· Essiagne Daniel SESS
ANONYMAT ET DILUTION' ACTUELS
DES MEDECINS TRADITIONNELS AFRICAINS
Président de Thèse:
Monsieur le Professeur M. FONTAN
THE5E POUR
LE DOCTORAT EN MEDECINE
LILLE
1979

A mes aînés
t-1essj purs les Professeurs COllLIBALY, KEBE MEt~EL, ESSO Nor~LL,
AEDA 8~ GUESSENND, AHOLI, au C. H. U. d'Abidjan.
Messieurs les Docteurs:
- YEDO YEDES Paul, Assistant Chef de Clinique en Gynéco-Obstétrique
- GAUDET DJA André, Assistant Chef de Clinique en Gastro-entérologie
au C. H. U. d'Abidjan.
Et, à mon ami, le Docteur DJAKOURE et à Madame le Docteur DJAKOURE
Vos conseils, vos suggestions et votre amabilité, sans cesse
renouvelés, m'ont toujours beaucoup touché. Ma profonde et fraternelle
gratitude.
A tous ceux qui m'ont toujours apporté leur soutien, tout le long de mes
études.
A tous ceux dont la collaboration, pour la rédaction de cette thèse, m'a
été d' un grand secours.
.../ ...

A Monsieur .Iean-Bap t i st e 1'10CKLY, Ministre de la Santé Publ i ore et de la
Prnu l at i oo CR. Côte d'Ivoire)
A Monsieur CGULIE3ALY, Directeur du Ministère de la Santé Publique et de
la Prmrl at i on CR. Côte d' Ivoire)
J'ai eu la chance de vous rencontrer à maintes occasions, notamment
lors de mon st~e interné.
J'ai pu apprécier la qualité de vos rapports humains, et l'intérêt
particulier que vous portez à la situation sanitaire de notre' pays.
Soyez assuré de mon dévouement et de ma profonde déférence.
Aux Médecins et 8 tout le Personnel de 1'1. N. S. P. d'Abidjan.
Prur les nanbreux services qu'ils m'ont rendus, et pour m'avoir
aidé à l'élaboration rie ce trdvail.
1

A mon Maitre
Monsieur le Professeur GERVOIS
J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt les cours que vous nous avez
dispensés dans le cadre du C. E. S. de Médecine Préventive et de Santé
Publique.
Vous êtes, certes, l'exemple du dynamisme.
Votre bonne expèrience de la Médecine, votre grande érudition,
votre réconfortante sympathie et vos conseils ont toujours sus~ité mon
admiration.
Ma respectueuse reconnaissance.
.../ ...

A nos Maîtres de la Faculté de Médecine de LILLE
- ro1ons i eur le Professpur L TNQUETTE
Service de Médecine et d'Endocrinologie.
- Monsieur le Professeur FOSSATTI
Service d'Endocrinologie et de Diabétologie.
- Monsieur le Professeur M. DECüULX
Service d'EndocrLnologie et de Médecine Interne.
Depuis mon arrivée dans le service, vous n'avez cessé de me .
témoigner les marques de sympathie les plus vives et sincères.
Puissé-je, sous votre bi.enve i l Lant e autorité, réaliser mes voeux
les plus chers ?
Je vous prie de trouver ici l'expression de mon entier dévouement
et de mon profond respect.
... / ...

A Monsieur le Professeur M. HAZERA
- Professeur à la Faculté de Médecine d'Abidjan
_ Chef de service de l'Hôpital Psychiatrique de Bingerville
_ Chef du service d'Hygiène Mentale 1. N. S. P. Abidjan.
J'ai été très sensible à votre accueil dès notre première
rencontre.
Vous m'avez inspiré le sujet de cette thèse et mis
à ma dispo-
sition, sous votre service, les éléments techniques nécessaires à sa rédaction.
Votre incontestable et immense connaissance des problèmes psy-
chia! r i oues , notamment africains, m'ont amené à rnodul.e r la vision que j 1 avais
du malade mental, en général.
Puis~z-vous recevoir cette thèse, en gage de ma rrofonde et
respectueuse gratitude.

A mon Maître
Monsieur le Profe~seur Ph-J PARQUET
Maitre de Conférences Agrégé de Psychiatrie
- Médecin des hopitaux
- Médecin Directeur du C. M. P. P. Decroly ;
- Chef du Service de Psychiatrie Infanto-Juvénile ;
- Chef de l'Intersecteur Lille.Sud - Seclin - Haubourdin.
Vous êtes l'un des maîtres qui ont le plus marqué mes études
médicales.
Votre intelligence et la clarté de votre enseignement m'ont
touj ours sédu i t ,
Vous m'avez guidé dans la réalisation de ce travail en me permettant
par vos critiques, dl infléchir nrnb re de mes réflexions. Même débordé de
travail) vous avez tou.i ours su me consacrer votre temps et m'accueillir avec
bienveillance
j'en garde un inoubliable souvenir.
S~ez assuré de ma permanente reconnaissance .
.../ ...

A mes juges
A mITl Mait re
Mmsieur le Professeur A. ROSELET
- Professeur de Pharmac ol oq.i.e ;
- Officier des Palmes Académiques.
J'ai beaucoup apprécié, comme tant d'autres, la clarté et la
qualité de votre enseignement.
Mm passage" comme externe, dans votre service a été peur moi
très instructif; vous m'y avez montré l'exemple de la précision et du tra-
lil bien fait. Cette nécpssité émane de votre sens de la pédagcx:jie, de
re bonne expèrience clinique et. de votre attention à l'humanité.
Aujourd'hui, vous acceptez volontiers de sièger parmi mes juges.
Je veus en remercie et vous suis infiniment reconnaissant .
.../ ...

A riot re Président de thèse
!'1onsieur le
Professeur M.
rOt\\TAf~
Professeur Agrégé c'Hydr-ol oq.i e t hé rapeut i o.ie et de Clilr:atr;}D.jie
- Chevalier de la l.éq i oo d'Honneur;
- Chevalier de l'Ordre National de Mérite
- Croix de guerre 1939 - 1945 ;
- Officier des Palmes Académiques
- Officier de la Santé Publique;
Chef du Service de Clinique de Psychiatrir
Chef du service de Clinique de Désintoxication.
Vous m'avez accueilli avec une grande simplicité et avec bienveil-
lance.
J'ai pu apprécier votre vivacité d'esprit.
Malgré vos innanbrables cbligatims, vous avez bien v ou l.u accepter
de présider le jury de cette thèse;
acc ordez -moi votre indulgence.
Votre présence ici m'hmore beaucoup, mais en même temps, dmne un
ton particulier à cet événement.
Je vous prie de c r-oi r
en ma profmde et déférente gratitude .
.../' ..

A mon ami et frère Gnagne Agnimel Nathanaël
- Mes premières années en Europe auprès de toi, m'ont apporté
touœsorte de réconfort. ce travail est sans coute l'aboutis-
sement d'un début auquel tu as si efficacement contribué.
- Mon estime dans un esprit de fraternité.
A tous mes amis
- La liste serait longue à énumérer. J'ai pu compter sur vous,
en maintes circonstances.
Sincères amitiés.
A toute la jeunesse d'Drbaff
Pour une solidarité, une réunification et un bel avenir du
village.
.../ ...

A mon frère SESS Akpa Siméon
- lon sens du sRcrifice et ton courage t'ont amen€
~ intégrer
volontiers, et très tôt la vie active, pour me permettre de
continuer mes études.
- Ce travail est la consécration du sacrifice auquel tu as consentj
- Avec ma gratitude et mes fraternels sentiments.
A mes frères et soeurs et leurs familles
A mon ami et frère Gnagne AgnéAP Paul WOOD
A tous les miens
- En gage de ma reconnaissance et de mon affection •
.../ ...

A ma fidèle ccmp8gne SESS Ascmbo Marie
Ta présence, toute une vie universitaire durant, a été pour
moi, un grand réconfort.
Ce travail est l'aboutissement des efforts de plusieurs années
de compréhension mutuelle.
Je te dois énormément. Tout mon amour.
A mes enfants
Brigitte SESS et Eddy SESS
- Toûte mon affection paternelle.

A mes parents Amissa SESS'P. et DJEDJEI Elise
- Vous avez toujours témoigné de l'affection à tous vos enfants.
- Vous avez tout sacrifié à notre avenir.
- Trouvez ici le gage de mon amour filial et de ma reconnaissance
A mon oncle KAN Méledje Pierre
Vous avez, avec amour et raison, fait naître en moi le désir
de devenir médecin~ votre sens des responsabilités, du sacri-
fice et de la patience m'a tout permis.
- Veuillez recevoir ce modeste ouvrage en témoignage de mon
affection et de ma reconnaissance.
.../ ...

SOM MAI R E
---------------
---------------

PLA~
Pages
I
-
I~I'iQI211ÇIIQ~ ....................•.......•...... l à 3
------------
II
-
~~~~Çl~=~~~l~~!g~~~
5 à 18
A_/ Etape Organiciste et Mécaniciste
B_/ Etape physiopathologique,
psychogénétique
et socio-culturelle
C /
Conclusi on
A_/ 1.
N.
s. P. d' Ab i d jan
B_/ Bref aperçu ethnographique et historique
sur la Cbte d'Ivoire
* Rappel géographique
* Communautés historiques précoloniales
et c c l on i a l e s
* Carte ethnographique
C /
Conc l us ion
- Observation clinique N°l de Monsieur A•••
Remarques
- Observation clinique N02 de Monsieur O...
Remarques
- Observation clinique N03 de Mademoiselle D•••
Remarques
- Observati on clinique N04 de Monsieur K •••
Rema-rques
- Observation clinique N05 de Madame 5 •..
Remarques
... / ...

A /
Réflexions psychosociologiques
Conclusion
B / Réflexions psychopathologiques
Conclusion
C_/ Place actuelle et sanitaire de la
r1 éd e ci neT rad i tian n e Il e
VI - ÇQ~Çk~~JQ~_g~~~B~k~""
105 à III
-------------------
VII - ~è~~!g~§ ~~~J~' . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 113 à 115

l N T R 0 DUC T ION
--------------------
--------------------

A S PEe T S
-----------
-----------
HIS TOR l QUE 5
-------------------
-------------------

"Ce village,
quand bien même dans son assiette
matérielle,
il
se compose encore de c a s e s .. .,
ce village au
fond ne garde plus son ~me, n'a plus la même définition de
lui-même;
comment alors,
dans cette mesure,
les parents
peuvent-ils se saisir comme les ancêt~es, dans la plénitude
de leur culture,
et dans l'assurance de modèles qu'ils ont
à
transmettre."
AGBLEMAGNON
1967

2
Pendant bien longtemps,
occidentaux et asiatiques ont
témoigné d'une splendide ignorance à
l'Afrique.
Serait-ce une forme de négliqence à ce qui est diffè-
rent ?
Ce n'est que bien plus tard,
sous l'impulsion des
africains,
eux-mêmes,
et de
personnalités telles Fanon,
que
l'Afrjqua commence à intéresser le monde,
non cette fois à des
fins économiques mais au nom du
principe d t Uni ve r-s a Li t
de la
é
Science.
L'art africain,
bien que son histoire soit connue
depuis longtemps,
n'a été découvert qu'entre les deux guerres
mondiales.
Il n'a pris un essort nouveau et effecti~ qu'après
1950.
A partir de cette époque,
naît,
chez nom~rede médecin~
occidentaux et chez tous ceux qui sont épris des problèmes posés
par, l a s a n té men t ale e n 9 é né r a l ,
une p ris e d e con sc i en c e qu a n t
à la psychiatrie africaine.
On s'interroge sur ce que c'est et sur les modalités
de son existence. Dans le même ordre d'idée,
on tente de la f a i r e
émerger dA sa léth~rgie.
Ce qui permet de dire qu'il existait bel et blen en
Afrique des malades mentaux avant la colonisation.
C'est alors,
que la folie africaine devient d'actualité
Mais la psychiatrie africaine,
telle qu'elle se présentait au
début de cette dEuxième moitié de siècle fera constamment l'ob-
jet de nuances quant à la conception du contenu et du
traitement
·de la folie.
Cette attitude révisionniste des uns et des autres
est 16 conséquence logique des mouvements de pAnsée d'une épo-
que à
l'autre,
ainsi que de l'évolution même des choses et des
hommes dans le milieu socio-culturel africain.
. .. 1...

Il est possible de dégager deux étapes importantes
dans l'évolution de la psychiatrie africaine:
- une étape mécaniciste et organiciste
- et une ère physiopathoJogique,
psychogénétique et
socio-culturelle succédant à
la première.
On passera d'une étape à
l'autre,
avec une notoriété
de moins en moins ascendante des guérisseurs,
ceux qu'on
appelle,
à
juste titre d'ailleurs,
les médecins traditionnels.
r
Pour mieux appréhender l'objectif que nous nous
"-
sommes assignés,
à
savoir l'étude sur "L'anonymat et la dilu-
tion actuels des médecins traditionnels africains",
nous allom
nous en tenir avant tout aux discours tenus sur le sujet,
particulièrement en matière de folie.
Ensuite,
nOLIs mettrons en place,
dans un deuxième
chapitre des observations,
après un bref aperçu sur le cadre
du trav8il.
Pui~ nous tenterons des commentaires,
brossant autant
que faire se peut,
une comparaison des données recueillies
aux deux chapitres précédents.
Après quoi,
nous établirons une conclusion générale.

A 1 ETAPE MECANICrSTE ET ORGANICISTE
c'est la période avant les guerres de libération du
con t i ne n t
africain en général,
et de
l'Afrique Noire,
en parti-
culier.
A cette période,
la ma]adie mentale était singulièremen
regardée de l'extèrieur.
Les bases d'appréciation ni obéissaient
qu'à des notions anatomo-pathologiques.
C'était l'histoire de
l'applicatioh d'un concept à
la psychiatrie africaine.
Ce qui se
passait,
c'est c'est cp. q~e je vais vous raconter maintenant.
En
c c i d e n t ,
dans la quasi unanimité,
la mentalité
û
p ri mit i ve ,
en core as sim i l é e à "l'a ni mal i té",
t ait ad mis e c om me
é
le reflet du diencéphale en rapport avec les lobes frontaux.
La civilisation était considérée comme l'affranchisse-
ment de ce domaine associé à
l'utilisation croissante du cerveau
antérieur (le télencéphale).
Lu folie ~tait représentée comme le fait d'un dysfonc-
tionnement cérébral,
l'histoire du
cerveau malade.
La folie du
primitif était reliée essentiellement à
une adynamie des lobes frontaux,
et celle du civilisé à une
télencéphalisation des processus psychiques.
En fait,
dans l'un ou l'autre cas,
ce qu'il importe
de retenir,
c'est que les troubles mentaux dans leur étiopatho-
génie se limitaient au cerveau dans sa fonctionnali~é. Cette
conceptjon a persisté pendant longtemps en Europe.
Puis,
elle
s'est appliquée à la psychiatrie africaine.
Autant le comportement de l'africain était assimilé
à
l'animalité,
autant la maladie mentaJe était inéluctablemr:nt
rattachée à
une paresse frontale.
La praxis coloniale,
semble-t-il,
a servi de levain
à la diffusion de cette conception.
Celle-ci,
jusqu'aux années
cinquante sera reprise et davantage renforcée.
.../ ...

Des auteurs du monde scientifique de l'époque comme
Carothers (Expert de l'O.
M.
S.),
sans doute influencés par
le surmoi collectif de leurs contemporains plutôt que par
un esprit véritablement scientifique,
allBient
s'appuyer sur
la même conception.
Ecou t on s Car ot h ers
"L 1 africain utilise très peu s e s lobes frontaux.
Toutes les particularités de la psychiatrie africaine peuvent
être
rapportées à une paresse frontale."
Plus caractéristique Encore,
c'était l'uniformité
avec laquelle l'on décriv8it et parlait oe cette folie afri-
caine.
N'y avait-il p e s dans cette vue,
qu e l qu e peu simpliste
voire même scientiste,
un
refus de maîtriser le~ paramètres
culturels d'origine et les autres critères étiopathogéniques
qui feront de la s8conde étape une véritable ère révolution-
naire ?
Quant à l'unité nosoqraphique,
elle se ~éduisait
essentieljement et non exclusivement à l'état d'aba~tement et
de dissolution qui caractèrisent habituellement la mélancolie
ou la schizophrénie.
Tout cela s'accompagnait des traits de
men t a l i t
p ri mit i v
é
(0'
:
r ê \\1e rie
; t rai t s d e ver s a I i t é ; e u p h 0 rie;
expansivité
; avec rareté des états agressifs et hétéroagres-
sifs,
tant en milieu hospitalier qu'en milieu traditionnel.
Quelle est dès lors la place dévolue à la thérapeu-
tique ?
Jusqu'à ce moment,
les changements sociaux étaient
pratiquement sans influence notable.
Un fait important marquait l'époque
la prise en
charqe des ma]ades par le groupe social.
... / ...

Dans ce modèle palhog~nique et thér8peutique,
le
médecin traditionnel y occupait une place privilégiée et
prévalente.
C'était un être sacré dont le r.ôle était, à la
fois,
curatif et préventif. C'était un genre de "médecin -
conseil" dont
les recommandations étaient scrupuleusement
suivies sans contestation aucune.
Sa présence dans la communauté était nécessaire pour
empêcher la survenue de représailles intrafamiliales ou au
sein du
groupe.
Aussi,
l'attitude générale était celle d'une parfai-
te tolèrance à
l'égard du malade que la communauté vénérait
parfois comme porteur de transcendance.
Ailleurs,
il s'agis-
sait du moindre isolement du malade,
et de la crainte qu'il
fot
porteur d'indice de désordres ou de l'attaque du groupe.
Tous ces fondements rendaient compte du comportement
peu agressif du malade mental d'une part,
et augmentaient la
notoriété et le pouvoir thérapeutique du médecin traditionnel,
d'autre part.
L'évolution de ces troubles mentaux étaient,
en
qé né r a L,
de bon p r on os t i c jdu fait de l'adéquate cohésion du
milieu social.
Le groupe,
afin de rompre le cercle vicieux
des r e pré sai Il E' s ,
s' a L. c anm oj ait d u mal ad e e t
d e t 0 u t
c e qui
le concernait.
Si cette évolution ne signifiait pas toujours
"guérison",
la victime J c'est à dire le malade,
se sentait
sécurisée,
soutenue,
protégée moralement et matériellement.
C'é1ait,· au total,
plus une procèdure sociale qu'une
attitude thérapeutique vraie.
Et,
le thérapeute traditionnel
avait les pleins droits de s'en orqueillir. Quant à l'hopital
psychiatrique,
il amorçait 8 peine son apparition •
. ../ ...

B / ETAPE PHYSI0PATHOLOGIQUE, PSYCHOCENETIQUE ET
SOCI0 - CULTURELLE
La malauie mentale,
après avoir été perçue de l'ex-
térieur ~omme une émanation du ceTveau~
prendra rapidement
toute autre si9nification.
Contrairement au stade mécaniciste,
ici la maladie
est regardée de l'intérieur tant du point de vue des repré-
sentations que sur le plan thérapeutique.
D'un point de vue épidémiologique,
la folie comporte
deux bases
- une composante organo-physio16giaue gui,
sur
l'image du corps entraîne une altér6tion
* théorie infectieuse, avec pour exemples
l'infJuence de la syphilis,
de la trypano-
s om i as e ou du Pal u di sme ,
etc .•.
* théorie générale, avec des causes générales
et traumatiques.
une organisation psycho-affective et socio-
culturelle.
L'ensemble des signifiants et des signifiés d'une
part,
puis l'organisation et la structure ~ociales
d'autre part,
débordant la c o r p o r
i t
é
é

Pour l'afr.icain,
du moins traditionnellement,
la
maladie,
en général,
est le résultat d'une action directe
ou médiatisée d'esprits ou d'humains.
Cela s'inscrit dans le
système culturel dont est dot~la personnalité africaine •
. . ./ ...

Les étapes de développement normal d'un sujet e n
Afrique ne diffèrent en rien de celles constatées en Occident
la clé de voûte reste toujours le cnmplexe d'Oedipe,
avec le
même modèle d'identification au père et les intériorisations
des interdits.
La différence avec l'Occident réside dans les
stratégiEs de constitution.
L'Oedipe occidental passe par la voie de la rivalité
interindividuelle,
et l'Oedipe africain par la s t ru c t u r e
collective,
à
l'image d'un ancêtre non rivalisable ; donc,
existence d'un parallélisme entre l'évolution des phénomènes
psychologiques ou psychiques et le milieu culturel.
~
Ainsi,
de part son ontogénèse,
le sujet africain
est une entité physiquement individuaJisée, mais en même
temps neutralisée dans une entité collective)indivise.
La
communauté reste le cadre de réfèrence de l'individu qui
ne peut s'épanouir que par les bonnes relations avec autrui.
Face à ces normes traditionnelles de vie,
comment
/~'1(se reprèsentf:-t-on le fou?
--------~
La maladie est interprétée comme l'action essentiel-
lement soit des ancêtres et des génies,
soit des sorciers,
soit du Marabout.
Ce système de représentations fait .i n t e r ve n i r les
anciens et leurs lois ~ar le biais
d'esprit médiateur qui
veille,
dit-on,
sur la descendance.
Cet esprit est le "doublet de l'ancêtre,
donc de
l'homme,
par ailleurs synonyme de l'âme immortelle.
On en
arrive à la philosophie africaine de la réincarnation.
L'âme
est considérée comme un être invisible qui plane encoré dans
le cosmos,
semble-t-il,
après la mort de l'ëtre physique en
attendant la réincarnation.
. .. / ...

1 !
Celle-ci représente le temps nécessaire à l'âme d'un
défunt pour disparaître et
réapparaître ensuite sous forme
d'un nouveau corps quantifiable,
perceptible et potentielle-
ment mortel.
Cet esprit,
(ou cette àm e ) ,
ambivalent,
à
la fois
protecteur et persécuteur,
a horreur de la fausse compagnie.
La maladie est considérée comme la rupture d'un interdit
qui peut consister en inceste alimentaire (consommation
d'un
anim&l mythique),
ou en inceste sexuel
(union sexuelle ?vec
ceux ou celles considérés comme
frères et soeurs).
La maladie peut être un rappel à l'ordre ou comme un
avertissement laissant supposer l'existence d'une infraction
ou d'une négligence du culte et des sacrifices,
demandant
alors une réparation.
La maladie peut paraître une conséquence de l'abandon
d'une divinité protectrice et perturbatrice; et c'est le cas,
en général,
avec les génies symbolisés par exemple par un
ob-
jet ou un fétiche légué par les ancêtres afin de protéger la
descendance.
Ces interprétations sont le plus souvent proposées par
les dé vins ou les voyants du
village; c'est le cas aussi bien
en milieu rural qu'en milieu
religieux traditionnel.
Elles
sont fréquentes dans les bouffées délirantes.
2 - La sorcellerie
L'histoire du sorcier assimilée plus ou moins ultérieu-
rement à ce que l'on appelle dans d'autres cultures le "Diable",
pullule partout en Afrique,
avec une figure menaçante et féroce.
Le sorcier ou le "Oom" des éthnies Toucouleur du Séné-
gal,
e ncor e n am mé
Il Ag' n",
Il Ba y é",
" Agré"
r e s pe c t ive men t
par les
Adioukrou,
les Baoulé et Agni,
et les Abidji de Côte d'Ivoire •
.../ ...

Au Cameroun,
c ' est l'" Evus" d e-s B t i
;
é
Au Gabon,
le "Fang"
; et enfin au Bakongo le
"Kin-doki".
La sorcellerie se transmet héréditairement ou
par voie d'initiation,
ou par option,
ou par dette ou
par
obligation.
Elle est caractérisée par une action beaucoup
plus persécutive.
Le sorcier mangeur d'hommes ou d'~mes au
sens
symbolique du terme choisit sa victime parmi les membres
du clan.
Celle-ci,
très progressivement s'affaiblit,
se
sent dévorée avec diminution de sa force vitale:
d'où
les crises anxieuses aigües pouvant parfois engendrer
la mor t ,
Ces "Ag'n" et ces "Fang",
empêchent aussi quel-
quefois de réussir aux examens et à toute sorte d'entre-
prise.
Ils peuvent eux-mémes finir par tomber dans leur
propre piège,
et être l'objet d'une exclusion du groupe
en milieu rural,
car le statut de sorcier est incompa-
tible avec celui de la société.
Il existe des chasseurs de sorcier
suscepti-
bles de l' éloigner ou de le démasquer,
ou de provoquer
sa mort.
Les jeunes scolarisés qui com~encent à échapper
à
la tradition sont très sensibles à ce domaine de la
sorcellerie.
3 -
~~_~~!~~~~_~~~~~_~~~~~~_~~!~~~~~~~~g~
Le maraboutage est un système de
représent8tion
importé par l'Islam,
et très répandu en Afrique.
... / ...

MA.RTIND
en donne une définition correcte et
exhaustive
:
"Le maraboutage crest le travail au
sens de
malèfice,
dirigé contre un tiers,
décidé par un indi-
vidu,
et
o r q a n i aé
paf Un s p c i a Li s t e du maraboutage,
le
é
marabout. "
Le ma r ab ou t a q e ,
c'est à peu de chose près,
llintrusion de quelque chose de pathogène
ou non dans
autrui,
déclenchant en lui tous les malheurs possibles,
ou RU contraire,
Je p r ot e q e a n t
contre ceux-ci à l'aide
de préservatifs:
gri-gri,
potion,
textes magiques.
Le marabout,
à
ce titre,
est donc une figure
bivalente à
la fois protectrice et nuisible.
Peuvent-être particulièrement victimes,
ceux qui
se distinguentdans le groupe par la beauté de Ip.ur corps,
de leur intelligence ou du
fait de leur slatut social.
Le blanc seul y échapperait.
Le sexe féminin est très porté sur la marabou-
taqe
c'est un terrain d'élection.
Ce système est également répandu en Afrique.
Il f;'agit de mauvais esprits,
encore appelés des démons
(n'ont rien à
voir avec l'Esprit des anciens).
Ces esprits néfastes s'attaquent aux humains
par plaisir ou par drnit.
Leurs actions peuvent,
dans·
certains cas,
se superposer à celles des sorciers et
des ancêtres.
Il existe d'autres systèmes maléfiques moins
structurés:
"la mauvaise langue",
ou le "mauvais sort",
ou "1 es mau v ais yeu x " •
.../ ...

5 - A côté de ces représentations traditionnelles,
existent
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
c e Il e s pro pre s a u x rr. é c'e c i n s "a usa v 0 i r à l' 0 cci den t a Ié' .
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Pour ces derniers,
la mal~die est la conséquence,
soi t
d'une intoxication alimentaire ou médicamenteuse
d'une infection
- du surmenage
;
de la constipation
- d e t ra umat i s mes ;
- de causes psychologiques
- de l'acculturation.
Le phénomène d'acculturation mérite quel~ues ex-
plications.
L'acculturation n'est pas l'absence de culture,
comffie l'on pourrait le croire.
C'est plutôt,
au
sens strict
du terme,
l'attitude qui consiste à sacrifier tout ou partie
d'une culture donnée au profit d'une autre.
Ceci s'adresse
aussi bien à un individu qu'à un peuple donné.
Au niveau de l'individu,
i l peut s'agir naturelle-
ment,
par exemple,
de la dénégation de son patrimoine ou de
son éducation.
L'africain qui traditionnellement mène une vie
communautaire se trouve confronté aux diffèrentes mutations
que subit notre société.
Dans ce contexte, pour certains,
l'acculturation représente l'interfèrence,
entre la traditicn
et la modernité,
génératrice des transformations culturelles,
religieuses,
politiques et économiques.
Pour d'autres,
l'acculturation d'un point de vue
pathogénique correspond à une déculturation,
c'est à dire
l'attitude qui consiste à puiser des éléments d'une culture
donnée et d'en faire une pathologie.
... / ...

,
L
La scolarisation,
l'urhanisation,
les nouvelles
stru~ures sociales,
ainsi que les confrèries religieuses
et syncrétiques sont tous des stigmates de cet ensemble
de processus acculturatifs.
Il en
résulte des conflits de vaJeurs,
une
rupture entre le passé et le présent,
le déracinement des
entités ethniques è
la faveur d'une unité nationale de
type occidental.
En un mot,
cette modernité
ou ce modernisme
sépare les générations,
modifie les rapports h~mains et
la relation de l'homme au monde,
et déplace les conflits.
Il se crée,
somme toute,
une modification de la patholo-
gie mentale et des désordres organiques avec une tendance
plus grande è l'agressivité,
aux suicides et aux troubles
psychosomatiques moins ressentis par les sujets les moins
acculturés.
Sur le plan psychopathologique,
l'unité noso-
graphique est représentée par,
téntôt des manifestations
d'allure psychotique,
tantôt des manifestations d'allure
hystériforme,
tantôt la névrosp. d'angoisse.
Devant toutes ces représentations traditionnelles
et modernes,
malades et leurs entouraoes ont recours soi~
à
la médecine moderne,
soit à
la médecine traditionnelle.
En effet,
le mélange ou la confrontation des
diffèrents modèles de la maladie posera de nombreux pro-
blèmes thérapeutiques.
Le choix de l'instance thérapeutique est fonction
du milieu éducatif,
avec une im~ortance particulière de
l'auto ou l'hétérosuggestion.
... / ...

Deux stades importants vont également marquer
cette évolution:
* Le premier stade commence avec la fin de la
conception orqaniciste
les changements sociaux reslent
restent encore sans énorme influence.
L'attachement à
la
tradition paraît encore,
bien endigué.
Les mécanismes de défense devant les traumatis-
mes,
les frustrations et l'échec se réduisent essentiel-
lAment à
une intériorisatjon névrotique mise au compte de
la culture africaine.
Ceci
rend compte de la frèquence
des bouffées délirantes en Afrique Noire avec certains
thémes hallucinatoires (recours aux génies,
aux interprè-
tations persécutives à
thème de sorcellerie).
La rareté des états dépressifs est en partie,
semble-t-il,
due à l'efficacité des mécani~mes de projec-
tion et au
rôle anti-dépresseur et protecteur de la famille
élargie.
Ce qui explique la quasi-absence d'auto-accusation
et de culpabilité névrotique.
Le médecin traditionnel conserve encore son privi~
lège et sa position de l'ère organiciste.Son pouvoir,
jusqu'alors renforcé
lui permet de réaliser le pl~s souvent,
une véritable guérison aù prix d'une psychothérapie.
Cette
dernière à
la fois mythiq~e el mystèrieuse fait appel à la
manipulation de supports symboliques plus ou moins ritua-
lisés,
le tout irrigué d'une extraordinaire puissance de la
parolA.
Cette technique thérapeutique par ailleurs ini-
tiatique,
permet de consolider,
entre autres,
les
relations
sociales perturcées du fait de la modernité naissante,
et
chemin faisant,
favorise le retour au culte des ancêtres et
à
la protection contre le mal.
. .. / ...

1 6
Grosso modo,
le principe est fondé
sur la protection
collective des maladies ou
des malheurs,
même si apparemment
l'individu est mis en avant-scène.
C'est en fait une communion
collective avec la nature,
le cosmos et l'Homme.
Le N'doep,
couramment pratiqué au Sénégal,
en est une variante.
C'est une
pratique thérapeutique ayant la réputation d'être particulière-
ment onéreuse.
* Le second stade est plus proche de nous. Deux faits
semblent primordiaux dans l'attitude des malades
d'un côté,
une tendance à désavouer le médecin traditionnel
de l'autre
côté,
l'engouement des malades pour la médecine nouvelle,
notam-
ment occidentale.
Les mécanismes sublimatifs faits principalement par
la croyance aux ancètres et à la sorcellerie y demeurent.
Cette
fois,
l'africain tend à réagir face aux difficultés autant
dans le sens de l'extériorisation psychotique que dans le sens
de l'intériorisation névrotique.
Celle-là étant contraire à
ce qu'on lui a appris traditionnellement.
Les interprétations restent constantes avec une pré-
dominance -des représentations persécutives sous forme de sor-
cellerie.
En plus,
les malades optent beaucoup plus pour l'hopital
en général que pour la médecine traditionnelle.
A côté,
une tendance de quelques malades à la recher-
che d'autees systèmes thérapeutiques,
tels la psychothérapie
néo-traditionnelle :
- mouvements harristes de Côte d'Ivoire;
-
les assemblées pentecôtistes importées de France
- autres sectes religieuses.
. .. / ...

Ces psychothérapies,
à
la diffèrence des
traditionnelles vraies n'utilisent presque pas
d'arti-
fice symbolique.
Mais par le biais d'une verbalisation
mystique ou religieuse,
émotionnelle,
spectaculaire et
socjale,
elles permettent au sujet de vivre quelquffi expè-
riences et ILi procurent 18 guérison.
C'est un moment
où les personnes probablement
allerqiques au modernisme,
cherchent un
rapprochement
nuancé avec la t~adition.
C /
CONCLUSION
Du point de vue historique,
nous constatons deux
grands moments surla psychiatrie africaine
l
- ~~~_~~~_~~g~~~~~~~~_~!_~~~~~~~~~~~ , où la maladie
mentale était regardée de l'extèrieur
; et où le médecin
traditionnel
jouissait d'une notoriété inflexible.
2 - ~~~_~~~_E~~~~~e~~~~~~9~9~~t_e~~~~~g~~~~~9~~_~~_~~~~~-
culturelle:
C'est l'époque des changements socio-culturels
réels.
La maladie et son trait~ment sont perçus de l'intè-
rie ur.
I l e x i ste une. d i f f ère n c e dan s I e con t e nue t
l a f r è -
quence des grands processus psychopathologiques dont la
structure et l'économie varient peu.
Deux stades évolutifs caractèrisent la démarche
thérapeutique des malades
:
* dans un premier stade, les malades réagissent
à
leur souffrance p8r un mécanisme sublimatif de projection,
et plus dans le sens d'une intériorisation névrotique.
Malgré les changements sociaux et culturels,
le thérapeute
traditionnel conserve encore son image de marque.

