Université
de
Paris
III
(Sorbonne
Nouvelle)
w. E. 8.
DU
8015
:,
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ET L/IMAGE DE L/AFRIQJlE
1CONSEIL AFRICAIN ET MALGACHEI
POUR L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR 1
1 C. A. M. E. S. -
OUAGAD,OUGOU'
Arrivée .. 21. J.UIM ,199:1 ..... 'l'
Enregistré sOus n° #f} f} Ô .!l !J. i,
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THE5E
DE
DOCTORAT
DE
CYCLE:,
Présentée par :
A.MON
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Année 1981
Directeur de Recherches 'i
M. Le Professeur
M. FABRE J;
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SOMMAIRE
[ntroductton
1ère PARflE : Le clilenlrne
CHAI' [TlΠl
: Les précur:;eurs
Phill ts \\1.03 t 1ey
Le thème du dé~;élrc(li
Paul Cil r'h::
Le thèirlè de l'LcJentité r8clale
D~IVid l'icI 1i,( ,"':~ r
Le UI~me ue l'éga.! j té f2c.i3.le
r'·laL' tin Del;-~ny
Le I.hé:mc ue l' Juenl ité culture 1 le
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Dl' Bois et l'héritage culturel des Noirs
CflAPITRE
IV:
L'image littéraire de l'Afrique
- John ~o''''n ou l'image mystique
- The Negro ou l'image historique
- Darkwater ou le message de l'espoir
CHM' 1mE
v
Le i~ouverrlent de la Renaissance Nègre
- Claude :'Ickay, Countee Cullen ,L8ngston Hughes et
l'image mythi~ue de l'Afrique
- Du Bois et 'la descri~tion lyrique de l'AFrique
[')(1 no.ù~ cL
le pC;fléJlri.cElnisrne
Le p3naFrlc~nisme
et le'garveyisme
DéfiriitÙHl eL ubjectiFs du pa.naFricanisrne
-
La f.Jff.'fll L2t'C L'cmr-ér-ence panafr.Lc2111C:
CQrvc>
et
Ir:; [;,-jl·v?visr1H.:~
Ubjectifs ct Import cit: l'U.,\\J.I.A..

CHAPrTRE
IIII
L'impact des conférences panafricaines
sur l'AFrique coloniale
- L'éveil du natior'alism~
africain
- The Aboriglnes Rigilts Protection Society
- Casely-Ha,,'ord, Kwegyr Aggrey et Nr18rndi Azikl'.'le
IVème p,'\\ln fE
Du Bois et l'Afrique in{Jé~endante
CHAP ITRE
Vl rI
Les conseils de Du Dois aux leaders
a fr iC~l in~;
- Plaidoyet pour l'irlst3Llratjorl d'url socialisme fondé
CH;-\\P l ll-n-~ J:<
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Le
virlgl Se[lt ~Gal 1963 18s Noirs aLtcignirent
\\~8sI1ingtOJl ~ l'issue d'l!~e marelle corldLrile par le Révérend
~'13rtin LutheI' King. Ils re\\..'endiqL1flic-;nt leurs dl'oits civique~}.
En effet, ccnt ans aprts J8 proclarnution de 1863 qui les
aVéüt libéJ.'és de l tescl:::il)âge, les Américains Noj.l's subis-
saient une discTimj_r~ation qui, aprbs la naissance des
nntions afrjcaj.nes en 1960, deverlait ~]lus intolérable
encore. Alors qu'iJ.s étaient r~unis dev3nt 18 Capitole, ils
apprirent l~ mort de William [dward 3urghardt D~ Bois,
survenue à Accra, capitale du Ghana.
Ils fUl'e'-lt très affligés
par ]3 nouvel.le, car Du Bois avait toujours nlilit6 en favellr
des i\\oi1'8 aux Etats-Unis.
Ils ne furent pas les seuls à
pleurer cet homme. Les Africains eux-aussi ne pouvaient
pas ne pas ressentir une gr8nde peine en 8pprenarlt sa
dispar ilion. Kwarne N' Kl'lImall, premi el' Président de la
République du Ghana, délils un message adressé ÈI la nation
le 29 août 1963 fit l'éloge de l'illustre disparu. Il
retraça sa carrière b grands traits et mit en exergue son
élttachement à l fAfrique, terre de ses 8flcêtr8s. Il insista
notamment sur les efforts de Du Beis pour affL-rner Ja per--
sonnalité de la r8ce nojl:e et pour permettre à l'Afrique,
berceau de ceLle race de retrouver sa dignité:

.2.
\\·'!e mCUL[) the d88'.h of Dr. ,iill i am Edward BUl'ghardt
DlJ Bois, ~ great ~on of Africa.
Dl'. Du Boj s, in a long l.:i fe-span 0 F ninety.cix YC8:-S,
2chievEdd.i_sLlnction as a poet., historian and
socioJogist. He wes an undounted fighter for
the emallcipetian of colonial and oppressed people,
and pursued this ohject.i.ve throughout his life.
The fields cf literBture and SClcnce were ellriched
by his profound and searching scholarship, a brilliant
li.terary talent, and a keen and penetrating mind.
The essential quality of Dr. Du Bois's life and
2chieverr;ent can be summed up ln a single phI'use
"illtel1ectual honesty and integLi.ty".
Dr. Du Bois was a distinguished figuI'e in the
pioneering days of the Pan-African Movcment in the
,Iestern 'Iorld. He Vias the secretery of the first.
pan-African Conqress held in London in 1900. ln
1919 he organized anothcr Pan-African Congress in
Paris 01ich coincided with the Paris Peace Conference.
l,hell George Padmore and l orgallized the Firth P<m-
.African CongI'ess ill 194:'> at ~ianchester, l'lE invited
Dr. Du Bois, thell already sevellt)"81gl1t years of
age, to chair that COllgress. l kneVi him in the
United States and even spoke on the same platform
with him. It was howcver at this Conference ln
Manchester that 1 was drawn closely to him. Since
then he has beell persollally a real fl'iend alld
father to me.
Dr. Du Bois was a lifelong fighter &gaillst aIl
forms of racial inequality, discrimillRtioll and irljusticE.

Nous
remercions
ici
M.
le
Professeur
Robert
MAKE~'avoir bien voulu accepter de diriger notre
travail
et
pour
la
sollicitude
qu'il
n'a
cessé
de
témoigner
à
notre
égard.
Nous
remercions
d'autre
part
M.
le
Professeur
Michel FABRE pour ses conseils et ses
suggestions qui
nous
ont été d'un grand secours dans
la phase finale de
ce
travail.
Nous
sommes
très
reconnaissant
à notre
col-
lègue YAYA Coulibaly pour l'aide précieuse qu'il
a su
nous
apporter.
Nous
sommes
particulièrement
reconnaissant
à
notre amie Michelle OGANESSOVA sans
les
encouragements
de
laquelle
ce
travail
n'aurait
pas
pu· être menê
i
son
terme.
Enfin nous
remerciom tous
ceux
qU1
nous
ont
aidé en des domaines
divers notamment
le Dr.
J. CUMMING
du Centre d'Etudes Africaines d'Howard
et
le Dr.
J.K.
AGOVI de
l'Université du Ghana.

·).
He llolped tu cstL:tuJ.ish the ~~ation8.l Association
for thc A:l'·181lCerrlen C 0 f Colored F'eopJe, and ~'las
first editer cf its Fighl:ing organ, the Crisis.
Cor:cernir~g Lhe sb.'u9gJ.e for the illlprOVem'2nt of
t~le status of the i..Jr3gJ.'o irl America, he once s.::üd
"'.v," will 1101: Ge séltisf.ied ta take one Jot or hU.le
1888 than Dlir fdl m'JrJhood rights. \\-/e claim fer
uurselves every single right that bclongs ta a
fl'ee-·barn Americarl :
political, civil and social; and ul1til we get
these rights, 'ole I-:ill never cease to protest and
assail the cars of AmericD. The battle we wage
lS not for ourseIves alone, but al1 true J\\!118I'icans ll •
1 t was the late Gcorg8 Padmore >:ho descri"ed
Dr. Du Bois as the greDtest schülar the Negro
race has proc\\uccd, anc\\ one \\~ho ah-<lYs upheld the
right oF AFricans ta govern themselves.
1 asked Dr. Du Dois ta come to Ghena ta p8.38 the
cvening of his life with LIS and 81so ta spend his
rerréüning years in compiling an Encyclopedia
Africana, El project v;hich is par~ of his ;·;hole
intel1ectual life.
We mourn his death. Moy he live ln our m2mory not
onl}' as a dis tinguished scho lac but a great Afr ican
Patriot. Dr. Du Bois is a phpnomenon. May he rest
in peace. (l)
Né à Great BBrrigton, M3ssachussetts, le 23 février
1868,'d.[.B. Du Bois comptait p3rrni ses ancêtres des Huguenots
fr3nçeis, des Hollandais et des Noirs. Peu aprbs sa .sortie
du collège de la ville en 180/1, so mère mourut ot le laissa

non seulement orp!1elirl, mais p2uvre. Le prirlcipal du collège
de la ville l'encou~gea à poursuivre ses études 3 l:université.
Il ent!'3 en 1885 2 !!Fisk Uf)i\\/ersity" , 2 Neshville d2r:s le
Tennessee, grâce à une bourse et aux petites économies qu'il
avait faites en travaillant dans une petite usine de Graat
8arrigton. Après sa licence en 1888, il entra à Harvard où
il obtint son doctorat en 1891. Il passa ensuite deux années
à l'Université de 8erlin, grâce au "51ater Fund'~ une fondation
philanthropique, termina la rédaction de son doctorat d'~tat
en 1895 et devint ainsi la pre~ier ~cir à avoi~ obtenu un
Ph. D. en sociologie à Harvarc. De 1894 à 1896, il fut
professeur de grec et de latin à "viilberforce University"
dar.s l'Ohio; de I896 3 I897, il enseigna lë sociologie à l'Uni~~r­
sité de Pe~sylv~~ie; de I897 à I9IO il àonna des cours d'économie
et d'histoire à "Atlanta University", à Atlanta en Géorgie.
En 1905 i l participa à la fondation du "~i2gara ~love~ent"
"
.
qui allait favorise~ la création de la N.A.A.C.P. (Natlonal
Association for the Advancement of Colored Peopli) en 1909.
En 1910 il devint le directe~r de publicité et de recherche
de l'association et éditeur de son organe officiel The Crisis.
Il participa à 13 conférence panafricaine tenue
à Londres en 1900 et à la première conférence sur le racisme
tenue également à Londres en 1911. Il organisa le premier
congrès Panaflicain à Paris en 1919, le second à Londres,

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Lisbonne en 1923, et l~ quatrièrrle ~ ~Iew York en 1927. Ell
1935 il S'C i.JLononça publiquEement en favEel.:~ de la "Ségrégation
ilon discri:1:in3toire ll e~: fût amenG B dér.lissionner de la
N.,A,oA.C.P.
De 1933 Èl 19L;.3 il enseigna à IlAtlanta Universityll
qui était une institution réservée aux N~irs. Il devait prendr~
sa retraite le trente juin 1944. Entre-temp3, en 1940, i l
8vait fondé Phylon, revue consacrée à la race noire. En 1944
il reprit du service à la N.A.A.C.P. comme directeur du
département de la recherche. En 1945, Walter White le secré-
taire de le N.A.A.C.P. et lui participèrent
& le conférence
de San Frsncisco qui accoucha des Nations-U~ies. Au cours
de ~ette même année il participa au cinquième congrès
panafricain à Manchester en Angleterre. En 1948, une équivoque
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l'obligea &démissionner à nouveau de cette institution.
De 1949 8 B54 il fut Vice-Président du "Council on Afric8n
AffairS ", organisme pr i 'A qui rassemblai t et vu Igar iseft
des informations utiles sur les colonies de l'Afriq~e Noire.
En 1950, il fut candidat malheureux de New York eu Sénat
Américan ; l'intérêt croissant qu'il manifestait à l'égard
de l'U.R.S.S. et des organisations mondiales pour la paix
lui valut d'être traité d'8~ent de la Russie. Il était en
effet directeur du "Pe8ce Information Center" alors en rapport
avec les pays de l'Est. Arrêté à Washington le 16 février 195I,

·(, .
"
'
Il fut acquité faute de preuves. Du Bois et ses a~is étaient
convaincus que l'accusation
et le jugeme~t· ~vaient pour but
d'empêcher ~oute critique de l'impérialisme américain.
Dégoûté de la vie aux Etats-Uni~ il s'enthousiasma
pour la Russie et la Chine Communiste qu'il considérait comme
les seuls pays susceptibles de favoriser la libération de
l'Afrique. Au cours de son cinquième voyage à l'étranger en
1958 et 1959, il visita longuement ces deux pays où il reçut
de nombreuses marques d'honneur. En 1961, il annonça publique~
ment son adhésion au parti communiste am6ricGin. Au cours de
la même année il
accepta de se rendre au Ghana à
l'invitation du 'Président Kwame N'Krumah et en 1963, il
devint citoyen ghanéen. Jusqu'à 18 veille de sa mort à Accra,
le 27 août 1963, il consacra une grande partie de son énergie
à la rédaction de 'l'Encyclopédie Afr,icaine.'
La vie de Du 80is fut longue, mouvementée et bien
remplie. Né au début Je la Reconstruction, mort à la veille
de la marche sur Washington, il vécut de la dernière année
de l'administration d'Andrew Johnson à la dernière année de
l'administration de Kennedy. Il fut sociologue,historien,
professeur, éditeur, ethnologue, critique littéraire, poète,
politicien, propagandiste. Il se distingua par son affrontement
avec Booker T. Washington, S8 dévotion au mouvement panafricain
et sa contribution au mouvement de la Renaissance Nègre.

·, .
Du Bois fLlt sans Rucun cloute le pl~JS prolifiol.Jc
des f:crivElins noirs ct l\\lln ces plus grands lcadt?rs que
18:3 Elé.lls-·1Inü:; aj;::. j;;!fllcÜS pr-oduit=>. IJ
n1aitI'i(;~üt parfaitement
les qrétildu Il:üuv8m8ncs ph.ilosophiques de l'histoire et éts.:t
c2;Jable de redonner vie au pass6 gr5ce ~ J,a puissance de son
style et è ses dons de polémiste. Du Bois ne fut pas un leader
de rnaSS8 comme f'laf2L:S Car vey , DU, dEns une cerb:üne mesure,
Bocker T. Washingto". Il était incapable de faire vibrer les
foules el d'amener ceux qui l'écout8ieilt à entrer en trunses
el ~ se rouler sur le sul dans une crlse d'hyst6rie collective.
Mais il éteit capable de tenlr en halsine son auditoire et de
lui .imposer ses idées. Son manque de charisme ne lui perlnit
cependant pas d'occuper la place de leader laissée cacante
pa.r F1'8der.ick Doug13:::m en 1894 aprt:s un règne de qU8I'2i1t'2
quatre ans. Po~rtant 18 cré8t.ion du "Niag2r8 i'louv(>ment lr
en 1905 le laissa espérer' un mOlllent o'foi:i> une plus large
audience. r'1ais ce mouvement rie deJait Exercer 8ucun8 réelle
infJuellce SUI' les masses. Il permit à Ou 80is cJe cristalliser
autour de lui l'opposition des intellectuals noirs mécontents
de la politique du Booker T. Washington, de réorienter la
lutte des Noirs et d'étendre ses perspectives. Du Bois criti-
qua 8vec beaucoup de t8J.ent les initiatives Dt 18 personn8-
lité de Booker T. \\'lashlligton ; mais il ne réuss.i t ni à "réer
un mOlJVemerlt capable de rivaliser avec l~ Slen, ni à réduire
notablement SOll inFluence sur les masses. En fait Booker T.
Washington l'esta, jusCIIJ\\~ sa mort en 19]5, 12 floir le plLls

.d.
popll1uire et le p]LiS puissant dES Etatu-Unis. Et le vide
qu'il laissa ne fut p,~~:; cOII:blé par Du Bois. [n 1920 lorsque
r"1arcus f·loses Gé.lrvey appar.Clt sur lei scène il noya la vcix
de Du Bois. Son charisme exccptionrlel lui permit de susciter
chez ses nOmbrE:'LlX militants, .un enthousiasme délirant. Alors
d'o~ vient l'originalité de Du Bois?
Pourquoi tient-il
une place si impol'tallte darls la lutte émancipaUice des
Noirs ?
Si Du Bois ne fut pas un homme dl action cxcept.i.onn~3l,
ce fut un visionnaire et un prcphète hors du commun. La
spécificité cie: sa lutte vient du fait qu'il a suburdonné
la lutte émancipHtrice des Noirs aux Etats-Unis à la
libération de l'Afrique et à la recheTclle d'une solution
pacifique à ]a crise de l'humanité. Dans le cadre de cette
lutle,.i-l s'employa corps et âme à animer: le panafricanisme
qu' ~l considérait comme lIl~l mission de 3a vieil. Il donna
aInSI une rlouvelle dimcnsiorl ~ la lutte pour l'égalité raciale.
En outre, il contribua ~ favoriser le rétablissement de liens
spirituels entre les Noirs américains et la terre de leurs
ancftres, et ce,grftcc à sa production littéraire et è ses
recherches dont les résultats furent [lubliés à partir de
19].0 dans lhe Crisis dont il fut l'éditeur pendant plus
de vingt ans. Il convient cie souligner ici qu'il ne fut pas
seul à m8ner la lutte pour la réhabilitation de l'Afrique,
et à amener IGS Noirs à accepter leurs originos africaines.

( '
<;- •
Cependant l'approche ~G Du Bois semble avoir été plus réaliste
et notre étude tentero de mDJ,trer l'ünage de J r f\\frique qi.J ' il
a essayé cJ r imposer au monde. Elle cherchera à répondes 8 J.a
qlJestion suivante: cette ir!3ge rcl~ve-t-el).e d'une fjction
qUl porte la maroue du génie de Du Rois ou est-elle basée
sur une connaissance ~, la fois réelle ct intlJi t.iv2: de
l'Afrique?
Dans une première partie nous Lent~ror.s de mettre
erl évidence l'irltér6t f:orté ~ l'Afrique par les Noirs depuis
leur arrivée sur le corltinerlt américain. NOLIS analyserons, pour
ce faire, les l'éactio", de Phill ;_s l'Iheatley, Paul CufFe, David
Walker, Martin Delany et Bishop Turner contre l'asservissement
des Noirs el la dégradation de l'A;riquc. Pujs nous SUIvrons
l'évolution intellectuelle de Du 80is au cours d8 sa formatiorl
aux Etats-Unis et en Europe. Cette première partie insistera
également sur ses prises de posilion contre le système
d'éducation pr~conisé et appliqué par Booker T. Washington et
son plaidoyer en faveur de la formation universitaire d'une
élite noire capable de mener le combat pour la liberté.
Bien que menbrc forJataur de la N.A.A.C.P., Du Bois c~oyait
de plus en plus que l'action des militants noirs ne devait
plus se cOllfiner è l'intérieur des frontières de leur pnys.

. Ir).
le sort cie l' ,.:l.('rique, j.J estijn3it que le salut des ~'Joirs
~méric8ins Ile pouvait pas être dissccié de celLJi du curltirlent
de Ieurs (·mcpt.res. Cette ceI'ti tude le poussa b int.erroger
le passé de J' ~,friquE: pour mettre en valeur l'héritage
culturel de la race nDire. La vulgarisation des résultnts
de ses investigations Gt leurs répercussioflS sur ]a vj.e
culturelle de Harlem feront J'objet d'une deuxJème partie,
Celle-ci cherchera b cern~r la vision africaine de Du Bcis
telle qu' elle appa~aH d8ns John Or 0\\'1'. (2)
The to;eqr~ C»)
et OarkwBter (4)
et b mettre en évidence lc r6le qu'il
a joué dans Itavènement du mouvement de la ROllaissance
Nègre. Après avoir amené, pour HlnSl dire, les Noirs
amél-icnins 8 assumer leur hérj tage 8fr~_~[l~, Du Bois
6'1-\\C'\\INE~
décida de fcüre davanléHJe. Il chercQf;.' b~peser\\'I;lJr~leS
l'v (
1.'
l:i'
-;'
évènements ct à inflÉchir 18 coufs)de rl,'.Ü")G:stoire ~fin
r;~\\~)~
que l'Afrique y trouve une place cOI)0ell~ble. 0)08 son
"- A" 'o.
./ '0"
'-/, ~- ~
[Jction internationale pour créer une'1Jo'J"'omj,Guè" oe liberté
.1~~
africaine. Il s'agit du ranafricanisme dont traitera la
troisième partie de notre étude. Nous y anulyserons d'abord
les interférences entre le panafric'lI1isme et g2rveY1Snle,
pour mieux f8ire ressortir les difficultés rencontrées par
Du Beis dans son combat puur la libération de l'Afrique.
Nous consacrerons ensuite un chapitre à l'impact des
conf6rerlces parlufricaines sur l'Afrique coloniale pOlir

.. l~'..
~HontI8r que ~;orl t.riç;a~:err;Gr.L r C
fut pas vsin comme le prétendent
]
certains de ses
• L

CrlL.lques. NoCJs évoquerons dans cette pers-
pec~ive. se= rapports avec les tout premiers intellectuels
de l'Afrique de l'Ouest que sont Casely.Hayford
et Kwegyr
Aggrey e~ sa contribution è l'éveil du nationalisme africain.
Enfin nous parlerons dans la dernière pa~tie de seS contacts
avec l' Afriqtle incépendante. Nous l'errons cans quelle mesure
l'Af~ique libre et souveraine a adopté les méthodes de
développement préconisées par le panafricanisme. Nous cen-
trerons notre analyse de l'image de l'Afrique indépendante
sur le Ghana et le Liberia. Il ne s'agit auclJnement en ce
qui nous concerne d'un parti pris. Nous nous soumettons
tout simplement à l'histoire qui 8 fait du Ghana le symbole
de la victoire de l'Afrique
sur
le colonialismé e~ du
Libéria la clus vieille république noire d'Afrique.

.1L.
CHAPITRE 1
Les PréCUfS8'JrS
La présence des Noirs sur le continent américain
est le résultat d'un fait historique qui 2 profondément
marqué aUSSJ bien l'Afrique que l'Amérique. L.es Etats-Urli?
sont un pays d'immigrants; mais talldis que les Blancs~ è
llexce~tioll des d6port~3 S1 y sont rendu3 de leur propre gré,
certalns pOIJr f~ir les persécutions de tout genre~ dtautrEs
pOLr échapper ~ ].le~prise de la pauvreté, les Noirs, dalls
leur grande m8jorité y ont été emITienés enchainés. Les colons
s'éLnient rôpid2n:ent aperçus qu'j.l leur fallait des bras
pour mettre en valeLlr leuri immenses domaines. Ils trouvèrent
très vite des pourvayeurs de main-d'oeuvre en la personne
des négriers ; pour ces derniers, le commerce des esclaves
s'avéra très luoratif et ils demeurèrent inse~sibles au
cortège de privations, de larmes, de destructions causé
par leur sinistre activité.
Mais certaines de lEurs premières victimes ~e
restèrent pas passives. Ayant appris b lire et b écrire, ils
n 1 hésitbrent pas à r6agir. L'un des tout premiers préCUrSelJrS

· )-
S8 poésie engagée le r8ttache.
P"I;l"ll'S
1
.• _~-l
\\"Ie~"]ey
"
, U 1_
_
'
\\,Iheatley était une jeune Sénégalai"e ; elle fui;
emmenée erl esclavage et VendlJC en 1761 è Boston ; elle fut
achctée par John I·/hcatley un riche t<ülleur de la ville.
Ayant remarqué la vivacité d'esprit et l'intelligence CQ
la petite esclave, la famille \\'lhe3Uey décida de favor j .3er
son éducation. Au bO~Jt de seize mcÏ;B ~ elle SAvait. si :>ier'i
l'anglais que l'on décida de lui rai~e apprendre le latin.
A seize ans elle lisait Virgile el ~orace. Elle p~blia sen
premier poèrne à dix-sept ans. Sa sa~té ayant donné des
inquiétudes t les médecins recomm8n::Jèl'enl qu 1 on lu"} fît
faire un voyage en nIer. Ses maîtres l"aff~anchj,~cnt alcrs
et l'envo:Jèrent en Angleterre en 177i3
=;"" elle fit sensation
et fut reçue par la comtesse d'Hufltington, la protectrice
de \\'!hitefielcl, l'année où
son premier volume de vers, Poems
on Variùus Subjects, .~eligious anp i~ora} parut à Londres.
Mais la mort de ses maîtres et le mariage de leurs enfants
mirent pratiquement fin à sa vie Lntellectuelle. Elle fit
en 1778 un mariage malheureux et Il'CJurut le 5 décembre 1784
à l'âge dc 31 ans environ.
(1)

· .l!~ .
airl~j le désarroi des esclaves :
ShouId you, ml' Jord, v..'hilc you [18rus\\::: rr.y sang,
\\'Jonder froT!l "'/l1ere my lcve for freeelom SLJrunc
,
"'
\\'Jhe,128 Flow i~hese '1Jishe5 for the eomrnon good,
Gy fcelirlg Ilcarts alorle besl understood
l, young in life, hy seeming cruel fate
l'Jas snateh 1 d From Afr ie' s fane]" cl happy scat
l'Jllat pangs cxcruciating must malest,
~13t sorrows labor in my parent's breast ?
5leeJ 'd was l~llat soul and by no rnis8l:Y mov'd
That From a father seiz' d bis babs bclov' cl ;
Sucll, such fi')' case, And can 1 then but pray
OLhers may never feel ty,'anl1ic s'-JaY ? (2)
Tou t en cJéll0l1çant ] es exacti ons de l' escJavage,
elle se félicite pourtant cl'avoir pu bénéficier de l'enseigne-
rn"Ont du ChI' j.st ; elle a ru 8cllapper ainsi au mDr"ie L8néorcux
et paIen qu'est l'Afrique
T\\'/8S
mcrc)' brougf,t me From pagan land,
Taught my bC'l1ighted soul tü uncJersU1f1d
That there's 3 God-there's a Saviour tao;
Once 1 rec"2mpticn nei the;: sought nor kneVi (3)
Nous vuiej. d'ernblée en rrésenee de deux irnages de
l'Afrique qui vont hanter les esclaves et leurs descenclants

.1" .
pendant Jongtemps. D1ur: cédü 11/~,rriqu8 belle ct candj.cie,
SOllrce de regrets, et de l'autre ItAfrique pa1unne
crllelle
J
dans ses rr~nifestatj.orls religj.8uses. Il faut rloter' que
PhilJis Wheatley n'6tait qu'une adolescente lorsqu'elle
arriva sur le continerlt américain.
Dans ces conditio~s les
rites arricains
pouvé,lient lui parajtre brutaux et même
effrayants. La réact.ion de Noye, lE' jeune aclolescer,t cl8C1S
/
Thi~.Q" F8Jl AparJ:. de Chin,O:UB Achebe n'est pas différente.
Il trouve absurde et cruelle la condamn8ti.0I1 ,] mort
d'Ikeroefun8 qu'il considère com,n" son frère. Cependent à
l'exception de la première g~nération d t initi6s arriv6s E:rl
Amérique, les autres Noirs, par la sl!ite, pouvaient difficile-
ment accepter d'être associés aux scènes d'irlcantation suivies
de rites sanguinaires. Dans un premier temps donc, la ssconde
image prit le oas sur la première ~ cause de la dépersonnA-
lisation que ID système esclavagiste engendra. Les propritaizes
br isaient er. effet toute vi" com,.lu,,<wtaire susceptible de
nlainterlir une survivarlce de la société africaine h laque.1Ie
ils venaient d'être arr2chés. D' abani pour des raisons de
sécurité mais aussi puree qu'ils perlSélient sincèrement, comme
Pllillis \\'illeatl,,)', qu'il fallait les sauver des affres de
l'enfer en leur inculquant la religion chrétienne. Les
enseignements reçus, au hasard des circonstances, déclivaierlt
l'A fr ique con,me une terre inhospi tal ière, peuplée d' hommes

ï ~.
lorsque les Noirs fu~c~t libér~s, nombr~ux sont cellX qui
éprouvèrent le besoin [Je revenir en Afr~~ue conlm9 l'a ~crit
Du Boi:;:):
In the United States in 1860 there W8re 17,000,000
persans of African descerlt.
~n the 18 th century
they had i'ègarded .Africa 2S t~eir home ta which
they would eventually return when free. They
narned their inst'_tutions "Afri can l! 8ild stôrted
migration to Afri2a as eerly as 1815. But the Americ2ns
were soon sadly d·isillu~ion2d. (4)
Paul CufFa fut l'un des tout premiers è connaître cette
désillusion.
Paul Cu Ffe
Le thème de l'identlté raciale
Paul CuFfe s'intéressa ti'ès jeune au commerce.
Al' âge de seize ans, éil 1775, il s r eiTt~arqua SUl' un b21einie!'.
Pendant la guerre d'indépendance son frère et lui refusèrent
de payer les imp6ts dans le Massachusetts parce qu'on leur
aVait refusé la franchise. Peu après, le Massachusetts vota
une l~i qui reconnaissait aux Noirs libres, sujets à la
taxation, tous les privilsges dont jouissaient d'autres
citoyens. En 1780 Cuffe commença à bâtir ses propres bateaux

~ ~7
• -'.!
et 8 sc livrer au commel'ce. Ses activités ffiélritimes p!'DS-
p0ri'l'ent rnpidemerlt et en J 806 il était propri.étaüe d'un
grand batr:~u ct da rJ.usicurs nutres navires plus petits.
Erl
ol.ltro,
il possédait cie nombrcuse3 terres et maisons.
Devenu r iclw, Paul ClI rre s' .i.ntéressa vi vemen t nu bisn-être
des NClirs 8t décida ce slodonner à quelque activiLé suscep-·
tible d'améliorer leur sort. Se sentant mal ~ l'aise aux
EtaU,·-Unis, il sc touHia 'Jers l'Arr iqu2 en qUêt2 d'une plus
grande dignité dans la liberté. En 1811 il se rendit en
Sierra-Leone b bord de son propre navire pour étudier la
possibilité de ramener en AF~ique des Noirs libres. Il
Fondo une association dénommée "The Friendly Socicty for
the EmiCJi'ation Df the NeCJroes From Americo" el trallspo~ta
eFfecti'Jement "ingt-hui t Noirs en Afrique 11 ses propres
Frais (5). Il aimait l'AFrique et pensait sincèrement qu'elle
était non sculement urie plonche de salut au moment DG les
probltmes posés par l'esclavage étaient devenus insoutenabJes,
mais surtout, parce que la l'SIX et la liberté vraies Jes y
attendaient. Il s'ag~ssait de prendre un nouveau départ car
l'attrait de l'Afrique était le résultat de la situation
intérieure <ÎlTléricai.ne. l'AFrique
reprcisent.ai t l'espoir
d'échapper b une vie Faite d'humiliations répétérs, une
vie sans libertés politiques. Ces premiers amoureux de la
terre promise s' arerçurent très vite que leurs Frères de
race reslés au pays de leurs anc6tres étaj.ent peu enclins
è les adopter et b Jes insérer dans leurs organisations

sociales str8tifiÉes;où les classes d1âge jouaient un rôle
primordIal, et avait des fonctions bien définies. Parce
qu r ils s 1 S :~aient bercés d' illusions, ils eurent l'impression
drêtre confrontés è ~ne Afrique sauvage et à une populatiol1
hostile. On peut· donc affirn~r que si dès 1816, lorsque
"The American Colonization Society" fut créée par d'éminents
Américains blancs, elle avait rencontré un certain succès
auprès de quelques Noirs, cette edhésion des esprits n'était
pas sans limites. La tett~ adressée par Abraham Camp, Noir
libre de l'Illinois à Elias B. Caldwell, secrétaire de la
société de colonisation en est ûn témoi8nage. Parlant 8U nom
des Noirs libres, à ~a suite de deux LéuniGns tenues en
1917 à Richmond et à Philadelphie, i~ disait être d'accord
avec les objectifs poursuivis par la dite soci.été:
We perfectly 2gr~e ~ith the societj that it is not
only proper, cut 'lOuld ul timatdy tend to the benefit
and advantage of a great proportion of our suffering
fello~ crestures, to be colonized. (6)
Mais ajoutait qu'ils préféraient rester dans le
pays où ils étaient et ne désiraient pas aller dans un
pays inconnu et lointain:
But while we thus express our aporobation of a measure
laudable in its purposes, and beneficial in its
designs, it may not be improper in us to say that

• .J.;;
we pJ:(~fer bejng coJ.unized in tl,e mont ]'cn;ote corner
ur tllG land of OLlr nativity, ta being exi12d ta 8
foreiCJn country. (7)
La Ilwjor iLé des Noirs libres considérai.e;lt le projet
de colorlisation comme lIn marcl,é de dupe et ils n'avaient pas
tort. Le but inavoué dc CG projet était en fait cie débarasscr
les Etats-Unis de ces Noirs dont la présence mettait en péril
l'intitution esc12vagiste. [_ss Noirs refusaient le principe
de ce rejet ; ils se sentaient a~éricains au même titre que
les Bla~cs et ils entendaient le demeurer. Cette réaction
J.es éloigna spirituellement de l'Afriquo. Le contillent africain
cessa d' être le point de f1lir'e, 12 p18ilche de salut, pcur rede\\i8r.ir
un pcys insalubre don t il fal laj. t 5' éloigner physiquefïlen t. ] 15
voulaient rester solj.daircs des esclaves plutôt qlJ8 d'accepter
ce qll'ils considéraiunt comme un exi.l crue] dans une contrée
sauvage où les attendait "un asservissement éternel" pour
utiliser les propres termes d'Abraham Car.lp
Resolved that we never will separate ourselves
voluntarily From the slave population i~ this
country ; they are our brethren by the tie of
consarlgu ini t y. 0 f su ff el' i119, 5nd 0 f \\'Irong ; and
we feel that there is more virtue in suffering
privation >Iith them, than farlcied advantage fDl.'
a seasorl. ResoJ.vcd tllat without arts, wit~lout
science, withouL proper knowJedge of 90Verrlment

to cast into the ~av2ge ~Iilds of Africa the free
people of color,sec~5 to us t~~ ~ircti~Gus route
through which they must return to perpetuaI bo~d3ge (8).
Slils rcfLlsaient de laisser leurs frèr2s esclaves
da'ls Ja malheur, ce qui était noble en soi, la vraie raiso;)
de leur refus c'était la peur de l'inconnu et la hantise des
affres de la faim et de la dégradation sociale. S'ils avaient
été mieux armés, ils seraient partis aider leurs frères restés
en Afrique et qui avaient besoin d'eux. Aussi décidèrent-ils
de commencer par la luLte sur place afin que leur retour eG
Afrique soit un acte utile et solidaire :
Negroes therefore slowly tumed to a new Ideal
ta strive for equality as America~ citizens~
determined that when Africa needed them they
wOûld be equipped to lead thEm into civilization. (9)
, \\\\.AfR.!C-'II'1_~
_\\~~
v("
Les mouveœ~nts de retour/en Af~oôsa\\'ent donc
':-'10'
' \\ " ;
.
.,,.l'S:} A.
tt\\ -
t
un dilemme. Partir au prIx de prlva.lons oeu~a
Tavan.es ou
r \\ .~) .::'
rester et accepter d'être un citoYën.de,~e cl~sse.
-"
(1-
'<,.:>\\/
Voilà le choix qui s'offrait à la co~s~i~n~ë~a~Noirs de
plus en plus mal à l'aise dans la société esclavagiste.
Beaucoup de Noirs fatigués de quémander en vain la justice
finirent par choisir l'Afrique:
This "back to Africa" movement has recurred time
and
again ln the philosophy of Amerir.an Negroes
and has recommended itself not simply to the

Cxp'2I'i enccd al"id ln dernaÇJo~Ju8}~ but te U18 prouder und
more indep(::n(~[:flL-. type of N::';gro ; to UIS blac!.< [llan
Ylho i8 tj re:J Dr \\Jcgging for jU:Jt.ice ~nd rcci:-Jg,iilion
from fol ~:s l,ho ln hi.m IHI\\.i8 no intention of bcing
just and do J'lot prorose ta recogniz8 Negroes as
men. (JO)
Cepondant: l'Llrl des premiers ~oirs ~ poser le problèn18
de l'égalité des Noirs et des Blancs fut David Walker.
Duvid i.JC1Jke.r'
Le tllbme de l'égalité r8ci~le
Né d 1 lJne mère libre et d 1 lll'\\ p~re esclav~ è ~imington,.
en Caroline dlJ Nord, WaJker quitla le Sud pour se rendre ~
Gaston. Il apprit à Ijre et ~ écrire, ouvrjt un magasjn de tissus,
se maria et mena une Vj.8 r8lativ~rner1t prospère. En 1829 il
lança une rr'oclamatior1 En quatre articles aL'X citoyens Noirs
du morlde et en particuli8f ~ ceux qui vivaient aux Etats-Unis.
Le but de WBlker était de démontrer que les arguments utilisés
pour justifier l' escl8vage étaient san" fc'ndemsClL Il n'est pas
juste, écrivait-lI, de prétendre que la Civilisation s'est
toujours appuyée sur l'esc18vage pOLIt' s'ériger. Il donnait
p61~-mêle des arguments historiques pour justifier ses propos.
Ensuite, il insistait, grêce è un sen" profond de la rhétorique,
Sllr la sj.tuation concrète que connaissaient les esclaves aux
Etats-Unis et pnLlssait des cris d'indignation devant la crll8uté
des /\\mér icains:

,-, "
.I..L.
of Sout!, Ar!18J:jca- 1118 Crcel<s - Th~ Irish, subjecled
L1nuer Ule kjng ur Creat 8J:itûin -
The Je\\'15,
thal:
ancient people of the LOj:d -- The inh8bi tElnts: of
the is18rJds 0 r the 523 -
j n fj.ne,
nJ.l the illhélbj tants
of the earth,
(m,ccpt, however, the sons of Africa)
are called ~~"2, and of course, Eire 8r1d ought ta be
free. Bu t, \\'Ie (co1c'ured people) and our chi Idren
arc 9!,utes
and of course are miel ought ta he
S.1avcs t.o t.he (,;nerican peapl2 anel their chilelrerl
for ever
te dig their mi;-Ies and ~'lOr~ their fôrrlls
"nel thus go enric:,ing them,
rrom one generation ta
anot.iler with
our bloocl and our tears. ( ... )
Tlle whit~s have ôlways been llnjust, jealous, unmerciful~
avariciol.Js ; anc! bJ.ood-thir"sty set of beings, alwôys
seeking artel' pO'ilCf and autnor ity. -,le vie,,' them
aIl over thc confederacy of Greece where they
were First known ta be anythingi (in consequence
of ccJucation) '.;,18 see thern th8I'8 cutti;-,g each
othel"s thro2ts-trying tD subject each oLher :0
wrc cchdness 8nd misery-te e rfec t ·"v.'hi ch,
thcy used
aIl kinds of decei t Ful, lin fair, and wlmerci fuI
means.
( ... )
But sOllle may ask, did not the blacks of i\\frica,
"nel tt,e mulattoes of Asia go on in the same way
as e1id the 'Hlütes oF Europe. l 8'1S'''':1', no -they
never were half so avaricious, deceiLFul and
unmerciful as the whites according ta their
kllo'lledge.
(lI)

Il faut note~ ici que Walker fait preuve d'un
nationalisme culturel assez profond. Non seulement il
réfutait les arguments selon lesquels les Noi~s d'Afrique
,étaient c~uels, ~ais il avançait déjà la thèse, qui devait
'avoir plus tard quelque succès, selon laquelle les Egyptiens
étaient des Noirs. ~alker, affirmait que les Blancs s'étaient
toujours illustrés d8ns le passé p2r leur désir de conquête
et de domination. Pour cette raison les chrétiens blancs
d'Amérique n'avaient pas de leçon de sagesse à donner aux
peuples les plus primitifs, notamment aux Noirs d'AFrique.
Comme nous le constatons, cet appel frappe par sa violence
et la profondeur de l'analyse. Walker n'ignorait pas qu'en
ne lui pardonnerait pas de l'avoir publié et dans scn préam-
bule il devait déclarer
1 am fully aware, in making this appeal to my
much afflicted and suffering brethren, that 1
shall not only be assailed bv those whose greatest'
earthly desires are to keep us in abject ignorance
and wretcrndness, and "ho are of the firm conviction
that Heaven has designed us and our children to be
slaves and beasts of burden to them and their
children. 1 say, 1 do net only expect to be held up to
the public as an ignorant, imprudent and restless
disturber of the public peace, by such avarir.ious
creatures, as weIl as a mover of insubordination
and perhaps put in prison or to deaeh, for giving
a
Superficial exposition to our miseries, and
exposing tyrants. (12)

.L4.
qu'il ~Lait prêt ~ se sacrj.fier pour la C2USC de la v~rit~
et cie 19 jU3L12e. l.l pl'~f~rait mourir pl~t6t que da mener'
une vie mécljocre alors Inênle qu'il se s2vait digne d'une
vie meilleure :
And nOl'1 br~threr"
having concluded these Articles,
l submit them, together "lien my prp.8",bJ.c, dedicc"ted
tü the Lord, for your inspeclion, in language so
very simple, Lhc.c Lhe most ignorant, "ho can read
at aIl, nlay casily understand of which you rnay
mule the besL you possibly cano If any are anx.i.ous
La ascer tain ~":ho 1 am, knO'.": the v,'OilcJ that l 3m
one 0 f the oppressed, dGg:r~:ldeli
8nd ~::::-etched
sarIs of Africa~ rendered ,sc by the avaricious and
"nmerci fuI among the ,·:lü tes. If any wish ta pl unge
me jnto the vlreLched incapaciLy of a slave, or
nurder me for the lruth, know ye, thBt 1 am in
the halld of Gad, alld at your dispos,,}. [ cOClnt
my life not dear unto me, but [ 8m re8dy to be offered
8t any moment. For what Is the use of living ~len in fac
1 am dead ? (13)
Devant cet 8ppel à 12 violence, les Blancs du Nord
et du Sud prirent peur ; sa .tête fut mise à prix, mai.s il
refusa de fuir au Canada. On retrouva son corps devant le
pas de sa porte quelques mois aprbs 13 publication de SOIl
appel incendiaire.

,C
oL.J.
l'iRlker n'éLG.i L Icas morL en vain .. 1'1arLir; Delany
allcl.l t pren(~l'c le reJ.éli 2V~~C la mf:rne fiE-.'f té et la mêmE:
Le thl~rilC de 11 jdentité culturelle
1_8 passion cl8 DeJany pour l'Afrique réflétait ]a
qualité exceptionnelle cIe sa persowlaJ.ité et sa fierté
c1'éLre Noir. "L'Afrique 8 la l'ace africaine" affll.'mait-il.
Delany était si fier ci 1 être Noir qui i.1 dunné] à ses enfants
des Iloms tels que Toussaint L'Ouverture, Ethj,opia HRlle
Amelia.
L'identification de Delany avec sa l'ace s'explique
par SOf1 ascendance. Né ~ Cllarlesto~l,
en Virginje, d'un pbre
escla'J8 et d' une mère l.ibre: il aV8i t- pour grand-père mélz"terqel
un prince rf!::Jndingue~ nommé 5h<::.nÇJCJ) capturé pendant une guerre
tribale et envoyé aux Etats-Unis avec sa femme Grati.Sha"go
fut affranchi ~ cause cie son ~ang et repartit pour l'Afrique.
Grati fut également libérée mais elle préféra rester aux
Etats-Unis avec sa fille Pati. Pendan t sail aclolesce;lce ..
Oelan; vécut en intimité avec l'Afrique. En effeL, sa grand-
mère (qui mourut à l'âge de cent S8?t ans) luj Ilarrait r:ec;
contes africains et le bel~çail avec des chanso/18 africaines.

.:::6.
Son père, Sa,lluel Delany J essaya de racheter ~:él li~ertc·;
lorsqu ' il rt 1 avélit que ci.nq ans. [tétait un homme courageux
et son fil= fut très fier de lui,
Au cour~ des 811nées douloureuses de son adolescence,
Martin DeJany prj.t cor"lscience de son appartenance è une race
méprisée par les Blancs des Etats-Unis. Un incident amer
survenu alors qu'il n'avait que dix ans allait lui faire
saisir encore d8vantage l'intensIté de la haine que les
Glanes vouaient à sa rDce. Parce que Pati Delany 8pprenait
à ses enFants à lire et à écrire, elle [lrovnqLJ8 lthostilité
des voj,sins qui voulaient majntenir les Noirs dans J.'ignorance la
plus totale, par crainte de l'apparition d'un autre Derlmark
Vessey. Ils s'opposèl'ent ~ l'éducation de Martin Delany
avec une véhémf:::nce telle que PaU. Oeleny dut quitter
CharJesto/1ll pour se réfugier à Calftbersburg en Penrlsylvanie.
Mais le jeune Delany devait bient6t découvrir que le nord
n'était pas non plus un havre de paix pour le Noir. Vers
1830, une sérIe d'é~autes anti-noir ébranlèrent Pittsburg
aD il étudiait alors. Il épousa Catherine RiehDrds, une
mulâtresse, fille d'un Inillionnaire, qui devint l'hériUère
d'u~e riche propriété en 1847. Bien que Delany ~,t alors
l'éditeur bien connu du PiLt3bul'q Mystery, sa femme ne put
rentr8r en possession de cet héritage parce que les juges
ne voulaient pas légiférer en faveur d'une fanlille noire
alors que les intérôts d'une famille blanche étai8nt en jeu.

LI connut ü;" plus dures r:J8rüfcstati,Dns du rm,i8me clans
18 sociét0 nu rd améric8irlc pendanj~ les 8nnée8 1840, alors
qu'j.l aidait rrede~ickDolJglass b éditer le North Star.
:"-D!rHrI8 reporter du jouI'nz!l et. conférencier abol:i tionistD, ~1artifl
Delany voyag88 be8ucoup dans toute l'Amériqll8 du Nord et dut
affront8l' toutes sortes dlilostilit~s. 5011 amertume devirlt
intense è la suite d'une controverse provoqiJée par 8011 admis-
sion h ln faculté de médecine de 11Br~ard. En 185Q, Delany
et deux 3L1tres Noirs lurE:~nt admis 3 cette f3culté tradition-
ncJ.lement r~sorvcie 81J~ Glancs. En fait, cette admission
nI indiquait pas une quelconque évolutiDll dans le traitement
des Noirs. Il était en cl:fet entendu qu1une rois leurs ~ludes
terminées, ils iraient travailler en Afrique SDiJS les auspices
de 18 Socü;)té de CDlcnis81~iDn Am8rjcaine. Î'1aj,0 la presence
de ~laTtin Do1any et de ses deux frères de race au seln de
l'universjté provoqua la col~re des étudia~ts qui exj.g~l~Erlt
leur exclusion immédiate, 3rguéilt qu::~ le njveau de leur
formation allait en souffrir. Les eutorités de la faculté
capitulèrent sur le chnn~, faisant ri de la pétition d'un
étudiant qui demandail que les étudiants noirs fusser,t
maintenus 8 :'arvard. Il est facile' d'imaginer l'humiliaticm
que ressentit Martin Delany. Pour lui, les Blancs ne voulaient
pas mettre en péril leur suprématie intellectuelle en permet-
tant b un Noir d'~ntrer en compétition avec eux.

.2[1.
Dcl.l:"-: ~l!l:: ,jpr"0s cette contl'oVErse, f'k:rtin Deleny
publia son maniFeste ~;ur l'énligraLion des I\\!oirs : The
Condit.i.an, Er.Üqrotion__and ~e~tin~tion üt- the Co.lored
People of tha United Stutes,
(14) avec Uil appendice
intitulé "A Project- fur an Expedition of i\\dventure te
the Eastern Coast or Arr ica".
En 1859, il conduisit une expédition dont le
but était d'explorer la vpllée du Niger tout en rassemblarlt
des informations scienLi FiqU8S. Les promoteur;,:; de l' 8xpéd5.lio~1
laissaient à l'iartin DelelllY la possibJ.lHé de sig"er des
traités 80ec les chefs indigènes en vue de l 'obtcmtion
08 lerritoires-ell Africille. A son arrivée au Lib6ria
lc
J
Professeur Edvlard Blyclcn l'accueilli t chaü~ureusefl12nt et
vi t en lui le HOlse noir qui allait conduiTe les esclaves
dans leur patrie d'origine. Au cours de ce voyage, il
signa effectivement des traités et se preposait de réins-
taller Jes Noirs améri~8ins qLlalifirls dans la région
d'AbeokutiL A la fin de son l' appor 1:, publi.é en 11 161,
Martin Delany se disait prftt à retourner en Afrique aVec
sa famille.
(15)
En fait, dès l'âge de 19 ans D81eny a vait éprouvé
le besoin de se rendra cn Afrique,
terre de ses ancêtres.
Il Se promettai t déjà d' Y condu.\\re les Noirs et commença
à élaborer un plan b cet effet. A cette époque, il fit une

distinction cTuciaJe ent:c8 son ~d8n et celili de la société
dR colonisnf:j,ofl 8méricDir:e. Son prof;~I'3rnlTl:~ erlv.isogeaii..: une
rupture totille avec )0 système afl16ricair_
Il d6testait la
société d8 col6nisatiurl p8ur son arrogarlce ct son paterns-
Jisnle.
Il 8CCUG8 d 1 all].8urs le pr'énident J. J. [~oberts
d'être Lin Noir à 18 solde (les Bla~cs :
Like the slave l
"c.ap in harld, o:Jeuicnt ta the
cOri!rnands a f the dons who employ thern", bidden on
an errend of his master, President Hoberts, no
SODnor cuncJ udes the bu::;i.ness 0 f his mission, él
knuwledge and official account whicll was alone
due ta his owr; governmont, but he ~Irites ta A. G.
Phel[Js, a cCllonizationist of the Llrli.ted States,
giving hi", 211 official repDrt of his p,'oceed.lngs
as the IÜn.l.ster of Liberia, an lildepencent
N8t.iClll ! (16)
le programmc qu'il avait ~jabDré devait être
entière;nEllt rnené à bien par les ~~oirs eux-mêmes qui en
seraient les bénéficiaires. Ils devaient partir pour s'organiser
ailJ.eurs car, disait-il, les Noirs ne pourraient jamais
s'arfirmgr en Amérüjue. :'iais pour r:éussir, il Jeur fallait
acquérir l'esprit d'entreprise qui leur permettrait
d'accumuler des ca[Jitaux. Ils d8v,liellt lutter pour s'erJ-
richir afin d!" pouvoir g3gner de l'importance. Pour co raire,
il leur falüüt une formation pratique plutôt. Cju' une formation
classique :

What dld ,:Iol:n Jacoh Astor. Stephen Girard~ or do
the millionaires and tlle greater part of ~he merchûn t
about Latin and Greek, and
the Classics?
(17)
Pour Martin Delany il suffisait de changer les
conditions pour cha~ger l'homme. Or les conditions ne pouvaient
pas c~angél pour les ~oirs t2nt qu1ils resteraient aux Etats-
Unis. Ou bien, si elles ehangeaient ce serait si lentement
qu'il faud~ait des siècles pour voir un jour les Noirs d'Amé-
rique devenir les homologues des DIanes. Il s'opposait à
toute idée iCltégratiorüste. Il dem'lndai t aux Noirs de chercll'O'r
à conserver leur identité. Pour lui, la race noire avait
beaucoup à apporter eu monde. Il ne restait ~lus aux Noirs
qu'une seule solution: émigrer/se séparer de leurs oppres-
seurs blancs. Seul un gouverne~ent véritablement noir, pour
les Noirs, pourrait imposer le respect de la race dans le
monde eL accélérer ainsi la libération des esclaves :
The claims of no peeple acco~ding to establishcd
policy usage, are respected by eny nation, until they
are presented in a national capacity. (lB)
Si martin Delany avait envisagé pendant un certain
temps de faire émigrer les Noirs en Amérique du Sud pour
rester en contact avec le continent d'adoption auquel il

,
" ./.!.. •
se sentait lié malgré
tout, c'est en définitive
l'Afrique qu.i l'attiré' le plus. 11 pensaii que la rédemption
des Noirs dép~ndait de la régénératjnn de l'Afrique. l'Af=iquE
possédait tout ce dOGt avaient besoin les anciens esclaves
pour leur émancipation économique. La terre. des ressources
naturelles et une population noire. L'Afrique devait donc
être la terre d'accueil des Noirs dtArnririque. Clest pourquoi
Martin Delany ne manqua aucune occasion de faire compre~d,e
lanécesslté pour les Noirs de retrouver le pays de leurs
ancêtres. Cependant, sen att2chement aUX Etats-Unis s'affirma
égaleolent plus d'une fais, aussi bien au cours des réunions
traitant du problème de l'émigration que dans sa corresponda~c8.
Dans son li'v're sur l'émigration il écrit
Here is our nativity, and hBre have we the natural right
to abide and be elevated thro~gh the measures cf our
C\\'1n
efforts ( ... )
Our comman
country is the United-
States. Her~ were we bor~, raised and educated, he~c are
the scenes of childhood ( .•• ) the sacred graves of
our departed fathers and mothers C... ) ~e love our
country, dearly love her, but she doesn't love us--
she despises.us. (19)
Dans une lettre ad :essée à \\/illiam Lloyd Gan iscn,
le 14 mai 1852, Martin Delany ~voquait les émotions contradic-
toires qu'il ressentait:

