FACULTÉ DE LETTRES ET DE PHILOSOPHIE
UNIVERSITÉ DE DIJON
ANNÉE 1980
/
DISCONTINUITE et
dans la
PHILOSOPHIE de DAVID HUME
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1
! CONS~I~ AFmCAIN ET MAlGACHf2
POlJ~ l,'~NSn!GNEI"1ENT SUPl':Rl[:'..m
C A. M. Iii. 5. -. OUAGADOUGOU
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THESE
pour l'obtention du Doctorat 3e Cycle de Philosophie
présentée par M. BOHUI DALI JOACHIM
Sous la direction de M. JEAN BRUN

A
LA
MEMOI RE
DE
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MERE

3
/
DISCONTINUITE et EXISTENCE
dans la
PHILOSOPHIE de DAVID HUME
"Tou,!:> .te/.) êVte.J.J de. t.' Uf'UI.!e.,'lJ.J, c.ovzJ.JJ..déAé,!:>
evz eux -mêmeJ.J, appa-'La.J....M ent: 2J1ti.è.rLe.mc.n-t
dëtac.héJ.J et ivzdépendafvt6 IL~ unJ.J ae/.)
aut:U!_6~' HUME, r:'uueté, Lev. In, Se.c..t. l
p. 58 i
"On .te CÜ!Lait e.n -6Mué . .• r1M6 011 60nd
de. .tJ.U-même. qui .ce. d~f.,e.l1d,
qu~ donc. e.mpêc.h~ tout au ùond, t'a66fux
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Cj!:> 0 rvi.-g.{.n e.J.J ? "

R.~~. RTLKt, TJtoiJ.Jième. élégie. llli9iR-:6 de
PuTNQ, Tnad, Attme e GfRNE l •
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1

SOM MAI R E
l NTRODUCTI ON. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
6
CHAPITRE
1.
LA DISCONTINUITE NATURELLE
, . . . . . . .
2r
SECTION l
-
La d-<-J.)covt:{-<-nu--i:tê onto.tog--ique..............
2t
SEcTIVN Il
-
La d--i~eon:tinui:{~ :th~okique e:{
eJ.:,:t!l~:tiqlle.......................
... ....
57
SECTION III
-
La dijeon:tinll;:{~ exi~:{ent;e~.te et
s oc.i ai e
8r
cHAFTITRt II.
LES MaIVOTES NATURE LS DE LA DISCONTINUITE..
1i7
SECT 1 Cl N l
-
L e. ,6
an t:« d (1 .:t. C.6 0 nt 0 f (19 i c Il e. ~ .. . . .. • .. . .. ..
)) 7
SECTION II
-
LeJ.)
aVlv~do:te.~
,6p..t/Li.:{l1eL6
130
SECTION tII
-
LeJ.)
an t.cd c r.e.s ex,ütentie.tJ.)............
167
SEcTluN IV - ~L'i.nJ.)l1fJ6i.J.)ance.
e.: an t.Ld ot.e.»
â
natl1~e~J.)
e:r.. J.)eJ.) eon~~quence~...........
778
CHAPITRE
III.
LA SOLUTION HUMIENNE DE LA DISCONTINUITE
ET SES LIMITES
.
1&3
SECTION l
-
La r~a~i.ql1e ex--i~:{en:{i.el.te
.
1S6
/
SECTiON II
-
L·al1:{onom;~atA...on et .ta ~eCl1~~enee
.
StCTION III
-
La di~eon:{inl1i.t~ ~econde
(comme .tA...m--i:{e
de .ta ~o.el1~i.on hl1mi.enne ae ta
di~eon:t{.Y!11i.:{9······················. 254
CONCLUSION
.
BIBLIOGRAPHrE . • • . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . • . . . . . . . . . . . . .

5
ToLÛ.e1J .te.J.) u.:ta.t.ion6 de. HUME -6oni wé~~ des btaduc:U.onJ.>
tlJtQJ1.ÇCM~~.
(}).-lc.hel. MA.LHERBE éme.t que.tque.s JLéM.AVeJ.> J.)uiL. .ta t,'taduc.tioYl
du T/'ta..{;té d 1An.dJ-~é. LEROY, vo-Ut YlO..tamme.I'Lt ta plU.f..o.6oplue emlJ,{;-vU,:te. de.
Vav..w HUldE, /lote. 78, p. 299 (c.hap. IV), Ylote. 39, p. zg 4 (cha):!. II )
-6U/L .ta .t/'laduc..ü.OYl de. ne.e.Li.ng ei: de. 1.>e.ntJ..me.I1:t,
nos:e 36 )J. 283 ;
mai» l~s é c.CV·t.-t6 de. :th.aauU..i.o Yl J.)ig n.a.féJ.) Yle. pe.uve.n:t ®cL-étJie./L tl a ndame.Yl-
ta1.em e.n;{: Yl0 -6 :t!iè.1.; eJ.> • )
Le.!.> oU.v/wge.!.> de. HUME .6011:t wé-6 iY'vtégJtafe.me.n:t ta ):J,'te.mièJLe bail.>
e.:t abJLég é-6 )XUl .ta .6LÛ:te. de .ta mavu.è.-'l.e. .6tU.vaJ'Lte. :
- Traité
Traité de la nature humaine
- Enquête
Enquête sur l'entendement humain
- Principes
Enquête sur les principes de la morale
- Histoire
Histoire naturelle de la Religion
- Dialogues
Dialogues sur la religion naturelle

6
INTRODUCTION
La philosophie de HUME ne peut se comprendre sans un double ancrage:
l'enracinement scientifique où est puisée sa méthode et le décalage disconti-
nuiste qu'il opère par rapport à la philosophie de son époque. En effet, la
rupture philosophique de HUME s'enracine dans une rupture scientifique inau-
gurée par NEWTON. NEWTON tente essentiellement la synthétisation de deux
courants à l'oeuvre dans la science de son époque (1). D'une part, le pan-
mathématisme issu de DESCARTES et de GALILEE, et d'autre part, la philosophie
naturelle expérimentale dont les représentants sont BOYLE, HOOKE, GASSENDI,
ROBERVAL. Le premier courant représente le courant continuiste qui a en vue
les grandes synthèses, l'interprétation mathématique universelle ;le second
courant est discontinuiste et a une vision plus parcellaire, plus ~orcelée
de l a réa lité.
NEWTON va unifier ces deux courant~ mais, en le faisant, il privi-
légiera la tendance continuiste.Cette domi"nation se traduira par la mathé-
matisation universelle (2). Cette mathématisation se fonde dans une homo-
généisation qui réduit la physica coeZestis des anciens à une physica ter-
reet.r-ie, Elle disqualifie le ciel et "ouvre à la rècherche scientifique
comme le dit A.KOYRE les deux mondes de l'infiniment grand et de l'infiniment
petit". Dans cet univers homogène, l a cause et 11 effet sont de même nature
(critique définitive des causes occultes). Le complexe peut se réduire au
simple par analyse. On peut cerner la synthèse newtonienne en prenant en
compte sa conception de la matière, du mouvement, de l'espace et de l'at-
traction universelle (3).
(]) A. KOYRE.. "Sens et por-tée de la synthèse newtonienne ".. article in Etudes
newtoniennes .. Ed. CaZlimŒr'd.. N.R.F ... 1968.. p.25 sq
(2) l'une des oeuvr-es maitresses de NE~~ON s'intitule:
l'Arithmétique
Universelle .. chez Bernar-d à Par-ie (]802) iirad . par Noël BEAUDEUX.
(3) Voir notamment Isaac Newton.. Principes de mathématiQues de la Dhilosophie
naturelle.. Paris .. Ed. Librairie Scientifique et Technique .. A.BLANCHARD..
1966.. tirad, marqiciee du Chaet.el l et:.. cf.Tome I .. p.l à 16 "Définitions".