* à un second stade, on note une réaction des
m8lades face
aux maux aussi bien par une extériorisation
psychotique 'brOtale,
inhabituelle que par une intériori-
sation névrotique.
D'une part,
le ~édecin traditionnel
se
retrouve dans un
état d'anonymat avec étouffement de son pouvoir thérapeu-
t i qu e .
D'autre part,
on remarque par contre,
une sollicitude
accrue des hbpitaux,
et une pseudo-réplique de la médecine
tradition.nelle sous l'aspect de psychothérapies néo-
traditionnelles.
A quoi imputer l'anonymat actuel des médecins'
traditionnels?
r , ' :
U" ' ;'
....' ~ ....
Les
observations qui
vont s u i v r e ,
peuvent-elles
apporter matières à
réponse?
d :~/y~,,:\\t?:~~,
.. !
;
1 .
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lyyJ.. 1. r " ; 1
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L
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... / ...'

PRE 5 E N T A T ION
=======================
D U
C A D R E
---------------
- - - - - - - - - - - - - - -
D U
T R A V AIL
-------------------
-------------------

A /
1.
N.
S.
P.
d'Abidjan - Côte d'Ivoire.
L '1.
N.
5 .
P.,
c'est l'Institut National de 5 (-i n t é
Publique d'Abidjan,
conçu et créé dans un but de
recherche
mais à
caractère préventif,
et dépendant essentiellement du
ministère de la Santé Publique et de la population.
Cet
Institut comprend:
- un secteur administratif;
- un complexe médical avec une unité de soins
médicaux ambulatoires;
- un ensemble de systèmes annexes.
L' org~nigramme détai.llé se présente comme suit
l
- Le secteur. administratif:
- une direction générale avec un directeur
général,
son adjoint et leur secrétariat
- un éc on omat
- une direction de l'Enseignement supèrieur ;
- une direction de l'Enseignement para-médical.
a) Des sections spécialiSÉes de soins médicaux:
............................................
- un
service de ~utrition et diabétoloqie ;
-
un service de Protection Maternelle et
Infan-
tile (PMI) avec consultations de nourrissons,
plus un
service de prénatologle et de gynécojogie
- un service de médecine des collectivités
- un service de dermatologie
- un service d' hv q.i ène mentale
- un service de stomatologie
- des services communs dont
:
un service social central
;
un service d'éducation sanitnire
;
un service d'épidémiologie statistique
une bib.liothéque.
. .. / ...

b) Des équipements médicaux
sous forme de

























a.;..











laboratoires
- un
service de radioJogie
- un laboratoire des eaux
- une pharmacie ;
- un
laboratoire de biologie.
Il va sans dire que cet Institut,
malgré son
caractère de recherche,
fonctionne un
peu comme un dispen-
saire,
sans l'être pour autant,
et
réalise une activité
médicale journalière très importante et hautement apprécia-
ble.
Il n'existe pas,
bien entendu,
d'unité de soins inten-
sifs.
B_/ BREF APERÇU ETHNOGRAPHIQUE SUR LA COTE D'IVOIRE
l
- Rappel géographique :
Appelée "Basse Côte d'Ivoire",
jusqu'en 1947,
(alors que la "Haute Côte d' Ivoire" était
représentée_ par
l'actuelle Haute-Volta),
la Côte d'Ivoire fait partie
intégrante de l'Afrique de l'Ouest,
avec une situation
qu a t
é
0 ria le.
Elle est limitée
- au Nord par la Haute-Volta et le Mali
(ancien
Soudan)
- au Sud,
par l'Océan Atlantique et le Golfe de
Guinée
;
- A l'Est,
par le Ghana;
- A l'Ouest,
par la Guinée et le Libéria •
.. ./ ...

2.
Sa superficie est de 344 000 km
Le n om b r e d' hab i tan t s :"1- mi Il i on s . é G-L'
2 - Les communautés humaines historigues pré et per-
coloniales.
Parmi
les fmillions d'êmes,
on compte environ
l million~ll demi d'étrangers pour une population abori-
gène d'environ ~ millions et demi.
Il existe 72 ethnies originaires du pays,
réparties en 5 grands groupes humains diffèrents.
Chaque
peuple a ses us et coutumes,
sa forme de société,
ses
modes de production et sa culture.
Cette classification découle des liens qui
existent entre certaines ethnies,
du fait de leur organi-
sation socic-cultlirelle.
Les 5 groupes sont,
par ordre alphabétique
(cf.
Tableau ethnographique)
a)
les "AKAN"
(au Sud-Est)
b)
le·s "DAN"

l'Ouest,
pris en sandwich entre
les "KROU" et les "MANDINGUE")
c) les "KROU lI
(au Sud-Ouest)
d)
les "LOBI.KOULANGO" et les '5 ENOUrO"
(au Nord)
e)
les "MANDINGUE"
ou "MANDE"
(au Nord-Ouest. )
a)
Les "AKAN "
:
Ils sont divisés en trois sous-groupes:
les "Akan" frontaliers:
ont des liens avec
les N'zima du Ghana;
-
les "Akan" du Centre de la Côte d'Ivoire
les "Akan"
lagunaires (plus au Sud).
... / ...

Ce sont des sociétés guerrières organisées en
royaume
ou en système similaire
(lagunaires).
Ces organisations sociales fonctionnent avec
des systèmes idéoloqiques et avec un
pouvoir politique
centralisé et fortement
hiérarchisé.
Les Akan frontaliers et centraux détiennent ce
système de l'ancien royaume Ashanti
du Ghana.
Le
système de linéarité est pour tous ces Akan
de type matrilinéaire,
horizontal
(ou matriarcat),
c'est
à
dire que les enfants héritent de leur(s)
oncle(s) mater-
nel(s).
Le premier personnage important de la hiérarchie
est représenté par le
roi
ou le granrl chef (les lagunaires).
L'économie est
organisée
sur un système semi-
féodal dont le
roi est le garant absolu,
avec autour de
lui sa suite (les guerriers y compris).
Les guérisseurs
représentent dans ces sociétés
des personnages influents et importants.
Un d'e~tre eux,
second personnage après le roi
(ou le grônd chef) est dési-
gné pour veiller sur Ip.s fétiches.
Mais,
depuis,
avec la disparition des rois et des
g ra n d s che f s,
san s d ou t e du fa i t
deI a col an i s a t i on,
les
guérisseurs conservent encore leur importance,
ou du moins,
niant pas encore tout perdu de Le ur notoriété,
surtout dans
la démarche thérapeutique de nombre de malades.
La
religion,
comme d'ailleurs pour tous les négro-
africains,
était la religion animiste ou encore appelée
1I1'aninisme"
:
c'e-st le culte de Dieu par l'intermédiaire
d'objets sacrés et 1 ou totémîques choisis dans la flore
ou la faune.

Ces sociétés ont subi
ou subissent depuis l'in-
fluence du christianisme et de l'Islam dont l'implantation
s'est faite non sans difficulté
Cnotamment chez les Ak a n
frontaliers et centraux ).
l'Islamisation a été le fait de commerçants
appelés "Dioula",
venus du Nord.
b ) Les "DAN" et les "KRDU"
Ces groupes sont moins structurés,
et fondés
essentiellement sur la gérontocratie
(=
sociétés gouvernées
selon la notion de droit d'aînesse, d'expèrience et de
dextérité,
et a v e c des "conseils sages",
etc ... )
La linéarité est de type patriarcat
(système
vertical).
Ici les enfants héritent de leur père ou de
Leu r I s ) onc l e Ls )
p a t e rn e Lf s ) ,
ou mieux des parents pater-
nels.
Krou et Dan
subissent facilement
l'influence de
tout apport culturel
: ils sont donc culturellement fragiles.
Ce sont,
à
la fois des animistes et des musulmans
(surtout
les "Dan"),
du fait de la proximité avec les "Mandé".
Ils vivaient en économie de subsistance.
Le chef incarnait
tous les pouvoirs (spirituels,
religieux,
etc . . . ).
c ) Les "LDBI-KDULANGD" et les "5ENDUFD"
:
Ce groupe est apparenté aux "Mossi" d-e Haute-
Volta.
La
langue de base est le Mossi.
* Les "5 é n ou f 0" :
C'est une société structurée,
très fortement
centralisée,
et de type semi-féodal.
. .. / ...

?5
Ce groupe humain,
par ailleurs superanimiste,
est
très solidaire et très intègre.
Il a subi très peu l'influ-
ence religieuse par le christianisme ou l'Islam.
Le "Para":
très mystérieux,
représente l'élément
central de l'animisme chez les Sénoufo.
Dès le bas ~ge, l'on devient animiste pour n'en
sortir qu'à l'âge adulte,
si l'on veut; et l'on a eu indu-
bitablement le temps d'être intégralement transformé. D'où
le problème posé au niveau des responsabilités individuelles
et surtout iorsqu'il s'agit d'une libération culturelle.
Le système d'héritage est patrilinéaire.
Il y a également urie grande méfiance à
l'égard
des importations occidentales,
notamment à
l'égard de la
médecine occidentale.
* Les "Lobi-Koulango"
...................
Ils prèsentent les mêmes caractéristiques struc-
turales que les "Krou", mais à la diffèrence de ceux-ci,
les Lobi sont difficilement maniables et difficilement
influencés par les religions Universelles.
Ce sont des sociétés gérontocratiques,
très isla-
misées.
Les structures s oc io-cc u Lt u r e Ll e.s sont calquées
sur les valeurs orientales.
Le système patrilinéaire est admis.
Le marabout,
connaisseur réputé de "l'Ecriture Sainte"
et de
retour de la Mecque,
est un personnage influent,
garant
des valeurs structurales et communautaires.
C'est le q r oup e des "Dioula",
c'est à dire des
commerçants.
/

C /
CONCLUSION
Ce bref aperçu ethnn-sociologique présente,
sans doute,
un intérêt
pratique pour notre sujet; les
peuples ayant leurs us et coutumes,
dans les grands pro-
cessUS psychopathologiques et leur traitement,
il peut
être dar:gereux de vouloir faire
f~ des notions culturelles
avec lesquelles s'articule~ très souvent la maladie •
. . . / ...

