouvelles
dans les sphères de la poésie, mais de n'avoir pas poussé son expérience
d'innovation plus loin. En effet, contrairement au lexique et au thème
abordés, la construction des strophes, les vers, les rimes, les rythmes, le
nombre de pieds ••• ne connaissent pratiquement aucune réforme sérieuse. Le
poète a adopté son inspiration à la métrique classique. Il importe d'analyser
les techniques d'écriture d'un certain nombre de poèmes pour corroborer
cette affirmation. Le premier poème des "Convictions" inti tulê "DEDICACE"
se prête à cette démarche.:
1
"Je n'ai pas mis ton nom en tête de ce livre,
2
Et pourtant tu sais bien qu'il fut écrit pour toi
3
Car ton coeur est le vase où j'ai puisé
ma foi
4
Et les ferveurs d'amour dont mon être s'enivre;
5
Tout ce que j'ai chanté; tout ce que j'ai rêvé,
(1) M.S. 3763-3766, papiers de l'Académie Française.
.../

- 327 -
6
Tout ce qu!'etl moi le temps laisse d'inachevé
7
Les folles visions où ma raison perdue
8
Court errante et rapide à travers l'étendue
9
Les travaux sérieux que mon cerveau lassé
10
Accumule à plaisir en un long labyrinthe
11
Où mon espri t regarde et s'avance avec crainte,
12
Abandonnant souvent le chemin comaencêl" (1)
...
Ces douze vers assonent entre eux deux à deux c'est-à-dire que la
dernière voyelle accentuée est la même pour chaque série de deux vers.
L'écrivain a donc respecté cette condition suffisante, mais nécessaire pour
l' écri ture du poème français.
On distingue par ailleurs
.
-des rimes riches .
V.1 et V.4
V.7 et V.8
v. 10 et V.11 etc•
- des rimes .féminines
V. 10 et V. 11
etc.
- des rimes masculines
V. 5 et v. 6
etc.
des rimes embrassées
v. 1 à V. 4.
(les vers 2 et 3 qui sont à rimes plates sont entourés par les
vers 1 et 4 qui riment entre eux).
Le poème "Les négrillons" des "Chants Modernes" est essentielle-
ment composé de rimes plates ou suivies,
(1) Les Convictions, Dédicace, P. 5.
···1

-
328 -
"Je ris lorsque je vois de pauvres imbéciles,
Des coeurs atrophiés et des cerveaux fossiles
T'insulter ô Voltaire, et dire gravement
Qu'il faut jeter à bas ton large monwnent !" (1)
...
tandis que "Où. donc" des "Convictions" renferme des rimes croisées
"Vous qui, perçant l'horizon de nos rêves,
Levez au ciel vos yeux étinceJ.ants
Vous dont le souffle amène vers les grèves
Les naufragés aux cheveux ruisselants" (2)
En outre, comme l'illustrent les douze vers de "Dédicace" que nous
avons cités, Du CAMP a usé du tétramètre, c'est-à-dire de l'alexandrin
classique. En effet, la coupe qui sépare les deux hémistiches des vers tombe
obligatoirement après les six premières syllabes et coupe les vers en deux
parties égales. La durée de chaque hémistiche est la moitié de la durée
totale. Chaque demi-vers est lui aussi divisé en deux parties ou mesures,
se terminant chacune sous un temps marqué ou accent rythmique.
"Je n'ai pas mis ton nom Il en tête de ce livre.
Les poèmes à forme fixe ont été aussi essayés par l'écrivain. C'est
le cas de cette pièce en iambes où chaque vers contient une idée ou au moins
une nuance d'idées nouvelles. Dans ce type de poème, un vers de douze
syllabes alterne continuellement avec un de huit; le mètre changeant à
chaque vers, tout y est mis en relief
./
"Soyez libre, c'est votre droit!
Car Jésus est venu pour détacher les chaînes
Et montrer l'avenir du doigt!
(1) Les Chants Modernes, les Négrillons, PP. 179-180.
(2) Les Convictions, Où donc?
P. 18&.
.../

- 329 -
J'ai le livre pour dire aux douleurs solennnelles
Levez-vous au li eu de ramper !
Allez
continuez nos oeuvres éternelles
J'ai Le glaive pour te frapper !" (1)
La vigueur et l'impression puissante de ces vers n'est pas seule-
ment due à ce que le mètre change continuellement, mais en même temps, à
ce que les deux vers qui alternent sont d'une part le plus lent et d'autre
part le plus rapide des mètres ordinaires de la versification. Le petit
vers est souvent le plus saillant des deux parce que sa rapidité présente
plus vivement l'idée qu'il conti ent et que fréquenunent la phrase se termine
avec lui.
L'écrivain a aussi composé des sonnets qui avaient une prédilec-
tion bien marquée au XIXè siècle. Originaire d'Italie, le sonnet n'est entré
dans la littérature française qu'au XVIè s i ècl.e.J'Les Convictions"contienn:ent
.
au total sept sonnets réguliers ou irréguliers : Les semailles, P. 9 ; ceci
tuera cela, P. 31 ; Les Trois soeurs, P. 69 ; L'étoile, P. 85 ; Equinoxe,
P. 201 ; Au Conservatoire, P. 277 ; et Les sept planètes, P. 293 :
"Les échafauds
sont hauts ! de longues étincelles
Brillent en jaillissant sur les glaives froissées
Les rouges bastions ont de larges fossés ;
Le fusil resplendit aux mains des sentinelles
Les canons accroupis autour des citadelles
Touchent de leurs afrots les boulets entassés
Dans le champ du combat les soldats sont massés
Sous le ciel le vautour ouvre ses vastes ailes !
Quel tonnerre forgé par la main des titans
Pourra briser jamais les canons éclatants,
Les glaives meurtriers allongés sur l'enclume,
(1) Les Convictions, La voix des apôtres, P. 103.
···1

