UNIVERSITE
RENE
DESCARTES
PARIS
V
SOR BON N E
UER
DE SCIENCES DE t EDUCATION
_n
El\\JSEIGNE1\\1Et\\JT ET ACCULTLTRATION-
DES ENEJ-\\NTS DE IECOLE PRTh1AlRE
DE mTE D}IVOIRE
DOCTORAT DE
3~ CYCLE
REDIGE SOUS
LA DIREcr~ON
DU PROFESSEUR LÊ THÂNH
KHÔl
CONSEIl.. AFRICAii'"J El MALGACHE.
POUR l'EN5iEIGNEMENT SUPERiEUR
1 C. A. M. E. S.
-
OUAGADOUGOU'
i Arrivée ., .2.1.JUlN.19ap·3·~·i
1Enregist~·~_sous n° .~O.O......•. 1
Soutenue
le 22 -12 - 80
Par
N' DRIN Allou
David

A
mon
pere
et
à
ma
mère
,
A
mes
frères
et
soeurs,
A
mes
chers
enfants
-
Philippe,Alfred,No~l
-
et
Marie-Laure
Je
dédie
ce
bilan
de
toute
une
vie
scolaire.

TABLE DES t·:ATIERES
Pages
AVANT
-
PROPOS ....................................................
11
INTRODUCTION GENERALE •••.•••••••.•••••...•.••.•..•.•...••••••••.•.•
17
- Contexte aénéral
19
2 - Contexte ivoirien
24
3 -
Intérêt de l'étude
27
4 - Orientation du travail
30
PP~IFFE PAFTIE
APEFf.l' SUR L'ENSEIQJ:Iv:Er\\!I' En COTE D'IVOIPE :
33
CF~ITPE PR91IER : Education traditionnelle ou enseignement
précoloniùl p~ Côte d'Ivoire
35
OU' allons-nous entenère par éc'ucation ?
35
38
39
39
Apprentissage des aptituàes mtellectuelles et
morales
.
41
Sens de cette éèucation
.
43
Que conclure?
46
CF~ITP.E DEL'XIE11E
l'Ecole coloniale
.
48
Implantation de l'école en Côte d'Ivoire
.
48

L'irrplantation
48
Structure de l'enseignerrent dans la période coloniale
.
51
Enseignement primaire élémentaire
.
52
a - L'école du villa0e
52
b - L'école régionale
53
c - L' école urbaine
54
Enseignement primaire supérieur et technique
54
L'école supérieure tecrnique
56
Essai de ruralisation de l'école de village
57
L'école rurale de village
.
57
L'échec de la ruralisation de l'école
.
58
Processus de J'aliénation culturelle de l'école coloniale ....
60
Le recruternent des élèves
.
62
les raisons du refus de scolariser les enfants
.
63
Le dérac inement
.
67
Le recrutement
.
68
la stratégie du recrutement
.
71
La diffusion du modèle de civilisation,
facteur psychologique à la base de l'aliénation culturellle
et de l'intégration à l'exploitation coloniale
.
76

1223
Mécanismes de production des complexes et l'acculturation
de l'écolier
81
La langue
82
L'intirridation
85
Les complexes
86
L'assimilation scolaire
90
L'2
Les rranuels scolaires
94
z.
34
a - Manuels scolaires, comme mécanisme de filtration de
l' idéolcgie scolaire
95
b - Le meurtre culturel à travers les manuels scolaires
97
1
: L'enseigneITent colonial
Education ou acculturation?
100
23
Une certaine conception de l'enseignement
101
Quels sont les bouleverseITents cui ont été provequés par
l'enseignement colonial ? .•.........•.......................•. 106
l 23
Les proçrrël1T1P.1es
108
21
12322
Les rrB~aits èe l'école coloniale
109
Conflits entre parents illettrés et enfants
l
. ,
sco__arlses
. 110
Le problème de la langue
112
Tentative è-e "retour à la terre"
113

Conclusion
.
115
CHAPITRE TROISIH'lE
La. nriœ en cI1arge de l' e.nseignernent par l'Etat
IvoiriGl et la reproèuction de l'idéologie scolaire
occidentale
11 9
1
Les problèmes scolaires issus de la loi-caêre de 1957
120
31
1
: Vers un t~~ nouveau d'enseignement?
124-
32
1321
la conception de la politiQUe du système éclucvtif pcrr des
éléments étrangers est une source d'acculturation
125
1322
Finalité et porté du programme de dévelopPement de l'éducation
et de la formation
128
1323
Pinalité de l'enseionement et de la formation
129
1324
Tentatives actuelles de rénovation pédagogique
132
133
L'enseignement primaire télévisuel en Côte d'Ivoire, nouvelle
stratégie pour une bonne acculturation des enfants
134
1331
~nalyse de la situation scolaire
;
134
1332
Les raisons d' un choix
136
L'amélioration de la rentabilité du système d'enseignement
primaire va corriger les erreurs du passé en matière
.
d 1acculturation
137
Ouverture de l'école sur le ~ilieu
139
L'exode rural et développement des villages
141

La nouvelle reforme et son impact social
144
Co~t est née l'idée de proposer une nouvelle réforme ?
145
Contenu de cette réforme ...•................................... 146
Difficultés de l'application de la réforme:
Les freins politiques
147
1
Analyse des sources de financement et acculturation
151
34
1341
Aide extérieure
155
Aide multilatérale
155
Aide française
~ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 157
Autres aides
157
1342
"Le cODplot des experts" et la télévision scolaire
158
Appui financier et scientifique
158
Une affaire gui marche bien
159
1 35
L'école Ivoirienne présente et la reproo.uction des instances scolaires
et culturelles héritées de l'ancien système
161
1 351
caractéristioue du présent enseignement
161
1 352
Analyse des moyens pédagogiques, co:mme source d'acculturation
164
Les hanrY'.es
164
Le rratériel
165

Analyse des méthodes et des programmes
.
168
l 35
Les choix pédagcgiques
170
31
l 35
Répartition des horaires et des disciplines
171
32
CHAPITRE QUATRIEJvlE
CCNCLUSION DE LA PPUlIEPE PA..>ZTIE ..•.•..••..••.••.•..••..•.•.......••.••.. 176
L'école occidentale, ooe autre manière d'éduquer
176
Que se passe donc dnns l'enseignement?
178
DEUXI:EJ.1E PARTIE
II
LES PllATICJ',TS SCOLAIPES CQ;I'1rvΠtillIEU PROPICE
AL' Th:TERIOPlSATION [,ES HODELES CULTURELS CCCIDE1ITAUX
180
INTP.ODUCTICN • • • • • • . • • . . • • . . . • . • • . • • . . • . . . . • • . . • • . . • . . • . • . . . . . . . . . • . • . . • • . .
181
Concept d'acculturation
184
CHAPITRE PREMIER : La question 11éthoë.oloqique
187
Sens de l'enseignement: mtérêt de son analyse
187
11
: Cheminement et limite de l'étude
189
12
11
: Travaux antérieurs
190
121
11 122
Tendances directrices de ces travaux
192
11123
Approche ITéthodolcgigue
193
I
I 12
Terram c:' étude ........•.................................... 195
4
11125
Hypothèse de travail •.••.•..••..•.•.•.•..................... 198

11 5 : ASPECTS TECh~NIQUES .•.......•......................................
220
1
11151
: Techniaues
d'échantillonnage
.
220
11152
Caractéristiques de l'échantillon
.
223
11153
Déroulement de l'enauête - Directives orales
.
227
CHAPITPE DEUXIEME : L'ACCCLTURATICN llJTEFNE AU HILIEU SCOLAIRE
.
229
11
: LE PASSE SCOLAIFE
.
230
21
11 211 : L'écolernatemelle
.
230
1
1 21 2
Ecole élémentaire
232
11 22
LE PRESll-:T SCOLAIPE ...........................•..................
236
11 221
Difficultés rencontrées au cours de l'apprentissage scolaire ....
236
I I22
Le problème de la langue
236
11
I I22
Décalage entre langue scolaire et langue du milieu
238
12
I I22
L'apprentissage de la langue
écriture et lecture
241
13
I I22
Appréciation des disciplines wises au pr~TraMme
246
14
I I22
Disciplines d'éveil ou activités pratiques et artistiques .... 250
15
11 222
Influence du contenu de l'enseign~t
252
112221
Analyse de quelques manuels
253
112222
Le retard scolaire et ses causes
257
11 2223
Satisfactions scolaires et études envisagées
259

CHAPITRE TPOISIEME
FACTEURS D'ACCULTUPATION A L'INTERIEUR DE L':S::::OLE
262
II31
LA RELATICN MAITRE-ELEVE COMME SOIJPCE D'ACCULTURATION EST
FONCTICN DU r1ILIEU PEDAC~IQUE ••..•••••.•••.•••••••••••••••••.•
262
La relation IPè.ître-élève et la situation dans laquelle
elle se noue
263
La relation ~aître-élève et la communication par laquelle
elle s' explicite
266
Pepartition des communications
268
La relation maître-élève et la communication en classe
de français
269'
11315
La pédagogie de l'étonnement
274
11 316
Conclusion
278
II
: ATTITUDE DE L' ENSEIGNM·T VIS-A-VIS DE L'ELEVE .•.•.•..•...•...•.• 280
32
II 321 : Attitude de l'enseignant
280
Le maître corrprend l'enfant dans la mesure où se
dernier s'occidentalise
283
Que pouvons-nous dire de ces résultats ................•.. 285
II 33
ATTITUDE DE L' :S::::OLIEP. IVOIRIEN VI~-A-VIS DE L' ENSEIGNM1T. . . . . . . •• 286
\\
11
:S::::OLE ET DEVELOPPEME}JT DE L'Au~Na·UE DE L'ENFArfr .•..••..••..•.• 289
34
CHAPITRE QUATRIillli
LES FACTEURS D' ACCULTURATIOrJ AL' m'l'ERIEUR DE L' :S::::OLE
SAISIS AU NIVEAU DES CONDISCIPLES .••••••••.•••.•.••..•. 292
11
: Appréciation des relations avec les condisciples
292
41
11411 Satisfactions
293
11412 : L'intensité des bons rapports augmente avec le type d'école. 297

11
:
CHOIX DES OO-W-ADES ••••••••••••.••••••••••••••••••••••••••••••• 301
42
Choix en fonction du deqré dl acculturation du cam:rrade
à choisir
301
Choix en fonction de l'intelligence scolaire du camarade
à choisir
303
Choix dl un partenaire "étranger" autre qu 1 un français........ 306
Une autre attitude fOur choisir un carrarade
307
CHAPITRE CINQUIEME • LES EFFETS DE LI ACCULTURATIŒJ AU NIVEAU D~ L'INDIVIDU
AU SEIN DU HILIEU FArvr...ILIAL ET LES RELATIONS AVFf2
LES PARENTS............................................ 309
II
MODIFICATIONS IMPRll·1EES PAR L'ECOLE AUX PR.CX:ESSUS CCMPORTEMEN'TI\\UX
51
DE L'ECOLIER •.•••••••••.•.••••••..••••••.•..•••••.•••••..•..•.....•. 310
Apparition des corrplexes
310
L'expression de l'aliénation culturelle dans les
cOIl1[XJrternents
31 2
115121
La langue
313
115122
Les danses
320
II5123
LI esthétique
322
II 51 24 : Altruisme culturel
323
II 52
L'ancrage du rrodèle européen
327
11521 : L'école permet-elle de vivre dans son milieu originel?
329
Distorsions
331
L'école ne met pas l'accent sur le travail Il"anuel, alors
que la base de la richesse du pays est faite de travail
agricole
332

CHAPITRE SrxIEME
CONCLUSION DE CÈTTE DEUXIEME PARTIE •....••........•...... 335
1161
LES DISCIPLlllliS ........•..•.....••.......•........••................. 335
11
RELATIONS INTER-~TIIVIDUELLES
.................•.....••.•............. 335
62
11621
Haître-élève ..
335
<
• • • • • • " .








































• •
11622
Elève-élève (relation inter-individuelle dans la classe)
336
TROISIEME
PARTIE
CONCLUSION : ENSEI~~~S TIRES ET SUGGESTIONS ........•.................... 337
CHAPITRE PRE}lIER : ENSEI~~~S TIRES DE L'ETUDE ............•.............. 338
CHAPITFE DEUXIE}Œ : SUGGESTIONS ........•.................................... 342
Néces~ité de reprendre-~-".,rrainle système éducatif ivoirien
342
Amélioration du système éducatif actuel
343
Conscientisation des populations
344
111
Savoir prendre ses responsabilités ............•................ 345
24
BIBLICGPAPHIE .........•............................•................... 347

-=0.0>..
Rés~mé de la Thèse
de M. N'DRIN ALLOU David
ENSEIGNEMENT ET ACCULTURATION DES ENFANTS
DE L'ECO~E PRIMAIRE D2 COTE D'IVOIRE .
Paris le 22 Décembre 1930 .

1 1
AVANT
PHOPOS
L'idée d'écrire une thèse sur l'enseignement et l'accultura-
tion des jeunes de l'école primaire, nous a été suggérée par notre
professeur M.
l~ Thanh ~hoi, au cours d'un séminaire de socio-économie
de l'éducaticJlî et: éducatiOll comp:née.
AfJrès é"rVoir réfléchi ~ôur le sujet
nous l'avions trouvé
intéressant à cause de l'importance du problème de l'impérial-isl1le
culturel en Afriqul' et dan~; le nlLJ11de.
Si 110tre choix s'est porté sur l'acculturation de l'écolier
ivoirien du primaire, c'est en raison uu nombre infime des études qui
lui ont: été consacrées jusqu 'cl pré~;ei1t.
Le lecteur trouvera dans cet ouvrage rassemblées quelques
observa tions d' J.nég.:l1c impor télllce.
Ces observa tians on tété recue dlies
sur la vie de l'~nfant ivoirien en milieu scolaire et l'éducation qu'il
Nous Dvons porté notre attention à ce ITlilieu parce
qu'il
est devenu. aujourd'hui un lieu de contradictions, d'aliénation cultu-
relIe:
c'est un milieu en Illutatio[1.
Le produit de ce
milieu qui est l'(~cuJ.ier, est,~tll1, individu que certains
,
-
~ '?l'':::'~
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- . .
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1",0.
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es va eurs
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occidentales.:iu détriment de.s sl(,nnes.JPir(,)prie~.
\\ >1
',!:'" ~VI Ë
l
,.';
En considération de ces der\\n\\~es, ~s-a,vons cOl!1pris que notre
'\\'.\\
/ .:
devoir de psychc)lo:!;ue, d'c~cl~lCal:eLlr, cle',·pé'daoooue (;'.'3\\ de nous tourner
\\~"'~
-o_0-
e:"" :/
"",~/.97" _ - ~ S·\\ç/?
vers une étude sérieuse des lnfluenccs cB.~lC's occidentales que l'en-
fant ivoirien subit dans le cadre de sa formation scolaire.
Notre sijour en COte d'Ivoire, dans le cadre de nos recherches
nous a donné l'occasion d'élargir et de complèter notre expérience au
contact de l'enfance scolarisée rurale et urbaine.
Il (::st apparu, d'après nos ubscrvéltions que les conditions
d'ens~igncment, quoique différentes de ce qu'elles furent à la période
coloniale, n'ooe rien chang~ quant ~ leur résultat, c'est-à-dire quel
type d'ivoiriens l'école veut for~er ?
... /.

12
Si encore, dans les écoles rurales,
la mentalité et la forme
de pensée des enfants restent tout aussi impén~trables à qui ne connaît
pas l'arrière-plan culturel sur lequel se détachent leur c):ist~nce et
leur personn2U.té (l), certains scolaires urbélins subissent un "lavage
de cerveau" si Dien que leur mentalité et leur forme de pensée n'ont
rien envié à celles de leurs cundisciples français.
Ainsi prit forme ~n nous le désir de pouvoir un jour éclélirer
les problèmes d'accGl(uration de l'en[3nt ivoirien ~ partir des données
t
1
de la psychologie, de la psychosociologi.e de l'éducéltion, de la pédagogie
et de la sociologie.
Il nous semble que s'j.ntcrroger
sur ces problèmes, présente
non SEulement un intérêt théorique pour le chercheur '. mais élussi un
-e.t
ensemble de probl~mes de données qui sont à l'ordre du jour et qui
.,.
peuvent éclairer les préoccupations du psycho-sociologue de l'éducation.
Si nous insistons
dans notre travail sur les relations
scolaires avec les multiples problèmes qu'elles soulèvent en milieu
ivoirien, c'est pour saisir toute la portée des f~lits d'acculturation
auxquels le maître et l'élève aSS.l:,~tentct dont ils sont rilêlaes "un des
,Hoteurs les plus actifs" (2),
"C'est l'utgence même des problèmes d'acculturation qui nous
cootr&int d'entreprendre des recherches élpprofondies concernant le milieu
traditionnel, écrit H.T.
KNAl'EN,
si on veut aborder lél situation nouvelle
de 'manière objective, c'est-j-dire en prenant en considération la totalité
des données et dès lors aussi des élntécédents (3)",
En ce qui nous
concerne, nous dirons que cette urgellce nous contraint d'entrepre~dre
des recherches modestes concernant le milieu scolaire ivoirien.
Notre
contribution à l'étude de l'acculturation de l'enfant ivoirjen nous
contraint de poser correcte~ent les problèmes pédagogiques li{s à ceux
du développement et de partir d'un inventaire élussi complet que possible
des forces en présence dans l'ensejgn~ment ivoirien élinsi que d'une
. juste appréciation de la manière dont ces forces peuvent constituer des
freins,
des obstdcles à l'enraci.ne'T,ent de l'ivoirien dans scm terroir.
(l)
(2) Pierre ERNY
l'enfant et son milieu en Afrique Noire,
Payot, Pa~is 1972
(3) H.T.
KNAPEN,
l'enfant Hukot\\gù
.- Or:ientéltions
de
b
d
~
.
-
ase
u systeme
éducatif
et
développement
de
la
personnalité
(publications
Universital're's
de
Lo
va'
-d
B-
.
N
.
l'9,66
u
ln;
e .
e a t r l c e - .
-
ParlS

13
c'est pourquoi, nous pensons que l'éducation a l'occidentale de l'enfant
ivoirien doit tenir compte du contexte africain dans lequel s'exerce
cette éducation. Da~s cee 0~GrG d'idées, nous rejoignons JOMO KE~NATTA
lorsqu'il écrit en 1937 en ces termes:
"l'analyse du système éducatif
cel qu'il existait avant l'jntroduction des lois européennes nécessite
une étude approfondie e't présente un intérêt pratique indéniable pour
les éducateurs chargés d'inculquer un enseignement occidental aux
Africains .. <
L'étud2 des sysLè~;;ésêducatifs de pays tels que l'Allemagne
et le Japon a aidé à la compréhension du caractère de ces peuples ; elle
a révélé quelle était l'échelle des valeurs proposée aux jeunes généra-
tions.
Quelles étaient les idées directrices enseignées, quelles
vertus ,et quelles ambitions l'on favorisait
Pourquoi donc ne pas se denrancler quels sont les schémas
d'éducation en Afrique? Quels en sont les effets en cours de la
croissance? Qui en controle le développement et comment? (1)"
Abdou Houmouni a de son côté exposé ses vues et proj ets
dans son ouvrage intitulé l'éducation en Afrique Noire: "En dehors
de toute nostalgie du passé, de tout regret raQantique et de taute
lamentation sentimentale,
l'éducation africaine traditionnelle est une
source féconde d"c:-,seignement et un sujet de réflexion qui s'impose à qui-
conque veut envisager avec tant soit peu de sérieux les problèmes de
l'éducation et de l'ensejgnement d~ns l'Afrique Noire contemporaine. En
effet, contrairement à l'enseignemenc colonial qui s'est simplement jux-
W:
taposé à l'éducation africaine traditionnelle, en l'ignorant etrla
méprisant dans la pratique, toute conception nouvell~ et qui se vaudrait
valable de l'enseignement et de l'éducation répondant aux conditions
actuelles et aux perspectives d'avenir des pays de l'Afrique Noire devra
pour revêtir un caractère national et populaire réel, d'une part emprunter
à
l'éducation traditionnelle certains de ses aspects pour les intégrer
à une orientation moderne et avancée de l'éducation, et d'autre part
cohabiter
avec
elle
pendant
un
certain
temps
en s'efforçant
Ge
l'influencer
" .En d'autres termes,cela veut dire en clair que
l'éducation
traditionnelle
est
une
source
tr~s riche
lI)
Jorno
KENYATTA
au
pied
du
Mont
Kénya
Maspéro
1960

14
d'enseignements - positifs et négatifs - un sujet de réflexion créatrice.
Ceci particulièrement dans les co~dlcions de notre époque, quand se pose
partout en Afrique Noire,
et avec quelle acuité,
le probl~me de la mise
sur pied d'un système d'éducation répondant pleinement aux aspirations ct
aux intérêts des peuples de notn:: patrle (1)".
Etant donné que l'éducation africairle traditionnelle est une source de
riches ensGigr.Glllènts,
il est donc normal que
l'éducation moderne s'en
inspire afin de mieux enculturer l'enfant.
Cette enculturation ou cet enracinement du jeune ivoirien
dans son terroir s("1t-i15 j>ùssi.blc'; quand on Sillt qu'en C('lte d'Iv'~\\ire
il n'existe nulle part un nrilieu traditlonnel pur,
entièrement préservé
d'influences étrangères?
7
L'enseignement primaire hérite de la COlollisation, s'exprime
en une éducation qul façonne
crr2S précllcement
l'existence des jeunes
écoliers qu'elle imprtgne, de sorte que les apports modernss,
telle. que
l'école représentent des "s~rnences jct~es dans un champ en friche (2)".
,
POUL"
décélérer l'introduction 2 l'école, des modèles culturels
occidentaux qui changent Ll vision du monde de l'écolier ivoirien, nous
pensons qu'il faut définir une véritable philosophie de l'éducation pour
la Côte d'Ivoire.
C'est elle qui dans la situation actuelle lui manque
peut-être le plus)afin de surmonter l'aliénation culturelle et
l'absence
d'une logique dans le syst~me éJuc2tif ivoirien. Pour étudier l'accultu-
ration de l'enfant ivoirien du prl~aire, nOl5
envisageons de voir ce
prob lème du point de vue
~
psycho-sociologue de l'éducation:
c'est, pensons-nous,
le seul qui, dans les circonstances actuelles, soit
utile et efficace, et qui puisse tenir compte des processus d'accultura-
tion.
Dans ce présent ouvrage, nous nous liIIlitOnS",
compte tenu des
moyens dont nous disposons, à l'analyse psycho-sociologique des relations
scolaires.
C'pst le l'l')e.l.t~~moyen pour nous de mettre en évidence les
phénrnn~nes d'acculturation résultant de l'int~raction entre l'enfant et
l'école.
(l)
A. Moumouni, L'éducation en Afrique Noire, P 12, 83 ( :1aspéro, 1964)
(2)
P.
ERNY, déjà cité.

15
Nous
essayerons
oe
situer cette
~tude ~ mi-ch~min entre
l'empirisme
et
le
th~orique. Ce que nous trouvons
normal
Il OU- ~
car nous
allonsvappuyer beaucoup sur
des
obseevations
relevées
au
coues
de
nos
enquêtes
et
sur
un
certain
nombre
d'éléments
théoriQues.
.
.
/
La
LnC~C;'le.,
la
jOUG.l,c'
démaeche
science
compl~te, ne préc~de jamais l'obser~aTion. Une ~tuJe
pour
se
consTiLuel~ v~r'iT(Jblement en documenT
"scie~-,tifiq·,je,
a
besoIn
de
s'appuyer
sur
des
observations.
Car
la
Jiver5it~
des
faits
observ~s, crc~nns-nous, fonde la g(n~ralité d~
C'est
surtout
au
niveau
du
milieu
scolaire et
extra-
scolaire
Que
nous
essayerons
d'observer
toutes
les
forces
CUl
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le
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III ri i s
d' ,S T U die l"
les
rela~ions de
l'enfanT
avec
le
milieu
scolaire
et
voir
dans
quelle
mesure
l'enseignement
primaire
ivoirien
est
une
source
de
d~r2-
c i n e ;-r: c~ ;, t
e t
ct' ace u l t u r Ci t i 0 TI d ("
l ' é col i e r
i v () iY' i e fi .
n 0 t r e
') e n sée
r e c (1 n Tl ais s CI il t- (;
2.
t r: :) s
c e 11 x
qui
n Cl u s
Cl!; L
C a 11 sei Il é
et
aidf;.
Nous
exprl~ons ilotY1e p]~ofonde gratitude aux ~col_jers.,
aux
ensei~nants de
l'Ecole
Primaire
Publique
de
ZEGO
(2),
de
Cocody-Pilo-re
(3)
qui
ont
paY'Ti~ip~ ri
la
réalisation
de
notre
objectLf.
Qu'ils
soi,'"'nt
rcrnerciés.
(1 )
r,'r~'"'rv""-l'On n"
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l!
__ J
science rigollrPlJse et compj~te. cr, R('lkll~d SIÎNTfPI~_r, A~ "la !~~Thoc1e
d'analyse dans les sci€Jlcf"s
de l' hommiè". Antheopologip, vol. VIII nO 1
(2) Notre village natal,
situ~ ~ 12 Kms de la SIP de Hir~ et de 4S Kms
de celle de Divo en pays Dina.
(3) Il s'agit 1C1 du deuxième quartier bouY'geois d'Abidjan après ,C2~ oled
2 Plateaux.
. .. 1. ..

16
Nous
voulons
exprimer
notre reconnaissance
~ notre ami
SEMITI
Ani Jules,
maître_assistant
à l'Ecole
Normale Supérieure
d'Abidjan
qui
nous
a
g~néreusement prodigué des conseils inoubli,::;bles.
\\
Nos
remerciements
vont
,f>galement
:=:
notre
Directeur de
thèse,
1'1onsieur le
Professeur Lê Thanh
Khol,
qui a
toujours
~~ait
\\
pre u v ,~ ct e ci i spa nib i l i t é
et
cl e
c a ln ~:n~ P. Ji en s ia rI ~ - n a t r e é g a r ct.
QU' i l
nous
soit
permls
de
lui
rendre
u~ h~mmage particulier.
,
En
soumettéint
c e
doc u rn e n ·t
ê-j
l'appréciacion des
membres
d u J ur y
d'~ s 011 t ·2 n a n ce,
Iî 0 U ,0;
n e
pou 1" l~ i a Tl S
t r 0 '" S 0 J. l ici ter l e L: r
indulgence pour
les
imperfections
techniques
qu'ils
Dourront y
relever.

17

18
"Les pensées de la classe dominante sont, à chaque époque,
les idées
dominantes. Les idées qui prédominent, autrement dit la classe qui est
la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance
spirituelle dominante. En conséquence,
la classe qui dispose des moyens
de la production matérielle dispose du même coup des moyens de la produc-
tion intellectuelle, de sorte que lui sont soumises aussi les pensées
de ceux qui sont dépouill~s des moyens Je la production intellectuelle ...
(Karl Marx, Friedrich Engels
Critique de l'éducation et de l'Enseignement: in traduction et notes
de Roger Dang\\rille)
. F. na.Hv-c:
..A9rb.

-t9 -
1 -
CONTEXTE GENERAL
Un fait domine l'enseignement tel qu'il se déroule en Afrique,
singulièrement en Côte d'Ivoire, auquel on n'a pas toujours donné
dans les recherches sa véritable importance, malgré - peut-être ~
cause de - son évidence: nous sonmles en présence d'une situation
d'acculturation.
Il est assez significatif que beaucoup de pédagogues
et cie psychologues (1) s'occupant de la qualité de l'enseignement
et du contenu des programmes et s'attachant à leurs
aspects et
problèmes actuels, évitent oe façon inconsciente le plus souvent,
d'évoquer la situation particulière:
~ cet enseignement, ~ savoir
un enseignement drnniné par des apports étrangers.
Ils s'en rapportent à des arguments moins compromettants tels
que l'incapacité des populations afric:lines aux "\\ilentalités primi-
t ive s" e t arr i è rée s .3 a s s in1i 1e r I a cul t . , c e c. cci è en [. ale. OU b i e n ils
se sont limités à des probl~mes restreints pour lesquels ils
ont
suggéré des solutions à effets restreints. De nombrl"ux spécialistes(2)
de sciences humaines tant africains qu'européens ont pris conscience
de l'ampleur des phénomènes d'acculturation cians les pays en voie de
,-
developpement. Tout récemment un colloque (3) a eu lieu en Algérie
pour justement parler de ce danger.
Le thème de ce
colloque' a·;a.:.t roulé autour de l'impérialisme
culturel. De quoi s'agissait-il?
Il s'agissait pour les différents ciélégués de dénoncer l'allure incon-
trôlable que prend l'impérialisme culturel dans les pays en voie de
développement.
(1) ;1 s'agit des coopérants en~oyés en Afrique pour penser le
système d'enseignement.
Il est évident que ces spécialistes ne
tiennent pas compte des phénomènes d'acculturation qu'ils ont
eux-mgmes sécrétés et qu'ils continu2nt de sécréter.
( 2 )
R.
Bas~de
(1970)
G.Balandier
(1963)
J.P.Lycops
(1975)
M.
Richelle
(1965);
R.Jaulin
(1975) ;
J.P.
Ndiaye
(1969)
( 3)
I l s ' agit
d e I a
1 ère
con f é r e n c e e 0 nt r e l ' i mp é ria 1 i s me
cul tu-
rel.
Cette
conférence
a
eu
lieu
du
Il
au
l~ Octobre 1977 à Alger

20
Si le concept d'impérialisme, en politique et en économie, a
déjà été assez finement circonscrit,
il n'en va pas de m~me de son
pendant idéologique que Jésigne communément sous l'expression
Impérialisme c~lturel.
Dans sa rentat.i\\JE', d'en définir les contours et proposer des
thèmes de déZense,
la conférence contre l'impérialislil8culturel
a dressé un inventaire impressionnant de la contamination idé610gique
et des procédés d'expansion par la culture. Elle a dénoncé la diffusion
massive des mddèles cul~ur~ls occidentaux.
Les conférenciers de tous
les continents ont dit COlilr.lent
1
> -f""
1 idéologie impériall5''":3e répand au moyen ùe vecteurs culturels extrê-
mement liés et souvent d'allure fort innocente.
Certains délégués (1) ont démontré par exemple conunent un
-'
objet aussi benin que le bibéron impose dans le tiers-monde des
pratiques acculturantes qui servent les intérêtS économiques des firmes
multinationales.
D'autres (2) ont expliqué que même l'enseignement
des sciences
. 1
-
.
P l U .
'/S-QI~
Af .
SOCla es et economlques en
0 ogne ou en
nlon l.ovlet~qU'e1tl.0u en
rlque
/;,0'v
'-ç_~
(c'est nous <.;ui soulignons) était calqué sU/§"'de~S'f,~~agOgi-..lueS
( d
. d - l '
) ' l
b
-
d l '
~(J ( C A ~' . d \\ -P,
(3 ).
\\ onc l eo oglques
e a ores
ans
es unlv~.s.sfl;..e.s~nt~res
.
D'autres (4) enfin ont soulevé 1€.~Pzoblème delJaJdiffusion
d
1
.
d . t
.
\\l~-"~' ./.,p JI
1
11
es
angues qUl recon Ul , lnnocemment camout" e·es,
:l:'e's va~ieurs cu ture
es
occidentales.
~
Les moyens de communication de masse ont fait l'objet à'une
attention particulière, parce qu'ils sont les instruments par excellence
de la diffusion àes modèles idéologiques.
(1) Dominique PERROT (Suisse) ; Bichara Khader (Palestinien)
(2) José Vidal Beneyto (Espagne)
(3) Université de Michigan aux USA, pour l'enseignement en Pologne et
URS S, au Canada
pour l'enseignement télevisuel en Côte d'Ivoire.
(4) Délégué de la France : Bernard CASSEN.
. .. /.

21
l
Les reflexions issues de cette conférence,
montrent que la plupart des pays ont pris conscience du
problème d'acculturation. Car il ne s'agit plus d'un simple
contact de cultures ou d'une interpénétration culturelle,
mai il s'agit des cultures dominées qui crient à l'agression
impérialiste (1).
Dans le même ordre d'idée Alioune DIOP (2)
aborde le problème sous l'angle de l'individu déraciné.
Il
fait remarquer qu'un immigré en France vit une situation
d'inconfortabilité. Cet immigré, non seulement est obligé de
parler la langue française, mais encore il subit
le poids de
1 ' h i s toi r e de Fra n ce,
t 0 u t ei1 é tan t
.' int i me me 11 t 1 i é à l' h i s toi rel
de son pays.
L'occident pour exercer sa domination sur les
autres peuples, a installé partout dans la vie des peuples
les structures de son "propre confort intellectuel, social,
économique etc ... "
Aliotlne fait remarquer que l'occident est partout à l'aise.
Pour en arriver là, elle a "écrasé la langue
des autres, violé la spiritualité des autres, falsifié
l'histoire des autres, dévalorisé l'expérience technologique
ou artistique des autres, humilié et paralysé la créativité
1
des autres "
A la suite de cette humiliation les peuples
du tiers-monde sont "inconfortables dans leur vie quotidienne
parcequ'ils sont écrasés et paralysés sous le -poids des
valeurs et expériences, des mœurs, des techniques et des
concepts de l'occident, lesquels couvrent et régentent le
monde, et pénètrent jusqu'au plus secret de la vie des peuples".
(1)
Jean-Pierre LYCOPS : L'agression silencieuse ou le
génocide culturel en Afrique, Anthopos 1975.
(2) Directeur de Présence Africaine : Monde du 28-10-78
Page 2.
. .. / ...

22
C'est ainsi que les "langues et les langages se sont imposés
à
tous les autres peuples m •
Dans ces dernières décennies,
la civilisation
Africaine, "silencieuse couverte de plaies, longtemps asservie
et dominée, s'éveille
... ". Cet
éveil est illuminé de modèles 1
culturels occidentaux de vie et de développement. C'est que
l'impérialisme culturel déploie partout ses chances et ses
séductions.
Le fait le plus remarquable du processus d'accul-
turation, c'est sans doute la manière d'injecter les modèles
culturels occidentaux dans les civilisations africaines.
Jean-Pierre LYCOPS, dans son ouvrage intitulé
"l'agression silencieuse ou le génocide culturel en afrique"
tente de démystifier les mécanisme.s de cette agression qui
aboutit au génocide culturel.
Il démontre comment l'Africain
dominé perpétue
l'idéologie occidentale. D'abord le dominé est soumlS à un
discours idéologique "qui par conséquent commence à occulter son
nom
et essaie d'occulter la domination derrière une façade
philosophique et culturelle à 1 'usag~ des dominés" ....
Ensuite il est invité à participer à la "gestion
du système, à s'associer et à s'identifier avec les institutions
,
du-
de la domination", sous le contrôle dominateur.
~(
Pour enraClner les modèles culturels dans les
mentalités des dominés,
le dominateur se sert d'autres supports
plus acculturants. Jean-Pierre LYCOPS ne manque pas de nous le
signaler en ces termes:
". Le discours et les enseignements
idéologiques dominants produits par des forces sociales dominantes
à
l'échelle mondiale visent aujourd'hui pleinement à occulter
la domination par une savante entreprise de conditionnement qui
soumet les dominés à un bonbardement idéologique,
... 1 ...

23
bonbardement qUl est avant tout l'affaire des secteurs
idéologiques des disciplines sociales
(économie sociologie,
anthropologie, droit, politique, histoire etc ... ) secteurs qui
"
dQ...
S
occupent a occulter les rapports~domination existant à
l'échelle mondiale pour en permettre la perpétuation".
Cette perpétuation se fait à travers le système
éducatif, qui dans les sociétés modernes africaines, transmet
et fait accepter explicitement les réprésentations et les
comportements occidentaux "à ceux pourqui ils ne vont pas de
soi, c'est-à-dire directement aux jeunes etc ... ".
Robert JAULIN aborde dans la même direction que
Jean-Pierre LYCOPS.
Mais à la différence de J.P. LYCOPS, R. JAULIN
parle de "décivilisation (1)." Il insiste beaucoup sur la
présence de l'idéologie occidentale dans un secteur particulier
c'est-à-dire l'école primaire.
Il montre par des exemples
précis que l'enseignement colonial et même post-colonial visait
à inculquer les valeurs de la civilisation occidentale dans
l'esprit de ceux qui devaient servir la puissance occupante
avec compétence et fidélité.
Une chose est certaine, c'est que les impératifs
de la métropole sont loin de recouvrir les intérêts des
Africains eux-mêmes. Le fait que la France impose aux pays
africains se trouvant sous sa domination,
SQ
culture, une
culture fondée essentiellement sur le livre, montre qu'elle
est décidée à méconnaître, à nier sinon à détruire
les valeurs
non moins réelles de la culture negro-africaine de
tradition orale.
(1) Robert JAULIN, dans son ouvrage intitulé,
la «décivilisa-
tion politiqué et pratique de l'ethnocide (édition complexe
PUF. 1974.dénonce la tentative éthnocidaire ou la mise à
mort par l'occident des cultures dites involontaires qui
pouvaient le menacer. Ce qui nous intéresse dans cet ouvrage
c'est la démonstration qui repose sur l'idée de la »
de
l'occident dans les manuels scolaires des pays dominés .
. . . / ...

24
2 - Contexte Ivoirien
Comme
la plupart des pays africains la Côte d'Ivoire \\
avant qu'elle ne soit colonisée par la France, il est vrai n e -
connaissait pas l'école telle qüe nous la voyons et la Vlvons
aujourd'hui. L'école qus nous connalssons présentement est un
produit importé de France. Son enseignement est conçu et dirigé
par les Français.Il est calqué sur le modèle Français. Selon
Herskovits, il n'y a aucune politique éducative. Rien n'admet
qu'il existe au sein des sociétés africaines des valeurs sur
lesquelles on puisse établir un programme d'enseigne~ent
il n'ya
de valable que les «
vérités éternelles»
de la civilisation
occidentale (1).
Cette constatation montre combien de foi~ les cultures
africaines furent bafouées,niées par l'occupant. Et pourtant
les anciennes colonies n'étaient pas dépourvues d'un système
éducatif cohérent.
De nombreuses études historiques
(2) ethnographiques
attestent au contraire la vigueur d'une institution qui sut
former un type d'homme capable dhJfronter un univers ho%tile et de
SUlvre grâce à son intégration totale dans la société qui était
la sienne (3)
Celle-ci était stable. Les changements y étaient
rares. Sa stabilité s'expliquait par la permanence des rites
d'éducation. Cette éducation avait un caractère collectif et
social. L'enfant dès son jeune âge était considéré comme «
un
chaînon de la lignée qUl le rattache aux ancêtres fondateurs
et dor.t il assure la continuité». (4)
(..1) Herskovits (p;
148-149): l'Afrique
et
les
Africains:
entre hier
et
demain
(
Payot
Paris
1965)
(~) J. Ki-Zerbo, Cheick. Anta Diop etc ...
(3) Abdou Mournouni, l'éducation en Afrique, Maspero P. 36-38
(4) Serniti Ani-Jules, thèse3e cycle Université Réné Descartes
Mai 1978.
/

25
Celle-ci va être rompue par les problèmes posés
par
l'intéraction de l'école et du milieu traditionnel de
l'enfant. La cause principale de cette rupture, selon nous est
dO â. la mise en place d'un enseignement français, fait sans
point d'appui
dans la culture traditionnelle. Cette inadéquation
milieu/ enseignement a provoqué des changements abrupts dans
les représentations, les idéologies relatives â l'enfance".
L'interaction de l'enfant et du milieu scolaire
va devenir un thème de débats et de recherche pour les Psycho-
soc~ologues de l'éducation.
L'enseignement mis en place en Côte d'Ivoire,
avons nous dit, s'est fait "sans point d'appui dans la culture
traditionnelle" si bien que le jeune écolier est étranger â sa
propre culture et même â celle de l'occident. D'où l'ambivalence
de l'école.
Lorsque nous avons passé en Tevue~ de façon
attentive, les programmes, les manuels scolaires ou l'histoire
de l'enseignement colonial, nous nous sommes rendu compte que
le but assigné à cet enseignement était de détruire les cultures
locales afin de valoriser cellesde l'occident. Est-ce â dire
que ~otre:pays était dépourvu d'un système culturel cohérent?
Absolument pas, seulement l'enseignement colonial, n'avait certaine-
ment pas l'intention, le désir de
rehausser notre culture au
niveau de celle des "Blancs". Nous en avons pour preuve, la
langue d'enseignement qui était la langue des "(Blancs". Elle
l'est encore aujourd'hui.
Elle a joué et continue de jouer un rôle puissant
dans le processus d'acculturation des jeunes scolaires ivoiriens
Elle est la langue qui permet à ces jeunes d'entrer en communica-
tion et en communion avec le monde européen. Elle permet à
certains d'entre eux de servir de "courroie
de transmission", et
d'agents d'exécution entre les occidœntaux et les masses et cela
â tous les niveaux de l'activité religieuse politique, culturel
et économique.
. .. / ...

26
Pour enraciner la langue du colon dans les masses
populaires africaines, le gouvernement colonial décide que la
culture européenne soit transmise à une minorité et présentée comme
un privilègé conférant une supériorité pratique sur tout ce qui
constitue le monde tradtionnel. (1)
"
C'est cette minorite d'individus acculturés qui se
fait, le défenseur à
liintérieur de la forteresse culturelle à
.
1
abattre, du changement et de l'occidentalisation. Elle est d'ailleurS
1
seule capable de trouver les meilleurs moyens d'adaptation pour
\\
éviter les crises.
Enfin le gouvernement décide que la "France porte
partout où elle le peut,sa langue, ses moeurs etc .. ," (2)
Ce qui veut- dire en clair que la langue française
va être un véritable véhicule des modèles culturels français. Elle
va exprimer une idéologie ou une vision impérialiste du monde. Elle
v~ s'imposer à l'enfant au mépris des langues locales.
Quelque soit le niveau auquel se situe l'enseignement
dispensé en Côte d'Ivoire l'école reste une forme de déracinement
culturel pour l'enfant ivoirien parce que nullement adapté à son
environnement social et culturel.
Ainsi l'école coloniale avait cré: un "vide culturel"
autour de l'enfant, vide qu'il fallait combler pour son équilibre
psycho-socio-culturel. Cette déculturation"
de l'enfant i~oirien
fut suivie d'une "acculturation" intense.
A la suite de ce "genocide culturel" (3) il en est
résulté des transformations qui se sont étendues à tous les niveaux
des structures mentales, sociales politiques, économique$. Un des
aspects de ces transformations est le changement
socio-culturel
du comportement de l'enfant ivoirien scolarisé.
(1) Déclaration du gouverneur Roume citée par A. MOUMOUNI
(1964)
(2) Nathan 1955 ci tée par R. JAULIN.
(1974).
(3) "Genocide"culturel : cf. J.P. LYCOPS (1975)
... / ...

27
3 - Intérêt de notre é~ude
Notre désir de nous intéresser au jeune enfant
scolarisé s'explique par le fait que cet enfant est beaucoup plus
malléable, beaucoup plus exposé et beaucoup plus vulnérable aux
différents changements qui s'opèrent au tour de lui:
Il convient
de noter que c'est chéz lui que se!T'anifeste de la façon la plus brutal~
et la plus ex~rème les bouleversements consécutifs à la mIse en
i
présence de la culture française et des cultures locales.
/
~
~~,v2.J.JL
L'interaction qui résul te du contact de ces deux
cultures,lIa recherche fondamentale en psychologie et en sociologie
puisque les processus de formation de l'enfant scolarisé et de son
acculturation se produisent dans et par cette interaction qui est
le lien, le support et l'objet même de la transmission de l'idéologie
scolaire, par le mode de relation scolaire qu'elle suscite: les
pratiques scolaires qu'elle canalise, les identifications à des
modèles culturels occidentaux qu'elle oriente.
L'intériorisation des modèles culturels occidentaux
par l'enfant africain est un problème central en sciences humaines.
Ce problème concerne non seulement la recherche fondamentale, mais
aussi la recherche appliquée.
Ce problème se pose beaucoup plus
lorsque l'intériorisation des modèles est observée pendant les
jeunes années au cours desquelles l'enfant traverse les ph~~~S~
d'acculturation les plus actives. De cette acculturation résulte le
type de personnalit~ qui s'avère souhaitable et nécessaire dans
un milieu pratiquement occidentalisé ou en voie d'occidentalisation;
c'est aussi de cette acculturation que naitront les caractéristiques
de la nouvelle génération.
La formation scolaire de l'enfant concerne évidemment
aussi la recherche en pédagogie et diverses applications sociales qui
relèvent de l'enfance.
Jusqu'ici on s'est intéressé aux problèmes psycho-
pédagogiques vécus par l'enfant à l'école (U.
~. 1 ) 11me Gratiot Aiphandéry"
Séminaire de DEA en psycholo-
gie ( Paris 1978 )
... / ...

28
Aujourd'hui un nouvel intérêt se développe dans le
cadre des problèmes posés par l'acculturation et les problèmes de
mutations sociales.
Le problème posé nlest plus un problème réservé à
l'école mais un p;oblème de société.
Le milielJ traditionnel de l'enfant codifié, délimité
1
avec soin dans des lieux protégés, semble remis
en question.
On assiste à un changement des idéologies, des
représentations relatives à l'enfante.
L'intéraction de l'enfant scolarisé et le milieu
en perpétuelle mutation devient un thème de débats et de recherche
pour les spécialistes en sciences humaines
(1)
: c'est un problème
de société comme nous l'avons dit.
Tous ces
chercheurs en sciences humaines quoique
n'ayant pas la même méthode d'approche, convergent par un point
ils ont tous le souci d'observer la réaction de l'enfant à un
milieu de vie quotidien différent de celui qu'ont connu ses
parents; un milieu de vie quotidien créé par des occidnetaux
en fonction de buts explicites ou implicites qui dépendent de leur
manière de penser, de sentir et d'agir.
L'environnement conçu par eux,
répond à leur idéal
de vie. C'est dans cet environnement que l'enfant africain va
naître, grandir et vivre.
Il est le support d'une culture et
contribue aux mécanismes de transmission des modèles culturels
occidentaux.
Une ql~stion doit se poser à tout chercheur en
sciences humaines à propos du problème d'acculturation. C'est
celle
qui consiste à se demander si "entre connaissance, diffusion
d'un savoir et pratique d'une société, il y a établissement d'un
mouvement d'échange dialectique, prise en compte de la catégorie
sociale d'âge enfant" (2)
dans
les efforts de ceux qui
conçoivent l'école afin qu'elle réponde au besoin de l'élève.
(1)
et l2)
M.J. Chomb~rt de lauve, centre d'ethnologie sociale
et de psychologie sociale, 1 rue du 11 Novembre
Montrouge.

29
Notre
étude va donc se préoccuper de mettre en
évidence les influences culturelles françaises dans un secteur
particulier, l'école primaire. Ces influences" minent" la
personnalité de base (1) de l'enfant ivoirien. Elles le rendent
dépendant et esclave de la culture française alors que la sienne
est jetée aux oubliettes.
Cette persistance des influences culturelles
françaises dans le système éducatif en cote d'Ivoire a amené le
pays, après l'indépendance et surtoùt aux années 70, à revoir et
à repenser ce système.
On a essayé d'adapter l'enseignement aux conditions
et aux réalités du milieu de l'enfant.
De quel milieu s'agit-il? Or "nulle part déclare
Pierre ERNY, il n'es t plus possible de retrouver le milieu tradi-
tionnel africain à l'état pur, entièrement préservé d'influences
étrangères ... , les altérations qu'il subit l'affectant" (2).
Depuis cette prise de conscience, l'enseignement
·i1
n'a pas été repensé entièrement, c'est-à-dire qu'on ne lui a pas
donné un sens en fonction des problèmes qui se posent aux ivoiriens
et qui command~~les structures, les programmes et les méthodes ap-
propriées (3). Même l'enseignement télévisuel sur lequel on a fondé
beaucoup d'espoir, n'a pas résolu les problèmes hérités du passé,
et en pose déjà des nouveaux.
C'est dire que le système d'enseignement français
influence encore la situation ivoirienne.
C'est pour démasquer cette présence de l'idéologie
scolaire française et aussi pour dévoiler sa nature que nous avons
choisi d'étudier les phénomènes d'acculturation de l'enfant scolaire
ivoirien a travers l'éducation qu'il reçoit à l'école.
(1)
Linton l1972) dUfrenne (1953)
(2)
Pierre ERNY: l'enfant et son milieu en Afrique nOlr P. 270-273.
(3)
LE 1ANH KHOI : L'enseignement en Afrique tropicale PUF 1971 .
. . ./ ...

30
Ainsi un champ s'ouvre à la recherche, tant du point de vue de
1'analyse des relations scolaires, des représentations à l'égard
de l'école et de son r61e dans la société africaine, que de
l'observation des enfants en situation d'accu~uration dans ~es
environneménts différents.
Pour explorer ce champ psycho-sociologique, pour
mettre au point des outils conceptuels et méthodologiques adaptés,
il est nécessaire d'une part de cerner les circonstances de
"
l'emergence et de la persistanc,e, des modè1 e3 cul turels .français
et les buts qu'ils poursuivent, d'autre part de situer une approche
de l'enfant en milieu scolaire réel dans le contexte de l'acquis
des sciences humaines rélatif$ à l'éducation moderne de l'enfant.
C'est pourquoi, nous envisageons le problème dans
la perspective d'une analyse ou d'une étude psycho sociologique des,
relations scolaires et extra-scolaires que l'écolier cultive et
entretient dans sa vie quotidienne.
4- Orientation de notre travail
Cela suppose déjà que l'étude de notre travail,
pour être fructueuse,
devra,
grosso modo, se poursuivre à
trois niveaux :
~IJ Niveau du milieu socio-culturel, "parce que sa
structure, son idéologie
conditionnent le choix des valeurs
dominantes à transmettre,
la philosophie de l'éducation et
l'orientation du systhème". (1)
"L'aventure ambi.gué"de l'expansion coloniale a
marqué si profondement l'évolution de la société africaine que
l'enfant africain a du mal aujourd'hui à se reconnaître lui-même
et à retrouver son authenticité.
La puissance coloniale a rompu brutalement l'ordre
ancien en imposant par la violence sa propre vision du monde à
l' aide 'de méthodes pédagog iqueemen t con tes ta bl es.
(2)
(1)
SEMITI IHJI jules: Thèse de 3è cycle P.
4.
(2)
Robert, Jaulin : la décivilisation pGlitique (op.cit. 1974)
... / ...

31
Qu'en est-il résulté de ce contact avec
l'occident? Il reste à décrire ce qu'il fut afin de mleux
dégager les conséquences d'une telle intervention et si possible
ouvrir des perspectives d'avenir.
- Au niveau de l'école et de l'extrascolaire,
parce que c'est li que l'enfant est mis en contact avec la
culture fr~nçaise. C'est
le
milieu de référence, c'est - à -dire
le mil eu de l' agent d' accuftu rat ion. Ce mi lieu exerce une infl uence
parfois déterminante dans le processus d'accdturation.
Ce mil ieu de référence est un
lieu de contradictions
contradiction entre langue de l'école et langue de l'enfant,
contradiction entre enseignement comme "maintien" des valeurs et
enseignement comme
"changement" des valeurs.
Nous montrerons donc que l'école brise les
solidarités traditionnelles sans y rien substituer. L'école
laisse l'homme isolé et sans recours. Elle crée donc un déséqui-
libre fondamental au niveau de l'individu.
- Au niveau de l'individu, à qui s'adresse le
système éducatif, qui est appelé à subir les agressions de
l'impérialisme culturel français. C'est lui qui par son compor-
tement devient
étranger dans sa propre culture, mais au Prix de
son aliénation ou par sa dépendance totale de l'occident.
Comme nous le constatons, notre thème est très
large, c'est une contribution"àl'étude de l'accu\\uration de
l'enfant ivoirien à travers le système d'enseignement. C'est
aus si
t 0 u t l' aven i r deI' en sei gn e men t
en Af r i que fa c e à "l' a gr e s -
sion silencieuse (1) " de l'impérialisme culturel français que
nous tentons d'étudier.
(1)
Jean LyCOPS: Titre de son ouvrage: l'Agression silencieuse
déjà cité •
... / ...

32
Notre thème est d'actualité.
Il fait l'objet de
plusieurs discussions et de r~flèxions. C'est une question
brulante à laquelle on
a pas encore apporté de réponses
adéquates.
Avant de poursuivre notre étude, qu'il nous soit
permis de présenter dans une première partie un aper~u histori-
que de notre système éducatif,d'.analyser
et de critiquer ses
finalités et ses objectifs qui lui sont assignés et enfin de
montrer dans quelle mesure ce système est une copie littérale
du système français.
Ensuite dans une deuxième partie, nous décrirons
les mécanismes d'acculturation à l'école primaire et enfin pour
terminer nous verrons dans quelle mesure l'aliénation culturelle
est un drame pour la jeune enfance scolarisée et quelles
solutions GD peut y apporter.

33
PREHIERE
PARTIE
APER~U SUR L 1 ENSE IGNH1ENT EN COTE DI IVOIRE

1
.\\
34
\\
1
1
1
"Il se pose ces derniers
temps ec avec acuité le problème
de
l'enseignement et de son inadaptation b nos réalités négra-africaines.
Ce problème est d'autant plus cuisant que l'école,
en s'instaurant,
bouleverse, voire même décrllit,
une forme d'~ducation qui existait
déjà.
Elle bouscule la pédagogie contulnière basée sur
la
tradition
orale,
pour nous
lancer dans
le monde de
l'écriture,
dans
l' ~prentis­
sage d'une
langue étrangère,
dans
l'expression non spontanée d'une
existence dans
laquelle nous
nous retrouvons difficileQent ...
Car i l va sans dire que
l'école nous pr~pare } une vie différente de
celle tradicionnelle d'avant,
p0ur nous
jeter dans un nouveau cadre de
conception sociale, de conception du
travail,
de conception dans
les
habitudes ec même dans un nouveau cadre de conLeption religieuse",
(Des étudiants parlent de
l'enseignement
Claude PAlRAULT
Annales de
l'Université d'Abidjan 1977
Série F.
Tome VI Ethno-sociologie).

35
CHAPITRE
Education traditionnelle ou enseignement
précolonial en Côte. d'Ivoire.
Nous voulons essayer de montier qu'il existe
en Afrique et singulièrement en Côte d'Ivoire un enseignement
socialement codifié et diffusé en des occasions précises.
Cet enseignement repose sur une tradition orale
et une très forte
imprégnation par le milieu socio-culturel.
\\
Il véhicule une pensée pédagogique hautement
\\
1
explicitée, liée intimement au type de société auquel elle
1
. ,
correspond.
Nous allons tout au long de ce chapitre
employer le terme" éducation" ou " enseignement". Nous savons
que ces deux concepts recouvrent chacun une réalité différente.
Mais pour le travail qui nous intéresse ici, l'éducation et
l'enseignement sont intimement liés dans la pensée africaine.
I11
-
Qu'allons-nous entendre par éducation?
Dans le traité de pédagogie, René Hubert a
défini
l'éducation comme" l'ensemble des actions et des
influences exercées volontairement par un être humain.
sur un
autre être humain, en principe par un adulte sur un jeune, et
orientées vers un but qui consiste en la formation dans l'être
jeune des dispositions de toute espèce correspondant aux fins
auxquelles, parvenu à maturité, il est destiné (1)".
Si cette définition peut avoir notre adhésion,
il
nous faut cependant remarquer qu'elle ne recouvre pas totalement
le "champ sémantique" du terme éducation tel que l'anthropologie
culturelle l'utilise.
(1)
René Hubert,
in traité de pédagogie générale. PUF 1959 .
. . ./ ...

36
D'après l'anthxopologie culturelle ce n'est pas un!
individu qui influence un autre, mais plutôt la société qui
exerce son influence sur l'individu à travers le mode de vie.
Il s'agit de l'individu qu'elle cherche ~ intégrer:
en son sein. Comme dit P. Erny," l'accent est déplacé d'une relation
de personne à personne sur le rapport três enveloppant qui unit
l'individu à la culture, dont il devient un facteur toujours plus
.
·1
.
, , ( l )
autorisé à mesure qu'il progresse d ans son aSSlml atlon
Pour les ethnologues le terme éducation rev€t
trois aspects. au sein d'une culture.
- L'éducation a un aspect dynamique, parce qu'elle
u~ transmission d'un patrimoine ou d'un héritage d'une génération à
l'autre. Elle assure une continuité. Elle est l'instrument par
lequel les civilisations se perpétuent et s'enracinent et grâce
auxquelles " les membres d'une société, qui sont les porteurs
d'une culture, s'assurent que les conduites nécessaires à la
survie de celle-ci sont apprises. L'éducation apparait en quelque
sorte comme la culture elle-même se transmettant, se perpétuant,
s'actualisant dans une nouvelle génération, mettant tout en oeuvreJ
son organisation, ses ressources,
son génie, pour assurer sa
perennité. Grâce ~ elle les enfants qui grandissent,deviennent
des porteurs, des représentants, puis des instruments et des
médiateurs de cette culture." (2)
Toutes ces considérations nous montrent que
"l'éducation est un processus de transmission et, même s'ils en
~ont pas conscience, parents et aînés agissent de maniére coh~rente
comme des transmetteurs de culture.
" (3)
( 1 ) , (L) , l3) P.
E kNY
Ibd.
. .. / ...

37
H. MARROU, quant à lui trouve
que l'éducation est
un moyen par lequel" une société initi~ sa jeune génération aux
valeurs et aux 1.1~(·hniques qui caractérisent la vie de sa
civilisation. (1)"
- L'aspect statique de l'éducation se manifeste par,
ce que l'individu acquiert de son apprentisage, à savoir qu'il se
dote "d'un langage, d'un corps de connaissances, d'une échelle de~
et'UJ'lc.
valeurs~
d'un cadre généralysensibillté, d'un" ethnos", d'un savoir-
vivre (2)".
- Le troisième aspect en question est celui qui fait
de l'education un facteur de changement socio-culturel. Les
changements ont toujours eu lieu, mëme dans les civilisations les
pl~s tradltionnelles puisqu'aucun univers men~al alune genératlon
n'est jamals tout ct falt le même.
Ce qui retlent notre attentlon dans cet exposé, c'est
que l'éducation dite moderne, en comparaison avec l'éducation
traditionnelle, est un facteur de bouleversement social et d'établis-
sement d'un autre mode de pensée et d'agir propres a une autre
civilisation.
L'enfant qui dans l'education traditionnelle est
porteur de culture, devient dans l'éducation moderne un agent
transformateur de sa propre cul~ure du rai~ de son acculturation. nt
comme le dit si blen 1-'. EKNY : "en mettant en contact avec des livres,
des langues, des techniques, des idées, des projets nouveaux, l'école
prend partout le visage d'un accélérateur d'évolution, d'un puissant
facteur de transformation socio-culturelle." L3)
l1) H. MARKOU, Histoire de l'éducation dans l'antiquité, Paris, seuil
1948 Cl té par P.
ERNY.
(2)
P. tRNY,
l'enfant et son milieu en Afrique Noire
Essai sur l'éducation traditionnelle (Paris Payot 1972).
( 3 )
P.
t RN Y,
l b id.
. .. / ...

38
Après
avoir rappelé ce que nous entendions par
éducation, nous allons maintenant exposer rapidement les principaux 1
points qui font la force et l'originalité de l'enseignement précolo-
niaI. Pour en.arriver là,
il convient de partir d'un exemple précis
afin de pouvoir mettre en évidence les caracteristiques de cette
éducation.
Notre connaissance du milieu Dida (1) nous invite
à
le prendre comme exemple.
I~2- L'exemple d'tducation en pays Dida.
Il est a noter que la Côte d'Ivoire sur le plan du
système éducatif, malgré de multiples variations dans les usages,
les croyantes, les techniques éducatives propres à chaque ethllie,
présente cependant une certaine homogénéité.
La société Dida oü nait l'enfant non encore colonisé
est dans l'ensemble une société paysanne, vivant en régime d'auto-
subsistance,sans communication avec l'extêrieur l2) sauf les villages
côtiers. Dans une telle société, les changements sont rares. Cette
stabilité explique la permanence de certaines pratiques d'éducation
traditionnelle dans cette région.
Ces pratiques font partie des donnees de base de ce
qui est. C'est grâce à elles que le passé continue à être relié
au présent et au futur. Elles constituent le point de départ, et
avant de songer à les transformer,
il faut d'abord les reconnaître.
Ce qui définit l'enseignement Dida, c'est son
caractère collectif et social. uès la naissance,
l'enfant est
consinéré comme un chaînon de la lign~e qui la rattache aux ancêtres
fondateurs et dont il assure la contitunuité.
(1) Nous sommes originaire de cette ethnie qui comprend la
Préfecture de Divo située au Centre-Sud-Ouest de la Côte d'Ivoire
l2) Meillassoux, tssai d'interprétation du Phénomène économique dans
les sociétês traditionnelles d'auto-subsistance, cahiers d'Etudes
Africaines, 1969.

39
Le nom donné à l'enfant dès sa naissance lui procure
son identité, le détermine par rapport à l'univers, "aux autres
forces mystérieurses qui l'habitent" et par rapport aux autres
hommes. Comme dans l'enseignement moderne,
l'enseignement en
pays Dida se fait par paliers successifs en tenant compte de
certains éléments physiologiques et psycnologiques de l'enfant.
Cet enseignement apparaît ainsi quana on le
regarde globalement,
"comme un processus extrèmement diversifié,
qui fait intervenir des agents et des mQyens de nature variée
\\
selon une chronologie précise. Mais cette diversité est coordnnnpe,
elle ~orme un tout organique. Les interventions peuvent être
apparemment héterogènes les unes par rapport aux autres; mais
elles sont fonction d'un même milieu et porteuses d'une même
a f f i rm a t i on cul tu r e Il e ." (1)
Les étapes de l'éducation en milieu Dida sont
liées très étroitement à l'échelle des âges. Selon l'âge de
l'enfant, les activités,
les exigences qu'on lui adresse varient,
ainsi que les attitudes qu'on adopte à son égard,
l'entrainement
auquel on le soump.t.
1121
-
Les étapes de cette éducation.
Après la période du sevrage l'influence de la mère
sur l'enfant diminue progressivement au profit d'une autre personne
en l'occurence la grande-mère,
les tantes ou les soeurs ainées.
112 f1 Apprentissage dés aptitudesnhysigues et techniques
De deux à sept ans,
l'enfant s'initiê aux secrets
de son futur métier. C'est l'époque où se fait la différenciation
sociale et du sexe c'est-à-dire que l'enfant du sexe masculin doit
constamment être avec son père et la fille avec sa mère.
(1)
P.
ERNY
L'enfant et son milieu en Afrique Noire
essaie sur l'éducation traditionnelle
Paris, Payot 1972.
. .. / ...

40
La transmission de l'enseignement s'opère donc de
père à fils et de mère à fille
(1).
C'est à l'occasion des travaux agricoles (Agricul-
ture, chasse ou pêche etc ... ) que l'enfant exerce ses aptitudes
physiques et techniques sous le contrôle de son père ou d'un
membre de la famille instruit et capable de le former.
Ai ns i l' enf an t app rend à confe c ti onne r des ou ti 1 s .e;vL
-miniature
Lance-Pierre, piège
etc ... , à se montrer capable
de manier la houe pour labourer la terre, la machette pour
débrousser. Ces outils sont généralement adaptés à sa taille
et à sa force.
Tandisque le gaçon est encadré par son père,
la
fille l'est par sa mère. Celle-ci lui enseigne
l'essentiel de sa
vie de femme. L'enseignement que reçoit cette fille Dida est
essentiellement pratique et concerne la tenue du ménage et la
culture des champs.
Il est à noter qu'à cet apprentissage (du garçon
et de la fille)
s'ajoute l'acquisition progressive d'une technique
qui revêt une valeur sociale très appréciable: par exemple c'est
par la conservation et la transmission des techniques qu.' est
assurée
en effet la survie de la tribu et qu'est garantie sa
permanence.
A cause de cette fonction vitale,
la formation
pratique de l'enfant l'intègre en profondeur à la famille et au
clan.
Il acquiert ainsi le sentiment qu'il joue un rôle
indispensable au sein de la communauté familiale.
Parallèlement à cette période de formation
technique, a lieu la formation intellectuelle et morale.
_( 1)
Les parents sont eux-mêmes les formateurs de leur progéniture
c'est pour cette raison que TANOE ; SEMITI Anijules
; GOZE TAPE
et Paul N'DA ont pu écrire ceci: "les enfants sont à l'image
de leurs parents". "L'enfant n'est souvent au fond que ce que
ses parents font de lui. Sa conduite reflète souvent son éduca-
tion." in Education traditionnelle et éducation moderne texte
N° coll. 6/13/ivo.3 Deuxième festival Mondial des Arts Negro-Af~\\ci~Lagos-N

41
Car pour les Dida comme d'ailleurs dans toute la
société traditionnelle ivoirienne, la maturité physique ou techni-
que de l'enfant ne suffit pas. C'est sa manière de vivre selon
les principes et exemples reçus au cours des étapes antérieures
ou postérieures, sa manière de se comporter, de montrer aux autres
qu'il a su assimiler,
intérioriser ce qu'on lui a inculqué et
qu'il est capable de s'assumer, c'est cette manière là qui fera
de lui un homme partfaitement intègré.
l 12 2- ~p r e nt i s s age de sap t i tu de sin tell e ct ue Il e set m
1
0 raI e s
En pays Dida comme dans toutes les régions de
Côte d'Ivoire l'éducation d'un enfant, n'est pas uniquement
l'affaire de la famille génitrice. L'enfant entre sept à quatoze
ans environ subit l'influence de la famille élargie.
Les parents éloignés interviennent dans son
ensemble, car l'enfant est le bien de tous. C'est cette famille
élargie qui inculque à l'enfant les principes de bien séance, du
respect des vieux (1),
les croyances diverses qui modèlent et
animent son comportement de chaque jour. Elle est détentrice et
véhicule privilégiée de la litt~rature ora~ et de l'enseignement
qui s'en inspire. C'est elle qui apprécie l''lnbileté, l'esprit
d'observation et qui voit dans quelle mesure la mémoir.e' de l'enfant
est capable de retenir un certain nombre de choses.
C'est au contact d'elle que l'enfant apprend les
inca~ations aux esprits pourqu'ils favorisent l'action entreprise
ou à entreprendre 1
qu'il retient et intériorise les formules
magiques indispensables qui vont lui permettre d'éloigner les
mauvais sorts.
La formation intellectuelle et morale de l'enfant
s'opère à l'aide de proverbes
contes et devinettes
(2)
r
(1) SEMITI Ani Jules: Rapport d'autorité enfant-adulte chez les
Gourous, Thèse de 3è cycle 1978.
(2) cf. Deuxième Festival des autres negro-Africaines, Lagos
Nigeria. 19fT

42
Ces méthodes pédagogiques véhiculent les principes
1
qui sous-tendent l'ordre social. Ces
principes apparaissent comm~
condensé du système de valeurs sur
lequel repose la société.
Ce patrimoine culturel, littéraire qui touche aussi
bien
à la formation intellectuelle que morale, se transmet par
la voie orale.
Le formateur ou l'éducateur, pour mieux transmettre
son message procède par -ériigmes
et évi te les relations directes en ,
langage clair. C'est pour cette raison qu'il familiarise l'enfant
\\
avec un vocabulaire, des tournures grammaticales et des in~~lations \\
recherchées, peu usitées dans la communication courante.
\\
,
Desireux de faire passer son message, l'enseigr.ant_
\\
"essaie par tous les moyens, de sensibiliser son entourage". Par
cette technique, lIil espère toucher,
révéiller, engager" l'enfant
dans la voie qui mène à l'objectif visé.
Par ses improvisations, il sait rapprocher les
informations qu'il
donne,
les enchaîner les unes aux autres et
"organiser ainsi un v:éritable enseignement".
Dans cet enseignement, comme nous l'avons déjà dit
on utilise plusieurs moyens pour procurer une bonne éducation
à l'enfant. Les moyens les plus utilisés et qui contribuent
efficacement à sa formition intellectuelle, spirituelle et morale
sont les contes, les dévinettes, les proverbes, les chants, les
danses et les jeux. Ces techniques d'éducation sont des moyens
privilégiés pour introduire l'enfant à la connaissance "légère"
et plustard"lourde" éso térique, ouverte à tous.
Leur parfaite connaissance contribue à la conservation
du patrimoine culturel." Sur le plan pédagogique ils constituent
une base d'enseignement, une première étape d'instruction l1 présentant
à l'enfant les connaissances qu'il doit acquérir aux différentes
étapes de son intégration.
Quel sens peut - on donner à ce genre d'enseignement?

\\
1
43
'\\
\\
1122 - Sens de cette éducation
La signification qu'on peut dégager de ce système\\
éducatif est celle-ci:
il s'agit d'enculturer l'enfant, de
\\
l'enraciner dans son milieu d'origine, de le faire prendre
conscience des réalités quotidiennes de son milieu afin qu'il
; '
soit compté parmi le nombre d'hommes instruits et verses dans
la connaissance ésotérique et afin qu'il puisse transmettre aux
autres c'est-à-dire aux plus jeunes que lui, le patrimoine culturel
C'est pourquoi l'enfant qui désire s'instruire reste auprès.de
son père ou d'un adulte initié pour l'écouter.
En pays Dida, aucun enseignement ne peut être
donné de force.
On n'oblige pas l'individu à s'instruire, s'il
ne manifeste ni intérêt, ni curiosité.
Il appartient quelque
rare fois à la mère de raisonner son enfant, en essayant de lui
dire "ce qu'il perd à ne pas s'y soumettre et à laisser échapper ce
savoir", car en Afrique" lorsqu'un vieillard meurt c'est une
bibliothèque qui brûle" a dit un sage africain.
A travers cet enseignement coutumier, l'enfant
Dida, nous l'avons déjà dit, est instruit, éduqué pour perpétuer
la lignée composée à la' fois des vivants et des morts, et en
cette continuité des générations réside le ressort essentiel
de la société traditionnelk(l) Dida.
En; considération de ces données l'éducation va
consister à faire de l'enfant un maillon solide et fidèle
de la chaine aucestrale. Tout va être mis en oeuvre pour que
la formation technique, l'apprentissage des us
et coutumes,
éducation morale et sociale" l' ini tiation aux sécrets de la vie
concourent
à l'insérer petit à petit à son milieu, a son clan a l'univers
qui l'environne. Cette insertion se poursuit par étapes qui
correspondent chacune à une sorte de ~mutation sociale et
physiologique qui marque l'entrée dans la vie intime du clan.
(1)
P.
ERNY
Ibid.

44
L'enseignement que reçoit l'enfant Dida, n'est pas
un enseignement qui lui est impoé hors de son milieu naturel,
hors de cette dialectique(échange de questions et de réponses
\\
\\
entre l'élève et son maître) qui caractérise l'enseignement
\\
coutumier~ Tout au contraire, il prend appui dans les valeurs locale T
qu'il transmet de génération en génération.
La logique de cette é2ucâtion ne peut être appreClee
que dans une persPective fonctionnelle et finaliste. Tout apport
du système éducatif Dida tendu vers un même but.
Il s'agit comme l'a SI justement défini P. Erny, de
"l'édification d'un organisme psychologique capable d'une triple
intégration: l'intégration personnelle qui est aptitude à
rassembler en un moi 'unitaire toutes les
maltiples influences qui
s'exercent du dehors; l'intégration sociale qui permet à l'individu
de participer comme ménbre actif à la vie du groupe auquel il
appattient, de le reconnaître comme sien et d'être reconnu par lui;
enfin l'intégration culturelle qui fait de la personnalité l'expres-
sion vivante et la porteuse adéquate d'une manière de vivre, de
penser, d'être au monde." (1)
Y- a t-il une philosophie à la base de cette éducation
coUtunrière ? Peut-on réellement parler d'une pédagogie traditionnelle
Dida c'est- à - dire une pensée élaborée, explicitét, cohérente?
Nous avons dit plus haut qu'il existe une liaison
intime entre une pédagogie donnée et le type de société auquel elle
correspond. Si en Afrique l'éducation n'est pas organisée comme
en Europe sous la forme d'une institution telle que l'école, il
n'en demeure pas moins qu'elle est en rapport avec le type de
société qu'elle cherche à promouvoir.
A la base de toute éducation, il y a une logique qui
lui est propre ; il Y a une manière particulière de percevoir et
de comprendre l'individu. C'est en ce sens qu'on peut parler d'une
philosophie.
(1)
P.ERNY, l'enfant dans la pensée tradionnelle de l'Afrique
Noire et les premiers pas dans la vie de l'enfant en Afrique
Noi re.

45
En Afrique cette philosophie de l'éducation est
davantage vécue que pensée. On la devine on la dégage par
"déduction à partir de l'ensemble des données qui d~'près ou de
loin concernent l'enfant."
/
i
Ceci se passe au niveau des proverbes, des devinettes
des contes, des chants et des danses etc...
. Tout ce matériel
pédagogique est fourni
à
l'enfant en vue de sa formation intel-
lectuelle et de son accession aux idéologiebsous-jacentes (1).
La valeur de cette éducation, comme nous le constatons
réside dans son intérêt pratique. Il ne s'agit pas d'organiser
des cours, comme cela se passe à l'heure actuelle, mais de mettre
l'enfant en contact avec le vécu. Cette éducation est très
pratique, fonctionnelle même, au sens étroit du terme. Elle prend
l'enfant au sérieux. Elle lui donne un rôle irremplaçable dans la
communauté.
C'est grâce à elle que l'enfant se situe pleinement
lui-même et passe du stade enfant au stade adulte sans discontinuité,
et qu'il acquiert son autonomie.
Cette autonomie que l'enfant acquiert ne signifie
pas qu'il est l'égal de l'adulte
mais cela veut dire qu'il jouit
désormais d'une liberté d'action plus importante que par le passé.
Cette liberté d'action que peuvent lui envier "bon nombre de
jeunes Enropéens", n'est qu'une débrouillardise que l'enfant doit
à
l'imitation des adultes et qui ne se déroule que dans les limites
des us et coutumes
auquels l'individu doit se plier s'il ne
veut pas être exclu du groupe. Ainsi, "l'enfant dans la pensée
traditionnelle en Afrique Noire" (2)
obeit et se soumet à ceux
qui détiennent le savoir et la sagesse. Cette obeissance et cette
soumission à l'autorité des adultes imprègnent sa pensée, son
comportement et même son avenir depuis sa naissance.
( 1 )
P. ERNY
Ci té dé j à .
(2)
P. ERNY; L'enfant dans la pensée traditionnelle en Afrique
Noire le livre Africain 13, Rue de sèvres Paris 6è.

,
46
\\
En considération 'de ces données, il est possible de dire qu'il
est faux de dire que dans l'Afrique traditionnelle, il n'a pas existé
1
d'enseignement explicite dispensé par l'adulte à l'enfant. Ce qui est exact,:
c'est le cas de le dire, cet enseignement ne se donnait pas dans un cadre
préétabli comme nous le constatons aujourd'hui avec l'enseignement français.,
Chaque évènément, chaque fait et geste des
personnes de l'entourage, constituent autant d'occasion d'instruire
l'enfant. "Cet enseignement traditionnel comme le souligne Pierre
ERNY, s'organise autour des quelques grands thèmes, de quelques
\\
images et symboles très concrets, qui servent de cadre, de catégorie~
et de structures à la pensée." (1).
Au cours de son instruction, l'enfant est imprègné
d'une "connaissan.ce diffuse fortement chargée d' affecti vi té et de
symbolisme."
Nous constatons, d'après ce que nous avons dit
que les enseignements dispensés sont occationnels, mais que
pouvons~nous dire de toutes ces considérations ?
Iî~) Que conclure?
La société Dida en agissant ainsi veut former
un type d'homme capable de maintenir la suivie du groupe. C'est
pourquoi l'éducation de l'enfant est l'affaire de tous. Elle lui
transmet des connaissances, des techniques, une sagesse qu'il doit
assimiler parfaitement afin de pouvoir les transmettre en tant
qu'éducateur à ses enfants. Cette éducation traditionnelle est
depuis longtemps battue en brèche, si bien que le milieu traditionnel
africain est en perpétuelle mutation. ~ue va donc devenir le jeune
africain en général,et l'Ivoirien en particulier hors de son
milieu d'origine?
(1)
P. ERNY,
L'enfant et son milieu en Afrique Noire.

