41
Si donc, au fil du temps le rôle du commerce exté­
rieur a été perçu comme une nécessité pressante au dévelop­
pement économique, les changements (tant ~ien praiiques
que théoriques) nécessaires au système économique et
qu'il aurait fallu au développement du commerce exté­
rieur n'ont pu être opérés. Question: -
En quoi donc
la conception du commerce extérieur ~oviétique se singu­
larise-t-ellt par rapport à celle de lféconomie de
marché ? - Et quel en est le contenu théorique ou plus
exactement, existe-t-il une théorie socialiste ou mar­
xiste du commerce extérieur qui serait à l'origine des
obstacles au développement du commerce extérieur.
CHAPITRE II -
LA SPECIFICITE DU COMMERCE EXTERIEUR SOVIETIQUE
PAR RAPPORT A L'ECONOMIE DE MARCHE
§ 4 -_QUELQUES APPROCHES THEORIQUES DU COMMERCE EXTERIEUR DANS
LE SYSTEME SOVIETIQUE
A) LA POSITION THEORIQUE
Gomme nous l'avons fait remarquer dans le dernier para­

42
graphe du chapitre précédent, deux phases principales
ont dominé l'évo1ution du commerce extérieur sovi~tique t
-
la première est celle où les dirigeants soviétiques
considéraient le principe du monopole du commerce exté­
rieur comme base de l'édification de l'économie socia­
liste, à une période où l'U.R.S.S. se trouvait seule
dans l'entourage "hostile" des pays capitalistes.
-
la deuxième est celle qui a permis à l'U.R.S.S., avec
l'avènement des pays de l'Est-européens, devenus socia­
listes, et celui de l'indépendance de la plupart des
pays sous développés, à entamer une nouvelle étape en
tenant compte non seulement de son développement écono­
mique interne. mais également de l'importance du rôle qui
lui revient à jouer sur le plan international, où i l lui est
désormais possible de compter sur des pays frères et amis.
Si donc la première phase peut être considérée com­
me celle des années du communisme militant, dont l'ob­
jectif avant tout la création d'un Etat socialiste révo­
lutionnaire et économiquement puissant, avec une forte
coloration autarcique, dans la deuxième phàse au con­
traire on revient, à de s propo rti o n s
plus rais onna ble s

43
l'impératif de politique économique consiste à passer
à l'action sur le plan international (diplomatie oblige).
Dan~ ce nouveau contexte international, il revient
à l'U.R.S.S. de jouer le r8le de leadership du camp
socialiste, par analode au r8le des Etats-Un~s dans le
camp capitaliste. L'enjeu principal étant la compéti­
tion économique et politique entre ces deux pays, dès
lors commence une bataille de théorie économique entre
l'Est et l'Ouest en conséquence de la guerre froide.
A l'Est on est convaincu sur ce plan et conformé­
ment au mouvement irréversible de l'histoire que la
victoire finale doit appartenir aux socialistes mar­
xistes, puisque doctrinairement parlant, le capitalisme
doit dispara1tre, allant inéluctablement vers sa propre
perte, par ses propres contradictions in~ernes. Sans
doute que depuis quelques années, i l semble qu'on ait mis
une sourdine à la proclamation de ce dogme, en formu­
lant les principes de la cohabitation pacifique et en
recherchant le développement des relations commerciales
entre pays à systèm~ économiques et sociaux différents,
à travers les formules de la division internationale du
travail.

44
Mais parallèlement vis-à-vis de l'extérieur, on
formule en matière du commerce extérieur des théories
qui doivent démontrer les insuffisances et les erreurs
capitalistes. On passe ainsi au crible toutes. les théories
économiques capitalistes .. depuis les classiques jusqu'aux
néokeynesiens.
De ce point
de vue, le phénomène apologétique dans
la littérature économique soviétique s'est très accentué
au cours de ces trente dernières années. Il s'exerce à
tous les niveaux, et n'exclut aucun domaineen matière
de théorie économique, avec pour meilleures références
les auteurs tels que Marx, Engels et L'nine dont les pen­
sées sont placées au-dessus de toute critique.
Dans l'ensemble de cette bataille théorique, l'at­
taque la plus prononcée, est dirigée contre la théorie des
coûts comparatifs qui est en quelque sorte la souche du
libéralisme qu'on identifie avec le capitalisme. Ainsi
fait-on savoir du côté soviétique qu'un pays pauvre peut
obtenir des avantages comparatifs dans l'échange avec un
pays riche et néanmoins ~tre exploité par celui-ci,

45
du fait qu'il doit dépenser plus de temps de travail social
par unité de produit que le pays développé; de ce fait, i l
y a transfert de valeur vers les pays rich8s car i l n'y a pas
égalisation de l'uni+é d'intensité différente
entre les pays.
Le principe des échanges mutuellement avantageux qui est la
base de la théorie des coûts comparatifs n'auraient donc
que des apparences flatteuses.
Dans ce domaine, on peut ci ter de - nombreuses, sources so­
(
viétiques
referons-nous
à
quelques auteurs, qui met~ent
en cause la théorie libérale du commerce extérieur dans le
système capitaliste (Cf. A. Froumkine (26), G. Roginsky (27)
et A. Froumkine).
Il est donc clair pour les économistes soviétiques que
la théorie libérale du commerce extérieur selon laquelle un
pays peut avoir intérêt à importer en renonçant au protec­
(26) Cf. A. Froumkine :"L'ineon~tance de la théorie bourgeoise
du commerce extérieur", Voprossi Ekonomiki
nO 12, 1959.
Cf. A. Froumkine : "La théorie bourgeoise du commerce exté­
rieur et les problèmes des pays sous déve­
loppés", Vniechnaya Torgovlia nO 4, 1959.
(27)Cf. G. Roginsky et A. Froumkine : "I a-t-il un fond réel dans
la théorie bourgeoise du
comm~r~e extérieur",
Vniechnaya Torgovlia, nO 11
1961 •

46
tionnisme, ne peut ~tre que l'expression d'une tendance
~ l'exploitation de pays sous d~velopp~s. On fait
volontairement abstraction du fait qu'une th~orie capi­
taliste ou lib~rale absolue, n'existe plus sous cette
forme et qu'elle n'a jamais pu ~tre mise en pratique
dans les faits. Ceux-ci se sont chargés, entre les
deux guerres d'abord et ensuite après la seconde
gup-rre mondiale, de créer une athmosphère de l'~conomie
internationale complètement chang~e par rapport ~ ce
qu'elle ~tait au XIXème
siècle.
A la place des th~ories capitalistes on ~met donc
des affirmations qui peuvent se r~sumer comme suit:
-
un Etat socialiste, comme l'Union Sovi~tique, ~ta­
blit ses rapports ~conomiques avec n'importe quel pays
et notamment les sous développ~s, sur la base de l'~­
quité et de l'int~r~t réciproque, en tenant compte des
besoins de développement de ses partenaires. Cette atti­
tude est naturelle puisqu'elle r~sulte à'id~es de base
d'un Etat socialiste.
Dans cette bataille th~orique, l'opposition est
ainsi faite entre la th~orie libérale considér~e comme

47
exploitatrice (par conséquent néfaste et une théorie
socialiste jugée plus juste (par conséquent plus avan­
tageuse).
Citons à titre d'exemple quelques réflexions se
rapportant à des conceptions de la division interna­
tjonale du travail, notion essentielle d'une théorie
du commerce extérieur. Voici pour la conception dite
"capitaliste" : -
"deux tendances contradictoires sont
inhérentes au développement de l'économie capitaliste
mondiale. Il s'accompagne d'une part de la suppression
de l'isolement national grâce à la création du marché
mondial entra1nant un nombre toujours croissant de pays
dans la circulation mondiale. C'est là une tendance
progressi8te vers le rapprochement économique des peu­
ples. D'autre part, les rapports mutuels, l'unifica­
tion économique des différents pays ne constituent
pas une coopération volontaire mais la subordination
de certains pays à d'autres, l'oppression et l'exploi­
tation des pays les moins avancés par les plus dévelop­
pés, la coalition des capitaux financiers nationaux aux
fins d'exploitation des peuples. Le pillage colonial
et les méthodes d'exploitation capitalistes néfastes

48
pour l'économie des pays dominés; la lutte des puis­
sances impérialistes entre elles pour la domination
mondiale exercent une influence négative sur le déve­
loppement des forces productrices et freinent l'essor
de la production" (28).
Ceci veut dire en clair que dans le monde capi­
taliste, la division internationale du travail est mise
au service des monopoles et constitue pour eux un mo­
yen de conquérir une position dominante sur les mar­
chés et d'obtenir des bénéfices au service de ees
marchés.
Quant à la notion socialiste dans le même domaine,
voici ce qu'on en d i t : "le syst~me socialiste mondial
est affranchi des contradictions propres au capitalisme
entre les processus d'unification économique~des peu­
ples et le mode impérialiste de cette unification.
Au fur et à mesure du développement des pays de la com­
munauté socialiste, les liens économiques se ress~rent
(28) Economie politique
Le socialisme -
Ed. du Progr~s
Moscou -
1977, p. 646.

49
entre eux sur la base du libre consentement et de la
souveraineté. On assiste à l'internalisation de la vie
économique. Les forces productrices de chaque pays so­
cialiste trouvent un vRste champ de développement dans
l'intérêt de tous les pays du socialisme mondial" (29).
On comprend donc qu'une tout autre image est don­
née à la division socialiste internationale du tra­
vail dans son caractère et ses buts~ comme étant le
résultat
d'un accord avec la loi d'un développement
correspondant à une planification harmonieuse qui
exclut l'anarchie, la crise, 18 cnncurrence, l'ex­
ploitation, etc.
Après ces constatations faites à titre introduc­
tif, examinons maintenant, l'application de cette
théorie dans une approche par polarisation géographi­
que des concepts du commerce extérieur soviétique.
(29) Economie politique : Le socialisme -
Ed. du Progrès
Moscou -
1977 -
p. 647, cité.

50
a)
LA POLARISATION GEOGRAPHIQUE DES CONCEPTS DU COMMERCE
SOVIETIQUE
Compte tenu de ce que nous venons de dire précé­
demment, les relations commerciales de l'U.R.S.S. avec
l'extérieur peut se concevoir avec des appréciations
théoriques (et même pratiques)plus ou moins variables
selon les trois groupes de pays à systèmes économiques
différents, à savoir les pays socialistes, les pays ca­
pitalistes,
et les pays sous développés.
1) LE CONCEPT DU COMMERCE DE L'U.R.S.S. AVEC LES PAYS
SOCIALISTES
Les principes de base théorique-des relations de
l'U.R.S.S. avec les pays socialistes, peuvent être ra­
menés à quelques notions essentielles. Il est tout
d'abord admis qu'il s'agit de rAlation dites frater­
nelles et harmonieuses. L'énonciation des principes
existant à cet égard constitue toute une littérature.

51
En voici quelques exemples : "dans le syst~me de la
division internationale socialiste du travail, l'ap­
plication des principes âe l'égalité compl~te, du res­
pect mutuel, de l'indépendance et de la souveraineté,
de l'entraide fraternelle e+ des avantages mutuels
dans l'intérêt de l'essort général et àu développe­
ment des forces productrices de chaque pays. pré­
sente une importance décisive. Ces prinicipes
excluent toute orientation unilatérale vers la produc­
tion de mati~res premi~res, du d'veloppement écono­
mique de tel ou tel pays (30).
On peut également citer l'article de froumkine,
qui se ram~ne presque ~ la même définition: "ce n'est
que dans le syst~me mondial du socialisme que le com­
merce extérieur et d'autres formes de reJa+ions écono­
miques internationales, contribuent reéllement à un rap­
prochement et à une égalisation des conditions écono­
miques de tous les pays" (31).
(30) Economie politique: Le socialisme, p. 663 -
Ed. du
Progr~s - Moscou. 1977, cité.
(31) A. Froumkine : "Voprossi Ekonomiki, nO 12, 1959, p.125,
cité.