- 330 -
Renverser l'échafaud, jet~r le~ tours à pas,
Et combler les fossés abr~uvés deèo~bats'? ... 1 :- / ~
Qui tuera donc la 'guerre,? -- Un frêle qutil,la plume. !" (1)
Tout naturellement, Du CAMP ne s'est pas limité à ces procédés
purement classiques. Il s'est échappé de temps en temps pour affirmer son
tempérament et sa liberté naturelles dans les "vers libres". Ce' sont des
poèmes qui joignent à l'emploi éventuel de rythmes et de rimes différents
celle d'entremêler des vers n'ayant pas le même nombre de syllabes. On les
appelle aussi des poèmes à "mouvements variés· parce que les différents
mètres qu'ils juxtaposent leur donnent des mouvements tantôt accélérés et
tantôt ralentis.
Ces vers libres se manifestent différenunent avec des significations
différentes. Par exemple, un petit vers à la fin d'une strophe permet de
rapprocher les idées du poème' en une sorte de synthèse qui convient parfaite-
ment à une conclusion. Les vers de la fin, au lieu. d'être en quelque sorte
effacés, ont alors un relief particulier, qu'ils doivent au double change-
ment de vitesse et de mètre.
"...
Mon nom retentissant est plus grand que nul autre
Je suis PIERRE, l'autorité !" (2)
ou bien
Qu'au jour du jugement, lasse de sacrifice,
Devant le Seigneur Dieu, maître de la justice,
j'accuse ici l ' humani té" (3)
Lorsqu'un grand vers vient après un plus petit il y a en général
(1) Les Convictions, ceci tuera cela, PP. 31-32.
(2) Ibid, La voix des apôtres, P.
100.
(3) Ibid, Vision, P. 60.
.../

- 331 -
ralentissement. Or un ralentissement, produit un écartement analytique des
idées, qui permet d'en considérer un à un les détails. Il met en relief
l'idée contenue dans le mètre nouveau; sa lenteur et son ampleur exprime
une idée grave, noble ou grandiose.
n ...
Forts de vertus et de vaillance,
Qui brisant toute défaillance,
De l'univers heureux feront un paradis?
Nous crierons leur nom à la terre,
Et nous commencerons ton ère,
o Belle au bois dormant! ô Sainte Vérité !" (1)
Cette brève analyse de quelques poèmes de Du CAMP nous permet
de dire que malgré sa tentative d'innovation thématique et lexicale, et
malgré quelques libertés quant à la longueur et à la disposition de certaines
pièces, l'écrivain est demeuré soumis aux règles classiques de la poésie
française. Ainsi, après MUSSET, IAMARTlNE, HUGO ••• Maxime Du CAMP illustre
bien l'embarras que les règles codées de la poésie française peuvent im-
poser à un artiste surtout soucieux de conununication
et de didactisme. On
pourra peut-être reprocher au poète son didactisme et la facilité de certains
vers. OU'importe ! Ce qui s'affirme dans toutes ces pièces, c'est l'essentialité
de la parole poétique. A notre humble avis, la tentative intellectuelle
audacieuse menée dans "Les Chants Modernes" aurai t pu être plus féconde et
plus crédible si elle avait été totale. L'auteur aurait dQ forger une
nouvelle forme d'expression poétique qu'exigeait son inspiration nouvelle.
Il nous semble qu'il aurait dQ faire comme certains poètes de la "nég.:'i tude"
qui ont adopté le "vers libre" qui s'est révélé à eux, à la fois conune un
palliatif par rapport à l'art occidental et une libération par rapport à
leur inspiration. Une audace de ce genre aurait soulevé plus de tollé et de
passion, mais aurait certainement suscité tout de même beaucoup plus
d'intérêt et de crédit. Les machines, la vapeur, l'industrie, les expres-
sions et mots nouveaux••• ont des souffles particuliers, des allures propres,
i l aurait mieux fallu les chanter dans une métrique adéquate.
(1) Les Convictions, Conte de fées, P. 222.

-
332 -
CONCLUSION GENERALE
Un critique moderne a dit : "Si l'histoire littéraire ~.~
exige qu'on fasse leur part même aux productions romanesques qui, après
un succès passager, sont tombées dans un juste oubli., elle exige aussi
qu'on se préserve d'une faiblesse assez naturelle à celui qui remet en
lumière des ouvrages qu'on ne lit plus. Il n'est guère d'ouvrage, si
médiocre qu'il soit, duquel on ne puisse extraire quelques passages
heureux". Cette remarque est très judicieuse. Nous ajouterons même que,
quand on s'abandonne à une admiration complaisante et qu'on tente de
réhabili ter chimériquement des écrivains ou des oeuvres médiocres, quand
on enjambe délibérément des amas d'incorrections, de défectuosités et de
carences notoires pour ne s'arrêter qu'à des détails insignifiants, mais
intéressants, on s'expose à compromettre son jugement auprès des lecteurs
qui connaissent déjà les oeuvres, ou bien on les mystifie à tort auprès
de ceux qui ne les connaissent pas.
La production littéraire de Maxime
Du CAMP en général, particulièrement son oeuvre narrative et poétique,
échappe heureusement à ces considérations justifiées, bien qu'elle soit
restée jusqu'à nos jours dans une obscurité totale. En effet, pourquoi ne
pas avouer que c' étai t avec beaucoup d'appréhension et d' incerti tude que
nous avions commencé cette étude, 1 ' écrivain et son oeuvre étant pratique-
ment méconnus. Pour nous, c'était presque une véritable aventure dont nous
attendions l'issue avec angoisse et scepticisme. Mais, après quelques mois
d'investigations, cette angoisse s'est dissipée, laissant la place à
l'ardeur au travail i l'horizon s'est ainsi peu à peu éclairci et nous
avions entrevu la fin de l'aventure avec plus de sérénité et d'assurance.
En réalité, la disparition quasi totale de l'oeuvre narrative et poétique
de Maxime Du CAMP ne peut être attribuée à sa médiocri té. Nous pouvons, au
terme de cette étude, esquisser un certain nombre d'hypothèses qui pourraient
expliquer et son impopularité et son insuccès actuels.
. . ·1

- 333 -
L'essentiel de la production narrative et poêtique de l'auteur
se situe entre "Le Livre Posthume" publiê en 1852 et "Les Forces Perdues"
publié en 1867. Tout s'est donc passé entre sa trentième et sa quarante-
cinquième année, c'est-à-dire en quinze ans. Deux contes presque insignifiants
s 'y sont ajoutés en 1887 et en 1888. Dès lors, i l se cantonna uniquement
à des études documentaires, sociales et historiques. Nous pensons que
l' écrivain s'est détourné du succès, au moment même où il devai t persévérer
dans la première voie pour atteindre la gloire et la célébrité. FLAUBERT
n'a-t-il pas commencé à publier à partir de 35 ans ? Malgré la qualité
indéniable et les succès des dernières oeuvres, - tout le monde était
unanime à le reconnaitre,
i l n'a pas réussi à s'imposer à ses contemporains
et surtout à la postérité
et pour cause, le succès littéraire étant
généralement d~ aux oeuvres de fiction. Il convient de rappeler d'ailleurs
que c'est l'un des derniers ouvrages qui le fit élire à l'Académie
. *
França1se •
A cela, il faut adjoindre le caractère didactique et moralisateur
de l'oeuvre, qui est composé d'ouvrages d'analyse, à thèse, ce qu'on appelle
de nos jours des "romans psychologiques". Ce genre a à peine survécu, car
les écrivains qui prêchent la morale l'ont toujours fait à leur dépens.
A ces considérations d'ordre purement philosophique s'ajoutent
aussi les effets médiats et immédiats de la personnalité de l'écrivain. En
effet, le trait le plus caractéristique de Du CAMP est son esprit d'indé-
pendance et de liberté. Il l'a hérité de son éducation faite par des
femmes, des "injustices" dont il a souffert au collège, "J'étais un
insurgé avoue-t-il dans ses "Souvenirs littéraires". La discipline m'était
insupportable et je ne pouvais y plier ma nature" (1) et
plus tard de
celles endurées dans la vie. Il avait le mépris des opinions reçues, des
formules consacrées et cri tiquai t même les écrivains à la réputation la
mieux établie. En 1855 par exemple, il n'avait pas du tout ménagé MUSSET,
VIGNY, IAMARTlNE, MERlMEE ••• et même son maître spirituel Victor HUGO. Sa
langue fut aussi libre que l'était son jugement. Dégagé de toute ambition
qui n'était pas littéraire, il ne se sentait pas tenu à des ménagements
(*) Les Convulsions de Paris, Paris, Hachette et Cie, 4 vol. in 8, 1879.
(1) Souvenirs littéraires, T. 1, P. 55.
.. ·1