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - .- - - - - - -
(avec
la Loc a Lî s a t i nn des grandes c omrnun au t é s historiques)
MALI
HAUTE
- VOL TA
Fé rkessédougou
o
Korh~o
GUINEE
0.
Kati ola
e
e
Tœba
GHANA
oDimbd<ro
.
CD 0 Adz ώ
LIBERIA
gbouiileé
o
GOLFE DE GUINEE
OCEAN ATLANTIQUE
:D-+ - AKAN
3)--. - DAN
J)-. - KROI:J
:0 ......... - a-SENOUFD
-..... - b-lOBI - I<OULANGO
}) ---. - MANDE ru MAND IGUE

o B 5 E R V A T ION 5
---------------------
---------------------

OBSERVATION N° l
Mon sie u rA •.. ,
a9 é de 2 l é. n s ,or i gin air e du
Bénin
(ancien Dahomey),
transplanté en Côte d'Ivoire depuis
1972,
employé
des Postps et
Té l
c ornrnuni c a t i on s ,
consulte
é
pour des manifestations d'angoisse et des épisodes délirants.
Il est
issu
d'une
famille nomhreuse,
polygame.
Dans
son autobioç;raphie,
i l
raconte avoir une
soeur,
des
demi-frères et soeurs avec lesquels i l
a
toujours
vécu en
bons
termes.
Il poursuit normalement
ses études
jusqu'en classe
de troisième
;
et évolue favorablement
dans un milieu so-
cial

i l
a
su
tisser des liens
avec bon nombre de person-
nes.
Mais,
brutalement,
la vision de A.•. ·change
;
il
constate une tension manifeste et une détérioration des
relations au sein de la famille élargie depuis le
décès de
son père,
source de nombreux autres conflits.
Sa mère,
pre-
mière épouse du
défunt,
devient entre autres] 'héritière.
Qui
plus est,
ce n ouv ea u climat
familial
l'affecte
dans ses
rapports avec les siens.
Ceux-ci
le 'jalousent,
le
r e j e t t en t ,
le né q Li qerrt à l'exclusion de sa mère à
qui
l'on en veut égaIement.
Cette situation constitue,
en quelque
sorte,
18 toile de fond de toute son histoire.
Très vite,
i l accuse des troubles
somatiques'
banals de
toutes
sortes:
toux,
grippe,
céphalée~, impres-
sion de dépérissement et de paralysie.
Ceci
l'amène à
consulter spontanèment & l'hopital
i l
subit
une
série
d'examens.
Au terme du bilan,
on lui annonce,
on
lui
annon-
ce qu'il n'y arien de grave;
il n'est pas alors convaincu
d'autant plus
qu'il n'a aucun antécédent
pathologique et
que les troubles persistent.
... / ...

Aussi
suggère-t-il
"Il n'y avait
rien qui me dérangeait comme
actuellement.
Je suis devenu malade comme ça
je ne
savais pas de
quoi cela provenait et pourquoi j'étais
tombé malade.
Al' examen à l' hopital,
tout était normal
je n'arrivais pas du
tout à comprendre
je ne pouvais
pas être content,
car il y avait quelque chose qui me
rongeait.
Je ne pouvais pas accepter ça
; la seule chose
c'est que la maladie n'était pas naturelle".
- Sa nouvelle condition de vie finit
donc par
l'emporter sur ses études secondaires qu'il abandonne
il s'installe en 1972, en Côte d'Ivoire.
Il s'y trouve,
à
ce moment,
un emploi dans le secteur public.
Il élit
domicile dans la capitale et y consulte de nombreux
médecins.
Il
reçoit des soins sans succès,
et ce pendant
trois ans.
En 1975,
il
opte enfin pour les traitements
indigènes et se tourne,
le plus souvent de son propre
chef,
vers les guérisseurs.
A l'époque,
dit-il
11 Qua n d
ç an' a Il ait p a s ,
j e me : t ra i ta i s à
l' h op i -
tal
; je n'ai jamais commencé par le traitement .i n d i q èr.e
quand j'étais parti du Oahome~ en 1972. C'est ~n 1975 que
j'ai commencé à me faire
traiter à l'indigénat".
Il consulte un premier 11f.éticheur" dans la Sous-
Préfecture de Grand-Bassam
; un traitement lui est pres-
crit et il ne le suivra que de façon irrégulière.
Puis,
i l se rend chez un
prophète du nom de
DOJO, domicilié dans la 5 ous-P réfecture de Oabou.
Ce deu-
xième personnage,
intérprète la maladie comme l'action
d'autrui.
Les soins prodigués en conséquence consistent en
une confession associée à des prières sur l'eau de rivière
le matin et à
des aspersions.
. .. / ...

Cependant,
en dépit de~ soins,
son état ne s'amé-
liore guére.
Il se plaint de troubles de conscience,
de brQ-
lures thoraciques quasi permanentes.
Il profère frèquemment
des thèmes hallucinatoires à
forme persécutive,
le rendant
parfois agressif.
Les éléments délirants sont très caractè-
ristiques et semblent survenir de préfèrence la nuit,
0ans
les mêmes circonstances.
Il nous livre le contenu d'une nuit de ~élire :
"Quelque chose me tirait, me frappait;
les diables
me frappaient,
me tapaient sur le crâne vers minuit.
Je ne
sais pas ce qui m'a réveillé la nuit
;" je sentais la présence
des esprits autour de moi;
les esprits me frappaient, me
~ tapaient; et qu~nd j'ai crié le nom du prophéte il est venu,
je lui ai demandé de l'eau à boire,
il m'a donné du
jus amer."
Bien souvent,
selon le"degré d'envoûtement ou
d'agressivité,
le prophéte ordonne de l'enfermer, de l'en-
chainer ou de la désenchaîner.
y
Devant l'aggravation des troubles,
le prophéte,
~décide de le rendre à ses ~arents qu'il a fai~venir. Le
séjour n'aura duré que trois mois.
Notre malade pense qu'on
séjour plus prolongé lui aurait procuré la guérison.
Ensuite, il consulte successivement b Koumassi
puis à Adiaké,
deux autres" féticheurs".
La maladie sera inter-
prétée par l'un ou l'autre comme la conséquence d'un mauvais
sort du fait d'un enjeu sexuel,
ou comme l'aboutissement
d'un conflit familial
(ici la lignée paternelle est mise en
cause).
Enfin,
sa rencontre avec un dernier guérisseur à
~ Bondoujou est loin d'être aussi bénéfique.
· .. / ...

1
52
Eu
égard à
l'échec plus ou moins complet de ces
médecins traditionnels,
il décide de consulter et se
confier à un psychiatre de formation
occidentale:
rôle
que nouS avons essayé bien volontiers de jouer au service
de Santé Mentale.
Il est
rassuré dès le début de notre entretien
que tQut ira bien;
il est pris en charge.
Sous psychothérapie de soutien fort peu inter-
prétative associée à une chimiothérapie (Diazépam),
les
troubles semblent s'amender;
il Y a du mieux.
Notre patient
n'exprime plus les mêmes thèmes qu'il
ruminait chez le
p roph ète ..
Néanmoins,
au fil de nos divers entretiens,
il
évoque par moments la sensation de douleur sans localisa-
tion précise.
JI a également le sentiment d'une éventuelle
récidive des troubles,
avec l'idée qu~ sa chair reste empoi-
sonnée,
et qu'il fait des c au che ma r s .
Il conserve un bon
~tat général.
Le contenu de ces rêves lui échappe.
Nous
procédons,
dans ces cas,
à
la même tactique thérapeutique.
De nouveau,
il
repart,
r a s s u r
qu'il peut revenir en cas de
é
rechOte.
Nous nous trouvons,
à
travers ce discours,
devant
un cas de manifestations psychotiques à type d'épisodes
délirants sur un fond d'angoisse.
Ces troubles sont rattachés à
l'effet d'une action
extèri~ure par l'entourage.
Pour le malade lui-même,
il s'agit de l'action
néfaste des esprits ou des "diables"
faisant ainsi allusion
à
l'esprit des ancêtres ou aux sorciers.
... / ...