52
C'est à partir de ces données que résulte une ap­
plication du principe d'une division internationale so­
cialiste du travail.
Les liens entre l'Union Soviétique et ses parte­
naires socialistes, sur le plan juridique se présente
sous deux aspects. Il y a d'une part les pays européens
de démocratie populaire, faisant partie du Comecon et
d'autre part, les pays asiatiques socialistes qui n'en
sont pas. L'U.R.S.S. a avec tous ces pays des traités
nu commerce et de compensation, mais pour les pays du
Comecon, i l y a en plus, des liens quasi instittitionnels
résultant du traité d'association initial.
Les bases de ces traités peuvent 3tre résumées de
la façon suivante : "avantages mutuels ; aides récipro­
ques ; égalité de droits; principes de la nation la
plus favorisée ; reconnaissance juridique par les Etats
contractants certains actes juridiques accomplis sur
le territoire de l'autre contractant; dans les rapports
mutuels entre
Etats socialistes, l'institution des re­

53
présentations commerciales acquiert un caractère
libéral (32), ect.
Du côté soviétique on met l'accent surtout sur
la fait que la coordination des plans assure le dé­
veloppement harmonieux des économies nationales des
pays
socialistes, que la division internationale du
travail
au sein du camp socialiste est basée sur les
principes de l'international socialiste, sur la ten­
dance vers une coordination du développement fructueux
du sysytème mondial de l'économie socialiste comme
ensemble et dans l'intérêt de chaque pays.
Dans ces conditions le souci
de l'har~onisation
des intérêts interétatiques, le rôle de l'Etat et de
la planificatjon resten+ plus que jamais affirmés.
Ce qui implique à l'intérieur de cette zone, que les
prix soient négociés entre les Etats concernés et non
fondés sur la loi de l'offre et da la demande, que les
(32) Alexandrov N. Les principes de la théorie de l'Etat
Ed. d'Etat de la littér~ture juridique,
Moscou, 1960, p. 114.

monnaies soient inconvertibles et que leur taux d'échan­
ge soit inflexible, ce qui aurait pour effet, dit-on
du côté soviétique d'é,riter des fluctuations incompa­
tibles à l'harmonie des intérêts de chaque Etat.
Deux questions se posent donc
-
Premièrement~ reste d'abord à savoir si tous ces concepts
merv~illeusement définis comme d'autres principes de
l'économie planifiée soviétique, peuvent être appli­
qués d'une façon aussi harmonieuse et complète qu'on
le prétend sans que l'intérêt du partenaire le plus puis­
sant l'emporte, ou que celui des plus petits soit menacé.
-
Deuxièmement, se pose également la question de savoir
si la politique des prix et des monnaies telle qu'el­
le est pratiquée dans ces pays peut permettre 'une ré­
gulation efficace du commerce et par conséquent un dé­
veloppement harmonieux des échanges entre ces pays. Car
en fait c'est la monnaie soviétique dont la valeur in­
terne et externe a subi plusieurs adaptations, qui in­
tervient depuis "1950 dans l'établissement des prix et le

55
règlement des comptes dans les relations entre pays
socialistes.
Or , i l se trouve que l'inconvertibilité du rouble,
mais aussi des monnaies des autres pays du CAEM soit
un handicap sérieux au développement harmonieux des échan­
ges commerciaux entre les pays socialistes.
Il Y a donc là, la notation que le problème du
commerce à l'intérieur de chaque Etat socialiste, et
entre les Etats socialistes soit dû
à une question de
régulation économique.
2) LE CONCEPT DU COMMERCE DE L'U.R.S.S. AVEC LES PAYS
CAPITALISTES
Traditionnellement, la notion accordée par les di­
rigeants soviétiques au terme "pays capitalistes",
englobe tant des pays industrialisés,
notamment ceux
de l'Europe occidentale et de l'Amérique du Nord,
que

56
des pays appelés communément sous développés, mais con­
tinuant à vivre sous un régime économique qualifié de ca­
pitaliste par opposition au socialiste.
Il est cependant nécessaire, pour mieux saisir
18 nature des structures des relations internationales
de l'U.R.S.S. de distinguer nettement entre les deux
catégories de pays.
Etudions d'abord les pays capitalistes industrialisés.
Les relations commerciales entre l'U.R.S.S. et ces
pays peuvent se ramener à deux positions théoriques
-
la première est celle de la théorie de la "coexistence
pacifi~ue" entre les pays à systèmes économiques dif­
férents (Cf. Sokoloff G. (33), Hélène C. (34), ect.).
Sous sa forme la mieuy. définie, cette théorie part du pos­
tulat léninien suivant lequel les pays capitalistes dif­
fèrent les uns des autres par leur niveau de développement
(33) Sokoloff G. :"L'~conomie de détente: l'U.R.S.S. et le
capital occidental" -
Paris -
Presse de la
fondation nationale des Sciences Politiques
1983.
(34) Hélène C.E.
Ni paix ni guerre.l'U.R.S.S. à l'heure du
Tiers-Mondeo~Ed.
°L,
Flammarion, 1986.
~I~.

57
économique et sont donc inégalement m~rs pour l'instau­
ration de rapports de production social1ste. Il faut par
c0nséquent s'attendre à un étalement historique de la
fin des
Etats impérialistes et à la nécessité, pour
les peuples devenant socialistes de coexister avec cas
Etats jusqu'au dernier d'entre eux. Or pour en arriver
là,
i l suffit pratiquement de laisser l'histoire faire son
oeuvre dans un climat international paisible. Les pays
socialistes peuvent ainsi limiter leur action conqué­
rante à imposer ce cllm~t ~e paix, notamment en nouant
avec l'impérialisme des relations commerciales, dans le
but d'une compétition économique paisible dont la vic­
toire revient nécessairement au socialisme.
Lénine lui-m@me disait à ce sujet : " Nous réus­
sirons à rejoindre les autres pays avec une rapidité
qu'ils ne soupçonnent m@me pas ••• nous croyons à une tel­
le rapidité si le mouvement est dirigé par un parti ef­
fectivement révolutionnaire et c'est ce que nous réali­
serons, coûte que coûte" (35).
(35) V. Lénine
"Oeuvres t 33, p. 402

58
Certains économistes soviétiques vont même plus
loin pour dire que : "Pour remporter la victoire déci­
sive dans la compétition avec le capitalisme, i l est
d'abord nécessaire de rattraper et de dépasser les pays
avancés du monde capitaliste quant aux niveaux de dé­
veloppement des forces productive~ et de la produc­
tivité du travail, quant 8 la production et la consom­
mation par tête d'habitant" (36)
La démarche de cette théorie présente cependant
une faiblesse: -"car d'un cBté alors que la coexistence
est pr~sent~e comme quelque chose qui peut êtreconsi­
déré
comme un état de faits durab]es~de l'autre on
insinue le fait que le système socialiste devant néces­
sairement vaincre le système capitaliste, la coexiR­
tence n'est qu'une étape historique passagère. Devant un
tel raisonnement, les occidentaux qui ne voient dans
cette théorie de la coexistence pacifique qu'un app!t
momentané susceptible d'engager les pays capitalistes
industriels à contribuer au développement de l'économie
soviétique ne peuvent rester sans réaction.
(36) Economie politique
Le socialisme, Ed , du Progrès-»- Moscou, "
1977, p. 700,' cité

59
Cett~ r~action se manifeste ~ travers la politique de
l'embargo occidental sur certains produits d'exporta­
tion ~ destinatjon d' l'U.R.S.S.
La thèse des partisans de l'embargo peut être ex­
prim~e de la façon suivante: - l'U.R.S.S. 'ïmporte­
rait en fait pour renforcer son potentiel militaire et
r~aliser ainsi ses visées expansionnistes mondiales.
Cette thèse a sUCcrssivement pr~sent~ l'importa­
tion comme une dotation k l'armée soviétique -
cas d'une
usine
de camions clé-e -main en fait destinée au sec­
teur militaire -,
ou c mme un soutien indirect -, cas
d'~quipement (manifeste ent civils), mais dont la livraison
libère en U.R.S.S. das
acteurs de productions dès lors
affectables au secteur
ilitaire -, ou encore comme un
soutien global au dével ppement au complexe:militaire
industriel scvi~tique - multiples exemples de machines destin~es
aux secteurs miniers, é ergétiques, métallurgiquAs, méca­
niques etc, ou enfin co me une assistance plus spécifi­
quement tebhnologique,
as des ordinateurs.
Cette thèse dans son ensemble~;admet l~ prinuipe suivant

60
selon lequel les dirigeants soviétiques poursuivent par
des voies détourné~s des objectifs stratégiques. Et comme
beaucoup d'autres critiques du système soviétjque, elle
suppose que son autoritarisme interne la prédispose plus
généralement à la violence y compris vis-à-vis de l'ex­
térieur.
La ~rainte de cette violence dont l'ombre pèse cons­
tamment sur les relations Est-Ouest est l'une des raisons
qui étouffent le développement du commerce entre ces deux
blocs.
Autre aspect de la théorie du commerce extérieur so­
viétique avec les pays capitalistes développés c'est la théo­
rie de la division internationale du travail.
Nous avons déjà indiqué quelle était la substance
de l~ doctrine soviétique à ce sujet. Il semble résulter
de cette dernière qu'une division internationale du tra­
vail digne de ce nom, ne peut exister qu'entre pays so­
cialstes. Car elle r~sulte de la similitude des systèmes
internes intercommuniquant- en théorie et en pratique.

61
Or on sait que cette similiture des systèmes n'exis­
te
pas (au niveau de la politique des prix, de la politi­
que monétaire et de la politique
de taux de change) entre
les pays socialistes et les pays capitalistes. C'est
pourquoi la plupart des pays socialistes dans leur com­
merce avec l'Ouest préfèrent recourir à des formules de
coopération et de règles de compensation comme moyen de
garantie et de règlement, en l'absence d'une véritable
politique monétaire et de politique de prix servant de ré­
gulation au commerce.
Deux questions se posent également ici : -
pre­
mièrement, i l reste à savoir si la division internationale
socialiste du travail définie sous cette forme n'exclut
pas un développement à la longue d'échange entre pays
socialistes et pays capitalistes d'une part, et d'autre
part, si à'l'intérieur du camp socialiste, elle n'est pas
soumise à des tensions idéologiques en raison non seuleu­
ment de la diversité des tailles, mais égalemAnt des
intérêts propres à~chaque pays '; -
deüxi~mem·ent, du fait
que les relations commerciales intracaem ne suivent pas
les règles du marché international, étant donné les poli­

62
tiques de prix et de monnaie totalement opposées, est-ce
que le mode de régulation d'un tel commerce n'aboutit pas
à des résultats défavorables à l'U.R.S.S. et aux pays de
l'Est.
Il ya donc là aussi, la constatation de la problématique
du commerce entre des Etats où les leviers de commande de l'écon~
mie sont directs (le cas de l'U.R.S.S. et des pays de l'Est)
d'une part et d'autre part, entre ceux-ci et les Etats où
les leviers de commande de l'économie sont ind~rects c'est­
à-dire soumis à des tensions entre l'offre et la demande
(le cas des pays capitalistes).
3)
LE CONCEPT DU COMMERCE DE L'U.R.S.S. AVEC LES PAYS
SOUS DEVELOPPES
Le principe de base qui domine la théorie soviétique
du commerce extérieur avec les pays sous développés est
d'aider et de contribuer à la lutte de ces pays pour leur
indépendance politique et économique, contrairement à ce

63
que font les pays capitalistes qui n'y voient que leurs
intérêts égoistes, moyennant l'exploitation et l'appauvris­
sement de ces pays.
On peut ainsi noter : "la tiche définie dans les
grandes options de l'économie nationale de l'U.R.S.S.
pour 1976-1980, consiste à élargir et à consolider les rap­
ports économiques scientifiques et techniques à long terme
entre l'U.R.S.S. et les pays en voie de développement sur
une base stable et mutuellement avantageuse, en contribuant
au
développement de l'économie nationale et au renfor­
cement de l'indépendance économique de ces pays, ainsi qu'à
la croissance de leur potentiel scientifico-technique" (37).
Pour manifester leurs bonnes intentions, les diri­
geants soviétiques vont jusqu'à formuler des idées sur la
division internationale du travail, très proche de la
théorie des coûts comparatifs. Ainsi s'exclament-ils:
pourquoi alors développerions-nous en U.R.S.S. des pro­
ductions que d'autres pays peuvent assurer plus avantageu­
sement. Il s'agit bien entendu de productions primaires.
(37) Economie politique
Le socialisme, p. 696, Ed. du
Progrès -
Moscou 1977, cité.

64
L'U.R.S.S. dans ce domaine prétend appliquer un prin­
cipe juste, celui d'acheter des produits primaires à des
prix avantageux aux pays producteurs. Alors qu'en échange
de ces produits, elle livre essentiellement des équippements
dont le prix peut ainsi compenser l'avantage qu'elle ac­
corde en achetant des produits de base à des prix plus
forts.
Cette question des termes d'échange se pose d'une façon
analogue dans les relations entre l'U.R.S.S. et les pays
sous développés
lorsqu'il s'agit de crédits ou de prêts.
N'oublions pas en effet que la plupart du temps, le rem­
boursement de ces crédits a lieu au moyen de fournitures
de marchandises. Dès lors une appréciation complète et
objective des conditions dans lesquelles s'effectuent les
échanges commerciaux et financiers entre l'Union Soviétique
et les pays sous développés ne peut-elle se faire que si
l'on prend en considération le but essentiellement poli­
tique visé dans ce domaine. La plupart des observateurs de
la politique étrangère soviétique estiment que ce but visé
par l'U.R.S.S. n'est pas inintéress,é
. Le dégré d'inter­
prètation de cette affirmation est très variable, ce qui

65
rend cette hypothèse très fragile quelle que soit la dé­
monstration qui en est faite.
Ce qui est cependant certain, c'est que l'aide sovié­
tique quelle qu'elle soit a tendance à forcer le degré du
dirigisme en poussant celui-ci à l'étatisation de l'économie.
Cette tendance est renforcée par la dépendance dans laquel­
le les achats soviétiques de produits mettent les pays en
voie de développement.
On peut donc se demander si la participation forcée de
l'U.R.S.S. au développement des pays sous développéset à la
lutte pour leur indépendance économique et politique, cor­
respond bien, non seulement à la force réelle de son éco­
nomie, mais aussi aux besoins réels des pays sous développés
eux-mêmes.
b)
QUELQUES OBSERVATIONS
L'examen ci-dessus de "la théorie du commerce extérieur"
de l'U.R.S.S. appelle deux remarques: -premièrement, bien
que critiquant la théorie libérale du commerce extérie~r,

66
c'est-à-dire la théorie des coûts comparatifs, c'est jus­
tement à cette théorie que les dirigeants soviétiques recou­
rent dans leur commerce avec les pays en voie de dévelop­
pement. Ainsi par exmple, les soviétiques n'achètent pas
les produits primaires aux pays en voie de développement
à des prix qui tiennent réellement compte du coût de revient
de ces produits primaires, car ils savent qu'ils seront
perdants comparativement aux autres clients des pays sous
développés pour les mêmes produits. Ils achètent au contraire
ces produits conformément aux normes établies par les règles
du marché mondial. Or on sait que dans le contexte du mar­
ché mondial les prix des matières premières baissent alors
que ceux des produits industriels montent. On peut prati~
quement dire dans ces conditions que le comportement de
l'U.R.S.S. vis-à-vis des pays du Tiers-Monde n'est pas
totalement différent de celui des pays occidentaux. G'est
là l'un des problèmes du commerce Est/Sud. La confronta­
tion Est/Sud dans le commerce est donc dûe à des faits pré­
existants au problème du pétrole, à une structuration du
commerce international qui n'a pas été fondamentalement chan­
gée par l'explosion du prix du pétrole, sauf pour les pays
de l'O.P.E.P.