.32.
l
éU~: ilDt. i!·] f(l\\'l~LJ1' of caste, nol' El separation of
bratherhûor! of .1\\2Ilkind ; ond would 85 \\"illingly
l.i \\/8 c,mûng "hi te, men as bJ ack, if l 113d an
~qual DDssessJDll and en,ioyment of privileges
but shaU never he recor,eiled to l.i.v~ é:lOûng
thcm, subservient te their wiJJ}existing by
~~~~reQ~~, 88 we the colored people, do, in
this country,
The majority of white people cannat'
sec why colorcd men cannat be satisFied with the il'
condi tian in r~as8achusctts -wllat the y dcsire is
more than .9.Ean~ed right oF citizenship, Blind
selFishness on t!le one hand, and deep prejudice
on the other, \\'Iill not permi t chem ta understand
thal-. vie desire the exerc.ise 8.-,d enjoxrr:~rlt of the se
rigtlts, as weJl as the name of their poss8ssion.
IF ther<flBrc an)' prohability
oF this.
l s:,oulc!
be "illing to renl8i.n in the country,
Fighting
and strugglirlg on,
the good Fight oF Faith. But
l must admi t, tha t l have no hcpes in thi.s country-·
no conFidence jn the Americar: people ---\\Vith a Few
excellent excepticns - therefore l have wr i tteil
as l have donc, Heathenism and Liberty, before
Christianity and Slavery.
(20)
Comme 011 le constate)'Delany se fIxait une autre
missiGn
une mission cj.vilisatricc.
Il fallait sortir
l'Afrique du paganisme.
Il voulait non seulement convertir
les AFricains au chI' istian.isme, mais également les vêtir
d'habIts décents et les amener à envisager une autre forme
de vie.
Il appartiend~ait à chaque énligrant de servir de modèle aux
indigènes afin d'améliorer leurs condIt.ions spirituelles et
matérielles :

0:,
. ....
. /
If 811 persans ;'ihr; 88ttJe alT10ng nati.ves ~','Quld ( .•• )
inducc l by fTl2i-:in~ il a rule of their house or family,
8vcry naLive servanL Lo sit on a stool or chair;
eat at a tabll~ insi:e8d of O~t the g~'ou:Îd ; 2a~ with El
,
kilife or fork ( ... ) instead of ".'üh their fingers ;
eat in the hou se instead of goir.g out in the yard,
garden or SOfl;\\'lGere eIs'? under a trce or shed
and sleep on " bed, instead of on a bare mat on
the ground
and have them to wear some sort of
garment to co ver the entirB persen above the knees,
should it be but a single shirt or chemise, instead
of a loose native cloth thrmm 3rcur.d them, to ue
dropped at pleasure, at any moment exposing the
entire upper part of the person --or as in Liberia,
where that part of the persan is entirely unco'!8red - '
1 am certain that it would go far toward impressing
them with some of Lhe habits of civilised lire,
as bcing adapted to them as well as the
"hi te
man . (21)
Il n'y a pas de doute, l'image qU'avait Delany
de l'Afrique n'était pas des plus attrayantes. Et s'il voulait
néanmoins partir pour ce continent de ses ancêtres, c'est
parce que l'Amérique l'avait rejeté. L'oppression l'avait
ainsi jeté dans un paradoxe. Lui qui aimait tant l'Amérique
dont le christlBnisme et le mercantilisme l'avaient séduit,
il se voyait contraint de s'exiler sur un continent où le
paganisme et l'obscurantisme tenaient la population è leur
merci. Et sa fie~té d'ptre Noir cachait mal son 8mbivalcnce

SG;~ 8tt~chempnt ?l l' Al:-:t~r_;.que el.: son 811ég~ncf' Èl l'Afrjque.
Cette tE'ns.i.ün irlt~ils.i.f·j,~: 1.':-J l'éJge qu' 1.1 ~pl.'ouvsit de np. POU\\/oj.r
s'arfil'mer véritél.hle,,-,en!-.. La viole~ce lUl perl1il 210rs de
cJirnir:uer ~ sinon dl éJ irninrT cet tr.> [8ilSion (1 Dans son l'Ofilafl
.~ nl.i tu 1é 81ake : or. l-he 11ub::l 0 f Amer. ica publ j é en sér ie::
dans le \\·Jec:kly Anqlo--{< ft· ican
de rie\\'1 York (1857-62), il
fait ainsi chant3r Lln marjn :
l'm a gain' to Af:nka
l,here de \\·Jhi Le Inan dare not stay
1 ketch'im by de caIlar
Den de \\·,'hi te rnr::lil holler,
1 hit 'im on de pate,
Den 1 mke'im blate,
1 seize'im by de trilo~t
Laud ! - h~ bell~r liko a goaL
Certes Delany avait l'intention de sauver
l'iJlne de l' Ilrrique de h, c1éch(ance. l'lais son at titude seolble
traduire davantnge son hostilité envers les Blancs; car, si
la quête de son identité le jetait invariablcment dans les
bras de l'Afrique, il n'était pas pour autant pro-africain.
En fail il n'avait pas été conforté par ce qu'il avait vu
en .Afrique. Les éléments positifs de la culLure africaine
n'avaient pas, semble-t-il, retenu son attentien. Il avait
tout vu en II no ir". Sa fierté d'être Noir n'était donc pas
fondée sur Uil quelconque n8tior",lis~ne culturel. [Ile était
plutôt basée sur un racisme anti-bJ.Brlc. Un racisme très
confus par ~lilleurs, darls la rnesure DG il étnit marié ~

une h1ul§trf:~sc et. que du ~:8"q "blanc" coulait d"lIls les
v8ine~-; de sc's enf<;intf3. Celé] explique peut-être les con-
tradictions dont il fut victime tout au ]~ng de sa VIC
de nlilitant. N'était-il ras e~ el"fel con~r8dictoire de
vouloir implanter en Afrique urle société calquée SUl' celle
des Elats-Unis, snrlS tenir compte des valeurs propres au génis
africéJÎi1, alors même qulil.vo~JJait affirmer l'identité de la
race noire 7 ELait-il possible de fonder toute une philoso~!lie
de développement sur des acquis matériels et la religion
chr6lierrns sans aboutir è des injustices sociales semblables
~ ccJles qui existaient aux Etats-Unis? Ces contradictions
ont affaibli les positions de Martin Delany eL ont diminué censi-
dérablement la portée de son miliL8nUsme. 11 est peut-être
heureux qu'il n'ait pas pu mettre à exécution son p!'ogr5miTle~
car il 2urai.l certainement causé plus de tort que de bien,
En effet, il n'est pas sûr que mnnç.er à l'ombre des arbres,
sous les tropiques, constitue un acle répréhensible; et
se vêtir~ en laissant leur torse nu était pour les Africains
plus conforlable que porter une che",iEe ou une rob~.
Il faut cependant noter que, si f~rtin Delany ne
se révèle pas comme un apulogiste de l'Afrique, en revanche
on doit reconnaître son opiniAtret6 dans la lutte pour affirmer
la personnalité de la race noire. En outre, il a eu le mérite,
gr§ne b sa grande culture, de poser le problème de l'influence

du milieu sur le d6ve]Dppam~nt de la parsorlnalité at de
faire valoir que les Noirs ne ctlarlgeraient pas tant que
les ~onditiohE de leur émancipation ne seraient pas réunIes.
Ces conditions, la Guern, de S6cessiofl all2.it peut-être
les fournir aux Noirs 2méricains. Aussi, Nartin Delany
oubiia-t-il son rêve africain pour jeter toute son
énergis dans ce (IU'il crut être la bataille pour la
libération définitlve dos Noirs. Après la guerre, un
autre homme d'action, BisilOP Turner, devait tenter de
concrétiser ce rêve qui hantait les ~oirs américains
depuis ~n siècle déjb.
Bishop Tumer
Le thème du pouvoir nGlr
Né d'un père esclave et d'une mère libre en 1834,
Turner se signa13 par son esprit d'indépendance et scn
orguei 1. Il appr it à lire et à écrire grâce à l'amabilité
de san employeur qui, défiant la loi, lui procura un
enseignement de base dans son officine. Intelligent,
Turner rie tarda pas à se familial' i5er avec la langue
anglaise dont il allait désormais se servir comme
une arme
pour conquérir une place au soleil ~igne de ses capacités.
Pendant la guerre, il Rut la responsahilité du recrutemGnt
de Noirs pour l'armée fédérale. Dès la proclamation de
1863 qui libéra les Noirs, Oishop Turner demanda aux Noirs

· :.'1.
de J:eV(3;lCJj.qucr ~ ~~Ui'f..:; ch'oits et de se fail'e re~)pccter. Il
éclJtlit lu:i.--rnême rejoint bien f)vCJnlla guer.l"e "l'/\\frican
HethodjsL EpiscopaJ .Cllurch" pour éviter :a djscr.imin3tion
qlJj existait dans Jes il1stj.tutjans r'eligieuscs blanclles
où son t.aJ ent 8t sor; dévouefllcr,L étaï ent méconnus. A la
f in de la gue! r E', on lu i con fi a cel' t aines responsélbi lités.
1"18is on les lui ari'achcl une à une lorsqu '.il voulut les
exercer effectivement. Frustr6~ il sœ tourna vers l'Afrique
à lf)quelle il pensaj t toujOtJrs C!8ns ~'3es moments de décou-
ragement et. de dépit. rour l~i, l'lImériqu2 élait une nati.oCl po~r
DIanes où les :\\I.::.tirs ne pourraient jaJT"ais s' arrirmel" v~!.'j ta-
blemenl. Dans les églises il préchai~ le retour en Afrique
il estimait que -les r~oirs de 1: Amérique devaient voler f)U
secours de l'Afrique et 8.ssurer S8 rédempt.ion en convertissf)nt
les pal"cns au chl'isti2nisrne.
Ils fez2:.lent ainsi oeuvre utile
en faveur de leurs frères restés e~ dehurs des courants de
la cj.vilisation.
Ils ~ourraient également s'épanouir dans un
milieu où IF, couleur de J.a peau ne serait plus u[Je limite
b leur suc~~s sur Je plan social.
L'AFrique, pour Bi.shop Turner, n'était pas seulement
un re~Jge, c'était a~ssi un symbole pour la race entibre.
Un royaurne politique. Fort de son expérience, il affirmait
QUB,
SBns poids polilique, aucune race ~e peut.se faire
respecter

.38.
1 do not bclieve any race will evcr be respected
ur oLight ta be J'8spectt:;d \\'/ho do not shm'l lhern-
selves capable of fOLlndirlg and marlnjng a
governmen t of their 01,[: creation. (22)
Dans le mêll1?' journo 1, iJ. ajoutait que les jeunes
de sa race ne pourraient lever la .téte que lorsque des
Noirs seraient eux aussi au pouvoir :
Till we have black men in the seat of power,
rospected feRred, hated and .!'8verenced, our
young men will ne ver fIse for the reason
that they ,Ii Il never look up. (23 )
L'Afrique devait, selon lui, jouer un rOle
primordial dans cette affirmation de la race noire par
le pouvoir politique. Elle devait faire plus que réhabili-
ter ses fils restés en Afrique. Sa gloire devait rejaillir
sur tous les Noirs de la diaspora et imposer son image
au monde entier :
Astate that the world will respect and whose
glory and influence will tell upon the destinies
of the race pole
to pole; our children's
children can rest under its aegis, whether
in Africa, ELJfOpC, Asis
America Of.lJpOn the
j
high seas. (2 11)

Tlop.'ner prècha .18 plus souvent. d~J.flS Jes églises.
Pour conv2i!1cI'e les ridèlcs, il faisait intervenir ues
argurnef1ts (i' ordre rel.i gieux. Comme Paul Cuffe el:. léS
autres partisans du l'eLour erl AFriqLl8 qui l'avaient
pr~c6d6, il considérait cette entreprise comme une mission
irlspir6e par Di.cu. Selol1 lui, les 811ciens esclaves étaient
des envoyés de Dieu et avaient pour mission de retourner
ajder leurs frères aFI'icains ~ sortir de l'igr·loranc8 et
à résister aux "envahisseurs" europécns.
En 1883, les Européens étsient en train de se
pal·tager l' AFr ique et Bishop TurCler nD pouvai t pas tolérer
cela. Il trouvait inadmissible que les Euro~éens, après
avoir dans le passé volé des Africains à l'AFrique,
r8vi.sserlt mairltenant l'Afrique aux Africains. Sa conSCIence
politique ne pouvait accepter que ~'AFrique soit pillée
par ies Blancs tandis que les Noirs am6ricair:s restaient
impossibles :
To wait till the whites go cver and eivilize
Afriea and hornesteod aIl the land and take
us along to black their boots and groom their
horses. Wait till the French or English find
some great mines of gold, diarnond or
sorne otller pre2ious metal or tre3SLII'eS, so
wc can raise a howl over it and charge the

.48.
wl·liles Wittl ende8vorj.ng tG lokc away our fathers'
inheritance, ,md hft a \\'l8il fur the sympathy
of l,he \\'lOdd, (25)
Turner pensait rJue cette fabuleuse richesse que leur
uffrait la teI'Te ~e leurs anc~tres Ilouvait être exploit~8
clans 1<1 liberté vriJie et cians la dign.ité. 11 réfut<1 les
argumellts de ceux qui, pour des raisorls diverses, voulaicflt
effaroucher les émigrants potentiels en insistant sur les
dangers qu! les attendaient en Afrique ; notamment les
fiLvres , la chaleur, les animaLJx sauvages, ete ... Des
Blancs y vivaient et se portaient bien. En outre, il ne
s'agissait pas de transporter tous les Noirs e'l Afrique.
Seuls les gens vHlides;
fiers, motivés et bien instruits
devaient
constituer l';:lv8nt-garde de cette armée du salut
Not everybocly sllOuld go ,;nci at the 8ame time.
Only the proue! ancl resouJ:eeful might contribute
ta this symbolic etate, fol' brave, ambitious and
educated young men and worme" 'lOuld be necessary
ta l'aise 8 nation worthy of respect. ( .... )
Not aIl tlle riff-raff whitemen wors:,ippers, aimless
objectivcless, selfish, little-souleC! ail,1 would-be
white Negrces of this country. (26)

.41.
DishcD TUrn8r 6tHit exiqcnt et ses adversaires
lui raiS8i8nt Tcmc:Jrqur;r q~e ceux qui l'épondai ent aux
critères aspjr8j.cr;t all r6ve américni.n et n'étaient pas
prêts à pllrtir pour l' !\\f·rique. Turner continuaIt néanmoins
à pr&cher ct en 1891 J'occasion lui fut donnée de se
rendre en IIfriClue aprè~; en avoir r8vé pendant longtemps.
Il ne fut pes déçu par son séjour. Tout ce qu'il vit
l'enchanta et lui fit "ugurer d'un futur 'Jlorieux pour
l'Afrique, continent dc la liberté, habité par des gens qui sem-
blaicnt biitis pour cOfT'rnander "t non pour être mis sous le
jDl;g :
One thing thc B19ck ;-.)5 here, and tlwt is manhcod,
freedom and tlle fullest liberty ; he feels like
a J.ord and walks the same way.
(27)
Bishop Turner lui-fT'ême se sait descendre d'une
l ignée de rois et de retour en A,:jérique il continua à
mener campagne en faveur du retaur en Afriqu8.
Pour Bishop Turner, les Noirs doivent construire
leur avenir avec réalism8. Et la réalité leur 8nseigne
chaque JOUI' qu'ils n'ont aucun int"rêt à demcurer dans
un pays dominé par les Blancs. Jan~is) dit-il, ils ne
pourront s'affirmer eOII:plètement. Prétendre le contraire,
comme le font certains leaders nDirs, c'est méconnaître

.~2.
JS5
f:.-ïiSciç;r-:t:r;!(-;ilLS
0>:::
l'~li.r3t':.l.il'e et cie la :Jociologie et
cOr,dE'iTln2;:'
1:3 ri:1c:e dont ils se dise:lt 12s porte-paroles
~ la m(~d.io~_~'.i té. Il f'8ul Licne que cieux ou trois nlillions
je Noir~ l'etcurn9nt en Afrique pour y fonder unR nation
\\.'i::>t~}e el p~o0pèLe y:Ji proposera au monde une civilisation
africaine origin8le. Ils pourront au sein de cette naticn,
foire de 18 politique comme tout être humain digne de ce
rlOL1.
Il est en
effet 0bf:.'~~Dnt. ajoute Turner, que des
leaders noirs se joignent aux Blancs extrémistes pour dire
que les Noirs ne devraient pas 58 lancsr dans la pclitique
et reconnalssent ~iqsi l' inféri~rité de ces derniers.
Il est urgent, affirme-t-il, que les r':oirs aient un
envirunnemeClL en harmonù, avec la couJeur de leur peau.
(2")
D'autres leaders noirs, parmi lesqueis, W.E.B.
Du 80is vont réagir différemment aux nouvelles méthodes
de ségrégaticn, à la proscription politique et à l'ins-
titutio~ de la terreur par le Ku Klux Klan. Du Bois va
harceler la communaut2 blanche pendant plus d'un demi-
siècle, pour l'amener à accepter les aspications de la
race noire. Il s'inspirera de la sensibilité poétique de
Phillis Hestley, de la Fougue de David Halker, de la
fierté raciale de Martin Delany et du nationalisme cult.lrel
de BiGhop 1'1. Turner. Mais si l'Afrique tient une place essentielle
dans son programme d'ém~lcipatian de la race noire, en revanche)
il est opposé aux projets d'émigration massive des Noirs qu'avaient
préconisélla plupart de ses prédé2esseurs.

\\.}. E. E3. Du D,lis : Ler:; ônnée2 dr~ formation
Du Bols fldlt Grl 18ô8, au moment Ol! les NOi.l·S libé:rés
de leL.:;'s chaîllRs, prennent fJ~Œt, pour J.o première fois, 2.J 1a vie
polilique des Etats-Ullis. Des conventions comprenant des déJ~gLJés
flDirs ê.l<JbDrcrlt de nouvelles constitutions cans tout Je Sud.
11CJ~is 18 l"GéJction ne se rait pCJ~, attendre. Après quelques hésit?-
tions, 18s Bléncs GU Sud s'organisent pour empêcher 18s Noirs
de profiter Je leur droit de vote. La violence est l'un dt:'s moyens
de Gissué:ision courélmrncnt employés. Leur liberté ne leur: e::it
,
d'aucun secours. OérHci.nés, n'ayant ni terre, ni biens,
"
1.1,8
deviennent des métclYers faméliques.
Le terme "migré:::tions ll est
sur les lèvres cie la majorité. On émigre vers les villes du Nord
pour deveilir ouvrier, mais il est 8ussi question de partir en
f\\frique. Ou Dois, peiidant ce temps! passe sa plus tendre enfance
auprès de sa mbre dont jJ garde également le Ilom, Burgilardt. Il
est issu d'une famille de mulâtres pauvres
mais respectables.
Ses grand-pères paternels et maternels étaient cultivés et avaient
quelques propriétés. Mais leurs enfants dilapidèrent ces biens et
allèrent trCJvailler eomme serviteurs, ouvriers et coiffeurs dans lss
Etats du" ~las3achusells et du Connecticut. S3 mère fut la première
à être déconsidérée, après avoir mis au rnonde pendant Son adolescence,
un fils illégitime, J.e demi-frèl"e de Du Bois. Du Bois lui-même n'a pas

connu son père qui a déserté le f'_'yer ql!elques mois après 3a
nalssance (1). Du Bois a très mal accept2 cette désertion de
son père. C'est lB raison pOLir laquelle, il farde la vérité
dans Dusk Dr 02';1'1 en affirmant que son père éta.i t rrort lorsqu'il
n'avait que quelques mois (2). Le fait Est qu 1 il ;J8:3Sa son enfance
l'affection d'un
1
sans
père qui n'avait 1!2ut-être pas épouse
sa
mère; celle-ci dut compter sur Idebert, son demi-frère, pour payer le
loyer de la modeste maison qu'elle occupait.
Dans ces conditions d'existence difficile, quelles re3-
sources ont permis au jeune Du Bois de r~ pas se laisser vainc"e
par le désespoir ? Quelles forces l'ont er.lpêché de se soumettre
comme la plupart des autres Noirs à l'iniquité de 18 société
américaine? Comment a-t-il pu se crampon.ler- à ses idéaux de
vérité, de justice et d'égalilé ? C'est sa mère qui lui a appris
que pour échapper à l'humiliation de la pauvreté et de la couleur
de sa peau, il lui fallait travailler du, à l'école et bénéficier
des avantages de l'instruction. Elle était convaincue que, ~~ les
membres de sa famille n'avaient pas abamlanné les études trop tôt,
ils auraient égalé. les Blancs. Pour elle, la discrimination
n'avait rien à voir avec la couleur de la peau. Elle était plutôt
basée sur le niveau de connaissance et de sulture. Nourrissant
beaucoup d'ambitions pour son fils, elle lui communiqua son sens
du devoir bien fait et considéra ses succès comme étant les siens.

DlJ B~j:] essaie de t;ur"lfirrllcr la p!lilosophie de sa nl~rc par son
trB~ail ; ses résultats scol~ires sont brillants et lui permettent
de surpasser les Blancs de S2 cl[;ssc. Le Princir"Jl de son collège,
Frank A. Homer, l'encDuragE: beaucoup. 1.1 lui fournit cJDS ouvrages
afi:l qu'il puisse préparer llefltrée à l'uni~ersité. La communauté
noire le respecte et il Fait tout pour ne pas la cJécevoir. Il
entrepr.end d'écril.'G des articles pour le GJ.übe de NGh' York, un
journal édité par Thomas Fortune, et qui publie des inFormations
destInées à la FormatIon do la comm~nauté noire. Il donne la
mesure de sa conscience de t:lasse et sa lucidité! en crj.tiquant
ouvertement certaines décisions politiques et en faisant des sug-
gestions tendant à êHTl6liorer le sort des Noir~·J.
A la Fin de son eycla seeondaire Du Bois espère aller
étudier à Harvard ou à défaut à Amherst, tout près de chez lui.
Mais c'est è Fisk, une univer.sité pour Ncirs, située dans le
lennessee, qu'il 8ilt orienté. Il GD rend compte que la discrimi-
nation raciale est 08J et bien "ne réalité non négligcable.
Départ pour Fisk
En 1885, Du Bois part pour le Tennessee sans avoir vraiment
connu la cJiscrimination raciale brutale et 8veugle. 11 a dix-sept
ans. PClUT lui qui fl'a jamais auparavant résidé dans Je Sud, c'est
une grande découverte. Les NOlrs étaient plutôt rares dans le
collègo qu'il a fréquenté à Great Barrington. Mais à FIsk, il y a

cinq Noir's·o. armi les ense.ig.~.arl!-C-:· 1"'-1 .•
... ~
"iunnen";:"
..:....::>\\1 ........
'1 ... o·~·· 1-
ç:.'.,:1
G"'or....,~n
r.;
';j.L~,
de l'Alabama, du Mississipi, de la Lüusi2ne et du [sxas. AY8nt
choisi ou plutôt ayant été amené à vivre de l'aut~c ~6té du
tlvoile" il est très heureux de S~ retrouver pOIJr la ~I'emiè.re
fois dans une communauté noiro:
1 w~s thrilled to be for the first time among so many
people of my own color or rather of such various and such
extraordinary colors, whioh 1 had only glimpsed before, but
who it seemed l;eIC bound to me by Clew and t'xciting am.
eternal ties .... ,C,bove aIl far the fir3t time ! sm'l be8u-
ti fuI girls. At my home among 0:'1 "Ihi te school mates
there were a few p~etty girls
b~t either they were
not entrancirrg or becE:use l nad known thém a11 my liFe
1 did not CloUce them ; but ~t the first dinr~er 1 saw
opposi te me '3 girl 0 f dlOm 1 have often saiel, no hurr.sn
being cou Id possibly have been as beautiful as sheseemed
to "'Y young eyes that far-off September night of 1865 (3).
DÈs l'été d~ l'5nnée 1835, on le retrouve dans les cam-
pagnes du Tennessee donnant des cours d'alphabétisation aux ~aysans.
Il le fait avec dévouement et conviction. Il ve~t mieux connaître
les problèmes des Noirs les plus malheureux
1 determined to know something o~ the Negro in country
districts; to go out and teach du~ing the summer ~acation.
1 was not compelled to do this, for my scholarship was
sufficient to support me, but that was not the point (4).

.47.
Ces activit~s extra-scolaires ne le détournent pas rour autant
de ses ptuGes. Il pas,etrois années très enrichissant6à Fisk. Il
y étudie entre a~~res, l'Iliade et l'Odyssée, la grammaire et la
littérature françaises, la
rhétorique, la bctanique et l'allemand.
Au cours de la deuxièmc année il étudie Démosthène, Sochocle,. la
philosophie et même l'astrono~ie.
Son progra~rne de la troisième
année n'est pas plus léger. Il comprend l'éthique, les sciences
politiques
et la littérature anglaise. Du Bois a la chance de
travailler avec d'excellents professeurs qui cherchent à donner
un enseignement de qualité aux étudiants noirs dont ils ont la
charge afin de faire d'eux les futurs
leaders de leur race. Le
recteur, Erastus Gravath, décèle en Du Bois une intelligence au-
dessus de la normale et l'encourage à donll~rle meilleur de lui-
même. En fait, tous les autres professeurs ne tarissent pas
d'éloges pour ce jeune Noir ambitieux, exceptionnellement doué
et aux talents multiples. Mais, si au sein de l'Université ses
professeurs blancs le respectent, à l'extérieur de l'enceinte
universitaire il n'est qu'un Noir, c'est-à-dire un être peu
digne d'intérêt, comme tou~ ceux de sa race. Il subit régulièrement
l'affront des Blancs du Sud pour qui le Noir ne mérite pas plus de
considération qu'un chien. Du Bois veut bien admettre que ce trai-
tement est dO au fait que les Noirs sont ignorants dans l'ensemble.
LF. solution réside donc dans la création d'écoles en nombre
suffisant pour permettre aux Noirs de s'instruire. Or les Blancs
du Sud ne sont pas du tout prêts à favoriser leur émancipation

.48.
pour la simple raison qu:ils veulent les tenir à l'écart des
bureaux de vote. Le jeune Ou Bois est, bien entendu, choqué pBr la
désinvolture avec 18'luelle l.es Blancs troitcnt les Noj.rs dans le
Sud. Il estime que le monde ne peut pas S8 permettre de gaspiller
tant de potentiel humain en maintenant dans l'ignorance tant de
Noirs. Il cherche des moyens pour amener ies Blancs et les Noirs
illstruits à coopérer pour le bien de la communauté du Sud. Il
incite les Noirs il voter utile pour attirer l'aide du gouvernement
fédéral en matière d'éducatjon au lieu de vateL' systématiquement
pour le parti républicain po~ fidélité il la mémoire ct' Abraham
Lincoln. Il est convaincu qu'aucun des deux partis n'aime vraiment
les Noirs. C'est pou:-quoi, il veut que ceux-ci se servent -de leur
raison et cessent d'être des éternels sentimentaLJX car
il ne sert
strictement à rien de vater pour les Républicains parce que leur
parti a libéré l~s esclaves. Il se propose, une fois ses études
terminées, de mener à bien la lutte contre la bêtise des hcmmes.
Pour l'heure, il doit se préparer pour entrer il Harvsrd afin de
mieux affuter ses armes de combat.
Harvard
Le recteur de Fisk a écrit" son sujet une lettre de recom-
mandation for!: élogieuse. r-Iais Du Bois ne sait pas encore ce ql,' il
va faire. Il n'a nullement l'intention de devenir pasteur et se
vouer il l'Eglise car il n'accorde pas suffisamment de crédit aux

dogmes cilrétiens (5). Mais qU8 choisir d'outre que cette carrière
qlli se trouve d1ailleurs être la plus prestigieuse pour les
Noirs? Cctte question le tOlJrmente pendant plusicurs mois.
Dans tous les cas, il doit reprendre la deuxième ct la troisième
années à Harv8rd et c'est au pri_ntefT'ps de 1890, qu'il s' irlscri t
pour le doctorat. Il choisit alors de SB spécialiser dans les
sciences sociales afin d' aidcr plus tard 18s Noirs à améliorer
leurs conditions d'homme. Comme à son habitude, il travaille
beaucoup, ne Si accordan t aucun 1Jlaisir, soucieux de mériter la
confiance que ses maîtres de Fisk ont placée en lui. Ses résultats
qui sont généralement honorables contribuent à accroître ses
ambitions. Comme ~ Fisk. il trouve le moyen de participer à
d'autres activités malgré la charge De ses travaux lIfliversitail'l~s
proprement dits. Il considère en effct qu'il est de son devoir
de contribuer à l'éponouissement intellectucl de la communauté
noire clc Boston (6). Il démdnde notamment 8UX Noirs de chercher
à s'instruire plutôt que de poursuivre avec frénésie les biens
matériels. Il faut, dit-il, ~ettr6 la culture en avant car seule
une formation intellectuelle solide pourra leur permettre de
connaître la sagesse accumul~c . par les civilisations antérieures,
Il critique sévèrment leur mode de vie, et traite la religion
avec mépris car, affirme-t-il, elle favorise la paresse intel-
lectuelle et cles divertissements illicites. Ce genre de propos
rend Du Bois de moins en moins populaire dans la communauté

.50.
noire de Boston qui [scannait pa~ ailleurs ses grands mérite,:.
Ce que les Noirs de Boston ne supportent pas, c'est son manque de
tact et son air ~~ffisant. Mais ils ne peuvent pas lui reprocher
de vouloir s'allier aux Blancs. Ses rapports avec ces derniers
ne sont pas très bons non plus. En fait, il vit replié sur lui-
même au sein de l'université;
A la fin de son séjour à Harvard, son hostilité à la
société blanche a gagné en intensité. Les professeurs de cette
vénérable institution sont loin d'être racistes. Mais le fait
qu'il ne peut appartenir à la race dominante à laq'Jelle il est
naturellement lié par sa culture, fait de lui le défenseur de la
minorité noire opprimée par les Blancs. Aussi paradoxal que cela
puisse paraltre, ses succès . académiques l'éloignent des Blancs
qui ne font rien pour favoriser son intégration dans leur société.
Par ailleurs, Du Bois désire aller pard1hNer ses études en
Allemagne. Mais Harvard n'est plus en mesure de lui accorder
'me bourse. Un de ses amis lui parle alors du "51ater Fund",
une fondation susceptible d'aider les Noirs
méritants. Il
assiège li ttéralement son président qui cède devant ses assauts
répé tés. Une fois encore, la chance lui a· souri et c'est la
joie au coeur qu'il part pour Berlin en 1892.
Berlin
Du Bois passe deux années à Berlin. Au cours de ce séjour,
il se penche sérieusement sur le statut des Noirs aux Etats-Unis et
dans le monde. il parcourt l'Angleterre, la France, l'Italie.

·~) .
Erl Allc~agne m6me~
il est tUlJt surpris de cons la ter qu'il ne fait
pas l'objet de la moindre discriminatiol'. Aussi conclut-il que
les Bl~Jncs 118 sont pas raciste:; pélI' essence, e:' qu'il est possi-
ble de les aider à accepter les ~oirs comme des égaux (7).
A l'occasion de son Vil'\\gt-ocinquième anni\\lersaire il 6crit :
1 am g.lnd 1 am livi<",g, l ['ejoice as a strong man ta
run a race, and l am strong--is it egotism~ is it
aSSU8nce--or is it the silent calI of the './OrId spüit
that makes me feel that 1 am royal and that beneath
ml' sccptre a >lorld of kings sllall bO'H.
Ihe hot dark
blood of that black forelather barn king of men--is
beating at ml' heart, Imd 1 kno" that 1 am ei ther a
genius or a fool ... this 1 do kno>l : be tl,e Truth
>lhat it mal' 1 will seek it on the pure assumption
that i l is worth seoki ng--and i-ieaven nor f1eJl, Gad
nor D8vil shall turn rec from my purpose till 1 die.
l will j.n th is SEcond qUâ r ter iCen tury 0 f ml' li fe, en ter
the dark forest of lI'3 unknClm' ,'/Or Id for 1',Ilich 1 have
sa many years served ml' apprenticeship--thc chart
and compess the ,'/OrIci furnishe5 .me l have l i ttIe
fai th in--yet, 1 hav2 none bet be.r-- (8)
La mission de Du Bois est è présent bien définie. Les
Blancs sont hostiles aux Noirs parce qlJ'ils ne les connaissent pas
suffisamment bien. Quant aux Noirs, Jeur degré de formatioCi et
leur niveau culturel les tiennent élcignés c1es normes de la CIVl-
lisation moderne. JI lui apfJo'l'tient d'apporter à ces deux

.52.
COfnr.lun;)utés dr.~s l~léfTienLE; susceptibles de favOL'.1.ser leur réconci-
Jiatio". Les études qu'il a foi tes lL!i permettent dE: [""ner il
bien cette entrepr'3e il la fois difficile et passionnante. Il
lui fnut t1'3\\/ailler selon un plo/l ffi8thodique s'il veut réussir.
Aussi décide-t-il de former des missionnaires qui iront il leur.
tour enseigner la bonne parolB il leur con~unauté d'origine. Dans
le programme de travail, la recl,erche doit tenir unc place impor-
tallte.
Il lui fa~l donc trouver un poste d'ensej.gnernent dans une
unive~sité pour Noirs et créer un départ2ment de sociologie. Dès
son reteur d'Allemagne, en 1894, il écrit donc è toutes les univer-
sités susceptibles de l'employer. Il peut pratiquement enseigner
toutes les matières, des sciellces n2turelles aux lettres clussiques,
en passant par 18 philosophie et l'alleme~d. La lettre suivante
adressée il [Jooker T. (·!asllingtoCl, directeur fondateur de Tuskegee
Institute attEste de l'étendue de son savoir:
Sir
May 1 Bsk if you have a vacancy for a teacher in
yeur institution ncxt ycar ? 1 am a Fisk and Harvard
man (A.B. & A.M.) and have Just returned From two
years abroad as scholar of the John F. Slater trustees.
~ly speeiality is histol'Y and social science but 1 C3n
teach German, Philosophy, naturel science, classics,
etc. (9)
C'est finalement Wilberforce dans l'Ohio qu'il choisit.
Wilberforce, nom symbolique qui pesa dans le choix de Du Bois. Il

.53.
y trovailla conscj.encleusement, et se consacra entièrement è
ses étudiants pOUl' un salaire de 000 coll:ars Dar an. Il enseigna
le 18tin, le grec, l'~11em8~cJ, llanglais et l'histoire contempo-
raine; s'il n'enseigna pas la sociologj.8: c'est parce que ses
théories tr~s peu orthodoxes ne sont pas d~ goût des autorités
de cette institutiof'. Il ne f,6g1ige pas pour Butant ses recherches
sociologiques qui lui permstterlt de se mêlelC tous les jours aux
Noirs de toutes les conditions et d'ajuster seS propres théories
è la réalit6 sur le terrain. Cell-.-ci s'au~Fe être tr~s dure pour
le jeune Du Bcis qui arrive tout drsit de Serlin cG, pendant
deux bonnes années, il a VéCLI loin des tensiDns raciales des
Etats-Unis. La violence aI3emble-t-i~igag~é -en intensité et les
lynchages sont de plus en plus fréquents. Ch3que jcur apporte
son lot de brutalités et son cDrt~ge de malh,eurs. Vivant au sein
de la communauté noire~
il srabstient, comme toujours, d'avoir des
relations suivies avec les Blancs. A cette époque, il consacre
beaucoup de son temps à la rédaction de sa th~se qui va être publiée
en 1896. Le sujet, Tne Su~pression of the Ar.rican Slave Trade ta
the United States of Amerlca 1638-1870
(10):, lui a permis de
prendre toute la mesure de ce qu'il appelle ," le viol de l'Afrique".
Ayant travaillé avec passion et minutie, il entre, grâce à cette
oeuvre scientifique de grande valeur, dans L'intimité de l'Afrique,
è laquelle il 5 depuis longtemps déjè d8cidé d'a~ccrder un intérêt
tout particulier :

· 51~.
l bec "me inter8sL,d i;l ,;frica by a sDrt Dl' IDgi.cal
d8ductian. 1 was tirad Df Finding in newspapers,
textbuoks and history, f~lSDme lauding Df wllite fDlk,
am) either nD mention DF dùrk peoples, or mentiDn oF
disparoging and apülagctic phrase.
.1 made up in my
mir,d that it must be true that AFrica h3d a history
alld dest.iny, anel t11èlt one of my jDbs ,'/as ta dig into
this unknm'/n past, and helr make certain a splcndid
future. AIDng this line 1 did, over a stretch of yoars,
a great deal of writing, reseercll, and planning, oF
which 1 have written elsewhere. (11)
Mais si les défDrmations trDuvées dans les livres sCDlaires
l'ont indigné et incité à prendre la défense de l'Afrique, une
autre raison, sentimentale celle-lb, explique peut-être mieux son atta-
chement ~ ce continent, En eFFet, à la mort de sa mère en 1884,
Du Bois semble reporter tout l'amDur qu'il lui vouait à cette autre
mère: l'Afrique. Dans tous les cas/aider ceux qui soufFrent,
prendre la ddFense des Dprrlmés paraftètre la philosophie du jeune
Du Bois; et l'AFrique sDuFFrante le laisse d'autant n,eins indiF-
férent qu'il porte en lui los stigmates de cette souffrance.
PDur extérioriser les senti",ents cDnFus qui le lient à l'AFrique,
il lui Faut l'étudier à fDnd afin de la faire cDnnaître, nDn plus
à travers les écrits des Européens et des Améric8ins, mais. par
une approche qui respecte la sensibilité et la dignité ~8 son
peuple. Il s'agit dDnc d'en révéler
l'image 11istDrique qU'Dn
lui a dérllée jusque là. Ses recherches vont abDutir à la publication,
en 1897, de Ti'e CDnserv3tiDn Df f1aces ; cet Duvrage est très irnpDrtfmt
car il permet de mieux cDmprel1dre la dém2rche intellectuelle de Du
Bois. Il constitue une rroressi()!1 de roi~

·55.
Dans cet ouvrage puhlié en 1897, Du Bois aFfihne la
primaut6 de 13 race dAns les relAtions humBines. Or. diL-il. les Noirs
.
.
ont été amenés à négliger les distillctions d10rdre racial; ils
croient que parce que Dieu a créé tauLes les nations ~ partir
d'Adam,
tous les hommes sont iC;cntiques .. Aussi sonL··ils hostiles
aux comparaisolls entre races parce qu'on leur a fait comprendre
qu'i's sont congénitalement tarés. Du Bois admet que le monde
comprend des races diFf6r~ntes. Il reconnaît qu'eux EtaLs-Unis
sont réurlies les deux races qui occupent les extrémités de l'~ven-
tail. 1-1ais, affirme-t-il, la COl18bitation harmonieuse dc ces deux
roaees fer8 date d8ns l'histoire de l'humanité:
ln our calmer moments we must acknowledge that human
beings al'e divided into races ; that in thi.s country
the tl10 most extreme type~ of the \\·:orld races have
met, and the resulLi.llg rrcblems as to the Fu Lure relations'
of these tyres ore not only of intense and living interest
La us but Form an epoch in the history oF mankind. (13)
Il pense que l'histoire du monde est celle des groupes,
des naLions, des races et non celle des individus. Il e8t cQnvai~cu
que négliger cette vérité essenLielle, c'est se tromrer d'histoire.
Il définit la race comme une grande famille d'êtres humains ayant
des traditions et des tempéra;nellts semblables qui, consciemment ou
inconsciemment/luttent pour atteindre des idéaux communs à partir
d'un passé ide"tiquc. (14)

C0S différentes r2cEs~ dit Du Bois, cnt apporté une
contI' i bution au pa tr imDine de l' humorli té. Les Anglais sDnt à
l'origine de la liberté cDnstitutiGnnelle et de la libre circulatiDn
des biens ; les Allemands sDnt des scientifiques et des philDsDphes
remarquables ; les natiDns rDmanes sDnt renDmmées pDur la li ttéro-
ture et l'art. D'autres ~aces cDntinuent de lutter pDur appDrter
leur contributiDn et ôider le monde à se rapprDcher davantage de
la perfectiDn que l'humanité attend comme un évènement divin et loin-
tain.
Or jusqu'à présent. dit Du 80is, la race noire, l'une des
grandes races qui existent sur cette planète, n'a pas encore contribué
de façon substantielle au progrès de l'homme. La civilisation de
l'Egypte à laquelle la race noire a participé sans aucun dcute, ne
constitue qu'une partie de l'important message qu'elle doit apporter
au monde. En développant sa littérature et son art selon son propre
génie, elle doit pouvoir compléter ce message. L'histDire étant ce
qu'elle est, il faut que la b2nnière noire soit placée à côté de
celle des 3utres par des màins nDires, et hissée par le travail
de deux cent millions de Noirs chantant en choeur leur jDie:
This has been the runctiDn of race differences up tD
the present time. Uhat shall be its f,illction ln the
future? manifestly some of the gre2t races of today--
particul8rly the Negro race--have not yet given ta
civilization the full spiri tual message whicrl they
are capable Df giving. l will not say that the NegrD
race has as yeylgiven nD message ta the world for it is

still G mooted question among scientists as ta Just hG~
fnr Egyption civilization W35 Negro in its origin ; ~f
it was not w~olly Negro, it was certainly very closely
allied. 3e that as it may, however the fact still remains
that the fdl, complete èJagrG ,"essage of the "hale Negro
race has not as yet been given ta the world : that the
messages and ideal of the yellow race have not been
completed, and that the striving cf the mighty 51avs has
but begun. The qLestion is, then : How shall this message
be dellvered ; how sholl Lhese various ideals be realized ?
The answer is plain : By tbe development of these race
groups, not as individuals, but as races. For the development
of Japanese genius, Japanese lite.ature and art, Japsnese
spirit, only Japanese, bound and weld2d togethe~, Jap2nese
inspired by one vast ideal, can work ~ut in ies
fullness
the wonder fuI message which Japan has for the nations of
the earth. For the development of Negro genius, of Negro
literature and art, of Negro spirit, only Negroes bound
and welded together, Negroes inspired by one vast Ideal,
can 'Iork Dut in its fullr:ess the great message we have
for humanity. We cannot reverse history ; we are subject
to the same natural la\\'ls as other races and if the Negro
is ever to be a factor in tha world's history--if among
the 'gaily-c~lored banners that deck the road ramparts of
civilization is to
ha"g one uncoiTIpromising black, then
it must be placed there by black hands, fashioned by
black heads and hallowed by the travail of 200,000,000
blacks hearts beating in one gla~ song of Jubilee (15).
Mdis pour arriver à s'affirmer ôinsi sur la scène inter-
n3tioan~., la race noire a besoin d'être guidée. Le chemir: à par-
cour ir est en effet tortueux et semé d'embûches. Pour guider ces

· J8.
deu>~ c:el)t milliorl-s de i'!airs dont. 13 majorité se trouve en Afrique,
il félut que les Noirs an8T' icains se mobilisent. Ils constituent,
selon Du Bois, ]Iavant-gal'cle de cette armée pacifique au service
du prcgrès de l' humani té. Ut18 armée qui va se battre pOLir faire
dispar2ître les préjugés raciaux. Mais, eu préa18b18, il f8ut que
cer' Amér iC2i"s accep tet1t leur iderlti té et 18 eot1serverot
a fit1 de
jcuer pleinemei1t ce rôle de leaders du pai1-i1égrisme. Ei1 somm8, ils
duivei1t r8i1forcer leurs liens avec l'AFrique dOi1t l'image se
reflétera toujours sur eux :
Ttle advaroce guard of the Negro pe~ple--the
8,000,000
people of Negro-blood ii1 th8 Ui1ited States of America--
must saorJ co~e ta realize that if ttley arc ta take their
just place i~ tlle VBn of Pan-Negroism, thei1 their destii1Y
is i10L absorption by the white Americans. (16)
Mais retrouver son identité ne signifie pas renoncer a
son américanisme. Il s'89it cIe faire accepter ses propres idéaux
par J.BS autres races, grâce à des réajustements réciprcques. Les
Noirs des Etats-Ui1is SOi1t des citoyci1s américairls et ils doivei1t
le rester ; cGpemlai1t, ils doivei1t être cOi1sciei1ts de leur appar-
tei1ance à Ui1e grande recoe qui ::1 commencé à se réveiller dai1s les
sombres forêts africaines. jl i1e faut pas qu'ils cherchent à
africai1iser l'Amérique, car l'Amérique B un message à apporter au
mOi1de et à l'Afrique, mais ils doivent se garder de blai1chir leur

âme nOIre car le sang~nDir"8 lui E.Jssi des révélations ~ fai.r9
au monde.
Il leur faut conserver leur 9:r:b±~v~lence ; ét~e È: lu fois
'1'\\oir et Americain. r~ais d3ns la m2sure QL' l'on se i'éfère à EUX
comme étant originaires dlAfrique, ils ont le devoir de contrj.buer
à embellir l'image de ce continent par le lM: travail et par leurs
aspirations è l'excellence. Leur mission, c!est donc d1aider è
bât.iI' l'Afriq'..:e cie demain en restant eux-lilèmes
en contribuant è
J
appor te!.' un peu dl humour, de musique et de ·chént à un monde mCi tér ia-
liste et dur ; car tout compte Fei t, les ""airs semblent être l' "nique
oasis de foi et de respect dans un monde de violence et de cupid.i.'é :
We ere Americans, not only by birth and citizenship,
but by our political Ideals, uur language, our religion.
Farther than that, our Americanisffi do es not go. At that
p8int, we are Negroes~ members of a vast historie race
that From the very dawn of(reatiGn has slept, but half
8"akening in the dark forests of its Africôn fatilerland.
We are the first fruits of this new n~tion, the harbinger
of that black to~~rrow which is yet destined to soften
the whiteness of the teutonic to-day. We are the pCJple
whose subtle sense of song has given America mUS1C, its
only American fairy tales, its only touch of pathos and
humor am id its mad money-getting ~lutocracy. As such, it
is our dut Y to conserve our physiiCal pOlvers, our intellec-
tual endowments, o~r spiritual ië~BIs ; as a race we must
strive by race organi~<tiGn, by race solidar.i.ty, by rgce
unity to the realization of the !uoader humanity which
freely recognizes differences in aen, but sternly depre-
cates inequality in their opportunities of development. (17)

r ..
• u ..., ,
Du DOj.S reconr:D.i.t, par a.il1curs, qu'il n 1 est pas toujC'urs
faci.le 3UX Noirs de conser'ver leurs dons sur le continent 8mél'ica.i_rl.
En effet, ils n'al', aucun moyen de les cu 1t i ver. Le po ids de l' 19"o-
rance et de la DBuvreté 8St tel qu'il les écrase littérBlsment.
En outre, les artistes noirs doutent de leurs talents, puisque
les canons de beauté de leur race sont sous-estimés. Ils sont si
complexés quI ils sont incapables de commurliquer lCLlf message avec
enthousiaslf,e et clarté. Du [Jais termine cetle importante analyse
par Ulle déclaration en sept points. Le premier point réitère sa
foi en la race noire ct le s8rtième illVi te les Américains .3 réaliser
des objectifs précis qui permettront b la race noire de se redresser
aussi bien en I\\mér j que qlJ' en Afrique, pour le bonheur de l' humanité
toute entière
l·le believe th8t the Negro people, as a race, have a
contribution ta make ta civilization end humanity, no
other rBce can make.
On the basis of the foregoing declaraticn, and firmly
belicving in our high destiny, wc, as American Negroes,
are resolved ta strive in every honorable way for the
realization of lhe best and Ilighcst aims, for the
developmcnt of slrong manhood and pure loJOmanhood,
and for the reari"g of a race ideal in Amer iea and
A(riea la the glory of Gad and the uplifling of the
Negro people (18).

Cl
. '..: ..
D2ns CC manifeste qlJi sladresse BI!X Noirs américains en
particulier et au p8uple ncir 8n général, il y a une asscciation
constante entr8 la race noire et ] 'Afrique. Cela est tr~s important
car, dès 1897, Di) BDis est cDnvsincu que la réhabilitation définitive
de la race noire doit passer par celle de l'Af~ique. Tant que
l'Afrique sera considérée comme le continent habité par des sauvages
impénite,-,ts, des palens qui ne méritent :nême pas d'être admis en
enfer, il est ~ craindre, affirme Du Bois, que ses représentants
dans le monde lç:e-nt méprisés, au mieux tolérés avec compaSSlOn. Il
ne a'agit pas de retourne~ en Afrique malS de relever, dans un
premier temps, le défi lancé par les Américains de race blanche
en redressant la tête, c'est-~-dire en assumant son héritage. A
ce stade il convient De noter que Du Bois se démarque, ou plutôt
se méfie de la "fierté raciale" de nombre de ses frères de race.
Il estime que la fierté raciale, pour être authentique, ne doit
pas être motivée par des frustrations politiques ou matérielles,
c'est-à-dire circonstancielle-. Elle ne doit pas non plus être
dirigée contre une autre race. Toutes les races doivenc vivre en'harmonie
et apporter leur pierre ~ la construction de la bâtisse universelle.
C'est cette conviction qu' il réitè~era dans son "Credo" quelques
années plus tard :
l believe in God who made of one blocd nations that
On earth dwell. l b81ieve that aIl men, black and
brown and white, are brothers, uarying through time
and opportunity, in form and gift and reature, but
diff8r ing in no essential particu_lar, and alike in
soul and the possibility of infinite development. (19)

· 6lt.
délégués venus des P.r;tj] 183 OLi l'é:::>idant f:t LoncJ:::-cs et qLJelque~"3
Américains. (Iont Ou Beis. Venu ~ paris pour assiste~ ~ l'ex!,osition
universelle de ]9GO~ Du Bois ne se fait pas prj3r pOLir sr rendre
~ Londres.
Il est le sccrdtaire gén~ral de la conférence qlJi
COl111all un c9rtaj.n succts dons la ITIeSUre o~ la i,~eine Victoria
promet, par l'intermédiaire de Joseph Chamberlain, ds veiller è
ce qlJ8 les int6réts des indigbnes ne soient pas lésés. La motion
qu'il rédige erl sa qUDlité de présierlt de la commission des réso-
luLlorls ne s' arJresse pas uniquement ;, la Gronde-Bretagne, mais è
tous les empires coloniaux. Il armo"ce d'emblée que le problème
du XXè siècle sera celui de "la barrière de couleur" car il s'agü
d'arriver à Faire p2rtager à pl~s de la moitié de la population
du monde lBS privilèges de la civilisation moderne. Il admet que
la race noire est la plus arriérée selon les critbI'oS de la civili-
sation occidentale moderne. Mais il n'en a pas toujours été ainsi.
Dans le passé, les Noirs ont fait montre d'habileté et de capacités
consignées par l'histoire. Dans tOL1S les cas, Dvec l'accélération
de lrhistoire que cannait le monde contemparaln, il est certain
que les millions de Noirs d'A fr ique, d' Amér ique et des Des sont
appelés à jouer un r61e important dans le monde, ne seroit-ce que
par leur nombre. Pour que cette influence soit bénéFique à la
civiJisation universelle, dit Du Beis, il faut que l'on permette
aux Noirs de s'épanouir librement. Si au contraire, on cherche è
exploiter l'Afrique, cette influence sera nécessairement préjudi-
ciable aux idéaux de justice et de liberté sans compter qu'une

tel12 attitude mettra en pé:-iJ. la lIPrin.:esee Paix" à laquelle les
fils et le~ filles de l'Afrique sont attachés. Il s'adresse tour
à tour à l'empire germanique, puis à la f:épubli"ue Française, pour
les inviter à être impartiaux
puis il évoque pour terminer la
possibilité pour le Congo Belge de deve~ir le plus grand Etat nègre
au centre de l'Afrique :
In the metropolis oF the modern w8rlc, in this the
closing year of the l1lineteenth celCItury, there has
been assembled a Congress of rr,en end women of African
blood, to delibJrate sole"nly upon the present situation
and outlook of the darker raCES Qf mankind. The problem
,..
=~~~o~~_'O'lf~tb_'L.twenti,,_th r"[1bLr.v~ i"~th,, D1~;QbJ."_m~of_the.~colDr=line. _1
• (.,2. •
[
1
1
'l.é3. théCJrie ~c 18. cnns8!,\\,r[)i".ion d123 race:; n 1 cst donc p:::lG
que toutes Jes vo:;.>< des enfants de Dieu qui. sont étouffées S8
fasseflt 8f1tendl'e. Un peut à lé! lumière ciE tout ce qui vient d' [,trc
dit ~ se Jernand81 pourqLJoi Du Gois ne' siest pas 13.issé influencer
pa! les thécl'icierls du PungcrrT:anisrne dont l'Dpologie de J.8 race
aryenne ne J.'a pa3 laissé indifférent. Si Du Bois 0 résisté à la
tentat.ion de 11 rH:;gémonie, c 1 est, sans doutl~ parce qu'il est réaliste.
Il sai t qCJe sa race ne peut pas passer de l' esclavage à la dorllin"tiorl
du monde sans d'abord passer ~ar l'égalité avee les autres races,
notamment la race blarlche. D'.8utre part. S8S convictions ne sont
p~s con1me nous Verlons de le vojr, d'ordre raciste
lui q~i est
l
dans urie certaine mesure le produit de plusieurs races. N'a-t-il
p8S dans les veine:::; du s<:mg africain, du sRng François et du sc.ng
indien 7 En cutre Du Bois est convainclJ qu1il a urle mission à
acco~!pJ.ir sur Je plan monrlial, 'pour le progrès de la connaiss~nce,
de la cullure et de la justice. Il se serll d'autarlt plus quallfi6,
qu' il GE, t DiObiv::dent de p2I' 88 situation de ~H:gre américain. Sa
réussi~e sur le plan irlterndtional sera favorisée, selon Jui, par
ses performances sur le pl~n national 8uX Etats-Unis aD les deux
races extrêm~s sc trouvent r6unies par l'histoire.

and thc Islarl~s oF the 38a, 1
\\
\\ ... )
are bound ta have in f IlJencE uflon the '...IOi.' ld in the fulure l
by reélson of Sheel" rnumbers and physic21 cont2cts. If no .......
,
the world of culture bends itselftowards giving Negroes
and other dark men the largest ac,d broad"st opport,mIty
for educa tion, self development, then thIs con tact and
InFluence Is bound to have a beneFicIal eFFect upon thc
world and hasten human progress. But IF, by reason of
carelessness, prejudice, greed and injustice, the bleck
1V0rld is to be exploited and ravishcd and degraaed, the
result must be dep.lnrable, if not Fatal-not simply
to them, but to the high ide aIs oF justic2, freedom 2~d
culture which a thousand years sf christian civilization
have held beFore lurope.
And nolV, thereFore, to these Ideals oF civilization, to
the broaderhumanity of the
followers oF the Prince oF Peace,
'Ile,
the men and ',,:amen of Afr iCê in wor ld congress
assembled, do nCI'! slemnly appeal
( ... )
Let the Congo Free State beco~~ a great central Neg~o
state oF the 1V0rld, and let its prosperity be counted
not simply in cast, and commerce, but in happiness and
true advancement oF its black people
(1)
Nous avons cru devoir Faire cette longue citation
parce que dans cette déclaration, Du Gois ne se contente pas de
constater ; il réclame pour les AFricains le droit de conduire,
dès que possible, leurs propres aFFaires. Il revendique égale~ent
pour les Noirs américains des droits civiques et politiques efFectifs.

·67.
Il ;r"mtre dinsi qllc la lutte pOL:r la lib~ration de l' I~frique et
celle menéo aux Etats-Unis çonslituent les deux faces d'un même
ccrnbût dont le point chéiucl se situe pOUJ: l'instant en Amérique
il exige qUi:: l'on respecte Jél rnémo.i_re des ~'Jilberfo!'ce~ Clarton
8uxtc~, Stlarpe, Livingstone qlli ont· oeuvré en faveur du bo~!'elJr
dtes Africains et que l'esprit de Garrison et cie Douglass ne meure
pas aux Etats-Uni.s.
Conscient de l'audience qu'Q cu~ cette conférence grâce
à la puiss2nce naiSs2nte de la presse, Ou Bois retourne aux Elats-
Unis décidé plus que jamois à foire triompher la cause qu'il défend.
Désormais, il a la preuve qu'un groupe de gens bien formés, cons-
cients et responsobles peut faire bes~eoup pour Je progrès d'un
continent cncore peuplci d'ignorants exploit~s par ftl'impérialisme
vétu de, J~ toge ehnHienne". Il est également eOfw8incu que ees
mcneu!.'s d1homlnes
ces visionnaires,
(llseersll), qui vont modifjer
1
l'image de l'Afrique et la face du monde ne peuvent pour l'instant
provenir que des Etats-Unis. Il faut donc faire en sorte qu'une
élite soit formée pour exprimer les aspirations matérielles, mais
surtout spirituelles, des Noirs cl'Américlue et défendre les intértts
moraux et spirituels de l'Afrique dont la dignité retrouvée
. rejailliro sur ses fils ue la diaspora. La tâche, bien que
difficile, n'est pas impossible en cette fin de siècle bouillon-
nante. De toute
façon, elle vaut la peille d'être menée à

.62.
'l.a thécJrie de la conservation des races Il'est donc p~G
inspirée P2).' la haine. Il s'agit t~ut simplement de féüre en sorte
Que toutes J.es voix des erlfants de [)ieu qui sont 6touffécs S8
Fassent u,terdl'e. On peut ~ le, lumière cie tout ee qui vient cI'être
dit, S8 dernand8l' pourquoi Du Gois n2 s'est pas laissé influencer
pLlr les thécriC'ierls du Pangermanisme dont l'âpologie de 18 rsee
arYBnr18 ne J.la pas laissé inciifférent. Si Du Bois a résisté è Ja
tentLltion de lrll~gémonie, c'est sLIns doute parce qu'il est réaliste.
Il sait q~e sa racc ne peut pas passer de l'esclavage b la clonlination
du mor"lde sans d'abord passer par lrégalit~ avec les autres races,
notamment la race blanche. D'autre part. ses convictions ne sont
pas comme noUS venons de le voir, d'ordre raciste, lui qui est
dans urie certaine mesure le produit de plusieurs races. N'a-t-il
pas dans ,les veines du sang africain, du sang français ct du sang
indien? En outre DL! Bois est convainclJ qu'il a une nlission ~
accomplir sur Je plan rrro~r!ial, ·pOUl' le progrbs de 13 connaiss8.nce,
de la cuHur8 et de 12 justice. Il S8 sent d'autant plus qualifié,
qu'il est ambiv~J.ent de p8r sa situation de ~·!ègre américé1in. S2
réussite sur le plan interndtional sera favorisée, selon lui, par
ses performances SUl' le plan national aux Etats-Unis DG les cieux
races extrémes se trOIJvent réunies par Ithistoire.

· ,..... .
~
CHAP ITRE
Il l
D8 l'opposition à Booker T. Washingto~
à la rondation de la N.A.A.C.P.
Parce que certains des aspects de sa IlJtte pour l'émanci-
pation des Noirs aux Etats-Unis ont pour conséquence directe ou
,
indirecte l'apparition d'une certaine image des Noirs et de l~Afrique:
nous les évoquerons pour la clarté de notre analyse.
Trois ans après la publication d:= The COCiservation of Races,
Du Bois se manifeste pour la première fois sur la scène internationale
en prenant la défense de l'Afrique. Les chefs tradi bonnels de la
Gold Coast luttent légalement contre une loi, le "Lands Bill" de
Joseph Chamberlain pendant les années 1890. Organisés sous la ban-
nière de la "Gold Coast Aborigines Rights protection Society" ils
se sont assurés ,'aide de John Sarbah, de Caseley Hayford et de
J. E. K""...~yr~
Aggrey, Jes premiers inteller:.tuels originaires de
la colonie. A Londres, Asquith assure leur défense. Il y a égalem~nt
à Londres des Antillais qui suivent cette action avec sympathie.
L'un d'eux, John Sylvester Uilliams, avocat, convoque une réunion
des intellectuels noirs pour protester contre l'injustice dont sont
victimes les peuples colonisés. Pour la p2emière fois le mot
l'panafricanisme l' est employé; mais à cette réunion il n'y a
aucun délégué venu d'Afrique. Sont présents une trentaine de

tell::: attitude mettra eïl pé:-iJ. la rrprin2es~e Paix" à laquelle 18::
fils et les filles de l'Afrique sont 2ttachés. Il ,,'adresse tour
à tour à l'empire germanique, puis à la Héoublî,;ue Française, pour
les inviter à être impartiauA
puis il évoque pùur terminer la
possibilité pour le Congo 6elge de devenir le plus grand Etat nègre
au centre de l'Afrique:
In the metropolis oF the modern w8rld, in this the
closing year of the mineteenth ceCltury, there has
been assembled a Congress of ~en and women of African
blood, to deliœrate sùlec,nly upon the present situation
and outlook of the darker raCES of mankind. The problem
of the twentieth century 15 the pnlblenl of the color-line,
the question as to how far differences of race--which
show thenlselves chiefly in the color of the skin and
the texture of the hair--will her~after be made the
basis of denying, to over half the world the right
of sharing to thECir urmost ability the opportunities
and privileges of modern civilization.
To be sure, the darker races are today the least advanced
in culture according to European standards. This has not,
however, always been the C2se in the p2st, and cert2inly
the world's history, both ancient and modern, has given
man y instances of no despicable anility and capacity
among the blackest races of men.
In any case, the modern world must remember that' rn this
age when the ends 0 f the wor Id are bei ng brought so nea"
together the millions of black men in Africa, America,

.-S6.
and the Is18rl~s oF lhe 58a,
ore bound ta nëlve inFluence uflon the world in the future,
by reason of shee~ mumbers and physic21 cont2cts. If now
the world of culture berlds ilselftowardo giving Negrocs
and othe]' dark men the largest and broadest opportunity
for education, self" c!evelopment, then this contact and
inFluence is bound ta have a beneficia]. effect upon the
world and hasten hUfllan progress. But if~ by reaSOfl of
carelessness, prejudic9, greed a~d injustic~, the black
world is to be exploited and ravished and degraaed, the
result must be deplorable, iF not Fatal-not simply
to them, but ta tho high ideals of justiC8, freedom 2~d
culture which a thouJand ye2rs ~f christiôn civilization
have held before lurope.
And no~:,
thereforB, ta these Ideals of civilization: to
the broaderhunanity of the
followers of the Prince cF PeacE,
'.t'le,
the men and ~Iamen of .4fricê. in world congress
assembled, do now slemnly appasl
( ... )
Let the Congo Free State become a great central Negèo
state oF the world, and let its prosperity be counted
nat simply in cash and commerce, but in happiness and
true advancement of its black people
(1)
Nous avons cru devoir faire cette longue citation
parce que dans cette déclaration, Du Bois ne se contente pas de
constater ; il réclame pour les Africains le droit de conduire,
dès que possible, leurs propres afFaires. Il revendique égale~ent
pour les Noirs américains des droits civiques et politiques effectifs.

.67.
I1 ;r"mtre s1.nsi qllc 13 .lutte pOL:r la lilAration cie l'Afrique et
celle mené2 allx etats-Unis cOllf,tituent. les deux faces d'un même
CCIllb8t
dont .le point ChdUd sr situe pour Jrinstant en Amérique
:il exige que l'on respecte la m~moJre des HiJberforce, Clartofl
B~xtc~, 5harpe, Livirlgstone qui ont.oBlJVré en faveur du bo~lleL;r
des Africairls et que l'esprit de Garrison et cIe Douglass ne meure
pas aux Etats-Unj.s.
ConscJ.ent de l 1 audience qu'a eu~ cette conférence gr5ce
à la puiSSûnce na1.ssante de la presse, Du 801.s retourne aux Etats-
Un1.s décidé plus que Jamais à faire triompher la cause qu'il défend,
Désormais, j l a la preuve qu'un groupe de gens bien fOTmés, cons-
c1.ents et responsables peut fa1.re besJcoup pour le progrès d'un
corltinent encore peuplé d'ignorants exploités par ~llimpérialisme
vêtu de 18 toge chrétienne". Il est également convaincu que ces
rneneuI'S d1hommes
ces visionnaires,
(llseers l1 ), qui vont modifier
j
l'image de l'Afrique et la face du monde ne peuvent pour l'instant
provenir que des Etats-Unis. Il faut donc faire cn sortc qu'une
é li te soi t forrnée pour exp" ilner les aspir aUons ma tér 1.elles, mais
surtout spirituelles, dcs Noirs d'Arnérique et défendre les intérêts
moraux et spirituels de l'Afrique dont la dignité retrouvée
rejaillira sur ses fils d2 la dia3pora. La tOche, bien que
difficile, n'est pas impossible en cette fin de siècle bouillon-
nante. De toute
façon, elle vaut la peine d'être menée à

terrïi8 ::::ar la .1ibér8tion des Noirs dlnérlcains sera incofi,p.i~te
s2ns 18 libéLation politique Ge ItAfrique. Aux YEUX de
Ou 80is,
l'Afrique devient donc le ~eilleur garônt de la respectabilité
du Noir. Camment peut-il en êtro autrement lorsque lIon sait que
tous les autres Américains sont fiers da leur patrie d'origine et
organisent des journ~es irlandaise, italienne, française~ ang16is2 1
e':c ~ Le
rôle.
de l'élite, du lIta1.ented tenthl!, sera danc de se
consaCLer à cette tâche essentielle.
Les idées de Du Bois se trouvent tout naturellement en
contradiction aveL la théori~ du progrès graduel qui préconise
pour les Noirs une éducation strictement manuelie. De nombreux
dirigeants noirs, dont Martin Delany et Bishop lurner~ avaient
déjà exprimé des réservEs quant à la fcrmatiofl théorique et
spéculative. Pour eux, seul un enseigne"-8nc pratique pourrait
~onner aux ~oir3 les moyens de se faire ~aloir sur le plan social.
Booker T. Washington est de laur ~vis. Selon lui, les Noirs ne
pourront prétendre ~ de hautes études et à une égalité véritable
aVeC les Blancs que lorsqu'ils auront acquis une richesse matérielle
suffisante. Mals qui est Bnoker T. Washington? Pourquoi Du Bois
éprouve-t-i1 la nécessité de l'attaquer, en 1903, dans The Souls
of Black Folk?
Booker Taliaferro Uashington
L'ascension de Booker T. \\'!ashington a été remarquable.

.69.
On est en 1880,
.8 un rnorT![:nl: OL! le rnercanti.lisme prend de l'ampJ.puI'
où les Nciir"s 'sorl:is de 1 '.:-~upIÎoJ'5e de leurs suc·cès·.....polit5.ques
éphémères D3!lS Je Jud, se .retrouvent plus cérilunis qu'avant la
guerre de sécession. Ils ne savent que faire de leur liberté
nouvellement acquise.
Cl est aIars que Bockcr T. \\-J8snington v .iE;n t
à eux, arrné d'un syst0me éducatif qUI va, selon lui, permettre aux
Noirs de profiter de leur liberté pour s'instruire et gravir les
échelles du succès économique ; il affirme que seule une certairlc
prüsp6rj_t~ matérieJ.le peut les conduire aux délices de la jouissance
des droits cIviques. Son programme, basé sur la formation manuelle,
n'a rien d'original. Mais il en fait un véritable cheval de bataille,
à la différence de ceux de ses prédécesseurs qui avaient déjà pré-
conisé un système semblable; pour l'appliquer', il ne ménage ni son
énergie, nj. ses adversaj.res. Il erl fait sa religion et l'impose aux
Noirs. Il est si imbu de 11 espr it mercantiliste de l'époque qu'il
ne
comprend pas que l'on puisse s'adonner à l'étude des humanités
alors même que l'on vit dans un dénuemen-c. total. Du jour 2U lendernain~
l'ancien esclave de Virginie S8 trouve Gtre le porte-parole de la
quasi-totalité des Noirs aux Etats-Unis. Intelligent, rusé et
travailleur, il est, à partir de 1895 et jusqu'à sa mort, en 1915,
le Noir le plus populaire des EtaLs-Unis. Connu sur le plan mondiel,
il favorise l'implantation d'institution.similaires à celle de
Tuskege8 au Libéria, à Haïti et au Togo. Il adopte une attitude
conciliante vis-à-vis dcs racistes ; il veut éloigner les Noirs de
la politique, au profit de leur émancipation économIque, par une
formatiorl technique et profc3sionnelle.

.iD.
Né escJave en 1058; Bocker T. Washington nia pas connu
son père. Il [J8SSe les neuf prenlières années de sa v~e dans la
cuisine de la pJ.anta~ion. 'Sa n:0re y prépare la nourriture et
s'arrange pOLir que Washingtnrl et son f~tre ainé ne manquent de
rien. Comme tcus les enfants esclaves, Booker T. Wasl)ington s:acquitte
de ce~taines corvées. Après la guerre de séces5lon, son père 2doptif
V3 travailler darls une mine de sel. [lest à cette époque que
\\'lashington comprend l'intérêt de l' ir:stI'uction. Il apprend " lüe
et à écrire et s'inscrj.t ~ ~j~mptr.n, une école de formation profession-
nelle, dont on ~ient de lui parler
Il s'intéresse plus particuli~­
rement à la formation pi'atique, à l'élev13.';18 et à l'agriculture.
A la fin de ses études è Hampton en 1875, il retourne
enseigner à l'lôdder. dans l récole où il a ,sppris à lire. Té~win,
à plusieurs reprises, de scènes de violence provoquées par le
Ku Klux Klan, il n'abandonne cependant pas l'espoir de dorlner è
ses frères de couleur le genre de fcrm2tion qu'il 3 reçue. Il
enseigne pendant deux ans à H2rnptor:
dont le principal, le général
Amstrong, le choisit pour diriger une école pour Noirs en Alabama.
Il se rend donc è Tuskegee, non seulemen·t ave~ la formation reçue
à Hampton, malS avec trois idées maîtresses sur le problème des
Noirs aux Etats-Unis.
Il est convaincu que le Noir ne peut pas d'emblée prétendre
être l'égal du Blanc alors même qu'il sort de l'esclavage; que le

· il.
l\\JoiI' est culturelJefli8nt jr.f-éI'i~LJ]·. Le Noil' doit, s'il veut se
faire accepter, rro~vGr qu1j} n~ér~te la liberLé qU'Oil lui a octroyée.
Pour cc féür8, il cioj t sor tir de sa misère et df-" son indigence par
ses propres moyens. Gooker T. t'Jhashington Si emploie donc à convaincre
les bailleurs d2 fonds individuels et les soci~tés p~lilanthropiqLiQS.
Il réussit si bierl da!lS son entreprise, qu1il gagne la sympatllie
aussi bien des Noirs que des DIanes capables de l'aider à mener
~ bien son projet. Il se rend souvent ~ la Maison Blanche rencontrer
le président TtlBodore Roosevelt ; on le voit rnaintes fois en compa-
gnie d'Andrew Cdrncgie.
Fi.n psychologue, Bookel' T. \\'Jashillgton ne se montre humble
que dev2r~ les Blancs influents. De son bureau, il dirige l'Amérique
noire pendant près de vingt-cinq ans. Il s'adresse chaque année ~
"son peuple",
LeI un monarque. On le consul te l
pour. r:ommer un I~oir
~ un poste important. Aucune institution noire ne peut cbtenir de
subventions appréciables si elle ne S8 fait pas parr:üner
par
Bookcr T. Washi.ngton.
En dépit de l'adulation dont il est l'objet et des
importsrltes ressources financières qu'Il contr6le, il n'est pas
tout ~ fait libre, et ses idées ne manquent pas d'ambiguité. Son
célèbre discours prononcé ~ Atlanta va les faire connaître. Il
condamne d'entrée les politiciens Noirs. Le droit de vote n'apporte
rien ~ la communauté, affirme-t-il. Il faut, selon lui, apprendre è

marcher 8varlt d'appre'ldr8 è courir. Il se dit étonné d8 voir que
Jes Noirs Gnt choisi d fJIJ.el' brJÇ]uer des sièges au Sénat au lieu
de cherche]' à créer l!ne ferine et a sfacheter une prspricité. Seule
leur insxpérience les 2 conduits a une telle abc~rDtj,Grl. A ceux
de3 Noirs qui ve01ant émigrer, il Jeur dit que la fortulle se
trouve à po~tée de J.8ur main. Ils Illant qu'à apprendre le métier
qui correspond le mieux è leurs aptitudes ct è leurs capacités. Les
exploitations agricoles, les usines et les travaux comestiques
attendent leurs bras. Dar,s le Sud, ils ont plus de chance de l'éussir
qu'au Nord DU en Afrique. Selon ILi, aucune race ne peut prospérer
si elle n'accepte pas l'idée qu'il y a autant de mérite è cultiver
la terre qu'è écrire des poèmes. En outre, il irlvite les Blancs du
Sud b aider !es Noirs à apprendre un métier. Car ceux-ci constit~2~t
une m8in-d'oeuvre loyale et docile, capable de faire fructifier
leurs terres et de f8i~e to~rner leu~s usines :
Casting down your bucket 2mong my people, helping and
encouraging them as you are doirlg on these grounds, and
ta education of head, hand, and h~art, you will find that
they will buy your surplus land, make blossom t:ie waste
places in your fields, and run your factories. (2)
Ils sont prêts è défendre, comme p2r le passé, les Blancs
contre toute 8gression venant de l'extérieur. Les Blancs et les
Noirs sont, selon sa célèbre formule, !'séparés sur le plan social
comme les doigts de la main, mais unis par une communauté de destin!!

BODksr T. Heshington ne s'est pas corI tenté drexposer
ses idées.
Il met Sur pieo t.:ne orgzJnisation for"üdoole pour int.i-
mider tous ceux qui tentent de s'y opposer. AUo3i, ~ares scnt
les voix qui s'élèvent pOUT' lB critiquer oU'fertem,ent. ~lais deva~t
la menace qu1il constitue pour les institutions noires d'cnseign'~-
ment supérieur, comme les ulliversit~s
Howard, Lincoln et Fisk,
Du Bois rompt le silence en 19Q3.
W. E. B. Du Bois centre Booker T. \\1ash~ton
Du Bois cri tique publiquement \\Jashington dans The Sou~ls of
Black Folks. Dans le chapitre intitulé "Booker T. \\1ashington and
others" il dénonce le système de formation de Tuskegee. Seloll lui,
un systè;;lè dréducation qui vise un but purement matériel ne peut
être que superficiel et nuisible è la race. Pour lui, le progrès
des Noirs passe par l'université et non par l'atelier. Il estime
que le royaume de la connaissance est indispensable et plus utile
qu'un compte en banque bien garni. Face à l'attentisme de Booker
T. Washington, il propose une L8vendication plus hardie des droits
politiques et civiques. Il lui reproche d'avoir favorisé :'adoption
de la loi selon laquelle les Noirs et les Blancs sont égaux mais
séparés. En
outre, il l'accuse d'avoir fait siennes les théories
sur l'inféri~T'ité des Noirs et d'avoir ch8rché à faire d'eux des
êtres incapables de fierté raciaè~ :
~Jr. \\'Jashington represents in Negro thought the ald
attitude of adjustment and submission ; but adjustment
at such a peculiar time as ta m5ke his programme unique.

if,
,
,',".
This is 2[1 a~8 of '-:1n'~su81 econ~JI::ic d8~:elopment, 8r.d
~lr. Vas!ll!~gton's ~zog2am~e ~at~~~lly takes arl economic
cast, lJec:oming 2 gDspel of ~!oI'k ~y.nd Honey to such an
extent as appar~rJtly almost conp~ete~1 to overshadow
the higher 2irr,3 0 t' li Fe. j"loreovee ~ this is an a;Je i·;hen
the marc:; advanced race a~e coming in closer contact \\'Iith
the leGS developed L'8CeS, and the race-feeling is there-
fore inte;lsit'ied ; 2.nd j"lr. t-iashir";:qton' s proqI'amm practicalJ;:
accepta the 811eged inferiority (If the Negro race~. Again,
in our own land, the reaction frŒffi the sentiment of war
time ha5 given impetus to race-p'I"r2~udice against Negroes!
and Hr. l'lashington ~':ith'"iI'm'/s many' af the high dernands of
Negroé::s as men and Arnerican cit.iz.ens.
In other periods of
intenaified prejudice aIL the Nsgèo's tendency to self-
assertion has been called forth " at this period a policy
of SUbffiission is advocated. In L~8 history of nearly aIl
other raceS an~ peoples the doctrine preached at su ch
crises has been that ~2nly self-respect is worth morE
than lands and hcuses, a~d that a people who voluntarily
surrender such respect~ or ce2se striving for ft, are not
worth civili7ing.
In anSI'ier to this it has been claiIT,ed that the "egro
C8n surv ive only thruugh submissJ"",. l'Ir. \\"iashing ton
distinctly asks that black people CJive up, a~led"t for
the present, three things;-
First, political power,
Second, insistence on civil rights,
Third, highcr education of Negro youth,-
(3)
Quelle a été le résultat de cette politique de soumission
chère à Washington? Elle a conduit, selon Du Bois, à la création

169818 d'lIn statut !Jarticu]ier (:orlsacrant 1!infériorit6 civiqLle
du Noir; elle 2 cor,t]'ibcé à lui faire perdre ses acquis politiques.
Elle a aussi tari les sources de firlancemanl dt;s j_nstitutions de
formation unive~sitaire réservées aux Noirs. Telles ont été les
conséquences indirectes de la propagande menée pal' Booker T.
\\-Iashington:
l"hese movements are not, to be sure, direct results of
Hr. Hashington's teachings ; but his propaganda has without
a shadew of doubt, helpcd their speedier accomplishment.
The question th en cames : Is it [)o8sible, a"d probable,
that nine millions of.' fIIen can m8k,,, effective progress in
economic lines if they are deprived of political rights,
made a servile caste, and allowed only the most meagre
chm~ce fol' developing their exc8ptional men?
If !listory
arld reason give any distinct answer ta these questions~
it i8 an emphatic
no . (4)
Du Bois qui ~ admiré \\'Jaslüngton pendant longtemps et qui
a même voulu enseigner dans son institut sait qu'il est essentiel
que J.es travaux nlanuels ne répugnent pas aux Noirs. Il est draccord
avec Washington pour dire que les Noirs doivent rester aux Etats- ,
Unis plut6t que de chercher à émigrer en AFrique oG leurs compétences
ne seront pas immédiatement monayables. C8pendant, il esL en train
de raU,oll"liser sa propre théorie d", formation et se trouve de plus
en plus mal à l'aise au sein de Tuskegee DG il va très souvent
donner des conférences à l'inviLation de son illustre aîné. Il
estime que les travaux manuels ne doivent pas être uniquement réservés
à la race flaire.
Les Noirs doivent pouvoir ouvrir leur esprit sliJs

· i6 .
.en ont la p~ssibilité. Il n'est p~s raisGnnable de réduire volont2i-
rement les chances des Noirs en les conFinant
dans des écoles qui
leur oFFrent ~ne perspective ~édiocre et hypothèquent leur 3venir
et celui de l'Afrique. Du Bois pense au contraire que la formation
ne doit pas avoir pour finalité le succès matériel mais l'épanouis-
sment de l'homme. Le succès matériel peut être un moyen pour attein-
dre ce but; il ne doit pas être une fiG en soi, car il n'est pas
certain que l'accumulation de la richesse soit un signe de progrès.
Il est donc primordial, conclut Du Bois, que les Noirs doués accè-
dent au royaume de la connaissance et de la recherche et se battent
sur le même terrain qUe leurs oppresseurs. Seuls les droits civIques
et politiques pourront donner une parcelle de pouvoir aux Noirs. De
même que les voix de Pa~ Cuffe, David ~31ker. FrederickDouglass et
Alexander Crummell ont contribué è la libération des esclaves, de
même une élite bien Fermée peut mener et gagner la bataille des droits
civiques. La race va être sauvée par ses hor~mes exceptionnels. Aussi,
l'enseignement doit
permettre aux plus dCIUés d'atteindre le sommet·
afin de guider les autres. Il doit concourir è la formation olobale
de l' homme. Un technic ien doit, avant tout ,ètre un homme cultivé,
capable de réfléchir sur les problèmes qui l'assaillent. Ce serait
une erreur que de faire des Noirs des chasseurs de biens matériels
sans envergure. De toute façon, l'institut fuskegee utilise des
professeurs formés aux universités de Harvard, d'Oberlin, de F~sk,
et d'Atlanta. Or la propagande de Booker T. Washington tend curieu-
sement è tarir les sources de l'approvisionnement de cet institut

.71.
en pro1~I~sseLlrs. Du Bois 811 appel13, lui 2ussi, b la cor"lscience des
Améric8ills ; il leur demande cie favoriser l'évolution des Noirs
sinon ceux-ci Jes entraîneront dar13 18 médiocrité. ct la seule
façon d'élever leur niveau, c'est de leur permettre d'accéder b
I l ense.ignertent
supérieur, Cé'Œ j l fau L leur apprendre riO,! seulement
un métier mais également b vivre (15).
Booker T. Washington ne reste pas sans réagir devant cette
attaque. Il estime que la lutte qu'il :nène doit tenir compte dp3
réalités du moment. Il n'est pas utile d'user de la viulence physique
ou verbale car il faut cherchel.' à cDnstruire. En uutI.'e~
il dit COrl-
nüitre mieux sa l'ace que quiconque puisqu' i I est constarnnlent avec
elle et partage ses soucis quotidiens. Il réfut~ l'argument selon
lequel de pilis en plus de Noirs sont hostiJcs b ce qu'il fait. Pour
lui, selJl un noyau d'i~tellectuels aigris sans prise réelle sur la
commun8uté noire, essaye de J.e dénigrer~ depuis qu'il sIest fait
une certaine renommée. Ceux-lh sont d 1 ailleurs coupés de la race
qu'ils prétendent cléfer,dre ~ l.'aide de pamphlets rédigés dans la
quiétlJde de leur bureau. Or, ce qu 1 j} faut à la masse noire c1est
des idées pr8tiques susceptibles d'être mises en application pour le
bonheur de la race. Sur ce pla", il estime avoir accompli beaucoup
plus que ses d6tracteurs.
Le désaccord entre ces deux hommes excep tionnels est
total car Du Bois n'est pas seulement convaincu que la bataille

• J El •
do.iL être ii)enée sur 18 plail pcJit.ique ; il veut un hüt, suborclù:lllcr
le problt>rne du ;\\lui r qn:8ricair\\ <J,U grand idéal 3uqucl il ()ntend con~"()cr-8r
Son énergie: le pana.fricaJ'l_-isrn2. j'<LI-lul'el1crr:ent) il comprend que
l']ashington grisé DLlT' les hOrli-l'2LJl'S, reçu à la {'JIaison BJ.<Jnche par .le
Président Theodoro Roosevelt 2n 1901, ne puisse être l'un de oes
visionnaj.res dont i l attend la naissance. N1a-t-il p88 été formé
è Hampton Instituts?
Il lui dénie par contre le druit de parlor
"U
nom de l a race noire dont iI néglige les potenti ali tés. Cet
é0isode de la bataille que Du Boi~ mène pour le bonheur des Noirs
va avoir une incidence heureuse sur l'émancipation politiqlJe de
11Afrjque. En effet, il apporle une co~triblJtion décisIve à la
sauvegarde d1lJne grande institution noire: l'Uiliversilé Lincolrl.
L'Université Lincoln et la form8tion de l'élite arricaine anqlop~lone
L'Université Lincoln 8 jou~ un r61e important dans le
devenir de 11Afrique comme l'atteste le témoignage de son Présiderlt
honoraire Horace r~ann Borld. Lors d1un voyage à Accra en 1949, il
lui a suffi de fnüe comprendrd qu'il avait connu Kwarne :~'Krumah
et Nnamdi Azikiwe aIors qu'il était président de l'Université pour
que taules les portes lui soient ouvertes comme par magie:
In October 1949, on lhe occasion of my first visit
tu \\'/est /l,fr ica, l
discoveI'ed that there l'las magic in the
name of Lincoln University. 1 ~BS in the ail'port hotel,

· ï':!.
aL Accra, in trsrlsit ~G Nigaria, wGlled in by that
isolatiofl thZlt is the lot or !(.he Fcr.-eigner in a strange
city and by the ~uspicion that sllrrounded tne out18nder st
a time of great .politj.cE:l tension.
Tlle British offici3ls
were eminently ccrrecL a~d hospitable. They smiled forgi-
vingly when 1 naie'c1 y said l hoped to see :NKrumah ; he
was in the Udoghol!se ", almost in hiding and it vIas obviû:.Jsly
my ignorance of propriety that impelled me to seek the
company of this l'fanatical rable rouse.r", as he was
regarded then.
1 did fin8IIy corner a ~orter on my hotei flonr and
almost in desperation told my story. 1 told him 1 must see
:NKrumah
further, discovering that he was an Ibo from
Nigeria, 1 bôbbled that
NKrumah and Azikiwe atter.ded the
Lincoln University where 1 was then president.
1 had said the magic words that opened up the treasure
house 0 f con fidence and fr iendship-"you knml Zik?
Vou
kno,;N Krumah?
you come from Lincoln Unversi ty?
and the
world was mine ( ... l
Even by 1949, Nnamdi Azikiwe and Kwame Nl<rumah had lit
flame in the hearts of Africans everywhere, and Lincoln
Unversity had become the name of an educationaj institution
better known among the great masses of Africans than any
other education al institution in the world. (6)
Ainsi l'Université Lincoln est devenue en Afrique synonyme
du nationalisme africain à cause de l'influence d'Azikiwe et de
N'Krumah. L'influence de cette université en Afrique est due aux

., "
.HC~
buts assig:'lés dès sa créatior\\ 3 cette in.stitution pr83hytéricn~e.
En 1853, son fondateur, John Miller Dickey, définit dsns
un sermon les objectifs à atteindre. Pour lui, les étudiants sortis
de cette institution auraient pour tâche de promouvoir l'émancipation
des Africains d'Amérique et d'Afrique afin qu'ils occupent une p12ce
honorable parmi les habitants de la terre. Le 31 décembre 1856 le
premler bâtiment fut baptisé "Asnmum Hell" en la mémoire de Jehu':Jj
Ash~um, le premier gouverneur envoyé au Libéria per la société de
colonisation. Au cours de la cérémonie dl inauguration, les Obj8,~i:.ifs
poursuivis par les promoteurs furent réôffirmés en ces termes :
Feet that tread these halls stand onsoil once wet
with the criinc of the slave trade ( ... ) Educated laymen
will be sent to Africa from the Ashmum Institute ( ... >
The Ashmum Institute stands like a nursing mother, end
she longs to ,escue some noble Afric2ns from their bark
of slime and to train them for statem2nship of a great
and growing Republic. (7)
Parmi les trois étudiants qui commençèrent les cours,
il Y avait un Libérien né aux Etats-Unis, Armistead Miller.
On peut distinguer trois périodes dans l'attrait qu'"
eu cette université sur les étudiants africains. Il y a eu d'abord
la phase libérier.~e,de IS56 à 1895, date de la sortie de Charles D~~bar.
Pendant cette période, trente-deux Africains y suivirent des cours.
Trente de ces ét~diants étaient du Libéria. L'un était Ethiopien;

• DI.
il s'gp[je18it George;> Uillj8fT1 Rell.
Il connut urlé' certéline notor:;été
d;:Jfls l'Etat de 1.' l\\rk8nS8;3 en tarit que médecin d! abDrd ct sénateur
Br15LJite. L'autre était GabonQjs.
PQrmj. ces premi.crs diplômés de J.'université, Dunbar eut
une carrièl'c exceptionnelle, il fut ministre de la justice du Lib6ria
qu'il représenta à de nombreuses conf6rences internationales dont
la conf~rence de la paix de Versailles. Ils retournèrent presque
tous PU Libéria contribuer au développement de leur pays. Dans tous
lcs cas, l'université dut son prestigieux développement è l'arrlvée
des Africains. Alors que cette institution était sur le point de
s'effondrer faute de moyens, l' arr ivée de onze jeulles Libériens
obligea le Rev~rend Edward Webb è se lancer frénétiquement dans
une collecte de fonds. De nombreuses organisations décidèrent
d'apporter une aid9 appréciable aux Africeins cJg lILincol!l University"
car la sympatllic qu~avalent suscitée ces jeunes de la tribu Vai était
immense dans le pays.
La seconde étape, qui commença en 1896, fut celle des Sud-
Africains. De 1896 è 1899 il n'y eut que trois Libériens. Cela est
da au fait qu'il y avait eu une rupture des relations entre les
presbytériens des Ebts-Unis et les missionnaires au Libéria. Cette
rupLure avait été prevoquée par la conversion d'Edwacd W. Blyden à
l'Islam. Edward Blyden, hommc d'ELat très estimé aux Etats-Unis,
entendait 8insi manifester son mécontenLement envers l'action du

.82.
chrj;;l:imüsrne d3rJD Ir: dorn:-'inè de .lu lutte pour l'E\\181ité raci.sle.
Selon lui, la religion CIl ré tienne ne raj.sait pas assez pour rappro-
cher Noirs et 13J8rlcs ; au contraire elle était source de pr~jLlgés
racj.3LJX. Les Sud-Africains f'orn\\és à l_incoJ.n eurent énormément de
problèilles ù leur l'el".c1Ur. Cependant, il est réconfortant de savoir
que ce furent leurs enfants qui allaient quelques décennies plus
tard erltamcr la (Iure lutte cantI'e la discriminatj.on raciale dans
leur pays.
L8 troisième période commenç3 avec l' arrivt§e de Nnc:H"flcii
Azikiwe du Nigéri2 en 1929. [Il 1935 d'autres Africains arrivère~t
de l'actuel GhSllB, de SieI'ra Leone et de 1!Dug~nd8 ; parmi eux S2
trouvait Kwame N'Krumah. En 1939, onze él\\Jdiants Africains s!ins-
crivirent. La guerre interrompit le courant un certain tell',Ys. \\'\\ai:~
il devait reprendre en 1946.
Les fondatelJrs de l ' ufliversité étaient oorvaincus qUE les
Africains étaient capables d'atteindre un très haut niveau de déve-
loppement intellectuel; aussi, ne prêtaient-ils pas attention aux
ttléories qui voulaiellt réserver aux Noirs un enseignement pratique
limitatif. En outrc, ils avaient adopté le système éducatif de
l'écossais John Knox qui voulait que tout pasteur fat capable
d'atteindre le plus haut niveau intellectuel possible. quelles
que soient ses oriyines, gr5ce à une formation reJigieuse, humaniste
et scientifique.

.83.
Or de lB9D à 19J5 oQoker T. lJashj.ngton chcTTha ~ imposer
son systèrn"e éduC3tif 8UX 1'~oir8, système qui était base) sur l'éducation
manuelle. Le genre de formstlDi'1 cionnée à I!Lincoln Uiliversit y 11 fut
sévèrelncnt critiqué comme irlad6quat. Le président de 11 un i\\/ersit0,
Isaac N. Hedall, refusa de déJaluer ses programmes pour les adapter
à ceux en vigueur aillel[~s d~~iS les institJtions pour Noirs. Aussi,
les me~nhres bienfaiteurs se fi.rent plus rares. En 1892 Rodmarl
Wanamaker, un ric~c négociant noir de Philadelphie décida de faire
un don important à cUfluj,tion qLJ' Uf,e section de fOriTldtJon profess:_on-
nelle fOt cr6ée. Le don fut tout si~plement refusé par les autnri::és.
D'autres don"teurs suivirent l'exemple de ,Janarc,eker et reçurent le
même accueil.
Ainsi, b partir de 1898, l'Université n'obtint 2ucune
aide scbstantielle.
Or c1est précisément à ce moment crucial de Jél \\lie de cett.e
université que Ou Bois critj.qu3 ouvertement le systèn18 ~ducatif ds
Booker T. Washington. En déFendant tDutes les Institutions tendant
à disppnspr un enseignement de qualité aux Noirs, il avait contribué
à sauver l'Université Lincoln d'une mort certaine. On peut donc dire
qu'il a'Jait ai"si indüeclement favorisé l'émancipation de l'AFrique.
Er. effet, c'est entre 1~29 et 1940 que l'Université Lincoln Forma
deux honmes exceptionnels qui allaient par la suite cnntribuer à
changer l'image de l'AFrique dans le monde, après la seconde guerre

mondiale.
Il s'agit d',';ziki',IE' ct )J';<r:"Jrndh~ C)2St peu de temps 2i~d~s
l' 2rr ivée d'Azikiwe que le conseil d1~drrlinistration eut pour la
première fois un Noir comme ITIBmbre. f-12is .Q,z_iki\\'!~) qui r.Janifesta
dès son arrivée un esprit d'indépendance pe,u comfT,un parrri les Noirs
de llépoque
slétonna qu'une université pOlfr Nairs ne compte aucur,
t
Noir pdr~i le corps professoral. Et la nomi~ation du premier profes-
seur noir en 1.932 est due è un mouvement de revendication dont il
prit la tête. Le professeur Benjamin Labaree s'avéra être très ouvert
et il influença profondément Azikiwe et N'KEum8h. Une cité de l'uni-
versité du Ghana perte d'ailleurs son nom. N~Krumah se distingua en
philosophie sous la direction du professeur George Johnson. Aziki~e
et N'Krumah eurent la possibilité d'entretenir de bons rapports avec
leurs professeurs blancs dans le cadre de l'université. Cela les
aidera beaucoup plus tard dans la lutte qu'Lls allaient mener pour
conduire leurs pays respectifs è l'indépendance. On peut donc affirmer
qu'en développant sa théorie du "lalented le'llth" et en permettant
ainsi à l'Université Lincoln de maintenir san cap initial, Du Bois
a contribué à semer la graine de l'émancipation africain~. D'ailleurs,
il ne se contenta pas de dénoncer le progra~~e scolaire d8 Booker
T. Washington. Conscient de la puissance de ce dernier, il décida,
avec l'aide de quelques intellectuels, de créer U08 organisation
capable de revendiquer les droits civiques pour les Noirs, afin
qu'i~s puissent s'instruire conveG~blement et accomplir leurs devoirs
envers l'Afrique. C'est ainsi que la N.A.A.C.P. (National Association
for the
Advancement of Colored Peoplé') vit le jour, en 1909.

.8~.
La rond8ti~n de la N.A.A.C.P.
El1 faii~, Du Bois orqan~s3 d~s 1905 l'oppoGition à Bool<er
T. HBsllington, assisté paru"
Butre diplômé de liarvard, William
r"lonro8 Trotter. C1 è3t le f'lou\\.Icnent du N5agsra, appeJé GlnSl paree
que la réunion consti trJtive eut lieu secrèbo;ment près des chutes
du Niagara. Elle rassembla des intellectuels noirs venus de treize
Etats, parmi lesquels on comptait de nombreux professeurs et d'émi-
nents ministres du culte. L'année suivante iJs se retrouvèrent à
Harper Ferry pour réel.amer, en termes incendiaires, l'égalité
immédiate sur le plan politique. E~ dépit d~ leur bonne volonté,
leur influence SIJr la masse fut insignifiante. En effet: Du Bois
n/était pas un leader capable de manoelJvrer~ comme Booker T.
Washington. Ce dernier était soutenu, entre autre, par le générel
Samuel Armstrong (8) dont la popularité dans le pays était considé-
rable. En outre, l'appui des anciens élèves de l'institut de Tuskege~
ne lui faisait pas défaut. Ils formaient le noyau des hommes d'afFaires
noirs de l'époque et étaient en co~tact direct avec la ~2sse dont ils
pouvaient orienter les opinions. Aussi, les vociférations de William
Monroe Trotter, l'enfant terrible de Boston et les invectives de
Ou Bois n'eurent-elles pas d'échos réels dans la population. Mais
si le 110uvement du Niagara n'avait pu rien faire de concret, il
avait, en revanche, jeté les bases de la N.A.A.C.P., une association
qui allait révolution~er la lutte des Noirs aux Etats-Unis et dans
le monde ct contribuer b modifier l'image de l'Afriquo. Cette asso-
ciatioll rasselnblai t des Noirs et des Blancs révoltés pal' un jugement

.B6.
rSflOU f)sr ~2 CO~~ slJprême. Cet arr~t affirmait qLJ8 la ségrégation
ne violait en auc~:rle m2niè~e le
Quatorzième Amendement de la
Constitution. 1]. 1,I En fallut p5S plus pour que Dli Bois, Oswald
G8rrisun VillErd, alors éditeur du ~ew York Evenino Post et d'autres
irltellectuels cor,voquent une conférence en ,'liai 1909. CeUe réunion
conS8cra le naiss2nce de la N.A.ri.C.P. qui se proposa d'intensifier
la lutte pour les droits civiques et politiques. Elle invita les
l\\Joirs et les B10rlL'8 à CoopÉ~8r pOlir sélliveg8rder et renfùrcer Je.s
aC~L'ls du Quatorzi~m2 Amerldement de la Constitution. Du Bois ~tait
le seul Noir dans le comité directeur; mais san influence n 1 était
pas négligeable. Il avait enfin l'occasi8n de ~e montrer plus com-
batif dans son action en faveur des Noirs. Ccmme il allait Itaffirmer
en 1925, dans une note" biographique, il voulait se servir de sa race
comme d'une a~me pOIJr lutter contre les injustices, sources de conflits
entre les hommes et les natiorls :
1 am one who believes in equality of aIl people, and
1 am fighting fo~ it by '"ay of the Negro Race. (9)
Or le berceau de la race, c'est J'Afrique. L'é~ancip2tion
des Noirs ne sera donc pas complète tant que l'Afrique n'aura pas
gagné le respect des autres continents. C'est pourquoi l'as5Gciation
poc= le progrès des gens de couleur stipula que son premier objectif
était de mettre fin aux préjugés contre la race noire en général, et
les Noirs amér iC2ins
en particulier, afin de sauvegarder les institu-
tians américaines, mals aussi la paix mondiale et les droits de
l'homme:

.87.
The :\\i 3 t50nal l\\s~ociê!tiQjl for th€:
I\\d'v'ancement of Gol'lrcd
People 18 nrl organization composed of men and women of all
races and clnsses who believe that the present widespreBd
increase (IF prejudice against colored races and particulBI&
denial of right and opporturüoes to ten million Arnel'i.cons of
Negro descent is not cnly unjust Bnd a menBce to our free
insti tution, but also is a di rect hindrance to \\;01' Id Peace
and the realization of flurnan brotherrcood (10)
Cette bataille en faveur de la justice fut menée sur le
pla~ légal. Les juristes de la N.A.A.C.P. intervenaient è bon
escient pour défendre les irltérêts des Noirs. L'association avait
donc constamment besoin d'argent. Ces fonds, elle les trouva gr~ce
au soutien de tous ceux qui appréciaient leurs rnéthodes de travail.
En outre, il apporais3ait clairement à de nombreux Noirs et Blancs
que les résultats obtenus par Booker T. WashiAgton dans le Sud
élaient plut6t médiocres. Ce dernier, épuisé par pllJS de vingt
années de travail acharné et harassant, aVBit perdu beaucoup de
son mordant. Ses détracteurs, dont le nombre augmentait sans cesse,
.UI reprochaient de s'être trompé dans son analyse initiale. Car,
disaient-ils, le statllt des Noirs ne s'améliorait pas avec le gon-
fIe ment de leurs comptes en banqua et les fonds destin~s au fin an-
cement des serVIces SOCIaux d~ Noirs dani le cadre de la ségré-
gation, faisaient cruellement défaut. Dans ces conditions, la
seule solution viable était de lutter pour que les Noirs aient
accès aux facilités
réservées aux Blancs. Des sections de l'as80-
ciation furent installées dans tous les Etats, et The Crisis fut

.SG.
journ81 \\Ioulai t êt}:2 non seulEn1en t l '.avocat des Noirs américains,
mais aussi l'int8rp~~te z~lé des aspiratiorls de l'Afrique. Pour
deve;;ir jouI'n~.üisi:.e au SCL'vicc d8S Noirs de l'A~llériquc, de 11Afriqu~
et du monde, Du Bojs abandor1na la chaire de sociologie qu'il occup3it
b l'université d'Atlanta ; il fui: le rédacteur erl chef de Ille Crisis
de 1910 à 1934. ,~.u cours de C2S vingt quatre années, il slemploya
b lui fai.re exprimer sa vision de l'Afrique. O~ peut donc dire,
sans r isqU8 de S8 tromper, q~Je si en développant sa théorie du
rrTalented te~thl! et en permettar:t ainsi à }runiversité Lincoln de
maintenir son cap initial! Du Bois a\\/ait semé la graine de ]'éméin-
cjpatiorl africaine, il avait, en créant Ttle Crisis, fOL;rni aux
intellectuels noirs ]e moyen d ' 6Ludier l'Afrique et de la faire
connaître.
Décidée ~ combattre la propagande ainti-noire sur le plan
intériE:ur, et à lutter pour l'éinancipation des ,\\!airs, 18
N.A.R.C.P.
ne pouvait pas Dfficiellement SB consacrer aux problèmes africains.
r'lais son organe officiel, Th" Crisis, pouvait lui, se précccuper de
l'image de l'Afrique et du sort des Afric2in~, dans la perspective
de l'~vènement d'un monde tolérant et juste:
The object of tilis publication is to set Forth tilose facts
and arguments \\'Ihich shm-; the danger of race prejudice,
particulB~Y as manifested toward cDlored people. It takes
its name from the f8ct that the editors believe that this
is a critical time in the history Df the advancement of men.

.89.
Catholiclty and taleran~e.
reason and forbe8l'5nCe can
today make U,2 \\·lOrlcj-.~ld drea,,, cf human hrathcrhood
approach reaJ.izaLicn ; ',',I).i18 bigotry and prejudice,
- emphasized race c:onsciousness and forre C3n repeat the
awful histor~ of tl1C conta~t uf flaLions and groups in the
pasL. Wa strive for thisl~ighe~ and broader vision oF Peaee
and Good Ui 11.
Human contact, 11urnan acquaintar,ceship, human sympathy
are the great sol vents of hum an problems. Separate schocl
children by "lealth and the result is class misunder..-standing
and haLred. Separate them by race and the result is war.
Separe.te them bl' COlOI; and they grrn" up \\·:it:,0Ut learning
the
tremendous truth ~hat it is impossible ta judge
the nlind of a man by the color of his face. Baek of this
demand for the segregation of black folk in public insti-
tutions, or the segregaticn of any class, is almost alwal's
a shirking of responsibility on the part of t!le public --
a desire to put off Gn somebody aise tha work of social
uplift, while they themseives enjoy its r25ults\\ .. )
The argument, then for color discrimination in schools
and i~ public institutions 15 an 2rgumcnt against demo-
eracy and an attempt ta shift public responsibility.
(11)
L'assDciation manifesta son intérêt pour l'Afrique en finan-
çant les ccngrès panafricains organisés par Du Bois. L'Afrique apparut
la première fois dans les résolutions de la N.A.A.C.P. le 3 janvier
1916, lorsque Du Bois fit un rarport sur les recherches qu'il aV2it
entreprises en histoire aFricaine. Dans Ca rapport. Du Bois proposait
la publication d'une Encyclopédie' Africaine en 1919, pour célébrer
le tricentenaire du débarquement des prel.iers Noirs ~ Jamestown.

.90.
Deux <.mnees,
plus t8l'Ci,Du 8üi:-:: ~.;u0Qé!'a que la N.A.A.C.rJ • devieriqe
membre constituant de la Soci6t~ des Nations pour représenter
l'Afrique dont Je sort 311alt se jouer à Versailles. Puis, le
9 scpte~bre J918, Du Dois demanda BU bureau exécutif la N.A.A.C.P.
de pe]-mctt~e è l'association d'intervenir auprès de Ja confér~nce
de la poix à Versailles afin de sauvegarder les intér&ts des
Afr icains.
Deux mois plus tard il lut un nlémorandum deV311t la commis-
sion des St8tUtS des colonies africaines de la conférence de la paix.
En décembre 1918, Du Bois alla en France représenter la N.A.A.C.P.
et The Crisi~ à la conférence panafricaine du 19 février au 21
février 1919 au Grand .H6teJ à Paris. La N.A.A.C.P. précisa que
l'un des buts de la conf~rence, était la recherct18 de l'autonomie
partielle et l'internationalisation des cO.lonies allenlandes.
Auparavant, le 6 janvier 1919,
l'association aV8it parrainé
'_Ine réunion organisée par le illouvement p::ulafr icain au Carnegie Hall ~
è New York. Un télégramme fut envoyé au Président Woodrow Wilson.
La N.A.A.C.P. manifesta sa gratitude au président des Etats-Unis
pour ses efforts en faveur du bien être d2S peuples d r /\\frique Noire:
~Joodrow ~li.lsor1
Prosident of tlle Ur1ited States,
Par is, ~-rance

• '"• -C_.
1'I8SS ITIeeting, .J8m.J2ry 6, Carn egie Hall, r~e\\'1 York undl'r
Hu.'3pice8 0::' ~'J2tion21 /;sscciatior: for AdIJancement of
Coloreu ~eople, greets the ~resident oF the United-States
and plsdges him layel support in his efforts.
Ioward establishment of a universal League oF Free Nations
which shall have among its c~ntral duties.
"",.:1
The protection'develop~ent .oF the people of Middle Africa. (12)
A cette même réunion une résolution Fut rédigée è l'intention
du Sénat des Etats-Unis. Elle demandait aux sénat~urs de favoriser la
créaticn de la Société des Nations dont la tâch8 principale serait
de sauvegarder les intérêis des peuples ·d'Afrique Noire:
Resolution edopted at the mass meeting cf
The National Association For the Advance;nent oF
Colored People,
Carnegie Hall. Jenuary 6, 1919.
Resol ved
that this mass meeting 0 F ci tizens 0 F the
City oF New York, held at Carnegie Hall, Monday evening,
January 6, 1919, under the auspices of the National Associa-
tion for the Advance;nent oF Colorcd People, to consider
"AF1'ica and the ,Iorld Democracy" urges upon the Senate
of the United States the neccessity for creation at once of
an international League of Free Natio~s which shall be
(;:1a1'ged, among other things, with the care and protection
of the peop1es oF Middle Africa. (13)
En avril 1919, Du Bois présenta au bureau exécutif un mémoire
sur les colonies africaines. le Il octobre 1920, il annonça une autre
l::onFérence ranafricaine qui devait avoir lieu è Paris en 1921. Le
8 novembre 1920, le bureau exécutif vota son soutien à ce congrès

.?2,
pansfric8i.r,· Et l~ L3 déce::ibre lS~20, il \\.Iota un fonds paildfricair.
de 3000 dGlla~s.
Le 6 août 1921, Du 80is et Walter White s'embarqu~r2nt
pour l'Europe afin d'assister à la conférence. Cinq anné2s plus tard,
le bureau 8xécLItif manifesta ~ nouveau son intérêt pour la cause
africaine en sOutenant les eff-qI'ts du 'Tircle for Peace and Foreign
Relations" pour organiser :...!ne quatrième conférence panafricaine à
New York du 21 au 2u août 1927.
Le congrès panafricain de févri~r 1919 a été largement cou-
vert par The
Crisis. Les résumés des différents discours faits GU
cours des sessions y ont été publi~s de mGme que la texte co~plet
des résolulions du congrès.
Un résumé des quatre congrès panafricains (1919, 1921~
1?23 et 1927) fut publié par The Crisis sous le titre "The Pan-
African Congresses, The Story cf a Growing Hovement',.
(14)
On pouvait y lire notamment les résolu lions adoptées au CDurs du
Congrès de New York dont certains passages significatiFs traitaient
du problèmes des colonies et demandaient aux puissances coloniales
de se montrer plus magnêlnimes et plus charitables. Elles stigo'ati-
saient l'action des missionnaires qui étaient jugée hostile et
sectaire :
At'r ica
The attitude of aIl the imparial powers who own
Africa is fundamentalJy wrong. Thev are seeki~g profit, not
men; the)" v/ant trade and industry more than ci'Jiljzation

.95.
and spirilin] ul'li ft. This attitude is " rn8nace, not silliply
ta Africc:"':-l~;, but ta iilodcrn d~llCJCî;::tic cul ture.. IL rîluot éJnd
will be changed.
Bri lish l~fr.i.cG
Wa congratulate Great Sritain on granting increased
~oljtical power La lile four COIO/lies of Oritj.sh West Africa.
We Llrge an extension of this poliey so that Africans may
cOlltro.J their 01'111 legislative coun'cils. \\}e L1rge the resto-
rat.:icn of tileir laild and the granti.r1g of a vc;icp .Hl the
government of Kenya and Nothern and Southern Rhodesia.
fJe are ahJfmed at the attempt cf white minority in the
UnIon of South Afrlca to monopoliZ'2 the J.ands of the black
Arborigines '
to exclude thern from profitable labor ; to
main tain , 1f1 cffect, tl1eir present disfranchis~8ment and
to reduce them to impotanL serfdoln. We regard the reactionar)'
program of Lhe Herzog government ~s the greatest challenge
ta decent face reintions in our day.
1" a11 British Arcca it is lamentable to note hoVi little
is being dOlle to educate the natives despite the founding
of Achimota College.
French !\\frics
We urge ln French Africa a further development of their
admuable schcme of naLive educabosl ond extension of
politicûl fights for 8 larger "umbe,:: of natives. Ue ask
prot3ction for tile natives agajn~t the exploiLation by
French industry and commerce of the great colnny.

~Ie still 2weit ln the Belgium Congo real evidence
of 3 mQv'~ment or} tl'8 part of Belgium ta restore land
m'1n8rshjo ta the natives; ta give them sorne voiee in
r-heir
OIm g-o v8rnment 2nd ta restrain the effort ta make
the 8elgium Congo rnerely 2 profitable investrnent for
...."..;;<,.
European industry,·almost nù ooncerted effort to uplift
and develop the natives and conserve the natural ressources
for the,,-,. \\'le 2re glad to see an lncrease in the 2ppropria-
tian for education in the Congo, but it 15 still f~ below
the arnount needed.
Portugal
We demand for Portugal and her Afric2n colonies a
curbing of tllat financial and industr ial power which is
forcing her into bankrupcy and making her colonies the
property of slave-driving concessionaires, despite the
far-sighted colonial legislation of Portugal.
~Jissions
l-Je believe in rnissionary effort but in missionary effort ~"..
health, morals and education and not for military agression
and sectarian superstitions (15).
Entre 1918 et 1927, The Crisis
réclama à cor et à cri la
liberté et l'indépendance pour l'Afrique dans des éditoriaux cinglants
qui étaient simplement intitulés "Pan-Afr ica". L' édi toral paru dans
ce journal le 18 janvier 1918 est très significatif. Sous le titre
"The Future of Africa" il demandait, à l'issue de la prernière guerre
mondiale, l'indépendance de l'Afrique Centrale avec une caution et
une garantie internationales :

Thj.s v/sr ouçht te rcslJlt in the establishQerlt of an
independent Negro Central Africarl State composed, 5t le2s~,
of the Belgium Conga and Germarl East Africa, and if possib12~
of Uganda, French Equatorial Africa, German southwcst
Africa, and the Pcrtuguese territories of Angola dGd
r':ozambique. Su_ch astate shoulc be under international
guarantics and control.
Quant à l'éditorial paru dans The Crisis
de février 1922,
il militait pour une Afrique qui reviendrait aux Africains vivant
en Afrique :
The editor distinctly believes that Africa should be
administered for lhe Africans and es 200n as may be by
A~ric3ns. He does not ~ean by this that Arrica should be
administered by West Indians or American Negroes. They
have no more righl ta administer Africa fur the native
Africans lhan nalive Africans have ta admi~ister America.
Dans The Crisis
de février 1919 on trouve à la page 165
un autre éditorial consacré à l'Afrique et nola~ment aux colunies
allemandes. L'éuitorialiste s'insurgeail conlre ceux qUl prétendalent
que les indigèlles de ces colonies n'étaient pas en mesure d'assumer
leur propre avenir. Pour lui, les maux dont on les cha'rgeai t n'étaient
pas toujours justifiés. En outre, certains de leurs vices étaient
selon lui, imputables aux puissances colonisatrices. Ces faiblesses
et les défauts dont on les accusait élaient souvent imaginaires :

.'36.
Reconstructiorl AnJ Africa
The SU~IÇ12sl1on has bE:8n m8de thal l:hese colonies
\\,thich Germon}' 10st should nol b8 hélnd?j over ta an)'
othe~ nation of" Europe but should, under tlle guidance
of OrgenisBd Civllizalion, be broughl la e point of
developrnent \\'/tüch 31-~all finally resul t':an autolTlornous
stc3te.
This plan hEIS met vJith rnuch critj.cism and ridicu18.
Let the natives dBvelop alang their cwn lines and thoy
will 1r go hack", has been the CT}'. Back tn h'hat, in
Heaven 's naille ?
ls civilizotion neturolly beckward becauss it's different ?
Outside of cennibalism, tillich can be matched ln this cOLintry,
at least by linching, there is no vice and no degr3dation
in native African cusloms which can begin ta touch the
hDrI'ors thrust upon them by I,hilc masters. Orunkenness,
terrible diseases, immDrality ; aIl these things have
been ttle gifls of European Civilizalion. There i8 no
need tD dwell Dn German and Belgian alrDcities. The wDrld
kncws them tOD weIl. Ner have France and Belglum becn
blameless. But suppDsing that these masters had been models
Df kindness and rectitude, WhD shall say that any civilizBtiDn
is in itself SD superiDr that it must be super-impDsed lipon
anDther natiDn withDUt the expressed and intclligent cDnsent
Df the peeple mDst concerned.
The eulture indigenDlls tD a cDuntry, its fDlk-custDms,
ils art, aIl this must have free scope Dr there is nD such
thing as freedom fDr the WDr Id.
The truth is white men are merely juggling with wDrds
Dr WDrse-- when they doclare that the withdrawal Df Europeans
frDm Africa will plunge that cDntinent intD chaDs. Uhat

q~
• ;
f •
Europe, and indeed only a 5mall group in Europe, 'tIBnts in
Africa i3 ;lot a field for the spread of Europenrl Civili-
z3tion, bul a field for c~~lo1tation. (lG)
Ttle Crisis ne s'est pas contenté de diffllser les résolutions
des
conférences p8flafricaines. Ce journal siest égôlclTI~mt astreint
à présenter l'Afrique à Ses nombreux lecteurs à trovers son histoire,
sa géographie, sa relj.gion, son art, sa litlérature, el ses moeurs.
Il le fit grâce 2 S8S fameux éditoriaux mais aussi grâce à des photo-
graphies de personr,alités africaines, des articles de journaux ,Jes
publicalions de spécialisles africains
"celui qui lit The Crisi~.\\!
a écrit Je fc-ançais Franck L; Sche,cll, " se rendrilcomple de l'attention
considérable ~ue le jouLnal accorde à IIAfrique. Si bien que l'on
peut arrirn12r que le Ntiir instruit des Et3ts-U~is connaît davantage
sur la géogr8phie~ l'histoire et l'art de llAfrique que son homologue
blanc". (l7).
De 1911 h 1945 The Crisl~
publia sans aucun doute plus
d'articles sur l'Afrique et les Africains que l'ensemble des 8utres
journaux. Sur le couverture du journal le lecteur trouvait presque
toujours la photographie d'un I\\fr icain célèbre ou d'une femme africaine.
La cDuverture du numéro de mars 1911 montrait le portrait
de l'un des rois égyptiens du Haul Nil, Rat-Maat-Neb, balisseur de
la Pyramide N° 17. Celle du numéro de mai 1925 montrait "une jeune
fille maure". Darls l'édition cJ'avril 1912, les lecteurs cJécouvrirenl
une photographie d'un groupe d'Europ0ens et d'Africains au cours

.98.
d'une soirée officielle en 5ierr8 Leone. Celle de novembre 1917
présentait une csquj.sse de l' Irnpér2t./!'ice Tnitcu, veuve de f'lenelik II,
[rnpereur d' Abyss inie, par John f lercry Adams. Le n~r.lôro de mars 1917
p:.éscnt8it Llne photcgr8phie des trOlJf1RS afTicaines iJ Douaumont.
Celui de février 1920 montrait des ph~tographies des el18fs du B8SU-
toland rendant visite 8U roi d'Angleterre. Celui d'avril 1921
contenait la photographie des délégués du "1/aLioflal Cungres: of
Br itish best Af·r iea" à Londres.
Si toutes ces photographies ont servi à populariser l'im8ge
d'une Afrique ~iyrl~, belle, militante et courageuse, r:'est néanmoins
la rubrique du magazine intitulée "The Horizon" qui a conné le plus
d'informations sur l'Afrique. Ces inform3tiùns conc82noicnt lu vie
économique ~ poli tique et sociale dans les colonies a ft:' icaines CŒmfie
le montrent les échantiJ lons SlJl'Jants
White workmen struck in Johannesburg, So~th Africa,
and Ncre granted thcir demands. When 152 natives struek,
they were arrested and sentenced to t'llO months'
labor,
undér lJuard. ThlS dlscriminatiûn arouserl flllblic opinion,
hO'.'lever, and the sCfltence \\·I8S suspended. General Botha
issued 3 manifesta on tf18 subject and appointed 8. cornmj ssion.
which reports that there can be no real content in the coun-
try as long as the neUves are denied citizells ' rights.
(.18)
Henry Carr, who for many years h.s been Inspector
of 5chools in the Gnld Coast ProtectoraLe, West Africa,
has been appointed Provincial Commissioncr of that colony.

· ??
Jacob SiJvanus BrL!Ce-Vanderpuye, Barrister-ot-l_aw, hus
ueen frléldc Gy'as.î,e r'·le5_atsc to one of the r12tiv8 chiefs .ln
Accra, West Africa, a posiLion of great i~portance.
In Johannesburgh, the mine '>'JOrkers 1 Union has expressed
itself agcünst the J'emc)'Jal of the color b,ll', saying that
the Uni,on will object to the Government running mines with
colored J.8bor, inclllding colored me"
with netives. They were
fighting for a Hhite South Africa
(19)
Thirty four native and colored women who rebelled
against the pass 13"s Clf Bloemfontein, South Afeiea, ~,eve
been sentenced to two monttls' Ilard labor, but still remain
firm in their deter"ination not to be treatcd as chattels.
A great outcry cornes from the natives of South-Africa
against tllC land act whieh hes Just been passed. The aet
forbids natives to acquire land or an interest in land
outside of ttle areas set as ide as tt18 nalive reserves.
The purpose of the 181N i5 ta 5egregate natives from EUi:'Ope2ns.
Cnnferences on "The Future of the ,~frican Colonies"
and "Ir,te,rnational Control" have been held in London by
the anti-slavery and Aborigines·
Protection Society.
Among
the speakers have been Sir Henry Johnston, Sir
T.V.F. 8uxton and Lord Sheffield (20).
The Crisis
publiait également des extraits d'articles sur
l'Afrique dans une rubrique intitulée "The Looking Glass".
Le texte suivant écrit par Sir Harry Johnston et paru
dans .?Ehere fut publié à ClouvedU par The Cr isis ÈJ C8use de la
pertinence de l'analyse:

.100.
The Future 0[-· f\\f"l'ica
Sir Harry fi. Johns ton, C.C.H.G., K.C.B.
....'rites in
the LOfldofl, Em]land, Spher8
fiightly gClvemerJ, 1 ve,lture to prec!i'3t th8t Afric8 '"iU,
if 'le are victori.ous, repal' us and our I\\llies the cast of
our struggle with Germanl' and Austria. The war, denl' it
~10 mal', was really Fought over AFrican questions. Thc
Cerrnans yd.shed: as the chief gain of victory,
to \\',rrest
rich Morocco from French control, ta take ths French COf1g0
from France, and the Portuguese Congo frorn Portugal, to
secure fronl Gelgium the richest Rnd most extensive tr3ct
of alluvial go]dfield as l'et discovered. This is an Burife-
reus region which, properll' developed, will, when tlle
',;ar i8 over, repal' the hBrdest-hi t of our Al] i es a11
that she has lost rro~lI the German dCv8station of her
home lands. The mineraI ~'/eali..h of Trans-Z8mbezian Africs_
freeo forever .. 'ite ,,·,i1 l hope ~ From the Germa.n menace -_ is
gigantic ; only slighLly exploited so far. Wealth i8
hidden amid t~le seerningly unprofitable deserts of t~8
Sahara: ~ubia, Somaliland, and Namakwa. Africa, l predict,
"i11 eventua11y sho" itself to be the most richly endmied
of a11 the continents in valuable vegetable and mineraI
substances.
But in the politic81 map or the future thcre ,oust be "0
region allotted ta the German flag
after what Germanl'
has done and has thrcatened to do. A repentant Germanl'
that has made corllpensation to France, Belgiuln, Serbia,
and Po] and may parti.cipat9 ln the wealthl' commerce ttlat
African products 'Iil1 stimulate, and Germans mal' settle
there [lS colonists- colonists as valuabL~ 85 those \\-,Ihic!î

.1.01. •
began ta peopJ.e the ~!asta sp3ces oF South Africa a hundred
yenrs 290. BLrt it rnust [Je uilder llle FJag of one or oiher
of the natior,s no" ''''rnpos.ing the Entente; niltions \\'Iho
are pled~ed, lf victoricus, henccforth to keep the peace
over a11 the GJd ~JDr.ld and oopress no people, large or
s",811 ... (21)
A son zénith, The Crisis
avait environ cent mille lecteurs.
Cela signifie qu'un dixième des familles noires le l'ec~vait réguliè-
rament. L'il1fluence de Du 80is fut donc considérable. Le professeur
Hor"ce Mann Bond, historien et éducateur bien connu pour avoir
dirigé pendant de nombreusES années 'tLincoln Universit yll déclara
avoir été un "lecteur avide" du journal. Du Bois a, selon lui,
influencé la Jeunesse du début du vingtième siècle. El].e attendait
son journal avec iClpatience et y trou'Jai t des raisons de lutter
et d'espérer mais aussi des nlotifs de satisfaction. Erl oLltre~
c'est grâce à ce ~8gazine qu'elle eut une image édifiante de
l' Afr ique, image différente de celle qui transpirait rJes manuels
scolaires, des Journaux B grand tirage destinés aux Blancs et des
films. Pour la première fois. les Africains étaient enfin présentés
comlne des' êtres intelligents et clignes d'intérêt. Le témoignage de·
cet illustre formateur mérite d'être cité:
l l'las an avid rearJer of
1118 Cr isis , from my ear liest
literot8 days. We lived in rural kentucky places ancl
my isoJ.iltion From the "orlrJ was greater because 1 read
omnivorOL:sly. Through
The Cr isis
Du Bois helped shélpe
my inner "or Ici to a degrec impossible to imagine in the
world of contemporary childrcn, and the flood of VélflOUS

;'..
.' tJ.::'.
f.12SS
media T~D l/:il~.ch they ore exposed< l remember the
pleasant faces of brown and black cl~~ldrc~ ?ictured in
the magazine ; l rE~ember the photogr3phS
of decently
garbeb men and women of colouL, neveL seen elsewhere
in the ~ublications that came ta our home ; and l remem-
ber also the horrifying cartoons depicting "lynch law"
that frequ8ntly appeared in the magazine. ( .•. )
And Africa ! For an American child growing up between
1910 and 1920, there was scarcely an antidote anywhere
for the poisonous picture of Africa, and of Africans,
painted in the school ge~graphies, ths newspapers and
magazines, and by the movies.
TI,e Crisis
magazine
gave me the one antidote available. From the earliest
days of
the Crisis
Africans were revsaled as intelligent
human beings. l have long counted it as one of my great
blessings that l read Du Bois on Africa when l was very
young. (22)
La
N.A.A.C.P.
et surtout the Crisis permirent
donc à
Du Bois de proposer à une jeunesse noire américaine
désemparée, une voie nouvelle vers la dignité. Il donna
une autre dimension au combat pour la libération des ~Ioirs
que menait Booker T. Washington. Au lieu de se limlter au
plan économique, cette libération, affirma-t-il, devrait
être également culturelle et politique. Et pour que l'éman-
2ipation culturelle soit effe~tive, il était, selon lUi,
urgent et nécessaire que les Noirs améëicains reçoivent
une formation de qualité et assument entièrement leur
héritage Africain . Afin de les amener à accepter ce patri-
moine, Du Bois décida de se consacrer à la revalorisation
de l'histoire et de la culture africaineS.

.103.
IIèrre PAfnl[
W.E.8. Dll 80is et lrhérit2~8
cuJ.tureJ des Noirs
CHAP ITRE
1V
L'image littéraire Je l'Afrique
Si Du Bois sIest fait corlnaitre sur le plan littéraire
par la publication de The Souls of Black folk en 1903, c'est la
parution de John Brown en 1909 qui a confirmé ses talpnts d'écrivain.
John Brow!l ou 11 imaqe my~uc de l '~f~ique
C'est en 1909, année de la fondation du N.A.A.C.P. que
Du Bois publie John BrOl"ln, une biographie du héros qui est monté
au gibet en 1859 pour avoir défendu l'Afrique et dont l' cmbre
plsne sur cette association de Blancs et de Noirs. Ecrite dans
un anglais simple malS poétique, cette oeuvre retrace avec force
détails la vie de John Brown. Mais Du Bois ne se contente pas de
décrire les f8its. Il s'attarde non seulement sur les réactions
de John Brown face à la société esclavagiste américaine, mais éga-
lement sur son mysticisme. Né à TorringtOl; dans le Connecticut en
1800, John Brown partit avec ses parents dans l'Ohio oG il grandit.

·104.
Il fréqLlenta très peu 116cole InHis connaissait parraite~lent 16
Bible gr§ce b lIns 6elLlcation Icligi8Llse solide. Il exerça plusieul's
métier~l et gagna beaucoup d'ar0ent. Pourtant, sa situation finan-
cière rest~ toujours prdcvir9. ALlosi, attribua-t-il ses déboires
darlS les affaires ~ la malédiction Je Dieu. Désireux de se racheter,
il décida de se consacrer è une oeuvre à le Fois utile et noble et
choisit de combattre l'esclavage par tous les moyens. Pour lui, les
propriétairus d'esclGves étaient si indignes qu'ils méritaient la
morl:. Avec l'aide de ses sept enfarlts et d'une poignée de Noirs~
i l fit des raids sanglants çà et là pour libérer quelques esclaves.
fiais le dix huit oclobre 1859, le colonel Robert Lee et une centaine
de marines le capturèrent à Harper Ferry. Il fut condamné il mort et
exécuté quelques semaines plus tard. John Brown, dit Du Bois, est
en quelque sorte le fils spirituel de l'Afrique, comnle le sont tous
les abolitionnistes noirs ou blancs. Dans le premler chapitre du
livre intitulé "Africa and America", l',~frique mystél'ieuse apparalt
comme l'inspiratrice de la sagesse et de la bonté fraternelle. [J.le
