ECOLE DES HAUTES ETU DES
EN SCIENCES SOCIALES
PARIS 1982
Centre cr Etudes
des Mouvements Sociaux
LES INTELLECTUELS ET LE POUVOIR
EN-AFRIQUE NOIRE
T. 1
Th~se pour le doctorat d'Etat
~s Lettres et Sciences Humaines
présent6e par N'DA Paul
Sous la direction de M. le Professeur Alain TOURAINE

. /.
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LES
IN'U:LL'ECTUE;LS
ET' LE
POUVOI.R
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EN AFRIQUE NOIRE
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Th'" de 00 ct ,cot, d' gtôt
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ès-lettres et
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cl ire ç t i 0' n de
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J [j lJ,RhTN~j
Résumé
, '
Les
relations
entre les
intellectuels
et
le pouvoir au. s e'n,s
.
.
de
l'Etat
sont
l'objet
de
ce
t~avail,
Plusieurs
questions
ont
été posées.
OL'e peuven~ êtlè,ces.
relations?
A quel[s)
niveau(x)
de
la
réalités~cial~ ~e
"
situent-el les
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? Que l e r'1
e,s't 1: 8 n j eu ,}
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Quelles
sont
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et
les
rapports
Bociauxv
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À
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pro d û ire. ' les
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Plus
nettement,
Ces interrogations
se
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se rapportent-ils
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rapport?
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et
préciséin'e'nt .. ~<
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d'une
part,
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intellectucèls qui
paraissent
liés
au
pouvoir
so~t-ils en même temps parmi
les
éléments
les
.' :'~ j
plus
actifs
de
contestetion
Je
ce pouvoi~ ? Et comment
expliquer
oe dOUble
rapport
au
pouvoir.
rette
position
~
fois
pour et
contre
lui
?
>'l'~
'l.a,
-
et d'autre part,
pourquoi et
co~m8nt le pouvoir recherche'-t-t~
l'intégration ou
la participation
jes intellectuels ou
essa~.
de
les marginalis~r ou
de
les exclure?
Cette étude a mis
en
lumi~re à
la
fois
le jeu
conflit/,
collaboration,
l'opposition st
la recherche
d'intégration.
Pour Ce qui ,est fondamental,
on
note
que
las
intsllectuels
cherchent
par
la
participation
ou
l'opposition
à
8m~êcher
,.
que
la
direction
du
~hangeme'lt soit exclusivement l'affaire
des
hommes
au/du
pouvoir
de manièrE
dif'férente,
et en,
s'opposant,
les intellectuels tentent
de
peser sur
led
,
orientations
socio-culturelles
de
l'ensemble de
la callacfivi~6.1
Ce u x pa rm i
eux
qui
son t i n t ô r e s s 6 5
d"
par tic i p 8 r
au
pou v 0 i r
'.
,..'
adoptent
à
cette fin
dif'férentes
strat~~iEs 'BLixquelles répondBn~
celles
du
pouvoir visant
à
les
attirer et
~ se les allier.
-~
Ce u x des
i n tell e c tue 1 co
q u j, man i f est en t
des
00 n d u i tes
d' 0 p p'o /;; i t,:i QJ1
ont
la
conviction
d'oeuvrer à
la trans~ormation ~ociàle en
~4
appelant
à
un
Etat
plus national 'c.'8st-à-dire moins
dépend~nt
~t plu~ centré sur la vie des citoyens.
. .. 1 •..
"' "1 '
1. r .• . ,

-
2
-
On
a
analysé
aussi
les
relations
entre
les
intellectuels
eux-mêmes.
Ces
relations
sont marquées/conditionnées
essentiellement-par
les
idéologies/doctrines
en
relation
avec
leur
rapport
différent
au
pouvoir
et
aux
classes.
L'enjeu
central
des
conflits
au
sein
du
milieu
intellectuel
parait
être cependant
le
pouvoir
intellectuel
lui-même
c'est-à-dire
le
pouvoir de
dire
légitimemEnt
la
vérité
muette
de
tous
et
de
donner/indiquer
les
normes de
la
pensée
et
pour penser
le monde
social.
Mais
les
intellectuels
ne
s'oppos~nt pas
uniquement
;' ils
s'efforcent
aussi
de
bâtir
leur
unification
et
leur
unité
en
se
définissant
un
"esprit"
ils
produisent
une
rhétorique
visant
à
justifier/légitimer leur rôle
et
leur place
dans
la
société
et
à
mettre en
garde
contre
la
pe~te chez
eux
de
l'historicité
qu'ils
doivent
servir.

A Pierre,
mon
jumeau,
la nature même
l',,"
voulu
A Anna,
mon &pouse,
elle sait pourquoi
A r'1ère Nia:nkey-Aya.
Dieu seul sait
son I;lérite
A mes frères
et
soeurs.
Qui
l'efit
cru
,\\ mes
enfants.
Le chemin
est ouvert
}les remerciements
et ·ma gratitude vont' à ?l.
le
ProCesseur Touraine.
Avec
lui
et par ses
ouvrages,
j ' cd
beaucoup üppris.
Gr5cc .1 ses
conseils
et
critiques
toujours
avis~s ct perspicbccs, ce travail
a
pu aboutir.
?1a gratitude va aussi il tous
les
col18gucs
qui m'ont
aid6
d'une manière ou d'une
nutre.
Je n'oublie pas
en pê,rticulier mon
cher :t\\icephor~ K Dimurunkundo
du
Durundi sui
a. pris
de
son temps
pour LIe re,lire
et
In'apporter ses
observations
ct
ses
critiques
constructives.
Faris,
le 13 mai 19~~
c,
, ,

INTRODUCTION
GENERALE
l -' POSITION DU PROBLEME E~ LIMITES DE L'ETUDE
L'Afrique noire intertropicale francophone est
l'espace principal de cette
~tude déi relations entre
les intellectuels et le pouvoir.
L'Afrique
noire intertropicale anglophone n'.est prise
en considération que secondairement,
sauf quand
des faits ou des phénomènes y sont plus nets,
plus parlants ou plus caractéristiques ou typiques
d'une situation
l'Afrique lusophone est rarement
solli ci tée.
Qui sont'les intellectuels en Afrique ou qui
sont
ceux qui'~e dortnent pour tels ou à qui ce titre
est reconnu ou concédé parfois ?
, .
Sous la bolonisation',
o~a parlé des "lettrés",
des
lI~volués, de "l'élite ll pour désigner les
Africains éduqués à l'occidentale.
Le savoir de
type occidental que ceux-ci avaient acquis leur
.
permettait d'exercer certaines professions et
une fonction
sp~cifique d'intermédiaires entre
les colonisateurs
et les masses colonisées .
. . . 1...

4.
A l '.indépendance, avec] 1 abandon des expressions
d'
" é vol u é s" e ".::, au t r es, l e t e rm e in tell e ct u el
s'emp~oiera pour désigner d'abord tou~ l~s
diplBmés qui,
en raison .de leur qualification,
occupent un emploi·d'enseignement, un emploi
scientifique, technique,
administratif, etc.,
de
niveau relativement élevé. Ce sont des
intellectuels "par qualification" -pour employer
une expression de Bourricaud (1).
Au-dessus de cette masse de diplBmés s'élèvent
les universitaires
(enseignants,
chercheurs,
ho mru e s de loi, méd e ci n s , é cri v ai n s,
ca d r es, • . • )
dispbsant de compétences théoriques et de savoir-
faire technique ; on tend à les reconnaître tous
comme formant l'i~telligentsia afri~aine au sens
large. Une partie de cette intelligentsia (en
particulier les enseignants, les écrivains et même
les étudiants, etc.) a tendance à vouloir se
définir" comme les intellectuels occidAntaux et
à se donner les mêmes rBles qu'eux, à s'ériger en
souverains des idées, en champions de l'universel
ou, pour le moins,
à se considérer comme ceux
qui doivent poser, aborder ou entretenir les
grards problèmes de leur société.
(i) Bourricaud (F) Le bricolage idéologique. Essai
sUT les intellectuels et les passions démocratiques,
Paris, PUF, +980

5 •
Ce sont des intellectuels
"par vocation" -pour
dire comme Bourricaud.
Bi en en tendu,
in tell e ctuel s
"par q ual i fi ca tion"
et intellectuels
"par vocation" ne sont pas.
antinomiques.
Et dans
ce travail,
c'est l'ensemble
des .intellectuels qui intéres~e, encore qu'une
place plus importante soit accordée A. tous ceux
qui se veulent et s'assument d'abord comme
intellectuels,
tentent de s'inclure dans la vision
des intellectuels,
et se d9finissent par leur
rapport au pouvo~r, p~r la représentation qui est
la leur du pouvoir
politique,
~t La ~erception
qu'ils ont de leur propre rôle~ face A ce pouvoir.
Celui-ci a essentiellement dans cette recherche le
sens de pouvoir politique et· précisément de pouvoir
politique institutionnalisé,
en l'occurence l'Etat
(1)
,
(1) Contrairement A ce que pense Bùrdeau (L'Etat,
Paris, Seuil, 1970),
i l semble qu'il n'y a
pas lieu de restrein~re la notion de pouvoir
politique institutionnalisé au seul Etat.
Des
sociétés sans Etat comme la société ivoirienne
lignagère des Adjoukrou et d'autres connaissent
le pouvoir politique de droit,
pouvoir dont
l'exercice est soumis A des règles de droit
établies pour fonder sa légitimité. En pays
Adjoukrou,
le pouvoir politique institutionnalisé
est détenu par une couche sociale déterminée qui
organise,
règle et sanctionne la vie collective.
Cette couche est celle de citoyens mâles
re~roupés au sein de classes d'âge. Ces classes
d'age exercent le pouvoir de manière collégiale.
Voir A ce sujet l'ouvrage de Memel-Fotê, Le
système
olitioue de 1odioukrou
(une societé
lignagere a
classes d'âge
,Présence Africaine,
NEA, 1980.

6.
c'est-à-dire l'acteur sociétal enraciné dans le
système politique
(celui -qui"produit les décisions
et les règles qui
commandent le fonctionnement
de la société"(l)
) et agit au niveau du syètème
org~nisationnel, du système des rapp~rts de
cl~sses et au niveau des relations i~ter-sociales.
Ainsi,
le terme
"pouvoir" est pris au sens
restrictif de pouvoir étatique,
de pouvoir de
cet Flcteur central qui
"unifie ou ordonne par
son action l.~ensemble -des systèmes et des
acteurs de la "société civile" qui sont en
interaction ••. "
(2)
;
i l est p~ouvoir supr-ême
détenant selon l'expression de Weber le
monopole de la violence physique légitime.
Est-il nBcessaire d'affirmer que l'Etat est·
bien un groupement de domination institutionnalisé
qui,
dans les limites d'un territoire,
réunit
"dans les mains de dirig~ants les moyens matériels
d~ gestion" ? Il semble lié à la classe dirigeante
dans les pays où celle-ci est dévèloppée •
.../ ...
(1)
Touraine
(A),
Production de la so6iét~; Paris
Ed.
du Seuil 1973,p.
211
(2)
Touraine
(A),
op.cit. p.
209

7.
Pour~ cas de l'Afrique où gén~ralement la classe
dirigeante capitaliste est faible et l'Etat fort,
i l semble qu'on doive admettre que si
celui-ci
est effectivement à l'intérieur du mode de domination
sociale, i l ne lui est pas cependant identifiable
en effet, i l contrôle la combinaison de tous les
niveaux de fonctionnement de la société et i l
apparaît avant tout comme l'acteur central du
changement social qui détient la souveraineté
dans un territoir~ et représente l'unité politiqu~
i l ~ ~ne logique propre qui est d'abord celle du
pouvoir politiq~e et idéologiqu~ avant d'être celle
de la domination économique et sociale.
C'est de cet Etat,dans lequel -il faut en convenir-
se manifeste l~domination sociale, qu'il s'agira
principalement quand nous parlerons .du pouvoir
tout court. En Afrique le lien entre l'Etat
et le parti -souvent unique- est généralement
si ét~oit qu'vn doit se souvenir aussi de celui-ci
quand on parle de celui-là ou simplement du pouvoir.
(1)
Et ce sont ces relations entre le
pouvoir et les
intellectuels qu.'il nous int~resse d'étudier en
posant plusieurs questions.
(1) Il est évident que le pouvoir aujourd'hui s'identifie
de moins en moins à l'Etat. Et on peut bien consi-
dérer le pouvoir dans son sens le plus général~
c'est-à-dire comme l'ensemble des structures,
appareils et moyens publics et privés dans et par
lesquels se manifeste la domination sociale.

8.
Que peuvent être ces relatiDns ? A quel(s)
niveau(x)
de la réalité sociale se situent-elles? Que
signifient-elles? Quel en est l'enjeu? Quelles
sont les idéologies et les rapports socia~x qui
contribuent à lesproduire, les fécondent ou
les informent ?
Plus nettement
,
ces interrogations se ra~~nent
à celles-ci : quel est le rapport des intellectuels
au pouvoir et quel est le rapport du pouvoir'aux
il: te'll e ctueJ. s
? Et comm en t
ceux-ci
se rapportent-il s
à ce rapport ?Autrementdit e-'", précisément:
d'une part,
pourquoi les intellectuels qui
paraissent liés au pouvoir,
surtout en tant
qu'intellectuels organiques d'Etat pour la plupart,
sont-ils en même temps parmi les élément~ les plus
actifs de contestation de ce po~voir ? Et comment
expliquer ce double rapport au pouvoir,
cette
position à la fois pour et contre l u i ?
et d'autre part pourquoi et comment le pouvoir
recherche-t-il l'intégration ou la participation
des intellectuels ou essaie -t-il de les marginaliser
QU
de les exclure
?
... / .. ·

9.
Il ne s'agit donc ici ni de fàire le "Plaidoyer
pour les intellectuels",ni de faire l'~loge ou
la cri tique de s
"Chi ens de garde"; ni de cri er
à
"La trahison des clercs",
ni de d~masquèr
.ou.de camoufler "Le traÎ.tre";ni
'de
d~voiler
ou
même
railler' "L'opium
des intellectuels";ni d'analyser "Le lapsus des
intellectuels",ni de s'insurger contre "Les
m~faits des intellectuels". Cette recherche
ne s'inscrit pas dans le prolongement de la
pens~e ou de l'analyse d'un Sartre, d'un Gramsci,
d'un Benda ou d'un Raymond Aron ••. encore moins
d'un Edouard Berth,
etc. Elle ne vise pas à
rappeler les intellectuels à. l'ordre ou à les mettre
en garde ou dh cause DU à leur prescrire des
conduites. Elle n'en appelle pas aux slogans pour
exciter ou exacerber le militantisme chez eux,
pour lesmoraliser, les inviter à prendre "le parti
du peuple';à "aller au p'euple" ou au contraire
pour'les condamner dàns leurs actions
"r~volu tionnai re s " •
.Elle veut analyser les principaux aspects de
conflit ou de collaboration dans les relations
entre les intellectuels et le pouvoir dans les
'pays africains -malgr~ les diff~rences de r~gime­
et d~gager la signification et la port~e de ces
relations.
... / ...

10.
Deux th~ses fondamentales ~t une troisi~me,
subsidiaire, supportent toute la problématique
formulée.
Premi~re th~se : les rapports positifs, donc
de collaboration,
entre les intellectuels et
le pouvoir reposent d'un côté sur la recherche
par les intellectuels de la participation ~
plan politique et de l'intégration
au
plan
social et de l'autre côté s~r la volonté du
pouvoir d'exercer son emprise sur la société
(en particulier sous la colonisation),
d'aisurer
l'intégration d~ la société et le développement
économique en comptant sur les intellectuels
et l'ensemble des diplômés,
sur sa volonté de
faire d'eux une "classe moyenne ll d '-appui au
capitalisme étranger et à la domination intérieure
et extéri eure.
Deuxi~me th~se : les rapports de conflit -qui
n'excluent pas nécessairement les rapports de
collaboration- correspondent à des conflits
autour deé orientations socio-culturelles et
politiques de la collectivité ou sont des confiits
pourle contrôle du changement. et du développement,
.
.
c'est-à-~ire essentiellement du passage d'un
type de société à un autre.
... / ...

11.
Les intellectuels mettent ep cause l'ordre établi
et contestent la gestion de la vie sociale en
dénonçant le manque de démocratie et de liberté,
l'injustice sociale, la domination extérieure
acceptée selon eux·par le pouvoir,
etc. Exclus des
lieux des décisions nationales,
ces intellectuels
réagissent à cette exclusion en se repliant sur
des idéologies ou des positions doctrinales
qu'ils partagent, et donnent alors de la réalité
nationale une vision dramatisée
: la société
nationale est présentée cornee malade d'un
régime dont l'écroulement est certain en raison
des graves contFadictions et du manque d'appui
populaire •.
Ainsi donc, protégés par leur compétence et leur.
situation de proximité avec le pouvoir, les intellectuels
se définissent plus par leur rapport à l'Etat, agent
de synthèse de la vie sociale,
que par leur rapport.
aux claSses ou m~me au système de repr~sentation
politique. C'est d'abord contre l'Etat que
s'élèvent leurs protestations.
Ils.
sont ainsi
plus des agents "politiques" que des ag~nts "sociaux"
-sans que ceci signifie qu'ils n'interviennent
jamais comme des acteurs sociaux ni dans les
rapports de classe.
... / ...

12.
Quant au pouvoir,
convaincu le plus souvent
d'expri~er la volonté générale en options
conformes au développement pour lequel i l
lui apparaît qu'un mouvement de mobilisation
est'plus utile à la place des mécanismes
d'opposition et de négociation de la 'démocratie
classique,
tout en recherchant la participation
des intellectuels, prend les dispositions et
les mesures répressives appropriées pour que
, ,
l'action et la critique de ceux-ci ne i'atteignent
pus 'et n'irradientfdans d'autres groupes
so ci aux.
Le pou voi r
colonial aura su
lui aus si
dissuader,
étouffer ou réprimer toute vélleité
de mise en cause de l'ordre colonial.
Ainsi,
ces deux premières thèses permettent
de saisir la dialectique à l'oeuvre dans
les relations entre les ,intellectuels et le
pouvoir.
Troisième thèse
: le rapport des intellectuels
au ~ouvoir et aux classes marque ou conditionne
et féconde les confli·ts où les oppositions et
les tensions du milieu intellectuel.
... / ...

13.
La 'd~monstration de ces trois th~ses fait voir
et analyser plus nettement ce qu'est l'action des
intellectuels. Eux-mêmes,
lespremiers, pourront
mieux comprendre ce qulils font ou ce qu'ils
veulent faire
; ils connaîtront mieux aussi les
processus et les m~canismes dont use le pouvoir
pour annihiler chez eux toute volont~ de mise
en cause de l'ordre ~tabli et solliciter leur
participation et leur collaboration sages.
Enfin,
l'~lucidation des conflits dans le milieu
intellectuel lui-même oUvre la perspective
d'une s~cio-an~lyse des intellectuels. Cette
~lucidation permet d'indiquer en quoi les
intellectuels sont manipul~s dans leurs cat~gories
-
de pens~e. Elle âit aussi que leurs prises de
position sur le monde social, leurs analyses,
les'~ conflits entre eux, sont largement rnarqu~s
par les positions doctrinales et les conditions
dans lesquelles ils se produisent, par la
volont~ de "prendre le pouvoir", par la
circulation des id~es, etc.
... / ...

II
- QUESTIONS DE METHODE ET SOURCES
L'objet d'~tude i~i est bien les relations entre
les intellectuels et le pouvoir~ Comment acc~der à
ces relations ? Interroger par questionnaire les
intellectuels et les repr~sentants du pouvoir et
de l"'ordre ?
L'enquête par questionnaire n'a de sens que lorsqu'on
recherche des ensembles statistiques, lorsqu'on
s'int~resse aux opinions personnelles, aux choi~
individuels
dans ce cas,
grâce aux m~th~des
statistiques,
on met alors en relation des intentions,
des pr~f~rences ou des choi~ r~els avec des cat~gories
d'acteurs.
Dans la deuxième partie de ce travail
et
dans la troisième,
nous avons eu recours à"l'enquête
ou·à des r~sultats d'enquête pour pr~senter l'uni~ers
des enseignants et des ~tudiants ou pour fourrtirdes
donn~es statistiques sur lesintellectuels dans des
situations ou des structures pr~cises.
Il n'a pas paru indispensable de mener une enquête
sur la perception des intellectuels par les repr~sentants
du pouvoir. Notre hypothèse est en effet que l'action
des intellectuels sur le pouvoir et dans la soci~t~
est davantage tributaire de la compr~hension qu'ils ont
de leur raIe social que de la perception qu'on a d'eux.
Il ne fallait ~as non plus ramener l'~tudedes relations
intellectuels
/pouvoir à
celle des perceptions r~ciproques
fond~es sur des opinions individuelles de leurs repr~­
sentants.

15 .
.
2)"~~_g~~~~!~~~~~~~~_~~~_~~~~~~~~~
De manière générale et pour l'essentiel,
ce
travail repose sur l'étude de documents écrits
autres que ceux produits par ~'enquête par
questionnaire.
En effet, pour l'analyse d'actions collectives
(cas des enseignants et des
étudiants par exemple)
ou individuelles mais exprimées par écrit
(cas des écrivains par exemple) menées au nom
de la société ou du peuple ou ~ titre personnel
-
contre ou pour"l'ordre et l'Etet d'une part et
pour la modernisation ou le changement d'autre part,
i l a
semblé opportun de questionDer des documents.
Ceux produits par des groupes organisés ou par
des individus dans des buts définis sont certes
riches d'idéologies,
de ~rofessions de foi,
de
textes de propagande, "mais ils sont pleLns aussi
de t"émoignage s,
de pri s es de po si tion,
d'informations
sur des situations,
des intentions.
Sans doute
ne permettent-ils pas toujours de savoir complète-
ment les relations entre individus,
groupes et
forces
sociales,
mais ils donnent le loisir
... / ...

16~
d'étudier des actes,
des pensées,
informent au
moins partiellement sur des actions ou des
décisions collectives ou individuelles,
sur des
désirs,
sur des analyses,
etc.
En décomposant par l'analyse critique la plupart
des discours sur l'ordre
et en remettant en
situation sociale les intentions et les désirs
d'identité des intellectuels et des représentants
du pouvoir,
c'est-à-dire en replàçant dans des
relations sociales l'affirmation de l'identité
et du rôle chez les intellectuels et dans le
pouvoir,
on retrouve dans les documents produits
par les intellectuels ou par d'autres de quoi
appr~hender eta~alyser les relations entre les
intellectuels et le pouvoir.
Plusieurs types de docum~nts écrits ont été
questionnés pour l'étude de ces relations:
- Des documents de différentes sources historiques
(livres d'histoire,
textes et circulaires
administratifs,
manuels scolaires,
textes divers)
.../ ...

17.
Des essais,
des articles et d~clarations
d'intellectuels,
textes de colloques et s~minaires,
actes de congrès
d'organisations syndicales ou
d'associations,
motions,
memorandum,
etc.
La litt~rature africaine ~crite. Celle-ci est
riche d'informations et d'analyses relatives à
la soci~t~, aux problèmes et conflits sociaux
et au pouvoir,
t~moigne des pr~occupations des
intellectuels,
donne desindications au moins
partielles sur leur vision du monde,
sur leur
rapport au pouvoir ,
et en creux surtout,
le
rapport du po~voir aux intellectuels .••
Un certain nombre de problèmes se posent cependant
à propos œ l'utilisation
de la litt~rature comme
source d'analyse sociologique. On peut l~gitimement
se demander par exemple si la litt~rature, oeuvre
d'imagination qui n'est pas un discours unique clos,
serré entre son exorde et sa p~roraisc~, n'est pas
trop lacunaire, parcellaire et fragmentaire pour
être une source sûre d'informations et d'analyses
pr~cises.
.../ ...

1"8.
La question peut se poser~ Et pourtant la
littérature paraît intéressante parce qu'elle
est justement variée,
diverse;
qu'elle est une
mine
d'informations,
de bribes d'inform~tions,
de r~nseignements, de questions,
de questionnements,
d'analyses provenant d'écrivains n'appartenant pas
à un milieu homogène,
à la même société, au même
régime politique et qui peuvent ne pas avoir les
mêmes points de vue sur tout,
les mêmes présupposés
idéologiq~es. Sur le plan sociologique, toute la
richesse de la littérature est là,
dans les thèmes
et problèmes différents qu'~lle aborde à peine
ou au
contraire développe.
Une autre question importante qui se pose est
celle-ci
:
comment lire sociologiquement les
informations et les faits
contenus dans la littérature
pour qu'ils deviennent des faits
sociologiques
construits? On peut se demander effectivement
s ' i l est légitime d'user d'informations provenant
de personnages littéraires,
romanesques par
exemple,
comme des informations fournies par
des person~es réelles; on peut se demander s'il
n'y a pas un abus théorique à considérer des
pro p 0 s
tir é s d ., 0 e uv r e s
cul t li]' e Il es corn mec eux
des auteurs.
... / ...

19.
Sans doute. Mais on doit se demander aussi
s ' i l faut considérer les informations et les
renseignements et les analyses que donne la
littérature comme de simples anecdotes fictives
et gratuites et des r~veries sans rapport aucun
avec la réalité sociale,
sans rapport avec les
structures mentales et les visions du monde
à l'intérieur desquelles se produisent les oeuvres.
D'une part, i l faut souligner que si l'oeuvre
littéraire est oeuvre d'imagination,
elle n'en
est pas moins une oeuvre produite pour dire
quelque chose,
qu'elle ne s'élabore pas en dehors
de toute vision du monde et que celle-ci n'existe
. pas non plus si elle n'est pas engendrée ou
conditionnée par un ensemble de facteurs.
L'univers
imaginaire ne s'oppose pas nécessairement,
da~s
sa structure, à l'expérience concrète, et rien
n'interdit qu'on puisse le relier à l'expérience
d'un groupe social particulier. Et Lucien Goldmann
n'a pas tort d'affirmer qu'il n'y a
"~ucune.
contradiction entre l'existence d'une relation
étroite de la création littéraire avec la réalité
sociale et historique,
et J'imagination créatrice
la plus puissante"(l).
. .. / ...
'
(1) Goldmann
(L)
"La sociologie de la li ttérature
situation actuelle et problème de méthode" in
Revue internationale de sciences sociales
lQ67,
vol •. XIX nO 4 p.
533

20.
D'autre part,
on doit retenir que si l'oeuvre
litt~raire n'est pas un simpl~ reflet de la
conscience collective,
elle est bien "un des
~l~ments constitutifs les plus importants de
celle-ci,
celui qui permet aux membres du
groupe de prendre conscience de ce qu'ils
pensaient,
sentaient et faisaient
sans en
savoir objectivement la signification"(l)
C'est dire que du point de vue de la sociologie,
le texte litt~raire peut s~ lire comme un discours
social voire politique. Autant admettre qu'une analyse
sociologique
prenant comme source des textes
litt~raires n'est pas une ~tude litt~raire de
textes.
C'est d'ailleurs pourquoi dans cette
recherche, le contenu lin~aire des. textes, dès.
lors qu'il permet de r~pondre aux hypothèses formul~es,
est pris en mmpte ;
i l n'est pas disquali~i~
d'office par la question des niveaux d'intervention
des personnages dans les textes
(qui voit?
•••
qui
parle ?
à qui ?
•• )
... / ...
(1) Goldmann
(L) Pour une sociologie du roman,
Paris, Gallimard, 1964

21.
On peut encore,
s ' i l en est besoin, noter la différence
qui
exi s te par, exempl e entre So ci oloi!Ï e du roman afri cain
d'Anozié
(1)
et Les écrivains noirs de langue francaise
naissance d'une littérature de L.Kesteloot
(2)
ou
Destin de la littérature négro-africaine ou problématique
d'une culture de Kimoni
(3), mais surtout la différence
entre le travail d'Anozié et les productions et les
ouvrages qui
l!s'enferment" dans les textes littéraires
pour analyser ou élucider les thèmes et les probièmes
ou pour en faire une étude sémiotique comme Lectures
sémiotiq~es du roman ouest-africain d'Emejulu (4).
Le sociologue questionne comme de l'extérieur les
textes littéraires,
i l n'a pas pour objet ni objectif
de les ex-pli-quer.
Il est intéressé prioritaireme~t
par
les fonctions
"référentielle"et "conative"
(Jakobsç:m)
de la littérature.
... / ...
(1) 'Anozie,
Sunday
(0)
Sociologie du roman africain
Paris,
Aubier-Montaigne, 1970
(2)
Kesteloot '(L) Les écrivains noirs de langue
fr~nçaise, Bruxelles, Université Libre de Bruxelles
1965
(3)
Kimoni,
Iyany Destin de la littérature négro-africaine
KinshajSherbrook,
Editions Naaman, 1975
(4) Emejulu, James, Lecture5 semiotioue~ du roman ouest-
a~ricain. Thèse d'Etat ès-Lettres, Université
Paris X Nanterre 1981

22.
Dans ce travail,
la littérature africaine sera
la littérature d'Afrique noire écrite en langue
française.
Une ouverture sera toutefois faite
vers la l i ttérature d'expression anglaise" :
évidemment,
elle donnera lieu à une inférence
moins complète.
- Enfin, un dernier type de document est co nsti tué
par des textes de débats ou produi ts au cours de
débats et qui ont permis d'étudier dans la
5ème parti e de ce travail les rel a tion s entre
les intellectuèls.
Un premier débat est celui sur la philosophie
afri~aine. Il à été facile de réunir les textes de
partisans et adversaires de la philosophie africaine.
Le deuxième débat est celui qui a opposé en
Côte d'Ivoire les partisans et les adversaires
de la "drummolo gi e "(l).C e d éba t
passionn é et
polémique était publié par l~ quotidien ivoirien
Fraternité-Matin et l'hebdomadaire Ivoire-Dimanche
(I.D.). Il a tenu le public en haleine pendant cinq
~oi8 {février-juin 1980).
(l)La "drummologie",
terme forgé à partir du mot
anglais
"drum"
(tambour)
et de la terminologie
"10 gi e" provenan t
du mot gre c "logo s" pour dési gller
l'étude du tam-tam
"parleur" ou du langage tambouriné.
Le professeur ivoirien Niangoran-Bouah de l'Institut
de l'Ethno-Sociologie de l'Université d'Abidjan
est l'initiateur de l'étude et de l'utilisation des
textes tambourinés.

23.
Le troisième débat,
organisé en mai et juin 1978
à l'Ecole Normale Supérieure d'Abidjan avec des
universitaires enseignants et chercheurs a porté
sur les intellectuels africains dans leurs
.int~ractions avec les autres acteurs sociaux.
Trois séances ont eu lieu.
Les deux dernières
se sont déroulées avec respectivement treize,et
douze universitaires.
La premi~re s~ance a 'r~uni
treize universitaires et un groupe de six ouvriers
et manoeuvres et un employ~ de bureau (i). Les
séances ont été
enregistrées au magnétoscope.
Le débat reposait sur des questions-hypothèses
formulées et connues des participants plusieurs
jours avant les séances.
Ces questions-hypothèses
devaient permettre d'avoir des informations et
des analyses sur les intellectuels,
sur leu~s
relations avec les autres acteurs sociaux et
avec le pouvoir.
La manière dont le groupe
discutait et fonctionnait était prise en compte
au~si pour avoir des éléments d'informations sur
le comportement des intellectuels en groupe et
surtout entre eux.
Ainsi,
le groupe et sa vie
étaient autant objet de recherche que la production
du groupe elle-même.
(1) La raison de la présence de ce groupe de manoeuvres
et ouvriers et d'un employé de bureau est
expliquée dans la 5ème partie de ce travail.

24.
L'ensernbledes trois débats ont permis de répondr.L~
aux questions suivantes
: q~e révèient-ils sur les
intellectuels et le milieu intellectuel? En quoi
peuvent-ils être considérés comme révélateurs
.d'accès ou de procès des oppositions et tensions
dans ce milieu? Quels sont les thèmes fondamentaux
autour desquels les intellectuels
s'opposent? Et
quel est l'enjeu central de leurs conflits?
L 'p.bo.ndance des documents et la variété des sources
ent permis de répondre aux que~tions et hypothèses
formulées pour tout ce travail.
Autant que faire se
peut, la liaison de l'analyse des documents et de la
réflexion générale a été quelque chose d'essentiel.
De manière constante aussi,
analyse et description
ont été liées;
ou alors le passage de l'une à l'autre
et vice versa s'est fait continuellement.
Nous n'avons ~as lésiné sur les citations quand
nous les avons jugées utiles ;
car,
à notre avis,
i l est important que les propos des acteurs et en
particulier des intellectuels soient connus dans les
formes où ils sont exprimés.
Grâce à ce travail,
on a désormais comme une petite anthologie du discour8
des intellectuels sur ou contre le pouvoir et sur les
intellectuels.
... / ...

25.
Les résultats obtenus de toute cette recherche
sont exposés et articulés en cinq grandes ~arties.
La premi ère parti e porte sur la péri 0 de c'olonial e
elle étudie les relations entre les "évolués" et
le pouvoir colonial.
Celui-ci condamnera ceux-là
à une participation dépendante jusqu'à ce qu'ils
soient en mesure de mettre en cause tout l'tordre
colonial.
La deuxième partie étudie quelques aspects de
l'univers de qùelques catégori€s
d'intellectuels
(enseignants,
étudiants et écrivains),
qui
doivent représenter l'ensemble dos intellectu~ls
de l'aube de l"indép~ndance à nos jours.
Dans la troisième partie qui analyse les relations
de collaboration entre les intellectuels et le
pouvoir,
tout d'abord est mise en évidence la
présènce des intellectuels et diplômés dans toutes
les structures et les sphères du pouvoir;
ensuite
nous nous interrogeons sur la recherche de
participation au pouvoir des intellectuels à
la fois par les intellectuels et par le pouvoir •
.../ ....

26.
La quatrième partie étudie les relations d'opposition
et de conflits entre les intellectuels et le pouvoir ;
elle insiste sur les motifs des opposïtions,
en particulier sur la vision et la visée du monde
que partagent les intellectuels.
Dans la cinquième partie,
l'étude se centre sur
les relations entre les intellectuels eux-mêmes
et montre en quoi les rapports différents au pouvoir
ou aux classes s8nt source de conf~its et de tension
dans le milieu intellectuel. L'unité etl'unifi-
cation des intellectuels sont examinées aussi.
.../ ...

27
PREMIERE
PARTIE
LES
"EVOLUES"
AFRICAINS
ET
L'ORDRE
COLONIAL

28.
INTRODUCTION
D'un point de vue sociologique, la colonisation
est pour l'essentiel la domination politique,
économique,
sociale et culturelle,
donc la
domination totale d'une soci~té sur l'ensemble-de la vie
d'une autre société globale. Cette emprise totale non
seulement fait perdre à la société colonisée,
devenue pleine de contradictions,
déséquilibrée,
adultérée, .sa propre logique interne, mais la
transforme en une société close,
soumise ~ un
ordre dominateur;
celui-ci supprime chez elle
p~atiquement toute possibilité d'agir directement
sur sa propre histoire.
Autrement dit,
la société
colonisée se présente -selon une image dans
Climbié de B. Dadié- comme "une immense cuve sur
laquelle l'Europe aurait posé comme un couvercle
d'airain,
son autorité,' sa domination;
à l'intérieur
de la cuve, les noirs se débattent,
essaient en vain
de ~emonter pour avoir un peu d'air et un p~u de
soleil ; leurs efforts se brisent contre le
couvercle"
(1).
(1) Dadié
(B)
Climbié,
Paris, Seghers, 1953, p. 189

29.
C'est dire que la situation- coloniale apparaît
comme un ordre,
un ordre reposant non sur le
conflit mais sur la contradiction entre le Blanc
dominapt "civilisateur" et le nÈ:gre
"sauvage"
domin'é,
entre la "société coloniale" et,la "société
colonisée", nécessairement en crise
(1).
Comment cette société coloniGée et en crise pourra-
t-elle connaître un· dépassement ?
En principe, l'acteur populaire,_déchiré entre
son exclusion et sa résistance/soumission centrée
sur le repliement sur sa communauté,
sur sa culture,
n'a pas la possibilité de prendre l'initiative de
l'organisation du dépassement.
Il est indispeisable
que le mouvement vienne au moins en partie
d'agent~ extérieur~ poli tisés- Et qui seront ces agents?
(1)
Voir à ce propos :
- Balandier
(G)
"La situation coloniale.
Approche
théorique" in Cahiers internationaux de
flociolo~ie, 1951, vol. XI, pp. 44-79 ;
"So ci ologi e de la dépendan ce" in Sen s et Pui s san ce,
Paris, PUF, 1971
- Frantz Fanon,
Les damnés de la terre,
Paris,
Maspero, 1961
-Poirier (J)
"Dépendance et aliénation:
de la
situation coloniale à la situation condorninale"
in Cahiers internationaux de sociologie, 1966,
vol. XL, pp.
73-88

30.
Ce seront les "évolués" qui s'appelleront
souvent
eux-mêmes les "élites",
c'est-à-dire enfait ceux
qui avaient reçu une éducation occidentale.
Mais ceux-ci n'auront-ils pas. recherché auparavant
ou ne chercheront-ils pas en Dême temps et pendant
longtemps la participation à l'ordre dominant?
A la vérité, les deux types de conduite coexisteront
mais prévaudront tendanciellement l'une sur l'autre
selon l'époque ou avec le temps: le refus de
l'ordre colonial
prédominera sur la demande de
p:r~fcip a ti on, sàn s PO;l rtan t l' e.xcl ure.
Il ne s'agit donc pas de faire une histoire du
na tionali sme afri cain a ve c les parti s poli tig u e s
en jeu, encore moins celle de la décolonisation
ou même de la colonisation. Les ouvrages et les
études existant sur ces questions sont nombreux
et connus;
nous y renvoyons le lecteur. Ce qui
intéresse ici,
c'est de tenter d'expliquer les
conduites des "évolués" et des intellectuels face
à la domination' coloniale avant la constitution des
partis politiques nationalistes ou en dehors des
, ,
partis quand ils seront crees.

31.
Le premier chapitre de cette première partie porte sur
la demande
de participation à l'ordre colonial des
"~volu~s" et intellectuels et sur ses conditions
de possibilit~
-sans consid~rer les tentatives de
refu$ de cet ordre qui pouvaient exister en même
temps que la demande de participation.
Le deuxième
chapitre analyse justement le refus de l'ordre
colonial,
sans s'int~resser à la demande d'int~gration.

32.
CHAPITRE
l
LES
"EVOLUES"
DANS
L'ORDRE
COLONIAL
A partir de quand naîtront les écoles d'où
sortiront ceux qu'on a appelés sous la colonisation
les "évolués" ou les "élites" ? Dans quels types
d'écoles ont-ils été formés? Comment ont-ils
été formés? Dans quel esprit et à travers quelles
méthodes? Quel rôle l'école a-t-elle joué dans
l e dés i rd" in t é g rat ion de ces "é vol u é s" dan s
l'ordre colonial? Comment s'est exprimé ce
désir et que signifiait-il? Telles sont les
questions qui seront examinées ici.
Une première section fera l'historique rapide
des écoles de la période coloniale et montrera
comment l'école sera utilisée comme instrument
d'aliénation,
c'est-à-dire d'inscription dans une.
par~icipation dépendante. Une deuxième section
étudiera la demande des "évolués" de participer à
l'ordre colonial.
La situation coloniale en A.O.F.
et en A.E.F. a
largement suffi dans le cadre de cette recherche
pour fuontrer daris quelle mesure l'école a servi
à préparer à la· participation à l'ordre colonial .
.../ ...

33,'
L'évocation de la demande de participation s'appuie
sur des exemples pris dans les
cadres
coloniaux
français et belge.
SECTION
l
FORMATION ET PREPARATION A LA PARTICIPATION DEPENDANTE
1.
Les écoles de la période coloniale
: bref aperçu
En Afrique Occidentale Fran~aise, la premi~re
institution scolaire naît en 1817,
oeuvre d'un
instituteur, Jean Dart ; l'école s'ouvre à Saint-Louis
au Sénégal. En 1819, les soeurs de Saint-Joseph de.
Cluny arrivent dans la même ville pour s'occuper de
l'hôpital et de l'éducation des jeunes filles,
conçue sous son aspect pratique.
En 1841, les
Fr~res de ptoërmel auxquels le gouvernement fait
appel prennent en main l'organisation de
l'enseignement primaire à Saint-Louis et à Gorée.
.../ ...

34.
L'enseignement lare est v~ritablement introduit en 1854
par Faidherbe,
gouverneur du S~n~gal. En '1856, est
cr~~e l' "Ecole des Otages ", destin~e à. former les
fils des chefs soumis ou vassaux. Elle deviendra
1
"L' ec..oLt;;.
des fils de chefs et des interprètes"
le 27 mai 1893.
Lorsque Faidherbe quitte le S~n~gal en 1864,
l'enseignement s'est relativemeüt d~velopp~. On
comptait à Saint Louis 860 ~lèves dont 200 filles.
Mais l'~cole n'existait que sur la côte s~n~galaise.
Sur les territoires nouvellement conquis par l'avanc~e
de la '''pacification'',
se cr~eront de nouvelles
~coles. Au Soudan par exemple s'implantent sous
l'impulsion de Gallieni les
"~coles F~gimentaires"
mais elles ne tarderont pas à disparaître.
C'est à partir des ann~es 1878, 1882 et 1893 que
la Guin~e, le Soudan et la Côte d'Ivoire auront
respectivement leurs premières ~coles.
L'Afrique Equatoriale sera le parent pauvre sur le
plan de l'enseignement pendant toute cette p~rio·de.
Au Congo existaient quelques ~~oles des missions,
au Gabon a\\lssi.

35.
Partout la scolarisation était faiblement développée.
C'est vraiment ~ partir de 1903 que le gouverneur
génér~l de l'AOF, Roume, par trois arr@tés (du 24
novembre 1903) mettra en place "la charte de
l'enseignement".
Celle-ci organisera la: vie scolaire
pratiquement jusqu'~ la conférence de Brazzaville
en 1944. A cette date,
sera décidée l'extension du
système métropolitain ~ tous les territoires de
l'Afrique française.
A partir de 1903 donc,
i l y au~a l'école de village,
l'école régionale pour la préparati9n du C.E.P.E.
et
l'école urbaine pour les fils de citoyens.
Chaque colonie aura une "école primaire supérieure"
(E.P.S.)
installée en principe au chef-lieu. En 1922,
i l Y en avait six
(seuls le Niger et la Mauritanie
n'en avaient pas). Après l'E.P.S.,
if était possible
d'accéder aux écoles post-primaires fédérales.
L'enseignement professionnel était donné ~ l'école
Pinet-Laprade de Gorée.
L'école Faidherbe de
Saint-Louis,
comprenant l'école normale et l'école
primaire supérieure,
deviendra le premier lycée
d'Afrique noire en 1920.

36.
Le cours secondaire de Dakar,
cr~~ en 1925, deviendra
en 1940 le Lyc~e Van Vollenhoven. En 1912, le
servi ce de l'enseignement est
' , ,
cree a Dakar ainsi
,
que l'Ecole Normale William Pont y a Gorée p0ur les
,
instituteurs,
l'~cole de m~decine a Dakar (1918 )
et l'école normale des jeunes filles de' R~fisque en
1939. L'école normale de Katibougou au Soudan
(avec un programme à dominante agricole)
sera
ouverte en 1934. L'écale technique supérieure
de Bamako se cr~ere en 1939.
Tontes ces ~coles seront les p~p1nières des
cadres de l'A.O.F.
Bien entendu,
le contenu de l'ensei-
~nern8nt donn~ dans les ~col~s ne se désolidarisera pas
,~
de l'esprit et du' $~stèm~ colonial. On.y reviendra.
A la fin de 1914, les effectifs scolaires s'~levaient
à 17 000 environ en A.O.F.
;
en 1922, à 25 000
~lèves, auxquels il faut, ajouter environ 5 000 autres
des écoles pri~ées. En 1935, les élèves de l'A.O.F.
atteignaient environ 63 000 ;
en 1945, ils seront
plus de 94 000. Autour de 1946-1947, i l Y aura
105 367 élèves,
ce qui
représentait 5 %des enfants
en âge d'être scolarisés
(ils étaient environ
2 215 000 à cette époque).

37.
Après la conférence de Brazzaville en 1944,
l'enseignement sera réorganisé pour s'adapter à
la situation nouvelle
la culture française ~ura
à servir ouvertement la politique d'assimilation. Il
na s&ra plus question de former des auxiliaires.
On prétendra permettre aux Africains
d'acc~der aux
fonctions importantes de la hiérarchie.
Il y aura
alors dans les milieux africains une soif d'apprendre
qui
se traduira par une ruée vers les établisseDents
scolaires.
En A.E.F.,
l'ense~gnement a connu un certain retard.
Par exemple,
i l faudra attendre 1935 pour que se
crée l'Ecole Supérieure Edouard Renard,
conçue sur
le modèle de William Ponty.
C'est en 1937 que se
créera aussi le service de l'enseignement avec
. un inspecteur à sa tête.
Ce retard dans le
développement de l'enseign~ment se traduit dans le
fait· qu'en 1940,
l'A.E.F.
ne comptait à peine que
300 Afiicains,
originai~es de la fédération ou des
autres colonies,
à être titulaires du certificat
d'études primaires. Mais,
après la conférence de
Brazzaville, l'A.E.F.
connaîtra un certain développe-
ment de son enseignement.
En 1947,
elle comptait
39 356 élèves.

38.
En fait,
aussi bien en A.E.F. qu'en A.O.F., le
nombre des enfants scolarisés ne sera pas énorme.
Même en 1957,
en A.O.F.,
les enfants scolarisés
représentaient à peine 10 % des enfants en âge d'être
scolarisés,
et en A.E.F.
à peine 7,55 %. C'est qu'à
la vérité, le système colonial était pris dans une
contradiction
scolariser les Africains afin d'avoir
des auxiliaires et en même temps éviter qu'une
scolarisation importante des masses n'entra!ne la
nécessité de payer plus cher une main d'oeuvre
qualifiée, mais surtout la possibilité pour ces
scolarisés africains de mettre en cause la domination
coloniale.
Comment le système scolaire colonial va-t-il essayer
de former des auxiliaires tout en essàyant de ne pas
en faire des
"aigris" capables de troubler la
"paix coloniale" ? Par quels moyens et méthodBs
sJefforcera-t-on d'obtenir de ceux qu'on formera
qu'ils restent "bon espri t",
reconnaissent la supériori té
du Blanc,
de sa civilisation ?

39.
2.
L'~cole, instrument d'ali~nation : l'esprit et
les m~thodes d'un enseignement au service de l'ordre
colonial et de l'int~gration dans cet ordre
La diffusion de la civilisation europ~enne sera
r~ch~rch~e dans les masses africaines par l'inter-
m~diaire de p~pinières de sujets qu'on aura form~s
pour être des courroies de transmission entre les
masses et l'administration coloniale: l'école sera
requi se pour cette ·fin. Le rapport du gouverneur
Jubelin en mars 1829 déjà était explicite sur les
buts de l'école.
On y l i t ·
"Amener les habitants indigènes à la
connaissance et l'habitude du français
et
associer pour eux à l'étude de notre langue
celle des' notions
élémentaires les plus
indispensables,
leur inspirer le goût de
nos bieus et de notre industrie,
enfin
créer chaque année parmi
eux une pépinière
de jeunes sujets propres à devenir l'elite
de leuFs concitoyens,
à les éclairer
à leur
tour et à propager insensiblement les
premiers éléments de civilisation européenne
chez les peuples de l'intérieur,
tels
devaient être les fruits
de notre établisse-
men t"
(1)
(l)Gouverneur Jubelin à Ministre nO 88 20 mars 1829
cité par Denise Bouche,
L'enseignement dans les
territoires français
de l'Afrique Occidentale de 1817
à 1920, Mission civilisatrice ou formation d'une
élite,
Librairie Honoré Champion,
Paris, 1975,
tome l ,
p.
82

40.
La diffusion de la civilisation européenne se présentera
au départ comme au service des idées chrétiennes à .
répandre;
mais assez rapidement,
elle aura pour
finalité d'ouvrir le continent aux produits de
l'industrie;
encore que les ~ibéraux anglais
associeront étroitement la diffusion de la bible
et l'expansion du commerce. A ces .visées plus ou
moins diffuses était associée dès le départ la volonté
claire et nette de former des auxiliaires pour
l'administration et le commerce. Et l'espoir d'y
avoir une place
sera
d'ailleurs à la base
de l'acceptation et de la fiéquentation de l'école.
En 1834, l'ordonnateur Cadeot,
présentant un plan
plu~ précis des besoins du Sénégal, notera :
"C'est vers un but utile,
positif,
que
l'administration doit diriger les études
de sa population naissante. On y parviendra
en mettant les enfants à même de suivre
la carrière du commerce,
de faire de bons
traitants,
des agents éclairés dans les
résirlences éloignées,
d'habiles patrons
ou capitaines
( .•. ),
des conducteurs
et surveillants intelligents pour les
travaux publics et particuliers"
(1)
(1)
Rapport de l'ordonnateur Cadeot au gouverneur
22 octobre 1834 cité par D.
Bouche op.cit. p.
84

41.
L'école devra servir l'expansion économique et
politique. Ainsi, lorsque Faidherbe crée l'école
spéciale pour lesotages, il ne songera à rien
d'autre: pour lui,
cette école devait permettre
de former des auxiliaires sûrs pour l'oeuvre à
accomplir et d'entreprendre le développement des
colonies et y accroître l'influence de la France.
A son ministre de tutelle, il s'en expliquera
il écrivait à propos des fils ~'otages
"Il faut que ces enfants soient à
Saint-Louis, Qu'ils ~onnaissent le
gouverneur, le directeur des affaires
extérieures,
et tous les agents qui
servent d'intermédiaires entre leurs
. 'pays et nous".
"Je me suis donc décidé à les garder
près de moi.
Cette question de l'éducation
des 'enfants de chefs, 'à Saint-Louis, me
paraît d'importance extrême.
Jusqu'à présent, notre établissement
a été sans racine dans le pays, notre
influence comme idées,
entièrement nulle.
De là, la facilité pour le premier
intrigant venu de tout soulever contre
nous"(l).
... / ...
(1) Gouverneur à Ministre nO 23, 18 juin 1856,
cité
par D. Bouche op.cit. p. 328

42.
La formation des otages devait leur permettre
d'être pénétrés de la grandeur de la nation
colonisatrice.
Gayon, professeur des otages,
s'y
employait par une propagande pour laquelle i l
mettait à contribution les diverses matières.
Un Rapport de la commission des écoles sur _
l'école des otages du 3 septembre 1857 établira
effectivement que
"la géographie ne leur est pas
étrangère",
et note,ra :
"Comme on les entretient
sans cesse de la grandeur de la France,
de la
puissance de son empire,
ils se font de nous et
de notre pays une idée élevée qui
sera dans un
avenir prochain profitable à notre prépondérance
politique"
(1).
Gayon utilisait de la même maniè~e les disciplines
aussi anodines et neutres en apparence que l'écriture
et la dictée.
Ainsi par eXèmple,
i l faisait copier
à ses élèves de la 2ème division ce texte où sa
volont~ de dépersonnal{sation s'appuie sur une
malhonnêteté perverse pour justifier la domination
coloniale
(1)
Cité par D.
Bouche op.cit. pp.
332-333

'43.
"Dans les pays civilisés. les hommes
ont de belles maisons en pierre et en
brique. Dans les pays sauvages. les hommes
ont des tentes ou des cases en paille qui
brQlent en cinq minutes et o~ leurs.
familles ne sont pas en sécurité contre
les brigands.
l!Dans les pays civilisés.
chaque homme
n'a qu'une femme.
Dans ~es pays sauvages.
un homme prend plusieurs femmes 1... 1
~Chez les peuples civilisés. il n'y a
pas d'esclaves. Vendre un homme. une ~emme
ou un enfant,
c'est le plus grand crime
qu'on puisse commettre et ce n'est que
chez les peuples noirs d'Afrique que cette
détestable habitude existe. Dans tous les
autres pays.
quand on fait des prisonniers
à la guerre, on les force à travailler pour
gagner leur nourriture.
et puis on les
rend quand on a fai t la paix Il (1)
Aux élèves plus avancés,
ceux de la première division.
Gayon faisait prendre sous sa dictée par exemple ce
texte:
liMon cher père,
et mes chers parents,
je
vous annonce que je suis en bonne santé et très
content d'être à Saint-Louis. Le gouverneur m'aime
beaucoup et s'occupe beaucoup de nous 1... 1 Il 1... 1
m'a promis de me prendre avec lui 1... 1 J'ai écrit
moi-même cette lettre pour vous prouver que j'apprends
bi en II· (2)
(l)Compositions' des otages et appréciations de Gayo~
b6~~is de mérine,
professeur des otages,
12 juin 1856 cité par D. Bouche, op.cit.
Il.
333
(2)' Ibi dem

44.
Il fallait veiller particulièrement, n'est-ce pas,
à la formation des fils de chefs et de notables
qu'étaient ces otages. Ne s'agissait-il pas en effet
d'en faire
»des chefs dévoués à la France e~
moralement meilleurs que leurs prédécesseurs»
(1)
La formation particulière des fils de chefs et de
notables ne devait pas cependant faire négliger celle
des autres enfants.
Il fallait aussi former
..
rapjde~ent
des enseignants africains,
surtout si l'on
voulait étendre réellement l'influence de la France
dans les masses. En 1906, l'inspecteur général
de l'enseignement en A.O.F.,
Moirot,
rappellera
ce que dès le départ le colonisateur avait comp.ris
et décidé :
"Associer les indigènes à notre o~uvre
de civilisation de manière qu'ils nous considèrent
comme des alliés bienfaisants"
(2)
(1) Discours du capitaine Flize 22 août 1859 cité par
D. Bouche op. ci t. "'p.
332
(2) Projet de réorganisation d'une école normale et
professionnelle par l'implantation de l'enseignement
en A.O.F.
(Moirot),' Dakar 10 avril 1906 cité par
D. Bouche,
op.cit. p.
509

45.
Et en 1908, le gouverneur général William Pont y croira
utile d'insister encore sur les raisons de
l'action scolaire.
Il déclarera
"L'instruction est,
je le répète,. à
œon sens,
le moyen le plus efficace auquel
nous puissions recourir pour,assurer le
développement rapide à tous égards de
ce
pays
(1)
et de l'influence que nous
voulons y exercer. Représentez-vous par la
pensée quels projéts administratifs et
financiers nous pourrions immédiatement
attendre si nous disposons d'un personnel
indigène capable d'établir des rôles
nominatifs d'impôts,
dA tenir des registres
d'état-civil,
de collaborer,
en un mot,
à notre action. L'instruction élève
l'homme,
elle transforme ses goûts,
elle
augmente ses appétits,
c'est-à-dire sa
puissance de consommation et par suite
l'oblige au travail. Nulle richesse n'est
plus certaine que celle qui réside dans le
développement intellectuel de la masse"(2) ,
Il fallait donc que de manière efficace l'école
permît à l'administration de fonctionner,
fît le
succès de la domination dar.s sa durée,
rendît
possible l'action sur la masse africaine pour
l'amener à
consommer les produits de l'industrie
européenne et à
s'attacher à l'occident dans une
dépendance totale.
(1)
Sénégal
(2) Pont y
(W)
Discours d'ouverture de William Pont y
au Conseil de gouvernement 14 décembre 1908,
cité par D.
Bouche op.cit.
t
2,
p.
567

46.
Les buts assignés à l'école étaient bien clairs.
Et en 1923, le ministre des colonies,
Albert Sarrault,
trouvera utile,
à son tour, d'indiquer combien le
devoir d'instruire les "indigènes" "••.
s'accorde
par surcroît avec nos intérêts économiques,
administratifs, militaires et politiques les
plus évidents"
(1).
Grace à l'instruction, i l
devait être possible "d'améliorer la valeur de la
production coloniale en multipliant,
dans la foule
des travailleurs indigènes,
la qualité des
intelligences et le nombre des capacités". Elle
devait permettre de dégager et dresser parmi la
masse laborieuse "les élites de collaborateurs~•• "
Mais tous les collaborateurs subalternes pouvaient-ils
être zélés et sûrs sans avoir adhéré pleinement
à la civilisation européenne? Il fallait donc leur
faire voir que celle-ci était supérieure à la
ci viIi sa tian afri caine qui n' en étai t
pas
réellement"une.
Il fallait que les "indigènes"
apprissent à aimer la civilisation de leurs
maîtres et fussent reconnaissants envers eux de
les avoir soumis et de les civiliser.
(1) Sarrault
(A)
La mise BD valeur des colonies
françaises,
Paris,
Payot, 1923, p.
95

47
Sans disposer peut~être de l'autorité politique
nécessaire,
et sans représenter directement le
pouvoir,
le père Roussel est sans doute celui qUl
a le mieux rendu ou exprimé une telle pensée,
commune
a~x différents colonisateurs, Dans sa Déontologie
coloniale.
Consigne de vie ét d'action coloniales
pour l'élite des Blancs et l'élite des Noirs
(Bruxelles
1949)
(1),
on l i t
:
Civiliser un peuple / ••• /
c'est conquérir
son âme et s'attacher son coeur.
Il faut
que le peuple colonisé se rende compte
par lui-même et accepte qu'il se réalisera
beaucoup mieux en se soumettant aussi
longtemps qu'il le faudTa à un autre peup1e"
(p. 35)
Il ~nsistera sur le rBle particulier de l'éducation
coloniale dans cette action généreuse envers le
colonisé. L'éducation doit,
pense-t-il, imprégner
les élèves africains de~ devoirs impérieux du
colonisé :
"Devoirs de reconnaissance et de gratitude.
Respect,
docilité,
collaboration loyale
et sincère,
sont les grandes vertus
que doit inculquer à ses frères noirs
tout colonial épris d'idéal.
"Que les populations voient, qu'elles
sentent, qu'elles comprennent et apprécient
la dette immense qù'elles ont envers les
métropoles.
(1) cité par Kita Kyankenge Masandi L'éco~rimaire
et post-primaire au Congo Belge. Contribution
~ l'~tude sociologique d'un syst~me d'enseignement
colonial,
thèse de 3ème cycle,
Sorbonne, 1976

48.
Qu'elles se rendent compte d'une façon
évidente que cette dette doit s'amortir,
du moins partiellement, par une juste
considération.et rétribution dans les domaines
économique et politique 1 ... 1
"Que les Noirs sentent et comprennent de
plus en plus que l'action civilisatrice
est pour eux un réel b~enfait, qui n'a pas
été sans sacrifice très dur pour la
métropole 1... 1
"Que de jour en jour, nous apparaissions
aux Noirs, non comme des exploiteurs, mais
comme des bienfaiteurs qui les aiment,
dont
ils ont besoin,
dont ils auront besoin
longtemps Bncore et dont ils doivent en
vérité reconnaître les services éminemment
sociaux;
des bienfaiteurs avec lesquels
ils doivent collaborer docilement,
et
auxquels ils doivent une juste rétribution
un dédommagement légitime, non seulement
dans le présent mai s aussi dans l ' avenir ll
(PP. 37 et 302)
Cette pensée aurait pu n'avoir jamais été que le
point de vue d'un individu ou même un point de vue
partagé, sani qu'elle se soit jamais traduite dans
les faits et la pratique quotidienne de l'éducation
et de la vie.

49.
Mais A la v~rit~ elle n'exprime qu'une conception
profonde des rapports
colonisateur/colonis~ ; elle
ne signifie et ne dit qu'une pratique existante
depuis longtemps dans toutes les colonies,
belge,
française,
britannique et autres.
Le colonisateur avait besoin de se justifier et de
justifier son oeuvre.
Il avait besoin d~ convaincre
les scolaris~s de la sup~riorit~ exclusive de la
culture europ~enne ; de leur prouver que c'était
un insigne privilège pour eux d'en bénéficier avec
la chance de pouvoir un jD~r se hisser au-dessus
deI a mu l t i tu d e 'ft a r ba r e " e t " sa u vag e ".
Les a c t i vit é s
scolaires étaient requises pour cette intoxication.
Et parmi
celles-ci, les simples chants d'école.
En
voici deux
:
Le premier,
chanté par des écoliers Ivoiriens
(1)
est révélateur plus de la perversité et du sadisme
dans le racisme
colonial que d'autre cLose
(1)
Chanson composée par le R.P.
Bouvier à l'usage
des élèves de l'école de Dabou et publiée par
Trait d'Union
(Revue de l'Enseignement catholique)
jan. 1937,
citée par Raymond Guillaneuf.
La presse
en CBte d'Ivoire.
La colonisation.
L'aube de la
~~colonisation 1906-1952" Th~se 3~me cycle,
. ?aris1975 t l ,
p.
73

50.
"J'aurais pu venir au monde
Sous les rois de Dabou
A cinq lieues à la ronde
Ils terrorisaient et brûlaient tout
Ils m'auraient sûrement découpé
Rôti
et puis bouffé
Ou bien sur la route de Dibroumou
Ils m'auraient abattu.
Maintenant que les blancs sont venus
Ah ! c'est de la veine!
"
Le second,
chanté en AOF
(1) masque sous une
leçon de civisme la critique raciste des tares
de ~aresse et d'insouciance chez les Noirs et
rRppelle les devoirs du colonise
"Pour que notre Afrique soi triche
Ami,
mettons-nous au travail,
au travail
Au lieu 4e dormir ou causer,
allons,
Allons'débroussailler la terre
Avant d'inviter parents et voisins,
Payons nos impôts,
acquittons nos dettes,
Mettons de côté quelques sacs de grains,
Nous pourrons a~ors chanter à tue-tête
Salut, France; et gloire à ton nom,
Nous t'aimons comme notre mère
Car c'est à toi que nous devons
La fin de toutes nos misères".
(1) Hardy
(G)
Le chant à l'~cole indigène,
cité par
M.
Ferro:
Comment on raconte l'histoire aux
enfants à travers le monde entier, Paris, Payot
1981, p.
38

51.
Travailler pour payer l'impôt,
être reconnaissant
d'avoir le privilège d'être soumis,
reconnaître
que ses pères étaient des
llanthropophages" font
partie des devoirs du colonisé.
Il s'agit en fait de toute une propagande perverse
et sadique dont le but est de désarmer intérieurement
le colunisé,
de détruire en lui jusqu'à la racine
tout contentement de soi,
toute velléité de
résistance;
d'installer en lui l'obséquiosité,
l'agenouillement,
la résignation et la reconnaissanc2.
Mais toute cette intoxication était-elle suffisante
pour l'entreprise de façonner au colonisé une âme
d'esclave,
et faire du '~lettré" colonisé un être
qui se reconnût
supérieur aux siens,
à lamasse
de la population? Ne fallait-il pas que "l'évolué"
se sentît intérieurement du côté de ceux qui le
dominent en même temps que son peuple ? Ne
fallait-il pas qu'il s'installât dans ses ~iettes
de privilège afin qu'il ne fût pas tenté de troubler
la "paix coloniale" ?
Dès l'école, le
"lettré" de demain sera soumis
au miroitement .des privilègee qui peuvent être
les siens.

52.
On lui fera voir tous les bienfaits de la "civilisation".
Les textes des manuels scolaires lui feront
découvrir tout le changement apporté par les Blancs
et lui indiqueront ce qu'il peut espérer de' la
vie en s'attachant au modèle de vie qu'on lui
propose.
Le livre de lecture Mamadou et Bineta par exemple,
"d'avant les années 1950 .et après (il existe d'aill~urs
encore aujourd'"hui) est des plus intéressants sous
ce rapport. Celui des CE l
et CE 2 contient par
exemple un texte"sur "La France st ses colonies"
où l'on montre comment elle traite les "indigènes"
en fils,
comment elle a amélioré leur sort, a rendu
la vie plus agréable en construisant des écoles, des
hBpitaux, des dispensaires,
des routes,
comment elle
lutte contre la misère,
contre la faim et contre
la cruauté des "guerriers" .. Le texte se termine
sur ·cette conclusion : "Et sais-tu enfant ce que
la France te demande en échange de tant de bienfaits?
Elle te d i t : travaille,
je t'aiderai et tu
devi endras ri che"
(p. 223)

53.
Devenir riche,
sortir de la masse,
tel est
l'objectif flatteur qu'on demande aux écoliers
de se fixer.
On leur fera voir en particulier
combien i l est agréable d'avoir une place auprès
du "p~re" colon, dans l'administration surtout.
Le Deuxième livre de l'écolier africain de
J.M. Monod, par exemple, fera lire dans l'un de
ses textes:
"Auprès de l'Administration sont de
nombreux fonctionnaires indigènes.
Ce sont des
Noirs intelligents qui savent généralement parler
le français,
lire et écrire,
compter. La plupart
sent allés à l'école"
(p.
42).
Ainsi, l'école aura la charge d'amener les enfants
noirs à désirer ardemment se placer au-dessus de leurs
frères restés
"sailvages" parce que n'ayant pas eu
le privilège d'être scolarisés. Elle devra sensibi-
liser les élèves à la stra~ification sociale et
pro~oquer chez eux le désir d'émerger de la masse
des producteur~, des paysans, des travailleurs
manuels, pour devenir quelque jour,
et si possible,
un patron. Ce texte de lecture de Mamadou et Bineta
(CM l
- CM 2), intitulé "Le devoir à l'école" ne
dit que cela ;
lisons
:

54.
"Travaille de ton mieux à l'école où tu
es placé;
applique-toi
( . . . ) à profiter
de ce qui t'est enseigné. Songe bien qu'on
pourrait déjà tirer un certain travail de
tes petits bras et de tes petites jambes.
On ne le fait pas cependant •••























ft
• • • • • • • • • • • • • •

' • •
"Si l'on t'employait dès à présent à
travailler autant que tu le peux sans
te rien apprendre,
tu ne serais Jamais
qu'un manoeuvre,
ne sachant ni lire,
ni
écrire,
ni compter;
tu ne vaudrais jamais
que ce que valent tes bras,
tes jambes, tes
épaules,
tes reins. Mais si l'on permet
à ton intelligence de ~se développer par
l'instruction,
à la valeur de ton corps
tu ajouteras celle de ton esprit;
tu
pou rras devenir non .s eul em en t
un ouvri er,
mais un contremaître ou un patron, l'égal
d'un homme bien plus riche et plus favorisé
gue toi
;
tu pourras te faire la place dont
tu se~as digne par ton courage et ton
intelligence"
(p.
378 ;
souligné par nous)
L'ambition qu'on voudrait inculquer aux écoliers
est que très tôt ils aient le désir de se faire
une place au soleil du màître colonisateur,
à son
ombre.

55.
Seulement peut-on toujours prévoir jusqu'où
l'instruction peut conduire? Quels en sont les
effets pervers ? Peut-on les maîtriser ou les
annihiler ?
Le colonisateur s'inquiétera et craindra les effets
pernicieux d'une instruction généralisée dans tous
les mjlieux africains.
Mai3 que pouvait-il faire devant l'év~dence que
l'avenir et l'existence même de§ colonies en tant
que colonies ou possessions d'Outre-Mer,
dépendantes de
la métropole,
exigeaient que l'enseignement fût
généralisé parmi les 'ïndigènes".
En 1913, le Rapport Kervin proposait pour le
Congo belgB que l'enseignement devînt avant tout
professionnel. Et pourquoi? Le rapport expliquait
"La vanité est un des défauts dominants
du caractère du Noir. Dès qu'il a un vernis
de civilisation,
i l se croit volontiers
l'égal de l'Européen,
et comme l'Européen,
ne peut travailler
de ses mains dans
la plus grande partie
du Congo,
l'indigène
dès que lettré,
est tenté de se refuser
au travail manuel / .•. /

56.
"D'autre part,
le Noir ayant quelque
instruction,
jouit d'un certain prestige
vis-à-vis de ses congénères,
et,
s ' i l
ne travaille pas,
devient facilement un
facteur d'influence dissolvante;
i l
critique les Européens,
excite les Noirs
contre eux / . . . /,
bref, i l devient une
nuisance et un danger.
Il faut donc qu'il trav~ille, et c'est à
la moralisation du Nègre par le travail
manuel que doit tendre l'enseignement
que nous lui donnons"
(1).
Et en 1922, le Rapport du Bureau du Comité Permanent
du Congr~s Colonial National soulignera clairement
que si la réforme de l'enseignement au Congo belge
a été demandée,
"c'est pour éviter les mécomptes que
certains redoutent dans la diffusion de l'enseigne~
ment aux Noirs et qui,
dans plusieurs colonies,
a
fait d'eux des déclassés et des éléments de trouble
et de perturbation sociale"
(2)
(1)
Rapport Kervih 1913 cité par Kita,
thèse citée
p.
228
(2)
O. Louwers et G. Cooreman, L'enseignement au
Congo,
Rapport du Bureau du Comité Permanent du
Congrès Colonial National in Congo,
t2, nO 2,
Bruxelles 1922,
cité par Kita,
thèse citée p. 140

57.
EN AOF,
existera pratiquement à la même époque
la même préoccupation d'une réforme de l'enseignement
pour en éliminer toute culture générale," toute
discipline capable de développer l'esprit critique
et la réflexion.
On insistera au contraire sur la
nécessité d 1 un enseignement "pratique",
réduit
souvent à sa plus simple expression tant les moyens
et l'outillage faisaient défaut.
Dans cet esprit,
en 1924, le système Carde introduisit
à l'école primaire un "enseignement agricole" et
prescrivit que les "mutuelles scolo.ires" fussent
alimentées par la vente des produits des cultures
et des plantations faites par les élèves.
Sans doute aussi,
cette orientation de l'enseignement
devait-elle être en rapport avec la crise économique.
Dès"que Jules Brévié prit service en 1931 en qualité
de gouverneur général de l'AOF, i l lança la formule
de l '
"école rurale".
Pour lui,
seuls
ces genres
d'écoles étaient susceptibles de ne pas former des
"déracinés aigris" qui pourraient devenir des
"contempteurs" et des
"ennemis" de l'ordre
coloniai.

58.
L'enseignement "agricole" devint obligatoire. La
moitié des horaires pratiquement y fut
consacrée
la classe proprement dite fut réduite à moins de cinq
heures par jour.
Si déjà la diffusion généralisée de l'enseignement
primaire suscitait des craintes, que pouvait-il
en être quand i l s'agira de l'enseignement Clu.J~lq Ju pr;"'·... '1"~:
Li?- ~ovc..; J\\.lc..olo ...... i>:~t~r s..... ro. r<:>'-'.)~u\\"'~ J.(.l.v;t~'t u..,tè St.Ql(ll·iS~t'.\\)...., ..
c.o ........ pl-i't-.... d-(!..~ ~f("L.4iV'~.:b-<!...
~v..~, -fI;?, .:.i~,JJ:Z..ç, d'l\\ja.,~~r ~\\-ç,~_il"'~:' •
rJ.~L) e"l·' "' .. , r cl.z.j'l f", 1C\\1t-.
~vr l~ v"4~,,,.:l)o."'~ ,",,~\\.... f-" ....~r.et.r.·"\\ S~t'3~J tto.r '1'
.
" ,. '" cù ,.~
"Le recrutement à·l'enseignement".supérieür
doit faire l'objet d'un triage attentif,
i l s'agit en effet de faciliter l'accès
de carrières administratives à
ceux dont
la famille a toujours secondé avec honneur
notre oeuvre civilisatrice et mis son
prestige héréditaire au service de nos
intentions;
i l s'agit de distinguer
parmi l e s autres
ceux dont les quali tés
de caractère sont absolument certaines,
et i l faut éliminer avec un soin .impitoyable
tous
ceux dont les facultés
sont insuffi-
.
samment équilibrées.
Tous ceux qui pourront
servir à la satisfaction de leurs appétits,
le savoir qu'on leur donnera,
qui pousseront
leurs congénères à des révoltes et qui
garderont toute leur vie l'inquiétude et
la cruauté des temps mis en cage."

· 59.
.
Quelques années avant les indépendances,
en 1955,
on entendra le même son de cloche à propos des
scolarisés du Congo belge. H. Depage insistera
lui aussi sur la nécessité de nepas laisser les
Noirs accéder à l'enseignement supérieur.
Il
,
.
ecrlra :
"Céder aux tensions qui se manifestent
à l'égard du
besoin
d'un enseignement
supérieur / ••• /
c'est favoriser la
formation de mécontents et d'agitateurs,
c'est donner à ceux-ci une puissance
politique,
c'est faire d'eux l6s cadres
,
qui conduiront les autochtones a la lutte
contre les Européens"
(1)
La crainte des effets pernicieux ou pervers de
l'instruction pèsera tout le temps sur la formation
des Africains
elle s'exprimera dans les programmes,
les méthodes et l'esprit général de l'enseignement.
Une des premières incidences de cet état de choses
sera qu'en 1945, partout, la proportion des il18~rés
excédait 95 %de la population. En AüF, en 1945, le~
cadres africains ayant suivi entièrement l'enseigne-
ment supérieur devaient être rares,
et les quelques-
uns étaient souvent hors d'Afrique.
(1 ) Depage (H) Contribution à l'élaboration d'une
doctrine visant à la promotion des indigènes du
Congo belRe,
Bruxelles, Académie Royale des
Sciences d'Outre-Mer,
1955,
cité par Kita,
thèse citée.

60.
Les diplômés de l'Ecole William Pont y étaient parmi
les plus instruits des Africains de l'AOF.
Cette
école avait entre 1918 et 1945 délivré près de 2 000
diplômes.
L'A.E.F. avait un retard important sur l'A.O.F.
Et l'Ecole Renard par exemple qu'on avait copçu
sur le modèle de William Pont y à partir de 1935
ne pouvait avoir accordé que peu de diplômes.
Un des r~sultats sur lequel on peut s'interroger
concerne bien la mentalité façonnée de tous ceux
qui auront fr~quenté l'école dans les conditions
que l'on sait,
c'est-à-dire à travers la propagande
de ~épersonnalisation et une volont~ d'acculturation,
à travers la nécessité d'instruire les noirs et la
volonté de ne pas leur donner trop d'instruction.
L'école réussira-t-elle à faire d'eux des gens loyaux,
dociles,
et dévoués à la cause coloniale ou réussira-
t-elle à faire d'eux des "désaxés " pr~ts à troubler l~
"paix coloni~le" ?
Il faut voir d'abord comment les effets recherchés
auront été atteints,
comment la formation reçue
. ~
,
"
les aura prepares à vouloir participer à l'ordre
colonial.

61.
L'étude des
"évolués" des
colories françaises
et
belges sous le ~apport de leur relation à la masse
et de leur volonté d'~tre intégrés dan~ le syst~me
colonial aidera à comprendre les probl~mes soulevés.
SECTION
II
LES "EVOLUES" ET LEUR VOLO:\\fTE DE PARTICIPER A
L'ORDRE C01·0NIAL
1 - Rapport des
"évolués à la masse illettrée et
à l'ordre colonial. La mentalité des "évolués"
Durant la vie scolaire de ceux qui
deviendront les
"évolués",
tout sera fait pour qu'ils soient séparés
de la masse. Et ceux qui
désiraient cette séparation
pourront. se félici ter,
semble-t-il,
d'avoir réussi.
En effet,
les
"évolués",
de mani~re générale, assurés
des valeurs de leur formation européenne,
étaient
convaincus de leur supériorité sur la masse illétrée
et pendant bien longtemps,
jusqu'en 1940 pratiquement,
ils n'éprouveront pas le besoin de se lier à
celle-ci pour mener des actions contre le colonisateur.

62.
Les populations rurales en particulier dûrent se
contenter de lutter seules et défendre leurs
communautés et leur identité par des soulèvements
ou à 1& faveur des différents mouvements messianiques
(kimbanguisme au Congo belge dès 1921, Matswaisme
au Congo français,
etc).
Auréolés du prestige que leur conférait la parti-
cipation au pouvoir colonial en tant que fonctionnaires
pour la plupart d'entre eux,
les "évolués" se
montreront attachés pendant longtemps à l'idéal
colonial: ils croyaient en général et en toute
naiveté à la supériorité de la civilisation des
Blancs;
et ils étaient heureux d'en être les
bénéficiaires privilégiés.
L'un d'eux déclarera
par exemple
:
"Ayant été depuis plus d'un demi-siècle
avec ce pays de la démocratie et de la .
liberté qu'est la France, ayant appris
depuis plus d'un demi-siècle à vivre comme
les Français et à noua adapter à leur civili-
sation, nous ne voulons plus que par
l'égoïsme et le besoin de faire fortune,
nous soyons détachés de cette France"
(1)
(1)
Ci té par Canga
(G)
et Ekan:za
(S.P.),
La Côte
d'Ivoire par les textes,
Dakar~ Abidjan, N.E.A., 1974
p'.
174

63.
Jouissant d'une aise relative dans l'ordre colonial,'
ces Africains devenus "les hommes des Blancs"
comme certains paysans les appelaient parfois,
tenteront seulement d'améliorer davantage leur
propre condition économique. Certains parmi eux
réussiront parfois à faire quelques économies,
et le temps venu, à démissionner de l'administration
pour s'engager dans des activités plus lucratives
et autonomes. Ainsi, par exemple, l'Ivoirien
Gabriel Dadié quittera les Postes Bt Télécommuni-
cations en 1924 pour devenir gros planteur; un
autre Ivoirien, .Jo,seph AnoriJan d~élJiissionnera lui aussi
de ses fonctions d'instituteur pour
devenir gérant
d'une maison de commerce colonia~ avant de s'installer
par la suite à son compte en 1940.
Formés par et dans l'ordre colonial pour y vivre
à leur place, la plupart des "lettrés", fonctionnaires
de leur éta~ auront à se tenir tranquilles. Ceux
parmi ,eux qui se rebellaient pour une raison ou une
autre étaient brisés : licenciements et révocations
par mesure disciplinaire, affectations-représailles
étaient fréquents. Et ceux qui étaient chassés
avaient toutes les difficultés du monde pour devenir
même de simpl6'3 commis de boutiques ou petits
commerçants.

64.
L'administration ne tolérait pas du tout les
oppositions à caractère politique;
et toute tentative
de subversion était considéré~comme dirigée par le
Komintern ;
ce qui
entrainait une répressiofr
d'~ut~~t plus brutale.
Ainsi,
le contexte général de l'ordre colonial,
la formation et l'inculcation idéologique que" ces
"évolués" avaient subies,
leur volonté de survivre
dans l'ordre établi,
tout cela façonnera leur
mentalité
: la plupart se caractériseront pendant
lo~gtemps par une-loyauté et un z~le sans faille
au service de l'administration et de l'ordre colonial.
Et le
"témoignage" élogieux de Georges Hardy sur
le comportement des anciens élèves de l'Ecole
Normale s'appliquait bien aussi à la" plupart des
"lettrés" de cette époque et après.
Cel ui -ci
écri vai t
"Les renseignemen,ts qui parviennent
d ' Go~4>"e ( •• -)
des différentes
colonies 'semblent indiquer
que le temps passé à l'Ecole Normale a été
bien employé~ Ardents à bien faire,
avides
d,'estime et de résultats,
modestes,
délurés,
auxiliaires dévoués de notre administration
et de toutes nos oeuvres,
tels nous voulons
nos
élèves-maîtres et tels ils apparaissent
de plus en plus à des juges impartiaux".
(1)
(1) Hardy
(G)
op.cit. p. 177

65.
Abdou Moumouni a port~ aussi un jugement d'ensemble
sur les "~volu~s" de l ' ~poque coloniale (1). Ce
jugement ne paraît pas,
tout compte fait,
excessif
i l semblerait m~me tr~s fond~ ; et d'ailleurs~ il ne
fait que r~v~ler en quoi une situation clo~e comme la
situation coloniale peut imposer des conduites qui
auraient pu ne jamais exister dans d'a~tres conditions
et autres types de relations sociales.
Abdou Moumouni
~cri t
:
"Obnubil~s par la jouissance mat~rielle et
par la sup~riorité technique du colonisateur,
assur~s ~'de mq.nger et de boire" en ~change
d'une loyaut~, d'une docilit~ envers les
maîtres puissants de l'heure,
limit~s dans
leur appr~hension des_~v~nements et faits
politiques,
~conom
ues et sociaux, par
leur position et une d~formation d~coulant
dés m~thodes et du contenu de l'enseignement
coloni~l; les fonctionnaires indig~nes de
l'Admipistration colonial~ se livraient, à
l'exemple de leurs sup~rieurs europ~ens, aux
"jouissances"de la vie coloniale avec une
mentalit~ de parvenus".
Mais les Africains instrui ts,
"~tablis" dans l'ordre
colonial,
se contenteront-ils d'en jouir simplement?
Ils tenteront de faire am~liorer leurs salaires,
leurs conditions de travail,
d'~viter que les d~crets
arbitraires ne les concernent,
etc.
-(1)
Abdou t-1oumouD~., 1'~ducation en Afrioue, Paris,
Masp~ro, 1967, p. 60

66.
Beaucoup finiront par considérer leur propre
situation comme si avantageuse qu'ils en béniront
le ciel
;
et ils ne verront plus dans la colonisation
que bienfait et le salut de l'Afrique.
Ilsne
demanderont plus alors qu'à être davantage intégrés
dans l'ordre colonial,
à l'ombre des maîtres, ou
même à
être hissés si possible a~près d'eux.
2 ~ La deFande d'intégration réelle dans l'ordre
colonial
Les partisans africains de l'assimilation seront
parmi les premiers à exprimer nettement la volonté
des "évolués" de participer pleinement à l'ordre
dominant.
Un homme comme l'abbé sénégalais· Boilat
,
qui aura passe quinze ans de sa vie en France,
soutiendra,
de retour dans son pays,
que seule
l'acquisition sans limite de la culture française
fera de ses frères des
civilisés.
Son Esquisse
Sénégalaise étudiera la société sénégalaise du
point de vue de l'ethnologie,
de l'histoire et
de la sociologie ,e~ du point de vue des conséquences
sur le pays du contact avec l'occident pour justifier
son idée de départ: seule l'assimilation totale est
le mQyen le plus sQr de rappr~cher le Noir du Blanc ;
et seule ~lle p~rmettrait une intégration sans problème
dans l'ordre qui s'établissait.

67.
Cet ordre lui apparaissait pour le moins naturel.
En 1914, un autre Sénégalais, Blaise Diagne,
élu
à l'Assemblée législative française,
prônera la
collaboration élitiste comme une nécessité,
pour ne
. ,
pas~dire une dignité. Pendant la premlere guerre
mondiale,
i l deviendra en Afrique occidentale le
principal officier du recrutement pour l'armee
française. En 1923,
s'étant entendu avec les
intérêts commerciaux dominants qui lui accordent
leur soutien ~lectoral, il les défendra au Parlement.
En 1930, i l plaidera en faveur d~ travail forcé
à une session du Bureau International du Travail.
Zelé collaborateur,
Blaise Diagne était si
bien
intégré dans l'ordre colonial qu'il ne pouvait
envisager à aucun moment qu'il ne fût véritablement
Français ni qu'on pût)dés~rer se départir de la
nationalité Française et mettre en cause la
colonisation.
Dans une· lettre adressée à Marcus
Garvey pour expliquer l'absence des représentants
de l'Afrique francophone aux Congr~s panafricains,
i l dira :

68.
"Nous,
Noirs Français,
nous sommes partisans:
de rester des Français,
la France nous ayant
donné toutes les libertés et nous confondant
sans arri~re-pensée avec ses propres enfants
européens. Aucun de nous n'aspire à voir
l'Afrique Française livrée exclusivement
aux Africains,
comme le demandent -sans
autorité d'ailleurs- les Noirs a~éricain2
à la t~te desquels vou~ vous placez ••• "(l)
Ce point de vue de Blaise Diagne n'a en fait rien
d'étonnamment insolite quand on le situe. bien dans
le 80ntexte de domination et d'assimilation. Dans
la plupart des colonies effectivement, la colonisation
apparaissait quasiment naturelle et même positive
elle ne pouvait apporter en fin de compte que la
civilisation aux barbares Africains.
Force-Bonté
(2),
publié en 1926 par le Sénégalais Bakary Diall0,
en
m~me temps qu'il réfutait timidement les arguments
coloniaux de sociètés âfrica~nes inorganisées et
sans histoire,
exaltait l'oeuvre civilisatrice
de la colonisation et prônait l'assimilation.
(1)
Cité par Boutros Boutros-Ghali,
Le mouvement
Afro-asiatique, Paris,
P.U.F. 1969, p.
34
(2) Bakary Diallo,
Force-Bonté,
Paris,
Rieder & Cie,
1926

69.
En 1935,
les journaux publi~s en Cate d' lIvoire
par exemple ~taient pratiquement unanimes pour accepter
la c61onisation et m~me en faire l'~lofe
~l~
demanderont simplement qu'elle soit plus humaine.
L'~cilaireur de la Cate d'Ivoire et L'iGPartial de
la Cate d'Ivoire dont l'inspirateur ~tait un conseiller
municipal de Saint-Louis,
membre de la F~d~ration
S.F.I.O.
du S~n~gal, Hamet Sow T~l~maque, eurent
à exprimer des points de vue assez ~loquents. Le
1er j~in 1935, L'~claireur de la Cate d'Ivoire ~crivait
"L'indigène est un
"mJ:r>eur" qui doit être
prot~gé, instruit et éduqu~. Il vit le plus
souvent au milieu d'immenses ressources
naturelles qu'il ne sait pas exploiter.
Il
est de IJintérêt général de l'humanii~ de
mettre en valeur ces rich.esses et préparer
ce
"mineur" à les utiliser lui-même /~ •• /
C'est pourquoi nous souscrivons de toute
notre âme à la thèse / •.. /
qui affirme que
coloniser c'est'avant tout et par dessus tout
civiliser"
(1)
Le 31 d~cembre 1936, L'impartial de la ca te d'Ivoire
notait
:
"La colonisation,
même aux yeux des indigènes,
revêt cette grande idée de solidarit~ humaine quand
ceux qui sont chargés de l'appliquer sont nourris
des principes de 89 et de 48"
(2)
(1)
Cité par Guillaneuf,
op.cit. p.
92
(2)
Ibidem

70.
Dans
ces années-là,
peu de gens
songeaient à
mettre en
cause le principe même de la
colonisation,
surtout pas
les
ltassimilés lt
et tous
ceux qui avaient
réussi à
émerger de la masse gr&ce aux études.
M&me
un S~nghor 9tait loin d'envisager autre chose que
la citoyenneté française pour les Africains de
l'ouest.
Le 10 septembre 1937,
dans une
conférence
prononcée à la Chambre de Commerce de Dakar pour le
. foyer France-Sénégal,
i l dira notamment
:
ltTravaillons
~ faire de l'Ouest-africain politiquement un
citoyen français lt
;
et i l ajoutera:
"La France n'a
paS ~ justifier ses conquêtes coïoniales, pas plus que
l'annexion de la Bretagne ou du pays Basque 1 ... 1
Le problème
colonial n'est rien d'autre au fond qu'un
problème provincial,
un problème hu~ain. La
colonisation est un humanisme,
la preuve:
l'oeuvre
d'un Faidherbe,
l'esprit d'un Van Vollenhovenlt(l).
Sur ·le plan cul turel,
Senghor évoquera la nécessi té
d'une adaptation de l'~ssimilation. Cette assimilation,
pensait-il,
devra permettre l'association,
condition
pour qu'il y ait un idéal
commun,"une
commune
raison de vivre,
~ cette seule condition un Empire
françai s lt.
(1) Ci té par Pathé Diagne ltVéri té sur la Négri tude lt
in Partisan,
mai-juin 1972 p.
37

71.
Senghor ne voudra jamais s'opposer à la nation
française;
et ilne définira pas l'Afrique en
dehors d'elle. Mais le point de vue de. Senghor
était-il une manière de voir isolée? Il était
très partagé à l'époque.
Avant et après la seconde guerre mondiale,
jusqu'à ce
qufily ait un murissement qui conduise à reposer la
question coloniale, l'effort de la plupart des
"évolués" des différentes colonies portera sur
la revendication de l'amélioration de leur sort,
la revendication d'un statut particulier qui les
distingue davan~age de la masse et les hisse plus
près des maîtres colonisateurs.
Le 15 avril 1937, L'impartial de la 'Cats d'Ivoire
écri vai t
"Que dire d'une telle Nation
(la France) sinon
que ses obligations morales s'élèvent à
la hauteur de son rayonnemenL spirituel.
La sublimité de cette action coloniale
ne pourrait cependant atteindre son plein
développement qu'autant qu'elle peut
s'appuyer sur le concours de ~'élite.
Il importe de ne pas évincer cette élite,
de l'encourager et, au besoin, de la
favoriser 1... 1 Se~le l'élite a prise
Bur la masse fruste,
parce que son 'action
_ _ _ _ _ _.~r~e...l;p;...;:o'"".s::..e"'____=s....;;u r Ira f fi nit é ra ci al e " (1).
(l)Cité par Guillaneuf op.cit. p. 136

72.
L'intérêt de l'élite était donc la préoccupation
première de l'ensemble des "évolués". Ailleurs
qu'en Côte d'Ivoire, le même comportement pouvait
s'observer ou même s'observer amplifié.
Ainsi,
en mars 1944. au Congo belge, quelques semaines
après la mutinerie de Luluabourg, les "évolués" de
ce district remirent un mémoire au commissaire M. Sand,
dans lequel ils présentaient leurs doléances et
leurs préoccupations. Dans ce mémoire, après avoir
dit toute leur reconnaissance pour "la grande oeuvre
civilisatrice
ils demanderont
notamment
"Que le gouvernement veuille reconnaître
qu'il existe une cla3se sociale des
indigènes évolués
car les membres de
cette classe sont persuad~s qu'ils
méritent sinon un statut spécial
du moins une protection particulière
du gouvernement qui les mette à l'abri
de certaines mesures ou de certains
traitements qui peuvent s'appliquer à
une masse restée ignorante et arriérée"(l).
(1) Extrait du Congo 1947. Les cahiers socialistes
(Bruxelles),
juillet 1947 nOs 16-17 pp. 105
cité par Mutamba Mako~bo Kitashima, Le Congo
belge: 1940 - 1960. De l"émergence des "évolués"
à l'indéuendance,
thèse de doctorat d'Etat
(Histoire) ,1978.

73.
Ces évolués demanderont bien d'autres
choses,
entre
autres d'obtenir des conditions décentes de logement,
des places particulières dans les bateaux et'les
trains,
d'~tre reçus dans les territoires
"~part
un jour par semaine par un fonctionnaire et agent
qui examinerait leurs litiges",
de ne pas avoir
le m~me régime pénitenciaire que "les sauvages'de
la brousse",
etc.
En 1945,
le ~inistre des colonies,
Godding,
reconnaîtra;;,qu ' i l fallait aux '~évolués" "un
statut juridique en rapport avec leur condition
nouvelle,
celle-ci les qualifie pour jouir des
droits dont leurs ,frères de brousse n'ont que
faire
. . . " (1).
Mais
ce statut spécial tardera ~ venir. Aussi,
en 1946,
les "évolués" de Stanleyville feront-ils un
mernorandum inti tulé "Parlons net,
voyons clair.
Que pensent les évolués ?".
Le président du groupe
des "évolués" y dira les préoccupations et les
craintes de ses camarades devant le refus des
colonisateurs de les considérer comme des égaux
ou tout au moins de les traiter différemment de
leurs frères de la "brousse".
(1) Rev~e coloniale belge, 1945 nOs l, 2, 3 (ProDos
tenus par Godding,
~inistre des colonies) cilée
citée par Assindié Hungala Souzoug,
Edncation
et société en changement.
Contribution à l'étude
des bases
socio-économioues du changement en
milieu scolaire dans unë région du Zalre,
thèse
de 3~me cycle p. 2~2.

74.
~Ils ne comprennent pas, d~clarait le
pr~sident, qu'aucune diff~rence ne soit
faite
entre eux et lesindigènes de la
brousse.
Ils insistent sur le fait
qu'ils forment une classe sociale
sp~ciale qui devrait avoir-droit à un
traitement sp~cial ainsi qu'à une
protection particulière du gouvernement"(l).-
En juillet 1947,
A.R.
Bolomba,
r~dacteur en chef de
La voix du Congolais,
insistera sur l'opportunité de
la création en faveur des ~volu~s d'un statut s~écial
qui les mettrait à l'abri des vexations et des humi-
liations dont ils sont victimes. Mais
ce statut
spécial,
auquèl le gouvernement songeait,
tardait à
voir le jour. Aussi,
en septembre 1947, pour justifier
"l'~vidence" du privilège statutaire à accorder
aux seuls évolués,
Kabinda écrira
"Je pense que tout le monde sera d'accord
avec moi pour affirmer qu'il n'est pas
possible que toute la masse indigène
atteigne, 'en une fois,
le même degré
de civilisation.
Tous doivent convenir
qu'il est nécessaire d'avoir une élite
sur laquelle la masse se modèlera.
Les
multiples raisons invoquées pour
retarder la reconnaissance de cette
élite, _peuvent être
considér~es comme
vaines."
... / ...
(1)
Revue coloniale belge,
mars 1946,
nO 10 p.
5,
citée par Assindié Mungala Souzoug,
thèse citée
p. 244

75.
"~n effet,
dans toutes les races du
monde, il y a des divergences entre
les individus, les uns plus riches que
les autres, les uns heureux,
d'autres
qui le sont moins. Et cependant,
chacun doit se ~ontenter de' son sort et
se résigner ... "(l).
L'attitude des "évolués" du Congo belge était tout
à fait typique de celle que pouvait avoir le grand
nombre des "éli tes" dans les différentes c~lonies
belges,
français~s, britanniques. La plupart des.
"évolués" étaient surtout préoccupés d'améliorer
leur sort; la masse pouvait attendre.
Ils voulaient
et réclamaient leur intégration totale dans le
système colonial.
Cette attitude des "évolués" était signific/?-tive
de leur degré d'aliénation,
c'est-à-dire de leur
désir de s'identifier et de participer à l'orga-
nisation sociale coloniale, de leur volonté d'adopter
les orientations et les pratiques socialès et
culturelles déterminées par les intérêts des
colonisateurs qui tentaient de justifier et de
présenter l'ordre colonial comme au service de tout
le monde, y compris dès colonisés,
et surtout des
"évolués". L'aliénation voulue par le colonisateur
avait réussi .
. (1) Kabinda "De la création d'uneélite et son heureuse
influence sur la masse" in La voix du CoTI.':olais
septembre 1947 nO 18 p.
759 citée par Assindié
Mungala Souzoug, thèse citée p. 251.

76.
L'école n'avait-elle pas eu pour mission et rôle
d'assurer une telle aliénation des futurs "évolués"
et de les séparer de la masse gr~ce à ~nbesoin "
"fabriqué" en eux de trouver leur place aux côtés
du ~~r~'colonisateur ? Pendant longtemps, les
"élites" apparaîtront comme le .signe du succ~s
de l'oeuvre coloniale.
Mais à la vérité, la conduite aliénée des "évolués"
provenait à la fuis de l'initiative du colonisateur
tout-puissant de créer l'illusion d'une "situation
donnée"
(en faisant apparaître l'organisation
sociale comme urie situation) et de la participation
dépendante des colonisés "évolués", qui n'était en
réalité qu'une réponse à cette situation. L'ordre
colonial en effet "étai t un système de domination
qui s'exerçait sur toute la vie sociale et
était en même temps une hégémonie politique"qui se
donnait le sceau de la légitimité. Les colonisés
face à cet ordre avaient peu de possibilités
d'initiative. Et les colonisés "évolués" pendant
longtemps ne pourront aspirer qu'à participer
au système ; et ils
y participeront mais seulement
par les voies et lesformes compatibles avec la
volonté du pouvoir colonial, "un pouvoir de classe
à la vérité.

77.
Il faudra attendre que ce s "évolué s" connai s s en t
la déception du refus d'être intégrés pleinement
dans le système colonial aux places et responsabilités
souhaitées ou attendues,
attendre le mûrissement
des·idées, le développement de la capacité
d'analyse politique,
un contexte international
favorable •.• pour qu'ils
s' aperçoi ven t
de "l' ano rf.1ali té"
de la situation coloniale et réalisent qu'iis n'avaient
aucun intérêt à vouloi~ se hisser au-dessus de la
masse pour être heureux seuls.
Et jusqu'à ce qu'ils réagissent et agissent contre
l'ordre établi,
le colonisateur,
craignant justement
l'alliance masse/"évolués" s'efforcera de les
entretenir dano l'illusion qu'ils gagneraient à
se détourner de la masse.
L'administration
coloniale aura parfois une conscience claire de la
nécessité et de l'intérêt'pour le système colonial
d'o"rganiser les "élites" en une
classe précise et
"précieuse". Comme en témoigne ce propos d'un
administrateur colonial du Congo belge dans les
années 1950 :

78.
"Il faut organiser une classe d'indigènes "évolués"! ••• /
Ces classes moyennes seront la "bourgeoisie" qui
commence à se développer partout, que ~ous devons
aider à s'enrichir et à s'organiser et qui,
comme
tous les bourgeois du monde,
seront opposés à tout
bouleversement aussi bien intérieur que venant de
l'étranger" (1).
Rien ne sera épargné pour créer et établir la
s ép a ra t ion en t r e l '
" é l i t e" a f r i ca in e et les mas ses.
Cette "élite" elle-même tienora à ses :r:rivilèges
aux c6tés de ceux qui déte~aient le pouvoir. Mais
progressivement, 'elle connaîtra un mûrissement qui
la conduira à reconsidérer l'ordre établi. Certains
membres de cette élite vivront de contradictions et
de pirouettes;
d'a,utres,
assez t6t, ,comprendront
la nécessité de mettre en cause le système colonial
et de voir la situation changer; ils se risqueront
aux répressions et représailles de tout l'appareil
administ~atif colonial. Plus tard, ils seront plu~
nombreux à mettre directement en cause l'ordre
colonial, lassés d'être partagés entre une partici-
pation dépendante et une participation conflictuelle,
et devenus réellement conscients de l'intérêt général
de leur peuple.
(1) Cité' par Christophe Batch,
"La sagesse" contre
la lutte des classes" in Le monde diplomatiaue
nov. 1981 p.
17

79.
CHAPITRE
II
"L'ELITE" AFRICAINE CONTRE L'ORDRE COLONIAL
(EVEIL ET LUTTE NATIONALISTE DES
"EVOLUES"
ET DES INTELLECTUELS)
Il faut rappeler d'abord que beaucoup de 'communautés
africaines r~sist~rent par les ar~e~ ~ l'intrusion colo-
niale et même apr~s l'acceptation ini tiale de cette intrus:iDn:
on a parl~ de
'r~sistancel'r)rimaire" dans le
premier 'cas et de r~sistance "secondaire" ou de
forme
"secondaire" de rejet dans le deuxi~me cas.
En fait,
dans l'un et l'autre ca~, i l s'agissait
bien d'un même r~flexe d'auto-d~fense. Et quand les
Africains seront vaincus et soumis,
le même r~fle~e
d'auto-d~fense s'exprimera par un repli communautaire
prenant appui sur les traditions et les valeurs
africaines. Pendant longtemps,
le refus de la
domination sera le refus de la sùuwission spirituelle
~ une civilisation autre. Et les différents mouvements
messianiques et les soul~vements de paysans seront
en fait des luttes de masse d'auto-d~fense ~
l'int~rieur de l'ordre colonial, auto-d~fense
contre la d~sagr~gation de la communaut~, avec
tout de "mêI!le
la tentative de se r~approprier les
apports rnoderni~ateurs et de lutter contre
las
adversaires envahissants tout-puissants.
... / ...

80.
Il s'agirait même d'une forme diffuse de lutte
sociale et non simplement peut-être d'intégrisme
traditionaliste. Mais les messianismes ne parviendront
pas à une mise en cause de l'ordre colonial.
Il faut
dire que ces mouvements furent parfois durement
.
.
réprimés. En 1952, i l Y avait 3 818 Africains
détenus pour fait d'appartenance à des sectes
"dangereuses".
Les luttes nationalistes ne proviendront donc pas
directement de l'initiative des paysans et autres.
Les groupes occidentalisés qui prêcheront le
nationali3me ignoreront même les protestatïons et
les révoltes manifestées à travers le prophétisme
et les soulèvements.
Ils étaient au départ peu à
l'écoute du peuple. Cela paraît compréhensible.
En effet,
ceux qui apportaient,
parmi les premiers,
le message nationaliste, venaient souvent d'outre-
.
-
Atlantique
(dans les colonies britanniques surtout,
Sierra Leone, 'Liberia . . . ) et ce message s'exprimait
le plus souvent sous forme de pan-négroisme.
.../ ...

81.
Assez tôt, le nationalisme se développera dans
les colonies britanniques et se donnera en quelque
sorte en exemple contagieux aux autres colonies.
Il illustre bien tout ce qui se fera assez tôt
face à la domination coloniale. C'est pourquoi
i l est celui qui sera étudié précisément dans
une première section; inférence sera faite tout
de même au nationalisme naissant dans les colonies
françaises.
La deuxième section examinera les
conditions générales de possibilité de mise en
cause de l'ordre colonial avant d'étudier l'action
nationaliste des intellectuels et des étudiants
dans la période 1945-1960.
Il ne s'agit donc pas
dans
cette section d'une étude du nationalisme
af~icain à travers l'action des syndicats et des
partis politiques.
Les ouvrages et les travaux
sur cette question existent. nombreux.
Ce qui
intéresse ici est le rôle spécifique des intellectuels
c'est-à-dire de cette partie des !Iévolués".qui aura
fait des études secondaires ou supérieures et qui
se définira et agira en tant qu'intellectuelle,
en se démarquant des partis politiques ou m~me à
l'intérieur d'eux. A la vérité,
c'est une gageure
que de vouloir séparer l'intellectuel de l'homme
politique tant,
à
cette époque, les deux sont
intimement liés et confondus dans la même personne .
. ../ ...

82.
SECTION
l
LE NATIONALISME A SES DEBUTS. SES AMBIGUITES
(1)
1.
- Le nationalisme naissant
(1890-1930)
Les Noirs venus d'Amérique du Nord ou des Antilles
qui se voulaient nationalistes étaient presque·
tous d'accord en même temps avec l'idée ùe la mission
civilie~trice de l'Occident et avec l'idée que
l'Afrique ne pouvait être sauvée de la barbarie
que grâce à l'éxtérieur. Leur tâche à eux,
concevaient-ils, étaient de régénérer le continent
tristement décadent.
Ils furent les premiers à
défendre l'idée d'un progrès en Afrique fondé sur.
un modèle de développement occidental. Pour se
régénérer, l'Afrique devait avoir un caractère
national
c'était le programme des émanc~pationnistes
"back ta Africa" des Etats du Nord de l'Amérique
autour des années 1850. Au Libéria, les Noirs qui
étaient revenus d'Amérique ou d'ailleurs allaient
plus loin et se voulaient être ceux qui devaient
sau~er l'~fri~ue de la barbarie.
... / ...
(1) Cet t e s e c t.i 0 n s' i n spi r e es sen t i eIl emen t de
l'ouvrage de B. Davidson intitulé L'AfriGue au
XXème siècle. L'éveil et les combats du nationalisme
a:ricain. Ed. Jeune Afrique 1980 (en varticulier
dans sa 4ème partie).
.

83.
Alexander Crummel
(1819-1898)
de New-York, pensait
pour le cas du Libéria en particulier que la
mission des colons Noirs était d'exercer "le
génie d'un gouvernement libre ll sur "le territoire
d'un despotisme antique et d'une sanglante
superstition".
Comme Crummel,
d'autres personnes venues de
l'Outre-Atlantique croiront avec Edward Wilmot Blyden
(1832-1912) que le règne politique européen était
temporaire et que la discrimination dont souffraient
les Africains prendrait fin un jour.
Ils étaient
convaincus cependant que "l'Afrique païenne" ne
pourrait se sauver par elle-même:
son avenir
passait par l'adoption de la civilisation occi-
dentale dont eux étaient imprégnés et étaient les
po rte -parol e.
Ils jugeaient l'entreprise coloniale finalement
bienfaisante. Et ce qui les intéressait par dessus
t6u t,
apparel)lID en t , c' étai t
de parti cip er à un
développement de l'Afrique,
d'avoir leur part et
. leur place dans celui-ci.
... / ...

84.
Le d~sir d'un homme comme James Africanus Horton
(1835-1883) de Sierra Leone, coincidant avec celui
de Blyden,
~tait surtout de "prouver au monde"
que led Noirs pouvaient être les ~gaux des Blancs
"en cherchant les qualit~s q~i font la dignit~ d'un
Etat;
en cultivant les vertus qui valorisent les
individus et les
communaut~s... "._
Dans les années 1850 d~jà, l'~lite africaine ~duqu~e
à l'occidentale commençait à être rel~tivement
nombreuse. Sierra Leone par exemple poss~dait
quarante-deux ~coles primaires totalisant 6 000 ~l~ves
le premier avocat cr~ole eOt sondiplSme en 1851 ;
et en 1901, il Y avait vingt-cinq m~decins "cr~oles
i l _y avait beaucoup de prêtres et beaucoup plus
de ma1tres d'~cole. Au Nig~ria et ~n
CSte d'Or
le nombre des "~volu~s" augmentait aussi. Cape Coast
en CSte d'Or devint un foyer d'une
"intelligentsia"
en faveur de l'Occident.
Les nationalistes africains tels que Alexander
Sapara Williams
(1855-1915), avocat, Dr Henry Rawlison
Carr (1863-1945),
Inspecteur g~néral des écoles,
commissaire pour la colonie de Lagos
(1910-1924),
Jacks·on.(père e"t f:'ls)
"s 'agiterontll beaucoup .
.../ ...

85.
Ces hommes apparaissaient déjà en 1885 au gouverneur
général d'Angola "comme des visionnaires inutiles
et des employés détestables".
Il s'agissait pour eux
surtout en juger par leurs programmes et leurs
éditoriaux flamboyants- de fa~re en sorte qu'il fût
possible de construire une nouvelle communauté moderne
et nationaliste,
capable de prend~e la place des
communautés anciennes et d'acquérir le même statut
que les autres communautés européennes ou d'Amérique
du nord.
Ne s'éta~t pas attachésà une analyse réaliste
approfondie du système colonial afin de dégager
après le genre de communauté qui devait en èortir,
ils. n'avaient en tête que le modèle occidental de
nation ;
ils y croyaient dans la mesure où ils
adhéraient à l'idée de la mission civilisatrice
de la colonisation.
Mais aux environs de 1900,
la discrimination dont
les Africains instruits étaient quotidiennement victimes
dans leur vie devien~ra plus forte encore. Par
exemple en Côte d'Or,
une certaine tradition,
acquise
au XIXème siècle,
grâce à l'
"intelligentsia" de
Cape Coast,
voulait que les Africains eussent un
certain nombre de postes de responsabilité dans
l'administration dont ils devaient devenir ultérieurement
... / ...

86.
res héritiers.
Or dès les Hn~ées 1900, ils ne pouvaient
plus obtenir que des postes subalternes.
Pratiquement
deI 926 à l 94 6 ,
ils
dur e n t
se· cOn t en ter
des postes subalternes;
ils d~rent, quellè que soit
leur. qualification,
être à la traîne des Européens.
Le cas était en réalité général dans toutes. les
colonies. L'élite africaine instruite dut en tirer les
leçons. Elle voudra alors
remettre en question le
modèle britannique dont elle était devenue fière et
qu'elle avait loué. Elle commença à
se rapprocher
de la masse pouf entendre ses aspirations.
Il reste que l'élite s'agitera plus pour parti?iper
au système colonial que pour l'abattre réellement.
Mais on ne peut pas cependant ne pas reconnaître
son effort nationaliste.
Il faut d'ailleurs rappeler
quelques autres noms et açtions associés au nationa-
lisme naissant.
Samuel Crowther
(1806-1891)
à Lagos,
Sol Solmon
en Côte d'Or
(Ghana)
devenu Samuel Richard Attoh Ahuma
(1864-1921), Herbert Macaulay
(1864-1946) à Lagos,
voudront sortir l'Afrique des ténèbres pour qu'elle
parvienne au grand jour, là où se forment les
nationf.

87.
Ils s'efforceront de concilier à la fois les
"valeurs africaines" et le modèle européen.
Ils créeront une tradition populiste qui fera
appel à la construGtion d'une communauté capable
d'avoir une unité et de·connattre le progrès. Mais
ils auront du mal à se départir réellement de l'idée
d'une Afrique 'barbare~
Deux intellectuels de la Cate d'Or,
Mensah Sabah
et Casely HayforJ se feront.
eux, les défenseurs de
l'intégrité institutionnelle de la société africaine.
Les deux livres.de Mensah Sabah, Fanti National
Constitution et Fanti Customary laws,
soutiendront
qye le droit coutumier était mieux adapté aux
i mp é rat i f~ l 0 cau x que les loi s eu r 0 p ~ en ne s. E t
avant Mensah Sabah et Casely Hayford, Brew Attoh Ahuma
aura déjà affir~é la nécessité pour les Africains
de ne pas perdre leur âme et leur genre propre. Il
écrira:
".. . Par-dessus tout, prenons barde qu'ils
(les Européens) ne nous volent notre essence. Ceci
arrive quand ils nous apprennent à mépriser nos
noms, nos institutions, nos cou~umes et nos
droi ts"
(1).
(1) Cité par Robert July,
The·origin of modern
African thought, p. 343; cité par R. Okafor,
L'al~énation dans la littérature romanesque
de l'Afriaùe noire,
thèse 3ème cycle, Sorbonne
1972, p.
56

88.
A la suite de la premi~re guerre mondiale, .
la politique prit une nouvelle tournure.
Comme
le note Davidson
(1),
"On se mit à penser que
si les Africains~taient assez bons pour combattre
et mourir pour la libert~ des Britanniques, ils
pouvaient aussi bien vivre la leur". En 1920,
se
créa une organisation féd~rale av~c des sections
au Nigéria,
en Côte d'Or,
en Sierra Léone,
en
Gambie.
L'objectif de ce National Congress of
Bri tish West Africa étai t
d'
"aider au d~veloppe­
ment des institutions politiques de l'Afrique
occidentale
britannique sous le pavillon britannique"
i l s'agissait de cr~er en quelque sorte un "dominion"
d'Afrique occidentale de l'Empire britanni~ue.
Le Congrès de 1920, présid~ par J.H. Casely Hayford
voulut remplacer la morale chr~tienne par l'argumentation
politique;
i l sera bientôt victime de ses propres
con~radictions. D'un côt~, il préconisait une union
f~d~rale de territoires autonomes, de l'autre ses
membres semblaient n'avoir d'ambition que de
s'introduire dans les conseilsl~gislatifs coloniaux
brjtanniques en tant que membres, même sans droit
de vote.
(1) Davidson
(B), pp.cit. p. 179

Presqu'inévitablement,
ce forum d'intellectuels
et de négociants devint le lieu clos d'ambitions
nationalistes qui se firent concurrence et
s'affrontèrent.
De plus,
au milieu des années 1920,
d'autres
nationalistes apparurent,
qui critiqueront l'orien-
tation'~an-nègre" du National 80ngress of British
West Africa et trouveront l'influence des noirs
américains trop importante,
avec en plus le risque
de devenir un obstacle au progrès local.
Kabina
Sekyi
t1892-1956),
fondateur de la section de la
Côte d'Or,
sera l'un de ceux qui demanderont le
passage du pan-négroisme au panafricanisme. Selon
lui,
bien que l'Afrique ait·besoin de l'aide
matérielle des Africains d'Amérique,
le salut de
l'Afrique "doit ~tre contrôlé et dirigé par l'Afrique
africaine, par des Africains d'Afrique"(l). La
tendance pan-africaniste allait marquer l'avenir.
(1) Cité par Davidson, op.cit. p. 180

90.
Avec le recul du temps, i l est facile de trouver
que,
tout compte fait,
tous ces "nationalistes"
~taient des "r~formistes prudents" ou m~me des
"collaborateurs" aux id~es et objectifs politiques
Jimit~s ; que leur lutte n'avait pour but que de
mieux faire reconna!tre leurs int~r@ts et les faire
cofncider avec les int~r~ts coloniaux ; que le sort
de la masse ne les pr~occupait pas. Mais la
r~trospective est,un jeu dangereux; et sans dout~
les meilleurs de ces hommes valaient mieux que ce
jugement sur leur action.
Beaucoup avaient eu du
courage pour l'~poque.
Seulement,
on doit reconna!tre que les conditi~ns
dans lesquelles ils ~taient ins~r~s dans le ~ystème
colonial n'ont pas favoris~ une mise en cause
totale de l'ordre colonial.
Il semble qu'ils aient
souhait~ effectivement vo~r le système colonial
~v~luer dans ses principes de base jusqu'au jour
où i l leur ferait appel et les hisserait au devant
de la scène;
ils en deviendraient les tuteurs •
.../ ...

91.
2.
-De l'oDPosition réformiste constitutionnelle
accrue à la lutte nationaliste
: 1930 - 1945
Après les années 1930,
dans les colonies britanniques,
les hommes
qui
relayèrent les
"anciens" dU' National
Con~ress of British West Africa auront une politique
plus déterminée;
encore qu'ils n'apporteront
rien de particulièrement nouveau du point de vue
des idées. Wallace Johnson au Sierra Leone,
et
après 1935 Nnamdi Azikiwé en Cate d'Or puis au
Nigeria,
seront de ceux-là.
Ils seront suivis par
(ou seront avec)
d'autres qui
se montreront peut-
~tre plus impatients et plus violents, du moins
dans leur langage. Au nombre de ceux-ci,
i l faut
citer un J.B.
Danquah et un Willia~ Ofori Attah de
Côte d'Or,
un H.O.· Davies et un Ernèst Ikoli du
Nigeria,
et bien d'autres.
Ils seront à l'origine
d'organisatioœnouvelles
comme la West African
.Youth League de Wallace Johnson,
le parti Mambii
en Côte d'Or et le "Nigerian Youth Movement d'Azikiwé.
Ce dernier,
en 1938 déjà publiera une motion dans
laquelle i l exigeait "un passage complet du pouvoir
entre les mains des indigènes de notre pays" •
.../ ...

92.
C'était là réellement une nouvelle exigence dans
l'Afrique coloniale. Jusqu'à cette date, pratiquement,
i l n'y avait eu que les nationalistes d'Algérie,
de
Madagascar et du Cameroun à avoir soulevé la question
d~ l'indépendance. Et pourta~t, le Nigerian Youth
Movement n'avait rien de vraiment révolutionnaire.
Il
était réformiste à l'instar de. la plupart des
autres organisations nationalistes q~i, comme lui,
se satisfaisait d'une transformation constitutionnelle.
Pas plus que les autres organisations,
le Nigerian
Youth Movement ne fera une analyse approfondie de
la nature du syst~me colonial qui aurait pu le
conduire à mettre
celui~ci en cause. Le réformisme.
de ces organisations les limitait à désirer changer
la.nationalité des dirigeants ou à prendre leur
"place" dans le cadre du syst~me colonial,· sans
modifier fondamentalem~nt quoi que ce soit. Le
gouvernement colonial ne tardera pas à comprendre
l'intérêt de transférer à des Africains le contrôle
politique d'un syst~me dont l'essentiel de sa
structure ne serait pas changé profondément.
Le nationalisme dans les colonies françaises sera
du même genre que celui existant dans les colonies
britanniques de l'Afrique occidentale.
... / ...

93.
Pendant longtemps, le nationalisme dans l'Afrique
occidentale française,
lui aussi acceptera le dogme
d'une Afrique qui ne devait se civiliser que grlce
à la cclonisation,
"oeuvre humaine nécessaire ••• "
comme le soutenait un Maurice Satineau, ~éputé de
la Guadeloup~. Mais tandis que les élites africaines'
des colonies britanniques étaient à des exigences
de concessions constitutionnelles pouvant conduire
à une autonomie territoriale, les élites des
colonies françaises en étaient encore à réclamer
des droits de citoyenneté dans une
"plus grande
Fran ce Il •
Entre les deux guerres,
trois tendances se. disputaient
à Paris les mouvements africains d'opposition.
Une première tendance était celle représentée par
les intellectuels antillais.
Ils jouaient prati-
quement le même rôle dans le contexte français que
les Noirs retournés d'Amérique en Afrique britannique
(Sierra Leone., Liberia •.. ). Pour appeler à l'unité,
ils invoquaient "la solidarité. nègre" et "la
civilisation française",
sans comprendre réellement
ce qui opposait profondément ces deux notions"
... / ...

94.
A ces personnes assurées de la supériorité que leur
conférait leur éducation européenne,
la mise en
cause de la colonisation ne venait pas réellement
à l'epprit. Ainsi, Satineau, tout fier de découvrir
l'humanisme de la colonisation,
déclarera:
"Dans
l'état actuel des choses, l'autonomie des colonies
ne peut ni faciliter ni hâter l'évolution des raceS
retardataires"
(1).
Plus important était le groupe des Africains qui
s'inspiraient de la révolution russe d'octobre 1917.
Ceux-ci croyaient à ce qu'avait affirmé en 1920 le
deuxi~me congr~s du Komintern, à savoir que la
révolution prolétarienne renverserait le pouvoir
co.lonial et le cap i tali sme.· Il s eurent l'appui du,
parti communiste récemment constitué et qui se
faisait le porte-parole de l'indépendance
anti-
coloniale.
Parmi les organisations qui se form~rent à' Paris,
il faut citer l'Union Intercoloniale avec son
journal Le Paria,
et plus tard, au cours des .
années 30, la section française de la Ligue contre
l ' Imp éri ali sm e.
(l)D~p~che afr~caine, Paris, éditée par Satineau,
nO l
f~vrier 1928, citée par Davidson, op.cit.
p. 189

95.
De l'aide sera apportée aux Africains en France. On
essaiera aussi d'infiltrer en Afrique des délégués
et d'y répandre des pamphlets anti-coloniaux. Les
congrès internationaux auxquels les Africaïns seront
ïnvi~és leur permettront d'avoir une a~dience
importante parmi ceux qui étaient disposés ~ les
écouter.
Cri de Nègre, l'organe de gauche dé l'Union
des Travailleurs Nègres,
se montrera très anti-
colonialiste.
Le soutien du Parti communiste sera important pour
tous les Africains qui,
~ cette époque, voulaient
déj~ penser ~ l'indépendance des colonies. Ils
bénéficieront aussi de l'accueil et de la sympathie
des socialistes et même des libéraux,
encore .que la
gauche socialiste ait eu ~ hésiter ou ~ refuser en
1930 de "gaspiller l'argent français dans les sables
du Sahara". Les milieux d'affaires ne rallieront
l'idée de décolonisation que lorsqu'ils se seront
rendu
compte qu'en abandonnant une couverture
politique, ils gardaient les avantages économiques.
Mais plus importantes à cette époque seront la pensée
et l'action des Africains eux-mêmes,
fonctionnant
en autonomie par rapport aux appareils politiques.
.../ ...

96.
Ces groupes d'Africains avaient mis en place
plusieurs organisations souvent concurrentes dont
la Ligue pour la D~fense de la race n~gre, au
d~part simple comi~~ dirig~ en 1926 par Lamine Senghor.
La Ligue st~levait contre les injustices colonial~s ;
elle essayait de r~pandre ses id~es dans les colonies.
Elle s'efforçait d'~laborer une politique coh~rente
pour mener la lutte à l'int~rieur du système
colonial. De l'avis de Davidson,
ces leaders de la
Ligue dont LaminG Senghor,
T-iemoko.Garan Kouyat~, Kodjo
Tovalou Hu~nou sont à consid~per comme "les vrais
précurseurs du nationalisme en Afrique occidentale
et équatoriale"" (1).
D'après une note de police de 1935,
Kouyaté
propo sai t
à cette "époque une fédération dont la
France resterait la nation-guide. Chaque colonie
serait devenue une sorte de "dominion" autonome et
"indépendant, avec sa propre chambre des députés.
Evidemment,
on supprimerait le régime d'indigénat.
Tous les Africains auraient la nationalité française
a vec ci toyenne t é de "dom inion!1. L' é conomi e de
l i bre- échange'
serait pra tiq uée dans ce s
"dominions Il •
(1)
Davidson
(B),
op.cit. p-. 190

97.
Il semble que les idées de Kouyaté aient intéressé
plus de vingt ans plus tard les leaders de la
Quatri~me République puis de la Cinqtii~~e.
Une mention spéciale doit êt;e faite de ceux qu'il
faut appeler les intellectuels noirs de Paris des
années 1930 : les Noirs américai~s tels que
Claude Mac Kay,
Jean Toomer,
Countee Cullen,
Langston Hugues . . . ,
des Antillais comme Léon-Gontran
Damas,
Aimé Césaire, Etienne Lero ..• ,
des Africains
comme Léopold Sedar Senghor,
Birago Diop,
Ousmane Socé,
etc.
Ce milieu d'intellectuels noirs deviendra un foyer
de. culture anti-coloniale. En juin 1932, paraît
l'unique numéro de Légitime défense publié par un
groupe formé autour du po~te martiniquais
Etienne Lero.
Ce journal littéraire est le
premier cri de révolte écrit dans la langue du
colonisateur;
i l s'exprime contre l'assimilation,
la colonisatiun et l'impérialisme blanc. Le mouvement
anti-colonial était né avec lui et se développera.
Engagement politique et engagement culturel se
lieront davantage.
. ../ . ~ .

98.
Cette orientation du mouvement est celle que lui
imprimeront les responsables de la publication
de L'étudiant noir en 1934~ c'est-à-dire Senghor~
Damas,
Césai~ Le mouvement conduira à ce qu'on
appellera la renaissance culturelle nègre,
autrement
dit la négritude.
En 1939~ parait d'Aimé Césair~
Cahier
d'un retour au pays natal
(1) qui sera
un véritable tam-tam de guerre contre le
colonisateur et en même temps un appél à la
communauté.,
au retour à soi.
L'anticolonialisme se développera.
Mais la
mise
en cause du système colonial débouchant sur la
demande affirmée d'indépendance nationale tardera
à venir. Certes~ des réclamations verbales de
l'indépendance des colonies échapperont de temps
en temps à des individus ou à des groupes hors
d'Afrique même.
Ainsi en 1934 par exemple, Cri des
Nègres,
se référant au fait que la Ligue des
Nations avait confié le Cameroun à la France en
1918 pour le conduire à l'autonomie,
soulignait
"Le Cameroun exige son indépendance et la fin du
mandat qui n'a fait aucun bien au pays"
(2).
(1) Césaire (A) Cahier d'un retour au pays natal,
poème publi~ dans la revue Volont~ en 1939
édit~ par Pr~sence Africaineen 1956.
(2) Cit~ par Davidson (B) op.cit.p. 181

99.
En 1935, Cri des Nègres publiait encore ceci d~un
correspondant dans la capitale du Dahomey
(Cotonou)
mais qui ~crivait de Paris :
"Le Dahomey doit
appartenir aux Dahom~ens et non à une bande de
pillards imp~rialistes" (1). Mais on doit noter
que,
compte tenu du contexte g~n~ral dans les
colonies et dans les ID~tropoles et compte tenu de
la manière do~t les Africains ~taient ~cras~s par
le poids colonial qui les réduis~it à la soumission,
la mise en cause d~finitive de l'ordre colonial et
l'exigence d'un ordre autre,
national,
suivront
tout un processus.
Les
"cris" seront pendant longtemps
des appels à l'am~lioration du sort des Africains
tant sur le plan mat~riel que sur le plan politique.
En t~moigne une p~tition ivoirienne de 1937 du
"Comi té indigène d-u Cercl e de 11 Indéni~" au gouvernement
du Front populaire.;
elle demandai t
"qu'un sort
meilleur nou~:s~i~ réservé à la gestion de notre
pays,
de choisir librement notre représentant
l~gitime qui sera alors véritablement chargé de
la haute destinée de nos millions de compatriotes
pour l'intérêt national de la grande Côte d'Ivoire
et pour le renforcement de la plus grande France".
Le texte demandait en même temps
"la r~forme du
cod e d e I ' in di g ~ n a t " ( 2) •
(1)
Ibidem
(2) Cit~e par Kipré (p), Les villes coloniales en Côte
d'Ivoire
(Economie et société),
thèse d'Etat
d'histoire,
t.3 p.
938

100.
Il s'agissait donc bien de l'amélioration du sort des
Noirs,
mais surtout du problème de leur partici-
pation à l'élaboration de la politique coloniale,
d'une participation plus responsable, mais bien
eans le cadre colonial.
Sans doute,
cela était déjà
un pas énorme que cette exigence de participation
à la gestion du pays et de choix de "représentant
légitime". Un mûrissement des idées se faisait
et
les pratiques de ~art et d'autre
allaient être
nécessairement modifiées sous l'effet même des
nouveaux rapports de force qui
s'établissaient.
Il reste exact cependant que l'idée d'un Etat
national,
indépendant et souverain,
ne sera qu'une
conquête des temps à venir.
Quels sont les facteurs
et les actions qui allaient
conduire i
l'idée d'une rupture d'avec le système
colonial afin de bâtir un·Etat-nation autonome?
... / ...

101.
_
SECTION
II
LE NATIONALISME COMME APPEL A L'ETAT-NATION.
VERS L'INDEPENDANCE: 1945-1960
On a d~jà soulign~ que pendant longtemps "l'~lite"
africaine acceptera l'id~e d'une Afrique arri~r~e
que le système col,onial- devai t
conduire n~cessai--
rement à la civilisation. Cette position de
"l'~lite" allait changer. Sous l'effet d'un
mûrissement individuel et collectif,
et à la
faveur d'un faisceau de facteurs,
de conditions
et d'actions, l'ordre colonial al~ait être
d~finitivement mis en cause. L'ind~pendance sera
exig~e pour un Etat-nation sur le modèle europ~en
par les hommes politiques au moyen des partis,
.
par les syndicats, par les intellectuels et même
Ies ~tudiants.
Nous allons ici nous int~resser à l'action des
intellectuels et des ~tudiants.
... / ...

102.
1- Bref aperçu des
conditions générales de possibilité
de la mise. en
cause de l'ordre colonial
Tout. d'abord i l fa~t noter qu'entre 1945 et 1960
le ~ombre des "évolués" sortis des écoles primaires
ou secondaires ou des écoles supérieures
(Makarere
College en Ouganda,
Fourah Bay en Sierra Leone,
William Pont y au Sénégal,
Ecole Renard au Congo-
Brazzaville,
etc) 'était devenu relativement
impor.tan t.
Le s na ti onali s te s pourront donc a voi r
à s'adresser à une audience in:ürui te plus large.
A titre indicatif, pour le seul Congo belge
par exemple,
en 1948 i l Y avait 490 cercles pour
"évolués" regroupant 25.014 membres;
en 1956,
la classification professionnelle,
répertoriant
les travailleurs intellectuels, les travailleurs
qualifiés ou semi-qualifi~s, les contrema!tres et
ag~nts à respnnsabilité de commandement, les
artisans indépendants •••
dénombrait 143 865 personnes
relevant de la catégorie des
"évolués" ;
en 1958,
ces évolués atteignaient 176 596 (1).
... / ...
.. ,
(1) Mutamba Makombo Kitashima,
thèse Cl"tee, p. 79

103.
Un pays comme la Côte d'Or où la scolarité' fut
développée relativement assez tôt,
comptait en 1950
10 350 "Africains d'élite" dans treize professions.
Un tiers étaient fonctionnaires à des postes
subalternes;
un autre tiers dans l'enseignement
environ 140 étaient des hommes d'affaires
travaillant à l'ombre des sociétés européennes
l
300 des courtiers en cacao ou autres produits
d'exportation.
Ils formaient le "middle cLass".
Parmi eux,
on pOllvai t
compter 114 .hommes de loi,
38 médecins,
32 journalistes et 435 hommes d'église
qui représentaient "l'élite de l'élite" et d'où
sortaient la plupart des leaders d'opinion
(1).
Bref,
à la population "d'évolués" dont certains
éléments avaient un haut niveau d'instruction
universitaire
(comme au Ghana,
au Libéria,
en Sierra
Leone et m~me en Côte d'Ivoire, au Sénégal,' etc.),
la conscience des injustices coloniales,
des exactions,
des discriminations,
le refus du colonisateur de
les intégrer réellement dans le système colonia1 p
aux places méritées . . .
n'allaient pas apporter la
joie de servir obséquieusement leurs mattres. indéfiniment.
(1) Davidson
(B)
op. ci t.
pp.' ~27-228

104.
Ces "~volu~s" se tourneront vers ~smasses dont il~
avaient cru d'abord pouvoir se passer. Celles-ci
qui avaient besoin d'eux les accueilleront dans un
même ~lan nationaliste. La question nationale qui
se d~veloppait dans le milieu des élites
cOlncidait avec la question sociale qui ~tait
surtout celle des masses. Elites et masses p~urront
donc oeuvrer au coude à coude. Les partis
politiques qui se cr~eront deviendront des
mouvements de masse
(par exemple le Par.ti D~mocratique
de Guin~e, le Parti Démocratique de Cate d'Ivoire,
le Convention People's Party au Ghana ... ).
Mais d'où vient que l'action nationaliste des
politiciens,
des syndicalistes et des intellectuels
sera possible? Il. est n~cessaire de rappeler ici
quelques aspects g~néraux importants des conditions
et des facteurs qui favoriseront la lutte nationa-
.liste pour l'indépendance ou même lui donneront une
réelle impulsion.
. .. / ...

105.
La crise de l'Europe sera une des conditions
fondamentales de la possibilité qu'auront les
Africains de s'attaquer au probl~~e colonial.
En effet,
toutun contexte de cette Europe,
sortie
de la grande guerre,
affaiblie,
vulnérable,
et
critiquée par les Européens eux-mêmes,
aidera les
Africains instruits à découvrir qu'ils n'avaient pas
à se fier aveuglément à elle et à la prendre servi-
lement comme modèle.
Victime de son développement
industriel,
n'étRit-elle paq effectivement décriée
en tant que modèle de civilisation à travers un
anticapitalisme et une critique de son aspect
matériel,
technico-économi9ue "extérieur",
"mécanique",
"artificiel" ? Cette problématique aura
été développée en Allemagne par Tonnies,
Julius
Langbehn, Alfred Weber •.•
et aura trouvé son
expression la plus populaire dans La décadence de
l'occident d'Oswald Spengler
(1918).
Les intellectuels africains de Paris des années
1930 ne se priveront pas de faire écho à l'idée
d'un occident décadent et qui opprime pourtant
d'autres peuples au nom de sa civilisation et
de ses intérêts économiques.
... / ...

106.
Dès 1939, Cahier d'un retour au pays natal
d'Aimé Césairenotera combien l'oc~ident, pauvre
dans ses richesses et de ses richesses, techniques,
était menacé d'aller ~ la dérive, moribond:
"Ecoutez le mo,nde blanc
Horriblement las de son effort immense
Ses articulations rebelles craquer sous
les étoiles dures
Ses raideurs d'acier bleu transperçant la
chair mystique
Ecoute ses victoires proditoires trompetter
ses défaites
Bcoute aux alibis grandioses son piètre
trébuchement
Pitié pour nos vainqueurs omniscients et
naifs
!"
Le monde blanc n'était plus une référence abs~lue.
Ni pourles Européens eux-mêmes,
ni pour les Africains
instruits non plus.
Il faut dire que le marxisme,
en proclamant la faillite du capitalisme boùrgeois,
contribuait énormément ~ remettre en question la
civilisation occidentale elle-même.
L'Europe rationaliste, positiviste et scientiste
sera aussi
critiquée dans le milieu intellectuel
européen avec l'avènement de la psychanalyse,
du,
surréalisme ; par les philosophes de l'instinct
comme Bergson,
Janet.
... / ...

107.
La rationalisation en économie,
née vers 1920 aux
Etats-Unis sous le nom de "scientific management"
sera attaquée aussi parce qu'elle apparaissait
comme un taylorisme ~ans l'appropriation des
matières premières,
et surtout parce qu'elle
engendrait la standardisation, la fabrication en
séries,
et même l'organisation des trusts. De plus,
comme moyen d'abaisser les prix afin de toucher
une clientèle plus vaste,
la rationalisation
était perçue comme un moyen àe faire de l'ouvrier
moins un ouvrier qu'un acheteur.
L'Europe colonialiste subira aussi la critique
d'une partie non négligeable de l'intelligentsia
européenne. Déjà en 1898, Marquet écrivait Pourguoi
je suis un anti-colonial. Plus proches de nous,
un Gide,
un Sartre et bien d'autres,
se révèleront
des anti-colonialistes en s'élevant contre lès
méfaits et le fait même de la colonisation. Avant
eux, le Guyanais René Maran dénonçait dans Batouala (1)
les "errements" de l'administration coloniale et
condamnait l'entreprise coloniale dans ses injustices
et sac ru au té.
(1) Mnran
(R)
Batouala,
véritable roman nègre,
Paris,. Ed.
Albin Michel,
1~21.

108.
Ainsi, l"Europe "civilisatrice",
non seulement
n'était plus un point de mire mais apparaissait
coupable de méfaits et de décivilisation. Et les
intellectuels africains ne seront pas les derniers
à la juger du jugement de ses propres enfants : ils
partageront le point de vue des intellectuels
-
européens anticolonialistes et vomiront sur elle
le fiel accumulé.
L'image de l'Europe,
de l'occident et du Blanc
en général,
s'ébranlera aussi avec l'ébranlement
général de la seconde guerre en particulier.
Celle-ci
fut l'occasion pour des milliers de Noirs de
découvrir que l'homme blanc n'était qu'un être
-
humain,
comme un autre: i l pouvait être courageux
mais i l pouvait être couard;
i l pouvait trembler,
i l pouvait mourir •••
La supériorité toute
n coloniale"
de l ' homme blanc s ' effondrait.
Ainsi donc, la crise de l'Europe e t l a crise de
la supériorité de l'homme blanc allaient être salutaires
pour l'Afrique et rendre possible l'exigence
d'alléger l'Europe d'un "fardeau".

109."
D'autres facteurs
et conditions du monde allaient
favoriser le nationalisme v~ritable, le r~veil
national qui se posera en s'opposant au pouvoir
~tabli.
La Charte atlantique de 1941, mise au point par
Roosevelt et Churchill, ne d~clar.ait-èlle pas que
tous les peuples devaient avoir le droit de choisir
leur forme de gouvernement une fois la guerre
termin~e ? Elle donnait ainsi au nationalisme
l'aval des grandes puissances. Les Africains
instruits en particulier comprendront le message
de cette Charte. Certains songeront d~jà à la
fin de la domination coloniale. Les plus prudents
envisageaient une forme d'autonomie gouvernementale
à l'int~rieur du Commonwealth britannique-c'~tait
le point de vue des orateurs nig~rians de l'~poque­
ou une vaste extension des droits de citoyennet~"
à l'int~rieur de la France.
De leur côt~,"les colonisateurs avaient compris
qu'il ne ~eur restait qu'à faire preuve d'ing~niosit~
pour accepter de modifier petit à petit le d~cor
afin de r~ussir à sauvegarder l'essentiel, c'est-
à-dire le statu qUo.
.../ ...

110.
Pendant la guerre,
au cours d'un débat à la
Chambre des Communes,
on rappellera le thème d'un
mandat britannique sur les peuples colonisés, on
évoquE::ra avec chaleur le devoir "d'apprendre aux
Africains les principes de ~a démocratie", mais
on n'envisagera pas la possibilité de l'indépendance
pour l'Afrique,
ou si on devait admettre l'idée
d'une autonomie,
celle-ci ne devrai~ suivre qu'un
processus très lent.
Les Français "libres" réunis
à Brazzaville en 1944, convoqués par le Comité
Français de Libération Nationale
(C.F.L.N.), décideront
qu'il n'y aurait pas d'Africains libres. Ne
suffisait-il pas à ceux-ci que leurs ma!tres le
fussent? La conférence dira clairement:
"Les
fins de l'oeuvre de civilisation accomplie par la
France dans les colonies écartent toute idée
d'autonomie,
toute possibilité d'évolution hors
du bloc français de l'empire.
La constitution
événtuelle, même lointaine,
de self_government dans
les colonies est à écarter ••• "
(1)
(1)
Cité par Ki Zerbo, Histoire de l'Afrique Noire
Paris, Hatier, 1972, p.
~99

111.
Bien sûr,
i l se trouva des Africains pour partager
ce point de vue;
et au cours d'une séance,
le
gouverneur général Eboué fera part de rapports
remis par les "intellectuels noirs",
et qui
en
principe reflétaient l'opinion des
"in,digènes" sur
les problèmes soumis à la Conférence. Un des
auteurs de ces fameux rapports définissait la
colonj sation comme étant "al! point de vue humain
l'acte par lequel .1 'homm e cher che à établi r
l'~quilibre vital entre tous.'les groupes formant
l'humanité". Et sur un point de~détail comme
l'habillement,
i l précisera:
"L'habillement,
la
tenue de l'Européen,
est considérée comme
r9présentant la pl~s parfaite forme de beauté
à laquelle soit parvenu le sens esthétique de
l'homme. Et le Noir peut l'adopter d'autant plus
facilement que cela ne demande pas beaucoup
d'efforts d'assimilation"~ Il concluera en se
rés'umant :
"Nous sommes pour l'extension in tégrale
en Afrique de la civilisation occidentale"
(1).
(1)
Ibidem

112.
Les gouverneurs d'Afrique et les hauts fonctionnaires
réunis à Brazzaville pouvaient donc avoir les
mains et le champ libres pour prendre toutes les
décisions jugées utiles.
Mais toutes leurs décisions
n'allaient pas trouver grâce devant tous les
Africains. Le problème del'indépendance de l'Afrique
se posera.
Effectivement, à partir de la conférence de
Brazzaville et après la con;tituti6n de 1946, la
lutte politique allait s'e~gager, importante
grâce justement à l'extension à l'outre-mer
des libertés républicaines rendant possible la
création des partis politiques~ grâce à l'octroi
du droit de suffrage,
de prérogativ~s pcrle-
mentaires et du droit de création de syndicats
professionnels.
La force. des idées émancipa tri ces développées
chez les Africains leur permettra de voir plus
loin dans leur avenir que les colonisateurs,
désemparés à la vérité après la guerre, mais
soucieux tout de même de reprendre possession
pleine et entière des colonies
... / ...

113.
ceux-ci avaient du mal ~ saisir ce que les
Etats-Unis avaient déj~ commencé ~ comprendre
et ~ conseiller, ~ savoir que le contrôle
politique direct n~était plus nécessaire pour
avoir le contrôle économique sur les colonies.
Ils devront attendre les années 1950 pour enfin
réaliser qu'ils n'avaient pas besoin de dominer
politiquement et directement l'Afrique.
Les Africains comprendront-~Is la .tactique
des colonisateurs?
••• Encouragés dans leur
volonté d'indépendance psrl'O.N.U., par
IJanti-colonialisme de l'U.R.S.S.
et des
Etats-Unis,
et par les exemples d'accession ~
l'indépendance d'autres pays,
ils n'auront pas
le loisir ou la possibilité de considérer les
"coups fourrés"d'une indépendance "octroyée".
Mais voyons plutôt comment s'est exprimée la
demande d'indépendance? Mettait-elle en cause
réellement l'ordre colonial? A quel type
d'Etat en appelait-elle? Comment les intellectuels
et les étudiants agiront-ils pour hater' la
décolonisation?
... / ...

114.
2.
- Le nationalisme des intellectuels et des étudiants
L'expérience vécue de l'aliénation culturelle, la
conscience de la souffrance du peuple seront parmi
les éléments essentiels de la formation de la
conscience nationaliste des intellectuels.
Dès les
années 1930 jusqu'aux années 1945 et après,
ils
utiliseront tous les moyens .dont ils disposeront
pour dénoncer la colonisation.
Mais à l'aube
des indépendances,
leur action prendra plus
d'ampleur: la lutte,
culturelle à
ses débuts
avec les pères de la négritude,
deviendra nettement
politique. Et aux congrès des Ecrivains et Artistes
Noirs en 1956 à P&ris,
puis à Rome en 1959,
les
intellectuels se préciseront leur rôle dans la lutte
de décolonisation.
Cesaire déclarera au congrès de
.Rom e
:
"Notre devoir d'hommes de culture,
notre double devoir est là
: i l est de hâter
la décolonisation et i l est,
au sein du
présent,
de préparer la bonne décolonisation,
une décolonisation sans séquelles.
Il faut hâter la décolonisation,
qu'est-ce
à dire ?
... / ...

115.
Cela veut dire qu'il faut,
et par tous
les moyens,
hâter le mûrissement de la
prise de conscience populaire,
sans quoi
i l n'y aura jamais de décolonisation .•• "(l)
Aux intellectuels r il apparaissait urgent de
pr-opager le sentiment national que les classes
populaires pouvaient avoir du fait même de l'opression
qu'elles subissaient directement
i l leur
apparaissai t
urgent d'
"en faire une conscience,
c'est-à-dire un soleil radieux".
Inspirateurs,
les intellectuels devaient nourrir
l'ambition d'être les interprètes de leur peuple,
les porte~parole et la voix.
Inspirateurs, ils
devaient jouer le rôle de flambeau pour éclairer
la marche de leur peuple
(2).
A quel titre les intellectuels devaient-ils jouer
le rôle qu'ils se donnaient? Ki Zerbo soulignait
"Notre dette à nous qui avons été
envoyés pour nous équiper au contact de
l'occident est très lourde à l'égard
de nos compatriotes.
Ils attendent de
nous que nous témoignions pour les nôtres,
que nous les aidions à
se situer dans
un monde en pleine évolution et,
éventuellement,
à
choisir un chemin"(3).
(l)Cesaire(A)
"L'homme de culture et ses responsabilités"
in Présence africaine,
février-mai 1959 nO XIV-XV
p.
117
(2)Rabemanajara
(J)
"Le poète noir et son peuple" in
Présence africaine oct-nov 1957 nO XVI
(3)
Ki Zerbo "Histoire et conscience nègre" in
Présence africaine
oct-nov 1957 nO XVI

116 . .
Déjà,
dans les années 1950,
les intellectuels
avaient à travers une' production littéraire
entrepris de dénoncer directement les injustices
coloniales,
les
exactions,
l'humiliation .•.
Ville cruelle d'Eza Boto
(1), Une vie de boy,
Le vieux nègre et la médaill~ de Ferdinand Oyono (2),
etc.
s'en prendront au système colonial lui-même,
à l'ordre établi, oppresseur. Des essais comme
Discours sur le colonialisme de A.
Césaire(3)
seront
directement plus critiques de la colonisation
("colonisation = chosification"). Des articles
dénonceront l'impérialisme économioue et le pillage
or g an i s é (4 ) •
Bref,
les intellectuels mèneront la lutte anti-
coloniale comme ils le pourront,
en intellectuels,
cherchant à activer une
conscientisation plus grande
parmi les Africains instruits et les jeunes élèves
et étudiants.
(1 ) Eza Boto,Ville cruelle, Paris, Présence africaine
1954
(2 ) Oyono
(F)
- Une vie de boy, Paris,
Julliard, 1956
- Le vieux n~gre et la médaille, Paris
Julliard,
1956
0) Cesair~ (A) Discours sur le colonialisme, Paris
Ed.
Réclame, 1950
(4)
Ki Zerbo
"L.'économie de traite en Afrique noire
ou le pillage organisé
(XV-XXème siècles)" in
Présence africaine,
dec.jan.
1957 nO XI

117.
Demandaient-ils l'indépendance immédiate de leur
pays? Dans les colonies françaises,
beaucoup
d'intellectuels en étaient encore au proc~s ~e la
colonisation,
à dénoncer le syst~me colonial,
.ses. injustices,
ses discriminations et son
exploitation.
Il semble que dans les territoires
sous domination britannique,
on parlait déjà,
avant
1950,
d'autonomie ou on disait sa prétentidn à
vouloir l'autonomie pour son pays.
On sait par
exemple qu'au"congr~s de Manchester en 1945, un
intellectuel
comme Kwame NKrumah ne passera pas
par quatre
chemins pour exprime~ ce qu'il souhaitait
pour l'Afrique;
i l déclarait:
"Nous croyons aux droits de tous les
peuples"à se gouverner eux-mêmes.
Nous
affirmons le droit de tous les peuples
coloniaux à
contrôler leur propre
destinée.
Toutes les colonies doivent
être libérées du contrôle impérialiste
étranger,
qu'il
soit politique ou éco-
nomique.
Les peuples des
colonies doivent
avoir le droit de choisir leur propre
gouvernement sans limitation d'aucune
puissance étrang~re. Nous appelons tous
les peuples des
colonies à lutter pour
ces fins,
par tous les moyens à leur
disposi tion".
... / ...

118.
On doit souligner que les intellectuels ne mèneront
pas la lutte politique seulement en intellectuels.
De 1947-50 jusqu'autour de 1960,
beaucoup d'entre
eux s'engageront activement dans des partis
.pol~tiques ou en seront même parfois les leaders.
Ils militeront dans de grands partis de masse
(comme le Parti Démocratique de Côte d'Ivoire,
comme le Parti Démocratique de Guinée ••• ) ~u dans
des partis de "ca?res"" (comme le Parti Africain de
l'Indépendanc~••• ). Ils mèneront aussi leur action
politique à travers des écrits politiques, dans
la presse,
notamment celle qui ~outenait des partis,
comme Le Réveil
(sénégalais),
La condition humaine
de Senghor, L'essor
(soudanais), Le Démocrate .(ivoirien)
l'Evening news de NKrumah,
le West African Pilot
d'Azikiwé.
Un fait notable est que, ·de manière générale,
les
intellectuels,
soit au sein de partis de masse,
soit
dans des partis numériquement peu importants,
seront
toujours parmi les premiers à se prononcer pour
l'indépendance et à la réclamer.
... / ...

119.
Ainsi par exemple, les partis de "cadres" ou
d'intellectuels comme le Parti Africain de - .
l'Indépendance
(P.A~I.) aura préconisé l'indépendance
av~t le référendum gaullien de 1958, et participera
avec d'autres au débat sur la priorité de l'indépendance
ou de l'unité avec la France.
Le Mouvement de
Libération Nationale
(M.L.N.)
créé en 1958 sur
une base interafricaine/du Sénégal au Cameroun
;.
en passant par la Haute-Volta et le Dahomey et ou
1
on retrouvait des intellectDels comme Ki Zerbo et
beaucoup d'enseignants, l&Dcera un mot d'ordre pour
l'indépendance lors du référendum.
Le Parti du
Regroupement Africain au Sénégal
(P.R.A.-Sénégal),
avec des intellectuels com~e A.
Ly,
A.M. Mbow,
A.
Seck,
demandera aussi un "non U
à ce référendUii1.
L'idée d'une in~épendance était d'autant plus
chère aux intellectuels qu'elle apparaissait comme
le moment important séparant le passé
(colonial)
d'un avenir qu'on pouvait espérer plein de
promesses, à l'intérieur d'un Etat-nation.
Il fallait
donc à tout prix se battre pour sortir de l'Etat
colonial
et
accéder à un Etat indépendant.
Dans
cette lutte qU'ils engageaient aux côtés d'autres'
hommes de partis et des masses,
ils seront rejoints
par leurs'cadet~, les étudiants.