47
Depuis l'imposition de la culture française aux
populations Ivoiriennnes, que s'est-il passé et que se passe t-il ?
Il se passe que la cohésion du groupe qui caractérisait le milieu
Africain tend à disparaître, sinon a disparu sous le choc culturel
résultant du contact de deux cultures qui appartiennent chacune à
deux Univers quasiment incompatibles
A 1 'heure actuelle, il n'y a,
nulle part en Afrique un milieu encore pur, préservé de toutes
influences étrangères.
La cause de cette mutation socio-culturelle vient de
l'école. L'école semble être le seuil de rupture avec le milieu
ivoirien. C'est une école étrangère importée de l'Europe et qui
a eu et qui a pour rôle d'inculquer à l'enfant l'idée de compéti-
tion, d'individualisme, notions inexistantes dans l'école coutumière
africaine. L'école coloniale française a déposé dans l'âme enfantine
des ivoiriens, une langue,
des manières de vivre et qui peu à peu
germent et grandissent comme des graines minuscules pour devenir
comme des arbustes envabissants.
Nous remarquons donc que la société ivoirienne qui
possèdait un enseignement coutumier, parfaitement adapté à un type
de milieu oQ les connaissances théoriquffs allaient de pair avec
les connaissances pratiques disparaît sous la violence idéologique
de l'impérialisme culturel français qui lui impose
sa vision du
monde à l'aide de méthodes pédagogiquement contestables.
Dans le chapitre suivant, nous allons décrire l'école
coloniale comme étant un mécanisme destructeur des valeurs locales.

43
CHAPITRE
2
L'école coloniale.
La période coloniale est une période d'imposition
de la langue et de la culture françaises,
fondées essentiellement
sur le livre. C'est une période où l'école méconnait, nie sinon
détruit les valeurs non moins réelles de la culture nég~~fricaille
de tradition orale. Nous allons voir,
d'après ce qui suit, quels
sont les moyens utilisés par l'école coloniale pour détruire
tout l'héritage culturel de l'homme ~fricain afin de créer un vide
culturel au tour de lui dans le seul but de mieux lui imposer un
autre style de vie, c'est-à-dire une manière occidentale de
concevoir le monde.
Nous essaierons" de présenter l'itinéraire de l'école
coloniale en Côte d'Ivoire,
avant de montrer les mécanismes
d'acculturation,
les problèmes qu'elle a rencontrés ou qu'elle a
posés.
121 -
IMPLAN"TATION DE L'ECOLE EN COTE D'IVOIRE (1)
C'est en 1817 que l'on situe généralement la
premlere école officielle, en Afrique occidentale Française. Cette
.
école est implantée à Saint-Louis du Sénégal.
Il faudra attendre
jusqu'en 1893 pour voir s'ouvrir la première institution scolaire
officielle en Côte d'Ivoire.
121 1 -
Implantation
Bien avant 1893, la scolarisation du pays fut
l'oeuvre d'initiative personnelle au privée.
Il s'agit par
exemple de certains colons qui, pour des raisons de communication
avec les indigènes,ouvrirent des cours d'alphabétisation afin de
former des interprètes et des cuisiniers. C'est par exemple le
cas du Résident de France à Assinie, Verdier en 1882, de Amédée
de Brétignières en 1887, mais qui confia l'école qu'il venait de
créer à Elima à Jean d'Heures.
(1)
MEN de la R.C.I.
- Rapport sur l'Enseignement en Côte d'Ivoire
de 1887 à 1965.

49
Il s'agit également de certaines organisations
confessionnelles en l'occurence les missions catholiques qui
créèrent des écoles sur les côtes ivoiriennnes notamment à Alépé,
Jacqueville, Bonoua etc ... pour les mêmes raisons
que précédemment.
Mais ici, une raison supplémentaire s'ajoutait aux premières
raisons citées; il s'agit de l'évangélisation des " sauvages~
Pour ce faire et pour mieux faire pénétrer l'idéologie chrétienne,
il fallait donner un Ïninimum d'éducation ou d'instruction à
l'individu qu'on voulait endoctriner. Ainsi munI de cette connais-
sance chrétienne, le jeune Africain était prêt à participer à sa
propre aliénation.
Pour des raisons de politique coloniale, l'Admi-
nistration des colonies trouva bon
de créer, puis de développer
peu à peu un système d'enseignement beaucoup plus structuré.
Apartir de lB96, un decret signé de l'Administration
des colonies structure et précise le fonctionnement de cet
enseignement qui ne connut pas le succès attendu.Et comme nous le
précise le Gouverneur Général Roume,
cité par M. AKA, " il n'exis-
tait, en commun, ni service organisé de l'Enseignement, ni cadre
permanent du personnel." (1)
En 1898 on dénombrait quatar=e écoles en Côte
d'Ivoire
Sept petites écoles de garçons et une école
de filles tenues par des missionnaires.
- Cinq écoles de brousse tenues par les moniteurs
laî cs
1
- Un cours d'apprentissage technique à Grand-Bassa~~
Ces scoles étaient créées et entretenues pour résoudre le
problème de la politique coloniale en matière d'enseignement, et
en matière économique.
(1)
Déclaration du Gouverneur Général Roume,
citée par AKA,
dans sa thèse de 3è cycle.
(2)
cf. Monsieur AKA.
1975
(Thèse déjà citée).

50
Le Gouvernement ayant compris qu'on ne pouvait
guêremultiplier,ni disperser la plupart des instituteurs et des
agents de l'Administration qu'on faisait venir é'Europe et qui
coûtaient três chers,
trouva une formule plus simple et moins
coûteuse.
La formule en question consistait à former des
cadres autochtones capables de seconder les européens.
Ainsi les cadres formés étaient des cadres subal-
ternes, juste bons pour servir de "courroies de trarlsmission" et
d'agents d'exécution entre les dirigeants Européens et les larges
masses populaires ~fricaines et cela, à tous les niveaux de
l'activité économique.
Le problème étant ainsi posé il fallait chercher à
le résoudre. Sa résolution consistait à former des cadres indigènes
pour en faire des auxilliaires efficaces et dévoués c'est-à-dire
ceux qui allaient être les propagateurs de la culture et de la
langue françaises.
Cette formation des indigènes à la culture
française
comportait des "risques" :
1) Chercher à qualifier une main-d'oeuvre, c'est du
1
coup la rendre coûteuse et plus exigeante.
2) L'industrie dans laquelle elle doit serVlr, peut
l'amener à prendre conscience de ses possibilités et faire naître
"une génération
d'intellectuels aliénés ou mécontents et préten-
tieux" capables de perturher l'ordre social.
Ce problème fut vite perçu par l'Qdministration
coloniale qui trouva que l'enseignement étant un mal nécessaire
il fallait l'utiliser au mieux des intérêts de la co-lonisation.
C'est ainsi qu'on décide::t de transmettre la culture européenne
à une minorité et présentée comme un privilège "conférant une
supériorité pratique sur tout ce qui constitue le monde
traditionnel."

51
"Considérons, écri t
le Gouverneur Général Roume en
1924, l'instruction comme chose précieuse qu'on ne distribue qu'à
bon escient et limitons-en les bienfaits à des bénéficiaires
qualifiés".
(1)
Cette déclaration du GouverneUT Général Roume
allai t avoi r des consé-quences sur l'organisation du système
scolaire et sur le recrutement des élèves.
Par exemple sur l'organisation:
l'école allait
être ~érarchisée afin de reproduire les instances sociales exis-
tantes dans la Metropole.
Sur le recrutement, il s'agissait de savoir qui
recruter afin de pouvoir mieux diffuser d'idéologie scolaire
importée d'Europe. Le choix des élèves allait conditionner l'impact
de la langue et de la culture françaiyes sur les populations
ivoiriennes. En tout état de cause il s'agissait de bien choisir
les" gardiens" de la perpétuation de la civilisation européenne
en Afrique Noire.
La politique de l'enseignement colonial allait
ainsi connaitre une étape décisive.
Le 15 Octobre 1903, le Gouvenement Français prend
officiellement en charge l'organisation de l'enseignement dans
les teritoires d'Outre-mer. Le Gouverneur Général Roume,
le
24 Novembre 1903 définit par arrêtés spéciaux, l'ossature de ce
qu'on a pu appeler la "Charte de l'enseignement" en Afrique Noire
Francophone. C'est cette charte, complètée par la suite de
quelques retouches et modification, qui reglementait les ensei-
gnements jusqu'à la conférence de Brazzaville en 1944.
121 2
Structure de l'enseignement dans là période coloniale
Le système institué, était composé d'un enseignement primaire
élémentaire, d'un enseignement primaire supérieur et professionnel
et d'un enseignement technique supérieur.
(1)
Cf. Déclaration du Gouverneur Général Roume en 1903 cité
par A. Moumouni op.ct 1964.

52
Essayons de voir en détail ces enseignements
reglementés le 24 Novembre 1903 par le Gouverneur Général Roume
(1).
121 21 -Enseignement Primaire Elémentaire.
Il assurait la formation de base qui se donnait dans trois écoles
de type différent :
a) L'école du Village
L'enseignement était donné dans les écoles à classe
unique de village. Cette école primaire qui s'installait de façon
rudimentaire dans les villages adoptait le plus souvent la méthode
de l'enseignement mutuel.
En quoi consiste cette méthode ?
D'abord elle est venue d'Angleterre et introduite en
France deux années plus tôt. L'instituteur volontaire Jean-DART fut
,
le premier à l'utiliser en Afrique occidentale.
Cette méthode consiste à permettre à une école
entière, par manque de locaux et d'enseignants, regroupée dans une
seule salle, à s'auto-instruire c'est -à-dire à s'instruire elle-
même sous l'oeil vigilant d'un seul instituteur ·Celui-ci se fait
;
1
aidé par des moniteurs recrutés parmi les meilleurs élèves de l'écol~
Les moniteurs qui ont accepté d'aider l'instituteuT dans sa tâche
1
1
quo t i die n ne de f 0 rm a t ion des " e s p r i t~' son t les plu s avan c é set
formés spécialement par lui dans ce but (2).
L'école ouverte et confiée au seul instituteur
indigène en brousse était très rudimentaire. Les enfants qui y
étaient regroupés apprenaient" les rudiments de la langue française
et du calcul" et s' ini tiaient 11 aux travaux agricoles" da:'l::>
un champ scolaire aménagé à cet effet.
( 1 ) D'après une étude de M.
GINESTE publiée par l'IIEP (Ronéo)
(2)
Joseph GAUCHER, les débuts de l'enseignement en Afrique
Francophone.
Jean DART et l'école mutuelle de Saint-Louis du Sénégal, le
Africain 1968.

53
La fonction de l'école de village consistait à
assurer la formation de base. Elle était divisée en deux parties
- La première était constituée de cours préparatoires
en deux ans et était chargée de diffuser le français parlé et
l'écriture.
- La deuxième partie était constituée de cours
élémentaires également en deux ans et recrutai~ uniquement les
meilleurs éléments des cours préparatoires.
Mais cette classe unlque,
constituée par des cours
préparatoires et des cours élémentaires, servait à sélectionner
les élèves et ne laissait guère de trace dans l'esprit de ceux qUl,
après les quatre années minimum de présence scolaire, devaient
reprendre en famille les travaux des champs.
b) L'école régionale.
i
C'est une école primaire à cycle complet. Elle
~
1
était située dans les chefs lieux de cercle. EllIe comprenait ~es ~~mes\\
classes que l'école de village et recevait les enfants qui habltalent
aux alentours, mais elle en ajoutait deux autres classes: les
1
,
cours moyens première et deuxième années.
'
Ces cours moyens avaient pour vocation de recevoir
les meilleurs élèves des écoles de village ou des premières classes
de l'école régionale.
Le recrutement se faisait par un véritable petit
concours au niveau des élèves des cours élémentaires deuxième
année sélectionnés dans toutes les écoles du secteur.
L'école régionale qui assurait des enseignements d'un
certain niveau préparait au certificat d'étude primaire
indigène
(C.E.P.) .
Cet examen du C.E.P. se préparait dans les classes
supérieures en deux années minimum. Il était d'un niveau plus
faible que l'examen français qui donnait accès le plus souvent aux
écoles professionnelles ou à l'enseignement du second degré.

54
A qui revenaient l'enseignement du cours moyen
deuxième année (CM2) etla ditection de l'école régionale?
L'enseignement du CM2 ou classe terminale, était tenue par un
instituteur
du cadre français qui dirigeait en même temps l'école.
A cet enseignement proprement scolaire s'ajoutait
là aussi une formatio~ agricole, un peu plus poussée, les travaux
de culture~ servant souvent à assurer la nourriture des élèves et
parfois des maîtres.
c) L'école urbaine
Elle ttait située dans les chefs lieux de colonies
et dans les centres importants. Elle n'était rien d'autre qu'une
école régionale située en ville . .
A la différence de l'école Tégionale,~école urbaine
dispensait un enseignement professionnel assez rûdimentaire qui
comprenait des travaux de forge ou de menuiserie.
Ces
travaux manuels remplaçaient les travaux
agricoles pour les garçons. Les filles quant
à elles s'exerçaient
à la couture et au ménage.
Enseignement Primaire Supérieur et Technique:
Un enseignement primaire, superleur et technique
était donné dans les centres spécialisés établis au chef lieu de
chaque colonie.
Chaque territoire organisait son enseig~ement en
plusieurs secteurs scolaires.
A la tête de l'ensemble des secteurs scolaires
était placé un instituteur métropolitain. Ce dernier était chargé
à la fois de diriger l'école régionale et d'inspecter les écoles
rurales de son secteur.

55
Cette nouvelle organisation permettait ainsi de
décentraliser l'enseignement. La décentralisation qu'on venait
de réaliser n'entraîna nullement un changement des structures et
la même articulation subsista de la base au sommet.
Cependant,
le nombre des écoles de village augmenta
et elles virent grossir leurs effectifs:
d'école unique, elles se
transformèrent en école à deux,
trois ou quatre classes, mais
toujours est-il que ces écoles étaient limitées aux quatre premiers
cours à savoir les deux cpurs préparatoires et les deux cours
élémentaires.
Comme nous l'avons déjà di t, cl:aque colonie était desonnais
dotée d'une Ecole Primaire Supérieure, connue
sous le sigle de
l'E.P.S ..
L'EPS était le prolongement de ce système scolaire.
Elle venait d'être créee le 24 Août 1925. Elle recrutait les
meilleurs élèves des cours moyens de l'école régionale et urbaine.
L'organisation interne de cette école était loin
d'être d€mocratique
et populaire; car elle comportait
trois
sections fort sélectives :
- Une section réservée aux fils de chefs,
- une autre préparant aux écoles du Gouvernement
général pour la formation d'instituteur et de médecins auxilliaires,
Enfin une troisième section qui formait des agents
de cadres locaux (Postiers,
Infirmiers, Agents de Travaux Publics).
L'organisation de cette EPS contribuait à la formation
de la force de travail et sa hiérarchie refletait la division
sociale qui attribuait aux uns le commandement, aux autres l'exécu-
tion. Comme dit M. Lê thaYJh Khoi,
"cette fonction économique n'est
pas indépendante de la fonction idéologique, elles s'appuient l'une
sur l'autre" (1)en vue d'obtenir l'aliér:ation des sortis de ce système
scolaire.
(1)
Lê Tha~h Kfioi
jeunesse exploitée, Jeunesse perdue? PUF 1978.

56
- Si la Côte d'Ivoire a soumis le 16 Juillet 1911
au Gouverneur Général de Dakar un arrê~local demandant d'adapter
l'école aux besoins et aux niveaux scolaires du pays
(1), elle n'a
pourtant pas réussi à faire disparaitre la division du travail et
les écarts de statuts (entre fils de chefs et fils de non-chefs)à transfomer !
les chances relative6de mobilité entre les groupes sociaux, ni à
réduire l'aliénation économique et culturelle. "Même si l'école
se démocratise, dit M. Lê lhanh Khoi, pour égaliser non seulement
l'accès, mais les résultats en ternes de connaissances et de
capacités de tous les individus, elle ne peut empêcher les
inégalités familiales et sociales d'éliminer successivement les
catégories les moins favorisées et d'exercer sur toutes des
di ff érenc i ati ons dans leu r ae ti vi té,
leur ca rri è re,
leurs revenus 'lZ.~
Après cette discrimination sociale à l'entrée à
l'EPS, une autre intervenait après l'EPS.
Le cycle terminal de l'EPS délivrait le certificat
d'études primaires supérieures (CEPS)
au bout de trois années
d'étude. Puis les meilleurs élèves de l'EPS étaient dirigés vers
les Lycées Fédéraux et l'Ecole ~ormale William Pont y pour les
futurs Instituteurs, Medecins,Pharmaciens auxilliaires du service
de santé et les cadres de l'Administration Générale.
121 23 - L'Ecole Supérieure Technique
Cette école recevait les meilleurs élèves des écoles
régionales ou leur offrait la possibilité d'un apprentissage
pratique dans les ateliers des travaux publics,
des chemins de fer
et de NaVigation, sous la direction de maîtres-ouvriers compétent5~'
qui pouvaient former eux-mêmes les futurs ouvriers dont-ils avaient
besoin~. Mais cette formation professionnelle s'orientait davantage
vers le travail artisanal que vers l'industr:c quasi_ inexistante.
(1)
Citée par AKA J.
(2)
Lê Than.l-t Khoi déj à ci té.

57
La faiblesse du recrutement était due au fait
que le travail manuel n'instéressait guère l'élite instruite
et socialisée dans l'id~ologie coloniale dominante, qui
préférait se dirig€r
vers les emplois de prestige c'est-à-dire
administratifs ainsi qu'à l'insuffisance de l'outillage
matériel.
121 3 - Essai de ruralisation de l'école de village
La structure du système scolaire colon~al,

divisé en "Ecole Primaire du Village", "Primaire urbfiJlllEI'i!' ou
régionale" et en " Primaire Supérieure" devait refleter
,
la future hiérarchie sociale de même que la refletaient "
les catégories de la profession .enseignâ~~S~ dont le prestige
augmentait avec le niveau d'enseignement".
L'école coloniale ne conduisait pas à la
démocratisation et à l'intégration sociale, comme nous l'avons
déjà dit, puisqu'elle filtrait les élèves. Ce filtrage était
fondé sur l'origine sociale (fils de chefs) ou sur la connais-
sance des valeurs étrangères enseignées
(de l'école de village
à l'école régionale, de celle-ci à l'école urbaine,
de l'école
urbaine à l'EPS et de cette dernière
à William Ponty.
Ceux qui ne passaient pas par ce filtre sC0laire
retombèrent dans l'analphabétisme que l'école venait de
fabriquer.
L'école rurale de village
En 1931, l'inspection des écoles rurales,
modifia profondém~nt l'école du village. Elle l'adjoignit de
champs, de plantation, de troupeaux, de basse-cours pour
l'enseignement agricole auquel était consacré la moitié de
1 'horai re .
Les responsables du système scolaire manquèrent
d'imagination.
Ils ne surent pas que le manque de matériel
moderne, des grains et de plants sélectionnés, de conseils
techniques les plus élémentaires ne pouvait qu' entrainer ) 'échec des
objectifs arrêtés.

58
L'absence de ces éléments essentiels amena cet
enseignement agricole obligatoire à se borner à reproduire les
façons culturales traditionnelles.
Cette expérience de "ruralisation" de l'école
primaire ne donna donc pas les résultats escomptés et le mauvais
souvenir qu'elle a laisséJsubsiste.
Comme l'a écrit R. Mélet "cet enseignement visait
autant à la formation de bons artisans pour ceux qui ne poursui-
vaient pas leurs études, qu'à l'acquisition d'une instruction
générale moyenne pour ceux qui voulaient concourir aux écoles
supérieures. En effet, on
trouvait plus ou mois bien organisés des
ateliers de travaux pratiques auprès de chaque école rurale et
urbaine, et un pré-apprentissage des travaux du bois, du fer ou
de la forge,
ainsi que des sections ménagères dans les écoles
régionales."
L'école technique des filles qui devrait les
préparer à l'activité et à l'indépendance économiques devenait
pour elles une impasse dans la mesure où elle les relèguait à des
sections sans débouchés et sans utilité: économie managère,
couture, artisanat.
121 32
L'échec de la ruralisation de l'école.
Le manque de matériel moderne pour retenir les
jeunes dans l'agriculture,
l'attrait du travail intéllectuel
beaucoup plus propre, plus remunéra~eur et plus prestigiell~,
les difficultés à l'intérieur de la France,
le mouvement national
en Afrique, la prise de conscience du niveau scolaire des élèves
cré~Yent une situation nouvelle dans les rapports économiques,
social et culturel entre la métropole et les colonies.
En considération de ces données,
une restructura-
tion de l'enseignem~nt s'avéra nécessaire. C'est ainsi qu'en 1948 )
fa nouvelle organisation intervint. Elle reprit "ne varietur" les
anciennnes structures existantes en essayant tant bien que mal ,
de les adapter aux conditions du moment.

59
De cette structuration, apparut un élément importanb
de l'aliénation culturelle.
Il s'agit de l'institutionnalisation
de l'enseignement de type français avec toutes les conséqueces
que nous connaissons.
Désormais les dipômes délivrés aux ivoiriens
étaient de niveau égal à ceux délivrés dans la métropole.
Pu i s que 1e s même s di P 1âme s é t aie nt dé 1 i v rés au s s i
bien -en France qu'en Côte d'Ivoire,
il se posait maintenant le
problème de programme et de son contenu.
L'occasion était bien venue pour consolider
l'oeuvre destructrice de la langue et de la culture africaines.
Ainsi naquit
une école non seulement diviseuse,
mais aUSSl aliénante. Ces deux effets étant intimement liés.
L'idéologie qui sous-tendait l'école installée
en Côte d'Ivoire avait pour raisons d'être de propager les
valeurs occidentales et non celle~du milieu africain.
Ainsi, par le jeu de différents m~canismes et
malgré l'importance du milieu africain encore "vivant" à l'époque,
l'école remplissait toujours pleinement sa double fonction à
savoir d'une part, valoriser la culture européenne et d'autre
part déprécier les valeurs locales en vue de faire accepter la
s~jétion tant politique, culturelle qu'économique.

60
122-
PROCESSUS DE L'ALIENATION CULTURELLE DE L'ECOLE
COLONIALE
Nous venons de voi r dans le premier point de ce chapitre,
l'histoire de l'impla~tation de l'école en Côte d'Ivoire.
Il est apparu au cours de ce bref aperçu que
l'administration du système scolaire colonial n'était pas différente
de celle de la métropole.
Le fait de dispenser le même type d'enseignement
en France et en Côte d'Ivoire n'a resolu aucun problème concernant
l'apprentissage de la langue maternelle de l'enfant.Au contraire
cela a entrainé la diffusion à grande échelle de la culture
Européenne.
Il en est resulté des attitudes très acculturantes.
L'administration coloniale, pour mieux faire passer
son message d'endoctrinement devait faire comprendre à l'élève
que pour mieux assimiler la langue et la cul ture française, ~[,
faillait se mettre dans la peau de son homologue français.
En d'autres termes, cela voulait dire: "Renie-toi
déculture-toi et adopte ce que le blanc t' appo rte" ( 1), Tout
ce
qu'on enseignait au jeune africain, que cela' soit du domaine
de la religion, de l'école etc ...
tout ceci concourait à le con-
vaincre que son pseudo -désir de devenir "blanc" passait par son
reniement
total et par son adhésion à la civilisation occidentale.
Pour arriver à ses fins le colonialisme européen,
comme nous allons le voir,
a eu recours à des procédés les plus
agressifs ,et les plus violents qu'un peuple puisse utiliser pour
détruire un autre.
Ce même colonialisme Européen a eu besoin de
jeter Ulla. série d'images et concepts psychologiques permettant l' alié-
nation et l'exploitation du jeune africain et les justifiant: ces
différents concepts qui se sont revélés
faux
et trompeurs par la
suite, se présentaient en général, comme des vérités absolues, en
même temps que mythologiques.
(1) Propos recueilli au cours d'un entretien que nous avons eu le
10/06/79 avec un ancien élève de llécole coloniale catholique

61
En introduisant par la ruse,
sa langue et sa
culture à travers l'enseignement et la religion,
le mode de
production et la transplantation de la société Européenne en
Côte· d'Ivoire le colonialisme {"rançais n'avait plus qu'à faire
admettre la logique de sa culture et de sa langue qu'il préco-
nisait et qui allait permettre .de poursuivre son exploitation
et sa déculturation en toutes
circonstances.Pour cela tous les
moyens des plus innocents aux plus a~ressifs étaient utilisés.
Par exemple l'administration coloniale était
utilisée pour exercer directement une certaine domination sur
les populations Ivoiriennes, ou bien c'était la religion qu'on
utilisait pour endormir les bonnes consciences et enfin après
les indépendances" on mettra sous la tutelle du néocolonialisme
les pays nouvellement décolonisés.
Il est à noter que très longtemps, l'~npérialisme
r
culture~ a toujours raillé la "singerie" par les africains
de leurs modes de comportement. En réalité, cela revenait à
rire de ses propres comédies.
A travers toutes ces comédies, ce qu'il faut
retenir c'est ceci: pendant la colonisation et même après
c'est-à-dire pendant les années des indépendances formelles,
ces
"singéries"étaient une condition peut-être la plus essentielle
pour l'implantation de l'idéologie et de la manière de penser de
/
vivre et de concevoir le monde.
Cette idéologie,
c'est le cas de le dire était
baséè sur la logique des sociétés colonisatrices en l'occurence la
France (pour ce qui nous concerne ici) et leurs règles de
morale de comportement de valeur. Nous allons nous arrêter un
instant pour faire un petit "inventaire historique" des méthodes
et techniques psychologiques dont l'impérialisme français s'est
servie en Côte d'Ivoire pour imposer et faire admettre la
logique de l'implantation de la langue et de la culture
françaises

62
Ces méthodes s'ajoutaient évidemment
à
celles qu~ consistaient
à imposer de façon classique à
savoir l'intervention militaire, l'encadrement,
réduction à des
situations dépendantes par le biais de pressions financières ou
politiques, de la corruption etc ...
D'ailleurs ces dernières méthodes et nous le
verrons plus loin sont d'actualité hic et nunc.
Comment avait-on réagi face à l'école?
Nous savons par les témoignages des écrivains africains de l'école
coloniale, comment l'implantation de l'école en afrique nOlre
francophone en général et en Côte d'Ivoire en particulier avait
connu beaucoup de résistance de la part des populations. C'est de
la plupart de ces résistances et de ces réactions que sont nées
les différentes méthodes de filtration et d'imposition des
modèles qui allaient être la garantie de l'option d'aliénation
culturelle qu'allaient prendre les élites occidentalisées.
La saisie de ces différentes réactions nous
oblige à passer en revue une certaine partie de la litterature
africaine d'expression française.
122 1_ Le recrutement des élèves
Il convient de signaler que le système d'enseigne-
ment qUl prévalait en Côte d'Ivoire avant les indépendances
était le même dans taDte l'Afrique Noire Française.
Si l'on passe du Sénégal au Cameroun, du ~ameroun
à la Côte d'Ivoire,
les problèmes scolaires que les premiers
élèves ont vécu ne changent pas.
Pour parler des réactions des Ivoiriens face à
l'école, il suffit de voir ce qui s'est passé dans les autres
pays africains tels que le Sénégal, le Cameroun, la Guinée etc ...
pour que cela soit appliqué à la Côte d'Ivoire.
C'est pour quoi notre revue de questions sera
faite à travers les ouvrages des écrivains africains francophon%qui
ont attaqué de ~ont ce problème.

63
12211-Les raIsons du refus de scolariser les enfants
L'enseignement :coutUIliier en Côte d'Ivoire était
pratique et communa0taire.
Il faisait partie de la pratique ou
du vécu quotidien
de l'enfant. C'était un enseignement dispensé
par les parents eux-mêmes et plus tard par le clan. Il n'y avait
pas cette coalition d'individus
é1Ssennentés
qui transmettent
aujoud'hui un savoir autre que celui que vit l'enfant.
Il a fallu la pénétration de l'Islam au Nord du
pays pour voir réunir autour d'un maître, un certain nombre
d'élèves
entrain de recevoir un enseignement. E~ cela l'école
française n'a vraiment
rien innové. Partout dans la partie septen-
trionale du pays les écoles coraniques inauguraient ainsi l'ins-
truction scolaire basée sur l'étude livresque.
La vraie nouveauté introduite par l'école française
s'est réalisée en basse Côte d'Ivoire c'est-à-dire dans la partie
f6restière oa l'Islam était inconnu.
Cette nouveauté, c'est l'objectif poursuivi par les
Européens en ouvrant des écoles. C'est cet objectif qui va
provoquer le refus des anciens. Le refus des anciens,
leurs
hésitation~devant l'école ou leurs appréhensions devant cette
formule moderne d'enseignement paraissaient en son temps tout
naturels et fort compréhensibles
Le nouvel enseignement imposé par la colonisation
devait revolutionner tout un passé culturel, solidairement ancré
dans les mentalités des africains; d'oa les réticences, les
hésitations émises par eux et qui sont inhérentes à une entreprise
de rénovation pédagogique de cette envergure.
Leur refus s'expliquait par le fait qu'ils avaient
le presentiment que l'école des Blancs n'était pas bonne pour
eux et que, s'ils laissaient leurs enfants la fréquenter,
ils
risquaient de devenir "Blancs" à leur tour ; par conséquent ils
en viendront tôt ou tard à s'écarter du chemin des ancêtres ou
même à y renoncer.

64
Ceei ne pouvait que détruire un équilibre social
jalousement conservé, et attirer nécessairement sur le groupe
les plus terribles châtiments. D'ailleurs, pourquoi apprendre quelque
chose chez les étrangers puisque les ancêtres ont transmis ce qu'il
est nécessaire de savoir pour bien vivre, ~t que la société a ses
sages et ses ancjens
pour les transmettre (1)
?
Il n'est pas très facile de se débarasser de ses
traditions,
caron ne sait jamais ce que la nouveauté
nous reserve
comme surprise malheureuse. C'est en connaissance de ces données
que les parents à l'époque coloniale adoptaient une attitude
d'opposition résolue; Pour eux en mettant leurs enfants à l'école
)
des "Blancs", équivalait à les soumettre à un "lavage de cerveau"l.G.-).
Ils ne faisaient pas confiance à l'école des "Blancs"
parce qu'elle ne pouvait pas jouer le rôle de transmission des
valeurs locales dans un tel contexte.
~u'en était-il autrefois dans la société traditionnel-
le africaine? Dans cette société, nous l'avons déjà dit,
l'éducation
et la vie ne faisaient qu'un. Partout et toujours, l'enfant, puis
l'adolescent, apprenait à l'école du concret et du réel sans se
préoccuper d'horaire ni de programmes. Son éducation était prise
en charge par l'ensemble de la communauté. Cette dernière se
sentait~tout moment responsable vis-à-vis de lui. L'enfant écoutait
les "vieux" qui s'attachaient à lui faire prendre conscience, à
travers les actes de la vie quotidienne,
des fondements matériels
et spirituels de la vie sociale, ainsi que des responsabilités
qui lui incombaient. Les diverses "classes d'âge" correspondaient
aux différentes périodes de l'évolution de l'enfant et de l'adoles-
cent. Cette éducation "initiatique" utilise en fait une pédagogie
active.
(1)
AKE LOBA, KOKOUMBO,
l'Etudiant Noir, Feammarion 1960, P. 11-28
(2)
Olivier REBOUL,
l'endoctinemen't, PUF,
1977 PP.
109 à 121.

65
Avec la pénétration européenne en Côte d'Ivoire l'éducation
traditionnelle cohérente, mais statique
,prenait du recul. C'est
ainsi qu'à Côté se developpait un enseignement du type occidental
destiné à détruire les valeurs culturelles africaines et à les
remplacer par des valeurs étrangères. C'est en considération de ces
données que les parents refusaient ou hésitaient d'envoyer leurs
enfants à l'école. Certains allaient jusqu'à les cacher en brousse
ou les poussaient à déserter l'école s'ils y avaient été menés de
force.
Ce refus catégorique des parents était en partie
justifié
C'était une attitude légitime d'auto-défense. Cette
attitude est loin d'avoir complétement disparu aujourd'hui. Elle sub-
siste de nos jours. On peut aussi l'expliquer par la peur de perdre
une main-d'oeuvre utile à la famille.
Les parents des élèves de l'époque coloniale n'étaient
pas seuls à refuser l'école occidentale. Dans les régions musulmanes,
l'Islam s'opposait vigoureusement à l'installation de l'école
coloniale pour des motifs proprement religieux.
Il la regardait
comme destructrice de la "valeur essentielle qui est Dieu, moyen
de l' 0 id re '13 oc i al" .
L'opposition des parents,
renforcée par l'Islam, se
manifestait d'une manière particulière par le refus catégorique
d'envoyer les filles à l'école. Le refus de scolariser les filles
fut longtemps considéré comme normal.
Ce refus ne signifiait pas
que dans la société traditionnelle on n'éduquait pas les filles.
Bien au contraire, l'éducation des filles n'était point absente.
Elle demeurait subordonnée à leur fonction sociale de mères et
d'épouses.
Il s'y ajoutait,
dans certains cas (les castes par
exemple), les connaissances professionnelles dont elles avaient
besoin.

66
L'explication ~ue les anciens donnaient à la
suite de leur refus de scolariser les filles était toute simple.
Il s'agissait de les éviter à aller à l'encontre de la tradition
qui assignait à chacun sa place. Une autre raison était gu'il ne
fallait pas donner la même éducation simultanément aux garçons
et aux filles.
Nous "avons signalé plus haut que c'étaient les
ainées qui se charseaient d'organiser le travail des filles
c'étaient aussi elles qui assuraient l'éducation domestique
c'e~t-à-dire celle que toute femme était en droit de recevoir
et de transmettre à son tour.
Il n'était donc pas question de
dispenser une de ces filles de recevoir l'éducation qui lui
était destinée. Car cela revenait à dire qu'en dispenser une
c'était faire retomber sa part sur les autres.
Un autre élément majeur qu'on a tendance à oublier
et qui est à notre avis essentiel, c'est que la fille constituait
(comme dans certains endroits encore aujourd'hui) un élément
vital de première importance pour la famille et le lignage,
tant par les alliances nouvelles que son mariage allait permettre
ou renforcer que par la dot que ce dernier allait rapporter. La
scolariser, signifiEit, que tous ces avantages allaient être
supprimés.
Le problème de la fille était beaucoup plus
important que celui
du garçon.
L'école pouvait déraciner le garçon, sans pour
autant bouleverser la vie de la communauté. Alors que cela
n'était pas la même chose chez la fille. Car si l'école étrangère
risquait de sortir le garçon de son milieu traditionnel, il
était évidemment plus grave qu'elle le fit pour la fille dont
le rôle était d'être avant tout disponible pour enrichi9r
la vie de la communauté.
Et pourtant, la puissance coloniale était très
intéressée de scolariser
les filles. Elle trouvait en elle un
élément important de diffusion de la langue èt de la culture
françaises.

67
Mais ce fut une déception,
car les filles
occupaient jusqu'en 1944 une place modeste âl'école (à -peine 10 %
par rapport aux garçons; (1)
A travers ce que nous venons de dire, nous
constatons que l'école n'était pas très bien accueillie par les
populations locales.
Il y nvait une hostilité du milieu africain
vis-a-vis de l'école coloniale.
Cela se comprenait fort bien pour les raisons
suivantes
L'enfant qui étélit
en âge d'aller à l'école, devait
se soumettre à un double système culturel. Cette double apparte-
nance culturelle était un facteur d'acculturation. Car l'école
est le lieu de rencontre de plusieurs cultures. Elle a été souvent
et risque encore si on rl~ prend pas garde, d'être une source de
conflits culturelS.
Le fait a été maintes fois signalé
l'entrée
à
l'école est un véritable déracinement.
122 12_ Le déracinement
L'enfant quitte la case familiale,
où il avait
joué avec ses frères et soeurs,
avec ses camarades, ou la
présence
constante de la mère,
de la tante avait marqué sa
plus tendre enfance, où l'école coranique
(2)
l'avait accueilli
dans une case semblable â la sienne.
Avec l'école française l'enfant entre dans un
monde nouveau pour lui, artificiel car tout lui apparait radi-
calement étranger.
(1)
Chiffre fourni par le Recteur Jean Capelle, ln
Afrique
occidentale Française, Ed. Encyclopédie coloniale et
maritime, 1949 Turne 1, P. 273 - 274.
(2)
Il s'agit ici des régions qui ont été IS la misées et où ont
été établies des écoles coraniques.

68
Lorsqu'il en sort,
il se sent complétement diff~rent
des siens. Justement, pour ne pas détourner
l'enfant ·de ses propres
valeurs,
les parents avaient trouvé bon de s'opposer a leut mise
à l'école française.
Puisque
les parents s'opposaient a la mise·à l'école
de leur progéniture, comment se faisait donc le recrutement des
autres enfants?
122 13 - Le recrutement
Les habitants ne voulQnt pas confier leurs enfants
à l'école des "Blancs" les cachaient. Il y eut donc un absentéîsme
général de leur part.
Pour les autorités coloniales qui voulaient a tout
,
pris developper un enseignement du type occidental destiné a
fournir les cadres subalternes et les interprètes de la coloni-
sation, il était nécessaire de trouver une solution afin d'obliger
les habitants a avoir "des vues justes sur le rôle civilisateur
de la France en Afrique".
(1).
Pour gagner les enfants à l'enseignement. les
autorités coloniales ont eu recours a la menace de la prison.
Maurice MONTRAT, se rappelle que sa mère fut
enfermée en prison par l'Administration locale pour avoir refusé
de mettre a l'école son enfant (2).
Parfois des soldats passaient dans les villages et
raménaient les enfants aux traits plus éveillés tout en menaçant
les parents récalcitrants.
Les vieux souvenirs d'un ancien
instituteur, nous
font revivre une rentrée de classe pas comme celles que nous
connais sons
auj ou rd' hui.
(1)
cf.
la charte de l'enseignement dont les arrêtés spéciaux
furent définis par le Gouverneur Général ROUME en 1903.
(2) M. MONTRAT, N'NA ou la maman noire,
Imprimerie Bachier ~ersailles
1957,
59 pages.

69
Les autorités coloniales employaient la manière
forte pour remplir leurs écoles. Ecoutons ce récit pour comprendre
l'état d'esprit de l'époque:
"Arrivé dans mon poste le 27 Septembre,
je croyais
que les choses se passeraient comme dans l'école que je venais
de quitter. Quel ne fut pas mon étonnement quand~ le 30 Septembre
au soir, un camion-berne venu du chef-lieu de la subdivision
m' amena~_quatre
gardes-cercles et un interprète. Ce dernier
m'apprit que le premier Octobre au soir nous devions nous rendre
dans les villages environnants pour ,le recrutement des nouveaux
élèves ...
L'équipe de gardes-cercle et l'interprète
préparaient soigneUsement la randonnée.
Nous partîmes le premier Octobre vers 18 heures
à bord de notre camion Berne.
C'était le moment propice. Les
habitants des villages étaient de retour des champs et commençaient
à prendre le repas du soir dans
les cours. Tout était à la joie.
Les gardes-cercles,
l'interprète et moi,cachés dans le bois qui
entoure les villages, nous attendîmes à l'affût que les dernieres
lueurs 's'estompent puis, surgissant brusquement nous avons fait
irruption dans les villages.
Ce fut alors la panique. Tous les enfants se
mirent à fuir en direction de la brousse. Les gardes-cercles
saisirent les moins rapides qui sont immédiatement remis à
l'interprète qui les met dans le camion.
La chasse à l'enfant dura une bonne heure, puis
nous faisons le bilan.
Que de cris, que de lamentation~dans la nuit
noire pendant que blottis dans la carrosserie de la Berne nos
rescapés épouvantés s'acheminaient vers le Chefs-lieu de la
subdivision ["

70
L'auteur nous rappelle plus loin, qui êtaient les
enfants qu'on ramenait dans la ville: "Eh bien ce sont ceux qui
vont fréquenter les classes".
Après cette randonnée,il reste encore un problème
â résoudre;
c'est celui des parents mécontents et qui pleurent
le Gépart de leurs enfants.
Ceux qui ont organisé la chasse aux enfants se
trouvent en face d'un tas de démarches harassentes
"Des mères
qui viennent vous voir en pleurant, des familles qui trouvent
des prétextes pour essayer de récupérer leurs enfants, bref toutes
sortes d'alibis et de subterfuges pour arracher le pauvre enfant
des mains des "démons" que sont le maître et son équipe." (1)
L'évocation des souvenirs d'une rentrée scolaire
de cet instituteur nous éclaire sur la manière de recruter les
enfants â acculturer. Les enfants entraient â l'école selon une
procédure ahurissante.
Il y a en effet loin de la théorie â la
pratique et les usages s'établissent selon une très large interprè-
tation des textes en vigueur. En matière de scolarisation, le
texte de 1924, reprenant celui de 1918, indique:
"L'école est ouverte,
en principe, aux enfants de
toutes conditions. Mais elle sollicite en premier lieu les fils
de chefs et de notables pour lesquels la scolarité est rendue
obligatoire ... " (2)
Le recrutement des enfants et envertu du texte
du Gouverneur Général Roume,
devait être très aisé. Et pourtant
nous constatons que le recrutement devenait ainsi une véritable
aventure, et bien souvent, la scolarisation apvaraissait comme
une contrainte au même titre que le travail forcé ... Cela est
tellement vrai qu'au moment de l'indépendance certains parents
viendront retirer leurs enfants des écoles, sous prétexte qu'êtant
"libres", ils ne sont plus tenus â cette imposition"
(3).
(1)
M. AOULOU Wadjas, in Regards sur l'Education N° 1 Avril 1973.
(2)
cf. déclaration en 1924 du Gouverneur Général Roume au journal
Officiel de l'A.O.F.
(3)
cf. cours d'initiation au développement Inades-Formation 1973.

71
122 14_La stratégie du recrutement.
Les populations ivoiriennes étaient très réticentes
à l'envoi de leurs enfants à l'école.
Est-ce -à dire que la politique d'implantation du
système scolaire allait-elle échouer? Nous ne le pensons pas.
Car la stratégie que venait d'adopter l'Administration scolaire
française était faite de telle sorte que les populations partici-
passent à leur propre aliénation.
C'est pour cette raison que la politique coloniale,
au lieu d'imposer l'acculturation aux populations ivoiriennes,décida
de les y impliquer afin qu'elles-mêmes s'acculturassent.
Comment s'y prenait-on?
Cette politique coloniale consiste donc à choisir
un facteur "dominateur" capable de provoquer des changements dans
les mentalités des populations.
Les "colons" savaient déjà à travers les témoignages
des ethnologues,
des anthropologues,
des sociologues etc ... que la
société africaine était hiérarchisée. Donc pour gagner ces popula-
tions à l'auto-endoctrinement cul turel, le moyen le plus
subtil
était d'endoctriner les fils de chefs; les amener à se détruire eux-
mêmes et à travers eux tous les autres. C'est pourquoi dès le début
de l'implantation scolaire, la politique coloniale s'était appuyée
sur les chefferies locales en vue d'obtenir une meilleure audience
auprès des masses.
Pour cette raison,
vu les effectifs réduits
d'enfants qui pouvaient être scolarisés,
c'était aux fils des chefs
et des notables qu'était donnée la priorité, afin que
se lévât une
génération de jeunes à acculturer Cà occidentaliser) qui une fois
marqués psychologiquement par la "supériorité" culturelle,
économi-
que etc ... des Européens, ou une fois assimilés et déculturés,
seraient à la fois partie prenante dans l' eouvre coloniale
et auraient
la confiance des populations.

72
Cette volonté politique qui consistait à choisir
les membres de "l'in-group" pour se faire les défenseurs, à l' inté-
rieur de la forteresse culturelle à abattre,
du changement et de
l'occidentalisation, était consignée dans un texte du Gouverneur
Général Roume. Ce texte parut au:Jourrtal Officiel de l'AOF en 1924.
Il était libellé comme suit: "Puisque nos moyens actuels ne nous
permettent pas encore d'atteindre la masse et restreignent nos
efforts à une minorité, choisissons judicieusement cette minorité ...
Choisissons
nos élèves tout d'abord parmi les fils des chefs et de
notables. La société indigène est très 11iérarchisée. Les classes
sociales sont nettement déterminées par l'hérédité et la coutume.
C'est sur elles que s'appuie notre autorité dans l'administration
de ce pays, c'est avec elles surtout que nous avons un constant
rapport de service.
Le prestige qui s'attache à la naissance doit se
renforcer du respect que confère le savoir. " (1)
Ce n'était pas la premlere fois que l'école coloniale
menait une telle politique de discrimination. Cette détermination
de sélectionner les enfants "nobles" 'résultait d'une politique de
division,
d'aliénation ou d'acculturation planifiée qui sera reprise
plus tard, nous le v~rrons bien.
Il faut remonter en 1347 pour comprendre l'esprit
de cette sélection sociale devant l'école.
A cette date fut ouverte à Saint-Louis du Sénégal
une école appelée "école des otages".
Cette école fut ensuite
confiée aux Frères de l'Institution Chrétienne.Son but consistait
à
éduquer les fils de chefs qu'on venait de ramener des diverses
campagnes de "pacification". Elle éî:.ait la première école qui
formait les "cadres" puisque c'est de son
sein que sortaient les
collaborateurs de la déculturation de l'Afrique. Ces jeunes recrues
n'avaient pas conscience de ce qu'on voulait faire d'elles.
(1)
Journal Officiel de l'AOF N° 1024 du Mai 1924.

73
La politique coloniale avait réussi à les endoctriner,
puisque certains d'entre eux
s'étaient fai ts les défenseurs de la
culture occidentale. Jean-Pierre Lycops, dans son ouvrage:
"L'agression silencieuse ou le génocide culturel en afrique", nous
cite le cas du fils d'Almamy Samory qui se rebella contre son père
de son retour de France.
(1)
Il avait été tellement conditionné
qu'il tendait à conform~r ses croyances à ses pul~ions et à
ses
inhibitions.
Le but poursuivi par l'école coloniale était donc
de faire subir aux enfants un lavage de cerveau qui n'est qu'une
forme complexe de conditionnement et d'aliénation.
C'était un véritable endoctrinement puisqu'il visait
à provoquer non seulement la croyançe,
mais l'adhésion des enfants
des chefs à la "civilisation" occidentale.
Pour ne pas donner un caractère autoritaire, agressif
etc ... à cette éducation, on commença .par changer vers 1893, le
non de l'école "des otages". On lui donna un nom moins choquant
celui "d'école des fils de chefs".
Cette école d'acculturation ou d'endoctrinement se
présentait comme une "école" de "civilisation ou de pacification"
et non jamais comme une école "ethnocidaire".
En fait,
les chefs et les notables ne regardaient
pas favorablement la formation que les Blancs voulaient donner à
leurs enfants dans des internats éloignés.
Pour ces parents,
le prétendu enseignement des
Blancs ,n'était rien qu'un endoctrinement qui ne disait pas son nom.
Les enfants à cause de leur jeune âge ne pouvaient pas se rendye
compte qu'on les endoctrinai t
(qu'on les accul turai t)
; pour eux
ils apprenaient.
Ce qui faisait hésiter les chefs et les notables était
ceci
_ L 'accul turationprovoque des conversions soudaines,
suscite des "illuminations brusques".
(1) J.P. Lycops,l'agression silencieuse ou le génocide culturel en
Afrique ed. anthropos Paris 1975.

74
Or les populations souhai tent d'abord que les jeunes
reçoivent sur place la formation traditionnelle dont ils sont
appelés à être les initiateurs;
- D'autre part, personne ne peut contrôler ce
qu'ils vont apprendre au loin; à quoi cela va t-il leur servir?
- Enfin, les études nouvelles ne vont-elles pas
attirer sur eux et sur leur famille une série de malédictions
et la vengeance des ancêtres ?
En considération de ces incertitudes, les chefs et
les notables décidèrent de ne pas envoyer à l'école des Blancs
leurs propres enfants mais de les remplacer par les Jeunes
"captifs".
Il s'agissait par ce geste de satisfaire à
l'obligation imposée par les Blancs.
Que dire de cette substitution à travers l'histoire"
de l'enseignement colonial?
Ce subterfuge a permis d'éviter la reproduction ou
la reconduction des même~classes privilégiées de l'époque.
Il"a permis de "rééquilibrer pour ainsi dire d'une
manière démocratique et spontanée, une sélection imposée qui,
au départ, ne donne pas à tout le monde la même chance. C'est ains
que des jeunes enfants, esclaves ou paysans, qui n'auraient
jamais pu prétendre à une quelconque autorité sociale, en raison
de leurs modestes origines, se sont vu offrir une place à l'école.
S'ils y sont restés, elle leur a permis de bénéficier d'une
promotion sociale imprévue,
initialement destinée à leurs anciens
ma î t re s".
( 1)
L'envoi à l'école des enfants défavorisés va
provoquer d'abord, une r;sistance culturelle, ensuite un affai-
blissement de la cohésion socio-culturelle et de l'autorité
des anciens,pour qu'enfin s'installe l'autorité des Blancs.
(1)
Cours d'initiation au développement
formation-INADES
1973 à Abidjan.

75
Reprenons le fil conducteur de cette opération.
"L' atti tude des chefs~ compréhensible dans le contexte de l'époque,
amO'l"ce
bien inconsciemment, un déplacement de l' autori té par le
dédoublement des chefferies traditionnelles.A la puissance et
au prestige héréditaires viennent s'oposer la puissance et le
prestige conférés par la science étrangère: des jeunes vont rempla-
cer des vi e ,--'x ; d' alù:iens esclaves vont prendre la place des
-
notables. L'affaiblissement de la hiérarc~e sociale traditionnelle
et son remplacement par des cadres .formés selon les critères
d'une culture étrangère sont certainement provoqués par l'école
coloni ale.
(1)
Nous voyons ci-dessus que l'effritement de
l'autorité des anciens au profit de celle des étrangers provient
de l'école. Alors que dans son principe l'école doit être un
lieu de conservation, de distribution et d'inculcation des valeurs
du milieu.
La politique coloniale des Français en matière
de scolarisation, avait donc un but précis:
celui de remplacer
un ordre culturel par un autre qui se veut supérieur et universel.
Le fait que l'enseignement dispensé en Côte
d'Ivoire, par les français fut longtemps-il l'est encore - un
enseignement purement français,
ne pouvait en aucune manière
aider l'écolier ivoirien à avoir accès à sa propre culture.
C'est pour cette ralson que nous avons dit plus
haut que l'école coloniale n'avait nullement l'intention de
valoriser les peuples africains. C'est pourquoi, quelque soit
le niveau de l'enseignement dans les colonies, l'école reste une fonne de
déracinement pour les enfants, parce que nullement adaptée-à leur environnement
social et culturel.
Le déracinement de l'écolier ivoirien provoqué
par sa mise à l'école, la remise en cause des valeurs africai~es
à travers le prisme culturel français,
l'acceptation des valeurs
françaises sont à l'origine du relâchement ou de la crise des
valeurs en Côte d'Ivoire
(2).
( 1)
Ibid.
(2)
SEMITI Ani Jules:
les rapports d'autorité enfant adulte chez
les Gouro de Côte d'Ivoire
(Thèse de 3è cycle 1978).

76
Certains adultes, en constatant les innovations qui
s l étaient opérées dans le comportement des enfants, choisirent la
résignation.
1
D'autres s'opposèrent desespérément aux idées pro-
pagées par l'école française qui ne se conformait pas aux règles du
milieu africain. Pour justifier son entreprise d'agression culturelle
et de diffusion du modèle occidental de civilisation, l'idéologie
coloniale eut recours à des notions psychologiques dont voici
quelques exemples.
122
-
2
La diffusion du modèle de civilisation, facteur
psychologique à la base de l'aliénation cul~urelle et de l'intégra-
tion à l'exploitation coloniale.
_La pénétration coloniale et capitaliste en Afrique
en général et singulièrement en Côte d'Ivoi~e, a été justifiée par
des notions psychologiques "d'inférieur" et de "supérieur".
C'est par ces notions que le "colonisateur justifiait
son entreprise d'agression devant sa propre conscience, et, en plus
jetait la base d'une stratification (sociologique et économique) de
la société et de celles qui venaient d'être soumises à sa loi, en
supérieures et inférieures".
C'est par l'introduction de ces notions que sont nés
chez les peuples africains "les éléments psychologiques des valeurs
qui se traduisaient et se traduisent encore aujourd'hui, par des
complexes".
Après avoir réduit les "sociétés africaines et leurs
cultures dans une position d'infériorité", et rehaussé toujours plus
haut la culture et la langue européennes et coloniales, les
impérialistes français introduisaient un modèle de vie, un m'odèle
de valeurs morales et sociales dans le milieu africain.
Par ces modèles de civilisation,
l'occident réussissait
son tour de force en alignant "psychologiquement et culturellement
sur des valeurs qui lui sont propres,
les aspirations des peuples
soumis, et par conséquent de les dominer économiquement".

77
L'exploitation et la mise en déséquilibre des
valeurs africaines, vont rendre les africains "misérables" et
les soumettre finalement aux valeurs imposées c'est-à-dire acce~te~
d'aller dans le sens du courant.
" Il faut aller chez eux ... L'école étrangère est
la forme nouvelle de la guerre que nous font ceux qui sont venus,
et il faut envoyer notre élite en attendant d'y pousser tout le
pays" -
(1)
Ce passage de cheikh H. Kane,
nous montre que
l'arme idéologique dont se sert l'école pour convaincre les
populations de la nécessité d'y envoyer leurs enfants est très
efficace. C'est cette arme. idéologique qui per:met la diffusion du
modèle de civilisation au sein des populations et qui a provoqué
;
en elles la decision d'aller dans le sens du courant.
"Notre détermination d'envoyer la jeunesse noble
du pays à l'école étrangère ne sera obéie que si nous commençons
par y envoyer nos propres enfants"
(2).
Le désir des populations d'envoyer leurs enfants
à l'école va être bien exploité par l'idéologie de l'école
coloniale. "L'unique lettré du village" (3)
va être celui qui
sera choisi
pour acculturer ses frères.
Les enfants ne seront plus acculturés par des
instituteurs européens,
du moins en ce qui concerne les écoles
rurales et certaines écoles régionales. C'est un instituteur noir,
une "élite" africaine assimilée -et civilisée d'après des critères
français qui va à son tour inculquer les
valeurs occidentales à
ses jeunes frères noirs.
(1)et(2) CHEIKH Hamidou Kane:
l'aventure étITIbigu"ë.
éd.lü/18
nO
617(1979)
(~) Oussou-Essui : vers de nouveaux horizons Ed. du scorpion, Paris 1965

78
Cette élite africaine
"fabriquée" de toute plece
et " transformée en une classe de véri tables français, espérai t-on ,
éviterait la montée du nationalisme africain" dans les régionst--i).
A travers l'ouvrage de A.M. Diagne,
intitulé les
trois volontés du Mali, l'auteur fait dire au commandant de cercle
qui vient lui-même présenter l'instituteur noir aux populations:
"Nous avons dépensé bea.ucoup d'argent pour construire votre école ...
Nous
vous aménons un homme de votre race pour instruire vos petits
enfants. Il leur apprendra à lire, ~ écrire et à parler le français.
Les petits qui aurons passés par l'école seront plus tard des
hommes travailleurs, honnêtes 1 justes et bons". (.J.)
Nous voyons à travers cette déclaration la présertce
des éléments d'acculturation qui seront repris par l'administration
locale après l'indépendance, I l s ' agi t de l'aide,
(nous avons dépensé
beaucoup d'argent)
de l'apprentissage de la lecture, de l'écriture
et de la langue française.
Ces éléments en question ne sont jamais neutres
idéologiquement parlant. Ils sont véhiculés par l'école qui est
présentée ici, comme étant le lieu o~ l'on devient "travailleur,
honnête, juste et bon". Et pourtant c'est un lieu d'as~imilation
et d'escroquerie psychologique pure. Pour mieux gagner la confiance
des villageois tous les moyens, même les plus trompeurs sont utilisés
"Ils
n'auront pas besoin d' interprète pour causer
avec les Blancs, ils ne seront plus trompés par des marchands
malhonnêtes. A l'école, vos petits développeront leurs habitudes
de politesse et de respect. Cet homme que nous vous amenons ne
maltraitera jamais vos enfants ... Il peut compter sur votre con-
fiance parce qu'il est de votre race. Il est même probable .qu'il
ait.des parents parmi les habitants de votre village".
(3)
(~) Kwame N'Krumah : l'Afrique
doit s'unir
Fayot, Paris 1964.
(~) cf. cité in Regards sur l'Education n° 1 Avril 1973 Abidjan.
(~) Cheikh H. KANE op. cit.
r.

79
L'hypocrisie de cette argumentation est évidente
et n'est plus à démontrer. C'est par là qu'ont commencé à filtrer
les modèles culturels français.
C'est par ce processus psychologique
que le colonisateur est arrivé "à tuer dans l'oeuf"toute imagination
ou tout apport, toute solution originale qui dévierait de la
logique qu'il préconise.
L'intervention du commandant présentant l'institu-
teur aux habitants est une suite d'arguments justifiant ainsi la
mission "civilisatrice" de son pays.
I~ fait un éloge inconditionné
de l'enseignement français et de la bonté de la France.
La notion sous-entendue de "retard culturel" couvre
psychologiquement une exploitation que nous pouvons comparer à celle
de la pénétration européenne en Afrique.
Le retard culturel ou le sous-développement culturel
dont il fait allusion justifient, aux yeux de tout le monde,
la
mission de "développement", c'est-à-dire une intervention par·
présence directe ou interposée de la France en Afrique,
les
mécanismes très complexes et très confus d'une soi-desant "aide"
nous avons dépensé beaucoup d'argent pour construire votre école
nous allons aider vos enfants à être des gens honnêtes, travailleurs
et développer les habitudes de politesse et de
respect etc ...
l'aliénation culturelle dont il vient d'être question se justifie.
EllE' se justifie par le retard ou le sous-développement
tant économique
que culturel. Pour enrayer définitivement ce "mal"
et devenir développé,
civilisé,
il faut s'aliéner culturellement
et sociologiquement en suivant un certain processus à savoir: "
"devenir comme nous, faire comme nous avons fait, et nous allons
vous l' app re nd re"
(1).
La forte pénétration de l'idéologie scolaire dans
les mentalités des africains provoque en eux un désir intense de
pousser leurs enfants à l'école.
(1)
L'agression silencieuse ou le génocide culturel en Afrique
Jean-Pierre LYCOPS. Ed. anthropos 1975, Paris.

80
Avec le tenps, certains parents se rendent compte
que l' écol e mal g ré 1 e dange r qu' e Il e présente peut devenir le chemin de la
réussite pour leurs enfants dans la logique définie par l'occident:
"Dans le monde actuel,
il faut savoir lire et écrire
pour être vraiment quelqu'un ... Le temps de l'ignorance est passé.
d~
Les hornrnesvmaintenant cioivent se comprendre. Les jeunes sont
l'avenir. Ils doivent tous aller à l'école. Je ne veux pas que
Climbié subisse le so4t que m'imposa mon oncle qui me cachait au
moment du recrutement scolaire. Notre enfant sera instruit".
(1)
Ainsi réagit l'il parent d'él"ve, L'école n'est plus craint, parce que
grâce à elle, l'enfant qui ne connaît du monde que ce que lui ont
permis de connaître les limites de son village, va s'ouvrir, dès
son entrée à l'école sur unaonde vaste et différent. La connais-
sance de la langue du Blanc va lui permettre de discuter d'égal
à égal avec lui •
Mais à travers cette ruée des jeunes vers l'école se
profilaient les dangers d'acculturation que présente l'école
étrangère.
Les parents ne s'en rendaient pas compte lorsqu'ils
menaient
leurs enfants à l'école comme on pousse des troupaux vers
un abattoir. Ils s'occupaient moins de ces dangers d'acculturation
que du débouché sécurisant que l'école assure.
Les enfants
éloignés de plus de cinquante kilomètres
de leurs villages, conduits par leurs parents pour s'instruire,
vont subir au cours de leur présence à l'école un endoctrinement
impitoyable.
Les agents de cet endoctrinement étaient des "moni-
teurs' ignares, abrutis par les livres" et "qui leur présentaient un
univers sans ressemblance avec le leur ... " (2)
( 1)
Bernard Dèlié," Légendes et poèmes", Seghers 1966.
'.
(2)
Mongo Béti, "Mission Terminée", Buchet-Chastel, Paris 1957.

81
Par leur action,
ils participaient, peut être incons-
ciemment à la destruction de la culture africaine, à la création
d'un vide culturel autour de l'écolier, puis ensuite à la valori-
sation de la -culture occidentale.
Nous allons maintenant montrer par quels mécanismes
l'école française remplissait cette triple fonction.
1223 -
Mécanismes de production des complexes et l'accul-
turations de l'écolier.
Ce que nous venons de dire, nous a montré finalement
que l'administration coloniale s'est servie des moyens psychologi4ues
pour maintenir les africains dans un état de dépendance culturelle
et économique.
A l'école,des procédés beaucoup plus ethnocidaires
réduissaient les écoliers africains en des êtr~ sans culture, sans
histoire, sans passé etc ...
L'enseignement qu'ils recevaient ne faisait jamais
appel à leur existance quotidienne. Au pire, on leur interdisait
d'avoir recours à la "pensée africaine" pour exprimer le fond de
leur pensée.
Il Y avai t
tout un mécanisme de procédés psychologiques
pour le leur faire comprendre que parler "africain" est indigne de
celui qui veut se "blanchir".
C'est ainsi que la plupart de ces jeunes avaient
fini par croire qu'effectivement,
la meilleure "civilisation"
étalt celle que
vivaj t
ou que 1 'homme "Blanc" leur avai t inculqué.
Cette "décivilisation" de l'enfant noir va être
orchestrée et diffusée par l'école. Nous allons, par des exemples:
voir comment cela a pu s'enraciner dans la mentalité de l'écolier
africain.

82
LA LANGUE
Le phénomène de la "décivilisation" a été aggravé par l'intro.,-
duction de la langue française dans l'enseignement colonial ivoirien.
"Que la France porte partout où elle le peut, sa langue, ses
mœurs
etc. .. " (1).
Ce qui veut dire que la langue d' enseignement
est celle du colonisateur; elle devient l'instrument de communication,
d'expression,de travail etc ...
e'est un véritable véhicule des modèles
culturels étrangers. Elle exprime une idéologie ou une vision impéria-
liste du mouJe. Elle s'impose à l'ivoirien au mépris des langues
locales.
Comlne chacun' doit le savoir, une langue n'est jamais neutre
dans la transl\\ission ou l'inculcation d'une pensée.
On a souvent dit qu'elle était un~~de communication. Nais
ce qu'on a souvent oublié de dire, c'est qu'elle est aussi un instrument
de pensée et un système de symboles par quoi l'individu est rattaché
à son groupe.
C'est pourquoi nous disons qu'imposer une langue
étrangère à un individu, c'est du coup le détacher de son milieu
d'origine. A cela, nous rejoignons M.
Lê Thành Khoi,
lorsqu'il écrit
que l'enseignement en
langue étrangère aboutit en même temps à décul-
turer l'individu et à le convaincre de la su~ériorité de la culture
qu'el_~e véhicu~ Parce que la domination idé-9logique est l'un des
(1)
Nathan 1955 cité par Robert Jaulin,
in la décivilisation politique
et pratique de l'ethnocide, ed.
complexe
Bruxelles 1974 .
. . . /. "

83
plus sûrs garants de la domination politique;
l'impérialisme veille
partout à dévaloriser les cultures .:1utochtones ou même à les nj_er
complètement, à ramener leu~s langues au rang de "dialectes", à les
qualifier de "vernaculaires", ce qui en bon latin signifie "langues
d'esclaves". Or, la langue n'est pilS seulement un moyen de communication,
elle est aussi un instrument de pensée et un système de symboles par
quoi l'individu est rattaché à son groupe. En per8ilnt sa langue, il
perd ce bien intime.
Quand un groupe perd sa langue,
il perd son passé et sa mémoire, il
n'existe plus que dans l'instant pour s'éteindre à bref délai" (l).
La perte du passé et de la mémoire est le signe évident que
la langue esc bel et bien le moyen le plus approprié pour faire
intériorts~les valeurs, les modèles (raisonnements et évidences) sur
lesquels l'exploication est fondée puisqu'elle permet à la fois de
procéder à la dépersonnalisation et à la mise à l'écart de toute
authenticité ou valorisation de la culture propre.
L'école coloniale est donc marquée par l'imposition de ia
langue française, moyen le plus sûr pour faire durer la présence de
la civilisation occidentale.
Les différents mécanismes utilisés nous viennent des témoi-
gnages de certains écrivains aflricains.
Comme nous avons pu le constater plus haut,
l'enseignement
surtout dans les villages était dispensée par des moniteurs peu
pénétrés de la culture française et qui avec l'aide de certains
élèves semblaient parfois "massacrer collectivement la langue française".
Bernard B. Dadié, écrivain ivoirien souligne à plusieurs
reprises dans son ouvrage intitulé Climbié,
les déficiences de cet
enseignemenc du français.
Il a relevé la "fâcheuse tendance" des
élèves de se parler de préférence en dialecte. C'est là qu'intervient
"le symbole". Les écoliers qui ne maitrisaient pas la langue française
avaient du mal à s'en servir. S'ils s'en servaient, cette langue
(1)

Thanh
KHOI
L'aide
à
l'éducation
coopération ou
domination:
in
Perspectives,
Revue
trimes-
trielle
de
l'éducation
(UNESCO)
vol.VI
o
n
4 1976
pp.63ô-637

84
était pleine d'expressions
tellement difficiles à comprendre qu'on
/'chercherait en vain les sources chez Littré".
Par exemple,
on utilisait des expressions Comme "manigolo ... ,
foutou-moi
le camp" etc ...
etc . . . .
Vu que la langue française était maltraitée par des gens
qui semblaient s'entêter "à ne pas conjuguer les verbes au temps voulu
et à employer le faux genre des noms",
l'autorité coloniale était là
pour la défendre.
Celle-ci pour remédier à cette situation envoie partout dans
les écoles de brousse, de village, de ville etc ...
des circulaires
qui interdisent de parler les langues du pays et qui recommandent
l'emploi de la langue française.
Cette obligation se voyait
encore renforcée
lors de la
réforme de l'enseignement qui suivait la Conférence de Brazzaville
en 1944 (1).
Parler français
faisait partie des connaissances ésoté-
riques auxquelles était attachée la nouvelle puissance.
Fonctionnaire~
élèves et lettrés ne conn~saient que cette langue.
Ainsi,
la
langue du village était totalement proscrite dans
l'enceinte
de l'école.
Cette manière de faire,
d'agir a fait écrire à Bernard
B. Dadié que c'était là la façon dont on formerait très vite "des
hommes vrais, des hommes qui,
en toutes circonstances,
jamais ne
perdraient le Nord" (2).
L'adoption obligatoire de la langue française qui allait
de pair avec l'interdiction de
la langue Haternelle est un des facteurs
qui a contribué et contribue encore
le plus à
la dépersonnalisation
de l'écolier ivoirien.
(1) La Conférence de Brazzaville, réunie en Février 1944, sous la
présidence de M.
Pleven et à
laquelle participait le Général de Gaulle,
marque un tournant dé~isif de la politique coloniale en matère
scolaire.
Elle est en effet,
la promesse solennelle pour tous
les
territoires coloniaux d'une marche vers
l'autonumie et d'un style nou-
veau de rapports entre eux et la métropole.
La constitution de la 4e République y répond en 1946,
en créant llUnion
Française qui considère désormais toutes ses possessions Outre-mer comme
partie intégrante de la France.
(2) Bernard B. Dadié,
"Légendes et Poèmes" Seghers 1966 .
. . . / ...

85
Et comme l'écrit si justement M. Ebongue Soelle : " L'école
a fait de nous des apatrides culturels ll •
Les écoliers ivoiriens de
l'époque coloniale, comme ceu~ d'aujourd'hui étaient obligés de suivre
le chemin de l'occidentalisation sans retour à la cradition des ancêtres.
La rencontre s'est faite par intimidation.
, L'intimidation
en q~~i consiste ce mécanisme de décultu-
ration et d'acculturation?
Ce mécanisme consiste à écraser psychologiquement l'écolier
par une série d'effets démonstratifs.
L'effet le plus fréquent et le
plus répandu dans les écoles coloniales en Côte d'Ivoire fut celui
du "symbole".
C'est par le II symbole" que la langue et la culture du colo-
nisateur français furent valorisées.
Il traduisait la supériorité de
la langue et de la culture française sur celles de l'écolier.
Il humiliait et dépersonnalisait l'écolier ivoirien en parti-
culier celui qui maîtrisait très mal la langue française ou qui avait
des problèmes d'adaptation dans le système des relations scolaires.
L'évocation du
II symbole ll
intimidait et faisait paniquer l'en-
fant.
Le symbole faisait peur à l'enfant et l'obligeait à respecter les
normes prescrites par l'école, puisqu'il consistait à empêcher l'enfant
à parler sa propre langue, à le culpabiliser d'avoir péché (car parler
sa langue est un péché) à l'obliger
,
à s'oublier ou à s'humilier.
'L-O'YV
L'intervention du II symbole ll se trouvait seulement justifié,
y
mais encore valorisé ; car elle est interprétée comn1e visant la
transformation de l'élève dans le sens de 1I1'homme civilisé".
L'intimidation la plus remarquable fut celle qui consistait
a envoyer en France certains élèves boursiers pour les intimider par
les réalisations techniques.
L'administration coloniale pensait, de
cette manière,
intimider les parents à travers leurs enfants. L'opé-
ration réussit totalement car de retour en Côte d'Ivoire,
les jeunes
eurent un comportement très occidentalisé et rejetèrent consciemment
certaines valeurs africaines sous l'influence de tout ce qu'ils avaient

vu dans le pays des blancs.
Ainsi la rencontre des deux cultures (la culture occidentale
et la culture africaine) a fait naître des êtres complexés.

86
r~(.~~
Par ce mécanisme l'école prive délibérément
l'enfant et même ses
parents de leur équilibre psychologique et social pour pouvoir
mieux les acculturer et les exploiter économique~ent:
En d' autres
termes,
cela a permis à
l'enseignemen,t colonial
de mieux faire passer son idéologie.
Cet enseignement,
comme nous
l'&vons déjà dit, prend ses
modèles d'éducation dans
la culture occidentale.
Il ne fait
jamais
appel aux conditions d'existence de l'enfant,
s'lil le fait,
c'est
pour les dénaturer.
Ainsi par ce mécanisme l'école coloniale met sur
pied un processus d'acculturation dans le but bien arrêté,
d'empêcher
l'enfant d'avoir recours à
son système de valeurs pour exprimer
tout
ce qu'il ressent.
Elle reprime toute expression spontanée du monde et
de
la vie quotidienne de l'enfant.
Elle lui fait
comprendre que c'est
vulgaire,
grossier et incorrect de parler de son monde et de sa vie
quotidiens et que cela n'intéresse personne.
Elle oblige aussi l'enfant
à refouler--ses "problèmes culturels et sociaux ...
et lui apprend par
la contrainte à
les 'livre comme des "difficultés familiales",
c'est à
dire sur le mode de l'infériorité et de la culpabilisation Il
(l).
La mise en place de ces complexes a commené depuis
les
premières ,rencontres des deux cultures
(la culture occidentale et
la culture africaine).
Elle s'est faite par l'intermédiaire de
l'en-
seignement religieux et de l'école.
En ce qui concerne le rôle de
l'école dans
l'institution des
complexes chez les enfants ivoiriens,
nous
le constaterons tout au
long de cet ouvrage.
Quant à
l'enseignement 'religieux,
sa tactique
de diffusion des complexes était tout simple:
i l s'agissait "de
diffuser èans un milieu qui n'en avait nullement besoin
la notion
de péché,
rendre des mœurs
et des coutumes, qui pour cette civilisation
étaient non seulement bonnes mais nécessaires Î
immorales et punissables,
en faire des "péchés" et de ceux qui ne les abdiquent pas des "pécheurs";
faire de la morale qui justifie et accompagne
l'envahisseur,
la bonne
(1) Roland Olivier et Anthony ATMORE,
l'Afrique depuis
1800
Puf.
1970 (P.
165-166.
. .. / ...

87
et l~ seule valabee" (1).
Après avoir découvert
les "péchés" chez les populations
africaines,
les missionnaires proposent des reruèdes qui consistent
évidemment à se F~fugier au sein de l'Eglise et par de là elle,
la SQciété dont cette église fait partie.
A travers
le contenu de l'enseignement religieux,
c'est un
ensemble de règles de comportement issu des valeurs occidentales
qui est diffusé et inculqué à
l'enfant.
Ainsi on en arrive à
la
mise en place de la couverture psychologique de l'idée et de la pra-
tique de
l'iIDp~rialisme culturel.
Le poids de "l'école de mission" comme psychologie justU:il.-
cative et comme précurseur idéologique du fait colonial,
dominateur
et oppresseur, est de ce fait considérable.
Le dHe attribué et le but recherché par la pénétmUcil.'l.
de "l'école de mission" en Côte d'Ivoire n'étaient rien d'autre que
la destruction des systèmes sociaux existants qui ne pouvaient pas
être exploités et intégrés au système économique colonial.
L'effort des missionnaires prêchant le péché s'est montré
très efficace dans le domaine de. destruction de l'équilibre moral
et culturel du jeune ivoirien.
Aujourd'hui,
les
complexes sont pratiquement intériorisés et entrés
dans le subconscient de l'enfant ivoirien.
Ce complexe d'infériorité d'une civilisation envers une
autre,
d'un individu envers un autre et dans ce CaS particulier, d'un
noir envers un blanc a été bien peint par Franz Fanon à
travers ses
.0 euvres.
Celui-ci a mieux que quiconque approfondi "cette trQuvaille
psychologique" du colonialisme culturel dont parle tant J.P.
Lycops C
I51'r)
et Rooert Jau lin. O~1'S)
Comment faire pour promouvoir cette "technique" d'aliénation?
Le pouvoir colonial,
conscient de sa mission,
se décide en 1946,
d'envoyer des jeunes ivoiriens en France qui pour des études, qui
pour des stages.
(1) J.P.
1ycops,
l'agression silencieuse ou
le génocide culturel en
Afrique;
éd.
Anthropos
1975.
. .. / ...

88
La signification de ces envois en France,
de très jeunes
élèves ivoiriens était de 'leur faire "subir" tout le poids de la
civilisation industrialisée et de consommation superflue.
Ce procédé
acculturant devait pr·.)voquer une espèce "de choc.
psychologique qui
devait se transformer en complexe"
(1),
Ce complexe d'infériorité dont souffrent les africains
et singulièrement les
ivoiriens est de nature à empêcher la
libéra-
tion culturelle du peuple africain.
Nous pensons que la Côte d'Ivoire pourrait surmonter ce
sentiment d'infériorité,
si,
à
l'instar des pays comme le Vietnam,
la Chine et
tout près de nous
la Guinée,
elle revalorisait son patri-
moine culturel.
Cela permettrait en partie à
l'enseignement ivoirien
de se libérer de
la tutelle culturelle française.
Or pour que réussisse
cette
libération,
il faut dans un premier temps
libérer les modèles
psychologiques que cette tutelle fait valoir.
Comme
le dit Jean Pierre
LYCOPS,
c'est cette "tactique" de promotion du modèle qui est à
la
base de toute la série de réactions du prétendu "amoùr du colonisateur"
et de la haine de soi "du co1onisé"
(2).
Dans le cas de l'intellectuel ivoirien,
cette tactique n'est
rien d'autre que ce complexe d'infériorité qui le pousse à essayer de
changer de comporter;;ent afin d'adopter celui du colonisateur.
Cette.
manière de faire est d'autant plus grave que
l'individu est jeune.
La psychologie de l'enfant 'nous apprend que
l'enfant est un être en
devenir.
Il est très malléable,
Au cours de nos enquêtes, nous avons
même remarqué que tout ce qui vient de
l'Occident est pour l'écolier
ivoirien un modèle qu'il s'efforce de copier le plus fidèlement possible,
d'imiter dans tout ce qu'il a d'impressionnant.
Il arrive même que
certains de ces jeunes écoliers
imitent la démarche,
le geste,
l'accent
et la manière de parler du "blanc".
(1)
et (2) J.
P.
Lycops déjà cité.
. .. / ...