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·La matière sera composée dl un nombre infini de partitul es sëparêès
. (hypothèse corpusculaire~ atomisme) les unes des autres~ isolées~ dures
et interchangeables mais non identiques. Les particules~ éléments de base
de la matière~ renvoient à la possibilité de la réduction du complexe en
ses éléments composants (activité discontinuiste).
Le mouvement devient une sorte "d'élan relation paradoxal" selon les
mots de KOYRE. mouvement qui n'affecte pas les particules mais qui les trans-
,porte ~à et là dans le vide infini et homogène.
L'espace renvoie au vide infini non qualifié et homogène qui rend
le mouvement possible.
L'attraction est le grand~S
continuiste qui lie cet univers
corpusculaire et qui est traduisible en formules mathématiques.
De toutes ces conceptions, ce sera la continuité qui sera victorieuse
4v!Io'>i
elle servira non seulement à postuler l'ordre de l'univers mais une cause
tl
de cet ordre. Le Dieu de NEWTON ne sera
pas en rupture avec son monde mathé-
matique et physique (1).
NEWTON ouvre donc ainsi un champ nouveau dans le domaine du savoir,
champ dont l'influence se fera sentir dans tous les domaines. C'est le
premier ancrage de la philosophie de HUME. Le deuxième ancrage sera philo-
sophique.
Les philosophes comme épigones théoriques de la rupture newtonienne
vont non seulement opérer un décalage (conséquence du retard-écart de la
philosophie par rapport à la science), mais ils vont réajuster l'univers
. du ~,av~ir. HUME justifiera ce retard en prenant appui sur l 'histoire des
.. sciences: "Ce n'est pas une remarque surprenante que d'affirmer que l'ap-
,
,.
plication~e,la philosophie expérimentale aux questions morales devrait
ve~i~ap~ès son application aux questions naturelles, à un intervalle d'un
s~ècle entier environ; puisque, trouvons-nous en fait, il y eut environ
,lèmême intèrvalle entre les origines de 'ces sciences; de THALES à SOCRfl.TE,
on compte un laps de temps à peu près égal à celui qui sépare lord BACON
de quelques philosophes récents d'Angleterre, qui ont commencé à placer la
. Science de l 'homme sur une nouvelle base, ont attiré l'attention et éveillé
.-~".- -
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(1)Çf. ,A~ KOYJ?i, 'Op. Cit. pp. 40 et 41
-et:
Léo~-' BLOCH: La Philosophie de 'NET,t/']'ON~ Parùe, A~can~ 1908~ p. 490 et ·sq. '. -~.
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\\ia' ~'thode de BACON en philosophie sont ci tésparHU~'E en note . :'-Mr··i.ôêKL·-:·~·:·;~~):
Lord SHAFTESBURY, Dr MANDEVILLE, Mr HUTCHESON, Dr BUTLER etc. HUME semble
"
ici situer la rupture scientifique chez BACON mais précisons que c'est
NEWTON qui rompt véritablement avec la physique aristotélicienne (2).
Les philosophes empruntent donc à BACON-NE\\fTON la méthode expérimentale.
A travers cette méthode, c'est la tendance atomique, corpusculaire,faible
en science qui s'épanouira en philosophie bien que la continuité jouera
~comme dernier recours pour soutenir le monde atomisé. La continuité est
donc ainsi victorieuse en dernier ressort chez LOCKE et BERKELEY. C'est
avec HUME que la tendance discontinuiste va réellement triompher. Elle
sera tour à tour désignée du nom d'ernpirisme~ de scepticisme~ d'atomisme~
de phénoménisme (3), bien qu'aucun de ces termes ne soit capable à lui
seul d'épuiser la signification de la discontinuité. Essayons de voir
comment de LOCKE à HUME se dessine la courbe de la discontinuité.
(1)
David HUME~ Traité de la nature humaine , Pari e, Ed, èubi er--tâonbaiqne,
197 3~ Tr-ad, André-Lowie LEROY - Intiroduc, pp. 59-60.
cf aussi Louis ALThVSSER~ LENINE et la philosophie suivi dèMARX et LENINE
Devant HEGEL ~ Paris~ Ed. Maspéro~ 1972~ pp. 20 et suiv.
HEGEL~ Principes de la philosophie du droit~ Paris~ Ed. Idées/C~llimard~
1973~ Irad. A. Kaan~ Préface p. 45
(2) Gércu,d ESCAT~ BACON~ P.U.F.~ 1948. p. 61 ; il soutient à juste titre que
BACON a méconnu les mathématiques~ cf aussi BLOCH in ouvrage déjà cité.
(3), Faut~ii par-ler de phénoménisme ou de phénoménalisme à propos de HUME?
A,.MIÇHAUD~ dans un article intitulé "Remarques sur le phénoménalisme et
-'- '"".'
·z 'atomisme de ,D. HU!-.fE1/ paru dans le n" 1 de EtùdesPhilosophiques (]973)
emploie comme nous le voyons le terme de phénoménalisme. Le phénoménalisme.
c'est la doctrine héritée de FANT qui prétend que les hommes n'ont accès
dans lq ,conr~issance qu'aux phénomènes et non aux choses ènsoi (noumènes).
-Cetd:e poeit-ion, sans toutefois nier dogmatiquement là choseensoi~ reste
. , ' -'. .' à son propos dans W'le attitude ambiguë. Le phénoménisme est la doctrine
'qui choisit carrément le phénomène et considère la chose en soi ou le
..
-- Noumène comme ,un simple mot.
(cf. dictionnaire Lal-ande, phénoménisme et
... -
,,,-phénoménalisme) .
-
~-
. ~ -.
". _-, ':lJa phi Loeophi.e de HUME serait alors un phénoménisme plutôt qu'un phénomé-r ; .' ..
,,:cnc:Ûs~e. Meris il fo:ut toutefois nat-er que sile réel se 'réduit aux p~;"cepti~l
-.:~- .dhez HUME~ ces' dernières sont tout de même différentes du phénomène. telque"'?
. : ~) "entiendai. t KANT. De p lus~ HUME n'envisage pas l'existence d'un, que l(!()17.([Ue
·~-~oumàte;. ~é deux t.ermeeçphénoménisme eti tphénonénal.ieme ri ,~tj;û~':ie.~~:/.
. - . 0 ' - . . . .
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:,.;:qpparitio.n que tardivement, ilaeraituti"le de pz>endredeB.p~cauti;ori.R~~C _.~
~~~~~:~~~~~~~~~~~0;~~
y.~~"

9
LOCKE inaugure le nouveau champ en s'inspirant, comme nous l'avons
déjà dit, de BACON (1), de NHITON, de HOOKE, de ROBERVAL et de GASSENDI.
en un mot en s'inspirant de la tendance discontinuiste en science(2).
C'est dans les Essais (3) que LOCKE va donner la dimension de la
nouvelle problématique: " ... montrer l'étendue de nos connaissances cer-
taines et la manière dont nous y parvenons". C'est l'expérience qui nous
permettra de délimiter le savoir certain(~). C'est elle qui nous fera dé-
couvrir qu'il n'y a pas d'idées innées mais que tout notre s~voir n'est
qu'empirique. L'expérience ici. c'est l'expérience de réflexion et de sen-
sation, c'est elle qui sera le point de départ de notre connaissance.
L'esprit n'est au départ qu'une tabula rasa que vient remplir l'expérience
nous organisons ensuite l'expérience pour en faire notre savoir. S'il n'y
a pas d'idées innées des choses comme le pense LOCKE, il faut en déduire
qu'il n'y a pas non plus d'idée innée de Dieu (5). C'est par la raison et
l'expérience que nous découvrirons Dieu. Nous partons de nous-même, comme
être raisonnable. en tout cas tel que nous nous expérimentons, nous dédui·
sons ensuite Dieu par extension ou par amplification. Mais ce Dieu nous est
incompréhensible comme nous l 'est la nature dernière des choses.
(l) Franci-s BACONJ OeU-l.)res :
l
- De la dipnité et de l'accroissement des sciences
II - Le NcvWT! OrQanwn
Pa:~sJ Ed. Librairie C1UL~entierJ 1843
Trad. M.F. RIAEY
J
(2) Le problème de la légitimité d'un tel transfeTt est posé per A. KCYRE
dans l' art-ic le déjà c-ité p. 42. Il critique le t.ranef'ert:.. pour lui i Zlé-
gitime.. d'une méthode scientifique dans le domaine psychologique et en
déplore les conséquences qU1.: sont not.cmment:.. selon lui .. la réduct-ion du
eicjet: en une "moeaîque de sensations et d'idées" Liées entre elles par
des lois d'association.
(3) John LOCJŒ.. Essais philosophiques concernant l'Entemement humain où l'on
montre quelle est l'étendue de nos connaissances certaines J et la manière
dont nous y parvenons.
Ed. J. Vrin.. 1972
Trad. Coste (réédition de celle d'Amsterdam pal' E.Naërt)
J
(4) Selon A. LEROY.. la philosophie de LOCKE serait plutôt un expé~~mentalisme
qu'un empirisme (voir LOC1{E par A. LEROYs P.U.P ... 1964.. ) p. 21.
(5) John LOCKEJ Op.. Cit. J Liv. I J Ch. III, 17, p.52

70
Nous arrivons pourtant dans la connaissance à une certitude tandis que la
révélation (communication privilégiée) nous fait accéder à un au-delà de
l' expëri ence.
La discontinuité conçue comme limitation de notre connaissance,
absence d'innéité, est dépassée dans un être transcendant découvert par
raison et à qui on a accès par la révélation et qui fonde non seulement
l'activité du connaître (en dernier ressort) mais notre pratique.
Ainsi LOCKE inaugure-t-il un champ spécifiquement philosophique qui
a la prétention de borner le savoir grâce à une méthode transférée du do-
maine scientifique au domaine philosophique.
Le décalage lockien opéré, BERKELEY va l'approfondir pour mettre en
évidence la discontinuité du réel afin de poser la nécessité du fondement
par Dieu. En effet, si pour LOCKE le problème était celui du savoir, celui
de BERKELEY sera le problème de Dieu. Comment lutter contre les sceptiques ~(Q
~ Pour le faire, il va procéder à une lecture du percevoir et à
une lecture du réel qui révèle Dieu. C'est donc une philosophie du voir
(théorie de la vision), un~~~l:J regard que propose BERKELEY. La
discontinuité est déjà résg~bé~a~~arche, elle ne sera que provisoire.
Mais cela ne l'empêche P~~~~~P~\\itivement comme négation de la
substance matérielle. Touit~ Iqa solidité1ciu'monde extérieur n'est que par le
.
\\0,.:-. "'-..
A/ 'il'l ' ~
. . .
sujet percevant ~ "Esse est ~~CJ:I;'F'-('I~~l
etre du percevoi r dev i ent-ri l
tout 1 1 être pour nous. La di sC0n~t'3?rffi~i;fté 51 i ntrodui ra i t comme phénorréni sme ,
comme solipsisme, si Dieu ne fondait pas à l'arrière-plan cet univers. Dieu
comme éternel percevant est donc celui qui maintient la consistance du réel.
On pourra, au vu de tout ce qui vient d'être dit de nos auteurs, es-
quisser la courbe de discontinuité de la manière suivante: négation des
idées innées mais reconnaissance d'une certaine réalité au monde extérieur
par LOCKE. BERKELEY nie la substance matérielle et ne conserve que l'esprit
qui se fonde lui-même dans l'esprit infini. Dans les deux cas, c'est par Dieu
que l'on sort de la discontinuité.
Nous pouvons donc dire de ces deux philosophies qu'elles mettent en oeuvre
(1) G. BERKELEY .- Principes de la conn~:ssance humaine où 2'on cherche 2es
pr:ncipa2es causes d' er:reurs et de difficultés et 'les fondements du scep-
ti~~sme~ de 2'athéisme et de 2'ir:religion.- Paris~ Ed. Aubier-Montaigne~
1969~ Trad. André-Louis LEROY
- Trois dia20gues entre HYLAS et PHILONOUS contre les sceptiques
et les athées in Oeuvres choisies. Trad. A.LEROY
Ed. Aubier-Montaigne
1965.
3
3

11
théori quement deux tendances dont 1 1 une es t effect i Yi té, et l'autre résul-
tat, c'est_à_dire qu'en instaurant une discontinuité de méthode, la premlere
permet à la seconde (continuité), de se poser comme issue nécessaire. La
discontinuité effectivité s'achève en une continuité positivité.
C'est par rapport à ces deux courants qui ramènent en définitive
à Dieu que va se démarquer HUME. Il partira de l'acquis de ces deux phi1o-
sophi es : étsavoi r,
nous ne cannai ssons du monde que 1e perçu. Son perçu
à lui se nommera perception, c'est en elle qu'il va originer son univers.
'L'impression sera à la fois expérience originaire et permettra de juger de
la validité du connaftre et du réel. Mais la grande originalité de HUME,
c'est qu'il ne sortira pas de la discontinuité par Dieu. Il va s'y maintenir
et tenter d'en sortir sans autre recours que celui de la discontinuité e11e-
même.
Ainsi, à travers ces deux ancrages, celui de la Science et celui de
la philosophie, nous avons voulu non seulement mettre en évidence la rupture
scientifique inaugurale d'où l'entreprise philosophique de l'époque en général
tirait son origine, mais nous avons surtout voulu marquer l'originalité de
HUME à l'intérieur de celle-ci; nous avons pris en compte ce que nous avons
appelé les tendances. Nous les avons divisées en tendance continuiste et
en tendance discontinuiste. Ces deux concepts opératoires nous ont permis de
mettre en évidence une sorte de "dialectique" des tendances à l'intérieur de
ce qu'on pourrait appeler d'après FOUCAULT, le champ épistémologique de l'é-
poque. Nous avons montré que ces deux tendances sont constitutives des
philosophies et plus spécifique~ent de celle de HUME. Mais en précisant que
chez ce dernier c'est la discontinuité qui est victorieuse.Nous allons donc
aborder la philosophie de HUME avec l'intention de mettre au jour le jeu de
la discontinuité et de la continuité, de la discontinuité et de l'existence.
Cette méthode se différencie à l'avance de la tradition de REID (1)
et BEATTIE (2) que ne manqueront pas de critiquer chacun à sa manière,KANT (3) et
(1) Thomas REID~ Philosophical worY$~ (]81])~ Ed. G. Olms Hildesheim~ 1967 ;
voiT' "Of the hwnan mind"
Introduc. Sect.VI~ pp.l02~103~ et "Of the intel-
lectual poweT's"~ p.p. 292-295.
(2) J. BEATTIE~ Philosophical and critical wOT'ks; T.I. '~n essay on the nature
and irmrutahi lity of tT'uth~ in opposition to sophistry and scepticism"
New-YoT'k~ Ed. GeoT'g Olms~ 1974.
(3) FANT~ Prolégomènes à toute métaphysique futUY'e~ Ed. J. VT'in~ 1957~ TT'ad.
J. GIBELIN.
.
. - - - - _ .._ ........... ~-_ ............,., -~--.-.-
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.-.---.----~.--.,~'••-~,"":"~:,f~
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12
N.K.SMITH.(l). Cette tradition fait prévaloir la thèse d'un HUME uniquement
sceptique. En effet. pour REID et BEATTIE. le sens commun serait le meilleur
contradicteur de HUME en ce sens qu'il nous révèle la consistance du réel
que HUME pulvérise. C'est pour avoir voulu se passer du sens commun que
HUME se serait jeté dans un déluge: en poussant notamment jusqu'à ses consé-
quences ultimes un mouvement issu de DESCARTES. N.K.S~~ITH montrera que la
méprise de ces commentateurs est due au fait qu'ils n'ont pas mis en évidence
toutes les sources de HUME et qu'ils se sont limités aux influences NEWTON-
LOCKE-BERKELEY (elles-mêmes issues de DESC,ll.RTES). Pour N,K.9~ITH. il ne faut
pas négliger celles de SHAFTESBURY (2) et de HUTCHESON (3),Ces derniers au-
teurs représenteraient le versant continuiste pur de la philosophie de l'é-
poque et -.. auraient influencé HU~IE. Ils soutiennent notamment l'existence
en l'homme d'un sentiment moral et d'une raison instinctuelle. La dimension
de cette découverte est capitale chez N.K.SMITH. pour qui le problème central
de HUME est celui de la morale. La prise en compte de ces deux sources révè-
lerait une ambiguïté de HUME tiraillé par ces deux tendances. Si N;K.SMITH
semble anticiper notre méthode des tendances. nous ne pouvons dire avec lui
que HUME subit ses sources et ne les domine pas. KP.NT critiquera aussi REID
et BEATTIE qui en appellent au sens commun pour sortir du problème de la
(1) N.K.SMITHJ The Phi!osophy of D. HUME; New-York, Ed. St Martin's Press, 1966
(2)
SHAFTESBUR1'J CrICl.!"Clcteristics of menJ manners, opÙn:ons J times J etc. in
~wo volvmes. Veir surtout Vol.I Treatise IV '~n inquird conceY~~ng virtue
OI' mer-i.t:" p.
235 et sq . Neio-York , Ed, E.P. Dutit.on, 1900.
(3) HUTCHESONJ Collectee Works J vO?/O / "An inquiry into the origin of Oll.r
Ideas of beauty
and virtue fr in two treatises
Treatriee I : An inquiry concern.ing beauty and order
treatrise II : Ar, iYl.quiry concern.ing moral good and evi l.
London J Ed. Georg Olms~ Veriags J Buchlar~ lung
Hildelsheim, 1971

15
connaissance. Pour lui, HUME a inauguré un nouveau champ dans la théorie de
la connaissance, champ qu'il espérera avoir clarifié lui-même dans sa Cri-
tique de la raison pure (1).
A la suite de REID et BEATTIE, Les1ie STEPHEN dans son History of En-
glish thought in the Eighteenth Century (1876) (2), puis GREEN (3)
et enfin
J. LAPORTE (4) soutiennent la thèse du scepticisme radical. Pour ce dernier,
HUME ne serait sauvé de son scepticisme radical que par un dogmatisme du
sentiment. Clest 1'héritage de SHAFTESBURY et de HUTCHESON,rourrait-on dire,
qui le sauve du pyrrhonisme.
Notre tentative, comme nous 1lavons dit,doit se démarquer de toutes
ces interprétations que nous dénommerons négatives et qui ne voient que le
scepticisme de HUME.
Après avoir écarté la tradition d'interprétation issue de REID et
BEATTIE, il nous faudra faire de même avec la tradition qui réduit HUME à
ses sources et qui lui retire toute originalité. Cette tradition est illus-
trée par N.K. SMITH (5), SELBY - BIGGE (6)
C.W.HENDEL (7) j. LAIRD(S).
(]) XANT~ CritiQue de La :mison pw:'e~ Par-i.e , Ed, P.U.F.~ ]971~ Trad:
A.
I~'?J!.NESAYGUES et B. PACAUD.
(2)
L88 Zie STEPHEN~ History of english thought in the Eighteenth ceni.uru , Fol. l
Lcndon~ Ed. Smith~ Elden & co (1876)~ pp. 43~44~54.
(3) GREEN~ Intrroduct.ion à l t édi.t.i on du Traité de La nature hwnaine '2-Yi Phi.l.o-
soph~~caZ ioorke ; -JoLI~ Ed. Bcient.i a Verlag Aal.en (]964)
(4) Jean L4.PORTE~ "Le ecept.i cieme de HUNE" Revue phiZ.oso'PMaue~ ]934-1935~
notons que le derrn. ~1; cie ces art.i c L8S Yi' est pas paru.
(5) N.K.SMITH~ ouvrage déjà ~:té.
(6) SELBY-BIGGE~ Intpoduction à Z'édition des deux Enquêtes (2ème édition~
Oxford, 1902~) p. JiIII.
(7) C.W.HENDEL~ Sp~dies in the phiLosophy of D.HUME
Pri.nce t.on University Preee , 1925.
(8) J. LAIRD" Hwne's philosophy of human natiure ,
Ed. Archon book~ 1967

14
Nous avons déjà mentionné l'interprétation de N.K.SMITH ; c'est elle que
reprend SELBY-BIGGE pour qui on trouverait facilement toutes les philosophies
chez HUME ou aucune si on oppose un énoncé à un autre
"this makes it easy
to find all philosophies in HUME, or, by setting up one statement against
another, none at ail" (1). C. W. HENDEL veut modérer le verti ge humi en, à l' i s-
sue de son analyse, HUME semble être sauvé du scepticisme (2).
La perspective de C.W.HENDEL est déjà l'interprétation positive dont nous
. parlerons un peu plus loin. J. LJl,IRD voudra enfin humaniser HU~E par sélection
de ce qui est philosophique chez lui.
Toutes ces critiques en définitive ou bien réduisent HUME à ses sources,
ou bien ne lui reconnaissent pas d'originalité. Ell~ne prennent pas en compte
la spécificité humienne, sa manière particulière de faire jouer les tendances.
Ces critiques sont dues, dirons-nous, à une insuffisance de méthode, elles
s'arrêtent au premier niveau d'approche philosophique et ne vont pas jusqu'à
l'image médiat)~ce de la philosophie de HUME comme dirait BERGSON (3).
Cette image médiatrice, qui, de par sa nature intermédiaire, traduit l'intui-
tion profonde de la philosophie en même temps qu'elle la travestit, ne peut
être obtenue qu'après un travail difficile en plusieurs étapes. Le niveau
superficiel du travail qui fait éclater la philosophie en ses origines, le
niveau intermédiaire qui l'unifie et le niveau profond qui doit en révéler
l'image médiatrice. Si nous revenons à notre sujet, nous dirons que nos com-
mentateurs ne se sont arrêtés qu'au niveau superficiel de la philosophie de
HUME.
Sans toutefois partager totalement les thèses de BERGSON, nous pouvons souli-
gner une sorte de proximité entre notre perspective des tendances et sa
théorie intuitive. Elles accordent toutes deux une importance décisive à une
organisation en profondeur presque inconsciente de s philosophies et qu'il faut
découvrir (l'intuition centrale est d'abord inconsciente, les tendances sont
presque toujours mises à l'oeuvre inconsciemment). Nous nous aiderons sur
notre parcours de la théorie des écarts ilLégitimes de GUEROULT (4).
(]) S ~L D V ~T~GE
Op
C'+
-'-I
1:.
l.1.J.-bJ!.J
..
~.
1.-h
p.
~.1

(2) C.W.HENDEL jr... pp. Cit. p. 418
(3) BERGSON.. La pensée et le mouvant.. Essais et conférences 1.-n Oeuvres
p~~s.. Ed. du Centenaire .. F.U.F. 1970.. p. 1249 et sq.
(4) Martial GUEROULT.. "Logique architectonique et str>uctu:t'es constitutives
des systèmes philosophiques" in Encyclopédie française .. p.19.. 24 et suiv .
.... ..' .
0'_"--- .._..._ '''---'--'' .. _.....__.._....__._~.~__. _ -

15
L'originalité est chez ce dernier un écart illégitime, un manque entre le
.
concept d'une philosophie et la réalisation in concreto de cette philoso-
phie. Cette théorie de l'originalité paradoxe (1) ou du manque positif
nous permettra d'expliquer les écarts, les contradictions de HUME d'un
0.
point de vue~l 'intériorité de sa philosophie .
Ainsi , notre approche"tendancielle"
(approche intérieure et inté-
riorisée) nous permettra de dépasser la perspective des sources, tout en
expliquant les contradictions apparentes comme mise en oeuvre positive
(travail architectonique) d'écarts et donc comme originalité, positivité.
Après l'exposition et la critique de la deuxième tendance d'inter-
prétation de la philosophie humienne, nous allons exposer et discuter la
perspective d'interprétation que nous nommons positiviste, après quoi nous
confronterons HUME avec les jugements àes philosophes.
La perspective d'interprétation positive a pour représentants
G.COMPAYRE (2), A.LEROY (3), G.DELEUZE (4), et d'une certaine manière
M~LHERBE (5). Ces interprètes veulent rendre HUME continuiste malgré lui.
Ils veulent gommer la faille sceptique humienne dans le bel édifice de l'i-
déalisme issu de DESCARTES comme le voulait G.LYON pour qui HUME n'est qu'un
sophiste (6).
C'est ainsi que G.COMPAYRE va atténuer la philosophie de HUME en un
scepticisme mitigé; A. LEROY poursuivra cette tendance tandis qu'avec
G. DELEUZE, le scepticisme devient secondaire et on ne considère plus que
la tendance continuiste de la philosophie de HUME dont la question devient
(1) MŒrtr~c.1 GUEROUL'I',· Op Ci.t», p. 19-26.
s
(2) G. COMPAYRE, La philosoDhie de David EU~1E, P~Zs, 'l'horin, 1972,
(3) A. LEROY, David HW~, Paris, P.U.F., 1953
(4) G. DELEUZE, Empirisme et eub.iect-ivi té , Par-ie , P. V.F., 1973.
(5) M. !~LHERBE, La philosophie empiriste de David HW1E, Pcu~s, J.Vrin, 1976
(6) G. LYON, L'idéalisme en Angleterre au XVIIlo siècZe, Paris, Ed. Félix Alcan,
1888, introduct. p.14
.--
._"-"'--~-"'"""~t"f;'

/6
"Corrrnent l'esprit devient-il une nature humaine ?" Tout le commentaire de
DELEUZE est une description de ce processus de naturisation. C'est seule-
ment avec ~ALHERBE que l'interprétation positive va tenter de récupérer
la partie négative de la philosophie humienne ; ce qui est déjà en soi un
progrès dans l'interprétation de cette philosophie. Le scepticisme y de-
vient méthode et contenu et postule une nouvelle tonception de la philosophie
"il est inévitable que la raison s'égare dans cette philosophie sceptique,
aussi longtemps qu'elle n'admet d'autre règle qu'elle-même et qu'elle bute
sur ce qui paraît une incertitude de langage, manque dans le raisonnement,
défi au principe de raison. En effet, elle y est essentielle~ent décalée.
La philosophie n'est pas dans la philosophie". (1) Cette méthode qui est
philosophie nouvelle repose sur un renversement: "Que l'expérience puisse
produi re l'esprit heurte 1e sens et l 'évi dence, mais cette producti on n'en
est pas moins susceptible d'ur.e légalité qui, à défaut d'être fondée en rai-
son, est connaissable empiriquement. Quel,les causes font jaillir du donné
atomique l'espace et le temps, la nécessité, l'existence extérieure, le
monde et la conscience de soi? Quels principes de l'imagination peuvent
être inférés de telles liaisons causales" ? (2). Ce renversement est inha-
bituel en philosophie, en ce sens que par lui, l'esprit qui se donnait le
monde (idéalisme) devient quelque chose de donné et cela grâce ~ un proces-
sus de naturisation : "Du divers sensible à la plus haute espèce d'unité et
de formalité qu'est l'identité personnelle du donné, on peut aller naturel-
lement" (3). Le processus de naturisation chez DELEUZE se terminai t par l'ac-
ceptation de la finalité: " ... en croyant et en inventant nous faisons du
donné lui-même Nature ( ... ) Cette nature est conforme à l'être ;" (4).
Michel MALHERBE va
refuser
l'idée de finalité comme ne correspondant pas
à la conception du monde de HUME: " ... l'ordre n'est pas intelligible".
(1) MicheL l1ALI-IE.TTBE
C
ri r:
J
p.v'!.-L
p.l?
(2) Michel MALHEREE~ Op.Cit.
18
(3) Michel MALYERBE
Ibid.
J
(4 )
Gi l.Lee DELEUZE
Ou. Cit. p.152
J

] .,
L'ordre chez HUME ne serait donc qu'un ordre sans ordre, un ordre sans rai-
son. Ce serait do~c, dan~ ce décalage de la philosophie (rationalité) a la
non~philosophie (irrationalité), dans ce déplacement que logerait la philo-
sophie comme réalité interstitielle. La philosophie en ce sens n'est pas
immédiatement philosophique chez HUME; c'est un entre-deux "décalé", un
intermédiaire, un questionnement permanent (le contraire du dogmatisme).
MALHERBE rejoindrait l'interprétation négative slil ne reconnaissait pas
que cet entre-deux est activité sans cesse créatrice : "~u principe de la
raison qui cherche ses fondements, il substitue, dit-il en parlant de
HUME, le labeur de la raison qui n'a jamais fini de produire ses formes et
de les corriger. Il fait oeuvre de science".
Nous reprocherons finalement aux interprétations positives de né-
gliger la partie sceptique de la philosophie de HUME et de privilégier la
tendance posi.,tive ; l'interprétation malherbienne est déja plus intégrante
en ce qu'elle assume les deux versants de la philosophie humienne et met
en évidence la pratique philosophique oblique de ce dernier. Nous retiendrons
l'apport malherbien mais nous voulons plus spécifiquement mettre en évidence
la logique contradictoire qui est à l'intérieur de la philosophie de HUME:
la lutte des tendances. Une lutte en gradation processuelle et dynamique
qui intègre de plus en plus la discontinuité et la continuité (termes contra-
dictoires)
et qui nécessite une compréhension nouvelle à chaque palier.
La discontinuité au premier niveau du processus n'ayant pas la même valeur
.ni la même signification qu'à la fin du processus; il nous faudra souligner
les ruptures, les reprises, les approfondissements. Nous montrerons que si la
discontinuité est profonde, c'est parce qu'elle est ontologique-structurelle
alors que la tendance continuiste est existentielle et dynamique. C'est pour-
quoi la tendance a 1'autonornisation qui est le sens de la tendance existen-
tielle passera par la pratique théorique, sociale, politique dans la profon-
deur temporelle. Ce sera non seulement un processus de temporalisation
(répétition, habitude) mais une tentative pour sortir du temps (disconti-
nuité) par le temps-pratique (pratique existentielle). C'est dans ce rapport
de l a di sconti nuité a l' exi s tence que rés i dera pour nous l' intérêt de l 1 en-
treprise humienne.
Finalement, toutes les analyses qui nous ont conduit des visions négatives
sceptiques aux visions positives en passant par la perceptive des sources ont
abordé la philosophie de HUME du point de vue de son contenu et d'un point de

18
vue de sa systématicité ; les critiques des philosophes reprendront ces
questions mais feront intervenir en plus la question de la légitimité et
de la valeur de la philosophie humienne. Notons toutefois que nous avons
déjà d'une certaine manière répondu à toutes ces questions mais nous repren-
drons nos réponses à partir des points de vue des questions auxquelles nous
allons répondre. Nous aurons en plus de ces questions, la question incon-
tournable à laquelle nous devons répondre: la philosophie de HUME est-elle
philosophie ou bien mieux, HUME est-il philosophe? Quelle est la valeur de
sa philosophie?
Dans les Prolégomènes Kfl.N7 félicitera HUME d'avoir découvert le bon
terrain sur lequel devait être posé le problème de la connaissance, mais
il lui reprochera les limites de sa vision de la question (1). Pour lui,
HUME aurait réduit les notions a pr-ior-i à des "expériences communes faus-
sement es tamp i l l èes " (2) .Ce qui l'aurait amené à nier malgré lui la mathé-
matique pure qui use de jugements synthétiques a p~:o~:. KANT va donc élargir
la question humienne. Il trouvera qu'il n'y a pas que la relation de causa-
lité qui est à 1 ·oeuvre dans la connaissance mais plutôt une pluralité de
relations qu'il va ramener à un principe,et de ce principe, il déduira ~s
catégories de l'entendement. KANT espèrera avoir ainsi intériorisé la logique
humienne pour combler ses manques. Nous pouvons tout de suite objecter que
KANT veut annexer HUME sur le terrain de la continuité, ce qui est une pers-
pective illégitime. Mais ensuite le problème qui sépare vraiment les deux
philosophes est le suivant: y a t-il un fondement du savoir, la causalité
peut-elle fonder le savoir? L'expérience fera découvrir à HUME que la néces-
sité causale, relation privilégiée dans le processus cognitif, n'est pas évi-
dente. Elle ne comporte pas une nécessité a priOF~, mais plutôt une nécessité
a post~rioriJPour user de la terminologie kantienne.
Ainsi l'un, (KANT), accorde-t-il ce que l'autre (HU~~E) met en question.
Pour nous, le problème sera essentiellement de montrer comment s'opère la
connaissance et co~ment elle se légitime dans la philosophie de HU~E et cela
cœrêté
à la cri.tique de la. caueal.i.i:é, et qu 'i Z. a cr-i t iqué auee i. les auta-ee r8 la-
tions telles les relations dt i deni.i té , de i-eeeembt.ance , etc.
cf. article déjà ~ité.
( 2) KANT~ Op . Ci t . P . 11.

19
sans référence aux catégories. Nous pensons que la logique interne de HUME
permet la résolution de ce problème.
La seconde critique est la critique hége1ienne. En effet, pour HEGEL,
la pensée est la pensée de l'objectivité: "l'expression pensée objective
désigne la vérité qui doit être l'objet absolu et non seulement la fin de
la philosophie" (1). C'est.à.dire qu'elle (la philosophie), doit penser le
nécessaire et l'universel; mais comme l'empirisme s'est maintenu volontai-
rement au ni veau des perceptions, il ne peut produi re 1e nécessa ire : "L'em-
pirisme montre bien d'innombrables perceptions pareilles ~ mais l'universa-
lité est tout autre chose que le grand nombre. De même l 'empiris~e offre
bien des perceptions de changement qui se suivent ou d'objets juxtaposés J
mais non un enchaînement nécessaire" (2).
Cette incapacité de l'empirisme à penser l'universel et le nécessaire est
due au fait qu'il ne constitue qu'une étape de la connaissance et qu'en
lui, la pensée est la pensée de l'extériorité qui n'a pas encore saisi la
nécessité dialectique. La même critique sera reprise pour KANT (3).
HEGEL dira à propos des antinomies kantiennes que ces dernières ne se ren-
contrent pas seulement dans les "quatre objets particuliers tirés de la
cosmologie mais dans tous les objets, toutes les notions, toutes les idées.
Savoir cela et connaître les objets sous cet aspect constitue ce qui, par
la suite, se déterminera comme le moment dialectique de la logique" (4).
La dialectique comme pensée du négatif doit donc permettre non seulement
-d'inclure le négatif dans le positif mais perme t tre de passer de l'extério-
rité à l'intériorité, et d'un contraire à un autre. C'est ce qui aurait per-
mis à i 'empirisme d'intégrer l'extériorité. Mais nous le voyons, la tentative
d'annexion continuiste n'est que trop évidente chez HEGEL. Si HUME avait eu
,
connaissance de ces critiques, il n'aurait pas hés i tee à avouer son scepti-
cisme pour cette fée dialectique hégelienne qui permet de passer d'un contraire
à un autre. De plus, comme la dialectique n'est pas évidente empiriquement
et qu 1 elle prétend être une comp.j~s i on en profondeur du rée l, elle niaura i t
pas eu l'assentiment de HUME _ .... empiristes en général qui ne sont attentifs
(]) G. W. F. HEGEl, Pré ci s de l' encuclopédie des sci encee
..

-t
7

TJh7.- :~ost]prz"Lques.J
D
.
"
L
ŒI'?-S J
Ed. J. Vrin
1952
Trad. J.GIBELIN
p.47.
J
J
J
(2) HEGEL, Op . t' ..
....,~7;,.
p. 51
(3) HEGEL, Op. Cit. p~è ..
(4) HEGEL, Ibid

20
qu'à l'expérience dans sa forme la plus immédiate. La logique interne de
HUME garde donc son originalité.
De HEGEL à SCHELLING, la question n'est plus interne à la philosophie
de HUME mais elle en sort pour poser la question incontournable, la question
de la légitimité. Est-elle philosophie, une philosophie qui ne répond pas à
la question du pourquoi ? En effet, HUME soutient que les choses se succèdent
mais selon F.W. SCHELLING "ce qu'il faut expliquer c'est justement pourquoi
les choses (et HUME ne le nie pas) se sont-elles succédées dans cet ordre
et non dans un autre" (1). Cette question qui met en cause la partie dog-
matique de la philosophie de HUME est l'une des plus fondamentales. Et selon
SCHELLING, HUME n'y répond pas, il ne fait que rétorquer simplement "Il en
est ainsi et cela suffit". La réponse de HUME est donc répétitive et peu
convaincante. Il faut en déduire alors que HUME n'est pas philosophe. Mais,
objecterons-nous, HUME passe-t-il vraiment à côté de la philosophie?
Il nous semble qu'en soutenant après ~1ALHERBE que HUME a décalé la philosophie,
nous avons déja répondu aux préoccupations de SCHELLING. Mais plus radicalement,
1a ques ti on du pourquoi ne renvoi e-t'2~'~;CPàSfE~;},~-même à 1a causa 1ité-ori-
gi ne que HUME ne prend pas pour acc~f-.$lée/?-El~~ausa 1i té elle-même nt est-
elle cas dans un certain sens. caUS/è~i{{é, continUiSf,~ ?
.
.
t{u "-' fi lVI E
) ..
La critique suivante qui est Ceile\\r~~mRr-r~Yêrencoreun visage plus
radical. HUSSERL voulant fonder la S~~~'~.
phé {)~~ologique, est à la re-
cherche d'une Philosophie première (2)~~~~herche l'amène à passer
en revue l'histoire de la philosophie, c'est alors qu'il trouve sur son par-
cours philosophique David HUME. Il reconnaîtra à ce dernier d'avoir plus que
quiconque approché la problématique phénoménologique, mais il lui reprochera
d'avoir été négatif sur le problème de la constitution. Pour lui, HUME aboutit
à un scepticisme total (3). Il en conclut que si HUME était conséquent avec
lui-même, il ne devrait pas philosopher. Mais dirons-nous, c'est cette incon-
séquence philosophique de HUME qu'il nous faut penser philosophiquement.
Comment une pensée de l'inconséquence philosophique est-elle possible?
C'est notre question et c'est celle de HUME.
(1) Essais de F.W. SCHELLING réunis et traduits par S. JANKELEVITCB~ Paris~
Ed. Aubier-Montaigne~ 1946~ p. 67.
(2) HVSSERL~ Philosophie pre~:ère~ Tome I~ Paris~ Ed. P.U.F.~ 1970~ p.226 et sq.
trad. par ARION et L. KELKEL.
(3) BUSSERL~ Op. Cit.p. 248.

21
La dernière critique est celle de BERGSON. En effet, celui-ci part
de l'expérience (discontinuité) comme HUME et du contenu de conscience
comme ce dernier, mais leur conceptionde ce contenu va diverger. Pour
BERGSON, le contenu de conscience révélé par l'expérience, loin d'obéir
a une logique associationniste, est plutôt mG .par une dynamique organisa-
tionnel1ed'interpénétration et de conservation. Il introduit dans sa psy-
chologie les notions de profondeur et d'hétérogénéité ce que ne comporte pas
la psychologie humienne. En face de la psychologie subtile bergsonnienne,
celle de HUME semble bien mécanique, mais on peut néanmoins dire de BERGSON
que sa perspective rejoint en définitive la perspective continuiste. On
peut trouver deux tendances chez lui comme chez HUME, mais la tendance dis-
continuiste (espace, matière) sera dominée par la tendance continuiste (l'élan
vital, l'esprit, la vie, la durée) alors que chez HUME le sens de l'autonomi-
sation renvoie a un perpétuel réajustement de la circularité: le cercle n'est
jamais totalement fermé.
~our conclure toute cette odyssée des interprétations de la philosophie
de HUME, disons qu'il y a place pour une interprétation "tendancielle" qui,
dans un double mouvement (interne/périphérique, centrifuge/centripèlie),
essaiera de révéler et le contenu de la philosophie humienne et sa méthode.
La perspective des tendances révèlera le jeu de la continuité et de la dis-
continuité et donc le contenu dynamique, tandis que le travail de "décons-
truction" méthodologique révè1era l'architectonie du système (1). Les écarts
que HUME opère (son originalité), les extrapolations qu'il œet en oeuvre, les
décalages, les symétries, les transferts qui nouent sa philosophie en système
(architectonie) seront pris en compte.
Cette méthode essaiera de dépasser les vieilles catégories d'interprétations
teJles que empirisme, scepticisme, phénoménisme, atomisme, associationisme,
pour les intégrer dans une vision des tendances. Nous nous refusons ainsi
implicitement de juger HUME, comme l'ont fait SEATTlE et REID, pour les
conséquences de sa philosophie mais par contre/nous prendrons en compte la
systématicité de sa question. Nous serons en cela près de G. DELEUZE et
M. GUEROULT pour qui une philosophie est déjà contenue dans sa question
les conséquences, les solutions des problèmes n'étant que le développement
de la question initiale. On peut critiquer la question, en voir les limites,
(1) cf. Martial GUEROULT~ articl2 déjà cité p. 19-28.

22
la juger illégitime ou légitime; on peut aussi découvrir une incohérence
systématique en ce sens que la question ne se laisserait pas conduire par
sa logique interne mais en définitive la philosophie n'est toujours qu'une
question développée (1). Pour HUME les conséquences d'une philosophie ne
peuvent détruire "toute action aussi bien que toute spécu~ation. La nature
maintiendra toujours ses droits et prévaudra à la fin sur tous les raison-
nements abstraits" (2). Ce raisonnement de HUME,bien que renvoyant à une
autre problématique à savoir la discontinuité du théorique et du pratique,
souligne tout de même que la pratique philosophique obéit à une logique sys-
tématique qu'il faut qu'elle respecte sans se préoccuper de ses conséquences
qui n'ont pas d'effet sur la vie. La philosophie ne doit donc pas avoir peur
de ses conséquences si elles sont logiques. (lest en cela que le philosophe
se distingue du non-philosophe. HUME est donc philosophe par sa systéma-
ti ci té qu' il nous faut mettre à jour
ne pas "raconter" 1a phi 1osophi e est
un des pri nci pes de l' interprète comme di t ~1. GUEROUL T. (3). La mi se en ques-
tion du fondement tel nous semble être la question humienne.
Cette philosophie hérétique qui part quand toute philosophie se repose
ne pouvait pas ne pas avoir une descendance (lointaine/proche, consciente/
inconsciente). Cela dit, nous devons esquisser préalablement une définition
de la discontinuité pour ensuite faire ressortir l'intérêt de la compréhension
de la philosophie de HUME (son rapport à l'actualité philosophique).
La discontinuité est le fruit d'une méthode chez HUME. Une méthode
qui se veut nouvelle pratique de la philosophie (pratique"décalée" et oblique).
La discontinuité est instaurée par une triple négation sceptique:
négation de la cause-origine, de la cause immanente et de la cause finale
(providence). Cette triple négation révèle une structure, la structure dis-
continuiste qui est l'intérieur de toutes choses (l'impression est par exemple
discontinuiste en elle-même et discontinue aux autres impressions).
On peut distinguer plusieurs rapports possibles entre les éléments
de cette structure
D'abord, un rapport d'extériorité complète. La discontinuité en ce
(1) G.DELEUZE~ Op. City p. 120 et M. GUC;ROULT~ Op. City p.l!?, 26 -16.
( ~) D M' ~ uT/ur
E
t'i+
~ l
' r i
. h
.
p
.
- T
~
T •

~
iTUL-U
nunt.,
Y'J]Uf:; "e
sur 1.- enr;en...emenr: .VJTia1Jn~ _ Q.Y'1..S~ sa, Autn.er-rbîonbai.qne ,
1975~ lTad. André Louis LEROY~ p. 87 et sq.
(3)
Cp. Ci.t , p. 19.J 26-3.

23
sens qualifie deux termes dans l'absence de leur rapport à l'unité. Elle
est refus du passage. Elle renvoie à la séparation radicale de deux termes
deux termes dont la séparation ne renvoie à aucune cOlncidence, à une unité
antérieure ou future. En un mot, séparation qui n'est pas un manque mais un
fait, une donnée. La synthèse est impensable dans ce rapport.
On peut ensuite penser la discontinuité comme rapport à une unité
synthéti que. (1).
L'unité synthétique qui est proprement dérivée, puisque l'on ne part plus
que des éléments séparés révélés par la triple négation. Le rapport à 1'unité
synthétique peut être fait de deux manières :
Soit on part d'un réseau d'unités simples (atomes par exemple), puis
1'unité synthétique n'est que l'effet de ces unités élémentaires. On
pourrait symboliser cela de la manière sui vant e.t l el +1 +1 ~ 1.
Soit on part de l'unité synthétique comme résultat, on peut dire alors
que la discontinuité est le "devenir séparé" de ce qui se donne corrme
unité originaire ou substanciel1e en oubliant son origine discontinue.
Et cette discontinuité pourrait se formuler de la manière suivante:
1====} 1 + 1 + 1 + 1
Tout le deuxième rapport peut être synthétisé de la manière qui suit
1 + 1 + 1 + 1 ~ 1 ~l + 1 + 1 + 1.
Le premier rapport que nous avons appelé raprort d'extériorité n'est pas le
sens de la discontinuité chez HUME, c'est plutôt le deuxième rapport qui
convient à la philosophie de HUME. Ce rapport nous maintient encore dans la
philosophie du sens bien que ce soit d'une manière dérivée. Le sens, c'est
un résultat, mais non un point de départ. La nécessité, c'est le résultat
de la détermination de l'esprit et non un point de départ.
Ainsi, HUME renverse-t-il la philosophie du sens sans l'évacuer.
Néanmoins, son entreprise est déjà très audacieuse, il devine déjà les sur-
prises: "Quoi ! l'efficacité des causes se trouve dans la détermination
de l'esprit! Comme si les causes n'opéraient pas en toute indépendance de
l'esprit et ne continueraient pas d'opérer, même s'il n'y avait aucun esprit
pour les contempler et raisonner à leur sujet. La pensée peut bien dépendre
(1) Dans le Philèbe de PLATON (15 C - 16 A
B~:sJ fd. ~rnier-FlammQ~:on,
J
1969, Trad. de ChaJ17hry) le problème de l.î un et du mul.t ip le est posé mais
c'est la raison qui arrange et défait les choses selon cette méthode,
la raison est donc en dehors du processus alors 0A'ici la raison elle-
même est prise dans le mouvement des tendances . les te~~ances sont ici
plus ei.ructure îles que métihodo logiques.

24
des causes pour son opération, mais non les causes de la pensée. C'est ren-
verser l'ordre naturel et poser comme second ce qui, en réalité, est pre-
mier" (1)
Mais la discontinuité structurelle n'est pas seule, elle est toujours
accolée à la continuité-tendance (l lassociationisme, l'imagination, etc ... )
Pour rectifier, nous devons reconnaître qu'il y a deux tendances opposées
en toutes choses, une tendance continuiste et une tendance discontinuiste.
Chez HUME, c'est la tendance discontinuiste qui est privilégiée.
Nous approfondi rons tous ces poi nts au cours de ce travai 1. Ce qu 1 i 1
faut retenir, c'est que HUME ne fait que reprendre et approfondir, à sa ma-
nière, une tendance en marche dans la philosophie, et ~ les atomistes,
les sophistes, les pyrrhoniens avaient déjà esquissé le mouvement. Plus
près de nous, NIETZSCHE et les structuralistes ont remis à l'honneur le
discontinuisme. Le rapport de NIETZSCHE à la philosophie de HUME n'est pas
immédiat mais on peut retrouver chez les deux philosophes cette mise en
cause de l'origine et du fondement. Comme chez HUME, la philosophie sera
"dêcal êe" chez NIETZSCHE. Il critiquera la causalité et fera une généalogie
de la morale qui en révè1era la base discontinue (2). Il découvrira que la
morale n'est pas dans la morale,
que la raison n'est pas dans la raison (3),
et que le sujet n'est pas le sujet de la pensée (4). Il conclura en disant
que le monde sans arrière-monde n,lest qu'un jeu sans joueurs, une scène sans
spectateurs (5). Il nous faut toutefois noter qu 'i1 y a place pour un projet
chez NIETZSCHE, ce qui n'existe pas pratiquement chez HUME. Attentif au pri-
vilège de l'actuel, ce dernier ne s'est pas posé la question de l'avenir
sinon dans le rapport de sa ressemblance avec le présent et le passé.
Après NIETZSCHE, c'est avec le structuralisme que la philosophie dis-
continuiste semble triompher définitivement. Elle prônera sous sa forme
(1) David HUME~ Tvai té , p.
254
(2)
F.
NIETZSCHE~ La Généalogie de la Mora le , Pari s , Ed. Ldéee/tlal.l.imard,
1964~ Trad. Henri ALE&qT.
(3) F. NIETZSCHE~ Ainsi pa:t'lc.it Zarathous cra, Pai-i e, Ed . Poche-cZ.assique~
1968~ Trad. Maurice 8ETZ~ p. 44 et sq.
(4) F. NIETZSCHE~ Par-del.,j, le b1~en et le mal., Pari.e , Ed, 10/18 (Union générale
â'Edi teure) , 1968~ Trad, G. BI.4.NQUIS~ pp. 38 J.39.
(5) Eugène FINK~ La philosophie de NIETZSCHE
Paris~ Ed. de ~~nuit~ 19?0~ Trad.
J
H. HILDEEF?AND et A.
LINDENBERG ~ pp. 240~241.
_ Le jeu comme sflmbole du monde , Ed, de MinU1~t~ 196ô~ Trad.
H. HILDENBERG et A. LINDENBERG~ p. 238

25
grossière la mort de 1'homme comme le dernier avatar de la philosophie du
sens. La causalité sera niée pour être remplacée par la laides ruptures
épistémologiques, scissions sans préparations au coeur de la cohérence. Le
sujet ne sera pas épargné.
Il sera désigné comme lieu pul sionne l, "je fêlé"
(DELEUZE), "réalité dissolvable" (LEVI-STRAUSS), "simple pli du savoir"
(FOUCAULT) (1). Le sens sera donné conme effet fortuit d'une combinatoire
ou come non-sens du désir; le monde sera une "chao-errance" (2), soumise
à l'éternel retour. Mais si la philosophie de HUME prend sa signification
sur la même courbe de discontinuité, il faut reconnaître qu'il y avait en
elle place pour une certaine sagesse (scepticisme mitigé) ; avec le triomphe
structuraliste, la discontinuité s'émancipe de la continuité; ce que dit
FOUCAULT sans ambiguïté: "Notion paradoxale que celle de discontinuité
puisqu'elle est à la fois instrument et objet de recherche, puisqu'elle dé-
limite le champ dont elle est l'effet, puisqu'elle permet d'individualiser
les domaines, mais qulon ne peut établir que par leur comparaison. Et puisque
en finde compte peutDêtre, elle n'est pas simplement un concept présent dans
le discours de 1'historien, mais que celui-ci en secret suppose: d'où pour-
rait-il parler en effet sinon à partir de cette rupture qui lui offre comme
objet l'histoire et sa propre histoire. Un des traits les plus essentiels de
1'histoire nouvelle, c'est sans doute ce déplacement du discontinu: son pas-
sage de l'obstacle à la pratique, son intégration dans le discours de l'his-
torien où il ne joue plus le rôle d'une fatalité extérieure qu'il faut ré-
duire, mais d'un concept opératoire qu'on utilise; et par là l'inversion
des signes grâce à laquelle il n'est plus le négatif de la lecture historique
(son envers, son échec, la limite de son pouvoir), mais l'élément positif
qui détermine son objet et valide son analyse" (3).
Cette longue citation montre bien l'inversion des signes et la discontinuité,
au sens de relation qui qualifie deux termes dans l'absence de leur rapport
à l'unité, est celle que postule le structuralisme. Discontinuité qui est à
la limite extra-continuiste et qui se pense sans référence à la continuité.
(1) M. FOUCAULT~ Les mots et les choses~ P~~s~ Ed. Gallimard/N.R.F. 1966~ p.1S.
(2) G. DELEUZE~ Logique du sens~ P~Pis~ Ed. de Minuit~ 1968~ p. 302.
(3) M. FOUCAULT~ .4.l'chéologie du eaooi:r, Pari e, Ed, C-a.U'imaY'd/N.R.F.~ 19S.9~ p I?
i

26
Ainsi la discontinuité est non seulement triomphante, mais elle croit avoir
nié la dialectique des tendances: elle a érigé en victoire définitive une
victoire provisoire. L'erreur, dans ce cas, est dans la suppression tout~
intellectuelle d'un mouvement réel qui est à l'oeuvre dans l'univers de la
connaissance. Et si la lutte des tendances avait un rapport avec le réel-
mixte, discontinu-continu? (1)
Mais déjà la réaction continuiste se prépare. Clest dans ce sens qulil faut
comprendre un livre comme "LI idéologie de la rupture" (2) de Jacques D'HONDT
et bien d'autres tentatives (idéalistes, religieuses, humanistes, etc).
HUME est donc au carrefour du courant discontinuiste et une compré-
hension de sa philosophie peut être une voie d'accès non seulement à toutes
les philosophies qui se réclament de lui: phénoménologie de HUSSERL, phi-
losophie transcendantekkantienne, empirisme logique (3), mais aussi à la
compréhension de la tendance philosophique dominante de notre époque. D'où
l'enjeu de notre interprétation de HUME qui, en matière d'expositionjcommencera
par tenter une compréhension en intériorité de la discontinuité, telle qu'elle
s'instaure après la triple négation sceptique de la cause-origine, de la
cause immanente, et de la cause finale (providence). La discontinuité s'ex-
tériorisera en trois dimensions: ontologique, théorique et existentielle.
Il nous faudra ensuite reconna'tre l'existence des antidotes naturels qui
essayent de limiter les ravages de la discontinuité (ima~ination, association,
ressemblance). Mais à ce niveau naturel, c'est la discontinuité qui sort
victorieuse. C'est sur les ruines de la continuité, qui s'est révélée inca-
pable de résorber la discontinuité (il nous faudra le reconnaitre) ,que se
construira le processus qui doit mener à l 'autonomisation et qui passera for-
cément par la pratique existentielle et empirique. Mais au bout du processus,
il nous faudra nous rendre à l'évidence: le cercle n'est jamais totalement
fermé; guettée par le retour aux origines discontinues (tendances ontologiques
structurelles), la continuité co~me résultat se maintient comme précarité.
D'un point de vue de la sagesse humaine, cela se traduit par une vigilance
active (pratique existentielle) et une vigilance intellectuelle (refus du
dogmatisme) .
(1)
Jacques CHEVALIER
Ille continu et le di.eoont.i nu", art i cl.e in Cahiers de la
J
nouvelle jovInée J P~:Sj Ed. BiOua & GaYJ 1929
p. 14 et suiv.
j
(2) Jacques D 'HONDTJ L'Idéologie de la r-up~:I.reJ Par-ie , P. U. F. 1978.
(3) Earhanq ZABEEHJ HUMEJ prée'.A:f'sor of modern empii-i.ciem, The Haque ,
Ed. Martinus J NijhoffJ 1960
pp. 4
J
J 5 .

27
CHAPITRE
I
LA
VISCONTINUITE
NATURELLE
Le problème de la discontinuité traverse toute l'oeuvre de HUME. La
discontinuité est ce qui d1abord et immédiatement organise la philosophie
de HUME en profondeur
clest à partir d'elle que toute la perspective se
dessine.
Si on veut saisir cette problématique dans toute son ampleur on peut lui
trouver une dimension ontologique, théorique
et esthétique, sociale-existentielle;
politique. Tous ces niveaux s'organisent de la méme manière.
Mais le problème de la discontinuité ne peut se poser sans référence à la
méthode de HUME. En effet HUME part de l'expérience mais pour lui l'expérience
prend un sens original. Cette expérience va jouer non seulement comme réal i të
référentielle mais aussi comme origine, comme réalité existentielle limite. Si
le réel n'est que réel - perçu (1), nos perceptions sont le monde.
A toute notion qui prétend à une quelconque substantialité il faut soumettre
le verdict de l'impression. (lest ainsi que la causalité, la substance, le
sujet, l'idée seront soumis au verdict de l'impression. Si à une idée ne correspond
pas d'impression il faut la déclarer verbale.
Cette méthode qui sera approfondie par la suite par des principes que nous
appelons les principes de discontinuité tels que ceux de séparabilité et
de différentiabilité, constituera la règle architectonique de construction
du système humien.
Nous allons com~encer par aborder la dlscontinuité ontologique.
SECTION
l
LA DISCONTINUITE ONTOLOGIQUE
1 _L'instauration de la discontinuité ontolo9igue
La discontinuité ontologique a une triple dimension qui s'extériorisera en
trois négations - instaurations
la négation de la continuité - origine, l'origine comme cause du monde, cause
dlexistence.

28
- la négation de la providence ou état futur
- la négation de l'immanence conçue comme substance comme dessein.
Ces trois négations instaurent la discontinuité ontologique que nous exposerons
ensuite
dans toute sa complexité. Suivons l'ordre des négations.
La négation de la continuité-origine s'opère pour la première fois au
niveau du Livre l du Traité de la nature humaine, plus précisément quand HUME
analyse la conception de la cause_pouvoir, il se réfère à LOCKE pour qui
la cause est un pouvoir actif/passif et un pouvoir de création. Pour celui-
ci toute existence nécessite une cause de :son existence. Mais la cause ne peut
être cause de l'existence que si elle est un pouvoir créateur. Hume va montrer
que la cause n'est pas un pouvoir et que l'existence et la cause sont séparées
et différentes et qu'en plus la cause ne se réfère pas forcément à l'existence.
Mais, avant de poursuivre cette argumentation, faisons la topologie de~
textes concernant la discontinuité ontologique.
D'abord le texte fondamental dont nous venons de faire mention et qui se
trouve dans le Traité (Livre I, troisième partie, section I). Le thème sera
ensuite repris dans l'Enquête sur l'entendement humain et dans les Dialogues
sur la religion naturelle. Au niveau de l'Histoire naturelle de la religion
ce n'est plus la possibilité d'une cause créatrice qui fait problème mais on
passe en revue les différentes conceptions de la Divinité. Perspective
socio-historique qui ne juge plus sur le mode de la possibilité mais selon
les faits, l'expérience. Essayons de voir comment toutes ces différentes
analyses s'articulent pour poser une discontinuité ontologique.
Nous l'avons déjà noté: la méthode qui veut référer tout au réel et à
l'expérience postule déjà une exclusion, pour ne pas dire une négation implicite.
Tout ce qui n'est pas expérimenté, c'est.à~ire tout ce qui n'est pas perçu
(impressionné) est exclu du champ de la connaissance probable; mais, si on
veut radicaliser la position, on peut dire que pour HUME une telle exclusion
correspond à une négation mitigée. HUME étant sceptique ne peut affirmer
dogmatiquement l'inexistence du non-perçu et du non-expérimenté mais son
scepticisme, son ironie envers tout ce qui dépasse l'expérience peuvent
être interprétés de cette manière.

29
La causalité n'est pas Un pouvoir, dit HUME, parce qu'elle ne nous livre
rien de plus qu'un fait, une cause qui précède un effet.
Deux objets tissés dans une relation +emporelle d'antériorité, dans une relation
spatiale de contiguïté et plus complexe, une détermination de l'esprit à voir
la nécessité là où il y avait d'abord une répétition de cas semblabl~ ; et
par la suite, une disposition à inférer que le semblable sera suivi du
semblable dans le futur. Le problème de la causalité est donc un problème
gnoséologique (résolu psychologiquement) et non un problème métaphysique.
L'expérience ne nous livrant pas plus que le processus que nous venons de
décrire,ne nous pennet pas de conclure comme l'a fait LOCKE en une nécessité
de la cause pour tout commencement d'existence. En effet que signifie l'assertion
selon laquelle toute existence doit avoir une cause? C'est la conception
théiste - rational iste qui prétend déduire de l'ordre de l'univers une cause
de cet ordre et qui veut faire de cette cause déduite, une cause créatrice
de l'univers. Cette déduction est mue par une logique analogique qui part
de la vision de l 'homme comme artisan et créateur pour étendre ce rapport
à l'univers considéré alors comme objet crée par un architecte divin.
On prend soin de concevoir un architecte à la mesure du monde, c'est.à_dire un
architecte d'une grandeur infinie.
Pour le moment nous n'entrerons pas dans le détail des critiques de l'anthro-
pomorphisme faites par HUME, nous allons revenir à la première approche radicale
de l'instauration discontinuiste. Le texte principal qui pose le problème
et dont nous avons déjà parlé s'intitule: "Pourquoi une cause est-elle toujours
nécessaire" ; les tenants de cette thèse (1) soutiennent qu'e1le est intuitivement
certaine. Mais, dit HUME, toute certitude naît d'une comparaison dl idées et de
la découverte de relations invariables entre elles. La nécessité de la cause pour
toute existence n'est donc pas incluse dans les différentes sortes des relations
qui sont 1a ressemblance, les proportions de quantité et de nombre, les degrés
de qualité, de contrariété. Il faut en déduire que cette assertion n'e.st pas
intuitivement certaine. HUME radicalise encore sa critique en utilisant les
principes discontinuistes de la différence et de la séparation énoncés déjà a
propos des idées abstraites (2) et à propos des idées d'espace et de temps (3).
Puisque l'imagination peut séparer les idées de cause et d'effet c'est qu'elles
sont séparables en fait; si elles sont séparables en fait c'est qu'elles sont
(l) John LOCKE~
essais, Livre IV~ chapitre X~
6 p. .514
(2) D. HUME~ Traité~ p. 84
(3)
D. HUME~ ()p. Ci t . p. 10"

30
différentes ~ si on peut les séparer sans que cela implique contradiction, on
peut parfaitement concevoir qu'un objet n'existait pas'Fuis)qU'il commence
d'exister sans y adjoindre forcément ï 'idée de cause. Donc démonstrativement
on ne peut prouver la nécessité de notre assertion.
Un autre argument soutient Que puisque la cause est nécessaire, si la cause
extérieure est niée l'objet serait sa proore cause. Or dit HUME si on nie la
cause comme cause-productrice l'objet est lui-niême inclus dans cette négation.
On ne peut l'accorder comme cause sans se contredi re.
Un troisième argument partant toujours de la nécessité de la cause veut que tout
ce qui est produit sans cause soit produit par rien (1). Mais comme par
ailleurs pour LOCKE qui soutient cet argument le néant ne peut être quelque
chose (à plus forte raison être cause) il faut en conclure que ceux qui soutiennent
que le néant est cause se contredisent. Parce que comme le dit HUME, si toute
cause est exclue, le néant et l'objet sont aussi exclus du t i tre de la causalité;
accorder l'un ou l'autre c'est accorder ce qui est en question: savoir la
nécessité de la cause pour toute existence (2).
Ainsi nous avons mis en évidence la séparation de la cause et de l'existencej
me i s j lvexi stenc e elle-même qu'est_elle? L'existence n'est pas une idée car
elle ne renvoie Das à une impression. Elle renvoie seulement à notre conception
de certaines idées. C'est la perception elle-même qui peùt être affectée du
signe de l'existence ou de la non-existence selon la manière dont nous la
concevons. Or nos perceptions elles-mêmes ne nous apparaissent avoir existé
ou existant Que si elles sont présentes (orésent perceptif) ou livrées par
la mémoire. L'existence coincide en quelque sorte avec la perception et tout
ce qui n'est pas percevable n'existe Das dans cette perspective.
Le terme percevable inclut tout ce qui n'est pas immédiatement perçu et tout
ce Qui est susceptible d'être perçu. L'existence s'étend à la PQssibilité d'être
perçue d'une réalité elle ne s'arrête pas à la oerception actuelle ou passée.
Jout en sachant Que la perception sera toujours la seule réalité à laquelle
nous aurons accès. La cause entre dans la ca tëcor te de l'expérience et de la
connaissance factuelle, elle est et sera toujours perçue.
(1) John LOCKE, Op. C&t. p. 514
(2) HW·fE~ Tra~~Uf.. vs 155

31
On ne peut donc postuler l'existence d'une cause qu'on ne peut percevoir;
Nous verrons plus loin comment HUME résout le problème de l 'existence extérieure~
Par conséquent si la cause n'est pas nécessaire à l'existence si l'exis-
tence n'est rien QU'une manière de concevoir les perceptions actuelles. passées
ou futu~Jon ne peut donc en bon raisonneur postuler l'existence d'une cause
créatrice de l'univers.
L'existence n'est p~s une référence extérieure/ni ne renvoi! à ~nt­
existence extérieure, elle est donnée-perçue (percevable), auto-suffisance.
Nous approfondierons ce point quand nous parlerons des perceptions. La
discontinuité s'origine donc dans cette séparation de la cause et de l'existence,
dans cette négation de la cause conçue comme pouvoir. Cela posé HUME en tire les
conséquences théoriques: le problème de la cause relève de la problematique
de la connaissance et non de la métaphysique.
Après cette mise au point dont l'importance est capitale HUME cri t i'que
ouvertement les conceptions de la cause-origine. Sa critique visera les thèses
anth~opomorohites, les thèses théistes et toutes les mythologi~s concernant
l'origine.
La critique qui est dans le prolonqement immédiat de celle operee au niveau
du Traité est celle qui se situe dans l'Enquête sur l'entendement humain.
La section XI de l'EnCJuête pose le problème de l t anahoqte qui fonde la déduction
de la cause-origine. En effet pour déduire la cause-origine on part de l'univers
et on lui trouve une certaine ressemblance avec les productions humaines. De
la ressemblance supposée des effets on déduit une ressemblance dans les causes.
Cette cause serait la cause créatrice de l'univers. Mais comme les deux effets
(monde/productions humaines) sont disproportionnés on prend soin de faire du
Créateur de l'univers un être infini. Cette infinité signifie Que les cual ités
de cet être intelligible surpassent de beaucoup celles de l 'homme. C'est donc
par extension des facultés de l'homme qu'on obtient une conception de la Divinité.
HUME
5'orpose
à cette thèse. D'abord il critiaue la ressemblance qui fonde
l'analogie. Les productions humaines sont tellement différentes de l'univers.
la disproportion est tellement importante que toute assimilation de l'une à
l'autre n'est qU'une extrapolation sans fondement. Cette différence devrait

32
plutôt nous inciter à la modération dans nos comparaisons. Après avoir critiqué
la ressemblance il critique la déduction. Si nous pouvons déduire de la vision
d'un pas humain que ce pas appart ient à l'honune c'est parce que nous avons une
expérience de l 'honune marchant et de ses pas. Mais, dans le cas de l'univers,
nous n'avons jamais eu l'expérience de l 'Etre Suprême créant le monde, nous
n'avons donc aucune expérience de ce créateur. Tous ces arguments ont été
mis dans la bouche d'un ami "aimant les paradoxes sceptiques" et qui parle
au nom d'Epicure. HUME lui-même complétera la critique. Dieu étant cause unique
non-répétitive et l'effet étant pareil (1) on ne peut les assimiler aux causes
et aux effets dont nous avons l'expérience. Parce qu'une cause est définie
comme une réalité répétitive qui en suit une autre répétitive comme elle et
qui est l'effet. C'est cette répétition qui provoque la détermination de l'esprit
à inférer à 1a vue de l'une des réa lités. en occurence 1a cause. l'autre
réalité qu'est l'effet. La cause-origine étant unique et non répétitive, elle
échappe donc à notre juste appréciation. Dans les Dia10ques sur la religion
naturelle HUME
reprendra
sa critique mais non plus au niveau des fondements
logiques de la déduction de la divinité. il s'attaquera aux conceptions rationa-
listes (théisme) et au mysticisme.
Dès le départ des Dialogues DEMEA précise que l'existence de Dieu n'est
pas en cause mais plutôt sa nature. La discussion reçoit donc doqmatiquement
l'existence de Dieu comme un fait de la part du mystique DEMEA : "la question
n'est pas touchant l'existence mais la nature de Dieu" (2). La nature de
Dieu nous est inconnue, on ne peut rien en dire. Notre raison est tellement
infirme qu'elle ne peut prétendre à la connaissance de Dieu. La seule chose
qui soit en notre pouvoir, c'est de l'adorer. La position de CLEANTHE qui
est théiste va différer de celle de DEMEA. En effet pour CLEANTHE notre raison
n'est pas infirme au point de ne pas voir l'ordre et la beauté de l'univers.
L'univers est si bien aqencé qu'on pourrait le comparer à l'art humain. et mieux
on peut y découvrir l'expression d'un dessèin. Mais cet argument comme nous le
voyons est d'inspiration anthropomorphique.
Quant à PHILON il partira du désordre de l'univers et du mal pour nier la bien-
veillance et le dessein. Préférant dire avec DEMEA que nos limites ne nous per-
mettent pas d'aller au-delà de notre expérience.
(1) HUME~ Enquête D. 206
(2) HUME~ Dialoques sur la religion naturel.l.e , PARIS~ J. vRIlV . 1973
trad. de Maxime David p. 23

33
Mais si. pour PHILON. la limitation est une nécessité méthodo10qique
pour DEMEA la limitation doit nous mener vers l'adoration divine. PHILON
est sceptique touchant les réalités extr-a-e xoêr imen ta l esj nos limites sont pour
lui des limites néqatives qui nous empêchent d'aller au-delà. Cette position
sera celle de KANT à propos du Noumène. Pour DEMEA. cette limitation est une
justification de la nécessité de sortir de l'expérience par la foi. Mais cette
opposition non déclarée va permettre 1'ambiquité d'une alliance dont DEMEA
fera les frais:
"Etes-vous donc secrètement un plus dangereux ennemi que CLEANTHE 1ui -même ?
Et vous tardez-vous tant à vous en apercevoir? répondit CLEANTHE. Croyez
moi. DEMEA. votre ami PHILON. deouis le commencement n'a fait que s'amuser
à nos dépens à tous deux. et l'on doit confesser que le raisonnement peu
judicieux de notre thêo10qie vu1qaire n'a donné qu'une trop juste prise a
ses railleries" (1)
Mais. il nous faut le reconnattre. c'est en critiquant CLEANTHE que PHILON
s'esj; découvert dans son intransiqeante sceut i cue : Il acculera CLEANTHE qui
poussera 1'ana10qie iusqu'à reconnattre une nature finie à Dieu à la
ressemblance de 1'homme.
C'est_à..dire que. reprenant d'une certaine manière l'objection de la section XI
de l'Enquête qui voulait qu'il n'y ait pas plus dans la cause que dans l'effet.
il va faire accepter à CLEANTHE l'argument de la finitude de la Divinité (2)
- "Ajoutez un esprit pareil à l'esprit humain dit PHILON
- ie n'en connais point d'autre. repondit CLEANTHE
- Et plus il est pareil. mièux cela vaut? insista PHILON
- Bien sOr dit CLEANTHE u •
Cette thèse décisive de CLEANTHE tombe dans l'excès contraire à celui de
DEMEA. De cette thèse on doit déduire non seulement que CLEANTHE renonce à
l'infinitude de Dieu mais que celui-ci permet des conceptions mythologiques
et fantaisistes de la divinité. On pourrait par exemple concevoir le monde comme
(1) HUME~ Dialogues. p. 109
(2) HUME~ Op
C-z..t. OP.
5J~57

34
le fruit d'une longue expérience d'échecs et de réussites; ou bien le monde
serait une réussite après plusieurs r!taqes. L'artisan peut être conçu comme
un stupide paysan qui a acquis avec perfection une technique millénaire. On
pourrait aller jusqu'à mettre en cause l'unité de la divinité pour concevoir
à la place une union de plusieurs démons (1). Cette idée n'est oas absurde
quand on pense que des créatures vicieuses telles que les hommes sont capables
de s'unir pour exécuter un plan unique qui les dépasse, combien davantage
les divinités ou démons en seraient capables (2). Mais rien ne nous empêche
aussi de concevoir le monde comme l'esquisse manquée d'une divinité en bas
âge ou l'oeuvre d'une divinité vieillissante. On pourrait continuer la liste
des cosmogonies,partir par exemple d'un couple primordial à 1'imaqe de la
génération humaine etc. Ce qu'il faut retenir c'est que ces cosmoqo nies ont
été celles des peuples antiques et qu'elles partent toutesd'une conception
anthropomorphiqu~ de la divinité.
Dans la XIème partie des Dialogues le problème, de la bienveillance
et du dessétn est abordé. PHILON trouve que l'univers est le lieu du malheur
des hommes et Qu'à le voir on ne peut dire qu'il soit l'oeuvre d'une divinité
bienveillante. Du moins, si lacompatibllité du monde avec un Dieu bienveillant
n'est pas à exclure absolument/on peut affirmer que l'inférence ne s'impose
pas non plus (3). HUME conclut sur la bienveillance possible de la cause créatrice
de la manière suivante: "il y a quatre hypothèses possibles touchant les premières
causes de l'univers: qu'elles sont douées d'une parfaite bonté, qu'elles
possèdent une parfaite malice; qu'elles sont opposées et possèdent à la fois
de la bonté et de la malice, QU'elles ne possèdent ni bonté ni malice. Des
phénomènes mélanqés ne sauraient jamais prouver les deux premiers orincipesr
qui sont exemptes de mélange. L'uniformité et la fermeté des lois générales
semblent s'opposer au troisième. Le quatrième semble donc de beaucoup le plus
proba b1e" (4).
L'anthropomorphisme ne peut donner lieu QU'à des conceptions extrêmement
nombreuses qui sont toutes sur le même plan, aucune ne pouvant se prévaloir
d'être plus près de la vérité que les autres. Mais les conceptions i~pie~
(]) Hu."·1E up. Ci t. 'Op.
55
(2) Personne ne s'imaginerait~ à La seule vue de La statue de LAOCOON Qu'eLLe
fût L'oeuvre de trois artistes.: ..
(3) HUME :Jp.. cit. 'O. 99
(4) HUME uv. cit
p. 18

35
-CXClc.e.rb.e.r
de la Divinité vont "NfJlli1..r DEMEA. DEMEA parti
les propos de PHILON
s'atténueront en un théisme commode à défaut de la riqueur critique sceptique
de départ.
L'Histoire naturelle de la reliqion ',poser~le problème de la divinité
d'une autre manière. On ne part plus de la critique des conceptions rationnelles
qui déduisaient Dieu du spectacle de l'univers ou par comparaison avec les
oeuvres humaines mais/on part maintenant des conceptions de Dieu livrées par
l'histoire pour les critiquer. Si on veut expliquer lequel
du théisme ou
du polythéisme a été la conception primitive de Dieu, on découvrira que c'est
le polythéisme. Primitivement les hommes ont conçu une pluralité de divinités
pour canaliser leur angoisse existentielle. Conjurer l'inconnu, l'incertitude
de l'avenir et du futur par la création de divinités auxquelles on confie
la charge de donner un sens à l'incertitude de l'existence et de 1'après-
mort) voilà ce qui explique la naissance des religions. L'angoisse causée
par l'ignorance est ce qui amène historiquement les hommes à créer des divinités.
C'est à la longue, quand le peuple se sera cultivé, que les sciences auront
été developpées et que les limites de l'ignorance auront été reculées
que
les hommes se feront l'image d'une divinité plus parfaite à leur ressemblance.
Le théisme n'est donc pas primitif. Ce constat de la conception discontinuiste
primitive de la divinité renvoie aux renversements théoriques qU'opère HUME
dans tous les domaines. HUME dira ensuite qu'il y a une "dialectique" (flux
et reflux) des conceptions polythéistes et théistes qui s'opposent au cours'
de 1'Histoire et selon les pays. Cette critique rejoint celle que nous avons
évoquée en premier lieu (2), elle permet d'infirmer définitivement les thèses
intuitionnistes. Si on pouvait intuitionner Dieu, il n'y aurait pas eu tant
de conceptions différentes de la divinité. C'est aussi pour qUOl on peut faire
une histoire naturelle des religions. De plus il faut noter que/comme chez
EPICURE, la divinité n'a pas été primitivement l'oeuvre de la raison mais
l'oeuvre de la peur, de 1la~oisse et de la superstition. Ce n'est donc pas dans
ce que 1'homme a de plus calme qu'est issue la religion mais dans ce qu'il a
de plus irrationnel. La rel igîon est d'abord fille de l'esclavage et de 1 igno-
rance puis ensuite une
projection de l'homme en dehors de soi (anthropomorphisme).
(1)
PAYID,;HUME~ Histoire naturelle de l.a rel.iqion et autres essais sur la rel.iaion,
!!AFUS~ J. VRIN
1971, t.raduct., M1:'chel MAL1,ERBE.
(2) cf.
Les Cri&iques ae PHILuN

36
FEuERBACH tentera de renverser cette vision des choses pour redonner à l'homme
ce qu'il a par erreur attribué à Dieu.
En résumé on peut dire que la cause origine est niée. C'est la première négation
instauration de la discontinuité.
Après 1~ négation de la cause-origine la de~xième néqation-instauration de la
discontinuité est la négation de la providence ou état futur. Nous sommes pris
entre "deux
ter-n i té s" (1). Une éternité originaire qui renvoie à notre création
ë
et une éternité future qui renvoie à notre existence future. Si l'analyse
précédente nous a démontré les limites des thèses sur l'origine, la critique
de la 'Providence particu1 ière et de l'Etat futur Il (~) va nous oermettre de
mettre en évidence les limites des thèses qui postulent l'existence d'un état
futur et d'une providence. C'est par le biais "dun ami qui aime les paradoxes
sceptiques" que HUME va critiquer la Providence et l'état futur. HU~~E commence
par dire Que la philosophie, comme du reste les arts, â besoin de liberté:
"Celle-ci [la Philosophie] réclame une complète liberté plus que tout autre
privilège, et elle fleurit surtout par libre opposition des sentiments et
des argumentations, aussi est elle née d'abord à une époque et dans un pays
de liberté et de tolérance, et elle n'y fut jamais opprimée; même dans ses
principes les plus extravagants, par des credo, des concessions ou des
lois pénales" (3). L'ami de HUME soutiendra au contraire que la philosophie
est née avec la superstition dont elle s'est séparée par la suite. Les savants
s'e~parant de la philosophie et les vulgaires et les qens ignorants de la
supers titi on.
Mais HUME de rétorquer que les maqistrats, bien qu'étant savants, peuvent
s'opposer à une philosophie qu'ils jugent néfaste pour la cité et pour la religion.
Une philosophie comme celle d'EPlCURE nie l'existence de Dieu (4) et par suite
la providence et l'état futur, le maqistrat pourrait s'attaquer à EPlCURE et
lui reprocher d'avoir sapé les bases de la morale et de la société civile.
Donc)supposons que ce dernier soit accusé par les sycophantes comment se
défendra it-i l ?
(1) HUME, Dialoaues p.
16
(2) cf. Enauê te , section XI
(3) HUME. EnQuête - p.
186
(4) HUME (p. C'l,.t. p.
lS6 J
ce po in t: de vue n'est pas to ial.ement: ce t.ui. a 'Erricure
mais ce tut: d'un Epicure deià repensé par HUME.

38
sur l'anthropomorphisme et donc sur la similitude homme-Dieu elle a les limites
de cette comparaison (1). Tout cela nous permet de dire que la critique d'EPICUKE
n'est en réalité qu'une exigence de rigueur dans le raisonnement. Et si les
philosophes reliqieux l'accusent c'est qu'ils n'ont pas la rigueur philosophique
nécessaire pour être philosophes, ils cèdent plus a l 'apolêgétisme et a la
superstition qu'ils ne sont philosophes.
Mais la riqueur épicurienne est soutenue par une conviction: " ... les
intérêts politiques de la société ne sont aucunement liés aux discussions
philosophiques sur la mataphysique et la religion" (~). Les philosophes ont en
plus en leur faveur le préjugé qui fait d'eux des hommes sans enthousiasme
qui considèrent toute chose sous un jour calme. A ce préjugé favorable il faut
ajouter celui qui veut que l'existence soit regle par une autre loi que celle du
théorique. Sourde aux exigences du discours théorique la pratique existentielle
suit dans son fonctionnement la logique de conservation de la vie. En résumé
il faut dire que la philosophie n'ayant pas d'influence sur la vie il serait
absurde de condammer un philosophe qui obéit à la nécessité logique de ces
postulats quand bien même les conséquences aboutiraient a une négation de l'état
futur. Il serait naif de ne pas voir la ressemblance des thèses de cet ami qui
adore les paradoxes sceptiques avec celles de HUME lui-même qui veut a travers
ce dialogue poser la nécessité de la liberté pour le philosophe. Le philosophe
ayant pour tâcher de fonder une science se doit d'être rigoureux au prix
de prendre des risques avec le pouvoir. Cette entreprise est nettement plus
loua~e que celle des philosophes religieux. En effet les superstitions et
les croyances sur l'existence d'un état futur dans lequel notre existence présente
serait prise en compte ne peuvent que nuire a la tranquil~té dei 'homme.
Ces doctrines,loin de contribuer au bonheur des hommes les angoissent plutôt
en les cristallisant sur des créatures (de ce1Veau) imaginaires qui n'ont aucun
rapport avec la réalité. Le raisonnement correct nous a permis d'écarter ces
croyances. C'est la seconde néqation-instauration de la discontinuité. Passons
a la troisième.
La troisième négation-instauration de la discontinuité se fera par la
critique de la substance et du dessein, en un mot de la continuité-immanence.
En effet si on veut savoir de quelle impression dérive la substance, on
(1) HUME~ 0p. ait. pp. 200~201
(2) HUME~ Op. C~t. pp. 202,200

39
découvrira qu'elle n'est ni une couleur, ni un son ou une saveur. Elle ne
peut être qu'une collection d'idées particulières: "L'idée d'une substance
n'est rien qu'une collection d'idées simples unies par l'imagination, auxquelles
on a donné un nom particulier qui nous permet de rappeler cette collection soit
à nous même, soit aux autres" (1). Or nous savons que la collection n'a pas
de réalité, le réductionisme nous révèlera l'inconsistance de tout composé.
HUME prend ici délibérément parti pour BERKEKEY contre LOCKE (2) et HOBBES (3)
qui soutiennent l'existence d'une substance matérielle. C'est que l'existence
d'une substance derrière les perceptions soulève de nombreux problèmes tel
celui de la correspondance perception-objets extérieurs par exemple. Or
BERKELEY, en réduisant la réalité aux perceptions, résout du même coup le
problème de la correspondance. HUME reprend donc cet acquis idéaliste à son
propre compte. Il faut non seulement nier la substance mais aussi le sens comme
pré-existant à notre rapport au monde. Cette négation doit inclure celle du
dessein: le monde en soi n'est porteur d'aucun sens, il n'est l "oeuvre d'aucune
bienveillance. Il nly a pas de signification en dehors de nous. Si pour
BERKELEY l'homme pouvait recevoir du sens de l'Esprit infini par devers
lui pour HUME le monde ne signifie pas plus qu'"il parait. Il n'y a pas de sens,
ni de fondement à chercher quelque part. Le donné-monde récupère le sens ~t tout
le sens. Cette entreprise n'est pas loin de rappeler la mort de Diew nietzschéenne
et sa négation des arrière-mondes. Mais la néqation de la substance permet
encore d'autres conséquences. Elle permet la discontinuité interne du réel.
Elle nous permet aussi de comprendre plus tard l'extériorité de la cause et de
l'effet et le problème de la nécessité interne. La cause n'est pas douée de
pouvoir: entre elle et l'effet il n'y a pas de nécessité interne a priori
Qui les lierait dans une connexion rigide. Le réel est lache, ce sera justement
cette défaillance que HUME citera au nombre des calamités de la condition
humaine. Ainsi cette séparation interne (négation de l'immanence) achève-t-elle
la tri logie des néqations-instauration;. Après cette instauration de la dis-
continuité comment se présente le monde?
2 - La discontinuité atomique
Le monde se présente alors comme une réalité sans origine assignable, sans
(1) HUME, Traité, p. 81
(2) LOCKE, Essa~s . Livre IV chapitre XI p. 525 et suivantes.
(3) HOBBES, Leviathan,PA.PIS, Edo' ste«:
1971 traduction François TRICAUD,
Cnapi i.re l

40
finalité visible, sans dessein. Le monde est donc un monde séparé dont la
séparation ne renvoie pas à un quelquechose avec lequel la séparation serait
faite. Ce n'est pas comme chez PLOTIN ou le séparé manque de l'UN et le
désire (1) ni comme chez PLATON où les hommes de la caverne se souviennent
du monde des idées. Ici le séparé ne manque de rien. On peut se demander alors
si le terme de séparation est adéquat et s'il ne faudrait pas plutôt employer
le terme de discontinuité qui a une consonnance moins métaphysique.
Le monde est, nous venons de le voir, discontinu extérieurement et intérieurement
et il est constitué d'éléments atomiques. Les cieux eux-mêmes ne sont plus
un lieu qualitatif depuis GALILEE et NEWTON qui ont réduit la physica coe~estis
des anciens à une physica terrestrW.Le monde des étoiles devenu un monde
quantifiable est reconnu avoir la même nature que le monde terrestre. Cette
première désacralisation du ciel a permis une physique mathématique et la ma-
thématisation des lois universelles de l'attraction, du mouvement et de la
pesanteur. Pour HUME. aussi les objets du monde (cause et effet par exemple)
sont de même nature, il n'y a plus entre eux une différence de nature. La
seule hiérarchie qu'on peut établir entre eux est celle de l'antériorité
temporelle. Uéjà DEMOCKITE puis EPleURE et ses disciples étaient partis de la
même base.
Pour EPICUKE par exemple les éléments atomiques du monde sont eux aussi sans
amarre, livrés à eux-mêmes/ils se jettent dans une suite de combinaisons
combinaisons fortuites quidées par la seule loi de la similitude (nature
semblable et appropriée) et de l'hétérogénéité (2). Il n'y a oas de providence
ni de finalité qui aurait arrangé les choses: "Il n'y a aucun ordre dans le
monde. Beaucoup de choses sont faites autrement qu'elles auraient dû être ....
Aucl)~traison providentielle, dit-il (EPICURE), n'était à l'oeuvre pour créer
les êtres vivants. Car ni les yeux ne sont faits pour voir, ni les oreilles
pour entendre ni la lanque pou~ parler, ni les pieds pour marcher, car tous
~/cut.flt
ces organes sont nés avant ~existé le langage, l'audition, la vue, la
marche. De sorte que ces organes ne sont pas nés pour re8plir ces fonctions,
mais celles-ci sont les résultats des premiers. Ce n'est pas dit-il p0ur le
profit des êtres vivants que la terre et que les arbres se couvrent de feuilles,
(1)
PLOTIN~ EiVNEADES III~ 5~3~ p. 79 "De l amour"
ï
cf. . aussi III~ 8~ 1~ PI 154 "De l a nature et de le. con temol ation de i 'UiV"
PAPLTS
Edit.
"Les Be LLee Lettres"
1963 t-rad, Emi l:e BREHIER
~ -
J
)
(2) Geneviève
RODIS-LEWI,~, .§picurë et son éco le , Ed: idées Oal.l imard 1976

41
car la providence n'en tire aucun avantage: tout se produit de soi même et
nécessairement .... Ce sont les semences voltigeant a travers l'espace vide qui,
'1
en se groupant par aventure, produisent et font croître les choses. (1)
Ainsi c'est a l'aventure, par une rencontre fortuite que se créent le monde
et les choses. 11 n'y a donc pas de finalité intérieure c'est l'usage qui la
découvre. La création est pensée en terme de combinaison d'éléments pré-existants
qui se mettent en mouvement selon la direction du clinamen. L'ordre naît
com-
me compatlbi1itë
et se complexifie ensuite en synthèse de l'hétérogénéité.
Bien que la similitude de ces thèses avec la position humienne ne snit pas
négligeable, il faut tout de même reconnaître la différence entre les deux
philosophes.
Pour HUME qui (a l'instar de BEKKELEY) nie la substance matérielle.
il n'y a pas de réalité atomique en dehors des perceptions.
Les atomes ne sont pas extérieurs a l 'homme ce sont plutôt les perceptions
de ce dernier qui sont les atomes. La perception n'est pas mécanique chez HUME
comme elle l'est chez EPICURE et LUCRECE (théorie du simulacre). La perception
est surgissement, existence originaire, fondement d'existence. Le philosophe
n'a pas a s'occuper du mécanisme des perceptions il doit partir du donné-perçu.
C'est donc de la perception que nous partirons pour étudier l'atomisme de
HUME.
HUME commence le Traité en dénombrant les perceptions. Il distinque
les impressions de reflexion , de sensation et les idées. Mais c'est dans
le chapitre relatif "aux idées d'espace et de temps" (2) qu'il fondera son
atomisme. Le problème est le suivant: l'espace et le temps sont-ils divisibles
a l'infini ou faut-il s'arrêter a un minimum sensible?
HUME part de la capacité limitée de l'esprit telle qu'elle nous est
suqqé rée par la raison et l'expérience. Pour lui, l'esprit fini ne peut diviser
une qualité finie en un nombre infini de parties, il faudrait que cet esprit
soit infini, en un mot que le fini soit infini, ce qui est contradictoire.
(1) Epicure et les Epicuriens
, Textes choisis et traduits par Jean BRUN, ed.
PUF, 1961 cf. P' 69 le texte de lactance. lnvine institution III, 17,16
(Ueener ;
368, p.
249,
16,22).
(2) HUME, Traité Liv. l, DeL~ième partie Section III

42
Cette contradiction découverte au niveau théorique est applicable aux objets
parce que "Ie s idées sont des représentations adéquates des objets, (et ainsi)
les relations, les contradictions entre les idées peuvent s'appliquer aux
objets". Dês lors que la pensée n'est pas contradictoire ce qu'elle énonce
peut être valable pour les objets, c'est pourquoi HUME peut dire: "Toute
chose susceptible de division à l'infini contient un nombre infini de parties,
sinon la division serait arrêtée net aux parties indivisibles où nous arriverions
bientôt. Si donc une étendue finie est infiniment divisible, il ne peut y avoir
de contradiction à admettre qu'une étendue finie contienne un nombre infini
de parties. et vice versa s'il est contradictoire d'admettre qu'une étendue
finie contienne un nombre infini de parties, aucune étendue finie ne peut
être infiniment divisible. Mais que cette dernière hypothèse soit absurde,
je m'en convains aisément à considérer mes idées claires." (1) Ainsi HUME
établit-il qu'il est contradictoire que quelque chose de fini. fasse une
division à l'infini ou soit infiniment divisible.
Mais il surgit un deuxième exemple qui renforce le premier. Cette fois~ci
ce n'est plus dans le sens de la division mais dans le sens de la mutiplîcation
d'une idée d'étendue.
Une petite idée d'étendue répétée un certain nombre de fois croît idéellement
jusqu'à ce que j'arrête la répétition:
"
Je vois clairement que si je continuais l'addition à l'infini, l'idée
d'étendue devrait aussi devenir infinie". La multipl ication à l' infini n'est
donc QU'une opération purement intellectuelle et il faut dire qu'en réalité
aucune étendue finie ne peut être infiniment augmentée par un esprit fini.
Ceci nous permet d'aller au coeur de la multiplication pour la comprendre
elle n'est qU'une répétition purement idéelle de l'unité et qu'en elle ce qui est
réel ce n'est pas le nombre mais plutôt les unités ajoutées.
On peut donc dire, en résumé, que la divisibil ité à l'infini est
impossible. Il faut alors étendre cet argument à l'espace et au temps. Mais avant
cherchons de quelle impression dérive les idées d'espace et de temps. Si nous
prenons le temps nous verrons qu'il ne dérive ni des sens, ni de la raison
(1)
HUME~ op. ci t . p. 96

43
ma i s que "nous formons l' idée de temps de la success i on des idées et des
impressions ll ; c'est donc une réalité dérivée c'est.à.dire qu'elle naît non
pas directement d'une impression ou d'une idée mais de leur manière d'ap-
paraître à l'esprit. Le temps s'enracine dans la possibilité d'apparaître
des idées et des impressions: on sait qu'elles seront toujours successives.
Le temps apparaît ainsi conuœla dimension existentielle et comme l 'ordre-
limite d'apparition des impressions. Les impressions sont toujours ordonnées
dans leur apparition selon le mode successif d'apparaître. Nous verrons par
la suite que le temps S'approfondira en un temps subjectif et en un ternos soclal
et historique mais/au départ,i 1 n'est qu'un effet de la succession des impressions.
Mais le temps déjà à ce premier niveau s'autonomise et concuter t une
spécificité. Ainsi pensé par rapport à lui-même "le temps tel qu'il existe
doit se composer de moments indivisibles". Le temps est pensé selon la
perspective atomiste. Il faut aussi s'arrêter à des minima indivisibles
qui sont les moments du temps dont .la aéflnition ex~lut aussi la Cüexlstence qui
est la possibilité de la divisibilité à l'infini.
Si le temps est constitué de moments indivisibles l'espace sera aussi
composé de minima sensibles. D'abord HUME réfère l'espace aux impressions
et il découvre que Il •••• nous recevons l'idé'e d'espace de la disposition des
objets visibles et tangibles ... " (1)
Il précise encore cette idée de la manière suivante: "l'idée d'espace est
amenée à l'esprit par deux sens, la vue et le toucher
rien ne peut jamais
paraître étendu, s'il n'est visible ou tangible." (2).
Cette formule est capitale nous devons en tirer toutes les conséquences théori-
quesjmais avant,réfèrons l'espace au problème de la divisibilité infinio.
Pour penser l' indivisibil ité à l'infini de l'espace HUME oense ce dernier' par' rapport
à l'étendue.
HUME identifie l'espace a l'étendue: "Nous n'avons ... d'idée d'espace ou
d'étendue que lorsque nous la regardons comme un objet, soit de notre vue,
soit de notre toucher" (3). A partir de cette identification HUMe. va é.tendre
l' atomi sme à l'étendue et donc à l'espace : "L' idée d'espace est amenée à
l'esprit par deux se~, la vue et le toucher; rien ne peut jamais paraître
étendu, s'il n'est visible ou tangible. Cette improssion composée, qui
représente l'étendue, se compose de plusieurs impressions moindres qui sont
(l) HUME, op. cit. p. 103
(2) HUME,
()p.
n~ 4-
\\..-
t / e".
1U6
~.
(3)
HUME,
Op. cn:t , p. lu?

44
indivisibles a la vue ou au toucher et peuvent s'appeler impressions d'atomes
ou de corpuscules doués de couleur ou de solidité. Mais ce nlest pas tout. Il
n'est pas seulément requis que ces atomes soient colorés ou tangibles pour
qu'ils se découvrent a nos sens; il est également nécessaire que nous
conservions l'idée de leur couleur ou de leur tangibili+é pour les saisir
par notre imagination. Seule l'idée de leur couleur ou de leur tangibilité peut
les rendre concevables par l'esprit. Si l'on écarte les idées de ces qual i tés
sensibles, les atomes sont complètement annihilés pour la pensée ou l'imagination"(l)
Ce texte nous éclaire: si on ne s'arrête pas a un minimum visible ou
tangible on se perd dans le néant. La limite perceptive de notre esprit
nous assigne des limites, et ces limites, ce sont les points indivisibles atomi-
ques qui doivent être colorés et tangibles. ~i ces points n"ont pas de
qualification sensible nous ne pouvons les percevoir. Donc une seconde fois.
c'est dans la limite de l'esprit (notre faculté de perception) ques'o~igine
l' atomi sme ,
L'esprit percevra toujours quelque chose mais nous savons que ce quelque
chose sera toujours coloré ou tanqible s'i 1 eat étendu,ou successif, s'il est
temporel. Ceci nous rapproche de KANT pour qui tout phénomène est forcément
spatio-te~porel. Si tout renvoie chez HUME à des atomes perceptibles, ces
atomes sont spatio-temporels. C'est donc dans cette spatio-temporalité que
s'enracine la discontinuité relationnelle. Les choses seront toujours temporelles
(c'est à dire discontinues en elles-mêmes et entre elles) et spatiales (c'est
à dire colorées et tangibles). Pour raffermir cette thèse HUME va réfuter
les objections des écoles fondées sur les points mathématiques et sur
l' exi stence du vi de.
Les tenants ae la th~se des points mathématiques souti~nnentqueLsi les
atomes indivisibles existent/ce ne peut être que des points mathématiques, c'est
a dire des points idéels. Or puisqu'un point mathématique est un pur néant
on ne pourra jamais avoir d'étendue avec un point mathématique. Mais ~our
HUME il Y aura une solution à cette objection c'est celle qui se situe entre
la divisibilité à l'infini et les points mathématiques-et ce milieu pour lui
)
1
,
"c'est d'accorder à ces points couleur et solidité".(2)
(1) HUME~ (Jo .. cit. p. 106/107
( 2) HUl.fE,
Op• Ci t . p.
100

46
dans un certain ordre, il s'ensuit que nous ne pouvons former d'idée du vide
ou d'un espace ou il n'y a rien de divisible ni de tangible ll (1). Mais
l'argument de'l 'existence du vide est soutenu par ceux qui croient que si
celui-ci n'existait pas on n'en parlerait pas, par ceux qui pensent qu'on
peut obtenir le vide dans un récipient en y enlevant l'air (2) et par ceux
qui comme OEMOCKITE, EPICURE et ~UCRECE (3) pensent que sans le vide les
atomes ne pourraient pas se mouvoir.
HUME réfute
rapidement le premier argument en le déclarant sans
fondement, il écarte aussi le troisième qui relève de la philosophie naturelle (4)
Il 'la s'intéresser au deuxième argument. Notre philosophie se demande d'abord
si l'obscurité nous offre l'idée du vide? Il prend llexemole d'une chambre
,
'
éclairée. Si on éteint la lumière dans la chambre, l'obscurité ne peut nous
donner l'idée du vide.
Il faut donc chercher autre chose. Si on fait bouger quel quun dans l'air
sans attache on aurait une impression de succession et de déplacement et non
pas l'idée de vide.
Ces deux expériences ne livrent pas l'expérience du vide. Si on expé r imen te
maintenant le vide comme lieu inoccupé, ce stvê cd i re un lieu, ou la main
ou l'oeil ne rencontre pas de présence]il faudrait déchanter parce que nous
n'aurons pas l'idée de vide. On verrait seulement qu'il y a une place inoccupée
qu'on peut faire occuper par quelque chose. Il y a donc un remplissage d'une
distance: "En d'autres termes une distance invisible et i ntanç ibl e peut se
convertir en un objet visible et tangible, sans aucun chanqement des objets
distants" (5). La position finale de HUME sur le vide est exprimée dans un
paradoxe: "voi ci ce paradoxe; s'il vous plaît de donner à la distance invi-
sible et intangible ou, en d'autres termes à la capacité de devenir une
distance visible et tangible, le nom de vide, étendue et matière sont
identiques et pourtant il y a du vide. Si vous ne voulez pas lui donner ce
nom, le mouvement est possible dans le plein, sans impulsion à l'infini, sans
tourner dans un cercle et sans pénétration" (b }.
(1) HUME,
op. cit. p. 123
(2)
HUME,
Op. ci t . p. 12'1:-12:5
(3)J.
BRUN OP. ci t . p. 81 et eui», cf.
le texte de Lucrèce sur le vide.
(4) HUME, op. cit. p. 125
(5)
HUME,
Op. cit. p. 129
(6)
HUME,
Op. .ci:t . p. 135
,---"".._~._------,-- ~----
.._~\\_---------

Les conséquences théoriques de ces thèses sont importantes. Le monde
est plein dlêtres, de perceptions discontinues qui vivent, meurent, se
remplacent à .l'image de notre esprit: liMais de quelque manière que nous
puissions nous exprimer, nous devons toujours avouer que nous nlavons pas
d'idée d'une étendue réel le sans la remplir d'objets réels sans en concevoir
les parties comme visibles ou tangibles" (1). Tout ce qui est temporel et
localisable est visible et tangible, tout lieu est plein de présences quand
bien même ces présences sont discontinues en elles-mêmes.
Ainsi la non-div t s i bt l i té à l'infini du temps et de l'espace nous pe rme t d'asseoir
théoriquement Ilatomisme. Il faut s'arrêter aux atomes comme limite d'existence,
comme limite de perception.
Mais l'atomisme permet aussi la division de toute chose
toute réalité
est sécable et réductible en atomes.
Cette dernière conséquence va permettre à HuME de critiquer toutes les
unités secondaires ou composées pour les réduire à leurs composants primaires.
C'est le sens du réductionnisme humien. Il faut dire que les atomes sont les
réalités vraiment réelles et en ce sens l'atomisme est le fondement de
l'ontologie discontinuiste. Les unités composées ou les synthèses ont moins
de réal ité ontologique que les atomes, c'est la présence des atomes à
l'intérieur des unités composées qui maintient ces dernières. Les atomes
perceptifs ne fondent pas seulement l'ontologie discontinuiste ils la
possibilisent. Il faut bien que l'existence commence quelque part, comme
dit HUME.
Fondement logique, limite existentielle, l'impression jouera aussi le rôle
dl expér-ience cruciale comme chez BACON (2). C'est l'impression qui doit décider
de l'authenticité d'une idée. Si on hésite sur la nature de l'idée on
devra la réfèrer à l'impression pour voir si elle est une idée véritable,
dans le cas contraire la rejeter.
A l'issue des ces analyses nous voyons comment l'atomisme est fondé
théoriquement; étudions maintenant les perceptions en elles-mêmes.
(1) HUME~ op. cit. op. 135-136
(2)
BACON
Novum organum~ P. 153
J
.,~~- ......- - - '
--'-' -"--"--'~--'~---~'--~'----"'-'._-
~--.'
.- ------ ...._.~_..-.,-.._--- -_.:...-.-.......---:---,.-.-_.,..,.......-- ..... ~- ,--,."

48
Les perceptions sont divisées en impressions et en idées. Les impressions
qui sont orlglnaires par rapport aux idées sont divisées en impressions de
sensation et en impression de reflexion (1). Les impressions de sensation
sont les perceptions vraiment oriqinaires alors que les impressions de reflexion
dérivent des idées qui elles mêmes, dérivent des impressions premières' " Du
premier ~enre/dit HUME/sont toutes les impressions des sens et toutes les
douleurs et tous les plaisirs corporels, du second, sont les passions et les
autres émotions semblables" (2).
Les tmpress iorx se revë l ent donc être la base des percept ions •
Elles recupèrent les qualités de l'atome perceptif, elles sont les minima
perceptibles. r~ais étant cela, elles ne sont ni immobiles ni atemporelles. Les
impressionslen elles-mèmesJont une existence transitoire. Toujours déja
mortes pour d'autres impressions elles sont caractérisées par leur fuqacité.
Les impressions sont aussi soumises à la loi de succession, elles sont donc
tempore 11 es.
Il faut q~e les impressions meurent pour que d'autres apparaissent et même
pour que les idées apparaissent.
Donc intérieurement l'impression est toujours discontinue, elle n'existe
jamais que le temps de la perception. Si les impressions sont toujours succes-
sives et si l'idée du temps est toujours adjacente, il faut reconnaître que le
temps ne peut se concevoir isolément. Nous devons donc reconna1tre que le
temps est l'ordre-limite d'apparition des impressions.
L'es:pace serait dans un autre ordre d'idée, la limite de durée oula
durée limite d'existence; le temps durant lequel l'impression devient
spatiale, c'est_à.dire visible et tangiDle avant de disparaître. La discontinuité
engendrée par l'espace est une discontinuité de distance, de séparation
spatiale, d'éloignement. Cela part d'une idée fondamentale qui veut que la
pénétration soit impossible et que le concept de coïncidence soit irréalisa-
ble chez HUME. Les perceptions ne peuvent se confondre entièrement il faut
qu'elles soient distinctes et séparées afin de permettre la vision des choses.
On ne voit que temporellement et donc successivement. Cela renvoie à'la nature
de notre esprit. Une braise ardente qui tourne rapidement nous donne une
image de cercle rouge (3). Tandis qu'une succession trop lente, nous échappe (4).
(1)
HUME~ Traité, pp. 65~ 373
(2) HUME, C/!J. dt. p.
379
(3) LOCKE~ t;ssais.
. Liv. II chap , XIX p. 7 à 11
_~_ .. jJ.LJ&!l~_l{!1~_.!iouveauxEs sais sur l:.E!np..~r:4'!:'!!E!n.~ hwnair:_~!!.!.:!E_~ __E~:_ ~~~::r/
.
t1ammarion,1~66, Pr~face p. 38

49
L'esprit ne perçoit que spatio-temporellement. Une impression perçue l'est
spatialement,mais par sa soudaine disparition el le est perçue te.porellement
"Il n'y a pas d'impression constante et invariable" (1). ~1ais si les impressions
sont dans cette relation de discontinuité il y a quand même par rapport a
l'esprit une certaine continuité: il y a toujours en nous une impression.
La disparition totale des impressions coïncide avec la mort. Cela dit quel
est le rapport des impressions à l'idée?
Le rapport premier va dans le sens d'une identité, c'est.à_dire d'un
effacement de la distance entre l' imoression et l'idée (2). L' idée est
dite ressemblante à l'impression: "La première circonstance qui frappe mon
regard, c'est la grande ressemblance entre nos impressions et nos idées sur
tous les points autres que leur degré de force et de vivacité" (3).
Parfois idées et impressions vont jusqu'à se confondre. Nos idées, dans
certains états particuliers (folie, émotion violente) se rapprochent des
impressions. D'autres fois ce sont les impressions qui de par leur effacement
s'identifient pratiquement aux idées. Impressions et idées se situent donc aux
deux extrémités d'une ligne rythmique qui peut passer par gradation ou par
diminution d'un extrême à un autre. Il n'y a donc pas, au premier abord,
de séparation entre impressions et idées. Il n'y a entre les deux qU'une
différence de degré et non de nature. Mais ensuite HUME va faire éclater cette
coînc i dence . Il n'y a parfois
pas, dira-t-il, d~iaées correspondantes pour
des impressions complexes: c'est l'exemple de la Jérusalem Céleste à laquelle
ne correspond pas d'impression ou de Paris dont aucune idée ne peut rendre
toute l'impression. (4)
L'esprit peut aussi parfois créer par sa simple spontanéité des idées
qui ne sont pas dérivées "des impressions. C'est l'exemple de la nuance de
couleur bleue que l'esprit crée pour suppléer à une nuance de bleu
particulière dans une suite de nuances de bleu. L'esprit en parcourant la
courbe de nuance a l'impression qu'il y a une rupture quelque part, il y
supplée sans l'aide de l'expérience.
(1) HUMF~ op. cit. p. 343
(2) HUME~ op. Cit. p. 58
(3) HW4E, op. cit. 5ô~67
(4) HOBBES d~s Les éléments ~~ droit naturel et DolitiQue~ opère les mêmes
aiatinctionscf. chapitre I1I~ sâ, ae l.ï Hermee, 1971 trad. Louis KOUA

50
~ertains auteurs comme André VtRGtZ (1) pensent que l 'esprlt cnez notre auteur
aurait une spontanéité .n3tive qui lui permettrait de créer les iaées sans
passer par l'impression ce qu: renforcerait le préjugé d'un HUME i dêel ts te .
L'exemple ae la nuance est trop insurfisant pour qu'on pUlsse en tirer toutes
ces conséquences.
Cette suppléance dont parle HUME est possible parce que la nuance de bleu
manquante est prise dans un réseau serré de restrictions qui permet cette
spontanéité. Il faut donc reconnaître que l'idée n'est dérivée que de
l'impression et qu'une idée ne pourra naître sans qu'elle soit référab1e
à une impression quelconque.
Mais .s i dans notre première approche de l'impression et de l'idée nous avons
insisté sur les ressemblances idées-impressions il nous faut insister
maintenant sur la différence.
D'abord l'impression est antérieure à l'idée. Il y a entre les deux
un rapport de discontinuité spatio-temporelle. Il n'y a pas de coexistence
ni de contemporanéité de l'idée et de l' impression. C'est dans l'absence
de cette dernière que la première s'instaure comme manque à être. Ontologique-
ment l'impression a plus de consistance que l'idée. \\Je plus l'idée est
moins vive que l'impression, elle est effacée. ttant image réfléchie de
l'impression/elle est spirituelle.
C'est dans la réflexion de l'impression dans l'esprit que naît l'idée. Mais
toutes les idées se compliquent si on quitte ce premier niveau des rapports
idées-impressions~ On voit que les idées peuvent engendrer des impressions
de reflexions et celles-là d'autres idées selon une lo~ique d'avivement
et de rétroaction.
Ce processus s'aide de 1'imaqination et de l'affectivité. Ce qui ressort
de cette analyse c'est que/bien que l'impression et l'idée soient discontinues
elles entretiennent tout de même des relations de causalité et de similitude.
L'impression est la cause de l'idée (2). Cette continuité entre les d~ux
réaiités, cette parenté ontologique permet de poser de très importants axiomes.
On a l'imp""ession que HUME est parménidéen. Il postule l'identité de l'être
et de la pensée. Pour lui on ne peut penser que de l'être. Mais si le percevoir
est l'être, si la pensée coîncide avec l'être, l'être est en lui-même discontinu,
et donc,cette belle identité est creusée de l'intérieur pas son éternel
écoulement. Mais néanmoins cela permet de penser juste quand on pense. La
vérité de l'idée peut être une vérité de l'impression: "Toutes les fois que
les idées sont des représentations. adéquates des objets, les relations, les
(1) .4ndré Vt;RGt;Z, hUMi';, Fi!;. PUC' 1909, p.
1tJ
(2) HUME, ~~aité, p. 09

51
contradictions et les accords entre les idées peuvent tous s'appliquer aux
objets; telle est pouvons-nous ooserver en générale. la base de toute
connaissance humaine" (1).
Tout cela nous renvoie retrospectivement à l'impression comme exper ience cru-
cia1e et
oriqine référentielle qui doit décider de la validité des idées.
Mais l'impression n'est pas qu'expérience originaire, elle est aussi atome
d'existence. Cet atomisme, nous l'avons déjà dit, fondait le réductionisme
humien. C'est ce réductionisme qui va permettre de critiquer le moi
"
et
Il
le monde extérieur afin d'en révéler l'essence discontinue.
3 - La discontinuité du moi et du monde extérieur
L'application du réd4tion~sme (méthode d'analyse) va permettre à HUME
de faire éclater le moi et de nier ainsi la substance spirituelle.
Quelle est l'origine de l'idée du moi? A quelle impression, peut-on et
p,..,,,,,-,fb IL
doit-on la reférer ? Cette impression devant avoir 1~ qua1itÉ!du moi)
..
savoir invariabilité dans le temps durant toute l'existence. Ce qui est
impossible puisqu'aucune impression n'est "constante et invariable" ; les
impressions sont toujours changeantes. Mais en plu~ les impressions sont
toutes différentes et discernables donc séparable~sans contradiction, elles
ne peuvent donc composer ensemb 1el' idée du moi. Il faut 1E: reconna'î tre , la
différence des impressions, leur fugacité ne permet pas de faire dieux le
soutien du moi. De plus si nous "pénétrons en nous" nous nl avon s toujours
affaire qu'à une impression. Finalement il faut le dire, le mo i
n'est qu'un"faisceau de perceptions":
''Mais si je laisse de côté quelques mê taphys i.c iens ... je peux m'aventurer
à affirmer du reste des hommes qu'ils ne sont rien qu'un faisceau ou une
collection de perceptions différentes qui se succèdent les unes aux autres
avec une rapidité inconcevable et qui sont rl~ns un flux et un mouvement
per pé tue ls'{Z}. L'esprit loin d'être le lieu de la cohérence qui imposait
l'ordre au monde est en réalité' "un théâtre ou diverses impressions
font successivement leur apparition; elles naissent, repassent, glissent
sans arrêt et se mêlent en une infinie variété de conditions et de situations"(3)
(1) HUME op. cit. p. 9ô
P) HUME Op. ci.c, p. ,34~
(3) HUME, i'bid. p.
344

5Z
Mais ce théâtre, loin d'être un lieu localisable n'est qu'un lieu sans lieu
assignable. La seule réalité de ce lieu spirituel ce sont les perceptions
successives. L'esprit n'est pas à concevoir comme simple; encore moins comme
identique. L'esprit est discontinu de part en part à l'image des perceptions
qui le constituent. Toutes les conceptions qui font du sujet une substance,
spirituelle, un sujet d'inhérence se trompent. ImmédiatemBnt1e sujet n'est
rien, il est sujet éclaté, je "fêlé" comme dirait DELEUZE. C'est à partir
de cette incohérence interne du sujet que UELEUZE va partir pour se demander
comment le sujet devient nature. Pour ce dernier le sujet discontinu
au départ chez HUME devient sujet actif dans un processus de constitution
eut est naturel. A la fin l'esprit devenu nature deviendra le sujet de
l'identité et du fondewent. Mais,(pour nOIJs) gardons d'abord en tête cette
discontinuité ontologique du sujet puis jetons un coup d'oeil sur le
monde extérieur.
A l 'ima0e du sujet le monde extérieur est discontinu.
C'est dans le rapport des sens au réel que se posera le problème
de l'identité et de la continuité extérieure. S'il est vrai que le monde
n'est que le monde perçu, il n'y a donc pas un arrlère de la perception.
Il n'y a pas de substance matérielle douée de qualités premières ou
secondes qui serait l'origine des imoressions. Il n'y a pas non plus de
simulacres qui viendraient toucher nos sens pour créer la sensation.
La réalité coîncide avec le perçu il n'y a pas d'arrière~fond de la
Derception et pourtant les philosophes et les hommes du commun attribuent
une cont.mui të d'existence à des 'prétendus objets extérieurs. Il nous
faut révéler les origines de cette illusion. Essayons de voir si elle
dérive des sens ou de la raison.
Si on attribue une existence indépendante aux objets c'est par rapport
à notre mOl que s'effectue cette distanciation.
Il faudrait qu'on ait une
perception de notre moi intime mais celui-ci n'est qu'un amas de per-ceptlon
dont rtatconcept tôrr pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. Postulerait-
on que la distanciation se fait par rapport au cor~s propre? Ce n'est pas
non plus possible, notre corps lui-même ne nous est connu que par des
perceptions. Ces perceptions ne pouvant être causes des objets, il faut en
conclure que nos sens ne peuvent nous donner l'idée d'existence extérieure.
Cette idée viendrait-elle de la raison? Il faut d'abord reconnaître que les
arguments des philosophes ne sont connus que d'un petit nomore mais qU'en
plus, le sentiment de l'existence continu des perceptions est tellement
déraisonnable qu'il faudrait plutôt chercher son origine dans une autre

S3
faculté. ~erait-ce l'imagination? Tout porte à le croire puisque la croyance
en question n'étant ni d'origine experimentale, ni rationnelle ne doit
provenir que d'une fiction, de l'imagination. Pour le montrer HUME introduit
pour la cause une distinction entre les impressions : cell~qui sont d'oriqine
périssable et certaines dont l 'exis~ence serait piUS durable (1). Les
passions constituent par exemple des perceptions périssables
(2) qui dépendent
entièrement de nous tandis que des perceptions d'objets tels que la maison,
les montagnes, les arbres semblent plus durables. Et la fiction de
l'imagination va jouer avec cette différence. Ces percertions comme on le
voit on une certain~ spécificité c'est qu'elles conservent une certafne
constance (3) et que même dans le changement elles conservent aussi une
certaine cohérence. Le feu par exemple diminue dans un certain ordre. Le
changement n'est pas affecté du signe de la radicalité ou de l'irrégularité.
Cette constance et cette cohérence observées s'enracinent dans la mémoire
et dans l'imagination qui,par sa tendance naturelle à la continuité achève
le processus en une fiction de causalité indirecte et oblique (4). Mais
une question surgit,on ne peut sortir de la répétition et de la discontinuité
perceptive interne pour fonder gràce à elles une continulté extérieure.
n faudrait souligner dans le processus la tendance fictive de l'esprit;
l'esprit a une tendance naturelle à persévérer dans ses attitudes: "....
il continue naturellement jusqu'à rendre l'uniformité aussi complète que
possible" (5). Donc si on veut résumer provisoirement la démarche on dira
que la constance, la cohérence dans le changement plus l'accoutumance et
une certaine inférence, jointe à une tendance naturelle de l'esprit à
persévérer et à poursuivre dans une attitude tant qu'elle ne rencontre pas
d'accident suffiraient à créer l'illusion de la continuité des perceptions.
Mais si comme nous le savons le processus illusoire ne fait que recouvrir
la di scont inu i tâconmen t se fait-il que nous croyiors g l'identité et à la
continuité extérieure? Et d'anord que mettons_nous sous le terme d'identité?
Pour penser l'identité il faut prendre en compte l'unité, la pl.uralité
et le temps. L'idendité est une notion intermédiaire entre l'unité et la
pl ura lité. Si on détache 1es mornen ts du temps ou sion sépare dans "l'objet
qui demeure le même", le même de l'objet on est à un point de vue de la
pluralité. Mais, d'autre part, si on considère le temps comme continuité
(1)
HuME, Op. Ci c , p. 286
(2) HUME, up. C1-t.
p.. 204
("6)
HUME, Op. cit. p.
433
(4) HUME, Op. ci.t . p. ~85/ 28a
( 5)
HUME, Op. Cit. pp.
487
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54
ininterrompue et l'objet comme ce qui demeure inchangeant dans cette continuité
on est à un point de vue de l'unité. La notion d'identité flotte entre ces
deux conceptions mais la tendance est de garder l'objet identique, c'est-
à-dire non chanqeant dans deux moments du temps. unité de l'objet et
pl ura lité du temps sont l es deux él éments qui permettent de penser et de
définir l'identité qui nlest que
" .... l' invariabi 1i te et le caractère
ininterrompue d'un objet à travers une variation supposée du temps, qui
permettent à l'esprit de suivre l'objet à différentes périodes de son existence
sans interrompre son re0ard. ni sans être obligé de former l'idée de
multiplicité et de nombre" (1). Mais en realité il y a une discontinuité
entre la conception et la réalité.
L'identité est donc une tendance de l 'imagination qui ignore volontairement
les ruptures, les failles de discontinuité pour postuler une continuité
fictive. Ce refus du discontinue qui crée la fiction de l'identité trouve
son fondement dans le fonctionnement de l'esprit. En effet l'esprit
fonctionne selon "le principe de facilité", qui est une tendance à poursuivre
la continuité fictive des perceptions plutôt que de se soumettre aux règles
de la discontinuité.
Le phénoménisme est la tendance ontologique mais l'esprit lui-même travai Ile
à maintenir la permanence, l'identité, la continuité. La tendance ontologique
nous montre la discontinuité corme réatit~ structurelle des impressions:
"qu'on tienne pour accordé que nos perceptions sont détachées et discontinues
et qu'en dépit de leur ressemblance elles diffèrent les unes des autres". La
tendance existentielle nous montre la cohérence, l um tê , la continuité des
i
choses. Mais si on veut vraiment aller au fond des choses, il faut reconnaître
que deux perceptions séparées par une rupture sont différentes quand bien
même elles se ressembleraient. Or l'imagination est portée dans ce cas à
passer de la ressemblance à l'identité; non seulement parce que la ressemblance
des perceptions l 'y pousse mais parce que la même disposition de l'esprit
le favorise.
Quand l'esprit s'y prend de la même manière pour concevoir deux objets il
a tendance à les confondre.
Mais malgré cette fiction il faut dire qu'il n'y a pas dans le monde
deux objets qui se ressemblent, encore moins un objet qui demeure identique
à l uLmême dans le temps. Or l'esprit ne s'arrête pas à cette évidence et
(l) JjUME, Op. cit. p. 290

55
HUME eSqUiss~:~t la lettre,
une phénom~nol09ie de l'attitude eXlsten-
tielle. Pour sortir de cette opposition de la fiction de la continuité et
de la discontinuité expérimentale il faut partir de deux sortes de croyances,
l'une instinctuelle et l'autre théorique.
L'esprit se laisse aller à la croyance instinctuelle dans l'existence pratique
mais quand il théorise il retrouve la discontinuité. Il ne peut se sentir
a l'aise dans ce ballotement. 11 conçoit alors la fiction de la double
existence: interne (perceptive) et extérieure (objet) qui vient rêsoudre
la difficulté. La discontinuité serait alors interne (perceptive) tandis
quune substance matérielle (mystérieuse) maintiendrait la consistance
du réel. Nous voyons l'intérêt qu'a dû susciter une telle conception chez les
philosophes. Mais le fait que l'esprit essaie de nier la discontinuité
ou de concilier la continuité avec la discontinuité dans la fiction de la
double existence ne siginifie aucunement que cette dernière est résorbée.
Malgré la fiction de l t i dent i tê jl e monde extérieur
est discontinu et
il n'existe que le moment
de no~re perception. C'est
la thèse phénomeniste qui complète le tableau de la discontinuité ontoloqique.
Finalement la discontinuité du sujet rencontre celle du monde extérieur.
Un sujet qui est un amas de perceptions, un monde extérieur discontinu,
un univers théâtral soumis à la seule cohérence de succession et d'apparition
un monde sans dessein interne, sans futur (refus de la providence et de
l'état futur), sans oriqine. KANT va réagir contre cette véritable pulvé-
risation du sujet et du monde que par ailleurs REID et BEATTlE appelaient
le "déluge" humien. KANT distinguera deux sortes de moi. Une distinction
dont l'importance stratégique et théorique est importante. Le premier
moi KANT le nomme "sens interne" ou "aperception empirique" et il le
définit ainsi: "la conscience de "soi-même", opérée par les déterminations
de notre état dans la perception intérieure, est simplement empirique,
toujours changeante, et el] e ne saurait donner un "moi" fixe et permanent
au milieu de ce flux des phénomènes interieurs" (1). Ce moi empirique
serait celui de HU~~E mais comme ce moi se montre absolument incapable
de fonder la perception étant lui-même perçu, il Y a donc lieu d'en sortir
pour poser un moi qu i ne 501 t pas emp i r t que : "i 1 coi t (IIIUSS)
y avo i r
une condition qui précède toute l'expérience et qui rend possible
l'expérience elle-même, laquelle doit rendre valable une telle supposition
tran scendanta1e" (2).
Cette condition KANT la trouvera dans l'unité originaire de la conscience
qu'il nomme apercept.ion transcendentale. cette "conscience pure" est
"immuable" et accompagne toutes mes reprêsentations : " .... toute rêunion
(1)
K./J.}JT~ ~Criti.que P" 120
(2) KAN,!~ibid•. p'~h)20 .

56
des représentations exige l'unité de la conscience dans leur synthèse" (1).
Ainsi la condition de POSSibillté de la liaison du divers se trouve dans
cette conscience pure et originaire. C'est par ce que le "je" est puissance
de synthèse a priori qu'il peut synthétiser le monde. Mais en retour le
"je" qui s'est aventuré dans le monde le trouve synthétisé et cette synthèse
du monde extérieur en retour reja i 11 i t sur l' uni té du sujet. 11 Y a donc
interaction sujet-monde. L'un, le sujet synthétise le divers mais le divers
synthétisé renvoie au sujet son unité. Et c'est dans ce rapport en miroir
que réside la cohésion sujet-monde chez KANT. KANT oppose donc au sujet
éclaté de HUME un sujet transcendantal llé qui est la possibilité de liaison
du monde. Mais il faut préciser Que la perspective de HUME et son point
de depart sont différents. Si HU~E est un philosophe de la discontinuité,
cela signifie que pour lui la perspective doit être renversée. Un ne part
pas du sujet comme la condition de possibilité de liaison du divers. On
part plutôt du sujet comme sujet "éclaté" et du monde comme non lié. Le
sujet ne peut être fondement de la synthèse du divers,
~'étant oas
lui-même synthétisé. La constitution du sujet se fera grâce à l'activité
fictive et utilitaire de l'imaqination. Mals cela n'est possible que par ce
que la tendance synthétique est déja presente sous forme voilée. L'imagination
est cette tendance synthétisante qui opèrera grâce aux règles associatives
Mais cette tendance continuiste synthétique n'aboutira a la constitution
du sujet et du monde que grâce a la pratique existentielle. Nous voyons
donc qu'il ne S'agit pas de dire qui,de KANr et de HUME a raison puisqu'i Is
ne partent pas de la même Oase. Il faut plutôt mettre en évidence les
tendances qu'ils privilègent et de quelle manière ils se rejoignent sur
le problème de la constitution d'une connaissance qui se fonde dans
l' expéri ence.
Nous pouvons malntenant après analyse de la discontinuité ontologique
nous intéresser a la discontlnuité théorique et esthétique.
(lj K~T~ Op. Cit. p. 115

51
SECTION
II
LA
DISCUNTiNUITE
THEORIQUE
ET
ESTHETIQUE
La discontinuité théorique et esthétique est dans le prolongement de
la discontinuité ontologique. Mais il faut pouvolr séparer la discontinuité
théorique de la discontinuité ésthétique. La première est instaurée par trois
négations (1) (la négation de l 'innéite et de l'a pr-ioi-i , la négation de
l 'harmonie préétablie et du schématisme, la négation de la nécessité interne
categorielle et causale) tandis que l'instauration de la seconde se fera
par la mise en évidence de la discontinuité de l 'origine de l'art et de son
objet. Notre démarche sera dans cette section d'exposer les positions
discontinuistes de HUME et de penser théoriquement la distance qui les sépare
des positions antérieures et postérieures aux slennes. Par rapport au passé
se pose la doctrine de l'innéité issue de UESCARTES, attaquée par LOCKE
et réétablie par LEIBNIZ; de 1 'harmonie préetablie qui prend naissance chez
LEIBNIZ et le problème de la nécessite interne causale véhiculé par l'histoire
de la phi losophie ; Par rapport au futur ce sont les problèmes posés essentiel-
lement par la philosophie transcendantale Kantienne et qui sont: le problème
de l'apriorité, du schématisme et de la nécessité catégorielle (problème
de l'universalité des catégories). Dans ce dernier cas, il nous faudra nous-
même penser la distance conceptuelle KANT-HUME. Notre souci sera de montrer
que bien que KANT espère avoir résolu les problèmes qui se sont posés à
HUME, celui-ci garde malgré tout son originalité; et cette originalité
s'exprime dans sa manière particulière de résoudre les problèmes de l'innéité
et de l'apriorité, le problème de l'harmonie esprit-monde et du schématisme,
les problèmes de la nécessité interne causale et catégorielle. L'exposition
en profondeur de la science numrenne ne s'épuisera pas dans cette section
elle devra se poursuivre jusqu'à la fin du travail puisqu'elle est justement
notre problème.
Finalement pour preclser il conVlent de dire que notretâcne sera de
mettre en évidence les points de vues discontinu;stes de HUME qui constituent
des renversements, des ecarts par rapport aux positions continuistes histo-
riques de DESCARTES-LEIBNIZ. Si cette démarche intéresse uniquement la
discontinuité théorique, le problème de la discontinuité esthétique se pose
(1) Il faut bien mentionner que la négation n'est qu'implicite~ elle n'est
pas extériorisée àogmatiquement~ elle est à déduire du scepticisme.

58
autrement.
Par rapport aux positions continuistes historiques d'influence platoni-
cienne (l),HUME va déployer une esthétique expérimentale. Cette esthétique
expérimentale s'enracine dans une socio-histoire de l'art et de l'esthétique.
Le beau est défini à la limite du subjectif et de l'objectif; à la limite
du subjectif parce qu'il est l'objet d'un jugement indlviduel et objectif
parce que ce jugement à la prétention de valoir comme jugement universel.
Ce beau préfigure le beau kantien et les tentatives esthétiques modernes. (2)
Commençons par la discontinulté théorique.
1
La discontinuité théorique
La discontinuité théorique comme remise en cause s'oppose d'abord à l'innéité
puis à l'apriorité.
Par rapport au passé se pose le problème de l' innéité issu de DESCAKTES
et repris par LEIBNIZ. En effet UESCARTES dans la Troisiéme Méditatio~
Métaphvsique assigne trois sortes d'origines aux idées (J).
Les idées que nous trouvons en nous dèS notre naissance et qui sont
mises en nous par Dieu.
Les idées dont les origines sont en dehors de nous, et les idées
fictives qui sont l'oeuvre de notre imagination.
(1) F. HUTCHESON~ Treatise l
(2) R. BOUVERESSE~ I.~troduct~on ŒUX Essais Esthétiques II - Ed. J.
VRIN 1974
pp. 38,39,40,41. TI existerait po~les psyCholoq'.A.es-modernes de l'art
un. facteur
"T"~ une sorte de facteur général "in îl.uençant: tous les jugements
artistiques, quel-l-e que soit l'espèce d'objets oréeeni.ée" et Q"'..A:i aurai-t:
pour R. BOUVERESSE un rapport avec la "norme du· goût"
hwnienn~.
(3) DESCARTES~ Méditations Mét!!J2..hysip:!-e~~ P.U.P.~1970 p. 57 et eui.v:

59
L'origine des premières et des troisièmes est claire, le problème
se pose pour les deuxièmes. en effet DESCAKTES veut savoir si ces iaées ne
dérivent pas aussi de nous bien qu'elles semblent ëtre causées en nous par
les objets extérieurs.
Finalement DESCAKTES dira que les idées d'origine
extérieure sont dépendantes de nous, c'est dans notre esprit que ces idées
naissent bien que l'extériorité prenne une part à leur naissance. Mais,parmi
toutes ces idées, les idées innées paraissent de beaucoup les plus importantes
en ce qu'elle nous permettent de sortir de l'expérience afin de postuler
l'existence d'un être infini. L'idée de uIEU nous est révélée dans une
distorsion: nous avons une idée de l'infini que nous ne sommes pas, nous
postulons alors l'existence d'un être infini (qui n'est autre que DI~U) qui
aurait mis ces idées en nous. Parmi ces idées innées il faut distinguer bien
sûr celle de DIEU mais aussi celles que nous découvrons dans la mathématique
et qui sont à l'origine de la nécessité, de l'universalité et de la clarté
dans cette science. LOCKE va s'opposer à cette vision des choses. Privilégiant
l'expérience il va évacuer l'innéité pour dire que toutes nos idées sont
d'origine empirique. Même l'idée de DIEU est issue de l'expérience que nous
avons de nous-même comme être doué de raison et possédant des facultés positives.
LEIBNIZ surviendra pour rétablir les idées innées en procédant à une critique
de LOCKE. Pour LEI~NIL il Y a des perceptions insensibles: " .... des
changements dans l'Ame dont nous ne nous apercevons pas, parce que ces
impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre, ou trop unles, en
sorte qu'elles n'ont rien
d'assez distinguant à part, mais jointes à d'autres
elles ne laissent pas de faire effet, et de se faire sentir dans l'assemblage
au moins confusément" (1). Ces impressi ons insensibles ne sont pas immédiatement
aperçues et donc ne nous donnent pas des idées sinon par leur effet cumulatif
ou total. Cette thèse Leibnizienne développée sous le nom de théorie des
indiscernables expliquera la qualité, la nuance et la continuité ininterrompue
des choses, leur changement, et même l'harmonie préétablie de l'âme et du
corps, desmonades etc. (~) Mais LEI~NIl distingue aussi a l'encontre de LOCKE
les idées innées qu'il appelle les vérités "nëce sse i re s et éternelles" (3).
Ces i liées innées on tune "confortm.t
aux choses de dehors" ; C'est grâce
é
( t ) LEIBNIZ~ Nouveau:::: Essais sur l'Entendement hU'ilain.l
Préface p.
38 et suiv ..
(2) LEIBNIZ~ OP.Cit!p.39 et 79
(3) LEIBNIZ~ Mon.adologie~ Ed. DELAcpÂriE~
1956~ p. 155 (;y 29)

60
à elles enfin que nous nous élevons de nous-même jusqu'â Dieu (1). Uéjà
avec DESCAxTES les idées innées jouaient le même rôle, elles nous permettaient
non seulement de monter jusqu'à Dieu mais c'est aussi Ci el les que l'arithmétique
l'algèbre, la géométrie devaient leur clarté, leur universalité et leur
nécessité. Mais le problème de la correspondance des monades, de 1 'àme et du
corps, des vérités éternelles et nécessaires et de l'expérience se posera
à LEI~Nrz qui, pour le résoudre/soutiendra la thèse de l'harmonie préétablie
"c'est qu'il faut dire que Dieu a crée d'abord l'âme, ou toute autre unité
réelle, en sorte que tout lui naisse de son propre fonds, par une parfaite
spontanéité à l'égard d'elle-même et pourtant avec une parfaite conformité
aux choses de dehors" (z}.
Pour conna1tre le monde il faut donc transiter par Dieu qui est non
seulement l'auteur en nous des idées innées malS qUl Joue aussi, pourrait-
on dire, le rôle des schèmes kantiens. La spontanéité de l'esprit nous est
octroyée de même que sa conformité aux choses du dehors. Dte~ rend possible
l'accord des monades entre elles mais aussi ~ l'esprit et le monde
extérieur. Voyons maintenant comment HUME qui ne s'intéresse qu'obliquement
à LEIBNIZ va se différencier de ces positions.
Gardons en tête le fait que HUMe écrit en partant de LOCKr et oERKELEY
Nous allons déjà commencer par la résolution du problème de l'innéité. C'est
par sa doctrine de l'impression que HUME va écarter l'innéité des idées.
Sans ces impressions dont les idées ne sont que des images réfléchies nous
n'aurions pas de pensée. Cette position de HUME continue la tradition Lockienne
de négation de l'innéité mais il donne une compréhension différente de l'innéité.
En effet pour lui si on entend par innées des idées que nous portons en nous
dès notre naissance alors l'innéité est récusée par sa doctrine mais si on
entend par inné tout le processus qui va de l'impression aux idées, processus
qu i est spontané et naturel et qu i se réal i se en tout espr i t a lors, .on peut
dire que l'innéité n'est pas niée. Mais, si on réfléchit bien Ci l'lnnéité telle
que la pose lEIHNI"Z en opposition Ci LOCKE, on voit que l t e correspond au
genre d'innéité que la doctr tne de l'impression évacue.
(1) LEIBNIZ, op. cit. p. 155
(2) LEIBNIZ, cf. extraits de textes in la Monadol,ogie dé jà ci~. traduction par
BOUTROUX p. 196 -:-(Ce texte est tiré du nsystème nouveau de la nature et de
la corrtJ7'iUJ'tication des substÇl:rJpe§.)
~
,

61
Cette mise au point écarte la conception de l'innéité selon LElBNlZ
mais comme les "vérités éternelles et universelles" sont solidaires de
l'expérience t il nous faut expliquer comment HUME résout le problème de
1'harmon;e préétablie. Le problème de l'accord de l'esprit et du monde
extérieur est résolu dans la doctrine de la perception héritée de BEKKELEY.
Le monde se réduisant au perçut il n'Y a pas d'arrière ni de dehors de ce
monde. Le problème de la conformité est résolu dans la coïncidence perception-
monde. Les choses extérieures ne sont rien d'autre que notre perception. Il
n'y a pas de dualité esprit-corps puisque notre corps propre ainSl
que notre esprit ne sont pour nous qu'une synthèse de perceptions.
Le problème de la dualité est ainsi résolu dans ce premier départ. Mais
plus radicalement c'est par la critique de la déduction de Dieu que la
doctrine de J'harmonie préétablie sera définitivement écartée. LElBNIZ
partait du fait que la contingence de l'univers appelle une cause dernière
explicative qui n'est autre que Dieu. c'est Dieu qui est la cause créatrice
de l'univers et c'est lui qui arrange le monde grâce à sa bienveillance et en
fait le meilleur des mondes possibles. HUME critiquera
la déduction de
Dieu et la bienveillance dans 1· Enquête et dans les Dialogues. Nous avons
vu notamment que la ressemblance qui fonde l'analogie homme-Dieu était trop
imparfaite pour permettre une telle déduction et que l'univers parv son
désordre ne faisait pas penser à une cause créatrice bienveillante. Pour
HUME 1'hypothèse d'une cause indifférente est plus probable que celle d'une
cause bienveillante. Mais ces deux hypothèses sont toutes deux possibles
et toute conjecture peut se donner 1 ibre cours parce que nous n'avons aucun
appui pour nous déterminer en dehors de l'expérience. De plus la sortie
de la continqence ne s'impose aucunement à partir de l'expérience et l'hypothèse
qui t sans sortir de la contingence tente d'expl iquer l'origine du monde est
tout aussi valable que celle qui postule un suprême ordinateur. L'hypothèse
d'un suprême ordinateur n'étant pas accordée on ne pouvait plus fonder la corres-
pondance esprit-monde en lui et du coup) la doctrine de l'hannonie pré'étab1 ie
n'avait plus de chance de surqir. Cela dit nous n'avons pas encore expliqué
comment HUME résout le problème de la nécessité interne que LEiBNIZ pense
dans les vérités éternelles.
Pour HUME t la nècessi té n'est pas immédiatement accolée à la causa t i tè ,
elle naît;;~f'~ du processus de causalité (causation).Mais comme nous aurons
l'occasion d'exposer ce processus dans les autres chapitres t nous le laissons
de côté pour le moment.

62
Ainsi nous avons clarifié la position de HUME par rapport à ses prédéces-
seurs, nous allons le faire pour ces héritiers et plus spécifiquement par
rapport à KANT et sa doctrine transcendantale.
Avec KANT ce n'est plus le problème de l'innéité qui se pose mais le
problème de l'apriorité, du schématisme et de la nécessité catégorielle. Il
faut distinguer d'abord l'aprioritë de l'innéité.
Si l'innéité renvoyait à des "idées éternelles et nécessaires" mises
en nous par notre créateur, l'apriorj qui ne prend son sens véritable qu'avec
KANT ne renvoie plus à un Uieu. L'apriori renvoie d'abord à la théorie d'une
"science pure qui n'aurait aucune or i q ne expérimentale" (1)
mais elle
ï
renvoie aussi et surtout aux "éléments formels de la pensée" qui sont les
conditions de possibi lités de la pensée.
En quelque sorte ce sont des idées innées sans Dieu pour les donner.
En outre l'innéité porte plutôt sur un contenu tandis que l'apriori porte
sur une forme.
A cela il faut ajouter le fait que l'apriorité renfenne l'universal ité
et la nécessité en ce sens que les c~tégories par exemple sont les conditinns
formelles de l'expérience, la possibilit~ de synthétisation du divers. KANT
tentera d'expliquer la conformité des concepts et de -j'expérience non plus
en passant par Dieu mais par le schématlsme. Si )dit KANT, HUME nie la nécessité
causale et fait de la connaissance des "expériences communes faussement
estampillées" et donc sans lien interne c'est parce qu'il n'a pas élargi
sa vision du problème de la connaissance. La causalité au niveau de laquelle
il se maintient ne peut permettre de penser toutes les relations contenues
dans la science. KANT distingue trois sortes de jugements dans la Criti~ue
de la raison pure~ pour situer la nécessité.
D'abord les jugements analytiques qui n'ajoutent rien au concept d'une
chose et qui se donnent pour tâche de l'analyser afin de découvrir les
relations qui y sont contenu€S.Ce
genre de jugements ne font pas progresser
la sciénce, ils ruminent en eux-mêmes. Ces jugements bien que tautologiques
peuvent quand même clarifier pour nous le concept flou d'une chose, leur
règle clest la non-contradiction.
t i) Ch, SERRTJS Préface à la Critique de Za Raison Pure de KANT P. X déjà ci:t ,

63
Ensuite les jugements synthétiques a post~z-:cri qui font progresser la
science, c'est-à-dire qu'ils sortent d'un concept pour lui adjoindre un
prédicat mais cela par le biais de l'experience.
Et enfin les jugements synthétiques ~ ~~~or-~ qui constituent la nouveauté
par rapport à HUME.
Les jugements synthétiques
a pric!~sont des jugements qui ajoutent
un prédicat au concept initial d'un objet mais cela sans passer par l'expérience.
L'existence de ces jugements se vérifie par l'existence de la mathématique
pune et de la physique pure (1). Pour KANT, HUMt en se limitant à la causalité
n'a pu sortir de l'expérience pour découvrir l'aptiorité. Il n~us faut donc
légitimer 11 entrepri se humienne en l a séparant de l' entrepri se kantienne
dont on prendra soin de souligner les faiblesses~· .C'est ~outquoi nous ne
chercherons pas coûte que coûte chez HUMt et chez ces devanciers des traces
de l'aprioritë comme le fait J. LAPOKTE t2}.
Cette voie se légimiterait si nous prenions l'apriorité comme accordée. C'est
pourquoi nous allons plutôt tendre vers une critique de l'apriori lui-même (3)
puis nous retrouverons ensuite la position humienne.
Commençons par éprouver l 'apriorité en elle-même en nous aidant des critiques
de J. STIKLING, A. GARNIER et de BOUTROUX.
[Je l'avis de J. STIRLING, KANT balance entre deux solutions du problème
de la nécessité. La nécessité est d'abord local isée dans l'entendement mais
au niveau des Erolëqomènes (4) KANT reconnaîtra
l'existence d'une régle,
d'une loi (la loi de succession et d'antérioritë) dans la perception
c'est
a partir de cette perception que l'entendement va formuler le jugement
(1) r~NT~ Op. cit. introduction pp. 41~42~42
(2) Cf. article cité.
(3) cf. Pour un approfondissement cr~~~que de ce problème :
- J.
STIRLING in article irit.i tul.é :
"K.4.11T .1.as· not aneoered HUME"~ Mind 1885
- Adolphe GARNIER~ Tra.ûté des [acu!.-tésde l'âme. Ed, Librairie de L. Hache t te
et Ci.e, PARIS, 1852, Tome III~ p.
341 et eui»:
- BOUTROTJ!X~ La philosophie de l{jtNT~ P.,j...R_TS~ Ed, J. VRIN~ 1926 p. 98 et suive
(4) J. STIRLING~ s'intéresse spécialement aux paragraphes 18,19~21~29~:50
des
Prolégomènes.

64
d'expérience (nécessaire). 11 faut donc distinguer trois phases dans le
processus :
- l'esprit enregistre les perceptions successives d'une manlère subjective
(jugement de perception).
- l'esprit découvre alors une règle dans les perceptions (la loi de succession
et d'antériorité)
- A partir de cette loi l'esprit énonce ~ priori, un jugement d'expérience
de par sa propre puissance. Cela se fait quand l'entendement a subsume.
la perception sous une catégorie.
la critique de STIRLlNG dira qu'il n'est pas nécessaire que telle'
catégorie particulière subsume telle intuition particulière. Les catégories
pourraient subsumer alors n'importe quelle intuition sans qu'il yait
contradiction, on se retrouverait dans une confusion. Pour en sortir il
faut dire que la nécessité se trouve dans l'exemple précité mais non dans
l'entendement comme le pense KANT; il faudrait chercher plutôt du côté
de l'expérience: "The category gives no neces s i ty , it only receives i t ;
it is on1y at last and in effect - what it has always been - a general naming
of particulars in expérience".
Force nous est de revenir au début du processus pour dire que c'est
dans l'expérience que se trouve la nécessité, c'est d'une aét~rmlnation de
l'esprit par l'expérience (antériorité, succession) que dérive la nécessité.
Si comme le dit Ch.SERRUS et J. STIKLING la thé se de!' a pY'~:Gi>i:'est
centrale chez KANT toute critique valable de cette thèse affaiblit du coup
la position Kantienne. Cette idée est juste d'une certaine manière quoique
M. BOUTt<OUX ne soi t pas de cet avi s. (1)
Pour un auteur comme STiRl1NG l 'apriorité n'est pas seulement la thèse
centrale du seul KANT, elle est aussi centrale chez tous les phi losophes issus
de la tradition kantienne (FICHTE, SCHELLING, HE:GEL etc)
Et ainsi une attaque de cette thèse ébranlerait tout l'édifice philosophique
allemand
: "t t is simp1y KANT's lIjargon ll that Gennany speaks ". Mais STIKLING
ne radicalise pas les cons€quences de sa
critique. 11 en vient à une position
intermédiaire. KANT ne détruirait pas la logique humienne et développerait
une logique séparée de celle de HUME: "l'law, so far, bath HUME and KANT

65
have right on their side. HUME's position that any case is only known
by expérience is inexpugnable, and equally inexpugnable is the position of
KANT, tha t experience i s inadéquate to necess i ty" .
La critique dé A. GAKNIER développera à peu près la même argumentation)
mais elle va en plus essayer de trouver une origine extérieure à l'espace
et au temps qui ne sont plus chez ce dernier des intuitions pures de
l'entendement. Pourquoi cette position? Parce que pour GARNIEK si le temps
par exemple était interne il imprimerait une forme unique aux choses, il n'y
aurait pas des différences de durée. Ues catégories il faut dire qu'on ne
sait pas par quel mécanisme elles subsument les intuitions sensioles. Mais
pour BOUTROUX, KANT n'a pas ignoré ce dilemme qu'i 1 a rencontré au cours de
l'élaboration de sa pensée, spécialement au début de la Uéduction transcen-
dantale : ou bien les choses sont de telle nature que l'entendement ne les
trouve pas conformes aux conditions de son unité, (même dans ce cas l 'lntuition
garderait son autonomie de liaison) ou bien les choses sont de telle sorte
que je sais a priori qu'elles seront conformes aux formes de l'entendement.
C'est,selon BOUTKOUX, la deuxiême solution qui est choisie par KANT ce
qui fait que parti "de la nécessité (il n'a pu) rejoindre la réalité". Mais
~soit l' importance de ce choix il ne resout pas totalement le
problème de la nécessité ~antienne qui est proprement fondée dans le
jugement synthéti~ue a priori. C'est en nous attaquant à ce jugement que nous
approfondirons notre critique de l'apriorité. Mais on peut dé j a dire que
KANT reconnalt un ordre-limite, une règle de succession aux phénomènes.
Cette règle réfléchie dans l'esprit le déterminera à la nécessité: c'est
1a posit i on humi enne, ma i s avant de 11 exposer il nous faut éprouver une
dernière fois l'qp!'iori kantien.
Prenons un exemple de proposition synthétique a p~io~:
soit 5 + 7 = 12 ; Nous sommes }à devant une proposition tirée de
l'arithmétique et qui est considérée par KANT comme une proposition 'synthé-
tique a priori. En effet ,dit-il, une analyse des nombres 5 et 7 ne livre
jamais le nombre 1~ quel que soit le jour sous lequel on opère cette
analyse, il faut en déduire que la proposition en question s'énonce a. priori
sans aide de l'expérience. Mais on peut toutefois en s'inspirant de LElBN1Z

66
au Livre 1V des Nouveaux essais § 10 (1) comme le fait ~OllTROUX démontrer
analytiquement l'égalité de 12 avec S + 7. Pour le faire il suffit de partir
de l'égalité et de l'axiome qui veut que si on retranche 2 quantités
égales de chaque côté d'une égalité on ne détruise pas ladite égalité.
En procédant ainsi on peu~ écrire en partant de 5 + 7 = 12 les
égalités suivantes:
5 + 7 = 12
5 + 6 = il
4 + 4 = 8
2 + 2 = 4
1 + 1 = 2
1 = 1
Nous le voyons on retrouve L' èqa t l te . On peut dire qu'il n'est pas
besoin de sortir de l'analyse pour démontrer l'égalité de la proposition con-
cernée. 11 faut donc dire que cette proposition n'était qu'une proposition
analytique déguisée.
Ainsi la critique de BUUTKOUX rejoint-elle celle de A. GAKNIER et de
J. STIRLING. BOUTKOUX essayera de retrouver la nécessité dans le pOUVOlr
de construction a priori qu' util i se l' entenaement pour créer ses objets
ma thêmat tque s . Mais cette position est aussi intenable comme il dit lui-
même: liCe qui pour nous reste obscur, c'est la question de savoir ce qu'est
au juste ce travail de l'esprit. A-t-il le caractère de nécessité que
lui attribue KANT 7 D'abord affirmons-nous, en fait, une li~;son des choses
absolument nécessaire 7... La science ne se contente-t-elle pas d'une
nécess i të relative" (2).
Il existe donc des points de doute sur la nécessité a priori. Faut-il
donc dire avec Ch. SERRUS que " ..... nous sommes de ceux qui pensent non pas
certes que le problème de lâ critique a été mal posé, mais que la solution
(l)
LEIBNIZ~ C$..Fit .. p. 364
(2j BOUTROUX~ or:.. Cit.
p.
29

67
par 1'apriorité n'était pas la bonne. C'était une solution qui ne valait
guère mieux que celle des vè r i té s éternelles".
La solution kantienne des difficultés de HUMt n'aurait été qu'une
manière de baptiser les dlfficultés au lieu de les résoudre.
11 faut donc di re avec J. STIRLING que KANT "MS not answered HUME".
Mais qu'a alors dit HuME, comment a-t-ll posé le problème de la nécessité?
HUME ne néql ige pas la mathématique dans sa pensée, il la prend en compte
sans toutefois l'affecter du signe de la pureté comme le fait KANT.
Il reconnaît l'algèbre et l'arithmétique qui sont pour lui les sciences
véritables; La géométrie dont il déplore les démonstrations et s'accorde avec
les définitions.
Il ne se contente pas de reconnaître la mathématique il reconnaît aussi la
nécessité à ses raisonnements qui sont "tntu i t ivement et démonstrativement
cer taine s" (1). Il va même jusqu'â dire que: "Même s'i 1 n'y avait jamais
eu de cercle ou de triangle dans la nature, les vérités démontrées par EUCLIuE
conserveraient pour toujours leur certitude et leur évidence" te). Donc
la mathématique une fois ses objets posés intuitivement/exprimerait des
relations entre ces objets avec pour seule règle le principe de non-
contradiction (3). Si l'explication de la mathématique de HUMt n'use pas
du terme de "construction de son objet", ce qu'll nous faut remarquer c'est
que les vérités de la mathématique ne dépendent pa s de l iexpé r t ence : "Les
propositions de ce genre, on peut les découvrir par la seule opération de la
pensée, sans dépendre de rien de ce qui existe dans l'univers" t ~.). Mais
quel le est alors la différence entre ces idées et les fictions de l'imagination?
t~
(
l '
.Li
Ch. SERRUS~ Pré face p. X
(2)
HTJME~ Enquête~ p. 70
(;:) HUME:~ Ibid. p. 70
(4) HUME~ lJ:i!b

68
La différence est évidente: les fictions de l'imagination ne s loccuoent pas
du principe de contradiction, l'imagination peut mêler des réalités hétérogènes
sans se poser le problème de leur différence, de leur incompatioi1ité. La
deuxième question dont l'importance est capitale est la suivante:
qu'est
ce qui différencie ces idées de celles de la métaphysique? Et c'est là que
HUME introduit une distinction chargée de conséquences.
La mathématique relève de ce qu'il appelle les re~ations d'idées
(relation de quantité et de nombres, relations entre figures) tandis que
les affirmations de la métaphysique relèveraient des reiations de faits.
Cette distinction est pertinente parce que HUME écartera à partir d'elle
le domaine de la nécessité, disons a priori~ sans que cette position soit
accentuée et sans qu'il en fasse un problème.
C'est ainsi que pour HUME/les jugements de la métaphysique doivent ëtre
soumis au même traitement que les jugements de fait. Et ce traitement
expérimental de la métaphysique nous la présente comme fictive dans toute
son étendue. Ainsi on ne peut pas dire avec KANT que HUME n'a pas reconnu
son domaine à la nécessité mathématique... il l'écarte pour ne s'occuper que
du domaine des raisonnements de faits où règne la causalité. 11 est bien
vrai que si les seules règles internes de la mathématique sont l'intuition
et la non-contradiction, on pourrait dire que les jugements mathématiques
sont tous analytiques au sens kantien du terme. Mais la critique de
l apr-ior-i. kantien ne nous l'a-t-i1 pas découverte comme en grande partie
ï
analytique? Si la construction n'est pas la comparaison, on ne comprend
aussi que très diffici lement comment cette construction engendre la nécessité
et l'universa1 ité. Mais une troisième question surgit: à quel traitement
HUME soumet-il la physique?
Pour HuME la physique relève aussi des jugements de faits, C'est_à_dire
que pour lui la physique bien qu'étant synthétique ne serait pas ~ pl~ori
K~~T lui aussi reconnaitra la physique comme synthétique mais il fera
des synthèses de celle-ci, des jugements a priori.
L'apriorité de la physique obéirait à des règles formelles de l'entendement
autres que mathématiques. KANT n'a donc pas remarqué que S' il y avait une
partie de la physique qui était a priori c'est bien celle qui se mathématisait.
Depuis DESCAKTES et surtout avec NtWTUN la physique s'est mathématisée. Ainsi,
si la physique" ... renferme des parties qui se traitent a priori, ce sont
celles qui sont devenues mathématiques; quant aux autres, ce sont bien des
propositions synthétiques en même temps que proprement physiques, mais les
synthèses qu'elles présentent sont considérées comme purement expérimentales" (1)
(1)
BOUTROUX, op.
Ci't. p. 28

69
Ainsi pour cerner le proolème de -n-:z priori, il faut le prendre au niveau
de la mathématique: or celle-ci nous a fait découvrir que la plupart de
ses propositions étaient analytiques et que la part a priorl ne revenait
qu'à la construction qui est elle-même à sa maniere un procédé inexplicaole.
On peut en déduire que HUME/en rangeant la physique dans les raisonnements
de faits a mieux suivi son intuition que KANT la sienne.
C'est au niveau des jugements de fait qui usent du raisonnement causal
que va resurgir le problème de la nécessité et de l'universalité.
Comment la nécessité et l'universalité surgiront-elles de la synthèse
a post~Y'iori qU'est la cumulation des expériences? Comment ~a causalité permet-
elle d'affirmer plus que ne revèle l'expérience?
Ce problème sera résolu dans le processus de la détermination causale (causation)
dont nous reparlerons.
Nous venons de voir comment le problème de l 'apriorité est résolu chez
HUME, nous n'avons pas encore vu comment le problème du schématisme yest
résol u..
Le schématisme est une reprise transcendantale de l 'harmonie préétablie;
mais pour HUME) la solution du probleme du schématisme sera un peu différente
de celle de l'harmonie préétablie. Mais d'abord comment se pose le probl eme
pour KANT? Nous l'avons déjà effleuré dans les critiques de 1 'apriori.
Les catégories de l'entendement que KANT déduit en partant des catégories
logiques d 'AkI5rDTE ne sont pas comme chez ce dernier des "propriétés supérieures
des choses" mais bien des formes pures de l'entendement. Ces formes pures
sont nécessaires et universelles parce qu'elles constituent, dit-il , les
conditions de possibilité de l'expérience. Mais parce que ces formes sont
pures et a priori KANT a pensé qu'elles ne pouvaient pas d'elles-mêmes
rencontrer les intuitions de la senslbiiité. Pour résoudre donc le problème
de cette séparation, il part du dynamisme de l'esprit qui réside dans
l'imagination. Il ne met pius la spontanéité dans une force extra-humaine
(Dieu) et qui
communiquerait a 1'homme cette spontanéité comme chez lEloNIL.
Ce sont les schèmes qui vont jouer ce rôle: " .... il est clair qu'il doit

la
y avoir un troisième terme qui Salt homogène d'un côt~ à la catégorie,
de l'autre aux phénomènes et qui rende possible l'application de la première
,
au second. Cette reprèseritation intermediaire doit être pure (sans aucun
1
élément empirique) et cependant il faut qu'elle soit, d'un côté, intelLectuelle
et de l'autre sensible. Tel est le schème t.ranecendant.at." (1).
Le schème est donc un irrtermêc i a i re qui partage la nature formelle
de la catégorie et la nature sensible des intuitions. Il {le schème) est
création de l'imagination et c'est temporellement qu'il caractérise les
catégories pour les relier aux tntu t t ions . Comment HUME/à son niveau ,
résout-il ce problème 7
HUME résoudra ce problème pa1un monisme que nous appelons le monisme
de la perception et qu'il obtient après une double réduction.
La première réduction dont nous avons fait déj~ mention est celle qui permet
à HUME (hérltage Berke1eyen) de réduire le monde extérleur aux perceptions.
La deuxième réduction est celle qui réduit l'entendement aux perceptions.
L'entendement n'est plus ce quelque chose derrlère les choses, ce n'est plus
cette aperception originaire, puissance de synthèse iS"sa~~~~
qui lie le monde. L'esprit est devenu perceptlon, amas de perceptions.
On peut dire que les perceptions telles que l I es se présentent partagent
la nature de la sensibil ité et de l'entendement. Non uniquement formelles,
el les ont une réso,Knance sensible. Ce n'est donc pas seUlement une réduction
de l'esprit à la senslbilitê (procèdé que KANT critiquera Chez LOCKE); ce
n'est pas non plus uniquement une réduction de la sens nbi i itè à l'esprit
(procédé 1eibnizien critiqué par KANT) (2). Ces deux réductlons univoques
que Kfl,NT critique sous le terme d'amphiDolie des concepts sont des utilisations
illégitimes d'une faculté de l'esprit en dehors de son lieu transcendantal.
C'est par contre originalement que HUME, par u~e double réduction,pose le
monisme central des perceptions qui résout le problème du schematisme.
(1) KANT, Critiqued P. 151
(2) Y.ANT,
ibid. p. 236 et suiv.

11
On peut dire que L~CKE et BERKELtY sont dépassês par lui dans une position
intermédiaire (philosophie de la perception).
Cette phi losophie fait de la perception une réalité intermédiaire (mlxte)
en ce sens que les composantes de la perception partagent cette nature
double. L'impression bien qu'étant liée au sensinle est déja spirituelle de
par sa relation étroite à l'idée, l'idée elle-même de par sa provenance
impressive est d'origine sensible tandis que de par son ëlOlgrement
(impression effacée),elle est spirituelle.
Ainsi,nous venons de penser onliquement le point de vue de HuME sur
l'innéité et l apr ior i tè , sur l'harmonie préétablie et le schématisme.
t
L'innéité et l 'apriorité voulaient poser la nécessité comme inhérente à
l'esprit dès le départ mais par la critique oblique des positions de LEiBNIZ
et de KANT nous avons instauré la discontinulté humienne. Cette discontinuité
se traduit pas le fait que la nécessité n'est ni a priori ni innée chez
HUME. Loin d1être première, elle est seconde. Dans la relation de causalité
la discontinuité s'extériorise comme séparation de la cause et de l'effet.
Il faudra alors penser la nécessité comme precessus de IIcausationll. Cette
instauration de la discontinuité nous permet d'exposer la discontinuité
causale.
Revenons à la distinction opérée par HUME entre les relations qui prennent
en compte les comparaisons d'idées (1) et les raisonnements de faits.
HUME écarte les comparaisons qui dépendent des idées pour ne sfintéresser
qu'à cel les qui peuvent varier sans variation des idées. Parmi ces trois
relations qui sont: la relation d'idendité, la relation de temps et de lieu,
la causa1ité, HUME ne retient que la relation de causalité. 11 en falt comme
dit KANT sa C~AX ~Ataphysico1~~n. Parce que pour HUME il n'y a que la relation
de causalité qui permette d'afflrmer pluS que ne revèle l'expérience (2).
C'est donc en el le qu' i 1 faut cnercher l'explication de la nécessité et
de l'universalité. La causalité ne permet pas seulement d'affirmer plus
que l'expérience, les hommes croient en effet qu'elle est porteuse d'une
(1) HUME~ Enquête p. 70
Traité, p. 141
(2) HUME~ ~ité~ pp. 1 46,147

nécessité interne.
Il faut donc vérifier si cette croyance est fondée. Et pour le faire soumettons-
lui la question métnodologique de base; de quelle tmpre ss ion dérive-t-elle ? (1)
Une analyse des objets en eux-mêmes ne nous livre aucun signe qui ferait
d'eux des causes et des 'effets. Si donc en l ut-mëme aucun objet n'est affectable
de la catégorie de cause et d'effet, l'idée de causa r i të "ne peut être venue
que de quelques relations entre les objets". Ceea.nous aide à mettre en
évidence deux relations qui peuvent être dêduites de notre expérience de la
causalité: la relation de contiguité et la relation de eucceeei.on temporel.l e ,
La cause a une antériorité tempore 11 e sur l'effet. HUME' ser'nb le ne pas
prendre en compte la causalité rêciproque (2) ; ou du moins pour lui, la
causalité réciproque est une causalité dont la succession des éléments
est très rapide mais qui n'en comporte pas moins l'antériorité temporelle.
La causalité (causation) est essentiellement temporelle et spatiale. Il y
a un contact, mais ce contact est pensé comme contiguité. Or la contiguité
n'est rien qu'une sorte de proximité spatiale indifférente. Cette indlffêrence
même est séparation et donc discontinuité spatiale. Ue plus la succeSSlon
(antériorité temporelle) est essentiellement mouvement dlscontinu des
éléments. L'espace et le temps entrent dans la constitutlon de la causalité
pour lui donner sa dimension discontinue.
Cette prenn ere découverte permet a HUME de séparer l a cause et l'effet
et d'introduire l'extériorité dans la relation. L'innéité et l'apriorité
étant niées obliquement la causalite à laquelle est suspendue la possibilité
de la nécessité est minée de l'intérieur par la discontinuité. Nous devons
constater que c'est la possibilité même d'une synthèse cognitive qui est
remise en cause. Si on ne peut pas affirmer davantage qu'une succession et
une contiguité des éléments, le problème de la liaison des choses se pose
terriblement. La connaissance est ainsi fissurée
,
de l'intérieur comme
.
quelque chose dont les affirmations snnt purement cumulatives et sans
liaison interne.
(1) HUME~ TY'aité~ p. 147
(2) HUME~ Op'.-'Cit. p.148

73
Il faut donc relier la discontinuité ontologique qui pulvérisait le
sujet et le monde extérieur à la discontinuité théorique. Le sujet atomisé
ne peut avoir accès qulà un monde pulvérisé, un savoir sans nécessité.
Ainsi cette premlere avancée dans la discontinuité théorique nous permet-
elle dlen saisir les contours. L'expérience ne nous livre que la discontinuité
de la cause et de l'effet alors que l'on a toujours pensé dans la causal ité
plus que la succession et la contiguité. Quel est le sens de cette méprise?
A défaut d'expliquer a priori la nécessité causale il faut mettre en
oeuvre le processus psychologique de la causation. Mais pour le faire HUME
fait un grand détour théorique qui nIa pour but que de résoudre ce qu'on
pourrait appeler les questions de la solution de la causalité (1).
Ce changement de perspective, ce renversempnt discontinuiste va faire
de la nécessité causale quelque chose de dérivée et non d'originaire.
Ce renversement sera le second sens de la discontinuîté. La description
du processus psychologique lui-même n'est pas di~continuiste, elle prendrait
plutôt sa signification dans le chapitre sur les antidotes nature l s de
la discontinuité (2). Si la description n'est pas discontinuiste la signi-
fication du processus est plus pnilosohique que psychologique. HUME ne fait
donc pas de la psychologie) il utilise un procédé psych~îogique pour
co~rencLne un problème philosophi~ue (psychologisme?). C'est pour cela
qu'il nous appara~t etbné de parler d'un HUME psychologue.
~
Mais il faut le noter cette utilisation philosophique de la psychologique
fait déborder la psychologie de son cadre et ses concepts y acquièrent une
dimension philosophique.
Les concepts telles que l 'habitude, la croyance subiront cette métamorphose
afin d'aider à penser l'impensable de la di scont tnui te .
Nous n'exposerons donc pas pour le moment le processus de la "détermination"
(]) uoi.r E!.UtjE.• Traité p.150
(2) cf. chap . II

74
de l'esprit qui aboutit à la nécessité, nous allons plutôt passer à
l'explication du troisième principe qui entre dans la constitution de la
causalité afin d'en livrer les aspects discontinus.
La conjonction constante constitue le troisième principe qui est la base
de Z'inférence. En effet dans la conjonction constante est pensé la
répétition et la ressembZance dont la conséquence est la misE en pratique
au niveau de l'esprit du "dispositif inférentielll.)i l'esprit infère c'est
à l'issue de la répètition de cas semblables. Mais en plus de la répétition
et de la ressemblance il entre dans la conjonction constante une dimension
~némonique et une dimension projective. Car inférer c'est partir du passé
pour conjecturer que le futur sera semblable au passé. Essayons de voir la
dimension discontinuiste de tous ces éléments qui entrent dans la conjonctio~
constante.
D'abord la conjonction constante n'implique expérimentalement aucune
nécessité bien qu'elle soit déjà 1-indice d'une intériorisation qui signifie
que la conjonction constante est liées aux sens qui sont la racine impressive
de base, puis à la mémoire qui reproduit les formes absentes pOJr permettre
la comparaison et découvrir la similitude. Cela n'empêche pas que la
conjonction constante soit minée par la discontinuité. La discontinuité se
retrouve aussi dans la répétition: "la simple répétition d'une impression
passée, même à l'infini n'engendrera jamais une nouvelle idée originale,
comme celle de connection nécessaire; le nombre des impressions n'a dans
ce cas pas plus d'effet que si nous nous en tenions à une seul e" (1).
Mais nous présumons habituellement que la nécessité est olus que la simple
conjonction constante qui n'est rien d'autre qU'une contiguité spatio-temporelle
La conjonction constante s'épuise dans la répétition d'une contiguité indi-
fférente. La répétition elle-même tourne à vide, elle est purement quantitative,
elle ne peut créer de l'être. On peut dire qu'elle n'est qu'un acte
tautologique. f<épéter c'est faire la même chose plusieurs fois; mais' si
le premier acte n'a pu sortir de lui-même, cet acte mi l l e fois répété ne sera
(l)
HUME, Traité,) p. 1es

75
qu'une addition du M.ême. C'est donc une addition quantitative qui ne peut
sortir d'elle_même.
Mais plus encore cette répétition est une répétition du différent en ce
sens que chaque impression tout en démeurant impression est d'abord impression
différente (temporellement et spatialement). La discontinuité est donc
l'impuissance de sortir du pluriel, ce pluriel étant lui-même miné au niveau
de ses éléments par l'hétérogénéité.
Ainsi la répétition n'a pas la raison de son répéter ni ne peut sortir
d'elie-même pour créer de l'être; la ressemblance n'est pas ia similitude
ou l'identité, elle implique dêjà la différence étant compara i s cn .
Si nous poursuivons nous verrons que l'inférence elle-même n'est qu'une
conjecture ..
En effet ,rien dans ï 'expérience ne nous assure que la répétition se poursuivra
et encore moins qU'elle répètera du semblable. L'inférence n'est qU'une
conjecture à l'image de la conjonction constante qui la fonde. C'est donc
dans la béance introduite par le futur que va s'introduire la discontinuité
théorique. Nous ne savons pas ce que sera le futur; aucun indice dans le
présent ni dans le passé ne peut nous renseigner.
['est pour conjurer la discontinuité du futur, pouvoir en effet prévoir,
que la probabi lité s'introduira comme science dans la qnoséologie
humienne. Le probèo l e c'est la discontinuité conjurée: l' •••• la probabilité
se fonde sur la orésomptfon d'une ressemblance entr~ les objets dont nous
avons eu l'expérience et ceux dont nous ne l'avons pas eue; et par suite
il est impossible que cette pré somnt i on puisse naître de la probabilité"(l).
Afin de prévoir il faut conjecturer la similitude du passé et du futur, et
dire que, si le futur est semblable au passé alors tel évènement a plus de
chance de survenir qu'un autre.
La probabilité, à un rapport à la vérité et à la certitude. A défaut de la
certitude sur le futur le probable signifie
ce qui a le plus de chance
de se produire. Il nous faut mettre en évidence la discontinuité a l'intérieur
de la probabilité.
(lj HUME~ Traité~ p. 164~165

70
Commençons par la distinction de la connaissqnce et de la probabilité.
La connaissance relève de ce que HUME appelle la comparaison d'idées, il
la définit: "l'évidence qui na'T't d'une comparaison d'idées" (1). Tandis
que la 'probabil ité comp"'end " ... tous nos arguments tirés des causes et
des effets ... ". C'est donc dans le domaine des raisonnements de fait que
règne la probabilité. Il nous faut y insister l'inférence est assise sur une
double incertitude
: l'incertitude de la répétition et l'incertitude
de la ressemblance. Hien ne nous prouve que le futur sera comme le passé.
L'incertitude est un sentiment
temporel qui inclut l'attente; c'est
dans la distance temporelle passe-futur que s'enracine l'incertitude.
Et cela nous renvoie de manière détournée au problème de la crainte et
de l'espoir qui sont des passions de l'incertitude.
La probabilité est donc la science qui cnerche a conjurer l'incertitude.
Comment fnnctionne-t-e11e ?
HUME prend l'exemple du dé Dour étudier 1a probabi 1ité des chances.
soit un dé spécial à 6 faces dont 4 portent le même chiffre et les 2 autres
un chiffre différent. Nous sonme s dans l'incertitude quant au chiffre qui
va apparaître. La distance temporelle qui nous sépare du jet du dé nous met
dans une position instable. Mais pour que l'incertitude soit complète
il faut un certain nombre de préalables. D'aDord la probabilité n'est pas
un refus total de la causalité, il ya déjà a l'oeuvre une causalité implicite,
naturelle dirons-nous. Par exemDle nous sommes sûrs que le dé lancé ne
restera pas suspendu dans l'air et qu'il tombera selon la 10; de la
pesanteur. Nous sommes aussi convaincus qu'il montrera forcement une de
ses faces. A ces présupposés ; 1 faut ajouter l' éga1; té des chances. Chaque
face du dé prise en elle-même a autant de chances qve les autres d'apparaître.
Le dé n'est pas pipé, aucune face n'est favorisée. C'est dans cette situation
que la probabilité des chances jouera. Si nous prenons les faces du dé, nous
voyons qu'un chiffre est ponté 4 fois nous en déduisons que le chiffre qui
a le plus de chance d'apparaître est le chiffre porté sur un plus grand
nombre de faces. Notre ima~ination d'abord partagée en autantde directions
qu'il y a de faces différentes oppose les deux tendances et la tendance
dominante l'emporte à proportion de sa supériorité. La croyance suit la
t
(1) HUME
Traité, p. 205
3

n
tendance de l'esprit. La vivacité superleure de l'impression présente
pousse l'esprit vers le grand chiffre et néglige le petit nombre: on
dira alors que la face proba~le a 4/6 chances d'apparaltre.
C'est la différence de 4-2 qui détermine l'esprit à se pencher d'un côté
plus que d'un autre. Cette règle appliquée à l'existence et à la connaissance
a des conséquences multiples.
O'abord par rapport à l'existence: qu'est ce qui nous donne la
certitude par exemple que le solei 1 brillera demain, que la pesanteur jouera
toujours? Nous rais0nnons de manière simple. puisque le solei 1 siest
toujours levé. il n'y a pas de raison qu'il ne se lève pas. r~ais ce "il n'y
a pas de ra i son ", n'es t pas une expl tca t ion d l met en évidence notre inca-
pacité à déterminer avec précision le pourquoi de notre assurance. Dans
ce cas nous raisonnons selon la logique du probable. Toute notre existence
est donc suspendue à cette logique; le politicien, l'historien, l'éducateur
le philosophe et les sciences qui relèvent de la cause et de l'~ffet
raisonnent de cette manière.
Ensui te j'l a science causale elle-même baigne dans l'incertitude de
l'avenir. Pour sortir du passé-présent et faire des conjectures sur le
futur, enfin de compte, pour dépasser l'expérience présente la science du
probable est obligée de conjecturer.
Telle est la dimension théorique de la discontinuité. Nous verrons
par la suite que la discont;nuité théorique peut être conjurée par une fusion
de la probabilité, de la croyance et de la pratique. La croyance nous
le verrons est possible parce que l'esprit est déterminable, c'est cette
déterminabi lité qui permettra de sort i r du verti ge du répétitif et instaurera
la nécessité à l'issue du processus. La discontinuité s'extériorise autr-ement
au niveau de l'esthétique.
2 -
La discontinuité esthétique
La discontinuité esthétique est caractérisée essentiellement par un
éclatement au niveau du goût et par une SUbordination de l'art au socius.
L'art dépend du socius et du politique: l lart est le fruit de la liberté.
La liberté est elle-même obtenue grâce à une civilisation et une pratique
culturelle très longues. Cette civil isation est en rapport" avec le

78
développement économique, le cormnerce qui permet le luxe (1). L'art étant
un produit de luxe ne peut naître que dans une société économiquement
développée (libérale). C'est grâce à la présence d'hommes assez riches pour
se détacher des problèmes du quotidien et dépenser le superflu que l'art
doit de fleurir. Ce sont ces riches qui en constituent le premier pUblic.
Une seconde condition tout aussi importante que la première clest la
1i berté. L'art a besoin de 1i berté. Les arti stes ne peuvent être des
esclaves: ils doivent penser et créer selon leurs idées. L'art est fils de
la République parce que dans celle-ci le pouvoir du souverain est limité.
Tenant son pouvoir du peuple le souverain est obligè d'en tenir compte.
C'est d'abord dans la République que naît l'art et qu'il est ensuite
transporté dans les monarchies civil isées. Dans une monarchie tyranni'que
le peuple perd sa liberté en même temps que sa spontanéité créatrice: l'art
ne peut s'y développer.
Mais comme il y a deux sortes de monarchies: la tyrannique et la civilisée,
on ne peut dire que l'art déserte absolument la monarchie. une monarchie
civilisée comme celle de Louis XIV a vu fleurir l'art dans tous les
domaines. Les monarchies civilisées peuvent donc participer à l'éclosion
de l'art mais c'est au développement d'une civi lisation de bonnes manières
qu'elles tendent plus.
Ainsi la naissance de l'art est-elle soumise à des conditions très
spéciales. MaisJsi ces conditions sont remplies" comment na'ît alors l'art?
L'art n'est pas dlorigine populaire chez HUME contrairement à ce qu'on
pourrait penser, c'est qrâce à des producteurs de génie que nous devons à
l'art d'éclore. Si les génies de l'art existent, mais ne se découvrent pas
l'envie d'imiter peut les aider à se révéler. Si l'imitation n'y peut suffire
la stimulation due à la concurrence avec des nations voisines peut encourager.
Mais il surgit un problème fondamental; si les artistes concurrents ont
atteint l'apogée dans certains domaines on ne peut plus les atteindre.
\\
(1) HUME~ Les essais esthétiq:...œs I" réuni-e et traduits Par' Renée BOUvERESSE
o], "De la naissance et du Proa rèe des Arts et des Sciences" Ed, J. VRIN
1973 p.
61 et suiv.

79
La loi du progr~s de l'art veut que
toute perfection dans un domaine soit suivie d'un déclin. Si la tragédie
atteint Dar exemple des sommets dans un siècle et avec un homme elle ne
peut plus que décliner. La perfection ne se maintient donc pas; elle ne
se renouvelle pas non piUS. C'est donc une sorte de discontinuité qui rend
l'imitation parfois négative pour le développement artistique d'un pays.
On n'est pas encouragé par un modèle qu'on n'espèrera jamais atteindre
ou dépasser. Nous sommes obligéS de constater que l'art est discontinu dans
ses origines et dans son développement. Mais une fois que l'art est
développé comment se pose le problème de la reconnaissance de la beauté?
Dans sa vision emp ir i que de l t estnë t t que , HUME prend ses dt stances,
sa~s le dire,par rapport à l'esthétique hutchesonienne (1) d'influence
platonicienne et par rapport à l'esthétique platonicienne elle-même.
En effet HuTCHESON fonde la connaissance du beau dans un Sens interne
qui nous permet de réagir à l'uniformité', à l'Ordre, a l'Arrangement, et
à l'Imitation (2). Ce Sens interne est différent des sens qui nous renseignent
sur 1e monde extérieur et du sens mo ral. qui nous perme t de réagir par rapport
à la beauté morale de certaines actions. Ce sens de la beauté est naturel
mais il ne se développe et ne S'épanouit qu'avec l'âge et l'éducation.
HUTCHESSON distingue alors deux sortes de beautés: la beaut4 absolue ou
originale celle que nous percevons dans les objets sans comparaison avec
quelque chose d'extérieur et qui fait oenser à une sorte de beauté naturelle
(il y entre la beauté des formes de la nature, des formes artificielles,
des fi gures et des théorèmes) pu i s 1a beauté rel.ative ou comparée qui est
une beauté imitée des formes déjà bellespar e1les-mémes sans comparaison.
Le rapport de la deuxième sorte de beauté par rapport à la première est un
rapport d'imitation comme chez PLATON. La beauté absolue faisant penser
et à la beauté idéale platonicienne et à la beauté naturelle imitée de la
première. La beauté de la peinture se situe alors à un troisième rang par
rapport à l'idéal. La beauté dans ce sens est transcendante. C'est toute la
problèmatique de l 'Hippias majeur (3) : le problème de la beauté comme ce
(1) F. HUTCHESSON~ Treatise l
(2) F. HUTCHESSON~_Op.Cit~Dréface Pop; V,VI
(3) PLATON~ Hippias ma.jeur~ PA.I?ISJEd. Garnier - Elanmax-ion trad. E. Chambry, 1967.;

80
à qUOl participent les beautés particulières y est pose dans toute son acuité.
On apprend que le beau n'est pas la belle jeune fille, ni la belle jument,
ni la belle mannite, encore moins l'or. Elle est aussi différente de la
convenance et de l'utile. Bien que la baauté soit difficile à définir elle
est l'objet du désir dans le BaQguet.(l). Dans le Phèdre (2).)c·est par
une ascension que nous nous dirigeons vers la beauté, nous commençons dans
le sensible par la beauté des choses naturelles (homme, femme) puis nous
accèdons à la beauté des beaux esprits puis de là à la beauté en soi. Le
beau est donc la dernière étape d'une ascension qui commence dans le
sensible.
Pour HUME, la beauté se maintient au niveau du sensible et de l'esprit
et elle n'implique aucune ascension. La beauté est expérimentée. C'est
pourquoi il faut reconnaftre une part de vérité à la thèse' qui veut qu'on
ne discute pas du goût: "Si vous êtes sages, chacun de vous accordera que
l'autre peut avoir raison; et comme il y a de nombreux exemples de cette
diversité du goût, vous reconnaîtrez ensemble que beauté et valeur sont
purement relatives et dépendent d'un sentiment agréable produit par un
objet dans un esprit particulier conformément a la constitution et à la
structure propres de cet esprit" (3). Le qoüt étant particularisé ou
individualisé la beauté le rejoint dans la subjectivité: "La beauté n'est
pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement
dans l'esprit qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté diffé-
rente" (4). Mais cette thèse subjectiviste n'est pas longtemps suivie. HUME
en sort pour essayer de définir la beauté objective. Il distino,ue deux sortes
de beauté: la beauté naturelle et la beauté artistique. KANT reprendra plus
tard cette distinction dans la Critique du jugement: "Une beauté naturelle
dira-t-il est une chose belle)une beauté artistique est une belle reprgsentation
d'une chose" (5).
( l ) PLATON,
Le banque t / PA.IrIS JED. Garnier _ El.anmar-ion trad. E. Chambtrf ,
1964
(2)
PLATON, De Phèdre, PJ..RIS, Ed, Garnier - Pl.ammax-i.on trad. E. Chambry
1964
(3) HUME, Principes..... cf'.~ Les Quatres PhiZosophes:'en partù::ulier'\\le sceptique ""
p. 237
-,
(4) HUME, Esthéticru.e II, Textes traduits par R.
BOUVERESSE,ed. J. VRIN 1973 .
J
cf. "De la no~e du goût" pp. 8:!-83
(5) KANT, CPitiqu.e :du jugement, ea. J. VRIN, trad. J. Gibe i in , 1960, p. 131

81
Pour HUME la beauté naturelle est une beaut~ finalisée(!). une chose
est déclarée belle quand elle remplit Dien la fonction pour ta qual l e elle
est faite. Dans la beauté finalisée, il entre donc l'utilité mais il entre
aussi la convenance et l'efficacité. C'est une beauté d'abord fonctionnelle
dans laquelle la finalité utile joue le rôle d'organisatrice. La convenance
est cette heureuse disposition des choses qui fa,t que le bois par exemple
est meilleur pour la construction de la table que l'or. La convenance
est une sorte de proportion adaptée à un objet en vue de sa finalité:
"un navire paraît plus beau à un artiste, ou à un homme quelque peu versé
dans l'art de la navigation, si sa proue est plus large et plus renflée
que sa poupe, que slil était construit avec une parfaite régularité géométrique,
contrairement à toutes les lois de la mécan i oue " (2).
La proportion pour la proportion n'a pas de sens dans la pprspective finaliste.
La proportion doit toujours avoir l'efficacité comine rêql.e directrice.
L'efficacité est cette qualité qui fait que l'objet atteint les meilleurs
résultats avec le minimum d'efforts. La beauté est alors différente selon
les êtres
"
Une source importante de beauté pour tous l es animaux est
l'avantage qu'ils retirent de la structure particulière de leurs membres
et des parties de leurs corps, conformément a la manière particulière
de vivre, à laquelle ils sont naturellement destinés. Les justes proportions
du cheval tracées par XENOPHON et par vIRGILE sont identiques à celles
qu'admettent aujourd'hui nos jockeys modernes; car leur princtpe est identique,
C'est l'expérience de ce qui est nuisible ou utile à l'animal" (3).
Pour les honmes ."
une partie considérable de la beauté humaine,
aussi bien que celle des autres êtres animés, consiste dans une conformation
des membres, tel le qu'elle s'accompagne, découvrons-nous Dar expérience, de
force et d'agilité, et qu'elle rend cette créature capable d'une action ou
d'un exercice. De larges épaules, un ventre plat, des articulations 'fermes,
des jambes en fuseaux; toutes ces formes sont belles dans notre espèce, car
elles sont signes de force et de grande vigueur7"(4).
(]) O:ivier BRUNET~ Philosophie et esthétique chez David H~, P~fiIS~ Ed.
Iribrai r-ie , A~G. NIZET; 1965 p. 550 et suiv.
cf. aussi
~JLNT pour q~i '~uand on dit: voilà une belle femme~ on pense
en fait à ceci seulement que la nature présente:
sous une forme be He, les
fins de la constitution fénrirrine" Op. cit . p. 131
( ~ HUME~ PI'incipes p. 68
( .3) HUME~ Op. Cit pp, 101-102
(4) HUf.$, V"t'aité_pp~
743~J44.
r-·

82
Cette beauté naturelle que nous venons de signaler est facilement reconnais-
sable puisqu'elle est en rapport avec la finalité. L'utilité joue retrospectivement
pour soul igner l'efficacité et la convenance de l'objet et donc sa
be auté. (l ) .
Cette iision de la beauté est celle d'HTPPIAS (2). Ce dernier dira
notament que l a convenance peut rendre certaines choses 1ai des en e11 es..
mêmes,belles. La convenance peut donc donner l'illusion de la beauté.
Il est donc évident dira SOCKATE qu'elle n'est pas la beauté qu'elle permet.
La beauté est donc autre chose. La beauté ne peut non plus être l'utile comme
. .
. ' .
le soutient HIPPIJ1.S (3), puisque la force par exemple est dite utile mais
si elle est mal employée elle devient un mal, elle n'estdonc'pas la
beauté dira SOCRATE. La force ne peut être utile;que si elièes't'bien
employée; Or pour bien employer il faut qu'on sache le bon emploi et donc
qu'on sache ce que c'est que la beauté. La beauté n'est donc pas la force.
Si SOCRATE écarte la beauté - convenance et la beauté-utile c'est pour
préparer sa théorie du Beau intelligible. Un beau qui n'est ni ceci ni cela
mais qui fait que ceci et cela sont beaux. Mais HUME ne s'arrête pas a la
beauté-utile comme HIPPIAS, il distingue ensuite la beauté artistique. Dans
~
+
"
"""
les articles De la norme du goût et surtout dans Oe la Tragédie, HUME
est confronté à un problème qu'il nomme le paradoxe de la tragédie. La
tragédie en effet, nous montre des actions pénibles, la détresse et
pourtant, nous la trouvons belle. HUME distingue alors plusieurs raisons
,
de cette beauté qu 1 il emprunte à l' abbe DuBos et à FONTENELLE (4).
La tragédie pour DUBOS est belle parce qu'elle permet par une douce
mélancolie de divertir l 'homme de lui-même. Mais HUME trouve tout de suite
cette explication insuffisante et fait appelle à celle de FUNTENELLE.
Pour FONTENELLE la tragédie est belle non pas seulement parce qu'elle
nous divertit de nous-même mais parce qu'elle le fait en jouant du malheur
(1) Pour K~T le jugement de goût est désintéressé, c'est à dire ~u'il est libre
"on. peut di.re que parmi ces trois genres de satisfaction (agréable, bon, go~t)
. celle du qoûi-vpour le beau est seule une satisfaction dée-ùite reeeee et libre
car ici aucun intérêt, ni de sens, ni de la raison ne nous oblige à donner
notre assentissement" cf. Critique du Juqement: p. 45
(2) PLATON, §;. cit. 290 b - 290 e
(J) PLATON, _. CiV95 e - 296 b
(4)

FONTENELLE, Oeuvres - Mélanges, Pfl~~IS, Ed. SALMON, librairieJEditeur 1825
CF. "Sur la poêÜque lGlXVI" pp.
J24 - 325

83
fictivement.
~ien que les actions de la tragédie soient tristes nous sommes tout de mêw~
pénétrés d'un sentiment d'irréalité qui nous fait penser intérieurement que
toutes les passions deployées devant nous ne sont pas réelles. Et clest
donc cette distance intérieure,prise par rapport a la matérialité en
soi désagréable des actions tragiques qui se déroulent devant nousJqui
permet le charme de la tragédie.
HUME complètera ces deux définitions de la beauté traqique en
ét~blissant une différence entre les passions pénibles qui sont en quelque
sorte le contenu de la tragédie et la beaute formelle qui est l'art du
dramaturge. C'est grâce à cet art ~représentation artistique d'actions
tragiques) que l'auteur nous intéresse a la beauté de la tragédie.
La forme, la rhétorique, les techniques et les procédés de style
doivent dans leur simplicité maîtrlser les passions, les transfigurer. Les
acteurs par leur talent doivent rendre la passion selon sa juste mesure
au niveau même où l'auteur l'a située.
Les spectateurs sont non seulement charmés mais il subissent une véritable
~atharsis. Catharsis a un double niveau: un niveau Droprement thérapeutique
et un niveau moral. L'art a quelque chose à voir avec la morale comme chez
KANT (1). Mais a supposer que l'auteur ne maîtrise pas son art. La passion)
c'est.Ldire le contenuj oourr-a déborder la forme et les ac t ion s. au lieu d'être
joué~,seront vécues. Parfois un manque de simplicité dans le style peut peindre
les actions avec tellement d'excès qu'elles peuvent en paraître invraisemblables.
Adoucir la passion, insuffler une nouvelle vitalité a l'esprit par une
atténuation de la peine; Travailler artistiquement à peindre positivement
'-
./1
la vertu tel est le devoir du dramaturge: "la simple souffrance de la vertu
plaintive, sous la tyrannie triomphante et sous l'oppression du vice forme
un spectacle désagréable que tous les grands dramaturges évitent soiqneusement.
Pour que le public puisse s'en aller satisfait et sous l'effet d'un parfait
consentement, il faut que la vertu se transforme elle-même en un noble
et courageux desespoir, ou bien que le vice reçoive son propre châtiment" (2).
(1)
KANT~ op. cit. p. lôô "je dis que le beau est le symbole du bien moral".
(2) HUME,
"De la tragédie" in Essais Esthétiques JI p. 112

84
Tout cela nous oblige à distinguer la beauté du clinquant. Alors que
le temps consacre 1a véritable beauté; il emporte 1es beautés éphémères.
Et comme dit DUBOS : "Si la chose belle est en e l le-même intemporelle, le
temps cependant, celui qui siest écoulé
depuis la création de la chose belle,
de même que les associationsqui y sont mêlées, tel l'accompagnement sans
défaut d'une invulnérable mélodie, lui apporte ce rehaut exquis que l'on
appelle la patine, et qui n'est pas seulement l'apanage de la peinture, mais
qui s'attache aussi à la grande poésie et à la grande prose, de même que
"les arbres qui murmurent autour d'un temple nous deviennent bientôt aussi
chers que 1e templt lui -même /1 (1).
Ainsi nous avons distingué à l'instar de HUME la beauté naturelle de la
beauté artistique nous allons maintenant approfondir la réflexion sur le
goût.
Le goût nous est apparu d'abord comme éclaté à l imaqe des subjectivités.
i
mais nous avons découvert une sorte de consensus commurl-l:squ; reconnaissait
l'existence de la beauté comme quelque chose d'objetif.
Le temps):'\\vions-
nous dit)consacrait cette beauté_là. Le goût doit donc à l'image de son
objet unifié se préciser.
Le goût trouve son fondement dans la nature humaine d'un point de vue
de la généralité; c'est cette idée qui est à la base de la création des
règles générales de l'art: "Mais bien que toutes les règles générales de
l'art soient fondées seulement sur l'expérience et sur l'observation des
sentiments communs de la nature humaine, nous ne devons pas imaginer que,
à chaque occasion les sentiments des hommes seront conformes à ces règ les" (2).
Il Y a donc une discontinuité qui s'introduit: l'unanimité n'est pas faite
sur les règles, la plupart des hommes prennent volontairement ou involontairement
la liberté avec elles. Soit qu'ils n'ont pas cette "délicatesse dtmaq i nat ion "
requise, soit qu'ils n'ont pas reçu l'éducation artistique nécessaire.
La pensée de qoût doit aussi atteindre au niveau où se mêlent entendement
et sentiments : "~~ais comme notre intention dans cet essai est de mêler
t I ) cf. DUBOS
Qu'est ce que la l.ittér'élture et Journal intime suivi de HommarJ!!:.
J
à Cha.:!'les DUBDSj Pa.:Y"Ïs
Ed. Librai.ri:e Plon,194.5 )trad. !1me Chas-lee OUBDS
J
cf.
l'article III "La littérature et la beauté" p.
65
(2) HUME"Esthétioue II, p. 85

85
quelque lumière de l'entendement aux impressions du sentiment, il sera
opportun de donner une définition plus précise de la délicatesse" (1).
L'intention de HUME est on le voit de "mêler" entendement et sensibilité
Mais ce tra~ail ne peut avoir d'heureux résultats que s'il rencontre une
"dél icatessedïmagination". L'imagination joue comme chez KANT le rôle
d'intermédiaire.
Mais la sensibilité a des fondements sympathiques et émotionnels
tandis
que l'entendement est la faculté d'analyse et de comparaison.
L'imagination délicate permet tout le travail subtil d'association
qui fait sympathiser avec l'oeuvre et permet de la comprendre. Or il n'est
pas donné à tout le monde de pouvoir exercer sa délicatesse de goût de
la même manière. Il se pose alors le problème de la reconnaissance sociale
de la beauté. Quels sont les découvreurs professionnels du beau?
Et là nous somne s confrontés à la discontinuité des opinions. ïoute
opinton soutenue par une quelconque dél icatesse veut se donner comme référence
La beiauté se prostitue de nouveau dans l es points de vue des connaisseurs.
Si l'anecdote du Don Quichotte (2) nous ensei~ne une certaine objectivité
du goOt, ce goû~ est d'abord goût éclaté. Chacun des connaisseurs a été
retenu par un goût différent.
L'un a senti un vin dont le goût avait une odeur de clé et l'autre a senti
un vin qui avait un léger goût de cuir. L'expérience en nous démontrant qu'il
y avait une clé attachée à une lanière de cuir au fond du vin a permis de
lever l'équivoque: chacun des connaisseurs à sa manière a eu raj ":1.
L'accord s'est néanmoins fait au niveau de la bonne qualité du vi
Mais
l'oeuvre d'art ne peut être soumise à ce traitement expérimental
Qu'est
ce qui va alors unifler le discours sur la beauté artistique?
Pour HUME ce sera l'expérience et les règles de l'art qui nous' permettront
de terminer les discussions sur le Qoût. Cela ne suffit pas/parce que tous
(1) HUME, op. cit. p.
87
(2) HUME, cf. article "De 7,17. norme du goût" p.
87 et suiv.

86
les hommes ne sont pas tous porteurs du savoir esthétique au même degré.
Il y a, dit HUME, des hommes qui par la pratique se sont dts t inques et
qui constituent les hommes de goût et qui seront arbitres en matiêre de
beauté. Mais la discontinuité qui travaillait déjà l'art à son origine nia
pas été résolue parce qu'on ne sait pas au juste comment reconna1tre ces
r~mnes de goût qui sont chargés de découvrir la beauté. La connaissance
des règles de l'art ne suffit pas et la délicatesse de goOt est une qualité
subjective de l'âme. On ne sort pas de la discontinuité esthétique.
Telle est la signification de la discontinuité esthétique dont l'expo-
sition nous permet de passer à la discontinuité existentielle et sociale.

87
SECTION
III
LA
DISCONTINUITE
EXISTENTIELLE
ET
SOCIALE
----/
Existentiellement la discontinuité ontologique et thêorlqu~ prendra
la signirication de ce que HUMt appelle la discontinuité de cer~aines qua~ites
inhérentes à nous (les phi losophes ne déflnissent-lls pas l 'homme comme
un être de passion dont il faut faire l'anatomie?) (1) et la discontinuité
de certaines circonstances (2).
Les principaux textes concernant la discontlnulté existentielle et
sociale se trouvent dans~ivr~s II et III du Traité, dans 1'Enguête (reprlse
châtrée du Traité I) et dans les Dialogues spécialement la onzième partie.
Mals Sl dans le livre II du Traité, la discontinuité est pensée sous
le cuuvert ae la passion, au nlveau du livre iII elle creusera encore le
dé sequr l iore interne de l'homme (son caractère naturel) pour y trouver
ses racines. La socialisatlon (moralisatlOn) et la politisation (constitutlon
du corps POlitlque) seront les solutions artificlel les au problème de la
dlscontlnulté existentielle.
(1) HUt'l.E : "i.L est temps maintenant: de re tourner ci une étude plus serrée
de notre sujet e~ d'avcracer dans une anatomie so~gneuse de ~a na~ure
hu71aine .... "
Trai te p.
:555
-A.RISTO'1'E~ De l 'âme, PAI?IS~ Société d'Edi t.ione "les be i le e l.ect.vee ",
1906 ;
craa, E. Bp...lr.BO'J.'IN" .... Ù appartient ( ... ) au physicien de
traiter de l'âme SO'l-t de toute espece d.'âme~ so~t de l'âme tel&e que
nous [a décI'~vons" p. 4
DEoCp~TES~ Les passions de ~'.4me, in Oeuvres lIT
PAHIS
Publica~ion
J
J
ALQUIf:,'~ Ea, A. GILf-r.'Nll:;R~ 19?;j~ " .... mon dessein n'a pas été d'expliquer
les passions en orateur ni même en philosophe moral~ mais seulement en
phuei.ci.en" Deuxième le ttre à la Pré face P. :74[1.
- HUBBES~ Ue la nature humaine~ Ed, J. VtŒN
19/1 trad. du saron D'HOLBACH;
J
Epitre dédicatoire p.
II
- SP1WO'f,A~ J:,'th1.que
?,a.RIo~ Ea . Garrner; FlaJ!1J71Œr:on~ 196b
trad. Charles
J
J
APPUHN "... i l apparaùt.ra surprenant que j'en t.reprenne de t rat: ter des
oi cee des hommes et de leur infirmité à la manière des géomètres"
p.

133-134
(2) HUME. Tra~te·.

v .
pp.
003-604

Dans l'Enguête le problème de la liberté sera posé et l'on découvrira
l'homme comme être soumis à la néceSSlté.
Tandis que dans la onzième partie des Dialoques la discontinuité sera reprise
et pensée cette fois-ci par rapport a l 'argument du dessein. La thèse
discontinuiste tendra à montrer l'absence d'une finalité bienveillante dans
le monde. On ne peut. selon HUME, à partir du spectacle du monde dire que
celui-ci soit l'oeuvre d'une bienveillance.
Ce texte capital résumera la discontinuité existentielle de l'homme.
Plus radicalement si on prend l'homme à son niveau atomique individuel
on pourrait penser qu'il devrait se maintenir dans une indifférence face
au monde, ce n'en est pas le cas. Nous voyons que l'homme réaC)it face au
monde selon une logique binaire hédoniste. Il réagit au plaisir et au
déplaisir. Mais cette puissance de distinction se recroqueville tout de
suite en une circularité narcissique qu'on pourrait nommer l'amour de soi.
Si l'être était indifférent au monde il périrait avant qu'il n'ait vécu.
l'homme mort le jeu de 1'existence
n'aurait pas lieu, il faut donc des
joueurs et des acteurs pour que le jeu existentiel ait 1ieu. Et ainsi,
la puissance de distinction primaire qui distingue entre le plaisir et
le déplaisir est fondamentale, c'est d'elle qu'il faut partir. Cest un
noyau qui peut se lire selon deux directions. On peut penser que l'homme
de par le fait qu'il est réceptif au monde serait un être de la coïncidence
et de l'harmonie dont la figure sociale serait la sympathie et la
bienveillance. Ce versant nous intéressera à son heure. Mais ici nous al-
lons nous occuper.de 1;aspect
discontinuiste qui renvoie aux limites
que sont l'amoup de soi et l'égoisme.
Si nous revenons à notre puissance de distinguer au niveau fondamental
nous verrons qu'elle tourne sur elle-même. L'homme se recroqueville et son
détour dans le monde revient à soi comme à son origine. L'expansion avortée
se nourrit dans l 'homme pour travailler à la conservation de ce dernier.
La première circularité prend le sens de la vie comme bien à protéger.
Cette idée se retrouve déjà chez HOB~ES qui dit dans le
Leviathan
que l'homme du contrat peut se révolter si son. existence biologique et

matérielle est menacée (1). Cela veut dire que le jeu social, en d'autres
termes le contrat social n'a pas lieu si l'individu est en danger de
disparaître. Si la cnmpréhension de cette idée est étendue elle inclut la
légitime défense, la trahison de guerre et le refus de la guerre.
Chez HEGEL, par exemple l'esclave est esclave au prix de sa vie, il renonce
à sa liberté aux prix de son existence (2). Le vacillement qui ébranle tout
son être devant la menace de mort lui fait découvrir que la vie est la
valeur existentielle irremplaçable. C'est à partir d'elle (la vie) que
le jeu existentiel peut s'ébaucher et la formation se faire.
Il faut donc perséverer dans son être. C'est une exigence et un fondement
d'agir. L'amour du plaisir et la fuite du déplaisir sont les bases de
la logique binaire qui déchiffre le monde pour l'indivldu. Mais cet amour
de la vie poussé à l'extrême impl ique un paradoxe que HUME pense dans le
problème du suicide: on peut se débarrasser de la vie si elle ne vaut plus
la peine d'être vécue. Si continuer à exister ferait plus de mal que cesser
d'exister (3).
Dès lors on peut dire que l'individu est fondamentalement égofste ;
si tout le détour sflnpathique et d'ouverture sur le monde extérieur revient
sur ses ~s c'est que l 'homme est d'abord et avant tout atomique-parcellaire.
Mais au niveau des Dialogues, HUME fait éclater cette premiére constatation
et se demande pourquoi l t honme réagit au plaisir et au déolaisir?
Pourquoi le plaisir n'a pas été la seule mam ere de faire mouvoir l'homme.
HUME postule une sujfpression d'un des termes de la logique binaire
fondamentale. La conservation de soi serait encore le sens de l'é3oîsme
primordial mais cette fois-ci le déplaisir serait écarté. Le plaisir se
diviserait en deux états peur remolacer le second terme. Un accroissement de
plaisir serait le signe que l'existence s'accrolt et qu'i 1 y a plénitude,
expansion.
(1) HOBBES~ op. cit. p. 132
cf. aussi CELINE~ Voyage au bout de la nuit~ ~~IS~ ed. FOLIO/Gallimard
1952, p.
88
(2) HEGEL, Phénomènologie de l 'esprit~ Trad. Hyppolite. PARIS~ Ed. Aubier
MONTAIGNE, 1975 p. 164, T. 1
(3) HUME. Histoire~ cf. "Du. suicide" pp. 120 - 121

90
Une diminution de plaislr serait le signe d'un manque et alors on chercherait
le plaisir pour l'accroître de nouveau.
Dans tous les cas l'hédonisme serait la nature de l 'homme parce que
une diminution de plaisir n'est pas une douleur même si elle succède a un
grand plaisir. Le plaisir serait l'état permanent de l-homme et l'objet
de ses inquiétudes. On ne sortirait pas du plaisir.
A travers cette critique HuME entend dire que la bienvei Ilance divine
si elle était réelle, devrait avoir façonné 1'homme de la manière que nous
venons de décrire. Ce serait l'état le plus heureux possible.
Sur cette critique, HUME va en greffer une seconde qui s'enracinera
elle aussi dans les qualités inhérentes â l'homme.
Et à ce niveau il faut comprendre la discontinuité de deux manières,
La discontinuité conçue comme démesure (expansion incontrôlée) et comme
"relâchement" (du système humain et du système de l'univers).
La discontinuité conçue comme démesure pourrait s'enraciner dans la vision
de l 'homme comme être passif (être de passion). La question concernant
l'homme â ce niveau est la suivante: l'homme est-il maître de sa volonté?
Cette probl êma t i cue se fonde dans une vision de l'âme qui la conçoit comme
autonome et comme régissant le corps (libre-arbitre). Mais une tendance
adverse va faire de l'âme quelque chose qui subit aussi les .Inf luence s du
corps.
Avec DESCARTES par exemple les passions trouvent leur substance dans
l'âme mais non leur cause qui se trouve dans le corps. Il y a interaction
de l'âme et du corps et cela par le biais de la glande pinéale (1). Mais
l'âme peut agir sur le corps (indirectement) comme le corps peut agir (indirec-
tement)sur l'âme. La volonté est parfaitement libre: "la volonté est tellement
libre de sa nature qu'elle ne peut jamais être contrainte" (2),
(1) DESCARTES
op. cit. pp. 977 (art. 31)J 979-980 (art. 34)
J
(2) DESC~RTESJ GD. cit. p. 085 (ar~. 41)

91
Les volontés de l'âme sont en son pouvoir tandis que ses passions ne
sont qu'indirectement en sa puissance. DESCARTES prônera une technique
pour maîtriser les p~ssions (1).
L'autonomie de l'âme se perd avec MALEBRANCHE pour qui nous ne sommes
pas cause de nos actes mais plutôt l'occasion d'agir de la puissance divine
qui est la cause véritable et unique (2).
Le libre-arbitre sUDira encore la critique de SPINOZA. Pour ce dernier
notre liberté n'est qu'un leurre.
Nous nous estimons 1i bres parce que nous sommes dans 1·' ignorance des véritables
causes qui nous aqissent (3).
c'est dans cette dernière tradition qui est â l'opposée ce celle de
DESCARTES que s'inscrit HUME. Pour ce dernier, l'âme est soumise à la nécessité
comme le corps. Et même si l'âme avait la possibi lité de mouvoir le corps
leur hétérogénéi té ne leur permettra i t pas dl entrer en contact : "1 a pensée
et l'étendue sont des qualités complètement incompatibles et ne peuvent s'unir
l'une et l'autre dans un sujet unique" (4).
Et encore, si malgré l'hétérogénéité de l'âme et du corps le contact
avait lieu, on ne saurait pas de combien de centimètres la volonté mouvrait
le corps.
Nons seulement on ne pourrait pas dans ce cas poursuivre le processus
de l'action qu'elle provoque jusqu'au niveau du corps, mais notre ignorance
du cheminement des esprits animŒux nous mettrait dans l'impossibilité d'en
savoir plus. Nous sommes obligés de dire que la volonté pour nous ne s'arrête
qu'à la surface du mouvement. Il existerait même des mouvements dont la volonté
ne soupçonnerait pas l'existence: "Pourquo t la volonté a-t-elle une .act ion
sur la langue et sur les doigts non sur le coeur et sur le foie" (5).
(1) DESCAJ?TES~ op. ait. pp. 988 (art. 45)~ 989 (c~t. 46)~ 990-991 (art. 47)
(2) HUME~ dans ,L'Enqyête critiquera cette position de lvf.fl..LEBRANCHE (cf. Enquête
pp. 118 ~ 11 9~
.
(3) SPINOZA~ op. cit. p. 138
(4) HUME~ Traité~ op. 325,326
Enquête, p. 112 et suiv.
(5) HUME, ibid. p. 112

92
Si à cela on,ajoute les circonstances telles que l'état de santé de
l'individu, l 'heure du jour, l'état d'esprit, nous trouverons qu'il y a
di innombrables facteurs qui jouent à l'encontre d'une régularité de l'efficacité
de la volonté.
Ayant mis en évidence que la volonté n'est pas libre HUME reconnaitra
par contre une sorte de nécessité à la manière spinoziste.
u'abord dans les corps: "Tout le monde reconnaH que les opérations
des corps extérieurs sont nécessaires; et que, dans la communication du
mouvement, dans l'attraction et la-cohésion mutuelles, il n'y a pas la moindre
trace d'indifférence ou de liberté. Tout objet est déterminé par un
destin absolu à un certain degré et à une certaine direction de mouvement
et il ne peut se déranger de cette ligne précise, selon laquelle il se meut.
qu'il ne peut se transformer en ange, en esprit ou en une substance
supérieure" (1).
Oonc la matière brute est déterminée nécessairement à un "certain degré"
et à "une certaine direction de mouvement". Mais dans la mesure où l'homme
participe de la matière il participera aussi à la nécessité. Il suffit de
constater que malgré la diversité des conditions humaines de vie qUl créent
la variété dans les hommes, il y a une sorte d'unifomité dans les actions
humaines. Les circonstances agissent nécessairement sur l'homme et introduisent
en lui des changements; malgré la diversité apparente, les lois de ces
changements nous permettent de déduire une certaine uniformité dans les
hommes (2). La nécessité est aussi une exigence pratique parce que sans elle,
il n'y aurait pas de régularité dans les actions humaines individuelles, sociales
et politiques.
Individuellement: "tant que les actions ont une union et une qonnection
constantes avec la situation et le caractère de l'agent, nous accordons
(1) HUME, Traité, p. 507-508
(2) HUME, Op. C&t. p. 510

93
effectivement l'existence de la nécessité, même si nous la refusons en
paroles" (1).
La nécessité apparaît comme une nécessité pratique qU'on pput .refuser
en paroles mais qu'on ne peut pas refuser pratiquement.
c'est grâce à elle que les hommes peuvent vivre ensemble: c'est_à-dire
créer une société, un gouvernement, mettre une certaine régularité dans
leur existence: "les hommes ne peuvent vivre sans société et il s ne peuvent
s'associer sans gouvernement" (2).
Mais même l'essence du qouvernement qUl est le pouvoir dépend de la
nècessité: "Un souverain qui impose une taxe à ses sujets, s'attend à leur
soumission. Un général qui conduit une armée, escompte un certain degré
de courage. Un marchand attend loyauté et zèle de son représentant et de
son subrecargue.' Un homme qu i donne des ordres pour son dîner, ne doute pas
de l'obéissance de ses serviteurs" (3).
Or toutes ces actions sont pratique~ent nécessaires. On ne vit que
grâce à la nécessité. Il y a bien sûr une certaine irrégularité reconnue
des actions humaines mais comme l'esprit fonctionne tendanciellement, il
contrebalancera les actions irrégulières et les actions régulières et conclura
à la suprématie des dernières.
La responsabilité par exemple est une extériorisation pratique de
la nécessité car, sans elle/aucun homme ne serait jamais accusé d'un
quelconque méfait. Le crime le plus noir relèverait du hasard et la justice
pénale ne pourrait pas s'exercer.
La justice divine elle-même ne pourrait pas non plus s'exercer; car
il faut pour qU'elle s'exerce, que les hommes soient responsables de leurs
actions.
1
(1) HUME~ op. cit. p. 510
(2) HUME~ ~ p. 510
(3)
HUME. OD. c~t. D. 513
.
,
'-

94
.1.1 Y a certainement une contradiction dans la position dogmatique de
la nécessité par HUME. Au départ tout était séparé: "Tous les objets que
nous appelons l'un cause et l'autre effe t , si on l es considère en eux-mêmes
sont aussi distincts et séparés l'un de l'autre que deux choses quelconques
dans la nature
et nous ne pouvons jamais à les inspecter soigneusement lnférer
t
l'existence de l'un de l'existence de l'autre" (1). Si tqut est séparé tout
devrait ètre libre par rapport à tout. Rien ne déterminerait rien a un acte.
Et même le libre-arbitre qui suppose que quelque chose est cause de
soi ou de ses actes (autonome) n'aurait pas de sens. La causalité n'existant
pas ce serait une liberté-désordre qui régirait les choses. Mais il faut
t
tout de suite nous reprendre parce que nous avions déjà reconnu un ordre-limite
d'apparition (temporel-spatial) aux impresslons.
La nécessité ne pourrait donc pas se prévaloir de diriger le monde.
De l'ordre-limite à la nécessité omniprésente telle que l'énonce l1U~1E il
doit s'ètre passé quelque chose. Pour le comprendre il nous faut revenir
à la définition de la nécessité: " ... la nécessité qui entre dans cette
idée
n'est rien qu'une détermination de l'esprit ~ passer d'un oojet
t
à celui qui l t accompacne haoitue11ement et à inferer l'existence de l'un
dè 11 exi st ence de l'autre. II y a donc ici deux caractères que nous devons
considérer comme essentiels à la nécessité
l'union constante et
t
l'inférence de l'esprit: partout ou nous les découvrons nous devons
reconna4'tre une nécessité"(2).
La nécessit~ n'est pas une qualité interne des choses c'est une
qualité purement extérieure. Et cette approche extérieure des choses nous
les livre toujours en connection constante; a partir de la nous pouvons
dire que la nécessit~ est présente partout. Cette définition en extériorité
de la nécessité en fait quelque cho!e non pas de primordial
- car les
choses vues de l'extérieur ne sont d'abord que contiguës d'une mani8r.e
indifférente - mais quelque chose de dérivé.
(1) HUf~J op. cit. p. 514
(2) HUf1E~ op. c&t. p. 5u8

95
C'est après 1a détermination (après coup) de II es prit que ce qui nous était

l)
apparu comme extérieur nous devient interieur. L'esprit déterminé découv~e
les choses comme unies nécessairement dans la relation de cause à effet.
L'inférence est le résultat de cette mise en condition pratique de l'esprit.
Il faut donc nous reprendre pour dire qu'il nly a pas contradiction
entre l'affirmation première de la discontinuité des choses et l'affirmation
dogmatique de la nécessité. Entre les deux il s'est passé quelque chose
d'important qui est la détermination de ['esprit. Et l 'esprlt déterminé ne peut
que voir la nécessité partout dans les choses. C'est donc à ce niveau que
HUME se place pour réfuter le libre arbitre. Ainsi, la nécessité conçue
comme suoject ivat ton de l'extériorité première s tautcnomt se et se circularise.
Mais énoncée dogmatiquement dans l'oubli du orocessus qui y mène la nécessité
fa it problème.
Il faut ensuite sortir de cette apparente contradiction pour faire
ressortir le sens double de la discontinuité et montrer comment elle passe
par-dessus le libre-arbitre.
Pour HUME s'il n'y avait pas de nécessité, ce serait le régne du hasard
et donc de l'incohérence. L'alternative nous oblige à choisir entre la
nécessité et le hasard: "Iraprès mes définitions la nécessité est un élément
essentiel de la causalité, par suite la liberté qui écarte la nécessité
écarte toutes les causes et elle s'identifie complètement au hasard" (1).
Or le libre arbitre veut inclure une autonomie liée a une certaine nécesslt~
c'est_à_dire
que la cause libre serait libre de toute nécessite et mettrait
le monde en mouvement. D'un côté il ya la liberté et de l'autre la nécessité
(condition de l'efficacité du vouloir de la cause libre). La possibilité
du §~ltact est déjà une acceptation de la nécessité et la continuation du
mouvement est aussi une continuation de la nécessité. Cette rêccnc il i at ion
de la nécessité et de la liberté ne peut entrer dans la loqique humienne : il
faut choisir entre la liberté-hasard et la nécessité.
Donc la première discontinuité de contiguité (extériorité) est remplacée
(]) HUME
op.' ci:t , p. 515
J

ou décryptée au second niveau comme soumission à la nécessité. il y a refus
de l'autonomie de la liberté. L'homme est d'une certaine manière esclave
- ,
de la nécessité. On est ainsi Clantipode, de DESCARTES pour qui: " .... la
volonté est tellement libre de sa nature qu'elle ne peut jamais être
contrainte" (1). Si pour DE~CAKTES la division des actes en volontaires et
en passifs servait à préserver la liberté, pour HUME cette distinct'on n'est
pas de mise. Il ne reconna1tra que la passion et la nécessité matérielle que
nous venons d'analyser. Mais la discontinuité prend une troisième signification
non plus par rapport à l'extériorité (contiguité indifférente) et â la
liberté (volonté) mais par rapport à la raison (entendement).
Pour HUME le système humain est tellement lâche qu'il est soumis à l'excës
et à la démesure. Et la discontinuité ici est le débordement possible des
qualités inhérentes à l'nomme que sont la passion et l'imagination.
Il faut prendre en compte le rapport raison-passion en ayant en tête
le problème de l'autonomie. Et la question qui surgit est la suivante
la
raison est-elle maÎtresse chez soi, domine-t-e11e la partie passive de
l'esprit ou au contraire est-ce la raison qui est dominée par les passions?
Quelle est la part de la raison dans un acte pratique? Quel est le motif
de notre agir 7
La raison est-elle toujours victorieuse dans les combats qui l'opposent
à l a pa ssion ?
Mais Dour HUME la raison ne peut être le motif d'un acte il s'at-
tachera d'aDora
à le montrer et il expl iquera ensuite pourquoi la raison
ne peut rien contre les passions si elle ne s'allie pas à la volonté.
L'entendement dans son accertion étroite chez HUME s'exerce de deux
manières: par démonstration ou par probabilité. Ur démontrer c'est comparer
des idées: "coume son domaine propre est le monde des idées et que la volonté
nous place toujours dans le monde des réalités, la démonstration et la
t
(1) DESCARTES, op. cit. p. 985

9,
volition semblent pour cette raison complètement séparées l'une de l'autre" (1).
Il faut donc di re que : "un ra i sonnement abstra it ou démonstratif n' i nf1 uence
donc jamais aucune de nos actions, sinon en tant qu'il dirige notre jugement
au sujet des causes et des effets Il •
Sur le plan des idées donc la raison est démonstrative. Elle transite
entre les idees et les compare. Elle ne fa rt donc que diriqer nos jugelrents.
Sur le plan pratique comment fonctionne-t-e11e ? La raison est analytique
et délibérative pratiquement. Elle est prise entre le motif qu'elle n'est
pas et l'agir: "l'impulsion ne naît pas de la raison qui la dirige seulement" (2).
La raison compare les idées, les analyse, en perçoit les différences et en
tire des conclusions pratiques. Elle est un instrument praxéo1ogique. Elle
est donc impuissante à provoquer une action mais elle peut sou1 igner la
justesse des moyens d'une action. Elle est même indifférente, d'une indifférence
qui frise l'absurdité: "Il-n'est pas contraire à la raison de préférer la
destruction du monde entier à une éqratignure de mon doiqt" (3). Etant
impuissante et indifférente par rapport à l'action elle doit se soumettre aux
motifs, aux sentiments. En effet, ce sont ces derniers qui sont les mobiles
pratiques de l'agir.
En ce sens le sentiment et la passion ont un rarport nul à la vérité (4).
Les catégories du vrai et du faux n'influencent pas le motif ou l'affection.
Mais par contre les catégories du bien et du mal peuvent influencer
le motif étant sentiments eux-mêmes. Il peut arriver que je me trompe, c'est
parce que je me serai illusionné sur l'objet de ma passion ou j'aurai emprunté
des moyens inadéquats pour l'atteinte de mon but. La raison interviendra alors
pour placer par comparaison et analyse l'objet sous son vrai jour. Une fois
que l'objet aura été rendu à sa vérité il cessera d'être désiré. On peut donc
, (l) HUl'vIE, Go. cit.
h
p. 523
r
(2)
HUi'1E~ /bià. ~
J
.-
( 3) HUME, &p. cit. p. 525
..
(4)
HUME, Ibid.
"*

98
rati~aliser le motif p~r l'intermédiaire de la raison. Et pour inattendu
que cela puisse paraître HUME rencontre ARISTOTE: "En effet, l'intellect
théorique ne pense rien dans l'ordre pratique, ni ne se prononce sur ce qu'i 1
faut fuir ou rechercher. Or le mouvement local concerne toujours la fuite
ou la recherche d'un objet ll (1). Chez HUME aussi c'est la fln pratique (le
motif) qui est la cause de l'agir tandis que la raison non totalement inactive
sera dans un rapport de servitude (an~~lla) par rapport au motif. C'est
ainsi qu'il faut comprendre l'idée humienne selon laquelle: "La raison
est, et elle ne peut qu'être, l'esclave des passions; elle ne peut prétendre
à d'autre rôle qu'à les servir et à leur obeir" (2). Mais il faut tout
de suite nuancer cette affirmation pour dire que c'est seule la raison
analytique qut est en cause mais que la raison dans son fonctionsement
synthétique (imagination réglée) et constitutif (raison inventive) crée
l t ar-ti t i œ de la justice, fait oeuvre de science: nous aurons l'occasion d'ap-
profondir ces questions. Par rapport au problème de la liberté on peut dire
que c'est cette raison synthétique qui récupère la liberté (spontanéité
imaginative) (3) qu'a perdue le corps; c'est grâce à elle que l'on peut
sortir de la nécessité physique.
On peut aussi renverser la servilité de la raison pratique analytique
pour dire que la pratique a, à un certain moment, besoin de transiter par
l'entendement sinon elle devient aveugle. Il y a une sorte de complémentarite
pratique de l'entendement et des passions.
Nous venons de voir le rapport de la raison au motif dans l 'a9ir pour
souligner et la servitude de la raison et sa nécessité. Il nous faut insister
pour ciire que cet équilibre n'est pas longtemps maintenu si l'imagination
dans son aspect négatif entre en jeu. tlle falt alors que la passion s'émancipe
de la ra t son et verse dans l'excès et la démesure.
Nous devons distinguer au ~réalable deux sortes d'imaginations chez
HUME
L'une positive que nous exploiterons quand nous parlerons du pouvoir
(l) A.1?ISTOTE Op. C1-t~ p. 89
(2) HUME, Gr. Cit: p. 524
(3) HUME~ Ib-ul, pp. (4-15

99
de l'esprit et une négative qui est non seulement créatrice de chimères
mats qui enfle la réalité au point de lui donner des dimensions irréelles
et fantastiques. C'est cette derniere qui sera iCl en cause. Pour découvrir
la discontinuité-démesure partons de l'équilibre précaire raison-passion.
Pour en comprendre le fonctionnement il faut se rappeler la loi d'association
selon laquelle une émotion accompagnatrice se convertit en la passion qu'elle
suit ou précède (1). Il suffirait qu'une émotion accompagnatrice se déclenche
pour que la passion correspondante se déclenche aussi. Par exemple un danger
réel dans un lieu précis a causé en nous une peur. Un retour sur les lieux
de l'évènement peut nous émouvoir (l'émotion a un rapport a la physiolo~ie)
puis la peur peut suivre comme si on était réellement en danger.
Mais cette peur elle-même peut être aqrandie selon une dialectique spéciale
qui lie l'émotion a la passion et à l'imagination, la raison n'ayant oas
de force dans ce cas.
La résistance ou l'opposition peut accroître la passion. Ainsi les
efforts faits pour empêcher un amour ont pour effet de l'accroître.
L'incertitude a sur l'esprit un effet parallèle, elle accro'i't la crainte.
L'esprit a naturellement tendance à préférer la passion qui l'occupe
et autrement le détourne de lui-même. Les empêchements comme par exemple
cacher une partie d'un objet pour en montrer une partie ont pour effet
d'accroître les grandes passions et de diminuer les petites. Oe plus l'esprit
étant mû par le principe de facilité et l'accoutumance a tendance à s'installer
dans cette facil ité. Ainsi s'i 1 appar aî t un objet nouveau l'esprit éprouve
une certaine raideur à changer d'habitude, de direction et éprouve une
peine à donner son assentiment a une idée neuve même si celle-ci est vraie. (2)
Il faut aussi signaler que l'émotion accompagnatrice peut se changer
en l' émotion prédomi nante, cel a est da au fa it que l' imagi na t ion est 'en ree l l e
connection avec l'affectivité et que toute tonal ité affective est répercutée
au niveau de l'imagination et vice versa.
(1) HUME,
Traité, p. 534
(2) HUf:1E. Jbid. pp. 532,534

100
La temporalité, la spatialité jouertaussi sur l'affectivité, de même
que les plaisirs et les déplaisirs qui s'accordent avec notre genre de vie
ont une influence durable sur nous.
Une science comme la rhétorique est fondée sur la liaison etroite qu'il
y a entre l'imagination et l'affectivité. On peut se servir de l' imagina~n
pour créer un état affectif.
L'imagination s'empare le plus souvent des états affectifs réels pour
leur donner une dimension délirante. Elle a aussi le pouvoir d'aviver une
idée pour la convertir en l'ilJlpresslèln correspondante. Elle (l'imaginatiçm)
permet ainsi de rompte la discontinuité idée-impression pour les mêler.
Or il ~st important de noter que cette manière de rendre les 'idées impressives
est illusoire. Pour souligner encore plus, le rôle de l'imagination on peut
la ramener à sa règle fondamentale
elle joue spatio-temporellement.
Intérieurement notre moi est la réalité la plus présente à nous (si on
peut parler d'un moi) et tout ce qui touche notre moi nous sera lé plus présent
et en (on séquence sera relié affectivement à nous. Maintenant s'il se trouve
un objet eloiqné de nous (temporellement, spatialement ou spatio-temporellement)
notre sympathie ne peut pas jouer de la même manière que s'il nous était
présent. L'imagination ne peut pas ici combler la distance spatio-temporelle,
elle aide plutôt à voir les limites de la sympathie. Ainsi mes enfants,
ma femme et tous ceux qui me sont proches, ceux qui sont du même pays que moi ,
sont, selon leur po si t i nn par rapport au moi, l'objet de ma sympathie ou
de mon antipathie. On peut à la lumière de cette thèse comprendre des
manifestations antipathiques telles que le racisme, la xénophobie etc ..
Temporellement les hommes sont plus sensibles à la jouissance présente
qu'à la jouissance passée ou future. L'esprit humain étant limité ne.pense
à un objet distant qu'en passant par des intermédiaires, il transite
reflexivement. Ainsi, si penser c'est médier, il faut reconnaltre un temps
de la méditation qui s'exprime intimement par la durée. Cela rejaillit sur
l'objet auquel on pense pour l'éloigner du moi. Mais entre le futur et
le passé il y a une différence: la distance tempof2. le future est plus
discontinue que la distance du passé. Le futur est futur d'incertitude et donne
plus de liberté à J'imaqination mais de par cette incertitude même le futur
n'offre pas de prise.

1Ù 1
Pour nous résumer provisoirement nous dirons que toutes ces influences
que nous venons de marquer ont une conséquence sur 1 'imaqination qu'elles
travestissent parfois au point de la faire déborder de ses limites. Une fois
que celle-ci est sortie de ses l~mites elle s'émancipe de la raison et
pose ses propres lois. L'homme est donc un être.de p~ssion et d'imagination.
tendu
à ce point une exiqence s'impose,il nous faut penser les rapports
nouveaux de la raison avec cette imagination émancipée.
HUME pensera
ce rapport en tenne de 1utte et de maîtri se corrune
DESCARTES. Ce dernier reconna1t l'opposition de la raison et des passion~
opposition qui s'origine dans la différence de nature entre le corps et
l'âme. La glande pinéale étant le point Oméga de la coîncidence âme-corps
qui permet la causalité réciproque (1).
Mais ne l'oublions pas 1'exlgence d'une maîtrise des passions relève
d'une position normative. La passion à l'image du corps apparaît comme le
lieu de l'infériorité qu'il faut maîtriser (2). Pour uESCARIES cette maîtrise
peut se faire de trois manières.
L'âme peut gouverner les passions qrâce à des jugements vrais (3), elle
peut aussi recourir à une technique de déconnection de la passion avec son
prolongement physioloqique ou physique (4). Cette déconnection ne peut
être possible que grâce à la réflexion et surtout à l'éducation (acquisition
de bonnes habitudes après répétition). Mais si l'âme est faible et si elle
ne peut s'opposer aux passions afin d'en venir à bout elle use alors de la
technique de l'opposition des passions. Si elle ne le peut pas, elle se laisse
alors balloter par les passions et tombe dans un esclavage sans nom. Pour
HUME la maîtrise de soi doit tenir compte de beaucoup de facteurs (5) : la
santé de l'individu, l'heure du jour, l'histoire de l'individu etc.
); une maîtrise des passions peut se faire, c'est par le biais'
~ (l) DESCA1iTES op. cit . pp. 2?7 978
J
J
!
(2)uan.s L~hèdre (oo . ci t . 246 a - 246 e ) PLATON pense cette lutte dans u:Yl.e
allégorie. lJln cocher céleste est monté sur un. attelage tiré par cieux chevaux
dont l'un est noir et 10tif et l'autre blanc et discipliné. Il faut donc que
notre pauvre cocher ma'ltrise le cheval rétif afin de conduire son coche
avec assurance.

(3) DESC~qTES. OD. cit. p.9d8 (Art. 45)
(4) ~SCARTESJ ,Op. ~t. p. 969 (Art. 46)
(5) HuMr. En~ête. p. 116 et suiv.

102
de la raison délibératlve qu'elle dOlt se faire. La raison aélibérative doit
prendre la mesure de l'objet desiré pour le revéler dans sa 'vraie nature.
Elle doit aussi aider à découvrir les moyens ad~quats pour atteindre l'objet
Mais il y a une solution impl icite qui se déduit de l'entreprise humienne
en général. Il faut connattre et donc faire la science de la nature humaine
afin de déceler les mécanismes de celle-ci. Lette science fondamentale nous
permettra de connaî'tre l'homme, et le connaissant. nous étudierons les
procédés adéquats pour lutter contre la passion. Toute la mise en oeuvre
du dispositif théorique. social (moral) et politique (législatif) participe
à cette mise en forme de l 'homme. Mais en attendant de passer à la partie
positive de la théorie humienne goursuivons notre approfondissement de la
discontinuité interne de l'homme.
La discontinuité dont nous traiterons à présent ne se situe plus
uniquement à l'intérieur de l'horrnne mais à la limite du rapport hamme-
monde. C'est l'homme en tant qu'être situé dans le monde qu'il nous
faut prendre en compte. Nous venons comment HUME pense cette discontinuité
naturelle que bien d'autres philosophes ont essayé de penser chacun à sa
manière (1). Pour HUME la discontinuité s'étale primitivement comme nature.
(1)
Le problème de la discontinuité exi eten t i.el.Le qui. prend en compte la
continqence de l'homme et qui essaie d'expliquer son l'apoort primordial
r,
au monde a été pensé de diveree e mani èree .
On peut toute foi s di.etrinquer deux COUY'œ1ts principaux .. un eOUrŒ1.t qui [ai.i:
de ,Je rapport: primordial un rapport de pai.x , de cainci.dence et de bonheur
. l - '
t '
1'"
.s:
7
h
-r
" ' \\ . ,
.:]
" , . , . , .
• 1
e" Ul? autre couraY?
QU1.- en J ai.t: que "que c ioee ae Y''J,U3 ~ ae lA.1.-J.n.c7/ ",e.
Les TT'ythes du Paradi e et de l'Age d'Or SOL~s le rèçn.e de K.I?ONOS constituent
les extrreee i.one mytâiques de cette coincidence , Les philosophes reprennent:
à Leur compi:e cette vi.sion des choses. PLATON dans le ProtaQOî'aS met dans
La bouche du Sophiste Pro taqarae un TmjÛ"e oui explique L 'oi-i.qi.ne de la
di econt inui té existentielle des hommes. Il y auai.t: au déoart: un âae appel-é
L
l'âge d'Or (c:f.h'E'.iIuDE) et qui se situa-it sous le rèqn.e de IŒONOS. Ûais
:
les dieux
: décident de créer les hommes~ les anima.ux~ et les
choses . . Il créent: donc les êtres mais auani: de les décoeer suy' la terre C;PIME~
TEJEE obtient de PROMETHEE de faire le oartiaae des au.a"lités entre les
hommes et les animaux. Mais EPIMETHEE di.:-o:ns son partage oubl ie led hommee
au profit des animaux qu'il comble. I& leuY' (les animaux) dotent de qualités
en rapport avec leurs besoins et laisse les homnes démuY!is.
Pris de pitié
pour les hommes PROMEJTHEE volera l'art et le j'eu aux [fieux pour en faire
don aux hommes. Mais
les hommes ne veuvent vivre ensemble parce Qu'il leur
manque la sCience politique. ~s l~ur inspirera la justicè et Zao

703
Elle ne transite pas par une explication mythlque (le mauvalS partage
d'EPIMETHEE) .
HUME part d'un constat: /IDe tous les êtres animés qui peuplent le
globe, il n'yen a pas contre qui semble-t-il à première vue la nature se soit
exercée avec le plus de cruauté que contre 1 'homme, par la quantité infinie
de besoins et de nécessités dont elle l'a écrasé et par la faiblesse des
moyens qu'elle lui accorde pour subvenir à ces nëcess i të s". (2)
L'homme est le grand délaissé de la nature: "C'est en l 'homme seulement
qu'on peut observer à son plus haut point de réalisation, cette union
montrueuse de la faiblesse et du Desoin" (3).
Le problème de 1'homme dans le monde reside dans cette disproportion
"monstrueuse" entre une faiblesse maladive et des besoins immenses. c'est
cette insatisfaction primordiale qui va obliger l 'homme à travai 11er, à créer
des artifices pour sortir de son dénuement. en face les animaux sont favorisés
par un équilibre naturel entre les besoins et les moyens pour les satisfaire;
pudeur .DOUI' Leur permettre de vi':re ensemble. Vo-z.:là mythiquement pensé
la discontinuité existentielle. On oart d'~~ état de bonheur et de béatit~
sour le règne de K.J.'?ONOS et la discon t inuité s' introdui t comme r ëqne
de ZEUS~ temporalisation.
Dans le second mythe concernant le Paradis terrestre la co inci.dence oi-iqi.nai.re
(bonheur du paradi e ) éclate à cause du serpent (l'expérience du péché).
Il fœ~dra le long détour pc~ la prise en pitié de Dieu aux hommes~ la
rédemption par le Christ qui indiquera le chemin d'une cotncidence post-
moi te-ei.tuée dans l'au.delà..
Les philosophes vont penser différemment cette continuité. Chez h~GEL
c'est la "belle totalité grecque If que fera éclater la conscience mal.heureuse
introduite par le chr-i et-ioni.eme , mais la aiatectioue historique permettra
la réconciliation de la totalité scindie d'avec elle-même dans l'absolu
de l'Etat et de l'Esprit. Pour LOCKE la ooi.nci.dence pi-ùnordial:e se nomme
état de naDAre et de liberté mais la rareté s'introduira et nécessitera

le c~~trat social dans lequel la liberté devra être s«uvegar~vi~X et
ENGELS pr2Y'tent des communautés primitives ~ui vivent dans une harmonie agraire
de propx-iété collective du sol et des biens. Mcds l tappari t ion de la propriété

privée fait éclater cette belle totalité en classe antagonistes que la
révolution se chargera de rétablir en instmL~ant une société sans classes.
Tandis que pour ROUSSEAU l'état de coinci.dence
se nomme état de nature
caractér:sé
par une inconscience he~~euse et comblée.
La discontinuité s'introduit comme socialisation mais cette socialisation
devra être résorbée dans la totalité politique.
(2) HUlvfE.. Op. cir; p.
601
(3) HUME.. fJD.
cit. p. 602

104
"Dans les autres créatures ces deux circonstances (besoins et moyens) se
compensent généralement l'une l'autre.
Si nous considérons le lion en tant qU'animai vorace et carnivore, nous
découvrirons aisément qu'il est soumis à de très grandes nécessités; mais
si nous tournons nos regards sur la constitution et son tempérament, sur
son agilité, son courage, ses armes et sa force, nous trouverons que ses
avantages sont proportionnés à ses be soms " (2).
HUME va donc devoir exp 1i quer 1es moyen s qu 1 ut il i se1)$ 1 'homme pour
sortir de cette discontinuité originaire.
Mais HUME ne peut passer par ~n deul - ex- machina pour
résoudre le problème comme le fait PLATON ,Protagoras).
Ici il n'y a pas de PROMtTHEE pour prendre en pitié les hommes: "... ne
sachant qu'imaginer pour donner â 1'homme le moyen de se conserver (PROMETHEE)
vole à HEPIiAISTOS et â ATHENA la connaissance des arts avec le feu, car
Tout ce premier courant que nous avons décrit est mu.lt PŒ[' une idée implicite
la totalité perdue doit être retrouvée. C'est cette intention qui soutient
de
l'intérieUr' les th~ses qui partent de la co~ncidence originaire.
A côté de ce cOUr'ant il yale deuxième qui ne part plus de la coincidence
(continuité) mais de la scission et de la difficulti (discontinuité). Ce
point de départ discontinu est pensé divers6ment par les philosophes.
HOBBES part d "un état de nature où Lee hommes sont en querre perpétuelle
les uns contre les autres. Ils ne sortent de cette inséc~~té que par le
c~trat ~ui aboutit à l'institution du Léviathan (cf. Le Léviathan).
S&9TRE (cf. Critique de la raison dialectique) reprend
ci sa manière la
discontinuité originelle. C'est sous le concept de "rareté" qu i.t pense

ï
l'état primordial. La rareté étant entendue comme rapport à la matière
et aux autres. Elle (la rareté) signifie qu'il y a toujours nécessairement
des ~tres à sacrifier. Cette rareté intériorisée deviendra violence et la
v i ol.ence insécUX'ité. La lutte des cl.aeees se fon~ dans la rareté. Mais
S~R~~ ne fait pas de la rareté une essence il en fait une contingence~ c'est_
à-dire quelque chose de non-n~cessaire. Cela introduit la possibiLité de la
transformation de notre attitude face aux autres par le
bi~is de la production
du surpLus. SARTRE ne s'écarte pas de M~~X il veut seulement réJërer La
lutte des classes à son fondement. C'est dans ce deuxième courant qu'iZ faut
situer HUME (Traité.p. 605).
(2) Hm~~ Traité~ p. 602

105
sans le feu, la connaissance des arts est impossible et inuti le, et il en
fait présent à l'home" (1).
Il n' y a pas non pl us de ZEUS pour envoyer aux homes la ,justice et 1a
pudeur pour leur permettre de sortir de leur difficulté dé vivre ensemble.
Si le deus- ex -machina intervient aeux fois cnez PLAION {Protagoras) 1
chez HU~lE C'est par la création artificielle de la justice que les hommes
sortiront de la discontinuité existentielle.
Nous retrouvons chez HUME comme chez PLATON 1a justi ce 'comme moyen
de résoudre le problème de la société mais tandis que dans un cas celle-ci
est octroyée dans l'autre cas elle est l'oeuvre des hommes. Pour sortir
de la discontinuité chez HUME il faut la société:creation des règles de
justice qui devront être raffermies par l'artifice du po i itique.
Cette première discontinuité se situe, avons-nous dit, à la suite
du rapport homme-monde nous allons la raffermir en la pensant comme une relation
monde-homme. Nous découvrons que la discontinuité inhérente à l'homme
rencontre et se renforce de la discontinuité des circonstance.(2).
La première circonstance néfaste que HUME met à jour est la suivante
le monde est soumis - ce qUl est normal - à des lois générales mais les
conduites particulières le sont aussi - ce dernier fait paraît à. HuME anormal.
La raison en est que si,par des interventions particulières on pouvait
rompre le cours de la nature pour rémédier à certaines situations, l'économie
du monde ne s'en irait que mieux.
Il suffirait par exemple d'opérer quelques touches sur le cerveau de
CALIGULA pour le transformer en TRAJAN. Si une vague avait enseveli CES~R
~il 0. don1infis
avant son règne les peuples~~~ne 1 'auraient pas été: Ainsi
la marche du monde serait soumise a la providence et non a la nécessité des
lois générales qui uniformisent le cours de l'univers et ne font pas assez
(1)
PLATON, PROTAGORAS, Ed,
Garnier - Flammarion trad. E.
Chambry p.
52
(320 c -
(2) HUME, Dialogues, p.
96 ZNiq.

106
voir une intention bienveillante dans la marche générale de ce dernler.
La seconde circonstance extérieure ~c'est la confection relâchée
de tous les principes de la grande machine de la nature" (1). Bien que l'univers
forme un système et que chacun de ses éléments concourre à un but part icu riar
dont l'ensemble produit j'harmonie de l'univers, il faut remarquer que le
système est lâche. C'est ce relâchement qui rend Dossible la discontinuité_
démesuré des éléments de l'univers. C'est que les parties de l'univers ne
sont pas exactement ajustés pour se maintenir définitivement dans leur 1imité
convenable, ils n'hésitent pas à se "précipiter à chaque occasion, à l'une
ou à l'autre extrémité" (2). On peut citer plusieurs exemples pour illustrer
ce phénomène. Les vents qui se changent en ouragan et en temDêtes. La
chaleur qui soit dégénère en sécheresse ou ne se rencontre pas en prooortion
voulue. Nous le voyons, les objets de la nature ne se maintiennent pas dans
les limites requises :"11 n'y a rien de si avantageux dans l'univers qui
ne devienne fréquemment pernicieux par son excès ou son défaut; et la
nature ne s'est pas gardée avec l'exactitude requise contre tout désordre
ou toute confusion" (3).
Ainsi nous avons pris la mesure de la d~ontinuité existentielle qui
trouvait ses racines non seulement dans l 'homme mais dans le monde extér-ieur.
A partir de cet acquis nous allons expliquer la discontinuité sociale.
Les analyses précédentes posent le problème de la di$continuité existentielle,
L'être atomique, séparé et soumis au besoin ne peut que périr s'il ne sort pas
de sa solitude. L'état de nature loin d'être un état de guerre comme chez
HOBBES est un état de besoins dans lequel l'égoïsme de l'atome individuel
s'éprouve comme faiblesse: "Tous les êtres de l'univers considérés en' eux-mêmes
apparaissent entièrement détachés et indépendants les uns des autres" (4).
Mais si cette solitude est ajoutée à son indigence première ,'homme
est condamné à dispara"ltre : "Quand chaque individu travaille isolément et
seulement pour lui-même ses forces sont trop faibles pour exécuter une oeuvre
aussi importante; comme il emploie son labeur à subvenir à toutes les différentes
nécessités il n'atteint jamais à la perfection dans aucun art particulier;
(1)
HUME~ D'iaLoCTueS.3 P. 105
(2) H{jUE'~ lDid. p. 105
r 3) HUMJ:.'~ (]V. Ci i., p. lU6,
r4) h'11MP. 'l'Y>n-;', f-:{;)' n
-" R;l

107
Comme ses torces et ses succès ne aemeurent pas toujours égaux à eux-mêmes
le moindre échec sur l'un ou l'autre de ces points s'accompagne nécessairement
d'une catastrophe inëv i tabl e et de malheur" (1).
Or dans cet état précaire HUME va penser paradoxalement l 'homme comme
être de possession et cela avant toute sociét~. L'homme jouit en effet des
avantages intérieurs de son esprit, puis des avantages de son corps. En un
mot ce qui est inhérent à sa personne lui est reconnu comme lui appartenant
effectivement (2). Si chez LOCKE la llberté était un des biens inaliénables
avec lequel on entra it dans le contrat (3), ici C'est l' avoi r qui est la
possession de l 'homme pré-social. Mais cette propriété est-une propriété
non reconnue (c'est_à_dire menacée). Si notre être nous appartient et Si il
ne pose pas problème nos avoirs ne sont pas liés à nous au point de ne pas
permettre de confusions. c'est à partir de nos avoirs que se posera le
problème de la propriété. Mais en même temps que les hommes sont possesseurs
ils sont des égoïstes qui cherchent leur intérêt. L'égoïsme n'est pas
extrême au point d'exclure toute sociabi lité mats il est assez important
pour constituer un obstacle à l'édification de la société. Et c'est justement
notre qualité de possesseur qui donnera à notre égoïsme l'occasion de
s'exercer. Nous voudrions non seulement garder ce que nous avons malS accaparer
ce que les autres ont; inquiétés que nous sommes parla peur du manque
(rareté dirait SARTRE) (4). L'égoïsme apparaît à ce niveau comme le problème
central de la société. La discontinuité à ce niveau s'extériorise comme
opposition des intérêts. Mais cette opposition est radicale en ce sens qu'il
n'y a rien qui puisse permettre aux intérêts de se rencontrer,
La société (civile) comme création artificielle des hommes va permettre
de dépasser l'éqoîsme individuel. La société en permettant aux hommes de
s'unir afin de se distribuer les tâches sociales les rend solidaires. Si
la première discontinuité naturelle (disproportion des besoins et des moyens)
fait entrer l 'homme en société, c'est le problème de la conciliation des
i-ntérêts au niveau de la société qui instaure la justice. La justice est alors
une tentative artificielle pour sortir de la discontinuité naturelle de la
propr i été.
_3F8z,ine .. ?~IS Bd. J. VRIN, 1977 trad. Bernar GILSON p. 129 ~
-
3

708
Si nos blens nous sont acquis par notre travail et notre bonne fortune,
la relation qui nous relie à notre avoir n'est pas visible dans 1'objet.
Un peut appliquer la loi de discontinuité: puisque nos avoirs sont différents
de nous, ils sont séparables, on peut donc les séparer de nous sans contradiction.
Cette séparation entre l'individu et son avoir s'enracine dans la discontinuité
ontologique. Si les êtres sont séparés, les êtres et les objets sont aussi
séparés. L'expérience ne nous livre qu'une contiguité des êtres et des choses.
Il n'y a pas de relation de nécessité visible. L'extériorité des choses ne
renvoie à aucune inhérence, ni à aucune immanence.
La propriété est donc victime de cette extériorlté de relation. Si par le
travail on tempora1ise et socialise l'objet pour nous l'approprier, (1)
cela ne suffit guère (2). N'importe quel individu pourrait en droit se
prévaloir propriétaire de n'importe quoi. La propriété est donc un artifice,
une illusion de l'imagination, une tendance de l'esprit à unir un objet à la
personne avec laquelle celui-ci a été fréquemment associé. Ur comme la contiguïté
ne détermine ~as à elle seule mais qu'il y faut la répétition i' faudra
donc des règles pour déterminer la propriété. En un mot la prooriété n'est
pas rationnelle on ne peut pas la découvrir a priori. On oe~ donc la nier
ou la refuser. Or cela peut donner lieu dans l'esquisse de la sociéte à
un véritable chaos dont le moteur serait l'égo'fsme humain. Chacun cour-suivant
son intérêt voudrait s'accaparer le maximum de bien pour se prémunir contre
l'incertitude du futur. Cette autonomisation de l'intérêt individuel l om
d'être positive pourrait créer ce que l'on a appelé 1 'état de guerre.
Les règles de justice interviennent dans ce contexte pour établir la propriété.
L'astuce est la suivante: permettre à chacun de garder ses bienJ sans courir
le risque de la spoliation (3). La justice apparaît ainSl comme fOAdatrice
de l'ordre socialf civil,. Or puisque la justlce s'établit sur une proprieté
qui peut s'être constituée primitivement sur une i~justice, la société aura
du mal à résoudre définitivement le problème de celle-ci. Il faudra une lonsue
tempora1isation par la pratique sociale et politique pour que la propriété
se raffermisse. Si dans cette première partie nous n'insistons pas sur le
(1) Cr~z LOCKE
c'est le trœJail qui fonde ra propriété cf. De~:ème Traité
J
du qouvernement civil p. 91 et suiv.
(2) Pour HUME t.e travail ne fonde pas l.a pvopi-ié té en ce sens qu'il n'ajoute aucun
signe visible fondamental pour exprimer ~et état, il ne fait que transformer
l'objet auqdel il s'applique (Traité notes p. 624).
(3) HUME
Traité, pp. 620-621
J

109
processus de socialisation et de politisation c'est que nous le ferons a
son heure. Ce qu'il nous faut mettre ~jour c'est la discontinuité sociale
et les rèqles de son fonctionnement. Dire les raisons pour lesquelles il y
a toujours un "reste" quelque part dC1n& les règles de la propriété chez
HUME, "reste" que nous nommons injustice (d i scont i nu t tê ) ,
Pour montrer plus clairement la discontinuité on peut passer en revue
les règles de la justice pour mettre en évidence les raisons pour lesquelles
elles laissent percer la discontinuité par une faille. Ce qu"il faut retenir
au départ c'est que si chez HUME la continuité sociale, politique et la
justice opèrent effectivement après cou~, loin d'êtres primitives elles ne
sont que dérivées et secondaires.
Le premier sens de la discontinuité sociale réside dans ce renversement.
Nous avons déja noté ce renversement a propos de la continuité ontologique
(origine. immanence, providence future) et la nécessité causale.
Avant d'aborder les règles de justice HUME énonce la méthode qui
comporte une exigence: "Il faut prOfoser une méthode qui nous permette de
distinguer quels biens particuliers il faut assigner à chaque personne
particulière. alors que le reste de l'humanité est évincé de leur possession
et de leur jouissance" (1). la règle de la méthode est donc dans son9
extension première une exigence morale de justice mais cette règle n'est
pas applicable telle quelle à la société a cause de la rareté et de l'égoïsme
qui rendront forcément son appllcabilité impossible.
Il faut donc 1a restreindre, 1ui trouver des 1imi tes qui 1a rendent
applicable.
Ces limites comme nous le verron~ sont déjà entachées d'injustice.
On reconnaîtra par exemple a un avare la propriété d'une Somme même si on
sait que cette somme ne lui sera d'aucune uti lité. Il faut opérer un décalage,
de l'exigence i11 imitée de justice qui postulait que "chacun possedât .ce qui
lui est plus convenable et plus approprié a son usage" (2), il faut revenir
a des vues plus modestes: la possession doit être stable. Nous verrons en
même temps que la stabilité de la possession est le problème de la constitution
de la société. Si les hommes sont des êtres sociaux et politiques c'est par
(1) HUME~ Traité
p. 620
l
(2) HVME~ ]fbid~ p. 620

170
l'invention des règles de ju?tice qu'ils le sont d'abord.
Il faut donc penser les hommes à l'état de nature comme des êtres à la
foisincultes et solitaires mais en même temps douë s de sagacité et d'une
intelligence créatrice pouvant leur permettre de sortir de leur égoïsme
primitif.
Or les rèc l es ne créent pas la propriété elles la stabilisent. C'est
dans la reconnaissance mutuelle des parts que réside la propriété. Mais si
on part des possessions et non des propriétés (terme juridique) il faut
reconnaître que l'injustice est déja dans cette possession pré-sociale
dont on ne sait pas comment elle a été acquise. Mais, peut-on .parler à son
endroit de biens injustement acquis alors que la propriété n'était pas
encore instaurée? C'est ce subterfuge théorique qui permet à HuME de penser
l'injustice sociale primitive. Il neutralise ainsi J'origine discontinue de la
propriété. Mais c'est aussi par cette faill~ que se poseront les problèmes
de la propriété privée qui seront plus tard les problèmes de PROUDHON et de
MARX. Ainsi les hommes ont toujours eu des possessions, mais c'est la société
(règle de iustice) qui fait d'eux des propriétaires. La continuité possession-
propri été se fa it dans cette formul e : " .... que chacun conti nue à Jou,'r
des biens dont il est actuellement maftre et que la propriété ou possession
constante s'ajoute à la possession inmèdi ate" (1). Cette règle consacre
non seulement la propriété mais elle est une reconnaissance de la coutume.
Dans cette discontinuité primitive la coutume apparatt comme la seule chose
qui peut instaurer la continuité.
Alnsi
est plus facile de reconnaître des biens que le temps a
J i l
consacrés dans les mains d'un individu que de reconnaître des biens nouvellement
acquis. Pour comprendre la difficulté il faut penser la propriété comme
"une relation entre une personne et un obje t", relation qui est d'abord une
relation de contiguité mais qui, dans ce cas précis, se renforce de la conti-
guité passé et de la contiguité présente. La règle a seulement pour effet
de p~rpétuer cette relation. Il faut y insister la possession actuelle est
~
une règle primitive qui introduit la première cohérence dans la société mais
dont les limites éclatent avec le temos.
(l)
HUME, Gp. ait. p. 621

lIT
Parce qu'elle exclut la restitution des biens que nous avons acquis au
détriment des autres. Il faut donc préciser cette règle avec ~~atre
autres
qui joueront selon les circonstances. Or ce que nous voulons montrer ce
sont les failles de ces règles par 00 peuvent s'insinuer des critiques de
la propriété. Pour résoudre ces problèmes les philosophes imagineront des
sociétés communistes (cf. PLATON, MARX, les utopistes) mais pour un HEGll
qui pense dans la lignée du libéralisme la propriété est le fruit du libre
déploiement de la liberté de l'homme; et pour 1ui)postu1er sa suppression
c'est la preuve qu'on n'a pas confiance aux hommes de la société dans laquelle
on vit (1). Pour HEGEL donc,la propriété qu li1 situe
au "niveau du droit
abstrait est le fruit de la liberté on ne doit donc pas la remettre en
cause.
HUME, n'essaiera pas de justifier la propriété ni de la condamner
11 ne fait qu'en expliquer les origines et la nature mais clest cette explica-
tion elle-même qui nous la livre dans toute sa discontinuité. Or si nous
savons que l'instauration de la propriété est ce qui fonde la société nous
sommes obliqés d'étendre la discontinuité de la propriété à la société.
L'injustice est donc plus primitive que la justice il faut alors reconnaître
la lutte pour la justice comme plus socialisante. Cette lutte va dans le
sens d'une stabilité de plus en plus grande résultant de la temporalisation
(légitimation) de la propriété. Mais il faut aussi reconnaltre que la justice
est artifice alors que l'injustice est originaire. Cette reconnaissance n'imo1i-
que pourant pas une justification de 11 injustice mais elle permet plut6t de
mieux cerner le p~ob1ème de la justice comme
exigence continuiste et donc
existentielle. Pour que les hommes puissent vivre ensemble il faut qu'il y
ait la justice. C'est dire et reconnaltre les difficultés de la socialisation
qui aura affaire à l'égoïsme primitif de l'homme. Mais cette exiaence n'est
pas désespérée parce qu'elle est fondée dans la sympathie qui, bien que limitée
en 1'homme, n'en constitue pas moins une réalité.
Cela dit analysons les ~uatre Î'ègles de justice que sont l'occupation
la preecr-ip t-ion , l acceeei.on , la succession tout en mon tran t leurs 1imi tes.
ï
(1) HEGEL.) Principes de la philosophie du rl~oit.) p. 92

112
Uans la mesure où ces règles prises séparément ou ensemble ne peuvent résnudre
totalement le problème de la propriété et qu'elles laissent une ~rande part
d'incertitude nous pouvons dire que la propriété est discontinue dans son
fondement par où une critique peut toujours s'insinuer.
Si nous prenons la premlere de ces règles qui est 1 'occupation~ou la
première possession nous voyons qu'elle est sujette à des difficultés insur-
montables. La possession elle-même est difficile à déterminer parce qu'elle
est une relation qui n'est pas visible dans les objets. Elle n'est pas
déterminable par le seul contact que nous avons avec les choses, elle n'est
pas non plus assimilable au pouvoir que nous avons soit de nous servir
d'un objet, de le modifier ou soit de le détruire: "Nous sommes dit-on en
possession d'un objet, non seulement quand nous le touchons immediatement
mais encore quand nous sommes situés par rapport à lui de manière à l'avoir
en notre pouvoir Dour nous en servir; et que nous pouvons le mouvoir, le
modifier ou le détruire selon notre plaisir ou notre avantage présents ...
Mais ici nous pouvons observer que, co~me le pouvoir d'user d'un objet devient
plus ou moins sùr selon la plus ou moins grande probabilité des interruptions
que nous pouvons rencontrer et que cette probabilité peut crOître par degrés
insensibles, il est impossible dans de nombreux cas de déterminer quand
commence ou quand finit la possession, il n'y a pas de règle certaine qui
nous perme t te de décider dans de telles circonstances" (1).
Ainsi la prenn ere possession est-elle travaillée de l'intérieur par
la discontinuité. Il y a toujours une difficulté a saisir le sens de ce premier
occupant, parce que, tout individu est susceptible d'être premier occupant.
On passera par le signe pour marquer cette première occupation mais il faut
encore que le symbole soit accepté comme significatif de la p~emière
occupation ou première possession. fout en n"oub1iant pas que la possession
est elle-même à première vue, une relation de contiguité et qu'il y faut la
répétition, la tempora1isation et la conjonction constante avant que ;'esprit
ne se détermine. La première possession étant indéterminée el le ne peut fonder
à elle seule la propriété. Passons a la seconde règle.
(1) H[~~ Traité~ pp. 624-625

113
La seconde règle dénommée longue possession ou prescPiption vient au secours
de la première; nous voyons là que la temporalité joue un rôle important
et que jointe à l'incertitude elle ne laisse pas dejouer et même d'aggraver
la discontinuité de la propriété. La première possession qui est ponctuelle
a besoin d'être consolidée dans le temps parce que: "un titre actuellement
clair et sOr para'tra obscur et douteux dans cinquante ans d'ici, même si
l'on peut prouver les faits sur lesquels il se fonde avec la plus grande
évidence et la plus grande certitude.
Les mêmes faits n'ont pas la même influence après un aussi long
mterval l e de temps" (1). La longue possession intervient donc pour raffermir
la propriété. Une possession constante qu'a consacré le temps opère sur
les hommes selon les règles de l'accoutumance. Mais la temporalité ne peut
à elle seule être créatrice de la p~opriété comme le dit HUME dans des
termes d'une grande profondeur: IILa possession pendant une longue période
de temps confère un titre à un objet. Mais comme il est certain que, bien
que tout soit produit dans le temps, rien de réel n'est produit pas le temps,
il suit que, si elle est produite par le temps, la propriété n'est rien
de réel dans les objets; elle est fille des sentiments; car c'est sur ceux-
ci seulement que le temps, trouve-t-on, exerce une influence" (2). La
prescription s'est révélée insuffisante, il nous faut mentionner ['accession
qui opère dans des circonstances différentes et qui n'est plus destinée
seulement à la consol idation de la propriété mais à son extension.
0'accession postule qu'on peut s'approprier des objets qui sont en
connexion lIintime" avec les objets qui sont notre propriété: Mais cette
connexion intime n'évacue pas l'extériorité fondamentale de la relation de
propriété, elle ne fait que lui ajouter une sec~nde et donc dédoubler
la première.
Si nous prenons par exemple des bêtes qui constituent notre troupeau
nous estimons que la p~éniture de ces bêtes nous appartient. Mais de
notre troupeau à sa progéniture il y a une distance, une séparation que seule
l'imagination peut franchir. C'est la tendance à la transition facile de
(1) HU~~ ev. cit. p. 627
(2) Hln.fE~ tus. p. 627

114
l tmaq ina t ion qui joue dans l acoeee ion , elle suppose une continuité qui
i
ï
n'est pas visible dans les objets.
Si nous revenons à l'exemple du troupeau nous verrons qu-;'après la
naissance, les brebis s'autonomisent existentie11ement, et ce n'est pas le
fait de l'allaitement ou de la constante contiguité qui peut déterminer la
relation nécessaire aux parents et au propriétaire. Comme dit LOCKE nous sommes
nés de nos parents sans être crées par eux, la naissance ne peut donc à elle
seule fonder la propriété (1).
Nous voyons ainsi comment l'accession n'est qu'une extension de la
discontinuité découverte dans la propriété.
La quatrième règle est aussi une règle d'extension de la propriété:
"Le droit de succession est un droit naturel, issu du consentement présumé
du père, de la mère ou d'un parent proche et de l'intérêt de l'humanité
qui requiert que les biens des hommes passent à ceux qui leur sont les olus
chers, afin de rendre les hommes plus travailleurs et plus économes" (2).
Mais comne nous l'avons dâj
observé à propos de l'accession) c'est une
à
extension de la discontinuité fondamentale de la propriété. A la discontinuité
inhérente à la relation de propriété s'ajoute la discontinuite (distance)
père-fils
la succession est donc creusee de 1'lntérieur par la discontinuité.
Parce que rien n'empêche que le titre de proprieté cesse avec la mort du père,
ou que le fils ne soit pas effectivement le fils du père. Les remplacements
sont toujours possibles dans un univers de contiguité : la contiguité
indifférente en elle-même ne devlent relation que par le biais de l'accoutumance,
autrement il n'y a qu'une relation indifférente.
Ainsi de quelque côté qu'on se tourne la propriété est difficile à
déterminer; or c'est sur elle que se fonde la justice qui est la base de la
société. Si nous ajoutons à ces 1imites de la justice le tout de l'egofsme
nous verrons l'ampleur du problème de la sociabilité: "Seule, cette avidité
d'acquérir des biens et des possessions pour nous-même et pour nos amis les
plus intimes est insatiable, perpétuelle, universelle et directement destructive
de la société.
(1)
J.
LOCKE, cf. Résumé du ?remeT' Traité du Gouvernement civil, - ch. VI
in Deuxième Traité du Gouvernement civil op. ait. p. 64
(2) HuME, op. ait. p. 630

11 5
A peine y-a-t-il un seul honme qu'elle ne pousse pas, et il n'yen a pas un
seul qui niait de raison de la craindre, quand elle aqit sans contrainte
et qu'elle laisse libre cours à ses premiers et très naturels mouvements.
Si bien qu'en définitive nous devons estimer plus ou moins grandes les
difficultés d'établissement de la société selon que nous rencontrons plus
ou moins de difficultés à régler et à contenir cette passion "(1),
Nous pouvons donc dire que la société selon HUME est une société au fondement
précaire. Uans ce contexte le problème de l'origine de la propriété doit
être abordé comme la question subversive par excellence. Cette question révèle
dans ses effets la discontinuité qui est inhérente à la propriété et donc
â la société. NlETZSCHE dans une tout autre perspective fera
la généalogie
de la morale pour mettre en évidence que le bien n'est pas quelque chose
d'atemporelle; mais qu'il y a une génealogie possible de la morale qui
la révèle dans son essence temporelle.
Et que la victoire de la morale ascétique n'est qu'une victolre de la
morale des faibles et des honvnes du ressentiment. L'idéal ascétique vu d'un
point de vue du vital n'étant que l'ennemi de la vie surabondante. La justice
a une histoire et une origine, celle que nous révèle la métnode expérimentale
qui, nous livrant la discontinuité de la propriété sape en même temps
les bases de la justice qui fonde celle-ci. La discontinuité sociale se
révèle donc dans toute son ampleur: égoïsme et discontinuité de la propriété.
Mais cette discontinuité elle-même est fondée dans la discontinuité
existentielle (disproportion des besoins et des moyens, rareté). La discontinuité
existentielle et sociale termine notre analyse de la discontinuité naturelle.
Ainsi notre réflexion dans ce premier chapitre a abordé la discontinuité
naturelle chez HUME dans ses trois dimensions: ontologique, théorique et
esthétique, existentielle et sociale. Trois dimensions dont nous avons soullgné
la complémentarlté et le renforcement mutuel. Mais plus intimement ces
trois dimensions se fondent en la première qui définit la dlscontinuité comme
séparation d'éléments atomiques fondament~-x. La discontinuité n'est pas
(1) HùME~ op. cit. p. 609

116
seulement relationnelle, elle est aUSSl essentielle en ce sens que les atomes
sont discontin~s en ~-mêmes. 1~1e& sont toujours mort/s et successif~'
Le temps apparart comme la conséquence de cette discontinuité essentielle,
tandis que l'espace apparatt comme la conséquence de la discontinuité de
relation. La distance spatiale étant le sens de la séparation. La contiguité
est une traduction existentielle de cette séparation. Mais la discontinuité
onto1oqique rév~lera que 1'homme qui est un complexe d'atomes est travail lé
par la discontinuité. Intérieurement 1 'homme est réduisib1e aux perceptions.
Dans sa relation au monde extérieur, il ne fait que juxtaposer sa discontinuité
à celle des choses. Existentie1lement l 'homme est soumis aux passions et à
la nécessité tandis que socialement son égoïsme joint à son extériorité
par rapport aux choses créent les problèmes insolubles de la sociabilité.
Mais le sens de l'existence est de lutter contre la discontinuité naturelle
et cette lutte ne serait pas possible si elle n'avait l'espoir de réussir
ne serait-ce que momentanément.
Cette réussite est possible parce que 1 'homme trouve déjà en lui-même et dans
l'univers des antidotes naturels qui vont l'aider à lutter contre la
discontinuité. Nous allons donc parler de ces derniè~t .
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111
CHAPITRE II
LES ANTIDOTES NATURELS DE LA DISCONTINUITE
Il nous faut développer dans ce chapitre une perspective opposée·
à celle que nous avons exposée dans le premier.NolJ~ devons non seu;:" :.
lement montrer que la discontinuité n'est pas la seule tendance de la philo-
sophie de HGMg (autrement cette dernière nous conduirait au désespoir) mais
qu'il y a une tendance jumelle accolée à la première et qui s'y oppose.
Cette double position des tendances opposées épuisera le niveau naturel de
la philosophie humienne. Hume pense déjà a ce stade le dépassement de ~a
continuité et de la discontinuité naturelles. La discont~nuitéest réfutée
(ou mieux limitée) par la continuité naturelle qui ~eraell~-même ~éfutée
par ses limites propres. Nous donnons ici à la pers~ective continuiste le
nom de continuité naturelle ou d'antidote naturel. Le terme d'antidote signi~
fie qu'il y a déjà au niveau naturel un moyen pour lutter contre la disconti-
nuité sinon pour en limiter les dégâts. Ce double mouvement de la pensée de
HUME est fondamental. Il est autant insuffisant de s'y arrêter que de privi-
légier l'un quelconque de ces deux mouvements. Notre méthode,comme nous
l'avons dit au niveau de 1'introduction,essaiera de montrer les limites des
interprétations partielles de la philosophie de HUME. ~ais avant de mesurer
l'importance de cette premi ~e opposition des tendances, il nous faut exposer
la tendance continuiste dans sa triple dimension:
Une dimension ontologique
- Une dimension spirituelle
- Et une dimension existentielle
Ces trois niveaux constitueront une spécificité. Mais,nous nous attacherons
à montrer ensuite que les antidotes existentiels sont insuffisants et qu'ils
laissent la discontinuité re\\urgir dans leurs limites. Cette victoire de la
discontinuité
à pour conséquence le triomphe provisoire du scepticis~e dont
HUME imaginera la solution paradoxale.
Suivons l'ordre suggéré ci-dessus.
SECTION 1
LES ANTIDOTES ONTOLOGIQUES
Nous l'avons déjà dit, la philosophie de HUME est une philosophie de la

118
présence. Le monde pour HUME est plein d'êtres. Nous sommes entourés de
partout par des êtres que nous révèlent nos perceptions. Nos perceptions
colncident du reste avec les choses. Cette position
dogmatique de l'être
est implicite; elle peut se déceler dans la manière dont HUME pose ses
prémisses. Les prémisses sont en même temps des points de départ logiques
et ontologiques: "Toutes les perceptions de l'esprit humain se ram ënent
à deux genres distincts que j'appellerai impressions et idées".(l). End'autre«.>
termes"il y a de l'étant". Et l'affinnation de cet étant est en même temps
une affirmation de sa raison d'être. C'est pourquoi on n'aurait pas tort
de dire que HUME pense dans l'ignorance de la question du pourquoi dont
HEIDEGGER fera la question fondamentale de la philosophie (2). Ainsi donc
il faut partir des perceptions parce qu'elles sont inévitables et parce qu'il
faut bien s'arrêter quelque part dans l'investigation régressive. HUME stig-
matise d'ailleurs cette tendance de l'esprit qui veut à tout prix trouver
des raisons dernières à toutes choses (3). Il faut non seulement s'arrêter
-quelque part mais il faut aussi partir de quelque part. Après cette position
dogmatique de l'être, HUME va en révéler les qualités remarquables. Nous
avons déjà consacré la section l du premier chapitre à la discontinuité onto-
logique; nous allons ici nous intÉresser aux qualités opposées de l'être
dont nous n'avons pas encore parlé et que nous regroupons sous le titre
d'antidotes ontologiques. Commençons par les qualités les plus fondamentales
que sont la ressemblance et l'identité.
1 - La ressemblance et l'identité
,Par rapport à l'unité atomique, l'être va être qualifié par l'iden-
tité et- par rapportà la pluralité atomique, l'être va être pensé COfTIme res-
semblance. Mais la ressemblance est la relation fondamentale
; nous allons
nous en occuper d'abord.
Les êtres sont séparés et différents, avons-nous remarqué, mais ils
sont quand même ressemblants malgré cette différence. La ressemblance consti-
tue une réalité (ou une fiction), que nous pouvons mettre en évidence en pre-
nant en compte le fonctionnement de l'esprit dans son activité associative,
comparative, et dans la causalité(entendue comme activité de l'esprit).
- (]) DavidHUME~ TY'aité p.65 (Cette affirmation qui débute le TY'aitf-est Y'emar-
quable dans son dogmatisme. Elle illustY'e bien à sa manièY'e notY'e thèse).
(2) Mar>tin HEIDEGGER~ IntY'oduction à la métaphysizue~ Ed. TelIC~~d, 1950,T~ad.
GilbeY't KAHN.- p.30 et suive
(3) David HUME~ Ov. cit . pp. ?7~ 78

119
HUME met en évidence le fonctionnement de l'esprit et il note l'im-
portance de l'imagination. L'imagination peut fonctionner librement et elle
créé alors des chimères ou bien elle fonctionne "calmement" elle est alors
positive. Mais pour que l'imagination fonctionne calmement, elle doit
être guidée par quelques "principes universels qui la rendent uniforme dans
une certaine mesure en tout temps et en tout lieu". (1). Et le premier de
ces principes que HUME met en évidence est la ressemblance: "Il est clair
que, dans le cours de notre pensée, et dans la révolution constante de nos
idées, notre imagination court aisément d'une idée a une qui lui ressemble
et que cette qualité, a elle seule, est pour la fantaisie un lien suffisant
et une association". (2). Si l 'esprit ,comme il est dit,réagit et associe
selon la ressemblance, il faut que les choses se ressemblent pour que cela
soit possible. La ressemblance est donc dans les choses (perceptions) et
ensuite dans l'esprit déterminé. Elle (la ressemblance), nous est offerte
par l' expéri ence, l' espri t détermi né réagi t a ce11 e-ci dans son acti vité
d'associer. C'est après coup que la ressemblpnce indifférente devient res-
semblance intériorisée par l'esprit. Ainsi à côté de la discontinuité externe
(séparation), et interne (fugacité)
des impressions, il faut reconnaître
la similitude. Cette dernière renvoie déjà à la relption. Mais il faut le
dire, par rapport à la discontinuité profonde, elle semble se situer à un
certain niveau de superficialité qui ne va pas jusqu'au fond structurel de
l'être. Si on se maintient à ce niveau, on peut trouver qu'il y a des choses
ressemblantes. Cette affirmation implicite de la ressemblance à côté de la
différence va se clarifier quand nous approfondirons notre approche de cette
dernière. La ressemblance est une relation issue d'une comparaison d'idées.
C'est la comparaison qui la découvre. C'est donc une qualité relationnelle.
Mais la ressemblance approfondie va se découvrir come la base de toute
comparaison: " ... C'est une relation sans laquelle aucune relation philoso-
phique ne peut exister, car des objets ne se laisseront comparer que s'ils
ont quelque degré de ressemblance. Mais bien que la ressemblance soit néces-
saire à toute relation philosophique, il ne s'ensuit pas qu'elle produise
toujours une connexion ou association d'idées. Quand une qualité devient très
générale et qu'elle est commune
à une grande quantité d'individus, elle
ne conduit
directement l'esprit à aucun d'eux; mais parce qu'elle présente
(]) David HUME~ Trai té ~ p. 75
(2) David HUME~ Op. Cit. p.76

120
d'un coup un trop grand choix. elle empêche justement l'imagination de se
fixer sur aucun objet particulier". (1). La ressemblance se trouve non seu-
lement à la base de toute comparaison, mais elle est une qualité commune à
beaucoup de choses. En effet. pour que deux objets puissent être comparés,
il faut qu'ils soient ressemblants par quelque côté. Ainsi, même si dans la
comparaison on met en rapport deux réalités antinomiques, il y a toujours
un côté par lequel ces objets se ressemblent. Il en est ainsi de la contra-
riété : "1a relation de contrariété peut à première vue être regardée comme
une exception à la règle qu'aucune relation d'aucune espèce ne peut exister
sans quelque degré de ressemblance. Mais considérons qu'il n'y a pas d'autres
couples d'idées contraires en soi, que celui des idées d'existence et de
non-existence qui sont manifestement semblables, car elles impliquent toutes
deux l'idée d'objet: toutefois la seconde exclut l'objet de tous temps et
de tous lieux, où, admet-on, il n'existe pas". (2). Si l'imagination peut
mettre en rapport toute chose, clest parce que toute chose ressemble à une
autre chose par quelque côté. La comparaison est d'abord une approche logique
des choses, mais les choses sont déjà ressemblantes par cette choséité même.
La chose, c'est la chose perçue spatio-temporellement. L'espace et le temps
constituent la dimension commune des choses. On ne peut aller au-delà de
l'atome perceptif, de plus l'atome doit toujours être coloré et tangible.
Ainsi les choses dans leur phénoménalité sont ressemblantes en général. Pos-
tuler une ressemblance en général, c'est reconnaître à côté de la disconti-
nuité structurelle une tendance déjà continuiste qui va pousser dans le sens
existentiel. Il y a donc déjà cette ressemblance ontologique qui est en même
temps une tendance existentielle. Mais cette tendance ne s'arrête pas au niveau
de la généralité pure, elle va se compliquer et se préciser. C'est_à-dire que
la ressemblance en général est à situer au niveau d'une indétermination struc-
turelle, mais au niveau existentiel elle se spécifiera. On verra alors des
objets en qui la différence est dominante et des objets en qui la ressemblance
domine. C'est au niveau de ces objets à ressemblance spécifiée que l'esprit
dans sa fonction imaginative va réagir. La ressemblance est donc d'abord exté-
rieure à l'esprit, elle est une dimension ontologique des choses. Si l'asso-
ciation des idées et la comparaison nous ont permis de mettre en évidence la
ressemblance, une analyse de la causalité précisera encore ce point de vue.
(]J
David HUME~ Traité~ p. 79
(2J David HUME~ Op. Cit. p. 80

12 1
En effet, dans la causalité, qui est une ~lation (comparaison), on
peut dire qu'il y a déjà la ressemblance qui est présuposée. Mais comme nous
avons distingué deux niveaux de ressemblance, il nous faut préciser que les
deux niveaux se retrouvent dans la causalité et jouent un grand rôle dans la
mise en oeuvre du processus causal. En effet, une vision de la succession des
choses ne peut pas déterminer à elle seule l'esprit; c'est la succession
répétée des choses ressemblantes qui détermine l'esprit à réconnaitre une
régularité dans les choses. L'esprit va sélectionner parmi les choses qui
se succèdent celles qui sont toujours accolées. La répétition elle-même ne
prend sa signification que par rapport à la ressemblance, car dans sa défi-
nition même, elle implique celle-ci. La répétition est toujours répétition
du
Même (1). Le ~~me renvoie à la ressemblance. Ainsi si les choses ne se
ressemblaient pas, on ne parlerait pas de répétition et donc l'écoulement
indifférent des choses ne marquerait pas l'esprit au point de le déterminer
â un ordre. Au vu de ces analyses, on peut dire que la ressemblance joue
un très grand rôle dans la mise en place du dispositif causal.
Finalement, l'association des idées, la comparaison et la causalité,
ne sont possibles que grâce à la ressemblance qui est ce qui rend possible
toute mise en rapport. Si nous voulons au vu de ces analyses revenir sur la
signification de la ressemblance, on dira qu'elle est d'abord une qualité
ontologique et existentielle des choses; elle est ensuite un ordre limite,
un ordre de référence selon lequel l'esprit déchiffre les choses. L'esprit,
en gros, ne déchiffre et ne compare que selon la différence et la ressem-
blance. Mais la ressemblance est surtout une qualité relationnelle qui per-
met de lier le monde, de lui trouver des accords malgré sa discontinuité.
Elle apparaît comme l'antidote fondamental contre la discontinuité relation-
nelle. C'est pourquoi elle se trouvera aussi à la base de la s~pathie et
la bienveillance qui sont les deux antidotes existentiels fondamentaux.
Si, comme nous l'avons vu, la ressemblance est l'antidote fonda-
mental de la discontinuité relationnelle, l'identité sera l'antidote de la
discontinuité interne.
En effet, pour que deux choses soient déclarées ressemblantès, il
faut que chacune des choses soit identique à elle-même. C'est.à~dire, il
faut qu'elle continue malgré la diversité des momelits du temps,à être res-
semblante à elle-même. C'est pourquoi HUME place la relation d'identité
t l ) Nous verrons p lus loin que la posi tion de Ci LZe s DeLEUZE dans Différence
et répétition est exactement le oont.rai» e de ce ne que nous soutenons
ici.


122
après la relation de ressemblance: "l'identité, peut-on estimer, est une
seconde espèce de relation. Cette relation, je la considère en tant qu'elle
s'applique en son sens le plus strict à des objets constants et immuables,
sans examiner la nature et le fondement de l'identité personnelle qui trou-
vera sa place par la suite. De toutes les relations, celle d'identité est
la plus universelle car elle est commune à tout être dont l'existence à
quelque durée" (1). L'identité est un rapport d'immutabilité de l'être au
temps changeant. Elle ne peut se comprendre sans le temps qui est sa norme.
Si le temps est norme de l'identité, l'identité est par contre une relation
philosophique fondamentale.
La ressemblance, de son côté, est un rapport entre deux perceptions
séparées, tandis que l'identité est un rapport interne de la perception par
rapport au temps. La ressemblance est spatiale (visible tangible), et l'i-
dentité est spatio-temporelle (successive, visible-tangible).
Tandis que toute ~omparaison implique la ressemblance, l'identité
est la qualité de tous les objets qui ont quelque durée. La ressemblance est
'principe d'ordre, principe de distinction, l'identité est principe de recon-
naissance. Les choses sont ressemblantes les unes aux autres et identiques
en elles-mêmes. L'esprit est (ou devient) sensible à la ressemblance et à
l'identité. La ressemblance et l'identité n'excluent pas toute différence
et tout changement. Elles veulent signifier tout simplement que malgré la
différence et le changement, en un mot malgré la discontinuité, il persiste
encore quelque permanence et quelque similitude dans les choses. L'identité
implique la séparation idéelle de l'objet avec soi mais malgré cette sépa-
ration (multiple), l'objet demeure identique à soi (unique). La ressemblance
est la persistance de l'unité dans la diversité sans rapport au temps, un
entêtement de l'unité dans la multiplicité (différence). On peut se résumer
en disant que l'identité et la ressemblance sont des antidotes naturels de
la séparation et de la différence (discontinuité). Mais elles ne sont pas
les seules, on doit leur adjoindre la succession et la répétition qui sont
des manières d'apparaitre des perceptions. Essayons de voir dans quel~e
mesure ces deux qualités sont des antidotes naturels.
2 - La succession et la répétition
Notre nouvelle position peut se formuler de la manière suivante
(]) David HUME3
TT'ai té3
p. 79

lt3
non seulement il Y a des perceptions ressemblantes et identiques, mais ces
perceptions apparaissent dans un certain ordre qui est l'ordre de succession
et de répétition. La succession, nous le savions déjà, s'enracinait dans les
limites perceptives de notre esprit, nous verrons ici qu'elle est l'ordre
même inhérent aux choses. Nous la découvrirons dans trois exemples.
D'abord, quand HUME cherche l'origine impressive du temps :"l'idée
de temps est tirée de la succession de nos perceptions de tout genre, idées
aussi bien qu'impressions, et impressions de réflexion aussi bien qu'impres-
sions de sensation, elle nous apportera un e>emple d'une idée abstraite qui
comprend une diversité plus grande que celle de l'espace et pourtant elle
est représentée dans la fantaisie par une idée individuelle et particulière
d'une quantité et d'une qualité déterminées" (1). HUME reprend un peu plus
loin la même idée " ... nous formons l'idée de temps de la succession des
idées et des impressions" (1). Ainsi on peut dire que par le biais du temps
HUME affirme dogmatiquement la succession des impressions. Les impressions
se succèdent ou du moins elles sont perçues successivement par notre esprit.
'Cette manière d'apparaître se cristallise en une "idée individuelle" qui
est le temps. La succession est donc l'essence du temps et une manière fon-
damentale dapparaître des perceptions. On peut dire alors que les impres-
sions n'apparaissent pas n'importe comment, elles sont soumises à la règle
de la succession dans leur apparition. Cet ordre se subjectivise non seule-
ment en temps, mais il va rendre possible la dynamique de l'esprit. C'est
par exemple dans la disparition possible des impressions que réside la pos-
sibilité d'apparition des idées. On peut dire en ce sens que l'idée succède
à l'impression. Ainsi la dynamique de l'esprit a pour moteur la succession.
Nous la retrouvons aussi au niveau de la causalit~. En effet, quand on dit
que la cause est antérieure '(temporellement) à l'effet, on veut dire que la
cause et l'effet obéissent à l'ordre de succession. Le premier élément (la
cause), est suivi du second élément (l'effet) : à la cause succède l'effet.
Cet ordre fige la cause et l'effet dans une suite linéaire. Donné en même
temps que les éléments de la succession, cet ordre a la même valeur qu'eux.
On ne peut pas faire qulil n'y ait pas cet ordre comme on ne peut pas faire
qu'il n'y ait pas de l'être. Les êtres seront toujours perçus successivement.
Mais la succession en elle même est indifférente, c'est par intériorisation
qu'elle devient le temps psychologique et l'ordre obligatoire d'apparation
(1) David HUME, op. cit. p.
103

124
des éléments de la causalité. Ces deux exemples en appellent un troisième
que nous trouvons dans l'analyse de l'identité du moi et du monde extérieur.
Dans la critique de l'idée du moi, HUME ve~t montrer qu'il nly a
pas de moi substantiel, identique et invariable qui demeurerait sous la
succession des perceptions. En affimant que le moi n'est qulun"amas de
perceptions" qui se succèdent, il reconna'Î't une succession qui implique le
changement. A la place de l'identité du moi, HUME met une suite de percep-
tions. La seule identité n'étant plus dans ce cas que l'identité de la suc-
cession. C'est la même critique qui prévaudra à l'encontre de l'identité du
monde extérieur. HUME dira que la succession des phénomènes nlest pas une
succession de llidentique, mais une succession du différent. Nous avons déjà
approfondi ce point dans la section l du premier chapitre. Ainsi la succes-
sion, bien qu'affirmée dans ce troisième exemple, ne nous révèle pas encore
son aspect positif. Comment la succession qui renvoie au changement peut-elle
être un antidote de la discontinuité? La succession est positivement un
ordre-limite d'apparation des choses. Cet ordre fait qu'on n'est pas dans
. un univers chaotique au niveau structurel des apparitions. C'est à partir
de cet ordre de succession que vont être déduits les ordres complëxes comme
la causalité et le temps (subjectif, social, historique). La causalité per-
mettra de dédui te les lois de l'univers et de l'esprit, et le temps permettra
de déduire les lois de l 'histoire et de la société. On peut donc conclure
que la succession est un antidote naturel, mais la répétition, qu'est-elle,
ou du moi ns , comment parti ci pe-t,,e 11 e à l 'ordre ?
La répétition va se poser comme règle de récurrence. En effet, la
répétition est aussi un ordre-limite d'apparition, mais elle implique un dé-
doublement. Elle implique déjà la similitude. La répétition est répétition
de deux choses: répétition de l'ordre d'apparition (la règle successive),
et la répétition des éléments. Si on prend en compte l lordre d'apparition,
on verra que pour qulil soit répété il faut qu'il soit le même ordre. Pour
que les éléments eux aussi soient répétés, il faut qu'ils soient les mêmes
éléments, c'est_àAire qu'ils soient identiques. Or nous savons que J'iden-
tité implique la ressemblance extérieure avec soi. La ressemblance est le
sens du dédoublement à l'intérieur de la répétition. La répétition implique
le retour du Même. Mais on peut déjà la diviser et distinguer deux répéti-
tions : la répétition involontaire et la répétition volontaire. La répétition
involontaire est celle qui s'effectue indépendamment de nous, selon l'ordre

125
des choses. Elle est de 1 'ordre du donné. Posée dogmatiquement, elle prêtera
le flanc! la critique.
Pourquoi les choses se répètent-elles? HUME
affirme que les choses se répètent sans dire le pourquoi de cette répétition.
On pourrait même développer la question et dire pourquoi les choses se ré-
pètent-elles de cette manière-ci et pas autrement. Si HUME ne justifie pas
son assertion, c'est d'abord pour des raisons méthodologiques, il faut ré-
primer cette irrésistible envie de chercher des causes.Et ensuite pour des
raisons principielles, le point de départ doit nous être livré par l'expé-
rience et puisque l'expérience ne nous livre qu'une répétition des choses,
contentons-nous-en, sans chercher l'au-delà de cette répétition. Il y a
donc une répétition involontaire qui est naturelle chez HUME. A côté de cette
répétition involontaire il en distingue une volontaire, c'est celle de la
mémoire et celle de l'imagination: "la faculté par laquelle nous répétons
nos impressions de la première manière s'appelle mémoire, et l'autre ima-
gination" (1). La mémoire est une faculté qui joue un rôle important dans
la répétition volontaire en répétant les idées passées (dans leur ordre) .
. C'est elle qui permet la comparaison avec les nouvelles idées, comparaison
qui nous fait découvrir la similitude entre les perceptions passées et les
perceptions présentes. Certes les perceptions passées sont passées irrémé-
diablement, mais la mémoire a le pouvoir de reconstituer le schè~e de ces
perceptions. C'est donc la mémoire qui nous permet de comprendre la répé-
. tition comme répétition de l'identique. C'est donc à la rencontre de notre
répétition volontaire et de la répétition involontaire qu'il faut situer
la répétition de l'identique. Nous voyons ainsi que la similitude et l'iden-
tité entrent dans la répétition; c'est pourquoi on peut dire que la repe-
tition est dédoublée par rapport à la succession. La répétition est dédoublée
parce qu'elle est répétition de l'identique mais Gilles DELEUZE qui lit
HUME à travers NIETZSCHE ne semble pas être de cet avis : ~a répétition
(pour lui), apparaît ( ... ) comme la différence sans concept, qui se dérobe
à la différence conceptuelle indéfiniment continuée. Elle exprime une puis-
sance propre de l'existant dans l'intuition qui résiste à toute spécification
par le concept, si loin qu'on pousse celle-ci" (2). Chez HUME, la répétition
de l'identique peut par un autre côté déterminer à l'inférence et à la
conceptualisation. Conceptualiser, c'est distendre dynamiquement une répétition
(1) DœJid HUME, Traité, p. ?3
(2) Gilles DELEUZE, Différence et répétition, P.U.P. 19?6, introduction p.23

726
passée pour en faire le schème de répétitions à venir. (lest permettre à
un mot de déclencher le processus de généralisation en ~ettant à l'oeuvre
la coutume de l'esprit. De telle sorte que ce qui se répète exclut toute
surprise et toute nouveauté imprévisible. La répétition a dans ce sens un
rapport étroit avec l'immuable. ('est de cette manière traditionnelle de
penser la répétition que veut s'écarter Gilles DELEUZE. Il propose une
répétition sans concept qu'il appelle la répétition complexe. Dans cette
répétition, ce nlest pas l lidentique qui est répété, c'est au contraire
le premier acte de la répétition qui répète les autres: " ... comme dit
PEGUY, ce n'est pas
la fête de la Fédération qui co~mémore ou représente
la prise de la Bastille,
c'est la prise de la Bastille qu~ fête et répète
à l'avance toutes les Fédérations: cu c'est le premier acte, le premier
Nymphéa de Monet qui répète tous les autres". Cette nouvelle vision de la
répétition est reprise dans une suite d'opposition5avec l'ancienne répé-
tition: "La première répétition est la répétition du t1êr1e, qui s'explique
par l'identité du concept ou de la réprésentation ; la seconde est celle qui
comprend la différence et se comprend elle-même dans l'altérité de l'idée,
dans l'hétérogénéité d'une "apprésentation". L'une est négative par défaut
du concept, l'autre, affirmative, par l'excès de l' Idée. L'une est hypothé-
tique, l'autre catégorique. L'une est statique, l 'autre dyna~ique. L'une
est
répétition dans l'effet, l'autre dans la cause. L'une en extension,
l'autre intensive. L'une ordinaire, l'autre, remarquable et singulière.
L'une est horizontale, l lautre verticale. L'une est développée, expliquée,
l'autre est enveloppée, et doit être interprétée"(l). Nous voyons que HU~E
dans sa conception de la répétition, se maintient encore au niveau de la
répétition du Même. La répétition est pensée pour la première fois ouverte-
ment par rapport au problème de la nécessité. L'analyse de la répétition
pense déjà la nécessité qui est une tendance à sortir du discontinu de la
répétition. L'analyse de la répétition l'ouvre donc sur la nécessité. Or,
une foi s que l'esprit est détermi né à la nécess ité, cette de rn i ère devient
pour l'esprit une relation immuable de l'identique. Si la détemination
de l'esprit est importante pour sortir de la répétition, il faut que la
répétition elle-même soit répétition de l'identique pour qu'elle s'ouvre
sur la nécessité. Autrement la mémoire et l'esprit ne saisiraient pas l'ordre
que la répétition porte. On peut donc dire que la discontinuité de la répé-
tition
est maintenue à un nlveau raisonnable chez HUME alurs que chez Si Iles
DELEUZE, la discontinuité conquiert son autonomle.
(1) Giiles DELEVt2, GD. C&t. D. 3e

121
La répétition deleuzienne se recroqueville
sur elle-même et s'autonomise dans l'ignorance de l'identique alors que
chez HUME la répétition sort d'elle-même pour réintégrer la nécessité.
On peut dire que la répétition chez HUME est pour sortir d'elle-même afin
de rejoindre l 'ordre et l'identité. Il faut le dire, avec HUME, on ne sort
pas encore de la philosophie du sens,de la représentation et du concept.
On fait tout simplement du concept quelque chose de dérivé et non d'initial,
et de la répétition quelque chose qui doit devenir immuable (après coup).
Cette comparaison de HUME avec DELEUZE, malgré la distance, nous a permis
de souligner la nature de la répétition humienne. Nous avons vu qu'elle
est un antidote contre une répétition stérile qui ne sortirait pas d'elle-
même. Cela établi, poursuivons le mouvement de notre analyse en nous inté-
ressant à la Conti~~~té.
3 - La contiguïté
La contiguïté est d'abord un antidote contre la sép1ration. A défaut
de coïncider, les choses sont contiguës.
La contiguïté qui est indiffé-
rente extérieurement, va s'intérioriser comme ordre par le biais de la
répétition.
La contiguïté est déterminée par rapport au temps et dans l'espace.
La contiguïté est une distance moindre, la plus petite distance possible
qui remplace la coïncidence. Par rapport au temps, on peut dire que deux
événements séparés par un intervalle de temps très court peuvent être dits
contigus temporellement. Par rapport à l'espace, la contiguïté est le rap-
prochement extérieur des choses, la proximité physique et matérielle. La
contiguïté temporelle peut être comprise comme une succession figée, une
vision immobile de la succession. On voit bien que cela n'est possible
qu'idéellement. La contiguïté temporelle dans ce sens n'est qu'une tenta-
tive pour figer le temps, pour le spatialiser. La contiguïté spatiale, par
contre, fait penser à la contemporanéité, à la juxtaposition. L'espàce dans
ce sens est le fondement des perceptions en même temps qu'il est l'effet
de la présentation des perceptions. Car nous l'avons vu, l'espace (l'éten-
due), nous vient de la vision des objets visibles et tangibles. C'est une
sorte de subsomption des formes, des qualités géométriques des choses,
leur purification idéelle qui donne l'espace. L'étendue tient le milieu

\\
128
entre l'espace pur (tendance) et les objets concrets. La contiguïté est
donc déjà un rapport qui se situe au-delà des objets concrets et des
points visibles et tangibles. ·Extérieurement. on peut dire que la conti-
guïté est le lieu formel où le temps et l'espace communiquent. Intérieu-
rement, elle trouve ses racines dans les limites de l'esprit :"11 est de
même évident que, puisque les sens, quand ils changent d'objet, sont forcés
d'en changer de manière réglée et qu'ils les prennent dans leur ordre de
contiquî té les uns aux autres, l'imagination doit,par accoutumance prolon-
gée, acquérir la méthode de penser et parcourir les parties de l'espace
et du temps quand elle conçoit ses objets" (1).
Il Y a donc un ordre de contiguïté des choses donné indépendam-
ment de l'esprit.C'est un ordre de présentation des choses. L'esprit voit
les choses contiguës selon l'ordre de l'espace et successives selon l'ordre
du temps. La perception est à la limite une synthèse de la succession et
de la contiguïté
:dans son activité associationniste, l'esprit parcourt
et lie les choses selon leur contig~ïté . Il intériorise donc l'ordre de
contiguïté extérieur des choses qui devient ordre d'association de l'esprit.
D'un point de vue associationniste donc, la contiguïté apparaît comme une
des règles qui influencent la marche synthétique de l'esprit. L'imagination
lie selon la contiguïté, cela veut dire que la liaison est soumise à la
distance. L'esprit ne lie facilement que les réalités contiguës. ~a pose
non seulement les limites de l'esprit mais permet déjà d'entrevoir les
difficultés auxquelles les hommes devront faire face pour vivre en société
et connaître.
Si on prend ensuite la contiguïté par rapport à la causalité, nous
verrons que la contiguïté est une relation extérieure. Mais pour que l'es-
prit distingue deux objets comme étant contigus, il faut qu'il les ait vus
plusieurs fois dans cet ordre. La contiguïté implique donc la répétition et
la ressemblance.C'est la répétition de choses ressemblantes contiguës qui
détenninera l'esprit à détacher les objets contigus afin de les lier dans
un rapport. Mais la contiguïté pensée dans la causalité est plus complexe
que la ressemblance et la répétition qu'elle inclut.
La contiguïté a aussi une dimension existentielle. Les hommes sont
pris dans des relations extérieures. La contiguïté est l'expression spatio-
temporelle de cette extériorité. L'atomisme individuel est invivable, comme
nous l'avons déjà découvert :"quand chaque individu travaille isolément et
(1) David HUME~ Traité p. 76

729
ij
seulement pour lui-même, ses forces sont trop faibles pour exécuter une
oeuvre importante". La société s'instaure pour pallier les insuffisances
de l'existence atomique. La contiguïté existentielle apparaîtra comme
rapport interdividuel non-intériorisé. Les hommes au départ sont séparés,
mais la contiguïté
les rapproche et la société les lie. Nous voyons donc
que la contiguïté est positive par rapport à la séparation. On peut dire
que deux individus contigus ne sont pas totalement séparés. Il suffira de
peu
pour les mettre en rapport. Et ce sera l'égoïsme qui fera éclater la
contiguïté indifférente pour la changer en opposition des égoïsmes.
L'égoïsme ne liera d'abord les hommes que négativement en se nourrissant
de cette contiguïté. La propriété est ce qui permettra à l'égoïsme de
s'exercer. Or, la propriété, ramenée à son origine, est discontinue:
entre le propriétaire et son objet, il n'y a qu'un rapport de contiguïté
extérieure. C'est par le temps, la répétition et l'accoutumance que la
contiguïté extérieure se détermine en contiguïté intériorisée et que la
propriété par exemple devient quelque chose de reconnu. Faut-il alors dire
que la contiguïté n'est pas un antidote?
Pensée extérieurement, la contiguïté n'est pas un antidote, mais
intériorisée, elle remplacera la coïncidence et la nécessité. Et partant
de cela, si nous la comparons à la séparation radicale et à l'éloignement,
la contiguïté est un antidote
antidote contre la distance, la séparation.
La cont-iqui cé est complexe et en elle, il entre la reeeembl.ance (qui se
ressemble s'assemble) et la répétition (l'ordre de contiguïté n'est décou-
vert qu'après répétition), on peut donc dire qu'elle est déjà plus inté-
riorisée qu'elle ne paraît.
Avec la contiguïté, nous espérons avoir analysé tous les antidotes
ontologiques qui maintiennent l'univers atomique et discontinu de HUME.
Passons à l'étude des antidotes spirituels.

130
SECTION II
LES ANTIDOTES SPIRITUELS
Les antidotes ontologiques pris extérieurement n'auraient aucun
effet sur la discontinuité s'ils n'étaient intériorisés par l'esprit;
et cette intériorisation se traduit par ce que HUME a appelé une détermi-
nation. C'est_à_dire que l'esprit se laisse transformer en profondeur et
cette transformation opère en général,ce qui permet d'établir les règles
de son fonctionnement. C'est pourquoi nous allons essayer de passer en
revue les pouvoirs et les qualités qui permettent à l'esprit de sortir
de lui-même en commençant par la déterminabilité et l'impressionnabilité.
1 - L'esprit comme impressionnable et comme déterminable
L'impressionnabilité de l'esprit, c'est la qualité qu'a l'esprit
de pouvoir recevoir le monde et de se l'approprier. Si l'esprit était in-
différent au monde, la mise en mouvement du processus spirituel n'aurait
jamais lieu. Il faut donc que l'entendement
puisse sortir de lui- m~me
. '.- pour rencontrer le monde. L'impression est le résultat de cette dispo-
nibilité de l'esprit. Mais il faut le souligner, l'esprit n'est pas une
table rase, ce n'est pas de l'extérieur qu'il reçoit les perceptions.
L'esprit, au contraire, commence et se manifeste par les p~rceptions. C'est
dans cette contemporanéité qu'il faut situer le début de l'esprit et en
même temps le début du monde pour nous. La possibilité de ce commencement
se situe dans cette qualité de l'esprit que nous déduisons a pos~iori et
qui est l'impressionnabilité. Si la table rase lockienne attendait d'ètre
remplie par l'expérience, l'esprit chez HUME commence dans ce surgir im-
médiat que nous nommons impression. Mais cette impressionnabilité n'aurait
pas eu de conséquence sérieuse si elle n'était prolongée par la déteflnina-
bi l i té .
L'impression n'avait pas besoin de la répétition; nous allons voir
ici que la détermination est le résultat de la répétition. La détermina-
tion œ l'esprit n'est possible que grâce à la répétition. Mais le résul-
tat de la répétition est d'abord la mise en place du"dispositif inféren-
tiel" qui n'est possible lui-même que grâce à la déterminabilité de l'esprit.
Nous l'avons dit, la déterminabilité est la possibilité qu'à l'esprit
d'être transformé
afin de sortir de lui-même. L'esprit déterminé à l'in-
férence est un esprit qui a acquis une sorte de métier intellectuel, selon
le terme d'A. LEROY (1); métier qui lui permet d'inférer à l'apparition
(1)
André LEROY, David HUME,
p.
64 et suiv.

131
d'une cause son effet habituel. D'où l'importance de la déterminabi1ité ;
c'est elle qui permet de sortir de la répétition stérile. La répétition,
nous le savons, est incapable de créer une nouvelle idée telle celle de
connexion nécessaire: "la simple répétition d'une impression passée, même
à l'infini, n'engendrera jamais une nouvelle idée originale comme celle
de connexion nécessaire" (1). Si l'esprit ne faisait qu'enregistrer les
perceptions sans qu'il en soit affecté, on ne pourrait jamais sortir de
la répétition stérile. La détermination de l'esprit est donc le premier
antidote contre l'extériorité des répétitions, et constitue de ce fait
pour 1'esprit ~ue1que chose comme un saut qualitatif. A travers ce thème,
HUME pense le passage de la quantité à la qualité et dû même coup,le pas-
sage du multiple à l'Unité, de la contingence au fondement de la contin-
gence, de l'extériorité à l'intériorisation: "Mais un examen plus poussé
me découvre que la répétition n'est pas identique en tout point, qu'elle
produit une nouvelle impression et, par ce moyen l'idée que j'examine à
présent. Car, après une fréquente répétition, je trouve qu'à l'apparition
de l'un des objets, l'esprit est déterminé par accoutufTlance à considérer
l'autre objet qui l'accompagne habituellement et à le considérer sous un
jour plus vif en raison de son rapport au premier objet. C'est donc cette
détermination qui m'apporte l'idée de nécessité." (2) Cela n'est pas sans
rappeler comment HEGEL pense, dans un tout autre registre, le passage de
l'esprit du quantitatif au qualitatif. Chez HEGEL aussi, c'est par un travail
en profondeur, presque sédimentaire, que se fait cette transformation dont
le résultat apparait comme une rupture brusque (3). Ce qui caractérise les
deux mouvements, c'est cette sédimentation presque inconsciente de la répé-
tition dont le résultat est sans commune mesure avec sa cause. HEGEL le
formule de la manière suivante: "En vérité l'esprit ne se trouve jamais
dans un état de repos, mais il est toujours emporté dans un mouvement in-
définiment progressif, seulement il en est ici comme dans le cas de l'en-
fant ; après une longue et silencieuse nutrition, la première respiration
dans un saut qualitatif~ (4), interrompt brusquement la continuité de la
(1) David HuME~ Traité~ p. 163
(2) David HUME~ Ct. Cit. p. 240
(3) Chez LEIBNIZ le passage àu quantitatif au qualitatif ne se fait pas
brusquement. L'effet de la répétition est presque insensible mais ne
lai~8e pas de jouer au niveau de la totalité comme nuance~ comme par-
t iculax-ité , (cf. préface aux Nouveaux essais sur l'entendement humain".
p. 38 et suiv. )
(4) souligné par nous

132
croissance seulement quantitative et c'est alors que l'enfant est né
ainsi l'esprit qui se form~ mûrit lentement et silencieusement jusqu'a
sa nouvelle figure, désintègre fragment par fragment l'édifice de son
monde précédent; l'ébranlement de ce monde est seulement indiqué par
des symptômes sparodiques ; la frivolité et l'ennui qui envahissent ce
qui subsiste encore, le pressentiment vague d'un inconnu, sont les signes
annonciateurs de quelque chose d'autre qui est en marche. Cet émiettement
continu qui n'altérait pas la physionomie du tout est brusquement inter-
rompu par le lever du soleil, qui, dans un éclair, dessine en une fois la
forme du nouveau monde" (1). Cet émiettement continu qui est, d'une cer-
taine manière, la surdité répétitive, loin de disparaître à chaque acte,
se ramasse en soi et réagit 1entement et i nsens i b1ement sur l'es pri t pour
aboutir au renversement qualitatif. Chez HUME, le résultat du processus
n'est pas brusque et révolutionnaire comme chez HEGEL; c'est plutôt une
transformation de l'esprit, une mise en oeuvre au niveau de celui-ci, du
"dispositif inférentie1". Mais il faut le noter, c'est dans le résultat
qu'on découvre l'importance du travail au départ ingrat de la répétition.
Ainsi la répétition, loin de tourner a vide, peut sortir d'elle-même pour
mettre en oeuvre le dispositif inférentie1 qui détermine l'esprit a la
nécessité. Tout cela s'inscrit dans un processus normal qui est celui de
la philosophie du sens; mais Gilles DELEUZE qui pense dans
la perspective de renversement du platonisme, soutient pour sa part que
la répétition, loin de procéder par sédimentation, accumulation, opère plu-
tôt par différenci ati on. La pensée de 1 J éterne 1 retour qui souti ent 1a
philosophie de DELEUZE s'inspire de NIETZSCHE
"NIETZSCHE dit bien: si
c'était l'Un qui revenait, il aurait commencé par ne pas sortir de soi-
mème, s'il devait déterminer le multiple à lui ressembler, il aurait com-
mencé par ne pas perdre son identité dans cette dégradation du semblable.
La répétition n'est pas plus la permanence de l'Un que la ressemblance du
Multiple. Le sujet de l'éternel retour n'est pas le même, mais le différent,
ni le semblable mais le dissemblable, ni l'Un mais le Multiple, ni la
1(
nécessité mais le hasard (2).
Alors que avec HEGEL nous sommes dans la pensée de l'Idée et que
(l)
HEGEL.. La Phénoménologie de l'esprit.. T.I, Pai-ie :- Ed. Aubier-lv1ontaigne
Trad. J. Hyppolite .. 1941.- Introduction p.
12
(2) Gilles DELEUZE.. op. ci t , pp.164-165

133
chez HUME on retrouve encore la nécessité et le fondement au bout du processus,
DELEUZE pose un univers où la différence s'est autonomisée dans l'ignorance
totale de la ressemblance. Cela illustre une fois de plus notre point de vue
selon lequel le structuralisme a poussé jusqu'à ses limites extrêmes un mou-
vement qui n'est qu'esquissé chez HUME.
Si nous revenons à la déterminabilité et à l'impressionnabilité,
nous pouvons conclure que ce sont les deux qualités fondamentales qui permet-
tent à l'esprit de sortir de soi doublement pour poser l'être et l'ordre.
Mais ces deux qualités ne sont pas les seules, il faut y ajouter les deux
facultés que sont l'imagination et la mémoire.
2
L'imagination et l'association des idées
L'imagination jouera comme antidotede l'extériorité etde la sépa-
ration des idées.
L'imagination se présente originellement comme un pouvoir de repe-
tition et en ce sens il n'y a qu'une différence de degré entre elle et la
mémoire. Tandis que la mémoire répète fidèlement, l'imagination ne peut fournir
que des images vraiment effacées des impressions et des idées qu'elle répète.
Cette première thèse de HUME veut insister sur le fait que l'ima-
gination n'est pas d'abord créatrice mais répétitrice. Et cette qualité ne
lui donne aucun avantage putscu ' elle répète moi ns bien que la mémoi re : "Il
est évident, à première vue, que les idées de la mémoire sont beaucoup plus
vives et plus fortes que celles de l iimagination et que la première faculté
peint ses objets en couleurs plus distinctes que celles qu'emploie la seconde".(l)
Mais l'imagination n'est pas que répétitrice,à travers cette imperfection que
nous venons de signaler, se dessine une qualité beaucoup plus importante.
L'imagination n'étant pas asservie à la fidélité peut répéter ce qu'elle veut
et comme
elle veut. Nous pouvons au vu de cel~ avancer la deuxième qualité
de l'imagination: elle est l-ibre alors que la mémoire est eemn.Le
" ... l'i-
magination n'est astreinte ni au même ordre ni à la même forme que les impres-
sions primitives; par contre la mémoire est en quelque sorte enchaînée sous
ce rapport sans aucun pouvoir de changement". (2) Ce qui est critiqué ici
d'un point de vue de la liberté chez la mémoire jouera un rôle autrement plus
positif quand nous parlerons de la croyance. Mais il faut le noter: cette
liberté de l'imagination n'est pas une liberté-hasard. L'imagination ne peut
(1) David HUME,
Traité, p. 73
(2) David HUlvJE,
C1). Cit. p. 7<1

134
pas produire ~nihilo~ elle ne fait que réorganiser ce qu'elle a reçu.
Ainsi plus radicalement elle est aussi enchaînée, mais elle réussit tout
de même a sortir de sa serviJité. Si l'imagination n'a en elle aucune force
pour créer du nouveau, comme nous l'avons dit, elle peut changer les idées
qu'elle répète :"C'est la même évidence que nous retrouvons pour notre se-
cond principe, liberté de l'imagination de transposer et de ch~~er (1)
ses idées. Les fables que nous rencontrons dans les poèmes et les romans
le placent hors de toute discussion. La nature est ici totalement boulver-
sée, on n'y mentionne rien que des chevaux ailés, des dragons de feu et
des géants monstrueux." (2).
L'imagination joue deux rôles,
elle transpose les idées, clest_
a_dire qu'elle les répète imaginativement. Et cette transposition les fait
passer de leur forme pure a une forme dérivée, caractérisée par sa légèreté.
Cette légèreté s'extériorise comme manque de vivacité, affaiblissement.
Mais ensuite l'imagination (Fancy) va changer les idées en opérant sur elles
un travail de séparation et d'union. Nous découvrons la les deux procédés
fondamentaux de l'imagination qui en font une faculté synthétique. Les idées
affaiblies et rendues légères peuvent être séparées
"... l'imagination peut
séparer toutes les idées simples". (3) Mais elle le fera selon cet important
principe de l'imagination qui rend possible toute analyse
: "Toutes les fois
que l'imagination perçoit une différence entre des idées, elle peut aisément
les séparer". (4) Ce principe est développé de la manière suivante:
" ... nous avons remarqué que tous les objets qui sont différents sont discer-
nables et que tous les objets discernables sont séparables par la pensée et
l'imagination. Nous pouvons ajouter ici que ces propositions sont également
vraies a l'inverse, tous les objets qui sont discernables sont aussi dif-
férents. Car co~ent se pourrait-il que nous puissions séparer ce qui n'est
pas discernable, ou distinguer ce qui n'est pas différent" ? (5). Il y a
trois parties composantes dans l'idée de cette règle de discontinuité. D'abord
la di.ecernab i l.i té qui se fonde dans la perception, la différence qui est
une qualification de la perception, et la séparabilité qui est une faculté
(]) Souligné par nous
(2)
David HUME~
TY'a~~ ~ p.74
(3)
David HUME, op. cit.~ p.75
(4) David HUME, 00. Cit. p. 74
(5)
David HUME, Op. Cit. p. 84

135
de l'imagination analytique. Il faut tout de suite dire que tout n'est pas
discernable: cette idée renvoie au problème des minima sensibles au-delà
desquels la perception n'est pas possible. La différence renvoie quant à
elle à la tangibilité et à la coloration données comme qualification de
base obligatoire et nécessaire pour que la perception soit possible. La
différence renvoie ronc à la différence de qualification. La séparabilité
se fonde dans la séparation ontologique des éléments atomiques. Comment
l'imagination va alors user de son pouvoir de séparation et d'union pour
transformer les idées?
L'imagination use de son pouvoir séparateur pour réduire les idées
complexes en idées simples séparées. L'imagination recombine ensuite ces
idées selon une fantaisie toute libre. Ce pouvoir de composition qui est la
source des idées complexes de l'imagination peut fonctionner de deux manières
d'une manière fantaisiste,(elle créé alors des monstres) et d'une manière po-
sitive. Commençons par la manière négative. Dans sa fonction fantaisiste,
l'imagination associe sans ordre, sans principes. Dans ce pur mouvement
d'associer, elle jouit du pouvoir d'associer pour lui-même. Heureuse de
créer des formes nouvelles par séparation et réunification, elle déploie
tout son pouvoir prométhéen sans se soucier des contradictions et des in-
compatibilités. L'imagination non réglée synthétise, mais ce sont les syn-
thèse aberrantes. A ce niveau, c'est le règne du hasard. Si l'imagination
n'était que cela, on se demande bien d'où sortirait l'ordre associatif. Mais
en attendant de parler de l'association des idées, prenons un Exemple pour
illustrer le fonctionnement fantaisiste de l'imagination. Si nous prenons
l'exemple du cheval ailé, nous voyons que l'imagination s'est servie de
l'idée complexe de cheval. Elle (l'imagination) a pris ensuite l'idée complexe
d'oiseau, puis a séparé l'idée d'aile de l'idée du reste du corps de l'oiseau.
Elle (l'imagination) a procédé alors à une nouvelle combinaison: cheval +
ailes. Le cheval ailé est le résultat de ce travail de composition. Il béné-
ficiera non seulement des qualités du cheval mais de celles de l'oiseau.
Tous les monstres d'idée sont composés de la même manière. Cette tendance à
la création des monstres d'idées a été favorisée par les aberrations de la
nature (exemple: mouton à cinq pattes). Mais cette imagination fantaisiste,
de par sa nature même, est en continuel débordement. HUME la trouve dange-
)
reuse : "Rien n'est plus dangereux que les envolées de l'imagination et rien

136
n'a occasionné plus d'erreurs en philosophie. Les hommes aux larges imagi-
nations peuvent à cet égard se comparer à ces anges qui, comme les repré-
sente l'Ecriture, se couvrent les yeux de leurs ailes". (1) Si l'homme
était soumis à la seule imagination fantaisiste et s'il n'y avait pas la
seconde tendance synthéti que de l' imagi nati on, l' homme serait le jouet de
l'illusion. Cette tendance synthétique est d'abord un antidote contre la
séparation des idées : "Si les idées étaient entièrement dégagées de tout
lien et de toute connexion, seul le hasard les joindrait; et il est impos-
sible que les mêmes idées simples se groupent régulièrement en idées
complexes (comme elles le font couramment), sans qu'un lien les unisse,
sans qu'une qualité les associe de telle sorte qu'une idée en introduise
naturellement une autre." (2). L'imagination permet donc de constituer des
complexes d'idées, mais elle ne le fait pas toute seule :"Puisque l'imagi-
nation peut séparer toutes les idées simples et qu'elle peut les unir de
nouveau sous quelque forme qu'il lui plaît, rien ne serait plus inexplicable
que les opérations de cette faculté, si quelques principes universels ne
la guidaient, qui la rendent uniforme, dans une certaine mesure, en tout
temps et en tout lieu". (3) Donc l'imagination a besoin de principes uni-
versels qui la guident dans son activité d'association. Ce n'est pas le
pouvoir d'unir en général qu'apportent les principes. L'imagination possède
déjà le pouvoir d'union fantaisiste, mais ce pouvoir, comme nous l'avons vu,
n'unit pas selon les principes calmes. On ne peut donc partir de ce pouvoir
pour établir des règles et mettre de l'ordre dans les choses. L'imagination
réglée va donc acquérir un pouvoir de synthèse assez solide pour lier les
choses :"Ce principe d'union entre les idées, on ne doit pas le considérer
comme une connexion inséparable, car une telle connexion a déjà été exclue
de l'imagination; et pourtant nous ne pouvons pas conclure
que, sans
elle, l'esprit est incapable de joindre deux idées; car rien n'est plus
libre que cette faculté; mais nous devons seulement regarder ce principe
d'union comme une force calme, qui l'emporte couramment" (4) Ainsi, si le
pouvoir d'associer et de lier se distingue, c'est parce qu'il l'emporte
couramment et naturellement. Ce n'est pas l'imagination qui se décidera
de son propre chef à réagir à tel ou tel ordre, c'est la nature qui va
déterminer l'esprit à réagir aux différentes formes: "La nature en quelque
(1) David HUME~ Traité~ p. 360
(2) David HUME~ Qp. Cit. p.?5
(3) David HUME~ Ibid~" p.75
(4) David HUME".
'.:J
75
I01/u..
p.
J

137
sorte désignant à chacun les idées simples qui sont les plus propres à
s'unir en une idée complexe"(l). HUME s'attache à distinguer alors trois
qualités qui conduisent l 'esprit d'une manière réglée: la ressemblance~
la contiguité~ la cause et l'effet. Il ajoutera par la suite l'habitude,
et l'expérience au nombre de ces principes. Nous allons voir comment l'es-
prit intériorise cet ordre pour y réagir.
Prenons la ressemblance. Corrrne dit HUM,E : "il est clair que dans le
cours de notre pensée et dans la révolution constante de nos idées~ notre
imagination court aisément d'une idée à une autre qui lui ressemble et
que cette qualité à elle seule est pour la fantaisie un lien suffisant et
une association." L'imagination réglée selon la ressemblance court d'une
idée à celle qui lui est le plus ressemblant. La ressemblance qui nous
était apparue d'abord comme extérieure est intériorisée par l'esprit au
point de devenir sa nature. Mais cette liaison par la ressemblance est sou-
mise à la distance et à la différence comme limites opératoires. Cela peut
se formuler de la manière suivante: moins un objet est ressemblant~ moins
l'association des idées joue. Oe la même manière~ plus un objet est éloigné~
moins la ressemblance joue. La contiguïté ajoutée à la ressemblance a pour
conséquence d'ajouter un effet additif à l'influence de celle-ci. La farte
similitude a pour effet d'ajouter à la force de l'association qui joue alors
avec beaucoup plus de facilité. La ressemblance permet la facilité de tran-
sition de l'esprit: "Nous pouvons donc observer comme première expérience
à l'appui de notre dessein présent~ qu'à la présentation du portrait d'un
ami absent , l'idée que nous avons de lui s'avive évidemment par veeeembl.ance
et que toute passion occasionnée par cette idée, qu'elle soit joyeuse ou
triste acquière une nouvelle force et une nouvelle
vigueur
A la produc-
tion de cet effet, concourent à la fois une relation et une impression
présente. Si le portrait n'a aucune ressemblance avec l'ami ou du moins s'il
ne vise pas à le représenter~ il ne parvient pas à guider notre pensée
jusqu'à lui; et s'il est absent aussi bien que 1lami~ l'esprit peut encore
passer de la pensée de l'un à la pensée de l'autre, mais il sent que son
idée est plutôt affaiblie qu'avivée par cette transition"(2). La ressem-
blance joue comme fil conducteur invisible, elle met en oeuvre une dynamique
de la suite et de la continuité. Elle signale des accords muets entre les
choses et qui permettent à l'esprit la transition facile. Cette facilité de
(1)
Da:vid HUME~ Traité p. 75
(2) David HUME~ Op. Cit.
p.176

138
transition entraîne l'esprit dans le mouvent continu de la ressemblance.
Si on présente un objet ressemblant en l'absence de l'original (exemple du
portrait), l'imagination se charge de faire la transition avec l'objet
absent (l'original). Si les deux objets sont présents, l'esprit les parcourt
aisément comme s'ils formaient une suite ininterrompue. La ressemblance
intériorisée sera un antidote contre la différence. La contiguïté intério-
risée sera un antidote contre la séparation. La contiguité sera le deu-
xième principe qui règle l'imagination.
L'esprit découvre d'abord que la contiguïté est une conséquence
des limites de l'esprit. L'esprit est obligé de prendre les objets dans
leur ordre œ contiguïté. Et cette méthode perceptive déteint sur l'esprit.
Ainsi quand un objet a été souvent contigu à un autre, à l'apparation d'un
des objets, je pense à l'objet auquel il a été souvent contigu. L'esprit
déterminé à la contiguïté pense la proximité des choses dans le temps et
dans l'espace. Il pense non seulement la proximité mais la ressemblance
car, sans elle, la transition de l'imagination ne peut jouer. La ressem-
blance est comprise dans la contiguïté mais elle exclut la contiguïté de
l 'hétérogène ainsi celle d'une pensée et d'une chose divisible :"Mais il
est impossible qu'aucune chose divisible puisse être conjointe à une pensée
ou à une perception qui est une existence qu'on ne peut absolument pas scin-
der, ni diviser." (1) Ainsi la contiguïté et la ressemblance sont limitées
l 'uneet l'autre par la distance spatio-temporelle et la différence. De plus
ces deux relations (contiguïté et ressemblance) sont des relations de l'ex-
périence présente, elles ne peuvent être étendues au futur et au passé.
Deux objets contigus sont comparables, deux objets ressemblants
sont contemporains grâce au travail de rappel de la mémoire. Clest pourquoi
il faut considérer la relation de causalité comme "plus étendue" (2) que la
ressemblance et la contiguïté. Avec la causalité on peut dépasser le présent
pour conjecturer sur le futur. Essayons d'analyser les composantes de la
causalité.
La première qualité que HUME distingue, c'est la contiguité. -Nous
le verrons, la causalité est un principe complexe qui comprend tous les autres
principes. HUME mentionne la contiguïté en insistant sur son importance:
"Nous pouvons donc considérer la relation de contiguïté comme essentielle
à la relation de causalité"(3). La contiguïté, nous l'avons dit, implique
(1) David HUME, Traité, p.324
(2) David HUME, Op. Cit. p. 147
(3) David HUME,
Op.Cit. 'p. 148

139
la ressemblance et la répétition; elle constitue donc déjà la sélection
d'une différence dans la répétition stérile. La seconde qualité non moins
importante qui entre dans la constitution de la causalité est l'antériorité
temporelle: "La seconde relation, que je noterai corrane essentielle aux
causes et aux effets, n'est pas admise aussi universellement et elle est
sujette à controverse." (1). L'antériorité temporelle qui est soumise à
l'ordre de succession et à l 'ordre d'apparition perceptive doit devenir
intérieure: c'est.à.dire que cet ordre doit être reconnu comme ordre spé-
cifique qui lie deux éléments. Cette reconnaissance est une sélection de
l'esprit ou mieux l'esprit déterminé par la répétition distingue un ordre-
limite supérieur à la succession indifférente et qui est l'antériorité
temporelle. L'antériorité temporelle de la cause signifie que l 'effet ne
viendra jamais avant la cause. Autrement dit, on peut y distinguer deux
ordres d'antériorité. L'antériorité temporelle est d'abord antériorité lo-
gique : la cause ne peut être effet de l'effet. Mais cette exigence trouve
ensuite son fondement dans la temporalité: l 'esprit ne peut percevoir que
sucessivement. La cause référée à cet ordre de l'esprit doit arriver avant
l'effet. Mais HUME a raison de reconnaître que ce second principe de la
causalité est"sujet à controverse". Clest la critique de NIETZSCHE qui,
bien que tardive, permettra de mettre en évidence les limites de ce principe (2).
Supposons que j'entende un coup de canon. Au lieu de faire du coup de canon
la cause de toutes mes actions futures, de toutes les stratégiesque je dé-
ploie pour en limiter les effets, ou pour prévenir un autre coup de canon,
je cherche la cause du coup de canon :("Souvent un petit roman dont la per-
sonne qui rêve est le héros") ; et : liCe qui ne vient qu'après, la motivation,
semble arriver d'abord souvent avec cent détails qui passent comme un éclair,
le coup eui.t: ... Qu'est-il arrivé? Les représentàtions qui produisent un
certain état de fait ont été mal interprétées comme les causes de cet état
de fait" (3). Cela parce que pour NIETZSCHE la cause est plus profonde cuon
ne le croit. La cause, chez
lui, est une' cause vitale. Peut être consi-
déré comme cause tout ce qui a assez de force pour provoquer un déplacement
profond dans l'existence. Et le coup de canon se présente dans ce sens comme
plus profond que le motif du tireur de canon. Or si onse situe sur un plan
(1)
HUt1E~ Traité
p.
2
(2) F.
. Nn'T'lSCdE~ Le Crépuscule aes î-do(es
trad, a'Henr-z- Albert Ed. Denoel
d
Gonbni.er-,
isro
(J)
F. NIE:TZ::;CHE~ _o.....
P_.sis- pp. 51~ sz

140
superficiel, le motif est décisif parce que c'est lui qui précède le coup
de canon. Mais si on approfondit, on verra que le motif n'est que l'effet
d'un instinct de vie (ou de mort), qui le fait agir par derrière et qui est
la cause fondamentale. Donc le coup de canon renvoie d'un point de vue vital
à une cause profonde dont il est l'effet.Et d'un point de vue de la phéno-
ménalité, le coup de canon est la cause réelle en ce sens que c'est lui qui
détermine plus radicalement toutes les stratégies concernant la situation y
compris l'envie même de rechercher des causes.
Pour NIETZSCHE donc, l'antériorité temporelle n'est pas suffisante,
il faut y adjoindre l'antériorité ontologique (au sens de plus fondamental).
Si la cause est prise uniquement sur le plan temporel, elle peut faire des
causes dérivées les causes des phénomènes. Mais si la critique de NIETZSCHE
ne peut atteindre totalement HUME, c'est que l'antériorité temporelle n'est
que le maillon d'un processus qui est complexe. Elle (l'antériorité tempo-
relle), vient après la contigurt~ mais elle précède la conjonction cons-
tante. Ainsi située dans le processus de causation, l'antériorité temporelle,
malgré ses limites, acqui~rt: sa raison d'être. Passons à la relation suivante
qu'est la conjonction constante.
La conjonction constante implique non seulement la mémoire (le
souvenir) mais elle implique la fréquence (répétition) des objets et leur
apparition ordonnée (contigu'ité et succession) : "Nous nous souvenons d'avoir
eu des exemples fréquents de l'existence d'objets d'une espèce donnée
et nous nous souvenons aussi que des objets d'une autre espèce les ont tou-
jours accompagnés et ont toujours apparus dans un ordre régulier de conti-
guïté et de succession par rapport à eux. Ainsi, nous nous souvenons d'avoir
vu un objet de cette espèce que nous nommons chaleur. Nous rappelons éga-
lement à l'esprit leur constante conjonction dans tous les cas passésP(l).
Dans la conjonction constante~ la mémoire donne la dimension mnémonique
de la relation, elle rappelle que la répétition simplement extérieure d'ob-
jets contigus a été intériorisée. Ainsi nous découvrons une relation impor-
tante de la causalité qui nous fait dépasser et la contiguïté et la suces-
sion: "Contiguïté et succession ne suffisent pas à nous faire affinner que
deux objets sont cause et effet, sauf si nous percevons que ces deux rela-
tions se retrouvent dans plusieurs cas". (2) La conjonction constante en
ce sens est plus intégrante que la contiguïté et la sucession.
(1J David HUME~ Trai té , p. 161,162
(2) David HUME,
Op.
ci t . p. ]62

141
Ce qui est remarquable, c'est que l'esprit à ce niveau distingue, c'est_à_
dire élit) des relations privilégiées dans l'ordre-limite de l'univers et
s'y attache. La constance de conjonction se différencie par sa permanence
des autres perceptions qui sont extérieures et libres les unes par rapport
aux autres. Cette constance devient au niveau de l'imagination réglée un
principe de distinction et d'ordre de l'esprit. Mais si nous prenons les
trois premières relations que nous avons mises ~jour, on peut dire qu'elles
n'épuisent pas le contenu de la causalité. La constante conjonction est
aussi :pensée cOl1111e connexion nécessaire. Cela veut dire que la conjonction
constante doit devenir connexion nécessaire. L'esprit doit y découvrir la
nécessité qui est plus forte que la simple conjonction quand bien même
celle-ci serait constante. Il faut donc substituer à la recherche sur la
conjonction constante la recherche sur la connexion nécessaire. La connexion
nécessaire a été toujours prise pour ce qui rend possible l'inférence;
HUME va renverser la perspective: "Peut être apparet tr-a-të i l à la fin que
la connexion nécessaire dépend de l'inférence, au lieu que ce soit l'infé-
rence qui dépende de la connexion nécessaire". (1) Pour résoudre le problême
de la ~onnexion nécessaire qui, reconna1t-on, provient de l'expérience, il
nous faut nous demander comment l'expérience produit cette idée. Est-ce au
moyen de llentendement ou de l'imagination? HUME s'attache à montrer que
l'entendement ne joue aucun rôle dans la mise en place de l'inférence.
L'entendement a deux degrés d'évidence qui proviennent des arguments de la
connaissance et de ceux de la probabilité. La connaissance est une compa-
raison d'idées qui ne nous permet pas de sortir des idées comparées pour
en tirer ure idée qui n'y est pas incluse, elle fonctionne selon le principe
de non-contradiction. S'il fallait nous appuyer sur la connaissance pour
justifier rationnellement l'inférence qui veut que les cas dont nous n'avons
pas eu d'expérience ressemblent à ceux que nous avons expérimentés, et que
le cours de la nature demeure uniformément identique, nous découvririons
bien vite une contradiction: IINous pouvons au moins concevoir un change-
ment dans le cours de la nature; ce qui prouve qu'un tel changement .n'est
pas absolumer.t irnpos s i bl e". (2) On est obligé d'en conclure que l'inférence
n'est pas un produit de la raison. Serait-ce alors un produit de la connais-
sance probable? La probabilité, à la différence de la connaissance, prend
en compte les "relations d'objets", il doit donc entrer en elle des impres-
(1) David HtWE~
Traité~ p.163
(2) David HUME~ Op. Ci t., p. 1 64

141
sions, des sens, de la mémoire et des idées. Les idées, dans la probabilité,
ont autant besoin des impressions (des sens et de la mémoire) que les impres-
sions des idées; parce que sans les impressions, les idées seraient chimé-
riques et sans les idées, les impressions se réduiraient aux sensations (1).
Ce qui veut dire qu'il doit entrer dans la probabilité non seulement des
impressions mais il faut que celles-ci soient ppésentes. Mais, de la recon-
naissance de ces impressions présentes à la position de l'inférence qui pré-
tend étendre l'ordre présent à l'ordre futur, il y a une distance que seule
la causalité permet de dépasser. La probabilité ne peut donc fonder l'infé-
rence puisqu'elle est l'effet de cette dernière
"le même principe ne peut
être à la fois cause et effet d'un autre ". (2)
Si)ni la probabilité, ni la connaissanc~~ ne produisent l'inférence,
faut-il dire que cette dernière provient d'un pouvoir ~ Nos découvertes pré-
cédentes nous ont démontré que la cause, prise à sa racine, n'est pas un
pouvoir. Mais si malgré tout, partant de l'expérience, on reconnaissait ce
pouvoir à l a cause, nous n'aurions pas le droit de tirer"u.'le conclusion
qui dét,ordE: l es cas passés dont nous ni avons pas eu l' expéri ence ... Il Il
faut donc dire que l'inférence n'est pas de l'ordre de la preuve ou de la
démonstration: "Nous ad~ettons mais nous sommes incapables de prouver
qu'il doit y avoir une ressemblance entre les objets dont nous avons eu
l'expérience et ceux qui se trouvent hors de portée de notre connaissance ... "(3)
Si l'inférence n'est pas déduite, elle doit être le fruit de l'association des
idées (activité de l'imagination réglée) : "Quand donc l'esprit passe de
l'idée ou àe l'impression d'un objet à l'idée d'un autre et qu'il croit en
l'existence de celui-ci, ce n'est pas la raison qui le détermine; ce sont
certains principes qui associent les unes aux autres les idées de ces objets
et qui les unissent dans l'imagination". (4) L'inférence est donc fondée
dans l'imagination réglée et c'est de cette inférence que dépend la néces-
sité. L'esprit déterminé à l'inférence va trouver la nécessité dans la cau-
salité. Mais là surgit un problème: comment la causalité, qui fait partie
des principe~ de l'imagination, peut-elle être produite par l'imagination?
Ce processus en apparence contradictoire n'est que si on le prend logiquement,
il faut comprendre la connexion nécessaire comme le résultat de la détermi.nat.ion
(l) David HlIME~
Tr-ai.t:é , p.
164
(2) David HUME~
Op. C'1.:t •. p.
165
(3) Daoi.d HUME~ Op. Cit. p. 166
(4) David HUME.> Op. Cit. p. 167

143
de l'esprit. C'est l'esprit déterminé qui découvre la nécessité. Pour déter-
miner l'esprit à l'inférence, il faut la répétition et la conjonction cons-
tante. Mais la détermination de l'esprit est un changement profond au ni-
veau de l'esprit, changement qui le fait passer de la répétition stérile
à la déduction de la nécessité. Mais tout ce processus de détermination se
passe par devers nous: "Ainsi, bien que la causalité soit une relation
philosophique en tant qu'elle implique contiguïté, su~ession, et conjonction
constante, c'est seulement dans la mesure où elle est une relation naturelle
et où elle engendre l'union de nos idées que nous sommes capables de raison-
ner par elle ou d'en tirer quelque inférence".
Nous inférons donc naturellement mais pas immédiatement. La mise
en oeuvre du "dispositif inférentiel" est un processus qui passe par l'expé-
tri ence et l'habitude. Mais avant d'approfondir ces deux autres principes,
il nous faut dire que l'inférence dont dépend la nécessité est un antidote
contre la contiguTté et la sucession indifférentes. A la fin du' processus
de causation, la causalité va permettre de dépasser la perception présente
afin de conjecturer. Elle est donc aussi un antidote contre la dictature
du présent perceptif .. Gràce à la causalité, nous pouvons sortir du pr~sent
perceptif et du passé-présent pour conjecturer sur le futur, trouver des
relations nécessaires entre les choses, faire oeuvre de science. Et cet anti-
dote n'est pas l'oeuvre de la raison, c'est un processus naturel qui se met
en oeuvre malgré nous et sans nous. Ce qu'il faut aussi mentionner, c'est
qu'à chaque principe de la causalité, tous les principes antérieurs sont
intégrés et le dernier principe qui est l'inférence (connexion nécessaire)
auquel on aboutit intègre tout le processus de détermination de l'esprit.
Non seulement tout le processus de causation mais les deux premiers prin-
cipes que sont la contiguïté et la ressemblance sont intégrés. Rendus là,
on peut résumer les deux versants (subjectif, objectif) du processus. Au
niveau du sujet, le processus a pour nom habitude~ accoutumance~ au niveau
objectif, le processus a pour nom expérience. HUME fait de l'expéY'î:ence et
de l'habitude deux principes :"1 'expérience est un principe qui m'instruit
sur les divers conjonctions des objets dans le passé. L'habitude est un
autre principe qui me détermine à atteindre le même dans l'avenir; les
deux principes s'unissent pour agir sur l'imagination ... " (1) Mais il faut
le reconnaître, ces deux principes ne sont pas des principes qui viendraient
s'ajouter
aux principes de 1'imag~nation. Il faut dire que la détermination
...
(]) David HUMf~ Trai té, p p . 357~ 358
i

144
de l'esprit passe forcément par l'expérience. Le terme d'expérience développé
inclut la perception, la ressemblance, la contigufté, la succession, la ré-
pétition, la causalité, etc. L'expérience prend ici un sens différent de
celle du savant. Cette dernière est volontaire alors que la première est
involontaire, étant la conséquence d'un processus naturel. Cette expérience
fondamentale naturelle se poursuivra et se raffermira au niveau social en
pratique existentielle. Cette pratique inclut tous les principes qui entrent
dans l'expérience mais leur donne en plus une dimension artificielle, pro-
méthéenne et sociale. Non seulement cette pratique intègre l'expérience
mais elle comportera un versant volontaire et un précipité inconscient
qui travaillera en profondeur à déterminer définitivement l'esprit. L'habi-
tude, par contre, c'est l'expérience intériorisée et la culture c'est l'en-
semble des pratiques (théoriques, sociales,)intériorisées.
Nous le voyons, nous devons à chaque fois penser tous ces processus
dans toute leur richesse. La pratique existentielle et la culture ne seront
'que des prolongements pratiques des antidotes naturels de la discontinuité.
Mais tout le processus de détermination dont le noeud est l 'habitude n'aurait
pas été possible sans la mémoire.
3
La mémoire et l'imagination
La mémoire a été déjà rapidement définie en corrélation avec l'ima-
gination comme faculté de répétition des impressions premleres sous forme
d'idées. Mais, tandis que l'imagination répète les impressions d'une manière
imparfaite, la mémoire les répète d'une manière fidèle: "Il est évident, à
première vue, que les idées de la mémoire sont beaucoup plus vives et plus fortes
que celles de l'imagination, et que la première faculté peint ses objets en
couleurs plus distinctes que celles qu'emploie la seconde. Quand nous rappe-
lons un évènement passé, son idée s' i nsi nue dans l'es prit avec force ; au
contraire, dans l'imagination, la perception est effacée et sans vie, et ce
n'est pas sans difficulté que l'esprit peut la conserver ferme et invat'iable
durant quelque temps" (1). ~1ais si l'imagination tire de cette infidélité
de rappel sa liberté, la mémoire va tirer de sa fidélité de rappel un impor-
tant rôle dans la mise en oeuvre de l'inférence. La mémoire, il faut le re-
connaître, ne crée pas des idées, elle ne les conserve pas non plus (ou du
moins ce n'est pas là son rôle principal) elle conserve plutôt l'ordre et la
(1) Davià HUME~ Op. Cit. p. 73

'145
position des idées (1). C'est.à.dire que la mémoire retient surtout des
relations et non des éléments. Elle permet donc de distinguer les relations
régulières et remarquables dans la répétition. Elle ne distingue pas seu·
1ement les relations, elle les répète (rappel) avec une grande fidélité.
Et cela permet de les comparer à chaque fois avec les nouvelles afin de
découvrir leur ressemblance de forme et de position (2). Sans la mémoire
donc, aucune comparaison d'idées et d'impressions ne serait possible.
L'imagination qui, à chaque fois qu'elle rappe11e,a déjà transformé, ne
peut jouer efficacement ce rôle: "I1 est évident que la mémoire conserve
la forme primitive sous laquelle se présentèrent ses objets et que chaque
fois que nous nous en écartons dans une évocation, c'est l'effet d'un dé-
faut ou d'une imperfection dans cette faculté". La mémoire est aussi fidèle
dans le rappel des circonstances : Il Le cas est identique quand nous nous
souvenons des 1i eux et des personnes que nous avons précédemment connus ". (3)
HUME soutiendra ensuite que la différence entre l'imagination et la mémoire
ne se trouve pas dans la fidélité de rappel mais plutôt dans la différence
de vivacité des idées. Les idées de la mémoire sont plus vives et ont donc
un rapport très étroit avec les impressions des sens, tandis que les idées
de l'imagination sont faibles et s'éloignent le plus des impreSSions. La
différence entre faiblesse et vivacité des idées peut être perçue dynami-
quement dans le mouvement de rappel. Dans l'effort de rappel, si l'on nous
décrit les circonstances et nous localise les évènements, si ces informations
ne rencontrent pas d'écho en nous, elles nous semblent de pures fictions;
mais qu'une circonstance hev~mlse nous mette sur la voie du rappel et toutes
les descriptions se présentent sous un jour nouveau: "Mais aussitôt qu'est
indiquée la circonstance qui touche la mémoire, les mêmes idées exactement
apparaissent sous un nouveau jour et elles sont en quelque sorte senties
différemment de ce qu' ej" es l' éta i ent auparavant. Sans aucune autre modifi-
cation dans la manière dont on les sent, elles deviennent immédiatement les
idées de la mémoire et l'assentiment leur est donné"(4). Ce qui veut dire
(1) DfTùid HUfrŒ~ Traitép.p. 74~158
(2) HUME dira que : tt nous ne pouvons rappe Ler les impressions passées afin
de les comparer à nos idées et de voir si leur ordonnance ~st exactement
identique tt ; mais on ne peut toùtefois nier que le schème des impres-
sions
est présent dans toute comparaison.
(3) David HUME~ çp. Cit. p. 74
(4) David HUME~Op. CiL p. 159

146
qu'il n'existe pas de différence de nature entre les idées de la mémoire
et celles de 1 'imagination
mais plutôt une différence de degré. C'est
t
plutôt dans la manière de sentir les différentes idées de ces deux facultés
que se situe la nuance. Cette différence de degré peut s'effacer quand l'i-
magination avive ses idées et leur donne un tour inhabituel comme dans l'é-
motion. D'autres fois
ce sont les idées de la mémoire qui perdent leur
t
vivacité
pour s'identifier complètement aux fictions de l'imagination. Mais
la différence entre les idées de la mémoire et de l'imagination est réelle.
Il suffit pour s'en convaincre de savoir que la croyance et l'assentiment
n'accompagnent que les idées de la mémoire et des sens :"Ainsi il apparaît
que la croyance ou l'assentiment qui accompagne toujours la mémoire et les
sens n'est rien que la vivacité des perceptions qu'ils présentent". (1)
Ainsi
la conséquence de la vivacité des idées de la mémoire et des sens
t
c'est qu'elles font croire, ce qui n'est pas le cas des idées de l'imagina-
tion. Jusqu'à présent nous n'avons abordé nos deux facultés que du point de
vue de leur comparaison, nous allons les aborder maintenant
d'un point de
vue de leur collaboration. C'est à travers le problème de l'identité person-
nelle
et celui de l'identité du monde extérieur que la collaboration se
fera.
HUME a établi la discontinuité du monde extérieur. Il est vrai
que, d'un point de vue de leur consistance
les objets du monde extérieur
t
coincident avec nos perceptions et ont le même destin qu'elles; mais il
y a malgré tout une fiction de l'esprit qui nous fait croire
en l'existence
continue du monde extérieur. Ce qui en d'autres ternes voudrait dire que
les objets (perceptions) peuvent exister sans être perçus: "Ici je suis
donc naturellement porté à regarder le monde comme quelque chose de réel
et de durable qui conserve l'existence même quand il n'est plus présent a
ma perception" (2). Hume essaie d'expliquer l'origine de cette fiction et
de cette croyance. Il découvre une différence dans les perceptions: il y
en a de durables et d'éphémères. Parmi les perceptions durables
il distinaue
t
les perceptions telles que la maison, la table, etc., et parmi les percep-
tions éphémères, les passions. Les passions ne peuvent èxjster sans le sujet
alors que la maison semble exister quand bien même nous ne la percevrions
pas. Cette différence dans les perceptions s'additionne d'une certaine ré-
gularité dans le changement de ces perceptions. Cette régularité exclut la
(1) David HUME~ Traité~ p. 160
(2) David HUME~ cp.Cit. p. 285

147
surprise et donne l'impression de continuité (cf l'exemple de la rivière
et du feu qui brûle). Nous le voyons. les perceptions durables jouent un
rôle non négligeable dans la fiction de l'identité.
A ce rôle des perceptions. il faut ajouter celui de l'esprit
qui. lorsqu'on lui présente deux objets semblables, à tendance à les iden-
tifier. Quand deux objets sont similaires et que l'esprit s'y prend de la
même manière pour les concevoir. le mouvement de l'esprit est de les iden-
tifier.
Mais la mémoire va encore approfondir le rôle de l'esprit. Par
le biais de celle-ci, l'esprit va emmagasiner des perceptions qu'il répètera
plus tard. Cette intériorisation des impressio~les réfère à un sujet.
Le sujet pense alors les idées comme étant reliées à un moi (amas de per-
ceptions) : "Des objets extérieurs sont vus et touchés. ils deviennent
présents à l'esprit. C"est_àodire qu'ils acquièrent à l'endroit d'un amas
de perceptions conjointes un ra~port tel qu'ils les influencent três gran-
dement en en augmentant le nombre par des réflexions présentes et des pas-
sions, et en fournissant d'idées la mémoire". La mémoire donc réfère les
perceptions à un sujet (complexe de perceptions) mais elle ne fait pas que
cela. elle va permettre de découvrir la ressemblance des perceptions et
de conclure à l'identité.
Concrètement, la mémoire permet de croire en la
fiction de l'identité des perceptions. Elle le fait de la manière suivante
"Notre mémoire nous présente un nombre énorme d'exemples de perceptions par-
faitement semblables les unes aux autres, qui reviennent à àifférents inter-
valles de temps après de considérables interruptions. Cette ressemblance
nous donne une tendance à considérer comme identiques ces perceptions inter-
rompues; et aussi une tendance à les relier par une existence continue pour
justifier cette identité et éviter la contradiction dans laquelle nous en-
veloppe
nécessairement, semble-t_il, l'apparition discontinue de ces per-
ceptions~(l) Donc, nous le voyons, le rôle de la mémoire est de présenter
un nombre énorme d'exemples semblables qui reviennent. Cette ressemblance
met en oeuvre la tendance de l'esprit à passer du semblable à l'identique.
L'identité obtenue, on introduit la continuité. Le rôle de la mémoire dans
la fiction de l'existence continue est énorme. La mémoire ne permet pas seu-
lement l'identification et la fiction de l'identité. elle permet la croyance
en cette fiction. La croyance est la manière de sentir les idées vives. Or
les idées de la mémoire et des sens, nous l'avons vu, sont vives. La res-
(1) David HLWE~ Traité~ p. 297

/48
semblance répétée dans sa vivacité par la mémoire nous fait croire en l'i-
dentité des perceptions répétées: "En dernier lieu, cette tendance cause
la croyance au moyen des impressions présentes de la mémoire; car, sans
le souvenir des sensations précédentes, manifestement, nous ne pourrions
jamais croire à l'existence continue des corps" (1). Et ainsi, la mémoire
s'unit à l'imagination pour créer la fiction de la continuité du monde ex-
térieur alors que ce monde est en réalité discontinu (phénoménisme).
De cette manière, la mémoire va s'allier à l'imagination pour
créer la fiction de l'identité personnelle: "L'identité que nous attribuons
à l'esprit humain
est seulement une identité fictive, du même genre que
celle que nous attribuons aux corps végétaux et animaux". (2) La mémoire
va jouer ici non seulement comme instrument de répétition, mais elle aidera
à découvrir la continuité. D'abord, elle introduit une continuité à l'inté-
rieur des perceptions successives:"
supposez aussi qu'autrui
conserve
la mémoire d'une partie considérable de ses perceptions passées, évidemment
rien ne pourrait contribuer davantage à établir une relation à l'intérieur
de cette succession au milieu de toutes ces variations". (3) Elle (la mé-
moire), répète ensuite les images des perceptions passées; or, puisque les
images ressemblent forcément à leurs objets, le résultat aboutit à la fic-
tion de la continuité; " Et puisqu'une image ressemble nécessairement à
son objet, de fréquemment insérer ces perceptions semblables dans la chaîne
de la pensée, cela ne doit-il pas conduire plus facilement l'imagination
d'un chaînon à un autre et faire que l'ensemble paraisse comme la persis-
tance d'un objet unique ?" (4). La mémoire contribue donc activement à
découvrir non seulement la continuité intérieure des choses en permettant
à l'esprit de les intérioriser, mais elle les répète dans leur similitude,
et cette répétition contribue à produire la fiction de l'identité personnelle.
L'esprit (l'imagination), poursuit le mouvement jusqu'à rendre l'identité
aussi complète que possible. Le rôle de la mémoire peut être approfondi.
Elle nous permet non seulement de comprendre la continuité à l'intérieur
du changement, mais elle permet la conscience de notre continuité qui' rend
possible la responsabilité. Elle contribue à nous relier à nos passions,
(]) David HUME, 'I'rai.iié p cp . 298-29.9
(2) David HUME, Op. Ci t.
p. 351
(3) David HUf.'IEJ ~ t.p. 353
(4) David HUME,
Tb-id
p. 353
J

149
elle nous aide à nous préoccuper de nous-même, donne une dimension subjective
au temps: " ... La mémoire seule nous fait connaître la durée et l'étendue de
cette suite de perceptions". (1) La mémoire, en nous faisant intérioriser la
succession, fait de nous des sujets responsables: "Si nous n'avtons pas de
mémoire, nous n'aurions jamais de notion de causalité, ni par suite de cette
chaine de causes et d'effets qui constituent notre moi et notre personne."(2)
Ainsi nous le voyons, la part de la mémoire dans la fiction de l'identité
personnelle est indéniable. Nous avons déjà vu que celle-ci contribuait aus-
si à la fiction de l'identité du monde extérieur. La mémoire et l'imagination
s'allient pour former des fictions continuistes
qui nous permettent non seu-
lement de lutter contre la discontinuité du monde extérieur et intérieur mais
qui permettent aU5si de faire de nous des êtres responsables. De l'opposi-
tion à la collaboration, nous avons vu les différents rapports qu'entrete-
naient la mémoire et l'imagination. Mais tout en parlant de ces facultés ma-
jeures, nous avons mentionné rapidement la croyance que nous nous proposons
maintenant d'étudier systématiquement.
4
La croyance
(Be1ief)
HUME caractérise la croyance comme quelque chose de mystérieux (3) ..
inscrite dans notre nature. D'un point de vue de la définition, il n'y a pas
de concept de la croyance; on peut seulement la décrire ou en dire le mé-
canisme. Du point de vue de la méthode, la croyance n'est pas une idée en
ce sens qu'elle ne renvoie à aucune impression. Ainsi la croyance ne peut
être définie (traduite en mots), elle n'est pas non plus une perception. Il
faut la concevoir comme une sorte de je-ne-sais-quoi que chacun sent suffi-
samment.
D'un point de vue de l'essence (pour autant que ce terme puisse être utilisé
chez HUME), la croyance a le même statut que le temps et l'espace. C'est.à-
dire que ce sont tous trois des réalités obliques. Les réalités obliques
ne renvoient
pas directement à une impression, elles renvoient à la manière
dont les impressions sont perçues. Le temps, par exemple, naît obliquement
de la succession des perceptions comme manière d'apparaître. Tandis que l'es-
(]) David HI.JME.. T'rai. té)· p. 354
(2) DŒ'..Jid HUME..
Ibid.
p. 354
(3) David HUME.. Op c{k p. 172

150
pace apparaît comme effet de la contiguïté des perceptions. Mais l'espace
et le temps auront tendance à se distinguer de la croyance du fait qu'ils
s'autonomiseront pour devenir des entités en soi alors que la croyance de-
meurera toujours une manière de sentir les perceptions. Tandis que l'espace
et le temps sont dérivés de l 'ordre-limite d'apparition des perceptions,
la croyance dérive quant à elle des qualités des perceptions.
La croyance est un antidote contre le doute de la probabilité et
le mensonge de la fiction. Nous donnerons notre assentiment à une perception
ou à une démonstration quand cette dernière donnera des preuves irréfutables
de leurs assertions. De même nous croirons à la vérité d'une histoire quand
cette dernière donnera les gages de sa vérité. Dans les deux cas, il faudra
produire des preuves afin de les montrer. Mais il y a deux facultés de l'es-
prit qui sont capables de produire ce que nous appellerons un champ expéri-
mental perceptif. Nous entendons par un champ expérimental perceptif un
champ idéal où les impressions sont produites comme preuves afin de servir
à la vérification des idées. Les deux facultés concernées sont l'imagination
et la mémoire (et les sens). Laquelle des deux peut nous fournir l'expérience
la plus présente, c'est-à_dire l'expérience qui est la plus près des sens?
Les impressions des sens fournissent l'expérience
la plus présente. La per-
ception présente est vive et actuelle: elle fournit une preuve indubitable
sur le mode de la monstration. Nous avons vu que l'imagination ne pouvait pas
être fidèle dans sa répétition, c'est donc la mémoire qui sera la plus proche
des sens. C'est pourquoi quand l'esprit présentera une perception de la mémoire
et une de l'imagination, la force et la vivacité de la perception de la mé-
moire nous fera croire en son existence, tandis que nous n'accorderons aucun
crédit à celle de l'imagination. Comme l'imagination peut mêler les idées,
les transformer et créer des chimères, ce sera une raison de plus pour qu'on
se méfie de ses productions: "Nous pouvons, quand nous concevons, joindre
une tête humaine à un corps de cheval ; mais il n'est pas en notre pouvoir
de croire qu'un tel animal ait jamais existé" (1). La croyance est donc un
effet de la vivacité des idées. Nous devons en conclure que ce sera uRique-
ment la mémoire et les sens qui produiront la croyance. Cela établit, nous
allons distinguer deux sortes de croyances, ce que HUME ne fait pas forcé-
ment, mais qu'on peut déduire de sa démarche.
En effet, la croyance n'est pas une conception vive d'une impres-
(1) David HUME~ Enquête~ p. 94

15 1
sion, cette dernière par sa présence seule exclut tout doute sur son exis-
tence, c'est plutôt une conception vive d'une idée. L'impression est toujours
présente, il n'y a pas de doute possible sur sa conception, qui sera toujours
vive. Si nous prenons les idées qui s'instaurent dans l'absence ou dans la
disparition des impressions, elles devraient être identiques à l'image de
leur origine. Elles devraient non seulement être identiques mais être senties
de la même manière. Or, nous constatons qu'il y a des idées dont la vivacité
nous fait croire alors que d'autres nous laissent dans l'indifférence ou le
doute. On doit en déduire que les idées ne sont pas toutes conçues de la
même manière. Les idées de l'imagination sont répétées/transposées, alors
que celles de la mémoire sont répétées fidèlement. Mais bien que la vivacité
des idées de la mémoire déclenche déjà à elle seule la croyance, cela ne
suffit pas. HUME dit qu'il y faut une impression présente. ('est 1impression
présente (référence au réel), qui communique sa vivacité à l'idée grâce à
la transition facile (loi d'association). Or il n'y a que la mémoire et les
sens qui puissent présenter une impression présente. C'est pourquoi ces deux
facultés jouent un rôle important dans le mécanisme de la croyance. Prenons
un exempl e :
Si je parle de la mort d'une personnalité illustre (César), il fau-
drait pour que mon idée soit crédible que:
1°) j'aie vu moi-même l'évènement se produire dans le passé (im-
pression répétée de la mémoire: souvenir).
- 2°) ou que je le vois'se produire (impression des sens).
Dans le premier cas, le système d'idée (narration) que je bâtirai
sur l'évènement, aura l'assentiment de mon auditoire et sera crédible (à
moins que je ne sois amnésique).
Dans le second cas, mon discours sera au niveau du constat et ainsi
le système d'idées (description) sera aussi crédible (le système d'idées sera
même débordé par les impressions présentes).
Mais à supposer que j'imagine poétiquement la colère de Zeus: comme
je n'ai ni vu, ni eu aucune mémoire de ces évènements, la croyance ne· jouera
pas. Quels que soient les procédés poétiques utilisés ("Système poétique des
choses"), mélange de noms et de faits historiques à la fiction (exemple de
la tragédie), l'esprit ne se laisse pas prendre et croit difficilement en de
telles fictions. Et comme dit HUME: "(lest l'impression présente qu'il faut
considérer co~me la cause véritable et réelle de l'idée de la croyance qui
l'accompagne". (1)
(1) David HUME~ Traité~ p. 179

1 52
La croyance que nous venons d'analyser se réfère à l 'existence~
celle que nous allons maintenant expliquer s'attache à la causalité et donc
au raisonnement probable.
La croyance qui joue au niveau de la causalité est déjà beaucoup
plus complexe. Elle prend en compte l'accoutumance et l'inférence.
En effet~ quand nous inférons~ nous pensons que certaines causes
doivent être suivies nécessairement de certains effets. Nous ne pensons pas
seulement cette nécessité~ nous y croyons~lIl faut donc que l'inférence
remplisse les conditions de la croyance. La croyance que nous accordons à
l'inférence est pensée ici par rapport au problème de la nécessité. Comment
cela se fait-il que nous inférons et que nous croyons? la nécessité de
~f\\e.
cette inférence? Cette dernière croyance est d'unefmilllière différente de
celle qui a rapport à l'existence. C'est l'impression présente qui fondait
celle-là: "[lest l'impression présente qu'il faut considérer comme la cause
véritable et réelle de l'idée de la croyance qui l'accompagne". (2). C'est
l'accoutuma:nce
qui fonde celle-ci: "Toutes les fois qu'un objet se présente
à la mémoire ou aux sens~ immédiatement~ par la force de l'accoutumance, il
porte l'imagination à concevoir l'objet qui lui est habituellement conjoint
cette conception s'accompagne d'une manière de sentir, d'un sentiment diffé-
rent des vagues rêveries fantaisistes" (3). Bien sür,~ c'est encore l'im-
pression présente de la mémoire ou des sens qui déclenche le processus, mais
c'est l'accoutumance qui permet la tr-ans i t ion facile et ~ le conceptiOr)
feYi11~l'idée corrélative: "Se produit-il, dans toutes ces relations,
que, lorsqu'un des objets se présente aux sens ou à la mémoire, l'esprit
n'est pas seulement porté à concevoir son corrélatif, mais qu'il atteigne
aussi à une conception de ce corrélatif plus ferme et plus puissante que celle
qu'il aurait été capable d'atteindre autrement? C'est semble-t-il, le cas
de la croyance qui naît de la relation de la cause et de l'effet". (4)
La croyance s'introduit ici entre la cause et l'effet. C'est elle qui nous
donne l'assurance que la cause sera suivie de l'effet. Alors que dans le cas
de l'existence, la croyance se situe entre l'idée et l'impression présente.
L'idée est soit idée de la mémoire ou de l'imagination, l'impression provient
soit des sens, soit de la mémoire. L'impression présente avive l'idée grâce
(1) David HùkŒ, Traité, p. 150
(2) David HUME, Op. Ci_t.p. 179
(3) David HLQ1.E, Enquête, p.p. 94-95
(4) David HUME, Op. C1~t.p. 97

153
à la transition facile, transition qui est elle-même mise en oeuvre après.
plusieurs répétitions (coutume). Dans l'inférence, c'est aussi une répé-
tition qui joue mais c'est une répétition de la contiguïté. L'inférence,
c'est la croyance qui nous amène à penser que telle impression sera suivie
de telle autre. Mais cela se renforce de toute la coutume. C'est parce que
nous sommes habitués à voir telle impression suivre telle autre que nous
inférons avec certitude que cela se fera. Mais la coutume est riche de
toutes les répétitions passées de cas semblables. Elle prend aussi en
compte la détermination de l'esprit. Ce qu'il nous faut donc comprendre
par rapport à cette croyance, c'est qu'elle ajoute à l'inférence une di-
mension apodictique. On donne son assentiment à l'inférence en acte parce
qu'elle remplit les conditions de la présence et de la vivacité. C'est la
transition facile de l'esprit, de l'impression présente (cause) à l'impres-
sion suivante (effet) qui produit la croyance: " Quand nous avons coutume
de voir deux impressions unies l'une à l'autre, l'apparition de l'une
d'elles, ou de son idée, nous conduit immédiatement à l'idée de l'autre."(l)
Il nous faut donc conclure en disant que la croyance qui a rapport à l'exis-
tence se réfère aux impressions des sens et aux impressions de la mémoire.
Elle se œfinit: "Une idée vive unie ou associée à une impression présente".
L'impression présente est la référence à laquelle renvoie l'idée, mais
l'idée acquiert sa vivacité par sa relation de transition facile avec l'im-
pression présente. La croyance relative à l'existence naît d'une conception
vive d'une idée, tandis que la croyance causale, qui naît de l'accoutumance,
nous fait concevoir vivement la transition cause-effet et nous fait croire
en la nécessité de leur lien.
La croyance en général est un antidote contre les chimères de l'i-
magination, elle permet de distinguer les fictions d'idées des réalités
d'idées; elle est ensuite un antidote contre l'extériorité du lien causal,
et la preuve que l'inférence a été intériorisée. Mais cette conception vive
de la transition cause-effet est. elle-même: possible grâce à l'accoutu-
mance.
On peut finalement revenir sur les quatres antidotes de l'esprit
iN\\
pour leurrad joindre un cinquième. Ce sera l'analyse de la tendance de l'es-
prit.
(1) David HUME,
Trai té , p. 180

t54
5
L'esprit comme tendance et nature
L'esprit fonctionne selon un principe fondamental qui est le
"principe de facilité" (1). Ce"principe de facilité" est le moteur interne
de l'association des idées. La transition facile est ce qui plaît à l'es-
prit. Aristote dit dans le même sens qui lion n'est pas pleinement heureux
dans ce qui est difficile et forcé" (2). Quand l'esprit peut courir à son
aise, il continue de son trot sans s'arrêter jusqu'au bout de son chemin.
Cette tendance à la facil ité va permettre à l 1 espri t de dépasser fi cti ve-
ment la discontinuité. Nous voulons donc établir ici que quand bien même
la réalité est structurellement de tendance discontinuiste, l'esprit, dans
son appréhension utilitaire et vitale des choses, est plutôt continuiste
et synthétique. Nous devons expliquer cette attitude de l'esprit en la
prenant dans ses manifestations les plus régulières que sont: la tendance
à généraliser~ à unifier (à composer) et à identifier.
HUME aborde le problème de la généralisation à travers l'étude
des idées abstraites. A ce propos, HUME intègre les controverses philo-
sophiques de son époque: "Une question très importante a été soulevée
au sujet des idées abstraites o~ générales: quand l'esprit les conçoit,
sont-elles générales ou particulières ". (3) BERKELEY avait déjà essayé
de résoudre ce problème en choisissant en faveur du nominalisme contre
les "abstraitistes". HUME va résoudre le problème dans le même sens que
BERKELEY, mais il va, selon sa méthode habituelle, expliquer le processus
qui aboutit à la généralisation à défaut de la prouver empiriquement.
Il part des positions de ceux qui soutiennent que quand l'esprit
conçoit les idées générales, elles sont abstraites. Ces positions se
divisent en deux. Prenons un exemple pour l'illustrer. Quand je conçois
l'idée d'homme, je dois substJ~er sous le mot plusieurs réalités. Je le
fais, pense-t-on~en représentant "des honrnes de toutes tailles et de toutes
qualités" mais comme il est impossible à un esprit finit de concevoir une
qualité infinie (ce qui impliquerait contradiction), on choisit la deuxième
solution, à savoir: linos idées abstraites ne représentent aucun deçrré par-
ticulier de quantité ni de q~alitél'. On conçoit donc selon cette dernière
proposition les idées abstraites en ne pensant ni à une qualité, ni à une
(]) David HUME~ Traité~ p. 272
(2) ARISTOTE~ Op. Cit. p. 15
(3) David HUME~ Traité~ p. 82. Ce problème avait déjà été abordé par BERKELEY
ecume le reconnaùt: HUME ; cf. BERIŒLEY . - Principes de la connaissance
humaine ~ Introduction. Cf· aussi HOBEES~ Le leviathan
ch.IV
De la parole
J
J

755
quantité déterminée. L'esprit conçoit une réalité informe, indécise, qui
nlest pas pure, d'une part, parce qu'elle doit inclure plusieurs entités,
et qui n'a pas de contenu,d'autre part, parce qu'elle ne doit pas choisir
entre les différentes entités à représenter. En toute logique, on devrait
déclarer l'idée générale verbale. Mais cela n'empêche pas aux partisans
de l'idée générale de soutenir la position ambigu~ que nous venons d'ana-
lyser. HUME va donc s'attacher à réfuter cette position en deux points:
. Premièrement, en prouvant que l'esprit ne peut concevoir sans
qu'il conçoive un "degré particulier de quantité ni de qualité" .
. Deuxièmement en montrant que "bien que la capacité de l'esprit
ne soit pas infinie, nous pouvons pourtant former d'un coup une notion de
tous les degrés possibles de quantité et de qualité, de telle manlere que,
malgré son imperfection, elle puisse servir à toutes les fins de la ré-
fl exion." (1)
HUME veut ainsi penser l'idée générale statiquement et dynamiquement.
Statiquement, l'idée générale est pensée d'un point de vue de la conception
à ce niveau, l'idée générale est particulière, comme toute idée. Cette
pos i ti on se fonde dans les l im.i tes de l' espri t qui ne peut concevoi r une réa-
lité sans "former une notion précise de ses degrés". Mais dynamiquement,
l'idée générale peut être pensée comme un schème, c'est_à-dire comme une
possibil ité en soi mais infiniede penser "tous les degrés possibles de
quantité et de qualité". La position statique (nominaliste), est la rosi-
tian fondamentale de HUME, mais la seconde est l'explication substitutive.
A défaut de penser l'idée abstraite comme une conception du général vide,
il faut expliquer le processus par lequel il représente la généralité
(dans son aspect pluriel). Il faut concilier la conception particulière
et la représentation générale, qui constituent l'essence des idées abstraites
"particulières par leur nature et générales par ce qu'elles représentent" (2).
Et de notre point de vue continuiste c'est le processus de "généralisation"
du particulier qui nous intéresse plus particulièrement. Ce processus,
nous le voyons, apparaît comme un antidote contre la conception particulière
(nominaliste) des idées.
Il
réconcilie cette conception nominaliste, fon-
dée dans les· l imites de l'esprit et le besoi n vita l à la l imite de penser
;
la pluralité (3). Cette réconciliation se fait grâce à trois éléments:
(1) David HL~J Traité J p. 83
(2) David HUME..
~Cit .. p p , 88-89
i
(3)
David HUME oe.cu,
p cp . 85-86
J

156
- 1e mot
- la ressemblance
- la coutume et 1'habitude
Le mot qui se situe sur un plan linguistique est un signe. Le
signe va introduire la généralité comme réalité indifférente. Mais cette
entité indifférente est le réel répété linguistiquement. La fidélité de
cette répétition n'est pas garantie puisque le mot n'est que l'arbitraire
devenu nécessité par convention. La ressemblance permettra d'unir le dif-
férent. Car, nous l'avons vu, toute réalité est similaire, c'est_à_dire
comparable. Mais puisque nous avons distingué deux niveaux de ressemblance,
le niveau large où on peut dire que tout objet naturel ressemble à tout
objet naturel, et le niveau de ressemblance spécifiée où la ressemblance
est devenue la qualité distinctive de deux objets. Cette similitude exté-
rieure intériorisée par l'imagination va la déterminer. La ressemblance
va jouer ici comme principe d'union, principe d'ordre. Le mot et la ressem-
blance s'associent pour permettre la généralité. Cette association se fait
de la manière suivante: le mot devenu nécessité par convention va subsumer
des réalités ressemblantes. Le mot appara4'tra COIT1J71e élément décisif de la
généralité en désignant d'abord une idée puis les idées ressemblantes.
Mais cela ne deviendra décisif que par l'apport de la coutume. Cette der-
nière est la répétition intériorisée ou l'état de l'esprit déterminé à
l'inférence. La coutume, ici, c'est de rassembler sous un mot une idée par-
ticulière et des idées qui lui ressemblent: "... les idées individuelles
sont groupées et mises sous un terme général par égard à cette ressemblance
qu'elles soutiennent entre elles. Cette ressemblance doit faciliter leur
apparition dans l'imagination et faire qu'elles soient plus aisément sug-
gérées à l'occasion." Cet itinéraire est complexe.
Il faut partir de l'impression et de l'idée qui sont dans un rapport
de verticalité. Il faut ensuite prendre en compte le plan de l'h.orizonta-
lité où fonctionne la dynamique du rassemblement: l'idée particulière ap-
pelle dynamiquement les idées ressemblantes (processus d'agglutination)
et exclut les idées différentes (processus de déglutination).
Le mot qui était au départ le signe d'une idée particulière va dé-
signer plusieurs idées ressemblantes grâce au processus de généralisation
et à la coutume (1).
(1) Voir schémas page suivante

15 f
A - La dynamique de généralisation
mot
idées ressemblantes mues
,II
idées différentes mues
par une dynamique d'ag-
~
idée particulière
.
par une dynamique de
glutination
déglutination (séparation)
hab
t u d e (coutume)
B - Vecteurs de particularisation et de généralisation selon les plans de
l 'horizontalité et de la verticalité.
Ressemblance _ _~.~ Mot --JGénéralisation
)
1
Particularisation

158
Mais si l'habitude s'est enracinée et que l'idée peut déborder
sa nature par le biais du mot, le mot va devenir déclenchant, c'est_a
dire_qu'il va a lui seul mettre en oeuvre le processus de généralisation:
" ... nous avons plusieurs exemples d'habitudes qu'un seul mot peut réveil-
1er; aussi, quand une personne possède par routine certaines périodes d'un
discours ou un certain nombre de vers, elle retrouvera le souvenir de l'en-
semble, qu'elle ne parvient pas a se rappeler, par le seul mot ou la seule
expression du début". (1) On ne partira plus de l'idée au mot puis du mot
a l'idée, pour aller ensuite vers les idées ressemblantes, mais on passe
directement du mot a la généralisation. Ce raccourci du processus est ce
qui fonctionne pour l 'utilité
de la vie et nous évite l'énumération fasti-
dieuse. L'énumération est au niveau de la répétition vide, la générali-
sation est au niveau de la détermination par l'habitude.
Nous voyons ainsi comment la généralisation nous permet de sortir
du nominalisme de conception
de l'esprit. Si agir et vivre c'est généra-
liser, nous comprendrons l'importance de la généralisation qui est une
manière fictive de dépasser la discontinuité nominaliste. La généralisation
est suivie de la tendance a unifie~.
L'unification est a penser comme composition. Ce qui est composé,
ce sont les atomes perceptifs. L'unification est donc une tendance de l'es-
prit qui lutte contre la séparation des éléments atomiques. L'esprit compose
le divers et le séparé en des synthèses significatives pour l'existence.
La Science, par exemple, est un système de cette composition. L'ho~me-sujet
en tant que faisceau de perceptions est aussi une composition. L'esprit
n'unifie pas a proprement parler, il compose le séparé pour en faire une
synthèse vitale. Mais pour mieux comprendre la composition, il nous la faut
diviser en composition volontaire et en composition involontaire. La compo-
sition involontaire est naturelle. Elle est de l'ordre du donné. Il se pré-
sente a nous des perceptions composées nautrellement et que nous nommons
pierre, arbre, etc. On peut poursuivre artificiellement la composition de
la nature par la fabrication. On peut fabriquer des maisons, des voi·tures,etc.
L
di
"
d l ' "
")lov! Se.mb~
a
lV1Slon
e
a composltlon en volontalre et en involontaire ~ perti-
nente. Essayons de l'expliquer.
'"
Les compositions volontaires de l'esprit, ce sont les constructions
intellectuelles qui tendent a unifier les idées en les mettant en relation.
(1) David HVME~ Traité~ p. 89

159
Ce genre de composition volontaire ou comparaison peut se complexifier en
un système de synthèses positives pour former la Science. Nous approfon-
dirons ce point au cours de ce travail. Les synthèses involontaires sont
Gelles qui se font spontanément au niveau de l'esprit. Nous allons voir
comment s'opèrent les compositions au niveau des idées~ au niveau des
impressions et des passions.
Au niveau des idées s la composition n'est qu'une simple conjonction.
Cornne dit HUME "Les idées n'admettent jamais une union totales elles sont
douées d'une sorte d'impénétrabilité qui les fait s'exclure l'une l'autre
et c'est par leur conjonction et non par leur mélange qu'elles sont capa-
bles de fonner un composé" (1). Les idées sont douées d'une sorte d'impé-
nétrabilité qui fait qu'elles ne se mélangent jamais totalement. Nous
voyons que le mieux que peuvent faire les idéesde cause et d'effet au point
de vue de la compositions c'est la constante conjonction. Cette conjonction
est tout de même suffisante pour déclencher par répétition la détermination
de l'esprit. Les idées s'unissent selon les lois d'association: " ... Les
idées s'associent par ressemblances contiguïté et causalité" (2).
C'est l'imagination comme nous l'avons vu qui est la faculté de
composition par excellence. Elle peut non seulement séparer les idées mais
les changer et les composer selon sa fantaisie. Mais toutes les compositions
n'ont pas la mème valeur. Il y a des idées complexes fictives et des idées
complexes réelles. Toute composition des idées est réductible par analyse
en ses éléments composants. La composition apparaît comme la plus viable
existentiellement tandis que l'atome est la réalité la plus réelle au ni-
veau ontologique. Il y a une antériorité ontologique de l'atome d'idée sur
le composé d'idées. Mais la composition va acquérir avec la pratique une
dimension que nous approfondirons plus loin.
La composition sera différente au niveau des impressions et des
passions; HUME en souligne la différence de la manière suivante: "les im-
pressions et les passions sont capables de s'unir complètement et tout comme
les couleurs, elles peuvent se mêler si parfaitement les unes aux autres s
que chacune d'elles peut s'évanouir et qu'elle contribue uniquement à di-
versifier l'impression unique qui résulte de l'ensemble" (3). Mais de ce
que les passions et les impressions peuvent s'unir cemplètements il ne faut
pas déduire qu'elles le font toujours. Ce qui va nous amener à aborder les
(]) David HUME~ Traité, p. 470
(2) David HU1.fE~ Cv. Cit.
p. 383
( 3)
David HUME~ Cp. Cit. p. 470

160
lois de composition des impressions et surtout des passions.
Les impressions, comme le soutient HUME, s'associent "par ressem-
blance", à la différence des idées qui se composent selon les lois d'asso-
ciation (ressemblance, causalité, contiguïté).
Les passions, quant à elles, elles prendront dans leur association
quatre formes principales: "on peut observer que, lorsque les objets de
passions contraires se présentent simultanément, outre l'accroissement de
la passion prédominante (qui a déjà été expliquée et qui naît communément
de leur premier choc ou rencontre), il arrive parfois que les deux passions
existent tou~ à tour et à de brefs intervalles; parfois qu'elles se détrui-
sent l'une l'autre et qu'aucune des deux n'apparaissent; parfois aussi que
toutes deux restent unies dans l'esprit" (1).
La première forme de composition que nous appellerons composition
à prédominance ou résultante se rencontre quand deux passions d'inégale
valeur sont en contradiction. HUME prend l'exemple de l'orgueil et de l'hu-
milité: "Il est impossible qu'un homme soit en même temps orgueilleux et
humble, si des raisons éveillent en lui ces passions comme il arrive fré-
quemment, ou bien les passions se font jour successivement, ou bien elles
se rencontrent, l'une annihile l'autre dans la mesure de sa force, et c'est
seulement ce qui reste de la passion supérieure qui continue à agir sur
l'esprit" (2).
Des deux possibilités évoquées, c'est la dernière qui nous inté-
resse. HUME nous dit que l'une des passions "annihile l'autre dans la me-
sure de sa force et c'est seulement ce qui reste de la passion supérieure
qui continue à agir sur l'esprit". Cela rappelle la dynamique de la résul-
tante. Car les passions n'opèrent pas mécaniquement (3). Elles ne sont pas
de l'ordre de l'homogène et du quantifiable. ('est par sa force seulement
que la passion dominante réussit à infléchir la direction de l'esprit.
Mais tel que HUME formule la chose, on penserait à une véritable soustrac-
tion des passions puisqu'il parle même de "reste" ; Or les passions sont à
penser d'un point de vue dynamique et la résultante est riche de toute l'op-
position dont elle est le résultat. Le concept de' reste est donc pauvre
au niveau des passions.
(1) David HUME~ Traité~ p. 553
(2) David HlJlvJE~ Or, Cit.p. 376
(3) André LEROY soutient dans la Préface è la traduction du Traité~ p. 38~
que ce n'est pas la mécanique qui inspire HU~ mais la biologie naissante.

161
La deuxième forme que prennent les passions opposées est la suces-
sion
Il
Quand des passions contraires naissent d'objets complètement dif-
férents t elles se succèdent tour à tour t car l'absence de relation entre
les idées sépare l'une de l'autre les impressions et les empêche de s'op-
poser"(l). HUME prend l'exemple suivant: la perte d'un procès et la nais-
sance d'un fils. Ces deux passions opposées dans leur objet et dans leur
nature n'ont aUCUn contact sinon qu'elles se trouvent dans le même esprit.
Mais leur différence d'objet fait justement que ces passions peuvent se
succéder tou~à tour sans qu'elles s'opposent directement ou qu'elles se
compénètrent. Cette existence successive n'est pas à penser d'un point de
vue de l'indifférence. L'esprit qui reçoit ces variations de passions en
est marqué, il en garde le souvenir: Il Or , si nous considérons l'esprit
humain, nous trouverons que t à l'égard des passions t il n'est pas de la
nature d'un instrument à vent t qui en passant par toutes les notes t perd
immédiatement le sont dès que cesse le souffle; il ressemble plutôt à
un instrument à percussion 00, après chaque COUPt les vibrations conser-
vent encore du son, qui meurt graduellement et insensiblement" (2). Donc
la synthèse "pass ive " se fait au niveau total où l'esprit n'est pas un
lieu d'indifférence mais un lieu de réceptivité où tout acte a sa réson-
nance durable.
La succession des passions ne peut se penser dans l'ordre de l'ex-
-tériorité, mais dans l'ordre rythmique. BERGSON comparera lui aussi l'es-
prit à un piano quand il parlera des tonalités affectives. Son concept nou-
veau pour penser l'interpénétration des affections de l'esprit sera l'orga-
nisation. L'esprit est donc une sorte d'instrument à percussion qui a une
mémoire mélodique qui lui permet de relier des états rythmiques. Cet apport
nous permet de penser le troisième genre de composition des passions.
Quand deux passions naissent d'un évènement de "nature mixte",
au lieu de s'opposer t ces passions vont se mêler pour s'entredétruire :
IICar, dans ce cas , les deux passions qui se mêlent l'une à l'autre par l'ef-
fet de, la relation, se détruisent réciproquement et laissent l'esprÙ dans
une parfaite tr-anouil t té" (3). Jci , la composition donne du neutre. La
destruction mutuelle des passions laisse l'esprit libre
tendanciellement.
(1) Dairi d HUME~ Trœi té , p.
55J
(2) David HUME~ Op.Cit.
p. 552
(3) David HUME~ Op. Cit.~ p. 553

162
Mais le neutre n'est pas rien. Si la tranquiBité est le résultat de la
compositions elle est intérieurement compliquée par toute la richesse des
passions neutralisées. L'état de l'esprit, rendu neutre après une annihi-
lation réciproque des passions, n'est pas le même que la tranqullité d'un
esprit qui n'a subi aucune altération.
La quatrième forme de composition nous fera passer du neutre (de
la tranquillité), à la compositior
véritable (mélange) des passions.
Cette fois-~i, il faut situer le rapport des passions sur le plan
du probable et de l'improbable. C'esLà.dire que 1lobjet des passions
est un pur possible. De ce fait, il n'arrête l'esprit sur aucun point de
vue précis. Si deux passions sont créées par une telle situation d'incer-
titude, au lieu
"de se détruire et de Se neutraliser l'une l'autre, elles
subsistent ensemble
et, par leur union, produiront une troisième impres-
sion ou affection" (1). Ainsi, de ce point de vue qui est celui du possible,
les termes de l'opposition se rangent soit du côté de l'existence (possi-
bilité) ou de l'inexistence (impossibilité). L'esprit n'ayant aucune assu-
rance concernant son objet ne peut se fixer, il nage en pleine incertitude.
Et les passions, loin de se détruire, se fondent en une passion différente
(troisième) qui est la résultante des actions opposées des deux passions
sur le plan du possible. La troisième passion apparaît ainsi comme le
contenu spirituel tandis que les passions opposées, dépassées et synthéti-
sées, persistent dans le nouvel état de l'esprit. Des passions comme l'espé-
rance et la crainte naissent du différent mélange de la joie et du chagr1~n.
Si un évènement heureux a plus de chance de survenir, on est dans
un ~tat que nous appelons l'espérance. Dans l'espérance il y a de la joie
persistante, mais une joie que l'incertitude quant à la possibilité de
l'objet rend hésitante. L'espérance est donc une passion qui passe par la
médiation du futur. C'est une passion temporelle. (2). Mais le futur est
le temps du possible, c'est la dimension ouverte du temps en laquelle les
choses s'équivalent du point de vue de leur réalisation. L'espoir est donc
la joie sur le mode du possible. A l'opposé, la crainte survient quand
un évènement chagrineux a plus de chance de survenir. Dans la crainte, il
~\\
entre du chagrin, mais un chagrin non développé. L'esprit est dans un état
d'incertitude. La crainte et l'espoir sont deux passions non développées
(1) David HUME, Traité, p. 553
(2) DESCARTES
avait pensé
toutes les passions par rapport au temps.
Cf. Les passions de l'âme.

163
d'un point de vue de leur réalisation: elles sont dans un état d'hési-
tation et l'esprit à leur image est inquiet. Mais il faut dire que l'es-
poir n'est pas la joie, ni la crainte le chagrin. L'espoir se situe quel-
que part entre la joie et la réalité d'un point de vue de l'existence.
D'un point de vue temporel. l'espoir est une projection de la joie dans
le futur. Dans tous les cas, les passions du possible sont des passions
projectives qui tendent l'esprit. Et leur mode temporel est le futur
(temps d'incertitude) alors que les passions réelles sont les passions du
présent (temps de la certitude).
A travers toute cette analyse de la composition, nous avons vu
les différents modes de la synthèse chez HUME. De la plus lâche des syn-
thèses qui est celle de l'esprit et qui s'exprime dans la conjonction
constante. nous sommes passés par les différentes synthèses "impressives
et passives" qui peuvent être les plus liées dans certaines conditions.
A travers les synthèses des impressions et des passions, nous
avons découvert une pensée dynamique où la résultante jouait un grand rôle.
Nous avons vu qu'on pouvait esquisser à partir de ces différentes synthèses
une pensée de la totalité. La totalité est pensée diversement et la syn-
thèse y devient parfois succession, cohabitation. annihilation, ou même
créatrice d'éléments nouveaux.Ce qui est à noter. c'est que la synthèse
n'est pas mécanique et que la totalité n'est pas une addition quand bien
même l'analyse peut nous en révéler les éléments. Ainsi, nous voyons qu'au
niveau impressif, l'ordre-limite de l'esprit préfigure déjà une conception
dynamique du contenu de conscience. Nous verrons plus loin comment tout
cela se combinera pour permettre de dépasser la conception du sujet conçu
au départ comme faisceau de perceptions. Nous pouvons passer à l'analyse
de la tendance à identifier.
La fonction identificatrice de l'esprit est une qualité fictive qui lutte
contre la discontinuité interne (différence interne) et externe (phénomène)
du réel. La position de HUME sur l'identité aura deux versants qui viseront
deux cibles distinctes. Contre l'opinion habituelle qui soutient dogmati-
quement l'identité du réel dans le temps, il va opposer les arquments dis-
continuistes (1). Mais, comme la tendance à identifier est une tendance en-
têtée de l'esprit, il va essayer d'expliquer le processus psychologique de
cette activité fictive. ~ais il faut y revenir, ce n'est pas un psychologisme
vulgaire qui a~latirait le problème. HUME donne aux solutions psychologiques
une dimension qui fait éclater leur enracinement psychologique pour leur
faire signifier plus que leur siqn i r i cat ton habituelle.
(1) Voir Traité~ chapitre 1~ Section l

164
Les termes psychologiques débordent leur contenu pour
atteindre une dimension mét~physique et perdent du coup dans cette muta-
tion et leur origine et leur assignation habituelles. Le terme de psy~ho­
logisme non critiqué enlève à la philosophie de HUME toute sa profondeur (1).
Cela dit, comment HUME essaie d'expliquer la fiction de l'identité (qui
est en même temps une fonction utile) ? Nous avons déjà abordé ce problème
à partir des perspectives limitées; nous allons le faire cette fois-ci
en tenant compte de toute la dimension du problème.
HUME part, comme nous 1 lavons déjà dit, d'une différence dans les
perceptions. Il y en a de durables (exemple: maison, route), qui semblent
ne pas dépendre du sujet pour exister, et il y en a qui ne peuvent exister
sans le sujet (exemple la colère, la passion, etc). La langue semble suivre
cette distinction qui alfelle les premiers objets choses et les deuxièmes
passions. Les perceptions durables ont une certaine cohérence dans leur
changement, cohérence qui fait que malgré le changement, on continue en-
core à leur reconnaftre une certaine identité. Ce sont ces perceptions
durables qui joueront un rôle majeur dans la mise en place de la fiction
de l'identité. La rivière, par exemple, dont on pourrait dire qu'elle est
d'essence changeante, conserve tout de même une certaine régularité dans
le changement, de telle sorte que les eaux ont beau couler jusqu'à la mer,
la rivière a beau s'assécher, elle conserve toujours la même identité.
C'est que le changement ne détruit pas l 'harmonie des objets en question,
il leur conserve une certaine harmonie dans la configuration totale.
Et ici, on peut dire que l'esprit n'est pas retenu par le changement,
grâce à sa fonction imaginative il s'élève jusqu'au niveau de la confi-
gw>ation qui est une sorte de vision de la totalité.
(1)
Michel Malherbe dans son Kant ou Hume (J.
Vrin 1980)
essaie
de dépasser la division instaurée par Kant et qui essaie de
limiter la perspective humienne à une perspective subjecti-
viste et donc empirique pour poser sa doctrine de
l'0
pricri.
Michel Malherbe dit notamment :
"Or si on prétend ainsi en-
fermer et dépasser la doctrine humienne~ il est certain que
l'on aura combattu contre une ombre~ pour la raison fonda-
"
mentale que l'association n'est pas chez Hume subjective."
(cf op.
cit.
p.
23).
Il
faut donc dire que dans
le psychclo-
gisme de Hume~ il y a quelque chose qui permet de dépasser le
psycholcgisme et d'injégrer obliquement la perspective
kantienne.

765
Donc une similitude dans la configuration générale pousse l'esprit
à identifier. On peut y ajouter la communauté de fin (1). Une configu-
ration semblable avec une communauté de fin va inciter encore plus l'esprit
à identifier. La communauté de fin, c'est quand l'ensemble des parties
contribuent à obtenir le même résultat. Le même résultat comme effet non
seulement de la conjonction des parties mais de la collaboration des par-
ties. Chaque partie s'oublie dans son rôle particulier pour intégrer l'ordre
du tout dont le but est de viser une certaine finalité. La plante, l'animal,
sont des exemples de cette communauté de fin. Il peut se produire des
changements et des altérations dans le tout et même un changement total
(l'exemple de l'arbre qui grandit)
dans le tout, mais on attribue toujours
l'identité à la chose concernée.
Parfois, une confusion peut engendrer la fiction de l'identité. On
peut comprendre l'identité spécifique etl 'identité numérique.
A supposer qu'on entende un bruit fréquemment ~~~~, on dira
que c'est le même bruit qui s'est fait entendre plusieurs fois. Alors que
dans ce cas le bruit, bien qu'étant semblable spécifiquement, est tout de
même différent numériquement.
Spécifiquement, il y a un bruit répété plusieurs fois,numériquement, il y
a plusieurs bruits. La pluralité garde à chaque bruit sa nouveauté tandis
que la spécificité assimile les bruits à un bruit. Mais l'esprit va pous-
ser dans le sens de l'identité et privilégier la spécificité du bruit.
Ainsi, la durabilité des perceptions, la permanence de leur confi-
guration, leur similitude spécifique, leur communauté de fin, entraîne
l'esprit à ne pas s'occuper du détail et à privilégier leur totalité de
présentation. Cette totalité permet à l'esprit de ne retenir que le schème
du réel. Et ce schème dans sa structure niant la variabilité s'attache à
la forme des objets, à la conception extérieure. L'esprit partant de cela
identifie le semblable à condition que l'esprit dans son progrès ne soit
pas arrêté par un changement brusque.
. Quand HUME parle de l'identité peveonnel.l.e, il souligne le rôle de
la mémoi~e qui en répétant les perceptions s~nblables permet à l'esprit
de les identifier: "Et, puisqu'une image ressemble nécessairement à son
objet, de fréquemment insérer ces perceptions semblables dans la chaîne de
la pensée, cela ne doit-il pas conduire plus facilement l'imagination
(1) HUM1:.:~ T~aité, p. 349

766
d'un chaînon à un autre et faire que l'ensemble paraisse comme la persis-
tance d'un objet unique?
Par cette particularité, la mémoire ne découvre donc pas seulement l'iden-
tité, elle contribue aussi à la produire en produisant une relation de
ressemblance entre les perceptions".(l) Cette mémoire n'est pas seulement
répétitrice, elle intériorise l'esprit et joue un rôle dans la subjecti-
vation. Elle joue un rôle important dans la mise en place de la causalité.
C'est la causalité devenue notre nature qui nous permet de nous rapporter
nos passions et nos actes: "Si nous n'avions pas de mémoire, nous n'aurions
jamais de notion de causalité, ni par suite de cette chaîne de causes et
d'effets, qui constituent notre moi et notre personne"(2). Avec la mémoire,
la fiction de l'identité devient plus réelle. Nous voyons comment l'esprit
conçoit petit à petit l 'identité du moi et des choses. Mais à tous ces ap-
ports extérieurs-intérieurs, il faut ajouter l'apport décisif qu'est la
tendance de l'esprit à la transition facile. En effet, l'esprit a tendance
à identifier les choses ressemblantes. C'est parce que quand l'esprit s'y
prend de la même manière pour concevoir deux objets, il a tendance à les
identifier. L'esprit est tenté de poursuivre le mouvement de transition
facile si aucun obstacle extérieur n'arrête sa course.Il y a donc un mou-
vement interne et naturel de l'esprit qui le pousse à identifier. Cette
tendance correspond à quelque chose de vital. En ce sens que c'est grâce à
elle que l'esprit reconnart et établit des répères.
Si on voit tous les éléments du processus qui aboutit à l'identifi-
cation, on doit reconnaître que c'est le résultat d'un mécanisme complexe
qui, nous le verrons, se raffermira dans la pratique.
A partir de tout ce qui vient d'être dit, on peut revenir sur les
tendances de l'esprit que sont la généralisation, la composition et l'iden-
tification pour dire que ce sont des fictions (produits de l'imagination),
et qu'elles n'ont pas leur cause dans la raison, mais qu'elles nous per-
mettent tout de même de dépasser la discontinuité du réel afin de le lier.
Elles achèvent le travail de la détennination, de l'association des idées,
de la mémoire et de la croyance.
Nous allons passer à l'étude des antidotes existentiels.
(1)
HUME~ Traité
(2)
HüME~ Traité
p.
354

161
SECTION III
lES ANTIDOTES EXISTENTIELS
Quand nous parlions de la discontinuité existentielle, nous avions
mis en évidence une logique binaire fondamentale qui permettait à l'indi-
vidu d'entrer en contact avec le monde: "il y a une perception de la dou-
leur et du plaisir implantée dans la nature humaine comme ressort principal
et principe moteur de toutes ses actions" (1). Cette prise de contact avec
le monde pouvait provoquer, avions-nous dit, un retour sur soi égoïste de
l'individu ou une expansion généreuse. la première tendance est celle que
nous avons prise en compte dans notre étude de la discontinuité existen-
tielle ; la deuxième est celle qui va nous occuper ici. C'est elle qui va
fonder la philosophie de la sympathie et de la bienveillance, du sens moral
(ou la puissance de distinguer le bien d'avec le mal) et de
l'instinct
social.
Comme le dit David BROIlES dans son livre "The Moral philosophy
of David HUME"(2), il faut distinguer historiquement deux courants philo-
sophiques auxquels la position de HUME va s'opposer:
- D'abord la tradition ]jIotioJtJO-U.ste illustrée par Ralph CUDWORTH (3),
Samuel ClARKE~)William WOllASTON ~, (5). Pour ces derniers, la raison est
capable de découvrir le bien et le mal par elle-même. le bien et le mal sont
fondés dans l'éternité et l'immutabilité de la nature. Par son libre déploie-
ment, la raison arrive à distinguer le bien du mal. le mal, dans cette pers-
pective est la contradiction, c'est,à_dire ce qui est contraire à la raison.
(1) David HUI4E~ Traité~ p. 197 - vo&r aussi p. 679
(2) David BROILES~ The moral philosophy of David HUI1F -
The Hague/Martinus
NIJHOFF~ 1969
(3) Ralph CUDWORTH, Treatise concerning eternal and i/~table morality, British
Mcralists~ Vol.II~New-York~DoverPub. Inc.1965(nelle éd. du t~te de Clarendon)
(4) Samuel CLARKE~ Discourse concerning the unchangir~ obligations of na~ural
l
religion - Traduit sous le titre de Discours sur les devoirs i~ûables
de la re ligion nature lle
in Oeuvres ~ Nouue Ile Edi tion co l.l.at ionnée sur

1
les mei.l.Leure textes, Pax-ie :- Charpent ier, Libraire Edi teur, 1843~ p. 191
(5) William WOLLASTON,
The religion of nature deZineated (]724). 'l'e~' .'10Y'K
Schoo~s' fac-similies & reprints
DEL~R~ 197~

168
Comme le dit William WOLLASTON, la vérité et la faute sont mesures du bien
et du mal; "Moral and evil are coincident with right and wrong. For that
cannat be good, which is wrong ; non that evil, which is right" (1). En ce
sens, le bien est démontré rationnellement. Les hommes s'accorderaient sur
le bien s'il n'y avait en eux passions et désirs qui obscurcissent leur
raison. Etre moral, dans ce sens, c'est devenir de plus en plus rationnel
en soumettant passions et désirs. David BROILES résume la position ration~_
liste de cette manière: "the rationalists held, as seen in this brief survey,
that moral distinctions were eternally and immutably founded in the nature
of things. An act was morally, right when it conformed to nature. Reason
reveals to us these moral truths and we see by its means the rightness or
wrongness of a course of action. Immorality is the result of the opposition
or contradiction of an act ta reason". (2) Ce dogmatisme rationaliste est le
premier courant auquel s'opposera HUME:
- La deuxième tradition à laquelle s'en prend HUME est celle de
HOBBES. En effet, HOBBES soutient que l 'homme n'est pas immédiatement un être
moral. Loin de découvrir la moralité par un simple déploiement de la raison,
l'homme n'accède à la moralité que par le contrat et donc artificiellement.
Ce n'est pas à l'artifice en tant que tel que s'opposera HUME puisqu'il s'en
inspirera pour résoudre le problème de la justice, mais ce qu'il réfute, c'est
la vision égo"iste de l'homme qu'a HOBBES. En effet, l'état de nature de HOBBES
est un état amoral où les hommes sont en guerre perpétuelle les uns contre
les autres. C'est le règne de l'égoïsme à l'état pur. L'homme dans ce sens
ne peut pas être naturellement un être social à l'opposé de ce que pensait
ARISTOTE. L'homme ne peut trouver en lui-même assez de sympathie pour vouloir
la communauté. C'est pour combattre cette vision discontinuiste que HUME va
penser à côté de l'égoïsme qui est réel en l 'homme, une tendance à la sympathie.
Face à ces deux traditions: la tradition rationaliste et la tra-
dition de HOBBES, HUME va opposer sa philosophie de la sympathie et de la bien-
veillance et sa philosophie du sens moral.
1 - La symEathie et la bienveillance
\\
La sympathie appara1t comme un antidote contre l'égoïsme ou l'amour
) de soi. Essayons d'abord de situer les textes principaux dans lesquels HUME
(1) William WOLLASTON, OD.Cit. p. 20.
(2) David BROILES, op. Cit. p.13

169
parle de la sympathie. HUME en parle pour la première fois dans le Traité li-
vre II, première par-tie jsectton X dans un texte intitulé
"l'amour de la
renommée ll • Dans ce texte, l'auteur essaie de montrer que la renommée, plus
que les autres passions, est une passion altruiste. C'est_à_dire que l'Au-
tre est un des éléments fondamentaux de cette passion. Elle fonctionne
sur une coïncidence entre l'idée qu'on a de soi et l'idée qu'Autrui à de
nous. La renommée est donc une reconnaissance de nos qualités par Autrui.
Cette reconnaissance a un répondant en nous parce que nous estimons que
nous possédons les qualités pour lesquelles on nous loue. Cette répercus-
sion à l'intérieur de soi des points de vue d'autrui, cette communication,
doit se fonder sur une tendance naturelle que HUME a pensé dans le terme
de sympathie.
HUME reprend le thème de la sympathie dans le livre III du 1raité,
troisième partie, Section 1, dans un texte où il étudie l'origine des
vertus et des vices naturels.
Au niveau des PriociDes
le sujet est repris mais la sympathie
y devient la bienveillance. La Section II du livre est consacrée à la
bienveillance (benevolence) tandis que dans l'appendice (texte II), HUME
traite de lœamour de soi". HUME essaie de montrer que même l'amour de
soi implique la sympathie tandis qu'au niveau du Traité, l'égoïsme semblait
prendre le pas sur la sympathie.
Dans les P~fnejpes_ la sympathie n'est plus étudiée avec la même
précision que dans le Traité. La bienveillance devient une sorte d'inci-
tation générale à la moral ité. HU~1E v~à l'encontre de son habitud~et
laisse pour un temps sa technique d'anatomiste pour donner à "ses figures
une attitude ou une expression gracieuse et engageante". Nous allons es-
sayer de dégager de ces différents textes une vision cohérente de la
sympathie humienne. Commençons par la nature de cette dernière.
a) .!:.a_n~t~r~ ~e_l~ 2.Y!!1'pathi~
La sympathie est une tendance naturelle à sympathiser, c'est_à_dire
que nous ne pouvons pas demeurer en nous-mêmes, nous ne pouvons pas ne pas
sympathiser. Le fait d'étre réceptif au monde était déjà une forme inde-
\\
)
terminée de sympathie. Par-delà la différence, l'égoïsme, et la séparation,
les hommes vont se préoccuper de leurs semblables. Mais comment les hommes,
qui sont séparés et égoïstes, peuvent-ils être en même temps sympathiques?
HUME va enraciner la sympathie dans un principe fondamental que nous avions
déjà enuméré au rang des antidotes ontologiques ~ la ressemblance.
La séparation et la différence ne sont pas radicales: "Or il est manifeste
que la nature a conservé une grande ressemblance entre toutes les créatures

'70
humaines et que nous n'observons jamais en autrui de passion ni de principe
dont nous ne puissions trouver, à un degré ou à un autre, l'analogue en
nous. Le cas est le même qu'il s'agisse de l'édifice de l'esprit ou de
celui du corps. Quelques différences de forme ou de taille que puissent
présenter les parties, leur structure et leur composition sont
en général
identiques" (1). HUME poursuit de la manière suivante: "Une ressemblance
tout à fait remarquable se conserve à travers toute leur diversité;
cette ressemblance doit nécessairement contribuer à nous faire entrer
dans les sentiments d'autrui et à nous les faire embrasser avec facilité".
Mais la ressemblance a besoin d'être renforcée par un autre principe, et
c'est la contiguïté spatio-temporelle qui va jouer ce rôle. Quand un indi-
vidu m'est ressemblant et m'est lié par des liens très étroits, alors
la sympathie joue avec d'autant plus de force que la contiguïté est étroite.
La consanguinité, la cohabitation, l'appartenance à la même nation, tous
ces éléments entreront dans la constitution d'une entité sympathique.
Chez MONTESQUIEU par exemple-ce sont les conditions extérieures qui déteignent
sur les individus et les lois (2). Pour HUME, les conditions extérieures
ne font que favoriser ou empêcher une disposition sympathique à l'intérieur
des individus. Ce qu'on appelle le caractère des nations n'est que le
résultat de la fusion de la sympathie et des conditions; ces deux éléments
s'unissent en une entité sympathique qui s'autonomise et développe un
caractère spécifique.
A partir de ces premleres découvertes, on peut dire que c'est la
ressemblance et la contiguïté qui sont les principes internes de la sym-
pathie. Il nous faut maintenant étudier le processus sympathique.
Ce n'est pas, nous l'avons dit, de la raison que nous partons pour
découvrir la sympathie, qui est une sorte de sentiment (tendance) enraciné
dans l'imagination. La sympathie fonctionne sur un renversement de la cau-
salité. On part de l'effet imaginativement pour aboutir à la cause~ Ce ren-
versement n'est possible que parce que HUME a posé déjà le principe selon
lequel une idée avivée peut se changer en l'impression correspondante,
('est une conséquence de la différence de degré entre idée et impression.
(1) David HUME~ Traité
p. 419
J
(2) MONTESQUIEV~ De l'esprit des lois~ Ed. Gcœnier Frères~ ~ublication par
Gonzague 'h!:JIc~ 1969~ T.I et II.
HUME~ dans l'article "du caractère des
tri
, , '
' t
7 "
du
na ~ons ~ ~ns~s e sur ~ ~mportance
gouvernement et prend en compte
plusieurs éléments : commerce~ voyage, etc. Mais tous ces éléments ne
jouent plus fondamentalement que parce qu'il y a la sympathie.
(voir Essais Polit~ques~ trad. anonume, Ed. Vrin. 1972. D. 282 et suiv.

171
HUME exprime ce renversement de la manière suivante : "Quand une affection
s'insinue par sympathie, on la conna1t d'abord par ses effets et par ses
signes extérieurs dans la contenance et la conversation, qui en éveille
l'idée. Cette idée se convertit sur le champ en une impression et elle
acquiert un tel degré de force et de vivacité qu'elle devient absolument
la passion elle-même et qu'elle produit autant d'émotion qu'une affection
originale" (1). Ainsi, en voyant quelqu'un triste, on en deviendra triste.
L'idée de la tristesse de l'individu nous frappe, et cette idée avivée
en nous devient une idée-impression qui nous met dans le même état que
l'individu triste. Dans ce cas, il faut reconnaître que c'est la possibi-
lité qu'ont les idées de devenir impressions qui permet le renversement.
La ressemblance entre moi et l'individu est si frappante, la contiguïté
spatiale est telles que je ne peux pas ne pas entrer dans ses sentiments.
Il faut donc reconnaître que IIdans la sympathie il y a une évidente conver-
sion d'une idée en une Jmpresston'{z) , Chez l'individu réellement triste,
l'idée de tristesse (effet) est partie de l'impression (cause), tandis
que chez l'individu triste par sympathie, c'est l'idée de tristesse (effet)
qui produit en lui l'impression de la tristesse (cause) : "quand je perçois
les effets de la passion dans la voix et les gestes d'une personne, mon
esprit passe immédiatement de ces effets à leurs causes, et il forme de
la pass~on une idée tellement vive qu'elle se convertit dans l'instant
en la passion elle-même". (3). L'accord sympathique des esprits est pensé
en terme d'harmonie: IIQuand des cordes sont également tendues, le mouve-
ment de l'une se communique aux autres; de même toutes les affections pas-
sent aisément d'une personne à une autre et engendrent des mouvements cor-
respondants en toute créa ture" (4). Ainsi les hommes, loin d'être perpé-
tuellement en guerre comme le pensait HOBBES, possèdent assez de générosité
en eux-mêmes pour se soucier les uns des autres. La sympathie est tellement
naturelle qu'elle entre parfois dans nos passions les plus égoïstes.
L'égoïste lui-même n'est-il pas obligé de se penser par rapport aux autres?
Même dans l'opposition où il nous semblerait que l'image de l'Autre est
la plus inexistante, nous nous occupons encore de 1 'Autre :~Car il est re-
marquable que lorsqu'une personne s'oppose à moi sur un point auquel je suis
)
(1) David HUME~ Traité p. 418 - voir aussi p. 701
(2) David HUME~ gp; Ci.tr. p.421
(3) David HVME~ oP. cit. p. 701
( 4) David HU!...JE ~ Ibid-

172
fort attaché et qu'elle exalte ma passion par la contradiction, je sympa-
thise toujours en quelque degré avec elle et mon émoi ne provient d'aucune
autre orlglne. Les sentiments d'autrui ne peuvent nous affecter qu'en
devenant nôtres en quelque sorteH(l). Ainsi, existentiellement, la conti-
nuité semble prédominante, ce qui est vrai si on part du fait que la socia-
bilité est finalement une réalité incontestable. L'atome individuel est
pensé dans le sens de l'existence comme une impossibilité. L'impossibilité
signifie que tout individu fermé sur lui-même est condamné a disparaitre.
La sympathie est déja une tendance a exister par son ouverture, son expan-
sion. L1être comme être de perception et donc de relation postule plus
profondément la sympathie qui est une ressemblance de nature. La compassion
et la malignité qui sont des passions de comparaison sont moins profondes
que la sympathie. La sympathie est la plus proche de la ressemblance qui
rend possible toute comparaison; mais elle peut sortir de toute comparaison
pour s'affirmer comme un absolu: nul ne peut être indifférent devant un
grand malheur (2). Toutes ces découvertes nous permettent d'affirmer que
la sympathie est une disposition naturelle et profonde. L'homme de HUME,
loin d'être un loup pour son semblable, sera un être sympathique. Il serait
même un être pour la sympathie si l'égoïsme ne surgissait pas pour mettre
en danger ses rapports avec les autres. Nous l'avons vu, c'est a propos de
la propriété que l'égoïsme s'exercera. On peut dire tout en le nuançant
que sans la propriété, la sympathie peut recouvrir l'égoïsme. La société
apparaitra dans ce sens comme un prolongement artificiel de la sympathie
et de la bienveillance. La sympathie étant limitée par l'égoïsme a besoin
d'être prolongée. La société, c'est la sympathie institutionnalisée, c'est
un corpus de règles pour limiter l'égoïsme (justice). Ainsi la sympathie
renforcée favorise la société. La sympathie est le nom général des dispo-
sitions sociales naturelles. La bienveillance est une qualification de
la même chose mais rapportée plus fermement a la société.
c - la bienveillance et l'amour de soi
- - - - - - - - - - - - - - - - - -
L'homme bienveillant, c'est celui dont la sympathie a été socialisée.
La bienveillance est aussi la disposition de
caractère
qui favorise la
1
sociabilité: " ... une partie au moins de son mérite nait de sa tendance
1
à servir les intérêts de notre espèce et a donner du bonheur à la société
(1) David HUME~ Traité~ pp. 719~720.
(2) David tus«, Op.Cit.p. 721.

113
humaine" (1). En affirmant la posivité de la bienveillance. HUME entend
montrer son utilité et sa gratuité.
Dans l'appendice II des PrinclPes HUME s'attaquera aux thèses de
ceux qui soutiennent la prépondérance de l'amour de soi parmi lesquels
HOBBES et LOCKE seront violemment pris à partie. Pour HUME même si on est
théoriquement égoïste, on ne peut pas ne pas être pratiquement bienveil-
lant. Il cite l'exemple de HOBBES et de LOCKE eux-mêmes. qui, bien que
soutenant la thèse égoïste. ont vécu d'unemanière amicale et bienveillante
au risque de contredire par leur existence leur théorie. Mais cet argument
peut être étendu à l'expérience. On peut prendre l'exemple de l'amour que
portent les parents à leurs enfants: "Quel intérêt peut avoir en vue une
mère aimante qui perd sa santé à veiller assidûment sur son enfant malade
et qui languit ensuite et meurt de chagrin quand la mort de l'enfant l'a
délivrée de l'esclavage de cette veille ?" (2). Ce n'est donc pas leur
intérêt seul qui fait agir les hommes puisqu'on peut parfois poursuivre
une acti on dangereuse pour nous-même'. au mépri s de notre vi e. L'égoïsme
ne constitue donc pas la seule base de l'agir humain. HUME fait ainsi éclater
l'amour de soi et pose la bienveillance. La société de ce point de vue est
une conséquence de la bienveillance. Ainsi la sympathie renferme t-elle le
sens d'un fondement de la coordination sociale et la bienveillance le sens
d'une socialisation de celle-ci .(la sympathie elle-même étant fondée dans
la ressemblance). Mais ces deux tendances ne sont pas les seuls antidotes
de la discontinuité sociale et existentielle, il faut aussi prendre en
compte le sens moral.
2
Le sens moral (ou la faculté de distinguer le mal d'avec le
bien et son enracinement dans le plaisir et le déplaisir.)
La thèse du sens moral s'oppose à la conception rationaliste en
moral et à la théorie de l'égoïsme de HOBBES. Déjà avant HUME, SHAFTESBURRY (3)
BUTLER (4) et HUïCHESON (5). que R.David BROIlES appelle les Sentimentalistes
(1) David HUME~ Principes~ p. 36
(2) David HUME, cp.Ci!.pp. 161~162
(3) SHAFTESBUP.RY~ An inquiry eoneerm:ng
ouvrage déjà cité.
(4) BUTLER ~ F-we Se rmone (New York: lrioéral Arts rreee , 1950) repvéeent.ed
by pe~~~ss&on of the libéY'al Arts press L~v&sion Of the Boobs ~ MeY'~:i
Compa.qnu ine.
(5)Franc~ ~UTGHESON~ An inquiry eoneerninp moral good and evil in Golleeted
works - Vol I~ Treatise II~ p.99 - Ed,Georg Olms/ Hildesheim~ 1971.

174
avaient soutenu que la morale, loin d'être fondée dans la raison, était
plutôt fondée dans le sentiment (1). Les sentimentalistes prennent position
par rapport à la querelle de l'époque sur la morale; ils s'opposent aux
rationalistes. Mais si plus spécifiquement SHAFTESBURRY s'oppose d'abord
aux rationalistes, BUTLER et HUTCHESON ont en tête HOBBES. BUTLER en affir-
mant que l'égoïsme et la bienveillance ne sont pas forcément en contra-
diction annonce déjà les thèses de HUME sur la sympathie et la bienveillance.
Si l'individu a en lui un sens moral comme le pense HUTCHESON, c'est qu'il
n'est pas qu'égoïste comme le pensait HOBBES. L'individu est capable de
sortir de soi et de se moraliser, c'est-à_dire de distinguer le bien du
mal. HUME se situerait bien volontiers parmi les sentimentalistes dont il
reprend la problématique dans les deux premleres sections du Traité,
livre III. Il essaie de montrer que "les distinctions morales ne dérivent
pas de la raison" mais qu'elles dérivent plutôt d'un "sens moral". Comment
est construite l'argumentation? HUME établit d'abord que "Approuver un
caractère, en condamner un autre, ce n'est là qu'autant de perceptions
différentes". La puissance de distinction morale n'est qu'une manière de
percevoir. Or la perception inclut les impressions et les idées. Est-ce
alors ~u moyen des impressions ou des idées que se fait la distinction?
Si c'est au moyen des idées, ce serait la raison qui serait la
puissance de distinction. Déjà, les systèmes rationalistes, partant de la
raison ont soutenu que la vertu était une conformité avec la raison. Cette
dernière, de par son simple déploiement avait accès à la vertu. Or, comme
nous l'avons déjà mis en évidence, la raison qui est une faculté spécula-
tive, ne peut avoir aucun effet sur la pratique. La raison est passive
d'un point de vue pratique, elle sert seulement "à dëcou w-i r la vérité ou
l'erreur". Or la pratique est déjà une réalisation de la vérité, une acti-
vité. Ce n'est donc pas la raison qui nous fait agir. Ce n'est pas parce que
je me serai5trompé sur la nature d'un objet que je serais immoral (2).
(1) " ••• It is tiherefore by affection mere ly tihai: a creature is eetimed good
01' ill~ nai.ural. or unnat ural.,
our business uri lI. be to examine iolrich are
the good and natural, and which the i zr and unnat.ural. affections".
)
cf SHAFTESBURRY~ IYJ-Qu1.:r/i.
Pa:t't.II~ Sect , I~ p.247.
"That sorne actions have to men and irrmediate qoodneee , 01' t.hat: by a
p?~or Sense~ which l call a Morale One~ we perceive pleasure in the contem-
plation of such actions in others~ and are determined
to love the Agent~ ...
urithoui: any view, of [ui-ther natural. advantage from -them~~
HUTCHESON~ An ingu..iry concerning mO:l'al good and evi l~ Intirod, p.106
(2) David HUME. Traité pv.
.,
574 575
. . . . . ~

175
Je pourrais mal faire uri calcul sans pour autant être en train de faire du
mal. La non-contradiction nlest pas le critère de la moralité; je pourrais
toujours m'embarquer dans une démonstration et mly perdre sans pour autant
être immoral. C'est pourquoi il faut critiquer ceux qui, comme LOCKE, pen-
sent que la morale peut être démontrée et qu'une action est jugée selon sa
conformité ou sa non-conformité à un principe moral (1). Dans l'optique
lockienne, une action est déclarée immorale si elle s'écarte du principe
et vertueuse si elle est conforme au principe. Pour LOCKE,
on peut faire
subir à la morale le même traitement que la géométrie et l'algèbre. Ce qui
veut dire que la morale consiste en une comparaison dlidées. Or HUME dis-
tingue quatre sortes de relations~ l a ressemblance, le contraste, le degré
de qualité et les proportions de quantité et de nombre; la vertu et le
vice seraient-ils dans la ressemblance ou la non-ressemblance, dans le
contraste, dans une différence de degré, ou bien dans une différence de
proportion? Il faut le reconnaître, la vertu est d'un tout autre domaine.
L'étude d'une autre forme de relations peut nous permettre de mieux l'ex-
pliquer : le rapport de la vertu à la volonté. La vertu est en relation
avec la volonté, mais c'est un rapport de séparation: "c'est une chose
de connaître la vertu, c'est en est une autre de régler sur elle la vo-
lonté~ (2). Ce n'est pas parce qu'on a découvert la vérité d'une propo-
sition morale qu'elle devient immédiatement contraignante. La connaissance
n'est pas critère de la moralité comme le pensait PLATON. Cet exemple nous
. permet de raffermir notre première argumentation. Il nous faut donc recon-
naître l'existence du sentiment moral qui seul peut nous décider à agir.
C'est parce qu'il y a en nous une puissance naturelle de distinguer le
bien du mal que nous pouvons en vertu de cette capacité louer ou blâmer.
Les jugements sur le bien et le mal n'étant pas des relations d'idées ne
peuvent être que des impressions. C'est_à_dire qu'ils doivent descendre au
niveau de la conscience perceptive. Nous verrons ensuite le rapport qui
liera ces perceptions à la logique binaire fondamentale du plaisir et du
déplaisir.
Dans le texte intitulé "les distinctions morales dérivent d'un
sens moral" HUME essaie de préciser sa thèse. Si les distinctions ne sont
(1)
LOCKE~ ESSAIS
u». III~ Chap , XI~ Section 16; icc.rv, Chap.III~
Sect. 18~ 19~ 20
et Chap. IV Sect. 7
(2) David Hu.ME~ Traité~ p. 581

116
pas l·oeuvre de la raison: "ce doit être au moyen d'une impression ou
d'un sentiment qu'ils occasionnent que nous sommes capables d'établir
une différence entre eux". La morale ne ré1ève donc pas de la raison
mais du sentiment. Par cette affirmation, HUME prend position parmi les
sentimentalistes contre les rationalistes. Il s'oppose aussi du même coup
à HOBBES, pour qui toute moralisation ne commence qu'avec le contrat.
Pour HUME, le contrat ne sera qu'une prolongation d'une disposition morale
naturelle et en ce sens le contrat présuppose le sens moral. Il poursuit
en enracinant ce sens moral dans la logique binaire fondamentale du plaisir
et du déplaisir: "Une action, un sentiment, ou un caractère, est vertueux
ou vicieux; pourquoi ? parce que sa vue cause un plaisir ou un malaise
d'un genre particulier ... Avoir le sens de la vertu, ce n'est rien de plus
que de ressentir une satisfaction d'un genre particulier à la contemplation
d'un caractère" (1). Il nous faut nous préciser: la puissance de distinc-
tion morale originaire peut se réduire à une capacité d'être ému, non pas
par n'importe quoi, mais par un genre particulier de plaisir ou de déplaisir.
On ne part donc pas du plaisir, on part du sentiment, la capacité émotive
en liaison avec la logique binaire permet la distinction morale: "Nous
n'inférons pas qu'un caractère est vertueux, de ce qu'il plait, mais en
sentant qu'il plaTt de cette ma~ière particulière, nous sentons effectivement
qu'il est vertueux"(2). On ne peut pas partir du plaisir parce que tout
plaisir en ce sens deviendrait par cela mème vertueux. Les plaisirs culi-
naires, les plaisirs esthétiques, auraient part à la vertu; ce qui ferait
éclater la force de notre conclusion. Il faut donc insister stlr le sens
que HUME donne à ce plaisir: "satisfaction d'un genre particulier".
Ce n'est donc pas une satisfaction, un plaisir en général, mais un genre
particulier de plaisir. Le sens moral est la faculté qui ,en nous,réagit
à la beauté ou à la laideur de nos actes. Ce sens moral est une puissance
de distinction, une sorte de disposition à réagir à la qualité d'un acte.
C'est toujours la logique binaire plaisir/déplaisir qui permet la distinction
mais le plaisir ou le déplaisir est cette fois_~i de nature morale. -On peut
dire qu'il n'a pas en vue une satisfaction immédiate ou intéressée mais le
bien en tant qu'il constitue une source de plaisir (particulier).
\\
J
(1) DavidHUME~ Traité~ p. 587
(2) David HUME~ Ibidp ~

177
Clest donc du sentiment moral qu'il faut partir. C'est parce que l'homme
a une connaissance innée (naturelle) du bien et du mal qulil se moralisera.
Le sens moral est plus fondamental que la raisons primitif par rapport à
l'acte. Cela dit, nous pouvons tirer les conséquences de cette thèse.
Le sens moral apparaît comme un antidote qui vient s'ajouter à la
sympathie et à la bienveillance. Nous verrons plus loin la manière dont ces
deux qualités de la nature humaine se renforceront pour permettre la vie
sociale et la moralité contre l'égoïsme et la séparation. Nous voyons déjà
comment HUME cri ti que 11 état de nature de HOBBES ; bien qu' i l (HUME),
reconnaisse une discontinuité existentielle due à la rareté, au besoin et
à l'égoïsme, il maintient tout de même dans la nature des tendances sociales
et sympathiques qui permettront la vie communautaire.
Mais si nous nous arrêtions au niveau de la juxtaposition de la
discontinuité et de ses antidotes naturels
nous n'aurions pas épuisé la
t
signification de la philosophie humienne.
C'est pourquoi nous allons faire travailler les différentes positions
humiennes d'une manière contradictoireet faire que les juxtapositions devien-
nent opposition, puis contradictions. Une thèse appelant son dépassement quand
nous avons mis en évidence ses limites propres. Et les limites de la thèse
des antidotes naturel~ c'est que ces dernières
nous le découvrirons, ne
t
peuvent à elles seules résoudre entièrement le problème de la discontinuité
ontologique, théorique
existentielle. Les antidotes naturels sont limités,
t
ils sont soumis à la spatiaîité et à la temporalité. Cette reconnaissance
des limites des antidotes naturels laisse le champ libre à la domination
du scepticisme. Mais ce triomphe, nous le verrons
ne sera que provisoire
t
HUME va imaginer une solution pratique de la discontinuité.
1
/

118
SECTION IV
L'INSUFFISANCE DES ANTIDOTES NATURELS ET SES
CONSEQUENCES.
Les antidotes naturels qui sont apparus comme le contrepoids conti-
nuiste face à la discontinuité naturelle vont révéler à l'approfondissement
leurs limites. Ces insuffisances se révèlent tout autant aU niveau ontolo-
gique qu'au niveau spirituel et existentiel, ce qui en définitive signifie
que pour HUME, au niveau naturel clest la discontinuité qui est triomphante.
Essayons de mettre ces limites en évidence.
1 - l'insuffisance des antidotes ontologiques
Nous avons relevé la ressemblance, l'identité, la succession, la repe-
tition et la contiguïté comme les antidotes ontologiques de la discontinuité.
La ressemblance est la qualité relationnelle fondamentale tandis que
l'identité est la qualité interne des choses quant au temps. Mais ces deux
qualités sont pensées dogmatiquement par HUME. Il ne nous dit pas le pour-
quoi de cette ressemblance et de cette identité qu'il pose sans les justifier.
HUME n'aura d'ailleurs pas de peine à pulvériser ces qualités-limites quand
il les soumettra à la critique. C'est pourquoi on peut dire que c'est la
discontinuité perceptive qui recouvre théoriquement la ressemblanœ. Tandis
que l'identité est ramenée vers la ressemblance: c'est une ressemblance
extrême dira HUME. La ressemblance qui implique deux objets étant elle-même
discontinue, on peut dire que la discontinuité perceptive réduit la ressem-
blance à la différence et l'identité à la ressemblance.
Donc, d'un point de vue structurel, la ressemblance et l'identité sont
des qualités fictives.
La même critique peut être opérée à l'endroit de la conti~uïté, de
la répétition et de la succession. HUME affirme que les choses sont contiguës,
qu'elles se répètent et se succèdent, mais ne dit pas le pourquoi de cette
contiguïté, de cette répétition et de cette succession. La question de l'ori-
gine ne semble pas l'intéresser. La question de la cause est incluse dans
le préalable de la critique de la cause. Mais cela ne doit pas nous empêcher
) de nous demander: pourquoi cela et pas autre chose? Les choses sont contigUës,
mais elles auraient pu être éloignées; elles se répètent et se succèdent,
mais elles auraient pu ne pas le faire. Ne pourrait-on pas dire que le silence
de HUME sur la question du pourquoi assigne des limites à son discours?

179
Le silence du discours humien n'est-il pas sa limite et sa faiblesse?
Si le dogmatisme du point de départ est inévitable, ne renferme-t-il pas,
en même temps qu'il lesrend possible, les limites du discours? Le point
de départ n'est-il pas le fondement qui ne se fonde pas et qui est donc
le seuil théorique du discours logique philosophique de HUME?
Il faut reconnaître que les antidotes ontologiques ne peuvent pas faire
disparaître la discontinuité ontologique qui ressurgit avec plus de force.
Il faut donc reconnattre qu'à ce premier niveau, la discontinuité recouvre
les antidotes ontologiques.
2 - L'insuffisance des antidotes spirituels.
Les limites des antidotes spirituels sont de même nature que les li-
mites des antidotes ontologiques. On peut toujours répéter la question du
pourquoi. Pourquoi llesprit se laisse-t-il déterminer à l'inférence?
Comment un sujet qui est un amas de perceptions peut-il avoir une mémoire?
Pourquoi l'esprit associe-t-il ? HUME parlera de l'association des idées en
ces termes: "il y a là une espèce d'attraction qui, trouve-t-on, a dans le
monde de l'esprit d'aussi extraordinaires effets que dans le monde de la
nature qui se révèle sous autant de formes et aussi variées. Ses effets
sont pourtant manifestes; mais ses causes sont pour la plupart inconnues
et il faut les résoudre en qualités originelles de la nature humaine, que
je ne prétends pas expliquer." (1) Cette idée peut être étendue à tous les
antidotes de la discontinuité. Nous dirons que ces antidotes sont partout
manifestes mais qu'ils n'ont pas la raison de leur manifestation. La nature
fonctionne dans~centexte comme fondement. L'homme aurait donc une nature
qui comprendrait un certain nombre de qualités essentielles. Ces qualités
caractériseraient l'homme en général et le constitueraient. La nature pour
HUME, c'est le fait, la réalité dogmatique par excellence. Elle (la nature)
est donc le fondement dernier de tous les dogmatismes : le dogmatisme des
antidotes ontologiques, celui des antidotes spirituels et existentiels. Mais
à ce niveau purement spirituel, la nature intègre tous les éléments asso-
ciationnistes que nous avons mis en évidence. Elle est leur référence et leur
assignation dernière. Mais la question qui peut re~urgir est toujours la
.1
/
question de la référence de cette nature elle-même.
(1) David HUME~ TY'ai té ~ p.
77

180
Si HUME critique la méthode philosophique qui consiste à chercher
des causes à la chaîne, c'est qu'il est conscient du dogmatisme de sa
position. Il faut donc partir de la nature dont on hérite. C'est une sorte
de donné avec lequel il faut composer. La nature prend ainsi positivement
le sens de fondement dynamique des positions dogmatiques mais elle est en
même temps l'insuffisance de ces positions en tant qu'elle est leur limite
silencieuse. L'on ne peut aller au-delà de la nature autrement tout sombre
dans l'édifice. Il nous faut donc reconnaître qu'au niveau spirituel comme
au niveau ontologique, la discontinuité recouvre la continuité. Le problème
se retrouve au niveau existentiel et social.
3 - Les limites des antidotes existentiels
Les antidotes existentiels que sont la sympathie, la bienveillance et
le sens moral, seront insuffisants à résorber la discontinuité existentielle.
D'abord, la sympathie et la bienveillance sont soumises à la spatio-tempo-
ralité (1). Le point de départ est égoïste (2) ; c'est le moi et par extension
tout ce qui ressemble au moi à condition que la réalité
en question soit
proche.
La présence est la distance idéale temporelle pour faire jouer la
sympathie. Mais la présence inclut la contiguïté, par rapport au moi, de
ce qui est présent. La présence doit se comprendre comme existence présente.
Mais la présence à elle seule ne suffit pas, il faut que 1 'existence en
question ait une quelconque ressemblance avec nous (proximité, consanguinité,
pays, humanité). La ressemblance, nous l'avons vu, est la base de la sympathie.
Il faut comprendre la différence comme une distance ontologique et la ressem-
blance comme un rapprochement ontologique, Mais si la spatio-temporalité est
la limite de la sympathie et de la bienveillance, il nous faut reconnaître
que nous ne sommes pas maîtres du temps et de l'espace qui sont des effets
de la succession et de la présentation (perception), elles-mêmes étant des
données, des réalités, dont nous héritons et que nous ne maîtrisons pas.
C'est pourquoi l'égoïsme qui se
nourrit du manque de sympathie recouvrira
la bienveillance au niveau social: ",., notre bienveillance et notre affec-
tion sont par nature très limitées" (3). Pour appuyer l'argument de la limi-
(1) David HUME~ Traité p. 656
(2) Dav~'d
v
H71'ME
u,
. A- C't
654
J~'Z,,'W.
~
655 - 640~ 639~ 638~ 609~ 604
(3) David HUME~ Qp. cit. p. 639

181
-tation des antidotes existentiels, on peut user de l'argument rétrospectif
pour dire que si les hommes ont inventé les règles de justice, c'est que la
sympathie et la bienveillance étaient incapables de régler la société civile
"si les hommes avaient été doués d'un souci aussi fort du bien public, ils
ne se seraient jamais limités par ces règles ... "(l).
Les limites de la sympathie et de la bienveillance vont pousser les
hommes à augmenter artificiellement les tendances naturelles qui sont en
eux.
La sympathie est augmentée d'une double manière:en donnant des limites
à l 'égoisme et en instituant ensuite un complexe de sympathie dans lequel
les sympathies individuelles se renforceront les unes les autres.
Tous ces arguments peuvent être étendus au sens moral. Nous avons
défini le sens moral comme une puissance de distinguer entre les actions bon-
nes et mauvaises. La seule puissance de distinction ne suffit pas, il faut
constituer un complexe d'obligations sinon la passion et l'égoisme recouvrent
notre sympathie et notre volonté en nous. Nous voyons que la puissance de
distinction ne peut qu'être recouverte par llégoisme si elle n'est pas pro-
longée artificiellement. Le sens moral, qui inscrit une moralité naturelle
en nous, ne peut pas moraliser toute la société civile. L'égoïsme et l'amour
de soi finiront par avoir le dessus. Cela montre bien les limites des anti-
dotes naturels de la discontinuité existentielle.
Il faut donc revenir sur tout le problème des antidotes naturels pour
dire qu'ils n'ont pas pu venir à bout de la discontinuité naturelle.
D'où le triomphe provisoire du scepticisme.
4 - le scepticisme ou le triomphe provisoire de la discontinuité
naturelle.
La discontinuité au niveau naturel triomphe deux fois. Premièrement,
elle se donne comme structure ontologique du réel. A ce niveau structurel,
le réel n'est maintenu que grâce à ce que nous avons appelé les antidotes
naturels de la discontinuité. Deuxièmement, elle recouvre les antidotes
naturels en les référant à leur origine discontinue; et cette assignation
aux origines met à nu leur fondement dogmatique.
:
Il faut donc dire que la séparation, l'égoisme, sont plus profonds
)
que l'association et la sympathie. L'égoisme renvoie à la séparation qui est
(1) David HUME, Cp.Cit.p.649

782
le sens de la discontinuité.
La sympathie renvoie à l'association qui est le sens de la continuité et de
l'existence commune. Nous avons découvert que toute chose au niveau atomique
est séparée. Tout ce qui travaille alors dans le sens de la séparation et
de l'émiettement poursuit le mouvement ontologique. Ainsi, la sympathie n'é-
pouse pas la tendance ontologique, elle tire plutôt du côté de l'existence
et de la vie. L'existence est ce qui va dans le sens de l'organisation, de
l'union et de la complémentarité. Nous portons en nous une tendance à exister,
à perdurer dans notre être mais si nous n'aidons pas cette tendance, elle
est tout de suite résorbée par la tendance à la séparation, à la dislocation
et à l'émiettement. On peut donc dire que le trl0mphe de la discontinuité
au niveau naturel normal
est ce que HUME énonce ~ dans son scepticisme.
Et de ce point de vue, le scepticisme de HUME est radical. Mais HUME dépasse
ce premier niveau pour poser les solutions de la discontinuité. Il~ consti-
tuera un complexe de solutions qui prendra en compte la première dualité dis-
continuité naturelle-continuité naturelle et les enrichira en les fondant
dans une synthèse nouvelle. Cette position supérieure se pensera grâce à
des notions telles que la pratique existentielle et l'utilité, et cette nou-
velle synthèse sera approfondie et enrichie par de nouveaux concepts tels
.
.
ceux de recurrence et d'autonomisation, qui nous permettront de mettre en
évidence des aspects nouveaux de la philosophie de HUME.
Nous avons donc à affronter un nouveau problème
comment HUME sort-
il de la discontinuité (approfondie) ? Quelles sont les solutions humiennes
de la discontinuité?
1

183
CHAPITKE
III
LA
~OLuTIuN
HuMItNNt
VE
LA
ViSCuNTiNUITE
ET SES
LIMITES
La solution humienne de la discontinuité est une solution paradoxale
du scepticisme: une solution sceptique du sceptlcisme. Pourquoi une solution
sceptique? Une solution sceptique parce qu'elle ne sort pas du donné pour
chercher un a priori~ un fondement extérieur au donné. C'est le donné lui-
même qui offre les moyens de son dépassement. HUME tente une gageure, il veut
sortir du temps par le temps, il cherche a fonder le contingent dans le
contingent. C'est que HUME n'a plus d'autres recours ayant écarté sceptiquement
toutes les fondations originaire, creatrice, provldentielle, il ne lui reste
plus d'autre issue que le donné. NIETZSCHE sur un tout autre registre sera
confronté au même oroblême ; après avoir annoncé la mort de DiEU et prôné
la fid~lité a la terre, il lui fallait trouver une profondeur à la contin0ence.
C'est dans le temps qui est le signe le plus radical de cette contingence
qu'il va fonder son univers. Le temps que NIETZSCH~ prend en compte n'est pas
le temps linéaire des~ûD!R~dont le schème suppose un commencement et une
fin. Ce temps issu de la conception judéo-chrétienne de l'existence est un
temps de la déchéance et du péché qui est en manque d'être et qui, de ce fait,
réclame la venue de Dieu sur terre.
Le fils de Uieu sera le médiateur qui reliera cette temporalité a la
temporalité divine qui est cel le du paradis. Or NfETZSCHE qui prône la fid~lité
a la terre ne pouvait pas accepter cette vision dévalorisante du temps. Il
prendra le temps cyclique des anciens pour en faire le temps de l'~te~nel
~etou~. Quel\\lest alors la signification de la profondeur? Le temps terrestre
reconquiert l'éternité, et la répétition qui est le retour du pareil donne
une dimension métaphysique à chaque acte. Cette image d'un temps cyclique
et donc dédoublé et mieux, répété, inscrit l'éternité dans la contingence
et sauve l 'univers ~ietzschéen de la démesure.
;
!
Ce détour par NIETZSCHE nous aidera à mieux comprendre la perspective

184
humienne. Chez HUME aussi ce sera le temps qui permettra la sortie de la
contingence. Il faut tout de suite élargir la signification du temps pour
lui donner sa dimension profonde qui est la succession et la répétition. Il
faut ensuite penser le temps par rapport à l 'homme, et on découvre alors
que l' habitude et l' accoutumance qui sont l es concepts cl ës de 1a phil osophie
humienne en dérivent. La pratique existentielle reconquiert toutes ces
significations. Et nous verrons comment qrâce à la pratique tout l'univers
de HUME trouve sa consistance. Mais avant de rësoudre ce problème il nous
faudra d'abord épuiser le discours humien sur le théorique et à travers lui
tout discours possible sur le théorique.
HUME, s'attache à montrer que le théorique aboutit naturellement, si
on n'en sort pas, au scepticisme. HUME a dëcouvert avant HEGEL la force négatrice
de la raison mais au lieu que celle-ci soit positive comme chez ce dernier
elle est olut6t stérile chez lui. Cette force négatrice de la raison qui est
une puissance de dissolution porte le doute dans la croyance en s'attaquant
à elle
"Nul objet fini ne peut subsister sous l'action d'un décroissement
répété à l'infini; même la quantité la plus énorme qui puisse entrer dans
l'imagination humaine doit se réduire à rien, de cette manière. Faites que
notre première croyance soit aussi forte qu'elle puisse jamais être, elle
doit infailliblement périr par son passaqe à travers tant de nouveaux examens
dont chacun lui enlève quelque chose de sa force et de sa vigueur" (1).
Ainsi bien que l'esprit analytique ait un apport critique remarquable il ne
peut qu'aboutir au scepticisme. il faut donc en sortir pour poser une autre
logique qui est pour HW1E la I091que de la pratique exi stent ie l l e , la logique
de la vie. Par ce renversement HUME neutralise la victoire du scepticisme
théorique et en fait une conséquence naturelle de la tendance théoricienne.
11 faut sortir du théorique au profit de la pratique. Cette découverte devrait
aboutir à un si lence chez HUME~ il devrait cesser de philosopher. Pourquoi
alors continue-t-il à philosopher?
C'est que, pour HUME, philosOpher c'est faire une "pratique théorique", c'est
agir, c'est un acte existentiel. Philosopher ne relève pas du point de vue de
la philosophle. La décision de philosopher et la pratique philosophique, tout
(
(1) HUME, T~aité, p. 270

185
en mettant en oeuvre la pulvérisation du sujet et de la cause constituent par
ce faire même le sujet et la causalité. Clest ce que nous allons essayer
de montrer.
La pratique en tant que tel le a une dimension autonome qui intègre la
pratique philosophique. Donc le pessimisme comme résultat de la philosophie
peut être contredit par la pratique phi losophique elle-même. Il n'y a pas
contradiction comme on peut le penser puisque les deux domaines sont différents.
HUME a des exemples pour souligner cette différence. On peut ëtre théoriquement
égoiste et vivre amicalement comme HOBBES. Mais on peut porter notre distinction
à 11 intérieur de la démarche phi to sopb tque elle-même et dire que, si la
philosophie comme pratique théorique qui s'ab1me en elle-même secrète du
scepticisme, on peut toutefois pratiquer une philosophie qui nlest pas spécu-
lative, mais qui décrit le processus de constitution pratique du sujet. On
épuise donc la philosophie spéculative et on trouve ses limites, on devrait
alors normalement cesser de philosopher, mais il reste encore la possibilité
de constituer une philosophie de la pratique constitutive.
HUME ne fait qu'esquisser cette cht l osopnte de ilia pratique théorique" et
'soc ia l e". Ce sera à nous de la mettre en oeuvre en poursuivant 11 intuition
de HUME.
s'il y a déjà plus que des indications pour la constitution d'une
philosophie de la pratique sociale, il faut reconnaître que ces indications
n'existent pas au niveau théorique. Cela est dû au fait que le terme même
de "pr atique théorique" est nouveau dans son acception, nous l'empruntons
bien volontiers à Louis ALTHUSSER (1).
Nous aurons l'occasion de revenir sur ce concept. Ce qu'il nous faudra
montrer c'est comment la pratique existentielle (théorique, sociale) permet
de sortir de la discontinuité. Le concept de pratique est un concept riche
il intègre la répétion et le temps (hao i tude , accoutumance).
C'est en poursuivant la détermination du sujet commencée au niveau naturel,
(1) Louis ALTHUSSER, Positions, Editions sociales - PA~qIS, 197ô P. 42 et suiv.

186
en poursulvant le mouvement de soclallsation esquissé naturellement par
la sympathie que la pratique va résoudre le problème de la discontinuité chez
HUME. Le résultat de ce processus est que la détermination aboutit à
l'autonomisation du sujet et du politique. Le sujet raffermi (constitué)
pratiquement s'autonomise de la discontinuité de départ et s'érige en
sujet législateur; la société politique s'autonomise de la discontinuité
sociale pour s'ériger en une entité qui perdu~dans sa forme et dans son
ordre.
Mais ces entités autonomisées auront tendance a absolutiser cette
autonomie; des crlses surgiront alors ae l'intérieur de ces entités autonomes
pour les rappeler a leur origine discontinue.
Nous allons entrer dans le détail de tous ces proc~ssus en commençant
par la pratique existentielle.
SECTION
1
LA
PKATIQUE
EXISTENTIELLE
La pratique existentielle inclut la pratique théorique et la pratique sociale
et politique. Mais comme le terme de pratique théorique tel que nous en ferons
usage n'est pas de nous, il nous faudra l 'ex9liquer ava~t de l'intégrer a notre
démarche. Notre pers~ective sera de faire une théorie de la pratique déterminante
chez HUME. C'est-a-dire que nous allons montrer la manière dont la pratique
continue la constitution du sujet et de la société.
Mais l'exposé des différentes pratiques déterminantes se heurte a un
préalable. Il nous faut épuiser le discours de HUME sur le théorique et dire
pourquoi ce discours spéculatif doit céder le pas a un autre discours sur la
pratique existentielle. Cela se fera de deux manières: on dégagera a'abord
l'essence du discours théorique pour montrer sa nullité pratique immédiate
il et on insistera ensuite sur la nécessité d'en sortir.
, 1
)

181
1 - La logique de la discontinuité et la log1que de la vie
La philosophie est critiquée par HUME en deux temps. Il la critique
d'abord dans sa manifestation historique habituelle qu'est la métaphysique.
C'est ce que nous allons montrer d'abord. Au début de la section V de
l'Enquête HUME distingue différentes sortes de philosophes (1). Il critique
d'abord ces espèces de philosophies qui donnent libre cours à ','l'impétueuse
arrogante de l'esprit", à lises hautaines prétentions" et à "sa superstitieuse
crédulité". A côté de ces philosophies qu'il critique, il reconna'ît la ph i to so-
phie positive qu'i 1 appel le sceptique et qui essaie "d'enfermer en de très
étroites limites toutes les recherches de l'entendement et de renoncer aux
spéculations qui débordent les frontières de la vie et de la pratique courante".
Sur quel argument est fondé cette exigence qui est en même temps une critique
de la ~étaphysique. HUME part du fait que la métaphysique relève du domaine
....
des relations de faits et que de ce fait elle doit référer toutes ses affimations
,..
à l' expérience.
Or il semble que la métaphysique traditionnelle ne l'a pas entendu de cette
oreille, elle a développé un ensemble de spéculation qui n'avaient aucun rapport
avec l'expérience. La méthode expérimentale de HUME a essentiellement pour tâche
de révéler le vide des concepts mètaphysiques. Au mot doit correspondre
une idée, a l'idée une impression. Un mot sans idée est un flatus voci e,
une idée sans impre ss i on est une fiction de l imaq'ina tt on .
t
La philosophie ~étaphysique traditionnelle s'est dévelopoée sur de
fausses analogies; on peut la caractériser comme une suite d'anthropomor-
phismes. Partant de l t homme comme ar t i san et createur , elle a suppose qu'il
devrait exister un créateur (cause) de l'univers.
Cette analogie boiteuse qui fonctionne sur trois éléments au lieu de quatre
(homme - créatures - univers) est ce qui a permis la déduction de Dieu et
tous les mythes y correspondant.
51 la métaphysique est construite sur de fausses ana loj te s et si elle
1
se développe ma t qrë cette contradiction c'est parce qu'elle correspond à une
,-
1
i
(l)
D.
HUME,
Enquête~ p. 86 et eu:»,

188
tendance naturelle à l'intérieur de l 'homme. Cette tendance ou inclination est
une attitude existentielle.
L'homme théorique a tendance à vouloir s'affrancnir du réel Dour construire des
univers de discours. Cette attitude est l'expression existentielle d'une peur
du réel pratique. Il est facile par exemple de se convaincre par raisonnement
qu'on peut se "dégager de toute vertu aussi bien que de tous plaisirs de la
société" ; mais de l'affirmation de cette idée à son application il Y a
toute une distance difficile à franchir (1). La métaphysique est donc une
tendance tnc i sc i pl inée de l'esprit, une existence paresseuse. Elle n'est pas
essentiellement différente dans ses effets de la phi losophie moderne, bien
qu'il faille reconnaTtre tout de même qu'il y a des différences entre les
conséquences de la philosophie ancienne et de la philosophie moderne.
HUME ~rend l'exemple de DIOGENE et de PASCAL pour illustrer ce qu'il appelle
l 'artificialité de la conduite. La description de PASCAL insiste sur ce
qu'on pourrait bien appeler une servil ité : "le phi losophe moderne faisant
constamment profession d'humi lité et d'abaissement, de mépris et de haine de
soi; et il essayait d'atteindre ces prétendues vertus dans la mesure où on
peut les atteindre". Cette servilité était la conséquence des superstitions
"les superstitions les plus ridicules dirigeaient la foi et les actes de PASCAL,
un mépris extrême de cette vie par comparalson à la vie future était le
principe capital de sa conduite".
Tandis que pour DIOGENE l 'artificialité était plutôt un désir d'indé-
pendance : "Au principe de la conduite il y avait un effort pour se rendre
indépendant autant que possible et pour enfermer tous ses besoins, tous ses
désirs et tous ses plaisirs en soi et en son propre esprit".
HUME critique ces deux attitudes pour leur manque de naturel. L'une est artifi-
cielle dans son désir de mettre la nature entre parenthèse, -l'autre parce qu'elle
se laisse reduire en esclavage par les superstitlons. Tout cela ~eféré à la
métaphysique nous pousse à dire d'elle que C'est parce qu'elle dépasse les bornes
de la nature qu'elle provoque des conduites artificielles chez les hommes .
.'
i
'!
(1) HU~Œ~ Tpaité p. 86

789
Pourtant la philosophie est fille de la liberté, elle devrait donc
aider à rendre les hommes libres: Il (La philosophie) fleurit partout par
l,bre opposition des sentiments et des argumentat,ons, aussi est-elle née,
d'abord à une époque et dans un pays de liberté et de tolérance, et elle n'Y
fut jamais oppr,mee, même dans ses principes les piUS extravagants, par des
des concessions ou des lois pénales ll (1). C'est pour cette raison que HUME
prône la phi losophie sceptique qui est exactement le contraire de la philosophie
métaphysique.
A l'encontre de cette dernière, la philosophie sceptique se maintient
dans les justes bornes de la raisnn et de l'expérience. Elle limite ses
recherches à "la vie courante", elle n'est jamais dangereuse pour la vie parce
qu'elle lutte contre l'obscurantisme et le fanatisme. Par ses points de vue
"càlmes" et "sans passion" elle contribue à rendre les hommes sages.
Mais si cette philosophie scepti~ue délivre des dogmatismes et des
fanatismes, elle introduit par contre le doute dans les esprits, de telle sorte
que si on n'en sort pas, le scepticisme qu'elle professe ne peut manquer
de nous affecter radicalement. En effet cette philosophie sceptique académique
ne peut qu'aboutir au scepticisme si on s'en réfère à ses méthodes et à
ses ~ésultats. Mais aussi par la ~aison qui la porte et la construit, elle
ne peut que se détruire elle-même. Ce sera comme nous l'avons déjà dit une
manière de soutenir la thèse d'un non-sérieux de la phi losophie. Quelles sont
les méthodes de la philosophie sceptique et quels résultats livre-t-elle ?
Nous devons approcher la méthode non pas descriptivement mais intérieurement
pour en livrer l'essence. On peut dire au premier abord que cette méthode
est réductrice: en elle le supérieur est exnl iqué par l'inférieur.
C'est une sorte de matérialisme épistémologique primaire. Mais ce n'est pas
la réduction qui en est le seul principe, cette méthode est aussi et surtout
analytique. Nous ne nions pas qu',l y ait chez HUME un emploi synthétique
de la raison mais nous voulons tout simplement reconnaître qu'il y a une
antériorité de la raison analytique sur la raison synthétique (2).
i
, .1
(]) HUME, Enguête, p. 18u
(2) Nous reiriendrone sur la méthode hurm.enne un pe:i ol.us loin.

190
Elle est ce qui découvre le réel en intériorité pour nous en livrer les éléments.
11 faut le reconna1tre, l'atomisme est la conséquence de cette méthode. Et
l'atome ces t l'impression; la consistance des choses c'est donc leur fugacité
et 1eur séparation. Lette méthode véh i cu 1e donc déj à par devers
elle un
point de vue métaphysique. C'est ce présupposé qui fait que ~tte méthode
ne peut aboutir qU'au scepticisme tendancie11ement. Si nous nous réf~rons aux
résultats concrets de cette méthode nous ne pouvons que souscrire a cette
dernière thèse.
Le sujet livré par cette méthode est un sujet éclaté. La causalité n'est
plus qulun rapport de contiguité ; la nécessité causale n'est pluS que le
résultat d'une détermination de l'esprit, la société est menacée dans sa
cohésion par l 'é~oisme des individus. Même les tendances continuistes qui jouent
comme des antidotes sont submergées par la discontinuité tendancielle.
NouS voyons comment la phi1oso~hie sceptique, la olus sage des philosophies
dans ses méthodes et dans ses ré sul tats ne peut qu 1 aoout i r- au scepti ci sme .
On peut donc revenir sur la philosophie en genéra1, pour avancer la thèse
d'un non-sérieux de la philosophie.
Alnsi la phi losophie est critiquée dans ses méthodes et dans ses resultats.
l'IJais on peut en radicaliser la critique en la réfèrant à la raison qui la
porte et la sécrète.
La raison, ce n'est pas ici la raison comme différence spécifique de
l'animal homme, c'est plutôt la raison en tant qu'elle est une tendance en
l' homme. Tendance qui secrète pourrait-on dire la métaphysique. Cette raison
est celle que critiquera KANT. Comment ~1UME met-i 1 a nu les procédés de la
raison?
Tendancie11ement la raison est caractérisée par la recherche des caures.
1
La raison veut toujours s'expliquer la cause dernière de toute chose. A-t-elle
1.
~)fini d'expliquer une chose en la référant a sa cause qu'elle cherche à
expliquer la cause de cette cause. ARI)TOTE avait déja decouvert cette tendance
de la raison qui disait qu'il fallait s'arrêter dans la recherche des causes
sinon le mouvement se poursuivrait a l'infini. ARI)TOTE partant de cela s'arrête
1

19 1
·au premier moteur qui est chez lui la raison première et cern iere de toute
chose.
LEIBNIZ soutiendra le même argument. Une réalité contlngente ne peut avoir la
raison de son existence en elle-même. Pour fonder le contingent, il faut
sortir du contingent pour aboutir a une réalitê supérieure de nature transcen-
dante. Si le premier moteur est ce qui fonde l'ordre des contingencefchez
.
p"" ~.,,+rt...
AI<ISTOTE, chez LEIBNIZ c'est Uieu qui fondera l'univers des continqences.
l'
Mais pour HUME rien ne nous oblige à nous arrêter dans la recherche des causes.
La raison devrait poursuivre sa démarche questionnante jusqu'a l'infini. Le
"il faut s'arrêter" d'ARISTOTE comporte une dose de dogmatisme que Hur~E
n'admet pas. La prétention Leibnizienne qui veut fonder le réel a l'extérieur
de lui est tout aussi i1lé9itime.
C'est donc sur la 1egitimité de cet arrêt qui lui paraît arbitraire que
s'interroge HUME: "Ajoutez à cela qu'en remontant le cours d'une éternelle
succession d'objets, il semble absurde de ~enquérlr d'une cause aénérale
ou d'un premier moteur" (1). Si on poursuit la logique questionnante de la
raison rien ne nous obliae à nous arrêter. Et ceux qui cherchent les causes
ad finitu~ sont plus logiques avec eux-mêmes que ceux qui s'arrëtent en route.
r·1ais comme une intell igence finie ne peut chercher les causes à ,'infini il y
a une contradiction et une impossibi litê à le faire.
HUME va quant à lui réprimer cette tendance qui nous pousse à rechercher
des causes: "Rien n'est plus nécessaire à un vér i tabl e pn i l osophe que de
réprimer tout désir excessif de rechercher des causes; et de s'estlmer satisfait
quand il a établi une doctrine sur un nombre suffisant d'expériences, s'il
voit qU'un examen plus poussé l'engagerait en des spéculations obscures
et
mcer-ta i nes" (~).
Autant il est illégitime de s'arrêter dans la recherche des causes
à une prétendue cause dernière, autant il est négatif de rechercher des causes
pour le plaisir d'en chercher. C'est une tendance de 1"esprit qUl est b~en ree1le,
mais il faut la réprime~.
La réprimer non par arbitrairement mais en prenant pour limite l'experience.
(]) HUME~ Dia2.ogues p. 80 et eui»,
(2) HUME~ Traité pp. ??~?8 VOî.-r aussi pp. 359~ 360

192
C'est l'expérience qui doit révéler les causes, une fois qu'on en soft pour
chercher des causes non vérifi.:lbles, on s'engage sur le cnerm n des "spêcul at ions
obscures et incertaines l'. KANT se souviendra de cette critique quand il s'en
prendra a l'usage dialectique de la raison qui fait qulelle est toujours poussée
a rechercher l'inconditionné de toutes choses.
Quant à HUME, il a toujours consideréle doma me de l extr-a-expêr tmenta l
r
comme quelque chose de "profond" , ad'obscur ll et de "suot i III. Tout ce qui
dépasse l'expérience s'obscurcit pour l'entendement parce que celut..,ct n'a plus
de repères pour se diriger dans le nouvel élément. Tout ce qui est "subtil"
pêche par défaut de complication et par manque de naturel.
I-li nsT le pouvoi r questi onnant de 1a ra i son est-il con sidéré comme
quelque chose de négatif par HUME et par la plupart des philosophes dont nous
avons parlés, il n'y a que HEGEL qui adoptera une solution inverse en faisant
du pouvoir du négatif le pouvoir même ae la raison (1). Le négatif aans la
raison est pour HEGEL ce qui la pousse a ne jamais se satisfaire de ses
résultats et donc à se dépasser sans cesse.
Alnsi pour HUME la raison a une tendance à rechercher des causes
dernières, c'est_à-dire à sortir de l'expérience pour se poser dans l "extra,
expérimental pour s'y reposer, c'est pour lui une tendance négative qu'tl
faut critiquer; c'est le premier grief de HUME contre la raison.
Le deuxième grief a un objectif aifférent, il ne vise plus la raison
explicative mais la raison critique. L'esprit critique n'est pas négatif en
soi mais ce qui est négatif c'est de se laisser porter par la tendance critique
de l'esprit. La tendance critique de l'esprit a MS simil itudes avec l'esprit
de critique mais à la différence de ce dernier qui crltique tout dans l 'inteniion
de dénigrer, la premi~re ne critique que dans l'intention de préciser. c~tte
tendance critique est dangereuse a la longue bien qu'étant mue au départ
par une bonne intention: IILJans tout juqement que nous pouvons former sur la
(1) HEGEL
Science de la logique, La doctrine de ~'essence (I. I
liv. II)
J
J
trad. P.J. LA BARRIERE et GWENDOLINE JkRCZYx Ed. Auoier-, Montaigne 1976
p. 34

193
probaDi1,té, aussi bien que sur la connaissance, nous devons toujours corriger
le premier juqement tiré de la nature de l'objet par un autre jUgement tiré
de la nature de Iientendement ll (1). Un porte un juqemen t sur la nature
de l'objet et on ramène notre première affirmation a ses justes proportions
en prenant en compte les limites de l'entendement. Si nous nous arrêtions
là notre entreprise serait digne d'intérêt mais nous ne nous arrêtons pas,
nous nous Ia ts sons porter par la "dialectique" critique de l'esprit et chaque
jugement issu de notre réflexion est lu, aussi objet de doute jusqu'a ce que
la première probabilité disparaisse entièrement: "Nous trouvons ... ainsi
dans toute probabi 1i tè , outre l' incertitude initiale inhérente au sujet,
une nouvelle incertitude tirée de la faiblesse de la faculté qui jutJe
une fois que nous avons combiné l'une à l'autre de ces deux facultés, nous
sommes obligés par notre raison d'ajouter un nouveau doute t i rë de la possi-
bilité d'uneerreur dans l'appréciation que nous faisons de la vérité et
de la fidélité de nos facultés. Il y a un doute qui se présente immédiatement
à nous et que nous ne pouvons éviter de résoudre, si nous voulons poursuivre
notre raisonnement de manière cohérente,
Mais cette résolution, même si elle confirma,t notre précédent juge~ent, doit
affaiblir davantatJe notre première évidence, puisqu'elle s'appuie seulement
sur une probabilité, et elle est elle-même nécessairement affaiblie par un
quatrième doute du même genre et ainsi de suite à I i nr i nt jusqu'au moment
t
où, enfin, il ne reste rien de la probabilité initiale ... n (ë), cette
longue citation montre la dialectique critique de la raison qui dans son
fonctionnement réduit l lassurance dogmatique.
Mais ce qui est négatif, c'est que la raison en se déployant sécrète par cela
même du doute. Plus cette tendance est forte plus elle pousse au scepticisme.
Plus je suis critique sur la validité de mes jugements, plus j'entre dans une
logique de la nuance et de la précision qui réduisent l'évidence a zéro.
cette tendance de 1 'esprit est artificiel le et forcée.
Un peu de bon sens nous ferait comprendre que le mouverœnt de
"dialectique" critique qui nous pousse nlest plus normal et qu'il faut en
sortir, Si cette tendance de l'esprit s'allie à celle qui cherche des causes
(1) H~~, Traité. p. 269
(2) HCWE~ ibid. p.
270

194
a toutes choses, ces deux mouvements aboutiront au "scepticisme à l'égard
de 1a ra i son" .
Mais pour raffermir ces deux exemples on peut en ajouter un troisième
qui est une variation du deuxième.
Cette fois-~i, au lieu de partir d'un jugement sur la nature de l'objet
on part de la raison en tant que faculté dogmatique qui prescrit des vérités
avec assurance. La raison sceptique (du scepticisme radical) va essayer
d'ébranler cette raison dogmatique en retournant les arguments rationners
contre la raison elle-même.
Ces critiques de la raison seront solides parce que c'est rationnellement
que la raison sera critiquée.
C'est donc avec une ratioJ11a"1écritique que la raison doqma t i que est mise
en cause, Mais comme cette entreprlse critique detruit la ralson, elle
ne manque pas d'avoir des conséquences sur les critiques rationnelles qu'elle
profère. Le mouvement sceptique en voulant anéantir la raison s'anéantit
lui-même: "la raison para'i't d'abord en possession du pouvoir, elle pre scr t t
des lois et impose des maximes avec une autorité et un empire absolus,
Son ennemie est doncobligée de se mettre à couvert sous sa protection et,
par l'emploi d'arguments rationnels pour prouver la faussetê et ,'imbécilité
de la raison, elle prOduit en quelque sorte une garantie qui porte sa
signature et son sceau,. Mais, comme on suppose qU'el le contredit la raison,
elle diminue Drogressivement la force de pouvoir directeur et en même t~mps
la sienne propre; jusqu'au moment où, enfin, elles s'évanouissent ensemble
pour tomber à: rien par une dtrni nut ion régulière et justifiée" (1). La raison
trouve donc toujours en el le-même un versant d00matique et un versant
sceptique. Si l'esorit s'amuse à les opposer, il entre dans une dialectique
critique qui détruit la raison ent i ëre et installe le scepticisme radical.
La raison porte donc le scepticisme à l'interieur de soi: "La raison est
jetée ici, semble-t-il, dans une sorte d'étonnement et d'lncertitude qui
sans qu'elle ait besoln des suggestlons d'un sceptique, (lui) apprend à se
,.;
défier d'elle-même et du sol où elle chemine" (2).
t i) HUME
Traité, p. 274
J
(2) H~ŒJ Enquête J p. 213

195
51 nous reven~ns sur l'itinéraire parcouru, nous d1rons qu'après la
métaphysique, la phi losophie sceptique académique jugée pIUS fiable que
les autres ne peut sortir du scepticisme à cause de la méthode et de la
raison qui la portent. On doit donc en conclure que, si on se fie à cette
phil osophie en par t i cu 1 ier et au théorique en général, on ne peut sortir
de la discontinuité. Il faut donc déclarer le théorique inadéquat à 1-eX1S-
tence. ('est pourquoi HUME va proposer comme argument pour sortir du doute
du théorique le verdict de la vie et de la pratique. uéja dans la conclusion
du Premier Livre du Traité HUMe. avait prôné le retour à la vie comme
rpmède contre le scepticisme: "je dîne, je joue au tr ic-t.rac , je parle
et me reJouis avec mes amis, et si, après tro1S ou quatre heures d'amusement
je voulais revenir à mes spéculations, celles-ci me paraî'traient si froides
si forcées et si ridicules que je ne pourrais trouver le coeur d'y pénétrer
tant soit peu" (1).
Cette idée est reprise quand HUME critique les différentes sortes
de philosophies dans l'Enguête. Pour lui il y a des philosophies de la
paresse, c'est_à_dire des philosophies qui ne prennent pas en compte les
exigences de la vie; quand nous nous adonnons à ces philosophies, nous
ne faisons que "flatter notre indolence naturelle qui, par aversion de la
précipitation du monde et de l'esclavage des affaires, cherche un semblant
de raison pour s'accorder une indu10ence pleine et sans contrôle" (2).
Il faut le dire et le reconnaître HUr1E esquisse là une vi s i on uti litariste
du monde. La philosophie ayant un rapport nul à l'utilité immèdiate
doit être déclarée non sérieuse. Mais reconnaissons que la paresse au niveau
théorique c'est d'abord cette tendance qUl nous pousse à négliger le contrôle
de l'expérience.
Elle est dite paresseuse parce qu'elle néglige tout le processus qui doit
l'amener à la connaissance véritable.
La philosophie n'est pas seulement la conséquence d'une paresse
existentielle elle est aussi le fruit de l'extravagance. 'D'où la grande
1eçon de HUME
"La grande destY'Uc~du pyrrhonisme ~ des pr-incipes excessifs
du eoept-icieme , c'est l tac t.ion , c/eet: le t.ravai l , ce sont les occupations
de la vie courante" (3).
(]) HUf1E~ Traité, p. 362
(2) HUME~ Enquête, P. 86
( 3) HUME, 0-0. ci i . p.21p (souZiqné Dar nous)
- - - - -

196
Pourquoi HUME accorde-t-il une suprématie à la pratique? Quel le
est la logique de la vie en d'autrestermes?
La vie comme nous l'avons dit, est le préalable à toute chose. Sans la
vie il n'y a pas de philosophie possible. il faut vivre d'abord et p~ilosopher
ensuite comme le dit "adage. Mais la pnilosophie n ve st elle pas elle aussi
une tendance de la vie dont le rôle est de faire oUblier l'urgence de
vivre? L'urgence de vivre est un réveil qui interrompt le rêve de la ph1lo-
sophie. La vie se refere a l'existence tandis que la pnilosophie se réfère
au doute et au scepticisme.
La logique du théorique clest l'analyse, la séparation, tand1s que la logique
de la vie c'est la composit1on, l'organisation. Le préSUPPosé métaphysique
du théorique c'est l'atome, c'est la séparation. Le pré supposë de la vie
c'est la synthèse et l'organisation. Tandis que la vie travai Ile a ornan i ser
le monde, a lutter contre l'entropie, la philosophie va dans le sens de
la séparation des choses. Mais au niveau existentiel, nous allons le voir,
la vie va triompher du sceptic1sme ne serait-ce que provisoirement.
La raison par exemple étant utile, la nature ne permet pas que ses
doutes la d~truise, c'est pourquoi 11 y a un usage v1tal de la raison. La
nature fait donc de la raison un instinct de vi e : " .. la raison n'est rien
qu'un merveilleux et intelligible instinct dans nos âmes .. " (1). La vie
pratique déborde la raison dont elle fait son instrument mais elle déborde
aussi la ph i tosopn ie dont elle fait sa servante. La Nature pennet d t in tèqre r
ces deux versants de l'instinct de vie. C'est la nature qui sauve la raison
d'elle-même : 'lTr~s heureusement il se produit que puisque la raison est
incapable de chasser ces nuages, la Nature elle-même suffit à y parvenir" (2).
Mais la nature c'est d'abord et surtout l'existence; c'est pourquoi nous
avons posé le problème de la philosophie de HUME dans le rapport de la
discontinuité qui est l'essence du thëor i oue à l vex i s tence qU1 est l'essence
de la continuité. Ce n'est pas par le théorique qu'il faut sortir du 'théorique
comme nous venons de le découvrir. 11 faut sortir du tnéor i oue par l'existence
(
pratique. Faut-ll alors pour cela cesser de philosopher pour agir?
(1)
HU~2~ Traité~ p. 266
(2)
HUME~ ~ Cit. p. 38~

797
Pourquol alors cette découverte n'a-t-e11e pas lmoosé le sllence
a HUME? Comme nous l'avons Cléja dit il Y a place pour une philosophie du
comment de la pratique chez HUMe. Comment la pratique permet-e11e effectivement
de sortir de la discontinuité? Ce qui veut dire qu'il y a deux versants
Clans la philosophie de HUM~. Un côté qui travaille a dénigrer la philosophie
au profit CIe la pratique existentielle et un côté qui part de l'acquis
de la philosophie dénigré pour constituer une philosophie de la Dratique.
Cette philosophie de la pratique est celle qui va nous occuper maintenant.
Nous changeons de plan a l'intérieur de la philosophie meme de Hur1E. Ce
changement va nous permettre de penser le versant positif de la philosophie
de HUME. C'est, alors, maintenant qu'i 1 faut aller dans le même sens
que DELEUZE. C'est maintenant qu'il faut décrire le processus de constitution
chez HUME. La question que Gilles DELeUZt se pose et qui est la suivante
"Comment l'esprit devient- il une nature humaine ?"ne pouvait être posée
qu'après le lon9 parcours que nous venons d'effectuer. Pour nous c'est la
pratique qui est constitutive. Elle renforce la détermination initiale
et naturelle de l'esprit.
2 - La pratique existentielle théorique et son rôle dans la sUbjectivation
11 n'y a pas une théorie explicite de la pratique theorique chez HUME bien
qu'il soutienne à tout instant qu'il faille sortir du scepticisme par la
pratique et l'action. Au niveau subjectif nous avons seulement des processus
de déterminations qui s'arrêtent au niveau naturel de la philosophie humlenne.
La pratique que nous .voulons étudier peut se d~finir comme une tentative
de répétition non plus extérieure mais vo10ntalre, une sorte de détermination
de soi voulu et réalisé par le sujet lui-même. La pratique prolonge la détermina-
tion initiale et renforce les antidotes naturels. Mais comme il n'y a pas
une théorie explicite de la pratique constitutive théorique chez HUME nous
allons essayer de l'esquisser en développant les consêquences des intuitions
humiennes sur la pratique. Cette tentative nécessite des détours. Nous devons
dépasser le pOlnt de vue de G. DELEUZE qUl ne prend en compte que le processus
(
naturel de subjectivation au niveau théorique. Bien que reconnaissant que
"si le sujet se constitue dans le donne, ( ... ) il n'y a pas d'autre sujet

198
que pratique" (1), il déporte tout de suite la pratique vers une signification
sociale. Nous devons donc, en plus du processus de subjectivation naturel,
prendre en compte la détermination par la pratlque théorlque.
Cette crltique est aussi valable pour Michel MALHtRBE, qui, bien que
consacrant a l'instar de tous les autres commentateurs plusieurs paraqraphes
au "Moi pratique", ne parvient pas à dégager une figure complète de ce
moi pratique. Il ne fait que répéter de différentes manlêres la formule
de HUME selon laquelle il faut sortir du théorique par l'action et la
vie. Il écrit
"L'esprit est d'abord pratique, ensuite et par accident théorique"(2)
ou encore: "la pensée ne peut pas se penser" (3). En parlant de l' tdent i té
il dit: " ... nous vivons une identité personnelle pratique, qui nous détermine
exactement dans nos passlons et nos lnstincts, dans nos fins et nos llmites,
dans nos propriétés et nos manques" (4). Sans déterminer avec precision
l'influence de la pratique théorique sur j'esprit, il déporte le moi pratique
vers le moi passionnel qui, bien qU'étant un moi vêcu, n'est pas le moi
auquel nous nous intéressons. Nous allons, quant à nous, essayer de montrer
l'importance constitutive de la pratique theorlque. La pratique phi losophique
bien qu'étant sceptique dans ses résultats n'en constitue pas moins le sujet
par ce faire même.
Ainsi il ressort de nos analyses une exigence: délimiter une aire
spécifique de la pratique théorique et montrer ensuite ses effets sur la
subjectivation.
Mais disons tout de suite que si la pratlque théorique a été escamotée
c'est que dans sa spécificité ce concept est d'un apport récent .
.
C'est a ALTHUSSeR que nous devons ce concept. C'est pourquoi avant d'en
faire usage nous all ons tenter de l 'expl iquer.
En effet ALTHUSSER siest donné pour tâche de "compléter et de corriger"
la philosophie marxiste jugee par lui inachevee. ~ARX a terminé son oeuvre
(1) G~lles DELEUZE~ Or, ait. p. 117
(2) Miahel- lvJALHERBE~ ~p. ait. p. 167
(3) Miahel MALHERBE
Qp. ait. 166
J
(4) Miahel MALHERBE
Up.
C"i-t,. p. 167-168
J

799
scientifique mais 11 n-a pas term1né son oeuvre phi losoph1que qui est le
matérialisme dialectique (1). ce n'est pas seulement MAKX qu'i 1 faut complêter
et corriger mais il faut aussi le fa1re pour tous les granas marxlstes
comme LENINE et MAO_TSE_TOUNG etc. c'est a1nS1 que dans sa définition de
la pratique théorique, ALTHUS~ER visera MAO_TSE_TOUNG (2).
En effet MAO_T~E..TUUN(i dans son texte "De la pratique" (3) es sa ts de
definir le processus de la connaissance d'un point de vue marxiste.
Pour lui la connaissance suit un processus cyclique sans cesse inachevé
(4).
Uans le premier moment de ce processus la conna1ssance doit partir de la
pratique empirique inconsciente, passer par la thêor1e et aboutir de nouveau
à la pratique et cela jusqu'à 1'infini.
Mais d'un point de vue du progrès cette connaissance est le passage d'un
niveau inférieur de connaissance à un niveau supérieur de connaissance. Ce
progrès s'ordonne de la manière suivante. Un part de la sensation qui est
une connaissance non médiatisée, on S'élève jusqu1a la comprénension des
contradictions internes et de leurs lois pour aooutir enfin à la connaissance
logique.
Mais cette méthode bien que comQortant un certain nombre de pratiques
(enquêtes, expériences etc ... ) est considérée comme une activite purement
théorique. Cette connaissance doit être ensuite reférée à la pratique pour
aider à la "transformation" du monde selon le mot de MARX dans la Xlème
thèse sur FEUERBACH (5). Cette transformation du monde se fait socialement.
Mais bien que la oratique sociale soit multiple (activit~ de production.
vie politique, activité scienti~ique et artistique, lutte des classes) c'est
la pratique politique (lutte des classes) qui est determinante.
Ce que nous retiendrons de tout cela pour notre démarche c'est que
MAU_TSE_TOUNG semble ériger un domaine du théorique séparé et suboraonné
à un domaine du pratique: "la connaissance coupê'e de la pratique est inconce-
vable" (5).
i
(])
,
iJOU7.-S A1.JTllUSSE'R, Lén'Z.-ne et la phûosopfrr.e suivit de l4ARX et Lt.;NINE devant
&'GEL/.p-:-~
( 2)
Saül KAHSZ, ThéorL.-e eb po&it7.-que : Louis AL1HU~SEx avec quatre textes inédits
de Louis Af/T'HUSSER ]!;d. Fayard
19'4 p. ::>1 et SU7.-v.'
. . "
( 3) l'1A.O-TSt:-TUUNG, ")Je la pratique" in oeuvres choisis - Ed. de Pf!}(Jlv, 1 &72
p. 67 et suiv.
(4) MAO-mE-TOvNG, Ibid.. p.;8ô,:
,
(5) Karl MARX, L 'iJJolo~ie allemande, PA11IS, Edt.t.ione eoei.alee trad. H. AuGEH,
G. ,BAbIA Jean BAuDR LLABD,lrenèe t.4RTt;LLt; - 1&76, p. 4
(6) !llAO-TSE-TOuNG. 0rJ. Cit. D. 75

200
C'est contre cette distinction (séparation
subordination) que va s'ériger
ALIHUSSE~ en étendant le terme de pratlque a la thèorle (1). Il Y a
une pratique théorique autant qu'il existe une pratique sociale. MalS pour
comprendre la raison de cette extension de la definition référons-nous a la
définition a r thus ienne de la pratique telle que l'expose Saiil Kf-\\RSZ. ALTHUSStR
distingue la pratique en genérale qui est "un procès où slarticulent, selon
certaines règles quatre éléments: matière première, force de travail,
moyens de production, produit" (2).
Mais les pratiques sont différentielles parce que "chacune d'entre
elles emploie comme matière première, applique en tant que force de travail
et moyen de production, réalise en tant que produit des élements qUl lui
sont propres" (3).
En ce sens on peut dire que la théorie est une pratique: elle
tr-ansforme "un abstrait de pensée" (mattëre première) en un "concret de
pen sée" (produi t ) .
Le papier et la plume constituent les moyens de production et l 'homme qui
produit le travail théorique fournit une certaine force de travai 1. On
peut donc dire que la pratique thèorlque est un proces de production spécifique.
Cela dit essayons de rechercher les activités qui peuvent rentrer chez HUME
dans la définition de la pratique théorique.
HUME dt st inque dans son oeuvre la mathematique, une phi rosopfue naturelle
et la science de la nature humaine (logique, morale, critique, pOlitlque,
histoire, économie etc ... ). La Science de la Nature HUlmaine y est dite
la maftressedes sciences parce que clest elle qui fonde toutes les autres
les mathématiques, la phi losophie naturelle, la religion naturelle elle-même
dépendent en quelque mesure de la science de l -homme". Sl cette science
est centrale c'est parce que toutes les autres sciences finissent toujours
par s'y réfèrer : " ... elles tombent sous la connaissance humaine et nous
en jugeons avec nos pouvoirs et nos facultés" (4)
La philosophie naturelle comprend les sciences telles que la pnys i que ,
la chimie etc ... Clest de ces sciences que dérive la méthode humienne.
(l) Saül KARSZ~ Op. ci:t . P. 45 et suiv.
(2) Saüt: KARSZ~ lID. cit. p. '17
-,
(3) S '·7
auv KARSZ~ I7:Jid. -
(4) HUME, TraiU, introduction p. 58 et suiv.

tu'
C'est l'observation et l'expérience qUl sont les bases de cette méthode (1).
Il nous faut donc distinguer trois brancnes du tnéorique:~a mathématique,
la phi losophie naturel le et la science de l 'homme. Mais HUMt établlt
une hlérarcnie. Pour lui la science de la nature humaine est la cible
centrale qu'il faut d'abord viser:"
au lieu de prendre çà et là
un chateau ou un village à la frontière, foncer direc tement sur la capt ta re
sur le centre de ces sciences, sur la nature humaine elle-même: une fois
que nous en seronl les ma1tres, nous pouvons espérer obtenir faCilement
la victoire sur tout autre point" {2).
Cette science maîtresse qu'est la science de la nature humalne comprend
la Loqique, la tv'orale, la Critique et la Politique. HUME en précise les
différentes attributions de la manière suivante: "La fin unique de la
Logique est d'expliquer les principes et les opérations de notre faculté
de raisonnement et la nature de nos idees, la Morale et la Critique envisagent
nos qoûts et nos sentiments, et la Politique consldère les hommes en tant
qu'ils sont groupés en société et qu'ils dépendent les uns des autres".(3)
Faire donc la théorie de la Nature Humaine en l'envisageant sur tous les
plans est la science pnilosophique majeure qui est plus déterminante que
les autres activités.
Nous n'allons pas pour cela négliger la Mathématique ni la phllosopnie
naturelle; nous allons prendre toutes ces activités théorio,ues en compte
pour essayer de voir comment le sujet se détermine en les pratlquant.
pour proposer
C'est pour cela que nous al Ions partir du sujet pratique et non du
sujet livré par la connaissance. Cela pour montrer que la détermination
est d'abord celle d'un sujet pratique. Nous partirons des textes de HUME
pour y puiser l'inspiration de notre thèse du sujet empi-ri-que pratique.
(1) HL~1E, traité, introduct. p. 59
(~) HUME, ibid. p. 59
(3)
HW1E, ibid. p. 5~ - On peut ajouter à la l.i e te de ces différentes branches
de la science de la Nature Hu~aine, l'économie et l'histoire. L'économie
en tant
~~'elle est la science des échanges entre les hommes et l'histoire
en ce ~u'elle prend en compte le passé des hommes.

202
Quand HuME Parle de l'expérience qui lui
livre le mo i , il le fait de la
man i ere suivante: "Pour ma part, quand je (1) pénètre le plus intimement
dans ce que j'appelle moi~ je Dute toujours sur une perception particulière
ou sur une autre de chaud ou de froid, de lumière ou d'ombre, d'amour ou .
de haine, de douleur ou de plaisir, je ne peux jamais me saisir moi~ en
aucun moment sans une perception et je ne peux rien onserver que la perception" (2)
Nous voyons que HuME présente l'expérience d'un "je" qui se oi s tancf e oar
rapport à SOl. Faut-il dire que ce "je" n'est absolument rien et que c'est
une pure illusion grammaticale comme le disait NIETZSCHE?
il faut bien que quelque chose pui sse entrer en el.Le-même pour se decouvr i r
comme étant faisceau de perceptions. Ce "je" qu: agit, ou qui expérimente
est un "je inévitable" que nous appelons le "Je" pratique ou le moi
pratique (comme dit MALHERBE).
Autrement il faudrait poser à la philosophie humienne la question naîve
mais pertinente qui ne lui a jamais été posée: comment un faisceau de
perceptions peut-il "rentrer en l ui-mêrne " pour s'expérimenter? Ce serait
difficile sinon impossible de répondre à cette question. Cela peut être
une présomption en faveur de notre thèse du sujet pratique. Passons a la
deuxième présomption.
HUME opère une distinction entre deux sortes de moi'"
nous
devons distinguer l'identité personnelle en tant qu'elle touche notre pensée
en notre imaQination et cette même identité en tant qu'elle touche nos
passions ou l'intérêt que nous prenons à nous-même s " (3). Si on veut bien
expliquer cette distinction on trouvera que l'identité per sonne l l e que vise
la pensée et 11 imagination est l'identité que nous offre la conna rssance .
C'est elle que nous livre notre imaginatlon et notre oensée (reflexion) ; Or
cette identité est celle dont parle HUME: "La première C'est notre sujet
actuel Il. L'on ne souligne pas assez l'importance de cette distinction. ~1ais
toujours est-il que cette identlté que nous livre la connaissance n'~st que
(1)
Les termes "je" sont eouliqnée par' nous
(2) Hm~, Tr'aité, P. 343
(3) HUME~
Op.
c,,1;.
p.345

203
change~nt et le moi un faisceau de perceptions (bundle of perceptions).
La deuxième identité est celle qui toucne nos passions et nos intérêts.
Cette identité n'est plus celle que nous livre la connaissance, c'est Plutôt
une identité affective. Le moi éclaté de la connaissance pouvait ne pas
nous affecter mais le moi affectif nous concerne, "nous-mërnes ".
Ce moi est celui des passions, du plaisir et du déplaisir. C'est un moi
affectif plus étendu que celul que Michel MALHERBE a appelé le "moi hédoniaue"
On pourrait identlfier ce moi à celul de la connaissance en partant du
fait que l'expérience peut nous livrer le moi affectlf.
L'expérience peut nous llvrer une oerceotion de haine, d'numilité, de
douleur etc. Mais, le moi qui expérimente n'est pas le moi qui vit la passion.
Tandis que le premier est un moi dèdoublè, le second est un moi qui coYncide
avec lui-même dans sa haine ou dans son humllité. Ce moi est un moi vécu
et non un moi livré par l'investigation. Nous verrons comment la pratique
existentielle et sociale raffermira ce moi qui est à différencier du moi
livré par la connaissance.
Nous venons de VOlr deux présomptions en faveur de l'existence du sujet
pratique mais deux présomptions ne peuvent fournir une preuve. Il nous faut
donc penser obliquement le moi pratique comme ce qui rendrait l'entreprise
humienne contradictoire s'il n'existait pas.
Parce que si le sujet est éclaté comme le dit HUME lui-même, il ne pourrait
pas écrire la science de la nature humaine. C'est une reprise de la première
question que nous avons déja formulée. Comment un faisceau de perceptions
peut-il s'expérimenter?
C'est ce que dlt HUSStRL quand il soutient que HUME devrait se taire s'i 1
était logique avec lui-même (1). Ur HUME ne démissionne pas ,il fait oeuvre
de science.
Il faut donc qu'il existe un moi syntheti~~~ui soit le sujet de cette activité.
Et le moi, loin d'être un a p~~ori qui fonderalt par derrlère les activltés
du sujet comme chez KANT, est plutôt un sujet pratique. Le "je oratique
devrait en droit accompagner toutes mes activités.
(1) HUSSE~L~ Philosophie première~ p. 260

204
Il taut donc le reconnaître: le sujet pratique est toujours dëjà là,
en arrière de toutes mes activitës.
J'ai beau le dénigrer, c'est lui qui en recueille les faveurs. C'est un
sujet inévitable. Nous comprendrons à la lumière de cela l'essence de la .
pratique: rejaillir sur le sujet pratique empirique pour le determiner à la
subjectivité. Le sujet est d'abord empêtré dans la pratique, c'est après
une longue détermination qu'i 1 s'autonomisera. Nous allons prendre les différentes
pratiques théoriques pour voir cormnent ces dernières agissent et poursuivent
pratiquement la détermination de l'esprit. Commençons par la mathématique.
La Mathématique met en oeuvre des comparaisons d-idees. La Mathématique
est constituée par des relations de quantité et de nomb~e. Comment la
pratique de la mathématique peut-elle déterminer l'esprit? Il faut prendre
en compte le degré d' abstracti6n
mathématique. Si on suppose qu'on part
de l'impression et qu'on arrive aux idées exprimées sous la forme de
quantité et de nombre, on comprendra la formalisation mathématique. Ainsi
la mathématique se distancie du réel impressif et exprime les idées, non pas sous
forme de mots mais SOll~ forme de nombre et de quantlté. En ce sens les mathématiques
essaient d'effacer les qualités des impressions et des idées pour' les rêduire
au niveau quantifiable.
Cette homogénisation du réel permet d'avoir des éléments interchangeables,
nnmbrab1es, comparables. La précision est possible parce que le chlffre
des choses n'est pas affecté par le changement. C'est donc une sorte de
spatialisation du temps, une sorte de pétrification volontaire du réel afln
de le nombrer et le comparer. Cette activité qui part de l' impression pour
aboutir au nombre est une activité verticale (de bas en haut) ; on pourrait
trouver une activité horlzontale au niveau de la mathématique.
Horizontalement la mathématique met en oeuvre une logique de la déduction.
Son principe est la non-contradiction. Son critère de progrès est l'analyse.
C'est_à_dire qu'on ne retrouve au bout du processus que ce qu'on y a .mis au
départ. Si on prend un exemple du 0enre "trois fois cinq égal à la moitié
de trente" on exorime une relation entre ces nombres, relation qui étalt
.'
déjà contenue dans 1a mi se en rapport de ces nombres. On peut toujours trouver

20~
le point de départ dans l'arrivée comme nous 1lavons dejà montré en critiquant
le juqement synthétique a priori kantien. Les relations entre les élements
(idées symbolisées) deroulent une necessité qui n'est en rien dépendante
de lice qui existe dans l'univers" (1). Mals cette precision et cette
assurance qui sont reconnues à la mathématique ne peuvent pas ëtre aisément
étendues à la géométrie.
La raison principale qui fait que la qéométrie n'est pas preclse c'est
que ses objets ne sont pas purs de toute quallté. El le fait encore beaucoup
appel aux sens; or les sens ne sont pas exempts d'erreurs (2).
Les concepts dlégatité~ de p~us pet&t~ de piUS grand qui sont ses concepts
de bases sont sujets à cauti on. Un jugement des sens sur l .éga1i té de dPUX
objets peut être une erreur. L'esprit peut s'aider de mesures, malS ces
mesures introduisent un intermédialre dans la comparaison. On peut procéder
par correction mais on n'entrera dans une I09ique de comparaison et de
correction qui détruira la certitude initiale.
La meilleure méthode serait de comparer les parties atomiques des objets
pour voir s'ils ont le même nombre d'éléments malS c'est un procédé diffici-
lement réalisable. Il faut donc reconnaître que la rigueur n'est pas le
fort de la IJéométrie : "Apparemment donc les idées les pi us essentielles
à la qéométrie. celle d'éqalité et d'inégalité, de droite et de plan, sont
loin d'être rigoureuses et déterminées selon notre manière courante de
concevoir" (3). La géométrie est une science qui se base sur les sens et
l'imagination (4), nous verrons son importance dans la détermination du
sujet. On peut toutefois affirmer
que, malgré cette impréc i sion "les
erreurs (de la géométri e) ne sont jama i s importantes".
Un peut déduire de ce qui vient d'être dit l'importance de la mathématique
et de la géométrie dans la détermination du sujet.
On peut déjà dire à la sui te de PLATON dons
la Hépublioue (l~J9 la
mathématique r tbere du sensible, C'est.à-dlre de l impre ss ion qui en
t
est le correspondant chez HuME.
(J) HUME~ Enquête~ p. 70
(2) HUME~ Traité~ p. 116
( 3)
HUME~ Op. Cit. p. 12U
(4) HUME, Ibid'PD: 120-122
- , " , " " " - -

206
De par son abstractlon
la mathématique apprend le symbole au sujet.
Tandis que l'impression et l'idée étaient changeantes, les symboles mathématiques
sont invariaoles. Le nombre "ctnq: est invar i ab re quand bien même le réel
qu'il chiffre changerait. Un peut donc dire que verticalern~~rla quantification
affranchit du changement et que horizontalement la mathématique nous
fait intérioriser la nécessité aes rapports. La nécessité repétée mathématique-
ment ne peut que rejaillir sur le sujet inférent pour le déterminer.
Donc le sujet en faisant l'expérience de l'unitë dans le chiffre et en répétant
pratiquement la nécessité se détermine et intériorise les résultats de
sa pratique. Nous pouvons donc dire que la mathematique est une éducation
et une expérience qui, en affectant le sujet le déterminent et le conditionnent
à l'inférence.
La pratique géométrique quant à elle apprend au sujet la synthèse
perceptive et la comoaraison.
La synthèse se réf~re aux sens en tant qu'elle permet une vision globale
des choses qui est impressive. Cette impression unifiée sortira de la
perception pour aller vers autre chose dans la comparaison. La comparaison
prend en compte deux perceptions pour les dépasser dans une synthèse. L1égallté
est de ce point de vue une synthèse qui dépasse deux perceptions vers
leur unité supérieure.
La pratique de la géométrie apporte au sujet une vision synthétique des choses,
elle lui permet de dépasser les éléments pour s'attacher à leurs points
communs. Cette pratique répétée et intériorisée par l "imaqtnat ton do i t
déterminer le sujet à la synthétisation.
AU vu de ces exemples on peut dire que
la pratique théorique mathématique
joue un rôle majeur dans la déterminatlon du sujet. Passons a la philosophie
naturelle et spécialement à la physique.
HUME situe la pnyslque dans le domaine des ~ef~o~~ de ~~~ comme
nous l'avons déjà dit. La pnysique utilise la relation de causalité .. Nous
allons essayer de voir comment la pratique théorique physique détermine le
sujet à la nécessitê causale et lUl permet de découvrir les lois du monde.

La physique ne cnerche plus à determiner l'essence ae la causali~é, elle
la pratique. Prenons deux exemples Dour le montrer.
Si je lance une oille de bi Ilard vers une autre, il se produira un choc et
la obi Ile suivante se mettre a rouler. La répétition d'une telle expérience
et sa réussite continuelle a pour effet de valider pratiquemQnt la causalité
que la Philosophie avait réduite à une relation extérieure.Cette activité
poursuit la détermination du sujet à l'inférence. C'est le premler résultat.
Le deuxième exemple prendra en compte la découverte de l'attraction
universelle par NHrrOI~. Des eftets aussi séparés que la chute d'une oomme,
le mouvement de la marée trouvent leur cause dans rat.trect ion universelle
dont NElflON énonce même la loi : ~ = TtlIf}'pit90. Mais Quelles sont les étapes
ci2
concrètes de cette découverte. NtwTüN est oarti de l'oDservation de faits
séoarés Dour leur trouver une cause commune invisible dans leur manifestation.
Cette référence des phénomènes à leur cause est une activlté de déterminatlon
de l'esprit fort intéressante en ce sens qu'elle trouve une nécessite sous
la diverslté et le changement. Un découvre non seulement la nécessité mais
on pratique la causalité. Cette recherche des causes est fort fastidieuse
parce que les causes ne sont pas visibles immédiatement, Il faut donc une
lon~ue observation Dour les découvrlr. La formulation mathématique énonce
les lois des phénomènes (elle établit des rapports constants entre des
phénomènes de la nature). Or si la loi est une mise en rapport, n'est elle
pas un dépassement de la diversité phénomènale ?
Toute cette activité retourne dans le sujet pour le determiner orat;-
quement a l'inférence. L'efficacité et la nécessité de cette pratique renforce~t
rétrospectivement le sujet. Le sujet déterminé ayant découvert les lois
du monde change de perspective sur toute chose: qNotre idee de nécessité
et de causalité naît entièrement de l'observation d'une un t tormi të dans
les opérations de la nature où les objets semblables sont constamment conjoints
les uns aux autres, et l'esprit dê terrri në par accoutumance a inférer l'un
de l'apparition de l'autre. Ces deux circonstances forment le tout de la

208
nécessité que nous attribuons à la matière. En dehors de cette constante
conjonction d'objets semblaoles et de l'inference~ qui en résulte d'un
objet à l'autre, nous~~vons aucune notion d'aucune nécessité ou connexion" t1).
Cette nécessité réduite à la conjonction constante et à l'inférence est
étendue non seulement à la matière mais aussi au comportement des hommes.
C'est elle qui est à la base de l'éducation, des r appor-tçéconomtoues , des
rapports sociaux et oolitiques. L'efficacité et la réusslte de toutes ces
activités renforcent la croyance en la causalité et cela détermlne le sujet
circulairement.
Au total nous pouvons dire que la mathématique et la Dhilosophi~
naturellefpratiquées noursuivent la cé ternnnat ion première et naturelle du
sujet.
Mais la détermination par la oratique ne s'arrête pas là, elle se Doursuit
dans la $cience de la nature humaine.
Comme nous l'avons cè ja dit, cette Science est centra le par raplJO.Pt
aux autres sciences. Essayons de voir comment la pratique d'une telle
science peut déterminer le sujet.
Il faut reconnaltre d'abord que cétte Science est vaste. ~lle se comoose
de la Loqique, de la Morale, de la Crltique puis de la Politique.
On pourrait y ajouter l'économie po l t t i oue et l'histoire. La oartie
fonaamentale ae cette SClence est la logique qui en étudie les prlncipes.
La critique, la politique, l'histoire et l'économie sont une extension pratique
de cette l oq i que , une "extr-apo lat ion' comme dirait Martial GUEROULT (1).
L'extrapolation étant une activité d'annexion archttectonique des concepts
contigUës aux concepts de Dases d'une science.
quelles sont les mêthodes de cette ~cience de la Nature Humaine?
Un pourrait trouver plusieurs indications sur la méthode de HUME
dans le Traité/mais nous pouvons rëdut re toutes ces indications métnodologiques
a deux: l'analyse et la synthèse. Nous avons déjà fait ae l'analyse
/
la méthoae antérieure, celle qui est la DIUS propice à la rechercne de l'être
chez Hur~E'.
(1)
HUt1E~ .Enquête, 1:'. 130
(2)
Martial. (JUE'ROULT, cf. Artic te déjà cité.

Zu9
HUME dit dans l'introduction du Traité: "Et de même que la science
de l 'homme est la seule base solide pour les autres sciences, de même la seule
base solide que nous pUlssions donner à cette SClence elle-même doit se trouver
dans l exoêr ience et l
observa t ion
t
t observat i orr'{.i}.
L'expérience et l t
constituent la base de l'analyse. Le mouvement de l'analyse est essentiellement
re~ressif, on réfère les idées à leur base impressive oour découvrir leur
solidité, leur être. L'imrression est l'existence_linllte or in ina l re et le
dernier réfèrant des idées. L'analyse sépare les choses et les réf~re à leurs
éléments derniers. Elle permet de découvrir les atomes impresslfs aes choses.
L'atome est l'effet méthodiquement revélé de l'analyse.
Quand l' 1 dée est compl exe , on use au princi pe de aifférence qu i veut
que toute chose distinguable soit différente et que toute chose d~fférente
soit séparable et vice versa. Ce principe permet de réauire les idées
complexes en idées slmples séparées.
Cnaque idée peut être ensuite référée à l'impression dont elle dérive.
Le premier mouvement de l'analyse est donc d'aider à séparer le réel et
à le tester d'un point de vue existentiel, d'un point de vue de sa conslstance.
Les idées qui ne peuvent être référées à aucune impressiun nl directement,
ni obliquement comme le temps et l'espace doivent être déclarées chimèriques (2).
Ce ne sont pas les ldées seules qui sont renvoyées à leur base impressive
mais les principes aussi.
Cela a pour but de fonder l'intuition principielle dans l'impresslOn, Le
principe ainsi roncë peut être ut i l t sê pour Textens ion du savoir. HUME
pose ane iyt tquement les idées, puis les mnres s ions , puis leur nature. 11
pose ensuite analytiquement les principes de l'esprit. A partir de ces princiDes
HuME va construire la science de la nature humaine. l'est la méthode synthétlque
qui permettra de faire progresser la science: "Et Dien que nous devrons
tenter de rendre tous nos principes aussi universels que possible en.
poursuivant jusqu'au bout nos expériences et en expliquant tous les effets par
les causes les plus simples et les moins nomDreuses, il reste toujours certain
que
nous ne devrons pas outrepasser l'expérience" (3). Une fois les principes
fondées dans l expër tence , ces principes seront étendus et rendus universels
r
(1) HW1E, GD. Cit. p. 5&
(2)
Vo~r : A. NICHAUD Art. cit .
(3) E~~, Introduction au Traité p. 60

210
grâce encore à l'expérience. C'est 1 'exp~rience qUl nous permettra d'affirmer
d'une cnose plus que ce qu'el le renfermait a'abord. La synthése numienne est
donc une synthèse a po8~Ori. L-intérleur de cette synthèse c'est la
.
causa l t té , c'est elle qui permettra l'extrapolation et l':universalisation.
C'est aussi la causallté qui nous permettra de sortir du donné expérlmental
pour conj'!cturer. C'est enfin le seul principe qui comporte la nécessité.
L'explication chez HUME est causale. Si nous pouvons ramener plusieurs
effets à une cause
nous dirons que nous connaissons les effets en questlon.
t
C'est par extrapolàtion que nous étenarons ce prlncipe aux cas aont nous
n'avons pas eu l'expérience.
Nous nous oisons qu'il n'y a pas de raison que ce qui s'est toujours produit
ne se produise pas dans l'avenlr.
NOUS voyons ainsi comment la connaissance est mue par un double mouvement.
Elle dégaqe expériementalement des principes
et étend ces principes à des
t
cas qui n'ont pas été expérimentés au départ. L'exoérlence est le orlncipe
architectonique qUl falt progresser le saVOlr.
Donc découverte régressive des éléments et des principes, unlversalisa-
tlon de ces ~rincipes grâce à l'exoériénce. Explication des cnoses en les
réfërant â leur principe et extension de ces principes à tous les objets
qUl peuvent être expllqués par ces principes.
HuME utilise donc l'analyse et la synthèse pour faire des d~couvertes
et étendre la S:ience de la Nature Humaine en ooë rss ant à une certaine
systêina t t ct tâ . La systëmaticite"renvole à la logique interne, à la l ta ison
aes éléments. Un peut découvrir le point de vue de HuME sur la systêmaticlté
en reprenant la critique qu'il adresse aux autres ph it osophes : "Des
principes acceptés de confiance
des conséquences qu'on en tire incorrectement,
t
un manque de conérence entre les part i ës et d'évldence dans l'ensemble-, c'est
ce qU'on rencontre partout dans les systêmes des phllosophès les plus éminents,
c'est ce qui semble-t-il a jeté le discrédit sur la ph i t csoph te elle-même" (1).
r
"
(1) HUME~ TrQité~ Introduet. p. 57

La méthode la piUS sytématique seralt celle qUl falt exactement le
contraire de ce que nous venons de aire. C'est-à-dire que les principes
doivent ëtre acceptés non pas de "confiance" mais oo ivent s'lmposer parce
qut i l s sont fondés dans l expër-i ence ; Les conséquences doivent être tiré~
t
correctement. 11 doit exister entre les parties des lieffi suffisamment forts
pour que le ·tout se tlenne de lUl-m@me. Les dêductions doivent être rigoureuses.
On ne devra pas dépasser l 'expérlence qui doit Jouer comme un freln dans nos
recherches. Si nous utillsons le prlncipe a'analogie il doit eXlster
entre les éléments une ressemDlance sriffisante (1). Mais HUME bien que tenant
à la systêmaticlté lnsiste pour que le prlncipe extensif soit l'expérlence,
non pas tant la nécessite logique que le respect de l'expérience. L'expérience
est ce qui nous permet d'affir~er ou de nier; le système n'est pas mû par
le seul principe de non-contradiction. Ou mieux c'est seulement ce qUl est
contraire à l'expérience qui est contradlctoire.
D'un point de vue architectonique, c'est l'expérience et l'analogie
qui seront les deux rè~les fonda~entales. L'architectonie est cette dynamique
synthéti que qu 1 fa it que l' on part des pr t ncipes découverts sur un champ
précis, celui de La logique par exemple pout' l'etendre à d'autres champs
tels ceux de la POlitlque et ae la Morale.
L'analogie n'est pas la similituae mas c'est un certain rapport de similituae
qui fait que les élements sont correspondants bien que dffférents. La
correspondance signifle que les éléments ont la même fonctinn ou la même assigna-
tron,oien '. que ce soit dans des contextes dlfférents.
L'expérience permet d'étendre le principe qu'est l t imaqinat ton oour
expliquer la croyance, l vas soc tat ion des idées, le débordement des
passions.
Ainsi, Méthoae analytique et synthétique, syst~maticité et architectonre
permettent de construire la Science de la Nature Humaine. La constitution
de cette science s'est aidée, de l'observation et de l'expérience
,
, donc de
la faculté perceptive; mais aussi de notre faculté de raisonnement, de
création (l'imagination). Les différpnts exemples prlS par HUME Dour i11ustrer
(] ) cf', La Cri tique de la "Providence et de Z. 1Etat tu tiur " ur Encru.ête p. 186
et eu-io .

212
son argumentation témoignent d'une parfaite connaissance de l 'histoire, de
l'art, des phi losophes anciens, des civilisations, des rel1qions. La mémoire
a joué un rôle majeur dans la constltution de cette science. Nous avons déjà
vu par ailleurs l'importance de la mémoire dans la liaison des faits et dàfiS
la mise en place du dispositlf inférentiel.
Mais l 'oojet de cette science étant la nature humaine, l'observation a
porté d'une maniëre pri vi Ieq iêe sur l'auteur. Ce qu: implique la reconnaissance
d'une certaine uniformité de la Nature Humaine (1). L'extrapolation des
découvertes faites par l'auteur sur lui-même est possible Darce que les hommes
sont semblables. L'nomme est l'artisan et la matière de la science de
la nature humaine coume dit HOBBES en parlant du LEVIATHAN (2).
Ce fait est ce qui rend cette science difticlle et en même temps imoortante.
La question qUl se pose à nous est la suivante. Quel est le rôle d'une oratique
aussi difficile sur la déterminatlon dU sujet?
La mi se en oeuvre des facul tés de l 'espri t doit avoir un effet dëtenni nant
sur le sUJet. On sait que la répétition (volontaire, involontaire) ne s'abîme
pas en elle-même et qu'elle sort toujours d'elle_même pour déterminer l'esorit.
La pratique de la pnilosophie est une pratique de la synthèse. L'accrois-
sement du savoir selon le principe synth~tique a POSt~rlori est un a~Drentissage
de la liaison.
L'homme travaillant sur ses facultés a lUl travaille obliquement à se déterminer
comme sujet.
La pratlque de la causalité refère les diverses actions humaines a leurs
principes. L'lmagination en tant que faculté des synthèses crée des fi~ures,
des modèles d'explication du réel qu'elle imite de la science (cf. utilisation
de la probabi 1ité par HU~lE).
Ainsi l'oeuvre pnilosophique par sa conol exi tè met-elle tout l t esor i t
en branle. A tout instant le sujet synthétistJ~ui est refuté par le résultat
de la philosophie est restauré pratiquemont dans la creation philosophique.
(1)
HUME~ Introduction au .J:raité~ p. 08
voir HOBBES~ Leviathan, introduct. p. ~
(~) HOBBES~ Op. Cit. p. 18

z13
AU total on peut dire que la pratique phi1osopnique, la prat i que
mathématique en un mot la pratique théorique en gènéra1 poursuit positivement
la détermination naturelle du sujet.
La pratique étant une rêp~tition volontaire, une répètition dédouo1ée, elle
rpnforce les résultats de la détermination initla1e. Le sUJet se constitue
donc doublement par la détermination naturelle· par l'expérience et par la
détermination volontaire par la pratique. Mais à la subjectivation doit
succéder la socialisation, c'est ce que nous allons voir.
3 - La prat i que existentielle sociale et pol itique
La pratique existentielle théorique poursuivait la déterminatlon du
sujet, la pratique existentielle sociale et politique va socialiser l'individu
en poursuivant le mouvement de la sympathie.
C'est pour venir à bout de l'égoïsme qui triompnait de la bienvei 11ance
et de la sympathie limitée dans la mise en place ce la société que les hommes
ont crée artificiellement les règles de justice et le gouvernement. Notre
désir est ici de montrer corranent se constitue pratlquement cette entité
sociale et POlitique qui est plus qu'une exigence pour la survie des hommes.
a) Destin de l'atome, méfait au désordre et suoériorité de
-------------------------------------------~------~----
la société
L'atome individuel est pensé par HuME comme une impossioi11té. L'individu
a été déf.ta i .. as dëparcconme un être qu
a des be soins immenses et une force
ï
limltée. Et cette discontinuité interne est ressentle extérieurement comme
limitation, mais c'est elle qui va parauoxa i emen t pousser l'nomme à lutter
contre sa solitude. Cette lutte se fait pas une lntériorisation progressive
de la menace de solitude. Quand l'individu est: seul sa taio1esse se dému t t ip l te
et il est mcapao le de survivre: "Quand chaque tnc iv idu travaille isolément
et seulement par lui-même, ses torces sont trop faibles pour exécuter une oeuvre
importante, cormne il emploie son 1 abeur a subvenir à toutes ses aiftérentes
./
nécessités, il n'atteint jamais la perfectlon aans aucun art en particulier,
comme ses forces et ses succés ne demeurent pas toujours égaux à eux-mêmes, le
moindre écnec sur l'un ou l'autre ae ces points s'accompagne nécessairement
d'une catastrophe inévitable et de malheur" (1).
(1) HUME~ OP. cit. p. 606

214
Cette menace représentée par la sOlitude est interiorisée et détermlne
une réaction dans l'esprit pour amener l 'homme à la reflexion. Mais ce processus
d'intérlorlSation de la menace de la solituae s'il est posltit existentiel lement
tait tout de même perdre a l 'nomme sa vérité ontologique.
L'nomme est un être atomique, séparé aes autres: L'atome est la réalité
la plus réelle et la plus consi stante . En sortant de sa sol i tuce l'homme se
contredit ontologiquement, il perd sa vérité ontologique pour gagner son
existence.
Cette perte de soi est une exigence de surVle et une reconnaissance ae la
nécessité de la société.
Mais comment l'être peut-ll être menacé s'll ne sort pas de soi? Ontologlquement
l'être tendrait-il vers la mort, c'est-à-dire vers sa dissolution atomique?
L'existence est donc dans ce sens un mouvement provlsoire de lutte contre
la discontinuité. C'est pourquoi il faut penser cette premlêre négatlon de
soi comme un destin.
L'atome doit se nier dans l'existence socia l e . Se nier, c'est.à-dire
sortir de son unité pour S'aliéner avec les autres dans le socius. CeDendant
cette aliénation de soi de l t tnd t vi ou atonn que n'est pas sa perte définitive
l'atome se retrouve dans cette extériorisation pour se maintenlr. La société
est donc le lieu de la néf'jation de l'atome en même temps cue l te est le lieu
de sa permanence. L'existence sociale gagne sur l'existence indiviauelle
atomique parce que la mort qui est l'norizon de l'existence atom ioue est
réductrice tandis que l'existence sociale est conservatrice. L'exteriorisation
de l'individu atomique en être (du) social est le destin de l'homme sol i ta i re
pré~social. Mais si l'atomisme est pour être dépassé, il reviendra sous fo~e
d'égo~sme une fois que la société sera constituée.
HUME pense la menace de désordre comme un retour à l'individualisme pré-social.
Le désordre rêgne quand chaque individu est animé du désir de s'autonomiser.
Chaque individu menace donc de quitter la société pour retourner à so~ état
premier. Les rapports deviennent confus et les individus vivent dans le
désordre. Cette situatlon peut aboutlr à l'éclatement du corps social et livrer
les êtres à leur solitude
mais cet etat n'arrlve pas facilement parce que
les hommes ayant déjà connu la société en connalssent l'importance et tâcnent

z15
de la restaurer à nouveau.
Dans l'état de sêparation qui n'est pas sans rapoeler l'état de guerre
de HUBBES les individus sont menacés de dlsoarition. Il n'y a pas de sécurité,
ni de commerce, ni de c iv i lisation poss i ble .
C'est donc une reqression que de vouloir le désordre.
La société est à penser comme un complexe de liens qui mettront de
l'ordre dans la societé. Ce complexe d'ordre permet la poursuite de la vie,
le commerce et la culture.
L'ordre est toujours supérieur au dèsordre. C'est pourquoi HUMr privilegierait
au départ l'ordre à moins que celut-ci ne menace contradictoirement les hommes
qu'il était censé préserver.
La vie et la survie des hommes étant l'exigence de Dase, tout moyen
qui menace cette réalité doit disparaitr~. Car, on vèrra~alors que le désordre
est un moindre mal qui sauverait la societé de la tyrannie Dien qU'étant
immédiatement trës dangereuse pour celle-ci. A travers cette formulation de
l'exigence de la société, du vouloir de la societé HUME rejoint le principe
de résistance lockien. Pour HUMt voul oir l'ordre c'est vouloir la société mais
si l'ordre met en cause la sociéte il faut la régénérer par le désordre.
Ainsi nous voyons l' homme se mer dans le SOC1US Gour se nrë server-.
Aux moments critiques, la sociétè se nie dans la révolutlon pour se
préserve)'. C'est donc dans la perte de soi que réside la continuation de soi.
Le destin de l'atome individuel est de se perdre, de quitter sont é'Joïsme
primitif, pour se réaliser mèdiatement dans le socius.
Il faut donc distinguer deux sens de la pratique existentielle. Elle
poursult le mouvement de la sympathie dans son but, mais ce but n'est pas un
apport extérieur, c'est le développement immanent des limites que sont l'égoisme
et la bienveillance limitée qui rend possiole ce oassage. C'est par epui semen t
de la discontinuité qui ménace l'inté0rité de l'homme que se révèle la solution
/
de la discontinuité. C'est par radlcaiisation des conséquences de la
discontinuité que se produit la solution de continuité qui aboutit à la
transformatlon qualitative. La solution sceptlque du sceptlcisme obéit donc à
une sorte de "dialectique" immanente. Le processus peut donc être dit nécessaire
malS retrosoectivement. La créatlon des artlfices etant à comprendre comme
un processus utile à la vie, donc naturel après coup. Nous allons essayer
d'expliquer la société et la politique au regara de ces présupposés.

216
Il taut distinguer la naissance de la societé de la naissance du gouver-
nement que nous verrons un peu plus loin.
Pour expliquer la naissance ae la société HuME avance deux hy~othèses
différentes mais co~plémentaires.
Premièrement: La société est explicaole par le developpement i~anent
du processus de l' exi stence.
Deuxièmement
la société est toujours déjà là. C'est un fait, c'est
une nature.
Essayo~~ de développer ces deux thèses.
Si on veut expliquer la naissance ae la société à partir au développement
immanent du processus de l'existence, on dira que la sodé té est fi Ile du
oe soin . El le est issue de l'impossioilité de vivre seul. Cest le manque
à être de l i ncivtdu t so i
qui crée la société. L'individu qui vit seul intériorise
r
é
la menace de solitude comme sa perte imminente, il s'y refuse et réflécnit.
HUME suppose que l'hOmme à l'état pré-social est doué d'une raison calculatrice
instinctuelle qui choisit toujours dans le sens de la Vie. Comme nous l'avons
ait, c'est par approfond t ssement de la oi scont i nu i té exi stent ie l t e qu'on peut
sortir de cette dernière. ln sortir c'est extraire ae soi ce qUi y était inClus
naturellement, c'est à dire le pouvoir de créer des artitices pour survivre.
C'est ainsi que les hommes com~encent de Vivre ensemole. Ils découvrent à partir
ae leur propre réflexion que la solution du proolème de la solitude resfde
dans la vie en commun: "La société fournit un remède ... L'unlOn des torces
accroît notre oouvoir, la div i s i on aes tâches accroit notre capacité, l'aide
mutuelle fait que nous sommes moins exposés au sort et aux accidents. C'est
ce supplément de force, ae capacité et de sëcus-i t:é qu i fait l'avantage ae la
soci été" (l).
MaiS pour que les hommes forment la SOCiété, il faut quOi Is sachent
j
qu'elle est effectivement supérieure à la solitude. Comment le sauront-ils
s'ilS n'ont jamais vécu en société? C'est là que la deuxième thèse vient à
notre secours.
(1) HUM~J Traité, p. 6u3

2 17
Les hommes ont toujours vécu nécessalremt:>nc en socléte : "C'est donc
très heureusement que se joint à ces nécessites, dont les remèdes sont élolgnés
et cachés, une autre nécessité, dont le r~mède est sur place, très manlfeste,
et qui, par suite, peut être justement regaraé comme le principe oremler et
initlal de la société humalne.
Cette nécesslté n'est autre que l'appétit naturel d'un sexe pour l'autre,
qUl les unit
l'un à l'autre et maintient leur union jusqu'à lapparltion d-un
nouveau lien, le souci de leur progéniture commune" (1).
Naturellement le mâle déslre la femel le et cette attlrance les
accouple malgré eux. Ils aoivent être unis, telle est la nécesslté. Mais cette
nécessit2 obeit à un intérêt profond, celui de la vie, C'est pour perpétuer
la vie que le màle et la femelle se désirent.
Si l'enfant naît il perme t la perpétuation de l'union.
L'enfant constitue ainsi un nouveau lien qui obllge le couple à vivre ensemble
pour son éducation. L'entant éduqué par ses parents intérlorlse l'importance
de la société et ainsi ae suite jusqu'aux générations futures.
Alnsl la n~ture lmpose-t-el le une Vle commune et la raison reflécnissant
sur la positivité de cet état des cnoses en tire des concluSlons pratiques.
Les enfants porteront en eux l'utilité de là aécouverte~
"tn quelque temps, la coutume et lhabltuae agissent sur les tendres
esprits des enfants, leur donne conscience aes avantages qu'ils ppuvent retirer
de la sociéte, et en même temps, les aaaptent graduellement à la societé en
llmant les angles rudes et les affectl0ns contraires qui s'opposent à leur
union" (L). La coutume et l'haDitude cê termtnent les enfants à la vie communautaire.
Et c'est à partir de là que vont se poser les problèmes de la vie en société.
Il faut dire que l'individu qUl vit au départ a'une manière isolée, ne
peut être égoïste. Il travaille tout simplement à sa propre conservation ma i s
il découvre que ses faiblesses naturelles ne lui permettent pas ae couvrlr
ses besoins. Il n'est donc pas é~oiste mais faiole. Dès que, par l'entremise
du couple et de la famllle les enfants vont aécouvrir l'importance de la vie
(1) HUt1E~ 7Taité~ p. 603
"Il faut d' abord, di t j1...1-ŒS'1·OTE~ réunir les personnes qui ne peuvent se passer
1. 'une de L'eratre telles que le mât» et la femeEe pour la génération" La

PO!1:t10JC Ed. Denoe[/Gontnier PAftIS - 1917 P. 14 Présentation et annotation pç~
!v!arcel Pré Lo i:
(2) HUMF~ Ibid. D. 603
- - "

218
en commun et que les nommes vont décider de vivre en agrégat1on, il se posera
Inors de nouveaux problèmes nés de la juxtaposit1on aes différents
amours
de soi. Et c'est là que la naîtra l 'égoisme qui est une traduct10n soc1ale .
de l'amour de soi. Mais la vie en communaut~ n'est pas encore la vie en société.
Ce qui maintient la communauté premiêre c'est la découverte des avantages de
la coopération, de la sol idarité par l ventremi se
de l'éducation et de la fam1lle.
La sympathie s'exprime d'~bord comme attirance des sexes puis comme amour
de la progéniture. La découverte des avantages de la V1e communautaire et la
sympathie naturelle jettent les nases de la soc te l t sat ion , mais cette sagesse
découvre v1te ses lim1tes.
C)
~~~_~CQ~l~~~s_9~_~~_~oÇ~~!~_Œ~i~~~Œ~~_~~_l~~C_~Ql~~iQŒ
artificielle
Ainsi la première communauté est une agrégation a'individus. cette
communauté doit, pour survivre, faire face aux nouveaux problèmes que posent
la vie communautaire. A côté de l'un1on qui accro'tt la force il va ta l lofr
compter avec les forces de désun10ns qui menacent le grnupe dans son integrité
même. Ces différentes forces de désunions sont enracinées dans notre carac~ère
et aans les circonstances extérieures.
Intérieurement il va falloir compter avec notre égoïsme. ~ien qu'il
y ait en nous certa1nes dispositions soc1ales telles la sympatnie et la
"bienveillance, il faut reconna'i'tre que ces dern ière s sont fortlimltées en nous.
Ces dr spos i t i ons naturelles sociales sont d'aDora l imitees à nos parents
et à nos amis; cette limite de la genérosité qui fait qu'elle ne s'etend oas
à toute la communauté constitue une gêne pour l 'édif1cation de la société. \\1).
Il raut le reconna1'tre les passions egoïstes sont naturellement oppo sëe s .
Tout égoisme tend à s'autonomiser, à ni~r les autres égoïsmes.
Et cette envie pousse les égoïsmes non seulement à s'opposer mais a se comDattre
a la longue: "Car, tant que chacun s'aime mieux qu'aucun autre ino iv idu et que,
dans son amour pour les autres, 11 oorte la plus grande affection à ses oarents
et à ses familiers, cette disposition doit nécessairement produire une oopos1tion
des paSS10ns et, par sU1te, une oppos1tion d'actions, qui ne peut être que
(1)
HuME, Traité, pp. 604,505,666,6u9