120.
b.
- Les mouvements des étudiants
Autant que leurs
'"
,
alnes sinon plus, le~ étudiants
joueront avec vigueur un rôle de révélateurs de
la situation africaine et de dénonciateurs dela
politique coloniale. L'action des étudiants sera
essentiellement politique.
Il faut dire qu'en fait
nombre d'entre eux partageaient les idées panafricaines
répandues dans l'intelligentsia des pays africains
anglophones
;
et nombreux étaient ceux qui apparte-
naientà des sections unive~sitaires de partis
africains nationalistes ou qui suivaient dBs cercles
d'études avec des militants de partis ou mouvements
européens progressistes
(Bureau Fabien,
P~rti
Communiste Français,
etc.).
La Grande-Bretagne était
sûrement le pays qui avait accueilli chez elle,
assez tôt,
un nombre important d'universitaires
africains. Dès 1925,
ces étudiants fondèrent à
Londres la West African"Students Union
(W.A.S.U.)
en plus·de quatre associations qui existaient déjà.
En 1951, les colonies africaines comptaient 2 747
étudiants en Grande-Bretagne,
dont 2 158 de
l'Afrique Occidentale et 589 de l'Afriq~e Orientale.
La préparation aux tâches politiques futures
sera
essentiellement la raison qu'évoqueront les étudiants
pour justifier leur adhésion à la W.A.S.U .
.. ./ ...

121.
Effectivement,
des années plus tard,
certains
anciens de la W.A.S.U.
seront parmi les leaders
africains de premier rang ou parmi les membres
influents de parti ou de gouvernement
(1).
En 1950 se créait en France la Fédération des
Etudiants d'Afrique Noire
(F.E.K.N.F.).
Sans
équivoque,
elle opta pour un syndicàlisme "révolution-
naire",
c'est-à-dire qu'elle s'imposait de défendre
les intérêts matériels et moraux de ses membres en
même temps qu'elle se situait dans une ligne > ~
politique précise de lutte contre l'impérialisme.
Aussi la verra-t-on prendre position contre
l'Union Française créée en 1946.
La FEANF,
mais
se'()é'(ëlLe.·
.
aussi l'AssociationVdes Etudiants de Dakar
(A.G.E.D.)
créée en 1951,
et le Conseil de la Jeunesse d'Afrique
(C.J.A.)
dénonceront cette Union Française comme
une simple hypocrisie destinée à tromper l'opinion
internationale sur les rapports d'inégalité,
de
sujétion,
d'exploitation et d'oppression existants
et maintenus entre la France et les Territoires
d'Outre-mer.
(1) Par exemple,
Adjei Ako,
ancien président de la
W.A.S.U., ~eviendra ministre des Affaites
étrang~res dans le gouvernement de Kwame NKrumah.

122.
Cette d~nonciation apparais~ait ~ la F.E.A.N.F.
très importante, indispensable
: ~ ses yeux en effet,
i l fallait pallier la "d~mission" des leaders du
Rassemblement Démocratique Africain
(R.D.A~) créé
~ Bamako en 1946 ; ces leaders, au dire de la FEANF,
semaient la confusion dans les rangs de l'organisation
et portaient atteinte à l'unité d'action et au
mouvement de libération lui-même.
La FEANF, mais· aussi l'Union Géné~ale des Etudiants
de l'Afrique de l'Ouest
(U.G.E.A.O.
, née sur le
saI dakarois des cendres de l'A~G.E.D.) prendront
position aussi
contre la Loi-cadre
(1956-1957),
qui
selon elle consacrait d~finitivement la balkanisation
de l'Afrique et ·la division du front de lutte contre
l'impérialisme. Pour la F.E.A.N.F.
et l'U.G.E.A.O.,
la Loi-cadre apportait certes des modifications
aux m~thodes et au fonctionnement de l'administration
coloniale mais ne changeait rien profond~ment ;
car
la France conservait ses privilèges économiques et
sa domination politique. L'U.G.E.A.O.
dans son·
organe Dakar-Etudiant verra pr~cisément dans la
Loi-cadre une manoeuvre du capitalisme et du
néo-colonialisme pour enlever aux Africains toute
envie et toute volonté de r~clamer l'autonomie
promise.
... / ...

123.
Elle affirmai t
:
"La France,
assaillie de tous côtés
par ceux qui n'ont pas notre bonne
volonté,
est obligée, pour faire front
le plus'longtemps possible,
de s'assurer
que notre bonne volonté ne lui fera pas
défaut.et pour nous prouver que notre
1
loyalisme ne sera pas pénalisé, nous qui
sommes toujours restés à la France,
on
nous offre la Loi-cadre"
(1).
Or les étudiants connaissaient bien la pensée de
NKrumah,
nouveau
chef du Gl.Lana indépendant,
à
savoir que jamais les puissances n'allaient par
elles-mêmes s'offrir le luxe de s'exproprier et
apporter sans contrainte aux colonies la liberté
et l'indépendance sur un plateau d'argent.
Ils
considéreront leu~ action plus que-justifiée.
Ils se prononceront aussi
contre la Communàuté
Franco-Africaine et la Communauté Rénovée. En
France,
de Gaulle venait de prendre le pouvoir.
Il élabora une Constitution et proposa un
référendum pour le 28 septembre 1958. La FEANF
et l'UGEAO appel~rent à voter "Non" à ~e référendum
à l'issue duquel devait naître la Communauté
FraIlco-Africaine.
Celle-ci, .à. peine constituée
(6~ux ans' plus tard), se désagr~gera.
... / ...
(1)
Cit~ par Paraf (p) in L'ascension des peuples
noirs., Paris, Payot, 1958, p.
38

124.
Le gouvernement français tentera de r~nover cette
communaut~ en cr~ant en 1960 la Communaut~ R~nov~e.
La FEANF luttera encore contre celle-ci. En son
Xllème congrès,
elle d~clarera
" ••• La Communaut~ R~nov~e n'est que la
manifestation concrète du n~ocolo­
nialisme dans sa volont~ de freiner la
lutte des masses africaines pour leur
l i b~ration".
Elle d~nDncera'~a mystification de la Communaut~
R~nov~e comme ~tant un subt~rfuge ~estin~ A freiner
le mouvement vers l'ind~pendance totale et l'unit~
afri caine" •
La FEANF ne verra jamais d'autre issue à la lutte
que l'ind~pendance totale.
Jusque dans les ann~es 1960, elle soutiendra la
cause alg~rienne et la lutte de l'Union des'
Populations Camerounaises
(UPC).
L'accession du
Ghana à l'indépendance en mars 1957 et de la Guin~e
en 1958 la confortera dans sa ligne révolutionnaire.
Elle aura d'ailleurs le soutien de NKrumah et de
S ~kou Touré.
... / ...

125.
Après les indépendances,
elle orientera .son action
politique contre le néocolonialisme à travers la.
dénonciation de l'impérialisme et surt'out des
"bourgeoisies" nationale~ contr61ant le pouvoir
en Afrique et des dirig~ants installés par leurs
maîtres impérialistes.
L'U.G.E.A.O. partagera les mêmes analyses que la
F.E.A.N.F. Et en son premier congrès tenu à Dakar
du 22 au 24 décecbre 1960,
elle déplarera clairement
"Les néocolonialistes trouvent leur meilleur
sou ti en dans le s gouvernem en.ts fan t6 ches et
dictatoria·ux installés et dirigés par eux."
Elle poursuivra:
"La nature néocolonialiste de
ces gouvernements les conduit inéluctablement à
pratiquer une politique de démission nationale tant
sur le plan interne que sur le plan externe".
Les étuqiants auront donc été très actifs dans
la lutte pour l • indépendance . Leur lutte
continue aujourd'hui
encore dans l'indépendance.
Celle des intellectuels aussi. Et pourquoi?
Nous le saurons dans la quatrième partie de ce
travail.
Notons pour le moment que l'indépendanca
octroyée. apparaît comme une indépendance piégée •
... / ...

126.
L'Etat national a succédé à l'Etat colonial sur
le modèle de l'Etat-nation dans les mêmes frontières
et pratiquement avec les mêmes institutions que
l'Etat colonial. La décolonisation semble avoir
consisté dans un marché entre l'autocratie coloniale
.
.
et une "élite héritiè~e" qui donrie l'impression
d'avoir renoncé à aspirer à une souverainet~
nationale réelle en même temps qu'elle acc~dait
à la place des col?nlsateurs (cela devait être
sans doute une condition ••• ). On espérait que la
construction de la nation signifierait la création de
l'unité de tout le pays, l'unité de tous les
éléments de la population;
on réalise que la
construction nationale signifie la promotion par
eux-mêmes des groupes dirigeants.
On croyait ,que
l'indépendance signifierait la fin de la domination
étrangère et de l'impérialisme; on réalise qu'on
a seulement changé de maîtres et que les anciens
maîtres sont fortement présents dans les nouveaux.
Les intellectuels et les étudiants.
ou du moins
une partie d'entre eux.
sont parmi les premiers
à dire la colère et la 'frustration des masses.
Sans désemparer. ils regardent en face
"le soleil
des indépendances" et considèrent et dénoncent
ses hyènes,
ses "b&tardises",
ses aberrations.
la
lutte pour la place, la lutte pour le pouvoir . . .
.../ ...

127.
Pour ces intellectuels, la lutte de
(re)lib~ration
natiooale est à l'ordre du jour.
Mais il se trouvera d'autres intellectuels et
~tudiants pour applaudir et savourer les bienfaits
de l'indépendance et soutenir vaillamment les
pouvoirs en place en Afrique.
Face aux pouvoirs, le monde intellectuels,
pas plus
sous la colonisation que dans l'ind~pendance ne
parle d'une seule voix. Les int~rêts en j~u sont
divers et diff~rents~ L'ordre social aujourd'hui
n'est-il pas aussi
"bon" pour certains intellectuels
que l'ordre colonial l ' ~tai t· POUl' certains Il éyol u és Il ?
Les mécanismes ~t les· syst~mes d'int~gratio~ des
l~volu~S" dans l'ordre colonial ne sont-ils. pas
comparablBs à ceux d'aujourd'hui?
Et
les
~ub~e5
actions et les conditions~qui détermin~rent la
miBe en cause de l'ordre colonial ne sont-elles
pas ~ussi,mutatis mutandis, celles qui provoquent
la critique de l'ordre qui
s'~tablit aujourd'hui?
..
fi
.. /
. . . . . .

128
DEUXIEME
PARTIE
QUI
SONT
LES
INTELLECTUELS
DE L'AUBE DE L'INDEPENDANCE A NOS JOURS?

129
nrTRODUCTION
La défini tion du mot "intellectuel n, doi t-on convenir,
est difficile quoi
qu'il
soit "évident,,'à l'intérieur
d'une société donnée.
Ceux ~ui. sont désignés par
ce terme au sens large et au sens étroit se
connaissent et sont reconnus comme tels.
Dans la galerie des catégories d'intellectuels,' trois
catégories ont été retenues ici pour êtr~ étudiées,
ce sont les écrivains,
les enseignants
et les
étudiants.
Plusieurs raisons
justifient ce chaix d'intellectuels
qui
doivent représenter en même temps les autres.
En Afrique, les écrivains et les "écrivants"
'7pour rappeler 'la distinction introduite par
Roland Barthes- ont rarement comme activit~
professionnelle principale
la producti6n pour
faire de l ' a r t ou pour exprimer des idées. Les
.écrivains,
c'est-à-dire les auteurs de production
littéraire -dont i l s'agit ici- appartiennent
à différentes
catégories socio-professionnelles
intellectuelles.
... / ...

130
Il est donc. int~ressant d'~~udier cette cat~gorie
d'intellectuels qui permet d'embrasser bu
d'impliquer ~ la'fois les autres intellectuels.
Les ~tudiants sont facilement admis en Afrique
dans la galerie des intellectuels aux cBt~s de
leurs professeurs
c'est pourquoi ils sont ~tudi~s
en même temps que ceux-ci.
Il est vrai d'ailleurs que ~es ~crivains, les
enseignants et les ~tudiants sont en Afrique
parmi les intellectuels qüi s'expriment le plus
(par ~crit ou pir des manifestations ou m~me des
grèves). A ce titre,
ils m~ritent d'~tre interrog~s
sur leur rapport au pouvoir et ~ la soci~t~.
Dans cette deuxième partie du travail,
i l
est question de faire une pr~sentation descriptive
.des intellectuels à travers les exemples des
trois cat~gories d'intellectuels d~sign~s. Il
s'agit de mettre à d~couvert en quelque sorte
l'univers des intellectuels,
de savoir ce qu'ils
sont ou ce qu'ils repr~sentent socialement,
ce qu'ils
veulent ou recherchent,
d'appr~hender leurs atti-
tudes et opinions socio-politiques,
etc.
Le premier chapitre de cette partie fait la
"sociographie" èes ~crivains et des enseignants
le second,
celle des ~tudian{s.

131
CHAPITRE
l
ASPECTS DE LA VIE ET DE L'UNIVERS DES
.
ECRIVAINS ET DES ENSEIGNANTS
SECTION
l
LES ECRIVAINS
Qui sont-ils et que sont-ils ? Combien sont-ils ?
Combien de titres d'ouvrages représentent-ils ?-
Quel 'poids social 'ou sociologique ont-ils ?
Telles sont les questions auxquelles i l faut
répondre ici.
... / ...

132
1 - Caractéristiaues sociales, . situation professionnelle
et niveau d'études des écrivains
Beaucoup de biographies,
d'autobiographies ou de
bio-bibliographies corisultées n'indiquent pas la
profession des parents des écrivains;
ce qui fait
qu'on ne sait pas souvent quelle est l'origine
sociale des auteurs.
Co~pte tenu du fait que la
majorité des intellectuels d'aujourd'hui sont issus
de familles modestes,
paysannes le plus souvent,
on a tôt fait de supposer que tel ou tel écrivain
est de ce milieu-là.
Parmi les auto-biographies
qui précisent la profession du père, i l y a
su~tout
celles de fils de paysans
(qui apparemment trouvent
une certaine fierté à s'affirmer fils de paysans
comme pour dire qu'ils sont des fils authentiques
du terroir)
et celles de fils de milieux occidentalisés
ou valorisés par la profession des parents
(les fils
·d'instituteurs,
de médecins,
de fonctionnaires ..•
ont tendance à préciser leur origine familiale).
En fait,
les écrivains sont issus de toutes les
couches de la population,
mais surtout de celles
qui sont les plus importantes numériquement,
c'est-à-dire, les couches populaires.
... / ...

133
La plupart des ~crivains appartiennent ~ une
famille nombreuse
;
et ils sont parfois parmi
les seuls frères ~ avoir ~t~ à l'~cole ; et ils
se seqtent des responsabilit~s vis-~-vis des leurs.
Ils. sont souvent mari~s et ont la charge de
plusieurs enfants.
Ce sont donc g~néralement des personnes responsables
de familles,
conscients de leurs propres problèmes
familiaui ou professionnels .••
qui
s'engagent dans
la production littéraire, poussés par le besoin
d'écrire,
de s'exprimer OQ par un souci d'éducation,
par le d~sir d'être un porte-parole ou de contribuer
à libérer le peuple ...
Les écrivains africains vivent rarement du
métier d'écrire.
Ils exercent ou ont pu exercer
différentes professions,
et parfois avec le temps,
diverses fonctions.
.../. ..

134
Il n" est pas ais é de par1er' de la pro f e s si 0 n
des écrivains;
car on ne sait pas toujours si on
parle ~implement de leur profession ou d~s
fonctions qu'ils ont assumées.
Tel auteur est,
par exemple,
professeur de métier,
qui a pratiquement
fait toute sa carrière dans la haute administration
ou dans les Affaires Etrangères,
ou a occupé des
fonctions politiques importantes.
Tel autre est
médecin qui a
commencé à écrire au moment où i l ne
pratiquait plus ce métier,
mais assumait des
responsabilités politiques. Faut-il alors s'en
tenir à la profession ou ~ la fonction? On ne
sait pas ~oujours non plus si on parle de la
profession ou de la fonction au moment de la
publication de tel ouvrage ou de tel autre;
d'un
ouvrage à l'autre, i l est possible qu'un auteur
ait changé de responsabilité.
On ne sait pas non
plus toujours si on parle de la profession ou
de la fonction avant ou pendant la publication
d'ouvrages qui ont fait
connaître une personne
en tant qu'écrivain ou si on parle de la fonction
qu'bn auteur exerce au moment où i l n'écrit plus
ou au moment où paraissent ses derniers· ouvrages .
.../ ...

135
La plupart des biographies ou des bio-bibliographies
insistent sur les fonctions o~cup~es ~ des p~riodes
pr~ci~es et omettent parfois d'indiquer'la
profession.
Il faut donc prendre son parti et
tenter simplement de donner une id~e -sans rien
garantir dans l'absolu- de l'ensemble des dirf~rentes
professions et fonctions que les ~crivains exercent ou
ont exerc~es.
Parmi les ~cr~vains litt~r~teurs Francophones,
i l Y a au moins un pr~sident de la R~publique,
ancien professeur
(Senghor),
des hommes politiques
(Fi~y D; Sissoko, Fodeba Keita, Nazi Boni,
Gologo Mamadou,
Seydou Badian),
des diplomates
(Ferdinand Oyono ..• ) des fonctionnaires internationaux
(Tchicaya U Tam'ii . . . ),
des administrateurs
(Baba Moustapha •.• ),
des m~decins (Sangu Sonsa,
Tchichell~ Tchiv~la•.• ), des magistrats (B~njamin
Matif •.. ),
des professeurs
(Mongo Beti, Ngal,
Mudimbé,
Makouta-Mboukou, Williams Sassine,
Zadi Zaourou,
Nokan,Amadou Kon~, Aminata Sow Fall,
Be~nard Nanga •.. ), des chercheurs (Camara Laye,
Lomami
- Tshibamba, Emmanuel Dongala .•. ),
des
fonctionnaires
(Philombe ..• ),
des agents d'affaires
(Felix Couchoro . . . ),
des artistes
(Jacques Beng~~o... ),
.../ ...

136
des·producteurs
cinématographiques
(Ousmane Sembène,
Timiti Bassori ••. ),
des ingénieurs-conseil
(D.
Etounga Manguélé .•• ),
des journal~stes
(Ibrahima Signaté,
Guy Menga,
Otissou-Essui,
Mvomo Medou .•• ),
des militaires
(Maxime N'debeka.~.),
des étudiants
(Tierno Monénembo . . . ),
des pla~tons
et commis
(Maurice Koné,
Trahoré Seydou ••• ) etc.
Lorsqu'on l i t les biographies ou les bio-
bibliographies,
on constat~ de manière notable
que les enseignants sont les plus nombreux parmi
les écrivains;
et leurs ouvrages sont parmi
ceux
qui analysent l~ mieux peut-~tre leur société. Les
journalistes,
les médecins,
les suivent immédiatement
après,
semble-t-il.
Beaucoup d'écrivains sont des universitaires ou
ont subi des formations
supérieures. La plupart
d'entre eux ont fait des
études à l'extérieur,
en Europe
en particulier.
Ils ont donc pu avoir
contact avec différents modes de pensées,
différentes
id~ologies et visions du monde, différents courants
politiques.
.../ ...

137
Mais qu'ils aient fàit de longues études ou non,
qu'ils aient étudié à l'extérieur ou non,
qu'ils
appartiennent à des familles modestes' ou non,
les
écrivains ont tous,
semble-t-il,
la prétention de
bien regarder leur Boci~té et d'observer de mani~re
critique tout ce qui s'y passe.
Mais quel poids
social ou sociologique ont-ils? Que représentent-ils?
Combien sont-ils et combien de titres d'ouvrages
représentent-ils ? Quelle est la portée de leurs
écri ts ?
2 - Nombre d'écrivains.
Nombre de titres d'ouvrages.
,
.
.
Poids 'sociologique des
ecrl valns
Aucune statistique ne semble exister apparemment
au sujet des écrivains: on ne sait'pas combien'
ils sont,
àun moment donné.
Seuls les répertoires
bibliographiques des auteurs permettent d'avoir
une idée de leur nombre.
Dans La littérature africaine écrite
(1),
P. ~gandu Nkashama a établi une liste bibliographique
systématique de tout ce qui a été produit dans les
domaines de la poésie,
du roman et du thé~tre ;
les ~euvres et les auteurs, même les plus insigni-
fiants
en .apparence,
n'ont pas
'...L
'
"
eue omlS.
(1) Ngandu Nkashama,
La litt~rature africaine ~cr~te,
Paris,
Les
classiques africains, 1979.

138.
Ainsi,
i l a cité pour la poésie -et pour
la p9riode
de 1945
(avec Chants d'ombre de Senghor) à 1978
(avec Les feux de la planète de Tati Loutard)-
83 auteurs avec 144 titres d'ouvrages (1): Pour le
.rom~n, Ngandu Nkashama a recensé pour la période
de 1926
(avec Force-Bonté de Bakary Diallo) à
1978 (avec L'Ecclesiastiouè, tome 1 de N.K. Luamba)
87 auteurs avec 134 titres. Et pour le théatre, il
cite 53 auteurs avec 77 titres
pour la pério~e
de 1947
(avec'La mort de Damel de cissé Amadou Dia)
à 1977 (avec Le Zulu de Tchycaya U Tam'si}.
Les mêmes auteurs pouvant être à la fois poètes,
romanciern et dramaturges, comme cela arrive
(c~s
d'un Dadié par exemple),
on ne saurait additionner
mécaniquement les chiffres d'auteurs cités ci-dessus.
Par contre,
on peut faire le total des titres
d'ouvrages pOŒ l'ensemblo de la production littéraire
on-a 355 titres.
.. ./ ...
(1)
On compte doublement lesouvrages qui ont deux
titres
:
exemple
: Abraha Pokou suivi de La voix
grave d'Onhimoi de Nokan
(C),
Paris, J.P .. Oswald
1970

139.
En se r~f~rant A Notre librairie de d~cembre 1978
dans son num~ro 45 qui pr~sente 750 titres de
litt~rature n~gro-africaine (1), il a ~t~ possible
de d~c~mpter, sauf erreur, 280 titres et 200 auteurs
~fricains noirs d'expression française,
chiffre
en-dessous de ceux obtenus en cQnsid~rant les listes
d'auteurs ~tablies par Ngandu Nkashama (il faut dire
que celui-ci a fait un effort extrao~dinaire pour
avoir connaissance de titres et d'auteurs pratique-
ment inconnus ou méconnus).
Quoi qu'il en soit,
tous ces chiffres sont en-dessous
de la vérit~ et sont dépass~s avec les publicatiàns
de 1978-1982.
Finalement d'ailleurs,
l'impottant du
poJnt de vue sociologique n'est pas le nombre exact
d'auteurs ou de titres,
d'autant plus que tous les
ouvrages n'ont pas le m&me poids sur le plan de
leur port~e et de leur signification.
. . .1. . .
(1)
Biblio~rap~ie des auteurs africains de langue
frençaise,
de 7hJr~se Baratte et al .. dans ia
4èoe édition de 1979 chez F.
Nathan,
cite
1 170 auteurs et 2 303 r~f~rences. Mais cet
ouvrage fait place aux côt~s des Africains
noirs A des auteurs europ~ens qui ont écrit sur
l'Afrique.
De plus,
i l ne s'en tient pas aux
seuls ~crivains mais mêlent A ceux-ci tous les
écrivants. 'On comprend d8s lors pourquoi i l peut
avancer les chiffres qu'il donne.

140.
Par: rapport ~ la probl~matique de cette recherche·,
seuls,
~ la v~rit~, int~ressent ici les ouvrages
dont le contenu donne ~ voir comment .les
intellectuels analysent. leur soci~t~, se
d~finissent par rapport aux pouvoirs en place,
perçoivent leurs relations r~ciproques, manifestent
la volont~ de participer ~ l'ensemble des d~bats
qui animent la soci~t~, ~ l'ensemble des problèmes
auxquels celle-ci
se trouve confront~e, à l'ensemble
des tensions et des
conflits li~s au changement et
qui opposent les acteurs sociaux et politiques.
En d'autres termes,
la production litt~raire et
ses auteurs n'ont d'importance que par rapport au
poids sociologique qu'ils peuvent avoir,
par
rapport à leur influence ou leur impact dans la
soci~t~, par exe~ple sur les consommateurs de
culture,
la jeunesse en formation,
les universitaires,
tous ceux pour lesquels la litt~rature est. une
source et une occasion de r~flexion, d'interrogation,
de critique,
sur les producteurs et 18s diffuseurs
d'id~es, les enseignants notamment.
Voil~ d'ailleurs pourquoi/c'est essentiellement
le contenu des oeuvres qui int~resse
dans
ce
travail,
alors que quand il. s'agit des
~tudiants
et des enseignants,
èe sont eux-mêmes qui
comptent .
.. ./ ...

141.
SECTION
II
LES
ENSEIGNANTS
L'objectif de cette étude sur les enseignants est
d'avoir un aperçu de leur univers,
donc de connaître
un peu leur vie, leurs idées, leurs attitudes
socio-politiques, leurs orientations ...
Il a paru suffisant, par rapport ~ cet objectif et
par rapport ~ la problématique centrale de cette
recherche,.de s'Bn tenir ~ une catégorie d'enseignants.
Ainsi, ont été retenus ceux de l'enseignement supérieur,
considérés habituellement et SRns autre forme de
proc~s comme des intellectuels.
Une enquête limitée sur les universitaires d'Abidjan
.a permis d'avoir un certain nombre de renseignements
et d'indications utiles sur eux,
extrapolables pour
l'essentiel ~ l'ensemble des universitaires d'Afrique
Noire.
Mais avant d'en arriver aux résultats de l'enquête,
il fhut d'abord répondre ~ c~rtaines questions:
les enseignants africains du supérieur,
combien
sont-ils? Quelie force représentent-ils ou préci-
sément quel poids 'sociologique ont-ils ?

142.
A _. POIDS SOCIOLOGIQUE DES ENSEIGNANTS: NOMBRE,
IJ1PORTAIJCE DE LEURS ORG.lUTISATIOIJS SY:JDICALES
1 - Nombre ôe.=; 'ensèignants du sUDér.ieur
L'Annuaire statistioue de l'UNESCO de 1980
donne les chiffres suivants pour les enseignants
des établissements du 3ème degré,
c'est-à-dire
des universités,
des écoles normales supérieures
et des écoles techniques s~périeures.
TABLEAU l - ENSEIGNANTS DU SUPERIEUR DES PAYS AFRICAINS
PAYS
AN:mE
NOI~BRE
PAYS
ANNEE
NOHBRE
Angola
1971
324
Mali
1977
450
Bénin
197·5
153
Niger'
1977
115
Burundi
1975
223
Nigeria
1975
5 019
Cam eroun
1971
278
Ouganda
1976
681
Centrafrique
1977
185
Sénégal
i975
412
Congo
1975
165
Sierra Leone 1975
289
Côte d "Ivoire 1973
368
Togo
1975
236
Gabon
1976
Tanzanie
1977
553
Ghana
1975
1 103
Tchad
1976
62
GUlnée
1965
95
Zai're
1973
2 083
Haute-Volta
1977
93
Li béria
1970
164
... / ...

143.
Ces chiffres permettent d'avoir une idée de la
masse des enseignants du supérieur qui, par leur
enseignement et leurs recherches conditionnent à
leur manière l'avenir deI 'Afrique.
Mais ces chiffres
ne font pas de différence entreles enseignants
africains ou nationaux et les enseignants étrangers
qui,
dans la plupart des pays africains sont les
plus nombreux.
Or,
si on peut supposer que .du
point de vue de l'enseignement et de la recherche
i l n 'y a peut ... êtr'e pas de différence en"tre les
de~x·groupes d'enseignants, rien a priori ne laisse
croire que nat~onauxet étrangnrs ont les mêmes
préoccupations nationales ou connaissent les mêmes
problèmes d'ordre social ou politique.
Il importe
par conséquent qu'on ait au moins une idée du
nombre des seuls Africains.
Le Répertoire des universités africaines,
publié
par l'Association des universités africaines,
dans
sa deuxième édition de 1976,
donne les chiffres
suivants pour les pays
ci-après et pour l'année
1974-1975.
... / .. ·

144.
TABLEAU II - ENSEIGNANTS AFRICAINS ET ENSEIGNANTS
ETRAIJGERS
Bénin'
83 Afri cains sur 128
Burundi
40
"
" 118
'Cameroun
173
"
" . 357
Rep. Centrafr.
Il
"
"
Congo
Côte d'Ivoire
172
"
" 391
Gabon
46
"
" 205
Haute Volta
18
"
"
72
IJi ger
47
"
" 118
RHanda
26
"
" III
Sénégal
199
"
" 480
Tchad
Il
"
"
69
Togo
57
"
" 245
Zaïre
(enseignants + chercheurs) 721
Ghana
868
"
" 1084
K-enya
365
"
" 666
Li beri a
117
"
" 207
Malawi
50
"
" 140
Nigeria
2 898
"
" 3927
Ouganda
·280
"
" 362
Sierra Leone
204
1\\
" 278
Tanzanie
322
"
" 541
Zambie
187
"
" 358
Ces chiffres donnent une idée du nombre des
enseignants africains en faisant voir que ceux-ci
sont en nombre insuffisant.par rapport aux étrangers .
..../ ...

145.
Mais ces chiffres ne laissent pas savoir clairement
s'ils concernent les enseignants et les chercheurs
ou s'il. s'agit des premiers exclusivement ou
encore s'il s'agit des seuls enseignants de
l'université ou de tous lesenseignants relevant
de l'enseignement supérieur (université, écoles).
Ces chiffres ne sont pas non plus comparables à
ceux fournis par l'Annuaire
Statistioue
de
l'UNESCO;
car ils ne correspondent pas aux
mêmes années et peut-être ne se rapportent pas
exactement aux mêmes groupes d'enseignants: par
exemple,
selon qu'on s'en tient aux seuls enseignants
des universités ou qu'on ajoute à ceux-ci .les
chercheurs ou les autres enseignants des grandes.
écoles, on n'aboutit pas aux mêmes résultats,
surtout si dans un cas on procède différemment
de
l'autre cas.
Quoi qu'il en soit, tous ces chiffres sont
apparemment approximatifs et n'ont de valeur
que relative. A l'heure actuelle, ils sont tous
dépassés,
aussi bien ceux fournis par l'Annuaire
Statistique de l'UNESCO que ceux du Rénertoire des
Universités africaines.
... / ...

J 46.
Dan~ le cas de lA Cate d'Ivoire par exemple, on
a pour la seule université s~~s les grandes écoles
les chiffres suivants
:
TABLEAU III - EVOLUTION DE L'EFFECTIF DU PERSONNEL
ENSEIGNANT DE L1UNIVERSITE
(1)
Année scolaire
1973/74 1974/75 1975/76 1976/77 1977/78 1978/79
Ivoiri ens
103
218
218
233
222
248
Français
202
153
198
223
258
304
Autres
18
12
15
19
28
43
Total
323
383
431
475
508
595
En 1978-79, i l Y avait donc 248 Ivoiriens enseignants
et cher~heurs à l'université d'Abidjan sur un total'
de 595,
ce qui représente moins de la moitié de ce
total; i l reste que ce chiffre de 248 n'est pas
excessivement bas.
(1) Extrait d'un tableau sur l'évolution de
l'effectif du personnel .de l'université in
V~ Diarrassouba, Lluniver~ité ivoirienne et
le développement de la nation,
Abidjan-Dakar
NEA 1979, p. 209

147.
Mais en fait,
aussi bien enC8te d'Ivoire que
partout ailleurs en Afrique,
ce que les enseignants
du supérieur et les autres enseignants représentent
et font a plus d'importance que leur nombre.
Les or~anisations enseignantes nJont pas besoin
de regrouper un millier de personnes ou plusieurs
cilliers pour être prises au sérieux par les pouvoirs
en place. C'est qu'elles sont des forces sociales
importantes,
des groupes de pression qui savent
se faire entendre.
2 - Les organisations enseignantes
Les enseignants sont organisés pOUF défendre' leurs
intérêts matériels et moraux; leurs syndicats
se réservent toutefois le droit d'intervenir sur
tout ce qui concerne l'.éducation et même sur les
problèmes nat~onaux de tous ordres.
Sur le plan structurel, dans certains pays, une
seule organisation syndicale regroupe tous les
enseignants du primaire, du secondaire et du
supérieur;
c'est le cas surtout dans les pays
où le parti domine toute la vie sociale.
.../ . ..

148.
Dans d'autres pays, ~I y a des syndicats enseignants
autonomes par niveau d'enseignement;
c'est le cas
en Côte d'Ivoire par exemple. Dans d'autres pays
existent un syndicat des enseignements secondaires
et supérieurs et un syndicat de l'enseignement
primaire;
c'est le cas en Haute-Volta.
Les organisations syndicales enseignantes,
en tant
que forces
sociales constituées par des intellectuels,
intéressent de manière particulière les pouvoirs
en place en Afrique. Ceux-ci tentent sans cesse de
les avoir pour eux plutôt que contre eux ;
ils tentent
de les avoir sous leur autorité à défaut de les avoir
directement à leur service.
Mais les organisations
enseignantes ne se plient pas toujours et tous au.
jeu des pouvoirs.
Il faut donc distinguer ·entre
les organisations qui sont affiliées aux partis
gouvernementaux et ceux qui sont pleinement
autono~es. Au Mali par exemple, le Syndicat National
de l'Enseignement et de la Culture
(S.N.E.C.) a
des liens avec le parti gouvernemental par le biais
de l'affiliation à celui-ci de l'Union N~tionale
des Travailleurs du Mali
(U.N.T.M.) à laquelle
il adhère;
au Sénégal,
le Syndicat National des
Enseignants du· Sénégal
(S.N.J:.S.)
est membre de
la Confédérati9n Générale des Travailleurs .du
Sénégal
(C.G.T.S.) affiliée au parti socialiste
(gouvernem entaI)
... / ...

149.
au Burundi, i l n'existe qu'une section EnseignantE
de l'Union des Travailleurs Burundais
(U.T.B.)
affilié
au parti unique
(UPRONA). Dans d'autres pays, les
syndicats enseignants sont entièrement autonomes
par rapport au parti gouvernemental.
Au Sénégal,
à côté duS.N.E.S. affilié indirectement au parti
gouvernemental existe le Syndicat Unique et
Démocratique des Enseignants du Sénégal
(SUDES)
qui
officiellement ne relève d'aucun parti. En
Côte d'Ivoire,
le Syndicat National de la Recherche
et de l'Enseignèment Supérieur
(SYNARES)
ainsi
que le Syndicat National des Enseignants du Second
degré de Côte ~'Ivoire (SYNESCI) ne sont pas
affiliés au parti unique
(P.D.C.r.)
; le syndicat
du primaire avait fait son adhésion au parti.
En Haute-Volta, le Syndicat Unique Voltalque des
Enseignants du Secondaire et du Supérieur
(S.U.V.E.S.S.)
et le Syndicat -National des Enseignants Africains
de Haute-Volta
(S.N.E.A.H.V.)
sont autonomes et
ne sont pas soumis au partigouvernem3ntal.
"Inféodées" aux partis gouvernementaux ou
autonomes, les organisations enseignantes
(particulièrement celles qui se situent en
dehors des partis)
essaient toujours de
s.'exprim~r sur les problèmes -de l'enseignement
et les autres problèmes nationaux.
... / .. ·

150.
Les enseignants ont conscience en effet d'être des
intellectuels de pays qui en manquent,
et ei
tant que tels ils se sentent le devoir d'exprimer
haut en face des pouvoirs ce que tout le rnvnde
~en~e bas ou ressent confusément, d'assurer
une fonction de critique sociale pour éveiller
les consciences et permettre aux autres catégories
et couches sociales de voir clair dans ce qui se
passe dans la société.
Les enseignants organisés se présentent comme des
.
-
forces sociales-avec lesquelles les pouvoirs sont
obligés de compter. Ceux-ci,
de leur côté,
conscients
du fait que la "passivité" des organisations
enseignantes sert la "paix sociale" qu'ils recherchent,
essaient parfois de ménager les en~eignantsou
évitent de les provoquer directement~ Mais lorsque
d'aventure les enseignan~s sont obligés d'engager
une action
(manifestation,
grève), les pouvoirs
paniquent à l'idée qu'une telle action pourrait
diffuser un effet d'entraînement dans les autres
catégories socio-professionnelles ou qu'elle
pourrait faire apparaître aux yeux des créanciers et
investisseurs étrangers le malaise social qu'on
tente de leur masquer : ils répriment alors les
..... / .....

151
"fauteurs de trouble", les "agents de la
déstabilisation" par les moyens aussi efficaces
que les arrestations, la dissolution des syndicats,
la suspension de salaire ou la radiation du corps
professoral. Ils n'apprécient guère les grèves et
les manifestations,
et ils tentent toujours de les
récupérer politiquement et de les retourner contre
les enseignants en les faisant passer pour des
"irrespoYlsables" et de surcroît pour des ingrat.s à
l'endroit du "père" de la nation qui a tout fait
pour le pays et leur a tout donné.
La presse au
service des pouvoirs se charge d'orchestrer toute
une campagne de dénigrement contre eux : elle montre
combien les enseignants sont des enfants gâtés,
jouissant de conforts énormes;
elle va parfois
jusqu'à publier leurs salaires, les gonflant à
dessein pour dire que ;Les "revendicards subversifs"·
sont bien parmi lesprofiteurs du régime qu'ils
po~rfendent, et qu'ils n'ont rien à voir avec la
masse des populations.
Les pouvoirs frappent habituellement d'autant plus
fort qu'ils comprennent bien que les revendications
des enseignants ne se limitent pas à des questions
matérielles; ils perçoivent bien l'aspect politique
des problèmes que les enseignants posent ou soulèvent .
. ../ ...

152
Les pouvoirs n'acceptent justement pas que les
enseignants se mêlent de politique
et ils ont
tendance ~ voir dans les syndicats enseignants des
organisations d'opposition.
C'est pourquoi ils les
tiennent ~ l'oeil et les accusent souvent d'~tre
responsables ou à l'origine des agitations estudiantines.
Orles enseignants,
qu'ils obtiennent gain de cause
~ leurs revendications ou qu'ils subissent la
r~pression, ne sont pas tou~ dispos~s ~ se taire
et ~ se faire les h~rauts ou les griots de partis
ils tiennent ~
faire
entendre
leur point de
vue sur tout ce ~ui concerne l'~ducation et sur
tous les problèmes de leur pays.
Les difficult~s
et les conflits avec les pouvoirs en place sont
donc inévitables.
.../ ...

153
B.
- ENQUETE SUR LES ENSEIGNANTS ET CHERCHEURS
ABIDJANAIS
Cette enquête menée dans le but limité
d!avoir
quelques informations sur l'univers des enseignants
porte sur un échantillon au hasard d'~niversitaires
abidjanais.
Des 130 questionnaires distribués
(1)
dans leur casier à lettre,
dans les facultés
de
lettres,
de sciences,
de droit et sciences écono-
miques,
à l'E"col~ Normale Supérieure, ~eulement
43 ont été retournés remplis (2). C'était en
juin 1980. Les -réponses provie~nent des assistants
et maîtres-assistants ou des attachés de recherche
et chargés de recherches.
Un ou deux rares enseignants
de rang magistral" auraient répondu au questionnaire.
Le nombre relativement faible des universitaires
qui ont répondu au questionnaire laisse présumer
que les universitaires n'apprécient peut-être pas
beaucoup
être objets de recherche
:
sans doute
à cause, entre autres choses, des contextes socio-
politiques qui prévalent en Afrique.
.../ ...
(1)
Le texte du questionnaire
est à
!
l'Annexe
(2) Les 43 réponses se répartissent comme suit
dans les facultés
et à l'ENS:
faculté de
l e t t r e s : 13
;
faculté de sciences: 4
faculté de d~oit : 5 ; ENS : 15 ;
sans précision
de la faculté ou de l'école:
6

154.
Quels sont les résultats de cette enquête et
que peut-on en dire ?
1
- Caractéristiaues sociales des universitaires
a) Q~~g~~~_~~~~~!~_~~~_~~~~~~~~~~~~~~
A part 8 personnes qui n'ont pas précisé la
profession de leur père,
beaucoup d'universitaires
disent qu'ils sont issus de familles paysannes
(40 % soit 17 personnes). rrois universitaires ont
ou avaient leur père gérant de magasin ; les pères
de 7 autres étaient ou sunt des fonctionnaires
(commis expéditionnaire,
agent administratif,
instituteur,
etc.). Parmi les autres pères d'uni-
versitaires abidjanais,
on trouve 1 ouvrier
agricole, 1 ajusteur, 1 commerçant~transporteur,
1 catéchiste, 1 pêcheur, 1 syndicaliste,
etc.
La plupart de ces universitaires ont été scolarisés
par leurs propres parents
: 30 universitaires
soit 70 % doivent à leur père d'être allés à
l'école. 10 universitaires soit 23 % ont été
scolarisés par leurs oncles. 2 l'ont été l'un
par un frère,
l'autre par un parent.
.../ ...

155.
Les personnes qui ont scolarisé les universitaires
interrogés sans en être les parents directs sont des
paysans
(8) pour la plupart ou des instituteurs
(2),
l
employé de commerce,
l
agent de l'admin~stration
et l' commerçant.
Sur ces 13 personnes,
5 savent
au moins lire et écrire.
Quant aux p~res eux-m~mes, ~ part 5 dont le, niveau
d'études n'a pas été indiqué, 19 d'entre eux,
soit
44 % sont analphab~tes dans la culture occidentale
10 so"i t
23 % ont .le niveau d'études primaire;
ri
soit 16 % ont· le niveau d' études secondaire
de l'Ecole Primaire Supérieure ou de l'Ecole
William-Pont y ;
et 2 auraient le niveau
uRiversitaire
(l)~
Il Y a donc environ 44 % des p~res qui savent ou
savaient au moins lire et écrire.
Cette information
est assez en conformit~ avec l'idée selon laquelle
ce sont les p~rents lettrés qui, parmi les premiers,
ont scolarisé leurs enfants.
... / ...
(1) Sans doute la ques~ion sur le niveau d'étude des
parents aurait dû préciser de prendre en compte
le niveau des parents au moment de l'entrée à
l'école des enfants.
Quand 2 personnes d~clarent
que leurs p~res sont de niveau universitaife,
on ne sait pas bien si
ce niveau a
été acquis
apr~s coup ou au moment o~ le fils entrait à
l'école.
'

156.
On doit noter que ce pourcentage de 44 %est
relativement élevé car i l ne correspond pas à
celui du taux de scolarisation dans la population
ivoirienne au moment où les universitaires
entraient à l'école primaire. Et on peut accréditer
.
.
.
l'idée selon laquelle un nombre non négligeable
d'universitaires et de cadres d'aujourd'hui sont
issus de pères lettrés et donc de familles
relativement moins pauvres que la plupart de
celles qui n'ont pas pu bénéficier des "bienfaits
matériels" de l'instruction.
Beaucoup d'universitaires
(40 %) reconnaissent
avoir pu faire des études grâce à des mil~eux(ou
des circonstances) particulie~s dans lesquels il?
ont été placés
ces milieux sont divers.:
certains
universitaires citent le séminaire ou le pensionnat
des missionnaires, l'internat public;
d'autres
évoquent un environnement socio-culturel
(parents
instruits,
tutelle d'un instituteur, milièu
urbain,
parents fonctionnaires ••• ).
.../. ..

157.
Ainsi,
un certain nombre de contingences d'origine
sociale ont marqué l'existence des universitaires.
Celle-ci est aujourd'hui encore conditionnée par
des responsabilités de toutes natures qu'ils peuvent
assumer.
Nous nous intéres~erons aux responsabilités
familial es.
b) Responsabilités familiales des universitaires
---~---------------------------------------.--
Les universitaires abidjanais sont-ils généralement
célibataires, mariés ou divorcés ? O~t-ils des
enfants ? Quel en est le nombre moyen ?
32 enseignants sur 43 sont mariés,
soit 74 % ;
2 sont divorcés
et seulement 9 sont célibataires,
soit 21 %.
Les universitaires sont pour la plupart -si on en
croit ceux qui ont répondu à cette enquê~e-, des
gens "établis" qui sans doute sont obligés de
tenir compte de leur état de marié et de
responsable de famille quand viennent des moments
de décisions importantes et d'actions politico-
sociales par exemple.
Ils doivent sans doute
mettre en balance aussi le fait qu'ils ont des
enfants.
.... / .. ·

158~
TABLEAU IV - NOMBRE D'ENFANTS DES UNIVERSITAIRES
NOMBRE ACTUEL D'ENFANTS
NOMBRE MAXn1UM SOUHAITE
D'ENFANTS
EFFECTIFS
ENFANTS
EHFAHTS
EFFECTIFS
D'UNIVERSITAIRES
D'UNIVERSITAIRES
.
0
6
0
1
2
l
2
9
2
2
3
10
3
9
4
5
4
7
5
4
5
14
6
5
6
9
7
l
7
1
A l'exception d'une personne qui n'a pas donné de
r-éponse à la question sur le nombre d'enfants,
tous
les universitaires enquêtés ont dit le nombre
d'enfants qu'ils ont et le nombre qu'ils désirent
atteindre. Parmi ces universitaires, 6 n'ont pas
encore d'enfants;
tous les 36 autres
(y ~ompris
des célibataires qui ont respectivement 2, 3 et
4 enfants) ont un nombre relativement élevé
d'enfants: il y a une moyenne de 3,5 enfants,
c'est-à-dire se situant entre 3 et 4.
... / ...

159.
Lorsqu'on compare les nombres d'enfants existants
et lesnombres maxima souhait~s d'enfants, on constate
qu'aucun universitaire ne souhaite ne pas avoir
d'enfant ni se limi ter à
1.
seul
seules
<-
personnes en d~sirent
~. S'il Y a
~
personnes
à avoir actuellement
5'
enfants,
i l y a
.rf4
qui en voudraient
5
s ' i l y a
~
personnes
qui en ont
6 , i l Y a
:.J
qui en souhaitent
b .
Et le nombre maximum moyen souhait~ par les
universitaires est
4
;
le mode statistique
est
S
On peut donc observer que les universitaires sont
nombreux à être des pères de famille et à avoir
des charges familiales
;
et i l semble que leurs
responsabilit~s familiales s'alourdiront avec le
temps si on en juge par le nombre d'enfants qu'ils
souhaitent avoir.
Les responsabilit~s doivent sans doute peser
sur leur disponibilit~ à engager diff~rentes
activit~s, luttes sociales avec risque par exemple,
ou à accepter d'assumer diverses autres responsabilit~s.
Mais cela ne veut pas dire bien sûr que les univer-
sitaires n'ont le loisir de rien faire d'autre que
de s'occuper de leur famillû.
Ils participent à
diverses activités,
sociales,
culturelles,
parfois
~conomiques, voire politiques.
. .. / ...

160.
2 - Activités culturelles.
socio-culturelles et
économiques
des
universitaires.
a) Les activités socio-culturelles et culturelles
Un certain nombre d'universitaires parmi les
enquêtés
participent à des associations du genre
associations villageoises
(30 %~ ou régionales
(19 %) de développement. Dans ces associations,
ils exercent régulièrement des responsabilités en
tant que présidents,
vice-présidents, membres du
bureau exécutif,
animateurs de commissions socio-
culturelles,
etc.,
ce qui prouve qu'on leur fait
confiance et qu'on compte sur eux.
Pfusieurs d'entre eux
(30 %) adhèrent à des
associations de bienveillance au niveau national
(seulement 7 %) et au niveau international
(14 %)"
quand ils sont membres de ces associations,
ils
y ont des responsabilités.
Un certain nombre d'entre eux ont déclaré être
membres d'associations culturelles nationales
(28 %) ou internationales
(30 %).
.../ . ..

161.
Lorsqu'il leur est demandé:
"Avez-vous des activités
culturelles? ", 16 %ne donnent pas de réponse,
33 % disent "non" et 51 % répondent "oui". Et les
activités culturelles auxquelles ceux-ci se
livrent ou participent sont les conférences,
les
séminaires, la "réflexion personnelle", la
lecture,
la musique,
le théâtre,
etc •
.\\Le:
\\
Avec quelle fréquence tx~ participen~~ou assistent-\\L&
à certaines activités culturelles comme les
conférences et le théâtre? Pour les conférences,
30 % (soit 13 personnes) affirment y participer
souvent,
42 % (soit 18 personnes) quelquefois,
23 % (soit 10 personnes) rarement, et 5 % jamais.
Pour le théâtre,
16 % (soit 7 personnes) déclarent
y aller souvent,
51 % (soit 22 personnes) quelquefois
et 33 % (soit 14 personnes) rarement.
Si on tient compte du fait que la fréquence des
cànférences et des représentations théât~ales
à Abidjan n'est pas très régulière~ on doit
noter que les universitaires assistent au
théâtre ou aux conférences assez souvent .
. ../ ...

1'62.
Beaucoup d'entre
eux vont aussi au
cinéma,
avec
l'intention précise de se distraire
(56 %) et/ou
de se cultiver
(58 %). Quelques personnes soulignent
qu'elles y vont "pour voir
ce à quoi la société
s'abreuve
(pollution culturelle)" ou
"pour passer
le week-end" ou pour s'évader.
Lorsqu'on interroge les universitaires sur la presse
qu'ils lisent,
on se rend compte que,
mis à part
le quotidien ivoirien Fraternité-Matin et
l'hebdomadaire Ivoire-Dimanche
(I.D.),
cités le
premier 22 fois et le second 10 fois,
les revues
et les journaux les plus lus par eux sont dans
l'ordre:Jeune-Afrique
(citée 30 fois),
Le ,Monde
(cité 20 fois),
Afrique-Asie
(citée 9 fois)
suivis
par le Canard enchaîné
(4 fois), Le Nouvel Observateur-
(4 fois), l'ex Demain l'Afrique (4 fois), Le
Monde Diplomatique
(3 fois), etc.
Apparemment, les universitaires abidjanais lisent
surtout les hebdomadaires et les quotidiens qu'ils
trouvent facilement sur le marché;
certains
jourriaux n'y existent pas,
par exemple L'Humanité
qui n'êst pas vendue en Côte d'Ivoire.
Il reste
qu'on ne peut -pas écarter totalement l'hypothèse
d'une
certain~ relation ent~e leur lecture et leur
opinion ou leur orientation politique.
. .. / .. ·

163 .
Il semble significatif d'unecertaine tendance,
par exemple qu'ils ne citent pas des journaux
français nettement de droite comme LB Figaro,
L'Aurore ou des hebdomadaires comme L'Express,
Le Point, qui sont vendus à Abidjan.
b) Lesactivit~s d'ordre ~conominue
----------------------------~_.-
A la question : "Avez-vous des investissements
dans
... ",
les différents domaines ci-dessous,'
les universitaires abidjanais ont donn~ les
réponses suivantes
TABLEAU V -DOMAINES D'INVESTISSEMENTS DES UNIVERSITAIRES
Plantation
4
14 %
ImI:1obilier
14
48 %
Transpo.rt
2
7 %
Cor:;merce
6
21 %
Industrie
Elevage
1
3 %
Enseignement
1
3 %
Autre secteur
l
3 %
(à préciser)
14 ,personnes ,ont déclaré n'avoir aucun investissement
dans aucun domaine;
quelques personnes d'entre
elles ont précisé: "Aucun par principe" ;
"Je n'ai
aueu;: in',"."stjsse::'ènt nulle part. Je vis de mon
salaire r::ens1.:el".
" " "l " " .

164.
8 autres n'ont pas répondu à la question posée,
laissant planer le doute sur leur cas.
21 personnes sur les 43 ont des investissements
certaines parmi elles en ont dans différents
domaines à la fois,
parfois
jusqu'à quatre,
ce
qui
explique l'effectif de 29 sur le tableau au
lieu de 21. L'immobilier est le domaine où les
universitaires abidjanais investissent le plus
(48 % des dOJ:laines d'investissements)
; le
domaine du commerce-industrie suit
(avec 21 %), puis
les plantations
(14 %) et les transports
(7 %)
;
ensuite les domaines de l'élevage,
de l'enseigne8ent
et un autre non précisé.
On constate donc que pr~s ~e la moitié des
universitaires enquêtés ont des investissements
dans différents domaines économiques -et on ne
consid~re pas les ~ctions et lesplacements qu'ils
peuvent avoir dans les banques et dans les sociétés.
Probablement le pourcentage de pr~s de 5~ %
d'universitaires enquêtés,
propriétaires de biens,
est en-dessous de la réalité:
on aurait sans
doute un pourcentage nettement plus élevé que
les 50 % si les enseignants de rang A avaient
été plus nom2reux ou les plùs nombreux à
subir le
questionnaire, d'enquête.
... / .. ·

165.
On doit prendre acte par cons~quent du fait qu'en
Côte d'Ivoire, avec la course effrénée au gain,
un bon nombre d'universitaires ne se jugent pas
assez dupes pour se mettre en dehors ou a~-dessus
des'considérations d'accumulation économique: il
ne leur est pas indifférent d'accéder à des positions
d'enrichissement, susceptibles de les conduire
à des positions de pouvoir ou en tout cas d'assurer
l'avenir de leurs enfants dans un pays où apparemment
en deviendront demain les maîtres ceux qui
pC8s~dent des biens et de l'argent -du moins
si les choses continuent 'd'all-er comme elles ont
,
commence.
Mais si on peut comprendre que certains universi-
t ai r e s ve u i 11 eri t
"h url e r a v e c les' 10 uP s ",on n e
peut pas s'empêcher de noter qu'ils se laissent
piéger par le système économique et politique
en place qui contraint à l'embourgeoisement. Que
les en~eignants en grand nombre rejettent
idéologiquement l'orientation capitaliste de leur
pays s'ils le veulent, le pouvoir en place trouve
en eux des alliés obj~ctifs. Il est persuadé
en effet que, pour se protéger et se pérenniser,
il n'a qu'à développer les mécanismes d'acqui-
sition des biens et des privilèges.
. .. / .. ·

160.
Mais le pouvoir ne se trompe-t-il pas un peu en
imaginant tous lesuniversitaires d~vor~s par un
même feu de devenir des propri~taires et prêts
à se mettre à son service ? Sans doute a-~-il pour
lui 'des atouts que sont
: la n~cessit~ pour ceux
des intellectuels qui possèdent des biens de
d~fendre leurs int~rêts, l'affairisme environnant
avec ses
"r~sultats suectaculaires" sur des
~
.
voisins ou des amis
connus,
le d~chirement
permanent entre res positions th~oriqu~s des
ir.tellectuels et leur situation et leurs pratiques
concrètes •••
Il reste tout de ~ême que le pouvoir
n~ compte pas avec la possibilit~qu'ont beaucoup
d'enseignants de profiter du régime et de ne pas moins
le d2noncer pour autant,
ou même de le combattre
par tous les ]lloyens • Ce que les enseignants
propagent en effet autour d'eux et dans leurs
~crits, ce n'est pas l'odeur de leurs avoirs
mat~riels, ce sont leurs id~es, leur vision du
mande;
ce qu'ils manifestent facilement autour
d'eux,
ce sont leurs opinions et attitudes
socio-politiques.
... / ...

3 - Les orientations socio-politioues du milieu
universitaire
On a tent~ d'appr~hender ces orientations ~
travers quelques questions d'apparence neutre
~elatives au milieu intelle~tuel lui-même,
~ la manière dont les universitaires se situent
et se croient situ~s dans l'échelle sociale, ~
ce qu'ils supportent le plus difficilement ~
l'heure actuelle,
~ leurs pr~férences pour des
personnalit~s et des pays africains et du monde,
~ leur appr~ciation del'O.N.U. et de l'O.U.A.
Commençons par d~couvrir ce que les universitaires
disent au milieu intellectuel.
La question posée ~tait ainsi formulée:
"Existe-t-il,
~ ·votre avis, un milieu qu'on peut appeler "le milieu
intellectuel" ou celui des diplômés ?".
Il fallait
,
d
.
t~"
E t · 1
' t
. t
, . ,
repon re par OUl ou~non.
l
e al
preclse
:
"Si oui, par quoi
se caractérise-t-il surtout ?"
"Si non,
comment expliquez-vous la non existence
de ce milieu ?"
... / ...

168.
5 personnes n'ont pas répondu à ces questions;
8 personnes ont affirmé que ce milieu n'existe
pas en tant que tel
;
2 autres ont noté que
s ' i l existe,
i l l ' e s t à l'état embryonnaire
33 soit 77 %des enquêtés ont posé l'existence
de ce milieu comme un fait.
Et selon ces 33 universitaires,
ce milieu peut
être caractérisé de trois manières
. ,
de manlere formelle,
par la for~ation et le niveau
de vie des gens apparte~ant à ce milieu.
Ce milieu se ca,ractérise
"par une certaine formation
intellectuelle de base",
"par la possession de
dipl ôm e s supéri eurs",
"par l ' 8xBrcice d'une pro fes sion
spécialisée se rattachant à la formation scolaire,
technique et universitaire"
"c'est un milieu de
production qui 'est détaché de la production manuelle".
Il se caractérise aussi
"par un salair~ élevé",
"une ai,sance matérielle",
"un niveau de vie élevé,
une éducation appropriée donnée aux enfants" .
. . ../ ...

169.
- par des attitudes et comportements
Ces attitudes et comportements sont valorisés ou
dévalorisés.
1
Si on considère les attitudes et comportements
valorisés, on note que d'après les universitaires,
ce milieu se caractérise par "sa manière particulière
d'appréhender les problèmes de la vie courante
manière influencée par l'éducation scolaire et
universitaire où prédominent la science et la
philo sophi e",
par "un certain compo r-~,em en t
dan s
la vie,
en particulier Ul'e ouverture d'esprit",
"un
esprit critique et la conscience d'appartenir à
l'élite
(conscience de classe)" ; par "un certain
état d'esprit s'extériorisant dans le langage
et le comportement,
dans les relations hèlffiaines".
C'est un milieu qui
"s'intéresse aux choses de
l ' espri t,
analyse les fai ts sociaux et politiques",
"s'intéresse à ce qui se passe autour de lui et
n'est pas uniquement préoccupé par l'argent".
Bref, i l se caractérise "par un type de discours
(~nalyse, raisonnement, conception)". Il est aussi
un "groupe de pression qui se caractérise justement
par son pouvoir de persuasion plus ou moins direct" •
.../ .. ·

170.
N~gativement, des universitaires notent que ce
.
.
milieu se caractérise "par son acculturation",
"par de grandes discussions
creuses et coupées
des r~alités et de la mis~re quotidie~ne des autres",
"par des querelles. idéologiques",
"par une lutte
d'influence pour appara!tre intellectuel",
"par un
sentiment de suffisance mêlé de m~pris pour ceux
qui ne sont pas comme eux",
"par l'exclusion des
autres
création de castes",
et aussi
"par la
course à la "place",
aux honneurs".
Voilà donc dessiné à gros traits le milieu
intellectuel.
On observe premi~rement que ce
milieu décrit est pratiquement celui des univer-
sitaires laissant voir que pour beaucoup de
ceux-ci
l'intellectuel c'est l'universitaire: le milieu
intellectuel dépeint ne semble pas intégrer les
autres intellectuels professionnalisés tels que
les cadres ou les intellectuels aux respon~abilités
administratives ou politiques ou les hommes de loi
et autres. Deuxi~mement, on constate que les
appr~ciations sur le milieu intellectuel sont à la
fois négatives et positives.
On peut faire
l'hypoth~se qU'il existe dans ce milieu des personnes
qui assument et affichent des attitudes et compqr-
tements attendus comme dign~s' d'un intellectuel
tandis' que d'autres je~eraient sur ce milieu un
d~scrédit par leurs conduites.
... / ...

171.
La 4ichotomie entre vrais et faux intellectuels
pointe l~. Mais on doit savoir que si les
attitudes et comportements positifs ~u négatifs
peuvent être le fait de personnes distinctes,
ils
peuvent aussi se manifester dans une seule et
même personne traduisant chez elle,
comme dans
le milieu intellectuel tout entier,
un déchirement
entre une certaine transcendance et une déter-
mination historique.
Lorsqu'on considère les ré~onses des universitaires
qui ont affirmé qu'il n'existe pas de milieu
intellectuel,
·on a les eX:Jlications suivantes:
"Le
contexte socio-politique ne permet pas l'éclosion
d'un pareil milieu" ;
"Le contexte socio-poli tique
marginalise ce milieu qui
en définitive n'existe
pas parce que ne
jouant pas son rôle"
"le manque de liberté d'expression"
" "une
certaine méfiance,
un manque de confiance réc~proque
et une' certaine jalousie". Et puis,
1.::.
fait que
"les universitaires sont hétéroclites" pour former
Ull
vrai milieu
se tradui t par "la division
et la conscience de ne pas appartenir ~ une
même classe". Sans doute aussi,
"l'inconscience,
le goût forcené du matériel,
l'absence d'un esprit
rrationaitlfont que ce" milieu n'existe pas réellement •
. ../ ...

172.
Les .raisons vont donc de la mise en accusation
de la situation socio-politique & celle des
attitudes et comportements des intellectuels
eux-mêmes et tendent à montrer qu'un milieu
proprement intellectuel et serein n'est pas encore
un état de fait.
Quant aux personnes qui pensent que
ce milieu est
"embryonnaire",
f1 en
gestation ll ,
elles se justifient
en disant que ce milieu n'a pas encore de
consistance,
qu'il est sans
cohésion: i l n'a pas
une conscience identique 0U identifiée de lui-m~me
en tant que groupe.
La question demeure ainsi posée de savoir s ' i l
existe un milieu ~ntellectuel ou non.
Si l'on insiste sur l'idée d'un milieu homqgène
reposant sur une communauté d'intér~ts et partageant
une m~~e orientation idéologique ou pclitique
et ignorant les ghettos,
on est évidemment amené
à tefuser d'admettre l'existence d'un tel milieu.
Mais i l n'est pas absurde de penser un.milieu
non
homogène de
tous ceux qui se reconnaissent avant
tou~ comme intellectuels ou.sont désignés comme
tels pa~ les autres (n'est-on pas en effet toujours
l'intellectuel de quelqu'un ?).
... / ...

173.
Ce ne sont pas les intérêts conflictuels qui
empêchent un milieu d'exister,
ils pourraient même
parfois aider à m constituer ou même à le
caractériser. Et ce n'est pas non plus le ~ontexte
socià-politique qui interdit l'existence d'un
milieu,
i l pourrait au contraire exac~rber les
contradictions en son sein et faire du conflit
un élément "naturel" de ce milieu,
divisé souvent
aussi dans son rapport aux classes.
h) ~_g~~~~~_~~~~~~_~~_~~~~~~_~~~_~~!~~~~~!~~~~
~EE~E!~~~~~~!:~~~_Z_~~E~~E!~~~_~~_~~~E_2~~~~
dans l'échelle sociale.
Deux questions ont été posées aux enseignants
et chercheurs abidjanais
Question A :
"Comment vous placez-vous dans
l'~chelle sociale? A quelle couche ou classe
croye~-vous appartenir ?
Question B :
"A quelle couche ou classe croyez-vous
qu'on pense que vous a'ppartenez ?"
..."/ ...

174.
TABLEAU VI - PLACE PERCUE DES INTl~LLECTUEL.3
DA:;S
LA STRUCTURE SOCIALE
Réponses
AI B
A-B
Avec parfois les précisions suivantes
pour A ou B ou A etB
Sans réponse]
5
- 2
Je ne sais
0
1
- 1
pas
Aucune
1
0
+ 1
Couche
Pour B :
"Un grand fonctionnaire
in telloecUie1 e 5
4
+ 1
intellectuel tl ;
tlPour les cadres,
nous sommes des universitaires
(critiques
théoriques)"
Pour A et B : "La couche intellectuelle
aisée".
Cadre
9
7
+ 2
Pour A :
'~'Jn cadre très moyen" ; "Un
cacire supérieur" ;
"Un fonctionnaire
1 de la'catégorie A (agent
de déci~ion,
ni plus ni moins)"
Pour B :
"Un haut cadre" ;
"Un cadre
1 supérieur tl ; "Pour les~ bourgeois,
nous sommes de.s cadres
(intellectuels) ";
"Le petit peuple sait que je suis cadre
crest-~-dire de le moyenne bourgeoisie".
Classe ou
14
6
+ 8
Pour A :
"Gens qui vivent sans extra-
couche
vagance mais déceY!lment" ;
"Eèonomi-
moyenne
quement,
classe moyenne"
Pour B :
"La couche moyenne clest-~­
dire les moins exploi tés" •.
Petite
4
2
+ 2
Pou l' B :
" tH 1 i eu pet i t
b0 U l' g e 0 i s" ;
bourgeo:is:ie
"La grande bourgeoisie sait que
j 'appartiens ~ la petite bourgeoisie"
Classe des
2
0
+ 2
Pour A : "•.• des exploités qui se
exploités
laissent exploi ter",
"A la couche des
exploi tés".
Classe ou
Pour A :
"A la bourgeoisie, c'est-~-
couche
dire la classe de ceux qui ont par raI1'ort
bourgeoire
~ ceux qui n'ont pas" ; "A la couche
su p é rie..lre
des exploi teurs" ;
"A la plus haute
(des priviligiéq
couche sur le plan de la profession" ;
des dcmiŒnts)
!!.A l'échelle sociale supérieure".
Pour B :
"A la couche dominante"
;
uA
la cou che des ri ches" ;
"A la cou che
des privilégiés",
"des bien payés",
"de ceux qui ont réussi leur vie" ;
,,~ la classe; supérieure", "A labour-
1
geoisie",
"A la bourg-8oi8ie ùu fait
1
de ma profession et de mon niveau".
l
1
Pour le8 ;,aysans, nous SO:Jme8 les plus
1
j
I-------_J.---L_~I ha ut si t 11 t~ S ( soc i ::! ] el" en t ) "
1
'--.-.........------_._._----...,.....-...---------------_.-

175.
Qu'observe-t-on'?
D'après les écarts A-B, les universitaires abidjanais
ont d'eux une perception qui ne corncide pas forcément
avec celle qu'on peut avoir d'eux.
Ils emploient de
.manière générale des termes comme Hcouche intellectuelle H,
Hcadre H,
Helasse moyenne H,
Hcouche moyenne H ou
Ilpetite bourgeoisie H pour se situer en fait entre
les classes fondamentales,
conformément à l'orthodoxie
marxiste;
encore qu'il s'en trouve pour penser que
les intellectuels sont de la couche des exploités ou
alors pour dire nettement que les intellectuels
appartiennent a ilIa couche des privilégiés ll , Hà la
classe supérieure ll ,
Ilà la bourgeoisie H.
A travers la manière dont ils se projette~t dans
la perception qu'on a d'eux, ils reconnaissent qu'ils
ne sont pas classés comme eux-m&mes ont tendance à
se classer en général. En particulier l'écart A-B =
- ~5 dans le classement effectué par rapport à la
classe supérieure ou des privilégiés montrent que
pour Hon", ils sont avant tout
de la classe dominante.
Ainsi,
"on ll ne classe pas les intellectuels comme
ils ont une tendance majoritaire à se classer .
.../ . . ".

176.
Qui faut-il croire: les universitaires ou "on"
(voulu volontairement le plus indéfini possible
pour permettre toutes les projections
(et donc
l'évocation de tous les personnages) possibles)
?
Beaucoup d'universitair,es se satisfont de se
conformer à la théorie marxienne des classes
antagonistes et considèrent les intellectuels
comme appartenant à une couche entre les classes
fondamentales dont ils d~fendent conflictuellement
les intérêts opposés.
"On" ..tend à.avoir une
perception globale des intellectuels et dans un
"réalisme totalitaire" exagère la cohésion et
l'homogénéité du groupe des intellectuels.
Il reste que,
si on ne s'enferme pas d~ns un
économisme étroit· ne tenant compte que du seul
rapport de propriété, mais si on considère
l'ensemble des ressources et des possibilités
effectivement utilisables dont peut disposer un
individu
(1),
on peut comprendre le point de
vue de "on" et comprendre aussi pourquoi P.
Bourdieu
par exemple affirme que les intellectuels
(:1,) Un individu peut disposer· selon "la distinction"
de P. Bourdieu,
d'un capital culturel,
d'un
capital social
(capital de relations, d'honora-
bilité. de respectabilité), d'un capital économique •••
qui peuven t
se I:J (JI] llay e l' par exer.: pl e en carri ère
politique. La possibilité existe aussi de la
reconversion d'une esp~ce de capital dans
une autre.

177.
"sont en tant que détenteurs de capi tal
cul turel, .
une fraction
(dominée)
de la
classe dominante"
(1).
En effet,
une classe n'est-elle pas définie
"par son être-peL.Ç.2:! autant que par son ~tre, par
sa consommation-qui nIa pas besoin d'être ostentatoire
pour être symbolique- autant que par sa position dans
les rapports de production
(même s ' i l est vrai que
celui-ci
commande celle-l~)" ?
(2).
Il semble que les universitaires
se classent dans
"la couche moyenne" pour 0tre en conformi té· avec
le marxisme mais aussi parce que le lieu de la
couche moyenne est celui d'où,
"libres",
au-dessus
de la mêlée en quelque sorte,
ils peuvent prétendre
parler aux et pour les classes en-dessous ou au-dessus.
Les intellectuels ne se veulent-ils pas des porte-
parole des classes en même
temps qu'ils sont préoccupés
par tout ce qui
concerne la société entière ?
... / ...
(1)
Bourdieu
(p)
Questions de sociologie, Paris,
Ed.
de Minuit,
1980, p.
70
(2)
Bourdieu
(p)
La distinction,
Paris Ed.
de Minuit,
1980, p.
564

178.
c)
Q~_9~~_~~~_~~~~~E~~~~~E~~_~~EE~E~~~~_~~_E~~~
difficilement ~ l'heure actuelle
Voici sur ce tableau 7 les réponses des universitaires
à cette question précise : -"En tant qu'intellectuel,
qu'e~t-ce que vous supportez le plus difficilement à
l'heure actuelle 1"
[- Réponses relativeslNombre
Exemples de réponses
aux :
Ide fois ,
l.~estions socia~
29
. L' inj us tice socin.le
10
"L'injustice sociale qui règne actuel-
lement ll ; ilLe fossé qui se cr~use de
1
plus en plus entre les couches sociale~
l'inégale répartition des biens,plus
1
particulièrement l'exploitation des
1
couches les moins favorisées
(prix
i
dérisoire èes produits,
salair~s
1
~~~~~9~~~~2~
.~_~
~_~
1'
.La corruption
7
La corruntlon F"enerallsee
---------~---~-~-----------------------I
.Le détournement
5
"La quiétude de tous ceux qui ont volé 1
des deriers pu blics
l'Etat et ne seront jamais inquiétés ll ;
ilLe gc.spillage des deniers publics
avec une impunité qui frise l'incon-
science"
.Divers
7
IILa ruée de tout le monde vers l'argent,
y compris les intellectuels", ilIa
1
dégradaticn des moeurs" ...
I - - - - - - - - - - - - - t - - - - - t - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
2. Q.uestirns poJiti~.ê.
21
.Politique
14
"Absence de démocratie";" ... de
intérieure
liberté politiquelt,"de liberté
d'expression":
"l'autoritarisme",
"le totalitarisme",
"l"apathie
politique",
"la passivité des
Ivoiriens quand il s'asit d'autres
~0~~~~_9~~_~~_~~~~g~~~~:::
_
.Politique
9
"La connerie politique qui entraine
extérieure
le blocage ~conomique et politique
de mon payslt;ltla domination totale
de mon pays par l' étranger ll : "1 1 invasion
de la Côte d'Ivoire par les étrangers
de tout acabit qui nous méprisent au
plus haut point": "l'impossibilité
d'être nous-mêmes": ilIa non-considé-
ration par le pouvoir des aptitudes
et comp~tences réelles des intellec-
tuels Ivoiriens au profit des non-
l
Ivoiriens"; Ille manque de dignité
,
1 nationale"
.
--.J'----
---I

179.
(suite)
.Réponses rel~tives
Nombre
Exemples de réponses
aux :
de fois
3.Intellectuels
13
"La misère intellectuelle", "la
Vie :inteJ.lecmelle
paresse intellectuelle l1 ,"l'orgueil
des intellectuels", "la mauvaise foi
de certains intellectuels","la
tendance de certains intellectuels
à joueraux révolutionn2ires qu'ils
ne sontpas" ;
"l'anti-intellectualisme",
"la dévalorisation et la margina-
lisation de la fon6tion enseignante,
même au niveau deI 'enseignement
supérieur"
4.Divers
2
"la cherté de la vie";"le bruit
fait autour de la classe des cadres
épinglés cOr:Jme classe privilég"iée
et distincte des autres couches de
la société"
On note donc que les universitaires se préoccupent
de tout ce qui se passe dans leur société. Sensib13s
aux problèmes soc~.aux· et politiques, ils déc.ri vent
leur société comme injuste,
corrompue, peu démocratique
et confisquée par l'étranger. Leur nationalisme ne
souffre pas l'ordre qui s'établit et dénonce la
sotlmission de l'Etat national à l'étranger.
Ils ne sont pas non plus satisfaits de la conduite
des intellectuels auxquels ils reprochent une certaine
suffisance et une certaine inefficacité .
.. . / ...

180.
Sans doute les juges et accusateurs de leur soci~t~
ont-ils en tête d'autres projets de sociét~ par
rapport auxquels ils appr~cient la soci~t~ dans laquelle
ils vivent.
Que traduisent par exemple les pr~f~rences
qu'ils peuvent avoir pour les personnalit~s africaines
vivantes ou mortes qui ont le plus fait pour
l'Afrique,
et leurs pr~f~rences pour les pays
africains ou du monde au regard de leur organisation,
de leur politique et id~ologie ? (1)
d) ~~~_E~~f~~~~~~~_~~_!~~_~~J~~~_~~~_~~!!~~~!~~!~~~
~~_~~_g~!_~~~2~~~~_!~~·_E~~~~~~~!!~~~_~~_!~~
E~~~_~f~!~~!~~_~~_~~_~~~~~
TABLEAU VIII - LES PERSONNALITES AFRICAIRSS PREFEREES
Rang pour le
Nombre de fois
ci t~ en
nom bre
total
de fois
ci té
1ère position 2e position 3e position
le~NKrumah(28)
20
6
2
.
2e Houphouet-
4
4
3
Boigny
(11 )
2e Nasser
(11 )
3
5
3
2e Nyerere(ll)
2
6
3
3e Lum um ba ( 7 )
4
2
1
(1) Pour les formulations
exactes des questions,
voir
l'Annexe

181.
A p~rt 8 personnes qui n'ont pas indiqué leur
préférence et l
seule qui a répondu qu'
"Aucun"
ne mérite son estime, les universitaires ont donné
les réponses synthétisées sur le tableau ci-dessus.
On constate que Kwame NKrumah est de loin 'la
.per.sonnalité africaine qui est considérée par les
universitaires abidjanais
enqu~tés~co~~e celle qui
a le plus fait pour l'Afrique: i l est à la fois
le plus cité au total et aussi le plus cité en
1ère et 2ème positions~ Après lui viennent de loin
trois personn~lités citées mze fois chacune mais
di versement citées en 1ère ou 2ème posi tion
ce
sont Houphouet ~oigny, ci té 4 fois en 1ère et
2ème positions, Nasser ci té 3 fois en 1ère position
et 5 fois en 2ème posi tian et Nyerere ci té 2 fois
en 1ère posi tion et 6 fois
en 2ème po si tian ;
ces
personnalités sont suivies par Lumumba,
cité 7 fois
puis viennent Mugabé
(4 fois), Samory Touré (3 fois),
Neto
(3 fois), Sekou Touré (2 fois), Jomo Kenyatta
(2, fois),
Senghor
(2 fois),
etc.
A l'exception d'Houphouet-Boigny qui,
apparemment,
a bénéficié des faveurs de
"compatriotes",
i l
semble que les personnalités les plus citées l'ont
été sur la base de leur nationalisme et de leur
orientation politique socialisante.
. .. / ...

182.
Que ~ous apprennent les pr~f~rences pour les pays·
afri cain s
?
TABLEAU IX - LES PAYS AFRICAINS PREFERES
Rang pour le
Nom bre de fois
ci t~ en
nom bre total
de foi s
ci t~
1ère position 2e position 3e position
1.Tanzanie(24)
14
9
l
2.Haute-Volta(9)
2
4
3
3.Côte d'Ivoire (8
3
l
4
4.S~n~gal(6)
1
3
l
2
5.Angola(5)
3
l
l
6 personnes n'ont pas indiqu~ leurs pr~f~rences ;
2 autres ont di t
:
"Aucun."
;
l
autre a fai t
remarquer
que c'est'tlifficile à dire".
Les pr~f~rences exprim~es d~signent la Tan~anie
comme le pays le plus estim~ ;
cit~e 24 fois au total,
elle l'est 14 fois
en 1ère position et 9 fois
en
2ème position.
Après elle viennent la Haute-Volta
(cit~e 9 fois), la Côte d'Ivoire (8 fois), le
S~n~gal, l'Angola; puis on a des pays ,comme l'Alg~rie,
le Cameroun,
le Mozambique,
la Guin~e, le Ghana,
le 7,imbabw~, le B~nin, etc.
... / ...

183.
La préférence très nette pour la Tanzanie ne
s'explique,
semble-t-il, que pour son orientation
nationaliste et socialiste,
et même pour son
effort de démocratisation. La position
. "spectaculaire" de la Haute-Volta est sans aucun
doute liée à l'appréciation que les universitaires
ont eue de l'effort de démocratisation dans ce
pays avec l'existence légale de plusieurs partis
politiques (1) dans une Afrique> où le parti unique
.
.
est la règle d'or. Le Sénégal a lui aussi bénéficié de
la sympathie des universitaires pour la même raison.
-
?our la Côte d'Ivoire, le sentiment national,
affectif,
a pu avoir une place à côté d'une
admiration pour ses "réussites écono:.Jiques".
Si on considère l'ensemble des pays cités, on .doit
noter que les pays qui se signalent par leur
nationalisme et leur ori~ntation socialiste sont
plus souvent cités que les pays à option libérale.
Mais'on ne doit pas oublier l'importance que les
universitaires accordent à la démocratie et aussi
au développement économique.
... / ...
(1) Avec le coup d'Etat militaire survenu en novembre
1980, la Haute-Volta est à l'heure actuelle sous
un régime militaire;
et les partis sont interdits.
Le Sénégal reste en Afrique francophone de l'Ou~st
celui où le multipartisme existe.

184.
On peut se demander si des pays comme le Congo
et le Bénin, qui se réclament du socialisme et
font étalage de leur option marxiste-léniniste, ont
été faiblement cités pour leur option ou si
c'est la faiblesse de leur développement qui n'a
pas convaincu les universitaires abidjanais de les
préférer à beaucoup d'autres.
,
Lorsque la question est posee aux universitaires
de citer les pays pour lesquels ils ont lei-moins
d'estime, on obtient les résultats suivants:
TABLEAU X - PAYS AFRICAINS LES MOINS ESTIMES
Rang pour le
Hombre de foi s cités en
nombre total
'de fois ci té
le position 2e position 3e position
1.Afri(ue du
Sud
11)
8
l
2
2. Cô te d'Ivoire (6)
3
l
2
3.Lybie
(5)
4
l
0
3.Ghana (5)
l
2
2
3.Zal're
(5)
0
1
4
4.Gabon(4)
l
3
0
... / ...

185..
11 personnes n'ont pas exprimé de sentiment de
rejet. Onpeut supposer que certaines d'entre elles
ont été embarrassées ne sachant quel pays désigner
d'autres n'ont pas peut-être voulu se trouver
immédiatement une antipathie qu'elles n'avaient pas,
comme l'a signifié quelqu'un en notant:
rlNéant".
Une autre personne a dit qu'à part la Tanzanie et
l 'Algérie pou~ lesquelles elle avait une préférence,
"tous les autres sont pareils".
En observant le tableau ci-dessus, on remarque que
l'Afrique du Sud, pays de l'apartheid et du racisme
légal,
est en tête des pays qu'on e stim e le moins ;
vient la Côte d'Ivoire ensui t·) la Lybi e, le Ghana, le
Zal're, et le Gabon, puis les pays comme le Tchad ..
le Bénin, le 1·1 ala Hi, le Soudan, l'Ouganda, le
Nigéria, le Togo,
etc.
Le cas de la Côte d'Ivoire est intéressant à noter.
Alors que celle-ci était citée parmi les pays
préférés,
elle se retrouve citée encore dans les
pays les moins estimés. Cela peut signifier qu'il
y a une partie des universitaires ivoiriens qui
ne juge
pas ~O"{\\
pays de la même manière qu'une
a ut're parti e.
.... / ....

186.
Mais à la place d'une contradiction entre les
universitaires ou à côté de cette contradiction,
il faut souligner l'ambivalence qui peut exister
dans une même personne ;
celle-ci peut aimer et
ne pas aimer son pays pour différentes raisons
c'est d'ailleurs ce que quelqu'un traduit par
cette phrase de commentaire après avoir cité la
Côte d'Ivoire comme le pays qu'il estime le moins
"Parce qu'il m'est cher". La Gôte d'Ivoire doit
être objet de rejet peut-être à cause de sa
politique intérieure et de son o~tion économique
libérale, mais peut-être surtout pour ses rapports
avec l'étranger; avec le Sénégal et le Gabon,
elle
est critiquée pour la présence "massive" des
Français sur son sol.
Le jugement négatif porté sur le Ghana doit avoir
pour origine le marasme économique et l'in~tabilité
politique qui minent le pays, ainsi que la corruption
qui y sévit. Le Zalre est rejeté sans doute aussi
pour son option économique et politique,
et aussi
parce qu'il passe pour être à la solde de
l'impéri.alisme.
A ce qu'il semble, la plupart des pays les moins
e~~imés le sont sur la base du reproche qu'on leur
fait d'être peu nationalistes,
d'être sous l'emprise
étrang~re et de he pas pratiquer la démocratie.

187.
Qu'~n est-il des pays du monde? Et d'abord quels'
sont les pays les plus estimés et les pays les
moins appréciés?
TABLEAU XI - PAYS DU MONDE LES PLUS APPRECIES (A) ET
LES MOINS APPRECIES (B)
A
B
1
Rang pour
Nombre de fois ci té 1 Ran g :r:our Nombre de foi s ci té
le nombre
en
Ile nombre
en
total de
le p osit 2e :r:o sit 3e :r:os',', total
de le posi t 2e pas::' t 3e posi t
fois ci té
~ois ci té
,
~
.
i
1.Suède(7)
4
2
1
Il. USA (14)
7
5
2
1.Japon(7)
2
2
3
2. Africue
du Sud
7
1
5
(13 )
2.Chine(6)
2
3
1
3.France
4
5
2
(11)
2 . Yougoslmâ.e
1
3
2
4.~TRSS(8)
3
2
3
(6)
3. Tanzanie
3
1
1
5.Iran(5)
0
3
2
( 5 )
3.USA(5)
4
0
1
6. Lybie(4)
2
1
1
3.URSS(5)
2
1
1
3.VietnalJl(5
2
2
0
3.Canada(5
0
5
0
3.France(5
0
3
2
On observB que certains pays sont cités ~ la fois
parmi les pays préférés et les pays les moins ~ppréciés.
.. ./ ...

188.
Ceux parmi les plus appréciés qui n'ont pas été
cités parmi les moins estimés sont : la Su~de,
le Japon, la Yougoslavie, la Tanzanie,
le Canada
et d'autres pays qui ne figurent pas sur le tableau
tels que l'Angola,
Cuba,
l'Albanie,
la Suisse,
la Roumanie . . . On remarque ·que ces pays sont pour
la plupart à orientation socialiste.- Le Canada
et le Japon sont sans doute admirés pour leur
développement économique et pou~~ iait qu'ils n'ont
pas de colonies en Afrique.
Pour les pays cités à la fois dans les deux cas,
on peut savoir si
c'est l'appréciation positive
qui prime la négative ou si
c'est l'inverse,
en faisant la différence entre le nombre de fois
qu'ils ont été cités positivement et lé nombre
de fois négativement.
On obtient pour la Chine
6 - l
= + 5 ; les Etais-Unis : 5 - 14 = - 9 ;
l'URSS
:
5 - 8 = - 3 ; France : 5 - Il = - 6, etc.
On constate qu'à part la Chine pour laquelle la
.
différence est positive,
cette différence est
négative pour_lesEt~ts-Unis, l'URSS, la France.
Cela veut dire qu'il y a plus de personnes à
apprécier négativement ces pays qu'il n'yen a
à ~es estimer, ou bien encore que ce qu'on leur
reproche semble primer ce qu'on admire en eux .
.../ ...

189.
Au total, lorsqu'on considère le nombre de pays
socialistes cit~s positivement ou n~gativement,
et le nombre de pays capitalistes cit~s positivement
ou n~gativement, on est amen~ ~ noter que la
pr~f~rence des universitaires va plutôt au
.
socialisme qu'au capitalisme;
e) ~~~_~~~~~~~~~~~~~~_~~_~~~_~~g~~~~~~~~~~
~~~~~~~~~~~~~~~_~~~~~~_g~~_~~g~~_~~_~~g~~(1)
L'ONU, les universitaires la considèrent comme une
"institution salutaire"
(Il r~ponses) ; mais elle
leur apparaît comme "une machine bureaucratique"
(26 r~ponses) ; elle apparaît aussi comme
"un instrument de 1 'imp~rialisme am~ricain" (5
r~ponses). Une personne croit que l'ONU peut
être
"le futur gouvernement du monde".
Quant ~ l'OUA, les 'universitaires ont insist~
sur son inefficacit~.
.
L'OUA,
"une organisation inefficace
qui a l e m~ ri te d' e xi ste r " •
"On p,eut le comparer ~ un homme qui
a une grande gueule pour brailler,
mais qui n'a pas de membres pour agir".
"Les objectifs et finalit~s th~oriques
sont acceptables;
mais les r~alit~s
et les faits de ces derniers temps
me laissent perplexe".
(1)
Voir les formulations des questions ~ l'Annexe

190.
Sa faiblessi.proviendrait du fait
qu'
"elle d~vie de ses objectifs
initiaux",
qu'elle "n'existe que
pendant les sessions. ~eut-gtre "elle
fait
ce qu'elle peut
(mais)
a-t-elle
les _moyens
?"
Trop souvent elle s'est pr~sent~e
comme
"un objet inutile",
"un
machin",
comme "le plus grand
organisme politique africain
d' exhi bi tion idéologique".
"Elle ne sera efficace que si
ell~
s:appuie sur-des re~ations ~conomiques
solides".
sur le fait quLelle apoaraft comme un syndicat de
cheQ.d'Etat et de 2'ouvernement.
L'OUA,
"un club de chei'$ d'Etat,
"un syndicat de chefs d'Etat en
place,
soucieux de se maintenir au
pouvoir .•• ". L'OUA est devenue "un
club de chefs d'Etat et un i~strument
au service des grandes puissances,
France notamment".
,
i~;,
Au total,
les appr~ciations nc~atives sont plus
..
.
nombreuses.
Lesuniversitaires sont plutôt
critiques à l'~gard de cette organisation dont
l'un d'eux dit qu'~lle est "une machine bureaucratique
incapable de r~soudre les problèmes r~els de
l·'!~frique... ".
. .. / .. ·

191.
Le jugement des intellectu~ls est-il trop
"
.
severe,
voire erroné ou fantaisiste
? Un chef d'Etat
respectueux de l'idéal visé par l'OU~ n!en a pas
moins dit le premier qu.'elle est "un syndicat de
chefs d'Etat soucieux de se perpétuer au pouvoir,
fût-ce aux dépens de leurs peuples".
CONCLUSION
L'enquête sur les universitaires abidjanais a
permis de connaître un peu .l'univers des intellectuels
notamment leurs origines sociales, les responsabilités
sociales qu'ils peuvent avoir, les activités socio-
culturelles et économiques qu'ils pratiquent,
les
orientations socio-politiques qui sont tendancielle-
ment les leurs ou
celles d'une majorité.
Sur ce
dernier point,
on sait par exemple que parmi les
intellectuels,
i l
s'en trouve pour admirer la
réussite économique des Etats-Unis,
du Canada et
du Japon
(qui, en plus,
a su sauvegarder ses
traditions),
et le libéralisme économique qui
sous-tend leur développement.
... / ...

192.
D'autres n'apprécient pas justement leur mode et
leur modèle de développement.
Il
semble que de
manière générale,
i l y ait chez la majeure partie
des intellectuels une tendance au nationalisme
en m~me temps qu'ils posent le socialisme comme
réponse au capitalisme,
à l'impérialisme et à
la domination extérieure de leur pays.
Encore que
la faiblesse
économique de
certains pays se
réclamant du socialisme scientifique et les
répressions parfois violentes qui y surviennent
ne contribuent pas à rallier tout le monde au
socialisme.
On peut se demander si les résultats de cette
enquête limitée' à laquelle ont effectivement
répondu seulement 43 enseignants et chercheurs
abidjanais autorise des extrapolati~ œ à
l'ensemble des universitaires d'Abidjan et
d'~frique Noire?
Il est vraisemblable que la loi du grand nombre
aidant,
des scores obtenus se seraient peut-être
modifiés;
tels ou tels résultawobtenus ne se
seraient pas forcément retrouvés identiques dans
les mêmes proportions avec un échantillon très
·grand ou même avec un échantillon d'universitaires
d'un autre pays que la Côte d'Ivoire.
. . .1. . .

193.
Mais i l semble que pour l'essentiel les résultats
de l'enquête reflètent et confirment des tendances,
des manières de voir,
de se situer par rapport aux
classes,
d'apprécier les rapports de l'Etat avec
·l'extérieur .•.
qu'on attribue aux intellectuels et
qu'ils manifestent dans diverses
circonstances.
Leur
nationalisme en particulier"
leur critique du
manque de liberté et de démocratie,
leur dénonciation
des injustices
so?iale~, leur tendance majoritai~e
à rejeter le capitalisme ont été mis à nu dans
l'enqùête.
Le reste de ce travail permettra
d'infirmer ou de
confirmer et de préciser tous
ces renseignements et de mieux faire connaître les
intellectuels dan~ ce qui les unit mais aussi -dans
ce qui les oppose entre eux,
surt~ut par rapport
à leur relation au pouvoir.
.../ ...

194.
CHAPITRE
II
LÉS ETUDIANTS
Les étudiants,
qui
sont-ils,
que sont-ils, où
vont-ils,
qu'est-ce qui le3 caractérise? Qu'est-ce
qui
explique certainei de leurs attitudes et conduites ?
r •"le.
En quoi leur origine sociale influe;'sur leurs
comportements? Quel avenir lEDlr est promis
en tant que cadres,
et quelle est l'incidence de
cette destination sociale de
cadres sur leurs
attitudes et leur rapport au pouvoir en particulier?
Dans une première section sera soulignée l'importance
de ce groupe social que sont les étudiants en
.
examinant les données ,statistiques ~ leur sujet,
et en considérant ce qu'ils représentent comme
charge pour les pays africains. Une deuxième
section étudiera quelques aspects de l'univers
des étudiants
(caractéristiques sociales,
choix
professionnel et destination sociale~J attitudes
socio-politiques ••. ).
... / ...

195.
SECTION
l
POIDS SOCIOLOGIQUE
.
DES ETUDIANTS: NOMBRE. IMPORTANCE
DE LEURS ORGANISATIONS~
CE QU'ILS REPRESENTENT COMME
CHARGE EN TERMES DE DEPENSES PUBLIQUES.
1.
Les d~penses publioues d'enseignement et les
besoins en ressources humaines.
La constitution de ressources humaines impose aux
pays africàins des dépenses
~normes. Les d~penses
effectu~es pour l'enseignement primaire pouvant
conditionner le nombre d'élèves dans le secondaire
et les dépenses faites pou~ celui-ci pouvant
d~terminer le recrutemen~ dans l'enseignement sup~rieur.
c'est l'ensemblB des d~penses globales affectées
~ l"~ducation qui est pr~ en compte ici pour
appr~cier l'effort consenti en faveur de l'éducation
et mesurer ce que. les ~tudiants repr~sentent comme
charge.
Voici quelques chiffres que donne Dossier Afrique
du Centre d'Etude et de Coop~ration I~ternationales
( C• E • C• l .)
de Mont r ~ al .
.. . / .. ·

196.
Tableau l - DEPENSES PUBLIQUES AFFERENTES A
L'ENSEIG~EMENT, EN POURCENTAGE
PAR RAPPORT AU PNB ET A L'ENSEMBLE
DES DEPENSES PUBLIQUES.
PAYS
ANNEE
PNB
DEPENSES PUBLIQUES
P·.frioue du Centre·
Burundi
1965
1,9
25
Cameroun
1968
J
18,6
Centrafrique
1968
3,3
16,3
Congo
1966
20
Gabon
1965
3,2
20,4
Rwanda
1967
27,3
Tchad
1968
3,6
14,3
Zal're
1966 .
.
20,7
Afrio ue de l'Ouest
Bénin
1967
22,4
Côt~ d'Ivoire
1969
6,4
27,?
Gambie
1968
10,9
Ghana
1967/68
3,9
18,7
Guinée
1968
19,4
Huate-Volta
1968
Li béria
1968
2
13,8
J·lali
1968
4,1
24,2
Niger
1968
1,6
Il,3
Nigeria
1966
2,3
25 (en 1962)
S én égal
1967
3,1
Sierra Leone
1968
3,3
18,8
Togo
1970
16,6·
1
Ces chiffres sont assez élo~uents par eux-mêmes
pour dispenser d'un long commentaire.
... / ...

197.
On remarque que
ces pays afri~ains font un effort
immense en faveur de l'éducation.
On.peut se
demander s'ils pourront longtemps faire face
à toutes ces dépenses sans entraîner des diffi-
cultés pour leur ~conomie. Mais ont-ils seulement
le choix de ne pas faire
ces dépenses
compte
tenu de la forte
demande sociale d'éducation
et des besoins énormes en main-d'oeuvre.
Leurs
efforts se poursuivent.
Et voici .les n~uveaux chiffres que fournit
l'Annuaire Statistique de l'UNESCO 1980.
.../ ...

198.
TABLEAU II - DEPENSES PUBLIQJES AFFERENTES A
L'ENSEIGNEMENT EN POURCENTAGE PAR
RAPPORT AU PNB ET A L'ENSEMBLE DES
DEPENSES PUBLIQUES.
1
Pays
Année
P N B
Dépenses publiques
Angola
1974
2.3
Il.9
Bénin
1975
5,1
39.-
Botswana
1975
9.2
12.7
Burundi
1977
2,9
20,7
Cam eroun
1976
4.6
-
Cap Vert
1978
10,6
Centrafrique
1976
4,4
17.2
Congo
1976
9
27,6
Côte d'Ivoire
1975
'7.4
.
35,3
Gabon
1976
4.6
Gambie
1976
3.9
9.2
Ghana
1976
4,2
21',5
Guinée
1972
5,9
25,1
Guinée-Bissau'
1978
8,6
28,8
Haute-Volta
1977
2,5
19.2
Kenya
1977
5
15,8
Li beria
1977
3,5
Malawi
1975
2,2
9,6
Mali
1977
5.1
29,3
Maurit9.nie
1977
5,8
13,7
Mozambique
1970
2
19,5
Niger
1977
4,9
21,6
Nigeria
1977
4,1
Ouganda
1975
3,2
18.
Rwanda
1977
2,3
20,2
Sénégal
1977
4,1
21,5
. Si erré?- Leone
1977
4.3
19,5
Soudan
1974
5,5
14,8
Swaziland
1975
5,2
Tanzanie
1977
4,7
14,1
Tchad
1976
2,4
17,2
Togo
1977
7.4
22
Zambi e
1977
6,1
Zaire
1973
5,4
20,3'
... / ...

199.
A part quelques pays qui ont eu du mal à
.
.
maintenir ou accroître leurs dépenses pour-
l'éducation (tel est le cas du Tchad qui.
affectait 3,6 %de son PNB à l'enseignement
en 1966 et qui en 1976 ne dépensait plus que
2,4 %de son PNB pour l'éducation), la plupart
des pays ont connu un accroissement relatif de
leurs dépenses publiques d'enseignement par
rapport à ce qu'elles étaient autour des
années 1967-68.
Et on doi t savoir que de luanière générale, ''les
dépenses publiques d'enseignement connaissent
une croissance annuelle plus forte que celle
des produits nationaux bruts". Ainsi, on constate
que le pourcentag~ des dépenses pUQliques
d'enseignement par rapport au PNB, pour toute
l'Afrique,
est passé de 3,6 % en 1960 à 4,7 %
en 1972 tandis que pendant ce même temps, les
dépenses publiques par habitant passaient
de 3,6 dollars à 8,8 (1).
... / ...
(1) UNESCO. Etude et document de l'Education, 1977
nO 25, p. 16

200.
Les dépenses en matière d'éducation sont énormes.
Mais que peuvent faire d'autre ces pays qui ont
des problèmes complexes de ressources humaines
pourli développement économique et social : la
formation et la promotion des hommes ne sont-elle~
pas pour eux à la fois un moyen et unefin ?
A titre d'exemple,
considérons les besoins de
la Côte d'Ivoire en main-d'oeuvre qualifiée,
notamment de niveau universitaire.
L'enqu~te préliminaire réalisée par l'Office
National de Formation Professionnelle (O:N.F.P.)
donne les résultats suivants:
T~BLEAU III - BESOIN EN MAIN-D'OEUVRE DE L'ECONOMIE
IVOIRIENNE (1)
Se ctaur privé et
Niveau de
. ;e . ,
Se cteur publi c
~ ___ ê~~~: ~~y~ _____
---------- -----------
qualifi cation
1976/80
1981/85
1976/80
1981/85
Cadres et
4 915
5 766
7 448
8 5'62
techniciens
t~aî tri se
7 980
9 137
5 ,897
6 781
Emplois
18 973
21 306
8 357
9 616
qualifi és
Autres
70 462
78 870
7 219
8 292
TOTAL
102 330
115 079
28 921
33 251
1
(1) Source: O.N.?P.
"Les besoins en main-d'oeuvre
de l'économie ivoirienne; 1976-1980 et 1981-1985
Hypothèse de base, vol. 1" 1976 cité
,par Diarrassouba, op.cit. p. 39

201.
Ainsi l'importance des bes6in~ en main-d'oeuvre
estim€e
à 131 251 pour les deux secteurs d'activité
(privé et public) pourla période 1976-1980 passera
à 148 338 en 1981-1985. M&me si l'accrois~ement ne
paraît pas extraordinaire.
on constate néanmoins que
pourles niveaux de qualification supérieurs
(cadres
et techniciens.
et agents de maîtrise). les besoins
de l'économie sont import~nts : ainsi par exemple
les besoins en c~dres ·et techniciens passeront de
l? 3~0 pour les deux secteurs à 14 328. soit un
accroissement de 16 %. et les besoins d'agents
de maîtrise pour les deux secteurs passeront au
cours de la m&me période de 13 877 à 15 818.
soit
une augmentation de 14.7 %.
Si on considère uniquement le niveau "èadres et
techniciens" qui sont souvent des diplômés de
l'enseignement supérieur.
on note que les besoins
annuels s'élèvent à environ 2 472 travailleurs
durant la première période et à 2 .865 au cours
du second quinquennat.
... / ...

202 •
.
D'après ~s estimations de la Banque Mondiale (1)
faites à partir du taux de cr6issance annuel mo~en
du Produit Int~rieur Brut (P.I.B.) d& 8 .%, la
Côte d'Ivoire devrait avoir,
au cours des deux
p~riodes 1975-1980 et 1980-1985 un besoin en
main d'oeuvre qualifiée qui
se chiffre de la
manière suivante:
TABLEAU IV - BESOIN EN MAIN-D'OEUVRE QUALIFIEE
Main d'oeuvre
1975
1980
Besoins annuels
,
Niveau superi~ur
3 800"
6 000
685
Niveau moyen
25 000
40 000
4 625
1
La diff~rence en~re l~s estimations de l'O.N.F.P.
et de la Banque Mondiale sont très importantes
en effet, les besoins annuels en main d'oeuvre
qualifi~e de ni veau supérieur SJnt dans l' ~tude de .
la Banque Mondiale quatre fois moins que ceux
indiqu~s par l'O.N.F.P. Comme le fait observer
Diarrassouba,
"sont en cause à la fois la
d~finition des niveaux de qualification, les
méthodes d'approche et les dates des études".
. .~ 0. / •.•
(J) Diarrassouba,
op.cit. pp~ 41-42
(21 D~ar.rassouba, op. ci t. p. 42

Dan~ tous les cas, ce qu'on doi~ noter clairement
est que les besoins existent, importants,
surto~t
si on prend en compte le fait qu'il y a' un lI s tock"
d'environ 50 000. expatriés à
remplacer.
Si on consid~re u~iquement les données relatives
à l'estimation des ressources en main d'oeuvre
de niveau universitaire que fournit la Banque Mondiale,
l'effectif moyen de dip18més ivoiriens de l'enseigne-
ment supérieur ivoirien serait d~ 300 personnes
par an pour la période 1973-1974 à 1980-1981.
Et si on tient~compte du fait qu'il y a environ
l
500 étudiant·s ivoiriens en France et si on
suppose que 200 d'entre eux rentrent au pays chaque
année,
on a alors un chiffre d'environ 500 dip18més
par an qui entreraient sur le marché du travaii.
Le recteur Diarrassouba se demande dans quelle
mesure
ces chiffres correspondent à la ré~lité,
notamment au niveau de l'Université et des
Grandes Ecoles.
On doit souligner qu'à la vérité,
le probl~me
des ressources humaines,
s ' i l est d'ordre quantitatif,
~ aussi et peut-être avant tout d'ordre qualitatif •
. . . / ...

204.
Ainsi donc l'étude des besoins en ressources
humai~es ~ partir de l'exemple ivoirien permet
de noter d'unepart l'importance de·s besoins et
d'autre part de montrer qu'il y a nécessité pour
Jes.pays africains d'investir dans l'éducation,
et
d'investir une part importante du P.N.B. L'éducation
fait donc l'objet d'un intér&t considérable. Les
étudiants bénéfidi~nt de cet intér&t:
Combien sont ces étudiants ?
2 - Quelques dohnées ~tatistioues concernant les étudiants
En 1926,
un recensement officiel comptait l
813
Africains des t~opiques en France. Mais beaucoup
d'entre eux n'étaient pas instruits et les étudiants
parmi eux étaient extr&mement rares~ Davidson (i)
.
qui cite ce chiffre avanGe qu'en 1932 i l n'y avait
que 21 étudiants noirs'africains en France. Les
premi~res statistique~ précises vont exister avec
le syst~me des bourses octroyées aux Africains par
les pays colonisateurs. Ainsi,
on aura de 1948
~ 1957 les nombres su~vants de boursiers :
.../ ...
.(1) Davidson,op.cit. p. 188

205.
TABLEAU V - EVOLUTION DU NOMBRE D'ETUDIANTS BENEFICIANT
DE BOURSES ET ALLOCATIONS SCOLAIRES
ACCORDEES PAR LA FRANCE E~TRE 1948 et 1957(1)
Année Enseignement du
Enseignement
Ensei gnement
2ème degré
professionnel.
supérieur
Total
:dont en
Total
:do!lt en
Total 1 dont en
:m étropole
: métropole
: mé~pole
1
1
1948
720
354
120
1
120
1
164
1
1
164
1
1
1
1
1951
3 852
21'6
691
1
228
204
1
171
.
,
1
1
1
1957
8 072
304
1 666
1
182
931
1
695
1
1
,
1
,
1
En s'en tenant uniquement aux seub
étudiants de
niveau supérieur. 'on remarque que leur nombre passe
de 164 en 1948 ·à 204 .en 1951 et à 931 en 1957. La
grande partie dA ces étudiants étàient en métropole.
A tous ces chiffres, il faut d'ailleurs ajouter
un nombre à peu près égal d'étudiants qui faisaient
leurs études avec des -revenus "privés" de leurs
familles.
Pour l'Afrique tropicale dans son ensemble,
selon
Davidson. i l Y avait ~n 1950-1951
2 270 étudiants.
Dix ans plus tard.
ce chiffre passait à 13 620.
... / ...
(1 ) Source: Seurin, "Eli tes sociales et partis
politiques d'A.O.F." in Annale Africa~ne
1958
.

206.
Beaucoup de
ces~tudiants ~taient hors d'Atrique.
Par exemple,
en 1939, ils n'~taient que 400 environ
en Grande-Bretagne
; ils y seront presque 3 000
en 1955,
un tiers à peu près provenaient' du Nigeria,
uu dixième de la Côte d'Or et un huitième de
l'Afrique orientale et
centrale.
Ki
Zerbo
(1)
note
qu'en 1950 environ 700 ~tudiants ~e trouvaient
aux Etats-Unis.
En 1960-61,
i l Y avait en France
unique~ent, selon l'Office des Etudiants d'Outre-Mer(2)
.
"
4 912 ~tudiants d'Afrique noire se r~partissant ainsi
par pays
: Cameroun
:
935
;
Centrafrique
:
63
;
Congo Brazzaville
: 207
Côte d'Ivoire: l
231
Dahomey
:
347 ;
Gabon
:151 ;
Guin~e : 435 ;
Haute-Volta: 163
;
Mali:
395
;
Mauritanie:
51
;
Niger
:
95
;
S~n~gal : 506 ; Tchad : 114
Togo: '221.
En 1961-62, le nombre total des
~tudiants d'Afrique
tropicale à l'~tranger ~taitJ
selon Davidson,
de12 863.
(1)
Ki
Zerbo oD.cit. p.
479
(2)
Office des Etudiants d'Outre-Mer,
cit~ par
~T .P. N Dia~Te. :Snguête sur les Etudiants noj rs
en France,
Paris,
ed.
"Réalités Africaines" 1962
p.
60

207.
En C.8S années-là,
les univérsités anglophones du
Nigeria,
du Ghana,
de la Sierra Leone,
de l'Ouganda
fonctionnaient déjà.
Dans les colonie~ françaises,
c'est avec la Loi-cadre .accordant l'autonomie
interne aux territoires d'Afrique occidentale que
vont se créer petit à petit des centres d'enseignement
supérieur qui deviendront par la suite des universités.
Tous ces centres universitaires permettront d'accroître
assez rapidement le nombre des étudiants.
Les
effectifs des
établissement3 d'enseignement supérieur
des pays africains au sud du Sahara augmenteront
entre 1965 et 1970 de 116,7 %alors que l'objectif
esti6atif 1ixé à la Conférence d'Addis-Abeba en
1961 était de 28,1 %'
"L'ensemble des effectifs
en 1971
(y compri p les étudiants af.ricains à
l'étranger)
se chiffrait à 145700
(soit un taux
d'inscription de 0,7),
le chiffre prévu ét~nt de
125 000 (soit un taux d'inscription de 0,6)"(1).
La progression des effectifs de ltenseignement
supérieur est donc remarquable.
Comment se
manifeste~t-elle par pays ?
(1) UNESCO, Etudes et documents de l'éducation,
loc.cit. p. 14

208.
Le R~pertoire des universit~s africaines donne
les chiffres suivants pour 23 pays, 14 francophones
et 9 anglophones
(ces chiffres sont ceux de 1974-75).
TABLEAU VI - NOMBRE D'ETUDIANTS DE 24 PAYS AFRICAINS
EN 1974-75
B~nin ·.. ....
2 068 nationaux sur
2 085
Burundi ..•.•
350
Cameroun ...
5 897
"
"
6 089
Centrafrique
544
"
"
563
Congo
••••••
Côte d'Ivoire 6 000
Gabon · .. .... 1 260
Haute-Volta
458
~,
"
523
Niger · .....
294
Rwanda ••..••
577
S~n~gal.~ .••
"2 118
"
"
5 196
Tchad ·.....
453
To go
. . . . . . .
2 180
Zaire · .....- 14 068
Ghana · . ....
6 609
"
"
6 888
Kenya · . ....
4 043
"
"
4 457
Li be ri a •••••
2 089
"
"
2 384
Halawi .....
1 136
"
"
1 143
Nigeria . .. . . 30 000
"
" 31 267
Ouganda ....
3 236
"
"
3 721
Sierra Leone
1 275
"
"
1 630
Tanzanie ...
2 120
"
"
2 370
Zambie .. .. .. 2 352
"
"
2 690
Les ~tudiants des 14 pays francophones totalisent
un effectif global qui avoisine les 50 000 ; les
~tudiants des grandes ~coles ne sont pas compt~s
dans ce chiffre.
... / ...

209.
Les .étudiants des 9 pays ariglophones ont un effectif
global qui atteint environ 60000.
On a ainsi
pour ~ensemble des 23 pays environ 110 000 étudiants.
Ce chiffre est approximatif et ne représente pas
tous les étudiants~ Il faudrait y ajouter non
seulement le nombre des étudiants des grandes
écoles mais aussi
celui de ceux qui
sont à l'étranger.
On sait par exemple qu'en 1969 i l Y avait environ
15
000 étudiants africains en France.
En 1971,
la proportion d'étudiants africains recevant un
enseignement à l'étranger était estimée à 20,2 % (1).
Aujourd'hui tous les chiffres que nous avons examinés
jusqu'à maintenant sont sans aucun doute dépassés.
Et ceux que fournit l'Annuaire Statist~gue de
l'UNESCO 1980 pourJa période au-delà de 1975 le
montre bien.
.... / ...
(l)UNESCO~ Etude et document de l'éducation, loc.cit.
p.
14

210.
TABLEAU VII - NOMBRE D'ETUDIANTS DE PAYS AFRICAINS
A PARTIR DE 1975 ET AU-DELA
Bénin
1975
2 118
Burundi
1975
1 002
Cameroun
1977
9 060
Centrafrique
1977
972
Congo
1978/79
4 521
(1 )
Côte dl Ivoire
1978
Il 527
Gabon
1976
1 245
Haute-Volta
1977
2 534
Mali
1977
4 216
Niger
1977
784
,
,
1
Senega .
1977
9 454
Tchad
1976
2 777
Togo
1976
2 777
Zaire
1971~
21 021
Ghana
1975
9 079
Kenya
1974'.
Il 527
Liberia
1975
2 404
Malawi
1977
1 153
Nigeria
19177
68 382
Ouganùa
1977
6 312
Sierra Leone
1977
1 594
. Tanzanie
1977
2 534
Zambie
1977
9 192
De mani~re g~n~rale et par rapport aux donn~es du
R~pertoire des universit~s africaines, il y a
une ~volution apparente des effectifs.
... / ...
(1) Chiffre fourni par l'Annuaire de 1lUniversit~
Marien Ngouabi, 1979-1980

211.
Le seul probl~me est qu'ici on ne sait pas s'il
s'agit exclusivement des étudiants nationaux ou
s'il s'agit des effectifs totaux des universités
c'est:~-dire y ~ompris les étrangers. On ne sait
pas non plus s ' i l s'agit de tous les étudiants du
.
3~me degré (ter~inologie employée souvent dans
les documents de l'UNESCO) ou s)il s'agit
exclusivement des étudiants des universités.

Mais i l est un fait qU'il y a augmentation
apparente des effectifs. On s'en rend bien
compte en considérant par exemple le cas précis
d'un pays comme la Côte d'Ivoire.
TABLEAU VIII
- EVOLUTION DES EFFECTIFS ETUDIANTS
DEL 'u N1VER SITE D' AB l DJAN (1) .
Années
Effectif total
Etudiants ivoiriens
1960-61
147
50
~965-66
l
147
380
1970-71
3 092
l "310
1975-76
5 996
(2)
4 659
1978-79
10 002
(2)
8 362
... / ...
(1) Source: Diarrassouba, op.cit. p.
65
(2)· Non compris les étudiants de l'IUT intégrés à
llINSET

212.
On constate l'évolution de l'effectif total.
L'évolution de l'effectif des étudiants ivoiriens
qui nousintéresse est notable
: de 50 en 1960-61,
le nombre des Ivoiriens est passé ~ 380 en 1965-66
(les Ivoiriens représentaient ~ cette époque
33 % de l'effectif total des étudiants). En 1970
et en 1975, l'effectif des Ivoi~iens passait de
l
310 ~ 4 659,
ce qui
représentait respectivement
42 %et 77 % des effectifs. En 1978-79, les
étudiants ivoiriens représentaient 83 %des
effectifs
(8 362 étudiants sur 10 002).
L'accroissement du nombre total des étudiants
est net et celui des étudiants ivoiriens davantage
encore.
En Côte d'Ivoire comme dans les autres pays
africains, les augmentations constantes du nombre
des étudiants n'ont pas été sans imposer
nécessairement des dépenses accrues.
Il faut
dire que, tôt,
beaucoup de pays africains ont
cru facilement ~ l'équation: "développement
économique = développement de l'éducation" •
... /" ...

213.
Aussi, un effort con'sidérable a-t-il été
constamment fait en faveur del 'éducation alors même
que ces pays connaissent une croissance économique
relativement faible
(compte tenu de l'expansion
démographique,
de la détérioration des termes
de l'échange,
etc.). Dès les indépendances, les
pays africains ont dû répondre au défi qui était
la formation de cadres nationaux pour lesadmi-
nistrations et assurer le fonctionnement des
services publics après le départ ?es colonisateurs.
Et pui s,on a voulu aussi par l ' éducation parvenir
assez rapidement à un développement économique
et social~ Il ~emble qu'on ait accepté d'entériner
et d'assumer l'idéologie d'un sous-développement
dû à des obstacles culturels et sociaux et qu'on
supprimerait par ~a levée des obst~cles
"
, .
grace a
l'éducation et la formation.
On a obtenu certains
résultats. Mais des difficultés non nettement
prévues surviendront. Elles seront liées au fait que
si on avait pensé que l'éducation entraînerait le
développement, on n'avait pas suffisamment
réalisé, semble-t-il, qu'il fallait également
des ressotirces globales croissantes poUr
alimenter les budgets de l'éducation en expansion
... / ...

214.
sous la pression de la demande sociale accrue
d'éducation
(l'éducation étant apparue nettement
au niveau individuel
comme la princip~le. voie de
promotion sociale).
On réalise plus clairement aujourd'hui qu'on ne peut
pas continuer d'accroître indéfiniment le pourcentage
des dépenses publiques affectées à l'éducation.
Mais les pays africains ne sont-ils pas un peu
condamnés à maintenir un certain effort d'investisse-
ment dans l'éducation face à leurs besoins énormes
en ressources humaines qUalifiées ? Le nombre des
étudiants devra' aller croissant,
tant en réalité
i l n'est pas extraordinaire si on le compare au
nombre d'habitants par pays.
On s'en rend compte
sur le tableau
suivant .
.../ ...

215.
TABLEAU IX
- EVOLUTION DU NOMBRE D'ETUDIANTS
(1)
PAR 100 000 HABITANTS
Pays
1970
1973
1974
1975
1976
1977
Angola
42
55
59
62
65
68
Bénin
12
66
64
70
75
87
Burundi
13
20
21
25
30
34
Cam eroun .
40
.77
84
96
106
115
Centrafrique
5
15
16
31
30
37
Congo
149
200
228
240
252
267
Côte d'Ivoire
83
100
103
107
125
133
Gabon
34
129
191
195
236
282
Ghana
63
79
83
91
99
105
Guin ée
50
59
65
68
71
73
Haute-Volta
3
8
13
18
22
19
Kenya
69
79
87
95
100
104
Li beria
83
116
138
159
178
196
Malawi
22
22
23
. 22
22
21
Mali
14
33
1
43
51
60
69
Niger
6
8
12
16
16
Ouganda
43
5:1
51
48
44
52
Rwanda
16
19
26
27
26
27
Sénégal
116
142
155
165
174
180
Sierra Leone
43
51
55
54
51
50
Tanzanie
15
21
23
25
20
15
Tchad
16
12
14
18
23
Togo
44
67
72
101
116
130
Zaire
57
79
88
97
107
115
Zambie
35
87
100
.1 7 5
175
179
Nigéria
. 39
50
62
68
87
98
A quelques exceptions près, le nombre des
étudiants
dans la plupart des pays s'est progressivement élevé.
Mais si les proportions d'étudiants par rapport
au nombre d'habitants sont croissantes aussi,
on
doit cependant relever qu'elles reste~t faibles
ce qui veut dire que l'effort d'investissement
dans l'éducation ne peut que se poursuivre.
(1)
Source
Annuaire Statistique de l'UNESCO 1980

216.
Quoi qu'il en soit du nombre des étudiants dans
les différents pays,
le plus important ~ noter
est que les étudiants sont un groupe. social
important ~ tous les points de vue;
d'ailleurs
eux-mêmes savent qu'ils sont l'avenir de leur
pays et tiennent ~ préparer dans le présent cet
avenir. Plus que leur nombre,
c'est plutôt
leurs actions,
ce qU'ils font,
ce qU'ils pensent
et disent par l'intermédiaire de leurs organisations
qui font d'eux une force
sociale avec laquelle les
pouvoirs en place en Afrique sont obligés de
compter.
3 - Les organisations d'étudiants
Les
étudiants sont organisés dans des
"Unions",
des "Associations" ou des
"mouvements" sur le
sol national ou ~ l'étranger. En France par exemple,
pratiq~ement tous les étudiants des différents
pays africains avaient leurs organisations
(1) •
. . . 1...
(1)
De 1977 ~ 1980, le gouvernement français
ayant sorti des tiroirs le décret-loi de
1939 relatif aux organisations étrangères a.
interdit pratiquement ~outes les associations
et organisations des étuùiants africains en
Fran·ce.
·

217.
Il serait sansint~rgt de les ~num~rer toutes~
Des mouvements plus vastes qui étaient des
f~d~rations ou en tout cas regroupai~nt des
~tudiants de plusieurs pays ont exist~ ou existent

clandestinement
(1)
: on peut citE:r la F~d~ration
des Etudiants d'Afrique Noire
(FEANF),
l'Union
G~n~rale des Etudiants de l'Afrique de l'Ouest
(UGEAO), le Mouvement des Etudiants de l'Orga-
nisation Commune Africaine et Malgache
(MEOCAM),
et bien avant toutes ces organisations,
la West
African Students'
Union
(W.A.S.U.)
en Grande-
Bretagne.
Les organisations
et mouvements d'~tudiants
se cr~ent en principe pour d~fendre les int~rgts
mat~riels et mor!3-ux des membres; .mais ils sont
sollicit~s sans cesse par la politique et le
politique:
d'une part ils se r~servent le
droit d'intervenir sur tous les problèmes de
la vie" de leur pays et prennent posit.ion ou
engagent des actions de nature politique,
et
dtautre part ils sont utilis~s ou manipul~s
par les pouvoirs en place ou l'opposi~ion organis~e
ou non comme une base politique et un moyen
d'action.
. •. f ...
(])
La plupart des associations ainsi que la
F~d~ration des Etudiants d'Afriaue Noire FEANF
fonctionnent clandestinement à i'heure actuelle.

218.
On a ainsi en fait des organisations estudiantines
qui,
inféodées aux partis
(gouvernementaux le plus
souvent)
soutiennent ouvertement les pouvoirs en
place
(exemple
: le Mouvement des El~ves et Etudiants
de Côte d'Ivoire
(MEECI),
sous-section du Parti
Démocratique de Côte d'Ivoire
(PDCI)
et d'autres
qui,
se veulent autonomes et se livrent souvent
à une action critique oppositionnelle (exemple:
la FEANF et des
sections nationales comme l'Union
Nationale des Etudiants Centrafricains
(UNECA),
l'Association des Etudiants Guinéens en France
(AEGF),
l'Association des Etudiants et Stagiaires Nigériens
en France
(AESNF),
l'Association des Etudiants
et Stagiaires Togolais en France
(AESTF)
l'Asso-
ciation des Etudiants Congolais
(AEC)
etc.).
Pratiquement depuis mai 1968, i l ne se passe plus
de rentrée scolaire sans contestation estudiantine
dans tel ou tel pays d'Afrique.
Ainsi,
le premier.
trimestre de 1979-80 a
été marqué par de violentes
manifestations au cours desquelles i l y a eu
parfois des pertes en vies humaines. Au Mali,
la
gr~ve déclenchée le 16 novembre par l'Union
Nationale des El~ves et Etudiants du Mali
(UNEEM)
eut pour origine des problèmes d'intendance mais vira
au tragi.que puisqu'il y eut des morts •
.../ ...

En R~publique Centrafricaine, les manifestations
d~clench~es fin octobre ~ Bangui avaient un but
politique: les manifestants ~tudiants soutenus
parles enseignants r~clamaient l'extradition de
l'ex-empereur Bokassa et demandaient la reprise
de la table-ronde interrompue entre "les forces
vives de la nation".
Au S~n~gal,
le mouvement
partit de Ziguinchor au d~but de l'ann~e scolaire
la repri~e des cours n'aura lieu qu'~ partir du
21 janvier. Au Zaire,
une manifestation opposera
les ~tudiants aux forces de l'ordre le 21 janvier
les ~tudiants de l'Institut P~dagogique National
protestaient initialement contre le retarù apport~
au paiement de leurs bourses.
En 1981-82,
des manifestations estudiantines
agiteront plusieurs pays.
A Libreville au Gabon,
les ~tudiants et certains enseignants s'~ta~~
mis en grève pour r~clamer la lib~ration âu
recteur arrêt~, le campus sera ~vacu~ le
Il d~cembre 1981. A Kinshasa au Zaire, ~ la suite
d'une grève d~clench~e le 25 janvier 1982 pour
appuyer des revendications,
l'universit~ et
l 'Institut P~dagogique Nati)nal seront ferm~s
le 31
janvier,.
... / ...

220.
En Côte d'Ivoire aussi,
i l y aura fermeture le
10 février 1982 de l'université et de toutes les
grandes écoles à la suite d'une grève des étudiants
et des enseignants
(l'évacuation des cités
universitaires sera décidée avec la suspension
des bourses des
étudiants et des salaires des
enseignants~ L'université et les grandes écoles
ne seront réouvertes que le 4 mars après que le
pouvoir eut récupéré à son avantage tout le
mouvement de grève
: i l reçut des motions de
soutien de toutes les catégories sociales et de
tous les corps professionnels ;
ceux-ci apparemment
ont cru à la thèse développée par le pouvoir d'un
mouvement de déstabilisation orchestré par
l'extérieur.
Ce qu'on doit noter est que
beaucoup de
contestations estudiantines ont souvent pour
origine des revendications d'ordre matériel;
mais
ce n'est pas toujours le cas.
Les revendications
dépassent toujours le cadre purement matériel
assez rapidement,
elles débouchent sur des
problèmes politiques et sociaux qu'elles posent.
.../ ...

221.
En ·effet, les paysans étant tenus à l'écart de
l'action politique directe.
les salariés étant
contraints de se taire et de se cont~nter de leur
sort.
seuls les privilégiés de l'enseignement
supérieur que sont les étudiants et les enseignants
sont amenés à penser politique. à contester
l'ordre établi et à troubler la "quiétude" des
hommes au pouvoir.
Ceux-ci n'apprécient pas du
tout les "agitations" des
"turlupins"
"aux airs
de révolutionnaires" et ont t5t fait de considérer
ces
"agitations"comme des manoeuvres de déstabi-
lisation.
Les étudiants, malgré la répression qu'ils
peuvent subir.
n'hésitent pas à passer à la
contestation quand ilsle jugent nécessaire,
et ils agissent d'autant plus facilement ainsi
qu'ils ont conscience de la portée politique
de leur action.
Ils ont le sentiment de participer
au changement dans leur société.
Ils ont conscience
de leur importance.
Mais au fait qui sont les étudiants ?D'où
viennent-ils ? Et où vont-ils? Et que désirent-ils?
... / ...

222.
SECTION
II
ASPECTS DE L'UNIVERS DES ETUDIANTS
Deux résultats d'enquêtes sont à la base de
l'analyse qui va être faite. Les enquêtes sont
celle
réalisée
sur les étudiants noirs en
France par J.P. N Diaye (1) il Y a déjà une
vingtaine d'années et celle réalisée sur les
aspirations, opinions et conditions de vie des
él~ves et étudiants de Kisang~ni au Zarre en
1974-1975 au Centre de Recherche Interdisciplinaire
pour le Développement de l'Education
(C.R.I.D.E.)(2)
)
par Benoît Verhaegen et autres.
l
- Origine sociale des étudiants
Le niveau d'instruction de la famille des étudiants
et la profession des pères des étudiants sont les
variables qui sont prises en compte pour apprécier
l'origine sociale des étudiants. Ceux-ci sont
357 "finalistes" de Kisangani de la Faculté des
Sciences de l'EducationJde l'Institut Supérieur
Pédagogique, de l'Institut Supérieur d'Enseignement
Agricole/de la Faculté d'Agronomie.
.... / ...
(l)N Diaye J.P. op.cit.
(2;
ttLes ·étudiants et, les élèves de Kisangani
(1974-75).
Aspirations, opinions et conditions de vie",
C.R.I.D.E., Université Nationale du Zarre.
Cahiers du C.E.D.A.F., 1977 nO 7-8

TABLEAU X ~ NIVEAU D'INSTRUCTION DE LA FAMILLE
1
Père
·Mère
------
---------- ------ --------
Niveau d'études
rJf
!JI
n
10
n
/3
Aucune instruction
89
24,9
217
60,8
scolaire
Ecole primaire
13
3,6
7
2,-
incomplète
Ecole primaire
48
1],4
23
6,4
compl ète .
Deux ans d'études
39
10,9
7
2,-
post-primaires
-
1
Quatre ans d'études
36
10,1
l
0,3
post-primaires
Ecole seconda:i,.re
7
2,-
-
-
Ecole moyenne
8
2,2

0,3
supérieure (1)
Etudes universitaires
2
0,6
-
-
.
Indéchiffrables
41
11,5
29
8,1
,
San.s reponse
74
20,7
72
20,2
- -
357
100
357
100
(1)
Sous le re~lme colonial: école d'ctssistants
médicaux,
agronomes administr2tifs. Elle représentait
le niveau le plus élevé avec les séminaires des
prêtre~.

224.
Les 20.7 %de sans réponse sont assez importants
et empêchent de connaître toute la réalité. Si on
s'en tient aux réponses données.
on note que 25 %
~es pères des étudiants n'ont jamais été ~ l'école
et à" peine 26 %ont été au-delà des études primaires.
Le retard de la scolarisation des filles se marque
dans le fait que près de 61 % des mères n'ont reçu
aucune instruction scolaire.
Dans l'ensemble, les parents des étudiants de Kisangani en
1974~75 ont un niveau d'études relativement faible.
Mais on doit nnter qu'il est d~jà significatif que
plus de 75 % des pères sachent lire et écrire ;
ce
qui veut dire aussi que les étudiants sont
généralement les fils de gens instruits.
Quelle est la profession des pères ·des étudiants ?
.../ ...

225.
TABL~AU XI - PROFESSION DES PERES DES ETUDIANTS
n
01
/0
Cadres et patrons
(médecins, -crofesseurs
.
d'enseign~m~nt secondaire,
directeurs ae sociétés,
hauts fonctionnaires)
7
Employés et professions
non manuelles
(employés,
infirmiers, policiers,
militaires) .
72
20,2
Services de vente
26
7,3
Professions qualifiées
et artisanales
(culti-
vateurs, maçons)
172
48,2
Professions semi-qualifiées
8
2,2
Professions non qualifiées
12
3,4
~ans profession (maladesi
pensionnés
18
5, -
Chôm eurs
9
2,5
Indé chi ffra bl e
l
0,3
Sans réponse
14
3,9
357
100
On constate que la majorité des étudiants sont d'un
milieu plutôt modeste. Des 48,2 % des pères qui
app'artiennent aux "professions qualifiées et
artisanales",. il Y a en réalité 40 % de cultivateurs
ou de pêcheurs.
... / ...

226~
On remarque que le pourcentage de fils de cadres
est apparemment faible;
mais i l n'est pas si
insignifiant que
cela quand on sait qu'il n'est
peut-être pas celui des cadres dans la population
enti~re. L'ensemble des 34,5 %de p~res exerçant
des professions assez valorisées par la masse
indique que le nombre des étudiants issus d'un
certain milieu relativement à l'aise n'est pas
négl~geable.
A partir de l'étude de l'origine socio-professionnelle
des étudiants de Kisangani
et du niveau d'instruction
de leurs parents,
si on peut se permettre des
extrapolations à la plupart des étudiants d'Afrique
noire entre les tropiques,
que doit-on retenir 7
La majorité des étudiants sont issus de familles
paysannes ou engagées dans des professions de type
traditionnel et du secteur d'activités
primaires,
comme au moins les 3/4 de la population africaine.
Cependant,
une part~e relativement importante
des étudiants provient des milieux citadins,
de
parents cadres,
employés,
fonctionnaires,
commerçants .•.
et exerçant un
'emploi "moderne".
.. '. / . . .

On peut faire l'hypothèse que les étudiants de
famille modeste aussi bien que les autres auront
l'ambition de faire mieux que leurs parents.
Qu'apprennent leurs choix professionnels projetés?
2 - Aspirations professionnelles des étudiants.
Destination sociale.
L'enqu@te réalisée ~ Kisangani au C.R.I.D.E.
a porté sur le choix professionnel des 357 étudiants
"finalistes",
de 75 étudiants
"entrants" et de
325 élèves de 6ème année de 7 collèges. Voici
les résultats.
TABLEAU XII -
ASPIRATIONS PROFESSIONNELLES DES
ELEVES DE 6EME ANNEE DE KISANGANI
n
%
Cadres et patrons
217
?6,8
Employés et professions
non :nanuelles
72
22,2
Services de vente
8
2,4
Professions qualifiées et
artisanales
10
3
Professions semi-qualifiées
1
0,3
Indéterminé
1
0,3
Indéchiffrable
8
2,5
,
Sans reponse
8
2,5
325
100

228.
Les
~l~ves aspirent ~ devenir des cadres, ~ avoir
des professionsde niveau ~lev~. Et les ~tudiants ?
TABLEAU XIII - ASPIRATIONS PROFESSIONNELLES DES
ETUDIANTS
"EI:TRANTS" ET D-::S E'TUDIANTS
"FINALISTES"
"ENTRANTS"
t1F]I~ALISTES" 1
------~-----------------~-------
n
01
j:!
n
%
Cadres et patrons
53
70,7
268
75
Frnploy~s et professions
non manuelles
13
17,3
52
14,6
-
Services de vente
l
1,3
13
3,6
Professions qualifi ~es
et artisanales
2
2,7
8
2,2
Sans profession'
(ne souhaite pas
travailler)
l
0,3
Ind~chiffrabl e
l
1,J
5
It4
,
Sans reponse
5
6,7
10
2,8
75 100
357
100
Les aspirations professionnelles des
~tudiants
"entrants" et des ~tudiants "finalistes" sont,
on
le constate
très
~lev~es ; les ~tudiants veulent
t
devenir des cadres ou s'attendent ~ devenir des
cadres ou des ~atrons".
. . ./....

229.
On note que les aspirations des élèves et des
étudiants s'élèvent au fur et à mesure qu'ils
avancent dans les études: i l y a plus d'étudiants
"finalistes" à désirer devenir des
"cadres et
·pat"rons"
(75
%) que les "entrantsf!
(70,7 %);'3t
ceux-ci plus que les élèves de 6ème a~née du
secondaire
(66,8 %)
Lorsqu'on demanda aux étudiants de pr~ciser le
type.d'employeur qu'ils souhaiteraient avoir,
on se rend
compte que l'emploleur souhaité en
premier lieu n'est pas l ' E t a t ;
ce sont d'abord
les sociétés privées ou publiques
(32,5 % des
choix exprimés).
~8,3 %des étudiants prétendent
préférer travailler à leur propre ,compte
(sans doute
s'agit-il de carrière dans les professions libérales),
et seulement 24,4 % choisissent la fonction publique.
Visiblement,
le capitalisme a pénétré la société
zafroise ;
et les étudiants d'aujourd'hui
savent
..
plus que leurs aînés d'hier dans quels secteurs
se placer pour avoir assez rapidement de l'argent.
Il y a quelque vingt ans,
les étudiants choisissaient
d'abord le secteur public, puis les professions
... / ...

230.
liœrales; ensuite venait le privé
(1).
Il faut
peut=êt~e reconnaître qu'en fait le secteur
privé était très peu développé et que les offices
et les
"para-étatiques" étaient pratiquement
inex~stants ; la fonction publique et le domaine
de l'Etat étaient les secteurs les plus en vue.
Dans tous les cas,
le fait notable est que .les
étudiants ont des ambitions professionnelles.
Et
la majorité croi{ ou semble croire que ·sa
de3tination "naturelle" est la situation de cadre.
Il ne s'agit pas là apparemment d'un comportement
qui serait spécifique aux étudiants de Kisangani
ou des étudiants zalrois.
C'est l'ensemble des
étudiants et élèves africains qui a
ce
genre
d'am bi tions.
On doit admettre qu'effe~tivement beaucoup de ces
étudiants deviendront demain des cadres .. Ils
auront pris la revanche sur le sort que leur
réservaient d'emblée leurs origines sociales
modestes pour beaucoup d'entre eux.
... / ...
(1) D'après J.P. N Diaye,
op.cit.
: 72,1 % des
choix allaient au sec~eur public, 19,3 %
aux professions libérales et 8,6 % au sectBur
privé.

231.
On retiendra donc que les étudiants se recrutent
aujourd'hui de manière croissante dans
toutes les
classes et couches des sociétés africaines. Les
étudiants d'origine paysanne sont nombreux;
mais
l'effectif des étudiants d'origine "petite bourgeoise"
·s'élève de 'plus en plus
ainsi que celui des
étudiants de milieu "bourgeois".
La présence de tous ces étudiants dans les mêmes
universités entraîne une certaine homogénéisatïon
progressive du milieu étudiant,
résultant de
préoccupations communes d'ordre matériel, moral
et social,
du fait des mêmes connaissances acquises
ense~ble et du destin social à l'horizon qui
n'apparaît pas bouché ou sombre.
Il est vrai que
tout le monde ne sera pas appelé à exercer les
mêmes fonctions dans la société ;
mais pour le
moment, les étudianti dans leur grande majorité
ne sont pas destinés à être des prolétaires ou
des sous-prolétaires.
Aussi,
sur ce plan," peut-on
s'autoriser à parler d'une certaine homogénéisation
du destin futur qui' peut être décrit grosso modo
de la manière suivante - à travers différentes
fonctions
:
... / ...

-
- - - - - -
232~
- Une partie non négligeable des
étudiants ne terminera
pas ses études pour diverses. raisons
(échecs
successifs,
raisons familiales et personnelles •.• )
mais ils ne deviendront pas pour cela des ratés.
Ces étudiants,
même sans qualification universitaire
complète,seront des salariés dont beaucoup
connaîtront une certaine aisance de vie .••
- Une partie terminera ses études et embrassera
les professions libérales;
- Une dernière partie plus nombreuse terminera ses
études et deviendra des cadres des
secteurs privé et
public et des appareils de l ' E t a t ;
certains de
ces
étudiants deviendront des agents de maîtrise.
Les
différentes fonctions que ces cadres et agents de
maîtrise exerceront entraîneront parfois
certa~ns
d'entre eux ~ conserver ou ~ découvrir un intérêt
pour les classes populaires;
d'autres ne chercheront
qu'à s'identifier avec les desseins des couches
possédantes et dominantes.
Il est évident que les attitudes socio-politiques
que les uns et les autres auront acquises durant
leur formation ainsi que l'idéologie ou même
l'engagement politique que
chacun aura marqueront,
~ n~en point douter, le rapport ~ la société et
au pouvoir.
... / ...

233.
3
Attitudes et opinions socio-politiques des étudiants
L'Enquête sur les étudiants noirs en France de
J.P.
N Diaye et celle sur les étudiants de Kisangani
ont des questions qui se recoupent sur les attitudes
socio-politiques des étudiants,
ce qui permet une
comparaison entre les étudiants en France, des
années 1960 et ceux des années 1970 en Afrique même.
N Diaye avait posé cette question aux étudiants:
"Quel homme africain suscite le plus votre admiration,
votre respect "?". L~s résultais en nombre de fois
cité donnaient les noms suivants par ordre de
fréquence:
Sékou Touré,
46,4 % ; tumumba, 30,3 %
Kwame NKrumah, 16,3 ~ ; Senghor,
5,3 % ;
Jomo Kenyatta,
2,6 % ; puis Houphouet-Boigny et
les autres.
S~kou Touré était ~ l"époque le plus admiré &es
leaders africains.
Quelle en étaient les raisons?
Celles que les étudiants évoquaient tenaient
d'abord ~ sa détermination et ~ son courage
nationalistes,
~ son'combat pour la dignité de
l'homme africain,;
ensuite ~ son souci de toute
l'Afrique, de l'unité africaine. NKrumah et
Lumumba sont cités pratiquement pour les mêmes
motifs.
... / ...

234.
C'était dans les années dé l'après-indépendance.-
Que de choses se sont passées depuis
cette époque
Que répondent les étudiants ~ la m~me question
une décennie après ?
Les trois dirigeants les plus estimés par les
étudiants de Kisanganie en 1974-75 sont par'ordre
de préférence NKrumah,
Senghor et Nyerere.
Sekou Touré n'est choisi que par 17,9 %des
interrogés alors que NKrumah obtient près de
33 % des choix. On note t~ut de fu~me que Sekou Touré
n'est pas totalement diflualifié par les étudiants
qui ont de quqi lui reprocher mais reconnaissent
en -lui le nationaliste.
Les trois dirigeants les plus estimés par les
étudiants le sont pour des raisons qui tiennent
aussi bien à leur action et ligne politique qu'~
leur personnalité: NKrumah,
Senghor et Nyerere
partagent en effet une certaine visi')n et une
visée de la société, à travers un socialisme que
chacun concevra et exprimera ~ sa manière •
.../ ...

235.
Quand i l s'agit des pays africains les plus
estim~s (ceux qui attirent le plus), les
r~po~ses des ~tudiants dans l'enqu~te de
J.F.
NDiaye étaient les suivantes:
,Guinée
(32,3 %),
Ghana
(14.5 ,%),
Congo-Brazzaville
(10,2 %), S~n~gal
(6,3 %), Nig~ria
(6,3 %). Et
les pays du monde pr~f~r~s ~tai'etlt
l'URSS
(25 '%),
la Chine
(20 %),
Israel
(14 %),
Cuba
(12 %),
la France
(8 %), la Suisse
(6 %).
D'après les explications fournies par les ~tudiants
des ann~es 1960, l'URSS forçait leur admiration
pour la rapidit~ dans le progrès r~alis~ et pour'
son id~ologie (socialiste). La Chine ~tait admirée
pour son effort de développement et pour ses
méthodes et, capacités d'action;
Israel pour les
progrès réalisés à partir de presque rien et pour
son esprit combatif; la France pour son attachement
à, la liberté.
Le choix de tous ces pays indique en creux tout
ce que les ~tudiants souhaitent pour leur pays
et dit les orientations politiques et de
développement qui sont les leurs.
... / ... .

236.
Aujourd'hui,
les ~tudian~s font-ils les mgmes
choix de pays que ceux des ann~es de l'apr~s-
ind~pendance, et pour les mêmes raisons?
L'enqugte de Kisangani r~v~le qu'en ce qui concerne
les pays africains,
ceux qu'on admire le plus
du point de vue de leur organisation et de la
.
.
politique pratiqu~e sont: le Zaïre (32,8 %),
le S~n~gal (27,4 %), le Congo
(21,8 %) la
Tanzanie·(20,8 %), la Zambie
(20,4 %), la
Côte d'Ivoire
(20,2 %).
A part le Zaïre pour lequel des consid~rations
affectives et même chauvines ont pu interf~rer
avec ce qu'on croyait n'être li~ qu'à l'organisation
et à la politique,
la liste des pays cités fait voir
que ceux dits mod~r~s et ceux dits radicaux
al ternent sans que ·se d~gage une dominante
significative.
Les raisons.des choix se pr~cisent nettement
ainsi: politique g~n~rale d'·un pays
(54 %)
;
la politique ou la r~ussite ~conomique (35 %)
la stabilité politique
(29,7 %)
; la paix
int~rieure (21,6 %) etc.
. ... / ...

237.
Les pays africains les moins estimés cités en
premier lieu sont l'Afrique du Sud, le Zafre,
le Centrafrique,
l'Ouganda et le Tchad
(rappelons
que l.'enquête date de 1974-75).
Il n'y a rien d'étonnant que 'l'Afrique du Sud
soit rejetée par des étudiants noir~ africains
tout le monde sait pourquoi. Apparemment i l est
curieux que le Zaire qui était désigné comme le
pays préféré soit en tête des pays les moins
estimés. Deux interprétations se complètent pour
éclairer l'apparente contradiction des étudiants
zairois de Kisangani.
On peut penser d'abord que
les étudiants qui ont dit leur préférence pour le
Zaire ne sont pas les mêmes qui l'ont désigné
parmi les pays les moins estimés;
et dans ce cas,
on remarque banalement que les étudiants zairois'
n'ont pas tous la même attitude vis-à-vis de leur
pays. Mais on peut aussi
considérer que chez
certains étudiants puisse habiter une ambivalence
à l'égard de leur pays qu'ils aiment parce que
c'est leur pays et qu'ils n'aiment pas' pour
diverses raisons.
... / ...

238.
Celles qui
sont évoquées pour rejeter les pays
les moins estimés tiennent ~ "leur idéologie
politique
(57)1 %), ~ leur instabilité politique
(troubles)
(47,3 %),
aux défauts de leurs dirigeants
(16 %), ~"la dépendan~e ~ l'égard de l'étranger ~12,6" %),
etc.
Visiblement pour les cas de l'Ouganda et du
Centrafrique, les personnalités de Idi Amin et de
Bokassa,
et tous les problèmes et crises dans
c~s pays ont influencé largement le jugement des
étudiants de Kisangani.
On constate que les pays ~ option socialiste ne
sont pas"en premier lieu parmi
ceux que les
étudiants désignent comme les moins estimables.
Quand i l est demandé aux étudiant~ d'apprécier'
les pays i
l'échelle du monde,
les plus positivement
cités sont: lés Etats-Unis
(44,2 %)
; la·Chine
(16,8 %)
; l'URSS
(14,3 %)
; le Japon
(3,4 %)
;
l'Allemagne de l'Ouest
(2,5 %). Les plus
négativement cités sont: les Etats-Unis
(31,9 % )
l'URSS
(26,3 %)
; la Chine
(6,4 %)
; la France
(3,9 %)
; la Grande-Bretagne (3,1 %).
... /
.

239.
On observe que les Etats-Unis· sont ~ la fois le
pays ie plus estimé et le moins estimé. On peut
supposer qu'il y a des
"adversaires"
et des
admirateurs de ce pays ou que les attitudes
. vis-~-vis de ce pays sont ambivalentes,
comme
elles semblent l'être ~ l'endroit des pays
socialistes
(URSS,
Chine).
On peut presque dire
que les "adversaires" des Etats-Unis et ce~x
des grands pays socialistes sont d'imDortance
égal~.
L'idéologie des différents pays est un élément
important qui
conditionne le choix ou le rejet
des pays par les étudiants;
de même que l'at~itude
de ces pays ~ l'égard de l'Afrique et leur action
dans le Tiers-Monde en général.
On note donc que les ~éponses des étudiants de
Kisangani aux questions relatives ~ leur préférence
pour les dirigeants ou les pays africains ou du
monde ne sont pas tr~s tranchées. Elles donnent
banalement ~ ~avoir qu'une partie des étudiants
a des attitudes et opinions socio-politiques
que ne partage par forcément une autre partie
.../ .. .

240.
ou alors elles indiquent qu'une cer~aine ambivalence
caractériserait une bonne partie des étudiants.
Les étudiants zaïrois et plus généralement les
étp~iants africains d'aujourd'hui auraient-ils des
attitudes politiques moins tranchées~et sans
orientation dominante/que celles des étudiants
noirs en France d'il y a une vingtaine d'années?
Quand dans son enquête J.P. NDiaye avait demandé,en 1962,
aux étudiants de préciser la forme d'économie
qu'ils souh~itaient pour l'avenir de leu~ pays,
il avait obten~ les réponses suivantes:
"socialisme intégral
(URSS, Chine)" : 37,8 % ;
"socialisme populiste et communautaire" : 29,2 %
"socialisme libé~al .(Scandinavie)" : 19,7 % ;
lléconomie libé:::-ale
(prédominance ·d'entreprises
"
,
)"
6 8 !JI
"1
"t 6 5 cd'"
1'+
. '
prlvees
:
,
~;
l
Y aval
,
p
lnaevermlnes.
La question de forme d'économie souhaitée n'a
pas .été posée aux étudiants en 1980: On ne peut
donc pas préjuger de leurs répons~s. En prenant
acte du fait que les étudiants des années 1960
avaient dans l'ensemble une tendance à opter pour
le socialisme, on peut se demander s'il y a
rupture entre ces étudiants et ceux d'aujourd'hui?
... / ... .

241.
Les différentes prises de positions des différentes
organisations estudiantines, leurs actions
(manifestations,
gr~ves.•. ), leurs motions,
les actes de leurs congr~s doivent aider A
percevoir l'orientation dominante dans leurs
attitudes socio-politiques,
encore qù'il faille
toujours compter avec le fait que les organisations
ou les étudiants sont divisés, les uns son~ engagés
aux côtés des pouvoirs en place,
les autres se
vculant autonomes se livrent davantage à l'action
critique.
A la vérité,
qu'on ait affaire aux écrivains,
aux enseignants,
aux étudiants ou à d'autres
catégories d'intellectuels,
on doit toujou~s
s'attendre à ce qu'ils n'aient pas tous les mêmes
attitudes à l'égard du pouvoir. Aussi apparaît-il
bon,
dans une recherche 'comme celle-ci,sur les
intellectuels et le pouvoir,
de considérer d'un
côté les intellectuels dans le pouvoir et de
l'autre les intellectuels contre le pouvoir.
Ce
sont les objets des 3~me et 4~me parties de ce
travail.
. ../ ...

242.
IIIème
PARTIE
LES INTELLECTUELS DANS LE POUVOIR

243.
PRESENTATION
Cette partie traite du problème'de la participation
au pouvoir recherchée par les diplômés et intellectuels.
Le chapitre l
fait le constat de cette participation
en se posant continuellement ces questiôns-ci
: qui
accède au pouvoir et en quoi réside l'appui au pouvoir.
Le chapitre II présente un essai d'explication théorique
de la recherche de participation des intellectuels au
pouvoir en posant la double question suivante:
pourquoi les intellectuels et diplômés veulent-ils
~tre du pouvoir et pourquoi le pouvoir recherche-t-il
leur participation?
.../ ...

244.
CHAPITRE l
LA PARTICIPATION DES INTELLECTUELS AU POUVOIR
Dans. l '~Hganisation sociale ou,
si l'on préfère,
dans
les organisations
(l'Etat lui-même en est),
c'est-à-dire
"des ensembles sociaux délimités,
gérés par une
autorité centrale"
(1),
ceux qu'on appelle l e s '
intellectuels apparaissent .une pluralité de catégorie?
ils sont à la fois
techniciens,
contrôleurs,
cadres
exerçant une autorité ou encore experts donnant parfois
l'impression d'être' indépendants du pouvoir.
Il est
difficile en fait de les concevoir comme en dehors du
pouvoir, fondement de l'autorité au niveau de l'organisation
,
sociale. Mais leur rapport au pouvoir est marque. par
leur adhésion ou leur soutien plus ou moins important
à·
ce pouvoir~
La manière ostentatoire dont des catégories d'intellectuels
et diplômes manifestent leur adhésion au pouvoir,
ou sont
impliqués dans une participation au pouvoir,
a servi de
critère pour retenir celles mentionnées ici.
... / ...
(1) Touraine
(A),
Production de la société, Paris,
Seuil 1973,
p. 16

245.
Ce sont : les cadres, les étudiants officiellement
acquis au gouvernement ou au parti de leur pays,
et
les idéologues de tous bords qui tentent de justifier
et de légitimer le pouvoir et ses actes. L'hypoth~se
que. les élites intellectuelles. forment l'essentiel des
élites politiques a conduit à inclure a~ssi dans
cette étude les dirigeants ou précrsément l'élite
au pouvoir.
.../ ...