89
L'adhésion aux valeurs culturelles françaies qui va de
pair avec la haine des valeurs culturelles africaines a été d'autant
plus profonde que l'école coloniale interd~sait
strictement l'usage
des éléments du milieu où elle était implantée.
Dans son excellent petit livre, A. ~EMMI
dit: "l'écra-
sement du colonisé est compris dans les valeurs du colonisateur.
torsque le colonisé adopte ses valeurs, il en adopte en conclusion,
sa propre condamnation. Pour se "libérer" - du moins
croit-il-
il accepte de se détruire. Des négresses se désespèrent pour défriser
leurs cheveux qui refrisent toujours. On a déclaré au colonisé que
sa musique est un miaulement de chat, sa peinture du sirop de sucre.
Il répète que sa musique le remue tout de même ... Si cet unisson
de couleurs chant;antes et légèrement ivres lui réjouit l'œil, c'est
malgré sa volonté, il s'en indigne contre lui-même. S'en cache aux
yeux des étrangers, ou affirme des répugnances si fortes qu'elles
sont comiques. Les jeunes de la bourgeoisie préfèrent le bijou médio-
cre en provenance d'Europ~ au joyau le plus pur de leut tradition.
Et ~e sont les touristes qui s'émerveillent devant les produits de
l'artisanat séculaire"
(1.).
Ces analyses d'Albert~emmi sont très justes, car à l'heur~
actuelle, on rencontre de jeunes élèves, des jeunes acculturés qui
se prennent tellement au sérieux qu'ils font rire.
Ce sont la plupart du temps les jeunes qui fréquentent les
écoles dee quartiers fortement occidentalisés (2) et qui si~gent
le blanc. Ils se disent assimilés parce que leurs comportements cul-
'turels -propres ont fait place à des comportements calqués sur ceux
de la culture étrangère.
Ce changement de comportement répond au vœu
de la constitution de la
quatrième République en matière d'éducation qui affirmait sa volonté
de mettre en place les structures scolaires du système français en
Afrique, afin de réaliser le grand rêve de la politique d'assimilation .
. r
'1.-
b '
~
')
A. J'ifEMMI : r~ du. C-01-On,.vsQ... ) ecL '(j, rCU(.,v.er~ L;,~ )
Il s'agit ici des quartiers d'Abidjan comme: Cocody, Plateau et
Deux plateaux.
. .. / ...

90
L'assimilation scolaire
La conférence de Brazzavile (1944) marquait un tournant
décisif de la politique coloniale en matière scolaire.
Il en résul-
tait une volonté d'abolir
toutes les diff4rences et de transplanter
en Afrique le mode de vie métropolitain.
Cette optique était très
nette eû ce qui concerne l'enseignement;
il s'agissait de trans-
mettre à
l'Africain un enseignement qui fût absolument identique à
celui de la France.
Une réorganisation de
l'enseignement était appli-
quée en 1948; elle entraînait la mise en place de toutes les st~uc­
tures du système français:
mêmes méthodes, mêmes examens, mêmes diplô-
mes.
L'effort était mis spécialement sur
le développement de l'ensei-
gnement secondaire et supérieur,
sur la formation des enseignants et
la scolarisation des filles.
Il en résultait un renforcement de la culture française ct
de la langue,
la politique étant celle de l'assimilation dans
le
respect des valeurs locales. Mais n'était-ce pas
là une contradiction?
Car si l'éducation doit refléter
les valeurs culturelles françaises
ou bien si l'école doit être le miroir des éléments culturels
français,
comment peut-on en même temps respecter
les valeurs locales,
alors que celles-ci sont constamment combattues par celleslà ? En
d'autres
termes,
comment, dans un milieu si apparenté au contexte
européen et marqué par
l'empreinte de la civilisation technique)
les
Africains peuvent-ils garder leur identité?
N'y avait-il pas là quelque chose d'insolite?
En tout cas,
en haut
lieu,
on percevait qu'il y avait
là quelque
chose d'insolite.
C'est pour cette raison que l'on tentait d'y remé-
dier par quelques adaptations ayant trait, par exemple, à
l'âge des
élèves,
à la durée de la scolarité ou à
l'aménagement des horaires.
Mais on se défendait de toucher au contenu même de
l'enseignement;
il fallait
le sauvegarder à
tout prix,
pour lui conserver son niveau
et sa valeur.
Cette tendance qui consiste à ne pas
toucher au contenu
de l'enseignement demeure de nos jours.
. .. / ...

91
c'est par cette manière que l'impérialisme eulturel s'infiltré
dans les mentalités des jeunes écoliers et qu'il associe ces jeunes
à participer à
la dépossession de leur propre culture.
Il faut remarquer que là,
il ne s'agissait plus pour
l'école de former de simples auxiliaires, mais des h9rnmes capables
de défendre la langue et la culture française ; ou de permettre à
tous ceux qui le désiraient ou qui se sentaient proches de la mentalité
occidentale d'accéder aux "fonctions m~me les p~us élévées, de la hiérar-
chie sociale" et cela, "sans autre discrimination que celle de l'apti-
tude".
Ainsi l'assimilation scolaire allait ~tre popularisée.
L'administration scolaire coloniale était là pour inciter les jeu~es
à s'occidentaliser de plus bel en leur donnant le goGt d'apprendre
et de réussir.
Le Gouverneur Général Garde à cette occasion lança la
formule qui est restée célèbre : "Instruire la masse et dégager l'élite".-
C'est par cette formule qu'il définissait l'objectif de l'enseignement
colonial.
A cette politique d'assimilation scolaire répondait
logi-
quement une politique d'acculturation. Puisqu'on assistait à une véri-
table explosion de l'aliénation culturelle.
L'enseignement primaire, aligné sur celui de la France se développait.
La formation des institut~ était renforcée, tout en demeurant inef-
ficace.
L'enseignement secondaire, technique et professionnel prenait
lui aussi, nn nouvel essor en s'alignant sur les exigences de la métro-
pole. On remplaçait les diplômes qui étaient délivrés auparavant par
des diplômes français.
. .. / ...

92
Le fait d'aligner le système scolaire ivoirien sur celui
de la France était une str~tégie qui visait à établir et à inculquer
les modèles culturels occidentaux. Cette stratégie répondait à l'idéo-
logie coloniale scolaire française, basée sur la philosophie de l'as-
similation. è'est en vertu de cette idéologie que la politique sco-
laire coloniale a su jouer avec les facteurs psychologiques dans
l'entreprise d'aliénation culturelle et la su?ériorité de la civili-
sation française.
Evidemment, il ne fallait pas avoir beaucoup de
scrupules ni craindre le ridicule pour mener l'entreprise à bien.
Qui ne se souvient pas du très connu "nos ancêtres les
gaulois", des écoliers africains? Cela prouve bien la détermination
de cette assimilation scolaire.
A l'heure actuelle,
on a tendance à ranger "nos ancêtres
les gaulois" dans le tiroir de l'histoire de l'enseignement en
Afrique.
C'est une erreur.
Il est à noter que même aujourd'hui, on
retrouve sous des formes voi~ées, subtiles, des termes et des con-
ceptions bien plus ridicules que cette célèbre phrase.
Cette "comédie de l'assimilation" scolaire comme l'appelle
Jean Pierre LYCOPS,
(l)
est un leurre. Elle contribue "au sentiment-
aliénateur" et consiste à faire croire à l'enfant que "ce n'est pas
tellement grave", c'est à dire s'il ne soit pas "aussi bon, intel-
ligent" que son homologue français,
on va le lui "apprendre".
C'est ainsi que, par le fait que l'école avait la charge d'éduquer,
de "civiliser" l'enfant, on lui apprenait à lire et à écrire correc-
tement comme son "civilisateur".
Cette sorte de "récupération par ce mirage de l'assimilation
est un procédé assez répandu en Europe".
(1) Jean Pierre LYCOPS, déjà cité.
. .. / ...

93
De même, dans les sociétés
capitalistes développées, les
classes les moins "favorisies" sont aliénées au système, par le
sentiment de pouvoir profiter et de participer à cette richesse qu'on
leur fait voir dans les vitrines des magasins; bien qu'ils ne pourront
jamais les acquérir, beaucoup d'ouvriers ont le sentiment que les biens
de consommation pour grands bourgeois sont à la portée de la main.
"De même, écrit J. P. LYCOPS (l),
l'Africain se sentant so-
cialement, culturE'llement et économiquement déshérité, peut avoir
le sentiment aliénateur - on essaie de le lui inculquer- que son
intégration à part entière dans la société occidentale et que sa satis-
faction matérielle et psychologique se trouvent au bout de la rue,
qu'il suffit d'être assez européen pour devenir "développé".
Pour mieux fixer cette tendance à devenir comme le "Blanc",
les conceptions des manuels de classe présenteront le double caract~re
- d'être les concceptions "officielles"
d'être enseignées aux enfants déteruinant ainsi leur
attitude future face aux modèles culturels occidentaux et a~ricains.
c'est en considération de ces données que nous disons que
l'un des mécanismes de l'acculturation de l'écolier ivoirien est le
contenu des manuels scolaires, véritable véhicule de la pensée e.uro-
péenne.
Nous allons voir à la suite de ce qui suit, dans quelle
mesure les manuels scolaires peuvent être 'une "courroie de transmis-
sion" de l'idéologie scolaire française.
(1)
Jean Pierre LYCOPS, déjà cité.
. .. / ...

94
I:z.<..
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ülC,1t d,'os
i.iiLn'l<iatiuns qu:i. tOUr11Cllt [ülL",cur des dates,
des 2vènemcnts
d2S
per-sCl"llL.lges
etc ....
- - - _.._------,--_.._------_.
(l) Org2.nisation des Natùms Unies pO~lr l'Education,
la Science et la
Culture.
(2) Projet UNESCO r~allsé au Mdli 1972-73
1
. / ...

95
Mais
i l est
le moyen par excellence de mettre en jeu des
valeurs.
C'est à
travers
lui que l'école véhicule ml.eux des objets
valorisés.
Ce sont ces objets valorisés que l'école inculque à
l'écolier .
. Nous n'avons pas
la prétention,
à partir d'une analyse de
contenu des manuels scolaires
(1)
de dénoncer
le meurtre culturel
qui a
sévit en Côte d'Ivoire.
Notre
souci est donc de montrer de manière générale
l'ef-
ficacité de la [ransmission de certaines notions contenues dans ces
manuels et susceptibles d'acculturer
l'enfant.
C'est à ce titre que nous disons que certains facteurs
d1acculturation
que nous avons dénoncés
jusqu'ici ont été véhiculés sous couvert
"scientifique"
(2).
C'est pourquoi nous nous proposons dans une
prochaine étude de
l~ dénoncer en entreprenant une lecture critique
de ces divers moyens de diffusion (de l'idéologie sous forme
de
savoir) à
commencer par les
livres d'histoire.
Il est à noter que
les manuels scolaires ne sont qu'une
pièce d'un immense mécanisme,
développant une idéologie " et hnocidiaire".
Cette pièce est
très
importante dans
la mesure 00 elle contient des
jugements dévalorisants qui sont inculqués à
tous
les enfants et dès
leur
très jeune âge.
9..]
Manuels
sco1:aires,
comme nécanisme de filtration de
l'idéo-
logie scolaire
Robert Jauli~3éans une analyse de contenu des manuels scolaires
(l) Notre prochain travail se penchera sur la lecture critique des
divers moyens,;,de l'idéologie sous forme de savoir.
"""""-ek,..- J;;:~C7V'\\
I l s'agit ici d'un objectif considéré comme neutre
A travers
la présentation des civilisations non occidentales dans
les
livres d'histoire (B. M.
1. 1., G.F., S.B.)
in la décivilisation
politique et pratique de l'ethnocide.
R. Jâulin .
. . . / ...

96
destinés aux enfants algériens,
a montré que
les domaines
les plus
chargé~ idéologiquement SOgt ceux qu'interroge, parmi d'autres, de
façon privil~giée, la réflexion critque qui concerne l'ethnocide.
Il a relevé
les objets valorisés
(1)
que
l'école avait pour fonction
d'inculquer aux enfants.
Il a aussi montré de quelle manière la France
valorisait et justifiait son meurtre culturel.
(1) Ces objets valorisés ont été mis en évidence par Robert Jeulin.
Ce son t
1) Justification de la Guerre et valorisation du militaire
-
juscification dee agressions coloniales;
- exaltation des vertus militaires et para-militaires.
2) Paix et pacification
-
la paix troublée
les
indigènes et le "banditisme" ;
l'étabiissement de la paix
légitimation des
inter-
ventions ocèidentales
-
la paix établie:
œuvre
"civilisatrice" el. ..
ethno-
cidiaire.
3) Le drapeau français et la conquête pacifique
-
relations conquéra._LLs/ conquis
-
l'importatation d'un symbole culturel occidental.
4) Les colonisés:
leur retard historique et social comme dû
à
leur infériorité de nature
:
-
conceptions racistes et ethnocenDiques
-
civilisation et anti-civilisation.
5) Les autorités politiques dans
la colonisation
:
-
les décisions des hommes d'Etat français concernant la
colonisation ;
-
traitement réservé à
l'autorité politique du pays colonisé
-
justification et action collective .
. . . / ...

97
~ - Le meurtre culturel à travers les manuels scolaires
Tout d'aoord,
les colons français apparaissent comme chargés
d'une "mission civilisatrice" et contribuent, aidés des missionnaires
~_J.aire des pofiulations soumises des "vraies populations" c.'.est à
dire occidentalisées.
c'est pourquoi si à travers certains manuels scolaires, on
cOTLçiamne les agressions étrangères, cette condamnation ne con.ç.erne
jamais la présence dominatrice française.
Tout est fait de telle sorte qu'il ne s'agit pas de donner des éléments
de critique à l'élève sur l'agression en tant que telle, mais de
l'am2ner à s'indigner de l'atteinte portée aux intérêts de la France,
à ses possessions.
Dans ces manuels scolaires,
l'on vise toujours à dégager en
premier lieu la France de toute responsabilité d'une conquête dont
on précise souvent qu'elle s'est transformée en véritable guerre.
Il est à noter qu'à partir du moment où le choix est fait
de présenter la conqu~te comme une guerre,
il est évident que l'analyse
montre qu'il devient nécessaire d'en décharger les causes sur l'ad-"
versa ire (1).
L'intervention armée est interprétée (ce qu'elle est mal-
heureusement encore de nos jours) comme visant à transformer les popu-
lations dans le sens de la "civilisation occidentale". On ne dit
jamais que cette transformation s'est opérée de force ou par la force~
Ce qui est certain, c'est qu'on s'arrange pour que tout tende à faire
admettre à l'enfant "toutes les formes d'ethnocide au nom d'une ce~taine
idfe de la civilisation, d'autant plus valorisée que tous les problèmes
(1) C'est le cas de Samory Touré qui a été toujours présenté dans les
manuels d'histoire destinés aux écoliers d'Afrique Noire, comme
un guerrier barbare, sa~guinaire qui se rebellait contre la pénétra-
tion pacifique française en Afrique occidentale .
. . . / ...

98
é con om i que s e t pol i t i que s son toc cul tés" Cl ).
Toutes ces considérations visent à apprendre à
l'enfant
que la France ne peut
jamais lui faire du mal et que son but est
de le promouvoir à l'identité occidentale.
La présentation des manuels scolaires en particulier ceux
qui concernent les sciences
sociales ou humaines contraint à penser
que la France possède l'exclusivité des "valeurs" ;
l'entreprise
coloniale correspond à
l'intention généreuse de faire accéder les
"autres" à ces valeurs.
"Pour un regard critique,
comme le note R.
Jaulin,
les con-
tradictions sont évidentes~ mais en fait, pour l'enfant,
le discours s'organi~
~de telle manière qu'on ne lui laisse jamais l'occasion d'un doute, et
qu'en aucun cas ce discours ne puisse lui fournir
les moyens de formuler
un jugement critique"
(2).
On voit comment à
travers
les manuels scolaires,
il est
impossible de penser la "légitimité de la résistance aux entreprises
destructrices et abusives du colonialisme".
Et pourtant,
il y a présents,
tous
les éléments qui peuvent pel~ettre une lecture critique. Mais
ceux qui conçoivent ces manuels font une description na~ve de la
pénétration coloniale "toute généreuse,
civilisatrice,
créatrice et
désintéressée",
ce qui oblige l'élève à
faire une lecture "naïve" et
à considérer comme réalité les "apparences" et l'empêche de voir les
"pratiques ethnocidiaires" qui peuvent être suggérées" (3).
Par exemple,
lorsque le commandant vient
lui même présenter l'insti-
tuteur aux villageois
(4),
il
le fait sur un ton paternaliste.
Et
l'on voit comment l'idéologie scolaire emprunte au modèle familial un
terme (celui de parent)
dont
l'efficacité est certaine:
"il ne fera
pas de mal à vos enfants ...
il est fort possible qu'il ait des parents
dans ce village
il est de votre race etc ... ".
(l)
(2)
0) Robert Jaulin, déjà cité.
(4)
cf.
Cheikh H.
Kane
l'aventure ambiguë;
déjà cité .
. . . / ...

99
On peut déjà remarquer la présence à la fois rassurante et idéolo-
gique qui est invoquée et '4ui a pour effet dG soumettre les parents
et les écoliers à l'idéologie scolaire.
Nous avons déjà dit plus haul "que la France porte partout
où elle le peu t,
sa langue, ses mœurs,
son drapeau" (Nathan 1955).
Ces trois éléments chargés idéologiquement permettent de contraindre
l'esprit de l'élève à considérer la présence culturelle française
coame normale, naturelle, positive, pacifique. Rien dans le passage
ne lui suggère le "meurtre culturel" que cette présence réalise.
x
x
x
Pour nous résumer sur ce paragraphe, nous dirions coœllie
J. P.
LYCOPS que l~l'enseignement du type "colonial" n'est donc
fondé que sur la seule volonté d'aliénation et le besoin de faire
intérioriser les modèles culturels occidentaux sur lesquels est basée
l'exploitation".
(J.
P.
LYCOPS 1975)
Cet enseignement met en place, d'une certaine manière les
générateurs des phénomènes d'acculturation.
Certaines des conditions
propices à l'émergence de ces phénomènes paraissent au premier examen
-
l'imposition de la langue française et des m'.'dèles culturels
français
la diffusion d'un savoir nouveau qui valorise la connaissance
écrite - celle du "lettré" ou du bureaucrate- aux dépens de la con-
naissance orale.
la notion de retard historique et culturel qui entraîne
implicitement celle d'infériorité
-
la notion de progrès, extraite de la civilisation occiden~
tale et promue universellement.
. .. /' ..

100
A la suite de ceci, nous voyons apparaître le mécanisme
idéologique fondamental, ~énérateur d'acculturation, et grâce
auquel
la France a réussi à imposer sa culture.
Il s'agit bien
de l'école. Car c'est le cas de l~ noter: "l'école coloniale, par
la mutation des mentalités qu'elle a provoqué et le mode de vie
qu'elle a importé, a contribué pour une grande part à boul~verser
la structure sociale africaine jusque là maintenue en équilibre par
la sagesse des Anciens",
Nous allons voir dans le paragraphe suivant quelles ont
été les conséquences qu'une telle aventure n'a pu manquer d'entraîner.
I~3
- L'ENSEIGNEMENT COLONIAL
EDUCATION OU ACCULTURATION ?
Nous venons d'évoquer la rencontre du milieu traditionnel
africain en général ?t ivoirien en particulier avec la culture
occidentale. Celle-ci a été imposée et diffusée par l'école.
Ainsi, par le jeu de différents mécanismes et malgré la
résistanc~ du milieu local, l'enseignement colonial a réussi à
"rehausser la culture de la métropole, présentée comme idéale ou
unique et à dévaloriser ou même à anéantir les cultures locales" (1).
A la suite de ce traviil destructeur réalisé par l'école,
l'enfant
s'est senti dépossédé de son partimoine culturel. Les projets de
l'UNESCO quant à eux ne manqueront pas de postuler que "l'enfant afri-
cain n'a pas un raisonnement logique".
La réalisation de ces projecs
consiste à lui en faire acquérir un.
Le raisonnement logique qu'on
cherche à inculquer R l'enfant africain va dans le sens de ce que
l'impérialisme culturel attend de lui.
(l) Lê Thanh Khoï,
jeunesse exploitée, jeunesse perdue? PUF 1978
... / ...

101
D'autre part, depuis la rencontre de ces deux cultures,
l'école a rempli, 'remplit, et remplira toujours pleinement sa
fonction d'acculturation qui tend à perpétuer le système colonial.
Cette perpétuation de ce système dépendra de la mesure dan~ laquelle
les jeunes écoliers ivoiriens auront intériorisé les modèles de
développement et auront pu ~tre déperspnnalisés, défaits de leur
anthenticité africaine et auront adopté la personnalité européenne
capitaliste.
L'enseignement colonial, en s'implantant en Côte d'Ivoire,
s'était proposé de sortir les populations locales de leurs conditions
de vie médiocre, pour les intégrer à la société moderne qui est un
signe de développement.
C'est ainsi qu'avec ses programmes, ses méthodes, ses
images et son langage, c'est à dire sa culture,
l'enseignement,
loin
d'être au service du développement ou de la libération des populations
locales, apparaît comme un moyen de socialiser les enfants dans
l'idéologie dominante d'où la question:
l'enseignement colo)\\ial
a t-il été d'éduquer ou d'acculturer les écoliers africains?
1"~; 1) Une
'
certaine conception de l enseignement
Le d2bat sur l'enseignement, facteur d'aliénation culturelle
est souvent obscursi par le fait qu'on néglige d'approfondir les
questions essentielles. Les "débatteurs" ne posent jamais la question
de savoir à qui profite l'enseignement? Que devient ou quelles trans-
formations subit le produit de l'enseignement?
Nous répondrons à ces questions dès que nous a1Hons circons-
crit: notre champ de recherche. Pour
ce paragraphe, nous cherchons à
montrer comment les pays colonisateurs, en utilisant les thèmes d'enS~i­
gnement, d'éducation ou de développement culturel introduisent dans
. .. / ...

102
ces notions l'idée d'un
retard culturel, hist;nique et économique
des pays colonisés en vue,de mieux les exploiter et de mieux les
aliéner. C'est pourquoi si on définit en profondeur les thèmes de dé-
veloppement culturel, d'aide à l'éducation etc ... ; on découvre qu'ils
.
Oô"-
se s~~stituent à accultur~tlet que leur présence dans les manuels
scolaires révèle leur nature ethnocentrique.
Dès lo;:-s, du fait de cet ethnocentrisme, on "jauge" les autres
sociétés et on mesure "leur différence selon tout un système de
graduation (sous-éduqué ; sous-developpé ; éduqué; en voie de develop-
pement ; developpé etc ... ).
Ainsi, ce que rapporte Robert Jaulin ('1) sur ce qui est
écrit dans les manuels d'histoire des écoliers algériens peut s'ap-
pliquer bel et bien à la Côte d'Ivoire:
"la stagnation de la société,
la saleté,
l'absence d'hygiène,
l'analphabétisme, les mœurs,
la
barbarie ... ", voici ce que les écoliers apprennent de leur pays.
La France se pr~te volontiers à donner généreusement à ce pays sous-
éduqué,
sous-développ~, des villes, des routes, des écoles, des
hopitaux etc ... dont il a besoin.
Dès lors que le pays est reconnu comme SOUS-ééJuipé.,
'.a
présence française est jugée normale, nécessaire et souhaitabl~.
Ceci permet de considérer la destruction de tout un type de vie comme
un bienfait et introduit également le racisme dans l'esprit des
enfants.
Dès lors,
tout est importé.
Il faut noter aussi l'influence des missionnaires. Ceux-ci
n'échappent pas à cette vision erronnée que l'Afriqué n'a ni passé
valable, ni culture digne de ce nom etc ...
(~) CF. Nathan 1955, Ecole 1954, Sudel 1957, Cours élémentaires in
R. Jaulin ; ouvrage déjà cité.
. .. / ...

103
On leur a souvent reproché de ne pas savoir grand-chose
de la culture traditionnelle des Africains qu'ils voulaient convertir.
Ils condamnaient systématiquement les croyances africaines comme
sauvages sans essayer de les comprendre.
Ils étaient prédisposés à
croire que leur propre culture était supérieure, .bien que cette menta-
lité semble avoir connu des changements après que la mission avait
rencontré des difficultés sur le terrain.
Des textes qui remontent a l'époque du gouverneur Faidherbe
témoignent cette vision erronnée :
"A de tels peuples,
il l1e faut pas des sciences, mais des
principes religieux, une morale pure, sévère, les premières notions
des connaissances utiles et l'application des professions industrielles
qui répondent aux premières nécessités des sociétés civiiisées et qui
assurent le bien-être et quelquefois la fortune de ceux qui s'y
livrent.
Il faut donc apprendre la nécessité et la morale du travail
afin que personne n'ignore que le le travail est une condition de
bonheur matériel et moral de l'homme" (l).
Le professeur L~ Thanh Kh0i, dans son ouvrage intitulé :
l'enseignement en Afrique Tropicale, dénonce cette idée erronnée que
les missionnaires avaient de l'Afrique:
"Pour les missionnaires,
l'éducation occidentale était
d'importance mineure,
simplement un moyen de réaliser leur but,
la
conversion au christianisml' ...
Une instruction rudimentaire devait
suffir à rendre les idées chrétienne3 compréhensibles et à entraîner
le rejet des pratiques et croyances considérées comme barbares et
pa~ennes. Il s'agissait de la dispenser le plus généreusement possible,
mais il n'était guère utile de pousser plus avant" (2).
(1) Mgr Meynard, Préfet apostolique de Dakar,
in Sénégal, coll.
Les Portes
de la vie, éd.
du Burin et Martinsart,
1968,
tome l, P.
207, cité
par Doudou Coulibaly.
(2) Lê Thanh Khôi,
l'Enseignement en Afrique Tropicale, PUF.
1977 P.
14 .
. . ./ ...

104
Pour le colonisateur français,
son "souci"en arrivemt en
Côte d'Ivoire,
était d'en~eigner aux jeunes ivoiriens les vertus
de la civilisation occidentale. rIais au fil des ans,
les Ivoiriens
qui sont allés à l'école des Blancs, qui ont appris ~ ~arler leur
langue, à discuter avec eux, 21 faire tout ce qu'ils font ... , se
sont rendus compte que le prétendu enseignement ou développement
culturel, n'est qu'une sorte de domination d'un Peuele sur un autre.
.
,
d'une culture sur une autre ou en d'autres termes, une sorte de
dépendance ou d'aliénation culturellles.
Pour montrer que l'Afrique n'avait pas de culture et que
la mission de la colonisation était li pour lEur en donner une,
François NARSAL, a écrit ce qui suit: "Il raLit cJ'abord .:lcn-oître
la vigueur et la vitalité des peuples affaiblis par des si0cles de
barbarie, d'esclavage et de tyrannie.
C'est l'œuvre
de nos médecins,
de nos services d'hygiène et de nos réformes sociales.
Il faut ensuite accroÂïre leur valeur morale,
C'est l'(~uvre
de nos instit~teurs, de nos professeurs ...
et aussi de nos colons
qui devront prêcher l' exemp le" (1).
Ceci montre que la notion de civilisation, de développement etc ...
cache autre chose que ce qu'elle est sensée contenir.
Le sens caché
est la domination,
l'acculturation,
l'exploitation d'un peuple par
un autre.
Si la notion de civilisjtion ou développement culturel
contenue dans les manuels scolaires de l'enseignement colonial,
signifie aliénation ou acculturation,
la constatation que nous
faisons est celle-~i
l'enseignement tel qu'il est dispensé profite
beaucoup ylus au pay~colonisateur qU'dU PdYS colonisé.Comment ex-
plique t-on cela?
(1) François NARSAL,
le domaine colonial français,
ed.
du cygne,
Paris 1929 tome 1 P: 348.
. .. / ...

-105
Nous savons qu'à travers l'enseignement,
l'occident introduit
""
ses valeurs, ses modèles de pensée et de développement-en Afrique.
De ce fait,
il diffuse sa langue ec sa culture et contraint les pays
qui
sont sous sa domination à l'imitatio~ servile de sorte qu'ils
se renient et ne découvrent pas en eux certains embryons d'une cons-
cience africaine. Cela revient à dire que l'école coloniale est au
service de la "domestication" des hommes et non de leur libération.
Il convient de noter que l'enseignement colonial n'est pas
un produit du mileu local.
Tandis qu'en Europe, et particulièrement en France, "le
système scolaire, écrivent les historiens F. FURET et J. OZOUF(l),
loin d'~tre dans notre ~istoire une institution imposée d'en haut
du pouvoir vers la société, est au contraire le produit d'une demande
sociale d'éducation qui monte avec la généralisation progressive d'un
modèle culturel". Ce modèle culturel est celui de l'Europe qui tient
compte des réalités socio-économiques.
En Afrique et particulièrement en Côte d'Ivoire, il s'est
passé ceci:
l'école a été imposée "d'en haut du pouvoir vers les
sociétés locales; du pouvoir colonial d'abord, en direction des
sociétés situées dans les zones dont la mise en valeur était privilégiée
en fonction des modalités de l'implantation coloniale;
du pouvoir
national ensuite, en àirection de l'ensemble des sociétés (2).
On peut voir, à travers ces quelques considérations trop
rapidement exposées, que le ressort exact de l'enseignement colonial
était déjà celui de former des acculturés capables de comprendre les
intentions civilisatrices du colonisateur et de faire admettre dans les
milieux indigènes la légitimité de sa domination.
(1) F. FURET et J.OZOUF : Lire et écrire. L'alphabétisation des français
de Calvin à Jules FERRY, Paris Ed.
de minuit 1977.
(2) Jean-Yves MARTIN, chercheur à l'Orstom in Recherche pédagogique et
culture
1978.
. .. / ...

106
Quels sont les bouleversements qui ont été provoqués par l'ensei-
gnement colonial?
L'enseignement colonial a provoqué en Côte d'Ivoire un certain
nombre de bouleversements dans la vie de tous les jours de l'enfant.
Sa mission a consisté à faire passer les écoliers ivoiriens du monde
traditionnel, considéré comme "sauvage, arriéré etc ... " au monde
moderne considéré comme "civilisé, développé~' Tous les efforts des
colons en matière de scolarisation ont tendu ou cbnvergé vers cet idéal.
Par exemple,
lorsque l'école s'installe dans un village, elle reste
toujours à l'écart.
Elle ne se mèle pas au reste du village. Ainsi,
côte à côte on voit vivre deux mondes, deux cultures différentes.
L'école, indicateur du développement ou de la civilisation
attire tout le monde par sa nouveauté et par son attitude. Elle est
un échantillon de la civilisation occidentale et un facteur du boule-
versement social.
Les bâtiments de l'école et des maîtres implantés hors du
village, sont d'un style différent de ceux qui composent le village.
Tous ces éléments contribuent à faire de l'école un lieu de "déraci--
nement" ou encore d'une "école insulaire", un "getho d'ébène" comme
l'écrit le professeur Joseph Ki-ZERBO.
Il faut souligner qu'à propos de l'insularité de l'école,
l'école coloniale, "l'école des pays sous-devéloppés est généralement
l'école du B A, BA, c'est à dire de la scolarisation brute sans une
orientation prédéterminée très précise" ... Cette école est comparée à
"un bois sacré où n'entrent qu'un certain nombre d'initiés chargés
d'opérer des rites ésotériques échappant à tout le monde. Même sans
clôture, on sent",qu'il y a une enceinte invisible qui éloigne les
profanes et souvent si les classes sont propres,
la cour, elle, est une
... / ...

107
sorte de terrain vague où on laisse au soleil le soin de calciner
les herbes. De même le maté~iâu de construction, le style de construction
est souvent insolite par rapport à l'habitat local.
C'est le temps du
savoir accessible seuleraent aux néopilytes, et ccux qui entrent là au
départ, accomplissent une sorte de voyage interplanécaire : ils rencon-
trent une décoration étrange-
, des paysages composés par des pros-
pectus d'agences de voyages (qui heureusement s'africanisent de plus
en plus).
Ici, c'est un hêtre dans sa somptuosité automnale qui contraste
en regardant par la fenêtre.
Là, c'est une vache bretorine qui tr5ne
sur un mur avec l'air d'être la première étonnée d'être là.
Certes,
c'est Platon, je crois, qui disait que _l'étonnement est le premier pas
de la connaissance, mais quand il n'ya que cela, je crois que l'enfant
perd pied. Et c'est pourquoi je parle d'une école "insulaire" (l).
La présence de ce "corps écranger" (2) dans le village, provoque
d'emblée la création de deux mondes parallèles, cloisonnés, étanches,
opposés l'un à l'autre, dans lesquels l'enfant aura à passer successi-
vemen t.
"Ce t te éco le ge tho d' ébène es t
là un peu comme un cheveu sur la
soupe, un kyste dangereux, une tumeur dont le diagnostic révèle trop
souvent qu'elle est cancéreuse".
Il y a donc
dès le départ, une coupure voulue, qui symbolise
la rupture plus profonde qui doit en résulter.
Cette coupure, marque
le début du déracinement de l'enfant .. A ce propos, KI-ZERBO écrit ceci
"l'enfant est élu entre mille autres.
A la rentrée scolaire, il y a
des bagarres épiques et l'instituteur est parfois amené à coup~ la file
d'attente.
( ... ) Mais une fois qu'on est élu, on est considéré par ses
propres parents comme une sorte de matière première qui doit sortir au
bout de la chaîne sous les espèces de rond-de-cuir bien propre, bien
considéré. Et la mentalité de l'élève lui-même change aussi ( ... ), c'est
le point de non re tour".
(3).
(1) Joseph KI-ZERBO, extrait de la conférence prononcée le 5 décembre 1969
à Paris au cours d'un dîner organisé par monsieur EDOUARD LIZOP,
délégué général du CODIAM.
(2) Il s'agit de l'école.
(3) J. KI-ZERBO, conférence citée.
. .. / ...

108
A l'inverse de la société traditionnelle,
la société moderne
...
in~bse pour son enseignement un langage inconnu et hors du contrôle des
adultes.
Comment s'étonner dès lors que la suspicion pèse sur une telle
école qui vient renverier l'ordre établi et créer non seulement la dépen-
dance, mais l'aliénation culturelle?
Les programmes
Il Y a beaucoup à dire sur les programmes qui transmettent
l'idéologie scolaire. C'est leur contenu qui est à la base de tout
endoctrinement.
Ces programmes enseignés à l'école ne visent que la formation de l'esprit
et sont fort éloignés de l'éducation globale reçue ~ans la société tra-
ditionnelle. Par exemple, les disciplines telles que l'orthographe,
la
grammaire,
l' histoire et la géographie s' enseignent à l'aide "d 1 images
et d'exemples étrangers, cocasses ou simplement absurdes."
Les programmes d'enseignement étaient les mêmes qye ceux de la
métropole, même si à un moment donné, "on a pu enlever des manuels les
phrases les plus choquantes ("nos ancêtres les gaulois")
le fond est
resté le même".
Il est vrai que des timides progrès ont été faits dans le domaine
de l'histoire et de la géographie, mais cela ne suffit pas pour permettre
l'enfant de se reconnaître dans cette histoire.
Car comme l'écrit J.KI-
ZERBO "l'histoire est comme la mémoire collective des peuples, et de
même que la mémoire est nécessaire 3 toutes les opérations de l'esprit,
de même si on retirait sa mémoire à un individu, cet individu perdrait
sa personnalité puisqu'il ne reconnaitrait même plus ni son père ni sa
mère, ni sa maison.
Il perdrait absolument tous ses souvenirs;
Il serait
il faùt bien le dire, aliéné, dépersonnalisé. De même, quand on prive,
des enfants de leurs racines historiques, on risque de dépersonnaliser les
peup les.
. .. / ...

109
le sait au capitalisme"
(2).
Nous ~~vons tous que l'individu31isne est le péch6 C~piL~l de
"Î.l
est ohli.!jé de-:
~:!ji\\!j-c
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Joseph Y.I-ZERTIû,
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Le In2nh rdlO L,
in Revlll:' I(echerchc, Péd~gugie et culturel1978.\\
... / ...

110
"Il va falloir lutter dur" rapporte Bernard B. Dadié dans son
ouvrage intitulé Légendes et Poèmes (1). Car l'école est perçue comme
...
une source d'ascension sociale et désirée par tout le monde. Mais puisque
la 1imite budgétaire est là,
il faut donc susciter l'esprit de compéti-
tion individuelle pour-être parmi les plus acculcurés à occuper le
sommet de la hiérarchie.
Ave~ le mépris du tr~vail manuel qu'entraine ou aggrave une
culture livresque étrangère au milieu, on peut se demander si l'école
coloniale n'a pas posé plus de problème qu'elle n'en a résolu.
L'école
~L le facteur le plus important de l'exode général qu'on constate dans
les pays sous-développés et en particulier en Côte d'Ivoire. Elle prive
les campagnes de la force produccive des jeunes instruits. Cette diminu-
tion de la main-d'œuvre
familiale, ce complexe de supériorité manifestée
par ces jeunes instruits à l'égard des ruraux sont d l'origine àes
conflits entre les parents illétrés et les enfants scolarisés. L'école
par des mécanismes divers a réussi à perdre les valeurs culturelles
locales dans les valeurs imposées par l'occidcnc.
Conflits entre parents illettrés et enfancs scolarisés
Dans la littérature négro-africaine,
le conflit entre la
tradition et le modernisme est souvent mis en rapport avec l'enseignement
que reçoivent les jeunes. Ceux qui fréquentent l'école des Blancs, se
sentent souvent par ce fait même,
supérieurs aux anciens porteurs de la
tradition et ils ne leur témoignent plus le respect dG. Voici des exemples
tirés des romans de ceux qui sont les p~rs produits de l'enseignement
colonial
Dans ville cruelle, Mongo Béti fait dire à son héros qui a dG quitter
l'école primaire sans obtenir son diplôme :"Oh
ça m'aura servi tout
de même d'avoir été à l'école. J'y ai appris, au moins, à ne pas me
lai s s e r t r om pe r par des vie i 11 air d s (2 ) " .
(1) Bernard B. Dadié : Légendes et Poèmes - Seghers 1966 P.
103
(2) Mongo Béti, ville cruelle, présence Africaine, Paris 1954 .
. . . / .. ·

111
De leur côté,
les vieux se sentent mamntes fois déçus par les
' ..
jeunes qui ont fréquenté l'école des Blancs. Leurs propos le montrent.
'd€~
l '
d'
.
,
.
d
1
1
- sont souvent p e~ns
amertume Vls-a-v~s
e
a jeunesse et d inquié-
tude devant l'avenir-, Dans son ouvrage, Afrique nous t 1 ignorons, "MATIP,
nous dit que GUIMOU, un des patriarches de Bidvé, village camerounnais,
se fait du souci sur le contenu de l'enseignement que reçoit son fils
à
l'école, Il craint que ce ne soit pas ce qu'il faut,
à savoir la
sagesse des ancêtres (1).
Pour les vieux,
le savoir du Blanc est une folie.
Il change la
mentalité de l'enfant. C'est tin savoir qui brOIe
la cervelle de ceux
qui ont été à l'école. Les livres des Blancs dans lesquels apprennent
les enfants sont pleins de folies et d'histoires étnmges " ...
ceux qui
vont à l'école des Blancs, qui apprennent la science des Blancs, et ...
qui lisent les livres des Blancs", finissent .par avoir une tout autre
conception de la vie et, "sous leur peau noire,
ils ont l'âme presque
blanche" (2).
Ces exemples choisis parmi tant d'autres,
illustrent
qu'entre
les scolarisés et les non-scolarisés, il se creuse un abîme qui n'avait
pas existé avant les Blancs et leur enseignement. L'école semble irré-
parablement miner l'autorité des anciens,
elle compromet leur dignité;
les jeunEUY sont contaminés par l'individualisme occidental. En oucre,
la collectivité qui n'a jamais connu des classes risque de s'effondrer,
si les jeunes se dérobent à leur devoir de soutenir les nécessiteux
dans une société où la sécurité sociale ne dépend que des parents.
A travers toutes ces considérations, nous pouvons noter que
le facteur capital qui contribue à la dépersonnalisation de l'écolier
est l'adoption obligatoire de la langue
française qui va de pair avec
l'interdiction de la langue maternelle.
(1) MATIP, Afrique, nous t'ignorons; P.
14, Lacoste Paris 1956
(2) R.A.Koffi,
les dernières paroles de Koime PP 9-10 Debesse, 1961.

112
Le problème de la langue
Le français n~est pas la langue maternelle du jeune écolier
africain. Pour faire entrer cette langue cians le subconscient de
l'enfant, la solution èoloniale avait été simple et rigide à la fois.
Elle avait consisté à faire de la ségrégation culturelle et assimila-
tionnisce, c'esc à dire qu'elle a imposé sa langue à tout un peuple
jusqu'à lui interdire de parler la langue locale;
ensuite, elle a
choisi un petit nombre de privilégiés parmi les populatiofrS autoch-
tones pour l'accomodér et l'assimiler à la vie culturelle occidentdle.
Ainsi,
la langue du milieu oGs'était implantée l'école fut
totalement interdite surtout dans l'enceinte de l'école. Celui qui était
pris entrain de prononcer un mot de sa langue on lui
mettait le bonnet
d'âne, c'est à dire le fameux "symbole".
Cette obligation d'adopter la langue française, comme langue
de communication fut renforcée lors de la réforme de l'enseignement qui
suivit la conférence de Brazzaville en 1944. On considérait que parler
français faisait partie des connaissances ésotériques auxquelles est
attachée la. nouvelle puissance.
Il est vrai
que la multiplicité des langues en Côte d'Ivoire
pose des problèmes quant à l'inter-communication des populations et à
l'unité nationale.
Mais, ce qu'on oublie souvent, c'est que cette option contribue à couper
le jeune scolarisé de ses racines familiales et culturelles en lui
interdisant l'accès aux richesses de "la littérature orale des anciens
et aux événements importants de l'histoire du continent".
Si certains individus sortis Je l'école française, maîtrisent
la langue française avec un rare talent, d'autres ont imité et copié
servilement l'acaent du maître à tel enseigne qu'ils sont considérés
comme des "apatrides culturels".
. .. / ...

113
Grâce à ce métissage culturel,
ces "apatrides culturels" sentent
en nègre et s'expriment en frânçais,
pour reprendre les termes du
poète Léopold S.
Senghor.
Pour Senghor,
l'adoption de la
langue "à
vocation universelle", qu'est le français est un bien.
En considération de cette donnée nous posons
la question de
savoir à qui profite ce bien? A la masse rurale analphabète dont le
10
"cordon ombilical n'est pas entièrement touché"
? L'élite africaine
y
soigneusement sélectionnée et qui pr5ne la supérierité des valeurs
occidentales sur les traditions négro-africaines, " même si pour des
besoins de politique extérieure et intérieure" elle rend "un hommage
verbal et mystificateur au génie" de son "peuple en préconisant le
"retour aux sources" et l'" aut henticité" ? où à
l'occident"qui se bat
pour le besoin de son rayonnement culturel ?
En réponse à
la question "à qui profite ce bien qu'est
la langue
étrangère" ? Nous disons que ce bien profite à
l'occident qui par
l'intermédiairide cette langue propage ses propres valeurs et non celles
du milieu~t-w~'Y/.I .
Ensuite,
ce bien profite à
l'élite intellectuelle acculturée
P?rce que favorisée par l'école et qui est en même temps celle qui a
succédé au colonisateur.
Elle a été formée à
l'école européenne, à
la-
quelle elle doit sa promotion.
Elle trouve donc normal de maintenir et
d'étendre la pratique de la langue étrangère et la considérer comme
un bien hérité du colonisateur,
(nous en reparlerons dans
la deuxième
partie de notre exposé), mais pour
l'heure,
nous allons voir ce qu'il
en est du "problème concernant la tentative de "retour à
la terre" .
..L.2,~~s-
Tentative de "retour à
la terre Il
Nous avons vu que l'école coloniale était une école de déracine-
ment. Pour l'enrayer,
on a envisagé dès
l'école de village d'initier
... / ...

114
les élèves aux travaux agricoles. Mais auparavant,
il faut former
des formateurs capables d'en&eigner ces techniques agricoles. C'est ainsi
qUé~ dss écoles normales sont créées en Afrique occidentale française
(A.O.F).
Leur but était.de former les maitres des écoles de village
qui vont meubler "l'esprit des élèves" et diriger "leur curiosité
naturelle" en les invitant ",3 chercher l'explicacion des faics qui
les frappent".
Ces orientations en elles-m~mes n'étaient pas mauvaises.
Elles permettaient de ne pas couper l'enfant de son milieu. Mais
malheureusement,
leur application écait bien différente dans la réalité.
Que s'est-il passé? Il s'est passé que la mwltiplication des écoles
qui a pénétré le monde rural a accrû de plus en plus le nombre de
lettrés qui partent s'installer en ville à la recherche d'un salaire.
Et comme le dit Joseph KI-ZERBO, cette fuite gfnérale se réparcit
comme suit: "le certifié va à la petite ville,
le breveté à la capitale
le licencié,
le docteur dans les pays ric~è2s". Ainsi l'école leur
fait perdre le contact avec la Vle paysanne ec le souci du travail
agricole.
C'est à la suite de 0et exode rural que le Gouverneur Général
de l'A.O.F. Jules BREVIE en 1930 prône le "r~cour à la cerre" et la
grandeur de la "vocation agricole". Mais, cecte initiative ne durera
pas longtemps, car l'école coloniale reste marquée par ce concexte
agricole fait de contraintes, de punitions, de corvées pénibles et
d'instruction rudimentaire (J. Capelle 1949, P.373).
L'inspecteur Chambon, regrettera en 1953 la manière dont a été
orienté cette école rurale : "les écoles rurales qui ont fonctionné
de 1930
à 1946 ont fait
l'objet de violentes critiques de la p'art
des Africains qui ont exigé leur suppression. Ces'
critiques étaient
en partie justifiées;
la conception de l'école rurale s'avérait pour-
tant indispensable dans un pays qui compte 90 % de cultivateurs; son
échec a été le résultat d'une organisation matérielle dont l'insuffisance
... / ...

-115
a provoqué souvent de scandaleux abus"
(1) .
...
.Si l'école rurale a fait
l'objet des critiques justifiées,
elle a permis,
d'après M.
l'inspecteur Chambon à vulgariser certaines
cultures telles que la banane,
l'orange etc ...
"les travaux pr-atiques
soigneusement préparés en liaison avec l'enseignement général,
écrit
M. Chambon, n'ont pas compromis les résultats scolaires mais, bien
au contraire, ont contribué à
les rendre meilleurs" (2).
La politique de la "ruralisation de l'école" profitait essentiellement
à ceux qui l'encourageaient,
car elle réfletait la réalité coloniale
et visait à fournir la main-d'œuvre
des différents niveaux de qualifi-
cation aux projets économiques inspirés par les sociétés d'exploitation"
agricole.
C'est ainsi,
comme le note Lê Thanh Khôi,
que la "ruralisation"
de l'enseignement a souvent servi de justification "théorique" pour
diffuser des cultures commerciales
ainsi,
la Haute Volta a
tendu à
répandre la culture du coton et de l'arachide,
tout en faisant
la
"synthèse de la partie la plus valable èe la tradition avec
les éléments
les plus universels de la civilisation occidentale"
:
ces derniers
apparaissent dans
les livres de
lecture sous
la forme du jeu du domino,
de la moto et de la belle auto qui permettent d'aller en ville ... " (3).
Il est dommage que de telles expériences ont joué un rôle de
contrôle idéologique et de maintien des populations
locales à
la dépen-
dance et à
la domination culturelle.
CON C LUS ION
Nous venons de voir dans quelles conditions l'école française
s'est implantée en Côte d'Ivoire et comment cette implantation a provo-
qué des bouleversements
irréversibles dan~ la vie quotidienne des popu-
lations.
A la suite de ces bouleversements,
il s'est créé deux mondes
(1)
et (2)
Inspecteur Chambon:
l'Enseignement Agricole dans
les écoles
d'A.O.F.
in "l'Education africaine" n019,
1953.
(3) Lê Thanh Khôi,
ouvrage déjà cité.
. .. / .. ·

116
parallèles,
cloisonnés, qui s'opposent l'un à
l'autre et devant
lesquels
l'enfant est emba~rassé, puisqu'il doie passer successivement
dans l'un puis dans l'autre.
A travers notre analyse,
nous avons conseaté que c'est l'école
qui a permis à l'enfant de passer du monde traditionnel (primitif) au
monde "civilisé".
c'est cette même école qui,
grâce à
la puissance de son idéologie,
comme dit Lê Thanh Khôi "déracine. les jeunes de la culture traditionnelle"
même ceux qui ont échoué, adoptent les mêmes attitudes.
L'école coloniale, pour parvenir à ce stade, avait soigneusement
mis ·s4:' pwd un réseau de mécanismes psychologiques qui sont entre autres
des complexes,
l'assimilation et le contenu du message pédagogique.
Ces différents mécanismes sont ceux qui ont contribué au déracinement
de l'écolier ivoirien. Mais "l'idéologie la plus étrangère à la sociéeé
î.voiriùnne et que l! éco le imposée du dehors a incu lqué dès la jeune ..
enfance,
c'est l'individualisme.
Cette idéologie comme nous le savons
est liée au capitalisme.
Le développement du capitalisme nécessitant
l'exploita;:ion d'une main-d'œuvre
qualifiée,
a provoqué la remise
en surface de la célèbre formule du Gouverneur Gnrde
: "Instruire la
masse et dégager l'élite".
On a alors assisté à une véritable explosion
de l'enseignement qui semble vouloir rattraper un retard important.
Il
y a eu à
la suite de cette explosion, une soif d'apprendre et de réussir
qui s'est manifestéfchez les jeunes ivoiriens.
Pour ~onclure ce chapitre qui résume l'influence de l'école
coloniale, nous dirions que cette école par sa politique de décultu-
ration,
d'acculturation et d'assimilation, a contribué à former une
élite selon les critères de la culture métropolitaine et a permis grâce
au brassage d'ethnie et de nationalités à faire progressivement découvrir
aux jeunes,
les premièrs embryons d'une c9nscience nationale.
Cependant
toutes
les précautions étaient prises pour que cela n'aille pas trop
... / ...

" 117
loin:
"l'h{stoire,
s'intérroge le Gouverneur Général Roume,
et
surtout celle de la France,
doit-elle être enseignée aux indigènes des
colonies, en particulier aux"Noirs d'Afrique ? ..
Que n'a-t-on pas
épilogué sur les dangers de raconter la prise de la Bastille
Peut-on ne pas faire comparer aux Noirs
le passé instable" et sanglant
de leur pays avec
le présent pacifique,
tranquille et fécond ? .. "(1).
Ce passage nous montre que l'intention réelle de l'Administration
coloniale n'était pas de "civiliser" ni de "libérer"
l'écolier ivoirien
mais plutôt de l'aliéner.
Il n'était donc nullement question de lui
faire prendre conscience : de la lutte émancipatrice qui eut lieu en
occident;
de la force de
sa culture et de
la valeur de l'héritage
qu'ont
laissé ses ancêtres non colonisés, parce qu'il y aurait un
risque qu'il aille puiser son inspiration dans des sources historiques
authentiques et non dans
les modèles qui lui sont imposés, par les pays
développés.
Ces aspects négatifs ou ces méfaits de l'école coloniale que
nous venons de mentionner,
nous ont permis de cerner le problème qui
nous préoccupe à savoir l'acculturation du jeune écolier.
Pour terminer ce chapitre, nous citerons un passage de Jea~1
Marc Ela qui résume
les aspects négatifs de l'école coloniale:
"Considérant les
territoires d'Outre-mer comme des annexes de
la métropole et des
terres vierges de toute culture,
l'école coloniale
d'obédience française .. s'est concentrée d'appliquer à
l'Afrique le
système pédagogique et les prograTllilles propres à
la métropole,
sans
l'adapter .en rien aux réalités
locales.
D'autre part,
en identifiant
\\...L-
éducation et instruction, en imposant de force
l'usage devlangue fran-
çaise à 40 millions d'africains, elle les a empêchés de puiser à la
(1) Gouverneur Général Roume, journal Officiel de l'A.O.F. nO 1024,
du 10 Mai 1924.
. .. / ...

118
source vive de leurs traditions, faisant d'eux des déracinés
<
culturels et des étrangers sur leur propre terroir.
Fondée pour .fournir des fonctionnaires à l'Administration
locale, elle a écrémé les villages des éléments les plus dynamiques,
accentué l'exode rural et contribué par là ~ la désagrégation de la
société traditionnelle,
tant du point de vue économique que social et
psychologique.
Si l'école coloniale, en dégageant une certaine élite, a
favorisé l'essor d'une nouvelle classe de privilégiés, celle des cita-
dins scolarisés, elle a par contre aggravé la situation des populations
rurales analphabètes.
Celles-ci, en effet, n'ont aucun moyen d'affronter
les bouleversements que la science et la technique occidentales ont
introduit, dans des pratiques culturales millénaires (1).
(1) Jean Marc ELA,
la plume et la pioche, éd. Clé P.
8 et suivantes.

119
CHAPITRE
3
La prise en charge de l'enseignement par l'Etat
ivoirien et la reproduction de l'idéologie scolaire
occidentale.
L'enseignement ivoirien que nous venons de présenter
ci-dessus,a été de 1895 à 1957 dirigé et manipulé directement par
la puissance colonisa~rice en l'occurence la France.
Depuis la loi-cadre de 1957 (1) chaque Etat d'Afrique
Noire Francophone prend en main la direction de son système éducatif
Ainsi une certaine indépendance est marquée par rapport aux
structures métropolitaines. Cette prise de conscience de ses
responsabilités avait pour but de dicter aux responsables du
.
système éducatif une démarche authentiquement nationale
et Je faire
comprendre que les problèmes éducatifs ivoiriens ne devaient plus
être resolus à Paris. C'est dans cet esprit qu'on a commencé à
esquisser une politique de l'éducation.
Depuis 1960, date à laquelle la Côte d'Ivoire a
accedé à la souveraineté formelle la question qui se pose est de
savoir comment le pays a-t-il réagi à l'acculturation de l'écolier
du primaire, à l'aliépation culturelle qui est un sous-développement
culturel et éducatif légué par l'héritage colonial? Comment va-t-on
resoudre le problème des langues locales dès lors que la langue
officielle, véhicule par excellence d'une culture, demeure le
français ? Quels sont les nouveaux problèmes
auxquels un va
être confronté ?
Pour mieux analyser les problèmes de la nouvelle
école ivoirienne, notre démarche va consister à examiner dans ce
chapitre les objectifs et les finalités de cette école; ensuite
nous examinons les sources de son financement qui à notre sens, sont
un facteur directement lié à l'acculturation planifiée. C'est à
travers ces objectifs que nous décélérons les éléments idéologiques
permanents qui conduisent les jeunes à l'occidentalisation et l'ensei-
gnement ivoirien à la perpétuation de la culture française.
(1 )
On a contunue de prendre l'indépendance comme date de référence
il conviendrait à la vérité historique de dire que la date de
l'indépendance ne constitue pas une coupure véritable dans
l'histoire de l'enseignement ivoirien. En fait, c'est de la loi-
cadre en 1957 qu'il faut faire partir l'essor de l'enseignement
ivoirien.

120
131
~Les problèmes scolaires issus de la loi-cadre de 1957.
Au lendemain de la loi-cadre, les actions menées
dans le cadre de l'enseignement primaire ont été pratiquement dans
toutes les directions, sauf dans celle des structures du système
scolaire lùi-même, puisque la
Côte d'Ivoire garde le modèle
français,
c'est-à-dirè une scolarité de six années divisées en cours
préparatoire, cours élémentaire et cours moyen.
Sur le plan de l'organisation, on assiste à une
explosion scolaire. Le système se développe considérablement. Les
effectifs augmentent. Les masses sont sensibilisées très vite au
changement qu'a provoqué l'école. Elles impriment à l'éducation
nationale une impulsion de la base qui oblige le Gouvernement à
pratiquer une politique d'accroissement systématique des effectifs
sans chercher à corriger les erreurs du système colonial.
On s'est simplement intéressé à de simples retouches
pédagogiques qui ont eu pour conséquence de compromettre l'épanouis-
sement de la société et retaYder son développement socio-culturel.
Ces premIeres ébauches qui datent de cette loi-cadre
n'ont pas saisi la problématique de l'éducation dans sa globalité,
puisqu'elles n'ont vIsé qu'à
étendre et à développer un système
déjà en place. Elles n'ont pas repensé le système lui-même. Est-ce
parce que le pays n'avait pas encore accédé à l'indépendance
politique formelle ?
Quels sont les problèmes que cela a soulevés ?
Cette poli tique d'éducation a engendré les faits suivants
le système éducatif dont la Côte d'Ivoire s'était doté, était à la
fois insuffisant et inadapté.

121
L'insuffisance se manifestait par une visée des
objectifs à très long terme à savoir, sous tendre le système
éducatif d'une idéologie dont la méthode consistait à développer
le système éducatif de façon très lâche, et à pratiquer une
sélection extremement sévère lorsqu'il y avait beaucoup d'élèves
à la sortie.
Le d'euxième fai t qui est apparu a concerné l' ina-
daptation du système. Comment l'explique t-on ?
On l'explique par le monde de sélection élitiste de l'école qui
n'assurait qu'une promotion individuelle et se désintéressait
totalement de la masse, ensuite cette même école était importée,
ce qui signifie qu'elle était orientée vers l'extérieur et restait
profondément étrangère au milieu africain. L'école ivoirienne en
porte- à - faux avec la tradition et la société ivoirienne ne
semblait pouvoir obtenir d'autre résultat que de permettre à ses
rares bénéficiaires de s'évader par la culture de leur milieu
jugé archaïque et primitif :l'idéologie. et la politique étaient
assimilationnistes. Cette école que l'on a appelée "l'école
insulaire", a pu apparaitre tour à tour comme une école antidé-
mocratique puisqu'elle coupait les lettrés de leur peuple, comme
une école de déracinement et de l'aliénation puisqu'elle tournait
le dos à la culture africaine, puisqu'elle s'exprimait en une
langue. ét rangère.
(1)
L'année 1958 avec la loi-cadre voit la Côte d'Ivoire
prendre conscience d'intégrer l'enseignement au milieu dans
lequel il s'exerce. Mais l'absence de plans prévisionnels dans ce
domaine rend difficile la poursuite de cet objectif. Devant la
nécessité de parer au plus pressé,
on se contente de répondre
sans aucune coordination à la forte poussée des besoins.
Au lendemain de l'indépendance,
les Etats africains
se trouvent confrontés à ces problèmes cruciaux. Une conférence
les réunit à Addis Abeba du 15 au 25 Mai 1961.
(1) Conférence d'Etats Africains sur le développement de
l'éducation en Afrique, Addis-Abeba, 15 au 25 Mai 1961,
UNESCO, éd. Ed./ 181, P.59 et 9.

122
Les délégués à la conférence font l'inventaire de
leurs besoins respectifs en matière d'enseignement. Ils déclarent
que "l'enseignement figure au nombre des droits universels de
l'homme". Ensuite ils décident de dispenser l'éducation à tous,
sans
discrimination de race ou de sexe, d'âge ou de milieu social, afin
d'éliminer l'analphab~tisme du milieu local. L'objectif, d'Addis-
Abeba est donc de rendre cet enseignement primaire obligatoire
gratuit afin de pouvoir scolariser tous les jeunes. Le souci de
ne pas couper l'écolier de son milieu, pousse les Etats Africains
à reviser le contenu de l'enseignement en ce qui concerne les
programmes, les manuels scolaires et les méthodes, en tenant
compte du milieu africain, du développement de l'enfant, de son
patrimoine culturel et des
exigences
du progrès technique et du
développement économique.
(1)
Ces retouches ne sont démeurées que des opérations
distinctes et fragmentaires:
dans le contexte de l'époque on ne
pouvait que parer au plus pressé. L'explosion scolaire comme nous
l'a dit un responsable de l'enseignement primaire en Côte d'Ivoire,
n' avai t pas laissé
le temps aux autori tés scolaires d'esquisser une
doctrine pédagogique cohérente, ni d'appréhender très clairement
l'ensemble des aspects
qualitatifs qui ont
condui t l' accul turation
de l'écolier.
L'année 1963 est l'époque du renoncement resolu
à la pours.ui te de l'accroissement systématique des effectifs:
Ce
renoncement a consisté à freiner provisoirement l'entrée dans les
cours préparatoires. Cette nouvelle politique a permis à l'ensei-
gnement primaire de s'organiser timidement, de porter l'effort sur
l'amélioration des conditions de travail des enfants et de mettre
un peu d'ordre dans les structures. Cette pause s'est traduite par
une stabilisation des effectifs des petites classes dont la pro-
gression a été ramenée à 0,6 %, alors que le nombre des cours
moyens augmentait respectivement de 15 % et 13,5 %. Un plus grand
nombre d'écoles publiques ont pu être dotées d'un cycle complet.
L'enseignement privé a vu fermer un certain nombre de ses écoles
non autorisées, ce qui permit d'éliminer des maîtres incompétents.
(1) R. Mélet : Aspects pédagogiques de la planification du dévelop-
pement de l'enseignement primaire en Côte d'Ivoire et au
Sénégal, UNESCO,
IIPE - nO 17 (1970).

123
Sur le plan de l'organisation de l'enseignement
lui-même, nous mentiohnerons quelques mesures importantes
par exemple, le réaménagement de la journée scolaire dont le trait
essentiel était la localisation dans la matinée des disciplines
principales. Et surtout l'élaboration en 1964 - 1965 d'instructions
et programmes, qui sont toujours dans certaines écoles en vigueur.
Jusqu'à cette date les programmes s'enlisaient dans le formalisme.
Les nouveaux programmes ont désormais pour objectif
essentiel de ne pas couper l'école de son milieu et à'adapter.
l'enseignement aux besoins et aux possibilités de l'enfant.
En considération de ces données, on ne peut pas
dire qu'il y ait eu dans cette action de remise en question d'un
enseignement ni même volonté d'innover, mais nous dirons qu'il
y a eu adaptation au contexte africain des matières d'enseignement
général et quelque fois des manuels français,
et ce fut mériteire
d'avoir tenté cela, eu égard aux anciens programmes. Mais le
drame est que, en dépit
de cette mesure,
les résultats n'ont
pas été appréciables.Car les écoliers n'ont pas pu échapper au
danger d'une acculturation envahissante. Ceci s'explique par le
fait qu'on s'est simplement contenté dans des domaines comme
"histoire, la géographie,
l'instruction civique, de relever les
"erreurs" les plus flagrantes
; dans les livres de lecture, les
mots "blé" ou " châtaigne" ont été remplacés par "riz" ou
"igname".
(1)
Nous mentionnerons également des essais de rurali-
sation des programmes en ~966 - 1967, à Abidjan, Bouaké et Daloa :
il s' agissai t
d'élaborer des programmes tenant compte de la
prépondérance du milieu rural dans la société ivoirienne, des
programmes visant à enraciner les jeunes gens au village et à
préparer le développement de ce même milieu rural. Cependant,
faute d'un plan d'ensemble cohérent et original lié au contexte
culturel ivoirien et susceptible d'entraîner une véritable
conversion des mentalités et des comportements, les expériences
de ruralisation ne furent pas très probantes
;
(1)
R. Mélet déjà cité.

124
peut-être cet avatar est-il imputable à la dépréciation attachée
au mot rural ou à des raisons politiques qui ont pu commander de
ne pas séparer l'école rurale de l'école urbaine.
La nouvelle politique du système éducatif
ivoirien qui prôn~ l'insertion des écoliers dans leur milieu
socio-culturel local par l'intermédiaire de la culture française
n'est-elle pas plus dangereuse que la politique du système
éducatif colonial ?
Le nouveau système scolaire qui succède à une longue période
d'aliénation culturelle, et qui s'embourbe dans des graves problèmes
surgis pendant la période transitoire, n'est-il pas plus à craindre à
cause de sa fascination destructrice et dépersonnalisante ? L'engouement
des jeunes écoliers qui assimilent sans discernement la culture française
ne risque t-il pas de faire mourir ce qu'un peuple possède de plus intime
et dont l'absence aliène ou déçoit celui qui s'est laissé démuni? Certes,
comme le dit Lê Thanh Khoi,
l'école lorsqu'elle est bien utilisée aide
à se libérer de l'oppression linguistique et culturelle d'un peuple.
Mais de la façon dont elle s'est implantée en Côte d'Ivoire, nous avons
plutôt l'impression qu'elle est aliénante. Certes, la connaissance de la
sagesse et de la science occidentales permet de combattre l'ennemi avec
ses propres armes et sur son propre terrain. Mais la question demeure
de savoir si l'équilibre entre les deux cultures sera respectée, si
l'Afrique saura occuper dans le monde la place qui lui revient et qui
lui fut
si longtemps refusée, sans renier sa propre identité.
Nous allons à présent examiner les problèmes de l'école engen-
drés par le premier projet ambitieux susceptible de rénover l'enseigne-
ment élémentaire.
I32 - Vers un type nOuveau d'enseignement?
Nous allons examiner ici,
le contenu de la loi-cadre du 10
Juillet 1967 ; cette loi-cadre a été élaborée en vue de l'institution -
nalisation de l'enseignement télévisuel.
C'est de la connaissance des options et des finalités de ce nouvel ensei-
gnement primaire qu'apparaitra en filigramme, dans le labyrinthe éducatif
le fil d'Ariane qui nous conduira vers le type d'ivoirien que l'école veut
... / ...

125
promouvoir.
Cet examen va n~us permettre de saisir l~s différentes
filières qui transmettent les modèles culturels étrangers à l'écolier
ivoirien.
La conception'~e la pulitique du système éducatif par des
éléments étrangers est une source d'acculturation
L'élaboration de la loi-cadre de l'enseignement a été décidée
par le décret nO
67-303
(article deux)
du 10Ju'f-lle:t 1967.
El~e portait
application de
la loi-plan de développement économique
,
social et cul-
turel pour les années 1967,
1968,
1969 et 1970 (loi nO
67-302 du 10 Juil-
let 1967).
C'est en septembre 1967 que les travaux de la Commission plénière
préparatoire ont demarré.
Ces travaux ont associé tous
les ministères
du pays qui sont touchés par le problème de formation.
En mars 1968, ces
travaux ont abouti, aux premiers éléments
d'une loi-cadre de l'Enseignement.
Ces éléments intégrés dans la Première
Esquisse du plan ttuinquenal 71-75 publié en Mai
1968, ont été repris,
début 1969~ à la lumière des échanges qui ont eu lieu au sein de la
Commission Nationale de Réforme de l'Enseignement et des travaux d'analyse
budgétaire et financière menés au sein du Ministère de l'Education
Nationale à
l'instigation du Ministère des Affaires Economiques et Finan-
cières.
Parallèlement aux travaux de la Commission,
le gouvernement
suscitait une convergence harmonieuse et cohérente vers ses préoccupations
éducatives, ·de la part de nombreuses missions d'aide bilatérale ou multi-
latérale.
Cette convergence s'est traduite, depuis Août 1968, par la
création du "Club d'Abidjan" qui, axé principalement sur le programme
d'éducation télévisuelle ivoirien,
regroupe chaque trimestre,
sous
la
présidence du Ministre de l'Education Télévisuelle,
les représentants du
.. . 11 ...

Ministre français de la
mopération, du gouvernement canadien, de la
Banque Mondiale, du Programme des Nations-Uni.es (l) ainsi que du,
Fonds
Européen de Développement et de là Fondation Ford.
C'est de l'ensemble
de ces travaux et de ces confrontations que résulte le "Programme de
Développement de l'éducation .et de la Formation 1971-1975".Comme nous
venons èe le constater, c'est dans ce contexce que s'élabore la politique
du système éducatif de la Côte d'Ivoire. Le "Club d'Abidjan" qui est
un lieu de réflexion et de concertation est dominé par des organismes
et des experts étrangers. C'est par ces organismes et ces experts que
s'infiltre l'impérialisme culturel occidental pour imposer sa propre con-
ception de l'éducation à la Côte d'Ivoire. On comprend dès lor~ que
l'enseignement ivoirien est sous-tendu par l'idéologie impé~iali5r~ccidentale.
Nous savons tous que l'homme quelqu'il soit a toujours eu cendance à
projeter ses sentiments, ses problèmes, en un mot sa conception àu monde
dans une réalisation quelconque. Ainsi, une œuvre d'art est d'ailleurs,
neuf fois sur dix,
la "projection" de l'âme profonde de l'artiste(2).
En
considération de ces données, on comprendra que l'e:;seignement ivoirien,
élaboré par des occidentaux, étrangers au milieu culturel de l'enfant
ivoirien, sera influencé par des modèles culturels de l'occident;
car
aucun homme ne peut se séparer de sa culture d'origine lorsque celle-ci
lui est attachée. Parce que cette culture fait partie de lui et est
présente dans tous ses actes.
Après l'élaboration de cette politique éducative, il reste que
celle-ci soit appliquée de façon correcte et de manière à sauvegarder
la culture européenne. La loi-plan de développement économique, social
et culturel pour les années 1967 à 1970 a fixé le rythme de la croissance
souhaitable et possible de la Côte d'Ivoire pour cette période.
La première esquisse du Plan Quinquennal 1971/1975 permet d'escom-
pter une poursuite satisfaisante de cette croissance, poursuite sans
laquelle on assisterait immanquablement
à une regression du développement
amerçé, avec toutes les séquelles économiques et politiques qu'elle ne man-
querait pas d'entraîner.
(1) UNESCO, BIT; UNICEF; FAM
FAO
; etc ...
(2) Pierre DACO,
les triomphes de la psychanalyse (Bibliothèque Harabout
service) .
. .. / ...

127
L'encadrement des programmes.
Pour que les objectifs de l'éducation en Côte
d'Ivoire soient atteints il faut que les programmes de dévelop-
pement socio-culturel
soient encadrés à tous les niveaux, par
des agents compétents c'est-à-dire par des expatriés (1).
C'est ainsi qu'argumerlterit les responsables du Ministère de la
coopération de la France. Ce sont ces expatriés qui orientent la
politique du système éducatif selon leur propre idéologie c'est
nous qui soulignons. L'appel à des expatriés est justifié aussi
par le fait que la Côte d'Ivoire ne dispose en temps utile des
cadres ivoiriens,
(2)
capables de concevoir leur propre politique
d'éducation.
La demande en personnel expatrié s'accroît de jour en
jour. Cette formule est non seulement onéreuse, mais encore pose
des problèmes psychologiques et politiques et elle ne conduit pas
le pays à un authentique développement,
assumé par la Nation. Une
chose est certaine, c'est que les pays qui aident la Côte d'Ivoire
et notamment la France, le font pour diffuser leur propre culture.
Cette situation ne peut être perpétuée, si la Côte d'Ivoire veut
sauvegarder ses valeurs.
La présence des expatriés au coeur de la politique
du système éducatif, constitue un danger permanent pour la sauve~
garde des valeurs culturelles ivoiriennes. C'est pourquoi certains
artistes ivoiriens (3) souhaitent que l'effort du Gouvernement
ivoirien en matière d'éducation tende
vers la revalorisation du
patrimoine culturel et soit orienté de telle sorte que le pays ne
soit plus envahi par l'impérialisme culturel occidental.
Si l'effort d'éducation doit toujours être contrôlé
par les experts occidentaux et français en particulier, par cette
pratique, on compromet les perspectives de rénovation du patrimoine
culturel qu'il est possible d'esquisser aujourd'hui en mettant en
cause la qualité et l'efficacité requises de l'enseignement dont on
ne contrôlerait plus la finalité.
(1)
Entretien du 7/6/79 avec un enseignant coopérant animateur au
centre de Production de la Télévision scolaire à Bouaké.
(2)
Entretien avec un responsable ivoirien du Ministère de l'ensei-
gnement primaire et de la Télévision éducative 15/6/79 à Abidjan).
(3 ) Il s'agit des chercheurs de l'institut National d'~t et du Groupe d'Etude
et Recherhe en tradition orale d'Abidjan :(INA et GERTO.)

128
Enfin, ceux qui ont la responsabilité de définir et
de concevoir une politique d'éducation, se doivent et doivent â
la Nation d'insister avec gravité sur la nécessité primordiale et
urgente de faire de l'enseignement primaire l'instrument priviégié
de développement de base des cultures
ivoiriennet Ainsi l'enseigne-
ment primaire intégré au milieu et conçu par des Africains pour les
Africains cesserait d'être le premier facteur d'exode rural et
donnerait aux élèves le.s motivations qui les inciteraient â rester
au village pour le promouvoir.
Finalité et porté du pr~gr~mm~~~~~~~~~EReme~!
de l'éducation et de la formation.
La loi-Plan de développement économique, social et
culturel, pour les années 1967/1970, puis la Première Esquisse du
Plan Quinquennal 1971/1975, ont mis en lumière la nécessité de
définir les moyens que doit se donner la Côte d'Ivoire pour
atteindre ses objectifs en matière d'Education.
Ces moyens sont, entre autres, une plus large
diffusion des connaissances et des attitudes favorables au dévelop-
pement (1). La politique proposée considère l'éducation et la
Formation comme
un moyen privilégié de diffusion de ces attitudes
et connaissances.
~
Il e~t précise dans cette Loi-Plan que l'une et
l'autre devraient comprendre aussi bien des enseignements de type
scolaire que des actions d'information diffuses ou spécialisées
utilisant
la radio,
la télévision,
la presse, bref tous les
moyens de communication audio-visuelle (2).
(1)
Il n'est pas précisé dequel développement il s'agit. Le plus
souvent développement est synonime de modernité et celui-ci
est synonime d'occidentalisation. C'est dire que c'est délibéré-
ment que la Côte d'Ivoire a choisi la voie de l'occidentalisation
(2) Les moyens audio-visuels ne sont jamais neutres. S'ils doivent
être utilisés pour éduquer l'enfant, on ne s'étonnera pas de
l'attitude favorable de cet enfant pour les valeurs occidentales.

129
On peut remarquer que si l'école primaire est
l'instrument privilégié pour diffuser la culture française,
d'autres beaucoup plus actifs, que nous appelons les écoles
parallèles, prolongent son action d'acquisition de connaissances
et de transformation d'attitude et de comportement des écoliers.
Ce sont comme nous l'avons déjà signalé, la Télé-
vision,
la radio.
Il apparaît donc qu'à travers cette remarque les
attitudes collectives peuvent être acquises et développées ailleurs
qu'à l·'école, ou à l'école,
sous formes différentes de celles
que revêt actuellement l'instruction.
Ce " Programme de Développement", s'il prétend
ouvrir le champ de développement exigé par les réalités, vise à
diffuser une langue parlée commune à travers l'école, l'alphabé-
tisation des ivoiriens.
Finalité de l'Enseignement et de la Formation.
L'enseignement fait apparaître non plus comme un
article de consommation, mais bien comme un investissement
productif (1) valorisant le potentiel culturel de l'occident.
- Sous toutes ses formes,
l'éducation est conçue
comme instrument de stimulation socio-économique. Elle agit sur
la production et elle invite à la consommation. En même temps
elle favorise la diffusion non pas d'une culture nationale
vivante, mais la diffusion d'une culture étrangère (2) vivante,
dans la masse de la population. Clest dans cette
perspective, on
le verra au cours des chapitres suivants, qu'est orienté, au sens
pédagogique et en termes de finalité,
chaque ordre d'enseignement.
(1) cf. Economie de l'éducatlon PAGE P.U.f 1971.
l2) 11 s'agit de la culture française.