- 334 -
et ses cri tiques visaient parfois jusqu'aux formu.les malheureuses des
déclamateurs. Ce sentiment de sa propre indépendance dans ses rapports
avec les individus qui se joignait à une haute opinion de lui-même, a fait,
nous le supposons, son malheur. Il a réuni autour de sa fière et impé-
tueuse personne des détracteurs révélés et potentiels, qui étaient toujours
prêts à démanteler sa production littéraire, quelles que fussent la qualité
et la valeur du travail fourni. Un cri tique célèbre du siècle dernier,
Paul DESJARDINS, contemporains de Du CAMP, s'interrogeai:t à ce sujet, ne
comprenant pas les jugements et les motivations de ses collègues à l'égard
de l'oeuvre de l'auteur des "Forces Perdues" : "La critique est, je ne sais
pourquoi, prévenue contre lui. M. SCHERBR, qui a la mâchoire solide, le
happe souvent et ne le lâche pas volontiers."
(1)
La quatrième hypothèse est proposée par Eugène de FALLOIS. Elle
affirme que Du CAMP s'est discrédité
lui-même, à force de dévaï.or-i ser- et
de minimiser sa propre production l i ttéraire, car on l'a cru sans chercher
la vérité à la source : "Il avait auparavant écrit des romans dont il ne
se montra pas fier: ce en quoi il eut doublement tort, d'abord parce qu'ils
étaient charmants, ensuite parce qu'on le crut sur parole, et que, sans les
lire, on décréta que lés "Mémoires d'un suicidé, le chevalier du coeur
saignant
les Buveuse! de cendres
~s Forces Perdues:' étaient livres de
pacotille. Quel charme mélancolique, cependant, et quelle spiritualité Con-
solante émanent de ces ré ci ts qui ne sont plus dans le goO.t du jour, mais
auxquels nos petits enfants reviendront peut-être comme on revient à
l'éternelle vérité de l'amour !" (2)
La dernière hypothèse, peut-être la plus vraisemblable est d'ordre
conjoncturel. Les contemporains, et surtout la postérité, ont écrasé Du
CAMP et son oeuvre sous la comparaison avec le grand romancier que fut son
ami Gustave FlAUBERT. On noirci t l'un en blanchissant l'autre. Les propos
tendancieux et les jugements portés sur Du CAMP servirent à FLAUBERT qui
était déjà au sommet de la gloire. Cette acrimonie à l'égard de l'homme
rejaillit inéluctablement sur l'oeuvre qu'on enferma dans une véritable
ci tadelle.
(1) Paul DESJARDINS, Revue BLEUE, 3, série T. 13, janvier-juin 1887.
(2) C.M. Eugène de FALLaIS, op. cit., P. 290.
(*) C'est : Il Les Buveurs de cendres".
.../

- 336 -
Cependant, même si Du CAMP n'est pas un génie de la taille de
FLAUBERT, son oeuvre mérite mieux que l'oubli. De la poésie au roman en
passant par le conte et la nouvelle, elle se révèle à la fois dense et
colorée. Que ce soi t au ni veau des problèmes évoqués ou à celui des procédés
artistiques mis en jeu, i l y a une diversité et une richesse réelles. Mais,
au fond de cette fresque, de cette multiplicité thématique et esthétique,
l'oeuvre entière se résume à une présence. Ce qui fait son intérêt et lui
donne une valeur, c'est qu'elle est révélatrice de la personnalité de
l'auteur ; un seul personnage important la domine, un seul individu y
circule, Maxime Du CAMP lui-même, dans ses joies, ses fantasmes, ses inter-
rogations, et son oeuvre en fin de compte, est une longue confession,
marquée et dominée par un double sentiment tenace : Sa haine du siècle et
sa foi dans le progrès. Et ce, par suite d'une inadaptation foncière et
d'un pessimisme incurable, presqu'existentiel, qui l'ont finalement poussé
à s'évader de son milieu et de son époque: évasion dans l'imaginaire et
le fantastique, dans l'amour, dans le voyage, dans le travail, dans le
mysticisme.
STENDHAL estime qu'une oeuvre d'art doit être un miroir promené
sur les événements et les péripéties de la réalité. A cette fonction
primitive de témoignage, l'oeuvre de Du CAMP en ajoute une seconde, à notre
avis beaucoup plus importante, essentielle, qui est le désir de l'homme de
se si tuer dans une continuité historique et par conséquent de retrouver au
niveau du récit littéraire, sa préoccupation la plus concrète et la plus
humaine.
Acte de sociabilité, les ouvrages de Du CAMP appréhendent et
résument tout un ensemble de pensées et de courants de son temps ; ils sont
une sorte d'écho sonore et COl'\\5ti tuent par là-même un témoignage irrécusable
devant le tribunal de l'histoire, replongeant les uns et les autres dans la
conscience profonde d'un temps, d'une époque, d'une société. En d'autres
termes, l'étude de ce tableau complexe révèle une évolution en dents de scie
de l'auteur, qui n'est autre que le reflet de la société qui l'a engendré:
Du symbolisme au naturalisme, du positivisme à l'idéalisme, du matérialisme
au spiritualisme et au mysticisme, de la réalité au rêve, en un mot de
l'optimisme au pessimisme, de l'espérance au désespoir.
.. ·1