SECTION
l
L'ELITE DIRIGEANTE OU L'ACCOMPLISSEMENT DE
LA RECHERCHE DE PARTICIPATION
AU
POUVOIR
Plutôt que de verser dans le débat idéologique et
stérile de savoir si on peut être.intellectuel et
participer au pouvoir ou si on perd sa qualité
d'in tellectuel dès qu'on entre dans le pouvoir,
il a paru plus enri chi s san t
d'analyser l' ac·cès. au
pouvoir du personnel politique,
en particulier du
personnel qui occupe les sommets de l'apparëil de
l'Etat afin de mettre en lumière la place des
élites i,..,\\,d1e.c..(ucll.z;; et préciser qui sont ces élites
intellectuelles dans le pouvoir.
... / ...

247.
Qui acc~de ou a acc~d~ au pouvoir ? Pour r~pondre ~ cette
question, 'les variables suivantes
sont considér~es
l'origine professionnelle,
le niveau d'~tudes, la
comp~tence technique, la comp~tence politique "ou
administrative acquise ~ l'int~rieur du syst~me en
place,
le capital social
(de relations),
l'influence
politique. Ces variables permettent de formuler
l'hypoth~se suivante: la profession et le niv~au d'études,
et par cons~quent la compé~ence technique,
sont des bases
utiles pour l'accès au pouvoir,
mais elles sont
insuffisantes:
la compétence administrative et politique,
l'influence politiiue,
Itorigine sociale et le capital
de relations sont tr~s importants.
Les varictbles doivent se lier et se combiner dans les
situations réelles ;
mais,
pour des raisons de clarté
dans l'exposé. et m~me dans l'analyse, les variables retenues
seront ~tudiées séparément et successivement pour certaines
d'entre elles;
c'est le cas de la profession et des
niveaux d'études
en effet,
une catégorie socio-
professionnelle ne correspond pas toujours à un niveau
d'études pr~cis ; elle peut recouvrir plusieurs niveaux
d'études;
par exemple,
la cat~gorie "santé" comprend des ",qclt(t~~
J(~ infirmiers,
des
sages-femmes,
etc.
dont les niveaux
d'études sont diff~rents.
... / ...

248.
Cette étude considère
:
1) la profession,
la fonction,
et l'accès au pouvoir
2) le niveau d'études,
la compétence et l'accès au pouvoir
3) l'origine sociale,
le capital social,
l'influence
politique,
le clientélisme et l'accès au pouvoir.
A - PROFESSION, FONCTION =T ACCES AU POUVOIR
Quelles sont les catégoties professionnelles qui ont accédé
au pouvoir le plus régulièreme~t dès la constitution des
premiers conseils de gouvernGment en 1957 dans.les pays
francophones
jusqu~aux gouvernements nationaux de 1980 ?
~uellessont les catégories qui ont eu la primeure et la
primauté de l'accès au pouvoir? Des catégories se sont-
elles substituées à d'autres du point ?e v~e de leur
importance numérique dans les gouvernements ? Et,
dans
tout cela,
quelle est la place de toutes celles qu'on a
appelées les élites intellectuelles? Leur place
autorise-t~elle à parler de monopole du pouvoir par·les
élites intellectuelles pour au moins des périodes
donnée~ ou m~me de façon permanente ?
... / ... '-

249.
Au mois de juillet.1957,
tous les territoires d'Afrique
occidentRle et d'Afrique ~quatoriale françaises avaient
consti tué leurs "Conseils de Gouvernements" insti tu~s
par la loi du 23 juin 1956. La structure de ces premiers
gouvernements locaux a ~t~ ~tudi~e par Philippe Guillemin(l).
L'examen de l'origine professionnelle des ministres
territoriaux telle qu'elle est pr~sentée par Guillemin
sur le tableau ci-dessous r~vèle plusieurs fa~ts.
TABLEAU l
-
ORIGINE PROFESSIONNELLE DES MEMBRES DES CONSEILS
.
DE GOUVE~NEMENT
Professiops Fonctionnaires Enseignants
Industri els
lib~ra1es
(a)
Commerçants
Gabon
33
25
42
Hoyen-Congo
20
50
10
20
Oubangui
33
33
17
20
Tchad
22
44
Il
22
Soudan
58
25
17
S~n~gal
27
36
36
Niger
40
10
30
20
~lauri tani e
Il
56
Il
22
Haute-Volta
.17
17
58
8
Guin~e
42
33
17
8
Dahomey
30
IG
40
20
Côte d'Ivoire
62
.23
15
A.E.F.
18
40
16
25
A.O.F.
36
26
26
12
(a)
"Fonctionnaires"
agents administratifs.
(1) Guillemin
(Ph)
"La structure des premiers gouvernements
locaux en Afrique noire" in Revue française de
Sciences politigues, 1959, vol.
IX, nO 3

250.
On constate d'abord le nombre important des agents admi-
nistratifs et des enseignants;
ces agents de l'Etat
repr~sentent ~ eux seuls 56 % des ministres de 11A.E.F.
et presque autant en A.O.F.,
52 %. Ces fonctionnaires
s?ntsuivis par les membres ges professions lib~rales
(ceux-ci sont en fait souvent des fonctionnaires ou des
employés con tractuel s de l'administra ti on)
: il s repré-
sentent 36 % des ministres en A.O.F.
et 18 % en A.E.F.
Suivent après tous ceux que Guillemin a regroup~s sous
la rubrique Industriels-Commerçants-Planteurs : 25 %
en A.E.F.
et 12 % en A.O~F.
On remarque que,
tandis que certains Conseils de gouverne-
ment sont constitués essentiellement de membres de
prQfessions lib~rales (cas ivoirien), d'autres n'ont pas
recours ~ ce groupe professionnel, par exe~ple le Gabon"
qui s'est int~ress~ su~tout au groupe Industriels-
Commerçants-Planteurs. Ce groupe n'est pas représenté
dans les Conseils de gouvernement du Soudan et du
Sénégal. On note que 58 %des membres du Conseil de
gouvernement mauritanien sont des agents administratifs
et 58 % des membres du Conseil de gouvernement de
Haute-Volta sont des enseignants.
Lorsqu'on considèr2 la r~partition professionnelle, on
a alors les pré-ci si on s sui va-,l tes que fourni t
ce tableau - ci .
. . ./ ...

TABLEAU II
251.
Répartition professionnelle des ministres des
con sei 1 s de gouver.nemen t
de j ui llet 1957
(1)
Z O
Z
l'ilc.:l
c:o
<DO ~i
z
H
0:
' J [::il
""=
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Q
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u
0
Z
;;e:E-<
::r:;>
c.:l
~
;:...,
Medecins,
2
1
3
1
2
2
2
1
2
16
vétérinaires
Jl.vocats, juristes
2
2
1
1
2
8
Ingénieurs
1
'2
2
3
1
1
10
Pharmaciens
1
1
1
3
Journalistes
1
1
Agents
(a)
administratifs
Cadre
supérieur
4
1
1
2
1
1
2
2
1
1
1 6
Cadre inférieur
1
1
2
4
1
9
Enseignant cadre
'
.
1
2
1
1
5
superleur
En s ei gn.an t
cadre
3
1
1
1
1
2
2
1
6
4
22
inférieur
Syndi calistes
2
1
1
4
Greffiers
1
1
1
1
1
5
Hauts
(b)
1
1
1
1
4
fonctionnaires
Industriels et
directeurs de
1
1
1
1
1
1
1
7
sociétés
1
1
Planteurs
1
1
1
3
Commerçants,
2
1
1
artisans
"
4
Ecclesiastique
1
1
Chorégraphe
1
1
a)' Le .cadre inférieur des agents admini s.tra tifs comprend les
interprètes, les' secrétaires ·d'administration.
b) Essentiellement d.' anciens gouverneurs
(1)
cf. Da~e Buivante
"
.:0

252.
On constate le nombre relativement important des
enseignants et surtout d'instituteurs. Ainsi, pour
27 enseignants faisant partie des conseils de gouvernement
des deux fédérations
(AOF et AEF), il Y avait 24 agents
administratifs, 16 membres du corps médical ~ont
4 vétérinaires, 10 ingénieurs, 7 juristes, l
expert-
comptable (regroupé par Guillemin avec les 7 juristes
pour faire 8),
7 industriels ou directeurs de société,
4 hauts fonctionnaires
(anciens gouverneurs),.
4 syndicalistes dont un
cheminot,
3 pharmaciens,
3 commerçants, 3 planteurs, dont un'exploitant forestier,
l
jo~rn~liste, l ecclésiastique et l chorégraphe.
On constate que pratiquement la classe ouvrière est
absente,
de m~me que la classe paysanne (les deux planteurs'
notés sur le tableau ne sont pas en fait de simples
paysans illettrés. Ceux qu'on appelle.ainsi sont parfois
des anciens fonctionnaires).
Compte tenu de la nature et. de la structure du pouvoir
instauré avec la colonisition, ne fallait-il pas en effet
être "lettré" et avoir travaillé dans ses appareils et
ses rouages .pour y accéder. Le "nouveau" pouvoir n'a pas
besoin de la "sagesse" des vieux ou des paysans illettr.és.
Lorsqu'on soustrait de ces conseils les membres non
africains, on obtient ce tableau-ci.
(l)cf. page précédente. Ce tableau (II) a été établi à
partir de celui réalisé par Guillemin,
loc.cit. p.672.
Mais il a été modifié à la suite de précisions obtenues
dansL\\:~]";'lirc r"l::.ti~';.ê' d'.ifriCiue ~~oi~'e (:3ull-27,in
quotidien d'outre-mer,no sp~cial 1er juillet 1958) et
Annuaire poli tioue è!.e l'Afrioue éCJliatC'ria' 2' f~"1nc[:ise
\\;Iaut CüF:,üs~~~èri~:.t cie la ~\\~]Juuliqli2 eL AE.:).I_ se::ole
C:U 'il y ni t
quelques erreurs s;~r le k:ole:,,',; d,' Guillà::dl1.

253.
TABLEAU 3 - ORIGINE PROFESSIONNELLE DES MEMBR~S A~RICAINS
DES CONSEILS DE GOUVERNEMENT (JUIDLET 1957)
(Pourcentage par rapport aux totaux verticaux:
les ch~ffres entre p~rent~èsss sc~t les effectifs)
Professions
Fonction Ensei-
.l.ndusrieJs
Non
Terri toires
'.
libérales
naires
gnants
Comme:'g a rts .m- M'ri- Tota
?1anteuri3
'RIDs cains
Gabon
33(4)
25 (3)
8(1)
8
4
12
j~oyen-Congo
10(1)
50(5)
10 (1)
10(1)
8
2
10
Oubang1;i -Chari
33(2)
33(2)
17(1)
5
1
6
Tchad
11(1)
33 (3)
11(1)
2'2 (2)
7
2
9
Soudan
50(6)
17(2)
17(2)
la
2
12
-
Sénégal
9(1)
36 (4)
36(4)
9
2
11
Niger
40(4)
la (l)
30(3)
la (1)
9
1
la
Mauritanie
11(1)"
44(4)
11(1)
11(1)
7
2
9
Haute-Volta
17(2)
8(1)
58(7)
8(1)
II
1
12
Guinée
25 (3)
33 (4)
17(2)
8(1)
la
2
12
Dahomey
30 (J)
10(1)
40(4)
8
2
la
Côte d'Ivoire
54(7)
15(2)
7(1)
la
3
13
.AEF
14
40
16
6
AOF
27
23
26
5
1
La sup~riorité numérique des agents administratifs et des
.
enseignants se maintient. Ces fonctionnaires sont suivis par
les membres des professions libérales.
• •• ,1 •••

254.
Le fait le plus notable est le noœbre relativement bas de
la catégorie des industriels-commerçants-planteurs. A cette
époque,
effectivement, il n'y avait pas beaucoup d'Africains
à exercer les professions regroupées dans cette catégorie.
Autrement dit, l'importan~e constatée de cette catégorie dans
le premier tableau est le fait' du nombre des expatriés
européens. Et du coup,
on comprend pourquoi le cas du
Conseil gabonais paraissait curieux.
On voit aussi réduit le pourcentage des membres des professions
libérales du Conseil d8 gouvernement gUiriéen : il passe de
42 sur le tableau l à 25 sur le tableau 3.
Les-tableaux l, 2 et 3 permettent donc de constater nettement
que l'élite politique des années 57 était issue avant tout de
la fonction publique et des professions li~érales. Pour faire
de la politique, ne fallait-il pas en effet être inséré dans
le système social et politique qui s'imposait alors?
Ne fallait-il pas être déjà de l'élite sociale? Et qui
étaient les
élites sociales ?
. . ./ . ..

255.
Les ~lites sociales,
comme lia soulign~ Seurin (1), avaient
deux origines
:
- le d~veloppement ~conomique qui favorisera l'~~ergence
de cat~gories sociales dont llinfluence s'accroîtra et
qui parti~ipera au "capitalisme"
africain,
embryonnaire
le dével~ppement de la scolarisation qui permettra la
cristallisation d'une l'intelligentsia",
en mgme temps
qu'elle fournissait les cadres et employ~s n~cessaires
à l'administration et aux organisations politiques.
Sur le pl&n ~olitique, on doit souligner l'influence croissante
qu'exercait une certaine "bourgeoisie~ noire compos~e des
gens de l'administration,
des commerçants lettr~s de
l'import-export,
des employ~s, des salari~s et des planteurs
lettr~s. Il est à noter aussi l'influence d'un syndicalisme
africain apparu dans
Le secteur tertiaire,
sous l'initiative
des 1'lettr~s" de l'administration et des salari~s qualifi~s
du commerce,
et qui,
à partir de la promulgation du code
du travail en 1952, va jouer un rôle important: les partis
politiques prendront appui sur lui
(2).
Mais c'est v~ritablement
au progrès de la scolarisation qu'il faut rattacher le
leadership politique exerc~ en Afrique par les ~lites intellec-
tuelles.
(1) Seurin (J.L.),
"Elites sociales et partis politiques d'AOF"
Annale
Africaine, 1958
(2)
On retrouvera par exemple dans les conseils de gouvernenent
des syndicalistes.
D'après Seurin,
i l y aurait j~squ'à
7 anciens leaders syndicaux:
Camara Latyr
(S6n~gal),
Pi~llo Abdoulaye (Soudan), Fagbamigbe Guillaume 1Dahomey)
Ouedraogo Joseph
(Haute-Volta),
Camara Be~~ali (Guin~e. sans
compter-Sékou Touré lui-mgme)
Fiankan Josenh
(Côte d'Ivoire)
Dialo Bakary
(Niger)
-

256.
Qui appelait-on les élites intellectuelles?
Avant 1945,
l'brientation de l'enseignement contribua à
établir
un lien étroit entre la notion d'1nstruction et celle d'emploi
administratif.
Aussi,
les élites intellectuelles,
c'est-à-dire
les personnes assumant un emploi intellectuel i~pliquant un
minimum d'instruction de type occidental,
vont-elles être
constituées par
:
a)
les fonctionnaires,
c'est-à-dire les personnels des
administrations et les personnels enseignants
b)
les membres des orofessions lib~rnles.
L'importance de ces élites intellectuelles a été
soulignée
dans l'étude des
conseils de gouvernement.
Les membres des
proiessions libérales étaient d'autant plus importants qu'ils
étaient en fait peu nombreux.
Dès qu'ils constituaient un
petit noyau,
ils étaient· entrainés dans l~ politique. Quant
aux fonctionnaires
très nombreux dans les conseils de
gouvernement,
ils auront une place prépondérante dans la
vie des partis politiques.
tans les assemblées terfi-
toriales,
ils représenteront à
eux seuls enVlron 50 % des
élus:
on
s'en rend compte sur ce tableau établi par Seurin
(1)
... / ...
(1)
Seurin
(J.L.), loc.cit, p. 154

257.
TABLEAU IV - LES ELUS DES ASSEMBLEES TERRITORIALES DE L'AO?
(1957)
(effectifs par '}cYè> e+, fJolléceD~,age3
par
groupes professionnels)
R
Groupe
1
H
0::
>-<
H
professionnel
H~
<I:
Z
~
H
R
<I:
~
<I:
O::H
CI
<I:
0::
~
~c
E-.
E-<
::E:
E-<
:=oz
~
q
~
:z
E-<>
~
H
C
0
<I: <I:
Z
:=0
CI
H
OH
<I:
0
::r::
E-<
*
::E:E-<
~
0
H
:=0
e>-
::r::
>
rJ)
rJ)
~
;;
CI
Cl
Admi YÜ stra ti on :
--------------
Administration:commis
15
11
21
22
17
16
17
11
130 27,45
agents ,.secrétair.es, etc
Er.. s ei gn eJ:l en t: j:rofesseurs
2
20
16
6
14
13
14
20
105 22,18
instituteurs,moniteurs
Professions li bérales:
---------------------
Santé ;:>ubliqUE :médec:lns
1
3
11
10
12
3
14
14
68 ~4,36
vétéri naires, phann& ciel'
Jllristes:avocats,
1
8
0
2
2
6
4
1
24
5,07
magistrats, officiers
ministériels
.
COr.Jmerce Et industrie:
direction, cadres,
3
7
12
8
4
13
7
11
65 ~3,73
employés
Agriculture:planteurs,
forestiers,agricul-
0
0
0
3
2
7
2
2
16
3,35 1
teurs
Chefferies:chefs de
9
0
5
6
3
0
8
0
31
6,73
caYlton,chefs couturnierE
. Syndicalistes
0
1
0
1
1
1
0
0
4
0,84
Divers et sans
3
10
5
2
4
1
4
1
30
6,31
profession indiquée
TOTAL
34
60
70
60
59
60
70
60
473
100
... / ...

258.
Et si on rapporte ces pourcentages de ce tableau 4 aux
chiffres et pourcentages indiquant les effectifs et
pourcentages réels des fonctionnaires
dans l'Administration
de"s divers territoires,
com!:":e le montre ce tableau-ci,
on ~eut faire plusieurs remarques.
TABL:::AU V - EFFECTIFS DES FO;;CTIONHA IRES DA;IS LES DIVERS
TERRITOIRES EN 1957
(tableau établi par Seurin)
Terri toire
Nombre de
~ des élus
.
.
~
~
"onc 'clonnalres
fçmctionnaire"s
Sénégal
1 5 055
51,6
Côte d'Ivoire
9 248
48,3
Soudan
7 855
52,8
Guinée
6 992
51,6
Dahomey
6 477
51,6
Eaute Vol ta
3 964
44,2
.
Eiger
3 754
46,6
Mauri tanie
3 383
54
On note avec Seurin que les pourcentages
ordonnés d'élus
"fonctionnaires"
ne décroissent pas réguli~rement.
Ils
sont
élevés;
mais on voit que
"de façon générale,
les pourcentages d'élus
"fonctionnaires"
sont proportionnellement plus faibles
)our les territoires où les fonctionnaires
sont cependant
les plus nombreux.
Ceci
corrobore le fait que les plus
forts pourcentag~s d'élus "fonctionnaires"
ne sont pas
ceux des territoires les plus développés économiquement" .
.../ ...

259.
Ainsi donc,
les fonctionnaires y compris les enseignants
o~t fourni la plus forte proportion d'élus dans les
territoires,
et surtout dans les territoires les moins
développés
(Mauri tanie, ii'iger
r.o", les terri toires les
plus développés où i l y avait un nombre relativement
plus important d'autres catégories professionnelles,
le nombre des fonctionnaires
élus était plus faible
(cas de la Côte d'Ivoire par exemple)
Dans le leadership exercé par les fonctionnaires,
on
note la place de choix occupée par les enseignants
(professeurs,
instituteurs).
Les professions enseignantes
offraient en effet un milieu favorable à la réflexion
politique. Aussi,
les enseignants seront-ils nombreux
dans les Assemblées territoriales.
Seurin donne les
pourcentages de 22 % environ pour l'ensemblG des
territoires,
précisant que certains territoires avaient
des pourcentages plus élevés :
33 % au Sénégal et au
Dahomey par exemple.
L'ensemble des élites intellectuelles représenteront
jusqu'à 70 % des membres des Assemblées territoriales
en 1957
(cf.
tableau 4).
Ces élites seront en AOF et
en Afrique noire en général le moteur de l'évolution
poli tique.
. .. 1...

260.
Une étude oe Le Vine
(1)
sur le recrutement de l ' é l i t e
politique et la structure politique en Afrique de
1946 à 1962 permet d'avoir des informations intéressantes
sur la place et le r81e de ces élites.
Préci.sons d'un
mot,
avant ë8 considérer le tableau ci-dessous,
que
l'auteur étudie le problème de la relation entre les
modes de recrutement des élites et les structures
politico-sociales à travers les différents co~ps
constitués et les Assemblées mis en place depuis
1946 jusqu'en 1962
:
cette relation est donnée par
l'orjgine professionnelle des représentants au
Second Collège
(2)
dans les Asse~lées territoriales
(entre 1946 et 1957)
et à tous les Parlements
(de
1957 à 1962).
. .. / ...
(1)
Le Vine
(V.T.)
"Political elite recruitment and
political structure in ~rench west speaking African 'f
Cahiers d'étudŒ afri~aines, 1968, vol. VIII,
nO 3
(2) Dès la création des Assemblées territoriales,
i l fut·
institué le principe du double collège électoral
(dAns les territoires
sauf au Sénégal).
Ce principe
engendrait dans les faits une sous-représentation
importante des électeurs africains.
.

261.
TABLEAU VI - OCCUPATIOn Cm1POSITIO~ OF FREllCH fJEST
AFRICAU LEGISLATURES
1946-1962
occup3.ti onal
1946-1952
1952-195h
1957-1958
1958-1962
ca-::egories
6 é.ssembJi e,-
4 a s s em t 1 i e s
Assernbly
7 Parliaments
(colla~se d)
(s e::ond enlie ge = (second college
(sin".le coliege=
(465 seats N=444:
0
189 ,seats N=181) 146 seats r: =146)
41'3
seats N=47
Tot51s
% of 1J by ITo ta:.s CI of N by Totals
C/
of Il t:; Totals
% ofN
/0
l'
per
category peI'
cat.
per
cat.
peI'
by
cOat.
cate2'CIv
c at.cv.J: '
cat.
cat.
Government
employees
a • a drn:Y'...Œtrat" ln 54
29,8
42
28,7
130
27,4
148
33,3
49,2
b. edUCE.tim
41
22,7 52,5
30
20,5
105
"22,1 49 ,6
99
2,22
55,5
1
1
'Liberal"
profession s
I-PlitJJic r,8élth
15
8,3
16
10,9
68
14,3
58
13,1
f- Ir:telie ctuaJJ
2
1,2 13,3
-
15,7
19,4
9'
2,- ;L8,3
-
f-Law
7
3,8
7
4,8
24
5 , -
14
3,2
!
1
Pri'Jat e
jecono!!lY:
-commerce
and ind l..:strJ 28
15,4
15
10,2
65
13,7
50
11,2
17,-
12,2
17,
13
-agri culiure
3
1,6
3
2,-
16
3,3
8
1,8
c
.
Chiefs,
traditiœ:al
24
13,3
14
9,5
31
6,7
27
6,1
andmoder"
Trade
lunionist&
3
1,6
7
4,8
4
0,8
2
skilled
0,5
twoI'icErs
.
Miscellar:eou~
~urope8.r,&
4
2,2
12
8,2
30
6,31
29
6,5
no) CCl'l:a-:':'on
E~ated.etl'

262.
On constate ici encore que plus de 50 % des élus aux
Assemblées de 1946 à 1952 sont des fonctionnaires
(agents
de l'administration et enseignants)
qui justement
"étaient des produits du système colonial,
c'est-à-dire
qu'ils avaient été formés par lui et pour lui". Plus
qu'aucune autre catégorie socio-professionnelle,
note
Le Vine,
ces fonctionnaires
"étaient parvenus
( ••• )
non seulement à s'accorder avec le système,
mais surtout
à agir à l'intérieur de ses cont~aintes". Aussi,
tout
naturellement,
dès que les réformes furent faites à partir
de 1946,
ils purent se présenter sur les listes
électorales,
et cela d'autant plus aisément qu'ils
étaient en fait déjà politisés,
comme la plupart des
fonctionnaires dans la tradition française.
Cette position majoritaire des fonctionnairp-s dans les
Assemblées se maintiendra jusqu'en 1962.
Et on remarque
que seulement une différence de 6,] % sépare ~e
pourcentage le plus fort et le pourcentage le plus faible
de la caté"gorie "fonctionnaire" dans les quatre séries
d'assemblées élues entre 1946 et 1962. D'ailleurs,
si on
ajoute aux fonctionnaires les membres des professions
libérales dont une bonne partie était en fait totalement
ou partiellement payée par l'administration,
on se rend
compte que ceux qu'on a appelés les élites intellectuelles
représentaient plus de 60 % des membres des assemblées
de 1946-1952, 1952-1957, 1957-1958 et 70 % environ des
membres des Parle~ents de 1958-1962.

263.
On remarque que la catégorie des chefs traditionnels
et modernes baisse régulièrement en pourcentage de
1946 à 1962. Sans doute,
ces pourcentages mentionnés
sur le tableau seraient encore plus faibles 'si l'on
s'en était tenu aux chefs traditionnels. En fait,
.
.
beaucoup des chefs modernes et même traditionnels
étaient des
"lettrés"
et,
à ce titre même, ils pouvaient
prétendre se présenter aux élections.
La même remarque
est valable à propos de la catégorie "Private economy".
Mais fondamentalement,
pourquoi les gens instruits ou
précisément les élites intellectuelles pouvaient-ils
être élus aux Assemblées? Il saute aux yeux -et c'est
ce que note Le Vine- que
"a)
vu le nombre dérisoire d'Africains
scolarisés et/ou possédant une compétence
technique ;
b)
vu la création de nouvelles positions
d'élites dani le domaine politique,
les
individus qui avaient eu une expérience
professionnelle à l'intérieur du système
colonial furent plus fréquemment élus pour
occuper les positions que ceux qui manquaient
de toute qualification"
(1)
(1)
Nous avons accepté la traduction que Birnbaum a faite
de cet article de Le Vine,
dans Le pouvoir politia~e
Paris,
Dalloz,
1975.

264.
En tout état de cause,
bien que 90 % environ des
fonctionnaires aient été réélus aux Assemblées
successives, et bien que le nombre des élus se soit
accru au cours du temps,
l'explication de la persistance
majoritaire de la catégorie des fonctionnaires résidé
dans le fait que le gouvernement était devenu progressi-
vement le principal employeur du t~rritoire. Ainsi,
com:::e le fai t remarquer Le Vine,
"11 expertise et la
compétence politique acquises à l'intérieur du
système durant son développement paraissent avoir été
parei les premiers critères d'éligibilité".
En tenant compte des études précédemment citées,
et de
celle de Le Vine,
on peut donc affirmer que la
profession a eu une incidence dans l'accès au pouvoir
des Africains ; les élites intellectuelles ont
pratiquement monopolisé l'accès au pouvoir de 1946
à 1962. Le phénomène va-t-il se poursuivre avec les
années d'indépendance?
... / ...

265.
Considérons ce tableau qui
a été établi des origines
socio-professionnelles des membres des gouvernements
et des
cabinets ministériels des années 1959-1961.
(1)
(sur ce tableau -page suivante ~
les chiffres
entre parenthèses sont des pourcentages
:
pourcentages par rapport aux totaux verticaux).
N.-B. Les membres expatriés, donc non Africains nationaux
ont été laissés de
côté.
. .. / ...
(1)
Le tableau a été élaboré à partir des données de
l'Annuaire des Etats d'Afriaue Noire 1961.
Il n'a pas
toujours été possible d'avoir des informations précises
sur la biographie des intéressés,
même en 'procédant à
des recoupements avec les données d'
l'Annuaire
Parlementaire
des Etats d'Afriaue Noire.
Tous les Etats
n'ont pas fourni
les noms des membres des cabinets.
Cert~ins ont donné une liste presque complète des
membres œsgouvernements et des
cabinets tandis que
d'autres n'ont indiqué que q\\lelques noms de membres de
cabinets sans biographie.

1\\)
0'
TABLEAU VII - ORIGINE SOCIO-PROFESSIONNELT,E DES CIIEFS D'ETAT, DES MINISTRES ET
0'
DES MEMBRES DES CABINETS MINISTERIELS EN 1959-1961
18 mai 15 janv lljam
3 janv
29 dec 21 fev
29 j arr
2 mai 25 janv 26 j uir
3 dec 13 mai 8 fév.
25 mai
1960
1960
1961
1961
1960
1961
1961
1961
1959
1959
1960
1960
1961
1960
.
Da-
HàutE
~lauri
Séné-
,-:is~)/Gr :\\Lrpe,-:
Il Centre
Côte
Gabon
Guinée
Mali
Niger
Tchad
TO[7o
Total
,CaneraI;
Congo
rofn88ion"n
Afriqœ
d'Ivoire jhomey
Volta
tanie
gal
~
1
!,dmini,;trn1j( ri 2/~ (60) 6(1,6) , l (30,5 11 (3.U
10(33,3 10 (42 )
7 (54)
23(56)
22(51)
9(75)
15(58) 43(48 )
8(30)
5(29)
204
~; n~3ci "'mm Rn t! 5(12,5) 6(46)
p3 ( 36)
5 (14)
tu (/,3,3 7(29) 1( 8)
10(2/,)
9(21)
1(8,3) 7(27)
21(24)
3 (ll)
4(24). 105
Sante
\\7(17,5)
3(8,3) 6 (17)
4 (13,3)
3(12)
2(15)
6 (15)
8 (19)
1(8,3) 2(8)
9(10)
8 (30)
6 (35)
65
Ptl blique
J':ristes
11(2,5)
1(2,7) 6(17)
1(4 )
1(8 )
2 (5)
3(7)
1(8,3)
3 (J)
1 (6)
20
J~j un'] Blisme
1(3 )
6(7)
7
c(j~~' (;rf2 e ct Q(5)
1(8)
4(D.,4) 2(6)
2(6,2) 2(8)
11(2 )
6(7)
4 (15)
24
rJ!,"]J::tri-:,
('~J 'Iri -r ,
- ·:;~n;-d.nier
1(2,7)
Il(4)
1(1)
3
~! ü~~jnir_r
l~ ~-f ri r~)ltwr~
1(2,7) 1(3 )
1(3,3)
1 (3)
1(6)
1
5
l;~l' 'j', Cc 0
1
-.
~htJru~'j ü
1(2,5)
1 (3)
2(8)
3 (ll)
7
';/lrLi c: Ji:irn
1 (3)
2 (15)
3
Di.vr;r~3
2(5,5) 1 (J) ,
3
TOTAL
i'J. 0 (100) 13 (100)
36(100P5(100) 30 (ro)
24 (100) D( 100) 41(100) 1+3(100) 112(100 )126(100 )89(100 27(100 17(100) 1.46

267.
On constate ici encore le même phénomène déjà observé.
Les gouvernements sont aux mains des élites intellectuelles
de l'époque: les fonctionnaires se classent toujours à
la tête,
suivis par les membres des professions libérales
puis viennent.les personnels du Commerce et de l'Industrie.
En chiffres absolus pour l'ensemble des territoires
étudiés,
cela représente 204 persohries dans l'Administration
et 105 dans l'Enseignement,
65 personnes dans la
Santé Publique,
20 hommes de loi et 22 personnes ~u
secteur Commerce-Industrie.
On note l'exis~ence de
journalistes,
surtout au Sénégal,
dos membres de la
chefferie,
des syndicalistes et 3 personnes classées
dans le groupe ouvrier: i l s'agit d'un magasinier iu
Gabon,
d'un cuisinier au Congo et d'un maitre-ouvrier,
Moustapha Gueye,
attaché de cabinet au Sénégal.
Si on regarde le détail,· on remarque par exemple que
le groupe des commerçants et industriels est légèrement
plus ·important que celui des juristes ;
ces ~eux groupes
sont devancés par les personnels de la Santé.
Si l'on
considère quelques pays,
on constate par exemple qu'au
Togo les personnels de la Santé viennent avant ceux de
l'Administration et ceux de l'~nseignement ; au Dahomey,
les en~eignants devancent les~agents de l'Administration
... / ...

268.
ce pays n'a pas apparemment à cette ~poque, de juristes
dans le gouvernement et dans les cabinets minist~riels,
tout comme le Tchad,
le Niger et le Centre Afrique.
On
note par contre une proportion relativement importante de
juristes dans le gouvernement et les cabinets
minist~riels ivoiriens.
Mais ce qui est vraiment notable est bien le fait que
les ~lites intellectuelles constituent l'essentiel des
personnels des gouvernements et des cabinets minist~riels
des ann~es 1961.
Observe-t-on le même fait si l'on considère les
dirigeants des principaux partis politiques et les
pr~sidents des Assempl~es en 1962 ?
~e tableau ci-après est ~tabli à partir de donn~es
de l'Annuaire Parlementaire des Etats d'Afrique Noire·
Annuaire Afrique 1962.)
. ../ ...

269.
TABLEAU VIII - ORIGINE PROFESSIONNELLE DES PRESIDENTS
DES ASSEMBLEES EN 1962
;:;
U
r l
~ t~ 0
r:
f"-J;;':;
°
°
f c.'
G
co
'"0
TOTAL
tJ)
(1).
0
>=:
'(1]
(1) CO
.,-1
(1)
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CO
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0
-0+'
.r-! -ri
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z,.~ >=: +' 0 ~:>,
>=:
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Û
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0;j
CO
G
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0
0
0rr, CiE
Q
~
,~
:i=s:
'c,.
n
%
?+J
Z
r.I>
E-<
E-<
,
Admini strat:iDr
l
2
·17
-L
,
Enseisnement
-'-
l
l
l
l
l
'1
7
58
Santé
Juri ste
l
l
8
Commerce/
Industrie
l
l
2
17
Agriculllire
,
Chefferie
Syndicat
Que remarque-t-on ? 58' % des présidents d'Assemblées sont
des enseignants,
de~ instituteurs essentiellement, auxquels
s'ajoute un professeur (Jonathan Savi de Tové, Togcl.ais
professeur de langues vivantes avant de devenir clerc
d'avocat par la suite)
; 17
% des présidents d'Assemblées
sont des agents de l'Administration,
et 17
% exercent
leur métier dans le commerce (exemple de Ahmed Kotoko du
Tchad,
commerçant transporteur et de Louis Kernayou Happi
du Cameroun oriental, ancien directeur commercial de
la société John Holt).
... / ...

270.
Ici encore.
la réalité de l'accès majoritaire à la vie
politique des
enseignants et des fonstionnaires
est
établie.
Qu'en est-il des dirigeants des principaux
partis politiques?
TA~LEAU IX - ORIGINE PROFESSIONNELLE DES DIRIGEANTS DES
PRINCIPAUX PARTIS POLITIQUES EN 1962
(1)
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2
2
l
l
1
8
24
1
IEnSeignem,"nt
1
l
l
l
1
l
2
l
l
l
1 11
33
Santé
l
l
3
Juriste
l
l
2
l
1
2
l
1
9
27
Commerce
l
l
1
3
9
Industrie
Agri cul tu re
l
l
3
.
Chefferie
Syndicat
Les enseignants sont les plus nombreux ici encore
: 33 %.
Mais on note un pourcentage relativement important de
juristes: 27 % (des juristes comme Anani Ignacio Santos
du Mouvement nationaliste Togolais-Juvento,
docteur en
droit,
avocat;
comme Boubakar Gueye du Eloc des Masses
Sénégalaises
(BMS),
avocat;
(1)
Tableau établi à partir des données ~~lnographiques de
l'Annll~ire Parlementaire des Etats d';fri~ue noire,
Annuaire Afrique 1962.

271.
..
comme Lamine GUeye d~ l'Union Frogressis~e
On peut par conséquent retenir ici encore que,
de façon
globale,
c'est bien les élites intellectuelles qui occupent
la sc~ne politique et y m~nent le j~u. Ni la 'blasse"
ouvri~re ni les paysans n'ont été ~ la t6te des mouvements
politiques.
Pouvaient-ils faire autrement avec le niveau d'instruction
qui était le leur et dans
le contexte de l'époque? Mais
ils n'en soutiendront pas moins les initiatives prises
et les actions entreprises par les dirigeants instruits.
Parfois la jonction entre les élites intellectuelles et
le peuple (des villes surtout)
se fit dans des
associations ethniques et tribales ~ vocation culturelle
mais dont "l'arri~re-gont" politique se fera sentir assez
rapidement.
On peut citer par exemple,
au Congo belge,
l'Abako
(Association des Bakongo pour l'unification, la
conservation et la propagation de la langue Kilongo)) en
Côte d'Ivoire l'UFOCI
(Union fraternelle des originaires
de C~te d'Iv~ire), l'UOCOCI (Union des originaires ~es
six cercles de l'ouest de la Côte d'Ivoire),
etc.

272.
Tous les exemples cités jusqu'ici indiquent bien que
l'accès au pouvoir est réservé p~ioritairement aux
élites intellectuelles de l'époque,
dans les pays de
domination française.
On a souligné la place particu~
.
lièrement importante des foncti~nnaires, en particulier
des enseignants et bien sûr des agents "de l'administration,
ainsi que la place des membres des professions libérales,
en particulier des avocats.
Qu'en est-il dans les pays de colonisation britannique?
Le Ghana de 1957 est un exemple intéressant.
Pour ~tre
précis,
disons que l'étude deS dirigeants du Conven~ion
People's Party
(CPP)
de Kwane N'Krumah est celle qui
est faite ici et non celle de l'ensemble de l'élite"
poli tique de la Goldlè)ast au lendemain de la victoire
du CPP.
Qui sont les dirigeants du CPP qui
se voul~it un vrai
parti de masse?
(1)
... / ...
(l)C'est d'ailleurs sur ce point que N'Krumah aura à
s'opposer à J.B.
Danquah,
fondateur de l'United Gold
Coast Convention
(UGCC)
dont N'Krumah fut le secrétaire
généra~ avant la. création de son propre parti. Lorsqu'on
considere les leaders de l'UGCC,
on constate qu'il y
avait une proportion importante de
juristes dont des
avocats comme Danquah lui-m~mf"
comme J.W.
de Graft
Johnson,
Adufo Addo et Ako Adjei.

273.
En se r~f~rant ~la th~se de Kerstiens
(The new elite
in Asia and Africa - A comparative study of Indonesia
and Ghana:- New-York Praeger 1966),
on remarque par
exemple ~ue dans le "old council"
du CPP de 28 membres,
i l Y avai t
-mi s ~ part
8 Europ~ens- 6 avocats, 2 docteurs,
.
.
l
instituteur,
5 corr.rnerçants,
et des personnes de divers
m~tiers. Dans la "nouvelle" Assembl~e ~largie de
84 membres
~mis ~ part les Europ~ens- on d~nombrera
entre autres 15 chefs, 12 enseienan~G, 1 médecin,
5 pharmaciens,
2 journalistes,
6 syndicalistes et
officie.ls du parti,
7 agents de l'administration
locale,
4 planteurs
on y trouvera aussi des menuisiers,
des employ~s de maison,
des employés de la poste.
Le
parti
se voulant un parti de masse comprendra donc
effeptivement des gens de toutes les couches
sociales
et de toutes les
catégories professionnelles.
Il n'en
reste pas moins qu'il sera dominé par les ~lites
intellectuelles dont N'Krumah lui-même,
Gbedemah,
Kojo
Sotsio,
Denkle Dzewu.
L'examen du premier gouvernement de l'indépendance de
la Gold Coast
(Ghana depuis l'ind~pendance en 1957)
indique la pr~dominance des membres des élites
intellectùelles.
... / ...

274.
Par exemple, parmi les huit ministres
issus du CPP,
6 étaient de formation universitaire
Gbede~ah, Botsio,
Casely
Hayford.
Hutton Mills, Ansah Koi,
Krob6 Edusei,
Kofi Baako,
KoÎi Tettegah ; plusieurs d'&ntre eux
étàient
juristes. Cette élite politique qui dirigera
les premières années du Ghana indépendant sera cocposée
surtout des membres des professions libérales,
de
quelques enseignants,
et des IT,embres des autres catégories
professionnelles,
en· particulier des hommes d'affaires.
Ce qui est remarquable cependant,
c'est la faiblesse
notoire des agents de l'administr~tion. Mais cela
s'explique quand on sait que dans la tradition anglaise,
les fonctionnaires,
c'est-à-dire les agents de l'adminis-
tration,
n'ont pas à .se mêler de politique.
Les exemples des gouvernements du Kenya et du
Tangabyika
(1)
autour de 1963-1964,
étudiés à partir
des données fournies par le Who's Who in ~ast Africa 1963-~64~)
permettent-ils d'avoir des indications et précisions
supplémentaires en ce qui
concerne les professions des
élites politiques dans les pays anglophones?
(1) Le Tanganyika et le Zanzibar fusionnent en 1964 pour
devenir la Tanzanie
(2) Edité par Marco Surveys Ltd, Kenwood House Nairoby

275.
Bien qu'il n'ait pas toujour~ été possible d'avoir des
précisions sur l'origine professionnelle de tous les
14 membres du gouvernement de la Républ~que de
Tangapyika en 1963-1964,
on sait qu'il y avait parmi
eux au moins 4 enseignants dont par exemple
O.S. Kambona, Ministre des Affaires Etrangères et de
la Défense, J.M.
Lusinde, Ministre de l'Intérieur.
Il y avait au moins un homme d'affaires
(A.A. Jamal,
Ministre de la Communication,
de l'Energie et des
Travaux),
un médecin
(A.K.E.
~haba, Ministre"du
gouvernement local de l'intérieur~, un homme de la
police
(S.A. Maswanya, Minibtre de la Santé),
un homme
de l'édition
(L.N: Sijaona, Ministre de la Culture
nationale et de la Jeunesse),un agent de l'Etat
(S. Tewa, Ministre des Terres et de la Fôret),
un maire
(Sheikh Amri Shedi, Ministre de la Justice).
Apparemment, i l n'y a pas de juriste dans ce gouvernement
(mais on ne peut l'affirmer puisqu'il n'a pas' été
possible d'avoir la biographie intégrale de tous les
membres du gouvernement).
Le goùvernement Kenyan de 16 membres dont un Européen
était formé surtout d'enseignants
(comme par exemple
J.D. Otiende, Ministre de l'Education Nationale ou
J.G.
K~ano, Ministre du Commerce et de l'Industrie)
représentant 40 % des membres.
... / ...

276.
Ce gouvernement comprenant auss, deux hommes d'affaires
(J.H. Angane. Minister of Earth and Settlement,
D.
Mwanyumba. Ministre des Travaux.
des Communications
et de l'Energie.
ancien enseignant devenu homme
d'affaire~.
On y
comptait-
aussi
un agent de météorologie
(H.
Schieng-Oneko. Ministre
de l'Information,
de la Télécommunication èt du Tourisme),
un inspecteur de la santé
(T.J.
Mboya.
Ministre de la
Justice et des Affaires
constitutionnelles).
Tout comme au Tanganyika,
i l n'y avait pas apparemment
de
juristes dans le gouvernement du Kenya en 1964
apparemment aussi.
i l n'y avait pas non plus de
fonctionnaires,
agents de l'Etat.
Et si l'on considère les trois pays anglophones cités
(Gold Coast, Tanganyika r
Kenya),
on observe une
importance particulière des enseignants et des hommes
d'affaires
ceux-ci présentent la caractér~stique
particulière d'avoir souvent fait des études secondaires
sir.on universitaires. Les juristes ont eU,au Ghana
(Gold Coast)
une place qu'ils n'avaient pas dans les
deux pays de l'Afrique de l'Est.
Les fonctionnaires sont
très faiblement représentés dans ces gouvernements de
pays anglophones autour de 1964.
.../ ...

277.
Lorsqu'on considère l'ensemble des pays d'Afrique noire
à cette époque, qu'observe-t-on, en ce qui concerne
l'accès au pouvoir en relation avec la profession exercée?
Intéressante à ce propos est l'étude de Gerhard Hauch
(1).
Elle porte sur les personnalités politiques africaines
qui ont occupé des "positions de pointe"
(chef d'Etat,
de gouvernement,
membres de c~binets ministériels,
chefs
de partis d'opposition •.• ). Elle s'appuie sur la
biographie des personnalités de 23 pays sur les 29
nouveaux Etats indépendants
(2)
de l'après 2ème guerre
mondiale au 30-4-1964. Ces biographies ont été obtenues
à partir de Who's Who et de documents reçus des
ambassades africaines à Bonn,
et des àmbassades
allemandes en Afrique. Hauch précise que son étude
a atteint 90 %des personnalités qui ont eu une
position d'élite depuis l'indépendance,
dans 9 des
11 Etats des anciennes possessions françaises.
(1) Hàuch (G) Die soziale herkunft der politishen
f~hrungsschichten in den neuen staaten schwarz
afrikas,Archives Européennes de socio~ogie, 1968
vol.
IX,
nO 1. Ne connaissant pas l'allemand,
nous
nous sommes fait
traduire ce texte,
(2) N.'ant pas été pris en considération dans l'étude
le Burunpi,
la Gambie,
la Mauritanie,
le Rwanda,
le Zanzibar,
la République Centre Africaine.

278.
Il souligne aussi qu'il a eU accès à 108 curriculavitae
de hauts fonctionnaires et de 69 ministres,
chefs d'Etat
et de gouvernement. Il ajo0te que les diff~rents
renseignements et recoupem,ents l'ont condui taux
r~sultats pr~sent~s ci-dessous qui, selon lui,
~ont exacts
à 95 %au moins.
Tableau X - DERNIERE PROFESSION PRINCIPALE
AVANT D'ACCEDER A L'ELITE POLITIQUE
1Hnistres
Chefs d'Etat
Chefs de
n = 23
oarti (n=85)
60 %
18 (77 %)
FONCTIONNAIRES
1 Agents de l'administration
24
7 (JO %)
Insti tuteurs
(~coles prim<'ires
16
6 (26 %)
Professeurs(~coles
secondaires
6
3 (13 %):
Ing~ni eurs, techniciens
9
1 (4 %)
Ofn ci ers
5
1 (4 %)
PROFESSIONS LIBERALES
29 %
4 (17 %)
Hommes d'affaires (commerce)
12 %
-
Avocats (juristes)
6 %
-
M~decins
4 %
1 (4 %)
Autres
7 %
-
Employ~s
7 %
-
Chefs traditionnels
4 %
1 (4 %)
Plan t'eurs
("peasants")
1 %
-
TOTAL
100 %
23 (100 %)

279.
Ce tableau permet de constater une fois de plus le
phénomène général de l'importance en Afrique de la
fonction ~ublique comme voie d'accès ~ une. position
d'élite,
de même que les professions libérales,
ou
même les affaires.
Hauch s'étant intéressé aussi aux anciens ministres
des premiers gouvernements,
a noté la présence de
chefs tradi tionnels ou de
"peasants II
sur la scène
politique.
On a déj~ signalé que si le prestige social
attaché aux chefs traditionnels a pu les aider à
s'élever jusqu'~ l'élite politique, on doit se rappeler
que ces chefs traditionnels ou ces "peasants" étaient
en fait des
"lettrés" ;
et soùs un "peasant" ou un
.
chef traditionnel peut se cacher parfois un homme formé
~ l'européenne; c'est l'exemple du chef de canton
~ouphouet-Boigny quand il entrait dans la politique.
Ce chef de canton était en réalité un médecin africain
des hapitaux qui avait regagné le village.
Même en 1986,
lors de la campagne présidentielle en Cate d'Ivoire,
i l se présentera en tant que planteur.
. .. / ...

280.
4. ~~~~~!~_E~~~!~g~~_~f~~~~~~~_~E~~~_~~~_~~~~~~_~2~z
j~~g~~~~_~2~~
Mais après les années 1964. les problèmes des pays
africains devenant de plus en plus complexes. ont-ils
amené les gouvernements ~ modifier leur structure de
recrutement ? Examinons les cas des gouvernements
gabonais en 1974.
camerounais en 1975 et ivoirien en
1980 et 1981.
TABLEAU XI - DERNIERE PROFESS~ON
OU FON2TION OCCUPEE
JUSTE AVANT L'ENTREE AU GOUVERNEMENT DES 33 MINISTRES
GABONAIS DE 1974
(1)
Profession-fonction
n
0/
l'
Administration
(hauts ·cadres de l'Etat
25
76
Enseignement
6
18
Santé publique
2
6
TOTAL
33
100
... / ...
(l)Tableau établi ~ partir des données fournies par ~
l'Annuaire National Officiel de la Républioue Gabonaise
1974

281.
Le gouvernement gabonais de 1974 co~ptait 6 enseignants,
l
médecin et l
infirmier
(député à l'Assemblée Nationale),
ajoutés à 25 hauts cadres de l'Administration
(Adminis-
trateurs civils, préfets,
sous-préfets),
des Affaires
étrangères
(Ambassadeurs,
conseillers des Affaires
étrangères),
de l'armée et de la police(l).
,
Le mode statistique des
regroupes
des œembres de ce
gouvernement se .sitJe à 40-44 ans
(14 perSonnes)
les 4 plus jeunes ont entre 30 et 34 ans et les
5 rlus âgés ont entre 45 et 49 aaB, sauf un oui se situe
entre 50 et 54 ans. Ces informations sur les âges
permettent de se rendre compte que le choix des ~inistres
se fait au sein d'hommes accomplis qlli o~t d~jà pleinement
intégré le systè~e social et politique -
comoel'indiquent
les fonctions que les membres de ce gouverneoent
occupaient avant de devenir ministres.
A~tre~ent dit,
le choix se fait surtout parmi les hommes qui ont fait
la preuve de le~r adhésion au système en place et l'ont
servi.
(1)
Cette situation rappelle un peu celle de la France en
1968 o~ plus de 90 % des membres des cabinets minis-
tériels provenaient de l'administration,
et surtout
de la haute ad~inistration : 50 ~ ap~art9naient aux
grands corps
(Inspection des Finances,
Conseil d'Etat,
Cour des Comptes,
diplomatie,
préfectoral),
25 %
avaient des emplois supérieurs dans les administrations
centrales.
cf.
Pierre Birnbaum,
Les sommets de l'Etat,
Paris,
Seuil, 1977. Il cite lui-m~me Jeanne Siwek-
Ponydèsseau,
Le personnel de directio~ des ~inistères,
Paris, A.
Colin, 1969, p.
46.
(2)
Le regroupement des âges s'est effectué avec un écart
de 4 points
(ex: 40-44 ; 45-49 ... )

282.
Etre fonctionnaires en tant qu'agents de l'Administration
ou enseignants ne suffit plus en lui-mê~e ou plus
exactement n'a jamais suffi pour accéder au pouvoir
i l faut
appartenir d~jà aux "grands corps de l'Etat"
ou être dans les circuits du pouvoir.
Ce phénomène se retrouve-t-il au Cameroun ? Considérons
le gouvernement camerounais de 1975 avec ses
31 ministres et vi~e-ministres auxqu~ls i l a été ajouté
4 personnalités du cabinet présidentiel
(1),
soit 35
personnes au total sans le président Ahidio lui-même
(ancien opérateur~radio).
TABLEAU XII
- DERNIERE PROFESSION OU FONCTION OCCUPEE
JUSTE AVANT L'ENTREE AU GOUVERNEMENT CA~E20UNAIS
DE
1975 ET AU CABINET PRF.~"S~I~D~E~N~T~I~E~L~(~2~)
__
Profession-fonction
n
C;
,J
Administration
(Hauts cadres de l'Etat
30
86
Enseignement
3
9
Santé
2
5
TOTAL
35
100
(1)
Ce sont: le Secrétaire Gériéral de la présidence,
le
Secrétaire général adjoint,
le Directeur du Cabinet,
et
le Délégué général à la sécurité nationale.
(2)
Tableau établi à uartir des données fournies par
l'Annuaire Nation;] de 1975

283.
Comme on le constate,
le gouvernement camerounais de
31 membres plus les 4 personnalités du Cabinet présidentiel
est proche dans
sa composition du gouvernement gabonais
de 1974. Il comprend, outre 3 enseignants de l'université
et '2 personnes de la santé
(dont le pharmacien
Henry Namata Elangne,
installé à son propre compte)
uniquement de hauts cadres de l'Etat,
soit 86 % de tout
ce personnel.
L'~ge modal (40-44 ans) est celui de 13 personnes; les
~ges situés immédiatement en-dessous (30-34) concern3nt
5 personnes et immédiatement au-dessus (45-49) concernent
6 personnes. Ces ~ges laissent voir ici encore que le
gouverne~ent appartient à des hommes bien en place dans
le système social et politique depuis l'indépendance
camerounai se.
Ainsi,
les exemples du Gabon en 1974 et du Cameroun en
1975 ~endent à faire accepter l'idée selon laquelle
l'accès au pouvoir,
de nos jours, passe entre autres
choses,
par l'occupati6n d'un poste important dans l'Etat.
La profession elle-même semble céder à la fonction des
prérogatives qui lui étaient attachées.
. .. 1...

284.
Que révèle à son tour l'étude des deux gouvernements
successifs ivoiriens en 1980 et à partir du
2 février 1981 ?
Le gouvernement ivoirien en 1980 comprenait 31 membres.
On y retrouvait 4
"barons",
ministres d'Etat,
collaborateurs
du ~résident depuis longtemps. Les autres ministres
étaient surtout de hauts responsables des appareils
de l'Etat.
Ce qui
caractérise surtout ce gouvernement
est la oanière même dont apparemment on a tenu compte
de la technicité professionnelle pour distribuer les
postes ministériels. A part quelques
"an6malies",
sans
doute liées à la confiance dans ces personnes,
à leur
poids et passé politiques,
la plupart des ministres ont
été placés au poste auquel on pouvait s'attendre à
les trouver compte tenu de leur formation universitaire
ou des fonctions qu'ils avaient déjà occupées auparavant.
Ainsi,
par exemple,
on trouvait au Ministère de
l'Agriculture un ingénieur agronome,
ancien directeur
général de la Société d'Assistance Technique pour la
Modernisation de la Côte d'Ivoire
(S.A.T.M.A.C.I.),
à l'Education un professeur agrégé,
ancien directeur
général de l'enseignement en Côte d'Ivoire,
aux Eaux
et Forêts un ingénieur agronome,
à la Marine un
capitaine de vaisseau,
. . ./ ...

285.
aux Travaux Publics, Construction et Urbanisme,
un
technicien supérieur des Travaux Publics, à l'Enseignement
primaire et télévisuel,
un IJrofesseur,
à la Sécurité
intérieure un général de l'armée,
ancier- directeur de la
gendarmerie nationale,
à la Fonction Publique,
un juriste,
ancien directeur de l'Ecole nationale d'Administration,
à la Culture,
un écrivain,
ancien directeur d.es Arts,
à la Production animale,
un docteur vétérinaire,
au
Commerce,
l'ancien Trésorier payeur général,
à l'Economie,
Fina~c~ et Plan un économiste, ancien directeur du budget,
au:, Affaires Etrangères un juri sre,
anci en représentant
permanent de la Côte d'Ivoire à l'O.N.U.,
à la Justice
et garde des Sceaux un juriste (plusieurs fois ministre
déjà),
à l'Enseigne~ent technique et For~ation professionnelle
un professeur, allcien proviseur du Lycée Technique
d'Abidjan,
à la Condition féminine une femme,
ancienne
inspectrice primaire, à la ?anté et Population un
pharmacien
(plusieurs foi~ ministre déjà),
etc.
Ainsi,
on remarque sans ambiguité la tendance
'!technocratique'! de ce gouvernement ivoirien.
Il y a
une apparente recherche de l'efficacité "technocratique"
qui ne semble pas avoir prévalu totalement dans la
composition des gouvernements gabonais en 1974 et
camerounais en 1975,
et peut-être même dans celui de la
Côte d'Ivoire en
ces années 1974-1975
(mais cela n'a pas
été étudié).
... / ...

286.
De plus en plus,
i l semble que la compétence technique
est recherchée entre autres choses quand i l
est question
de choisir quëlqu'un pour en faire un ministre;
mais
sans doute n'oublie-t-on
jamais de regarder à ce qu'il
a déjà été pour le pouvoir en place.
Sur ce point,
le
dernier gouvernement ivoirien formé le 2 févrièr 1981
ne présente aucune ambiguité si on considère les
14 nouveaux ministres et secrétaires d'Etat
(15 depuis
peu avec la no~ination d'un secrétaire d'Etat à la
Sécurité nationale).
Ces nouvjaux membres du gouvernement,
pour la plupart relativement jeunes,
sont presque tous
des universitaires;
plusieurs d'entre eux ont été des
collaborateurs au sein de cabinets ministériels
;
et
au moment de leur nomination, plusieurs occupaient des
postes de responsabilités dans diverses grosses sociétés
(1),
ou étaient préfets,
ambassadeurs,
députés
. . .
Ce sont des
personnes déjà connues,
intégrées au système en place.
Même les cinq anciens étudiants,
anciens responsables
du Mouvement des Etudiants et Elèves de Côte d'Ivoire
(MEECI),
sous-section du parti unique
(P.D.C.I.),
sont
des personnes bien en vue et bien connues du président
de la République;
ils avaient déjà des responsabilités
assez importantes.
(1)
Par exemple,
à l'Energie Electrique de Côte d'Ivoire
(EECI),
à la Société Ivoirienne de Raffinerie (SIR),
à l'INTELCI, à l'Etàblissement Jean-Abile-Gale,
etc.

287.
En extrapolant à partir des cas gabonais,
camerounais et
ivoirien,
i l semble qu'on puisse avancer que les
gouvernements africains se font
de plus en plus
"technocratiques ",
cherchent à s'appuyer sur des gens
compé~ents sur le plan technique mais aussi sur le plan
poli tique ou idéologique,
c'est-à-dire S',lr des
l'technocrates"
qui ont déjà fait la preuve dé leur
adhésion au système en place et de leur insertion dans
ce système.
Et à
considérer les gouvernements de 1957 jusqu'en
19bO-1981,
en particulier dans le
cas des pays francophones.
apparaît comme une donnée relativement permanente
la nécessité d'~tre une "création"
du système en, place;
d'avoir acquis une compétence administrative ou
politique à l'intérieur de ce système,
en plus de la
compétence technique proprement dite.
Encore que cela
ne soit pas absolu puisqu'il est parfois fait appel à
des personnes qlli,
apparemment,
n'étaient pas déjà dans
les grAces du pouvoir en place.
Mais cela aussi s'explique
et nous y reviendrons.
Ainsi,
on note qu'avec le temps,
la fonction a tendance
à prévaloir sur la profession.
... / ...

288.
Avec l'examen des gouvernements,
i l faut
en même temps
regarder aux Assemblées pour pouvoir toujours confirmer,
infirmer ou nuancer les observations faites.
A cette fin,
trois législatures ivoiriennes
sont étudiées
(1).
TABLEAU XIII -
TROIS LEGISLATURES IVOIRIENNES
: 1970-1975
1975-1980, 1980-1985
(Les pourcentages sont·
par rapport aux totaux verticaux)
1970-1975
1975-1980
1980-1985(2) Candidats à la
PROFESSION
3e législaùre 4e lé gi sla turE 5(> législature 58 JégisJature 198>-8~
Ad::-.::.ni.s t'atio"
13
13 %
18
15 c;
29
20 01
127
20 %
(do:::cine de l'E+...a
l'
10
Enseignemen
25
25 (#
33
28 "
2.1
14 0:
163
25 01
/v
1
le
io
10
Santé
19
19 %
20
17 "(0
20
14 al/0
58
9 %
Justice
4
4 01/0
6
5 01IJ
8
5 0110
17
3 %
Presse et
1
1 D!
1
1 %
3
2 01
15
2 %
Info rma tion
'"
10
Ingénieurs.
12
12 al
12
10 al
28
19 al
84
13 %
techniciens
/0
/e
p
Commerce,
Industrie,
12
12 %
16
14 a'
26
18 0110
123
19 %
Transports
Agri cul ture
12
",.
12 %
8
7 '"10
6
4 10
37
6 %
Divers
3
3 01l'
1
1 %
26
4 %
TOTAL
100
100 %
117
100 % 147
100 01
650
100 d
l'
fO
(l)Le tableau 13 a
été établi à partir des donn~es contenues
dans Notices et Portraits de MM.
les DeDutés,
1970-1975,
1975-1980 et à partir des données fournies par le
journal ivoirien Fraternité-Matin des 6 et 26 novembre 1980
sur la liste professionnelle des candidats et s~r les
résultats des 1er et 2e tours.
(2)
6f.
page suivante

2b9.
Que c6nstate-t-on 1
Les agents de l'administration générale se maintiennent
et progressent même depuis 1970.
Leur progression doit
sans doute avoir quelque chose avec
leur stàtut danse
~a..so ciété
.
En effet,
beaucoup des
élus regroupés
ici
sous 12. rubrique
"Administration" SOl':t des responsables
administratifs.:
administrateurs
civils,
attachés
administratifs,
secrétaires a~ministratifs, administrateurs
financiers,
etc.
L'i,rr,age sociale at-cachée souvent à-leur
fonct~on fait d'eux des hommes importants,
capables,
croit-on,
d'aider à résoudre les problèmes qui
se
posent dans les régions où ils sont candidats à la
députation.
Les enseignants ont ~té pendant longtemps,
depuis les
premières Assemblées jusqu'à ces dernières,
parmi les
plus nombreux des députés.
Précisément -et pour s'en
tenir aux législatures de 1~70-l975 et de 1975-1980-,
ils ont représenté 25
%des députés puis 28%. C'était
le temps- où les
~lections se faisaient sur une liste
nationale.
(2)
cf.
page précédente:
Il n'est pas inutile de savoir
qu'avant les élections de novembre 1980
(5e législature)
les élections se faisaient à Dartir d'une liste
nationale de
candidats présentés par le Parti
Démocratique de CBte d'Ivoire,
parti uniq~e. Les
électeurs n'avaient qu'à entériner cette liste. Avec
le vent de démocratie qui
a soufflé sur la Côte
d'Ivoire en 1980,
les
candidats à la députation ont
't"
,...
"
1\\
e e amenes a
se presenter eux-mernes,
sans l'aval ou
l'appui officiel
du parti.
Autrec'c,:t dit,
ont été
élus comlDe d~put~s en 1980 ce~x dc~ candidats qui ont
pu mener une
campagne efficace avec to~s les moyens
,
.
né'cessalres.

290.
En 1980, ils ont chuté à 14 %alors même qu'ils étaient
25 % des candidats à prétendre au poste de député.
Commen t
interpréter leur "semi -échec"?
De to~t temps, les enseignants ont été mêlés à la
politique. Longtemps, ils ont incarné les intellectuels,
c'est-à-dire ceux qui
savent et qui,
parce qu'ils savent,
peuvent conduire les autres.
Mais voilà.
Aujourd'hui,
d'autres catégories, socia-professionnelles émergent,
noœbreuses,
détentrices de savoir et de savoir-faire
comme eux,
et qui
en plus s'annoncent peut-être plus
efficaces et plus puissantes et plus prestigieuses parce
que plus riches apparemment.
On les suppose alors peut-être
plus aptes que les enseignants à aider les régions à
poser et à
résou~re leuis probl~mes économiques. C'est
sans doute le sens qu'il faut donner par exemple à
l'ascension du groupe des ingénieurs et techniciens
(agronomes,
électroniciens,' ingénieurs dans différentes
branches) qui
sont passés d'un pourcentage de 12 %en
1970 à 10 % en 1975 et brutalement à19 % des élus
de 1980 alors même qu'ils ne représentaient que 13 %
des candidats.
De la même mani~re se comprend aussi
l'évolution de tous ceux regroupés sous la rubrique
"Commerce-Industrie-Transports". Eux aussi
connaissent
une percée relative
(de 12 % en 1970, ils sont passés
à 14 % en 1975 et à18 % en 1980) en rapport d'~illeurH
avec leur ambition (ils étaient 19 % des candidats)~
... / .. ·

291.
Leur évolution s'expliquesans doute par le poids
économique qu'ils acquièrent de plus en plus.
Parmi
eux,
en effet,
se trouve un nombre non négligeable
de directeurs de ,sociétés,
d'administrateurs de
sociétés
certains autres sont de grands trans-'
porteurs bien connus dans leur région.
Les personnels de la Santé ont connu comme les
enseignants unp certaine cilute qui
s'explique
pratiquement pour les m~mes raisons que les
enseignants. Les
juristes, quant à eux,
se
maintiennent.
Leur prestige de toujours n'a
pas été ébranlé.
Par ailleurs,
ce tableau 13 permet de souligner
surtout que la notion d'élite intellectuelle
est en
train de varier.
Effectivement,
.. ./ .. .

292.
l'image sociale des élites intellectuelles devient
de plus en plus celle des
"technocrates"
efficaces
sur le plan économique ou plutôt sur le plan des
aides
économiques· qu'ils peuvent obtenir ou
apporter à des populations qui attendent l'oiseau
rare qui les 8a~vera de la misère. Sans doute
des
enseignants universitaires
continueront de
définir autrement les intellectuels
;
ils ne
pourront plus ignorer l'image sociale qui
s'élabore
des intellectuels dans les milieux paysans ou
populaires.
Nous sommes au terme de l'étude de la relation
entre la profession.
la fonction
et l!accès
au pouvoir.
L'analyse a permis de souligner
qu~ si on s'en réfère à ces critères. on peut
affirmer que le pouvoir est aux mains des
élites· intellectuelles comme on pouvait d'ailleurs
s'y attendre.
surtout si. par élites intellectuelles
on ne pense pas seulement aux universitaires
enseignants.
écrivains ou autres.
. .. / ...

293~
Durant la période avant les i~dépendances et juste
après,
jusqu'autour de 1964, les agents de l'Etat et
les enseignants,
c'est-à-dire les fonction~aires,
et les membres des professions libérales ont dominé .la
sc~ne politiqUe. A partir de 1970, il semble que ce
sont les hauts fonctionnaires
et commis de l'Etat qui
se soient emparés des gouvernements,
montrant bien
de plus en plus qu'il faut être intég~é totalement
au système en place pour ?~rY8ni( dans "les sommets
de l'Etat".
Dans les parlements,
ces hautes personnalttés
sont peu nombreuses.
Ce sont plutôt ~si on s'en tie~t
au cas ivoirien,
et si c'est le cas d'autres pays-
les
"technocrate~'de tous bords, ingénieurs, techniciens,
administrateurs,
"industriels" qui y rejoignent le~
habitués des parlements que sont les enseignants,
les
agents de l'administration générale,
de la santé,
et
les
juristes.
On peut espérer que l'insistance,
longue,
sur le
problème de la. relation entre la profession, la
fonction et l'accès au pouvoir n'a pas été vaine.
Considérons maintenant les autres situations
ou facteurs qui favorisent l'accès au pouvoir .
.../ ...

294.
B
_ NIVEAU D'ETUDE. COMPETENCE ET ACCES AU POUVOIR
Il s'agit ici de mettre en ~vidence le raIe de l'~ducation
dans l'accès et la place au pouvoir des ~li tes ;nf'd\\i.d"dl<.~
africaines,
sans que cela signifie que l'~ducation puisse
~ elle seule conf~rer ou maintenir une place au sein de
l'~lite du pouvoir. En d'autres termes. l'objectif
poursuivi ici est de montrer en quoi l'~ducation de
type occidental reçue dispose ou pr~dispose ~ des postes
d'~lites politiques ou encore de montrer comment la
position ou le statut d'intellectuel favorise l'accès
~ l'~lite politique.
1.
~~!~~~_~~~_~~~~~~_!2§4
Lf~tude de Gerhard Hauch qui a ~té d~J~ citée pr~sente
ce tableau ci-après
(1) que nous analysons.
sans
revenir sur le problème de l'~chantillon choisi de
If~lite politique africaine.
... / ...
(1) Rauch,
loc.cit. p. 134

295.
TABLEAU XIV - NIVEAU D'ETUDES DE L'ELITE POLITIQUE
AFRICAINE
Ministres
Chefs d'Etat
Chefs de parti
n = 23
n = 85
Université non africaine
3~ %
10
(44 %)
Université afri caine
29 01/0
5 (22 %).
Ecole secondaire
20 %
7
Uo %)
Ecole vrimaire
8 (JI/~~
l
(4 %)
Non identifié
5 %
-
TOTAL
100 %
23
(100 %)
1
Si les données de cette étude sont exactes,
le moins
qu'on puisse dire en regardant ce tableau,
est que
l'é}ite politique africaine autour de 1964 est
composée surtout par des leaders ou hommes politiques
qui ont fait des études importantes.
Il y aurait
parmi cette élite beaucoup d'universitaires ou
d'ho~mes de formation post-secondaire. Ce conditionnel
signifie simplement qu'étant donné que nous ne
connaissons pas nous-mêmes l'allemand et que nous avons
dû nous
contenter d'explications et de tradùctions
(écrites pour les tableaux,
et orales pourles textes)
nous ne
sommes pas assuré d'avoir compris toute la
méthode de recherche de Hauch pour en risquer une
cri tique séri euseJ
... / ...

296.
encore qu'on puisse supposer simplement que Hauch comprend
dans la formation universitaire ou post-secondaire des
formations qui académiquement,
et particulièrement dans
la tradition françai~e, ne relèvent pas de ces niveaux.
Nous ne commènterons donc pas davantage les résultats
présentés sur ce tableau 14.
Il faut
en venir à
d'autres études portant sur des pays précis.
Le rale particulièrement important de l'éducation dans
l'émergence vers l'élite politique a été mis en évidence
par H.
Smythe pour le cas d~ l'élite nigériane dans deux
articles,
l'un in~itulé The educational foundation of
Nigerian Politicians
(1)
et l'autre Niper!a elite
: role
of education
(2).
Ce que Hugh H. Smythe observait déjà
en 1960 dans le dernier article cité sur l'élite
nigériane,
i l le confirme dans le premier article qui
date en fait de 1964.
... / ...
(1) Smythe
(H.H.) in Hans N.Weiler,
ed.,
Education and
Poli tics in Nigeria,1964,
pp. 151-198
(2)
Smythe
(R.H.)
in Sociology and social research,
Oct. 1960,
vol.
45,
nO l, pp.
71-73.

297.
Dans cet article de 1964, i l écrit
l'The Nigerian politician of the upper
echelon segment is
(000)
a part of the
new elite power group that contrals,
rules,
and guides this new nationoln order to
comprehend how important education is to this
whole elite group.
of which the politician
is a basic and integral part,
a
study of a
selected group of 156 Nigerian elite was made
that revealed very vividly t~at educati6n
is vital
to
the attainment of political elite
status. Since all of the degree-holding
persons intervi e"ed a'i30 hold responsi ble
positions in the community,
i t is conceivable
that,
though higher education alone does not
confer and maintain one's permanent place
among the leadership class,
i t unquestionably
is a
condition which seems invariably to bring
about relatively high prestige eoploymento
The latter then brings with i t sorne level of
elitenesso
Of the 155 persons reporting on
educational attainment
(one did not give this
information),
all but two
had gone beyond
primary school
(a category generally inclusive
of the first six years of schooling),
and
70 he1d university degrees.
The distribution
of training was as follows
: 14 held sorne
form of the doctorate degree
(PhD,
M.D.,
D.D.S.);
20 held master's degrees
(M.A.)
21 had a
degree in law
(LoLoB.)
; 15 had bachelor
degrees
(BoA 0)
; 75 had gone to secondary
school,
18 to middle school,
and there were
only two who reported they had attai~ed no
more tha t
a primary school eè:;ca ti on Il 0
1


0
1

298.
Pour Smythe donc,
i l n'y a pas de doute que l'éducation,
c'est-à-dire le niveau d'études,
joue un rôle important
dans l'ascension dans l ' é l i t e d'un pays.
Pour confirmer
ses vues et son étude,
i l s'est d'ailleurs attaché à
comparer les résultats obtenus sur les 155 membres de
l'élite étudiée à
ceux qu'il a obtenus en consultant le
Who's Who nigérian.
Il s'est rendu compte que des 594
personnes sur les 956 Nigérians retenus par le Who's Who
nigérian,
178 avaient des dip~ômes de différentes sortes
89 avaient terminé des études universitaires;
221
avaient terminé les études cecondaires
;
83 avaient fait
le middle school, '65 le primary school et les 8 autres
avaient des formations spécialisées diverses.
Evidemment,
Smythe sait que l'éducation enwi n'est pas
tout.
C'est alliée à une profession ou à une fonction
qu'elle donne à celui qui la possède une valeur et un
prestige énorme~. Il fait remarquer
par exemple que sur
les 156 personnes de l'élite nigériane étudiée, 113
avaient des
"government jobs", 110 étaient dans
"the
regional or federal governments"
;
et du groupe total,
96 étaient membres des
"federal or regional legislatures"
40 parmi
ceux-ci
étaient aussi
des
"government ministers" .
.../ ...

299.
Tout cela prouve ~ ses yeux que "Work is also a major
factor in the education of the politicians and others
in Nigeria,for from one's occupation new things are
evolved"
(1). Et pour lui,
"the dominance of high
gdverhment position in the occupations of these elites"
revèle la prévalence de ce groupe dont les wembres sont
parmi les plus respectés et admirés au Kigéria.
Aussi,
dit-il,
"there is practically unani~ous aknowledgment
by persons from all.parts of the social spectrum that
the government elite is really "the" elite in modern
day Nigeria"
(2).
Et par l'étude_des professions des
156 membres de l'élite étudiée, i l arrive ~ la conclusion
que "the surest occupational road to
top social status
is training in a profession and then election to public
office
(3)".
Autrement dit,
i l n'est pas possible d'être de l'élite
sans avoir une éducation qul permette d'accéder aux
emplois importants de l'Etat ou dans le pays.
La même
observation a été faite par Moscati
(4) qui a étudié
l'élite ghanéenne en 1960 et en 1965.
... / ...
(1)
Idem,
p. 171
(2)
Idem p.
172
(3)
Idem p. 173
(4)
Moscati
(R),
Osservazioni
sulle caratteristi~he e
la dinamica delle elites nella Republica deI Ghana
Studi di Sociolo~ia, 1967, vol.
5, nO l, pp.
l8~33

300.
Considérons ce tableau qu'il a
élaboré
(1).
TABLEAU XV
-
NIVEAU D'ETUDES DE L'ELITE GHANEENNE
(2)
1960
1965
n
al
n
o!
/0

Ni veau primaire
6
2,14
1
1),86
Ni '[eau secondaire
102
36.42
21
18,26
Formation sppcialisée
23
8,21
2
1,73
,
a l'étranger
Niveau universitaire
65
23.2~ ~ 37l
,
132,17:
(forma tion locale)
47;13
74;T1
1
Niveau uni versi taire
67
23,92
'42,60
,
(forma tion a l'étranger)
Indéterminé
17
6,07
5
4,30
1
.
TOTAL
280
100,-
115
100
On constate que
ceux des Ghanéens qui
ont accédé aux
positions d'élite sont ceux qui ont acquis une formation,
scolaire et universitaire.
Et ce qui
est particulièrement
notable,
c'est qu'en 5 ans,
pratiquement,
ne
sont devenus
membres de l ' ! l i t e ghanéenne que ceux qui ont fait des
études unive!,.itaires
:
74,77 % de l'élite en 1965 alors
qu'en 1960 ils n'étaient que 47,13 %
.
. (1) Le texte de l'article de Moscati est en italien. Nous
nous le sornRes fait
traduire par un professeur italien
rencontré à Paris.
La non mattrise de la langue par
:;.ous-nôr::e;: ; -?
~1<)~JS R pas autorisé des cri tiques
~articuli~res S~~ ce ~rnvail.
(2)
::oscati,
iGc.cit. p.
26

301.
En 1960,
nombre de Ghanéens qui
avaient fait des études
secondaires ou une formation spécialitée à l'étranger,
soit au total 44,63 %étaient de l'élite
en 1965,
i l ne restait plus que 19,99 % de ceux qui avaient fait
des études secondaires à être de l'élite. Cela montre
clairement l'importance du rôle de l'éducation dans
l'ascension sociale,
même
si on doit
reconna!tre que
d'autres facteurs
entrent en jeu.
L'exe~p~e analysé du Ghana tend à montrer qu'avec les
années l'élite d'un pays peut se ~odifier dans sa
composition,
ses membrp.s devant être munis d'une formation
de plus en plus importante de type universitaire pour
y accéder.
Cela est-tl exact lorsqu'on examine pàr exemple
le niveau d'études des membres des gouvernements et des
Parlements en Afrique? Le niveau d'études évolue-t-il
visiblement avec le temps?
2.
Plus de dix ans après les indépendances et au-delà
-----~---_.. _--------------------------------------
~2Z4:~2Z2_~!_~2~Q
Lorsqu'on examine le niveau d'études des nembres des
gouvernements et des cabinets ministériels au moment des
indépendances africaines autour de 1960,
on constate que
ce niveau n'était pas très
élevé dans l'ense~ble.

302.
La plupart des responsables politiques d'alors n'avaient
pas fait d'~tudes universitaires;
un
certain nombre
d'entre eux avait fait des études secondaires;
et i l y
en avait qui n'~taient pas all~s au-delà des.~tudes
primaires.
Par exemple,
sur les 34 membres de gouvernement
et de cabinets ministériels du Cameroun dont i l a
~t~
possible de savoir au moins approximativement le niveau
d'études parmi les 40 que présente l'Annuaire des Etats
d'Afrioue noire 1961,
8 étaient de formation universitaire
25 avaient fait des '~tudes secondaires e t l n'avait terminé
que les' études élémentaires. Par exe~ple encore:
sur
les 13 membres du .gouvernement et-des
cabinets minist~riels
du Gabon,
parmi'les 24 pr~sent~s par l'Annuaire des
Etats d'Afrique noire 1961,
seulement 4 avaient fait des
études universitaires,
4 des
~tudes secondaires
5
n'avaient fait que des ~tudes primaires. Un autre exemple
encore
:
des 29 membres du gouvernement et des cabinets
ministériels ivoiriens,
sur les 35 présentés par le
même annuaire cit~, 13 ~taient de formation universitaire,
14 n'avaient fait que des études seco~daires, et 2
n'~taient pas allés au-delà des études primaires. D'autres
pays avaient un gouvernement et des cabinets minist~riels
au niveau d'études moyen relativement élevé
c'était le
cas du S~négal par exemple : sur 63 membres du gouvernement
et des
cabinets,
parmi les 89
prése~tés par l'Annuaire
de 1961, 25 étaient des universitaires;
37 n'étaient pas
allés au-delà du secondaire et l
seul au-delà du primaire •
.../ ...

303.
Il Y avait aussi
des
gouvernements et des
cabinets
au niveau d'études moyen faible:
le Tchad,
par exemple.
n'avait apparemment aucun universitaire dans
son gouverne-
men~ ni parmi les membres des cabinets; ceux-ci n'étaient
com'?osés en majori té que
de pe'rsonnes qui n'avaient
fait que des études pri~aires ou qui avaient rarement
terminé les études secondaires.
Tous
ces exemples veulent montrer que le niveau diétudes
des membres des gouvernements et des
cabinsts minis-
tériels
est en rapport avec le niveau
d'études génér~l
dans les
sociétés à un moment donné et qu'il correspond
à celui des élites intellectuelles.
L'étude des gouvernements gabonais en 1974,
camerounai s
en 1975 et ivoirien en 1980.
et celle du parlement
ivoirien de 1970 à 1980per~et de se
rendre
compte
de
l'évolution au niveau des études et de
souligner
l'importance du rôle de l'éducation dans l'aGcès aux
postes de responsabilités politiques.
TABLEAU XVI
- NIVEAU D'ETUDES DES I1EMBRES DU
GOUVERNEMEXT GABONAIS EN 1974
n
(".
J.
Primaire
l
3
Secondaire
4
12
Forma tion professionnel] ::'
2
6
S'.;péri eur
26
79
TOTAL
) j
100
1

304.
Le gouvernement gabonais en 1974 était -comme on le
constate- essentiellement composé d'universitaires:
79 %des membres. La plupart d'entre eux avaient au
moins une licence.
Sur les 33 membres de ce gouvernement,
i l n'y avait que 4 personnes,
soit 12 %, à n'avoir que
le r.iveau des
études secondaires
2 ont subi
une
formation professionnelle et une seule personne semble
n'avoir fait que des études primaires,
mais rien n'indique
qu'sIe n'avait aue
ce niveau d'étude.
L'examen de leur âge montre que leur âge modal
se
situe à 40-44 ans
(14 des membres soit 42 %)
; 9 d'entre
ces ministres,
soit 28 % se situent à 35-39 ans et
5 d'entre eux soit 15 % à 45-49 ans. Ainsi l'analyse
rapide des âges révèle que les membres de
ce gouvernement
sont des hommes f a i t s ;
ce ne sont pas de jeunes frais
émoulus des universités.
Cela signifie par conséquent
que le pouvoir au Gabon cherche à
s'appuyer sur des
universitaires,
mais des universitaires déjà intégrés au
système.
Âutrement dit,
le niveau d'études universitaires
qui indique une certaine
compétence technique est
nécessaire pour entrer dans le pouvoir,
mais i l doit
~tre accompagn~ d'une r~f~rence professionnelle,
administrative ou politique garantissant l'adh~sion au
pouvoir en place.
. ; ./ ...

305.
Qu'en était-il du gouvernement camerounais en 1975 ?
TABL~AU XVII - NIVEAU D'ETUDES DES 31 l'~11BRES DU
GOUVERNEMENT CAMEROUNAIS ET DES 4 MEMBRES DU
CABI~E~ FRESIDENTT~~
EN J.975
n
%
Primaire
O.
0
Secondaire
3
9'
Formation profession-
0
0
nelle
Supérieur
32
91
TOTAL
35
100
Comme cela a
été souligné déjà à propos de ce même
gouvernement,
i l
est composé de hauts
cadres et
fonctionnaires de l'Etat.
Ces personnalités sont presque
tous
de formation universitaire:
91 % des membres du
gouve~nement et des 4 membres du cabinet préaidentiel.
Comme dans le cas gabonais étudié,
le mode des âges
regroupés
(40-44 ans)
~t les âges situés immédiatement
en~dessous ou au-dessus laissent .apparaitre que ce
gouvernement n'appartenait pas à
des universitaires
acheva~t à peine leurs études, mais à des hommes établis
dans le système en place depuis pratiquement les
indépendances ou peu après.
. .. / ...

306.
Le pouvoir camerounais sait donc se renouveler et se
perpétuer à la fois.
La recherche d'hommes "sars'! et compétents à
tous les
poi~ts de vue,
techniquement, ,administrativement et
politiquement,
doit peser tsBUCOUP à l'heure actuelle
pour le
choix des membres de l'élite dirigeante.
En
exa~inant le gouvernement ivoirien en 1980, on s'en rend
com~te. Sur les 31 ministres de ce Gouvernement, ?l
avaient au ~oins la licence,
soit 70 % d'e~tre eux.
En extrapolant à partir des exemples de pays étudiés,
on est tenté d'avancer que les gouvernements africains
cherchent de plus en plus à s'appuyer sur des
uni~ersitaires qualifiés aspirant eux-mêmes à être de
l'élite dirigeante.
En passant, on peut notèr qu'il
est difficile de refuser à
ces hommes techniquement
forcés et utilisateurs d'idées techniques ou politiques
le titre d'intellectuels,
rien que parce qu'on prétend
le réserver à des producteurs de pensée.
D'ailleurs,
certains de ces hommes au pouvoir sont
des
écrivains, littérateurs ou essayistes;
et tous
les Jniversitaires qui s'arrogent le titre d'intellectuels
ne sont pas ~ous des producteurs d'idées. Mais là
n'est pas le problème qui intéresse directement ici.
Considérons l'év~lu~ion dll ~iveau d'études dans le
Darle~ent ivoirien.
. . . / . . .

307.
Dans la législature de 1970-1975,
sur un total de
100 députés,
i l y avait 31 universitaires,
soit 31 % ;
dans la législature de 1975-1980,
on trouvait 45
uni,ersitaires sur les 117 députés,
soit 38 % ; et dans
la dernière législature de 19~0-1985, les universitaires
son~ 78 sur 147, soit 53 %des
élus. Progressivement,
les élites diplômées ou intellectuelles sont en train
de
"s 'emparer" de l'Assemblée nationale.
L'i~tégrati~n des intellectuels professionalisés et
des autres dans le système social et politique en
place est devenue comme une nécessité aussi
bien pour les
intéressés eux-m~mes que-et surtout- pour les pouvoirs
en ~lace e~ Afrique. Et la preuve du rôle impQrtant
de ~'éducation dans l'accès au pouvoir n'est plus ~
démontrer.
Au point qu'il semble difficile de séparef
totalement,
à l'heure actuelle, les élites intellectuelles
des
élites politiques, puisque sous
celles-ci
se
tro~vent de plus en plus celles-là, représentées par
diverses catégories d'intellectuels.
... / ...

308.
En d'autres termes,
le cursus formation
universitaire-
fonction publique est devenu un canal de recrutement
privil~gi~ des dirigeants ; en parti~utier la haute
administration ou abondent aujourd'hui les hommes de
formation
sup~rieure ou universitaire apparaît être
le vivier du personnel gouvernemental
et pol.itique.
Mais nul n'est dupe;
tous
ces hommes
comme les autres
ne doivent-ils pas encore remplir d'autres
conditi0ns
s'ils veulent parvenir aux
so~~ets du pouvoir?
C .- ORIGI;!E soc IALE,
CAPI'J'AL SOCIAL,
PiFLUENCE POLITIQUE
CLI~NTELISME ET ACCES AU POUVOIR
l
- Orif'ine sociale,
origine réqionale et accès au Douvoir
---~----------------~------~-------------------~------
Peut-on penser que n'importe quel membre des
~lites
instruites a les mêmes
chances qu'un autre d'acc~der
au pouvoir ou doit-on
croire que l'~ducation,
l'influence politique et la politique favorisent
les déjà favoris~s (relatifs) par la naissance?
Qu.i accède "facilement" au pouvoir?
... / ...

309.
Lorsqù'on examine l'origine sociale des dirigeants
africains,
la première impression est que ces hommes
politiques sont issus de tous les milieux.
Certains,
comme
Kwame fj'Krumah,
Obafemi Awolowo sont d'origine humble
le père du premier ~tait .un bijoutier de village,
celui du second un cultivateur.
D'autres,
comme Nnamdi
Azikiwe,
avaient leur père citadin et salari~; d'autres
comme Houphouet-Boigny et Ahmadu Bello ~taient issus
de familles de chefs, J.B.
Danquah aussi,
ou encore
avaient un père responsable ou lead~r de r~gion,
c'~tait le cas d'Abubakar Tafawa Balewa.
Mais que masque cette diversit~ même des origines sociales?
D'où cette question:
dans quelle mesure et dans
quelle proportion,
les enfants des couches traditionnelles
d~favoris~es ont pu·acc~der au pouvoir en comparaison
des enfants des couches les plus
favoris~es ou
simplement même occidentalis~es de l'~poque coloniale?
Avant d'examiner,
si possible,
de façon pr~cise le
cas de quelques gouvernements,
ou au moins celui d'un
seul pays,
consid~rons ce tableau que Hauch pr~sente
dans son article d~jà cit~ (p. 131)
on y trouve
l'origine professionnelle des pères des ministres,
des chefs d'Etat et des chefs de partis autour de 1964 .
.../ ...

310.
TABLEAU XVIII
PROFESSION DU PERE
Ministre
Chef de
Chef de parti
~ouvernement
n = 85
et d'~tat (n=23)
Secteur tradi ti onn el
,
Chef traditionnel superieur
19 %
6 (26 %)
Chef de village
2 %
l
( 4 %)
"paysan"
25 '"
5 (22 01)
/0
"
Total .secteur tradi tioAnel
46 cl/0
12
(52 %)
Sec:teur occidentali sé
-
Fonctionnaire
13 %
l
(4 %)
Pasteur.
enseignant
Marchand
9 %
Universitaire
7 %
2 (9 %)
Commerçant
2 %
2 (9 %)
Ouvrier
2 %
l
(4 %)
.
Total secteur occiden tali sé
33 %
6 (26 %)
Non identifié
21 '",.
5 (22 %)
Total
100 %
23 (100 %)

311.
On observe que les ministres,
chefs de parti
et
chefs de Gouvernement et d'Etat issus du milieu
o
traditionnel
sont plus nombreux que
ceux issus du
milieu occidentalisé.
Mais i l est frappant de
constater que le pourcentage de 33 %des ministres
et ohefs de partis issus de pères oc~identalisés
est considéràblement élevé par rapport à ce que les
pères occidentalisés
pouvaient représenter dans une populatilln
à 95 % et plus de paysans à cette ?,ériode. Autrement
dit,
les fils des pères occidentalisés,
donc relativement
favorisés,
ont eu plus de chance d'accéder au pouvoir
que
ceux des pères du secteur-tradifionnel,
moins
favorisés.
Si on examine bien le secteur traditionnel,
on constate
aussi que même dans
ce milieu,
un fils
de chef
supérieur traditionnel avait plus de char-ce de devenir
chef d'Etat que les autres.
N'a-t-on pas vu d'ailleurs des
gouvernements plus
récents avoir,
semble-t-il,
une certaine prédilection
pour les fils de chefs,
les fils d'anciens militants
ou fonctionnaires
connus,
les fils
de régions
économiqueme.nt ou poli tiquement intéressantes ? Des
gouvernements récents ne se sont-ils pas formés
en
prétendant tenir compte de la '~éopolitique"?
Par exemple,
le gouvern~ment ivoirien en exercice depuis le 2 février
1981,
a été formé,
a-t-on clamé dans les journaux,
sur
la base d'un découpage "géopolitique"
;

312.
mais ce découpage n'en cache pas moins un dosage
ethnique
(l)
7 ministres
sont de la région nord
7 de la région ouest,
dont 4 du centre-ouest ;
7 du centre
4 àe l ' e s t ;
et 11 du sud
(compte tenu,
dit-on,
de son
im~~rtance démographique). Mg~e la répartition des
pc;tefeuilles ministériels a
tenu compte de la
"géopolitique"
en mgme temps qu'étBit assuré un
équilibrage dans la répartition en fonction de
l'i~portance des ministères: le nord a reçu l'Economie
et les Finances,
la Santé Publique,
l 'Ense~gnement
Technique, la Marine, la Jeunesse et les Sports,
la
Séc~rité Intérieure, la Recherche Scientifique;
l'o~est : la Fonction Publique, les Mines, le Tourisme,
l'Agriculture,
le Plan et l'Industrie,
les Eaux et Forgts,
le Sravail et l'Ivoirisation des Cadres;
le centre
la Justice,
l'Intérieur,
l'Education nationale,
la
Défense,
les Travaux Publics,
la Production animale
l'est s'est vu confier le Commerce,
les Affaires sociales,
l'En~ironnement, les Relations avec le Parlement; le
sud,
en plus de deux ministères d'Etat,
a les Affaires
étrangères,
la Culture, l'Information,
l'Enseignement
Primaire et les Télécommunications,
la Construction et
l'Urbanisme,
et deux secrétariats d'Etat,
l'un à
l'Agriculture et l'autre au Plan et à l'Industrie.
(1)
Le dosage ethnique s'opère souvent au niveau des
grandes instànces politiques et des gouvernements,
~as seulement en Côte d'Ivoire mais ailleurs aussi
~f. la polyarchie africaine constituée par les
iosages ethniques, in Lanciné Sylla,
Tribalisme
",t Parti
unioue en Afrioue noire,
Paris,
Presses
~e la Fondation nationale des Sciences politiques
=-979.

313.
Cela est donc clair que l'accès au pouvoir pour les
élites intellectuelles dépend aussi de variables aussi
diverses que l'origine sociale,
l'ethnie,
la région
et bien
sûr d'autresfacteurs déjà étudiés.
Cet accès
au pouvoir dépend encore,
évidemment,
d'autres
conditions.
~- Adhésion idéologique, stratégie clientéliste,
caDital
social,
oDDosition.
Il est presque ban~l de noter -que l'engagement idéologique
en faveur du pouvoir en place est un élément important
pour accéder au sommet de ce pouvoir -ou en bonne place
dans sa sphè~e. Cet engagement idéologique a une importance
aussi bien dans les pays qui se veulent d'une option
libérale que ceux qui
se veulent socialistes.
Cet
engagement réussira par exemple à
de jeunes intellectuels
lorsque Massemba-Oebat prendra le pouvoir au Congo après
avoir renversé Fulbert Youlou. Pascal Lissouba,
brillant
universitaire marxiste de 30 ans se verra par exemple
confier le portefeuille de Premier Ministre
(Lissouba
sera connu pour son désir de procéder à une socialisation
rapide de l'économie).
Léon Angor,
un autre marxiste,
deviendra Président de l'Assemblée Nationale;
.../ ...

314.
André Hombessa,
ancien leader de la Jeunesse du
Mou,ement National de la Révolution
(J.11.N.R.) sera nommé
Secrétaire d'Etat à la Jeunesse et aux Sports, puis
sera ministre de l'Intérieur.
En 1967,
quand l!gouabi renversera Massemb~Debat, tout
comme ce dernier,
i l s'entourera d!intellectuels
militaires et civils
convaincus de leur adhésion au
marxisme-léninisme.
Ses hommes seront par exemple le
commandant Raoul
(qui aura l'honneur de su~céder à
Massembat-Debat comme chef d'Etat avant de céder la
place à Ngouabi), Henri Lopes
(qui
sera son Premier
Ministre),
le commandant Sylvain Gema,
le commandant
Denis Sassou Nguesso, Jean-Pierre Thistere Tchycaya.
Et quand le pouvoir tombera aux mains de Sa~sou apr~s
avoir transité deux ans dans celles de Yhombi Opango,
Sas sou Nguesso confirmera dans leurs responsabilités
les officiers et intellectuels convaincus de
l'idéologie marxiste-léniniste que sont Goma
(qui
deviendra Premier Ministre)
et Thistere Tchycaya,
l'homme du Parti congolais du Travail,
le nO 2 du
pouvoir.
... / ...

315.
Dans les pays se réclamant du libéralisme,
comme la
Côte d'Ivoire,
on a vu aussi l'ascension fulgurante
de jeunes activistes et chantres du pouvoir en place.
L'ancien rédacteur en chef du quotidien national,
Fraternité-Matin,
aux éditoriaux fracassants ne
lésinant pas sur les mots les plus forts pour louer
le Président de la République et ses actions,
s'est
vu nommer membre du Bureau politique avant de devenir
ministre de l'Information,
puis ministre de la Jeunesse
et des Sports.
SOfi remplaçan~ au poste de rédacteur
en chef du même journal continue le même jeu,
peut-être
en outrant davantage encore ses éloges
; i l vient
d'être désigné aù Comité directeur du Parti.
Mais l'engagement politique et idéologique n'est pas
tout.
C'est toute une stratégie qu'il faut mettre
en place si l'on désire accédpr au pouvoir et y grimper
jusque vers le sommet.
Il faut par exemple savoir se
créer un réseau de relations avec les hommes politiques
influents et les administrations,
et se faire remarquer
ou se placer auprès de dirigeants importants qui
aident alors ~ "monter". Le même phénomène est signalé
dans
des pays autres qu'africains.

316.
Da~s un article intitulé L'intellectuel mexicain
et la politique,
Daniel Cosio Villegas
(1) dépeint
les stratégies adoptées pour s'infiltrer au pouvoir
et pour y grimper plus haut quand on y est.
Et une
des stratégies qu'on retrouve aussi
au Mexique et que
d~crit Gabriel Zard (2) consi~te ~ se servir de son
poste ou de son influence pour nommer ou faire nommer
à des postes-clés des amis, des ciients, postes d'où
ils seront assez visibles pour que,
si l'occasion se
présente,
ils puissent monter plus haut,
d'où à leur
tour,
ils pourront aider leurs généreux amis à s'élevèr
plus haut encore s ' i l s ont des ambitions.
Le phénomène du
clientélisme en Afrique a
été assez
bien analysé par René Lemarchand dans un article
intitulé Pàlitical e:>ehange,
clientelism and development
in trooical Africa
(3). Médard étudie lui aussi le
même phénomène dans
son article intitulé Rapport de
clientèle,
du p!1énomène social à l'analvse poli tique. (4)
(1) Cosio Villegas (D) L'intellectuel mexicain et la
politique in Intellectuels et Etat au Mexique
au XXème siècle,
Paris,
Ed.
du CNRS,
1979, pp.
9-17
(2)
Zaid
(G)
L'entreprise privée: Hypothèses de travail
in Intellectuels et Etat au Mexique au XXème siècle,
op.cit.
p.
47
(3)
:L.emarchand
(R),
Political
exchange,
clientelism
and develop~ent in tropical Africa in Culture et
D4ve1oprerJP..-;t,
1973
(4) :1éd1'rd(J.F.) Rapport de clientèle,
du phénomène social
à l'analyse politique in Revue ?l'"nC'2ise de Science
Dolitia\\ie,
fé'vrier 1976,
vol XXVi,
nO l

317.
Il Y reconnaît d'ailleurs avec Michel Crozier
(1)
que
le clientélisme,
important en Afrique et dans les pays
du Tiers-Monde,
n'est pas le seul fait de ces pays:
les bureaucraties européennes ne fonctionnent pas toujours
entièrement suivant les normes wéberiennes.
Evidemment,
cela n'est pas une excuse pour ce qui
se passe dans les
administrations africaines par exemple.
Médard croit que,
tout compte fait,
les
"phénomènes de
clientèl~
~ontribuent fortement ~ l'intégration sociale et
politique,
dans la mesure où ils amenuisent les conflits
et dans la mesure où les réseaux de clients permettent
d '8rticuler les uns aux autres lës groupes hétérogènes".
Cette conclusion mériterait d'être plus approfondie et
surtout d'~tre soumise ~ plus de vérification à partir
d'études concrètes.
L'analyse du clientélisme et "llexploitation"du
capital social
(des relatiops)
met fin ~ l'étude
des facteurs qui permettent aux intellectuels et
aux
dip18més dl accéder au pouvoir et
de constituer l'élite
dirigeante ou
l'élite du pouvoir -pour employer
le terme de Wright Mills.
(1)
Crozier
(M),
Le phénomène bureaucrati gue,
Paris,
Ed. Seuil,
Coll. Points 197~

318.
La p01itique co~me activité a, bien sûr, un rôle
essentiel' dans l'accès au pouvoir. Cela est tellement
évièent que ce sont les autres facteurs qui ont été
étudiés ici.
Il reste à souligner que l'opposition au
pouvoir en place est un moyen direct (voulu) ou indirect
(non voulu) pour accéder au p04vair.
Le pouvoir en
place prend acter de l'opposi tian,
puis à son tour
contre-attaque soit en mettant carrément à l'ombre
celui qui s'agite,
soit en faisant le ~ide autour de
lui,
soit e" décidant de le réc'lpérer,
de "l'acheter"
-pour employer une expression de Gabriel Zaid parlant
du m~me problème au Mexique (1). Zaid note ceci:
"1e pouvoir d'achat parvient à une extrême subtilité,
indi2pensable quand il vise des dissidents qui ne
veulent ni postes, ni argent et n'ont rien à vendre
que ~es idées: l'achat consiste alors à prêter attention,
à fa~re que l'on prête attention, que l'on fasse au
moins se~blant : émettre les signes indéchiffrables
de celui qui
semble écouter attentivement et qui,
peut-être.va prendre un peu au sérieux".
C'est là un
des coyens soporifiques pour faire tomber la fièvre
chez les "agités".
... / ...
(1) =aid (G), loc.cit. p. 44

319.
Ci
Mais plus efficacement,
le pouvoir réussit à appeler
celui qu'il veut récupérer à un poste de responsabilité
technique avant de lui proposer une responsabilité
politique. En Côte d'Ivoire,
n'a-t-on pas vu des
anciens étudiants,
grands pourfendeurs du pouvoir
de Houphouet-Boigny,parcourir exactement le chemin
décrit? Sans aucun doute,
de tels
cas existent aussi
ailleurs en Afrique.
Les différents facteurs qui influencent l'accès des
intellectuels au pouvoir ont été analysés. Il reste,
pour conclure,
n~n pas à y revenir encore, mais à
interroger plutôt le rapport à la société des élites
intellectuelles quand elles se- trouvent être au-pouvoir
et précisément da-ns "l es sommèts de l'Etat".
La question
est d'autant pl-us importante que l'analyse du personnel
dirigeant révèle la place prépondérante de ces éli tes
et donc celle d'une "classe moyenne"
comme on dit .
.. ./ .. ·

320;
Conc:lusion
S'il est banal peut-être de noter que l'€lite
du pouvoir
politico~administratif est l'une des fractions les plus
importantes de la classe dominante en Afrique,
on doit
so~ligner par contre que cett~ ~lite sait s'approprier
administrativement le surplus national 'en d~terminant
elle-même son propre salaire et les investissements;
elle est le premier b~n~ficiaire de l i l'plus-value'd'Etat''-
pr~lev~e par les organismes d'Etat. D~tentricedu'
pouvoir politico-administratif,
elle fait Jes appareiJs
de l'Etat des appareils d'accumulation et accède
ainsi au pouvoir ~conomique. Jean-François Bayart a
bien saisi
ce ph~nornène en ~tudiant "L'Etat Camerounais"(l).
Le regard de cette ~lite sur la soci~t~ a beaucoup à
voir avec sa pasition d'~lite dirigeante et avec le.
fait d'être de la classe' dirigeante et dominante.
Comcent apparaît la soci~t~ à ses yeux? Quel est son
discours sur la soci~t~ ? Et quel est son discours de
l~gi tima tion ?
(1)
3ayart (J.F.),
L'Etat camerounais,
Paris,
Presse de
la Fondation I~aTIonaJ.e des SClences politiques, 1979
... 1...

321.
Pour ramasser dans cette conclusion la pensée et ne
pas la développer beaucoup,
soulignons les thèmes les
plus fréquents
chez cette élite au pouvoir ;
i~s sont faits
d'appels à l'intégration nationale,
à l'unité nationale,
à ·l'ordre, au développement, à la modernisation. La
société étant pensée comme un bloc
(comme pour masquer
les disparités régionales et les ~njustices sociales),
elle est réduite à son développement surtout économique,
conçu d'ailleurs de,façon linéaire
(on veut rattrapBr
le "retard" sur les pays développés).
Et rien ne doit
entraver ce développement,
du moins à l'intérieur du
pays.
C'est pourquoi, par exemple,
les conflits sociaux
sont étouffés,
que les mouvements de grève des ouvriers
ou les manifestations des étudiants sont réprimés •
. Et pour légitimer ses actions, l ' é l i t e au pouvoir met
l'accent sur la nécessité de la paix sociale et de
l'unité nationale.
Elle s'iùentifie en fait à la
nation,
au peuple,
au progrès:
ce qu'elle fait,
ne
le fait-elle pas,
assure-t-elle, pour le bien de la
nation et du peuple ?
... / ...

322.
Et si ·elle appelle à la modernisation,
aux conduites
rationnelles et instrumentales,
n'est-ce pas parce
qu'elle se sent investie d'une tutelle particulière
à l'~gard de la masse qu'elle doit conduire à la
modernit~, à.la "civilisa.tion ll c'est-à-dire à la soci~t~
technicienne ou moderne -qui n'est autre chose·le plus
souvent dans son esprit que celle des formations
capitalistes dites avanc~es ? D'ailleurs, les relations
entre cette ~lite au pouvoir (et donc entre l'Etat
auquel elle s'identifie)
et l~s citoyens ne sont-~l1cs
pas litt~ralement envisag~~ comme celles d'un tuteur
et de ses pupilles ?
Les notions d'ordre et de discipline,
accompagn~es
souvent de considérations affectives et rr.oralisantes
du genre lI sacrifice de l'Etat",
"bienveillante
sollicitude de
..• " dont s'~maillent allègrement les
discours politiques font penser effectivement à la
"d~mocratie tutélaire" ~noncée par Eduard Shils dans
Political development in the new states
(The Hague,
Mouton 1962). Ces discours destinés aussi bien à
l~gitimer ce qui se fait qu'à rassurer les investisseurs
et les cr~anciers ~trangers et à apaiser le peuple en
lui r~clamant sa confiance disent en effet par eux~
mêmes le type de rapport Etat-citoyens instaur~.
. . . 1...

323.
C'est ce qu'a d'ailleurs mis en évidence l'étude de
Michel Câmau
(1) sur "Le discours politique de
légitimité" en Tunisie.
On peut se référer ~ son
article pour plus amples informations.
L'effort de légitimation n'est pas fait
seulement
par les hommes au pouvoir.
Tous ceux qui
cherchent ~
y entrer aussi, et que nous appelons ici les idéologues
au service du pouvoir,
savent eux aussi tenir ce
discours de légitimation et de confortation du pouvoir.
En Côte d'Ivoire,
on vient de définir l'
"Houphouétisme".
C'est la création de deux anciens dirigeants du Mouvement
des Etudiants et Elèves de Côte d'Ivoire
(M.E.E.C.I.).
C'est l'un d'eux
(aujourd'hui ministre depuis le
gouvernement du 2 février 1981) qui,
au 5ème Congrès
du I:EECI en janvier 1981 s'est exprimé ainsi
"On parle de marxisme,
de léninisme,
de
maoisme,
et pourquoi pas d'Houphouétisme.?
Pour nous,
l'Houphouétisme n'est pas le
culte d'une personnalité;
l'Houphouétisme
est un humanisme africain où,
au centre de
toute action,
se trouve le respect de l'homme.
C'est la philosophie du dialogue ~ tous les
niveaux.
L'homme est le sujet,
l'objet et
le principal bénéficiaire du développement
houphouétiste" .
(1) Camau (M) "Le discours politique de légitimité" in
=:li tes.
Douvoirs et lél'i tini té au ~1a!='hreb, Paris,
:Gd.
CNRS,
1973

324.
L'autre aura l'occasion d'étaler ses louanges à la
personne d'Houphouet et son admiration pour tout ce
qui se f~it, dans un discours au nom de la jeunesse
au 7ème Congrès du Parti Démocratique de Côte d'Ivoire
(PDCI)
tenu les 29,
30 septembre et 1er octobre 1980~
Mais l'action de légitimation est quotidienne dans
Fraternité-Matin, l'unique quotidien ivoirien. Ses
éditoriaux,
surtout ceux qui paraissent régulièrement
une fois par semaine sous le titre "Ecrire et construire"
sont comme chargés d'accumuler les faits,
les citations,
les témoignages de l'étranger et toutes les raisons pour
démontrer què le chef de l'Etat ou/et le gouvernement
ou/et le parti avaient encore plus
raison qu'ils ne
le croyaient et que toute la Côte d'Ivoire n'a qu'à
se laisser conduire éomme un seul homme sous leur
houlette.
L'exemple ivoirien d'attitudes
d'idéologues au service
du pouvoir n'est
qu~un cas pour illustrer ce qui se
passe partout en Afrique.
L'apologie du pouvoir se
fait aussi de façon indirecte par l'exaltation de
l'étalage de luxe et de pratiques de démon~tration
chez les dirigeants : par exemple,
les cérémonies ~e
leur mariage ou de ceux de leurs.enfants 9U protégés
ne sont-ellep pas données en admiration à tout le peuple
... / ...

325.
grâce à la magie de la télévision nationale chargée
pour la circonstance d'étalEr la réussite sociale
des "enfants" du pays? Et leur réussite ne doit-elle
pas réjouir toute la nation?
L'apologie du pouvoir se fait aussi par la voix négative
de la satire contre les
"enfants égarés" du pays~ contre
les '~nnemis de la nation",
c'est-à-dire ceux qui osent
s'élever contre l'ordre qui
s'installe,
ceux qui.osent
des
critiques sociales et politiques.
La participation au pouvoir implique la défense et la
légitimation du pouvoir.
Celles-ci
sont plus ou moins
ouvertes 6t conscientes.
Tant que des intellectuels
hésitent à entrer de plein pied dans le pouvoir,
ils
restent conscients de cette réalité de devoir légitimer
le pouvoir.
Et ceux des intellectuels qui y sont
semblent parfois gênés pour cela même quand ils doivent
retrouver des intellectuels qui sont hors des structures
directes du pouvoir et qui,
à gorge chaude,
se proclament
les seuls vrai~ intellectuels. C'est ainsi que dans les
pays africains,
un milieu intellectuel regroupant les
intellectuels au pouvoir et les autres en dehors de lui
se constitue difficilement.
L'intellectuel au pouvoir
est souvent tenu de' se souvenir qu'il est avant tout
un homme politique,
l'homme d'un pouvoir.
. .. / ...

326.
Aussi.,le monde de la culture et le monde de la politique
ont-ils des difficultés réelles à se marier.
On a vu
cependant des hommes politiques réussir.assez pleinement
un rôle d'intellectuel;
cJest le cas d'un Senghor.
d'un Théophile Obinga.
d'un Henri Lopès.
pour ne citer
que ceux-là. Mais de façon générale,
la fonctio~ et
l'activité politiques entraînent la limitation ou
l'arrêt de la production.
littéraire par exemple.
en
même temps qu'elles ne donnent pas non plus lieu souvent
à une production partisane particulière digne
d'intellectuels du parti. Pourquoi? Manque de temps?
Absence de conviction? Crainte pour l'avenir
? Peur
de la postérité quï
jugera?

327.
SECTION
II
LES ETUDIANTS AU SERVICE DU POUVOIR
Les
étudiants so~t a~jourd'hui plu~ qu'hier peut-être
cette force montante.
conscience d'elle-même. consciente
de son importance aujourd'hui
et dans l'avenir proche.
Cette force montante se découvre être un groupe de
pression assez efficace.
capable d'inquiéter les
pouvoirs en place en Afrique •.
C'est pourquoi
chaque pouvoir tient ~ avoir les
étudiants de son côté. Mais ceux-ci ne forment pas
un bloc monolithique.
ni
un groupe homog~ne avec des
individus interchangeables:
leur rapport au pouvoir·
par exemple n'est jamais uniforme.
Et le pouvoir dQit
se battre pour s'en gagner un nombre important.
par tous
les =oyens.
dont la manipulation et même la corruption
ne sont pas les moins fréquentes.
Naomi Chazan a étudié
"The manipulation of youth politics in Ghana and Ivory
Coast" dans un numéro de Gen~ve-Afrique.. (1976. vol. XV,
nO 2).
. .. / ...

328.
Pratiquement tous les gouvernements et partis africains
au Douvoir ont pour les soutenir des organisations de
jeunesse et d'étudiants.
On peut citer à titre
d'exemple celles-ci: la Fédération des Etudiants de
l'Union Progressiste Sénégalai.s-(F.E.U.P.S.(l)
),
la Jeunesse Révolutionnaire - R.D.A.
(J.H.-R.D.A.)
de
Guinée,
l'Union Nationale de la Jeunesse Malienne
(U.::.J.M.),
le Mouve~ent des Etudiants. et El~ves de
Côte d'Ivoire
(M.E.E.C.I.).
Il s'agit là de mouvements
nationaux. Sur le plan inter-territorial,
C~ avait
par exemple l'ancien Mouvement des Etudiants de
l'Organisation Commune Africaine et Malgache
(MEOCAM
(2)
).
Mais les organisations d'étudiants créées par le fait
des ~tudiants eux-mêmes ou sur l'initiative des
gouvernements ou des partis,
ne pourront pas empêcher
que des tendances
contraires les traversent :
certains
étudiants ou groupes d'étudiants voudront être des
appuis aux pouvoirs en place;
d'autres se voudront
autonomes et se déclareront mê~e parfois contre les
pouvoirs de chez eux.
(1) L'Union Progressiste Sénégalaise est devenue le
Parti Socialiste Sénégalais
(2) L'Organisation Commune Africaine et Malgache
(OCAM)
deviendra après l'adhésion de l ' I l e Maurice en 1970
l'O~ganisation Commune Afri~aine Malgache et Mauricienne
avec le même sigle O.C.A.M.

329.
L'affrontement des tendances agira de diverses manières
sur les étudiants et leurs associations:
soit i l
donnera naissance à des organisations parallèles
rivales,
soit i l a'6~era une ~êL1e association sans
la diviser en deux,
soit i l
seCOUEra un~ mêDe organisation
jusqu'à la faire
éclater en deux groupes distincts qui,
à leur tour,
ne seront pas exempts,
même au sein de
chacun,
des contradictions initiales.
C'est dire que l'étude d'un mouvement étudiant n'est
pas ocisé ;
car elle doit prendre en
compte non
se,'lement les luttes des org'anisations les unes contre
les autres mais aussi les luttes à l'intérieur de
chacune d'elles.
Dans cette section du travail,
deux exemples de
mouvements d'étudiants vont être étudiés; l'un
est national,
i l s'agit du mouvement étudiant
ivoirien; l'autre est i~terterritorial. il s'agit
de l'ancien Mouvement des Etudiants de l'Organisation
Com~une Africaine et Malgache (MEOCAM). L'intérêt
de ces deux exemples réside dans le fait qu'ils
illustrent de manière éclatante l'effort des pouvoirs
africains pour faire de leurs étudiants des alliés
et des appuis et manifestent aussi l'adhésion d'un
... 1 ...

330.
nombre d'étudiants et d'organisations èstudiantines
aux idéaux des partis de leurs pays ainsi que leur
volonté' de soutenir leurs gouvernements e~ en
défendant les options et les actions dans les
milieux étudiants.
1. LE M.E.O.C.A.M.
Devant l'agitation des étudiants et devant leurs
attaques,
les pouvoirs en Afrique ne se contenteront
pas d'~ncaisser les coups"
o~ de décider la dissolution
des organisations estudiantines.
Ils essaieront de
créer dans les milieux étudiants des associations
d'étudiants l
leur solde pOlIr endiguer la fougue des
étudiants . ou pour éliminer si possible les groupes
trop "coltbatifs"
à.leur goût.
De manière générale.
la contestation des étudiants a toujours irrité les
dirigeants politiques qui la considèrent comme
blasphématoire ;
elle les a toujours inquiétés aussi
parce qu'ils y voient l'action du communisme international.
C'est dans un tel contexte que naîtra le MEOCAM.
Il aura pour mission essentielle de comba~tre la
Fédération des Etudiants d'Afrique Noire en France
(FEANf)
créée dès 1950 et engagée dans la lutte
antiimpérialiste et anti-colonialiste.
. .. 1. ..

331.
Après s'être constituée du 10 au 12 février 1965
à Nouakchott (Mauritanie), l'Organisation Commune
Africaine et Malgache
(OCAM) oeuvrera pour la création
du Mouvement des Etudiants de l'OCAM
(MEOCAM).
Ainsi,
du 18 au 20 novembre 1966; les étudiants d'Afrique
Noire des universités de Dakar,
d'Abidjan et d~ France,
se réunirent à Dakar pour décider la création du MEOCAM.
D'après Jacques Baulin
(1),
de son nom patronymique
Jacques Batmanian,
anci en conseiller' du président
Houphouet-Boigny (de 1963 à 1969),
passé aujourd'hui
à la "révélation des secrets",
celui-ci aurait mis
à la disposition des jeunes chargés de mener à bien
la tâche de création du MEOCAM,
la petite somme de
5 000 000 FCFA
(100 000 FF).
Le congrès constitutif
du MEOCAM se tiendra à Niamey (Niger)
du 2 au 3 janvier
1967
(2)
(1 ) Baulin (J) La politigue africaine d'Houphouet-Boigny,
Paris, Ed. Eurafor-Press 1980, p. 168
(2 ) Les ét'udiants qui participerc ..l: à ce congrès étaient
originaires de 9 pays:
Congo-Kinshasa
(Zaïre),
Côte
d'Ivoire,
Dahomey
(Bénin aujourd'hui),
Gabon,
Cameroun,
Madagascar,
Niger,
Sénégal,
Tchad.
Ils provenaient de
5" centres universitaires africains
(Abidjan, Dakar,
Libreville,
Niamey,
Tananarive)
et de 16 centres
universitaires européens dont Bordeaux et Paris. Le
MEOCAM comprendra par conséquent 21 sections. A titre
de comparaison,
notons que la FEANF,
créée depuis
1950,
comprenait les étudiants originaires de 14 pays
af!."icains
:
Centrafrique,
Congo-Brazzavile,
Côte d'Ivair~
Dahomey
(Bénin),
Gabon,
Guinée,
Haute-Volta,
Cameroun,
Mali,
Mauritanie,
Niger,
Sénégal,
Tchad,
Togo. En
France, ·les étudiants regroup~s dans la FEANF
poursuivaient leurs études dans 19 centres universi-
taires : la FEANF comprenait donc 33 sections.

332.
Le MEDCAM aUra,
de par ses
conditions de cr~ation mimes,
des engagements politiques aux côt~s des gouvernements
qui l'ont fait naître.
Les documents d~ son congrès
constitutif analys~s par Sekou Traor~ (1) avaient
trois objectifs pri~cipaux :
a)
soutenir les gouvernements au pouvoir en Afrique.
A ce propos,
voici
ce que d~t clairement la r~solution
de politique
.
.
l
genera e
et d'orientation:
"Les ~tudiants africains et malgaches
r~unis en congrès constitutif du MEDCAM
- affirment leu~ adh~sion unanime ~ l'DCAM
-
exhortent tous les autres
~tudiants des
pays de l'DCAM A se joindre ~eux pour
soutenir de façon active et efficace
leurs gouvernements
•.• "
b) lutter contre 18 rEA~F et les autres or~anisations
d'~tudi8nts nfricains jlJ~~S par eux tr0D a~ressifs
La d~claration de politique g~n~rale SUr la cr~ation
du MEOCAM ne pasSera pas par quatre chemins ;
elle
di ra :
"Une fois
cette ind~pendance acquise, la
FEAnF,
coup~e des nouvelles r~ali t~s africaines
et malgaches,
ayant perdu son champ de
bataille,
le colonialisme,
essaya de se
donner de nouveaux concepts inop~rants tels
.le n~o-colonialisme et l'imp~rialisme.
Elle retourna ses armes contre les pays
africains et malgache et ne cessa de
vilipender nos chefs d'Etat dans leurs
efforts d'unification ~conomique et
'politiqlle de l'Afrique et Madagascar".
(l)Sekou Trs·)r2,
:::,'s.::lOnsabilit~ historioue des ~tupiants
africains,
1"31'1s, Anthropos, 1973

333.
Elle continuera:
"Conscients de leurs responsabilit~s et de
leur rôle en cette phase cruciale de
l'~volution de l'Afrique, les ~tudiants
africains et malgaches dans la perspective
de continuer l'effort entrepris par les chefs
d·'Etat,
regroup~s' au sein de l 'OCAM,
rejettent toutes les ~éthodes violentes,
agressives,
et les cr~tiques syst~matiques
de la FEANF •
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
Ils se d~clarent en ~tat de mobilisation
permanente au service de l'OCAM,
et prêts
à combattre toute autre association,
ancienne
ou nouvelle,
qui d~nigrerait syst~matiquement
nos pays et chefs d'Etat".
c) lutter contre le c08~unis~e en Afrigue et les
doctrines marxistes-léninistes
Pour-le :·:EOCAM,
i l est important de
"lib~rer l'Afrique
de toute id~ologie ~trang~re". La charte du MEOCAM,
adopt~e à son congr~s,n~ d~clarait-elle pas :
"Ils
(les ~tudiants africains) doivent
op~rer au niveau des universit~s ·un
d~gagement radical de la tutelle marxiste-
l~niniste".
Voilà donc,
entre autres,
les objectifs assign~s au
MEOCAM et qui guideront son action et ses attitudes
dans le milieu ~tudiant. Mais co~ment r~agiront les
autres ~tudiants face au MEOCAM ?
... / .. ·

334.
La réaction des autres étudiants,
à la création même
du r~EOCAM, ne se fera pas attendre.
Le 4 janvier 1967.
les étudiants manifestent à Dakar contre sa création.
Le 13 janvier,
ceux d'Abidjan tiennent une assemblée
générale et publient'le même jour une'~éclaration
commune des étudiants africains de l'université
d'Abidjan sur le MEOCAM"
;
dans celle-ci,
ils
affirment:
"L'OCAM étant une organis*tion fantache
à la solde des impérialistes, le MEOCAM, sous-produit,
ne peut être qu'un organisme fonci~rement rétrograde .•. ".
Les autorités ivoiriennes arrêteront alors plusieurs
des responsables étudiants. Elles déclancheront ainsi
le 22 janvier de la part des étudiants "une marche
pacifique sur la résidence présidentielle".
Sur ordre présidentiel,
la police arrêtera environ
400 étudiants
(1)
et le bureau politique du Parti
Démocratique de ca te d'Ivoire décidera de renvoyer
chez eux les étudiants des autres pays africains
et d'incorporer les nationaux dans l'armée.
A Paris,
laFEANF convoquera le 12 février 1967
une réunion extraordinaire au lieu même
(salle Zimmer)
où le MEOCAM avait prévu une réunion d'information.
(1) Selon J.
Baulin, op.cit. p. 169

335.
A l'issue de cette réunion,la FEANF envoie le télégramme
ainsi libell~ à "Houphouet"
:
"Etudiants africains de
Paris réunis appel FEANF condamnent énergiquement votre
politiqüe anti-africaine,
votre répression sauvage
mouvement étudiant universit~ Abidjan et Côte d'Ivoire
façon g~nérale. Stop. Condamnent votre groupuscule
fantôche,
apprentis-valets MEOCAM. Stop. Exigent
libération étudiants arrêt~s, emprisopnés ; rappel
étudiants expuls~s, cessation mesur8S arbitraires.
Stop.
Proclament solidarité,
soutien étudiants ftbidjan
anti-MEOCAH"(l)
Il faut noter que dès le 9 février 1967, la FEANF
dans une ~ettre circulaire, avait deMand~ aux sections
de multiplier lettres et télégrammes.
Y aura~t-il
beaucoup de télégrammes envoyés?
Toujours est-il
que l'
"affaire"
MEOCAM prendra des dimensions
pratiquement internationales. L'
"Horaya",
organe du
Parti Démocratique de Guinée,
publie sur cinq colonnes
un communiqué de la Jeunesse de la Révolution
D~mocratique Africaine (JRDA) o~ le MEOCAM est
accusé d'oeuvrer pour le n~ocolonialisme ; et traduit
le sigle MEOCAM par "Mouvement des Etudiants de
l'Organisation contre l'Afrique en Harche".
(1)
Ibic'eI;1

336.
Au Congo-Brazzaville,
le "Dipenda" parle du MEOCAM ~ la
seIde de la CIA.
La "Radio-Moscou" accuse le MEOCAM
de rendre service au néo-colonialis~e.
Mais,
malgré les difficultés,que le MEOCAM connaîtra
dans le milieu étudiant,
il essaiera tout de même de
poursuivre les buts pour lesquels i l a
été créé tout
en axant son effort sur la satisfaction des besoins
mat8riels des
étudiants.
Il sera un gouffre dévoreur
d'araent.
En 1967. i l avait reçu un budget de
o
.
20 000 000 FCFA
soit 400 000 FF ;
cinq mois plus tard,
il était déficitaire,
selon Jacques Baulin
(1),
de
309 100 francs anciens,
soit 154 550 FCFA.
L'auteur de La
politioue africaine d'Houphouet-Boi~ny,-
ancien conseiller de Houphouet-Boigny,
prétend dans son
livre qu'il a cru de son devoir de porter ces faits
à la connaissance de celui-ci et de demander des
sanctions non seulement disciplinaires mais pénales.
Le chef de l'Etat ivoirien lui aurait répondu froiùement
"Et apr~s ? Vous croyez que je me fieà leur honnêteté?
Mais
je préf~re qu'ils prennent mon argent plutSt que
celui des autres
(pour faire de l'agitation).
Coœprenez.
ils nous font gagne:- du temps,
ils nous sont utiles"
(2)
(1)
Idem p. 170
(2)
Ide::; p. 171

337.
Et c'est pourquoi,
deux mois plus tard,
c'est-à-dire
en
janvier 1968,
à la conf~rence de l'OCAN à Niamey,
le pr~sident Houphouet-Boigny aurait apport~ son
appui au dit mouvement des
~tudiants en cester~es
"Nos jeunes se connaissent peu et
jusqu'à une date récente,
chaque fois
qu'ils ont tent~ de s'entendre,
ce sont
les extr~mistes, les démagogues et les
agents de l'~tranger qui r~ussiss~nt à
l'e~porter en jouant de l'enthousiasme et
du manque d' exp~rience de l:OS· cadets.
Ainsi,
convient-il de souligner le courage
des promoteurs du Mouverrent des Etudiants
de l'GCAM qui,
en résistant admirablement
au"systématisme", à la déma~ogie facile,
en se lib~rant de la t~telle étrang~re à
laquelle certains d·'entre eux se sont soumis
pour le grand mal de l'Afrique,
m~ritent
de notre part à
tous
compréhension;
sollici tude et soutien . . ." (1)
Le MEOCAM
continuera son petit bonhomme de chemin en
dehors de toute lutte id~ologique réelle, traversant des
crises dues à des rivalit~s de personnes et à des
m~sententes sur les probl~mes de gestion financi~re.
Mais sa situation deviendra telle qu'à la
conf~rence de
Yaoundé au Cameroun en janvier 1970, les chefs d'Etat
de l'OCAM seront oblig~s de se faire présenter les
responsables du MEOCAM,
accusés de dilapider les fonds
mis à la disposition du mouvement.
(1) Ibidem

338.
En 1911. le MEOCAM" est encore en crise.
Son pr~sident
accus~ d'~tre incapable de donner une orientation
saine au mouvement et de mal g~rer les fonds,
est
renvers~ le 28 f~vrier. D'autres crises surviendront
qui tueront pratiquement ce mouvement. En avril 1972,
l
Lom~, la conf~rence des chefs d'Etat de l'OCAM
prendra acte de l'~chec de
cette
organisation.
Sans avcir r~ussi vraiment daDs ses objectifs et buts,
le MEOCAM n'en aura ~as m6ins inqui~t~ un peu la FEANF
et "d~rang~" certains ~tudiants dans leur ardeur
militante;
mais en m~me te~ps, i~ aura activ~ celle
de beaucoup d'autres~tudiants, devenus conscients
de la
"corruption" et de l'embrigadement organis~s
du monde ~tudiant pour des fins politiques.
L'~tude de la vie du MEOCAM a permis de voir comment,
sur le plan du continent,
des efforts ont ~t~ tent~s
pour~ettre le grappin" sur les ~tudiants, les tenir
l
sa solde et pour les utiliser contre le militantisme
des autres étudiants. Ces efforts ~taient surtout ceux
des pouvoirs qui se croyaient menacés par les activités
et les prises de positions de la FEANF
(dont
on
reparlera plus loin dans la IV~me partie), une FEANF
soutenue par des chefs d'Etat comme Sekou Touré et
Kwal1le Nkrum ah.
/' ..

339.
Sur le plan national,
que peut-on dire des mouvements
étudiants qui ont apporté ou apportent leur soutien
au pouvoir en place ?
Les organisations estudiantines nationales
sont ~ombreuses.
Au lieu de prétendre les étudier toutes,
i l a paru
judicieux de s'en
tenir à un seul mouvement dont la vie
figure bie~ la collajoration avec le pouvoir mais aussi
les conflits à l'intérieur du mouvement lui-m~me ainsi
q~e des aspects de l'opposition au pouvoir.
La vie du
mouvement étudient ivoirien serR
celle étudiée ici.
Nous verrons comment ce mO\\l~eMent n~ de l'initiative
des ét~diants va ~tre récupéré par le pouvoir qui
créera ainsi la division au
sein de ce mouvement.
Celui-ci
sera secoué par des tendances
contraires qui
donneront lieu pratiquement à des organisations distinctes
l'une des tendances s'exprimera contre le pouvoir et
l'autre s'engagera au service du pouvoir.
L'étude de
la dernière tendance représentée par une organisaêion
sera privilégiée ici,
puisqu'il
s'agit,
dans cette
partie du travail,
d'analyser le rapport positif de
collaboration des étudiants avec le pouvoir ; mais
inévitablement,
l'autre tendance sera évoquée: la
vie d'un mouvement n'est-il pas un tout,
m~me si elle
peut s'exprimer sous différentes associations concrètes?
... / ...

340.
2. Etude du mouvement ~tudiant ivoirien d'acpui au couvoir
sa vie et ses difficult~s face au courant opcos~.
Lorsque l'Union G~n~rale des Etudiants de la Côte
d'Ivoire
(UGECI) naît en 1956,
en conservant d'ailleurs
les associations existantes
comme l'Association G~n~rale
des Etudiants de Côte d'Ivoire
(AGECI)
et l'Association
des Etudiants de la'Côte d'Ivoire en France
(AECIF)
cr~~es
des anrr~es plus tôt,
elle se fixera bien sûr pour
ob~ectif de défendre les intérêt~ mat~riels et moraux
de ses membres; mais elle adoptera vite une ligne
politique qui se situe bien d'ailleurs dans le contexte
politique d'alors.
En 1956 en effet, l'effort des mouvements de lib~ration
nationale se poursuit et connaît un essor avec
l'affaiblissement des puissances colonisatrices en
1945. Les victoires rempqrtées par la Chine en 1949 ,
par le Viet-Nam
(Dien-Bien-Phu)
en 1954, la libération
de la Tunisie,
du Maroc.
etc.,
donneroht à l'Afrique
noire l'espoir d'une lib~ration certaine par la lutte
plus active que jamais contre l'impérialisme et le
colonialisme.
... / ...

341.
Dès sa création, l'UGECI
suivra
ce courant politique
de lutte contre l'i~périalisme et l'occupation
étrangère. Elle voudra rester en unité avec l'ensemble
des étudiants d'Afrique noire sur la base de la lutte
anti-iGpérialiste : elle adhérera alors à la
Fédération des Etudiants d'Afrique Noire en France
(FEANF). Elle prendra les mêmes positions que celle-ci
sUr le problème de la Communauté Franco-Africaine et
de la loi-cadre
(voir 1ère
partiel. Elle critiquera
ouvertement les dirigeants af~icains et ivoiriens SUr
leurs attitudes d'acceptati0n du néo-colonialisme.
Le président ivoirien supportera difficile~ent la
contestation et la surenchère estudiantines.
Il se
laissera "irriter"
par les positions }'ga~chistes"
et les attitudes et prises de position favorables aux
régimes ghanéen et guinéen qui accordaient leur appui
moral et financier à la FEANF.
Il voudra calmer
l'efferve~cence des étudiants. Et comme "l'hostilité"
des étudiants était centrée en France, i l fit créer
le 17 janvier 1960, à Paris, l'Union Nationale des
Etudiants de Côte d'Ivoire
(UNECI)
pour faire pièce
à l'UGECI et la remplacer.
Il sera déclaré que les
dirigeants de l'UGECI étant plus
"préoccupés de
polit~que que de syndicalisme aëdentperdu la confiance
de leurs troupes"
(1)
(1) Rapporté par Baulin. op.cit. p. 167

.342.
Mais,
bien qu'elle connaîtra la répression par la
suppression de bourses de certains des membres
(ceux
du Comité exécutif en particulier),
l'UGECI.
mise·
hors la loi,
n'en continuera pas moins de regrouper
une partie importante des
étuqiants et d'avoir des
positions politiques fer~es. Celle qu'elle prendra
face au %omplot"de 196.3 n'agréera pas du tout au
pouvoir ivoirien. Certains de ses membres seront
arrêtés dans le cadre de ce 'complot."
Le 28 septer.bre 196.3, lors de son discours du stade
d'Abidjan dénonçant le grand "complot", le président
Houphouet-Boigny annoncera le transfert en Côte d'Ivoire
du siège de l'UNECI.
Celle-ci créée par ses soins,
serajt,
pensait-il,
plus directement contrôlable et"
contrôlée à Abidjan qu'à Paris et serait mieux protégée
contre l'ardeur militante des étudiants opposés à
son
régime.
..,. / ..
,.

343.
b) De l'UNECI au MEECI ou les difficultés et les
Le gouvernement ayant détidé de régler.son compte à
l'UGECI et de mettre les étudiants au pas et sous
l'unique coupe de l'UNECI,
le
ministre de l'Education
nationale d'alors pourra déclarer à l'adresse des
étudiants en France
(dont beaucoup restaient attachés
à l'UGECI officiellement remplacée par l'UNECI)
"Ceux qui,
systématiquement.
ont pris le
parti de participer à l~ révolution
nécessaire pour renverser le régime,
doivent
se déclarer ouvertement
( ••. ) Désormais,
chacun devra se prononcer pour ou contre le
gouvernement sans pouvoir être ni pour ni
contre. Ceux qui
auront
choisi l'auront
fait en toute liberté mais ils auront en
face d'eux un gouvernement qui a aussi la
liberté
ct 'en tirer les conséquences.
Si vous
prenez votre option contre le gouvernement,
le gouvernement ne vous
reconnai~ra plus.
vous n'existerez plus pour la Côte d'Ivoire,
tant que le régime actuel sera en place.
Ceux qui se mettront au ban de la nation
seront perdus pour la Côte d'Ivoire. Vous
devez savoir que vous ne pesez pas et ne
pèserez
jamais sur l'évolution actuelle de
la Côte d'Ivoire,
quelle que soit votre option.
L'élite de demain,
ce sont les étudiants
d'Abidjan qui vont assurer plus tard la
continuité de l'Etat dans l'ordre et la
. discipline"(l)
(1) Passage reproduit par Le nouveau réveil décembre 1964
nO 4 pp.
3-4
(organe du Comit~ des Patriotes Ivoiriens
pour l'Unité et pour l'Actio~) et par plusieurs
docu~ents de l'UNECI passée 2 l'opposition après la
cr6Dtion du ~:EECI
(voir LI~tudiallt ivoirien, num~ro
non daté)

344.
Ainsi.
sans ambage.. est la posi tion du gouvernement
ivoirien:
tous ceux qui,
dans le milieu étudiant,
se livrent i
la contestation,
seront réprimés. Les
moyens ne lui manquent pas.
Le minist"Te de l'Education
n~ prÉcisait-il pas:
"Désormais, le gouverne~ent n'accordera
plus de bourse à ceux qui ont pris la
décision de le combattre".
"Pour prétendre
à la bourse, il faut n'être pas considéré
comme perdu pour la Côte d'Ivoire et faire
des' études vala bl es".
Ces mesures d'intimidation et de répression seront
efïicaces puisqu'elles sèmeront la panique et le
désarroi chez beaucoup de militants de l'UGECI. Le
gouvernement.
après avoir dissout l'Association
,
Générale des Etudiants de l'Université d'Abidjan
(AGEUA)
qui s'était créée entre-te7.ps,
et après avoir rendu
pratiquement obligatoire l'adhésion à l'UNECI,
permettra à celle-ci de dev~nir le mouvement étudiant
officiel. Enhardie par s~n congrès constitutif réuni
à Abidjan le 15 juillet 1964. et par la menace d'asphyxie
qui pesait sur l'UGECI. l'Union Nationale des Etudiants
de Côte d'Ivoire. qui deviendra à ce congrès l'Union
Nationale des Etudiants et Elèves de Côte d'Ivoire
(UNEECI),aura la partie belle en Côte d'Ivoire de
cette date jusqu'en 1967.
.:./ ...

345.
Quant aux étudiants en France,
devant les pressions et
les suppressions de bourse,
ils auront à accepter de
reconnaitre l'UNEECI
comme le syndicat uni~ue des
étudiants ivoiriens.
Mais ils auront créé auparavant
l'Union des Etudiants de la Côte d'Ivoire en France
(UNECIF).
Celle-ci se voulait une section de la FEANF
et Se déclarait pour la lutte anti-impérialiste.
Le
gouvernement ivoirien refusera de la reconnaitre.
En janvier 1965,
le président de la République recevra
les responsables de l'UNECIF
(1).
On leur fera comprendre
leur "attitude anti-nationale".
Les étudiants durent
accepter la disso.lution de leur organisation et le
principe de leur adhésion à l'UNEECI.
Une décision
présidentielle fut alors prise de libérer les étudiants
arr~tés dans le cadre du "complot" d~ 1963.
A partir de 1966,
l'UNEECI allait s'organiser en France.
De gros efforts financiers
seront nécessaires pour
aider les-étudiants à rester "sages" ;
cles dispc------sitions
particulières furent prises pour assurer, à chaque
élection, le succès des candidats dans lesquels le
gouvernement avait confiance.
(1) Les
journées de rencontre des
étudiants avec r~
Président de la République seront connUes sous
l'appellation "Les trois glorieuses".

346.
C'est- ce qu'atteste ce passage de la lettre de
Jacques Baulin,
adressée au président Houphouet le
26 novembre 1966
"Les élections de la sous-section de Paris
se sont
terminées par une nette victotre
de N'Goran Blanc Eugène qui a eu plus de
150 voix,
et l'écrasement de Apètè
(1) et
de ses amis,
qui
se sont retrouvés à 27.
Mais i l n'y a pas de quoi pavoiser, puisque
chacune de ces quelques 150 voix flOUS a co6té
plus de 26 000 FCFA"
(520 FF)
(2)
Le mouvement étudiant semblera être acquis à la cause
du Gouvernemenc,
avec à sa tête des responsables chargés
de tout mettre en oeuvre pour qu'il n'y ait pas d'agitation
dans le milieu étudiant. Pratiquement, de juillet 1964
jusqu'en janvier 1967, l'UNEEcr sera le Dartre de la
situation dans le monde étudiant
;
elle pourra célébrer
sur tous les tons l'unité des étudiants,
exécuter par
l'intermédiaire de son C.E.
les ordres des autorités
politiques,
dénoncer au besDin les récalcitrants qui
refusaient de lui présenter leur adhésion, les traiter
d'
"oppbsants au gouvernement",
de "partisans de la
critique stérile",
d'
"agents de l'extérieur",
d'
"irresponsables". Pour ces étudiants qu'on qualifiait
ainsi, l'UNEECr,
sous le- couvert de dialogue avec les
autorités,
avait mis fin à l'autonomie syndicale.
et
ses membres étaient des "béni-oui-oui",
des "collabos".
(1) Devenu ministre aujourd'hui depuis le 2 fév,ier 1980
(2) Cité par Baulin lui-même, op.cit. p. 168

347.
En juillet 1967,
le cdngr~s de l'UNEECI, pris en main
particuli~rement par les étudiants revenus de France
à Abidjan pour le congrès,
mobilisera les participants
par des mots d'ordre précis;
ceux-ci portaient sur
la liberté pour les étudiants de se gérer comme ils
l'entendaient c'est-à-dire de pouvoir élire démocrati-
quement leurs responsables et de pouvoir donner de
nouvelles formes d'organisation au syndicat.
Le congrès
insistera aussi
sur l'autonomie du mouvement étudiant
par rapport au pouvoir;
i l demandera aussi une réforme
de l'enseignement pour que cblui-ci
s'adapte aux
conditions nationales.
Sans doute,
ces mots d'ordre auront
eu une influence
sur la vie du mouvement.
En
juillet 1968,
l'UNEECI
osera prendre posit~on sur l'échec massif au bacca-
lauréat.
Cet échec était à
ses yeux un sabotage-
représaille des assistants techniques. Elle sera
alors critiquée pour sa politisation.
On voudra m~me
voir en elle une forme de parti
d'opposition en
gestation.
Au cours de son congrès annuel,
d'une part
le problème de la réorganisation des
sections et des
sous-sections s 'é+3.litt posé avec acuité,
êt d'autre part
le risque d'élection d'un président du mouvement
étudiant qui n'étai t pas tout·à fait l 'homme du
gouvernement et du parti
étant devenu important,
l'UNEECI
sera purement et simplement dissoute.
... / ...

348.
Mais alors que l'UNEECI qui
se voulait ~ sa cr~ation
"a-politique"
~tait dissoute pour n'avoir pas tenu, dit-on,
son engagement,
elle sera remplac~e quelques mois plus tard
par le Mouvement des Etudiants et Elèves de Côte d'Ivoire
(MEECI),
d~cidé sous-section du Parti D~mocratique de
Côt~ d'Ivoire {PDCI), parti unique.
En son congrès constitutif des 3,
4 et 5 avril 1969,
le
MEECI r~affirmera clairement son engagement politique au
côt~ du PDCI ; il d~clarera notamment :
"Conscients de notre rôle dans l'Etat et de
la n~cessit~ pour toutes les couches de la
nation d'oeuvrer pour la construction nationale
en accord avec nos ain~s, nous avons accept~
librement et publiquement l'engagement
politique auprès du PDCI-~DA ( ... ). Le s~ndicàt
apolitique qui pousse des
cris d'enfant gAt~
consiste ~ revendiquer en faisant abstraction
des int~rêts vitaux de la nation. C'est
pourquoi,
nous le d~nonçons comme ~tant un
sous-produit du colonialisme C••. ).
Le fondement
de notre engagement,
c'est la foi
en l'action
du Parti et en l'avenir prometteur de la
Côte d'Ivoire
( . . . ) Le sang nouveau,
cette
âme ambitieuse de la jeunesse, nous voulons la
mettre au service du Parti et c'est ce que
nous avons mat~rialis~ dans l'action du MEECI.
Nous pensons que les responsables politiques
ont l'ambition,
une ambition l~gitime, d'asseoir
un r~gime politique durable,
c'est-~-dire que
l'oeu~re actuelleme:lt entreprise doit être
poursuivie.
Nous en avons ~ notre niveau conscience.

349.
"Qui donc peut conf~~er ~ cette oeuvre sa
continuité,
sa perennité,
c'est-à-dire sa
véritable dimension,
si ce n'est nous-Dêrnes
qu'aujourd'hui leur action cherche ~satisfaire.
Conscient de cette donnée fondamentale,
le Parti
devra toujours s'attacher ~ s'associer
étroitement les jeunes ~ son ~ction. Le but
recherché devant être d'obtenir de nous la
plus grande intégration
( .•. ) Aussi,
avons-nous
pris les devants en proposant au Parti notre
collaboration la plus sincère possible
. . . "(1)
Infécdé.au Parti,
fort de la puissance de celui-ci,
la
MEECI aura désormais le
courage d~affronter les autres
~tudiants qui n'acceptent pas la collaboration avec le
pouvoir
;~ë cherchera ~ les rallier tout en pourfendant
tous ceux qui
refusept le dialogue ~ le ~:EECI avèc le
pouvoir ivoirien.
C'est ~ leur adres~e, et particulièrement
. à celle des ~tudiants en France, que le I<EECI dira,
non sans malice
:
"En France.
au contact de la vie politique
occidentale. une partie de nos frères
africains
en général.
font fi de tout calme,
discernement.
objectivité( . . . ) qui devraient sans cesse les
habiter:
dès lors,
tout dialogue avec eux
devient impossible,
car on veut plutôt
s'adresser "au peuple"
; mais lequel?
.. ~ / ...
(1) Documènt du MEECI sur "L'histoire du ~!EECI",' non daté
pp.
7 et 9

350.
"A la recherche active de certaines s61idarit~s
~trangères, on joint l'i~itation servile du
verbalis~e plat et outrancier fa:t d'affir-
mations gratuites et calomnieuses,
apanage
exclusif des nationalistes
'Ien culottes
courtes",
press~s de s'installer, dès leur
retour,
aux avant-postes de~responsabilit~s
dans leur pays.
Pour s'attirer la sy~pathie des autres,
on
s'ach~rne à vilipender ses dirigeants en
public.
au nom de vagues principes mal
d~finis. parce qu'ernprunt~s"(l)
On croirait lire de hauts responsables du parti s'acharner
sur des ~tudiants. "r~calcitrants" et non des ~tudiants
à propos d'autres ~tudiants. Mais n'est-on pas engag~
aux côtés du parti? On n'est pas meobre de parti pour
rien
!
Beaucoup de 11!1eecistes" ont acquis,
semble;.t-il,
le
r~flexe et le langage de membre de parti vis-à-vis
des ~tudiants "irréductibles". M~me les plus jeunes
parmi les membres du mouvement paraissent avoir des
attitudes et des
comportements attendus d'un
"meeciste"
cons~quent. C'est du moins l'impression que donne le
propos de cet ~lève de 3ème au C.E.G. de Katiola,
prési~ent de la sous-section du MEECI dans cet
établissement ivoirien;
(1)
Docmlent du !<SECI sur "L'histoire du :·iEECI" "J.
12

351.
interrogé au cours de l'année scolaire 1980 par un
autre élève
(pour le compte d'un jeune enseignant)
sur
le comportement des élèves du C.E.G.
de Katiola,
i l
déclarera
l'L'élève du C.E.G.
de Katiola préfère
toujours se tenir à l'écart de toutes les
activités se déroulant dans .son établissement.
Il reste sourd aux cris. d'alarme que pouBsent
les auto~ités pour son meilleur devenir( .•. ).
L'élève du C.E.G.
de Katiola veut toujours
rester ~ l'écart pour mieux porter des.
critiques ~ ~out ce qui se dit et se fait,
mais ne sachant pas depuis le début pourquci,
pour quelles raisons les autorités
envisagent
de faire
telle ou telle chose,
i l porte des
cri tiques qui ne sont pas fondées . . . "
(1)
Il concluera
:
t'En tout cas,
c'est l'heure de vérité o~
chacun de nous doit "brandir l'arme en l'air"
pour bâtir une Côte d'Ivoire prospère.
La
jeunesse doit maintenant se sentir respon-
sable pour accomplir le rêve du chef de
notre Etat"
(2)
(1) Cité in En uête sur les élèves de 3ème II du CEG
de Katiola,
dossier pedagogique
pp.
17 et 21)
présenté devant l'Ecole ~ormale Supérieure d'Abidjan
par le professeur
"délégué",
2.S.
candidat ~
l'examen théorique du CAPCEG en juin 1980.
(2 ) Ibidem, p. 21

352.
Le propos lui-m~me mais aussi son accent n'ont rien
à envier à ceux d'un véritable militant adulte aux
lourdes responslbilités nationales.
Le ton y
est aussi
et la moralisation des élèves est pleinement assumée.
C'est
qU'on n'est pas engagé aux côtés du parti pour rien.
Le MEECI poursuit son oeuvre avec plus ou moins de
bonheur dans les milieux universitaires et scolaires,
traversant des crises internes.
A l'issue. de son congrès
tenu e~ 1979 à Yamoussokro.
village natal
(devenu ville)
du président Houphouet-Boigny.
l~s responsables du
mouvement réaffirmeront fièrement avoir fait le bon
choix aux côtés de leurs aînés du parti.
A un journaliste
de Africa
(1)
qui leur demandait s'ils se sentaient
à l'aise à l'intérieur du parti qui est égale~ent celui
du pouvoir,
les dirigeants du MEECI répondront
aussi
clairement que nettement :
"Notre place ne pouvait
pas ~tre ailleurs à moins de nous tromper d'époque et
d'anàlyse.
Nous sommes à l'aise à l'intérieur du Parti
Démocratique de Côte d'Ivoire,
parce que d'une part
nous wons choisi d'être un de-ses fronts actifs.
et
d'autre part nos aînés nous ont accueillis fraternelle-
ment dans leurs rangs!'.
.. ./ .. .
(1)
Lelouma Diallo.
"A quoi
sert le ~:EECln in Africa
avril 1979. nO 110

353.
Les "Meecistes" ont confiance dans un avenir politique
qui leur est ouvert et réservé,
et dans le parti qui
leur déclarait déjà en 1969 par la bouçhede son
secrétaire général
(qu!ils citent eux-mêmes)
"Nous pensons assurer aux jeunes que nos
relations avec eux ne s'inspirent pas d'un
paternalisme quelconque mais plutôt de notre
volonté de leur permettre d'accéder à toutes
les responsabilités qu'appellent leurs
activités et leurs capacités.
Il importe
donc que la confiance entière et réciproque
entre .ieunes et anciens soit de règle.
Bien
sûr,
i l appartiendra aux anciens de tout
mettre en oeuvre pour instaurer un dialogue
et surtout faciliter par tous les moyens
l'exercice des
responsabilités à tous les
niveaux".
Le Parti,
le gouvernement et le chef'dè l'Etat ivoiriens
sont conscients de la nécessité de s'allier les jeunes.
C'est même vital.
Le président de la République ne
s'en expliquait-il pas encore en février 1981 dans
Jeune Afrioue nO 1048 ? Après avoir souligné que c'est
de façon délibérée qu'au début de l'indépendance,
et
pour tenir compte du manque de cadres et de grands
commis de l'Etat, i l a préféré garder les Français
jusque dans les responsabilités de l'administration,
... / ...