130
Si chaque ordre d'enseignement possède sa finalité
propre, toujours est-il que l'idéologie scolaire occidentale demeure
la même. La réalité quotidienne nous montre que l'élève qui aspire
~ une classe supérieure, doit y accéder sur la base des aptitudes
~ l'assimilation des valeurs cul turelles occidentales· (1)
L'éducation extra-scolaire des jeunes et même des
adultes vise ~ la diffusion et â" l'enrichissement non pas de la
culture nationale (qui devrait être considérée comme une création
continue de la collectivité ivoirienne) mais de la culture moderne (2)
Celle-ci assure ~ chaque individu des possibilités de promotion
personnelle et ne donne pas ~ la nation toutes les chances d'indépen-
dance culturelle.
Le plan 1967j1970 ou 1971/1975 ne prévoit pas un
processus d'alphabétisation systématique de la population. Ce dont
il s'agit maintenant, c'est de créer un milieu humain perméable
aux innovaLions et au progrès', autrement dit de créer un milieu humain
favorable â l'électitindes modèles culturels occidentaux.
C'est pourquoi le plan 1971/1975 insiste que soit
favorisé la diffusion de l'instruction fondamentale,
au plus tôt,
par les effets, indirects mais réels, d'une utilisation massive de la
radio et de la Télévision.
Au cours du plan 1971/1975 se sont preclsés les objectifs
d'une alphabétisation plus généralisée, qu'ont rendu plus réalistes
les progrès effectués, grâce au "Programme de, développement", dans la
formation d'un réseau dense d'animateurs et d'éducateurs, et dans
la diffusion du français parlé,
étape importante vers l'alphabétisa-
tion et l'acculturation.
Quelque soient leur forme,
leur programme et leur niveau
les divers types d'éducation sont considérés comme des processus
d'intégration des individus et des groupes â la société ivoirienne
en deveni r
(3).
(1) P. DAGUE. Les facteurs culturels dans les reçultats aux tests mentaux l'exemple
de l'Afrique Noire in bulletin de l'I.T.C.
(2) Nous appelons culture moderne celle qui es~ impor~ée d'Europe et notrtrnment de F.
(3) On peut déjà faire l'hypothèse que cette société sera une société
occidentalisée, puisqu'on entreprend maintenant d'urbaniser le
monde ru ra 1.

131
1
,i
La politique éducative ainsi définie implique une
politique culturelle ~ l'échelon national. Il ne saurait en
effet y avoir d'enseignement moderne du type français,
~ tous
les niveaux, et de promotion sociale et économique modernes, sans
que leur soient données des bases culturelles occidentales solides
et durables. Cette P?litique éducative qui vise la diffusion
massive de la langue française
(1)
n'est-elle pas en contradic-
tion avec la politique culturelle qui elle, VIse:
- ~ mettre en place les moyens nécessaires ~ la
récupération et ~ la sauvegarde
du patrimoine culturel
- ~ organiser systématiquement, par la recherche
pédagogique, l'utilisation de ce patrimoine dans les programmes
et les méthodes d'éducation et ~ développer tous les moyens
matériels de diffusion de la culture: Bibliothèque, musées,
théatres,
cinéma, radio et télévision, presse etc ...
~ favoriser la création artistique, sous toutes
ses formes, en encourageant la formation artistique, scolaire
etc ... ?
Cette politique culturelle cherche, non seulement
à diffuser une culture ivoirienne, mais au contraire ~ travers
elle à permettre la culture française de s'enraciner (2)
dans
chaque individu, pendant toute la durée dlune éducation scolaire
puis extra-scolaire. C'est à l'école primaire télévisuelle que
va s'élaborer les processus d'enracinement de la culture française.
(1)
Il a été démontré à plusieurs reprises que la langue est
un instrument privilégié pour le véhicule de l'idéologie
étrangère. Il est très difficile d'exprimer ses sentiments
dans une autre langue.
(2)
Les moyens de participation à l'enrichissement continuel
de cette culture nationale peut défaut. Nous en avons pour
preuve.

132
132 4 -Tentatives actuelles de rénovation pédagogique.
"Du point de vue à la fois quantitatif et qualitatif,
l'éducation en Afrique a atteint une période de crise" (1) qui
augmente de façon dramatique l'écart entre les scolarisés et les
non-scolarisés; entre les citadins et les ruraux; entre les
enfants de la masse et ceux des couches favorisées. A Addis Abeba
on pensait qu'il serait financi~rement et techniquement possible de
réaliser les objectifs fixés. Or,
il faut constater qu'ils n'ont pas
été atteints et que dans presque toutes les régions du pays
(Côte d'Ivoire ), l'éducation a suivi un processus permanent
d'aggravation.
Du 16 au 27 Juillet 1968, les Ministres de
l'Education des Etats africains réunis à Nairobi
sur l'initiative
de l'O.U.A. et de l'UNESCO, ont souhaité que les objectifs présentés'
antérieurement à Addis Abeba soient poursuivis.
Pour tenter de resoudre les probl~mes que cela
soul~ve, les responsables de cette éducation se réunissent deux
fois par an. Ces rencontres ont abouti à la conception d'une école
nouvelle - du moins en ce qui concerne l'enseignement primaire -
qui s'inspire davantage des milieux nationaux,
qui soit adaptée aux
réalités locales et aide l'enfant à s'insérer dans la société.
Examinons les différentes tentatives de rénovation pédagogique.
En Côte d'Ivoire comme dans d'autres Etats africains,
ont été entreprises, ou vont l'être,
des actions ou des opérations
destinées à pallier les insuffisances et les inadaptations de
l'enseignement dispensé aux enfants et, corrélativement, de la
formation ou de perfectionnement des enseignants.
Pour intégrer pleinement l'enfant à son milieu
économique et socio-culturel, pour transformer l'instituteur ou
l'instituteur
Adjoint en véritable animateur d'une région ou d'un
village donnés, nécessités peu à peu apparues impératives depuis
plusieurs années,
telle ou telle solution particuli~re ou plus
générale a déjà été adoptée
ou envisagée par les responsables.
(1)
Dragoljule Najman,
l'éducation en Afrque, QSJ.
?
essai, éd. Deux Mille. 1972 P. 9.

133
S'étant dégagés à partir de con~atations à peu près identiques,
toutes les expérien~es sont souvent convergentes dans leurs
méthodes et constituent une première approche, sans bien entendu
prétendre, faute de moyens suffisants ou de'possibilités réelles
d'extension par exemple, résoudre tous les problèmes et dépasser le
stade des palliatif s,provisoires ou
des expérjmentations limitées.
C'est ainsi qu'on peut évoquer sucessivement diverses entreprises
qui portent soit sur le public enseigné, soit sur les maîtres,
soit sur l'un et l'autre à la fois
(1).
L'étude approfondie de ces expériences démontre que
les responsables de l'enseignement, à différents niveaux, sont
profondément conscients d'une inadaptation foncière de l'ensei-
gnement primaire aux réalités et aux besoins, et des graves
risques de déséquilibres politiques, sociaux et culturels ainsi
encourus. Cette effervescence pédagogique est donc un signe de
lucidité et de santé, mais n'en présente pas moins certains lncon-
vénients, de plus en plus sensibles aux autorités. En effet, une
telle situation ne va sans confusion, et l'on ressent impérativement
la nécessité d'une plus grande cohérence pédagogique, et surtout
celle de définirdes options priotaires. D'autre part, il est assez
clair qu'aucune expérience ne peut être étendue sans de grands
moyens, tant en personnel qu'en équipements. Les perspectives d'une planification
scolaire s'inscrivant dans le contexte du développement global de la Côte d'Ivoire
compte tenu de la programmation d'elnploi des ressources budgétaires, il n'est pas
possible de disperser dans toutes les directions les crédits dis-
'11
ponibles sans une évaluation de chaque opération menée en vraie
grandeur soit effectuée.
Cette évaluation pourra se faire de telle façon que les
apports positifs en soient intégrés au programme d'action prévu ici
pour le premier degré.
(1)
- Magazine des Instituteurs,
- Blocs audio-visuels de perfectionnement,
- Cahiers de pédagogie pratique du langage
- Formation dJun corps spécialisé d'institutrices pour les
classes enfantines; Jardins et élévages scolaires; opération
de rurlisation de l'enseignement primaire.

134
Quoiéqu'il en soit, il a paru d'ores et déjà
préférable de consacrer à l'avenir l'essentiel des masses budgé-~:
taires à une opération présentant à la fois un caractère global et
largement polyvalent (éducation - formation - animation - culture)
et des possiblités presque immédiates d'extension à l'ensemble
du pays. L'opération.en question, concerne le programme de réno~
vat ion pédagogique fondamentale:
La télévision scolaire. E~aminons
l'esprit de ce nouvel enseignement primaire; ensuite nous verrons
la situation d'acculturation qui s'en dégage.
133-
L'enseignement primaire télévisuel en Côte d'Ivoire.
Nouvelle stratégie pour une bonne acculturation des enfants.
LJidée d'un enseignement primaire télévisuel pour
ILY\\.
la Côte d'Ivoire est née 1968. Il s'agit de doter le pays d'un
instrument pédagogique qui a fait ses preuves depuis 1964 à l'Ile
SAMOA, au Niger et à SAN-SALVADOR.
(1) Examinons les intentions qui
ont présidé à ce choix.
133 1_ Analyse de la situation scolaire
Depuis la loi de 1957 jusqu'à nos jours, les
effectifs de l'enseignement primaire ont plus que doublé. Ils
sont passés de moins 200.000 élèves en 1958 à plus de 400.000 en
1970 pour atteindre presque 900.000 cette année.
En 1972 l'enseignement primaire comptait 2 281
écoles qui se répartissaient en 11 479 classes. Cette même année
.
.
le nombre des maîtres s'est élevé à 12.000. L'enseignement public
reçut 79 % des élèves et l'enseignement privé 21 %'
Ces effectifs qui croissent d'année en année,
posent de nouveaux problèmes d'éducation. Cela a conduit la
Côte d'Ivoire à remettre en question son enseignement.
( 1)
Le 10 è congrès du syndicat national des enseignants du second
degré qui s'est tenu du 28 au 31/07/80 vient de relever dans,
un paragraphe de lannotion relative au'système d~ l'enseigne-
ment télévisuel, que certains pays africains "ont dû l'aban-
donner parce que trop coûteux et inefficace et même des pays
nantis comme la France, les USA, le Canada etc ... ne l'expéri-
mentent qu'en circuit fermé et que l'expérience des iles SAMOA
concerne une population beaucoup plus restreinte.

135
La renLrée scolaire 72 - 73 va être mal~uée par un beSOIn de
profonds boulever~ements de tout l~ syst~me s~olaire en vigueur à.l'époque.
Le chef de l'Etat lui-même,
ayant remarqué l'inadaptation de
l'enseignement ivoirien aux réalités du pays, remit en question
le système et c'est sous sa propre impulsion que s'était ouverte le
29 Août 1972, la Commission de la Réfor~e de l'Enseignement.
Il est à noter que les finalités propres 3 l'Ensei-
gnement primaire ivoirien,
ont été définies dès 1964
à' l'occasion
de la refonte des horaires et des programmes. A cette occasion le
Ministre de l'Education Nationale de l'époque s'exprimait alors
ai ns i.
"Nous devons former les citoyens d'une nation libre
et démocratique,
d'abord pour eux-mêmes, pour en faire des hommes
accomplis, ensuite pour la société ivoirienne et universelle
qu'ils doivent servir et aimer passionnement. .. "
Depuis 1970, l'enseignement primaire a ouvert des
classes télévisuelles. Ces classes entrent en 1979 dans leur
neuvième année. Cet
enseignement télévisuel touche toutes les
classes de l'enseignement public. Il a reçu pour mission d'assurer:
à l'ensemble du pays une présence éducative et de promouvoir, de
1
l'école primaire à l'âge adulte, une politique culturelle permettan~
à l'aliénation culturelle de trouver un terrain propice.
Il s'est dès lors agi de concevoir et de mettre
en place des structures permettant d'atteindre toutes les régions
à partir du centre géographiqu~ du pays (éouaké) et de favoriser
.
-
de l'intérieur l'acculturatiori de l'écolier ivoirien.
Avant de proceder ~ une analyse critique de cet
enseignement nous allons d'abord dire pourquoi la télévision dans
l'enseignement primaire en Côte d'Ivoire?

133
_Les raisons d'un choix
2
Le choix de la télévision scolaire avait pour but de:
- Améliorer la rentabilité du système d'enseignement
primaire en luttant contre la déperdition scolaire.
Rapprocher l'enseignement de la vie et ouvrir
l'école sur le milieu afin qu'elle cesse d'être une enclave
urbaine.
Lutter contre l'exode rural et promouvolr le
développement des villages à travers une action d'éducation
extra-scolaire.
Dans l'application de ces objectifs, il apparaît
clairement que l'enseignement primaire télévisuel remplit dès le
début jusqu'~ maintenant sa fonction de socialisation massive
(entendons par là acculturation) qui tend au maintien et à la
perpétuation de l'ordr~ social et cUlturel existant en France.
Les autorités des politiques scolaires occidentales
( canadienne et françaises)
qui détiennent le pouvoir financier
(Le Canada et la France sont les principaux pays qui financent
ce nouvel enseignement) élaborent les politiques scolaires dans
ce sens, au mépris de l'ordre social et culturel africains.
La fonction d'occidentalisation ou d'acculturation
de l'enseignement primaire télévisuel consiste à diffuser chez
tous les enfants vivant sur tout le territoire, le même cours
au même instant.
Essayons d'analyser les différents objectifs de cet
enseignement télévisuel, pour nous permettre de cerner
la nouvelle
stratégie
d'acculturation.

137
133 21 - L'amélioration de la rentabilité du système
d'enseignement primaire va corriger les erreurs du passé en
matière d'acculturation.
Les études statistiques des années 72
; 73 sur
l'ensemble de la scolarité en Côte d'Ivoire ont montré que la
déperdition scolair~ était très lourde,
tant dans l'enseignement
primaire que dans l'enseignement secondaire. Il a été noté que
pour chaque cours du primaire, les redoublements étaient'
inquiétants, parce que un grand nombre d'élèves était candidat au
redoublement ou à l'abandon. Ce qui témoignait d'une certaine
résistance de la part des écoliers à intérioriser la' culture qui
leur était imposée. Voici à titre indicatif les poucentages de
promotions, redoublements et abandons. pour chaque classe,
en 1970.
(1)
Promotions (Passage
CP1
CP2
CE1
CE2
CIvIl
CM2
en classe supérieure)
62,3 00
7 1 , 8 ~0
67,8 % 72,8 00
65, 2 % 25,3%
Redoublements
28,8 ~0
26,5 ~0
26,3 ~0
23,9 % 31 ,5 ~0 51 , 1%
Abandons
8,9 ~0
1 , 7 ~0
5,9 00
3,3 00
3,3 ~0 23,6%
Les redoublements très nombreux surtout au niveau
du CM1 et CM2 freinaient l'occidentalisation de tous les enfants
au moment où ils sont les plus malléables. Non seulement les élèves
qui redoublent ,prennent la place d'enfants qui pourraient être
scolarisés donc occidentalisés eux aussi, mais encore ils bloquent
en partie le système scolaire.
"C'est pour lutter contre ces redoublements et les
supprimer totalement que le Gouvernement a mis en place l'enseigne-
ment télévisuel" (2). Ceci permettra de toucher tous les enfants
du pays au même instant afin de diffuser chez eux la même idéologie.
(1)
Statistiques du Ministère de l'Education Nationale 1971.
(2)
Interview accordée à Fraternité Matin par le Secrétaire
d'Etat Chargé de l'Enseignement Primaire le 20/09/72.

138
Le Plan Quinquennal de développement de la Côte d'Ivoire pour
1970-75 s'orientait dans le même sens. Il stipulait que la télévision
scolaire devait "améliorer le rendement pédagogique et par là diminuer
le ~oGt de l'enseignement, de telle sorte que le plus grand nombre d'élè-
ves, admis au cours préparatoire première année,
ternline le cycle dans
un délai normal,
en ayant acquis les connaissances fondamentales jugées
indispensables à
la promotion sociale et humaine de tout citoyen".
S'~git-il de transmettre des connaissances neutres? Nous ne le pensons
pas,
car les connaissances,
dans
la plupart des disciplines, ne sont pas
neutres.
Comme le dit M.
Lê Thanh Khoi (1978), "l'interprétation d'un fait
n'est pas indépendante de l'idéologie dominante,
elle est toujours adaptée
aux intérêts des gouvernants" (1).
La télévision scolaire offre de nombreuses occasions d'accultura~
tion.
Sous le couvert de l'unification de 1 'enseignement) le même cours
est diffuaé surtout le territoire au même instant. Pour mettre au point
ce cours,
on a recours à des enseignants spécialisés qui représentent les
intérêts des gouvernants.
Il en résulte que le cours conçu par le représen-
tant de l'idéologie dominante n'est plus enseigné à un petit nombre, -mais
à tous
les enfants du pays.
C'est un des éléments les plus importants pour
une meilleure acculturation planifiée du système scolaire ivoirien.
Qui du maître et de la télévision doit diffuser l'idéologie
dominante? La télévision scolaire la diffuse et le maître invite les
élèves à l'intérioriser puisque son rôle consiste à animer la
classe, à
faire participer les élèves à partir de l'émission qu'ils viennent de rece-
voir.
Il suscite chez l'enfant l'envie de parler, d'inventer, de jouer,
de s'exprimer,
en un mot d'être plus apte à re~evoir les modèles imposés.
C'est en ce sens que la télévision est bien un instrument d'acculturation
car elle change la ,manière
de concevoir,
de faire,
d'agir des jeunes
ivoiriens.
(1) Lê Thanh Khoi, jeunesse exploitée, jeunesse perdue? PUF 1978
, .. / ...

139
Pour aider la télévision dans cette mission on a pensé à l'amé-
lioration de la qualification des maîtres.
Auparavant,
le maître recevait
des connaissances purement p~dagogiques. Avec le nouveau système pédago-
gique,
il doit ajouter à sa formation pédagogique des connaissances tant
sur le contenu de l'ens~ignement que sur l'enfant lui-même~ sa psychologie,
son caractère,
sa vie en groupe ...
en plus,
il doit @tre instruit de l'idéo-
logie dominante des gouvernants.
c'est dans ce sens qu'avait été entrepris un vaste programme de
recyclage dès les premières années de l'introduction de la télévision
dans l'enseignement primaire pour familiariser
les maîtres avec le nouvel
outil et infléchir leura comport~ents dans le sens du nouveau système
d'acculturation.
L'aspiration~ modernisme ne doit pas "tuer ennous le sens de
l'humain".
Car la Côte d'Ivoire est "une contrée essentiellement paysanne,
il est donc bon qu'une culture de masse réponde à notre désir de person-
nalisation qui ne peut se concevoir sans un réel enracinement dans le
terroir" . . .
"N'est-il pas s en effet, plus naturel de s'achtrner à rester
soi-même tout en s'ouvrant aux autres par l'intermédiaire de cet outil
essentiel qu'est la science ?"
(1).
La télévision scolaire va donc permet-
tre d'ouvrir l'école sur le milieu selon l'espoir des autorités ivoiriennes.
Qu'en est-il réellement?
Ouverture de l'école sur le milieu
Le rapprochement de l'enseignement de la vie et l'ouverture de
l'école sur la vie vont se traduire par la manipulation,
le toucher,
le
démontage par l'enfant des objets qui se trouvent dans son environnement.
La télévision va permettre d'actualiser d'une manière permanente le
contenu de l'enseignement et de concrétiser en quelque sorte cet ensei-
gnement : on ne parle plus seule~la télévision, des images prése,n- .
tant des obj ets concrets.
.~.:~~) ""'~
-0..
.,..,..... .Q.v.;,. rJ-~} ~ ~I';""'~~~~
(1) Allocution de monsieur le Ministre de l'Education Nationale à
l'occasion de la rentrée scolaire 1973.
. .. / ...

. 140
La présentation des objets familiers
(qui peuvent être des objets
importés ou des objets
loca~x) permet de capter l'attention de l'enfant
et l'amène progressivement à faire de nouvelles découvertes.
L'équipe du complexe télévisuel de Bouaké qui conçoit les émissions
s'efforce d'ajuster timidement l'enseignement donné aux enfants aux réalités
ivoiriennes (1), alors qu'en réalité,
cet enseignement est comme auparavant
un enseignement "importé" (2).
L'aspiration au modernisme permet à
l'enfant de faire de nouvelles
découvertes par le truchement de la télévision.
Car celle-ci lui offre
des occasions
(documents de toutes espèces) qui lui permettent de s'ouvrir
sur la réalité d'un monde qu'il ne connaît pas encore.
Les instructions de 1964 précisaient:
"Réformer l'enseignement, c'est
orienter l'enseignement en partant de données universelles vers des métho-
des particulièrement favorables à un milieu déterminé.
C'est éduquer en
pensant que l'enseignement ne doit pas couper l'enfant et l'homme qu'il
sera, du milieu dans
lequel il est né et où i l vivra et mourra.
L'enfant
a des particularités phy~iol.oi;iques, morales, spirituelles, familiales,
religieuses qui lui vienneat du milieu où i l baigne ;
i l serait vain et
dangereux de ·le "déraciner".
Nous avons déjà dit que le rôle du maître ne consiste plus à
enseigner mais à faire participer l'élève ou à continuer l'ouverture au
monde proposée par la télévision et ~. prendre "conscience des réalités
du Milieu dans lequel vit l'école
du village,
en apprenanc à ses élèves
à savoir regarder et analyser le monde qui les entoure".
C'est par cette méthode que l'enseignement devraiL se rapprocher
de la vie et que l'école devrait s'ouvrir sur le milieu pour ne pas être
une "enclave urbaine" dans le village. Mais cela ne se passe pas ainsi dans
la réaiité pour plusieurs raisons
:
(1) I l s'agit des danses et chants traditionnels,des contes,
la présentation
de certains objets du milieu que l'enfant regarde comme des objets
exotiques ou folkloriques et qui n' ont aucun impact sur·
. ~ •
(2) La présence des jeun~Français dans les écoles ivoiriennes fait que le
contenu de l'enseignement n'est pas différent de crlui des écoles
françaises.
. .. / ...

141
~'enseignement n'inculque pas aux élèves la connaissance des
valeurs fondamentales du pays; ne développe pas la personnalité de l'in-
dividu selon la conception af~icaine ; c'est un enseignement qui provoque
la n1pture avec le milieu familial puisqu'il n'y a pas cohérence entre
ce qui est appris à l'écple et ce qui ~e
fait dans la famille;
il ne permet
pas à l'individu de disposer d'une base suffisante pour son ~a~~~i~~ement
sa promotion individuelle et sa participation au progrès collectif.
Au contraire, la nouvelle école ivoirienne déracine les jeunes de la
culture ~~aJitionnelle et les contraint à imiter la culture occidentale.
Ainsi, beaucoup de jeunes quittent les villages pour la ville.
Tout le monde s'accorde à dire que le système éducatif hérité de
l'ère coloniale est tout à fait insuffisant et n'est plus adapté compte
tenu de l'accroissement des effectifs scolaires. Cet enseignement a souffert
de l'inadaptation générale des systèmes d'enseignement aux réalités afri-
caines.
La Côte d'Ivoire étant essentiellement rurale, cet~e adaptatio~ doit large-
ment s'étendre par rapport à un milieu rural.
L'ext"ension par rapport à un milieu rural suppose dans l'esprit
des autorités scolaires la ruralisation de l'enseignement primaire. Cette
notion se prgte facilement à une équivoque : certains voient souvent un
enseignement qui, moins coûteux que l'enseignement du type traditionnel
(colonial), permet une scolarisation massive; d'autres pensent à un ensei-
gnement mieux adapté, dégagé
·Je tout soupçon idéologique, qui va préparer
le jeune aux t~ches agricoles et visera à lui donner un certain attachement
à la terre, c!est à dire llenraciner dans son milieu socio-culturel.
Pour donner le goût et le respect du milieu d'origine,
l'école
primaire ivoirienne proposait que le programme du cours élémentaire soit
une transition entre une @due.tllt:;;_üJ'l de base pour laquelle le milieu cons-
Litue une référence et une phrase éducative dont les motivations,
les
moyens et les fins,
sont la découverte et l'étude du milieu .
. . . / ...

t42
Les instructions de 1964 visaient la "transformation interne" de
l'homme
"le certificat d'Etudes Primaires,
couronnement normal d'études
\\.
prima~res ne doit pas être systèmatiquement recherché pour les débouchés
qu'il offre dans telle ou telle administration, mais doit permettre à la
"grande majorité de ces nouvelles générations scolarisées de rester au
village pour y former une élite civique sociale".
Une analyse plus serrée de ce passage doit nous mettre en garde
d'un certain nombre d'illusions.
Tout d'abord,
ce n'est pas l'expansion
de la scolarisation qui entraîne la désaffection à
l'égard du milieu
africain ou à
l'égard des valeurs culturelles africaines, mais
l'état
d'esprit qui prévaut(ou l'idéologie dominante~à la conception du système
éduca tif.
C'est cet état .d'esprit qui fait que le scolarisé trouve indigne de rester
à
la campagne pour y vivre les valeurs tradi.t:ionneIles,
indigne de s' ex-
primer dans une langue autre que le français,
langue étra~gère.
Aucune réforme,
à notre avis, de l'enseignement primaire ne peut
arrêter à elle seule la désaffection des valeurs africaines ou l'accultu-
ration des jeunes écoliers:
une revalorisation du patrimoine culturel,
l'association des détenteurs des valeurs
traditionnelles à la conception
du système éducatif sont au moins aussi indispensables.
Un enseignement
.
primaire, bien pensé peut être au service de la libération des hommes et
les préparer à la vie de leur milieu.
Il convient de dissiper une certaine confusion qui règne dans
la politique scolaire ivoirienne.
Si l'enseignement primaire iv~irien doit emprunter ses références
au milieu rural ou au milieu africain afin de donner à l'enfant le gont
et le respect des valeurs socio-culturelles africaines ou de l'y initier,
cet enseignement ne doit pas être fondamentalement différent par son
contenu et sa finalité de l'enseignement urbain,
car on risque de courir
... / ...

143
un grave danger à savoir couper le pays en deux par l'élaboration de
deux systèmes d'enseignement rural et urbain (1).
Ce genee de politique
'1.
scolaire restreint aux villes
le recrutement d'une élite africaine occiden-
talisée par laquelle l'occident perpétue sa présence et en provoquant
la disparit~on des valeurs africaines.
Cette manière de faire est contraire
à
l'esprit democratique de l'école et peut avoir des dangers politiques,
sociaux et
culturels.
"Ceci,
comme dit R. Hélet, mène à
la notion d'un eBseignement pri-
maire qui,
sans être fondamentalement différent de l'eBseignement urbain,
serait
:
- adapté au milieu:
et par adapté,
i l faut entEBdre une adaptation
dynamique,
destinée à faire évoluer ce milieu,
et non statique
et conservatrice:
l'ehseignement en Afrique aura une fonctmon de transfor-
mation autant que de transmission des valeurs traditionnelles ;
- Orienté vers
la création d'attitude favorable au développement
plut~t que confiné à des changements supperficiels au niveau du vocabulaire
et des exemples ";(2)
A ce titre l'école ivoirienne,
dès le cours Préparatoire, doit
former des élèves capables d'élucider et de transformer leur milieu de vie.
Les directives du Plan signalent que l'effort scolaire doit être
l i é " aux projets de développement,
de telle sorte que les jeunes sortant
de l'école primaire puiss~t s'intégrer à un milieu dynamique au lieu de
partir à la ville.
L'école rénovée doit pouvoir pemettre à l'enfant, en
fin de cycle d'enseignement fondamental,
de rester fortement
lié à son mi-
lieu socio-économique" et à sa culture d'origine.
(1) Il existe à l'heure actuelle en C~te d'Ivoire d~ux systèmes d'enseigne-
ment:
l'un télévisuel,
tourné timidement vers
l'initiation aux valeurs
africaines et l'autre du type européent:
Nous en reparlerons plus loin.
(2) R. Mélet ouvrage déjà cité .

144
Le choix ivoirien d'un enseignement télévisuel doit permettre
justement de donner des connaissances sur le milieu à des enfants dont
le goût,
la motivation pour~ les valeurs occidentales deviennent de plus
en plus i~quietanLs.
Les connaissances que la télévision scolaire va transmettre vont
aider l'enfant à se réinsérer dans son Inilieu d'une manière dynamique.
Après bientôt hl\\it à neuf ans
d'enseignement télévisuel,
la
lueur d'espoir nouveau qu'attendait tout le monde n'a été qu'un leurre.
L'enseignement primaire télévisuel, par ses méthodes d'action, par ses
structures, par s~n origine est resté et restera des plus acculturants
dans l'ensemble malgré les multiples essais d'adaptation de son contenu
ou de rénovation, c'est à dire qu'il est demeuré,
il convient de l'avouer,
coûteux,
lourd, acculturant et tr~s peu rentable.
Pour remédier à cela, une nouvelle réforme de l'école ivuirienne
a été élaborée, soumise à l'Assemblée Nationale e[ adoptée par elle.
La nouvelle réforme et son impact social
A la rentrée scolaire 1967-1968,
le Ministre de l'Education recon-
naissant la faiblesse du système éducatif ivoirien déclarait : "l'in~dap­
tation de l'enseignement est devenu, hélas, un moyen d'évasion et de
rupture avec le milieu original". L'effet qu'a produit cet enseignement
est qu'il y a eu "un manque d'insertion de nos jeunes dans la réalité écono-
mique, sociale et culturelle du pays".
La volonté d'adapter l'école au milieu a conduit les responsables
de l'Education à tracer les perspectives d'une école nationale ivoirienne.
Tout a commençé avec l'enseignemènt télévisuel.
Cet enseignement a pOûr
fonction de transmettre les valeurs traditionnelles, en un mot d'encultu-
rer l'enfant.
... / ...

145
A l'heure actuelle, tous les témoignages concordent pour dire qu'il y a
eu échec (1). Cet écl1ec provient, d'après nous, de la plupart des ouvrages
qui reflètent l'esprit des programmes et institutions officielles comDosés
à l'intention des écoles publiques Françaises; de l'équipe de production
du complexe d'éducation télévisuelle de Bouaké, qui comprend outre une
petite poigllée de figurants Ivoiriens, des experts Français et Canadiens qui
on tendance à projeter dans leur conception de l'enseignement en Côte d'Ivoire
les modèles qu'ils ont reçus au cours de leurs cursus académiques ~ m~is
pouvait-on honnêtement leur demander davantage, surtout quand pour la plupart,
ce sont des jeunes frais fmoulus des universités de leurs pays d'origine,
surtout, enfin sous des latitudes o~ la littérature écrite en est encore à
se chercher.
Ces considérations font qu'il n'y a pas eu coh~rence entre les
besoins sociaux et cultUY'els de la population et le système scolaire actuel.
Pour pallier à cela, une nouvelle réforme de l'enseignement en Côte d'Ivoire
vient d'être adoptée en 1977 par l'Asemblée Nationale. Cette réforme vise
la refonte du système scolaire tant dans sa structure que dans son contenu afin
de l'adapter aux exigences des réalités nationales.
!3351
Sur l'initiative du Président de la République, le Bureau Politique
et les enseignants se sont réullis dans le courant des mois de Mai/AoOt 1971 pour
faiY'e le point de la situation scolaire en Côte d'Ivoire
- désignel' les grandes lignes de l'orientation à donner à
l'enseignement,
Après avoir constaté que le système scolaire était inadapté aux
exigences nationales, une commission nationale a été chargée, e~ AoOt 1972,
d'élaborer une Réforme de l'enseignement.
(1) cf. le loè congrès du syndicat des enseignants du 2è degré du
28 au 31jG7/8CJ?' Abicjjan : ce congrès a denoncé " la carence
attest~e du système d'enseignement télévisuel " et a demand~
"sa SUPPloEssion pure et ~ümple avant que plusieurs générations
~.
d'Ivoiriens n~ soient intellectuellement et culturellement sacrifiés .
. .. /' ..

146
La commission nationale de concertation présidée par le Ministre
des Affaires Etrangères d'alors, devait reviser de façon profonde et rapide
les "orientations oui avaient jusqu{alors présidé aux objectifs" (l)
du système éducatif Ivoirien. Celui-ci fut critiqué avant de Droposer un
projet de Loi portant réforme de l'enseignement et votée le 15 Août 1977,
par l'assemblée Nationale en session extraordinaire.
Contenu de cette Réforme
:2)
Dans son titre1, il est dit eXDressément que les institutions (3)
qui s'occupent d'éduquer l'enfant "ont pour mission de développer son esprit
d'initiative et le goût de liaction, d'assurer une éducation, un enseigne~ent
cil
et une formation fondés sur les objectifs nationauxvdéveloppe~entet de
réaliser l'intégracion sociale et culturelle des citoyens tant dans la
. communauté nationale que dans les grands courants de la civilisation
universelle" (article 2); "d'offrir aux enfants les mêmes cna,\\ces de
promotion ( ... ) en leur permettant de découvrir leurs vocations et leurs
aptitudes ,et d'accéder à la culture" (article 3); de "contribuer 31a
formation de la Nation par l'affirmation de la personnalité I,'oirienne,
l'Ivoirisation et l'Afl"icanisation des programmes" (article 4).
Peut-on dire que les bonnes intentions de cette réforme ont
correspondu ou correspondent aux actions qui sont ménées actuellement ?
Nous ne le penson8 pas ; car cette réforme qui a vu le jour en 1977 est
toujours au stade de projet deux ans après.
La ralson eST que cette réforme se présente comme une véritable
mutation de l'enseignement primaire tant dans ses contenus que dans sa
démarche méthodologique, avec une option idéologique bien marquée. Son
application suscite dans certains milieux européens(Français ~ans sa presque
totalité-) et Africains occidentalisés quelques réactions épi~ermiques.
~e devra être le contenu idéologique de l'enseignement suivi par leurs enfants~
(1) Programme de l'éducation télévisuelle "Ministère de l'Enseignment
~.
Primaire et de la Télévision Educative(Avril 1978)
(2) J.O. nO 5 du 21/11/7 7 numéro spécial (Cate d'Ivoire)
(3) Il s'agit des Ministères de l'Education Nationale; de l'enseignement
Technique et de la Formation Professionnelle: de la Culture:
de l'Enseignement Primaire de la Republique de Cate d'Ivoire.

147
Même parmi les partisans (1) du changement, beaucoup s'inquiètent
d'une mutation aussi radicale et, surtout qui leur est ainsi imposée
d'''en haut", sans que la base ait le moin.:: du monde été consultée. La
preuve est que leurs enfants suivent l'enseignement dont les programmes
correspondent à ceux de la France.
Comment dans ce cas,
l'enfant prendra-t-il conscience de son patrimoine
culturel?
SUI' k?d
L'article 15, titre I I I de la réfonle insiste que "l'enseignement
v
de base est ouvert aux réalités sociales et culturelles de la Nation".
Il insiste pa~ticulièrement sur
- "l'apprentissage des langues ivoiriennes;
- la relation avec le patrimoine culturel;
-
l'ouverture sur l'environnement,
le monde rural" et dans celui
que l'enfant est appelé à vivre.
Ce projet généreux et ambitieux n'a pas suscité de l'anthousiasme
de la part de la population puisqu'elle n'a pas été portée à sa connais-
sance.
Il semble que si jusqu'ici la population se désintéresse du.
contenu de cette réforme, cela est dû au fait qu'elle ait été mise à
l'écart de l'information. Et pourtant, certains points de la réforme cor-
respondent à certains désirs de la population à savoir : "la mise en
valeur
des langues et des cultures
.
. .
"
lVOlrlennes .
Sl
l'information du public sur la réforme est encore restée
secrète, n'est-ce pas parce qu'elle pose de sérieux problèmes? Voilà
encore une occasion pour perpétuer la présence des rnndèles occidentaux.
Q~~~!~~!~~§_~~_!~~EE!~~9~~Q~_~~_!~_~~~QE~~_~_!~§_~E~!~§
EQ!~~~g~~§
La volonté des autorités de lancer et de soutenir la Réforme a
(1) Il s'agit ici des autorités politiques, administratives de la Côte
d'Ivoire qui ont admis la réforme et qui ont vanté le bien-fondé du
choix ivoir ien.
. .. / ...

148
permis de venir à bout assez rapidement des problèmes proprement matériels
comme la production et l'impression des ouvrages nécessaires. Mais il n'en a
Das été de même des problèmes idéologiques, pédagogiques, VOIre méhtodologiques.
De nombreuses critioues se sont élevées ~ontrè cette réforme, dès l'ori-
gine, et une bataille s'est eIlgag~e, lente souvent confuse, mais toujours
acharnée. Il s'agit par exe~ple :
- des intérêts contradictoires de la classe dirigean~e et leurs
maîtres les occidentaux d'une part-et d'autre Dart des
populations
T
. .
~VOlrlennes;
- de la lutte ct' influence linguistique : quelle liJ.ngue Ivoi~"ienne
adoptée ; de toutes ces consid6rations, iJ y a comme toile de
fonds les freins politi~o\\ -économiques.
Par exemple, à l'article 67 de la Réforme, il est stipulé qu'il
faut introduire les langues nationales dans les programmes d,e~seigncment
afin d'aider à la "conception de ] 'unité nationale" et ,~ la "révë:llorisa-cion
du Datrimoine culturel". A l'article 68, il est dit Qu'il a &té confié à
l'institut de linguistique Appliqué (ILA) cl'-étudier les langues nationales,
de les décrire, de les codifier, de les transcrire et de consigner leurs
grammaires et
lexiques ; ensuite, dtélaborer des manuels scolaires et de
développer les productions littéraires garantissant leur caractère culturel.
La réforme adopt~e par l'Assemb16e Nationale, voit son application
se heurter à plusieurs problèmes. Le plus important est celui oui concerne
l'introduction d'une ou des langues nationales'. On se pose la question de
savoir laquelle des soixante langues choisir ? Comment sera-t-elle ou seront
elles enseignées et par qui et ~ qui? Autant de questions, autant de probl~mes
et autant de difficultés pour les résoudre. La réussite de cette réforme est
encore incertaine, car l'on ne semble pas pOUVOlr résoudre le Drobl~me du
d~\\.a.
choix langue ou des langues.
"
... /' ..

·149
I l Y a eu pour cela une lutte d'influence au sein des memeres de la
commission. Il semble que au cours des débats, chacun des participants
,-
voulait voir sa langue érigee en langue nationale. Devant ce tribalisme
linguistique, le français a été maintenu comme seule langue avec tout ce
que cela comporte comme coloration idéologique. Dans ce cas, une question
se pose : comment Deut-on affirmer son identité culturelle ou nationale
dans une
langue étraugère ?
L'article 4 de cette réforme insiste beaucoup sur l'affirmation de la
personnalité Ivoirienne, c'est-à-dire qu'il faudrait désormais "replacer
l'homme de ce pays dans le cadre biologique, psychologique et sociologique
de son évolution" (1) afin de le relier avec s.'n patrimoine culturel
(article 15 alinéa 10).
Un linguiste français écrit: "app::'endre une autre langue, ce n'est
pas mett::'e de nouvelles étiquettes sur les objets connus, mais s'habituer
à analyser autrement ce oui rait l'objet de communications linguistiques"(2).
Analyser autrement veut dire apprendre un nouveau raisonnement.
Comment Deut-on V1vre dans une certaine ambiance culturelle et raisonner avec
des normes d'un autre environnement culturel sans se ren1er ? Il Y ~ là une
conséouence logique de J.o va1.orisation de la culture occidentale.
Tout se passe comme Sl on ne savait pas que l'éducation est un
processus de socialisation qu'elle doit s'adaDter à l'enfant, à son en
vironnement et que toute éducation reflète le système de valeu::,s de la
société qu'elle tend à inculquer à l'individu. Les freins politiques au sein
du système édllcatif Ivoirien font oue la réalité du pays n'apparaît
pas dans son enseignement.
Une enquête me~ée par un groupe d'étudiants de la Faculté de
Lettre et Sciences Humaines d'Abidjan, a montré qu'il y a adéouation entre
.;~/ -c
/~
les souhaits, les désirs des populations et le projet de SOC1eLe ~ormule le
Gouvernement Ivoirien. Par exemple, les populations réclament
"
l'enseignement
des langues locales: l'enseignement en langues locales; la révalorisation
du patrimoine culturel: la suppression progressive des phénomsnes
d'acculturation
la d~mocratisation de l'enseignement etc ...
(1) R. Mêlet, ouvrage déjà citÉ
(2) André MARTINET, élément de linguistique générale
Colin, coll-U2 - 1960
... / ...

150
La réforme quant à elle, reprend point par point tout ce que
réclament les populations, mais dans la réalité son application n'aborde
aucun de ces souhaits. Est-ce Gne simple ommission ou une ommission déli-
bérément voulue?
Une autre remarque:
il se pose un sérieux problème et les étudiants l'ont
bien perçu.
"Corrunent peut-on espérer un enracinement, une enculturaJ:ion,
une désacculturation de -l'écolier ivoirien d'ici quelques années, si l'Etat
"c..>'l
n'assure à 100 % l'enseignement de la langue et de la culture dans les
y
écoles ivoiriennes ?"
En effet,
la désaliénation implique que l'Etat mette à la disposition de
la population,
tous les moyens destinés à promouvoir la personnalité
ivoirienne. Ceci suppose un
dépassement des contraintes politiques et éco-
nomiques que l'occident impose à l'Etat ivoirien. Ceci suppose aussi que
la réforme doit être intégrée dans
une politique globale de développement,
c'est à dire qu'èlle doit tenir compte des problèmes de l'Afrique en
général et de la Côte d'Ivoire en particulier, "de sa personnalité, des
exigences de son développement économique, social et culturel dans ce
second XXe siècle" (Lê Thanh Khoi 1978). L'apprentissage des valeurs cul-
turelles traditionnelles à l'école ne portera aucun fruit tant que ces
valeurs ne feront pas partie du vécu culturel quotidien. Ceci est valable
pour les dan~es, les chants, les langues etc ... etc ... qui sont à l'heure
actuelle "folklorisés". Ne faut-il donc pas remettre fondamentalemen't en
cause des valeurs et un mode de vie héritées du système éducatif colonial,
entretenus par le souci de "modernisme ou de modernisation" ?
"En mettant
en œuvre
une innovation, écrit HUNHEL, il faut être conscient qu'elle ne
pourra jamais rester une action isolée (1).
En considération de ces données,
il apparaît que l'école est loin
d'être démocratique dans la mesure où la scolarisation des enfants est
freinée par le manque de structures d'accueil,
le coût élévé des études,
par les conditions sociales et économiques des parents et par une forte
sélection.
0) HUMMEL (ch) "L'éducation d'aujourd'hui face au monde de demain
UNESCO, PUF, PARIS 1977, 208 pages.
. .. / ...

151
Sur le plan strictement culturel, i l ressort que l'école ne peut
promouvoir efficacement des valeurs culturelles authentiques, si elle n'a pas
pu supprimer l'acculturation héritée de la colonisation.
Il aurait fallu des changements plus profonds dans le contenu
des programmes, et i l aurait été indispensable de promouvoir l'enseignement
d'une langue nationale ~ l'école. En outre. l'école ne constitue pas un
creuset assez efficace et suffisant, capable de supprimer totalement les
querelles ethniques qui freinent les réalisations nationales.
Nous venons
de voir la mani~re -dont le nouveau syst~me perp~tue l'idêologie scolaire
occidentale. Nous avons vu la mani~re dont cette idéologie est entretenue
par l'assistance technique, par certains des nationaux qui tiennent leur
ùromotion sociale de ceTte idéologie. Ensuite,
nous nous sommes rendu compte
oue c'est grâce ~ ces éléments que persistent en se développant les mod~les
culturels étrang~rs. Il est aussi une'autre forme d'acculturation planifiée Gui
consiste à v0 1Jloir aider les pays en "développement". Cette aiue consiste
non seulement à l'envoi de l'assistance technique, mais aussi ~ la partici-
pation du financement du syst~me. Or cette participation n'est pas gratuite.
Elle est aliénante parce qu'elle oblige l'Etat qui reçoit de se conformer aux
directives de l'Etat qui donne.
C'est ~an~ cette perspective que nous disons
que cette aide n'est pas une aide; c'est ~ne dépendance, un conditionnement,
une soumlSSlon en un mot une aliénation.
Meme la participation de l'extérieur
J
(1
..
J
\\..
..
au financement de l'enseignement est une autre ferme
d' c(,..t \\ Q. 1'\\..0\\./\\.-\\ GYL· ..
r~~.
Analyse des sources de financement
(1) et acculturation
Comment les sources de financement de l'enseignement en C6te d'Ivoire
peuvent-elles être un facteur d'acculturation?
N'est-ce pas là qu'apparaît ce que Roger BASTIDE appelle l'acculturation pJanifi&e ?
Quel est le fond du Droblème ? Le fonddu problème est en effet Ge savoir qui
finance la politique ~ducative de la C6te d'Ivoire.
L'enseignement en C6te d'Ivoire est financ& sur les ressol~ces
nationales (cr&dits publics et privés) et sur les ressources extérieures (2)
(aide française essentiellement.)
(1) Analyse tirée des &tudes de R.
POIGNADT, Paris UNESCO,
IIPE.
1966.
(2) Nous ~llons nous int&resser au financement ext&rieur .
. .. /' ..

N
L!'
~
==================~======~===============================================================~==================
=================
(
:
ENSEIGNEMENT
PUBLIC
:
ENSEIGNEMENT
PRIVE
)
(
SOURCE
:-----------------------------------------------:----------------------------------------------)
(
:
1960
:
%
:
1964
:
/0
:
1960
:
/~
:
1964
:
%
)
(----------------------------:--------------:--------~ --------------:--------:--------------:--------:--------------:-------)
(
:
:
:
:
:
:
:
:
)
(
COLLECTIVITES PUBLIQUES
:
: :
; :
: :
: )
(
(TOTAL)
:
4 258 163
:
81,5
:
: :
386 200
:
85
:
: )
(
:
(1)
: :
: :
: :
: )
(
ETAT, BUDGET ( T O T A L ) :
: :
6 187 208
:
69
:
: :
688 321
: 82,8
)
(
:
:
:
:
:
:
:
:
)
(
AUTRES SOURCES NATIONALES
:
: :
: ;
: :
: )
(
(TOTAL)
:
2 250
:
:
6 700
:
0,7:
67 867
:
1 5 :
112 832
: 13,6
)
(
:
:
.
:
:
:
:
:
:
)
(
AIDE EXTERIEURE (TOTAL)
:
964 880
:
18,5
:
2 721 618
:
30,3:
: :
30 000
:
3,6
)
(
:
:
:
:
:
:
:
:
)
(
:
:
:
;
:
:
:
)
(
:
:
:
:
:
:
;
:
)
(
TOTAL
GENERAL
;
5 225 2 9 3 ;
:
8 915 5 2 6 :
:
454 0 6 7 :
:
831 143:
)
(
:
:
:
:
:
:
:
:
)
(
:
:
:
:
:
:
:
:
)
~============================~==============~========~==============~========~==============~========~==============~=======~
(1) Ces chiffres doivent être traduits en milliers de F CFA.

153
Tableau 1
Enseignement public et privé.
Origine du financement des
dépenses
Pour fixer les ordres de grandeurs, on précisera
ici que, en 1964 70,6 % des dépenses totales étaient financées sur crédits
publics,
1,2 % étaient d'~rigine privée et 28,3 % représentaient la con-
tribution extérieure.
Tableau 2
Répartition de l'aide extérieure par origine en 1960 et en 1964
c='============================================================================)
(NOMENCLATURE
DEPENSES COURANTES
DEPENSES EN CAPITAL)
(
1960
1 9 6 4 ' ·
1960
1 9 6 4 )
(-----------------------------:-----------:------------:----------:-----------)
(
)
(
AIDE MULTILATARALE
}
( Unesco (fonds spécia 1 de
62 720( l}.
7 227
)
( 1'0 N U)
)
(
)
( Cowmunauté Economique
40
)
000
120 000
( Européenne (FED)
)
( Unicef
'7.6 750
)
(
)
( Programme élargi des Nations:
)
( Unies etc...
18 981
)
(
)
(
)
( TOT A L
148 451
127 227
)
(
)
(
)
(
)
( AIDE BILATERALE
)
(
)
( Isra"ë1
37 500
)
(
)
( France
033380
1703 155
31500
460 000
)
(
)
( Etats Unis cl 1 Amérique (AID)
132 300
77 985
}
(
)
( Autres sources
65 000
)
(
)
( TOT A L
933 380
1 937 955
31 500
665 212
)
(
)
(
)
( TOT A L
G E N E R A L
933 380
2 086 406
31 500
665 212
)
======~===================
(
)
(
:
:
:
:
)
====================~======~=======================================~===========
(1) Chiffres traduits en milliers de F CFA.
. .. / ...