-
337 -
C'est par là surtout que cette oeuvre vaut d' ~tre étudiée et
vulgarisée et c'est par là qu'elle est, malgré tout, un miroir de l'époque
et de l'état d'esprit de la société française pendant la seconde moitié
du XIXè siècle.
*
*
*

- 338 -
B l B LlO G R A PHI E
r - CATALOGUES BIBLIOGRAPHIQUES
RANCOEUR René
Bibliographie de la littérature française du Moyen-Age à nos jours,
Paris, lib. Armand Colin.
TALVART Hector et PLACE Joseph
Bibliographie des auteurs modernes de langue française,
1801-1927, t. 4, DAB-D4J, Paris, édition de la chronique des
lettres françaises aux Horizons de France, PP. 362-370.
THIEME (Hugo P.)
Guide bibliographique de la littérature française de 1800 à 1906,
Paris, H. Welter, 1907, P. 124.
Bibliographie de la littérature française,
Paris, Lib. E. Droz, 1933, t. 1, A-K. (articles publiés par Du CAMP)
PP. 622-623.
II - CORPUS
A - ROHANS
Haxime Du CAHP
Le Evre posthume, l1émoire d 'un suicidé,
Paris, Victor-Lécou, 1853, in-18, 331
*
P., Paris, Lib. nouvelle, 1855,
in-18, 308 P. Paris, Charpentier, 1876, in-18, 361 P. Paris, Marpon et
Flammarion, Collect "Auteurs célèbres", nO 158, in-16, 311 P.
Maxime Du Cll.11P
Les Forces Perdues,
Paris, Hicl1el Lévy Frères, Lib. éditeurs, 1867, in-18, 314 P.
B - NOUVELLES
Les Sl.X aventures: Rè i s Lbr ah i m ; l'âme errante, Tagahor,
l'eunuque
noir; la .loub I.e aunôn c ; les trois vieillards de Pierre,
Par ir, Lib. nouvelle, 1857, in-18, 3!J.3 P.
(Rccu.cil)
* édition utilisée.

- 339 -
Maxime Du CAMP
La vivante,
Paris, Imprimerie de Pillet-Fils~îné, Mars, 1858, in-8.
Maxime Du CAMP
Le Chevalier du coeur saignant,
Paris, Revue des Deux Mondes, 1859, t XX, PP. 692 à 735*
rééditée
en 1862, Paris, Michel-Lévy-Frères, in-18, 274 P.
Maxime Du CAMP
L'homme au bracelet d'or,
*
o
Par-i s , Revue des Deux Mondes, 1860, t XXVI, PP. 287 à 344
; ré-
éditée en 1862, Paris, M.L.F., in-18, 261 P ; Paris, et. ~au:nbourg
G. Paetz, 1861 in-16 de 159 P.
Maxime Du CAMP
Les Hallucinations du Professeur Floréal,
Paris, Revue des Deux Mondes, 1861, tXXXIV, PP. 555 à 592.
Maxime DU CAMP
Richard Piedno~l,
Paris, Revue des Deux Mondes, 1862, tXXXVII, PP. 335 à 367.
Maxime Du CAMP
L'âme du bourreau,
Paris, Lévy-Frèr.es , Librairies Editeurs, 1862.
Maxime Du CAMP
,
Les buveurs de Cendres, Sylverine,
Paris, Revue des Deux Mondes, 1863, tXLVI, PP. 513 à 564*;
rééditée en 1866, Paris, M.L.F, in-18, 314p
Maxime Du CAMP
Le manteau déchiré-Conte de Noël,
Paris, 1887, rééditée en 1891, Paris, V. Palmé, in-18, 39P*;
Maxime Du CAMP
Une histoire d'amour - Un portrait gravé par A. Lamotte, huit
compositions de P. Blanchard, gravées par Buland,
Paris, L. Conquet, 1888, in-18, 73 P.
Maxime Du CAMP
La dette du jeu. Edi ted wi th notes and vocabulary by the Payen-
Payne - Cambridge at the University Press, 1911.
* = édition utilisée.

- 340 -
C - RECUEILS DE POEMES
Maxime Du CAMP
Les chants modernes,
Paris, Michel-lévy-Frères, 1855, in-B, 437
*
P ; Paris, A. Bourdilliat
1860, in-B, 273 P.
Maxime Du CAMP
La mort du Diable,
Paris, Imprimerie de Pillet-Fils~rné, 1858, in-8 (publié dans les
convictions*).
Maxime Du CAMP
Les Convi cti ons,
Paris, Librairie Nouvelle, -j858, in-8, 376 P.
III - MANUSCRITS
- M.S. 3719 à 3766, papiers et correspondance de Maxime Du CAMP, membre de
l'Académie Française (1822-1894),Bibliothèque de l'Institut, Catalogue des
manuscri ts par M. Bouteron et J. Tremblot. 1-3800. P 510.
On Y retrouve entre autres les notes de voyage: M.S. 3720(1);Fonds M.D.C.
II.1-9 - Voyage en Orient, Par les champs et par les grèves, La vertu en
France, etc.
SpQ~lb-LovenjQu~
Les Forces Perdues (signalé par Joseph JIRIAN).
BiQliothè~e Nationale
Les moeurs de mon temps, Règne de Louis PHILIPP:li:, Règne de NAPOLEON III,
( 1830-1870),
Côte 6245 du catalogue des manuscrits (premier chapitre de souvenirs
d'un vieil homme de lettres).
IV - AUTRES OUVRAGES DE L'AUTEUR
A - RECITS ET SOUVENIRS DE VOYAGE
Maxime Du CAMP
Souvenirs et Paysages d'Orient - Smyrne, Ephèse, Magnésie, Constan-
tinople, Scio,
Paris, Arthur Bertrand, 1848, in-8-38° (dédié à FIAUBERT).
.../