354.
il fait observer
"J'ai ~t~ critiqu~ par les jeunes, mais ils
ne savaient pas que je travaillais dans leur
int~rêt. J'ai pr~f~r~ former des jeunes.
Aujourd'hui,
ils sont aux postes de responsa-
bilités. Car i l ne fallait pas,
à l'issue de
leur formation,
leur fa~re battre l'antichambre
des responsabili tés"
(p.
28).
La raison fondamentale,
dit M. Houphouet-Boigny,
est
qu'
"il ne faut pas qu'il y ai t
une rupture dans la
chaîne des générations.
C'est maintenant que les jeunes
doivent prendre la rel~ve". Il précise
"Les jeunes.
-
i l faut leur tendre la main,
sinon ils vous bousculent".
N'est-ce pas dans cet esprit,
et en conformité avec
les attentes des Meecistes et anciens Meecistes que
de neuf membres du Bureau ~olitique du parti.
et qu'il
a confié en février 1981.
cinq postes ministériels à
cinq an"ciens meecistes ?
Le MEECI ne peut que s'en porter mieux pour continuer
son action dans les milieux universitaires et scolaires.
Son 5ème congrès qui
s'est terminé le 2 décembre 1980
a d'ailleurs demand~ que tous les clubs et associations
de ces milieux soient placés sous son contrôle •
.. ./ ...

355.
Le MEECI est convaincu en effet qu'il est le seul
mouvement responsable de la formation politique des
jeunes ivoiriens.
Il est sûr de son fait.
Mais que
pensent de lui les autres étudiants qui ne l'acceptent
pas et n'y adhèrent pas?
Beaucoup d'étudiants
(en réalité une p~rtie importante)
n'o~t jamais cessé de contester la représentativité
du ;~EECI en tant que mouvement de tous les étudiants
ivoiriens. Mais plus lourdement,
c'est sur ses
orientations et engagements,
et sur les attitudes de
ses membres et responsables que pèse leur critique.
Un étudiant interrogé en 1979,
apr.ès le 4ème congrès
du MEECI
(1)
déclarera
:
"Nous sommes déjà, avant
d'a~céder aux vrais problèmes de la cité, tous
prisonniers d'un système politique qui
tend à faire de
nous des éléments huilés de rouages préétablis"
;
ei
un autre
:
"Le système que l'on nous propose incite
davantage à l'individualisme forcené qu'au civisme
désintéressé" ;
et un troisième:
"Ces jeunes ont la
conscience
pourrie trop
t8t par le goût de l'argent"
un quatrième pèsera gravement seS mots
:
"Leur
inféodation inconditionnelle au pouvoir les disqualifie
en tant que promesse du futur national".
(1)
Voir article de Lelourna Diallo
"A quoi sert le MEECI ?',
in A~rica déjà citée.

Plus que des individus,
l'UNEECr,
devenue en France
le mouvement de tous les étudiants ivoiriens qui
n'ont pas accepté sa dissolution et ont refusé leur
adhésion au MEECr
depuis
sa création,
est l'organisation
qui
con battra celle-ci ou précisément vivra à couteaux
tirés avec elle -du moins
jusqu'en 1979
(1).
L'UNEEcr en France,
à travers résolutions, motions,
memorandum et tracts ne cessera jamais de dénoncer
l'existence n@me du MEECr qui,
selon
elle,
l's'inscrit
dans le cadre de la politique d'emb~igadement et
de corruption de la jeunesse jvoirie~ne en général,
et estudiantine en particulier". Elle appellera au
~oycott de toutes .les manifestations meecistes et
(à) l'isolement systématique des meecistes notoires".
Elle dénoncera et condamnera aussi
IlIa poli tique
anti-populaire,
anti-nationale,
anti-~ociale,
anti-démocratique du régime policier du fantôche
Houphouet" et soutiendra "la juste lutte des
masses populaires ivoiriennes ll •
(1)
En 1979 par décision du Parti ivoirien, le MEECr
cessera d'exister en dehors du territoire ivoirien.
Les étudiants ivoiriens à l'étranger,
notamment en
France,
sont en effet suspectés d '@tre toujours à
l'origine de la contestation politique au sein du
mouvement étudiant et de son
virage
vers la
"gauche".

357.
Apr~s le retrait du MEECI du territoire français,
l'UNEECI restera véritablement l'unique ~ouvement
des étudiants ivoiriens en France
(1).
Elle m~nera
ses activités syndicales,
voire
l'politiques'!. jusqu'au 28
février 1980,
date à laquelle elle est interdite sur
le territoire français par la circulaire Bonnet et le
décret Imbert.
Il ne lui
reste plus aujourd'hui que
la clandestinité. Quel avenir a-t-elle?
• • . .
Le MEECI,
quant à lui,
domine de plus en plus la
situation en terre ivoirienne sans réussir pourtant à
se faire accepter-par tous les étudiants.
Mais i l a
les autorités politiques pour lui.
Celles-ci n'ont-
elles pas besoin elles aussi de lui ?
Nous venons d'étudier la vie du mouvement étudiant
ivoirien et ses rapports avec le pouvoir.
Cette
étude permet de souligner ep conclusion quatre points
fondamentaux,
ramassés e~ forme de remarques :
... / ...
(1)
En 1979,
une organisation pro-chinoise dénommée
"Etudiants et Elèves Patriotiques Anti-impériali stes
et Révolutionnaires Ivoiriens
(E2PARI)
fait Darler
d'elle.
Elle publie en juillet 1979 un fasci~ule
intitulé 'ILa lutte contre l'opportunisme dans
le mouvement patriotique étudiant ivoirien
l 9 56 -1 97 9 Il •

358.
1 -
Le mouvement étudiant n'a jamais été réelle~ent
a-politique.
Cela tient évidem~ent à son rapport
obligé au pouvoir.
Celui-ci
aussi
a
toujours désiré
contrôler la jeunesse,
en particulier les étudiants
dont les agitations et les agissements pourraient
temir la réplitation de pays
"sans problème" de la
Côte d'Ivoire et éloigner ou détournei d'elle les
investisseurs et les financiers
étrangers.
Aussi
tient-il à
sa solde une partie des étudiants.
Ceux-ci
espèrent eux aussi
trouver leur compte dans la
collaboration et être intégrés un jour au pouvoir.
Une
autre partie des étudiants voudra garder ses distaL~es
vis-à-vis du pouvoir. Elle le jugera et ne se Drivera
pas de critiquer ce qu'il fait
-souvent au nom de ce
qui devrait,
à
ses yeux,
être fait.
2 -
Le mouvement étudiant ivoirien comme les autres
mouvements étudiants àfricains
est fait de conflits
conflit entre les diverses organisations qui le
constituent à un moment donné,
conflit au sein de
chacune des organisations,
conflit entre étudiants
organisés
(appartenant à
une organisation)
et étudiants
non organisés.

359.
Par-dessus les personnes et les groupes,
les conflits
renvoient à ceux du monde social et politique en
mêoe temps qu'ils,contribuent à les développer.
Les
conflits ne traduisent-ils pas en effet le déchirement
et le tiraillement au sein du. mouvement pour défendre
ou
combattre le pouvoir,
au nom de groupes ou classes
dont on se fait le champion et quton soutient en
s'en faisant les porte-parole ?
3 - La destination sociale et même politique des
étudiants expliquerait aussi pour beaucoup d'entre eux
leurs attitudes et comportements.
N'est-ce pas en effet
par exemple à ces étudiants,précisément aux jeunes du
MEEcr
(qui savent qu'ils seront demain des cadres et
des· responsables à tous les niveaux) qu.'il a été
clairement dit
"Auront les postes de responsabilité
de l'Etat ceux qui auront milité effectivement sur les
bancs. Dans un match de foot,
on ne fait pas de passe
à l'adversaire"
(1).
C'est eux les héritiers d u '
"royaume" ivoirien et non les autres,· les "adversaires".
(1) Propos tenu au oongrès du MEECr en 1974 par le
Secrétaire Général du Parti Démocratique de
Côte d'Ivoire.

360.
Ainsi,
la lutte des meecistes,
leurs actions dans
les milieux universitaires et scolaires,
leurs
prises de position-
en faveur du gouve~nement et du
parti,
leurs propres points de vue,
tout cela appar&ît
comme un effort pour la conservation d'une vision
du monde social.
Autrement dit,
et pour parler comme
Bourdieu
(1),
leur lutte ne renvoie-t-elle pas à
une
"lutte symbolique pour la conservation
( ••• )
du monde social par la conservation
( ••. )
de la vision
du monde social et des principes de, di -vi sion de ce
monde"
? Et ne se retrouve-t-on pas ainsi dans une
attitude du genre
"Les choses sont bien comme elles
sont;
n'y touchons pas"
?
4 - Les ~tudiants du MEECr mais aussi toutes les
organisations d'~tudiants africains qui ont officiellement
opt~ pour le soutien à leur gouvernement et au parti
au pouvoir dans leur pays acceptent-ils l'ordre ~tabli
tandis que les autres ~tudiants se d~finissant
id~ologiquement contre les pouvoirs en place le
refuseraient?
... / ....
(1) Bourdieu (p) "La repr~sen~ation politique. El~ments
. ;:lour une th~orie du champ poli tique" in .Actes de la
Recherche en sciences sociales,
f~vrier-mars 1981,
nOs 36-37,
p.
8

361.
Les non-meecistes et les autres étudiants des
organisations africaines non inféodées dans les
partis
semblent faire peu de
cas de leur destination
sociale,
comme s ' i l s accordaient pe~ d'importance
au fait de devenir demain des
cadres.
AD~arsmrnent
Co~rne tous leurs camarades universi~airss, ils sont
intéressés à relever le défi de leurs origines sociales,
modestes,
pour la plupart d'entre eux,
et à Drendre
des responsabilités dans. leur pays;
ils ne manquent
pas d'ambition.
Mais on peut faire l'hy~othèse que
cette ambition est chez
eux modelée et ~odulée par
autre chose,
par exemple par la représentation même
du monde social et les orientations à donner à la
société dans son
travail de production d'elle-r,ême.
Ainsi,
la lutte des étudiants non meecis~es face aux
étudiants meecistes,
et- pour généraliser- la lutte
des étudiants africains
contre les pouvoirs en place,
apparaissent -pour employer encore le langage de
Bourdieu- comme
l'une lutte symbolique
( ••. ) pour la
transfo~mation du monde social ( ... ) par la
transformation de la vision du monde social et les
principes de di-vision de
ce monde".
... / ...

362.
En d'autres termes,
face aux étudiants qui apportent
leur soutien aux pouvoirs en place et face à ceux-ci,
les étudiants qui se veulent autonomes et indépendants
des pouvoirs prétendant défendre une autre vision et
une aùtre orientation de la société. Et au fond,
l'enjeu des luttes paraît être l'historicité mê~e
ou simplement les orientations qui commandent le
fonctionnement de la société.
Mais les étudiants sont-ils en fait toujours aussi
conscients de la portée de leurs luttes et de leurs
e~gagements que l'analyse peut le laisser croire?
Jusqu'à quel point des considérations plus matérielles
et des intérêts immédiats ou futurs ne se mêlent pas à
J 1,..1 ,n..>.J~'~
leurs généreuses "actions en faveur~ou contre le pouvoir ?
Il serait tout de même inexact de croire que ces
"apprentis-sorciers" ne pepsent pas leur société et
ne pensent pas à son sort : ils esp~rent pouvoir
agir sur la maDi~re dont elle se produit sous leurs
yeux.
Ils se savent et se sentent interpellés
par tout
ce qui
se passe dans leur société et s'y fait.
Demain,
quand ils seront des cadres,
que pourront-ils et
voudront-ils faire de leur société et pour leur société?

SECTION III
LES CADRES ET LEUR RAPPORT AU POUVOIR
Si la société se définit profondément par son action
sur elle-même,
elle est aussi,
dans
cette production
d'elle-même,
les décisions qu'elle prend et les
débats ou les conflits qui les accompagnent,
mais elle
est aussi de manière importante son organisation ou
ses organisations au sens où A.
Touraine emploie
ce~
termes
(1).
Au niveau de ces organisations apparaissent des
.
catégories de personnes qui
assument à des titres et
à des places non identiques des responsabilités.
Convenons d'appeler
cadres les représentants d'une
autorité centrale dans un ensemble social délimité,
c'est-à-dire une organisation. Les cadres sont en effet
des personnes qui,
soit dans les administrations,
soit dans les entreprises,
soit dans les
l'agences
d'historicité"
c'est-à-dire des organisations au
service du modèle culturel de la société
(l'université
par e~emple), sont des gestionnaires d'appareils.
(1)
Au niveau d~ l'organisation sociale, de la pratique
d'une société historiquement définie,
les organisations
sont les
"unités Darticulières formées Dour la
J:;0ursui te de buts~ s;~éciric;ues dirigées ~ar un pouvoir
etablissant des forces d'autorité et déterminant les
statuts et les rales des membres
de l'or~anisation"
D""OC"lcti on
èe' J::
pC:'iété,
p.
280

364.
Plus simplement,
ce sont des
salari~s exerçant uné
fonction d'initiative ou de
commandement;
ils
possèdent g~n~ralement une formation sup~rieure,
atte~t~e souvent par un dip18me ou acquise
personnellement
(1).
Dans cette
section du travail,
i l s'agit de montrer
comment le
cadre,
collaborateur,
mais
s~par~ de la
direction r~elle, et distant de ceux qui exercent
leurs activit~s sous ses ordres,(par exemple les
ouvriers dans le -cas d'une ~ntre~ris~, tend ~
s'identifier ~ ses int~rêts professionnels mais aussi,
et peut-être surtout,
~ la classe dominante. Marqu~
par sa position dans l'organisation,
donc dans un
"ensemble diff~renci~ et stratifi~", il porte
volontiers son appui
au pouvoir,
même s ' i l lui arrive
de produire
"un discours nationaliste"
-qu'il faut
d'ailleurs questionner.
(1)
Doublet
(3)
et Passelocq
(0),
Les cadres, Paris, PUF,
1973
(Q u e sai s - je,
nO 1538)

365.
Les cadres
Be sbnt pas un bloc monolithique;
ils
constituent une catégorie professionnelle stratifiée,
par le secteur d'activité
(le pouvoir,
le revenu, le
statut même de cadre sont plus favorables dans les
sociétés privées ou même dans les socié~és ~atienales
que dans l'administration)
stratifiée aussi par la
formation,
puisque l'accès aux postes de cadres las
plus importants dépend du niveau d'études de base ou
de perfectionnement
(1).
Mais i l
sera ~ci question des cadres sa~s au'on tienne
coopte de la hiérarchisation in~erne chez eux.
Il s'agit
en effet d'indiquer d'abord en quai
tous les cadres
participent de et à la classe dominante et sont un
appui au pouvoir,
et ensuite d'aborder le problème
précis de l'africanisation des cadres afin de'mettre
à nu les idéologies qui sous-tendent ou portent cette
africanisatîon.
(1)
On ne tient pas cowpte ici des interférences
d'ordre
clientéliste ou politique dans la promotion
des
cadres.

366.
1. Le cadre dans la stratégie de déveloDpement
et de domination sociale (1)
La "classe'! qui émergea ~ la domination sociale
avec les indépendances mettra en oeuvre une stratégie
giobale de pouvoir qui repose sur une politique de
développement. Celle-ci s'appuie sur ùn contrôle
social par l'intermédiaire d'un appareil administratif
et économique d'Etat, qui doit bâtir une nation moderne,
ca~able d'accu~ulation. Cette modernisation se veut,
avec le temps,
de plus en plus "technique". Elle
implique donc qu'il y ait des gens formés,
compétellts,
ayant une maîtrise "teehnologique'~ Ce qui entraîne
par conséquent qu'une importance particulière soit
accordée aux agents de décis~ons et aux gestionnaiTes,
porteurs de la visée du développement national, et
que soient reconnues comme urgentes la formation et
l'ascension de cadres nombreux.
C'est dire l'importance du rôle de cadres dans les
jeunes pays d'Afrique.
(1) Une étude précise a été faite du cas des cadres
en Algérie par Glasrnan (D)
et Kremer (J). (Essai
sur l 'l;cÜvl?:csi t.é et les c'.J.dres en Algérie, Paris,
Edit. C~RS 1978)

367.
Ces cadres, porteurs du projet de développement,
indispensables dans la réussite du projet d'accumulation,
ont une place particulière dans les rapports de
production. Cette place n'est pas définie d'abord
d
-'-
d
. '-,-' d
l
A
par
es rappor~s
e proprleue
ans
a mesure meme
où les cadres ne sont pas des propriétaires de moyens
de production ni dans le secteur privé ni dans le
secteur étatia~e ; elle se définit avant tout par
rapport à la division du travail entre ceux qui
comillandent, participent aux décisions et ~eux qui
exécutent. Les cadres,
fraction de la classe montante
dont le poids 3'accroît de plus en plus dans les
décisions.
relèvent plutôt de la classe dominante
par leur niveau de vie.
leur niveau de culture et
par"leur tendan~e à partager l'~déologie de la classe
dominante.
Ils sont d'ailleurs parmi les bénéficiaires
du développement national et du surplus social,
en
tant qu'ils sont placés en position de privilégiés
dans· les organisations à cause m~me de leur capital
culturel
(diplôme,
compétence, maîtrise technologique).
Une des particularités de ces"technocrates "
dans
les pays africains est qu'ils participent de moins
en moins aux tâches concrètes techniques, à la
mise en oeuvre des équipements par exemple .
.../ ...

368.
En effet,
la nécessité du contrôle social dans la
stratégie de pouvoir aboutit à orienter la plupart
des cadres,
quelle que soit leur formation,
vers
des fonctions de gestion,
vers le contrôle
"gestionnaire"
et non "techni~ue" : elle aboutit
aussi à les détourner de la pratique cDncrète des
t&ches techniques. Et ce détournecient est d'autant
plus facile à réaliser que les fonctions de gestion,
par les avantages qui y sont attachés
(pouvoir,
revenus,
statut),
sont considérées comme plus
importantes que les fonctions
techniques(l).
Néanmoins,
le rôle qui leur est assigné dans la
stratégie de contrôle,
exige d'eux tous un diplôme
de niveau élevé comme titre irFécusable d'accès au
poste de cadre.
C'est qu'ils doivent tous ~tre
capables de
"manipuler un discours scientifique,
moyen de contribution au projet global d'acçumulation
et de domination de la classe "dominante"
(2),
le
savoir théorique étant devenu une condition de la
domination de cette classe de laquelle ils
participent.
(1) Etudiant le cas algérien,
Glassman et Kremer ont
particulièr~ment insisté sur la hié~archisation
interne chez les cadres
(op.cit.
pp.
151-168)
(2) idem,
p.
206

369.
Ils doivent apparaître compétents et capables de
"discours"
qui refl~tent leur adaptation au monde
de plus en plus technique.
Et l'effort fait par les différents pays afèicains
pour concevoir des
enseignements plus ~cientifiques
(1)
ne correspond-il pas d'ailleurs à la volonté de
s'adapter au monde moderne qui
exprime un besoin accru
de cadres de plus en nlus
scientifiques
et techniques ?
Dans tous les cas,
le niveau d'études élevé du cadre
apparaît comme un moyen de légit~rnation
et de
justification de la position de
cadre,
position qui
permet de participer avantageusement au par~age du
surpluG
social,
d.e ~enforcer
sa place dans la classe
dominante et de soutenir le pouvoir qui
rend possible
la domination sociale ou plut5t le type de domination
sociale.
(1)
Déjà en 1961,
le
"Rapport de la Conférence sur
le développement de l'éducation en Afrique",
organisée à Addis-Abeba proposait comme norme
de répartition des étudiants africains,
en vue
de satisfaire les
besoins de ces pays,
une
proportion de 60 % des effectifs dans les disci-
plines scientifiques et 40 ~ pour les lettres.
Aucun pays n'a pu respecter séri8usement ces
normes.
Mais des efforts
se poursuivent.
Et on
sent la bonne volonté s'exprimer à
travBèS les
réformes d'enseignement,
comme celle de la Côte
d'Ivoire par exemple,
o~ une place p~ivilégiée
est réservée aux disciplines
scientifiques.·
Mais souvent elles n'aboutissent pas à des
changements réels ou rn~me restent da::s le fond
des tiroirs.

370.
Partout en Afrique.
cette fraction
en expansion de
la classe dominante qu'est cette "technocratie"
de
cadres de l'administration et des secteurs économiques.
co~men'ce ~ avoir une conscience d'elle-~~me et ~
vouloir s'affirmer et ~ se développer une certaine
rhétorique sur elle-même et sur
son
importance
dans la société : elle
parle
de développement
national avec un accent parfois nationaliste.
Ce
nationalisme est destiné,
semble-t-il.
à rappeler
le pouvoir politique ~ l'ordre sur le problème précis
de l'indépendanc~ nationale qui ne peut s'accom~der
plus longtemps d'une confiscation des appareils de
l'Etat et du secteur privé par des cadres et directeurs
étrangers
i l vise en même temDS et sUrtou~ peut-être
~ souligner combien cette présence "massive" de
cadres étrangers g~ne l'ascension des cadres nationaux.
concurrencés par les cadres euroDéens qui ont
l'avantage sur les nationaux de bénéficier de préjugés
favorables de la part des entrepriseE ·privées et
même des hauts dignitaires de l'Etat.
Ainsi.
la volonté des cadres nationaux de ne pas
s'accom~der de place de second et aussi la pression
de nouveaux cadres pour refuser le "chômage H et
exiger "leur" place sont peu t-~tre pl us ~ l'origine
du problème de l'africanisation des
cadres que la
seule perspicacité des dirigeants.

371.
2.
Africanisation- des cf<dres et idéolo,,""; es des cadres
et du pouvoir
Avant toute autre chose,
considérons le graphique
ci-dessous pour comprendre d'e~blée ce que peut
signifier l'ivoirisation ou la gabonisation ou
l'africanisation des cadres.
Graphique
Répartition des postes de direction et
de cadres dans le èomaine des industries
manifacturières du secteur é.oderne ivoirien
selon la nationalité des titulaires
(1)
1975
1974
Légende
Ivoiriens
Afri cains
non i voirj"ens
r:on :-.fricains
(1) Graphique extrait de Soro Gnoussou,
-cs
:on~itio~s
de
la Drodllctio l1
~n.n~i 1()
St~C'~,('1,1~'> :-:;~,>l)" -"r:
"- :l_T>~ 'r
!'Ioderne. Abidir.n
Rapport 0":3';'Or-:,
Ol'~obl'2 1~'77
ronéotypé.

372.
Les postes de décisions et les tâches de direction
supérieure sont,
comme on le voit par les pourcentages,
aux mains des étrangers non africains
ce qui
signifie purement et simplement que les Ivoiriens
n'ont pas la maîtrise du secteur moderne.
On constate
qu'en 1974,
les Ivoiriens occupaient 216 postes
(1)
de
direction et de cadres,
soit 19 % des postes, les
Africains non Ivoiriens 30 postes,
so~t 2 % et les
non Afric~ins 914 postes soit 79 %. En 1975, les
postes de direction et de cadres des
Ivoiriens,
des
Africains non Ivoiriens et des non Africains passaient
respectiveITent à 328,
soit 25 %, 30 soit 2 % et 984
• +
SOl v
7"' c'
~;c.
La l"egere évolution indique tout de même
une participation de plus en plus importante
des' Ivoiriens au secteur manufacturier I:loderne et
qui ira croissant avec les années.
Sans doute,
les proportions de postes de direction
et de cadre pour les nationaux peuvent varier d'un
pays africain à un autre. Mais on peut supposer
que le cas Ivoirien est une référence int~ressante
qui ne doit~as être des pires i
loin de là.
(1)
Le nombre de postes cn chiffres absolus est
pF6cis6 dans Soro Gaousso~, op.cit. p. 6

373.
L'africanisation des
cadres est un problème important
qu'on ne ~aurait aborder avec légèreté. Les gouvernements
africains,
sous la pression des
cadres nationaux;
sont
contraints de se poser ce problème et de tenter d'y
apporter une solution.
Dans cette
étude,
nous voudrons s~voir précisément
CODment la nécessité d'
"ivoiriser",
de
"sénégaliser",
de
l'burundiser"
. . .
d'africaniser se pr~te ~ une
récupération idéologique de la part du pouvoir et
à une volonté des cadres nationaux de participer
davantage au pouvoir.
Cette interrogation est exaDinée ici
~ partir
d'~nalyses d'exemples précis. en l'occurence à
partir de celui de l'ivoirisation en Côte d'Ivoire.
Tout d'abord,
examinons les
raisons qui
g~nerDnt
pendant longtemps l'ivoirisation ùes cadres.
Toutes
ces
raisons peuvent se rassembler sous une
seule:
l'incompétence des Ivoiriens ou des
Africains,
avec tout ce que
cela comprend d'irres-
ponsabilité et d'ir~ationalité.
. .. / ...

374.
Cette critique générale a
été analysée et "démontée"
par le travail de chercheurs de l'OR3TOM ~ Abidjan
sur'ILes idéologie~ de la compétence en milieu
industriel ~ Abidj~n"(l).
En fait,
le problème est qu'on n'a pas toujours
réfléchi
suffisamment ~ la notion même de compétence.
Bien sûr,
on ne saurait nier sans mauvaise foi
le
cas d tincorr.pétence notoire où,
selon "toute apparence,
on a même ivoirisé avec des hommes incompétents pour
"noircir" des postes afin de
justifier toc:te
l'idéologie de l'incompétence de l'Africain,
laquelle
justifie ~ son tour la présence des Européens en
Afrique
et aux postes les plus importants de leur
économie ou même de leur administration.
En fait,
qu'est-ce que la compétence?
Pour Bruno Latour,
auteur de la recherche mentionnée
plu~ haut, "on est compétent lorsqu'on domine tous
les éléments d'un système
(machine,
organigramme,
circuit d'un document)
deDuis l'entrée de l'information
jusqu'~ sa sortie. Il est donc possible d'étalonner
la compétence:
plus on a d'information sur le
système,
plus on est capable et adapté
"
(op. ci t.
p 66)
(1) Latour (E) avec la DarticiDation d'Amina Shabou.
Les id~01o~ies ~e l~ c0~n~~pnce en milieu industriel
;::-!l >,-" r'j': ',"y
l~"'-'("';":"
(" ::'1"-1--",,
-"::::.
n
. J . . "
n
.....
'
C"t
.::._:...:.-::...~.L...:.l
........,J.I_.,
',"_l~'_' .. '_
Ut::
r 8 v l t
naSSctp.l,
0
e
d'I':oire,
1975 (?)

375.
Que signifie alors l'incompétence des Ivoiriens et
des Africains quand on admet par postulat que
l'aptitude à dominer un système est universel et
qu'on pose que plus on est dominé moins on a
la
maitrise d'un .système ? Pour Latour,
l'incosnétence
.
.
dont i l est question vient justement du
fai~ oue
si les Ivoiriens sont
"nommés dans des portions de réseau
qui
se trouvent
sur le territoire
national -et ~u'en théorie les I~oirien~
pourraient dominer- i l y a aussi
des
trous,
de brusquesl échappées
com~e un
tissu.mangé.par des nrites.
Chaque trou
( . . . )
correspond à un Blanc,
expert ou spécialiste
qui
garde pour lui une part de l'information
et réduit l'Ivoirien à exécuter ou à
parader
( . . . ).
C'est tout l'espace'rnental"
économique,
géographique .qui est discontinu( .•. )
Des bribes de cohérence,
où les Ivoiriens
peuvent quelque chose et ont une marge de
manoeuvre sont isolées dans les brumes où
ils ne peuvent qu'être sans pouvoir"(op.cit.
p.
67)
On n'a pas le droit non plus,
soutient Latour,
de
prétendre que
"Si le réseau d'information est en lambeau,
c'est qu'on mélange le
système rationnel de l'Occident
au système,
certes logique,
mais néanmoins différent
de l'Afrique".
. .. 1...

376.
"Il n'y a,
au contraire,
poursuit-il, qu'un seul système,
terriblement homogène
( ... )
o~ de vastes pans de
pouvoirs ~chappent aux nationaux,
et qui s'organisent
depuis le dfbut pour avoir cet aspect de confusion.
C~ n~est pas l'Afrique traditionnelle qui paraît dans
les trous,
c-'est au contraire l'Europe"
(ibidem).
Ainsi,
pour avoir une explication de la confusion et
~l'incomp~tence, il faut saisir r~ellenent comment
se pr~sente l'e~pace mental,
g~ogriphique, ~conomique
sans arrêt ~ractionn~, taraud~, i l ~chappe tout en
produisant des attitudes et des comportements de
toutes sortes allant de l'affairisme au mysticisme.
Mais venons-en au point par o~ il eût ~t~ possible
de commencer: pourquoi l'Ivoirisation ? Ou pour le
moment
: qu~lles sont les raisons all~gu~es
officiellement de l'Ivoirisation ou de l'Africanisation?
Les r~solutions de la Conr~rence des chefs d'Etat
de l'OCAM,
prises à Niamey en janvier 1968 puis à
Kinshasa en janvier 1969 ont ouvert la voie au
colloque d'Abidjan sur l'africanisation des
entreprises
(du 14 au 19 avril 1969).
... / ...

377.
A ce ~olloque, le ministre Ivoirien du Plan d'alors
devait déclarer d'entrée:
"Pour les entreprises,
africaniser,
surtout
au niveau des
cadres,
représente un
àbaissement sènsible des frais d'exploitation
donc une rentabilité accrue,
c'est-à-dire
de nouvelles possibilités d'investissements,
et une diminution des prix de vente. En
versant de meilleurs salaires à de plus
nombreux Africains,
les entreprises
concourrent à l'élévation du niveau de vie,
donc à terme à l'~largissem~nt de leur
marché,
déjà amnrcé par la diminution des
prix".
Il
poursuivra
Par l'africanisation,
les Etats poursuivent
un doub~e avantage
-
(Les entreprises africanisées seront
mieux ~ntégrées dans l'appareil économique
de la Nation).
Cela est une nécessité,
tant
"il est vrai qu'il apparait partout de plûs
en plus contraire
au sentime'1t national que
cet appareil ne soit pas animé par des
nationaux.
-
"Les Etats pensent également que l'acc~s
d'Africains de plus en plus nombreux à des
postes et à des responsabilités de cadre
est non seulement un moyen d'intégration
économique. mais aûssi un facteur puissant
de promotion sociale et culturelle,
tant
au niveau individuel que collectif,
c'est-
à-dire pour le pays tout entier.
• •• .1 •••

378.
"Ne pas africaniser,
ce serait un mauvais
calcul économique,
~ais ce serait aussi
cristalliser la suspicion contre les entreprises
dirigées par les
ét~angers, avec tous les
risques que cela conporterait pour elles
~ terme. Africaniser, ce ne peut ~tre une
fbrme voilée d'appropriation,
de sociali~ation
ou de nationalisation des en~reprises
africaniser,
c'est le meilleur garant de
la perennité de leurs intér~ts"
(1).
On ne peut ~tre aussi clair sur les intentions et les
objectifs des responsables politiques sur la question
de l'africanisation et de l'ivoirisation.
Et ce large
extrait n'exige aucun commentaire explicatif particulier
tant i l est explicite par lui-nême et traduit la
pensée profonde et commune des dirigeants ivoiriens.
Par exemple,
lorsqu'au cours des journée2 des
28 et 29 août 1975 organisées par l'Association des
Cadres Ivoiriens du Privé
(AEIP),
le Secrétaire Général
du Parti Démocratique de Côte d'Ivoire
(P.D.C.I.)
et
P~ésident de l'Assemblée Nationale, interviendra, il
n'apportera rien de particulièrenent nouveau: i l
se contentera de caractériser cette politique
d'ivoirisation et d'insister à nouveau sur sa
nécessité.
Cette politique,
soulignera-t~il, est
"impérative" si
"on veut maintenir l 'harmonie entre
Ivoiriens et étrangers travaillant ensemble"
;
(1)
Allocutibn de M.
le ministre Diawara au Colloque
d'Abidj~n(14-19 avril 1969)
... / ...

379.
car,
ajoutera-t-il
"Tant que l'ivoirisation sera insuffisante
et laissera par
conséq~ent la place aux
revendications
et à l'aoertume des
travaille~rs a~tochtonés, i l no~s sera
difficile d'ent~etenir le climat de
quiétude et de paix sociale seule
capable d'engendrer une véritatle
promotion de l'entreprise
( ••• )'1
"L' i 'loi ri sa tion est aus si" un facteur
d'équilibre financier de l'entrepris~
par une di~inution appréciab18 des coûts
de Droduction".
Cette politique,
poursuit le Secrétaire Général du
Parti,
doit être "progressive",
car l'ivoi!'isation
se veut
l\\réaliste et rationnelle".
Elle se fonde sur "le dialogue et la participation"
dans le
cadre du libéralisme économique.
L'ivoirisation
"n'est dirigée
coritre personne".
Ici
encore,
les
choses sont
clairement dites: i l
y a l e souci d'affirmer la nécessité de l'ivoirisation
mais aussi
celui de ne pas
faire peur à tous ceux
qui
croiraient leurs
intérê~s menacés.
. .. 1...

380.
A plusieurs reprises, le chef de l'Etat ivoirien
reviendra avec insistance sur cette question de
l'ivoirisation. Dans sa déclaration-bilan au dernier
congr~s du P.D.C.I., les 29, 30 septembre ét 1er octobre
198Q,
i l réaffirmera solennellement que l'ivoirisation
est un objectif national que ne saurait freiner la
mauvaise volonté de certains employeurs.
C'est pour
atteindre cet objectif et pour répondre à la pression
de jeunes Ivoiriens formés,
de plus en plus impatients
d'avoir à attendre un mü!lJent
avant de trouver à travailler,
que d~s 1973 sera instituéela Commission d'Ivoirisation
.~
des cadres et qu~ peu ~pr~s l'ivoirisation sera
élevée au niveau d'une responsabilité ministérielle
(création du Minist~re du Travail et de l'ivoirisation
des cadres).
Si on laisse de côté le besoin de rassurer les
investisseurs étrangers et les entreprises,
et de
leu~ expliquer que leur~ int~r~ts sont c~me dans
l'ivoirisation,
-ce qu~ont tr~s bien cocpris les
multinationales en particulier-,
on est en droit de
se demander qui -au-delà de la nation- sont les
premiers bénéficiaires de l'ivoirisation. Qui peut
se réjouir d'avoir à prendre la place des expatriés?
Les cadres.
... / ...

381.
Et la Charte de l'ivoirisation adoptée le 23 septembre
1978 ne prétend pas autre chose.
Elle veut,
souligne-
t-elle,
"une évolution normale de la carri~re des
Ivoiriens dans le secteur privé,
à
des postes de
respopsabilités jusque-là occupés par une large
m~jo~ité d'expatriés, ainsi que l'absoDption par
le secteur privé du potentiel de cadres et agents
de maîtrise qui,
chaque année,
se présentent sur le
marché de l'emploi".
L'i.oi~isation se veut un objectif politique national
concernant tous les domaines deJ'économie
elle
a la prétention de contribuer à
"amoindrir le
sous-emploi des nationaux,
à augmenter leurs revenus,
à atténuer la dépendance vis-à-vis de l'étranger,
à accélérer la Dromotion sociale d'un plus grand
nombre,
à
diminuer les coûts d'encadrement et les
coûts salariaux en général".
(1)
Mais cette ivoirisation que veulent le Gouvernement
et le Parti n'est-elle pas en même temps une
invitation à l'intégration dans l'ordre social
existant de tous
ceux qui disposent de savoirs
professionnels pour grimper dans l'échelle sociale?
(1)
"L'ivoirisation de l'appareil industriel" in
Chambre d'industrie de Côte d'Ivoire,
j2Dvier 1977
nO 122, p.
9

382.
Le chef de l'Etat et le Parti ne sont-ils pas bien
conscients de ce qu'ils recherchent au-delà de la simple
ivoirisation ? Consentent-ils à ivoiriser sans,
en
contrepartie,
appeler à l'intégration,
sans attendre
que les cadres s'engagent dans. les organisations et
dans les appareils et structures de l'Etat et du
Parti? Que non
.•.
C'est pourquoi ils supportent mal que des cadres
se permettent des libertés qui,
à leurs yeux,
portent
préjudice à leur action.
Ainsi,
par exemple,
ils
n'ont pas apprécié que des cadres et des responsables
ivoiriens aient partagé
ou colporté des ragots
tendant à
faire
croire qu'il y avait à un moment à
Abidjan des "coupeurs de t~te~"
(1).
Le 18 janvier
1978,
le Secrétaire Général du Parti Démocratique de
Côte d'Ivoire devait stigmatiser chez les cadres la
faiblesse de leur coop~ration.
... / ...
(l)En 1978,
une rumeur a
couru faièantétat de
"coupeurs
de t~tes", c'est-à-dire de malfaiteurs-trafiquants de
t~tes humaines : ils pouvaient se procurer ces t~tes
en profanant des tombes ou en tuant purement et
simplement des personnes auxquelles ils s'attaquaient
de nuit.
Les t~tes ainsi obtenues servaient,
disait-on,
à faire des "féti ches" au sens afri cain ou i voiri en
du terme.
Ces
"fétiches" devaient apporter la richesse
à
ceux qui les possédaient ou les avaient achetées.

383.
Il déclarait notamment
Abidjan,
c'est aussi
un formidable
"
rassemblement de
cadres politiques,
de cadres
du
secteur public et du secteur privé,
des
cadres qui,
justement parce que leur niveau
de
connaissance leur Dermet de comprendre
les faits,
les
situations,
les recommandations
du Parti,
les décisions de l'Etat,
sont
appelés à une mission permanente d'explication
et d'information aUDrès des masses.
Force no~s est de constater oue ce n'est
pas le
cas et aue bien aIl
contraire,
soit
Dar mauvaise foi,
soit DRr complaisance,
soit Dar indiff~~ence
ou par iqnorance,
les
cadres mènent souvent une action oui
est
de nature à comnromettre l'action du Parti
et de l'Etat.
Mais nous devo ru
savoir qu'il ne pellt v avoir
de déveioDPernent collectif 011 individuel
réel
sans
stabilité et paix sociale.
Nous
devons
savoir gue la stabilité et la Daix
sociale profitent d'abord aux
cadres.
Pour résumer
.ce point important de mon
intervention sur les bruits fantaisistes que
l'on répand à travers Abidjan et partout à
travers le pays
tout entier,
vous les jeunes
et singulièrement les cadres,
ne faites pas
preuve de
coopération
sincère avec le chef
de l'Etat et les responsables de la
stabilité
politique.
. . . / . . .

384.
Nous avons des exemples précis de
hauts fonctionnaires,
de hauts cadres qui
de bon coeur partagent les ragots et les potins
de Radio-Treichville ou Radio-Adjamé ..•
J'ai parlé par ailleurs du Parti ·politique
t t insisté sur la stabilité politique car
ce sont encore ces
jeunes et ces hauts cadres
Gui Dettent le doute da~s l'~s~rit des
militants en faisant de la dialectigue
-évidemment dialectioue è'iméortation CODme
je ne cesse de le souligner- selon laquelle
la carte,du P.D.C.I.-R.D.A.
n'est pas
obli~atoire. Les députés, les secrétaires
gén~raux sont présentés comme des raconteurs
d'histoires mandatés par ~ouphouet-Boigny
et les anciens pour s'opposer au pluralisme
politique.
On crée des associations villageoises
de développement en vue d'aider les collectivités
rurales;
mais on a vite fait de mettre les
parents -sinon les paysans- en garde
contre
le dép~té, contre le secrétaire général
de la sous-section,
contre le sous-préfet,
de façon à les éloigner du fonctionnement
des associationS de développe~ent. Et
pourquoi? Parce que c'est l'occasion,
disons-
le franchement,
èe disposer alors d'une tribune
et de critiquer tout ce oui se fait et
d'intoxiouer à O\\li mieux Dieux la
conscience
des gens contre la stabilité ~olitigue,
l'unité nationale et ce oue nous entendons
par le dialoflue".
(1)
... / ...
(1) Discours de M. Philippe Yacé aux cad~es du Parti,
reproduit par
Fraternité Matin du vendredi 18 noveobre
1977. C'est nous qui
soulignons.

385.
Ce passage relativement long est très
explicite
et n'exige pas de commentaire particulier~ Il met
simplement en évidence le fait que pour le pouvoir
en place,
les "jeunes",
c'est-~-dire en fait les
cadres et les universitaires,
doivent témoigner d'ardeur
dans la collaboration et le militantisme partisan en
reconnaissance de tout ce qui
est ,fai t
et qui
les
désigne comme les héritiers légitimeE du pouvoir.
Aussi,
est-il pénible pour celui-ci
de
constater que
ce sont justement ceux-là auxquels profite priori-
tairement le système en place qui osent le mettre en
cause ou lui
créer des difficultés avec des
cOr:Jportements "inconvenants",
"indignes ll d'eux,
de
leur statut et de leur rôle.
Le Parti ivoirien avait espéré aussi qu'en poussant
les
cadres à
créer des mutuelles de développement
éco~or:Jique et social dans leur village ou région
d'origine,
i l allait se faire des porte-parole zélés
pour diffuser dans les r:Jilieux ruraux ses messages
et pour expliquer son action et ses projets.
Or i l
semble -et c'est ce que souligne la remarque du
Secrétaire général du P.D.C.I.
dans
son discours cité
plus haut- que plus d'un cadre a pu profiter de la
créati'on de mutuelle poue' IIdisposer d'une tribune ll
et canscientiser. les villageois
(le Parti appelle cela
de l'intoxication. Question de perspective!
. . . )
~ .. / ...

386.
Cela n'a pas plu du tout au Parti.
D'où sa critique
adress~e aux cadres de ne pas faire"preuve de collaboration
sinc~re" et "d'intoxiquer ~ qui mieux mieux la conscie~ce
des
gens
•.. ". "Le Parti n'est donc pas toujours
satisfait
des
cadres;
i l
s'ir~ite de leur ind~ffé~ence ou de
leur"mauvause foi"
;
et i l es~ pr~t ~ le leur faire
savoir.
N'est-ce pas dans le
h
merr.8 esprit que par exemple le
ConEr~s du Rasse~blement du ?euple Togolais(R.P.T;)
tenu à Lama-Kara le 30 novembre 1976 a eu à flétrir
l'attitude des cadres ad~inistratifs qui
se tiennent
à l'~cart du mouvement? Il aura à r~itérer au gouvernement
de ne confie~ des postes de responsabilit~s qu'~ des
~emb~es dont le militantisme au sein du mouvement est
s~riëuseDent ~prouv~.
Ces
comportements des cadres doivent-ils faire
croire
que ceux-ci sont révolutionnaires ?
Il serait sans doute spécieux de penser que,
de
façon gén~rale, les cadres parce qu'intégrés au
système social,
ne se posent pas de question sur
l'orientation et le type de société dans laquelle
ils vivent.
... / ...

387.
Est-ce possible en effet que dans des
sociétés où les
"requins" ne se font pas de
cadeaux entre eux ni
encore moins au "menu fretin ll ,
où la ju..stice sociale
n'est pas une évidence,
où l'enrichissement scandaleux
des uns
et des autres par détournements de fonds
est
connu et tu parfois impunément alors que la masse
trime,
végète,
est-ce possible que dans ces sociétés/
les cadres aient les yeux totalement fermés par leur
jouissance coupable et complice au point de ne rien
voir du tout? On a
envie de
croire plutôt que les
cadres ne sont pas si
historiquement déterminés qu'ils
réussissent à se débarrasser de tout rapport A une
certaine transcendance.
Sans doute doivent-ils,
au moins par moments,
s'interro-
ger sur les fins
sociales du développ~ment économique
qui
se fait et aussi
sur leur rôle.
Il reste
cependant exact,
semble-t-il,
que pris dans
le tourbillon des préoccupations économiques et par
les objectifs de croissance économique à suivre,
ils
n'en viennent à désirer prioritairement l'intégration,
à souhaiter d'abord pousser des racines solides dans le
système
en place.
C'est le sentiment de Latour (1)
qui
s'est penché sur le milieu industriel abidjanais et qui
a int0rrogédes cadres nationaux.
... / ...
(1) 1atour.
op.cit.
p.
31

388.
Selon. lui.
même si ceux-ci
cOri tiquent le milieu
industriel et parlent de la domination étrangère.
d'obstruction et de mauvaise volonté à.l'~gard des
cadres nationaux.
et proclament leur compétence égale
à celle des européens ou même supérieure.
"ils
détournent leur attention des cau&es de la présence
blanche. Jamais
( .•. ) leur revendication ne dépasse
le remplacement terme à terme des Blancs.
Il y a
donc une adhésion au système qui produit pourtant
l'incompétence dont ils souffrent"(l).
A croire Latour.
i l semble que les cadres ivoiriens
ou africains revendiquent d'avoir les mêmes avantages
que leurs homologues européens des mêmes entreprises
et d'avoir à exercer le même type d'autorité.
mais
qu'ils ne posent pas du tout la questton de leur·
propre position hiérarchique dans l'entreprise.
vis-
à-vis notamment des employés subalternes noirs.
Ils
masquent à travers des "discours"
en termes de races
(Blanc/Noir) les rapports de force exis~ant entre eux
et les couches les plus basses de la hiérarchie.
Car Ils ne parlent jamais autrement qu'en tant que
cadres et non en tant qu'Ivoiriens ou noirs. Jamais
i l n'y a
eu chez eux
mise en cause du
"caract~re
universel de la gestion".
du "caractère absolu du
rSlè de cadre"
et de
"l'équiva~ence entre compétence
et. intégration ~ans l'univers occidental".
(1) Ibidem

389.
"Et pourtant
c'est pourquoi leur situation est
si inconfortable et pourquoi,
en même temps,
certains
peuvent se dire de "gauche"
- ils d~noncent de
façon nationaliste le fonctionnement des entreprises,
mettant à jour ce qui est,
selon eux,
une domination.
On pourrait
raison,,'.'"
leurs positions
ainsi:
"Un
capitalisme sage,
qui nous int~gre ; fini le pillage"(l).
Pour Latour, bien que les cadres exercent une pression
sur le pouvoir, rien ne permet d'affirmer que cette
pression dépassera le seul corporatismé nationaliste
pour déboucher sur quelque chpse de plus radical. C'est
que,
tout comme les dirigeants qui acceptent le cadre
g~néral de la croissance ~conomique, les cadres eux
aussi acceptent cet espace de transformation. Et
celui-ci
"~eut ~e figurer comme un réseau de ~ignes
p~rallèles verticales dont le haut symbolise
à la fois le Nord géographique (où se trouve
l'Europe), le plus haut P.N.5. possible, le
haut de la hiérarchie et surtout l'avenir.
Le bas symbolise au contraire le passé,
l'Afrique de la tradition, le plus bas
P.N.B. et le plus bas niveau hiérarchique.
La Côte d'Ivoire est vers le bas et doit se
diriger vers le haut. Cela est admis, m~is
elle se trouve sans cesse freinée par
l'Occident qui se trouve
( .•. ) en haut
(2)
(1) Idem, p. 32
(2)
Idem, p.
71

390 ..
\\
.
Ce cadre général n'est mis
~n cause par person,,~,
affirme La tour,
même pas p3.r les ouvriers.
"Autrement
dit,
le cadre de référence lui-même niest jamais vu
comme la production de l'Occident,
et l'horizon
envoûtant par lequel l'Occident dOEine
: l'accident
l~f. ,..qil"I! ... .:..a.)
est dans le cadre,
comme l'Afrique,
mais celui-ci
est absolu •.• "
(1)
Ainsi donc~ la place des cadres dans ·l'orga~isation
sociale,
ou pour être concret,
dans des ensembles
sociaux lirrités,
comme les entreprises,
les met en
situation "privilégiée" pour rechercher l'intésration.
Compétence et volonté d'intégration dans le système
en place ne se marient-ils pas bien ensemble? La
réponse positive des cadres à l'appel ou aux solli-
citations du pouvoir est presque dans l'ordre des
choses.
Ils p~uvent faire des revendications s'ils
le désirent;
ils n'inq~iètent pas outre mesure le
pouvoir;
celui-ci les sait des alliés presque sûrs
-du moins tant qu'il y met le prix,
par exenple
en le s aidant .par le jeu de l'africanisation à
prendre la place des Blancs.
(1)
I.bidem

391.
Ecl'africanisation n'est 4 elle pas un moyen
puissant aux mains du pouvoir pour assurer
l'intégration et organiser la domination sociale
en s'appuyant sur ceux qui,
les premiers,
de par leur
position même,
peuvent
le cautionner?
Avec cette étude sur les cadres, le constat
de la participation au pouvoir des intellectuels
et diplômés a été conduit à son terme.
Immédiatement
revient alors à l'esprit la question du ?ourquoi
de cette recherche de participation des intellectuels
au pouvoir aussi bien par les intellectuels ~ux-m~mes
que par le pouvoir.
.../ ...

392.
CHAPITRE
II
SIGNIFICAi'IO?! ET P'J:1TE::: DE L'I:;TEG:UlTIJ!J:':''T DE LA
:OOUViJIR
Trois hypothèses pe~veht être formulées pour te~ter
d'expliquer pourquoi lesint~llectuels et les dinlSmés
cherchent à participer au pouvoir et pourquoi celui-ci
recherche leur participation et leu~ ir.tégratior..
l
-
Le phénomène de rareté joue en faveur des personnes
formées,
de
tous les diplSmés dont l'Etat,
dans les
pay~ africains,
a besoin pour assurer et diriger la
modernisation ;
autrement dit,
dans
ces pays o~ les
personnels qualifiés manquent,
les ciiplSmés,
les
intellectuels,
tous les détenteurs de connaissances
professionnelles acquièrent une importance du fait
même de leur rareté et compte tenu des besoins à
satisfaire.

393.
2 - Les soci~t~s d'Afrique noire d'aujourd'hui sorties
de la colonisation sont des sociét~s d~pendantes. Elles
se caractérisent par une dissociation du pouvoir
économigue (centré ~ l'extérieur) et du pouvoir
politique, par la contradiction entre la domination
é~onomique e~térieure et les's~tuations sociales
nationales,
et en particulier par la séparation des
aspects économiques et des aspects sociaux de la
situation de classe. Tout cela donne une autonomie
~ l'espaceid~ologique ou de production doctrinale (1).
Les sociétés dépendantes en effet tendent ~ produire
des constructions, des idées doctrinales,
des myth8s
intégrateurs, dont la fonction essentielle paraît
être de réduire ayrr,boliquement les contradictions de
la société. Cette production doctrinale ou
idéologique est faite surtout par les intellectuels
et les catégories moyennes. Ceux-ci qui ne trouvent
pas ~ se développer pleinement
sur un plan
strictement économique sont intéressés ~ avoir de
l'influence, ~ jouer un rôle politique. L'Etat qui
a besoin d'eux comme appuis intérieurs à la domination
extérieure, fa'lorise ia création de la "classe moyenne"
et devient un instrument politique par lequel celle-ci
peut ac::éder à
la domination sociale.
(1)/\\ 'La suite dB A.
Touraine, nous aurons tendance à
parler de production doctrinale pour désigner la
production de constructions, d'idées doctrinales,
de mythes,
et plutôt de production idéologique pour
évoqtler des représentations de rapports sociaux du
point de vup des acteurs de classe qui y sont engagés
(voir A. Touraine, Les sociétés dépendantes, Paris,
Duculot, 1976
p.
54)
1

394.
3 - La domination de l'Etat Sur la soci~t~ conduit
les intellectuels à rechercher l'intégration et la
participation au pouvoir. En effet,
l'Etat,
faible
parce que
sans pouvoir ~oo~omique, mais devant diriger
par principe la réarticulation de la soci~té
.
.
c'est-à-dire provoquer,
pro~ouvoir et garantir
l'unité nationale en favorisant l'intégration,
se
fait l'puissant"
pour dominer sur la société,réprimant
les co~flits sociaux et prenant le pas sur les classes
sociales qui deviennent des acteurs subalternes
;
cett8 emprise de l'Etat sur la vie nationale entraîne
cr.ez les intellectuels deux· types de conduites
(qui
peuvent parfois se combiner)
: l'opposition
(coDme i l
en sera question dans la 4ème partie de ce travail)
et la recherche dB participation au pouvoir ou
dlint~gration (conduite qui va ~tre étudiée dans. ce
chapitre).
Loin de s'opposer ou de se contredire,
ces trois
hypothèse~ se complètent pour expliquer la participation
des intellectuels au pouvoir.
... / ....

395.
SECTION
l
MODERNISATION DE LA SOCIETE ET IMPORTANCE DES
INTELLECTUELS ET DES DIPLOMES
L'idée de modernisation évoque facilement le processus
global en vertu duquel une société non industrielle
devient de type industriel
elle fait penser au
passage d'un état social non moderne à un état moderne.
A considérer la notion de modernisation telle qu'elle
est apparue à propos des sociétés occidentales,
elle
désigne en réalité "une révolution technique,
économique,
sociale et intellectuelle permanente"
(1).
Ces ~ociétés modernes se caract~risent par le fait
essentiel que la production de type industriel j
est
devenue si dominante qu'elles semblent "s'identifier
à une entreprise ~ollective d'asservissement de la
nature par l'homme à l'aide de machine,
de savoir-faire
et de savoir liés à leur utilisation"(2). On note aussi
dans ces sociétés le rôle important de l'écriture
-et aujourd'hui,
de l'audiovisuel. Elles ont été,
dans
leur avènement et leur développement,
commandées
par des bourgeoisies plus ou moins associées à l'Etat.
(1) Fougeyrollas (p)
Modernisation des hommes.
L'exemple du Sénégal, Paris, Flammarion, 1967, p.
8
(2)
Idem p.
9

396.
En Afrique,
la modernisation tend à
signifier la
modification ou le changement des structures
(politiques,
économiques,
sociales,
mentales)
en vue de les
rapprocher ou de les conformer à la moderni~é, c'est-
à-dire,
bien souvent et nalvement aux normes eu~opéennes
ou encore en vue de faire participer les pays au
progrès de la rationalité -une rationalité posée
souvent comme une "one best way",
et dont on, tend
à oublier la relation aux rapports sociaux.
De
manière
courante,
le terme
" mo dernisatiori ll est
souvent confondu avec ceux de changement ou de
développement au ,sens de passage-- d'un type de société
(traditionnelle)
à
un autre type de société
(moderne).
On a noté qu'en Qccident l'action de modernisation
ou d'industrialis:ltion s'est appuyée sur la bou~geoisie
ou même a été l'oeuvre de celle-ci.
Bn Afrique,
le régime colonial n'a pas,voulu ou a dé~avorisé
la constitution d'une pourgeoisie industrielle dans
des sociétés dont l'économie était complémentaire de
celle de la métropole. Aussi,
l'indépendance a-t-elle
fait apparaître la faiblesse ou l'insuffisance des
bourgeoisies nationales~ peu aptes à prendre la
direction de l'entreprise de modernisation;
... / ...

397.
ce ne sont pas en effet les fonctionnaires,
les
médecins, les avocats formés à l'époque coloniale,
auxquels il faut ajouter quelques commerçants et
quelques planteurs importants, qui peuvent être
,
compares aux industriels et aux banquiers qui ont
bâti autrefois la société industrielle en Europe
(1).
Ainsi,
les pays africains d'aujourd'hui sont obligés
de sIen remettre a~x techniciens, aux ingénieurs, ·aux
agent~ de l'Etat et de recourir aux initiatives de
l'Etat pour engager et livrer la bataille du
développement.
Qu'ils se veuillent d'option libérale
ou d'option socialiste,
qu'ils recherchent
officiellenent l'intervention d'éléments de la 'bourgeoisie
extérieure ou au contraire s'y refusent,
tous. ces
pays sont amenés à faire de l'appareil d'Etat la
principale force du développement et de la moderni-
sation
(2). Et pour assur~r cette modernisation,
l'Etat ne peut compter et s'appuyer que sur les
détenteurs de savoirs professionnels,
sur les
diplômés,
sur les gens formés et qualifiés,
sur
les intellectuels,
sur toute
Illa classe moyenne!'.
(1) Idem p.
21
(2)
Idem p. 22

398.
On voit d~s lors pourquoi dans les pays africains
l'Etat acconde une importance particuli~re à cette
"classe moyenne"
dans son ensemble et particuli~rement
à tous ceux qu'on appelle les intellectuels. On
comprend aussi pourquoi
tous
ceux-ci ne se prennent
pas pour moins que rien.
On ne saurait cependant limiter toute l'importance
des intellectuels et de l'ensemble de la classe
dite moyenne à sor. seul rôle dons 14 modernisation.
.../ ...

399.
SECTION II.
RüLE ET PLACE DES INTELLECTUELS DANS LES SOCIETES
DEPENDANTES, ET RECHERCHE PAR LE POUVOIR DE LA
PARTICIPATION ET DE L'INTEGRATION DES INTELLECTUELS
1.
Faiblesse de l'intégration de la société nationale,
développement de l'espace idéologiaue et appel à la
participation et à l'intégration des intellectuels.
a) ~~~!!~~~!~~_~~_~~~~~~!~~;~~!~~_~~_!~_~~~!~~~
~~E~~~~~~~_~~_~~~~!~EE~~~~~_9~_!~~~E~~~_!~~~!~g!g~~
~~_~~_E~~~~~~!~~_~~~~~!~~!~
L'observation des sociétés africaines d'aujourd'hui
fait constater des écarts systématiqu~s éntre régions
dont les unes,
soumises à un développement capitaliste,
concentrent l'essentiel du revenu nation~, les catégories
riches et les entreprises,
etc,
et les autres,
plus ou
moins comme à l'abandon,
sont quasiment oarginalisées
par la pénétration des intérêts marchands.
La colonisation
a en .effet créé la dualisation de ces sociétés .
.. ./ ...

400.
Chaque société est séparée en un secteur traditionnel
et en un secteur moderne,
non juxtaposés.
complé-
rnentairernent liés mais dont celui-ci,
tourné économique-
ment vers l'extérieur et dominant l'activit~ nationale.
domine sur
celui-t~ par son mode dé production.
Il
ne s'agit pas àe deux sous-sociétés ~ l'intérié~r de
la m~me société nationale comme l'ont pensé les
analystes du dualisme en Amérique latine
(1)" et qui
seront pertinemmen~ critiqués par U~ A.G. F~an k
par exemple.
Il
s'agit d'une seule et m~me société
dont la caractéristique,
depuis la domination étranGère.
est justement le "développement inégal et combi~é".
selon l'expression de Trotsky.
Cette
société dualisée.
soumise à la dOrJination
capitaliste étrangère ne peut pas constituer un
marché national intérieur dynamique et intégrateur
(2).
(1)
dont Boecke
(J.A.) Economies and economic policy
of dual
societies.
N.Y. 1953. cit~ parA. Touraine (A)
in Les sociétés déDendantes.
p.
63
Encore que
ce ne soit pas le point de vue deHenrik
Secher Marcussen et Jens Erik Torp du Danemark,
étudiant le cas de la CSte d'Ivoire dans un article
intitulé 'fLa CSte d'Ivoire vers une politique de
développement auto centré ?". Ca:",ier Ivoirien de
Recherches Economiques et Sociales
(CIRES)
~ars-juin
1979.
nO 20721.
Selon eux.
le d~veloppement bloqué
de la CSte d'Ivoire.
constaté et an~lysé dans les
années 60 par Sam;r Amin
(cf.
Le dévelo~peme~t du
cauitalisme en CSte d'Ivoire,
Paris,
Ed.
Minuit.1967)
est en train d'~tre rernplac~ par une large accu-
mulation du capital.
(suite page SUivante)

401.
En effet,
les
capitaux investis ne visent pas d'abord
~ assurer une forte int~grationde l'espace ~conomique
national mais au contraire à tourner ce+ui~ci vers les
pays centraux capitalistes
(Europe. Etats-Unis . . . ) e~
~ les soumettre ~ ceùx-ci. L'espace économique national
se trouve par cons~quent cassé comme en deux. avec un
march~ intérieur ~troit. faible. subordonné. et
un
secteur relativement développ~. lié aux intérêts des
bourgeoisies étrang~res. "intérieurement dominant et
extérieurement dominé"
et dont l'effet d'entrainement
dans le reste du pays n'est pbS forcément évident.
Dans la situation-de soci~t~ dépendante. indirectement
dirig~e par une bourgeoisie ext~rieure. on doit se
demander si les rapports sociaux fondamentaux et en
particulier les rapp'orts de production sont identiques
~ ceux des eentres ~conomiques ou s'ils sont marqu~s
et modifi~s par le fait et l'effet de la dépendance.
(2)suite de la page pr~c~dente :
Ils prétendent que
slamorce~~semble-t-il. des
tendances vers une accumulation nationale du capital
continue.
grâce à l'intégration au marché mondial:
l'internationalisation du capital.
fait que le
système capitaliste en expansion permanente engloberait
~galement la périphérie qui deviendrait une autre
partie du processus global de production et de
reproduction capitaliste.
Il semble que ces auteurs ne consid~rent que les
retomb~es favorables pour un pays de l'existence- des
multinationales. A vrai dire.
on ne voit pas
comment
u~ Etat gagnerait ~ être dominé par ces multinationales
qui
contrôleraient jusque sa politique,
ou ~agnerait
à être leur otage,
laissant sous leur controle sa
situation économique intérieure et le processus de
développement.

402.
Trois habitudes ont ~t~ prises par les ~tudes de
type ~conomiste d'analyser les soci~t~s d~pendantes
et leurs rapports sociaux.
Ou bien on pose que la
p~n~tration capitaliste est si totale que, finalement,
les soci ~tés ne son·t que les jouet::: de forces
ext~rieures (1) (ce qui 'veut dire du coup que les
classes nationales domin~es elles aussi, deviennent
des acteurs économiquement insiznifiants)
;
ou bien
on affirme que les classes dans ces sociét~s sont
pratiquement identiques à
celles des pays dominants
(2)
et du coup on nie de fait le dépendance et la
domination ext~rieure et leurs effets)
;
ou bien on
mélange les deux premiers types d'analyses
(3) pour
(1)
- Pallais
~R) Incitation à la réfutation du tiers-
monde,
Paris, Edit.
Champ libre,
1978
- Ziegler (J) Main basse sur l'ifrigue,
Paris,
Ed.
Seuil, 1978
(2) Pour les soci~tés dites traditionnelles,
voir
par exemple Meillassoux
(C),
Femmes,
ereniers et
capi taux,
Paris.
t'1aspero,
1975, Rey (P.Ph.)
Colonisation,
néocolonialisme et transition au
capl t.allsme,
Parls,
Maspero,
19'75
(3)
- Frank
(A.G.)
Capitalisme et sous-développement
en Amérique latine,
Faris,
Maspero 1968
- Furtado
(C)
Développement et sous-développemen~
Paris,
PUF,
1966
- Stavenhagen
(R)
Les
classes sociales dans les
sociétés agraires,
Paris,
Anthropos,
1969
- Amin
(S) Le développement inégal.
~ssai sur les
formations
sociales
capitalistes périphérioues,
Par i s ,
:Ü nui t
l 973
; ~'a,~ cu r: u 1 a t i 0 11 à, ] 'é c;, e 11 e
mondiale.
Criti ue de la théorie du sous-dévelo
e-
ment;
Paris,
Anthropos,
1971
2e ed.

403.
soutenir que le capitalisme domine l'économie des
pays dépendants
(ce qui est exa~t) et que ces pays
sont entièrement pénétrés par des rapports sociaux
capitalistes qui auraient en quelque sorte recouvert
sinon supprimé les Fapports sociaux non capitalistes
(ce qui n'est pas démontré;
et les faits donnent
à constater la persistance des rapports non capitalistes(l))
La critique de ces manières.
devenues classiques,
d'analyser les sociétés dépendantes,
est venue
principalel!lent d'!',.
Touraine:
"e 'es"t a:l contraire sur
le maintien des rapports sociaux opposés aux rapports
marchands mais commandés par eux,
sur la préservation,
la reconstitution ou le renforcement des formes
sociales et culturelles non capitalistes par la
pénétration capitaliste étrangère elle-mgme " qu'il
veut insister,
quant à lui.(2)
(1) Dans le secteur traditionnel de la société nationale
persistent des rapports sociaux non capitalistes
malgr:é leur"phagocytage" progressif par les rapports
capitalistes dominants du secteur moderne;
et dans
celui-ci,
les rapports non marchands ne sont pas
non plus inexistants. La colonisation n'a pas en
effet effacé les relations réciproques et les
'''systèmes d'inégalité et de domination" antérieurs
(Balandier G),
Anthropo-logiQues,
Paris, PUF 1974
p. 116). Elle les a sans doute accentuées en y
greffant d'autres types de rapports qui les
dominent mais sans les supprimer.
(2) TJuraine
(A) op.cit.
pp.
61-62

404.
Non pas,
affirme-t-il,
pour réduire l'importance de
l i domination externe mais au contraire pour ·soutenir
même que l'effet principal de cette domination est
d'avoir créé
la dualisation sociale et culturelle
des sociétés dépendantes.
Aussi,
définit-il
"une
société dépendante par la désarticulation des relations
économiques et des rapports
socia~x, qui correspond
à la dualisation de la société,
c'est-à-dire à la
discordance entre le fonctionne~ent du système
économique
centré à l'extérieur et celui de la société
et de la culture nationale ou ré~ionale"(l). Il insiste
sur cette désarticulation l'intérieur de la même
unité de production"
et souligne la
complémentarité.
et l'association des rapports économiques
(ou des
con~uites modernisatrices) liés au système économique
dominant et des
rapports de reproduction sociale
~eux-ci peuvent concerner le maintien des pratiques commu-
nautaires intégratric~s et d'une identité culturelle
ou
la reproduction et
la défense des privilèges
sociaux internes ou Te
contrôle de l'ordre social
par une classedominant~. "En réalité, les rapports
de production sont mêlés à des rapports de repro-
duction( ... ) Les rapports de
classes ne peuvent être
conçus que comme la combinaison de ces deux dimensions"(2)
(1) Touraine
(A).op.cit.
p.
7;;
(2)
Idem p.
96

405.
Il apparaît ainsi donc qu'une société dépendante a
du mal à exister en tant que société nationale
intégrée: la domination qu'elle subit lui impose une
désarticulation. Et la faiblesse de l'unité nationale
conduit à une faible intégration des positions de
classe,
qui s'observe aisément dans les difficultés
que· les classes ont à conduire p~écisément une
action de classe véritable.
A telle enseigne qu'on
constate difficilement,
comme l ' a noté A. Touraine (1)
qu'un mouvement de classe et une idéologie de classe
révolutionnaire se forment et se développent au point
de devenir l'acteur central de l'histoire nationale.
De manière précise, on doit souligner que la
désarticulation des aspects
sociaux et des aspects
économiques entraîne une
"séparation des fractions
de classes. qui
s'opposent les unes aux autres par
leur rapport différent au système de domination"
(2).
Ainsi par exemple,
la catégorie de ceux qu '.on désigne
par la "classe moyenne"
-et qu'on a tort d'ailleurs
de définir par une place dans une stratification
sociale supposée continue - n'a d'existence réelle,
analytiquement saisissable,
que dans un entre-deux
de la domination économique et des rapports sociaux,
qui est aussi le lieu privilégié de la politique.
(1)
A.
Touraine,
op.cit.
pp.
54-55
(2)
l ct em, p.
99

406.
Par exe~ple encore,
les classes dominantes se
caractérisent plus peut-être par leur rapport à la
consommation, par le fa~eux effet de démonstration,
par les placements dans les banques étrangères de
leur argent ou dans des hiens pré-capitalistes que
pa~ leur mentalité proprement" capitaliste, par un
souci de l'épargne et de l'investissement. Par exemple
encore,
les classes populaires,
soumises elles aussi
à l:effet de la dés~rticulation des rapports sociaux
et économiques,
entretiennent entre elles des relations
qui renvoient à leur rapport différent au système de
domination.
C'est ainsi que des travailleuFs placés
dans un secteur d'activité dominant et qui occupent
une position relati'/ement "privilégiée" par rapport·
à d'autres travailleurs d'un secteur dominé, peuvent
plu~ facilement, contrairement à ceux-ci, manifester
des conduites en faveur du système social existant
et
chercher
à améliorer simplement leur condition
de vie et de travail
: ils peuvent ne pas
comprendre
les grèves d'autres travailleurs.
Si on élargit cette remarque,
on peut noter que,
de
façon générale,
"le :lOnàe paysan est dominé par le
monde industriel
et ~arc~and de telle sorte que la
position de classe d'un groupe socio-professionnel
quelconque est toujours ambigu~" :
... 1.•.

407.
et qu'
"une catégorie ouvrière doit être définie
par l'exploitation qu'elle subit,
mais
souvent aussi
par la domination sur le monde paysan et même sur la
société agricole en général"
(1).
Tout cela veut dire qu'une action de classe intégrée
et formée au niveau national n'est pas aussi fréqUemment
vécue et observable qu'on croit facilement la voir
dans n'importe quel soulèvement paysan ou grève
ouvrière :
ces actions peuvent comporter ou être aussi
des
conduites économistes et communautaires,
donc
des
conduites de défense de soi,
de défense des acquis,
des luttes pour leur amélioration,
et des conduites de
retrait cor.rnunautaire ou de protestation contre la
marginalisation ou l'exclusion. EUΠsont davantage.
des actions de classe réelles quand elles peuvent
définir leur adversaire et s'attaquer ~ lui autour
d'enjeux précis
(c'est-~-dire d'objectifs visés
simultanément mais de manière conflictuelle par les
adversaires,
comme par exemple le progrès industriel
dans le cas du capitalisme européen ou nord-américain
classiq ue).
(1) Idem p.
84

408.
Ainsi, la situation dans les sociétés dépendantes,
ma~quées par une faible intégration, par une forte
désarticulation des rapports de classe et donc par
une faible intégration des positions de classes,
est
telle que les acteurs de classe n'arrivent pas facilement
à se constituér en agents politiques directs. Ils ne
deviennent des agents politiques '~u'ense soumettant
à des catégories et à des formes d'action qui (leur)
viennent du dehors, de la vie poli tiqu~ elle-même" (1).
Or cet état de fait favorise effectivement le rBle
politique des intellectuels et donne une grande
autonomie à l'espace politique
(comme nous le verro:.s)
et davantage encore à l'espace idéologique ou de
production doctrinale.
En effet,
face aux contradictions dans et de la société
et notamment face à la contradiction entre la
domination économique extérieure et la situation
sociale nationale vécue,
toute une production
doctrinale ou idéologique est faite comme pour réduire
justement ces contradictions que la conscience ne peut
détruire et supporte mal.
Les intellectuels et
notamment le milieu universitaire,
s'expriment au
nom et à la place des masses paysannes ou ouvrières
qui ne, peuvent participer active~ent à l~ vie politique.
(1)
Idem p. 108 '

409.
Ils parlent au nom des classes populaires aux actions
éparses et peu intégrées,
et jouent un rôle essentiel
d'agitateurs que les dirigeants syndicalistes ne
peuvent jouer. En effet,
ceux-ci sont souvent
intégrés à l'appareil d'Etat ou de Parti, et sont
des personnages politiques
(1)
que leurs activités
séparent vite de la base. Les intellectuels parlent
et écrivent au nom et à la place des autres; mais
ils agissent aussi et de manière importante par et
pour eux-mêmes,
comme un acteur de masse,
guidés par
leurs propres obj~ctifs politiques et sociaux.
Ils
critiquent ou louent les p0uvoirs en place et
dénoncent la domination extérieure sur leurs pays.
Chez eux s'expriment fortement un nationalisme
(voir
à ce propos le chapitre 1er de la 4ème partie de ce
travail) qui est à la fois un nation~lis~e intégrateur
(fait d'appel à la communauté culturelle et sociale
conçue comme référence à soi-même, à sa culture)
et
une lutte anti-impérialiste
(appelant à la rupture avec
la domination extérieure et le capitali3me international,
et condamnant le néocolonialisme et son acceptation
appa~ente par les dirigeants, prêts à "brader"
l'indépendance chèrement acquise).
(1) C'est le cas par exemple du Secrétaire général de
l'Union Générale des Travailleurs de Côte d'Ivoire
(DGTCI)
qui pendant longtemps a été député à
l'Assemblée Nationale,
elu ·sur une liste unique
·èu Parti unique.
Il vient de perdre son poste de
député. avec les élections libres organisées en 1980.

410.
Les intellectuels jouent un ~ale important et ont une
influence que les pouvoirs ne méprisent pas,
au contraire.
b) ~~~_~~!~~~~~!~~~~~_9~_~~_E~~9~~!~~~_9~S!r~~~~~_~
~~~~!~gr~!~~~
Les intellectuels n'interviennent pas directement
dans l'espace économique;
l'influence dont ils
peuvent jouir ne vient pas de leur poids économique.
Et parce que l~espace intellectuel ou idéologique
où ils se situent est séparé je l'espace économique,
tout est fait de la part du pouvoir pour que sur le
plan de la technique,
de la profession,
de l'organisation •..
ils soient liés aux intérêts de la classe économique
politique dominante.
Il èst banal d'indiquer par
exemple que l'Qctroi d'un crédit de recherche ou le
budget d'un institut universitaire peut dépendre non
seulement de l'intérêt que les autorités politiques
perçoivent pour elles des investissements de recherche
mais p~ut·dépendre tout bonnement aussi du capital de
confiance politique dont dispose celui qui
sollicite
~e crédit ou prépare ce budget ou de son capital de
relations avec des hommes politiques.
. .. 1...

411.
Le pouvoir s'efforce toujours d'avoir les intellectuels
pour lui.
Il tente toujours de récupérer les
plus
"récalcitrants"
et les
"irréductibles"
parmi
eux:
i l
les appellera d'abord à des postes de responsabilité
technique,
puis administrative,
puis politique.
A ceux
qui ne veulent ni de poste ni d'argent,
et n'ont que
leurs idées à vendre, le pouvoir fera parfois semblant
de les prendre au sérieux,
d'accorder de l'importance
ou du crédit à ce qu'j.ls disent ou f6nt afin de
justifier et utiliser la critique oU l'opposition
comme valeur po si ti ve de son
régime,
co~me la preuve
de la tolérance,
de la liberté et de la démocratie
dans le pays.
Bien sûr,
parfois,
le pouvoir préférera
Itabattre lt les Hopposantsll pour ne plus
se faire du
souci inutile. Mais'il
çomptera toujours avec les
intellectu~ls et l'ensemble de la "classe moyenne ll •
A la limite,
peut-il s'en passer?
2.
Faiblesse de l'unité et de l'Etat national,
et
développement de l'esuace uoliticue et de la
IIclasse moyenne ll
a) ~~~~!~EE~~~~~_~~_!~~~E~~~_E~!~~~g~~~_f~~~~~~~~_~~
!~_~~!~~~~_~~~~~~~~~_!~E~~~~~~~_~~~_~~~~!!~~~~~!~
Une société dépendante se caractérise facilement par
sa dualisation et sa désarticulation,
C03me nous l'avons
vu.
... / ...

412.
Elle présente aussi
cette particularité qu'il y a une
dissociation ou une non-correspondance entre le pouvoir
politique national et le pouvoir économique centr~ ~
l'extérieur
(ce qui
signifie aussi la faiblesse de
la bourgeoisie nationale en tant que t e l l e ;
elle
n'exerce pas d'hégémonie politi~ue). Or la situation
de dépendance à l'égard du capitalisme extérieur
crée la dualisation ou ~a désar~iculation de la
société et s'oppose à la formation d'un marché national
intégrateur.
compromet la création ou l'existence d'une
unité nationale,
et entraine la faiblesse d'un Etat
national subordonné à des créancierc étrangers.
Cette faiblesse
de l'unité et de l ' : t a t national et
de la bourgeoisie nationale a comme contre_partie
un développement im?ortant de l'espace politique,
espace où se meuvent allègrement les intellectuels
et la "classe moyenne"
en qu~te d'influence.
En effet,
dans les sociétés africaines d'aujourd'hui,
dépendantes,
avec des rapports de classes désarticulés
et une faible intégratio~ natio~ale, l'Etat qui n'a pas
grand pouvoir économique,
et parce qu'il est faible,
devient un instrument de redistribution et d'influence
i l fa~orise la création j'une l'classe moyenne"
qui
doit servir à le cautionner e~ ~tre un appui au
capitalisme étranger.
. . .1. . .

413.
Cette
"classe" reçoit en effet une part non négligeable
du surproduit national pour ses connaissances
professionnelles monnayées
;
et elle est mise à
contribution pour une consommation ~e plus en plus
im~ortante. Ne trouvant pas à se développer sur le
.
plan strictement économique dans une société dominé~
extérieurement,
elle est intéressée à 'se constituer
en groupes de pression ou d'intérêts bureaucratiques
pour accéder à l'influence politique et par là à la
domination sociale.
Liée plus ou moins directem~nt à
la capacité redistributive du gouvernemen~, elle
tend simultanément "à intégrer la société national~
et à accroître sa désarticulation".
J'"'" Y".r
Effectivement, l'action politique de soutien à l'Etat
de cette "classe moyenne"
pour le r6le de çelui-ci
dans l'intégration nationale et dans la participation
Al )'" ... tft .to rt
sociale,'
l'action d'opposition à l'Etat pour
son r6le dans le renforcement de la dépendance
n'aboutissent souvent qu'à élargir les catégories
moyennes et supérieures. Une intégration modernisant~
est faite qui s'appuie sur ces catégories et les
masses urbaines au détriment des ruraux .
.../ ...

414.
C1est ainsi par exemple que l'appareil administratif
de l'Etat,
et en particulier le système éducatif,
sont
"ouverts'! avantageusement aux classes moyennes et non
d'abord au profit des masses populaires.
C'est ainsi
encore que dans
certains pays
(par exemple en Côte
d'Ivoire),
les catégories moyennes et s~Dérieures
bénéficient de
l'privilèies11
dont ~a fonction politique
est de les faire se
tenir tranquilles
(gratuité du
logement,
indemnités diverses,
voitures administratives,
traitements particuliers décrochés des ~rilles de la
fonction publique .•• )
Mais toutes ces
catégories qui souhaitent l'intégration
de la société nationale ne contribuent-elles pas
plutôt à accroître sa désarticulation, puisque ce
qu'elles gagnent à leur profit contribue à faire
rejeter dans l'exclusion ou dans la dépendance plus
grande les catégories populaires?
Le problème est que les
"élites intellectuelles" qui
ont pratique~ent depuis la décolonisation le monopole
de la représentation politique ou mê~e du pouvoir
politique
(cf.
chapitre précédent)
ont été formées pour
être insérées dans le système social
de manière telle
que l Laspiration à la do~inatjon sociale soit chez
elles comme nat~relle et pour le moins légitime .
. . ./ ...

415.
b) ~~~E~~~!~~~_~~~_~~!~!!~~!~~!~_~_!~~~!~g~~!~~~_~~~~~!
leur formation.
On ne saurait prétendre,
sans être exc~ssif, que
l'aspiration à la participation au pouvoir ou à la
domination sociale provient uniquement de la formation
reçue.
Néanmoins on peut mettre en évidence le rôle
de la formation dans cette aspiration.
Il est possible par exemple d'étudier les différentes
modalités de sélection des élèves pour savoir
qui
sont les candidats retenus peur la forDation,
quelles
sont leurs origines sociales. On sait que dans maints
pays africains, l'âge est pris comme critère de
sélection. Ainsi,
en Côte d'Ivoire ne sont autorisés
à pourauivre les études que les élèves qui n'excèdent
pas 15 ans et demi
en fin de cycle primaire, 19 ans
en fin de premier cycle de l'enseignement secondaire
et 23 ans en fin de deuxième cycle de l'enseignement
secondaire. Au concours d'entrée en 6ème, l'âge sert.
à répart~r les élèves en trois séries : "Série spéciale"
pour les élèves les moins âgés
(moins de 11 ans et
5 mois) ;"première sériel! pour les élèves âgés de
11 ans et 5 mois à 14 ans et 5 mois ;
et~deuxième
série"
pour les élèves &gés de 14 ans et 5 mois
à 15 ans et 5 mois. Le seuil d'admission au concours
est"fixé en fonction des séries.
.../ ...

On exige moins de points,
donc ~oins d'efforts,
des
~l~ves de la "s~rie sp~ciale" que d~ c~u~ de ·la
"premi~re s~rie", et moins de ceux-ci que de ceux
de la "deuxi~me s~rie"
(1).
Or,
~ la v~rit~, il y
a un rapport presque direct entre l'âge scolaire et
l'~rigine socio-culturelle de~ parents: les en~ants
des familles les plus ais~es et les plus instruites
sorct les plus jeunes;
ils entrent tôt dans les
jardins d'enfants ou les'écoles maternelles;
les
enfants les plus âg~s sant souvent ceux des familles
rurales ou des familles mar~inalis~es des villes ;
souvent ils n'entrent pas ~ l'école avant 7 ans et
connaissent plus que les autres les handicaps
linguistiques et culturels.
.... 1...
(1) Exe~ple : Seuils d 1 sdmissibilité par s~rie et
par sexe au concours d'entrée en 6e en Côte d'Ivoire
en 1979 et en 1980.
Annee
SERIE SPl::CIALE
SERIE
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1
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1 0 30
-
,
)
1
R = R~nov~ = Enseignement r~nov~ ; T = Traditionnel =
Ens?ignement trsditionnel
;
?P
:
Fil:es-~~nov.
GR : Garçons-R~nov.
;
F~ : Filles-Trad. GT : Garçons-Trad.

417.
Ainsi,
le choix par l'âge des candidats à la formation
peut déjà être significatif des possibilités d'intégration
future:
plus la famille de l'enfant est intégrée dans
le système social,
plus peut-être l'enfant a des chances
d'stre intégré un jour ..•
On pourrait aussi faire l'étude des manuels scolaires
pour montrer comment les élèves sont formés et vers
quels types de société et de civilisation on les
oriente.
On verrait sans doute par exemple comment dans
certains pays ils sont façonnés pour adhér~r aux
"valeurs de modernité"
qui les conduisent imperceptiblement
à désirer être de ceux qui possèdent,de ceux qui sont
"mo:::ernes" et vivent "modernes",
c'est-à-dire richement.
Qu'on s'en rende compte simplement par l'idéologie.
insidieusemerit véhiculée par cet exercice de grammaire
pour élèves de CM 2
:
"Faites l'accord des adjectifs
entre parenthèses
Es-tu déjà allé dans une
(grand)
ville? As-tu déjà vu des avenues
(bordé)
de palmiers
et si
(large) que les voitures peuvent rouler trois
fois? Les quartiers
(moderne)
se reconnaissent par
leurs
(haut) immeubles
(impressionnant). Mais les
pius
(joli)
quartiers sont ceux qui regroupent des
villas aux jardins et pelouses
(soigné)"
(1)
(1) Français CM 2 Livre de l'élève l,
p. 15
(Livre
des classes televlsuelles lvolriennes,
conçu et
imprimé en Cate d'Ivoire par le Ministère de
l'Enseignement Primaire et Télévisuel.

418.
L'approfondissement des étuàes sur les modalités de
sélection et surtout sur les manuels scolaires
apporteraient à l'en point douter beaucoup d'informations
précieuses sur le conditionnement idéologique des
é~~v~s et leur préparation à l'intégration. Cet
approfondissement demanderait cepenàant plus de
temps qu'il n'est nécessaire d'en consacrer à ces
questions dans le cadre de ce travail .•.
On peut considérer aussi les critiques adressées aux
systèmes éducatifs hérités de la colonisation ou mis
en place par les Etats africains-eux-mênes.
Certaines
de ces critiques soulignent l'inadaptation de ces
systèmes et stigmatisent le conditionnement qui amène
les jeunes générations à ne désirer qu'à se faire
intégrer dans le système en place et avoir le plus
rapidement possible leur part de
"g&teau national".
Ainsi,
le 16 juin 1973,
le 'ministre ivoirien du Plan
d'alors faisait remarquer devant la Commission nationale
de réfo·rme de l'enseignement que l'éducation n'a
souvent trouvé qu'en elle-même sa propre fin,
assignant aux individus des préoccupations sans
rapport avec la nature et le niveau des t&ches à
assumer.
Il déplorera le fait que l'éducation se
développe en marge de la croissance économique et
sa~s présenter de liaisons évidentes avec la production •
. ../ .. ·

419.
Il soulignera l'aspect abstrait et formel des
connaissances et des techniques oG l'on enferme
l'accès au monde moderne;
ce qui a conduit souvent,
selon lui, au fait que "l'on'lattendI1I'un emploi " tout
fait,
sans esprit d'initiative ni capacit~ d'adaptation".
Et fait plus grave,
reconnaîtrc.-t-il,
c'est que
"socialement les nouvelles 2'~n~rations ainsi form~es
n'aspirent Qu'à b~n~ficier de l~ situation d~s
.
. l '
' p r l Vl
ecres dl" IR, nrécér:1entc' ,,"~'n~rnt.ion". Il ajoute:ra,
trahissant d'un'e certaine JCJanière le "m~contentement"
de la "pr~c~dente g~n~ration" devant l'
Ilempressement"
et la "bousculade" des '''nouvelles g~n~rations" :
"Cette vue scl~ros~e et ce pré~endu droit à des places
toute
faites sont des facteurs de stagnation de la
soci~té, en même temps que porteurs ,de crises-
st~riles\\l (1)
On ne saurait mieux affirmér combien, en r~alit~, les
syst~mes ~ducatifs existants sont "adapt~s" pour
produire des individus pour la consommation et pour
la course aux places.
. ... / .....
(1) "Education et développement. Les imp~ratifs pour
une soci~t~ nouvelle!'. Expos~ du ministre du Plan
devant la Commission nationale àe réforme de
l'enseignement, Abidjan 16 juin 1973 (document
ron~otypé , soulignée par nous)

420.
Dans la pré~aration à la course aux places et à
l'int~gration, entre en ligne de compte un ~l~ment tr~s
important qui a
toujours paru anodin.
rl s'agit de
l'allocation de bourses d'études.
Nous voudrions montrer
comment la bourse et les modalités d'incitation aux-
études fonctionnent
comme un conditionnement devant
amener les étudiants à d~sirer être intégrés et
accéder
à
la domination sociale.
Jean-Pierre N'Diaye
(1)
est l'un de? premierè
intellectuels à avoir fait une analyse du "syst~me
des bourses",
une analyse pertinente de ce que cette
prise en charge des étudiants par l'Etat implique
comme attitudes et conduites sous l'angle du rapport
au pouvoir et à la domination.
La bourse permet aux étudiants de s'adonner à leurs
études en toute qui~tude, du moins sur le plan de
la satisfaction des besoins mat~riels les plus
importants.
... / ...
(1) N'Diaye
(J.P.)
"Le syst~me des bourse~ et le
processus auquel sont soumis les étudiants boursiers"
in La
jeunesse africaine face à l'imDérialismej Paris,
M~spero, 1971, pp. 137-149.

G4n~~alement, elfe est relativeoent "substantielle",
surtou~ si on la compare aux gains des paysans OL aux
salaires des classes laborieuses et d~ tous les
"smigards". Par ailleurs,
contrairement aux. ouvriers
qui ne bénéficient d'aucune réduction au cinéma par
exemple,
ou ailleurs,
les étudiants connaissent les
"tarifs étudiants",
bénéficient parfois de la gratuité
du transport,
ont le logement et la nourriture à des
tarifs réduits
(par exeople les prix mensuels du
loyer dans les cités universitaires abièjanaises
n'excèdent pas 3 500 FCFA
(70 FF)
et le ticket de
restaurant est a 75 FCFA
(1; 50 FoF)
;
ces prix n'ont
pas augmenté depuis plus de dix ans).
La fon~tion premi~re de la bourse est donc bien de
libérer les étudiants des soucis matériels im~édiats
pouvant entraver la marche de leurs
études. Mais la
bourse n'a-t-elle que cette fonction? Considérons
le processus auquel est soumis l'étudiant boursier,
à travers les Godalités du système mgme des bourses.
Pour l'Etat,
la jeunesse estudiantine représente
sa perpétuation administrative,
technique, politique
et mgme idéologique.
Il faut alors qu'il la prépare
à l'intégration. Et c'est pourquoi il prend les Desureu
nécessaires pour que cette jeunesse forrr,ée remplisse
le rôle qu'il lui destine.
... / ...

423.
D'où la nécessité de la sécuriser d'abord, nan seulement
du point de vue m~tériel, mais aussi sur les plans
psychologique et culturel. Cette sécurisation place
les étudiants dans des conditions privilégiées qui
les préparent, pense N'Dia;le (1)
"à une mentali té de
recherche de le sécurité et du confort". Et cette
mentalité est constamment tenue en éveil par l'épée
de Damoclès que représente la perspective de suppression
de bourse à la suite d'échecs répétés ou d'engagement
politique autre que celui auquel l'étudiant est
convié.
P"<2c..
la bourse
(qu'ils sont parfois obligés de
part~ger avec des frères moins chanceux ou ~~me avec
de& parents), les étudiants n'ont pas toujours la
possibilité de vivre de façon concrète,
da~s leur
chair, la lutte des classes populaires pour la vie,
bien que certainS se fassent de celles-ci les défenseurs
courageux. Le pouvoir d ' achat des étudiants. (même
considéré comme faible)
ne leur donne pas toujours
le loisir d'apprécier de façon quotidienne l'équivalence
"argent-temps de travail"
que connalt le tr~vailleur.
"Il en ,ressort, note N'Diaye (2) que les boursiers
sont soumis à un double conditionnement idéologique
(1) N'Diaye (J.P.) opicit. p. 139
(2)
Ibidem

424.
" ~ d'une part, ils s'habituent à user de
l'argent,
d'un argent qu'ils reçoivent comme
allocation d'études et qui est séparé du
rapport "travail-argent"
(rapport entre le
coût des biens achetés et une quantité de
travail fourni)
;
" - d'autre part,
pour cette raison,
i l
leur manque la pratique des classes laborieuses,
qui
co~siste à limiter leurs besoins
en fonction de cette rigoureuse nécessité
que toute dépense nouvelle occasionne un
temps supplé:~entaire de travail"
(op.cit. p.139)
N'Diaye ajo~te :
"D~s lors, leur comportement et leur
.
mentalité vis-à-vis de l'argent sont similaires
a ceux
de la bourgeoisie,
bien que dans des proportions plucl
limitées;
ils ont en conmun la pratiaue de l'usage
courant de l'argent et de l'usage courant des biens
matériels,
sans avoir fourni
~n travail correspondant
(idem pp. 139-140).
Mais les modalités du syst~me des bourses ne sont-elles
pas établies pour interdire qu'on se demande:
d'où
vient l'argent?qui le produit et sur quels rapports
de classe repose-t-il ? D'ailleurs,
avec la visée
d'assurer la perpétuation de l'Etat,
n'est-on pas
conduit à imposer aux étudiants de se comporter dès
leur formation en futurs porte-parole ou agents d'une
certaine bourgeoisie? N'est-ce pas à l'intégration
"bourgeoise" que aont invités lus étudiants?
... / ...

425.
Il n'y a pas de doute,
de l'avis de
:1'Diaye;
et
les conditions qu'on veut cr~er pour eux sont selon
lui
celles-ci
:
"la s~curit~~ une vie mat~rielle
tranquille,
la stabilit~ mat~rielle des conditions
de vie,
toutes attitudes qui
se fondent sur l'argent
et qui
sont la source essentielle de l~ crainte ou
de la peur ~ l'~gard de tout bouleversement". Il
peut alors d~clarer sans ambages:
"e 'est parce
que ces conditions et attitudes agissent d'une
mani~re insidi~use qu'~ la fin de leurs ~tudes un
grand nombre Q'~tudiants sont n~cessairement rejet~s
d&ns la camp de la bourgeoisie ;
et cela,
quelles
qu'aient pu être leurs positions verbales d'hostilit~
au r~gime n~o-colonial et ~ l'impérialisme"
(idem p.143)
Faut-il alors,
dans ces
conditions,
préconiser la
suppression du système de bourses ?
Il est trop utile au pouVoir et aux étudiants,
surtout
ffiX
étudiants Je familles pauvres,
pour qu'on puisse
penser que sa suppression soit une solution facile.
De l'avis de l'auteur que nous venons de citer,
i l ne
s'agit pas de supprimer.la bourse mais d'en changer
le contenu,
le contenu du système pr~vu par "la
bourgeoisie".
Pour lui,
l'~tudiant doit, par un
travail d'~ducation politique, s'efforcer de briser
le processus dans lequel on veut l'emprisonner,
et
adopter une conduite responsable ~ l'~gard àe l'argent .
. . . / - - -

426.
Il écrit et conseille
"Durant toutes ses études,
l'étudiant
boursier devra lutter contre le processus
de consommation dans lequel on veut
l'endormir et contre les mentalités
inspirées de l'i~éologie bourgeoise qui
reviennent à l'installer dans un certain
confort matériel,
dans la"sécurité liée
à la disposition de l'argent n (idem p. 42)
Ce conseil est-il entendu par les, étudiants ? Qu'en
pensent-ils ?
Le pouvoir en Afrique,
lui aussi,
sait donner des
conseils concrets et pratiques
: les bourses
augmentent au fur et à mesure que le niveau de vie
augmente et à mesure que les étudiants en exprime~t
.
la nécessité.
C'est aussi de manière active et par
des moyens appropriés qu'il manipule des groupes
d'étudiants pour mainte"nir les autres étudiants
dans le droit chemin du rôle qu'il leur assigne.
s ' i i croit pouvoir compter sur le désir manifeste
ou latent èe beaucoup d'étudiants de trouver
rapidement leur place dans les rouages de l'Etat
ou du secteur privé,
i l ne juge pas inutile
néanmoins de faire en sorte que demain les élites
intel~ectuelles ne dévient pas du chemin "tracé .
.. ./ ...

427.
Malgr~ les agitations ou les agissements de certains
groupes d'~tudiants, plus d'un gouvernement africain
est sûr de gagner la confiance de ses
~tudiants ou
de les ~~cup~rer à la :in
des
études.
C'est en tout
cas la conviction d'un ~ouphouet-Boigny qui d~clarait
en d~cembre 1978 :
"Ceux
(des
~tudiants) qui demeurent sur
les sentie~sbattus du déni~rementou de
la
cri~ique syst~matique .s'intégreront
co~me lsurs devanciers, dans le syst~me,
à leur sortie de l'~cole. Ils serviront
le r~gime libéral qu'ils combattent
actuellement,
et vivront de ce r~gime
libéral.
Ils comprendront comme tous les
Ivoiriens qu'on ne partage pas la mis~re
mais plutôt l'abondance.
Et ils sauront
qu'avant de partager i l faut produire"
(1)
Houphouet-Boigny se~ble certain de son fait.
N'a-t-il
pas en effet l'habitude d'observer ou d'accepter le
ralliement de plusieurs
g~n~rations de pourfendeurs
de son régime et des r~gimes africains en g~n~ral ?
Il faut dire que,
comme les autres chefs d'Etat,
i l
co~pte sur les m~canismes d'usure etde récu~~ration
existants.
(1)
Interview du président Houphouet-Boigny publi~
dans le quotidien ivoirien Fraternit~-Matin du
12 d~ce~bre 1978, p. 10

428.
Est-il toujours facile en effet de se tapir et de
croupir
"~ternellement" dans l'ombre de l'opposition
quand on sait qu'un peu de
"bonne volont~!' peut
propulser au soleil des responsabilit~s qui conduisent
à une vie plus que d~cente ? Le volte-face de maints
"opposants"
s'explique par ~e sursaut de "bonne
volont~" qu'esp~re et attend le p~uvoir. Celui-ci
n'a-t-il pas besoin d'entretenir une
"paix sociale"
qui rassure les investisseurs ~trangers ? N'a-t-il
pas besoin de personnels qualifi~s ? N'a-t-il pas
besoin d'avoir des appuis intérieurs?
La participation des intellectuels au pouvoir apparaît
com~e une n~cessit~ non seulement politique-
mais ~conomique. surt~ut du point de vue de l'Etat,
Qu-'en est-il du point de vue des ~lites intellectuelle~
elles-mêmes? Quelle conduite les intellectuels
ont-ils tendance à adopter quand l'Etat se fait
"puissant"
?
.../ ...

429.
SECTION III
DOMINATION ETATIQUE DE LA SOCIETE ET RECHERCHE
D'INTEGRATION ET DE PARTICIPATION DES INTELLECTUELS
AU
POUVOIR
L'Btat,
faible parce que sans grand pouvoir économioue
se venge sur la société; i l se fait fort et la domine.
Et i l apparaît d'autant plus puissant que,
du fait de
la désarticulation des rapports de
classe et de la
faible intégration des positions de classes,
il n'est
pas y regarder de près- le simple conseil
d'administration de la bourgeoisie,
c'est-à-dire
d'une classe d'
"entrepreneurs" au sens de
J.A.
Schumpeter,
comme dans l'industrialisation
,
europeenne.
DaBs les pays ~fricains dépendants d'aujourd'hui,
rien ne permet d'observer "l'évidenceud'une soumission
de l'Etat à la sociétéJet donc à la bourgeoisie.
Si on définit l'Etat comme appareil de gestion
d'ensemble de la société,
comme le détenteur du
droit de paix et de guerre à l'intérieur et à l'extérieur
et d'un pouvoir régalien qui s'exerce surtout un
territoire.
i l est bien cet acteur central qui ~on
seulement possède dans nos pays un pouvoir de plus
. " " / . " "

430.
en plus important dans le domaine de la politique
économique, mais est l'agent principal de l'ordre et
du changement.
Certes,
i l n'est pas faux de faire
remarquer que l'Etat est toujours
chargé de forces
sociales, qu'il se met au service premier d'une
classe,
qu'il s'appuie sur une bourgeoisie extérieure
mais on doit reconnaître qu'il est à l'origine des
principaux changements,
qu'il est l'agent de transfor-
mation volontariste de la société.
Cette précision permet de montrer maintenant comment
l'Etat intervient partout,
rtomine la société €t,
tout en assurant son autonomisation par la bureaucra-
tisation et la présidentialisation,
canalise vers lui,
et de façon prioritaire,
toutes les forces vives de
la nation,
recherchant une alliance hBgéoonique avec
les élites sociales(dont les élites ~ntellectuelle~.
Autrement dit,
i l s'agit de montrer comment 1.'Etat
se faisant puissant,
les intellectuels autant que les
autres catégories socio-professionnelle~ sont amenés
à rechercher l'intégration et la participation.
Cette tendance n'étant pas exclusive des intellectuels,
nous insisterons,
plutôt que de la décrire en rapport
avec eux,
sur la pression étatique ou les mécanismes
généTRux qui
conduisent.i l' .....c.{~r .. r;o..,
... / .. ·

431.
1.
Pr~sidentialisation et bureaucratisation au service
de la puissance de l'Etat.
Recherche d'alliance
hégémonioue
a) ~~!~~~~~~_~~_!~~~~~~!!ft_EE!~~~!~_~~_EE~~!~~~!_~~
la République.
Subordination d9 la bureaucratie au
-----~--_._~---------------------------------------
A leur création.
la plupart des Etats africains
d'expression française
(en particulier ceux de la
"Communauté")
eurent des préf~rence? pour le régime
parlementaire à large prépondérance de l'exécutif.
en imitation sans doute de la Constitution française
de 1958.
Ils adopteront peu d'années après.
à l'exception
du Mali de Modibo Keita.
des
constitutions présidentielles.
A l'heure actuelle.
et ce depuis 1963. le régime prési-
dentiel prévaut dans la plupart des pays de
l'Afrique noire. Et les
constitutions
"offrent un
caractère. qui
est une concentration du pouvoir entre
les mains d'un' homme ayant pour conséquence un certain
autoritarisme"
(1).
Il est d'ailleurs significatif.
sauf erreur.
qu'aucune procédure de mise en minorité
ou de renversement du président ne soit clairement
prévue dans les statuts ou les réglements intérie~is.
(1) L~vroff(D) Les svsièmes constitutionnels en Afrique
noire.
Les Etats francophones.
Paris. 1976. p.
50

432.
Au contraire,
le ~hef de l'Etat aug~ente ou produit
sa légitimité de l'exercice même du pouvoir (2.).
Le président tend à devenir la source de tout pouvoir.
Ainsi par exemple,
dans le cas du régime ca~erounais
étudié par Bayart
(~), le président de .la République
nomme les ministres et les vices-mi~istres qui sont
responsables devant lui.
Il met fin à leurs fonctions
(art.
8 de la constitution de 1972). Le recrute~ent de
l'ensemble du perso~nel politique est aussi son fait.
c'est +ui qui
compose sur une liste unique les membres
de l'organe directeur du Parti
(Qnion Nationale
Camerounaise) que le Congrès é l i t ;
i l répartit les
tâches au sein de cet organe.
L'autorité judiciaire ne lui échappe pas totalement
puisqu'il est le garant de son indépendance et qu'il
nomme les magistrats.
De même,
mais de manière plus indirecte,
la présidence
et le régime participent aux choix des secrétaires
généraux, des présidents ou des responsables des
chambres consulaires,
des entreprises étrang~res etc.
(1)
Cela n'a pas échappé à Bayart
(J.F.):
L'Stat au
Cameroun, Paris, Presse de la Fondation nationale
de Science poli tique 1979,
et à Asso
(B)
: Le chef
d'Etat africain, Paris, Edit.
Albatros, 1976
(2)
Bayart
(J.F.) op.cit.

433·
Enfin,
le chef d~ l'Etat a la prérogative de nommer
aux emplois civils et militaires.
Il en est ainsi
des emplois dans l'administration territoriale
(préfet,
sous-préfet),
dans les entreprises d'Etat,
dans les
forces armées •••
Bref,
le président de la République a la main et l'oeil
sur toute autorité politique et économique.
Ce fait
n'est pas particulier au Ca~eroun. Dans les autres
pays efricains,
pr~tiquement tous les c~efs d'Etat.
ont les mêmes prérogatives que leur homologue camerounais.
E~ il est loisible de penser avec Gonidec (1) que,
de manière générale,
les
constitutions africaines
renforcent de fait la position du chef de l'exécutif
au lieu de chercher à limiter le pouvoir par ~e droit.
Et le pouvoir court alors le risque de devenir d'autant
plus grand et incontrôlable que celui qui le détient
en use parfois comme d'une' chose privée
(2).
(1)
Gonidec
(P.F.)
Les systèmes politiques africains,
Paris,
Librairie Générale de droit et jurisprudence,
1974,
vol.
II,
p.
80
(2)
Voir à ce propos les articles -qui ont d'ailleurs
besoin d'être nuanc~és- de Hédard (J.F.,
"L'Etat
sous-développé au Cameroun" in L'am'ée africaine
1977,
et de Fauré
(LA.);
"Les consti tutions et
l'exercice du pouvoir en Afrique noire"
in
Politique africaine,
janvier 1982, nO l

Le président de l'exécutif en Afrique a donc des
prérogatives énormes ;
et i l dispose du soutien total
du régime et du Parti qui
contribuent à la maximisation
continue de son pouvoir.
On a parlé de présidentiali-
sation du régime.
Celle-ci s'appuie de plus en plus sur la promotion
de "ministres-techniciens",
de "technocrates-
fonctionnaires",
sur une bureaucratisation qui se
veut progressivement "technocratique"
et enr51e
plus nombreux encore aujourd'hui qu'hier de jeunes
dip15més et intellectuels:
jusqu'ici effectivement,
les choses se passent comme si on étudiait pour
devenir fonctionnaire.
Or l'engagement presque automatique
dans l'Etat est loin de desservir la présidentiaii~~tioli
et la bureaucratisation. Par celle-ci en effet,
le
président de la République crée progressivement un&
alliance hégémonique avec les élites sociales,
qu'il
domine et l'régule"
et dont le noyau est l'administration
devenue force sociale.
.../ ...

435.
b)
Bureaucratisatio~ et recherche d'alliance hé~émonique
--------------------------------------------~--------
Comme tout Etat moderne,
l'Etat en Afrique noire est
aussi une énorme machinerie .de bureaux.
Il est composé
bien sûr d'un personnel politique
(des assemblées,
des
conseils,
des votes),
mais aussi d'un personnel
administratif avec des bureaux
(d'ailleurs la
distinction entre personnel politique et
personnel administratif tend à devenir caduque).
Avec
Jacques Ellul
(1),
on peut dire qu'aujourd'hui et
d'une manière générale,
"l'Etat s'absorbe peu à peu
dans l'administration" ou que "cette bureaucratie
pénètre le corps de l'Etat".
L'Etat tente de s'appuyer de plus en plus sur une
bur~aucratie pouvant jouir si possible de deux
pouvoirs:
"le pouvoir de l'expert,
c'est-à-dire le
pouvoir dont un individu dispose du fait de sa
capacité personnelle à contrôler une
certaine source
d'incertitude affectant le fonctionnement de
l'organisation,
et le pouvoir hiérarchiaue fonctionnel,
c'est-à-dire lé pouvoir dont certains individus
disposent du fait de leur fonction dans l'organisation"(2)
(1) Ellul
(J) L'illusion politigue,
Paris,
Robert Laffont
(Le livre de poc:'Je)
1977
(nouvelle edit.
revue et
au~~entée), p~ 196 e~ 198
(2)
Crozier
(l.l)op.
cit. D.
20::.

436.
En effet, l'autonomie de l'Etat ne d~pend-elle pas
dans une certaine mesure de celle de son personnel
dirigeant
(politico-administratif),
de la capacit~
de celui-ci à disposer et à jouir des pouvoirs
ci-dessus mentionnés? Et n'est-ce pas pour cela
que l'Etat essaie de s'appuyer de plus en plus sur
la promotion de "technocrates-fonctionnaires!',
sur
des intellectuels ?
La bureaucratie politico-administrative est d'autant
plus importante aux yeux de l'Etat qu'il recherche
une alliance h~g~monique : Gette bureaucratie,
en se
mettant au service des ~lites sociales, lui permet
en effet de compter sur l'assimilation r~ciproque
de ces élites et d'avoir des assises solides. En
d'autres termes,
l'Etat a besoin de toutes les
~lites sociales; mais il se fonde sur le segment
techno-bureaucratique et politico-administratif pour
assurer son autonomie et dominer sur la soci't~
la collusion entre l'ex~cutif et la haute administration
et le personnel politique ne rend-elle pas en effet
l'Etat moins vuln~rable face aux groupes de pression
et aux conflits sociaux? L'autonomie fonctionnelle
de l'Etat en termes de rôles sociaux ne s'en trouve-
t-elle pas renforcée ?
.../ ...

437.
L'autonomisation de l'Etat est de plus
en plus
. recherchée de façon délibérée dans la professionnalisation
des personnels administratifs et politico-administratifs
elle s'affirme avec l'intégration,
dans les différents
appareils des intellectuels,
des diplôrres,
de tous
ceux qui disposent de hautes qualifications ou de
formations
solides.
Mais ne peut-on pas faire remarquer que la prétention
de l'Etat à l'indépendance est quelque peu illusoire
dan~ la mesure où les appareils de l 'Etat d~viennent
a~ssi, semble-t-il, des appareil~ d'accumulation?
N'utilise-t-on pas en effet des positions administratives
ou politiques pour accéder à des positions d'enrichisse-
ment? L'insertion dans la bureaucratie,
l'approche
et la maîtrise des ressources publiques
(étatiques)
ne sont-elles pas utilisées pour s'approprier à bon
compte une position d'enrichissement? K'accède-t-on
pas parfois à celle-ci grâce à une position de
pouvoir
(dans la bureaucratie)
obtenue par le
moyen de précieuses relations politiques venant
étayer les avantages d'une formation
ou ~ême d'une
origine sociale?
... 1...

438.
Certes,
les appareils de l'Etat sont parfois des
appareils d'accumulation
(il ne faut pas non plus
exagérer la systématicité du phénomène,
comme y ont
un peu tendance Médard
(1)
et Bayart
(2)). Il semble
cependant que l'Etat, trouve son compte dans cette
situation m@me
;
car i l peut ainsi
constituer une
alliance hégémonique avec tous ceux qui occupent des
positions de classe,
de pouvoir ou d'enrichissement
et sont intéressés et pr@ts à soutenir l'action
du régime en place.
De plus,
comme l'Etat est le distributeur sinon
exclusif,
du moins principal des rôles sociaux,
i l
est évident qu'on ne se passe pas de lui
sans
désagrément et on ne le combat pas impunément.
De cala,
les intellectuels et tous
ce~x qui ne
peuvent se développer par eux-m@mes dans le domaine
strictement économique ont une conscience claire
-du moins suppose-t-on.
. .. / ...
(1) Médard loc.cit.
(2)
Bayart op.cit.

439.
L'écrasement devant l'Etat,
autocratique recourant
parfois à un mode patrimonial de gestion des ressources
tout en étant bureaucratique,
est ce qui
reste souvent
au citoyen insatisfait qui maugrée ou proteste de
temps en temps mais n'est pas prêt à se suicider
socialement
:
cet écrasement porte la signification
d'un réflexe d'auto-conservation.
Il est par contre
la voie indiquée pour ceux qui ont l'ambition de
connaître une réussite
sociale ou une ascension
politique rapide et qui ne perdent pas leur temps
à regarder aux "petits détails" ou "faiblesses" de
la vie d'un Etat.
L'intégration des intellectuels dans les appareils
de l'Etat et dans le système social semble for~ement
liée à la pression étatique sur eux,
à la volonté
de puissance de l'Etat et à sa domination sur la
société.
... / ...

440.
2.
Volont~ de Duissance de l'Etat ~ travers son rapport
au Parti
et ~ la soci~t~ et demande d'int~gration
des intellectuels
a) Dialectique entre l'Etat et le Parti,
et demande
--------~---------------------------------------
~~_E~~!~~~E~!~~~_~~_~~~~!~~~~!~~~
La plupart des Etats africains pr~voient la libert~
de formation et d'action des part~s politiques et
reconnaissent que ceux-ci concourent ~ l'expression
des suffrages.
Mais,
~ la v~rit~, dans les pays
francophones,
~ part le S~n~gal et la Haut3-Volta
qui
s'est r~cemment essay~eau pluripartisme sous le
pr~sident Sangour~ Lamizana jusqu'à son renversement
en novembre 1980,
la plupart des Etats ont adopt~
le parti unique après parfois un bref essai
de
parlementarisme multipartiste. Dans les pays
anglophones,
l'exp~rience du multipartisme a ~t~
plus souvent tent~e, il .semble. Mais aujourd'hui,
comme dans les anciennes colonies françaises,
les
anciennes colonies britanniques se sont r~solues
pour beaucoup d'entre elles au parti unique.
Le
Nig~ria connaît le multipartisme ; peut-être un
ou deux autres pays. En r~alit~, presque partout
en Afrique pr~vaut le parti unique.
... / ...

441.
Celui-ci est présenté comme le seul moyen d'assurer
la construction de l'unité nationale,
de bâtir la
nation,
de mobiliser tout le peuple.
A cette fin,
la
construction zaïroise par exemple stipule:
"Le peuple
zaïrois est organisé au
sein du Mouoement Populaire
de la R~volution" (art.
8)
Le ~arti unique a de fait le monopole ·de la
représentation des candidats aux diverses élections.
Presque un peu partout,
cette règle était
toujours
prévue j
et la constitution gabonaise ne l'a pas omise
elle dit
:
"Le ~arti Démocratique Gabonais aSSUre
la participation des élections à tous les suffrages
( . . . ).
Nul ne peut se voir confier un mandat public s ' i l
nle~t investi par le parti"
(art. 14). En Mauritanie,
i l était stipulé:
"La volonté du peuple s'exprime
par l'intermédiaire du parti de l'Etat organisé
démocratiquement"
(art.
9).
Lorsque le parti unique nlest pas prévu de façon
exclusive par la constitution
(cas de la Côte d'Ivoire
et du Cameroun pour ne citer que ces deux pays),
le
monoDole de la participation aux élections est accordé
de fait au parti unique par la loi électorale. Et les
dispositions sont cOLplétées par l'adoption du
scrutin majoritaire sur une liste nationale .
.../ ...

442.
DeDuis Deu, les choses ~voluent i l est vrai. Ainsi,
.
"
la Côte d'Ivoire vient d'organiser en 1980,
des
~lections l~gislatives libres ou les candidats
n'~taient pas pr~sent~s par le parti. Mais cette
d~mocratisation n'a ,pas conduit au multipartisme.
Il reste que même sous cétte forme,
elle n'est pas
encore le fait de tous les Etats.
Le parti unique est le lot de l~ majorit~ des pays
africains;
i l s'associe ~ l'ex~cutif pour renforcer
le pouvoir "personnel"
du pr~sident de la R~publique.
Dans ses rapports avec l'Etat,
le parti est souvent
pr~sent~ officiellement comme au-dessus de l'Etat. En
tant qu'il repr~sente l'immense majorit~ de la
population ou même ~u'il est le représentant du
peuple,
le parti a un rôle de conception,
d'animation
et de contrôle
i l guide et coordonne l'act~on du
gouvernement;
i l conçoit les normes selon lesquelles
l'Etat doit fonctionner.
A la v~rit~, c'est plutôt l'inverse;
c'est plutôt
le parti qui
est utilis~ comme l'auxiliai,re de
l'appareil
~tatique. On s'en rend compte avec le
fait ~~j~ not~ que dans maints Etats, le pr~sident
de la R~publique est
le pr~sident du Parti •
.. ./ ...

443.
Les
choses sont plus nettes
encore ~uand il y a une
confusion entre l'Etat et le Parti
(c'est le cas
par exemple de la Guinée avec son "Parti-Etat" ou
du Zafre o~ le président du Mouvement Populaire de
la Révolution est "de droi t
président de la République"
(art." 3)
).
De toute façon,
presque partout en
Afrique,
le président de la République a la
prérogative de détenir et de contrôler les canaux
de recrutement du personnel dirigeant;
c'est lui
qui,
souvent,
étahltt la liste des Dembres du
bure~u politique.
Par ailleurs,
le Parti
appa~a!t comme le pourvoyeur
de l'appareil d'Etat en capital humain.
Le Parti
,
est -comme le souligne Bayart a propos du
cas
camerounais
(1)- l'instrument qui permet de regrouper
l'alliance hégémonique que l'Etat recherche et que
l'administration par elle-même ou elle seule ne peut
constituer enti~rement. c'~st son poids au sein de
l'administration
(2)
où.il apparaît comme un"ressort
caché du syst~me"(3) qui permet au parti d'avoir
un rôle de moteur et une fonction
de
contrôle vis-à-vis
de l'administration;
mais en même temps,
c'est aussi
(1)
Bayart
(J.F.)
op.cH.
(2) J.F.
Bayart insiste tellement sur le Daids de
l'administration RU sein du narti qu'il finit
par négliger la dialectique qui
se joue entTe eux.
(3)
Le secrétaire du P:>'ti Démocrati:èue :'e eSte d'Ivoire
. dans Fraterni té-I):;ti:: des 9 et le' aVe'il ~97J

444.
le poids de l'administration au sein du parti qui
permet à lladministration de dominer en quelque sorte
aussi le parti et de diriger l'alliance hégémonique.
Sous un autre éclair.age,
le parti apparaît aussi
comme une "école"
de formation aux idéaux déterminé~
par l'instance étatique.
Les écoles de cadres des
différents partis africains,
et l'action des partis
sur les jeunesses ont pour but de préparer à l'inté-
gration dans les appareils de l'Etat.
Le parti sert
aussi de courroie de transmission des décisions de
l'instance étatique aux masses populaires. Son
organisation,
souvent pyramidale et reposant parfois
aussi sur les ethnies
(cas ivoirien par exemple)
permet à l'appareil étatique d'avoir les canaux
nécessaires pour divulguer ses décisions.
Ainsi,
le Parti promoteur de l'Etat en vient à
être sous le contrôle de l'exécutif et en être
l'auxilia~re. La primauté du président de la
République dans le cadre de la présidentialisation
du régime donne au président le loisir d'avoir la
main sur le Parti,
l'administration et le régime.
Il devient la source de tout pouvoir.
. . . ./ . . .

445.
On vient donc de le voir,
l'Etat,
forti:ié par une
administration à son service,
s'appuyant sur un pouvoir
bureaucratique de plus en plus technocratique et
consolidé par un parti
souvent unique agissant dans
le se~s de la concentration plus grande du pouvoir
dans les mains du chef de l'exécutif,
dispose de tous
les atouts pour se tenir au-dessus de la société et
broyer si nécessaire les individus ou les groupuscules
qui l'affrontent directement.
On saisit dès lors les réflexes de participation de
tous ceux qui ne se sentent pas ae taille à s'opposer
aux pouvoirs en place en Afrique.
Et on comprend aussi
la participation qui n'exclut pas l'opposition ou
l'hostilité larvée de ceux qui n'y peuvent pas grand
chose et se soumettent,
contraints de se faire une
place au soleil de leur pays pour vivre:
ils n'ont
jamais fini
de critiquer ce qui
se fait et ceux qui
le font,
m~me en étant intégrés dans les structures
existantes.
On comprend aussi l'opposition courageuse
de ceux qui décident de mener la lutte pour conquérir
le pouvoir d'Etat. Et on voit aussi pourquoi l'Etat
cherche toujours aussi à intervenir sur et dans la
aociété.
... / ...

446.
b) Domination de l'Etat sur la société et demande
----------------------------------------------
~~~!2~~g~~~~~12
L'Etat intervient dans la vie sociale.
Il intervient
dans l'organisation sociale,
directement par son
administration.
Il est d'ailleurs lui-même une organisation
en 'tant qu'il est et exerce un'e autorité:
c'est lui
qui
conduit les relations internationales et la
vie nationale.
Mais ici,
ce qui retiendra particuli~rement l'attèntion
est le rôle intégrateur de l'Etat et son rôle dans
la société à travers son action économique.
L'Etat africain,
on le sait,
est le principal employeur(l).
(1)
Il est vrai que la situation est un peu différente
dans les pays anglophones d'Afrique comme le Ghana
et le Nigéria.
Les traditions politiques et
économi~ues héritées de la colonisation britannique
ont permis par exemple à des Ghanéens d'embrasser
des activités hors du circuit de l'Etat,
en parti-
culier ceux exercant des professions libérales,
pratiquant le commerce et l'aericulture.
Mais on
doit reconnaître qu'une part considérable de
l'économie a
été récupérée par l'Etat et qu'une
bureaucratie s'est formée
(surtout au temps de
."Krumah)
: par exemple,
le secteur public a
recruté pr~s de trois quarts des 390 000 employés
recensés et connaît une pléthore d'emplois.
Le
Ghana est même obligé de restreindre son recrutement
dans la fonction publique,
comme l'avait suggéré
la Eanque Mondiale
(cf.
~apport de la Banque Mondiale
sur la situation économique au Ghana,
chap.
II
Population,
emploi et éducation au Ghana,
doc.
polygr. 1972)

447.
Et l'évolution du pour~entage des salariés du secteur
publi~ ne cesse de cro!tre (1). Notable aussi est ce que
le recrute~ent dans la fonction publicue coûte à
l':stat
.
En 1970,
par exemple,
la Côte d'Ivoire ve~sait 30 % de sa masse salariale
aux salariés du secteur public.
Or ceux-ci ne
représentaient que 18 % environ des salariés du
secteur moderne et 8 %du total. Déjà,
en 1962,
René Dumont,
dans un article dahs Jeune AfriQue du
12 mars estimait que'n 1961,
60 % des recettes totales
du budget dahoméen étaient absorbés· par le traitement
des fonctionnaires.
Et l'a~cien président Marien Ngouabi
parlant des cadr~s et employés congolais de la
fonction publique les qualifiait de
"voraces qui
consomment les deux tiers du revenu national".
L'Etat ne cesse de développer son rôle d'employeur
et son rôle administratif;
i l assure aussi
l'intégration de la société.
Mais aujourd'hui plus
qu'hier i l a aussi un rôle économique;
et celui-ci
devient de plus en plus important.
(1) Voir Secrétariat d'Etat français aux affaires
étrangères;
structures et statistiques de l'emploi
pour 14 Etat africains et malgaches,
éléments de
statistiques rétrospectives,
série B,
nO l,
statistiques décennales de l'emploi
salarié 1960-70,
Paris,
juillet 1972.
cité par Fatou Sow dans un
. article. inti tulé tlQuelques réflexions
sur la
formation de l'emploi et la distribution des
revenus en Afrique tl in Bull.
de l'LLA.N.
1977
T.
39.
série B,
nO l
p.
12

448.
Ce phénomène est observable dans les pays à orientation
'socialiste mais aussi dans ceux se réclamant du
libéralisme. La Guinée de Sékou Touré,
le Congo,
le Bénin ••.
tout comme le Sénégal ou le Cameroun,
la
Côte .d'Ivoire
(1),
le Rwanda, le Kenya,
etc.
créent
des sociétés d'Etat ou suscitent des sociétés
d~économie mixte.
L'Etat est amené à exercer un rôle économique pour.
plusieurs raisons.
Il existe des secteurs d'activités
où les grands investisseurs privés
(étrangers)
n'ont
pas tendance à s~ manifester. L'Etat doit alors
intervenir. Parfois,
c'est le caractère de service
public de l'activité économique qui
justifie
l'intervention de l'Etat. Parfois aussi,
le souhait
des investisseurs étrangers qui,
voulant l'aval de
l'Etat et sa garantie, l'oblige à se joindre à eux.
Or l'Etat ne peut jouer son rôle économique sans
s'appuier sur les persohnels formés qui lui
"appartiennent"
: i l mettra surtout en avant,
dans
son effort de développement économique,
ses propres
agents.
(1)
A propos de ce pays,
voir l'ouvrage èe J.
Dutheil
de la Rochère,
L'Etat et le développement
.
.
économique de la Cote a'ivoire, Pari8, Pèdone, 1976.

449.
Non seulem~nt il .nommera les dirigeants des sociétés
d'Etat et y emploiera un personnel important, mais
c'est lui encore qui,
de différentes manières,
permettra la promotion des nationaux dans les affaires,
même privées.
C'est lui qui favorisera tel homme
d'affaire plutôt que tel autre,
par son appui pour
l'octroi de crédits bancaires,
par la passation de
commandes de gré à gré ou même par l'attribùtion de
quasi monopoles dans
certnius domai~es. Et par ailleurs.
comme les différents
"manaaers"
des sociétés d'Etat
o
ou nes sociétés d'économie mixte,
sans perdre leur
statut initial d'agents de l'Etat,
se retr6uvent
dans les affaires,
c'est encore indirectement
l'Etat qui
joue un rôle économique.
Même la
"bourgeoisie" nationale sort aussi des rangs des
fonctionnaires de l'Etat.
du moins en grande partie.
Ainsi donc, i l apparaît clair que l'Etat a un rôle
prépondérant dans les soci~tés africaines: non
seulement par son administration i l fait vivre la
majeure partie des citoyens formés dans les
écoles
et universités,
mais i l intervient de façon directe
dans le développement éconoDique.
Il contrôle ainsi
pratiquement la société~ d'autant qu'il tente de
gérer "le système d'action historique"
en intervenant
dans les rapports entre les
classes ou en se
substituant même à celles-ci;

450.
de contrôler le système politique et d'étendre
son appareil à l'administration de tous les domaines
de l'organisation sociale.
L'Etat s'identifiant en effet à la volonté collective
prétend parler au nom du peupJ.e et pour le développement
économique à l'avantage de toute la nation. S'il admet
des actions de classe et de masse qui accompagnent
son action,
i l
combat les luttes sociales qui
se
dirigent cont~e lui. A cette fin d'ailleurs, i l
essaie de contr51er le syndicalisme. Parfois m&me,
i l crée ou organise son syndicat par le truchement
du Parti.
Ainsi,
des syndicats de travailleurs sont devenus
des· sous-sections de partis uniques.
La Côte d'Ivoire,
à partir du Jème congrès du Parti Démocratique de
Côte d'Ivoire,
a
créé l'Union Générale des Travailleurs
de Côte d'Ivoire
(llG.T.C.I.) en 1961 pour être
l'unique centrale syndicale des travailleurs;
l'U.G.T.C.I. est une sous-section du parti. Le
gouvernenent malien a la main lui aussi sur
l'Union Nationale des Travailleurs du Mali
(U.N.T.M.).
D'autres pays font Ge mê=e. Parfois,
l'effort
d'intégration a
conàuit à désirer contrôler aussi
les enseignants et la jeunesse.
... / ...

451.
Le Syndicat National de l'Enseignement et de la
Culture S.N.E.C.) au Mali et l'Union Nationale de
la Jeunesse du Mali
(U.N.J.M.)
ont eu,
le
~remier,
des démêlés avec le gouvernement pour ne s'être
pas montré
docile,
et l~ second pour ne s'être
pas révélé assez dynamique dans la mission qui
est.
la sienne de "tenir" les jeunes.
Bref,
l'Etat qui parle au nom du peuple et de la
nation se veut intégrateur.
Son rôle est d'autant
plus considérablequ'il
réussit à li.miter l'action
des
classes ou à se soumettre une classe
(plus
dominante que dirieeante)
qu'il crée,
contrôle.
Pour avoir la mainmise sur la société,
l'Etat est
obligé aussi de jouer un rôle répressif très
important qu'il
complète au besoin par un effort
d'intégration idéologique en insistant particulièrement
sur les notions d'intérêt général,
de sacrifice
de l'Etat,
de discipline,
d'ordre,
d'unité nationale,
de dévelqppement .•. En fait
son action politique
et idéologique ne vise qu'à le renforcer,
d'autant
qU'intégrateur et modernisateur,
i l doit d'une part
répondre aux attentes de la bourgeoisie extérieure
s ' i l veut continuer à bénéficier de ses
I!faveurs!!
(donc être répressif),
et d'autre part exercer
... / ...

452.
efficacement une ~onction redistributrice pour
s'assurer une clientèle importante surtout dans
"classes' moyennes!! notammpnt dans les élites
intellectuelles.
A~ to~al, l'Etat en Afrique noire occulte la société
et tente même de produire une rhétorique pour réunir
les éléments opposés ou contradictoires de la société,
une rhétorique sur l'unité nationale pour couvrir
les dialectiques so~iales, les conflits entre les
acte~rs. sociaux, les tensions entre les éléments
des divers
milieux sociaux.,
On est obligé de reconna!tre tout de même que c'est
en masquent les conflits de classes,
les relations
politiques .•• qu1il réussit au moins .en partie'~
relier tous les niveaux de la réalité sociale et
~ provoquer le sentiment national, ~ créer le
sentiment de vivre dans une communauté qui n'est
rien d'autre que ce qu'on appelle la nation.
C'est dans un tel
contexte général de l'Etat
intégrateur et relativement puissant -malgré sa
faiblesse économique
(même si sur le plan national
i l intervient économiquement)- que se pose la question
de la participation des intellectuels au pouvoir •
.../ ...

453.
Cette quest~on, nous avons essayé d'y répondre
tout au long de ce chapitre.
Les éléments de réponses
peuvent être ~amassés ici dans
une
conclusion.
CONCLUSION
L'omnipotence et l'omniprésence et la prévalence de
l'Etat à tous lesniveaux de la réalité sociale conduisent
naturellement beaucoup d'intellectuels ou les
détenteurs de connaissances professionnelles monnayables
à ne demander qu'à investir leur capital de savoir
et à
se faire une place au soleil de la domination
sociale. Parmi les plus ambitieux,
arrivisme,
opportunisme et carriérisme sont des éléments d'une
stratégie visarit à se faire admettre dans le "ciel"·
des parvenus;
l'activisme politique dans le sens
voulu par le parti et le gouvernement, la transformation
de soi
en chantre et idéologue du gouvernement,
du
parti et de leurs oeuvres,
réussissent aussi à ceux
qui s'y adonnent.
.../. ..

454.
Et quand on est déjà dans la sphère du pouvoir,
toute
la stratégie consiste à
chercher à grimper et toujours
grimper.
Il semble que ce soit devenu une norme
aujourd'hui que l'intellectuel qui n'est pas au
gouvernement fasse lui aussi de la politique,
et
cela pour entrer au gouvernement.
Ce phénomène a
été constaté aussi par Cosio Villegias pour le
cas des rapports
"Intellectuels ct Etat au Mexique
au XXème siècle"
(l).
Quant à l'Etat,
sa volonté de s'allier les intellectuels
repose sur le besoin d'ass~rer une intégration
nationale,
de se "garantir une autonomie par le
moyen d'une bureaucratisation qu'il domine,
sur le
besoin qu'il a d'eux pour la modernisation du
pays et sur la nécessité de trouver én eux des
appuis intérieurs à la domination extérieure ou de
les impliquer dans les décisions qui fixent les normes
et les attentes légitimes conformes aux intérêts de
la classe dirigeante et dominante ;
(1)
Cosio Villegas "L'intellectuel mexicain et la
politique"
in Intellectuels et Etat au Mexique
au XXème siècle, Edit.
C.N.R.S.
1979,. p.
15

455.
ce qui lui permet d'assurer le contrôle social
de manière efficace et de se dispenser d'une
opposition solide.
V~is doit-on s'autoriser à penser que les
intellectuels sont condamnés à la participation et
à l'intégration? Ne mènent-ils pas
(ou du moins
certains d'!entre eux)
une lutte contre les pouvoirs?
Comment celle-ci se manifeste-t-e11e ? et que
signifie-t-el1e ?


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Sous la direction de M. le Profe.situr Alain TOURAINE
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456 ..
IVème PARTIE
LES I:JTELLECTUELS CONTRE LE POUVOIR

457.
INTRODUCTION EN FORME DlHYPOTHESES
L'objectif poursuivi ici est d'interroger tou~es les formes
de conduites d'opposition des intellectuels f~ce au pouvoir
pour essayer d'expliquer pourquoi et comment ceux-ci sont a~enés
à agir et à s'exprimer contre le pouvoi~et d'analyser la
portée de ces condl1ites.
l
- Les intellectuels', par le capital culturel dont ils
disposent, par leur éloignement de la prod~ction matérielle.
par le fait qu'ils n'ont pas de base 4conomiq~e qui ali~ne
leur indépendance d'esprit, par le~r iden~ification à des
couches et classes qu'ils identifient à l'~istoricité,
sont
des personnes qui ont la faculté et le loisir de s'attacher
aux orient~tions sociétales et àdes valeurs.
Ce qui leur
permet de se poser en conscience de la société et de pouvoir
exercer un regard critique sur celle-ci.
Or à leurs yeux,
les pouvoirs en Afrique transigent aujourd'hui
avec des idéaux et des valeu~s pour lesquels les peuples se
sont battus pour se libérer du joug colonial et "bradent"
l'indépendance chèrement acquise.
a1 Ainsi,
la contradiction entre la domination économique
extérieure et la situation sociale nationale vécue
(qui
se traduit par une marginalisation et une exclusion
caractérisant l'impuissance des sociétés africaines
dépendantes à faire participer une grande rartie de la
population à la croissance économique) entraine une réaction
des intellectuels à la dépendance.
Cette réaction s'exprime
c6ntre les pouvoirs en place à travers tin nationalisme et
un anti-impérialisme m~lés (les pouvoirs étant considérés
co~me BU service de l'impérialisme) ou ~ tr~vers un
populisme révolutionnaire.

458.
bl D'autre part, la d~pendance ~ l'~gard de l'ext~rieur,
exigeànt qu'~ l'int~rieur règne un orêre rassurant pour
les cr~anciers et les investisseurs, entraîne du côt~
du pouvoir la recherche de l'hég~rr,onie, un certain
absolutisme pour avoir une emprise totale
sur la soci~t~
'ce 'qui met ~ rude ~preuve un certain démocratisme chez
les intellectuels.
Ils
en appellent alors
~ la liberté
d'expression,
~ la d~mocratie pour s'exprimer, pour parler
au nom de ceux qui ne peuvent pas pre~dre la parole,
et se
porter du
coup en contre-poids ou
contre-pouvoir face ~
l'arbitraire du pouvoir;
celui-ci,
pour affaiblir ce
contre-poids,
abs~rbe une partie importante de ceux qui
S'uPFosent à lui ou mènent des actions
cr~tiques contre
l u i :
du coup,
l'opposition et la
cri~ique face au pouvoir
deviennent aus~i un ~oyen d'y avoir accès.
2 -
Face aux difficultés et auxcon~radictions dans lesquelles
les
sociétés
s'emp~trent~ certains parmi les intellectuels
ne voient dé
solution
possible
aux p~oblè~es que
dans un changement radical,
dans une rupture r~volutionnaire
d'avec le système capitaliste qui pèse de tout son poids
sur
ces sociétés.
Plus d'un int~llectuel est aidé dans cette
manière de voir par son adhésion ou sa sensibilité au
marxisme qui parait être une th~orie capable d'expliquer et
de d~voiler les mécanis~es v~ritables de la domination
ext~rieure et int~rieure.
3 -
Pour dire alors qu'ils
sont contre le système capitaliste,
beaucoup d'intellectuels affirment leur pr~îérence pour le
socialisme •
. Telles sont les directions que l'analyse va suivre pour
essayer de
comprendre les
conduites d'opposi~~on au pouvoir
che: les intellectuels.
... / ...

459.
Quatre chapitres composeront cette quatri~me partie :
o\\~
- chapitre l
Le nationalismefintellectue$ ou l'appel à
l'Etat national
chapi tre II
Le libéralisme démocratique des intellectuels
- chapitre III: Le désir de révolution chez les intellectuels
- chapitre IV
Le socialisme des intellectuels
... / ...

460.
CHAPITRE l
LE !IATIOUALISME DES INTELLECTUELS OU L'APPEL A L'ETAT NATIONAL
Ce dont il est question ici n'est pas un nationalisme au
sens de phénomène de refus d'autrui,
de repli sur soi en
relation avec les querelles de frontières,
de visées
expansioflnistes. Il ne s'agit pas non plu~ tout à fait de
phénomènesr.~tionalitaires, dont parle Abdel Malek (1) au
sens de phénomène de libération nationale dans lequel
"la lutte ~enée contre ~es puissances impérialistes ?~cc~ation
se propose pour objectif -par del~ l'évacuation du territoire
national,
l'indépendance et la souveraineté de l'Etat
national,
le déracinement en profondeur des positions de
l'ex-puissance occupante- la reconqu~te du pouvoir de
décision dans tous les domaines de la vie nationale". Dans
ce cas,
c'est l'Etat national qui s'appuyant sur les forces
sociales se fait nationaliste pour lutter contre la
domination extérIeure et la colonisation ou le néo- col:mialisme.
Mais après l'indépendance, l'Etat peut vouloir occuper toute
la zcène politique, devant des mouvements sociaux affaiblis
par l'absence de liaison directe entre la grande masse de
la population et les centres de décisions économiques et
tenter de se faire plus ·fort encore en rétablissant un lien
privilégié avec le néo-colonialisme. Alors une oppositioll
qui prend une
orientation de classe sourd et se développe
contre lui,
d'abord diffuse,
mais n'en proteste pas moins
contre la domination extérieure et intérieure. Les hommes oui
parlent au nom de ceux qui ne peuvent pas toujours s'exprimer
sont les intellectuels. Ceux-ci en appellent à la réappropri-
ation communautaire de la spécificité culturelle nationale et
à la restauration de la collectivité; ils en appellent à
un Etat véritablement.national qui assure la modernisation
. .
et le 'c::angement au. service premier des intérêts nationaux
les dirigeants et les agents proprement étatiques sont alors
décriés com~e traîtres à la lutte victorieuse du peuple
(décolonisa"':,ion) et à la nation (à bâtir) sabotée et "bradée t1 •
(1) Abdel-l'~2_lek (A.) LI'. ~ial~(~tLlue
sodale, Paris,
l J~.~,

461.
Tel est le sens profond du nationalisme postcolonial des
intellectuels face à leurs Etats.
Ils expriment la mise
en cause de ceux-ci à travers des prisas de position et des
actions syndicales.
Ce chapitre comprend trois sections portant respectivement
sur le nationalisme tel qu'il apparaît à travers la
production littéraire des intellectuels,
sur le nationalisme
des étudiants à travers la vie et les documents de leurs
organisations et sur le nationalisme des enseignants à
travers leurs luttes syndicales.
SECTION l
LE NATTONALISHE .DES INTELLECTUELS A TRAVERS LEUR PRODUCTION
LITTERAIRE
0)
La littérature est un des lieux où s'est abondamment
exprimé le nationalisme des intellectuels.
Celui-.ci y
éclate presque partout.
Mais i l n'est retenu ici que
quelques-uns de ses nombreux aspects développés par les
écrivains,
que sont la critique du pouvoir au nom de la
déception du peuple après les indépendances,
la mise.en
cause de ,l'Etat à travers
sa carence et sa défaillance
devant les problèmes sociaux,
la critique de
sa collusion
avec la bourgeoisie nationale,
qui porte préjudice au
peuple,
sa volonté de duper le peuple par un traditionnalisme
de façade.
... ./ ...
'
(1) Quand 6ela
est apparu nécessaire,
des textes
chantés
par des artistes ont été utilisés.
L'exernrle urécis
. est celui du disque intitulé
"OT-,pression'"
du
c 1]anteur
P. Akenrtengué
. De m~rne des r~fé~8nc8s ~ des essais
sont faites.
L'exemple précis est celui
de l'ouvrage
" Les d a ru TI é s deI a ter r e" d e Fra n t z Fan (' ~1 •

462.
Rappelons d'en~rée de jeu, à propos de l'utilisation des
textes d'oeuvres littéraires~ qu'il ne s'agit pas ici
d'en faîre une "étude littéraire" intéressée directement
par la question du ni veau d'intervention dEs ~)er3)r.Lragesdarn
le te;.,.+ue, à. :RIaiT qli parle, ql1i voi+;
Pour cette· étude socio-
logique
où la littérature n'est qu'une source, le contenu
linéaire du texte prime le problème du niveau d'inter-
vention
des personnages.
l
- Un peuple trahi et déçu
L'i~dépendance pour laquelle tout le peuple s'est battu
.
a vu monter au p'ouvoir des Africains a la place de leurs
maitres d'hi~r. C'était pour le peuple l'espoir d'une
n0uvell"- vie et de conditions d'existence autres. De
l'avis ~e beaucoup d'écrivaiQS, le désespoir aujourd'hui
s'est emparé de ce peuple. Par la faute même des ilir~em±s.
Uniquempnt prêts quand il s'agit de "servir l'étranger"(l),
ils sont "si occupés à se hisser pour chier à la face de
leurs frères"
(2) qu'ils semblent nlavoir jai:l9.is eu
d'ambi+,ion ql1e d'êtr'e au pouvoir. C'est ce,que critique
Gatsé dans Sans tam-tam de H. Lopès (3)
: "Nous nous
jetons sur le pouvoir pour le pouvoir, écrit-il. L'esclave
ne s'affranchit plus pour libérer de l'esclavage mais
pour deyenir ma!tre d'esclaves"
. C'est la même
affirmation dans La nouvelle romance du même auteur (4)
il est question de "démasquer les nègres qui profitent
de la faiblesse des Indépendances, pour opprimer notre
peuple .•• en s'alliant avec nos anciens ma!tres'~
... / ...
(1) Mongo Beti, Perpetue, Paris, Buchet-Chastel, 1974,~.0
(2) Ayi Kwei Arrnah, L'âge d'or n'est Das Dour demaiJ,
Paris, Présence africaine, 1 07 6, p. 97
(3) Lopes (H), Sans tam-tam, Yaoundé,
Ed.
C~E, 1975,p.59
(4) Lopes
(H), La nouvelle romance, Yaoundé, Ed.
CLE, 1976
P .192

"e' étai t (donc bien)· à cel? qu'on a vai t abouti, non pas
supprimer le scandale antérie-ur, mais permettre à quelques
Africains de se hisser plus près de leurs anciens maîtres
et de s'engraisser la panse comme eux.
Voilà ce qui avait
été l'unique but",
se dit "l'homme"
dans L'§ee d'or n'est
pas pour demain d'Ayi Kwei Armah
(p. 146).
Et pourtant, l'espoir d'une vie rr.eilleure et pleine de
justice était grand pour le peuple quand les Africains
ont pris le pouvoir. Un grand espoir,
au dire de "Maîtr~"
qui a
"vu les hommes arracher les voiles qui cachaient la
vérité".
"Mais ensuite, quand ces m~mes hommes ont enfin
tenu le pouvoir entre leurs mains,
ils ont tro~vé ces
voiles bien utiles.
Ils ep ont même fait d'autres et la
vie n'a pas changé".
En fait,
"tout ce qui est arrivé est
que certains, avec le temps,
sont devenus différents. Rien
d'autre. Après une jeunesse passée à combattre les
Blancs,pourquoi, en vieillissant,
le Président ne
découvrirait-il pas que son but véritable a toujours été
de ressembler au Gouverneur blanc, de vivre au-dessus; de
tOIJte cette négraille /
...
/ Et les ~utres, pourquoi
n'en feraient-ils pas autant? Qu'est-ce qui leur interdit
d'envoyer leurs enfants à l'école en Europe? Et si le
menu fretin qui entoure les puissants peu~ envoyer ses
enfants dans les écoles internationales, pourquoi pas?
En effet, '~'est toujours pour la m~me chose que tout le
monde lutte i c i :
c'est pour ressembler au Blanc. Tous
les anathèmes contre les Blancs n'étaient pas des cris
d~ haine, mais des cris d'amour. Amour dénaturé, mais
amour tout de m~me"
(idem p. 109-110). Eh oui,
"des
hommes à qui on avait donné le pouvoir parce qu'ils
avaient su protester contre
la civilisation asservissante
de l'Europe /
.•.
/
ces m~mes hommes /
•••
/
aujourd'hui
se servent du m~me pouvoir·pour perpétuer la m~me
6ivilis~tion asservissante (idem p. 172).
. .. / .... ·

l, 6L .
La d~ception imm~nse est ~ la mesure de l'esp~rence.
En effet,
"nous attendions dans ce pays des choses grandes
et belles, mais tout ce q~e nous avions, c'était nos frères
noirs qui arboraient une bedaine toute neuve et faisaient
des pieds et des mains pour que les Blancs leur permettent
de grimper sur notre dos.
Ces hommes qui auraient dû
gtre nos guides pour nous sauver
11
(idem p.
96).
Le
drame
est
que,
malgré l'indépendance et en dépit
du "bonheur"
des profiteurs,
pas" grand chose n'a changé
la situation ante de la domination
(extérieure) est
pratiquement la même.
Assez vite,
effectivsment, après
quelques années d'exp?rience de l'ind~pendance~ on allait
réaliser,
pense "l'horr:me" de L'â"e d'or :,'est Das Dour
d"'main que "nos maîtres étaient les Blancs ; nous
commencions ~ le savoir" ; que "ceux qui offraient d'être
nos guides avaien~ aussi les Blancs pour maîtres"
(i bille:::)
Et les coups d'Eta0 militaires n'allaient pas ch~nger
la situation.
Pas pour le peuple en tout cas,
au dire des
écrivains. Pour lui, un coup d'Etat signifie le plus
souvent que "maintenant d'autres ventres vont pou~oir se
goinfrer ~ en éclater "avec les richesses du pays" Cl). Tout
le monde sait en effet que "ce serait une erreur, une
énprme erreur de croire /
.•.
/ que ce changement allait
apporter quelque chose de neuf. Dans la vie de la nation
elle-même, il n'y aurait peut-être vraiment rien de neuf.
Des hommes nouveaux auraient ~ leur tour entre leurs mains
le pouvoir de voler les richesses de la nation et d'en
user à leur profit. C'était évidemment à cela qu'il fallait
s'attendre. Des personnages nouveaux se serviraient de
l'autorité de l'Etat pour se débarrasser des hommes et des
femmes qui leur phrleraient sans flagornerie.
Il n'y aurait
rien de diffé~ent. Ce ne serait que la continuation des
moeurs .•• "
(2).
(1) et
(2'
Ar:"h (:.;:.'
or.cit.
pp.
l~l eT 186

Et les
coups ~'Etat n'apportent rieL d'&utaLt qu'ils
sont souvent le fait de militaires téléguidés ou ambitieux.
En e'ffet,
ceux-ci,
"quand la puissance étrangère qui
fournissait les guides en avait ainsi décidé ... " (1),
ou désireux eux aussi d8 goûter aux joies et ~ l'ivresse
du. pouvoir,
s'en emparent sans a,oir aucune idée de ce
qu'ils vont faire.
Ce drame est évoqué par T~hycaya U Tarn'~
d
L
d
t .
l '
d
, , ' .
1 " . '-
p ' k
.
ans
e
es ,ln g orleux
u ;':'irec~~a
.. nJ.Y.:on ,,":!l u.
prlnce
qu'on sort. Nnikon Nniku
(la signifi~ation du nom se
laisse aisément devÎ" er (2).
soldat de 1ère classe, capor-d,
devient à la faveur d'un coup d'Etat,
Mar~chal, Président
de la F4publique,Père de la nation.
Il
installe un
régime de "régr~ssion nationale"
dc~t la gr~nde origi-
nalité pst la suppression du travail et l'appauvrissement
radical du peuple.
Le caporal Shese, pour le plaisir de co~rnander, lui aus~i,
orgé)ni~8 un putsch, "sort"
sans coup férir le Maréchal,'
le;::llide suprême,
et se nomme Ilc~1ef de l'Eta.t, Président
de l.a r.épublique
, Président du Conseil des :~inistres,
Président du Comité Militaire Révolu~ionna~re".
Tout comme Tchycaya,
c'est la mégaloDanie, l'ivresse du
pouvoir,
le culte de la. personnalité, la bêtise et la
désinvolture des "guides providentiels"
qui instaurent
des dictatures ubuesques que Sony Labou Tansi dénonce
dans La vie et demi~ (Seuil 1979) et ['Etat honteux
(Seuil 1981).
. .. 1...
(1) Sony Labou Tansi~ La vie et demie, Seuil 1979, p. 175
(2) Nnikon Nniku = ni con, ni cul

466.
A l'ambition et à la bgt1se qui caract~risent certains
dirigeants,
militaires ou non,
s'ajoute parfoi~ chez
certains,
l'oppression du peuple -tout comme autrefois.
Elle ne devrait pas exister puisque c'est contre elle
que le peuple s'est battu. Or,
à en croire le chanteur
compositeur gabonais Pierre Akendengu~, dans un disque
en langue my~n~ intitul~ Oppression, les maitres de
l'Afrique se montrent les dignes h~ritiers des maitres
d'hier.
Voicil a traduction de ce qu'il
chante
"Hourrah !
Toi l'oeil,
quand tu as vu
Eh bien
c'est que tu as vu
Hourrah
Toi qui as vu tant d'oppression sur la terre
Africaine depuis deb g~n~rations
R~jouis-toi avec nous aujourd'hui
Bravo ! bravo
!
bravo
!
Enfin l'oppression prend fin,
bravo!
Mais,
regarde bien. nous avons à notre tgte
Un monstre.
Hourrah
Toi,
la bouche,
chaque fois que tu as· pu
Tu as d~nonc~ à haute voix l'oppression sur
La terre africaine depu~s des g~~~rations
Chante avec nous aujourd'hui
Bravo
! bravo
! bravo
!
Enfin,
l'oppression prend fin.
bravo!
Mais crie-le.
nous avons à notre tête
Un monstre.
La traduction française d~. ce chant existe sur la
pochette du disque.
... / ...