l19
dangereuse pour l'union nouvellement établie .. " t 1).
L'opposition des actions et le comuat des égoismes c'est 1 état de-Rature
hootesien. Mais malgré l'oopositlOn naturelle aes égoismes cette contr-ar ië te
des passions ne survlenaralt jamais si aes circonstances extérleures ne lui
permettaient pas de s'exercer.
Ces circonstanc~extérieures
sont ce que HUME appelle l'instabiZité des possessions
et leur rareté.
L1 ~nstabil ité des possessions s iqn i f te que tout avoi r extérieur, à part
les possessions se l'esprit et du corps, est susc2ptible a'être contesté. Cela
découle de la nature même de l'avoir comme nous t'avons déjà
montré. Rien
n'unit objectivement la possession et le possesseur, il Y a tOUjours entre les
deux une extériorité de relation qui rend la contestation posslble. Mais cette
extériorité de relation trouverait à s'attenuer s li1 y avait une quantité de
biens suffisante pour tous. Chacun trouvant de quoi satisfalre son é001sme ne
pourrat t s'attaquer aux autres. r~uand un bien est abondant comme l'eau ou
l'air par exernp Ie , 11 perd de sa valeur bien qu'il soit en lu i -mëme inestimable.
HUME dit aans ce sens que l' lndien ne se bât jamals pour une hutte parce qu'll
sait qu'll sien trouvera toujours une.
C'est donc de la rare~é des biens que naît le danqer. La rareté est
à penser comme une re l at on a l'd:>jet et aux autres.
ï
La rareté signifie qu'il y a toujours danger de manque. C'est la mort qui est
à 1'horizon du manque qUl crée la oeur de manquer. C'est donc un désir de survivre,
de persévérer dans soi qui pousse les hommes à amasser du surplus pour eux-memes
et pour leurs familles.
L'amour de SOl devient égoïsme au niveau social. La rareté f onct ionne comme ce
qui met en oeuvre la dynamlque de la possession. Or cette envi~ de posséder
aura i t pü être limitée Sl la possession était reconnue; mais comme toute passeS•
. sion est extérieure, chaque ino iv idu peut avoir aes prétentions sur n'importe
.quo i . Et la conséquence c'est le désordre, T enarcb ie sanctionés nar la
dt ssoci at ion du corps soc i al et 1 autonomisation des é!)oismes. ~1ais les hommes
ont aéja découvert l' 1ntérêt de 1a vi e communauta ire, ils ne peuvent pi us
Il) HUI~'~ Traité~ p.
6U4