-. 5
Il va de soi qu'il
~e pose ici le problème
d'un conflit à la fois extèrieur (conflit de personnes) et
intérieur (conflit intrapsychique ou .i n t r a su j e t }.
Par ailleurs,
on peut se demander pourquoi
le
sujet va consulter de multiples guérisseurs.
Nous constatons tant soit peu le succès de la
chimiothér2pie combinée à
la psychothérapie.
En outre,
dans cette observation,
certains mots
employés par le malade pour désigner le médecin traditionnel
peuvent prêter à confusion.
Aussi,
dans un souci de clarté,
il nous a paru intéressant de
les définir
(au sens africain
des termes).
C'est un être amhivalent à
la fois protecteur
et nuisible,
ayant un pouvoir spirituel et communiquant
avec les esprits et /
ou les génies.
Ce
personnage connaît et possède des poisons
et leurs antidotes.
Il peut,
par exemple,
protèger contre
l'attaque des sorciers ou même les pourchasser.
Un consult~nt peut de connivence avec son féti-
cheur empoisonner ou détruire un adversaire.
P a rmi
ces "f tic heu r s",
i l
y a l e ma rab
é
0 ut,
le
voyant du village,
etc .... Ils sont entre autres,
doués
d'une extraordinaire puissance de la parole. C'est somme
toute un médecin qénéraliste.
b)
h~_~~r~~~~~E~e~~~~_~~_9~~E~~~~~E:_~~tt~­
~~~E~~~~t~ :
C'est un médecin spécialiste en quelque sorte,
ayant la faculté de
guérir le plus souvent au moyen d'un
support végétal.
Il y a autant de spécialistes qu'il y a de pré-
pa ra ti ons médic o-magi que s.
.../ ...

rÔ,
La fonction
prophétique
se place à
la
frontièrE.
entre
le modèle
thérapeutique
tradit.i.onnel
vrai
et
les
systèmes thérapeuLques
néo-traditionnels.
Dans CRS conditions,
le
prophète fait
figure
de ce
qu'on pourrait
ap p e l e r
"médecin-charnière".
5 e
dis a n t
m dia t e u r e nt r e Die u e t
les H om mes,
é
i l exerce
son pouvoir par l'intermédiaire du christianisme,
et au prix
d'une puissante
verbalisation,
riche en p r i
r e s ,
ë
Dans cette fonctiun
thérapeutique,
le public par sa
présence
à
forte
dose
s e mb Le
.j ou e r
un
rôle capital.
Le
malade,
dans
le processus de guérison doit,
coupable
ou
non,
a v ou e r
sa
culpabilité,
la seule issue
possible pour
obtenir le pardon
de Dieu.
d )
Le
sorcier
ou
"diable"
C'est le mangeur d'âme
ou
d'Homme au
sens symbo-
lique dl!
terme,
incompatible traditionnellement avec une
vie en
société,
surtout en milieu
rural.
c'est la réincarnation hallucinatoire
ou
onirique
des ancêtres
ou
des morts récents.
Il peut
s'agir également
de mauvais esprits
(le
sat.an,
le démon,
etc .•• ),
contrai-
rement àl'esprit"des ancêtres
qui
est à
la fois bon et
j a l ou x .
f)
Le cha rlatan
:
C'est le
faux
guérisseur
ou
le faux
"féticheur",
ou
bi e n encore le faux
sorcier.
C'est,
en quelque
sorte,
un
simulacre.
. .. / .. ·

OBSERVA1ION N° 2
Monsieur D. . . ,
sujet
Ivoirien de 30 ans,
secrè-
laire administratif,
résidant à
Abidjan,
est connu du
service d'Hygiène Mentale
pour troubles psychotiques.
D..•
fait
partie d'une
fratrie de
trois enfants;
il a un frère
aîné
et une
soeur cadette.
Orphelin de père
depuis 1967,
il
interrompt
prématurément
ses études dès
la
classe de seconde pour
raisons matérielles.
I l
se lance,
b cn gré;
mal
gré,
dans
la
v ie
active.
Peu de
temps plus
tard,
nommé
sec r
t a i re admini st rati f,
i l
va devoi
é
1"
fai re
face
aux charges et pressions familiales'
autrement
dit
i l se voit
le principal "p i Li e r-!' ,
sinon
le
réconfort moral
et matériel de
la
famille élargie.
Bien souvent,
il
s'at-
tache à .s a mère
paysanne,
consacre une bonne partie de
son
existence à
sa
femme
et à
ses enfants.
Mais,
bien pire,
tout au long de sa
vie,
i l
sera
singulièrement en brouille
avec ses parents paternels
qui,
selon lui,
n'ont pas favo-
risé sa
scolarité,
et
qui
lui
reprochent de manquer d'en-
thousiasme à
leur égard.
Avec des conditions de
vie déjà
relativement
plus aisées,
i l nourrit
l'espoir de devenir un jour Sous-
Préfet.
Aussi prépare-t-il
le concours d'entrée à
l'Ecole
Nationale d'Administration
(ENA).
Mais,
cette ambition ne
sera que pratiquement
illusoire
du
fait
de
la maladie.
Quoiqu'il en soit,
D•.•
reste
optimiste;
car i l a
foi
en
l'avenir et en Dieu
(D . . .
est' un
fervent chrétien,
un pro-
testant
rigide).
Lors d'un entretien,
D . . .
nous fait
l'anamnèse
de ses troubles mentaux et
le bilan de
ses rapports avec
les siens.
. .. / ...

Il s'exprime en français,
un français pas tou-
jours correct,
surtout dans la syntaxe,
les mots hachés,
mais un
français quand même compréhensible.
Il do nn r- ,
par
ailleurs,
son point cie vue sur la façon dont
l'individu
doit vaincre parfois la malarlie,
et se comporter facE aux
exigences de la famille.
Cette vie de D...
est Tiche en événements,
et
vaut la peine d'être relatée.
Le début de son histoire remonte au 2 avril 1970,
à
la suite d'un malaise,
il est transporté à
l'hôpital où
il fait une allergie à la Pénicilline.
Ensuite,
le 17
octobre 1974,
pendant la fête
de Tabaski
(fête musulmane)
survient un
nouveau ma La i ae ,
Tout en se culpabilisant,
il
raconte
" J'a i
eu peu r
;
j' a i e u l' i n s om nie pen dan t
plu s
de deux semaines,
je n'ai pas consulté un docteur,
ça
c'est de ma faute;
j'ai commencé à parler trop, ma femme
n'a pas sui v i
ça".
Personne n'a donc rien remarqué.
Cependant,
il
continue à
jouir apparemment de la fête de Tabaski,
seul
dans le sile~ce de son hamac,
étendu en porte-à-faulx.
A côté de lui,
sa Renault 4 que répare depuis la veille,
un mécanicien.
Ce dernier srapproche de lui avec des ou-
tils de travail; O...
le voit venir,
et par un mécanisme
interprétatif,
prend peur
"Quand le mécanicien venait avec son appareil,
je l'ai vu
; j~ai sauté la barrière; je suis tombé de
mon hamac".
Le mécanicien pris de panique a préféré s'en-
fuir,
ce qui étonne U.. ~, et qui ne sait comment l'inter-
préter.
. .. / ...

Le soir de la même journée,
il
rec ommence à
divaguer,
se fait des sou c i s,
s'interroge :
"On dirait qu'il y a une émission qui me concerne,
qu'on tire un
film sur moi,
ou quelque c h os e comme ça
ça me fait
quand même peur;
quelquefois j'hésite".
De van t
ce c om p 0 rte men t ,
l' en t 0 u ra g e fa i t
a p pel
aux Sapeurs Pompiers.
Il est évacué d'urgence à
l'hôpital
un médecin de garde laisse entrevoir qu'il n'a rien;
il
retourne à la maison.
c'est alors que sa mère et son frère aîné,
sur
'les conseils d'un ami,
l'accompagnent chez un premier gué-
risseur,
lequel attribue la maladie à
l'action de Madame
D••••
qui aurait agi par le biais du poison.
Ce qui ne semble
pas plausible pour notre malade.
A ce moment,
ses parents envisagent de l'envoyer
consulter et suivre des soins indigènes chez un autre gué-
risseur ; il s'y oppose et demande plutôt qu'on le conduise
à
l'hôpital.
On l'y amène de nouveau;
il bénéficiera d'une
hospitalisation de courte durée.
Malgré le souhait des
parents de le voir transferé à
l'hôpital psychiatrique de
Bingerville (de mauvaise réputation pour le public ou le-
profane),
le médecin responsable de son hospitalisation
refuse une telle proposition.
Cette initiative du médecin
enchante D...
" Ils ont dit beaucoup de choses, mais lui, a
refusé de me faire partir à Bingerville".
Sorti de l'hôpital,
il regagne son domicile.
A
la maison,
tout le monde semble poser le diagnostic de
Paludisme
; il est alors traité à
l'indigénat et on lui
fait porter des amulettes bien qu'il n'en soit pas rassuré
d'où l'antinomie:
... / ...

"Quelquefois,
on me donne quelque chose,
en me
disant que la maladie c'est lA "Fièvre Jaune"
ou bi-en
"Les Yeux Rouges"
(pour dire le Paludisme).
On me dit que
ce n'est pas une questiun d'hôpital,
que les docteurs ne
peuvent pas me soigner.
Actuellement
même,
je porte un
"machin"
(gri-gri)
que je vais vous montrer; cela a été
donné par un ch3rlatan
; c'est quelque chose que je ne
comprends pas
;
je ne veux p2S les contredire,
mais je
sais que malgré tout,
c'est pour les satisfaire,
surtout
ma maman qui est une paysanne ; quand elle me donne ces
choses là,
j'acceptp mais je sais qu'il faut consulter
un docteur à tout rn om e n t :".
Au mois de mars 1978, D...
présente une crise
semblable aux précédentes,
avec une insomnie importante
les 15 et 16 mars.
Un traitement à base d'Equanil permet
de la juguler au
bout de quatres jours.
Une semaine plus tard,
(le 22 mars),
il joue
avec des amis au "jeu de Ludo"
(jeu anglais,
équivalent
du "jeu de cheval" en France) et présente une sensation
de dépersonnalisation
"J'avais l'impression qu'ils (ceux qui jouaient
avec lui) étaient plus tristes que moi-même; moi,
je
voyais noir;
eux,
ils étaient plus tristes,
et ça me
faisait peur.
J'ai cru ~ue j'étais décèdé quelque part,
et que "je venais comme un
revenant.
J'ai eu peur et j'ai
dit que je vais me coucher
; mais s i j e me couche,
je vais
mourir,
alors ils m'ont mis dans la voiture d'Alexandre,
et ils voulaient m'accompagner à l'hôpital".
Mais,
avant de le conduire à l'hôpital,
ses
amis lui administrent de l'Aspirine et de la Ni~aquine.
. . . 1...

Un de ses cousins est chargé de le tranporter
à
l'hôpital,
mais D. . .
3'Y
oppose,
car dit-il,
celui qui
est désigné porte un habit noir,
signe de deuil qu'il
ne ·peut supp o r t e r . Dès lors,
il se n.e t
au
volant de sa
v oi Lu r e jusqu'à l'hôpital malgré son état de santé.
La
visite à l'hôpital n'a rien révélé d'anormal;
il rentre
chez lui.
Durant tout ce temps,
il fait une psychose
interprétative:
s'imagine des choses a~ simples vues
de l'habit no~r porté par son cousin,
pense que sa tante
est morte et qu'on veut le lui cacher.
Le lendemain,
c'est à dire le 23 mars,
il fait
un syndrôme depressif :
il Ee lève trop tôt à cinq heures
le matin,
seul dans sa chambre,
pleure,
portant la même
r
tenue que la veille,
veut aller au travail
j
mais,
on 1~
le
lui interdit.
Puis il s'imagine qu'on veut le nommer
Sous-Préfet,
ce qu'il accepterait volontiers
j
si Préfet
il refuserait.
Et,
quand je lui pose la question de savoir
qui lui parle vinsi,
il ré pond
"Ça venait comme ça ;
rien ne parlait
; ça me
venait de l'intérieur;
je dis
oui si c'est Sous-Prèfet
au moins;
on dirait qu'on me nommait Président à vie,
non ça c'est trop pour moi.
On m'a donné un médicament
qui pourrait ressuciter les morts,
et que je pourrais
ressuciter mon papa qui est décèdé."
C'est à cette période qu'il vient consulter en
Hygiène Mentale.
Il recoit un certificat médical pour
arrêt de travail de quelques jours,
et un traitement à
base de neuroleptique (Haldol).
Il quittera Abidjan pour Bouaké où il élira
domicile c he z un autre c o u s i n ,
Inspecteur de Police:
un
malade de très longue date,
qui
se fait traîter à l' indi-
génat.
... 1 ...

De
temps à
8utre,
Madame D ..•
va
rendre
visite
à
son mari
qui
est d'ailleurs
loin de
s'en
rendre
compte.
Devant
cet état de santé
précaire,
ses
parents
de nouveau,
l'obligent à
se
rendre
auprès
d'un
autre
guéris-
seur à
Ac ou p é •
Il
dit
avoir
reçu,
avant
tout,
une
injection par
un cousin
infirmier,
qu'il
n'a pas
reconnu.
Il
faut
signaler
que ces épisodes
de
troubles mnésiques
sont
assez
fréquents
dans son cas.
I l
arrive
qu'il
se mette à
pourchasser les
gens,
chez ce guérisseur.
Il
refuse
le
traitement,
accepte
plus
ou
moins,
ou
jette
le médicament qu'on
lui
donne;
i l est
en
outre très méfiant
"Alors,
une
fois
qu'on
va prendre des
feuilles
indigènes
ou un
remède
pour m'injecter,
ou
de
l'eau
pour
me dire de
boire,
ou
de
prendre un comprimé,
je dis
au
porteur
de boire d'abord,
pour ne pas qu'il m'empoisonne".
Toute
tentative du
guérisseur de
lui
faire
absorber
des potions

base
de médicaments
et de
vin),
se
solde
par
un échec.
D •.•
est
sobre,
déteste
les boissons
alcoolisées
( l e v in,
en
par tic u lie r ).
Par c on t re ,
i l
p r op os e
qu'on
'(remplace
let vin
par
le coca-cola.
Cette
proposition
a u d a c i e u s-
se,
non
avenue
pour
le guérisseur,
déclenche
l'élément déli-
rant suivant
:
"J'ai .dit de mettre
le médicament
dans du
coca-cola,
il(16 guérisseur)
n'a
pas voulu;
peut-être
que c'est moi
qui
ai
c omm e nc
J'ai
tapé,
i l m'a
tapé,
i l a
frappé;
j ' a i
é
,
cru que
j ' a l l a i s avoir du
sang dans
les
narines;
quelquefois,
quand
j ' é t a i s un
peu
conscient,
i l voulait me
donner son
vin;
je dis non,
je ne
veux
pas boire
le
vin; i l m'attache. Quelque-
fois,
je veux
lutter et
quand
i l
voit
que
je me
laisse
faire,
i l m'attache
les pieds,' i l me
donne ses médicaments,
je fais
semblant d'accepter,
puis je verse."
... / ...

Au fil des
jours,
son état de santé s'améliore,
puis se stabilise.
Il
retourne parmi les siens.
Le séjour et
le traitement suivi lui
ont coûté 40 000 CFA,
plus des bois-
sons alcoolisées.
Son entourage le trouve rétabli grâce à ce guéris-
seur; mais lui,
pense,
au contraire,
qu'il doit sa guérison
à
l'arrêt de travail certifié parle médecin.
Pour D..•
le guérisseur n'a jamais révélé la
cau~e de sa maladie.
La
seule interprétation donnée est celle
qui incrimine sa femme de l'avoir empoisonné.
Ses parents veulent faire subir une épreuve d'or-
dalie à Madame D...
;
il s' y oppose car i l
ne tient en aucun
cas sa femme
pour responsable.
Cette réflexion suscite un
remue-ménage familial à
telle enseigne qu'il se refuse à
mettre en exécution son projet de construire au village.
Pour nuancer son discours,
nous lui demandons son
point de
vue sur le traitement indigène,
en général.
Il
adhère à la demande,
mettant en exergue l'exemple de sa tante
qui l'a guéri du
hoquet pathologique
"Oui,
ça pourrait marcher, .parce que quand j'ai eu
le hoquet,
et des vomissements,
c'est une tante qui est venue
m'adresser un médicament;
j'ai bu,
j'ai dormi et le hoquet
a disparu;
elle a dit qu'on peut dénommer.cela en dialecte
"N'dje"
(=
vagues de la mer).
Puis de nouveau,
nous le-laissons poursuivre ses
commentaires.
Le 20
avril 197~, sa femme accepte tout natu-
rellement l'ordali~. Désormais,elle habite loin de lui,
et
ne sera innocentée que si elle ne subit aucun malheur •
. . ./ ...

Lors d'une
rechute,
ses parents maternels vont
consulter un autre guérisseur
qui
attribu8 la maladie à
.l'action des parents paternels.
Mais pendant
que la maladie
est en
voie d'extinction,
ceux-là
(ses
parents maternels)
commencent à croire de moins en moins
en
la culpabilité de
sa femme.
D. . .
suggère que les guérisseurs trichent,
et
laisse
supposer qu'ils jouent aux trouble-fêtes.
Il déplore
l'attitude trop
suiviste de ses parents
(sa mère,
son'
oncle maternel et
son frère
aîné).
Il enchaîne pour dire qu'il
ne
sait pas très bieh·
des deux médecines
(traditionnelle et moderne),
celle
qui
guérit réellement et qui
doit mériter notre attention.
A la
fois,
critiqueur et philosophe,
i l s'interroge,
se pose des
questions,
y
répond parfois aussitôt,
condamne,
ressasse,
juge
:
"Ce que
je ne comprends pas,
c'est chaque
fois
que nous sommes malades,
on nous transporte chez
les char-
latans
(parlant ainsi des guérisseurs),
alors
qu'on pou-
vait nous envoyer à
l'hôpital.
Comme la maman est paysanne,
elle nous
transporte chez
les charlatans.
Elle ne comprend
rien.
Il y a mon
grand-fère,
dont
le problème est de s'occu-
.,
~ per toujours de ce que les gens disent.
Cependant,
D. . .
attache une importance particulière
à
ce que
les gens racontent
sur les revénants.
Il y songe,
tient son père à
la
fois
pour un être formidable
(de son
vivant),
et pour le seul
responsable du malheur qui
l'accable
"Entre mon père et ses frères.
i l
n'y a
jamais eu
d'entente.
Mon papa était
obligé de travailler pour me suppor-
ter.
S'il y
avait quelqu'un comme
lui
pour me supporter,
je
s~rais parti à
l'Université.
. .. / ...

J,l,
... '
Je dis que s'il y a une puissan~e après la mort, c'est
bien mon papa qui me fait ca,
parce que c'est quano je
rend service à ses frères que je tombe malade
; cela
fait plusieurs fois.
Si cette histoire des revenants ou
des gens qui sont morts existe,
c'est peut-être lui qui
est mécontent et qui se fâche c o n t r e moi tout le moment
que je rends service à ses frères qui ne sont pas encore
morts".
A cet effet,sa mère qui semble adhérer à tout,
lui propose d'acheter de ]a boisson fortement alcoolisée,
d'aller prier et de faire des libations au
village en
souvenir de son père.
C'est la démarche traditionnelle
pour implorer le pardon;
ce que D•••
accepte théorique-
ment sans pour autant l~ concrétiser.
Actuellement,
il pense qu'i.l est guéri.
Sa femme
est innocentée. Ses parents essaient de le comprendre. Sur
le plan professionnel, malgré les différents reclassements
subis provisoirement,
du
fait de la maladie,
il a repris
son poste de travail normal.
Ses rapports sont bien rédigés,
tout se déroule à merveille.
Il projette de passer l'an prochain le concours
d'entrée à l'E.
N. A. ,.car cette année-ci,
il présente une
asthénie physique et intellectuelle.
Les gens lui veulent peut-être du mal,
mais il
n'a rien à craindre, ·ni.même la sorcellerie (bien que sa
mère lui conseille de se protèger contre la malveillance
d'autrui),
il est croyant :
"Moi,
je suis chrétien,
je vais à l'église,
je
sais que Dieu est grand
; et si Dieu veut nous protéger,
il peut le faire;
jusqu'à preuve du contraire,
je suis
tranquille maintenant,
et tout a disparu maintenant."
... / .. ·

, .
I..f'",
Paradoxalement,
notre patient craint une éventuel-
le rechOte ou récidive.
Nous le rassurons en insistant
qu'~l n'y aura pas de récidive tant qu'il prendra comme il
se doit les médicaments prescrits à base de neuroleptique.
Mais le grand souci de D.••
porte sur son cousin
Inspecteur de Police,
malade depuis trois ans.
Ce dernier,
malgré de nombreuses hospitalisations n'a jamais connu
d'amendement,
si bien qu'il a opté pour le traitement indi-
gène,
chez une guérisseuse.
Celle-ci a trouvé en ce cousin,
des indices de "clairvoyance"
(pour dire de guérisseur),
sous forme de petits cailloux blancs et noirs,
dont i l accep-
te l'ablation.
Cela est attribué à l'action des génies par
l'entourage.
Quant à D..• ,
i l
ratt&che le cas de son cousin
au fainéantisme,
et à
l'apragmatisme ayant entraîné un
"blocage circulatoire",
dit-il.
Nous découvrons dans cette observation,
des épi-
sodes psychotiques multiples associés à'des traits para-
noïaques.
Il y a certainement des problèmes oedipiens
importants.
On relève un conflit entre le sujet et sa famille
du fait des situations antinomiques.
Sa culpabilité oedipien-
ne est très souvent renforcée par la médecine traditionnelle.
A noter également,
l'absence de congruence sur
l'idée de la maladie entre le m~lade, les médecins tradition-
nels et les médecins modernes.
Le sujet utilise des problèmes métaphysiques dans
sa structure mentale
;
et ceci est exploité
ou repris diffé-
remment par les trois axes
(malade,
médecins et famille) •
.../ ...

OBSERVATION N° 3
Mademoiselle D... ,
~gée de 21 ans, étudiante à
l'Ecole Normale Supèrieure d'Abidjan est amenée en consul-
tation de Santé Mentale.
rlans un état de panique à
la suite
d'un caucht:mar.
D...
est l'aînée d'une fratrie de trois enfants,
dont un frère et deux soeurs.
Elle a eu une enfance pas
très heureuse et nous renseigne sur sa biographie.
A l'âge de 6 ans,
elle entre à l'école primaire
qu'elle frèquente avec plus ou moins d'assiduité.
Pour se
justifier,
elle incrimine son père (un ancien combattant)
de ne pouvoir souvent subvenir aux besoins de la famille,
et ayant par surcroît à sa charge cinq autres filles plus
âgées qu'elle.
Très vite,
son père l'enlève· du milieu fami-
lial,
et la confie à un tuteur.
Lorsqu'elle a 16 ans,
sa mère quitte définitive-
ment le foyer conjugal,
pour se remarier,
peu de temps plus
tard.
A cette période,
elle ne se rend pas compte des inci-
dences ultérieures d'une telle séparation,
dont elle ignore,
dur est e ,
les mot ifs ; ce qui ne Ile mp ê che -pas,
p ou r au tan t ,
d'aller voir sa mère de temps à autres.
A l'âge de 20
ans,
elle est la seule bachelière
de son village natal.
Le succès au baccalauréat lui permet
d'entrer à l'Ecole Normale Supèrieure.
Elle habite désormais
au Campus Universitaire.
. .. / ...

Une nuit,
alors qu'ell~ est dans sa 21ème année.
e Il e fa i t
un cau ch e ma r .
LeI end e mai n mat in,
e Il e r en c on t r e
un ca~arade de classe qûi la trouve morose.
Elle lui
raconte
ce mauvais rêve
ce que ce dernier interpr~te essentiellement
comme un signe de
deuil.
Prise de
panique,
elle contacte son
oncle maternel
qui nouS l'adresse en consultation.
D'abord,
le temps de la mettre en confiance,
et nous
la laissons raconter son histoire.
Dans son village,
tous ceux qui
ont r u: si,
ou sont
é
sur le point de l'être,
deviennent avec leurs familles l'objet
de jalousie par les autres,
ou mieux les victimes à part entièr'
au sens maléfique du
terme.
Sa famille et elle n'y échapperaient
pas,
bien entendu.
Ceci l'inquiéte.
Les échecs aux examens,
les
maladies ou malaises,
les mariages r~tés, pour ne citer que
ces exemples sont attribués è l'action des jaloux.
Le ~uccès
des uns attise
la jalousie des autres qui,
pour agj"
passent
par le truchement de la sorcellerie ou des fétiches,
de la
mauvaise langue ou du mauvais sort
:
"Dans mon village,
je suis la seule fille qui ai eu
le baccalauréat,
jusqu'à présent. Donc,
i l
y a une certaine
jalousie entre les gen~ du village et ma famille,
et il se
pourrait
qu'ils nous fassent quelque chose.
Moi,
je les crains
parce qu'il y a un jeune homme du
village qui était en Terminale
) et très bien apprécié dans son école
; Quand ils sont allés
+pass~le baccalauréat, tous les professeurs pensaient qu'ils
seraient trois reçus d'emblée.
Mais à
leur grande surprise.
il
a été le seul à échouer dans le groupe.
Puis il l'a tenté trois
fois,
ça n'a pas marché;
i l
s'est alors orienté dans l'ensei-
gnement comme instituteur.
Comme cela se concrétise sur certains
camarades,
j'ai comme l'impression que ces gens sont capables
de me faire la même chose."
... / ...

47
E 11 e a p pre n d,
par l a s u i te,
qu' u n h om me âgé
de 60 ans aurait tenu des propos conjuratoires expliquant
en partie l'échec scolaire des jeunes ressortissants de
ce village.
A partir de cet instant,
nous constations qu'elle
devenait moins bavarde,
plus hésitante.
Aussi.
craignions-
nous une entorse à la poursuite de son discours.
Ce qui ne
se fit pas attendre longtemps,
car elle arrêta aussitôt de
parler.
A nouveau,
après l'avoir mise en confiance, nous
relançions l'entretien,
tout en lui laissant le soin de
le diriger elle-même.
Elle poursuit donc; mais ses préoccupations majeu-
res portent sur les difficultés de son insertion sociale,
notamment vis à
vis des tiers familiaux.
Elle s'emploie
depuis quelque temps
mais en vain,
à convaincre sa mère
de la nécessité pour elle de quitter son nouvel époux.
Son
nouveau statut conjugal,
pp.nse-t-elle, laisse à désirer.
Cependant,
ce désir de D.••
ne semble pas obtenir l'assen-
timent de l'entourage maternel.
Ses propos,
certes,
sont
imprégnés d'idées délirantes à type de crainte d'être tuée,
d'être persécutée ou ensorcelée,
ou encore d'être empoisonnée
" ••• du côté de ma maman,
son mari n'est pas du
tout content,
parce Que j'entreprends des dém~rches pour la
lui enlever~ ••
Or,
il ne l'aime que par intérêt,
parce
qu'elle est laborieuse.
Donc,
quand je vais la lui prendre,
il perdra ses intérêts ..
Je le crains parce qu'il a un
frère
"féticheur" dans ma région.
Il parait que ce gars est réputé
pour tuer les gens.
Alors,
vu ce qu'on m'a raconté,
j'ai
comme l'impression que les gens de chez nous peuvent me faire
quelque chose d'un jour à l'autre".
. ../ ...

48
Elle est très inquiète du sort de sa mère,
et
e n fait part à
qui de droit

son oncle maternel et à· sa
grand-mère).
Elle semble encore plus marquée par le compor-
tement de sa mère qui refuse tout contact avec les siens.
En outre,
elle conçoit mal
que son beau-père se refuse
à adresser la parole à
sa soeur cadette qui,
par la force
des choses,
est allée séjourner auprès du couple
(beau-père;
mère).
Tout cela l'intrigue.
et elle veut à t ou t. prix des
explications. En fin de compte,
elie opte pour une rupture
des liens filiaux
qui l'attachent à
sa mère.
Mais après avoir observé un certain laps de temps,
elle revient sur sa décision.
Elle est plus que jamais
déterminée à rencontrer sa mère.
C'est ainsi qu'elle profite
des vacances de Noël à cette époque,
et
se rend à la Sous-
Préfecture de Divo (où
réside sa mère).
Chemin faisant,
et
à
sa grande surprise,
elle rencontre une parente.
Celle-ci
lui apprend que sa mère ne tient en aucun cas à
la revoir.
Dès lors,
sensible à ce qu'elle vient d'entendre,
et blessée dans son amour-propre,
elle pleure en sanglot,
annihilant pour ainsi dire le projet qui l'a amenée à DIVO.
Aussi
saisit-elle sur le champ l'occasion pour
exprimer sa peine,
et les dures épreuves que sa soeur et
elle,
ont endurées depuis que leur mère les a abandonnées.
Tout cela.
D•.•
le traduit comme s u i t : .
"Ma maman,
je n'aime pas son comportement.
Elle
nous a abandonnés,
et puis,
on a été livré à nous-mêmes.
C'est parce que moi je suis dure de caractère que je ne suis
pas devenue délinquante.
Sinon,
j'aurais pu
faire de mauvai-
ses choses juaqu'à ce que ma marâtre pousse mon papa à me
mettre au dehors,
et à me laisser dormir dans les
rUes.
C'est
parce que j'ai essayé de me contrôler que je suis devenue
moi -mêrne ,
. .. / ...

49
Alors,
ma maman,
vu tout le mal qu'elle nous a
fait,
c'est donc nous qui ne travaillons pas,
n'avons rien
à manger,
qui allons l'habiller,
la nourrir et nourrir ses
y
enfan!s (pour dire enfants du second lit).
alors qu'elle
est chez
son mari".
Toute cette scène s'est passée à Divo.
Peu de
temps après son retour à la capitale,
elle reçoit une lettre
de menace et de mise en garde de sa mère lui interdisant
d'assister à ses funérailles.
La lettre une fois bien lue,
elle la déchire,
mais déplore l'attitude de sa mère qui
ne fait
que l'affaiblir et renforcer l'action de tous ceux
qui lui en veulenb ou peuvent lui en vouloir.
" ... Alors,
si elle fait des lettres comme ça,
pour me les expèdier à tout moment,
ça va me basculer le
moral,
et je ne pourrais pas travailler en classe.
Et,
si
peut-être il y a des gens qui dans le village veulent me
faire quelque chose,
elle qui est ma mère,
si elle ne me
livre pas à eux,
personne ne peut m'avoir.
Si elle a le
courage de m'écrire de sales lettres,
en tout cas,
elle
me mp.t entre les mains de tous
j
et si j'ai un petit pro-
blème,
c'est elle qui en est la cause."
Elle
réfute l'idée de répondre à la lettre,
mais
va tenir son frère informé de la situation.
Ce dernier lui
propose d'organiser,
dès que possible,
une rencontre des
deux parents,
sous les auspices de leur grand-mère,
en vue
d'éluci'der les faits et prendre les décisions appropriées.
D. •.
ad h ère,
e nef f et,
à cet tep r 0 p 0 s i t ion.
Cel a. vau d rai t
la
peine,
dit-elle,
car ses parents n'o~t jamais donné les
raisons profondes de leur séparation.
Bien que n'ayant
aucun parti pris,
elle, pense que sa mère aurait pu se conte-
nir (en songeant à
leur existence) plutôt que de s'en aller •
.../ ...

50
Ensuite.
nous intervenions pour nouS enquérir
de ses rapports avec l'entourage paternel et les colla-
téraux.
Elle raconte s'être souvent disputée avec ses
cousinesqui la convoitent et la jalousent.
Elle croit
entre autres qu'une d'entre elles lui veut du mal:
"elle
(une de ses cousines)
veut voir quelqu'un
(un féticheur)
pour me faire quelque chose,
en tout cas,
elle le manifeste
ouvertement".
D...
ne peut terminer son histoire sans avoir
tout brossé.
Elle n'oublie pas celle qu'elle appelle sa
marâtre.(la nou~elle femme de son père)
; cette mauvaise
femme,
d'après elle,
qui est jalouse de son succès parce
que sa propre fille n'a pas fait mieux.
Par ailleurs,
elle ne supporte pas entendre dire
qu'elle doit son succès à son père.
Celui-ci,
quant à lui,
n'attache aucune importance particulière aux histoires de
fétiches.
Et pourtant,
la dernière fois qu'elle était
hospitalisée,
i l
lui conseilla d'aller consulter un guéris-
seur.
S om met 0 ut e,
D...
a c c use 1 e sun s,
d ~ tes t e l e s
autres, mais simultanément recherche une bonne compagnie
et un milieu social où elle puisse s'épanouir.
Elle pour-
suit,
l'air déprimé
)(
"Quand on est seule,
on se sent faible.
Si j'avais
des gens à côté de moi,
des gens pour venir me voir de temps
p.n temps
si j'allais chez quelqu'un à qui me confier,
dans
un milieu où
je pouvais me sentir à l!aise,
je pense que
je n'aurais pas eu un choc qui puisse entraver mon travail.
Puisque je me sens seule et livrée à moi-même.
je serai
toujours dans cet état là~
... / ...

Ainsi,
cet entretien avec elle,
nous a permis
de limiter la prescription médicamenteuse au strict mini-
mum ; mais par contre,
de procéder à une prise en charge
psychologique soutenue.
Ali cours de nouveaux bilans psychologiques,
nous la trouvions nettement mieux.
Elle n'accusait plus
de panique,
ni d'énervement,
ni toute sorte de peur ou-
de phobie.
Sur nos recommandations,
elle a cherché à inté-
grer un groupe de quatre filles vivant dans son quartier.
En semaine,
elles discutent ensemble de leurs problèmes
-
)!
quotidiens,
en dehors des heures de travail." Le week-end,
après quelques heures de travail intellectuel,
elle s'adon-
ne
aux loisirs,
notamment au cinéma"et ce en compagnie
de son copain.
A cbté de lui,
elle se sent réconfortée,
fait des confidences,
et se laisse alors vivre.
Remarques
---------
Les données biographiques de notre patiente nous
renseignent sur les difficultés d'adaptation dans le milieu
social,
notamment avec les tiers familiaux,
L'entretien
psychologique nous montre les moments de difficultés pour
elle de se réaliser,
et surtout ses désirs inconscients,
très vite révélés par le deuil.
La rivalité mère-fille,
J'immixtion de la malade dans le coupl~ traduisent essen-
tiellement une crise psychologique centrée sur les relations
mère-fille,
dans le cadre d'une problèmatique oedipienne •
. . ./ ...

')2
Nous constatons,
par ailleurs,
l'impact parfois
capital du
"verbe tl et surtout de la t1mauvaise langue" sur
la psychologie de bon nombre de sujets africains.
La mèconnajssance du
psycho-social pourrait faire
penser à une psychose.
En fait,
il s'agit de troubles névro-
t f qu e s •
Pour notre part,
devant la fragilité du terrain
greffé sur les problèmes psycho-sociaux,
il était nécessaire
d'apporter une aide psychologique,
et de créer une ambiance
motivante sur le plan affectif et actif.
La chimiothérapie,
apportée à
petite dose,
n'aura
joué qu'un rôle adjuvant.
. .. / ...

:
-,
"
j
OBSERVATION N° 4
Monsieur K. . . ,
q
de 22 ans,
étudiant à
l'Uni-
â
é
versité nationale d'Abidjan,
consulte pour un
état dépressif
et des plaintes somatiques.
Son histoire remonte à
la classe de troisième au
lycée de la ville de Bouaké.
A cette époque,
pour avoir contracté une gonococcie
aigüe,
il bénéficie,
un
tant soit peu,
d'un traitement indi-
gène.
Il continue à mener,