467.
Hourrah
!
Toi l'oreille,
toi qui as toujo~rs ~t~ attentive
Aux cris de d~tresse du peuple opprim~ d'Afrique
Entends ce jour la clameur populaire
:
Bravo
bravo!
bravo
!
Enfin l'oppression prend fin,
bravo!
Mais ~coute bien, nou~ avons à uotre tête
Un monstre. "
Mais on ne revient pas à la situation coloniale ou on
ne la continue pas sans être oblig~ de prendre des
dispositions utiles.
Voilà pourquoi,
explique-t-on dans
La vie et demie,
la.n~cessit~ se ressent de se faire
prot~ger par les maîtres d'hie~.
C'est qu'à la v~rit~, ".tous ..les petits souverains
africains sont inquiets
. . .
Ils r~pondent à la confiance
du peuple par la brutalit~. Ils s'ioaginent que tous
les citoyens sont rong~s du même d~sir qu'eux et
brûlent de leur succ~der sur le trône"
(1).
Comme on le voit,
la litt~rature n'est pas tendre avec
les dirigeants africains
:
ils sont directement mis en
question et le nationalisme qui les anioait au moment
de la lutte pour l'ind~pendance est mis en cause; on
.se met à douter qu'ils aient jaoais voulu d'une Afrique
vraiment ind~pendante avec un peuple souverain, aux·
commandes de sa destin~e. Aujourd'hui,
on va jusqu'à
se demander:
"Combien de temps encore l'Afrique
restera-t-elle afflig~e de ses dirigeants ?"
(2)
... / ...
(1) Makouta-Mboukou (Jp),
En quête de libert~, Yaound~,
1970, Ed.
CLE,
p.
124
(2) A.K.
Armah,
op.
cit.
p.
96

468.
A en croire Giambatista dans L'errance de N'gal
(1)
"Dans les
conversatio~s capt~es par-ci par-l~, on
entend dire:
"L'exploitation du N~gre par le N~gre 6St
pire que celle de
ce dernier parle Blanc.
On a beau
scruter l'horizon,
le
jour ensoleill~ ne semble pas
se pointer. Pour obtenir l'ind~pendance, on chargeait
le colon de tous les péchés.
Aujourd'hui,
après 18 ans
d'indépendance,
nous
so~mes au fond de l'ab!me, ~ une
profondeur jaDais atteinte au temps de la colonisation.
Des dynasties
se succèdent ~. une cadence de caméléon.
Les foules
sont jour et nuit conviées Q chanter les
louanges des gestionnaires,
hon~eur ~ nos seigneurs";
(p. 67)
Mais que font-ils
ces seigneurs pour les pays arricains ?
La réponse de Giambatista est incisive
:
"Pol~tique
de parade,
de prestige
! Le développement? Ce sont
des audiences,
des pèlerinages auprès des
"frères et
anis",
des prises de contact sans f i n ;
/
.•.
/
les
mises en scène
consoDrnées de
subterfuges dilatoires
qui détournent l'attention des questions les plus
élémentaires pour la gestion du quotidien"
(ibidem)
, ,
La critiqué des dirigeants africains est severe.
Elle
est faite
par les intellectuels au nom et ~ la pl&ce
du peuple qu'ils co~sidèrent comme tr~hi par ceux
qu'il a hiss~au pouvoir. Aux yeux de ces intellectuels,
l'Afrique méritait meilleur sort après
sa lutte hérorque
contre la domination coloniale.
.../ ...
(1) N'gal
(M.a M.)
L'errance,
Yaoundé,
Ed.
CLE,
1979,
p.
67;

C'est
pourquoi
certains d'entre eux,
comme l'écrivain
nigérian Wole Sonynka,
sont vraiment amers et durs
vis-à-vis des. hommes au pouvoir en Afrique,
au Doint
de condamner toute
"lune de miel"
e;Jtre les intellectuels
et le3 dirigeants.
Il déclare précisément:
"Je n'ai
jamais accepté qu'il puisse y avoir une lune de miel
entre
les écrivains et les hommes p81itiques qui
sont
définitivement des ennemis du peuple et' non seulement
~~ nos peuples mais des ennemis de l'hu~anité". Il
poursuit:
"Alors,
les écrivains n'ont pas d'autre
choix que de révéler par des paroles nettes dans
divers media dont ils disposent l'injust~ce de ces
personnalités dirigeantes
'1(1).
Les dirigeants .sontcritiqués pour "out,
comme' on le
voit pncor~ dans Vive le Pr~sident, la ~~te africaine,
Je Daniel Ewandé
(Paris,
Albin ;"ichel 1?68)
ou dans
la pi~ce de MaximeN'Debeka,-Le Pr?sident (Honfleur,
P.J.
Oswald, 1970).
En fait,
par delà les dirigeants,
c'est contre l'Etat
lu;-même ques'él~ve la protestatior. des intellectuels
écrivains.
Mais l'Etat,
c'est -comme le fait remarquer Poulantzas
(2)- l '
"Etat-instrument" aux mains et au service de
la classe dominante
et' dirigeante qui en tire profit,
~yant renoué avec l'ex-colonisateur, et
c'est
aussi
"l'Etat-sujet"
qui,
en principe,
est instance de
rationalité de la société civile.
Or l'Etat-instrument est critiqué par les écrivains,
comme nous le' verrons,
en même temps que l'Etat-SUjet
celui-ci est attaqué pour sa défaillance et sa carence
au niveau de
son rôle d'Etat gestionnaire ou d'
"Etat
fonctionnel"-
pour employer une expression que préf~re
Burdeau
(1)
viole Sonynka,
Interview in Afri:·:a,
revue ce2 r-i31i;r.:
afro-allemandes,
19~7. vol. XVI=I,n c 4,~. l~
(2)
Poulantzas(N),
Crise de l'E-:-at .?aris.Pl'?lCl';'6,pr 38 -30

·470.
2 - TTn
_
·E""·Ja ""l, lld.. 'f
e a '11
l
an t
et c,;rent'/
~
L'un des appareils sur lequel porte facilement la
critique des écrivains est l'Administration avec ses
bureaucrates.
Dans Afrika Ba'a de Mvomo
(1),
Koli
déplore par exemple le manque de
c~nscience profession-
nelle et de compétence des agents de l ' E t a t :
"Je
connais,
critique-t-il," une armée de gens sans aucune
conscience ni
co~pétence professionnelles. Il n'empêche
qu'ils occupent des hauts postes dans l'Etat.
Ils y
vé~~tent et ralentissent les rouages de la machine de
l'Etat.
Ils sont à peine une demi-heure devant la
porte de leur bureau,
feignant d'être inondés de
travail,
alors qu'en réalité ils bénéficient d'une
véritable
sinécure.
Ils feignent d'ûtre débordés,
ils
jouent les ho~mes surchargés,
vous reçoivent avec une
singulière mauvaise grâce,
lorsque toutefois ils vous
ont accordé cette
suprême faveur de vous recevoir.
Ils cherchent à vous impressionner et non à vous
servir,
à vous effrayer et non à vous renseigner ou
vous
conseiller".
Dans le même roman,
Kamara~ lui, a
fait l'expérience de
se faire
éconduire brutalement par
un fonctionnaire qU'il a dérangé,
tant le fonctionnaire
était absorbé à ne rien faire.
Kamara aura eu le
temps,
cependant,
de constater que
"les deux autres
collègues étaient sortis.
Leurs tables en ordre
prouvaient qu'ils
n'avaient fait qu'une apparition
furtive à leur travail".
"Peut-être,
se dit Kamara,
couraierit-ils les quartiers au volant de leur voiture
de service à la recherche des filles
" (2)
... / ...
(1) Mvomo Medou (R) Afrika Ba'a, Yaoundé,Ed. CLE,1969,
p.
75
. (2) Idem,· p. 109

47l.
Les rouages de ~'Administr~tion sont rewplis de gens qui
ne font pa 3
leur travail,
par incomp~tence ou par manque
de con2cie~ce professionnelle .. Parfois,
c'est le pass~ et
le statut de
t'vieux militant",
de
"militant de premi~re heure"
qui
autorisent certaines personnes' à faire n'importe quoi
-du moins à en croire is camarade de Tahirou dans Gros Plan(l)
à propos
du
pr~sident de comit~ :
"Regarde un peu ce que devient ~eplus en plus notre
pr~sident : un vieux baron inamovible qui s'appuie
sur son pass~ de "vieux militant'! pour fauter tant
et plus et rester impuni,
Parti de rien /
.• '
/
il
est aujourd'hui parmi les plus grands propri~taires
fonciers,
sans qu'aucune justification"palpable
vienne amortir l'insolence de ses ~tonnants acquis.
Que ne fait-il
pour se maintenir en place? Il entre,
i l
sort,
i l
se fait corrompre,
i l corrompt.
Il
cherche d~lib~r~ment noise aux militants les plus
int~gres et les plus influeHts du quartier pour
m~dire d'eux et les empêcher ainsi d'acc~der à des
places en vue . . . '!.
Ces travers au
se~n de l'Etat et du parti (unique) se
chargent d'autres maux,
par exemple de la corruption et
du népotisme.
"A N~croville,
apprend-on par: ex::mple dar:s Afrika Ba'a
si vous n'êtes pas le fils,
le fr~re, le cousin ou
/
le Drot~~~ d'un homme influent,
i l vous est difficile

0 .
d'obtenir quoi que ce soit,
et rien moins que le
travail" (2)
Et dans Remember Ruben de Mongo Beti,
on a
cette anecdote
~voquant la corruption dans la police
"Le routiSr glissait donc une
coupure de cinq cents
francs(3)
dans la liasse des papiers qu'il tendait
aux mamelouks;eux,
~mus par le savoir-vivre de leur
interlocuteur,
lui rendaient pr~cipitamment sa
paperasse,
adroitement d~lest~e de la coupure de
cinq cents francs,
et·avec de grands
~clats de rire,
lui
serraient c~nvulsivement la main en s'~criant ;
"Bon voyage,
mon fr~re"(4)
- - - - - - - - -
(1)
OUD2rou
(1),
Gros Plan,
Dakar-Abidjan.
NEA.
1077,
D.
36
(2)
Mvomo,
op.cit.
p.
74
(3)
500 FCFA = 10 FF
(4)~longo Beti,Remember R\\lben.Paris UGE lO/18,1075.p. 233

472 ..
Le thème de la corruption est un thè~e très développé
dans, la
l i ttéra ture des pays africai!ls anglophones.
The
beautiful ones are not yet barn,
du
Ghanéen Ayi Kwei Armah
et le Why are we
so blest ? du m~me auteur (1), le
No 10nO'er at 'Oase du Nigérian Chinua Achebe
(2)
abordent
l~rgement cette question.
Cette corruption des
citoyens est un dra~e lié à la
situation des pays et à l'incapacité de l'Etat à y faire
face.
Et c'est pourquoi
c'est toute la décrépitude du
Ghana
S011S
N'Krumah qui sert de décor à la folie
du
personnage centr.al de This earth,
m, brother de' Kofi
Awoonor
(3):
l'auteur semble soutenir que les travers
dans
les pays africains ont beaucoup à voir avec la
situation de misère et de lu~~e pour la vie qui y prévaut,
elle-mêDe liée en partie à la défaillance des pouvoirs
en Dlaee.
Ces pouvoirs dévoilent leurs limites aussi dans
l'incapacité où ils sont de fournir du travail à tous
les
citoyens pour lesquels les pays ont pourtant tant
dépensé.
La colline du fromager de Daniel Etotinga Manguélé
(4),
le Journal
de Faliou de Mvomo(5),
Une aube si fragile
de Signaté
(6), par exe~ple, rejoignent ?erDétue de
Mongo Beti
(7)
pour dénoncer la carence de l'Etat en
matière d'emploi et pour faire
connaître les difficultés
des diplômés qui n'attendent qu'un travail.
(1)
Ayi Kwei Armah,
The beautiful ones are not yet barn,
(en français
: L.'~~e d'or n'est pas pour demain),
Why are we sa
blest? -- Heine~ann, LO'idon
(2 ) Chinua Achebe, No longer at ease, Heinemann, African
writers
series,
Londres,
1963
(3)
Kofi Awoonor,
This earth,
mv brother,
Heinemann,
African writers series,
Londres
(4) Etounga Manguélé (D), La colline du fromager,
Yaoundé
Ed.
CLE,
1979
( 5 ) Signaté, Une Bl1be si fra~ile, Da~ar-Abidjan, N.E.A.1977
(6 ) Mvomo, Le journal de Faliou, Yaoundé Ed. CLE 1972
(7 ) ;'1ongo Beti, Perpetue, Fal'is Buchet-Cl}astel, 1974

473.
Voici par exemple le sort d'un des personnages de
Psrpé tue de 11 on go Bé ti : "A son 1'02 tour d'Europe,
on l'a d'abord fait courir dans tous les couloirs
de tous les Ministères de Fort-Nègre,
pendant des
mois.
N'ayant pas de nomination, il ne touchait aucun
salaire, naturellement:
sa femme et son fils en bas
&ge mangeaient de moins. en moins"
(p.
212).
Pendant ce temps,
à croire les auteurs, l'Etat,
sous
prétexte de faire bénéficier le pays de l'aide des
assi~tants techniques -mais en fait pour se protéger-
emploie de plus en plus de personnels expatriés
qui
ne sont pas tous exempts d'insolence et de' prétention
toute coloniale
(cf. Le cercle des Tropiques
d'Alioum Fantouré
(1),
Un fusil dans la main,
un poème
dans la poche d'Emmanuel Dongala
(2)~ ni exempts
d'ambition qui peut entrer en contradiction avec celle
de collègues ou de collaborateurs africains (cf.
Gros Plan de Idé Oumarou (3)
).
Tous ces problèmes montrent que l'Etat n'a pas la.
ma!trise de la situation du pays.
Il voudra s'appuyer
sur la bourgeoisie
(nationale ou compradore)
: celle-ci
qui a besoin aussi de lui le dessert en même temps
parce qu'elle est une bourgeoisie '~ux dents longues".
3 - Un Etat en collusion avec une bourgeoisie "aux
dents lon;::ues"
Frantz Fanon a été l'un des premiers à faire observer
que la bourgeoisie nationale qui fonctionne dans les
appareils d'Etat et dans l'économie est un relai de la
.domination étrangère.
(1) Fantouré(A), Le cercle
des tropigues, Paris,
Présence africaine. 1972, p. 157
(:2 ) Dor'?1Jla
c::) , TIn f!JE'dl ,:i.'1n~~ la !"üin. un D00me dans
1:: Î:,o:-he, Par~!\\IGint;licilel, 1973, D. 212
( ~ )
-' . Oè;mar01,l (l,.) , op. ci t. p. 69
.

474.
Il est convaincu qlle
cette bourgeoisie est inapte
au développement national.
Car elle nlest qu'
"une
sorte de petite caste aux dents longues,
avide et
vorace,
dominée par l'esprit gagne-petit et qui
s'accomode des dividendes que lui assure l'ancienne
~uissance coloniale. Cette bourgeodsie ~ la petite
semaine se rév~le incapable de grandes idées .•• "(l)
Cette bourgeoisie qui n'a pas ~ vrai dire les
moyens économiques pour exercer une ,réelle domination
sur la société se contente de ce qu'elle peut avoir
aux
côtés de ses maîtres capitalistes et essaie
d'assurer sa vie et sa sécurité en se soumettant au
pouvoir en place et en faisant de son leader une
idole.
Et cela est d'autant plus facile que l'~tat,
souvent symbolisé par la personne du leader ou du
président,
a besoin d'elle,
lui aussi.
L'analyse de Fanon est tr~s explicite sur ce point.
Il é c r i t :
"La bourgeoisie nationale
tourne,de plus
en plus le dos ~ l'intérieur, aux réalités du pays
en friche,
et regarde vers l'ancienne métropole, .
vers
les capitalistes étrangers qui s'assureht ses
services.
Co~me élIe ne partage pas ses bénéfices
avec le peuple et ne lui permet aucunement de proîiter
des prébendes que lui versent les grandes compagnies
étrang~res, elle va découvrir la néc~ssitédlun
leader populaire auquel reviendra le double rôle
de stabiliser le régime et de perpétuer la domination
de la bourgeoisie
( . . . )(2).
Il poursuit:
"Dans les
pays sous-développés,
le leader représente la
puissance morale ~ l'abri de laquelle la bourgeoisie,
maigre et démunie,
de la jeune nation,
décide de
s'enrichir.
... / ...
(1) et (2) Frantz Fanon, Les damnés de la terre,
P2ris.
Bd.
t·1aspera. 1968,
p.
109
(l~re édition 1961)

475.
"Le peuple qui,
des ann,ée s durant,
l'a vu ou entendu
'parler, qui de loin, dans une sorte de
~
reve,
a
saisi
les démêlés du leader avec' la puissance coloniale,
spontanément fait confiance à ce patriote. Avant
l'indépendance,
le leader incarnait en général les
aspirations du peuple
:
indépendance,
libertés
politiques,
dignité nationale.
Mais,
au lendemain de
l'indépendance,
loi~ d'incarner concrètement les
besoins du peuple,
loin de se faire le pr~moteur de
la dignité réelle du peuple,
celle qui passe par le
pain,
la terre et la remise du pays entre les mains
sacrées du peuple,
le leaàer va révéler sa fonction
intime
:
être le président général de la société des
profi teurs i::Jpa tients da jouir. que
constitue la
bourgeoisie nationale"(l).
La collusion entre l'Etat et la bourgeoisie au
détrim~nt du peuple est dénoncée ici. Cette critique
de Fanon met en lumière le nationalisme des intsllectue1s
ceux-ci acceptent mal que la lutte pour les indépen~ances
et la liberté ne serve qu'à permettre à une classe
dominante s'a~puyant sur l'Etat de s'enrichir sur le
dos du peuple.
Ca nationalisme partagé explique
l'abondance des écrits de dénonciation de la "bourgeoisE
africaine"
: Mongo Beti dans Perpétue
,
Oussou-Essui
àans ~a souche calcinée et Les saisons sèches (2),
Mudimbé dans Le bel immonde
(3), Bamboté dans
Princesse Mandapu
(4),
etc.
ont abordé ce problème.
Tout
récemment,
Bernard Nanga, avec Les chauves-souris
(5)
vient à
son tour d'insister sur l'égorsme cynique des
élites africaines
jouisseuses et corrompues qui
considèrent la femme
comme un objet.
(1) Fre.ntz Fanon,
op.cit.
p.
109
(2) Oussou-Essui - La souche calcinée, Yaoundé, ffi.CIE 1978
_ Les saisons sèches,
Paris,L'Harmattan
M d · b
IVV)
l
b l
<
. '
198 0 . .
u lm e
\\ . c <
" e
e
-Lmmonde,Parls,Presence afrlcalne
1976
Bamboté,Princesse Mandanu,
Paris,PréseJ1Ce africaine
1972
Nanga(B),Les
c::~nve8-S~)l~r-i?,Pa:t'is,?r~~2er:ceaÎr:i.ce.ine

476.
Dans cet ouvrage,
on,voit Bilanga.
haut responsable
du bureau des contrôles économiques,
se livrer à la
course effrenée
pour avoir de l'argent,
sans lésiner
sur les moyens
(corruption,
intim~dation
cf.
son
arrangement avec M.
Chauvin PP.lü3-lü4)
et pour
avancer dans, le pouvoir
(cf.
actès d'allégeance
auprès du parti.
de ses responsables,
en attendant
que la liste des
candidats à la députation soit
rendue officielle;
effort pour avoir pour lui
l'inspecteur Hiloga,
membre du service des renseigne-
ments p.
142
; délation p.
145).
Cette ''bourgeoisie'' qui tient peut-être même son
existence de son rapport aU.pouvoir se met en devoir
de soutenir celui-ci,
de le déf3ndre pour mieux
justifier ses propres privilèges et sa domination.
Ainsi,
Bilanga expliquera-t-il que le gouvernement
prend "toutes les mesures pour enrayer le chômage.
fixer des objectifs nobles à la jeunesse et donner
aux paysans les moyens de sortir de leur passivité
fataliste".
Selon lui,
"l'indépendance était l'affaire
de chaque citoyen.
Les changements devaient s'opérer
selon les mots d'ordre sages des responsables
politiques et économiques,
dans la paix et l'unité.
Le pays avait besoin de calme pour rassurer
l'investisseur étranger.
En attendant,
chaque
citoyen devait prendre en main le sort du pays et
se sentir responsable au lieu d'attendre du gouver-
nement qu'il fit
des miracles". (1)
Le soutien de Bilanga au pouvoir 'en place est total.
Il est pour "une politique saine et réaliste" pour
assurer les changements qui s'imposent et qui ne
s 'a~commodent
pas des
"'instigateurs de révolution"
ceu~-ci doivent être ramenés à la raison ou être
éliminéss'ils ne veulent pas changer.
. .. / ...
(1)
Nanga
(B).
op.cît.
p. S~

1.,77.
Bilanga repr~sente assez bien la classe dominant~
de parve~us, so~~~s
de la misère grâce à l'instruction
et aux fonctions dans les appareils de l'Etat. A côté
d'eux, il y a tous ceux qui constituent ce qu'on veut
appeler la bourgeoisie nationale, une bourgeoisie a
la solde des multinationales. Ngugi critique avec
force celle qui émerge au Kenya ainsi que l'appareil
étatique: à son avis,
cette boirgeoisie et l'Etat
oppriment les couches laborieuses qu'ils étaient
chargés d'aider e~ de représenter
PetaIs of Blood(l)
dévoile jusqu'à quel point ~e Kenya moderne est le
théâtre d'une exploitation éhontée et brutale qui
permet à quelques-uns de s'enrichir et de rejeter
la masse de la p0pulation dans une exclusion et une
~arginalisation plus grandes.
:lgugi croit davantage qu'un Ayi Kwei Armah,
ùn
Kofi Awoonor ou un Wole Sonynka,
à la prise de
conscience des travailleurs,
à leur résistance et
à leur lutte, encore inorganisées, et à leur victoire.
Tout comë.e Senbène Ousmane.
Celui-ci est l'un des premiers parmi les écrivains
africains à s'être attaqué à la bourgeoisie nationale
en Afrique: le ~9ndBt, Vehi Ciosane et surtout Xala
sont éloquents à ce sujet.
(2)
Dans Xala, Sembène Ousmane met en scene un représentant
type de la no~velle bourgeoisie: El Hadji Abiliu Kader
Bèye,
président-directeur-général d'une société
d'import-export.
Abdou Kader vient de prendre une
troisième épouse
mais le jour des noces,
il est
subitement atteint de xala (impuissance sexuelle) •
. . . 1...
( l ) Ngugi
(W.T,) ?etals of blood, Heinemann, African
~riters series,
London, 1979
(2 ) Sembene Cusmane.-Vehi Ciosane suivi de Le mandat
":Jrp"~n('t-'
_
~""'~-.'
,,;ç;
C~_..:.
..... ~~l'nn
I..-.....~
...... ,
1960'
-
X~2:.. Pzrif. Pr~sence africaine,
1 01 'i ~-"
Lem ~..:, '"•• d'-ct ~l· et Xl.a 1 a 0 TI t ' t
e, 'e
tournés en ~ilms : le 1er en 1°68,
le ?ème
t;n 1973.

473.
De consultation de marabout en consultation,
i l
délaisse ses affaires qui périclitent et tombent
en ruines.
Pour le punir d'avoir émis des
chèques
sans provision,
la société des hommes d'affaires
.sénégalais
,
dont i l était membre,
le chasse de ses
rangs.
Ses deux dernières épouses l'ayant abandonné,
i l
se réfugie chez la' première.
Là,
i l voi t
arriver
une longue procession de mendiants et d'estropiés.
Ceux-ci se mettent à l'insulter et à lui cracher
au visage.
Leur
chef lui révèle qu'il est à l'origine
de son xala.
Ces pauvres
symbolisent de toute évidence l'ensemble
des opprimés,
et leur soulèvement,
la lutte des
exploités contre la classe des profiteurs aux côtés
de leurs maîtres capitalistes.
Le xala symbolise aussi l'impuissance politique qui
a frappé depuis l'indépendance la classe politique
et la bourgeoisie s~négalaise, restée étroitement
liées à l'impérialisme français.
Mais le fait sur lequel i l faut insister ici est
bien le rôle de ramasse-miette que
jouent les
nouvelles bourgeoisies en Afrique.
Les hommes comme
Ahbu
Kader servent souvent de couverture à l'exploi-
tation de leur pays,
contents de vivre des miettes
que le~r rapportent leur nom et leur signature.
Ils
sont souvent des pr~te-noms moyennant redevances.
Cela,
Abdou Kader,
dans
son désarroi,
aura à
se
l'avouer et à le flanquer au visage de ses pairs
"Qui sommes-nous? interrogera-t-il 1... 1 De
minables
co~mission~aires, moins que des sous-
traitanës.
Nous ne faisons que de la redistribution.
Redistribuer les restes que les gros veulent bien
. ,
[~T,
d I t
,7
nous
C8:1er.
_,ous
sommes
es
cu s- ,erreux .!.J

47 g.
Les banques appartiennent ~ qui ? Les assurances ?
Les usines
? Les entreprises ? Le
commerce en gros ?
Les
cinémas? Les librairies? Les hôtels? etc,
etc.
De tout cela et autres,
nous ne ~ontrôlons rien 1... 1
Le
colon est devenu plus fort,
plus puissant,
caché
en nous,
en npus ici présents.
Il nous promet les
restes du festin
si nous
sommes sages.
Gare ~ celui
qui
voudrait troubler sa digestion,
~ vouloir dav@J~e
du profit.
Et nous?
•.•
Culs-terreux,
commissio~,
sous-traitants,
par fatuité nous nous disons
"hommes d'affaires Il.
Des affairistes sans fonds "
(l).
La faiblesse d'une bourgeoisie prétentieuse est mise
~ nu et ~ travers cett~ faiblesse, celle d'un Etat
suhordonné ~ ses créanciers et aux investisseurs
étrangers.
Et pourtarit,
dans leur faiblesse,
l'Etat et la nouvelle
bourgeoisie restent solidaires et se portent garants
de l'ordre établi ~ travers une collusion forte et une
assistance mutuelle.
Il est s~mbolique par exemple
que,
pendant que les mendiants
crachent sur Abdou K~er
"les forces
de l'ordre 1... 1 en position de tir"
essaient de circonscrire l'événement qUX limites de
la ville.
La déchéance de l'individu Abdou Kader
n'allait rien changer.
Elle ne
signifie pas que la
classe dirigeante et dominante allait accepter une
remise en cause de l'ordre établi.
Tout sera comme
auparavant.
Par exemple,
la Chambre de Commerce et
d'Industrie allait continuer,
avec l'agrément du
pouvoir et sous la direction des étrangers,
à
organiser et développer la domination d'une bourgeci~e
nouvelle
(2)
sur la masse des pauvres gens~ Du moins
est-ce là la perspecti~e· et la logique des dominants .
.../ ...
(i)Sembpne Ousmane,
XR18,
pp.
138-139
(2)
Le ;!(1nde diplornatiolJP de novemhre 1981
ct
~on2ncrP
cinq pagps
enti~re~ de plusieurs articles
à '~'Afrique des bour~eDisies nouvelles."

480.
Mais ceux-Gi comptent-ils avec le dissentiment
social,
avec la révolte des exploités et des exclus?
Peut-&tre pas beaucoup.
Et pourtant,
la col~re des
mendiants et des estropiés signifie la prise de
conscience de la nécessité de se soulever contre ceux
qui les oppriment.
Nouvelle perspective de luttes
sociales à laquelle sont sensibles ceux qui s'engagent
aux côtés du peuple -du moins idéologiquement.
Il
est certain que la scène de Xala où les nendiants
crachent sur le bourgeois Abdou Kader ne laisse pas
indifférent maints intellectuels par exemple.
Mais
peut-&tre sont-ce davantage le cynisne et la
rapacité d'une minorité à vouloir s'enrichir sur le
dos
du p~uple et de sa sueur qui excitent le plus
le nationalisme de la plupart d'entre eux.
Et ce
n'8st pas .le traditionnal.isme des hommes au pouvoir
qui laisserait se tromper sur leurs intentions
réelles ...
4 - Un pouvoir 011i essaie de don~er le cilange avec
un traditionnalisme de façade
De l'avis de plusieurs écrivains,
beaucoup de
dirigeants africain~ ne s'intéressent à l'Afrique et
à ses pratiques et valeurs ancie~neB que pour autant
que cel~ doit leur servir pour justifier des options,
des positions ou des actions politiques.
Se trompent-
ils
sur les intentions de ceux qu'ils critiquent?
Les dirigeants parlent-ils effectivement au nom de
l'Afrique traditionnelle et de ses pratiques? Que
disent-ils et qu'en disent-ils?
... / ...

Le pré~ident Mobutu du ZaJ:re, au nom de l'authenticité,
déclarai t
effectivement ceci:
"Au ZaJ:re, nous avons
pensé que pour organiser notre Etat sur un modèle
politique adéquat, il fallait recourir à notre
philosophie et à notre conception du pouvoir. Ainsi,
quand, pour l'Occident, la démocratie consiste à avoir
plusieurs partis, nous estimons que chez nous, un seul
parti de masse. englobant tous les enfants du pays,
est plus adapté parce que notre société est une société
de juxtaposition. En outre,- dans aucun village d'Afrique,
on ne trouve deux chefs. dont l'un représenterait la
majorité et l'autre la minorit~ incarnant l'opposition
(1) •
Du même genre à peu de choses près sont
les propos
qu'on trouve dans la littérature dans la bouche de
personnages qui masquent la pensée profonde derrière
la façade de références
à l'Afrioue traditionnelle
7aloiisée
. Ainsi procède le député Tounka dans
Jne
aube si fragile d'Ibrahima Signaté
• Il commence
son réquisitoire contre Kotoko et ses amis du
"Mouvement clandestin d'opposition" en essayant de
montrer d'abord qu'ils sont ingrats et ont failli au
respect dû aux ainés.
Il déclare:
" ••. Oui.
c'est
nous qui avons arraché de haute lutte l'indépendance
de ce pays et ces ingrats voulaient tirer un tra~t
sur cette page glorieuse de notre histoire. C'est
à nos souffrances. à nos sacrifices,
jeunes égarés,
aue vous devez de pouvoir parler aujourd'hui / ••• /
Parce que vous avez fait des études pour la plupart,
vous avez sans doute pensé que vous êtes mieux
aualifiés que d'autres pour exercer le pouvoir? Que
faites-vous de l'expérience?
(1) Extrait du discour3 de Mobutu Sese Seko, Agence
Zalre Presse, Kinshasa, 2/5/75. p.
5 cité par
B. S}ne in Ir.périalisrne et thé~Ties sociologiques
d:} de\\'élc~ __'-:'_,_ ::)nT.·~
.ï8J'lS,
Ant:il~O~J()S, 19/') D • .2/L:.
"
, - '

482.
En agissant comme vous l'avez fait,
vous avez bafoué
les traditions africaines les mieux ancrées dans nos
esprits
: le respect dG ~ux anciens
Et vous
osez vous réclamer de l'Afrique
l'!
(p.
182)
Mais à vrai dire,
ces jeunes sont-ils coupables?
Le doyen Cheikh Tidiane Sall dans Le dernier de
l'empire de Sembène Ousmane
(1),
ancien ministre
de la justice,
passé à la critique du pouvoir,
s'interroge puis diagnostique l'origine du mal social
" •..
Qui sert de modèle à ces jeunes? dit-il.
Une
grappe d'individus légalisée dans la rapine de
l'économie nationale et qui constitue une couche de
privilégiés.
Ces mêmes indi~idus bâtissent leur
fortune
sur la sécheresse;
se ?oulant authentiques,
leurs laius se drap~nt des lambeaux de l'ancienne
culture agonisante"
Ainsi,
avec le
"temps des loups" et la "loi de la
jungle" souligne Niaiseux dans 1.' ,~rrance (2), mê~e
"la solidarité africaine n'est plus qu'un décor
permettant gux oligarchies ré~nantes de mieux faire
couler l'opium destiné à l'avachissement du peuple.
Rompus aux astuces des mises en scène,
ces apprentis
idéologues puisent dans la for~t africaine profonde
et insaisissable la force
solaire pour assouvir leur
qù~te, alimentée par des rêveries de développement.
L'Afrique primordiale symbolisée par la lubricité
originelle,
l'animisme millénaire,
l'éblouissant
envoûtement des
sorciers,
gardiens incontestés d'un
Saint-Graal dont l'existence revendiquée n'a pour but
que de soutenir un intérêt sordidement individualiste,
est ainsi mise sur orbite afin de donner le change
à une incapacité à gérer la chose publique ••• ".
... / ..
(1)' Sembène Ousmane,Le dernier de l'empire,Paris,
L'Harmattan,1981,
t.
l
p.
75
(2)N'gal(M.a M.)I.'errélnce,Yaoundé,
CLE,
1979,
p.
36

483.
La meme critique dlJre et implacable est faite
dans Les voix de tous les peuples de C.Z.
Nokan
(1)
à l'endroit de tous ceux qui,
selon
ces
voix,
exploitent des valeurs africaines à des fins
politiques alors qu'apparemment ils n'y croient
guère,
à er: juger par leur mépris du peuple.
"Les
voix de tous les peuples"
s'indignent et s'insurgent:
"Les bourgeois nous parlent de
culture nègre
pour manger bien,
pour avoir une place
au soleil,
à c5té de leurs ma1tres impérialistes,
pour jouir pleinement de la vie.
Leur négritude ne nous dit pas.
Notre culture,
c'est la solidarité.
Ils nous méprisent.
Ils nous ridiculisent.
Ils ont trahi le peuple.
Ils taraudent la vie des
travailleurs."
Ainsi,
la littérature fait
grief au pouvoir et à
la classe àominante de la manière dont ils se
réfèrent aux valeurs africaines anciennes pour
espérer endormir le peuple pendant qu'ils le
dominent grâce aux normes et comportements
occidentaux adoptés par eux.
Pour nOQbre d'écrivains,
à n'en point douter,
les valeurs
traditionnelles sont des prétextes
utilisés par les hommes au pouvoir pour rejeter
certaines manières de voir le monde qui
contribuent
à (re)mettre en cause l'ordre dominant établi.
(l)r,okan
(Z.C.)
Tes voix de t.ous lesppliDles.
(extrait)
~n Knssa ~yn ~~ssa (reV1Je de l'.t.11st,it,ut
~ - -
à'pt.'~no-"ocil'logie, AbidJan,
juillet 1979,r:o 14
p.U:?

484.
Qu 1 on lise 11o!1sipur le Président,
une nouvelle de
H. Lopès (1) pour se rendre compte du subterfuge.
Monsieur le Président déclare notamment
:
"Tant
que
je serai là et que le peuple aura la chance
de m'avoir pour guide,
je préserverai la civilisatiàn
de l'intérieur face aux influences corruptrices
de
monde blanc et jaune. Le sens de la palabre dialogulie,
de l'hospitalité et lè primat del'être sur l'avoir.
Comment voulez-vous qu'avec le socialisme scientifique
se préserve la joie naturelle de vivre du monde nègre?
Ils veulent détruire notre sens de l'interdépendance
et le respect de l'ainé,
l'essor prestigieux des
styles et le symbolisme ou appartenance cosmique,
la valeur de la foi,
enfin les valeurs audio-\\zis'~s"
(2) •
On le voit bien,
l'auteur se r i t de
ce président
oui refuse
"les influences corruptYicF's" en même temps
qu'il
accepte les supports qui véhiculent les idées
et les canières de faire occidentales sans même avoir
l ' a i r de s'en re!1àre
compte.
C'est qu'à la limite,
tout ce qui l'intéresse et fait
son jeu est afri~ain,
ainsi "les valeurs audio-visuelles".
Sans appel donc est la condamnation du traditionnclisme
des dirigeants africains.
Au dire des
intellectuels,
la référence des hommes au pouvoir aux valeurs
anciennes est une façade et un alibi pour ne pas
organiser correctement le développement national
qui ferait changer les conditions de vie du peuple.
(1) Lopès (H), Monsieur le Président in Tribaliques,
ei
(2)
Ed.
CLE.
Yaoundé,
1971, pp.
88-89

~.8 5.
Et la condamnation -des dirigeants et des
"bourgeois"
est
faite plus par nationalisme que pour rejeter les valeurs
ancestrales.
Les intellectuels semblent contester aussi
qu'on puisse se r~f~rer ~ ces valeurs sa~s du tout
s'int~resser au type de soci~t~ qui les portait. Et c'est
pourquoi le Professeur Giamhatista et so,- dis8iple Niaiseux
dans L-'crrance
(op.cit.)
appellent ~ reconnaitre ceci
"Ce qui faisait la solidit~ des sagesses africaines
traditionnelles,
c'est le fait qu'elles proposaient une
image de l'homme ~ la soci~t~ et que l'homme pouvait s'engager
pour l'ensemble des valeurs qu'elle lui offrait dans le
contexte socio-~conomique d~termin~ qui ~tait le leur.
Aujourd'hui.
l'Africkin se trouve d~sarticul~ : l'h~mme
politique lui propose des
mirages
;
les bases traditionnelles
ont ~t~ ~branl~es par les choses coloniales et n~ocoloniales
et par les illusions des ind~pend5nces'l (p.
57).
Ainsi donc,
alors que les hommes au pouvoir en appellent
~ la tradition, les intellectuels se font modernisateurs
et en appellent ~ l'int~gration, dans une soci~t~ nouvelle.
Ils s'en prennent ~ ceux qui s'appuient pr~cisêment sur
l'~tranger pour maintenir leurs privilèges et qui parlent
des pratiques traditionnelles rien que pour àes fins
politiciennes.
Encore que l~s hommes au pouvoir sou~assez
habiles pour condamner les pratiques anciennes quand cela
les arrange aussi.
... / ...

L86.
Ainsi Eilandadans Les chauves-souris. Après avoir,
à la
d~c~arge du gouvernespn~, soutenu que tous les problèmes
du pays ne peuvent être r~s81us à la fois,
il fait porter
la ~esponsabilit~ des difficult~s à l'obscurantisme ancien.
Selon l'ùi,
"le mal,
c'~tait ... la brousse avec ses
superstitions et ses croyances indéracinables à la magie
et à la sorcellerie. L'Afrique ne s'éveillerait qu'avec
la,disp~rition de cet obscurantisme et de ceux qui le
mai~tie~nent. Mais en attenèant ? On n'allait pas se
priver de manger et de boire un coup parce que les
broussards mourraient de faim par leur propre faute"
(p. 127,)
Ce propos de Bilanga porte avec lui un mépris du peuple.
Et c'est bien dans ce sens qUE les intellectuels ont
tendance à interpr~ter le rapport des homm2s du pouvoir
aux masses populaires. Aussi CEI1X-ci sont-ils combattus
tant dans leur traditionnalisme que dans leur modernisme
les intellectuels critiouent le traditionnalisme pour
mon~rer qu'il est de faç~de et même qu'il constitue une
imL-:e envers le peuple~ ils contestent les critiques que,
les.hom~es èu pouvoir adressent à la société ancietine
alors qu'ils en critiquent eux-mêmes certains aspects (1).
(l)Sur la dot,
voir par exemple Perpétue de Mongo Beti,
Troi~ pr~tendants, un mari, de Guillaume Oyono, Ed. CLE, 1966
Sola ma chérie,
de Philombe,
Ed.
CLE,1966,
La nasse,de
Ndeli-Penda, Ed.
CLE 1971. Sur divers autres problèmes comme
la Folygamie, le régime successorial, le mariage coutumier,
la chefferie traditionnelle,
les funérailles,
voir par
execple Le théâtre populaire en Républioue de Cate d'Ivoire
(ouvrage collectif),
sur les superstitions et la crédulité,
voir Le chant du lac de 3hély ~uenum, Ed. Présence africaine
1965, Bt;ur Tilleen de Cheik N'dao, Ed. Présence africaine,
1972, Perpétue d~ Mongo Beti, Les fils de Kouretcha de
Ake Loba, Ed. Nivelles, ?rancit~ 1970. Parfois ce sont certains
aspects de l'organisation sociale traditionnelle qui sont
critiqués:
cf. La légende d~ ~'Pfoumou Ma mazono de Jean

487:
Dans tous les cas;
i l s'agit d'opposition au pouvoir moins
-,,
par un traditionnalisme intégriste
(1) que par un nationalisme
qui ne tolère pas qu'on prenne prétexte de valeurs anciennes
pour berner le peuple au lieu de travailler à résoudre les
problèmes auxquels celui-ci est confronté.
Vqil~ donc quelques aspects du nationalisme des intellectuels
tel qu'il se laisse dégager à travers leur production
l i ttéraire.
Mais quelle est la signification profonde dece nationalisme?
A quoi ~t à qui en réfère-t-il et en appelle-t-il ? Contre
quoi et contre qui est-il dirigé? Au nom de qui
s'exprime-t-il ?
Le nationalisme des intellectuelS (des écrivains) n'est pas,
semble-t-il,
une opposition ou une action critique qui
cherche à accroître leur emprise sur un champ social
quelconque.
Il s'exprime contre le pouvoir étatique,
contre
la domination extérieure et contre les anprentis-bourgeois
J:(Ç'J~rc'"nc..... l"
"-
nationaux.
Il n'en appelle pasAdirectement à une lutte
sociale de classe.
Il parle au nom de tout le peuple,
même
s ' i l se réfère le plus souvent aux masses populaires. C'est
pourquoi i l s'exprime plus en termes nationaux,
donc de
défense de toute la société ou de la nation menacée,
qu'en
termes sociaux de luttes entre les classes,
de conflits
et problèmes sociaux.
... / ...
(l)Au Sénégal et ailleurs,
i l Y a
des intégristes
musulmans.
Mais l'opposition aux pouvoirs en place en
Afrique au nom d'un intégrisme traditionnaliste,
ne
semble pas être un fait
général,
surtout de la part des
intellectuels.

42-8.
Ce nationalisme est à la vérité un appel à l'Etat, à un
Etat véritablement national qui libère le pays de la
dépendance à l'égard de l'extérieur,
restaure la collectivité
en défendant la communauté nationale et'sa souveraineté,
défende les intérêts nationaux et se mette au
service de
tout le peuple et en·particulier des masses populaires.
Ainsi,
l'enjeu central de
ce nationalisme paraît être
la construction d'un Etat national.
En d'autres termes,
ce nationalisme ne peut être assimilé
totalement à une action sociale de classe au profit de la
Il soc i été
ci vil e ",
mê mes i
les in tell e ct u el s
(é cri v.a in s )
croient mener,
au nom du peuple,
une lutte de
classe contre
la classe dirigeante ou précicément contre l'Etat auquel
i l identifie celle-ci.
Le nationalisme d~s intellectuels,(pollr combattre le
changement social
tel qu'il se produit)
au nom de
l'identité et de la souveraineté nationales
en appelle
à tout le peuple et parle en son nom ; il combat la
domination extérieu~e et intérieure et l'Etat qui ~rétend
créer de nouvelles forces de production avant de laisser
se former des forces
sociales qui lutteront pour leur
utilisation; i l parle
souvent au nom des
classes populaires
et renvoie aux rapports de
classe,
mais i l n'est pas à
proprement parler une lutte de classe,
étant donné d'ailleurs
que les intellectuels ne
sont pas des acteurs de classe
pouvant se substituer aux classes populaires elles-mêmes.
La lutte des
intellectuels qui se ]Xlrte
prioritairement contre l'Etat et
la domination sociale s'exprime
le plus souvent en termes
nationaux d'abord,
défend la collectivité nationale.
Elle
est d'abord politique même si elle a un accent de classe.
Elle inte~pelle l'Etat existant et en appelle à la
construction d'un Etat véritablement national pllJS qu'elle
n'est action de
classe.
. .. / ...

489.
Elle est plus volonté de rupture et de libération nationale,
donc relève plus d'une lutte nationale,
que de la lutte de
classe proprement dite.
En d'autres termes,
la lutte
nationaliste des intellectuels,
parce qu'elle s'intéresse
au sort de la nation et parle au nom du peuple,
affirme
de fait la priorité de la lutte nationale"sur les luttes
sociales.
Cela ne veut pas dire bien sûr que les écrivain s ne parlent
jamais en termes de lutte de class~s ou qu'ils n'appellent
jamais à la lutte sociale de classes.
Comoent
se comportent les intellectuels et les étudiants
qui font des revendications corporatistes en m~me temp3
qu'ils veulent aller au-delà de la défense de leurs
intérêts matériels et moraux ? Que signifie profondé~ent
cet au-delà de leurs actions revendicatives ?
SECTION
II
LE COMBAT DES ETUDIANTS CONTRE L'ENSEMBLE DE L'ORDRE SOCIAL
Les étudiants sont souvent organisés dans des associations
ou mouvements à travers lesquels ils d~fendent leurs intér~ts
matériels et moraux.
Leurs luttes ne se bornent pas cependant
à protéger leurs acquis ou à les améliorer;
elles débouchent
asse~ souvent sur des problèmes nationaux et sur le refus
de la situation établie par la classe dominante nationale
et l'Etat,
sous le contrôle de la domination étrangère
Et c'est pourquoi l~s étudiantE agissent souvent sans
d'abord se
préoccuper d'être de futurs
cadres.
Leur action
relève plus del~iutopie critique"
-dans le vocabulaire de
Tour2ine- que de la contestation culturelle ou de la
reve::jication syndicale,
sans que celles-cien soient absentes.
1
• • • 1 • • •

490.
Autrement dit,
la contestation culturelle peut porter
Sur l'organisation universitaire,
sur le fonctionnement
des études,
la qualité des enseignements et des enseignants,
et la revendication par-del~ les intér~~s corporatistes
matériels peut porter le débat sur l'ensemble du système
économique et social ; les étudiants peuvent affirmer
leur inclusion dans le peuple,
leur désir d'aller au
peuple. Mais plus profondément et frsque~ment. les étudiants
s'attaquent ~ l'ordre établi qui est, ~ leurs yeux, celui
imposé par le capitalisme international et la colonisation.
L'enjeu de leurs luttes est ~lors le pouvoir d'Etat: s'ils
~eulent aller au peuple, .c'est pour. avec lui, s'attaquer
.
.
~ l'ensemble fotmé par la classe dominante liée aux intér~ts
étrangers et par l'Etat au service premier de cette classe;
c'est l'ensemble de l'ordresoci~l qu'ils re~ettent en cause
et combattent. De l'approche des indépendances ~ l'après-
dépendance,
ils pensent que seule la prise du pouvoir par
l'ensemble des dominés et exploités permettra de renverser
l'ordre établi et de changer la situation de l'Afrique.
Tel est le sens profond des luttes des r..::Juve'Cie.nts d'étudiants.
Il nlest pas possible d'étudier chacune des organisations
étudiantes existant dans les pays africains et en Europe,
notamment en France. Quelques-unes seule~ent seront étudiées
sous.le rapport précis de leur nationalisme.
Il s'agit moins
ici d'une histoire de chaque mouvement d'étudiants quelllJG.d\\.u..
aperçu assez rapide sur chacun pour donner un éclairage
particulier de la manière dont les étudiants d'Afrique
noire s'opposent aux pouvoirs en place au nom de leur
refus de la dépendance et de l'acceptation apparente de la
domination étrangère par les dirigeants.
Cette étude de la vie de quelques mouvements d'étudiants
sera descriptive pour rendre compte de quelques épisodes
et faitssigriificatifs du point de vue d' nationalisme des
étudiant.s.
Cumula. ti ve et mêm e réi tér, ti '."," d' ~;n e cert~ine
façon,
elle veut v~lider les fai~s
,Jar les autres. EIl" n ,,'<.Zirte
Cl!p"T"\\d •• nt

491.
A.
- Les mouvements d'~tudiants dans les pays à option lib~rale
1.
g~~!g~~~_~E!~~~~~_~~_!~_Y!~_~~_!~Q:Q:~:g:~~~_~~~_~~~~!~~1~
Zalrois
A sa naissance en 1960, le mouvement ~tuGiaLt congolais
(zalrois aujourd'hui)
est pris en main par un groupe
d'~tudiants poursuivant des ~tudes en Belgi~ue. D'après
S~kou Traor~ (1), "ce groupe, triste;:;ent con:1U sous le
nom de
collège des
commiasaires

p~n6raux,
0
~tait ~troitement
li~ aux milieux 'imp~rialistes belgei et à la C.I.A., dont
i l appllqua les directives politiques au cours de son honteux
mandat,
partageant ainsi
l ' écrasa.pte
responsabili t~ de
l'assassinat de Lumumba".
Mais assez rapidement,
le mouvement d~veloppera une
conscience politique de plus
en plus for~e et en~rera
en conflit avec le pouv6ir en place dirig~ par. Mobutu,
arriv~ à la tête de l'Etat le 24 novembre 1965. Face au
nouveau pouvoir,
qui leur apparaîtra vite fascinant,
les
~tudiants du Congo-Kinshasa (Zalre aujourd'hui), regroup~s
au sein de l 'Union G~n~rale' des Etudiants Congolais
(UGEC)
formulèrent,
lors de leui congrès d'octobre 1966,
un
certain. nombre de revendications fondamentales:
celles-ci,
qui
devaient l~ser les int~rêts belgo-américains et ceux de
leurs repr~sentants nationaux,
~taient les suivantes :
construction du socialisme scientifique,
nationalisation
des
compagnies belges et am~ricaines, africa:1isation de
l'universit~, diminution de l'~cart entre les salaires des
masses laborieuses et les traitements des couches les plus
favoris~es (hauts fonctionnaires, of:iciers . .. ), reconnaissance
du Mouvement Populaire de Lib~ration de l'Angola (M.P.L.A.)(2).
(1) S~kou Traor~, Responsabilit~ his~0ri:ue ~es ~tud~~nts
Africains,
Paris,
Ed. An~hroros, 1973, p. 63
(2 ) l bi dem

492.
Evidemment toutes ces revendications,
et leur esprit même,
ne plai~ont pas au pouvoir mobutiste qui voyait bien où
les étudiants voulaient en·venir.
Le premier affrontement entre les étudiants et le pouvoir
en pl~ce aura lieu le 4 janvier 1968 lors de la visite
officielle au Zaire
(Congo à l'époque)
du vice-président
des Etats-Unis,
Humphrey
l'UGEC organisa une manifestation
de protestation au cours de laquelle la police procédera
à de nombreuses arrestations.
Le 4 juin 1969,
le ,ouvoir et les étudiants s'affronteront
d~ nouveau: les étudiants avaient organisé ce jour-là une
marche de protestation pour demander des améliorations à
leurs conditions matérielles de vie.
Les forces
de l'ordre
tirèrent sur les manifestants
: plusieurs étudiants tombèrent.
Mobutu fit
dissoudre l'UGEC.
Les membres du mouvement étudiant
furent
regroupés d'autorité dans la Jeunesse du :~ouvement
Populaire de la Révolution,
affiliée.au parti unique du
pays.
Le 4 juin 1971,
les étudiants voulurent commémorer le
deuxième anniversaire de l i mort de leurs camarades.
La
cérémonie funèbre
donna lieu encore à des incidents graves
entre les ~tudiants et les forces de l'ordre. Le présidertt
de la République fit fermer l'université de Kinshasa et de
Lu~mbashi et fit enr81er un nombre important d'étudiants
dans l'armée pour une période de deux ans.
. ... 1...

493.
Tous les professeurs zalrois des universités et des
écoles s~périeures furent conviés à un colloque à N'sélé. De
ce colloque sortira la réforme de 1971 créant l'université
nationale du Zalre comme seule institution d'enseignement
supérieur.
L'objectif essentiel de
c~tt~ réforme, fait
remarqtier Verhaegen
(1),
"était de r~ndre l'université
.
.
conforme aux autres institutions nationales mises en place
par le nouveau régime.
Centralisation du ~ouvoir et des
moyens,
concentration d'un appareil bureaucratique important
à Kinshasa sous le contrôle de fait du pouvoir politique,
uniformisation des règles et des programces,
mise
de
l'université au ser~ice da l'Etat, tels sont les principaux
traits de la réf~rme".
Le gouvernement zalrois a-t-il r~lssi à s'imposer aux
étudiants? Les mouvements et agitations d'envergure
semblent ne plus avoir eu lieu depuis un
certain temps.
Mais on connait la manifestation qui a opposé les étudiants
aux forces de l'ordre le 21
janvier 1980 à Kinshasa;
elle
fera plusieurs blessés parmi les étudiants.
Ceux-ci protes-
taient initialement contre le retard apporté au paiement
de leurs bourses.
Ces étudiants de l'Institut Pédagogique
National
(I.P.N.)
bloquèrent la circulation à la sortie
ouest de Kinshasa.
Les membres de la brigade présidentielle
vinrent les en déloger de force.
La manifestation prit
un autre tour puisqu'elle entendit alors remettre en cause
la nomination du nouveau Commissaire d'Etat
(Ministre) à
l'Enseignement et à la Recherche Scientifique, intervenue
lors du remaniement du 18
janvier.
... / ...
(1)
Benoit Verhaegen
L'Université nationale du Zalre,
in
L'enseignement universitaire au Zarre,
Paris, Ed.
L'Harmattan,
1978, p.
119

494.
Cette~anifestation ne sera pas la seule ni la dernière
puisque d'autres éclateront dans la capitale zairoise
:
les étuQiants de l'Institut Supérieur de Commerce et ceux
de l'Institut Pédagogique Supérieur auront à protester
contre les modalités du paiement des droits d'~nscription
jugés excessifs et contre les conditions de travail.
Avec le cas zairois,
on a directement présents les
différents niveaux de luttes des étudiants
:
revendications,
contestation culturelle
(désaveu de la nomination du
Co~rnissaire d'Etat et donc désaveu d'une certaine orientation
de l'enseignement et de la recherche),
conduite de crise
pour se défendre de.la crise profonde que traversait à ce
moment le Zaire,
conduite de blocage par la manifestation
elle-m5rne et silrtout actions critiques par la manifestation
qui proclame publiquement que l'~tat zairois a des problèmes.
Et c'est plus peut-~tre m~me pour combattre ou abattre
l'Etat aux prises déjà avec les difficultés
éco~omiques et
sociales que les étudiants ont manifesté.
Les luttes
antérieures dont i l a été fait état confirment bien que
l'enjeu profond de leurs actions,
c'est le pouvoir d'Etat.
Non qu'ils veuillent prendre le pouvoir;
mais ils veulent
un autre pouvoir,
ou en tout cas,
la fin de celui qui existe,
jugé pro-impérialiste,
et tout compte fait incapable.
Les étudiants zairois,
comme les autres étudiants organisés
d'Afrique qui fuènent des actions
critiques contre l'Etat
et la domination extérieure et intérieure,
respectent dans
les faits assez bien cette démarche
:
"Partir de notre
situation objective pour dégager nos revendications;
prendre
appui sur ces revendications,
les élargir et leur donner une
expression anti-impérialiste globale"
(1).
(1)
Démarche préconisée et prônée par une partie des
étudiants ivoiriens regroupés dans l'UNEECI
en sc~ssion
avec l'UNEECI-FEANF
(voir un document de leur pro~uction,
non daté,
intitulé Progra~me d'a~tivités, ~. 1)

495.
2.
Les étudiants
centrafricains
Le rôle des étudiants centrafricains dans la lutte pour
abattre le régi~e impérial de Bokassa est connu ; on garde
en esprit les manifestations des 17,
18,
19 et 20 janvier 1979
qui étaient clairement de
caract~re politique.
L'A~sociation Nationale des Etudiants Centrafricains (ANEC)
agira ~ l'intérieur du pays de concert avec l'Union Nationale
des Etudiants Centrafricains
(UNECA),
section FEANFen France,
qui,
dans son organe Ta Téné
(la vérité)
dénoncera "le
génocide du peuple africain"
organisé par Bokassa.
L'UNECA
condamnera "sans appel toute la clique de type fa~ciste du
sang:linaire 30kassa et
(dénC1,~cra ) le scandaleux soutien
que le gouverne~ent français continue d'apporter ~ un régime
aussi décrié par l'humanité enti~re". Les membres de l'UN~CA
se diront "convaincus que le peuple centrafricain saura
s'organiser pour abattre l'impérialisme français
et ses
agents criminels de la clique Bokassa,
s'opposer ~ toutes
puissances extérieures visant ~ récupérer son combat
révolutionnaire . . • ".
Le XXI~~e congr~s de l'UNECA-FEANF
réuni ~ Lyon les 3 et 4 janvier 1979, dénoncera encore la
domination du C~ntrafrique par l'impérialisme international
et français
en particulier,
condamnera "la politique
anti-populaire et anti-sociale de la clique de Bokassa
dont sont victimes les larges masses populaires".
Apr~s la chute de Bokassa, les étudiants et lycé~ auront
encore ~ déclen~her de~ manifestations politiques à la fin
d'octobre 1979.
Les manifestants demandaient l'extradition
de l'ex-empereur Bokassa et la reprise de la table ronde
qui regroupait les "forces vives de la nation" et qui avait
été interrompue apr~s une seule réunion. Apr~s les échauf-
fourées
entre les manifestants
(étudiants,
lycéens et
~nseignants) et l'armée qui voulait les emp&cher de gagner
le centre de la ville,
le gouvernement de Dacko réagira
violemme~t et rétablira le couvre-feu de 18 heures ~ 5 heures
du m2tin.
... / ...

496.
Le président Dacko prononcera un discours à la radio
dans lequel i l avertira les
"fauteurs de trouble"
que
~s'ils veulent la bagarre, ils l'auront". Il expliquera
aussi que l'si les lycéens ont manifesté~ c'est parce qu'ils
sont manipulés par des fauteurs
de troubles qui reçoivent
de l'argent de la Ru'ssie et de la Lybie".
Comme on s'en rend compte,
les étudiants sont politisés
et s'estiment une force
capable de parler au nom du
peuple et capable d'inquiéter et d'abattre -en s'associant
à d'autres forces- le pouvoir eu place.
Celui-ci ne tient
pas du tout les étudiants pour moins que rien;
car i l sait,
lui,
ce que veule~t ceux-ci a~-delà de simples revendications
matérielles.
Il sait aussi
jU3qu'à quel point les étudiants
peuvent exploiter une situation de malaise social pour
des fins politiques.
Ailleurs qu'au Centrafrique,
d'autres étudiants tentent
d'exprimer le dissentiment social lié aux difficultés
économiques et d'interroger le pouvoir sur la situation
de leur pays.
3. Les étudiants maliens
L'Association des Etudiants et Stagiaires Maliens en France
(AESMF)
aura beaucoup à redire du pouvoir malien.
Autant
elle. est critique vis-à-vis de l'ancien régime du socialiste
Modibo Keita
("régime pseudo-révolutionnaire et antipopulaire
de l'USRDA"),
autant en 1978 elle dénoncera de la part
du Comité Militaire au pouvoir depuis 1968 "dix années de
dictature féroce,
dix années de règne arbitraire,jalonnées
d'exactions inouies,
de mystification et de répression
sanglante contre le peuple malien".
... / ...

497.
Elle appe:liera à boycotter "la mascarade électorale" de
juin 1978 et condamnera l'
"embtigadement ... de tout
le peuple dans le parti unique de type fasciste dénommé
U "D"
P M (Union "Démocratique"
du Peuple Malien), dans
le vain dessein d'étouffer la lutte des classes, principa-
lement la lutte anti-impérialiste du peuple malien pour
l'indépendance nationale véritable, la démocratie et
le progrès" (l).
Au Mali mgme, l'Union Nationale des Elèves et Etudiants
du Mali
(UNEEM) déclenchera un mouvement de grève le
16 novembre 1979 qui portait au départ sur des problèmes
d'intendance,
et la question de l'i0stauration des concours
d'entrée dans les-établissements d'enseienernent supérieur.
Il virera au tragique puisqJ'il conna!tra des morts.
Le gouvernement verra un "au-delà"
aux revendications des
étudiants et élèves. Et l'U.D.P.M.
parti unique Gouver-
nemental, estimera que les étudiants sont manipulés et
"financés par de l~ches politicards qui attenderlt tranquil-
lem e n t
à l tex t é rie U1' " ;
e Il e met t ra -e n g a r de" con t r e
la campagne démobilisante et démobilisatrice des intoxicateurs
professionnels de la division et de la sédition". Et pour
en finir avec l'agitation des étudiants, l'UDPM décretera
le 15 janvier 1980 la dissolution de l'UNEEM et le
remplacement des comités UNEE~l dans les lycées par ceux
de l'UNJM
(Union Nationale des Jeunes du Mali,
contrôlée
par le parti).
... / ...

498.
A partir du 8 mars,
les manifestations reprendront,
le
gou7ernement ayant ~t~ incapable de payer aux ~tudiants
les arriér~s de bourses. Le gouvernement publiera alors
plusieurs communiqu~s r~pressifs pour pr~ciser que tout
"at~roupement s~ditieuxll, toute"incitation ~ la r~volte'r
et toute
"atteinte aux biens publics ou priv~st' seraient
pas.2ible de peiYles graves pouvant aller jusqu'~ celle
de ~ort si n~cessaire.
L'aYlnonce le 20 mars du d~cès en prison du secr~taire g~n~ral
de l'Union Nationale des Etudiants et Elèves du Mali allait
agg~aver la
sit~ation...
Quelle signification donner ~ ce mouvement de grève ? Le
mouvement de grève des ~tudiants maliens doit-il être
interpr~t~ comme l'expression de la crise ~conomique
grave au Mali ? Il est sans doute difficile de pr~tendre
qu'il n'a rien à
voir avec cette crise et le malaise social
qui existaient dans le pays. A preuve,
le gouvernement
ne F?Uvait pas payer les arriér~s de bourse. Doit-on aussi
penser que les ~tudiants essayaient de prot~ger ou de
r~tablir leur situation ant~rieure et, du coup, l'ensemble
social dont elle faisait partie ? Sans doute aussi puisque
l'aspect d~fensif ~taii important dans la grève de ces
~tudiants. L'hypothèse selon laquelle les ~tudiants maliens
entrevoyaient
alors
la
perspective
du chômage et
r~agissaient contre cette "fatali t~" ne peut non plus .être
totalement ~cartée, d'autant plus qu'une ~tude officielle,
rendue publique en octobre 1979,
r~v~lait que le système
~ducatif malien n'a "d'autre finalit~ que de conduire ~
l'enseignement sup~rieur". /1près,
c'~tait l'aventure. Au
mieux,
on pouvait esp~rer avoir une place dans la fonction
publique d~jà charg~e.
... / ...

499.
Mais l'inquiétude des dirigeants eux-mêmes sur le sens
des agitations étudiantes suggère
la question de savoir
si le mouvement étudiant ne visait pas aussi autre chose.
Plu~ôt que d'être une si~ple réaction à une crise économique
et sociale,
ce mouvement n'est-il pas aussi une action dont
le sens profond peut être une lutte contre le pouvoir
et
l'ordre établi? Son enjeu n'est-il pas le pouvoir d'Etat
lui-même? Ne faut-il pas voir en ~ffet dans le mouvement de
grève des étudiants et s~olaires maliens -indissociable
bien sûr des problèmes et conflits génèraux de la société-
une action de visée nationaliste contre un pouvoir rendu
res~onsable des difficultés du pays et découvert incapable
de trouver des solutions aux problèmes du peuple malien ?
Nous venons de voir des manifestations d'opposition
d'étudiants aux pouvoirs en place en Afrique se réclamant
du libéralisme économique.
Les pouvoirs africains qui
proclament leur adhésion au socialisme trouvent-ils davantage
grâce devant les étu~iants ?
B. - Les étudiants et les pays à option socialiste
1. L'A.E.S.F.
---------
Au Sénégal,
est au pouvoir le Parti Socialiste du Président
Senghor
(de l'ancien pr~sident, devons-nous dire depuis son
retrait en janvier 1981).
C'est de ce Sénégal que
l'Association des Etudiants Sénégalais en France
(A.E.S.F.)
dit dans
~on "texte d'orientation générale", issu du congrès
d'av~i~ 1980 à Nanterre, qu'il
"est un pays semi-féodal et
néo-~olo~ial. Il est dominé SUT tous les plans par
l'impérialisme; 'bien que l'im~érialisme français y soit
encore hégémonique,
i l es~ de plus en plus concurrencé par
d'au~res puissances

L'AESF pr~cise
MEn effet,
l'exploitation imp~rialiste
de notre pays se d~roule aujourd'hui dans les conditions
de dislocation de la politique de chasse gard~e que la
France pratiquait à l'endroit du Sé~égal : la part des
produits commerciaux français
est pass~e de 80,70 % en
1965 à 41 % en 1976. Cela est dû à la csncurrence d'autres
rqpa~es impérialistes (Royaume-Uni, Japon, USA, RFA,
entre autres).
"Toutefois,
l'h~g~monie française demeure etse traduit
dans le contrôle du secteur financier
(à 73
% en 1975),
du secteur industriel et mili taire".
I, '.(:::SF poursui t
:
"L'imp~rialisme international met en pratique sa p61itique
de dom~nation, d'exploitation,
d'c~pression culturelle
et de r~pression par le biais de la bou~geoisie n~o-coloniale
au pouvoir dans nDtre pays.
"Vingt ans de n~o-colonialisme ont a::nc-:é de montrer
aux masses la v~ritable nature de l'indépendance
nominale de 1960 . . . ·
"La p~riode actuelle est caract~ris~e par la ~rise du
r~gime n~o-colonial et sa fascisation, et l'essor du
mouvement de luttes populaires,
montrant ainsi que le
Peuple s~n~galais, comme les autres peuples du monde,
n'a pas courb~ l'~chine devant l'impérialisme et toute
la r~action.
"La sitUation ~conomique de notre pays, de par son
caractère catastrophique,
t~moigne de l'incapacit~ du
r~gime à la solde de l'imp~rialisme de résoudre les
problèmes vitaux de notre pays et de notre peuple.
De 1976 à 1978,
le P.I.B.
a
connu une baisse de 12 % ;
dans le même temps,
la balance des paiements connaissait
une aggravation de son d~ficit qui a empiré de 0,4 milliards
de francs à 21,7 milliards en 1978. Le dernier plan de
développement de la misère des masses est financ~ à 67 %
par les martres
imp~rialistes du ré;ime néo-col~nial"(l)
(1)
A.E.S.F.
Texte d'orientation gén;~ale pp. 17-18

50l.
Ce passage du texte de l'AESF est très clair sur ses
points de vue
(même si,
à la vérification,
des chiffres
et des pourcentages peuvent être corrigés peut-être).
Pour l'AESF,
le Sénégal est en situation d'otage ou
d'hypothèque.
Et cela a
des répercussions sur l'économie
et sur le comportement de la "bourgeoisie néo-coloniale
.
.
au Douvoir".
L'AESF est convaincue que la situation économique annonce
par elle-même un essor des mouvements populaires,
et
,
évidemment une réplique répressive des
"autorités neo-
coloniales".
Elle
constate la paupérisation de plus en plus grande du
milieu rural et "vne exploi tatiorr de plus en plus forcenée"
des ouvriers de la part de l'impérialisme et de la
bourgeoisie néo-coloniale.
Face à toute cette situation,
l'AESF trouve fondé le
développement des luttes des masses
~ par exemple, celle
des
cheminots,
celle des travailleurs de la SENELEC,
de
la SOTRAC,
de la STS,
de Massida,
de Bourgi entre autres
(1).
Elle constate que les luttes ont été pendant un moment des
luttes
spontanées et se réj~uit de la te~dance de plus en
plus grande à l'organisation des travailleurs à travers
la Confédération Générale des Travailleurs Démocrates du
Sénégal
(CGTDS)
et l'Union des Travailleurs Libres du
Sénégal
(UTLS)
dont le Congrès de novembre 1979,
croi t
l ' A . E. S. F.,
l ' a armée d'une orientation de
classe.
... / ...
(1)
Idem p.
19

502.
1'/..3SF pense aussi que "la jeunesse sénégalaise est aussi
vic~ime de la gabegie économique et des difficultés sociales.
En son sein, les étudiants et élèves voient leurs conditions
de lie et d'étude se dégrader gravement,
en même temps que
la politique anti-démocratique et sélective du gouvernement
pèse lourde3ent sur leur situation et leur avenir". Aussi
cr0it-elle que les luttes des'étudiants et des élèves en
jan,ier 1980 so~t j~stifiées et manifestent leur prise de
conscience, leur combativité et leur volonté de s'organiser
-co~me en témoigne la tenue du 1er congrès de l'Union
Nationale Patriotique des Etudiants SÉnÉgalais
(UNAPES).
C'est forte de son analyse de la situation nationale que
l'A=SF se définit des tâches prÉcises dont la moindre n'est
pas de lutter "pour une université de type nouveau".
En effet,
nc,te
l'A"SSF.
"l'Etat néo-colonial fait tout pour
développer chez les étudiants l'individualisme glacé,
le
carriérisme borné et le servilisme.
Il s'acharne ~ briser
en aux ~out instinct de lutte. Pour toute perspective, il
n'offre que la soumission aveugle aux valeurs truquées de
l'oc~cident impérialiste et l'appât d'une "bonne situation",
loi~ de sa lutte, et mêmB contre le peuple"
(1)
En réaction contre la formation donnée et la destination
sociale prévue,
l'AESF se dit "partie prenante de la lutte
pour une Université nationale.
démocratioue et populaire
au Sénégal"
dont elle précise les caractéristiques :
... / ...
(1) AESf, Texte d'orientation générale, p.
29

503.
"Nationale,
c'est-à-dire débarrassée de la tutelle de
l , "
' "
1"
lr.,perla lsme,
contribuant à l'indéDsndance réelle du
Sénégal et des autres pays africains
tant sur le plan
économique et culturel en dispensant un enseignement fondé
sur nos réalités nationales et africaines et donnant toute
leur place à nos langues nationales".
"Démocratique,
c'est-
à-dire une université libérée ~e l'autoritarisme de la
bourgeoisie politico-bureaucratique,
où les libertés
démocratiques sont effectivement g~ranties••. ".
"Populaire
c'est-à-dire une université au service des masses laborieuses
et ouvertes aux travailleurs;
une telle université devra
rationaliser scientifiquement et développer les vertus et
les
capacités de notre peuple dans tous les domaines.
Elle
liera aussi l'enseignement théorique à la production et
contribuera ainsi à la résolution de la contradiction entre
travail manuel et travail intellectuel"
(1).
L'AESF est convaincue "que le
seul
cadre possible de
l'avènement d'une telle université est un Sénégal libéré·
de l~ dorJination impérië.liste"
(2)
Toutes ces citations du
texte d'orientation générale ont le
~érite de faire voir jusqu'à quel point les étudiants
sénégalais en France
(3), tout comme ceux qui, au Sénégal
m~me, se sont organisés dans l'DRAPES. ont conscience des
problèmes majeurs de leurs pays.
. .. / ...
(1) AESF, Texte d'orientation générale, p. 31
(2)
Ibidem
(3) L'AESF ne réunit pas tous les étudiants sénégalais en
?rance.
Plusieurs syndicats divisent le Mouvement Etudiant
~'
,
I....'enega1 "
alS
("
. ' l e E S
• • )

504.
Forts de cette prise de conscience et de l'analyse même
qu'ils font des problèmes nationaux,
ils essaient de
conduire
de manière conséquente
les actions qu'ils entreprennent
dès que les occasions se présentent
(qui 'peuvent être celles
de leurs revendications).
A ce propos,
l'AESF précise
"L'élaboration de notre plate-forme revendicative est
indissociable de la compréhension que nous avons de ce
que doit être un véritable syndicat aLti-impérialiste,
démocratique,
des masses étudiantes.
Les étudiants dans
leur écrasante majorité,
font partie du peuple et en tant
que tels sont partie prenante des luttes populaires dirigées
contre l'impérialisme et ses suppôts de notre pays"
(1).
Pour elle,
en effet,
"toute lutte anti-inpérialiste effective
a nécessairement une dimension revendicative,
mais à l'inverse,
toute lutte revendicative n'est pas nécessairement inscrite
dans le combat pour bouter l'impérialisme hors de notre pays"
·(2). L'AESF est convaincue qu'il serait extrêmement restricti~
de réduire la lutte des
étudiants aux revendications
économiques
(bourses,
logements)
cer "en
so
cantonnant
à des revendications oe bourses et de logements, la lutte des
étudiants apparaîtra nécessairement aux yeux des masses
comme
la lutte d'une
" minDrité de privilégiés" soucieuse de
maintenir et d'étendre ses"privilèges". En tout état de
cause,
soutient-elle,
lice qui fonde
et soude l'uni té de
la lutte des étudiants et des masses labo~ieuses, c'est
l'oppression et l'exploitation qu'ils
subissent de la part
du même système néo-colonial dont l'université actuelle est
un des'maillons. Et on ne peut lutter pour la destruction
de l'université néo-coloniale sans lutter contre le système
qui l'englobe Il
(3)
... / ...
(1) AES?,
document cité p.
32
(2)
Ibidem P"
32
(3)
Idem p.
30

505.
On voit donc clairement comment l'AESF situe sa lutte et
comment dans l'enjeu de sa lutte apparaît aussi l'utilisation
sociale de la connaissance
: en ce sens précis que,
pour
l'AESF,
la connaissance donnée ou acquise dans
certaines
conditions de domination permet de perpétuer la domination
au et sur le Sénégal divisé entre les détenteurs de la
connaissance promis à un avenir intéressant de dominateurs
et ceux qui n'ont pas toutes les
connaissances nécessaires
pour accéder à la domination sociale.
Cette compréhension
des choses -qui n'est peut-être pas toujours très nette dans
l'esprit de tous les étudiants- Jes amène à vouloir lutter
contre un système social légitimé par un pouvoir "néo-colonial"
à abattre, à
leur avis.
Mais comment.? En s'associant,
pense
l'AESF,
aux luttes de tous ceux qui
se trouvent en situation
de dominés,
et dominés esse~tiellement parce qu'ils n 1 0nt
pas pu acquérir les connaissances et les Doyens qui font
échapper à la situation de dominés.
Sans doute,
les étudiants possèdont,
eux,
des connaissances,
mais au Sénégal,
ils constatent déjà l'existence du chSmage,
même pour ceux qui ont des diplômes.
Alors,
ils se croient
le devoir de s'engager aux cStés des travailleurs et de tous
ceux qui vivent la domination.
Le pouvoir devient alors la cible privilégiée de leurs luttes.
Pour eux,
en effet,
c'est lui qui,
par s~s options politiques
et économiques,
rend possible la domination extérieure,
laquelle entraîne et légitime la domination intérieure.
Selon eux,
une toute autre orientation s'impose à leur
société. Mais le pouvoir en place est-il prêt à se défaire
de ses liens néo-coloniaux et à se mettre au service des
intérêts premiers de la nation? Ils n'y croient pas.
D'où
leur nationalisme et leur anti~impérialisme.
L'enjeu central
de l~urs luttes appar~ît être la construction d'un Etat
national.
... / ...

506.
C'est à peu près dans le sens de l'analyse de l'AESF que
vont les autres étudiants des pays qui,
eux, aussi,
se
réclament du socialisme.
A entendre ces étudiants,
l'option
du socialisme de leur,pays ou des pays africains masque
beaucoup de choses.
Ceux du Bénin par exemple,
regroupés
dans l'Association des Etudiants et Stagiaires du Bénin en
France
(A.E.B.)
traitent le "marxiste-léniniste" Kerekou,
Président de la République et son gouvernement de
"pro-
impérialistes,
de
"réactionnaires",
de
"fascistes".
Ceux,
regroupés dans l'Association des Scolaires et Universitaires
du Bénin
(A.S.U.B.)
déclencheront une grève au Bénin au
mois de mai 1979. Au cours de ~elle-c~, les étudiants
détruiront la "coopérative universitaire" critiquée et
taxée de structure d'embrigaaement du
?ouvoir en milieu
universitaire,
et ils exigeront le droit de s'organiser
en toute indépendance à l'égard du pouvoir "réactionnaire"
bien sûr,
ils réclameront aussi de meilleures
conditions
de vie et d'études.
On connait aussi le cas du pouvoir du
"marxiste-léniniste"
N'gouabi au Congo dont l'Association des Etudiants Congolais
(A.E.C.)
dénoncera
"le programme triennal
0975-77)
fcomme)
une nouvelle illustration de la politique pro-impérialiste
et anti-populaire de la clique Ngouabi". Et si elle fait
l'étude de ce programme,
c'est,
dit-elle,
pour "démystifier
et dénoncer l'entreprise obscure du Pouvoir fantôche
dirigéeprr
N'gou~bi qui entendait l'utiliser pour mieux servir les
intérêts de ses maitres et organiser sur toute l'étendue du
territoire national une vaste campagne répressive"(l)
C'était en 1975.
... / ...
(1) A:E.C. L~ programme triennal 1975-1977 in
l,'étudiaht congolais,
nO spécial,
1975 p.
4

507.
Il ~aut noter que déjà en 1971, les étudiants au Congo même
avaient tendance à accuser les dirigeants de molesse dans
la wise
en oeuvre de la Révolution et à
se
désolidariser
d'e~x. Ceux de Paris marqueront leur distance et leui
désapprobation a l'é card du pouvoir de ~6ouabi en occupant le
27 novembre 1971 leur ambassade pour protester contre la
répression de l'émeute populaire éclatée à Pointe-Noire,
répression qui a
fait plusieurs morts et de nombreux blessés.
Face à cette attitude générale des ·scolaires et universitaires,
Ngo~~bi réagira en accusant les étudiants et les élèves
"d'ê"'ùre téléguidés par des personnalités haut ple.cées du
régi~e qui cherchent à s'emparer du pouvoir à la faveur
des
troubles ainsi
créés~ et dénoncera au cours du meeting
du 23 novembre
-donc avant même que les étudiants congolais
à Paris n'occupent leur 2.r.Jbassade-
"1 es tribalistes"
et les
" r éactionnaires ll qui veulent donner le change en adoptant
"des attitudes faussement révolutibnnaires".
Pendant les
trois années qui
suivront,
les grèves et
mani~estations d'étudiants se multiplieront. En janvier 1974,
les responsables de l'Union Générale des Etudiants et des
Elèves du Congo
(UGEEC)
seront arrêtés
et incorporés pour
six wois dans l'armée.
Mais sitôt libérés,
beaucoup
reprendront leurs activités
"avant-gardistesll au sein même
de l'Union des Jeunesses Socialistes Congolaises ll ,
organisation
des
jeunes du Parti.
A l'extérieur du Congo,
en France notamment,
le pouvoir
congolais ne
sera pas privé de la critique des
étudiants,
en particulier de ceux réunis dans l'Association des
Etudiants Congolais. De la même nature que celle des autres
étudiaTjts des pays aflic?-"2"JZy
leur cri tique est nationaliste dans
le fond
;
elle plaide pOllr un Etat souverain véritablement
national,libéré de la dépendance à l'égard de l'extérieur.

502.
D'a~tres mouvement~ d'~tudiants de pays se r~cla~ant du
socialisme m~nent la m~rne ac~ion critiqus ~ l'~gard des
pouvoirs en place.
3. L'A.E.G.F. et autres ~roupes d'~tudia~ts
---------------------~------------------
Les ~tudiants guin~ens en France or[enisés au sein de
l'Association des Etudiants Guin~ens en France (AEGF),
contribu~rent ~ cr~er l'Union Génér2le des Etudiants
et El~ves Guinéens
(UGEEG)
celle-ci re~roupait les
~tudiants et ~l~ves guinéens au Séné[al, en France et
en Guinée même.
L'A.E.G.F.
sera aJors une section de l'UGEEC
et de l'Union des Jeunes de Guinée
(~J.J.G.). Lorsque le
Parti D~mocratique de Guin~e (PDG) int~grera d'autorit~
l'UGEEG ~ la Jeunesse R~volutionnaire-RDA (JRRDA) et
impcsera celle-ci comme l'uniqup associaêion de la
jeu~esse guin~enne, la section fran~:ise de l'UGEEC,
c'est-~-dire l'AEGF, rejettera en son congr~s de mars 1961
la tutelle du gouvernement guin~en.
Cette AEGF a fait
~diter en'1979 une petite brochure
intitul~e La situation enGuin~e. Dans celle-ci, l'AEGF
manifeste son opposition au régime de S~kou Tour~. Selon
l'AEGF,
en Guin~e, "durant vingt ans,
le r~gime anti-
populaire du P "D"G a exploit~ et opprim~ des ouvriers
"au nom du peuple",
assassin~ des caeires et intellectuels
"au nom du peuple",
contraint le tiers de la population
~ l'exil"
(1). D'apr~s elle,
en Guinée,
"une bourgeoisie
bureaucratique,
politique et commerçante s'est donc cr~~e
depuis et se consolide ~ pr~sent.
... / ...
(1)
AEGF La situation en Guin~e, p.
5

509.
~Elle a accapar~ l'Etat et les secteurs ~tatis~s qu'elle a
transform~s en instruments d'accumulation. Elle contrôle
le parti unique et les syndicats,
utilisés pour quadriller
les travailleurs. Elle a
expropri~ les ~asses urbaines pour
organiser la sp~culation foncière
( . . . ) Elle a
spolié
la terre des paysans, et cré~ des fermes à la campagne
( ••. )
Elle
alourdit de
jour en jour la dette ext~rieure du pays
(environ l
milliard de dollars),
liquide les richesses
minières et forme des soci~tés mixtes
(OFAB,
MIFERGUI,
OBK, ••• )
avec les monopoles impérialistes pour éccélérer l'exploitation
du peuple et placer dans les banques étrangères les
ressources de son pillage"(l)
Cet extrait dit l'essentiel d'e la pensée de l'AEGF;
i l fait
voir l'opposition de l'AEGF au régime guinéen.
Pour celle-ci,
i l est clair que les intér8ts de
classe de la petite
bourgeoisie au pouvoir "la détournent nécessairement de
la voie d'un développement socialiste".
"Et pour développer
et consolider ses intér&ts,
cette petite bourgooisie est
obligée de maintenir les structures économiques du
système colonial"(2).
L'AEGF dit
alors
èOr;1t1Cnt
"un tel
régime néo-colonial,
anti-populaire,
répressif et
fas,~isant", "congénitalement lié à l'impérialisme", dont
la base sociale de domination est les deu~ super-puissances
et leurs alliés
(c'est-à-dire la bourgeoisie bureaucratique
et compra?ore guinéenne regroupée dans le parti avec à
sa tête Sékou Touré),
masque et dévoile 3 la fois 59 vraie nature
i l utilise
"un vocabulaire pseudo-révolutionnaire et
confusionniste";
i l adopte
et
applique
"la notion
fasciste de "Parti-Etat"
en droite ligne de la thèse
erronée de l'Etat de démocratie national~ (E.D.N.)".
... / ...
(1)
AEGF,
loc.cit.
p.
17
(2)
Idem,
p.
16

510.
Dénonçant déjà en son 19ème congrè~, tenu à Paris les
11,12 et 1; novembre 1977,
"la politique anti-nationale,
anti-populaire du régime néo-colonial américain de Guinée",
l'Association des Etudiants Guinéens en France appellera
à la formation d'un
"vaste front uni,
anti-impérialiste et
anti-hégémonique".
Ce front devra servir,
affirme l'AEGF,
"d'instrument de lutte pour la'liquidation de la domination
extérieure,
la liquidation de la réaction intérieure,
l'instauration et le respect des l~bertés démocratiques
au profit de larges masses populaires et la lutte
continue pour le triomphe des aspirations profondes des
masses"
(1).
L'aroel de l'AEGF a-t-il été entendu? L'AEGF a-t-elle eu
les ~oyens de se faire entendre ? Et par qui ?
On n'en sait rien,
et peut-être l'AEGF n'en sait rien non
plus. Elle sait au moins que ses membres en tout cas ont
une orientation de pensée qui peut guider leurs acticns et
leurs prises de positions. Elle croit que ses actions et ses
prises de positions ne laissent pas le pouvoir guinéen
indifférent.
. .. / ...
(1)
~EGF, idem p. 70

511.
Ainsi donc,
les pouvoirs des pays qui
se veulent socialistes
ne sont pas épargnés eux non plus par l'action c~itique
des
étudiants.
Même pas la Tanzanie dont le pouvoir a la
réputation d'être nationaliste.
Par exe~ple, les étudiants
de ce pays révoltés en 1978 ont rédigé un mémorandum dans
lequel ils disaient notamment
:
"Nous ne som~es Das sérieux
dans notre façon de construire le socialisme.
Nous confions
le développement de régions entières à diff~~ents p~ys : les
Japonais au Kilimandjaro,
les Canadiens ~ Dar-es-Salam, les
Allemands de l'Ouest à Tanga,
les Suédois sur la côte ...
Depuis quand le développement du socialisme peut-il être
confié à des capitalistes? "(1)
On peut par conséquent souligner ce phénomène notable de
l'oppositio~ ç;u ,de l'action critique d'une partie importante
'(.,-u -1/.> .
.
.
des
étudiantsv~leurs Etats (faut-il rappeler i'ci qu'une
par~ie des étudiants soutient les po~voirs en place • par
exemple les étudiants du Mouvement des Etudiants et Elèves
de Côte d'Ivoire
(MEECI).
ceux de la Jeunesse Révolutionnaire-
RDA
du Guinée
(JRRDA),
ceux.du Comité de la Défense de la
Révolution Guinéenne
(CDRG),
ceux de l'Union Nationale
Camerounaise
(UNC),
etcJ.
L'opposition existe quelles que soient les moeurs et
la coloration des régimes.
Et on doit
se demander ce que
cela signifie.
" " ./ .. "
(1)
Cité par Elikia M'Bokolo,
Le continent convoité,
Paris-Montréal, Etudes vivantes,
1980, p.
183

512.
Il semble que la distance commune des étudiants et des
ho~mes des r~gimes en place par rapport ~ la masse de la
population -villageoise en particulier- les rapproche
d'une certaine manière en même temps qu'ils sont séparés
par la concentration de la richesse et du pouvoir dans
les mains de l'élite dirigeante.
D'autre part,
l~s étudiants
n'ayant pas prise sur les réalités
socio-économiques et
politiques peuvent se livrer à la su~enchère et en appeler
à une indépendance nationale, réelle et entière, à un
développement volontariste,
à la décocratie
.• ',
avec toute
la vigueur de leur jeunesse,
tandis que les pouvoirs se
don~ent l'excuse d'~tre réalistes et prasmatiques, de
tenir compG€
des rapports de force
àvec l'extérieur.
Est-il jusr.c ,,,t
judicieux
de
voi] dans l 'opposi tian des
étudiants aux régimes en place la lutte de la jeunesse
contre les erreurs et les égarements de leurs aînés au
pouvoir,
01]
de
penser que 1 'opposi tian est
une manière de négocier la montée vers l~ pouvoir
?
Si
c J D O bserve
chez les étudiants des .conduites
revendicatives,
des conduites de crise et des
conduites de
blocage,
qui s'entremêlent et se corsent souvent par des
"actions critiques révolutionnaires",
on doit mettre au
centre de leur opposition un nationalisme qui tolère mal
que
les. acquis de l'indépendance soient compromis et que
les dirigeants se comportent en 1I1aquais de l'irr:périalisme
et du néo-colonialisme ll •
Les étudiants en appellent alors
à un Etat véritablement natianal pour défendre la spécificité
culturelle et nationale contre la domination
étrangère. Et
,
leurs luttes sont vecues par eux com~e un combat contre les
pouvoirs en place mais aussi
comme des moyens pour éclairer
la lanterne des dirigeants et indiquer l'Etat à construire .
.../ .. ,

513 .
Ce qui fait que le rejet communautaire de la domination
extérieure et l'appui à la construction d'un Etat national
s'enchaînent et créent une tension dans laquelle réside
la dynamique de la lutte.
Le nationalisme des étudiants est aussi un anti-impérialisme
qu'il convient de préciser et de situer historiquement.
Pendant longtemps, leur anti-impérialisme unanime s'est
concentré presque exclusivement sur l'impérialisme
occidental,
des Etats-Unis,
de la France,Grande-5retagne ...
Aujourd'hui, la lutte contre le social-impérialisme divise
les étudiants. Le constat est qu'une partie non négligeable
d'entre eux récrimine
contre l'UR~S en particulier. Par
exe~ple, l'Association des Etudiant~ Guinéens en France
(AEGF) affirme "que l'Union Soviétique de la Grande
Révolution d'Octobre que tous les peuples opprimés ont
salué avec enthousiasme et une joie indicible nlest plus
l'U:;ion Soviétiqu~ actuelle"(l). Flus explicite est la
désapprobation-réprobation de celle-ci par le 9pme congrès
de l'Union des El~ves et Etudiants de CSte d'Ivoire (UNEECI)
(2),
congrès extraordinaire tenu à Lyon les 2, 3 et 4 juillet
1976. Celui-ci déclarait:
"Considérint que l'URSS à l'heure actuelle entretient
des rapports de pays dominant à pays dominés,
comme
c'est le cas des pays du CO~iECOM, de la Somalie,
de
la Guinée,
de l'Inde,
etc.
" .. " " . " " " " " " " " " " . " " . .. " " " . " " " " " " " " " . " " " " " " " " . " " " . " .
"Dénonce l'Union Soviétique comme une super-puissance
impériali ste
"Considère que le social-impérialisme soviétique et
l'impérialisme US sont les deux grands sapeurs-pœpiers
des révolutions des peuples du monde et les
ennemis redoutables de-la paix et de la sécurité"(2)
(l)AEGl,"L'impérialisme soviétique"
0~1 G1Jinée
p.25
(2)I~seI:ible qUE'
de::: i 11 é e p ~ 1~ l
de <' é t udi ~ô:1 t è'
faite sur le
so~i~l-j_l~1,6ri~listc
, .
.
-",.l~·çe
(~ 'lH2
~,c' y,:~, p
de
ri R ::-~ 0 Ci 1 u l, i ('\\ n
~~ 11 r
",-
~-, l : :~ ~. l c' ~ 11

514.
Cette 'dénonciation du social-impérialisme ne peut en
aucun cas engager tous les étudiants de l'UNEECI.
Celle-ci
a été traversée par des vents contraires,
et on doit savoir
que la position des étudiants au 9ème congrès est celle du
groupe qui tenait en, mains le mouvement à
ce mo~ent-là.
Mais on n'a pas le droit de ne pas en tenir compte,
d'autant
qu'elle est partagée par des étudiants d'autres pays.
Ceux des étudiants qui rejettent l'idée même de social-
impérialisme considèrent qu'un social-impériali~~c est un
non-sens ou un contre-sens. Et pour ceux-là,
la présence
des Cubains en Angola par exemple est un acte révolutionnaire
de soutien à un payS révoluti0nnaire menacé par
l'impérialisme occidental.
N'ont-ils pas fait eux aussi
le choix d'un camp comme d'autres font le leur,
le
choix d'une logique comme d'autres font le leur?
Quoi qu'il en soit,
et quelles que soient les querelles
parmi les étudiants sur le social-impérialisme,
c'est
sur toute la question même de leur anti-impérialisme en
général et de leur nationalisme face aux pouvoirs en
place,
et contre la domination extérieure,
qu'il
convient
de s'interroger un peu plus.
Cet anti-impérialisme et
ce nationalisme ont-ils des effets sur les pouvoirs ?
Apparemment pas tellement,
tant qu'ils ne s'expriment pas
dans les rues.
Ce que les pouvoirs craignent,
c'est le
fait,même des manifestations;
ils ont peur que les
créanciers et les investisseurs ne redoutent un climat
social malsain pour les affaires.
Il faut dire que les pouvoirs s'emploient d'une part à
empêcher les manifestations p~bliques, et d'autre part
s'efforcent d'assurer par tous les moyens une forte
intégration des étudiants et des intellectuels.
.. .. .. .

515.
Et le fait
que ceux-ci se laissent récupérer autorise les
pouvoirs à railler
alors
leur
prétention
à
être
des
-révolutionnaires
ardents défenseurs des peuples et à
être les représentants de l'Afrique.
En i978,
Houphouet-Boigny
par exemple pouvait déclarer
:
"Certains militants de la
FEANF qui pensaient représenter l'Afrique,
et de l'UGECI,
ralliée après sa dissolution à l'UNECI qu'elle combattait
auparavant,
ont déversé sur leurs aînés,
toujours à l'abri
de l'anonymat,
des tonnes d'injures,
d'invectives et de
calomnies. Parce que je connais notre peuple,
pour ne pas
dire le peuple africain,
je n'ai pas voulu en y répondant
paraître moins intelligent que la "bête" .•













.. .. .. .. .. •
.. •


.. •
.. •
.. .. .. !' •

.. .. •
.. •
.. •





.. •

.. •
.. •
.. .. •


• •
'IT'ai,depuis leur sortie des un~versités françaises,
de
nombreux étudiants ivoiriens,
anciens militants de la FEANF,
de l'UGECI ou de l'UNECI,
qui,
devant les réalités locales,
ont reconnu leurs ~rreurs et oeuvrent depuis,
à ~cs côtés,
à la construction nationale.
...... ... .. ........... .... ...... .. .... .. . .. .. .. .. .. .. . .. ... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ......
"Reconnaissons que,
nulle part,
le peuple africain n'a fait
confiance à aucun des hommes de la FEANF,
qui disaient
pourtant le représenter.
Nous ne connaissons aucun responsable
de la FEANF à la tête d'un seul pays africain .(1). Quant aux
Ivoiriens,
anciens membres de l'UGECI et de l'UNECI,
extrêmistes hier,
pourfendeurs de l'ordre,
et justiciers,
ils servent avec efficacité aujourd'hui
( . . . ) la Côte d'Ivoire"
(2)
.. .. .. / .. . ..
(1) y a-t-il ici allusion directe à l'échec de Ki Zerbo
aux présidentielles de 1978 en Haute-Volta.
Ki Zerbo est
un
ancien
membre
du Bureau de la FEANF.
(2)
Interview du président Houphouet-Boigny publiée par
Fraternité-Matin du 12 décembre 1978.

516.
Fa~e aux luttes critiques des étudiants, les pouvoirs
en Afrique se défendent eux aussi et ~ême attaquent.
Ils
tr~vaillent à l'intégration par divers moyens dont le
moindre en milieu étudiant n'est pas d'avoir des étudiants
à leur solde pour combattre ceux qui prétendent s'attaquer
,
a eux.
Les
étudiants oui luttent doivent avoir une compréhension
exacte des situations et des mécan~smes de récupérations
s'ils veulent continuer à poser des "actions critiques"
co~tre l'Etat.
Mais,
quoi qu'il en soit, il
est un fait
sociologiquement
imForta~t:lorsqu'on consid~re d'une part le discours
d'opposition des étudiants
(aussi
bien contre les pouvoirs
qui
se veulent d'option libérale que
contre ceux qui
se
réclament du socialisme)
et leur conviction de parler au
.
. .
nom du peuple et de ses intérêts,
et d'autre part la
pré~ention des pouvoirs en place à se dire les seuls
à savoir et à vouloir ce qui convient à ces peuplei,
on aperçoit mieux ce qui réunit véritablement les
"adversaires"
:
leur commune distance aux peuples au-dessus
des~uels ils planent et parlent pour s'affronter.
Tout se passe pour les étudiants
comme si leur double
non-appartenance à la bourgeoisie politico-bureaucratique
et au peuple des exclus et des exploités de la société
nouvelle les amenait à. se donner un contenu social
spécifique,
en se voulant engagés aux côtés des peuples
et ~ême en sIen faisant sinon les guides,
du moins les
por~e-parole.
Quant aux pouvoirs en place,
la distance
qui les sépare des peuples est si grande qu'ils ne veulent
la combler qu'en se déclarant être à leur service et ne
travailler que pour eux.
. .. / ...

517.
Ainsi,
c'est peut~être davantag8 la distance des dirigeants
au
peuple
et l'~cart qui
se creuse entre
lui
et les
~tudiants
en mont~e vers le pouvoir, qui rendent
compte de l'id~ologie convergente des uns et des autres et
de la place qu'ils d~sirent occuper dans le .coeur
du
peuple . .
Seulement,
les
~tudiants peuvent plus librement
s'autoriser à se déclarer pour le peuple puisqu'ils n'ont
pas les moyens pour prouver qu'ils lui ont définitivement
tourné le dos.
SECTION
III
ENSEIGNANTS ET ACTION CRITIQUE torlT~E L'ETAT E~ LA DOMINATION
EXTERIEURE
ET INTERIEURE
L'étude se fonde ici
sur des cas précis de lut~es des
enseignants et chercheurs ivoiriens regroupés dans le
Syndicat National de la Recherche et de l'Enseignement
Supérieur
(SYNARES).
Elle est'~onographique'~ Il a paru
en effet suffisant de se limiter au
cas du SYNARES qui
révèle qu'à l'occasion de la défense de leurs intérêts
matériels et mo~aux, les enseignants ne se prive~t pas
de poser des problèmes d'intérêt national et de cener une
action critique contre l'Etat et la domination étrangère
en particulier.
Or c'est ce que révèle pour l'essentiel
le regard sur les autres. syndicats d'enseignants comme
le Syndicat Unique Démocratique des Enseignants Sénégalais
(SUDES)
qui a
souvent fait parler de lui dans la presse,
comme le Syndicat National des Enseignant Africains de
Haute-Volta (SNEAHV)
et le Syndicat Unique Voltalque des
Enseignants du Secondaire et du Supérieur
(SUVE~S) qui ont
été récemment à la base de la cl'llte du président
vol~alque
en novembre 1980,
comme le Syndicat ~ational de l'Enseignement
et de la Culture
(SNES)
du Mali,
etc.

518.
Les luttes du SYNARES comme celles des autres Syndicats
d'enseignants sont riches et complexes. Chaque cas de
lutte porte en lui en effet plusieurs types de luttes
de nature différente mais mêlées,
entremêlées même,
et
souvent indissociables.
Mais l'analyse doit décomposer et séparer ce
qui apparaît
lié. D'où la nécessité de cette grille de lecture oue sont
les questions suivantes: par les revendications, les
enseignants cherchent-ils à accroître leur emprise sur
un champ social ? Cherchent-ils à augmenter par des
pressions dans le cadre des institutions et des procédures
légiti~es leur influence dans le pays, et notamment sur la
prise des déci sioES qui affec·tent l~urs candi tians de vie
et de travail ou les problèmes de l'éducation et de la
recherche en général ? EssaIent-ils seulement ou avant tout
d'améliorer leur position dans la société en se défendant
contre les crises de et dans la société? Que sirnifient
les conduites de crise chez elJX ? Une révolte contre la
désorganisation sociale ? Un désir ou une demande
d'appartenance et d'inclusion en relation directe avec
tout ce qui menace leurs prérogative~ acquises? Les
enseignants recherchent-ils le changement en s'attaquant
à l'ordre existant, à l'Etat qui le gère, à la domination
étrangère qui l'impose? Quel est l'enjeu central de leurs
luttes ?
Examinons quelques cas de lutte.
.../; ..

1.
Le SYNARES ~ l'occasion du probl~~e du salaire des
ensei~nants ivoiriens.
En 1965,
le congrès du Parti Démocratique de Côte d'Ivoire
(?DCI) proclame l'enseignement "la priorité des priorités"
60
reconnaît aux enseignants la gratuité du logement.
En 1966,
une bourse spéciale est accordée aux étudiants
se destinant à la carrière ~nseignante. Et en 1976,
le gouvernement ivoirien,
pour attirer un grand nombre
de nationaux dans l'enseignant,
décide par le décret
nO 76-22 du 9 janvier le décrQch~ge des enseignants
du statut général de la Fonction Pu~lique. Ainsi
s'instituent des
échelles particuli~res de traitement
en faveur des
corps des personnels enseignants.
Par
exemple,
avant le décrochage,
un profess~ur titulaire
d~ Certificat d'Aptitude PédagoGique des Collèges
d'Enseignement Général
(CAPCEG)
était à l'indice 345.
Après le décrochage,
ce professeur passe à l'indice
660 creusant ainsi un é~art de 315 points entre lui
e~ l'Attaché administratif qui était avec lui ~
l'indice 345.
Lorsqu'en 1978, par le décret 78-46 du 9 février,
le
reclassement des autres fonctionnaires de l'Etat
annulera pratiquement et compromettra l'esprit du
décrochage,
tous les enseignants exigeront le maintien
des écarts indiciaires établis entre eux e~ les autres
fonctionnaires,
tant que la décision politique du
décrochage des enseignants ne serait pas officiellement
annulée.
Le gouverne~ent a da accepter les "réajustements"
de salaire en faveur des enseignants.
Mais cela nia
été possible aussi que parce que le gouvernement tenait
à "calmèr" les enseignants
en effet,
ceux-ci
suppor-
taie~t de plus en plus mal que,
sous le couvert de
l'~ssistance, un expatrié français enseignant du même
grade,
exerçant la même fonction et assurant les mêmes
he~res de travail eue le national ait pratiquement le
double du
salaire de celui-ci.
.. . / . . .

520.
Et puis, à l'époque du "réajustement",
un projet gouverne-
mental était préparé, avec l'ambition d'attirer des étrangers
plus nombreux dans l'enseignement afin de combler les
manques: il accordait aux "contrats loçaux"
(1) des
salaires nettement supérieurs à ceux des nationaux, même
"décrochés". A titre. d'exemple,
alors qu'avec le "réajuste-
ment"
un Ma!tre-Assista~t ivoirien allait toucher
337 000 FCFA
(6 740 FF),
le Ma!tre-Assistant engagé sous
un contrat local allait gagner 401 450 FCFA
(8 029 FF)
un professeur titulaire engagé sous un contrat local
allait commencer à 762 600 FCFA
(15 252 FF) alors que
son homologue national ne pouvait espérer atteindre ce
salaire qu'après 16 ans de travail.
Voilà donc dans quel contexte on se pli2ra aux exigences
des enseignants. Mais en fatt la satisfaction de ses
revendications ne. satisfera pas le SYNARES,
car c'est
réellement en ter~es nationaux, voire nationalistes, qu'il
posait ses problèmes. C'pst pourquoi,
lors Ge 1(, rencontre
des enseignants avec le Président de la République le
17 septembre 1978,
en présence de tou~ le gouvernement et
des responsables du Parti, le SYNARES dira : "Le SYIJARES
estime que l'effort du Gouvernement en faveur de nos
collègues expatriés, quelle que soit leur origine,
est
très louable ; il permet de résoudre immédiatement le
problème de la pénurie d'enseignants.
Mais, Monsieur le
Président de la République. nous pensons que le choix de
creuser l'écart entre Nationaux et expatriés ne se justifie
pleinement que si, pour venir nous aider, nos collègues
expatriés posent comme condition de gagner plus que nous.
La poursuite et la systématisation d'une telle politique
comportent de graves dangers.
(l)La distinction est faite entre les coopérants et les
autres étrangers de tous pays qui
sont engagés sous
url
contrat local.
• • ,1 •••

521.
"En effet,
non seulement elle rappelle le code de
l'indigénat contre lequel vous aviez tant lutté,
mais
aussi elle accrédite l'idée selon laquelle les enseignants
nationaux sont d'un niveau inférieur mgmelorsqu'ils ont
obtenu des titres universitaires
semblables.
A court ou
moyen terme,
on va v~rs une plus grande démobilisation des
nationaux;
on crée les conditions objectives d'une fuite
plus massive des cerveaux ivoiriens de l'enseignement et
de la recherche.
Plus grave,
la xénophobie apparaîtra à
l'université; les
conditions seront réunies pour perpétuer
cet appel à l'étranger de plus en plus coûteux pour le
Trésor national . . . " Le SYNARES continuera:
" ...
S'il n'est
pas pertinent d'atteindre un taux de 100 ~ dans l'ivoiri-
sation de l'Enseignement supérieur ët la recherche,
i l
nous
semble cependant très dangereux,
intellectuellement
et économiquement,
et peut-être politiquement,
de confier
la formation des ~adres de ce pays à des enseignants pour
la plupart venus de l'étranger . . . ".
Il affirmera sans ambages:
"Il s'agit ici d'une exigence
nationale plus qu'une réaction secta~re et corporatiste"(l)
Et i l aura à ajouter:
" ...
Monsieur le Président /
...
/
si rien n'est fait pour attirer et retenir les
Ivoiriens
dans ce secteur
(secteur de l'enseignement et de la recherche)
nous allons vers un accroissement beaucoup plus important
des
charg€s
de l'Etat en matière d'éducation,
sans pour
autant que les retombées nationales
soient évidentes.
Notre
souci n'est pas celui,
anti-scientifique,
d'exclure les
étrangers de notre profession.
Il est celui,
légitime,
de
citoyens désireux de voir la Côte d'Ivoire maîtriser son
appareil éducatif et son avenir scientifique"(2).
... / ...
(1) DGcument SYNARES, Rencontre avec le Président de la
République:
posit~i~o~n~.~d~u~S~v~~"N~A~P~,E~"~S~s~u~r~l~a~=q~u~e~s~t~i~o~n~~
"enseignante
(PP.9-10)
(2) Document SYNARES
cité p.
12

522.
Voil~ qui est clair. Au-del~ de la d~fense d'int~r~ts
matérièls,
les enseignants ont des pr~occupations d'ordre
national et donc politiques.
La dépendance ~ l'~gard de
l'ext~rieur dans tous les domaines, notamment dans le domaine
culturel,
ne leur paraît pas ~tre une option valable.
Ils
en appellent ~ un Etat national qui regarde d'abord aux
intér~ts nationaux immédiats et surtout ~ long terme.
Le pouvoir lui aussi
croira que c'est pour l'intér~t sup~rieur
de la nation qu'il a dû prendre les mesures en faveur des
~trangers. Pour lui, le manque d'enseignants a imposé les
d~cisions qu'il a dû prendre.
Il n'a voulu voir dans la requ~te/pr9testation des enseignants
qu'une pression pour faire améliorer leur sitll~tiDn.
Dans d'autres domaines et sur d'autres problèmes,
les
enseignants auront ~ coeur de poser ~n~o81eurs r'evendications
en termes nationalistes,
ou précis~ment, ~ l'occasion de la
défense de leurs intér~ts corporatistes,
ils soulèveront des
problèmes qui
concernent la vie et l'orientation générale
de la nation
: ils né manqueront jama{s de soulever la
question de la d~pendance ~ l'~gard de l'extérieur.
Le problème de leur logement a ~t~ aussi l'occasion d'interro~r
l'Etat sur ce qu'il fait
de l'avenir de la nation.
2. Le SYNARES ~ l'occasion de la guestion du logement des
enseignants
Il a ~té not~ que c'est en 1965 que le Congrès du FDCI-RDA
a reconnu aux enseignants la gratuit~ du logement,
en vue
de valcriser la fonction enseignante pour attirer dans la
carrière enseignante un grand nombre de nationaux.
. .. / .. .

523.
Lorsqu'en 1978,
un projet du Ministre des Travaux Publics,
des Transports,
de la Construction
et de l'Urbanisme voudra
substituer une
"indemnité contributive de logement et
d'ameublement" aux seuls nationaux,
le SYNARES réagira
énergiquement.
Mais d'abord,
quelles
sont les raisons du
gouvernement et quels sont les arguments du SYNARES ?
Pour les autorités politiques et administratives:
- le gouvernement ne peut plus contrôler une
spéculation
immobilière effrenée
j
- les logements
des fonctionnaires,
notamment ceux des
enseignants,favorisent le dérapage des loyers et la
SDéculation immobilière
j
- de plus,
i l y a une pénurie de logements au moment où
le budget du ;';inistère de la Const.ruction accuse un défici t
d'environ 6 milliards de FCFA
(120 000 000 FF)
et le
gouvernement ne peut pas
construire à la fois les écoles
et collèges et 10 5 er les enseignants.
Contre cette argumentation,
le SYNARES
soutiendra que
"les enseignants et chercheurs ivoiriens ne sont ni les
responsables ni les bénéficiaires de la spéculation
i~mobilière et refusent d'en être les victimes désignées
"la pénurie des logements ne peut justifier en aucune
manière le retrait de
cet avantage au seul personnel
ivoirien
j
ils représentent en effet moins de 50 %
du personnel de formation et de recherche employé dans
l'Enseignement Supérieur et les Instituts de Recherche •••
"par ailleurs,
s ' i l y a pénurie de logementsau point que
les pouvoirs publics se trouvent désarmés,
i l est encore
bien plus difficile à
un enseignant ou un
chercheur,
age~t de l'Etat, de réussir là où le gouvernement a échoué,
m~me avec une indemnité de logement".
. .. / ...

Il ajoutera
:
"Le SYNARES interpr~te un tel projet corn~e un moyen de
se débarrasser des problèmes
sociaux du personnel ivoirien
pour apporter des solutions à certaines difficultés que
rencontre le personnel expatrié
.•• "
Il affi rmera
"La solution de l'indemnité et son applicati6n excluera
"de facto" les enseignants et chercheurs nationaux des
quartiers proches de leur lieu de
travail.
Non seulement
une telle évolution 'instaurera une sé"réc-ation raciale sur
D
:~
le plan. résidentiel
(à cause des loyers tr~s élevés à Cocody(l);
mais
surtout elle aggravera les différences de conditions
de travail qui
existent entre les enseignants et chercheurs
recrutés en CSte d'Ivoire ou
hors deCSte d'Ivoire"(2).
En tout état de
cause,
les membres du SY::AEES pe:lsent que
la mesure de l'indem~ité à la place du logement lui-m~me
non
seulement réduira le pouvoir d'achat des
enseignants
nationaux,
mais entrainera à court ou moyen terme un
"échec de la politique légitime d'ivoirisation du personnel
enseignant" .
Ces positions du SYNAEES,
exprimées dans un document établi
le 17 janvier 1978 et remis au Ministre de la Construction
et de l'Urbanisme,
seront reprises dans
ce qu'elles ont
d'essentiel dans un autre document élaboré avec tous les
autres syndicats d'enseignants et associations d'inspecteurs
et d'éducateurs le 28 mai 1978.
... / ...
(l)L'université d'Abidjan est située à Cocody,
qu~rtier
résidentiel qu'habitent les couches aisées d'Abidjan et les
~ersonnalités politiques, et une bonne parti~ des
enseignants.
(2):='ocument SYNAEES,
POS} tian
du SYNt,,3S sur la c'::e:c:"t·; on du
logement administratif,
pp.
3 et 4

525.
Dans sa conclusion,
ce dernier document persiste à refuser
le principe de l'indemnité en donnant des
conditions d'une
éventuelle acceptation de l'indemnité,
telles que le
gouvernement devait être incapable de s'y p l i e r ;
par
exemple,
le SYNARES demandait que l'indemnité s'appliquât
à tous les enseignants et chercheurs
sans discrimination
de nationalité.
Cela ne pouvait être accepté par un
gouvernement qui,
dans
ses accords de coopération,
prévoit
la gratuité du logement aux assistants techniques.
Quand les enseignants
seront reçus par le Président de la
République le 17 septembre 1978,
le SYNARES réaffirmera
que
rI
l'indemnité de logement n'est pa3 Iln abri
sOr".
Comme on le voit,
les enseignants
savent défendre leurs
intérêts matériels et moraux;
mais
en ffiême
temps et au-delà,
ils posent des problèmes politiques:
la présence massive
d'assistants dits techniques aux prérogatives énormes leur
parait relever d'une politique à la limite anti-nationale ;
car,
selon eux,
si dans l'immédiat le3 assiste.nts
techniques
permettent de suppléer au manque d'enseignants,
leur présence
massive empêche l'effort d'ivoirisation par la mise en
place d'
"un pland'ivoirisation cohérent du personnel
d'enseignement et de recherche qui intègre tout aussi
bien
la formation des formateurs
en amont,
le recrutement et les
modali tés· de perfectionnement en aval"
(1).
Le SYNARES
soulignera en effet qu'après 18 ans d'indépendance,
les
Ivoiriens ne représentaient que 49 % du personnel
d'enéadrement à l'université,
à peine 24 %à l'Ecole
Normale Supérieure,
et à peine 20 f, à l'Institut National
Supérieur de l'Enseignement Technique,
à l'Ecole Nationale
Supérieure des Travaux Publics et à l'Ecole Nationale
Supérieure d'Agronomie,
et que le drame est qu'on ne perçoit
nulle part l'ébauche d'une politique de formation des
formateurs ..
(1)
Document SYNARES,
Rencontre avec le Président de la
République.
Position à'l SYl~;~2:~.:', sur 12 question enseiimante
p. 13

526.
Les membres du SYNARES ont conscience du rôle très important
que le pays attend qu'ils
jouent;
et ils se disent au
coeur
de la nation.
C'est pourquoi,
selon eux,
i l ne
saurait être
question d'envisager les problèmes qui
sont les leurs d'un
point de vue purement corporatiste.
Car ils entendent
assumer pleinement leurs
responsabilités.
Et cela signifie
pour eux:
ne pas hésiter.à reprendre les dirigeants quand
c'est nécessaire,
et mettre l'Etat en garde contre toute
politique qui ne sert pas à long terme les intérêts de la
nation.
3. Le SYNARES à l'occasion du problè~e de la recherche
Les militants du SYNARES
considèrent la recherche comme un
de leurs domaines d'activités,
et dans
ce domaine,
ils
entendent non seulement défendre leurs intérêts collectifs,
mais ils ont la volonté et la prétention de
contribuer à
créer un avenir scientifique en Côte d'Ivoire,
fondé
sur
les
bases saines d'une véritable politique scientifique.
Mais le pouvoir en place a-t-il,
lui,
une politique
scientifique réelle et ajustée aux intérêts de la nation ?
De l'avis du SYNARES,
pas vraiment ou en tout cas,
pas tout
à fait.
Ce sentiment des membres de ce syndicat s'est
particuli~rernent accru lors de la décision gouvernementale
en date du 15 novembre 1979 de démembrer le Ministère de
la Recherche Scientifique en replaçant dix instituts de
recherche en sciences économiques,
humaines et sociales,
sous la tutelle du Ministère de l'Education Nationale,
ainsi
que tous les laboratoires de recherche en· sciences de la
nature à l'exception de
celui des
substances naturelles
(1) .
.../ ...
(1 ) Monsieur le Ministre de la Recherche scientifique,
profess~ur àla Faculté des Sciences, est naturaliste.
Il a da céder son poste de ministre à un autr0 depuis
le 2 févri er 1981.'

527.
De l'avis du SYNARES,
i l est ab~rrant de vouloir confiner
le Minist~re de la recherche scientifique ~ ne s'occuper
que d'organismes de droit ~tranger et d'organismes sp~cialis~s
dans l'application des r~sultats th~oriques, et de vouloir
rerr:ettre les organismes de recherches fondamentales dans un
"ghetto intellectuel"
en cantonnant ces organismes nationaux
dans le seul rôle de soutien ~ l'enseignement universitaire.
A partir de telles analyses,
le SYNARES peut affirmer qu'il
s'agit en fait pour le gouvernement
"de donner satisfaction
~ tous ceux qui auraient pu craindre la concurrence
efficace d'organismes nationaux;
car ces derniers posero~t
toujours demain les probl~mes de la recherche et ceux de
l'utilisation des
"produits de la recherche"
en fonction
de l'exigence d'autonomie scientifique et technique de la
nation
en gestation"
(1).
Et plus p:'ofond~ment encore,
le SYNARES pensera qu'il
s'agit de liquider ~ terme la
recherche apparue "soudain"
comme non urgente et non
prioritaire pour un pays en voie de développement qui peut
se satisfaire de
"rechercher l'exploitation des résultats
de la recherche des autres pays,
en particulier celle des
paY3 industrialisés"(2).
Aussi,
le SYNAR~S s'engagera-t-il dans une action traduite
par des assemblées g~n~rales qui donneront lieu ~ un
"Me~orandum du SYNARES sur la politioue de recherChe
scientifique en Côte-d'Ivoire"
... / ...
(1)
Document SY~ARES : Memorandum du SVNARES sur la politique
de recherche scientifioue en Côte d'Ivoire,
adressé au
Pr~sident de la République, p. 14
(2)
Recommandation du plan quinquennal 1976-1980 cité par
le Memorandum SYNARES
sur la recherche

528.
Dans ce Memorandum,
i l déclare que
son action
"est motivée
1 ... 1 par la volonté de contribuer à la sauvegarde de l'avair
scientifique de la Côte d'Ivoire;
elle a pour but d'éclairer,
plus que de coutume,
la classe politique de notre pays et
l'opinion publique ivoirienne sur un aspect fondamental
et
un outil indispensable du développement;
elle a
enfin pour
obj~ctif de contribuer à définir sur des bases saines une
vér~table politique scientifique en Côte d'Ivoire, propédeu-
tique à une politique efficiente de lutte contre le sous-
développement général,
contre la d~pendance économique et
culturelle"
(p.
2).
C'est pour toutes ces raisons qu'il voudra attirer par son
Memorandum,
l'attention du Président de la République
ôur
les retombées,
surtout à long terme,
de la décision
gouvernementale,
à savoir:
"la permanence de la dépendance
tectnologique et scientifique",
"le renforcement de la tutelle
qu'exerce l'extérieur sur l'accroissement de nos forces
productives".
au moment même où
"dans tous les pays du monde
cont~mporain, il n'est plus possible de ne pas voir'dans la
connaissance et dans la science un élément fondamental
de.s
forces productives"
(p.
16).
C'est toujours dans le m~me esprit que dans sa "Motion Sur
la recherche scientifique" en son premier congrès ordinaire
des 2,
3 et 4 mai 1980,
le SYNARES fera remarquer en outre
"le renforcement et l'occupation quasi
totale du terrain
de la recherche par les
structures de recherches étrangères",
rappellera "que la recherche scientifique nationale et ses
produits constituent un patrimoine national",
observera
"que les chercheurs nationaux sont trop souvent des reclus
dans les
structures de recherche
étrangères implantées en
Côte d!Ivoire",
souhaitera
"qUE les résultats de recherches
entreprises en Côte d'Ivoire ne soient plus dissimulés,
voire
expatriés,
et què les bénéfices de
ces recherches reviennent
en priorité à la nation ivoirienne"(l)
... / ...
(1)
~ocu~ent SYNARES, ~~emi0r Con~rès ordinaire des 2, 3 et 4
~ai 1980. Rapport d'activité, pp. 68 et 70

529.
Ainsi donc,
au-deYà du fait du d~mant~lement du Minist~re
de la Recherche Scientifique,
ce que les universitaires
ivoiriens voient,
c'est que la recherche scientifique n'est
pas bien perçue comme une activit~ de production scientifique
capable d'engendrer une certaine inàépendance nationale.
Aussi,
l'enjeu de leur lutte apparaît-il
être la d~f~nse
de, la. nation menac~e par une politiq~e politicienne qui
"brade" la recherche et qui,
cornme toujours àans le pays,
ne veut compter d'abord que sur l'ext~rieur.
N'est-ce pas d'ailleurs ainsi partout dans les pays où la
d~pendance semble être assum~e par les pouvoirs en place
comme le signe d'un'r~alisme politiq~e et un acte d~ courage
en mati.~re de d~veloppement ?
Le
nationalisme
des intellectuE.ls
a alors du mal à • r~\\;(.... ter une telle
si "Luation.
C'est pourquoi
ceux du SYNARES,
dans le ~apport de politique
~~n~rale en leur congr~s de mai 1980 diront:
"Vingt ansapr~sson accession à la souverainet~
internationale,
force est de
constater que la
Côte d'Ivoire,
pays
sous-d~velopp~, demeure dans
un ~tat de d~pendance de plus en plus accrue
-
dépendance ~conomique et extraversion qui
maintiennent dans la fragilit~ cette ~conomie et
expliquent sa plus grande
sensibilit~ à l'inflation
véritable bête noire des
salari~s ;
- d~pendance politique qui se traduit par la
permanence d'accords dits de
coop~ration favorisant
la d~pendance ~conornique ;
-
d~pendance culturelle qui se manifeste par le rejet
ou la disqualification de notre culture nationale,
la diffusion des
sous-produits de mod~les culturels
~trangers, bref l'aculturation o~t~ageuse de la
jeunesse ivoirienne"
(1)
... 1...
(1) Rapport de politique g~n~rale in ?re=ier confr~s des
2,
3 et L mai 1 0 80 pp. 65-66

530.
C'est dans untel contexte,
soutient le SYNARES,
qu'il faut
voir que "la politique en mati~re d'enseignement et de
recherche scientifique,
un des instruments privilégiés
de la dépendance économique,
techniqùe et scientifique,
se caractérise
(entre autres)
par:
le démant~lement de la recherche scien~ifique
- la disqualification des
cadres nationaux au profit
d'un personnel
expatrié souvent de formation plus modeste
- le malthusianisme des
structures de formation universitaire
et scelaire
- l'absence d'un pla,n cohérent et volontaire d'i'JoiTisation
du personnel m~lgré les déclarations officielles'! (1)
Le
texte est c l a i r : les
enseignants y manifestent leur
nationalisme devant un pouvoir qu'ils accusent d'hypothéquer
l'a '/eni r
du pays et de
"brader" l ' indépendan ce et la digni té,
nationales
sous prétexte de pragmatisme et de réalisme
politiques et économiques.
Les trois exemples de luttes des enseignants ivoiriens
comportent bien des revendications,
trahissent des conduites
de crise
(dans la défense des prérogatives et l'~ppel à un
statu quo);
il~
expriment les efforts des
enseignants
pour participer aux discussions et aux décisions les
concernant et concernant les domaines de l'éducation et
de la recherche
; mais:h
mettent surtout à nu les
"actions critiques"
contre l'Etat qui
semble accepter
la domination étrang~re et intérieure. En d'autres termes,
les universitaires du SYNARES manifestent pour l'essentiel
une défense communautaire sociale et culturelle mêlée à
une attaque politico-économique dirigée contre l'étranger
et le pouvoir en place.
(1) Rapport de politique générale in
... /. ...
Premier congrès des 2,
3 et 4 mai 1980
pp.
65-66

531. "
Autrement dit encore,
si les enseignants s'en prennent au
pouvoir d'Etat,
c'est en fait pour en appeler à un Etat
national "souverain,
capable de restaurer la collectivit~,
capable de lutter contre la d~pendance à l'~gard du
colonisateur d'hier et de tout ce qui
est li~ aux int~rêts
~trangers, pour autant qu'il participe à la d~sarticulation
de la soci~t~ nationale.
Mais le message nationaliste des
enseignants peut-il être
reçu favorablement par le pouvoir qui
doit prendre en compte
les autres aspects de leurs luttes? N'a-t-il pas int~rêt
à ignor8r le message profond en se dépêchant,
autant que faire
se peut,
de donner satisfaction à ces asnects-là de" leurs
luttes? Et la satisfaction des revendications n'a-t-elle pas
un effet soporifique sur la vigilance n~~ionaliste des
enseignants pris souvent entre des
conduites de crise et
des conduites de rupture? Le pouvoir en place est toujours
fort de la faiblesse des
enseignants.
Cette faiblesse
fait d'ailleurs inteTpr~ter leurs élans et accents
nationalistes comme des d~sirs inavo~és d'iliclusion,
comœe
des appels masqués à l'intégration,
pour r~clamer la place
souhaitée par eux dans le système social.
Que peuvent en effet les enseignants
tant que leur
nationalisme ne rencontre pas ou plutôt ne féconde pas
des mouvements populaires ?
On peut se demander aussi
jusqu'à quel point le peuple est
prêt à suivre les intellectuels.
Ne cesure-t-il pas en
effet avec inqui~tude et d~ception la distance qui se
creuse de plus en plus
entre eux et lui ? Et de manière
apparemment paradoxale,
n'est-il pas dérouté par leur
faiblesse économique et leurs assises politiques peu
solides au moment o~ la misère le contraint à attendre
des
"sauveurs"
puissants,
efficaces et g~néreux sur le
plan ~conomique et politique?
... / .. ·

532.
Pendant les ~lections l~gislativesivoiriennes de 1980,
plusieurs enseignants de l'universit~ ~taient candidats
ou soutenaient ouvertement et activ~Dent des candidats
qu'ils
d~signaient au choix du peuple de leur r~gion
plus
d'un n'a pas ~t~ suivi
: le peuple a pr~f~r~ parfois a eux
ou a leur candidat d'autres candidats.
C'est dire qu'à
l'heure actuelle,
le capital
culturel n'est pas une garantie
certaine de rayonnement social.
~e détenteur de ce capital
entre en compétition devant le peuple avec d'autres personnes
qui disposent de
capital
économique et de capital social,
sans d'ailleurs être toujours dépourvues de
capital culturel.
Les difficult~2 que les enseignants peuvent avoir pOllr ~tre
entendus et suivis par le peuple-50ul~vent le probl~me
gén~ral des rapports entre les intellectuels et le peuple.
Que peuvent être par exemple les
re12tions entre les
écrivains ou même les étudiants et le peuple? Celui-ci
dans sa majeure partie est analphab~~e dans la culture
occidentale,
et ne l i t pas les oeuvres littéraires;
i l
ignore aussi les mots d'ordre des mouve~ents d'étudiants ...
Les relations des intellectuels avec les masses populaires
sont souvent d'ordre personnel ou
se
situent dans le cadre
d'organisations villageoisés ou r~gionales ou dans le cadre
d'autres structures. Mais on peut se demander jusqu'à quel
point la qualité de fils
d'un village,
d'une région,
ne
prime c::as et ne mesque pas la quali té d'intellectuel,
autrement
d i t :
qui est accueilli par exemple dans un village,
l'intellectuel ou le f i l s ?
On peut s'interroger sur
l'impact réel des intellectuels en tant qu'intellectuels
sur le peuple.
... / ...

533.
A la fin de
ce chapitre sur le nationalisme des intellectuels,
plusieurs remarques sont à faire.
On peut noter que le plus souvent,
les
enseignants et les
étudiants partent de leur situation objective et de leurs
revendications pour soulever des problèmes qui
concernent
toute la société nationale.
Les enseignants confrontés à
la réalité de la vie professionnelle,
aux relations·directes
avec les différentes
catégories socio-professionnelles
parlent,
semble-t-il,
moins au nom du peuple,
des masses
laborieuses,
que les étudiants.
Ceux-ci,
par l'usage
m~me du vocabulaire populiste et révolutionnaire marquent
sans qu'ils sIen rendent
compte toujours la distance qu'il
peut y avoir entre leur rapport théorique uu peuple,
celui
de leur discours,
et leur rapport rêel
et concret avec lui.
Tout comme les écrivains,
quand ils font oeuvre d'imagination
et font parler le peuple ou parlent en son nom.
L'étude
des textes littéraires montre cependant que les écrivains,
s'ils parlent au nom du peuple et au peuple,
et développent
par conséquent des thèmes nationaux
(donc en rapport avec
l'Etat et la domination étranFère),
sont tout de m~me attAntifs
~
aux luttes sociales~ aux rapports de Domination et en
appellent aussi
à l'action sociale pour changer la société
et l'ordre établi.
On pourrait donc m~me penser qu'ils
mènent une forme
confuse de lutte de
classes ou ont
l'ambition en tout cas de transformer en acteurs
ceux qui
subissent.le changement.
On doit reconnaître qu'eux autant que les autres intellec-
tuels s'élèvent contre l'accaparement des richesses et du
pouvoir par une classe dirigeante,
mais on doit admettre
qu'ils combattent davantage,
à la vérité, le pouvoir,
l'Etat et la domination étrangère.
Leur
aètion
comme celle des autres intellectuels est
plus politique
que ~ociale~
.../. ..

534.
Par ailleurs,
leur nationalisme en réponse à la domination
extérieure ne doit pas permettre de
se méprendre sur leur
co~pte : ils sont contre la domination et le manifestent par
une réaction ou même une action de défense de la
communauté
luttant contre la dépendance,
la désarticulation et la
désagrégation;
mais
cela n'empêche pas du tout qu'il y
ait chez eux une volonté de rèappropriation des apports
extérieurs modernes. Et on peut dire qu'en réalité leur
nationalisme en appelle à la construction d'un Etat
véritablement national et souverain mais modernisateur.
On pOUrrait se demander jusqu'à quel point ce nationalisme
me~e a une incidence réelle sur les masses. Ce qui est
sur.
c'est qu'il
est aussi
un appel
au service du peuple
et qu'il en appelle à la démocratie.
... / ...

535.
CHAPITRE
II
LE LIBERALIS11E DEMOCRATIQUE DES INTELLECTUELS
Le problème qui intéresse ici peut se formuler de la
manière suivante:
en quoi les valeurs de liberté, de
dé~ocratie paraissent-elles, aux yeux des intellectuels
africains,
indispensables dans leuTs pays,
et aussi en
quoi leur i~porte-t-il à eux-mêmes que celles-ci existent?
L'idée centrale qui oriente cette partie du travail est que
les in:ellectuels africains en appellent à la liberté et
à la dé~ocratie ou du moins à l'oJverture des régimes parce
qu'ils protestent contre l'écrasement de la société par
l'Etat préoccupé d'ordre et de calme pour accroître sa
puissa~ce et pour rassurer les investisseurs étran~ers.
Celui-ci ne tient-il pas en effet à démontrer que la paix
sociale et la stabilité politique existent dans le pays'?
Ainsi donc,
l'opposition des intellectuels s'exprime
d'abord contre l'Etat avant d'être contre la domination
sociale,
encore que la première appelle la deuxième~
On doit noter aussi déjà que la plupart des intellectuels
ne s'embarrassent pas de définitions quand ils recouren~
ou en appellent aux notions de liberté et d~ démocratie
leur but premier en effet n'est pas,
semble-t-il.
de
répondre à une passion. égalitaire brGlante ni d'utiliser
ces ternes immédiatement comme des armes contre des
arguments d'autorité dans le cadre précis de lutte pour
la "lai'cisation" et le progrès de "l'esprit d'examen"
c'était le cas des "philosophes"
du XVlllème siècle;
Tocqueville en traite dans L'ancien régime et la révolution
(Livre III,
chap.2).
(1)
(l)'='o~q·;eville(.~) L'anC"it,n l'pnn' ê' et l" révolution in
:euvT8.o .comul ètes. ?ari s. GaJ.lin,,:<rd 1964. Françoi s Bourri caud
':i,:;Yj
é.,,~

s 'i~::~resser aussi à la c;uestion des -cassions
,
"
::emo.'ra1..iques 'chez les int811pc~uê'ls. cf. Le 1:"ico]2;e
~-~~f<·0 ~i ~ ~':., .~ ~.~ ~~:]_:, "':,,j~,.:'1,'"
,c,
i l~ c .,.]:'. c (' tue Ise t J:. s ,.-:. ," si 0:' s
-
l
~~ _
_
_ , '
1. Cl.~; c;

536.
C'~tait tout compte fait le cas aussi des "publiscistes"
américains
dont Tocqueville fait ~tat da"s La dé~ocratie
am~ricaine
. Les intellectuels africains parlent
davantage de d~mocratie et de liberté -e~ les associant
d'ailleurs- dans le cadre de l'espace et de l'ordre
politiques de leurs Etats soucieux d'imposer une paix
sociale artificielle.
C'est pourquoi
ces intellectuels en
parlent en focalisant essentielleme~t le~r regard sur la
politique intérieure de leurs Etats et s~r la place et le
rôle qui
sont accordés au peuple et aux ~asses dans la
nation et dans la gestion même du pays.
A première vue.
c'est pour le peuple et en son nom q~'ils appellent de tous
leurs voeux la liberté et la démocratie Gans les sociétés
africaines.
la mise en place d'institutions démocratiques.
Ce chapitre s'appuiera sur l'étude de la littérature et
sur les documents produits par les é:ouve~ents étudia~ts.
Les étudiants en particulier.
jeunes et fougueux.
permettent
d'ailleurs de se rendre compte du radicalisme chez les
intellectuels
(radicaligme entendu au
se~s anglo-saxon de
critique impitoyable de ce qui est,
en particulier de
l'organisation politique et sociale).
Mais avant d'aborder de façon détaillée le problème qui
préoccupe ici.
peut-être faut-il préciser encore en quoi
i l consiste réellement.
Dans les sociétés africaines actuelles. périphériques par
rapport au centre du système capitaliste,
l'Etat est
l'initiateur principal des
changements majeurs;
et i l
impose son hégémonie aux classes.
Il apparait très vite
comme le défenseur de l'ordre établi
tout en étant l'agent
de transformation volontariste de la société.

537.
Son effort de modernisation et d'industrialisation en
liaison avec l'~tranger lui impose qu'il exerce une
certaine dictature sur la
soci~t~ civile, refusant ainsi
et de fait la formation
et l'expression ind~pendante
d'une action de classe.
D'où,
en retour,
des-luttes à la
fois au nom de la libert~ d'expression et pour la d~uocratie
et'contre la domination que l'Etat exerce,
surtout en tant
qu'il est au
service du n~o-colonialisme.
A. L'INTELLECTUEL LIBERAL. POUR LA DEMOC?ATI~ ET LA LIBERTE
D'EXPRESSION AU NOM D~S DROITS DE L'H[:::~E ET CONTRE
L'AUTOCRATIE
L'intellectuel qui parle au nom de la li~ert~ d'expression
existe.
C'est lui'- par exemple,
qu'on rETIC::1tI8 dans L'errance
(d~jà cit~) admirant le
caquet d~li~
de toute une
assistance au
cours d'une réunion publique.
Dans L'errance,
on voi t
cet intellectuel l i béral regretter que
"le dialogue
public" provoqu~ plu le discours des candidats aux législatives
se soit interrompu trop vite.
Il
comm~nte :
"La liberté d'expression n'aura vécu que le temps
d'~change de quelques paroles, de regards et d'~coute"
(p. 7J)
Il ajoutera
"La sc~ne venait de donner un avant-goOt de ce que
pourrait être une
soci~t~ des contradictions clamées
à haute voix,
du discours pluriel nourri
de la
parole directe du peuple"
(pp.
73-74)
L'intellectuel libéral apprécie la libert~ d'esprit, il
ne transige pas non plus avec la démocratie.
Et c'est
pourquoi i l s'intéresse de pr~s à tout ce qui
se donne
être la démocratie en Afrique.
':811es qui
se
claf.1ent o_~
voient le jour avec beaucoup de tambour n'éctapp~nt pas à
sa vigilance critique.
... / ...

558.
Ainsi par exemple, l'effort de Léon Migname, président du
Sénégal,
dans le dernier roman de Sembène Ousmane,
Le dernier de l'empire (1)
fait l'objet de plusieurs
observations du journaliste Kad et même d~
. ministres
et anciens ministres. Le ministre Correa par" exemple,
fait
remarquer:
"Hormis les communistes clandestins, l'opposition
légalé a été façonnée par le Vénérable" ; il ajoute
"Nous ne nous portons pas plus mal a~ec ce semblant de
démocratie.
même si elle a été créée par le Vénérable.
A l'extérieur,
c'est pour lui une victoire,
wn facteur de
renommép.
Il est bon d'entendre d'autres sons de cloches"(2).
Et le vieux Tidiane, mini.stre de la Justice avant sa
démission,
critiqué de saper l'unité en s'opposant ~ la
règle de la majorité,
répliquera:
"Une pyra::lide
monarchique.
votre l'lajorité dél'l0c<'ratique ... "0). Il aura
l'occasion d'ajouter
"La démocratie telle qu'on nous
l'inocule n'est rien d'autre qu'un pouvoir féodal,
simple,
modernisé ( ... ) La démocratie est issue de la base, non du
sommet de la pyramid~"(4). Et dansun entretien aVec le
vieux Tidiane, le journiliste Kad,
lui aussi dira:
"Peut-être le président de la République veut nous initier
~ la Nouvelle Démocratie. Imposer cela de l'intérieur de
la pyramide?". Comme l'ancien l'linistre de la justice
laisse entendre que "dans un processus d'évolution,
ce
point de vue est défendable",
Kad ne se privera pas
d'objecter:
"Lui-même l'aurait-il accepté s'il n'était
celui qui est au-dessus ?"(5)
(1) Le dernier roman de Sembène Ousmane est l'histoire
romancée
(~ peine) du Sénégal
(2) Sembène Ousmane,
Le dernier de l'empire,
Paris Harmattan
1980,
tome l, p. 30
(3)
idem p. 180
(4) Sembène Ousmane,
Le dernier de l'empire,
tome 2, p. 200
(5) idem,p. 19

539.
C'est exactement la même remarque qui est faite dans
Jeune Afrique
(1) à propos de la question de savoir si
Houphouet-Boigny est démocrate pour avoir permis des
élections législatives où les candidats 'à la députation
n'étaient pas présentés sur une liste nationale du Parti.
Le journaliste Sennen Andirarnirado répond
"Houphouet l'Ivoirien "paysan de Yamoussoukro"
n'est pas un homme politique comme les autres.
Il
est le chef de famille,
il est le chef de village,
chef tout court,
dans l'acception africaine du
r61e.
Incontesté parce qu'incontestable,
intouchable,
invulnérable. Le "vieux" le sait.. Et il nIa pris
aucun risque en prônant la démocratie.
Il ne craint
pas la d~mocratie parce qu'elle ne peut pas l'atteindre.
Tout se passe en dehors de lui,
en-dessous de lui,
au pied du piédestal où il est juché. De là,
il
observe son peuple. Tout le monde est au même
niveau,
sauf lui. Voilà la démocrRtie selon
Houphouet"(p.
42)
A la vérité,
l'intellectuel libéral n'admet pas qu'il puisse
y avoir de démocratie là où il y a autocratie
et ce n'est
pas l'appel fait aux jeunes technocrates pour participer
au pouvoir' qui le tromperait.
Cela est expliqué encore
dans Le dernier de l'empire
(tome 1)
"Léon Migname en aspirant par le bas cette seconde
génération,
en la canalisant,
en l'orientant,
élargissait aussi
son pouvoir de contrôle,
tout en
l'accroissant'I(p. 24)
"Le rajeunissement des 'cadres dirigeants n'avait eu
pour autre but que le raffermissement de son auto-
craiie'l(p. 27).
• •• 1...
- - - - - - -
(1) Jeune Afrique du 15 novembre 1980, nO 1032, p. 42
... 1...

540.
En effet,
ces
jeunes technocrates se tiennent dociles et
cela d'autant que le pr~sident Migname "les sachant avides
de jouissance,
assoiff~s d'honneur et de rang / ... / les
comblait de ces petites choses qui
tien~ent en vous toute
volont~ de r~action, de rebuffade, de d~saccord avec le
P~re-chef'l(p. 178).
Et pour l'intellectuel lib~ral, un des signes indicateurs
de l'absence de d~mocratie dans un pays est la peur
même qu'on y a des jeunes aux id~es d~mocratiques. Cette
situation est camp~e dans ce passage de La colline du
fromager de Daniel Etounga Mangu~l~. Moussaka,
devenu
charg~ de mission à la Frésidewe de la R~publique reçoit
N' Tarn,
un ancien camarade de classe,· de retour de France
et à la recherche de travail,
et dont les demandes n'ont
jamais de suite alors qu'il est hautement qualifi~ ; il
lui explique :
t'Notre régime est en train de se mettre en place,
et pour durer,
nous devons
choisir des hommes de
confiance. Vous qui avez v~cu.longtemps en France,
souvent vous revenez avec des idées qui
sont
inadaptées au pays,
i l y en a qui parlent de
Démocratie,
de libert~ de la presse,
de multipartisme,
que sais-je encore . . . "
(p.
87)
C'est le même inconvénient,
dans Laisse-nous bâtir une
Afrique debout de Matip
(1)
que le Docteur Bisseck
présente aux yeux d'Aladji
Bandalo,
président du Comité
départemental du Parti unique et représentant personnel
du président de la République de
"Banibil:'Lon",
et aux
yeux d'Onana Olinga,
sous-préfet de Nko Njok et dél~gu~
du gouvernement de la
"République démocratique,
fédérale
et africaine de Banibil-Lon".
... / ...
(1)
Matip
(B),
Laisse-nous bâtir une Afrigue debout,
Ed.
Arr i cas '20 p e ,
l 9'i cl

541.
(....... ,
Le Docteur Bisseck parait d'autant plus coupable qU'il a ~se
se fâcher contre l'intrig-~nt Aladji Bandalo et lui demander
s ' i l connaissait les
"Droits de l'Homme et du Citoyen " et
la !'Constitution " du pays (1). Onana Olinga, poussant un
gros rire de dérision,
persiflera
I!La constitution,
ah
! ah
! ah
!,
la constitution.
Les droits de l'homme
. . . Je vais lui apprendre
à les réciter par coeur,
moi.
Les droits de l'homme
et de la bête . . . Encore un imbécile qui
croit
exporter "leur"
révolution ici. Je vais lui
apprendre à vendre des camelotes de la révolution
mondiale. Ah
! ah ! ah
! la constitution et les
codes des lois.
Il faut lui apprendre qu'ici,
nous
sommes la constitution,
les
codes,
la loi.
Nous
sommes les seuls représentants de son Excellence
Monsieur le Président de la République " . Et
Aladji Bandalo d'ajouter:
Il • • •
Il a parlé de ses
"droi ts ",
de ses
"li bertés ".
Encore un qui .croi t
que nous
sommes ici au Quartier Latin.
Là-bas,
ils
peuvent gueuler.
Foutre la pagaille.
I6i,
jamais l' (2)
Ainsi,
des responsables politiques se croient au-dessus
des droits de l'homme qu'ils considèrent pratiquement comme
un luxe pour pays développés.
Cela,
l'intellectuel libéral
ne peut l'accepter.
Il condamne alors les régimes qui,
comme
le pense Dramouss
(3) se bâtissent dans le sang, par les
soins des incendiaires de cases,
des régimes fondés
sur
la violence et qui trahissent "sans aucun doute,
tout à la
fois le socialisme,
le capitalisme et la tradition africaine
.
"
(1)
l~atip (E),
op.cit.
?p.
70-71
. (2)
Ibidem
(3) Personnage du ro~an de Camara Laye Dramouss, Paris,
Ed.
Plon,
1966,
pp. 185-186

542.
On remarque par conséquent que l'intellectuel libéral
parle au nom du droit et d'une conviction morale: pour les
droits de l'homme, pour la démocratie et la liberté, il
est contre tout ce qui ressemble à l'arbitraire. Son action
se présente souvent comme contestataire en ce sens même
qu'elle condamne ce qui se fait au nom de ce qui devrait
êt~e. Son action critique relève aussi de l'éthique dans la
mesure où le droit apparaît chez lui comme l'expression
nécessaire des exigences d'une conscience morale universelle.
Mais l'action de l'intellectuel pour la démocratie peut
prendre d'autres expressions et surtout d'autres significatioœ.
Et quand les intellectuels sont les étudiants, que devient
et que signifie la lutte pour la démocratie et la libe~té
d'expression?
B. -.CO'7TRE LA DOMI~ATIO~ DE L'ETAT AU SERVICE DU N~O­
COLONIALISI1E. POUR LA DEMOCRATIE ET LA LIBERTE
D'EXPRESSION
1. Etat démocratique et "terrorisme d'Etat"
Qu'est-ce qu'un Etat démocratique? Au dire des étudiants,
précisément ceu~ réunis dans l'Association des Etudiants
Cong~lais (A.E.C.) et qui s'expriment dans un numéro spécial
de leur organe, L'Etudiant Congolais, 1975, un Etat
réellement démocratique est "~au service des couches et
classes les plus nombreuses de la population et non au
service des couches ~t classes minoritaires et exploiteuses" .
.../ ...

543.
Ils affirment
"Le
caract~re fondamentalement d~mocratique de
l'Etat est d'autant plus n~cessaire qu'~l y a
toujours dans une politique de d~veloppement
~conomique des int~rêts ~tablis ~ui travaillent
dans le
sens du maintien de l'~tat des choses
existant et qui
s'opposent aux transformations
qu'exige le développement économique.
Seul donc
un Etat qui est assur~ de l'appui massif et
actif du peuple est capable d'assurer effectivement
un
(véritabl~ d~veloppement économique)"(p. ·16)
Or,
scl~n la plupart des organisations ~tudiante2, la
sitl'ation des pays africains,. à 1!_ex8r:Jple de
celle de la
cS te d'Ivoire que décrivent les ~tudiants de l'U.N.E.E.C.I.
dans le Spécial VII Congr~s Grenoble 1974
(1),
lise
caract~rise par la domination dans tous les domaines de
la vie,
de l'impérialisme international,
français notamment,
et ses valets,
sur les larges masses populaires. des villes
et des campagnes d'une part,
et d'autre part par une lutte
r~solue des masses populaires"
(p.
19)~ Ce qui fait que
-à en croire toujours les étudiants-,
"Le souci
constant
de la valetaille au pouvoir 'est le maintien de la
" s tabili t~ poli tique" et de la " pa ix sociale" pour permettre
à l'impérialisme de piller impunément nos richesses
nationales et exploiter férocement notre peuple"
(p.
23)
D'O~ les "moyens de cette politique /
••.
/
bien connus:
"parti unique réactionnaire
-
" r épression,
corruption,
mystification
-
"régime à caract~re anti-démocratique et
autoritaire"
(p.
23)
.. .'/ ...
,
(1)
LI~tudiant ivoirien, spécial VII congres, 22 au 26 d~cembre
1974

544.
Les étudiants de l'Union Nationale des Etudiants Socialistes
du Kame~un (U.N.E.S.K.)
s'appuyant sur l'exemple précis
du Cameroun étalent le même radicalisme dans leur organe,
Bebela
(La vérité)
de juillet 1978
(document nO l
ils affirment
"Toutes les difficultés
économiques et sociales
dans lesquelles notre pays est plongé aujourd'hui
découlent du régime politique sous lequel i l vit.
Au Kamerun,
c'est le rè~ne du terrorisme d'Etat.
Le régime kamerunais actuel a été mis en place
1... 1 par les troupes françaises peu avant
l'indépendance néo-coloniale.
Pendant près de
vingt ans, i l a largement fait la preuve dans les
faits,
en dépit d'une abondante démagogie en paroles,
qu'il ne se soucie pas des intérêts des masses
kamerunaises.
C'est un régime tout entier aU
ser~ice"
des intérêts de l'impérialisme et d'une poignée
d'arrivistes bourgeois qui
s'enrichissent des
miettes du pillage néo-colonial'!
(p.
11).
Ils poursuivent
:
"La répression est le lot quotidien des populations
de notre pays. Elle a pour nom:
bouclages de
quartiers,
interpellations fantaisistes,
"interrogatoires brutaux,
mouchardages généralisés,
passages à tabac,
torture,
assassinats politiques,
dissolution d'organisations,
lois d'exception,
camps de concentration,
etc.
"Pour l'exercice" efficace de ce véritable
terrorisme d'Etat,
le régime dispose d'une police,
d'une gendarmerie et d'une armée encadrée par les
conseillers français,
mais aussi
de corps spéciaux
de répression tels que la B.M.M.
ou Brigade Mixte
Mobile et le Service National de la Documentation
(SE NA DOC),
champions de la torture
et du crime"
(p. 12).