s'est même sacrifiée, affirme Du Bois, pour permettre à l'Amérique
de bâtir sa fortune grâce t la sueur des Noirs. L'Amérique a donc,
selon lui, une dette envers l'Afrique. Sans elle, Napoléon le
"conquérant" aurai.l agrandi son empire en Amérique; c'est en efFet
Toussaint J'Ouverture, ce "Noir pur sang" qui a vaincu les vingt
cinq mille soldats de Napoléon et l'a obligé il vendre la Louisiannc
pour presque rien. Lorsque l'AFrique sort de sa ljthargie légendaire.
.
,

.105.
dj t Du B~is, elle rétabli t 1.8 j: Isticc et modi fie le visé!ge dlJ
monde. Il a su Ffi que la do rman te. llfr ique se ré'Jei.l1e en la
personne de Tous~aint l'Ouverture pour que l'Amérique soit
débarrassée de la convoitise de Napoléon, alors au faite de sa
gloire.
The black inert and heavy cloud of African degradation
\\·:rithered to sudden life and lifted up the dark figure
of Tuussaint (1).
Six ans après la parution de John Brown, Du Bois se mani-
feste ~ nouveau par la publication d'UII ouvrage non moins important
pour la connaissance de l'Afrique.
The Negro ou l'image historiqLle de l'Afrioue.
En 1915 il publie The Negro. Ce livre qu'il critiquera
lui-mÊme en 19115 pour ses insuffisances, réflète le souci constant
qu'a Du Bois de défendre l'Afrique et ses fils de la diaspora.
C'est ~ la suite d'une intervention faite par le sérlateur Vardaman,
le 6 février 1914 que Du Bois, blessé par tant de mépris pour
l'Africain, entreprend d'écrire cet ouvrage pCGr confondre les
détracteurs de l'Afrique. Pour Vardaman, le Noir n'a jamais pro-
gressé. Il vit aujourd'hui en Afrique comme du temps des Pharaons.

· W6.
Il nIa j3f1i8is 9U de civjlisation propre. Ses progrès cmt été
r~alis6s sous la férule d'une rnce supérieure:
But the door of Ilope might have remained clospd so far as
th" pl'Dgress 'Ihich the Negro ,18S to make for himself \\'laS
concerned. He had never written B language. His achieve-
m"nts in architecture are limited to the thatched-roof
hut or a hole in the ground. No monuments hsve been
builded by him to body forth and perpetuate in the me-
mory of posterity the virtues of his aneestors. For
eountless ages he had looked upon the rolling sea and
never dreamed of a sail. In truth, he tlas ne ver prog~essed,
save and except wherr under the control cf 8 superior race
( ... ) He is living in Africa to-day, in the land where
he sprang, indigenouB, in substantially the same conditiun,
occupying the same rude hut, governed by the same club,
'lOt'shiping the same fetish that he did '"hen the pharaohs
ruled in Egypt. He has ne ver had &ny civilization except
that l'hich has been inculcatcd by a superior race. And it
lS lafi:entable that his civilizGtion lasts only so long as
he is in the hands oF the white man who inculcates it.
Uhen left to himself he has universally go ne back to the
barbarism of the jungle. (2)
Cette opinion du s~nateur James Vardaman est partagée b
cette époque par la majorité des Blancs aussi bien aux U.S.A. qu'en
Europe. Hegel disait déjb en 1830 que l'Afr.ique n'avait rien apporté
~ la civilisation.

Les ~Joir3 qt.;i clans les livres ril! histoire rencontrent.
ces affirmations ne PCU\\/8~lt p8S sl emp êd'i'.:3r de renier cette Afrique
synonyme de ciégénérescence, de jungle ül,j~ectée, de pr imi Uv isme
barbare et occL,lte.
Du bois ne peut accepter une p''',reille attitude
des
douze chapitres que compte The Neqro, n'",'i'Jf son consacrés à l'Afrique.
Le chapitre le plus import.::lnt est cell!J.i rqui traite de la cuJ.ture
afr icaine. Après avoir évoqué les gracnies civilisations du Nil,
de lp boucle du Niger, de l'Ethiopie, de l'Egypte et du Zimbabwe,
Du Bois montre, en s'appuyant sur les
des explorateurs,
qu'il existait un fond de civilisation aUGnt l'arrivée des premiers
colons. Du Bois n'a pas l'intention de faire preuve d'originalité.
Comme il le dit lui-même cJsns sa préface
The time has not yet come for a complete history of the
,Negro peoples. Archaeologica] ~·esearch in ,~frica has Just
begun, and many sources of infQTmation in Arabian, Por-
Lugue/se, and other tangues arE' ,not fully Olt our command ;
and, tco, it must frankly be coofessed, racial prejudice
against darker peoples is still too strong in so-called
civilized ·centers for judichl 2ppraisement of the peoples
of Africa. r'1uch intensive mon:oq.lraphic work in history
and science is needed ta cle.ar ""lDoted points and quiet
the controversialist who mistakes present personal desire
for scientific proof.

knO\\'ln f8CtS 2nC the il.' j.nterpretation j-lss~all t:;rlé:bl~ the
general ..'eéder to knc>1 ,-'S men a sixth o!' mO:2e oF the
human race. ~12nis Festly 80 shor't ct star)' must be IT:éünly
conclusions aile gerle.ralizations \\',ith OL:t. lil.8élge r_' indication
of authorities a~d und2rlyi~g arguments. Possibly, if th~
public will, a later and larger book ~\\ay be more satisfac-
lory on lhese poinLs. (4)
Sa passion
pour la vériLé hisLorique l'oblige à se
documente: sérieusemenL. Et il trouve les 2ccenLs les plus chaleureux
pour défe~dre l'Afrique même lorsque l'objeL de son admiEstion
paraîL plut6t Lerne à nos yeux.
LI AFl' ique,
ccmolence-t-i l p3f affi!"mef, est le berceau de
la civilisaLion pRrce que
la civilisaLion égyptienne est d'origine
négroïde. Il fauL rappeler ici q~e l'Afrique de Du Bois, c'ese
essenLlellemenL celle des Noirs. Il réf~Le ensuite, en se fondant
sur les textes des spécialistes, les théories de l'inforiorité
bas'a sur la couleur de l~ peau. et la forme de la boîte crènienne.
Puis il en arrive à l'habilEté des Noirs à créer. Il ciLe pour étayer
sa thèse Lenz/Bouel Williaumez;Hccquard,Borman qui ont appréclé
-l'artisanaL de celte Afrique qualiFiée d'obcurantiste.~I§me les
P~'LJmées qui ne savaient pas travailler le Fer n'étaient pas totalement
dépourvus de technicité, puisqu'ils savôient tisser les Filets
nécessaires à la chasse du gibier dont ils vivaient. Les Ashantis
de la Gold Coast, les KaFFirs et les Zoulous se sont montrés eFfi-

C2ces dc!ns J.'art de créer, de mêmE..' que les OUél.'nbo et les 1'1akoJc de
l'Afrique Centrale. Selon de nombreux t~moignages, il apparaît que
les Noirs savaient travailler le fer et de vieux hauts fourneaux
d~couverts erl Afrique du Sud attestent que l'Afrique n'était pas
aussi arriérée qu'on veut le faire croire. Du Bois fait également
l'éloge de l'organisation f~"iliale des africains en citant C3sel~
Hayford dont le livre Gold Coast I~ati\\'e Institution (5~
vient de
paraître. Il ne cache pas son admiration pour les mères de la Gold
Coas~ qui sont, selon lui, de parfaites sources de bonté ~ cause
de l'éducation qu'elles ont reçue:
\\'Ihat a power for good in the n2tive state system ,"ould
mothers of the Gold Coast and Ashanti become by judicious
training upon native lines , (6)
En ce qui concerne la religion, Du 80is approuve les
relations entre la vie d'une part et l'organisation étatique d'autre
part. Il fait ressortir ~ travers de nombreuses citations que les
objets adorés ne sont que les attributs d'un Dieu suprême ressenti
comme tout puissant, par ceux qu'on appelle Fétichistes. L'animisme,
affirme-t-il, par réaction, est ~ la base de toutes les religions
d" monde :
The primitive religion of Africa, as developed by Afric3n
village, underlies the religions of the world. Egyptian
religion 'las in its bcginning and la ter development purely

.1.1u.
~J8gro ln cl1ür8ct2è', 8nd ffecJlatto EgypUan priests on the
stone of [gypt continLi811y reccive.! tl1eir symbols of
authority From Lhe black ~riests of ELlliopia. (7)
Dalls cette 2pologie que consti tue Th~~9E2, Du Bois
n'oublie pas les habitants du continent africain. Du point de ~ue
de leur caractère, affirme-t-il, les Noirs sont parmi les êtres les
plus sympathiques. La dignité de leurs gestes lorsqu'ils saluent
est le témoignage de leur grande civilité. Est-ce ~ dire que les
NoirG n'ont pas de faiblesse? Non; répond Du Bois. Mais il est
inadmj,ssible que ces insuff~sances soient exploitées à l' élvantage
de la race blanche qui serait alors considérée comme supérieure.
Il estime en 'effet que l'Afrique, par l'intermédiaire de
ses fils, a contriblJé à l'avènement de la civilisation moderne grâce
~ son art, sa religion et son sens politique. Après avoir cité une
multitude d'artistes et d'inventeurs nairs ou d'origine africaine,
il conclut cet important chapitre en affirmant que les raisons de
le discrimination raciale ne sont pas fondées sur des éléments physi-
ques ou culturels. C'est l'esclavage et la tLaite des Noirs qui
peuvent expliquer ces préjugés :
We must, thon, look for the origin of modern colour
prejudice not to physical or cultural causes but to
hi2toric facts-And ;;e shaii f,ind the anSI'ler in modern
Negro slavery and the slave trade. (8)

· ] 11 .
C!es~ donc la p~riod8 d 1 interlse activité esclavagiste,
consécutj.ve ~ J.3 découverte de l'Anlérique par Chrislophe Colomb
en 149Z-quj explique l'a~ilisscnlent du Noir, ct partant, d 1 un
continent q~i avait be"uco~p apporté au monde.
Cette nouvelle ferme de commerce dont Du Bois relate
les origines et les différentes phsses 2 contribué à changer le
visage de l'Afrique. Alors que pendant des siècles l'Europe et
l'Afrique avaient commercé sur JJ base d'un respect mutuel de
leurs originalités, soudôin l'Afrique est devenue le siège de
luttes intestine3
elle n'était plus le pays de l'cr et de
l'ivoire, ffi~is le continent des esclaves. L'Afrique se tourne
vers lE Sud pour aller 5 la rencontre des ~égriers au lieu de
continuer à participer aux échanges qui cnt lieu autour de la
Héditerranée. Tandis qu' ;l,skias l'lohammed est battu à la bataille
de Tenkadibou, les roya~mes du Bénin et de l'Ashanti nsissent
dans la violence :
Thus state building in west Africa began to r8place the
state econcmy, but it was state built or, >Jar and on \\Var
supported and encouraoed large1y for the sake of trade
in human flesh. The native industries were changed and
disorganized. Faalily ties and government \\Vere weakened.
Far into the heart of Africa this devilish desintegration,
c6upled \\Vith christian rum and Mohammedan raiding, pene-
trated. The face of Africa \\Vas turned south on thase slave
traders instead of northward to~ard the meditcrrancan, where
for two thous2nd ycars and more Europe and Afric3 had met in

.112.
leginate tradc and mutual respect. The full signif.icance
of the battle of Tenkadibou, whi.ch overthrew the Askias,
wes now clear. Hereafter Africa fo~ centuries wes ta
appear before the world , not as the land of gold and
ivory, of ~]ansa r·]usa and r·leroe. but as a bound captive
slave, dumb and degraded. (9)
Dans cette aventure, l'Afrique, "l'Ethiopie" pour employer
le terme qui symbolise chez Du Bois l'Afrique Ancienne, perd ses fils
les plus vaillants. Du Bois dont la thèse a ~orté précisément sur
l'esclevage sait de quoi il perlE lorsqu'il dit que la traversée a
été rude et que par conséquent, seuls les esclaves les plus solides
sont embarqués. L'organisation sooiale est pert,rbée sur ce continent
où les peuples se dressent les uns contre les eutres, où les tribus
se font la guerre sans désemparer ; "l' Ethiopie"
a mis les gencux à.
terre; elle est humiliée et elle souffre cel' son expfoitation au
profit des Européens et des Amérioains continue sous la forme de la
colonisation :
Su ch is the story of the Rape of .Ethiopia --a sordid, Pl-
tiful, cruel tale. Raphael painted, Luther preached, Cor-
neille wrote, and Milton sung; and through it aIl, for
four hundred years, the dark captives wound to the sea
amid the bleaching bones of the de3D ; for four hundred
yems the sharks followed the scunying ships ; for four
hundred years America ~as strewn with the living and dying
millions of a transplanted race ; for four hundred years
Ethiopia stretched Forth her h2nds unto God. (10)

.113.
C'est une histoire polgrante et douloureuse que celle dc
I I P.fl'iqlJe j mais Du Bois sé.1.iL é.lussi que l'Afrique est un continent
myst6rieux aux ressources j.nsol.lpçohnées~brj tout part et où tout
aboutit '!, selon l'expressio,i d'un proconsul romain: "Semper novi
quid ex Africa". L'Arrique est dotée d'une puissance spirituelle
indéniahle sans laquelle il nc peut y avoir d'espoir possible· pour
l' humar1i té. t:lle ne peut donc rester prostrée à jamais et sa géné-
rosité légendaire peut permettre un réajustement en douceur. A
l'image de l'Afrique rnystéri8L1s8, patiente et généreuse correspond
cell·, de la race noire qui est à la fois la plus forte et la plus
douce ries r2ces :
The futurc world will, in aIl reasonahle probability, be
\\·,hat 80101'ed men rr.ake it. In arder for thls colored '..:orld
ta come in La its I1cr i tage, rnust the earth again b8 drenched
in the blood of fighting, snarling humen beasts, or will
Reason and Good l.Jill prevail ? That such may oe true, the
characLer of the :~egro race i5 the best arld greBtest hope,
for in its normal condition it i5 at once the strongest
and gentlest of the races of men. (Il)
Ici, nous touchons à une des idées maîtresses de Du Bois
que nOus développerons lorsque nous aborderons son action en faveur
de l'Afrique.
L'Afrique n'est pas seulement le reflet tranquille d'une
grande force spirituelle et une garantie morale pour l'avenir;

.111'1.
C'Est aussi ~n riche 20ntinent aux multiples ressources. Parce
qu'elle est riche, l'AFrique se trouve étre l'objet de convoitises.
Continent des contr2st~s, _l'AFrique est le siè;e des Pyramides
mais aussi le psys des mangeurs de sauterelles ; le pays des nains
mals aussi le reFuge des dieux. L'Afrique c'est aUSSl le pourvoyeur
d'esclaves, d'ivoire, d'or, et de diamants. C'est à la fois le plus
romantique et le plus tragique de tous les continents. Mais bien
qu'elle ait connu des fortunes diverses, elle reste indomptable
selon Kelly Miller que Du Bois a sité en exergue :
"Behold !"
The Sphinx is Arrica. The bond
Of silence is upon her. Dld
And '-Ihi te Wl th to;nbs, and rent and shorn
\\-Jith raiment Y/et "Uh tears and t0rn,
And trampled on, yet aIl untameo. (12)
C'est cette Afrique énigmatique que les historiens s'en-
têtent à traiter avec mépris; Amoureux de la vérité historique,
Du Bois lui, tente d'en donner avec plus ou moins de bon~eur, une
image édifiante. Il veut que les Noirs soient, comme lui, fiers de
la terre de leurs ancêtres. Il aime l'Afrique. Il l'aime pour son
génie i~mortel qui malgré le tissu de mensonges tissé autour d'elle,
n'u cessé de transpirer sur tOUè les autres continents afin de
susciter l'espoir.

.115.
Dal'k\\"/ater DU le message de l~~poi~.
Publié eel 1920, Qark'â8ter comprend dix ess8is ecrits er,
prose et en vers selon l' inspiration de l'élUteul'. Le ton de ces textes
mérite Llne attention particulière car il semble que Du 80is qui 8
déjè fêté sun cinquarltième an:liversaire deux ans auparavarlt et qui
vient dG "regarder la mort da;ls les yeux" à l'occasion d'une grave
maladie, entend adresser un nOUvealJ r:lessage à la jeurlesse panafricaine.
"The Shadows of years" atteste de sa volonté manifeste d'ineiter les
Noirs à travailler SBI1S reljctle ~our la C2use de l'égalité et de la
justice comme il l'a fait, lui-m6nle, au mépris de sorl propre confort.
Contrairement à son h2bitude, il utilise un langage très dur à l'en-
contre des oppresseurs des Noirs.
"A Litany at Atlanta" est encore plus violent. .Alternant
vindictes et suppliques à Dieu, il accuse l'église chrétienne de par-
tialité. Il place, de fait, le Christ devant ses responsabilités et
met en doute sa mensuétude.
"The Souls of Y/hite Folk" analyse toujours avec la même
acrimonie, l'origine des instincts doulinateurs des Blancs pour con-
clure, qu'en réalité, la civilisatien technique,dont ils tirent leur
fierté n'est pas le résultat d'une génération spontanée. Les Noirs et
les Asiatiques ont pavé, dit-il, le chemin qui a conduit les Blancs
là où ils sont aujourd' hui. Aussi
invite-t-il, dans "The Riddle of

·115.
the Sphinx",les r.Joirs à C:80ser de courber l'échine devant les Blsncs
q~i, en matière de civilisatiorl, Forment, selon lLi, une race de
parvenus, indignes du respect qu' jls exigent dL:; autres. Ce poème
qui stigmatise 2~cor~ une Fols et en des ~er.mes d'une rare violence,
l'inhumanité du Christ blanc ct l'hypocrisie de l'église mérite
dfêtre cité presque dans S8 totalité car il annonce
une nouvelle
Forme de protestation :
The White World's vormin and filth
Ali the dirt 0 F Londo!!,
AlI the scum oF New York
Valiant spoilers of women
And conquerors of unarmed m8G ;
Shameless breeders of bas Lards
Drunk with the greed oF gold,
Baiting their blood-stoined hooks
With cant For the souls of the simple,
.... .
.
Bearing the White Man's Burden
Of Liquor and Lust and Lies'
Unthankful ',le \\/ince ln the East,
Unthankful vie vmil frorn the westward,
UnthankFully thankFul vie sing,
ln the un-won wastes of the wild
1 hate thern, Oh !
1 hate thern \\-1811,
1 hate thern , Chr is t
As 1 hate Hell ,
I f 1 were Cod
l' d sound their knell
This day !
(13)

11The HancJs uf Ethiopia!1
quant à lui,
t1'8ite plus spécifi-
querllenl de la situ8t.iorl politique et économique :je J t f\\friquc et
reprerld en fait les jrl~es Sllr l'anté~iorité de la civilisation
nègre déjh exprimées dans The Negro. Mais Du 60is y affirme avec
plus de conviction, sa foi dans le socialisme, comme la seule
idéologie susceptible de sortir l'Afrique de sa situation de con-
tinent prostré dans lB misère. Il évoque pour la première fois
l'unité d'une Afrique socialiste d'où serait exclus le Marac,
l'Algérie et la Tunisie qui, selon l~i, doivent être rattachés ~
l'Eur~pe dont ils sont le prolongement racial.
S'il maintient l'Egypte dans l'orbite de l'Afrique,· c'est,
semble-t-il, pour des raisons d'ordre historique et sentimental
car sa géopolitique raciale ne peut souffrir, que la race noire
ferme une union avec la blanche, même si celle-ci est installée
sur le sol africain.
En somme, il ne veut VOlr l'Afrique, pour ainsi dire, qu1en
"noir". Peur terminer ce chapitre, il s'insurge encore une fOlS con-
tre le dieu de l'occident et exprime l'espoir de voir naître un
dieu plus clément, un dieu noir dans le giron d'une Afrique digne
et fière. Ainsi, mêlant la prose et la poésie, Du Bois fait de
Darkwater un cri de révolte, niais aussi un chant sorti du tréfond
même do l'âme nègre, un hymne ~ la gloire de l'Afriquo et de la

gts;lC'jUr spiritu211e .j'Uil lilonde 33(:S injust.i.ce. C'est tell~ment
\\..Irai c;ue le df.:::LnLer poème de r;et OU1J.Z'r~ge est ini.:':tulé "~\\ liymn ta
the Peoples 'l • Sur ~n tor) plus mesuré et pl.us conciliant, Du 8~is
célèbre dans une envo16g !yriqll8 d 1 une beauté remarquable, l'unlon
de tous les peuples unis e~ri:1 et marcha;lt vers IJne nlême destinée
il justifie ainsi l'espoir qu'il p12ce en l'hum2nit~ en dépit de
l'injustice dont est victirrle la race ncire. Les auteu!'s du r'!ouvement
de la Renaissance Nègre retiendront les deux principau"
thèmesde
Darkwater
l'appel à la révolte ce Du Bois et sa fierté d'êt~e
apparenté a l'Afrique ; 2~pei et expression de fierté dOllt l~s
accents ne sont pas éJrJignés de ceux de David Walker et q~i servent
de trait d'union entre ce dernier et Claude
~Ck2Y, l'un des repré-
sentants les plus virulents des révolt~s de la nouvelle génér2tion
et du ~louvement de la Renaissance Nègre.

Le :'ÏCJuverne'jt. dt, la t~eÏl3_i[:;;~2;ÎCf: Nf:·.:..;rs
-----_.~--_ .. _" - - - - - - - - - - - - - - - - - - ' - " -
Nous venons de voir comment Gu Dois Q contribué R Il avènefnent.
du r'louvernent de IB Henaiss:::nce Nègre. r-~ais ce mouvement littéraire
qui est né è Harleln, est aussi le r~sultat spi~ituel et artistique
des efforts fournis par des intellectuels et 6ctivistes noirs depuis
la fin du XIXè siècle. On oeut citer ]2 création du Black Star et
du Necra World par Marcus Garvey. L6 fondatisn,· par l'historien
~
Carter G. Woodson,de l'A.S.N.L.H. (Association for the Study of
Negro Lire
and Histor;P'). Tout55 ces activités, qü'elles soient
radicales, généreuses ou ~êi1le utopiques ont eu une influence directe
sur le prOC85SUS de réhabilitation des Noirs et les ont amené à
accepter leur hé~itage africain. La Renaissance Nègre, COmme It a
écrit Jean l'Jagner,
ITprocède touta entière d1une vision nouvelle
du pas3é commun de la race. Son histcire avait été déformée par
l'idéologie esclavagiste; le Negre S'applique à lui redonner son
vrai visage après en avoir été longtemps honteux ; il Y trouve un
motif légitime d'orgueil" (l). Du 80is a en effet écrit en 1926 :
We black folk may help for we have within us
as a
race ~ew stirrings; stiêrings of the biginning oF
a new appreciation oF joy, of a new desire ta create,
of a new will to be ; as though in this morning oF
group li Fe vie had 61·lakened From some sleep that at
once dimly mourns the past and dr82ms a splendid

future ; and there hss corne t~e conviction that the
YDuth Ulat is here .tDday, the NegrD YDuth, is 0 dif-
ferent kincl of YOLllh, because Ifl sanie flCW way it
bears this mighty p!:'ophecy on its breast, with a
nel'I realiz8.tion 'of itself, ~'tit:l new determination
fDr a11 mankind. ( ... )
This is brDught tD us peculiarly when as artists
\\I/e face our m'Jn pDst as a people ..
Thel'c hss cor:le
tD us ( ... ) a realizatiDn Df that past, Df Vlhich for
IDng years \\-18 have been ashamed,. for Vlhich 'le have
apDIDgized. l-/e thDught nothing cDuid CD me Dut Df
that post
\\·:hich >le >larced tD l'emember ; Vlhicll Vie
wanteG tD hand dDwn ta Dur children. Suddenly, this
same past is taking Dn FDrm, calor and reality, and
ln half shamefaced Vlay Vie are beginning tD bc prDud
Df il. (2)
Cette fierté va susciter des sentiments d'une grande
diversité: sentiments de révolte cDntre les injustices dont
était victime la race noire; sentiments de fierté visant à la
réaffirm2tion de la personnalité et de l'identité culturelle des
Noirs ; et finalement, sentiments de nostalgie pour la lDintaine
Afrique. Cette nostalgie pDur l'Afrique se traduit par un engDue-
ment extraDrdinaire pDur l'histDire et les cultures africaines.
L'Afrique est cDnsidérée CDmme un cDntinent mythique, une sDrte
de paradis p~rdu, et il est admis que la réhabilitatiDn de la
race nDire passe nécessairement par la résurrectiDn de l'Afrique.

ex~ri~e ces nouvelles djs~o~itj.onti spir~tlJ811e~ et artiEitiques.
Pour les écriv2ills et ûrtistes d2 la Renaissailce Nègre,
l'Afrique offre donc la possibj.lité J'~ne liberté authentique,
d'une réellé dignité.humainE ; deux concepts dont ils rêvent dans
une P,~érique féroce et i,'l~umEtir.e.. L Afi'iqlJc se présente comme un
f
havre de ~2ix dans cette b~taille de dégrad~~tion que leur livre
l'Amériaue blanche. Ils sly arrêtent pour S2vcurer spirituellement
sa candeur, sa charit~, S3 chale~r humaine; en somme, tout ce
qu'ils ne peuvent pas trouver dans leur seconde patrie. Pour échap-
per à la mort spirituelle qu: les guette dans les ghettos où ils
sont physiquement confi~és, ils recréent l'Afrique que leurs 2ncêt~es
ont quittée trois cents ans auparavant; On trouve cet exotisme
dans l'oeuvre de Claude Nckay qui oppose la douceur de Jq vie tro-
picale à la vie sordide dans les v~lles infernales des Etats-Unis :
o sIVeet are trcpic lands for IVaking dreams
Th.ere time and life moue lazily along.
Thera by the banks of blue and silver streams
Grass-shelfered crickets chirp incessant so~g
Cay-colored lizards 1011 aIl throügh the d8Y,
Their tangues outstretched for careless litt le flies,

• 17.7. .
ACid s"';arthy clüldrcil i.n the rïelds at play,
Look up\\'J8rcl ~ 18u9~liny at the smiJing skies.
A breath of idleness 15 in the aIr
That casts a subtle spell upon aIl th~~gs,
And love and mating-time are everywhere,
And wonder ta life's commonpla2Bs clings.
The flu t ter ing hUii1ming-hird darts through the trees,
P.C1d dips lüs long beak in the big be.1l-flowers.
Ihe leisured buzzard floats upon the breeze,
Riding a eres~ent cloud for endless hours.
The Sea beats softly on the emeraJd strands
o sweet for quiet dreams Bre tropic lands ' (3)
Il va sans di~e que cette image de l'Afrique ne peut être
que magnifiée par Mckay ~ une époque oG Harlem est envoOtée par
l'Afrique.
Ce charme a égélement poussé CaunlBe Cullen è glorifier la
terre de ses ancêtres; lui qui, dans un premier temps, s'était
pourtant opposé à l'atavisme de l'héritage culturel africain en
matière de poésie. Pour lui, l'Afrique c'est l'Eden oG vivent des
femmes à l'allure royale:
WhBt is Africa ta me :
Copper sun or scarlet seo,
Jungle star or jungle track,
Strong bronzed men, or regal black
Women from whose loins 1 sprang
\\'1hen the birds a f Eden sang ?

.12.3.
Orle tllr8e centuries re~ovcd
rr~~~.~~~enes hi;:~ futhel's IlJved,
Spi~..œ:.gvc~ cinrlornom tl'e8,
What is Africa ta me ?
50 1 lie, who find no pc ace
Night or day, no slight release
From the unremitent beat
Made by cruel padded feet
Walking through my body's street.
Up and down they go, and back,
Treauing out 2 jungle t,eck.
50 1 1ie, IIho ne ver qu ice
5afely sleep from rain at night -
1 can nevel' l'est at aIl
\\
When the rain begins ta fall ;
Like a soul gone mad with pain
1 must match its weird refrain 1 (a)
Ce romantisme racial est encore plus notoire chez Langston
Hughes qUl ne définit le Noir américain que par ses origines africai-
nes. Comme le dit si bien Jean ,Iagner dans les Poètes Nègres des
Etats-Unis, "The Negro 5peaks ur Rivers," "proclamait l'existence
d'une unité mystique entre les nègres de tous les pays et de tous
les temps; il faisait remonter jusqu'à l'origine du monde leur
histoire et leur reconnait une sagesse égale en profondeur à celle
des plus grands fleuves de civilisation ou'afrconnu\\ l'humanité, de
l'Euphrate au Nil, et du Congo jusqu'au Mississipi"
(5)
l've known l'ivel's
l've knolln rivers ancient as the world and aIder than th~
flow of human blood in human veins
My soul has grown decp likc the rivers.
l bBthed in the Euphrates when dewns
were young.

• .!-:' '-;- .
Ce pGè.1Jl~ d:§di~ jL:si:er.lent À D'.J Beis insiste sur le glorieux
passé de la race Gcir~. ~lai5 Langston H~ghe~ ne Si abandonne que tI'~S
rarement à une idéalisation gratuite ~e l'Af=ique même 51 elle tie~t
une grande place dar1s sa poésie t'avant guerre. IJ. e~t,cn effet: le
SEul à 2voir fait la cor:r.3i.ss3nce de l'AfriZlue à cette époque.
Il
lui voue une te~dresse do~t il aurait certainemellt erltouré l'Amérique
si celle-ci ne l'avait pas rejeté. L:atavisme africain cllez lui}
comme chez la plupart des écrivains de sa génération, résulte de
son confinement d~ns .e ghetto dont il ne ~cut sortir. Seule l'Afri-
que peut le consoler et le protége~ oontre une civilisation dont il
a peur :
AlI the tom-toms of the junale bè2t in my bloo~,
And a11 the Hild ho t moons a f the jungles shine in my soul.
~ am afraid of this civilization --
Sa hard,
Sa strong,
Sa cold. (7)
·Puis dans "Our Land"
il SB montre plus nostalgique.
L'émouT qu'il quête en vain aux Etats-Unis a pour réservoir l'Afrique,
ce continent lIen forme de coeur", selon Il expression de Du Bois.
Un pays paisible de nature dont les attributs sont différents de

'- --,..
ceLIX des Etats-Unjs. Un peys o~ la joie de vivre nl~st pas considérée
co:nme un péctlé. Url poys de lumière, de chaleur
cie rose ct d'or :
1
~'Je snould have a l3nd of sun,
Of go,geous sun,
And a l2nd of fragrant wate,
Whe,e the twilight
Is a soft bandam2 handkerchief
Of rOS8 and gold,
And nat this land where life is cold.
We should have a land of trees,
of tall thj.ck trees
Bowed down with chattering parrots
Brilliant as the day
And not this land whe,e birds 2re grey -
Ah we should have a land of joy
Of love and joy and wine and song,
and not this land where joy is vrong.
(8)
Mais une fois sortis de leurs r§Jes: tous ces poètes ont
des mots plut6t durs pour l'Afrique; une fois qu'ils sont hors de
l'emprise de cette atmosphère atavique qui règne à Harlem, ils cessent
d'être laudatifs. Et l'Afrique déchue du trône qu'el12 occupait il y a
trois mille ans n'a selon eux, aucune ch8nce de se réhabiliter, pros-
tituée comme elle l'est par teutes les nations puissantes d'aujourd'hui.
Claude Mckay prend le contre-pied de certaines de ses affirmations
précédentes. Les pyramides, dit-il sont là, mais elles sont désacralisées
et impuissantes.
Le Sphinx lui aussi est toujours présent, m2is ses

pallpj.èI8S ne bottent plus. La glo~re de l'Afrique est derri~r(~ elle
,
The sun sought thy di," b~d and brought forth light,
The sciences ..vere suckling at th)' breast
'"hen all the 'IOr Id \\·;os young irl preg!lant night
Thy slaves toilcd aL thy monumDntal best -
fhou ancient treasure-Iand. thDu mcdern prlze;
New people marvel at thy pyramids 1
The years roll on, thy sphinx of riddle eyes
Wetches the mad world with immobile lids.
The Hebrews humbled them at pharaoh's name.
[radIe of Power ! Yet aIl things W8Le in Vain
Honor and Clary, Arrogance and FCime !
They went. The darkness s\\'lallcMed thee aga!.n.
Thou art the harloL, now thy time i2 done,
Of aIl the mighty natior,s of th", sun.
(9)
QUctnt à La!lgston Hughes, il voit très peu de lueur à
l' horizon de J'Afrique qu'il a tant chantée pendmlt ses nomb!'eux
rêves :
Dreams of yesterday
And far-off long tomorrow
Africa imprisoned
In her bitter Sorrml.
(10)
Il parle même d'illusionnisme à propos des rapports entre
les Noirs eméricains et l'Afrique. EL il va jusqu'à considérer cet
atavisme africain comlne un tissu de merlsanges. Les écrivains noirs

des ELats-Unis! arfil'rne--L-il, niant rlen de commun avec l'AfriqlJe
idéalisée pOIJr les besoins de la C3ûse :
Tt is we who sre liars :
lhe pretenders:to-be who are not
And the pretenders-not-to-be who are.
lt is \\,e 'dho use 'darcl:...:; 1
As screens for thoughts
And \\>Jea\\le dark garments
To caver the naked body
Of the too white truth.
It is l'le with the civilized souls
Who are liars.
(11)
L'orgueil racial n'aveugle pas totalement Countee Cullen
pour qUI l'Afrique symbolise, malgré tout, le paganisme. Dans sa
préface à Caroline Dusk il dit que c'est u~e hérésie que de parler
"des nébuleuses aspirations ataviques à un héritage africain"
(12)
Nous venons de voir que la plupart des écrivains de la
Ren~issance Nègre finissent par renoncer ~ une admiration béate de
l'Afrique il un marnent ou à un autre de leu!: vie littéraire. Parfois,
parce qu'ils sont trop réalistes pour s'adonner à une perpétuelle
acrobatie intellectuelle; souvent parce qu'ils se sont laissés
entraîner par la mocle prenante et étourdissante engendrée à Hac l,om
par le Mouvement de la Renaissance Nbgre ; mais surtout parce qu'ils
ont exagéré leurs éloges pour l'Afrique ancienne et ne trouvent pas
dans l'Afrique colonisée, la moindre source de fierté authentique.

, ""
• J.LU.
Il faut c"pendant r,oter que leur cride révolte contre
l'oppression et l' humiliation sera entenduet repris en écho urie
dizaine d'Bnnées plus t8rd, par les écrivains noirs de l'I\\frique
francophone qu'ils ont d'oilleurs eu j'occasion de rencontrer à
Paris. Dans son excellent ouvrage, les écrivains noirs de lanque
fr'mçaise (13) Lil yan Kesteloot démontre, preuves à l'appui, que
les principaux thèmes développés par les chantres de la Négritude se
trouvent déjà dans le8 poèmes de Countee Cullen, Claude Mckay et
langston Hughes. Mais si ces derniers n'ont fait que tracer la voie
pour Léopold Sédar Senghor et ses amis, Du 80is lui, chantait déjà
l'Afrique et glorifiait la couleur tant méprisée de la race n6ire
bien dvant la révolution cuHurelle de H8I:lem :
l
am the smoke king
l am black.
l am sVlinging in the sky.
1 am ringing 1'10 r Ids un high
1 am the thought Gf the throbbinq mi. J] s,
1 am the soul of the soul toU küls,
1 am the ripple of trading ri11s,
Up l am curling fron, the sad,
1 am whirling home to God.
1 am the smoke king,
l am black,

l am sheathing d2vils ' dert3 ;
Dark insplratio!l of iron ~imes,
~,!edding the t.oiJ of ;:.oiLirg climes
Shedding the blcod of bloodless crimes,
....................
.
~
l am darkening with song,
l dm I,carken.i.ng bJ v:rong ;
l will be black 28 blackness CBD,
The b132ker the mEnUe. the mighüer the man,
r'ly purpling midnigh(. no da'fln ma'V bSJl.
l am carv~ng God in night,
l am painting hell in ~';hi te.
l am the smo~<e ki.ng,
1 am black.
(14)
Après avoir entendu ce chant, cn ne peut qu'être tenté de
dire que Du Bois a vécu la Négritude avant ceux qui ont créé ce
concept et qui en ont fai t une arme de cOIC:tlat contre le colc~:ialisme.
Il n'est donc pas surprem,nt que, oontr2irement aux poètes que nous
avons cités pius haut, il ne se montre nullement èéçu p2r l'Afrique
tout au long de sa longue vie. Aussi, convient-il de mettre davantage
en évidence sa vision de l'~frique telle ~"'elle apparaît dans ses
publicEtions de la période euphorique de la Renaissance Nègre.

.130 ..
Certes, Du Bois appartient è son époque, mais il tente
d'être honnête avec lui-même ct avec les autres .. Pour mieux mesurer
la perennité de son aloour pour lrAfrique, mère de la race noj_re, il
suffit de se reporter è son "Credo" publié en 1920 :
( •.. ) Especially do J believe in the Negro Race: in the
Beauty of its genius, the sweetness of its soul, and its
strength in that meekness which shall yet inherit this
turbulent earth.
(15)
Il faut en effet croire en l'Afrique peur arriver è faire
coincider sa vision poétique et les réalités vécues cc~me il l'a
fait. En fait, cette vision ne s'est jamais égarée dans des éloges
fantaisistes de circonstance. S'il n'a pas encore foulé le sol
africain, il sait malgré tout de quoi il parle car en tant qu'histo-
rien il a sondé son passé; c'est par une allégorie que Du Bois
va nous présenter la mère Afrique. Cette allégorie s'inspire des
faits historiques. Il s'agit du passé glorieux de l'Afrique, de son
r61e dans l'élaboration de la civilisation. Si nous la citons après
l'analyse de The Negro, c'est è cause de ~on lyrisme, de sa beauté
et de son charme car il s'agit d'une vision poétique:
Once upon a tim~ there lay a land in the sQuthern seas
a dark, grlm land, walled weIl against the world. And
in that land rose three rivers and a fourth, aIL flowing

out Lo seek the sea. One river was barn omid the
Lakcs and j'jountairlS 0 F the Oloen, sun-kiss8d, sno\\'/-
cspped, and ncd to the nortl:l','rard silent, s','iFtly
i l clambered ,ovar th8 hi11s and tl'.2 marshes. IL
thrcéJued the smlus --the nal'1:0'", choki,ng sands
that grevi hotter and norroIV'er as it "Ient ; yet
the river sl'lept 0,1 to ',-Jidel', ,greener Fields, to a
laughing plain until through many months it burst
like a rocket to the I"liddle 'sea \\'Ii th a11 its myr iad
oF mcn.
In the wake 0 f the r:. ver cawne dark men creeping, dancing,
marching building, until their pyramids and temples
dotted the land and dared thle Heovens, and the thought
oF their souls and cilies >las the beginning of the (·iorld.
Far, far away ta westward arnmther river leapt and sarlg
and lightly turned its back wpcn the sea ; rushing to
northward. But the grim desert shrieked in its fastnesses
crying "Not Ilere" , 50 the nl\\Jer "hirled southward till
the black forests cried in t!heir gloo01, ""ot here"
The riv8r bowed and circled west"ard. 5ullenly, silently,
yet proudly, she swept into the western sea. As she
sIVept she sang 10\\1 minor lile1Jody ; as sh8 scattered
gold carelessly to the black ~hildren. But ere sh8
died in the depth of the sea she gave to her strongest
and Blackest sons, Iron -
T'hle precious gift of i,on.
They fashioncd it cunningly and welded it ln Faery
forms and sent it to the endls of earth to make aIl
men aIV~e. And men a>loke. Th""y a\\'lOke on the cunning
breast of the river's selF and Kingdom on Kingdom

.132.
arase until the empire of the Songhay rivaled the empires
of the 'IOr Id.
fhe sound of the might of :\\l'gro land echoed
irl CarLhage and grew l~ Numidj_a and gave feary tnles ta
the l'1ic!dle Sea.
A,wy ta the south and eastl-Iard and beloVi the Hountains
of the Moon the third broad river heard I,er sisters hur-
rying seaward. North and westward they had gone but she
turned ta the eternal east. Golden she lifted up her
golden hands and stretched ta Ophir, Punt and Tarshish
her long, lithe finger. Her voiee rose mighty in song
until "ith a million stars in !ler throat she droppecl
wild singing in the southern sea andshucldered ta the
vast~ess of its silence.(16)
Cette parabole qui oonte l'histoire du Nil, du Sénégal
et du Niger impressicnne parce qu'elle évoque la puissance, la
paix, la fraternité
mais surtout la richesse. Une richesse
fabuleuse, une puissance tranqllille , une grandeur symbolisée par
les Pyramid~s et les hautes ~ontagnes coiffées de neige que le
soleil embrase. La ['Iélodie est toujou:,s présente dEms ce poème à
la gloire de l'Afrique éternelle et fière da~s toute sa splendeur
de l'Afrique Joyeuse à l'âme charitable. Nationaliste culturel,
Du Bois est impatient de connaître l'Afrique, "("1ère Afrique"·, il
établit en effet une certaine correspondance entre sa mère et l'Afri-
que. Autant sa mère a été l'objet de ses soins attentifs autant
l'Afrique tient dans son coeur une place prépondérante. C'est en
décembre 1923 qu'il foule pour la première fois le sol africain.
De ce voyage mémorable il rend compte dans The Crjsis sous le titre
"Little Portraits of Africa", avec une grande sensibilité. Son
émo-
tian au moment oÙ il côtoie la côte africaine est profonde

December 20
It is Tilursdey. Day aFter tomorrow l shall put my feet
on the soil of AFrica, as yet n have ~een "0 land, but
last nighL 1. "Jired Lo ~'Ionrovia lb)' W2Y of Dskar ( ... )
l wonder wl,at it aIl will be l~ke ?
Oecember 20
Tonight the sun, a dull gold baIl, strange shaped rayless
sank before a purple sky into a bright green and sinking
turned the sky to violet blue Bnd grey and the sea Lurned
dark. But the sun itself blushed From gold Lo shadO\\'Jed
burning crimson, then ta red. The sky above, blue-green
the \\~aters blackened and then the sun did not set -
it
died and was not. And behind gleamed the pale sil ver of the
moon across the pink effulgence of the clouds. (17)
Les mots "Gold!1 utilisés deux fo"is :'gleamedTl 1 "Silver ",
"brighL lI , lIburningl1 l "pink ll ) !!effulgence'~
'"É;.oquent un festival de
couleurs. Un spectacle splendide que va lui ~rfrir un continent
reputé pour ses mines d'or:
December 21
Tomorro':l
Africa! Inconceivab·]Le ! As yet no sight of
land, but it was warm and we rig~ed deck chairs and lay
at ease. l have been reading that old novel of mine -
it
has points. Twice 'Ie've vlired LiJberia. l'm aIl impatience. (l8)
Puis c'est l'AFrique. Du Bois est fasciné et ému. On le
comprend. Il a cinquante six ans et depuis l'âge de vingt-quatre ans,
il n'a cessé d'offrir ses services b l'Afrjque :

.134.
December 22
Haiting for the first gleam of Africa morning.I photographed
the officers and wrote an articLe on Germany. Then 1 packed
my trun:< and big bag. The s tep ~Oi' descend ing to the boat
had been madc ready. Now 1 read and write and the little
boat l'uns scdately on.
3:22 p. m.--] see Africa-- Cape Mount in two low, pale
semicircles, so pale it looks a cloud. 50 my great grand-
father saw i t two centuries ag"'. Clearer and clearer it
rises and now land in a long law line l'uns ta the right
and melts dimly into the mist a~~ sea a~d Cape Mount
begins Liber la -- \\'Ihat a citade.R for thc capit81 of Ne-
grodom 1
\\,Ihen shall 1 Forget the night Ifirst set foot on African
soil -- l, the sixth ganeration, R:Cl descent From my stolen
fore-fathers. The moon was at t~e full and the waters of
the Atlantic lay like a lake. Ala the long slow afternoon
as the sun robed itself in its ',.",stern scarlet with vells
of misty cloud, J had seen AFric:a afar. (19)
Du 80is n'est pas déçu; d'cmblé~ il est subjugué par le
mysticisme de l ' Afrique. Que d'ombres, que';' ombres! Des ombres qui
bougent. Langston Hughes par loi t "de peinoitw,r,e à la Cauguin". La
description de Du Bois saisit elle aussi le mystère des tropiques
Cape Mount--that mighty headland! 'vd'th its tvlin curves
northern sentinel of the vast re;al:m 0 f Liber ia gathered
itself out of the cloud at half paslthree and then darkened

.135.
and 9I'8\\'1 cleaI', On ,'eyo"d flov/ed the dark 101-1 undula'ling
land qU2int with palm and breaking sea. The world darkened.
Africa fBded away, the stars stood forth curiously twisted
Orion in the zenith -
the Little Bear asleep
and the
Southcrn Cross rising behind the horizon. Then afar,
ahead, a lone ligllt, straight at the ship's fore. Twink-
ling lights appear8d belmi around and r ising shadO\\'ls.
"1'10nrovia" said the Captain. Suddenly 1'8 swerved to our
left. The long arms of the bay enveloped us and then to
the right rose the twinkling hi Il of Monrovia, with its
crowning star. Lights flashed an the shore -
here, there.
Then we sensed a darker shado~ in the shadows ; it lay
very still. "1t's a boat", one said.
!1It l s b'lO boats ll •
Then the shadO\\'i drifted in pieces and as the anchor
roared into the deep five boats outlined themselves on
the ,':aterS'- great ten-oared barges black "iith men s,·/ung
into line and glided toward us. l l'atched them fascinatei (20).
Cette description traduit bien la communion qui s'établit
entre Du Bois et 18 terre de ses ancêtres; et crest en poète qu'il
exprime les sentiments qui l'étreignent, et dépeint le spectacle qui
s'offre à ses yeux qui ont déjà vu tant de choses.
Lorsqu'il sent arriver les pirogues qui glissent silencieu-
sernent dans l 1 ombre il est "f2~ciné". Ce terme, il ne l'emploie pas
à la légère, lui qui pèse ses mots avant de les employer. Une fois
à terre, i l est subjugué par l'atmosphère qui règne à r1onrovia " la
veille du jour de Noël. Les cantiques qui sont chantés en langue
locale le transportent de joie. Tout a une signification symbolique

.136.
tout participe ~ la Fête que JlJi réserva llAfrique généreuse,
joyeuse et mystérieuse. L'Afrique charlte
ChrisL'!1éls eve and J:.f'rica is singing in r-lonrovia. They
are Krus and Fenti-men, women and children and aIl the
night they march and sing. The mUS1C was once the music
of rival hymns. Gut it lS that music now transformed and
the silJy \\·,ords hidden ln an unknO\\~n tongu€-
liquid and
sonorous.
(21)
L'Afrique chante avec un art particulier, millénaire;
il s'agit du rythme syncopé qu'il a entendu pour la première fois
dans le Tennessee lorqu 'il avait 18 ans. C'est un signe de perenni té
à la fois surprenant et rassurant :
I i tr icked and expGunded IÜ th cadence and turn.
Ar,d this is that same trick 1 heard first ln Tennessee 38
years ago : The air is raised and carried by men's strong
voices, while floating above in obligato, come the high
mellow voices of women
it is the ancient african art of
part singing so curiously and insistently different.
And so they come, gay apparelled, lit by a transparency.
They enter the ga te and flol'/ over the high steps and sing
and sing and sing. They saunter round the house, pick flo-
wers, drink water and sing and sing and sing. The
warm
dark heat of the nigllt steams up to meet the moon. And
the nigh t is song.
(22)

La riviè~e,
les arbres,- 182 fLeuve3~ les fleurs rivalisc~t
en beauté pO'J:' J.ui cffrir 8\\.:ec élégance leur h()sp.l~~.:~lité. Ps;,':c<Jt
c'sst la çAieté et la joi8. Le soleil re8plese avantageusement
12 neige.
Great, bowing trees~ festcons oF flowers~ golden blossoms,
stBr-f2ced palms and fatched huts ; tall spreading t~ees
lifting thems~lves .like vast urr.brellas, 101': snrubbery
with grey and laced and k~ott2d roots -- the broad,
black, murmuring river. Here a tree holds wide finge'.s
out and stretches th8m over the wate~ in vast incantation
bananas thr~w their wide green fingers to the sun. Iron
villcges, Gcarred clearings with grey, sheet-iron homes
staring grim nnd tare at the ancient tropical flood of
green.
The river s",eeps "ide and the s~rubs bOl·' 101,. Benind,
Monrovia rises in clear, calm beauty. Gone are the Whar\\/es,
the low and clustered houses of the port, the tight-
troated business villcge, and up swe2p the villas and
the ID", wall, bro,,·n and cream and 'Jhite, with great
mango and cotton tree, with light house and spire, with
porch and pillar and the green and color of shrubbery
and blossom.
(23)
La légendaire verdure tropicale. 12s couronnes de fleurs,
les rameaux dorés évoquent l' Edell, et si l'auteur n'utilise pa= ce
mot mais pa.r le aU cont:r3ire Hd r incantation", Cl est parce qu 1il est
devenu agnostique. L'Afrique de la ~égétation luxuriante, des grands

sérérij lé "sauvagE'!1
p,rr-iCâ is vegetatior:.
It is the riotous, unbrîclt.< LJ:J"n3~ing
li.fe oF leaf 8:ld Lirr,b.
lt is sunshlne -- pitiless s!ùne of
blue rising From mortling Wi3ts 2nd sinl<iGQ tG h~t night
she.dm'ls -
And then the s taL's - - very neer al'2 the :.3b'J:'s to
Africa ; near and bright 2:id curio~21y arraysd -
the strlJrlg
blinding strength of i t -
wide deep shede, the bUl'ly
lavish height of it. Animal life is here wild a~d Bbc~dsnt
Perhaps in the in:ier jungle l shc1ul::1 note it more b\\Jt ;l'Jl'C
the herb is ~riurnphant, sâvagely '3ure -- such :Jeauti~i.;l
shrubbery, such sple:ldor of leaf énd gorgeousness cf
flower 1 have seen.
(24)
Ce poème magnifique traduit l'espoir que nourrit Du Bois
pour l'Afrique dont les étoiles sont si proches. Lè où nombre d'~mé-
ricains voient serpents et jungles inhospitali~~es, D~ BOIS lui,
déco~v,e des arbres puissarts et une brousse tricmphante et indomo-
table, de belles fleurs. Et puis le déploiement mystérieux des
étoiles rend ce merveilleux panorama unique en son genre. Il n'a
rien vu de plus beau ailleurs. S'il n'a que des superlatifs pour
décrire l'Afrique physique, il est également émerveillé par les
gens qu'il voit et qu'il écoute chanter. Leurs chansons sont
empreintes de sincérité et de chaleur. Ils sont simples, ils sont
gais, ils sont tel~ que Du Bois les imagine depuis so~ jeune §ge :

" ,
"! -'C
• J :>,.! •
And the people ' Last night 1 went to Kru-tawn and SGW
a Christlnas masque. '"t1ere were young WQlnen and men of the
color o~ warm ripe ~lorse chestnuts, clothed ~n white robes
snd tLJrbaned. Tlley played the Christ story with sincerity,
naiveté and verve. Concei\\"e 1!5ilent i\\light" s~ng in Kru
by this dark 0hite procession with fleming candIes.,
(25)
La ville de Monrovia est également belle ; ses yeux rêveurs
ensorcellent Du Bois qui croit se trouver en présence d'une fée:
Monrovia is a city set upon a hill. With a coy African
modesty her face is half turned frG~ thc bold and bois-
tarous ocean and her wide black eyes gaze ; dreamfully
up the Stock ton and St Paul. Her color is white and green
and her head of homes rises slow]y and widely in spaciou~
shading verandBh toward the great headland of Mesurado
where the lighthouse screams to wandering ships. Her
heir i8 paited decently on mighty DaIm leaves and mangoes
her bare Feet, stained with travel, torn with ancient
cicatriced wounds drabble in ~he harbour waters down on
Water Street ( .... ) Her feet are ugly and cold, but oh
her hands, her smooth and black and flying hands are
beautiful and they linger on roof and proch, in wide-
troated grassy street and always sluggish palms of her
beautiful hair, and there is gold in her hair.
(26)
Ainsi même la ville, personnifiée dans ce poème, est
différente des villes sans ame que Du Bois a connues. Monrovia
est le reflet de cette Afrique qUl émerveille tous ceux qui l'appro-
chent. L'Afrique a toujours surpris et continuera è surprendre par

sail _inépuisable réSer\\18 de péJtience, sa ché.deur communicative ot
envoûtante.
"Arric8" , hymne" la gloire de l'Afrique dit tout cela
avec des mots exquis. Il exprime égaleme~t la foi que Du Bois a en
ce continent d'avenir; celui qui va instaurer un humanisme nouveau
et permettre à "la princesse paix" de vaüccre " jamais la guerre.
Mais bien que l'Afrique se caractérise par le grand silence qui
règne dans ses forêts, cette paix le ser8 pas celle des cimetières.
Au contraire, l'Afrique inventera pour le mGnde une nouvelle éthique
de vie oD le temps de travail et celui des loisirs s'équilibreront.
Du Bois assigne en effet à l'Afrique un rGle important dans l'huma-
nisation du travail, qui engendrera une civilisation véritablement
universelle; une civilisation sans bruits de bottes, sans le fracas
des marteaux-pilons; une civilisation qui fera une
grande part à
la joie de vivre; une civilisation sans pollution morale, rll ph y-
sique. Il est persuadé que l'Af,ique va bie8tôt ensorceler le monde
grâce à son pouvoir magique :
The spell of Africa is upon me. ~he ancient witchery of her
medicine is burning my drO\\'lsy, dJreamy blood. This is not a
country, it is a world -- a universe of itself and for itself,
a thing Different, Immense, ~lenacing, ,Alluring. It lS a
great black bosom "Ihere the Spirit longs to die. It is life
so burning, so fire encircled that one bursts with terrible
soul inflaming life. One longs ta leap against the sun Dnd

l " l
• -'.'+..1. •
th en calls, like some QreBt hand of fate, the slow, silent
crushing power of allTIigtlty sleep
of Silence, of Immo-
vable PmlOr beyone, vlithin, "round. Then comes the calm.
The dre8rnt5less beat of midday stillncss at dusk, at dawn,
dt noon, ahlays. Tllir'rgs mO\\le -- black shiny bodies, perfeet
bodies of sleak unearthly poise and beauty. Eyes languish,
black eyes --S101'1 eyes, lovely and tender eyes in great
dark formless faces. Life is slow here. Impetuous Americans
quiver in impetuous graves. l saw where the ocean roars to
the soul of Henry flighland Carnet. Life slows down snd as
it slows it deeperls : it rises and descends to immense and
secret places. Unknowr evil appears and unknown good.
Africa i8 the Spiritual Frontier of huma~ kind -- oh the
wild and beautiful adventures cf its taming ! But 01, 1
the cast thereof -. the errdless" endless cost ! Then
"ill come a day --an old and ever, ever young day ,·;hen
there will spring in Africa a civilization wittlout coal,
"ithout noise, where machinery will sing and never rush
and roar, and .,here men w~ll sleep ano think and dance
and IlC prone before the rising sons, and women will be
happy.
The objects of life will be revolutionized. Our dut Y
will not consist in getting up at seven, working furiously
for six, ten and twelve hours, eating in su lIen ravenous-
ness 01' extraordinary repletion. "0 -- \\-Je shall dream
the day away and in cool dawns, in little swift hours,
do aIl our work.
(27)
~lais s'il souhaite ardemment l'avènement de cette civili-
sation où les I,ommes ne seront plus esclRves de leur travail, il
reconnaît que cela exige beaucoup d'effort. Il sait que l'Afrique

. 1 . "
~i
a Lili
Ji.lilq c~:e::lül ·1 f~~i:rE'.
;J~,lJ.::' 11 ~-;':-._'..... <.;'J,"3:::'': Q,,'e118 est cajJ2ble
OE; cit8L' Gî:: sil ~ffet. P2Li;~ 181.~=-fi;,_}ti.V l~s er:pressions suiva.ntes
pati2nte, ir,comptable et asL:cieuse. ::lu Bois est en eFFet conva~0CU
que l'Af"rique ne restera paa prostrée è ja~ais. ~Iistorien, il sait
q~e comme les hommes~ les civilisstions naissent, grandissent et
meure0t selon la théorie du granr. historien anglais, Arnold Toymbee.
Il sait aussi que la long~vit~ des civilisations s'évalue en siècles.
Dès 10rs
rêver d'une Afrique à nouveau fière et digne n 1 est pas
1
utopique; d'autant plus que Du Bois trouve dans l'Afrique de 1924
tous les élémer·ts qui peuvent concou7ir à cette révolution pacifique
et nécessair~ment lente. Et p~is dans cette brousse tant décriée,
dans la forêt !!s8uvage" il y a un grand silence ; un silence symp-
tomatique qui annonce i'orage à venlr.
Mais l'avènement de la nouvelle civilisation doit être
favoris~ par la libération du continent africain. C'est le grand
vide, l'anticyclone qui permet aux nations techniquement fortes ce
perturber sa gestation car la nature à horreur du vide. Il faut
donc réveiller l'Afrique et lui faire prendre conscience de sa
véritable place dans le monde. Ce dont elle a besoin c'est d'un
catalyseur; il n'est pas question de lui imposer de l'extérieur
. un mode de pensée, une f2çon de sentir ou de voir, c'est-à-dire,

une culture nOll conforme 0 30fl origj.nallté.
~apoléon disait qu'il ne fallait pas ~éveiller la Chirle
car Slnon elle ferait trembler le monde; Du 8ois~ quant à lui,
pense qu'il faut réveiller la géante Afrique car elle apportEra
la sU,bilit é et la paix au mor'oc. Il va s'employer à cet te têch6
qu'il oonsidèrera comme la mission de sa vie. Pendant soixante
cinq ans il se mettra au service de l'homme noir dont la dignité
ne sera garantie que par la réhabilitatio;[ ce 1I1 a ['1ère Afrique".

lllèrne PJiF"T l[
Du Ooi:; et le Pan8fr-icanism8
Glf'IPITRE
VI
Sommairement défini, le panafricanlsme c1est la solidarité
du monde noir au service de l'Afrique. En fait, cette notion renfer~je
une réalité beaucoup plus complexe à cause de la variété des serVIces
à rendre à l'Afrique.
Ces serVIces sont d 1 ardre p~lj.tique, économique.
mais essentiellement cultureJ.. NOLIS allons, avec Du Bois, slji~~e
l'évolution du panafricanisme dans sa tentative d'effirmer la pré-
sence africaine dans le monde. Nous allnrls au coLlrs de cette étude
meltro J.'accent sur les difficultés rencontrées par Du Bois pOUL
maintenir la réalité panafricaine contre vents et marées; en effet,
la te.~ue des assises du panafricanisme constitue en elle-même un
succès étant donnés les courants hostiles que Du Bois dut affronter
pour réaliser ses ambitions. D'autre part, les idées défendues étant
pratiquement les mêmes d'une conférence à une autre, une anal"se
fondée sur les objectifs poursuivis ne serait qu'une suite de répé-
titions inopportunes. Nous insisterons d'autant plus·sur les eFforts

dépJQyés pour imposer ces idées, qu'à nctre avis Du 80is 8 ét~
sévèrement jugé par ceUx qui volontaireme.lt ou involontairement
ont voulu ignore~ les circqnst9nc8s diffisj12s ~ans lesquell~s il
a organisé les conférences panafricaines.
Nous avons d~jè vu que l'id~e de lB tenue d'une conférence
panafricaine remonte à 1900, année où Henry Sylvester Williams de
Trinidad a réussi à réunir sC] ",~lbert Hall" de Londres quelques Noirs.
Henry Sylvester l;iilliams est mort r1uelques a,,"nées pl~s tard, le
26 mars 1911 à Port of Spain. Du Bois, qui a jeué un rôle de premier
plan à
cette conférence, nourrit alors 11 ambition de maintenir en
vie llidée du panafric3nisme. Mais les mouver.~nts pour l'égalité des
droits ci,iques dans lesquels il milite actiuement sont plut6t préoc-
cup~s par les problèmes intérieurs qui leur paraissent plus urgents.
Cependant, avec la naissance de la N.A.A.C.P., en 1909, Du 80is trouve
pour l'écouter, des hommes qui, bien que ne partageant pas sa vision
panafricaine, sublssent sen influence. En 1911, il assiste, à Londres~
à un congrès sur le racisme car, depuis quelques temps,
il ne cesse
de mettre en garde le monde contre les dangers de guerre q~e repr~­
sente ce fléau. Dans sa stratégie de paix, l'Afrique occupe une place
importante car aussi paradoxal que celà puisse paraître, la paisible
Afrique constitue un obstacle sur le chemin qui mène à la paix mondiale
à cause des convoitises qu'elle s~scite, et du mépris dont elle est
l'objet

The ,iorld l,jar v;~s pril;)8"'ily the jeslous and aVariciG'Js
strugglc for the Imgest share ,in exploiting darker races.
hS such. it i8 snd musc be but the prelude to the armed
and indignant protests of these despised and raped people.
Today Japan i8 hammering on the door of justice, China is
raising her half-ma~acled hands ta knock ;lext, India i8
writhing for the freedom of kllock, Egypt is sullenly
muttering, the Negroes of South and West Africa, of the
West Indies, and of the United States are just Bwakening
to their shameful slavery. ls then, this war the "nd of
wars ? Can it be the end, so long as sits enthroned Even
in the souls of those who cry p8ace, the despising and
robbing of darker peoples ? If Europe hugs this delusion,
then this is not the
end of world war;it is but the
beginning
(1)
Il est convaincu que saule une réhabilitation politioue
de l'Afrique peut mettre fin aux conflUs suscités par le pillage
de ce continent. Déjà, à une réunion de la "Société pour la ?aix"
à New York, Du Bois a été horrifié par l'opinion généralement admise
par les participants selon laquelle la paix appartient 3UX nations
qUI la méritent. Il pense al' contraire que la pai", pour être réelle,
signifie le respect des faibles par les forts et non leur pillage
au nom de la culture et du christianisme. Il pense également que
les nations dites civilisées ne connaîtront de paix véritable que
lorsque l'Afrique aura affirmé sa personnalité et son autorité:

Peaee today, if it mears anything, means the stopping
of the slaughter of the weaker by th~ stronger in the
n2me of Christi8nity and cultu~e.
The modern lust for land and slaves in Africa ( ... )
is the greatest and almost the only cause of war
between the so-ealled civilized peoples.
(2)
Mais, en 1914, la guerre éclate malgré les appels lancés
au monde par Du Bois. L'Afrique est è la base de cet affreux holo-
causte selon Du Bois. Il ne peut pas supporte, cette folie hum:,ine.
Il veut tout mettre en oeuvre pour réveiller llAfrique puisque sss
appels è la conscience des grandes puissances sont restés vains.
A la fin de la guerre, les perspectives d'une paix durable sont
bonnes. A la tête des Etats-Unis, se trouve un grand humaniste,
Woodrow Wilson; en Europe, les dirigeanLs, surpris par l'amp12ur
des désastres semblent vouloir tourner le dos ~ de telles confron-
tations è l'avenir. Une Société des Nations va être créée pour
veiller è ce qu'une telle tragédie ne se reproduise plus. Du Beis,
dont le journal n'a cessé de couvrir les évène~ents·en fais~nt
ressortir la mission des combattants noirs partis d'Afrique et
des Etats-Unis, se rend è Paris en 1919. Officiellement, il va
représenter son journal dans la capitale française, devenue en
la circonstance, le centre du monde. En réalité, Du Bois, qui est
convaincu que l'avenir de l'Afrique se joue è Versailles, veut è
tout prix influencer la conférence et lui faire entériner des
décisions qui reconnaissent la dignité de l'Afrique et de ses fils

.1':0.
de la diaspora. Il 8 réussi è con~BincrB le comité directeur de
la
N.A.A.C.P.
que c'est à P~rjs que se joue le sort de 18 civi-
lisation, et que ses problèines sont indissociables de ceux de
l'Afrique et des Nairs da~s le mende. En tout état de cause, ceux
qui souffrent dDivent toujours venir en si Ce aux victimes de
l'oppression:
If we
do not feel the chain
When it works another's pain,
Are we not base slaves indeed,
Slaves unworthy to be freed?
(3)
La Première Conférence Panafricaine
A Paris, Du Bois doit affronter maintes difficultés pour
réaliser son projet tenu secret Jusque lè. La délégation américaine
est en effet décidée è l'étouffer dans l'oeuf et fait pression sur
le gouverneHlent français pour qu 1il n8 soit pa:: donné aux Noirs
américains une audience iGternationale. Mais Ou Bois a réussi à
convaincre Bla:se Diagne de l'importance de cette réunion pour le
destin de l'Afrique. Blaise Diagne qui a été récemment nommé
Commissaire Général des Effectifs Coloniaux au cabinet de George
,
Clémenceau, lui promet son appui. Il sait que Clemenceau
a besoin
de son soutien è l'Assemblée Nationale pour se maintenir au pouvoir
et, en conséquence il acceptera le principe de la réunion. Il a vu
juste. Clémence au permet la tenue de la réunion, mais recommande
curieusement aux congressistes d'éviter toute publicité.

Les A~6ricGins sont fur~cux ct ce~tains délégu6s des Etats-Un.is
fle ~éussissent pas ~ obtenir leLJr visa paur se rendre erl France.
L8 conférenca se tient bel et bien les 19, 20 et 21 février au
"Grend Hôt~l", Boulevard
de" Capucines. La plup2rt des délégués
viennent de la cJisspora". ~éonmoins, une quinzaine dl entre eux
sont des Africains, mênle s'ils ont élu domicile è Paris, à
Londees GU 2 Bruxelles. Plusieurs déléguTIS prennent la parole
pOLir louer lri~itiative de Du Boi.s et insister sur l'unité du
monds noire. Plusieurs résolutions sonl prises
dont les deux pl~s
importantes sent les r6SG!Lltions e et 9. La résolution 8 rejette
le principe de la discrimination raciale :
Wherever perso~s of African descent are civilized, aole
to meet the tests of surol'nding culture. t.hey shall be accor-
ded the seme rights as their fellow citizens ; they shall
not be de~ied on account of race Dr coulour a vOlce ln
their u..:n governfi',ent, justice befure the courts and
economic and social equality bccarding to sbility and
desert. (4)
La résolution 9 concerne plus di,rectemerlt l'Afrique ~
Elle revendique, pour les indigènes, le parapluie de la Société
des Nations afin qu'ils soisnt protégés contEe les abus et les
violations des droits de l'homme.
En outre, elle exige que les colonies d~ l'Allemagne
vaincue soient administrées par la communauté internationale en
attendant qu'elles puissent vivre sous leur propre administration.

·üo .
.
POUI: ce f8ir2, les 1:8bi t8riL~, de c~;s cO:.'Jnies doivent apprendre: à
exercer leurs c!roits et tirer profit d8S bienfoils de la civilisa-
tion. EIJ.8 demande égaleffient Gue le 8urealJ International du Travail
veille è ce que le travail forcé soit bRnni :
The League of Nations : Greater security of life and
property shall be gusI'ant~ the NativES ; internationel
labour legislation s\\-lal1 caver Native workers as weIl as
Whites ; they shall heve equitable representation in aIl
the international instil.utions of the League of Nations, and
the p8rticipatiorl of the blacks t.t.emselves in every
domair, of endeavor sh81] be enCGu:- aged ln accordance
;rith the dec13red object of article 19 of the League of
Nations, to wit : I~Tne ~'Jell being ond developr:lent af these
people constitute a sacred missiol~l of civilization and it
is proper in establishing The League of Nations ta jncor-
parete therein pledgcs for the acccr:lplishment of this
11 mission lr •
Wherevgr it is proven tllat African Nativss are not
receiving just trea~rnent at the nands of :::my States or that
any State deliberatlv excludes its civillzed citizens or
subjects of Neqro descent from its body oolitic and
cultural, it shall be the dulL.?f the League of ,~atioris
to brino the matter ta the attention of the civilized
>lOrld.
(5)
Aux Etats-Unis où les nouvelles des activités de Du Bois
parviennent grâce aux journaux, plus d'un ~oir se pose des questions.

i1ais que veJf~~onc Du Gois ? Pout quo_ d~12isse-t-il I~ lutte ici
pour aller d~Fendre la cause de la iointaine Afrj.que ? Pourquoi
consacre-L-il tant d'énergie au panafricenisme ?
Du Bois sait qu'il doil s'expliquer ~ son retour aux Elats-
Urlis car les journaux qui ont couvert l'évènement n'ont pas toujours
~té objectifs. Si le Chicago Tribune admet le bien-fond~ des revendi-
calions de Du Bois, il affirmE; égaJerilenz qu'il SI agit d' une "Utopie
Ethiopienne" :
An Ethiopian Utopie to be feshiorm:J out of the
german colonies, is the lalest dream of leaders of the
~cgro race ( ... )
It is quite Utopian aild it ~as less the~ a Chinaman's'
chance of getting anywhere in the Pesee Conference. but
i t is neverlheless interesting. As llsel f determination" is
one of the words ta conjure with iG Paris nowadays, the
Negro leaders are seeking to have it aoplied, if possibJ.e,
in a measure ta the~r race in Africa.
(6)
Pour rassurer les lecteurs de Crisis, Du Bois déclare, dans
un article intitulé liNot Separatism fl , qu r il n' est nullement question
de relâcher l'effort entrepris aux Etets-Unis ; et il soutient que le
libération de l'AFrique constitue un", phase essentielle de cette l'lUe.

.152.
Compar6nt Je mOll~~mDnt pan8fricai!1 ~u sionisrne, il aFfir:118 qL.til
Faut aux Noirs un:~ nation forte dont ils pourront être fiers.
SelOil llJi, les NrLrs des Et~ts-Linis sont des Américains b part
enLière ; Èl ce Litr':3 fIs ne sauî'aient s'exiler en masse et l'idée
d'ur retour massif en AfriqG2
dont la civilfsatior; leur est tota-
lement étrBngère après une 2jsence de trois cents ans· est certai-
nement U!le i~ée absurde :
This i8 not a "sep3ratist!l movement. There i5 no need
to thi.nk that those \\-~ho advocat,e tn2 opening of P,frica
rOI'
Africans and those of African descent desi~e ta depart
any large number oF Colored Amaricans to a Foreign lsnd,
in some respects, inhospitable land. Once For aIl, let
us realize that WB are Americans, that we were brougilt
here with the earliest seLtIers. and that the very sort
of civilization From which we came made chp complete
adoption of western modes and customs impe~5tive if we
were to 3urvi lJe at aIl. In brief, there is rlothing sa indigenOl!:
sa completely "ma de in America'" as \\'le. It is as BUSU:'O
to t811< of return ta Africa, me~ely because that was
our home 300 years ago
C... )
But it Is true that 5S a people we are not given to
colonization, and that thereby ~ number oF essential
occupations and Interest have been clcsed to us which
the redemption oF AFrica \\-lOuld open up. The Afriean
":8vement means to us what the Zionist movement must
mean ta Jews, the centralizatiol-I of race effort and the
recognition of a racial Fount. To nelp bear the burden
oF Africa does not mean any lessening effort in our own
problem at home. Rather it means increBsed interelt For

arlY ebullition of actio~ and feeling t!lat rcsults in
an amelioration of the lot of Africa tends to amelio-
rate the condiùon of th'e colored people throughout
th,e
'd
WOL.
(-;1,
Du Bois admet que l'Afrique est encore arriérée. N'étant
pas, semble-t-il, adepte de la théorie du "bon s8uvage" de Rousseau,
il n'est pas question pour lui d'aller vivre en Afrique. Si les
villages africains sont beaux, il préfère cependant vivre à New-
Yor~, car l'Afrique est dans une certaine mesure une terre
"inhospitalière". La solidarité avec l'Afrique est néanmoins
un impératif. Grâce à cette solidarité, le panafri~anisme repré-
sentera une force politique et morale dans le monde. Les Noirs de
la diaspora pourront alors se rendre en Afrique, ce qui pour l'ins-
tant n'est qu'un "miL age" à côté du programrr,e de la
N.A.A.C.P. :
We have an immediate program for Negro emancipation
laid and thought out by the
~.A.A.C.P.
It is foolish
for us to give up this praetical programm fo~ mirage
in Mrica.
(8)
L'on peut se demander pourquoi Du Bois insiste sur les
illusions que réserve l'Afrique aux Noirs américains partisans de
l'exode massif. Est-ce que son "africanisme"n'est qu'une fuite en
avant comme le prétendent certains de ses contemporains?
Un
subterfuge oour éluder les véritables problèmes aux Etats-Unis?

, "
• .J.J<-~.
Nous ne le croyons pas. Pourlcxp~iquer cette apparente sévérité
avec laquelle Du Bois présente l'Afrique aux éventuels candidtats
è l'émigration, il faut plutôt se référer è la situation nouvelle
créée par ["Îarcus Josiah !T[vlos esl! Garvey.
En 1919, Du Bois 2 des raisons de se réjouir des retombées
du Congrès p3nafricain qui vient de se tenir à Paris. Les jou~n2ux
parlent longuement de l'Afrique et de l'influence de la conférence
de la paix. Ils saluent cette réun.i.on qui, bien qu'impromptue, a
eu des résultats inespérés. crest à ce moment là que le Garveyisme
fait son apparition e~ menace de ruiner les efforts que Du Bois
déploie pour imposer BU monde sa vision de l'Afrique et préserv~r
la paix mondiale. Pour le combattre, Du Bois est obligé de se réex-
p1iquer et de définir ses objectifs au risque de paraître ambigu
dans ses liens avec l'Afrique. Mais qu'est-ce-que le Carveyisme ?
Garvey et le Garveyisme
Marcus Josiah Garvey est né è la Ja~aJque le 17 août 1887.
Après avoir fait ses classes primaires, il travaille pendant quelques
temps dans une imprimerie locale. Puis il séjourne successivement
au Costa Rica, au Panama, en Equateur avant de revenir è la J'iffoaïque
en 1911, ulcéré par les injustices dont sont victimes les Noirs en
Amérique Latine. Il fonde la "Universel Negro Improvement Assoeia-
tian", o,ais les mulâtres trouvant le mot "nègre" rebutant, se

• .L}:J.
tiennent à l'écart de l'association. Quant aux Blancs de l'Ile,
ils n'admettent pas que la masse noire stDrganise pour mettre en
péril leurs privllèges. Dev8nt ces oppositions subtiles mais
efficaces, Garvey décide de partir pour l'Angleterre. Pendant son
séjour européen, il exerce des métiers aussi divers que secondaires
et ne reste pas inactif sur le plan politique. Il prend contact
avec des Africains, des Antillais, des étudiants et des mar~ns
noirs. Il fait surtout la connaissance de Duse Mohammed Ali, un
in~ellectuel égyptien dont le journal Africau
Times and Orient
Revi8w est publié à Londres. Au contact de cet homme pour lequel
il travaille quelque
temps, il apprend beaucuup sur l'Afrique.
En 1914, sur le bateau qui le ramène à la Jamaïque, il prend la
résolution de sauver le peuple noir de la misère et de l'humiliation.
Pendant p~ès de deux ans, il essaie d'unifier les Jtimaïcai~s, mais
il rencontre la nlème résistance de 10 part des "Noirs évolués" dont
l'indifférence oux problèmes de la masse l'exaspère. Il entend alors
parler de Booker T. Washington et lui écrit. Puis intéressé par
Son expér ience, il fonde "The Negro lruprovement Society" dont l'un
des objectifs est de créer une compagnie industrielle et commerciale.
Mais, ayant échoué dans sa tentative de ~nder une école pr~maire
pilote, il émigre aux Etats-Unis
en 1916 en même temps que de
nombreux ';arnaïcains. Une fois aux Etats-Unis, i l parcourt le Sud
du pays et est désagréablement surpris par ce qu'il voit et entend.
Il se rend compte que les Noirs sont plus apathiques que jamals.
Ils n'ont aucune source d'inspiration, aucune ambition et semblent

désem:::arés depuis la ,"ort de Dooker 1. (·.'ashingbn en 1':15. Il
se met aussitôt au travail pour donner un sens ~ leur vie et les
amener 3 aün.er l'i\\friqu8. "IJ lance la "Universal Negro ImprOV8rilcnt
Associatiun" aux Etats-Unis.
(9)
Objectifs et impact de l'U.I'!.l.A.
Dans le contexte des mouvements de masse, on peut dire
d'emblée que 1 'U.I~.I.A. est à la fois pratique et utopique. Les
objectifs que Doursuit Je mouvement sont les suivants:
1.
Etablir une confraternité unive,selle parmi les
membres de la race noire.
2.
Contribuer à l'émancipation et à l'épanouissement
spirituel des peuples primitifs de l'Afrique.
3.
Favoriser la naissance de nations n~gres et l'indé-
pendance économique de l'Afrique.
4.
Installer des représentations de la race dans toutes
les principales nations du monde.
5.
Fonder des instituts de formation pour l' éduca tion
des Noirs.
6.
Améliorer le sort des Noirs quel que soit leur lieu
de résidence.

.l57.
COf],mc on le "./oi:':', .le fJrog:..~;::rnme q'Je s! est fixé J"iaI'cus
Garvey est tr~s ambitieux. D'abQ~d.ltU.N.I.A. a une portée univer-
selle; sIle concerne aussi bien les Noirs des Etats-Unis que ceux
qui vivent sur ]es autres continents et principalement en Afrique.
En outre, Gurvey veut, avec l!aide des millions de Noirs qui vont
le suivre, chasser les forces coloniales ct redonner l'Afrique
aux Africains résidant e~ Afrique et à l'étranger. Il considère
l'indépendance du continent noir comme une condition indispensable
au développement de la personnalité africaine et à la promotion
sociale et politique de la r2C8 noire. Aussi invite-t-il les Noirs
de la diaspora à oeuvrer pour sa libération torale ; car dit-il~
les droits de toutes les races doivent être respectés y compris,
bien sûr, celui des Noirs à revendiquer la terre dê leurs ancêtres.
Il se préoccupe également du développement spirituel de la commu-
nauté noire comme l'atteste la devise de lIU.N.I.A.
: ~!Un Dieu,
U~ but, une cestinée't. Il apparaît par ailleurs très réaliste
lorsqu'il définit la philosophie sociale sur laquelle repose son
mouvement. Prévoyant un "blanetlissemellt t1 à plcs ou moins longue
échéance de la race noire par le métissage et son absorption par
la race dominante des Etats-Unis, il se pror,once contre les mariages
mixtes et prône la pureté raciale
The Universal Negro Improvement Association advocates
the uniting and blending of aIl Negroes into one strong
healthy race. It is against misccgenation and race suicide.
It believes
that the Negro race is as good as aoy other·,

.158.
and therefore should be as proud of itself as others are.
It believes in the purity. of the Negro race and the purity
of the "'lite race. It iB against rich blacks marrying pOOl'
whites. Il is against rich and ~oor whites taking advantage
of INegro "amen .... It balleves in the social and pûlltical,
physical separation of aIl peoples to the extent that they
promo·te their o"n ideals and civilization,
with the prilli-
lege of trading and doing business with each other. It
belleves in the promotion of a 2trong and po"erful Negro
Nation in Arrica. It belleves ic, the righLs of aIl men.
(10)
Pour ~ieux assumer leur identité, Garvey veut, comme Bishop
Turner, que les Noirs retournent en Afrique afin de promouvoir une
culture originale et une éoonomie capable de rivaliser aVEC celles
des autres grandes nations du monde. C'est à cette seule condition,
affirme-t-il, ~ue le Noir pourra s'assumer et retrOlJVer sa dignité
d'homme. L'appel d~ Garvey s'adresse princioalement aux Noirs les
plus pauvres et les plus ~éprisés. Il exalte leur peau noire et
leurs traits n~groYdes;en somme, tout ce qui constitue pour eux
un handicap dans la société blanche des Etats-Unis. Il leur demande
de rester eux-mÊmes. Il pr6~e un racisme 8gressif proche de celui
du Ku Klux Klan dont il fait à mainteS rep,ises l'éloge. Il contribue
à populariser l'idée de l'héritage africain à Harlem où, jusque là,
le "t'eint clair" conférai t prestige et honneur. Son message est si
attrayant que de nombreux Noirs adhèrent à son mouvement dont l'impor-
tance n'échappe pas à de nombreux intellectuels. VOiCI ce qu'en dit
le sociologue noir Franklin Frazier dans The ~ation du 26 aoOt 1926
Sous le titre "narcus Garvey : A nass Leader" :

.159.
The Gt~r\\iey movement· is é:I C.TOI'id movernent essentially
·di ffcrent: frlJ!11 émy sc;ciaJ rhC'[flom~rlGn among Neg!'1J8s.
For the lriost p8rt L\\lflçrican N8!groes h2ve sought
selfmagni-
fic8tioil in. fraternnl orders a.nd churches. 8ut these
organizations havE' fz.~iled ta gi \\/8 support ta the Negro
egoconsciOLtSness ~hj.cll the white masses fj.nd in membership
in"a politj_c81 comGunity~ or en a smaller seale i~ Kiwa~is
clubs dnd theK.I<.K. In a certélin sense Garvey~s follol'!ers
form the black k.lan of Amer les.
The reason for Garvey's success in welding the Negroes
into a crowd r:lDvemGnt IJ 8C0l11eS appareilt, ';/hen we compGre
his rnethods sf'd airns \\·,ith those of other haders.
Take
fol' example the leadership of Baaker T. c·Jashington.
Washington could nol be consi~erea 5 leader of the
messes of Negroes, for his progr'am coxmended itself
chief1y to white people and lhose Negroes who prided
themselves on their opportuni:::'xnu There ~18S r:lJthing
populsrly heroic or inspiring in his pragrarn, ta cap ti-
vate the imsgination of the a~erBge Negro. C... )
The leadership of Dr. Du Bois has been too intellectua1
to satisfy the mob. Even his glorification of the Ncgro
has been in terms wi li ch escaped the black masses.
The
Psn-African Congress which he has promoted, while
supporting to sorne extent the boasted aims of Garvev,
has faileu to stir any consider2b1e nurnber of American
l''egroes.
(lI)
L'ernprise rnagique que Garvey a sur la rnasse est due à
ses syrnboles, ses slogans et ses promesses d'un nouveaL! style
de vie. Ce sont là, à n'en pas douter~ la clé du succès d'L!fl

.160.
leader char ism"Uque dont le mouvement a':t telnt son zenith en 1920,
année où la première convention internationale se réuni t au
"Liberty Hall", quartier gênér81 de i'larc'us Garvey è NeVi York City.
Une déclaration des droits des pouples n~irs rédigée au courS de
cette assemblée est adressée à tous les ,gouvernements. C'est
l'occasion que saisit Garvey pour montrer la force de son mouvement
dont les délégués sont venus de quatre continents. Il est, grâce
à cette démonstration, reconnu comme un leader digne d'intérêt
et son leadership s'impose à la grande ~ajcrité des Noirs. POl.r
ses proches, il est devenu "sonfoxcellence 'r'larcus Josiah "f'loses"
Garvey" car il s'est proclamé président pro'Jisoire de la "Républi-
que Africaine". Son gouvernement est au grand complet. Il s'entoure
en outre d'une noblesse. Des Ducs du Nil et du Niger sont prêts,
le moment venu, à remplacer les colons européens peur mettre en
valeur les richesses africaines sur la ~ase du oapitalisme. Il
gagne la sympathie de nombreux Américaims ipar son art de le per-
suasion et la puissance d8 son verbe,qwe révèle ce court extrait
We sMall now organlze the 400,UOO,000 Negroes of the
world into a vast organization to plant the banner of
freedom on the great continent ,o,f Africa •.. Ile shall ask,
demand, expect of the world a free Africa ... We say it,
we me an it •.. The other races have countries of their
own and i t is time for the 40Œ,.880,OOO Negroes ta olaim
Africa for themselves .... We are striking homeViards toward
Africa to make her the big black Tepublic ...• We are Dut
ta get what has belonged ta us 'politically, economically,

l ' i
• ~U-"-.
2~d in every ~/2j. ~nd what 15,UOO,000 of us C811nat get-
we will calI 400,000,000 ta help us get.
(12)
Msi5 cette ~rcmlo~2 sonv8nticrl est loin d'êt~e une
simple démoilstrati_on de puissance; -ellE 2 égalf,',T,ent i.Jne conna-
tation religieuse et spirituelle su" laquèlle on n'insiste pas
Soul.ient assez et qui apparaît très clairement dans le premier
hymne de l'U.N.I.A. :
Gad of the right our b~ttles fight,
Be with us as yore,
Break down the berriers of "~ght
We reverently implore.
Stand wilh us in our struggles far
The triumph of the right
And spread confusion ever cler
The advocates of might.
And let them know that righteDusness
Is mightier than sin,
That might is o~ly selfishness
And carlnot, ought nDt, Vlin.
EndoVi us Lord, Vlith faith and grace
And courage to endure
Ti·le wrongs ':le su ffer here apacè
And bless us euer morc.
(13)

.162.
Au cours de l~ deuxib~le convention, Garvey va encorE
plus loin dans sa grandiloquence et sa mégalomanie. Il est,
affiriTle-t-il, prêL 3 mourir pour l'Afrique et invite ses partisans
b se sacrifier pour elle. Le passage suivant montre que le continent
constitue sa meilleure sou~ce d'inspiration. Il trouve toujours
les accents les plus pathétiques pour pa~ler du continent de
ses ancêtres :
The enemy may argue with you and show you the impossi-
bility of a free and redeemed Africa, but 1 want you
to take as your argument the thi~teen colonies of
America; that once owed their sovereignty to Great
Britain; that sovereignty has been destroyed to make
a United States of America. George Washington was not
God Almighty. He was a man like any Negro in this buil-
ding, and if he and his associates were able ta make a
free America, we too can make a free Africa. 1 pre fer
to die at this moment rather th an not to work for the
freedom of Africa. If liberty is good for certain sets
of humanity it is good for aIl. Black men, cnlored me~,
Negroes have as much right to be free as any other race
that God Almighty ever created.
(14)
Garvey parle et écrit bien; mais il ne croit pas Unl-
quement en la magie des mots. Il sait que son "peuple" ne ',eut
plus se nourrir de mots. Il décide de créer, comme Booker T.
Washington, un programme pratique capable de les galvaniser
davantage. Il veut faire des Noirs des producteurs de biens.

.163.
Il "heI'che surtout iJ prouver qu'ils sont c,,"pables d~ monte:- des
affaires fiables. Il fonde une compagnie dE; n5vigation, la "Black
Star Line" en 1919. ,'\\l'borant le drapeau ro'""ge, 'lOir et vert de
l'U.N.l.A., elle doit servir de trait d'union entre l'Amérique,
l'Afrique et les Caraïbes. En fait, les navires de la compagnie
ont pour mission principale d'assurer le rapatriement des Noirs
e" Afrique.
Elle a acheté au prix fort trois navires; le s.s. Yarmouth
rebaptisé plus tard le 55. Frederick Douglas,s, le 55.Shadyside et
enfin le 55. Phillis Weatley, ce dernier éta,t spéciale~ent destiné
à la desserte du Libêria, de la Sierra Leor,e et de l'Amérique.
Près d' [;"
million de dollars de l'époque ont serVI à l'achat de
ces navires dont la capacité à naviguer était parfois douteuse.
Cette initiative a un grand retentissement 2UX Etats-Unis oD les
partisans de Garvey soutiennent à fond son plan de rapatriement.
La fondation de la "Black Star Line" ne consti tue-t-elle pas un
début de mise en exécution de ~e projet qu"ils ont fini par consi-
dérer comme une panacée?
En 1920 Garvey, encouragé pal' leur
enthousias~e envoie une délégation au Libéria pour négocier,
avec le gouverne~ent de ce pays, l'installation d'une agence de
l'U.N.I.A.
à Monrovia. Il compte en effet
utiliser le Libéria
comme
tête de pont pour la guerre qu'il se propose de faire
contre les empires coloniaux. Les émissaires de l'U.~.I.A. sont

.164.
bien accueillis et assurés de la collaboration des autorités
libériennes. Au cours de cette anllée là, Gabriel Johnson, maire
de Monrovia, est nommé haut dignitaire de l'U.N.I.A. et devient
le représentant du ~Quvement aL! Libéria. Le Gouvernenlent libérien
accorde ~ellement de crédit à flarcus Garvey qu'il se déclare
favorable à l'installation de colons américains sur son sol. Il
leur réserve une portion du tClritoire et permet ainsi au processus
de colonisation de démarrer. Garvey envoie des spécialistes pré-
par~r le terrain afin d'éviter toute mauvaise surprise aux premiers
colon~. En juin 1924, un équipement d'une valeur de 50.000 dollars
est expédié au Libéria pour faciliter. l'acclimatation de quelques
milliers de familles. C'est le moment que choisit le gouvernement
du Libêria pour dénoncer les accords qui le lient à l'U.N.I.A ..
Le Président King se déclare hostile au débarquement des partisans
de Garvey au Libéria et fait confisquer, de surcroit, l'équipement
de l'association. Il met ainsi fin au grand rêve de Garvey, se
faisant le complice de tous ceux qui craignent que sa venue en
Afrique ne mette en péril leurs intérêts coloniaux. Ces derniers
vont d'ailleurs avoir un autre motif de satisfaction. En effet,
les deux navires de la "Black Star Line"
terminent leur carrière
de façon inattendue. L'un exploSe
et l'autre est arraisonné pour
trafic illlcite d'alcool. Garvey continue, malgré tout, à vendre des
actions à des milliers de travailleurs qui ne veulent pas abandonner
le rêve de créer des entreprises nègres et de trouver l'indépendance

.165.
dan3 la p~ospérité. rinaJement, il est arrêté en 1925 pour escro-
querie, jugé et emprisonné à la pIison fédérnle d'Atlanta, en
Géorgie. Il ne ~'avoue pas vaincu pour autant et continue à
faire montre d'une volonté mystique et d'un esprit de sacrifice
hors du commun comme l'atteste ce passage écrit c!ans sa cellule
If l die in Atlanta my work shall then only begin,
but l shall live, in the physical or spiritual to see
the day of Africa's glory. When l am dead wrap the mantie
of the Red, Black and Greer' around me, for in the ne'",
life l shall rise with Cod's grace and blessing to lead
the millions up the heights cf triumph ~ith the col ors
ihat you weIl know. Look For me in the whirlwind or the
storm, look for me aIl around you, for, with Cod's groce,
l shall come 3nd bring with me countless millions of
black slaves "ho have di~d in America and the ~Jest Indies
and the millions in AFrica to aid you in the fight for
Liberty, Freedom and LiFe.
(:5)
Carvey ne mourra pas en prison. En 1927 il est relaxé
et expulsé des Etats-Unis. Installé à Lonclres, i l continue de pro-
tester cont~e son emprisonnement aux Etats-Unis et à attaquer
les puissances coloniales. 11ais sa voix de tribun suscite de
moins en moins d'échos car l'U.N.I.A., minée par des querelles
intestines, n'a presque plus d'adhérents aux Etats-Unis.
En 1940, Garvey meurt à Londres, avec le titre de
"Président provisoire" de l'AFrique qu'il s'était octroyé vingt anS

, "
• . '.\\JU.
plus tôt malgré 183 pI'otestations véhéfT\\i<ntes de Du Bois.
Du Bois contee Garvey
Du Bois feint d'ignorer Garvey Jusqu'en 1920. En fait,
il est ImpressIonné par ce meneur d'ho~mes extraordinaire et lui
reconnait des qualités exceptionnelles; il est, dit-il, généreux
dans l'effort, dynamique, doué d'une détermination qui n'a d'égale
que sa vision. Mais il lui repr02he son e~prit de domination, son
mar,que de sérieux dans la conduite de ses affaires et sa crédulité"
ou piutôt sa naïveté :
It is a litlle difficult to characiecize the man Garvey.
He has been charged with dishonesty and graft, but he
seems to me essentially an honest: 3nd sincere ma'l ':,ith
a tremendous vision, gce3t dyna111"-c force, stubborn deter-
mination and unselfish desire tü serve ; but also he has
very serious defects of temp8ra~ent and trainingihe is
dictatorial, domineering, inordinately vain and very
suspicious. He cannot get on with his fellow-workers,
His entourage has continually ch2nged. He has had endles3
law suits and some cases of fisticuffs with his subordi-
nates and has even divorced the ,,'Gung wife \\;hom he married
with great fanfare of trumpets 3ŒOUt a year ago. AlI these
lhings militate agBinst him and his reputation. Neverthe-
less l have not found the slighte'St proof that his objects
were not sincere or that he was conscioudy diverting
ffioney to his own uses. The great difficulty with him lS
that he has absolutely no business sense, no flair for

• J 67.
real organization and hlS general o~jects are 50 shot
through 'Iith bombast u,d exaggeration th"at it is dif,oi-·
cult to pin thel. dO'ln for. careful examination.
On the other hand, G3rvey is an extraordin3ry leader
of men. Thousands of people beli'?ve in him. He is able to
stir them 'Iith singular eloquence and the general run of
his thought lS of a high plane. He has become to thousands
of people a sort of religion. He allo'ls and encourages aIl
sorts of personal adulation, even printing in his paper
the addresses of some of the delegates .,.'10 hailed him
as "His najesty". He dons on state occasion, a costume
consisting of an academic cap and gO'ln rounced in red
and green.
(16)
Après avoir vainement attendu la publication des rapports
financiers de l' associatio" et de la "Black star Line", l'éditeur
de The Crisis met définitivement en doute l'efficacité des entre-
prlses de Garvey :
When it comes to Mr. Garvey's industrial and commercial
enterprises there is more ground for doubt and misgiving
than in the matte~ of his character.
(17)
Ce n'est pas de gaiaé de coeur que Du Bois a attaqué
Garvey. Au départ, il a cru que ses propres plans en faveur de
l'Afrique pourraient voir un début d'exécution grace au mouvenent
de masse de Garvey. Il tente donc de lui prodiguer des conseils.

Il lui demande d~ ccss~, d'opposer les mulétres aux
Noirs
d'éviter d'attaquer de front les Britanrliques sans lesquels
il ne pourra pas ",ener à bien ses projets ; de cesser de
vilipender
les officiels da la
N.A.A.C.P.
et de tenir des propos belliqueux
puisqu'il n'a pas les moyens de bouter les Blancs ~ors d'Afrique. (18)
Le ton de Du Bois reste mesuré et il argumente en s'appuyant
toujDurs sur des faits. Il est d'ailleurs en train de préparer, au
début de 1921 le deuxième congrès panafricain. Il promet d'y j~viter
toutes les organisations d'obédience noire intéressées par les
problèmes de l'Afrique. Il envlsage d'invite= également les pays
colonisateurs à Paris pour assister aux trau~Jx en observateurs. (19)
Dans le souci de se démarquer du mouvement de Garvey, il réaffirme
qu'il n'est pas questia~ de favoriser l'émigration des Noi~s er.
Afrique. En outre, il publie dans The Crisis une lettre hostile
aux visées de Garvey en Afrique. Le président du Libéria affirme,
dans cette l~ttre, que son gouvernement n'actorisera pas Garvey
à utiliser le Libéria oomme tête de pont pour une éventuelle ooéra-
tion militaire contre d'autres gouvernements en Afrique (20).
Du Bois fait par la suite une déclaration publique pour indiquer
pourquoi il n'a pas jugé utile d'inviter les dirigeants de l'U.N.I.A ..
Ils sont, selon lui, dangereux et nuisib19s au progrès de la
race.
(21)

.J69.
COlrlme lE- pire de S8S snnemis e~~ lui reproche son air distant et
son intellectualisme. En outre, il llaccuse de compromission et
nret en dout~ 32 qualité de noir. Il lui dénie le droit de parler
au norr: des Noirs, car, dit-il, il n'est noir que par profession.
Il sa vante par ailleurs du fait qu'il nIa pas, comme Du Bois,
de sang "bJ=~cn de.ns les veines. Le ton est toujours ironique,
eom-ne dans cet erticle paru dans le Negro acr Id
~lere dld he{Du Bois)get this aristocr2cy from ?
He picked it up on the streets of Great 8arrington,
Mass. He Just got it into his head that he should be
an aristcerat and ever sinee that time he has been kee-
ping his very beaLu as an 3ristoc~2t
~ he has :been
trying to be everythlng else but a Negro. Sometimes
y,'e hear he i3 a Fr-enchrnall and arlother time he is Dutch
and Khen it is convenient he is a Negro (Derisive cheers
and laughter). Naw l have no Dutch. 1 haVE no French, 1
have no Anglo-Saxon in me, but l am but a Negro now
and always (thunderaus applause). 1 have no Frenchmen
ta imitate, 1 have no Anglo-Saxoll to imitate ; 1 have
but the ancient g18ries of Ethiopia to imitate.(Great
Bpplause.) The men who built the Pyramids looked like
me, and l think the best thing 1 CBn do i8 to keep looking
like them. Anyone you hear always talking about the klnd of
blood he has in him other than the blood you CGn see, he is
dissatisfied with something, and 1 feel sure that many of
the Negroes of the United States of America know that if
t~ere is 8 man who ia most dissatisfied with himself, it
is Dr. Du Bois.
(22)

.17G.
Peu avant le deuxiènle congrès panafricain, The Negro
World tente de discréditer Du Bois en affirmant que seulement
url tiers des délégués ven~Js p8Tticiper 3U premier congrès étaient
Africains. Par conséquent le terme pan2fricain est: selon lui,
mal choisi. Et Garvey attaque avec iron1e Ou Bois pour avoir
invité des Blancs à un congrès ~anafricRin :
Just imagine that! lt reminds me of the conference
of rats endeavoring ta legisl8te against the cats and the
secretary of the rats c~nventi~n invites the cat ta
preside over the convention.
(23)
Garvey souhaite que les Noirs SE tiennent ~ l'écart
de la civilisation blanche et développent un type de civilisation
originale. Cette ciVIlisation doit naître dans une Afrique digne,
selon le sl8gan "l'Afrique aux AfricaIns d'Afrique et d'ailleurs"
Dans des articles parus dans The [risis, Du Bois reconnaît
les mérites de Garvey. Son nationalisme racial est procr~ du SIen.
En revanche ils ont de l'Afrique deux visions inconciliables
Garvey veut remplacer l'impérialisme européen par un impérialisme
des Noirs venus des Antilles et des Etats-Unis. Du Bois est non
se~lement opposé au retour massif des NolIs en Afrique mais sou-
tient que l'Afrique doit être libérée au profit de ceux de ses
fils qui sont restés en contact constant avec elle. Il ne veut pas

, ....,. ,
• -.l 1 .!.•
que les Améric2irlS aillent impos~r è l'Afrique une idéologie
étrangère. Pour lui, l'Afrique, centre du panafricanisme, doit
être une nation riche dont 12 prospérité repose sur le socialisme
africain. Seuls les Afri~ains, 3 partir de leur VIe communautaire
peuvent concevoir cette économie coopérative qui ne laissera
aucune chance aux millionn3ires, qu'ils soient blancs ou noirs.
Pour que l'Afrique puisse s'épanouir, elle doit être dirigée par
des leaders qui sont africains de naissance. Certes, l'Afrique
n'est pas parfaite. Mais en Afrique, le bien l'emporte sur le
mal. L'Afrique est donc une réserve de bonnes intentions. Ces
bonnes intentions cOGduiront l'humanité au bonheur, à condition
que l'on cesse de perturber 18 p2isible Afrique:
1 have been two months in West AF~ica. In that time 1
have not se en a single sizable q~arrel among the
natives, a single fi9ht, nor met with a single
lewd gesture nor, so far as 1 could understend,
expression. 1 have met ho impudent children or
smart and overbearing young folk .. 1 have not only
met politeness personally but what is more to the
point, 1 have seen the natives ufliformly polite to
each other-to old and young. 1 h"ve se en touching
expression of affection between parents and children,
deference to authority and tolerance for strange
look and behaviour.
1 have often thought when 1 see al.kward and ignorant
missionar::'es someLimes sent to teach the heathcn"

17?
that iL wOlJJd be Q~l ~xccllent thing if a few native~
cauld be BBnt hare ta Leach mBnners ta black and
",hi te.
(2 i f!
Si on la laisse se dél/elopper selon ses pro["lres canons
de beauté, selon ses propre3 codes morau>:, s810n sa propre philoso-
phie de la vi~, l'Afrique co~blera les défaillances spirituelles
du monde que no~s conn8issons aujourd!hLli. Elle ofFrira un mouveau
dép2r~ ; ce s8rait dorlc une folie de ne pas la laisser s'exprimel'
en _oute quiétude. Le raIe des Noirs américains serait de l'aider
à acc'Jucner sans douJeur ce nouvel humanisme grâce au pa~africa-
nlsme.
Le panafricanis~e est donc une puissance spirituelle
par référen~e à l'AfriqlJ8 dont ella stinEpire :
That the proble~s, for instance of the American Negroes
must be thought of and settled only with continuaI
reference ta the problems of t},e West Indiall Negroes,
the problems of the French Negroes end the English
Negroes and ab ove aIl the problems of he African Negroes~
This is the ide a at the back of Pan-African movement
in aIl its various manifestation~. (25)
C'est cette conception du panëfricanisme, cette force
spirituelle, cette vision de l'Afrique que Marcus Josiah Garvey
menace de détruire.

~-
Du Bois est décidé 2 protéger sc visicn contre toute
atteinte. Or, les attaques venant de Garvey sont personnelles,
caustiques et tendent à présenter Du Bois comme un Noir Ilimpur" J
un traître dont il faut se méfier. La cDnfusion est telle que
Du Bois éprOU\\'8 des difficultés poui amener son mouvement ~
financer en 1920 la deuxiè~e conférence panafricaine. Les diffi-
cuités intérieures sont en effet telles que les Américains se
détournent de l'idéal panafricain.
Au début de la guerre beaucoup de ~oirs avaient quitté
leurs foye~s pour se rendre dans les grandes cités du nord et
travailler dans les usines. Mais après la ~émobilisation des
soldats, le3 emplois se firent f3res et les émeutes plus fréquentes.
La plus grave eut lieu ~ Chicago oG la ter~eur règna pendant
treize jours avant que l'ordre ne soit rétabli. Parallèlement,
le nombre de lynchages s'éleva. Il y en eut: trente huit en 1917,
soixante en 1918 et quatre-vingt trois en 1919.
Le Ku Klux Klan, qui a fait sa réapp2rition en 1915,
sévit dans tout le pays. Les Nons qui n'nnt pas de véritables
leaders depuis la mort de Booker 1. l.JashinIJton en 1915, se tour-
nent tout naturellement vers Marcus Garvew, le nouvesu Moise,
qui leur promet la sécurité et la richesse en Afriqlle. Du Bois,
dans ces conditions, éprouve des difficultés à populariser son
image de l'AFrique, car il se bat sur le plan des idées.

En outre: non conlerlL ~~ l'attaquer pefsonrlcllcment,
Garvey ne manqlJe aucune occasion de ridiculiser ses pr6tentions
africairlcs en décriv8nt~ dans sorl journal, ses conférerlces pana-
fricaines comme des réunions de salon. Ce qui est vrai dans une
certai~e mesure. Mais, pour Du Bois,· il s'agit, à cette époque
difficile, de maintenir allumé le flambeau que lui 0 transmis
Henry Sylvester 8illiams.
La deuxième conférence panafrjcaine
Malgré l'incompréh8nsion des membres de la
N.A.A.C.P.
et l'opposition de plus en plus ouverte des gouverne~ents coloni2ux,
effarouohés par les déclara~ions de Garvey, il réussit, 8 réunir
les fonds nécessaires à II organisation du deuxième congrès en
1921. Les 28 et 29 aoOt celui-ci s'ouvre au Central Hall de
Londres en présence de deux cents délégués dont quatre viennent
des territoires africains et trente cinq des U.S.A. Les milieux
fabiens et travaillistes de Grande-Bretagne sont
favorables et
suivent les travaux à l'issue desquels Du Bois r~dige une "décla-
ration au monde" qui n'est pas publiée sous sa forme initiale
jugée trop radicale par certains délégués africains, dont Blaise
Diagne. A Bruxelles où la conférence se tra~sporte, les jOûrnaux
ne se lassent pas d'interroger DI! Rois sur ses intentions; les
gouvernements coloniaux sont échaudés par les déclarations belli-
cistes de éiarcus Garvey qui se propose de les bouter hors d'Afrique.

.175.
Malgré les assurances données pa~ Du Dois dont Il intelligence et
la présence intimident plus d'un observateur, le gouvernement
belge voit Llne ombre bolchevique derrière cette organisaticn. Une
pétition est envoyée ~ la commission des mandats de la Société
des Nations insistant à nouveau sur le principe de l'égalité des
races humaines. C'est l'ambassadeur d'Haïti en France, ~1r Dentes
Bellegarde qui conduit la délégation. Malgré les séquelles des
nombreux incidents qui émaillent les travaux de Bruxelles, le
Congrès répond ~ l'attente de Du Bois qui exprime sa satisfact~on,
dans ce télégramme
Successful Congress. Sir Sydney Olivier, Harold Laski,
H. G. Wells, Ida Gibbs Hunt, Kamba Simango, Bishop
Vernon, African chief present. Thirteen countries,
six American States, represented.Du Bois.
(26)
Ce congrès reçoit une publicité considérable et contribue
davantage au réveil de l'Afrique. Dans les colonies, les Africains
s'organisent ~ la grande satisfaction de Ou Bois. Mais en 1922
il échouera dans sa tentative d'organiser le troisième congrès.
Les difficulLés rencontrées méritent d'être rapportées car elles
illustrent bien les efforts déployés par Du Bois pour mener ~
bon terme ce qu'il a appelé en 1955 la mission de sa vie. En
1922, la N.A.A.C.P., après avoir consenti ~ financer deux conférences
panafricaines, se replie sur elle-même. Le conférence prévue ~
Lisbonne doit être financée par les différents groupes.

l ï /
• .J.,' u.
~lait: è la dernière nlinute, le responsable du secrétariat installé
à Par is, l'lr Béton rejette sine die la conférence car, alors qu'il
a dépensé 15.000 Frs. 11 n'a reçu que 1.000 Frs. de cotisation.
Toutes les tentatives pour le raisonner restent vaines et la
réunion avorte au grand regret de Du Bois qui passe à l'action
et sauve la situation :
Fifty dollars was spent in cablegram and much time in
correpondance to urge the holding of the congress but
the Secretary \\·,as adame_nt. "1 t i'5 too late". He had
not received "proper supp~rt either from his French
colleagues or from l'Ir. Du Bois or from other Americans"
he had spent "15.000 Francs and received only 1.000 francs"
in membership.
It was in valn that we pointed out that movements
like this go slowly, that America was not yet in ter es-
ted but that she cou Id be interested if we worked
long and patiently. Then having pleaded and urged,
it seemed time to act. The consent of the majority
of the Executive committe~'as obtained and the third
Pan African congress was again called ta meet at a
later date in London and Lisbon.
In this way the third Pan-A fric an congress came into
being and the work of six long years was saved. What
hes been accomplished! This : .,e have held ta a great
ideal, we have established a continuity, and some day
when unit y and cooperation come, the importance of these
early steps will be recogniz~d.
(27)

.177 .
La Troisi~~18 Confdrence PannFrj.caine
-------
En 1923, la troisième conférence panafric2ine se tient
malgré l'hastilit6 des partisans de Garvey et des communistes qui
traitent le mouvement de ";JeU t bourgeois".
Pendant la première partie des assises qui se tiennent
à LondI'e3, plusieurs rilembres ou Labour Party assistent aux trêv8l!X
et Ramsay Mac Donald, alors secrétaire général du parti adresse
au). délégués un n,essage de sympathie. La déclaration finale affirme
une fois de plus que la paix et le progrès ne seront garantis que
par l'abolition du raCIsme qu'engendre nécessairement la colonisa-
tion. Une deuxième seSSIon 3 lieu à Lisbonne où 12 lILiCJ3 Africana"
regroupe des intellectuels dynamiques d~sireux d'oeuvrer pour la
libération de l'Afrique. Il s'agit pour Du 80is de faire comprendre
aux autorités portugaises les méfaits du
travail. forcé .. 'on Angola,
dans les îles de Sao-Thomé et Principe. Il obtient l'appui de
personnalités inFluentes. Par la suite ces promesses ne seront pas
tenues. Mais Du Bois a le sentiment d'avoir maintenu en vie un
idéai qui vaut tous les sacrifices consentis.
Après avoir foulé pour la première fois le sol africain,
Du Bois tente d'organiser la quatrième conFérence panafricaine à
Tunis. Mais le gouvernement Français, méfiant, demande qu'elle se
tienne è Marseille, dans toute autre grande ville française ou
même è Paris plutôt qu'en Tunisie, comme le signale è Du Bois,
le député de la Guadeloupe è l'Assemblée Nationale française et
préside~t du congrès Gratien Candance.

.178.
Amer, Du Bois commente :" I1Eri d'autres termes, le gouver-
nem~nt Français
ne veut PdS que 12s Noirs américains rodent autour
de ses colonies et apprennent des choses. Il préfère les avoir à
l'oeil. Y a-t-il une raison plus forte pour que nous oerpétuions
l'idée du panafricanisme ?" (2B)
Du Bois s'étonne que les Européens ne comprennent pas
qu'il est de l'intérêt de tous que l'Afrique soit libérée. Il va
jusqu'à se demander en 1933 si, finalement, la France et l'Ang].a-
terre ne souhaitent pas la confrontation. Il a alors soixante-cir~
ans et il essaie encore une fois de préciser pour les lecteurs de
The Crisis l'objectif qu'il poursuit. En cette période de crise,
il voit l'AfriqLle de ses rêves se dresser à l'aube de l'ère nouvelle.
Le panafricanisme, dit-il, est une coopération intellectuelle
animée par les Africains au sens large du terme pour le libération
de l'esprit des Noirs. Il pense que cette libération doit se faire
par la coopération et qu'il ne faut pas se laisser gagner par le
désespoir. Il invite les Noirs à considérer la puissance spirituelle
potentielle de l'AFrique, qUI, libérée, rayonnera sur ses fils,
où qu'ils se trouvent. Le fait que les puissances coloniales
s'acharnent contre ce mouvement est bien la preuve qu'il est utile
à l'AFrique. Bien entendu, dit Du Bois, cette coopération doit
bénéficier, dans un premier temps, à l'Afrique mais les Américains
en profiteront dans un avenir proche


i., 1
i .
Il is thC'rcfoI'8~ Si[jlfJJ.v 2 ;nattel' of 8i'di.n8l')' common
sense that th~S2 peopJ.c Sllould draw toget',er in spiri-
tual sympatllY end intcllectual cooperation~ ta see
what can bc do ne for Lhe freedcm of ~he hunlan spirit
which heppens te te incased in dark skin.
(29)
~UEitri ème con férence pana fr iCaine
Du Bois continue ~ réclamer pour les africains les draits
tels q~'j.ls ont été précisés par le congrès pa~africain qui siest
tenu à î\\e\\', York en 1927. Ce cong:ès qui a été financé par une
association de femmes a regroupé ddUX cent huit délégu~s venus
d'une dizaine de pays. Ils ont réclamé pcur les Africains le droit
de faire entendre leur voix et le droit de jouir des richesses de
la terre africaine et de contrôler leurs propres cessources. Ils
ont souhaité que la justice soit rRndue 2vec plus d'équité et aves
l'essist3nce des juges africei~s. Ils ont, pour terminer, fait
appel à la conscience internationale afirl que la guerre soit bannie
et que le désarmement soit effectif.
Du Bois guitte la
N.A.~.C.P.
Depuis le début de la crise économique qui a frappé les
Etats-Unis en 1929, les Noirs connaissaient une situation parLiculiè-
rE~ent difficile. Ils étaient si démunis que la question de leur
survie économique, politique et culturelle se trouvait au coeur
des débats. Pour Du Bois, le pouvoir noir clevait être maintenu

.180.
par tous les moyens, au détriment, s'il le fallait, de la solidarité
nationale. En 1934 il proposa un programme de solidarité raciale
et critiqua la N.A.!;.C".P. oU\\.iert~;nent. Ce programme qui était
essentiellement économique s'inspirait de la vie communautaire
afdcaine et du socialisme scientifique de la Russie qu'il avait
visitée.
S'inspirant du succès qu'avait obte"u ['Iarcus Garvey
avec son progr8m~;)C économique, j] suggéra la création de coopéra-
tives fe~mières et une socialisation dp. la médecine dans les com-
munaut~s noires. Il alla jusqu1à accepter l'idée de la séqrégation.
C'était une réalité, dit-il. et les Noirs devrajent, pour survivre,
en faire bon usage.
Il est évident que Du Bois, afin de permettre aux Noirs de
survivre physiquement, défend alors sa V~SlOn messianique de 12
race noire. Les Noirs doivent survivre dans la dignité, et non
comme des mendiants à la porte de l'opulente sociéLé blanche.
Il envisage même la possibilité d'une émigration si la "ation rcnd
impossible leur survie aux Etats-Unis. Du Bois entre ainsi en con-
tradiction avec les idées défendues depuis deux décennies par la
N.~.A.C.P.
Il ne craint pas, dit-il de se contredire; seule, la
vérité l~hante' Il refuse la demande du conseil d'administration
de revenir en arrj.ère ; i l écrit au contraire dans The Crisis,

l " J
• _. '.J..l. •
avani de qUitt8~ sa dir'2ction, qu'en cette période de frustrations
ct de déceptio~s les Noirs doivent· passer de la position défensive
qui est la leur à une position offensive. Au lieu de noyer leur
o~iQinalité en imita:lt les Blancs les plus méciocres ils ont le
devoir de cl ariiel' que la race noire est l'une des plus grandes et
des plus eccompHes.
(30)
Ce départ signifie donc que Du Bois ne veut pas sacrifier
son rêve pa:lafricain. Il retourne à l'Université d!Atlanta et con-
tinue è lutter po~r concI'étiser sa vision pour l'Afrique. A partir
de 191.45, ses ar:-.icles sur l'Afr.ique, qui contiriuent à faire autorité,
p3raîtront principalement dans The Pittsbur~C~~l~ier,
The A~ster-
dflnJ Ne~'IS et
The Chicaqo Cefender. L'invasion de 11 Ethiopie par
l'Italie l!indig~e. Et il ne cesse de protest8r contre la sure x-
ploitalion dont est victime le Libéria, fief de 18 "Firestone
Corpo:Lation".
La Cinguième Conférence Panafricaine
Après la deuxième guerre mondiale, il apparaît clairement
è tous que les choses ne seront plus comme avant. Les Africains
n'entendent plus subir le joug des nations impéri31istes. Ces
dernières connaisscnt une situation telle qu'il leur est désormais
difficile de contenir les oppositions de plus en plus
violentes
qui se manifestent dans leurs empires. L'heure du réveil a, en fait,

sonné pour l'Afrique. En mars 19~5, sans donner le temps aux gUEr-
riers victorieux niais éprouvés de se reposer, un congrès panafri-
cain est organlsé grâce à Georges Padmore ;
Du Bois, qui depuis 1944 est revenu prendre son poste
au comité directeur de la N.A.A.C.P., assiste au congrès qui a
lieu à Manchester quelques semaines après les assises de la Fédé-
ration Mondiale des Syndicats qui se sont tenues au Country Hall
de Londres : à cette réunion, sont également présents des Afrir.ains,
jeunes et inconnus, qui ne vont pas tarder è faire parler d'eux.
Il s'agit princip~lem~nt de Jomo Kenyatta du Kenya, Kwame N'Krumah
de la Gold Coast, Akintola du Nigéria et Apity du Dahomey. On note
aussi la présence de Ja-Ja Wachuku et Abowolo du Nigéria, d'Hastings
K. Banda du Malawi, de l'historien ghanéen J. C. de Graft Johnson,
de l'écrivain sud-africain Peter Abrahams et celle des dirigeants
syndicalistes Magnus Williams, I.T.A. Wallace Johnson et E. Garba
Jachumper venus respectivement du·Nigéria, de la Sierra Leone et
de la Gambie. Du Bois, qui est vivement acclamé par les congressistes
au cours de la séance d'ouverture, n'assiste pas aux travaux en
spectateur passif. Il prend part à toutes les discussions en com-
missions et influence dG façon décisive les résolutions qui vont
sonner le glas du colonialisme; il assure avec N'Krumah le
secré-
tariat politique du congrès, mais il sait que le moment est enfin
arrivé où il doit transmettre aux Africains le flambeau qui éclaire

.183.
depuis 1900 le chemin de Id libération et l'unité du continent.
Comme il fal18it s'y attendre, le con~rès revendique en termes
violents, l'indépendance pour les colonies africaines dans les
délais les plus brefs;
il invite par ailleurs les peuples
colonisés à se suulever pour reconquérir leur liberté:
The peoples of the colonies must have right to elect
their own government, without restrictions From
Foreign powers. We say to the peoples of the colonies
that they must fight for these ends by aIl means at
their disposaI. The object of imperialist powers lS
to exploit. By granting the right to colnnial peoples
to govern themselves that object is defeateJ.
Therefore, the struggle for political power by
colonial and subject peuple is the first step
towards, and the necessary prefequisi te ta complete
social, economic and political emancipation. The
fifth Pan-African congress therefo~e calls on the
workers and farmers of the colonies ta organize
effectively. Colonial workers must be in the front
of the battle against imperialism. Your weapons
the strike and boycott -- are invincible.
We also calI upon the intellectual and professional
classes of the colonies to awaken to their responsi-
bilities. By fighting for trade union rights, the
right to form co-operatives, freedom of the press,
assembly, demo~tration and strike, freedom to print
and read the literature which is necessary for the
educetion of the masses, you will be using the only
means by which your liberties, will be won and maln-

tairlcd, Today t!lere is only one road to effective ~lction
tlle or~8niz8tinn of thn maSSES. And j.n thatorganizutlon
the educateG coloniols must join. Colonial and sub,ject
peool8s of the vlOrld, Unite
(31)
Pour favoriser la mise en application des résolutions
adoptées à Iri3sue dlj cinquième congrès panafricain~ une Fédération
'......
Panafricaine est créée dont le secrétariat général est confié à
T.R. Makonn~n de la Guyane Britennique. Elle a pour mission de
stimuler et de coordonner les activités des mouvements de libé~a-
tian en Af~ique. Indépendamment du travail entrepris par le conité
exécutif de la Fédération P2n3fricaine~ Kwame N'i(rumah fonde un
comité regional, le IIt,lest Africa National Secretariat!!, au sein
duquel sont discutés les moyens de pa~venir à une libération de
l'Afrique de l'Ouest.
Pour associer les territoires francopilones ~ cette entre-
prise, Kwame N'Krumah se rend à Paris pour rencontrer les députés
africains de lrAssemblée Française: Sourou Migan ApitllY, Léopold
Sedar Senghor, Félix Houph()uet Boigny et L2rnine Gueye. En 1546,
le comité se r~unit b Londres en présence de Léopold Sédar Senghor
et Sour ou Migan Apithy venus représenter l~s territoires franco-
phones de la ~égion. A cette réunion, les délégués ont non seule-
ment adopté les conclusions du cinquième congrès panafricain, mais
convenu également de promouvoir le concept d'une Fédération Socialis-
te Ouest Africaine, indisponsable à la réalisation de l'unité
africaine (32). Pendant que les nationalistes de l'Afrique de

.185.
l'Ouest fourbissent leurs armes pour aller affronter le colonia-
lisme dans leurs territoires respettifs, ceux de l'Afrique de
l'Est ess2ie;lt de 3'organis81.' au sein de la. "Kenya African Unjon Tl .
Pour informer le public anglais et les militants noirs sur les
évènements qui se déroulent dans les territoires coloniaux, la
Fédération Panafricaine lance en 1947, Pan-Africa, un mensuel
édité par T.R. Makonnen et Jomo Kenyatta, Ce journal remporte
un énorme succès auprès des populations colo0iales mais il est
con3idéré comme séditieux. Aussi, la Fédér3tion Pan8.fricaine
juge-t-elle prudent de mettre fin à sa publication afin d'épargner
aux militants des territoires des brimades supplémentaires. De
toute façon, le panafricanisme est entré définitivement en Afrique
de l'Ouest. Les Nigérians, avec à leur tête Nnamdi Azikiwe, récla-
ment, par une pétition, une nouvelle constitution. En Cold Coast,
J. B. Danquah, \\·Jilliam Ofori-Atta, et Ako Adjei fondent un parti
politique:
l'U.G.C.C. (United Gold Coast Convention~. Ils font
appel à Kwame N'Krumah pour en assurer le secrétarist général.
Ce dernier, après bien des hésitations, accepte de se rendre à
Accra. Il a l'intention d'atteindre le plüs rapidement possible
les objectifs pclitiques du cinquième congrès panafri.cain, élaborés
essentiellement par Du Bois et lui-même.
L'Indépendance du Ghana: première victoire du panafricanisme
C'est en septembre 1947 que Kwame N'Kruman débarque
au Ghana. Il occupe son poste au secrétariat général d'un parti
peu organisé et dont l'emprise sur la masse est insignifiante.

· ~86.
Il se met aussitôt au travail, parcourt le pays et crée des sections
de l'U.C.e.e. dans toutes les localités. Conscient du manque de
maturité politique de la plupart de ses concitoyens, il fonde un
quotidien, The Evening ,\\'el'Is, ct jette 18s bases d'une fo~mation
accélérée de cadres. Mais bient6t sa populerité grandissante inquiète
le comité exécutif de l'U.C.e.e. qui finit par le juger trop ,encom-
brant 8 cause de ses idées révolutionnaires. h~am8 N'Krumah décide
alors
de créer son propre par ti. Le e. P . P. ("Convention 0 f People' s
Party") qu'il "nime à partir de JjiCl 1949, est un parti radical
et dynamique. Aussi attire-t-il tOU3 les cheminots, les mineurs de
la région de Tarkwa, les anciens combattants et les instituteurs,
en somme tous les petits salariés qui, comme Kwame ~'Krumah sup-
portent mal l'attentisme des notables du comité directeur de
l'U.C.e.e.
L'objectif du e.p.p. est d'obtenir l'autonomie du
pays dans les délais les plus brefs, de servir de parti d'avant-
garde dans la lutte pour la libération du continent, de travailler
dans l'intérêt des masses et de favoriser p2r tous les moyens
l'unité d'une Afrique de l'Oue~t indépendante. Pour atteindre ces
objectifs, le parti se propose d'utiliser des voies légales et
pacifiques. Ses armes principales seront l'agitation politique et
les journaux. Mais il se réserve également le droit de recourir
le cas échéant aux grèves, aux boycotts et à la non-participation
selon la technique utilisée par Candhi en Inde.
Au vu de son programme et de ses méthodes d'action, le
e.p.p. apparaît donc comme l'héritier de la philosophie politique
du panafricanisme. Aussi sa lutte est-elle suivie de très près par

.187.