somme toute,
une vie normale
outre d'intermitt~nts troubles paresthésiques : picotements,
fourmillements dans le corps.
Mais,
très progressivement,
il se sent déprimé.
Dans la "foulée" des signes,
on note essentiellement un
dégoût de la vie,
une apathie,
mais surtout un apragmatisme
et une partielle inhibition sexuelle:
"Je délaissais un peu de tout
je n'aimais plus
faire
le sport;
je sentais que mon sexe devenait de plus en
plus petit, "et puis il y avait des tâches dessus
;
les
conditions sexuelles sont bonnes, mais pas comme
je l'aurais
souhaité,
c'est à dire qu'il n'y a pas entière satisfaction;
disons que je ne suis pas assez excité en tout cas".
Notre patient s'inquiète,
se tourmente,
parce que
dit-il
"C'est un besoin vital;
je pense que c'est ce qui
fait l'homme;
alors ça m'inquiéte un peu."
,7
,;.'~o
Tous ces troubles sont mis au~compte du paludisme
par la famille et l'entourage.
Pendant ce temps,
il conserve
encore l'intégrité de ses facultés intellectuelles .
.../ ...

Le temps passe,
et trois ans plus tard,
K.•.
se retrouve en classe de Terminale,
dans le même établis-
sement. Devant les rechûtes,
et devant l'interminable
subjectivité des signes,
il se présente au dispensaire
local où le diagnostic de blennoragie chronique est posé.
A cette occasion,
rapporte-t-il,
un infirmier lui apprend
qu'il court,
ultérieurement,
un
risque de paralysie,
voire
de folie.
C'est alors qu'il se sent plus mal,
les signes
subjectifs à leur acmé
:
"Bien avant ça (les propos tenus par l'infirmier),
franchement parlant,
je sentais,
il est vrai,
que je n'étais
pas mqi-même :
je n'aimais plus faire le sport;
j'étais
fatigué,
bizarre.
Mais quand il m'a dit ça,
je me sentais
maintenant plus mal,
et je me suis dit que c'est cela qui
a engendré ceci."
L'année suivante,
après son succès au baccalauréat,
K•.• quitte sa ville natale pour la capitale et s'inscrit
donc à l'Université.
Mais,
son état de santé demeure encore
précaire.
Il passe,
dès lors,
d'hôpital en hôpital,
de
laboratoire en laboratoire,
afin d'y recouvrer sa santé
d'antan.
Les diffèrents bilans effectués ne révèlent rien
d'anormal.
Les quelques traitements appliqués occasionnel-
lement par des médecins (sans doute parce que la main forcée)
se sont avérés inefficaces.
Il a peur d'autant plus que l'ingestion d'alcool
favorise les troubles,
et augmente la peur; je c i t e :
"On m'a dit qu'il n'y avait absolument rien,
mais quand même j'avais des troubles,
j'avais peur.;
j'oublie
Docteur de vous dire que j'~bsorbais un peu d'alcool,
et le
plus souvent l'absorption d'alcool augmente la peur."
... /

55
Paradoxalement,
i l
s'étonne de constater que
ces troubles diminuent à la prise de cigarettes, i l
raconte
"Ce qui me paraît un peu bizarre,
c'est que
quand le plus souvent je sens venir les crises ou la peur,
je vais rapidement acheter de la cigarette ; puis je fume
et sur-le-champ,
ça disparaît".
A la question de savoir s'il nIa jamais fumé
autre chose que le tabac,
K...
répond:
"Absolument pas
Je n'ai rien à vous cacher
Docteur
je n'ai rien fumé autre que du tabac."
Malgé la persistance des troubles,
il s'efforce
de se dominer.
Et,
un
jour en salle d'examen,
i l éprouve
un malaise de type "brain fag syndrome"
i l a le corps
chaud,
se sent mal,
avec des vertiges,
des céphalées,et
"j'avais l'impression que je devais me lancer dans la
nature pour courir par-ci,
par-là
; mais je faisais un
effort surhumain."
Après la d~rnière épreuve,
il regagne sa chambre
en Résidence Universitaire,
puis contacte le médecin de
cette cité en lui réclamant une injection de Valium.
Ce
dernier rejette la demande, mais préconise le repos et une
consultation,
en Hygiène Mentale; ce à quoi s'en tient K...
Quelques jours après,
nous le recevions dans le
service où il est venu consulter spontanément.
C'était un
sujet de morphotype leptosome,
habillé à la mode,
de nature
apparemment calme.
Nous procédions,
outre l'entretien psychiatrique,
à
un examen clinique complet avec une épreuve des trois
verres, sans le moindre signe cependant d'atteinte splanch-
nique ou viscèrale.
... / ...

~ (,
Par simple acquis de conscience,
nous faisions
pratiquer un
bilan biologique essentiellement de spécifi-
cité (recherche de gonococcie,
de tréponématose).
Les
résultats nous parvenaient dans les jours suivants sans
particularité r~tholoqjque.
Dès cet tep rem i ère con sul t a t i on,
K...
b né fic i ait
é
d'une psychothérapie individuelle de soutien ainsi qu'une
chimiothérapie à base de sédatif nervin à
faible
dose et
d'un anxiolytique
(Tranxène 10).
Au fil
du
temps,
~ ...
prèsente des états crépus-
culaires et des palpitations sans raison
bien fondée.
Il
pense à
une crise d'épilepsie;
ce qui lui fait peur,
inhibe
même sa respiration et dès ]a prise de cigarette,
l'angoisse
. d i sp a r a
t.
î
Il traverse par moments,
des épisodes d'hypermn~sie
ou de paramnésie :
"Quelquefois,
je suis là,
je vois une scène,
et
cette scène me fait penser,
ça se répercute comme si c'était
une scène que j'avais vue dans le passé;
puis sur le champ,
j'ai peur.
Souvent je vois des personnes,
mais il me semble
que j'ai déjà
vu ces personnes dans un passé lointain, alors
j'ai peur."
Parfois,
s ' i l a la chance d'être en famille,
il
se sent réconforté,
et au besoin son père
(agent hospitalier)
lui administre du valium pour le soulager.
EH égard aux interprétations données de ]a maladie,
par les uns et les autres
(famille,
entourage,
service
hospitalier),
K•. ~
essaie tantôt le traitement médical,
tantôt le traitement indigène:
... / ...

"A l'indigénat,
d'abord,
on a dit que c'était
le paludisme ou des trucs qui arrivaient comme-ça,
et
qu'une maladie infectieuse ne pouvait pas donner des trou-
bles de ce genre,
et qu'on devait me soigner;
on m'a
fait des trucs,
ça Il' a pas marché,
en tout cas."
Au cours des entrevues s u i v an te a
il pense qu'il
Y a une amèlioration.
Par contre,
il se plaint encore
d'insomnie,
dort mal,
car dit-il
"Quand je prends contact avec mon lit,et que je
ferme les yeux,
la peur augmente;
je me lève,
m'évade,
me promène et vais causer avec des copains de cité ;
après
quoi je retourne dormir encore."
Ainsi,
K.•.
passe souvent des "nuits blanches",
teintées de la même réviviscence des scènes du passé,
s'in-
quiéte de l'avenir,
le moral bas.
Il envisage d'effectuer,
au cours des vacances
de fin d'année scolaire,
un traitement indigène dans une
troisième ville,
dans la région de Daloa,
en compagnie de
son père
"Ce que .i'attends de ça,
c'est que ce sera une
complémentarité de ce que vous m'avez fait Docteur."
Rema.rgu es
- - - - -
- - -
On retrouve ici une crise d'originalité juvénile,
avec des difficultés de structuration de la personnalité,
au
moment de- l'adolescence.
Les interprétations proposées de la maladie sont
diffèrentes selon qu'il s'agit de la famille ou de l'entou-
rage,
ou du médecin.
On peut noter,
au demeurant,
la diffi-
culté de K. . .
à
retrouver sa vérité personnelle parmi ces
propositions.
. .. / ...

5R
OBSERVATION N° 5
Madame S ... ,
venue consulter pour manifestations
psycho-fonctionnelles probablement psychotiques.
Notre cin~ui~me malade est une jeune femmp d'une
trentaine d'années.
Dans ses antécédents familiaux,
elle nous signale
le divorce de ses parents.
Fille unique,
elle est restée
auprès de
sa mère pendant quelques .années ;
puis,
elle épouse
.
.
dL
une des grandes personnalités du Département:Man où elle
vivra désormais,
loin de sa mère.
Sa vie à Man lui apportera
certes plus de déboires que de joies.
Tout débute par des malaises banaux
puis elle
présente des épisodes d'insomnie et d'anorexie sur un fond
d'angoisse en rapport avec
l'impression qu'elle a d'Âtre
constamment épiée,
surtout lors des emplettes.
Pour ces raisons,
elle pense qu'elle doit quitter
le foyer conjugal :
(
"Quand .ie vais au marché,' je sens qu'il Y a des
gens derrière moi.
Il faut
que je quitte la maison
on
dirait qu'il
y a t ou j ou r s des gens qui me guettent. ..
A la longue,
elle finit
par très mal
supporter
la moindre solitude et même les moments crépusculaires.
Une nuit,
nous apprend-t-elle,
en l'absence de son mari,
(en mission pour trois jours)
elle a cru entendre un bruit
rie
sa chambre à coucher.
Elle fait une hallucinose
acous-
tique,
et soupço~ne son concierge de complicité avec des
bandits.
Apeurée,
elle alerte la police ainsi que la gendar-
merie :
... / ...

"Le gardien
(pour dire
le portied,
quand il a
compris qu'elles arrivaient
(Police et gendarmerie)
parce
que je par 1 ais à ha ut e v 0 i x, est par t i r e j 0 in d r e l es" g a n g s-
ters"
; ils parlaient leur "patois",
I a -même langue;
alors
'/-...
il les a f a i tç p a r t i r . Quand I a Policp est v e nu e , .i I n'y
avait plus personne."
Policiers et gendarmes,
une fois sur les lieux,
ne constatent rien de particulier.
Aussi se chargent-ils
de la garde de la maison compte tenu des inquiétudes mani-
festées par la malade,
et ce jusqu'au retour de soh mari.
(Nous rappelons que le .ma r i
est une des grandes "figures"
deI a ré g ion) .
Le retour du mari est loin d'être aussi
sécurisant
notamment la nuit,
pendant ses heures de sommeil,
puisque,
dit-elle,
"on .d i r a i t
qu'il
(son mari)
va s'endormir et qu'on
va m'enlever." Elle ne peut non plus regarder la télévision
aux heures des informations,
parce qu'elle a peur des images
des présentateurs,
et qu'elle a horreur de tout ce qu'elle
voi t.
M~is, cette vie de Madame 5 •.. ne manque pas d'élè-
ments délirants.
A titre d'exemple,
elle nous racont~ les
circonstances de survenue d'un accident dans lequel on peut
penser qu'elle est responsable.
Un soir,
elle emprunte un
véhicule de transports en commun.
Au bord du véhicule qui
la transporte de la ville de Duékoué à
Man,
elle a le senti-
ment d'un danger imminent et indéterminé:
"En allant,
j'ai eu le
sentiment que je n'allais
pas arriver à destinati on."
Personne ne parle dans la voiture;
et pour rompre
le silence qui y règne,
elle suscite le dialogue en ces termes:
"Depuis le matin,
j'ai téléphoné à mon mari pour
qu'il m'attende à
la gare,
sans doute i l m'attend encore."
... / ...

• /1
Aussi,
le chauffeur affirme-t-il
qu'elle ne
trouvera pas son mari.
C'est alors qu'elle brûle d'inquié-
tude,
se fait des idées,
s'exclame,
et prise de panique
motrice,
elle se cramponne au volant
:
"QIJand il
m'a dit cela,
j'ai poussé un petit cri,
j'a i
dit "h e in!"
; a l 0 r s. . . ..
j' a i
c om men c
à
lut ter au
é
volant avec
le chauffeur.
Puis j'ai porté ma main à la
portière du véhicule,
mais elle était bloquée.
En luttant
avec lui,
la voiture allait de droite à gauche,
mais comme
il Q'y avait pas beaucoup de circulation ...
et
qu'il vou-
lait obtenir l'équilibre,
il
s'est accroché au
volant et
moi
j'ai sauté de son côté par dessus la portière dont la
vit r e
t ait bai s sée,
e t
sui s
sor t i e .
Ace mom e nt,
j e v
é
0 y ais
a r r i v e r
en sens inverse,
les phares d'un gros camion;
je
me suis mise au milieu de la chaussée
;
je me suis dit alors,
s'il ne veut pas s'arrêter qu'il m'écrase; mais il s'est
arrêté."
Heureusement pour elle,
le
routier a su arrêter
de justesse son camion.
Ce dernier accourt,
s'approche de
Madame S . . .
dont le premier "réflexe" est une demande d'aide
"Monsieur,
ne me laissez pas!
Si vous me laissez,
je vais mourir.
Ayez piLié du c i e l !
Ayez pitié du ciel
Je n'étais plus moi-même à
ce moment~ J'ai eu tellement
peur que
j'étais devenue presque folle."
Mais tenant compte de cette insistance et compte
tenu de l'agitation psychomotrice de Madame S •.. ,
le conduc-
teur du
camion la ramène à Duékoué,
au point de départ.
Elle
cherchera à
y pqsser la nuit.
Le
lendemain matin,
elle sera
récupérée par son mari après un appel téléphonique.
Le couple re t ou rrie à Man et se présente entre
autres,
à
la gendarmerie locale pour y faire
ouvrir une
enquête afin de retrouver les
responsables de l'accident .
. . ./ ...

Partant de
là,
anorexie et insomnie
s'accentuent
de
façon
permanente,
deviennent
la
règle
:
liA table,
je prends deux cuillérées,
et
aussitôt
je suis
rassasiée.
A partir de trois heures
du matin,
je
ne peux plus dormir;
alors
qu'avant
j'étais bien."
Bien des
fois,
en allant au
tr3vail,
elle se
sent menacée et en danger
permanent de mort.
Elle est
très
agoraphobique.
Devant
l'ascension et l'importance des
troubles,
elle décide de
rejoindre
sa mère à
Abidjan et consulte peu
après au
service de Santé Mentale.
Mais,
ce séjour à
la capitale est loin d'être
salutaire car
les hallucinations auditives persistent.
Elle
continue à
entendre des
voix
:
"C'est comme
si
les gens me parlaient,
comme si
une voix me disait
que même étant ici,
tout compte fait,
on
va me t u e r ;
ça se
répétait
toujours,
et c'est cela
qui m'effrayait."
A la question de
savoir s ' i l s'agit
ou
non des
voix d'hommes
ou de
femmes,
elle répond:
"Comme c'était
un
son
qui me parvenait,
alors
je n'ai
pas remarqué."
Elle
finit
par s'habituer à
ces voix qui,
très
souvent,
lui donnent,
semble-t-il,
des
ordres.
En
revanche,
ces
voix n'ont
aucun
retentissement
sur son corps,
au sens
symbolique de dévoration,
comme c'.est
souvent
le cas
avec
les
snrciers mangeurs d'~me .
. . ./ ...

A l'indigénat,
les guérisseurs qu'elle a consultés
attribuen't la maladie aux machinations des "diables" de
la lignée paternelle.
CeuX - ci lui en veulent pour négli-
gence à
l'égard des parents paternels,
alors même qu'elle
s'intéresse à
la famille maternelle.
Mais au
fil des jours,
après plusieurs entretiens
psychothérapiques associés à des neuroleptiques,
nous cons-
tatons une amélioration d'ensemble,
et une atténuation
des
allégationsde notre patiente.
Celle-ci ne percoit pratique-
ment plus
les voix et les personnages vécus auparavant.
Il y a également,
une reprise de l'appétit et un
retour à
un sommeil normal.
Nous
remarquons à
travers ce récit,
un cas d'épi-
s o daa n s y cb ot Lqu es qu I
pourrait être le début d'une psychose
hallucinatoire chronique,
ou le début d'un délire.
A n ot e r ,
en outre,
l'impact du
socio-culturel
dans la génèse du trouble ou dans la mise en forme de la
maladie.
. .. / ...


C 0 MME N TAI RES
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
E T
DIS eus S ION S
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
---------------------

Nous abordons le chapitre des commentaires sans
lesquels notre travail n'aurait aucun intérêt.
L'objectif majeur de ce travail,
c'est d'essayer
de montrer la place des médecins traditionnels dans la socié-
té africaine actuell p ,
spécialement en matière de folie.
Pour notre part,
nous n'avons pas là.. prétention
de satisfaire toute la curiosité que peut susciter un tel
sujet.
Nous ne ferons,
certes,
qu'émettre des vues qui
mériteraient dans l'avenir d'être enrichies de nouveaux
faits.
Cette rubrique s'appuyera sur une étude compara-
tive des données recueillies aux chapitres précédents.
Dans un
premier temps,
nous insiSterons sur les
diffèrents discours,
avec mise en place de réflexions psy-
chosociologiques et psychopathologiques.
Ensuite,
dans un deuxième temps,
nous réfléchirons
à
partir des observations sur les problèmes inhérents à la
relation thérapeutique médecin - malade.
~ Contrairement à notre bibliographie, placée dans
le cadre de l'Afriqu~ en général,
nous avons jugé bon de
nous adresser à un échantillon de malades résidant tous
"en Côte d'Ivoire,
dans une population non sélectionnée.
Cependant, à
la lumière de ces observations,
et
malgré notre insuffisance en matière d'ethnopsychiatrie,
nous pensons pouvoir effectuer une approche de la folie
africaine,
d'autant plus que les malades ne sont pas seule-
ment des aborigènes de Côte d'Ivoire,
mais proviennent aussi
d'autres pays d'Afrique.
. .. / ...

Gr,
Nous avons choisi 1 a Côte d'Ivoire parce que
c'est le pays que nous connaissons le mieux et pour des
raisons de convena:lce personnelle.
Par simple con~ours de circonstances,
le hasard
a voulu que ces consultants soient tous des urbanisés.
Dans
un certain sens,
cela nous a dispensé de problèmes de
communication linguistique qui auraient pu déformer par
personne interposée,
le vécu des malades.
Nous n'avons eu,
en aucun cas,
besoin d'interprète
puisque les patients s'exprimaient plus ou moins correcte-
ment en français.
L'absence de villageois (ou de paysans)
parmi
ces observations ne fait que corroborer les dires de certains
auteurs qui pensent que la paysannerie,
dans la quasi-
intégrité,
est à
l'abri de
la pathologie mentale.
Est-ce que cela veut dire que les villageois
sont indemnes de la maladie mentale,
et que les urbains
sont malades ?
... / .. ·

A /
REFLEXIONS PSYCHO-SOCIOLOGIQUES
Le comportement de chaque malade est
foriction de
la nature des troubles et de sa culture.
Les troubles s u r v i e nn e n t ,
comme nous
le montrent
nos observations chez des adolescents ou adultes jeunes
dont les âges limites se situent à
vingt ans et trente ans.
Parmi eux,
des étudiants et des anciens scolarisés -
pour la plupart des travailleurs.
L'école a été ou est pour tous ces sujets un
investjssement primordial.
Par ailleurs,
ils sont investis par leur fa~ille
à
de lourdes respomabilités .Ils représentent plus ou moins
les seuls supports matériels ou moraux,
potentiels ou effec-
tifs sur lesquels toute la famille devrait compter comme
le voudrait la tradition africaine.
C'est pourquoi,
pour une meilleure compréhension,
dans la nature du désordre,
il y a lieu de se
réfèrer au
milieu éducatif et socio-culturel.
Ces malades sont presque tous nés au village,
et
ont reçu,
dès le bas âge une éducation de type traditionnel,
garante de la liberté collective.
Puis
ils se sont trouvés,
à un âge
plus avancé
J
en ville,
là où commence et se perçoi t
de fond
en comble
le royaume de la modernité,
en nette contradiction avec
le milieu villageois.
Cette modernité garantit l'individu-
alisme,
et donc la liberté inoividuelle.
Traditionnellement,
l'individu africain est une
personnalité multiple,
c'est à dire un sujet qui ne peut
exister que pour et par le groupe communautaire,
au mini-
mum familial.
... / ...

Du point de vue ontogénétique,
la structuration
dp. sa personnalité en dépend,
et doit nécessairement passer
par le groupe.
Les parents progéniteurs doivent se charger de
sa formation,
mais à l'image des principes de vie communau-
taire.
Selon le système de linéarité en vigueur,
un
parent matri
ou patrilinéaire doit garantir cette formation
et veiller à
la conduite de l'enfant dont il est plus que
le "p-arrain".
C'est donc tout
le problème de l'Oedipe africain
qui se trouve posé.
L'Oedipe occidental,
contrairement à
l'Oedipe
africain forme
l'individu pour un certain temps et dans le
sens d'une entité unitaire,
prête à
la compétition et à la
performance.
L'Oedipe africain,
quant à
lui,
forme en vue d'une
entité collective, à l'image du
groupe et rien qu'à lui seul .
. Le temps de formation reste illimité et les étapes de la
structuration de la personnalité s'étendent presque tout le
long de la vie.
C'est pourquoi,
toute cassure ou toute entorse
faite à quelque moment que ce soit de ce processus,
peut
être préjudiciable au sujet.
Cette cassure,
c'est par exemple l'égarement du
moi,
qui se cherche,
ou bien cherche à se frayer un idéal
ou une individualité
; et dans ces cas,
i l
y
a imminencp.
de danger.
Le
préjudice,
autrefois,
était plus ou moins pré-
visible et rarement explosif,
car le groupe le prenait en
son compte.
. .. / ...

Cette façon de vivre en commun,
en partageant
joies et malheurs apportait une sécurité psychique et psy-
chologique et renforçait la cohésion.
Or,
depuis dé~à une décennie, les choses ne sont
plus ce qu'elJp.s étaient.
Cette cohésion du groupe s'avère
fragiJisée.
voire rompue dans certains cas.
C'est d'ailleurs
ce qui
ressort de nos observations et qui confirme d'autres
sources d'information.
En nous
reportant aux
observations.
il semble
que le trouble psychopathologique apparaîsse bien plus tard
que Ja cause réelle qui lui a donné naissance.
Le début de cette circonstance déterminante,
bien
souvent,
remonte à J'enfance
ou en plein~ struct~ration de
la personnalité.
Quant au trouble,
i l n'apparaît qu'à J'adolescence
ou à l'~ge adulte lors
de circonstances favorisantes.
A cet
égard,
la ville est un
lieu privilégié.
Il y a donc un décalage important dans le temps
entre le facteur déterminant et les désordres.
Ces désordres' sont le plus souvent la conséquence
à plus ou moins brève échéance d'un conflit soit intrapsychi-
que,
soit interindividuel}
soit inter et intrasujet.
Dans les trois cas.
cependant,
les difficultés
du patient correspondent
à un malmenage psychique
ou socio-
culturel.
C'est souvent la reprise de certains éléments
personnels,
ou culturels,
ou même la reviviscence d'un conflit
ancien qu'on croit classé,
et qui,
face à
la réalité présente,
resurgit.
La résurgence de ces conflits déclenche les trou-
bles .
Le tableau ci après,
tiré des observations donne
une image de quelques conflits types et d'indicateurs de
conflits.
. .. / ...

( q
.' ,
TABLEAU DE QUELQUES CONFLITS "TVPES"
)
Circonstances déterminants ou
Nom b r e d e cas )
favorisants
observés
)
:
)
------------------------------------------------------:---------------)
1°-Abandon -----. Par décès . . . . • . • • . . . . • . • • • • . . . • . . . . . .
~~
-----.. Par divorce
.
4
~)
)
2°-La scolarité
.
3
)
)
)
3°-Négligence des coutumes . . . . . . . . . • . . . • • . • . . . • . . . . .
3
)
) .
)
4° -Individualisme
~
.
3
)
)
)
5 0-Rivalité dans la famille polygame . . • . • . . . • • . • . . . .
2
)
)
)
6°-Rupture d'un interdit parental ..•..••••••••.•....
2
)
)
)
7°-Pressions et lourdes responsabilités
familiales
)
ou professi onnel les . . . . • • . • . . . • . . • . . . . • . . • . • . . . . • •
2
)
)
)
eO-Côte chamanique médical . . • . . . . . . • • • . • • . . • . • • . . . • •
l
)
)
)
Ce tableau appelle plusieurs séries de remarques.

~~_eE!~Ç!~~~~ :
la polygamie,
autrefois acceptée,
actuellement
constestée,
peut devenir la source d'un conflit pathogène,
modifiant les rapports familiaux.
Deux situations peuvent se produire
soit apparition d'une rivalité au sein de la
progéniture;
- soit une rivalité parent -
enfant.
Notre premier malade illustre bien le premier cas.
Ici.
le décès du père de famille semble être un facteur
favorisant.
Le conflit survient dans la famille lors du
partage de l'héritage.
r.'est comme si toute IR famille élargie attendait
cette occasion pour "exprimer tout haut ce qu'elle pensait
tout bas."
En effet.
traditionnellement la polygamie exi-
geait des enfants issus du même père une parfaite cohésion.
Le rôlp. joué par le père était à la fois un rôle "tampon"
et celui d'un "mon.arque absolu"
régnant sur sa famille.
Ce
rôle aPRaisait les tensions familiales et favorisait,
la
cohésion parfaite.
Tout conflit interne,
provoqué par J'un
des membres était considéré comme une désobéissancp. au pèrp.
voire même un déshonneur familial.
Cela faisait partie des
interdits. parentaux.
Coépouses et leurs enfants étaient condamnés à
vivre ensemble sans chercher de conflit,
même après le décès
du père.
Il y avait dans cette pratique,
une stratégie,
ou
un modèle paternel proposé qui conduisait à
régler les conflits
par rapport au père,
valeur de référence unique .
. . . 1...

1 t
Mais,
dans le récit de notre premier malade,
la mort du
père va tout au contraire déclencher une série
de situations un peu en cascade
d'abord,
la tension et
la haine intrafamiliales
; puis
la rivalité entre les enfants;
ensuite et enfin,
une réaction d'évasion qui,
pour notre
patient consiste en un
expatriement.
La logique traditionnelle voudrait qu'il restât.
Dans sa transplantation,
i l
délire,
perçoit des esprits
et des "d i ab l e s " qui l e f ra p pen t
P. t
l P. P ers écu t e n t.
Quelles interprétations pput-on évoquer?
On peut penser que la force des esprits traduit
un conflit intrapsychique.
Ce peut être l'interfèrence psy-
chique entre deux forces opposées
-celle de l'autorité paternelle qui a investi le
sujet en vue de raffermir plus tard
la cohésion
familiale et son plein épanouissemAnt.
et ce à
l'image du
père;
-celle du moi qui cherche à s'individualiser,
défiant
ainsi plus ou moins inconsciemment peut-être le
système d'identification au père.
C'est aussi la
force du moi qui lutte contre la parenté multipl"e.
Quant à la force des "diables",
elle peut symboli-
ser l'expression d'un conflit extèrieur intra
ou extrafamilial~
entre le moi et le commun des mortels,
notamment avec les
demi-frères.
Ce qui,
en réalité,
peut correspondre à IJinter-
prétation qu'ont due faire les médecins traditionnels.
Ces explications,
quelque peu simplistes.
ne sont
qu'une façon parmi tant d'autres de perceyoir les choses •



/
• .e


Dans l'observation N°3,
cependant,
la rivalité
concerne la patiente et sa mère.
Cette fois,
ia polygamie est ressentie par l'en-
fant comme une sorte d'exploitation de la femme,
ou comme
une attitude de mèpris de l'amour.
L'attitude de l'homme polygame (qui utilise l'une
des coépouses à des fins économiques au lieu de
rentabiliser
ses fonctions maternelle
et sexuelle)
révolte l'enfant qui
aime sa mère sans toutefois la comprendre.
Il apparaît,
à
travers ces désirs
inconscients
de l'enfant et son comportement,
une remise en question
d'une pratique qui jusque là était de règle.
Cette façon pour elle de s'ingèrer dans la vie
du couple et la rivalité mère-fille qui en découle,
tra-
duisent une crise psychologique.
Celle-ci est vraisembla-
blement en rapport avec la relation diadique mère-enfant
qui est revécue dans le cadre d'une problèmatique oedipien-
ne.
Ainsi donc,
la polygamie en entraînant une orga-
nisation des rapports familiaux,
peut avoir une incidence
sur la. psychologie ou le psychisme des gens,
en particulier
sur la progéniture.
la polygamie donne une organisation qui
règle
les conflits mais qui possède deux versants
- un versant constructif,
positif pour l'intégrité
de l'organisation,
avec respect de ·cette institu-
tion,
et où il y a règlement facile et possible
des conflits ;
-
un autre versant,
destructif pour l'organisation
et où il· y a remise en cause de l'institution.
Il
n'y a plus de code pour résoudre les conflits,
d'où un mal ais e.
. .. / ...

La scolarité:
La scolarité,
dans la majorité des cas,
est vécue
comme un investissement capital mais conflictuel.
Cet investissement qu'il aboutisse au succès avec
ou sans cassure préalable,
est de nature à mettre en péril
le statut social.
Il crée en outre des situations familiales conflic-
tuelles.
La
recherche de promotion sociale,
dp. compètence et
de performance tend à
engendrer une nouvelle "sorcellerie",
dans notre société moderne.
Les sorciers ce sont les autres
les jaloux,
les envieux,
ceux qui n' ont pas réussi,
les non
scolarisés,
ceux qui
régressent,
etc . . .
Quant à
la sorcellerie,
c'est ce qu'il faut
redouter
d'eux,
avec pour effet immédiat un impact sur le psychisme
ou la psychologie de certains nantis.
Cette nouvelle sorcellerie,
fondée sur la projection,
tend à remplacer la sprcellerie par dévoration symbolique.
L'exemple ND3,
en est un exemple éloquent.
L'inves-
tissement n'a souffert d'aucune cassure; mais c'est la
réussite qui inquiéte la patiente,
du
fait des ennuis qu'elle
peut s'attirer d'après elle.
Avec notre deuxième malade,
par contre,
l'investis-
sement a subi une cassure brutale,
survenue peu après le
décès du père.
Du fait d'une mésentente de son père avec le reste
de la lignée paternelle,
celle-ci s'est refusée à entretenir
l'investissement
(la scolarité).
On peut supposer qu'il
s'agit d'un système patrilinéaire,
et que les parents pater-
nels se devaient en principe de prendre en charge leur neveu.
Ce qui n'a pas été le cas.
. . ,. / ...

74
Mais le sujet n'a compté que sur lui-même,
et
par une combativité p.xemplaire a pu
se faire une situation,
bien que celle-ci ne corresponde pas exactement à ses aspi-
rations.
Cettp nouvelle situation lui
offre des biens
matériels qu'il partage quelquefois malgré lui avec la
lignée paternelle.
Pourtant.
à
un moment de son histoire,
il se culpabilise comme s ' i l était responsable de la mort
de son père (celui qui aurait fait de lui un universitaire).
Il interprète tous les malheurs dont il est vic-
time comme une émanation du père,
avec pour.motif principal
le partage qu'il fait de ses biens avec ses parents paternels.
Dès lors.
se crée un conflit intrapsychique.
Le
partage est ressenti par le sujP.t comme
un interdit paternel.
Les troubles peuvent être considérés comme l'aboutissement
de cp. conflit,
c'est à
dire,
l'expression du moi qui lutte
pour se libèrer de cet interdit paternel.
Par ailleurs,
le sujet veut
s'affirmer,
et montrer
qu'il aurait fait mieux s'il n'avait pas été
obligé d'in-
terrompre ses études scolaires.
Pour ce faire,
il va à la
recherche d'objets socialement valorisés;
et lorsque la
pulsion est sublimée,
il se rétracte,
recule,
car il a peur
des responsabilités.
En fait,
il veut se lancer dans la
carrière de Préfet.
Il y pense avec beaucoup d'ambition et
de concentration.
U~ jour, il fait un délire hallucinatoire
dans lequel on lui propose la fonction tantôt de Préfet,
tan-
tôt de Président à vie,
ce qu'il
refuse.
Par contre,
il
accepterait la fonction de Sous-Préfet.
Ainsi,
il arriverait
à
surpasser le père. Mais,
de
façon concomit ante,
il pense
aux revenants,
spécialement à
son feu père qu'il aimerait
?
voir réssuscit~. Il y a donc une rivalité .
. . . 1...

C'est comme s ' i l avait souhaité voir mourir son
père pour lui prendre sa place; mais une fois le souhait
exhaussé,
il aurait été incapable d'assumer les responsa-
bilités à telle enseigne qu'il aimerait voir son père
?
ressucit~ pour les réassumer.
Il
se pose dans ce récit,
si tel est le cas,
le
problème d'une libération culturelle,
et paradoxalement,
celui d'une dysautonomisation devant les-responsabili~és
qu'offre la modernité
(la charge professionnelle ou fami-
liale).
Il se pose,
également,
le problème universel de
la culpabilité oedipienne.
~~~ee~~~~~~~_~~_~~_~~~ee~E~!~~~'entre autres,
~~_~~~~~~~_~~~~~~~~~~, telles que l'abandon des enfants
du fait du divorce,
la négligence des coutumes,
est pour-
voyeuse de ballotement psychologique.
_~~!~~,les pressions familiales,
les propos conju-
ratoires,
le côté chamanique
médical pour ne citer que
ceux- là sont autant de facteurs aggravant les troubles.
Tout porte à croire,
en comparant nos observations
et les différents auteurs qui
ont étudié ce sujet que ces
malades sont victimes d'une crise de civilisation.
Des
éléments qui étaient la règle et bien vécus hier sans
incidence particulière sur la santé mpntale des gens,
devien-
nent
aujourd'hui des matières propices à créer le désarroi
dans les mentalités.
. .. / ...