154
Tableau 3
Répartition de l'aide extérieure par niveau d'enseignement
==~=======~==================~==================~==================~==========
(
DEPENSES COURANTES
DEPENSES EN CAPITAL )
( NATURE DE L'ENSEIGNEMENT
:------------------------:----------------------)
(
.
1960
1964
1960
1 9 6 4 )
(----------------------------;-----------:------------
:-------~--:-----------)
(
)
( Administration générale et
)
( services communs
55 697
64 686
)
(
( 1)
)
( Enseignement élémentaire
41 160
80 605
120 000 )
(
)
( Enseignement du 2e degré
)
( général
543 900
874 505
108 085 )
{
)
(
Technique et prof es-
)
( s i o n n e 1
143 293
253 820
25 000 )
(
)
(
~~~1~~_~~~~~1~~
)
(9~!~~~~~~~~~Eê
33 810
49 980
)
(
)
( Enseignement Supérieur
)
(
)
( U n i v e r s i t é s
54 387
291 450
390 000
(
J
(
Ecoles supérieures
17 640
26 460
)
(
)
(
Ecoles normales
)
(
Supérieures
56 595
12 127
(
(
Bourses d'études à
(
l'étranger
24 561
246 215
(
( Enseignement extrasco1aire
18 932
142 006
10 000 '
(
(
(T
0
T
A
L
933 380
2 086 406
31 500
665 212 '
(
(
~============================~===========~=========~==~==========~===========;
(1) Chiffres traduits en milliers de F CFA.
. .. / ...

155
L'aide extérieure
L'apport extérieur dans cette aide est considérable.
Sur un mon-
tant total des dépenses publiques au ~itre de l'éducation approximativement
évalué en 1962 à 8,7 6illiards de F CFA (1), près de deux milliards, soit
plus de 1/5 ont été financés par l'aide extérieure (française en grande
partie).
Nous ne disposens pas d'éléments pour comparer cette proportion,
qui peut
d'ailleurs varier d'une année à
l'autre,
avec celles êxistantes dans
d'autres pays.
C'est gr~ce aux accords
multilatéraux ou aux conventions bila-
térales (2)
que ce financement de l'enseignement en Côte d'Ivoire se
trouve
largement accru.
Aide multilatérale
L'aide de l'UNESCO à
la Côte d'Ivoire consiste en l'envoi de
missions d'experts ou d'experts résidents,
enseignants ou autres.
Le .fonds spécial des Nations Unis a consacré 70 millions de F CFA
au développement de l'enseignement en Côte d'Ivoire en 1964.
L'UNICEF a
contribué pour 26,75 millions de F CFA,
et le programme élargi
des Nations Unies pour près de 19 millions.
L'aide fournie par ces organismes consiste en missions d'experts,
en livraisons de matériels et, plus rarement (Fonds Spécial), en investis-
sement.
D'autre part, dans
le cadre de la convention d'association passée
avec les pays africains d'expression européenne (C E E)
qui concerne,
en
partie,
l'enseignement.
La Côte d'Ivoire soumet ses projets au Fonds Euro-
péen de Développement (FED). qui décide de l'opportunité de leur financement.
(1) Statistique de l'Education Nationale 1963.
(2) L.
Cerych,
étude sur le rôle de l'aide extérieure dans
la planification
de l'éducation en Côte d'Ivoire:
publiée par l'IIPE - Paris .
. . . / ...

1"56
Le projet accepté,
le FED verse
les fonds par l'intermédiaire de la
Caisse Centrale de Coopération Economique de
Paris.
Tableau 4
Répartition de l'aide française par niveau d'enseignement
~===========================================================~=================
(
DEPENSES COURANTES; DEPENSES EN CAPITAL)
(
NATURE DE L'ENSEIGNEHENT
:---------------------;--------------------)
(
1960
1964
1960
1 9 6 4 )
(--------------------------------;----------:----------:----------;---------)
(
)
( Administration générale et
)
( services communs
55 697
64 680
)
(
( 1)
)
( Enseignement élémentaire (ins-
)
(
tituteurs,
inspecteurs)
41 160
60 270
)
(
)
( Enseignement du 2e degré Géné-
)
( ral
543 900
787 920
100 000)
(
)
(
Technique et professionnel:
143 293
251 370
)
(
)
(
Ecoles normales d'institu-;
)
(
teurs
33 810
49 980
)
(
)
( Enseignement supérieur
)
(
)
( U n i v e r s i t é s
54 387
288 600
360 000)
(
)
(
Ecoles supérieures
17 640
26 460
)
(
)
(
Bourses d'études à
)
( l ' é t r a n g e r
24 561
137 125
)
(
)
(
Enseignement extrascolaire
18 932
36 750
)
(
)
(
)
(
)
(
TOT A L
933 380
:1703 155
31 500
460 000)
(
)
(
;
;
;
:
)
================~=====================================
=======================
(1) Ces chiffres sont traduits en milliers de F CFA .
. . ./ ...

Aide française
c'est la source de financement la plus importante parmi les sour-
ces extérieures. Le montant des crédits s'élevait à 965 millions de F CFA
en 1960 ; il atteignait~ 2 163 millions, soit plus de 80 % de l'aide exté-
rieure totale.
Ses modalités: depuis 1959, le Fonds d'Aide et de coopération (FAC) a
pris le relais du Fonds d'Investissement pour le développement économique
et social (FIDES).
Ce n'est pas uniquement un fonds d'investissement;
il
finance aussi les différentœformes d'aide au développement. Les crédits
au budget du Ministère de la Coop~ration sont versés par l'intermédiaire
de la Caisse Nationale de Coopération. Le PAC finance en particulier :
les traitements du personnel (sauf celui de l'enseignement supérieur)
;
la formation des stagiaires;
les bourses d' études;
les investissements
(coRstructions d'écoles).
Ses caractéiistiques
l'aide à l~enseignement en Cate d'Ivoire de la
France concerne à la fois tous les niveaux (primaire, secondaire, supérieur)
et tous les types d'enseignement (public et privé); cette aide s'applique
à
toutes les natures de dépenses (dépenses en capital, dépenses de person-
nel, de matériel, de transfert). En particulier, l'aide
personnel
enseignant est très importante : plus de 50 % des animateurs du complexe
télévisuel de Bouaké exercent au titre de l'assistance technique française.
Autres
~di..~
Le financement de l'enseignement en Cate d'Ivoire se voit béné-
)
ficie
d'un certain nombre de participations complémentaires.
L'aide des Etats-Unis d;' Amérique prend la forme de subventions,
de prêts et d'envoi de volontaires du Peace Corps.
Au total,
l'aide extérieure joue un rale très important dans le
financement de l'enseignement en C~te d'Ivoire. Elle représentait 17 %
... / ...

158
des dépenses totales en 1960 et 28,3 % de ces dépenses en 1964. Elle
est beaucoup plus importante dans l'enseignement public que dans l'ensei-
gnement privé :
1960 (dépenses courantes)
Etablissements publics
20 10
Etab lissemen ts privés
0 10
1964 (dépenses totales)
Etablissements publics
30,5 %
Etablissements privés
3,6 Ofle
Enfin, l'importance du financement extérieur est variable selon
le niveau d'enseignement: faible dans l'enseignement primaire, elle s'ac-
croît dans les établissements secondaires et dans l'enseignement extra-
scolaire pour devenir très élevée dans l'enseignement supéri~ur.
"Le complot des experts" et la télévision scolaire
c'est dans la télévision scolaire qu'on peut aVOlr l'une des
manifestations les plus éclatantes du rôle des "experts" étrangerp.,·Ceux-ci
agissent
très
souvent
au
détriment
du
pays
qui
les
accueille,
c'est-à-dire
pour
le
seul
compte
de
sociétés
étrangères
bénéfi-
Clalres
de
certaines
opérations.
I~4
- Appui financier et scientifique (1)
l..i
Au
seln du
système
scolaire
télévisuel,
il
existe
un
serVlce
d'évaluation.
Ce
service
a
été
créé
en
1972.
Il
a
reçu
d'abord
un
appui
financier
et
administratif
de
la
Banque Mondiale
de
1972
à
1975.
Il
a
ensuite
reçu
l'appui
scientifique
de
la
République
Fédérale
d'Allemagne
(1973-77)
pour
l'évaluation du
management
de
l'enseignement
télévisuel,
et
de
la
qualité
tec~ni­
que
des
émissions
télévisuelles.
Il
a
en
outre
reçu
l'appui
scien-
tifique
des
Etats-Unis
d'Amérique
(1975-77)
pour
l'évaluation des
(1) KONAN KOUADI0, Service d'Evaluation, ln Fraternité Matin du ) )-9-80 P. 6

coûts
de
l'enseignement
et
des
effets
de
l'éducation
Télé Pour
Tous.
Il
a
enfin
reçu
l'appui
scientifique
du Royaume
de
Belgique
(1974-80)
pour
l'évaluation
du
rendement
pédagogique
de
l'enseignement
télévisuel
(français, mathématique).
Les
résul-
1
tats
des
différentes
évaluations
sont
consignés
dans
des
rapports
officiels
signés
conjointement
par
le
Service d'Evaluation
(des
compétences
nationales
de
haut
nlveau
existent)
et
les
centres
de
recherche
étrangers
qui
ont
participé
aux
différentes
recherches
(l'Université
de
Stanford
et
l'Academy
For
Educational
Develorpment
pour les
USA,
le Laboratoire
de
Pédagogie Expérimentale pour
le
Royaume
de
Belgique).
r34
-
Une
affaire
qUl
marche
bien
t.~
Des
enquêtes
ménées
par
Mr.
ZADRE Séri Jean
(2),
montrent
que
l'installation et
la maintenance
des
postes
de
télé-
vision,
des
antennes,
des
piles
sont
assurées
par
une
société
française
privée,
en
l'occurence
la
CATEL.
Son chiffre d'affaires pour l'année 1979-80, s'élève à près d'un milliard de
francs CFA.
"L'affaire" marche si bien que les responsables de la CATEL envisagent de
remplacer les téléviseurs actuels par un "autre plus fiable"
(SIC) à l'étude,
de
remplacer
les
piles
alcalines
actuellement
utilisées
par
des
piles
"solaires
à
durée
plus
longue"
(RESIC).
Pour
l'horizon
1985,
les
responsables
de
la
CATEL
prévoient un
chiffre
d'affaires
d'environ
deux milliards
de
francs
CFA.
Ainsi
profitant
de
la
naiveté
du
pays,
pour
le
con-
vaincre
de
l'efficacité
de
l'enseignement
télévisuel,
les
experts
ont aidé
le
capitalisme
français
à
écouler
ses
produits
sur
le
.
. .
marché
lVOlrlen.
Alors
que
ces
mêmes
produits
ont
été
refusés
parce
que
"inadaptés"
en
d'autre
pays.
C'est
le
cas
par
exemple
de
New-Delhi
qui
dans
un
rapport
en 1964
a
dénoncé
le
"complot
des
experts"
qUl
voulaient
leur
imposer
la
télévision
scolaire.
(2) ZADRE Séri Jean, Professeur de Lettres, ln Fraternité Matin du 11-9-80
... / ...

D'après ce que nous venons de dire,
i l ressort que,
Comme
le
système économique,
le système d'enseignement de Côte d'Ivoire est soutenu
par un financement
important,
lequel,
"par l'intermédiaire d'enseignants
d'experts,
de subventions,
de bourses,
de constructions scolaires, contri-
bue à perpétuer
les modèles
culturel!.~" occidentaux" et par suite l'aliéna-
tion" des écoliers ivoi~iens qui sont les victimes.
Le financement de l'enseignement ivoirien sur Fonds étranger ren-
force
l'influence non seulement policique,
économique du pays qui finance,
mais aussi son influence culturelle et stratégique.
La manière d'~tiliser ces fonds mis à la disposition du pays qui
reçoit est dictée par
les "experts" du pays qui donne.
Or,
ces "experts"
ou enseignants véhiculent partout
l'iJéologie de leur pays sans chercher
à s'adapter ou à adapter l'aide aux "conditions sociales et culturelles
du pays d'accueil".
Le financement de l'enseignement est un aspect de la domination culturelle
qui sèmble être moins connu.
Jusqu'ici, nous n'avons fait que
l'historique de
l'enseignement
primaire ivoirien.
Nous avons montré successivement
les différentes in-
novations ~t le caractère acculturant de l'aide. Maintenant, nous allons
montrer le caractère spécifique de
l'enseignement primaire actuel,
c'est
à dire celui qui a
lieu hic et nunc.

161
lC~5 - L'école ivoirienne présente et la reproduction des instances culturel-
les et sociales héritées de l'ancien système
,
Le démarrage de la scolarisation primaire s'est conjug~)surtout
à partir de 1958, qvec une extrême pénurie d~ maitres qualifiés, ce qui
a abouti à une détérioration grave du niveau de l'enseignement. Cette pénu-
rie a donc conduit cet enseignement d'être en partie tributaire de l'Assis-
tance technique française.
L'appel à l'assistance technique étrangère
est une occasion pour l'impérialisme culturel d'orienter l'enseignement
ivoirien à son seul intérêt et d'y fixer solidement la culture française.
Ceci se ressent à la consommation massive par la jeunesse ivoirienne des
modèles culturels français depuis l'accession du pays à l'Indépendance.
L'enseignement primaire ivoirien COri'ulle on le sait,
est donc bâti
suivant le modèle français.
Il comprend six années d'études (1), à ces
deux nuances j)rès, que la première année débute par un "cours d'irtioation"
à
la langue française et que la sortie du cycle s'effectue par un
examen
et un concours (2).
L'enseignement en Côte d'Ivoire se fait entièrement en français
par des maîtres qui sont tousi
ivoiriens, sauf le deuxièille type d'ensei-
gnement primaire privé non .télévisuel (3) réservé aux enfants des expatriés
et une minorité d'enfants ivoiriens occidentalisés où en voie de l'être.
(1) Il s'agit de l'école télévisuelle. L'école privée (non télévisuelle)
reçoit les enfants issus des maternelles au cours préparatoire unique
et à les m~mes caractéristiques que l'enseignement en France.
(2) Il s'agit de l'examen du Certificat d'Etudes Primaires(CEP) et du
concours d'entrée en 6e.
(3) Il existe deux types d'enseignement primaire en Côte d'Ivoire.
- l'enseignement officiel utilisant la télévision
l'enseignement primaire pl-ivé tenu par des français, et qui
utilise les progranmles en vigueur en France.
. .. / ...

- 162
Tous les maîtres de ce deuxième type d'enseignement primaire
sont tous français avec quelques ivoiriens, mais des ivoiriens ayant au
moins le BAC et possèdant une larg<; culture et une expérience européennes.
Cette école diffère donc de l'école officielle dite enseignement primaire
et éducation ·télévi~uelle par plusieurs points de vue: les manuels, les
",ot
prograrr®es en un~par l'orientation que cette école se donne.
Cet enseignement du type français,
cl
tout point de vue a ses propres
"crèches" et ses propres écoles "maternelles".
L'occidentalisation ou l'acculturation des enfants ivoiriens dans
cette écolle co~uence donc dès la naissance.
I l y a
là un danger certain
~
pour l'avenir de la Côte d'Ivoire,
lorsqu'on sait d'après Dodson CF.)
que "tout se joue avant six ans" Cl) et surtout lorsqû'on sait qu'à cet
âge l'enfant est très malléable.
Dans l'enseignement primaire et de l'enseignement
télévisuel,
l'occidentalisation commence dès l'entrée à l'école avec la proscription
des langues "vernaculaires".
Il convient de signaler comme caractéristique particulièrement
grave la présence dans le système éducatif ivoirien de deux types d'ensei-
gnement totalement différents.
Ces deux systèmes d'enseignement au lieu de se complèter afin d'enculturer
l'enfant, ne font que se contredire lorsqu'on se place au niveau des objec-
tifs
- par exemple l'enseignement télévisuel cherche à rapprocher
l'enfant de son milieu, alors que l'enseignement "français" tourné vers
l'occident, cherche au contraire à imposer la culture française.
L'un a
un rendement très faible qui se traduit à plusieur-s niveaux par une impor-
tante déperdition d'effectifs au niveau du cours moyens deuxième année et
l'entrée en siKième. A ce niveau d'orientation, ce système verse
dans la
"rue" chaque année des jeunes scolaires inadaptés à la culture occidentale
et même à celle de l'Afrique.
Cl) Dodson CF.)
: Tout se joue avant six ans
Marabout service - Série
éducation
; Paris 1972.
. .. / ...

163
L'autre enseignement a un bon rendement (1) qui se traduit par le maniement
et l'appropriation de la langue et de la culture françaises,
par un rejet
de la langue et de la culture ivoirienn~ et par le pourcentage élévé à l'en-
trée en sixième.
Cette supériorité de l'enseignement du type français sur l'enseigne-
ment officiel s'explique par le fait que le concours d'entrée en sixième qui
est le même pou~ tous, ne mesure pas chez les enfants issus de l'enseignement
télévisuel leur niveau d'intelligence, mais leur degré d'acculturation,
ce qui permet de déprécier leurs capacités et particulièrement celles des
enfants ruraux et de milieux pauvres.
A cela s'ajoute un ensemble de distorsions internes au système.
- Il n'existe pas pour l'instant de doctrine pédagogique précise
et cohérente déterminant les fins ulti~de l'enseignement primaire et
fixant ses objectifs. Cela se traduit par des anomalies ou des disparités
dans les programmes,
les horaires,
l'emploi des maîtres et les méthodes
pédagogiques elles-mêmes.
C'est ainsi que l'absence de tout lien entre la "famille" ou "les maternel-
les" d'où sont issus les élèves, et le "primaire" vers lequel, en principe
ils s'acheminent, abaisse non seulement le rendement scolaire (qui ne nous
intéresse pas ici) mais favorise l'acculturation ou e'aliénation de ce5 êtres
innocents.
Cet enseignement ne poursuit systématiquement ni la promotion
de la masse paysanne, ni son enculturation, mais poursuit la sélection des
meilleurs consommateurs de la culture française.
Il reste plus soumis à des considérations politiques contradictoires
qu'à des impératifs strictement culturels ou éducati~s.
- L'école primaire ivoirienne n'est pas intégrée au milieu local
bien loin d'en être l'émanation, elle devient le Inoyen de s'en évader. Le
mythe du "dipltlme" et de "l'esprit moderniste" crée un exode rural qui va
à
l'encontre de l'action à mener pour aimer ce milieu,
le révéler à lui-
même et le transformer.
(1) Ici les enfants reçoivent une éducation du type européen.
Ils s'expriment
et
pensent en français.
Ils se distinguent de leurs amis français par
la couleur de la peau. Et comme le rendement se mesure par le degré d'asi-
similation à la culture française,
ils ont toujours les meilleurs résultats
... / ...

- 164
-
La nécessité d'une adaptation profonde des programmes et des
méthodes en fonction des réalités africaines commence à être ressentie,
mais se heurte,
dans son originalité même,
à
l'obligation de tenir compte
des enfants des expatriés français.
Cet enseignement comme nous
le constations n'a pas encore trouvé
la fonction bien définie qu'il doit occuper dans
les structures économiques
et socio-culturelles du pays, c'est à dire former les
techniciens et les
cadres dont
le pays a besoin et des artitstes capables de faire revivre
ou de donner un élan à notre patrimoine culturel.
En sonsidération de toutes ces données, nous disons que c'est
l'inadaptation qui caractérise l'enseignement
primaire ivoirien.
Cet
enseignement,
dans
la conjoncture actuelle,
ne constitue pas une base solide
pour le développement économique et social du pays.
En bref,
la durée et la forme de cette instruction primaire ne
répondent pas à
l'urgence et à
la nature des besoins d'une éducation de
masse.
J:3~ù
~g~!l~~_~~~_~~l~~~_e~~§g~g~g~~~L_~~~~_~~~E~~_9~§~~~!~~
E~~~~~
c.a.ec:r-<:Q.e.
L'année scolaire ivoirienne est -'
.
-~ sur l'année scolaire
française
(1), avec les mêmes périodes de vacances et d'activités.
Les
écoles reçoivent les élèves six heures par
jour, entre 8 H et 17 H30 avec
un interclasse de trois heures à midi et de deux récréations ou pauses
de 15 minutes chacune (matilQ,' et après-midi)
quelletf;it la saison et quelle
~soit la région. L'organisation des activités scolaires qui ne tient pas
compte des conditions climatiques ne procure pas les conditions d'une
bonne scolarité et contribue à réduire l'efficacité des moyens pédagogiques
mis en service.
Les hommes
Le personnel de l'enseignement primaire est entièrement ivoirien (2).
(1) L'année scolaire en Côte d'Ivoire commence con®e en France du 13 sep-
tembre au 30 Juin.
Les différentes
vacances scolaires sont les mêmes.
(2) Sauf les rares exceptions signalées par ailleurs .
. . . / ...

165
Ce personnel quoique suffisant est très déficient sur le plan de la
qualité;
l'absence généralisée de conscience professionnelle aggrave
la situation déjà détériorée.
La plupart des maîtres n'ont
aucune idée
du sens de la valeur de
leur métier et du fait de coller l'enseignement
aux réalités
locales. Même si certains d'entre eux accomplissent leur
tâche avec compétence et conscience professionnelle,
ils ne participent
pas de façon active à
la vie culturelle du pays dont ils ignorent le plus
souvent les problèmes.
Le matériel
Jusqu'avant 1970,
les locaux scolaires étaient disparates. Dans
la même école, pouvaient voisiner,
des salles de classe contruites en dur,
en banco,
en bambou etc ...
parfois couvertes de tuiles végétales (paille
le plus souvent)
ou de tôles.
Dans certaines écoles rurales,
l'état des bâtiments s'intégrait harmonieu-
sement à celui des habitations: même style, même orientation, même ins-
piration etc ...
Ainsi,
l'enfant ne sentait pas trop
le dépaysement puisqu'
il avait l'impression d'évoluer sous
le même toit,
dans
le même espace.
Dans d'autres écoles, des b~t~nents au style européen contrastaient avec
les cases en banco.
Aujourd'hui les bâtiments scolaires sont modernes au
milieu des habitations m~bles.
Ces bâtiments scolaires, ~.
comme aujourd'hui ne sont pas qu'une construc-
tion matérielle;
ils portent en
eux, par la manière dont ils sont agencés,
par la disposition du mobilier et des cloisons fixes ou mobiles, par son
emplacement à
l'intérieur ou à
l'extérieur des habitations, une conception
de l'enseignement, un modèle culturel (Lê Thanh Khoi, Unesco 1976).
Le mobilier est moderne;
il n'est plus vétuste ni mal adapté à
la taille
des élèves (sauf quelques rares cas dans certaines régions
du Nord diffi-
cilement scolarisées). Dans certaines écoles de brousse,
les meubles de
rangement font encore défaut.
Mais toujours est-il qu'en imposant,
surtout pour les écoles primaires,
"les normes des pays
industrialisées,
qui se traduisent par des architec-
tures . . .
tranchant sur leur environnement",
l'école contribue à randre
l'écolier 'etranger. à,son milieu,
à
le fortifier dans
la conviction qu'il
.. '/' ..

166
appartient à " un autre monde (Lê Thanh Khoi 1976).
Ainsi,
l'écolier de
brousse a conscience qu'il y a une distorsion entre le mobilier de l'école
et celui de
la maison.
A l'école,
c'est le modernisme ou
la modernisation,
c'est le
lieu où on prend des "bonnes" habitudes
tandis qu'à la maison,
c'est le
style ancien,
traditionnaliste,
tout y est "folklore". Très
t5t,
l'enfant
comprend qu'aller Èi l'école,
on peut se rélpprocher du "Blanc".
Pour accélérer
la prise de conscience de la nécessité d'être
conTIne le "Blanc" ou pour accélérer la consonunation rapide et régulière
des objets acculturants comme étant le meilleur moyen de tendre vers
le
"développement",
l'équipement ou
le matériel d'enseignement collectif est
devenu très riche.
Il existe maintenant dans(de nombreuses écoles primaires surtout dans celles
tenues par des européens:
des bibliothèques scolaires,
des salles de jeu
etc ...
Les
livres de la bibliothèque de certaines écoles primaires de
Cocody que nous avons visitées,
sont importés de France et racontent des
petites histoires qui se déroulent en Europe et
non en Afrique tels que
rz..<1Yl-
le petit chape:
rouge ou blanche neige etc ...
A Zègo, nOUS avons
visité les classes de cours élémentaires et
de cours moyen.
Nous avons constaté que ces classes sont équipées de cartes
murales représentant des paysages européens,
des images importées etc ...
A ces cartes s'ajoutent des panneaux didactiques pour
l'enseignement des
sciences, de l'histoire,(les disciplines
telles que sciences naturelles,
histoire-géographie sont rassemblées sous lè vocable:
"étude du milieu"J,
de la lecture ou du langage.
Le matériel collectif d'enseignement de calcul
(bobiniers,
dominos etc ... ) de fabrication simple, mais étranger
aux
enfants n'est plus
inconnu des maîtres.
Le compendium métrique n'est plus
un luxe.
-

167
Beaucoup d'écoles selpermettent maintenant. La présence des appareils
)<
récepteurs dans toutes les écoles ou de l'électricité dans certaines
classes, rend la décoration des classes vivante:
et attirante. Ce qui
revient à dire que les enfants sont instruits dans un cadre matériel
acculturant ou aliénant.
(1).
La plupart des livres de classe, des cahiers sont importés. Ceux
qui sont fabriqués sur Dlace sont jugés être de mauvaise qualité parce ou'étant
de fabrication locale, nous ont dit la plupart des écoliers de Cocody
et de ZEGO. Ce qui nous amène 2 dire que les livres c:t les manuels scolaires
restent tributaires des programmes français en vigueur : il convient de noter
toutefois comme nous l'avons dit plus haut qu'un timide effort d'adaptation
se fait sentir.
L'équipement audio-~isuel moderne (cinéma, radio, télévisioT') ne fait
plus défaut comme auparavant, mais la difficulté, c'est qu'il ne s'intègre
pas assez à l'enseignement. Et pourtant "les techniques audio-visuelles
peuvent accroîre l'efficacité d'un enseignement en augmentant son public,
mais aux prix d'une dépendance technique, idéologique et financière à l'égard
des puissances et des firmes qui fournissent à la fois le hardware et le
softB"ar'e et, ici, aussi d'un déracinement des enfants Dar rapport à leurs
parents, Dar rapport à leur milieu" (~).
(1) Si on ferme les yeux sans prêter attention à l'accent chantant des élèves,
à l'odeur de l'air évoquant le café brûlé, ni cette chaleur moite qui
dure toute l'année, on pourrait se croire en France, en Suisse ou en Belgique.
La leçon sur les chiffres décimaux reste la même : la virgule et le zéros
intercelaires récélent Dartout les même plèges ... Mais quand on regarde autour
de soi, on se trouve dans un autre monde : on aperçoit les plantes grinpantes
envahissantes à travers les pa~e-soleil, demi-fermés pour préserver une
illusoire fraîch'eur, et les élèves tous africains.
(Eveline Laurent, ln le ronde de l'Education septembre 1978.)
(~) Lê Thanh Khoi : l'aide à l'éducation: coopération ou domination?
in perspectives; revue trimestrielle de l'éducation UNESCO: vol. IV
nO 4
1976
P. 636.
. .. ; ...

î63
Il est grand temps , comme nous le dirons dans nos refle-
xio~s, d'envisager l'emploi syst6matique des techniques audio-
visuelles, surtout dans l'apprentissage des langues africaines
et des cultures africaines. La Côte d'Ivoire est dotée depuis
1963 d'un poste émetteur de télévision et se doit d'innover
( si ce n'est déjà fait) en la m~ti~re •
13 rJ~
-
Analyse des méthodes et des progra~mes
/
Comme nous l'avons déjà dit, il Y a deux systèmes édu-
catifs primaires en Côte d'Ivoire.
Le système d'enseignement pri~aire télévisuel qui pré-
tend, du moins dans ses objectifs donner une éducation afri-
caine aux enfants, c'est à dire apprendre aux enfants les
éléments culturels de base de leur milieu pour mieux être au
rendez-vous du " donner et du recevoir '1 pour citer une expres-
sion chère au Président Senghor. Cette école télévisuelle
est à tous égards tributaire de l'enseignement primaire en
vigueur en France •
Le deuxième système d'enseignement primaire est une
implantation pure et simple de l'école primaire française.
Il suit les programmes des écoles françaises. L'absence de
program~es spécifiques a une répercussion directe sur les
méthodes employées. Les maîtres ont à leur disposition peu
de livres réellement adaptées. Ils emploient dans le sys-
tème télévisuel des manuels timidement adaptés au milieu afri-
cain. Ces manuels sont conçus et édités en Côte d'Ivpire par
des français (1). On comprend dès lors que le sens ou le con-
tenu de ce sjstème éducatif portent l'empreinte de l'idéolo-
gie étrangère , celle qui permet de perpétuer la présence
des modèles culturels dans le milieu ivoirien.
(1) ~es livres de l'éducation télévisuelle sont conçus à
Bouaké, édités par les Nouvelles Editions Africaines, mais
imprimés en France, 15 , rue des Juifs à Strasbourg.

169
Les maitres du deuxième système utilisent les manuels qui
sont en usage dans les écoles françaises.
Or, comme nous le
disions,
l'origine des auteurs qui conçoivent et qui confec-
tionnent les manuels scolaires influe sur la manière d'ensei-
gner et sur le dévéloppement intellectuel des enfants •
Les instituteurs africains,
qui sont majoritaires dans le
premier système n'ont pas" une culture générale et technique
suffisantes pour choisir les exercices proposés par les auteurs
des ouvrages utilisés" ; ils suivent donc les livres d'une ma-
nière servile et mécanique " (1)
• Ces livres en questlon résu-
ment à leurs yeux la somme du savoir • Ils ne savent donc ni
retrancher œ ~ui est superflu ni ajouter ce qui manque
ni don-
ner à ce qui est essentiel l'importance nécessaire ( 2 )
. La
conduite de la classe s'en ressent ( surtout avec les jeunes
instituteurs) et l'enseignement s'appuie surtout sur la mé-
moire,
se complait dans l'abstraction sans que l'élève soi
convié à réfléchir et à critiquer.
Bref, l'enseignement reste livresque,
routinier, voire
voué aux répétitions collectives ( 3 ) •
( 1 ) Propos tenus par un instituteur d'Abidjan-Cocody
entretien du 25/4/79
.
( 2 ) Cf document analytique B1
: les programmes ( Minis-
tère de l'éducation Nationale)
1964 - Abidjan
( 3 ) Cf document analytique B1
les Méthodes ( Ministère
de l'éducation Nationale) 1964 - Abidjan

170
Du point de vue pédagogique,
l'accent est mis, sur l'acquisition
des deux langages fondam~ntaux (français et mathématique) associé à la
pratique d'activités d'expression non-verbale (gestuelle, graphique, plas-
tique, vocale). Tout au long du cycle primaire, cette option se renforce
et les disciplines se décloisonnent, en tenant compte de ce que l'on sait,
et de ce que l'on ignore, concernant la psychologie de l'enfant,
la logique
propre aux disciplines enseignées et le niveau de formation des maîtres.
C'est au cours de ce processus d'apprentissage que l'enfant se socialise
ou intériorise l'idéologie scolaire.
Car il faut bien préciser qu'au
moment où les médias se développent,
l'expression de l'enfant s'enrichit
et se diversifie. Elle englobe dans le même temps,
le milieu immédiat
(milieu ambiant) et l'environnement prochain (celui dans lequel l'enfant
pénètre grâce à l'école)
traité et projeté au niveau du message audio-visuel.
Ceci montre que les programmes ne peuvent plus gtre conçus en fonction
de la seule expérience locale de l'enfant, mais que la réflexion doit s'ex-
cercer sur l'ensemble des expériences vécues ou il vivre. On comprend ainsi
le rôle irremplaçable de transmetteur, de véhicule des modèles étrangers
que les supports télévisuels peuvent jouer.
Ainsi,quelles que soient les disciplines concernées,
la produc~
tian pédagogique du cours télévisuel est un moment privilégié pour l'accul-
turation de' l'enfant.
Dans l'esprit du programme télévisuel,
il s'agit de: faire décou-
vrir à l'enfant son milieu; de le motiver à l'aimer et de ne plus le fuir.
Il nous reste à savoir si les disciplines qui sont censées enculturer
l'enfant ou l'enraciner dans son te~roir sont suffisamment armées pour
combattre l'acculturation envahissante que nous connaissons? Voyons
comment se répartissent ces différentes disciplines dans ce vaste programme
télévisuel.
... / ...

171
- Horai.res
I l Y a trente heures de cours par semaine qui se répartissent
entre les matières comme;suit
Etude du milieu
3H 30'
soit
11,66 /0
Danse, chant, musique
2H 25'
soit
8,05 /0
Activités pratiques et coo-
pératives (jardinage,
artisanat etc ...
2H
soit
6,66 /0
Mathématiques
5H 45'
soit
19,16 /0
Langue français e
l4H 15
soit
46,11 /0
Journal des maîtres et)
)
lH
soit
3,32 /0
journal des élèves
)
- Fréquence des disciplines par se2~ine
I l s'agit de savoir combien de fois un cours est dispensé au cours
de la semaine.
Etude du milieu
6 fois
12,96 %
Danse,
chant, musique etc.
5
"
10 ,63 /0
Activités pratiques et coo,
pératives (jardinage,
artisanat etc ... )
2
"
4,24 /0
Mathématiques
10
"
21,27 %
Langue frança ise
20
"
42,55 /0
Journal des maîtres et)
)(lx2)
2
"
4,24 /0
journal des·élèves
)
Remarque :
les disciplines privilégiées sont celles qui ne font pas appel
au milieu ambiant de l'enfant (langue française et mathématique).
(1) I l s'agit des horaires de la classe de CM2 que nous prenons comme
exemple.
I l est à moter que toutes les classes ont chacune 30H de cours
par semaine et que les horaires se répartissent dans la même proportion .
. . . / .. ·

172
Quant à celles qui devraient encourager l'enfant à se familiariser avec
les modèles du milieu, elles sont sous-représentées (étude du milieu,
danse,
chant~musique africains
jardinage, artisanat etc ...
etc ... ).
Comme nous
le verrons plus loin (cf.
relations scolaires),
les disciplines
qui prétendent faire revivre le patrimoine culturel africain sont enseignées
de façon superficielle et sous l'angle de "produits exotiques et folklori-
ques".
Voyons maintenant corr~ent s'articulent les différentes disciplines
pour mieux offrir à l'enfant un cadre de vie différent de celui de son
milieu d'origine.
L'étude
du milieu
Concerne
les
disciplines
telles
que
l ' h i s t o i r e ,
la
géographie,
les
sc~ences naturelles ou physiques etc ..
Elle
cherche
à
former
l ' e s p r i t
scientifique
de
l'enfant
à
travers
des
phases
de.
Description,
mesure,
comparaison,
classement,
m~se en
relation,
schémati~ation, compte rendu.
Elle v~se à découvrir
Les
plantes
et
leurs
interactions
avec
la vie
des
hommes
et
des
animaux,
les
animaux
et
leurs
interactions
avec
la
v~e des hommes
et
des
plantes,
les
phénomènes
naturels
et
leurs
interactions
avec
la v~e
des
hommes,
des
plantes
et
des
animaux,
les
outils
et
leurs
fonctions
au
serv~ce des hommes
confrontés
aux
phénomènes
posés
par
le milieu
de
vie.
L'émission motivant
l'étude
du
milieu
contient
outre
des
éléments
du milieu
africain,
des
éléments
propres
à
déclencher
des
attitudes
favorables
à
l'acculturation.
Par
exemple
l'éducation
esthétique,
u t i l i s a n t
les
ressources
offertes
par
les
artisans
locaux
ne
stimule
pas
les
facultés
imaginatives
de
l'enfant
et
ne motive
pas
ses
activités manuel-
les.
Ceci
est

par
le
f a i t
que
le maître
n'est
pas
lui-même
motivé.
Comment
veut-on
qu'il
se
passionne
pour
un milieu
que
son
plus
ardent
désir
est
de
f u i r ?
Si
le maître
n'est
pas
lui-même
capable
d'aimer
son milieu,
s e r a - t - i l
capable
de
l~
faire
aimer
par
ses
élèves
?
-
Les
activités
linguistiques
Concernent
la maîtrise
des mécanismes
de
la
lecture
le
passage
de
la
langde
orale
à la
langue
écrite.

173
Ces
activités
faites
à
l'occasion des
séances
de
français
se
poursuivent
à
travers
chaque
discipline
et
sont
reinvesties
dans
l'étude
du milieu.
Selon
les
objectifs
que
l'on
poursuit
en
lecture,
gram-
malre
ou
en matiêre
de
nouvelles
structures
orales)
les
sup-
ports
télévisuels
sont
utilisés
différemment.
Les
procédés
d~ schématisation sont privilégiés,
par
exemple,
pour mettre
en relief
les
mécanismes
de
la
langue
et
les
relations
fonc-
tionnelles.
L'image
est
traitée
pour
les
besoins
de
l'acquisi-
tion
de
la
langue
orale,
en
fonction
du
contenu
linguistique.
-
Les
activités
mathématiques
La mathématique
est
l'un
des
deux
langages
fondamentaux
privilégiés
par
ce
nouvel
enseignement.
Ici
la mathématique
n'est
pas
neutre.
Elle
est
chargée
idéologiquement.
Elle
impose
à
l'enfant
un
autre
style
de
raisonnement
propre
à
la
logique
occidentale.
Les
matêriels
utilisés
pour
prêsenter
la
mathématique
à
l'enfant
sont
par
exemple:
des
jeux
logiques,
des
piêces
de monnaie
un
feuilleton
télévisuel
etc . . . Ce
dernier matériel
que
nous
avons
pu
voir
en
classe
de
cours
Elémentaire
à
l'école
primaire
publique
de
Zégo,
s'inspire
de
l'idée d'un
"tour
de
France
par
deux
enfants".
Ce
feuilleton
permet,
outre
un
perfectionnement
de
la
perception du message
audio-visuel,
une
"plongée"
de
tous-les
enfants
de
la
Câte
d'Ivoire
dans
un
bain
socio-culturel
identique,
SU1Vl
d'une
acculturation massive.
-
Danse,
chant
et
musique
sont
inclus
dans
des
activités
appelées
éducation
de
base.
Dans
ce
domaine
il
s'agit
de
présenter
à
l'enfant
la
culture
du
pays.
L'enfant
voit
des
réalisations
effectuées
par
ses
camarades
à
travers
l'écran.
Puis
i l
se
met
à
les
imit~r. L'enfant
apprend
le
chant
ou
la
danse
par
.
,
i mp ré g"YI ûJ:i 0 n s
suc ces S l v es.
Cela ne
donne
aucun
effet,
pU1SqU
-
arrivé
à
la maison
i l
désapprend.
. .. / ...

174
Notons
que
dans
la
rubrique
éducation de
base,
s'insère
l'apprentissage de
poèmes
en
liaison
avec
le
chant
et
les
activités
d'expression
non verbale.
Il
s'agit
ici
d'alterner
la
présentation
de
techniques
d'expression
et
de
travaux
réalisés
par
d'autres
camarades.
L'éducation
de
base,
permet
de
poursuivre
des
objectifs
d'acculturation
tous
azimuts
puisqu'elle vise
à
présenter
à
l'enfant
un
choix de modèles
faisant
référence
à un milieu
urbain d'une
part
et
d'autre
part
a
un milieu
rural.
PMisque
la
tendance
est
de
choisir
ce
qui
est
"moderne",
i l
Y a
de
fortes
chances
que
les
modèles
issuS
du milieu
ivoirien
soient
rejétés.
c'est
dans
ce
sens
que
nous
disons
que
les
différentes
disciplines
sus-mentionn~es ont une action transformatrice
sur
le milieu
de vie
de
l'enfant.
Ces
innovations
S1
elles
étaient
bien
exploitées,
elles
allaient
permettre
une
socialisation
ou
une
assimilation
et
une
accommodation
progressives du milieu
local.
puisqu'elles
visent
à favoriser
la maturation
psychologique des
enfants
au
travers
d'activités
de
préapprentissage
et
d'expression
(perception,
reconnaissance
et
création
de
rythme
et
de
formes
avec
des matériaux
simples
issus
du milieu
de vie
de
l'enfant).
Que pouvons
nous
dire
du
contenu
de
cet
enseignement
?
Les
adaptations
qU1
ont
eu
lieu
dans
l'enseignement
primaire
ivoirien
au
cours
des
années
60
étaient
faites
de
telles
sortes
que
la
langue
et
la
culture
française
soient
vérifiées
et
consolidées
périodiquement.
Il
i n s i s t a i t beau-
coup
sur
la
qualité
de
la
prononciation,
de
la
diction
et
de
l'expression.
On mettait
l'accent
sur
la
pureté
et
la
correction
de
la
langue
française.
C'est
de
cette
façon
que
l'enseignement
tout
entier
était
valorisé.
. .. / .. ·

175
Les
concepteurs
des
années
60
de
l'enseignement
ivo"irien
préco~isaient - ce qui était parfaitement juste - de
supprimer
dans
les ;examens
les
"discussions
académiques
et
les
exercices
de
pure
technique
l i t t é r a i r e ,
pour
s'attacher
à rendre
la
langue moins
incertaine
et
l'orthographe moins
déficiente",
Il
s'agissait
dans
cet
ordre
d'idées
d'apprendre
au
jeune
ivoirien,
non
à
réciter
par
coeur
les
auteurs
(la
Fontaine,
Musset
ete ... ) qui ne lui disa~rien, mais à
exprimer
sa
personnalité
dans
une
langue
correcte
et
nuancée.
Aujourd'hui
avec
ces multiples
innovationsnl'enseigne-
ment
de
la
langue
française
-
on
le
sait
-
repose
et
reposera
encore
-
si
on
n'y
prend
pas
garde
-
sur
une
confusion
perma-
nente
entre
l'expression
française
et
la
culture
française.
Dire
qu'on
peut
exprimer
sa
personnalité
à
travers
cette
langue
étrangère
est
un
leurre.
Tout
le monde
est
d'accord
pour
reconnaître
que
toute
langue
exprime
nécessairement
le
génie
propre
du
peuple
qui.
la
parle
et
qui
lIa
forgée
et
permet
d'accéder
à
la
culture.
Dans
le
contexte
actuel
de
l'enseignement
primaire
ivoirien,
i l
n'est
pas
possible
d'enseigner
la
culture
africaine
si
l'existence
d'une
école
primaire
"française"
diffusant
la
culture
française
lui
fait
concurrence
c ' e s t
pour
cette
raison
q~e nous disons que le système éducatif ivoirien est
plein
de
contradictions.
, , . / ...

.',
176
CHAPITRE 4
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
Notre but n'était pas dans cette première partie de
notre travail de tra.iter le thème de l'école.
(1)
Il s'est agi seulement de saisir son importance
dans la .situation d'intense acculturation qui caractérise l'école
primaire ivoirienne actuelle.
Au cours de notre recherche
documentaire, nous avons
retenu ceci
le système scolaire ivoirien dans sa forme d'hier et
d'aujourd'hui apparaît comme un facteur de mutation aux prises
avec des facteurs de "maintien". Ensuite nous avons remarqué que
dans le programme des classes et des cycles successifs, l'école
cherche à promouvoir "un progrès" de l'enfant dans le sens d'une
occidentalisation. Enfin, au- delà des changements visés par le
système scolaire ivoirien celui-ci opère comme à son insu toute
une suite de mutations dont le contrôle lui êchappe. Voyons dans
cette conclusion ce qui a pu retenir notre attention au cours de
cette première partie.
141
-
L'école occidentale, une autre manière d'éduquer.
Il est à noter que l'école implantée en Côte d'Ivoire,
n'est pas l'avènement
de l'éducation ni même de la pédagogie. Il
existait avant l'apparition de cette école, une autre forme d'édu-
cation propre à l'Afrique. L'école actuelle institue une nouvelle
forme d'éducation qui s'ajoute à ce qui existait déjà. L'enseigne-
ment coutumier jusqu'à l'introduction de l'enseignement occidental
reposait sur une tradition orale.
(1)
Nous conseillons la lecture d'une excellente et positive criti-
que de J'institution scolaire dans Education vers l'autonomie,
texte publié par juliens K. NYERERE en Mars 1967. Ce texte a
été repris dans J.K. NYERERE Indépendance et Education - Yaoundé
éditions clé, 1972 P.9 45. Pour un dossier d'ensemble,
lire
Dragogug Najman,
l'éducation en Afrique. Que faire? Aubenas,
Editions Deux mille, 1972.

177
L'enfant prenait modèle sur ses ainés comme nous
l'avons noté plus haut.
Il imitait leur comportement et l'adoptait
ainsi que leurs valeurs morales. L'éducation que l'enfant recevait
à cette occasion était étroitement liée à la vie.
Com~e l'a noté P. ERNY dans un de ses ouvrages:
"l'éducation ainsi liée au statut social de la personne ne s'arrête
pas avec l'enfance et l'adolescence, mais développe un projet
d'ensemble qui prend l'homme à la naissance pour le mener jusqu'à
la tombe
elle est permanente et graduelle, et à chaque nouvelle
étape de la vie de l'adulte - mariage, naissance, puis initiation
du premier enfant ou mariage du dernier, accession à un rôle social
important, vieillesse - correspond une augmentation du savoir une
introduction aux droits et devoirs nouveaux, un renforcement de
l'être, parfois une véritable illumination ~ (1)
L'introduction de l'école a provoqué la rupture
avec la méthode orale et favorisé
l'institution de l'écriture
à laquelle
l'enfant est confronté. Partout dans le pays cette
institution s'accompagne immédiatement de l'apprentissage d'une
langue qui n'a plus rlen à voir avec la langue maternelle. Dans
ce nouveau contexte d'éducation l'enfant ne se sent plus chez lui.
Il est dépaysé et ceci est d'autant plus accentué que l'enfant
est soumis à une discipline qu'on lui impose et qui l'éloigne
des obligations vécues depuis sa naissance au sein du milieu
familial.
Nous avons remarqué que l'entrée à l'école est
une occasion pour l'enfant de recevoir un enseignement différent
de ce qu'il recevait auparavant. L'enseignement moderne l'intro-
duit dans un univers oü l'on ne s'intéresse qu'à des individus,
d'où la naissance de l'individualisme.
(1)
Pierre ERNY, L'enfant et son milieu en Afrique Noire -
Essais sur l'Education traditionnelle, Paris, Payot, 1972
P. 22 - 23.

178
L'écolier devient soudain un individu affronté à
d'autres individus.
Le contenu des programmes et la manière dont l'appréciation des
connaissances est organisée, concourent à l'établissement irréver-
sible de cet individualisme.
142 -
Que se passe donc dans l'enseignement?
Il se passe que les responsables du système scolaire
ivoirien se montrent particulièrement attentifs à la qualité des
programmes scolaires.
Ils s'emploient à l'heure actuelle à chercher
comment améliorer l'art d'enseigner les mathématiques, l'étude du
milieu (Histoire, Géographie, Sciences Naturelles etc ... ) ou les
langues étrangères : contenu et méthodes sont mis et remis en
question. Mais dans cette intense activité de rénovation, on
oublie souvent le point essentiel, à savoir comment inculquer
les valeurs (langue locale,
les modèles culturels et artistiques
du milieu etc ... ) propres du milieu à l'écolier. Les responsables
du système éducatif discutent §prement, parfois longuement,
toujours sans jamais aboutir à des conclusions permettant de
prendre en compte la culture et la langue du milieu.
Même si de temps à autre on aboutit à certaines
adaptations au moins provisoires ou expérimentales, celles-ci
sont inspirées de l'extérieur. Car comme nous l'avons dit plus
haut, ceux qui financent l'enseignement ivoirien sont ceux qUl
décident de son orrientation.
L~ contenu de l'enseignement primaire moderne
ivoirien ne diffère pas de celui de l'école coloniale. Il en est
une continuité. Par contre il diffère de ce qu'un garçon ou une
fille pouvait apprendre autrefois, dans son village, à l'école
de ses parents et de ses ainés.
En effet, les enfants de l'école moderne bénéficient
d'une initiation scientifique et technique qui résultent des
récentes découvertes. Par contre ils ne savent rien de ce qui les
concerne.

179
i
i
C'est pour concilier ces deux aspects de l'éducation
(ouverture au monde moderne afin d'être au rendez-vous de la
science et de la technique et réenracinementafin de mieux mettre
en valeur nos cultures) qu'il est apparu la télévision scolaire.
Mais peut-on dire que la télévision scolaire
a contribué
à
l'amélioration de~ cultures ivoiriennes c'est-à-dire dans le sens
que souhaitent les populations à savoir :La valorisation et
l'introduction des langues ivoiriennes à l'école? Que devient
cette éducation télévisuelle dans le cadre de l'institution
scolaire ivoirienne? bt l'acquisition d'un appareil téléviseur
éducatif suffit - elle à justifier la valeur d'une pédagogie
moderne ou permettre à la péaagogie de s'inspirer du milieu et de
mettre en valeur les cultures ivoiriennes afin qu'elles
ne devien-
nent plus un élément de contemplation, mais un élément vivant ?
Les programmes modernes sont comme auparavant
livresques
ils enseignent aux enfants "quoi" savoir, en
accumulant les informations importées de l'étranger. La transmis-
sion du "comment" savoir et "comment" agir est ordinairement
"
laisse de côté.
Apres avoir pres enté le systeme éducatif ivoirien
comme reproduisant l'Idéologie scolaire en Yigueur en occident,
Il nous faut parler maIntenant dans une seconde partie des
relations scolaires. Celles-ci vont nous permettre de voir les
phénomènes de fixation des modèles culturels occidentaux au
détriment des modèles locaux ..

180
DEUXHI[
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LES
REL ATI 0 l~ S
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RIS.t.TION
DES
l'iODELES
CULTUREL:-
CCCIDP:T/'UX.

181
INTRODUCTION
Partout dans le monde dit sous-développé, l'école
introduite de force a inculqué ~ l'enfant scolarisé l'idée
de refuser les valeurs que lui propose son milieu d'origine.
A la suite de ce refus,
on constate que les enfants ne portent
plus la marque culturelle de leur milieu et sont de plus en
plus tournés vers l'occident.
L'analyse de la situation d'acculturation des jeunes
ivoiriens fait apparaître en réalité le désir de ces jeunes .~
intérioriser les valeurs culturelles occidentales.
L'indifférence affichée ~ l'égard des modèles cultu-
rels locaux serait un moyen pour les jeunes scolarisés de nier
leur propre culture au profit de la culture étrangère qui s'en-
raClne de plus en plus et l'un des buts de leurs attitudes
serait de réagir en européen.
Mais de telles manifestations peuvent être la consé-
quence logique d'une dépersonnalisation ou d'un génocide cul-
turel,
surtout ~ une époque où nous assistons ~ la lu~te
d'influence culturelle envahissante. Cette lutte d'influence
culturelle diffuse
fait qu'il est relativement impossible ~
)
tout individu en situation d'acculturation de s'élever au-
dessus de ces contraintes culturelles afin de prouver son indé-
pendance culturelle, c'est-~-dire de décider lui-même de la
valeur de ses propres orientations culturelles.
Il est ~ craln-
dre de voir dans ces manifestations le meurtre d'une culture.
Surtout lorsqu'il s'agit de jeunes enfants qui sont appelés ~
perpétuer les valeurs du milieu.
Ainsi, dans la suite de nos propos, nous nous
proposons d'observer les relations qu'entretient l'écolier
ivoirien avec l'école; de montrer les changements intervenus
dans son environnement ~ cause de ces relations et de voir
dans quelle mesure on peut y apporter remède.

182
Il s'agit donc· (dans notre esprit) de voir dans les
relations scolaires comment les modèles étrangers se sont
introduits dans' la mentalité des écoliers ivoiriens.
Il est 8 noter que les relations scolaires et extra-
scolaires se vivent. C'est 8 travers ce vécu que se déroule
la lutte d'influence des cultures
(ivoirienne et française),
ainsi que la situation d'acculturation. Celle-ci, comme on
le sait, met en contact deux cultures dans un rapport de
domination de l'une 8 l'autre. La culture dominante de type
technique, à économie puissante, contrôle culturellement la
culture dominée. Dans la mesure où la civilisation colonisa-
trice contrôle l'éducatio~ de la civilisation colonisée, il
est évident que le comportement des jeunes ivoiriens soit
déterminé à partir de la culture occidentale et non le
contraire.
En parlant des classes sociales, Marx nous dit que
les rapports de production détermInent les classes sociales
que celles-ci n'existent que parce qu'elles s'opposent. Nous
dirons dans le même sens que les relations scolaires provoquent
la détermination de certains comportements qui s'opposent à
ceux du milieu familial.
Ceci est dû au fait que l'enseigne~
ment, non seulement se donne en langue étrangère dans un
milieu totalement différent, donc contradictoire, mais aussi
oblige les écoliers à ingurgiter l'idéologie scolaire de cette
culture étrangère.
L'analyse des relations scolaires et extrascolaires,
va nous permettre de mettre en évidence la présence des élé-
ments qui conduisent à l'acculturation des jeunes écoliers.
Ces relations en question comme nous le verrons par la suite,
sont le lieu des manifestations des modèles culturels étrangers
qui se sont infiltrés ou ont été injectés dans le système
éducatif ivoirien.
. .. / ...

183
C'est pour cela que les habitudes, les mentalités, les valeurs
héritées de la colonisation, les moyens idéologiques de domi-
nation résistent et inspirent encore l'actuel enseignement
ivoirien.
Voyons quelle démarche nous comptons adopter en vue
d'étudier ces phénomènes d'acculturation à travers le système
des relations scolaires.
Comme nous l'avons dit plus haut,
il s'agira d'une
démarche conforme à celle en vigueur dans les sciences sociales.
Mais auparavant, i l nous faut définir le terme "acculturation".
CONCEPT D'ACCULTURATION
S'il est facile de définir l'enseignement comme l'action
de transmettre les connaissances, il est plus difficile de
cerner le concept d'acculturation.
On donne de l'acculturation la définition suivante
"phénomènes qui se produisent lorsque des groupes d'individus
appartenant à des cultures différentes se trouvent en contact
direct et continu, avec des changements consécutifs dans les
structures culturelles originales de l'un ou des deux groupes"
(1) .
Si cette définition est très généralement admise
aujourd'hui, par certains chercheurs, d'autres expriment quel-
ques réserves à son sujet.
Ceci montre la difficulté de préciser le sens exact
du'mot "acculturation". Ce terme, comme le souligne LINTON
"est utilisé depuis plus de cinquante ans et il a accumulé
une profusion d'associations" et d'interprétations.
(1)
Définition tirée du "Memorandum on the study of accultu-
ration, american anthrpologist,
1936 XXXVIII.
. .. / ...

184
L'acculturation est différente de la socialisation.
Par contre, 6n l~ confond avec le terme d'assimilation: par
exemple, quand 0n dit d'un individu qu'il est plus ou moins
acculturé, on veut signifier par là que cet individ~ est assi-
milé, parce que son "comportement culturel propre a fait place
à un comportement calqué sur celui de la culture étrangère"
avec ou sans conviction. Cette démarche n'est pas sans fonde-
ment lorsque l'on peut comparer un individu à des membres du
même groupe culturel qui ont déjà, à travers l'acculturation,
abouti à une "assimilation".
L'emploi du ternie "accul turation"
est semble-t-il
répugné par la plupart des chercheurs français.
Certains, comme M. Roger BASTIDE, parlent "d'inter-
pénétration des civilisations"
; d'autres de "contacts
culturels".
Les chercheurs britanniques, eux aussi, préfèrent
l'expression: "contact de culture (culture contact)" supposant
une réciprocité des influences.
Pour rompre le cercle enchanté du culturalisme,
Balandier (1)
en France et GLUCK~~N en Angleterre introduisent
dans cette analyse la variable:
"situations sociales de
contact". Selon eux le contact et les effets ne peuvent être
compris qu'à la condition d'être replacés dans des "ensembles
c'est-à-dire dans des totalités sociales qui les encadrent,
les orientent et les unifient."
(1) BALANDIER G. la situation coloniale, approche théorique,
cité par R. BASTIDE in acculturation.
'Encyclopedia
Universalis)

185
L'apparition des Etats modernes sur la scène inter-
nationale a amené les Nord-Américains à introduire de plus en
plus dans leurs/conceptions de l'acculturation des faits poli-
tiques
(comme le nationalisme) ou économiques (comme l'indus-
trialisation), bref à replacer les faits d'acculturation de
plus en plus dans les cadres sociaux, nationaux et interna-
tionaux. Et cela d'autant plus que ce que l'on appelle le
"développement" ne peut se confondre avec la ~imDle 'croissance
économique"
; il postule une acculturation avec les normes et
les valeurs de la société occidentale, mais volontaire main-
tenant et non plus imposée du dehors par un groupe de
domination".
Cette nouvelle stratégie d'acculturation "consiste,
nous dit Roger BASTIDE, premi~rement à prendre en charge
l'acculturation dans le seul sens de l'occidentalisation par
les gouvernements des pays récemment indépendants et deuxiè-
mement à se servir des théories scientifiques en vue d'intérêts
qui restent par trop ambigus"
(1)
;
c'est pourluol un nouveau
vocabulaire est inventé
(développement se su~titue à accultu-
~
ration) et le consensus se réalise sur la primauté de la pers-
pective sociologique (plus particulièrement économico-politique).
Pour mener à bien cette acculturation planifiée, on choisit
un facteur "dominateur" capable de provoquer des changements.
Par ex e mpIe 0 n a g: i t
sur 1 es" men t al i tés à t r a ver s I ' al ph ab é t i -
sation des adult~s ou des enfants ; ou bien pour éviter les
réactions xénophobes, on choisit dans chaque communauté à
"acculturer" des leaders que l'on "acculturera" pour que ce
soient des membres de "l'ingroup" et non de "1 'outgroup"
(1)
Roger EASTI DE
l'acculturation in Encyclopedia universalis
Vol.
1
... / ...

186
qui se
~ssent les défenseurs, ~ l'intérieur de la forteresse
culturelle à abattre, du changement et de l'occidentalisation
(et qui d'ailleurs sont seuls capables de trouver ces meilleurs
moyens d'adaptation pour éviter les crises).
A travers ces considérations, nous dirons que l'accultu-
ration est un processus à sens unIque, dans lequel la culture
influencée se moulerait à l'image de la culture influente , car
comme l'écrit M. RICHELLE,
la situation coloniale met "en contact
deux cultures dans un rapport de domination de l'une à l'autre.
La civilisation dominante de type technique avec tout ce que cela
implique aujourd'hui quant au rythme de changement intraculturel,
~ économie puissante, douée d'une extraordinaire capacité d'expan-
sion, contrôle politiquement, économiquement et culturellement la
civilisation dominée ( ... ), fbndée sur une économie en tout cas,
faible par comparaison à l'économie mondiale dans laquelle elle
se trouve plongée aujourd'hui. Contrôle politique, contrôle cultu-
rel et contrôle économique sont donc aux mains du pouvoir dominant,
et dans la mesure où les traits d'une culture sont liés à ses
structures politiques et économiques, il est évident que les
sociétés africaines colonisées subissent une forme d'accultura-
tion sous contrainte ... " (1).
Le problème que nous essayons
(dans cette deux~ème partie)
d'étudier est de savoir de quelle manière les relations scolaires
participent à l'acculturation des jeunes écoliers ivoiriens.
(1) RICHELLE Marc. Aspects psychologiques de l'acculturation:
Recherche sur les motivations de la stabilisa-
tion urbaine au Katanga
: Université de Liège
(1966)

187
CHAPITRE - l
LA QUESTION METHODOLOGIQUE
11
-
Sens de l'enseignement:
Intérêt de son analyse.
11
Pourquoi avons-nous choisi d'étudier ou d'analyser
l'enseignement?
Nous avons décidé d'analyser l'enseignement, parce que
nous considérons que c·'est dans le milieu scolaire que s'opèrent
le plus les phénomènes d'acculturation:
- Le milieu scolaire forme,
éduque,
inculque des princi-
pes, dispense des connaissances qui sont souvent en contradiction
avec le milieu d'origine de l'enfant.
- Le milieu scolaire éveille, aiguise la curiosité, la
motivation et les aspirations des enfants.
- C'est par ce milieu scolaire que la plupart du temps
l'occident passe pour faire triompher ses valeurs,
ses ideaux ou
ses intérêts en agissant sur la fragilité ou la naîvété des
enfants.
- A travers l'enseignement télévisuel, l'occident
transmet une certaine vision du monde moderne
il exprime et
cristallise les modèles culturels occidentaux
ceux-ci modèlent-
chez les écoliers "des réactions qui étaient encore aléatoires
et indécises".
En effet le choix de l'enseignement primaire nous a
paru nécessaire et indispensable, parce qu'il offre à notre
investigation une gamme de mécanism8$ divers capables de "changer
le jeune enfant en développement".
Ces mécanismes ont pour nom
la langue d'enseignement, l'assimilation, l'intimidation, les
complexes provoqués par l'école.
. .. / ...

188
Parmi ceux-ci, la langue constitue le mécanisme d'accul-
turation le plus populaire, le plus puissant.
Il nécessite un dur
apprentissage. C'est la langue qui déclenche les autres mécanismes.
Elle est le meill~ur transmetteur de l'idéologie culturelle. Son
impact est large. Elle permet d'entrer en relation avec la culture
qui la sous-tend et d'apprécier cette culture. "L'étude de son
contenu devrait donc retenir notre attention". Cependant nous
insisterons beaucoup sur le milieu scolaire, pour micux centrer
notre étude sur les enfants scolarisés. Ce sont eux qui vivent
directement les problèmes d'acculturation.
D'autre part dans une société où la population est fai-
blement alphabétisée et où le sens de l'enseignement (cn vue de
perpétuer la domination culturelle française)
est de s'attaquer
à la population des jeunes, plus sensible au changement; ou de
faire intérioriser les modèles culturels français aux enfants,
afin d'être les défenseurs de cette culture, les idéologies entre-
tenues par l'enseignement sont révélatrices d'acculturation ou
d'aliénation culturelle.
C'est en considération de ces données que nous avons
décidé d'axer notre recherche sur le milieu scolaire. Car c'est
dans ce milieu que se déroulent tous les autres mécanismes ;
c'est lui qui moule l'élève à l'image de la culture dominante.
Le milieu scolaire est donc le reflet de cette culture dominante.
C'est dans ce milieu que l'enfant reçoit les premiers éléments
lui permettant d'entrer en contact avec le monde occidental.
Le milieu extrascolaire est un lieu "d'application",
c'est-à-dire que, c'est ici que l'enfant confronte ce qu'il a
appris à l'école et ce que l'environnement lui offre. Ceci pose
le problème de la cohérence ou de l'incohérence de ce qui est
appris à l'école et ce que l'enfant vit en dehors de l'école .
. . . / ...

189
C'est donc l'acculturation interne à l'école et à l'inté-
rIeur de l'école qui va donc attirer notre attention.
Ensuite nous verrons comment elle est reprise par certains
agents
(1)
sencés s'occuper de l'éducation de l'enfant et qui
réalise cette acculturation d'une manière plus diffuse parce que
cette acculturation s'adresse à l'ensemble de la collectivité (2).
Après avoir exposé l'intérêt de l'analyse de l'ensei-
gnement en vue de nous éclairer sur le processus d'acculturation
de l'enfant scolarisé àu primaire en Côte d'Ivoire, nous allons
nous intéresser maintenant au cheminement et limite de .l'étude.
11 12 _ Cherr:inement et limite de l'étude
,
Nous avons monue dans l'avant propos 8t dans notre
introduction comment l'idée de faire une thèse nous est venue et
pourquoi précisément le thème de "Enseignement et Acculturation
à l'école primaire".
Point n'est plus besoin de revenIr là-dessus.
J
En effet, les reflexions qui vont contenir dans cette étude,
découlent des observations que nous avons été amené à faire sur
la problématique du rapport "Enseignement/Acculturation" à l'école
prImaIre auquel les enfants se trouvent confrontés.
Cela nous a donc amené à montrer comment l'éducation
moderne s'achève par une occidentalisation de l'écolier ivoirien
c'est-à-dire par une acculturation de l'intelligence et de l'af-
fectivité.
(3)
(1) Il s'agit de la famille,
de la Radio, de la Télévision, de la
Presse écrite, du cinéma qui véhiculent et diffusent les
modèles culturels occidentaux.
(2) Serge ALBOUY : Eléments .de sociologie et de psychologie sociale
éd. E. Privat - Toulouse 1976
P.
156
(3) Roger BASTIDE : le prochain et le lointain
Ed. Cujas, Paris 1970.

190
Il est évident qu'une telle étude ne peut méconnaître
la "maintenance" de la mentalité africaine
(culture africaine au
sens anthropologique du terme). Mais pour avancer dans notre
étude,
il convient maintenant de signaler les travaux antérieurs
qui nous ont permis de limiter
notre objet d'étude; car pour
voir plus loin,
il faut se hisser sur les épaules des grands
}lOmmes.
11
-
Travaux antérieurs
17- 1
Il ne s'agit pas des travaux faits directement sur
l'acculturation de l'enfant ivoirien, ou bien sur les aspects
psychologiques de lienseigne~ent ivoirien, mais il s'agit des
travaux qui ont déjà étudié de façon générale plus ou moins direc-
tement, certains aspects du problème qUl nous préoccupent et qui
nous permettent d'avancer.
Parmi ces travaux, nous pouvons citer ceux consacrés à
l'enfant ivoirien et qui sont pour la plupart des articles de
journaux, des thèses etc ... et ceux qui lui sont
en effet régulièrement consacrés à travers les publications des
annales de l'Université d'Abidjan ..
Sur le plan scientifique, quelque soit le support pour
la transmission des résultats, de nombreuses recherches ont POuy'
objet l'enfance. Les unes concernent les enfants ivoiriens dans
leur ensemble et mettent l'accent surtout sur dBs éléments psycho-
logiques,et psychopédagogiques, et parfois se refèrent à des as-
pects socioculturels etc ..
; les autres concernent les enfants de
façon générale.
. .. l . ..

191
Il convient de souligner que ces travaux n'ont pas été
conduits dans la perspective qui nous intéresse ici, c'est-~-dire
en vue de décéler les facteurs acculturants de l'enseignement
prlmalTe.
Ils peuvent être classés en trois groupes selon nous
-
Il Y a d'un côté les recherches qui ont abordé les phéno-
mènes d'acculturation dû ~ la colonisation. Elles ont mis l'accent
sur la désintégration de la culture africaine
(1) et la valorisation
de la culture
européenne
(2).
- Celles qui ont abordé les phénomènes d'acculturation dûs
à l'école.
Elles ont mis l'accent sur la persistance de la mentalité
africaine
(3)
- Enfin celles qui nous intéressent, ont mlS l'accent sur
les phénomènes d'acculturation dûs ~ l'école dans le sens d'un déra-
cinement et d'une interférence linguistique (4)
ou d'une remise en
cause de l'autorité parentale
(5).
(1) Marc RICHELLE
Aspects psychologiques de l'acculturation:
Recherche sur les motivations de la stabilisation
urbaine ou Katanga (Université de Liège) 1966
(2) Robert JAULIN, la décivilisation, politique et pratique (1975)
- J. P. -LYCOPS, l'agression silencieuse ou le génocide culturel en
Af ri que, An th r 0 po s.
( 19 76 )
(3)
Il s'agit de l'acculturation matérielle dont parlent Roger
BASTIDE in le prochain et le lointain·Ed. Cujas, Paris 1970
et J.
P. N'DIAYE : Elites Africaines et cultures occidentales,
Présence Africaine, Paris 1969.
(4)
- FADIGA K., la langue et la culture dans l'enseignement en
Côte d'Ivoire thèse àe 3e cycle 1975 Paris René Desca-
Descartes.
- Ortigues (M.C.) et Ortigues (E.)
Oedipe Africain, Paris Plon
1 966
(5) SEMITI A. Jules
Les rapports d'autorité chez les Gouro de
Côte d'Ivoire, Thèse de 3e cycle Paris-Sorbonnœ
1978·

"
1
192
11 12
- Tendances di~ectrices de ces travaux.

L'examen de l'ensemble de ces travaux peut se ramener à
deux grandes tenda~ces directrices. Celles-ci tendent à dénoncer
ou à étudier les problèmes posés par la colonisation, par l'édu-
cation des africains (l'occidentalisation), mais chacune d'entre
elles se préoccupe plus particulièrement de tel ou tel aspect du
problème.
- La première de ces tendances met l'accent sur la
connaissance du système scolaire Ivoirien
, des rapports entre
milieu de vie et réussite scolaire (1). Des recherches particu-
lières ont porté sur:
le dépistage des difficultés phonétiques,
la rapidité de lecture des élèves des classes primaires, la mise
au point d'une méthode d'initiation générale au niveau du cours
préparatoire première année
(CPl
langage, lecture, calcul, €du-
cation sensori-motrice,
initiation au graphisme et à l'écriture).
Ces recherches visent à étudier les problèmes psycho-pédcgogiques
vécus par les enfants à l'école (2).
- La deuxième tendance est une approche d'inspiration
psycho-pathologique
(Ortigues
; les chercheurs de la Société de
psycho-pathologie et d'hygiène mentale de Dakar). Elle essaie
d'atteindre la population enfantine qui fréquente la Société
suscitée et le centre neuropsychiatrique de Fann (Dakar). Elle
propose de mettre au point une psychothérapie de l'enfant africain,
afin de lui révéler son blocage dans sa double dimension psycho-
logique et culturelle.
(l)-Jean TANO, Développement de l'intelligence de l'enfant
ivoirien, Thèse, 1975
-AKA KOUADIO J., problèmes de Bilinguisme à l'école, Thèse 1975
Caen.
(2)-BERBAUM J., MILOU; TOURE etc ... chercheurs à l'Ecole Normale
Supérieure d'Abidjan;
(ENS).
1970
-SARROLA (S.)
: Essai d'élaboration d'une méthode d'enseignement
centrée sur l'apprentissage dullangage destinée aux
enfants de cours préparatoires en Afrique franco-
phone Thèse de 3° cycle soutenu à Caen en 1970.
-AKA K. J.
op. cit.

193
La constatation que l'on peut faire à l'issue de ce
survol rapide est que le thème "d'accuJturation par l'enseignement"
n'a pas été abordé pour lui-même. Le mérite de ces études est
d'avoir montré l'influence de la culture occident~le sur le compor-
tement du jeune africain. Quant à nous, nous voulons essayer de
montrer pourquoi cette influence "persiste" de nos jours, alors
que tout est africanisé, voire, "ivoirisé" aw:.dires.des dirigeants
du système éducatif ivoirien.
11
- Approche méthodologique.
12 3
Notre enquête a porté suriies "relations scolaires et
extrascolaires" qui sont vécues par l'enfant scolarisé et CIui le
conditionnent en le rendant dépendant des modèles culturels
occidentaux .
Il s'est agi de dégager un certain nombre d'idées
contractées par l'enfant depuis sa mise à l'école; de mettre en
évidence un certain nombre de problèmes qui sont en dernière ana-
lyse des problèmes d'acculturation. La saisie de ces idées et de
ces probJèmes permettra de dégager un certain nombre d'attitudes.
Avant de construire nos hypothèses et notre questionnaire,
nous avons d'abord cherché à connaître la situation de l'enseigne-
ment en Côte d'Ivoire depuis la colonisation jusqu'à nos jours.
Cette connaissance nous a permis de voir comment nous pouvions
formuler nos hypothèses, nos questions et nos guides d'entretien.
Enseuite nous avons sollicité l'opinion des écolier~ de
leurs parents et de .leurs enseignants sur un certain nombre de
points, afin de répondre aux questions que nous nous sommes posé.
Nous avons cherché avec les écoliers,
l'idée qu'ils se
font de leur propre scolarité, de leur avenir, de leur vie extra-
scolaire.
. .. / ...

194
Nous les avons invités à nous dire ce qu'ils pensaient de la Vle
en ville c'est-à-dire de la société moderne et de la vie au village
c'est-à-dire de la 'société traditionnelle. Avec les parents, nous
avons cherché à connaître quel genre d'éducation ils donnent à leurs
enfants, c'est-à- dire en somme, quelles sont les valeurs (occiden-
tales ou africaines) qu'ils privilégient. Ensuite
nous leur avons
demandé de se prononcer sur le contenu de l'enseignement que reçOl-
vent leurs enfants à l'école.
Avec les enseignants qui éduquent,
instruisent, endoc-
trinent sans le savoir peut-être, les enfants, nous avons cherché
à savoir quel type de rapports ils entretiennent avec leurs élèves
et ce qu'ils pensent eux-mêmes de la nouvelle école ivoirienne,
surtout au point de vue du contenu des programmes ; comment trans-
mettent-ils le message pédagogique, quel message pédagogique ces
enseignants transmettent aux enfants qUl leur sont confiés ?
A ces questions, s'en sont ajoutées d'autres aUl sont
plus spécifiques. C'est ainsi qu'ils sont conviés à se prononcer
sur la qualité du "produit" de l'enseignement qu'ils dispensent et
sur l'avenir du système d'enseignement primaire ivoirien.
Autant de problèmes qui, au terme de notre préenquête,
ont permis de cerner un certain nombre d'attitudes de l'enfant,
dans leur permanence et dans leur changement. C'est donc à l'issue
de ces résultats que nous avons pu poser notre problème et nos hypo-
thèses.
Nous n'avons pas voulu étudier des problèmes fondamentaux
tels que ceux
qui sont liés au statut socio-économique de
l'enfant, parce que ces problèmes n'entraient pas dans l'ordre de
nos préoccupations.
. .. / ...

195
Nous aurlons pu le faire,
Sl nous aVlons eu les moyens nécessaires
à notre disposition: Il s'agit donc tout simplement d'une affaire
de moyens qui nous a empêché de faire oeuvre exhaustive. C'est dire
1
que la modestie de ~DS moyens tant financiers que humains ne nous
a pas permis d'étudier autre chose que ce que nous avons eu à
étudier.
11 12•
~errain d'étude
Il aurait fallu faire le tour de toutes les questions
touchant les problèmes d'acculturation à l'école (1) pour obtenir
le maximum d'informations utiles sur notre thème.
Cette approche nous aurait demandé un travail considé-
rable. Conscient de cette situation, nous avons donc porté notre
attention sur l'enfant de l'école primaire dans deux milieux dif-
férents
(milieu urbain et milieu rural).
Le choix de l'enfance scolarisée tient au titre même de
notre étude: "Enseignement et acculturation de l'enfant de l'école
primaire". Cela veut dire en clair que c'est l'enfance scolarisée
et non l'enfance non scolarisée qui nous intéresse parce qu'étant
en contact direct avec la culture française.
En effet, comme nous ne cessons de l~ repéter, l'absence
de moyens nous a conduit à rechercher la saisie d'éléments simples
observables beaucoup plus objectifs et par conséquent à privilégier
un certain nombre de questions qui sont relatives à l'enfance
scolarisée.
(1) C'est-à-dire de l'école maternelle à l'Université,,_
en passant
par le primaire et le secondaire. Ce dernier secteur fera
l'objet d'une recherche ultérieure.
. .. / ...

196
Il est évident que l'enfance non scolarisée vit les mêmes situations
d'acculturation à travers les objets ludiques, alimentaires etc ...
et a sans doute de~ opinions sur elles c'est-à-dire sur ces situa-
tions d'acculturation.
Néanmoins la recherche de la facilité due à l'absence de
moyens nous a conduit à préférer saisir les problèmes là où ils
peuvent être médiatisés, appréhendés par une enfance mise très tôt
en contact avec la culture française.
Si nous avons choisi cette catégorie d'enfants, ce n'est
pas parce qu'elle est la pl~s nombreuse par rapport à celle qui
n'est pas scolarisée et par rapport à celle du secondaire (Lycées
et collèges), mais parce qu'elle est mieux "saisissable" parce que
regroupée dans des établissements par rapport à la non-scolarisée
c'est aussi surtout parce qu'elle est la plus jeune et la plus
exposée par rapport à celle du secondaire, aux influences exté~
rleures et aussi parce que la réforme actuelle de l'enseignement
en Côte d'Ivoire est mise en application à l'école primaire (depuis
bientôt huit ans). Nous avons donc pensée que c'était là une occa~
SIon pour nous de relever un temps soit par la présence des modèles
culturels occidentaux dans le nouveau système d'enseignement en
Côte d'Ivoire.
L'importance que nous attachons aux influences de l'en-
seignement sur le comportement de l'enfant ivoirien, n'exclut pas
pour autant la signification d'influences subséquentes ou de fac-
teurs qui ne sont pas du domaine de l'enseignement dit formel.
Le choix des deux milieux déjà mentionnés (urbain et
rural) n'est pas fonction d'une certaine préférence particulière
personnelle.
. .. / ...

197
Disons plutôt que nous avons choisi par exemple le quartier de
Cocody.-Abidjan et,du village Zégo (département .de Divo) en raison
des facilités qu'ils nous présenteraient au nlveau de nos enquêtes.
Si notre recherche a porté sur les deux régions précitées,
elle s'est limitée à deux tranches d'âges:
la première allant de
o à 14 ans (pour aborder le problème général d'acculturation de
l'enfance urbanisée)
; malS seuls ont été pris en compte pour les
besoins de notre questionnaire, les enfants scolarisés de 9 à 14
ans. La seconde tranche d'âges est celle des adultes
(enseignants
et parents d'élèves). Les populations des deux sexes furent égale-
ment examinés ainsi que les différentes couches socio-culturelles
et socio-professionnelles.
Le milieu a été observé à plusieurs reprises, en principe
pendant les "Récréations" pour les écoliers et les enseignants et
pendant les "week-end" (sur rendez-vous) pour les parents.
Les écoliers du village Zégo ont été la plupart inter-
viewés pendant les congés de Noël et Pâques. Cette enquête s'est
déroulée de novembre 78 à décembre 79.
Notre situation de Conseiller d'Orientation et de
Formateur à l'Office National de la Formation Professionnelle
(ONFP) et de professeur vacataire au Centre Ivoirien d'Etude et
de Recherche en Psychologie Appliquée
(Université Nationale
d'Abidjan) ne nous permettait pas d'être constamment sur les lieux
de l'ènquête de façon continue.
Malgré ces limites, l'intérêt de cette étude demeure.
Elle peut nous fournir une image d'ensemble des problèmes et des
espoirs que les écoliers ivoiriens, les parents et les enseignants
etc .. nourrissent à l'égard de l'école ivoirienne.
. .. / ...

198
Cette approche des problèmes d'acculturation de l'écolier
IVOIrIen et de l'étude des remèdes pour
la freiner,
d'autres études
pourront un jour l'approfondir; mais pour l'heure une esquisse
,
générale est déjà tracée.
Etant donné que nous qvons fait le tour du problème qUI
nous préoccupe, étant donné que nous avons présenté l'approche
méthodologique, nous nous trouvons maintenant plus à l'aise pour
formuler nos hypothèses de travail.
11
- HYPOTHESES DE TPÂVAIL.
17-5
" Las cie n cee s t fa i t e de pou r quo l
? ~'I ais
i les t di f fic il e
à l'avance, de distinguer l'intérêt scientifique d'une hypothèse.
Celui-ci est d'abord subjectif".
(Madeleine GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales, P.
355)
HYPOTHESE CENTRALE
L'enseignement ivoirien dont les objectifs visent la
valorisation des cultures locales, peut dans une certaine mesure
être considéré comme un transmetteur de modèles culturels
occidentaux.
La formulation de notre hypothèse centrale repose en
ordre principal sur les hypothèses secondaires suivantes
:
HYPOTHESE
Il semblerait qu'un enseignement dispensé en langue
étrangère et dans un milieu culturellcment différent puisse favo-
riser un certain type de comportement plutôt qu'un autre.
Il se
créerait alors un comportement que nous appelons "comportement
d'acculturation".
. .. / ...

199
Ce comportement favoriserait le développement d'un
"ensemble d'attitudes et de capacités ... en fonction de conditions
psychiques, politiques, culturelles et techniques, qui constituent
ce qu'on peut appeler les demandes et les contraintes d'un milieu
comportemental donné".
Bour vérifier cette hypothèse nous poserons la que~tion
suivante à laquelle nous repondrons
: par quelle médiation la
langue française contribue à l'acculturation de l'enfant scolarisé?
HYPOTHESE 2·
Ce "comportement d'acculturation", l'enfant l'acquerait
par la fonction de médiation qu'assume l'école et cela de trois
façons
- Par l'influence qu'exercerait sur la formation du
caractère de l'enfant l'idéologie de l'école. En effet comme
l'idéologie de l'enseignement ivoirien est une expression de
l'idéologie occidentale, on s'explique que les prIncIpaux traits
de cette idéologie socialement souhaitables soient communiqués
aux enfants
- Par les méthodes de l'enseignement
(traditionnel ou
télévisuel). Ces méthodes n'ont de signification que comme
"mécanismes de transfert" et on ne peut les comprendre correctement
que lorsqu'on a saisi avec précision quel type de personnalité
s'avère souhaitable et nécessaire dans un milieu pratiquement oc-
cidentalisé ou une culture donnée (pratiquement occidentalisée).
- Par le truchement des relations interpersonnelles
(maître-élève; élève-élève etc ... ) qui se développeraient à
l'intérieur de l'école et par le contenu des programmes et des
manuels scolaires.
. .. / ...

200
En d'autres termes, le point de départ des modèles de conduites
acquis par un élève se situerait dans les comportements des maîtres
qUI transmettent qes connaissances
; dans ceux des condisciples
qUI induisent les comportements des pairs
; dans le contenu des
programmes qui donnent la manière de penser, d'agir et de sentir
etc ...
HYPOTHESE 3
La fonction d'acculturation par l'enseignement que nous
venons de constater serait de grande importance durant les années
d'enfance pour les raisons suivantes
- L'enfant est plus influençable que l'adulte
- il est un être en devenir
- et d'après les psychologues tout se joue à cette
période de développement.
II
- METHODOLOGIE.
13
"On étudie le fond de la mer avec une sonde. Si celle-ci
ramène de la vase c'est Que le fond est vaseux. Si elle ramène de
la boue c'est que le fond est boueux. Si elle ne ramène rien c'est
que la ficelle est trop courte".
(D'après Jean-Charles,
in la forie aux cancres, cité par
Madeleine Grawitz, Méthodes des Sciences Sociales).
Le choix d'une ώthode est toujours en fonction de
l'objectif fixé et en fonction du sens de l'étude .
. . . / ...

201
En ce qui concerne notre travail, nous avons pensé que
le meilleur moyen pour nous d'apporter une modeste contribution à
l'étude de l'acculturation de l'enfant ivoirien était de partir
des phénomènes obs~rvés sur l'enseignement en Côte d'Ivoire, pujs
sur Je comportement du jeune écolier.
Cette étude nous allons tenter de la situer à mi-chemin
entre l'empirisme et le théorique. La démarche que nous avons
choisie, nous semble conforme à celle en vigueur en sciences
sociales.
Etant conscient de l'apport pluri-disciplinaire que
nécessite l'étude des phénomènes d'acculturation, nous avons déci~é
"de ne pas voir le problème sous un angle trop abstrait, non plus
pêcher par excès de psychologisme ou de sociologisme" ; C'est
pourquoi nous avons opté pour une approche de psychologie sociale
ou de psychosociologie de l'éducation.
Cette approche, apparaît sûre, à nos yeux de rendre