Ils auront déjà affirmé
"Les rares organes de presse écrite et parlée
sont aux mains du régime et lui
servent de
caisse de résonnance pour abreuver la population
de slogans creux et de mensonges"
(p.
Il)
Ce long extrait permet bien de voir
comffient les étudiants
sont radicaux et expriment leur lutte contre les pouvoirs
en place en Afrique.
Le problème de la démocratie et de la
liberté leur sert de plateforme et de
tremplin pour dénoncer
le néo-colonialisme que les pouvoirs
serrblent accepter de
bon coeur,
et pour crier leur anti-i~périalisme dans un
élan nationalié:te.
Ici donc,
c'est le nationalisI:le qui
fonde la critique des intellectue}s à l'égard des pouvoirs
africains et non d'abord la référence aux droits de la
personne ou la référence à l'indépendance de la'~ociété
civile" par rapport à l'Etat
(la
" soc iété politique").
Cette critique est bien constit'utive de la lutte" nationaliste.
2. Au nom même de la démocratie prônée par le pouvoir . . .
C'est parce
que,
par exemp~e, le pouvoir gabonais,
avec
Bongo à
sa tête,
parle de
"Rénovation",
présentée comme
une démocratie ~uthentiquement gabonaise,
basée sur les
principes de
"dialogue,
tolérance,
paix".
que les étudiants
s'en prennent à
ce qu'ils appellent, eux,
" une propagande
mensongère"
qui ne résiste pas devant la réalité.
Ils
s'emploient alors à
exposer cette réalité qui
est
essentiellement "le renforcement de l'exploitation des
~asses populaires •. (qui) a entraîné un mécontentement
grandissant du peuple"(l).
. .. 1...
(1)
L'ét\\Jdiant gabonais,
1973,
nO 3
(Spécial
consrès 1971)
p.
14

546.
D'après eux,
"pour essayer de sauver le régime,
Bongo et
sa clique n'ont trouvé d'autre solution que l'intensifi-
cation de la répression
:
-
fIla
confiscation continue des libertés les
plus élémentaires
;
"la répression sauvage des ouvriers et des mineurs
-
"le matraquage des élèves
et professeurs ;
-
"l'état de siège permanent sur l'ensemble du Gabon
-
"la tentative d'embrigadement des étudiants au
sein dfune association fantoche.
"Tout cela pour garantir les intérêts sordides des
monopoles impérialistes,
notamment français~ au
Gabon"(l).
Les étudiants ont.le sentiment d~voir fait la preuve
qu'au Gabon i l ne peut y avoir de dé~ocratie, alors même
que la "rénovation" s'en réclame.
A leurs yeux,
celle-ci
ne veut que donner le change.
Et si l'Association Générale des Etudiants du Gabon
(AGEC)
élabore un Memorandum ~r la répression a~ Gabon en 1975,
c'est pour alerter tous les 'anti-impérialistes"
et tous
les "démocrates sincères" et l'opinion publique internationale,
et pour les appeler ~ soute~ir avec elle "la juste lutte du
peuple gabonais
contre l'impérialisme international,
notamment franç~is, et ses laquais",
~ dénoncer avec elle
"la répression féroce qui
s'abat sur le peuple gabonais"
et ~ exiger avec elle "l'établissement et le respect des
libertés démocratiques élémentaires au Gabon
•.. ". Bref,
i l s'agit de montrer que.le Gabon n'est pas un pays
démocratique et ne peut l'être tant que ce n'est pas
véritablement le peuple qui
y tient son destin en mains,
mais l'impérialisme avec ses
"laquais" locaux.
. .. 1...
(l) Ibidem

547.
La lutte pour la démocratie passe aux yeux des étudiants
par la lutte anti-impérialiste,
par la lutte pour la
nation,
menacée,
dominée par l'extérieur.
Ce sera aussi le sens des activités et des attaques de
l~AESMF (Association des Etudiants et Stagiaires Maliens
en France)
contre le pouvoir du Général Moussa Traoré.
En s'appuyant sur ce que le Comité Militaire de Libération
Nationale avait promis
en prenant le pouvoir aux cris de
"Vive la liberté",
l'A.E.S.l.J.F.
lui
reproche~a de n'avoir
pas tenu parole.
D'o~ son jugement:
"La "restitution" des libertés démocratiques / •.. /
et toutes les promesses et professions àe foi
démocrati~ue du Comité Militaire se sont traduites
par dix années de dictature féroce,
dix ennées de
règne arbitraire,
jalonnées d'exactions inouies,
de mystification et de répression sangl~nte contre
"le peuple malien.
Entre autres:
-
"interdiction de tout parti et de toute activité
poli tique
;
-
"caporalisation des syndicats et de leur centrale
l'UNTM
(Union Nanionale des Travailleurs du Mali)
-
"imposition en
juin 1974,
dans la répression et
la fraude référendeire généralisée,
d'une
charte
fasciste affublée du nom de constitution,
qui
institutionnalise le parti unique et le
corporatisme syndical
-
"enfin,
embrigadement en mars dernier
(1979)
de tout le peuple dans le parti unique de type
fasciste dénommé UID"Pt~ (Union "Démocratique
du Peuple Malien),
dans le v~in dessein d'étcuffer
la lutte des
classes, principalement la lutte
anti-impérialiste du peuple malien pour
l'indépendance nationale véritable,
la
dérn~cratie
et le progrès Il (l)
"'(""'l""")"""""L;--;"'""'é"'"t-u-a"'"""'l=-·a-n"'"t-m-a 1 i en,
1 9 7 9 ,
n 0
2
( E di t 0 ria 1 ),
p. 1

548.
Ayant ainsi apprécié,
jugé et critiqué l'action du
gouvernement malien apr~s 10 ans de pouvoir, l'AEM3F
ne croit pas au "retour" à la démocratie et à "une vie
consti tutionnelle normale",
lancés par le Comi té Hili taire
(C.M.)
pour organiser les élections législatives et
présidentielles de juin 1979. Appelant à les boycotter,
elle &xpliquera que
"les élections législatives et présidentielles
des 16, 17 et 19 juin ne visent qu'à
"légitimer"
aux yeux de l'opinion publique natio~ale et
internationale,
par un vote,
l'institutionnalisation
et la légalisation,
par le mensonge et la force,
de la dictature au Mali
de l'imp~rialisme inter-
-national et ses valets maliens de la bourgeoisie
politico-démocratique et ~ompradore et des forces
féodales,
représentées par la clique du C.M."(l)
L'AESMF souligne:
"En fait,
au Mali f ... f les Basses populaires
n'ont aucun droit démocratique réel dans la
désignation des
candidats à la députation et à
la présidence partant dans leur élection"(2)
Elle précisera
"Seuls seront él~s députés leurs agents
(de la
bourgeoisie politico-bureaucratique)
conscients
ou inconscients qui iront meubler "l'Assemblée
Nationale" pour voter les lois servant à p.1Useler
les masses populaires et intensifier leur
exploitation"
(3)
... / ...
(1)
Idem
p.
2
(2)
Ibidem
(3) Ibidem

549.
Ainsi,
comme on le voit,
les étudiants sont très
"virulents" ~ l'égard des pouvoirs en place de leurs
pays.
Ils les attaquent au nom même de la démocratie
que ceux-ci osent pr8ner et au nom du peuple.
Or les
pouvoirs prétendent parler eux aussi au nom'et dans
l'intérêt du peuple. La lutte est donc ouverte,
puisque
.
.
les pouvoirs africains et les étudiants. se désignent
respectivement et en s'excluant mutuellement comme
agissant et parlant au nom du peuple et pour le
compte
du peuple et du développement national.
Mais,
tandis que
pour les étudiants,
les pouvoirs sont fantoches
et
néo-coloniaux et prp-impérialistes,
et en tant que.tels
sont disqualifiés pour parler au no~ de la nation, pour
les pouvoirs,
les étudiants ne sont que des
trublions,
ou -comme quelqu'un l'affirme dans une nouvelle
(1)
de
Tchichellé- "des communistes qui
veulent transformer
notre pays en une tanière de l'ours sov . . . ". Et de l'avis
de certains dirigeants,
i l faudrait tenir de plus près
ces "énergumènes".
D'o~, par exemple, l'idée de certains
pouvoirs en place de faire
signer aux é~udiants un
engagement de bonne conduite avant de bénéficier de
bourses d'études.
... / ...
(1)
Sang et sanglots"
(nouvelle)
in Tchichellé,
Longue est la nuit,
C.E.D.A., Hatier, 1980, p. 106

550.
Le gouvernement gabonais,
par exemple,
l'imposera en
1971(1).
Il fut apparemment mal inspiré puisqu'il
permettra aux étudiants de crier à la
répression,
à
l'embrigadement,
au manque de liberté et de démocratie.
Ceux-ci
se battront pour la suppression de cet engagement
et auront gain de cause.
A l'instar des étudiants gabonais,
des étudiants d'autres
pays dénoncent aussi l'absence de démocratie et de liberté
dans leur société.
Ils s'élèvent contre la manière peu
démocratique dont les pouvoirs en place essaient de les
réduire au silence.
... / ...
(1)
Voici les points essentiels de l'en~agement que le
gouvernement gabonais avait décidé pour ses étudiants en
1971
:
"Considérant que le développement de notre pays
exige de tous les Gabonais un
engagement total dans la
lutte contre le
sou~-développement ; que la jeunesse
gabonaise,
et particulièrement la jeunesse étudiante,
ne
peut échapper à cet impératif ;
"Considérant tependant que le plein épanouissement du
Gabon ne peut se· faire que dans l'ordre et l'~armonie ;
qu'au surplus,
le désordre politique,
la paresse et le
manque d'organisation et de discipline constituent des
germes de la ruine des Etats
;
"Considérânt que le travail
est un des pivots de la
richesse des nations et de la prospérité des peuples . . .
"Considérant que f .•. f les grèves des étudiants ont pour
effet,entre autres,
de retarder leur accession aux postes
de responsabilité;
"Considérant que la plus grande contribution que la jeunesse
étudiante puisse apporter à l'édification. d'une société
gabonaise meilleure est de fournir un travail intellectuel
sérieux et intense,
dans l'ordre,
la discipline et le
respect des ainés,
des parents,
de la hiérarchie et des
autorités;
que,
ce faisant,
elle aura réalisé une
oeuvre immense en répandant,
p~r son exemple, une
atmoB,hère de paix sociale dans la cité.
"Pour toutes ces raisons,
je prends l'engagement
. . . "
Ce large extrait est tiré d'un document produit par
l'Association Générale des Etudiants
du Gabon
(Le
Memorandum sur la répression au Gabon p.
24)

551.
A ce propos,
les étudiants sénégalais
(ou précisément,
les
"diverses organisations anti-irnpérialistes représen-
tatives de la jeunesse de notre pays"(sic)
) déclarent
notamment
:
"Au plan politique,
incapable de placer la
jeunesse dans son girçn,
le régime tente de
la détourner,
de l'écarter des questions cruciales
de la société sénégalaise en confisquant ses
libertés fondamentales,
sés droits élémentaires
à l'expression,
à l'organisatton
Tout un arsenal
de décrets et de lois
scélérates ont ainsi
conduit
au non respect des franchises universitaires,
à
la non-reconnaissance des syndicats patriotiques
et ind8pendants
(UIJAP~S, ANSES ... ) au refus
d'octroyer des rece~issésaux A.S.C., à l'interdiction
des manifestations pourtant organisées par des
syndicats légaux •. ~(l)
Les étudiants pensent que la jeunesse sénégalaise n'a pas
à accepter la situation qui est imposée. Ils apprécient
d'autant plus les luttes ouvertes qui manifestent le
refus du silence et de la soumission par une jeunesse
décidée à i~poser la démocratie;
aussi apportent~ils
leur caution
à la riposte de la jeunesse ouvrière libre
(JOC-) à Tamha "contre les forces
du désordre" néo-coloni'al
qui voulaient empêcher l'organisation d'une manifestation
culturelle",
à l a grève des scolaires de Casamance,
à
"la multiplicité des A.S.C.
mises sur pied par la
jeunesse patriotique
(qui)
rentre dans le cadre de la
lutte contre la culture impérialiste et les valeurs
féodales décadentes et réactionnaires au profit d'une
cul tur:e anti-impérialiste,
scientifique au service des
masses populaires"(2)
(1)
Déclaration
commune sur la jeunesse in l'étudiant
,
.
l
.
sen~ga
~lS,
1980, nouvelle série nO l p. 4
(2 )
Ibidem

552.
Les étudiants considèrent en effet que leur lutte,
ou
précisément le processus de lutte "intègre celui
du
combat de notre peuple pour un Sénégal libre,
prospère,
et maitre de sa destinée"
(1). Ainsi,
c'est une situation
globale qu'ils rejettent en en appelant à la démocratie.
Au" total,
l'ensemble des discours des étudiants qui
s'élèvent contre l'absence de démocratie et de liberté
pour condamner la répression et la volonté de réduire
la jeunesse au silence ou de se l'allier,
pour condamner
l'embrigadement de tout le peuple dans des partis uniques,
porte en lui une
contestatioYl
culturelle qui est refus
de la situation établie par le pouvoir.
La lutte pour
la d~mo·cratie apparait aussi une lutte pour rejeter une
situation imposée,
un ordre
établi à l'avantage de certains
et non du peuple.
Les étudiaYlts cessant de se reconnaitre
comme des futurs
cadres
essaient de lutter contre cet
ordre par la revendication des droits démocratiques:
ils
dévoilent que
ceux-ci ne sont nullement instaurés ni
respectés dans leur pays.
Cette lutte pour la démocratie qui est aussi
contestation
culturelle combat aussi la domination extérieure;
car
celle-ci
est le garant de ~'ordre établi. C'est pourquoi
les étudiants s'attaquent à l'ensemble formé par la
domination extérieure et l'Etat apparemment à son service.
Et s'ils parlent au nom des forces populaires ou
s'ils
veulent inclure leur lutte dans l'ensemble des luttes
sociales,
c'est qu'ils sont convaincu s que la lutte doit
être globale et générale.
... / ...
(1)
l bi dem

553.
Parce qu'ils
se situent dans la sphère idéologique,
les
étudiants perçoivent assez bien l'unité de l'ordre social
qu'ils
combattent,
ce qui
les conduit à
se donner pratique-
ment des objectifs p~litiques. Ils savent qu'ils ne peuvent
pas prendre le pouvoir,
mais ils ont l'assurance que
celui-ci
doit appartenir au peuple.
C'est pourquoi,
en même temps
qu'ils parlent au nom de
celui-ci,
i~ l'appellent à la lutte.
On voit dès lors mieux pourquoi ils ne
limitent pas
leurs actions à des revendications purement corporatives
ot à une contestation culturelle pouvant prendre pour enjeu
par exemple le ralc de l'université ftans la nation.
En
appelant à la démocratie et à la libert~, c'est au
renversement d'un ordre POu!
l'établissement d'un autre
qu'ils appellent.
,
. Cr~t
Ainsi,
chez eux,
l a l utte pour la d emocratie qUl
une
lutte nationaliste et anti-impérialiste aussi porte
en elle à la fois une contestation culturelle qui
se
lie à une "utopie critique"-pour parler comme A.
Touraine.
Celle-ci
s'appuie souvent sur une vision d'ensemble de la
situation des pays africains,
qui lui donne des ailes.
Elle
féconde et nourrit alors le discours mais sans toujours
pouvoir animer l'action concrète au
coude à coude avec
un peuple qui
s'aperçoit de la distance entre lui
et les
futurs
cadres que
sont les étudiants.
. .. / ...

554.
Conclusion
Si l'on considère l'ensemble des intellectuels,
les
écrivains,
les enseignants,
les étudiants . . .
on peut
effectivement s'interroger sur leurs protestations et
contestations en matière de démocratie et de liberté.
Les intellectuels sont-ils inquiets de leur avenir et
protestent-ils pour avoir un rôle plus important et une
place plus grande au soleil de leur pays et de l'Afrique?
Répondent-ils
simplement à des pressions exercées sur eux
ou dénoncent-ils seulement en tant qu'intellectuels la
répression considérée comme un procédé qui
blesse la
raison et l'éthique? La déscrganis~tion des sociétés
où ils vivent expliquerait-elle leur refus
et leur
désapprobation de ce qui
se f a i t ? Se font-ils
simplement
l'écho du dissentiment social,
et leur contestation
vise-t-elle à l'ébranlement des rapports de force existants
dans la société? Bref,
la protestation et la contestation
chez les intellectuels face au problème de la démocrati~
sont-elles des
conduites de crise ou'des conduites de
rupture ?
Il semble qu'il y aurait davantage chez les lntellectuels
des conduites d'opposition à un ordre qui s'établit et
qui
est en même temps en crise.
C'est po~rquoi leur action,
plu~ôt que d'être une simple réaction à une crise, relève
davantage du nationalisme et du populisme,
donc du refus
d'une domination venue du dehors,
et par conséquent elle
relève de la défense du peuple ou de la nation,
à leurs
yeux,
menacés dans ~ursintérêts trahis par les dirigeants.
.../ ...

555.
Elle participe largement de
"l'utopie critique"
dans la mesure o~ elle combat
l'ensemble de l'ordre social et politique et attaque
volontiers l'ensemble constitué par la domination
étrangère et l'Etat qui
est à
son service.
D~ manière générale, on remarque que les luttes des
intellectuels et des étudiants pour les droits démocratiques
sont inséparables des luttes anti-impérialistes et de la
dénonciation des pouvoirs en place,
considérés comme des
relais
de l'impérialisme et du néo-colonialisme. A entendre
ces intellectuels et étudiants,
la répression par exemple
ne
s'explique que par le fait qu'elle doit imposer
une pa~x sociale artificielle pour permettre à l'impérialisme
et à ses "valets" d'exploiter davantage le reuple. Aussi,
pour eux,
ce n'est peut-~trS pas-tant et d'abord les
droits de la personne et la démocratie en tant que
valeurs en soi qui
sont à
défendre;
mais elles
sont à
exiger parce qu'elles rendent possible le combat de
(re)libération et d'indépendance réelles. Autrement dit,
si la démocratisation et la liberté d'exDressi~n sont
reconnues comme indispensables dans la société,
et sont
pour cela objet ou occasion de protestation et surtout de
contesteJion
culturelle de leur part,
aux yeux des intellectuels
.
.
et des étudiants,
elles sont des nécessités absolues là ou
justement i l faut qu'elles existent pour que
soit bouté
dehors 11impérialisme et que soient dénoncés ses
"laquais"
qui "bradent" l'indépendance
"nominale" chèrement acquise
par le peuple.
Du coup,
démocratie et liberté d'expression
deviennent plus que des valeurs en soi,
des armes de
combat nationaliste ou nationalitaire -pour parler comme
Abdel Malek.
... / ... '

556.
En conséquence,
on ne saurait dire sans risque de se tromper
au moins en partie
que les étudiants
clament dé~ocratie
et liberté d'expression
et crient répression pour se
faire
simplement des champions de valeurs que personne ne
récuse
"a priori",
ou qu'ils le font par-mimétisme,
pour faire
comme leurs
camarades de France ou d'ailleurs,
ou·paf souci malsain de répandre
"la peste et le choléra"(l)
A vrai dire,
les étudiants et autres intellectuels mènent
une lutte nationaliste qui a
besoin de la démocratie pour
se développer.
Ils ne parlent pas en l ' a i r et leurs paroles
ne tombent pas non plus dans les oreilles de
sourds.;
leur
action non plus n'est pas ignorée et méprisée par des
aveugles.
Les pouvoirs
en place en Afrique savent souvent
mesurer la portée de leur action,_et comprennent bien par
exemple
ce que leurs
revendications et autres actions
veulent dire de plus profond mÊme
si
ce n'est pas toujours
pour en tenir compte dans un sens positif.
En apparence,
le champ des institutions est le lieu où les
étudiants et les intellectuels mènent leurs luttes pour
la démocratie et la liberté.
Qu'en est-il réellement?
D'abord,
on doit remarquer ~ue l'ouverture plus large du
système politique
(qui produit les décisions et les règles
qui
commandent le fonctionnement de la société)
est une
exigence à l'avantage des intellectuels et de la
"classe moyenne" en général.En effet,
face à un pouvoir
étatique qui
se fait instrument de redistribution et
d'influence et s'intéresse aux intellectuels et à la
"classe moyenne"
parce qu'il veut s'appuyer sur eux,
les intellectuels apprécient d'avoir le champ libre pour
agir sur et dans le système de représentation politique,
étant donné la faiblesse même de leur rôle dans le domaine
économique.
(1)
Cette idée est celle d'un Der8onna~e com~e OrJana übinga
et de son ami Aladji Bandalo q~i ajout,~ : "Nous pouvons
tout importer d'Europe/ . . . /
sauf la peste et le choléra,
je veux dire leurs vieilles zucrlilles de "droi ts
<'t de
liberté"
(Hatip,
Lai8se~.-:l0~;: l~~t-ir l.:~;e }\\f"ric",l0 ~·:~,"):~~,p.72

557.
L'ouverture du syst~me politique l'int~resse'' en effet
les intellectuels,
ou pour dire autrement,
les intellectuels
sont int~ress~s à ce que le syst~me politique soit ouvert
et lib~ral. En effet,
celui-ci est l'instrurnen~ de
formation de la "classe moyenne"
et le lieuo~ s'expriment
des acteurs qui poursuivent plus ou moins indirectement
des objectifs de classe.
C'est le lieu o~ les intellectuels
peuvent agir sur le pouvoir et la classe dirigeente avec
le risque ou l'avantage d'y acc~der.
Ensuite,
on doit voir clairement ceci:
dans les soci~t~s
africaines d~pendantes et d~sarticulées, l'Etat
s'identifiant à l a volont~ collecti~e occupe une place
plus centrale que le conflit entre les classes,
ainsi
par exemple la classe ouvrière e~t faible tendis que les
contradictions sont fortes dans l'ordre social dominant.
Cette situation n'a-t-elle pes pour cons~quence que
les intellectuels et les ~tudiants, tout en parlant en
termes de luttes de .classe,
en appellent en r~alit~ à
une rupture r~volutionn~ire qui remplace la lutte sociale ?
ou que leur volont~ de transformer l'Etat ou de voir
remplacer celui-ci par un autre d'un type diff~rent se
substitue à tout d~sir de réforme de la sociét~ ?
Ains~, il n'y a pas chez les intellectuels et chez les
~tudiants un v~ritable appel aux institutions politiques
et judiciaires,
donc à la loi,
pour que la soci~t~ se
transforme par l'effet du conflit entre les classes sur
les institutions politiques et sur l'organisation sociale.
.../ . ..

558.
Parce que leur société est dépendante,
dominée
extérieurement et souvent autocratique à l'intérieur,
les intellectuels et les étudiants en appellent à la rupture
révolutionnaire;
ce qui fait que leur lutte -quoi
qu'ils en pensent- a pour enjeu fondamental le pouvoir
d~Eta~. Sans doute savent-ils qu'ils ne peuvent pas
s'emparer de l'Etat par eux-mêmes;
mais leur désir de
révolution est un appel à l'Etat: la révolution en effet
renverse mais pour produire un Etat,
souvent plus absolutiste
que démocratique;
et parce que
celui-ci
s'identifie souvent
à la nation et au peuple,
i l a
tôt fait d'écraser l'action
de classe et de dévorer la société civile avec ses rapports
et ses luttes de classe,
démontrant la difficulté de la
fusion entre la révolution et la dér.ocratie.
On pressent dès lors pourquoi l'intellectuel ou l'étudiant
révolutionnaire qui parle au nom de tout le peuple ou des
classes populaires,
et lutte peur la démocratie et la
liberté n'hésite pas à prôner ou à brandir des moyens,
des idées ou des procédures qui ne sont pas t6ujours
démocratiques,
et qu'il ne se réfère pas toujours non
plus aux institutions politiques et judiciaires, quand
elles existent.
Dans la logique du révolutionnaire,
ne
faut-il pas en effet empêcher d'abord l'Etat existant
d'imposer sa loi à la société civile et de soumettre sans
résistance le pays au néo-colonialisme
?
.../ .. ..

559.
CEAPITRE
III
LE DESIR DE REVOLUTIO~
CHEZ LES INTELLECTUELS
Pour beaucoup d'intellectuels et d'étudiants,
le néo-
colonialisme, l'impérialisme,
la subordination de l'Etat
à ses créanciers extérieurs, les dlvers problèmes sociaux etc.
conduisent l'Etat à vouloir se faire puissant à cause de
sa faiblesse mê~e et à avoir tendance à écraser la société
i l tourne alors en rond,
i~puissant et incapable ~n fait.
A leurs yeux,
i l n'y a rien d'autre à fairA alors pour
sauver les sociétés africaines que la révolution.
Mais de quelle révolution s'agit-il? Au nom de qui? Au
nom et à cause de quelles vision et visée du monde ?
A.
- L'INTELLECTUEL REVOLUTIONNAIRE ET LA REPRESENTATION
DU MONDE SOCIAL
Niée pendant longtemps par les dirigeants africains,
et
même par l'Union Générale des Travailleurs d'Afrique Noire
(U.G.T.A.N.) qui a joué un rôle important durant la lutte
pour l'indépendance,
l'existence des
classes sociales en
Afrique apparaît aujourd'hui
sinon évidente,
du moins
possible aux yeux de presque tout le monde.
Les intellectuels
qui
se veulent révolutionnaires
se croient simplement
réalistes en affirmant l'existence des classes et de la
lutte qes classe$.
Pour eux,
en effet, la contradiction
n'est-elle pas au centre et dans l'essence du monde?
.../. . .

560.
S'appuyant sur la théorie marxiste-léniniste des classes,
des
intellectuels africains ont "établi"
la réalit~ des
classes en Afrique.
Parmi
eux,
i l faut
citer
Majhemout Diop
(1),
Amady Aly Dieng
(2),
Kwame N'Krumah(3)
et bien d'autres,
tel Osende Afana
(4) qui aborde le
problème des classes dans
son livre,
L'économie de
l'Ouest Africain.
D'autres Dersonnes se sont int~ressées
. .
aussi à cette question de classes en Afrique,
ainsi
Raymond Barb~ (5) et d'autres
(6) qui,
empruntant à
l'anthropologie ~conomique française les cat~gories
"d'aînés sociaux" et de
"cadets socia~x", ont tenté
de caractériser les luttes sociales dans les sociétés
anciennes.
(1) Majhemout Diop,
Classes et id~ologies de classes
au S~négal, Dakar, Ed. du Comité Central, 1963
Histoire des classe s sociales, dans
l'Africue de l'Ouest: 1.
Le Mali,
II.
le S~négal, Paris
F.
Maspero 1971 et 1972
(2)
Amady A1y Dieng,
Classes sociales et mode de proQuctioD'
esclavaRiste en Afrique de l'Ouest in Les cahiers du Centre
ae Recherche et d'Etudes Marxistes,
Paris 1974 nO 114
Classes sociales et modes de production
féodale en Afrique de l'Ouest,
IDEP,
Dakar,
mai 1975
Formations
sociiles et commerce .~
longue distance en Afrique de l'Ouest,
IDEP,
Dakar,
nov. 1975
(3)
Kwame N'Krumah,
La lutte des classes en Afrique,
Paris,
Présence Africaine,
1972
(4)
Osende Afana,
L'économie de l'Ouest africain, Paris
F.
Maspero, 1977,
(2e édition)
(5)
Barbé
(R),
Les classes
sociales en Afrique Noire, Paris
Economie et Politioue 1964
(6) Rey
(PP)
Colonialisme,
néo-colonialisme et transition
au
capital~sme, Paris,
F.
~iaspero 1975
(6) 11eillassoux (C) Femmes.
areniers et capitaux,
Paris
F.
'.1aspero,
1975
(6)
Pouillon,
L'anthropolorie 6conomigue.
Courants et
problèmes,
Paris,
F.
Maspero,
1976

561.
Dans une sorte de synthèsE
des différentes manières de
présenter les classes en Afrique et d'en indiquer le nombre,
sékou Traoré
(1)
distingue trois
classes
a)
la paysannerie,
formant la grande majorité de la
population des pays africains
b) le prolétariat numériquement faible
et comprenant le
prolétariat industriel,
les ouvriers agricoles,
les
ouvriers de services publics,
les ouvriers des
manufactures capitalistes et des petites entreprises,
les manoeuvres des villes,
les domestiques,
etc.
c) la bourgeoisie avec trois
couches,
de caractère politique
différent:
la bourgeoisie pro-impérialiste ou bourgeoisie
compradore,
liée au
capital. étra~ier, la bourgeoisie
nationale ou moyenne bourgeoisie défendant ses intérêts
de classe dans le cadre national,
et la petite bourgeoisie
comprenant les intellectuels,
les petits commerçants et
les artisans.
D'autres auteurs évoquent les classes sociales anciennes
avant de s'arrêter aux classes fondamentales
de la
société
moderne de type capitaliste.
Mais quelles que soient les
distinctions et nuances,
l'idée de deux classes fondamentales
reste dominante dans la pensée de la plupart des intellectuels.
Et souvent,
sans s'embarrasser de purisme,
ils utilisent assez
fa~ilement des formules comme celles qui opposent les
bourgeois auxprolétaires
(ainsi Nokan dalls Les voix de tous
les veuples
:
"Les bourgeois tuent et tueront jusqu'~ ce
que l~s prolétaires les écrasent"), ou les bourgeois au
peuple
(Nokan,
idem
"Les bourgeois noirs
( . . . ) Nous
( . . . )
le peuple N )
ou encore des formules qui opposent les
exploiteurs aux exploités ou aux masses et bien d'autres
formules.
(1)
Sekou Tràoré,
op.cit.

562.
Les étudiants emploient eux aussi les mêmes
termes ou
bien ù'autres semblables,
comme par exemple ceux-ci qu'on
trouve dans des documents
de la FEANF et de ses sections:
"Le camp du peuple"
(comprenant la bourgeoisie nationale,
la petite bourgeoisie,
le lumpenprolétariat,
la classe
ouvri~re et la paysannerie) opposé au "camp des forces
réactionnaires"
(composé de la bourgeoisie,
politico-
bureaucratique,
de la bourgeoisie compradore).
On doit noter aussi la mani~re habituelle dont le conflit
des
classes est présenté comme celui qui
oppose deux
adversaires qui
s'affrontent,
brandissant leurs armes
et leurs intérêts économiques.
L'action de classe est
analysée comme
"une vision du monde,r,
et la classe est
définie
comme un groupe réel,
concret dont on peut décrire
l'action et la vie.
On remarque facilement aussi que
la
"masse" ou
"le peuplel!
ou "le prolétariat ll est présenté conformément à la théorie
marxiste,' comme l'espoir et la conscience du monde,
comme
porteur du sens de J, 'Histoire.
Lisons. à
ce propos ce
passage de Les vo;x de tous les peuples de Nokan
(loc.cit.
pp.
110 et 112)
"Les bourgeois tuent et tueront
/ ... /
Mais les masses vaincront les exploiteurs
/ ... /
De leur haine de l'ennemi
Sourd la tempête du
changement.
Nous referons l'homme et les
couleurs.
Courage,
camarades,
conscience du monde
l"
... / ...

563.
et cet autre passage
"Les bourgeois de
tous les pays se ressemblent
Ce sontdes sangsues.
Unis,
nous les vaincrons
Ecrasons les. vermines.
Na!tront la for~t, la savane et la ville nouvell~.
Na!tra le monde désiré.
On entendra le chant inouï d'un matin rouge
Nous sommes le peuple,
nous ferons l'histoire".
On doit souligner à propos que,
pas plus que la théorie
marxiste du prolétariat ne s'est fondée sur une expérience
militante de la radicalité prôlétarrenne, ni
sur une
expérience de la mission historique du prol~tarirrt (Marx
affirme par postulat sel11ement que cette mission est
constitutive de l!~tre de classe de cellli-ci)
, i c i non
plus,
ce n'est pas l'observation empirique des
prolétaires africains qui
fait conna!tre leur mission de
classe.
Autrement dit,
on parle du prolétariat africain à
l'intérieur de la théorie et du
sché~a marxistes et
on permet de voir qu'on adh~re aussi à l'idée que le
développement des forces productives fera surgir un
prolétariat et précisément une classe ouvri~re capable
de s'approprier collectivement et de gérer la totalité
de ces forces productives.
Mais n'est-on pas en fait disciple de Hegel en l'ignorant?
Hegel ne croyait-il pas en effet à un sens de l'Histoire?
Que celle-ci était la progression dialectique par laquelle
l'Esprit d'abord étranger à
soi,
prenait conscience et
possession du monde jusqu'à le reprendre compl~tement en
soi et s'unifier avec l u i ? De la m~me mani~re, Itintellectuel
"révolutionnaire"
marxiste croit à un sens de l'Histoire .
. . . / ...

564.
Mais ce sens, pense-til avec Marx,
au lieu de "marcher sur
la t~te"
comme chez Hegel,
marche sur les jambes du
. prolétariat:
ce n'est plus alors l'Esprit qui
travaille
le monde,
ce sont les travailleurs;
et l'Histoire est
la prise de possession progressive de la Nature par le
travail humain.
Et le ressort de l'Histoire,
ce n'est
pas la présence de l'Esprit à 'la fin des temps mais bien
-comme l'a bien commenté André Gorz
(1) -
"l'impossibilité
qu'il y a pour un être qui
est production du monde,
d'accepter que cette production lui
soi.t volée et que ses
produits,
retournés contre lui,
servent à l'assujettir à
des
"buts extérieurs". Et gr&ce au développement des
techniques et des rapports
sociaux de production,
le
monde apparaissant comme production du travail social et
les individus comme producteurs du monde gr&ce à la
socialisation du travail,
le prolétariat connaîtra
nécessairement un jour heureux.
Nokan encore dans
Les voix de tous les peuples ne dit pas autre chose
"Un jour viendra o~ nous travaillerons
Pour nous-m~mes
Tous les hommes mangeront à leur faim,
et slaimeront.
Nos petits enfants ne vivront pas comme nous avons véru.
Le monde sera beau.
Il y aura le soleil dans tous les coeurs.
Un jour,
nous émergerons de la nuit"
(2)
Quant à la bourgeoisie,
on en parle,
en parlant en même temps
et aussi des dirigeants et même de l'Etat.
Dans Les voix
dè tous les peuples,
n'oppose-t-on pas les dirigeants au
peuple
l"Les dirigeants
.•.
Ils entendront les voix des
peuples")
Les étudiants, par exemple ceux de l'Association
des Etudiants Guinéens en Fra;lce
(AEGF)
n'affirment-ils
que l'Etat es~ au~ Daills de la bourgeoisie?
(1)
Gorz
(A) Adieux au prolétariat,
Galilée 1980 p.
21
(2)
Nokan
loc.
cH.
p.113

565.
Ils
écrivent
"Elle a accaparé l'Etat et les secteurs étatisés
qu'elle a transformés en instruments d'accumulation.
Elle contrSle le parti unique et les syndicats "(1)
Pratiquement,
la confusion et la fusion de la bourgeoisie
et de l'Etat sont faites par les étudiants.
L'économiste
Samir Amin a pour sa part contribué à populariser la
notion de bourgeoisie d'Etat.
Il accepte ainsi de se situer
dans une perspective où l'Etat apparaît avant tout, non
pas comme un Etat ayant un pouvoir politique et idéologique,
mais comme une classe dirigeante qui agit suivant la logique
de la domination économique et sociale. En fait,
toute.
la 4uestion est de savoir si,
dans les pays africains où
l'Etat apparaît dominer la société et semble être
l'initiateur des principaux changements et impose son
hégémonie aux classes, i l faut soutenir qu'il n'est que
le conseil d'administration de la bourgeoisie,
à la manière
de l'Etat dans l'Angleterre victorienne et de la France
Louis-Philipparde ou même des Etats centraux du capi~alisme.
Ce qu'on doit relever,
c'est que la perspective d'analyse
en termes de bourgeoisie d'Etat est conforme à la théorie
"dominante"
de l'Etat selon Marx.
On peut sans doute ne
pas être d'accord avec La sociologie de l'Etat
(Grasset 1979)
de Badié et Birnbum pour parler de double théorie de
l'Etat chez Marx, ni avec La logique de l'Etat
/
(Fayard 1982)
. •.
. .•
(1) Document AE6F, La situation en Guinée, 1977, pp. 16 et 17

566.
Mais on ne peut pas éviter de voir que l'ensemble des
textes de Marx
présente effectivement
l'Etat comme
un instrument aux mains de la classe la plus pUissante(l)
(et dont l'apparition est liée à la naissance de la
propriété privée;
et met à la fois
l'accent sur
l'institutionnalisation de l'appareil d'Etat,
sur
l'indépendance de l'Etat par rapport à la société
civile dans
son ensemble et par rapport à la bourgeoisie
(2).
Mais seule la premi~re dimension d~ la théorie de l'Etat
de Marx a été privilégiée
(3)
et est devenue aujourd'hui
responsable de toutes les interprétations économistes
de l ' E t a t :
cette dimension dénie pratiquement à celui-ci
toute réalité spécifique.
. .. 1...
(1)
Marx é c r i t :
"L'Etat est l'Etat de la classe la plus
puissante,
de celle qui
domine au point de vue économique
et qui,
grice à lui,
devient aussi
classe politiquement
dominante"(La 2uerre civile en France,
Paris,
Ed.
Sociales
1953, p. 153) ; "Le gouvernercent moderne n'est qu'un
comité qui
g~re les affaires communes de la classe bourieoise
toute enti~re" (Manifeste du ~articommuniste, Paris,
Ed.
Sociales,
1966, pp. 32-33
(2)
Marx souligne dans Le 18 brumaire de Louis Bonaparte
(Pauvert, 1964) qu'en France "où le pouvoir exécutif'
dispose d'une armée de fonctionnaires
de plus d'un demi-
million de personnes 1 ... 1,
où l'Etat enserre,
contrôle,
réglemente,
surveille et tient en tutelle la société
civile"
(p.
274), "la bourgeoisie avait fait l'apothéose.
du sabre,
et c'est le sabre qui domine"
(pp.
342-343).
C'est pourquoi
"toutes les classes s'agenouill~rent,
également impuissantes et muettes,
devant les crosses
des fusils"
(p;
346)
(3)
La plupart des commentateurs de la pensée de Marx
ont souvent estimé que la deuxi~me dimension ou le deuxi~me
m6d~le quali fié de "bonaparti ste" correspondrai t pour
Marx à une situation exceptionnelle qui
s'expliquerait
soit par un équilibre provisoire s'établissant entre les
classes sociales antagonistes,
soit par une défaillance
proviaoire dans .l'hé&érnonie
de
la classe dirigeante
au sein de la sociéte civile
(cf.
à ce propos A. Rouquié,
"L'hypoth~se '~onapartiste" et l'émergence des syst~mes
poli tiques semi-'compéti tifs" ::'n Revue franqaise de science
politigue,
dec.
1975, p. 109). Mais d'autres auteurs
comme ceux
(Birnbaum et Badié)
de la Sociologie de l'Etat
(Paris,
Grasset 1979) ne sont pas convaincus que l'ensemble
des
textes permet de nier l'indépendance de l'Etat.
Touraine
aussi soutient l'~dée de l'indépendance de l'Etat.

567~
Or cette théorie de l'Etat aux mains de la bourgeoisie
est celle qui est dominante dans les milieux intellectuels
et révolutionnaires africains.
L'Etat et la bourgeoisie étant pratiquement identifiés,
la société apparaît alors com~e un champ de lutte entre
le-prolétariat et la bourgeoisie d'Etat,
soutenue par
l'impérialisme.
C'est dans
ce
schéma d'analyse que la
révolution elle-m~me prend un sen~ particulier chez les
intellectuels révolutionnaires.
On peut se dsmander alors
ce que
"faire la révolution"
signifie; Mais auparavant,
i l faut souligner clairement ce que veut dire la confusion
entre des termes comme prolétariat et peuple,
entre
bourgeoisie et Etat.
Les termes bourgeoisie,
classe dirigeante,
Etat,
sont
souvent employés par les intellectuels "révolutionnaires"
pour désigner en fait davantage une classe centrée sur
l'Etat,
soucieuse de la reproduction et de l'accroissement
de
~es privilèges, dans le cadre d'une domination -
économique ~ laquelle elle participe. De fait,
cette
classe dominante,
par ses
comportements -comme Touraine
l'a souligné à propos de l'oligarchie en Amérique Latine-
"assure la désarticulation sociale,
politique et culturelle
exigée par le système de domination étrangère à laquelle
elle- participe"(l).
Le mot peuple est souvent utilisé pour faire
corncider la
catégorie de classe et la catégorie nationale ou locale
des exploités ou des exclus,
soumis à un pouvoir qui est
de quelque manière étranger.
A vrai dire,
le terme
peuple est inséparable du terme nation.
Il est politiquement,
socialement et culturellement chargé.
Le peuple se
défend toujours
contre la pénétration étrangère en même
temps qu'il se soulève contre le traître intérieur.
(1)
Touraine
(A),
Les sociétés dépendantes,
p.
103

568.
Du coup,
on est en droit de se demander si on peut analyser
la lutte du peuple comme une lutte de classe au sens
strict de lutte à l'intérieur d'une économie nationale
puisqu'elle est aussi la défense d'une collectivité contre
une agression venue de l'extérieur. En effet,
la lutte
du peuple ou des masses laborieuses n'est-elle pas saisie
et.présentée comme dirigée contre l'impérialisme et ses
"valets locaux" c'est-à-dire l'Etat et la bourgeoisie
bureaucratique essentiellement ? Faut-il alors confondre
lutte de libération nationale et lutte de classe?
Du point de vue de la révolution,
la lutte entre la
bourgeoisieW'Etat)
et le peuple des
exclus,
entre les
exploiteurs intégrés à la logique de la do~ination
extérieure et les exploités,et la lutte entre le peuple
et l'impérialisme et l'Etat à son service sont
as simil a bl es.
Cette confusion des catégories nationales
(peuple. Etat .... )
et qes
catégories de classes
(bourgeoisie.
prolétariat)
favorise et facilite
évidemment le discours révolutionnaire .
.../ ...

569.
B.
- LA REVOLUTION DANS L'ESPRIT DES INTELLECTUELS
En l'état actuel des idées,
deux théories de la révolution
qu'on croit être assimilables et réductibles en une seule
sont dominantes parmi ceux qui
se veulent des intellectuels
"révolutionnaires"
: la théorie de la révolution de
libération nationale qui,
en fait -comme on le verra-
accorde une priorité à l'Etat,
et la théorie de la
Révolution Nationale Démocratique et Populaire
(R.D.N.P.)
qui
est déjà plus sensible aux luttes sociales.
1. La révolution de libération nationale
Dans l'analyse de beaucoup d'intellectuels,
les sociétés
africaines apparaissent comme sous domination néo-coloniale.
Par conséquent,
la lutte des classes est nécessairement et
avant tout la lutte du peuple tout entier contre
l'impérialisme,
le néo-colonialisme et leurs "valets
loc~ux'r.
Or c'est un problème que la question du passage du néo-
colonialisme au
socialisme:
elle est d'autant plus
épineuse que sur le plan théorique,
les classiques
du marxisme ne l'ont pas traité explicitement. Que faire?
Et comment penser ?
Pour certains intellectuels africains comme Sekou Traoré
(cf. L'Afriaue socialiste,
Anthropos,
1979),
la contradiction
principale dans les sociétés africaines est celle qui
oppose les peuples africains à l'impérialisme et ses
valets locaux représentés par la bourgeoisie pro-impérialiste
et bur~aucratiqu~. Aux yeux de ces intellectuels, les
pays africains,
en accédant à l'indépendance politique,
ont franchi la première étape de la révolution de
libération nationale ; i l leur reste à passer à la
deuxième étape qui est celle de la lutte pour
l'indépendance nationale économique.

570.
La révolution de libération nationale,
en effet,
est
une étape intermédiaire entre le colonialisme
(ou le
néo-colonialisme)
et le socialisme. A ~ette étape
correspond,
pense Sekou Traoré par exemple,
une
forme d'organisation sociale et de pouvoir politique
qu'il appelle Etat de Front Uni Patriotique
(ou bri~vement
Front).
Le Front
(1)
devra se composer,apprend-on,
du prolétariat,
de la paysannerie,
àes intellectuels révolutionnaires,
de la fraction progressiste de la bourgeoisie nationale
et de tous les patriotes,
indépendamment de leurs
convictions religieuses ou philosophiques.
Autrement dit,
"le Front sera l'alliance de toutes les classes et
couches sociales révolutiollnaires,
de toutes les forces
progressistes
et patriotiques,
de tous les éléments
qui,
à l'étape considérée, acceptent le programme minimum
commun de la lutte anti-impérialiste en vue de la libératio~
nationale"
(2).
Selon Sekou Traoré,
son noyau dur sera
constitué par le parti communiste ou par les éléments
communistes dans les pays où i l n'existe pas encore de
parti communiste;
si le parti communiste existe,
i l
devra garder tout de même
son indépendance organisationnelle
et idéologique dans le cadre du Front.
Le Front essaiera de se donner une base économique en
se créant d'abord un secteur d'Etat qui implique la
nationalisation des grandes
entreprises étrangères et
locales et la construction de nouvelles entreprises
d'Etat,
puis un secteur coopératif en ville et à la
campagne. La lutte pour l'indépendance économique
impose aussi le renforcement de la coopération entre pays
africains en particulier,
et avec les pays socialistes
dans le but" d'en finir avec les échanges inégaux qui
caractérisent le marché impérialiste.
(1) Mao a préconisé le Front Uni Révolutionnaire lorsque
la Chine s'est vue attaquée par les forces
de
l'impérialisme incitées par l'invasion japonaise.
(2)
Sekou Traoré, Afriolle socialiste,
Anthropos lQ79 p.
48

571.
L'Etat de Front Uni Patriotique est donc,
affirme-t-on,
un Etat transitoire; i l n'est pas celui d'une dictature
bourgeoise ni celui d'une dictature du prolétariat. Son
rSle essentiel est,
dit-on,
de mobiliser les travailleurs
sur la base de leurs intérêts et de faire aboutir les
transformations démocratiques.
Quel rapport y-a-til entre la thèse du Front et celle
d'
"Etat de Démocratie Nationale"
préconisée par les
81 partis communistes et ouvriers réunis à ~oscou en
1960 ? Celle-ci, il faut le rappeler,
se rapportait
aux pays comme l'Egypte de Nasser,
l'Indonésie de Soekarno,
le Mali de Modibo Keita,
la Guinée de Sekou Touré,
aux
pays dirig~s par des nationalistes opposés à l'impérialisme.
Elle présentait l'Etat comme
"l'Etat du peuple tout
entier",
servant les intérêts de la bourgeoisie
nationale et des masses populaires.
Un tel Etat,
affirmait-on,
devait être soutenu et aidé économiquement.
La thèse du Front Uni Pàtriotique croit à la nécessaire
alliance des classes et insiste sur l'alliance des classes
et couches
révolutionnaires.
Celle d'Etat de Démocratie
Nationale Ïait une place et un rSle extrêmement important
aux leaders et accorde de fait une priorité absolue à
l'Etat qui
doit agir au nom
(d'aucuns diraient à la place)
de tout le peuple - à ses genoux.
Celle du Front prend
acte du fait qu'en l'état actuel des choses,
i l n'est
pas possible de se passer de la "bourgeoisie"
nationale,
même si elle doit être '~ontrSlée" ; et c'est pourquoi
cette thèse intègre la bourgeoisie nationale au sein de
tous les "patriotes"
qui
veulent lutter pour la libération
de leur pays. Elle vient d'ailleurs d'avoir la caution
plus ou moins directe d'un Samir Amin
(1)
qui affirme le
rSle progressiste des bourgeoisies afro-asiatiques dan.s
ce qu'il appelle la révolution socialiste mondiale par
étapes.
(1) Samir Amin,
Classe et nation dans l'histoire et la
crise contemporaine.,Paris,
~d. de ~inuit, 1079

572.
Ne laisse-t-il pas entendre en effet que la bourgeoisie
nationale tTavaillerait tout compte fait pour le peuple
tout entier?
Mais doit-on penser que la thèse du Front n'a "rien à
voir avec celle d'Etat de D~mocratie Nationàle ?
Notons d'abord qu'aujourd'hui,
alors qU€
la thèse du
Front Uni Patriotique agr~e ~ un certain nombre de
"r~volutionmaires" africains, celle de l'Etat de D~mocratie
Nationale est violemment combattue -par les étuèiants
(1)
en particulier. Elle est critiqu~e et elle est accus~e
de n~gliger par ex~mple l'importance de la violence
r~volutionnaire~ d'abandonner les affaires de l'Etat
aux mains de la bourgeoisie et de nier par cons~quent
la lutte des classes et la lutte. pour la lib~ration
nationale et populaire. En cela,
elle est,
soutiennent
les th~oriciens de la R~volution Nationale D~mocratique
et Populaire (R.N.D.P.)
(2)
inad~quate et inopportune
et oppos~e ~ la r~alisation de la RNDP.
Il n'empêche que la thèse du Front a
ceci de commun
avec celle de l'Etat de D~mocratie Nationale que toutes
les deux ont pour thème central la lutte nationale de
lib~ration. Dans l'un et l'autre cas, le peuple est
consid~r~ comme un, uni,
et c'est de manière unanime
et cohérent€
ql~ 'il sf!tlève pour se battre contre la
domination étrangère,
derrière un Etat qui organise
la lutte.
... / ...
(1) Les ~tudiants de la FEANF et notamment des sections
na tionales
(2)
La RNDP est en fait une formule pr~conis~e encore
par MAO.

573.
Les deux th~ories portent en elles-m&mes la possibilit~
pour l'Etat de devenir assez vite le peuple,
de se
substituer à lui. Elles en appellent en fait à un Etat
qui
devra &tre d'autant plus puissant qu'il devra
combattre durement pour lib~rer le pays de la domination
étrangère et des attaques
ext~rieures. Et cet Etat sera
dominateur puisqu'il ne pourra pas tol~rer, au nom de
l'action commune contre l'imp~rialisme ou le n~o­
colonialisme,
que les luttes sociales internes se
d~veloppent et s'intensifient. L'Etat-Parti ou le Parti-Etat
est au bout des deux théories r~volutionnaires consid~rées
qui engagent d'abord les luttes contre Itext~rieur mais non
à l'int~rieur de l'Etat.
C'est dans le sens de ces th~ories que se d~veloppe
celle de la "H~volution Populaire D~mocratique
Anti-Imp~rialiste" (H.P.D.A.) (1) soutenue surtout par
certains ~tudiants, comme ceux de la section A.E.V.F.
de Nancy
(Association des Etudiants Voltaiques en
France,
section de l'Union G~nérale des Etudiants Voltaiques).
Selon ce groupe d'étudiants,
la H.P.D.A.
qui doit "d~boucher
sur un Etat de dictâture conjointe ou~rièr5-paysanne, est
l'~tape de la lutte r~volutionnaire en Haute-Volta"
et dans la plupart des pays africains
(2).
Mais pour les tenants de la th~orie de la HPDA, la question
nationale" est,
comme dit L~nine (qu'ils citent), la lutte
d'une majorit~ contre une minorité détenant le pouvoir
cette question,
affirme-t-on,
est quant au fond,
et du
point de vue du prol~tariat, It une question sociale
s'insérant
dans le cadre g~néral des tâches politiques,
d~mocratiques et anti-imp~rialistes".
. . . 1. . .
(1) Formule empruntée en fait aux dirigeants de l'Albanie
. "
.
(2) Déclaration de la sous-section de Nancy au congrès
de l'UGEV en avril 1979.

574.
Bref,
la RPDA
rejoint la théorie du Front Uni Patriotique
sur le point essentiel de l'action contre l'impérialisme,
de l'action nationale contre l'extérieur agresseur.
Mais l'action de tout le peuple,
telle qu'elle se laisse
percevoir dans ces théories,
ne peut être réellement
conduite que par un Etat nati?nal fort,
appuyé sur un
Parti.
Ainsi,
l'Etat-Parti ou le Parti-Etat est.
on l ' a
déjà dit, l'aboutissement logique de ces théories qui
s'intéressent d'abord en fait aux probl~mes nationaux
~ace à l'urgence de relever le défi de la domination
extérieure et de ses représentants locaux)avant d'être
des théories de la lutte sociale de classes,
des théories
qui en réf~rent aux conflits sociaux inter~es.
Qu'en est-il de la théorie de la "Révolution Nationale
Démocratique Populaire
(RNDP)
?
2.
La "Révolution Nationale Démocratique Populaire.(RND~l
La plupart des organisations étudiantes,
et les membres
de la FEANF,
ont éprouvé souvent,
non seulement le besoin,
selon leurs propres termes,
de "démasquer et combattre les
confusions et les proclamations mystificatrices,
pseudo-
révolutionnaires
(des) pouvoirs,
mais surtout la
nécessité 1... 1 de préciser notre compréhension de la
lutte de libération nationale face aux nombreuses confusions
que répandent les impérialistes et leurs valets. Autrement
dit,
préciser quel contenu exact nous donnons à l'étape
actuelle de la lutte des masses populaires dans nos
pay s"
(1).
. .. 1...
(1)
L'étudiant d'Afrique Noire: FEANF: 25 années de
lutte patriotique,
mars 1976,
nO 74,
p.
9

575.
La FEANF en son XXVI~me congr~s aura ~ se demander
quel contenu pouvait revêtir l'étape actuelle de la
lutte des masses pour reconquérir et instaurer unei
indépendance véritable et établir un pouvoir démocratique.
Son XXVII~me congr~s se demandera réellement ce que c'est
que faire la révolution.
Sa conclusion est la suivante
:
"Faire la révolution,
c'est résoudre les
contradictions.
D~s lors, quel type de révolution
peut constituer la solution radicale ~ la
contradiction principale de l'heure de nos sociétés?
A cette question,
nos
congr~s antérieurs, surtout
les XXII et XXVI~me, sur la base de la li~ne
politique anti-impérialiste ... ,
ont donné une
réponse claire:
c'est la Révolution Nationale
Démocratique et Populaire 'l
(1).
Cette conclusion
précise :
On parle de Révolution "parce qu'il s'agit d'une
transformation fondamentale des
structures
or€anisationnelles
du pays,
une rupture totale et
définitive avec la situation actuelle de l'édifieation
d'une économie nouvelle dégagée de toute dépendance
étrang~re et au service du peuple". Elle souligne
"Cette Révolution est Nationale parce qu'elle est
une lutte de libération pour arracher le pays ~ -
la domination de l'impérialisme afin de conquérir
l'indépendance et la souveraineté nationale
véritables". Elle fait remarquer que cette révolution
"est Démocratique parce que,
pour garantir
l'indépendance nationale,
elle doit combattre et
renverser toutes les forces
rétrogrades et réaction-
naires
(bourgeoisie poli ti co - bureaucra tique,
compradore,
forces féodales)
qui ne constituent
(1)
Ibidem

576.
qu'une minorité inféodée à l'impérialisme et parce qu'elle
a pour but l'organisation d'institutions démocratiques
assurant le contrôle par les masses populaires de
l'édification nationale et la pleine satisfaction de
leurs intér~ts légitimes".
La m~me conclusion expliquera que cette révolution "est
populaire parce qu'elle doit être l'oeuvre des masses
populaires pour les masses populaires,
débouchant sur un
Etat de type nouveau dirigé par un pouvoir de type nouveau
(un pouvoir révolutionnaire,
celui des classe·s et
couches populaires)".
Une telle révol~tion, affirme-t-on, n'est pas la révolution
socialiste et ~'abolit pas le capitalisme
et en cela
ré~ide son caract~re transitoire-: "Son but est d'abolir
la domination de l'impérialisme et des bourgeoisies
politico-bureaucratiques compradores et des forces
féodales et d'assurer la prise du pouvoir d'Etat par
les masses populaires" (1).
Sur la base de toutes ces définitions,
on voit déjà
pourquoi les théoriciens de la RNDP ne croient pas à
tout ce qui se fait en Afrique et se dit se faire au nom
de la révolution. Pour eux,' la révolution "n'a rien à voir
avec·le prétendu socialisme africain,
ni aVec la théorie
opportuniste dé l'Etat de Démocratie Nationale qui noie
la lutte indispensable contre les valets locaux de
l'impérialisme dans les néo-colonies. Elle est 1 ... 1
étrang~re aux élucubrations sur "l'authenticité ancestrale"
des Mobutu Sese Soko et autres Gnassigbé Eyadema,
la
prétendue révolution culturelle de Sekou Touré et
Tombalbaye,
du marxisme-léninisme à la Ngouabi,
Siad Barre
et autre Kerekou,
sans parler de la Rénovation ou du
socialisme à la suédoise d'Omar Bongo ou du Renouveau du
naff El Hadj Lamizana "(2).
(1) Ibi dem
(2)
Ibi dem

577.
Mais ce qui apparaît sociologiquement très important
dans la théorie de la RNDP est la place qu'elle accorde
à la dynamique sociale,
aux luttes sociales. Sans doute,
la lutte nationale contre l'impérialisme n'est-elle pas.
négligée ; mais i l est notable que la RllDP,
par delà m~me
peut-~tre la conscience de ceux-là m~me qui 'en parlent
souverit,
semble insister de ~anière particulière sur
,
.
l'action sociale. N'est-il pas affirmé en effet qu'une
telle révolution s'appuie principalement sur les masses
ouvrières et paysannes en tant que forces fondamentales ?
Ou encore :
"La RNDP,
étape ,actuelle de la lutte des
peuples africains sera donc l'oeuvre des classes et
couches populaires Rui,
coalisées ~ travers leurs
organisations d 1 avant-garde,
supports essentiels d'un
front ànti-impérialiste s'appuyant sur une solide
alliance ouvrière-paysanne,
renvsrseront l'impérialisme
et ses valets"
(1).
Ainsi,
une importance particulière est accordée à la
"société civile"
qui acquiert une sorte de prim~uté
sur l ' E t a t ;
celui-ci devra en tout cas associer son
action à l'action sociale au lieu d'emp~cher celle-ci
d'exister. Et à y bien regarder, il semble que l'action
politique pàr le sommet est subordonnée dans la théorie de
la RNDP aux luttes des cla~ses et couches populaires. Il
y aurait une priorité ou une prépondérance donnée à
l'action des forces sociales. Et en cela, la RNDP est
différente de manière importante de l'Etat de Démocratie
Nationale et aussi du Front d'Union Patriotique.
.. ... / ......
(1) .I::Jidem

578.
Mais doit-on comprendre que l'Etat n'a pas de place
importante dans la RNDP ? Bien sar que non.
Ne lui
appartient-il pas en effet de créer les conditions de
sa propre existence et de
susciter des manifestation~
nationalistes?
N'est-ce pas lui qui.
en s'appuyant
sur une
"avant-garde" ou un parti doit conduire la
"rupture totale et définitive avec la situation actuelle'! ?
Les théoriciens de la RNDP en appellent eux aussi à un
Etat national.
nationaliste.
capable de s'appuyer sur
les classes populaires pour lutter contre l'impérialisme
et à l'intérieur contre la domination sociale.
Mais ces
classes populaires ~e peuvent être 9rganisées. dit-on.
que par une force politique.
un parti.
L'Etat et le parti
se rapprochent.
Que dire pour conclure l'étude des théories révolutionnaires
prôné~s dans et par les milieux étudiants et intellectuels?
Plusieurs remarques s'imposent.
1.
Il est difficil~ de préciser exactement depuis quand
la critique contre la théorie de l'Etat de Démocratie
Nationale
(E.D.N.)
a commencé dans les milieux intellectuels
et étudiants.
On
sait par contre que cette théorie.
apparue
en 1960 avec la réunion des 81 pays communistes et
ouvriers est antérieure à celle du Fron~ Uni Patriotique
et de la Révolution Nationale Démocratique Populaire.
Elle a connu un temps où elle a recueilli l'adhésion des
dirigeants africains qui.
à l'époque.
se voulaient
révolutionnaires. Elle a
sans doute
correspondu à un
moment du développement des idées nationalistes où tout
semblait devoir passer par l'Etat avec tout le peuple
mobilisé derrière lui.
Elle a contribué apparemment à
l'é~clutio~ vers l'adoption de la notion de Parti-Etat
(en Guinée'par exemple).
... / ...

579.
Dans le Parti-Etat comme dans l'Etat de Démocratie
Nationale,
l'Etat étant conçu comme la classe du peuple
organisé en classe dominante et le Parti comme l'expression
de la primauté des idéaux et des interêts de cette classe,
de manière presque évidente ou logique.
l'expression
libre des conflits sociaux devient problématique:
en
effet,
pas plus que dans un Etat de Démocratie Nationale,
le Parti-Eta~ ne peut tol~rer les mouvements sociaux qu'il
ne contrôle pas;
ainsi,
"au nom du peuple tout entier",
i l
prend le risque d'apparaître totalitaire.
2.
A l'heure actuelle,
les théories du Front et de la
RNDP sont "dominantes" dans les milieux intellectuels
et étudiants. Elles sont souvent co~fondues ou considérées
comme deux formulations
différentes d'une même conception
de la révolution.
En réalité,
la réduction de l'une à
l'autre n'est pas justifiée puisque la théorie du Front
renvoie et en appelle presque directement à l'Etat,
au
Parti-Btat
,
tandis que celle de la RNDP.
bien qu'elle
conduise aussi à l'Etat,
exprime davantage les potential~tés
de luttes sociales et accorde une importance à l'action
sociale pour l'établissement d'un ordre nouveau.
Si on ne fait pas cette distinction entre les deux théories,
qu'impose la différence entre elles du point de vue de
leurs implications et conséquences politiques et sociales,
on peut toujours
se demander laquelle des deux précède ou
suit l'autre.
Mais
ce qui paraît important à noter est
le fait que,
dans les milieux intellectuels et étudiants,
une référence plus abondante et plus fréquente est faite
à la RNDP qu'au Front. Même les hommes politiques ne s'en
privent pas.
Marien Ngouabidu Congo s'y est référé et en
a donné un exposé dans une conférence publiée dans son livre
Vers la construction d'une
société socialiste
(Paris,
Préience Afficaine, 1975)
... / .. ·

580.
3. En principe, la th~orie d~ la RNDP devrait conduire
à un Etat fond~ solidement SUr l'action des mouvements
sociaux,
à un Etat dirig~ par l'alliance Ouvriers-Paysans.
Mais les difficult~s de la r~alisation ~ans la pratique
de cette th~orie, outre le fait que les ouvriers et paysans
africàins ne sont pas suffisamment form~s et que la plupart
des paysans ~nt ille~r~s dans la culture occidentale,
r~sident principalement dans le fait que dans les soci~t~s
d~pendantes, les rapports de classe, affaiblis et
d~sarticulésJsont souvent subordonn~s à l'intervention
de l'Etat dans tous les domaines
(social,
politique,
~conomique, etc.). Les classes ont du mal à avoir une
existence pleinement autonome et à
se constituer en
agents politiques de manière directe:
leur action d~pend
souvent de leur relation à l'Etat.
Si
celui-ci accroit
la d~pendance à l'~gard de l'ext~rieur et renforce la
dualisation de la
soci~t~, il se forme une opposition à
caractère politique amen~e à s'opposer à lui au nom
du peuple pour une
(re)libération nationale.
Inversement,
quand l'Etat se veut int~grateur et nationaliste,
contre.
l'imp~rialisme, il peut alors se d~velopper à l'int~rieur
de la soci~t~ la possibilit~ de luttes sociales: celles-ci
sont acceptées ou encourag~es tant que l'Etat peut s'y
appuyer pour son action
;
mais elles
sont réprim~es si
elles veulent d~velopper une action de classe autonome.
Or,
le plus souvent,
en même temps que l'Etat se veut
int~grateur, il renforce la dépendance à l'~gard de
l'étranger.
Four les besoins de la cause,
les luttes
sociales sont r~prirn~es.et les mouvements sociaux en
1
~mergence/~loignés de la grande masse de la population,
laissent alors l'Etat occuper toute la scène politique
et même la scène sociale.
. .. / ...

581.
Cela veut donc dire que la politique sociale et idéologique
de la RNDP à laquelle en appellent les organisations
étudiantes et les intellectuels ne peut conduire en fait,
en l'état actuel des choses,
qu'au renforcement d'un
Etat intégrateur et modernisateur qui
jouerait à la
fois le rôle d'un Etat et d'une classe dirigeante.
Un tel Etat nationaliste et soucieux d'industrialisation
peut-il laisser se développer les conflits sociaux internes
sans se détruire? Voilà comment en sa conception même
l'Etat que la RNDP promet de construire
porte
en
lui un certain totalitarisme.
C.
- HOLE DES INTELLECTUELS DA~S LA REVOLUTION
La littérature sur le rôle des intellectuels dans la
révolution est abondante en France par exemple.
On peut
citer pour mémoire
: Du rôle de l'intellectuel dans
le mouvement révolutionnaire,
de Sartre
(J.P.),
Pinaud (B),
Mascolo
(D)
(Paris,
Losfeld 1971).
Mais i l a paru nécessaire ici de laisse~ préciser leur
rôle par les intellectuels et les étudiants africains
eux-mêmes à
travers les idéologies qui les engagent.
Que 'disent-ils de leur rôle? Qu'en pensent-ils? Comment
le définissent-ils ?
... / ...

582.
1.
Connaître l'ennemi,
se connaître,
s'intégrer aux masses
D'après les étudiants de la FEANF et notamment ceux de
l'UNEECI,
de l'AEVF etc.,
pour que le mouvement étudiant
puisse jouer un r61e vraiment révolutionnaire,
i l faut
qu'un grand nombre d'étudiants adhère de façon
consciente
à une juste orientation révolutionnaire.
Ce qui implique,
disent-ils,
que la jeunesse étudiante rompe
-comme le
souligne Lénine
(qu'ils
citent)- "en principe avec
l'indifférence idéologique et l'op~6rtunisme théorique .•. '!
ce qui
veut dire qu'ils doivent se faire du monde une
conception
socialiste nette et cohérente et lier leur
lutte à celle du prolétariat. En d'autres termes,' pour
que le mouvement étudiant soit révolutionnaire,
il doit
nécessairement se préciser sa compréhension de l'objectif
actuel de la lutte des peuples en Afrique.
Aussi,
les
tâches des organisations étudiantes,
à l'étape actuelle
de la lutte,
consistent-elles d'abord à approfondir la
for~ation politique pour permettre de connaître toutes
les tactiques de l'impérialisme,
de connaître toutes
les formes de mystification de la voie non capitaliste
du développement
(1).
Il s'agit donc dans un premier temps de se formeret de
connaître l'ennemi; mais aussi de se connaître soi-même,
c'est-à-dire de connaître les forces
et les limites de sa
position de
classe.
Les intellectuels,
souligne-t-on,
sont
"des petits-bourgeois",
"enclins à prendre le parti de
la bourgeoisie contre le peuple",
guettés par l'opportunisme
("et dans le contexte actuel de l'Afrique,
cet opportunisme
se traduit par le carriérisme politique et la course
effr~/née aux postes de direction sous prétexte de
compé~ence technique") ; il s'ensuit qu'ils ne peuvent
devenir des révolutionnaires conséquents qu'en éliminant
les défauts inhérents à leur ~lasse, en se plaçant
résolument sur la position de la classe ouvrière.
(l)L'étudiant ivoirien,
nO 3,
8~me congrès de Tours,
déce~bre 1975, p. 32

583.
Mais suffit-il de se connaître? Il faut connaître aussi
le peuple,
faire
corps avec les masses populaires. Tel
est le sens de ce mot d'ordre lancé par les XIXème et xxème
congrès de la FEANF
(1)
"Etudiants,
intellectuels africains
Intégrons-nous aux Qasses ouvrières et paysannes
Eduquons-nous auprès d'elles
Participons en leur sein à.la naissance et au
renforcement d'oTganisations d'avant-garde,
supports
essentiels d'un Front anti-impérialiste conséquent
pour la libération et l'unification réelles de
l'Afrique".
Le XXème congrès de la FEANF précisera qu'en fait les
étudiants et les intellectuels n'ont le choix de servir
que deux causes opposées
: ou bien celle du peuple ou
celle de l'iQpérialisme et de ses valets africains.
"~Pour servir l'une ou l'autre de ces causes,
nous devons nousintégrer,
affirme le congrès.
Nous devons nécessairement nous intégrer aux
impérialistes et à leurs valets si c'est leur
cause que nOèlS servons,
soi t
consciemment soit
inconsciemment au début.
Cette intégration nous
est mille fois plus facile.
Par elle,
on peut
dire que
"nous nous trouvons dans nos éléments".
Mais alors,
nous
tournons nécessairement le do~
aux masses ouvrières et paysannes.
Nous devons donc nécessairement nous intégrer
au peuple,
aux masses ouvrières et paysannes,
si c'est leur cause que nous servons,
mais ceci
ne peut procéder,
à la différence de la première
intégration,
que d'un choix conscient"(Résolutions
du XXèmecongrès)
(2)
(1) Cité par l~Etudia~t d'AfTioue Noire: FEANF : 25 années
de lutte patriotique,
mars 1976,
nO 74,
p.
6
(2).Ibidem

584.
La FEANF ne cessera jamais de confondre sa lutte
(idéologique)
avec la lutte des peuples africains. Et
son ambition sera toujours:
"... la préparation du
choix conscient,
du choix de l'intégration aux masses
ouvrières et paysannes"
(1), sera "de gagner 1 iimmense
majorité des étudiants africains en France à la causse
des masses"
(XXIIème congrès
(2).
La plupart des_
organisations étudiantes
se convaincront
de la vérité de ce que la FEANF a toujours affirmé et
répétera :
"La seule v'oie pour les étu.diants et les
intellectuels de voir réaliser leurs aspirations
légitimes est de lier intimement leur sort
à celui des masses populaires, notamment ouvriers
et paysans,
les plus exploités et les plus
intéressés à la révolution"
(3).
Mais au fait,
qu'est-ce que s'intégrer aux masse~
populaires signifie fondamentalement pour les étudiants ?
Se lier aux classes ouvrières et paysannes veut dire
"S'éduquer auprès de ces
classes,
puiser des
enseignements issus de leurs pratiques,
synthétiser
les enseignements,
retourner ensuite à ces classes
pour les appliquer et dynamiser ainsi les actions
de ces deux classes
'1(4)
(1)
-Ibidem
(2)
Ibidem
(3) L'étudiant d'Afrique Noire, 1975, nO 73
(4) L'étudiant ivoirien, nouvelle série nO 3, 8ème congrès
de Tours,
déc. 1975, p.
29.

585.
L'int~gration aux masses, assune-t-on, est "un mouvement
de l'intellectuel r~volutionnaire vers le peuple travailleur.
Le but de
cette int~gration, c'est d'aw.ener les forces
fondamentales à s'organiser sur la base de leurs int~rêts
de classes ll
(1).
L'es etudiants et les intellectuels doivent-ils alors
être ceux qui organisent les classes populaires?
Les ~tudiants reconnaissent qu'il n'appartient pas à des
organisations d'~tudiants ou d'intellectuels de faire ~e
travail.
Ils affirment
~ !!L'organisation d'avant-garde
de la
classe ouvrière,
c'est son parti.
Le parti de la
classe' ouvrière,
c'est son d~tachement avanc~ et organis~
tandis que le syndicat constitu~ son centre de r~sistance
et de lutte. Seul le parti prol~tarien peut mobiliser
cons~quemment la paysannerie, cet allié objectif de la
classe ouvrière Il
(2).
Selon les étudiants,
l'expérience des autres pays a
montré qu'une organisation d'intellectuels petits bourgeois,
même la plus radicale
(au Brésil,
en Turquie . . . ) est
incapable de par sa nature,
de jouer un tel
rôle
et
d'autre part,
soulignent-i1s,
les peuples qui sont
arrivés à se libérer du joug de l'impérialisme comme
les pevples du Cambodge,
du Vietnam,
de l'Albanie . . .
ont été dirigés dans leurs combats par un front
uni fondé
sur l'alliance des ouvriers et des paysans
sous la direction de la classe ouvrière et son organisation
d'avant-garde.
(1) L'~tudiant ivoirien, nouvelle s~rie nO 3, 8ème congrès
de Tours,
déc.
1975,
p.
29
(2 ) Idem
p.
30

586.
Pour les ~tudiants, "le r6le des intellectuels'
révolutionnaires dans le processus d'intégration est
d'apporter la conscience de classe au prolétariat".
Et "pour accomplir cette tAche et pour ne pas démissionner,
les intellectuels doivent se former politiquement et
lier la pratique à la t~éorie révolutionnaire
s'aguerrir au contact des masses
..•
1'(1)
A la vérité. le populisme de la pensée de Mao Tsé Toung
aura beaucoup influencé les mouvements étudiants
africains,
de France en particulier.
La FEANF pour
suivre la pensée de Mao
et en admiratrice de la
révolution
culturelle chinoise,
appellera les intellectuels
et les étudiants à s'intégrer aux masses paysannes et
ouvrières pour s'édJquer auprès d'elles.
Le mot d'ordre
lancé dès son XIXèDe co~grès en décembre 1966 sera repris
et commenté pendant longtemps par tous les con6rès de
ses diff~rentes sections. Par exemple, le l2ème congrès
extraordinaire des 8-12 avril 1978 de l'UNEECI-FEANF
affirmera
: "L 'int~gration aux masses ouv:dères
et paysannes est déterminante pour savoir si nous sommes'
r~solument aux c6tés de notre peuple car le Président Mao
disait dans L'orientation de la jeuness~, p. 10 : pour
savoir si tel ou tel repr~sentant de la couche des
intellectuels est r~volutionnaire, non-révolutionnaire
ou c6ntre-révolutionnaire,
i l existe un critère décisi·f
il faut
savoir s ' i l veut se lier aux masses ouvrières et
paysannes. Dans le cas contraire,
c'est un non-révolution-
naire ou un
contre-révolutionnaire ••. "
... / ...
(1)
Ibi dem

587.
Il
faudra attendre plusieurs années de contradictions
internes entre les étudiants et entre les diverses
associations d'étudiants pro-chinoises et pro-soviétiques
et la mort de Mao pour que la majorité des étudiants
découvre qu'elle n'a pas à se définir comme le représentant
des masses ni à se présenter en rival de la grande
bourgeoisie pour s'assurer le soutien et l'alliance des
classes et couches populaires:
En tout cas,
les dirigeants de la YEANF en 1980 sont
persuadés que leurs prédécesseurs,
pendant une décennie
enti~re, ont inculqué Il une morale petite bourgeoise
populiste 1 ... 1 à plusieurs générations de militants
étudiants"
et l'le mépris de la théorie révolutionnaire
de la classe ouvri~re et la sous-estimation de son rôle
dirigeant à travers son parti"(2). Selon eux,
"cette
tendance à l'opportunisme illimité ne pouvait manquer de
.
'transformer les masses populaires en appendice de
l'impérialisme et de la bourgeoisie"."C'est ce qui advint,
com~entent-ils, avec la pratique de collaboration de
classes des dirigeants des organisations démocratiques
de masse au Dahomey au lendemain du coup d'Etat du
26 octobre 1972"
(3).
En fait,
cette critique de la ligne
lI anc ienne ll
de la
FEANF par les dirigeants de 1980 n'a été possible que
pour autant qu'elle puisait sa force à une autre source
de pensée.
Pour les dirigeants de la FEANF en 1980 qui
critiquaient "le caract~re révisionniste et désorientateur
de la pensée de Mao Tsé Toun~"(4), la référence et le
mod~le de pays à suivre, c'est la République Populaire
Socialiste d'Albanie avec,
à sa tête, le P.T.A. et le
dirigeant Enver Hoxha.
(1)
L'§~urli0nt 'vo~~ie~, Spécial congr~s extraordinaire,
lCJ78,
-k~-'.
1~,-J,_7
(2 ) L'f~\\"';:'n+ "','-""lc''''
'o"rp,
nouvelle série,
nO 79
(3)
Ibi dem
(4) Ibidem

588.
Mais comment comprendre l'intérêt des étudiants africains
dans une proportion importante pour ce petit pays qu'est
l'Albanie?
L'Albanie socialiste est en effet un des plus petits pays
d'Europe qui,
après 36 ans de pouvoir populaire offre
l'image d'une réussite exemplaire dans pratiquement tous
les" domaines de la vie sociale"et du développement économique.
Avant la guerre,
i l était l'un des pays les plus pauvres
d'Europe. Sous la direction de son Yarti
communiste,
elle
s'est libérée seule des occupants fascistes puis nazis
et a
commencé à
édifier le socialisme alors qu'elle avait
une agriculture ruinée et connaissant l'analphabétisme,
des épidémies et des menaces et pressions des pays étrangers.
Aujourd'hui,
elle s'est dotée d'une industrie qui lui
dC:1,ni;.
une certaine indépendance économique assez soJide.
En 1976,
elle réussissait même à assurer la totalité de
ses besoins en céréales panifiables.
Dans d'autres domaines
comme la santé publique,
le transport
et llenseignement o~ la gratuité est assurée pour tout le
monde,
elle appara!t comme trèsdéveloppée et parmi les
pays les plus avancés du monde.
L'échelle des salaires
par exemple y est de l
à 2.
L'Albanie socialiste se présente comme la démonstration,
au sein de l'Europe,
qu'un régime socialiste "n'est pas
condamné à dégénérer.
Elle appara!t comme l'image projetée
de ce à quoi peuvent ou doivent aspirer les pays d'Afrique,
petits comme elle. Voilà pourquoi le regard d'une partie
des étudiants et des intellectuels africains se tourne
vers
elle.
. .. 1...

589.
Par ailleurs,
les ténors de la FEANF en 1980 ne pouvaient
croire .~ "la nécessité de rompre avec la ligne spontanéiste
et populiste qui a dominé la fédération depuis sa naissance"
que pour autant qu'ils prétendaient ~ieux affirmer,
comme dans le cas de l'Albanie,
"1 e rôle dirigeant de la
classe ouvrière dans la révolution ~ travers son parti
marxiste-léniniste"(l)
et ainsi
"placer la FEANF plus
conséquemment dans le camp des peuples et de la révolution"(2)
Il est à retenir donc que les étudiants reconnaissent que les
intellectuels n'ont pas à
jouer
rôle des
partis politiques ni même celui d'un parti marxiste-léniniste.
Mais ils pensent que les organisations étudiantes et
intellectuelles peuvent demeurAr des .organisations anti-
impérialistes.
D'après eux,
si des
~l~me~ts issus de ces
organisations peuvent s'inté?rer aux masses ou devenir
des membres de parti,
ce ne sont pas les organisations
étudiantes en tant que telles qui doivent s'intégrer aux
masses -du moins ce sont là les explications
et les subtilités
que le Bème congrès de l'UNEECI à Tours en décembre 1975
a
données pour répondre aux critiques faites aux
organisations étudiantes d'avoir tendance à se présenter
en partis politiques.
Soit.
Mais plus profondément,
que signifie cette recherche
d'alliance avec les masses? Pourquoi les étudiants,
parlant d'ailleurs en tant qu'intellectuels insistent-ils
sur l'alliance intellectuels 1 masses populaires?
Que t~aduit cette insistance?
L'alliance prônée des intellectuels avec les masses se
laisse comprendre comme celle des porteurs du savoir
avec ceux qui n'en possèdent pas ou presque pas.
(l) lac. ci t
p.
3
(2)
Ibidem

590.
Mais elle ne prend v~ritablement un sens que dans J.e cadre
de la lutte politique dont l'enjeu est le pouvoir que
dirigeront de fait les
'lr~volutionnaires professionnels".
En tout ~tat de cause, il semble qu'on doive saisir
clairement la fonction id~ologique de lutte des notions
de "masses populaires",
de
"peuple",
de
"classe
ouvri~re" quand elles entrent dans le discours des
~tudiants et des intellectuels appelant à l'alliance.
Le souci de l'alliance intellectuels /
masses populaires
ne trahit-il pas un d~sir de formation de bloc et la
quête d'h~g~monie ? ... A moins qu'il ne soit qu'un
discours r~volutionnaire pour révolutionnaires souffrant
de la distance quI se creuse· entre .le peuple et eux.
Ce qui
est d~jà positif.
Ou alors,
à moins qu'il ne soit
un discours de
"distinction" marquant simplement
l'iiFtitude verbale à être r~volutionnaire et marquant
la familiarit~ avec les th~ories r~volutionnaires. A moins
encore qu'il ne s'agisse plus profondément d'un d~sir
sinc~re de changement réel dans les soci~tés africaines.
La référence constante et récurrente au "peuple",
aux
"masses populaires",
à la "classe ouvri~re", et la
place et le rôle qu'on leur assigne dans la r~volution
pourrait bien renvoyer plus à un appel,
plus à ce qu'on
voudrait qu'ils fassent qu'à ce qu'ils font,
et indiquerait
plus à quelle "fête" on voudrait les convier que celle
qu'ils organisent.
Ces notions sont idéologiques et
stratégiques dans le projet révolutionnaire des ~tudiants
et des intellectuels en g~néral. Ce sont des myth~mes
autour desquels s'organise et fonctionne la pensée qui
y puise force
et enthousiasme.
. .. / ...

591.
C'est d'ailleurs pour autant que ces notions sont des
mythèmes qu'elles sont facilement prises en charge par
ceux qui mènent les luttes politiques. Et i l n'y a pas
de raison que les étudiants et les intellectuels qui
luttent contre l'impérialisme n'en usent paB. Mais
peut-être certains parmi
eux,
et surtout les étudiants,
en abusent-ils d'autant plus facile~ent peut-être que
l'appel au
"peuple",
aux
"masses laborieuses,
à la
"classe ouvrière"
pourrait bien avoir pour fonction
aussi de masquer l'espoir et l'impatience de se
retrouver quelque
jour sur les flancs de "la colline
de commandement".
Les étudiants ne
sont-ils pas objectivement conduits
à être de la classe dominante (même en position de dominés
p&rmi les dominaftts)
? Ne sont-ils pas en montée sociale
individuelle,
même si on peut admettre que
collectivement
ils vont commencer à connaître une certaine descente
sociale du fait de la concentration de la richesse et du
pouvoir dans les couches supérieures ? Ne sont-ils pas
placés dans des conditions et statuts objectifs tels que
leur intégration réelle aux masses relève plus du slogan
révolutionnaire que des faits
Q
Les étudiants comptent-ils véritablement avec tous les
systèmes de ré~upération et d'intégration existants?
Comment les combattent-ils?
Plus d'un ne comprend pas toujours que tels ou tels anciens
étudiants "révolutionnaires"
se soient retrouvés dans
un pouvoir qU'ils avaient combattu . . . Peut-être les
slogans révolutionnaires ont-ils simplement servi à
des fins que ces anciens étudiants n'avaient pas toujours
conscience de viser.
. .. / .; .

592.
Les intellectuels~ tels que l.es enseignants, les ~crivains..
qui
sont plus en contact direct avec les r~alit~s quotidiennes
de la vie sociale,
~conomique et politique, optent plus
nombreux,
semble-t-il,
pour un autre langage et renoncent
de plus en plus aux slogans.
Leurs appels ~. la lutte, ~
la "r~volution" s'appuient davantage sur des faits
sociaux -comme on peut s'en rendre
compte dans l'~tude
de leur production litt~raire par exemple.
2.
L'action militante
"r~volutio~naire" des intellectuels
(~crivains)
La vie des intellectuels devenus honmes politiques ou de
parti n'est pas l'objet qui va ~tre analys~ ici. Au
contraire,
c'est l'action de ceux qui n'appartiennent
pas directement ~ des appareils politiques ou en tout
cas ne s'expriment pas au nom de parti ou de l'Etat qui
int~resse
Il est difficile de connaître exactement tout ce que
font les intellectuels dans leur vie pour aider ~ un
changement radical.
On sait cependant l'engagement
politique de certains ; e t ce n'est pas parce que -tel
Sembene Ousmane- ils pr~tendent situer prioritairement
leur champ d'action dans le domaine
culturel qu'on
commettrait l'erreur de
croire qu'ils ne font pas de
la politique-puisqu'en d~finitive tout est politique.
Les autorit~s politiques en place,
elles,
ne vivent pas
d'illusion .•.
. .. 1...

593.
Plus d"un écrivain ·par exemple a
eu des
"problèmes" ou
a connu même la prison ou l'exil.
Les cas les plus
cités SODt ceux du nigérian Wole Sonynka.
du kényan
Ngugi Wa Thiongo.
du ghanéen Kofi Awoonor.
du camerounais
Mongo Beti.
etc.
Mais &u fait,
en quoi
consiste l'action militante des
intellectuels,
et précisément des écrivains.
Quelle action
mènent-ils et quels en sont le contenu et la for~e ?
La littérature écri~e est riche des incitations et des
instigations à la "révolution",
à la lutte contre toutes
les formes
de domination.
On y trouve des personnages
"révolutionnaires"
qui initient l~ "révolution"
ou qui
servent à inviter à celle-ci. Avec eux ou par eux sont
données souvent en même temps les raisons po~r lesquelles
la "révolution" apparaît être une n2cessité.
la solution
radicale à la situation qui prévaut en Afrique.
Cette littérature est le lieu privilégié.
semble-t-il,

les intellec,tuels s'expriment le plus facilement
sur les
problèmes de leur société et sur les changements radicaux
à y apporter. Leurs appels et leurs incitations à la
"révolution" pren"t~t.rois formes principales:
a) la mise en jeu ou en scène de
"révolutionnaires" qui
tentent de prendre de force le pouvoir et qui ont la
possibilité d'expliquer les raisons et le sens de leur
action
;
b)
la représentation et l'exaltation de personnages
historiques,
voire mythiques.
qui
re~résentent par leur
lutte et leur victoire l'idéal de combat de ceux qui
n'acceptent pas le sort qu'on veut leur imposer;
c ) l a construction et la représentation de luttes
d'opprimés qui ne se résignent pas.
... / ...

594.
On peut donc dire qu'il
y a en fait
construction d'action
et affirm&tion de raisons
pour inci ter à
l'action et -de manière pas toujours
séparée- production
pour inspirer l'action.
Aussi
seront étudiées en un premier
temps la construction d'actions symboliques'révolutionnaires
et la justification des
raisons pour inspirer
la lutte
et l'action,
et dans un deuxième temps,
la production à
partir de Laits
sociaux ou historiques pour inspirer la
lutte et y inciter.
a)
Q~~~~~~~!~~~-~~~~!~~~~-~~~~~!!g~~~-~~y~!~!~~~~~!~~~-~!
J~~!~[~~~!!~S[!~g!!~~~!!~~_~~~_!~!!~~.
Plusieurs écrivains
se sont engaeés dans l'action militante
avec des personnages
"révolutionnaires" de leur création
comme pour expliquer surtout pourquoi un
ch3nge~ent radical
est indispensable.
Ainsi en est-il du personnaee de Kotoko dans Une aube si
fragile d'Ibrahima Signaté
(Dakar-Abidjan,
NEA,
1977).
Kotoko,
jeune intellectuel qui a
terminé ses études en
France,
retourne dans
son pays pour y être professeur.
Il
aura'à attendre qu'on veuille bien donner suite à
son
dossier' de
demande d' emploi.
Son con tact avec Hacoub,
un
ancien camarade d'école,
devenu un membre important du
cabinet du Ministre du Travail,
le convainc rapidement
de la nécessité de chercher une solution radicale à
ce
qui prévaut dans le pays.
Il a l'assurance de voir juste,
d'autant que son ami lui avoue que,
de par ses fonctions,
i l est au courant de certains secrets et qu'
'Ien fait,
le pays réel échappe de plus en plus à la classe politique'l
que
"La maehine de l'Etat tourne à" vide . .. ".
!,1acoub
ajoutera:
"Tu comprends,
travailler pour l'Etat,
ce dev"éli t "être une sorte d'apostolat.

595.
"Se sacrifier,
le mot n'est pas trop fort.
Au lieu de
cela,
les grands commis de l'Etat ne cherchent qu'à
gagner leur vie.
Ceci pourrait expliquer tous les drames
qui
s'abattent sur nous
. . . J'ai
d~cid~ d'en sortir"
(p. 102)
Kotoko" se laissera expliquer que
Ille parti unique
ornnipr~sent et en même temps d'une grande vuln~rabilit~/... 1
r~gente toute la vie poli tique du pays" ; qu 'il "r~gente
sans partage toute la vie du pays.
On y entre avec
l'intention de r~former, d'apporterdu sang neuf. On est
alors broy~ irr~m~diablement par la machine".
l'Certes,
dit-il,
i l
existe une volont~ de r~sistance dans de
nombreuses
couches de la population~ Mais tout cela est
encore "diffus,
à l ' ~ta t la ten t. Les m~contents sont l~gion
mais ils se contentent de protes!-er sous cape.
Les
organiser,
voilà ce qu'il faudrait".
Il s'interrompt pour ajouter :
l'Oui,
c'est le plus difficile.
Sur le papier,
notre
constitution est l'une des plus
d~mocratiques au ~onde.En fait, ils ne permettront
jamais la cr~ation d'un parti politique rival. Ils
courraient un risque trop grandI'. (idem,
p. 103).
Les deux amis s'entendent sur l'id~e de cr~er un parti
clandestin.
Kotoko en devient le responsable et le
ma!tre à penser,
plutSt à agir.
Tr~s vite, le "Mouvement
clandestin d'opposition"
se met à l'oeuvre,
commençant par
des tracts qui
exigent la démission du gouverneDent.
Les
adh~sions au "Mouvement" ayant d~pass~ les pr~visions,
Kotoko et ses amis d~cident de renverser le gouvernement
par les armes.
Mais à la suite d'une ~rahison, le convoi
qui devait leur livrer les armes est d~couvert, et ils
sont arrêt~s.
. .. 1...

596.
Lors de son procès,
Kotoko,
sans considération pour le
verdict qui
suivrait,
s'emploiera à
justifier son action
"Il nous reste donc,
Monsieur le Pr~sident,
à expliquer le sens profond de notre action.
Oui,
nous envisagions de renverser un gouvernement
qui ne défendait pas les intérêts du peuple,
mais
était devenu un triste conglomérat d'ambitions et
d'intérêts personnels. Le peuple connaît cet
état de choses et le juge sévèrement.
C'était
un devoir à
rendre à notre pays,
un devoir qui
deQeurera toujours actuel à nos yeux. Voyez~vous,
nous appartenons à la génération qui a rêvé,
comme
aucune autre,
à l'indépendance. ~otre désespoir
est sans limite lorsque, -à la place des fruits
succulents qu'elle nous promettait,
elle nous
livre des ronces.
Et vous voudriez que nous
assistions,
spectateurs blasés,
à la mort de cet
aube si
fragile dont la lumière bleue reflète
tous nos espoirs? Jamais!
C'est pour cette
raison que nous avons demandé aux tricheurs de
sortir de la scène,
à
ceux qui ne vivent plus
que dans le passé qu'ils ressassent à longueur
de journée,
alibi a l'inaction, à l'inefficacité.
Nous avons demandé aux militants qui
ont pris du
ventre de ne pas considérer le pouvoir comme
une maison de retraite pour vieillards méritants ••• I'
(pp.
184-185)
On a là effectivement un. certain nombre d'arguments qui
font comprendre pourquoi le désir peut naître de voir
ou de faire
changer la situation qui prévaut dans beaucoup
de pays. Et Kotoko n'apparaît pas un intellectuel isolé,
hanté par un désir insensé de tout mettre sens dessus-dessous.
Le désir de révolution habite l'esprit d'autres· intellectuels.
.../ ...

597.
Kossia,
dans Violent était le vent de Charles Nokan
(1)
projetera lui aussi de prendre le pouvoir par les armss.
Il sera pris en flagrant délit de préparation de son
acte révolutionnaire,
à la suite d'une trahison.
Il
sera jeté en prison.
Lui aussi,
tout comme Kotoko,
déclarera devant le tribunal:
l'Je veux l'amélioration des existences,
l'émancipation des peuples,
la désanimalisation
des hommes abêtis.
Mes camarades et moi
comptons
donner un peu de dignité à notre souffrante
Afrique. N~urrit~re terrestre à tous,
telle est
notre devise . . . "
(p.
157).
D'ailleurs,
durant tout le mûri~~ement de l'action à
mener,
Kossia et ses amis n'avaient pas arrêté de
réfléchir sur la situation de leur pays.
Celle-ci était
apparue à Kossia,
reVenu dans son pays après ses études
en France,
telle qu'il ne pouvait se résigner à ne
rien entreprendre.
Kossia aura constaté en effet que
"les leaders africains
immensément enrichis,
vivent dans un luxe inqualifiable
au milieu des masses misérables ••. ",
que
"dans presque
toute l'Afrique i l n'existe qu'une liberté,
celle
d'explQiter les pauvres".
Il se jurera:
"Nous devons
lutter contre cette situation"
(idem p.
58)
"il nous
faut encore lutter contre ceux qui nous exploitent,
contre
cette bourgeoisie noire qui
sème partout la faim pour
bien manger,
contre nos frères qui nous oublient. Nous
comptons sur vous,
sur le peuple pour gagner la bataille.
Alors viendront des jours meilleurs"
(idem p. 121).
(1)
Nokan
(C)
Violent était le vent,
Paris,
Pr-ésence
africaine,
1966

598.
Mais quels sont les objectifs de Kossia ?
"Toute libert~ ~tant annihil~e, dit-il;notre parti ne
peut être que clandestin.
Nous voulons amener
les masses à connaître la source r~elle de nos
souffrances et à y trouver un remède. Notre
organisation s'insère dans le mouvement
panafricain de lib~ration de l'homme. Elle
lutte pour la justice, la paix".
"Nous ne harssons pas nos dirigeants
; nous
les consid~rons comme des ~gar~s que nous devons
ramener dans la royale voiG africaine.
Nous
sommes le"3 m~decins G.e ces "aveugles".
"Il nous faut ouvrir les yeux du peuple qui
a toujours le dernier mot,
le convaincre de
leur montrer le chemin de la libert~ (idem p. 139)~
Et peu de temps avant son arrestation,
Kossia ~tait en
train d'expliquer encore à ses amis!
"La bourgeoisie africaine s'~tend toujours.
et la misère des peuples devient effrayante.
A pr~sent, il nous faut une r~volution radicale,
~l nous faut terrasser le r~gime
Il
(idem p. 141)
Une r~volution radicale".
telle est la solution qui vient
à l'id~e de tous ceux qui vivent de manière profonde
le drame de l'Afrique et de leur pays.
Comment peut-on
se faire à ce drame quand on songe que les choses
auraient pu et peuvent être aU~rement. Le nationalisme
et le populisme r~volutionnaire des intellectuels
$'appuient de manière objecti~é sur les problèmes r~els
.
-
que ~onnaît le continent africain.
... / ...

599.
Et le. manque de démocratie,
qui est dénoncée aussi dans
Violent était le vent,
l'existence de partis uniques,
tout cela apparaît aux intellectuels comme des raisons
qui
justifient les luttes. Aussi appellent-ils le peupl.e
à la révolte et à la 'révolution". Mais pour que le p~uple
suive,
i l faut qu'il
comprenne bien clairement d'o~
vient son malheur.
G'estcela que l'intellectuel veut
s'employer à lui expliquer.
Le Professeur Tahirou
(1) par exemple,
dans
sa prison,
ne rêve à rien d'autre que d'avoir,
dès sa libération,
à dire au peuple d'o~ vient par exemple la famine qu'il
connaît. Aussi,
à la place d'une allocution de remerciement
attendue
(exigée)
au Président de la République pour
l'avoir élargi,
i l se promet de saisir l'occasion l'pour
dévoiler que la tragique famine qui
frappe notre pays
n'est pas due seulement aux intempéries;
cette sécheresse
n'est pas tombée du ciel du
jour au lendemain".
Il
montrera que "tout le monde l ' a vu avancer,
et tout le
monde l'a laissé avancer " (2), et l'tout ceci est
l'aboutissement du développement des 'villes aux dépens
des campagnes,
des privilèges d'une minorité,
des profits
des sociétés étrangères et de leurs alliés locaux,
avec pour conséquence la substitution des
cultures
commerciales aux cultures vivrières,
l'écraseme~t de
la paysannerie sous l'impôt sans que l'Etat lui donne
rien en échange .•. "(3).
(1)
Tahirou,
personnage de Le jeune homme de sable de
Williams Sassine,
Paris,
Présence africaine,
1979.
(2)
Idem,
p. 106
(3)
Idem,
pp.
106-107

600.
Il dira aussi qu'
"Aujourd'hui,
on tire la sonnette
d'alarme pour détourner les responsabilités vers les
nuages,
parce que la colère des paysans affamés et des
chômeurs risque d'ébranler le,
pouvoir néo-colonialiste
en place et de dépouiller les hauts dignitaires de tous
leu!'s biens volés"
(1).
Tahirou sera long car i l aura beaucoup à dévoiler et
f d!.Y', c.l re
i l ne terminera pas tant qu'il n'aura fait"".....
"aux
paysans,
aux éleveurs,
à
tous les travailleurs et à
tous ceux qui
souffrent de ne plus s'en prendre au
destin,
mais à des hommes que tout le monde connaît
et qui,
avec la bénédiction de leurs maîtres capitalistes,
ont préparé le pays à une prolétarisation plus accentuée
et donc à l'accroissement des inéealités,
en favorisan~
la famine"
(2).
Ainsi donc,
la domination de la société par l'extérieui
avec la bénédiction et la complicité des nationaux ainsi
que la
désorientation de la société appelle
,
au dire
des ~ntellectuels, un nouvel ordre, un dépassement de
celui déjà instauré,
mais un nouvel ordre qui n'a de
chance de naître à l'existence que par un bouleversement
ou un changement radical.
Et c'est pourquoi les peuples
sont invités à ne pas se résigner à leur sort.
Ils sont
conviés à se faire entendre,
après avoir pris conscience
de la situation qui est la leur.
D'ailleurs ils sont
bien conscients de ce qui leur arrive et savent bien ce
qu'il leur reste à faire,
du moins à en croire Les voix
de tous les peuples,
de Nokan
;
elles font observer :
"Nous avons vu le petit voleur emp!'isonné,
torturé,
mutilé.
Nous avons vu l'oreille du
chômeur coupée,
Ses bras arrachés,
son oeil
crevé,
car i l a
chipé
une petite banane
Mais les dirigeants se partagent impunément les
deniers'publics.
Ils nous entendront.
Ils entendront les voix des peuples"
(3)
(l)Le jeune hom~e de sable de Williams Sassine, Paris,
Présence africaine,
1979 pp.
106-107
(2)IderrJ !-1.
108
(3)Les voix de ~ous les peuples in Kasa Bya Kasa p. lJ?

601.
Elles crient alors bien haut leur détermination
"Vous tious essorez
Et vous voulez que nous nous taisions.
Non et non ; nous poussons des cris tachés de
sang.
Vous nous exploitez
Et vous ne voulez pas voir nos poings dressés
En face de vous,
nous serons des tem~~tes"(l).
Une détermination qui
tirera à
conséquence
"Nous nous dresserons comme des montagnes,
Et nous avancerons tel un ouragan.
Nous nous l~verohs comme une temp&te
Et i l Y aura des pourritures entralnées,
balayées"(2)
Le combat risque d'~tre rude. Aussi,
ceux des intellectuels
qui
se veulent des "révolutionnaires"
et du
cSté du peuple
doivent-ils se persuader avec le peuple que
"l'espoir glt
dans notre combat".
Il faudra sans aucun doute du courage
comme s'en montre capable l'intrépide Kotawali du roman de
Guy Menga 0).
Ainsi,
l'étude de quelques oeuvres met bien en lumi~re
les raisons essentielles qui
justifient le désir de
révolution:
les probl~mes de l'Afrique nombreux et
inquiétants interpellent tous
ceux qui refu~ent la
résignation et le désespoir.
S'il est question de
révolution et si des esquisses en sont dessinées ou des
exemples en sont présentés et représentés,
ce n'est
certainement pas pour le simple plaisir (esthétique).
Il est vrai qu'à regarder à la représentation du monde
que certains
l'révolutionnaires"
se font,
on est obligé
de constater combien leur vision et leur visée du monde
est tributaire du marxisme.
On pourrait croire qu'ils
apprécient celui-ci pour lui-même.
(l)Les voix de tous les peuples
(The voice of all peoples)
Ed. Joycelynne Locke, Guyana, p. 37
(2)
Idem,
p.
43
(3) ~enga (G),
KotawaJi.
Dakar-Abidjan.N.E.A.
1976

602.
Mais ~e plus important est de noter comment les
intellectuels
(les ~crivains) tentent d'~tre la conscience
de leur. soci~t~ pour
aider celle-ci ~ bouger, plut8t pour
l'aider ~ Yaire sa r~volution dans tous les sens de ce
mot. Ne sont-ils pas convaincus,
tous,
comme Senam de
l'Incarc~r~ de Y.E. Dogb~ (Paris, Ed. Akpagn n 1980) que,
f~ce.à une Aîrique ~ construire, le poète, l'~crivain,
l'intellectuel,
à un raIe
capital ~ jouer? Ils voudront
par leur travail etleurproduction inspirer l'action et
inciter à l'action.
Pour beauco~p d'intellectuels,
dont Fanon en particulier,
la litt~rature ne prend v~ritabl~ment son sens que dans
la lutte pour la lib~ration des hommes et des pays, et
dans la lutte contre la domination sociale,convient-il
d'ajouter, ~ la lecture des productions r~centes~
Dans cette opti~ue g~n~rale, on a des oeuvres'~crites
comme pour inspirer l'action et inciter ~ la lutte.
On peut distinguer d'ailleurs deux cat~gories d'oeuvres
celles qui appellent à la lutte par l'exaltation de
personnages historiques ~ui repr~sentent par leur lutte
1.1id~al de combat de tous les 9Pprim~s et celles qui,
par la'repr~sentation de luttes d'opprim~s, invitent à
la lutte.
Il n'est pas possible ni n~cessaire de faire ici l'~tude
de toutes ces oeuvres. On en citera quelques-unes et
m~me celles-ci ne seront pas toutes examin~es ou analys~es
dans le détail.
... 1...

603.
La plupart des oeuvres qui
s'attachent à la description
ou plutôt à l'exaltation de héros africains présentent
des personnages qui,
avaient une signification
symbolique dans leur société et constituaient des éléments
d'identification importants.
Elleslesdo:'lnenrde :olus
en modèles de combattants que l'Afrique actuelle doit
imiter. Telle est l'optique globale des oeuvres
comme
Les sofa de Zadi Zaourou
(1),
Béatrice du Congo de B.Dadié(2);
comme le poème dramatique "Chaka" de Senghor"3),
les pièces
théâtralesChaka de Niane Djibril Tamsir
(4),
Amazoulou de
Nenekhaly-Camara
(5),
Les Amazoulous d'AbdouAnta Kâ
(6),
La mort de Chaka de Seydou Badian
(7),
tirées de l'image
mythique laissée p~r ce conquérant zoulou fondateu~ d'un
des plus grands empires africains,
doté d'une puissance
militaire redoutable.
Ce personnage a été interprété de
ma!1ières assez différentes pour s-ervir des causes précises
mais sans modifier l'image qu'il représente pour l'Afrique.
Par exemple,
Badianse sert de ce personnage pour attirer
l'attention sur le fait que la fascination du Pouvoir
peut conduire à sac~ifier le peuple à des ambitions propres.
(1)
Zadi Zaourou,
Les sofas,
Paris,
P.J.
Oswald,
1973
(2) Dadié
(B),
Béatrice du' Congo,
Paris,
Présence africaine
1970
(3) Senghor
(L.S.),
Chaka in Poèmes Paris,
'euil, 19'64 ;
originairement in Ethiopigues 1956
(4) Niane Djibril Tamsir, Sissoko ou la dernière citadelle
suivi de Chaka,
Paris,
Oswald 1971
(5) Nenekhaly-Camara
(C),
Continent-Afrique suivi de
AmazouJou,
Paris,
P.J.
Oswald,
1970
(6) Abdou Anta Ka,
Les Amazoulous,
Paris,
Présence africaine
1972
(7) Seydou Badian Kouyaté,
Sous l'o~age suivi de
La mort de Chaka,
Paris,
Présence africaine, 1972

604.
Soucieuse d'e rapport pC8iti:~ des dirigeants avec leur peupleW,
Badian fait dire à Chaka dans la pièce citée:
"Vous avez grandi avec notre peuple,
vous @tes
la
génération qui n'a pas
connu tout ce que nous
avons souffert.
Vous @tes les témoins de notre
seconde vie,
et cette vie-là,
je voudrais qu'elle
soit la v8tre 1
1 Notre peuple me semble fait
pour la grandeur 1
1 Notre terre sera
bouleversée bient8t I ..• I-Mais
sachez demeure~
avec le
souvenir de ~ette victoire et n'oubliez
jamais com5ent nous y sommes parvenus 1... 1 Je
suis
convaincu,
moi Chaka,
grâce aux vertus de mon
peuple,
qu'au bout de cette nuit,
vous
trouverez
une aube nouvelle,
claire,
sans tache,
une aube
qui
rayonne d'honneur,
de dignité,
de gloire.
Salut mes enfants.
Vivez pour tous~
Dans la même optique de littérature de combat où des
person~ages importants de l'Afrique pré coloniale sont
donnés en exemple pour la lutte de libération,
on a
des oeuvres
comme S~undjata ou l'épopée ma~dingue de
Niane Djibril Tamsir.
Cette épopée contée pour inspirer
l'action est tirée de l'histoire de l'empire du Mali au
13ème siècle. Soundjata est présenté comme l'idéal m@me
du
combattant qui lutte jusqu'à la victoire.
C'est à
son propos que le griot dira :
"Hommes d'aujourd'hui,
que vous êtes petits
à c8té de vos ancêtres et petits par l'esprit car
vous avez du mal à
saisir le sens de mes paroles.
Soundjata repose près de Niani-Niani,
mais son
esprit vit toujours et les Keita,
aujourd'hui
encore,
viennent s'incliner devant la pierre
sous laquelle repose le père du Manding . . . "(2)
(1 )
( ~ \\
"- .'

605.
Parfois,
l'auteur prend de la distance par rapport à
l'histoire ou à la légende pour tenter de lui donner
une signification pour les temps actuels.
Ainsi procède
Nokan
dans Abraha Pokou
(1).
Selon la légende,
cette
reine en fuite avec son peuple se trouva devant l'obstacle
infranchissable d'un fleuve;
pour éviter le massacre
d& son peuple,
elle accepta d~ sacrifier son fils aux
dieux des eaux.
Cette reine devient dans Abraha Pokou
ou une
grande africaine,
comme l'~ bien vu le préfacier
de l'oeuvre,
"non plus
seulement celle dont le malheur
assure la survie de
son peuple,
mais
celle qui,
en dépit
de la résistance des nantis et des égofstes,
annonce,
maintient et transmet les valeurs détenues par le peuple"
(pp.
9-10).
Ces quelques oeuvres suffisent à montrer la volonté des
intellectuels
(des écrivains)
d'inspirer l'action,
d'a~peler
de manière militante à la lutte en s'appuyant sur des
actions de héros du passé africain.
A côté de
cette forme
d'a~tion militante, il y a place aussi pour celle qui
consiste à inciter à la lutte en représentant des lutte~
victorieuses d'opprimés ou parfois des luttes de militants.
Ainsi,
Sembène Ousmane dans Les bouts de bois de Dieu
(2)
recrée la grande grève des
cheminots africains du
"Daiar-Niger"
du 10 octobre 1947 au 19 mars-1948.La
victoire des grévistes
sur les autorités africaines et
européennes est reconstituée en un grand succès révo-
lutionnaire de la masse ouvrière.
Et ce succès signifie
par lui-même que d'autres succès sont possibles pour
tous
ceux qui luttent pour refuser la domination
sur
eux.
(1)
Nokan
,
Abraha Fokou ou une grande africaine,
Paris
P.J.
Oswald,
1970
(2)
Sembène Ousnane,
Les bOllts de bois de Dieu,
Paris
Le livre contemporain 1960

606.
D'autres oeuvres comme La grève des Pattu d'Aminata Sow Fall
(1),
Les chauves-souris de Bernard lJanga
(2), Xala
de
Sembène Ousmane
(3),
etc.
indiquent jusqu'à quel point
les exploi tés et les exclus peuvent défier les b::JUrgeoi2 etvenir à
bout de l'arrogance et du mépris des nantis.et des parvenus.
C!est un réel appel à la lutte pour une victoire sur ceux
qui oppriment qui
est lancé à
tout le p~uple'des brimés et
des marginalisés . . . Et on voit plus d'un auteur prendre
assez clairement position en faveur de l'action de masse
et suggérer même une division de la société en
classes
antagonistes:
l'action révolutionnaire est alors présentée
CODme la seule ~ction de salut (RemBmber RUD8n de
Mongo Beti
(4),
Le cercle des Tropiques d'Alioun Fantouré(5),
Pe~als of blood de Ngugi (6)
pour un peuple qui
se
ve'lt majeur.
Parfois,
l'écrivain part de luttes réelles de groupes
d'opposition pour appeler à l'activn révolutionnaire.
Mongo Béti réinterp~ètepar exemple la lutte des radicaux
de l'U.P.C.
(7)
au Cameroun pour produire Perpétue
(8)
et Remember Ruben qui laissent entrevoir la possibilité de
la victoire.
(1)
Fall
(A.S.)
La grève des battu,
Dakar-Abidjan, N.E.A. 1979
(2 ) Nanga
(B),
op.cit.
(3) Sembène Ousmane, Xala, Paris, Présence africaine,1973,171p
(4 ) Mongo Beti,
Remember Ruben,
Paris,
U.G.E.,
10/18, 1974
(5) Fantouré (A), Le cercle des tropiques, Paris, Présence
afri caine,
1972
(6 )
Ngugi,
op. ci t.
(7 ) U.P.C., Union des Populations du Cameroun
(8)
Mongo Beti,
Perpétue,
Paris,
Buchet-Chastel,
1974

607.
La ruine presque cocasss d'un
poli chin elle
(1) du
A
meme
auteur fait voir la victoire des révolutionnaires sur
les symboles de l'oppression séculaire des peuples noirs.
Ainsi,
la littérature apparaît pour une bonne part comme
une action rr.ilitante qui appelle à l'action militante des
exploités et des exclus. Les i.ntellectuels ne pensent pas'
que leur rôle par rapport à ceux-ci soit ailleurs. Se
voulant conscience de leur société, ils croient qu'il leur
revient de révéler la société à elle-même,
de prendre
position en faveur des dominés afin de, participer avec
eux à la lutte contre ceux qui les écrasent, nationaux ou
étrangers,
structures et appareils nationaux et multi-
nationales.
Ils partent de situations socia-économiques
apparemment réelles qu'ils recréent ou réinterpr~tent
pour inviter et inciter à la "révolution". L'expérience
concr~te de la vie professionnelle, des relations avec
les autorités, avec les classes laborieuses,
les conduit
à ~tre de réels analystes de leur société. E~ celà, ils
se démarquent véritablement des étudiants qui font"
le
plus souvent, pour beaucoup d'entre eux, la révolution
à partir de théories révolutionnaires qui les conduit,
sans m~me qu'ils s'en rendent toujours compte pleinement,
à exiger le renforcement de l'Etat (au nom de la révolution).
Les écrivains quant à eux,
sont plus sensibles,
semble-t-il,
aux luttes sociales et donnent à penser qu'ils croient à
des changements par l'action sociale. Autrement dit, ils
développent plus des thèmes sociaux que des thèmes nationaux
qui,
inévitablement,
en appellent à un Etat fort. Et
parce que
les écrivains se font les champions des luttes
sociales et soulèvent plus souvent des problèmes sociaux
que dep problèmes propre~ent n~tionaux, entendons des
problèmes de l'Etat,
d'aucuns peuvent les traiter de
réformistes.
C'est leur droit,
(1) La ruine presgue cocasse dlun
polichinelle, Mongo Beti,
?aris, Ed. des peuples noirs, 1979

608.
Mais n'a-t-on pas souvent vu des ~tudiants r~volutionnaires,'
ou d'autres r~volutionnaires par slogans, devenus cadres,
oublier jusqu'aux th~ories même qu'ils d~fendaient ? •••
Au lieu de dire simplement et nafvement qu'ils n'~taient
pas de vrais r~volutionnaires, peut-être y a-t-il lieu
plut8t de chercher ~. comprendre les m~canismes de
r~cup~ration et les difficult~s objectives d'être
r~volutionnaires dans des soci~t~s qui ne maîtrisent
pas la logique de leur propre d~veloppement et dont les
problèmes ne sont pas sans avoir d'incidences sur les
conduites individuelles et collectives.
3. Les difficult~s de la r~volution ou ~ être rÉvolutionnaire
Les écrivains ont analys~ avec assez de lucidit~ les
problèmes. Et c'est pourquoi on s'int~ressera aussi ~
leurs analyses au lieu de s'en tenir exclusivement ~
la vie d'intellectuels r~volutionnaires connus. Le plus
important,
de toute façon,
est d'~tudier les situations
objectives qui
tuent ou inhibent l'élan r~volutionnaire
ou neutralisent les actes et les actions révolutionnaires.
Les ~crivains sont tout compte fait assez pessimistes
-du moins en apparence- quand ils posent le problème
de la r~volution : la plupart de leurs personnages
r~volutionnaires individuels ou collectifs connaissent
des fins qui frisent l'~chec. Certes, ~ l'arrière-plan,
au-del~ de l'échec apparent, ils laissent toujours
entrevoir que le feu de la r~volution n'est pas éteint,
que la lutte continuera.
Mais cela ne veut pas dire
qu'ils se dispensent de considérer avec réalisme les
difficultés objectives de l'acte et de l'action
r~v61utionn~ires.
. ../ . ..

6C9.
Kotoko de Une aube si
fragile de Signaté,
Y.ossia de
Viole~t était le vent de Nokan , seront arrêtés puis
emprisonnés au moment même où ils s'apprêtaient à s'emparer
du pouvoir par les armes.
Mais étaient~ils réellement bien
préparés à leur action ? Avaient-ils assez bien préparé
leurs
"troupes" ? Ils seront arrêtés pour avoir ét~ trahis
par des ~ens qu'ils avaient cru5définitivenent des leurs.
Sans doute faut-il interpréter positivement ces échecs
comme
des leçons données pour la révolution, comme des avertissemento/
conseils aux apprentis révolutionnaires.
Mais les difficultés ne viennent pas toujours de l'extérieur
elles se situent aussi au niveau même des personnes,
des
intellectuels eux-mêmes.
Il est vrai d'ailleurs qu'eux-~êmes
reconnaissent que leur situation objective dans la société
fait d'eux des
"petits-bourgeois".
Ils savent qu'ils ne
peuvent devenir révolutionnaires que par un
"suicide"
de
classe -comme le suggère Amilcar Cabral à toute la petite
bourgeoisie.
Il écrit à
ce propos
:
"Pour remplir parfaitement le rale qui lui
revient
dans la lutte de libération nationale,
la petite
bourgeoisie révolutio~naire doit être capable de se
suicider comme classe,
pour ressusciter comme
travailleur révolutionnaire,
entièrement identifiée
avec les aspirations les plus profondes du peuple
auquel elle appartient"
(1).
Mais l'invitation au suicide de classe est en même temps
un aveu de la difficulté de l'entreprise. Et l'intellectuel
révolutionnaire Cabral qui avait la main à la pâte sait
bien les difficultés que les intellectuels ont à se suicièer.
1
(1) ADilcar Cabral,
L'arme de la théorie, Paris,
François Maspero
1975, p. 303

610.
Eduardo Mondlane,
lui aussi
-un autre intellectuel révolution-
naire- aura beaucoup à faire par exemple pour se faire
entendre du groupe d'intellectuels qui écrivait dans les
années 40 et 50 des poèmes de protestation;
i l s'agit
du groupe Craveirinha qui
dénonçait la brutalité de l'oppresseur
colonial,
sa cruauté et sa volonté de faire des mozambicains
des déracinés
grâce à l'instruction. Les efforts de Mondlane
pour inciter 2e groupe Craveirinha à réaliser qu'il fallait
passer de la théorie à la pratique,
donc
s'identifier aux
masses et se couper des dirigeants
colons et du monde
capitaliste,
n'ont pas
connu tout le succès escompté -pour
diverses raisons d'ailleurs.
Mais i l réussira tout de même
à rallier au FRELIMO un groupe plus jeune, le ::EMO, par lequel
i l pourra"recruter des
cadres pour former le noyau du FRELIMO(l).
On connait aussi la révolte des étudiants en 1967 contre
Mondlane et le FRELIMO.
En effet,
partant de l'idée que
dans une population à 95 % illettrée, être un étudiant était
en soi un privilège,
le FRELIMO avait décrété que tous les
étudiants qui
devaient quitter le Mozambique pour aller à
l'extérieur poursuivre leurs études devaient participer un
certain temps
à la lutte et accomplir certaines tâches
spécifiées par lui. Dans l'esprit de Mondlane et du FRELIMO,
i l s'agissait de lier l'étudi~nt plus étroitement aux masses
et d'éveiller leur conscience et de les préparer
à se mettre
au service du peuple.
Mais les étudiants ne voulaient pas
se soumettre à cette discipline.
Ceux qui avaient une licence
ou une maîtrise ne voulaient pas interrompre leurs études,
car ils voulaient avoir une spécialité. Pour Mondlane,
le
peuple avait besoin d'intellectuels mais surtout de dirigeants
intellectuels révolutionnaires.
(1) Edward Mondlane, Biographie, Paris, Présence africaine,
1981, p. 63

611.
Il t.enait à.ce que les intellectuels fussent formés à la
lut te a rm é e •
Dans sa polémique avec les étudiants, 110ndlane se rendit
compte que ceux-ci
"étaient plus intéressés par certains
intérêts .puissants que leur inspiraient les puissances
.
étra.ngères opposées à la lutte armée au Mozambique"
(1).
Il faut souligner cependant que tous les étudiants,
de
manière unanime,
n'avaient pas refusé d'obtempérer aux
décisions du FRELIMO.
Peut-être même doit-on croire
Mondlane pour accepter de penser avec lui qu'en fait la
majorité des étudi~nt~ sou;crivaient aux directives et
acceptait. de s'intégrer aux masses et que
"sa lutte
idéologique avec ces intellectuels était une lutte pour
voir si le mouvement national n'était pas infecté par
l'individualisme,
tant dans les idées que dans la pratique"(2).
Il semble cependant qu'à l'époque~ Mondlane n'a pas vu qu'il
y avait des éléments du FRELIMO qui voulaient utiliser les
étudiants comme des girouettes pour savc·ir jusqu'à' quel point
i l serait possible pour les
l'privilégiés"
de tirer leur
épingle du jeu.
(3).
Ces exemples de la vie de Mpndlane et de sa polémique avec
les étuâiants montrent combien effectivement i l n'est pas
facile de'passer de la théorie de la révolution à la
pratique de la révolution:
des difficultés existent et
viennent de partout,
y compris du sein du groupe révolutionnaire
lui-même.
(1) Idem, p.
65
(2)
Idem,
p.
67
(3) Ibidem

612.
Les étudiants et les intellectuels peuvent bien soutenir
des points de vue révolutionnaires,
être des théoriciens de
la révolution sans être forcément pr~ts à se '~uicider"
véritablement en tant que petits-bourgeois.
Les vrais intellectuels,
prétend-on,
se "suicident"
nécessai-
rement.
C'est à voir.
Certains parmi les intellectuels
africains comm~ Osendé Afana, ont pris le maquis et y ont
péri -tout
à
leur honneur.
Mais le fai t
que les Osendé Afana
ne sont pas apparemment les plus nombreux parmi
tous les
théoriciens pédants de la révolution indique plutôt que
les cas de révolutionnaires qui
se sont effectivement
"suicidés" ne suppriment pas les difficultés qu'il y a
à se "suicider" en tant que bourgeois ou petits-bourgeois.
Il est indispensable d'analyser de manière rigoureuse les
difficultés et les embûches si l'on veut pouvoir les surmonter
plutôt que de se les masquer et de les nier en s'agrippant
nalvement et fièvreusement à l'idée du vrai intellectuel.
Une des difficultés de la révolution réside dans le fait
que souvent les luttes- des intellectuels et des étudiants
"révolutionnaires" ou des apprentis-révolutionnaires ne
sont pas associées à des mouvements sociaux réels.
Et
raj'id..,.""t;
ces groupes révolutionnaires apparaissent tout au plus
comme
une force de pression mais sans grande importance dV,\\( y"./JX, dq
pouvoirs en place qui
se sentent suffisammpnt forts pour la
négliger en attendant de décider de l'écraser définitivement.
Du côté"des masses,
l'action des révolutionnaires n'est pas
toujours non plus perçue comme une véritable action sociale
à leur service. Facilement,
ce~eae~O~st interprétée comme
une lutte pour le pou~oir par un groupe de gens qui
estiment
avoir droit eux aussi au pouvoir.
ou à leur part du
"giteau"
nati6nal.
... / .. ·

613.
Qu'on écoute par exemple la conversation de braves gens chez
le coiffeur Kora dans Une aube si fra~ile :
"-Dis-donc, Kora,
ça bouge dans le pays, fit le
plus gros des quatre
(nouveaux venus).
"-Ca bouge,
( ... ),
c'est bien ce que
je disais à notre ~~ (répond Kora)
'I-C'est les gros qui se bouffent le nez
(dit l'un
des quatre arrivants)
"- Les petits doivent donc rester à l'écart,
sinon
ils perdront les poils du cul.
"- Les poils du cul ! Qui parle de poils du cul ?
Ils y perdront la tête,
oui, ou plutôt le cou,
cela revient au même d'ailleurs".
"- Il paraIt que le Mouvement est inspiré par quelques
gros "bonnets" désireux de P.1onter en grade ...
"- Est~ce que cela nous donnera plus de manioc à
meilleur marché, plus de poisson à meilleur marché?
l"t
'
d
'
.
1
u
repon ez_mOl
.
" - Ah, que non
! mon dieu que non
" (pp.126-128)
Bref, la révolution,
éloignée des luttes sociales concr~tes
conçues à partir de théories révolutionnaires,
sabotée même
par la précipitation et l'impatience gauchistes de certains
intellectuels, n'a pas toujours le loisir de s'apercevoir
que, les masses ne lui sont pas encore acquises, que le peuple
ne sait pas qu'il s'était engagé avec elle - de sa propre
ini tia ti ve.
Au total,
tout cela montre que les conditions de possibilité
de la revolution ne sont pas faciles,
quand,
en plus s'y
ajoutent les querelles au sein même des révolutionnaires
pour cause de pureté doctrinale. Mais la révolution
a-t-elle jamais été facile?
... / ...

614.
Les pouvoirs en place,
eux aussi,
s'emploient ~ mener la vie
dure ~ ceux des intellectuels qu'ils considèrent comme des
révolutionnaires.
Pour ces pouvoirs d'ailleurs,
ces révolutionnaires sont
des
"communistes",
c'est-~-dire en fin de compte des agents
patentés de l'extérieur,
du communisme international,
avides
de subversion.
Cet anticommunisme et la haine de l'intellectuel
contestataire seront exprimés dans Une aube si
fragile.
Le
commissaire qui a arrêté M. Julien Bedaut qui devait livrer
les ar~es ~ Kotoko et ses amis,
courroucé par le refus de
celui-ci de dénoncer,
malgré la brutalité de la torture,
ceux qui l'ont engagé dans leur "aventure",tonnera,
sec:
"Sale communiste!
1... 1 Retiens ceci, que tu passes
aux aveux ou pas,
nous écraserons les communistes,
tous les
communistes dans
ce pays,
tous ceux qui,
parce qu'ils ont fait des études,
croient le moment
venu de dict~r leur volonté aux autres. Moi,
les
intellectuels,
je leur crache dessus,
tu as compris,
je les mets ~ leur place"
(p.
169).
Ces
"communistes" sont selon les pouvoirs en place des
antinationaux qui
en veulent ~ la tête ou ~ la place
personnelles du
"Guide" ou du
"père de la nation".
C'est
pourquoi par exemple le député Tounka,
dans Une ·aube si fragile,
lors de son réquisitoire contre les accusés,
Kotoko et les
siens,
ne se.privera pas de déclarer:
"Monsieur le Président,
vous avez devant vous des
égarés qui
s'obstinent dans leurs options criminelles.
Ils appartiennent ~ cette race d'anti-nationaux dont
i l est de notre devoir d'empêcher par tous les moyens
la prolifération.
La jeunesse ne saurait être une
excuse suffisante ~ tous les excès 1... 1 L'intérêt
supérieur de l'Etat nous
commande de frapper vite
et fort . . . "
(pp.
181-182)
... 1...

615.
Si les pouvoirs en place s'en prennent aux intellectuels
révolutionnaires,
c'est qu'ils croient que ceux-ci leur
en veulent ou plus exactement mènent une lutte pour le
pouvoir.
Ce qui n'est pas
faux quant à la signification à
donner à la lutte révolutionnaire.
Et les pouvoirs en place
qui se disent révolutionnaires eux-mêmes n'ont pas de mal
à comprendre non plus ce que veu~ent les intellectuels
révolutionnaires.
Et c'est avec facilité que ces pouvoirs,
à bon escient. disqualifient et déclarent réactionnaires
ceux qui veulent à leurs yeux saper ia révolution en marche.
Au total,
on est oblige de prendre acte du fait qu'il n'est
pas facile
d'être révolutionnaire en Afrique.
Les difficultés
viennent de partout,
comme on a essayé de le montrer:
de
la réaction et de l'action des pouvoirs en place,
des
pressions diverses
com~e celle de la mère de Kossia sur
son fils pour qu'il renonce à se battre contre le pouvoir
et qu'il y entre
(1) ; mais aussi et pour beaucoup, de la
situation objective des intellectuels dans leur société.
N'ont-ils pas part -à leur plac~ bien sQr- à la"plus-value
nationale"
? 1:e sont-ils pas associés -à leur place bien
sûr- à la domination sociale? N'est-ce pas pour cela
d'ailleurs que la théorie de "suicide"
de classe se justifie
et que le problème du choix d'un camp social se pose?
Les difficultés existent;
et i l ne sert à rien de se
réfugier dans les prétentions,
le désir ou la volonté
en faveur de la r~volution pour nier les faits.
(l)"Intègre-toi au régime politique actuel.
Qui veut faire
"bonne route"
ne doit pas oublier les réalités du voyage.
En Afrique.
on ne peut rien gagner actuellement sans
l'acceptation de ce qui
est.
~u ne pourrais même pas
travailler si
tu
co~testais, comme certains de tes
c"amarades,
le pouvoi r"
(Nokan ,
Violent étai t
le vent,
p.119).
.

616.
En effet,
privés souvent de pratiques politiques concrètes
dans leurs pays,
les intellectuels,
par les situations
qui leur sont ~aites, par leur statut et leur rôle, par
le capital cul~urel dont ils disposent,
par le
capital de
relations qu'ils peuvent accumuler,
parfois par leurs
implications
é~onomiques, et par le fait du mandat social
(ou commande aociale)
qui les interpelle,
sont souvent
conduits ~ av05r des situations objectivei de niveau de
vie et de consommation qui les éloignent des classes
populaires;
et
à
se satisfaire
d'un
choix de camp
plus idéologiqne que politique
et sans engagement réel
et
concret dans lYaction au coude ~ coude avec le peuple.
C'est pourquoi
eux-mêmes ne peuvent empêcher de voir
lucidement da~s les exemples courageux et édifiants d'un
Cabral,
d'un OsendéAfana,
d'uh Moridlane,
d'un Frantz Fanon,
d'un Ruben Dm Uyobé et de bien d'autres,
plus une invitation
à l'effort et à la volonté d'oeuvrer pour un changement
profond et mê:w radical dans leurB sociétés qu'un
"Ca va
de soi" donné ~ la contemplation ou au commentaire
prétentieux
visant ~ s'approprier l'hérofsme dos autres.
Mais comment les intellectuels peuvent-ils procéder pour
que la voie tracée par les pi?nniers soit suivie ou inspire
la marche?
. ' .
Voil~ un objet de réflexion concret pour
tout iritellectuel.
Ce chapitre su~ le désir de révolution se termine.
Il a
rejoint les pr~cédents pour cerner les raisons essentielles
des conduites d'opposition.
L'opposition s'exprime pour
l'essentiel ~ ~ravers un nationalisme qui supporte mal
le néo-colonialisme et son acceptation apparente par les
pouvoirs en place.
Elle en appelle à la démocratie et à
la liberté d'expression pour que l'action politique et
sociale soit possible et conduise ~ une rupture révolutionnaire •
. ../ .. ·

617.
Elle s'exprime à travers Un populisme révolutionnaire qui
s'appuie apparemment sur une vision qui n'est yas sans
rien devoir au marxisme
;
elle parle constamment en termes
d'action de classe.
Pour l'intellectuel révolutionnaire en effet.
son rôle
n'est-i~ pas d'affirmer l'action de classe et de contribuer
à faire lier l'action de classe à l'action politique afin
que la vraie libération se fasse et apporte le progrès
social et matériel dans une société nouvelle?
Mais le droit du militan~ à se définir un rôle au nom de
la vision qu'il a de l~ relation o~ il peut~tre i~pliqué
ou vouloir s'impliquer n'interdit pas de faire une analyse
de sa lutte et de son discours révolutionnaire.
Le désir de révolution
chez les intellectuels est porté
par un discours teinté de marxisme et chargé de populisme
et d'ouvriérisme;
les termes récurrents de ce discours
sont
:
lutte de classe,
les masses populaires.
le peuple.
la classe ouvrière.
l'avant-garde ...•
le parti
d~ la classe
ouvrière.
etc.
Mais ce discours.
parce qu'il en appelle
constamment à l'action de classe.
et aux classes populaires.
ne doit pas faire
croire que ~'opposition des intellectuels
révolutionnaires est directement une action de classe.
Leur
opposition et leurs luttes n'entraînent aucun soulèvement
populaire ni dans les campagnes ni
dans les villes.
et
elles ne sont pas toujours
connues de la grande masse de
la population.
Par contre,
dirigées contre l'Etat,
elles
sont perçues par l'élite dirigeante.
Elles relèvent en
fait davantage de l'action politique que de l'action
sociale de classe.
• •• J" • ••

618.
Au vrai,
c'est parce que l'opposition des intellectuels
au pouvoir est avant tout politique qu'elle est presque
toujours aussi
critique et action dirigées contre l'Etat
et contre le pouvoir,
et qu'en réalité,
e~le en appelle
toujours à l'Etat,
à un autre Etat, même si cet appel à
l'Etat prend pour nom la révolution ou est masqué le plus
souvent par le populisme et l'ouvriérisme du discours
révolutionnaire.
Si l'opposition d'intellectuels est organisée et si elle
est assez forte pour vouloir se définir comme un pur mouvement
de classe,
sans référence aucune à l'Etat,
elle prend
simplement le risque de devenir un instru~ent de pression
de groupe qui ne vis~ra qu'à amplioren la position relative
du groupe par rapport à d'autres dans le systèDe d'influence
ou dans le système politique.
En fait,
l'opposition des intellectuels se soucie davantage
de la direction politique et économique de l'ense~ble
de la société,
et c'est pourquoi,
même quand elle s'attaque
à la domination sociale,
elle reste dirigée contre l'Etat
qui rend possible cette domination.
Certes,
l'opposition se charge de rapports de c~asse (et
d'ailleurs,
à
travers le jeu politique en général se
réfractent les rapports de classes),
mais on ne saurait
affirmer pour autant que l'opposition des intellectuels
est une action directe de classe luttant pour la direction
des for.ces de développement social
(les intellectuels
seraient alors directement la classe populaire).
On doit
plut8t comprendre que,
même ce qu'il y a d'action sociale
dans la lutte des intellectuels passe par la référence à
l'Etat,
et voir nettement que l'action sur le système
politique est dans le cas des intellectuels le moyen
indirect mais
fondamental d'action
sur la classe dirigeante
et dominante.
. .. / .. ·

619.
Sans doute,
le nationalisme des intellectuels,
leur
anti-impérialisme,
leur démocratisme,
leur désir de
rupture révolutionnaire,
les conduisent-ils à placer
un espoir dans l'union de l'Etat libérateur et du
mouvement social populaire.
Ils parlent alors de socialisme.
Mais quel est le contenu et le sens réels de ce socialisme?
... / ...

CHAPITRE
IV
620.
LE SOCIALISME
DES
INTELLECTUELS
Le r.ationalisme,
le démocratisme libéral et le désir de
révolution chez les intellectuels se mêlent mais
sans
toujours se
confondre,
au point qu'il est possible de
.
.
faire une caractérisation/distinction entre l'intellectuel
nationaliste,
l'intellectuel libéral et l'intellectuel
révolutionnaire.
Il est cependant uh point commun ~tous
ces intellectuels:
c'est leur rapport.~ l'Etat en face
duquel ils se placent pour parler souvent au nom du peuple.
Sans doute le rapport ~ l'Etat s'appuie-t-il sur une
certaine conception des rapports dans la sOèiété,
et ep
uarticulier une certaine vision du passage d'un type de
société ~ l'autre. Aussi est-il nécessaire de voir quel est
le projet de
société dominant qui
est le leur ou qu'ils
partagent.
Lorsqu'on examine l'ensemble de leur production signifiante
(en ~articulier littéraire) et les différents documents
qu'ils élaborent,
i l y apparaît une orientaticn politique
globale qui
semble correspondre au type de développement
sociétal qui
agréerait à la majorité de tous
ceux qui
s'opposent aux pouvoirs en place en Afrique et qui expriment
en même temps une contestation culturelle .
. On verra leur anticapitalisme et leur option globale
pour le socialisme. Mais que recouvre ce terme? A quelle
réalité politique et
sociale renvoie-t-il
? Et que pensent
ces intellectuels de tout ce qui
se fait ou se dit se
faire au nom
du socialisme en Afrique?
. ../ .. .

621.
A.
DE L'ANTICAPITALISME AU SOCIALISME
L'anticapitalis~e des intellectuels est un phénomène
assez bien connu. Michel Lowy,
dans Pour une sociolo~ie des
intellectuels révolutionnaires
(P.U.F. 1978) a largement
développé l'anticapitalisme de Luckas et des intellectuels
de .son époque pour s'interroger précisément sur l'origine
de celui-ci
En Afrique,
les intellectuels ne sont pas frappés ni
menacés de prolétarisation importante .. On ne peut donc
pas partir de leur situation économique pour prétendre qu'ils
mènent u~e lutte de classe anticapitaliste, à la manière
du mouvement ouvrier européen par exemple.
Ce qu'on veut signifier ici par leur anticapitalisme est
leur rejet du
capitalisme qu'ils croient volontiers voir
subrr.erger leurs Etats et leurs sociétés,
ou plus exactement
leur rejet de l'image d'une société où la propriété des
moye~s de production est privée, où l'industrialisation
est dirigée par une
bourgeoisie nationale ou étrangère.
Il est très
frappant,
lorsqu'on examine les oeuvres et les
productions
et les déclarations diverses des intellectuels
et des étudiants,
de
constater que personne parmi
eux ne
se fait le théoricien élogieux et propagandiste du mode
de développeDent capitaliste.
Les divers documents ne
portent nulle part la trace admirative d'un développement
assuré par une bourgeoisie nationale ou par une bourgeoisie
étrangère.
La réalité est que celle-ci a la main sur
l'économie des sociétés africaines;
aussi,
donne-t-elle
l'occasion de développer l'anti-capitalisme.
. .. / ...

622.
Au-delà du problème d'un développement assuré par
l'extérieur,
la question du
capitalisme intéresse les
intellectuels. En tant qu'il est une théorie de l'accumu-
lation ~atérielle guidée par la recherche du profit par la
voie de l'appropriation privée des moyens de production,
i l apparaît irrecevable,
par exemple à un Tevoedjré
qui,
da~s un ouvrags récent (1), appelle toute l'Afrique
à
i'engager dans une autre VQi~.
En effet,
par son esprit individualiste m~me, le capitalisme
entre en
co~flit avec une certaine démocratie plébéienne
et un moralisme chez nombre d'intellectuels qui
supportent-
difficilement qu'au
sein de la même
société,
des gens
meurent de trop ~anger tandis que d'autres meurent de
faim.
De plus,
les intellectuels savent exactement comment
l'i~périalisme et la colonisation sont les fils du
capitalisme.
Le souvenir et l'expérience vécue de leurs
"ravages" en Afrique,
la transformation des rapports
huma1ns en rapports ~archands et en rapports d'exploitation
ne sont pas non plus de nature à
forcer
chez les intelleétuels
une admiration pour le capitalisme.
Or déjà plusieurs
générations d'étudiants et d'intellectuels ont lu et
commenté le Discours
sur le colonialisme d'Aimé Cé~aire(2),
anti~capitaliste s'il en fût. C'est àire que l'anticapi--
talisme n'est plus simplement une réaction épidermique
à une situation mais il s'est élevé a~ niveau de la cohscience
et de la réflexion sur cette situation.
. .. 1...
(1)
Tevoedjre
(A),
La pauvreté,
richesse des peuples,
Paris, Editions Lconomie e~ Humanisme,
les Editions
Ouvrières 19';'8
(2)
Césaire
(A),'Discours sur le colonialisme,
Paris,
Présence afr:"caL:e, 1955
(1ère ed.
Reclame 1950)

623.
Hai s
si les intellectuels n'ont pas confiance
dans le système capitaliste, plu8 d'un se fait encore
des illusions sur la capacité de ce système à dépasser
ses crises et à se maintenir. Ainsi, le groupe d'intellectuels
opposants clandestins ivoiriens au régime de Houphouet-
Boigny, qui publiait Le nouveau réveil
(1) en 1964
fais~it remarquer:
"Le capitalisme,
s'il a eu d'incontestables vertus
dans le passé,
est d'ur. empirisme qui sied mal au
rntionalisme scientifique du monde actuel"
et d'autre
part,
il se condamne lui-même par sa lenteur,
voire
son imT:Jobilisme".
'
Il faut dire aussi que les difficultés actuAlles de
,
'
'1'
d
l
occident capit~liste ont reve e aux yeux
e tous comti en
le système capitaliste pouvait c~éer des problèmes ir.menses
et préoccupants de civilisation.
Ainsi, pour maints intellectuels et étudiants,
comme ceux
regroupés dans l'Union Nationale des Etudiants Socialiste~
du Ke:T:1erun
(D.N.E.S.r:.),::'l e3t
évident que "le système
capitaliste n'offre aucune solution au processus infernal'
d'enrichissement des riches et d'appauvrissement des
pauvres qui est à l'heure actuelle sa règle fondamentale"(2).
Selon ces mêmes étudiants,
"les réunions démagogiqUes
organisées par les grands pays capitalistes sous la
dénorr:ination pompeuse de
"Dialogue Nord-Sud" 'aboutissent
les unes après les autres à un échec toujours plus reten-
tissant (parce que), pour l'Occident,
avide de matières
premières,
la nécessité d'un "Nouvel Ordre Economique
Mondial plus juste" n'est reconnue que du bout des lèvres."
(1) Le nouveau réveil, 1964, nO 3
, .
(2) Bebela, organe centr~l de l'UNESK,
serIe document,
juillet
1~78, nO l, pO.
9

624.
Et
"par la ruse ou par la menace,
quand ce n'est pas
par l'intervention militaire,
les pays impérialistes ne
cherchent qu'à faire durer le pillage de nos richesses
naturelles et l'exploitation de nos peuples".
Les étudiants ajoutent
:
"Voilà pourquoi
un nombre
croissa~t
d'Africains,
et surtout une proportion grandissante
~e la jeunesse, ont co~mencé à corn~rentre qu'il n'y
a
aucun aménagement possible du système
capitaliste
qui puisse profi ter aux peuples du Tiers-Monde"
(1).
Certes,
ceux qui
tiennent ces propos
se déclarent
soclailstes
;
et alors leur cGndamnation du capitalisme
est dans la logique ~ême de leur engagement. Peut-on
dire pour autant que leur orientation n'est représentative
que d'eux seuls?
Il a
déjà été souligné qu'aucun texte et aucune déclaration
d'intellectuels et d'étudiants
-à moins qu'ils aient
échappé à notre investigation- ne per~ettent de faire
l'hypothèse de l'option du capitalisme par les intellectuels
qui
mènent des actions
critiques.
On aura
compris que
seules leurs analyses
et leurs positions théoriques
intéressent ici
et non leurs pratiques et leur vécu
quotidien.
Même s ' i l n'est pas impossible peut-être de
trouver chez eux des réflexes
"capitalistes" d'aj::caparement
et d'accumulation de biens,
sur le plan théorique,
beaucoup sont diaccord avec Frantz Fanon pour croire que
"l'exploitation capitaliste,
les
trusts,
et les monopoles
sont les ennemis des pays
sous-développés"
(2).
... / ...
(1)
Ibi dem
(2)
Frantz Fanon,
op.cit.
p.
74

625.
Hais au fai t,
comment les étudiants et les intellectuels
expriment-ils réellement leur antic~pitalisme ?
Refusent-ils la direction capitaliste de l'économie et
l'appropriation privée des moyens de production,
et
co~battent-ils le principe du mode de développement
capitaliste?
Les intellectuels n'ignorent pas ce que sont un mode
de production et un mode de développement dirigés par
une bourgeoisie nationale ou étrangère. Et la confusion
chez eux des rapports de classes et du mode de
développement ou d'industrialisation dirigée par une
bourgeoisie les amène à se déclarer en faveur d'une
politique socialiste pour signifier qu'ils sont contre
le mode de développement dirigé par une bourgeoisie.
Ils
sont pour un régime socialiste,
suivant en cela
la recommandation de Fanon qui
é c r i t :
"Le choix d'un reZlme socialiste,
d'un régime
tout entier tourn~ vers l'pnsernble du peuple,
basé sur le principe que l'homme est le bien -le
plus précieux,
nous permettra d'aller vite,
harmonieusement,
rendant de ce fait impossible
cette caricature de société o~ quelques-uns
détiennent l'ensemble des pouvoirs économiques
et politiques au mépris de la totalité nationale
(1)1'.
De l~ur côté, les intellectuels participant au colloque
du Lagos sur "Civilisation noire et Educatidn"
dans le
cadre du Deuxième Festival mondial des Arts et de la
Culture Négro-Africains en 1977,
affirment leur adhésion
au socialisme, Se référant habilement au passé africain,
comme pour allécher les dirigeants,
ils déclarent:
"Les participants au colloque sont d'avis que
.le socialisme est l'idéclogie la plus appropriée à
notre héritage parce qu'il comporte des valeurs
telles que la propriété collective des moyens
de production,
les terres par exemple,
et la
participation des masses.
. .. / ...
(1)
Frantz Fanon,
op.cit.
p.
74

626.
Ils poursuivent:
"Dans le socialisme, l'exploitation de l'homme
par l'homme et la poursuite du gain sont inconnues.
Les participants recommandent en conséquence aux
gouvernements africains d'étudier concrètement les
voies et moyens d'adaptation du socialisme aux
réalités spécifiques de leurs systèmes socio-
politiques ...
"(1).
Ave? l'engagement de tout un c?lloque d'intellectuels
africains ou plutôt négro-africains,
venus de tous les
coins de la terre,
en faveur du socialisme, il est
difficile de prétendre que le socialisme est un vain mot
dans la bouche de quelques individus en mal d'idéologie.
On peut d'ailleurs constater qu'en dehors du colloque,
beaucoup d'intellectuels africains se réclament d~
socialisme. Alassane,
dans Quel modèle de suciété ~
construire en Afrique
(2)afait,
lui aussi,
l'option pour
le socialisme, après avoir rejeté et condamné le
capitalisme et le communisme. Le marxiste-léniniste
Sékou Traoré n'écrit pas Afrigue socialiste
(en affirmant
d'entrée de jeu que "L'/J,frique,
elle aussi,
se développera
selon 11arx") pour dire qu lil est pour le capi talisme.
Dans l'avant-propos de sa pièce intitulée L~ traversée de
la nc:i t
dense
(J),
Noka'l.
en notélTlt que "l']:o!T:ne ~onscient...
participe ~ la lutte du peuple pour la liberté, la
démocratie,
le socialisme ... " laisse comprendre qu'il est
pour le socialisme. Le groupuscule clandestin d'opposition
au régime de Houphouet-Boigny qui publiait La Côte-d'Ivoire
nouvelle se présentait aussi comme en faveur du
. socialisr:Je
celui-ci est décrit par eux comme "le système
qui permet ~ chaque individu de recevoir le produit de
son travail.
C'est aussi la mise des biens sous la coupe
du peuple"
(4)
(1)
~xtraits des Recommandations de la Commission Civilisation
noire et gou~ernements afrlcains. Texte ronéotypé
distribué aux participants dont nous étions nous-m~mes.
(2) 3a ~:amadou Alassane, Duel modèle de soclété à construire
2n .l' -'ric '"e,
?ari s, Ar! thro"Cos
(3) :;oka!1 (C), La treversée de la nui t dense, Honfleur?PJ OS\\1ald
(4 ) T,a Côte j'I\\'ùire llouv81le nO l,
p.
27
(non datée)
1972

627 •.
Les
~tudiants de l'UNESK eux aussi ont fait le choix d'une
soci~t~ "socia.1iste". Bref, le socialisme est le maître mot
dans la bouche des intellectuels dès qu'ils
~voquent un
projet de soci~té. Mais de quel socialisme s'agit-il?
",.
Certains,
comme !Jokan,
Sekou Traor~, ne songent qu'au
soc~alisme dit scientifique, ainsi que les ~tudiants de
l'UI:ESK,
et la plupart des groupes d 'opposi tion poli tique
comme l'Union des Populations Camerounaises
(UPC),
et
bien d'autres intellectuels encore.
D'autres parlent de
socialisme sans toujours avoir bien d~fini un contenu
exact.
Mais de manière certaine,
on sait que la plupart des
intellectuels sont d'un anticapitalisme exacerb~ ; et
parfois,
pour dire qu'ils sont contre le système capitaliste,
ils proclament alors leur option pour le socialisme.
Au point que l'anti-capitalisme de certains finit par
d~signer une pr~f~rence pour un mode socialiste de
déve~oppement, c'est-à-dire un d~veloppement dirig~par
l'Etat,
avec la propri~t~ publique des moyenB de production.
Et puis,
COI:'::le historiquement,
le capi talisrne a
~té associ~
fortement à l'impérialisme et à la domination des
~changes
internationaux,
être anticapitaliste ou socialiste
signifie pour nombre de gens être pour une lutte de
lib~ration nationale et de
libération des contraintes du
march~ mondial dominé par les grands pays capitalistes,
Ainsi,
le socialisme de maints intellectuels se combine-t-il
avec un anticapitalisme et un nationalisme,
et donne à
croire que ces intellectuels négligent la question des
rapports de classe ou qu'ils pensent que le socialisme
modifi~ nécessairement les rapports dans la production .
.../ .. ·

628.
Il faut dire qu'en fait,
la plupart des intellectuels,
et notamment ceux qui adhèrent au marxisme,
ne veulent
pas
séparer -même au plan de l'analyse- lutte de classes
et lutte contre la domination étrangère ou contre l'Etat.
Or,
en procédant ainsi,
en réalité,
ils se définissent
souvent d'abord par rapport au prob19me fondamental
du
développement,
de la tr&nsfor~ation de la société et
de la rupture avec le capitalisme international,
et donc
par rapport ~ l'Etat, plut8t que par rapport au problème de
la lutte de
classes auquel ils croyaient s'intéresser
en premier lieu.
Quoi qu'il en soit,
l'important à
retenir pst l'option
globale pour le
socialisme.
Mais qu'en est-il exactement
lorsqu'on examine l'ensemble des documents produits par
les intellectuels eux-mêmes? Il ne s'agira donc pas ici
de présenter le socialisme en Afrique et les socialismes
africains
(1),
ni d'évoquer directement l'effort qui
est celui de
certains dirigeants de
créer une société
so cïali s te.
... / ...
(1)
L'étude des dûctrines et de l'histoire du socialisme
en Afrique est déjà faite pour l'essentiel.
Tout le monde
connaît par exemple
Le
socialisme
et l'Afrique.
2 vol.
de L.V.
ThoL'las,
Ed.Le livr<:\\ 8.fricain
1968,
Idéologie des
indépendances africaines de Y.
Benot,
Paris,
Maspero 1973
;
des articles de Y. Person
: Le socialisme en Afrique noire
et les socialismes africains in Revue Francaise d'étude
politique africaine,
Paris,
juillet 1976,
nO 127 ; Le
socialisme en Afrique noire avant 1940,
in Histoire pénérale
du socialisme,
tome III,
Paris,
Ed.
Droz 1976 ; Réflexions
sur Harx et le socialisme africain in
Le mois en Afrigue
,
avril-mai 1981, nO 184-185

629.
B.
"UN SOC::r:ALISHE COtH1U::AUTAIRE" (1)
Lorsqu'oh ne
s'en tient pas exclusivement aux propos
doctrinaux et doctrinaires manifestant l'adh~sion sans
r~serve au "socialisme scientifique!' et ~ la conviction de
Marx et de L~nine sur l'in~luctabilit~ de la soci~t~
cornmuftiste après la transition par la soci~t~ socialiste,
mais qu'on examine aussi
la manière dont est envisag~e
concrètement la construction possible de
soci~t~s nouvelles
qui ne soient pas fond~es sur l'esprit capitaliste, l'analyse
aboutit ~ deux points très importants: d'abord lIn appel
~ un Etat national d~fenseur de la cbmmunaut~ et propri~taire
"
"
privil~gi~ des mDye~s de production, ens~ite un appel aux
institutions démocratiques contre la toute puissance de
l'Etat r~el existant,
sOLlcieux d'ordre,
et donc r~pressif,
pou~ protéger les intérêts de la bourgeoisie étrangère et
de la bourgeoisie nationale.
1) Un Etat national défenseur de la commLlnaut~ et qui en
;-üëïïë-a-ïà-s-èëiriêltè-natlonaIë-ëontrë-Ia-aomination
E
_
_ E ~ ~
exterieure.
Les formules
~ la Issa G. Shivji de Tanzanie (2) selon
lesquelles i l faut un gouvernement d'ouvriers et de paysans
repr~sent~s par lesintellectuels r~volutionnaires ou
celle"s ~ la Guy Landry Hazoume, C'un Etat populaire orienté
vers et"par les larges masses laborieuses")(]),
bien que
peu preClses sur le plan de l'organisation
sociale et des formes de pouvoir qu'on voudrait voir exister,
laissent tout de même entrevoir au moins vaguement le genre
de soci~t~ et d'Etat souhaité. Pour Ba Mamadou Alassane (4)
qui
rejette le capitalisme et le communisme,
"c'est
( . . . )
une
soci~té r~gie par une politique progressiste, anti-
imp~rialiste, anti-colonialiste, anti-f~odale, qui aura
récupéré toutes ses ressources nationales" qu'il
faut à:
l'Afrique:
(l)Expression empruntée ~ A. Touraine dans La vo~x et le
regard,
Paris,
Seuil,
1978
(cf.
pp. 157-159 ee 164
)
(2)Issa G. Shivji,
Tanzania
:
the si10nt class strup:'e
Zenit Reprint,
Stockholm 1971 p.
~6
( 3)
:~ ~. z 01.1 r,: 8 ( ~ • L ~ ), 0
':' -: ',' ~ ~ r-' t. r ~_ ~ 8 ~ ~ ~ t ~ .~!, 1": ~ t i \\~'-;:' c ~'
1
. ,
~ 1. r.~ ~~ u e ~
a rI S,
1- 1'~' ~~ t'; l ~ t-;
:~.L. ..::.1 (' [i.lll ''':~- -19,' ~.
p.
~ -~ 7

630.
Son propos ~arque le'~ejet communautaire"
de la domination
extérieure en même temps qu'il
souligne le rejet de
structures
intérieures de type féodal.
Comment Alassane voit-il
réellement la société qu'il projette? Pour lui,
cette
société doit être
"juste,
fut-elle pauvre,
juste dans la
répartition de tous
ses biens"
(1).
C'est 'une société de
la distribution
et du partage qui
est orientée
en fonction
d'elle-ϐme et des exigences et besoins du
peuple.
Mais
cette société peut-elle être ce qu'elle veut
être
si les moyens de production n'appartiennent pas au
peuple ?
De l'avis des participants au Colloque de La~os en 1977,
l'appropriation des moyens de production p&r le peuple,
c'e~t-à-dire en fait par l'Etat, permet non seulement
d'exercer un
contrôle total
sur l'économie,
mais de faire
aussi
"une répartition juste et équitable des terres
et
des biens".
Il Y a donc
chez un
certain nombre d'intèllectuels le
souci que la société
s'appartienne ou pr6cisément appartienne
au peuple qui,
propriétaire collectif de tous les biens
dans la société,
se sente solidaire.
Mais,
selon Albert Tevoedjre
(2)
qui
condamne l'accumulation
maté~ielle dirigée par la course &u profit maximal,
stirr;ulée par le désir du
"toujours plus",
cette solidarité
du peuple n'est possible que dans
"un régime de conviviale
frugalité fondée
sur un développement collectif autocentré,
mobilisant les énergies des peuples concernés par leur
propre devenir,
et cela,
dans le but de satisfaire les
besoins essentiels d'une
société solidaire avec elle-même".
(1)
3a'Mamadou Alassane,
op.ci~. p. 205
(2)
Tévoedjre
(A), o'.:'.cit. p.
100

6.31.
Il opte pour un
"projet coop~ratif" au sens o~ l'entend
Henri Desroche
(1).
Il a la'~ision d'une soci~t~ alternative
o~ l'esprit d'initiative, l'esprit de rigueur et l'esprit
de soli dari t~ peuvent faire ~panouir une même communaut~lI (2).
Il croit
lien la possibilit~, notamment dans les petits pays,
d'un dessein global qui
incorpore l'ensemble des activités
de production,
d'éch~nge et de gestion au niveau national
dans un seul projet coop~ratif qui serait le projet
de soci~té (.3)". On pourra alors, pense-t-il,
créer la
"R~publique coopérative"
en se fondant aussi
sur les
traditions africaines.
Pour Tévo~jjre, face à la crise
que
connaissent les sociétés africaines d'aujourd'hui,
et face à l'ampleur des problèmes à
résoudre,
la chance
des hommes et leur espérance doivent résider dans la
solidarité.
Il est lI pour un contrat de solidarité ll qui
doit lier lItous les hommes
pt toutes les
communaut~sll et
doit permettre
"le rassemblement des pauvres pour un
enrichissement collectif".
Sans que Tévoedjre ait employé le mot Etat,
on voit bien
la place centrale qu'il lui
accorde dans
sa pensée.
En
effet,
qui d'autre que l'Etat peut procéder au changement
historique dont i l parle? Pour sortir d'un système A et
entrer dans un système B,
i l faut
bien l'intervention
de l'Etat capable selon les cas de oe lier à ~ne bourgeoisie
ou d'agir pratiquement seul ou de s'appuyer sur les
mouvements sociaux là o~ la bourgeoisie est faible.
C'est
donc à l'intervention de l'Etat qU'il est fait appel pour
assurer un développement qui prenne en compte des valeurs
de la communauté comme la solidarité,
le sens du partage
et la défense de la communauté contre l'extérieur.
(l)Desroche
(H).
Le projet coopératif,
Paris,
Ed.Economie
et Humanisme, Les Mi tions .Ouvrieres,
1976
(2) .Tevoedjre
(A),
op.cit.
pp.
1.36-1.37
(.3)
Ibidem

632.
Dans le même sens,
sont allées les recommandations des
particlpants au colloque de Lagos en 1977 qui ont parti-
culièrement insisté sUr la solidarité nationale et
interafricaine
(1).
De la sorte,
le développement collectif auto centré
valable pour chaque société prend un sens dans le
cadre
de l'ensemble des
sociétés africaines qui doivent devenir
moins dépendantes de l'extérieur.
Cette solidarité organisée
par les Etats doit permettre à la fois de répondre aux
besoins de tous par l'appropriation publique des moyens
de production et par le contrôle étatique de la
redistribution,
et de lutter contre la domination
extérieure.
La défanse de la communauté et l'appel aux
spécificités nationales ou africaines contre la dépendance
extérieure et la
(re)coloni~ation sont des thèmes importants
du socialisme communautaire.
Mais l'Etat même dans le cadre de
ce socialisme commu-
nautaire,en accroissant ind~finiment son pouvoir, ne
risque-t-il pas de porter atteinte à la participation
sociale sous ses différentes formes
et d'écraser les
mouvements sociaux ou de brider la liberté?
Voilà pourquoi
ceux-là mêmes parmi les intellectuels qui
~n appellent à la construction d'un Etat national, socialiste
communautaire,
en appellent en même temps aux institutions
démoc!atiques pour protéger la société civile contre l'Etat.
C'est que,
pour eux,
i l n'y a pas de socialisme sans
démocratie.
... / ...
(1)
Extraits des Recommandations de la Commission
Civilisation noire et gouvefnernent,
document déjà cité.