67
,
Ce problème se pose également au commerce Est/Est, ou
l'U.R.S.S. et certains pays du CAEM préfèrent vendre cer­
tains types de produits (le pétrole et les matières pré­
cieuses : l'or et le diamant par exemple) aux occidentaux
qu'à leurs partenaires socialistes, à des prix de marché
mondial plus rémunérateurs qu'à des prix plus bas fixés par
l'administration socialiste.
La question posée est donc de savoir pourquoi clame-t-on
plus haut les mérites d'une théorie socialiste du commerce
extérieur que l'on a du mal à mettre en pratique, alors
qu'en sourdine et dans les faits pratiques, on préfère re­
courir aux principes d'une théorie que l'on critique chaque
jour.
La réponse à cette question appelle nécessairement la
deuxième remarque -
Cette remarque peut se situer à plusieurs
niveaux. En ce qui nous concerne et dans l'hypothèse de ce
travail, nous la situons dans les difficultés qu'éprouve
l'Union Soviétique dans la conception générale d'une thèo­
rie du commerce extérieur propre à son système.
En fait, i l n'y aurait pas de théorie du commerce extérieur

68
propre aux pays socialistes. Le recours à la théorie des
coûts comparatifs dans le commerce international en fournit
la preuve. De ce fait, les critiques adressées contre les
théories capitalistes du commerce, et l'interprétation par
polarisation des concepts du commerce extérieur, ne cons­
tituent pas une théorie, mais expriment plutôt une posi­
tion d'idéologie et de slogans politiques.
Or dans le premier chapitre, nous avons évoqué le fait
que l'Union Soviétique de nos jours éprouve le besoin de voir
s'Qccroitre ses échanges, notamment avec les pays capitalistes
développés.Il faut donc dire que les possibilités d'un tel
développement dépendront davantage de facteurs qui tien­
nent à la conception d'une théorie socialiste du commerce
international qu'à la volonté de ses partenaires du monde
occidental.
Car s ' i l n'est pas du tout exclu qu'il y ait des rap­
ports économiques suivis pouvant subir une intensification à
certaines
époques, entre pays à systèmes économiques dif­
férents, tout ce qu'on sait par simples observations montre
cependant qu'il y a là une cause permanente de difficultés.

69
La question qui se pose donc est de savoir s ' i l existe
une théorie socialiste du commerce extérieur.
B)
EXISTE-T-IL UNE THEORIE SOCIALISTE OU MARXISTE
DU COMMERCE EXTERIEUR ?
C)
LA POSITION DU PROBLEME
Les observations faites sur l'étude précédente, ont
montré que les économies planifiées n'avaient pas disposé
véritablement d'une théorie du commerce extérieur qui leur
soit propre, mais en même temps celle des économies occi­
dentales ne leur paraissait pas applicable.
Quant aux travaux de Marx, ils visaient essentiellement
la critique de la société capitaliste de son époque.

70
Son principal apport n'a donc pas été une théorie, ni même
des conseils portant sur la gestion d'une économie socia­
liste. Voici ce que Marx disait: "Je n'ai jamais éta­
bli de système socialiste" (38). Par contre, Marx se préoc­
cupait essentiellement des problèmes liés au libre-échange
et au protectionnisme de son temps. Il croyait que dif­
férentes politiques pouvaient être recommandées pour ré­
soudre un problème. Selon lui, le commerce extérieur et
des politiques commerciales particulières, pouvaient être
utilisées à différentes étapes du développement écono­
mique. "Si le protectionnisme pouvait paraitre plus appro­
. , 1
d
.,'~
r
1
é
p r a e
ors
es pzo-e1!l1ereSSuapel!l, e e'l!!lte libre- change qui
était préférable lors des
suivantes (39).
Ses successeurs immédiats se préoccupèrent également
du libre-échange et du protectionnisme de leur époque, dans
le système capitaliste.
(38) K.Marx : "Notes critiques sur le traité d'économie po­
litique d'Adolph Wagner: 1880, p.1532, dans
K. Marx "Oeuvres Economie" Tome 2. Ed, Gallimard
1968.
(39) Gottfried Haberler
"Theoretical reflexions on the trade
of socis.list economies", p. 29, dans
Brown & Neuberger. "International
Trade and Central Planning", cité

71
Kautsky, par exemple était un partisan du libre-échange.
Il s'opposait aux tendances protectionnistes qui exis­
taient dans la branche "Trade-Union" du parti social
démocrate.
Si ce nlest le débat théorique des années 1920, en
U.R.S.S. et qui précéda le choix du modèle autarcique,
i l nous faut constater une absence presque totale de
théorie du commerce extérieur, dans les pays de l'Eu­
rope de l'Est (40). De Lénine à Brejnev en passant par
Staline, ce vide théorique nia pu être comblé. La même
constatation a été également faite par Marie Lavigne (41)
dans son récent ouvrage.
Il existe par contre des critiques de la théorie
des coûts comparatifs, tel que nous l'avons montré
(dans le c h a p . II, § 4).
Cependant le caractère irrationnel que le commerce
extérieur de ces économies a souvent présenté a fini par
(40) A. Bol th 0 :" For e i g n t rad e cri ter i a in soc i a lis t con tri es" ,
cité, p. 63.
(41)
Cf. M. Lavigne :"Economie internationale des pays soci­
listes", p. 11 à 13, Ed , A. Colin, Paris
1985

72
provoquer la redécouverte de la théorie de Ricardo.
Le calcul de l'apport du commerce extérieur, et son
orientation rationnelle ne peuvent être déterminés
que par une comparaison des valeurs internationales
et des valeurs nationales.
Le véritable problème auquel les économies de type
soviétique étaient confrontés était bien de mesurer les
différents coûts, afin de déterminer dans lesquels ils
pouvaient disposer d'un avantage compratif. Cependant,
la signification qu'auraient pu revêtir de tels calculs
est limitée. Les deux éléments sur lesquels repose l'é­
valuation des coûts comparatifs étaient démunis de valeur
économique: -
le prix de biens ne reflètait les coûts
d'opportunité. Les coûts de production n'y étaient qu'im­
parfaitement incorporés. La demande n'avait pratiquement
pas d'influence sur les décisions de productions (nous
y reviendrons).
Les taux de change étaient généralement surévalués.
Leur rôle n'était pas d'égaliser l'offre et la demande
de devises étrangères. Il ne visait pas non plus, à é­
quilibrer la balance des paiements. Ces taux de change
n'étaient pas reliés à une estimation de la parité des
pouvoirs d'achat.

73
De plus dans chaque économie, i l existait plusieurs
taux. La théorie occidentale ne pouvait donc, avoir que
,
. ,
des applications très limitées dans ces econom~es a
planification centralisée. Malgré l'intérêt croissant
qui lui a été porté depuis 1950 (42), la théorie des
coûts comparatifs était irréconciliable avec les méca­
nismes institutionnels et de la planification, avec l'ab­
sence de concurrence, le caractère du système des prix
internes, et le déséquilibre des taux d'échange.
Pour que le planificateur puisse effectuer un cal­
cul rationnel, i l est indispensable qu'il utilise un
système de valeur, ou prix, reflètant la valeur rela­
tive des biens dans l'économie. cependant, les écono­
mistes des pays socialistes n'étaient pas dépourvus de
toute analyse théorique qu'il. auraient pu transporter
dans le domaine du commerce extérieur. Ils disposaient
de la théorie de la valeur travail de l'analyse mar­
xiste. Elle bénéficiait d'un soutien idéologique. Des
tentatives avaient été faites pour l'appliquer dans
la planification de l'économie. Ils auraient également
pu utiliser la transposition de l'analyse de l'école
du bien être due
aux travaux de Lange et de Lerner.
Elle aurait permis de prendre en considération l'inter­
42) Alan Brown
"Towards a theory of-centrely planning
foreign tradl, p. 83, cité.

74
action entre l'offre et la demande, qu'elle soit mise
en évidence par un marché réel, ou par une simulation,
lors de l'élaboration des plans nationaux. Cette méthode
aurait donc, combiné tous les avantages de l'économie
du marché avec ceux de la planification. Une fois le
prix déterminé par l'une de ces deux méthodes, le flux
du commerce extérieur aurait pu s'ajuster, qu'il soit
planifié ou spontané, aux structures de prix interna­
tionales.
Nous allons examiner successivement ces deux analyses,
afin de voir l'apport qu'élles auraient pu fournir aux
planificateurs, mais également les raisons pour les­
quelles elles n'ont pas été retenues.
b)
L'APPROCHE MARXISTE DU COMMERCE EXTERIEUR
LE RECOURS
A LA THEORIE DE LA VALEUR TRAVAIL
Dans cette théorie, deux concepts concernent directement
notre problème: la valeur d'une marchandise et son prix.
1)
"LA VALEUR" D'UNE
MARCHANDISE
L'économie moderne repose sur l'échange des marchan­

75
dises. Les agents désirent se procurer ces marchandises
parce qu'elles ont, pour eux, une valeur d'usage. Celle-ci
dépend des besoins particuliers qui peuvent, ainsi
être satisfaits. Le besoin social, c'est-à-dire la va­
leur
d'usage ~ l'échelle sociale est un "facteur dé­
terminant pour la quantité de- temps de travail social
en usage dans les différentes sphères particulières de
la production"
(43). Cette valeur d'usage sert, en
général, de support à la valeur d'échange, sans en être
la cause (44).
Pour Marx, valeur d'usage et valeur d'échange ne
constituent pas des antithèses dans lesquelles l'abs­
traction "valeur" se scinderait (45). Mais "il faut que
les marchandises soient comme valeurs d'échange (46).
La valeur d'une marchandise est déterminée par la quan­
tité de temps de travail que coûte sa production (47).
Plus précisement, c'est le travail-temps socialement
(43) K. Marx
"Le capital", livre 3,Ed. de la Pléiade, p.130~
(44) K. Marx
"Le capital", livre 3 , p. 1315 .
(45) K. Marx
"Notes critiques", p. 1543 .
(46) K. Marx
"Le capital", livre 2, p. 505.
(47) K. Marx
"Notes critiques", p. 1533.

76
nécessaire à la production, dans les conditions en
vigueur du moment. Il peut être déterminé, en rame­
nant toutes lès catégories de travaux, à du "tra­
vail abstrait". L'intensité du travail fourni est
prise en considération, ainsi que la qualification
nécessaire pour produire un bien. Dans la valeur
d'échange des produits, seul le travail "productif"
est pris en compte, c'est-à-dire que l'activité
purement commerciale n'est pas retenue.
2)
LE PRIX D'UNE MARCHANDISE
Le prix de production d'une marchandise lui est
égal à son coût de production auquel on ajoute un pro­
fit moyen (48). Comme la plus value peut être su­
périeure au profit, le prix d'un produit peut dif­
férer de sa valeur (49). Cependant, les écarts entre
les valeurs et les prix se compensent sur l'ensem­
ble de la production. Pourtant, comme le prix de produc­
(48) K. Marx
"Le capital, livre 3", p. 949, cité.
(49) K. Marx
"Le capital, livre 3", p. 953.

77
tion qui contient le prix de production d'une autre mar­
chandise peut lui aussi s'écarter de la partie de sa va­
leur globale qui provient de la valeur des moyens de pro­
duction consommés (50). Mais, le coût de production
d'une marchandise sera toujours inférieur à sa valeur.
Dans le long terme, les prix vont se conformer à la
valeur même si des fluctuations à court terme peuvent les
en faire dévier de façon temporaire. Pour Marx (51), dire
que les marchandises ont une valeur d'usage signifie
qu'elle satisfont un besoin socail. Celui-ci est fonc­
tion des rapports entre les différentes classes sociales,
et de leur position respective dans l'économie. Les
vendeurs ou la marchandise déterminent la valeur d'usage,
tandis que les acheteurs, ou l'argent, représentent la
valeur d'échange. Ce sont les disparités entre l'offre et
la demande qui entraînent les déviations entre les prix
du marché, et les valeurs marchandes. En d'autres termes,
l'offre et la demande ont la fonction bien définie d'ex­
pliquer les fluctuations de prix autour du prix d'équi­
(50) K. Marx
"Le capital, livre 3", p. 957.
(51) K. Marx
"Le capital, livre 3", p. 976.