Z'lO
accepter' de retourner -~ l'état oré-soc1al t il faut donc trouver un remèae
,
'
aux difficultés de la société.
les hommes setrouvent
pourrons_nous dire, devant une alternat1ve,o~ trouver
t
une solution aux problèmes de la soc1éte et survivre ou soit faillir et alors
la soc1éte est condamnée à disparaître.
Or les hommes de par leur éducation et de par leur vie familliale ant€-
cédente ont 'i ntè r t cr t sè la supër tor i té ae la vie en soc iê té . Ils comorennent
donc qu'il faut perpétuer la société, mais comment?
Il n'y a pas d'instinct naturel en eux qui neutral1seraif l 'oPPos1tion
des égoismes. Comme nous l'avons vu, la discontinuité naturelle (opposi t i on
des
qot sme s ) recouvre les antidotes naturels de T' ex t stence . N'ayant [Jas en eux
è
de disposit1on naturelle qui résoudrait le proolème de la soc1éte les hommes
vont faire appel à leur entendement et à leur jugement: "le remède, alors,
se tire non pas de la nature, mais de l'artitice, ou pour parler avec plus
de propr ie të , la nature fournit, dans le jugement et l'entendement, un remède
à ce qu'il ya d'irréCJulier et d'incommode aans les affections" ( l}. Et ce
jugement et cette réflexion qU1 sont le résultat d'une oremière aéterm1nation,
de l' mdrv i du dans la famille vont amener les hommes à mettre un brin de r'égularité
aans la soc1éte. Ils savent que la proor1éte de par son 1nstabilité est la ca~se
de l 'extér1or1Sation de 1 'égo~sme 11s vont donc s attacher à la rendre stable
par des règles. C'est l'origine de la prenn èr-e convention: "Ce qui ne .oeut
se faire d'autre manière que par une convention conclue par tous les membres
de la societé pour conférer ae la stabi lite à la possession des biens eXtér1eurs
et laisser chacun jouir en paix de ce qu'il oeut acqu~rir par~hance ou Dar
industrie. De cette manière chacun sait qu'il peut Dosséder en toute sécur1té,
et les passions sont rimt tée s dans leurs mouvements partiaux et contradicto1res
Une telle limltation n'est pas contra1re aux passions elles-mêmes; car si elle
j'était, elle n'aura1t jama1s pu slétaolir ni se maintenlr ; elle est ~eulement
contraire à leurs mouvements irréfléchis et impet ieux ~2)".
A l 'lssue de la convent1on que oagnent
les hommes que perdent-i 15 ?
Premt èrernen t les hommes ont gagne la soc ië tê dont nous avons découvert
(1) RUME~ Traite~ p. 600
(2) HUME, loie. p. 601