633.
2) ~~~_~~~!~!~!~~~~_~~~~~~~!~g~~~_~~_~~~~~~~_~~_~~_~~~~~!~
et non de l'Etat d'abord
On connait déjà la dénonciation par les intellectuels de
la répression,
du manque de liberté d'expression,
du manque
de démocratie;
on connait la critique de l'imposition des
partis uniques;
on connait au~si la critique de l'accapa-
reffient du pouvoir étatique par des personnes et celle
de la personnification du pouvoir ~t du néo-patrimonialisme.
Tout cela est négatif.
Mais que proposent positivement
les intellectuels?
La source d'information la plus importanto et la plus
explicite sur ce probl~me est celle des travaux du colloque
de Lagos en 1977. De larges extraits des recommandations
de la Commission Civ:!-lisation noire ~ouvernenents
africains sont cités ici pour indiquer l'essentiel dans
l'appel des intellectuels à des institutions dé~ocratiques.
Cont~e la "dictature patrimoniale" qui fait du chef'de ItEtat
le p~re nourricier et fouettard de tout un peuple,
et
contre la tendance des Etats à
s'ériger de fait en Etats-
partis tout-puissants qui,
écartent apr~s coup le mouvement
de libération sociale et nationale sur lequel ils
s'étaient appuyés auparavant,
les textes de la Commission
Civilisation noire et gouvernements africains déclarent,
en faisant un clin d'oeil
entendu à la société traditionnelle:
"Considérant que la société africaine était basée
sur la communauté de biens,
l'esprit de fraternité,
la solidarité,
l'unité,
la cohésion nationale,
le
respect des droits communautaires,
la tolérance,
le
dialogue et la discussion,
les intellectuels africains
réunis dans le cadre du deuxième Festival Mondial des
Arts et dela Culture Nébro-africains,
recommandent
aux gouvernements africains de s'inspirer des
valeurs susmentionnées".
. .. / ...

634.
Ils ajoutent pour précision
"a) Bannir toute personnification du pouvoir et
toute monopolisation du pouvoir par un individu ou
groupe ethnique,
ou une
classe sooiale donnée
;
"b) Réaffirmer la nécessi té de la mise au point
d'un
système consultatif ainsi que la garantie de
l'expression de l'avis des masses populaires afin que
le pouvoir soit exercé par tous."
Mais
comment le pouvoir peut-il être exercé par tous
s ' i l est confisqué par quelques-uns et si les structures
crééesle mettent à la disposition exclusive de quelques-uns?
Il faut revoir alors les structures existantes. A ce propos,
les participants au Colloque de Lagos font remarquer
"Les élections ne doivent pas être un simple plébiSCite,
mais un moyen de
consultation constante du pe~ple. Elles
doivent être démocratiques et les électeurs en mesure
de démettre les élus de leurs fonctions
s ' i l s manquent
à leurs devo~rs".
Mais cela n'est possible que là où le pouvoir nlest pas
oppressif et où le rôle central de l'Etat ne l'autorise
pas à
écraser les
co~flits sociaux naissants et à imposer
une existence nationale artificielle.
C'est pourquoi les
intellectuels réunis à Lagos demandent l'
"Elimination de
toutes les formes d'oppression arbitraire qui
s'opposent
àun exercIce convenable des droits de l'homme et à
une jouissance de la liberté dans la démocratie,
et qui
SI avèrent nuisibles au progrès de l'Afrique". En effet,
l'intftgrisme étatique qui interdit les mouvements populaires
au nom de l'intérêt national compris du seul point de vue
du détenteur légitime ou officiel du pouvoir est,
aux yeux
des intellectuels,
de nature à conduire au fascisme.
Pour eux,
l'Etat n'a pas à être rien qu'un agent de pouvoir.
Et c'est pourquoi,
en optant pour le socialisme, ils
croi~nt écaiter ce danger car ils impliquent dans le
socialisme la recherche de la satisfaction des aspirations
du p~uple qui doit pouvoir les exprimer librement dans le
cadre de partis.
... / ...

635.
Ils expliquent
"L'application de cette id~ologie ne peut se faire
que dans le cadre de partis politiques en tant
qu'expression des aspirations profondes des masses
populaires. A cet égard,
les partis politiques
d'Afrique et d'ailleurs ne peuvent être que l'expression
d€s
collectivit~s et classes nationales. Ce sont les
~euls moyens appropri~s d'appliquer une id~olo~ie et
ils doivent toujours être conçus comme tels".
Ils poursuivent:
"Apr~s une analyse tr~s profonde des partis politiques
africains,
les participants au colloque sont d'avis
qlle l'essentiel n' est pas de former un
syst~me à
parti unique ou à plusieurs partis,
mais de f~ire
en sorte que l~ parti politique soit bas~ sur la volont~
populaire,
car c'est à ce moment qu'il est l~gitime
et légal".
Les pr~cisions suivantes viennent-alors :
"En raison d~s consid~rations pr~c~dentes, les
participants recommandent:
a)
que les partis politiques soient d~mocratiques
b) que les partis politiques assurent et encouragent
la formation militante ;
"
Toutes ces recom~andations permettent de voir l~ manque à
gagner avec le socialisme toI que les intellectuels se le
repr~sentent: un socialisme fait de d~mocratie et de
libert~ et au service de tout le peuple dont les aspirations
sont totalement prises en compte et dont le pass~ avec ses
valeurs est pris en consid~ration. Ce socialisme est
assur~me~t l'envers du c~pitalisme qu'ils
r~prouvent et
aussi de la situation de domination et de d~pendance que
connaissent les soci~t~s africaines aujourd'hui. Ce
socialisme à la fois
communautaire et d~mocratique est
sans doute un id~al projet~. On peut se demander
SI
i l
est
celui
pr~sent~ comme la soci~t~ des
travailleurs,
celle que la classe ouvri~re identifi~e au
progr~s instaure apr~s avoir d~truit les obstacles dress~s
sur le chemin du progr~s collectif par le profit et les
privil~ges des capitalistes.
.. .... '"

636.
On n'a peut-être pas assez défini le rôle
et la place de
l'Etat dans
ce socialisme communautaire.
Dans les sociétés
africaines dépendantes,
si l'Etat national est celui qui
doit assurer la rupture de la dépendance a l'égard de
l'étranger et imposer l'unité nationale,
peut-il en rr:ême
tem~s ~tre véritablement démocratique et laisser les
mouvements sociaux se constituer et s'exprimer? Le peut-il
et le fai t - i l
?
C.
QUAND LE SOCIALISME EST 11EKACE PA~ SA REALISA~ION
OU
Devant les contradictions entre la pratique et la profession
de foi au socialisme de certains intellectuels,
et surtout
devant ce qui
se fait ou croit se faire au nom du socialisme
-surtout dit scientifique- en Afrique et ~5me ailleurs,
plus d'un intelle8tuel
s'interroge et dénonce alors
l'opportunisme idéologique. le dogmatisme,
la parodie.
pour
aboutir parfois à des propositions quine manquent pas
d'ambiguité
.
Mais soyons plus précis avec,
par exemple,
L'errance du Zairois N'gal e~ Le contestant du Congolais
Makouta Mboukou,
deux ouvrages romanesques où les
personnages semblent chargés des convictions des auteurs.
(1)
L'errance,
op.cit.
(2)
Makouta Mbouko
(J.P.),
Le contestant,
Paris,
La pensée
universelle,
1973

637.
Visant surtout les dirigeants politiques qui
se réclament
du socialisme,
Niaiseux de L'-rrance persifle:
!'Qui n'est pas socialiste aujourd'hui? Qui n'est
pas capitaliste? Qui ne joue aujourd'hui le rôle
de Janus,
cet art consommé d'endormir les masses
en faisant appel au
communalisme avec un visage
tourné vers le capitalisme monopoliste ou d'Etat?
Le marxisme agit comme un ferment dans le monde
moderne;
le capitalisme en
tant que courant de
pensée opp6sée est également présent dans la mesure
OL\\
i l
est combattu"
(pp.
36-37)
Et à l'adresse de certains intellectuels se disant
socialistes,
et contre eux,
Giambatista de L'errance
dira, lui,
"Etre capi taliste ou être socialiste est .une certaine
mani~re d'être. Mais chez les N~gres, c'est plus une
vue de l'esprit chez les intellectuels qu'une réelle
conviction.
Tel intellectuel
se dit socialiste
aujourd'hui parce qu'il
se trouve démuni;
donne-lui
un poste de responsabilité o~ il peut manier des
do~lars, c~ il peut participer au régime, Janus
perd aussitôt son visage de socialiste. Un mur
d'incommunicabilité s'installe entre lui
et ses
camarades d'hier!
Le socialisme est un tremplin . . .
bureaucratique
III
(p.
37)
... / ...

638.
Si des intellectuels qui proclament leur adhésion au
socialisme sont critiqués à cause de leurs pratiques
peu conséquentes,
d'autres le sont pour le d0gmatisme
avec lequel ils s'érigent en maitres doctrinaires .du
soèialisme et courent le risque de le transformer en
quelque chose dont eux seuls sont les dépositaires et
ont une connaissance assurée,
oubliant même que c'est
au nom du peuple et de sa vie qu'ils ont eu recours à
cette doctrine politqiue. Niaiseux s'en prend au socialisme
de ceux-là,
dirigeants poli tiques 011 non
"Bogmatique, autoritaire.
élaboré en haut,
coupé
des masses populaires,véri~ables dépositaires du
dynamisme révolutionnaire,
matrices où se forGc la
conscience révolutionnaire. Mais ce pouvoir du
peuple a été récupéré par en haut:
spoliation qui
est au centre de tous nos malheurs! Le peuple n'a
plus son destin cn r:Jains
!"
(p.
37)
Or,
affirme Giambatista
"Quand le destin historique est ravi à un peuple,
celui-ci tombe dans une inféodation à des déterminismes
imposés dè< dehors"
(p. 37). Et Niaiseux : "Tout
~
~4~se
developpement par la base.t part de la base . Le
développement du peuple sera l'oeuvre du peuple
lUi-même"(p. 37). Giambatista ajoute:
"Mais
aujourd'hui,
on a rendu le peuple irresponsable
en tuant chez lui toute initiative,
toute foi
dans
ses possibilités créatrices"
(p. 37).
. .. / ...

639.
Les propos de Giambatista et Niaiseux sont incisifs et
manifestent la déception de tous
ceux qui avaient cru
peut-être en l'union de la libération nationale et du
socialisme,
qui
avaient peut-être pensé que le socialisme
po~vait s'associer aux luttes de libération nationale et
aux luttes sociales contre la domination intérieure.
L'appel
à l'Etat na~ional a été entendu, mais par des
hommes qui ont confisqué le pouvoir et ~is le peuple au
pas au nom du socialisme
scientifique ou de la révolution.
Le pouvoir d'Etat ayant
été accaparé par ceux-l~ mêmes
que les poussées populaires nationalistes ont conduit
au pouvoir,
ce sont les luttes sociales qui
sont écrasées
l'Etat s'est emparé de la société et y renforce son
emprise.
Voil~ pourquoi la critique de l'absolutisme du pouvoir,
la défense des droits de l'homme,tendent ~ orendre le
pas
sur l'analyse des luttes sociales.
Dans
Le Contestsdt,
le professeur Jean Kayilou qui
se
pense du côté des opprimés,
ne
comprend pas pourtant le
socialisme dont on lui
a parlé et qu'on pratique dans
son pays. D'où son indignation/protestation
'l1t:on
! Ce
sont des dérJagogues,
les
"socialistes
scientifiques" de chez nous / . . . /
Ils proclament
l'égalité de tous
et voici dix ans que le pays
tout entier gémit sous le poids de l'inégalité,
de l'injustice et de la spoliation.
Voici
huit ans
,
"
l
l
qu on repete que
e peup e est uni et que tout est
pour lui.
Alors,
pourquoi ces ségrégations honteuses
à l ' hôpi tal, ?

640.
Amer,
i l
se di t
"Où est la consolation du peuple?
1... 1 Quelle parodie que notre r~gime l" (p. 182).
~n prison, Jean Kayilou se mettra à ~éditer sur les
cruaut~s et les assassinats commis au nom d'un peuple qui
est baillonn~ et qui ne peut participer aux grandes d~cisions
qui
r~glementent sa vie pr~sente et son avenir"
(p.
220).
Et voyant ce qui arrive aux autres prisonniers
(pendus ou
~lectrocut~s), il se dit:
"Voilà ce qui D'attend!
Voilà que je "' .
J.alS
conn ai ssance
avec le vr~i socialisme scientifique
!
Non
! C8 n'est
pas un r~gime pour le peuple! C'est un r~gime anti-
peuple,
qui
est loin de faire notre bonheur,
et qui
n la rien de socialiste"
(p.
221)
"Et qui n'a rien de socialiste . . . ",
voilà l'expressior:J de.
r~confort de ceux qui rejettent la soci~t~ capitaliste et
adhèrent à llid~al socialiste,
et qui
considèrent que le
"vrai"
socialisme est
trahi par les partis ou les
r~gil:les actuels.
Les critiques n'autorisent nullement à oublier la conviction
d'un grand nombre dladh~rents au socialisme,
conviction
selon laquelle on ne saurait laisser le sort des soci~t~s
entre les mains de l~ bourgeoisie ext~rieure ou int~rieure.
. . . 1...

641.
En effet,
personne ne veut prendre le risque de voir.
laisser à la bourgeoisie étrangère l'industrialisation
des pays africains:
on
connaît ses oeuvres sous la
colonisation et apr~s : rapace,
elle n'e~t avide que
de piller et d'accumuler pour assurer le développement
du centre
(ou des pays
centraux)
capitaliste;
la
périphérie n'est pour elle qu'une source où elle puise
à pleinesmàins.
Tout le monde
se méfie aussi
de la bourgeoisie nationale
sans capitaux et sans mentalité réellement capitaliste
d'investisseur
et d'épargnant,
elle est cupide et avide
de s'enrichir rapidement alors même qu'elle se livre à
une
consommation effrénée de biens de luxe.
Ainsi,
seul
l'Etat apparaît capable de
justice Gocia1c.
~t c'est pourqUoi
beaucoup d'illtellectuels,
même parmi
ceux qui se font
critiques à l'égard d'un
certain socialisme,
admettent
le principe du r61e
central de l'Etat dans la vie économique
et souhaitent même le renforcement de son r61e dans la
lutte contre l'appropriation privée des moyens de production
et contre la domination
extérieure.
Mais,
dans maints pays qui
se sont essayés au
socialisme,
l'Etat n'est-il
devenu Parti-Etat ou Etat-Parti,
et
n'a-t-il pas étouffé les conflits sociaux,
s'étant adjugé
d'être le soul à
connaître les aspirations du peuple
et non celui-ci même? De là les critiques.
Alors,
plus
d'un intellectuel
se réclamant du
socialisme s'est mis
à
croire qu'il
suffit -comme le·note A.
Touraine-
l'de
remplacer une culture politique
étatique et centralfsée par
une autre,
libertaire et autogestionnaire ·à l'intérieur du
socialisme l1 (l)
ou même au-delà de lui.
Ainsi N'gal,
à
traVEnJ
les personnages Giambatista et Niaiseux de L'Errance.
(1)
A.
Touraine,
L'après-socialisme,
Paris,
Grasset,· 1980, p.
15
... / .' ..

642.
~iaiseDX pr~tend
"Au d~part,
une refonte du syst~me ~conornico-social
d~colonis~ de tout un vocabulaire : capitalisme,
libéralisme,
socialisme,
etc.,
concepts q-ui,
bon gré
mal gr~, ~clatent. Soyons concrets et ~~alistes. La
pociété-de type socialiste ne s'oppose plus globa-
lement à la société de type capitaliste. Les deux
utilisent aujourd'hui les mêmes outils techniques,
l'une et l'autre soumettent le social à l'économique,
forment l'homo oeconomicus ou automobilicus.
R~ductions mutilantes ! Les mêmes rapports de classe
des classes dominantes et dirigeantes
!
Même schéma
de développement: l'industrialisation!
'
,
Capit8_lislT;e-socialisme,
dichoto::lie drepassee.
Giambatista précise alors qu'au-delà des querelles de mots,
i l faut aller à l'essentiel dont l'Afrique a besoin pour
se développer.
Et selon lui,
ilLe principe de base sur lequel rer;ose tout
l'édifice est que toute communauté humaine est
capable de gérer son existence ou de s'alltogérer
si on lui donne les outils. D'o~ cette haine
cultivée vis-à-vis de'tout centralisme autoritaire,
-peu soucieux des capacités particuli~res des sociétés
ou des collectivit~s réduites à agir sur elles-mêmes,
maîtresses des réaménagements nouveaux dans les
rapports sociaux et dans les orientations culturelles,
etc. 1l
(p.
80)
... / ...

643.
Niaiseux aura à ajouter que pour tous les problèmes.
"Tout
s'~claire à partir du momen~ oG l'on po~e
comme
choix de
soci~té la promotion collective
des communautés locales pour l'accession de chacun
à la totalité à8S valeurs.
Cette dernière notion
excluant l'idée de norme et de règle garantissant
un ordre pr~-établi. Valeur d~signe plutôt ici
toutes les dimensions de notre existence,
toutes
nos possibilit~s existentielles embray~es les unes
sur les autres
(biologique,
corporelles,
intellectuelles,
morales,
esth~tiques, privées, sociales, publiques,
religieuses . . . ) "
(p.
82)
On note donc là,
chez Niaiseux et le professeur Giambatista,
une m~fiance à l'~gard de l'Etat, du 'centralisme autoritaire ll
et Dême à l'égard des
lIidées productivistes des systèmes
capitalistes et socialistes ll
(p.
88).
Il Y a,
par conséquent,
volonté d'étendre le domaine de la société civile au
d~triment de l'Etat et en même temps volonté d'en appeler
à la co~~unauté ou ciux commllnaut~s et m~me à "La convivialité"
à la Ivan Illich
(1).
Dans le r~cit que Niaiseux et Giambatista feront de leur
passage dans le
couvent de la culture,
ne choisissent-ils
pas en effet de montrer leur préférence pour "la richesse
de la vie,
le r~gime convivial davantage fondé sur la
société de d~veloppement fait de maîtrise personnelle,
auto centré et solidaire contre la soci~té productiviste,
accumulation de valeurs marchandes Il?
(pp.
101-102)
(1)
Ivan Illich,
La
convivialité,
Paris Ed.
du Seuil, 1973

644.
Mais les communautés ne sont-elles pas définies en
dehors des relations sociales et intersociales,
et
précisément de toute
situation de domination et de
dépendance ? Comment pourront-elles maintenir leur
intégra~ion et répondre aux dures exigences du
développeme~t économique ? Com~ent ces com~unautés
s'impliquent-elles dans la volonté de libération
nationale et dans le rejet de la domination extérieure
et intérieure? Quels
sont les rapports de ces
communautés avec l'Etat national? Telles sont
quelques-unes des questions que ne s'est pas posée
la critique libérale;
voire libertaire,
de l'Etat,
par ceux-là qui
croient tout compte fait au socialisme
communautaire et en appellent à la modernisation et
m~m~ ~ l'Etat modernisat"eur sans toujours senbler
s'en rendre
compte?
Ou bien faut-il
croire que l'option est clairement prise
de déclarer nettement que
"l'adversaire du socialisme
en Afrique ne peLt &tre que l'Etat issu de la d~colo­
,-
,.
nisation et avec lui la classe dirigeante,
bureaucratique
ou compradore,
qui l'a pris en charge"
?
(1)
(1)
Person
(y),
Réflexion sur Marx et le socialisme
africain in Le mois en Afrigue,
avril-mai 1981,
N° 184-185,
p.
30

645.
Que l'option est prise de renoncer et de s'attaquer
à l'idée et au modèle d'Etat-nation qui
s'était
imposé au XVlllème siècle,de récuser et de refuser
que la n~tion s'identifie à l'Etat? De jouer la
nationalité
(1)
contre l'Etat et de rechercher
d'autres cadres qui perDettent de mieux écouter le
peuple et de partir de ses aspirations et des besoins
réels des communautés de base? D'opter donc pour la
logique des peuples saisis dans leur réalité
organique contre la logique de l '
"Etat-nation-Marché"(2),
cmL"?hlogique productiviste ? Donc pour la logique de
l'autogestion?
Ici
comGe ailleurs,
les~dées ne sont pas toujours
clairement exprimées ni
profondément développées.
Elles sont en gestation
et en élaboration.
Mais une des difficultés majeures de leur élaboration
et de leur adéquation aux réalités africaines,
et
aussi une des difficultés de l'analyse de nos sociétés
en général,
ne résident-elles pas dans le fait que
ce qu'on a appelé l'effet de démonstration à propos
de biens de
consommation s'applique,
semble-t-il,
aux notions aussi,
obligeant à
considérer souvent nos
sociétés et nos réalités avec des instruments d'analyse
élaborés ailleurs,
dans d'autres lieux et dans d'autres
temps? Mais que peut-on faire? Voilà encore un sujet
de réflexion et de travail pour les intellectuels
afri cains.
(1) Le mot est pris ici au sens où veut l ~tendre
Person dans son article c i t é :
"La nationalité est
dohcune nation qui n'a pas réussi à former un
::::tat-nation ou qui l ' a perdu"
(loc.cit p.
24)
(2)
Sur l'Etat-N~tion-Marché et le r81e du productivisme
dans l'idéologie de l'impérialis~e, voir Chesneaux
Ju passé faisons
table rase,
Paris,
~~aspero 1976,
;;.
11-0 e:'
suiv.

646.
CONCLUSION POUR LA IVeme PARTIE
Trois composantss icportantes ont été dégagées de
l'opposition des intellectuels au pouvoir:
le
nationalisme,
le libéralisme démoc~atique et le désir
de
révolution.
Css trois
composantes connaissent-
elles une succession dans le temps,
correspondant à une
évolution dans les ~entalités et l'esprit des intellectuels?
Son~-elles oarquées par des situations historiques
précises? Caractérisent-elles l'une plus que l'autre
des groupes d'intellectuels?
Il peut ~tre alléchant pour l'esprit de tracer un
schéma indiquant une évolution de la pensée des
intellectuels allant du nationalisme au désir de
révolution en passant par le libéralisme démocratique.
Il semble cependant que ce schéma ne corresponde pas
aux faits.
En effet,
si
tels intellectuels peuvent
avoir tendance A insister davantage sur la révolution
que tels autres qui parlent de démocratie ou tels
autres encore qui
se font les champions du nationalisme,
i l n'est pas rare qu'on retrouve ces trois aspects de
l'opposition chez les mêces in~ellectuels -comme le
montrent d'ailleurs les citations qui
sont faites
de certains écrivains par exemple dans l'étude de ces
trois volets de l'opposition.

647.
Il serait sans doute inexact aussi
de soutenir que cQ ~~
suivent en réalité une évolution chez des intellectuels
ou groupes d'étudiants précis.
Les trois
composantes de
l'opposition au pouvoir
son~ souvent liées ou se mêlent
même.
Et le fait que des intellectuels sont ou ont été
sensibles plus que d'autres par exemple à la pensée de
;':ao Tsé Toun s• ou qu'ils s'intéressent à l'Albanie ou
à l'URSS n'est pas une preuve pour dissocier des
éléments qui ne se présentent ja8ais comlDe contradictoires
ou pcu~' leurtrouver une succession dans ~.e teq:s qU3 rien
n'autorise nettement.
Cela dit.
cette conclusion va surtout s'attacher à
expliquer le radicalisme chez les intellectuels et le
choix facile du mar~isme. Elle précisera aussi si les
intellectuels sont surtout des agents
"politiques",
c'est-à-dire des agents menant une action dirigée vers
ou contre l'Etat ou s ' i l faut les considérer comme
des agents de lutte sociale de
classes. Elle
soulèvera aussi la question du démocratisme chez les
in tel'le ctuel s.
. .. 1...

648.
Dans les pa~s africains, la crise sociale cr~~e par
la d~sarticulation de la soci~t~ nationale par la
colonisation,
et tous les problèmes sociaux,
~conomiques
et politiques,
conduisent l'Etat à être un acteur
"tout-puissant~ soucieux d'imposer une unit~ nationale
dont l'existence n'est pas ~vidente : le pouvoir
apparaft alors souvent arbitraire et autocratique.
Alors à l'absolu d'un pouvoir politique qui r~gente
toute la vie nationale est oppos~ de ma~i~re radicale
l'absolu d'un discours doctrinaire et doctrinal qui
permet de se poser en contre-pouvoir,
de se tenir à
distance du pouvoir.
Ce qui pr6sente d'ailleurs
l'inconv~nient ou l'avantage de se faire connaftre
et ~ventuellement de se faire int6grer dans le pouvoir
d'autant plus facilement qu'on est de fait de la classe
montante.
L'attaque contre le pouvoir prend sa for~e dans
l'id~ologie et marque la volont~ des intellectuels
d'appartenir au peuple et de parler en son nom.
Mais
elle marque aussi la distance entre le peuple et eux
et le lien cach~ entre eux et le pouvoir.
. . .1. . .

649.
Le radicalisme vi~nt aussi de l'adhésion au marxisme et
de la croyance au caractère scientifique du socialisme.
Le marxisme n'apparaît-il pas en effet d'office mobilisateur
contre la domination extérieure et intérieure,
et comme
l'arme des opprimés et de tous
ceux qui veulent comprendre
.
.
la situation de leur pays? Cette doctrine a été souvent
adoptée et utilisée comme une clef:
grâce à elle,
on a
pu décrire la domination extérieure sur la société
nationale à la manière d'une classe sur une autre;
grâce
à elle, on a découvert daris les sociétés dépendantes'
périphépiques des classes absolument identiques à celles
des pays dominants centraux du
capitalisme ou encore on
a pu parler de l'unité d'un système constitué par la
domination étrangère sur la société nationale et par
l'existence de rapports sociaux capitalistes pénétrant
la société dominée de part en part.
La critique radicale des pouvoirs africains aussi bien
d'option libérale que socialiste est faite alors pour
signifier que
ces pouvoirs n'ont rien compris de la
lutte des classes ou que,
même l'ayant comprise, ils
ont cependant préféré s'associer et s'assimiler à la
bourgeoisie extérieure pour mieux exploiter leur peuple .
.../ ....

650.
Les pratiques des pouvoirs sont alors jug~es incons~quentes,
inad~quates ou carr~ment mauvaises, voire perverses au
regard et au nom de la r~volution que ces pouvoirs auraient
dû faire en s'armant du socialisme scientifique.
Pour
beaucoup d'intellectuels en effet,
la misère des
pop~lations, l'exploitation des masses par l'impérialisme
imposeraient que l'Afrique se sauve par la révolution
en s'engageant sur la voie du sociGlisme scientifique.
Le radiçalisme manifeste ainsi,
chez les jeunes intellectuels
et les ~tudiants en particulier, Elus la fougue de leur
adhésion à la scientificité d'une doctrine socialiste
ou ~arxiste(qui doit apporterle salut à l'Afrique malade)
que leur volont~ de clamer leur conviction dans l'intention
unique de briguer imméàiatement Je pO;T\\r~îi.l" (}.,::k: Lé::u(ie~ leur
intégration dans le pouvoir.
"Le socialisme des intellectuels"
africains ne senble pas ~tre tout à fait celui que
critiquait Jan Waclaw Makhafski
(1)
en Europe au début
du XXème siècle.
Selon lui,
le socialisme est l'id~ologie
que les intellectuels appr~cient et propagent parce que
le monopole des connaissances et la position charnière
qu'ils occupent au sein de la soci~té capitaliste par le
contrôle de la production et de la gestion de l'~conomie
leur donnent des avantages qui leur permettent de d~sirer
s'ériger en nouvelle classe dominante.
(1) :·:akhafski
(J.W.)
Le socialisme des in~ellect\\lels,
?aris,
Ed.
Seuil,
1979,
(coll.
Points)
... / ...

651.
Certes;
i l serait nalf de croire que le point de vue
de Makhalski est totalement faux et absurde si on
considère les intellectuels africains,
et de s'imaginer
qu'aucun d'entre eux ne piaffe d'impatience d'arpenter
les all~es du pouvoir. Mais leur pr~occupation fondamentale
reste,
semble-t-il, l'intérêt de l'Afrique et Ip. volont~
de parler au nom de ceux qui ne peuvent pas prendre la
parole devant la domination de la classe dirigeante et
de l'Etat.
Et si les intellectuels africains s'en prennent au pouvoir
d'Etat et parlent au nom d'une classe contre une autre,
ou s'ils se pr~sentent en agents de classe,
c'est pour
exprimer une volont~ de libération nationale: ils
voudraient voir cette lib~ration conduite par la classe
des exploités,
par le peuple.
Ils en appellent alors à
un Etat charg~ de forces sociales populaires.
En plus de l'adh~sion à la scientificité du marxisme,
le discours radical des intellectuels et surtout des
~tudiants a partie liée avec l'~volutionnisme et le
proph~tisme contenus dans cette doctrine: n'est-il pas
tentant en effet de participer à la pr~diction et à la
pr~dication de la chute in~vitable des oppresseurs au
pouvoir et de la victoire inéluctable du prolétariat?
.. ./ ...

652.
Le radicalisme s'explique aussi par le fait que les
intellectuels en général,
bien~'ils se définissent
conformément à l'orthodoxie marxiste,
comme relevant
des couches moyennes,
ont tendance,
pour beaucoup,
à
prendre le parti
des classes exploitées et dominées
auxquelles ils s'identifient facilement.
Leur lutte
est alors interprétée par eliX comme celle des dominés
contre les dominants ou comme y participant en tout cas.
Ils ont alors tendance à se percevoir plus peut-être comme
C:'l,'Y. .•.~l:..
des agents de lutte sociale de classe que des agents
"poli tiques".
Cette confusion nrest possible en fait que parce qu'il
y a
chez beaucoup d'intellectuels l'affirmation de
l'unité fondamentale du rapport à la classe dirigeante
(à la bourgeoisie)
et du rapport à l'Etat.
Ge qui permet
de mener une action politique dirigée vers et contre le
pouvoir d'Etat tout en voulant mener une action de classe
aux côtés des classes populaires ouvrières et paysannes.
On doit souligner,
pour comprendre cette situation,
qu'effectivement la pensée de la classe comme acteur
historique,
à la fois force
sociale et agent historique,
domine les esprits des révolutionnaires et a marqué comme
de façon indélébile les analyses
sociales.
Au point que
là où l'histoire contemporaine et surtout celle des
pays africains invitent à voir surtout l'action des
Etats,
ou des Partis-Etats ou des Etats-Partis,
on cède

653.
à la facilité de privilégier l'action de la bourgeoisie
(comme dans le
cas de l'industrialisation anglaise
!)
et de parler prioritairement de la lutte ouvrière.
Or dans les faits,
la fusion de la lutte sociale de
classe et de l'action politique fait placer la question
nationale et celle de l'Etat au premier plan des
préoccupations de ceux qui veulent parler et agir au
nom de la lutte des classes et'du mouvement ouvriei.
C'est exactement Ce qui
se produit chez la plupart des
intellectuels africains qui pensent lutte sociale tout
en se situant dans une perspective d'action politique.
Ceci n'est pas pourtant nouveau.
On sait par exemple
historiquement qu'ell Fran~e la tentative de fusion
entre action de classe et action politique a entrainé
le blanquisme à privilégier l'action contre et sur
l'Etat tandis que de la tradition proudhonnienne jusqu'au
syndicalisme révolutionnaire est apparue une
séparation
de l'action ouvrière animée par la seule conscience de
classe et la méfiance à l'égard de l'Etat.
Il reste cependant exact que le mouvement socialiste de
Louis Blanc à Jules Guesdes,
aussi bien de Jean Jaurès
à Lénine,
s'est toujours
efforcé d'associer lutte de
clas~e et action sur l'Etat. Et c'est dans cette optique
que se placent aussi les intellectuels africains
(révolutionnaires)
sans touiours avoir le recul nécessaire
.
.
pour interroger les catégories qu'ils appliquent à leur
... / ...

654.
société et qui
ont été élaborées par et pour d'autres
sociétés
(Mais la science n'est-elle pas universelle,
et pour beaucoup de révolutionnaires,
le marxisme n'est-il
pas une science 7 •.. )
En fait,
comme l'a noté A.
Touraine
(1),
la réductio~ /
identification de la conscience de
classe à la conscience
politique n'a jamais eu d'importance que dans le cas de
lutte tragique contre l'Etat ou contre le despotisme du
parti
(cas des
conseils ouvriers et des
soviets~ tout comme
la réduction de la classe pour soi
à l'esprise d'un parti
sur une classe n'a souvent ouvert la porte qu'à la dictature
sur le prolétariat.
Mais le révolutionnaire ne voit pas
l ' u t i l i t é de la
distinctiŒI
entre action de
classe ou
conscience de classe et action politique puisqu'un
parti menant une action politique représentè toujours
une
classe.
Ala vérité,
dans les pays africains sous dépendance,
c'est la éombinaison de l'action de classe,
le sentiment
national et la volonté modernisatrice qui
donnent force
à un 'mouvement populaire,
à un mouvement social.
Mais
leur combinaison suppose qu'intervienne l·'agent politique
qu'est l'Etat.
(1) A. Touraine, L'après-socialisme, Grasset, Paris 1980,
pp.
32-33

655.
Aussi,
les intellectuels révolutionnaires)
n'ont-ils pas
tort d'en appeler à une action politique qui
s'ap~uie sur
les luttes
sociales pour la conquête de l'Etat.
Seulement,
leur action révolutionnaire ne trouve pas
toujours à prendre forme dans une action de classe
concrète,
d'où son inefficacité pratique.
Et elle apparaît,
tout en ébranlant ou en inquiétallt un peu les pouvoirs
en plac~, comme sans projet social ou ~ême comme le désir
du pouvoir ou le marchepied d'un noJvel Etat ou d'une
nouvelle classe dirigeante.
On a
souligné aussi
chez les intellectuels africains
le populisme et le parti-pris pour le peuple ainsi que
la valorisation du peuple.
Devant la crise de leur société,
désarticulée depuis longtemps par la colonisation et
soumise à une dépendance qui pèse de plus en plus
lourd sur tous les plans,
économique,
politique et
~
culturel, .le désir est grand chez les intellectuels
d'en appeler au peuple et à ses valeurs,
de rechercher
à re~forcer l'identité collective afin que la société
retrouve le contrôle de son développement.
Les intellectuels en appellent aussi à la démocratie et
à la. liberté comme signes mêmes de la place centrale du
peuple dans·la société.
. .. / ...

656.
Mais l'appel à la démocratie.
à la liberté d'expression
est-il totalement désintéressé quand on sait aussi que
les intellectuels sont de la classe montante. pr~te à prendre
le relai de la vieille génération et des politiciens usés.
et quand on
sait aussi que les
changements politiques et
m~me sociaux les portent en avant. les servent. les
portent vers le pouvoir ou à l'antichambre du pouvoir.
Ainsi donc.
s ' i l apparaît très clairement que les
intellectuels.
de façon
générale.
sont du eSté du Feuple
dans les luttes,
leur opposition au pouvoir d'Etat
s'intel'prète a\\13si
comme des
coups ~ la porte du pouvoir.
Qui mieux qu'eux.
en effet.
à en juger par leurs critiques
et en considérant leur savoir et aussi les besoins
en
cadres compétents des pays africains.
seraient capables de
représenter valablement le peuple.
de donner à celui-ci
la place qui lui
convient et lui revient? Et qui
porterait mieux qu'eux la responsabilité d'un Etat
rationalisateur et généreux?
. . .
Les intellectuels ne
se prennent pas pour moins que rien.
La lutte contre le
pouvoir est aussi une lutte pour le pouvoir.
La lutte
pour rejoindre les rangs du peuple.
du prolétariat,
est
aussi une lutte contre le pouvoir et pour le pouvoir.
Peut-on en effet rejoindre les rangs du prolétariat en
s'oubliant totalement? Louis Janover
(1) pense m~me que.
si les intellectuels acceptent de rejoindre les rangs
du prolétariat.
c'est à une condition: marcher en t~t~
avant de le mettre au pas,
sitSt le pouvoir conquis.
(1) Louis Janover. Les intellectuols face à l 'histoi]"p.
Paris.
Galilée,
1980

657.
Du moins,
c'est la réflexion qu'il fait en considérant
"Les intellectuels face ~ l'histoire". En Europe. En
est-il autrement en Afrique ?
Une
certitude
l~appel des intellectuels africains ~
la liberté,
à la démocratie participe des et aux cOllibats
menés contre la domination politique et économique dans
la société.
La dernière remarq~e dans cette conclusion est que la
critique libérale de l'Etat se
à une lutte
sociale encore diffuse:
en effet,
plus llEtat a des
liens
étroits ave~ le néo-colonialisme,
plus i l produit
contre lui un mouvement d'opposition qui a une orientation
de classe,
développée
surtout dans les
catégories
dJétudiants et d'intellectuels plus en contact avec
la domination extérieure.
Il demeure que l'enjeu central
des luttes contre le pouvoir chez
eux est avant tout la
c6nstruction d'un Etat véritablement national.
Et le
rôle important de ces catégories,
liées directement ou
indirectement ~ la capacité redistributive de l'Etat,
vient de la désarticulation même de la société,
et donc
de la faiblesse de l'unité nationale,
et de la faible
intégration des positions de
classe,
et aussi
de la
faiblesse de l'Etat lui-même,
subordonné ~ ses créanciers
extéri eurs

... / ...

658.
Autrement dit,
et de façon générale,
la faible intégration
nationale a pour contre-partie le développement important
de l'es~ace politique,
des groupes de pression et des
intérêts bureaucratiques et aussi
des luttes pour
l'intégration de la société n~tionale, qui en appellent
à un Etat véritablenent national
(cas des intellectuels).
Seulement,
a-t-on déjà fait remarquer,
l'action politique
qui ne porte pas toujours atteinte à la dépendance
économique,
contribue à
accroitre la désarticulation de
la société puisqu'elle fait élargir les
catégories moyennes
' .
. , .
l }
e t
SUpe2.-ol8UTGS
sans
que
::"len TI lmpose
que q'.lC
~;le
c.Jose
soit fait nécessairenent pour les catégories popula~res.
Faut-il alors
conda~ner l'action critique des intellectuels
et ~a tenir pour vaine? Sans doute que non.
N'est-~e pas
en effet ces intellectuels qui,
plus qu'aucune autre
catégorie,
protégés par leur savoir,
leur compétence et
leur proximité même du pouvoir,
sont à même de signifier
à celui-ci son f a i t :
sa domination sur la société et sa.
tendance au néo-colonialisme? Et n'est-ce pas eux qui,
devant le pouvoir,
n'ont jamais fini
d'affirmer que la
société n' est pas qu3 système de domination
oais aussi
et surtout un champ de luttes? N'est-ce pas eux qui,
bien que coupés autant du peuple que le pouvoir l'est,
sont eh ~esure d'offrir à celLi-ci un contre-poids
(au moins idéologique)
au nom du peuple?
... / ...

659.
On peut se demander pour finir
jusqu'à quel point
les intellectuels et le pouvoir ne se rejoignent pas
au-delà de leurs
conflits et contradictions:
leur
discours respectifs semblent être marqués par leur
commune distRnce au peuple et aux masses populaires
ils partagent l'idée de modernisation avec la différence
que la modernisation de
type libéral
est le choix de
plusieurs pouvoirs en place;
ils partagent l'idée du
rôle dOGinant de l'Etat avec la différence que les
pouvoirs en place chtrchent à
se renforcer e~ devenant
répressifs alors que les intellectuels en appellent
à u~ Etat national,
nationaliste ~ême, meis démocratique.

660.
·.
. -'
POUVOIR, RAPPORTS DE CLASSS, 10EOLOGIE
ET MILIEU INTELLECTUEL

661.
INTRODUCTION
Deux probl~mes importants sont examin~s dans cette
derni~re partie :
1)
En quoi le rapport diff~rent des intellectuels
au pouvoir.
aux classes et à l'id~ologie est-il
facteur de tensions
et de
conflits dans le milieu
intellectuel
?
2)
Comment ce milieu si divers
et de
conflits bâtit-il
son unification et son unit~ ?
Ces deux probl~mes peuvent se formuler cutremcnt
et
s'élargir
On peut se demander d'abord si les oppositions et les
conflits transposent des conflits sociaux et sont
l'expression des luttes socialcs de classe ou s ' i l s
sont ~n relatibn a~ec le raaoort diff~rent au pouvoir
et àux problèmes politiques nationaux et africains
ou s'ils expriment des luttes d'individus et de groupes
professionnels pour l'appropriation de biens
symbuliques et pour le pouvoir intellectuel .
. . . / ...

662.
On peut ensuite voir comment les intellectuels,
en dépit de leurs oppositions et de leurs conflits,
bâtissent leur unification et leur unité en produisant
une rhétorique dont la fonction essentielle est de
leur assurer un
"esprit" et une existence autonome,
et de les spécifier en tant qu'ils
sont d'abord au
service de l'historicité,
c'est-~-dire de l'ensemble
des orientations culturelles et sociales par
lesquelles la soci~té se présente comme
œpable de
Drendre de la distance par rapport à elle-nême, Dar
r~pport ~ son fonctionnement.
Ces questions sont développées dans dellx chapitres.
Le premier étudie le probl~~e des oppositions et des
conflits du milieu intellectuel.
Le
~n>nrl'
.:1 '-, '_ U~l ~'.
C';~·Pl·
lis..
+re
LJ
aborde la question de l'unification et de l'unité
de ce milieu.
Les deux chap~tres sont disproportionnellecent
développés.
Cela donne une idée de la manière
disproportionnée dont les deux questions de ces
6hapitres existent comme DroblèDes dans le mili~u
intellectuel.
... / ...

663.
CHAPITRE
l
LES CO~FLITS
DU MILIEU
INTELLECTUEL
Deux sections composent ce chaoitre qui tente
d'analyser de manière précise,
en s'appuyant sur
des exemples concrets, les relations de tension
et de conflits entre les intellectuels, ou du milieu
intellectuel en général.
Il s'efforce de dire
pourquoi et comment lesintellectuels s'opposent
et de dégager les enjeux des "affrontements" ou
des"peti ts coups" fourrés ou larvés.
La première section examine les conflits du rapport
différent au pouvoir,
c'est-à-dire ceux qui naissent
de la manière dont les uns différemment des autres
se définissent par rapport au pouvoir et se posent
en face de lui. Le deuxième considère les "luttes
intestines"
au sein m~me du milieu intellectuel,
c'est-à-dire celles qui renvoient plus directement
peut-~tre aux relations des intellectuels entre eUX.

664.
SECTIO/l
l
LES CONFLITS DU RAPPORT DIFFERENT AU POUVOIR
Les parties III et IV de
ce travail ont analysé
l'opposition et la participation des intellectuels
au pouvoir,
mettant ~ nu en m~me temps une opposition
entre les intellectuels sous l'angle de leur rapport
au pouvoir.
Peut-on dire qu~ cette opposition est celle des classes
dont les intellectuels
se font les
cha~pions et
les porte-parole?
Pour certains universitaires,
i l n'y a
aucun doute
ceux des intellectuels qui participent au pouvoir
sont "objectivement" de la classe dirigeante et
représentent la bourgeoisie
-pour employer un terme
fréquemment u t i l i s é ;
et ceux qui
s'opposent au
pouvoir représentent les classes dominées et sont au
servic'e du peuple.
... / ...

665.
Sans. doute,
doit-on admettre que les contenus manifestes
des attitudes et comportements,
des opinions affirmées,
des prétentions explicites,
ont une relation effective
au pouvoir politique et aux rapports de domination
mais encore faut-il ~ontrer en quoi ils concernent
et transposent des dynamismes de conflits sociaux et
politiques.
Et si on se demande quels
conflits et quels e~jeux
ils signifient indirectement dans l'opposition et la
participation au pouvoir des intellectuels,
on doit
aussi
chercher à savoir dans quelle mesure la partici-
pation et l'opposition sont l'expression exacte des
luttes de
classes.
Ici,
bien que l'analyse parte des
6tudes faites
dans
les parties III et IV,
elle s'efforcera d'êtpe assez
théorique pour que
toutes
ces questions qui
se
soulèvent régulièrement à propos du milieu
intellectuel et en son sein soient approfondies et
vues de ~anière générale.
. . .1. . .

666.
1
- Les rapports de participation ou d'opposition
au pouvoir,
expression fid2le
de la lutte des
classes?
Dès le début du XIXème siècle,
Saint-Simon formulait
l'hypothèse que les oppositions idéologiques avaient
leur origine et leur explication générale dans les
rivalités politiques et économiques des
classes
sociales. Ainsi,
i l interprétait le conflit qui
opposait aux doctrines
conservatrices le projet d'une
nouvelle révolution co~rne l~ conflit social entre
"la classe des industriels"
(comme i l disai t)
et
les classes dirigeantes et possédantes.
Ce schéma pose bien ~e prGblème qui est abordé ici.
Faut-il penser qu'il y a une relation
significative
entre la lutte des idées ou la lutte politique et
la lutte des classes?
On peut effectivement admettre presque a priori que
le
rapport
au pouvoir n'est intelligible que mis
en relation avec les conflits sociaux et les diverses
stratégies èes forces
en présence.
... / ...

667.
Mais affirmer cette relation signifie-t-elle qu'il
faille limiter l'analyse aux rapports de classes et
accepter l'idée d'un dialogue direct entre les classes,
par-dessus la tête des intellectuels,
ou encore accepter
"l'illusion d'un dialogue direct entre la classe,
la
conscience de classe et son expression idéologique
comme si une entité réelle,
la classe spontanée,
trouvait dans le discours de ses renrésentants une
simple émanation d'elle-même"
(1).
En d'autres
termes,
faut-il pcinser que la conscience de class~
est une entité constituée,
inattaqJable et inaltérable
par les institutions,
les par~is, les groupes
sociaux dans leur effort de collecter les
assentiments ?
Faut-il réelle~ent voir dans le rapport au pbuvoir
une simple reproduction des rapports de classes ou
des relations des classes au pouvoir? Faut-il y
voir le redoublement fidèle
de la seule lutte de
class~s ou f&ùt-il poser simplement le principe
d'une surdétermination du rapport au pouvoir par les
conflits de classes,
en admettant ainsi qu'un parti,
qu'un mouvement politique,
que des groupes constitués
puissent être aussi le lieu d'émergence d'une
nouvelle idéologie ?
(1) Ansart (p) Idéologie, conflits et ~ouvoir, Paris,
PUF,
1977, p.
89

668.
Le probl~De est que la classe est souvent conçue
comme un personnage réel;
que l'idéologie de classe
est souvent présentée comme une doctrine systémitisée
et rigoureuse~ent connue et suivie par tous les
cembres sans exception d'une classe définie selon
des
crit~res socio-économiques. Cette mani~re de
penser donne à. croire que la classe et la conscience
de classe soufflent toutes les idées et toutes les
pensées,
et parlent par la bouches des acteurs

t 1 , .
. .L
SOC13UX.
~ecanlquemen~.
Or les
travaux de A.
Touraine
(1) et de C~ Durand (2),
par exemple dans un pays industrialisé comme la
France,
n'ont pas
établi l'unanimité dans les réponses
en ce qui
concerne la conscience de classe ou la
représentation globale des distributions de classes,
même au sein des
classes ouvri~res ;
encore que
celles-ci
expriment plus fréquemDent la conscience
de la division sociale en deux forces
rivales.
Il est exact cependant qu'il existe une conscience
de classe donnée par l'appartenance à une même
classe socio-économique et par la participation aux
mêmes conditions d'existence.
.. ./ ...
(1) Touraine (A) La conscience ouvri~re, Paris, Seuil,
1°66
(2)
D~lrand (C) Co~:scipnce ouvri~re et action syndicale,
Paris,
I~c~~ton, l~-l

669.
~ais on doit vofr qu'elle n'est pas tr~s ~labor~e
et que l'idéologie politique trouve en elle mati~re
pour développer une véritable"idéologie de classe!'
au sens d'une doctrine rigoureusement syst~matisée
et à laquelle une compl~te adhésion est faite.
Autrement dit,
i l est possible de mener un travail sur
la conscience de classe pour la développer et pour
en faire une idéologie de classe.
La relation effective entre les conflits de clnssc
et la lutte idéologique est m~rquée pnr l'action
oxerc~e sur les classes par différentes forces,
politiques,
institutionnelles, par l'extension des
consommations matérielles,
par la ",assification des
opinions,
etc.
La classe n'est donc pas seulement
agent créateur,
elle est aussi
un enjeu de lutte
entre les partis,
entre les appareils idéologiques
même l'Etat est intéress~ par les classes. L'exemple
de la révolution culturelle chinoise aide à réfl~chir.
En effet,
cette révolution n'a-t-elle pas ~t~
essentiellement la victoire de la
Ilpensée de Mao~
Tsé-Toung!' et de la mobilisation politique et
idéologique de masse contre la formation d'une
nouvelle classe dirigeante?
Il ne semble pas
qu'elle ait ~té un soul~vement spontané des masses
ou du prol~tariat contre la bourgeoisie .
. ../ ...

670.
Elle était une crise du mode de développement,
un
conflit politique et idéologique dans 11Etat, qui
portait ou signifiait certes une lutte de classe,
,
mais celle-ci n'a pas été portée a son paroxysm e
p-ar elle seule,
spontanément;
ell-s a été exacerbée
de haut par une situation politiqu-s, par les
problèmes du mode de développement posés à la
lumière de la "pensée de 1Iiao-Tsé-Toung".
Ainsi,_ la lutte politique ou idéologique slappuyant
sur la lutte de classe peut avo~~ une incidence Sllr
cette lutte de classes elle-même.
Sl ag issant du problème précis des rapports opposés
des intellectuels au pouvoir,
on pout so deffiander si,
au lieu que ces rapports soient simplement une
expression des luttes de classe, ils ne participent
pas aussi des et aux forc~s qui cherchent à élaborer,
à o~ganiser ces luttes de classes, s'ils ne sont pas
aussi un élément indispensable pour la mise en forme
et en force de la lutte,
une condition du développement
du conflit social. Et puis, pourquoi réduire le conflit
des classes socio-économiques à être le seul déterminant
de toute lutte idéologique ou politique?
... / ...

671.
Marx estimait,
i l
est vrai,
que le
conflit structurel
opposant les classes dans le monde capitaliste de son
te~ps devait se redoubler au niveau idéologique dans
une opposition radicale;
mais il ne pensait pas,
se~ble-t-il, qae la clarification des positions était
réalisée au point que les théoriciens
de la classe
ouvri~re n'avaient plus rien ~ faire; c'est d'eux
qu'il attendait la
conscientisation de la classe
ouvri~re par la
déconstruction militante des
illusions.
Il
semble en conséquence qu'on ne puisse pas tout
expliquer de la Illtte des idées ou de la lutte politique
pa~ leur simple redoublement dans le conflit des classes.
D'ailleurs, la conscience de classe n'est pas iden~i-
fiable A la co~science politique:
par exemple,
les
conseils ouvriers et les soviets,
n'ont pas'~émontré qu'on peut passer sans rupture de
la contestation sociale ~ la gestion économique et
politique".
(1)
(1)
Touraine
(A.)
L'aDr~s-soc~alisme
. , ./ ...
Paris,
Grasset,
1980, p.
33

672.
Cela veut dire que,
même si dans les pays industriels
l'affrontement direct entre le travail
et l'organisation
du travail a
conduit à une conscience de classe qui
s'est toujours opposée radicalement à la domination
de classe,
même dans
ces cas,
rien n'indique le
passage mécanique des rapport~ de production à
l'action politique de la conquête de l'Etat.
Et en
Afrique,
rien n'est moins
certain que ce passage
automatique.
C'est dire clairement que l'action politi~~e
peut s'exercer s~r une classe et lui inculquer une
idéologie.
N'est-ce ~as ce que font les partis ou les
groupes qui tentent d'expliquer aux
classes ouvri~res
par exemple leur mission universelle et même les
ressorts de la domination qu'elles vivent?
Historiquement par exemple,
ce sont les partis et
d'abord les intellectuels,
p~res du socialisme,
qui
chercheront à créer l'union du mouvement ouvrier
et de l'action politfuque,
à lier la lutte de classe
et le pouvoir d'Etat.
. . . .1. . .

673.
C'est affirmer que le redouble~ent du ~onflit des
classes dans les rapports au pouvoir ne saurait
être érigé en principe explicatif exhaustif.
Les
choses sont complexes. A telle enseigne que
"L'idéologie politique est pré~isé~ent ce langage
biaisé,
ce langage articulé avec les c·onflits
spperposés pour les mattriser et,
éventuellement,
les voiler"(l).
La complexité des
conflits
sociaux eux-mêmes et leur
artic~lation avec les conflits id~~lo~iques ct
politiques permettent par exemple aux pouvoirs
en
place en Afrique noire de
tenter de dissiper ou de
masquer par des proclamations
sur la recherche de
l'intérêt général les tensions et les conflits qui
naissent entre les privilégiés des pouvoirs et les
masses gouvernées.
Par exemple encore,
une lutte
entre intellectuels et po~voirs en place peut
s'engager entrelacée avec la recherche
conflictuelle
du contrôle des expressions des
classes populaires .
. ../ ...
(1)
Ansart
(p)
op.cit.
p.
100

674.
Ainsi,
on peut donc retenir qu'il existe des
situations où la lutte politique et idéologique-
se structure au plus près de la lutte des classes/
comme i l
en est où la lutte politique et idéologique
semble naître
de la volonté .politique de lutte pour
le po~voir, ce qui n'exclut pas,
bien entendu,
le
langage des
classes ou plutôt n'éxclut pas qu'on
ve1lille parler et agir au nom des
classes.
Mais on doit dire nettement que
si dans les pays
centraux du capitalisme,
les
classes s'affrontent
directement et n'ont pas besoin d'intermédiaires pour
exprimer leur volonté,
et ~lont pas besoin non plus
q~e l'intelligentsia ~arle en leur nom et à leur
place,
dans les pays dépendants aux classes désarticulées
dominées par l'Etat,
ces
classes s'affrontent et
s'expriment moins directement entre e l l e s ;
les
intellectuels ont dans ces sociétés un rôle important
pu{squ'ils parlent au nom
de ceux qui ne peuvent pas
prendre la parole,
qu'ils abordent et développent
des problèmes nationaux,
intéressant toute la
collectivité nationale,
et en même
temps parlent et
agissent par et pOlir eux-mêmes comme un acteur de
masse ayant sa propre politi~ue.
• •• .1 •••

675.
Il ~ a dans les sociétés dépendantes une autonomie
de la production doctrinale ou idéologique des
intellectuels,
qui n'a pas de correspondance directe
avec les classes sociales.
Sans doute faut-il
expliquer
cette autonomie et' rendre compte de la fonction
de
cette production.
Nous y reviendrons à propos des
tensions et des
conflits au sein du milieu
intellectuel lui-même.
Notons simplement pour le
moment que cette production des intellectuels
africains participe davanta?e des et aux luttes
'"
nationales et politiques qu'aux luttes
sociales.
Elle est marquée avant tout par le
rapport des
intellectuels à l'Etat,
aux probl~mes politiques
nationaux et internationallx,
par leur attitude face
à la contradiction entre la domination étrang~re
et la situation s6ciale nationale. Elle n'est pas
directement l'expression de la lutte sociale de
classes.
Elle n'atteint les
classes que pai
. l'intermédiaire du système politique sur lequel
elle a g i t :
celui-ci n'est-il pas en effet le lieu
des
conflits de classes?
... / ...

676.
Et on peut p~esque formuler cette hypoth~se g~n~rale
le rôle des intellectuels est d'autant plus important
dans une soci~t~ ·que la lutte sociale y est moins
ioportante,
moins virulente,
que les problèmes
politiques,
nationaux,
sont les plus imp?rtants,
les
plus ~ l'ordre du jour. Autr~rnent dit,
l~ o~ les
rapports de classes ont une expression politique
directe
(dans les sociétés qui
coïncident compl~tement
avec un mode de production et des rapports de
classe),
les intellectuels s'expriment moins.
Dans les
soci~t~s
d~pendantes, marqu~es par une d~sarticulQtion
ioportante des
rapports de
classes,
et o~ les acteurs
de classe ont du mal ~ se ~onstituer comme agents
politiques directs,
le rôle des intellectuels est
essentiel.
Ce sont eux plus que les classes peut-être
qui
jO'lent plus facile::·.ent le rôle
essentiel
d'agitateurs;
ce sont eux qui plus que toute autre
catégorie socio-professionnelle,
posent les problèlnes
nationaux.
Ce qui fait que leur rôle se situe plus
dans le domaine de l'Etat,
de la nation,
donc dans
le domaine politique.
que dans les rapports de
classes,domaine social.
... / ...

677.
Les intellectuels
sont dans l'Etat,
sont préoccupés
par les problèmes de l'Etat et de la nation tout en
abordant évidemment les problèmes
sociaux. Mais une
certaine fausse
conscience conduit un certain nombre
dlentre eux à vouloir transcrire leur problème et
leur action dlabord en termes de
classes.
Cela étant clairement affirmé,
i l est possible
maintenant de voir en quoi le rapport des intellectuels
au pouvoir peut théoriaue~ent s'inscrire dans une
entreprise de
cor.testation du pouvdir ou s'inscrire dans
une
entreprise de gestion ~t de domination des rapports
sociaux et dans une légitimation des
classes dirigeantes
et dominantes.
2.
Ins8rtion et fonction d8 l'opnosition nu nouvoir
élans 18 conflit social
(1)
La critique radicale et les
théories
révolutionnaires
avec ou sans pratiques
concrètes,
s'inscrivent dans le
processu~ de division sociale. Il Sf ag1 t de démasquer
tout
ce que le pouvoir cache pour faire appa~aître
celui-ci
comme à l'origine et à la source de la misère
de ceux au nom desquels on veut parler.
. .. / ...
(1)
On peut consulter avec int~r~t le chapitre IV de
l'ouvrage cité de P.
Ansart,
chapitre intitulé
"L'idéologie contre les pouvoirs" pp. 101-128

678.
Ainsi,
la dénonciation des injustices
sociales,
la
critique des disparités régionales,
de la domination
étrangère,
le rappel des idéaux de liberté et de
démocratie qui ont conduit ~ revendiquer l"'indépendance,
l'insistance sur la trahison des
classes dirigeantes,
ne visent q~'~ dévoiler tout ce que l'idéologie
officielle masque sous la proclamation répétitive
de l'excellence du régime,
de la nécessité de l'unité
nationale,
de l'effort de développement . . . Le dévoilement
de l'interdit,
du non-dit et du
"IJensonge" veut en
e:fet désigner une potentialité des mécontentements
et surtout l'existence des porteurs du dissentiment
social dont on se fait les porte-parole et qu'on
invite en fait ~ exprimer plus nettement leur
mécontentement.
Effectivement,
la critique,
en s'articulant avec les
problèmes sociaux,
participe ~ leur amplification.
Et c'est pourquoi
face ~ tout ce que l'ordre établi et
le pouvoir font pour que les problèmes d'ordre social,
économique,
pDlitique èt culturel constituent les
classes dominées en forces dispersées,
divisées,
objectivement et subjectivement,
le r81e important
de l'action critique devient celui de tenter de
cristalliser l'attention sur ce que le pouvoir veut
emp~cher de voir, de tenter de réunir les forces
,
d"
""
1
" 1
erarses autour
lllterets qu on reve e communs,
-1
f "
, " , ' ,
.
· t '
a ~mener ces
orces a s arraC,jor a ~a passlvl
e
pOlir s'affirmer'et s'exprimer davantage.

679.
Le travail idéologique prend d'autant plus d'importance
qu'il veut contribuer à
"produire" la classe
révolutionnaire en lui désignant 8es
enne~is et en
lui indiquant le sens de l'action à mener: Et la
.pa~sion qui est mise dans l'action critique est à la
~esure de la conviction que les maux et problèmes sont
liés et dûs à l'ordre établi,
et qu'ils peuvent être
supprimés si
seulement ceux qui
en
sont les premières
victimes le veulent.
D'où l'appel à l'organisation
des masses,
à l'intégration des intellectuels dans
les r:-;asses,
etc.
On voit bien alors que l'action critique n'est pas
simplement ou seulement l'èxpression de la lutte des
classes mais davantage l'élément de leur mise
cn forme.
Bien entendu -et tout malentendu doit
être écarté-
la volonté d'être solidaire des
classes dominées,
d'être le porte-parole
des exploités et des exclus
qui
n'ont pas droit à la parole,
la révolte devant
la domination étrangère,
sont autant d'éléments qui
conduisent à se placer du point de vue des
classes
populaires et à s'en faire les champions défenseurs.
Ce qui
veut dire que l'action critique parle bien
au nom
de
ces
classes et se
"nourri t" de leurs
problèmes.
... / .. ·

680.
Il faut
A
meme ajouter que l'opposition au pouvoir et
l'action critique se développent d'autant mieux
qu'avec les classes dominées qu'on identifie à
l'historicité et dont on assimile les intérêts à
l'historicité,
on s'identifie
soi~m;me à l'historicité.
On transforme alors les orientations sociétales en
ordre idéal,
en valeurs de la société idéale à venir où
justement les dominés d'aujourd'hui
seront les
dominants.
Les dominés étant porteurs de l'histoire
et de son sens,
on les s e r t ;
les dominants d'aujourd'hui
étant des forces
destructrices,
on les combat.
L'action critique révolutionnaire contre le pouvoir,
on le voit,
tire sa force du fait qu'olle répond à la
dynamique de la révolte,
des souffrances des opprimés.
Elle se construit ~ur le désir et les motifs d'agir
et elle est d'autant plus virulente qu'elle se veut
porteuse d'espoirs collectifs.
Mais on ne saurait
ne pas remarquer que les
intellectuels quim~nent l'action critique et
s'opposent au pouvoir et à la classe dirigeante
au nom des classes populaires ont du mal à situer
véritablement les acteurs sociaux dans des rapports
sociaux.
... / ...

681.
Oublieux de la dialectique des
classes sociales
(1)
ou l'ignorant,
souvent ils désignent d'un'côté
les exclus et de l'autre les participants à la
domination.
Comme s'ils n'appartenaient pas au
mê~e champ social; comme s'ils entraient par conséquent
dans des rapports de guerre d'adversaires
"étranO"ers"
o
l'un à l'autre,
et non dans un rapport social.
L'acteur de classe apparatt alors
comme
"l r être
- - -
social
collectif défini par des valeurs sociales et
Cl]~ tur~llc:·s et non plus p2..r des rapports sociaux '1(2),
et l'adversaire co~me le non-acteur. Ainsi en est-il
par exemple quand la classe dirigeante est considérée
comme un adversaire:
elle est identifiée à l'ordre
social,
à l'ensemble des catégories de la pratique
sociale.
Adversaire et situation
étant alors
confondus;
c'est cet ense~ble concret qui est désigné comme
responsable de l'exploitation ou de l'exclusion des
dominés.
Et ceux-ci sont considérés filIalement aussi
co~me incapables d'entrer réellement en conflit
avec ceux qui les
jettent dans une
exclusion ou une
exploitation plus grande.
. .. 1...
(1)
On peut avantaseusement voir la Théorie de la
double dialectique des
classes sociales dans
A.
Touraine,
Production de la société,
pp.
146-154
(2)
'Iè.em,
D.
';'55

682.
Ainsi,
la manière dont les
classes
sont conçues,
)
et considérées
comme non situées réellement dans
le m~me champ social,
a pour conséquence de jus~ifier
le rBle indispensable des intellectuels.
N'est-ce
pas. eux en effet qui peuvent mettre en for~e les
conflits et les attiser au besoin?
Par ailleurs,
la manière dont l'opposition ou la
révolte
contre l'ordre établi
s'analyse souvent
tend à faire ~enser qu'il s'agit d'une exigence
de remplacement d'un ordre par un alltre.
Dans
cette
iogique,
les clàsses sont en effet présentées
comme
des Etats en guerre,
sans enjeu commun,
qui
ES
battraient; et leur conflit
est
conçu
"
comme
celui de la défense d'un ordre établi
et d'un
nouveau modèle global
de
société.
Ce qui veut dire
que
ce conflit ne peut prendre que la forme d'un
dépassement et non celle d'une alternative.
Ce
dép.assement est révolutionnaire et associé à des
conduites de rupture;
i l n'est pas un
simule élément
de la dynamique interne de la société .
.../ ...

683.
Ce d~passement r~volutionnaire n'a-t-il pas besoin
en effet pour se produire de l'intervention d'agents
révolutionnaires extérieurs? Et qui sont ces agents
révolutionnaires sinon les dirigeants révolutionnaires
etles intellectuel~ qui prennent appui sur le peuple.
On
comprend dès lors le discours populiste et
"socialiste" de l'action critique révolutionnaire
contre l'ordre établi
et le pouvoir.
On comprend aussi
pourquoi les intellectuels qui
s'op~osent à celui-ci,
tout en s'appuyant sur le diss8nti~ent social et le
conflit social,
ne s'enfelment pas en fait dans une
lutte de
classe qui se riverait uniquement au domaine
économique:
ils posent le problème social
en
termes
politiques. Et c'est bien le pouvoir d'Etat qui paraît
être l'enjeu de leur lutte.
Ne visent-ils pas en effet
un pouvoir nouveau pour la création d'une société
nouvelle ?
N'est-ce pas pour le pouvoir d'Etat et la société
tels qu'ils existent que se battent aussi les dirigeants
et les intellectuels qui défendent l'ordre établi?
... / ...

684.
3. Insertion et fonction de la participation au pou~oir
dans le conflit social
(1)
Les gratifications symboliques de la participation
au pouvoir social
sont des éléments importants de
l'encrage à la classe dominante et dirigeante:
le
sujet qui accède
à la domination doit être investi des
valeurs et des
"oripeaux"
sociaux que la classe
s'accorde afin d'être rapidement reconnaissable
l'intérêt commun et la réussite sociale commune de
la classe doivent 5trc pcrceptibl~ sur lui.
Pourvu
qu'il
se conforme aux [estes faciles
de l'adhésion,
i l peut partager les valeurs de confiance,
de
communion
que
réserve le pouvoir collectif.
Le sujet se trouve
ai~si dans une relation de participation à la
festivité commune,
incité à vivre sa relation au social
sur le mode de la classe dominante,
celle de ceux
qui ont réussi,
fait-on
croire,
parce qu'ils
sont les
plus
"modernes",
les plus dynamiques.
(1)
On petit consulter avec intérêt le chapitre V
intitulé "L'idéologie au service des pouvoirs"
du 'livre de P.
Ansart,
op.cit.
pp.
129-156

685.
La classe dirigeante et dominante qui
recherche
l'intégration a en effet cette capacité de s'identifier
à l'historicité et d'y assimiler ses propres
intérêts. Elle justifie alors idéologiquement,
c'est-à-dire de son point de vue,
Sq
domination
et l'exploitation et l'exclusion de
ceux qui ne
,
peuvent se conformer a
ses exigences.
En d'autres
termes,
la recherche de participation
au pouvoir renvoie bien à un
champ id~nlogique
qui n'est intelligible que rapport~ aux con~lits sociaux
et aux stratégies des actAurs en présence
(le
champ
manifeste d'ailleurs l'emprise de la classe dirigeante
sur les catégories de la pratique sociale).
En effet,
l'intégration implique la formation d'un bloc dominant
d'autant plus soli.de qu'il
est SOUcl8 par '.lne
idéologie forte.
Alors que l'opposition au pouvoir
devait s'inscrire dans un processus de division
sociale et en vue de détruire les liens politiques
de l'ordre établi
en menant contre lui une critique
radicale à partir des problèmes des dominés,
le
so~tien et la participation au pouvoir vont s'attacher
à l '
"orthodoxie idéologique"
(1)
de
celui-ci,
qui
est aussi
celle de toute la classe dirigeante et
dominante.
... / ...
(1) Expression de P.
Ansart,
op.cit.
p. 102

686.
Cette orthodoxie idéologique met l'accent sur les
grands principes
transmutés en grandes évidences
(la nation,
les acquis de l'indépendance),
sur
l'urgence du développement,
sur l'excellence du
'sys~ème social établi. Les idéaux sont alors
,
.
magnifiés pour collecter et canaliser les energles
vers leur réalisation.
C'est à ce travai~ de légi timation et d rinculcati.on
que sont conviés les idéologues au service du pouvoir
et de la classe dirigeante.
Ils doivent produire des
discours,
des
conduites dignes
et des attitudes
conformes aux attentes de l'orthodoxie
"soutenue"
et/ou
"consentie"
(1).
C'est pour'quoi
les
"déviances"
des éli tes int,ellectuelles dans le pouvoir
sont
toujours mal supportées par les diriceants,
comme
en témoigne le discours aux cadres du Secrétaire
Général du Parti Démocra~ique de Côte d'Ivoire
en 1978
(cf.
texte cité au chapitr's l
de la 3ème
partie de ce travail).
Ce discours montre à quel
point un soutien actif et sans défaillance est
attendu de
ceux qui ont part au
"festin" national •
.../ ...
(l)
P. Ansart,
op.cit.
p.
137 et 145

687.
Et cette conduite exigée d'eux est d'autant plus
nécessaire que,
dans la tête des dirigeants,
tout
doi t
concourir à donner l'image d'une ,classe
intégrée,
symbole d'une nation intégrée.
Même le
discours
aux accents
"nationalistes" des dirigeants
proféré
souvent pour occulter les différences
et
disparités régionales
et ethniques,
masquer les
inégalités,
faire
tolérer les injustices et réduire
les conflits de
classes,
doit ~tre "applaudi'! par
tous
ceux qui participent à ,la domination,
et
rejoindre un autre discours
d'auto-léciti~ntion qui
doit atteindre tous les membres de la collectivité
nationale.
En bref,
le rapport positif au pouvoir se fonde
sur l'existence et- la conscience des prérogatives
d'une
classe dirigeante et surtout dominante;
mais
i l
est aussi un élément essentiel d'une mise en
·forme de cette classe pour autant que force
et
renouvellement lui
sont donnés par la mobilité
ascendante de
ceux qui
émergent des
classes populaires .
.../ ...

688.
4. Conclusion
RaDDort des intellectuels au Douvoir
et luttes Dolitiques
On a essayé de montrer en quoi la relation que
lé rapport des inte~lectuels au pouvoir peut avoir
avec les luttes de classes,
si apparemment évident~i
eSG
en
fait
complexe
car la classe n'est
pas seulement l'agent créateur, elle
est
aussi l'enjeu
des luttes entre les intellectuels comme elle l'est
entre les partis et les différents appareils
idéologiques.
Au~si, peut-o~ insister un peu en
terminant ce chapitre,
sur le fait que le rapport
des intellectuels au pouvoir participe aussi
des
et aux luttes politiques.
En effet,
dans les sociétés africaines dépendantes,
désarticulées,
o~ l'Etat, a~ent central du
u
chan~ement,
.~
a un "grand"r81e économique par rapport ~ la bourgeoisie
nationale,
et o~ la domination étrangère se supporte
de plus en plus mal,
les luttes socialps,
souvent
urbaines,
sont en même temps des luttes politiques .
. . . 1....

689.
C'est ainsi qu'ind~pendamrnerlt de leur id~ologie
qui amène maints intellectuels à raisonner leur
action en termes de luttes de
classes,
manifestant
par là leur volont~ de s'appuyer sur ces luttes,
ils n'en abordent p~s moins les problèmes sociaux
presqu'inévitablement en termes politiques,
nationaux.
Même lorsque les intellectuels semblent ne parler
qu'en leu~ propre nom,
c'est encore souvent en
termes politiques qu'ils
s'expriDent r~ellernent,
tout en se r6f~rant aux rapports Ce classe.
On peut donc affirmer que les luttes et oppositions
des intellectuels se nourrissent des problèmes
sociaux et des
conflits sociallx et politiques autant
qu'elles apportent force et exacerbation à ceux-ci.
Qu'en est-il des
tensions et conflits dans le milieu
intellectuel lui-même ?
... / ...

690.
SECTION
II
OPPOSITIOIIS ET COIJFLITS AU SEIN DU
MILIEU
I;;TELLECTUEL
Co~ment comprendre les tensions, les oppositions et
les conflits au sein des intellectuels des
sociétés
africaines dépenda~tes ?
Deux types d'hypothèses,
l'un davantage sociologique
et l'autre davantage psychosociologique peuvent
~tre for~ulés pour rendre compte de cette situation.
1
- La
contradiction entre la situation sociale
nationale et la domination étrang~re dans une
société dépendante provoque comme nécessairement une
production doctrinale ou idéologique autonome de la
part des intellectuels. Et la fonction de celle-ci
se~ble être de réduire symboliquement cette
contradiction insupportable pour'la conscience .
.. ./ ...

691.
Cette production met en jeu,
comme pour elle-même,
trois dimensions de la société dépendante en
dévelqppement,
faiblement
reliées l'une à l'autre
ou même peu reliées pour pouvoir se renforcer
mutuellement
: les intellectuels parlent au nom
.d~une classe contre une autre, au nom de la
nation contre l'étranger dominant et au nom de
la modernisation et de l'intégration contre la
tradition et son cloisonnement; mais ils en parlent
comme s'ils agissaient.ou parlaient pour eux-même~,
en tant qu'intellectuels.
Ln réalité,
ils ont du mal à combiner ces trois
dimensions et à rendre complémentaires les
orientations de c<;s dimensions.
Aussi,
celles-ci
avec leurs orientations deviènnent-elles des sources
de tensions,
d'oppositions et de conflits
:
elles
sont en effet défendues ou présentées de manière
sépar~e ou opposée par le's intellectuels, les uns
donnant la priorité à l'intégration et à la moder-
nisation nationale,
les autres insistant sur la
nécessité d'une rupture propritaire avec le
capitalisme international, (et en particulier avec
le pays ou les pays dominants qui le représentent
le mieux sur leur territoire)et d'autres encore
s'acharnant à parler au nom des classes ou s'avisant
de se pnrter en adversaires directs de la classe
dirigeante et dominante de leur pays.

-
692.
De plus,
autour de chacune des trois dimensiôns,
les
oppositione et conflits se manifestent encore entre
intellectuels à cause même de la manière doctrinale
et doctrinaire dont ils se situent et s'excluent
mutuellement.
2
- Le milieu intellectuel est un milieu social comme
un autre;
i l est un
système de relations sociales
:
les acteurs y ont des positions,
int~ragissent, norma-
tivement orient~s par des id~es ~bctrinales, par des
v~leurs,et s'affrontent autour d'enjeux divers ...
D'un point de vue plus psychosociologique que socio-
logique,
on dira que ce milieu est un
champ de forces
et un
chanp de luttes vîsant à modifier à tout moment
la structure de ce milieu.
Ces deux types d'hypothèses
se complètent et se
combinent ais~ment dans l'explication de situations
concrètes.
Dans le cadre de cette ~tude, trois cas d'affronte-
ment entre intellectuels ont ~t~ retenus pour tenter
de- d~gager les niveaux de signification des oppositiois
et conflits dans le milieu intellectuel.
Il s'agit
1) Du d~bat sur la "philosophie africaine",
sur
son existence ou sa non existence,
sur son sens et
le sens des termes dans cette expression,
sur ses
pré su 1-' P 0 s é s e t s e.s i mpli ca t". 0 TI s e t sur ses en jeu x
politiques,
et:c.
. .-. / ...

693.
Le d~bat est d~j~ vieux de plus d~une dizaine d'ann~es
et se d~roule ~ travers art~cles et ouvràges publi~s par
des professionnels de la philosophie et autres
(1).
(1) Les principaux protagonistes et antagonistes sent :
Hountondji
(p) avec "Que peut la philosophie" in Pr~sence
Africaine, 1921 nO 119, Sur la 'lp}ülo:::ophie africaine"
Paris, t1aspero 1977,
"Sens du DOt philosophie afri'caine
dans l'expression "Philosophie africaine"
(communication
au s~minaire sur la'~robl~oatique de la philosophie
africaine"
~ Addis-Abeba, d~cembre 1976, communication
publi~e par le Kor~ (revue ivoirienne de philosophie et
de culture), nO sp~cial
"philosophie africaine"
1977 ;
l1arcien TO\\ola avec Essai sur la Droblématione nhilose·phique
dans l'AfriQue actuelle, Yaol:nJé, eLE 1971, L'idée d'une
philosophie nérro-africaine, Yaound~, CLE 1979 ; Niamkey
Koffi avec les articles suivan:'s :
"L'impel1sé de TO\\ola
et de Hountorr.dji ",
"controvsrse SUT l'existence d'une
philosophie a'Jricaine",
"Les node::, d'C';üstcllCO f,lat~rié·lle
de la philosophie africaine", respectivement dans
Le Korê nO l, 1976, nO 3-4 nov-déc 1976 et nO spécial
"Philosophie africaine" 1977'; Olabiyi J.
Yai,
"th~orie
et pratiqu~ en philosophie africaine : mis~rc de la
philosop~ie spéculative (critique de P. HO'lntondji et
de M.
To wa et au t r es)" i n p .... E'- :è r, n ce Af rie 'l i ,1 C, 1 979 ,
nO 108 ; Eboussi-Boulaga
(F)
La c~is8 ri]) ;·luntu :
authenticit~ africaine-et Dhilosonhie, Paris, Pr~sence
Af::--icaine .1977 ; Youssouph :lbarf;anc Guissé, PhilosoD:'lie,
CultUre et Deveni~ social en Afriq\\18 noire , Vakar-
Abidjan, J:.E.A.,
1979,
l1Philosophic afl'ic:üne l1 ou
mat~rialisme scientifique ?11 in Jonction, mai 1981 nO 4
Il faut citer aussi queloues auteurs et ouvrages
qui sont de fait ~ lÎorigine de ce débat pour avoir
parl~ les premiers de philosophie africaine. Ce sont
Jahn
(J} ~untu, Paris, Le Seuil 19 61 (Grad.française),
Te~pels (p), ha philosophie bantoueParis, Présence
Africaine 1949, Kagame (A),
La nhilosophie bantu
coœpar~e, Paris. Pr~sence Africaine, 1976 ; N'Krumah (K),
Le ~onsciencisme, Paris, Payot 1964 (trad~française)
... / ...

694.
2) D~ d~bat sur les intellectuels africains dans leurs
inter&ctionsavec les autres acteurs sociaux,
d~bat
organis~ en trois s~ances de trois soir~es en 1978 à
l'Ecole Normale Sup~rieure d'Abidjan. Les participants
à ce .d~bat ~taient des chercheurs et des enseignants de
i'u;iversit~ et de l'Ecole Normale Sup~rieure. A la
prerni~re s~ance ~tait pr~sent un groupe d'ouvriets et
de manoeuvres et un petit employ~ de bureau (1).
Ce débat avait la spécificit~ d'être congu comne une
intervention et était guidé par des questions-hypoth~ses
précises
(2)
visant à amener à définir les·intellectuels
africains à travers les interactions où ils entrent avec
les autres acteurs sociaux,
à analyser et définir la
n~ture des luttes des intellectuels.
(1)
L'idée d'inviter des ouvriers et des manoeuvres l
ce débat entre intellectuels a
été inspirée par la
méthode de l'intervention sociologique de A.
Touraine.
Les in~ellectuels se plaigent à parler au nom des slasses
populalres. Nous avons voulu dans le cadre de ce debat
les.placer en interaction directe avec un groupe réel
pouvant représenter les
classes populaires ou faire garder
celles-ci en Llémoire dB mani~re permanente : ce groupe
.
devait pouvoir,
s~ance tenante, se ~econnaitre ou inter-
venir comme "adversaire" ou partenaire" des intellectuels
et permettre à ceux-ci
de mieux se définir. et définir
leurs luttes de façon concr~te grâce aux interactiôns
produites dans la séance
(entre eux et avec le groupe
des ouvriers et manoeu~res).
(2) Pour la formulation exacte des questions-hypoth~ses,
voir Annexe

695.
S'agit-il d'une action critique contre l'ordre existant?
S'agit-il d'une pression pour influencer dans tel
ou
tel sens les décisions qui
s'imposent à la collectivité?
S'agit-il d'une réaction à une crise de la société
dont l'organisation ne serait plus en accord avec tous
ses membres? S'agit-il d'un mouvenent social qui
défendrait de nanière mêoe inorganisée une
certaine
orientation de la société et qui mettrait en cause
un "adversaire"
en lui opposant un autre projet de
société ou en lui disputant l'historicité? Enfin
ces universitaires devaient.réfléchir sur la pratique
des intellectuels,
précisément examiner le rapport des
intellectuel~ abidjanais
au
personnel domestique
qu'ils
emploient
(boy, bonne ..• )
Ce débat a permis d'observer "expérimentalcment'tl es
tensions et conflits entre intellectuels.
. ../. ..

696.
3) Du d~bat sur la "drurnmologie"
(1).
Ce d~bat d'articles
pol~rniques a oppos~ partisans et adversaires de la
"drummologie". Pendant près de cinq moi s
(de f~vr:i:er
à juin 1980), des universitaires ivoiriens de
l'enseignement et de la recherche se sont donn~s en
spectacle à tout le public ivoirien,
lecteur du quotidien
national Fraternit~-Matin et de l'hebdomadaire I.D.
(Ivoire Dimanche).
(')
\\.l..
"aD
_~
.;._ p "1
<....-
.•
"Drummologie" 'est form~e par le terme anglais
dru!:!:!,
(tambour)
et de 10gi8
(de logos:
te'r);.inolosie
grecque pour désigner discours,
traité).

professeur Niangoran-Bouah de l~universit~
d'Abidjan est l'initiateur de cette drummologie,
~tude et utilisation des textes des tambours
parleurs africains.
Il vient d'ailleurs de publier
une Introduction à la Drummologie,
~dit~e par
G.N.B., Abidjan, 1981

697.
Ce d~bat,
centr~ apparemment sur la possibilit~ pour
la '\\:lrummologie" de se consti tuer en science autonome
et de m~riter un int~rêt quelconque au regard de
l'Afrique et de ses problèDes,
a connu des moments'
réellement passionn~s entre partisans et adversaires
(1)
et tenu le public en haleine'.
Ce d~bat a lui aussi étal~ au gr~nd jour les conflits
et affrontements entre intellectuels.
L'étude de ces trois débats a Dermis d'examiner les
hypothèses
for~ulées et de r~pondre aux deux problèmes
s~;i vants
:
a)
les
thèmes
d'opposition et de conflit dans Id
milieu intellectuel renvoient-ils à l~ lutte politique
ou à la lutte sociale de classes ?
b)
le champ intellectuel,
quelle spécificit~ et quels
enjeux sp~cifiques ?
(1)
Les participants à
ce d~bat sont : Laurent Gbagbo,
historien,
charg~ de recherche ; Ahdou Tour~, sociologue,
chargé de recherche ; IJiangoranh-Bouah,
professeur,
ancien directeur de l'Institut d'Ethno-sociologie,
"père" de la "drum:'1010;ie"
; D. Kadja Hanie;
sociologue,
charg~ de recherche ; Zadi ZaourC~ maître-assistant de
Lettres modernes ; Wondji Christophe,
maitre-assistant,
agrégé d'histoire,
Nia~key Koffi, maître-assistant de
philosophie ;. Albert Kouakou,
attach~ de' recherche à
l'Institut d'Ethno-sociologie
;Jean-No~l Loucou,
maître-assistant d'histoire;
Assa Koby,
ex-assistant
de
géographie à l'université d'Abidjan;
Comoe-Krou,
maître de conférence de sociologie
;
Gnangoran Porquet.
professeur certifié de Lettres
(animateur d'une émission
té:'.-évisuelle a;:,pelée
IS anc tuEire" aL! cours
de laquelle
i l a
~té question de th~~tre et du tambour-parleur. C'est
à la suite de cette ~mission que Gh~gbo réagira aux
propos du profèsseur Niangoran-Bouah ; le débat ~tait
en;a;s ~).

698.
A - CONSCIENCE NAT=ONALE ET CONSCIENCE DE CLASSE :
LES THEM ES DE L'OPPOSITION ET DU CONFLIT ENTRE
LES INTELLECTUELS RENVOIENT-ILS A LA LUTTE
POLITIQUE OU A LA LUTTE SOCIALE DE CLASSES?
l
- La nation,
l'AfriguB et son devenir,
la modernisation
dans l'opposition
et le
conflit en+re intellect'lels
La "querelle" de la "drummologie" a donné lieu à une
production doctrinale qui a manifesté son autonomie
par rapport à tout le
corps. social.
Cette
"querelle Il
était un débat d'intellectuels et siest d~veloppée
en fonction de ses propre.:> contradictions,sans
"intervention e~térieure" d'autres acteurs sociaux ou
polit~ques. Avec l'int~r~t cajeur d'avoir posé publi-
quement par elle-même,
par son existence,
le problème
politique du débat politique dans la société.
Eh ce
sens,
elle a
été politique et a eu une portée politique.
Son contenu a
révélé les oppositions
et les conflits
entre les universitaires ivoiriens et par-delà eux,
entre les intellectuels africains,
et a manifesté leur
anticolonialisme
commun ou,
plus exactement,
leur
nationalisme à la fois anti-colonialiste et intégrateur .
. ../ ...

699.
l1ais alors,
d'où. sont venusle débat,
les
cor.tradictions
et les
confli ts
?
Les réîlexions
et les recherches du professeur
Niangoran -Bouah l'ont conduit A là découverte du
"tambour-parleur"
comme source de documentation
importante et fiable pour la connaissance de l'Afrique
pré-coloniale.
Il pense que sa découverte permet de
combler le vide documentaire de la période précoloniale
et de donner les moyens de "libérer"
les recherches
africaines des méthodes qui
or.t
"~utilé" l'histoire
afric~ine pa~ exemple ou n'ont appré~endé l'Afrique
liU'à travers le.prisme déforman-t de l'européocentrisme
et de l'esprit colonial.
Selon lui en effet,
le tambour-parleur,
défini par lui
comme l'ensemble formé par l'instrument matériel et le
tambourinaire qui bat l'instrument et dit de mani~re
rythmée le texte appris,
est une institution totale
qui
contient des textes officiels,
publics,
relatifs
à ious les asnects de la culture d'une société. A ce
titre,
le tambour,
affirme-t-il,
est le livre,
la
bibliothèque,
l'encyclopédie, le document de référence
des peuples qui. en font usage.
... / ...

700.
Mais cette
co~paraison -qui n'avait peut-être pas assez
justifié en son temps ses fondements
en étant plus
explicite sur la définition même du tambo~r comme
instit~tion- provoquera la réaction du chercheur
Gbagbo:
celui-ci
critiquera une certaine attitude
''-Y"'ationaliste'' qui veut à to'ut prix retrouve-r en
Afrique traditionnelle des pratiques existant en
Europe.
Le débat était engagé.
Le "'pere "d. e l a "~c:rurny.!O l '
ogle " r~pondra
' " .
'a son
détracteur pour exclicuer sa définition Cu
tambour
et la comparaison de celui-ci avec le livre ..•
Il
concluera qu'il
est urgent que l'Afrique fasse
l'inventaire de ses valeurs anciennes et étudie ses
institutions anciennes avant qu'il ne soit trop tard.
Les interventions qui
suivront et attaqueront la
"drurnmologie"
et son iriitiateur s'acharneront à
dé~ontrer pour l'essentiel que cette nouvelle discipline,
fille de l'anthropologie,
est condamnable au même
titre que l'anthropologie,
l'ethnographie et
l'ethnologie,
en tant qu'elles sont des pseudo-sciehces
coloniales.
L'un des intervenants qui incarnera parti-
culièrement cette position est Zadi
Zaourou.

701.
Il
écrira :
"
Fille de l'impérialisme colonial
qu'elle a
toujOUYS servi avec dévouement,
l'anthropologie
qui implique aussi et de ce fait m~me un état d'esprit,
ne pouvait survi~re en tant que "science"
discriminatoire
et d~ complaisance
(en témoignage.la théorie de
l'entropie d'un Lévy-Strauss)
à l'effondrement des
empires coloniaux.
La crise prof~nde qui l'affecte
depuis les années 1960 et qui s'accentue a mesure
que se libèrent nos peuples est le signe de la mort
pyochaine de cette
"science" ethnoccntrique et
fabriquée
sur mesure pour nations dominées.
Faut-il
que dans ces conditions,
la "drummologie'f vienne ici,
chez nous,
proposer un sursis à une
telle
"science'! ?(l)
I~ expliquera que la réacti6n provoquée contr'e la·
J1drummologie" participe en fait de et a la m~me J11utte'
idéologique de la nouvelle génération d'Africains'
contre l'ethno-philosophie,
l'ethna-linguistique,
l'ethno-critique,
la néo-négritude senghorienne et
tous les courants de fossilisation des cultures
africaines I~ .. I par ultra-spécification à laquelle
semblent nous vouer toutes
ces "sciences Jl et courants
divers dont la
J1drummologie" vient maintenant et si
anachroniquement grossir
le nombre comme si la
néo-négritude et Rurtout cette tristement célèbre
"authenticité". 1... 1 ne suf:isaient déjà pas à notre
continent".
(1) Zadi Zaourou "La drummologie ou le masque grimaçant
d'une scie:1ce moribonde" in LD.
(Ivoire Dimanche;
16 mars 1 0 80,
nO 475, p.
29

702.
"Car,
ajoute-t-il,
tous les courants se rejoignent
dans leur souci de piéger le nègre avec son propre
passé ;
de le renvoyer à
ce passé non pas pour le
lui
faire repenser dans la perspectivê dé ses luttes
d'aujourd'hui, mais pour le séduire et l'y séquestrer"(l).
Il ne voit pas du tout pourquoi,
alors que'~'anthropo­
logie a
suffisamment nui à nos pays en y occultant
ces sciences véritables que sont la linguistique, la
sociologie,
etc.,
il faudrait encore ajouter à
cette
confusion voulue et entretenue par. des colons
iDpénitents",
en encourageant la naissance de la
,
"drummologie".
Car celle-ci,
dit-il,"à pein~ nee / ... /
se révèlerait,
parce qu'elle est précisément fille de
l'anthropologie,
comme une pseudo-science pour
"peuples primitifs"
!" (2)
Ainsi,
on le voit,
la réaction de Zadi Zaourou contre
la "drummologie"
provient de son rejet de l'anthro-
pologie et s'insère dans la lutte anticoloniale et
dans un nationalisme modernisateur.
(1)
Zadi Zaourou "La drummologie ou le masque grimaçant
d'une science moribonde" in I.D.
(Ivoire Dimanche)
16 ~ars 1980, nO 475, p. 29 ---
.
(2)
Idem, p.
30

703.
Mais
sa position
(ou peut-être davantage la manière·
dont elle s'est exprimée)
sera attaquée et combattue
par les intervenants qui prendront la défense de la
"drummologie"
et de son auteur.
Il
sera essentiellement
reproché ~ Zadi un ce~tain "gauchisme"
anti-colonialiste
~t un dog~atisme qui orientent "dangereusement"son
discours et fait pécher le débat lui-même.
Dans un article inti-':-ulé "Décolollisa'tion impossible",
Niamkey Kaffi
fera
re~arquer ql18 le d~bat (qui ~
commencé en fait avec une question sur l'opportunité
ou la justesse de parler de théâtre africain ou
d'établir une comDaraison entre le tambour et le livre)
soulève en réalit~ le problème pr{cis "clela langue,
celui de la dénocination de nos réalit&s africaines
par des mots venus d'une langue étrnng~re qui est
précisément delle de notre
colonisateur".
Après
avoir affirmé le "rapport coextensif de la langue
~ l'idéologie"
et noté que
"toute langue a partie
li~e avec l'idéologie dominante de son sol d'origine"
et que le
"découpage du réel qu'opère une langue
s'inscrit dans un
sy~tème axiologique ... ",il se
der:Jande s i .
l ' o n
s'est seulement soucié de savoir
'~uel. est le système de valeurs qui a présid6 au
découpage des
réali-':-éG africaines par la langue
fran:)aise".
. .. / ...

704.
"On' a
cri tiqué, ,souligne-t-il,
l'ethnologie et
l'ethnographie comme sciences coloniales.
On a
oubli~ de critiquer la langue où elles s'expriment
Faute de le faire,
on a
jeté le bébé avec l'~au sale
de son bain.
On n'a donc pas posé la question du
'drol t
de nommer
"(1).
Si la critique,
poursuivra-t-il,
est un facteur
heuristique,
"elle ne peut l'~tre fondnmentalement
que dans la mesure où elle est une
critique just~,
c'est-à-dire ajustée à la ligne de nos intérêts
intérêts de notre libération culturelle voire
économique et politique".
Il ajoutera:
l'L'ampleur
de 1a tâche est telle que nous ne devons pas nous
contenter d'une critique gauchisante,
mais nous
devons partager les responsabilités.
Nous. n'avons pas
entendu l'appel de Niangoran-Bouah lancé à l'adresse
des économistes,
deshistoriens,
des
sociologues,
des linguistes,
des musidologues et des philosophes,etc."(2)
Ainsi Niamk~y Koffi
semble croire comme Niangoran-Bouah
lui-même que celui-ci mène aussi,
et à
sa manière,
la "lutte nationale"
de développement des potentialités
réelles
des Africains et aussi de libération du pays
et de l'Afrique.
(};). Niamkey Koffi ,
"DécoLonisation impossi ble!' in
Fraternité-Matin du mardi 25 mars 1980,
p.
13
(2)
Idem,
p. 14

705.
Au fond,
l'enjeu du débat parait bien être l'Afrique
et son avenir.
Zadi Zaourou en est conscient, qui nLest
pas homme à s'en laisser conter.
Il demandera:
"Pourquoi vouloir s'entêter à livrer
dans le contexte politique nouveau qui est le nôtre
des batailles d'arri~re-garde" (1). Il ne peut
suivre le professeur Niangoran-Bouah avec sa
''druffir.101ogie'' dans cette guerre; et il di t,
sans
ménagenent
:
"Que des at-t,é.. rdés
d~? l 'histoire ou
quelques nostalgiques de l'~re coloniale tr~p~Gnent
et bavent dans le secret ~es amphithé&tres (2) o~
l'époque les oublie déjà et menace de les enfouir,
c'est leur affaire! Le vieux cOlltinent est erl œarche
et il veut regarder où il va et non se laisser
séduire par des fourmis-magnans iscüées ne leur
colonne. Si nous devions inventer de fausses sciences
chaque fois que de si "fal'leuses voix scientifiquement
autorisées"(3)
s'él~vent pour nous demander de
montrer- patte blanche, assurément,
n011S n'aurions pas
fini de nous fourvoyer et perdre l'Afrique"
(4).
(1 ) Zadi Zaourou in l'hebdomadaire LD.
(Ivoire Dimanche)
du 30 mars 1980, nO 477, p. 46
(2 ) Le professeur Niangoran Bouah enseigne l'sa '' __
drummolofie aIl département d'ethna-sociologie
de l'université d'Abidjan-
(3) Allusion à un propos d~ Niangoran-Bouah où il
expliquait que-pendant longtemps on a écrit sur le
Noir et pa~lé de lui en étant convaincu que celui-ci
ne possédait pas de doculoent sOr où il avait pu
consigner s~propre histoire et sa pensée.
Zadi Zaourou·nL.]. du 30 DaTS 1980 nO 477 p. 47

706.
Il n'y a pas d'ambiguit~, Zadi
parle au nom de la
science et dans l'int~rêt de l'Afrique et de son pays.
Normativement,
il
trace la voie qui doit être celle
d'une Afrique moderne et d'une Côte d'Ivoire moderne.
Il indique la conduite que les fils dignes d'elles
doivent avoir.
A ce propos,
i l
~crit
"La Cô te
d'Ivoire est une R~publique, et nous devrions, nous
autres universitaires,
contribuer à donner un contenu
moderne à cette R~publique" (1).
Il
se pr~occupe de
l'avenir de son pays et de l'Afrique.
Ainsi,
l'anticolonialisme qui transparaît dans la
condamnation sans appel de l'anthropologie et de
la "drummologie",
sa fille,
parle fort
et haut au
nom de l'Afrique.
A un apparent
tradi tionalisme
ou
à un nationalisme ,intégriste apparent est opposé
alors un modernisme ou un nationalisme int~grateur
et modernisateur.
Mais est-on r~ellement fondé à croire ~ cette
opposition ? Doit~on rejeter sans hésitation et
sans y prendre garde l'anthropologie et la 'tirummologie l1 ?
Avec 'le risque de "jeter l~ bébé avec l'eau sale de
son bain Il ?
;.,v.
(1)
Zadi Zaourou,
I.D.
du 30 mars 1980, nO 477 p.
47

707.
Dans son intervention au débat,
Assa Koby
(1), après
avoir noté que Zadi
condamne l'anthropologie parce
qu'elle a
servi
des visées coloniales,
fait alors
remarquer,
critique
"Zadi n'ignore pas que la langue
française
servit à asséner le premier coup de matraque
qui
sonna le glas de nos
"dialectes"
et de nos
cultures".
Ur, poursui t - i l ,
"Certains d'entre nous,
sous le coup du
choc,
sont devenus léS croisés de la défense
et de l'illustration de la langue française
par-delà le monde.
Sur notre terre,
la
décomposition de nos langues fournit un
terrain propice à la fertilisation de la
langue et de la culture françaises.
Paradoxalement,
Zadi s'est mis à
cette
école aliénante.
Avec beaucoup d'application.
Il
gagne même sa vie en parlant et en
enseignant le français.
Et i l manie
remarquablement cette langue française
à
telle ensei[ne qu'elle est devenue son
"tam-tam",
e!1tendons son instrur;]ent
d'intercommunication qui
véhicule/ ..• f un
théâtre à la Zadi,
message plein d'espérance.
Cela a
été possible,
non pas parce que
Zadi
a enterré la langue française,
mais
parce qu'il a utilisé l'envers d'une
m~daille. Pourquoi ne laisserait-il pas
Niangoran tenter sa chance en utilisant
l'envers d'une autre médaille avec
l'anthropologie repensée dans une nouvelle
optique ..• " (2)
(1) Assa Koby,
"Six remarques à Bernard Zadi",
in T.D.
du 13 avril 1980,
nO 479
(2 ) Assa Koby, 'loc.cit. p.
48

708.
,
Il aura a ajouter :
"8i le colon avait perçu depuis lon~te~ps
l'importance du tam-tam au point de faire
des recherches approfondies,
et de
créer
une chaire de drummologie da?s nos
universités,
personne ne s'en serait sans
doute offusqué.
Habitués,
en Côte d'Ivoire,
à ne prendre en considération l'expert que
lorsque celui-ci vie~t de loin pour se faire
dire parfois ce qu'il doit nous dire,
nous
acceptons difficilement qu'un des nôtres
se m~le de créer sa propre science" .(1)
Derrière les mots,
pointe ici une volonté ou plutôt
un appel pour que l'Afrique se libère en apprenant à
produire par elle-m~me et pour elle-m~me, et en
aDDrofondissant la connaissance d'elle-m~me, de son
..
.
'passé,
comme l'indiqueront d'autres intervenants a~
.
débat
(2).
Il Y a là ainsi un appel nationaliste
discret.
Mais ce nationalisme peu tapageur peut-il ~tre compris
par' ceux qui
craignent qu'une "attitude idol&tre"
et
"négrocentrique" devant l'Afrique s'accomodant des
"sciences coloniales'" ne soi t
pas en mesure de se
l'mettre au service de notre nationalisme"et ne fasse
au contraire le jeu de l'impérialisme en tant qu'elle
est une "tendance émotionnelle, non scientifique"
et
qu'elle est ainsi un facteur d'obscurantisme
(3).
(1) Assa Koby,
loc.cit. p.
48
(2)
Dont Jean No~l Loucou avec un article dans
Fraternité-l-1atin du mardi 15 avril 1980 intitulé
"Connaître notre passé".
(3)
Zadi Zaouroci loc.cit.
pp.30-31

709.
Cette
crainte est d'ailleurs aussi
celle des
critiques
de l'ethno-philosophie,
comme Hountondji
(1)
et
r~cemment Mbargane Guiss~. Celui-ci affirme que
l'ethna-philosophie est une
cr~ation id~ologique
de l'imp~rialisme pour justifier et p~renniser sa
.
domination en
terre africaine:
en effet,
soutient-il,
elle a
une d~marche unilat~rale et m~taphysique
qui
fait fi
des r~alit~s africaines modernes en
survalorisant le pass~, le mythifiant pour le
pr~senter comme id~al. Elle "est devenue la composante
intellectuelle d'une culture néo-coloniale . . . "
(2).
Ainsi,
sur la base d'un malentendu apparent s'institue
un débat qui
tend à être r~duit à celui entre les
in-telle ctuels
"tradi tionali stes". "i dolâ tres" devant
les valeurs et le Dass~ africains,et les intellectuels
"modernes",iconoclastes faisant fi
ou table rase de
,
leur passe.
Or en r~alit~, les d~bats aussi bien celui sur la
"drummologie"
que celui
sur la "philosophie africaine"
critiquée comme de l'ethnophilosophie,
portent sur des
thèmes politiques en rapport avec toute la collectivité
nationale ou toute l'Afrique.
(1) Hountondji (p) Sur "Ia Bhilosophie africaine",Paris
!1aspero, 1977
(2 ) Mbargane Guisse (y)
"Philosophie afric~ine ou
mat6ri,'<1isLle scientifique ?" in Jonction,
mai 1981 nO 4

710.
Souvent en fait.
c'est l'Afrique entière et son devenir
qui sont au centre des débats.
Dans le cas de la "querelle autour du tam-tam" par
exemple.
Wondji(l)
n'a pas hésité à y voir un débat plus
large concernant l'étude du passé et portant "pour
l'essentiel sur l'identification de la civilisation
africaine et sur sa situation dans le monde actuel".
Et à propos du débat sur la "philosophie africaine".
,
.
Eountondji a pu e crlre
:
"Ce qui
Gst cr, C3.use.
au fond.
c'est
d'une part la possibilité pour nos peu~les
d'évoluer.
de se transformer.
en surmontant.
par un mouvement autonome de dépassement.
les faiblesses multiples qui ont provoqué
à un moment donné leur défaite devant
l'Occident.
C'est aussi.
d'autre part.
le
statut de l'individu dans la société africaine
moderne.
~a question des libertés
démocratiques.
et en particulier de la
liberté d'expression.
Comme discours du
pouvoir.
l'ethnophilosophie est en effet.
dans le contexte politique actuel.
une
arme redoutable aux mains des conservateurs
et des ~raditionalistes". de tous ceux
qui voudraient clore prématurément notre
histoire"
(2).
(1) Wondji
(Ch)
"Pour la production d'un discours
scientifique en Afrique in I.D.
du 16 mars 1980
nO 475.
p.
26
----
(2) Hountondji' (p)
"Sens du mot "Philosophie" dans
l'expression "Philosophie africaine" in Le Koré
nO
spécial Philosophie africaine.
1977.
p.
24

711.
De son côté, Mba~gane Guissé,
critique par ailleurs
d'Hountondji et des
"philosophes révisionnistes
anti-marxistes"
prisonniers de la philosophie
occidentale,
notera que le débat sur la philosophie
africaine est "un débat de fond qui
concerne
l'avenir
i~tellectuel et culturel des Africains d'aujourd'hui ... "(l)
Pour sa part,
i l est convaincu que le vrai probl~me
est "de contribuer aujourd'hui A la rénovation de la
pensée sociale,
condition nécessaire pour donner A
nos peuples l'init~ative historique de leur
libération nationale et sociale
(2)".
Il croit que
'~'enjeu pour les philosophes du prolétariat dans ce
debat,
c'est de créer les conditions de l'av~nement
d'un esprit scientifique qui permette de faire de
l'Afrique de demain une puissance socialiste,
indépendante et ~rosp~ie" (3).
Ainsi,
les questions sur l'Afrique et les peuples
africains et leur devenir hantent l'esprit des
intellectuels africains.
Ils en appellent à la science
contre l'ordre établi,
et ils sont soucieux de "la
production d'un discours scientifique africain sur
l'Afrique".
(l)Mbargane Guissé,
loc.cit.
p.
62
(2)
Idem, p.
67
0)
Ibidem.

712.
Il teste qu'à l'~eure actuelle,
comme le souligne
pertinemment Wondji,
se pose le
"probl~me
ardu des outils de recherche,
d'analyse et de
compréhension de nos réali tés •.• " (1).
:~ais pour ,faire
place à l'esprit scientifique en Afrique,
i l ne
.
.
suffit pas simplement de faire une production
doctrinale dans un esprit doctrinaire et démagogique.
Il ne suffit même pas,
contrairement à ce que pensent
certains intellectuels,
de s'abandonner au "matérialisme
scientifique",
de'plaqtier sur les ,faits et les
ré~lités
un discours se voulant matérialiste ou marxiste et
de tout exprimer en termes d'éçpnomie et de luttes de
classes.
Il faut d'ailleurs convenir que cette manière
de faire ne peut satisfaire que
certai~es personnes
peu exigeantes et critiques à l'égard de la
scientificité ùu marxisme.
Mais peut-être les productions doctrinales,
aussi
bien
des "marxistes" que des 'non marxistes';
sont les
plus
faciles à faire par rapport aux productions scientifiques.
Celles-ci en effet admettent que leur fausseté puisse
être éventuellement démontrée -comme le dit si
bien

Edgar Morin
(2)- tandis qu'une doctrine trouve en

elle-même son auto-vérification,
s'appuyant essentielle-
ment sur la référence à la pensée sacr~lisée du ou des
fondateurs.
(1) Wondji,
loc.cit. p.
26
(2) r·1orin(E)
"La vérité de la science" in Le l'londe
6 janvier 1982,
p.
11 ;
"L'inconnu de .la connaissan(~eu
et "la biodégradabilité de la vérité"
in Pour soitir
du XXème siècle
(lbth3.n 1981) respe~ti\\'eIJeilL Dl'.
71-77 Gt 206-200

713.
Il reste que les productions doctrinales ou idéologiques
ont -a-t-on déjà souligné-
pour fonction essentielle
dans les sociétés dépendantes
comme celles d'Afrique
de
combler en quelque sorte le vide de la contradiction
e~tre les situations sociales vécues et le pouvoir
écorioGique extérieur.
C'est d'ailleurs pourquoi les débats et les
pToductions doctrinales ou idéologiques entre les
intellectuels portent avant tout sur les questions
nationales ou africaines,
donc sur des p~obl~mes
politiques,
e~ non d'abord sur des questions sociales,
encore que celles-ci se m&lent facile~ent à celles-là.
Et on peut noter que l'opposition entre les
intellectuels refl~tent rarement l'affrontement
d~rcct entTe les classes dans le syst~~le de production
d'ailleurs cet affrontement-ci n'est pas le th~me
central et le plus fréquemment développé par les
débats:
la nation,
l'Afrique,
la libération et
le.devenir des peuples,
la modernisation . . .
sont les
th~mes préférés de leurs productions. Les intellectuels
s'opposent et entrent en conflit autour des
syst~rnes
de représentation sociale mais davantage encore
autour des questions politiques
c'est-à-dire des
probl~mes d'intérêt national concernant toute la
collectivité nationale ou l'Afrique.
... / .. ·

714 ..
Mais beaucoup d'intellectuels n'interprètent-ils pas
l'action des intellectuels et les conflits qui les
divisent en termes de lutte
sociale de classes?
2 - Tensions et conflits du milieu intellectuel,
expression fidèle de la lutte de~ classes ?
Pour nombre d'intellectuels qui veulent penser toute
réalité sociale et toute situation en termes de lutte
de classes, i l est un~ évidence que le débat sur la
"philosophie africaine"par exemple est l'expression
pure et simple de la lutte des classes. Mbargane
Guïssé par exemple écrit:
" ••• Les
sociétés africaines actuelles sont
des sociétés de classe / .•• /. Dans ces
formations sociales modernes où
l'idéologie communautaire et féodale
ainsi que certaines des anciennes divisions
en castes et en classes aristocratiques
et féodales
continuent de subsister,
chaque classe a ses intér&ts propres,
ses
valeurs,
sa conception du monde qu'elle
s'attache à défendre à tous les niveaux
de la vie sociale:
économique,
politique,
culturel. Ainsi,
diverses classes ont
leurs interprètes conscients ou non dans
ce débat sur la philosophie africaine.

715.
Ces derniers donnent toujours le point de
vue d'une
classe dont ils défendent les
intérêts sur le plan intellectuel et
philosophique"(l).
Ge même point de vue est repris par Papa Ibrahima Seck
présentant l'ouvrage de Guissé intitulé PhilosoDhie,
Culture et Devenir social en Afrioue noire
(N.E.A. 1979).
Seck affirme
:
"En dernier ressort et quant au fond
dans la lutte sans merci qui oppose les peuples
africains 1... 1 et l'impérialisme i~ternational 1 ... 1,
i l apparaît que le débat pour ou contre la "philosophie"
africaine ne relève pas du théorique.
Derrière les
réponses apportées se profilent des positions de
classes précises,
et par conséquent,
transparaît le
choix d'un ca~p"
(2).
Effectivement,
dans
son livre,
Guissé se préoccupe de
"saisir la nature de classe
et le
caractère idéologique de la "philosophie"
négro-africaine " . Et dans son article cité, de manière
plus explicite peut-être,
i l condamnera la plupart
des intervenants au débat à n'être que soit des
"ethno-philosophes interprètes des intérêts coloniaux
et néo-coloniaux"
soit des
"philosophes nationalistes
bourgeois
" interprètes des intérêts de la bourgeoisie
nationale,
soit des"philosophes révisionniste8 anti-
marxistes" afin de mieux se poser avec d'autres sans
dc~te en "philDsophes interprètes des intérêts du
prolétariat et des peuples africains ".
(1)
Guissé
(y.:,j.)
"Philosophie africaine" ou matérialisme
scientificuG ?" in .Jonction,
moi 1981,
nO
4 D.
62
( 7,)
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'--.'-.-1 .....
,-,Il
·L
LJlOn
G . . . L L
~l0;:'OUP.~
J1bargane Gilisse auteur de l'ouvrage "Philosophie,
Cul turc et D8venir so cial en Afrique noire" in
JOllction,
mai 1981 nO L,
pp.
45-46

716.
Ainsi,
un Hountondji ou un Towa qui se sont laissés
traiter souvent de marxistes se retrouvent chez
Guissé ~tre des philosophes r~visionnistes' anti-
~ar~istes ne pourfendant l'ethno-philosophie que
pour 'lIieux se su1:DrdoŒler à la philosophie or:cidentale
considérée comme une science à part entière. Guissé note que
l'abandon des
"traditions africaines" ne se 'fait qu'au
profi t d'un 'alignement ir,condi tionnel à la tradi tion
universitaire 'occidentale". ' Il
pou,Tsui:,
:
f!Sous
le couvGrt d'un marxisme vidé de sa sUDstance,
de
.-
con caractère de classe,
on tente de s11bstituer
au débat posé un autre,
celui de l'existence de
philosophes africains"(l). Hountondji et Towa
ainsi que !J 'Krllmah et Arno ne sont,
au dire de
Guissé, que des éléments de la "petite bourgeoisie
intellectuelle,
élitiste".
... / ...
'
(1)
Guissé, loc.dt. p.
66

71 7.
Cet élitisme qu'on leur reproche,
Hountondji ne l ' a
jamais accepté.
Il refuse qu'avec Niamkey Koffi
et
d'autres
(1)
on voie dans la distinction qu'il
établit entre un sens large et un sens étroit du
mot "philosophie", .entre un sens vulgaire et un
sens rigoureux,
l'opposition classique entre
l'opinion et la science,
entre le faux et le vrai
savoir;
et gu'ou-voie en cela le sivne de son élitisme et h
manifestation d'une lutte pour le pouvoir menée
par lui et les philosophes par profession,
et en
dernière analyse la manifestation d'une lutte de
classe.
Il récuse que l'exigence exprimée par lui d'un
retour au sens strict du mot "philo;ophie"
tradllise
une
conception "éli tiste"
et "idéaliste" de la
philosophie.
Il critique alors
"ce rabattement
immédiat du théorique sur le politique"
qui "relève
d'un matérialisme mécaniste étranger à toute
dialect~que, méconnaissant la spécificité et
l'autonomie des diverses instances du tout social" .
.. ./ ...
(1 )
- iJiar.;key. Koffi
-
"1'impensé de To',;a et de Rountondji"
in Le ~orè, 1976 hO l
-
"Controvers.e sur l'existence d'une
philosDphie africaine in1e Korè
1976 nO 2 et 3
- Olabiyi J.
Yai,
"Théorie et pratique en philosophie
africaine:
misère de la philosophie spéculative
(critique de P.
Hountondji,
M.
Towa et autres)
in
Pré~ence africrrine, 1979, nO 108

718.
Pour sa d~fense, Hountondji explique que son geste de
rejeter une certaine id~e de la philosophie est tout
semblable à celui
d'un Marx et d'un Engels dans
L'id~ologie allemande donnant un congé brutal et
défiEi t i f à
"1 'idéologie".
Trai tera-t-on pour cela,
dit-il,
les fondateurs du marxisme d'~litistes ? •
Hountondji ne croirait-il donc pas au
contenu de
classe du débat sur la philosophie africaine? Sur
le dos de
"La philosophie ba.ntoue" de Tempels en
particulier et de l'ethnophilosophie en général,
i l est d'avis que celles-ci permettent aux classes
dominantes de pé-renni ser leurs intérêts.
Mai s
cont~airement à Guissé, Hountondji ne semble pas
avoir soutenu péremptoirement qu'il parle "à partir
des positions politiques du prolétariat"(l),
même
s ' i l souhaita que le plus grand nombre possible de
philosophes et d'intellectuels empruntent l~ voie
qui passo
"effectivement sur les positions
prolétariennes . . . "(2)
(1) Guissé(Y.B.)
op.cit.
(Avant-propos)-
(2) Hountondji
"Que peut la philosophie ?" in
Pr~sence Africaine, 1981 nO 119, p. 71

719.
L'un et l'autre expriment-ils par l i m~me leur
position de classe et leur divergence reflète-t-elle
la lutte de classes ?
De manière générale,
le problème i
propos de
l'interpréta-tian du débat su'r la "philosophie
africaine"
en termes de lutte de classes est qu'on
se dispense facilement de voir quP le débat se
passe entre marxistes.
tirant chacun le prolétariat
de son
cSté et sten pr~t8ndant l'interprète exclusif
de voir que le débat se passe aussi
entre marxistes
et non marxistes;
entre ceux qui,
de manière autcritaire
et sectaire.
s'arrogent le droit excl~sif de parler
au nom des
classes populaires et CCliX qui.
intellectuels
eux aussi.
se croient le droit et le devoir de
s'exprimer au nom de
ces m~mes classes;
de voir
que le débat est aussi
celui qui oppose les
intellectuels qui
soutiennent les pouvoirs
en place
et ceux qui les combattent;
qu'il est aussi ct à
la fois
celui de tous
ceux qui se combattent pour le
pouvoir intellectuel de décider avec autorité
de la
manière de penser les problèmes de l'Afrique.
Quel écheveau
!
... / .. ·

720.
C'est pourquoi tout réductionnisme dogmatique
et doctrinaire,
même au nom d'une
classe,
ne
peut servir et
dire
en même temps que la volonté
de protéger le rôle qu'on se donne
d'être le révolutionnaire authentique au service
exclusif du prolétariat et i'interprète unique
des lois de l'histoire.
Les positions doctrinales et doctrinaires parlent
bien plus haut que les
classes.
Et i l paratt po~r
le moins r~ductcur de considérer que toute conduite,
intellectuelle,
culturelle ou sociale,
n'est rien
d'autre qu'un ensemble d'attributs de situations
de cl3.sses.
Dans le cas du débat sur la "drummologie",
l'inter-
prétation en termes de lutte de classes a
été faite
aussi.
Pour certains universitaires avec lesquels
i l a
été possible de discuter de manière informelle,
i l n'y a aucun doute que ce débat a mis en évidence
les positions de classes des intervenants:
celles
de l fini tiateur de la "drummologie" et de ses
"défenseurs"
sont réactionnaires et celles des
détracteurs,révolutionnaires.
Mais comment a
été construite la catégorisation des
positions de classes?
... / ...

721.
Il semble qu'on s'en soit tenu à des éléments
aussi subtils que le fait que
certains détracteurs
ont affirmé le caractère "élitiste" des discours du
tambour royal
"Attoungblan",
souligné que ce
tambour était contrôlé par la classe sociale au
pouvoir et non par le peuple
(1)
(1)
Za::l.i .8ar '~::er:L=-e 2ffirT:'lC :
"
. . .
Il faut dire
que les sociétés Akan dans lesquelles se pratiquait
l'Attollngblan royal et auxquelles se réfère le
professeur Nia~goran, étaient des sociétés marquées
par des oppositions de
classes aux intér&ts
antagonistes".
Ou encore:
llL'Attounilblan
.. ,
était
un instrw::ent de pouvoir poli t.ique 1... 1 Cet
Attoungblan était donc contrôlé par la classe
so~iale au pOllvoir et non par le peuple. Dans ces"
co~ditions, la parole que libérait l'Attoungblan
pouvait-elle refléter l'opinion des
simples gens
qu'on opprimait? Que non pas
! .•• " in I.D.
du
16 mars 1980, nO 475 p. 31
Dans son intervention,
Assa Koby récusera et critiquera
co~me tronquée l'interprétation que Zadi fait du
rôle du tambour Attounbblan.
Il note que Zadi fait de
l'Attoungblan comme nécessairement un instrument du
pouvoir politique contrôlé par une
classe aristocratique
et non par le peuple.
Or,
affirme-t-il,
cela n'est
pas exact,
car toutes les sociétés qui
utilisent
l'Attoungblan
"n'étaient pas aristocratiques et
marquées par des oppositions de classes aux intérêts
~ntagonistes". Il précise à titre d'exemple:
"La société sans Etat et à
classes d'âges des
Adioukrou 1 ... 1 n'avait pas de roi. Elle possédait
pourtant ses experts de tam-tam,
à l'instar des
al:tres
gro~peD0nts ethnico-c~lture1s Akan 1... 1
Dans cette société Adioukrou,
le pouvoir appartient
collectiveGent à toute une classe d'â~e pour une
"période de huit ans".
(loc.cit.
p.
47)
.

722.
que d'autres ou les mêmes ont manifesté leur anti~
colonialisme par la condamnation sans appel de
l'anthropologie,
de l'ethnologie et de l'ethnographie
déclarées sciences coloniales,
ainsi que de leur fille
la "drummologie ", et~~elé l'Afrique à aller de l'avant
sans se laisser perdre ~ar des "fourmis-magnans i~olées
de leurs colonnes". Bref,
un accent révolutionnaire
progressiste semble avoir séduit ceux qui ont voulu
voir dans ce débat un affrontement entre des
positions révolutionnaires et des positions
réactionnaires exprimant la lutte 'des classes.
Mais,
à vrai dire, le problème du débat sur la
"drummologie"
siest-il posé d'une part en ternes
de conduites et de positions mettant en cause la
domination sociale et le mode de reproduction des
privilèges,
et d'autre part en termes de conduites
et de positions défendant l'ordre établi et
justifiant la domination de classe?
Il semble que non,
Et pourtant,
on a pu réduire
la, "querelle"
autour de la "drummologie"
en une
"mimesis"
idéologique des luttes des groupes et
des classes dont les intervenants se faisaient les
champions
et on a pu affirmer que derrière les
p~ises de positions se profilaient les positions
de classe.
... / .. ·

723.
Mais
tout cela n'est-il pas vite d i t ? Ne sIest-on
pas laissé aveugler par une vision manichéenne
mécaniste qui
réduit toute vie sociale à
l'affrontement de deux camps,
qui oppose globalement
deux mondes,
finaleme~t celui du Bien et celui du
Mal? Ne s'est-on pas laissé borner et berner par
une visée du monde qui oblige à ~xpliquer tout et
n'importe quoi par la lutte des
classes et à réduire
la réalité sociale complexe à un discours clos et
sectaire pour lequel n'importe quelle situation
concr8te est une simple illustration directe
d'un conflit social fondametltal
de nature économi~ue ?
Hais
enfermé sur lui-même,
ce discours ne se dispense-
t - i l Das allèçrement des faits Dour éviter de se

0
"
laisser démentir? Il s'en protège.
Et i l ignore que,
sociologiquement,
réduire un
acteur individuel ou collectif à des attributs de
classe,
c'est le séquestrer dans un système de
domination o~ il ne peut être réellement acteur,
écrasé qu'il est par le système;
qu'emprisonner
un acteur dans un
ensemble de rapports entre les
positions sociales,
c'est affirmer du même coup
que la société n'est qu'un ordre dominateur et
soutenir en fin de
compte que les hommes sont
simplement des instruments de leur histoire mais
que celle-ci se déploie au-dessus de leur tête ou
les charrie

724.
Or les hommes font leur histoire. Marx l'a affirmé
nettement. Son enseignement n'aurait-il pas été
entièrement entendu ?
Que n'a-t-on pas dit aussi au cours du débat sur
les intellectuels africains et du débat lui-m~me ?
Ici encore, la lutte de classes a été l'interprétation
que des participants à ce débat ont voulu donner de
celui-ci et de son contenu. P~ur eux,
tout le débat
à travers le contenu manifeste des prises de position
et des points de vue a mis à nu les positions de
classe des intervenants.
Ef.fect.i veT'lent,
CelJX qui parlent en termes de luttOe
de classes se fondent,
à la vérité,
sur la manière
doctrinaire dont se sont exprimées les positions
doctrinales : les affrontements doctrinaux et
les schémas d'analyse opposés sont considérés comme
l'expression de la lutte de classes ..
Quels sont les faits ou les positions défendues?
... / .. ·

725.
Tandis que certains participants au débat caractérisent
l'intellectuel par son rapport au savoir
(1),
d'autres
ne veulent le définir que par rapport aux classes
(2)
(1)
"L'intellectuel,
c'est celui qui,
dans la société,
a un
rapport au savoir.
Dans une société prise
comme un organisme où les parties
sont en rapports
fonctionnels,
l'intellectuel
est celui qui,
alors oue d'autr6s ont d'autr~s r31es Dr~cis,
joue u~ raIe intellectuel, vi~ de ses idées, est
en~avé au service d'une id~8. L'intellect~el,
c'est donc celui qui
vit de
ses idées,
qui
écrit,
etc. "
(2)
"C'est plutôt à partir des bases économiques
qui
définissent les positions de
clusses que
je définis un intellectuel.
L'intellectuel,
c'est celui qui ne fait pas de
travail manuel
mais un travail
de l ' e s p r i t :
par exenple les
ingénieurs, les avocats,
les m?decins,
les
artistes,
les "enseignants . . .
Ces intellectuels
sont une
couche intermédiaire et n'ont pas
de position indépendante dans le
syst~me de
production;
l'intellectuel ne
contrale pas
un système de production
;
i l partage le
sort des
classes moyennes".

726.
tandis que certains affirment que le capital culturel
confère à celui qui le d~tient un pouvoir et le
fait participer à la domination sociale (1),
d'autres
soutiennent que les intellectuels ne sont pas des
détenteurs de capital économiqùe
: ils forment une
couche flottante entre les
classes fonàamentales
et n'ont pas de pouvoir spécifique
(2)
; .
(1)
"L'intellectuei,
c'est celui qui
est ainsi désigné
pour avoir un rapport au savoir,
dans toute saciété.
Ce rapport au savoir ne permet-il pas d'avoir un
pouvoir sur les autres? N'est-ce pas ceux qui
détiennent le savoir,
dans toute société,
qui détiennent
le pouvoir? Dans les sociétés modernes,
les membres
de la classe dirig~ante sont àes intellectuels.
Quel est donc le pouvoir spécifique des intellectuels ?
Il réside dans le savoir.
Cer0ains manient des idées,
et d'autres,
à partir de leur instruction,
diriGent
le pays: i l n'y a pas de dichotomie entre intellectuels
et dirigeants.
.
Celui qui a un rapport direct au savoir a un pouvoir.
Originellement,
tous ceux qui détiennent le savoir se
classent dans la classe dominante de la société.
/ .•. /
Le rapport au savoir étant le point de départ,
i l est possible qu'on utilise le savoir à des fins
politiques,
esthétiques,
créatrices et économiGues / •.. /
Maintenant,
si on veut considérer les intellectuels
qui ne participent pas directement au pouvoir,
on peut
citer les ensei~nants, les écrivains,
etc.
Cela dit,
i l faut répéter"que les dirig'8ants sont des intellectuels. Il
(2)
"Les intellectuels font partie des
classes moyennes
ils n'ont pas de projet de société.
Ils ne sont pas
homogènes
:
certains parmi
eux peuvent défendre les
intér~ts des groupes dominants, d'autres les intér&ts
des grou~es dominés.
-
"Les intellectuels ne sont pas un groupe homogène.
Ils prennent des positions en fonction des intér&ts
de classes".
-
II·Les intellectuels sont considérés par vous comme
un groupe homogène. On oublie que certains adoptent
des positions correspondant à leurs intér&ts / ... /
Donc devant les travailleurs présents, i l faut
insister sur ce point et éviter de mettre tous les
intellectuels dans le m~me sac,
comme s'ils étaient
interchangeables face à la classe dominante.
.
L'intellectu"el adopte des ~ttitudes correspondant A
ses intér&ts.
Celui qui a des intér&ts avec les
classes. populaires adoptent des attitudes
conséquentes.
Donc c'est la position de classe qui
amène à avoir telle ou telle attitude envers la
classe dominante ou la classe populaire".

727.
tandis que certains soulignent qu'il y a presque
antinomie entre la qualit~ d'intellectuel,
de
"vrai"
intellectuel et le fait d'être au pouvoir ou dans la
classe dirig€ante
(1),
d'autres n'acceptent pas le
manich~isme qui distingue entre les vrais intellectuels
et les autres et ne voient pas non plus pourquoi on
perdrait imm~diatement la qualit~ d'intellectuel du
fait qu'on entre dans le pouvoir -même pour y jouer
un rôle intellectuel
(2)
(1)
-
"On cesse d'être intellectuel une fois qu'on est
dans la classe dirigeante"
-
"Un intellectuel,
c'est celui qlli vit de ses productions
artistiques,
litt~raires ou acientifiques. A partir du
moment où on participe au pouvoir,
on n'est plus
ir::tellectuel" .
-
"Ceux qui sont au pouvoir sont des intellectuels ou
du moins sont parfois des intellectuels;
parfois aussi,
ce sont des ignorants qui
sont au pouvoir mais qui
utilisent alors des intellectuels pour arriver à leurs
fins.
Il n'y ~ donc pas lieu de confondre d'embl~e les
intellectuels avec la classe au pouvoir.
L'intellectuel a le s~voir et i l le met au service
d'un groupe social donn~. Il peut servir la bonne
c~use ou l'autre.
L'intellectuel est
celui qui porte une r~flexion ~ritique
sur la soci~t~, fait des analyses et fait une ~mise en
cause de la société.
Quand i l analyse,
s'interroge,
i l
i;.quiète.
Les vrais intellectuels sont ceux qui
remettent
en cause,
qui
essaient d'am~liorer la condition pr6sentc".
-
"L'intellectuel,
c'est un travailleur non manuel/ . . . i
q~i vit des idées, qui en consomme, qui a conscience
d'être la sentinelle de la soci~t6 ;
car i l pense qu'i~
a
un rôle à jouer dans l'orientation historique de la
soci~t~. Souvent, il est dans une situation inconfortable,
car lesid~es, les vraies sont celles qui d~rangent le
pouvoir. Et l'intellectuel,
c'est celui qui dérange le
pouvoir.
(2)
-
"Je ne suis pas d'accord avec la division mani-
chêiste des intellectuels
:
les bons et les méchants,
ceux qui se sacrifient pour la cause de la société et
d~rangent le pouvoir et ceux qui sont avec lui .•. "
-
"Je ne vois pas pourquoi i l faudrait
considérer
l'intellectuel uniquement comme
celui qui s'oppose au
pouvoir,
celui qui refuse le conformisme.
Il y a en
effet des intellectuels qui participent au pouvoir,
mais
qui émettent des id~es qui permettent à la société d'avancer"
-
"Senghor,
écrivain et président de la R~publique n'est-
i l pas un intellectuel ?"
-
"Il est dangereux de définir l'intellectuel exclusive-
ment'par sa fonction de crit~que du pouvoir.
Car,
dans
l'hypothèse d'une société "idéale" où les ouvriers seraient
au pouvoir,
qui
seraient alors les intellectuels? Les seuls
réactionnaires qui
critiqueraient ce pouvoir ouvrier ?"
-
"Les intell.ectupls peuvent représenter une force
sociale
f~ite de r6flexion et d'uJ1alyse critique. ~!~~e quand ils
p2..:,ticiperit au pouvoir,
ils Il 'en continuent pas moins
d'être
des hom~es de réflexion et d'analyse,
ne
serait-ce
que pour cautionner le pouvoir et justifier par leurs
analyses le bien-f0ndé et la jllstesse de la
sociét~ telle
ql:' 011·02
8xi stG n.

728.
tandis que certains font remarquer que les
"vrais"
intellectuels prennent
fait et cause pour les classes
populaires parce qu'ils ont leurs intérêts liés à
ceux
de ces classes et que les autres s'engagent ~ux côtés
de la bourgeoisie parce que leurs intérêts les poussent
vers cette classe-ci
(1),
d'autres insistent sur le fait
que c'est moins l'intérêt que l'écoeurement et la
révolte qui
conduisent les intellectuels à s'allier
aux classes populaires et à faire
éventuellement avec
elles la révolution par exe~D1e (cl):
-.
(1)
-"Quel que soi t
son pou-voir cl 'achat,
on est d'une
classe ou d'une autre.
On peut acquérir un pouvoir qui
peut effacer ses origines
(paysanpes par exemple),
on
peut paraître bourgeois par son statut et ses biens,
mais ses idées peuvent rester paysannes par la défense
des intérêts de
ses oriFines sDcialeé.
Dans la mesure
o~ on n'a pas les moyell~ de production, dans la mesure
o~ on ne participe DBS récll~~cnt à la classe dominante,
avoir un pouvoir d'acha~ qui dépasse celui des classes
défavorisées ne veut pas dire
: participer au pouvoir
poli tique.
C'est pourquoi i l j':i,ut y avoir des g9ns qui
défendent la
classe dominée tout en paraissant appArtenir
à la classe dominante".
-
"L'intellectuel peut se placer volontairement dans la
position de classe d'un ouvrier
~ un ouvrier peut se
placer dans la position do
classe d'un bourgeois".
-
l'C'est l'intérêt lié avec los masses populaires qui
or~ente les intellectllcls vero les paysans.
Il y a des
intellectuels qui
s'en':aEcnt vsrs la bourgeoisie parce
qu'ils ont leurs intérêts liés avec elle.
Une position de classe,
c'est une position qu'on adopte
soit parce qu'on appartient à la classe soit parce qu'on
a décidé de lier désormais son sort à
celui des autres".
(2)
"Moi,
je définis
toujours l'intellectuel par rapport
au savoir qui
donne aux intellectuels un pouvoir qui
es~
souvent un pouvoir de persuasion.
C'est toujours les
intellectuels qui prennent fait et cause pour les ouvriers
pour faire
triompher leur position
(celle des ouvriers)/ . . . /
On dit que lesintellectuels prennent fait et cause pour
les ouvriers parce que leurs intérêts se confondent
absolument avec ceux de la classe ouvri~re. Pour moi,
en tant qu'assistant de philosophie,
je ne me
consid~re pas comme de la classe paysanne à cause de
mes origines. Pourtant,
si
je prend fait et cause pour
cette classe,
c'est qu'il y a des situations qui me
révoltent et m'écoeurent'1

729.
Certains parmi les participants refuseront aux
intellectuels la possibilit~ d'avoir un projet de
soci~t~ ; car. soutiennent-ils, un tel projet ne
peut être que celui
des classes
fondamentales
:
les intellectuels en t~nt que faisant
partie des couches moyennes flotta~tes entre la classe
ouvrière et la bourgeoisie ne peuvent avoiy de projet
de soci~t~ propre ; ils peuvent formuler ou claYifier
u~ projet de soci~té ; ~ais celui-ci ne peut être
que celui de l'une ou de l'autre classe
(1).
(1)
-
"Les intellectuels font partie de la classe
moyenne;
et cette classe n'a pas de pyojet de
soci~t~.
Pourquoi? Parce qu'il n'y a que dellx tYDes de pr6jet
de soci~t~ qui n'existent en f~it qu'en fonction des
deux classes qui ont des projets de sociét~ : l~
classe bourgeoise et la classe ollvri~re. L'int~llsctuel
selon qu'il est patriote et pr~ressiste. s'oriente
vers les ouvrieis parce qu'il se veit exploité
co~me
eux."
-
"Quand j'examine la soci~té ivoirienne par exemple,
je vois des gens opprimés,
ceux qui
travaillent avec
leurs mains ou leur tête.
et ceux qui opprimcn~. Ceux
qui oppriment,
ce sont ceux qui ont l'argent et vous
font
travailler 1 ... 1 Par rapport ~ cola, u~.projet
de soci~té est toujours celui de cciux qui font travailler
ou celui de ceux qui travaillent.
Dans
ce cadre, quel
est le rôle des intellectuels ? Caoables de r~fl~chir,
les intellectuels,
ensemble avec l~s exploit~s 1 ... 1
peuvent proposer un projet de société qui n'est pas
propre aux intellectuels fuais est celui ès oppYimés".
-
'~ar exemple, il y a des projets élaborés par les
ouvriers.
Ces projets peuvent être formulés par les
intellectuels. Et si les intellectuels formulent un
projet.
ce projet ne peut être réalis~ que s'ils ont
l'appui des masses populaires".
-
"Les intellectuels qui se prétendent du côté des
ouvriers n'ont pas un projet ~ eux. Leur projet doit
se confondre avec celui des ouvriers et non être le
projet des intellectuels.
Ainsi,
c'est ne pas être
progressiste que de vouloir même définir
tout seuls
un projet au-dessus et en dehors des ouvriers"

'730.
D'au'ires affirmeront d'une )pri;.
que les inteTI.ectu.E:ls
peuvent
avoir un projet de société,
même si,
de par les
fonctions
concrètes qu'ils occupent dans la société,
en tant qu'enoeignants par exemple ou autres,
ilssont
conduits à favoriser la réalisation d'un projet qui
n'est pas le leur, std'autre part,
i l n'est pas
évident,
soutiennent-ils,
qu'en Afrique ce soit toujours la
classe ouvrière qui ait conçu des proj'ets de société
socialiste comme au Congo,
au Bénin,
etc.
(1)
(1)
-
"L'intellectuel vit une contradiction permanente.
L'intcl18ctuel a
toujours
un projet de
société mais
qui reste purement, abstrai t,
un proj et idéel.
Par, sa
formation,
i l participe ~ la réaJ.isation d'un ~rojet
de so~iété qui n'est pas le sien. Par exemple,
un
professeur, ~ar son enseignement,
et donc par un
programme qU'il enseigne,
travaille pour un projet de
société qui
est·traduit dans lesprograomes dont i l
n'est pas l'initiateur.
Cela n'emp&che pas l'intellectuel
d'avoir son projet propre.
Il réalise un projet qui
n'est pas le sien;
son projet personnel reste
souvent imaginaire rf •
-
"Est-ce les ouvr-iers qui,
au Conso et au Bénln,
pays
socialistes et de démocratie populaire,
ont conçu
le type de société qui
s'y met en place,
ou est-ce
les dirigeants qui ont apporté dans
ces pays une
telle conception de la société ?"
-
"Les ouvriers,
compte tenu de leur niveau de
formation faible,
et du fait de leur aliénation,
de
leur exploitation,
n'ont pas la faculté de
concevoir
un Etat.
A ce niveau,
les intellectuels ont un rôle
à jouer •. Moi je pense que les intellectuels,
tout en
luttant pour les peuples,
ou en adoptant les positions
de
ceux-ci ont leur propre projet de société
:
ainsi
en est-il de Castro et d'autres intellectuels qui
••• "

731.
Ce sont toutes
ces divergences
et oppositions dans
les définitions et les analyses qui ont rendu possible
l'interprétation des affrontements verbaux des
participants à ce débat en termes de luttes de classes.
~ais peut-on valablement accepter de penser que ces
divergences et oppositions expriment directement les
conflits de positions de classe des intervenants et
ont un rapport direct avec la lutte de classes en
Côte d'Ivoire? Dans quelle mesure par exemple la
définition des ~ntellectueis par rapport aux classes
sociales traduit automatlquement une position de classe
en fa veU17 des cll'.sa:c pOI-,jb-rrcs?
L'emploi de mots
chargés
de sens social peut-il manifester infailliblement une
position de classe personnelle?
Dans quelle mesure
expliquer
que
les
intellectuels s'allient
aux
classes
en
fonction de leurs intérêts ou que les intellectuels
ne peuvent pas avoir de projet de so~iété propre
est une
position
plus ajustée
aux intérêts des
crasses dominées qu'umautre qui ne partage pas ces
analyses ?
... / .....