compte des processus d'acculturation, tels que les vivent les
écoliers ivoiriens.
Notre méthode est donc l'enquête par questionnaire et
par interview.
- LE QUESTIONNAIRE
Problèmes - aspects méthodologiques
Pour avoir le maXlmum d'informations utiles,
il nous
a paru indispensable que les écoliers, les enseignants et les
parents d'élèves s'expriment davantage. Afin d'atteindre cet
objectif, nous avons utilisé l'enquête psychosociale. Celle-ci
comme son nom l'indique, s'applique à une réalité tout à fait
particulière:
la vie psychologique d'un groupe social .
. . ./ ...

202
Elle consiste donc à rechercher, dans ce groupe social donné,
quels sont les sentimenti, les opinions, les besoins, les attentes,
les attitudes, les raisons d'agir et de réagir, les manières de
vivre, de travaill~r, de se distraire ... les changements et les
influences aUfIuelles il est sensible,
(R. ~IUCCHIELLI, 1975) et
qui existent à l'état à la fois latent et manifeste.
Le c[uestionnaire est une suite de propositions, ayant
une certaine forme et un certain ordre, sur lesquels l'on solli-
cite l'avis, le jugement ou l'évaluation d'un sujet interrogé.
Nous savons que tout questionnaire couvre difficilement
tous les aspects d'un problème.
Il est à noter que quelles que soient les précautions
prises, le questionnaire est un instrument peu fidèle,
surtout
quand il s'agit d~opinion. Ainsi, posant les mêmes questions à
trois semaines d'intervalles, F. MOSTELLER (1)
a constaté une
concordance de 96 % entre les réponses factuelles
(quelle est la
marque de votre voiture ?") et de 79 % seulement entre les répon-
ses exprimant une oplnlon relative à l'actualité ("pensez-vous
que ROOSEVELT est un bon, un moyen ou un mauvais président ?")
Ces remarques nous ont permis de prendre quelques précau-
tions. C'est ainsi que notre préoccupation était double.
- Il s'agissait premièrement de faire comprendre à nos
sujets ce qui est demandé.
- Deuxièmement chercher à comprendre surtout les réponses
et ensuite essayer de comprendre ce qu'ils veulent dire.A cette
fin,
les directives et les explications ont été données oralement.
(1) F. MOSTELLER, auteur cité par G. DE LANDSHEERE,
ln Introduc-
tion à la recherche en Education, P.
56.

203
Il convient de signaler au lecteur que la population
scolaire étudiée était composée de jeunes enfants de 9 à 14 ans
et la plupart du temps d'un niveau scolaire très bas, ce qUl nous
a obligé à intervenir constamment dans nos explications.
Pour permettre à chacun de nos sujets de ne pas
"souffrir devant une question, nous avons fait en sorte que les
questions soient des questions ouvertes des questions à choix mul-
tiples et dans un moindre degré des questions par "oui ou non"
(exemple: As-tu de bons camarades à l'école: oui ou non
;)
Nous pensons que les questions ouvertes et questions à
choix multiples permettent d'aborder pratiquement tous les thèmes,
notamment les plus délicats, et fournissent un évantail de réponses
beaucoup plus riches.
Lorsque nous avons remarqué que le problème était déli-
cat, nous portions nos préférences sur les questions ouvertes en
n'oubliant pas qu'elles stimulent peu les répondants. C'est pour
cette raison que nous avons combiné la méthode de questionnaire
par écrit et la méthode d'entretien, comme le recommande Jean
STOETZEL (1).
Afin que l'ensemble des questions se regroupe autour du
même but, nous avons essayé de traduire les objectifs spécifiques
de notre étude en des termes tels qu'ils puissent être portés à la
connaissance des sujets. Ces termes ont été, à notre avis, simples.
Etant nous-même ivoirien et parlant la langue du plus grand nombre
de nos sujets, nous avons tenu compte de leurs cadres de références
et spécifié le contexte de chaque question. Nous avons essayé,
compte tenu de leur niveau d'instruction, de ne pas dépasser leur
niveau d'information.
(1) Jean STOETZEL, l'étude expérimentale des opinions PP. 10-13
Paris
PUF.
1963
150 pages.

204
Mais en ce qUl concerne nos populations adultes
(Enseignants et parents d'élèves) nos questions leur paraissaient
revêtir parfois le caractère d'interrogatoire. Ce qui fait que le
sujet se croyait d-ans une situation d'enquête "policière".
Pour neutraliser cette appréhension, nous avons restruc-
turé les questions en obtenant enfin des questions fermées,
des
questions ouvertes et des questions à choix multiples.
II 1 ~
- Comment nous expliquons l'emploi de ces différents types
.) 1 1
ùe questions ?
Questions fermées, permettent d'avoir une réponse
rapide (oui ou non)
c'est là son avantage, malS l'inconvénient
est que l'intention du sujet n'apparaît pas beaucoup, puisqu'il
répond au hasard.
- Questions ouvertes:
ici l'enquêté est libre d'organiser
sa réponse comme il l'entend. Nous les avons choisies parce que
nous ignorons le niveau d'information de nos sujets adultes. Le
oui ou le non, comme nous l'avons dit, peuvent se donner au hasard,
si l'enquêté est incapable d'exprimer l'idée qu'il a du problème.
- Questions préformées ou "à cafétéria" permettent,
selon Paul ALBOU, "d'obtenir des réponses plus précises et plus
faciles à manier. Elles suppléent aux défaillances de la mémoire
(1)". Bien qu'elles offrent une solution de facilité, nous croyons
qu'elles conviennent bien à nos sujets qui n'aiment pas qu'on les
soumette à des efforts de rappel.
Il faut noter aussi qu'elles
offrent plus de réponses que les questions fermées
; elles sont
plus faciles à classer
que les questions "ouvertes".
Si nous avons utilisé les questions à "cafétéria" c'est
parce que cela a été commandé par les résultats de notre pré-
enquête.
(1)
Paul ALBOU, les questionnaires psyc~logiques. PUF. 1968 .
. . ./ . . . .

205
II
-Pré-enquête: "La définition des objectifs d'une enquête,
13 12
remarque MUCCHIELLI, est impossible sans définition préalable des
hypothèses ge~er81es èe l'enquête ... Il faut noter qu'il est
impossible de formuler une question sans que - qu'on le veuille
ou non - une hypothèse y soit c9ntenue, d'une manière plus ou moins
repérable, plus ou moins explicite (1)".
En vue de déterminer"les hypothèses de notre enquête
proprement dite, une pré-enquête nous a été nécessaire. Elle nous
a aussi permis de d6terminer par VOle de conséquence, les objectifs.
Elle nous a revélé la nécessité de rrocéder à un entretien avec
un certain nombre de nos sujets afin d'approfondir certains points
de leur réponse qui nous paraissait obscure ou difficile à
interpréter.
11
-
Recherche des hypothèses:
13 13
Les hypothèses de nos questions ont été formulées à la
suite des recherches documentaires, des discussions de groupes ou
individuelles avec certaines personnes qui connaissent plus ou
mOlns la question. Nous avons aussi réalisé des entretiens
"pour voir". Ces entretiens ont été menés par nous-même de manière
libre. Ils ont eu lieu à Paris, avec de jeunes ivoiriens en situa-
tion de "àeracinés", à Abidjan avec des écoliers et des adultes en
situation d'acculturation. Ces entretiens préliminaires avaient
pour objectif de compléter et consolider nos revues de question.
Remarque:
Nous n'avons pas utili~é de magnétopbone. Notre travail
a été entièrement axé sur la prise de notes ùirect~. Nous l'avons
voulu ainsi, afin de réduire Slnon de supprimer lèS réticences de
certains sujets adultes provoquéarpar la présence d'un magnétophone.
(1)
Roger MUCCHIELLI
Le questionnaire dans l'enquête psycho-
sociale. Entreprises Modernes d'édition.
Librairies Techniques. Les éditions E5f.
(1975)
... / ...

206
Pour créer un climat de confiance entre enquétés et nous,
nous n'avons pas oublié de les intÉresser ou de les informer pour-
qUOl nous demandidhs leur collaboration.
Nous leur avons indiqué les avantages généraux et parti-
culiers qui peuvent résulter de notre enquête et en leur promettant
la discrétion totale.
11
-
REPRESENTA TI VITE DE L' ECliAJ. TILLON :
13 2
Le déroulement inatlendu de l'enquête pose le problème de
la représentativité de l'échantillon.
Il convient de dire que cette
condition n'a pas été tout à fait remplie. La réprésentativité a
été approchée dans la mesure où nous ~vons pris les élèves de deux
lieux géographiques différents et de niveau scolaire différent.
Il est vrai que les enfants qui ont été interrogés ne
représentent pas l'ensemble des enfants du pays, mais ce que nous
pouvons. dire, 'c'est que nous avons fait une étude de cas et c'est
là le plus important.
Notre enquête a une valeur indicative à cause des condi-
tions particulières de l'échantillonnage. Elle permet de mettre
l'accent sur la manière dont environ 150 élèves du primaire,
10 enseignants,
18 parents d'élèves pensent d'un certain nombre
de problèmes.
En cel~ elle a son intérêt. Celui-ci est d'autant plus
grand qu'en définitive nous n'avons été tout à fait guidé par
l'aspect statistique,.En effet notre enquête s'est voulue essen-
tiellement qualitative même si l'aspect quantitatif apparaît de
temps à autre.
. .. / ...

207
1I13~ - ESPRIT DE L'ENQUETE
J
L'objectif ~ atteindre consistait à dégager un certain
nombre d'éléments acculturants chez les scolaires ivoiriens du
primaire. Ce qui nous paraissait intéressant c'était la présence
des thèmes relatifs ~ l'acculturation et non leur distribution au
sein d'un échantillon'considéré comme représentatif.
Il s'agissait
de savoir ce que les 150 élèves du primaire qui ont repondu, pensent
des problèmes Que nous nous posions. C'est pourquoi nous n'avons
pas cherché ~ mettre en corrélation les réponses enregistrées avec
certaines variables telles que l'âge,
sexe, ethnie, etc ... Bien que
nous les donnions par ailleurs, mais simplement dans un souci de
présentation de nos sujets.
11
- Comment avons-nous établ± le questionnaire?
1331
A ce stade de l'enquête,
il nous a paru indispensable de
discuter avec des personnes qui connaissent plus ou moins la ques-
tion. Nous avons,
~ la suite de cette discussion, défini le contenu
c'est-à-dire, d'une part évoquer les problèmes ~ aborder, les
variables en cause, d'autre part préciser la nature des données
que l'on cherche à recueillir c'est-~-dire l'information que les
réponses aux questions posées doivent contenir.
- Remarque
Etant donné que nous aVlons trois échantillons il
nous a donc fallu mener trois enquêtes.
La première a touché la population scolaire du primaire
c'est-~-dire les écoliers du CE2 au CM2, de deux milieux différents
(urbain et rural).
- la deuxième a touché les parents d'élèves
- et la troisième a touché les enseignants des écoliers .
. . . / ...

208
1113
- Qu'est-ce que nous recherchions
32
à travers cette en~uête ?
Il s'agissait de dégager les aspects les plus caracté-
ristiques du comportement du jeune écolier ivoirien, voir dans
quelle mesure cela reflète l'esprit de l'enseignement dispensé ou
l'idéologie scolaire en vigueur.
C'est pourquoi nous avons rédigé le questionnaire en fonction des
thèmes directeurs suivants :
1113
- Questionnaire destiné à la population scolaire
33
- Le premier thème a abordé le problème de la langue
d'enseignement. Pour nous cette langue est un handicap pour l'en-
fant ivoirien dont ce n'est pas la langue maternelle. Pour cet
enfant, la connaissance du français est avant tout un moyen, alors
que pour son collèque français,
c'est une fin en SOI. La possession
de la langue détermine déjà le cours du comportement de l'enfant,
s'il veut se considérer aux yeux des autres comme étant "maître et
possesseur de la nature" pour parler comme R.
DESCARTES. Donc l'ac-
cent sera mis sur la maîtrise de la langue et son utilisation
quotidienne.
- Le second thème a porté sur les facteurs d'accultura-
tion internes à l'école, étudiés à travers la scolarité et les
problèmes OUI s'y rattachent d'une manière générale.
L'accent a été mIS sur l'idéologie de l'école. Les disci-
plines et le contenu ont un impact sur l'orientation et le compor-
tement ultérieur de l'enfant. Ces disciplines,
surtout celles dites
de "sciences humaines ou sciences sociales" sont chargées idéologi-
quement et reproduisent les instances sociales de la France.
- Le troisième thème a porté, lui aussi sur les facteurs
d'acculturation à l'intérieur de l'école,
saisis au niveau des rela-
tions que les élèves développent avec les enseignants et avec les
pairs.
. .. / ...

209
La psychologie nous apprend par exemple, que la person-
nalité d'un individu se façonne au contarct d'autres individus.
Donc les relations que
l'enfant développera de ses contacts sco-
laires détermineront son développement comportemental.
Psychologiquement la tendance dans ces relations, est
mouvement, virtualité, principe dynamique qui porte à être, à
paraître, à agir,
à
se comporter d'une certtaine manière; cette
tendance oriente les activités humaines.
Le maître qui est 1 'homme qui sait tout, a une grande
influence sur le comportement de l'enfant. C'est lui qui enseigne
les règles de morale, de proprété ; c'est lui qui instruit.
Il est
donc l'homme à imiter, à admirer.
Le condisciple, lorsqu'il jouit d'une certaine aIsance
matérielle, est celui qu'on choisit comme camarade de jeu; parce
que c'est lui qui se rapproche le plus de l'occidental. Ainsi les
enfants se font une idée des modèles culturels occidentaux. C'est
pourquoI nous avons tenu à connaître ces relations.
- Le quatrième thème a été centré sur les facteurs
d'acculturation qui se manifestent dans la société et auxquels se
trouvent confrontés l'enfant dans le cadre de ses relations extra-
scolaires.
Il s'agit de connaître, à travers ce thème, comment
l'idéologie qui se développe à l'école est reprise et diffusée
dans la société. Ceci nous a permis de connaître la nature des
changements qui s'opèrent dans la société. Ces changements sont
~us'selon Pierre ERNY, aux altérations que subit l'éducation tradi-
tionnelle dans toute l'Afrique (1) et singulièrement en milieu
IVOIrIen.
(1)
Pierre ERNY, OP. cit. Page 270

210
La concurrence de l'école qUl répand des idéaux et un
.savoir nouveau,
la transformation de la société ivoirienne sur le
plan économique,
~Qcial et politique, l'introduction de nouveaux
éléments de civilisation comme l'argent,
les moyens de transport
et d'information,
le mode vestimentaire ... Tout cela a un impact
sur le comportement de l'enfant et par voie de conséquence sur
les relations parents - enfants.
- Le cinquième thème a été centré sur les effets de
l'acculturation au sein de la famille et même au niveau de l'indi-
vidu. Ceci a mis l'accent sur les conséquences de cette "agression
culturelle"
provoquée par la présence de l'idéologie occidentale
dans un secteur particulier
l'école primaire. Elle (l'agression
culturelle) marque l'enfant dès son plus jeune âge.
- Le sixième thème a tenté de saVOlr dans quelle mesure
l'enfant est favorable au modèle culturel occidental et dans quelle
mesure l'enfant se détourne àe son milieu d'origine.
Tous ces thèmes cherchent à montrer d'une manière géné-
rale qu'il y a une domination entre la société ivoirienne et la
société occidentale et que cette dernière ne se contente pas de
dominer, mais qu'elle cherche à imposer aussi la croyance dans la
légitimité de sa domination.
Actuellement on constate que l'idéologie dominante de
l'occident pénètre très profondément la plus grande masse des popu-
lations ivoiriennes. On sait que le système d'enseignement est
inspiré de celui de l'occident alors qu'il devrait objectivement
préparer sa perte. La force des idées est-t-elle que souvent elles
persistent alors que les conditions objectives qui fondaient leur
existence ont disparu. C'est pourquoi nous disons qu'il y a survi-
vance, un retard de la conscience des ivoiriens sur la situation
objective.
. .. / ...

211
11
- LES ITEMS DU QUESTIONNAIRE
14
11 141 - Questionnaire destiné à l'écolier
11 14
Au nIveau des thèmes relatifs à la langue de communlC2-
1 1
c ~.
_.'
tion et d'enseignement.
- Quelle langue parles-tu en famille le plus souvent?
Langue française
; une langue du pays ou les deux à
la fois ?
Quelle langue parles-tu avec ton père ; ta mère
tes frères? tes soeurs
; tes camarades de jeu?
- Parles-tu souvent ta langue à l'école:
si oui avec
qui ? Si non pourquoi ?
- Dans quelle langue t'enseigne-t-on à l'école.
- Pour
lire ou pouréécrire un texte en français,
éprouves-tu
beaucoup de joie ; assez de joie ;
aucune joie ou bien éprouves-tu beaucoup de difficultés,
assez de difficultés; aucune difficulté.
11
- Thèmes relatifs au milieu scolaire
14 12
Fréquentes-tu l'école du village, SI OUI depuis quelle
classe ; si non pourquoi ?
Fréquentes-tu l'école de la ville, SI OUI depuis quelle
classe ; si non pourquoi ?
Es-tu content de l'endroit (ville, village, quartier
etc ... ) où tu vas à l'école: Très content; assez
content; pas content; donne tes raisons .
. . .; ...

212
- Quelle école fréquentes-tu:
tr2ditionnelle (depuis
quelle classe et pourquoi). Télévisuelle (depuis
quelle classe et pourquoi).
- Y-a-t-il une
(ou plusieurs) matières dans laquelle
(ou lesauelles)
: tu te sens faible
(énumère cette ou
ces matières)
dans laquelle
(ou lesquelles)
tu te
sens fort
(énumère les)
Cite les trois matières que tu préfères
les trois
matières Gue tu n'aimes pas.
- Pour comprendre les cours donnés par le maître ou la
maîtresse, éprouves-tu beaucoup de difficultés? assez
de difficultés? Aucune difficulté?
As-tu l'im~ression d'être compris par tes maîtres?
- Le milieu scolaire que tu fréquentes,
te donne-t-il
entièrement satisfaction? Assez de satisfaction?
Aucune satisfaction?
- Dans le cas où ce milieu scolaire ne te donne pas de
satisfactions que te manque-t-il ?
As-tu de bons camarades à l'école:
si OUl, sais-tu le
travail que font leurs parents ? Si non pourquol ?
- Es-tu content de tes rapports avec tes camarades
étrangers:
si OUl quel genre d'étrangers c'est? Si
non pourquoi ?
Es-tu conte~t de tes rapports avec tes camarad~s qui
sont restés au village? qui sont partis à la ville ?
Si non pourquoi ?
... / ...

213
T'arrive-t-il de receVOlr certains de tes camarades
français chez toi ? Si non pourquoi ?
- Mis a part les livres de l'école, empruntes-tu des
livres à la bibliothèque ? Si non pourquoi
Qu'aimes-tu lire: des romans classiques
des romans
africains
des contes merveilleux ? Des histoires
d'aventure? Donne un exemple de livre que tu lis, que
tu as déjà lu ou que tu n'aimes pas lire.
11
-
Thèmes relatifs au milieu familial et extrascolaire
14 13
Quelles émissions regardes-tu à la Télévision?
Quelles émissions écoutes-tu à la radio ?
- Cite trois chanteurs que tu aimes dans ta vie.
Les conditions dans lesquelles tu V1S à la maison,
sont-elles bonnes ? Assez bonnes ? ou mauvaises ?
Dans quel milieu te sens-tu le plus à l'aise:
dans ta
famille? à l'école? Dans la rue?
- Qu'est-ce que tu n'aimes pas en ville et qu'est-ce que
tu Y aimes ?
- Qu'est-ce que tu n'aimes pas au village et qu'est-ce
que tu y aimes ?
Qui s'occupe spécialement de ton éducation:
ton père,
ta mère les deux à la fois,
s'il s'agit d'une autre
personne, qui c'est?
- Y-a-t-il une différence entre l'éducation que te donnent
tes parents et celle que tu reçois à l'école
- Penses-tu que les relations d'un enfant avec ses parents
doivent reposer:
sur la crainte, sur le respect, sur
la discussion libre.
. .. / ...

214
- Est-ce que tu tiens compte des conseils que te donnent
tes parents ?
- Respe~tes-tu les traditions de tes parents?
II 14
- Thèmes relatifs à l'avenir
14
- Veux-tu poursuivre tes études plus tard ?
Si oui jusqu'à quelle classe; si non pourquoi?
- Quel est le métier que tu envisages de faire dans ta
vie ?
- Plus tard quand tu seras grand, où voudras-tu rester
définiteivement ? En ville, au village, pourquoi?
- Aimerais-tu défriser tes cheveux
; tresser ou natter
tes cheveux ?
1114
- Remarque générale à propos de certaines questions adres-
15
sées aux écoliers, et les raisons de leur choix:
Questions relatives à la langue comme agent de transmis-
sion des modèles culturels occidentaux.
Il s'agit de savoir quel est le degré d'influence de la
langue française sur le comportement des jeunes écoliers. Du temps
de l'école coloniale, cette langue était imposée. Aujourd'hui, il
semble que ce n'est plus le cas. Cependant on constate de nombreu-
ses perturbations dans la vie comportementale de l'enfant surtout
au niveau de la langue.
Pour justifier cette perturbation ou pour justifier
l'emploi massif du français au mépris de la langue maternelle, il
nous faut étudier le rapport langue étrangère et locale-et voir
... / ..

215
dans quelle mesure l'enfant vit dans son propre milieu et ne peut
pas utiliser les éléments dynamiques et vitaux de ce milieu, malS
est conduit à se renier et à rompre avec les modèles culturels
de son milieu.
Il s'agit pour nous d'apprécier ce rapport de domination
d'une langue sur une autre avant de conclure sur la manière dont
la langue participe (et presque seule)
à l'acculturation de
l'écolier ivoirien.
- Questions relatives au milieu et aux relations scolaires comme
terrain d'élection des modèles culturels étrangers.
Le milieu scolaire est le lieu ob
l'enfant fait son
apprentissage avec le monde occidental. C'est là qu'il apprend
les premiers rudiments de la langue française,
parlée et écrite.
C'est là que l'enfant s'ouvre au monde extérieur.
En effet c'est à l'école que l'écolier prend les
"armes qui lui permettent) soit de combattre) soit de défendre les
pratiques culturelles de son milieu".
C'est un système de rapports à travers lesquels l'enfant
se forme à tous les points de vue
(intellectuel, social, affectif).
Même si l'école reste souvent un milieu passager qui n'a
pas pris conscience de ses possibilités pour la formation
d'ensemble de l'élève; méme si l'éducateur n'en a pas consclence,
l'école agit en tant que milieu de transformation, d'acculturation.
Dans notre exposé, nous chercherons à savoir comment
s'exerce l'action du milieu scolaire.
. .. / / ..

216
- L'influence-du milieu scolaire varie-t-elle suivant
les milieux d!origine des enfants? Suivant le type d'école?
Suivant-que l'enfant habite la ville ou la campagne?
Varie-t-elle selon les tempéraments? Avec l'âge de l'enfant?
Pour compléter notre information, nous chercherons à
savoir comment l'élction du programme scolaire (le contenu des
matières d'enseignement)
renforce celle du milieu dans son proces-
sus d'acculturation.
Questions relatives à la perception des enseignants et des enfants
d'une part et des enfants entre eux d'autre part.
Il s'agit de savoir comwent les enseignants (surtout
enseignants français) perçoivent les écoliers et comment ceux-ci
les perçoivent aussi.
Il en est de même de la perception des
écoliers français
(et ivoiriens "occidentalisés") à l'égard de
leurs condisciples ivoiriens non occidentalisés).
La perception, en général est un rapport du sujet à
l'objet. Par exemple le milieu africain a ses caractéristiques
propres, mais c'est avec leur subjectivité ou l'idéologie qui
prévaut dans leur milieu que l'enseignant et l'écolier français
ou ivoirien "occidentalisé" le perçoivent. Dans leur façon de
l'appréhender, se projettent leur façon d'être,
de penser, modé-
lées par leurs expériences antérieures et le milieu socio-culturel
auquel ils appartiennent, et leurs intérêts immédiats.
Ainsi toute perception du milieu africain par les enfants
ayant reçu l'éducation européenne est une interprétation qUl
implique toute l'idéologie scolaire intériorisée.
. .. / ...

217
La plupart des malentendus entre d'une part les enseI-
gnants
(défenseurs de la culture occidentale) et les écoliers et
d'autre part entre les écoliers français,
les écoliers ivoiriens
"occidentalisés -2t leurs condisciples non encore "occidentalisés"
proviennent du fait que leurs perceptions sont différentes, car
leurs systèmes de référence ne sont pas identiques. Ce type de
relation existe aussi entre les écoliers urbains et leurs homo-
logues ruraux.
C'est dire ~ue ces questions ne manquent pas d'intérêt;
elles nous permettront sans doute d'appréhender certains problèmes
très importants relatifs aux relations scolaires.
Questions relatives à la liberté, à l'initiative à llautonomie
et aux contraintes.
Nous voulons saVOIr de quelle manière l'école a dété-
rioré les rapports enfants - parents. Car ces rapports reposent
sur la crainte,
le respect et l'autorité des parents. Ilne faut
pas oublier que dans le milieu africain "l'autorité s'exerce comme
une puissance, une contrainte imposée à l'enfant ... et du coup
l'enfant l'éprouve douloureusement"
(1).
Nous voulons donc savoir si les parents permettent à
l'enfant de se déterminer selon les normes de sa propre reflexion
et de sa volonté compte tenu de tous les changements qui s'opèrent
dans le comportement de l'enfant du fait de l'éducation occiden-
tale qu'il a reçue et qu'il reçoit; et savoir aussi comment
l'enfant interprète l'autorité de leur parent.
Si l'enfant se détache des contraintes parentales et
s'autonomise, s'il s'individualise, alors, nul doute l'enfant
(1) SEMITI Ani-Jules
Thèse 3ème cycle déjà citée.
(1978)

218
a été atteint par le "vénin" destructeur de l'impérialisme cul-
turel, d'où on assistera à la détérioration de ses rapports avec
son entourage.
11
- Questionnaire d'entretien destiné à l'enseignant
14 z
Nous n'avons pas voulu élaborer un questionnaire comme
celui que nous avons adressé aux écoliers. Les enseignants
n'aiment pas répondre à des questions car pour eux les enquêtes
revêtent un caractère d'interrogatoire policier. Pour parer à ces
inconvénients nous avons donc choisi la méthode de discussion
libre. Lorsque cela paraît intéressant, nous leur demandons si
nous pouvons prendre des notes.
Voici sur qUOl a porté la discussion
1)
M. ou Mme, vous êtes enseignant quels sont selon vous les
rapports qu'un enseignant doit avoir avec ses élèves 1
2) Que pensez-vous de l'introduction des langues locales dans
l'enseignement ivoirien?
3) Etes-vous d'accord qu'on utilise une des langues locales comme
langue d'enseignement? Précisez vos ralsons.
4) Pensez-vous qu'un élève africain doit se comporter comme un
petit blanc?
5) Que pensez-vous de la réforme de l'école ivoirienne?
6) Que pensez-vous de l'enseignement traditionnel? Et de
l'enseignement télévisuel?
7) Pensez-vous que l'enseignement que vous dispensez aux jeunes
ivoiriens, peut les convaincre de la nécessité de retourner
à la terre,
c'est-à-dire de se ressourcer?
Pouvez-vous argumenter votre réponse ?
... / ...

219
11
- QUESTIONNAIRE D'ENTRETIEN ADRESSE AUX PARENTS.
14 3
Il s'agit uniquement des parents dont l'enfant a été
enquêté par nous. Notre démarche avait pour but de savoir quel
genre d'éducation les parents donnent à leurs enfants, quelles
sont leurs préoccupations, à propos de l'éducation que les enfants
reçoivent à l'école; comment ces parents apprécient les résultats
de cette éducation.
Celle-ci est-elle conforme à l'idéal d'éducation qu'ils souhaitent
réaliser? Les parents prolongent-ils à la maison l'éducation
reçue à l'école? Sont-ils d'accord pour la revalorisation des
cultures africaines afin de les enseigner comme disciplines prio-
ritaires ?
A titre d'exemple, nous avons demandé aux parents comment
ils voient l'avenir de leurs enfants?
Comment voient-ils leur fréquentations? etc ...
Sont-ils d'accord pour que leurs enfants fassent comme
eux, c'est-à-dire respecter les traditions.
Sont-ils d'accord pour que leurs enfants aient une
éducation à l'occidentale? Lorsque les enfants ne parlent pas
la langue du pays, comment
(les parents)
réagissent-ils?
A quel âge doit-on envoyer l'enfant à l'école pour
s'initier aux valeurs occidentales? Est-il bien de voir un enfant
parler sa langue maternelle avant la langue française
Donnez votre raison. Amenez-vous souvent vos enfants au
village pour se frotter à leurs homologues du village?
Les réponses à ces questions nous permettrens de saVOlr
si les parents encouragent ou freinent l'occidentalisation des
enfants.
. .. / ...

220
Après l'exposé des items, nous allons nous pencher sur
les aspects techniques de notre étude.
11
- ASPECTS TECHNIQUES
15
L'enfance scolarisée qui nous intéresse a été limitée
par nous,
~ la classe d'âge de 9 à 14 ans, âge qui correspond
aux cursus scolaires retenus
cours élémentaire deuxième année
jusqu'au cour moyen deuxième année
(CE2 - CMl
et CM2).
- TECHNIQUE D'ECHANTILLONNAGE
Nous sommes allé chercher les enfants scolaires de cette
classe d'âge là où ilssotit le plus répérables. Dans ces conditions
nous avons pensé aux établissements d'~nseignement primaire où ils
passent plus de temps dans la journée et où il nous était plus
facile d'être accepté.
C'est à la suite de ça que nous avons pu retenir les
établissements suivants : Ecole primaire publique de Zégo
(école rurale). A l'intérieur de ces établissements les classes
retenues ont été celles de CE2, CMl et CM2 comme précitées.
Pour chaque établissement nous avons pris vingt (20)
élèves par classe, qui se repartissent comme suit: dix
(10)
élèves du sexe masculin et dix autres du sexe opposé.
Au départ, nous avions mis sur pied un "type idéal"
d'échantillo~age qu'en fait nous n'avons pas réalisé dans la pra-
tique. En effet, en ce qui concerne les écoles primaires, nous
avions prévu, dans notre plan d'enquête, d'en retenir quatre
+.
Deux écoles primaires plubliques traditionnelles ayant
les classes de CE2, CMl et CM2 de deux milieux géographiques diffé-
rents : milieu rural et milieu urbain.
. .. / ...

221
+.
Deux écoles primaires publiques télévisuelles ayant
les classes de CE2 jusqu'au CHZ
(rurale et urbaine).
Deux écoles primaires privées traditionnelles ayant les
mêmes niveaux de formation que précédemment et situées dans des
milieux géographiques différents.
Deux écoles primaires privées télévisuelles ayant les
mêmes caractéristiaues que les premières écoles déj~ mentionnées.
Remarque
:NOllS
él_vions rensé qu'étant donné la non-géné-
ralisation de l'enseignement télévisuel sur tout le territoire
national,
il existerait les deux formes d'enseignement:
l'un
utilisant la méthode traditionnelle et l'autre la méthode nouvelle
ou télévisuelle. Mais la réalité nous a montré que même s'il
n'existe pas dans certaines écoles la méthode télévisuelle celle-
ci a été remplacée par une autre appelée "rénovée". Cette dernière
présente les mêmes caractéristiques que l'école télévisuelle sauf
qu'elle nfutilise pas le recepteur télévisuel.
Pour ce qUl concerne les écoles privées, il y en a de
deux sortes. Une école privée dirigée par les religieux (catholi-
que, protestant) et une autre dirigée par des particuliers en
majorité des français.
Au cours de notre pré-enquête, nous nous sommes rendu
compte qu'il n'y a presque plus d'écoles primaires publiques tra-
ditionnelles. Les quelques rares écoles primaires publiques tradi-
tionnelles sont très difficiles 3 localiser. Si elles existent,
elles ne dispensent les cours qu'en classe de CMl et CM2, parfois
même le CM2 uniquement. Car au fur et à mesure que les années
scolaires passent on s'achemine vers la couverture totale de l'en-
seignement télévisuel.
. .. / ...

222
En ce qUl concerne les écoles primaires privées télé-
visuelles
(1) nous ne les avons plus retenues parce qu'elles ne
présentent pas de différence avec les écoles primaires publiques
télévisuelles. Elles ont les mêmes programmes, les mêmes manuels,
les mêmes infrastructures en un mot.
Nous avons donc retenu trois types d'écoles:
- Deux écoles primaires publiques : une rurale et une
urbaine.
Une école primaire privée non confessionnelle, située
dans le plus beau nouveau quartier d'Abidjan
Cocody-les-deux-plateaux (2)
A l'intérieur de ces établissements les classes retenues
sont les CE2
; CMl
et CM2 dans la mesure où ces enfants ont plus
de trois ans de vie scolaire et sont à même de lire, d'écrire et
de comprendre tant bien que7Qal la langue d'enseignement en
l'occurence le français.
Remarque:
l'enquête qui devait aVOlr lieu dans l'école
privée de Cocody-les-deux-plateaux, n'a pas été menée de façon
officielle. La direction de cette école nous avait refusé l'accès
dans son établissement.
Nous nous sommes contentés de toucher trente (30) élèves
(de CE2 au CM2) des deux sexes, grâce à nos relations personnelles,
à la sortie de l'école et avec l'autorisation de leurs parents res-
pectifs. Nous leur demandions s'ils acceptaient de nous aider à
répondre à nos questions.
Autrement dit, pour des raisons que nous venons d'invoquer,
l'enquête ne s'est pas déroulée comme nous l'aurions voulu.
(1)11 s'agit des école missionnaires,
prises en malns par le
Gouvernement ivoirien.
(2) Cette école est dirigée par aes blancs et pour des blancs.
Certains ivoiriens y envoient leurs enfants parce que c'est
une école qui suit les programmes français.
Ce genre d'école
n'existe qu'en milieu urbain, uniquement à Abidjan.

..,
223
-
CARACTERISTIQUES
DE L'ECHANTILLON
Composition de
l'échantion réel
de
l'enquête
TANLEAU .]
LIEU
EPP
(1)
CURSUS
D'IMPLATATION
CE2
CHI
C112
TOT A L
Tradition-
20
20
nelle
ZEGO
,
60
!
Télévisuelle;
20
COCODY-PILOTE
Télévisuelle!
20
,
20
20
60
30
COCODY-LES-
Tradition-
AO
-10
DEUX"'PLATEAUX
nelle
Française
TOT A L
50
50
~50
150
(1)
EPP
Ecole primaire publique.
... / ...

224
ELEVES
FREQUENTANT L'ECOLE
TRADITIONNELLE
ET ELEVES
FREQUENTANT
L'ECOLE
TELEVISUELLE
!TELEVISUELLE
!TRADITIONNELLE!
TOTAL
ZEGO
20
40
60
Cocody
- Pilote
60
a
60
Cocody
les
deux
0
30
30
Plateaux
TOTAL
80
70
] 50
ORIGINE
SOCIO-PROFESSIONNELLE
(1)
A ZEGO
57
de
nos
enquêtés
sont
d'origine
paysanne
soit
95
%
3
d'origine
cadre moyen
(les
enfants
des
instituteurs)
soit
5
%
A ABIDJAN
Sur
un
total
de
90
éléves,
nous
avons
enregistré
55
él~ves
d'origine
cadres
supérieurs
soit
61,1]
%
]5
élèves
d'origine
diverse
soit
16,66
%
20
élkves
d'origine
cadre moyen
soit
22,2
%
Entre
les
deux
qua~iers d'ABIDJAN la répartition est la
suivante
Cocody
-
P i l o t e :
sur
un
total
de
60
élèves
enquêtés
13
sont
d'origine
diverse
soit
2] ,66
% contre
51,66
% de
cadres
supérieurs
et
26,66
% ?e cadre moyen.
cocody-les-deux-plateaux
:
sur
un
total
de
30 élèves
enquêtés
28
sont
d'origine
cadre
supérieur' soit
93,33
%
et
2 d'origine
diverse
soit
6,66
%
(1)
c'est
la
situation du
Père
qui
est
prise
en
compte
ici.
. .. / ...

225
TABLEAU
2
!',
LIEU D'ORIGINE
EFFECTIF
AGE
SEXE
ZEGO
60
de
10
a
15
ans
G
30
F
30
COCODY-PILOTE
60
de
8
à
13
ans
G
30
F
30
COCODY
LES
DEUX
30
de
7 à
1 2 ans
G
15
PLATEAUX
F
15
,"1-
T 0
T A L
150
150
ORIGINE
SOCIO-PROFESSIONNELLE
CADRE
SUPERIEUR
MOYEN
PAYSAN
DIVERS
TOT A L
l ,
ZEGO
o
3
57
o
60
COCODY-
31
16
o
1 3
60
PILOTE
COCODY-LES
28
o
o
2
30
DEUX
PLATEAUX
TOT A L
59
1 9
57
15
150
... / ...

226
Les individus que nou~ avons enquêtés sont au nombre de
150.
Ils sont inégalement repartis.
Il y a deux groupes qui
dominent
les enfants d'origine cadre supérieur qui représentent
39,33 % et les enfants d'origine paysanne qu~ représentent 38 %.
Nous attirons l'attention du lecteur sur le fait que
cet échantillon n'est pas représentatif sur le plan national.
Malgré l'inexistence des statistiques nationales, nous pouvons
faire l'hypothèse sans pouvoir nous tromper que sur le plan
national les enfants des paysans sont plus nombreux
ce qUl n'est
pas le cas pour les enfants des cadres supérieurs qUl sont une
infime minorité.
Si dans notre travail, nous avons une forte représenta-
tion des cadres sur~rieurs, c'est parce que nous avons choisi deux
écoles des quartiers les plus occidentalisés du pays.
Nous avons déj~ expliqué quelque part pourquoi nous avons
fait ce choix.
Nous venons donc de mentionner un certain nombre de
caractéristiques que présentent nos sujets OUl se sont aimable-
ment prêtés à notre enquête.
Il convient de noter ici que la population urbaine est
relativement plus Jeune que celle du milieu rural. A l'intérieur
du milieu urbain,
le milieu scolaire tenu par des enseignants
français et dispensant un en~eignement français reçoit des élèves
plus jeunes que l'autre.
ExplicatioD : L'explication qUl peut éclairer ces diffé-
rences individuelles (âge)
est la suivante :
Les enfants du milieu rural vont très tard ~ l'école:
soit entre 7 et 9 ans pour l'entrée au cours préparatoire première
année.
. .. / ...

227
Ils ne font pas l'école maternelle, car ça n'existe pas
en milieu rural.
A l'intérieur du milieu urbain les différences d'âge
constatées s'expliquent par le fait que ceux qui entrent à
l'école de COCODY-LES-DEUX-PLATEAUX passent obligatoirement par
les grandes maternelles.
Il n'existe pratiquement pas de cours
préparatoire
en 2 années.
Il n'y a qu'un seul cours préparatoIre. Donc les enfants
entrent le plus souvent au cours préparatoire à l'âge de 5 à 6
ans.
C'est aussi un prestige pour certains parents surtout
ivoiriens occidentalisés, de voir leurs enfants arriver au cours
moyen àeuxième année ou au collège à l'âge de 9 à 10 ans.
La prise en considération du nIveau socio-professionnel
ou socio-culturel ne nous a p~s paru nécessaire dans la mesure
où il y a une certaine homogénéité socio-professionnelle ou
socio-culturelle en milieu rural et en milieu urbain de COCODY-
LES-DEUX-PATEAUX.
Ce n'est qu'au niveau des enfants de l'école de COCODY-
PILOTE qu'on enregistre une parfaite hétérogénéité de nIveau
professionnel et même presque culturel.
11
- DEROULEMENT DE L'ENQUETE - DIRECTIVES ORALES
15 3
"Vous serez très gentils de m'aider en répondant avec
franchise aux questions que je vais vous poser. Ne craignez pas
derme voir prendre des notes Je note vos réponses pour ne pas les
oublier une fois que j'arriverai à la maison".
. .. / ...

228
Ensuite
Explicat~on des buts de notre recherche
- Lecture de chaque item.
- Notation des réponses,
soit par nous, soit par
eux-mêmes.
Causeries après chaque questionnaiYe, Dour perme~tre
d'aborder l'aspect clinique.
Les déclarations sont immédiatement consignées.
Remarque
Chaque fois que les sujets éprouvent des difficultés à
nous donner leurs réponses, nous leur disons
"Ne soyez pas génés, dites simplement ce que vous avez
envie d'exprimer" ..
Pour éviter les effets de la présence d'autrui, nous
avons évité, dans la mesure du possible, d'interroger les enfants
en présence de leurs enseignants
d'interroger les parents en
présence de leurs enfants
et même en présence du conjoint. Car
les réponses des uns pourraient être interprètés par les autres
comme u~signe d'irrespect et de provocation à leur endroit,
(surtout dans le sens enfants - enseignants.)

229
CHAPITRE 2
L'ACCULTUP~TION INTERNE AU MILIEU SCOLAIRE
Le milieu dans lequel se déroule l'enseignement
c'est-à-dire le milieu scolaire proprement dit, a une influence
prinlordiale sur le comportement du jeune écolier.
Ce milieu aide l'écolier à s'imprègner des réalités
étrangères à son milieu d'origine.
Il l'aide à développer ses
facultés physiques et mentales dans le sens voulu par l'idéologie
qUl préside à cet enseignement.
Ce même milieu scolaire l'empêche de s'imprègner des
modèles culturels de son milieu d'origine.
Il l'empêche d'en
prendre conscience. Ce sont là autant de facteurs pour que l'éco-
lier ivoirien se détourne complètement et de manière irréversible
de ce qui le touche de près.
Dans ce chapitre nous·allons d'abord analyser le passé
scolaire de l'écolier c'est-à-dire, chercher à connaître l'évo-
lution scolaire de l'enfant avant notre enquête; ensuite analyser
le présent scolaire c'est-à-dire chercher à savoir son comporte-
ment scolaire actuel.
Il s'agira donc d'étudier le rapport élève - contenu
des programmes : adaptation et assimilation des matières ensei-
gnées ; problèmes psychosociologiqu~s rencontrés ; impact du
contenu de ces programmes sur le jeune écolier; impact de la
langue d'enseignement, une langue qui n'est pas la sienne et
qu'il doit acquérir pour en faire un instrument de communication
avec tous les risques de dépersonnalisation que cela comporte .
. . ./ ...

2)0
11
- LE PASSE SCOLAIRE:
21
L'entrée à l'école conditionne le comportement de
l'enfant en for~ation jusqu'à son insertion dans le monde des
adultes.
La connalssance du passé scolaire va nous permettre
d'avoir un aperçu synopti~ue de l'histoire scolaire de l'écolier.
11 71
-
L'école maternelle
~
1
Tous les enfants du milieu rural n'ont jamais fait
d'école maternelle. D'aille~rs ce type d'école n'est pas très
repandu sur tout le territoire national. C'est uniquement dans
les grandes villes et en particulier dans les quartiers peuplés
d'intellectuels qu'on rencontre ce type d'enseignement.
C'est ainsi que les enfants de ZEGO répondent à 100 %
qu'ils n'ont pas fréquenté l'école maternelle.
En milieu rural,
de même que dans les foyers pauvres des
Eilieux urbains - les parents analphabètes pour la plupart ne
sont pas toujours en mesure de se rendre compte de la nécessité
d'une scolarisation précoce.
Tandis qu'en milieu urbain et dans les familles aisées
et occidentalisées, l'occidentalisation passe par l'entrée à
l'école maternelle. A cocody-Jes-deux-plateaux les écoliers
répondent à 100 % avoir fréquenté la maternelle. A cocody Pilote
seuls 60 % ont fréquenté la maternelle ; les 40 % autres sont des
enfants qui viennent des villages et qui sont envoyés en ville
pour être é~vés par un frère, un COUSln ou un oncle, ou bien ce
sont des enfants qui proviennent de milieux défavorisés sociale-
ment et culturellement et qui n'éprouvent pas le besoin d'envoyer
leurs enfants à l'école très tôt pour des raisons qui leur sont
particulières.
. .. / ...

231
En fin de compte,
il apparaît donc que le nombre des
enfants ayant bénéficié d'un enseignement préscolaire diminue
au fur et à mesure que l'on passe du quartier très occidentalisé
au qûartier moi~s occidentalisé
de la ville au village
; de
famille aisée ou intellectuelle ~ la famille pauvre ou analpha-
bète ; de l'école primaire privée du type français à l'école
primaire publique télévisuelle.
Après avoir constaté à l'appui de ces résultats que les
en::ants du village ou des mil ieux pauvres n'accèdent. pas à la
maternelle, nous sommes allé interroger les enseignants et les
parents sur le rôle que peut jouer cette institution à l'égard
des enfants.
Ils ont essayé de répondre à la question que VOICI
Est-il nécessaire d'éduquer l'enfant à la Marternelle ? Dans
l'ensemble les éducateurs du milieu rural et du milieu urbain et
la quasi totalité des parents du milieu urbain s'accordent à
reconnaître oue la Maternelle exerce un rôle éducatif et social
bienfaisant sur la formation de l'enfant au cours des toutes
premières années. La matprnelle permet à l'enfant de s'évader tôt
du milieu africain traditionnel. Cela favorise, par là même,
son
"succès pédagogique,
individuel,
social et humain au cours des
étapes ul térieures de l'éducation"
(1)
Ce qui vient d'être dit est valable pour l'enfant euro-
péen qUI ne bénéficie pas du même encadrement familial que l'en-
fant ivoirien qui lui, évolue et grandit dans un cercle familial
très riche pédagogiquement parlant.
En effet en appliquant le principe de la marternelle 2
l'enfant ivoirien, on oublie de tenir compte du phénomène d'accul-
turation précoce.
(1) C. FREINET, pour l'école du peu~le, Maspero 1972 P. 24
... / ...

232
Après avoir mis en évidence la forte fréquentation de
l'école maternelle du milieu favorisé,
tant à cause de leur assi-
milation précoce aux valeurs occidentales que de leur situation
géographique, et de la faible fréquentation
(ou fréquentation
nulle) de l'école maternelle par les enfants du milieu rural ou
milieu urbain pauvre,
tant à cause de l'insuffisance de l'équi-
pement scolàiie mis à leur disposition, que du peu d'intérêt qui
caractérise l'attitude de certains parents urbains, en montrant
la nécessité qu'il y aurait à -développer pour les enfants un cadre
éducatif tenant compte de leur particularité, il convient mainte-
nant de savoir ce qui s'est passé à l'entrée à l'école élémentaire.
Dans ce cas bien précis il s'agit de voir si le fait
d'avoir fréquenté l'école maternelle a une incidence quelconque
sur l'adaptation de l'enfant aux étapes suivantes de la scol~rité
proprement dite.
11
- Ecole élémentaire
21 2
Ce que nous pouvons d'emblée constater, c'est que nous
avons à faire à une population non homogène, du point de vue de
la scolarisation qu'elle a eu à effectuer.
Cette population se subdivise en deux grands groupes
d'inégale importante. Le premier, qui est aussi le plus important
(1),
n'a débuté sa scolarité qu'au cours préparatoire. Le second,
beaucoup moins important a débuté sa scolarité à l'école maternelle.
Age moyen d'entrée à l'école élémentaire
Les enfants qUl ont fait l'école maternelle entrent à
l'école élémentaire à un âge qui varie de 4 1/2 à 6 1/2 ans soit
en moyenne 5 1/2 ans.
(1)
Il s'agit de l'importance en nombre.
. .. / ...

233
Ceux qui n'ont pas fait l'école maternelle
entrent à l'école
élémentaire à 7 ans en moyenne.
L'adaptation à ~'école élémentaire
les enfants qUl ont fréquenté
l'école maternelle n'ont pas trop de difficultés par rapport au
reste de la population pour la~uelle l'entrée à l 'école élé~entaire
signifie rupture avec le milieu d'origine.
D'une manière générale, l'expérience prouve que l'école
perturbe toujours l'enfant, quelle que soit l'origine de ce der-
nier,
à cause rlu décalage existant entre la famille et l'institu-
scolaire. ~lais cette perturbation s'avère plus importante pour un
enfant de milieu rural ou de parents défavorisés transplanté d'un
milieu culturel dans un autre. Dans ce cas, beaucoup plus qu'un
décalage, c'est d'une absence de continuité culturelle entre les
deux milieux qu'il s'agit.
Parmi les 40 % d'enfants de l'école de Cocody-Pilote
n'ayant pas fréquenté l'école maternelle, 45,83 % (soit 11 sur 24)
ont fréquenté l'école du village.
Pour saVOlr pourquoi certain~ élèves sont passés de
l'école télévisuelle à l'école traditionnelle et de celle-ci à
l'école télévisuelle nous avons posé la question suivante:
- As-tu déjà fréquenté l'école traditionnelle? Si OU1,
rourqUOl l'as-tu quittée?
Parmi les enfants de l'école télévisuelle à qui s'adres-
sait la question, nous avons eu 5,70 % de réponses positives
contre 94,30 % de réponses négatives.
Les réponses à cette question nous montrent que très peu
d'enfants quittent l'école traditionnelle pour entrer à l'école
télévisuelle. Parmi ceux qui effectuent ce changement,
il y en a
qui évoquent la volonté des parents de faire suivre à leur enfant
une pédagogie active, et un apprentissage rapide dans le parler
du français oral; d'autres pensent plutôt que cela est dû au
changement de lieu de travail des parents.
. .. / ...

234
La deuxième question qui s'est adressée aux enfants fré-
quentant l'école traditionnelle était libellée de la manière SU1-
vante: As-tu déjà fréquenté l'école télévisuelle, oui, non?
Si oui pourquoi l'as-tu quittée?
A cette question nous avons enregistré 24,28 % de répon-
ses positives et 75,70 % de réponses négatives.
Les élèves qui donnent les réponses positives avancent
les arguments suivants: "on n'apprend rien dans l'enseignement
télévisuel.
- On nous apprend à danser et à chanter du "folklore" ;
on nous fait faire du jardinage, en un mot on fait apprendre les
choses du village,
alors que cela ne nous servira à rien plus
tard"
(écolier de COCODY-LES-DEUX-PLATEAUX 11 ans CM2).
- "Mon papa m'a mis à l'école traditionnelle, parce qu'il
s'est rendu compte que je ne connaissais rien.
Il avait d'abord
voulu m'envoyer au TOGO ou au BENIN où c'est le système tradition-
nel qui est en vigueur, mais il a changé d'avis, parce qu'après
ma classe de 7è
(CM2)
il projette de m'envoyer poursuivre mes
études en France (1). D'après lui, cela me permettra de maîtriser
les structures de la langue française et être imprègné des modèles
culturels français."
(écolier de 011
- 101/2 ans à COCODY-LES-
DEUX-PLATEAUX.)
Remarque:
On passe moins d'école tradionnelle à l'école télévi-
suelle,
(5,70 %)
;
alors que le passage de l'école télévisuelle à
l'école traditionnelle, quitte à consentir d'énormes dépenses,
est beaucoup plus fréquent 24,28 %.
(1) Dès l'introduction de la télévision dans les écoles publiques,
certains cadres avaient retiré leurs enfants de ces établis-
sement
pour les inscrire dans les écoles privées,
en. France
ou dans les pays voisins
(TOGO ou BENIN) où ce genre d'ensei-
gnement n'existe pas.
. .. / ...

235
Les raIsons avancées ne sont pas les rnêŒes. Dans le
l~
premier cas, on met l'accent sur l'oralité et vivacité de l'élève.
~
Dans le deuxième, on met l'accent sur la perte de bonnes habitu2es
(habitudes européennes.)
Dans l'un ou dans l'autre cas, il y a comme toile de
fond l'idée de s'approprier au maximum la mentalité occidentale
(bien parler oralement la langue française,
être vif d'esprit;
aVOIr de bonnes habitudes etc ... ).
Aucun de nos sujets ne mentionne comme cause de change-
ment de type d'école le redoublement. Nous avions pensé qu'on
changeait de type d'école, lorsqu'on avait échoué dans l'autre.
D'après nos sujets qui ont déj~ doublé une classe, ils
attribueht ce redoublement ~ la difficulté d'apprentissageJ(la
langue française:
"J'ai doublé ma classe, parce que j'étais nul
en français c'est-~-dire en vocabulaire et pourtant j'étais bien
dans les autres matières,
telles que les danses, les chants du
pays qUI" font d'ailleurs partie du patrimoine culturel de ma
région (un élève de ZEGO CE2
, 11 ans.)
La plupart du temps, ces enfants possèdent une intelli-
gence pratique formidable qUI pourrait être exploitée autreD1ent.
C'est le fait de ne pas tenir compte des cultures du
pays dans l'enseignement ivoirien qui rend difficile pour certains,
l'adaptation à l'apprentissage de la culture occidentale.
Après ce survol rapide du passé scolaire, nous allons
maintenant voir ce qui se passe dans le présent scolaire.
Cette connaissance du présent scolaire nous permettra
de nous demander quelle est la place que le système éducatif
ivoirien accorde à la culture ivoirienne,
... / ...

236
en tant qu'elle constitue la culture de base de la presque tota-
lité des écoliers qu'il est censé prendre en charge, pour que
c eux - c i pu i s sen t a v 0 i rIe ID 0 yen de"' réa c t ive r " 1 eu r cul tu r e
d'origine.
11
- LE PRESENT SCOLAIRE
22
- Difficultés rencontrées au cours de l'apprentissage
scolaire
11 77
-
Le problBme de la langue
- -11
Comme l'écrit M. AKA KOUADIO Joseph:
"la Pédagogie est
essentiellement un acte d'échange et de communication où le langa-
ge joue le rôle d'instrument. Ce problème devient prioritaire et
l'importance
de la langue dans les rapports éducatifs conditionne
l'avenir" (1) du jeune écolier ivoirien.
La Côte d'Ivoire dès son accession à l'indépendance a
adopté le fran~ais comme langue nationale de communication, de
culture et d'enseignement.
Nous ne mettons pas en cause cette option politique dans
notre souci d'approcher les problè~es de l'enseignement et de
l'acculturation, mais ce que nous déplorons c'est son incidence
sur l'acte éducatif,
sur les considérations pédagogiques qu'elle
entraîne.
L'utilisation de la langue et de la culture française
dans l'enseignement "national" pose un grave problème pour l'ave-
nir socio-culturel du pays.
(1) ~. AKA KOUADIO Joseph, Maître-Assistant et Directeur du Centre
Ivoirien d'Etude et de Recherche en Psychologie Appliquée, a
fait une étude sur le bilinauisme
b
en Côte d'Ivoire
. ,
in Thèse
de 3ème cycle 1975 CAEN.
. .. / ...

237
A ce titre nous sommes d'accord avec M. AKA, lorsqu'il
écrit: "il semble difficile de concevoir un système d'éducation"
nationale" qui dans sa pratique utilise une langue étrangère à
moins d'admettre que la langue
ne participe pas à la culture et
que cette culture soit à fonder ~. partir d'éléments étrangers".
Une langue dans sa nature est véhicule de communication tout au-
tant porteuse de civilisation et de pensée qu'elle supporte.
La langue française n'est pas la langue maternelle du
jeune écolier ivoirien.
Il y a là une évidence qui, comme le dit
KI-ZERBO : "désormais n'est plus proclamé à la cantonade, lTIalS
qui peut servir de pierre angulaire pour de nouvelle rr.éthodes".
!Y1.
KI-ZERBü poursuit: "si l'Etat est francophone,
la Société
ne l'est pas".
(1)
Dans l'exposé du problème qui nous préoccupe, nous avons
soulevé et mis en évidence l'importance de la langue et de la cul-
ture françaises dans la formation du jeune Ivoirien.
Il n'est pas
possible de nIer cette importance, mais comme l'écrit M. HOUIS,
ci t é par )vl. AKA,
il est po s s i b 1 e de dis c u ter "1 a v al id i t é et 1 a
signification de son emprise actuelle, faire ressortir les conflits
que crée le français et qui ne sont généralement pas résolus".
Ce qui est impliqué ici, poursuit-il c'est "une reflexion
neuve et globale qui, si elle était réfusée signifierait alors
qu'on se déplace soi-même par rapport aux besoins de 1 'homme afri-
caln r qu'on pense toute coopération en termes de relation de PUIS-
sance et qu'on imagine la mutation de l'Afrique comme une annexe
de l'occidentalisation" (2).
o
(1)
KI-ZERBO, ln perspectives de l'éducation (collection-promotions
collective. CODIAM P.
10)
(2) M. AKA,
in Thèse 1975 CAE~ déjà citée ..
. .. / ...

238
11
- Décalage entre langue scolaire et langue du milieu
22 1 2
Il exis~e un important décalage entre la langue et la
culture scolaire et la langue et la culture du milieu.
C'est dire qu'il n'y a donc ras d'enseignement ne la
langue maternelle des jeunes écoliers ivoiriens. D'ailleurs
l'idéologie scolaire occidentale n'a jamais admis l'intégration
de la langue locale, en tant que langue maternelle des enfants,
au sein du programme scolaire officiel. La raison inavouée est:
"la crainte de perdre le français".
Au cours de notre enquête, nous avons constaté, qu'avant
d'aller à l'école,
tous les enfants du milieu rural savaient par-
faitement leur langue.
Parmi ceux du milieu
urbain, nous avons
dénombré un cinquième d'entre eux qui déclarent Qu'ils la savaient.
La m1se à l'école de ces jeunes enfants, a provoqué une
perturbation, du fait du décalage existant entre la famille et
l'institution scolaire. Mais cette perturbation s'avère plus impor-
tante pour un enfant transplanté d'un milieu culturel dans un
autre
dans ce cas, beaucoup plus qu'un décalage, c'est une
absence de continuité culturelle entre les deux milieux dont il
s'agit".
Malgré cette perturbation linguistique tous les enfants
interrogés estiment que l'enseignement en français est mieux qu'en
langue locale. Dans
l'ensemble,
ils mettent l'accent sur le re-
tard culturel du milieu africain.
Aucun d'entre eux n'envisage de prendre des leçons rarti-
culières Sl on le leur demandait malgré la carence d'ordre struc-
turel.
Ce refus est très catégorique chez ceux qU1 sont nés en
milieu rural et qui arrivent à l'école pOUT la plupart en posses-
sion d'un bagage culturel. Leur refus est justifié par la
"crainte de perdre le français".
. .. / ...

239
Alors que les éléments nés en milieu urbain et qui ne
savent pas leur langue, aimeraient avoir des notions dans leur
langue.
Il s'agit essentiellement de ceux qui se sont le plus
éloignés de leur parler quotidien d'origine,
et qui sont de sur-
croit les plus acculturés.
Ils aimeraient savoir leur langue pour
répondre aux "jurons" de leurs collègues restés en contact avec
le parler du terroir.
Lorsque nous avons demandé à nos enquêtés s'ils étaient
d'accord- pour qu'on utilise la langue locale comme langue d'ensei-
gnement,
on nous a répondu dans l'ensemble négativement. Alors que,
lorsqu'il s'agit de prendre des cours d'initiation en langue locale,
nous enregistrons quelques réponses positives.
Voilà qui semble pour le moins contradictoire. Si on
replace ces résultats dans le contexte de la politique de scola-
risation des enfants ivoiriens, on verra que cette contradiction
réside à l'intérieur même du système éducatif qui, pour faire face
au problème posé par la présence en son sein des enfants ruraux
et urbains d'une ~art et d'autre part des enfants étrangers n'a
envisagé d'autre solution que leur instructiou dans la langue du
pays colonisateur,
langue qui leur est étrangère et qUl leur per-
met de sortir de leur condition de "retard culturel".
Parallèlement à l'apprentissage de la culture occidentale,
l'enseignement ivoirien comporte une part insignifiante d'appren-
tissage de certains éléments de la culture africaine
(danses,
chants etc ... ). Cette part insignifiante est le plus souvent per-
çue par les citadins qui ont rompu depuis longtemps avec les prati-
ques du milieu, comme chose curieuse et folklorique. Alors que pour
les ruraux c'est du "déjà vu".
Le système éducatif ivoirien, en ignorant le passé cul-
turel de l'enfant ivoirien, ne rend pas seulement l'apprentissage
difficile du point de vue des études en français;
il va jusqu'à
... / ...

240
lui demander de renoncer à sa langue maternelle, et à sa culture
d'origine qui sont "une dimension inaliénable de la personnalité
de tout individu"
(1).
Cette situation engendre des conflits chez l'enfant qUl
se traduisent soit par un "rejet vis à ·vis de la langue maternelle"
soit au contraire "par une recherche d'identité linguistique"
(2).
Il arrive qu'on retrouve ces deux tendances parfois
chez le même sujet à la fois.
Et le plus souvent ce sont les
sujets nés en milieu urbain, mais de parents pauvres culturelle-
ment et socialement qui d'une part refusent d'envisager l'appren-
tissage de la l~ngue maternelle ; parce que survalorisant sans
doute la langue française;
d'autre part,
ils sont les premiers à
être d'accord pour aVOlr des notions dans leur langue maternelle,
pour mieux se rapprocher en quelque
sorte, de leur culture d'ori-
glne, afin de se défendre.
Ce qu'il faut noter lCl, c'est que le problème scolaire
se double d'un autre qui est d'ordre culturel. A travers le pro-
blème de la langue maternelle, c'est tout un conflit de culture
qUl se pose dans toute son ampleur.
Entretenu par l'environnement
scolaire et social,
il est vécu comme un conflit d'identité, sur-
tout par les enfants nés en milieu rural ou en milieu urbain mais
de parents défavorisés sur le plan intellectuel.
C'est un conflit qui préoccupe tout un chacun.
Il cons-
titue le souci de toutes les instances qui s'intéressent au pro-
blème de la valorisation de nos cultures et t
celui de
l'enseignement de la langue du milieu.
(1)
Cf. J.
de la Robertie,
"le devenir de l'enfant immigré"
l'Education n° 245
; 8 mai 1975 p.
38.
(2)
Cf.
P.
Grange
"870 000 enfants à scolariser"
l'Education
n° 21 1
9 mai 1974
; P.
28.
. .. / ...

241
C'est un grave problème qui se pose actuellement aux
parents et aux responsables tel que celui qui porte sur la défi-
nition même de la langue devant êtant utilisée, en tant que moyen
et matière d'enseignement à la fois.
L'apprentissage de la langue
écriture et lecture
Nous venons de VOIr les difficultés d'ordre culturel que
rencontre l'enfant ivoirien et qui créent d'importants conflits,
surtout qu'il ne peut pas utiliser à son gré sa langue maternelle.
Dans ce passage nous allons aborder les difficultés
scolaires sur le plan de l'apprentissage scolaire aUQuel l'école
française,
d1abord et l'école ivoirierine ensuite l'ont soumis et
le soumettent.
L'une des premières difficultés à laquelle l'enfant se
trouve confronté est l'apprentissage de la lecture et de l'écri-
ture.
La grande majorité de nos sujets y éprouvent des diffi-
cul tés.
Il Y a pourtant des nuances. Les enfants en difficul té se
recrutent dans les écoles rurales 62,50 % 28,40 % dans les écoles
urbaines télévisuelles et 9,1
% dans les écoles urbaines, mais
"francisées".
Les enfants en difficulté se scindent en deux groupes:
le groupe le plus important est celui qui déclare rencontrer beau-
coup de difficultés:
il recueille 36,5 % de réponses.
Le deuxième groupe, qui est moins important que le
premIer,
rencontre assez de difficultés:
il obtient 22 %.
Mais les enfants pour lesquels la lecture et l'écriture
ne constituent aucune difficulté, forment tout de même une forte
minorité:
elle rassemble 33,33 % des réponses. Les non-réponses
sont de l'ordre de S %.
. .. / ...

242
Les enfants qui n'éprouvent aucune difficulté se repar-
tissent de la manière suivante :w
Milieu rural
: 8 %
Milieu urbain télévisuel
48
%
Milieu urbain "francisé"
44 %
Ceux qui ne répondent pas se répartissent comme suit
Milieu rural
8,33 g0
~ül ieu urbain télévisuel 91 ,66 %
Milieu urbain "francisé"
0 g0
REMARQUE
Les difficultés s'élèvant à des degrés différents, se
rencontrent suffisamment au niveau de tous les types de système
'PL....)
scolaire. Mais le~souvent, ce sont les enfants de milieu pauvre
qui rencontrent ces difficultés.
Par contre ceux qui les surmontent
se trouvent être en majorité des enfants de milieu socio-culturel
très riche, c'est-à-dire issus pour la plupart de parents intellec-
tuels ou déjà occidentalisés".
Les enfants qui sont nombreux à éprouver des difficultés
à lire et à écrire un texte,
sont plus nombreux encore à ne pou-
voir comprendre facilement un cours.
Ceux qui déclarent comprendre facilement les cours que
leur dispensent les maîtres sont de l'ordre de 30 % de l'effectif
totdl.
Pour la lecture et l'écriture on avait dénombré 33,33 % des
sujets qui déclaraient n'éprouver aucune difficulté.
Il est à noter que les caractéristiques demeurent les
mêmes
les éléments qui éprouvent la première difficulté
(lecture
et écriture) sont les mêmes que ceux qUl ne comprennent pas les
cours.
. .. / ...

243
Ceci confirme le rôle important que joue l'acquisition de la
lecture et de l'écriture dans la compréhension du message pédago-
gique.
Les énormes difficultés scolaires que rencontrent les
enfants ivoiriens expliquent l'effort démesuré dont ils font preuve
dans l'ensemble, pour pouvoir mener ~ bien leurs études; car le
taux des écoliers qui déclarent progresser avec facilité dans ce
domaine est inférieur à 29 %.
Les éléments qui se donnent le plus de mal pour avancer
dans leurs études, sont ceux-l~ mêmes qui sont aux prises avec
les difficultés précitées.
On les rencontre nombreux dans les écoles rurales et dans les
familles non aisées.
Ceux qui progressent sont faiblement r6présentés quel que
soit le milieu considéré
; mais ils progressent mieux dans les
écoles urbaines, surtout dans celles qui dispensent un enseignement
de type "français".
A quoi pouvons-nous attribuer les résultats que nous
venons d'exposer? Quels sont les éléments qui sont ~ l'origine
de ces difficultés?
Pour nous,
il s'agit essentiellement de :
a) la technique d'apprentissage: nous savons tous que l'entrée
à l'école devient un souci pour tout le monde:
pour les enfants
il s'agit d'apprendre à apprendre pour tendre de plus en plus vers
le monde "moderne" ; pour les parents, il faut que leurs enfants
fassent le maximum pour dépasser les autres et pour les maîtres,
leur souci est d'instruire et d'éduquer les enfants à la manière
occidentale.
. .. / ...

244
Ce qu'on oublie facilement c'est que d'emblée, l'apprentissage
de la lecture et de l'écriture constitue pour les écoliers~~obs­
tacle principal" (1), parce que centré sur le langage écrit.
Il
ne favoris~ pas l'expression orale avec laquelle ces enfants sont
familiarisés.
b) Après la technique d'apprentissage,
le deuxième élément est
à liorigine des difficultés scolaires,
porte sur la forme du
discours scolaire
il s'agit là du "français corrett"imposé à
l'école primaire" (2). Ce "français correct" ne tient pas compte
ni de la psychologie des enfants, ni du milieu socioculturel dans
lequel ils (ces enfants) vivent.
Les concepteurs des programmes scolaires, à l'intention
des enfants ivoiriens n'ont pas encore réussi à adapter ces pro-
grammes au milieu socioculturel de l'enfant ivoirien. Cet enfant
qui subit cette agression culturelle vit dans un milieu familial
tout à fait différent de celui de son camarade français pour qui
ces programmes sont adaptés. Et quand il parle français, ce n1est
pas celui qu'ïl apprend à l'école, mais celui que "jargonnent" les
parents et les enfants de la rue etc ... apprIs sur le tas, et
souvent calqué sur leur langue maternelle.
Au sujet des enfants des travailleurs migrants, Léontine
GRISJOIS écrit:
"Les enfants sont soumis à l'apprentissage de
deux types de français qui ne concordent pas" (3). Cette distor-
tion des discours ne fait qu1augmenter les difficultés d'appren-
tissage et favorise la mise en place des mauvai~es tournures. Le
discours scolaire de l'école ivoirienne impose à l'enfant une
norme linguistique radicalement différente de celle qui est en
usage dans son milieu familial.
(1) Cf. C. BAUDELOT et F. ESTABLET:
l'école capitaliste en France
Maspero 2974 P.
202
(2) Cf. C. BAUDELOT et P. ESTABLET déjà cité. P.
241
(3) Cf. politique aujourd'hui n° 1 ; cité in "les enfants des
travailleurs migrants dans l'école française"
; par E. HEYiY1ANN.
Faim Développement; février 1975 ; P.l
... / ...

245
Il véhicule un saVOlr rationnel qUl ne trouve aucun
pendant dans son environnement socio-culturel. Le message éducatif
qu'il dispense ne prolonge en aucune façon celui que les parents
transmettent à l'enfant.
Il ne s'appuie pas sur les mêmes modèles
éducatifs.
Il a pour fonction d'''administrer la langue sous sa
forme technique, sans tenir compte de l'investissement affectif
du langage"
(1).
c) En troisième postion, nous allons maintenant nous intéresser
aux conditions d'apprentissage:
les enfants, surtout ceux de
l'école en miliëu rural, ou ceux des familles défavorisées, entrent
à l'école primaire avec de
séri~ux handicaps. Mais faute d'une péda-
gogie de soutien, l'école ivoirienne ne permet pas aux enfants de
les surmonter. Dès leur entrée à l'école, ils sont brutalement sou-
mlS à l'apprentissage de la langue française,
alors qu'ils n'ont
pas encore bien assimilé les structures fondamentales de leur lan-
gue maternelle.
Il rr'est pas impossible, par ailleurs, qu'il y ait parfois
à l'origine de ces difficultés linguistiques des
troubles de l'éla-
boration du langage oral, non dépistés et non traités, avant l'ap-
prentissage de la lecture et de l'écriture (2).
Les enfants qui entrent à l'école prlmalre sont d'horizon
divers.
Il y en a qUl n'ont jamais fait la maternelle (c'est la
majorité)
ou qui n'ont jamais connu la langue française et les
autres qui ont fait la maternelle ou qui parlent déjà français
(quelque soit sa qualité)
depuis la malson,
(c'est la minorité).
(1)
Cf.
- M. BOURGEOIS,
"Troubles et retards du langage orale chez
l'enfant"
, les livrets du Médecin;
Tome 4 N° 4 ; paris - avril 1972
;
P.
168
169 et 171.
(2) Car "face à l'école,
l'enfant africain, surtout qu'il quitte
son village" ou sa famille "pour la première fois paraît démuni.
En effet il arrive en classe sans avoir élaboré les mécanismes
mentaux que celle-ci suppose".
(L.V. Thomas, acculturation et
nouveaux milieux socio-culturels en afrioue noire
in bulletin IFAN n°
11974
_ P.
181-182. L
... / ...

246
Tous ces divers éléments sont placés parfois dans des
classes surchargées.
Il en résulte ceci: ceux qui ne connaissent
.
~
pas le français,
ceux qui parlent un mauvais français, parce que
issus de milieux modestes, ceux qui parlent un bon français, parce
qu'ayant fait la maternelle 0U parce que issus de milieux favorisés,
se cotoyant sont confiés ~ des enseignants inexpérimentés, qui ont
du mal ~ appréhender leur personnalité ; ils sont tous soumis à un
apprentissage intensif de la langue,
et ne peuvent bénéficier d'un
enseignement individualisé, tenant compte de l'âge et du niveau de
chacun. Dans de pareilles conditions, les enfants ne peuvent, au
mleux, que prendre un mauvais départ, au pire stagner sans pour
autant arriver à assimiler le français,
non plùs à connaître correc-
tement leur propre la~gue.
Il arrive parfois qu'une minorité surmonte cette diffi-
culté
(c'est la minorité occidentalisée ou en voie d'occidentali-
sation) tandis que la majorité échoue dans cette tentative
(se sont
ces jeunes qUl refusent de retourner à la terre).
II')')
Aporéciation des disciplines mises au programme
"" ""' 1 4
Nous venons de faire état des difficultés que rencontrent
les écoliers ivoiriens lors de l'apprentissage de la lecture et de
l'écriture. Ces difficultés ne s'arrêtent pas ~ cet apprentissage.
Elles ont une repercussion aussi au niveau de certains domaines de
la connaissance scolaire.
Nous avons posé la question suivante, pour saVOlr en
quelles matières ces écoliers se sentaient faibles ou forts.
La question était libellée de la manière suivante:
- Y-a-t-il une ou (plusieurs) matières dans laquelle ou
(lesquelles)
tut te sens faible?
... / ...

247
Sur l'ensemble des disciplines qui figurent au programme,
scolaire,
les écoliers ivoiriens se sentent surtout faibles en fran-
çais. C'est la matière la plus fortement citée. Elle recueille
79 % des réponses:
(citée 119 fois sur 1501.
En milieu rural,
elle recueille 93,33 % des réponses
(56 fois/60).
En milieu urbain
1) Cocody-Pilote 75 % (45 fois sur 60)
2) Cocody-les-c1eux-plateaux.. ,60 %
(18 fois sur 30).
D'après le détail des réponses, les faibles en français
se recrutent partout
; malS ils sont essentiellement des enfants
nés en milieu rural, d'origine socio-culturelle faible.
De même qu'ils se sont déclarés faibles en français,
les
écoliers se disent forts dans le reste des disciplines.
Ils sont
surtout ~ l'aise dans les disciplines d'éveil,
(danse, chant, musi-
que, activités pratiques et coopératives etc ... ), malS préfèrent
en même temps, et autant les matières litteraires
(français);
ils sont fDa~ dans les matières autres que le français et non litte-
raires. Les enfants de toutes les catégories réussissent dans les
disciplines d'activités pratiques et artistiques. Mais ceux qui
rencontrent des problèmes en français les préfèrent davantage, com-
me ils préfèrent aussi,
sauf les écoliers urbains, les disciplines
scientifiques.
Comment se fait-il que les écoliers ivoiriens éprouvent
des difficultés dans l'étude des différentes disciplines SCOlaires,
surtout en français
(et pourtant ils aiment le français),
et dans
les matières scientifiques, et se sentent relativement ~ l'aise
dans les activités pratiques et artistiques ?
... / ...

248
C'est dans l'enseignement même du français,
tel qU'il
est pratiqué, qu'il faut chercher la première cause de ces diffi-
cultés.
En effet, cette matière est enseignée aux écoliers ivoiriens
exactement de la même façon qu'aux écoliers français.de France.
L'école ivoirienne n'envisage pas du tout l'étude du
français en tant que langue étrangère. Les enseignants qui sont
chargés d'instruire ces enfants n'ont également été formés que pour
dispenser un français fondamental~ qui accorde une large place à la
grammaIre et à l'orthographe, m~is ne prévoit pas de leçons de
langage. C'est exactement la même chose que ce que J.Cellard a dit
de l'école française
(1).
A travers un tel enseignement, on tend, consciemment
ou inconsciemment, à entretenir une confusion, entre savoir sco-
laire et culture. Le français scolaire est dispensé dans le but
d'alphabétiser l'enfant ivoirien, de lui procurer non seulement
un savoir, mais aussi et surtout, une culture qui pallie "la pauvre-
té culturelle de son milieu".
Autrement dit, l'école ivoirienne n'admet pas que cet
enfant pusse aVOIr "une toute autre expérience de la vie, un tout
autre savoir, une toute autre maturité, qu'un garçon français de
son~âge". Alors que son milieu "est aussi riche que "celui de "
"son camarade français, mais différent, voilà tout" (2).
Cette façon de faire ne permet pas à l'écolier ivoirien
d'avoir le droit à la différence culturelle. Alors que l'école
ivoirienne, aurait pu tout faire afin que l'écolier ivoirien ait
besoin d'être reconnu dans cette différence qui le détermine pro-
fondément surtout qu'il évolue dans son milieu culturel.
(1) J. Cellard
"Un monument de la société française" et H.Huot
"les illusions de la dictée"
; iil le monde de
l'Education n° 13 consacré à l'orthographe
Par i s
, j an vie r 19 76 .; p. 6 - 1a pu i s 11- 13
(2) P. Grange
"870.000 enfants à scolariser" ; l'Education 211
Paris - 9 mai 1974 - P.
27.
. .. / ...

249
L'école ivoirienne refuse de prendre en considération
les "problèmes interculturels" de l'enfant ivoirien,
le système
éducatif ivoirien se borne à en faire comme nous l'avons dit plus
hau.t,
une simple affaire de "pauvrété culturelle". Or les conflits
interculturels que vit l'enfant, et dont l'école ne tient pas
compte, expliquent en partie que certains soient amenés à "refuser"
ou à "rejeter", la langue française sous la forme où elle leur est
enseignée.
Ils se détournent des disciplines dites littéraires,
parce que les unes
(histoire, géographie,
instruction civique)
s'appuient sur le français,
pour véhiculer les connaissances occi-
dentales, et présentent une "Histoire" et un "Milieu" à travers
lesquels les enfants ivoiriens ont de la peine à se situer et à se
reconnaître. Les autres
(le français,
orthographe etc ... ) réactivent
le "sentiment de frustration" qu'ils nourrissent à l'égard de leur
langue maternelle. C'est pour ces raisons que nous rencontrons des
jeunes écoliers ivoiriens mal à l'aise dans la langue française et
dans certaines disciplines annexes.
Il s'agit le plus souveRt des
enfants nés et vivant en milieu rural où ils sont très enracinés
dans leur culture d'origine"
des enfants en proie au conflit
d'identité etc ...
Les disciplines scientifiques semblent contrairement à
ce que nous pensions m6ins géner les écoliers ivoiriens que les
disciplines littéraires, malgré les opératiions abstraites qu'elles
impliquent. L'hypothèse que nous faisons à l'issue de ces résultats
est celle-ci:
les disciplines scientifiques apparaissent comme
étant "plus neutres" idéologiquement parlant que les littéraires.
C'est dans ce domaine
(scientifique) que les écoliers s'y ~entent
plus forts
(57,3 %). C'est pour ces raisons qu'ils les préfèrent
aux littéraires et les apprécient autant que les disciplines pra-
tiques.
. .. / ...

250
Remarque:
A première vue, ces résultats paraissent contradic-
toires
; car les disciplines scientifiques sont à base de
français,
en tant que véhicule d'un certain type de connaissance.
Mais la différence réside dans le fait que l'apprentissage du fran-
çaIS n'est pas leur formation première. D'00 une certaine manière
contradictoire de se comporter vis-à-vis de ces disciplines :
1) Ces disciplines sont enseignées en français.
Elles
provoquent donc une sorte de blocage, ne leur permettant pas de
réaliser de meilleures performances dans ce domaine.
2) Les écoliers les préfèrent aux matières littéraires,
parce qu'elles "n'enseignent pas le français".
Il est à noter que lorsque nous parlons de disciplines
scientifiques, il faut entendre par là, non seulement, le calcul,
les mathématiques, mais aussi les matières expérimentales telles
que la technologie, les sciences naturelles
(leçons de choses)
etc ...
Il s'agit donc des disciplines qui font appel à l'observa-
tion et à la pratique. C'est ce qui justifie le choix des enfants
pour ces disciplines.
Disciplines d'éveil ou activités pratiques et artistiques
Les enfants dans leur majorité
(67 %)
sont à l'aise dans
ces disciplines.
Ils les choisissent comme étant celles qu'ils
préfèrent,
sans qu'apparaisse aucune distinction en fonction du
lieu de résidence, du sexe et du type d'école fréquentée.
Avec ces disciplines, on abandonne un peu le domaine de
l'enseignement traditionnel. Celui-ci était centré sur~primat de
l'écrit. Les activités pratiques et artistiques sollicitent d'autres
modes d'expression. Elles permettent aux écoliers ivoiriens de
rompre avec leur isolement linguistique.
. .. / ...

251
Pour certains non encore occidentalisés, elles font
appel à leurs facultés sensori-motrices. Elles peuvent favoriser
la promotion de leurs valeurs tant artistiques que culturelles.
Pour les acculturés qu'on cherche à déculturer, elles peuvent leur
permettre d'atténuer leur "hospitalisme scolaire" (1) et à les
reconcilier, à la fois,
et avec eux-mêmes et avec leur propre cul-
ture.
Mais vu le temps accordé à ces disciplines,
il est très
difficile pour que les enfants les intériorisent et prennent cons-
Clence des valeurs culturelles de leur milieu. Si les enfants
disent qu'ils les préfèrent c'est essentiellement sous l'angle des
activités "folkloriques ou exotiques". Ces jeunes enfants sont tel-
lement submergés par les éléments acculturant du milieu scolaire
que l'apprentissage de ces disciplines n'ont aucun effet sur le
développement de leur personnalité.
Le discours scolaire vient toujours se substituer à leurs
expressions spontanées, en les forçant à intérioriser les valeurs
occidentales.
Après avoir analysé les difficultés d'assimilation et de
compréhension des écoliers ivoiriens dans l'étude du français et
des autres disciplines, nous allons voir dans les pages suivantes
comment se manifeste le processus d'acculturation c'est-à-dire nous
allons chercher à savoir comment le milieu scolaire (contenu de
l'enseignement des manuels, des programmes etc .. ) perpétue la pré-
sence de la culture française en Côte d'Ivoire?
(1) G. MAUCO
Education affective et caractérielle de l'enfant
Ed. Colin; Paris 1971
; P.
20.
. .. / ...

252
11
-
Influence du contenu de l'enseignement
22
2
Dans un extrait du plan quinquennal ivoirien de dévelop-
pement économique,
social et culturel
(1976-1980)
présentant
"les principaux aspects de la politique définie par le gouvernement
en matière d'éducation et de formation,
en même temps que les ob-
j e c tif set 1 e s m0yen s mis en 0 eu v r e pou r y par ven i r", 1 a c 0mm i s s ion
reconnait que: "le système éducatif n'est satisfaisant ni quant J
son coût, ni quant à son rendement:
l'enseignement reçu ne contri-
bue pas suffisamment à la valorisation d'une culture nationale mais
détache trop 50uvent l'enfant de son milieu d'origine, apparaissant
comme un instrument de changement socio-culturel inadapté. Aussi
la priorité fondamentale du plan 1976-80 en matière d'éducation doit
être d'entraîner au plus vite et par les moyens des plus efficaces,
une transformation radicale du système et de l'appareil éducatifs,
dans leurs objectifs, leurs structures, leurs contenus, leurs métho-
des et leurs résultats".
Nous sommes en 1980 et il semble qu'aucun objectif de ce
plan n'ait été encore atteint malgré la stabilité qu'on peut noter
au niveau des appareils de décision,
ceux-là mêmes qui ont pensé
et redigé ce plan. Lorsque ce même plan affirme que "le monde de
l'école reste encore replié sur lui-même", il reconnait de façon
implicite que "l'école des blancs" ne met aucunement en exerCIce
le~ valeurs culturelles africaines.
D'ailleurs comment pouvait-il en être autrement quand
ces valeurs sont qualifiées de traditionnelles, c'est-à-dire
dépassées ?
Nous nous sommes posé alors la question de savoir SI