- 341 -
Maxime Du CAMP
- Egypte, Nubie, Palestine et Syrie,
Paris, Gide et J. Baudry, 1852.
Le Nil (Egypte et Nubie) aveé-une carte spéciale,
Parie, Imprimerie de Pillet-Fils~!né, 1854, in-8, 351 P.
En Hollande - lettre à un ami, suivi des èatalogues des musées de
Rotterdam, La Haye et Amsterdam,
Paris, Poulet-Malassis et B., 1859, in-18, 383 P.
- Orient et Italie - Souvenirs de voyage et de lectures,
Paris, Didier et Cie, 1868, in-12, 367 P.
- Voyage au grand Saint-Bernard,
Paris, librairie de la Société bibliographique, 1879, in-18, 36 P.
- L'Ile de Capri - Souvenirs du GolÎe de Naples,
Paris, Revue des Deux Mondes, 1862, t XLI, PP. 868 à 908.
B - ETUDES DOCUMENTAIRES, SOCIOLOGIQUES, HISTORIQUES •••
Maxime Du CAMP
Les Grecs modernes, S.L.N.D,
Paris, Imprimerie de Pillet-Fils~!né, 1857, in-8, 32 P.
Paris, ses organes, ses Îonctions et sa vie dans la seconde moitié
du XIXè siècle,
Paris, L. Hachette et Cie, 1869-1875, 6 volumes, in-8.
Souvenirs de l'année 1848 - La Révolution de Pévr-i er-••• ,
Paris, Hachette, 1876, in-12.
Les ancêtres de la commune - l'attentat Fieschi,
Paris, G. Charpentier, 1877, in-18, 308 P.
- Histoire et critique. Etude sur la Révolution Française - Souvenirs
voyage - Lettre à Mr. le Ministre de l'Instruction publique,
Paris, Hachette et Cie, 1877, in-18, 323 P.
Les Convulsions de Paris,
Paris, Hachette et Cie, 1879, 4 vol., in-8 (1878-1879).
L'hôpital général de Villepinte - Notice par M.D.C.,
Paris, imp. Ve E. Perou, 1884, in-8, 32 P.
La chari té privée à Paris,
Paris, Hachette et Cie, 1885, in-8, de 608 P.
La vertu en France - ouvrages illustré de 45 gravures dessinées sur
bois par Mirbach, ToÎani et Ed. Cier,
Paris, Hachette et Cie, 1887, in-8, 374 P.
.. ·1

- 342 -
- Paris bienfaisant,
Paris, Hachette, 1888, in-8, 546.
_ La croix rouge de-France - Sociêtê de secours aux blessês militaires
de terres et de mers,
Paris, Hachette, 1889, in-18, 342 P.
- Bons coeurs et braves gens,
Paris, Hachette, 1892, 97 P.
- L'oeuvre des Dames du Calvaire,
Paris, c. Poussielgue, 1900, 1895, in-8, 50 P.
Souvenirs d'un demi-siècle,
Paris, Hachette, 1969, 2 vol.
1830-1870
318 P.
1870-1882
359 P.
- Lettres inêdites à Gustave FLAUBERT - Introduzione e note di
Giovanni BONACCORSO e Rosa STEFANO, edas, messina, 1978.
C - ETUDES ET SOUVENIRS LITTERAIRES
Maxime Du CAMP
- Thêophile GAUTIER,
Paris, Hachette et Cie, 1890, in-16, 200 P. avec portrait de
Théophile GAUTIER.
- Souvenirs littéraires,
Paris, Hachette, 1892, 2 volumes, T 1 : 407 P - T 2 : 401 P.
rêédition abrêgée en 1962, introduction P.H. LEMAITRE, Paris,
Hachette, 319 P.
Le crépuscule - Propos du soir,
Paris, Hachette et Cie, 1893, in-18, 343 P.
D - TEXTE S PARUS DANS lA REVUE DES DEUX MONDES
Maxime Du CAMP
L'administration et l'hôtel des postes,
1867, t LXVII, PP. 167 à 204.
-
La télégraphie et l'administration des télégraphes en France,
1867, t LXVIII, PP. 457 à 498.
- Les voitures publiques dans la ville de Paris, les fiacres et les
omnibus,
1867, t LXIX, PP. 318 à 353.
.../

- 343 -
- La seine à Paris - Les industries fluviales et la police du
fleuve,
1867, t LXXII, PP. 161 à 196.
- Les chemins de fer à Paris - La gare de l'ouest,
1868, t LXXIV.
- Les halles centrales,
1868, t LXXV, PP. 885 à 917.
- L'alimentation de Paris - Le pain, la viande et le vin,
1868, t LXXIV, PP 94 à 130.
- L'Hôtel des monnaies et la fabrique des espèces monétaires,
1868"t LXXVIII, PP.769 à 805.
-
La banque de France,
1869, t LXXX, PP. 295 à 334.
- Le clan du vol à Paris, ses catégories et ses refuges,
1869, t LXXXI, PP. 627 à 663.
-
La Préfecture de Police et la sureté publique à Paris,
1869, t LXXXII, PP 152 à 192.
- Le palais de justice,
1869, t LXXXII, P 841 à 877.
- Les Prisons de Paris,
1869, t LXXXIII, P 598 à 635.
-
La place de la Roquette, le quartier des condamnés à mort et
l'échafaud,
1870, t LXXXV, PP 182 à 224.
- Les Hôpitaux à Paris,
1870, t LXXXVI, PP. 513 à 547.
- La Mendicité à Paris,
1870, t LXXXVII, PP 175 à 213.
- L'indigéneeà Paris et l'assistance publique,
1870" t LXXXVII, PP. 910 à 947.
- Les Hospices de Paris,
1870, t LXXXIX, PP 73 à 101, et 310 à 338.
- Les aliénés à Paris - La possession autrefois, la folie aujourd'hui,
1872, t CI, PP 786 à 820.
- Les asiles, la süreté à Bicêtre,
1872, t CIl, PP 36 à 68.
- Le mont-de-piété,
1873, t CIII, P. 304 à 339.
.../

,
- 344 -
- Les écoles à Paris, l'enseignement primaire, secondaire et
supérieur~
1873, t CIII, P. 304 à 339.
- L'enseignement exceptionnel à Paris - L'institut des sourds-muets,
1873, t CIV, PP. 555 à 578.
- L'institut des jèunes aveugles,
1873, t CV, PP. 275 à 309.
- L'éclairage à Paris,
1873, t CV, PP. 766 à 793.
- Paris souterrain et les égouts de la grande ville,
1873, t CVI, PP 5 à 35.
- Iconographie chrétienne, une nouvelle interprétation plastique
des Evangiles, de Bida,
1873, PP. 635:à 667.
- La fortune de Paris, l'octroi et les revenus de la ville,
1874, t1, PP 510 à 544.
- L'état civil à Paris, les naissances, les mariages et les décès,
1874, t II, PP 341 à 372.
~ Les cimetières de Paris et les dangers des mécropoles urbaines,
1874, t C, PP 812 à 852.
- Les prisons de Paris sous la commune,
1877, t XXI, PP. 5 à 43, 513 à 549, t XXII"PP. 33 à 72, 553 à
587, t XXIII, PP. 5 à 42, 520 à 560.
- Le ministère de la marine pendant la commune,
1878, t XXVI, PP. 99 à 131, 241 à 281.
- La Banque de France pendant la commune,
1878, t XXVII, P 286 à 321, 527 à 562, 831 à 866, t XXVII PP. 753
779, t XXIX, PP. 127 à 152.
- Lettre,
1878, t XXX, PP 929 à 939.
- La commune à l'hôtel de ville - Les législateurs,
1878, t XXXIII, PP. 312 à 346.
- Les novateurs,
1879, t XXXIII, PP. 553 à 568.
- Les administrateurs,
1879, t XXXIII, PP. 806 à 843.
- Les libres penseurs,
1879, t XXXIV, PP. 5 à 40.
- Les soldats,