Du Bois '-q"ui, après le deL'nier congrès pana fI' i'c-aï~ n'a pas aba,ldon-
né l'Afrique à elle-même. Il s'est, tout simplement, retiré à
l'arrière-garde 0'oG il suit les progrès de l'Afrique sur le
chemin du bonheur. Il souhaite en effet qu'elle joue pleinement
le rôle de conscience du monde et continue de faire entendre·la
voix de ses peuples opprimés. Cet engagement lui fait perdre
d'ailleurs le poste de directeur de recherche de la N.A.A.C.P.
qu'il occupe depuis 1945. C'est en tout cas ce qu'il affirmera
au cours d'une interview accordée à Al Haegen, journaliste b la
cinquième chaîne de la télévision ncw yorkaise, le 4 juin 1957 :
Of course, nobody has the same outlook on life and
the development of the world toaay th et they.had in
the thirties. We have had tremendous changes. But
l think it would be unfair to say that the controversy
concerning me in the N.A.A.C.P. had anything to do
directly with my differerlt vie\\'iS. It was rather the
matter of whether the N.A.A.C.P. was going to have
any hand in the development of Africa. l had come
back with the ide a that we were going to carry on the
work that l had ceen doing, with regard to the Pan-African
Congresses, and l held one Congress after l came back
there. But man y people in the N.A.A.C.P. said that
we had enough trouble in the United States without
seeking troubles and problems in Africa and the y
didn't want that part to go on. 50 that l think was
the basic difference. l don't think that the difference
concerning my political outlook came up until after l
was dismissed.
(33)

.l8~L
Après ce limogeage, Dli Bois a2cepta tout naturellement
d'occuper la vice-présidence du IICoL:r:cil on African Affairs",
organisation chargée d'éclairer les Américains sur les mouvements
de libération africains. L'idée de la création de cette organisation
remontait à 1939, année où Paul Robeson, artiste de renommée mon-
diale, rencontra à Londres flax Yergan, secrétaire du Y.M.C.A.
Ils revenaient respectivement de l'Afrique de l'Duest et de l'Afri-
que du Sud. "The Council on African Affairs" vit effectivement
le jour en 1943 à New York. Alphaeus Hunton, professeur à Howa~d
depuis dix-sept ans se joignit à Paul Robeson et Max Yergan pour
l'animer. Ils cré8renc une bibliothèque africaine et organisèrent
un cycle de conférences sur l'Afrique avec la participation de
nombreux Africains 8Lixquels ils offraient une hospitalité chaleu-
reuse.
Du Bois écrivit sans Cesse dar.s SpotliQht on Africa,
le bulletin mensuel de l'organisation, et prononça de nombreuses
conférences dans le but de sensibiliser l'opinion publique dméri-
caine et de l'amener à épouser la cause de l'Afrique, c'est-à-dire
de la paix.
En mars 1957, le Ghana, sous 16 conduite de Kwame N'Krumah
et son parti, accèd6it à la souveraineté internationale et consacrait
ainsi la premi.ère victoire du panaf;:icanisme. 1'lais si l'on associe
volontiers le panafricanisme à cette victoire, nombreux sont ceux

.189.
qui ~ensent que les congrès organisés par Du 80is avant 1945 nIant
pas eu d'impact réel sur la conscience politique africaine. Aussi
allons-nous nous arrêter quelques instants pour évaluer l'importance
de son engagement panafricain 2 lumière de ces critiques directes
ou voilées.

.l?ü.
CHAPITP.E
VlI
L' Impsct des Ccnf~rences Par!8fricaines sur l'Afrioue Coloniale
- - _ .
_._._------------
L1éveil du nationalisme afric~in
Dans son autobiographie, Kwame 11'Krumah dit avoir été
très impressionné par The Philosophy and Opinions oF Marcus Garvey
pub.' ié par nrs Amy Garvey. Il dit que la cinquième conférence
fut celle des masses ~ la différence des précédentes qui
.ont
été organisées et ônimées par des intellect~el~ bourgeois et
réformistes :
Although this conference \\'12S th.e fi fth of its kind that
had taken place, it was quite distinct and different in
tone, outlook, and ideology From the four that had prsce-
ded it. While the four previous conferencelwere both
promoted and supported mainly by middle class intellec-
tuaIs and bourgeois Negro refOL""ists, this fiFth P,ln-
Afric an congresc; "las at tended by "orkers, trade unio-
nists, farme~s, co-operative St~~ieties and by African
and other colored students.
As the preponderence oF mem~eLs attending the congress
"Iere African, its ideplogy becamJe African, a revoIt. by
African nationalism against colonia1sm, racialism and
imperialism in Africa.
(1)

Kwame Nr~rum2ll 2 peL!t--&L~c raisorJ de consid6rer la cin-
quième conférence panafri2ainc comm3 étant à l'origi~e de la plu-
part des mouvemen~3 de masse en Afrique. Mais il n 1 est pas juste
d'affirn1er, comme il lIa fait, que c'est ell€
qUl a éveillé la
conscience politique africaine, de ~ême qu'il est injuste ce dire
que Du Bois n'était qu'un idéaliste américain, incapable de mettre
en pratique ses idées panafricaines. Bien que n'étant pas Africain,
Du Bois n'en a pas moins dénoncé, avec la dernière énergie, les
horreurs du colonialisme, du racisme et do l'impérialisme en Afri-
que. Il a été, entre 1896 et 1945, écoeuré p2r le sort réservé à
l'Afrique, peut-être plus encore que les indigènes rles colonies
qui, dans la plupart
des cas ignoraient leu~s drsits les plus
élémentaires. D'ailleurs certains Africains, vivant en Europe et
préférant jouir des privilèges que leur procurait la connaissance
de la langue du maître ont fait moins que lui en ce sens.
En tout état de cause, le fait qu'il ait toujours analysé
les problèmes du monde en termes de géopolitique recialê ne le
qualifie-t-il pas mieux qUE certains Africains pour concevoir une
vision grandiose de l'Afrique de demain?
D'autre part, Du Bois
a toujours été militant. Il a pris part, nous l'avons vu, à la
marche silencieuse organisée par la N.A.A.C.P. à New Yorv en 1920
paer protester contre les lynchages et a participé à de nombreuses
autres manifestations politiques. Il a été en fait un radical
toute sa vie. Mais la question qui se pose ici est la suivante

pOUl/al t-or. mj.elJ:~ faire que lui sur le plan pratiqüè ? Il est
difficiJ.2 de réD, or:dre por l'affirmativ~.
_
Aux d·l·FFicu_lt~s
_
finonc'e-
O
. . l . "es
. . I . . ,
il fau~ ejcuLEr les l'ésistances coloniales toujours vigilantes.
Et jl n'ét2i~ p3S du tout facile dl~voir la masse africaine avec
soi
à Paris, à Londres, à Bruxelles At à Lisbonne. Dans tous les
cas, son intention 3 toujours été d'éveiller la conscience de
l'Afrique 9t on p~ut dire que 5~r ce plan il n'a pas échoué com-
plèterile'lt. Ce s'.;ccès relati f, i l le Joi t surtout à 55 brillante
inte~ligcnce et à sen engagement total qui ont suscité l'admir3-
tian d~ tous ceux qui llont connu. Nous avons vu dans un rhapitre
précédent l'impact qu'à eu sur le devenir de l'Afrique sa rupture
avec Booker T. Washington. Nous rappellerons lCl que, n'e~s5ent
été son courage et Son radicalisme, llUniversité Lincoln aurait
peut-être changé de vac8tiall et Kwame N'KrLlmah aurait probablement
eu un autre destirl. Mais parlons plutdt de l'impact direct qu'a
eu san oeuvre sur le destin politique de l'Afrique, avant et
après la pr~mière guerre mcndiale.
Il est évident que les Africains ~'ont pas attendu
Du Bois pour contester la suprématie des colons.
En effet, comme tout système de domlnation, la colonisation
por~ait en elle les germes de sa destruction. Et les Africains n'ont
pas tardé à réagir contre les traitements qui leur étaient infligés.

· i93·
Airlsi dèB 1871, des rois, das chefs et quelques intellectuels
do la Gold Coast, se l:élJnire~t à Mankesim pour récla:ner en des
-terl1l2S très expllcites 118utonomie du peuple Fanli. Ils adoptèrent
à cette occasion, une cûnstitution dénGrnmée 1'.
-·Hranti Plman buhu
Fekkuw" dont l'article 8 nous apprend que la Confédération voulait
promouvoir la solidarité entre tous les rois et lutter contre les
abus de l'administration coloniale. Il nous révèle également que
les Fantis étaient surtout préoccupés par le développement des
voj~s de communication et la construction d'écoles dans leur
pays. Ils s'étaient, en effet, rendu compte que l'inst~uction
leur permettrait d'affirmer leur personnalité ~2ce au mépris des
administrateurs. Les articles 24 et 25 traitent plus spécifiquement
des droits des peuple~ réunis au sein de la confédér2tion fanti.
Ils revendiquent pour ceux-ci, le droit d'assister l'administration
coloniale dans l'exercice de ses fonotions, et do sauvegarder
ainsi les intérêts et le patrimoi~e oulturel de la commu~9~té.
Il convient de noter que ces recommandations reconnaissent impli-
~itement les bienfaits de l'administration britannique. Ce que
les Fantis voulaient à ce stade du déveloprement de leur peys,
c'était le respect de leur dignité d'ho~me. Ils désapprouvaient
les méthodes brutales utilisées par les colons dont les intérêts
ne coincidaient pas toujours avec les leurs. Et c'est pJur mieux
faire valoir leur personnalité, que les chefs et les quelques
intellectuels fantis demandèrent à être étrùitement associés à
la gestion de leur pays. (2)

,
(1/,
• ';_/'1".
L8 réponse du pOiJ\\./ciI' colorli81 fut prorllpte et brutale.
Les auteurs de la constitlltion ftJrent errêtés et jetés en prison
pour avoir osé défier l'empire britannique. M&is une virlgt8ine
d'années plus tard, une autre organisation nationaliste voyait
le jour dans cette même colonie : "The Aborigines Rights Protection
Society" .
The Aborigines Riqhts Protection Society
Ce fut la première organisation réelleme~t politique de
l'Afrique au sud du Sahara. Sa fondation remonte à l'année 1897,
date à laquelle le gouverneur de la Gold Coast, Sir \\:Jilliam :'1a:\\l,el1,
introduisit un projet de loi tendant à étatiser les terres apparte-
nant à la chefferie traditionnelle. Ce proje~,
"Lana Bill", qui
visait à sécuriser ceux qui cultivent la terre, suscita un mouvement
de réprobation no~ seulement
de la part.· des chefs, mais aussi
de celle des quel~ues intellectuels bourgeois que comptait:.: la
colonie. Ils estimaient que la Couronne n'avait aucun droit sur
les terres des indigènes. Parmi les intellectuels qui s'~llièrent
aux chefs, il y avait John Mensah, le premier avocat africain à
avoir été admis au bureau d'Angleterre en 1887 ; il Y avait égale-
ment John Ephraim Casely-Hayford, Thomas Hutton-Mills, Charles
Ja~es Bannerman, et Francis ThomRs Dave, tous avocats. Ils dotèrent
le mouvement de statuts et d'un règlement intérieur. Laissant
aux chefs le soin de financer les aotivités de l'association et

.195.
dorlC Je la contrblef ~
j.ls entreprirent plusieurs démarches
auprès dll ~8IJVC~~leur et rédi~~rent de nombreuses pétitions pour
l'amener à ent8r~er san projpt.
Devarlt son rpfus de rec8nsidérer sa position, ils envoyèrent une
délégatioil rencontrer le Secrétaire d'Etat aux colonies, Joseph
Chamberlai~, et obtinrent gain de cause.
Leurs revendications étaient généralement d'ordre politique
comme l'atteste le passage suivant:
If the Gold Coast were a country with free institutions,
free fram the trammels of Downing Street red-tapism, we
should SGon have good wharves and harbours, gas wor~s,
water worki, and raj.lvlsy communication aIl Gver the
country. Prosperous ciLies would grow up, and knowledge
wCluld sproad among aIl classes cf people, pLoducing a
willing and an efficient Gody of workmen for the material
development of the vast \\;eal th and resources of the
country.
(3)
Ces revendicatiQ~s politiques sont, co~me on le voit,
révolutio~najres pour l'époque. On peut donc affirmer que bien
avant que Du Bois ~e s'intéresse effectivement au devenir politique
et culturel de l'Afrique, certains Africains avaient commencé è
sru'er les bases du système colonial. Cependant, il ne faut pas
non plus négliger l'influence de l'animateur infatigable du
/

panar"ricanisme sur l'intellig2nL.ia
africaine avant et 2;Jl'l~S
la première guerre mondiale. Ainsi le panafr ican ù:rne a, sans
aucun doute, inspiré les fondateurs d'une 83sociation dénoilirr,ée
lIThe Ethiopia,l Progressive p.ssociation l1 qui a vu 18 jour en
novembre 1904 è Liverpool, en Angleterre. L'année suivante, ses
statuts furent publiés et un exemplaire expédié & Du Bois par le
s~crétaire général de l'association, Kwesi Ewusi) de la colonie
de la Gold Coast.
Les vingt membres fOlldateurs vinrent de la Sierra Leon~,
de Legos, de 1'112 de Fernando Po, de la Ba~bade, de la Jamaïque,
de Cuba, de l'Afrique du Sud et de la Gold Coast. Quant aux buts
poursuivis par l'association, ils rappellent étrangement les
objectifs que poursuivait Du Bois lorsqu'il lança son appel aux
nations en 19DO. En 1920, une autre association, "The National
Congress of British West Africa"
fut fondée cette fois en Afrique.
Il est à noter que comme "The Eth"iopien Progressi'Je Association",
"The National Congress of British West Africa", avait une v~cation
panafricaine; En effet, bien qu'elle ait vu le jour en Gold Coast,
ses militants se trouvaient dispersés dans toutes les colonies
britanniques de la côte ouest africaine, de la Sierra Leone au
Nigéria.
Née au lendemain de la conférence panafricaine qui s'est
tenue à Paris en 1919, S8 principale source d'inspiration n'est

:ien li~autre q:J~ la d~clGr2tlon d~ Ou Bois, redigéa à cette
occasion.
La revendic3ticn 2uivante, présentée au secrétaire d'Etat 3~X
Colonies, er'i ja~~j,er 1921, par une déléaation de l'association
ra~~elle jlailleurs le radicalisme da Du Bois
As regards the Legis!ative Council .. a radical change is
desired so that G~le-halF of ies members shaH be r,cmi"ated
by the Crsw" and ths ether half elected by the people ta
deal Wittl legis12tion generally. A Further radical rcform
is the institution of a house of Assembly, composed of
the members of the Legislative Council together with six
other FinBnciBl representatives elected by th~ peDple,
v/ho shall have the pO!'>!8r of in1[Josi-nr;; taxes and disclJssir,g
freely ~Iithout reserve the items of tlle Annuel Estimates
of revenue and exp2nditure prepared by the governor in
the Executive Council and of approvi"g them. The unofFi-
cial elective rerorm herei-rl proposed includes bot11 Euro-
pean and African representation.
(4)
Par ailleurs certains des animateurs de ces toutes pre-
mières organisations politiques africaines furent en relation
épistolaire avec Du Bois.
Casely-Hayford, Kwegyir Acerer. N"amdi Azikiwe
Casely-Hayford, l'un des gr8nds nOnls de la llltle pour la
l:bération de l'Afrique écrivait à Du Bois, le 8 juin 19D4
1 have recently had pleasure of reading your great
work The Souls of Black Folk, and it occurred ta me
that if leadirg thinkers of the Africa" race i" Afilerica

,
"
.2.98.
had the opportunity of exchanging thouqht with thinkers
cf tilC J'ace in West Af~ica, this century wculd be likely
te see the race problem solved.
(5)
J. C. Kwegyir Aggrey, originaire lui aussi de la Gold
Coast, admirait beaucoup Du Bois dont il avait lu les livresnotam-
ment The Souls of Black Folk. Il écrivit à Du Bois pour le lui
dire. Il voulait, puisqu'il se trouvait aux Etats-Unis en 1913,
aller suivr~ ses cours. Cette lettre est d'autant plus signifi-
cat've qu'Aggrey, dont l'influence sur la jeunesse d'alors était
très grande, est considéré au Ghana comme un héros national. Son
nDm est associé au célèbre "Achimota College" où ii enseigna
quelques années avant d'aller mourir aux Etats-Unis en 1924.
Il participa notamment à la lutte légale des indigènes de la
Gold Coast contre la couronne britar,trique, conflit qui, motiva la
convocation
de la conférence panafricaine de 1900. Mais laissons
Aggrey se présenter à Du Bois, avec SDn style particulier
Salisbury, N. C. July, 1913
~ly dear Sir
Please pardon this intrusion upon your already
overcrowded time. Now, r imagine you say, "lvell, what
do you want ?"
l want two or three things.
Ist. l would like to know you more tha~ l know you now.

"
2nd.
l lNould bc p~e8scd for YDU ta ·kr.o~;- me.
3rd. l would like for you te ffiake jt possibJ.e fo~
me ta COfTl8 up ta Ne ....' Ycrk City tlJ study under you
this summer.
4th. l want ta identi.fy ffi/self with the N.A.A.C.P.
To return : l would like ta know you more tharl l do
nt present. l knO\\'I you already but only through your
books, your other literary work and sociologieal researches.
l use YOUf "Souls of Black Folk ll eV8ry year in my lite-
rature classes. Thcre see~s ta be a consciousness
of kind between us, hence l would like to know you
more C••• )
\\-Ihen the native kings chiefs and people oF the Gold
Coast were fighting Jos Chamberlain in the nineties
about the Lands Bill, l was secret aI' y of the Gold
Coast Aborigines Rights Protection Society with the
assistanceof
Sarbah of Cape Coast, and Bertam & Co
of London, retained Asquith, th en Q. C., now
Premier as our counsel. \\'le Won our case. This will glve
you some idea about me, and why l should like to
study under you, the Moses of us along this line.
l am teaching English Language and Literature also
Latin and New Testament Greek here. 1 crowded Economics,
Geology & Zoology lsctures ln this pastyear as we fell
short of a teacher
C... )
l want ta be sorne special serVIce to my people __hence
l am in this country...
(6)
Aggrey considère Du Bois comme le MoIse de l'Afrique
dans la lutte contre les oppresseura. Deuxièmement il veut adhérer
à la N.A.A.P. parce qu'il est convaincu que la lutte qu'elle mène

.7[1Li.
le ccnce~ne ; enfin iJ. veut rendre service à son peuple et su.tvant
llexemple de Du Bois, iJ. a accumulé des connaissances encyclopé-
diques.Aggrey ne 3e ccr,tente pas d'enseigner les idées de Du Bois
avec The Souls oF Black Folk
qu'il utilise chaque année dans ses
cours de litt~ratureJ il est égale~ent un homme d'action, si· fier
de sa race qu'il 8crlt :
If l l'lent ta he aVen , und Gad said ".~ggrey, l am going
ta send you back, "lQuld you like ta go as white man ?"
l s~lOuld rep ly "No, send me back as bl3ck man, yes,
completely black". And if Gad should Bsk, "\\'Ihy", l
would reply, "Because l have a ,>orv ta do as a black'
man that no '..,hite man can do. Please send me back as
black as you can ma!~e me" ... l am proud of my colour
'Jhoever is not proud of his colom is not fi t ta
live.
(7)
Nous trouvons là, sans aucun doute, l'influence de
Du Bois qUl a écrit en 1893 les vers suivants
l am the Smoke V'
,.lng
l am black
l am darkening with song
l am he8rkening ta wrong,
l "ill be black as blackness can
The blacker the mantle, the mightier the man.
(8 ~

Si Aggrey s'est identifié b la N.A.A.C.P. et à Du Bois
ce n'est p2~ p~Lce qu'il. s'est senti américain, mais bien parce
que Du 80is, dsns l'expression de son ambivale~ce, s'est identifié
b l'Afri~lJE tout en se proc18~ant américain. Mais l'on doit al;ssi~
pour mieux mesurer l'impact de son 28tion sur l'éveil des consciences
en Afrique d'avant 1945, évoquer une lettre non moins significative
que Nnamdi Ben Azikiwe, le.futur président du Nigéria, a adress&e
è Du Bois alors qu'il était encore étudiant aux Etats-Unis. Il
vo~lait savoir la vérité sur les rumeurs selon lesquelles Du 80is
aurait, au cours de son voyage au Libéria en 1924, invit~ le
président King è déclarer solennellement que la présence de Marcus
Garvey au Libéria n'était pas souhaité:
Lincoln University, Penn.Nav. 1932
Dear Dr Du Bois
Whith reference ta my dissertational work on the Republic
of Liberia, 1 des ire your version on an important topic,
and 1 trust that you will be kind enough t~ enlighten me.
1 note that during the inauguration of former President
King in 1924, you were appointed Ambassador Extraordinary
and Minister Plenipotentiary ta Liberia. This has been
iGterpreted in certain quarters ta imply the alienation
of the friendship which had hitherta existed between
Liberia and Universal Negro Improvement Association.

........ )~:.
For my auttlorities~
l mai cite the following : Amy
Jacques Garvey, ~~loSGphy and O[linions of ["larcus
Gorvey, vol. II, R. L. BueIl, The Native Problem in
Africa. pp. 73J.-33. Cuthbert Christy, "Uberia in
1930", Gcoqraphical Journal (London), June 1931, vol. n,pp.
515-40. Consequently, GaIvey's colonization scheme
was rejected by the republic ; cf Legislative
Acts 1924-25, p 22.
From these citations there is nothing definite to prove
the part the American ambassadoI played ln urglng the
Republic to reject the Garveyites. Even Mr BueIl did
not clarif)' the innuendoes of l'Ir Garvey and l aOl glad
he did not attempt to interpret some one-sidedly.
Any statement from l'ou in this regard will be
sincerely welcomRd and will enable m? to strengthen
or refute the theories of Mr Garvey.
Believe me to be sincerely l'ours
Ben N. Azikiwe
(9)
Le Il novembre 1932, Du Bois répondit qu'il n'avait
pas eu à traiter des projets de Marcus Garvey avec le président
King. La réponse fut si brève qu'elle ne leve certainement pas
i.
,.
les doutes qui hantaient l'esprit d'Azikiwe ,
"
Garvey's colonization scheme had already been rejected
by Liberia before 1 went there and before thei~was the
intimation of my appointment. Compare The Cri sis for
. ,
. ,
rebruary and June, 1924. My relations to Liberia were
purely formaI and 1 did not m~ntion Garvey to Mr King
.'
or to any official during ml' stey there.
(10)

C8pendant pour les c~er8nl'Jnies de If indépEnd2nce, Dl, Bais
fut invité ~ Lagos. On peut donc affirmer que les d8ux hommes se
vouaient ~n respect mutuel. [r1 outre, dans un article par~ dans
EreedonMaj:2, à l'occasion de la mort de Du Bois, Nnamdi Azi:<üie
reconnaît en lui, l'inspirateur du natio~alisme africain:
I t is vd.th a great ;:;leasure that l send this message ta
Freed"n;ways v,hich is dedicating its vlinter issue to the
life of the la te Dr. W. E. 8. Du 80is, a man weIl known
to the freedom fighters of Africa.
Dr. Du Bois ~·as a pioneer reformer \\oJho l]reamt dreams
of free Africa. His efforts from the bcginning of
this century until his death in 1963 have distinguished
him as a h~ro and prophet of his age.
For example, his founding of the P3n-African Congress
in 1919, in Paris, was a signal for the historie
struggle by African nationalists which 1ed ultimately
to the political emancipation of this continent.
His influence as a writer and reformer will never
diminish and the monument of his greatness, vividly
apparent in his many published works, will always
serve to guide men and women everywhere in the holy
crusade for human freedom.
(11)
Du Bois a, de son côté relevé à maintes reprises les
mérites de Nnamdi Azikiwe. Cette admiration ne l'a··cependant pas

· 20/j,
empacl-,é de déplorer Jes options politiqu~s qu'il a c!loisies p:1LJr
son pays, dans u;-) article !JSfU dans le Na.tiDnal Guardi8~ C'I.I 16
janvier 1961, SOus le titre "Nigeria 8eccomes pact of the \\Jorld".
Comme nous venons de le voir, Du Bois s'est mis au
service de la paix mondiale en organisant les conférences panafri-
caines. Il a cherctlé à faire comprendre aux pays européens que la
libération des peuples africains sous domin8tion coloniale était
néc~s5aire à la survie de l'humanité. Aux Africains, il a voulu
donner les ressources intellectuelles et morales d'une lutte légale
contre l'oppresseur. On ne peut pas dire que C0S cunférences ont eu
un impact direct sur les populations des colonies. D'abord parce
qu'elles eurent pour cadre Paris, Londres, Bruxelles, Lisbcnne et
New York et que la plupart des Noirs étant analphabÈtes, il leur
était difficile cie slinformsr sur ce qui se passait outre-mer.
Il faut ajouter à ce facteur, l'hostilité des pays colonisateurs
qui n'entendaient pas voir leurs intérêts immédiats mis en cause.
~u Bois fut également g§né dans son action par les attaques viru-
lentes de Marcus Garvey quI mettait en dout~ sa sincérité et ses
capacités à guider la communauté noire. En dépit de toutes ces
viscissitudes, force est de reconnaître que le panafricanisme a
servi de catalyseur à l'éveil de la conscience des peuples colo-
nisés. Le mérite de Du Bois est grand, car il lui a fallu vaincre
la résistance de l'état-major de la
N.A.A.C.P.
qui ne voyait pas

.Z115.
tOUjOurs le bien-fondé de son entreprise panafricaine. Il convient
de rappeler ici Gl.le c (es'~ pour main tenir vivace l' espr i t du
panôfricanis~e q0C Du Bois a démissiûnné de son poste de direc-
teur du Crisis. Aorès la décolonisation, il continuera è guider
les premiers paS de l'Afrique indépenda~te en insistant sur les
idées maîtresses qu'il a toujours développées et en mettant en
garde les leaders des jeunes nations contre les dangers qui les
gue ttaien t.

IVème P,J"ITE
Ou Bi'ls et 11l;friqu'2 indépendante
CH.:\\.PITRE
VIU
Les cor sei l G de Ou Bois aux leaders' arr Ü;éd~
Lorsque la Gold Coast devient indépendante, le mars
1957, Du Bois salue comme il se doit cette performance de Kware
N'Krumah, leader de la jeur,e république. Il ne peut p8S se rell-
dre au Ghana pour prendre part à l'allégr2sse de l'Afrique.
Cependant, II adresse un message au président Kwame N' I<rumah.
Après avoir donr,é les raisons qui l'ont empêché d'eFfectuer le
voyage, il exprime son espoir de voir se réaliser sous pell
l'unité aFricai~e grâce aux eFforts des Africains eux-n~me9.
Il exhorLe le président Kwamc n'Krumah à respecter l'idéal du
panafricanisme et à oeUljT'cr, aussi bien à l'intérieur qufà l'ex-
térieur du continent, pour l'amélioration de l'image de l'~Frique.
Au moment où il accède à la souver~ineté internationale, le
Ghan2 ne doit plus se contenter d'affirmer sa personnallté au
sein du Commonwealth et dans 10 monde occidental. 11 doit se
considérer avant tout, comme le représencant de l'AFrique, notam-
ment de l'AFrique Noire au sud du Sahara. Son premier devoir
consistera donc à favoriser la coopération entre tous les

territojr?s ~rrj_cains e~C0re SQUS dcrninstioll coloniale. Cette
initiative dD~t ab:}utir ~ llne l!nif'ic5tj.on des ~tat~ africain~;
erl dépit des barrIères linguistiqu8s. Il denlan~8 instammellt a
Kwame N'KrlJmah de fa\\/oriser Ja concrétisation des objectifs du
panafric:ar:isme grâce à des cOrlFére;)ces périodiqu9s et des contact.s
fréq'Jents a\\,.~c les cOmnîLlilEiI....:t.és noiî8s dfAfrique et d1ailleurs. La
paix devant être préser~ée à tClut prix, il le prje de ne pas recourir
à la violence et à la subversion comil,e lF.:oyen d' atteiildre ses objectifs
politi~ues. Il doit au contraire, consolider 18 paix en Afrique en
recherchant les voies et moyens susceptibles d'accélérer le progrès
sur le conlin8nt ; à savoir une politique ~conomique et cul~lirelJe
originale et un syst~me de for~ation ·cohérent et efFicace. Enfin,
il lui d~mande, pour terminer, de veiller à ce qu~ l'Afrique pré-
serve son passé et r~écrive son histoire afin da la débar~a5ser
des mensongea et des distorsions que le continent noir traîne
comme des boulets et qui ont ~vili toute l~ littérature occidentale
au Cours du siècle dernier. Pour ce faire~ il faut que tous les
enfants afric2ins accèdent le plus rapid,8rU':ent possible à la Co:,nnls-
sance grâce au dé\\Jeloppement d'un enseignement laïc prodigué loin
des centres de diffusion des dogmes chrétiens. Il termine son n~ssage
t:;n ces termes :
1 pray YGU, my dear ~lrNl<rumah, to use a11
your power ta put pan-A fric a alQng ttlese lilles
into \\;!orkinIJ arder at the eDr liest possible date;
seek ta save the great cultural past of the Ashanti
and Fanti peoples.
(1)

.2D3.
1]. est 0vide rlt qLie pour Ou Bois, l'Afrjque doit poursui-
vre deux obj':;cU.fs rrl8jeLiI';-; : 8>:pr.-:'Jl1er Sâ pI'Clpre pe~sonnülité ~t
3ervi~ la cause GS 18 paix. [Ile doit donc éviter les idéolcgies
étrangères ct S~ dévelorpe~ ~ partir de ses propres données cultL!-
relIes. Ce n'est qu'~ cette condition là qu'elle pourra apporter
au monde un humanisme or igin21 ~ en lui enseignant la non-violence,
la courtoisie et la danse. Mais pour que cet humanisme nouveau
influence r3pidement teJus les autres continents il faut qu·~ la
solidarité ent2c tous les NoiLS soit renforcée. Cependant, le
nOUV2au panafricanisfT'té; doit se préoccuper dl aboi'd de 18 fortifi-
cation du continent afrj.cain. lTAfrique dcit en effet cesser d'être
le continent du gaspillage de pDtentialités spirituelles inestima-
bles. Elle doit permettre à tous ses enfants d'acquérir des con-
naissances qui feront d'eux des hommes intègres et responsables,
capables d'~xercer leur esprit critique è tout monlent. C'est
pourquoi il faut que l'Afrique fasse un cheix entrs le capitalisme
sauvage et une forme nouvelle de socialisme.
flaidoyer pour l'instauration d'un socialisme fondé Ber le
communalisme africain
C'est en 1917 qU8 Cu Bois revendique pour lB première fois
la création en Afrique d'un grand état libre, comprenant l'Afrique
de J'Est, le Congo Belge, l'Ouganda, l'Afrique équatoriale, le
Sud Ouest Africain, l'Angola Et le i'lozambique. Cet état devrait
être gouverné, selon lui, par un "Brain Trust" d'administrateurs

.2U9.
noirs dü:lt le rôle serait d jét2blir une "'démocratie indusiTie}le"
c'est-~-dire, !Jn système sDci81ist~ de p?cduction et de distri-
butj cm .. HaiE:, COrrliTle nOlis l r a'Jons \\IU, Cl est dans DarkYlatêf J que
lion trOU\\/8 lrimage que Du Bois se fait1'une Afrique souveraine
et digne. L1 exercice de cette souver2ineté doit être basée sur
des méthodes administratives onginales fondées elles-mêmes sur
les coutumes et les lois des i~digènes dG~t on re2herche le
bonheur.
(Z)
cette politique de dévelopDe~en~ autonome n'im-
pli~ue pas un repli sur soi, ni un retouè massif des Noirs de la
diasp:Jra. En effet, tout en mettant un a-:cent particulier sur la
formation rapide de ses propres cadres, l'Afrique ne doit pas
perdre de vue qu'aucune nation ne peut se développer sans capitaux.
Al.Jssi, faut-il aller les chercher là où ih; se trouvent ; c ~ est-
à-dire dens les pays développés.
En 1933, au plus fort de la dépression éccnomIque mondiale, Du Bois
est convai~cu que seule le théorie marxiste peut sauver le monde
d'un naufr3~e de plus en plus menaç2nt. L'avenir du capitalisme
:éroce qui ne fait aucun cas, dans la pratique, des valeurs soiri-
tuelles pr6nées par l'Dccioent lui paraît t~uché. Le monde qui va
naître de la grande crise devra, selon lui, tenir effectivement
-compte des valeurs fondamentales de l' homme. Le travail devra
favor iser : 1 épanouissement de taus les tra\\Jailleurs et "an pro fi ter
à quelques-uns. Il s'agit d'un nouveau départ social en vue d'éviter
les conflits et les guerres. Nous sommes, sèlon lui, à une ère de

.210.
_.'
profonds'chanoements sociaux," Au~si ost-il aberrant de cGnstater,
affirr:le-t-il, que ceu;<-là mêrncs qui mette'lt un accent particulj.er
sur le re8Dect des droits 'dEl'~lcmme, refusent de faire des réfor-
mes susceptibles de favuI'iser l' spano:Jissement spirituel de l'immense
majorité des citoyens de ce monde. Les mutations économiques qui
s'annoncent devro~t nécessaire~ent tenir cO;Gpte des aspirations
légitimes de cette multitude. C'est Dourqu8i, il pense que !'orga-
nisation industrielle au profit du grand caritel privé va disparai-
tre pour laisser la place à un s'stème de production capable d'assurer
la prospérité des travailleurs et r:'amélior-.er les rel et ions entI8
les hommes d'abord et les nations ensuite.
Dans cette instauration de la paix mondiale par ~e socialisme
l'Afrique doit jouer un rôle de premier plan parce qu'elle a la
chance de posséder ce que les autres continents ont perdu : un
système quasi-égalitaire de distribution de:s bll3ns, Dl! la chaleur
humaine tient encore la place d'honneur, ct dons lequel les enfante
et les vieillards ne sont pas considérÉS co(r;me des fardeaux. Un
systèr.18 qui ne connaît pas le chômege, où tout le monde à une
occupation qui l'éloigne des tentations criminelles; il existe
en Afrique de l'Ouest, affirme encore Du Bois, de grandes tribus
dont l'organisation sociale cunsti tue une source d'inspiration
inestimable pour les bâtisseurs de la nation africaine. Dans ces
clans/le chef, assisté généralement par le conseil "des anciens",
supervise le travail de tous les administrés. Il distribue les

.21J..
terre:::-. culti\\/Clbles 8UX rr:einbl'es ac::-ifs de l~ cOfllmunauté et vej,j.le
il ce qu'ils s'acquittent de leur's tâches C:OtTecte,T:c,,,t. Ceux qui
font mal le\\J~ travail sont sévèrement réprimandés. La récolte est
partagée scIon les besoins dc chacun et fion s,;1o·, l'effort fourni.
Les vieillards et les enfarlts peuve~t ainsi obtenir -leur part da
la production. Ce qui est réconfortBnt dans un t21 système, fait
encore remarquer Du Bois, c'est qu'il n 1 engendre p2S le chômage.
Tout le monde peut avoir un lcpin de terre et personrle ne conn ait
les affres de la faim. En outre, le clan profite d'un temps de
loisir appréciahle et jouit d'une vie paisible qui nrest perturbée
que par les grandes er,démies et les catastrophes imprévisibles. (3)
L'Afrique dispose donc d'atouts exc8ptionne~ pour humaniser le
socialisme, en lui procurant une âme.
Ce socialisme Jlà visage humain!! pour employer une expresslon à la
mode, doit donc être le produit d'une Afrique dont la sagesse cor,s-
titue une espérance oour l'humanité. C'est pourquoi il désire
ardemment q~e l'Afrique sauve son· âme pour le oonheuI' des hommes
il faut, dit-il, qu'elle bàtisse une société nouvelle qui snit
l'émanation de scn propre génie. Les seules choses que l'Afrique
doit aller chercher b l'extérieur sont la science et 12 technique.
Mais elle ne doit pas l'échanger contre san 2~e. Elle se doit
'd'instaurer ce socialisme africain car le monde l'attend avec
impatience :

0 ' 0
.LJ..:..
What young AFrica oust learn and deeply understand
1s that iF social:Lsm is good for Sri tain and n-,ost
of the present world, as every wise man knows it i8,
it i8 also good for' Africél, ;nd that is true no mat-
ter what is taught by 8ritish Tories or in reaetio-
nary American school. In Af~ica, as nuwhere else in
ttle world, lies the opportunity to build an African
socialism i,hic,~ can teach the world, on larld historically
held i'"1 common ownership, on labour organized in the past
for SOCiHJ ends not for private profit, and on education
long conducted by family and clan for the progress of the
state and not mainly for the develupmer,t of proFitab'·.e
industry. What is needed
and aIl that is needed
is
science and techniquE ta the group eeanomy by men
or
unselfish determination and clear foresight.
(4)
Cette nation africaine ne peut être batie et dirigée que
par des hommes b la fois dévoués et déterminés. Mois les vision-
naires dont l'Afriqlle a besoin doivent être des Africains au sens
étroit du terme. Du Bois aura d'ailleurs l'occasion de préciser
sa pensée lors de la con~érence des peuples afLicai~s tenue à
Accra en décembre 1958. Toutes les régions de l'Afrique sont
représentées ~ar de nombreux leaders de partis politiques et
organisations syndicales qui ont répondu b l'appel du gouvernement
du Ghana. Du Bois qui a saisi l'importance de l'enjeu, décide
d'assister b cette assemblée aFin de répondre b l'attente de
l'Afrique. Il sait en effet qu'il tient là une occasion inesti-
mable d'apporter une contribution positive et décisive ~ l'avènement

de la ~)crso~nalitd négro-afritaine. 11ais ses médeFins lui dema~dent
dlsnnuler son v~Y8ge en Afrique a16rs qu'iJ. se trouve à Moscou. Il
s'adresse, néanmoIns à la conférence par la voix de sa femme
Shirley Graham.
Message d~ Du Bois è la conférence des peuples africains.
Du Bois se contente dans son message ds prodiguer des
conseils et de mettre l'Afrique en garde contre les dangers qu:
menacent son intégrité et sa personnalité. Il demande aux délégués
dont les plus en vue sont Tom Mboya, Patrice Lumumha, Sékou Touré
et Ezekiel ~i'phalale d'être des ap6tres de la paix, car celle-ci
reste è inventer :
My only role in this meeting is one of advice from one
who has lived long, who has studied AfricB and has seen
the modern world.
ln this grRat crisis of the world's history, when stsnding
on the highest peaks of human accomplishment we look up
to he aven and down to Hell, let L3 mince no words. We
face triumph or tragedy without alternative.
(5)
Le monde est, selon lui, è un tournant de son évolution
et se trouve dans une situation dramatique. En effet, les men8ces
d'une troisième guerre mondiale sont réelles et la tension de la
guerre froide est telle que l'on peut craindre, è tout moment, la
destruction de la planète. Les arsenaux sont bondés d'armes sophis-
tiquées beaucoup plus dangereuses que la bombe lancée è fliroshima.
Après avoir plaidé dans les grandes capitales occidentales pour

.214.
l'irlstauraLicn de la pnlx, il lance ~n appel path~tjq!.le aux No~rs
au moment où le mOIJVement panafricain se réunit pour la première
fois sur le continent africain. L'Afrique, aff~rme-t-il, 2 des
responsabilités auxqGelles elle ne peut plus se dGrober. Elle
doit se réveiller enfin pour paser sur les évènements et répon-
dre à l' at tente d'un monde angoissé car le "fardeau de l' homme
noir" c'est de sauver l 'huOlar,ité. Une fois sa liberté obtenue,
elle doit pouvoir puiser dans ses ressou~ces antiques des remèdes pour
venir au chevet d'un Inonde malade de cupidité, d'ingratitude, d'indi-
vidualisme et de cruauté. Il s'agira d'assuyer le progrès spirituel
des hommes, arrêté depuis des siècles:
Africa, Ancient Africa, has been called b~ the world
and has lifted up her hands ! Africa has no choice
between privote capiLalism and soclalism ( ... j The
whole world, Including capitalist countries, Is moving
toward socialism inevitably, inexGrgbl~ ( ... ) you cannot
choose between socialism and pril!5te capitalism becausc
private capitalisl11is doomed!
(6)
Pour répondre à cet appel l'Afrique doit bien sOr être
unie, socialiste, fière et originale:
Gj~e up individual right for U,e needs of Mother Africa,
give up tribal independence for the need of the Nation.
Forget nothing, but set everything in its rightful place;
the glory of the six Ashanti wars against Britain ; the

wisdcm of l:he Far;ti cOGFaderation ; the gro\\~th of
r~igerin ; the 60r19 of the Songt15Y and Haousa, the
rebellion of the Madhi and the hands of Ethiopia.
The grcatness of the Basuto and the fighting of
Chako, the revenge of f~lessi, and man y other
~lappenin~ 3n~ men; but abolIe aIl· Afric8,Mother
of Men.
(7)
C'est en définitive à la mère de l'humanité que Du Bois
s'adresse au m0ment où le monde semble désespéré. Il l'invite à
se débarrasser de l'emprise des missionneires. Elle n1a pas de
leço~s à recevoir du christi2nisme car l'Occident, bien qu'ivre
des dogmes de l l évangile, n'a pas cessé un seul instant de faire
l'apologie de la guerre/de la domination d'une race par une autre .
.Le ch~istianisme n'a rien fait non plus pour mettre fin è
l'esclavage aux Etats-Unis. En outre, il a semé la graine de la
division et de ~a hôihe en favoris2nt le àéveloppemeht du capl-
talis~e et de l'impérialisme. La nouvelle idéologie africaine
devrait donc être le socialisme aFric2in. Un socialisme qui
dépasserait d2ns son spiritualisme l'expérience de l'Union Sovié-
tiqUe et qui serait une revé18tion enrichissante pour l'humanité.
Il termine son message en demandant sans embage aux délégués de
s'aligner ~ur ~:oscou et de se méfier de l'Occident. Invitation
plutôt surprenante lorsque l'on sait, par ailleurs, que Du Bois
a toujours exhorté l'Afrique à rester à l'écart des luttes

0 1 /
_,,--.LU.
idéolDg.1cj'cJCs. f'i1<:l.is le r2it est quI il a tcur'-lé déFinitivement ·le
sa stratégie ~e j.utle contre l'injustice et la bêtise humaine.
D'ailleurs, il ne se sent plus ~ l'aise que dans les pays de
l'Est. CI es t précisément de Pékin où il s,s tl'Gu\\.Ie a l'occasion
de la célébrêtiQn de son quatre vingt onzième anniversaire qu'il
s!adresse solennellement à l'Afrique pour lui conseiller encore
ur18 fois de choisir déFinitivement la pai.x contre la guerre.
Il
crrint en effet que les nlicronationalismes qui naissEnt en Afrique
ne la distr'aient de sa mission. Il l'invite à rejeter les théories
qui affirmsnt que c'est par les guerres et les ffiBssacreS que l'on
b~tit une natiGn :
!ou have been told, my Africa in Africa and aIl your
~hildren's children Qverseas ; you have been told and
the telling
sa beaten in ta fOu by rods and whips, that
you believe it yourselves~ tnat this i5 impossible
that rnankind can rise onJy by walki.ng on men ~ by
cheating them and killing them; that only on a doormat
of the despised
and dying, the dead rotten
can a
8ristish Aristocracy and French cultural elite or an
amerlcan millionnaire be nurtur~d end grown.
(8)
L'Afrique doit, selon lui, se méfier du cagmatisme des
thSoriciens des universités modernes et mettre son âme à l'abri
de toute pallution matérielle. Cette âme noire qui constitue sa

· /.1. 7.
seuL~ SOUI'28 d'autor"it8 2. lui. -qui n l 3 ni i'3ng ni richesse. Cette
âme noire qui 2 fait de lui l'cvocat itinérant de la paix et qui
lui permet de prodiguer des conseils
l speak \\':i th no BU th Ni ty, no 2ssumption of age nor
rank ; 1 hcld ne position, 1 have ne wealth. One thing
alone 1 QI'1n and th8t is my O\\'ln soul. O\\'inership of that
I have eV6n whiJe in nlY own country ~or near a cent~ry.
1 have been noUlillg but a "nigger". On this basis and
this alone 1 dare speak, 1 dare advise.
(9)
Comme on peut le c:Jnstêter, Du Bcùs est devenu un symbole
dans le monde. Son nom est associé à toutes les activités pacifistes.
Il eroit très sincèrement que l'Afrique est son inspiratrice car
elle lui a donné une §me merveilleuse. Il pense qu'une Afrique indé-
pendante, économiquement viable, cul turellerrl€nt
digne, symboliserai t
la paix et garôntirai t l'avenir: de l' humani té. Pour cet architecte
du monde de demai~, l'Afrique devrait être la fondation de la nouvellE
maison des hommes.
Réaction des leaders africains
De nombreux leaders africains ont suivi, semble-t-il, les
conseils de ~u Bois ou ont adopté la même stratégie que lui dans la
recherche des solutions aux problèmes de l'Afrique indépendante.

. ,'.
Julius Nyéréré, prdsident de la R~publjqlJe de Tanzanie~ Sékou Tour~,
..
président de lQ l1épublique de Guinée, Léo~old Sédar Sengho~, prési-.
dent je la ~épu!:Jlique du Sénégal et Kwa~s N'Kru",ar, président De
i
la Républiqu~ du Ghana, pour ne citer que les doctrinaires, o~t
prélné ou co;,ti.nuent de prélner un socialisme africai~ fondé sur
le géni8 de l'~frique. Alliant la théorie à la pratique, Julius
.'
.'
Nyéréré s'efforce, depuis l'accession de son pays à l'indépendance,
d'appliquer un socialisme original qu'il juçe plus approprié à
la culture de son peuple. Il justifie ainsi son choix:
The foundation, and the objective, of African socialism
is the extended family. The true African socialist doe.s
not look on one class of men as his brethre~ and another
as his natural enemies. He does not Fernl an alliance
with the "brethren" for the extermination of the
"non-brethren". He regards al! men as his brethren
as members of his ever-extending family.Ujamaa, the~.
or "familihood", de scribes our socialism. lt is opposed
to capitalism, which seeks to buila a happy society on
the basis of Exploitation of Man by Man. And it is equRlly
opposea to doctrinaire socialism, which seeks :0 build
its happy society on a philosophy of Inevitable Conflict
between 11an and ~lan.
(10)
rour Sékou Touré, la doctrine socialiste doit tenir
compte des réalités concrètes dans lesquelles elle doit s'intégrer.
En d'autres termes, l'Afrique vit des réalités que le socialisme

010
nE: peut se per:-:lcttr8 dl igr:CJrer. :~e pass~Jge suivant, tiré d 1 U,l de
ses disco'Jrs~ ~évèle son attitude vis-à-vis des valeurs culturelles
Le parti décid~it-il d'organiser de grandes manifestations
à l'occasion d'une fête musulmane? Des camarades criaient
au sCBndale ! Ils ne comprenaient pas que l'action révolu-
tionrlaire ile se fé.\\it pas contcs le peuple, mais bieil pai'
le peuple et pour le peuple. Le parti n'a-t-il pas eu
raison de stadapter aUX caractéristiques économiques,
sociales, cultu~elles du pays et d'insérer son action
dans ce qui Existait comme réalités et possibilités de
mobilisation et d'action générale? Certains camarades ne
comprenaient pas que si l'hypothèque anti-islamique pesai~
sur notre acticn, i l aurait existé de vastes contrées
(du Fou tah, de la Haute-Gu inée ~ une partie 'j'e la Basse-
Cate) qui n'eussent pas pu flJndamentalement et unanimement
adhérer au p2rti. Il fallait, tout n'étant que moyens,
atteindre le but de mobilisation de la Nation, donner
un contenu actif à ce groupe national~ Itéduquer pOIJT le
libérer de certaines coutumes réactionnaires.
(11)
Léopold Séda= Senghor, quant ~ lui, affirme que le
socialisme n1est pas un rrdogme à appren.dre par coeur et à répéter
mécaniquement". Il lui faut tenir cOlnpt·e de l'histoire, de la géogra-
phie et C8 la civilisation des· pays où il doit être appliqué. Ainsi,

il pense comme Du Bois que les dcctrines sccialistes européennes
ne sauraient s'appliquer s2ns adaptation et en tot21ité, ni i:'ésou-
dre les problèmes africains. L'~frique 2 ses réalités propres mêm8
si elle veut s'inscrire dans le courant de 18 c':vilisation univer-
selle. ~'Union Soviétique a reussi à construire le socialisme, dit
S8ng~lor, mais au détriment de la religion et de llâme. Les Gocialis-
·~es africail-,s doivent quant à eux se garce:r des dogiTles rigiaes et
chercher à intégrer les valeurs spirituell€s
de Ir Afrique dails leu.L's
systèmes de développement. Ils se doivent dEo ~éa9ir contre lec
matériEIlismes capitaliste et communiste et appoi:'te:' leur contri-
bution à l'édification de la nouvelle sivilisation planétaire. Il
faut donc que les plans de développement africains, affirme encore
Senghor, tiennent compte des meilleurs éléments de la civilis8tion
négro-africaine et fassent une place de choix à la culture qui
est "le tissu même de la société". Il est d'accore avec Du Bois
pour dire que la société négro-africaine est socialiste par essence
car elle est formée par une communauté d'§mes capable de donner
des dimensions spirituelles au socialisme scientifique. Afin
d'apporter son message au monde et de participer à la construction
de la civilisation de l'universel, le Négro-africain doit donc
s'exprimer et intégrer la Négritude, définie "comme étant le dono-
minateur commun de tous les Nègres". Il ~aut, dit-il, que les
Africains pensent par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Il leur faut
suivre une voie originale et fonder un hum2flisme nouveau sur la

terro::' aFricai,'l8 Gui sst. cn8l'géc Ge espérancS'. "Il aFfirme, comnl~ Du Bois ~
que la religion a un l'Ble Lrè3 i~pGrt~nt ~ jouer dans l'invention de
ce nouvel huma~i~me car elle reste malgré tout le Fondement de
l'éthique. Sans duuLe Seng;'lcr ne fait p8S allusion aux l'eligio,'ls
aFricai~es, mais il se "réfère au génie religieux du négro-africairl.
La religion est, selon ses p~opres term2s, "la sève même de la civi-
lisation négra-africaine". Il apparaît clairement que pour Senghor
le socialisme africain 3' impo;:~e CClmme étant Id seule voie pOür
sortir l'Afrique de sa léthargie et lui permettre dB s'épanouir
sur le plan culturel et économique. Ce qui est étonnant, c'est que
nulle part dc!rls son excellent essai 11 !le Tait mention de Du 80is,
l'auteur de TtlC Souls of Black Folk, l'animateur émérite du Mouvem0nt
de la Renai.ssance N~gre, le p~re du panafric3nisme, lIardent défenseur
de la personnalité 3fricaine
(12). Est-ce un oubli ou une négligence
"de la rart de cet autre jllustre défenseur de3 valeurs de la Négri-
tude et du panafricanisme? Nul rle aauraii l~affi~mer. ~Iais ce q~l
est certain, c1esl que Senghor qlJi fait preuve d 1 une grande érudition
en citant i'iarx, Teillhard de Chardin, l'iauriac, Engels, Hegel et
bien d'autres penseurs, ne peut pas prétendre ignorer les efforts
déployés pendant plus d'un demi-siècle par Du Bois pour permmetre
à l'Afrique de s'affirmer en tant qu'entité digne c;'intérêt.
Il le peut d'autant moins que la Négr i tude qui soue-tend
sor, action politique est directement inspirée, nous l'avons

;~,
I.LL.
d(ià vu, du i'ÎOllv8111cnt de la Ren8issance j\\jègre. Il serait évideir,ment
i~justc de refuser à la penséo politique de Senghor toute origina-
lité. Mals force est de reconnaitre que le pr~"urseur du socialisme
aFricain est indiscutablement l'auteur de The Souls of Black Folk.
Les idées Je Senghor et de Du Bois sont si souvent proches qu'on
ne peut s'empêcher de penser que l'Afro-Américain a quelque peu
influencé le chantre de la Négritude.
Kwame N' KI'umah s' es t prononcé,
lui aussi, en faveur du
socialisme, seul système capable, selon lui, de sortir l'Afrique
de son sous-développement. Docteur en théologie et grand promoteur
de la culture et de la personnalité africaine, il pense néanmoins
que le s~cialisme scientifique ne peut pas être appliqué en Afri~ue.
Il cherche donc à élaborer, après certains tâtonnements, une idéo-
logie propre à promouvoir l'égalité et la justice sociales, tout
en sauvegardant les droits fondamentaux des individus. Conscient
du poids de la r21igion dans la civilisatico négra-africaine, il
n'entend pas suivre ceux qui veulent le pousser à créer un parti
d'avant-garde chargé de l'application du sr:cialisme scif=difique
au Ghana. En 1964, il publie Consciencism (13), un ouvrage dans
lequel il essaie de justifier ses options palitiques. Il approuve
bien sûr le matérialisme dialectique mais il tente de le modifier
pour le rendre compatible avec la nature essentiellement religieuse
de la société africaine. Il s'efforce de faire une place à Dieu

.2L~3.
dans Ir idéologie du marxisr~c~ .. érllnisme, ::un\\jaincu qu 1 il est
qu'aucune idéologie ne pe~t prétendre slimposer en Afriaue si
elle ne prend pas en compte le génie religieux des Africains.
Comme on le constate, la vision politique de Du Bois n'est pas
non plus très éloignée de celle de K"la""," N'Krurnah. On peut même
aller jusqu'à dire qu'elles reposent toutes les deux sur le
même substrat théorique.
Ainsi, plusieurs chefs d'Etats reconnaissent, comme l'ont
d'ailleurs affirmé la plupart des délégués à la conférence des
partis poli tiques et des peuples d'A fr ique"
qu' aucur'8 doctr ine
ne vaut que repensée par les Africains pour les Africains. En
fait, il y a peu de pays en Afrique dont les dirigeants ne se
récla:nent pas du socialisme. ['lais les formules qu' ils adoptent
ou qu'ils prêchent varient considérable~Bnt. C'est qu'il est
vite apparu à l'expérience que la réalité n'est pas une, comme
l'a reconnU Senghor, après' l' écl'atement de la Fédération du Hali (LI).
Même les pays qui prétendent accorder un grand crédit aù ~8rXlsme­
léninisme hésitent à nationaliser les mGyens de production et les
grandes compagnies étrangères continuent d'exploiter leurs mIneraIS.
Par ailleu.s, la décolonisation n'a guère changé les structures
économiques et sociales, ainsi que l'att~stent de nombreuses
enquêtes faites par Frantz Fanon, Claude Dumont et Samir Amin.

Les hommes politiques, les commerçants et les employés de bureau
continuent, comme par le passé, de se nourrIr sur le dos des
paysans. Le parti unique a été adopté presque partout en Afrique.
Peut-on, dès lors, affirmer que le socialisme af~icain tel qu'il
a été expérimenté çà et là dans quelques états dits socialistea
a abouti aux résultats escomptés par Du Bois et le panafricanisme ?
En d'autres termes, est-ce-que les Africains ont su préserver
l'âme de l'Afrique dans la course effrénée contre le sous-develop-
pe'.ent mais aussi pour le POLlvoir?
Sinon quelles ont été les
réaccions de Du Bois devant l'incapacité des fils de l'Afrique
à promouvoir une politique de développement cohérente, suscepti-
ble de générer les richesses nécessaires à l'épanouissement
intellectuel et spirituel des Noirs?
Nous allons tenter de
répondre à ces questions en nous rendant alJec lui au Ghana où
il a séjourné à partir de mars 1961 jusqu'à sa mort.

CH~,PITRE
:LX
Du Bois llAfricain et les réalités" de l'Afrique indépendante
En 1961, Du Boi3 a quat~e "i~gt treize ans . Malgré le
poids des ans, il n'hésite pas à répondre à l'invitation que lui
a adressé le p~ésident Kwame N'Krumah Qui désire la voir diriger
la rédaction dé l'Encyclopédie Africaine. Il le fait d'autant plus
allégrement que les liens qui le rattachent alors à l'Amérique
sont plutôt ténus. En effet, pour lui qui a déjà perdu foi en
la société américaine ce départ apparait comme une délivrance.
Mais pDur mieux comprendre ses états d'~me au moment o~ il q0itte
définitivement les Etats-Unis, il faut remonter à llannée 1951,
date de son arrestation pOUl' ll ac tivités illicites et anti-
patriotiques".
L'arrestation "de Du Bois
et
son dêpart
pour
l'Afrique
En février 1951, Clu Bois est appréhendé pour "activités
subversives". Il a quatre vingt t~ois ans. Il est à la fois sur-
pris et écoeuré. Alors qu'il s'attend aux "honneurs d'une recon-
naissance publique à la fin d'une longue vie de labeur au service
dE la paix, le vieil homme se retrouve dans un panier à salade,

.226.
menotte COfilfT,e un \\/ulguCtire rrù:llfE};.t6ur. Quelle absurdité!
Son
procès n' & pas lieu tout de suit.c. De février 5 septembI'e~ il
doit affronter les Lr3casscries de la poli2e. On l'interroge
sur ses activités au seln du IlPeace Information Center ll qu· il
dirige avec ses amis Paul Robeson et William Alphaeus Hunton.
On ne lui pardonne pas d'avoir cautionné è Stockolm, la création
de l'Associaticn Internationale pour la Paix, organisation ~ui
considère l'utilisation de la bombe atcr.lique comme UCl crime contre
l'humanité. Ou Bois ne se laisse pas abattre par Ce traitement.
L'objectif poursuivi par ses persécuteurs, affirme-t--il, c'est
d'empêcher les citoyens américains et plus particulitrement les
Noirs de contrarier le graCld cnpital dans son intention de réduire
l'Asie à sa merci et de resserrer
les chaînes qui lient les
mains de l'Afrique. Il entreprend une tournée d'explication, E~
compagnie de sa "ouvelle femme, Shirley Graham, et donne une série
de conférences afin de trouver l'argent nécessaire à sa défense.
Il dépense finalement 35.150 dollars en pure pc"te car il est
acquitté quelques jou"s ap"8s lc début du prccès, le juge s'avouant
incapable de prouver sa culpabilité. En fait, les nombreuses lettres
de protestation qui proviennent du monde entier ne sont pas étran-
gères è l'attitude du gouvernement amé"icaiCl.
(1)
Il continue néanmoins sa tournée et réussit è proncr;cer
quelques conférences devant des auditoires plutôt maigres, car la
plupart des intellectuels noirs ne le suivent plus. Il éprouve

d'ail.leurs ~8 plus en plu~ dE difficulté t se faire publier.
Seules les ~alsons d'éditio~ de l'extrême gauche telles que
Masses and r12instream acceptent ses manuscrit3. Ses articles
qui s'acharnent de plus en plus contre la société américaine et
louent les mél·iles des révolutions bolchevique et chinoise, ne
paraissent plus que clar:s le National Cuardian et New Africa. Son
dernier ouvrage, ~~_ /\\.8.C. of CololJI'~ paraîtra d'ailleurs à Berlin-
Est. Les ~ass-rnéji8s évitent de lui faire la moindre publicité.
Des l'spécialistes H vienn~nt chaque jour dans les studios des
différentes chaînes de la télévision expliquer et commenter
les évènements qui :Je déroulent dans une Afr ique en pleir.e mutation·
politique et socials. Du Bois lui o'est jamais inv~té à apporter
sa contribution 2 CeS déb2ts. LI'~ T'. , dans la mesure où il 2 favorisé
l'éclusion du nationalisme africain. il pense être plus qualifié
que qU1CO~qu2 pour en Dûrler. Mais l'Amérique a décidÉ de l'ignorer
et cette négligence coupable est une tragédie pour ce prophète
baillonné dont la sagesse n'est pl~s solJicitée dans son prnpre
pays. Il est amer. Aussi lorsque le président Kwame N'Krumah fait
appel à lui pour diriger la rédaction de J'Encyclopédie Africaine,
il accepte, sans hésiter, de partir pour l'Afrique, malgré son
grand âge. En fait il quitte les Etats-Unis pour deux autres
raisons. D'abord parce qu'il tient enfin une occasion inespér~e

~.'
"~;1
de concrétiser un ViOlJX rg~p
c81ui d~ supe~vise~ J.2 r0dacllO~1
d'une encyclopédie afi"icainc
n;aj.s aUSSI po~r ~arquer sa con-
fiance dans la nouvelle Afriqu2 qui est devenli8: selo~ lrexpres-
sion de Rich[Jrd l-irighl, lIJ 'é~ic2ntT.'e du pou'Joir noir lt • Il
arri.ve donc au Ghan2 8'J débL:t de mar·s 1761. Son arrivée rie
fait pas lro~jet de la Une dos journaux dent lrattention est
captivée par la préparation de la fête de J !i~dépend8nce ~~I
doit avair lieu le 7 mars. ~lajs il est ~galEment plallsible de
croire que le gouverr!ement rl2 VI.ut pas indisposer les Etats-
Unis en recevent trop bruyamme!lt 1 in ccmr::-:l'r"liste amériC:2in en
rupture de ban avec son pays. Les relations entre le G~ana et
les Etats-Unis sont en effee excellentes et la réalisation uu
grand barrage d'AkoisGmbo ~'a été rerldue possible que grSce ~
des capitaux américains représe~tés pa~ l'entrepris2 Kaiser.
Dans tous les cas, Du Bais 2sl confortablerce<lt installé. Il
habite l'une des imrnenses ré3ide~ces luxueu8ss r':5servées Slj:<
hauts fonctionnaj.res de l'Etat, non Iein du ~laut Commissariat
Bri t,mniqIJ8, au 37, 4th Circ'~lar Road Cê_nlonnemen lI. Cependant,
il faut attendre plus d'un an poc~ le voir faire une apparition
publique le 21 jùin 1962 à l'occasion de la conférence pour la
paix (World Without the Bomb) tenue à Accra. Il est ovationné
3 son 8ntr~e dans la s211e pa~ 18s participants mais il ne fait
aucune intervention.
(2) Le 2
décembre de la même année lui
offre, pour la première fois, l'occasiun de développer, devant

La maison où Du Bois a passé les deux dernières années de sa vie; au
4th Circular Road Cantonments, Accra, Ghana

cette
cc~trib~er à la rédaction de l'Encyclopédie. Pour p811ie~ ~l
cDtte carellce, il suggè~e q~e Jes institutia~s d'étlJdes 2F~i-
caines des universités européennes et américair1es participent,
dsns lin premier te~T:ps ~ 2. cette rec:h~rche er, 8ttenda~t que les
,i\\fricains 5üient '::'!'l r1!E::sure C8 la plJl.Jrs~ü\\j=-e jusqu'à sa phase
finClle.
Cette E['cy::lopédie, di t-il, ne serô pas seulement une
co~tributlon EU déveJopp8~ent clllt~re1 de l'Afrique; elle servira
~g51emjnt ~ co~bl8r le fossé que plus d'un siècle de colonisation
l, , -,,' - .'
l
h
!-
. , ' - ,
C
h
n creuse encre 1 A:l'1que ang 0p'ione e~ l Arr~que Irancop one
d'une ~art, l'Afri~ue chrétie~nc et l'Afrique islamiquE d'autre
pact. 1UiS 11 évoque ses tentdtiv~s de rédaction d'une encyclo-
pédie afrisaine ~n 1909 et an 1931 pour affirmer avec force que
1
cette floiS-Ci sen rêve de toujollrs sera réalisé gr§ce à 112p~ui
financ]er de l'J-\\fl'iqiJe. Pour terminer, il remerCIe le gc~vernernent
ghan8é~ d'avoir accepté de prendre en chargé toua les frais occ8Jion-
nés par 13 mise en ch8ntier ce cette oeuvre gigantesque de réhabiIi-
talion drJ patrimoi~e clJlturel de l'Afrique.
(3)
Mr Joseph Ki-Zerbo a, quant à lui, pris la parole à la
séance de clôture pour dire que cette encyclopédie à laquelle

tl'Ëlv8ille Du ùois servira dè ca ',[Jlyseur à la rnübilis2tion des
énergies pour une explaitatiofl ratj.onnelle des richesses cul tu-
relIes ei: des réalit~s socl.sles de l'Arrique entière.
(4)
Fort de cette caution supp16menlaire que viennent ainsi de lui
donner les intellectuels 8f]'icains~ Dil Bois se remet au travail
avec acharnement. Il adresse des lettres à une centaine de chercheurs.
La question est de savoir slil faut limiter le champ des investigatiorlS
..
è llAfrique Noire ou l'étendre ~ toute l'Afrique?
Il est
"
Ilna-·
lement CDnvenu de donner une image authentique des peuples,
d'Afrique en 3uPPi'imant la barrière qui sépare llAfrique rllédi-
terranéen~E et ~'~friql~e cU sud du Sah8ra. Par cc1ntr8~ il 3 été
décid6 que l'Encyclopédie Afric2ine ne traiterait que de l'Afrique
et de ses relatj.ons avec le monde extérieur. Pour mener è bien
sa tâche. Dli Bois 3'est assuré le concours de collaborateurs
compétents. Llun d'eux, William Alphaeus Hunton: ancierl membr8
du I1CoLinciJ on African Aff3irs" est V8nu de la Guinée où il
résidait depuis quelque'
te~r)s déjà, pour assurer la direction
de son secrétariBt. Discret, Du Bois vit entouré d'un groupe de
fidèles Américains dont sa femme, Shirley Graham. Ses déplace-
ments sont réduits au minimum compte tenu de sen grand §ge et de
son état de santé. L"s cinquante participants au premier congrès
intern&tional des africanistes ont eu 18 privilège d'entendre son
dernier discours important; discours qui, aussi curieux qu~ cela
puisse paraître, ne sera pas reproduit tout de suite dans les

.2.'il.
'.~.,. ...
jou~naux ghanéens, et pour caus~ : les Nain américains niant pas
bonne press8 dans le pays d!::pLllS quelque temps. The Spari< ne cesse
de mettre la population en garde contre le danger que représentent
les ;.\\mér icains
,. espions potentiels d'autant plus redoutables
qu'ils peuved se mêler plus facilement à elle.
(5)
Ou Bois
ne peut pas se 3enti~ personnellement visé par cette méfiance enllers
la communa~té noire américsine car il a pris la nationalité gha-
n6enne le 17 février 1963. r1ais il ne peut pas non plus rester in-
différent aux accus2tions insidieuses dont sont ·victimes ceux
qu'il a encouragé à venir se mettre au ser~ice de llAfrique.
Est-ce cette atmaspllère chargée de suspicion qui explique son
silence?
En tout cas, on llentendra peu et il écrira erlcore
moins dans les journaux de son pays d'adoption. Même après la
création dans l'euphorie générale de l'Organisation de l'Unité
Africaine à Addis-Abeba, il ne fait aucun commentaire. Pourtant
il vient de voir se c9ncrétiscr en partie llne des idées maîtresses
du panafricanisme. Il aurait pu dire si cette union comblait seS
voeux ou si elle était, ~omme J'a toujours aFfirmé Kwame N'Krumah,
imparfaite. On est tenté de croire que so" mutisme exprime une
certaine désapp,obation de ce qui se fait en AFrique où les ~oirs
américains
sont unanimes à critiquer la présence massive de Blancs
. dans les arcanes du pouvoir. Il n'a appaL'8lilment pas pu comme eux,
se libérer des conflits raciaux en quittant les Etats-Unis peur
l'AFrique qui est, selon lui, une terre de réconciliation des peu-
ples, de concorde et de paix.

Nais si S3 présence en Afrique nIa pas été particuliè-·
rement activer eJ.le nI en a pas moins ~mt1Libué fi faire évoluer
la lutte des No;~rs aux Etats-Unis. Et ieS" changements intervenus
dans ce pays avec la radicalisation de la lutte émancipatrice
lont,en grande partie,dus è la nouvelle ~rédibilité de l'Afrique
indépendante à laquelle Du 80is a apporté sa caution en s'instal-
lant il Accra.
Du Bois est en effst toujours n"3nté par le souci d' aC'tive~
la lutte des Noirs aux Etats·-Unis. Il "" perd pas de vue que la
finalité de sa mlSSIOil Cl est la libératiiol:;l des I\\Joirs du ghetto
dans lequel ils sont confinés. S'il se trouve en Afrique, c'est
parce que le contin~nt noir, devenu g~'âre ,à la sagacit8 de s~s
fils le 2entre du panafricanisme, doit :5;e.J!.'Dn lui. pouvoir venir
en aide aux Américains dcnt cer tains on~ participé activement à
sa lutte émancip2trice. Cette interactï[J(r \\'3iltre l'.L\\friq'J8 politi-
quement indépendante mais technique~2nt démunie et 11 Amérique
noire a toujours été souhaitée par Du &;·i;5. ri' a-t-il pas i'wité
plus d'une fois les Noirs arnéricairs à étrlvi.Her le socialisme pour
aider, grâce à leur plus grande techniciit:é, l'Afrique à sauver le
monde?
Ne leur a-t-il pas demandé en ~l0tre, de s'insoirer de
l' expér ience afr icaine sfi" de participrepleinement à la lu tte
menée par le panafricanisme?
(6). Ne ]~S a-t-il pas exhortÉ.
enfin, à privilégier leurs liens historicpues et culturels avec
l'Afrique et à éviter toute forme d'inœg:ife3tio"
suicidaire? La

qui en r:lecClu.lE.nt 2LI déb,-It c.:es ann6es SC'ix8:I'!.:e ne peuvenL Conc
que le réjGu.lr,
En effet, le r2uicaJ.i.sm8 des nouvernents animés par ~l<ll­
cern X, Stockeley Ca~mich8el, EJ.drige Cleaver et mê~e Martin Luther
King, ne s'explique qu'à tr8ve~s son oeuvre et son action. N'a
t-il pas pQsé lui-rllême un acte ré\\!olutionnaire en prenant la
ddcision~ ncn seulenlEnt de s!in5c~ire au pDrti communiste, mais
aussi de ~enancer à son passeport am~ri:ain pour prendre la natio-
nalité ghanéer,ne?
La portéE' de c:e doub1.e geste n'a pas toujours
été perçue par t.:JUS ; Ii13i.s la nouvelle génératio:l, qui a atteint
sa majorité en niême temps que l'Afrique, semble avoir compris ce
message de ralliement de celui qui a osé lancer un défi à son
pays à la Fin de 53 langue vie militante~
Les rap20rts entre l'AFrique indépendante et l'Amérique noire
La réalisation d'une prophétie
LI année 1960 est universellemerlt connue comme étant
celle de l'Afrique. Elle veit l'aboutissement des eFForts de la
plupart der peuples et partis africains en vue de se libérer du
jOug colonüJl. Des hymnes nOUV"'iUX retentissent dans le monde .

..:'
COrï!pûsÉs à la h8te, s:Juv[~nL p8I' :~i3S lnusiciens ~eu h;:iciles l ils
sont. 'coujours repl'éSentéitifs ci 1 une CUITl:IlUflbUté enfin J ibérée,
prête à Rnfourcher ].I~trier d\\l d0veloppenlEnt EV8C courage et
dét~.rmir;at~i.[)r.. Ds nOU\\!82UX o:-if12mmes CJotcf:nt 7'ièrelri2nC aLiX
mâts des NatiOlls-Unies}sttestar.t de lô préserice de l'.4friq:..J8
sur la scène intern3tionale. La République C8l1tre-Africaine~
la C6te d'IvoirD~ le Gabon, la Haute-Volt&, le Cameroun, le
Niger, le Nigéria ets ... ~ des no~s qu'il va falloir connaitre et
En Amérique~ 11 av ènement des nations africaines donne
naissance à un natioflalisme noir ~ant le centre est Harlem.
Des associ2tions multiples revendiquent leur héritage africain
et cherchent à affirmer leur identitci ; les plus importants de
ces mouvemEnts sont "Natior: of ls13m tl , 1.'ius1.im 8rotherilaod ll ,
"United African Nationalist ['lavement", "Cultural Association
for t10men 0 f Afr ican Heritage", etc ... Ces orgéinisatio'-ls sont
prêtes à africaGiser presque ~out : leur nom, leurs modes de
coiffure (Afro ), leurs me8urs. Leur engagement est tel, qu'elles
participent en 1961 à une violente menifestation dans la galerie
de verre des Nations-Unies è la suite de l'assassinat de Patrice
Lumumba, par solidarité avec l'Afrique militante.
(7)
Ce regain d'intérêt pour les affaires africaines est en rapport
avec la nClllvelle image qu'ont les Ar"éricains de l'Afrique
indépendante.

Les ;Jniversib:S~~ ne SlrJt pas éparg::8s pe!' ce 'l'J8iït
africfd.n: 1 qui souffle sur J.' p.mérique. La plupa:rt c.j1entre cl1.cs
sor!t cor~trai~tes d 1 inatituer des p~cgrammes ~létudcs aFrjcaines,
l'ou.!2!'ture du monde u:JiV8:::sit2J.!'e 2.rnérj.cain à :'Afrique remonte
a.u d0but du si~cle. Elle a été initiée et encourélgée par Du Bois~
dont les études sociologiquEs sur les NDirs attiraient de nombreux
étudiants à llulliversité d!~tl2nta. En ta~t qu'historien, il a
orienté les recherches des. étudiants noi~5 non seulement par son
enseignement et 38S publications mais aU~3i par des cG~seils
judicieux. Ecoutons à ce propos WilliaIT1 Leo Harlsberry qu~ 2
occupé pendarlL plusieurs années la chaire d'histoire à Howard
avant d'aller enseigne~ en Afrique~ dans ce' continent qu'il ~
choisi d'étudier et de faire connaître _
l have long cherished a suité1ble opportûr,ity
to .'7lake public 8ckr-ID'''J.~edgemen:t of the positive
manner ln ~'/h':r:h DT' Du Bois inf Iuenced ml' 01'/,'1
carcel' as a student of the h.-1.stcry of ttle misna,lled
"dark continent". (8)
Ce sont jt...Jstement les professeurs de la. génération de
Hansberry qui, par leurs travaux de recherche et laur enseigne-
ment dans les universités de Lincoln, Atlanta et surtout H~"ard,
vont participer à la recherche d'une identité cul turelle néol'C)-
". .
a,rlcalne.


LtUrli~crsité d!HDl~d~d s'est plus sp0ciale~Gnt mise ~
l'6ccute de llAFriqL!e efin de per~8ttze &UX Noirs de fortIfier
leur ÈJi!18 p2~ une connaIssance inLiIT'.e uu continent de:; !..euI's an -
cêtre2. Elle s'est distinguée très vite par la qualité d2s travaux
de rec~lerc~le qui y sont effectués. Ihstall~e ~ Washington et dotée
de moyens financiel"S ir.lportents offerts pRr le gouvernement fédéral~
811e a la c~'ance d'avoir en son sein des professeurs de ~aut niveau
telc; que Leo H2nberry, AlphacLs Hljnton~ E. Franklin Frazier, tsus
spétialistes de l'Afrique. En ~utre, la section afrieairle do 52
bibliothèque, llThe l'1oor 18nd Collection: ' cCiflpOrl..e un nombre i,'~pres-
sionnant de docump~ts sur l'Afrique, écrits pour la plupart par
des Africains. P8rallèlement à l'enseignement proprement dit, une
série de conrérer:ces per"rnettent à des dfriC2nistes ém.i!le.nts de se
rencontrer pour fail'P le ;Joint sur Ir ét8t des connaissances sur
l'Afr.ique. Ces concertations scientifiyues ont aboûti tout naturel~
lement è la création, 8[1 19~8J de deux associations qui ont joué
un rôle important dans llaffjrmation aux Etats-Unis de l'identité
cul turelle a fr icaIne. Il s' 29 i t de "The A~er ican Society of
African Culturel! et de "The African 5tL!dies Association". La
première associdtion a été créée à l'issue de la conférence inter-
nationale des écrivains et artistes noi"s qui s'est tenue à Paris
en 1956 sous les auspices ri~ Présence Afri~aine ;. dIrigée par
Horace Mann Bond dont nOIJS avons déjà souliGné l'attachement ~
Du Bois, elle se propose de promouvoir la solidarité culturelle

entre 1!:.:3 ~cL:ple.s ilt:::·gro-efr iC~lip~ en vue de cOiiér ibuer à Il Ér1a-
nou.LsserrièÎ)'C'cJe la c2-'Jili-setio(] ·u'ni\\':2J:'sclIe. D3:::~6ute évidence,
la fcnu8tion d; iJlle toIle association fi' 83t que 11 aboutissement
logique ae l'ceuv~~ de vulgarisation effectu~e pendant plL!sieurs
décennIes par Du Dois et ses nombr~ux disciples.
"The Afric2n Studies AssociOltiun" se pl'opose quant à elle, de
faciliter les communicaticr,s entre les chercheurs qui s'intéres-
sent b l'Af~ique. Ainsi toutes les conditions sont remplies pour
Iféçlosion d'instituts d'études aFric2ines dans toutes les univer-
sités ainéricâines. Les militants du "pol-1voir r,oir" en eilvohissant
les campus au début des années soixante n 1 0nt fai~ que donner une
impulsion ".dolente à un processus irréversible ct tradu.ire l' impa-
tience d'un nouveau conscientisme noir dont la naissance, on
l'oublie trop souvent, a été dans une g~ande mesure favorisée
par l'action et l'oeuvre de Du Bois.
En outre, la présence des diplom5tes africains à N~w
York 8 une incidence sur lES Lelations entre Noi~s et 8~ancs
aux Etats-Unis. Les Noirs am6ricains sont témoins des prévenances
dont les diplomates africains sont entou~é2S. Bien sOr, il y a
quelques incidents diplomatiques cel' il est très souvent difficile
de
distinguer un Noir d'Afrique de son homologue d'Am~rique
~~is des eXClJSeS sont présentées aussit6t aux victimes de la
discrimination raciale aveugle. D'ailleurs, pour éviter ce genre
de méprise, les représentants africains sont encouragés discrè-
tement à se vêtir de leuŒ!costulnes. traditionnels. nOlis dans tous
les cas, 18 brèche est ouverte, et pour la communatJté noire la

discriminatic~ raciale devierlt de plll5 en plus absurde et into-
léra~le. L~s Africains ne sent d'ailleurs pas dupes de la super-
cherie de ceux qui prétendent les aimer et les invitent dans
lE'UI's maisons immenses. Ils finis~ent par refuser de se prêter
à cette comédie à cause des traitements qui so"t infligés à leurs
frères d'Amérique. Devant la q~inzième ESsemblée générale des
Nations-Unies, f"Ir Jaja l'/achuku, ministre des affaires étrangères
du Nigéria, déclare sans arrbage que tcus ceux qui s'acharnent
contre les peuples d'origine africaine ne peuvent pas co~pter
parmi les omis de l'Afrique. En mai 1963, au moment aD les émeutes
de Birmingham atteignent leur paroxysme, l'astronaute Gcrdon Cooper
adresse un [ï;cssage de bonr.e voluflté aux chefs d' Et8.t.
africains
réunis à Addis-Abéba pour la création de 1lOrganisatio~ de l'Unité
Africaine. Nan seulement Gordon Cooper ne reçoit a~cune réponse,
mais le communiqué final de la conférence fait état d'une lettre
ouverte adressée au président John F. Kennedy dont voici la teneur
Les Noirs qui, élors même que la conférence sièiJe, ont
été soumis aux traitements les plus inhumains, sur lesquels
la police a délibérement lancé des chiens féroces sont
nos frères ... Le seul crime qwe ces gens ont commis c'est
d'être 1I0irS et d'avoir reveCld'.iqué le droit à la liberté
et à l'égalité avec tous les 3tltres citoyens des Etats-
Unis.
(9)

Les Africains l~ilitsrlt3, ccmme nous venons de le VOlr,
se sont mcntrés solidaires des Noirs qui se trauverlt de l'autre
cdté de l'OcéHn ainsi que l'avait pr~dit Du Bois. Mais cet enga-
gement est-il total 7 Il est permis d'en douter.
Les ambiguités
En effet, bien des problèmes subsistent et les relations ~e sont pes
toujours exemptes de suspicions réciproques.
De même que Du Bois a da se battre, le plus souvent seul, pour
aider l'Afrique à se débarrasser du joug cclonial, en affrontant
l'hostilité de nombreux Américains, de même l'Afrique des masses
n'est pas préparée à accorder un soutien total aux Noirs améri-
cains dans le~r lutte contre le racisme st 11 injustice. De nolO-
breux Africains présents 8 ~ew York considèIent en effet que les
Noirs américains contribuent 8 terr,Ur indirectement leur image de
marque et nuisent à l'épanouissement de 12 personnalité africaine.
Selon Elliot P. Ski~ner qui fut lui-même ambassadeur des Etats-
Unis en Haute Volta, le Ghana aurait même discrètement refusé
la nomination d'un Noir comme représentant des Etats-Unis à
Accra, au moment de l'accession de ce pays à 18 souveraineté
internationale en 1957. Pour les autorités d'Acere, une telle
nomination aurait eu tendance à minimiser leur Nation car il
n'existait pas de diplomates noirs de haut rang aux Etats-Unis

,._---~
~ cette époqua. Evidemment les Améric8ins de r8ce noire d~sap-
prouvèrent llattitude du gOL!~'ernement ghanéen dans la mesure
où ils souhaitaient ~etrc·u"J2L leut' continent dl ol'igin8 à l' oc-
cas ion des nomin8tions dans les missio~s diplomatiq~es d'Afrique (lOj.
En outre! les Africains commencent à trouver gênante la présence des
Noirs améric~ins, dans leurs peys. Ils se méfient d'eux parce qu'ils
les trouvent bernés et trop extrê~istes.
Les Noirs a~érlcains, r,uant à 8l1X, t~ouvent que les
Etats indépendants d'Afrique ne fo~t pas assez pour eux. Ils
découvrent également que, dans bien des cas, ce sont en fait
les Blancs qUl tiennent les rênes du pouvoir en Afrique au sud
du Sahara. Ils estiment par ailleurs que le nature mystique des
concept~ dE la négritude, du socialisme africaLn~ et de la person-
nalité africaine, les vide de tout contenu idéologique valable,
et que les systèmes politiq~es dans lesque:ls ces concepts s,:;
développent sont très peu eX21tants. C'est ce qui explique,
disent-ils, le manque d'esprit de sacrifice que l'on constate
au sein des appareils de l'Etat. Si des militants comme Alphaeus
Hunton, ou Shirley Graham continuent de paLIer respectivement de
la Guin~e et du Ghana en des termes laudatifs, la plupart des
Américains qui font le p~lerinage sont q0elque peu décontenancés
par ce qu'ils voient et s'étonnent de l'indifférence de la popula-
tian è leur égard. D'D~ le départ de tous ceux qui se sont installés

.:4J.
KW~~le N'KzlJmah 2n 19G6. Shirley Grahen: a dO abandonner ses
fonctjons 2 13 t~te dG la" t.slclJision gh8né2nne pour se réfugier
alj Cajre.
QU80t
è Alp~1geus Hllnton, 11 flst revenu aux Etats-Unis
peu après le coup dfétat.
Même les rEjetions entra DL' 80is et N'Krumah n'ont pas
toujours été eXEmptes d'ambigl!ité. En 1958: Du Sois e l' impression
que Kwame N'Krumah, gris6 par le succès de sa lutte politique, le
tient 2 11 éC8!'t. et ne V8Ut pas recrnnaîtt"e ses mérites. ,~insi il
écrit dan3 son 3utobiogra~!1iE :
~le2ntjmc bi~ business in A~eric3, surprised by the
SlJCSeSS of the Gtlana revolution set itself ta influence
NKrumah. .. l 8m'l
:~ Krumah br iefly. He \\-I8S most cord ic:Jl
3nd l Expected soon to 08 invitee to the sixth Pan-Afri-
can Congress in Accra. No invitation came, but l received
my p8ssport and sailed for Euro!Je. While ! was in Tasnkent
an inv i tation arr i ved but .lot fCOGl "n Krumah nor For a
Pan-Jl.frican Congress. l tV/as f,,0O11 a ne',v "AII-African"
body for an .~frican conference .fun December and it said
nothing about my expenses.
l sensed immediBte1y that
opposition hed arisen in Africa Gver American Negro
lsaderchip of the Jl.frican pecp1Bs. This hBd happened
ie< 1920, V/he" the ,fest ;l,fI' icao CGng"ess acknOlv1edged
no tie with the first ~an-Africa~ Congress in Paris
v:hich sparked iL jl,mericBn Negr:Jes had too often assumed

,
that their leadership in Africa W2S rl2tural. With
the ~ise of an educ~ted group of Afric8ns~ this was
·increasingly unlikely.
(li)
DarlS une certaine mesure, Du 80is a raison de dire que
les Africains ne font rien pour attirer les Américains dans leur
nouveau paradis. En effet, N'Krumah ne mén8ge pas son amour propre
et sa susceptibilité. En ouvrant la conférence des peuples africains
à Accra, il rend Ilo~mage è Marcus Garuey et è Du Bois, pour le
rôle qu'ils ont joué dans la lutrë pour l'émancipation de l'Afrique
En outre, le "Black Star", emblè~e de l'U.N.I.A. de 1~2rcus Garvey,
2
été choisi par N'Krumah comme symbole pour son pays. La marine
marchande du Ghana quant è elle s'appelle "Black Star Line" comme
la compagnie créée par Marcus Garvey quelques décennies plus t6t.
Cette ambiguité que N'Krumah semble avoir entretenue contribue è
semer une confusion regrettable au niveau des relations entre les
deux hommes d'autant plus que le président du Ghana cherche à se
démarquer de plus en plus de celui qu'il continue d'appeler osten-
siblement son père.
Le Panafricanisme, le N'Krumaïsme et l'GrQ8nisation de l'~nité
Africaine
Lepanafricanisme,nous l'avons vu, s'était fixé comme objectif
la
de redonner l'Afrique aux Africains
20
de créer les Etats-Unis d'Afrique

':... ,-
3C
~e favorj,ser la ren&iSSanCE rult:Jr81JE de 1lAf~ique

d'aboli~ le tribalisme

de stimuler 16 regéné~8tion de Ifent~epriRe écor10rrique africaine

dl instj tUE1'
la démocr2tie en Afriql!8

ci' instauL'e:L en Afrique unt:~ n8~li~ral1té positive aFin de sauve-
garder l'indépendûnce de l'Afriqu8 vîs-à-vi3 des super.-puissances.
JusqulS:l 1960 et même aU début de J.961, Kwame N1 Krumah
essaie dl 2ppl:i.q\\...!er ce. rrogf2ï<lme. Sur le p18il national on peut
8ffirmer que le tribalisme 8 reculé devant le brassage effectué
par son parti la C.P.p .. La démocratie parlementai:Le fonctionne
encore. Cepeildant d8ns ses raDPorts avec les grandes puissances,
Kwa~e NrKrumah ne s8~ble pas avoir pr~s très au sérieux les appels
pathétiques de Du Bois~ lancés depuis r'icscou et Pékin. Les re13tlor:s
entre la Grande-Bretagne et le Ghana sont ~lus que cordJales et il
prend ~aI'e::\\ent po;:;ition sur les grands t=-roblèmss interrmcionaux
sans avoir, au préalable, consulté le gouvern~ment de Londres
cu ses porte-p2roles à AC2Ea. Ainsi i l n'hésite PdS à adresser
le texte qlJi consacrait l'uflion entre le Ghana et la Guinée, le
vingt trois novembre 1958, à Harold ~lacmillan, le Premier Ministre
d'alors, avant de le rendre public. En outre,il prend soin de
.préci.ser que cet accord n'8ffectera pas l'amitié entre leurs
deux pays.
(12)
Le nombre cl' e:--pel'ts britanniques dans la fC'lction
publique ghanéenne est d'ailleurs considérable et le chef d'état-
major de l'armée est lui aussi cie nationalité anglaise. Ce poste
ne sera africailisé qu'en septembre 1961.

\\/is-~-vj.s des Ct8ts-Unj_s, le G~ana majntient une
attitude cordiale jusclu1en J961 ?lors que ses relations avec
18 f~ljssi2 sent c?mpreintes de méfiallce .. Les Etats-Unis ont eté
parmi les quatre premiers P8YS svec lesquels le Ghana a établi
des re12ti.0!ls diplomatiques. Leu:,s expei'ts sent trattés ave.c
respect et ont gélléralenlent leurs bureaux au sein des ministères
et dép2rteme'Îts du gouvernement confor".r.f:lSlllent aux termes des
accords de COO~ér.3tion technique signés le 3 juin 1957 entre
le Gha~a et les Etats-~nis.
(13)
Le Ghana reconnaît publi-
q'.JemE.mt l'ePficacj.té de l' 5.ssistance :erc::hniqu8 américaine par
lavai x de KI.,rame NI Kruméih e,Î févr ier 1958.
(l!+)
En acût 1953,
fais2nt fi des conseils ds Du Bois, prodigués quelques mois
plus tat 101'S de la conférence des peu?les africains tenue à
Accra en d6cenlbre 1958, llAssemblée Nat,ionale vote ~ l'unanimité
une résolutiorl pour
rendre hommage aux Etnts-Unis qui,
entre temps, ont acc~pté d! 2ider le Gha.n.3 à concrétiser ses pro-
jets grandioses conCernal"lt le barrage sur la Volt~" Il apparalt
que le Chana, de toute évidence: est plutôt tourné v~rs l'Occi-
dent et qu'il n'attend ri2n des pays cCIT.Clunistes, du mnins
jusqu'en 1961. Bien que Kwame N'Krumah rasse EUX yeux de Du Bois
pour être un soci8liste convaincu dévoue à la cause des Etats-
Unis d'Afrique, l'U.R.S.S. Il~est autorisée 3 établir ;:;a missiGn
Jip10matique à Accra qu'en 1959, soit deux années apr.ès l'accré-
ditation des diplomates américains. Par ailleurs, le gouver~ement

r; 1) r
••.. _..,..1 •
ji>~-lJlJit, nlétabl~t 83 mission d.ipiomatiqu8 è ~105CCJU qu1en méJi
1960. Enfin il es~ intér~ssant de noter q~e, lors de la confé-
rence d2S P!'f?miers r-linistrcs du Commonwealth tenue en mai 1960,
celui que Du Beis a souvent c~nsidéré comme son fils spiritual
a suggé~é la
création d'lJn fonds qui perrn8ttrait aux nations
africaines de se passer de l'aide éconornique de l'Union Sovi~tique.
Cette suggestion permet à Sir Robert Henzies, Premier Miniatre d~
11 ,~ustr21ie ~ de dire 8. Kwame \\'~' Krurnah qu r e\\\\ tant que l8ader du
Ghana il a pour mlSSlOfl première de résister à l'expansion dlJ
\\f .
( 15 ')
co:nmunlsme e:l f r lque.
~
Mals en 1961, Kwanl8 NIKrumall fait velte-face, avec une
telle rapidité qu'il sème la confusion et 12 deute dans l'esprit
de ceux qui le se:LVE-ni.:. ou l'observent. Il est vrai que la crisa
du Congo et les problèmes de l' !\\fr ique P..ust:l'alE contribuent à
envenimer ses rapports avec les Etats-Unis et la Crande-8re~2gne.
~3is ces divergences suffisent-alles à faire de son hostilite à
l'Occident l'élément centr81 de sa politique afrjcairle alors même
qu'il prétend travailler en faveur de l'intégration de l'Afrique?
Les Etats-Unis et les P3YS de la communouté europé~nne sont vili-
pendés par la presse ghanéenne et laurs aides rejetées y compris
le:rrs bourses dtétudes destinées aux jeunes Ghanéens~ Ceux-ei
prennent le chemin de Moscou. Lea relations entre le Ghana et
11Union Soviétique deviennent si cordiales que Brejnev visite

offir~iE'Uer:Jent .le Ch?"jr; G:-: févrlE'.::' l?Gl~ l<~".::r~e N'KruITiélh lui rend
cet~e visite Ju 10 a~ 2~ juillet de la m§~~ 8nn82. Le nonlbre des
diplomates rUSSes prés8flts .~ ~ccr8 augn;ellte rap5dement pour at-
teindre le chiff::-'e de c:::nt. Le Ghé~n8 f:'est déscrmais '1 aligne' S'JI'
Moscou com!ne le dernandait depuis quelq'Je te~ps Du 80is, en dépit
de la doctrir18 du non-alignement, fondemerl~ de la philosophie poli-
tique du ~anafricanisme.
Cette inconstance ou plutôt cette attitude
irrationnelle de 12 part d'un pays qui se veut le porte-parole
de l'Afrique aurait pli être toléréE: SI K~';al~8 ~':<rl;mah n'avait pas
décidé d'obliger toutes .les naUons ilfrica.f.'les à lui e~nboîter le
pas, créant ainsi des disse~sior1s DU seIn du continent. En 1961,
Du Bois S8 rend à Accra satisf~it de voir c:el~i qu!il cor.sidère
co~me le :eader de l'Afriq~9 ind~pend3nte suivre ses ~ecomffiandations.
l"lais déjà à Accra on parle de rTIoir:s en moinls GU Pa,i3fricaniolre.
Le Nr Kru,1l8ïsme esl considéré par les 5utor ités du poys comme la
nouvelle philosophie politique qui doit ç~.id2I' le CO~b8t pour la
libérstion cornplète de l'i\\frique.
Kwarne N'Krurnah adopte, définitiv~ment semble-t-il, les
vues quelque
peu simplistes de Du Bois, selon losqoelles seuls les
pays socialist33 sont pacifistes. Pour lui;, les Etats-Unis sont
une puissance impérialiste et agressive dont l'Afrique doit se
méfier. Il passe sous silence leE, agressions de l'U.R.S.S. centre
certains 9ays de l'Est et la considèr e comrn~ ~n pays amoureux de

". ?I~ ï .
la paix. Le N' !(ruma':sfile doi t, selon le président du Ghana, pe.c-
mettre d'extirper de l'AFriq~e le
néo-colonialisme et ~1impéria_
lisme américains; c'est une nouvelle idéologie au service des
combattants de la liberté:
NKrumaism is the ideology for the new Africa, inde-
pendant and absolutely free from imperialism, organized
on a continental scal~, founded upon the conception
of one and united Africa drawing its strength irom
modern science and technology and from the traditional
balief that free development of each is the condition
for the free development of aIl.
(16)
Le N'Krumaîsme, c'est donc un socialis~e adapté aux
réalités traditionnelles et sociologiques de l'Afrique. Bien
qu'il soit difficile de cerner ce concept, on peut affirmer,
sans risque de se tromper; que sa philosophie est essentiellement
la même que celle du Panafricanisme. L~ création de ce nouveau
terme en "isOle" ne peut donc s'expliquer que par le désir du
président ghanéen d'affir~~r son leadership sur l'Afrique et de
s'attribuer la parterni té d'un panafricanisme nDuveau. nais il
y a certainement d'autres raisons à cette confiscation ou plu-
tôt à ce tte "0' krumaîsation" du pana fr icanisme.
~n effet, le régime du Ghana devient de plus en plus
autoritaire depuis que le "Preventive Detention Act" a été
voté en 1958. A la fin de 1961, il n'existe plus d'opposition

" ...
..
~.~
16g82.e DU pC'-Jvoir ét~tiqu8 i,lst8L:ré par le C.C.P., parti de
'~\\l' 02ageyfo n ~ le Dr ~<ItJarne N' KrUrilo.~'. L' indépend2nce du pouvoir
judiciaire, après avoir souffert d'une série d!amend8~ents ~
la constitution~ a Finslenlcnt disparu avec le renvoi dtJ président
de la ~our supr6me, Sir Arku Korsah; en décembre 1963. Kwame
i~' Krumah s' en\\.l~bppe d3ns des myth~s triba~x. On affirme qu 1il
peut p2sser des journées sans boir8 ni manger et qu'il 8st la
réincarnation des plus puissants esprits anees~raux. Il 8cepte
même de sa lav8f les pieds dans le sDng d'une brebis selon la
plus pure tradition de l'intronisation des chefs coutunliers. Gr,
il ne tarde pas à entrer En conflit avec les dignitùires Lribacx
sur lesquels il a en partie fondé son pouvoir occulte. Il les
traite 3vec mépris lorsqu'ils vienrle~l protester cantre l'arres-
tation de cerla:nes per3c~n81ités politiques. Le fait est qu'il
8
du mal b justifier les répressions politlques car elles sont
qUéisim2nt inconnues dans les sociétés tribûles.
(17)
Ce processus de confiscation du pouvoir au profit d'un
seul homme est critiqué par toute la presse occidentale qui accuse
le président Kwame N'Krumah de despotisme et de tyrannie. Du Bois
feint de ne pas voir cette entrave à le liberté individuelle
considérée pourtant par le panafricanisme comme l'un des fonde-
ments du pouvoir dans l'Afrique traditionnelle. Par son silen':e,

ment. de ~'C!éstabilisatioli~'dEs rég:i;f.c.:s a.fricai;ls ;'réactionna.i.res",
c'est--~-dire ceux qui refusent de s'align2r sur les prise3 de POSl-
tion du Ghana. Llins~itl;t idéologique que K~6me N1Krumah créé à
Winrleba se propose cIe former les futurs leaders socialistes de
l'Afrique en Vlle de la formation d'un gouvernement d1urliun. Il n'a
pas été prDuvé qu r un régime Ifconservateurl! africain si tété ren'JerS8
par des suci81istes formés au Ghana. Mais cette attitude belliciste
Qui s'e-st traduite par une ag~8ss1on verbale dirigée notamment cOïltre
le Nigéria, 13 Hau~e Volta et la Côte d'Ivoire va créer des dissen-
sions au sein de l'Afrique et hy~cthéquer san unité.
~10rganis8tion de l'Unit.~~fricaine
Avec la naissancE du Ghana~ N1KrGmah s'est considéré comme
chargé d'u~e mis3ion historique: celle de libérer l'Afrique et de
réaliser son unité:
f\\cccrciing to tradition the peoples of the Gold Coase
originally came from the great Empire of Ghana, and
that et the Unversity Sankore of the old Ghana Empire
there ~ere teachers ... From aIl p;3rts of the world of
the Middle Ages. It is our earnest hope that the Ghana
of the old Vlhich is no,1 b eing rebnrn \\-Jill be like the
Ghana of the oId, a centre to which aIl the peoples o~
Africa may come ...
(10)

tion de l'ancien empire a cité adopté par b~aucollp d'admirateurs de
K\\.,2me N' Xrumeh, nûtarninent par Du SOl.S qui, f,aisant fi des bûtres
leade~s e f ric3ins, a p12cé our la têl8. du président Ghanéen, la
COlJ~Onn8 du panafrj.canisme. Dès lors, Xwam2 N'Krumah va chercller
8 réaliser l~ rêve de j'unité africaine dans les délais Jes plus
brefs, mottant toutes les ressources de son pays au service de
cette CGuse. En 1962, la compagnie aéI'ienne "Ghana f\\ir'l,!ayt, a da
créer des lignes entre Accra, Addis-Abeba,le Caire et Casablanca
dans llintérêt de l'unité ?rricaine. Une sn:lée plus tard, [,·lr E. K.
Bensah, Ministre ~es communicaticns, annoneB qu'en dépit d~ déficit
de la compagrlie, ses services vont s'étendre en directio~ de l'Afrique
Centrale po~r accél~rer le process~ls d'uniFication de l'Afrique.
(19)
Tout cela montre le désir de Kwame N'Krumah de donner è
l'Afrique les moyens de 56 politique et de faire d'elle un c8ntinent
puissant et respecté. rialheureusement son lJ:lt:-ansige8nce et son in-
tolérance
dans ses rapports avec ses pairs afI'icains ne sont pas de
nature à les rassurer. Alors que le Ghana, bien que po~rvu de cadres
relativement nombreux, a gardé des fonctionnaires angJ.ais à des 1e-
viers de commande de son administration, KVJ2:.:l'ile 1\\J'Krumah demande eUX
nations qui viennent J'accéder b la souveraineté internationale de
rompre le cordon ombilical qui les lie encore à le~u,.s ancicns maîtres.
Au lieu de che~:cher à les tJersuüder, il les t.rô.ite uvee peu d'égards,
et souhaite publiquemert leu;: chut.e, parce qu'ils refusent de suivre

,',
r·loscou.
Compte t'3nu de ces disset'~:l~_CHlS, il n'est pa.s cil: tout étonnant
que le ÇJo~vernr~rr.ent dl unie,l pr'Gposé ;Jar le GharJ3 lors de 18. confé-
rance de l'OrgBnisaticn ~8 J.ilJnité Africaine. en mai 1963, ait
été rejeté pa, la majorité de3 délégués. Le Libéria et le Nigéria
vont en effet conduire l'opposition alise succès et montrer ainsi
que Du 801s a peu!:.-&tre rait. une erreur fürldamentu18 en pensant
que J.es solutiorls aux pIubl~::';l::;-S m'JltipJ.es de l';.\\fl'ique doivent
nécessairement ~rrl8ner du [har13 de Kwame N'Kr~mah.
En outre, son
if,tellectllalismc} tellt en le rappro~hant du leader ghanéen~
éloigné des préoccupations pratiques de la majorité des autres
cheFs d'~tat qui, sans ct~e des i~tellectu21s ém~~ites, sont des
hommes d'Etat ég81e~8nt d~VDU~S à la cause de l'Afrique. Ayant
choj.si son camp, il semble n'avoir rien tenté
ne
'.
ser21~-ce que
J
pour concilier les points de vue de N~arldi Aziki~ie et de Kwame
N'KrLJmah, sur les principalJx problèmes africains. Oubliant qu'il
avait dit que l'lJr18 des richesses de l'Afrique c l 6tait sa profonde
humanité, il a peut-être encouragé par son silence les dbus de
pouvoir et la mégaloITlanie de N'I(rumah qui alla jllSqufà faire
ériger SD statue devant le Parlament ghanéen. Ce ','était d'ailleurs
pas la première fois que Du Bois donnait la preuve de sa mYDple
politique. Un 6pisode de ses r~l)ports avec le Libéria est assez
significatif de sa dérnission devant les r~alités du pouvoir poli-
tiqlle e~ Afrique.

/ ....'
. /'jZ.
Du 80is AL le L.ibérj.8
Du Bois a bealJCOUp éc~it. sur le Libéria. Il 2 eu le mérite
de rév61cr à ses le2Leurs les difficlJltés économlq~es et les pres-
sions ~olitlques qui n'ent pas permis à la plus vieille république
d'Afrique de s'épanoui.r et d'aff~cher une image édifiante. C'est
aussj à ~l'OpOs de ce pays qu'il s'est le plLJS compromis en tant que
propagar,distc de la raCe noir<.. Désüeu,<
de le cJéfendre à tout prix,
il se porte all secours du Libél"ia lorsque la Société des Nations
le condamne en 1930 pour trafic d"iOf":':mes. En foit~ ce scandale est
éventé dès 1926 par des m8illbres de J' opposi tiDn qui arf lrrnent qU8
le président Charles King est en train d'ama3ser une fortune en
couvrant des transactIons jllicites. Des F~allçais et des Espagnols
sont en train, selon eux, d!acheLer des ouvriers pour les emmener
travailler au Gabon et dans l'ilë de Fernando ?o~ et ce avec la
complicité cu p=ésident et de cert&irlS me~bres ~e sun gouverrlement.
Ces Sccus2tions sont si véhémentes et si persistantes que le geuver-
nement des Etats-Unis s'erl émeut eri juin 1929 et demande au Libéria
de permettre à une cemmission i~ternationalB de faire la lumière
sur les faits qui lui sont reprochés. La Société des ,',aUons désigne
alors une com,lission de trois me,nbres dirigéE: par l'Anglais Cuthbert
Christy. Elle comprend notamment un Américain noir, le Docteur
Charles S. J~hnsDn et Arthur Barclavs, citoyen libérien CDnnu pour
son intégrité et son sens élevé oe l 'honneur. Cette équipe fait
un travail rernarquable. Son rapport révèle que la prati.que de

'."
COU:'2rlte
2 t
C;UC
le~ tribus au~cchtones erl sont
les seules ~ictiime3. Il révèJ.e~ e~ Gutl'e , qlJe J.es erlfants rle
sont pas épsrgnés par ces tr2rlsactions llli.cites e~ ignobles
dont lss forces de l!~rd~e assu~ent t~ès souv~nt l~ bon déro~-
lernent. Le président CI18rles King at son vice-pr~sident aInSI
que cl' 8.Ut!'è8 h2utS dignitaires du pays .s!Jr.t graveme:lt comprcmis
et quittent leur poste dbs la publication du rapport de la S.D.N.
Cet acte répréhensible à plus d'un titre nlhono~c pas l'Afrique.
Aussi les Etats-U~is, toujours p~ompts è marlter en épingle les
moirldr~s ca=enC8S de cette :éput!iqLJ8 noire, refuse d~ recorlrlai-
tre le nou\\:ea~ gouIJernernent for.l1é par le pI'ésident E,:h:in GaI'clays
et demandent que la direction effective du P2YS soit cO"'iée à
Uile comfl1Ïssio:l gouvernem9ntalc: inter'nar_ion31e.
Le ~l'ésident
Barclays refuse de se plier à cette eXlgerlc9 mais acceple 1'a3-
sistance d'experts internationaux ~arables de l'aider ~ réorg3nlser
l'administration du pays et è assainir ses finances.
Du Bois qui a aS31sté à l'inst211aticn of~icielle du
président Charles King en qualité d'ambassadeur extraordinaire
du gouvernement américain,B du mal à accepter le verdict pourtant
inattaquable de la commission d'enquête. Aussi, essaie-t-il de
justifier, cantre toute attente, les agissements de son amI King.
Po~r lui, la République libérienne a été contrainte de s'adonner
aux activités indignes qui lui sont reproché sous les pres~ions

,.........'
éCOi:~HiüqUE:S et. pclitiq~8s e;.:erCles c,'J'ltre elle. En out.re, affir-
me-t-il, les travaux forc0s 8uxquels sont soumis de temps à autre
les tribus indigène.s ne sont ni plus mi moi['\\s qu'une méthode
rapjde d ' éduc3tion. Il IE:s assimile d'ailleurs aux t:'8\\f8UX
COrTlmunautaires tr3ditionnels éiuxquéls le\\::I chefs peuvent sou-
mettre leurs sujets en cas de besGi~. C'est, dj.t-il, en se
fondant préci.sé~ent SlT cett.e institution africaine que la
Francs a obli06 les chefs à lui prucurer les tirailleurs sér:é-
galais qui cnt accepté de part~au fL'TInt par obéïss2nce à la
loi coutumièrE:. COGime s'il n'était pas c~:mljaincu de la force
persuasive de Cf:;S explit:8tior-ls il 2 ds nouveau recours à SlJr!
argun)ent-clé : ~ s3voir qu~ si les Et3t&-Unis ont mis tout
leur poIds dans la balar1cE: pour fajre co..ndamner le Libéi'ia,
c'est pour des raisons de politique
int~rieure en rapport avec
les revendications des Noirs. Les Etats-Unis craignent en outr8
qu'un déficit dé 12 mnin-d'ocuvre dans ce pays à faible popula-
tion ne vienne errL~ElVeI' le dé'Jelc'ppeffiènt de l' entreprise de
Firestone. Ce sont là, à n'en pas douter, des arguments d'zutant
moins con\\l2iïÎc.~·2nts qu'ils sont avancés par un homme qui s'est
toujours décleré favoI'able à l'épanouissement complet de l'homme
en général et du Noit en particulieL' Du Bois se laisse manifes-
tement aveugler par sa solidarité envers les Libériens d'origine
américaine et son nationalisme ~ulturel. Cette myopIe vis-è-~is
des fautes commises par ses amis du Lib&ria ne va pas faciliter

"
'""1':" .-

'0_
.J.
-'~- -~_.
leurs pas pour la premi~re foJ.s qu'il terlte de couvrir les méfEits
du g8uvernerllent libérü~"l
Dans 18 conflit qui a opposé r~rcus GBr-
vey ~ CherIes Kirlg apr~s qlle celui-ci ait cédé b Firestone une
grand~ partie de son territoire D8stinée à l'U.N.r .A., le père
du ~anarricanisme a donné ral~on au gouvernement libérien. Il a
môme fai.t plus que cautiunner le Libéri6
il a servi d'intermé-
y
diaire elltre celui-ci et Firestone è qui il 3 écrit personnelle-
ment. Qu'il ait par la suite corldamné Firesto~e pour sa Cllpidité
ne suffit pas pour juguler le !~al "qu'il a pu c~user ~ l'Afriq~e
entière en ne s' étanl pas 1'a[:9é: pour une fois, du côté de ~larcus
Garvey pour flétrir d~s le déparT, les faiblf:sseSd 1 un gO;Jvei'nernent
libéric~ ~iné psr 18 corruption et l!dppât du gain faciJ.e. Préten-
dument pour défe~dr2 l'intégrit~ du Libéria co~tre l'invasion de
l'armée de Carvey, il a joué à l'avocat du diable. Il a manqué 15,
à n'en pas douter, UGe prenlib~e occasion de contri~~e~ ~ 1!am61io-
ration de l'image de marque d~ Libéria: point de mire des tou:t
premiers nationalistes africains, en n'L!sant pas de son influe;lce
sur la classe dirigeante pcur la dissuader, par exemple, de confis-
quer les bieCls d'équipement de l'U.N,I.A.; qu'elle avait expulsée
injustement. Ainsi, f8ute d'avoir prévenu le vrai mal dont souffre
·le Libéria, i l va cherche~ pa~ la suite ~ le guérir en rédigeant
des articles incendiaires contr~ Firestone, les Etats-Unis e~ les
puissances européennes qu 1 il iJCClISC dl être à l'or igi.G8 de tous les
malheurs d'J Libéria. Mais comment a-t-il pu croi~e un instant que

.,----
.i-.s6.
3ù[' ami F·j_I'8st.:Jn~ cH:r-.?:lt. Ln ccn:pc:'~cment difrércnt de :~elui des
EuropéerlS qu1il nIa cessé de villipsnder depuis le début du
siècle? Cetle indulgence e~V8rs le capitalism8 amérj.cain et
JI irrédentisme r,otoir8 ue la cl::sse dirigeante du Libéria r: 1est
PDS
8 son honneur puisqu'elle va 8\\:"oir d~~s conséquences néfastes
sur le développem2nt de ce pays qui sIest. installé
défirlitivement
dans une létllargie cOIJpable et corro~pue, certain de toujollrs
béné f icier de la toléral-Ice des censeurs noirs, au nom dl une
certBine solidarité. Du Bojs ne J.B rnssure-t-il pas en disant que
le fait d'avoir pli vivotEr jusqu'en 1~33 constitue une victoire
en soi et que sen seul crime c'es~ d'être une ~épubliqu8 de Noirs
pauvres dans L1'Î monds de BJ.3i1CS riches?
Le Libéria est certes
victime du mépris des Et~ts impérialistes qui veulent le mett~e
à genoux pour faire un Exemple. [1ais cela justifie-t-il la condes-
cendance avec laquelle les Afro-américains du Libéria traitent à
leur tour lellrs corlcito)'EnS qui n'ent jamais quitté le sol 2fri-
cain?
Eil vériré, Du Bois a failli è son devoj.r en ne demandant
pas à ses sr.üs de respecter c~ux qu! ils appellent l'the i\\iatives!l
et qu'ils considèrent en fait comme leurs esclaves, oubliant
1
trop vite les idéaux des illustres fondateurs de la colonie du
Libéria. Faute de n'avoir pas osé dénoncer ces graves entorses
au principe fondamental du respect de la dignité humaine, il a
peut-être favorisé le maintien ,j'un système de corruption décrié
par tOllS les homr~8S de bonne foi qui ont pu entrer en contact

penclant longtemps un objet ~E ~éprjs de la part des autres na lions ?
Ainsi Du Bois sIest toujours effc~cé d'idéaliser J.8
lutte r1hérolquel/du Libéria pour S8 libère~ de l !emprise écononnquc
des pays nantia Erl paS3a~t sous silence les Bbus commis dans ce
pays. Cette attilude esl,pou~ ainsi dire/sympto'natique de ce que
lIon peut ccnsidérer ce-ii'lille un racisme inconscient qui s'est sauvent
traduit par un déluge d'attaques plus ou moins virLJlcntes contre
l'impérialisme blanc. ,~'est-cs pas pour cela que nombre de ses
critiques ont considéré avec scepticisme sor. engagem~nt envers
le conti~ent africain?
Sa~s aller jcsqu'à m~ttre on doute son
amour pOlIr l'Afriqu~ en peotcependant lui rGprcche~ de s'!tre
n~ntré trop faible lorsqu'il s'est agi de flétrir les méfaits
commis par ses amis au pouvoir en Af:·jque r:'ar ~ C:GmiL~ le dit le
dicton populaire, "qui aime bien châtie bien".
(20)

1
, .
.. (.
..~
1 • / .
1
,
\\
Ghanc.
La
Bais
cu palais du gouvernement à
Accra,
pierre tombale de Du
(Avec
la perrc"lissian du Ministère
de
l'Information du Ghana)

~r~
L. . .J u •
Du Beis D eu toute S~ vie la cult6 de la paix. Dès son jeune
âge, il se décOUVLit une Y028tion 2xceptj.ü;~n211e. Celle ~'améliorer
1e.s :::elélLiuns iT:teracial83 et. de r~~\\loriscr la cO!f',~réhension entre
les t10mmes d'une part et les natia!lS d'autrs part. Il décida de le
faire ?) partir de la libération de 33 race, convaincu que la lIbarrière
de couleur: i ne ûeut dispara.tb_~e (~l!e si les Noirs jouissent des mêmes
t1.tU3it donc à ses yeux, un préalable ~ l'instauration d'une paix
durable dsns le monde. En effet, l~Afrique, selcn lui, était la
source de r10mbreux conflits erltr2 les pays eurG~~ens, même si, à
l'accasiorl, ell.8 jou~it pour eu~ le r61e de SQUpap8 de sécuzité.
Le3 terlsj.ons entre les puissances coloniaJ8s 3e ~éSGlvaient g6néra-
lement par le·
réajlJstemcnt des frontières de leurs p8ssessions
8fricaines. En outre, avec l'idée qu'on se fdisait des cultures
africaines, il était impensable quton songeât ~ cherctler et à décou-
v~ir l'histoire de l'Afrique précoloniale. Les peuples africains,
dominés el aliénés furent amenés à déconsidérer leur civilisation
et à se vo~r, cans Une très grande mesure, à travers la vision
déformée d'étrangers affligés de myopie et ir~capables d'cbserver
les réalités africaines sous leur vrai jour. Dans l'acticn menée pour
imposer une image négative de l'Afrique au monde: on 8vai.t écarté l
altsré ou effacé maints aspects du passé africain qui allaient à
l'encontre de l'idéologie colonialiste. Pour lutter contre cette

entr-epJ:ise de :1~/stj_fic;:;:-L.i.on, Ou Bsis s'i.dentifia toute sa ViE à
la rE1C2 no~re. 03 1896, cnte de la parutio.r: de The 5uppr-ession of
the ."frican Slav2 Trat!e to the UniteD Stat',s oF America ,1638-1870,
à 1963, date de sa rnnrt,
il d6fendit constamment et inlassablement
l'Afrjque 9t son pE.trirnoine cL:ltuI'el.
Il s'2ttélqua d'emblée à la
r3cine du mal dont souffrait l'Afrique; à savoir sa déperscnnali-
satio~ par le pouvoir colonial. Il stigmaLisa dès le début du
siècle, l'impérialisme écclloœiqlJe et cuJtu~el qui avait
pris
le relais du système exclavagiste dérloncé jadis par Phil lis Whea-
tl 8Y, David~;a!v.er,
Paul Cuffe, Martin Delany et Bishop Turner.
Certes, il ne fut pas le seuJ à condamner la surexploitation de
J'Afrique par les natiorls col[lnisatrices e·t leurs alliés. Marcus
Garvey le fit avec beaucoup plus de v6hémerlce et de passicn. ~lais
contrairement à ce dernie~Du Buis se garda de prôner u~ impéri3-
lisme noir arnéricain. Ce qu'il voulait sur'tout promouvoir, c'était
moins l'essor économlque de l'Afriqué que 20n épanouissement cul-
1
turel dans un envirorlnement préservé de la pollution sécrétée par
l'Occident. Il ne voulait pas, comme Garv~y, encoLlrager les Africains
à utilis8ê les voies et le3 méthodes du dsveloppement c3pitalist8.
Il opta dès 1917 pOLIr un système de croissance socialiste en
Afrique. Un social isme ori.ginaI qui prendrait en compte le fonds
culturel de l'Afrique, nolamment son génie religieux, sans cesse
cC:nigré et combattu par le christianisme. Hostile à l'Eglise en
tant qu'institution, il mit les Africains en garde contee Son
dogmatisme et son hypocrisie alors que Garvey tenta lui, de

')t:n
• LOl.J.
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d'cCl'p'les
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Du Bois lutta CC1~st2nHnc-nt pour 12 préservation de
l' authen-
ticité
sDcio-cultc,relle de l'Afrique. Il mit au service de cette
ocuvre de sa~vegarde
son g~and taJent de propag5ndiste. The Souls
of Black Folk et The Neqro furenL enti~rement ccnsacrés à l'apologie
du Nègre. Il milita en faveur de l'éducation des Noirs et ses travaux
de recherche sur l'Afrique, en exhLlnlant les richesses d'un passé
africain prestigieux, dOîlnèr81lt aux "enf8nts de Charn ll des motifs
d'orgueil et de fierté. Ils contribuèrent, non seulement 8 llavène-
ment du f·buvcment de la p.erocüSS8\\lCe Nègre aux Etals-Unis, mais
BtJssi ~ la création du concept de le NégritlJd0 e~ Afrique. Et
nous savons le rôle d~terminant et J !extr~oridinRir6 fortune
qu'ont eu ce ~ouvement et ce concept da~s la lutte pour l'affir-
mation de Jo présence négra-africaine dans le monde. En outre,
son engagement en faveur du panafricanisme permit les contacts
cntre les premiers intellectuels africains et les ~oirs de la
diaspora. Parmi ces derniers, nLll ne conteste le r61e ~nlinent
joué dans la lutte pour l'émancipation de l'Afrique par les Henry
Sylvester Williams, George Padmor~R. T. Makonnen, Alphseus Hunton,
Paul Robeson, Franklin Frazier, Leo HansbeJ'ry, Richard "Ir ight,
l'\\ercer
Cook et Price Mars. Par aillewrs, l'influence de Du Bois fut grsnde
s~r au moj.ns deux générations de Nairs~ Il les a~~na à jeter
sur
leur contir,ent un regard nouveau et à envisager pour lui, un avenir
digne de son glorieux passé dont les empires du I"ali et du Ghana

fiJrE-ilt d'éclatantes ilL:str2tiors. Il fut, pour ainsi dire! l'un
des princip8ux promoteurs du n8tionalisme africain dont il guidE
,
.
~es premJ.ers ~as.
C'est dans cc rôle d'apologiste de la race noire que
Du Bois fut parfois co~duit à prendre des libertés avec la vérité
qu'il s'était pDllrtant promis de toujours respecter. Ce qui a
amené des critiques à t~8iter, avec quelque injustice, ses ini-
tiathi8s pa:l2Fr icaines de Il ro r.lantisme racial" et à l'accuser 0-3
n1être noir que par profession. 11ais p~~t-on vraiment faire de
la propag2~de S3flS déformer qcelque peu la r6alité ? quant à la
s~ncérité de sor. engagelnent en\\j8rS l'Afri.que, rien ne permet de
la mettre en doute. Est-il d'ail12urs possible de feindre pendant
plus d'un demi-siècle en combattant pour une cause lorsqu 1 on n'en
est pas conVainC1J ? Cependant, nous pouvons nOIJS étonner d'une
contr2dictio~ qui marque son existence. Lui qui s'était évertué
~ décourager l~s adeptes de Mercus Garvey
tentés par l'aventure
africaine, a fini par se faire naturaliser ghanéen et à mourir
en terre africaine. i"ais cette contradiction n'est-elle pas à son
honneur ?
Il est vrai que l'action de Du Bois en Afrique n'est pas
b l'abri de toute critique. On peut lui reprocher de n'avoir pas
condamné, ne serait-ce qu'une fois~ les excès et les abus

.262.
de POUVOli' ce N~ l~rtii;lah et ses énH..l1es, les atteintes D la liber té
au Ghana ct en t,fL'.i.Cjue. Ces violûticns des droits de l'homme
étaient trop nomb=euses et trop graves pour passer inarJerçues
ou pour &tre occLIlt6es. Dan3 ID plupart des nouveaux Etats, en
se moquait de la 101. Orl faisait tsire brl.talement même les
hommes que les discours avaient mobilisés et qui avaient tout
donné pour arracher l'indépendance de leur pays. L'incohérence
politique, l'j.ncurie, la gabégie et la corruption 6toient devenues
la r'3g1e daf's l'Afrique nouvelle. HLllgré les professions de foi
st les discours ~galit~ires des tenants du pouvoir, les inégalités
s'accentuaient et 11injustice deven'=lit ;:ll(~s crt~elle. Les nouveaux
mélîtres sv aient simplement pris la place des élnci.ens domin2teurs
en exploitant, parfois plus férocement q':...le ceux-ci ~ leurs peuples.
Témoin privilégié de tOllS ces rnéfaits, Du Bois resta c8pendant
muet. Son grand âge explique en ;:lartie ce muti.sr.Je. Erl effet, cette
longévité qui lui avait permis de VOIr se réaliser certaines de ses
praphéties, le rendait, semble-t-il, insote dU combat contre le
nouveau colonialisme et sa tyrannie. C'est pourquoi sans vouloir
cultiver le paradoxe, nous pouvons affirnI8ï.· que Du Bois 8urait
mieux mérité de l'Afri.que si son combat av aH pris fir. en 1945.
La tenue du cinquième congrès panafricain marque, à notre sens,
la fin de son action véritablement positi.ve en faveur de l'Afrique.
La vieillesse et les désillusions d'une fin de vie sans consécration
dans son propre pays le poussèrent vers l'extréminisme, surtout

après son arrestation ~n 1951. Il apparut très vile que ses
articles étaient de Dlu3 en plus inspirés par sa rancoeu~ contre
les Etats-Unis et tout se qu'ils re~résentai8nt. En outre,
aveuglé par un nationalisme culturel sourcilleux et subjugué
par sa géopolitique iaciale, il 2vait toujours souterlu que
l' Algéri.e, le l'iaroc et la Tunisie deVc8ienl être rattachés
8 l'Europe.
Cependant, en dépit des aspects contestables de sa
pensée et dB son actjon, Du Bois s réussi è donner è l'Africlue
les moyeilS dt affirmer .sa personnalité mê!t~ si S8 vision est
loin d'être devenue Uile r221ité. Quelques mois avant sa mort,
il eut la satisfaction de voir naitre l'Organisation de l'Unit~
Africaine, à Addis Abeba. Certes les espoirs soulevés alors
par la concrétisation dtune des id~es m81t~esses du panafrica-
nisme ont ét6 quelque peu déçcs. Les nombîeux conflits armés
entre Etats africains et même entre les réglons d'une même nation
semblent démentir les assertions selon lesquelles l'Afrique
est la symbole de la sag',sse et de la pei". Cette idée-force
qui avait rasse~blé· les participants lors de la conférence
constitutive de l'O.U.A. s'est révélée·n'être qu'un mythe.
Ce mythe conserve néanmoins sa puissance
d'action et de
mobilisation. Car c'est cette volonté affirmée d'unité qui
préside très souvent à la solution des cor.flits entre les

.264.
pays africains:; eJ.le 1~3 20nduit b prendre des posiliorls
commur18S r~ice aux problèmes internationaux et les incite ~ se
constitlJer er! cc~munautés ~conolniques.
La préoccupation actuelle
chez la plupart des chefs d'Etat
du continent de trouver une voie
africaine au développement reut être considérée comme un h~ritage
de Du Bois. Qu'ils emp~untent la voie capitaliste ou socialiste,
tous les dirigc8nts se refusent à impur ter servilement les modèles
étrangers. Ils insistent pour ad2pter les doctrines de développement
auY réalités de l'Afrique. Tous ceux qui orlt choisi, comme Du 80is,
la voie socialiste en Afrique se réclament plus ou moins d'un
soci81is~e hLlmanistc qui allie intimement la iustice aux impératifs
de la liberté. Certes l'Afrique balbutie sur les voies de l'hIstoire
et est toujours à la recherche de son jde~tité. 11&is nlalgré ses
errements et ses faiblesses elle a fait des progrès sensi.bJ.es pour
maîtriser sorl destin. Le XXè siècle p8nsait Du 50is. sera celui
de IIAfl-ique. Si cette prédiction 8 un jOL}~ la chance d'être
réalj.sée, elle le devra e~ grande partie à des hommes de l'enver-
gure de Du Dois, cet intellectuel noir américain qui 2 tout sacri-
fié afin que les peuples nairs retrouvent leur place dans le
concert des nations. A ce titre, l'oe~vru et l'action de Du Bois
méritent amplement notre intérêt et la reconnaissance de l'Afrique.

- .•..
1)1
0
T E S
Introduction
(1)
The Spark, Accra, vend~edi 30 août, 1963
(2)
W.E.B. Ou Bois, John Brown; George W. Jacobs œ
Co, Philadelphia, 1909
(3)
W.E.B. Du Bois, The Negro, Vol XCI of the Ho~e
University Library of Modern KnowlEdge, Henry
HaIt, New York, 1915 , 254 PP.
(4)
H.E.8. Du Bois, Darkwater : Voices within
the Veil; Brace ~ Howe, New York, 1920
276 pp.
1ère PARTIE
Les Précurseurs
CHAP ITRE l
(1)
Jean Wagner, Les Poètes Nègres des Etats-Unis
Librairie Istra, Paris, 1963, p. 18
(2)
Ibid.,
p. 19
(3)
Ibici,
p. 18
(4)
W.E.B. Du Bois, The World and Africa, International
Publishers, New York, 1965 p. 334

.La6.
(5)
Jc'hl1 H. Franklin, i rom Slavery to Freedom
A.A. Knopt, NeH Yor~, 1956. p. 156
(6)
Ci~~ par Herbert Aptheker, a Documentarv History
of the Neqro People in the United 5t8tes
The
Citadel Press, New J. 1951, Vol. l, p. 70
(7)
Ibid.,
(8)
Ibid.,
p. 71
(9)
H.E.B. Du Bois, The Horld and Africa
op. cit. p. 334
(10)
H.E.B. Du 80is, Dusk of DawQ' Harcourt Brace ~ Co.,
New York, 1940, p. 195
(11)
Cité par Herbert Aptheker,
op. cit. pp.93 - 94
(l2)
Ibid.,
p. 93
(13)
Ibid~
p. 97
(14)
The Condition, Elevation, Emioration and Destiny
of the Colored People of the United States ; Arno
Press, New York, 1969
(15)
Cité par Ronald T. Takaki, Violence in Black
Imagination; Capricorn Books, New York, 1972
p. 87
(lS)
Ibid~
p.88
(l7)
Ibid.,
p. 90
(lB)
Ibid.,
p. 91

( . g)
,L
Ibid..,
p. 93
(20)
Ibid.,
pp. 93-94
(21)
Ibid.
(22)
Bishop Turner, Christlan Recorde"
22 février.lBB3
(24)
Ibid.
(25)
Ibid.
(26)
Christian Recorder, 25 janvier le83
(27)
Lettres rassemblées dans A.N.E. Church Review
Vol. VIII
pp. 446-498
(2B)
Herbert Aptheker, A Documentary History of the
Negro Peoole in the United States l op. cit.
pp. 757-758
CHAP ITRE II
(1)
W.E.8. Du Bois, The AutobioQraphy of W.E.B. Du Bois;
International Publishers, New York, 1968, pp. 71-73
(2)
W.E.B. Du Bois, Dusk of Dawn; Brace ~ Harcourt,
New York, 194D, p. 12
(3)
Ibid.,
p. 24
(4)
Ibid.,
p. 31

·268.
Co)
Ibid.,
p. 35
(6)
Du Bois, ~k of-Pa'Jn; op. oit. p. 18
(7)
Ibid.,
p. 10
(8)
tiré de W.E.8.
Du 80is : A Profile; Rayfoîd W.
Logan (ed.), Hill and Wang, New York, 1971
p. 33
1
(9)
Herbert Aptheke? (ed.), The CDrrespondance of
W.E.8. Du Bois; Vol. 1 Selections 1877-1934,
Citadel Press N. J. 1973, p. 183
(10)
W.E.8. Du Bois, The Suppression of the American
Slave Trade to the United St8te~ of America
1638-1870; Harvard Studies, The Social Science
Press, New York, 1896,329 pp.
(11)
Autob~aphy of \\1.['B. Du Bois; op. ciL, p. 343
(12)
W.E.B. Du Bois,
The Conservation of Races;
.American Negro Academy Occasion al Papers, No 2, 1891
(13)
\\J.E.B. Du Bois, "The Conservation of Races",
A W.E.B. Du Bois Reader .edite~ by Andrew G. Paschal,

Collier 800ks, New York, 1971, pp. 483-92
(l4)
Ibid,
p. 21
(15)
Ibid,
p. 24
(16)
Ibid.,
p. 25
(l7)
Ibid.,
p. 26
(l8)
Ibid.

(19)
1:1.E.B. Du Bois, An A.8.C. of Coloe ; International
Pub] ishers , Ne" York ;' 1%9 , pp. 17-18
CHAP lTRE III
(l)
The Autobiooraphv of 'I.E.B. Du Bois; op. Cit.
pp. 20-23
(2)
Booker 1. ,'Jashington, Up Fmm Slavery;Uorld's
Classies, O.U.P.
p. 166
(3)
W.E.8. Gu Bois, The Souls Gf Black Folk;The Ne"
Ameri~an Library , Ne" York, 1969
p. 87
(4)
Ibid,
p.88
(5:'
'LL8. Ou Bois, "The Talented Tenth", The Negro
Problern, Ne>l York, 1903 ; pp.
33-75
(6)
Horace f'lann Bcnd, "Forming ~frican Youth :
A Philosophy of Education", Africa Seen bv American
~~~rnes; Presence Africaine, Paris, 1958,
pp. 247-248
.(7 )
Ibid.,
p. 249
(8)
Le général Ssmuel Mmstrong fonda en 1868 "Hampton
Institute" et le dirigea jusqu'en 1893. Il fut le
parrein de Booker T. Washington
(9)
fl.E.B. Du Bois, ""Ihat is CiviJization ? Africa's
Ans"er", Forum, Vol. 75, 1925, (Dans la note
biographique adressée à l'éditeur)
(10)
The Crisis, Vol. l, 1910,
p. 3