78
libre, mais pas d'expliquer ce prix d'équilibre.
Cette représentation met en évidence plusieurs élé­
ments qui, sous des vocables différents, concernent
directement le commerce international. Cependant, avant
d'aborder ce problème, i l convient de présenter les prin­
pales critiques adressées à cette théorie.
3)
LES CRITIQUES ADRESSEES A LA THEORIE
Elles sont nombreuses (52). Ainsi, i l lui est re­
proché d'ignorer l'existence de facteurs rares, autres
que le travail. D'autre part, i l existe des biens que
lIon trouve à l'état naturel et qui, donc, n'ont pas
exigé de travaIl. Celui-ci ne constitue pas une unité
qualitativement homogène. En fonction du progrès tech­
nique, la quantité de travail nécessaire pour produire
un objet n'est pas une donnée stable. De plus, les
procédés de production, grâce auxquels des économies
(52) Charles Bettelheim
"Problèmes théoriques et pra­
tiques de la planification".
F. Maspero, Paris, 1970, 304, p. 63.

79
de travail importantes peuvent être réalisées, ont bien
souvent nécessité des investissements importants. Les dé­
penses de travail occasionnées par leur création peuvent
donc avoir été importantes.
Cette théorie ignore, également, l'influence de la
demande sur l'échelle de production, et, de ce fait,
sur les prix. En effet, si une entreprise détermine son
niveau de production le long de sa courbe de coûts moyens,
ses prix vont varier. A moins qu'elle ne se situe dans une
zone de coûts constants, l'évolution de ces derniers ira
dans un sens inverse de celui des rendements.
Aujourd'hui encore, pour des économies soviétiques
ou non, i l est impossible de calculer le travail temps
socialement nécessaire.Mais pour d'autres, tels que
Brody(53), la solution optimale de tableaux d'inputs­
outputs permettrait de mesurer tous les inputs de travail
qu'ils soient directs ou indirects, exprimés en homme an­
nées, par unité de production, en terme physique, ou en
valeur. De ce fait, un système de prix basé sur la va­
leur-travail est devenu réalisable.
(53)
Andreas Brody : uPropositions priees and planning"­
Budapest, 1970, 194 p. Et North-Rolland,
Amsterdam.

80
4)
LES PROBLEMES PRATIQUES
Un
système dans lequel les échanges entre pays
reposeraient sur la valeur-travail, n'exclurait pas
la nécessité de définir une base commune pour détermi­
ner les valeurs internationales. L'analyse de Marx
nous en fournit une. Selon lui, la valeur interna­
tionale d'un bien n'est pas déterminée par une moyen­
ne des valeurs nationales, mais par le travail-temps
socialement nécessaire, et les conditions sociales de
production dans les pays qui offrent l'ensemble de la
production sur le marché mondial.
L'utilisation d'un tel système soulève un problème
important. C'est celui de l'exploitation (54). Selon
Marx, un échange entre deu~ produits est équivalent,
s'ils contiennent le même montant de travail-temps.
Il est donc fortement probable que, sur le marché mon­
dial, l'échange soit non-équivalent. En effet, une éco­
nomie, dont les conditions de travail sont plus dévelop­
(54) Samir Amin
"L'échange inégal et la loi de la valeur".
Ed. Anthrop -
Idep. 145 p., Paris 1973.

81
pées que celles de ses partenaires, sera capable de pro­
duire une valeur donnée avec un travail-temps moins im­
portant. Il pourra, donc vendre sa production au-dessous
de sa valeur, et moins cher que les économies concur­
rentes. Dans ce cas, l'échange sera inégal à son avan­
tage, puisqu'il recevra plus de travail, c'est-à-dire de
productivité, qui existe
entre les pays, font qu'à
l'échelle internationale le concept d'échange équivalent
de Marx est incorrect, car postulé en économie fermée.
Il engendrerait une spécialisation basée sur un avantage
comparatif, par rapport à un avantage absolu.
Pour qu'un échange équivalent s'établisse, i l fau­
drait que la division internationale du travail, soit
telle que, chaque économie, tout en échangeant diffé­
rentes quantités de travail-temps dans le commerce in­
ternational, réalise la même épargne en travail-temps.
Théoriquement, i l est impossible de définir un tel
système de prix, qui reflètent les unités de travail-temps
sans conduire à un échange inégal. Il semble que ce soit
le système vers lequel le CAEM a tendu à un moment donné si

82
l'on se refère au désir souvent exprimé d'abandonner les
prix mondiaux, au profit d'un système de prix indépendants
Mais, jusqu'à ce niveau de raisonnement, le système de
prix de la théorie de la valeur-travail est statique. Si
elle n'est pas accompagnée d'une planification interna­
tionale consciente, elle sera incapable de mettre en évi­
dence ce que pourrait être1e modèle de spécialisation à
long terme, le plus avantageux pour chaque pays. En outre,
si le calcul du travail-temps socialement nécessaire est
possible dans chaque pays, opérer ce même calcul de ni­
veau international serait beaucoup
difficile.
5)
LES DIFFICULTES D'UNE EVALUATION COMMUNE
On sait que la Bulgarie est la seule, parmi ces éco­
nomies à avoir sérieusement proposé l'adoption du travai1­
temps comme base pour un système de prix au niveau de CAEM.
La productivité de son travail était la plus faible dans
l'ensemble des pays membres. De ce fait, c'est elle qui
aurait le plus bénéficié de cette méthode de calcul des prix.

83
En effet, elle lui aurait procur~ des ~ermes de·l~~chan­
ge plus favorables que n'importe quelle autre méthode. Elle
lui aurait permis d'exporter des produits incorporant une
plus grande quantité de travail, en ~change d'importations
de produits incorporant une plus grande quantit~ de capi­
tal, facteur rare.
Cependant le r~sultat net que l'on pourrait attendre
d'une telle méthode d'évaluation d~pend du type de sp~­
cialisation qui en d~coulera. En effet,les r~sultats en
seront diff~rents, selon que les pays adopteront une sp~­
cialisation absolue, ou une sp~cialisation partielle.
Si l'~conomie la moins productive n'est pas la seule à pro­
duire un bien donn~, la méthode sera moins avantageuse
pour elle qu'elle ne le pr~voyait. Dans ce cas, si pour
ne pas lui rendre tout ~change impossible, les prix au
niveau du CAEM sont bas~s sur sa propre productivit~, les
autres pays produisant le même bien gagneront un surplus
du producteur dans l'~change international. On peut en at­
tendre une r~duction de ce commerce international.
C'est l'une des raisons pour lesquelles cette pro­
sition a ét~ rejetée par la Tch~coslovaquie et la R.D.A.

84
Ces deux économies qui disposaient des niveaux de produc­
tivité les plus élevés du CAEM étaient plus favorables à
un système de prix unique, qu'il soit d'origine capi­
taliste ou socialiste. Des tentatives furent faites pour
trouver des indicateurs physiques, permettant de guider
la connaissance des avantages comparatifs. Mais elles
restèrent limitées à quelques types de productions, rela~
tivement homogènes. Dans la recherche d'une méthode d'é­
valuation commune, des économistes de la R.D.A propo­
sèrent de lier les prix du commerce extérieur à l'inté­
rieur du bloc à ceux pratiqués à l'intérieur de l'UR.S.S.
Mais, comme i l leur fut opposé, i l est difficile d'adopter
la valeur nationale d'un pays comme base d'évaluation
pour les échanges internationaux.
En définitive, face aux difficultés pour trouver une
évaluation commune propre, les prix pratiqués sur les mar­
chés mondiaux constituent la seule référence qui leur soit
disponible. Mais cette
pratique ne résolvait pas tous les
problèmes. C'est le cas par exemple, de la parfaite con­
naissance de ces prix.
Les distortions des prix du marché mondial par rapport
aux valeurs définies selon la théorie marxiste, furent jus­

85
tifiées par l'existence de monopoles et de cycles. De même,
on estimait que l'inflation était jugée comme provenant
de certaines pressions, notamment militaires. Tous ces
facteurs étaient considérés comme l'aboutissement d'un
processus historique. Les prix du marché mondial sem­
blaient donc refleter la valeur internationale des biens.
Les fluctuations de ces prix peuvent créer de nou­
velles difficultés pour les économies planifiées. Les pays
du CAEM ont cru les lever en stabilisant les prix dans
leurs relations, pour des périodes des plus ou moins
longues. Théoriquement, ce choix soulève de nouveaux
problèmes. En effet si les prix pratiqués dans le réseau
socialiste sont maintenus durablement à un niveau su­
périeur aux prix du réseau capitaliste, i l pourrait
en résulter un détournement d'échanges, les pays de
l'Europe de l'Est étant incités à chercher leurs impor­
tations hors du réseau socialiste. A l'inverse, si les
prix socialistes étaient maintenus à un niveau infé­
rieur aux prix capitalistes, c'est vers ce réseau qu'ils
seraient incités à exporter. Cependant pour qu'un tel
détournement d'échanges puisse véritablement se produire,

86
i l faudrait que certaines caractéristiques du commerce
extérieur des payx socialistes soient modifiés,
en particulier que les monnaies soient convertibles.
Ce n'est que faute de mieux, que les prix mon­
diaux pouvaient apparaître comme le système le plus ra­
tionnel pour la CAEM. Mais, ils ne pouvaient pas être
considérés comme reflètant les coûts d'opportunité.
En effet, cela aurait supposé que les échanges entre le
bloc et le reste du monde soient parfaitement fluides,
et la spécialisation optimale. Comme ce n'était pas le
cas, dans une zone vivant une auto-suffisance globale,
un système de prix plus autonome aurait pu paraître
mieux adapté. Il aurait pu rendre compte des relations
de rareté réelles de la zone, et non pas de celles
existant sur le marché mondial. Ainsi, si nous considé­
rons les variations des prix sur le marché mondial au
cours de la période 1960-1964, elles ont entraîné un
déplacement des termes de l'échange à l'intérieur du
CAEM, au détriment des produits primaires. La surproduc­
tion de biens d'équipement et la rareté des matières
brutes en a été aggravé; rendant nécessaire la mise

87
au point d'un système de crédit mutuel.
La théorie marxiste de la valeur-travail ne'joue
donc pas un rôle essentiel dans l'explication des politi­
ques de commerce extérieur des économies à planifica­
tion
centralisée. Mais les planificateurs pouvaient
disposer d'une autre théorie, plus récente spécialement
élaborée pour ce type d'économies "le modèle théorique
Lange-Lerner".
c)
LE MODELE THEORIQUE LANG-LERNER
Oskar Lange a construit son modèle (55) pour ré­
pondre aux critiques adressées au système socialiste par
les économistes des pays occidentaux (56). Pour ces der­
niers, un calcul économique rationnel est impossible dans
les économies pratiquant un régime de propriété collecti­
(55) o. Lange: "On theeconomic theory of socialism ", reproduit
pp. 92-110 dans Alec Novek D.M. Nuti : "Socialist
Economie" Selected readings, Penguin Education,
England, 2 éd. 1974, 526 p.
(56) W. Brus: "Problèmes généraux du fonctionnement d'une
économie sociali~te", Paris Maspero, 1968.

88
ve des moyens de production. Bien que l'objectif visé par
Lange ne soit pas orienté vers les problèmes du com­
merce extérieur, une représentation de ce modèle nous
permettra d'envisager son application
et de déter­
miner s ' i l apporte un éclairage à la politique des éco­
nomies planifiées, en particulier à celle de l'U.R.S.S.
1)
L'HYPOTHESE DU MODELE
Lange, dans son modèle a cherché à adapter les ap­
ports de l'équilibre concurrentiel, considérés typiques
d'une économie de marché, aux besoins d'une économie
planifiée. De ce fait, sa théorie a été l'objet de nom­
breuses critiques (nous y reviendrons).
Pour intégrer le système de marché dans la plani­
fication, i l faut qu'une échelle de préférence soit
établie (57) au niveau de l'économie, et qu'un systè­
(57) B. Boucon, J. Bourles, J.M Lorenzi et B. Rosier: "Modèle
de planification. décentralisée, typolégie critique et voies
de recherches". P.U. de Grenoble. 1973, 230 p., page 37.