en laissant aux pédagogues africains eux-mêmes le soin d'arrêter
et de définir les programmes et les contenus des manuels scolaires,
arriverait-on à une "africanisation" et pour ce qui concerne la
Côte d'Ivoire à une "ivoirisation" de l'école dans tout ce qu'elle
contient ?
... 1 ...

253
1
1
1
1
Dès à présent on peut y répondre car des manuels scolaires
aussi bien dans le primaire que dans le secondaire, conçus par des
Africains, voire IVQiriens pour des Ivoirien~ sont aujourd'hui uti-
lisés. La contradiction est que le contenu reflète l'idéologie
occidentale.
II))
- Analyse de quelques manuels
--21
Dans l'introduction d'un manuel de l'enseignement primaire
télévisuel
(langage, CPl)
(l)
les recommandations suivantes sont
faites au maître:
"former l'oreille de l'élève aux sons du français,
développer des automatismes linguistiques ... Le rythme de l'exer-
cice doit être très rapide de façon que l'élè~e n'ait pas le temps
de réfléchir avant de fournir sa réponse".
On veut favoriser chez l'élève, "l'expression spontanée"
de sorte qu'il arrive à réutiliser naturellement et spontanément
les structures acqulses de façon "mécanique", D'autre part
"le maître doit veiller à ne pas freiner la spontanéité de l'élève ...
Les corrections du maître sont discrètes et portent sur les erreurs
de prononciation ou d'into...:nation "
Notre première remarque porte ainsi sur la langue fran-
çaise proprement dite.
Léopold Sédar Senghor a dit dans le journal "Jeune
Afrique"
(2)
ceci: "Il ne doit y avoir qu'une langue française
quand il s'agit de la phonétique:
il faut prononcer comme les
parlslens cultivés".
En recherchant la meilleure pédagogie et les meilleures
méthodes d'enseignement du français,
on impose 2 l'enfant une cul-
ture qu'on veut dominante:
on lui apprend à penser, à concevoir
autrement.
(1)
Cf
Livre du l\\'!aître l, langage CPl
: Enseignement primaire
et éducation télévisuelle - Côte d'Ivoire.
(2)
Cf
Jeune Afrique n° S~7 du 13-2-80 P. 49
.. '. / ...

254
Dans le manuel de lecture du CE2 télévisuel, une leçon
d'étude du milieu (P.
98) nous apprend que "désormais, tous les
malades vont se faire soigner en ville, ~ l'hôpital"
00 on s'occupe
bien d'eux et d'00 ils reviennent en famille tout souriants. Quelle
est l'idéologie sous-jacente ~ Cela veut dire en clair que dans le
passé, les villag€ois
se faisaient soigner sur place par des gué-
rlsseurs locaux qui n'arrivaient pas très souvent à guérir leurs
malades. L'enfant apprend ainsi qu'en dehors des J10mmes "en blouse
blanche", personne ne peut prétendre les soigner efficacement.
Dans un autre manuel, on lit ~ la page 19 ceCl
"René remplit la baignoire". Entre temps, dans ce même ouvrage
tous les noms ivoiriens (Salifou ; Amy; Ahou etc . .. ) sont associés
~ des activités de second ordre (exemple: balayer la classe, laver
les assiettes, aller au champ etc ... ) ou sujets ~ des scènes
d'émerveillement devant des objets importés (poupée, velo, voiture
etc . .. ) que possèdent (curieuse coïncidence) les jeunes gens portant
des noms européens (Réné, Lucie etc ... ) ou pour revenir ~ notre
histoire de baignoire, elle amène l'enfant ivoirien à réfléchir
sur ce que peut bien être une ~aignoire. En effet, l'enfant
(du milieu rural surtout)
sait que chez lui, on ne remplit pas de
baignoire. Alors le maître ou la suite du manuel
(il faut bien
achever le processus commencé) lui diront de quoi il s'agit, en
valorisant bien SÛT
la baignoire à tel point que l'enfant à la
limite, demandera chez lui ~ se laver dans une baignoire de concep-
tion européenne, quitte aux parents ~ s'en procurer une.
On lit ceci dans l'ouvrage d'Abdou Touré
(1)
"Salifou rejoint ses parents aux champs. René l'accompagne. Il
salue les parents de salifou
: "Bonjour Monsieur, bonjour Madame"
(P.
105).
Ici les parents de Sali fou exécutent des travaux agricoles
dévalorisés dans ce cas précis. René accompagne Salifou, un peu
comme l'ingénieur des travaux agricoles en visite d'inspection,
dans une plantation-pilote. Réné salua ~ l'européenne.
\\') (Abdou TOURE
La civilisation quotidienne en Côte d'Ivoire.
Appareils idéologiques d'Etat et diffusion des
modèles culturels
(ORS TOM ,
Centre de Petit Bassam, Abidjan, avril 1979
240 P.)
... / ...

255
Toujours dans ce même ouvrage, on nous apprend que
"Yao et René partent à la chasse dans la forêt un jeudi.
Ils ne
retrouvent pas leur direction. S'ils avaient une boussole,
ils
sauraient où ils sont".
Il s'agit ici de faire croire aux enfants
que sans la boussole il est impossible de chasser.
Pour les
enfants des milieux urbains le problème est résolu,
il~ y croient.
Mais pour les enfants des milieux ruraux,
il se pose un problème.
Ils savent que leurs parents chassent et reviennent sans problème.
Mais les concepteurs du contenu du texte ne disent pas à ces
enfants ruraux la faç~n de chasser de leurs parents sans boussole.
La boussole étant un objet d'importation, l'enfant du milieu rural
finit par admettre que sans boussole,
il n'est pas question d'aller
à la chasse.
Ainsi on trouve dans tous les ouvrages des écoliers des
thèmes oui déprécient la culture ivoirienne. Ceci est d'autant
plus grave que cela touche de très jeunes cerveaux. La psychologie
de l'éducation nous apprend par ailleurs, que cet âge est parti-
culièrement proplce à des actions d'acculturation ou d'encultu-
ration.
Dans le programme d'enseignement télévisuel, on veut
faire mieux connaître au jeune Ivoirien son milieu culturel, son
cadre socio-culturel. Aussi a-t-on choisi de lui présenter souvent
à la Télévision des danses folkloriques
des différentes régions
du pays. L'enfant assiste ainsi,
un peu en touriste. De la manière
dont ces danses sont présentées à l'enfant,
il est très difficile
que celui-ci les intériorise. Ces danses sont dévalorisées parce
qu'elles sont traduites en produits touristiques ou exotiques.
L'enfant qui regarde, ne sait pas de quoi il s'agit.
Il ne sait
pas à quelles fonctions sociales on les assigne etc ... Les ensei-
gnants qui sont censés leur apprendre ces valeurs,
sont les
premiers à les nier et à s'en désintéresser.
. .. / ...

256
Parce que justement, ils sont les produits de l'école française
et ce sont eux qui transmettent l'idéologie scolaire àux jeunes
enfants. Du coup ils contribuent à la disparition des valeurs
ivoiriennes.
Dans l'ensemble tous les jeunes nous ont dit qu'ils
r~éfèrent les danses, les chants, les contes et devinettes ivoi-
riens aux autres disciplines telles que français, mathématique
moderne etc ... parce qu'elles
(disciplines) ~ont faciles à assi-
miler et parce que ça les amuse ou bien parce que ça ne leur
demande pas beaucoup d'efforts et pOll1rtant ils ne sont pas prêts
à les adopter comme leurs valeurs culturelles.
D'ailleurs quand on leur demande de choisir entre les
danses suivantes
1)
GLE
(1)
2) REGGAE
3) ALOUKOU
4) DISCO
La majorité de nos sujets c'est-à-dire 96 % choisissent les danses
importées
(DISCO, REGGAE).
Nous leur avons aussi demandé de nous dire entre les
différents chanteurs ci-dessous, lesquels ils préfèrent
1) PONGO Kouassi
(2)
2) Johny Halliday
3) Tima Bailly
4) Bob Marley
La majorité de nos sujets choisissent à 87 % les chanteurs
étrangers. Parmi les 13 % qui ont choisi Pongo Kouassi ou Tima
Bailly, on rencontre beaucoup de co-régionnaires de ces chanteurs.
(1) GLE et ALOUKOU sont des danses traditionnelles de l'Ouest de
la Côte d'Ivoire. Tandis que REGGAE~et DISCO sont des danses
d'importation.
(2)
PONGO Kouas§i et Tima Bailly, so~t des grands chansonniers
ivoiriens alors que Johny Halliday et Bob Marly sont des
chanteurs étrangers.
. .. / ...

257
L'influence du contenu du programme scolaire nous a
révelé les points forts et les points faibles de nos sujets
; il
s'agit maintenant d'analyser le retard scolaire et ses
causes.
1I22~~ - Le retard scolaire et ses causes
LL
Une fois à l'école,
les enfants ivoiriens n'affrontent
pas seulement des difficultés sur le plan scolaire, malS accumu-
lent aussi des retards dont l'origine est due à ces mêmes diffi-
cultés.
A la question:
as-tu déià redoublé une ou plusieurs
classes ? Si oui laquelle ou lesquelles ?
A cette question nous obtenons les réponses suivantes
Ont déjà redoublé
Mil ieu rural.............
25 %
Milieu urbain
Cocody-pilote
8,33
%
Cocody-les-deux-plateaux .. ,3,33 %
Sur l'ensemble des enfants enquêtés,
il y a 14 % de
redoublants.
Les résultats montrent que l'immense majorité des enfants
n'a pas redoublé de classe. La minorité qui redouble l'a fait dans
les basses classes
(cours préparatoire 1ère et 2è année) c'est-à-
dire au début de l'apprentissage du français
(pour ce qui concerne
les enfan~ du milieu rural) ou au moment de leur passage d'école
télévisuelle à l'école traditionnelle.
On aurait pu penser que les enfants qui dans l'ensemble
se présentent à l'entrée de l'école élémentaire avec un certain
retard cylturel,
redoubleraient leur classe massivement, or à
notre grande surprise, c'est une minorité qui redouble .
. . ./ ...

25d
L'explication de cette contradiction nous est donnée par une
institutrice de l'école Pilote de Cocody : "l'objectif assigné à
l'enseignement traditionnel.
Puisque désormais tous les enfants
du pays reçoivent le même enseignement Le-
même Jour et à la même
heure, le redoublement n'est plus permis.
Il est permis lorsque
les résultats sont médiocres".
Après cette réponse, ~ous avons demandé 2 notre interlo-
cutrice, pourquoi l'école traditionnelle de Cocody-les-deux-plateaux
n'enregistre pratiquement pas de déperditions contrairement à ce
qui devrait se passer. Là)la réponse a été nette:
"cette école primaire traditionnelle des deux plateaux, recrute
les enfants qui n'ont pas de retard culturel.
Ils sont tous passés
par l'école maternelle et sont tous issus d'un milieu socio-
culturel occidentalisé".
Lorsqu!on considère le pourcentage des non-redoublants,
on s'aperçoit qu'il augmente à mesure que l'on passe du milieu
scolaire rural au milieu scolaire urbain. La fréquence du retard
scolaire a donc tendance à diminuer avec le niveau socio-culturel,
avec l'âge (puisque les plus jeunes écoliers sont issus des
milieux favorisés).
(1)
Le retard scolaire se localise donc davantage chez les
enfants ruraux ou culturellement défavorisés.
Il y a certainement
d'autres causes à celà. Mais celle qui nous frappe et qui nous
paraît la plus importante est celle qui se refère au passage d'un
système culturel à un autre.
(1)
Les résultats varient beaucoup selon les écoles: "les excel-
lents établissements sont encore trop rares: un sur dix",
estime le directeur du programme d'évaluation de l'enseigne-
ment télévisuel.
"Les enfants qui réussiront, risquent d'être
ceux qui ont dcmarré en flèche au cours préparatoire parce
qu'ils sont issus de classes 30ciales favorisées, qu'ils con-
naissent le français avant d'entrer à l'école ou qu'ils possè-
dent d'excellentes qualités intellectuelles. Pour un pays qui
cherche avant tout la démocratisation de l'enseignement, de
tels résultats posent évidemment un problème~. (Cité par Eveline
Laurent,
in le Monde de l'éducation, s~ptembre 1978) .
. . ./ . .. .

259
Il s'agit des enfants du milieu rural, qui ont un passé culturel
très riche, et qui sont obligés de s'en séparer et d'affronter le
changement pour lequel ils sont mal préparés. Ces jeunes ruraux
nés dans leur milieu d'origine, arrivent à l'école déjà formés
culturellement et socialement, par des apprentissages acquis dans
la société d'origine. Leur introductiQn à l'école, n'a fait que
renforcer leur isolement culturel, dG ~ l'ignorance de la langue
scolaire ou soit, au contraire, à l'acquisition d'un bagage cul-
turel, que le système scolaire ne met pas en valeur. Ces jeunes
ont donc à affronter ce que P.Al\\'KI\\S qualifie de "choc culturel
provoqué par le passage brutal à un nouvel environneJiJent"
culturel
(1).
11
- SATISFACTIONS SCOLAIRES ET ETUDES ENVISAGEES.
2223
Malgré les difficultés et le retard scolaires, ainsi que
les multiples handicaps qui jalonnent le parcours scolaire, la
majorité des jeunes écoliers pensent qu'ils sont satisfaits des
résultats qu'ils obtiennent à l'école. Comment se distribuent les
taux de satisfaction en fonction des différents milieux scolaires?
SATISFAITS DES RESULTATS SCOLAIRES OBTENUS
~'! i 1 i eu ru raI
6 0 %
Milieu urbain :Cocody-Pilote
78;33 %
:Cocody-les-deux-Plateaux.~
90 %
Le pourcentage total des satisfaits est de 74,66 % contre 23,33 %
d'insatisfaits et 2 % de sans réponse.
La satisfaction gagne 74,66 % des élèves interrogés;
elle semble s'exprimer davantage chez les enfants urbains qui sont
socialement et culturellement favorisés.
(82,22 % de l'ensemble
des urbains).
(1)
Cf. E.W. HAWKINS
la scolarité de l'enfant:
informations
sociales n° 5-6
; Paris 1969 P.
99 .
. . ./ ...

260
Il Y a une minorité
(23,33 %) qui se àéclare insatis-
faite de ses résultats scolair~. Cette minorité se localise dans
le milieu rural et surtout de la classe de CM2.
Si on recrute beaucoup plus d'insatisfaits dans le milieu
rural que dans le milieu urbain, c'est que les enfants de ce milieu
n'aiment pas dire leurs propres intentions de peur qu'on leur
"fasse du mal".
Néanmoins les résultats scolaires, étant comme on le
remarque largement satisfaisants, cela explique que beaucoup
d'enfants
'76,66 %)
envisagent de poursuivre ~eurs études.
En dehors de la satisfaction èéclarée par les élèves,
nous avons constaté dans les faits
(en nous appuyant sur les
renseignements recueillis auprès des parents et des enseignants)
que le niveau des élèves est dans l'ensemble faible
(1).
La ques-
tion que nous nous posons est de savoir pourquoi ces jeunes
écoliers sont satisfaits de leurs résultats scolaires et par
conséquent envisagent tous de faire de longues études ?
Les hypothèses que nous faisons sont celles-ci
Le passage automatique de la classe inférieure à la classe supé-
rieure pour tous les élèves n'inquiète pas les élèves quant à
la poursuite des études.
Les parents étant décidés de payer les études même les plus
chères,
en cas d'échec de leurs enfants, motivent ceux-ci à
être satisfaits des résultats qu'ils obtiennent et à envlsager
de longues études.
(1)
Sous le titre "un ~assacre intellectuel et culturel"
Monsieur THANEAU K. BEN, étudiant ivoirien, écrit dans le quo-
tidien ivoirien que l'introduction du système télévisuel a
rendu les élèves "de plus en plus nuls". Ce qui oblige "nos
braves instituteurs" (la mort dans l'âme)
"de faire passer en
classe supérieure des enfants dont la moyenne n'atteint même pas
le chiffre de 3 (trois)
sur 10 (dix) comme on le leur demande.
De leur côté les enseignants du secondaire se plaignent
de "la faiblesse des élèves issus de l'enseignement télévisuel
et de leur difficile intégration dans le seconàaire (écriture
phonétique, moyenne de passage rabaissée à 7, voire 6 sur 20,
exclusion massive en fin du cycle d'observation)
(in Fraternité-Matin du 5-08-80
P.
3)

261
L'homme le plus instruit étant celui qUI se rapproche de 1 'oc-
cidental, attire beaucoup les jeunes.
Il Y a aussi le refus de retourner ~ la terre qUI est une raison
supplémentaire de penser ~ de longues études.
Nous venons de VOIr les facteurs d'acculturation internes
~ l'école. Dans le chapitre suivant,
il s'agit d'analyser les
facteurs d'acculturation ~ l'intérieur de l'école saisis au
niveau de l'écolier en interaction avec le milieu scolaire.

262
CHAPITRE 3 - FACTEURS D'ACCULTURATION A L'INTERIEUR DE L'ECOLE
Le chapitre précédent nous a permis de constater que les
disciplines mises au programme ~ l'école sont en elles-mêmes, une
source d'acculturation.
Nous allons dans ce chapitre VOIY ce qUI se passe au
nIveau des relations interpersonn~]les (maître-élève; élève-
élève.etc . .. ) que l'enfant développe à l'intérieur de l'école.
Nous limiterons notre recherche à l'inventaire des dis-
torsions imputables ~ la relation maître-élève et susceptibles
d'entraîner des erreurs graves dans la formation du caractère et
du jugement du jeune écolier ivoirien. Nous insisterons sur les
aspects psychosociaux
qui se dégagent de cette relation. Car il
ne faut pas perdre de vue que l'attitude du maître vis-à-vis de
ses élèves, de sa classe, revêt une importance primordiale.
11
- LA EELATION MAITRE-ELEVE Cm·1ME SOUECE D'ACCULTURATION
31
EST FONCTION DU MILIEU PEDAGOGIQUE.
L'acculturation des écoliers ivoiriens à l'intérieur de
l'école, dans le sens de la relation maître-élève, avons-nous dit,
est fonction du milieu pédagogique. Pour comprendre les mécanismes
de cette acculturation,
il convient d'étudier la relation maître-
élève dans quatre directions qui sont les suivantes
La relation maître-élève et la situation dans laquelle
elle se noue.
La relation maître-élève et la communication par
laquelle elle s'explicite.
La relation maître-élève et la communication en classe
de français.
- La pédagogie de l'étonnement.
. .. / ...

263
C'est aussi de ces différentes relations que s'infiltrent
les phénomènes d'acculturation. Le maître est celui qui distribue
le savoir, c'est le "spécimen"
(surtout pour les enfants ruraux)
de la culture européenne.
- LA RELATION MAITRE-ELEVE ET LA SITUATION DANS LAQUELL~
ELLE SE NOUE.
Dans la culture traditionnelle, le mythe .du maître d'école
est aussi puissant que celui du père. L'élève lui doit respect et
estime à cause de sa supériorité liée à sa compétence et à son sta-
tut d'autorité d'une part et d'autre part à cause du rôle d'adulte
que joue le maître à son endroit. Ces deux situations se révèlent
comme déterminantes pour convaincre l'écolier de son infériorité.
D'après G.
FERRY (1) la relation enseignant-enseigné se
noue à l'intérieur d'une inégalité à savoir que la supériorité du
maître tient d'abord à l'écart des âges, mais aussi à sa compétence
même si, aujourd'hui, les él~ves peuvent en savoir plus que lui
sur beaucoup de points, il est celui qui dispose d'un certain
nombre d'informations et qui est capable de les transmettre.
Sa
supériorité tient ensuite à son statut d'autorité, statut qui est
d'ailleurs confirmé et par l'organisation matérielle de la classe
et par le pouvoir qu'a le maître de contrôler, d'évaluer, de
sanctionner et d'inculquer à l'enfant une manière de concevoir le
monde environnant. Dans cette relation le maître se présente à
1 ' en fan t
c 0 mm e
1 l'a du 1 t e
a che v é e t na n t i". Par cet t e man i ère de
se présenter à l'enfant, le maître maintient l'élève dans une
situation de dépendance.
L'attitude du maître vis-à-vis de llélève consiste dans
ce cas à inhiber les réactions spontanées de ce dernier. Nous pen-
sons que si le rôle du maître, comme il est dit à maints endroits
(n FERRY (G)
dépendance et réciprocité
ln cahiers pédagogiques
n° 81
P.
11
- Mars 1969.
. .. / ..

264
dans les discours des autorités de l'éducation~ doit être d'amener
l'éléve à sa propre compréhension et à celle de son milieu, on
devrait s'attendre que le maître soit celui qui cherche et qui se
conteste, ainsi il arriverait à libérer l'élève. Ce rôle projeté
est en contradiction avec celui qui est effectivement assumé par
le maître.
Pour montrer comment cette situation d'inégalité se
manifeste, nous avons observé deux classes de CM2
Une classe en milieu rural et une autre en milieu urbain.
Pendant une demi-journée
(1)
(de huit heures à douze heures
(8 h à 12 h) nous avons relevé les interventions du maître. Nous
avons pour la circonstance choisi les catégories et les indicateurs
suivants
Nombre total d'interventions du maître.
Il s'est
de saVOlr compien de fois le maître intervient en classe lorsqu'il
est en face de ses élèves et de quelle manière il intervient.
Nombre d'interventions qui expriment une attitude
d'autorité.
- Nombre d'interventions du maître relatives à sa compé-
tence.
Il s'agit ici de savoir de quelle maniète le
maître peut influencer l'élève en mettant en valeur son
statut d'autorité et sa compétence. Ces différentes
interventions sont dans la plus part du temps détermi-
nantes pour la formation de l'élève.
re nos observations, nous avons tité les conclusions
suivantes
Au cours de la classe le maître a fait au .total 48,79 %
d'interventions, dont 41,66 % expriment une attitude d'autorité et
45 % se rapportent directement à sa compétence.
(1) Nous avons choisi un vendredi pour l'observation de ces deux
classes. Le vendredi était le jour où nous étions libre, pen-
dant notre stage. Le choix du même jour pour les deux localités
différentes s'explique par le fait que l'emploi du temps des
élèves est le même sur tout le territoire national .
. . . 1 ...

265
On peut dire d'après ces statistiques que l'enseignant accepte,
qu'il le veuille ou non,
le principe d'une situation de supériorité,
tant sur le plan de l'autorité que sur celui de la compétence.
Comment avons-nous fait pour sécarer ces deux types
d'interventions émis par l'enseignant?
Nous avons établi une grille d'interventions relative
à l'autorité et une deuxième relative à la compétence.
Nous avons considéré comme interventions exprimant une
autorité,
toutes celles qui exprimaient:
a) Des ordres relatifs au travail ou à la discipline.
Exemple
"Paul tu ne travailles pas assez
Fais attention, si
tu ne veux pas être un manoeuvre plus tard
André tu recolteras
demain, ce que tu sèmes aujourd'hui
; mes enfants lorsque vous par-
lez français, parlez-le correctement, prononcez bien les lettres,
les mots; prenez l'exemple des enfants qui parlent à la Télévision
je vous conseille de regarder tous les soirs l'émission du "dessin
animé" pour enfants ; à l'école vous devez parler français alnSl
qu'à la maison et partout dans votre Vle quotidienne; Gare ~ celui-
que je surprendrai entrain de s'exprimer dans sa langue (1)"
Cette attitude montre le souci d'inculquer à des très
jeunes enfants, l'usage des moeurs européennes.
b) Des évaluations positives ou négatives à savoir des
jugements de valeur se rapportant à une intervention d'un élève:
reproche - appréciation - encouragements etc ...
(1) Il s'agit ici du Directeur d'une école rurale. Après la classe
nous lui avons demandé, pourquoi il interdisait à ses élèves de
parler la langue du village. M. Le Directeur nous a laissé
entœndre que c'était dans leur intérêt, parce qu'ils iront au
collège cette année, alors il faut qu'ils se comportent bien .
. . . / ...

266
Nous avons d'autre part considéré comme interventions
exprimant la compétence du maître celles qui se rapportaient à
- Informations c'est-à-dire que le maître informe,
transmet du savoir aux élèves, leur indique une méthode de travail
au cours de ses interventions, il cite des proverbes, des phrases
de texte déjà appris
; il donne des explications en interprétant
des faits.
Il utilise les informations des élèves pour les rendre
plus claires et plus intelligibles.
Cette supériorité culturelle manifeste du maître est
pour l'élève un modèle qu'il s'efforce de copier le plus fidèlement
possible, d'imiter dans tout ce qu'il a d'impressionnant: accent,
geste et la manière de parler (1).
Au cours de nos observations il n'y avait pas que
l'autorité et la compétence oue nous avons relevés chez le maître.
NDus avons remarqué que certaines interventions exprimaient une
attitude de recherche, d'ouverture, de remise en question person-
nelle. C'est au niveau du maître de l'école urbaine
(2) que nous
nous en étions rendu compte. Le pourcentage de ces interventions
est de 3,33 %. On peut dire encore que, si cette attitude n'est pas
absente chez le maître, elle apparaît, malgré tout, très rarement,
et oue ce n'est donc pas sur elle que peuvent se baser les échanges
et partant les mécanismes d'acculturation.
11
- La relation maître-élève et la communication par laquelle
31
2
elle srexplicite.
Elle s'explicite en communications. D'après G. Ferry
(3) ces communications se caractérisent par l'interférence èe deux
circuits
(1) Pour les enfants un maître compétent est celui qui a l'accent
du Parisien cultivé.
(2) En ville les élèves sont très éveillés et très curieux.
Ils sot
sont très informés grâce à la Télévision, cinéma etc ... Ils ~n
savent presque autant que le maître sur de nombreux points.
(3) Les communications dans la classe, in cahi~rs Pédagogiques
n° 81 PP.
39-41 mars 1969.
. .. !. ...

267
Le circuit vertical est celui qui va du maître à
l'élève et de l'élève au maître. Dans ce type de communication le
maître prend toujours l'initiative du dialogue, même lorsque l'élève
y a la possibilité d'intervenir, c'est sous le contrôle du maître;
ensuite nous avons le circuit horizontal c'est celui qUI s'établit
entre les élèves.
L'enseignant de l'école traditionnelle,
ignore le
circuit horizontal,
si bien que la classe est centrée sur le seul
maître.
Celui de l'école télévisuelle a supprimé carrément le
circuit vertical. Son rôle s'est réduit dans certains endroits à
organIser des structures permettant la coopération entre les
élèves.
Nous avons visité une classe de CM2 dans une école
urbaine. Il s'agit d'une école télévisuelle expérimentale. Clest
cette classe qui sert de modèle pour diffuser le même cours sur tout
le territoire national au même instant. Le responsable de la classe
nous a fait comDrendre que pour les élèves du reste du pays, la
télévision ne remplace pas le maître, comme on a coutume de dire,
mais elle l'aide (le maître) dans son travail.
Cependant, nous
avons constaté que le rôle du maître a changé et cela nous l'avons
constaté dans ce centre urbain. La télévision dispense le savoir;
aussi le rôle du maître n'est-il plus essentiellement de dispenser
le savoir, mais sa fonction principale est d'animer la classe. Le
maître ne passe plus tout son temps à enseigner ce que les élèves
doivent connaître, mais il fait participer les élèves à partir de
l'émission qu'ils viennent de recevoir de la télévision. Le maître
n'a plus un rôle d'instructeur, mais d'animateur;
il devient, par
son nouveau rôle,
le "camarade" adulte de la classe, le "guide" de
cette classe.
Le type de relation qUI existait autrefois entre le
maître et ses élèves (le maître exerçait une influence directoriale)
est ici totalement transformé. Le maître n'a plus besoin de faire
peser son autorité sur les élèves pour que ceux-ci l'écoutent, mais
il a à susciter la participation des élèves
(l'influence exercée
sur l'élève est ici groupale).

268
Nous avons remarqué que dans cette classe, l'élève ne
reste pas passif après qu'il ait reçu l'émission, mais généralement
devient actif et le rôle du maître consiste à l'inciter à intério-
riser les éléments étrangers que la télévision scolaire diffuse.
C'est en ce sens que nous disons que l'enseignement télévisuel s'il
est bien un instrument de rénovation pédagogique
(car il change
totalement la manière de diriger la classe) est aussi,
il ne faut
pas le perdre de vue un véhicule d'idéologie étrangère, d'aliéna-
tion culturelle, puisqu'il permet à l'écolier d'adhérer aux modèles
culturels é~rangers au détriment de ceux de son milieu.
II~l
-
Répartition des communications
~ 3
Pendant notre visite (1), nous avons observé les deux
circuits de communications déjà mentionnées. Notre observation
, '
dans cette classe s'est revelée assez parlante
44,08 % des communications vont du maître aux élèves,
48,38 % des communications vont des élèves au maître,
donc
92,46 % des communications vont dans le sens vertical.
Les communications entre les élèves qUl sont suscitées
par le maître réprésentent 2,15 %.
Dans notre observation nous nravons pas omis de recenser
les communications li~ites et les communications illicites entre
les élèves.
Les communications licites représentent 2,04 % et les
communications illicites représentent 3,21
%.
Nous avons déduit de ces différentes observations que
d'une part, la fréquence des communications élève-maître, est rela-
tivement élevée par rapport aux communications maître-élève,
(1) Nous sommes resté plus de trois heures (3h) étant dans cette
classe. Nous avons été présenté par le maître comme étant un
stagiaire. Les élèves de cette classe ont 1 'habituèe de recevoir
des stagiaires. Bone notre présence n'a pas géné le déroulement
normal de la classe.
. .. / ...

269
et que d'autre part,
les communications horizontales sont relati-
vement rares, qu'elles passent toujours pratiquement par le contrôle
du maître, que les élèves ont de la peine ~ sortir licitement du
système des communications verticales, et que les communications
illicites entre élèves sont nombreuses Dar rapport aux communica-
tions licites.
Il semble donc bien, que le maître joue plus le rôle
d'infgrmateur que celui d'animateur du groure et que ce rôle soit
pratiquement accepté des élèves. C'est pendant l'information qu'il
inculque les"modèles culturels occidentaux aux écoliers. Ceux-ci
à leur tour l~s intériorisent.
Nos investigations ne se sont pas limitées à ce que
nous venons de relater
; nous avons aUSSI observé les interventions
en classe de français.
11
- La relation maître-élève et la communication en classe de
31 4
f
.
rançalS
Nous savons tous que la classe de français est un moment
privilégié de l'inculcation et de l'intériorisation des modèles
culturels étrangers, et notamment français.
C'est en classe de
français que l'on apprend à parler,
~ communiquer, à enregistrer
et à apprécier la culture occidentale.
Des études réalisées par J. DROUET; F. GOBLOT
G. VINCENT et J. DELANNOY Cl)
font ressortir deux facteurs Impor-
tants de cette communication en classe de français.
Cl) DOUET CJ), procès verbal, PP. 9-11.
Vl~CENT CG) .L'enseignement
èu français au regard de la sociologie PP.
24-26.
GOBLOT CF), Quel français en?eigner . PP.
17-24
DELANNOY CJ), Dans le second cycle PP.
2~-31
; ln cahiers
pédagogiques n° 77 octobre
1968.
. .. / ...

270
1) Le contenu du cours:
il s'agit Je saVOlr quel est
le contenu qUl peut motiver le mleux l'élève à communlquer son
opinion, son impression ou qUl peut le mieux motiver à s'acculturer?
2) Ensuite, en liaison directe avec ce contenu, quel
langage commun au maître et à l'élève permettra de le faire?
Sur cette question du langage, M. FREMI\\E a écrit dans
les cahiers pédagogiques (1) que "la grosse difficulté de l'ensei-
gnement du français à l'heure actuelle, c'est, en effet, que la
société met les adolescents dans des situations pour lesquelles le
langage traditionnel n'est pas adéquat.
Il faudrait vivre avec eux leurs expériences, et créer,
avec eux, le langage qui permettrait de les exprimer, y co~pris
l'image,
la danse, le peinture et les autres moyens d'expression".
FREMINE a écrit ce passage il y a treize ans
(13 ans).
Sa remarque nous paraît être d'actualité en Afrique;
car que constatons-nous? Nous constatons en Côte d'Ivoire qu'il
y a un décalage énorme entre le français enseigné à l'école, le
français parlé par la population et la langue maternelle de
l'enfant.
Comme l'écrit Yves-Emmanuel DOGBE (2) "il n'y a rien
de plus catastrophique pour l'enfant qui est privé de mère et
confié à sa marâtre que de se voir ôter toutes chances d'assimiler
cette dernière".
Pour en savoir plus sur cette question de la communl-
cation en classe de français, nous nous sommes posé la question de
saVOlr Sl cette communication dépendait du contenu du cours.
Cl) FREMINE CR.)
Interrogation et situation dans cahiers pédagogiques
n° 62 - Septembre 1966.
(2) Y.E. DOGBE
la crise de l'éducation; les Nouvelles Editions
Africaines 1976.
. .. / ...

271
Tout le monde sait que la force de pénétration de
l'idéologie dans les mentalités des jeunes est fonction, non seule-
ment de la disponibilité des enfants, mais aussi, du contenu de ce
qui va être transmis', c'est-à-dire de la valence (positive ou
négative), du cours. D'après les pourcentages relevés,
le contenu
du cours influence beaucoup le jugement, l'attitude de l'enfant.
Il
influence par la même occasion la fréquence des communications :
en classe de CM2, en milieu urbain, le pourcentage des interven-
tions monte de 42,15 % en classe de grammalre à 53,25 % en classe
d'explication de texte.
En milieu rural,
en raison d'un vocabulaire très pauvre
et très limité, un certain nombre d'écoliers dès les classes prl-
maires se refusent à s'exprimer en français de peur de faire des
fautes de grammalre ou de prononciation.
Il faut aussi signaler que le programme de l'enseigne-
ment du français n'est conçu qu'avec le souci d'inculquer aux élèves
bien plus des notions de la civilisation occidentale ou du milieu
moderne que celles du milieu rural.
Dans ce dernier cas, on "Deut en juger par le fait que
les textes des livres de français ne sont pas propres à inspirer à
l'élève une habileté à l'expression verbale:
style un peu trop
choisi, trop littéraire
... des mots souvent presque hors de
l'usage courant"
(1)
Les pourcentages d'interventions en milieu rural sont
faibles par rapport à ceux du milieu urbain. Cette faiblesse est
due à la carence de l'apprentissage des connaissances abstraites.
Celles~ci lorsqu'on les maitrises bien, permettent à l'individu de
participer aux interventions en cours de français.
(1) Yves-Emmanuel DGBE ouvrage déjà cité.
. .. / ...

272
POURCENTAGES D'INTERVENTIONS EN MILIEU RUR4L
30,09 % en classe de ,grammaIre à 38,66 % en classe
d'exnlication de textes.
POURCENTAGES D'INTERVENTIONS SPONTANEES:
19,50 % en classe de grammaIre et 37,02 % en classe
d'explication de textes.
CO~~lENT INTERPRETER CES RESULTATS?
Il semble que, quelque soit le contenu du cours de
français,
le langage utilisé
(1) ne fait pas de difficulté pour
les élèves provenant des milieux socio-culturels favorisés.
Le
langage utilisé chez eux les prépare directement à s'exprimer au
cours de français. C'est pOUrqUOI nous constatons la supériorité
des élèves du milieu favorisé par rapport à ceux du milieu défa-
vorisé quant ~ leurs interventions en classe de français.
(1) Langage académique ou langage familier.

273
Pourcentage total des interventions
GRAHHAIRE
EXPLICATIONS
DE
TEXTE$
Milieu
favorisé
t~2,]5
%
53,25
%
Milieu non
favorisé:
30,09
I~
38,66
%
Pourcentage des interventions spontanées
'Fi~~asse de
EXPLICATIO~S
DE TEXTES
::·1111.eu
--...
d '
. .
or1.g1.ne
------------·_...0.
,-~,--'--~--- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Milieu
favorisé
2"7
%
50,48
%
Milieu
défavorisé
J 9 ,50
%
37,02
%
Pour
ce
qui
est
de
l'ensemble
des
élêves,
la
différence
entre
le
nombre
d'interventions
spontanŒes
en
classes
~~explication$
de
textes
qu'en
classe
ùe
grammaire,
s'explique
par
le
fait
que
le
texte
de
l'explication
de
textes
fait
appel
à
des
notions
rn0rales
élémentaires;
au
respect
de
tout
ce
qui
est
moderne,
au
sentiment
de
s'occidentaliser,
o~ à des émotions qui jouent en faveur d'une
acculturation.
Cette différence semble bien montrer que les élèves
s'impliquent beaucoup plus personnellement en classe d'explications
de textes qu'en cl~sse de grammaire. C'est donc au cours de ce
travail scolaire que progressivement l'enfant associera_les valeurs
occidentales 2. ses propres comportements et les intériorisera. Et
com~e l'écrit M. Lê Thanh Khoi (~).
"L'action pédagogique s'effectlie par le biais des moti-
vations,
donc des émotions", qui jouent à ce stade un rôle essentiel.
"La contagion émotionnelle favorise au maximum l'identité des
réactions dans le groupe". j\\;'est-ce pas cela que L. Legranè OJ
appelle la pédagogie de l'étonnement.
(~) Lê Thanh Khôi : jeunesse exploitée, jeunesse perdue
PUF Paris 1978.
(.1) L. Legrand
Pour une pédagogie de l'étonnement
(Delachaux et Niestlé)
- 1972

274
11
_ -
LA PEDAGOGIE DE L'ETONNEMENT
31 :,
Il s'agit ici de montrer comment le maître suscite
l'échange ou comment le besoin d'explication naît; besoin qui
permet de motiver l'enfant pour pouvoir l'acculturer. D'après
L. LEGRAND, ce besoin doit naître de l'observation objective d'un
texte. - L'enfant doit être motivé par ce texte ou même par les
exemples de grammaire qu'on lui propose.
(Et la meilleure rnotivation
viendrait sans doute d'après Legrand, mieux que d'un texte, du désir
de réaliser une tâche, de préférence concrète, choisie et entre~
prise en groupe)
- il tentera d'interpr6tcr ct J'expliquer les faits
qu'il observe et qui 'suscitent son 6tonnement.
L'incertitude d'avoir bien interprété ou expliqué fera
naître, Sl l'écolier a confiance en la compétence de son maître, en
son attitude d'ouverture aux suggestions proposées,
la demande ou
la proposition spontanée d'interprétation ou d'explication.
Dans cette perspective, nous avons cherché à observer
Sl
le m~ître suscitait l'échange.
D'après nos statistiques,
le nombre de questions du
maître suscitant chez les élèves l'observation des faits est de
20 % par rapport au nombre total de questions, alors que 36,76 %
de ces questions portent sur l'interprétation ou l'explication des
faits et que celles qui demandent des élèves une justification de
leur prise de position s'élèvent ~ 12 % (bien que le fait que plu-
sieurs élèves répondent souvent à la fois, modifie les pourcentages).
Lorsque nous analysons les réponses des élèves nous
constatons aue le % de ces réponses suit le même mouvement" que
celui des auestions
13 % portent sur l'observation des faits
51
% sur l'interprétation et l'explication des faits 2 % apportent
la justification d'une prise de position.
. .. / ... ,

275
Nous avons aUSSI remarqué que 7 % seulement des inter-
ventions spontanées ont pour objet l'observation des faits,
84 %
portent sur l'interprétation et l'exnlication des faits 1 % seule-
ment étant la justification spontanée d'une prise de position.~
Cette observation nous a semblé beaucoup difficile à
cerner. Elle nous a tout de même révélé, d'une manière assez claire
que le maître met souvent l'accent sur l'interprétation et l'expli-
cation des faits
(c'est pour mieux faire pénétrer dans les mentali-
tés des enfants l'idéologie de l'impérialisme culturel) et que ceCI
a suscité chez les écoliers de citte 6cole le besoin 2e poser des
questions pour mieux pénétrer cette langue et cette culture qu'on
leur inculque afin de mieux les leur faire intérioriser, de les
faire communiquer spontanément au maître afin de lui signifier
qu'on peut assimiler cette langue et cette culture importée d'ail-
leurs.
L'observation rapportée ci-dessus sur la relation entre
le contenu du cours d'une part, et l'implication personnelle des
écoliers d'autre part, semble bien montrer enfin, que l'évolution
génétique des intérêts
(1)
de ceux-ci pour les valeurs culturelles
occidentales influence la communication et partant leur personna~
lité·
Nous avons remarqué qu'au cours de nos enquêtes les
élèves du milieu urbain ou occidentalisé ont fait preuve d'intérêt
pour des questions d'ordre plus idéologique et ceux du milieu rural
ou pauvre pour des questions d'ordre plus pratique. Comment expli-
quer cela? Nous pensons que l'explication réside dans le fait que
l'enfant du milieu urbain ou occidentalisé et celui du milieu r~ral
ou pauvre n'ont pas les mêmes centres d'intérêts, en d'autres
termes,
ils n'ont pas les mêmes besoins.
(1) CF Notes prises au Séminaire de M. HUTEAU intitulé "Maturité
vocationnelle et genèse du choix professionnel" à l'INOr,
Paris 1977.
. .. / ...

276
Le centre d'intérêt du premier est de tendre vers le
"Blanc" alors oue celui du second consiste à tendre vers son compa-
triote de la ville qui suscite en lui envie et admiration.
Le Blanc est pour l'enfant ivoirien du milieu urbain
et occidentalisé le modèle d'individu à réaliser. On dit par
exemple dans cc milieu "parler comme un "Blanc". Tandis que en
milieu rural ou urbain "africanisé", on dit "parler comme enfant
de "grand type"
(1) .
L'enfant du milieu urbain poursuivant son processus
d'acculturation et ~yant plus ou moins couvert ses besoins d'ordre
matériel, vestimentaire importés d'Europe, cherche à satisfaire de
nouveaux besoins : exemple la recherche des moeurs raffinées (goGt
prononcé pour la lecture et la musique importées d'occident etc ... )
Cet erifant, comme nous l'a dit un parent d'élèves en milieu rural,
possède "une âme blanche dans un corps noir".
Dans le même temps son homologue du milieu rural ou
pauvre quant à lui se préoccupe de suivre ses traces. C'est pour-
quoi il pose des questions d'ordre pratique, technique:
"comment ... 7"
En résumé, nous pouvons peut-être conclure que le
milieu pédagogique est une source d'jnfluence, d'imprégnation cul-
turelle, d'inculcation idéologique et de changement de comportements
socio-culturels de l'écolier. Le maître, dans sa manière de trans-
mettre le message pédagogique (explication et interprétation des
faits ou des textes), d'intervenir, de se comporter dans la classe
suscite des réactions positives ou négatives chez les élèves; fait
naître des attitudes favorables ou défavorables des élèves à l'égard
des modèles culturels africains ou occidentaux.
(1) C'est une expression en milieu ivoirien qui désigne une personne
qui a réussi socialement et intellectuellement : exemple : un
haut· fonctionnaire,
un hOl1lIT1e de lettre sont des "grands types" .
.. . / ...
, .
< .

277
Comme dirait l'autre "l'école vaut ce que vaut le maître". En
d'autres termes et en paraphrasant GUIZOT, dans l'exposé des motifs
qu'il plaçait en tête de sa fameuse loi de 1833, un mauvais maître
d'école est un fléau pour le milieu scolaire. Cette vérité est SI
manifeste que nul n'aurait la pensée de vouloir la contester.
Si le maître d'école parle à ses élèves en restant à
leur hauteur,
s'il ratifie sa situation de supériorité, s'il puise
les exemples pédagogiques, éducatifs dans le milieu de l'enfant,
s'il a constamment le souci, dans son action éducatrice, qu'il doit
répondre aux attentes du milieu c'est-à-dire "fabriquer" un enfant
qui s'adapte à son milieu,
les familles seront unanimes pour dire"
"c'est un bon maîtrè,
il fait bien travailler les enfants; il fait
aimer les enfants la langue et la culture de chez nous
;", car elles
(les familles)
sont les juges les mieux informés. Elles voient
chaque jour à l'oeuvre, elles saisissent sur le vif et sans dégui-
sement possible la loyauté de son travail et le résultat de son
effort. La valeur d'une école ne dépend que bien peu des programmes
et de l'organisation des études; elle tient aux bons ouvriers qui
mettent en valeur ces programmes et qui les exécutent
; elle est
faite tout entière de la valeur de ses maîtres.
Elle vaut ce qu'ils
valent, elle est ce qu'ils sont.
L'influence du maître sur ses élèves est une influence
continue, qui suit l'élève comme une "ombre". Par cette influence
le maître cultive et fa~onne pour une part la pensée et l'âme de
l'élève;
il le munit d'un savoir élémentaire certes, mais pratique
et solide auquel l'enfant ne cessera d'avoir recours toute sa vie
durant.
Par ces observations et ces reflexions, nous venons de
présJnter la situation pédagogique dans laquelle se noué la relation
maître-élève. Cette situation, suivant le message pédagogique trans-
mis et suivant l'attitude du maître vis-à-vis de ses élèves, suscite
davantage la communi~ation verticale que la communication horizon-
tale.
. .. / ...

278
Nous avons remarqué qu'en dehors du milieu culturel privilégié,
plusieurs facteurs favorisent l'échange dans la relation du maître
avec les élèves, particulièrement l'habitude du maître qui consiste
à faire appel au besoin d'apprendre de l'élève,
d'interpréter et
d'expliquer les faits et la confiance que sa compétence inspire
aux élèves.
C'est d'ailleurs sans doute parce que certains élèves
se sentent très à l'aise dans leur relation avec le maître qu'ils
déclarent avoir de l'admiration pour lui. Tandis que les mal à
l'aise déclarent être incompris de leur maître. L'analyse suivante
va mettre en évidence les relations scolaires qui se nouent à la
suite de l'échange pédagogique, mais pour l'heure, essayons de
conclure ce passage.
11
- Conclusion
31 6
La psychosociologie de l'éducation nous apprend que la
personnalité d'un enfant se façonne au contact du milieu scolaire.
A l'école,
le maître est celui qu'on admire, qu'on imite et à qui
on veut ressembler. Le maître est celui qui diffuse, distribue le
savoir dont il détient seul le sécret. Cette opinion du maître est-
elle due à sa formation ?
La formation de base des premlers enseignants visait
à
la maîtrise du contenu de son enseignement futur.
Ce qui faisait
de lui, le centre du savoir. Aujourd'hui, avec la nouvelle réforme,
la formation de base du maître vise à lui fowrnir des outils qui
font de lui un animateur au sein d'une équipe éducative d'ensei-
gnants. Ce maître est séparé de l'élève par un écran de télévision
ou un télé-maître. A part les programmes de l'enseignement primaire,
la formation du maître porte beaucoup sur la facilitation de la
communication et de l'assimilation des techniques de la dynamique
de groupe etc ... Mais étant donné la présence quasi prépondérante
des anciens maîtres formés à l'école coloniale au sein de l'équipe
éducative
d'enseignants, de conseillers pédagogiques, d'inspecteurs
... / ...

279
primaires et au seln du centre de décision du compl~xe d'enseigne-
ment télévisuel de Bouaké, il est clair que dans le comportement des
enseignants,
les modèles de la pédagogie traditionnelle l'emportent
sur les exigences d'un renouveau pédagogique.
La psycho-pédagogie nous apprend que la relation maitre-
élève est fonction du milieu pédagogique. Cette hypothèse se refère
aux théories de LEWIN qui introduit en psychodynamique la notion
de "champ"
(1)
Une étude de la relation pédagogique considérant la
situation scolaire comme un champ dans lequel se déploient des
lignes de forces spécifiques permettrait de voir comment se mani-
festent les interinfluences.
Nous savons,
en effet,que pour LEWIN, "le comportement
est fonction de la personne et du milieu", que "le milieu est fonc-
tion de la personne" mais que "la situation de la personne est
dépendante de son milieu".
Au cycle d'observation, la relation maitre-élève,
perçue dans un "champ psycho-pédagogique", favorise la connaissance
de l'enfant par la prise de conscience des interinfluences modi-
fiant l'enfant, le milieu (classe, école) et le monde de relation.
Nous avons constaté à la suite de nos observations que
le milieu pédagogique par le jeu des relations inter-personnelles,
influe sur le développement comportemental de l'enfant. Cette ln~
fluence se manifeste par des effets stimulants ou inhibiteurs qUl
sont :
- l'attitude du maître vis-à-vis de l'écolier;
- l'attitude de l'écolier vis-à-vis de ses condisciples.
(1) LEWIN
Psychologie dynamique PUF Paris (1964)
.. / ...

280
11
- ATTITUDE DE L'ENSEIGNANT VIS A VIS DE L'ECOLIER.
32
Lorsque l'enfant quitte le milieu familial,
il entre
dans un autre milieu qui est l'école." Dans sa famille,
il a eu
l'expérience des conduites humaines, au contact des parents, et
parfois l'apprentissage de certains comportements scolaires à la
maternelle au cas où il a fait la maternelle. Maintenant il va
devoir établir d'autres relations,
à son entrée à l'école primaire.
Comme nous l'avons déjà dit plus haut, dans l'établissement de cet-
te relation, l'écolier ivoirien rural se base naturellement sur les
habitudes acquises auparavant
il n'a pas la même conception du
maître que son camarade de la ville.
Il perçoit l'enseignant comme
il perçoit son père.
Il faut saV01r que sur le plan des valeurs il
n'y a pas de rapprochement à faire entre le système scolaire tel
qu'il existe en Côte d'Ivoire
(c'est-à-dire un système scolaire
français implanté en Côte d'Ivoire)
ou Sl nous voulons, entre le
milieu scolaire d'accueil et le milieu familial.
Il y a donc rupture
d'ordre culturel. Tout écolier ivoirien connaît ce changement engen-
dré par le passage de la famille à l'école. Cette rupture d'ordre
culturel conduit l'enfant ivoirien à chercher à l'école, une solu-
tion qui lui permet de retrouver son équilibre.
II~2
- Attitude- de l'enseignant
.) 1
Le maître qui à l'école a relayé les parents dans la
formation de l'enfant va jouer un rôle essentiel dans son comporte-
ment. Le rôle' que joue le maître est tout à fait différent de celui
que jouent les parents.
La formation à laquelle il le soumet, ne s'inscrit pas
dans le prolongement de l'apprentissage reçu à la malson. Cela
s'explique par le fait que l'idéologie scolaire ne permet pas au
maître, sinon ne lui donne pas l'occasion de connaître réellement
le milieu tant familial que psychosocial dans lequel vit son élève .
. . ./ ...

281
Il ne peut pas par conséquent appréhender la personnalité, cerner
,
les particularités et deviner les réactions de l'enfant. C'est cet-
te impossibilité de saisir l'enfant qUl conduit l'enseignant à ap-
pliquer des directives pédagogiques qUl ne tiennent pas compte de
ce que le milieu attend de l'enfant.
L'explication de cette attitude est que l'enseignement
repose sur des méthodes éducatives étrangères. Ces méthodes sont
globalement utilisées dans des classes surchargées.
Ell~ne favo-
risent pas la participàtion individuelle. Elles ne permettent pas
l'expression libre de l'enfant. Elles ne sont pas faites pour trans-
mettre la culture locale.
Le maître, qu'il soit dans un milieu rural ou urbain
n'a pas les moyens de comprendre l'affectivité de l'enfant, de
l'aider à passer de la famille à l'école. Même un maître psychologue
ou un maître foncièrement partisan de l'enseignement de la langue
et de la culture ivoiriennes à l'école, ne peut rien faire étant
donné qu'il n'est pas assez outillé. Quand il s'agit de tester
l'enfant ivoirien rar exemple,
il recourt à des techniques qui ne
sont pas adaptées à son univers socio-culturel comme dirait
Michel TORT (1).
Quand il s'agit de rapprocher l'enfant de son milieu
l'enseignant est incapable de le faire car l'occasion ne lui est
jamais donnée de se former en conséquence. Et pourtant la nouvelle
réforme insiste sur l'enracinement de l'école, per$pectlve qui
implique un enseignement en situation et une action pédagogique
mieux intégrée.
'1) Michel TORT le quotient intellectuel
(Q 1)
Maspero 1974 Chapitre 1 et 2.
. .. / ...

262
Cela conduit donc à reposer dans des termes nouveaux
et actuels le problème des fonctions de l'enseignement et celui des
moyens et de l'esprit de cet enseignement
(1).
Cette difficulté d'approche de l'enseignant est la
conséquence logi~ue des contradictions du système scolaire.
L'école est coupée des masses. Aucune action n'est
entreprise pour rapprocher l'école des masses si bien que celles-ci
ne sont pas en mesure d'aider l'enseignant à comprendre les problè-
mes affectifs de l'enfant. L'enfant ivoirien est donc étranger dans
l'école ivoirienne, parce que l'école n'est pas ouverte à son milieu.
Ce manque d'ouverture de l'école aux familles entraîne la non infor-
mation du comportement de leurs enfants à l'école; aussi l'ensei-
gnant est privé de précieux renseignements sur le passé socio-
culturel de l'enfant.
L'enseignant non seulement n'est pas informé pour être
à l'écoute de son élève, mais encore n'est pas formé pour le faire.
Ce manque d'information, ne lui permet pas d'avoir une connaissance
approfondie de son élève,
de mieux comprendre sa conduite et de
l'aider à surmonter ses difficultés. Ce manque de formation ne lui
permet pas non plus de connaître la psychologie et la philosophie
du milieu, pour entretenir des relations salnes avec les parents et
comprendre leurs valeurs culturelles.
Nous pensons que si l'absence de relations entre eux
persiste, il leur sera difficile d'harmoniser leurs messages péda-
gogiques.
Devant cette situation dans laquelle l'école ignore ou
minimise encore le soutien indispensable du milieu de vie de
l'enfant, celui-ci ne peut que se retrouver soumis à deux types
d'autorité et ressentir cette dualité comme une divergence, parfois
même la vit-il comme une incohérence.
(1) AKA KOUADIO J.
-
Cf Thèse déjà citée.
. .. / ...

283
La situation telle que nous venons de la présenter,
explique que les écoliers qui s'y trouvent confrontés, et que nous
avons interviewés sur le comportement de l'enseignant à leur égard,
ont dans L'ensemble
l'impression .de n'être pas du tout compris par
lui.
II 3
-
Le maître comprend l'enfant dans la mesure où ce dernier
7
- 1 1
s'occidentalise
As-tu l'impression d'être comprls par
le maître ?
C E 2
C ~I
C M 2
TOTAL
EPP ZEGO
G
F
G
F
G
F:
G
F
OUI
3
2
3
4
4
4:
10
10
NON
6
6
ï
5
6
5
1 9
1 6
sans réponse
1
2
0
1
0
1 :
4
Au nlveau des pourcentages nous avons
33,33 %
de OUI soit un effectif de
20
58,33 %
de NON soit un effectif de
35
et 8,33 0
èe sans réponse soit un effectif de 5.
"
... / ...

284
EPP Cocody-Pilote et Cocody-les-deux-plateaux
effectif total 90.
C E 2
C Ivl 1
C ~I 2
TOTAL
G
F
G
F
G
F
6
5
7
j
7
8
38
OUI
NON
7
8
7
8
6
6
42
Sans
2
2
2
2
10
réponse
90
D'après ces résultats sur un ensemble de 90 individus, nous avons
38 qUl répondent positivement soit 42,22 %
42 qUl répondent négativement soit 47,77 %
et 10 individus qUl ne répondent pas soit 1 1 , 11
%
Sur l'ensemble des effectifs : 150 écoliers.
Il Y a 58 écoliers qui donnent des réponses positives soit
38,66 %
77 ont répondu négativement soit 51,33 % et 15 sans
réponses soit 10 %.
Interprétation
Sur le plan global 51,33 % d'écoliers ivoiriens se plaignent
d'être incompris par leur maître.
38,66 % se disent être compris et
10 % affichent leur indifférence.
. .. / ...

285
Au niveau des résultats régionaux, nous constatons que les
écoliers ruraux dans leur ?,rande majorité
(58,33 %)
sont conscients
que l'école ivoirienne leur offre le modèle d'un maître qui tout en
se chargeant de les instruire n'est souvent pas du tout en mesure de
les comprendre. Cela s'explique en partie par le fait que le maître
se comporte dans le village, comme l'aurait fait un européen.
Il
semble ignorer le monde ambiant o~ se meuvent les élèves : celui du
bain culturel prédominant.
Les écoliers urbains rencontrent aussi la même incompréhen-
SIon de la part de leurs enseignants (47,77 % d'incompréhension).
Mais ici, les résultats se nuancent beaucoup en fonction des caté-
gorIes en présence. Dans les deux exemples (rural et urbain) on
remarque qu'il se dégage une minorité qui estime néanmoins rencontrer
plus ou moins de compréhension auprès de leur maître:
38,66 %.
11
- Que pouvons-nous dire de ces résultats?
32 12
Les élèves nés au village et envoyés en ville, vivent direc-
tement le phénomène de la transplantation ; ceux qui sont au village
sont mis en présence d'un enseignement qui n'a pas prise sur leur
environnement.
Ces deux situations inconfortables comportent un choc cul-
turel et une insécurité affective, si bien que les élèves ont le
sentiment de n'être pas compris par les enseignants. Le fait d'être
soumis simultanément à l'autorité de deux milieux socio-culturels
différents, ne leur permet pas de passer aisément du milieu d'origine
au milieu de l'école, pour se conformer à de nouvelles contraintes.
Le sentiment d'incompréhension est davantage ressenti par
les écoliers du village (58,33 %). Ceci s'explique par le fait qu'ils
sont culturellement mis à l'écart par l'école, parce que plus attachés
aux traditions et aux valeurs familiales.
. .. / ...

286
Les résultats que nous avons obtenus montrent par ailleurs
que l'incompréhension semble diminuer avec le niveau d'instruction
des élèves et avec le lieu d'implantation de l'école.
Quelle explication pouvons-nous donner à cette constatation
Les écoliers du village, parce Que vivant deux cultures et
les écoliers de CE2 parce que jeunes et pas très bien influencés par
l'idéologie de l'école, se sentent désorientés par le style que
l'école leur impose.
Ce oui
,
ensuite et surtout va les dérouter c'est lorsque
.
l'école exige d'eux le reniement de leur passé. Le maître en se
chavgeant d'appliquer l'imposition de ce style, leur renvoie une
image de lui-même. L'élève qui par le jeu des influences interper-
sonnelles, arrive à s'identifier au maître, c'est-à-dire à intériori-
ser des valeurs que le maître lui transmet, aura le sentiment d'être
compris. C'est ce que explique que la compréhension naissante avec
le niveau d'instruction et avec le passage de l'école du village à
celle de la ville.
11
- ATTITUDE DE L'ECOLIER IVOIRIEN VIS A VIS DE L'ENSEIGNANT.
33
Nous avons retenu dans le paragraphe précédent que la
majorité de nos sujets ont eu l'impression générale, qu'ils ne sont
pas comprIs par leur maître.
Lorsque nous avons demandé à ces mêmes sujets de nous dire
s'ils avaient de la considération pour eux nous avons constaté que
la majorité d'entre eux leur gar~ent quand même une grande estime .
. . . / ...

287
A la question : Eprouves-tu pour eux de la considération?
Nous avons recueilli les réponses suivantes
Considération pour les maîtres:
59,16 %
Pas de considération pour les maîtres:
29,16 %
Sans réponses
11 ,66
%
Ce résultat global est en contradiction avec le résultat global
précédent, dans lequel nos sujets ont répondu dans leur grande majo-
rité qu'ils ont l'impression que leurs maîtres ne les comprennent pas
Eprouves-tu pour eux (les maîtres) de la considération?
La réponse est dans la grande majorité positive.
Analyse détaillée des réponses concernant la considération que les
élèves ont pour leurs maîtres.
EPP ZEGO
Considération
63,33
%
pas de considération
31 ,66 %
Absence de considération
5
%
... / ..
,-'
r

EPP
Cocody-Pilote
considération
55
%
pas de
considération
26,66
%
EPP
Cocody-les-deux-plateaux
absence
de
considération
18,33
%
Interprétation
Il
ressort
de
cette
analyse
que
les
écoliers
qUl
ont manl-
festé
leur
plainte d'être
incompris
par
leurs maîtres,
sont
ceux
qui
déclarent
aimer
et
considérer
autant
que
les
autres,
et
parfoi~
même 'davantage
leurs maîtres.
Nous
nous
attendions
que
les
êcoliers
du monde
urbain
qUl
ont
bénéficié
d'une
attitude
compréhensive de
la
part
de
leurs
enSCl-
gnants
leur
témoignent
beaucoup
plus
d'estime
que
leurs
collègues
du monde
rural.
Mais
les
résultats
que
nous
avons
obtenus
nous
montrent
que
les
élèves
ruraux
qUl
s'étaient
plaints
que
leurs
maîtres ne
les
comprenaient
pas,
nourrissent
à
leur
endroit,
autant
de
senti-
ments
positifs
que
les
écoliers
urbains
et même
beaucoup
plus.
Ecoliers
ruraux
63,33
de
sentiments
positifs
à
Ecoliers
urbains
55
%
l'égard
de
leurs maîtres.
Que
pouvons-nous dire
de
ces
résultats?
Nous
ferons
deux
constatations
-
La
première
est
que
Sl
les
sentiments
positifs
exprimés,
par
certains
écoliers
surtout
du monde
urbain,
peuvent
s'expliquer
par
une relative
qualité des
relations
pédagogiques
et
humaines
entre-
tenues
avec
leurs maîtres,
ces
sentiments
prennent
essentiellement
leur
source,
dans
l'image
confiante du maître
qui
sait
tout,
trans-
mlse
par
la
culture
africaine
profondément
enracinée
chez
certains
parents,
et
qUl
imprègne
les
enfants,
surtout
ceux
qUl
fréquentent
l'école du village.
-
La deuxième
constatation est
que
dans
la
culture
traditionnelle,
le mythe
du maître
est
aussi
puissant
que
celui du
père.
L'enfant
lui doit
à
la
fois
estime
et
respect,
même
s ' i l
ne
répond
pas
tou-
jours
à ses espérances,
car
i l
reste
pour
lui
l'homme
qui
détient
la clef du saVOlr.
. .. / . . .

289
Notre
analyse
a
mls
en
lumière
les
difficultés
de
la
relation maître-élève.
Ces
difficultés
concernent
l'isolement
sur
le
plan
affectif
de
l'élève
par
le maître.
Nous
projetons
dans
un
travail
ultérieur
d'analyser
quelques
facteurs
motivant
ce
type
de
c 0 mp 0 rte men t
e t
sus cep t i b l ~ ~ cl ' e n t r a î n e r
u n p s e 'd d 0 - d é S$t é r ê t
scolaire.
Dans
le
paragraphe
suivant
nous
allons
examiner
le
degré
de
dépendance
de
l'écolier
Ivoirien
â
l'égard
de
son
entourage:
e~seignant
p<lrcnts
t'te . . .
J
ECOLE
ET
DEVELOPPE~lENT DE
L
AUTONOMIE
DE
L' eNFANT
Comment
l'école
pellt-elle
développer
l'autonomie
de
l'enfant?
Dans
le
précédent
chapitre,
nous
avons
remarqué
que
les
écoliers
avaient
une
grande
estime
pour
leurs
enseignants.
Si
nous
restons
dans
cette
logique,
nous
devrons
nous
attendre
que
ce
témoignage
d'estime
aux
maîtres
implique
nécessairement
une
grande
dépendance
â
l'~gard de
ces
derniers.
Cette
dépendance
devrait
être
la conséquen-
ce
logique
de
l'acculturation
de
ces
écoliers.
Mais
les
résulti1ts

de
notre
enquête
QOus
montrent
le
contraire
c'est-â-dire
que
cette
grande
estime
n'implique
ras
nécessairement
une
grnnde
dépendance
des
enfants
.1
l'égard
1
-
ces
milltres.
L'école
Ivoirienne,
pel'met
aux
enfants
de
développer
de
nouveaux
rapports.
Ceux-ci
sont
fondamentalement
différents
des
rapports
que
les
enfants
entretiennent
avec
leurs
parents.
Elle
favorise
certes
leur
émancipation
â
l'égard
de
l'autorité
parentale~\\))
malS
elle
ne
réussit
pas
pour
autant
â
augmenter
leurs
obliga~
tions
envers
leurs
partenairel scolaires
(2)
L'analyse
des
résultats
indique
que
Sl
l'école
d6veloppe
des
nouveaux
rapports,
SI
elle
êmancipe
l'enfant,
elle
contribue
â
le
rendre
beaucoup
plus
autonome,
beaucoup
plus
individualiste.
(1)
SEMITI
(A.J.)
cf
thèse
de

cycle,
Paris
]978.
(2)
Il
s'agit
des
enseip,nants
et
des
élèves .
. . . / ...

290
Comm~ l'a SI bien montrê SEMITI CA.J.),
l'enfant
qui
va
à
l'êcole
s'eng~ge de moins en moins, moralement parlant, envers
ses
parents
cet
engagement
s'accroît
de
façon
notable
VIS
à
vis d~
lui-même 1 alors qu'il diminue sensiblement à l'égard de ses
maîtres
et
de
ses
condisciples.
A Li cj'u'és'ti'dnde
s'avoir
à
qUI
l'enfant
rénd
le
plus
souv.ent' des ~coriJ.pte·s l'orsqu'lil
se
trouve
à
l'êcole?
Nous
avons
les
rêponses
suivantes
Rendre
compte
aux parents
32,50 %
Rend r e
c 0 mpte
a u:' ni a î t r e s
]0,86
%
Rendre
compte
aux
camarades
17,50 %
V·.>..
Ne
rendre
de
compte
à
personne=
39,16%
\\1
Nous
remarquons
que
ces
rêsultats
confirment
certaines
r
conclusions
dêgagêes
par
M.
SEMITI
dans
sa
thêse
intitulêe
les
rapports
d'autoritê
enfant
-
adulte
c~eE les goura. M. SEMITI avait
mis
en~idence que les adultes Goura depuis la mise en contact avec
la culture
occidentale
n'avaient
plus
d'autoritê
sur
leurs
progêniture&
Celles-ci
s'autonomisent
de
plus
en
plus,
provoquant
ce
que
nous
pou-
vons
appeler
la
"crise
d'autorité"
en
pays
Goura.
De
notre
côtê,
nous
remarquons
qu'il y
a
crIse
d'autorité
dans
le milieu
Ivoirien.
L'enfant
n'est
plus
obligê moralement
de
rendre
compte
à
se, parents
durant
son
sêjour
scolaire et même
aprês·
Nos
chiffres
sont
assez
pa~lants , malS il
convient
de
nuancer
nos
propos.
Si
dans
l'ensemble
i l
y
a
baisse
d'obligation morale
de
l'enfant
Ivoirien vis
à
vis
de
ses
parents,
l'analyse
dêtaillêe
de
nos
rêsultats
nous
apprennent
que
cette
obligation morale
demeure
importante
chez
l'enfant
du milieu
rural.
Hi 1 :t e ù
ru raI
Hilieu
urbain
Rendre
compte
aux
parents=
35
%
30 %
N'ont pas
de
compte
à
rendre
à
personne
36,66
%
41,66
Ïo
... / ...

291
Autdnomve
par
rapport
au
nlveau
scolaire
(1)
CE2
Ct12
Rendre
compte
aux
parents
40 %
22,5
%
Ne
rendre
pas
de
compte
aux
26 %
55
%
parents
Il
se
dégage
de
ces
pourcentages
que
ce
sont
les
enfants
du milieu
rural
qUl
se
sentent
moralement
redevables
à
l'fgard
de
leurs
parents.
Les
plus
jeunes
d'entre
eux
le
sont
beaucoup
plus,
peut
être
parce qu'ils
sont
les
moins
instruits.
De
façon
générale
en
ce
qUl
concerne] 'obligation morale
qu'ont
les
plus
jeunes
V1S
à
vis
de
leurs
parents
peut
être
interprèté
par
le
fait
qu'ils
sont
encore
sous
l'influence
directe
du
"traditionalisme enfantin"
(2).
Etant
sous
cette
influence,
l'enfant
ne
peut
encore
opérer
une
"àiscrimination entre
attitudes
familiales
et
attitudes
scolaires"
(3).
A ce
TI1VeaU
de
scolarité
(nive~u CE2),
l'enfant
a
tendance
à
assimiler
son milieu
scolaire
à
son milieu familial.
Le
fait
qu'il
est
à
l'école
ne
l'empêche
pas
d'être
so~s l'influence de ses
parents,
c'est
peut-être
ce
qUl
explique
à
notre
modeste
avis
la rédevabilité
de
l'enfant
de
niveau scolaire
inférieure,
à
l'égard
de
ses
parents.
Quant
aux
enfants
rur~ux, cela s'explique par le fait
qu'ils
se
trouvent
beaucoup
plus
sous
l'influence
des
habitudes
contractées
en famille.
Ils
baignent
dans
le
milieu
traditionnel
Ivoirien et
comme
dans
la
famille
africaine-
non
acculturée
(non
occidentalisée)
le
respect
pour
les
parents
est
de
rlgueur,
on
comprend donc
pourquoi
la plupart
de
ces
jeunes
rendent
des
comptes
à
leurs
parents.
(1)
Nous
avons
choisi
de
comparer
le
nlveau
CE2
et
CM2
qUl
se
trouvent
aux
deux
extrémités
des
niveaux
scolaires
choisis
dans
cet
échantillon.
(2)
Durkhei~, cité par A.
Férré
(voir
suivant)
(3)
A.
Férré,
ln
l'enfant
et
le
milieu scolaire
SUDEL
1963 P.45
et
44 .
. . . / ...

292
CHAPITRE 4.
LES FACTEURS D'ACCULTURATION A L'INTERIEUR DE L'ECOLE SAISIS
AU NIVEAU DES CONDISCIPLES.
Il n'
y a pas que le maître avec qui l'~colier Ivoirien ~tablit
des rapports. L'écolier Ivoirien établit des rapports avec ses camarades de
classe ou de l'école. L'~volution de ces rapports part du simple contact
à l'établissenent de liens de plus e~ plus sélectifs ou électifs.
Nous avon~d~j~ montr~ que le milieu scolaire, par le jeu
-des
relations interpersonnelles,
influe sur l'attitude psycho-socio-culturelle de
l'~l~ve. La oualit~ des raD~orts con~actés dépend du climat de la classe,
c ' v K "
--
car le climat qui détermine les réactions individuelles de nature
'1
à modifier le comportement et le~produit:'de l'~cole. Nous montrerons par
des exemples au paragraphe suivant l'influence des relations scolaires
dans le groupe -
classe sur la régularit~ des effets de l'acculturation.
~4~
- APPRECIA~ION DES RELATIONS AVEC LES CONDISCIPLES
Les écoliers que nous avons enquêt~s, nous o~t tous dit qu'ils
sont entièrement satisfaits des relations qu'ils eT'lrètiennent avec les
autres camarades ~ l'intérieur de la classe et de lr~cole de façon générale.
Nous avons été surpris des diverses nuances apportées aux
réponses.
Les &coliers qui estiment avoir des bonnes relations,
spécifient
bien avec qu~ ils entretiennent ces relations. C'est-~-dire qlJe la qualité de ces
relations d~pend de l'origine soci-culturelle des contractants.
A l'~cole primaire publique de Cocody-pilote ou à celle de
cocody- les-deux-plateaux (o~ il y a encore de jeune~ ~coliers blancs et
m~tis), l'écolier Ivoirien choisit ses camarades selon qu'il s'agit d'un
jeune blanc, m6tis ou un noir acculturé.
A l'&cole prim2ire publique de ZEGO, l'enfant choisit ses
camarades selon qu'il s'agit de l'enfant ùu majtre, de commerçant, du
chef de village ~tc ...
. .. / ...

293
A la question
as-tu de bons camarades à l'école?
Nous avons les réponses suivantes
Au niveau de l'ensemble de l'échantillon
75,83 % déclarent aVOIr de bons camarades
18,33 % déclarent q~'ils n'ont pas de camarades
5,83 % de sans réponses.
Voici le détail des réponses
A ZEGO :
81 , 66 % ont de bons camarades
1 5
% n'ont pas de bons camarades
3,33
ne répondent pas.
A Cocody Pilote et Cocody-les-deux-plateaux
70 % ont de bons camarades
21,66 % n'ont pas de bons camarades
8,33 % ne répondent pas.
11
- Satisfactions:
41 1
A 'ZEGO
la majorité des écoliers tirent plus de satisfaction
pour ce qUI est des rapports avec les enfants des maîtres, suivis des
enfants qUI ont des bons résultats scolaires.
Rapports avec Enfants des maîtres
40,80 %
"
"
Meilleurs élèves de la classe
26, 52 %
"
"
Enfants de commerçants:18,36 %
"
"
Divers enfants
:14,28 %
... / l ..

294
A Cocody (les deux Cocody réunis)
Pour ce qUI est des rapports avec les écoliers blancs,
métis, noirs acculturés,
la majorité en tire une grande satisfaction.
Rapports avec écolièrs blancs
38,09 g0
Rapports avec écoliers métis
28,57 Ço
Rapports avec enfants noirs acculturés
26, 19 %
Rapports avec divers enfants
7 , 14 %
Les 15 % d'écoliers de ZEGO expriment leur insatisfaction
en la justifiant par les raisons suivantes
- Je n'ai pas de bons camarades à l'école, parce que les
élèves sont méchant~ (enfant de CE2)
- Parce qu'ils aiment parler le diale~te (enfant d'un
enseignant) .
- Parce qu'ils di$ent que je ne SUIS pas intelligent
(enfant de CMU
Ces résultats montrent qu'on aIme celui qUI se rapproche
L
un peu plus de ce que l'école attend des élèves.
A Cocody,
le quartier le plus acculturé
(occidentalisé)
d'Abidjan les réponses y sont beaucoup plus caractéristiques. La
minorité (21,66 %) qui a exprimé son mécontentement ou son insatis-
faction,
justifie sa réponse par le manque de compréhension qu'elle
rencontre auprès des autres. Elle le jystifie aussi par la différence
de culture et de mentalité. Cette minorité comprend deux sous-groupes
d'écoliers
Le premier sous-groupe comprend tous les jeunes écoliers
fortement acculturés ou très "assimilés".
Ils manifestent leur mécon-
naissance de la langue maternelle.
Ils se sentent beaucoup plus pro-
ches du blanc que du Noir et manifestent visiblement leur supériorité
dans la maîtrise de la langue et de la culture françaises par rapport
à leurs condisciples provenant de milieux pauvres.
. .. / ...

295
Ceux-ci quant à eux se plaignent fortement de l'incompréhension que
les premiers nourrissent à leur égard. C'est pourquoi ils entre-
tiennent difficilement des relations avec eux. Leur souhait serait
de nouer des relations avec les petits écoliers blancs. Mais là,
la
différence de culture est énorme.
Ils s'y sentent obligés parce que
l'écolier Blanc dans cette école reste le point de mire de tout le
monde.
Il est la norme, le modèle,
l'échantillon de la "civilisation"
vers laquelle tout le monde tend.
Plus on se rapproche d'eux et plus on est considéré comme
tendant vers le modernisme. Après les écoliers Blancs)viennent
les
écoliers Métis et les enfants Noirs de milieu socio-culturel favorisé
qui attirent la sympathie des autres.
La petite minorité,
(mise à l'écart la catégorie des acculturés)
est le plus souvent victime de sa méconnaissance de la langue fran-
çaise ou de la baisse de ses résultats scolaires.
L'ensemble des résultats que nous venons d'exposer nous
révèlent que les écoliers Ivoiriens manifestent leur satisfaction
ou leur contentement lorsque les rapports s'entretiennent avec des
condisciples étrangers ou socialement mieux favorisés c'est-à-dire
ceux qui manifestent leur goût pour tout ce qui est européen.
Nous constatons d'après ces résultats que les sujets qui
disent avoir de bonnes relations avec leurs camarades sont plus nom-
breux en milieu rural qu'en milieu urbain (ZEGO 81,66 % ; Cocody
70 %). Cela s'explique par le fait qu'en milieu rural, tout le monde
connait tout le monde. C'est une société d'inter-connaissance. Cha-
cun des membres de la société connait tous les aspects de la person-
nalité de tous les autres membres. Les relations préexistent à
l'individu ... On nra pas besoin de découvrir autrui pour nouer des
relations. Alors qu'en milieu urbain,
le Jeu social est basé sur la
découverte d'autrui et sur la façon dont l'individu se dévoile ou
se voile aux autres.
. .. / ...

296
Nous disons donc que les écoliers du monde rural sont beau-
coup plus satisfaits que leurs homologues du monde urbain des rapports
qu'ils cultivent à l'intérieur de l'école avec leurs camarades étran-
gers ou leurs camarades du village relativement plus intelligents
c'est-à-dire qUl obtiennent de bon résultats scolaires.
Au cours de notre enquête nous nous sommes beaucoup inté~
ressé aux enfants de Cocody parce qu'ils sont les plus acculturés et
proviennent des milieux socio-culturels et socio-professionnels
divers.
Il semble, d'après nos recherches que les meilleures rela-
tions dans cette école s'établissent avec les écoliers Blancs
(38,09
%).
Nous l'avons déjà signalé plus haut. On peut donc envlsager
plusieurs interprétations au sujet des relations priviliégiées avec
les écoliers Blancs.
L'écolier Blanc est l'individu vers lequel tous les autres
écoliers Ivoiriens tendent. C'est un modèle pour eux. C'est l'exemple
vivant de la langue et de la culture occidentaies.
Les écoliers Ivoiriens ne sont pas du tout hostiles à leur
présence dans leur éoole. Au contraire ils sont très contents de les
avoir comme camarades d'écdle, malgré l'insatisfaction que certains
tirent de leur présence à l'école. Un certain nombre d'entre eux
(les mécontents et surtout ceux des milieux pauvres,) au cours d'un
entretien beaucoup plus approfondi, nous ont laissé entendre qutils
ont de l'admiration, du respect, un certain complexe d'infériorité
à leur endroit.
L'entente avec les jeunes français est beaucoup plus fré-
quente dan la catégorié d'élèves issus de milieu cadre supérieur.
Cela s'explique par le fait qu'ils
(les enfants des cadres supérieurs)
sont soumlS à peu près au même régime socio-culturel ou qu'ils par-
tagent avec les jeunes français les mêmes activités et sont ceux qUl
s'en rapprochent par l'intermédiaire de la culture et de la langue .
. . ./ ...

297
C'est donc les éléments de cette catégorie d'écoliers qui établissent
les meilleures relations avec leurs condisciples français pour des
raisons déjà évoquées. Dans l'ensemble l'écolier du milieu urbain,
quelque soit son niveau scolaire,
son lieu de résidence et son ap-
partenance socio-culturelle et socio-professionnelle, subit fortement
l'influence des rapports socio-culturels et scolaires vécus mutuel-
lement à l'école, car il est sous l'influence directe et précoce de
ce milieu. C'est dire que l'intensité d'acculturation à l'école est
déterminée par l'appartenance socio-professionnelle et socio-cultu-
relIe des écolier.s.
11
- L'intensité des bons rapports augmente avec le type d'école
41 2
Un enfant de milieu pauvre transplanté dans une école où
tous les sujets appartiennent à des milieux aisés,
(exemple école
urbaine) s'acculturera beaucoup plus vite que s'il était maintenu
dans une école où tous les sujets sont issus de milieux défavorisés
comme dans le cas d'une école rurale. Ceci explique et nous le verrons
plus loin au niveau des effets d'acculturation, que le nIveau socio-
culturel de lJécole ou son implantation géographique influent sur
les tendances du jeune écolier Ivoirien à adhérer aux valeurs cultu-
relles françaises.
Nous avons déjà signalé qu'il existe en Côte d'Ivoire et
surtout dans la capitale deux types d'école:
L'école officielle c'est-à-dire celle qUI utilise les pro-
grammes établis par le Ministère de l'EnseignemeDt Primaire et de la
Télévision Educative et l'école "française" c'est-à-dire celle qUI
utilise les programmes en vigueur en France et qui accueille les
enfants des coopérants et un certain nombre d'enfants de "grands
privilégiés" nationaux.
. .. / .. /

298
Cette école "française" est une "école de déracinement".
1'écolier Ivoirien qui y entre est un "élu". Une fois "élu" dans
cette école "tour d'ivoire",
il est considéré par ses propres parents
non pas seulement comme une sorte de matière première qui doit sor-
tir au bout de la chaîne sous les espèces de rond-de-cuir bien pro-
pre"
(1),
mais encore "comme un individu bien considéré et ayant
réussi sa "francisation". Ayant accepté cette élection bon gré, mal
gré, l'enfant a des partenaires français avec qui il participe aux
mêmes activités scolaires en vue de se développer et de s'occiden-
taliser pleinement. Son insertion dans le milieu européen s'apprécie
par la qualité des rapports échangés
par l'aisance d'expression,
par les gestes etc ... comme dit bien ](1-ZEP,"80, c'est une "école
"
ghetto" qui est là un peu comme un cheveu sur la soupe, un kyste
dangereux, une tumeur dont le diagnostic revèle trop souvent qu'elle
est ca nc é r eus e " ( KI - ZERB 0 , 1 96 9 )
( 2).
L' é col i e r qui pas sep arc e t t e
école estime qu'il a des contacts très positifs avec ses partenaires
français.
A la question:
t'arrive-t-il de receVOIr certains de tes camarades
Français chez toi ?
EPP de ZEGO
Nous avons 100 % de réponses négatives. La réponse
était prévisible dans la mesure où il s'agit d'une école rurale. Tous
les français se trouvent dans les centres urbains. Mais cette réponse
quoique négative n'a pas empêcJ1é que certains de nos sujets regret-
tent de ne pas en avoir dans leur école.
Sur les 60 écoliers ruraux enquêtés,
sept (7)
soi t
11,66 % ont
regretté cette absence de jeunes français dans leur école. Les raI-
sonts avancées ont été les suivantes :
(1)
et (2)
KI-ZERBO conférences déjà citée.
. .. / ...
...

299
Cela nous aurait permis de bien parler leur langue.
Cela nous aurait permis de jouer avec eux ensemble et de
les avoir comme camarades.
- A travers eux, nous allions connaître leur mentalité
et leurs bonnes manières etc ...
A Cocody
Pour cette même question,
21,66 % de 'nos enquêtés déclarent
recevoir certains de leurs camarades français à la maison, contre
51,66 % qui n'en reçoivent pas et 26,66 % de sans réponses.
Ceux qui déclarent ne pas recevoir des écoliers français
chez eux,
invoquent la différence d'éducation et de mentalité:
le
fait que les jeunes français vivent à l'écart et ne recherchent'pas
leur compagnie; le fait que les jeunes français se moquent dreux
parce qu'ils parlent mal le français ou parlent celui de "DAGO"(1) .
Parmi ceux qui disent recevoir leurs'condisciples français
à la maison,
certains le font parce qu'ils habitent la même cité, le
même quartier d'autres encore parce qu'ils se sentent beaucoup plus
proches d'eux par la langue et la culture.
Quant aux éléments de l'école "française", baignant dans le
milieu "européen", ils invoquent le fait qu'ils se trouvent dans une
école qui exige d'eux de nouveaux efforts d'adaptation, par conséquent
ils doivent faire un effort pour répondre à de nouvelles exigences
culturelles et surtout transformer le champ de leurs,relations sco-
laires. Dans cette école "française" le problème linguistique dont
font état les écoliers ruraux et certains éléments urbains, s'estompe,
puisqu'ils sont en meilleure possession de la langue française.
De façon générale, l'écolier Ivoirien pour entrer en contact
avec ses condisciples blancs ou noirs suit une certaine logique
c'est-à-dire respecte un certain nombre de critères dans le choix des
camarades.
(1)
Il s'agit du français parlé par les couches populaires du pays
français "Ivoirisé".
. .. 1 ...

300
Et c'est ce que nous allons voir dans le paragraphe suivant
Nous avons déjà remarqué dans les paragraphes précédents
que les écoliers entretenaient entre eux des rapports. L'analyse de
ces rapports ont eu l'avantage de rendre manifestes les relations
1
'
1 .
d'
1
Il
"t'-\\~
-
,
-
entre
es eco lers
une c asse te
es~sont eprouvees,
vecues par
les sujets. Ces relations ont l'avantage de présenter une polarité
affective qui va de l'attraction à l'éloignement en passant par
l'indifférence. Ce sont ces relations vécues subjectivement qu'il
s'est agi dans un premier temps d'activer, de rendre saillantes et
actuelles pour le sujet en créant une situation adéquate.
La situation sociométrique aurait pu nous permettre de
mesurer "l'homme social" c'est-à-dire "l'homme engagé dans des
relations avec les autres au sein d'un groupe donné
ainsi nous
aurions pu étudier "les relations interpersonnelles par la mesure