732.
Jusqu'à quel point -et pour prendre un exemple en
dehors de l'Afrique- l'intellectuel Michel Foucault
trahit-il sa position de classe en disant ceci
des
intellectuels
:
"Eux-mêmes, intellectuels,
font partie
de ce syst~me de pouvoir,
l'id~e qu'ils
sont les agents de la 1!conscience" et du
discours fait elle-même partie de ce
syst~me1!. Et il ajoute: "Le rôle de
l'intellectuel n'est plus de se placer
"un peu en avant ou un peu à
côt~" pour
dire la v~ri té muette de tous ;
c'est
plutôt de lutter contre les formes
de
pouvoir là où i l
en est à la fois l'objet
et l'instrumerlt
:
dans l'ordre du "savoir",
de la
"v~rit~", de la "connaissancd", du
"discours"
(1).
Toutes èes questions
conduisent à
ces interroGations
y a-t-il affrontem-ent et confrontation de positions
r~elles de classe des participants au d~bat et au-delà
lutte de classes ou simplement affrontement-et
confrontation de positions doctrinales et doctrinaires
et de sch~mas d'analyse marqués par l'id~ologie ?
(1)
Foucault
(M)
"Les intellectuels et le pouvoir'!
(Entretien Michel Foucault-Gilles Deleuze)
in
L'Arc, 1972,
nO 49, p.
4

733.
Autrement dit,
doit-on
convenir que les
classes
inspirent chaque intellectuel
et parlent par sa
bouche,
ou plus simplement que les prises de
positions se font à l'intérieur de positions
doctrinales ou id~ologiques qui prétendent expliquer
les unes mieux que les autres la vérité des
classes
et des intellectuels?
Peut-être pouvait-on espérer que l'analyse de la
pratique réelle des ulliversitaires ivoiriens ap~orte
de précieuses infc~~Qtions sur leurs positions et
prises de position.
Malheureusement,
le point du
débat p~évu sur le rapport des intellectuels
au'
petit personnel
dG~estique qu'ils emploient
(boy,
bonne . . . )a éë/peu
a.t-~-rofonJLe. voire escamoté .0) .
.. ./ ...
(1) La fatigue
sûrement -nous étions à la troisième
séance- mais aussi l'énervement subséquent RUX
incomnréhensions et aux affrontements doctrinaux
ont d~nné lieu à des subterfuges pour refuser un débat
approfondi.
Par exemple,
on a dit que les questions
(cf.
annexe)
étaient formulées dans un esprit
polémique et traduisaient l'agacement de celui qui les
a préparées.
On a
fait remarquer aussi que les questions
étaient "inquiétantes ll
car elles semblaient avoir la
prétention d'a~ener les intervenants à "trahir"
séance
te:lante leur a~tit~de progressiste ou
.
réactionnaire ou encore voulaient faire définir un
projet de société par une table ronde.
!1ais on dol tpeùt-être reconllaître que les questions
étaient
tout comptefai~ assez impliquantes.
Cela n'a sans doute pas
favorisé le débat et son approfondissement.

734.
La discussion a tourné court;
mais i l a fait
réapparaître rapidement les positions doctrinales
ou idéologiques
(1)
(1) Ecoutons les participants au débat échanger à
propos du respect ou du non respect du taux officiel
auquel devaient être payés les boys,
les bonnes . . .
-"Le taux consenti aux boys ne suffit pas pour
permettre de qualifier queL~u'un de progressiste
ou non.
Il faut plus que cela.
Car i l y a
certainement
des r~actionnaires qui paient au-dessus du taux officiel"
-
"Mais alors,
ne doit-on pas reconn~ître que le taux
officiel
est au moins un droit dû auquel le progressiste
ne peut se dérober ?"
-
"On est dans une sociét~ d'exploitation o~ on a
l'habitude d'employer des boys qui libèrent pour faire
son+travail.
Le problème n'est pas de savoir si on n'est
pas progressiste parce qu'on utilise un boy ou ~u'on
l'est parce qu'on n'en emploie pas.
Tout dépend du
type de rapport qll'on a avec lui".
-
"Le boy sous-pay~ peut être amené même à se poser des
questions,
à se de~',ander par exemple pourquoi il ,,'est
pas payé au taux officiel
;
i l pourra vouloir faire
quelque chose.
Ainsi
se développe chez lui la prise
de conscience".
-
"Les rapports entre boys et patrons sont des rapports
ouvriers-patrons;
mais i l
faut faire attention.
Car i l
y a des rapports o~ sont mises en évidence des
contradictions plus importantes.
Le rapport du bciy
qu'on paie en se serrant la ceirlture renvoie à un
rapport qui n'est pas représentatif des rapports
ouvriers-patrons.
Dans la société capitaliste,
i l
y a des détenteurs de moyens de production et
ceux
qui
~ravaillent. Cette contradiction est plus importante
que les autres qu'il ne faut pas monter en flèche.
La contradiction fondamentale,
c'est celle qui oppose
les capitalistes aux ouvriers".
-
"N'est-ce pas aussi au nom
de la
contradi ction
fondamentale entre nations exploiteuses et nations
exploitées que certains dirigeants africains
demanderont de ne Das monter en flèche la contradiction
intérieure entre c~ux qui, au sein de la même
nation pauvre,
possèdent et ceux qui n'ont rien?
Il

735.
Il n'y a rien d'~tonnant en fait puisque la production
doctrinale ou idéologique -on l'a déjà dit- est
quasiment caractéristique du milieu universitaire dans
les pays dépendants.
Ce milieu n'a-t-il pas besoin
en effet d3 combler le vide de la contradiction entre
la situation sociale nationale vécue et la domination
économique étrangère? Et n'a-t-il
pas beSOln peut-être
aussi de se masquer les contradictions objectives
que vjvent les intellectuels dans ces types de sociétés?
Il reète qu'~ travers tout le débat entier, le désir
lOt la volonté des intellectuels-- de se si tuer par
rapport au peuple des exploités et des exclus ont été
manifestes. Et on pBUt se demander si cette volonté
et ce désir comm»ns exprimés et v~cus dans des positions
, .
doctrinales et attitudes doctrinaires opposees ne
sont pas à l'origine de cette manie qu'ont les intellec-
tuels de se condamner mutuellement à être _
des
réactionnaires
ou au contl'aire se
prévaloir
les uns plus révolutionnaires ou progressistes que
les autres?
Il faudrait plus qu'on ne peut le faire ici interroger
la volonté et le désir des intellectuels d'être du
peuple,
de la masse. Les intellectuels,
en particulier
ceux qui se veulent progressistes,
en réfèrent-ils
et se réfèrent-ils constamment aux masses popUlaires
pal'ce qu'ils se croient des exploités comme elles?
... ! ...

736.
Leurs origines
sociales expliqueraient-elles que
beaucoup prennent fait et cause pour elles?
L'intérêt commun avec celles-ci rendrait-il compte
de leur conduite? Faut-il
croire,
comme Seurin
(1)
parlant des élites· sociales en général,
que leurs
positions et attitudes sont dictées par la
"mauvaise conscience
née du contraste entre leur
situation privilégiée et la situation misérable de
l'ensemble de la population ?" Et ouelle est la
part du marxisloe dans les positio~3 adoptées et
quel
rôle joue-t-il
dans le milieu intellectuel
africain? Autant de qUes~ions intéressantes qui
mériteraient d'~tre approfondies les unes apr~s les autres.
Nous considérerons
seule"lent la dernière " relative au narxis~,e
,
dans le milieu intellectuel et
&
son rôle dans les
oppositions et conflits.
De manière peut-être
indirecte,
cette question va être examinée.à propos
de deux problèmes qui
ont donlé lieu à ê,=-s po:ints
de vue
contradictoires dans le débat sur les intellectuels,
à savoir la place structurelle desintellectuels et
le-rôle de l'intérêt dans la position de classe
des intellectuels.
(1)
Seurin
(J.L.),
"Elites sociales et partis politiques
d'A.a.F." in Annale .Africaine, Dakar 1958, p. 156

737.
A propos de la place structurelle des intellectuels
dans la société,
une partie des intervenants au débat
a soutenu magistralement que les intellectuels faisant
partie des
couches moyennes ou flottantes
entre les
classes fondamentales,
les uns prennent fait et cause
pour la bourgeoisie et les autres pour le prolétariat.
Cette position est à l'évidence celle de t~us ceux
qui adhèrent à l ' analyse rJarxiste
"orthodoxe" de la
société divisée en deux classes fonda~entales avec
entr~ elles des classes ou COI1Chcs moyennes.
Selon d'autres universitaires,
cette façon de
"placer"
lesjntellectuels africains de la ~5me
~anière que Marx pour les intellectuels de la
soci6té industrielle du XIXème
si~~le, ne saurait
satisfaire pleinement si on considère les réalités
africaines d'aujourd'hui et la situation objective
des intellectuels.
Apparemment donc,
le débat ne concerne pas
directement le fait que les intellectuels peuvent
soutenir de manière différente
telle ou telle cause
ou choisir de manière opposée tel ou tel
camp .
..."/ . " .

738.
L'interrogation porte sur la mani~re de "classer"
les intellectuels
= cette mani~re est-elle en rapport
avec les positions de classe et avec la lutte de
classes ? Que signifie le fait de "placer" les
intellectuels entre les classes fondamentales ou
de procéder autrement ?
Considéror les intellectuels af~icains comme faisant
partie d'une couche moyeIlne entre les propriétaires
du capital et ceux qui n'ont que leur force de travail,
c'est accepter p~einement le schém~ marxiste de
l'analyse de la structure sociale et soutenir du
coup qu'il est valable tel qu'il est pour toute
société de l'histoire humaine,
passée,
présente et
à venir, donc valable pour l'Afrique; et c'est
révéler aussi qu'on est familier de Marx et de ses
analyses et même que,
comme lui,
en tant qU'intellectuel,
on prend une position de classe en faveur de la classe
ouvri~re. Cela est clair. Ce qui l'est moins,
c'est
l'autre mani~re de ranger les intellecGuels africains
du cSté de la domination sociale.
Quelle-est la logique de
ceux qui
soutiennent cette
mani~re de voir?
... / ...

739.
Pour eux,
i l est insuffisant et insatisfaisant de
tenir compte exclusivement du seul
critère de
propriété si l'on ne veut pas parler des
classes
comme de personnages réels,
mais plutôt en termes
de rapports de classes,
surtout dans une Afrique o~
de manière visible la bourgeoisie étrangère y
est
maitresse des moyens de production qu'elle partage
avec l'Etat et quelques catégories socio-professionnelles.
Selon les tenants
de
cette thèse,
à ne considérer que
les seuls rapports de propriété,
on néglige
nécessairement la qUestion importante de savoir
gui devient propriétaire et comment on devient
possesseur de
capital
qui légitime le droit à
disposer du surorDduit social;
on néglige de voir
au-delà des rapports de propriété et par-delà eux.
et on manque de
c~nstater des ra}pOl'ts plus ~tendus de.
domination qui intègrent d'autres modalités que la
seule
propriété.
Pour participer,
affirment-ils, à la gestion et à
l'orientation générale de la société ou pour pouvoir
exercer une influence sur cette gestion et cette
orientation,
et pour avoir an partage,
en bonne
place,
le surproduit social,
i l faut disposer,
sauf
exception,
de
capital
cultur'31
;
; .. / ...

740.
i l faut être,
aujourd'hui,
de ceux qui détiennent
collectivement le monopole du savoir valorisé et
solvable dans les sociétés africaines actuelles.
N'est-ce pas en effet,
poursuivent-ils, parmi les
détenteurs de capital culturel qu'émergent ceux qui
.
.
aujourd'hui accèdent au capital économique après leur
accès aux structures du pouvoir ou grâce à leur
relation au pouvoir ?
Pour les défenseurs de ces positions,
les
intellectuels africains ne détiennent pas les
~oyens de production; mais il~n'en participent
pas moins globalement à la classe dominante qui
prend en charge l'ordre social leur place bien
sOr,
c'est-à-dire ·en position de domin~s parmi les
dominants.
Voilà donc une position qui
est différente de
celle bien connue,
conforme en tout à l'énoncé de
la place stru~turelle .des intellectuels dans la
société,
tel qu'il est donné par le marxisme .
.../ ...

741.
Le problème qui intéresse véritablement ici
est le
suivant :
en quoi
ces deux thèses expriment-elles
des positions de
classes ? En quoi la thèse conforme
au marxisme renvoie-t-elle à une position en faveur
des classes populaires et l'autre thèse à une
position en faveur de la classe dirigeante
?
Qu'est-ce qui autorise ces sortes de raccourcis,
d'assimilations et de confusion~ 1
Rien,
sinon qu'habituellement celui qui utilise
la phraséologie marxiste ou même adhère au marxisme
considère par lui-même qu'il est le représentant
exclusif des masses laborieuses sans même se
préoccuper de la manière nont celles-ci perçoivent
et situent socialement les intellectuels et tous
ceux qui
gr§ce à leur capital culturel ne vivent pas
directement les mêmes conditions existentielles
qu'elles
(1)
(1) Au cours du débat sur les intellectuels,
certains·
propos du groupe d'ouvriers et de manoeuvres ont été
rroférés,
oui méritent réflexion.
Sans doute aeut-on
loujours l~s interpréter comme une position d~ claise,
comme un signe de leur aliénation ou de la "manipulation Il
dont ils ont été victimes séance tenante . . . Les voici:
"Tous ceux qui sont bien assis
(installés dans la
réussite sociale)
s'en foutent pas mal de nous autres.
Tous
ceux qui ont leur vie normale,
je les appelle
intellectuels Il ;
"Chacun cherche son intérêt. Même
quand on parle au peuple,
c'est pour avoir son appui
rour nercer.
Pour moi,
les intellectllels sont du
~6t~ ~es rrgra~ds':. Tant qu'ils n'ont pas ce qu'ils
veulent,
ils sont avec nous;
après c'est fini."

742.
sans regarder à la manière dont ce qu'écrivent ou
disent les intellectuels est reçu par le.peuple.
Celui-ci n'ignore-t-il pas parfois jusqu'à la langue
et au langage utilisés par eux?
Il ne semble pas du tout évident que les oppositions
sur la manière de
"classer" les intellectuels
correspondent directement à des positions de
classe personnelles. Elles ressemblent davantage
à des affrontements de thèses, de positions
doctrinales et de schemas d'analyse.
St·elles
ne semblent pas reproduire dir~cteDent la lutte
des classes en Côte d'Ivoire.
Le deuxième problème,
relatif au rôle de l'intérêt
dans la position de classe d'un intellectuel a lui
aussi
divisé les intervenants au débat. Pour les
uns,
l'intérêt lié à une
classe explique la
position de classe qu'adopte un intellectuel.
Pour ·d'autrec,
ce n'est pas tant l'intérêt que la
révolte et l'écoeurement en face du sort des
exploités et des exclus.
.../ ...

743.
Ces deux thèses
sont~elles véritablement exclusives
l'une de l'autre? Elles seront inconciliables au
cours des discussions.
Pourquoi? Parce que d'un
côté on affirmait son matérialisme
(par la théorie
de l'intér~t (1)
) "et de l'autre on affichait un
certain idéalisme
(par la théorie de l'écoeurement
et de la révolte).
Or,
apparemment,
outre le fait que l'expérience
montre que,
parties de visions différentes et relevant
de différents milieux d'app~rtenan~e, des personnes
peuvent aboutir parfois à des positions de classes
quasiment identiques,
on ne voit pas en quoi l'une
des
thèses mieux que l'autre ou contrairement à
Itautre,
exprime la position des
classes dominées.
Il Y a des raccourcis,
et ils ne sont possibles que
parceque des pensées ou des doctrines
s'affirment
par elles-m~mes au service des classes populaires.
(1)
Il
est facile de reconna!tre pourtant qu'il existe
des
cas ou des personnes qui n'y ont pas intér~t
épousent des
causes ou épousent le pouvoir en en
quémandant une parcelle.
Selon Gilles Deleuze,
"c'est peut-
~tre que,
en termes d'investissements,
aussi
bien
économiques qu'inconscients,
l'intér~t p'est pas le
dernier mot,
i l y a des investissements de désir qui
expliquent qu'on puisse au besoin désirer,
non pas
contre son intér~t, puisque l'intér~t suit toujours
et se trouve là o~ le désir le met,
mais désirer de
manière plus profonde et diffuse que son intér~t.•. "
Par exemple,
"Il y a, "note-t-il des investissements
de désir qui modèlent le pouvoir et le diffusent,
et
qui font que l~ pouvoir se trouve aussi
bien au niveau
du flic que du premier ministre . . . ",
"Les intellectuels
et le pouvoir"
(Entretien I.J.Foucnult-G.Deleuze -
L'Arc,
1972, nO 49, p. 8-9)

744.
Fau~-il pour cela admettre la ~onfusion entre
affrontements de doctrines et positions de classes,
entre positions théoriques d'intellectuels et luttes
de classes réelles dans une société donnée? Certaines
personnes le pensent.
Au cours des trois séances du
débat sur lesintellectuels africains,
c'était net.
Et même par la suite,
puiqque deux mois après,
sous le couvert de la plaisanterie,
quelqu'un auquel
on aura reproché de réci ter du marxisme nous, dira:
"L'expérience de la table-ronde a permis de connaître
l·::cs "droitiers de l'université".
Pour lui donc,
ceux qui n'ont pas cru devoir professer une foi
marxiste et faije toutes leurs interventions ~
travers ce prisme sont des r82ctionnalres.
Evidemment,
on ne·saurait soutenir ~ue les rapports
de classes ne pénètrent pas l'ordre culturel ni que
les intellectuels ne s'opposent pas pour des positions
de classes. Mais de l~ à réduire toutes les oppositions
et tous les conflits aux luttes de
classes . . . ,
cela
est excessif et relève du confusionnisme et de
l'amalgame intéressés qui ne conviennent
qu'aux idéologues et aux rhéteurs démagogues •
.../ ...

745.
Le milieu intellectuel ne peut-il pas en effet être
interprété comme un ensemble social avec des relations
sociales spécifiques ?
A considérer tout ce qui
s'est passé au cours du débat
sur les intellectuels africains dans leurs interactions
avec les autres acteurs sociaux,
la manière doctrinaire
dont se sont affrontées les positions doctrinales,
la manière dont chacun voulait expliquer ~ l'autre qu"l
avait tort de penser comme i l pensait ou qu'il ne
le moindre propos . . . ,
on est amené à se demander
réellement si
l'interprétation des oppositions et
conflits
entre
intellectuels en termes de lutte de
classes (et du coup si l'inclusion d'une partie ~u
moins des intellectuels dans les classes prolétarienne3
est
recevable et correspond ~ la réalité des
faits.
.
Que vivant eux-meGes davantage dans le montie de
l'idéologie que dans
celui des rapports
économiqu~s;
que conscients de la domination étrangère et de la
situation sociale de leurs pays,
que privés de prati~ues
politiques concrètes,
les
(des)
intellectuels
pê-'en,J1ent fait
et cause pour les classes laborieuses,
se portent solidaires de lellrs luttes,
choisissent
leur camp au lieu d'être au-dessus de la mêlée,
cela va de
soi ou presque.
1
..

.. 1

.. ..

746.
Mais ils ne peuvent se dispenser de savoir que leur
camp est plus idéologique que politique;
ils ne
peuvent pas non plus se dispenser de voir qu'ils
n'agissent souvent que sur le plan des prïncipes
.et ~e l'idéologie sans pouvoir toujours avoir des
contacts directs,
physiques,
avec les luttes
concrètes de classes. Et la solidarité de principe
avec les luttes de classes populaires ne peut
condamner ~ la céçité et n'autorise pas un sectarisme
dogm~tique qui fait des manoeuvriers de la théorie
de la lutte de classes les seuls et digneS représentants
du peuple des exploités et des exclus.
La référence constante des iritellectuels aux masses,
au peuple,
aux luttes des
classes populaires,
manifeste
moins leur inclusion dans un mouve~ent ouvrier ou
paysan que leur volonté et leur désir d'apporter
leur soutien aux classes 'dominées et exploitées.
Elle signifie davantage peut-être l'effort de fonder
leur action critique sur leur rapport au peuple.
Et
profondément encore,
elle met en lumière leur désir
et leur volonté d'être une intelligentsia qui lutte
contre l'ordre autocratique établi
et la domination
étrangère,
au nom des forces populaires réduites
au silence par la répression ou la misère,
mais
considérées par eux comme porteuses du sens de
l'histoire.
... / ...

747.
Elle atteste de leur désir et de leur volonté de
servir l'historicité qu'ils assimilent aux classes
dominées et aux intérets de celles-ci .
.S'efforçant ainsi de se représenter la relation
sociale du point de vue des
classes populaires,
les
intellectuels ou précisément une partie d'entre eux
en vient ~ chercher ~ démasquer l'adversaire ou
les adversaires de
ces
classes.
Ceux-ci sont
consid6r6s comme la force du mal,
agresseurs quand
ils sont identifiés à l'impériali:c:oe rot trdtr'es
quand ils sont à l'intéri~ur d~ pays ou de l'Afrique.
Cette volonté et ce désir des intellec,;:,uels d'être
aux côtés du pe8ple des exploités et des exclus
peuvent entrer en conflit avec la pratique d'autres
intellectuels qui,
délibérément ou lnconsciemment,
servent Ja cause de la cl~sse dominante et dirigeante.
Les affrontements et les conflits
sont donc inévitables
entre' intellectuels.
Mais les enj~ux sociaux,
importants pour
conditionner ou influencer la vie du milieu
intellectuel peuvent-ils tout expliquer,
rendre
compte de tout dans les
"luttes in:'estines" du
champ intellectuel ?
... / ...

748.
On peut faire l'hypothèse d'enjeux spécifiques à
ce milieu social qu'est le champ intellectuel,
et
autour desquels se diviseraient les intellectuels.
Ce
champ serai t marqué par la lutte pour le p.ouvoir
intellectuel, le gouvernement et la direction des
esprits.
On comprendrait alors pourqùoi c'est
essentiellement aux autres intellectuels que
l'intellectuel s'oppose le plus.
Ne faut-il pas
qu'il se pose pour espérer s'imposer dans ce milieu
de culture ? A dé~aut du pouvoir réel et immédiat
sur ie monde,
n'est-il pas
tentant pour ct~que
intellectuel de désirer régner-sur l'intimité de
l'esprit? Est-ce en effet un mince pouvoir que
la capacité ou l'autorité,
légitimée a~ besoin par
l 'insti tution,
d'ïmposer "les schèlnes
classificato.ires
et les systèmes de classement qui
~ont aux principes
des représentations et, par là de la mobilisation et
de la démobilisation des groupes
" ?
(1)
(1)
Bourdieu
(p)
La distinction. Critique sociale du
jugement, Paris,
Ed. !-linuit, 1980,
p.
559

749.
B - LE CHAMP INTELLECTUEL, OUELLE SPECIFICITE ET
QUELS ENJEUX SPECIFIQUES ?
l
- Le ch&~p intellectuel,
un espace social
co~me
un autre,
avec des e~jeux ?
"Agence d'historicit~I', c'est-~-dire cat~gorie
professionnelle repr~sentant la cr~ativité sociale
ou encore support social
concret au service du modèle
culturel de la société,
les intellectuels constituent
un milieu qui est un espa~e Bocial
comme un autre.
Dans
cet espace social,
fonctionnent des règles,
des normes,
des rapports d'~utorité ~ travers
lesquels s'accomplit un travail particulier dont
les effets et les produits ainsi que c~ux qui le
produisent peuve~t exercer de près ou de loin,
t8t
ou tard,
une influence sur les décisions qui
se
prennent dans la collectivité ou en tout cas
exercer une influence plus ou moins directe
sur les
consommateurs de
culture.
Cette influence
peut entrer aussi
en ligne de
compte dans la lutte
pour le
contr81e des orientations culturelles,
pour autant que
-comme déj~ souligné- ie rapport
social pénètre dans l'ordre
culturel.
. .. / ...

750.
C'est dire que le milieu intellectuel est complexe,
très complexe puisqu'en plus du fait qu'il est un lieu
où l'idéologie fonctionne
comme un système de
contrôle
et un système d'emprise qui
cohère les différents
groupes tout en les, divisant et en les opposant,
comme
tout milieu social et humain,
i l est aussi
celui dè
la violence personnelle des adhésions
et de l'implication
des interlocuteurs. Et ceci donne à
comprendre qu'on
ne saurait s'accommoder uniquement d'une explication
de ce milieu par l'importance des
enjeux sociaux.
On
doit prendre en compte aussi'par eAemple la manière
dont les individus introjectent les messages
idéologiques pour en faire une part d'cux-m~rnes et
agir en fonction
de ces messages.
Milieu complexe,
ce milieu de production,
de
consommation et de
circulation de biens culturels doit dOnJlCr lieu à
des gains symboliques pour lesquels les
"capitalistes
du savoir" peuvent entrer en concurrence ou en
conflit.
Dans cette hypothèse,
Bourdieu propose de faire
-non
pas métaphoriquement seulement- "une économie des
phénomènes symboliques et étudier la logique spécifique
de la production et de la circulation des biens
culturels"
(1)
afin d'{viter de toujours traiter en matérial~ste
les bi~ns matériels et en idé~liste les biens culturels.
(1)
Bourdieu
(pl Les intellectuels sont-ils hors jeu?
in Questions de sDcioloo;ie,
Paris,
Ed.
l.Jinuit 1080 p.bl

751.
"On se contentait,
fait-il
remarquer,
d'un formulaire
tr~s pauvre: "La culture
dominante est la culture des
classes
dominen·tes,
etc."."Ce qui permettait,
ajoute-t-il,
à beaucoup d'intellectuels
de vivre sans trop de malaise leurs
contradictions
:
d~s que l'on étudie les
·phénomènes
culturels cornD8 obéissant à une
logique économique,
comme déterminés par
des intér~ts spécifiques, irréductibles
aux intér~ts économiques au sens restreint,
et par la recherche de ~rofits spécifiques,
etc.,
les intellectuels eux-m~mes sont
ooligés de s'apercevoir comm~ déterminés
par CGS intér~ts qui peuvent expliquer
leurs prises de position,
au lieu de
ce
situer dans l'univers du pur désintéresse-
ment,
de "l'engagement" libre,
etc"(l) ..
c'est avec une telle théorie que sa pensée pén~tre
d~ns le c~al~p scientifique (2) ou intellectuel qui,
comme tout champ selon elle
(3),
ordonne des positions'
rivales
(conservatrices -
révolutionnaires,
de droite
-
de gauche . . . ).
Les positions particuli~res du champ,
tout en s'opposant,
se situent réciproquement,
se
définissent contre les positions rivales pour
former un syst~me.
(l)Bourdieu
(p),
idem,
pp.
61-62
. (2)
Bourdieu
(p)
"Le champ scientifique" in Actes de
la recherche en sciences sociales,
1976, nO 2-3
(3)
Bourdieu
(p),
"La représentation politique.
Eléments
pour une théofie du
cha~p politique"
in Actes de 12 recherche en sciences sociales, 1981
nO 36-37 pp.
3-31
;
"Quelques propri~t~s des champs"
in Questions ce sociolo~ie, op.cit.
pp.
113-120

752.
Et dans
celbi-ci
"tout se passe / •.. /
comme si
chacun des protagonistes était amené ou renvoyé
à ses prises de position autant par la concurrence
avec les occupants des positions les plus éloignées
et aussi les plus proches,
qui menacent,
de mani~res
·tr~s différentes, son exist~nce, que par la
contradiction logique entre les prises de position"
(1)
Ainsi,
le champ intellectuel ou scientifique
(indifféremment)
appara!t comme un lieu de concurrence
entre agents en rivalité pour maximiser chacun
l'accumulation des biens
symboliques.
Cela n'est pas faux.
Mais bien que Bourdieu reconnaisse
q~e tOllt champ "se définit entre autres choses en
ci~finissQnt des enjeux et des intér~ts spécifiques ... 1'(2),
le champ
tel qu'il le définit
(structure de positions
objectives)
se présente alors
comme intégré,
m~me
s ' i l est diversifié.
Au point de n'~tre à un moment
donné que "l'état des rapports de forces
entre
les agents'!
(3), de n'~tre qu'un syst~me o~ les
acteurs en définitive n'ont pas d'enjeu commun
qu'ils se disputent et qui les oppose.
(1)
Bourdieu
(F)
"La représentation poli tique.
Eléments
'pour une théorie du
chaup politique" loc.cit p. 12
(2)
Bourdieu
'F)
Quelques propriétés des champs in op.cit.
p. 113
(3) Bourdieu (F) Q,uelques propriétés des champs in
on.cit..
p.
114

753.
Sans doute,
avec lesnotionsde concurrence,
de
"champ
de luttes comme un système de relations objectives
dans lequel les positions et les prises de position se
définissent relationnellement et qui àomine encore
l.es luttes visant à le transformer"
(1),
Bourdieu
insiste sur la relation dans le champ, mais i l
n'en
maintient pas moins la primauté du système ou du
champ sur les acteurs.
En effet,
présenté comme la
structure des positions et des relations,
le champ
laisse supposer q~ten plus de la rGpr~s~ntation que
les icteurs ont de leurs positions
respectives,
ils
se définissent par le.urs relations les uns avec les
autres,
les occupants de chaque position ayant une
vision des occupants des autres positions;
de sorte
4Ue,
par un proceSsus de développement ho~othétique,
les acteurs maintiennent les distances, les écarts,
les oppositions entre eux sans que
jamais des changements
ou des
conversions de position se produisent.
C'est là ne pas tenir compte de l'effet des actions,
des prises de position,
des idéolo~ies, des conflits
Sur
les acteurs:
c'est ignorer tout ce qui se fait
pour collecter les assentiments,
pour convaincre et
faire
changer de position
(1)
Bourdieu
(p)
La c1istinctt01J.Crttié'lle 8,""1ci9.1 du
E"'"'I::ent,
PE:.ris,
Ed.
!,~lnuI~, 1°80, p. 176'

754.
ignorer tout le travail d'inculcation et d'
"intoxication"
en vue de "convertir",
et qui
(re)
divise et
(re)répartit les
adhésions,
les positions. Et c'est
soutenir en fait que les acteurs avec leurs positions
et p~ises de position étant prisonniers de la structure
du système,
se répondent les uns aux autres sans
s'affronter autour d'enjeux communs qui les opposenti
sans entrer dans des rapports sociaux ; mais comme
des adversaires "étrangers" l'un à l'autre,
comme des
Etats en guerre,
ils se placent dans de~ rapports de
guerie sociale,
dans des rapports inter-sociaux et
n'appartiennent_ pas par conséquent au même champ
social.
Le champ intellectuel est un espace social complexe,
un micro-système social, o~ s'entr~croisent et
s'entrem~lent des relations sociales reposant sur
des rôles,
des relations "de concurrence et d'influence
des rapports de domination et de classe,
des conflits
pour le contrôle des orientations culturelles,
des
conflits pour l'appropriation des biens symboliques
dans ce champ intellectuel existent aussi des alliances,
des négociations,
des ~ransactions, des compromis
entre les acteurs normativement orientés, intéressés
par les orientations socio-culturelles et les valeurs
de la société.
... / ...

755.
C'est donc bien de ce champ complexe -il faut
ajouter aussi~"qui produit et reproduit des
catégories culturelles en rapport avec les
relations de domination anciennes et nouvelles"
,
qu'il faut rechercher les enjeux spécifiques.
Partons simplement de ces questions
: pour
quoi les intel18ctuels,
et notamm~nt les
universitaires se battent·ils et se combattent-ils,
se reprochant mutuellement d'être de gauche ou de
droite
,
ou se condamnant mutuellement ~ la
réaction pour se poser les uns plus révolutionnaires
que les autres? Quels sont les enjeux spécifiques
principaux des
"luttes intestines"
en dehors
et au-dessus des mesquineries personnelles,
. ../. ..

756.
des r~glements de compte,
des jalousies,
des
comp~titions, des incornpr~hensions, des querelles
de personnes ou de groupes
. . .
?
(1)
(l)La"querelle autour du tarn-tamil a
donn~ lieu à diverses
interpr~tationsde la part des diff~rents milieux. Une
partie i~portante du public ext~rieur au milieu uni-
versitaire a vu,
semble-t-il,
dans les affrontements
~ne lutte de représentants oe deux groupes éthniques,
les Bét~ et las Akan,
pour s'i~poser sur la sc~ne
~niversitaire et aussi pour se faire connaitre et
appr~cier du grand public lecteur de Fraternit~-Matin
et de I.D.
Cette interpr~tation Bst-elle totalement
fantaisiste et absurde? Des universitaires et des
étudiants n'ont pas hésit~ à la partager qui ont ét~
sans doute sensibles à la comoosition ethnicue des
intervenants:
d'un
eSté les ~kan, d~fGnseu;s de la
èrumr:-ioloaie et de
son i11i tiatcur,
lui-'10,éc du :-l'OU'lB
ethnique-Akan,
et de l'autre les Bét~, aidés p;r u~ l'naff''
q\\li croyait simplement à un pur d4bat intellectuel,
et par des personnes qui avaient des comptes à r~gler
avec le
"drummolo,,;ue",
Cette hypothèse de
compte à
régler a
circul~ à l'extérieur et à l'intérieur de
l'université.
Plus d'une personne qui
se croyait
inform~e a soupçonné dans la violence des propos
d'un des d~tracte~rs de Niangoran-Bouah (le traitant
d'ethnographe attardé,
incapable d'analyse,
cf.
artic~e
d'Abdou Touré
"Aller au-delà de la narration Il in.
~f- ......) +
" - L ' "
-L"
-
c ...... r l L,C_·,'.;0, l f'
,~11
2/Il f 'eVr .'lnr 1920) l
"
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-r'''''''''':'''''flTlyr,n,-'t
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j
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'--~ L.(
~
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v
..... '-'
_
'.' '.' ~..> 'L-
l i
.1: '-' J •
~J'il pouvait nourrir à l'endroit de celui-ci qui,
èirecteur de l'Institut d'Ethno-sociologie i l y a
quelques années,
lui aurait refus~ l'entrée à cet
Institut.
Il est
~vid2nt qu'une telle hypothèse est
tr~s difficile à vérifier, On a voulu voir aussi dans
l'une des interventions une manière de s'attaquer au
":cyth e l! que représenterait Niangoran-Bouah dans
l'université ivoirienne ou m~me ailleurs.
Ici
non plus~
rien n'est v~rifi2ble. et tout cequ'on petit savoir ne
peut l'~tre que p~r confidence.
Mais en partant de l'idée que le milieu universitaire
est un milieu humain et social
comme un autre,
oh
peut supposer a Driori qu'y p~nètrent différents
problèmes qu'on rencontre ailleurs,
Dans ses oeuvres,
Gia~batista Viko (Lubumbashi, Ed.
Alpha-Omega 1975)
Be __ 'errance
(Yaound~, Ed. CLE 1979),
N'gal
aborde aussi
le probl~lne des luttes de prestige
et de supréma:ie
(~ia~batista Viko, pp. 13 et 87,
L'errance,
p.
22)
et le probl~me des interf~rences
8ehniques da!:s les oppositions entre intellectuels
(L'errance,
p,' 128)

757.
2 - Les enjeux sp6cifioues des
"luttes intestines"
dans le champ intellectuel
Les intellectuels se pr6sentent souvent comme des
porte-parole de classe ou comme des d6fenseurs
de valeurs estimées les:plus véritables;
ils se
présentent aussi souvent comme des défenseurs,
parfois aux propos contradictoires,
des idées
estimées les plus justes,
les plus ad~quates dans
les disciplin~s universitaires ou scolaires o~ ils
interviennent.
Chacun ou chaque groupe ou faction
se bat alors pour la bonne cause en voulant emp~cher
en même temps que soient dites et entendues les
"bêtises" de l'autre,
que soit affirmée la repr6-
sent2.tion du I::onde social de l'autre ou s" ."-liberté"
à l'égard de l'histoire et des pratiques "consacrées"
et "sacro-saintes" d'une discipline par exemple.
Les conflits se compliquent et deviennent intenses
quand
ceux qui s'affrontent semblent avoir des
positions relativement proches ou prétendent parler
au nom d'une même discipline pour sa défense et son
illustration ou au nom et à la place d'une même
classe,
m2.is
croient à une hiérarchisation des
positions et des analyses à respecter;
... / .. ~

758.
ou croient chacun que l'autre est un déviationniste
ou un révisionniste,
voire un traître de fait à une
classe,
et donc est à
combattre en même temps que
tous ceux qui ostensiblement sont les défenseurs du
pouvoir. Alors,
à
travers une guerre de vérité,
à
travers -comme dit Bourdieu- un "si
j'ai raison,
tu
as tort",
chacun se débat pour imposer la meilleure
manière de voir et de penser, pour imposer le
discours
juste et légitime de
"parler" une discipline,
ou de
"parler'lle monde,
d'en donner une vision
à travers la visée la plus adéquate -selon soi
s'entend.
C'est qu'à la vérité,
l'acte intellectuel lui-marne,
pense Pierre Nora
(1)
est un acte "impérialiste et
solitaire,
tyrannique et jaloux".
Il poursuit:
"Il y a une contradiction profonde entre le raIe
progressif et modérateur
que l'engagernent oesintellectuels
dans le combat pour davantage de démocratie politique
leur
a donné/ . . . /et le carnassier transcendental qu'au plus
profond de soi fait d 1 un homme la vocation prédatrice
et antinaturelle de penser et d'écrire / . . . /
Il Y a
du paranoiaque virtuel
chez le plus tranquille des
intellectuel s".
(1")
Nora
(p) Que peuvent lesintellectuels ? in
Le débat,
1980 nO l,
p.
Il

759.
Il ajoute:
"La tradition intellectuelle / ••. /
n'a abouti qu'à exalter,
chez qui fait profession
d'~crire, le narcissisme meurtrier de la domination
solitaire. Je né puis aujourd'hui penser qu'en
empêchant les autres de penser.
Je ne vous parle
que pour vous dire que vousne saurez
jamais.
Chaque
intellectuel poursuit la mort de l'autre;
on nous
a faits ainsi"(l).
Oui.
Mais le sociologue peut-il se contenter de
ces
explications psycholoEiques des conduites des
intellectuels ? Quel sens de leurs conduites les
relations où ils sont engagés et les enjeux pour lesquels
ils se battent et se combattent permettent-ils de
d~gager ?
On a
soulign~ que la relation au pouvoir et aux
rapports de classes influe sur le champ intellectuel
et sa vie. Et on sait aussi qu'id~ologiquement
beaucoup d'intellectuels se veulent'~roches'l des
classes populaires. Mais le problème est qu'à
d~faut de pouvoir être des intellectuels organiques
de classes ou de groupes concrets et r~Bls, ils
se font alors id~ologiquement en s'opposant, léS
char.lpions ou les mandataires. du
"prol~tariat" contre
l i 'rbourg~oisie.
(1)
Nora
(p)
Que peuvent les intellectuels? loc.cit.
p.
11

760.
Et chacun pf~tend avoir des positions plus justes
c'est-~-dire plus ajust~~s aux int~r~ts de l'Afrique
et de son pays en marche,
aux int~r~ts du
"prol~tariatl'
et condamne alors l'autre n~cessairement à la
r~action ou au gauchisme.
Par ailleurs,
les. intellectuels en Afrique niont
jamais cess~ d'~tre identifi~s au savoir j
et
eux-mgmes en appellent constaœment ~ la science au sens
,
,
l
genera
du terme et s'y r6f~rent abo~jam~2nt. Ils se
battent m~me all~grement ~ coups de science au
nom de la science en se couvrant de la science.
Un
exemple est celui qui les divise autour de la
question de la production d'un discours
scientifique
africain sur l'Afrique.
Dans le
champ intellectuel,
chacun a la pr~tention
de parler en tant que
"s~ientifique", de parler au
nom de la science et pour défendre l'objectivité
par un regard critique sur tout,
sur l'Afrique par
exemple.
Et peut-être est-ce dans le rapport ~ la science,
au savoir et ~ ses enjeux qu'il faut chercher
l'origine des oppositions et conflits des intellectuels
dans le champ
scientifique.
.. ./. . .

761.
Il semble qu'avec Bourdieu on puisse soutenir que
l'enjeu sp~cifique, direct, imm~diat, de ce milieu
et de ses "luttes intestines" est l'autorit~
scientifigue
(prestige,
reconnaissance,
c~lébrit~•.. )
qui est à la fois ins~parablement capacit~ technique
et pouvoir social,
ou encore
"le monopole de la
camp étence sei entific ue , entendue au sens de
capaci t~
de parler et d'agir légitimement
(c'est-à-dire de manièrè
autoris~e et avec autorit~) en matière de science,
qui est socialement reconnue à un agent détermin~"(1).
Et si lion brigue l'autorit~ et la position
d'intellectuel
socialement reconnues,
c'est qu'elles
permettent en effet de participer en bonne place
à la production de la repr~sentation du rnontle social,
de dire l~gitirnenent comment on doit oenS0r le monde
social,
les rapports sociaux,
de participer aussi à
la lutte pour le contrale des orientations socio-
culturelles,
de servir l'historicité en aidant la
soci~t~ à se retourner sur elle-m~me pour se regarder .
.../ ...
(1)
Bourdieu
(pl,
Le champ scientifique in Actes de
la
recherche en sciences sociales,
1976 nO
2-3
p.
89

762.
Et chaque universitaire ou intellectuel africain
au plus profond de lui-même ambitionne de pouvoir
parler légitimement et avec autorité par exemple
de l'Afrique et de
son pays,
ambitionne de pouvoir
imposer la manière convenable,
juste et légitime
de
l'parler'' l'Afrique,
de la donner ~'voir, de
pouvoir participer ~ la transformation de la vision
du monde so cial.
C'ést que,
de, toute évider,ce,
cet' acte de penser
et d~ faire penser le monde a
une din~nsion
éminemment poli-tique.
Il ri 'esto'pas neutre en effet,
au plan politique,
de croire et de donner ~ croire
par exemple que la so,:::iété est uns,
qu'elle est un
tissu dont la t~ssure et la texture ne font que
garantir l'indivisibilité,
ou bie~ de donner ~
croire qu'elle est un
système d'actions
conflictuelles,
un drame entre des acteurs de classe dont les uns
dominent sur les autres,
lesquels se débattent ~ leur
tour pour refuser cette domination qui les transforme
en consommateurs friands
et intéressés des modes et
des modèles de penser et d'agir des dominants •
.../ ...

763.
Autant dire que les luttes et conflits dans le
champ intellectuel ne sont jamais un jeu.
S'ils
s'expriment souvent sous forme d'un jeu des mots,
ils ne sont nullement un jeu ~mots et sans enjeu.
L'affrontement des mots et des positions et prises
de positions se réfère et e~ réfère sans cesse à une
lutte idéologique de visée et de vislon du monde plus
icportante qu'on ne le soupçonne souvent,
surtout
à l'extérieur du milieu intellectuel. C'est ce que
la "querelle"
sur la "drummologie" et 182 oppos·i tions
et conflits dans le débat sur les intellectuels ont
permis de dégager au-delà des
"formulaires" et des
"slogans"
doctrinaux qui
se substituaient à l'analyse
chez plusieurs dea participants à ces débats.
Il faut ajouter que dans l'espace intellectuel,
la
lutte pour le monopole de l'autorité intellectuelle
impose que chacun des agents se batte pour imposer
aussi la valeur de ses
"produits"
en essayant au
besoin de se débattre pour une
(re)définition de la
science la plus conforme à
ses intérêts particuliers
(au plan ms gains
symboliques)
ou de ses intérêts de
mandataires et représentants présumés de groupes ou
de classe,
et la~:plus conforme à sa vision du monde •
. . . 1...

764.
C'est pourquoi
chaque chercheur,
chaque intellectuel
engage toujours la science dans ce qu'il fait et
dit~ et combat, parle, cautionne ou.r~fute au nom
de la science,
en même temps qU'il
est critiqu~,
contredit et réfut~ au nom de la science.
Et comme dans le champ scientifique Ou intellectuel,
les producteurs ont pour premiers et principaux
clients leurs concurrents,
la tendance n'est pas
-comme lia bien vu Bourdieu- d'accorder sans
discussion ni examen une valeur
(scientifique)
aux
produits offerts.
C'est donc bien ~ la sueur de son front qu'on devient
intellectuel
(reconnu)
: i l faut n~cessairement
p~sser par l'spreuve de la preuve de ses capacit~s
intellectuelles mais aussi
de ses capacités d'endurance
et de
combativité.
Nous sommes au terme de l'analyse des oppositions
et des
conflits dans le milieu intellectuel? Que
dire
pour con~lure ?
... 1...

765.
Les luttes à l'intérieur du champ intellectuel ou
universitaire se réfèrent et en réfèrent aux
rapports de classes et aux intérêts de classes dont
on se fait le cha~pion et manifestent les positions
?octrinales et idéologiques. qu'on défend et propage
en même temps qu'elles participent des et aux luttes
politiques. Mais elles sont aussi et de manière
spécifique des luttes qui ont pour enjeu central
Celui-ci ;J'est pas le po;r;oir politique et tente
m&me de s'en démarquer pour mieux dégager son
autonQ~ie ; mais sur le plan politique, il est !'llautre
dl)
pouvoir poli tique", le double dont celui-c.i
ne peut se passer (1).
Effectivement, depuis l'effacement du pouvoir de
droit divin et l'avènement du pouvoir démocratique
dans la grande partie du ~onde contemporain et de
l'Afrique, il Y a dissociation du pouvoir temporel
et du pouvoir spiri tuel
(autrefois liés chez le
monarque classique français par exemple).
(1) l!ora
(p)
loc.cit.
p.
10
et aussi Debray
(H)
Le pouvoir intellectuel, Paris, Ed. Ramsay, 1979

766.
Le pouvoir démocratique dans son principe même
s'interdit d'exprimer ce que doit être la société,
de lui imposer une orientation doctrinale.
La
démocratie a ainsi laissé le champ libre ~. la
constitution d'un pouvoir spirituel qui en appelle
~ la société au nom de la science, dela liberté, de
l'intérêt des masses,
du sens de l'histoire ..•
Et ceux qui assument ce pouvoir et veulent être la
pensée de la société sur elle-8ême sont les
intellectuels. Toèqueville a magistralement montré
comm~nt le p~uvoir politique devenant incapable
1e diriger les opinions,
ae do~~er le ton aux
écrivains et l'autorité aux idées,
lesintellectuels
occupe ror;t la placé laissée vIde d'"llS 18 [ouvernement
des esprits
(1) ~
Du coup on comprend pourquoi la lutte pour la
suprématie intellectuell& dans le milieu intellectuel
est importante,
surtout dans les pays
comme les
nôtres.
... / ...
(1)
de Tocqueville
(A) Oeuvres com~lètes t.2,
L'ancien régime et la révolution,
liv.III,
ch.
l
Paris, Gallimard 1964
(1ère édition en 1956)
en
particulier pp. 194-197

767.
A chaque intellectuel africain,
i l apparaît urgent
que l'Afrique et son pays aient des orientations
ajustées à leurs intérêts;
et chacun veut s'employer
à dire les raisons dernières de la société, à lui
indiquer des orientations
justes.
Chacun veut être
l'intellectuel qui parle de ma~ière autorisée et
avec autorité des problèmes de ~'Afrique et de son
pays.
Les "querelles" dans le milieu intellectuel
et
universitaire son:,
c~ l'a dit, de manière sp~cifique
des luttes pour le gouvernement des
esprits.
Cellas-ci
sont en rapport avec un investissement politique qui
s'exprime de pJ.us en plus à l 'int~riellr des activit6s
PTopres des intellectuels,
à l'intérieur de la
vie culturelle.
Mais par delà les
"querelles",
n'y a-t-il pas place
po~r une certaine unité des intellectuels?
.../ .. .

768.
CHAPITRE
II
UNIFICATION ET UNITE DU MILIEU INT3LLECTUEL
L'hypotll~se d'o~ on pa~t ici est qu'en d~pit des.
conflits et oppositions qui craversent et divisent
les intellectuels,
ceux-ci b5tissent l",ur unification
et connaissent une certaine unit~. Leur effort dans
ce sens s'appuie ou se fonde,
scmble-t-il,
sur ce
qu'on peut appeler le double caractère de la condition
intel"iectuelle : un heurt ou un cO!êflie; psrmar''''Ylt
entre la tension vers le haut,
c'est-~-dire vers
l'historicité ou la transcendance,
et la tension
vers le bds,
c'est-~-dire.la soumission ~ la
d~termination historique, ou pour dire autrement
et pa~ler comme Konrad et Szelényi
(1), un déchireœent
entre "vocation g~nérique et condition gén~tique,
entre transcendance et détermination historique".
(l)Ko~,rad (G) SzelénYi (L), L2. rPlrc""lG ::') Düuvo".r des
intGllectuels, le cas des pays ae l'Est, Paris,
Ed. Seuil, 1979, p. 27

Ce conflit se manifeste souvent dans une
seule et
même personne conférant à
sa pensée ou à ses
conduites un caractère apparemment antinomique.
Plus fréquemment encore,
i l
s'exprime par des
protagonistes distincts,
,"9
qili
donne alors,
comme le
notent les auteurs
sus-ci tés,
"des frères
ennemis
comme le grand prêtre et le prophète; le grand
commis de l'Etat et le révolutionnaire,
l'apologiste
et le penseur raài cal . . . Il (1) .
Or du fait des
te~sior.s et proDensions des
intellectuels,
différemment importantes vers le
haut ou vers le bas,
et du fait
de leur position
fragile,
définie par une double non-appartenance
à l'élite dirigeante et à la masse,
et différemment
assu~ée, l'ensemble de leurs pratiques et de leurs
représentations n'a pas d'unité propre.
Les
intellectuels sont coiduits alors à établir leur
propre unité et à se définir un "esprit"
: ils
dé~eloppent une rhétorique sur eux-mêmes et leur
rôle dans la société,
dont la fonction est de les
constituer et les
spécifier en intellectuels et en
tant qu'intellectuels agissant au nom de principes,
de valeurs absolues,
de les spécifier en représentants
de ~'historicité, de la distance que la société
prend par rappprt à elle-mêne,
à son fonctionnement
(1)
Konrad(G)
Szelényi(I),
loc.cit.
p.
28

770.
cet(e rhétorique· est de cette manière
justificatrice.
Mais elle est aussi autoprotectrice
:
elle se charge
de débusquer les paradoxes et de dénoncer les
conditions qui empêchent l'intellectuel d'assumer
pleinement son rôle en tant que conscience
de la
.
.
société;
et ainsi,
elle veille sur la catégorie des
intellectuels en lui rappelant constaffi~ent son
rapport obligé à l'historicité.
Ce chapitre va justement tenter de montrer
l
-
comment,
tiraillés entre leur histoire et leur
historicité et ayant intérLorisé certaines
orientations sociétales et certaines valeurs,
les intellectuels essaient d'affir~er leur
autonomie et de justifier leur raison d'être,
leur rapport à l'historicité,
de "se donner une
vocation et unemission"
2 -
comment ils essaient pe conjurer ou prévenir le
risque de perte d'historicité.
. .. / ...

771.
SECTION
l
LA NECESSITE DE S-:;; DO::IJER UTI Cm:TE;::' SOCIAL SPECIFIQUE
LA TENSION VERS L'HISTORICITE (OU VERS LE HAUT)
De manière générale,
les intell~ctuels en Afrique
noire ne
sont pas liés à la product~on. En réalité,
aucune
catégorie sociale autant que celle des
intellectuels n'a peut-être
son sort aU2si lié à
l ' E t a t :
presque tous les intellectuels et diplômés
sont des intellectuels organiques d'Etat et sont de
fait
"les
"coDmia"
du groupe dominant pour l'exer~ice
des fonctions
subalternes de l'hégémonie sociale
et du gouvern8rnent politique" (1).
"Ces fonctionnaires
du consenteme~t", COm:28 les désic:n8nt F et F Basaglia(2)
o
pratiquent la délégation de pouvoir que leur
consentent l'Etat et la classe dirigeante;
ils
sont au service de la reproduction social~ et du
renforcement des oppositions de classe:
sans eux,
les mécanismes de base de la société auraient du
mal à fonctionner.
(1)
Gramsci(A)
Oeuvres choisies,
Paris, Ed.
sociales
1959
(2) Basaglia
(F)
et autres,
Les criminels de paix,
Paris,
PUF 1980

772.
Et 'puis,
en tan~ qu'ils sont tout compte fait
-comme le pense Lourau(l)- des propriétaires ou des
usufruitiers du capital culturel de la classe
dominante,
ces ll cap italistes du savoir" ne sont
pas. des prolétaires;
ils
"bénéficient
( ••• )
de la
"plus-value nationale" extrai te du travail des
travailleurs manuels . .• "
Mais ces
"spécialistes du savoir pratique",
comme
SarLre~réfère les nom'mer, n'ont tout de même pas
de base économique réelle en dehors de l'Etat,
ce
qui leur donne une certaine indépendance d'esprit
et le loisir de se livrer aux contorsions utiles
pour préserver leur "marge ll de liberté.
Et parce qu'ils
sont éloignés de la production
et qu'ils ne sont pas prisonniers des rapports de
production,
ils sont directement intéressés par
la distance que la société prend par rapport à
son
propre foncttonnement
; ils s'intéressent à
l'orientation de la pratique,
c'est-à-dire à
l'historicité.
(1) Lourau
(R)
Le lapsus des intellectuels, Paris
Privat, 1981
(2) Sartre
(J .P.) Plaidoyer pourles intellectuels
Paris,
Idées/Gallimard 1972

773.
Appartenant aux appareils qui font partie intégrante
de la classe dirigeante, mais étant des dominés
parm~ les dominants, et se considérant eux-m&mes
plut5t comme des dominés,
et prenant le plus souvent
fait et cause pour les dominés, les intellectuels
tentent de se donner un contenu social spécifique
qui leur apporte une certaine unité.
En quoi celui-ci consiste-t-il ou de quoi est-il
fait et sur qUOl se fonde-t-il ?
l
-La définiti6n de soi
commA e~ent de l'historicité
Lorsque les intellectuels "oublientt' qu'ils
connaissent des déterminations historiques, la
tendance chez eux est forte de se définir par
leur rapport exclusif aux finalités sociales ou
préciséit;ent de se définir
comme chargés de percevoir
et de faire voir la distance que la société prend
par rapport à elle-même et de se présenter comme
60nsciEnce de cette saciété.
. .. / .. ·

774.
Le Zairois N'gal
est de ces intellectuels qui
se sont
le pl~s clairement exprimés sur ce rôle qu'ils
s'attribuent.
Il a donné son point de vue dans une
interview (1)
et par la bouche d~ personnages de son
roman L'errance.
S'il refuse la confus~on entre intell~ctuel et
détenteur de diplôme,
i l
souligne
cependant que
c'est bien parmi les diplômés qu'il faut chercher
les intellectuels. Qui sont alors ceux-ci? Selon
N 'gal,
ils sont "conscience de la société" ou
incarnation de la conscience de la société;
de
celle-ci,
ils s-e sentent néce::,saircrnent solidaires
et traduisent les préoccupations.
Ils ont la
capacité d'analyser leur société,
de la considérer
avec un regard critique.
Ils
sont
capables de
prendre de la distance par rapport ~ leur société
et ~ l'ordre établi, afin de poser des questions
qui doivent amener cette.société ~ se penser elle-même.
De ces intellectuels,
on attend dans L'errance
qu'ils donnent vigueur ~ leurs peuples vidés de
leur dynamisme
ceux-ci ont besoin de leur aide .
.../ ...
(1) "Entretien avec N' gfil
: la posi tion des intellectuels
Zafrois"
in Notre librairie, oct-nov 1978 nO 44
pp.
93-99

775.
De ces intellect~els, on attend qu'ils transforment
en vagues furieuses les remous de l'ordre ~tabli ;

on attend qu'ils
"remuent la soci~t~" pour qu'elle
cesse d'être pur abandon à la consommation des id~es
toutes faites,
ferm~e à tout mouve~ent, à toute
r~orientation", condamn~e à mourir.
"Car une soci~t~ qui ne pense pas,
qui
n'a pas d'intellectuels,
est un cadavre.
Une soci~t~ ne peut se renouveler que
si
el~e 'sait s'analyser, se d~tacher "
d"elle-même pour se r~;arder, si elle
sait se soustraire à l a participation
à la fête de la pr~tique sociale
quotidienne, pour observer son fonctionne-
ment,
en proposer des transforoations,
des orientations culturelles nouvelles,
de no~veaux rapports sociaux. Elle" ne
peui le f~ire qu'~ travers des intellectuels.
Des intellectuels cri tiques" (1).
Et parce que l'intellectuel est "conscience de la
soci~t~", "conscience de 'l'identit~ cO'Jmune", que
sa fonction est de pouvoir se d~tacher de la soci~t~
pour la regarder,
i l peut la relancer sur de
nouvelles bases, lui permettre de s'anticiper et
de s'inventer, et i l peut l'empêcher de sombrer
dans une sorte de pourrissement
(2).
(1) N'gal,
op.cit.
pp.
78-79
(2)
Idem pp. 129-1]0

776.
La fonction accordée à liintellectuel apparaît comme
un attribut de lui-mê~e. Voilà pourquoi une
insistance particuli~re est faite sur son rôle dans
la soëiété et auprès de la masse.
Pour un Thomas Melone(l) par exemple,
la grande
masse du peuple étant inculte, ~ême si e~le est
, '
,
l
'
capable d eprouver confusement
es metamorphoses
nécessaires,
elle n'a pas l'ambition de "tracer
une direction",
de joüer un rôle de guide;
le
~l
ro e -'1.• e
°d
g;Jl e app'?T t"l~.n t
aux "
lnt "1
eJ.
t
ec_ue l s. l''Jel one
se justifie
"Si la dé:-:ocratie exige que le peuple. soit,
en dernier ressort, le grand maître de la
d{cision,
il n'en reste pas noins que,
d,?vant le:? condi tions nO'Jvelles posé~s par
les structures d'un Etat rnode~ne, de
nouveaux problèmes se posent au peuplB,
différeDts de ceux qui se posaient dans
un~ société traditionnelle. Le peuple
subit alors une double crise. D'abord
celle née d'un craquement historique de.
sa société naturelle,
puis celle consécutive
à une inadaptation nécessaire et
compréhensible à un univers inconnu .
. ../ ...
(1) Melone
(TL
Dl" la '~éÇ"ri tude dans l"~ li ttérature
hé~ro-~fri~aiJ12, Paris, irésence africaine 1962
(p.
109)

777.
Il .poursui t ..
l'Tout ceci
se traduit par le d~sarroi
du peuple,
surtout dans un pays où
l'obscurantisme est la règle.
Le rôle
del'~crivain n'est donc pas d'orchestrer
les danses endiabl~es, mais d'être à la
fois
celui qui pose les questions et y
apporte une .réponse,
"bouche et tête"
d u peup l e
' "
negre
.
Melone répond là à Senghor
(1)
qui aura déjà écrit
dès 1940 :
"Notre noblesse nouvelle est non de dominer
notro peuple mais d'être son rythme
et son coeur,
Non de paître les terres,
mais comme le
grain de millet,
de pourrir dans la terre
Non d'être la tête du peuple,
mais sa bouche
et sa trompette."
En 1964, Achebe
(2) insistera,
lui,
sur le rôle de
l'intellectuel dans le recouvrement par l'Afrique
de sa dignit~. Il pense en effet que "the worst thing
that can happen to any people is the loss of their
dignity 'and self-respect.
The writer's dut Y is help
them regain i t by showing them in human terms what
happened to
them,
what they lost".
. .. / ...
(l} Senghor
(L.S.)
in Hosties noires,
Paris,
Seuil,
1956
(1ère édition 1948) p.
83
(2)
Achebe,
"The role of the.writer in a new nati.on",
in Ni.qeria Magazine nO 81
cité par Kolanwole
Ogungbesan,
"Poli tics and the African \\Hi ter" in
Africah' Studies Review,
vol.
XVII,
nO l,
avril 1974

778.
Mais
cette dignité bafouée .sous et par la colonisation
l,lest encore aujourd'hui ~ travers toutes les
injustices dans la sociétÉ.
Selon Achebe,
i l appartient
encore ~ l'écrivain et ~ l'intellectuel en général de
dénoncer l'injustice,
toute injust5ce dans le monde
mais surtout dans sa propre société.
L'écrivain,
affirmerai t - i l en 1968
(1),
"must be aware of the
faintest nuances of injustices in human relations.
The African writer cannot thelefore be una~are of or
indifferent to the monumental injustice which his
people suffer".
Ainsi
donc i' écri vain est invi té
~ un rôle de critique social impénitent. Mais ce
n'est pas tout.
Achebe croit que les peuples africains mallifostent
de plus en plus leur puissance dans, dec
révolut~ons
qui visent ~ une indépelldance vraie et ~ la crÉation
d'Etats souverains ~ la place de simples enclaves
coloniales.
Il est persuadé que l'écrivain a sa
place dans le mouvement de
changement.
. .. / ...
(1)
Achebe
"The dut Y and involvment of the african
writer"
in Wifred Cartery Ed.
The African Reader
Independant Africa,
New-York 1970,
cité par
Kolanwole Ogungbesan.
loc.cit.

779.
Mais
"what is the place of -the wri ter in this movement 7"
dira-t-il dans un interview à The University of Texas
at Austin,
en novembre 1969.
Il r~pon~ : "1 suggest
th:lrl this place is right in the thick of i t -if
possible at the he~d of it"
(1)
Ces positions d'Achebe trouvent,
semble-t-il,
~chos
dans la jeune g~nér3tion d'intellectuels et d'~crivains
en particulier.
Ceux-ci
semblent renoncer à s'affirmer
les guides ou les_ lead0rs de leur peuple.
Ils
s'int~ressent ~ leur société, à son ~n~tionns~ent, ~
ses orientations. En dénonçant par exemple les maux
et les trav~rs de leur société, ils esp~rent la
révéler à elle-m~me et l'amener ainsi ~ des pr'ises
de
conscience importantes
(cf.
4~me partie).
Mais ce faisant,
ces intellectuels n'indiquent-ils
pas eux aussi le chemin à suivre,
puisqu'ils le
balisent en mettant à nu tout ce qui ne va pas et
qui
gêne le d~veloppement et la marche en avant ?
... / ...
(1) Lindfors Bernth "Achebe on commitment andafrican
writers",
Afr:ica ReDort,
vol.
XV,
nO 3,
march 1970
cit~ par Kolanwole Ogungbesan, loc.cit.

780.
Quoi qu'il en soit,
les intellectuels semblent croire
beaucoup à leur rôle auprès de leur peuple,
rôle
impos~, à leurs yeux, par leur statut m~me d'intellectuels.
Des ~tudiants vont jusqu'à penser que le rapport au
peuple est un critère distinctif ou un attribut de
l'intellectuel
(1).
Ce souci des intellectuels d'~tr~du peuple et au peuple
M~l~douma~ par exemple, cet intellectuel devenu paysan
dans le ro~an d'A~iaffi, La c~rte ~'idsntit& (C.E.D.A.
1980)·dira
l'L'intellectuel n'est rien s ' i l ne vit
pas entièrement d~vou~ à la cause de son
peuple,
s ' i l n'est D~S une part de ce
peuple,
rien qu'une part,
une part
e~bras~e mais u~e part tout de m&me, Une
part int~gr~e jusqu'au centre, mais une
part sans privilège,
sans honneur particulier.
C'est cela &tre un intellectuel pour un
peuple soumis,
humili~, bafou~, exploit6,
asservi
:
se fondre au sein de son peuple
au risque de s 'y perdre"
(p. 158)
... / ...
. (1)
"Les i:üellectuels afri cains où en sont-ils ? Il in
Bureau d'~tudes des r&alit&s africaines
(revue
trimes0rielle)
d4cembre-janvier 1904 nO 6

781.
Beaucoup d'intellectuels partagent ce point de vue~
Ils sont convaincus,
avec le secrétaire permanent
d es
'
.
.
ecrlvalns d u S'
,
enegal
(l')
en 1980 que
_
les
intellectuels et notamment'~es écrivains de la
génération actuelle ont sous leur responsabilité le
devenir de nos sociétés.
Ils doivent constamment
interrompre la pratique des gouverne~ents pour une
juste application des politiques
sociales dynamiques
et généreuses en direction des larges masses
populaires.
Il leur revient le droit politique et
l'obligation ~orale d~ produire des oeuvres
éclatantes et véridiques qui vont dans le sens de
la lutte globale des peuples pour la déconfiscation
des cultures".
Ainsi,
i l apparaît nettement que l'image valorisée
de l'intellectuel dans le milieu intellectuel
est
Gramscienne,
c'est-~-dire qu'elle est celle de
l'intellectuel qui
se lie et s'allie nécessairement
aux masses.
L'analyse de la pratique réelle des
intellectuels et leur situation objective n'entrent
donc pas en ligne de
compte dans la composition
de l'image de l'intellectuel.
(1) .Mamadou T~aoré Diop:
"J,'écrivain face au pouvoir
politique"
(intervie\\.J")
in Bin"o,
avril 1980,
nO 327 p. 47

782.
Comme chez Gramsci,
i l y a chez les intellectuels
africains une th~orie volontariste "prolétarienne"
des intellectuels,
qui cherche visiblement à
renforcer le lien intellectuels/masses,
en ~rivil~giant l'intervention des premiers dans
les seconds.
L'option globale pour les masses et tous ceux qui
n'ont pas l'initiative des d~cisions dans la soci~t~
et qui sont ~conomiquement do~in~s permet aux
intellectuels de se d~rnarquer de l'61ite du pouvoir
ou pr~cis~ment ~e la classe di~igeante à laquelle
une f&cheuse tendance veut les assimiler.
Tout se passe comme si les intellectuels,
li~s à
la classe dominante
(des dominés parmi les dominants),
confront~s à l'ambiguit~ de leur raIe de reprod0ction
sociale et de mobilit~ sqciale,
tiraill~s entre leur
histoire et leur historicit~, ~taient conduits
naturellemen~ à clamer leur raison d'être, leur vocation,
leur mission,
à proclamer leur autonomie à l'~gard
du pouvoir. Et sans doute II'a-t-on pas tout à fait
tort de penser que la critique radicale qu'ils font
des pouvoirs en place a pour fin aussi
de les
d~marquer de ceux-ci, de prouver qu'ils n'ont rien
,
.
a VOlr avec eux.
... / ...

783.
Les intellectuels développent une rhétorique qui
tend à affirmer la primauté de leur rôle
'~rofessionnel" d'intellectuel, de leur qualité
d'inte;lectuel au service de l'historicité et de
l'intérêt général.
Ait'si,
ce qu'on a pu appeler
le professionnalisme des intellectuels sous d'autres
cieux a un sens aussi
en Afriqu~ si l'on veut
souligner chez eux la volonté d'indépendance au nom
de leur profession à l'égard de la classe dirigeante
et de l ' é l i t e au pouvoir:
cette volonté d'indépendance
leur permet de
3e penser d'abord far rapport à la
transcendance -au-dessus des
contingences.
Mais au fait,
COmI::8nt se constitue le rôle que les
intellectuels
S8
èonnent et l'imaGe unifiante du
statut de l'illtellectuel qui
s'impose à eux et qui
font d'eux ou les définissent CODrne un mode spécifique
d'action sociale ou comme à la fois une fonction
et une
catégorie sociale? Et quels
sont les
"mécanismes" théoriques de la défini tion de soi
par rapport à la transcendance et à l'açtion sociale?
... / ...

784.
2
- Ouand l'u00nie et l'idéolo~ie réunissent les
intellectuels dans la transcendance et l'action
sociale
Comment les intellectuels
se
"propulsen~Lils dans
la transcendance ~ partir de laquelle ils justifient
leur rôl~ et leu~ action ?
Par leur éloigne~snt de la production matérielle
et par ~e~r fùr8a~ion qui les font vivre dans un
univers régi par des valeurs qualitatives et par la
nature de leur ca~égorie sociale,
définie par ses
activités
I!supers~Jructurelles", les ir,tellectuels
sont amenés à s'identifier à l'historicité,
à la
âistance que la société prend par rapport à son
f:lDctionne~lent, et à I_roduire une utoI'ie pc.r laquelle
ils s'identifient ~ ce pour quoi ils se battent.
D'où l'idée chez eux de leur rôle moteur dans la
société,
d'être la conscience de la société
d'où
leur prétention à donner une direction à la société
ou à lui proposer ou lui rappeler des valeurs.
Par l'idéologie,
les intellectuels peuvent se
désigner au service d'un acteur social ou de
classe,
identifié à l'historicité ou dont les intérêts sont
assimilés à l'historicité.
Du même
coup,
ils
transforment c'alle-ci
en ordre idéal dont ils
s'adju,:,:ent le droi t. de pOl'ler et de défendre 18s
valeurs.
. .. / ...

785.
Quand la classe identifiée par des intellectuels
à l'historicité est la classe dirigeante, dans
l'idéologie, cette
classe représente al~)Ts comme
intrinsèquement les valeurs de la société idéale
elle représente la rationalité de l'ordre,
la
modernité,
le progrès . . .
de la société. En son nom
sont dénoncés les
"non-producteurs" avec leur paresse,
leur incapacité ainsi que leurs résistances au
changement. UDe partie des intellectuels prend f&it
et cause pour cette classe et ses valeurs.
Quand les classes populaires sont identifié~s à
l'historicité,
on exalte alors leurs valeurs
et on dénonce l'exploitation,
le gaspillage
économique ..•
de la classe diriceante.
Idéolo~i­
quement,
la majeure partie des intellectuels
s'engage aux côtés des
classes populaires.
Dans l'un et l'autre
cas,
l'historicité étant
identifiée aux valeurs de la société idéale,
ce
sont ces valeurs qu'on défend et veut voir inculquer
aux enfants et à la jeunesse. D'où l'investissement
important des intellectuels dans l'éducation et dans
tout ce qui
touche aux moeurs,
aux lois,
etc
... 1...

786.
d'o~ leur lutte contre tout ce qui porte atteinte
aux orientations sociétales.
Par ailleurs,
en assimilant l'historicité à l'acteur,
les intellectuels la confondent avec l'organisation
sociale ;
le prolétariat par exemple a tSt fait
de
devenir le parti ou tel
groupe concret.
Et lorsque des intellectuels assimilent l'historicité
~ un acte~r de classe auquel ils s'identifient eux-
ms~es, la tendance est alors de se désigner eux-
mêmes
comme les représentants
"personnels" de
cet
acteur. Ainsi
se comprend l'ambition ou l'illusion
de ;nO-ints intellectuels
"enE;a[és l
de se présenter en
représentants
"authentiques" du prolétariat,
parlant
en son nom ou s'exprimant à partir des positions
de
classe de celui-ci.
Au vrai,
les intellectuels parlent souvent de lutte
de
classes. Mais en transformant le syst~mè d'action
historique en un ensemble de valeurs et de normes et
en analysant les conduites sociales comme la mise
en oeuvre des valeurs de la société,
ces intellectuels
ne se font-ils pas instrument d'aliénation?
... / ...

787.
Ne suppriment-ils pas en effet l~ conflit entre les
classes luttant pour le contrôle de l'historicité
et du système d'action historique pour le remplacer
par la contradiction entre les classes,
plus ou
moins identifiées à des acteurs concrets définis
par des valeurs ?
Mais le plus important aura été d'avoir vu .coTIment
les intellectuels,
centrés
sur leurs intentions,
leurs objectifs et leurs idéologies,
forment d'eux-
m~mei une image qui leur permet d'exercer une
influence dans la société.
Seulement, parce qU'ils
tendent à
se d6finir comme
conscience de la société,
le sens ae leur action
ne se
confond-il pas chez
eux avec leur conscience
ou avec la conscience qu'ils ont de leur action?
Et le sociologue des intellectuels doit-il alors
n'êtr.e que leur mémorialiste ou leur forte-parole?
Il est évident que la sociologie nIa pas à se
confondre avec une psychologie compréhensive.
Et
une sociologie des intellect\\lels,
parce qu'elle
n'est pas empathique,
doit s'attendre à se heurter
à eux
... / ...

788.
en effet,
l'analyse qu'elle pr~sente n'est pas
assur~e d'être valid~e par l'accord des int~ress~s,
autrement dit le sens qu'elle ~tablit. de leurs
conduites peut ne pas satisfaire la conscience qu'ils
ont d'eux-mêmes et' de leurs
conduii,es.
Mais la sociologie peut-elle s'acco~oder de ne pas
analyser le lieu de production des repr~sentations
du monde social ? Peut-elle Sé plier à un refus quasi
instinctif des intellectuels d'être objectivés?
Il faut reconnaître que,
de manière g~n~ral€, "ceux
qui pr~tendentau monopole de la pensée du monde
social n'entendent pas être pensés sociologiqueœent"(l).
Ils n'appr~cient guère être objet direct de recherche.
Peut-être,
après
tout,
le risque de l'objectivation
est-il important
: ils pourraient se rendre
compte
avec d'autres qu'ils ne sont pas pure trans.cendance,
au-dessus de toute d~termination historique .
. ../ ...
(1)
Bourdieu
(p),
Les intellectuels sont-ils hors
jeu?
in Questions de sociologie,
p.
62

789.
Certes,
on peut toujours prendre le
crit~re de
la transcendance pour opérer une
classification à
la Mannheim
(1)
entre les intellectuels révolutionnaires
n'existant que par le projet,
et les intell~ctuels
cpns~rvate~rs qui n'ont pas besoin d'utopie,
entre
les vrais intellectuels et les aut~es, et faire
ainsi de l'intellectuel oppositionnel
celui qui
se
bat au nom du qualitatif,
qui met en cause les
valeurs officielles,
et de l'intellectuel conservateur
.
.
celui qui valorise un discours ~1èl,~ti t'i-;-~if
au nom
du
I r Éalisme",
des
"1 0 is économiques",
etc.
Haié] cette
classification pèrd assez vite sens et intérêt dès
qu·'on s'aperçoit que la différenciation qualitatif/
quantitatif ne peut servir a montrer qu'à l'intériellr
de
"l'intelligentsia~ il y a des couches plus
techniciennes,
moins valorisées,
et d'autres plus
valorisées,
plus
" sp écialisées" dans la transcendance.
Inversement,
lesintellect~els de partis, qu'ils soient
de droite ou de gauche,
les idéologues au service
de groupes précis,
les intellectuels
l'engagés"
dans
une idéologie plus ou moins
critique ou radicale,
ne
sont-ils pas conduits souvent à se débarrasser de la
transcendance ?
(1)
Mannheim
(K)
Idéologie et utopie,
Paris,
M. Rivi~re
1956

790.
Ne doivent~ils pas en effet se laisser parler
bien souvent par un discou~s déjà tenu ailleurs
?,
Et ne doivent-ils pas penser pour l'action directe,
pour des stratégies et des objectifs arrêtés?
A la vérité,
la condition réelle des intellectuels
n'apparaît-elle pas résider dans la tension ou le
conflit entre la détermination historique ~t la
transcendance,
entre l~ur histoire et leur
historicité? Et l'effort constant que les
intellectuels sont contraints de fair~ sur eux-
mêmes et de faire
contre
toutes les sollicitations
et les conditions qui les attirent ou les poussent
vers le bas,
vers tout ce qui les éloigne
du raIe qu'ils s'assignent,
n'est-il ?BS juste~ent
celui de maintenir coûte que coûte un rapport
avec l'historicité?
... / ...

791.
SECTION
II
LA NECESSITE DE CONJURER OU DE PREVENIR LA PERTE
D 'HISTORICITE.
LE RTSr;TS De' Ti'
TE:"STc!': V?RS LA
lICONDITION GENETIQUElI
(OU VEHS L~ BAS)
Par l'utopie qui amène les intellectuels à s'identifier
à l'historicité, beaucoup de lI sp écialistes·du savoir
pratique ll sont poussés à une ccti8n critique
importante contre l'Etat en purticuliGr au no= d'idées
en cor 0 qu' ils a t ta que n t
c:; u S 3 i l ' 0 :' ,~a:} i sa t ion
(} 0 1;:,
société à partir d'expéri~nces-concrètes et de pratiques.
,
;~ais ces intellectuels ne sont-ils pas soumis a un
système de logiqu~ sociale qui les conduit, ellX aussi,
à s'identifier comme consommateuri et à se valoriser
par la consommation ? Ne sont-ils tias constamuent
amenés à se laisser piégyr par certaines facilités
et. par certains avantages auxquels ils peuvent avoir
accès gr§ce ~u capital culturel dont ils disposent
et qu'ils peuvent convertir d'ailleurs en capital
politique ou économique?
... / ...

792.
Conscients du risque de d0rapage
et des embûches
sur le chemin de la vie dtintellectuel,
ils ne cessent
d'en parler,
COIT.me pour en prévenir et exhorter à
la vigilence en même temps qu'ils dénoncent les
~ontraintes et les co~ditions dé:avorables d'écanouisse-
cent qui
sont lss leu~s. Leur production littérai~e
et leurs déclarations portent téDoignage de l'effort
o~'ils font dans ce sens. Nous nous.y référons.
l
- Lss conditio~s de la certe d'~istoricité et
de lrinef'fica'~itf chez lc:-:int..r::llectuels.
Une table-ronde organisée en 1979 avec un groupe
c-'int~lle-~tuels 2.=ric~8.ins (1) à ?,~;ris, et publiée
dans la revue Africa nO 117 de 1980 portait sur la
auestion suivante:
"A quoi servent les intellectuels
africains ?"
... / ...
(1)
Ces intellectuels sont:
Bhely.
Quenum,
écrivain,
béninois,
installé à Paris;
:élix Tchicaya,
écrivain consolais,
à l'Unesco; William Syad,
écrivain,
somalie~ ; Sissa Le Bernard, professeur
de philosophie,
centrafricain;
Awa Thiam,
étudiante,
écrivain,
sénégalaise;
Koné,
journaliste,
directeur
. de "Black ~aga=in~~ guinéen.

793.
A cette question,
plusieurs participants à la table.
ronde ont avoué avoir eu envie de répondre simplement
"A rien".
Et pourquoi? Quelles sont les raisons de
cette attitude désabusée et dé ce pessimisme? Les
participants à la table-ro~de ont insisté sur divers
contextes
et situations qui
empêchent les intellectuels
africains de donner la mesure d'eux-mêmes.
a)
~~_f~~~~~~~~_~~2~~ a été critiquée. Selon certains
intervenants,
"la formation qu'a subie l'intellectuel
africain n'est peut-être pas
ce do~t l'Afrique aurait
besoin". Elle np
semble pas avoir. été donnée pour que
l'l'Africain participe réellement et totalement au devenir
de son
continent".
A telle ens eigne que l ' . "intellectuel
se trouve dans une situation qui
fait de lui
un
marginal dans le processus de développement de
son
pays"
(1)
ou qui le coupe de la rrasse.
Celle-ci a
du mal à le "econnaître tant il a une vision du
monde qui n'eè~ pas la sienne.
L'action sur cette
masse s'en trouve limitée d'une
certaine manière.
(1)
loc.dt. p.
38

794.
b) ~~_~~~!~~!~_~~~~~~_~!_~~~!~~~~a été brièvement
incriminé avec une question de la seule femme
intellectuelle de la table ronde :
Il
Je voudrais,
dira-t-elle, revenir
sur le rôle des intellectuels africains
qui sont ici présents.
J'aimerais leu~
poser des questions sur leur production,
sur leur activité,
sur leur militantisme
face au
problème des femmes.
Que dites-vous
pour les femmes,
comment concevez-vous
vos luttes par rapport aux femmes?
."
Parce que partout en A,l'rique, on trouve
des intellectuels qui défendent de belles
théories, qui agissent,
qui militent,
et
qui traitent leurs femmes
comme des esclaves.
Des intellectuels qui,
le matin, ne savent
même pa:c, où se trouve telle ch~~1jssure,
tel pantalon. 3t cette polygamie pratiquée
par ces intellectuels? Ca VC\\lt dire quoi,
cette-domination des femmes par les hommes
que rien ne justifie" (1)
Cette invitation à répondre aux accusations des
fe~mes contre la dominatio'! des horn~e3 so ~résente
à la fois comme une interpellation des hommes, une
protestation et une contestation culturelle.
(l)
10 c. ci t. p. 45

795.
Et en ce qu'elle a de central par rapport à la question
du débat sur lesintellectuels,
cette intervention
ne voit pas comment les intellectuels qui
se
définissent comme
conscience et critique de la
société peuvent assur:sr,:> ";cFc·
,csrtaines pratiques)
~euvent ~e p~s refuser des situations qui
culturellement
et socialement se sorit établi~s à l'avantage des
hommes.
Leurs attitudes face au problème des femmes
les jugent et les
condamnent.
' 1
,
. .L'
l
bl '
.
~
t
t
~
a
ver108,
e p~o
sme oes :em~es es
souven
la mauvaise conscience des intellectuels africaiLs
et
d'intellectuels d'autres pays.
c)
~~_~~~~~~!~_t~~~!~S~~ est celui que les intellectuels
accusent le plus quand,
désabusés
et déçus,
ils
avouent qu'ils ne
servent
"à rien".
Ils ont le sentiment
d'être placés dans des
situations telles qu'ils ne
peuvent pas faire
grand chose.
En effet,
"Qu'ont-ils
comme moyen d'action réel?
.. ,
se demande un
des
intervenants? La radio,
la télévision 1... 1 sont
confisqués par le pouvoir,
par le pouvoir qui les
garde jalouse~ent et n'y donne accès à aucun
i~1tellecLJel pour s'y expl'iner correctement"(l)
(1) loc.cit. D. 38

796.
Il aura à ajouter
"Nous autres intellectuels n'avons
(pas)
les moyens d'exprimer les
choses.
Et
combien de fois les journaux
(européens)
n'ont pas publié les: articles que nous
leur soumettions.
Quant à écrire dans
la presse africaine subventionnée par
quelques partis / . . . /,
vous ne pouvez
pas le faire.
Vous la bouclez dfJnc
! Les
intellectuels
sont forc~s d'~tre muets"(l)
Ainsi
donc,
"Si
nous n'arrivons pas à
d~noncer ce qu'il y a lieu de déonocer,
ce n'est pas l'envie qui no~s manque,
ce n'est pas parce que nous ne voulons
pas,
nais parce que nous ne le pouvons pas.
Kos propos ne sont repris ni par la
presse fr2nçaise ni par la presse
africaine subventionnée par les gouver-
nements européens" (2).
Dans le m~me sens est ~llé un autre intervenant qui
~'est demandé :"Où sont les structures qui permettent
à l'intellectuel de jouer le rôle qu'on attend de
lui ?" (3)
... / ...
(1) loc.cit. p.
43
(2) idem,
(3)
Ibidem p.
39

797.
Pour qulil joue ce rôle,
souligne un autre,
"il faudrait qu'il y ait un contexte
où le débat puisse s'instaurer. En un
mot,
i l faudrait qu'il y ait une démocratie
1... 1 Or malheureuseme~t, dans de ~ombreux
pays d'Afrique,
nous vivo~s soit sous des
régimes dictatoriaux et f~scistes ou des
régimes
civils qui n'ont rien à envier
aux régimes militaires.
Cela ne favorise
pas le débat.
En Centrafrique par exemple,
l'intellectuel ne peu~ avoir un rôle
d '
e t
'
ermlnan t I
par
f
e
'+
alu
~
me~e
qu "1
l
y a
une puissance étrang~re qui se trouve
sur notre sol et qui! fait lé po~ice (1).
On ne peut aller avec ses livres contre
l'Etat ou contre les kitraillettes.
On
peut crier à la rigueur;
mais encore
faut-il qu'on vous laisse le
temps de
crier;
et crier dans
ces conditions,
c'est
s'exposer à la bOllcherie fl (2)..
Mais comme tout le monde,
l'intellectuel ne devrait-il
pas lui aussi prendre des risques
?
... 1...
(1)
La table_ronde a eu lieu en 1979. Dacko
étsit
revenu au pouvoir,
installé par Giscard d'Estaing,
le président français d'alors.
(2)
Idem;
p.
41

798.
Certainement, affirme-t-on.
Seulement,
Le problème de l'intellectuel,
c'est
un peu l'histoire de l 'homme,
de la
conquête pour la sécurité et la disparition
des risques. Et sur le fond,
son rôle
est ae refuser les pressions. Mais fatit-il
encore qu'il y ait des règles de jeu!
Qui peut accepter de jouer sans règles?
Un éternuement rend -suspect,
un silence
rend suspect,
etc. Il
(1)
Cela doit-il arrêter l'intellectuel? Non,
reconnaî tra ouelou'un qui déclarera
"
"
"J'ni
noté quelque part que
l

ceL UJ,
qui
va prêcher daYls le ten:ple,
celui qui
va prêcher dan~ les m~sses, sera crucifié.
Mais l'intellectuel ne s'appartient pas.
Est-ce que l'intellectuel africain se
refuse? Non,
il ne se refuse pas, mais
il y a des pressioYls ct celles-ci sont
telle~ent fortes que l'intellectuel
africain,
comme l'Afrique,
ne s'appartient
pas / .. ~/L'intellectuel africain est
à l'image de l'Afrique
il ne s'appartient
pas. Les intellectuels peuvent être ainsi
acenés à faire le constat de l'échec de
la dér.ocratie sur le continent ... Il
(san's
pouvoir faire grand chose)
(2)
... / ...
(1) Idem p. 43
(2)
Idem p. 40

799.
Dans ce contexte qui est le leur,
,.
ou bien les intellectuels s'expatrient,
ou bien ils restent dans leur pays.
Lorsqu'ils restent, ils n'ont pas le
pouvoir, ils se soumettent.
Ils sont dans
la situatidn de soutenir une cause qu'ils
réprouvent. L'intellectuel accepte et
se retrouve dans la situation d'une
prostituée 1... 1 Et celui qui auparavant
était révolutionnaire devient l'homme de
l'appareil d'Etat.
Il ne peut pas faire
autrement parc~ qu'il a sa femme,
ses
enfants oui le retie'lnen-c, là ... " (1)
Ainsi, l'ensemble de ce discours subordonne la
situation et l'action des intellectuels au contexte
politique. Ce discours sera développé longuement.
Il
n'emp~chera pas quelques critiques sur les intellectuels
qui s'installent 'en Europe et surtout une contestation
des intellectllels dans certaines de leurs conduites.
(1)
Idem, p. 41

800.
Qùelqu'un dira:
"Quand j 'ai
~cout~ tous mes fr~r~s et
amis,
j'ai le sentiment de frustration/ .•. /
A la lumi~re de vingt ans d'ind~pendance
africaine,
et l'exp~rience aidant,
je
suis tent~ de dire que finalement,
bien
des pr~tendus intellectuels africains
s'accommodent fort
bie~ de l'existence
de r~gimes tortionnaires q'li couvrent le
contin~nt. Parce que ça leur permet d~
vivre dans un
confort relatif en Europe
et de d~noncer du bout des l~vres -~&ne
parfois avec conviction- la situation qui
pr~vaut en Afrique / .•. / La plupart des
intellectuels africains ne veulent pas
courir de Tisc:118S.
TO'l2
le~ r~sques ne
m~nent'pas devant le peloton d'exécution.
Il y a
certes des risques qu'il rte s'agit
pas de se cacher.
Moi
je dis que la plupart
des intellectllels africains s'acconmodent
fort
bien de
cette situation,
et que le
fait d'écrire tous les ans un livre n'a
que tr~s peu d'impact. Je pense que la
majorité d'entre nous avons fui
ce qui
devrait être nos responsabilités et qui
consistent non pas à aider à une prise de
conscience -vis-à-vis de quoi? Les
oppressés,
ce sont les peuples qui
connaissent mieux que nous leur
condition
d'oppressés -mais à
travailler au coude
à coude avec les peuples africains" (1)
(l)Idemp.
43

801.
Cette intervention,
importante par elle-même,
sera
couverte par le manteau du
"discours politique".
comme celui-ci l ' a fait ou le fera aussi pour
l'analyse du contexte socio-culturel du peu
d'~ificacité des intellectuels. Ceux-ci tendent
~ expliquer pratiquement toute le~r situation, leur
"inaction"
par des
considérations d'ordre politique.
en insistant sur toutes les difficultés et pressions
que les pouvoirs en place leur réservent pour les
empêcher de siexprimer librement.
Les pouvoirs doivent trouver sans doute intolérable
que des agents de l'Etat comme le
son~ la plupart
des intellect\\lcls africains puissent Stre autre chose
que des
chiens de garde.
Et la frustration
et le
drame des intellectuels est de
se voir contraints
d'assumer de fait le rSle qu'on veut leur réserver
sans pouvoir toujours ag~r activement en protestataires
capables de mener une
contestation culturelle et
d'exercer une critique de l'ordre qui
s'établit,
d'en
combattre les garants idéologiques,
bref,
sans pouvoir
toujours
se vivre
réellement comme intellectuels.
.../ ...

802.
Le contexte politique est effectivement très important
et de surcroît s'appuie sur des contradictions d'ordre
culturel,
social, psychologique,
voire personnel
dans lesquelles les intellectuels peuvent se retrouver.
Toutes ces situations limitent inÉvitablement la
capacité d'action des intellectuels et leur rayonnement.
Et de tout cela, l'intellectuel ne peut pas ne pas
av~ir une conscience claire s'il veut pouvoir vivre
la vocati6n qu'il se donne d'~tre conscience de la
sociÉtÉ.
Les risques de perte d'llistoricitÉ sont
effectivement rÉels. Sans doute est-ce pour cela ~ue
les intellectuels ne cessent dans leur production
littÉraire par exeœple d'y attirer l'attention en
in"Ïste_n.t sur les
paradoxes qui peuvent être ceux des
intellectuels ou en reprenant pour leur propre gouvernD
les critiques qui leur sont faites.
... / ...

S03.
2 - Quand le mort saisit le vif.
Perte d'historicité
et embourbement des intellectuels
.Le& intellectuels,
à ce qu'il paraît, n'ont pas
toujours les pieds sur terre.
La littÉrature reprend
ce genre de critique et souligne le peu d'efficacité
pratique des intellectuels.
A ce propos,
on l i t
par exemple dans. La vie et deGie de Sony Labou Tansi
"Nous connaissons tous la manie des intellectuels
:
ils théorisent sUr la pratique de la vie sans oser
la pratiquer et la grande majorité de leurs
théories restent impraticables"
(1)
D'o~ leur vient d'~tre peu efficaces et surtout
d'~tre peu réalistes ? D'o~ vient ce mal? A en
croire Zirega dans Makarie aux épines de Eaba ~oustapha
IlLe plus grand mal qui frappe la plupart de nos
intellectuels / .•• /
c'est de voir la réalité à travers
des lunettes et des fDrmules"(2).
Et de plus,
ils
seraient plus prétentieux qu'ils ne se montrent
meilleurs ou plus efficaces que les autres.
(1)
Sony Labou Tansi,
La vie et de~ie, p. 87
(2)
Baba Moustapha,
Makarie aux évines NEA/Clé,1979,
p.
62

804.
Seulement, s'est-on interrogé sur les raisons et
les conditions de leur capacité d'action limitée
ou de leur inefficacité ou même de la perte
d'historicité chez eux avec pour conséquence la
chute de la conscience dans le désengagement et
la recherche de l'intégration dans le système en
place ?
T'errance de ;Jgal livre ur.e &nalyse intéressante
de la co~dition intellectuelle on Afrique et des
~ifficultés pour l'intellectuel d'être efficace.
Cet extrait de dialo[ue est significatif de la
~anière dont ce problème des intellectuels est
expliqué :
Il
-Ah!
vous autres, les intellectuels,
vous voulez toujours jeter la poudre
aux yeux des gens.
On en a pris dans
l'équipe gouvernementale. Qu'ont-ils
produit? Rien!
Ils ont aussi trempé
la main
11
-Que dites-vous l~ ? Croyez-vous qu'ils
ont trempé la main parce qu'ils étaient
intellectuels?
... / ...

805.
Il
_
On les a
choisis pourtant parce qu'ils
étaient intellectuels!
On avait cru
qu'ils feraient ffiieux
I"
Il
_
t..jais ne sont-ils pas r:or'3.1ément des
mutilés
:
un poids sur les épaules
sans une réelle responsabilité? Des
hommes finalement avec une étiquette
mais en réalité des silhouettes
sans
visage ?lt
" - Vous ne manquez pas de
culot d'avancer
de telles idées.
Vous voulez nous faire
admettre que l'intellectuel est une
sorte d'expatrié Gans
son propre pays ?"
fI
_
Il participe du poid~ ~~néral qui
écrase la société.
Lui qui pourrait
être une sor~c de convulsion de la
société paraît aujourd'hui usé,
vieilli,
silencieux.
Sans pouvoir,
sans honneur,
réduit ~ un engagement culturel tr~s
abstrait,
indistinct et d 6 c8vant".
fI
_
Oui,. je conviens que l'intellectuel
africain est démuni
économiquement et
politiquement.
Ailleurs,
pareille situation
serait un aiguillon de la
conscience
révolutionnaire au sens débarrassé de
tout relent de prostitution de ce
noble mot;
ici,
c'est la chute de la
conscience dans l'engluement nauséeux,
dans l'indifférence,
le scepticisme;
le désengagement vis-~-vis de la chose
publique.
C'est l'engagement effréné
dans la recherche du minimum de c6nfort . . . !'(1)
(1)
Ngal,
L'errance,
pp.
72~73

806'.
Ainsi
est donc mise en évidence une
conduite de
crise chez les intellectuels se manifestant par
l'éclatement,
la démoralisation,
l'inefficacité
et la volonté d'intégration en relation 'avec la
crise de la société elle-même: l'intellectuel est
défini
comme placé directement en face du
système
social;
et sa crise est analysée à la fois
comme
un non-sens et le résultat ou la conséquence de
la désorganisation sociale. Un non-sens,
car
.
A
l'intellectuel aurait pu ou voulu
etre au-dessus
de la crise de la sociét~ afin d'&tre la lumi~re
projetée sur l~ société. Or, il est saisi comme
en crise avec la société en crise qui
l'entraîne
vers une participation sociale accrue,
hci~~ronome.
Le point de vue soutenu dans L'errance se retrouve
ailleurs,
confirmé et peut-être plus approfondi
dans Les
crapauds-brouss~ par exemple de
Tierno Monénembo.
Dansee roman,
l'intellectuel
est ~omparé au crapaud dans la légende peuhl.
Celle-ci dit qu'à l'origine du monde,
l'être préféré
de Dieu,
promis à la perfection physique et
spirituelle,
était le
crapaud.
... / ...

807.
Mais ~ la suite d'on ne sait quelle faute.
il vit
bloquer sa métamorphose. Aujourd'hui en~ore. le
crapaud détiendrait le secret du remède de la mort.
L'intellectuel africain serait comme le crapaud de
cette légende.
L'intellectuel en effet.
fait
comprendre ce roman.
ne manque papd'ambition pour
son pays et l'Afrique.
ni de capacité ... Mals il
semble.
tout compte fait.
peu préparé ~ i!ltervenir
efficacement dans une réalité africaine politique.
sociale et économicue ~rop complexe. Pris dans l'étau
d'un monde nouvéau,
difficile. pervers. affairiste •...
il apprend vite à se laisser séduire par l'attrait
des biens matériels et à oublier jusque
sa volonté
d'~tre efficace, jusque ses idées sociales et son·
idéal.
Il aura découvert lui aussi que "l'idéal.
comme
une fleur.
c'est beau nais ça ne nourrit pas"(l).
.
. .. / ...
(1) Tierno Monénembo. DD.cit. p. 19

sos.
Diouldé et ses amis représentent les intellectuels
et dip16més dans le roman.
D'eux on apprend par
exemple que
"berçés par le miroitement des privil~ges,
ils se laissaient .envelopper par la brume de la
corruption;
malades dè cécité,
ils ne pouvaient plus
se regarder.
Ni
voir la douleur de l'Afrique.
Ils en devinaient seulement quelques contours,
ne
fai san t qlJe
,
+
maugreer con cre U~ système a~quel ils
n'avaient pas
conscience d'appartenir.
Pensaient-ils
s'opposer ~ ce syst~me ? Ei la meilleure mani~re
était-elle d'en devenir Ja composante de haut niveau?
A quoi
servaient alors leurs diatribes ?l'
(1).
Etai t-ce par réalisme ou Dar cr.leul poli t::q'JC qu'un
,
Diouldé,
apres
son retour au pays à la fin de ses
,
. ,
études a l'étranger,
pouvait parler de la mlsere du
peuple,
de corruption,
d'une exploitation éhontée
des richesses nationales par l'impérialisme,
en
même temps qu'il annonçait sa norninatlon ? On
pouvait penser ou espérer que plus d'un intellectuel
avait l'intention d'entrer ~ "l'intérieur de
l'édifice"
afin "d'en ét~duer l'architecture,
d'en
mesurer la stabilité :
apr~s quoi, le démolir ne
serüt plus qu'un jeu d'enfant"(2)
... / ...
(l)Idem, .pp.
91-92
( 2 ) Idem p.
93

809.
~ais A voir Dio~ld~ et ses amis s'enivrei de la
jouissance de la vie,
on pouvait se demander
"s'ils ne s'~taient pas définitivement
embourbés,
si leurs faibles prot~stations
n'~taient pas les derniers soubresauts
de gens qui avaient longte~ps h~sité
entre la vie et la mort, qui n'avaient
pas pu aller jusqu'au bout de leur
hésitation; qui s'~taient trouvés
désarmés devant la vie que la mort
elle-nême happ&i t
sans gr&nde envie" (1).
Sans doute pouvait-on déplorer cette situation,
ou corr:rne JosiLlne (2)
en ressentir
"une sourde révolt; et même un
certain mépris pour ces fêtards
insouciants qui 1... 1 ne se souciaient
ni de nouvel Homme ni de l'Afrique,
mais qui, au contraire,
enfonçaient
leurs tentacules dans le ~lein
quotidien avec ce que cela a de banal
et d'euphorique. Quel non-sens,
se disait-
elle, pour e~x qui étaient nés dans
cet océan de belle misère,
dans ces
merveilleuses contrées d'enfants
meurtris, mais encore vierges et promis
A la Grande Oeuvre du Futur. Les mains
ingénieuses manquaient pour cette oeuvre
elle croyait les trouver chez eux.
Maintenant-,
elle comprenai t
: ce
n'était que des espoirs ratés! Eux,
qui auraient dû être la Solution,
ils
ne llétaient en rien.
C'était plut5t eux,
le Problème,
a la lumière de la vérité"(J)
(1) Hidem
(2) épouse européenne de Sadio dans le roman
(J)
Idem, p.
91

810.
Les crapauds-brousse décrivent là les conditions
difficiles d'~tre en Afrique un intellectuel. Tout
un contexte politique et tout un système pour le
récupérer ou à défaut le broyer,
existent,
efficaces.
Comme~t u~ Diouldé par exemple en est-il arrivé là
où il s'est retrouvé,
lui qui,
après son diplôme
d'ingénieur-électricien en Hon~rie était rentré
dans son pays avec une seule idée: -"dès son retour,
électrifier partout ... ". Pour raison d'efficacïté,
il ne demandait qu'à travailler dans l'électricité.
Il se retrouvera au Ministère des Affaires Etrang~res
Directeur du service Europe de l'Est. Son travail
se limitera pratiquement à rédiler des raDDorts
.'
.
~
que le ministre cornma~dait et ne réclamait pns
et qui
rejoignaient toujours la grosse pile de
papiers froissés dans une armoire.
"Les premiers jours, Diouldé s'était
acharné au travail,
avec un enthousiasme
de gamin qui a peur de ne pas ~ien faire
et qui voudrait se faire remarquer.
Très vite,
cependant, la négligence du
patron, l'insouciance des collègues et
l'abandon général ont eu raison de son
enthousiasme.
Le cadre honn~te, capable
et rompu au boulot est mort.

Sll.
"Sa volont~ est devenue comme flasque,
sa conscience a
commenc~ à sonner le
creux et,
surtout,
une insupportable
manie s'est empar~e de l u i : se for~er
une Dersonnalit~ . Une m~nie qui affecte
maintenant la moindre de ses attitudes . . . "(l)
Il Y a
certainement d'autres types de situations
et de contingences qui interviennent pour orienter
dans un sens non n~cessairement souhaité la vie de
plus d'un intellectuel. Halgré sa bonne volont~ et
son id~al.
Certes,
tous les intellectuels ne
sont pas
sollicit~s
de la même manière et ne
sont pas soumis aux
mêmes pressions et ne
"succo::1bent" pas de'/ant le
reflet des appâts
j
et tous les intellectuels ne
se plient pas aux injonctions
~t volon~~s politiques,
le visage vide,
le regard vaincu,
les gestes
pitoyables,
transpirant la peur,
leur personne
fondante. (2)
On doit n~anmoins tenir pour importants,
très
importants, le poids social
et politique qui pèse
sUr les intellectuels,
les sollicitations et les
m~canismes pour infl~chir la volonté.
(l)Idemp. 12
(2)Idem p.
93

812.
Devant les moyens et lesm~canismes qui tendent
directement ou insidieuseF.ent à ~ettre au pas le
plus tranquille des "sp~cialistes" de la transcendance,
les intellectuels ne se contentent pas de-bâtir leur
-unification et leur unité par une rh~torique qui les
spécifie coœrne au service exclusif de l'tistoricit~
ou de se d~finir un contenu social sp~cifique par
une production doctrinale ou id~olo~ique. Ils
savent qu'ils pe~vent ~tre victimes d0 co~duites_
h~t~ronomes, de forces ext~rieures qui minent
leur cohésion et les soumette~t à une particip~tion
sociale "impos~e". Ils savent que les pouvoirs en
place ont besoin des cadres nationaux,
ont besoin
d'avoir des appuis int~rieurs à la dODination_
ext~rielJre, et sont i~t6r8SS~s à ~SSllrer une
forte int~gration des intellectuels dqns les
appareils et le syst~me social. Des dénudations
apparaissellt donc n~cessaires pour permettre à
chaque intellectuel de voir clair et d'agir
conséquemment.
. .. / ...

813.
Si l'intellec~uel veut se définir comme au service
de l'historicité,
rien n'empêche. Mais le pourra-t-il
vraiment et pourra-t-il réellement assumer le rôle
qu'il
veut sien s'il n'échappe pas aux embûches de son
chemin et aux appâts et glues pour l'attirer et le
retenir ailleurs que l~ o~ il voulait être,
c'est-~-dire
~ sa place d'intellectuel? Qui f'aidera et lui
facilitera la tâche? Ce n'est certainement pas le
pouvoir.
Ce ne sera que lui-même.
Flus qu'hier peut-être, l'action dElS i~tellectuels
sur les intellectuels est une condition de l'efficacité
de leur action commune sur les autres.
Aussi, les
instruments d'analyse ne peuvent les exempter.
Ils
doivent se connattre et connattre tOllS les méc3n~smes
et syst~mes qui agissent sur eux, les divisent, les
dispersent, les intègrent,
les empêchent de se voir
eux-6êmes,
de voir leur société s'ils veulent être
efficaces sur les autres et dans leur société.
N'est-ce pas la signification et la portée des
critiques et mises en cause des intellectuels faites
par les intellectuels eux-mêmes. les écrivains et
autres par exemple ?
.. ,. / ...

814.
La nécessité de conjurer ou de prévenir la perte
d'historicité est un moyen au service de la cohésion
qu'apporte déjà la rhétorique sur eux-mêmes et sur leur
rôle dans la société.
Par la conjonction de ces deux
types d'influence
(la rhétorique et la lutte contre
la perte dihistoricité);
les intellectuels participent
au guidage des actions et aussi à l'orientation et
à l'élévation des
énergies col18ctives.
La magnifi-
cation du rôle des intellectuels dans la société
tend à
rasseœbler les volcntÉs individuelles pour
l'action comnune vroclamée.
Il
sla~it de prévenir
les embourbements,
les dé~oralisations, l'indifférence
apathique,
mais .aussi l'aliénation,
la vente de soi,
la recherche d'intégration;
de transform8r les
pratiques éparses en actions orientÉes,
convergentes
et d'assurer ainsi
une plus forte
synergie des forces.
~t
les intellectuels,
parce qu'ils
croient au rôle
de critique sociale qu'ils
s'assignent,
se refusent
à toute ·activité d'occultation qui
exercerait sur
eux-mêmes un effet hypnagogique et les détournerait
d'une analyse critique de leur propre situation .
.../ ...

815.
M&me leur discours de l~gitimation, en m&me temps
qu'il rationalise et justifie leur rôle ou leur
luission dans la société,
est parfois interrog~:
;
i l
rejette la fausse unité,
fait apparaître les différences,
les contradictions et les
conflits dans la relation
aux acteurs de classe e~ au pouvoir.
L'unité des intellectuels,
plutôt que de se fonder
sur l'unité d'un
syst~me de crcyances et de valeurs
ou de projets ne
.
repose-t-elle pas sur leur
-'-
'
c'}pacll..,e
commune de questIonner ou de crit{quer,
m&me en
s'opposant,
leur société,
sur la volonté de prendre
en charge
"les idées g~n~rales, généreuses,
génériques",
de se penser comme intellectuels prenant "au
s6rieux
l'éthique des idées"
?
A la v~rité, le monde des intellectuels n'a peut-&tre
pas d'unité,
ou plutôt si
;
mais tout
comme la
société elle-m&me,
i l est
"unit~/multiplicité" et
"union de l'uni té
et de la désuni té" (l).
(1) Morin
(E),
La méthode II,
"La Vie de la vie",
Paris,
Seuil, 1980 p.
371

816.
CON C LUS ION
G EllE R A L" E
L'étude des relations entre}Ps intellectuels et le
pouvoir en Afrique noire a mis en lumière à la
fois +e jeu de conflit/collaboration. l'opposition
et la recherche de l'intégration. Pour'ce qu'il y
a de fondamental.
on Deut noter oue 18~ intellectuels
.
-
.
-
cherchent par la participation ou l'opposition à
empêcher
que la direction du changement et le changement
lui-même soient exclusivement l'affaire des hommes
au/du pouvoir: de m~nière différe~te. et en s'opposant.
les intellectuels tentent de peser sur les orientations
socio-culturelles de l'ensemble de la collectivité.
Ceux parmi eux qui
sont intéressés de participer au
Douvoir adoptent différentes stratégies pour arriver
à leurs fins;
et ils y parviennent d'autant plu~
aisément que le pouvoir lui aussi met en place diverses
stratégies de cocmunication et de propagande pour les
attirer et se les allier.
Ceux des intellectuels qui
se situent dans l'opposition ont la conviction d'oeuvrer
à la transformation sociale en appelant à un Etat plu~
national
et .plus centré sur la vie des
citoyens.
Les relations dans le milieu intellectuel ont été
analysées aussi
: on a vu en quoi
elles sont marquées
et conditionnées par les idéologies/doctrines. L'enjeu
central des conflits dans ce milieu n'est rien d'autre
que le pouvoir intellectuel lui-même;
autrement dit.
ce pour quoi les intellectuels se "disputent".
c'est
la capacité de parler et d'agir avec autorité en tant
qu'intellectuels.
c'est-à-dire le pouvoir de dire
légitimement la vérité muette de tous et de donner/mdiquer
les' ~ormes de la ~ensee et pour penser le monde social.

817.
Les intellectuels s'efforcent cependant d'être
attentifs à leur groupe pour en as~urer l'unification
et l'unité en produisant une rhétorique à toutes
fins utiles sur leur rôle et leur place dans la socié~é.
Il reste, au ter~e de toute cette étude, à tenter èe
répon~re à au moins une der~i~re question qu'on ne
saurait éluder: y a-t-il aujourd'hui,
en Afrique,
au~onomisation d'un conde intellectuel en face d'un
monde poli ticue
? Ou encore : les intellectuels
du pouvoir se définissent-ils de moins en moins
com~e intellectuels et de plus en plus comme hommes
politiques? et les autres intellectuels se démarquent-ils
de plus en plus du pouvoir? Faut-il croire que les
intellectuels "entre:,~,r cie n,~JÎns
en moins dans la
politique ou que le pouvoir se passe de plus en plus
des intellectuels ? ~n d'autres termes, peut-on parler,
dans les sociétés af~icaines d'aujourd'hui, d'un~
évolution vers une pluralisation des forces sociales
(dont celle des intc:lec~uels) ou plutôt vers un
totalitarisme {d~nc ~olitiqllC ci~ force) qui naltrait
?e la fusion organique des intellectuels et de l'Etat?
Il faut sans doute d'abo~d (re)dire ici et préciser
nettement pourquoi pGT principe les intellectuels
sont en Dal de pouvoir et pourquoi celui-ci est en
mal d'intellectuels.
On saura déjà un peu et par la
suite s'il y a fusion ou séparation de la force
(pouvoir coercitif)
et de la valeur (pouvoir symbolique)
dans les Etats africains,
et on dira ce qu'il advient
des intellectuels et de la société civile entière
dans l'un ou l'autre cas.

818.
Pourquoi de manière
générale et fondamentale le pouvoir
ne peut-il pas se passer des intellectu~ls ni faire
l'impasse sur la question des intellectuels? Entre
parenthèses,
on doit remarquer que Gramsci n'est venu
~ la· réflexion sur l'Etat (a distingué dans celui-ci
une f0nction hégémonique et une fonction
coercitive)
qu I~ partir de celle sur les intellectuels,
"creusets
"del'unifiçation de la théarie et de la pratique'!
(et
dans lesauels i l aura distingué un
~tre social
spécifique et une fonction politique universelle).
Gouverner,
c'est prévoir.
Le pouvoir a besoin des
connaissances de
ceux qui
savent pour prévoir,
organiser
et gérer;
et~. En outre, le pouvoir, ayant la ca~acité
de se dédoubler en a'lt-rité
coercitive et en autorité
symbolique a
besoin,
surtout dans l'exercice de
cette
dernière fonction,
d'avoir les in~ellectuels Dour lui,
ou mieux d'avoir ses intellectuels.
En effet,
"de
ce
. ' t '
. ,
,
que toute SOCle e organlsee repose sur ulle metaphore,
de ce que tout pouvoir politique suppose une mét~physique
/ . . . /,
i l découle la nécessité sociale d'un
corps de
traducteurs,
chargé de référer le fait ~lavaleur
fondatrice.
Assurant ainsi la
conformité du pouvoir
établi au
canon d'éta"blissement"(l).
Il est évident
que pour
maintenir en ét~t stable la situation
nationale
ainsi
que
l. 'ensemble des relation-s
sociales et inter-sociales,
i l faut au m6ins autant
d'effort de légitimation que dans ie cas de projet"de
rupture.
Effectivement,
faire
accepter le monde tel
qu'il
est exige autant d'énergie mentale,
de dépenses
symboliques pour produire un discours ad hoc que pour
le révéler comme inacceptable et devant ~tre transformé
dans ses règles de fonctionnement.
l'Un Etat a autant
(1) Debray (R) Le scribe, Paris, Grasset, 1980, p. 277

819.
besoin de discours pour se p~rpétuer que ses adversaires
pour le renverserl!
(1).
Il préfère d'ailleurs être I!son propre métaphysicien",
clest-~-dire disposer de ses propres intellectuels afin
d'avoir ~ compter sur ses propres forceS, d'avoir la
mattrise de ses références,
de pouvoir procéder "lui-même
~ la reproduction 'et ~ l'allccatio~ de ses valeurs
instituantesl!,
d'avoir à exercer"le monopole de l'influence
légitimel!. On corr:prend dès lors pourquoi, en, dehors
même de la compétence technique des intellectuels,
l'Etat a besoin d'eux. Et on voit les Etats africains
(nous avons analysé quelques exemples précis de cas
dans la 3e partie)
s'efforce~ de reposer ou de compter
de plus en plus sur des universitaires. Au Sénégal
par exenule, Selirhor s'est essentiellement appuyé sur
des universitaires.
Tout en ~tant au gouvrirnement ou
~ des postes importants de responsabilité politique ou
administrative,' certains d'entre eux
ont produit des
essais, des oeuvres littéraires;
d'autres 6nt assuré
des cours. et d'autres encore ont conduit ~ terme des
thèses universitaires. Ailleurs 2ussi, la m5me tpndanc~
se développe de plus en plus.
Comm~ si les intellectuels
des pouvoirs en place voulaient montrer qu'ilS n'ont
aucune raison d'être complexés devant les autres intel-
lectuels. Les pouvoirs les poussent à s'affirmer.
Ces pouvoirs se réservent cependant 13 droit de s'inté-
resser aussi aux intellectuels qui se situent dans
l'opposition. Ils les sollicitent même parfois pour
r~pondre au nom de leur comp~tence professionnelle
à des questions ou pour assurer des responsabi:it~s
techniques. Et be2ucoup d'intellectuels s'imaginent
que leurs connaissances, l'universalité de leurs
pr~occupations et de leur pens~e leur donnent u~e
lumi~re ~t une compétence paiticuli~res qui font d'eux
--
(1)
Id"m.
p.
40

820.
des interlocuteurs naturels et privilégiés du pouvoir
ils sont pr~ts ~ se faire les conseillers du "prince".
Ils n'ont pas toujours besoin d'@tre loyaux pour paraltre
aux yeux d'autres intellectuels comme des tr~îtres.
Il faut dire que plus d'un
"conseiller"
s'est pris
à son propre jeu et s'est mis ~ parler non plus pour
expliquer ce qu'il
croit @tre vrai mais pour dire ce
qUB le pouvoir veut ou prsfère entendre.
Plus d'un
intellectuel ne s'est pas toujours douté non plus que
ses idées n'allaient servir qu'à rafraîchir l'esprit
du "prince" ou allaie~t ~tre exploitées à des fins
politiques non prévues par lui
(donc contre ses
.
.
,
,
)
lntentlons genereuses
.
Ceux que Bo~ et Burnier (1) appellent "les nouveaux
intellectuels",
en particulier les technocrates et
les technicien~ de haut niveau,
sont de ceux qui
intéressent particuli~rement aujourd'hui les pouvoirs
en place en Afrique.
Ceux-ci
recherchent avec eux une
alliance
sacrée;
ces tecimcicrates et tecimiciens
l'apnrécient d'autant plus all~grement qu'ils n'aspirent
le plus souvent qu'à une intégration qui les hisse au
haut de l'échelle sociale.
Ils ne se
croient pas
toujours.concernés par les
"sDéculations" et les
"élucubrations" des autr.es intellectuels alors m~me
qu'ils se sentent eux aussi la vocation d'agir sur
les orientations et les pratiques de la société.
Ils
ne sont comme dans leur élément naturel que dans la
sphère du pouvoir.
(1) Bon
(F), Burnier (M.A.)
Les nouveaux intellectuels,
Paris,
Seuil 1975
(1ère édition 1973).

821.
Ainsi donc, l'Etat africain,::ui a besoin des irtelle~tllels,
peut se considérer comme satisfait pour l'offre qu'il
reçoit à sa demande d'ouvriers de la pensée.
liais, au fai t, n'est-ce pé.S parce que les intellectuels
eux-mêmes sont en mal de pouvoir qu'ils sont prêts
à exercer les fonctions qui leur sont destinées?
Sans doute.
ne faut-il pas confondre influence avec
autorité,
audience d'un public avec pouvoir de coercition,
maniement des idées et des ŒOtS avec manipulation des
hommes et des choses. Mais on doit convenir finalement
que les intellectuels se p~ésentent comme la face
cachée du pouvoir d'Etat.
Ils ont bien la prét~ntion
de diriger l'opinion et la·penséa. Or cela n'est-il
pas
E..ussi
gouverner la répl.lt.lique
?
Ils
entcnJcnt
assumer le pouvoir symboiique et tendent à réduire
le pouvoir politique à unegestioll pragmatique
d'intérêts nationaux contingents ou immédiats afin de
se réserver le monopole dos valeurs
et do l 'univc~sel.
Or la volonté de la vérité est aussi un attribut de
tout pOlJvoir en tant que polit~que, et l'universel
cualifie
l'Etat en tant qu'il universalise,
rend uniforme, abstraite par la loi la société concrète
avec ses diversités et ses variétés régionales,
familiales, professionnelles,
etc.
Il est évident
dans ces conditions que l'homme politique ct l'homme
du savoir (celui-ci n'exclut pas celui-là et vice versa)
sont amenés à se rencontrer pour entrer en concurrence
et s'affronter au pour collaborer.
Il faut effectivement comprendre que l'intellectuel,
en prenant sur lui de transmettre aux autres ce qu'ils
pensent du monde ou d'agir Sur autrui par la communi-
câ~ion d'information, aSSll~e là une fonction
~minemment
... / ...

822.
politique.
Il n'est pas en effet de politique possible
sans le gouvernement de la pensée des autres.
L'intellectuel et le pouvoir,
et précisément l'Etat,
ont quelque chose ~
(a)voir ensemble~ Bien sûr,
l'intellectuel n'est pas ~ lui seul tout le processus
politique.
Les classes,
ça existe et 'leurs conflits
autour de l'appropriation des moyens de production aussi.
Tout cela renvoie .~ la politique aussi.
r~ais exa~inons plutBt cette- question: à l'heure
actuelle en Afrique,
le pouvoir symbolique et le
pouvoir coercitif qui entrent dans la composition
organique de l'Etat sont-ils également visibles?
- On fait l'hypothèse que les intellectuels du
pouvoir se charsent de donQer du dynamis~e au pouvoir
symbolique.
Ou bien
celui-ci trouvo-~-il ~ exister
mieux hors de l'Etat lui-même?
-eu égard au développement
éventuellement exorbitant du pouvoir coercitif.
c:
l
-'-h'
.
wurun p an
v
eorlque,
on peut dessiner plusieurs
cas
de figures
:
Quand un Etat réussit ~ unir totalement (totalitai-
rement)
pouvüir coercitif et pouvoir symbolique,
~ faire fusionner organiquement force et valeur, et
qu'il devient tout,
cela entraine inévitablement une
faiblesse
des intellectuels
(annexés ou marginalisés)
Quand l'Etat n'est plus rien du tout et que les
organes centraux sont détruits par le jeu des
~orces démembrées, les intellectuels deviennent de
peu d'importance ou de peu d'utilité~
... / " ~

823.
- Quand l'Etat est faible de
sa dépendance économique
vis-à-vis de l'extérieur,
n'est pas maître de
ses
références et n'a pas la capacité d'imposer ses
valeurs instituantes,
et qu'il est contraint
d'imposer une cohésion et une unité nationales,
un déséquilibre apparaît vite entre son pouvoir
coercitif et son pouvoir symbolique.
Dans l'espace
entre les deux s'engouffrent alors les intellectuels.
Ce dernier cas de
figure
correspond assez bien à la
réalité dans la plup~rt des sociétés africaines
dépendantes d'auj~urd'hui. Dans l'ensemble, les
intellectuels tirent
avantage des pouvoirs en place,
~ais n'en ét~ille~t pas ~ains leurs représenta~ts ou
n'en méprisent pas moins les options et les pratiques
de ces pouvoirs,
encore outil
existe des intellectuels
Dour adhérer pleinement à ces pouvoirs.
.
"
Presque t~us les ~tats africains aspirent à assumer
leur dédoublement en pouvoir coercitif et en pouv0ir
aymbolique.
D'o~ l'appel aux intellectuels d'int~grer
les systè~es politique
et social en place.
Zt concrètement,
nombre d'intellectuels par profession
et même par vocation entendent l'appel et entrent dans
les pouvoirs permettant à
certains de devenir des
Partis-Etats constitutionnels ou des Etats-Partis de
fait qui
s'impose:lt facilement à la société entière,
e~pêcbant l~ développement des conflits sociaux .
.. ./ ...

824.
M~is tous les intellectuels ne r~pondent pas ~ l'appel
ou ~ l'invite des Etats. Et de plus, le totalitarisme
inscrit de fait dans le Parti-Etat ou l'Etat-Parti a
tôt fait
de provoquer la dissidence,
la contestation
et la critique non seulement parmi les intellectuels
for{'O:~
.
demeur~s hors des pouvoirs mais aussi parmi ceux
qui en font partie.
En outre,
assez souvent,
beaucoup d'intellectuels
des pouvoirs perdent rapidement de leur ~nergie,
se retrouvent !lfatigu~s!l par les palinodies et les
contorsions mêmes pour s'adapter aux situations et
garantir leur obéissance silencieuse aux régimes.
Le
poids des
charges politioues ou administratives et
celui des affaires ont rapidement raison d'eux
et
leur donnent rarement le loisir de 33 r~v~lEl' de
v~ritables intellectuels organiques de Parti ou d'Etat.
Le pouvoir symbolique qu'ils devaient contribuer
~ fonder ou ~ enraciner dans le pouvoir politique
échappe à l'ensemble;
seuls quelqucs-u.'1S de
ces
intellectuels tentent de jouer un rôle réel
d'intellectuels organiques.
Les autr'?s intellectuels rest~s en dehors des structures
et des appareils des pouvoirs ont alors le beau rôle,
mais difficile,
de contra pouvoir
ou ~ tout le
moins de
contre.-poids ou plus claireT:1ent de
contre-
point. Les intellectuels de
service âans l'Etat ou le
Parti n'empêchent pas l'intelligentsia "libre!! de
pr,étendre tenir un rôle politique qui
est celui
d'agir sur l'ensemble de la
sociét~ ~ travers
la
formulation d'une
téléologie sociale et à travers
une participation aux luttes concrètes,
dans le
... / ...

825.
coude-à-coude avec les autres acteurs
sociaux.
Au sein de
cette intelli?entsia,
dès ~ue l'occasion du
multipartisme le permet,
beaucoup se dégagent
pour entrer dans des partis
créés par des intellectuels
(cas du Sénégal actuellement).
L'action politique
concrète est imposée par la situation m~me des
pays afr~cains ;
et les intellectuels ont du mal
(ou ont mal) à
s'y dérober.
L'ensemble de leurs efforts
emp~che un véritable
totalitarisme et laisse percer la possibilité
d'une pluralisation de pll's en plus i~portante des
forces
sociales.

826.
A N N E X E
l
-
ENQU2TE SUR" LF.S EIlSEIC,NA::TS "T L-::S CE:'::RCESURS
Cher Coll ègu e,
Vous serez très aimable de ms faire l'amiti~ de r~po~dre
rapidement à ce questionnaire qui doit me permettre
d'avoir un certain nombre d'infor~atio~s sur nouS. J'en
ai besoin dans le cadre d'un travail de recherche.
Il ne vous est pas demand~ de or~ciser votre nom Dour
bien
signifie~ que votre r~pon~e ne vous engage ~-rien
du tout. Je compte cependant sur votre sincérité.
Vous voudrez bien remettre ce Questionnaire remnli dans
le casier du collègue
M.
"Bien 2erci ~e volre
coll abora tion.
l
- Rensei~nements divers
l
- Faculté
Ecole
2
Profession. du père
,
3
:Ji veau d'instruction du -s ~r8
4 - A qui devez-vous d'être allé à l'école?
Père-Mère
Oncle
Un parent
Une autre personne
Si celui qui vcus a fait scolariser n'est pas votre père
ou votre mère,
quelle est sa profession ?
quel est son niveau d'instruction?
5 - v a-t-il un milieu (ou des circonstances)
particulier dans lequel vous ave:; été nlacé et
auquel vous attribu~:; d'avoir pu faire· des ét~des
Oui
Non
Si oui, lequel ?
6 - Etat-civil: V,arié
Céli ba tai re
Di vorcé
7 - Nombre actuel d'enfants
Maximum d'enfants désiré

827.
8 - Existe-t-il,
à votre avis,
un milieu qu'on peut
appeler "le milieu intellectuel" ou celui des diplômés?
Oui
Non
Si oui,
par quoi
se caractérise-t-il surtout?
·1
Si non,
comment expliquez-vous la non existence
de
ce milieu
?
9 - Comment vous placez-vous dans l'échelle sociale?
A quelle couche ou classe croyez-vous appartenir ?
A quelle couche ou classe croyez-vous qu'on Dense
que vous appartenez
?
10 - En tant qu'jntellectuel,
qu'est-ce que vous
supportez le plus difficilement à l'heure actuelle?
II
- Do~aine social
l
- Etes-vous membre d'associations
Régionàle
:
Oui
Hon
Villageoise
Oui
Non
Si oui,
avez-vous des
responsabilités? Lesquelles?
2 - Etes-vous membre d'associations de bienfaisance'
Na tionale
Oui
Non
International e
Oui
Non
Si oui,
y avez-vous des responsabilités? Lesquelles?
3 - Etes-vous membre
d'association de type
"Les
An,ciens de
. . . 11
Oui
Non
Si oui,
y avez-vous des
responsabilités? Lesquelles?
III
~ Domaine économioue
Avez-vous de,' investissements dans:
Pl an ta ti on
Immobilier
Transport
Commerce Industrie
E,levage
Enseignement
t+u'fr:
:.,;.c..r~\\I"

828.
IV - Domaine ~ulturel
l
- Etes-vous membre d'associations culturelles
Na tionale
Oui
Non
International e
Oui
Non
2 - Avez~vous des activit~s culturelles
Oui
Non
Si oui,
lesquelles ?
3 - Quels sont les journaux et revues que vous lisez
le plus souvent?
,
4 - Par rapport à la freqlJence ~
. . ( ' ,
ces con~erences, y
assistez-vous
souvent
quelquefois
raremE:nt
j amai s
Par rapport à la fréquence des repr~sentations théâtrales,
y assistez-vous
:
souvent
quelquefoi s
rarem ent
j a8ai s
5 - Le
cin~ma permet de satisfaire plusieurs besoins à
la fois.
Il reste que,
moi je vais
au cin~ma avec
l'intention
surtout de me distraire
surtout de me
cultiver
surtout de
V - Domaine politique
l
- Pour vous,
et par ordre de pr~f~rence, quels sont
les trois personnalités africaines vivantes ou mortes
qui ont le plus fait pourl 'Afrique?
2
- Quels
sont les trois pays d'Afrique pour lesquels
vous avez le plus de
svmpathie Dour leur organisation,
'leur politique et idéoio~ie?
.

829.
Quels sont les trois pays que vous estimez le moins
?
3 - Quels sont les trois pays du monde pour lesquels
~ous avez le plus de sympathie ?
Quels sont les trois pays que vous estimez le moins ?
4 - Que pensez-vous de l'O.N.U. ?
Un instrument de l'impérialisme américain
- Une institution salutaire
- Le futur Gouvernemènt dumdnde
- Une machine bureaucratique
5 - Que dites-vous de l'O.U.A.
?

830.
II -
"INTERVENTION TABLE-RONDE" SUR LES INTELLECTUELS
AFRICAINS DANS LEURS INTERACTIOIIS AVEC LES AUTRES
ACTEUP.S SOCIAUX
Objets des débats
1ère Séance -
24 mai 1978
l
- Comment peut-on définir l'int~llectu~l à partir
du regard que les différen~s acteurs sociaux portent
sur
[u~
? En d'autres termes,
pour le paysan,
le
m~noeuvre, l'ouvrier,
bref les gens des classes
populaires,
pour les
~ens de la classe dirigeante,
pour les universitaires,
l'intellectuel
c'est qui?
L'intellectu:l,
c'est quoi?
2 _·Y a-t-il lien ou
recouvrement entre les intér&ts
des intellectuels avec ceux des
classes ~opulaires
dominées ou avec ceux de la classe dirigeante et
dominante ?
3 - Quels sont les types de rapports que lesintellectuels
entretiennent avec la classe diri2eante,cn parti-
culier aveç l ' é l i t e dirigeante
(=tat,
gouverne~ents) ?
2ème Séance
- 30 mai 1978
A partir de
ce qui
a
été dit et vécu la séance
dernière,
comment défintrions-nous la nature de la
force
sociale que sont les intellectuels africains?
Les intellectuels a:ricains
sont-ils unŒouve~ent social
qui défend cie façon m~De inorganisée une certaine
orientation de la so~iété et qui
met en cause un
l'adversaire"
en lui opposant un projet de société
ou une autre orientation de la société? Mènent-ils
simplement une action
critique contre l'ordre
établi
cristallisé dans la domination
de
classe
? Sont-ils
simplement un grollpe de pression qui
essaie d'influencer
dans tel
ou tel
sens le s décisions qui
s'imposent à la
collectivité? Sont-ils
simplement l'expression d'une
crise,
celle d'une société dont l'organisation ne serait
plus en accord avec tous ses ~embres ?

3e séance -'22 juin 1978
l
- ~es luttes des intellectuels africains "progressistes"
en faveur des classes populaires passent-elles
davan~age par une action contre l'Etat et sa gestion
de la
société ou portent-elles directement sur les
classes populaires ?
2 - Quel est le type de société que les intellectuels
,:!rogressistes"
projettent ou mettent en forme
à partir de proje:s populaires? Quelles en sont
l'orientation et la coloration?
3 - Est-ce vrai que des intellectuels ivoiriens même
"TJrog-:,essistes" participent à ll.exploi tation exercée_
sur les
c~ass05 populaires en payant en dessous du
"+oaux officiel" leur boy,
leur bonne, leurs manoeuvres ••.
C~~~s~t c~mpre~dre cela ?
4 - Comment interpréter sociologiquement les r6actians
et les actions des ense::'; nants i-Joi 't"iens "nrocr8ssistes"
O',)
non
fac~c ft 10:1:::-' 'l")ro"hl
~; dc' lO~"(~:~';pnt, f2."l18 au
reclassement des autres fonctionnaires,
face à la
nouvelle grille d·:; salaires des "Contrats locaux"
une lutte pour plus de justice sociale au sein
de leur société (surtout au niveau des salaires
et dos conditio11s de vie ... )
-
une lutte en faveur des classes populaires
-
une lutte contre l'Etat
- une lutte au sein d'une couche de privilégiés
dans une soëiété dépendante dominée par
l'étranger
- une lutte pour
.
contre
.

832.
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- Le vieux ~ègre et la médaille, Paris, Ed.
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OYONO MEIA, G. Trois ~rétendants.•. un mari, Yaoundé,
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PHILOI1BE, R. Sola ~a ch~rie, Yaoundé, CLE, 1966, 126 p.
SASSINE, William Le ieune homme de sable, Paris,
Présence hfricaine, 1979, 185 p.
S~NGHOR, L.S: - Cl-,aka in Poèmes, Paris,'Ed. Sevil 1964
254 p.
(originai'rement in Eth; apiques, 1956)
Ecsties noires précédées de Chants d'cmbre
~c.:::-lS, Ed. Seuil, lQ56 (1ère ed. 1948)
157 p.
SIGNATE,
1.
C'18
a~be si fragil~, Dakar/Abidjan, NEA, 1977
189 p.
SONY LABOU TA:JSI
La vie et è emi, P a ri s , Ed. Seuil, 1979,
n:e: P.
- L'-:::tat han teux, Pari s, Ed. Seuil, 1981,
157 p.
S'JI;n:"CA \\','OLE,
Intsrvi'21V in Afrika,
revue des relations
afro-allemandes, 1977, vol.-XVIII, nO 4
TCHICAYA U TA:j 'SI Le
;est~!1 ;lJrieux ,:11 i:rr~C'l-,~l'l>dl::nn
r:niku, prince ou I~n sort, Paris', Présence !dricaine, f980
108 p.
72HICHELL3 TCHIVELA
Lonrue est la nuit,
nouvelles, Paris
Ed. Ratier, 1980, 127 p.
ZADI ZAOUROU, B. ~es sofas, L'oeil, Honfleur, P.J. Oswald
1975

TABLE
DES
MATIERES
847.
INTRODUCTION GENERALE
=====================
l - POSITION DU PROBLEME ET LIMITES DE L'ETUDE
...••
3
II - QUESTIONS DE METHODE ET SOURCES
1 - Enquête par questionnaire L?~.............
14
2 - Le questionnement des documents
15
?REMISRE" PARTIE: LES "EVOLUES"
AFR~CAINS ET L'ORDRE COLONIAL
=============================================================
INTRODUCTION
28
C~APIT?~
l
LES ~VOLUES DANS L'OrDRE COLONIAL
8~CTTr')N
l
~CJR.ll;.'-.TIO:; ET PREPARATION A LA PARTICIPATION D:2:PEI;DANTE
1 - L0~ écolos de la p~riode coloniale :
bref aperçu
_. . .
33
2 - L'école,
instrument d'aliénation:
l'esprit et les méthodes d'enseignement
au service de l'ordre colonial et de
l'intégration dans cet ordre
39
SSCTION II
L~S ""SV01J1ES" ET LEUR VOLoilTE DE PARTICIPER A
L'ORDRE; COLOHIAL
l
- Rapport des "évolués r, ~ la masse
illettrée et à l'ordre colonial.
La mentalité des "évolués"....... ... .... .
61
2 - La demande d'intégration réelle dans
l'ordre colonial
".....
~6
C~APITRE II - DL'=LITE"
AFRICAIIJE CONTRE L'ORDRE
COLo;: "ul" L (SVEIL ET Ll~~TE ;{1\\ TIC:::-LISTE DES EVOLUES
ET DES INTELLECTUELS)
SECTION l
LE NATIONALISME A SES DEBUTS - SES AMBIGUITES
1 - Le nationalisme naissant (1890-1930) .....
82
2 - De l'opposition réformiste constitution-
nelle accrue à la lutte nationaliste :
1930-1945
.
91
SECTION II
L:2: NATIOKALISME COMME APPEL A L'ETAT-NATION.VERS
L'INDEPENDANCE: 1945 - 1960
l
- Bref aperçu des conditions générales
d,] possitili~~ de la 1:1i88 en cause de
l'ordre colonial
.
102
2 - Le"nation31isme des intellectuels et des
't
.
e i u d l ,:-': ~1 t· s
..
111.

848.
DEUXIEME PARTIE: QUI SONT LES INTELLECTUELS DE L'AUBE DE
=========================================================
L'INDEPENDANCE A NOS JOURS
==========================
INTRODUCTION
."
129
" " " " " " " .. " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " "
C~APITRE l
- ASPECTS r,S LA VIE ET DE L'UNTVERS DES
ECRIVAINS ET DES ~lJS~1GNAi~TS
SECTION l
LZS.ECRIVAINS
.
l
- Caractéristiques sociales, situation
professionnelle et niveau d'études des
écri vains
132
2 - Nombre d'écrivains - Nombre de titres
d'ouvrages - Poids sociologique des
écri vain s
'. . . . . . . . .
137
SECTION II
LES E;JSEIGNANTS
A. Poids sociolo~ioue des ensei~nants : nombre,
i~';)Or~,3nC'? d~ l:,';]r;-='
()r:-··r!~ :-~,~:;.ti(;,'-;S )C:':r~lji ,_~rlj···;3
l
LJombre des enc;cign'J.nts du supé2"ieu':;:
142
2
Les' org3n'ïsati0ns
enseisne.~tes """"""",,"
147
B. Enouête sur les ensei~n~nts et chercheurs ahidianais
l
-
Caract~ristiques sociales des universit~rss 154
2
Activités culturr~lles, socia-culturelles
et écono~iques des universitaires.
160
3
Les orientations socio-politiques du
milieu universitaire . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
167
Conclusion
191
CHAPITRE II - LES ETUDIAijTS
SECTION l
FOIDS SOCIOLOGIQUE DES ETUDIA;:TS : ;lOIBRE, H1FORTAiJCE
DE LEURS ORGANISATIO~S,
CE QU'ILS REPR2SENTENT COMME
CHARGE EN TERMES DE DEPENSES PUBLIQUES
l
- Les dépenses publiques d'enseigneDent
et les besoins en ressources humaines
195
2 - Quelques données statistiques concernant
les é t u d i a n t s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
204
3 - Les organisations d'étudiants
216
SSCTION II
ASPECTS DE L'UNIVERS DZS E:UDIANTS
l
- Origine sociale des étudiants.......... . 2 2 2
2 - Aspirations professionnelles des étudiants.
Destination sociale .. .... . . . . . . . • . . . . . . .
227
J - Attitudes et opinions socio-p01j.ti~ues
des étudia" ts
23?

849.
TROISIEME PARTIE
LES INT~LLECTUELS
DANS LE POUVOIR
~===============~==============~======================
PRESENTATION
CHAPITRE l - LA PARTICIPATION DES INTELL~CTUELS AU POuVOIR
SECTION l
L'ELITE DIRIGEAN7~ OU L'ACCOMPLISSEMENT DE LA
RECHERCHE DE PARTICIPATION AU POUVOIR
A.
Profession,
fo~ction et acc~s au Douvoir
248
1 - De 1957 à 1962 .( cas des pays de
l 'Jl.fr-:'qus francophone)
249
2 - Cas tiss pays anglophones en 1957 et
en 1963-1964 . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . ;
272
3 - L'éli"':e rolitique africaine en 1964..
277
4 - L'élite ~olitique afric~ine apr~s les
annéss 1973 jusqu'en 1981
2SG
.
. .
8CC~3
311
POllVOlr
1
- Autour des années 1964
294
2 - Plus
~8 dix ans aI)r~s los j.rld~pendances
et au-dslà
: 1974-1975 et 1980
301
C.
Oril':"ine socialE:.
c'loital socLil, influence
politiJue,
cli::-O!1t;~lisr:1C et accè~. [l1) ~ouvoir
1 - Ori,;i":8
sociale,
oriGine rô':ionale
et ac :;ss au p o u v o i r . . . . . . . . . . . . . . . . .
303
2 - Adhés::'on idéoloGique,
stratégie
clie,,~éliste, capital social, opposition ••313
8onclusio!1
320
S':::CTION II
LES ETUDIANTS AU SERVICE DU POUVOIR
1
-
LeM E0CA1·1
330
2 - Etude du Gouvernent étudiant ivoirien
d'app~i a~ pouvoir: sa vie et ses
difficultés face au courant opposé
340
S':::CTION III
LSS CADRES ET LEUR RAPPORT AVEC LE POUVOIR
1
- Le cadre dans la stratégie de déve-
loppe:::: ent et de domination so ciale • • •
366
2 - Africanisation des cadres et idéologies
des cadres et du pouvoir ....•.••.••.
371

850.
8HAPITRE II - SIG1!IFlr,ATI();~ E'r' pr;:;TEE DE L'IJ:"?EGR!lTIor:
ET DE LA RECj1ERCliE DE P7.~J C[PA TION D':::S ETEL::"ECTUELS
AU POUVOIH
SECTION l
MODERNISATION DE LA SOCIETE ET IMPORTANCE DES
INTELLECTUELS ET DES DIPLOMES . . . . . . . . . . . . . . . •
395
SECTION II
ROLE ET PLACE DES INTELLECTUELS DAIlS LES SOCIETES
DEPEIlDANTES, ET RECHERCHE PAR LE POUVOIR DE LA
PARTICIPATION ET DE L'INTEGRATION DES INTELLECTUELS
l
- Faiblesse de l'i~tégratio~ de la
société nationale,
développe~ent
de l'espace idéologique et appel
à la participation et à l'intégration
des i~tellectuels ............•........
399
2 - Faiblesse de l'unité et de l'Etat
national et développement de liespace
poli tique et de la clE:.sse f'loyenné . . . . .
411
SECTION III
DOMINATION ETATIQUE DE LA SOCIETE ET RECH~RCHE
D'INTEGRATION ET DE PARTICIPATION DES INT~LLECTUELS
,J. U POUVOIR
l
- Présidentialisatio"Yl et bureaucratisation
au service de la puissance de l'Etat.
Recherche d'allia~ce hégéconique
431
2 - Volonté de puissance de l'Etat à travers
son rapport au Parti et à la société
et dewande d'intégration des intellec-
tl)el s
1,40
Conclusion
453
QUATRIEME PARTIE - LES INTELLECTUELS CONTRE LE POUVOIR
=========~============================================
I::TRODUCTIOK Er: fO~::= D'HYPOTH~SES
C:-i!IPITRE l - L~ I:.~'i'-;-C';:êLIS~,;E D:SS T::TEEECTUELS OU
L'A?F~L ~ L'~TAT NA-TIO~A~
S~CTION l - L= :Tft.~J.O;~.'\\LE;::"s !)ES Ll"':.'ELL:'::CTt:'::LS .:' TRAVERS
LEUR PRODUCTION LITTERAIRE
l
- Un peuple trahi et déçu . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . L62
2 - Un Etat défaillant et carent . . . . . . . . . . . . . . . . . • . ,70
3 - Un Etat en collusion avec une bourgeoisie aux
"dents longues"
. . . . . . . . . . . . • . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4~3
4 - Un pouvoir qui essaie de donner le change
avec un traditionnalisme de façade
~;J

851.
SECTION II
LE COMBAT DES ETUDIANTS CONTRE L'ENSEMBLE DE
L'ORDHE SOCIAL
A.
Les mouver.Ier!ts d'studiants dans le uay's
~ option libérale
l
- Quelques ~pisodes de la vi~ de
l'UGEC et des étudiants zairois.......
491
2 - Les ~tudiants centrafricains
495
3 - Les étudiants maliens •.......•......•
496
B. Les étudiants eG lesDavs à outior! socialiste
l
- L'A.S.S.Y.
(AssociatiOr! des
Etudia"ts Sénégalais de France).......
499
2
-
L'A.B.E.
(Association des Etudia'1ts
et stagiaires du B~nin), l'A.E.C.
(Association des Etudiants Congolais}'
506
3 - L'A.E.G.F. (Association des Etudiants
Guinéens en France)
et autres
groupes étudiants
508
SECTION III
E::S;::IGNA):TS ST ACnOIJ CRITIQUE CO;:T'l.:: L'ETAT ET
LA DOi~INATIO;l
EXTE~IEURE
ET INTERI~UkE
l
- Le SYN~'lES à l'occasion du probl~rne
du salaire des enseignants ivoiriens..
519
2 - Le SYNARES à l'occasion de la question
du loce~~nt des ensci?nants
522
3 - Le SY~ARES à l'occasi~n du probl~me
de lare cherche
526
CHAPITRE II - LE LIBERALISME DEMOCRATIQUE DES
l:JTELLECTUELS
A. L'intellectuel libéral. Pour la démocratie
et la liberté d'exuression au no~ des droits
de l'humme? e?t CGltre l'autocratie.
537
B. Contre la domination de l'Etat au serviCe? du
néoco]onialisrJP.
Pour la démocratie et la
liberté d'expression.
l
- Etat démocratiaue et "terrorisme
d'Etat"
: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
542
2 - Au nom de la démocratie prônée par
le pouvoir............................
545
Con cl usion .... '. •. . . . . • . . . . . . . . . . . . . . .
554

852.
CHAPITRE III - L"2 j)F'~.I~~P::_.B:~~glldTION_gJi:g:z ..1E~
IN1:CLLl:;CTUELS
A. Lrintellec~uel
~évolut;on~qire
et la represen-
tr::-.. tiOL du rlonds
so ~ial . . . . • . . . . . . . . . . . . ~. . . . . .
559
B. La révolution ~~nE l'esurit des intellectuels
l
- La révolu~ion de libération nationale ..
569
2 - La "R':ivolutio" Natior.ale Démocratique
Populaire Il
(RDNP)
. . . . . . . . . . . . • . . . . . .
574
c. Hale des ~~tel'~~t-lels dans lE r~volution
l
Connaitre l'ennèmi,
se connaftre,
slint~2rer aux masses
582
2 - L' act:;.on i~ili canté; Ir8volutionnaire"
des i"tellectuels
(é.crivains)
a)
co~strl1ction d'actions symboliques
ré·:~lu~io~raireE et justification!
lé~iti~atiDn des luttes
594
t) pr~duc~io~ pou~' i~2pirer l'action
et la l u t t e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
602
3 - Les d~fficlllt052, de la révolution ou
~ ~tre r~volu~ionnaire
608
C,.:APITRE IV - LE 2')CV,LIS)'.S D:::S' I::'T'ELLECTUELS
A.
De l'ar,ticapitalis:~e
au socialisme . . . . P.......
621
l
- Un Etat natio,al défenseur de la com-
munau~~ e: ql1i en appelle à la spéci-
ficité nationale contre la domination
extéri Eure
628
2 - Des i~stitutions démocratiques au
service de la société et non de l'Etat
d'abo::-d
633
C. Quand le sccial~sme est menacé uar sa
réslisacio!- ou :~ar la r:raficé.
l
- L'opportur-,isme idéologique..........
637
2 - Le dos~atisme grâce auquel l'Etat
dévore la société . . . . . . . . • . • . . . . . . . .
638
3 - La parodie qui disqualifie le socialisme 639
4 - Au-del~ des critiques du socialisme en
réali E' 2. ti O~l ••••• :....................
640
Conclusion pour la gua~ri~~e partie

853. .
CINQUIEME PARTIE - POUVOIR, RAPPORTS DE CLASSE, IDEOLOGIE
===============~===========;~=~~~~~~=~~:~~~~~=========
===
ET I~ILIEU INTELLECTUEL
=====================~
INTROJJUCTION •.................•...•........•.•.
661
CHAPITRE l - LFS CONFLtTS DU MILI~U IETELTvCTUEL
SECTION l
L~S CONFLITS DU RAPPORT DIFFERENT AU FOUVOIR
1
-
Les rapports de participation ou
d 'opposi tion au pouvoir,
6xpression
fidèle
de la lutte des
cIG.sses:.......
666
2
-
Insertion
et fonction
de l'opposition
au pouvoir dans le conflit s o c i a l . . . .
677
3 - Insertion et fonction de la partici-
pation au pouvoir dans le
conflit social
684
4
-
ConcllJsion
:
rapport des intellectuels
au pOijvoiret luttes politiques
. . . . . ~
633
S:::CTION II
O?FOS·ITION ET CONFLITS AU SEnT DU ~';ILEU I:'TELL2C':'FEL
fJ,.
Conscience nationale et· cons·cience de
classe:
l e 3
th èm(-::: s
cl '0::, ri (1 ~:: i t ion e t à."
c c>.: ~ l'l l t
C' rl t r (~
les intellectlJPls
rFnvoient-iJs ~ la lutte
politigue ou ~ ]~ luttp socinJe de classe?
l
-
La nation,
l'Afr~cue e~ son devenir,
la modernisation dans l'opposition
et le
conflit entre in-;"ellectuels
. . . . .
698
2
-
Tensions et conflits du milieu intel-
lectuel,
expression fidèle
de la lutte
de
c l é è s s e ! ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
714
B. Le champ intellectuel, ouelle sp~ciricit~ et
guels enjeux sp6cifigu.es ?
1
- Le
chn!::L' ir:tellectuel,
un
t'èspace s:'cial
comme un autre,
avec des e~jeux . . . . • . .
7L~
2
- 1·'3s enj eux sp~cifiques des
"l uttes
intestines" denis le
champ intellectuel ••• 757
CHAPITRE II - UNIFICATION ET UNITE DU ~~ILIEU I~TELLECTUEL
S:SCTION l
LA NECESSITE DE SE DONNER UN CONTE~U SOCIAL
SPECIFIQUE. LA T~~SIC~ VERE L'HISTORICITE (OU
V:t:RS LE HAUT)
1
- La d~finition de soi comme agent
de 1 'historici t~ •.•.••••....•.•.•..•..
773
2 - Quand l'utopie et l'id~olo~ie ~~unisse!]t
les intellectuels dans la iranscendance
et lla2~io'1 sociale • . • • • . . . • . . . . . • . . . .
734

854.
SECTION II
LA NECESSITE DE'~O~JURER
OU DE PREVENIR LA PERTE
D'HISTORICITE. LE RISQUE DE LA TEIISIOn VERS LA
"eONDITION GENETIQUE" (OU VERS LE BAS)
l
- Les
co~ditions de la Derte d'histo-
ricité et de l'ineffi~acité chez
les intellectuels
792
2 - Quand le mort saisit le vif.
Perte
d'his:o:icité et embourbe~ent des
intellsc~uels . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . .
803
CONCLUSIOll GElJERALE .....•.....•.....•.•.•.•.•.
816
ANNEXE .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 10 .. .. .. .. .. ..
826
~IBLIOGRAPHIE .. ". .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
832
TABLE DES j·1A TIEHI~S . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . • . . . . . . . .
847