.270.
(ll)
Ibid.,
p. 10
(12)
~.A.A.C.P. Board Minutes, 13 janvier 1919
(13)
The Crisis, VoL XVII, 1919, p. 176
(14)
The Cri sis, VoL XXXIV, 1927, pp. 263-264
(15)
Ibid.,
(16)
The Crisis, Vol. XVII, 1919.,
p. 165
(I7)
James \\./. I"y, "TraditionaI N.• il.. A.C.P. Interest ln
Afr ica", AFr ica Seen by Arter Lean Neoroes ;
op. Cit.,
pp. 238-239
(18)
The Crisis, Vol. XVII, 1918,
p. 90
(19)
Ibid.
(20)
The Crisis, Vo1 VI, 1913,
p. 322
(21)
The Crisi:o, Vol· XIV, 1917, p .. 175
(22)
Philips
S. Faner
(ed.),
ll.LB. Du Bois~i<.,,-:.
Vol l, Pathfinder Press, New York, 1970, pp. 5-6
IIème PARTIE:
Du Bois et l'héritage
culturel des Noirs
CHAPITRE:
IV
(l)
'1.E.B. Du Bois, John _Brown; International Publishers,
New York, 1962, p. 33B

.2il.
(2)
Cité par Les~ie H. cishel Jr. et Benjamin Quarles,
T_he3egro-"meciea.Q, Vol· III')GlerlView/I967
p. T:9
(3)
~I.E.B. Du Bois, In BatUe For Peae"
Mainstream, New York ~ 1952,
p. 25
(4)
'I.E.B. Du Bois, The i'!egro, O.LJ.P., ,Ne'," York,
1970,
p. 3
(5)
J. E. Casely-HayFord, GoldCoast Native Institu-
tions. 5weet and Maxwell/Loncon, 1903
(6)
The Neqro, op. Cit.
p.
72
(7)
I-1.E.B. Du Bois, "l·}hat's Civilization ? AFrioa's
Answer"
cp. Cit.,
p. 182
(8 )
~he Negro,
op. Cit. ,
p. 85
(9)
Ibid.,
P. 92
(ID)
Ibid-,
p. 95
(Il)
Ibid.,
p. 146
(I2)
IbicJ"
p. 5
(13)
W.E.B. Du Bois, Darkwater
50hocken Books,
New York, 1969
pp. 53-54
CHAP ITRE
V
(I)
Jean l'Iagner;
op. Cit.,
p. 173