des attractions et des répulsions à l'intérieur de la structure d'un
groupe"
(1). Cette situation sociométrique est telle précisément
qu'elle permet d'actualiser et de faire objectiver sous la forme
d'une réponse verbale à une question,
les relations vécues subjecti-
vement. Mais nous avons préféré observer les comportements de nos
sujets et leur demander comment ils les vivent.
Rappelons-nous que nous aVlons annoncé dans une hypothèse
à propos des relations scolaires et extra-scolaires, que le point
de départ de certains modèles de conduite acquis par l'élève se
situerait dans les comportements de ses condisciples. Ce sont ceux
là (ces comportements) qui induisent l'attitude de certains élèves.
En considération de ces données nous avons demandé à nos sujets de
nous dire comment ils choisissent leurs camarades.
(1) Moreno (J.L.) Fondements d~ la sociométrie, trad - française
PUF 1954.
. .. / ...

301
11 42 - CHOIX DES CAMARADES
- Choix en fonction du degré d'acculturation du
Camarade à choisir.
Les écoliers du milieu socio-culturel ou socio-profession-
nel privilégiés, nouent entre eux ou avec les écoliers blancs des
relations à l'occasion des jeux. Cette attitude est le fait des élè-
ves très "occidentalisés" qui, en se trouvant dans un milieu scolaire
qui ne favorise pas pour eux l'établissement des relations de cama-
raderie avec leurs compatriotes encore attachés aux traditions,
dans
la mesure où n'ayant pas très bien acquis dans leur famille,
leur
langue maternelle,
des moyens d'expression prop~es à leur système de
valeurs ainsi que des apprentissages SOClaux, n'ont pas la possibi-
lité de comprendre aussi bien que de se faire comprendre par leur
entourage non encore "occidentalisé", finissent par se sentir à
l'aise au sein du cadre scolaire occidentalisé.
Quant aux éléments issus de milieux paysans et pauvres,
qUl caressent le désir de nouer des relations avec leurs condisciples
occidentalisés,
ils se retrouvent presque toujours entre eux. D'au-
tant plus que la possession de leur langue maternelle, va souvent
de pair, hélàs pour eux,
avec une méconnaissance de la langue fran-
çaise, ou de son maniement avec un contenu et sous une forme diffé-
rente de ceux que leur imprime "l'école française".:
Milieu urbain:
38,33 % de nos enquêtés parlent uniquement
français en famille. A l'intérieur de ces 38,33 %,
69,S7 % ne
comprennent aucune langue du pays,
tandis que seulement 30,43 %
comprennent au moins une langue, mais ne la parlent pas.
Ces jeunes ivoiriens qui ne connaissent pas la langue du
milieu choisissent inconsciemment des jeunes étrangers ou leurs col-
lègues ivoiriens "occidentalisés". C'est dans ce milieu qu'ils se
sentent le plus à l'aise.
?
• • • /
• • •

302
Ainsi ceux qui se ressemblent, se choisissent mutuellement.
Cela veut dire qu'on choisit un camarade du même milieu socio-
culturel "pour retrouver une communication identique" à celle de la
maison familiale;
"des personnes qui ont les mêmes traditions, avec
lesquelles les mots ont les mêmes significations
, avec lesquelles
on peut utiliser les mêmes réh~rences de cadre de vie".
(1)
Il est à noter que les rapports de camaraderie entretenus
à l'occasion des jeux, avec la population scolaire du même milieu
socio-culturel ou socio-professionnel, augmentent au fur et à mesure
que le niveau scolaire augmente :
Exemple : CE2
22,2 ~0
CM1
30,5 %
CM2
46 0ô
Explication :
Plus on avance dans les études et plus on a besoin d'établir
de nombreux rapports. Cet établissement de rapports exige de ceux qui
sont dans le besoin, de nouveaux efforts d'adaptation.
Il s'agit de
s'adapter à un univers qui s'occidentalise tant sur le plan scolaire
que relationnel. Outre l'effort qu'ils fournissent pour répondre aux
exigences pédagogiques,
il se trouve que c'est le champ des relations
scolaires qUI se transforme. Nous pensions que l'augmentation du ni-
veau scolaire des écoliers, l'élargissement de leur environnement
scolaire, en accroissant leurs expériences dans différents domaines
allaient leur permettre de prendre conscience des réalités du milieu
africain afin d'établir des contacts enrichissants avec leurs condis-
ciples de milieu modeste, voilà au contraire que se précisent et se
renforcent les relations qui les lient à leurs camaradœs occidenta-
lisés ou en voie de l'être.
(n Cf. Mlle DELARRE
et Mme MEY; "le retentissement de l'émigration
dans la vie des jeunes étrangers" vie sociale ; in cahier du
CEDIAS, nO 5.
1974 P.
293.
. .. / ...

303
Quelle raIson pouvons-nous donner à ces considérations ?
La raison en est que, lorsque le niveau scolaire augmente l'écolier
accentue sa désadaptation au milieu africain et son adaptation au
nouveau milieu
(milieu "moderne").
Avec la généralisation de l'enseignement télévisuel qui
met l'accent sur l'expression orale,
les élèves de milieu défavorisé
augmentent leurs difficultés pédagogiques, et cela contribue à les
isoler davantage.
Il s'ensuit au'ils se sentent de moins en moins
compris et éprouvent une certaine difficulté à entrer en rapport
avec lell1's condisciples "occidentalisés". Ces derniers ne cherchent
pas non plus à les comprendre afin de les accepter. Ainsi les éco-
liers pauvres rencontrent en général d'importants problèmes de rela-
tions inter-culturelles ce qui se traduit le plus souvent par des
conflits psychologiques internes.
Nous avons déjà montré que certains éléments du milieu rural
déploraient qu'il n'y avait pas de "petits blancs" dans leur classe
en milieu urbain,
les écoliers de milieu défavorisé déplorent que
leurs condisciples Blancs ou Africains "occidentalisés" ne cherchent
pas leur compagnie et font "bande à part".
- Choix en f6nction de l'intelligence scolaire du camarade
à choisir
Une seconde attitude consiste à choisir ses camarades de
Jeux parmi les écoliers intelligents à l'école c'est-à-dire parmi
ceux qui travaillent bien en classe. Cette attitude est adoptée par
l'ensemble des écoliers, mais en particulier par les éléments "Blancs"
et Ivoiriens complètement assimilés".
. .. / ...

304
A la question qUl choisis-tu?
"Je choisis le premier de la classe ;
Je choisis celui qUl peut m'aider dans certains de mes
devoirs
Je choisis celui que le maître félicite toujours
Je choisis celui qui travaille bien en classe"
Voici comment se repartissent ceux qui choisissent les
élèves intelligents :
Ecoliers non occidentalisés les choisissent à 37,6 %
- Ecoliers occidentalisés les choisissent à 45 %
Les enfants de milieu pauvre, qui sont brillants en classe
sont vite acceptés, parce qu'ils s'adaptent relativement bien au mi-
lieu scolaire. De ce fait,
ils sont plus vulnérables à l'aliénation
culturelle. Non seulement ils assimilent bien le programme scolaire,
mais aussi ils sont plus ou moins en meilleure possession de la langue
française,
ce qui atténue un tant soi peu leur isolement linguistique.
Au fur et à mesure qu'ils augmentent leur niveau scolaire, ils se
familiarisent plus avec le milieu occidentalisé, dans la mesure où
ils s'imprègnent de son monde de culture et de civilisation. Cette
imprègnation culturelle tout en leur permettant de découvrir le mode
de vie, le système de relations,
les habitudes et les goûts de la
population occidentalisée, les rapproche de leurs camarades des fran-
çais et africains assimilés avec lesquels ils entretiennent des rela-
tions scolaires privilégiées.
On retrouve cette attitude qUl consiste à se rapprocher
"des occidentalisés" chez les écoliers de CM2.
Voici la répartition selon le cursus scolaire
CE2 18,3 % d'écoliers se rapprochent beaucoup plus de leurs
camarades qui ont atteint un certain degré d'acculturation; en classe
de CM1, il Y a 31
% ; tandis qu'en classe de CM2, nous recueillons
42,5 % de voix.
. .. / ...

305
Comment peut-on expliquer cette tendance ?
Lorsque le nlveau scolaire s'élève,
l'écolier prend de plus
en plus conscience du changement socio-culturel qui s'opère autour
de lui. Ses besoins de consommer les modèles culturels importés aug-
mentent. C'est à ce moment qu'il recherche activement le besoin de
s'aliéner (sans s'en rendre compte).
L'écolier du CE2, est encore à "l'âge de l'écolier" (1)
c'est-à-dire à un âge où n'étant pas encore très conscient du change-
ment qui s'opère devant lui,
il ne rencontre pas encore, comme son
confrère de CM2, de profonds conflits psychologiques. Ce qui fait
que le sentiment de camaraderie qu'il éprouve à ce stade n'est pas
encore électif.
Mais l'écolier de CM2 grâce à la place privilégiée que lui
accorde son nlveau scolaire et son imprègnation de la langue et de ~
Culture françaises,
adopte un comportement relationnel ·différent. Son·
besmin d'entrer dans le monde des ~acculturés" lui donne l'occasion
de recruter ses partenàires de jeux, en
les choisissant de préfé-
rence parmi les éléments qui s'adaptent le mieux au cadre scolaire
ou au cadre moderne,
à savoir les élèves français
ou assimilés. Cet-
te attitude concerne la majorité ~'~coliers qui bénéficient d'une
scolarité du milieu urbain et de surcroit dans les quartiers
"bourgeois".
La présence de ces écoliers, surtout ceux qUI se trouvent
dans les écoles à majorité blanche, leur permet de se mêler à des
scolaires français,
d'avoir de multiples échanges fructueux et de
marquer la rupture avec le milieu africain, qui s'est désormais
produit. N'est-ce pas là, sans doute le cas "normal" de l'accultu-
ration
acculturante puisqu'elle conjoint deux cultures différentes.
(2)
(1) CF: Débesse:
les étapes de l'éducation; PUF 1960 P.
76
(2) P. CAUSSAT. Langue nationale et création poétique,
in Revue de
de psychologie des peuples.
28 e année juin/septembre 1973 .
. . . / ...

306
11
- Choix d'un partenaire "étranger" autre qu'un "français"
42 3
Une troisième attitude consiste à prendre comme camarade
de jeux, dans l'enceinte de l~école, des partenaires étrangers,
autres que les élèves français.
Ces écoliers "étrangers" sont fai-
blement répresentés au niveau de l'ensemble des écoliers (environ
5 %).
Ils se recrutent dans tous les milieux.
Cette tendance est acceptée par tous les sous-groupes. ~lais
en tenant compte de certains critères qui sont : le niveau scolaire,
le sexe,
l'appartenance sociale, le lieu de résidence.
Niveau Scolaire
CE2
8 , 6 ~
plus le nIveau scolaire augmente
0
CM1
1 9 , 3 %
et plus on recherche la camaraderie
[
012
26,3 0"
d'un collègue "étranger".
Sexe
Filles
1 7 ,5
%
Les filles acceptent beaucoup plus
Garçons
10,6 %
la camaraderie de la collègue
étrangère que ne le font les
garçons.
Appartenance sociale et lieu de résidence.
Milieu "bourgeois"
6 %
Le milieu "bourgeois" accepte mOIns
Milieu pauvre
8 %
la compagnie de l'étranger que le
{
milieu pauvre.
Cette tendance qUI consiste à aller vers le camarade étranger autre
que le jeune "Blanc" est le fait des éléments qui ont des problèmes
psychologiques et culturels, problèmes qui sont nés du contact avec
l'école,
... / ...

307
et ont des difficultés à entrer en communication avec leurs camarades
français et Ivoiriens occidentalisés. Ces éléments en question font
l'effort d'aller vers les éléments étrangers.
11
- Une autre attitu.de pour choisir un camarade (1)
42 4
A part les attitudes que nous venons de mentionner, une
quatrième se dégage par ailleurs; son importance (2)
est la même
que celle qui a consisté pour l'écolier Ivoirien à choisir ses cama-
rades de jeux dans la population scolaire française et ~ssimilée
(Métisse). Cette attitude ne cherche pas à discriminer les écoliers,
mais laisse la possibilité à ceux qui l'adoptent d'instaurer une
véritable relation avec les éléments de l'ensemble des sous-groupes
représenté à l'école. Ses partisans se recrutent parmi les plus
jeune); parmi les moins acculturés, parmi ceux qui parlent encore
leur langue maternelle et surtout parmi les écoliers du village.
Le choix des camarades de jeu:x et le choix des "bons
camarades" dont nous avons déjà parlé, ont la même repartition et
ont presque les mêmes caractéristiques que cette 4e attitude. Ce
sont à peu de choses près des attitudes semblables qui se dégagent,
et qui se rapportent quasiment aux mêmes sous-groupes.
(3)
D'après notre enquête,
il apparaît que les meilleurs cama-
rades ne sont autres que les camarades de Jeux. On note, néanmoins
l'intervention d'une modification; d'une part nous avons remarqué
qu'on fait beaucoup plus de discrimination pour choisir ses meilleurs
camarades, que quand il s'agit de les fréquenter uniquement à l'oc-
casion des jeux; d'autre
part, une nouvelle tendance non moins
négligeable apparaît, constituée par ceux qUl ne connaissent pas de
bons camarades, parce que se sentant "mal-aimés" ou "rejetés" selon
leurs propres expressions.
(1)
Ici le groupe ne fait pas de discrimination dans le choix du
camarade.
(2)
Il s'agit ici de l'importance en pourcentage.
(3) Cf. Chapitre 4 paragraphe II 41
: appréciation des relations avec
les condisciples. et paragraphe II 42
: choix en fonction du
J
degré d'acculturation du camarade à cnoisir.
. .. / ...

308
Cette tendance se recrute davantage en milieu rural ou en milieu
urbain, mais essentiellement dans les ,familles défavorisées socio-
culturellement parlant. Si elle se pla~nt de ne pouvoir"se faire de
bons camarades"
de quelque bord que ce soit, c'est ~ cause de son
inadaptation scolaire. Celle-ci est due ~ 1~pprentissage de la langue
française dès l'entrée ~ l'école, ~ la transplantation traumatisante
de certains ruraux dans les écoles urbaines,
~ la non assimilation
des modèles culturels français.
Cette inadaptation scolaire engendre
pour ces écoliers une situation conflictuelle, les acculant au repli
sur soi etc ... La perte de leur système de relations d'origine, l'in-
tolérance du nouveau milieu scolaire, les rendent anxieux et suscep~
tibles. Alors qu'ils aspirent au contact intime,
ils ne peuvent nl
le susciter, ni le maintenir.
Ils aspirent ~ l'acculturation, ~ la
consommation des modèles culturels français,
au même titre que leurs
condisciples de milieux aisés, mais le font lentement et avec impa-
tience, tandis que leurs condisciples de milieu aisé, ont fini leur
acculturation et tendent vers l'assimilation.

309
CHAPITRE 5 - LES EFFETS DE L'ACCULTURATION AU NIVEAU DE L'INDIVIDU
AU SEIN DU MILIEU FAMILIAL ET LES RELATIONS AVEC LES
PARENTS.
Après aVOlr étudié les facteurs d'acculturation qUl se
manifestent à l'intérieur de l'école et dégagé partiellement leur
impact sur le comportement scolaire de l'enfant ivoirien, nous allons
essayer dans ce chapitre d'analyser les répercussions qUl en résul-
tent sur le comportement individuel de l'écolier, sur son comporte-
ment à la fois scolaire et social,
sur les rapports que cet écolier
établit avec ses parents, au sein de la cellule familiale.
La société ivoirienne en mutation, à travers l'école met
à la disposition de l'enfant ivoirien des valeurs fortement accultu-
rantes en contradiction manifeste avec celles qUl sous-tendent le
système de représentation traditionnel.
Ce changement psycho-social du comportement de l'enfant ne
manque pas d'être subi par les parents, et ceci met en cause les
rapports entre parents et enfants.
L'infiltration permanente et croissant~ des valeurs occiden-
tales dans la société ivoirienne, nous incite à nous demander quel
est l'impact de cette infiltration sur l'individu lui-même et sur
les rapports qu'il entretient avec son environnement.
Dans cette perspective et pour répondre à cet objectif nous
envlsageons d'aborder la suite de notre travail de la manière
suivante
Le premier point est destiné à constater les modifications
imprimées par l'école aux processus comportementaux oe l'écolier.
Le deuxième point va mettre en évidence l~~crage du modèle
européen.
. .. / ...

310
11
- MODIFICATIONS IMPRIMEES PAR L'ECOLE AUX PROCESSUS COMPORTEMEN-
51
TAUX DE L'ECOLIER
Nous cherchons dans ce sous-chapitre à montrer comment se
manifestent les influences étrangères à travers le comportement,
l'attitude de l'écolier.
Il s'agit de voir comment apparaissent les complexes
comment s'exprime l'aliénation culturelle dans les modèles de compor-
temen t. ;
- Apparition des complexes.
Il Y a dissoci~tion entre l'enfant scolarisé et son milieu.
Cette dissociation est troublante car elle marque la profondeur de
la dépersonnalisation subie, mais elle semble bien correspondre à
une réalité. Si la plupart des enfants scolarisés et urbanisés gar-
dent les liens vivants avec leur famille restée au village, une
classe apparaît qui a rompu toute attache et vit sur un mode tout à
fait européen.
Ce sont ceux-là qui ont oublié leur langue.
Pour eux parler "français" à la place d'une langue du pays
est un signe de réussite sociale. C'est par ce slgne que l'on recon-
naît le "déraciné, l'acculturé".
L'aliéna~ion culturelle est entrée aujourd'hui dans le
subconscient des ivoiriens. L'histoire de l'école coloniale nous
apprend que la France, en ouvrant des écoles indigènes, désirait
diffuser la culture occidentale; former des individus capables
d'injecter à tout moment une certaine dose de culture occidentale,
d'abord à leur entourage et ensuite au groupe ethnique auquel ils
appartiennent.
. .. / ...

311
Ces "lettrés" furent parmi les premiers individus de
l'ingroup, assurés d'un certain pouvoir afin d'acculturer l'environ-
nement immédiàt.
Ils bénéficiaient de ce fait d'une certaine noto-
riété et servaient de supports pour la transmission de la culture
·cccidentale.
Comme ils étaient les agents intermédiaires pour la dif-
fusion des modèles culturels occidentaux,
du coup aux yeux de leur
frère non scolarisés, ils apparaissaient comme étant des êtres
supérieurs.
Ce complexe de supériorité demeure vivace dans le milieu
ivoirien d'aujourd'hui. A l'heure actuelle chaque parent nourrit
l'ambition de faire de son fils un "grand intellectuel" capable de
maîtriser la culture occidentale c'est-à-dire d'agir, de sentir et
de penser comme le "blanc", Cette mentalité qui consiste à singer le
blanc persiste actuellement contre vents et marées. Nous pensons
qu'il faut du temps pour qu'on l'extirpe des esprits.
L'école comme nous l'avons déjà dit est un moyen d'accéder
à la culture occidentale.
Ceci fait que l'échec scolaire d'un membre
de la famille est ressenti comme un drame familial. Alors que si
l'enfant s'adapte bien dans le milieu scolaire, c'est une joie pour
les parents; selon nous crest une aliénation socio-culturelle.
L'école ainsi conçue permet à l'écolier d'acquérir le
savoir,
la sagesse des "Blancs" : comprendre ce monde moderne si
déroutant.
En 1966 pour atténuer la différence culturelle
(culture occidentale) entre le milieu rural et le milieu urbain, une
vaste campagne d'alphabétisation fut menée dans tout le pays. Cette
campagne d'alphabétisation n'a pas porté ses fruits,
car à 1 'heure
actuelle nous avons constaté que l'écolier du village es.t "bourré"
de complexe face
à celui de la ville et surtout c~lui de la capitale.
L'écolier ivoirien quelqu'il soit se sent complexé face à l'écolier
français de la même classe ou de la même école. Ce complexe se cul-
tive à tous les niveaux, même dans le domaine du sport .
. . . / ...

312
11
-
L'expr~ssion de l'aliénation culturelle dans les comportements
51 2
Comment s'exprime cette acculturation ou cette aliénation
culturelle? Est-elle ressentie uniquement par Geux qui font leurs
études en ville ? Est-ce uniquement un problème pour tous les scola-
risés ?
Sans doute les scolarisés du milieu urbain sont-ils davan-
tage touchés et cette situation entraîne une incompréhension entre
les jellnes scolarisés de ce milieu et ceux du milieu rural. Cette
incompréhension existe très souvent entre ces jeunes scolaIisés et
leurs parents et frères restés au village.
Un enseignant en milieu rural, au cours de nos enquêtes,
nous a tenu le langage suivant :
"Le paysan (et à un moindre degré l'écolier du milieu rural)
est toujours resté égal à lui-même. Alors que nous qui nous disons
intellectuels, nous avons été obligés d'adopter une attitude autre
que celle qui demeure dans nos villages. Aujourd'hui nous continuons
de le faire, parce qu'à un moment donné, nous avons eu un complexe
d'infériorité.
Si l'écolier du village est mOlns touché par la civilisation
occidentale parce qu'il vit davantage a~ milieu de la tradition, il
n'est cependant pas indemne de toute contagion (1).
L'aliénation culturelle comme nous l'avons dit s'exprime
dans les modèles de comportement qui ont un impact sur toute la
société, à savoir:
la langue,
les danses,
l'esthétique, 1 'habitat
etc ...
(1)
Entretiens avec le Directeur de l'Ecole prlmalre publique de
ZEGO
(1979).
. .. / ...

313
11
-
La langue
51 21
Plus de soixante langues sont parlées en Côte d'Ivoire. Le
français apparaît pour l'instant comme la seule langue nationale
possible. Celles du pays servent de langues vernaculaires.
Elles
sont rarement
parlées en famille. Car ces "Noirs Européens" (1)
ne parlent que le français à leurs enfants dès leur naissance.
Ils
se fâchent "tout rouge" quand ils surprennent un individu en train
de parler le dialecte d~ pays à leurs enfants. Aussi, on rencontre
en Côte d'Ivoire des enfants de huit à neuf ans
(8 à 9 ans) qUl ne
savent même pas articuler un mot de leur dialecte original.
Au cours de notre enquête, nous avons observé, en ce qUl
concerne le parler familial,
que trois types de situations linguis-
tiques pouvaient se présenter à l'écolier ivoirien qui vit au seln
de sa famille
-
La première situation linguistique concerne le plus grand
nombre de sujets. Elle donne la possibilité à ceux qUl la connaissent
(44 %) d'utiliser la langue locale comme moyen de dialoguer avec les
autres membres de la famille.
I l s'agit pour la plupart des écoliers
du milieu rural ou de milieu non cultivé.
- La seconde situation linguistique,
à
laquelle se refère
un effectif aussi important que celui qui s'est porté à la première
(43,3 %), donne au groupe qui s'y trouve confronté, une possibilité,
à savoir le recours à la langue française,
comme moyen de communiquer
avec les autres.
- La troisième situation est celle du bilinguisme. Les
écoliers qui s'y trouvent inclus (12,66 %) ont la possibilité de
parler indifféremment la langue locale ou le français et souvent
les deux à la fois.
(1)
Expression imagée: ce sont des ivoiriens nés en Côte d'Ivoire,
mais qui agissent comme des européens.
. .. / ...

314
L'émergence ou la persistance de l'emploi de la langue
française dans les relations familiales sont la preuve que les éco-
liers ivoiriens sont entrés ou qu'ils entrent dans un processus
d'aliénation linguistique irréversible. Déj~ on assiste ~ une attitude
stupide qui consiste à taxer à tort ou ~ raison "de socialement
réussi" celui qUI ne parle pas le dialecte
(1) et qui singe
l'européen.
L'enquête que nous avons menée ~ revéler ce qui suit
"les enfants de mon frère,
dit un enquêté, sont fiers de parler
français avec les grands parents lorsqu'ils arrivent au village ...
et ces derniers les appellent "petits blancs".
(2)
Cette revélation nous a incité à aller plus loin dans nos
investigations ~ savoir demander à nos sujets qu'elle langue on a
l'habitude de parler à la maison et avec les différents membres de
1 a famill e.
(1)
et
( 2)
Entretien avec un enseignant de Cocody-Pilote
en 19ï9.

Langue
parl~e ~
la maison
FRANCAIS
LANGUE LOCALE
LES DEUX A LA FOIS
ivlilieu rural
a %
100
%
a %
93,70

a
6
'J
0,
'v
'0
i"lilieu (~~ai~~ 60,6 %
9 , 1

3 a ,2
%
( 1)
Cl
-
[] ï l i e u
aisé
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Milieu
non
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LE
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1
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1
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o
93
96
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o
100
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o
o
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2 %
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0
!
1

\\ .
.
~ 90 ?elo. J % ! '7 ?6 97
1
,5%
!
0
!
2,5%
.
.
.
hili e u urbain
/!
!
!
b' l
.. 72,7%!
8
% !
19,3%l 6 0 ~s ! 2 9 ,3 %!10,r,% 1 51 % !
2
%
!
47
%
(1)
Frç.
Français
L.
Loc.=
Langue
locale
\\>l
~
Les
2
Les
2
langues
à
la
fois
0'1

317
Interprétation des tableaux ci-dessus.
Il se dégage de ce tableau que d'une manière génér2le,
les écoliers du milieu rur~l conservent encore leur langue maternelle.
Si de temps à autre on peut parler la langue française avec son père
(3 %) c'est 12 plus souvent sur l'invitation de ce dernier.
Si les
enfants parlent la langue française entre eux, c'est uniquement au
moment des devoirs de classe faits à la maison.
Dans le milieu urbain,
SI
la langue maternelle est
encore utilisée, elle tend à disparaître dans les milieux aisés,
c'est-à-dire occidentalisés. Dans ces milieux, c'est la mère qui de
temps en temps introduit la langue locale dans les conversations
familiales. Quant au père il n'est pas question de parler la langue
locale.
Devant cette évidence, peut-on incriminer les
enfants parce qu'ils ne parlent pas une langue du pays? L'école
a-t-elle fait quelque chose pour que les enfants parlent leur langue
maternelle .? Nous ne le pensons pas. Ce que nous savons et qui est
une réalité, c'est que l'école en fait, ne connaît qu'une seule
langue: c'est le français et pourtant celle-ci n'est pas la langue
maternelle des utilisateurs.
Sachant très bien qu'aucune langue ivoirienne n ' est
enseignée nous avons pourtant demandé aux écoliers enquêtés de nous
dire s'il leur arrivait de parler la langue locale à l'école et si
oui avec qui et à quel moment.
. .. / ...

318
Nous avons surtout posé cette question pour saVOIr SI l'in-
terdiction imposée pendant l'école coloniale, de recourir à la
langue locale pour exprimer quoique ce soit demeurait de nos jours.
Langue parlée à l'école
% OUI
% non
% sans
réponse
Ecolier rural
16 ,66
78,33
5
Ecolier urbain
1 , 1 1
96,66
2, 22
TOTAL
7,33
89,33
3,33
Il ressort de ces résultats que l'écrasa~te majorité de nos
enquêtés (89,33 %) ne parlent pas leur langue à l'école; seulement
7,33 % la parlent et 3,33 % ne répondent pas à la question.
Le détail des réponses nous donne ceci :
En milieu rural :
78,33 % d'écoliers ne parlent pas leur langue à l'école
contre 16,66 % qui la parlent et 5 % qui ne répondent pas à la
question.
En milieu urbain
96,66 % d'écoliers interrogés nous ont répondu qu'ils ne
parlent pas leur langue au sein de leur établissement con~e 1,11 %
qui déclarent la parler de temps en temps. Nous avons enregistrés
3,33 % de sujets qUI ne se prononcent pas.
. .. / ...

319
Il est inquiétant de VOlr que 78,33 % de nos sujets ruraux
ne parlent pas leur langue à l'école, alors qu'ils vivent dans un
environnement où prédominent leur langue et leur culture.
L'introduction dans un milieu cohérent d'un corps étranger
est un slgne évident d'une éventuelle perturbation. Car vivre dans
un milieu et ne pas utiliser les éléments dynamiques et vitaux de ce
milieu conduit l'individu à se renier et à rompre avec ses habitudes.
En outre le français apparaît rarement comme le moyen d'ex-
presslon de la vie personnelle de l'écolier; la preuve est qu'il )'
a souvent "résurgence d'une mémoire très ancienne qui n'arrive pas
à
se recoller à la réalité nrésente"
(l).
Nous constatons d'après cette analyse que l'imposition for-
cée de la langue française à l'école coloniale demeure.
Aujourd'hui cette imposition s'est transformée en complexe.
Celui-ci est intériorisé ou entré dans le "subconscient" de l'écolier
ivoirien.
C'est l'individu ivoirien lui-même qui est son propre cen-
seur
comme vous devez le savoir,
les varents sont furieux de voir
leur enfant parler mal le français ou ne rien savoir à l'école. Par-
ler français à l'école
(ou même dans la rue) pour les parents du
monde rural ou de milieu cUlturellementgtrvorisé est un signe de
réussite sociale et scolaire nous a dit un parent d'élève, qui en
d'autres occasion~ se plaint que les jeunes d'aujourd'hui ne savent
plus dire "viens manger" dans leur propre langue. C'est aussi un
signe d'aisance matérielle. En un mot, on considère le déraciné,
l'acculturé, comme un individu riche
(Equation on ne peut plus
fausse) .
(1) Pierre CAUSSAT : Langue nationale et création poétique,
ln Ethno-
ps
psychologie - Revue de psychologie des peuples
Juin/septembre
1973.
> ... / ...

320
Pourtant les gens y croient fermement.
Il arrive parfois
que certains jeunes scolaires "ont honte de parler leur dialecte
pour ne pas trahir leur origine modeste"
(1).
Il s'agit l~ d'un
courant de snobisme. Celui-ci sévit chez les jeunes qui "se préten-
dent évolués, qui apprennent par-ci, par-l~ quelques bribes de
phrases de Dioula ou de Baoulé, parce que cela fait très bien d'en
parseme~ de temps en temps la conversation. Tout comme le jeune
Européen du lycée s'évertue à pronconcer quelques mots de dialecte
de son "boy" pour jouer ~ l'original et épater les copains".
(2)
L'aliénation culturelle s'exprime non seulement ~ travers
la langue mais aussi à travers les danses. Celles-ci (danses tradi-
tionnelles)
tendent ~ disparaître.
II
- Les Danses
S1 22
La danse est ~ l'honneur en Côte d'Ivoire. A Abidjan on
rencontre dans les rues des quartiers populeux des groupes de
danse ~ base ethniaue. ~1ais les rythmes Sud ou Nord américains ont
tendance à prendre le pas sur ceux du pays.
Cette infiltration de la danse étrangère dans nos moeurs
est souvent critiquée ou déplorée
(3).
Tout le monde est d'accord pour reconnaître que les Jeunes
ne savent plus danser les rythmes de chez eux.
Un échange de vue entre jeunes à été organisé par la rédac-
tion d"'Ivoire-Dimanche" le 8 avril 1973.
(4)
Cl)
(2) - Entretien avec un enseignant de Cocody-Pilote en
Mai 1979.
(3)
Cf DEDI Séri in thèse de 3e cycle Paris 1977 : La muslque
dans l'éducation en Côte d'Ivoire.
(4)
- Cf.
Ivoire-Dimanche du 8 avril 1973 - Abidjan .
. . . / ...


321
En voici oueloues
,
l
extraits
"parce qu'on s'en désintéresse nous en serlons pas en mesure d'ap-
prendre demain ces danses à nos enfants ... Alors d'autres qui n'ont
vécu chez nous que le temps d'une enquête apprendront à nos enfants!
avec plus ou moins de fidélité,
la signification, la valeur de nos
danses. N'est-ce pas cruCial? "Ce désintéressement achévera de
détruire notre personnalité, notre spécificité ... On connait bien
chez nous le dernier rythme en vogue. On danse avec une aisance qui
frise même la perfection le rock,
le jerk, le "cubain". On n'ignore
pas la date de naissance de Johnny HALLIDAY,
le prix de sa voiture,
ainsi que le nombre de constumes de Michel SARDOU,
les caprices de
la grand-mère d'ADAMO. Mais PONDO Kouakou, TIMA Bailly que font-ils?
Nos jeunes à coup de revues spécialisées sont des incolla-
bles quand il s'agit de musique étrangère, de danses importées. Ils
se ruinent pour acheter les "Salut les copains" et les "Rock and
Pole" pour garder le contact avec des rythmes, des artistes qui se
trouvent à des milliers de kilomètres. Etrange et triste ironie du
sort. On ignore ces rythmes traditionnels oui ont donné naissance
au Jazz et à tous ses dérivés ~odernes ... Tout compte fait, nous
favorisons aussi la perte de nos traditions."
Ce constat nous ~ontre oue par 'certaines des attitudes des
jeunes scolarisés, l'occident ne cesse de détruire les modèles cul-
turels africains.
Cette oeuvre de destruction se manifeste également dans
l'esthétique. On assiste à l'heure actuelle en Côte d'Ivoire à un
reniement d~ l'esthétique africaine.
. .. / ...

322
II 51
_ -L-testhétîque-
23
<.,
C'est un autre signe d'aliénation. ~üsseli
Bationo
(1)
-;"\\
,1
dans un article intitulé:
"copie non conforme" juge les femmes
,
ivoiriennes :
"je n'ai jamais compris pourquoi une Africaine voulait
devenir Européenne ni ... pourquoi une Ivoirienne faisait des pieds
et des mains pour devenir Française.
Il y a des Ivoiriennes à part
entière et des Ivoiriennes à part.
Les premières ont la nationalité
de leur pays natal,
les secondes sont Ivoiriennes de nationalité
et Françaises de mentalité. Dans ce cas, c'est l'authenticité, dans
l'autre, on obtient une mixture sans nom qui ne ressemble à rien
et à laquelle rien ne ressemble".
On peut se demander à partir de quels slgnes, MISSELI
Bationo porte-t-il ce jugement ? La réponse à une de nos questions
(au cours de notre enquête auprès des écoliers) peut nous aider à
comprendre.
Aimerais-tu défriser tes cheveux ?
Les écolières du milieu rural co~~e celles du milieu urbain
ont répondu oui à 100 %.
Ce pourcentage est vraiment inquiétant, car il y a contras-
te de voir une Africaine noire,
sous une c~evelure curieusement
européenne.
Les filles ne sont pas les seules à souffrir de cette alié-
nation.
Pour les garçons elle apparaît davantage en ce qUl touche
l'habillement.
(1) Cf Misseli Bationo : "copie non conforrr:e" ln Ivoire Dimanche
du 16-8-73. Abidjan.

323
Tous les acculturés sont arrivés à considérer leurs propres éléments vestimentaires
leurs styles comme dépassés. Ils leur ont attribué (consciemment ou inconscie~T1ent)
un caractère d'infériorité. Il est admis partout que porter un costume reflète une
certaine ais~~ce sociale.
IL
Altruisme culturel :
1
) 24
Un autre signe d'aliénatio~ se m~Di[este à travers l'écoute de la Raèio
ou de la TélÉvision.
N01.LS
avons posé deux GuestJ.ons à nos écoliers, pour apprécier la profon-
(leur de cett.e aliénation culturelle.
'~uelles él"lissions écoutes-tu à la Radio?
Juelles émissions regardes-tu à la Télévision ?
Les émissions de la Radio tout comme celles de la Télévision ne véhiculent
pas de façon satisfaisante les moâ.èles culturels du pays. Et pourtant les respon-
sables de l'information déclarent à maintes reprises Que la Radio et la Télévision
ont pour mission d'édUQuer les populations. J'lais la Question Qu'on peut se poser
est de savoir vers quoi tend cette éducation? A quoi va-t-elle aboutir ?
3'agit-il d'éduquer les populations dans le sens de l'occidentalisation?
Pour savoir ~uel message diffusent la Radio et la ~élévision Ivoirienne
nous avons demanô.é à nos sujets de nous dire les émission ~u'ils ont l'habituâ.e
de suivre.
'l'élévision
Lundi : à 19H30 Feuilleton
les Fous du volant
l'enfant qui aimait les loups
(feuilletons d'importation).
Ce feuilleton est suivi par 88 .% de nos sujets
(100 % pour les écoliers du milieu urbain et 76 % Ge ceux du milieu rural)
du Mardi au jeudi à 19 530 Feuilleton : Les voyages de Gulliver
(Feuilleton d'importation). Il est suivi par 83 %de nos sujets enquêtés (98 %
pour les écoliers du milie~l urbain et 68 % de ceux du milieu rural).
Du vendredi au s~nedi à 19H30: Feuilleton: les Fous du volant.
L'enfant qui aimait les loups. (voir la réponse ci-dessus)
. . .1. ..

324
Dimanche à 14 H:
WESTERN
Dimanche 19 H 30 : ~fuppets show - ces deux émissions sont suivies dans la
même proportion par tous les sujets enquêtés: c'est-à-dire 100 %
de tous les enquêtés des centres urbains et 97 % dans le milieu
rural.
A côté de ces émissions qui nous viennent des pays étran-
gers,
il y a des ém~ssions produites en Côte d'Ivoire et par des
Ivoiriens sur un fond culturel africain. Mais les Ivoiriens n'ap-
précient pas le "produit local" et ceci marque sans doute la
profondeur de l'aliénation culturelle.
Les Ivoiriens reconnaissent-ils la valeur de leur patrimoine
culturel?
Beaucoup d'Ivoiriens ignorent en effet ce que repré-
sente pour eux une telle richesse.
Et pourtant ils ont la chance d'avoir des poètes chanteurs
qui sont également "metteurs en scène" chose rare dans le monde
de la culture et ces Ivoiriens ont cela ... Tout cela est bien beau,
certes, mais quel scandale lorsqu'on voit des Ivoiriens tourner le
bouton de leur récepteur quand une infime partie de cette culture
est diffusée sur les antennes de la Radio nationale, et cela sous
le prétexte que c'est du folklore. Alors que "le folklore c'est ce
qui reste de la tradition".
On peut parler de folklore français,
(
allemand, en Afrique et plus précisement en Côte d'Ivoire, c'est
tout autre chose car les Ivoiriens vivent cette tradition, par
conséquent c'est leur "culture".
Si certains Ivoiriens sont profondément aliénés, d'autres
perçoivent bien comme une aliénation le caractère occidental des
programmes de radio et de la télévision et ils réclament leur
africanisation.
. .. / ...

325
"On nous a souvent raconté à la télévision l'histoire des
glorieuses campagnes napoléoniennes, des crimes hitlériens. Cela
est une bonne chose, mais je dis non dans la mesure où nous l'avons
apprise, que nos professeurs noirs peuvent l'apprendre à n'importe
quel petit Européen.
Il est grand temps qu'on nous parle de Sa~ory,
des Akans, de la Reine Pokou et des campagnes non moins importantes
de Soundiata Keîta ... Pourquoi ces Shows "Akwaba", Amédée, Louga
ou Kassy pour ne citer que ceux-là? Il est encore temps de sortir
de cet "altruisme culturel" coupable pour s'engager résolument
ver s 1 a recherche de nos val eur s".
(1)
A l'heure actuelle les jeunes écoliers Ivoiriens sont
entraînés dans un mouvement qui engendre une transformation extra-
ordinaire : les vieilles traditions sont bouleversées, de nouvelles
structures s'établissent, une nouvelle manière de penser et d'agir
s'instaure dans les moeurs. Ils doivent suivre le rythme d'évolu-
tion fies sociétés occident'ales eu égard à leur forte pénétration
idéologique.
Alors le problème que nous posons est de saVOlr : faut-il
purement et simplement imiter la civilisation occidentale, l'assi-
miler sans aucune accommodation et renier toute tradition? Non,
un discernement est à opérer, tant à l'égard de la civilisation
occidentale que de la tradition africaine. Cette recherche permet-
tra de trouver une voie médiane.
Actuellement on assiste à un semblant de retour aux sources
ce retour à la mode traditionnelle se fait à grands pas chez les
femmes, quoi qu'il serait hasardeux d'affirmer qu'elles le font
consciemment. De toutes les façons,
les tresses longtemps délais-
sées au profit du défrisage reviennent avec force,
(95 % des éco-
lières aimeraient se tresser ou se natter les cheveux; 100 % de
ces écolières aimeraient se défriser les cheveux) après aVOlr fait
escale en occident.
( 1)
l v 0 ire Di ID an che - 28 janvie r 1 9 73 P. 3
"Courrier des lecteurs".
. .. / ...

326
Les ensembles pagnes font irruption sur la planche de la mode
(67 % des écolières les portent tous les jeudis après-midi c'est-
à-dire en dehors de la classe).
Les bracelets et autres gris-gris qui faisàient battre le
coeur de leurs grands pères et de leurs pères se portent désormais
sans honte.
Tous ces exemples manifestent l'aliénation culturelle.
,1
J. BUGUICOURT, dans une étude effectuée pour le compte du
Bureau Africain de l'UNESCO (1) pour l'éducation mettait en évidence:
que tous les flux culturels partant d'un pays d'Afrique passaient
nécessairement par l'ancien pays colonisateur avant d'atteindre
les autres pays africains.
Dans ce cas de la mode, le détour par la France est néces-
saire pour qu'elle circule à l'intérieur même de la Côte d'Ivoire.
Comme dit l'autre, les ivoiriens qui ne sont pas opposés à
une civilisation de l'universel, constatent à juste titre, que les
courants sont à sens unique. La culture, il est vrai n'a pas de
frontières il est aussi vrai qu'elle est une communion entre les
~
hommes. Cela est vrai dans la mesure où la communication n'est pas
à sens unique.
Cette constatation est bien développée par MISELLI Bationo :
"G~ dit très souvent que l'interpénétration des civilisations veut
qu'on prenne chez le VOISIn ce qu'il y a de bon et qu'on rejette
le mauvais. C'est dit-on avoir l'esprit ouvert et vouloir l'univer-
salisme.
(1)
Flux culturel dans l'espace africain
- DAKAR UNESCO
1970
60 P.
Ronéo.
(J.
BUGUICOURT).
. .. / ...

327
Nos femmes et nos jeunes filles sont dans ce domaine irré-
prochables ... Elles- sont tout à fait disposées à accueillir tout
ce qui vient de l'extérieur; seulement elles ne veulent pas savoir
Sl ce qu'elles ont en propre est, lui, adopté par l'extérieur. En
somme, elles sont bien au rendez-vous du "recevoir", mais les au-
tres se moquent bien d'être au rendez-vous du "donner". Et cela
à mon avis devrait suffir à freiner cet élan qui les porte vers
ceux d'ailleurs qui se gardent bien, de leur côté, d'adopter quel-
ques unes de nos manières de faire et de vivre. Car la politique
d'ouverture n'est valable ~ue dans la r~ciprocité (1).
11
- L'ANCRAGE DU MODELE EUROPEEN
52
Qu'on le veuille ou non il existe actuellement au se1n
de la population ivoirienne un enthousiasme pour la culture OCC1-
dentale. Ce modèle culturel est profondément ancré dans les menta-
lités des Ivoiriens. L1enseignewent est partout prôné comme le
moyen de sortir de la condition traditionnelle et de s'aliéner
culturellement.
Un texte tiré dans le quotidien ivoirien (2) et intitulé
"la promotion sociale d'un peuple", trace de façon caricaturale
le modèle de culture proposé à chacun
"Que l'analphabète se décide dès aujourd'hui à SU1vre
sérieusement les cours de lecture et d'écriture; que le petit
qui par malchance a été obligé de discontinuer ses classes au
niveau du CE ou CM , essaie coûte que coûte, même à un âge avancé,
de conquérir le certificat d'études.
(1) MISELLI Bationo,
ln Ivoire Dimanche du 20-1-73 à Abidjan
(2) Fraternité Matin du 20 avril 1974. Abidjan.
. .. / ...

328
Le certifié lui-même ne doit pas s'arrêter dans une si basse voie.
1
Il peut envisager de suivre les cours du soir, les cours par corres J
pondance pour parfaire son éducation, se tailler une qualification
ou simplement acquerIr èes connaissances. Car la connaIssance
grandit et libère l'homme ...
Le jeune infirmier, après une journée de travail, peut,
s'il se sent des dispositions musicales, s'adonner à ce passe-temps
en travaillant avec intelligence et persévérance du violon ou de
l'harmonium.
Il a ùne chance sur deux de devenir professionnel et
de figurer un jour dans un orchestre local ou national.
L'autre chance qui lui reste est une satisfaction person-
nelle d'ordre spirituel ...
Il est navrant le spectacle du chauffeur
affalé sur son volant dans l'attente de son patron ou d'un client
qui lui défend de se plonger dans la lecture ? Il est triste de
voir des femmes papoter des après-midi entières dans les cours
des concessions, sans rien tirer de ces séances de conversation
que des commérages. L'une d'entre elles pourrait faire la lecture
pour toutes, à haute voix,
d'un journal ou d'une revue éducative.
Qui le lui défendrait? ....
Il ressort de ce tableau brossé super-
ficiellement qu'une masse importante de la population, intéressante
tant par son nombre que par sa situation sociale ... gaspille un
potentiel d'énergie précieuse".
Comme nous le remarquons, le vide culturel créé par la
colonisation a provoqué la foi en école chez tous les ivoiriensj
qu'il soit jeune ou vieux, paysan ou fonctionnaire.
Ecoutons ce que nous dit un parent d'élèves
"Si je pouvais recommencer ma vie,
j'aurais fait beaucoup
dfétudes.
Peut-être je n'en aurais jamais fini et je serais devenu
un savant. Malheureusement c'est terminé. J'ai terminé très tôt
mes études, à vingt ans, et à vingt-et un an j'ai commencé à
travailler.
. .. / ...

329
Ici, chez nous,
les COUTS du soir existent, puisque je suis dans
un service où il y a une école. Alors je veux tout faire pour me
forcer à entrer dans cette école. D'ailleurs tous les soirs au
lieu d'aller me ballader, je préfère suivre les cours avec les
H~t iC a ma Tél El e s jus qu' à 19 h e II r es. .. çam' i Tl t é r e s s e b eaucou pet cel a
me permettra de pousser plus loin mes études~' (1)
Pour ~e parent d'élève la réussit~ dans la vie réside
dans les études. Pour se sentir vraiment "civilisé" il faut étu-
dier, car avec les études tout marche plus facilement et on se
sent plus ~ l'aise, plus libéré.
Ce parent d'élève ne nous dit pas de quelle libération il
s'agit. Est-ce se libérer du poids de la tradition? Faire des
études, s'abreuver des connaissances occidentales pour se sentir
libérer n'est qu'un leurre. C'est au contraire une aliénation, un~
dépersonnalisation.
Nous avons remarqué au cours de nos investigations que la
foi absolue dans les pouvoirs de l'école n'est pas toujours parta-
gée par tous les Ivoiriens. CertaiBs d'entre eux, remttent en cause
cette foi.
Ils dénoncent les échecs et les distorsions que l'école
a introduits dans la société ivoirienne.
II
- L'école permet-elle de vivre dans son milieu originel?
S2 1
Au cours de nos entretiens avec quelques jeunes scolarisés
et ceux qui ne le sont pas, nous avons remarqué que tous ces jeunes
méprisent les métiers manuels. Ce mépris, pensons-nous est dû à
l'idéologie que véhicule l'école ivoirienne. Cette idéologie diffu-
sée par l'école est un facteur de chômage à la campagne de même
qu'à la ville, parce que l'enfant qui a ~ cette inculcation
refuse tout emploi manuel et ne veut qu'un emploi de bureau.
(1) Entretien avec un parent d'élève à Abidjan. Mai 1979 .
. . . / ...

330
Lorsqu'on interroge les jeunes sur le sujet du travail
manuel, ce qu'ils disent est vraiment révélateur. Pour ces jeunes
scolarisés le travail agricole est le dernier de tous les métiers ..
L'école ne devrait pas détacher le jeune élève de son monde rural
originel, mais le former pour qu'il soit réellement en mesure de
le faire progresser dans le domaine technique et économique.
Ceci nécessite une totale révision de la conception même
d'un enseignement qui se dit humaniste, alors qu'en réalité, il
développe un mépris du travail manuel et consécutivement il y a
apparition de classes sociales •
L'idéologie scolaire importée de l'occident a été et
continue d'être la source de nombreuses classes sociales ou
strates : "en haut de en haut ; milieu de en bas de en haut
en
bas de en bas; en haut de en bas etc ... " (1).
De nombreux auteurs ont souligné l'existence des classes
~ociales en Afrique dans leurs écrits. Il s'agit notamment de
DIOP (M)
(Histoire des classes sociales en Afrique)
(2) qui montre
dans son ouvrage que l'apparition de nouvelles classes sociales
en Afrique est reconnue comme l'avénement de classes.
O. Keïta (3) montre que les filles refusent les garçons
non diplômés:
"cette mentalité, nous dit o. Kéïta, aboutirait à
diviser la population en plusieurs clans, chacun correspondant à
un niveau d'instruction. Une véritable discrimination existerait
alors dans les rapports et un égoïsme entourerait chaque groupe.
Sur l'échelle de la société les intellectuels occuperaient le
sommeill les moins instruits, les autres marches à des degrés divers,
et les paysans le bas".
Ceci montre que le diplôme doit seul intéresser la jeune
fille dans le choix de son époux.
(1) Expression lancée par le professeur Niangoran Bouah sociologue
et désignant les différents strates de la société ivoirienne.
(2) DIOP (M) Histoire des classes sociales en Afrique Paris Maspero
T l :
le Mali 1971
-
272 P. T 2 : le Sénégal 1972 -
288 P.
(3) Ousmane KEITA,
journaliste, in Ivoire Dimanche de avril 1973 .
. . . / ...

331
II~7
~ Distorsions
~~11
A travers nos entretiens avec les parents d'élèves, nous
avons fait la constatation suivante : les parents pensent tous
que l'école doit obligatoirement donner un métier à leurs enfants.
Cependant certains écoliers conscients de leur avenir et des pro-
blèmes qui se posent à eux/remarquent
qu'autrefois l'offre d'emploi
était supérieure à la demande du fait que le nombre de scolarisés
était faible.
Or, celui-ci s'est accru considérablement de nos
jours.
Il Y a de nombreuses personnes diplômées qui se retrouvent
sans emploi. Alors on se pose la question de savoir pourquoi on va
à l'école? L'école atteint-elle son but? Il ne nous parait pas
opportun de répondre à ces questions. Mais ce que nous pouvons dire
c'est que la sélection des écoliers, est de plus en plus sévère
(1). Beaucoup d'entre eux sont récalés et renvoyés dans le primaire
sans compter ceux qui le sont à l'entrée en 6e.
Ici l'école répond au souhait de l'impérialisme occiden-
tal qui consiste à acculturer un petit groupe d'individus. Ce groupe
se forme progressivement une opinion (favorable à l'occidentali-
sation) que ses membres intériorisent fortement du fait de leur
endoctrinement. Ayant conscience de constituer les éléments de
progrès,
ils vont diffuser la conviction qu'on leur a inculquée
dans le reste de la population
(1) Une telle attitude suppose donc une sélection qUl joue à deux
niveaux:
celui du choix des sujets qu'il faut scolariser,
celui des inégalités des chances de réussite
d'où l'opposition
radicale entre les reçus et les laissés pour compte, ceux qui
auront un bon emploi; ceux qUl n'en auront qu'un médiocre, ceux
qui n'auront rien ... Le système ainsi conçu devient un instru-
ment de domination idéologique en formant des Africains acquis
à la culture des colonisateurs convaincus de la supériorité -
donc de la leur - et soumis à la nécessité de passer par elle.
(L. V. Thomas op cit. page 174.)

332
11
- L'école ne met pas l'accent sur le travail manuel, alors
52
12
gue la base de la richesse est faite de travail agricole
Quand on demande aux écoliers de citer les métiers qu'ils
aimeraient exercer plus tard, aucun d'entre eux ne cite le métier
agricole. Tout le monde veut exercer un métier intellectuel et non
manuel. Ce mépris du travail manuel est mêlé à la peur de l'effort
q'Je souligne un jeune enseignant
(1)
:
"En ville il y a plein de
jeunes gens qui détestent tout travail.
Ils vivent aux dépens de
leur proche famille.
Ils sont en général des ex-élèves.
Ils n'ont·
pas su pousser plus loin leurs études et n'ont pas acquis des con-
naissances suffisantes.
Ils ont donc par obligation rejoint leurs
parents respectifs chez lesquels ils n'apprécient que le doux repos.
Ils ne veulent pas du tout entendre parler de travaux manuels qui
seraient à leur portée dans les chantiers ou dans les ateliers".
Le jeune Ivoirien scolarisé n'accepte pas de faire un
travail manuel. Le faire éauivaut à un rIsque, c'est-à-dire risque
d'être confondu avec ceux qui n'ont jamais été à l'école.
Ici le drame est que le fait d'être allé à l'école coupe
l'enfant de son milieu d'origine. Une fois les études terminées
avec ou sans succès,
l'enfant scolarisé entre dans le monde des
"aliénés" culturelement parlant. La petite dose d'idéologie reçue
à l'école prend place en lui peu à peu. Avec l'apparition de l'en-
seignement télévisuel
(don~ l'objectif consiste à diffuser les réa-
lités du monde rural parmi la jeune population scolaire afin de lui
faire prendre conscience), on s'aperçoit que l'école actuelle ne
change rien à l'exode rural; les jeunes qui savent lire et écrire
sont encore moins désireux que les autres de rester au village où
disent-ils il n'y a rien pour eux.
(1)
M. YAO Célestin
Enseignant à l'EPP de Zego entretien, Mai
mai 1979.
. .. / ...

333
On remarque que l'intériorisation de l'idéologie scolaire
conduit sa "victime" à mépriser son milieu d'origine si bien que
"l'aliéné" ne cherche plus à lui (milieu) appartenir. N'est-ce
ras là la preuve éclat~nte que l'école vise par tous les ooyens à
rendl'e l'individu "étranger" dans son propre mil ieu ?
Il nous apparait très évident, dit un enseignant en
milieu rural, que si l'école aboutit à un certain nombre d'échecs,
cela provient de l'usage que les jeunes scolarisés font de leur
saVOlr.
Cet enseignant semble incriminer le scolarisé.
Il oublie
qu'il y a une logique dans l'école Ivoirienne telle qu'elle est
conçue à l'heure actuelle. Cette logique consiste à détourner les
Jeunes de tout ce qui est relatif au monde rural pour les inté-
resser au monde moderne. L'école Ivoirienne leur fait voir la
"vie en rose". Cette logique est imperceptible. C'est elle qui
fait circuler le "venin" de l'impérialisme culturel que semble
oublier notre interlocuteur. L'occident est à la recherche d'une
clientèle potentielle pour la consommation des modèles qu'elle
exporte vers les pays jadis "colonisés". On a beau multiplier les
discours pour s'élever contre l'ignorance occidentale dans la
culture ivoirienne, des éducateurs avertis ont beau élever la VOlX
pour demander une réforme du système d'enseignement, l'école ivoi-
rienne continue de faire passer l'idéologie scolaire française.
Et pourtant responsables ivoiriens, coopérants français de l'édu-
cation, d'une même voix, souhaitent que l'école ne devrait pas
détacher le jeune élève de son monde rural originel, mais le for-
mer pour qu'il soit réellement en mesure de le faire progresser
dans le domaine technique et économique.
Nous pensons que, pour que cela aboutisse,
il y a une
nécessité de reviser la conception même d'un enseignement qui se
dit humaniste, alors qu'en réalité il développe d'abord le mépris
du travail manuel.
. .. / ...

324
Si le sens de la logique du système d'enseignement ivoi-
rIen n'est pas resolument tourné vers l'épanouissement et la
reconquête du patrimoine culturel, s'il n'y a pas défini une philo-
sophie de l'éducation adaptée au monde africain, les efforts
déployés pour créer des écoles rurales afin de chercher à renver-
ser cette situation, s'avèreront fort inutiles.

335
CHAPITRE 6
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
Les différents chapitres de cette deuxième partie
nous ont permis d'évoquer certains éléments des relations
scolaires qui cor:ditionnent les attitudes, les comportements et
les schémas de pensée de l'écolier ivoirien.
Les rapports de l'enfant avec sa classe, avec les
contenus de l'enseignement, avec les personnes qui composent
l'équipe éducative (famille, l'école) avec ses camarades supposent
à la base plusieurs facteurs possibles d'acculturation.
11
- Les disciplines
61
Les disciplines mises au programme sont en elle-mêmes une
source d'acculturation. Ce sont elles qui forment le jugement de
l'enfant. L'écolier au fur et à mesure qu'il évolue vers la pensée
opératoire, s'en sert comme d'une "torche" ou d'une lumière, pour
percer le mystère socio-culturel du "blanc". Le rôle de l'école
dans ce cas est de fournir à l'enfant, les outils nécessaires pour
participer à sa propre déculturation acculturante, puisqu'au méca-
nisme de déculturation succède celui d'acculturation.
Les disciplines enseignées n'étant pas seules en cause,
une analyse des relations inter-individuelles
(~aître-élève,
élève-élève etc ... ) à l'intérieur de l'école, s'est avérée néces-
saire pour apprécier les phénomènes d'acculturation.
11
- Relations inter-individuelles
62
11
- Maître-élève
62 1
Le maître a une influence énormément aliénante sur son
élève. C'est lui qUI par son action allume et entretient le désir
d'apprendre chez l'élève, l'encourage dans ses èfforts, lui expose
les différents modèles culturels.
. .. / ...

33ô
Sa motivation générale,
ses besoins et ses ~ésirs issus de sa
formation influencent le développement de son élève. Bref, pour
l'élève,
le maître reste toujours l'homme indispensable qui le
guide et le conduit vers le succès ou l'échec. C'est pourquoi
l'élève tente de réaliser l'image qu'il s'est construite du maître.
Ce maître que l'on désire imiter, que l'on désire suivre, est,
par d'autres côtés, craint, voire rejeté inconsciemment.
11
- Elève-élève
(relation inter-indivuelle
62 2
dans la classe)
Le comportement de l'enfant est induit par la présence
de ses condisciples dans le groupe-classe. Cette rencontre avec
les autres est inévitable et souhaitable. Elle donne lieu, compte
tenu des différences inter-individuelles, à des relations initia-
lement fondées sur l'exclusion réciproque et la rivalité. C'est
dans ce contexte éducatif que se construisent, peu à peu, les rela-
tions de coopération préfigurant des relations sociales fécondes.
Si cette socialisation des élèves est chose importante et indis-
pensable, elle n'en passe pas moins par un stade de difficultés
pour les enfan~s eux-mêmes obligés d'aller vers ceux qu'ils sont
tentés de choisir ou de repousser.
Pour conclure, nous dirons que le point de départ des
modèles de conduites acquis par un élève se situe dans les compor-
tements des maîtres qui transmettent des connaissances
; dans
ceux des condisciples qui induisent les comportemehts des pairs
dans le contenu des programmes qui influence la manière de penser,
d'agir et de sentir etc ...

337
TROISIEME PARTIE : CONCLUSION
ENSEIGNEMENTS TIRES ET SUGGESTIONS.

330
,
"
1
CHAPITRE 1
1
ENSEIGNEMENTS TIRES DE.L'ETUDE
Après avoir procédé à une analyse critique du système
éducatif ivoirien (depuis la période coloniale jusqu'à nos jours)
qui est "un système importé et inadapté", nous avons décrit les
relations scolaires telles qu'elles sont vécues par les jeunes
écoliers. C'est de l'ensemble de ces deux thèmes que nous avons
âégagés les phénomènes d'acculturation de l'enfant ivoirien.
Tous ces éléments ont été étudiés dans la perspective
de trouver des solutions en vue de freiner cette acculturation.
De ce point de vue, il est évident que le système éducatif actuel
est marqué d'un caractère contradictoire:
- "d'un côté une culture élitiste héritée de la colo-
nisation qui est l'apanage des lettrés, diffusée abondamment par
les mass-media et le système scolaire
- de l'autre, une culture plus ou moins traditionnelle
vécue par la plus grande partie des Ivoiriens et véhiculée par les
langues nationales. Cette dualité est l'un des problèmes les plus
importants de la conscience culturelle nationale, elle est source
de conflits et d'incompréhensions;
enfin, en dépit de l'essor économique de la Côte
d'Ivoire, les valeurs, les comportements et les techniques SClen-
tifiques ne sont pas suffisamment diffusées dans le pays.
En définitive, par le caractère importé des modèles
d'existence et des structures de conception,
de conservation et
de diffusion, la culture ivoirienne reste une culture largement
dépendante.
Il en résulte un déséquilibre dans la vie culturelle
entre ce qui est authentiquement ivoirien et ce qui est étranger .
. . . / ...

339
En cela, elle est encore loin de répondre aux normes et critères
d'autonomie, de créativité de modèles spécifiques, d'exigence de
démocratie et de modernité qui sont le propre d'une culture natio-
nalé authentique.
(1)
Nous avons déjà posé la question de SaVOIr si le système
éducatif ivoirien est actuellement capable d'apparaître comme
l'instrument adapté de promotion socio-culturelle.
D'après nos investigations, ce système scolaire ne baigne
pas totalement dans les cultures nationales.
Il n'est pas encore
ce creuset dans lequel doivent se fondre "les divers éléments d'une
culture nouVelle qui, assurant la synthèse d'un patrimoine toujours
vivant et des aspirations vers un avenir à construire ... Il ne peut
non plus proposer "un projet de société où pourra s'épanouir"
l'homme ivoirien de demain
(2). Au contraire il s'est créé, à la
suite de la ~ise en présence des deux modèles culturels, une situa-
tion de tension culturelle. Celle-c~ s'est traduite par des attitu-
des, des comportements et des schémas de pensée difficilement en
harmonie avec la réalité vécue, par l'absence d'un système éducatif
unique et cohérent.
Ainsi, l'école est dans la VIe du pays un corps étranger.
Elle est en opposition avec les techniques d'initiation tribale.
Elle n'émane pas du milieu et n'en exprime pas les aspirations.
Elle ne ménage pas avec assez de soin le passage d'une tradition
orale for~ement enracinée dans le milieu humain à une culture
écrite, étrangère et qui n'est pas ressentie comme un besoin. La
dualité des cultures est pour beaucoup une source de conflits
souvent insurmontables.
(1)
'iRôle et place de la culture dans la Nation ivoirienne".
Séminaire organisé par le Ministère des Affaires Culturelles,
décembre 1977, cité par V.C.DIAR~~SSOUBA, in l'Université
ivoirienne et le développement de la Nation P.
131 éd. NEA
lS79
(2) V. C. DIARRASSOUBA : l'Université Ivoirienne et le développement
de la Nation
éd. NEA
1979 P. 132
... / ...

340
Les auteurs du plan quinquennal de développement 1976-
1980 ont mis l'accent sur cette réalité culturelle qui "est essen-
tiellement caractérisée par la coexistence d'un modèle importé.
Cette coexistence est source de tensions et de risques d'aliéna-
tion, mais en même temps elle est une ouverture sur des pos~ibi­
lités de synthèses originales. Le modèle culturel traditionnel qui
est fondamentalement unique, malgré ses diverses expressions regio- 1
nales, demeure suffisamment connu dans son ensemble alors q u ' i l . !
se trouve menacé dans son existence".
(1)
Le système éducatif ivoirien, comme nous le constatons
est un instrument au service de l'impérialisme français. Au lieu
d'assurer le développement technique et industriel national,
il
est intégré au système capitaliste occidental dont il favorise
la croissance et l'essor. C'est donc un système marginal, un sys-
tème périphérique structuré par rapport aux besoins d'un centre
où se trouvent des leviers de commande et où se prennent toutes
les initiatives d'importance nationale et internationale.
Tous les efforts entrepris pour promouvoir les cultures
nationales tout en s'ouvrant à la civilisation universelle qui
est entrain de s'édifier ont été vains. "1'1 nous semble, comme
l'écrit P. ERNY que le but premier de l'éducation devrait être,
et ce à tous les niveaux, d'installer l'élève au coeur de sa tra-
dition culturelle, de l'amener à comprendre qui il' est et comment
il est devenu ce qu'il est. Ne formons pas des apatrides culturels,
des gens étrangers à leur propre milieu et finalement à eux-mêmes"
(comme cela se passe malheureusement:
c'est nous qui ajoutons).
Mais l'éducation en Côte d'Ivoire, dirons-nous, "est aussi déra-
cinement, transplantation".
(1)
Ministère du Plan, "Plan Qinquennal de Développement économi-
que,
social et culturel,
1976-1980".
Vol 1 P.
137
... / ...

341
L'école ivoirienne, comme nous l'avons déjà dit s'oriente
"vers un monde nouveau, un monde à venir, auquel il faut encore
donner un visage et qu'il serait simpliste, qu'il serait faux
d'identifier purement et simplement avec la civilisation occi-
dentale".
(1)
Nous sommes d'accord pour reconnaître que ce monde
nouveau ne peut s'identifier à la civilisation occidentale non
plus à la civilisatjon africaine, mais ce qui est certain, c'est
que, ce qui prévaudra dans cette nouvelle civilisation, ce seront
sans aucun doute les éléments culturels de l'occident.
C'est dans ce sens que nous disons que la disparition da la tra-
tidioll';africaine provoquée par l' infil tration d'abord violente,
puis silencieuse et incidieuse de la civilisation occidentale a
conduit l'africain à se sentir soudain "autre". Ce sentiment
d'être autre ou d'être dépendant d'une autre civilisation se manl-
feste dans les réalités comportementales quotidiennes de l'enfant
africain, en général et de l'ivoirien en particulier.
(1)
P.
ERNY
l'enseignement dans les pays pauvres
modèles et propositions
éd.
l'Harmattant
1977 - P.
159

342
CHAPITRE 2
SUGGESTIONS
"Pour qu~ disparaisse l'extériorité qUl existe
entre la communauté et l'école, il faut que
cette communauté puisse s'approprier l'école
en tant qu'instrument de son destin"
(R. MELET)
Nécessité de reprendre en maln le système
éducatif ivoirien
L'école ivoirienne étant un instrument de l'impé-
rialisme étranger doit être repris entièrement par des nationaux
afin que son orientation insiste sur la nécessité q'une
"désaliénation". Cela suppose une rupture totale avec l'ancien
régime. Car comme l'écrit SEKOU TOURE : "Nous étions devenus
étrangers à notre peuple et à nous-mêmes, parce que la pensée
qui nous était inculquée avait extirpé de nous les valeurs que
l'Afrique avait accumulées au long des siècles. Nous n'exprimons
rien des oeuvres vives, des valeurs historiques, morales, poli-
tiques de nos ancêtres
; nous étions devenus le prolongement mili-
taire, culturel et social de l'étranger. Comment pouvait-on alors
parler de notre personnalité? Nous n'en avions plus] Nous aVlons
perdu dans la colonisation notre personnalité, notre pensée. Une
aliénation aussi profonèe doit être éliminée pour que nous ces~
sions de considérer comme un idéal une forme de vie qui n'est pas
fait pour nous parce qu'elle ne correspond pas à nos réalités,
aux exigences'de notre économie, au niveau de notre développement
technique pas plus qu'à notre sens moral et à notre organisation
sociale. L'Afrique ne se définit pas autrement que par l'inter-
prétation fidèle de la réalité africaine".
(1)
(1) SEKOU TOURE cité p~r LE THANH KHOI in jeunesse exploitée,
jeunesse perdue? PUF
1978
P.
157
... / ...

343
III
- Amélioration du système éducatif actuel
22
Le système ~ducatif ivoirien doit être amélioré pour nll~UX
répondre aux réalités ivoiriennes. L':enseignement doit partir du
milieu de l'enfant en vue de le socialiser ou de l'enculturer.
Il
doit permettre à l'enfant d'avoir la maîtrise de sa langue mater-
nelle qui est indispensable à la survie de son patrimoine culturel.
Ces moyens préconisés
Accroitront la motivation de l'enfant pour les modèles
culturels africains
le rendement qualitatif et quantitatif du
système d'éducation ivoirien.
- Remettront en cause progressivement ce qUl existe
actuellement.
Mais pour ce faire il faudrait que soient adoptées les proposi-
tions suivantes :
- Adapter l'enseignement au milieu dans lequel il est
implanté; cela suppose qu'il faut:
redecouvrir la "base cul-
turelle africaine" et permettre à l'écolier de s'insérer réelle-
ment dans son milieu et de conjurer le danger de l'aliénation
culturelle, cause de son inadaptation.
- Harmoniser les programmes,
les horaires et les méthodes
d'énseignement de toutes les écoles primaires du pays
; car une
hétérogénéité des programmes et des méthodes nuirait à l'unité
nationale, à la consolidation de "l'indépendance culturelle" et
favoriserait l'apparition de deux mentalités différentes d'où une
aliénation culturelle irréversible.
- Renforcer le programme concernant l'étude du milieu
afin qu'il ait une orientation agricole ou artisanale.
. .. / ...

- "Décoloniser" et "enraciner" l'enfant, en lui enlevant
la sanction morale qui le frappe du fait de parler sa langue au
sein de la cour de l'école.
- Introduire dans les programmes scolaires l'enseignement
de la langue et de la culture du pays.
- Instaurer un contrôle administratif et pédagogique
systématique et plus strict sur les divers ordres d'enseignement.
111)7
-
Conscientisation des populations
- . )
Si l'on veut que l'école baigne dans le milieu, trav~ille,
dans, avec et pour le milieu,
il convient de conscientiser les
populations et les responsables au rôle nouveau que l'école est
en mesure de jouer ...
En effet, un des obstacles ~ la prom6tion de la langue et de la
culture ivoiriennes est constitué par un ensemble de
comportements :
respect scrupuleux des valeurs occidentales
- mépris des valeurs africaines ;
puissance de l'héritage colonial
refus de promouvoir les valeurs culturelles africaines
- prépondérance donnée ~ tout ce qui est importé.
La sensibilisation des populations et en particulier de
ceux qui ont la lourde charge d'éduquer les enfants, peut seule
permettre d'éliminer ces obstacles.
Il importe pour convaincre les populations de l'impor-
tance des langues locales ~ l'école, d'engager une vaste campagne
nationale ~ laquelle tous les organes de l'enseignement seraient
tenus de participer et tous les citoyens instruits invités à
collaborer.
. .. / ...

345
Il apparaît de nos jours, même si dans les discours on
s'évertue à parler du "retour aux sources; de l'authenticité;
du réveil des arts du peuple noir ; de la promotion des langues
africaines", il apparait donc que la Côte d'Ivoire qui jouit
d'une relative richesse artistique par rapport à certains Etats
africains, n'a pas encore accordé à cette question toute l'impor-
tance qu'elle mérite. Les difficultés risquent de surgir brusque-
ment, faute d'avoir par exemple, constitué une conscience nationale:
par une éducation des exprits. Cette éducation, à notre avis doit
1
précéder les réformes de structures : former pour pouvoir trans-
former.
Est-ce à dire que ce que nous proposons doit annihiler ce qui a
représenté jusqu'à présent le cadre de vie, le mode de pensée,
les échelles de valeur des communautés urbaines occidentalisées?
Il est encore trop tôt de répondre à cette question. Ce qui est
certain, c'est que les valeurs occidentales acquises du fait de
l'impérialisme culturel, ris~uent de dépersonnaliser irréversi-
blement 1 'homme africain, si on y prend pas garde.
Il ne convient plus de proposer des modèles tous faits,
impossibles à imiter ou qui aliènent l'individu, mais il faut
apporter à l'individu des méthodes de travail qu'il a~ra lui-
~
même à mettre en oeuvre. Cette manière de faire peut reveiller
les mentalités aliénées et les mettre sur la voie du progrès.
111
- Savoir prendre ses responsabilités
24
Pour que ces transformations soient totales et pour
qu'elles repondent effectivement aux attentes de la masse, le
pouvolr politique doit savoir prendre ses responsabilités:
- Au lieu de se fier tout le temps aux conclusions des
experts étrangers, qui passent par tous les moyens pour maintenir
et assurer la permanence de la supériorité de l'occident, le pays
doit par lui-même refléchir et définir une philosophie pour son
système éducatif;
... 1 ...

346
- Au lieu d'accepter aveuglément une aide qui aliène
l'indépendance nationale, le pays doit refuser cette aide et la
remplacer par celle qui peut tendre à sa propre suppression
c'est-à-dire celle qui peut permettre de produire sur place les
biens de consommations dont le pays a besoin.
- Supprimer la télévision scolaire qui assujettit entiè-
rement à l'extérieur pour son fonctionnement et sa maintenance;
- la poussée irréversible de la scolarisation primaire,
confronté à la faiblesse du niveau des maîtres en qualité et en
quantité, doit nécessiter la mise en oeuvre des moyens efficaces
pour assurer la formation de ces maîtres.
Tout ceCI suppose un dépassement des contraintes politi-
ques et économiques que l'occident impose à l'Etat ivoirien. Tout
ceCI doit être intégré dans une politique globale de développement
c'est-à-dire qu'elle doit tenir compte des problèmes de liAfrique
en général et de la Côte d'Ivoire en particulier.
Nous voici arrivé au term$ de notre étude. Le lecteur
a pu remarquer la diversité des variables évoquées. Il a souvent
constaté que les résultats de nos enquêtes n'ont pas souvent
repondu à ses attentes.
La diversité des variables évoquées montrent une fois
de plus combien notre thème est vaste et intéressant. De nombreux
problèmes soulevés dans les différentes parties de notre étude
nous ont permis d'avancer des reflexions que d'autres recherches
ultérieures pourront aborder.

347
B l B LlO G R A PHI E
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I l
. ~
1
1
Résumé de la Thèse
de M. N'DRIN ALLOU David
ENSEIGNEMENT ET ACCULTURATION DES ENFANTS
1 ~.
DE L'ECOLE PRIMAIRE DE COTE D'IVOIRE.
l-
'i 1
Paris le 22 Décembre 1930 .
• 1
·,
1 !
, .
·

l'
-
1
Soutenance
de Thèse
le 22
Décembre 1980
devant l'Université René Descartes de Paris
Membres du Jury:
-MM les Professeurs
A.
LEON
,Président.
R.
Descartes
Lê Thành Khôi, Rapporteur .R.Descartes
L.
PORCHER, E.N.S.
de Saint-CLOUD
Enseignement et Acculturation des enfants de l'école
primaire de Côte d'Ivoire.
1- Choix du thème et limitation du problème
L'observation de jeunes scolaires ivoiriens
nous a
J
: ,
amené à la réflexion suivante:
l'\\
- Pourquoi l'éducation de l'écolier ivoirien s'achève
par une occidentalisation et pourtant toutes
les réformes du sys-
\\
tème éducatif ivoirien ont pour objectif d'enraciner l'enfant
dans son milieu socio-culturel ?
-Qu'est-ce qui fait que cet objectif n'est jamais
atteint ?
De nombreuses études sur l'écolier ivoirien n'ont
p~
posé le problème tel que nous le posons.
C'est pour dénoncer l'ex-
tériorité qui existe entre la communauté et l'école que nous avons
décidé d'écrire cette thèse
intitulée:
" Enseignement et acculturation des enfants de l'école
primaire de Côte d'Ivoire ".
Avant de poursuivre cet exposé qu'il nous soit permis de définir
le concept d'ACCULTURATION
a) Définition
Ce mot fait
l'objet de nombreuses interprétations.
Mais pour avancer dans notre travail,
nous avons pris en notre
compte la définition de Marc RICHELLE qui est la suivante :
" Processus à sens unique, dans
lequel la culture in-
fluencée se moulerait à
l'image de la culture influente;
car la si-
tuation coloniale met
"en contact deux cultures dans un rapport

-
2 -
de domination de l'une à l'autre.
La civilisation dominante de type
technique avec tout ce que cela implique quant au rythme de change-
ment intraculturel, à économie puissante,douée d'une extraordinaire
capacité d'expression,
contrôle politiquement, économiquement et cul-
turellernent la civilisation dominée ( ... ),
fondée sur unE économie
en
tout cas faible par comparaison à l'économie mondiale dans
la-
quelle elle se trouve plongée aujourd'hui.
Contrôle politique, con-
trôle culturel et contrôle économique sont donc aux mains du pouvoir
dominant,
et dans
la mesure où les traits d'une culture sont liés
à ses structures politiques et économiques
,
il est évident que les
sociétés africaines colonisées subissent une forme d'acculturation
sous con:..:rainte
"
b) Difficultés rencontrées.
Si au niveau de la problématique, cette recherche appa-
raît comme étant relativement facile,
i l n'en a plus été ainsi lors
de sa réalisation pratique.
En effet, nous
nous sommes heurté
à de nom-
breuses difficultés dont voici quelques unes
;
Accès à certaines informations
Absence de bibliographie traitant
du thème de""l'ac-
culturation" de l'enfant ivoirien
Mauvaises conditions dans
lesquelles nous avons pu
travailler.
Quant aux articles que nous avons pu consulter,
ils font état sur-
tout des difficultés d'adaptation scolaire de l'écolier ivoirien.
Le présent travail peut donc être qualifié de partiel et
de limité .
c) Justification
Nous tenons toutefois à souligner que notre but n'était
pas de faire l'évaluation interne et externe du système éducatif
ivoirien, non plus de privilégier l'aspect économique de l'accultura-
tion bien que cet aspect est fondammentalement lié à
l'aspect cultu-
rel.
Si nous avons beaucoup insisté sur le problème de la lan-
gue, c'est pour montrer que la domination
idéologique est
l'un des plus sûrs garants de la domination politique .C'est pourquoi
l'impérialisme veille partout à dévaloriser la langue et la culture
autochtones .

- 3 -
1
Par exemple : parler français fait partie des connaissances
ésotériques auxquelles est attachée la nouvelle puissance en
Côte d'Ivoire.
II - Résultats aCquis
Après avoir tenté de dépouiller tout ce qui se
rapportait de près ou de loin à l'enseignement, à l'accultu-
ration et à l'enfance - entre autres, des études pSYChologiques,
sociologiques, historiques, des autobiographies, de revues
spécialisées, des interviews etc ... -
complété par notre obser-
vation personnelle auprès de jeunes scolaires de notre entou-
rage,
nous avons pu relever quelques traits d'acculturation
provoqués par l'enseignement reçu et 'par les relations vécues
à l'école. Il est apparu très vite, à côté de rares réflexions
valorisant le contenu de l'enseignement du primaire,
que les
influences occidentales concernant cet ensei 6 nement sont nom-
breuses. En a-t-il toujours été ainsi?
al-Enseignement extraverti
Un bref historique de l'enseignemellt en Côte
d'Ivoire et Wle analyse des relations vécues à l'école nous
ont fait ressortir que si ces influeaces ont varié avec les
époques,
le but visé est toujours demeuré le même à savoir:
-
un enseignement qui prépare psychologiquement le
jeune ivoirien à s'adapter au monde économico-socio-
culturel de l'occident.
C'est dire que le rôle attribué et le but recherché par
l'école ivoirienne ne sont d'autre que la destruction des sys-
tèmes sociaux existants qui ne peuvent pas être intégrés par
le système économique occidental et qui ne pe~vent pas être
exploités par ce même système.
C'est pourquoi l'idéologie de l'école ivoirienne
est le reflet de l'idéolo~ie de l'école coloniale ou l'idéolo-
gie de l'école en vigueur en France.
b)
-
~nseignement accentuant la division
socio-économique du pays.
Ce qui nous a frappé dans l'organisation du
système éducatif ivoirien, c'est que cette organisation contri-
bue à la formation de la force de travail et sa hiérarchie en
Il

- 4 -
école primaire privée Il française Il où vont tous les enfants des
catégories sociales favorisées et en école primaire ivoirienne où
vont les enf~lts du reste de la population.
Cette hiérarchie reflète la division sociale qui attri-
bue aux uns le commandement, aux autres l'exécution.
L'un des buts de la Télévision scolaire était de réduire
cette division sociale ( ou l'aliénation économique et culturelle ).
Mais elle n'a pas réussi à faire disparaître les écarts de statut
entre les catégories sociales les plus favorisées et les caté~ories
les moins favorisées
, ni à transformer les chances relatives de
mobilité entre les groupes sociaux. Au contraire elle n'a fait que
creuser le fossé déjà inquiétant.
III -
Conclusion et enseignements tirés
Au terme d'une recherche que nous avons qualifié
de partiel et de limité où en sommes-nous?
Après avoir parcouru l'histoire de l'éducation en
Côte d'Ivoire et après avoir mis en évidence la présence des mo-
dèles culturels occidentaux, nous sommes arrivés à la conclusion
que
:
" Pour que disparaisse l'extériorité qui existe entre la
communauté et l'école, i l faut que cette communauté puisse s'appro-
prier l'école en tant qU'instrument de son destin ". Cela lui per-
mettra de transmettre des valeurs qui correspondent aux réalités
du pays, aux exigences de son économie,
au développement technique,
à son sens moral et à son organisation sociale. Pour cela les con-
ditions suivantes doivent être remplies:
-
Prise en main du système éducatif par les autorités
nationales
;
- Amélioration de ce système
;
Conscientisation des populations
Savoir prendre ses responsabilités
-
~'aide à l'éducation coûte chère, donc il faut accepter
une aide qui peut tendre vers sa propre suppression ;
-
Ne pas trop se fier aux conclusions de certains -experts
qui la plupart du temps agissent pour le seul compte
de sociétés étrangères bénéficiaires de certaines
opérations •

-
5 -
En soumettant ce document à votre appréciation,
nous pensons que c'est l'occasion pour nous de nous enrichir
de vos reproches,
de vos critiques et de YOS suggestions
qui pourront nous servir pour des recherches futures

Paris ~e 22/12/1960
David
N'D~IN AL10U
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