7(,
L'apparition de nouveaux éléments culturels
demeurQnt également non sans influence sur la psyché tra-
ditionnelle.
Tous ces éléments anciens et modernes sont
intriqués entre eux et conjugent leurs effets.
Contrairement,
à
une certaine opinion qui
circule concernant la drogue}
nous n'avons observé aucun
cas de toxicomanie;
ce qui,
du
r e s t e ,
n'implique pas
son absence.
Conclusion
A la lumière de ces réflexions,
force nous est
donnée d'affirmer l'existence d'une singularité du problème
africain face à l'uni\\lersalisme.
Le singulier,
c'est en effet l'existence d'une
corrélation entre le comportement du malade et la nature
de la maladie dont la pathogénie s'inscrit le plus souvent
dans le contexte culturel.
Cette singularité tient également d'une population
en mutation,
ou d'une mutation rapide des mentalités.
L'universel
résulte de ce que l'épisode patholo-
qique se présente comme le fruit complexe d'une dialectique
entre une histoire individuellè et une situation générale,
entre un problème affectif,
physique,
intellectuel et les
déterminismes généraux,
écologiques dans le cadre de la vie .
. . . 1...

1 i
B /
REFLEXIONS PSYCHOPATHOLOGIQUES
Loin de psychiatriser,
moins encore de pénétrer
dans les méandres de
la psychiatrie,
nous ne p ou v on r nuus
empêcher cependant,
d'effleurer cet aspect psychopathologi-
que,
et de nous poser quelques quest.ions ainsi qu'il suit
-
la dénomination folie "africaine"
ne cache-t-
elle pas une ironie?
-
les observations sont-elles d'opportunité à
nous
permettre de distinguer la
folie en Afrique,
de celle qui
existe,
par exemple,
en Occident?
Classiquement,
le discours
occidental nous renseigne
sur deux groupes essentiels de folie
les névroses et les
psychoses.
Ce discours est-il utile? Oui,
cette nosographie
est utile. ·On
retrouve dans la psychiatrie africaine et en
l'occurence dans nos observations les névroses et les psychoses.
Certes les discours tenus par nos patients,
leur
entourage et le tout "venant Abidjanais" sont très variables
et même très incomplets.
Malgré,
dans bien des cas la diffi-
culté pour spécifier l'unité n o s o q r ap h i qu e ,
nous avons toute-
fois pu dégager,
à
partir de manifestations d'allure névro-
tique ou psychotique,
la notion de névrose ou
de psychose.
Objectivement, les désordres vont des plus banals
aux plus complexes,
en passant par des intermédiaires,
un
véritable écheveau psychopathologiquE) difficile à démêler
( du moi n s,
pou r I e n oiv s p c i a 1 i ste) .
é
Le processus psychopathologique se présente en
Afrique avec l/ne structure identique à
c~lle observée en
Occident,
mais sa présentation diffère.
. .. / ...

On rencontre les mêmes thèmes,
la même forme
et les mêmes mécanismes.
Dans les névroses,
les sujets ont conscience de
leurs troubles.
C'est l'exemple du malade qui a peur de se
v 0 i r a n n i h i l é 1) n b es 0 i n vit a l e t
qui s 1 in qui t e
( Cf.
ob se r -
é
vat .i on N° 5 ),
ré al i san t
pou r a i n s .i dire,
une v rit ab l e
é
angoisse de castration
"Je sentais que mon sexe devenait de plus en plus
petit
c'est un besoin vital.
Je pense que c'est
ç a qui
fa i t
l' h om me;
a l 0 r s ,
ça m'; n qui te. "
é
Dans les psychoses, bien au contraire,
les sU.iets
sont pratiquement incapables de critiquer.
On remarque très
souvent des éléments délirants sous forme de thèmes persécutifs:
"on veut me tuer"
'on veut m'empoisonner"
"on me f ra p p e ,
on met a p e " .
Mais ce qui diffère,
dans ces troubles mentaux
en Afrique;
par rapport à
l'Occident réside dans leur pré-
sentation.
Les matériaux avec lesquels se constituent et
se présentent ces organisations pathologiques sont parti-
culièrement puisés dans la culture africaine,
en fonction
de la forme de
société,
de l'ethnie et de la cosmogonie.
L'étiopathogénie des perturbations est singuliè-
rement circonscrite au socio-culturel.
L'étude des obser-
vations cliniques ne révèle ni cause organique,
ni cause
héréditaire.
Et.
dans
la présentation et la spécification
des troubles,
si lion ignore ou néglige le contexte culturel,
on risque de prendre facilement une névrose pour une psychose
et vice-versa.
. .. / ...

79
La mIse en forme
des
organisations névrotique
et psychotique se présente presque toujours à
son début
par des
signes prémonitoires banaux
ressemblant aux éléments
du
"brain fag
syndrome"
des anglo-saxons;
fait
notamment de
c p h a l
es,
d' i n s om nie ,
d' a n
é
é
0 r e xie ,
d' i mpre s s ion s ,
etc...
Plus
ou moins rapidement,
à
l'occasion de stress
(contrariétés.
contraintes,
conjurations,
etc . . . )
apparaît
une authentique névrose
ou
psychose.
La psychose est plus caractéristique.
Elle se
présente avec une richesse des états d€
rêves,
des traits
de versalité,
et surtout des hallucinations:
perception.
d'esprits,
de diables,
de voix;
des
impressions.
Tout cela
a un caractère persécutif.
Les mécanismes de projection dans l'ensemble
prédominent.
L'auto-accusation est
présente mais rare;
cette rareté peut s'expliquer par les phénomènes sublimatifs
de p r o j e c t i on ,
Ailleurs,
Le s états agressifs semblent de
mise.
L'agressivité du malade mental était connue depuis
l'étape
organiciste,
mais son expression judicieusement et
constamment empêchée par le groupe communautaire.
A l'heure
a c tue Il e ,
a v e c I e
rel che men t
e t
1 e recu Ide s c omm u n au tés
à
historiques,
il y a une
resurgence de
l'agressivité.
La psychose est-elle plus frèquente en milieu
africain que l'organisation névrotique?
L'expèrience nous montre
que
le contenu de ces
troubles varie peu
ou pas.
Mais,
i l
s'opère un changement
dans le temps quant à
leur frèquence
d'apparition •
. . ./ ...

A l'ère organiciste,
la névrose s'observait avec
une frèquence plus grande que celle de la psychose.
Ceci
0L-, & ,
était mis aJ~compte de la culture africaine (nous l'avons
vu précédemment).
Au début de l'ère socio-culturelle,
névrose et
psychose se
reproduisaient à
une frèquence d'égale impor-
tance.
Mais, à
l'instar de notre expèrience personnelle,
il semble se profiler un
avis différent des précédents.
Nous
crinstatons dans la majorité des cas,
une grande frèquence
des p s y c h os e s .
Il apparaît alors un
fait
troublant
le process~s
psychotique va croissant d'une étape à
l'autre.
On a le
sentiment d'une conversion
ou d'un
recul de la tradition~elle
emprise culturelle.
Au fur et à
mesure que le phénomène
mutationnel augmente et
que
les changements socio-culturels
deviennent importants,
la frèquence des psychoses croit.
La psychosA semble moins colmatée du fait des changements
socio-culturels.
Partant de ces constatations,
il est juste d'admet-
tre que cette néoculture africaine favorise l'apparition de
plus en plus fréquente des psychoses en Afrique.
Conclusion
Nous remarquons que l'expression "folie africaine"
cache une réelle ironie,
qui ne fait .que traduire une fois
encore la singularité du problème africain.
En principe,
la folie
en tant que telle reste
universellement identique}
inchangée dans sa structure et
les thèmes.
. .. / ...

Nous ne pensons pas non plus,
qu'il puisse exister
une folie pure africaine,
ou une folie
occidentale appro-
priée.
Néanmoins,
nous pouvons admettre une diffèrence dans
]a stratégie de constitution,
c'est à
dire dans la présen-
tation ou
la mise en forme de l'organisation pathologique.
Par ailleurs,
nOUq sommes passés de l'ère organi-
ciste à
l'ère socio-culturelle et à
l'heure actuelle,
avec
une prédominance de la frèquence des psychoses en milieu
africain du fait vraisembleblement des changements socio-
culturels.
... / ...

C /
LA PLACE ACTUELLE DES MEDECINS TRADITIONNELS
C'est un
prohJèmp crucial.
Face à
la singularité du problème africain et
face aux problèmes généraux actuels posés par la folie et
la maladie,
en général,
comment le médecin traditionnel
évolue-t-il ? Et.
quelle place occupe-t-il ?
Nous allons,
toujours en fonction de nos observa-
tions,
réfléchir successiveme~t sur l~s aspects suivants :
l
- ·La juxtaposition Médec~ne Nouvelle et
Médecine Traditionnelle.
2 -
L'avènement de la Médecine Occidentale aurait·
pu
faire disparaître la Médecine Traditionnelle?
3 - La recrudescence numérique des médecins tradi-
tionnels consultés et perte paralléle de leur
pouvoir thérapeutique.
4 -
La Médecine Nouvelle satisfait-elle tous les
malades? Et,
le problème du balancement du
malade entre les deux Médecines.