- 345 -
1879, t. XXXIV, pp 542 à 579.
- Post-scriptum,
1879, t XXXV, PP. 688 à 697.
- Souvenirs littéraires,
1881, t XLV, PP. 509 à 543.
t XLVI, PP. 104 à 140 ; 481 à 546, id. FLAUBERT.
t XLVII, PP. 5 à
40, 481 à 515.
t XVIII"PP. 5 à 37,,564 à 600.
- Souvenirs littéraire,
1882~ t XLIX, PP. 293 à 328 - id. t , L, PP. 721 à 755
t. LIII, Louis de Cormenin, PP. 287 à 320, t LIII, PP. 793 à 828.
- La charité privée à Paris - petites soeurs des pauvres,
1883, t LVI, PP. 515 à 555.
- Les dames du Calvaire,
1883, t VII, PP. 270 à 301.
- Les hospitaliers de saint-jean-de Dieu,
1883, t LVIII, PP. 578 à 613.
- L'orphélinat des apprentis,
1883, t LVIII, PP. 578 à 613.
- L'oeuvre des jeunes poitrinaires,.
1883, t LXI, PP. 5$9 à 624.
- Les soeurs aveugles de Saint-Paul,
1884, 't LXI, PP.90 à 124.
- L'hospitalité du Travail,
1884, t LXII, PP. 574 à 600.
- L'hospitalité de nuit,
1884, t LXIII, PP. 84 à 124.
- L'oeuvre des libérés de Saint-Lazare,
1887, t LXXX, PP. 302 à 338.
- Le patronnage des libérés. Les condamnés. Le sauvetage,
1887, t LXXX, PP. 843 à 878.
Les associations protestantes à Paris,
1887, t LXXI, PP. 291 à 324.
- Les diaconesses. La cité du soleil,
1887, t LXXXII, PP. 291 à 324.
- La bienfaisance
israélite à Paris,
1887, t LXXXII, PP. 721 à 754, t LXXXIII, PP. 275 à 312.
.../

- 346 -
_ L'assistance par le travail - la fausse indigence - la charité
efficcace,
1888, t LXXIX, PP. 721 à 754.
Le guerre franco-allemande,
1888, t XC, PP. 241 à 272.
- Au delà des mers,
1888, t XC, PP. 746 à 779.
- Une femme de bien, -; . :', tXCVIl, PP
1890, t XCVII, PP 545 à 583.
- Deux hommes de bien - la fondation des frères 6alignani,
1890, t XCIX, PP. 526 à 561.
- Propos dur soi r ,
1890, t CXIl, PP. 301 à 338.
E - OUVRAGES RELATIFS A L'ART
Maxime Du CAMP
-Les Beaux Art à l'Exposition universelle de 1855.
Peinture, sculpure, France, Angleterre, Belgique, Danemark,
Suède et Norvège, Suisse, Hollande, Allemagne, Itèlie, Paris,
Librairie Nouvelle,
1855, in-8, 448 P.
- Le Salon de 1857 - Peinture - Sculpture, Paris, Librairie
Nouvelle, 1857, in-12, 186 P.
- Le Salon de 1859, Paris, Librairie Nouvelle/A. Bourdilliat,
1861, in-18, 210 P.
- Le Salon de 1863 - Revue des Deux Mondes, 15 juin 1863
- Le salon de 1864, Revue des Deux Mondes, 1er juin 1864
Paris, J. Claye, Imprimeur, S. d. in-8, 32 P.
Le Salon de 1866 - Revue des Deux Mondes, 1er juin 1866.
Paris, Imp. de J. Claye, in-8, 36 P.
- Les Beaux Arts à l' Exposi tion universelle - Les écoles
étrangères et l'école française contemporaine, Revue nes
Deux gondes, 1867, t 4.
.../

- 347 -
F - TEXTES PARUS DANS DE S REVUE S ANNEXES
Maxime Du Q\\.MP
L'expo~ition des monnaies chez les changeurs (à propos des
voleurs), Almanach du mois, 18~5, t III, janvier.
Les plaies sociales - La prostitutions à Paris, journal des
économistes, 1870, t XVIII, PP. 246 à 262 et 378 à 419.
Souvenirs de la Révolution de Février, Moniteur universel,
1875, 3, 11, 18, 25 juillet. 8, 15, 22, 29 Août , 5, 9, 12, 19,
26 Septe~bre ; 5, 12, 17 octobre.
Souvenirs de Montanelli, Revue internationale, 1887, t XIII,
pp 21 à 31.
Lettre de Haxime Du CAHP à Charles Simond (protestant contre
l'accusation d'avoir desservi Flaubert dans ses "Souvenirs")
1901, 15 Aoüt, P 433
L'entrevue des Ferrières - Souvenirs, Revue de Paris, 1949, Mai
PP. 27 ~\\ 49.
L'I~pératrice Eugénie, Revue de Paris, Mars 1949, PP 13 à 36.
G -
DISCOURS
Haxime Du CAHP
- Insti tut de France - Académie Française - Discours prononcé
dans la séance publique tenue par l'Académie Française pour la
réception de H. l1axime Du CA!1P, le 23 Décembre 1880, Paris,
Typogr- de Firmin Didot et Cie, 1880, in-4, 55 p.
- Institut de France - Académie F. Discours prononcé dans la
séance publique tenue par l'Académie française pour la récepti'on
de IL Sully-Prudhonune le 23 Hars 1882, Paris, Imp. de Firmin
Didot"·, 1882, in-4, 56 P.
- 1nstitut de France - Académie F. Séance publique annuelle ctu
jeudi 26 Novembre 1885, présidée par M.D.C, Directeur, Paris,
Typogr. de F. Didot et Cie, 1885, IN-4, 110 P.
Ln s t i tut de France - Académie F. Discours prononcé dans la séance
publique tenue par l'Académie F. pour la réception de H. EdOUard
Hervé, le 10 février 1887, Paris, Imp. de Firmin DirIot, 1887
in-4, 48 P.
. . ·1