227
qu'elle permettrait non seulement l'union des forces mais la répartition des
tâcnes et la sOlidarité. Au lieu de chercher la satisfaction imméaiate de leurs
désirs les hommes apprendront ensemole a les satisraire de "manière oblique
et artificielle" (1). Ains i , bren avant FREUD t2), HUNE decouvre-t-il le
principe de réalité comme fondement de la socialisatlon.
MalS secondement les hommes gagnent leur propre survie uans cette perte
imméaiate d-eux-mêmes dans la société. ~'est une oerte de snt, une allénation
vo l onte ire ae soi qui est en réalité, une oré serva t ion ae soi et un enr rch i sserrent
de so1 •
Dans la société les hommes peuvent non seulement satisfaire leurs oê s tr s
en toute sêcur i té ma i sil s peuvent échanger' et produi-re pour 1utter contre
la rareté.
Ce que les nommes percent c'est leur liberté illimitée, leur natur-a r t té'
et leur sOlitude; malS en face de ce que ~agnent les hO~TIes cecte liberté
illimltée ne peut être regrettée.
Nous verrons un plus loin comment la socléte s'auto-or~anise mais avant,
développons les conséquences imméaiates ae la convention.
La convention est une conventlon collective qUl pose, une rois qu'elie est conclue
les bases de la Justice, de la proprieté, du oro i t et: de l'obli~atlOn : "Dès
1"établlssement de cette convention sur l'abscention des biens a'autrui et la
stabilisation de chacun aans ses biens naissent i,mnéaiatement les idées de Justice
et d'lnjustlce, é ja l emen t celles de propi-ié té , de droit et a'oBligation".
La convention en renaant les possessions staoles permet de définlr
la justlce et l'injustice. La justice est le respect de I.a propriété d'autrul
et l'injustice, le contraire. C'est à partlr de cette conventlon que la oroQrletél
le droit et l ob l i qat i on auront un sens. La proor i te donc est une "oosses s ion
t
é
garantle par les lois'. Les lois obllgent les autres au respect de la propriété
et nous donnent drolt à cette propriété etc ... Mais si la prcprléte est une
stabi lisation de la possession, la possession renferme elle-même un oroblème
comment reconnaître sa part à chacun, part qUl dOlt en ef~et être stable? Les
hommes trouvent raoidement remède à ce problème en reconnaissant à chacun le
droit de jouir de ce dont il a la oossessionactuelle t 3) .
(1)
HUNE,
'1'T'a1..-té D.
341
(~) S. FREUD, Mai~ise dans &a c7..-vi&isation tr'ad. par ch. et J. ODTER ~UF 1971 P. 4ô
et SU1..-V.
(3) H~~J op'. Ci~. p.~2~