89
me d'indicateurs permette de procéder à des choix.
L'échelle des préférences orientant l'allocation des
ressources, et la production, est fournie par les pré­
férences des consommateurs. Elles s'expriment par la
relation de leur demande aux prix. Le principe de la
souveraineté des préférences individuelles est donc re­
connu. Cela implique l'existence d'un marché réel, et
que les décisions du bureau de plan soient déterminées
par ces pre~f~
erences.
Le bureau central du plan fournit des règles de
comportement aux différents agents économiques. Elles
correspondent aux conditions d'optimalité d'un équi­
libre concurrentiel. De ce fait, si toutes les entre­
prises sont propriétés collectives, leurs directeurs
ne s'en conduisent pas moins comme des entrepreneurs en
situation de concurrence parfaite. Ils cherchent à
minimiser leur coût unitaire moyen pour chaque produit,
afin de déterminer la combinaison optimale des
facteurs
de production. Pour déterminer son échelle de produc­
tion chaque entreprise cherche à examiner son profit.
Pour cela, comme l'indique l'analyse de l'équilibre con­

90
currentiel, elle s'efforce d'égaliser les prix de ventes
et le coût marginal pour chaque produit. L'ensemble
des entreprises doit égaliser les productivités mar­
ginales de chaque facteur de production, afin de réa­
liser une allocation optimale.
Les indicateurs de choix, ou prix, sont déter­
minés selon un processus différent selon que le pro­
duit en cause soit un bien de consommation ou un bien
de production.
En ce qui concerne les biens de consommation et la
force de travail, les prix sont établis par la rencon­
tre sur le marché de l'offre et de la demande. selon
Lange, cette procédure est un révélateur de l'urgence
des besoins à satisfaire.
Les
prix des moyens de production sont fixés par
une procédure
de tâtonnement, analogue à celle dé­
finie par
Walras (58). Elle constitue une véritable
(58) Walras Brus
"Probl~mes généraux du fonctionnement d'une
économie socialiste, cité, Paris Maspero,196

91
simulati9n du marché, et assure que le prix, ainsi déter­
miné, sera un prix d'équilibre. Le bureau du plan adres­
se un plan aux différentes unités de production qui
leur servira de référence pour leur calcul économique.
Ces derniers adressent au bureau les résultats de leurs
calculs. Cela permet à celui-ci de comparer l'offre et la de­
mande pour chaque produit. Si un équilibre n'apparaît
pas à ce stade, les prix initiaux sont corrigés, et re­
tournent vers les entreprises. Ce mouvement de va-et­
vient sera poursuivi, jusqu'à ce que pour chaque bien,
l'équilibre soit réalisé entre l'offre et la demande.
Une procédure identique lie le bureau du plan et la
banque centrale chargée de la collecte et de l'épargne
auprès des différents agents économiques. Elle permet­
tra de déterminer le taux d'interêt assurant l'équi­
libre entre l'offre et la demande de capitaux. C'est
le bureau du plan qui assure la répartition du capital
entre les différentes branches. Il est donc respon­
sable du choix du taux d'accumulation. Il en est de même
des principes généraux de la répartition des revenus.
Le rôle rempli par les directeurs d'entreprises et

92
la fonction attribuée aux prix permettent donc, la
substitution d'un bureau de planification au marché con­
currentiel. Elle peut conduire à une allocation opti­
male des ressources. Selon Lange, elle peut, même, ap­
paraître désirable. En effet, les imperfections que
l'on trouve sur le marché capitaliste, telles que la
concurrence monopolistique, ou l'existence d'oligopoles,
font que l'allocation optimale des ressources est un
idéal hors d'atteinte. L'action centralisée pourraît
éviter ces déviations. La théorie du bien-être, élabo­
rée dans le cadre de la théorie de la concurrence pure
et parfaite ne serait, donc pas incompatible avec les
institutions socialistes et la propriété collective
des moyens de production. Au contraire, ce serait,
peut-être, le meilleur moyen d'atteindre l'idéal de
la théorie créée par les partisans du libéralisme.
Voyons à ~résent comment pourrait ê~reappli-
quée une telle théorie au commerce extérieur d'une
économie à planification centralisée ·de type soviétique.

93
2)
L'APPLICATION DU MODELE AU COMMERCE EXTERIEUR SOVIETIQUE
Notons que les préoccupations de Lange et de Lerner
ne se portaient pas sur les problèmes du
commerce exté­
rieur d'une économie socialiste. L'application de ce mo­
dèle ne pose, pourtant, que peu de difficultés en théorie.
La question que nous devons nous poser, est de savoir si
une économie planifiée verrait sa position améliorée par
l'introduction d'un tel modèle, et si les raisons qui
l'ont empêchée sont liées à ses caractéristiques propres,
ou au contexe politique de l'époque.
Pour répondre à cette question, supposons que s ' i l
n'existe aucune discrimination entre les biens produits
et les biens étrangers, le prix de ces produits pourra
remplir une fonction identiques à celle des prix
fixés par le bureau de planification. Les directeurs
d'entreprises considèreront ces prix comme des données,
tout comme les autres prix internes. Ils achèteront les
facteurs de production, et les produits, qu'ils pour­
ront obtenir dans les meilleures conditions, soit à

94
l'étranger, soit dans léconomie nationale. Dans ces
conditions, la présence ou l'absence d'agences d'Etat
spécialisées ne modifie pas le problème.
Dans l'hypothèse qui correspond aux situations
concrètes, du maintien d'entreprises chargées du commer­
ce extérieur, nous pouvons supposer avec Lerner(59) que
les directeurs des ·entreprises spécialisées dans les
importations achèteront à l'étranger, jusqu'à ce que
la valeur en devises d'une unité monétaire interne leur
permettent d'acquérir à l'étranger un montant de biens
qu'ils pourront revendre sur le marché national, contre
une unité monétaire interne. Le processus inverse
serait appliqué aux entreprises chargées des exportations.
Dans cette perspective, le taux de change pourrait
être considéré comme un autre prix de compte, dont le
niveau serait établi pour équilibrer l'offre et la demande
de devises. En d'autres termes, abstraction faite des
coûts de transports, des différentes formes de restric­
tions et du type de spécialisation adopté, le commerce
(59) A.P. Lerner
"Economics of Control", New-York,
Mac Millan, page 346.

95
serait mené jusqu'au niveau où le prix relatif s'éga­
lise à l'intérieur et à l'extérieur. Les critères qui
permettent au pays de choisir entre importations et ex­
portations sont, alors, relativement simples. Comme dans
le cas des économies de marché du monde capitaliste,
la considération des coûts comparatifs peut apporter
une solution. Les critères éclairant la prise de déci­
sions sont donc les mêmes, que le choix sur le volume
des importations et des exportations soit le fait d'a­
gence d'Etat de commerce extérieur, ou de dirigeants
individuels d'entreprises.
Le commerce extérieur d'une telle économie so­
cialiste "concurrentielle" peut donc être analysé à
l'aide des outils de la le théorie du Bien-Etre.
Le commerce extérieur sera poursuivi jusqu'à ce que les
prix relatifs soient égaux dans le monde entier. Un
optimum au sens de Pareto sera alors atteint. La trans­
position du modèle Lange-Lerner dans le domaine du com­
merce extérieur des économies socialistes ne pose donc
pas de difficultés sur le plan théorique. Cependant nous
devons nous interroger sur les avantages que pourrait
présenter une telle méthode.

96
3)
L'APPORT DU MODELE
Compte tenu de· ce qui a ~t~ pr~cédemment dit, nous
sommes en pr~sence d'une adaptation directe des critè­
res de d~cision relatifs à la structure des exportations
et des importations dans le système capitaliste. Il n'exis­
te aucune diff~rence conceptuelle. Seule, l'organisa­
tion en est modifi~e. Dickson a adress~ une liste des
quelques exceptions au principe de l'avantage comparatif
que l'on pouvait y trouver (60). Ainsi des motivations
politiques peuvent inciter l'~conomie à ne pas être trop
d~pendante d'un quelconque pays ~tranger. Des motiva­
tions sociales la pousseront à d~velopper certaines
branches, au-delà du niveau qui aurait ~t~ dict~ par la
simple consid~ration de l'avantage comparatif. Mais ces
exceptions ne caract~risent pas de nouveaux critè­
res écomiques, qui remplaceraient la th~orie des coûts
comparatifs.
Le modèle Lange-Lerner apporte, par contre un ~clai­
rage utile, si nous portons notre attention sur des pro­
(60) Dickson
"Economies of socialism". Oxford, 1939.

97
blèmes particuliers auxquels peuvent être confrontées
des économies se fixant un objectif d'industrialisa­
tion
comme les économies socialistes, au cours de cette
étape. C'est le cas de la protection des indutries.
Ce concept a été élaboré dans le cadre des économies de
marché. L'argument essentiel invoqué en sa faveur, se
repose sur la possibilité de divergences, entre les
coûts privés qu'impliquent certaines productions, et
les coûts sociaux qui doivent être encourrus. En prenant
en considération les seuls coûts privés dans la re­
cherche de son avantage comparatif,une économie pourrait
être conduite à adopter une mauvaise spécialisation
internationale.
Or une économie de type Lange-Lerner paraît plus
apte à prendre en compte de telles divergences entre les
/
coûts privés et les coûts sociaux. "Une economie socia­
liste serait apte à intégrer toutes les éventualités
dans ses comptes. Elle
évalurait
tous les services
rendus pour la production, et intègrerait dans les coûts
toutes éventualités sacrifiées" (61) Plus particulière­
ment, un cas très important de coûts et de bénéfices
(61) Lange, cité par A. Boltho, page 29.

98
que le producteur privé peut considérer surgir avec les
économies externes ou les déséconomies d'échelle.
Dans le cadre d'une telle protection, la théorie
du tarif optimum est applicable à l'économie de Lange,
comme à toute économie non socialiste. Boltho t62) re­
marque que ses objectifs pourront être atteints par
des modifications directes du dividende social. C'est
l'une des catégories de rémunération qui est directement
entre les
mains de l'Etat de Lange. Cette méthode est
préférable aux tarifs apposés sur certains biens étran­
gers, car, ils présentent le danger de représailles de
la part des économies étrangères frappées.
Ce modèle n'en a pas moins connu un certain nombre
de critiques.
4)
LES CRITIQUES ADRESSEES AU MODELE
Le modèle Lange-Lerner a été soumis à un certain nom­
bre de critiques.
Pour P.C. Roberts t63), le modèle de Lange n'a rien à
(62) A.Boltho : "Foreign Trade Criteria in socialist economies"
page 30.
(63) Paul Craig Roberts: "Oskar Lange's theory of socialist
planning" pp. 562-577, J.P.E. nO 5-6,
1971

99
voir avec le socialisme. La croyance selon laquelle le
marché pourrait être remplacé par une autre procédure
repose sur une erreur : la séparation de variables que
l'on ne peut distinguer que formellement. Ce modèle ne
reflète donc pas la réalité. Pour Roberts, i l y a,
même une "incohérence évidente" entre la terminologie
centralisatrice, et le mécanisme décentralisé. C'est
vrai, même si pour Lange, le bureau du plan n'a pas
besoin de formuler ses préférences de façon explicite.
Il fixe les prix par "simple jugement", et attend les
réactions du marché. L'analyse de Petersen (64)par contre
montre comment Lange commence par décrire une procédure
hiérarchisée à partir d'un plan ex-ante. De là, i l passe
à une procédure décentralisée par laquelle le plan est
un résultat ex-post. Selon Roberts, Lange aurait réa­
lisé que la planification centralisée était une procé­
dure incompatible avec le marché. Ne pouvant pas trouver
une autre méthode, permettant à un bureau central de pla­
nification de faire apparaître une fonction de préférence
ex-ante, qui répondrait à un nombre important de fonc­
(64) Jorn Henrik Petersen : "Somme further comments on Drew­
nowsk's theory on socialism".
J.P.E. nO 2, 1970, p.395-403.

100
tion de production, et de productions finales possibles,
i l a décrit le marché dans un langage hiérarchisant.
Cependant, les critiques adressées au modèle ne
sont pas toutes aussi "globales". Pour certains, ce­
pendant(65), le modèle de Lange implique, non pas la
mise en oeuvre d'une économie planifiée, mais elle
découle de rapports de productions déterminés. Ils
n'existent pas dans l'organisation socialiste de la pro­
duction.
Le modèle de Lange laisse néanmoins subsister les
mécanismes d'ajustement à postériori de l'économie de
concurrence. La prévision incombe aux nombreux chefs
d'entreprises. Leurs décisions reposent sur les con­
ditions de fonctionnement de leur propre unité de pro­
duction, et non sur l'économie en général. De ce fait,
les solutions résultant de cette procédure de tâton­
nement peuvent ne pas éliminer les gaspillages en éner­
gie, travail et investissements.
(65) Charles Bettelheim
"Problèmes théoriques et pratiques
de la planification, cité, p. 45

101
Les décisions prises risquent d'être irrationnelles.
Ainsi, les prix fixés pour les matières premières et les
biens d'équipement ne reposent pas sur une évaluation
des coûts de production réels. Ils sont déterminés à un
niveau qui, assure l'équilibre entre l'offre et la
demande. Ces prix peuvent, donc connaître des fluctua­
tions . De même le système ne peut pas s'assigner comme
objectif, l'évaluation du bien-être de la population,
et de son niveau de consommation. En effet, ces deux
augmentations dépendent des produits de la technique.
Les ambitions de ce système ne peuvent pas dépasser la
réalisation d'un niveau élevé d'emploi.
Le taux d'intérêt lui-même, qui joue un rôle dans
la détermination du niveau des investissements, appa­
raît comme une variable-particulièrement instable. Dans
ce système, les fluctuations économiques ont un carac­
tère cumulatif. Comme le remarque MRurice Dobb (66), "la
demande de fonds à investir croit avec le taux d'investis­
sement".
(66) Maurice Dobb
'A note on saving and investissement in a
socialist economy", p. 113-129 dans Nove L.
Nuti : "Socialist economics", cité.