- 348 -
v - METHODOLOGIE - CRITIQUE
A - OWRAGES GENERAUX
- Méthodologie
ANOZIE (S.D.)
Sociologie du roman africain (réalisme, structure et détermination
dans le roman OUest-africain), Paris, Edition Aubier - Montaigne,
collection Tiers-Monde et développement, 1970, 268 P.
BARTHES Roland
Kayser (W), Booth (W-C), Hamon (P.), poétique du récit, Paris,
Seuil, 1977, 180 P.
Le degré~de l'écriture, Paris, Seuil, 1953.
DIDEROT
Oeuvres esthétiques - Recherches philosophiques sur la nature
du Beau, Paris, classique Garnier, 1959, 843 P.
DUCHET Claude
- Pour une sociocritique - Perspectives sociologiques et idéo-
logiques sur la littérature française au XIXe siècle- Thèse
soutenue sur un ensemble de travaux - 1977, fasc. en deux
volumes : 30 cm. Thèse Lettres, Paris 3.
ESCARPIT R.
Le littéraire et le social - élement pour une sociologie de
la littér~ture, Paris, Fl~nmarion, 1970, 315 p.
FAYOLLE R.
- La critique, Paris, Edit. Armand Colin, coll. U 1978, 295 P.
JACrOBSON R.
- Essais de linguistique générale, Paris, Edit. de Minuit, 1978, 251 P.
MARX K.
- Sociologie critique, Paris, Payot, 1970, 302 P.
SARTRE J .P.
- Qu'est-ce que la Littérature? Paris, Gallimard, coll. Idées, 372 P.
TAINE H.
- Essais de critique et d'histoire, Paris, lib. Hachette, 1866,
2e
d i t i on ,
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1863, 4e édition.
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- La Lorgnette littéraire, Paris, Poulet - Halassis, 1,)57;
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- Al' ombre de Flaubert - Du CAHP, auteur méconnu, Ds Diss Abstr.
XXXIV (173/74) 76') A (Thèse Uni versi ty of Virginia) 1973, 193 P
AUREVILLY (ct'.) Barbey
- Voyageurs et rom~~ciers, Paris, Lévy, 1908
AURIANT
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PP. 176 - 183,
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BAUDElAIRE Charles
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- Autour de Flaubert, t 1 (index P. 333 du t II), t II (PP. 125-
137 et pass., index P 333) Paris, Mercure de France, 2 vol. 1912.
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- Esquises et impressions, Paris, Lecène Oudin, 1889
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- Histoire de la France rurale, Paris, Seuil, 4 tomes,
DUMESNI L René
Gustave Flaubert, l'homme et l'oeuvre, Paris, Desclée de Brouwer
(pp 109-111) 1932
DURKHEIM Emile
Le socialisme, sa définition, ses débuts, la doctrine Saint~
Simonien~1825-1864,
Paris, P.U.F.
*'
1928.
2e édition 1971
FLAUBERT Gustave
Oeuvres complètes - Correspondance - Paris, Conard, Librairie
Edi teur, 1910
Correspondance, 1ere et 2ème série, Paris, Charpentier, 1887-1897
4 volumes.
Correspondance, Paris, Lib. de France, 1922
Correspondance par Jean Bruneau, Paris, Gallimard, 1973 - 19 vol.
18 cm (Bibliothèque de la Pléiade), 244-284.
Voyage, texte établi et présenté par René Dumesnil, société
de belles lettres, 1948.
FOURNEL Victor
- Figures d'hier et d'aujourd'hui, Paris, Calmann Lévy, 1883
GAUTHIER ... Paul
- Anthologie de l'Académie Française, t II Paris, Delagrave, 2 vol. 1921
GAUTIER Théophile
Ecrivains et artistes romantiques, Paris, Lib. Plon, 1933
Histoire du romantisme, Paris, Charpentier, Editeurs, 1877
GERVAIS CM), SE::lVOLIH Ccl.) et ';TEIL (J)
- Une Frw1ce SW1S paysans, coll. Société, édit. Seuil, 1965.
GRAWIOllT Hauri ce
- Pcti t t r-a i té de versification Fr-anca i s e , Paris, Armand-Colin 1965.
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. . -;

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Flaubert et son milieu, édit. de la nouvelle Revue critique, B.A.M.,
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H.D.C., Gazette de France, 11 février 1894.
HEZIERES Alfred
M.D.C., Temps,
14 février 1894.
mcHIELS Alfred
Les continuateurs de Balzac, le Constitutionnel, 15 juil. 19 et 27
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Ma~WERIER Jacques
"Le livre posthume, Hémoiresd'un suicidé" de J'1.D.C., R.H.L. 66(1966)
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"
"
" 1 8 8 3 , t , xx..XVII, 2è série, P. 315-316"
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Ibid, t. X, 2è série 1879 (P. 516 à 518)
Ibid, t. XIII, 2è série
1881 (p 333-334).
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SCHERER Ed~ond~
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SENNVI LIE (G. de)
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Lettres de G. Flaubert (souvenirs littéraires de M.D.C.), Revue de
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TAVERNIER Eugène
M.D.C., Univers, 10 février 1894.
THERIVE (C.R.A.)
Les illusions d'optique, Tr. 190 (nov. 1963) 157.160.
VANDEREH Fernand
Les livres négligés, B.D.C., "Le livre posthume", Bull. du Bibl. 20 av.1~'3~
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,M.D.C. (à propos de ses souvenirs), mercure de France, 1er juin 1920.
- G. Flaubert, lettre 0. H.D.C. (9è) relative à la mort de Sainte-Beuve, Revue de
France, 15 mars 1921.
~ C. Baudelaire, Quatre lettres inédites à. JI.D.C., manuscrit autographe, mars-
avril 1930 •
.... Pages retrouvées ••• 11.D.C., Nouvelles littéraires, 1948, nO 1069.
-? Entrevue
de Ferrières (souvenirs), Revue 6 de Paris, 1949, t 56, n? 5, PP. 27-49.
~ "Souvenirs littéraires", 1962 ; B.H.L.F., III, P. 285.