222
Nous avons déja montré la discontinuité interne a la relation de possession et
de proprieté. Il est néanmo,ns uti1e de sou1i0ner une seconde fois que la ~roprieté
est le lieJJ probl êmat i oue par où la soc ië te peut être fissurée par les égoismes.
Après cette inst,tution de la propriété HUME imag,ne quatre règles
,mportantes qui peuvent ""engenarer la proprieté"" par la suite et qu' sont les
règles de 1 'occupat&on~ ae la prescrip~ion, de 1'access&on et de la success&on.
Ces règles ont éte déja analysées Dar nous. Nous avons nOta~nent sou1i~né leur
insufrisance. Ma,s ces rè01es, ,1 faut le reconnaître, constituent à défaut
de mieux, les bases ae la justice sociale telle que l'entena HUI'IE
L'égoisme vient d'être contenu provisoirement par les règles art,ficiel1es
de jus t i ce. Tout en sachant que ces rè!] 1es ont des 1 irm tes 1es hommes vont
~taD1ir des relat,ons au sein de la societé constftuée .
Les premières règles ae just,ce ont tenté de déterminer les cond,tions ae ia
stabilitê de la oropriété. Mais déjà avec la dern,ère rê01e qu'est la success,on
on essayait déjà de ~enser la possib,lité d'un transfert ae la propr'été. :~ous
n'étions Das encore au niveau d'un transfert réel puisque c'est la mort qui
renaait possiD1e la success,on. HUME dépasse ce n,veau de transiert par- succession
pour penser le transfert comme moyen volontaire d'aliéner sa nropr ié te à autrui.
Si tout ,ndividu le désire il peut vOlontairement aonner ou échanger
sa propr ie té contre une autre. Ce trans fe r-t oeut être reconnu puisqu"il est la
"'
consequence d'un acte libre. Il exclut du même coup l' ,njust,ce. L'inJustice
c'est quand une prooriété change de ma,ns sans le consentement du oropriétaire.
La violence et le vol sont les man i res tat ions de l'injustice et portent en qerme
"la destruction de la société: "Appliquer un remède direct et perme tt re que chacun
s'empare par la v,olence de ce qui, a son jugement, lu, paralt convenable, ce
.sere i t dë tru i re la societé .. (1).
~onc 1imltdtivement, le transfert de la propriété par consentement est un antidote
art,ficiel contre 1',njust,ce. Les oropr,étês seront toujours stables "sauf
quand le propriétaire consent a les donner à une autre personne"
(1) 1:IUMi:.:, Traité p. 63.5