83
l
- La
juxtaposition Médecine Nouvelle et Médecine Tradi-
tionnelle
:
La médecine traditionnelle était l'unique référence
devant
la maladie me n t a l e ,
e t
de notoriété croissante .ius-
qu'à
l'ère organiciste.
Mais depuis,
elle a amorçé une
régression extraordinaire,
à
bas bruit.
sans trop faire
parler d'elle.
Nombreuses raisons sont inhérentes à ce phé-
nomène de glissement,
notamment
l'avénement de la médecine
occidentale.
Pendant très longtemps,
la folie en Afrique a été
tout naturellement considérée comme une maladie sociale.
Le
malade mental faisait
figure
d'un être complexe et bivalent.
Il apparaîssait mystérieux,
à
la fois messianique et éventuel
porteur d'indice de désordres du groupe.
Le médecin traditionnel,
person~age central,
énig-
matique,
distingué,
au rôle apocalyptique du reste,
y mettait
du sien.
Il savait donner du
relief au mal~ activer les pro-
cessus de guériso~ et accroissait ainsi son autorité et son
pouvoir thérapeutique.
Avec l'ère organiciste s'implantait,
en Afrique
et ce à
l'état de balbutiement,
la médecine occidentale;
une médecine pas toujours bien vue,
froidement accueillie,
surtout lorsqu'il s'agissait d'hôpital psychiatrique qui
était une tr8nsposition des thèmes.
Les familles se préoccupaient de l'intégration
'sociale du malade,
et se méfiaient bien au contraire du
milip.u psychiatrique.
... / ...

84
Elles entendaient,
d'une part éviter toute décon-
venue compromettante pour le groupe du
fait de la maladie
d'autre pArt,
sauvegarder la transcendance dont le malade
était supposé être l'instigateur,
ainsi que l'intégrité
des valeurs et de l'honneur familiaux_
Mais,
d e p u i s cette dernière décade,
correspondant
à
un stade évolutif de
l'ère socio-culturelle,
les nouveaux
rapports f~miliaux ou communautaires font fi de l'état d'es-
prit traditionnel.
Un phénomène insolite se produit dans la
stratégie "du choix de l'instance thérapeutique.
La médecjne occidentale ne laisse pas les africains
indifférents qu réticents,
même dans les villages.
La médecine traditionnelle ne demeure pas non plus
"lettre morte"
mais,
elle fait moins parler d'elle,
et a
perdu une grande partie de son prestige.
En ce qui concerne notre expèrience,
dont nous
avons donné quelques exemples,
dans la majorité des cas,
la
priorité est donnée à
la médecine occidentale avec un trans-
fert massif et quantitatif des malades vers l'hbpital.
Ce n'est qu'ultérieurement,
et bien plus tard,
que
les malades s'orientent ou non vers la médecine traditionnelle.
C'est en outre,
rarement,
voire e x ce p ti.onrie Ll em en t
que nous avons vu des patients opter en premier lieu pour la
médecine traditionnelle.
Dans ce CAS,
le choix siest fait
soit de façon délibérée et plus 011 moins irréversiblement,
soit,
parce que la main forcée
et de manière réversible.
En réalité,
le choix du
type de médecine par les
malades est fonction de ieur,idée,~~e leur personnalité à la
~.h
convenance de la famille,
ou~~ la convenance de la personne.
La famille propose presque toujours la médecine autochtone.
Très souvent,
l'attitude des familles est celle d'une indif-
fèrence ou d'un abandon vis à
vis du malade .
.. ./ ...

Il
peut s'agir,
à bien des égards,
d'une attitude
de découragement devant les récidives ou la chronicité de
la maladie.
Et dans ce cas,
très vite,
le médecin est solli-
cité pour un placement volontaire à
l'hbpital ~sychiatrique
à la demande pressante et insistante des parents.
Ce Qui
peut laisser les malades non consentants et accentuer les
troubles malgré les efforts du médecin.
Quant aux malades,
leur choix est multiple et
variable.
Certains consultent
ou demandent à être adressés
rien qu'à l'hôpital.
D'autres préférent un choix alterné
priorité
d'abord à
l'hôpital;
puis en cas d'échec,
orientation vers
la médecine traditionnelle.
Pour d'autres encore,
l'option est double; et
les malades se font alors traiter simultanément par les
deux systèmes médicaux.
Tout dépend de l'interprétation que l'on donne
de la maladie,
selon le milieu éducatif et selon la conve-
nance du malade.
Uui plus est,
comment les médecins vivent-ils
eux-mêmes cette juxtaposition bipartite? Comment réagissent-
ils vis à
vis de l'autre pratique médicale?
La
réaction ou l'attitude des médecins de chaque
camp est plus ou moins mitigée,
plus ou moins implicite.
Il existe une rivalité guérisseurs - médecine nouvelle,
faite
parfois de défi,
de rejet ou de mépris,
et- surtout d'un
phénomène de lutte d'influence à laquelle malades et leur
entourage apportent plus ou moins sciemment leur concours.
Cette rivalité ne présente aucun caractère offen-
sif.
Elle est plutôt -"froide",
à caractère d'autodéfense
implicite,
ou à caractère d'instinct d'autoconservation,
avec des vérités différentes.
. .. / ...

86
Quelle est la vérité médicale traditionnelle'?
Dans le système traditionnel,
le médecin doit
trouver un
responsable à l'origine de la maladie.
Le
res-
ponsable est principalement un membre de la famille.
A partir de cette interprétation le malade se
fait
traiter,
et on lui promet un dénouement favorable à
plus ou moins longue échéance;
le médecin cherchant parfois
l'exclusivité du
malade.
'Le guérisseur'peut être amené à intéresser davan-
, ci:.}
tage son client
(le malade)
de la fiabilité du modèle
V",,-I
pathogénique et de l'efficacité du modèle thérapeutique.
S'il veut détourner le malade
(mal intentionné)
Qui veut se réorienter sur l'autre système médical,
il
lui laisse entrevoir que l'hôpital ne peut rien y faire.
Il Y a dans ce complexe apparent de supériorité,
,(...~~
soit la crainte possiblevde se voir supplanté par le médecin
à la "blouse blanche".
soit l'alarme d'une médecine tradi-
tionnelle en situation de détresse,
ou le désir d'être parfait
face à une médecine nouvelle menaçante sur laquelle bien
de su~ets rationalistes jettent déjà leur dévolu.
La vérité médicale occidentale,
quant à elle.
se
veut rationnelle et objective.
La maladie est attribuée ou non à des c~uses
médicales ou à des événements sociologiques de la vie du
sujet.
Le sujet est traité ou non selon qu'il présente ou
non des signes objectifs (en dehors des milieux psychiatri-
ques ou autres milieux s p c i a Li s
s
é
é
Ï
v-
... / ...

fi7
Les médecins (à l'exception du
psychiâtre), semblent
le plus souvent minimiser ou sous-estimer la subjectivité
;
et dans ces conditions,
il peut arriver que le malade soit
condamné à
passer d'hôpital en hôpital sans gain de cause,
sans bénéfice.
On constate, dès lors,
que la vérité du patient
n'est pas toujours celle des autres.
Les croyances du malade et 'ses chefs d'accusation
à
l'origine des désordres ne sont pas toujours superposables
à
ceux du médecin.
La divergence entre l'objectif du méde-
cin et celui du patient peut être énorme.
Le malade ne demande qu'à être compris,
quelle
que soit la banalité de la subjectivité.
En somme,
il convient de dire qu'il existe dans
cette coexistence médicale,
une réelle lutte d'influence
- entre ce qui évolue et ce qui est stable ;
entre une médecine occidentale menaçante et une
médecine traditionnelle menacée,
qui a sans doute
sa raison d'être.
D'un côté comme de l'autre,
l'on peut mettre à nu
une sorte de "folie des grandeurs",
avp.c l'idée que se fait
chaque parti de posséder le monopole de la vérité.
Cette
vérité,
c'est pourtant celle qui lie le malade à la maladie;
C'est aussi la solution à pouvoir dénouer ce lien.
On peut affirmer l'existence le plus souvent
d'unp. assymétrie dans la relation médecin - malade.
Cepp.ndant, certains malades se rapprochent plus
du médecin à
la "bl0l!se blanche",
et d'autres plus de la
médecine traditionnelle.
. .. / ...

88
Ne serait-il pas "intéressant de chercher la base
d'un compromis,
d'un juste milieu?
On pourrait établir une coordination concertée
entre les deux pratiques médicales,
et dont il faudrait
déterminer les modalités.
Cette coordination devr8iL s'inspirer d'une acqui-
sition scientifique,
mais également être fondée sur une
bonne expèrience.
Elle devrait tenir compte du désir des
patients et permettre ainsi l'amélioration de la qualité
de la relation thérapeutique.
Elle ne signifierait pas forcément symbiose, mais
elle impliquerait une simple stratégie de reconnaissance,
par chaque type de médecine,
de ses limites et de son champ
d'action.
Dès lors,
la médecine traditionnelle ayant dEpuis
très longtemps un statut Racial,
ne faudrait-il pas lui
accorder un
statut juridique?
2 - L'avénement de la Médecine Occidentale aurait pu faire
disparaître la Médecine Traditionnelle
Autrement dit,
pourquoi,
en dépit de l'engouement
actuel,
extraordinaire pour une médecine de pointe de plus
en plus menaçante et puissante,
des malades ont-ils encore
recours à
la médecine traditionnelle?
Loin de vouloir sociologise~ ce phénomène ne peut
se concevoir que par une approche sociologique du
groupe
urbain auquel appartient le malade,
et de la marque sur
la conscience de ce dernier du monde traditionnel. (21)
... / ...

B9
Il existe,
à
l'heure
actuelle,
deux
générations
de ci tadins
:(ZO
)
-
La
deuxième
représente
les sujets de moins de
vingt ans,
beaucoup plus tournés vers
la modernité
culturelle.
En
son sein,
une partie des éléments,
est
issue de
parents villageois ou paysans, .et
porte quelque peu
la marque d'une âme
traditionnelle.
La ville est pour tous ces sujets,
le lieu

paraissent réalisables
leurs ambitions et leurs
espoirs.
Cette deuxième
génération nous
inté~esse peu,
d'autant
que nous n'avons
observé
aucun cas de
malade;
cependant.
elle ne manque pas d'intérêt,
et mériterait
une
exploration quant à
la folie.
-
Quant à
la première génération,
elle est de
loin
celle qui
nous préoccupe aujourd'hui.
Elle
représente
la majorité des plus de
vingt ans
et qui
n'est
pas née
en
ville.
Ce
sont des adoles-
cents
ou adultes
jeunes qui
subissent déjà
les
contre-coups d'une société en pleine mutation et
qui
entretiennent néanmoins des
liens étroits avec
le milieu d'origine.
On retrouve,
presque chez
tous,
quel
que soit
le
degré
d'occidentalisation,
une conscience marquée par les
traditions:
le besoin de
références
ethnocentriques à la
famille
élargie vo~re la religion
Lraditionnelle.
Malgré,
très
souvent
la
négligence face à
certains
interdits ethniques,
les
références
au
système médico-magique,
par exemple,
demeurent scrupuleusement suivies et presque
toujours entretenues par l'auto
ou
l'hétéro-suggestion .
. . . 1 ....

Nos observations à
cet égard sont démonstratives.
Notre premier patient se tourne spontanément et
tout naturellement vers la médecine traditionnelle,
après
plusieurs contacts infructueux auprès de la médecine occi-
dentale.
Le cas de notre deuxième malade est un
peu diffé-
rent du
premier.
Malgré sa préférence pour l'hôpital,
et
malgré son refus de consulter un guérisseur
(sur proposition
des parents),
i l a conscience de "la possibilité de guérison
d'une maladie grâce à la médecine"traditionnelle.
Dans le même" temps,
il se pose la question de
s av 0 i r à
que Il e m d e c i ne s e fi e r .
1 l
se .d e s sin e à
t ra
é
\\1 ers
ce personnage,
une identité antinomique,
alternative,
contradictoire,
avant conscience malgré tout d'un bien
fondé dans les pratiques médicales traditionnelles (nous
l'avons vu.
il finira
par consulter les guérisseurs).
Dans l'observation N°4,
c'est le malade lui-même
qui se propose spontanément une consultation et des soins
indigènes,
affirmant que cette mesure cOnstitue une complé-
mentarité à
la médecine occidentale
(rappelons que ce malade
était suivi en ambulatoire,
en hygiène mentale).
Il va de soi,
qu'en dépit des changements socio-
culturels et d'influences particulières,
nombreux adolescents
et adultes urbains restent substantiellement attachés à
la
tradition.
D'où,
la pérennité de certains usages traditionnels,
notamment l'appel fait aux guérisseurs malgré une médecine
de pointe puissante et très influente.
. .. / ...

~u 6gard au fait que chaque modèle conceptuel
ne rend pas le même Eervice que l'autre
eu égard à
l'assymétrie entre les croyances profondes des malades
et celles des médecins modernes,
à
la qualité du
"transfert
et du contre-transfert dans la
relation thérapeutique.
une
disparition contingente dans l'immédiat de la médecine
traditionnelle nous semble peu probable,
voir impossible.
3 - Recrudescence numérique des Médecins Traditionnels
consultés et Perte paralléle de leur pouvoir théra-
peutique
Bien entendu,
il subsiste chez la plupart de
nos consultants,
un
besoin profond de retour aux sources,
en l'occurence un
recours aux pratiques médico-magiques
d'origine.
Mais,
de façon concomitante,
se fait
jour un
phénomène nouveau
;
-
la multicDnsultation des médecins traditionriels
par le malade et perte de leur pouvoir thérapeutique
a)
Nous entendons par multiconsultation,
la recru-
descence numèrique dans le temps et l'espace des médecins,
ou mieux des guérisseurs consultés.
En fait,
multiconsultation et perte du
pouvoir
thérapeutique sont deux aspects d'un même problème,
tous
deux liés et indissociables.
La démarche du malade vers plusieurs guérisseurs,
traduit de plein pied l'hétérogénéité du modèle conceptuel
dans le traitement indigène.
. .. 1...

Mais,
depuis,
avec l'esprit de
révolution
scientifique qui anime les sujets africains.
il Y a une
désacralisation du sacré
(le guérisseur),
un sacré cons-
tamment .contesté par des malades de plus en ~lus rationa-
listes,
impatients et exigeants à tort
ou à
raison.
Tout cela entraîne comme conséquence immédiate
une instabilité des malades et une ruée consécutive vers
d'autres modèles conceptuels, ~'où la multiconsultation
des guérisseurs consultés.
(Cf.
observations N° l
et 2).
b)
Mais comment alors un guérisseur peut-il perdre
de son pouvoir?
Instabilité dans l'espace,
impatience dans le
temps et incrédulité pour ne citer que cela,
nous rensei-
gnaient sur la multiconsultation des malades.
Il n'en est
pas moins de la pe~te du pouvoir thérapeutique des guéris-
seurs.
Le médecin traditionnel propose un autre choix
thérapEutique.
En réalité.
derrière cet autre modèle qui
n'obtient pas toujours l'approbation du
malade,
semble se
cristalliser un phénomène crucial et profond:
celui d'un
malade soumis à un ensemble de processus acculturatifs
face à un guérisseur sclérosé ou mal adapté.
Quel choix propose la médecine traditionnelle?
Et,
en quoi ce choix ne correspond-il pas aux
exigences des malades ?
* Jusqu'à un passé récent, le traitement de la
folie nécessitait certes la participation et la présence
de la famille élargie
; ceci pour rétablir en quelque sorte
l'harmonie familiale perturbée,
et en vue d'une bonne issue
de la maladie.
Le médecin·traditionnel,
à partir de l'interroga-
toire sur tous les membres de la famille,
s'attaquait à
l'origine du mal et procédait au traitement.
Ce traitement
était plus qu'une simple psychothérapie.
. .. / ...

92
En d'autres termes,
il apparait une variabilité
dans le processus thérapeutique,
et ce,
selon la cosmogonie,
la culture et l'ethnie du médecin traditionnel.
Si plusieurs conduites thérapeuticues existent~
c'est qu'en réalité~ aucune n'pst parfaite et que chacune
d'elles comporte des avantages et des inconvénients.
Ce qui
peut paraître un avantage pour tel malade,
ne l'est pas
obligatoirement pour tel autre.
Il en est de même des incon-
vénients.
Il Y a là,
pour le malade,
des difficultés à
se
retrouver face au modèle proposé.
Cette attitude de recherche de vérité personnelle,
est en même temps cellp. d'une recherche d'''alter ego",
de
semblable co~préhensif et compréhensible culturellement.
Il se pose alors le problème de confiance du
malade au médecin,
et de mise en confiance du malade par le
médecin.
1"1 s'agit pour le médecin de satisfaire par son
offre la demande du malade dans le cadre de la relation
médecin - malade.
A l'exemple de nos malades,
la demande représente
souvent unp forte exigence à être compris et guéri rapidement.
Or,
il
se trouve Que l'offre de son côté,
exige avant tout
une confiance totale, mais surtout beaucoup de patience.
Il
se crée illico une discordance dans les rapports médecin-"
ma l ade ,
Autrefois,
le guérisseur était considéré comme un
être mystique et sacré,
incontesté et incontestable.
Le pro-
cessus thérapeutique dans son ens~mble, demandait de la part
du malade et sa famille,
l'ne entière confiance et beaucoup
de patience,
et ceci, de la façon la plus univoque et la plus
monolithique.
Seule la voie du guérisseur comptait .
. . . / ...

Il suffisait au guérisseur de revitaliser
ja
vie
relationnelle entre la victime (le malade)
et l~ coupable
(qui peut être~~alade lui-même) pour rendre l'équilibre
familial.
Cette procédure se réalisait sans affrontement
ni entre la famille et le médecin,
ni entre le malade et
la médecin.
Toute contestation était quasi impossible, même
si l'on avait de bonnes raisons de le faire.
Et puis,
vint la modernité socio-culturelle.
Les
jeunes africiins,
quel que soit leur âge.
doivent se confor-
mer au modèle culturel quelque peu violent de la culture
blanchp sur la culture noire.
C'est un modèle rationaliste,
individualiste,
plus attaché à
]a logique qu'au symbole.
L'école s'y prête comme la meilleure garante.
Cette nouvelle
identité diffère de celle des milieux traditionnels et favo-
rIse la propension à la libération culturelle.
La plupart des malades qui consultent de gré ou
de force le guérisseur
n'échappent pas à cette néo-culture.
D'abord,
il faut rappeler que le conformisme
sclérosant de la médecine traditionnelle juxtaposée à une
médecine nouvelle
(où Ips npuroleptiques jouent un
rôle
sédatif. certain et immédiat) ne facilite guère la tâche
du guérisseur.
La consultation chez le guérisseur est très souvent
faite par les malades seuls,
contrairement à la tradition.
Cette démarche a~ti-traditionnelle dérive soit de la teh-
dance individualiste des sujets,
soit de l'attitude d'aban-
don et d'indiffèrence des familles.
. .. / ...

Le traitement proposé
laisse pour nombre d'entre
eux,
perplexes et contestataires,
et ajoute à
leur attitude
préalable ou préconçue de désacralisation et d'incrédulité.
Dans notre dpuxi~me nbservation,
le traitement
indigène a tendance à culpabiliser le malade et à accentuer
les problèmes oedipiens.
Non seulement,
il se méfie du
traitement proposé,
mais i l
semble soupçonner le guérisseur de complic ité avec
d'éventuels -empoisonneurs.
Il ira jusqu'à exiger une modification du
contenu
du support symbolique.
Quelquefois,
les interprétations données de la
maladie incriminant des proches ou tiers familiaux dans la
génèse des troubles sont de nature à déclencher un affronte-
ment
soit intra-familial entre les membres de la famille,
soit entre les deux lignées paternelle et maternelle.
De l'autre côté,
on soupçonne un empoisonneur.
Et
dans ce cas,
la vie du couple peut être mise en cause
;
l'épouse est par exemple incriminée;
i l est alors possible
d'observer que le malade soit l!enjeu d'une co~pétition
entre sa propre femme et les deux lignées réunies.
Chaque
ant~qoniste cherc~ant l'exclusivité.
Toutes ces interprétations
~nt en général matières,
à
induire une inquiétude,
une confusion chez tous ceuX quj
ont un pied à
l'école et l'autre au village.
uans l'obser~ation N°2,
le thérapeute est traité
de tricheur et de charlatan;
le malade pense qu'en accept.ant
la consultation,
i l
a voulu simplement,
sans conviction de
sa part,
se conformer aux sentiments de sa mère .
... / ...

Au total,
on retiendra que l'incrédulité et les
exigences du malade d'une part,
les heurts émanant du modèle
c nnc e p t u e I proposé d'autre part,
font indis(;utablement par-
tie des facteurs de régression du
pouvoir thérapeutjque du
guérisseur.
* A côté de ces facteurs précités, l'on peut être
2mener à
réfléchir sur l'incidence de la religion~ sur les
mentalités et sur le traitement dela folie.
Au début de cette décpnnie,
étaient encore prati-
quées les religions traditionnelles communautaires,
dont
les chefs de file étaient essentiellement des guérisseurs.
CclI e s -c l
c o» serve; ien l
enco re Le u r ca ract ère
familier et rassurant.
Elles apportaient entre autres une
sécurité psychique centre toute déconvenue néfaste dE la
vie d~ tous les jours.
Elles affichaient en plus une entité
véritaulement 8fricaine.
Mais depuis,
avec l'implantation et l'influence
de nou~elles religions univ8rselles,
beaucoup
d'urbanisés
et de ruraux ne croient plus en la médecine traditionnelle.
Ces religions nouvelles interdisent à
leurs fidéles
toute pérennisation des usages religieux traditionnels et
de ce fait même,
leur font désavouer la part psycho-sociale
de la maladie.
Celle-ci dans son traitement nécessitait
jadis la participation de la famille et la présence du gué-
risseur.
Ce
déracinement religieux crée la rupture de la
psyché traditionnelle,
chez nombre d'adolescents.
Dans ces
conditions,
ces religions sGnt à la fais des facteurs de
déstabilisation des Eujets,
~t des éléments de
recul du
guérisseur dont elles· interdisent l'approche •
.. ./ ...