l
- 358 -
T A BLE
DES
MAT l E RES
Pages
l N'I'RODUCTI ON ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••
CHAPITRE LIMINAIRE: Maxime Du CAM et G. FLAUBERT •••••••••••••••••••••
1'1
AI Les fiançailles littéraires••••••••••••••••••••••••••••••
20
BI Le voyage••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••
27
cl Productions littéraires et altercations humaines •••••••••
33
DI Des vérités qui sont bonnes à dire•••••••••••••••••••••••
48
CHAPITRE r
L'Education littéraire ••••.••.••.•••••••••••••••.•••••••.
61
AI Le cercle fami lial•••••••••••.•••••••••••••••••••••••••••
61
BI L'Ecole••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••
63
cl Le collège••••••••·•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••
65
DI L'Initiation•••••••••••.•••••••••••••••••••••••••••••••••
66
El Les premiers pas ••••.••••.•••••••••.•••••••••••••••••••••
70
FI Le test littéraire•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••
74
CHAPITRE II : Maxime Du CAMP et le romantisme ••••••••••.••••••••••••••
80
AI Persormages romantiques ••••.•••••••••••••••••••••••••••••
80
BI Haxime Du CA.MP romant i qu e ••..••••••••••••••••••••••••••.•
92
CHAPITRE III
"Transmutation de la vie en oeuvre d'art: Auto-
biographie et réalisme •••••••••••••••••••••••••••••••••
106
AI De l'autobiographie littéraire.••.••••••••.•••••••••••..•
106
BI Le réali sme li ttéraire..••••.....•..•..••••••••••••••••.•
120
al Des personnages réels ....•.•..•••••••••••
122
a'i ~~e Valentine G. DELESSERT, un
personnage littéraire .•••••••••••••.•
123
b'l Les comparses •••••••••••.••••••••••••
135
11 La Mariotte = Jeannette•••.••.•
135
21 Le grand gars .•••...•.••••.••.•
136
3/ L'Académicien = P. MERl MEE ,
V. COUSIN, C. d. REMUSAT •.••..•
136
bl Aspects de l'univers spatial. • 1 •••••••••••••• 1 1
140
cl Récits fantastiques et réalisme .••••.•••••.••.•
146
CHAPITRE IV
Visage d'une société
Philosophie de la vie ••.•••••••••
157
AI C0115 tance thérnatique •••••••••.•••• 1 ••••••••••••••••••••••
157
a/ L'Amour et la Femme••••••••..•.....••.•.••••••.
157
1
.. Il

a 'II 1,' P1. mour. . . . • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
15 2.
1/ Amour-Instinct.....................
159
2/ Amour-Passe-temps ••••••••••••••••••
160
3/ Amour-Passion .•.•••••••••.•••••••••
164
!li Amour-oîari açe••••••••••••••••••••••
167
5/ Amour-Au-delà .•••••••••••••••••••••
17·1
b'/ La Femme .....•
17'':
1/ Egotsme .........•••.•••••••••••••••
17~'
2/ Hypocrisie et Ingratitude••••••••••
3/ Fidélité . . • • • • • . • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
181
4/ Perfidie .••••••••••••••••••••••••••
185
5/ F'ernrne et Raison ••••••••••••••••••••
187
61 Femme et Artiste •••••••••••••••••••
188
b· 1
'/
Le voyage ••••••••••••••••••••••• 1 ••••••••••••••••
1n.~,
a'/ Pourquoi partir ? ..••...•••...•..•....
b'l Activités de voyage .•••••••••••••••••••
203
1/ Quête t ouri sti que •••.••••••••••••••
203
2/ Quête
.
l
'
soC:O~oglque •••••••••••••••••
205
3/ Quête archéologique ••••••••••••••••
208
c'/ Les résultats .l e la quête...............
211
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1
1 Le voyage ians la vie de Maxime Du CAMP.
215
d
cl Dieu dans l'oeuvre, 0ieè1 dans la vie••.•••••••••••
218
a '1 L' i,lée -Ie )ieu dans l'oeuvre ••••••••••••
b'l Dieu ~ans la vie ou l'expérience
religieuse ':'"~e ~·I.9.C.•••••••••.•••••
B/ P~le-mêle.••....•..
~ La bourgeoisie •..
b/ La paysannerIe ....•
255
cl L'Homme de lettre?
Eaxime Du Cl'ülP et la narrati on der Fa i t s
choix esthétiques
27/1
A/ Idées théoriques .........•...............•••••••••••••••••••
27"
al l-ïi c s i on sociale et c'>2ucatrj,ccie l'écrivain ••••
27;
b/ La littérature au service ~u progrès, de la
science, de L' i n.vus t r-i e
.
2 8~
c/ Le milieu e s t
l
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<.~crl vaIn ••••••
8/ Aspects:lc l'Art '.-1 c
a/ L'i!~ll'Ortancc -1',.'. r.u j e t
c t
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la composition........
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GilI:Ci,.TJSIOH 3 Slffi RALE ••••••
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P. 23
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F. 40
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F. 42
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P. 44
P. 54
P. 5E
P. 8i
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87.
P. 115
P. 125
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P. 141
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F. 23(
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P. 337-346
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L'OEUVRE UAHItATI VE ET POE'f.[ (.lUE DE l'lAXINE DU CAl-ll?
E R ft A T A (Complément)
Lire:
P. 101 : se démarquer
P. 4
Académi e
P.12
Littérature conçue non plus comme un moyen •••
P.26
CHARLE~ VI
lJ.33
préci sement
P.44
SAI }JI.r~ Bl.!.'UVE
P.53
Bourgeois
A
P.67
meme
cervelle
lJ.dl
chaotique
P.84
billevesées
lJ.94,
un épi aod e,
paru
P.I04
même les démolisseurs
P.133
mène une vi e
P .137
tous ceux
P.140
futurs confrères
P.149
Il devint
une commi ssi on
159
Du talon au cimier
162
On les trouve beaux et spirituels
164
L'amour, quand il apparaît •••
179
plaisir et intérêt personnels
195
Leur multiplicité
200
Le poème intitulé
254
La vani té
270
la fréquentation
274
les plus influentes
Deux phases analytiques
280
la trouve obscure
294
quelle fonction
331
Sa_ lenteur et son ampleur exn-riment
333
l'oeuvre qui est composée
J

"
..'
-
, 1

L'oeuvre narrative et poétique de Maxime Du CAMP bouscule bien
des conceptions et bien des opinions en vigueur au xIXè"siècle en France,
et ne manque ni de verve, ni de sensibilité, ni de qualités littéraires
réelles. Elle est ~ l'image de la forte personnalité et du caractère
anticonformiste de l'académicien Lui e-même , qui la domine et l'oriente.
Hais, à la fonction primitive de confession de l'oeuvre littéraire, les
ouvrages de Du CAnl' en ajoutent une autre beaucoup plussignifica;tive : i
traduisent d'une part, la ':écondité-;:;eatl'ice duZIXè siècle, de l'autre,
ils appréhend51t.et rés~ilent tout ill1 ~ns~1Ple de pensées et de courants
'de l'époque. C'est par là qu'ils constituent un témoignage irrécusable
\\
devant le tribunal de l'histoire sur la société française du XIXè siècle.
,
Par ailleurs, cette étude d emont r-e , ,?l l'aide de ds>cuments
inédits, le rôle considérable joué par llaxi me Du Ci'.HP dans la vie, ,
de Gustave FlAUBERT, rôle nié jusqu'~ cc. j0ur par les inconditionnels d~
grand romancier.
DU Ci\\!1P (:-laxime)
FLAUBERT (Gustave)/ 1)1..1. CA!·fP (J.1axime) ,