.272.
(2)
The CrisIs, Vol. XXXII, 1926
pp. 291-292
(3)
C:aude r'lckay, Har lem Shadmvs / p. 17
in
Jean Wagner,
op. Cit.,
p. 258
(4)
Countee Cullen
flHeritage ll ,
Color,
pp. 36 et.
J
38-39;
Jean Wagner,
op. Cit.
pp. 358-359
(5)
Jean Wagner
op. Cit.
p. 432
(6)
Langston Hughes ; "The Negro Speaks of Hivers"
The Crisis ; 1921
p. 71
(7)
Langston Hughes; "Poem - for the portrait of
an African boy after the manner of Gauguin" ;
The Wearv Blues,
p. 10 ; Jean Wagner;
op.·Cit
p. 434
(8)
Langston Hughes; "Our land" ; The ,Jea,-y Blues
p. 99 ; Jean Wagner;
op_ Cit.
p. 436
(9)
Claude r-1ckay, "Africa", Har.lem Shado>ls,
p. 315
Jean Wagner;
op. cit.
p. 262
(l0)
Langston Hughes, "t1otherland"; Jim Cr0l1 Last Stand,·
p. 15 ; Jean Wagner,
op. cit.
p. 437
(11)
Langston Hughes, "Liars", Opportl'ni ty mars 1925
p. 90; Jean Wagner,
op. cit.,
p. 437
(12)
Countee Cullen, Caroline Dusk,
p. Il
Jean \\·Jagner,
op. cit.,
p. 335