102
De ce fait, i l ne parait guère possible d'utiliser les
\\
variations du taux d'intérêt pour manipuler le volu­
me d'investissemnt. Si, pour stimuler des investisse­
ments insuffisants, le bureau du plan abaisse le taux
d'intérêt, i l en résultera
une augmentation de la de­
mande, entrainant la croissance des investissements
au-delà du niveau désiré. Pour rétablir l'équilibre
entre l'offre et la demande, l'autorité centrale de­
vra élever le taux d'intérêt. Le processus cumulatif
fonctionne également dans le sens inverse. Dans ce do­
maine l'équilibre est instable.
Si le modèle Lange n'a pas été appliqué, les cri­
tiques qui lui ont été adressées n'ont pas empêché
qu'il soit à l'origine des réformes de la planifica­
tion des économies de l'Europe de l'Est. Le problème de
son application au commerce extérieur, secteur dans lequel
plusieurs régimes d'initiative et de contrôle peuvent être
en contact, revêt donc une grande importance.
CONCLUSION
Le modèle de Lange-Lerner ne fait donc apparal­
tre que très peu de caractéristiques proprement socia­

103
listes. En outre, l'analyse reste statique. Le rôle du
centre parait réduit, puisque le modèle ne met en évi­
dence aucun élément indiquant qu'il soit capable et ait
la volonté de réaliser l'objectif commun à toutes les
économies planifiées à ce stade de leur évolution
orienter la production et les échanges afin de maxi­
miser la croissance. Le bureau central du plan, par
-exemple, ne fixe que le montant total à investir pen­
dant une période donnée. La répartition de ces inves­
tissements
et leur utilisation sont du ressort des
dirigeants d'entreprises. C'est cette constatation qui
fait que pour Sweezy (67) : "le bureau de Lange n'est
pas du tout une agence de planification, mais plu­
tôt une agence de fixation de prix.
Dans ce domaine du commerce extérieur, la seule
considération porte sur les économies extérieures. Néan­
moins, le modèle est, théoriqiement, applicable. Il
conduit même à une allocation optimale de ressouces,
mais toujours dans un cadre statique. Son application
concrète aux problèmes de développement des· économies
socialistes supposerait certaines modifications.
(67)
Sweezy
"socialism ". New-York 1949. Cité par Boltho
p. 31

104
Elles devraient permettre d'intégrer des éléments dy­
namiques tenant compte des problèmes liés à la crois­
sance et aux dotations de facteurs, à travers, notam­
ment, le commerce extérieur. En définitive, le modèle
de Lange a apporté un ensemble cohérent d'hypothèses
théoriques et de considérations pratiques. Son appli­
cation pratique n'aurait pas
soulevé de trop lourdes
difficultés. Mais pour des raisons essentiellemnt po­
litiques, i l lui aurait été difficile d'être appliqué.
Le modèle théorique applicable au commerce exté­
rieur qui était à la disposition des économistes du
monde socialiste ne peut donc nous aider à mettre en
évidence l'objectif qui a été assigné au commerce ex­
térieur, ni d'en apprécier la cohérence avec les ob­
jectifs de la planification interne. Ainsi i l n'y a
jamais eu d'application
de la théorie de la valeur­
travail dans le domaine du commerce international, ni
même dans les relations entre pays socialistes. De
même les conditions économiques et politiques ont
empêché le modèle de Lange-Lerner de servir de base aux
décisions des planificateurs de l'Europe de l'Est, tant

105
sur le plan interne, que celui du commerce extérieur.
Du fait donc de l'absence d'une théorie du commerce
extérieur, et devant le refus de l'adoption des théories
même reformistes de l'économie capitaliste, les pays de
l'Est, malgré de nombreuses réformes économiques, n'ont
pu vraiment s'adapter aux structures préexistantes
du marché capitaliste mondial: leurs économies restent
encore caractérisées par des problèmes de 1) déséquili­
bre de leurs marchés intérieurs et des problèmes de 2)
désajustement entre leurs marchés et le marché capitaliste
mondial.
Ce sont ces deux questions que nous voudrions main­
tenant examiner, comme résultant-de la rigidité du système
économique, et de l'absence de mécanismes autorégula­
teurs internes et externes.

106
DEUXIEME PARTIE
LA RIGIDITE DU SYSTEME ECONOMIQUE ET L'ABSENCE DE MECANISMES
AUTOREGULATEURS INTERNES ET EXTERNES.

107
CHAPITRE III - L'ABSENCE DE MECANISMES AUTOREGULATEURS INTERNES
§ 5 -
LA GESTION CENTRALISEE DU COMMERCE ET LES FREINS DE
DE L'ECONOMIE
a)
LE ROLE DE L'ETAT MONOPOLE DANS L'ACTIVITE COMMERCIALE
Dans les études précédentes, nous avons souligné
quelle
était la volonté de l'U.R.S.S. de participer aux échanges
commerciaux avec le reste du monde, comme moyen de pro­
mouvoir son développement économique. Cette volonté se ma­
nifeste surtout à travers l'énonciation des formules tel­
les que la "coexistence pacifique!' entre les pays à dif­
férents systèmes économiques, les avantages de la "divi­
sion internationale du travail" et l'aide à la lutte des
pays en voie de développement pour leur "indépendance poli­
tique et économique".
Mais ces formules, biens familières au vocabulaire

108
des relations économiques internationales, ne font pas
l'objet comme nous l'avons noté (au § 4,4) de théorie
du commerce, à part les incitations politiques (qui
ne sont en fait que des slogans) et les appels au dé­
veloppement du commerce dont elles relèvent. Ainsi, ne
devrait-on pas se demander, si l'absence d'une théo­
rie socialiste du commerce à laquelle fait place des
slogans politiques, soutenus par le monopole d'Etat,
n'est-elle pas de nature à nuire à cette volonté du dé­
veloppement du commerce extérieur, étant entendu que les
règles en vigueur dans le commerce international sont
totalement différentes de celles prévalant sur le mar­
ché soviétique.
Dans le cas précis, i l semble bien que la parti­
cularité de l'Etat soviétique qui est un Etat commer­
çant impose bien des limites et difficultés à cette
volonté de commercer. Ces limites et ces difficultés
sont conséquentes d'une gestion centralisée de toutes les
activités économiques y compris celle du commerce exté­
rieur, ce qui rend difficile le fonctionnement des méca­
nismes de régulations des échanges tant sur le plan interne
qu1externe.

109
En cela la conception soviétique du commerce, qui est
sujette à la planification et à l'étatisation est bien
différente de celle des pays occidentaux, sujette au con­
traire au libéralisme et à la concurrence.
1)
L'INFLUENCE POLITIQUE DE L'ETAT
Le développement du commerce extérieur influe iné­
vitablement sur la structure d'un pays,.notamment sur le
caractère et le taux de croissance économique- sur les
processus d'accumulation, régularise le fonctionnement
du système financier et monétaire, mais aussi les rela­
tions politiques entre différents Etats.
De ce fait, le commerce extérieur dans chaque pays
est lié à deux
secteurs: -
d'une part i l touche direc­
tement le secteur économique proprement dit et d'autre
part le secteur de la politique extérieure.
Dans chaque pays capitaliste cette dualité est très

110
visible et y provoque des contradictions tant sur le
plan national qu'international. Ce qui veut dire que
dans les
pays capitalistes les conflits politiques
entre Etats n'entraînent pas de façon unanime et au­
tomatique, des pénalités économiques, en raison de la
diversité des intérêts particuliers, sans que cela sus­
cite de la part de ceux-ci des manifestations publiques
dont l'Etat est souvent obligé de tenir compte.
Ainsi, l'histoire de l'embargo américain sur les
exportations de céréales vers l'U.R.S.S. constitue une
édifiante illustration de cet état de chose. Car tandis
qu'une partie du secteur économique
désirait, pour
des motifs purement économiques, commercer avec
l'U.R.S.S., ce commerce était interdit pour des motifs
essentiellement politiques. Mais chaque fois, la pression
exercée par les fermiers et les particuliers américains
sur le gouvernement, a toujours fini par modifier la
position de celui-ci. Cela est très significatif de la
liberté des agents économiques par rapport aux décisions
politiques de l'Etat.

111
La situation est-elle tout autre en
U.R.S.S. ?
Pour les soviétiques, officiellement cette dualité ne
pourrait exister: la politique et l'économie sont
en principe inséparables, étant donné l'homogénéité
des intérêts économiques dûe à la socialisation de tous
les moyens de production. Ainsi l'U.R.S.S. pouvait en
de nombreuses occasions effectuer des opérations écono­
miques rentables, que le secteur politique estimait
inopportunes. Nous faisons allusion aux relations com­
merciales avec l'Allemagne Fédérale durant une cer­
taine période ou aux rapports avec l'Israël. Il en est
également de même quand en 1955, l'U.R.S.S. n'ob­
tenait pas de bâteaux du Danemark, elle cessa d'y ache­
ter et d'y vendre. Or, i l est probable qu'à ce moment-là,
plusieurs secteurs économiques soviétiques auraient pré­
féré continuer à commercer avec le Danemark.
De par la structure même du régime soviétique,
ces contradictions existentes portent cette caractéris­
tique qu'elles ne peuvent se manifester à l'extérieur,
plus exactement elles ne peuvent dégénérer en un conflit
apparent qui opposerait dans les faits les deux secteurs.

112
Au contraire, le système soviétique se caractérise pré­
cisément
par cette aide que les deux secteurs se donnent
par la manière dont ils se complètent. En fonction des
conditions d'ordre intérieur et international, le gouver­
nement soviétique définit à chaque étape de développement
du pays ~es tâches concrètes qui se posent en matière
d'organisation économique, en fixe l'orientation générale
et les rythmes de développement.
L'ensemble de toutes les activités économiques est
coordonné
par le "plan". Ce dernier ne constitue nulle­
ment un programme que l'on se propose ou une estimation
des résultats qui seront atteints, mais i l devient une
loi obligatoire pour tous, i l devient le plan, directive
que les entreprises de production sont tenues d'exécuter
et qui détermine l'orientation du développement de tout
le pays (67). Or selon la théorie marxiste, la politique
n'est que la superstructure d'une infrastructure donnée.
La politique intérieure de l'U.R.S.S. ne sera donc que
fonction du "plan".
(67) Manuel d'Economie Politique - Moscou 1956, p. 463.

113
Le commerce extérieur s'inscrit ainsi naturellement
dans le cadre des divers plans votés. La résolution du
IXème congrès proclamait déjà "le commerce extérieur doit
aussi être entièrement subordonné aux be~oins du plan
économique" (68).
L'influence politique de l'Etat est donc incontes­
table dans le commerce soviétique.
Là réside la grande différence avec le commerce exté­
rieur des pays occidentaux qui peut être considéré comme une
fin en soi.
En Europe occidental, de nombreux secteurs
ne travaillent que pour l'exportation et les industries
ou commerçants exportent ou importent sans se préoccuper
des conséquences que ces opérations auront pour l'ensem­
ble de l'économie.
De ce fait, l'intervention des gouvernements dans ces
économies libérales se borne à un rôle limitatif
s'efforcer d'éviter des accidents trop graves ou favori­
ser par des encouragements ou des appels à la raison
de nouveaux courants commerciaux.
(68) Lénine, oeuvres complètes. Ed. sociales, Paris T XXV. p, 61(

114
Cette conceDtion du commerce ext'rieur~ bas'e sur
les th'ories n'oclassiques'de la croissance
'conomique
voit dans le commerce extérieur un ensemble de flux de
marchandises provenant d'une foule d'agents 'conomiques
dont chacun essaie de maximiser sa fonction de satisfac­
tion. Dans ces modèles, le march' national est pr'senté
comme un mécanisme que l'on ne peut pas régulariser et
qui se trouve dans une d'pendance complète des relations
commerciales entre l"conomie nationale et le march'
mondial, lequel englobe un certain nombre de pays :
les partenaires commerciaux. Dans ces
modèles, les
principes m'thodologiques de pr'visions du commerce ex­
t'rieur sont basés sur une hypothèse de concurrence
parfaite, c'est-à-dire d'une situation 'conomique telle
que les décisions économiques tiennent exclusivement aux
int'rêts individuels propres des agents, sans que ces
décisions soient corrigées, de façon centralis'e en
fonction des int'rêts 'conomiques de la nation. Ce mo­
dèle ignore donc l'impact de l'Etat sur le processus de
développement du commerce ext'rieur.
Tout autre est la situation en U.R.S.S. Le commerce
extérieur constituant uniquement un moyen parmi beau­
coup d'autres, fait
l'objet de la planification. Quelles
en sont les grandes lignes ?

115
2)
LA PLANIFICATION CENTRALISEE DU COMMERCE EXTERIEUR
Contrairement aux pays capitalistes, dans le syst~_
me soviétique, ce sont les besoins du plan qui déterminent
la nécessité et l'orientation du commerce extérieur.
Dece fait, le commerce extérieur avec les pays étran­
gers et l'ensemble des relations économiques extérieures
font partie intégrante du plan de l'économie nationale par
l'intermédiaire de la comptabilité économique et plus
particuli~rement par ses trois principales composantes
Tableau économique d'ense~ble, appelé tableau global
de l'économie nationale.
Tableau des balances mati~res (balance de production,
de consommation et d'accumulation du produit social brut).
Balances financi~res.