224
L'obligation des promesses est une ouverture de la règle de transfert
sur le futur et sur le possible. ~ais comme HUME situe ces règles avant l 'ins-
tauration du 90uvernement leur fondement ne peut être que moral, c'est à dire
artificiel.
C'est pourquoi HUME refuse que l'obligation des promesses soit naturelle ou
intelligente: "Si les promesses sont naturelles et intelligibles, il doit y
avoir un acte de l'esprit qui accompagne ces mots: je promets, et c'est de
cet acte de l'esprit que doit dépendre l'obligation" (1). HU~~E essaie alors
de montrer que cet acte de l'esprit n'est pas une résolution ni une volonté
encore moins un vouloir de l'obligation. Parce que toute la moralité dépend
de nos sentiments et que le seul fait de promettre ne peut être en soi plaisant
ou déplaisant. Il est donc tout nonnal de dire que la promesse n'est pas
intelligible et qu'il ne lui correspond aucun acte de l'esprit (2). C'est
pourquoi il n'y a pas de tendance naturelle en nous qui nous obligerait aux
promesses comme par exemple la tendance naturelle qui pousse le père à s'occuper
de son enfant. La promesse n'étant pas un acte de l'esprit (intelligible et/
ou sentimental), on ne peut donc que reconnaître sont artificialité : "j'ose
affirmer qu'il est impossible de prouver l'un et l'autre de ces deux points,
j'ose donc conclure que les promesses sont des inventions humaines, fondées
sur les nécessités et les intérêts de la société" (3).
Quels sont ces nécessités et ces intérêts sociaux qui sont à la base
des promesses ?
Nous sommes partis de l 'homme pré-social comme être de besoins, puis nous
avons découvert que l 'homme social était un être égoïste. Puur
mettre un
frein à l'égoïsme, les hommes l'ont limité en établissant la stabilité
de la propriété, mais cette stabilisation de la propriété ne suffisait pas;
il fallait faire correspondre hommes et hiens, le transfert de la propriété
par consentement a instauré un début de commerce parmi les hommes. Mais ce
transfert ne concernant que les objets présents et particuliers, il a fallu
l'étendre pour y inclure les objets absents et les objets généraux par l'obli-
gation des promesses. HUME décrit cet établissement selon un processus
immanent.
(]) HUME~ Traité, P. 635
(2)
HUME~ Ibid. p. 635-634
(3) Hl...fME~ {../P. eit. p. 0"38

225
Les individus n'ayant pas confiance en leurs semblables dans la société
travaillent chacun pour eux-mêmes. Mais chacun d'entre eux ne pouvant à lui
seul venir à bout de son travail perd sa récolte: "Le temps change, et tous
deux nous perdons nos récoltes par manque de confiance et de garanties
mutuelles" (1).
Donc la non-coopération est sanctionnée par la nature. L'expérience
nous enseigne la coopération. Si à cette éducation par l'expérience s'ajoute
l'artifice des politiques qui travaillent à la satisfaction oblique des besoins
on peut apprendre l'urgence et la nécessité de coopérer.
Grâce à la promesse on coopère on échange des services
mais l'un
des coopérants ne peut par exemple que promettre. S'il a promis et qu'il ne
tient pas sa promesse il s'expose à une deuxième menace: "il se soulTlet
à la punition qu'on ne se fie plus jamais à lui s'il fait défaut" (2).
Qu'est ce que cela veut dire?
Cela veut dire que tout individu qui se refuse à tenir ses obligations s'expose
à la menace d'exclusion sociale. Ne pas se fier soci~lement à un individu,
c'est refuser tout commerce avec lui, c'est lui refuser les avantages de
la société, ce qui est une menace grave pour son existence. C"est donc d'abord
notre intérêt bien compris qui nous fait entrer en coopération, une fois
que les règles de la coopération sont acceptées, on n'est plus libre de
les fouler au pied, autrement on s'expose à une menace plus grande qui est
la menace d'exclusion du commerce social.
Quand la coopération est vraiment établie on institue alors des symboles
ou des signes pour rendre la pro~esse objective et signifier l'entrée en
promesse. A ce niveau il est constitué au niveau social un système d'actions
basées sur l'intérêt commun. C'est donc l'égoïsme rendu sage, c'est à dire
qui a accepté la satisfacUon oblique de ses besoins, qui puusse les humme9
à créer un système d'intérêts. C'est ce système des intérêts individuels
qui est· la coopération sociale: "Tous de concert, entrent en un système d'actions,
calculé pour leur bénéfice commun et s'accordent dans la fidèlité à leur parole,
il ne faut rien de plus, pour former ce concert et cette convention, que le fait
que chaque individu ait le sens de l'intérêt qu'il a à remplir fidèlement
(1) HUME, Traité~ p. 640
( 2)
HUME~ Op.
C1/ t. p. e 41

z26
ses engagements et qulil exprime ce sentiment aux autres membres de la
société. Ce qui entraine immédiatement que l'intérêt agit sur eux; et
l'intérêt est la première obligation à l'accomplissement des promesses" (1).
Mais une fois que l'intérêt est intériorisé un sentiment moral s'attache'
à l'observation des promesses: "Puis un sentiment moral concourt avec
l'intérêt et devient une nouvelle obligation qui pèse sur les hommes" (2).
Ainsi les règles artificielles de justice et les principes du commerce
intériorisés acquièrent une force morale telle que la société est prête
à blâmer ou à louer celui qui ne les respecte pa~~
Si nous revenons en arrière nous verrons que nous sommes partis du besoin
duquel est né la société. La société est d'abord le fieu contradictoire des
intérêts d'ou naît la justice comme stabilisation des possessions. Le commerce
nartra de la différence des aptitudes et des ressources. La différence des
aptitudes est l'une des origines de la division du travail social: chacun
s'attachant au travail pour lequel il est doué. Le talent instaure donc la
première différence interne. La fertilité et la spécificité du sol et du
climat introduisent les différences externes. Tel sol produit de la vigne,
tel autre du café. Tel homme s'y connatt en tissage, tel autre en poterie.
Le commerce s'introduit comme un souci d'échange des biens. ~~ais plus profon-
dément le commerce s'établit parce que chaque individu est incapable de mener
à bien une oeuvre, il a besoin du concours des autres. Ainsi coopération
dans la réalisation des oeuvres (union des forces), commerce pour l'échange
des biens te ls sont les fondements du corrmerce social. l"1ais nous allons voir
que cette première organisation de la société ne parachève pas l'édifice
social et que ses limites appelent l'instauration du gouvernement.
Le gouvernement n'est pas nécessaire: "je suis loin de penser; avec
certains philosophes (3), que les hommes sont absolument incapables de vivre
en société sans gouvernement que j'affirme que les premiers rudiments de
gouvernement naissent des querelles non pas entre les hû~mes de la même société
mais entre ceux de sociétés différentes" (4).
(1)
HUME
Trai té , p. 642
3
(2) HUME
Ibid. p.
642
3
(3)
Note dë HUME .. cf. p.
ex.
HOBBES
LEVIATHAN paxrt . II chap . XVIII
fin
3
3
(4) HUfv.fE
Op.
Ci.c .
3
D.
661.

ZZf
Le gouvernement n'étant pas nécessaire sa naissance a du être soit contingente
soit nécessaire clest pourquoi l'origine du bouvernement sera a penser de
trois manières :
~remièrement sur le mode de l'immanence, le développement des contradictions
sociales va amener les hommes a créer le gouvernement (logique interne,
nécessité) .
Deuxièmement sur le mode contractuel : HUME accorde, bien que difficilement
que les pouvoirs originaires ont dû être contractuels (logique hypothètique)
Troisièmement, les gouvernements historiques sont le fruitlde la
violence (logique historique, logique des faits).
Nous allons essayer de confronter ces trois hypothèses.
L'explication immanente du pouvoir faltde celui-ci une sorte de nécessité
déduite du développement interne du processus de socialisation. Nous avons
vu que la société civile a été instituée. Il y a des lois de justice qui
stabilisent la propriété, il y a la possibilité de faire du commerce. Les
hommes sont arrivés a un stade où ils sont dans un état d'interdépendance.
Mais paradoxalement cet état ne peut résoudre le problème de la société.
HUME avait déja établi que les hommes sont gouvernés par l'imagination et
qu'ils s'attachent plus aux apparences des objets qu'a leur valeur réelle.(l)
L'apparence d'un point de vue de l'espace et du temps est créée par la
contiguité. Le contigu est déclaré plus valable que le lointain: "Or tout
objet qui nous est contigu dans l'espace ou dans le temps nous frappe avec
une telle idée, par suite, il a un effet proportionné sur la volonté et sur
les passions et opère communément avec plus de force qu'un objet qui se trouve
sous un jour plus lointain et plus sombre. Bien que nous puissions être
pleinement convaincus que le second objet surpasse le premier, nous ne sommes
pas capables de régler nos actions par ce jugement et nous cédons aux solli-
citations de nos passions qui plaident toujours en faveur du procne et du conti-
/
gu" (2). Voila donc la nouvelle menace de la société civile: bien que
les hommes aient découvert par la pratique l'utilité de la société, ils ont des
(1)
HUME~ Trai té p. 6tJ5
(2) HUME~ .lJ2i1.. p. 655-656

,28
difficultés à obéir aux règles qu'ils ont eux-mêmes instituées. Parce que
la société ne propose pas des plaisirs et des biens immédiats
elle propose
t
plutôt des avantages supérieurs et lointains. L'éloignement de ces avantages
leur enlève de l'influence au point que les hommes se laissent aller à leur
tendance naturelle qui est de préferer le contigu, au lointain.
On se dit que les petits manquements aux règles de la société ne peuvent pas
la mettre en cause; Mais supposons que chacun tienne le même raisonnement
on aboutira à la longue à la destruction de la société: "Votre exemple
me pousse en avant dans cette voie par imitation et m'apporte à la fois une
nouvelle raison pour transgresser l'équité en me montrant que je serai
la dupe de mon intégrité
si j'étais seul à m'imposer une contrainte sévère
t
au milieu des licences d'autrui" (1). Ainsi les hommes sont incapables par
eux-mêmes de préfèrer le lointain au contigu. De plus l'étude, la réf1èxion,
les résolutions ne peuvent améliorer que quelques personnes et ne peuvent
rien chànger à la nature de 1 'homme. Le nouveau problème devient: quel
est le moyen adéquat pour résoudre le problème de la fascination du contigu?
On ne peut changer la nature des hommes, on ne peut non plus le?
forcer à préfèrer le lointain au contigu: " .... le plus que nous puissions
faire, c'est de changer les circonstances et la situation où nous nous trouvons
et de faire de l'observation des lois de la justice notre intérêt le plus
strict et de leur violation notre intérêt le plus faible" (2). Mais comme
dit HUME: "C'est un procédé qu'on ne peut mettre en oeuvre pour tous les
hommes; aussi peut-il intervenir seulement pour un petit nombre d'entre eux
que nous intéressons ainsi directe~ent à l'exécution de la justice" (3).
Comment changer la condition de ces hommes et par quel subterfuge faire de
la violation des lois de la justice leur plus faible intérêt et de leur
respect leur intérêt immédiat?
On change la condition de ces quelques hommes matériellement et socialement
en mettant à. leur disposition des moyens abondants pour leur existence
on les élève à la dignité supérieur de gouvernants avec tout ce que cela
implique d'honneurs mais à condition qu'ils fassent respecter les lois de la
société. Respecter les lois de la société et les faire respecter devie~
leur intérêt immédiat, c'est_à_dire qu'en faisant r'especter les lois civiles
(1) HUME, Zraité p. 656
(2) HUME~_Qp. C&t. D. 6b8
(3) HuME~ Ibid~ p. 658

ils maintiennent leur statut exceptionnel. Ne pouvant le faire tout seul
les gouvernants choisissent des fonctionnaires civils et militaires pour
les seconder dans leur tâche. Telle est donc l'origine du gouvernement. C'est
la première hypothèse explicative du gouvernement celle qui déduit le
gouvernement du développement interne des contradictions sociales.
La deuxième hypothèse est celle du contrat. LOCKE et ses disciples
pensent que le gouvernement nart d'un contrat passé entre les citoyens et un
magistrat, c'est le contrat de soumission. Les deux parties contractantes
sont le peuple et le magistrat. Le peuple promet obéissance au magistrat a
condition que celui-ci promette la sécurité et le commerce au peuple. A
supposer que la soumission au magistrat ne donne pas la sécurité escomptée
et met le peuple en danger, les hommes peuvent remettre le contrat en cause.
Cette doctrine est mue par un mobile qui est celui de défendre à tout prix
le droit du peuple à la résistanc~. HUME critiquera cette loi ; d'abord
au niveau du Traité, puis dans l'article "Du contrat primitif" (cf. Essais
Politiques). HUME reconnaît la positivité de la doctrine du contrat par rapport
à la doctrine du pouvoir divin mais ne la trouve pas conforme à l'expérience.
Il va tout de même reconnaître une réal ité à la doctrine du contrat: "Si
l'on entend cette convention faite entre des hommes sauvages pour s'associer
et combiner leurs forces, il est sûr que ce contrat a existé, mais il a si
fort vieilli, il a été si souvent effacé par les révolutions arrivées dans
les gouvernements, et par le change~ent des monarques que l'on ne peut plus
lui supposer aucune valeur" (1). Ainsi HUME reconnaît-il l'existence originaire
du contrat, mais ce contrat a dû s'effacer avec le temps de telle sorte qu'il
ne doit plus rien en rester. Cette deuxième explication est aussi logique
que la première, mais tandis que la première était déduite du développement
immanent des contradictions sociales, la deuxième est purement hypothètique.
La seule assise de cette hypothèse c'est qu'elle est de l'ordre du possible.
C'est le verdict de la réalité qui peut la déclarer non conforme à la vérité.
Mais néanmoins l 'hypothèse contractuelle a du mérite, elle essaie de ~enser
- du moins dans la perspective lockienne - une nouvelle signification du
pouvoir qui en fait non plus quelque chose d'arbitraire mais quelque chose
de voulu.
(1) HUME.J
"Du contrat pi-ùm
. .
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in. Ep.".'7"7~.""
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Pol.i

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anonyme p. 325

dO
de voulu. HUME reconnaTt la possibilité, donc l'existence possible de l'évènement
contractuel posé par les postu1ateurs du contrat primitif, mais c'est pour
tout de suite le frapper de nullité. Ce contrat, s'il a eu un effet origin~ire­
ment constitutif, il doit avoir été effacé par 1'histoire. Mais pourrait
on se demander, en critiquant la doctrine contractuelle, HUME ne met-il
pas en cause le droit de résistance? Non,parce que ce que HUME veut, ce
n'est pas la protection immédiate du peuple mais plutôt celle du souverain et
cela au nom de l'ordre et de la sécurité. Le souverain est le garant de l'ordre
et du progrès. Le peuple a intérêt à respecter le magistrat s'il ne veut pas
se trouver dans le désordre. Le désordre est le danger, en ce sens qu'il porte
non seulement la menace de dissolution sociale mais la menace d'atom·isation.
HUME dit
tout de même que, si le souverain mettait la vie du peuple
en danger par sa conduite il devrait être chassé du pouvoir. Mais comme la
mise en cause du souverain provoque des désordres monstrueux, il vaut mieux
retarder ce moment le plus longtemps possible ,et
ne le faire que quand
il n'y a plus de doute sur le danger encouru par le peuple.
Ainsi, l'hypothèse du contrat est-elle valable au point de vue spéculatif
mais à condition d'en limiter les conséquences pratiques. C'est le verdict
de 11 hi s toi re qui i nva 1i dera l' hypothèse du contrat primitif ; Or l' hypothèse
historique de l'origine de la société est fondée sur la violence.
La violence comme origine du gouvernement: HUME va user de cet argument
pour ruiner 1'hypothèse du contrat. L'idée de contrat est fondée sur le
présupposé que les hommes ne peuvent vivre sans gouvernement et que le gouvernement
lui-même est un effet du contrat. Au niveau du Traité HUME utilise l'argument
de la guerre pour expliquer l'origine du gouvernement. La guerre nia pas
lieu entre les membres de la même société comme le pensait HOBBES mais elle
a plutôt lieu entre deux sociétés différentes: " ... Les premiers rudiments
de gouvernement naissent de querelles. ~on pas entre les hommes de la même
société, mais entre ceux de sociétés différentes". (1).
Parce que les hommes d'une même société ont déjà tissé à ce stade du
développement social des liens assez étroits pour comprendre qu'ils ont intérêt
à ne pas se guerroyer entre eux. HUME ne dit pas les causes de ces guerres
mais on peut les imaginer facilement. Des querelles de frontières, des offenses
et toutes les sortes de vexations qui naissent quand deux sociétés sont
(1) HUME) Traité p. 661

231
contiguës. Mais les causes n'ont pas tellement d'importance en elles-mêmes
que, par le fait que par elles, la guerre arrive. Il faut se défendre. Si
les liens de la société étaient lâches au point de ne pas permettre l'orga-
nisation d'une quelconque défense, la société serait en danger. La nécessité
de la survie va donc enseigner aux hommes l'organisation. Les hommes s'organisent
se donnent un chef et le respectent durant la période que dure la campagne.
Mais l'instauration périodique de cette autorité les instruit des avantages
du gouvernement. Et c'est ainsi que les hommes décident de se doter d'un
gouvernement. La guerre est donc une expérience déterminante qui amène les
hommes à intérioriser la nécessité du gouvernement. HUME peut alors dire que
"les camps sont les véritables pères des cités".
Cette forme d'explication n'est l'explication unique de l'origine historique
du gouvernement mais une explication "entre autres". HU~1E en tire tout
de même des conséquences intéressantes. Les premiers gouvernements, pour lui,
furent des monarchies militaires et la république est la conséquence des abus
des gouvernements despotiques.
Les premiers pouvoirs gardent de leur origine militaire le goût de l'autorité.
Mais cette autorité peut devenir excessive et provoquer une révolte, il en
nalt alors une république. Cette explication bien que n'étant pas unique
est plus "naturelle" que celle qui part du gouvernement patriarcal (cf.
Patriarcha de FILMER) ou de l'autorité du père.
Il Y a une autre explication historique de l'origine du pouvoir. Le pouvoir
est historiquement issu de conquêtes et d'usurpations, cette thèse tend à
prouver qu'il n'y a pas eu de contrat qui légitimerait un quelconque gouverne-
ment : "Presque tous l es gouvernements qui subsi s tent aujourd 1 hui, ou dont
l'histoire nous a conservé le souvenir sont fondés sur l'usurpation ou sur
la conquête, ou sur l'une ou l'autre à la fois, sans que l'on puisse le moins
du monde prétexter un consentement libre ou une sujettion volontaire de la
part du peuple" (1).
La face de la terre est le lieu historique de migrations, de guerres,
de peuplements, de dissolution ou d'émiettement d'empires, de révolutions etc.
Tous ces mouvements consacrent des pouvoirs, en balayant d'autres, esquissent
de nouvelles légitimités que le temps ~e chargera d'approfondir. Nulle part 11
(]) HUME~ "Contrat primitif" 'Z.-Y! Essais Politiques p. 326

n' y a pas trace de conventï on : "Dans tous ces changements voi t-on autre chose
que la force et la violence?
Et où demeure ce consentement, cette association volontaire dont on fait
tant de bruits ?"(1).
Qu'est.ce que cela veut dire sinon que tout pouvoir est en soi illégitime si
on le réfère à son origine? Quelle que soit l'origine que HUME donne au
pouvoir, ce qu'il faut retenir de ces hypothèses c'est la chose suivante
il y a du pouvoir et il y en aura toujours tant que les hommes voudront
préserver l 'ordre social. On part donc de la contingence du pouvoir pour aboutir
à la nécessité du pouvoir. La question qui va nous occuper maintenant est la
suivante: quelle transformation le pouvoir opère-t-il par rapport à la société
civile?
Il manquait aux lois de la société un pouvoir coercitif. C'était vrai que la
peur du désordre pouvait, à elle seule, inciter les hommes à obéir aux lois
de justice mais cela ne pouvait suffire.
Les hommes préfèrent toujours le contigu au lointain. L'instauration du gouver-
nement instaure désormais un pouvoir coercitif. Ce pouvoir est capable d'obliger
les hommes au respect des lois et de sanctionner les manquements aux lois de
la cité: " .... le principal objet du gouvernement est de contraindre les
hommes à observer les lois de nature" (2). Dans la société civile la seule
menace était celle de l'exclusion du commerce social, sous le gouvernement
les magistrats, l'armée, les prisons, les sentences sont autant d'interdictions
qui empêchent aux hommes de transgresser les lois de la cité.
Le pouvoir n'est pas seulement coercitif, il décide dans l'intérêt
supérieur de la société et exécute les décisions. Il incite le peuple à
élever le regard sur l'intérêt public. Les hommes gagnent en plus grande
sécurité contre "les faiblesses et les passions
des autres aussi bien que
contre les leurs propres, et sous la protection de leurs gouvernants, ils
commencent à goûter à leur aise les douceurs de la société et de l'assistance
mutuelle" (3). Telle est donc l'origine du gouvernement et la transformation
qu'il opère.
Si nousrevenons en arrière, nous pouvons dire que ce qui nous a préoc-
cupé dans cette section c'etait de voir comment, par la pratique théorique et
(1) Hu.ME
op. cit. p. 327
3
(2) HUME
Traité~ p. 665
3
( 3)
HUME3
Do.
Cit • !J.
65:;1

saoiale~existentielle, l'individu se subjectiv~et se socialise. La pratique
théorique en poursuivant la détermination de l'esprit a fait du sujet un
sujet autonome. La pratique sociale et politique a poursuivi la socialisation
de l'individu en instaurant un ensemble de règles pratiques et en créant
un cadre communautaire pour les échan~es inter.humains.
Dans la section suivante nous allons essayer de voir comment grâce au
temps ces processus s'autonomisent et se circularisent.
--

234
SECTION II
L'AUTONOMISATION ET LA RECURRENCE
L'autonomisation va nous permettre de penser tout le mouvement qui
part de l'incohérence atomique jusqu'à la constitution du sujet, de l'op-
position des égoïsmes à la constitution de la totalité sociale et politique.
L'autonomisation est donc à penser comme processus et comme résultat.
Comme processus, l'autonomisation est la tendance fondamentale qui anime
la nature. Le sujet est sujet-monde. Ses perceptions constituent le réel
chez HUME (1). Mais le sujet lui-même, en son fond structurel, n'est qu'un
faisceau de perceptions, le sujet constitué n'est que le résultat d'un long
processus de détermination. La Société n'est au départ qu'un agrégat d'é-
goïsmes. La tendance de l'égoïsme étant narcissique, chaque égoïsme tente
pour cela de reconstituer le monde pour soi, d'où l'opposition. L'opposition
nait de cette ignorance de l'autre qui est le moteur interne de l'égoïsme.
Mais la société est la conciliation des égoïsmes. La socialisation est le
résultat d'une lente répression des instincts et des égoïsmes. On peut,
à la lumière de tout cela, comprendre la tendance à l'autonomisation. Toute réa-
l,té tend à se constituer en uneentité autonome. Si elle y réussit, elle
se circularise (c'est_à_dire se prend pour fin) et s'extériorise en même
temps. Ce mouvement de circularisation (réaction de l'effet sur la cause,
rétro-action) va permettre de raffermir le mouvement d'autonomisation,
tandis que l'extériorisation est l'ouverture du mouvement. Le modèle de la
récurrence est pertinent parce qu'il nous permet de penser ce double mou-
vement (circularité/ouverture).
L'autonomisation comme processus et résultat va nous permettre de
revenir sur les critiques de la philosophie du sujet, de la substance, de
la conception de 1'homme comme animal civique. Si le sujet n'est pas immé-
diatement législateur, les philosophes qui partent du sujet comme spontanément
législateur ne font que prendre le résultat du processus de subjectivation
pour un point de départ. Si le sujet n'est pas immédiatement inférent, c'est
(1) Maryvonne NEDELJKOVIC dans
un l-ivre difficile essaie de faire une approche
phénoménologique de l'action et d'élaborer une théorie linguistique du
temps chez HUME. Elle soutient notamment que Hù~ Q ~uestionné l'être
en "refusant toute identificc.tion inconditionnelle de l'étant et du perçu".
Notons que son livre fortement influencé de HEIDEGGER et de HUSSERL tire
HUME vers ces auteurs. Elle épouse donc la thèse d'un HùME orécurseur de la
Phénoménologie~ perspective que nous c.vons déjè critiquée : voir
M. NEDEL<IKOVIC~ DŒ':Jid HüME~ Approche phénoméno logi.-:rUE de l'action et théorie
~
..
;f1](J7i'1;,~t1;que _cj.u temps. P. U_:P. J 1976 p.p.116 185.__
_
.
)
J

235
une erreur que de partir de la nécessité comme le font les philosophes de
lIa priori. Il faut aussi revenir sur la formule d'Aristote pour reconnattre
que l'homme n'est pas immédiatement un animal civique, il a besoin d'une
longue éducation par l'artifice. Si la société est nécessaire, ce ne pe~t
être que rétrospectivement.
Telles sont dans l'ensemble les deux directions de cette section.
Commençons par la tendance à l 'autonomisation.
1
Le temps et l'autonomisation
L'autonomisation a quelque cbose à avoir avec l'origine: l'autono-
misation, c'est le signe d'une maturité, elle a donc un rapport fondamental
au temps. Elle renferme l'idée d'une prise en charge de soi par soi. Il
faudra donc qu'on mette en évidence dans le traitement de cette notion et
le mouvement qui conduit à 1'autonomisation, et le pourquoi de cette auto-
nomisation. Nous ne manquerons pas d'en expliciter le contenu et toute la
richesse. Nous prendrons en compte la subjectivation, la socialisation et
la légitimation du politique pour le montrer. Tous ces processus seront pensés
par rapport au temps, parce que c'est dans le temps et par le temps que
s'opère l'autonomisation.
a) Le temps et la subjectivation infinie
- - - - - - - - - - - - - - - ~--
Si nous partons du sujet constitué et législateur, nous dirons qu'il
est le résultat d'une détermination infinie.
Le sujet est, dès le départ, extérieur à soi. Toutes les perceptions
qui le constituent le constituent en une entité lâche et incohérente. Chaque
élément de ce sujet est existant pour soi et mourrait de cette fermeture
sur soi s 'i1 n'y avait pas la détermination. Le sujet ainsi éclaté ne peut
faire la synthèse des perceptions le constituant et dont il est le lieu
utopique. Nous avons essayé de montrer qu'il existait des antidote~ contre
cette extériorité des éléments du sujet. Ces antidotes essayaient de maintenir
une certaine cohérence dans le sujet afin qu'il ne s'extériorise pas tota-
lement. Les antidotes ont ce double mérite de rendre possible la liaison
future du sujet et son maintien.
L'imagination est la facilité des synthèses. Elle noue et dénoue le

f.%
réel selon sa fantaisie. La mémoire constitue le dédoublement du réel per-
ceptif et garde en soi la marque du réel passé. Comment s'upèr'era alors.
la première jonction de temporalisation?
La succession indifférente qui
est l'essence du temps va devenir intérieure. Le temps est d'abord extérieur,
et à ce niveau, c'est la succession indifférente qui est son essence.
Ce temps pauvre est l'effet des perceptions qui dans leur apparition obéis-
sent à un certain ordre, (l'ordre de succession). Le sujet va ensuite inté-
rioriser cet ordre de succession et se temporaliser. On peut dire qu'au départ
le temps est subi par le sujet. Il est donné comme manière d'apparaître des
impressions, quelque chose que le sujet subit. Mais déjà par rapport à l'idée,
le temps s'introduit comme intériorité, dédoublement de l'impression.Le
temps est la trame intérieure de l'esprit. L'impression se dédouble temporel-
lement en idée. L'idée, c'est la marque (image) de l'impression dans l'esprit
et dans la mémoire. L'esprit ainsi creusé par l'idée va encore se dédoubler.
L'idée se creuse, devient le socle d'une autre réalité qui est l'impression
de réflexion.
C'est de la réflexion sur une idée que naît l'impression de réflexion.
On peut esquisser un schéma du dédoublement temporel.
Les impressions d'origine se dédoublent en idées, les idées se dédou-
blent en impressions de réflexion. Ces impressions de réflexion sont internes,
c'est-à_dire que le monde extérieur n'a qu'une part très faible dans leur
apparition. C'est de l'intérieur du sujet qu'elles sont produites (1).
Mais le mouvement d'intériorisation peut se poursuivre à l'infini
le sujet peut, par le biais de la mémoire et de l'imagination, copier ces
impressions de réflexion pour en faire des idées au second degré et ainsi
de suite: " ... Une impression frappe d'abord nos sens et nous fait percevoir
du chaud et du froid, la soif ou la faim, le plaisir ou la douleur d'un
genre ou d'un autre. De cette impression, l'esprit fait une copie qui reste
après la disparition de l'impression; c'est ce que nous appelons une idée.
Cette idée de plaisir ou de douleur, quand elle revient dans l'âme, produit
de nouvelles impressions de désir et d'aversion, d'espérance et de 'craintes,
qu'on peut proprement appeler impressions de réflexion, parce qu'elles en
;.
dérivent. Celles-ci à nouveau sont copiées par la mémoire et l'imagination
(l)
David HUME, Trai té, p. 101.

237
et deviennent des idées qui peut-etre à leur tour engendrent d'autres impres-
sions et idées" (1) ; Nous voyons à travers cette citation le processus que
nous avons appelé la subjectivation infinie de l'esprit. L'esprit une fois
mis en oeuvre ne cesse de se dédoubler temporellement et réflexivement ..
On peut aussi distinguer un autre processus d'intériorisation. Cet
autre processus est affecté par le biais de la mémoire. La mémoire intériorise
la succession des perceptions. Cette succession qui est au départ indifférente
devient forme de l'esprit. La mémoire réfère les impressions successives à
un sujet grâce à la liaison causale: "Puisque la mémoire seule nous fait
connaître la durée et l'étendue de cette suite de perceptions, nous devons
la considérer~ pour cette raison surtout~ comme la source de l'identité per-
sonnelle. Si nous n'avions pas de mémoire, nous n'aurions jamais de causalité~
ni par suite de cette chaîne de causes et d'effets Qui constituent notre moi
et notre personne. Mais une fois que de la mémoire nous avons acquis cette
notion de causalité, nous pouvons étendre la même chaîne de causes et d'effets
et par la suite l 'identité de nos personnes au-delà de n6tre mémoire~ et
nous pouvons y comprendre des temps, des circonstances, et des actions que
nous avons complètement oubliésmais dont nous admettons en général qu'ils
ont existés"(2). Ainsi, grâce à la mémoire~ les différentes perceptions sont
reliées entre elles. La mémoire constitue donc un passé mnémonique qui em-
magasine les actions passées~ relie ce passé au présent perçu~ et ouvre par
cel~ même le sujet sur le futur; La mémoire constitue donc le schème du
temps dans la subjectivité. Le temps en acquiert une triple dimension et
chacun de ses moments en devient riche. Le présent constitue la dimension
perceptive du moment~ mais~ en même temps~ le passé (ou la mémoire) quette
le déclin de ce moment tandis que le futur fait déjà son apparition joyeuse.
Un passé qui est la dimension triste du temps, un présent qui en est l'in-
quiétude vivante et un futur qui en est l'espérance. Ces trois dimensions du
temps enrichissent la subjectivité.
Nous avons déjà vu comment la répétition indifférente sortait d'elle-
même pour déterminer l'esprit. Le sujet déterminé acquiert une inté~iorité.
Cette subjectivation temporelle du sujet va opérer et approfondir le travail
de la détermination. Tous ces résultats concourront pour faire du sujet un
(1) Dœ~id HUME~ Traité~ p. 72
(2) David Hu.ME~ Traité~ p. 354

d8
sujet autonome.
Le sujet autonome réfléchit~ infère et vit. C'est à dire qu'il synthé-
tise l'espace et le temps qui l'ont tout d'abord constitué. Cette synthèse
s'extériorise en créations d'artifices et en fabrication. Chaque production
de l'esprit est le lieu objectif d'une synthèse de l'espace et du temps.
L'espace fournit la dimension extérieure des choses et le temps en fournit
la dimension intérieure. Mais le sujet qui sort de lui-même pour produire
est un sujet qui synthétise le temps. Il faut donc distinguer plusieurs mo-
ments de cette autonomisation temporelle du sujet.
Un premier moment où le sujet est extérieur au temps ; la succession
des choses lui est indifférente. Mais il intériorisera secondement cette suc-
cession grâce à la mémoire. Le sujet devenu mémoire s'ouvre sur le passé
mais en même temps sur le présent-futur.
Le sujet devient alors sujet temporel, sujet réflexif, sujet artificiel.
Ces trois dimensions lui donnent la pleine maîtrise du temps.
Ainsi, de l'extériorité à l'intériorisation, de l'intériorisation à
l'ouverture, nous avons tout le processus de subjectivation. Mais il y a
un temps fort. Quand le sujet est devenu autonome, il rompt avec la discon-
tinuité de départ et avec l'extériorité indifférente des perceptions. Il
agit comme s'il n'était pas sorti de cette origine. Le sujet devient de plus
en plus autonome jusqu'à oublier totalement son origine. C'est au niveau de
ce renversement que réside le mystp.re de la subjectivation. Comment le sujet
qui était au départ discontinu intérieurement devient-il un sujet producteur
de synthèses ?
HUME pense que ce renversement sera difficile à concevoir pour les
esprits: "Quoi ! l'efficacité des causes se trouve dans la détermination
de l'esprit! comme si les causes n'opéraient pas en toute indépendance de
l'esprit et ne continueraient pas d'opérer, même s'il n'y avait aucun esprit
pour les contempler et raisonner à leur sujet. La pensée peut bien dépendre
des causes pour son opération, mais non les causes de la pensée. C'est ren-
verser l'ordre naturel et poser comme second ce qui, en réalité. est premier"(l).
L'esprit est à l'origine de la nécessité dans les choses, mais l'esprit
)
n'est pas immédiatement inférant,il faut qu'il soit déterminé temporellement
afin de le devenir. Une fois déterminé. l'esprit fonctionne d'une manière
autonome. Cette autonomie est le signe d'une maturité du sujet.
La répétition
a produit son résultat. Mais c'est aussi un point de départ. L'esprit devient
le point de départ des synthèses existentielles. L'autonomisation est aussi
un approfondissement de l'autonomisation. Nous l'avons vu, le sujet s'enrichit
(1) D~Jid hu]1E~ TrQité~ p. 254

240
leur liberté aux éléments inclus dans la composition, C'est donc la synthèse,
la composition qui est précaire et c'est la dislocation qui est essentielle.
Mais nous devons le reconnaître, sur le plan existentiel c'est la composition
qui est la synthèse la plus viable. S'autonomiser donc. c'est se donner .les
moyens d'exister: "Chacun veut suivre ses propres lois, voilà l'aspiration
à l'autonomie" (1). Quand le sujet commence à suivre ses propres lois, il
ne s'est pas seulement émancipé, il a mis fin au processus de sa constitution.
Il commence alors à devenir sa propre fin. Il use du monde et en fait un
moyen pour sa satisfaction personnelle. Le sujet retrouve une seconde fois
sa dimension égocentrique. Il se circularise et se fonde en lui-~ême.
Mais nous le verrons un peu plus loin, le sujet ne fait pas que s'abî-
mer en lui-même, il s'ouvre sur le monde.
Pour revenir sur le processus de subectivation en entier, nous dirons
que le sujet s'autonomise dans et par le temps. La circularité est le mou-
vement interne de l'autonomie, elle est le signe de la clôture du processus.
L'ouverture est l'expansion, le trop-plein de l'autonomie. Nous prendrons
en compte ces deux mouvements. r~ais la subjectivation n'est pas la seule
tendance à l'autonomisation, la socialisation suit un processus analooue.
b) Le temps .e t l' autonomi sat i on' du soci us
Le problème fondamental de la société était celui de la conciliation
des égoïsmes. Mais ce problème a été pratiquement résorbé en un autre:
comment rendre les propriétés stables? Quel est l'apport du temps dans la
stabilisation de la propriété. La possession apparôft au dérart co~~e une
synthèse du temps et de l'esrace. Pour se faire passer pour le possesseurd'un
objet, l'individu l'a soit transformé ou soit trouvé. Il a donc posé sa marque
sur l'objet et par ce fait s'estime possesseur de l'objet. Bien que HUME
soutienne que le travail n'ajoute rien d'essentiel à l'objet, il faut recon-
naître que cette opération est déjà une synthèse du sujet. L'objet travaillé
acquiert un surplus de valeur; celui qui le travaille se le rend contigu et
peut déjà avoir des droits sur lui. Mais la possession n'est pas unè propriété
parce qu'elle n'est pas reconnue.
(1) Jacques D'HONDT~ 9P~ Cit. p. 55.