(13)
Lily_an Kestsloo,t, Les écrivains noirs de 12ngue
française:
InstitLt de Sociologie, Univ. libre
de Bruxelles, 1963,
~p. 63-82
(l~)
"Selected Pccms cf 'LE.I3. Du Sois", Shidey
Graham; Freedom-wavs Vol. V
p. 88
(15)
"Credo"; Oarhl8ter; Shocken Books, ,~ew York,
1969,
p. 3
(16)
~I.E.B. Ou Bois, "The Story of .i\\frica", The Crisis,
Vol. VII, 1914,
p. 234-235
(17)
The Crisis, Voh XXVII i 1926 ,
p. 247
(18)
Ibid.
(19)
Ibid.,
p. 248
r
(ZO)
Ibid.
(21)
Ibid.,
p. 249
(22)
Ibid.,
(23)
Ibid.,
p. 250
(24)
Ibid.,
p. 273
(25)
Ibid.
(26)
Ibid.
(27)
Ibid,
p. 274

II Ième PAR TIE
Du Bois et le panafricanisme
CHAPITRE
VI
(1)
Darkwater,
op. cit.,
pp. 49-50
(2)
The Crisis, Vol. VI, 1913,
p. 26
(3)
The Crisis, Vol. XVII, 1919,
p. 165
(4)
IbicJ"
l'P' 271-273
(5)
Ibido,
pp. 273-274
(6)
The ,"!odd and Africa,
c~. cit.,
p. 8
(7)
The Crisis, Vol. XVII, 1919,
p. 166
(8)
The Crisis, Vol.XXI, 1921,
p.
('H
(9)
A. Jacques Garvey, Garvey and Garveyism; United
Printers, Kingstone, Jamaica, 1963,
pp. 1-10
(10)
A. Jacques Garvey (ed.), The Philosphy and Opinions
of Marcus Garvey, 2 vols. Atheneum, New York 1968,
part. II
p. 128
(Il)
Franklin Frazier, "Harcus Garvey
A f"Jass Leader",
Nation, 26 août 1926
(12)
Edmund David Cronon, Black Moses. The Story of Marcus
Garvey and the Universal Nearo Improvement Association
Hadison : Univ. of Wis~ Press;"~966,
pp. 65-66