116
De ces trois tableaux, le plus important pour la pla­
nification du commerce est le tableau des Balances Matières,
où sont comptabilisés, dans le système ~üviétique, plus de
10. 000 produits. A l'aide de ces comptes on évalue
les besoins d'importation et les possibilités d'exporta­
tion. Certains produits ont une nomenclature très dé­
taillée, comme c'est le cas de l'équipement qui cons­
titue une comptabilité à part (tableau des balances des
fonds fixes, le tableau des Métaux, des Matières pre­
mières, de l'Energie et d'autres). Tous ces comptes
faisant partie du tableau global de l'économie nationale.
Le plan du commerce extérieur est élaboré en fonc­
tion des objectifs du plan global de l'économie nationale,
en tenant compte des accords commerciaux, des accords de
paiement conclus avec les pays étrangers, de la règlemen­
tation nationale des importations et des exporta~ions
et des impératifs de la stabilité monétaire, ainsi que,
de l'ensemble de la politique de coordination des plans
économiques à l'intérieur de l'orbite soviétique.
La procédure d'élaboration de ce plan comprend deux
phases : les organes de conception (Ministère du commerce
extérieur, comité d'Etat des relations économiques exté­

117
rieures, l'Union des coopératives) demandent aux entre­
prises d'importation et d'exportations dont ils sont les
gestionnaires, de leur présenter la première variante de
leur plan. Cette première variante est élaborée à partir
des résultats du plan en cours d'exécution et des perspec­
tives, telles que les entreprises les conçoivent. L'en­
voi par l'entreprise de la première variante du plan à
l'administration centrale correspondante termine la
première phase.
L'administration à son tour, après des ajustements
avec les comptes nationaux, les arbitrages du Gosplan,
et des discussions avec les entreprises d'importation et
d'exportation donne la forme définitive du plan conçu
par l'entreprise.
Il en résulte le schéma suivant, indiquant bien les
mouvements des deux phases (de bas en haut pour les entre­
prises et de haut en bas pour le Gosplan), très signifi­
catifs de la centralisation des décisions du commerce
extérieur.
A la vue de ce schéma on constate déjà les limites
imposées aux entreprises du libre choix par elles-mêmes,
des décisions du commerce extérieur.

118
1
Le Ministère
du Commerce Extérieur
1
1j
Le Gosplan et l'Administration
1
!
1
i
!
1 ~
1
1
,
1
i
1
phase II - - ---". !
~. __ .- phase r
1
1
~
0 8 8 CV•
1
Les entreprises d'importation et
d'exportation
GRAPHIQUE III
phases indiquant la centralisation des décisions
du commerce extérieur.

119
La question est donc de savoir quelles sont ces li­
mites et quelle est la place de l'entreprise dans l'éco­
nomie nationale.
3)
LA PLACE ET LES LIMITES DE L'ENTREPRISE DANS L'ECONOMIE
NATIONALE
Dans l'économie occidentale, la place de l'entre­
prise peut se définir en termes de liaison horizontales
et de laisons véritables. Les liaisons horizontales dési­
gnent les relations de
l'entreprise avec ses clients
et avec ses fournisseurs (ce qui correspondait dans les
pays socialistes, aux autres entreprises industrielles et
commerciales d'Etat). Les liaisons verticales correspondent
aux entreprises par le relais d'un organe de tutelle
(direction de branches par exemple).
Dans le système centralisé de type soviétique, c'est au
dernier type da liaison (liaisons verticales) que revient
toute la primauté de la planification. Prenons un exemple

120
on suppose qu~une entreprise locale ou r~gionale re­
~oive l'odre de produire 3 sortes de marchandises:
- marchandise A
-
marchandise B
-
marchandise C
L'entreprise dispose d~jà de matière telles que
-
20 tonnes de métal
-' 30 tonnes de matière~'plastiques
dont la comnosition entre dans la production de ces mar­
chandises.
Les normes nrévues pour la production de ces 3 mar­
chandises, sont
M~tal
Plastiques
Revenu
A
2
3
11 roubles
B
2
1
8 roubles
C
o
2
6 roubles
Selon l'ordre reçu, l'entreprise doit d~terminer un
programme de production de marchandises qui rapporte le
plus de revenu.

121
En admettant que :
X 1 représente la quantité de marchandise A
X 2 représente la quantité de marcnahdise B
X 3 représente la quantité de marchandise C
On obt;ent \\Qmqtr~c.elf·\\tt)<t \\Qtab\\e.c.u.. lX
, \\
__ 1r:".J : a) X
= 10 ; X
= 12 ; ce qui implique
2
3
que la marchandise B et C correspondantes seront pro­
duites ; leur revenu sera
1 rouble X (8 x 10) + (6 x 12)
= 152 roubles
ce qui implique que la marchan­
dise A ne sera pas produite par l'entreprise (en fonc­
tion du contenu de l'ordre reçu). (voir p. 122 et 123)
Venons-en ~ pr~sent ~ l'observation suivante: si
ceprogramme de production concernait le modèle pur de
l'~conomie de march~, les liaisons verticales n'inter­
viendraient pas, car chaque
entreprise d~pend unique­
ment des commandes qu'elle reçoit des autres entreprises
(ou de la demande finale dans le cas du commerce de
d~tail). De ce fait c'est l'entreprise elle-même qui
d~ciderait de la production des marchandises X
et X
2
3
après avoir jugé bon, tous les critères de production et
demarch~.

122
2 Xl + 2 X
20 T. (métal)
2 + 2 X3
~
3 Xl + X
34 T. (plastique)
2 + 2 X3
~
Xl =f= 0
X2 =f= O·, X3 =f= 0
11 Xl + 8 X
) maximum
2 + 6 X2
2 Xl + 2 X
+ X
2 + 0 X3
= 20 T.
4
3 Xl + X + 2 X + X
2
3
5
= 34 T.
11 Xl + 8 X + 6 X + 0 X
-----4) max.
2
3
5
Xj
0
(j = 1,5)
4
Ce qui donne la matrice suivante
On notera que
(~~~~~)
X
quantité de métal restant
4
X : quantité de plastique restant
5
La solution par la méthode simplexe donnera le tableau suivant :

123
Coeffi- l
, Xl
X
X
X
X
Variable
2
1
3
4
5
cient
!Variable!
de
i
i
1
de
lindépen-i
1
1
base
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1
6
a
a
1
base
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1
a
1
- 0,25
0,5
3
152
- 3
a
a
- 2,5
- 3
TABLEAU IV
Réalisé à partir de l'exemple donné.

124
Il n'en est pas de même pour une entreprise en
U.R.S.S. Le mod~le centralis', repose sur la pr'p~nd'­
rance des liaisons verticales : les liaisons horizontales
n'exercent pratiquement pas d'influence sur l'orientation
de la production et les 'changes inter-entreprises
sont englob'es dans la planification administrative cen­
tralis'e, dont le syst~me d'approvisionnement matériel
et technique constitue un aspect important.
L'organe administratif de tutelle a la responsabi­
l i t ' de pr'parer l"laboration du plan central pour un
secteur donné, et veiller à la r'alisation des objectifs
du plan par l'ensemble des entreprises de son ressort.
Il lui incombe de recueillir aupr~s de chaque entreprise
une information théoriquement exhaustive sur ses possibi~
lités de production actuelle et potentielles (en envisa­
geant une serie de variantes correspondant à différentes
dotations en ressources productives) de contrôler cette
information, de la synth'tiser et de la transmettre aux
autorit's centrales. Cetteproc'dure ascendante de collecte
de l'information est suivie, apr~s l'adoption du plan
'conomique national, par un mouvement descendant de r ' ­
partition des tâches planifiées.

125
L'organe administratif intermédiaire procède à une dé­
sagrégation des objectifs entre les entreprises de
son secteur, et leur transmet en terme de directives dé­
taillées. Ces directives se présentent sous une forme
très variable, mais leur contenu équivaut à prescrire
à chaque entreprise un vecteur d'inputs et un vecteur
d'outputs.
Ainsi, comme le dit Marie Lavigne, "la socialisa­
tion des unités économiques . . . tend en effet à plcer
l'ensemble des activités économiques sous la direction
de l'Etat, qui orientera celles-ci en fonction de ses
objectifs à long et à court terme(69).
L'entreprise ne doit donc disposer que d'une li­
berté d'activité très restreinte. Son directeur est nommé
par décision administrative et révocable dans les mêmes
conditions. L'entreprise ne détient aucun droit de
propriété sur les moyens de production qui lui sont con·fiées,
(69) Marie Lavigne
"Les économies socialistes soviétiques
et européennes". Ed. Armand Collin, 1979,
p. 43 (3ème éd. -
revue et mise à jour).

126
ni sur les résultats de son activité. L'organe de tutelle
peut redistribuer les capacités de production existantes
entre ses entreprises s ' i l juge nécessaire à l'accomplisse­
ment du plan. Il peut modifier en cours d'exécution, des
objectifs qu'il a lui-même fixés, en parculier pour faire
compenser par les entreprises les plus dynamiques les in­
suffisances apparues dans les entreprises faibles. L'organe
de tutelle peut prendre les mesures nécessaires pour recti­
fier ses propres erreurs de prévision, dont i l est respon­
sable envers les entreprises placées sous
sa
dépendance.
Souven t même, i l ·cher"chera à se pr~munir en -atlS1gnaDt aux en­
treprises des objectifs de production dont le total dépas­
se l'ensemble du secteur, de façon à assurer une marge
de sécurité; ces objectifs auront valeur d'obligation
envers les entreprises qui n'ont d'autre rôle que celui
d'un centre de décision technique, car chaque entreprise
se doit de déterminer la combinaison la plus efficace des
facteurs de production qui lui sont alloués, en vue d'une
production dont la structure lui est imposé. L'organe de
tutelle qui prescrit à l'entreprise ce qu'elle doit pro­
duire et avec quels moyens, ne doit pas en principe, se
substituer à elle pour prendre les décisions purement tech­

127
niques. Mais, en fait, l'étude des choix laissés à l'en­
treprise est très réduite, puisque la techniaue em­
ployée est largement prédéterminée par les investissements.
Il faut enfin souligner que, compte tenu de l'indé­
pendance générale entre toutes les entreprises, le
respect des normes concernant les inputs (consommation
de matières premières, etc.) doit logiquement leur
être imposée de façon tout aussi rigoureuse que le respect
des objectifs de production, sous peine de voir apparaître
des goulots d'étranglement.

128
CONCLUSION
Ainsi pour l'entreprise comme au niveau du planifica­
teur central, mais pour les raisons opposées, la distinc­
tion entre les objectifs et les moyens tend à s'estomper:
l'entreprise est un organe d'exécution, qui ne peut s'éle­
ver à une vue d'ensemble des processus économiques et ne
doit pas avoir à choisir entre des obligations toutes
également contraignates. C'est l'Etat qui est en position
dominante car i l contrôle hiérarchiquement les entreprises,
et i l arbitre les choix de production et de consommation
en déterminant les normes. Ce qui fait qu'en U.R.S.S., le
rapport entreprise-consommateur n'est jamais directe,
contrairement à ce qui se passe dans les pays capitalistes,
sauf lorsque l'Etat s'av~re lui-m~me consommateur.
On peut donc dire que la présence omnipotente de l'Etat
dans l'économie, marquée par une gestion centralisée de
toutes les activités économiques et une planification direc­
tive limite à la fois le rôle des entreprises et la
réac­
tion des consommateurs sur le marché, d'une part, et
d'autre part, rend inopérant les mécanismes autorégula­

129
teurs du commerce dont l'impact se traduit sur le mar­
ché intérieur par un déséquilibre permanent des prix, et
sur le marché extérieur par une maladaptation du système
aux variations des variables exog~nes. Ce sont ces deux aspects
de problème que nous voulons maintenant examiner-:
commençons par le premier aspect.
§ 6 -
L'IMPACT SUR L'EQUILIBRE DES PRIX
a)
LE PROBLEME DE L'AJUSTEMENT DES PRIX
1)
RAPPEL DU PRINCIPE D'AJUSTEMENT EN ECONOMIE DU MARCHE
L'ajustement des prix, fait état d'une démarche qui
en principe conduit à un équilibre sur le marché.
En économie du marché par exemple cet équilibre fait
référence à une -situation du marché qui une fois atteint

130
tend à persister. Cette situation apparaît, quand sur le
marché. la quantité demandée d'une marchandise par unité
de temps est égale à la quantité offerte dans la m~me pé­
riode. Graphiquement l'équilibre est atteint à l'intersec­
tion des courbes d'offre et de demande de la marchandise
sur le marché. Le prix et la quantité à laquelle l'équi­
libre est atteint est appelée respectivement prix d'équi­
libre et quantité d'équilibre (voir tableau V et graphi­
que IV ci-après).