'241
La deuxième synthétisation de l'objet s'opère artificiellement. L'homme
pose les conditions objectives de la propriété. Il ne suffit plus de s'es-
timer possesseur d'un objet pour qu'on soit effectivement propriétaire.
Il faut que les autres hommes reconnaissent la propriété. La création arti-
ficielle des règles pour la stabilisation de la propriété est une seconde
synthèse temporelle qui approfondit la synthèse transformatrice de départ.
Il faut donc non seulement travailler l'objet (le transformer), mais il faut
que cet objet soit reconnu par les autres. Mais les règles de justice, par
le fait qu'elles sont, dans leur expression première, extérieures aux hommes,
ne peuvent avoir tous les effets escomptés.
Il faut donc autre chose pour déterminer les hommes à croire en la propriété.
Et c'est là que le temps joue un rôle important. Grâce à la répétition, à
la constante contiguité du propriétaire et de l'objet, il naît une sorte
d'accoutumance qui fait qu'à l'apparition du propriétaire on pense à l'objet
et vice versa. En d'autres termes, cela veut dire que sans le temps, la pro-
priété ne serait qu'une réalité extérieure; mais en même temps, on peut
dire que le temps n'ajoute rien d'objectif à la propriété, il ne fait seu-
lement que déterminer l'esprit; la propriété est donc dans cette détermi-
nation de l'esprit et non ailleurs: "la possession pendant une longue pé-
riode de temps confère un titre à un objet. Mais, comme il est certain que,
bien que tout soit produit dans le temps, rien de réel n'est produit par
le temps, il suit que, .si elle est produite par le temps, la propriété
n'est rien de réel dans les objets; elle est fille des sentiments; car,
c'est sur ceux-ci seulement que le temps trouve-ton, exerce une influence" (1).
Il n'y a donc pas lieu de croire qu'il y a des signes objectifs de la pro-
priété, c'est dans la croyance des hommes qu'il faut la chercher. Mais pour
que les hommes se déterminent, il faut non seulement que la possession existe,
mais il faut que les règles la stabilisent. Celà ne suffit pas, il faut que
le temps travaille à légitimer la propriété. C'est donc dans la répétion de
la contiguïté que réside le secret de la propriété. Cette accoutumance est
un lien suffisant pour associer le propriétaire et l'objet.
Mais, une fois que la propriété a été précisée par les règles et reconnue
;
par les hommes, elle se sépare de son origine discontinue et devient une
J
réalité autonome. Le propriétaire pense sa propriété dans l'oubli de la dis-
(1) Davià HU~E~ Traité~ p. 627.

242
-continuité. La propriété devient un droit, une exigence. et le propriétaire
peut égoïstement garder ses biens et laisser mourir les autres de faim. Il
suffit alors que les déshérités se rappellent qu'il n'y a rien d'objectif
dans la relation de propriété pour que la société éclate. La propriété est
donc une synthèse précaire qui naît au milieu de la discontinuité des égoïsmes
pour poser une certaine stabilité.
La société s'organise à partir de la propriété. En complétant les règles
fondamentales de la stabilité de la propriété par la règle du transfert par
consentement et par l'obligation des promesses. A partir de ces règles,
les hommes essayerons de mettre en oeuvre un système pour échanger des biens
et des services, pour lutter contre la mauvaise répartition naturelle des
biens. Mais cette organisation sociale première va de plus en plus se sys-
tématiser et se spécifier. C'est à dire que vont naître à l'intérieur d'elle
de plus en plus de fonctions dont chacune suivra ses propres lois de déve-
loppement.
A ce niveau, la société s'éloigne de la discontinuité de départ. Elle s'or-
ganise et vit en intégrant les égoïsmes dans une synthèse compl~te. Mais cet
ordre initial de la société est de nouveau menacé dans son autonomie, il
va donc falloir le régénérer. Et cela se fait par l'instauration du politique
qui complète l'autonomie de la société.
c) le temps et l'autonomisatio.n .du po l i t i que
-----------~--~--~---
Si d'un point de vue de la logique immanente l'instauration du poli-
ti que es t nécessai re, d'un point de vue de l' expéri ence , l' i nstaurati on du
politique est contingente. A 1'Uqage de cette contingence les premiers pou-
voirs vont être le fruit de l'arbitraire, comme nous l'avons déjà dit:
"Presque tous les gouvernements qui subsistent aujourd'hui, ou dont l'histoire
-nous a conservé le souvenir, sont fondés sur l'usurpation ou sur la conquête,
ou sur l'une et l'autre à la fois, sans que l'on puisse le moins du monde
prétexter un consentement libre, ou une sujettion volontaire de la part du
peuplell (1). Il Y a peut-être quelques gouvernements qui furent fondés ori-
ginairement sur un consentement volontaire. mais ce serait plutôt l'exception
)
à la règle. Comment alors faire que des pouvoirs fondés sur l'usurpation
(]) David HUME~ Essais politiqyes, p. 32ô.

243
deviennent légitimes? Ce n'est pas par cette force même qui est à la base
de ce pouvoir
car: "les sujets sont toujours les plus forts· (1). Ce
n'est donc pas par quelque chose d'extérieur aux hommes qu'on rendra le
pouvoir légitime. C'est la tête des hommes qu'il faut changer, il faut tes
déterminer. On peut donc au vu de cela esquisser le processus d'autonomi-
sation du politique.
Dès le départ, il est clair que c'est la force qui a imposé le pouvoir
qui le légitime. Mais cette légitimité est précaire dans son essence même.
Parce que tous ceux qui sont assez forts pour organiser une quelconque
sédition peuvent s'emparer du pouvoir. Ce qui amène les détenteurs réels du
pouvoir à rester sur le qui-vive et à en oublier l'édification de la société
"les peuples pour l'ordinaire, sont mal satisfaits des gouvernements nouvel-
lement établis, et s'ils obéissent, c'est plutôt par crainte que par un
sentiment de devoir et d'obligation" (2). Cet état de fait ne peut prévaloir
éternellement. La force ne peut à elle seule légitimer le pouvoir. Mais ce
que la force n'a pu faire, c'est le temps qui le fera: "Peu à peu le temps
surmonte les obstacles et accoutume les nations à regarder comme souverain
légitime celui qu'elle avait d'abord pris pour un usurpateur ... " (3). Mais
comment le temps réussit-il à faire que l'usurpation devienne un pouvoir
légitime? Il faut distinguer deux aspects dans cette détermination de l'es-
prit. D'abord l'action volontaire du souverain, puis, l'action involontaire
du temps. Dès que le souverain usurpe le pouvoir, il a deux devoirs à
accomplir s'il veut se maintenir. D'abord remplacer graduelleMent la force
par des actes positifs. Si dans tous les premiers instants du pouvoir la
force est inévitable, il faut, par la suite, remplacer graduellement la force
par le consentement en transformant l'opinion (4). Mais comment transforme-
t-on l'opinion? Pour le faire, le Prince doit montrer au peuple que son
règne est un état de bonheur superleur à l'état précédent. Il faut donc que
de son vivant il favorise le commerce, développe les arts et les industries.
Il faut, s'il le peut, qu'il change la forme du gouvernement pour marquer la
nouveauté du règne. Tous ces actes politiques doivent être accompag~és par
)
(l)
David HUME~ "Les' principes du qouvernement:", in- Essais, pol.i t iquee , p. 70
(2) David HUME~ Qp. cit. p. 333
(3) David HUME~ Ibid~ p. 333.
(4) David HUME~ "Pr~ncipes Œ.A. gouvernement" in Eeeai e, p. 70, cf Georges VIACHOS~
Essais sur' la politique de HUME, Paris, Ed.Domat-Montchrestien, 1955 j
L'auteur essaie de prendre toute la problématique politique de HUME en compte
en la pensant par rapport à L'histoire des idées. Voir no tanment: le chapitre Vj
intitulé: "Le force et le dx-oi t , Essai de synthèse psycr.ologique~'"p;86 et suit

244
un travail "idéologique" qui doit faire passer dans l'opinion du peuple
l'idée que le règne du souverain est lié à son intérêt: "Par opinion d'in-
térêt, j'entends le sentiment de l'utilité publique, que le gouvernement,
sous lequel nous vivons, la prouve autant que tout autre pourrait le faire"(l).
Si le peuple intériorise cette vérité, le pouvoir s'ancre dans les espri~s.
Mais il faut que le souverain ait le temps matériel pour réliser cette lé-
gitimation de son pouvoir. Il doit~effectuer aussi ce travail involontaire
qui est la déternlination temporelle inconsciente du peuple. La constante
contiguïté du souverain et du pouvoir, tous les organes d'opinion (écoles,
journaux, discours) qui tendent à faire valoir la positivité des actes du
souverain, finissent par déterminer le peuple dans le temps :"Le Temps et
l'accoutumance donnent de l'autorité à toutes les formes de gouvernement
et à toutes les dynasties de princes; le pouvoir qui tout d'abord s'est
uniquement fondé sur la violence, devient avec le temps légal et obligatuire"(2).
Si le pouvoir se légitime dans le temps, c'est parce que les esprits ne peu-
vent rester indifférents à la répétition sans se déterminer. La légitimité
n'est donc pas extérieure aux hommes, elle ne vient pas de Dieu, elle ne
réside pas dans un contrat mais dans la transformation des homTIes. Une fois
que les hommes ont été déterminés à la soumission, le pouvoir s'autonomise.
D'abord, le souverain commence par s'identifier au pouvoir; non content
de s'y identifier, il inclut ses proches comme ses successeurs. Et l'imagi-
nation accoutumée à associer le prince et le pouvoir finit par y associer
les proches du souverain. Le pouvoir tourne alors sur lui-même et oublie
son origine qui est l'usurpation et donc la discontinuité. Il s'autonomise
dans l'oubli de son origine, se complexifie et se sépare (la séparation des
pouvoirs exécutif, législatif, juridique). Ce développement des fonctions
à l'intérieur du pouvoir achève son autonomisation. Le pouvoir peut sortir
de lui-même et engendrer du pouvoir à l'infini. Il aboutit alors à la dic-
tature et à la tyrannie.
Cet excès sera sanctionné par des crises (révolutions, guerres civiles, ... )
Nous allons reprendre ce point un peu plus loin mais avant, essayons de dé-
velopper toute la richesse de l 'autonomisation du sujet, du socius et du
pouvoir.
)
(1) DœJid HUME~ cp. Cit. p. 71
(2) David HVME~ Traité~ p. 640

~45
c) le commerce des hommes (1)
La société politique autonomisée va se spécifier et se systématiser.
La spécification a un rapport avec l'organisation interne de la société
politique. Comment organiser la totalité politique et sociale?
Les hommes vont l'organiser de l'intérieur et la société politique de moyen
supérieur destiné à la conservation des hommes va devenir sa propre fin.
Et comme dit Jacques D'HONDT: "l'élément ne reste pas dans la prolongation
linéaire du système supérieur qui l'a suscité, mais devenant sa propre fin,
il retourne sur lui-même, fonctionne en rond, fait tout tourner autour de
lui, pour lui". (2). De son intérieur, la société va tisser un réseau de
relations interdépendantes. Chaque partie du tout social sera liée à l'en-
semble. Aucun élément ne pourra être perturbé sans que le tout le soit. Et
c'est ce système de relations que nous avons appelé le commerce des hommes.
Le commerce des hommes a une triple dimension: une dimension morale et pas-
sionnelle, une dimension économique et commerciale, une dimension intellec-
tuelle et culturelle.
Le commerce moral et passionnel des hommes prend en compte les rapports
inter-humains. Au niveau moral, le commerce des hommes comporte une série
de niveaux. Le premier niveau est celui du souverain et du peuple. Entre le
souverain et le peuple, il n'y a pas de contrat de soumission ni de servi-
tude. La soumission est d'abord une domination pour devenir ensuite une sou-
mission volontaire. Donc face au souverain, le peuple se soumet. La soumis-
sion est de l'ordre du fait. HUME la compare à la pesanteur: "On se f'ami-
1iarise si fort avec l'obéissance et la sujettion, que la plupart des hommes
ne s'informent pas davantage de son origine, de sa cause, que des principes
de la pesanteur, de l'inertie, ou des lois les plus générales de la nature ... "(3)
Mais cette soumission n'est pas absolue. Car le peuple conserve le droit de
mettre en cause le pouvoir du souverain si celui-ci par sa conduite met la
société en danger. En fait, ce n'est pas au souverain qu'on obéit, mais à
(1) Didier LELEULE dans son livre "HUME et la naissance du libéraZisme économique"
\\
,)
(Aubier-Montaigne
1979)3 essaie de penser la place de HU~1E dans le libéra-
3
lisme naissant: "HUME vér-i tobl.e fondateur de l'économie politique?
5 'il
faut à toute force restituer une responsabilité'nominale
HUME pas plus que
3
QUESNAY3 HUME pas moins que QUENAY ... l'unité du libéralisme est un mythe"p.402
(2) Jacques D'HONDT
Op. Cit. p.
55
3
(3) Davià HUME
"le contrat prirrritif" in Essais Pol.i t i.quee, p.
323.
3

?46
travers et par devers lui, c'est l'ordre social qu'on préserve. Car pour
HUME "le besoin social est l'intérêt de la société sont les principaux liens
qui nous attachent au gouvernement ; et ce sont des 1i ens très -sacrés : 1a
personne individuelle du monarque et la forme de l'Etat sont plus sujettes
au doute et à l'incertitude" (1). Si ce n'est pas le monarque en tant que
tel qu'on révère, la soumission n'est pas une soumission aveugle, c'est une
volonté libre qui vise le général dira HEGEL (2). La soumission est donc la
règle et le droit de résistance en est l'exception. HUME préfère de ce fait
une accentuation de la soumission à la révolution qui porte en elle-même,
selon lui, les germes du désordre. Il n'en demeure pas moins que par le
droit de résistance, le peuple a un moyen efficace pour limiter le pouvoir
du monarque. Si le peuple résiste au tyran, c'est pour préserver l'ordre et
la société. Si le souverain est ainsi limité par le droit de résistance,
sa pratique doit tendre positivement à faire le bonheur du peuple et à fa-
voriser le commerce. Ces actions positives reviennent sur elles-mêmes pour
raffermir son pouvoir dans 1'opinion. Tel nous semble le premier aspect du
commerce des hommes.
Mais le souverain n'est pas seul à pouvoir mettre en cause l'ordre social.
Les individus de la société peuvent aussi le faire. Le souverain se fait aider
par des magistrats pour mettre de l'ordre dans la société. Les magistrats
sanctionnent ceux qui refusent d'obéir aux règles de la société. Cette dis-
position ne les brime pas, elle les oblige à vouloir la société. Mais quelle
que soit sa compétence, 1e magi s tra t ne peut à 1ui seul mettre de l'ordre
dans la société. Les membres de la société 1'y aident. La société a un pou-
voir spontané de coercition qui fait qu'elle sanctionne par le blâme les
mauvais actes et par des louanges incite les hommes à obéir aux lois morales.
L'individu est préoccupé de son honneur et de sa réputation, il sera de ce
fait sensible à toutes les louanges concernant sa personne. C'est ainsi
qu'on prolonge en soi les interdits professés par la société. Par l'éducation,
par toutes sortes de moyens culturels, les politiques essayent d'ériger un
système de valeurs que l'individu intériorise et qui lui permettent de s'é-
duquer soi-même. Pour HUME, la moralité n'est pas une violence, l'éducation
)
ne fait que favoriser une tendance morale naturelle en nous.Grâce à tous les
garde-fous, l'individu entre dans un commerce moral avec les autres hommes.
(1) David HUME~ gr. Cit. p. 352
(2) HEGEL~ ~incipes de la philosophie du droit~ pp. 270~271.

Il respecte les règles de la propriété
il respecte ses promesses et est
t
ainsi disposé à jouer un rôle économique dans la société. Mais ce commerce
moral est renforcé par un commerce passionnel.
Les individus ne sont pas indifférents les uns aux autres. La passjon
prend en compte l'altérité. la passion de l 'orgueil et de l 'humilité sont
des passions sociales. On est orgueilleux des qualités qu'on a et humble pour
les qualités qu'on nia pas. Mais ces qualités elles-mêmes n'auraient aucune
valeur si le regard des autres ne leur en donnait pas.
Les passions peuvent être divisées en deux groupes. Celles qui compor-
tent une résonnance sympathique et qui favorisent le rapprochement amical
des hommes telles l'amour
la joie
la pitié
etc
et les passions négatives
t
t
t
t
qui opposent les hommes telles la hai ne , la colè re , l'envie
etc.
t
Malgré cette différence
les passions peuvent être déclarées altruistes
t
dans leur expression.
C'est grâce à une passion comme celle de l'amour pour l'autre sexe
que les rapprochements originaires s'effectuent. Par la suite
les hommes
t
s'accouplent, lient des amitiés
établissent des liens que prolongent l'amour
t
t
la parenté
la fraternité. La sympathie est une passion qui pousse les hommes
t
à vivre ensemble. L'affectivité et le sentiment sont à la base de la moralité.
Même les règles artificielles finissent par déclencher en l 'homme un sentiment
moral. C'est pourquoi HUME distinguera à côté du commerce par intérêt~ un
commerce nature l., caractérisé par sa
gratuité
et qui est motivé par la
sympathie.
Toutes ces relations morales affectives finissent par tisser entre les
hommes des liens fort étroits. Ces liens sont ensuite renforcés par le
commerce économique.
A l'encontre du commerce moral et passionnel, le commerce économique
est d'abord basé sur l'intérêt. Les égoïsmes ont été rationnalisés par les
règles artificielles de justice. Le pouvoir coercitif de l'Etat a raffermi
l'ordre. Les hommes d'une part ont intériorisé les règles artificielles de
justice et d'autre part ont découvert qu'il était dans leur intérêt de les
respecter. Les règles de transfert de la propriété et de l'obligation des
)
promesses ont posé les bases juridiques du commerce. La société peut donc
s'organiser économiquement. C'est de la discontinuité due à la répartition
inégale des richesses et des compétences que va naître la nécessité du
commerce. Il faut alors faire une double distinction.

248
D'abord une division au niveau du travail. Ceux qui sont aptes au travail
des champs deviennent des laboureurs et ceux qui 'sont habiles dans les mé-
tiers artisanaux deviennent des artisans. (1).
Puis une division au niveau de la répartition des richesses. Toutes les.
terres ne produisent pas la même nourriture. Il faut donc pouvoir échanger
les richesses.
Au niveau des laboureurs, il y a échange. Ceux dont les terres pro-
duisent en abondance un certain nombre de légumes n'en produisent pas d'au-
tres. Ils ont donc du surplus non utilisé, il faut donc échanger ce surplus
avec ceux qui ont des productions dont les paysons ont grand besoin. Le
commerce entre paysans peut se faire par troc.
Au niveau des artisans, l'échange sera motivé par le fait que la dif-
férence des compétences aboutit à des fabrications différentes. Cette consé-
quence va non seulement aboutir à l'échange mais aussi à la spécialisation.
Entre laboureurs et commerçants, il y aura échange des produits de la
terre et de l'artisanat. Les artisans ont besoin des paysans pour vivre.
Les paysans de leur côté ont besoin des artisans pour moderniser leur cul-
ture et pour vivre dans un certain luxe. Les paysans encouragent donc par
leur demande l'artisanat qui se développe jusqu'à devenir une industrie.
Les industries ont de plus en plus besoin des produits de la terre comme
matière première et comme biens de subsistance. Le commerce et l'industrie
se développent alors au niveau de
la nation. C'est là que le troc n'étant
plus adapté, on introduit l'argent. L'argent n'est qu'un moyen pour faciliter
le commerce: "l 'argent monnayé n'est pas, à proprement parler, un des sujets
du commerce, mais seulement l'instrument que les hommes sont convenus d'em-
ployer afin de faciliter l'échange d'un produit pour un autre. Ce n'est pas
une des roues du commerce, c'est l 'huile qui rend le mouvement des roues
plus doux et plus aisé" (2).
Pour HUME, l'argent n'est rien, ce n'est pas la richesse d'une nation,
c'est "du papier bien garanti parce que le transport en est plus facile et
la garde plus sûre" (3). C'est plutôt le corrrrnerce et l'industrie (t.ravail
accumulé) qui constituent la richesse d'une nation: le commerce et l'indus-
~ i
trie ne sont pas autre chose, en réalité, qu'un capital de travail qui, en
:j
(1)
David HUME~ "Du commerce" in Oeuvre Economique~ Traduction et publication
des Essais économiques de HUME par M. FROMENTIN ; Pari e , Ed, GUA~ l.launrin ,
1888~ p. 5.
(2) David HUME~ "De la circul.at-î.on monéiiaire'", Oeuvre économiQUe~ p. 23.
(3) David HUME~ Qp. Cit. p. 26

d9
temps de paix et de tranquilité, sert au bien-être et a la satisfaction
des individus mais qui, en cas d'exigences de l'Etat, peut être employé
en partie dans l'intérêt public"(l).
Le développement du commerce a des conséquences nombreuses et déct-
sives sur l'intégration nationale. Le commerce introduit visiblement des
liens de dépendance et constitue en quelque sorte un antidote contre la
séparation et l'indifférence. Deux commerçants fort éloignés peuvent être
liés par des contrats au point que l'intérêt de l'un dépende de l'intérêt
de l'autre. La pratique commerciale instaure un contrat social implicite
a base d'intérêts. L'intérêt nous oblige malgré nous a nous occuper du
bonheur de nos associés, a vouloir la société et le gouvernement qui per-
mettent le commerce. Et sans qu'on le veuille, on aboutit a une sorte d'har-
monie artificielle des égoïsmes. Cette harmonie artificielle est renforcée
par tous les biens naturels de sympathie. L'harmonie des égoïste est inté-
riorisée et produit un sentiment distinct de moralité. Les horrunes peuvent
donc dépasser leur égolsme pour ser~ir le bien public. Soit en servant a
la construction de la nation, soit en réalisant une oeuvre commune: "C'est
ainsi que, partout, se construisent les ponts, s'ouvrent les ports,
s'é-
lèvent les remparts, se creusent les canaux, s'équipent les flottes et se
disciplinent les armées par les soins du gouvernement qui, bien que composé
d'horrunes sujets a toutes les faiblesses humaines, devient par l'une"é1"ès
plus belles et des plus subtiles inventions qu'on puisse imaginer, un composé
exempt, dans une certaine mesure, de toutes ces faiblesses" (2).
Dans la totalité organisée, les faiblesses disparaissent, les hommes
projettent en dehors d'eux une unité qu'ils n'ont pas en eux-mêmes. Cette
unité rejaillit sur eux, en retour, pour les déterminer à la société.
Cette unité constituée dans l'oeuvre par la collaboration va s'étendre.
Les hommes comprendront la nécessité de la société et la nécessité de la
défendre: de l'intérieur, contre tous ceux qui veulent fouler au pied les
règles de justice, a l'extérieur contre les ennemis du dehors. Cela ne se
fera que si la nation peut lever des taxes et une armée (sans que cela gêne
la production nationale), c'est a dire si elle est prospère. Il y a donc
I l
une relation étroite entre le développement de l'agriculture et de l'industrie,
1
(1)
David HUME
Op. Ci t. p. 14
3
(2) David HUME
Qp.Cit.p.650
3

15fY
le bonheur des citoyens et la richesse de la nation. A ce niveau, on peut
dire que le commerce économique joue un rôle intégrateur sans précédent
dans la nation. Mais tout ce développement économique ne manque pas d'avoir
une conséquence sur l'activité intellectuelle nationale.
Le commerce des esprits apparaît dès lors comme une conséquence du
commerce. Il pourrait prendre part dans ce que HUME appelle le luxe. Le luxe
est proprement un agrément de l'esprit et de l'existence. En ce sens, il
n'est pas nécessaire au sens vital du terme, mais il contribue tout de même
au bonheur des hommes. Le commerce des esprits, c'est d'abord un échange
culturel entre les penseurs et écrivains, entre les critiques et artistes
d'une nation. HUME ne développe pas dans le détail ce commerce. Mais on
pourrait revenir sur le problème de la discontinuité esthétique laissé en
suspens pour di~e que c'est dans le commerce culturel qu'il est résolu.
Nous avions établi qu'il n'y avait pas unanimité sur la reconnaissance sociale
de la beauté. Chaque goût éduqué prétendait être l'unique référence de la
beauté artistique. Et ainsi, la beauté s'aliénait dans les points de vue
des particuliers. Cet éparpillement des points de vue sur la beauté va
être dépassé dans le commerce des esprits. Il va se dégager à la longue
un groupe d'individus qui, par la pratique et l'éducation, ont acquis assez
d'expérience pour reconnaître la beauté. Ces hommes vont donc se constituer
en une entité autonome, entretenir des rapports et se constituer en une
société des beaux esprits (1). Le goût devant inclure pour HUME les bonnes
manières, l'art de la conversation, etc.
Les écrivains et les philosophes
éduquent
les nations les uns par
leur art, les autres par leur sagesse sceptique et leur modération.
Le commerce des esprits a, en ce sens, une importance capitale dans
le commerce des hommes. Essayons de reprendre tout ceci dans le mouvement
de la récurrence, pour mieux le préciser.
2
La récurrence et le fondement chez HUME (2)
La récurrence comportera pour nous un double mouvement. Un mouvement
circulaire et un mouvement linéaire. Ces deux mouvements nous permettront
(1) David HUMF~ qui fréquentait les salons~ pensait que c'était des lieux
privilégiés où devaient se sélectionner et s'éduquer ces maitres du goût.
(2) Nous nous aiderons d'un article intéressant de J.M. MFZZADRI sur la
"récUITence", paru dans les Annales de l'Université d'Abidjan.
Série D~ Lettres Tome 8~ 1975.

257
de penser le fondement et l'ouverture chez HUME. Commençons par le mouvement
circulaire.
Le mouvement circulaire est celui qui a conduit à l'autonomisation.
Nous avions défini l'autonomisation comme une tentative de la vie pour arracher
du sens à la discontinuité. Mais nous avons découvert que ce mouvement se
circularisait. Or, pour que le cercle soit fermé, il faut qu'il y ait retour
dans l'origine. Le retour dans l'origine peut se faire de deùx manières:
soit selon une esquisse libre qui dessine d'un trait une figure géométrique
qui est le cercle, soit en deux temps, alors on part d'une cause qui produit
un effet (demi-cercle) et cet effet réagit sur la cause (deuxième demi-cercle)
"De façon générale on peut dire qu'il y a récurrence chaque fois qu'un méca-
nisme permet de rejaillir sur la cause à partir des variations aléatoires af-
fectant l 'effet".(l). Com~ent ce mouvement peut-il être décelé chez HUME?
Nous avons vu que la temporalité était le signe de l'extériorité et de la
discontinuité, mais que de son intérieur, elle mettait en oeuvre un mouvement
d'autonomisation. Ce mouvement se déployait et revenait ~ur son origine pour la nie!
afin de vivre d'une manière autonome. Le sujet qui s'est autonomisé de la dis-
continuité perceptive par exemple, trahit son origine et s'extériorise comme
fondement originaire. La société qui était au départ donnée comme opposition
des égoïsmes, se circularise dans le temps et par la pratique en une entité
autonome. La société politique qui est le résultat du processus d'autonomisation
vit d'une manière auto-suffisante, développe ses fonctions et travaille à se
maintenir. Le mouvement de circularisation est riche d'un double renversement.
L'effet devient cause et la cause devient effet de l'effet. En un mot, la
cause initiale déclenche un mouvement qui la dépasse et l'emporte. Ainsi, comme
le dit Jacques D'HONDT de la nouvelle réalité autonomisée : " ... Les chaînes
causales se retournent sur elles-mêmes, les causes deviennent dialectiquement
effets, forment ainsi une unité individualisée d'interdépendance (Zusammenhemg)
et de réciprocité d'action (Wechse2wirkung), un mouvement circulaire."(2).
Ce premier mouvement de la récurrence est le plus riche et le plus complet.
Mais, quand bien même lacircularité aura t t tendance à s'arrêter·, le mouvement
de la récurrence échappe à l 'autono~isation.
)
\\
,/
(1) J.M. !~ZZADRIJ art. Cité
(2) Jacques D'HONDT
Qp.Cit. p. 56
J

L'autonomisation n'arrête pas le mouvement,
elle l'ouvre. C'est que la répétition est aussi une synthèse des possibles.
Parlant du raisonnement récurrent, Poincaré dit sans grande originalité _
dans La Science et l'Hypothèse qu'il "traduit la puissance de l'esprit qui
se sait capable de concevoir la répétition indéfinie d'un acte dès que
cet acte est une fois possible" (1). Cette idée traduite dans nos préoccuppations
signifie que,
loin de s'abîmer en el l e , la continuité conquise sort d'elle-
même pour rendre possible des continuités à venir. L'esprit se sait capable
de concevoir indéfiniment sa détermination. Les hommes savent qu'ils sorti-
ront toujours de la discontinuité. La nature quise sait discontinue au
départ sait qu'elle viendra à bout de la discontinuité~ ne serait-ce que
provisoirement. Une fois que la règle de 1'autonomisation est posée~ il
suffit de la répéter pour produire d'autres raisonnements semblables. Les
hommes savent qu'ils sortiront r~turellement de la discontinuité puisqu'ils
s'en sont sortis une fois. Les autres fois échappent à la nature tout en
s'y référant. Et c'est ainsi que s'ouvre une chaine infinie de circularités
qui se répètent. Dès lors~ 1'autonomisation devient le mouvement interne
du processus de l'existence. Mais cette ouverture n'est possible que grâce
au pouvoir de répétition de l'esprit. Nous avons dit au départ que la repe-
tition était la "prison du moi" ~ mais nous avons découvert que cette répé-
tition sortait d'elle-m2me pour déterminer l'esprit. Elle permettait ainsi
la liberté. C'est encore la répétition de la circularité qui va ouvrir le
mouvement de 1'autonomisation sur le futur pour le généraliser. Puisque la
nature est venue à bout de la discontinuité~ nous savons par expérience
qu'elle le fera toujours.
Il faut distinguer deux activités fondamentales: la production de la cir-
cularité et sa reproduction.
La répétition de l'ordre à l'intérieur des entités autonomisées est
une répétition et un approfondissement de la circularité.
La reproduction est~ quant à elle~ une répétition du processus d'au-
tonomisation selon les règles mêmes de ce processus.
Ce double mouvement circulaire et linéaire est le processus fondateur
chez HUME. Ce qui veut dire que c'est de l'intérieur de la discontinuité
(1) H. POINCARE, La science et l'hyPothèse, Ed. Flammarion, 1943, pp.2J-24.
Nous unissons ici les deux sens que Mr l1EZZADRI a séparé dans son article.

253
que naît l'ordre. L'ordre n'est pas surajouté du dehors. il n'est même pas
pré-existant. il surgit de l'intérieur du processus. Cet ordre devient au-
tonome et reconquiert ses droits pour poser un univers. Clest donc de l'in-
térieur de l 'hétéronomie que naît l'autonomie.
Il faut donc penser le fondement comme un processus. La raison. le
sujet. la substance. ne sont pas des réalités premières; l'être n'est pas
spontanément rationnel. l'ordre n'est pas immédiat; llordre, clest une
lente ordination puis, il se produit un saut qualitatif qui instaure un
nouveau règne. Ainsi, le double mouvement circulaire et linéaire nous a-t-il
permis de mettre en évidence la solution humienne de la discontinuité.
Pour nous résumer, nous dirons que HUME n'est pas le philosophe du
scepticisme radical. Il Y a constitution d'un certain ordre à l'intérieur
de sa philosophie. Le scepticisme radical. ce n'est pas la vérité du scep-
ticisme humien, comme la phase des antidotes n'en est pas aussi la vérité;
il faut aussi le reconnaître, les deux phases réunies ne sont pas encore la
vérité du système. Il faut encore développer la phase pratique et penser la
fin du processus comme autonomisation. Il n'y a que le double mouvement
de la récurrence qui épuise la signification de la constitution humienne .•
Mais s'arrêter à ce processus de constitution, ce serait manquer la plus
importante dimension et la dernière de la philosophie de HUME. Le sens de
la discontinuité était qu'elle était un processus qui triomphait. Nous avons
vu comment le processus de constitution a été près d'en venir à bout.
Nous devons montrer dans la section suivante que la discontinuité ne peut
jamais être totalement résorbée.

2S4
SECTION III
LA DISCONTINUITE SECONDE
(COMME LIMITE DE LA SOLUTION HU~IENNE DE LA
DISCONTINUITE)
Le mouvement de la récurrence nous a permis de penser le fondement
chez HUME. Nous avons insisté sur les deux aspects du processus : circularité,
ouverture. L'ouverture voulant dire que le processus d'autonomisation peut
être répété et donc que la constitution se fera toujours. L'achèvement de ce
processus semble donc avoir résolu le problème de la discontinuité chez HU~1E.
La discontinuité (ontologique, théorique, et existentielle) semble être résor-
bée. La continuité conquise se déploie, comme nous l lavons dit, dans l'igno-
rance de ses origines. Cette ingratitude est le signe d'une maturité et d'un
départ radical. Alors, comme dit J. D'HONDT parlant de l 'autonomisation chez
MARX et ENGELS, "1es autonomies parcellaires seront récupérées'(l) L'autonomie
n'est jamais qu'une autonomie relative puisqu'elle est sous la dépendance pro-
fonde du mouvement qui lia suscitée. C'est ainsi que pour rappeler les entités
autonomisées à leur origine discontinue, il se produit ce qu'on pourrait ap-
peler des crises discontinuistes. Ces crises, nous le verrons, ont pour but
de rappeler violemment l'entité autonomisée à ses origines. On ne s'émancipe
pas définitivement de la discontinuité. Cette discontinuité seconde qui surgit
au milieu des entités autonomisées est différente de la première. Celle-ci
est née de l'intérieur d'un ordre déjà constitué, celle-là était naturelle
et préconstitutive. La première n'était pas qualifiable de désordre, la seconde
peut être qualifiée de désordre~ La possibilité même de ce désordre renforce
la position de HUME pour qui 1 lordre n1est pas naturel mais artificiel. Le
retour du désordre renseigne non seulement sur le dérèglement de la machine,
mais il nous enseigne la précarité de cet artifice. La précarité signifie chez
HUME que la discontinuité ne peut jamais être totalement résorbée. Il y a donc
toujours une lutte larvée des tendances opposées (continuistes/discontinuistes)
au moment où l'une semble la plus triomphante, elle laisse filtrer, malgré elle,
dans ses interstices, les restes de l'autre (2). C'est ce que nous allons mon-
trer en prenant le retour de la discontinuité au niveau théorique subjectif,
au niveau politique et au niveau existentiel.
\\
1
,)
(1) J. D'HONDT, L'idéologie de la rupture~ p. 59.
(2) CeZa peut encourager à une interprétation freudienne de la philosophie de
HUME; la discontinuité comme refoulé ressurgit toujours au milieu de L 'ordre
dans ses moments d'inattention. Il faut toutefois concéder que la différence
des problématiques éloigne vraiment ces deux auteurs l'un de l'autre.
--------------. - - ----

25'5
1 - La discontinuité seconde
La discontinuité seconde, c'est l'irruption du discontinu au milieu
de la continuité. Cette irruption se fait au niveau théorique sous la forme
du doute et de la crise sceptique; au niveau politique, ce sont les révo-
lutions et les guerres civiles, tandis qu'au niveau existentiel, c'est le
suicide.
a) L'existence, le théorique, le doute
On peut vivre sans se poser de questions. Maisla philosophie introduit
l'inquiétude dans la vie. Elle nous oblige à chercher à comprendre. Or, quand
ce mouvement de l'esprit se déclenche, tout l'univers des certitudes et des
cohérences qu'on s'était bâti à tendance à s'écrouler. Par exemple, on ne
s'est jamais posé de question sur le lever prochain du soleil. Nous sommes
habitués, dans notre existence passive, a considérer que le soleil se lèvèra tou-
jours.Qu'on découvre par la réflexion que le fait que le soleil selève ou ne se lève
pas ne relève d'aucune nécessité, et on commence alors à introduire des doutes
sur la normalité des choses. Le soleil peut ne pas se lever, telle est l'ou-
verture, telle est l'incertitude qui, en même temps qu'elle angoisse, peut
instaurer la conscience philosophique. On peut se demander alors: et si le
soleil ne se levait pas? Mais comme le soleil s'est toujours levé, on finit
par nous fier à la coutume et à l 'habitude. Or, 1'habitude est anti-philoso-
phique en ce qu'elle nous pousse à croire en ce que notre raison ne peut jus-
tifier. La raison elle-même ne peut se justifier. Comme nous l'avons déjà vu,
le scepticisme est à l'intérieur de la raison philosophique. Le doute qui
s'installe à l'intérieur du sujet théorique n'est pas seulement philosophique,
il est aussi existentiel. Et HUME lui-même dans sa pratique philosophique, a
eu affaire à ce doute qui ne s'en tient pas seulement à la mise en cause de
l'existence entière: "la vue intense de ces multiples contradictions et im-
perfections de la raison humaine m'a tant excité, elle a tant échauffé mes
pensées, que je suis prêt à rejeter toute croyance et tout raisonnement et
que je ne peux plus considérer une opinion même comme plus probable ou comme
,1
plus vraisemblable qu'une autre. Oû suis-je et que suis-je? De quelles causes
tirai-je mon existence et à quelle conditions retournerai-je? Quel est l'être

256
dont je dois briguer la faveur, et celui dont je dois craindre la colère?
Quels êtres m'entourent? Sur qui ai-je une influence, et qui en exerce une
sur moi ? Toutes ces questions me confondent et je commence à me trouver dans
la condition la plus défavorable qu'on puisse imaginer, enveloppé de l'obscu-
rité la plus profonde et absolument privé de l'usage de tout membre et de
toute f acul tê" (1)
Donc visiblement, HUME part ici des contradictions internes de la raison pour
aboutir au doute. Mais ce doute est profond parce qu'il
pose des questions es-
sentielles
"Où suis-je? Et qui suis-je? De quelles causes tirai-je mon
existence et à quelle condition retournerai-je? "
Donc la question de la situation existentielle de l 'homme, la question du
lieu, de la condition? Puis, la question de l'identité, et de la nature:
qui suis-je puisque je n'adhère pas aux évidences des sens? Quelle est mon
origine, quelle est ma destination ?C'est donc de l lintérieur du théorique
que remonte la question du pourquoi. Mais au lieu de répondre à cette question,
HUME prône plutôt par elle la sortie de la philosophie: "Très heureusement,
il se produit que, puisque la raison est incapable de chass~r ces images,
la Nature elle-même suffit à y parvenir; elle me guérit de cette mélancolie
philosophique et de ce délire soit par relâchement de la tendance de l'esprit,
soit par divertissement et par une vive impression qui effacent toutes ces
chimères" (2). Le doute est donc une conséquence de la raison philosophique.
Il est tout de même une crise à l'intérieur du sujet rationnel. Le sujet auto-
nome et légiférant qui découvre et applique les lois du monde, trouve devant
lui un univers où rien n'est contingent et où tout est nécessaire. Mais la
science de la nature humaine lui découvre qu'il y a une faille quelque part
dans l'édifice. Ce mouvement de la remise en cause est un mouvement salutaire
qui amène l'individu à s'interroger sur soi. Même si HU~1E évacue les questions
fondamentales en prônant leur résolution pratique, la tendance philosophique
de l'esprit ne manquera pas d'y revenir.
Clest ainsi que de l'intérieur du sujet, la discontinuité change de nature,
non plus la discontinuité structurelle (faisceau de perceptions) mai? la dis-
continuité introduite par le doute. Le doute introduit des failles à l'intérieur
du sujet théorique et, par celà même, à l'intérieur de ses inférences.
( l l Uaoi d HUME~ Trai.té , Conclusion p 361-362
(2)David HUME~
Ibid~
p. 362.

251
C'est donc à ce second niveau que le sujet devient philosophique existentiel-
lement. Mais cette cr i ss théorique subjective n'est qu'une crise individuelle
tandis que la crise sociale et politique met en cause des fondements de la
société entière.
b) Les crises socio-politiques
Clest par le tyran que s'introduiront les crises au niveau socio-po-
litique si le peuple a vraiment intériorisé la soumission. Et cela vient de
loin. HUME avait posé comme axiome fondamental qu'on ne pouvait pas changer l 'hom-
me en lui-même mais qu'on ne pouvait changer que sa condition. C'est ainsi
que les gouvernants sont des hO~les dont on change seulement la condition
en les élevant au-dessus du lot ordinaire des hommes et en faisant que leur
intérêt immédiat soit l'observation des règles de justice par eux et par les
autres. C'est donc par leur intérêt bien compris que les gouvernants défendent
l'intérêt public. Ce n'est donc pas parce qu'ils auraient changé radicalement
et seraient devenus plus vertueux. Ce qui veut dire alors que le gouvernant
est resté avec son égoisme primitif; il a toujours en lui l'amour du proche
et du contigu qui est plus fort que l'amour du lointain. Il est toujours enclin
à préférer l es membres de sa faroi 11 e et ses ami s à ceux qu 1 i l ne connaît pas.
Il Y a, bien sûr, une dose naturelle de sympathie en lui, mais cette dose ne
peut suffire à contenir son égoisme. Or, comme l'égoïsme se nourrit de l'é-
goïsme, et le désir d'accaparer, du désir d'accaparer, l'individu qui possède
veut par une sorte de"dialectique" de l'intérêt tout accaparer. Il n'y a pas
que la seule dialectique de l'intérêt, il y a aussi une sorte de dialectique
du pouvoir. Le pouvoir engendre du pouvoir. Et le pouvoir ne peut se contenter
de rester en lui-même s'fl n'a pas, en face, un contre-pouvoir pour l'en em-
pêcher. Le souverain peut parfois ne pas tenir compte de ce contre-pouvoir,
c'est_à_dire mettre la société qu'il devait préserver en cause. La relation
initiale souverain-peuple était la suivante: le peuple se soumet au souverain
qui représente l'ordre. Dans cette soumission, il était dit que ce n'est pas
au gouvernant qu'on se soumet mais à travers lui à l'ordre social. Ce qui
veut dire qu'on doit se soumettre au pouvoir tant que la société n'est pas
1
radicalement menacëe : (1). Mais si le peuple découvre que continuer à
( /
se soumettre au souverain menacerait radicalement la société, alors il doit
(1) David HUME>
"L 'obéi.seance paeei.ve" in Essais politiques> p. 355.

se révolter: "le salut du peuple est la loi suprême (salus populi suprema
lex es~ P(l). Le devoir de résista~ce est donc un contre-poids ultime face
au pouvoir du souverain. Mais le souverain peut se laisser aller à son égoisme.
Il se produit alors que, en disposant du pouvoir étatique, il agit en parti-
culier en faisant fi des règles de justice. Il étend illégalement son pouvoir,
lève des taxes au gré de son vouloir, sévi, menace de son armée le peuple,
torture, etc. Le peuple réagit alors par la révolution, voilà la crise.
Dans la révolution, il se passe que les hommes veulent encore la société mais
comne la réalisation de ce désir passe par l'éviction du souverain, c'est
cela qui occupera d'abord le peuple. Le peuple veut mettre sur pied un ordre
qui ne puisse plus permettre le retour de l'état de tyrannie. Or, en voulant
réaliser cet objectif, les hommes s'affranchissent de leur devoir de soumis-
sion et reviennent à leur état pré-social. Il se produit alors des excès dit
HUME; on dépose non seulement le roi mais le successeur du roi ; on va par-
fois jusqu'à renverser la royauté tout entière. C'est un état de désordre tel
qu'un modéré comme HUME ne peut pas l'accepter. Mais cet état s'aggrave encore
si le souverain déchu ayant des partisans, il se produit alors une guerre
civile. Or, dans la guerre civile, ce n'est plus seulement le pouvoir du sou-
verain qui est menacé, mais la société tout entière qui est déchaînée contre
elle-même. Cette situation de guerre civile installe un désordre tyrannique.
Les conséquences en sont les suivantes : les règles artificielles de justice
ne sont plus respectées et donc la propriété retrouve sa nature initiale.
N'étant plus reconnue, elle peut être saccagée, pillée. sans problème. Le ma-
gistrat n'a plus une quelconque autorité pour faire respecter l'ordre. Durant
cette période encore, les règles du commerce ne jouent plus, les hommes ne font
plus des échanges, ils se combattent, ils s'entretuent. Le pire, c'est que
durant cette période, une nation ennemie qui regardait d'un oeil jaloux la
prospérité de la nation en crise, peut en profiter pour lui déclarer la guerre.
Le peuple, divisé contre lui-même, ne peut résister à l'ennemi. La société peut
alors disparaître ou être intégrée à la nation conquérante. Mais si l'on n'ar-
rive pas à cette conséquence rarissime, la société peut se retrouver et fonder
un nouvel ordre. C'est que, comme nous l'avons dit, les hommes déter~inés à
l'ordre produisent recurrentie11ement cet ordre en répétant les règles de sa
constitution. C'est ainsi qu'une fois la crise passée, les hommes répètent la
(1) D~~~d HUME~ GD. Cit. p. 356.
.--
.

2~9
constitution de l'ordre soci o-pol t t i que . Les honmes ont intériorisé la nécessité
de la société. On peut dire que c'est après la détermination de l 'homme à la
société, que ce dernier devient vraiment un animal civique et non avant. Le
désordre qui se produit à l'intérieur de la société constituée n'est pas radi-
cal, c'est pourquoi nous l'avons caractérisé comme un retour de la disconti-
nuité. La société ne retourne pas vraiment à l'éclatement initial. Les hommes
qui se battent dans la guerre civile sont liés dans leur opposition par un
réseau d'intérêts, d'échanges. Ils ont en commun l'amour de la nation; c'est
pourquoi on peut dire que la discontinuité seconde n'est pas l'atomisation
individuelle pré-sociale; elle rappelle tout simplement à l'ordre constitué
qu'il y a une tendance au désordre enfouie quelque part à l'intérieur de la
société. La discontinuité seconde est un rappel des origines, une tentative
de récupération des entités autonomisées. On ne s'émancipe pas totalement de
la discontinuité, toute audace libertaire se paye par des crises.
C'est donc la discontinuité qui est profonde, comme nous le disions,
elle est structurelle chez HUME. La continuité est secondaire, dérivée, pré-
caire et menacée. La tendance à la dissolution guette donc en son fond même
toute réalité autonomisée. C'est le second redéploiement de la discontinuité
mais comme les hommes ont intériorisé l'ordre social en le pratiquant, ils
répèteront toujours la constitution de l'entité socio-politique s'ils ne veu-
lent pas disparaître.
La discontinuité revient au niveau théorique et au niveau socio-po-
litique sans menacer vraiment l'homme; mais, au niveau existentiel, la dis-
continuité seconde vise la dissolution de l'atome humain.
c) L'existence, le suicide, la mort.
Dans le texte "Du Sui ci de" (1), HUME essaie de montrer que le suicide
n'est pas une "transgression de notre devoir envers Dieu, envers autrui ou
envers nous-mêmes" (2). Il montre notamment que, sesuicider ce n'est pas
transgresser les lois de la providence; notre acte lui-même devant être in-
clus dans le plan de cette providence. Il montre aussi que se sui cider ce
n'est pas faire du mal à la société, c'est seulement lui retirer un bien.
(1)
David HUME. "Du Suicide 1/. ~'n r r ." 4- •
~
n1.-S~01.-re Naturelle de la Religion et autres
J
J
essais.. p.115 et suiv.
(2) David HUME.. Op. Cit ... Pi 117

2~O
art retirer un bien t ce n'est pas faire du mal si le retrait de ce bien
peut être pour le sujet en cause une solution salutaire aux maux de l'exis-
tence. HUME essaie aussi de montrer qu'on ne peut se faire du mal en met-
tant fin à des maux infinis par un acte de courage et de dignité. Mais;
. ,
cette manière d'aborder le problème du sui c ide ne nous permet pas immédia-
tement de le rattacher au problème de la discontinuité seconde.
Il faut renverser la perspective.Non plus se demander si le suicide est
un mal, mais se demander pourquoi le suicide intervient dans l'existence.
On peut déceler les réponses en les intégrant obliquement à notre perspec-
tive. L'homme est, au départ, un être du besoin dont la faiblesse n'a d'égal
que son dénuement. La société s'organise pour lutter contre la rareté, les
inégalités de répartition des biens. La société permet le commerce des
hommes. Mais il peut se trouver que, malgré toutes ces précautions, la
société ne réussisse pas à venir à bout du malheur des hommes. Les maladies
et 1es malheurs de toutes sortes rendent l'ex i stence i nvivab1e. La mauvaise
redistribution des richesses en contribuant à enrichir certains et à appau-
vrir d'autres rend l'existence des uns invivable alors que les autres nagent
dans l'abondance. Il se peut qu'une conscience soit sous la pression conju-
guée de toutes ces difficultés. La conscience découvre que pour alléger ses
maux, il lui faudrait mettre fin à sa vie: " ... 1 'horreur de la souffrance
l'emporte sur l'amour de la vie, ... "(l). L'acte du suicide apparaît alors
comme un suprême recours qui, loin de mettre en cause l'ordre de l'univers
et de la société, ne fait au contraire qu'interpréter positivement les
signes de ce dernier. Car comme dit HUME: " ... aucun homme n'a rejeté la
vie quand elle valait la peine d'être conservée" (2). Ici, nous voyons non
seulement l'échec de 1'homme. mais celui de la société entière. Malgré
toutes ses tentatives pour mettre sur pied un réseau de solidarité et d'en-'
traide afin de rendre l'existence heureuse, la société peut échouer. Et
l'homme qui est dans le malheur voit sa condition ressembler à sa condition
pré-sociale et même la dépasser en malheur. L'individu se suicide. Son
acte a alors une portée existentielle et sociale. Ainsi, malgré le" réseau
des relations sociales. il peut surgir des failles dans l'édifice social.
, ,
;'
(1) David HUME"
"Du eui eide" p. 121.
(2) David h~ME" Op. C~t. p. 124.

261
La solidarité ne joue plus. L'individu retrouve alors son atomicité: il
se dissout et ses éléments constitutifs se séparent. Dans cette dissolution,
la discontinuité triomphe vraiment. Si le suicide peut être considéré corrme
un cas rarissime, on peut étendre l'interprétation à la mort et dire que
c'est
elle qui est le retour à la discontinuité originaire. Mais la mort
n'est encore qu'individuelle, elle ne menace pas la société dans sa totalité.
Ce n'est que quand la mort devient collective comme dans la guerre que la
société et les hommes sont vraiment menacés. Il suffirait que les hommes se
laissent aller à leurs tendances négatives naturelles pour qu'ils soient
menacés radicalement. Il faut saisir le sens profond du retour de la dis-
continuité dans le suicide et la mort. C'est à ce seul niveau que la dis-
continuité seconde atteint le niveau de la discontinuité originaire atomique
et structurelle. Le suicide et la mort sont la vérité existentielle de la
discontinuité à l'intérieur de l'ordre humain constitué.
Cet ensemble de réflexions que nous avons rangées sous le titre de discon-
tinuité seconde nécessite une réflexion sur la hantise de l'origine.
2 - La hantise de l'origine
L'origine hante 1'homme et ses oeuvres. Si cette origine était une
origine de la coïncidence, il est clair que le retour à l'origine se ferait
sans douleur, ce serait des retrouvailles. Mais comme cette origine est
un état de séparation chez HUME, le retour à l'origine ne peut être que
douloureux. La séparation originelle étant un fait n'est pas douloureuse
en elle-même; mais c'est quand les hommes ont vécu autre chose, c'est_à.
dire l'ordre, l'organisation, la vie, que le retour à l'origine devient
douloureux. Non pas tant parce que les hommes nieraient leur origine que
parce qu'ils saventce qu'ils perdeni!l'ordre qui est supérieur à leur ori-
gine discontinue).
Nous voyons alors rétrospectivement pourquoi l'autonomisation tend à
se radicaliser et à oublier l'origine. Plus l'individu s'autonomise, plus
il découvre les limites de l'origine et plus il veut s'en éloigner'. Mais
cet éloignement infini n'est pas possible parce que l'origine n'est pas
1/
quelque part (à l'extérieur), elle est à l'intérieur des hommes et de la
société, dissimulée, recouverte par la constitution, "refoulée" en quelque
sorte; elle profite alors de toute faiblesse dans l'organisation pour
resurgir. Nous sommes donc hantés par l'origine. C'est la signification fon-
damentale de la philosophie de HUME. Cette découverte nécessite une sagesse.
Et c'est la philosophie sceptique.

262
CONCLUSION
Nous avons fait notre approche du sujet en trois mouvements. Le premier mouvement
était une quête de l'intériorité des choses, une démarche analytique.
Nous avons décomposé le réel à l'image de HUME pour aboutir aux atomes comme
derniers éléments du réel.
Mais cette analyse n'a été elle-même possible que parce que nous avons réduit
le réel à sa dimension de réel en lui déniant toute origine transcendante,
finale, immanente. Le réel livré à lui-même s'est découvert dans tout sa
fugacité. Discontinu de par en part le réel humien n'a pas offert de prise.
Au niveau ontologique la discontinuité a été définie comme rapport interne
des éléments et comme rapport extérieur des éléments du réel. Intérieurement
le réel s'est caractérisé par sa fugacité et extérieurement les éléments du
réel ont été caractérisés par leur séparation.
Le sujet à l'image de cet univers est éclaté (faisceau de perceptions).
Au niveau théorique le sujet discontinu en lui-même est incapable de
lier le monde; le monde est un monde de la contiguité et de la séparation.
Les éléments du réel n'entrent dans aucune liaison possible. C'est le règne
de l'extériorité. La causalité qui est la catégorie de liaison essentielle
en est affectée. La cause séparée de l'effet n'entretient avec cette dernière
qu'un rapport de succession et de contiguité. La conjonction constante remplace
la nécessité dans cette relation. A l limage de l'esprit la connaissance est
lâche, les vérités ne sont que des vérités probables à défaut d'être certaines.
Au niveau existentiel l 'homme nous est apparu comme un être de besoins.
La condition misérable de 1 'homme ne faisait que répéter au niveau existentiel
la discontinuité ontologique.
Cette triple dimension de la discontinuité achevait d'assombrir le tableau
de l 'humanité. Certains interprètes de la philosophie de HUME s'étant arrêté

263
a ce niveau ont crié au "déluge". Nous avons ensuite essayé de montrer qu'il
n'y avait pas que la discontinuité qui était à l'oeuvre dans la philosophie
de HUME; à côté de la tendance discontinuiste, il y a une tendance contin~iste
que nous avons appelée la tendance antidotique naturelle. Les antidotes naturels
de la discontinuité sont des liens naturels qui maintiennent le monde de HUME
et qui l'empêchent de se dissoudre. Cette tensance continuiste est illustrée
au niveau ontologique par la ressemblance, l'identité, la contiguité, la
succession et la répétition.
La ressemblance signifie que les éléments du réel ne sont pas radicalement
différents. Il y a entre eux des rapports de similitude. Cette similitude
est une sorte de rapprochement existentiel des choses.
La répétition est l'ordre d'apparition des choses. Et cet ordre détermine
l'esprit.
L'identité est le rapport interne des choses a elles-mêmes. La fugacité
des impressions ne signifie pas une totale évanescence. Chaque chose peut
être répétée dans son être.
La succession est la possibilité du temps et de la causalité.
A ces antidotes ontologiques il a fallu ajouter les antidotes de
l'esprit. L'esprit perçoit, il est donc déjà ouvert au monde par ce fait même.
La perception est une synthèse de la contiguité et de la succession, une
succession spatialisée. L'impressionabilité nous est apparue comme un pouvoir
de sympathie naturel au niveau spirituel. Si l'esprit peut percevoir le monde
c'est qu'il n'est pas ind-lFérent au monde. A côté de cette faculté "positive"
de l'esprit il faut ajouter une qualité passive de l'esprit qui est la dé-
terminabilité. C'est que, sous l'effet de la répétition, l'esprit ne reste
pas indifférent, il se détermine. La détermination signifie qu'il interiorise
la répétition au point de devenir un sujet inférent. Le sujet inférent est
un sujet déterminé pourqui le monde est lié selon la nécessité causale.
C'est donc grâce à la détermination que le sujet sort de lui-même pour lier
le monde. Non seulement le monde apparaît comme monde lié mais le sujet
dépassant cet état des choses découvrira les lois du monde.
Sur le plan socio-existentiel, il y a des antidotes naturels qui travaillent
dans 1e sens du rapprochement des hormnes. La sympathi e et la blenve i 11 ance
sont, comme nous l'avons montré, les antidotes de base. Elles sont fondées

dans la ressemblance. Du fait que les hommes de la société me ressemblent tout
ce qui les touche me touche de quelque façon. A côté de la sympathie il y a
le sens moral qui est une faculté naturelle qui permet à 1'homme de distinguer
le bien et le mal. La distinction du bien et du mal n'est pa$ l'affaire
de la raison mais une affaire de sentiment; nous sommes constitués de telle
sorte qu'à la vue d'un acte nous le jugeons en bien et en mal selon qu'il
excite un certain plaisir ou un certain malaise en nous.
Mais nous avons été obligés de le reconnaître malgré l'importance de
ces antidotes naturels, la discontinuité triomphe à ce niveau naturel. Si
on réfère les antidotes à leur fondement, ce fondement qui est la Nature
se révèle comme une entité dogmatique injustifiable. Ce dogmatisme assigne
une limite au discours humien et revèle la discontinuité profonde de la
Nature. Ce non-fondement de la Nature assure le triomphe du scepticisme
au niveau naturel. Il n'y a donc pas de remède naturel à la discontinuité.
Si le réel est laissé à lui-même c'est la discontinuité qui triomphera
Le sujet ne sera pas synthétisé, il se réduira à n'être qu'un faisceau de
perceptions. L'esprit ne pourra pas lier le monde. L'égo1sme viendra à bout
de la sympathie et de la bienveillance. Les hommes préfèrant le proche au
contigu, préfèreront certainement leurs proches et leurs amis aux individus
éloignés. Il faut donc sortir de la discontinuité et c'est là que HUME
imagine la solution sceptique du scepticisme. Mais quel sens donner à cette
idée. Il faut entendre cette solution sceptique comme une solution qui ne
sort pas de la discontinuité mais qui y trouve les solutions aux problèmes
que celle-ci pose.
C'est par la pratique qui est un dédoublement volontaire de la répétition
que HUME sortira de la discontinuité. La pratique poursuit la détermination
naturelle du sujet.
Avec cette perspective nous avons pris nos distances par rapport aux
interprêtes qui pensent que HUME ne sort du scepticisme que par un dogmatisme
~If du sentiment. A la différence de ceux qui reconnaissent seulement une
importance à la pratique existentielle dans la constitution humienne sans
la développer nous avons entrepris de montrer comment se fait pratiquement

265
la détermination du sujet par la pratique théorique et sociale. En nous
inspirant du concept althussérien de pratique théorique nous avons essayé
de montrer comment à travers l'activité thêorique scientifique et philosophique
se poursuivait la détermination du sujet. Le sujet en pratiquant théoriquement
l'inférence, en liant le monde dans des systèmes de liaisons causales,
intériorise la nécessité.
Les individus pratiquent socialement et politiquement les règles de
justice et les intériorisent. Ils de déterminent en découvrant l'utilité et
l'intérêt des règles de justice.
Mais ce processus de détermination qui culmine dans la pratique existentielle
ne s'achève effectivement que dans l 'autono~isation. Quand chaque entité
déterminée pratiquement se circularise et se prend comme fin, elle développe
alors ses propres capacités, se spécifie et se ramifie de l'intérieur pour
mettre sur pied une stratégie de production et de reproduction de l'ordre
ainsi obtenu. La circularité, c'est le processus d'autonomisation tandis que
l'ouverture est la linéarité du processus de constitution chez HUME. Mais
bien que le système semble parfois achevé, l 'autonomisation n'est que relative.
La discontinuité qui est la structure dominante va essayer de récupérer les
parcelles autonomisées. Il se produit alors à l'intérieur des entités
autonomisées du désordre. Le désordre au niveau théorique est le doute, tandis
qu'au niveau socio-politique, ce sont les révolutions et la guerre civile
qui rappellent les éléments autonomisés à leur origine.
Telle semble donc être livréel 'issue de notre démarche.
Ce résultat nous a été livré grâce à une approche "tendancielle" de la
philosophie de HUME. Nous avons essayé de faire jouer l'opposition des tendances.
Cette perspective a permis d'intégrer les interprétations partielles telle
que le scepticisme, l'empirisme, l'atomisme, le phènomênisme, l'assoc~ationisme.
Les tendances tout en intégrant dynamiquement ces significations nous ont
permis d'atteindre la structure profonde de la philosophie de HUME.
Nous avons vu comment au niveau de la logique (livre 1 du Traité) HUME
a posé les bases de la science de la Nature et comment il a ensuite étendu
architectoniquement cette découverte à toutes les sphères de cette science.

266
Nous avons vu la manière dont il a fait jouer les symétries, la
discontinuité dan~ chaque sphère était transposée pour traduire la même
intuition profonde. On peut donc dire que le point de départ discontinuiste
est entier dans chaque parcelle de la philosophie de HUME. Ce point de départ
se retrouve même dans les parties continuistes de la théorie humienne. La
continuité et la synthèse sont dérivées et cette dérivation est la transposition
de la discontinuité au niveau de la tendance continuiste. La discontinuité
est donc ce déplacement de toutes les perspectives. C'est elle qui instaure
la philosophie en la renversant. On ne part plus de l'unité pour en dériver
la pluralité mais c'est cette dernière qui constitue lapremlere par dérivation.
La pluralité n'est plus une dégradation de l'UN dans le multiple mais c'est
la pluralité qui constitue l'unité secondement.
La quantité n'est plus l'effritement de la qualité mais c'est la
quantité qui détermine l'esprit à la vision qual itative du' monde. le
renversement est tellement important que lESLIE STEPHEN dit que HUME 'marque
un
grand tournant dans 1'histoire de la pensée
(1). Mais ce renversement
a été précédé d'une critique radicale des substances et des entités originaires.
Si nous partons de tout ce qui vient d'être dit on peut douter de la bonne
foi de ceux qui ont refusé le titre de philosophe à HUME. Nous avons bien
reconnu par exemple qu'il utilisait des concepts de la psychologie mais
ces concepts perdaient dans leur usage philosophique leur signification
habituelle pour jouer un rôle nouveau dans la théorie humienne. l'habitude
est par exemple le résultat d'une détermination du sujet.
Et la dê term'ine t'ion: est l'effet de la répétition. La répétition intériorisée
devient détermination (habitude). Cette habitude est le résultat de la
transformation qui affecte non seulement le sujet mais détermine l'être même
du sujet. Le concept d'habitude est la transposition sociale de la détermination
Nous voyons donc que le concept d'habitude a un sens qu'il n'a pas habituellement
en psychologie. Notre interprétation tout en essayant de dépasser les vieilles
interprétations de la philosophie humienne a essayé de marquer la différence
profonde qu'il y avait entre sa philosophie et la philosophie structuraliste
moderne.
Si, pour Jacques D'HüNDT la rupture se fait chez HEGEL et MARX sur fond
d'unité et de synthèse, chez HU~1t, c'est plu tô t l'unité qui se fait sur fond
de discontinuité.
(1) Leslie STEPHEN~ History of English thought in Eighteenth Century p. 43

267
La rupture n'est pas radicale
cnez HUMrt e Il e ne se pense pas sans rapport à 1a cont i nuité. C est même
de l 'lnt~rieur de la discontinuité que surgit la continuité. On peut donc
dire que cnez HUMt c'ect la d1scont'nuité qui rompt avec elle-même pour créer
la continuité.
C'est pourquol la philosophle de HUME est encore une pnilosophie du
sens bien que ce soit d'une manlère dérivée. On rencontre encore la primauté
du sens. C'est parce quon ne veut pas se tromper sur la vérite qu'on se
malntlent dans le sceptlcisme académlque. Cette méfiance n'est pas une
négation de la vérlté mais une méfiance contre l'illusion de la verité. Avec
le structuralisme c'est la discontinuité qui est devenue norme et valeur
des choses; ces t par elie qu'on délimite les sphêres , qu'on les spe'cifie
et qu'on leur donne leur assignation de réel.(l).
St HUME se memt ient dans la philosopnie au sens c'est aussi parce
qu'll y a une sorte ae sagesse chez lUI t cette sagesse est essentiellement
une attitude sceptlque crltique et une sorte de vigtlance envers les
doqmat i smes . ~i tout , comme nous l'avons di t , est prëca i re dans ce monde
à 1 \\lmage de l'atome de pe rcept ion , l'individu aut.ant que l'ordre acqut s
sur le dë surore , si l'entropie nous guette sans cesset pcurquo i a i or s ,
évoluer aans les extrêmes? Nous n'avons pas raison ae penser que tout est
blen t ce serait verser aans un optlmisme comme celul des providentialistes
et des déistes. Croire que tout est mal ce serait about i r au pe ss imt s.ne
des sceptiques radlcaux. La verité est quelque part entre ces aeux positIons.
Et la philosophle est donc un chemlnement entre les extrêmes. La philosophle
en reçoit une nouvelle oêf tn i t i on : ce st un entre-aeux "dece rê " et
oblique.
La pnilosophie est un entre-deux parce que dun point de vue du ronaement
elle nage entre deux dlscontlnultés : la discontinuité origlnaire et ·la
discontinuite seconde. La ci rcul ar i té ou l'autonomlsal:ion apparaît dans toute
sa précarité dans la phllosopnie ae HuME. C'est aire que le fonaement ne peut
être que précaire à l'image au réel qu·il fonde.
(1) Michel FOUGAU1JT~ ArchéoL.og'l-e du. savoir p. 17

268
La ph110soph1e est ensu1te aéca1ée parce qu'elle ne pense pas selon
les tennes usuels ae la pht l osoph ie . Elle déplace les centres, élie fait
des points ae départ des points d-arrivée, elle fa1t des rea11tés historiquement
fondamentales des rea11tés seconaaires {la causa11té aeV1ent réalité seconda1re,
un effet de la répetition).
La pni10sophie est en dernier lieu oblique parce qu'elle n'atteint pas
dlrectem-nt son objet, elle le falt méd i atenent . Le sujet par exemple n est
pas imméd1atement inférent comme aans les ph110sopnies de l'a priori, il
le devient. L'égoïsme qui vise immédiatement sa sat1sfact1on n'est pas
satisfa1t dans l'instant, il l'est médiatement.
D'un point de vue théorique la position du phi losophe doit être une
pos t t ion sceptique. HUME dër im t son scept i ct srae comme un scepticisme mi t i qê
ou académique.
11 ne faut point donner la tête la premi~re aans les dogmatismes; il faut
,
se méfier aes pos1tions tranchees et radicales. HUMt va Jusqu'à nous demander
de nous mëfier de none propre scepti'cisme. En parodiant Pf-ISCI-IL on pourrait
dire que le vêr t tao l e scepticisme se défie au s cept i cisme : "un vrai
sceptique se defiera de ses doutes ph110sopniques aussi b1en que ae sa conviction
pni10sophique ; et 11 ne se refusera jamals une innocente satisfaction qui
s-offre en conséquence des uns aussi b1en que des autres" (1).
C'est pourquoi nous avons appelé cette attitude une attitude ae v1gilance.
Le philosophe est toujours aux agu~ts, 11 ne doit pas adhérer aux positions
se devant d-être toujours à la juste mesure de toute chose.
Sur le plan polit1que la sagesse scept1que enseigne la soum1SS1on au
peuple. La soum1ss1on est donnée par HUMt comme règle genérale de conauite arin
d'éviter le désorare : "Ici j;avoue que Je pencherai du côté de ceux qui
resserrent le pIUS qu'll est poss1b1e ~es liens de la soumission, qui ne
permettent de les br i ser que dans les cas les pIUS désespérés et qU1 .reqaruent
l'infraction de ce devo1r comme le aernier asile contre les débordements de
la tyrannie la plus affreuse, comme le derrn er remède pour sauver l iEtat
d' une rurne totale" (2).
(1)
HUME~ Trait; p. 366
(2) HUME~ ilL, 'obeissance passive" in Essais po ci tn.quee p. 35':'

269,
HU~E' préfere l'ordre établl à tout ordre projeté. En ce sens 11 est
un adversai re de l t utopie. Il se métie autant des excës optimi stes de l'utopie
que de l'excès de tyrannle. c'est dans ce milieu que dOlt résider la
vérltable stabillté soclale.
Dans leur existence concrète, les nommes aoivent respecter les règles
de la justice. Ils ne dOlvent pas non pIUS négliger leur disposition soclale
naturelle (svmpathte et bienveillance). Ce qui ne veut pas dire qU'il fai Ile
faire confiance à une blenvei Ilance ~tendue de la part des hommes. La sOCléte
ne peut être en t rêremen t sol ida t re . Il r aut prendre en compte l'égoïsme vivace
des nommes et pour cela, seconder la SOCl abi l i té naturelle des hommes
(sympatnie) en les lncltant à la vertu par l 'honneur et les avantages de la
soclété.
Telle nous semble être la leçon à tirer de la phi rosophre de HUME. une
leçon de modestle et de vigllance ; une métiance qui nous éVlte les excès
de toute sorte.
A la fin
de ce long parcours, on peut se aemander Sl nous avons réponau
au problème au rapport ae la discontinuité et de l'existence. NOUS avons
essayé d'élargir le sens de l'existence; la Vle est l'expression concrète
de cette existence. La pratique existentielle est l 'occupatlon de la vie.
Nous avons vu que c'est 1 'exlstence qUl permettalt de sortir de la dlscontlnulté.
~ans la pratique existentielle le munde de HUME ne serait qu'un monde pUlvérisé.
La discontinuité, c'est le monde livré par le théorlque, et la con~inuité, c'est
l'essence de l'existence. C'est oonc le rapport de ces deux réal ités que
nous avons essayé ae penser. NOUS avons aécouvert que pour sortir de la
dlscontinulté, il faut se fier à la vie et à la pratique. Mals c'est la
"
,1
di scontinuite qui est l' interieur des choses, l' m ter ieur au réel que nous
l ivre l' i nve st i qat ton théorique.
Cette tn terpré tat i on "tendancielle" de la pnilosophie de HUNE est la
mise en oeuvre d'une méthode qui' a mis en rapport deux tendances internes
à la philosopnie ae HUME. Nous avons reconnu que cette méthoae des tendances
avait un rapport avec le réel mlxte (dlscontinu - continu). A partir de cela
on peut supposer que aans la mesure où toute philosophle est un discours
sur le réel mixte, elle sera toujours tendancielle .
. ,.
. ' ......... -" -- -- ·.'~.

270
Une pnilosophie de l'interprétation tendancielle des phllosopnies sup-
poserait alors qu'il y aura toujours deux tendances à l'oeuvre dans toute
phllosopnie. Et les philosophles aiftèreraient selon leur manière partlcujière
de falre Jouer I.es tendances. SOlt privllégier au départ la tendance discon-
t tnui ste pour la résorber dans la cont inui tè , soit taire l'inverse ou entin
essayer d'ëqUlliorer les deux tendances.
Ce qu'il taut retenlr c'est que ce Jeu des tendances ne s'effectue pas
consciemment, le philosophe prend un point de vue sur le reel et il le
aéveloppe, ce point de vue est tendanciel c'est à dire qU'il privilégie
.....
une des tendances ou les deux en même temps. Alnsl il apparalt que mème
les pOlnts de vue les plus ratfinés en pnilosopnie peuvent être compris
selon la perspective des tendances. HuME par exemple ne savait pas qu'll
,
privllégialt la tendance aiscontinuiste, 11 a réalise son objet théorique
dans l'lntentlon avouée d'expllquer la Nature Humaine, mais ce que nous
constatons après la réalisation de cette oeuvre, c'est que HUME a privi lé~lé
la tendance discontinuiste.
~eut-on, à partir de là, prôner une interprétatlon tendancielle des
philosophles l Est-ce que le travai 1 que nous avons opéré sur la philosophle
de HUME peut-il être étendu à d'autres phllosopntes ? Il faüdrait alors
se demander devant une phi t osoph ie quelle est sa tendance?
Et ~ partir de là travailler à mettre à jour la "oie i ect i que des tendances".
Comme dit NIEIZSLHE a propos des phi losophes morallstes, la morale ou la
ptn losoprrieuun pb i l osophe est à l'image de son état de santé. Une pnilosophie
serait alors dans no tre" perspective à l'image de la tendance que l i e pri vi -
~ .
legle.
Or comme nous le savons dejà les tenaances renvoient a des positlons
sur le réel et la Vle.
Ou bien l'on privt l èç ie la tendance cont inuts te qui est la tendance ~xistentielle..1
organlsationnelle et syntnétlque, ou bien l'on privllégie la tendance dis-
contlnuiste qUl est structurelle et qui offre des éléments disloqués et
séparés. Ou SOlt enfin on essaye de concllier les deux tenaances, on a alors
des pnilosophies de la synthèse ou des phllosopnies éclectiques.

211
MalS cette méthode ne peut ëtre vraiment étendue à toutes les philosophles.
que si onen fait la t~éorie ; ce sera notre occupation pour un travall à
venlr. Telle nous semble donc 1'ouverture à esqulsser à partir ae nos
investlgations sur la phllosopnie de HUMr.

BIBL! OGRAPHI E
Nous nous contenterons de citer les ouvrages que nous avons effec-
tivement utilisés dans l'élaboration de ce travail.
Nous laisserons de côté les ouvrages que nous avons seulement
consultés et tous ceux qui ont trait de près ou de loin à la philosophie
de HUME et que nous n'avons pas jugé utile d'intégrer à ce travail.
Pour une bibliographie détaillée de HUME, consulter:
- La très précieuse bibliographie de T.E. JESSOP :
A bibliography of David HUME and Scottisch philosophy from
Francis HUTCHESON to Lord BALFOUR, London, 1938 (2ème édit.
New-York, 1966).
- De HALL, R., A HUME bibliography from 1930, University of New-
York, Department of philosophy, 1971.
- et Fifty years of HUME schoolarship. A bibilographical Guide
Edinburg University press, 1977.
"Notes bibliographiques sur HUME de 1938 à 1952" in Revue inter-
nationale de philosophie, 1952.
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Biographie
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Burt Franklin - 1ère édit. Edinburgh 1846 (2 vol.)
- E.C. MOSSNER, The life of David HUME (1ère édit. New-York, 1954,
2ème édit. Oxford, 1970) .
.---_
__ _
.-----. - - -- .-. - -"--"--"-'- ~ ---
.-- . --_. --.- .. _..._---_. ----~._._,
..,-~-----...:.:.- ..-....---,:...
..-.. ..._-_._--.._. - ~ _... -. ..... .._---
'

'l73
II
-
Oeuvres de HUME
- A Treatise of HUMAN NAtURE,(1736, 1739, 1740)
édition de référence: L.A. Selby-Bigge. Oxford, CLarendon press,
1949 ; (reprise de la 1ère édition).
- Traduction d'André LEROY sous le titre: Traité de la NATURE
HUMAINE (1946), Paris, Aubier-Montaigne (réédit. de 1973).
cf. aussi : l'édition du Treatise of HUMAN NATURE in Philosophical
Works in 4 volumes (Vol. 1 et II). Edited with préliminary dis-
sertation and notetby Thomas HILL GREEN and Thomas HODGE GROSE,
Scientia Verlag Aa l en, 1964 (reprise de l'édition de 1886).
- An Enquiry concerning the HUMAN UNDERSTANDING (1748) ; Edit. de
référence: L.A. Selby-Bigge, Oxford Clarendon press, 1946
(reprise de l'édition de 1902)
traduit par A. LEROY sous le titre: Enquête sur l'Entendement
humain (1947), édit. Aubier-Montaigne (nouvelle édition de 1975).
- An Enquiry concerning the principles of Morals (1751) ;
Edit. de référence: L.A. Selby-Bigge, jointe à la précédente
Oxford, Cl arendon press, 1946 (repri se de l 'éditi on de 1902)
Traduction de A. LEROY sous le titre: Enquête sur les principes
de la Morale; Paris, édit. Aubier-Montaigne, 1947.
- The Natural history of Religion (1757) édit. de référence
A. Wayne Colver (Oxford, 1976)
traduit par Michel MALHERBE sous le titre: L'Histoire naturelle
de la Religion; Paris, édit. J.Vrin, 1971.
- Dialogues concerning Natural Religion, édit. de référence J.V.Price,
Oxford, Clarendon press, 1976.
Traduction de Maxime DAVID sous le titre: Dialogues sur la reli-
gion naturelle, Paris, édit. J. Vrin, (nouvelle édit. 1973)

214
- Essays Moral, Political and Literary, Edited by T.H. GREEN and
T.H. GROSE, with preliminary dissertations and note, London, Longmans,
Green and Co. (2ème édit. 1882)
Traductions partielles sous les titres suivants:
- L'Epicurien, le Stolcien, le Platonicien, le Sceptique, essais joints
par A. LEROY à sa traduction de l'Enquête sur les·principes de la
Morale,
- Michel MALHERBE a joint à l 'Histoire naturelle de la Religion et
autres Essais sur la Religion
les essais suivants
Superstitions et enthousiasme, de l' irmnortal ité de l'âme, du Suicide
(Paris, 1971)
- Essais Politiques, trad. anonyme, (Amsterdam 1752) reproduite par
R. POLIN, Paris, Edit. J. Vrin, 1972.
On y trouve tous les Essais politiques de 1748, ainsi que les Essais
l'Eloquence, l'étude de l'histoire.
- Essais Esthétiques l et II,
Traduction de R. BOUVERESSE
Paris, édit. J. Vrin.
. Tome l (1979)
comporte :
- Pourquoi écrire des Essais?
de l'éloquence, du Raffinement dans les arts, de la Naissance et
du progrès des Arts et des Sciences
Tome II (1974)
De la délicatesse du goût et de la passion
- De la simplicité et du raffinement dans l'art d'écrire,
- De l a norme du goût,
- De la tragédie,

'L75
- Oeuvre économique
traduction nouvelle par M. FORMENTIN, Paris, Guillaumin et Cie,(1888)
comporte les essais suivants :
- Du commerce
- De la circulation monétaire
- De l' intérêt
- De la balance du commerce
- Des Taxes
- Du crédit public
puis l'autobiographie de HUME et des lettres.
- An abstract of Treatise of HU~'1AN NATURE, édited by J.~. KEYNES and
P. STRAFFA (london, 1938),
Traduction de Didier DELEUlE sous le titre: Abrégé de la NATURE
HUMAINE, Paris, édit. Aubier-Montaigne, 1971
III - Correspondance
- The letters of David HUME, édited by J.Y. GREIG, Oxford, Clarendon
press, 1969, (reprise de l'édition de 1932)
- New letters of David HUME, édit. de R. KlIBANSKY et EC.MOSSNER,
Oxford, 1954,
- A letter from a gentleman to his friend in Edinburgh (1745), edited
by EC.MOSSNER &John V. PRICE, Edinburgh, University press, (1967).
IV
- Ouvrages et articles sur HUME
a) Ouvrages sur HUME
- BROIlES David, The moral philosophy of David HUME, The Hague,
édit. Martinus NIJHOFF, 1969 .
.._..-.-_._---.__
_-- ..- .. ~---_._ _-_.~
__
_-~-
-_._- .--"-'-'''---'-'-'
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DELEULE Didier, HUME et la naissance du libéralisme économique,
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- MICHAUD (A.) "Remarques sur le phénoménalisme et l'atomisme de
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- SHAFTESBURY, Characteristics of Men, Manners, Opinions, Times, etc.
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- SPINOZA, Ethique in Oeuvres III, traduction Charles APPUHN,
édit. Garnier-Flammarion, 1965.
- STEPHEN (Leslie), History of English thought in Eighteenth century,
vol. l, London, édit. Smith, Elden &Co, (1876)
- WOLLASTON (William), The religion of nature delineated (1724),
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- KOYRE Alexandre, "Sens et portée de 1('synthèse--I:lé'wtonienne" ,
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- ~1EZZADRY Jean-Pax
"La récurrence", article dans les Annales de
L'Université d'Abidjan, Tome 8, 1975, Série D, Lettres.