, l ~)
\\
-'
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U.N.I.A. and Afr.icon Com;nunit:yts League!!, August
1920, in Leonard E. 8arrett.
Soul-Force; Anchec
Books, New,York,1974
p. 142
(14)
The Philosophy and Opini""s of ['iaccus CaLvey
op. cit.
part. 1) pp. 71-73
(15)
Ibid.,
part II 1 pp. 239
(16)
The Crisis, Vol. XXI, 1920-.D21,
pp. 58-60
(17)
Ibid.,
p. 112
(18)
Ibid.,
p. 114-115
(19)
Ibid.,
p. 101
(20)
The Crisis, Vol XXII, 1921,
p. 53
(21)
Neqro World.
2 juillet, 1921
(22)
Negro World,
8 janvier, 1921
(23)
Negro World,
6 aoOt, 1921
(24)
Dusk of Da'dn j op. oit.
pp. 127-128
(25)
The Crisis, Vol XXVII, 1923,
p. 59
(26)
Ibid,
p. 60
(27)
The Crisis, Vol.XXXVII, 1930, pp. 27-28

.776.
(28)
IbId.,
p. 28
(29)
The Ci'isis, Vol.
XXX~, 15'33,
p. 247
(3D)
The Crisis, Vol.XXXXI
1934
p. 182
(31)
George Padmore, Panafricanism or Communism ?
Dennis, Dobson, 1956,
pp. 171-172
(32)
Autobiography 0 f K\\'la;ne "krumah, Pana f. Books,
London 1957,
46-47
(33)
Julius Luter (ed.) ; The Seventh Son:
The Thought and ~ritings of W.E.o. Du 80is
Vintage oooks, 1971, Vo~ i l ,
p, 706
CHAPITRE
VII
(l)
Autobioqraphy of Kvl3me Nkrumah; op. ci t.
p. 44
(2)
The ~orld and Africa
op. cit.
pp. 38-39
(3)
Cas81y-Hayford;
op. cit.,
p. 130
(4)
The \\·Jorld and Africa
op. c.a.,
pp. 232-235
(5)
Herbert Aptheker, Afro.American History ;
The Citadel Press, New J
1973,
p. 146
(6)
Herbert Aptheker (ed.) , The Correspondance of
W.E.B. Du Bois. Citadel Press. New J. ; 1973
-'-"-'-'--'----"-''---=--''- ,
Vol· 1
pp. IB2-1B4

.ro.
(7)
Basil Dav2.dson, ~jhich l-Ia)' Afr ica ? P3nguin
London, 1964,
p.
73
(8)
"Selected Poems of \\·1.E.8. Ou Bois",
op. ciL,
p. B8
(9)
The Correspondance of W.E.B.
Ou Bois;
op. cit. p. 464
(10)
Ibid.,
p. 465
(ll)
Freedomways, Vol. V, 1965,
p. 8
IVème PARTIE
Du Bois et l'Afrique Indépendante
CHAPITRE VIII
(l)
The ~jor Id and Afnca;
op. ci t.
p. 297
(2)
Darkwater;
op. cit.,
p. 70
(3)
"The Present Economic PrDblem of the Amer ican
Negro"
The National Baptist Voice, octobre 1935
(4)
Freedomways, Vol-V, 1965,
p. 46
(5)
The World and Africa;
op. cit.,
pp. 306-307
(6)
Ibid.,
(7)
Ibid.,
p. 309
(B)
Ibid.,
p. 312
(9)
Ibid.,
p. 311

.278.
(10)
Cité par ClaClde t-/8u':hier/ L' Afr ~que des Afr icains; Seu; i'!
Paris, 1966 ,
p. 261
(11)
Ibid.,
p. 262
(12)
Léopold S. Senghor,
Nation et Voie
Africaine du
Socialisme; Seuil, Paris, 1971
pp. 232-257
(13)
Kwame Nkrumah, Consciencisrn, Panaf.
Books,
Lo~don, 1964, 122
pp.
(14)
Senghor Nation et Voie Africaine du Socialisme;
P. A. Paris, 1961,
pp.
9-10
CHAPITRE
IX
(1)
ll.E.B.
Du Bois, In BatUe For PeGce; op. cil.
pp. 119-139
(2)
Eveninq News, Accra, 22 juin, 1962
(3)
"Conference of Encyc10pedia Afr icana", Freedom'.'Jat§.
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pp. 28-30
(4)
Encyc10pedia Africana Information Report, Encyclopedia
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N° S, p. 8
(S)
The Spark, Accra, 12 avril 1963
(6)
The Wor1d and Africa;
op. cit.
pp. 337-338
... ,.
-,

.279.
(7)
John Henrik Clarke, "The Ne;,--; Afro-J.1.merican
Nationalism", Freedw'''i2YS ; Vol. 1, 1960,
pp. 285-295
(8)
~Jilliam Leo. Hansberrj, "Du Bois' Influence on African
History", FreedCl"iI'Iays Vol. V, 1965,
p. 74
(9)
.·Elliott P. Skinner, "Mrican, AfreJ-American, 'flhite
America: A case of Pridc and Prejudice'~ Freedomways
Vol. VI, 1966,
p. 388
(10)
Ibid.,
pp. 380-388
(11)
AutobioorRphy of W.E.8. Du 8Clis;
op. cit.
p. 401
(12)
01ajide Aluko, Ghana and NiŒeria 1957-70 : A
Study in Inter-Afficsn DiscClrd ; Rex Collings ,
London, 1976
p. 173
(13)
Ibid.,
p. 181
(14)
Ibid.,
pp. 181-182
(15)
Minutes of the M6eting of P~ime Ministers Held
in London, May 196D
(16)
The Spark, Accra, I·larch 17, 196il
(17)
Peter Abraham, "The Black"! An Afr ican Treasury;
edited by LangsLon Hughes, Py~amid Books, 1961,
pp. 50-62
(18)
Kwame Nkrumah, Hands off Africa; Accra, 1960
p. 14
(19)
Ghana and Nigeria; op. cit.
p. 110
(20)
\\·J.E.8. Du Bois, "Liberia, the League and the United
States") Africa Se en by Arnerican Negroes; op. c.it.
pp. 330-344.

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, ~ "1
"" \\~
1
TABLE
:)[5
;·IATlERE5
Pages
Introduction o
o
;
o..........
l
1ère PARTIE : Le dilEmme o.....................................
12
CHAP ITRE l : Les precurseurs
.
12
- Phillis Heatley
Le thèfile du désarroi ..................
13
- Paul Cuffe
Le thème de l'identité raciale ........
16
- Da'Jid ,Ialker
Le thème de l'égal ité !'aciale .........
21
- l'lartin Delany
Le thème 'Je l'identité culturelle .....
25
Bishop Turner
Le thème du pouvoi!' noir ..............
36
/ -
'-;"ICAI'V~
• ,
:.I?:~~~
"
43
CHA: l ;::k II
:
Les ûnnées de 7~~~~(on~"\\7ï"""""""
..................... f: \\~~-J ;if
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- Harvard
''(.~ ~;
45
o
• • • • • • • • • • • • • • • • • •
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• •
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.
-
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B
1
~.,;)
.
50
~~~
- The Conservetion oF R2ce~ ou le messianisme noir
.
55
CHAP l TRE
II l
De l' opposi tian à Booker T. Wash ington
à la fondation de la N.A.A.C.P.
63
- Booker Taliaferro Washington
68
- t·l. E. B. Du Boi s con tre Booker T. \\-Iashington
73

- L'Université Lincoln et la formation de l'élite
africaine anglophone ........ '.'
.
78
La fondation de la
N.A.A.C.P.
85
"
.. -.:

-,
788,
Pages
!lèn;e PARTl::'
Du Bois et l'héri(age culturel des Noirs ....
103
CHAPITRE
IV:
L'image littéraire de l'AFrique .......•.....
103
- John ~ro"n ou l'image mystique ..........................
103
'. The Neqro ou l'image historiqûe .....................••••
105
- Oar~waLer ou le ~essage de l'espoir ......•......•.......
115
CHAPITRE
v
Le ~Iouvement de le Renaissance ".Jègl'e
119
- Claude I-Jc~ey, Countee Cu11en,Langston Hughes et
l'image mythique de l'AFrique ...................•.......
121
Du Bois et la description lyrique de l'AFrique ••••...•..
130
IIIème PARTIE
Du Bois et le panaFricanisme
.
144
CHAP ITRE
VI
Le panaFricanisme et le garveyisme
144
- DéFinition et objectiFs du panaFricanisme ....•....•.....
144
- La première conFérence panaFricaine ................•.•..
14B
Garvey et le Garveyisme
....••...........
154
- ObjectiFs et impact de l'D.N.I.A. ••..••.................
156
- Du Bois contre Garvey .....•...........•...•...•. ,.......
166
- La deuxième conFérence panaFricaine ........•..•.........
174
- La troisième conFérence panaFricaine
177
- La quatrième conFérence panaFricaine
179
- Du Bois quitte la N.A.A.C.P. .•.....•............•......•
179

- La cinquième conférence panaFricaine '"
IBI
- L'indépendance du Ghana: première victoire du
panaFricanisme
IB5

1
1
CHHPITRE
'JII
L'impact des conférences p3nafricaines
S'.J~ .1 1 Afr iq\\..:c c~lonia18
<
O '
• • • •
"
..
- Lt éveil du nationalis~e
afric3in
- The Abor igines Rights Protection Society ....•.....••....• /
194
- Casely-Hay fard, KwegYr Ag~lrey et Nnar:Jdi Azikiwe
197
IVèr:Je PARTIE:
Du Bois et l'Afrique indépendante
206
CHAPITRE
VIII
Les conseils de Ou Bois aux lead~rs
africains............................. .....
206
- Plaidoyer pour l'instauration d'un socialisme fondé
sur le communalis~e africain
.
208
- Message de Du Bois ~ la conférence des peuples africains ..
- Réaction des leaders 3fricains
,
.
217
CHAPITRE IX
Du Bois l' .Africain--ê~ré3litésde
/~":----- ' Qi'\\,
l 'Af'
rlque .ln d' I·"d
epen /an t e
" " ~;\\
....••••.........•.....
225
{ .. ( (.
" ,
(-,
~~l ll1 r::
\\;:-
.
- L'arrestation de Ou Bois et· son ôepatt pour l'Afriqu~ .•..
225
,

----- 1 r:;:;
- Les rapports entre l'Afrique ~déRenda~er.~t l'Amérique
- -
';)(','\\"
............. , lTIf;n\\ ~V'
/
noire: La réalisation d'une prophétie .•.....•...........
233
- Les ambiguités •.......•...•.•.......•.•.••••.••..•.....••
239
- Le Panafricanisme et le N'Knmaïsme
242
- L'Orgonisation de l'Unité Africaine
- Ou Bois et le Libéria ................•.•.....••..........
252
CONCLUSION...................................................
258
NOTES ..•.............••.....•••......................••......
265
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