131
TABLEAU V
Pressions
P(X)
Q 0 X
Q S X
sur les prix
6
2000
8000
décroissante
5
3000
6000
décroissante
4
4000
4000
équilibre
3
5000
2000
croissante
2
6000
0
croissante
1
!
1
i
1
TABLEAU V Réalisé à partir du principe de la loi de l'offre et de
la demande sur un marché de pays capitaliste.
Q 0 X
Q S X
6
5
4
Point d'équilibre
3
2
1
a
1
t
1
1
2000
4000
6000
8000
GRAPHIQUE IV
Réalisé à partir de l'exemple numérique du tableau V

132
En supposant 9ue par ces deux figures, nous sommes
en situation d'équilibre stable (*) , et en tenant égale­
ment compte des diverses élasticités (surtout l'élasticité
prix de la demande et l'élasticité prix de l'offre) qui en­
trent en jeu d'équilibre, voilà comment l'équilibre est
,
retabli (en cas de rupture de celui-ci) par l'ajustement
des prix
quand les prix sont supérieurs au prix d'équi­
libre, 5 $ par exemple, la quantité offerte C6.000) excède
la quantité demandée (3.000). Cet excès de marchandises
entraîne une baisse du prix qui tend vers le point d'équi­
libre. Quand les prix sont inférieurs
au niveau d'équi­
libre, 3$ par exemple, la quantité demandée C5.000)-excède
la quantité offerte (2.000). Une carence de marchandise
app~raît et entraîne une hausse du prix qui tend vers le
point d'équilibre. C'est ce qu'exprime le graphique V.
(~) L'équilibre stable sur le marché, est défini par une situa­
tion quelconque, qui nous éloignant de l'équilibre, met en jeu
sur le marché des forces qui nous ramènent vers l'équilibre
(par opposition à l'équilibre instable).
Voir graphique
V.

133
GRAPRIQUE V
5
4
3
2
3000
5000
2000
4000
6000
3000
QX
GRAPHIQUE V
Réalisé à aprtir du tableau V.
Ce mécanisme d'ajustement non centralisé et
automatique repose sur'la loi de l'orrre et de~la
demande(.70) dont l'action.régula-trice constitue
le levier de commande d'ajustement économique entre
(70) cr. Keynes, John Meynard. "La théorie génrale de l'emploi:
de l'intérêt et
de la monnaie; traduit", traduit de
l'Anglais par Jean de Largentaye, collection (Biblio­
thèque Economique), Ed. Payot, Paris, 1949.

134
l'offre et la demande sur la base de la conjoncture,
dans les pays capitalistes.
Il diffère de ce fait du mécanisme d'ajustement qui
est appliqué en Unions Soviétique et qui est un ajustement
centralisé : en quoi cet ajustement consiste -t-il et
quels en sont les difficultés?
2)
L'AJUSTEMENT CENTRALISE DES PRIX
Dans l'économie socialiste, les proportions optimales
ne se forment pas par l'action spontanée de la loi de la
valeur, mais par voie de planification, la prévision par
la société socialiste de tout le cours du développement éco­
nomique.
De ce fait, les pertubations de la correspondance entre
l'offre et la demande n'entraînent pas automatiquement la
modification des prix (à l'exception des prix du marché
Kolkhozien) (71), comme c'est le cas dans les pays capita­
(71)Cf. Abdel Iadil M.
"La planification des prix en économie
socialiste", Puf, 1975.

135
listes. Le résultat en est un déséquilibre permanent
entre l'offre et la demande. Ce déséquilibre provoque des
~-coups dans l'approvisi~nnement de diveTses entre­
prises (ou une pléthore). Ce fait exerce à son tour un
effet indirect sur les prix (hausse du prix de revient).
Si la demande des biens de consommation est de beau­
coup supérieur à l'offre et qu'il n'en a pas été tenu
suffisamment compte dans les
prix, cela entraîne des
tendances spéculatives, qui se manifestent par exemple
sur le marché Kolkhozien, ce qui se répercute sur le
salaire des travailleurs.
Ce cas de déséquil~bre 'est tr~s fréquent en Union So­
viétique, car
d~s que l'équilibre global se réalise appro­
ximativement un nouveau type de déséquilibre passe au
premier plan caractérisé par la persistance de pénurie,
sur certain marché qui s'accompagne d'un gonflement
involontaire des stocks de produits sans débouché.
Le peu d'attention accordé aux exigences du marché
a pour résultat que l'accroissement de la demande reste
fortement en deça de la croissance des capacités de
production.

136
Les invendus sont en réalité la contrepartie des
pénuries: i l ne s'agit pas le plus souvent d'articles
inutiles, mais d'articles qui, compte tenu du prii
auquel ils sont offerts, viennent moins haut dans la
hiérarchie des priorités du consommateur que tel ar­
ticle déficitaire qu'il ne renonce pas à retrouver
plus tard. Un auteur soviétique citait pêle-mêle, en
1969, comme exemples de pénuries persistantes, le ci­
ment, les réfrigérateurs et la viande ; mais plus on
descend dans le détail plus la liste s'allonge(72).
Pour la branche "habillement" on trouve entre autres
articles tricotés et les tissus infroissables. D'autre
part. certains articles passent en quelques mois, de
la catégorie de biens excédentaires à celle de biens
déficitaires (73).
(72) S. Field: "L'interaction entre production et les besoins
sociaux, dans le déV'e10ppement éconQm~que.planif1é.
Vop. EK. 1969, nO 12, trad~ in· prolo of EC. Juillet 1970.
(73) Au début de 1950, i l Y avait en U.R.S.S. pléthore de fers È
repasser et de bouilloires électriques de sorte qu'entre
1955 et 1958, la production est réduite de 60 % et de 85 %
respectivement •.. i l en résulte une pénurie (A. Nov. L'Eco­
nomie Soviétique p.266). Le même phénomène se reproduit di>
ans plus tard pour les machines à coudre: début 1966. le
gonflement des stocks est tel qu'on décide de reconvertir
d'un seul coup cinq ou six usines: quelques temps plus
tard. un déficit réaparaît.

137
C'est là le probl~me crucial des ~conomies
de type sovi~tique : de la solution de ce probl~me
d~pend l'avenir de leur march~.
Les d~sajustement en tous sens ont pour cause
imm~diate, la pr~tention du centre à d~terminer par
lui-même, à la fois, la quantit~ offerte et le prix
de tous les biens de consommation (74).
On peut alors poser trois questions
-
les dirigeants sovi~tiques sont-ils conscients des
limites qui leur sont impos~es par le principe du
libre choix des consommateurs ? Rappelons que le r~-
sultat combin~
de leurs d~cisions sur les prix et la
structure de la production doit assurer l'équilibre
sur chaque march~ : une fois adopt~ le plan de produc­
tion. le centre ne peut pas faire intervenir une se­
conde fois ses pr~férences au stade de la fixation des
(74) Cf. Bredov et A. L~nin , Pr~vision de la damande de
la population. Vop. EK. 1958, nO 7, trd. "Prob. of EC"
Janvier 1968.

138
prix; l'ajustement centralisé doit tendre uniquement
à établir le système de prix d'équilibre qui corres­
pond à la structure de l'offre et aux préférences des
consommateurs.
Si tel est bien leur objectif, ont-ils les moyens
d'y parvenir?
Si la réponse est négative à l'une ou l'autre des
deux premières questions, la pratique a-t-elle fait
surgir des paliatifs par exemple en fixant les prix
officiels par des formes discrètes d'ajustement décen­
tralisé ?
Une réponse négative à la première question déga­
gerait implicitement la responsabilité du modèle
centralisé (manié différemment, i l permettrait d'éviter
les désajustements). Une réponse négative à la deuxième
question seulement serait au contraire un argument de
poids pour déclarer indispensable le passage au modèle
décentralisé.

139
Jusque vers 1960, la planification soviétique
parait s'Atre compl~tement désintéressée,. non:pas certes
des besoins des consommateurs, mais de leurs réactions
sur les marchés. la notion de courbe de demande
lui
demeurait étrang~re (7~)
le planificateur décide de
prendre en considération un certain quantum de besoin
et fixe, modifie ou maintient les prix sans chercher
à connaitre l'élasticité de la demande par rapport aux
prix et aux revenus. Il y a eu incontestablement une
répugnance durable d'ordre doctrinal, à approfondir ces
questions. En effet, si l'on admet que les prix de
détail s'écartent de la valeur, mais qu'ils
ont tout de
même une base rationnelle, cela semble impliquer que
les prix peuvent être fondés sur autre chose que la
valeur travail (76).
(75) H. Denis et Marie Lavigne
Le probl~me des prix en Union
Soviétique, p. 114, Ed. Cujas.
(76) Bredov et Lenin A. :"Prévision de la demande de la.popu­
lation".Vop EK, 1958, nO 7, trad.
Prob of Ec, Janvier 1968.

140
Mais dans la réalité, le planificateur soviétique
des années 30 ou 40 n'avait
aucun moyen' de mesurer
les d~penses de. trava~l s~ciale~9nt n'cessaire. Les
théories niant la persistance de la loi de la valeur
en économie socialiste, étaient donc particulièrement
bienvenues. La valeur
de travail ne constituant plus
qu'une référence lointaine, et la notion des prix
d'équilibre étant totalement rejettée, il était admis
que la fixation du prix devait constituer comme le
choix des investissemnts -
un instrument de poli­
tique économique entre les mains des dirigeants.
Si les exigences du modèle concernant les prix
relatifs ont tant tardé à se faire sentir, c'est en
raison de l'inflation et du déficit géneralisé
que l'offre sur tous les marchés: qu'un produit fut
relativement sur-évalué ou sous-évalué avait seulement
pour effet de diminuer ou d'accroître l'intensité de la
demande insatisfaite (77) : les désajustements partiels
étaient recouverts par le déséquilibre global.
Il n'en fut pas demême au début des années 50.
(77) Cf. A. Kronzod : La loi du coût et le problème de la
formation des prix en U.R.S.S. Vop EK.
nO 2, 1957.

141
Estimant que la réforme des prix de 1949 a défi­
nitivement rétabli l'équilibre, le gouverment soviétique
mena jusqu'en 1953 une politique de baisses annuelles
des prix, très remarquées et surtout uniformes à
l'intérieur de groupes de produits largement définis,
sanstenir compte du rapport entre l'offre et la demande.
Par exemple les
prix officiels des légumes et des
pommes de terre est réduit spectaculairement de 50 %
sans augmentation correspondante des arrivages : du
coup l ' "effet de revenu" l'emporte sur l ' "effet de
substitution", les prix recommencent à augmenter sur
le marché libre (alors que déjà on avait été surpris
et déçu de constater que la réduction des prix offi­
ciels ne suffisait pas à la les entraîner à la baisse).
En 1954 une baisse uniforme des prix officiels de la
viande entraîna sur le marché
libre, entre mars et
avril, des hausses qui s'étagent entre 7 et 18 %
selon les qualités. A partir d'août 1954, le gouver­
nement soviétique en tire la leçon en commençant
à réviser vers le haut de manière plus sélective
les prix alimentaires officiels.
3)
L'EVOLUTION DE LA NOTION DE PRIX D'EQUUILIBRE

142
La notion de prix d'équilibre est pour ainsi
dire redécouverte. On se rend désormais compte, par
exemple, que des prix trop élevés pour les articles
alimentaires et de consommation courante entraînent tou­
jours une demande insuffisante de ces marchandises, de
même que des prix insuffisants conduisent toujours à
une pénurie de ces biens.
Dans son ouvrage de 1959 sur la formation plani­
fiée de prix en U.R.S.S., Tureski se réfère précisement
aux résultats malencontreux des baisses uniformes du
début des années 50 pour montrer la nécessité de con­
naître l'influence qu'exerce sur la damande une réduc­
tion du prix de chaque bien particulier et souligne :
"Bien que la somme des revenus monétaires puisse être
directement influencée par l'Etat, la structure de la
demande des consommateurs pour les biens individuels ne
peut pas faire directement l'objet d'une planification
d'Etat" (78). Le rapport V. Diatchenko à la conférence
de novembre 1962 sur les prix étudie sous ses divers
aspects la notion d'élasticité de la demande, en
insistant sur les élasticités croisées : "Il faut en­
visager non seulement les relations de
substituabilité
(78) S. Tureski, Ocherki planovotsennbrazavaniya V SSSP, 195~
p. 411, Ed. Moscou.

143
entre produits, mais la possibilité de voir le pou-
voir d'achat libéré par la baisse des prix d'un pro-
duit dont la consommation est rigide, se rapporter
sur la demande d'unautre bien quel qu'il soit,
ce qui provoque de nouvelles pénuries" (79).
Quant ~ Karagedov voici ce qu'il écrit: "Les
initatives micro-économiques et les réactions aux
niveaux inférieurs ont obligatoirement quelque effet
sur le plan central. Les tentives d'assurer par des
ordres centraux une cohérence micro-économique et
la conformité aux demandes des utilisateurs ne peuvent
réussir étant donné l'énormité de cette tâche. Il
est essentiel d'utiliser des moyens indirects,
financiers, économiques, pour stimuler l'initiative
de l'esprit d'entreprise" (80).
Enfin Kazakevic, faisant allusion au prix de
vente de l'équipement, d i t : "Si on le vend bon mar-
ché pour "encourager l'utilisateur", la production peut
être alors désavantageuse, tandis que le nombre d'uti-
lisateurs excédera celui des machines rendant l'al-
(=f<;) ) Cf. H. Denis et M. Lavigne, cité. p, 101.
(gO)
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