Une
fois encore l'observation ND2 illustre bien
cette constatation.
Le malade présente des problèmes
oedipiens et familiaux importants,
pour lesquels,
il suf-
firait de rendre l'équilibre de la famille pour y dénouer
le mal,
mais hélas il
s'agit d'un rhrétien riaide.
* Il est un autre facteur non négligeable
le
facteur socio-économique.
Jadis,
la ru a La d i e d'un individu mettait en branle
toute la famille
ou le groupe communautaire qui prenait en .
s o n c ompt e
le ru a La d e .
Actuellement~ l'individualisme ~wanant de nos
cités jusque mpme des villages,
ne permet pas à un
individu
isolé et /
ou démuni de faire face aux aléas de la ViE éco-
nomique
à plus forte
raison s'adresser à un
guérisseur dont
on sait à priori qu'il demanderait une énorme caution avant
même d'entamer le traitement
(el!trefois,
le malade donnait
en échbnge des soins reçus,
un cadeau de son choix).
Il n'est pas inutile de noter- qn e les guérisseurs,
pour la plupart d'entre eux,
habitent des villages ou des
régions très retirées des milieux urbains.
Ce facteur "espace"
en appelle un autre:
le facteur "temps".
Ces deux facteurs posent un problème économique.
Ils supposent une perte de temps par absentéisme à l'école,
à
l'usine,
au bureau,
etr ...
Le c oü t
du
transport et des soins prodigués deman-
dent déjà la ponction de "fonds"
relativement importants.
Pour des malades aux conditions de vie difficiles et aux
lourdes charges familiales,
tout cela semble déroutant,
mais
en mêwe temps réduit ]e guérisseur à l'état ma~ginal.
. . ./ ...

'78
Comllie autre facteur de
régression du pouvoir
thérapeutique des guérisseurs
le charlatanisme.
Avec l'enchérissement général ffiénageant dan~ le
sens de la venalité,
les escrocs deviennent de plus en plus
nombreux et empruntent le masque des guérisseurs,
souillant
ainsi leur image de marque
(Cf.
observation N°2).
Il
faut citer également la corruption et la
déformai ion professionnelle.
Certains thérapeutes tradi-
tionnels ont tendance à
trouver tout le monde n.a l a d e Ol!
envoûté.
Dans l'ensemble,
nous constatons que la perte du
pouvoir thérapeutique des guérisseurs va de pair avec un
phénomène de perte de croyance générale.
Cette incrédulité s'articule avec un
ensemble de
processus acculturatifs,
essentiellement culturels,
et à
un moindre degré religiEux et économiques.
L'avènement de la médecine
occidentEle a~centue
ce phénomène.
Nul n'ignore pc:urtant que les modéles thérapeutiques
traditionnels ont fait leur preuve.
Pour certains auteurs
comme Franyois LAPLANTINE,
ces systèmes thérapeutiques
dépéssent le cadre de la simple psycho-sociothérapie.
Ces modèles peuvent rester encore valables de
nos j ou r s. ; mais c omm e n t
et à
quel prix?
... / .. ·

li ')
4 - La Médecine Occidentale ne satisfait pas tous les malades.
l'avènement de la médecine occidentale a certes
contribué pour une part à l'état d'anonymat au~uel se trouve
rédui~e la médecine traditionnelle.
Cep end an t ,
t 0 us les mal a des ne
s on t
pas t ou j ou l' s
satisfaits de l'HLpital.
A cela,
i l
faut
rattacher la notion
de relation thérapeutique médecin-malade.
Nous avons déjà m}s en
relief que les malades
quelle que soit la nature de leurs troubles s'adressent
ou sont toujours adressés p~atiquement à l'hôpital. Lorsqu'
i l
s'agit de psychopathes,
la' conduite thérapeutique
devrait
recourir spécialement au modèle psychiatrique.
Mais,
comme le montrent les observations,
bien
souvent,
la réalité est autre.
C'est p r e s qu e toujours au
modèle médical classique que revient l~ privi18ge. C'est
un modèlt plus attaché à l'organicité
ou~l'objectivité qu'à
le. subjectivité.
Dès lors,
que les signes objectifs font défaut,
Je malade est aussitôt délaissé.
On a donc vite fait de ne
pas toucher pratiquement au vécu psycho-social et affectif,
ou aux traits dynamiques de la personnalité.
Il y a,
par
conséquent,
une minimisation
,
de la subiectivité.
Cette atti-
.
.
tude dl: personnel soignant,
en particulier du médecin

l'exclusion du psychiatre et autres psychothérapeutes)
sem-
ble être à
l'origine de l'insatisfaction des malades et de
leur balancement d'abord d' hôpital en hôpital puis entre

les deux types de médecine.
Concourent également à l'insatisfaction des malades,
le système d'accueil qui leur est
réservé et l'impatience
des soignants.
Ailleurs,
il
s'agit du côté chamanique médi-
cal qui culpabilise les ma l a d e s
(Cf.
observation N°4) .
. . ./ ...

j f) f1
Que
les malarles commenc~nt ou non par l'hôpital
en général,
une chose demeur~ certaine:
la consultation en
milieu psychiatrique est de.dernier ressort,
avec au
surplus
un besoin pressant de soins chimiothérapiques par les malades.
Cette consultation tardive en milieu spéci·alisé
(service d'hygiène,
hôpital psychiatrique,
etc .•. ) est corol-
lée avec,
d'un côté la carence de la relation médecin - malade,
de l'autre,
un défaut de coordination entre les médecins.
Très souvent,
et non pas toujours devant les plain-
tes du malade,
le médecin recherche une objectivité.
Ce qui
est légitime
mais c~ qui ne l'est pas,
c'est de vouloir
tout ramener rien qu'è
l'objectivi~é et par l~-même commettre
l'erreur en moins de ne pas insérer le malade dans son vécu
historique,
ou de ne pas l'adresser au
besoin au spécialiste.
Quelquefois, .biEn au contraire,
le malade a eu la
chance de tomber sur un méd~cin attentif ou un personnel
averti qui l'adresse en milieu spécialisé,
comme
c~la a été
le cas avec nos malades.
Ici,
dans la majorité des cas avec
~(..:..u("'-1 ~ ,,'v-( .
Il na. p sye hot hé ra pie,
a ve c -- 0 usa n s chi mi 0 thé ra pie,
les mal a des
paraissent stabilisés et améliorés avec une intégration
sociale relativement bonne.
Mais,
les rechOtes sont aussi
fréquentes.
Est-ce qu'en pareilles circonstances un éventuel
recours aux guérisseurs aurait-il été bénéfique,
et de façon
durable ou définitive?
Devant de telles rechûtes,
devant ce climat d'insa~
tisfaction et
le mystère qui entoure le malade mental afri-
cain,
des écoles ont proposé la création de villages
thérapeutiques.
. .. / ...

III l
Ces villages expérimentaux,
qui existent déjà au
Sénégal et au Nigéria,
font
l'objet de
rencontres entre mé-
d~cirs trarlitlonnels, médecins à l'occidentale, malades et
leurs parents.
Ils foncticnnent un
peu à
l'image de la
c l a s s i qu e el
tr ad i t i nnrie l Le "Palabre a f r-Lc a i ne '".
C'est une dynamique de groupe,
semblable à une
psychothérapie de groupe,
et fondée sur le concept trad~­
tionnel de la maladie,
en milieu africain.
La "Palabre a f r i c a i ne" ,
telle qu' e Ll e était n a t u -
rellement conçue,
s'opérait par une confrontation publique,
organisée ou non entre les membres du
groupe communautaire.
Elle aboutissait parfois à
des mesures concilia-
toires en cas de querelle ou de malheur survenus au sein
du groupe.
A l'occasion d'une pat~ologie mentale,
la confron-
tation avait lieu entre tous les membres de la famille
élargie ou du clan.
Cela se passait en pr{sence d'un public
nombreux,
et d'un thérapeute actif,
autoritaire,
ayant Le s
pleins pouvoirs.
Ce dernier,
à
partir de ses suggestions,
et d'un dialogue établi avec les membres de la famille
concernée,
dégageait l'origine du mal et rendait l'harmonie
c om mun au t air e .
La p s yc h ot h r ap i e de groupe,
s'effectue quant à
é
elle,
entre un groupe de malades en présence d'un psycho-
thérapeute p a s s i f ,
Ici,
le thérapeute est investi de toute autre
&utorité et d'un pouvoir triangulaire avec pour mérite,
celui
de proposer un sujet à discussion,
d'écouter, mais aussi
de
relancer les discours des malades.
Celte att.itu~e de neutralité vise,
essentiellement,
à
la circonscription du diagnostic,
et à
la conduite théra~
peutique nécessaire.
. .. / ...

Il est hors de doute que la dite "Palabre africai-
ne" et la psychothérapie de groupe n'ont pour seul lien
commun que leur objectif,
celui de rendre au malade sa
condition humaine mai·s avant tout,
sa conscience en soi.
Ces villages expérimentaux poursuivent le même
objectif mais se veulent un
juste milieu.
C'est un
juste
milieu intéressant en soi,
mais qui semble poser quelques
lieux communs dans sa forme et sa structure.
La première réflexion qui vient à
l'esprit,
c'est
celle de savoir comment faire cohabiter deux types différents
~ de thérapeutes (traditionnel et à l'occidentalz) sans répon-
dre au préalable à
un certain nombre d'impératifs.
Nous pensons alors au
problème de la lutte d'in-
y
f I u e n ce,
0 u
deI a du al i t
à
leu r ni v eau.
Cam men t
peu ven t - ils
é
collaborer sans que soient établies les bases d'une coexis-
tence,
et sans que soient fixées les attributions des uns et
des autres ?
La deuxième réflexion découle de ce que,
dans
cette expérimentation,
l'on remplace la famille élargie
(ou
le clan)
par une famille ahistorique,
réduite et à
caractère
quasi-nucléaire.
Est-ce
qu'une telle coexistence
(malades et leurs
familles,
médecins traditionnels et médecins à
la "blouse
blanche"),
changera-t-elle,
pour autant,
la vision et le
comportement de chaeun des protagonistes face à
la maladie?
Ces villages thérapeutiques,
bien qu'encore à
l'état embryonnaire et intéressant sur le fond,
nous parais-
sent comporter des défauts et imperfections de structure,
de forme,
de qualité et de quantité.
. .. / ...

l 0 ~
Encore faudrait-il,· pour qu'ils soient efficaces
et constructifs,
repenser les modalités de leur existence.
En effet.
la médecine occidentale malgré l'atti-
rance et l'affluence des malades est encore loin de satis-
faire
un certain nombre d'entre eux,
du
fait pssentiellement
d'une déficience dans la relation "médecin - maJade "
Dès lors,
on se trouve d e v an t
des malades souvent
~
ccnfrontés à
une situation embarassante à
quatre dimensions
diffèrent.es
- le point de vue du malade lui -même ;
le point de vue du médecin à
l'occidentale
le point de vue du médecin t r a d a ti onnel
- le point de vue d~ la société.
Cette divergenc~ de vue met certai~s malades dans
un état de balancement d'une médecine à
l'autre.
Ce balancement est l'indice d'un malade qUI est,
soit. perdu,
soit devant l'impossibilité de choisir un mo-
dèle donné,
soit à
la recherche d'une conqruence entre sa
propre croyance et celles des autres.
Quant à la croyance du malade,
elle nous a paru
presque toujours indiss ociable du contpxte culturel,
dans
lequel s'exprime et se manifesie la maladie.
Au terme de ces réflexions,
on peut se demander
si l'on ~e V8 pas créer une néopathologie liée à cet état
de ba18ncement des malades.
Et Quel discours social va-t-on tenir sur le
traitement-de la maladie?
Une
symbiose entre Ips deux médecines est-elle
objectjvement réalisable?
... / ...

1
,
Celle thése
a été Imprimée
sur offset
par
le Service Polycopie
de l'Association Corporative
des
Etudiants en Médecine
de Lille.

CON C LUS ION
-------------------
- - - - - - - - - - - - - - - - - - -
G E N E R ALE
---------------
---------------

"Les modèles thérapeutiques africains traditionnels
donnent aux malades mentaux,
par la suggestion et l'expression,
l'occasion de canaliser leur angoisse,
de résoudre leurs conflits
individuels,
e~ d'opérer, en s'identifiant à un langage culturel
chargé dR toute l'entité symbolique du groupe,
une véritable
conversion psychosomatique qui
va dans le sens contraire a celui
de la maladie mRntale Rt de l'hystérie,
en particulier."
François LAPLANTINE

Il) 6
Nous arrivons à
l'ultime chapître de notre travail,
derrière lequel nous n'avons pas une fois encore la prétention
d'apporter du
nouveau en matière de nosographie.
Nous avons voulu seulement attirer l'attention sur
l'anonymat et ]a régressjon des thérapeutes africains tra-
ditionnels,
dans l'univers actuel de la folie.
Un point important et saillant,
dans cette étude,
reste la singularité du problème africain en rapport avec
'le contexte culturel,
et aVec une mutation des mentalités.
Le trouble psychopathologique apparaît le plus souvent comme
un langage par lequel s'exprime une détresse psychologique
ou psychique dans le cadre d'une problèmatique.
Ces troubles ont également une dimension sociale.
Les malades sont ainsi victimes de notre façon de vivre,
et du
reste,
remplissent mal leurs fonctjons économiques et
sociales.
L'évolution actuelle contraste avec le conformisme
des médecins traditionnels.
Ceux-ci font moins parler d'eux,
et ont une tendance actuelle à
la marginalisation et à
l'anonymisation.
Les causes en sont multiples.
L'avénement de la médecine occidentale est un fait
capital 'et positif,
qui place les guérisseurs en situation
de compétiti on.
Qui plus est,
la rupture de nombreux africains
avec la tradition socio-culturelle et thérapeutique accentue
ce phénomène de confrontation des guérisseurs face à
la
transposition médicale occidentale.
Cet élément de confrontation inexistant auparavant,
s'avère actuellement un phénomène de dilution du pouvoir
thérapeutique des médecins traditionnels .
...-'..
. .. / ...
." "":""

Quels sont les points essentiels qui caractèri-
sent et favorisent ce processus dilutionnel ?
* D'abord, chez le malade:
-
la perte de croyance généralp.
;
-
la rupture avec la tradition;
la désacralisation du guérisseur
l'esprit trop rationaliste
l'attitude de désaveu
des chrétiens
-
la crainte du malade d'être enchaîné ou incompris
par le guérisseur j
- les exigences du malade et la divergence dans le
choix thérapeutique.
* Ensuite, chez Ip. guérisseur lui-même
- accentuation des problèmes oedipiens et de la
culpabilisation du malade
-
les rites contraignants;
- hétérogénéité du modèle conceptuel et les heurts
émanant
du traitement indigène proposé
;
-
l'exclusivité ou la possession sans partage
la confrontation face à
la médecine occidentale.
On retiendra les faits de la médecine occidentale,
notamment les effets de la chimiothérapie, ainsi
que l'atti~
tude des ramilles face au malade et aux thérapeutes.
Quant à l'insatisfaction de certains malades du
choix de la médecine occidentale,
elle découle essentielle-
ment de l'attitude du personnel soignant:
- l'attitude d'ignorance des croyances du malade
- l'attitude de fi de l'environnement psycho-
socio-affectif du malade;
l'erreur de vouloir tout
ramener rien qu'à l'ob-
jectivité et à la logique
;
... / ...

108
l'attitude de minimisation de la subjectivité
- rimprudence ou l'erreur de vouloir tout psy-
chiatriser (le côté chamanique médical).
A partir de ces éléments précités,
on peut se
rendre compte qu'il y a absence de congruence surl'idée
de la maladie entre médecins et malades.
Il apparaît également,
une nette opposition
entre les deux catégories de médecins,
qui par ailleurs,
ne remplissent ni les mêmes fonctions,
ni les mêmes servi-
ces; chacune d'entre elles) enlisée dans sa pr-~pre vérité,
une vérité qui n'est pas toujours celle du malade.
Malgré les problèmes que pose la juxtaposition
des deux médecines,
la médecine nouvelle n'a-t-elle rien
à
apprendre de la traditionnelle,
du moins dans la part
psycho-sociale de la maladie ?
La réalité qu'il ne faut pas non plus esquiver,
c'est le problème de la restructuration de la médecine
traditionnelle.
Enfin,
pour parvenir à lever ce qui fait l'objet
d'insatisfaction des malades,
dans la médecine occidentale,
et pour sauvegarder le pouvoir thérapeutique des guéris-
seurs,
un certain nombre de suggestions nous paraîssent
inté"ressantes.
a) ~~~~_1~_~~E~~t~~~_~~~_~~~g~~~!~Lil faudrait
tenir compte de trois réalités:
... / ...

lDq
* La médecine occidentale, avec une place faite
à
la psychiatrie,
à
la psychologie et à
la
sociologie,
et ce au moins à
la limite de la
signification.
Il faudrait motiver les soignants
au problème aigü de l'augmentation de plus p.n
plus importan~des troubles psychbpatholo~iques
les armer si possible de notions de conduite
pratiquer.
Il faut aussi motiver au
ploblème de
l'intérêt thérapeutique et préventif de l'éduca-
tion sanitaire continue,
dans le cadre de l'hy-
giène mentale.
Cette hygiène mentale devrait
avoir pour point de départ la sé~énité, non seule-
ment des familles,
mais également du personnel
soignant.
* Il faudrait une non néglig~nce de la tradition
médicale.
Reconnaître aux vrais guérisseurs leur
place de médecin.
* Il faudrait, en outre, une non négligence de la
tradition socio-culturelle.
b)
~~~~e~!:~~~l.:~_~~,!!~~e nous montret que dans la
pratique et dans bien deE cas,
la démarche thérapeutique
est une transposition de la médecine occidentale.
Cette
1/.-..
démarche,
justifiée dans certaines circonstances,
ne l'est
pas tou j ou r s .
L'idéal serait une adaptation Qui tienne compte
de l'éducation,
de la tradition socio-culturelle et théra-
peutique,
ainsi que des cas particuliers .
. . ./ ...

1Ifl
c)
~~~~~~!9~~~~~~_e~~~~~~~~~~que l'on peut tirer
de cette étude,
c'est la nécessité impérieuse d'une colla-
boration entre les deux types de thérapeutes.
- l'intérêt d'une coordination réelle,
efficace
entre les médecins de formation occidentale ;
- une collaboration entre médecins traditionnels
et médecins à
l'occidentale,
mais assujettie à
une base de compromis préalable ;
- une collaboration des médecins traditionnels
entre eux.
Cette collaboration,
dans son ensemble devrait
être renforcée par une action sociale structurée au niveau
national,
régional et local.
Elle impliquerait de plus qu'il faille d'une part,
donner un statut juridique aux guérisseurs,
et d'autre part,
envisager au besoin la création de clubs ou de cliniques de
médecine traditionnelle à
la mesure des réalités locales.
Ne faudrait-il pas,
dans la mesure du possible,
repenser les modalités d'existence des villages thérapeutiques
d)
Le
rôle des Pouvoirs Publics :
- Dans le système éducatif qui doit essayer de
répondre aux besoins individuels des Hommes et
aux besoins de la société.
- Le rôle de donner des moyens à tous ceux que le
problème de la santé,
en général,
et de l'hygiéne
mentale,
en particulier,
intéresse.
- Rôle de garants dans la sauvegarde de certaines
valeurs traditionnelles orales et culturelles
d'origine.
... / ...

I 1 1
e)
Q~_~~~!~~~~~_~~~_!~_e!~~_e~~~~ge~!~9!~9!9~~
L'existence d'une pathologie ancienne dont le
médecin traditionnel ne s'en tire pas mal quant
au traitement.
- L'existence d'une pathologie occidentale dont
le traitement relève de la compètence médicale
occidentale.
- Et enfin,
l'existence d'une néopathologie dont
le traitement relèverait du domaine de la recher-
che.
Samme toute,
n'avons-nous pas tort de nous priver
d'un certain nombre d'arts au de "savoir-faire",
dont notre
société a besoin ?
Et,
comme le dirait Pascal:
"Le coeur a ses raisons que la raison ne cannait pas".
Certes,
trop de pouvoirs extra-sensoriels et de
mystères échappent indubitablement à la science,
et nul ne
peut prétendre tout expliquer ou
tout réaliser par elle •
.../ ...


B l B LlO G R A PHI E
-------------------------
-------------------------

J1.5
-
l
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Désordres psychiques dans la Société Tunisienne,
leur
évolution et frèquence en fonction des transformations
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Dr.
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2
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Le père comme modèle de différenciation dans une société
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Cadres,
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ATCHO,
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Mythes,
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Mémoire de C.
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La Psychiatrie ,
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Deuil et interdit dans une société totémique.
Un cas
GOURO
(ANDRAS ZEMPLENI)
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Psychopa-
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Maladies mentales et thérapies traditionnelles,
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Afrique médicale:
psychothérapies traditionnelles au
Sénégal (par MARTINO et J.
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Histoire de l'Afrique contemporaine.
(Par Marianne
CORNEVIN)- "Evolution des sociétés africain.es"rJuin 1977.
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L' adolescent urbain et le monde traditionnel. -Professeur
M.
HAZERA - 1.
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Communication journée Bordeaux - Afriq~e.
BX Il
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Les troubles psychiatriques de l'adolescent et du jeune
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Thèse de Doctorat en Médecine
(Diplôme d'Etat)
3 novembre 1977, par GALO BI SIA
Antoine
(Côte d'Ivoire):