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J
1
1
UNIVERSITE DE LA SORBONNE NOUVELLE
Paris-III
JEAN PAUU1AN TRISTAN TZARA ET LE POEP-1E NEGRE
UN ASPECT DU DIALOGUE LITIERAIRE ENTRE
L'AVANT-GARDE FPANCAISE (19E-20E S-) ET LES ARTS PRIMITIFS -
THESE
pour le doctorat de
•. CONSEIL AFRICAINETMALGACI-Ü: 1
POUR l'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
C. A. M. E. 5 -
Q~!l~A~UGOU
Arrivée . .0 9.JU
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Présenté par :
Membres du Jury
SDRD Gabriel
- D. PAGEAUX, Directeur
de lIU.E.R. de Littérature
Sous la direction
Comparée, Paris III.
du Professeur H. BEHAR
- M. DECAUDIN, Directeur
Président de Paris III
de lIU.E.R. de Littérature
Francaise, Paris III.
ANNEE : 1983.
- H. BEHAR, Président
de l'Un i vers ité de Pari sIl!.

En souvenip de ces années là !
Fonmulation de mon espépance poup
Sup le Champ de l'Inépuisable
Dans la quiétude
Un valable maintien

LETTRES
Quotidiennement à vous s'attachep
A vos innombpables cappefoups m'étoupdip
Jusqu'au dégoût
Au milieu de mes élucubpations
Me pévélez souvent
Que jeu instantané de quelque génie
L'objet de mon épuisement a pu n'êtpe
Se sont diveptis des EspPits
Divepsement isolement ensemble
En alliance conflictuelle papfois
Mais tous toujoups autoup d'un même noyau

SPIRITUALITE ESSENCE
Que point ceptitude il n'est
Qu'enveps leup pécpéation pe-cpéatpice
Tant de mon zèle sudatoipe ils eussent péclamé

Dites-moi Comment
Vous dont génie Seigneups des Lettpes
Perpétue llement à mes yeux
Ma ppoppe inintelZirence
Reflète
Mêmement à Vous
Ppostitué de plaisip spipituel
Pouvoip devenip


1.
REMERCIEMENTS
Ce n'est point de rendre grâce à autrui que nous nous esti-
mons seulement redevable. Outre l'impression de la reconnaissanc~
nous éprouvons, envers tous ceux et tout ce que nous mentionne-
rons,
le sentiment d'une exaltante communion à l'exigeante fra-
ternité intellectuelle.
Mais,
si de dire :
"Merci" suffit à les exprimer sans
amputer l'un et l'autre de ces états d'esprit et leurs ramifi-
cations, nous acceptons d'en faire usage pour rendre nos hommages.
Qui s'adressent en chef au Directeur de notre réflexion, Monsieur
Henri BEHAR. A la fin d'un Mémoire de Maîtrise des Lettres moder-
nes, de l'enseignant qui nous avait encadré nous disions:
"Monsieur Jean DERIVE dont l'attitude pédagogique qui sait suggé-
rer :
je connais, mais "grouille-toi" et tu trouveras assurément,
donne à ce genre de travail sa noblesse nécessaire". Aux côtés du
Professeur Henri BEHAR, c'est la même vertu - que nous tenons
pour l'une des pertinences de l'éthique universitaire-, que nous
avons toujours senti présider à chaque canalisation de notre tra-
vail. En notre Directeur i l y a eu le Professeur.
Mais aussi
l'homme. Quand nous parvenions à des sommets dans
nos désespoirs
celui-ci nous donnait encore à voir que des êtres qui aujourd'hui
ne nous permettent rien si ce n'est d'admirer leurs oeuvres, de
découvrir leur classe intellectuelle sans que rien paraisse pou-
voir nous y élever un jour, connurent, avant nous, des circonstan-
ces de travail au moins aussi pénibles.
{
1

2 •
La période la plus déterminante de notre rédaction fut
particulièrement marquée par bien des désagréments. Nous saluons
avec beaucoup de sensibilité le rôle d'un frère ethnique dont
la présence fut alors suprêmement active auprès de nous;
nous
avons nommé Diarrassouba Tiohona·Moussa.
En somme, nous devons aux deux hommes dont nous venons de
dire les noms, de n'avoir cédé à des décisions personnelles qui
étaient d'un caractère évidemment catastrophique.
Un lieu de formation universitaire marqua de son esprit la
tâche que nous menions
: le Groupe de recherche en surréalisme,
alors dirigé par Mr Béhar. A certains collègues, nous devons dire
parfois, même une seule fiche échangée semble intervenir comme
l'unique brique nécessaire dans l'édification. Enfin, parmi les
nombreuses maisons de culture auxquelles nous devons beaucoup,
trois seront citées explicitement, dont les responsables nous
sont progressivement devenus de véritables collaborateurs. Ce
sont les bibliothèques du Fonds Doucet, de l'UER de Littérature
française et de l'Institut de Littérature générale et comparée,
Paris III.
Nous remercions également la collaboration de Monsieur
Christophe TZARA. Successivement, i l nous a autorisé à consulter
les man~scrits des "poèmes nègres" de son père défunt,
l'intégra-
lité des manuscrits de l'auteur, puis à y emprunter les citations
utiles dans notre exposé, quand l'oeuvre complète qui les contient
n'était pas encore publiée.
Au nombre de ceux que nous ne pouvons nous empêcher de nommer

3.
setrouvent MM. Jean Derive et Claude Pichois. Chaque fois
que nous leur avons fait part d'un souci et d'une interrogation
intellectuels ils nous ont assisté avec une égale sollicituàe.
Puis: que chacun de nos anciens enseignants de l'Univer-
sité nationale d'Abidjan trouve ici l'aveu de notre sensibilité
à son conseil. Nous avons compris qu'à chaque occasion,
ils ont
tous puisé au plus profond de leurs propres expériences pour
guider au mieux nos pas inexperts.
Nous savons que vous préférez l'anonymat, et privilégiez
les choses du coeur/vous dont l'aiûe matérielle qui n'attendit
pas d'être sollicitée nous a suprêmement sauvé.
Sans elle, cette
thèse, quelle qu'en soit la qualité en tant qu'instrument de
travail, ne serait pas disponible. Le minimum que nous vous
devions, c'était de respecter votre discrétion.
Ils sont nombreux aussi,
ceux que nous n'avons pas désignés
du doigt mais qui nous ont apporté quelque élément utile. Que
ceux-ci croient en notre profond et agréable souvenir pour leur
concours.
Et, aux uns et aux autres,
nous demandons clémence. Clémence,
si notre ingénuité n'a guère disparu derrière la hauteur d'esprit
que tous étaient en droit d'attendre de nous et que nous aurions
dû montrer dans ce travail pour justement mériter leur amabilité,
leur aide intellectuelle, morale, sociale et matérielle.

ANALYSE
LA THESE POUR LE DOCTORAT DE 3E CYCLE
SUJET
«JEAN PAULHAN J TRISTAN TZARA ET LE POEME NEGRE : UN
ASPECT DU DIALOGUE LITTERAIRE ENTRE L'AVANT-GARDE
FRANCAISE (19E-20E SIECLES) ET LES ARTS PRIMITIFS».
L'objectif de notre thèse est de démontrer l'expé-
rience nègre - ou primitiviste - des deux écrivains ci-dessus
nommés. En d'autres termes, il s'agit de deux aspects conco-
mitants
du comparatisme: d'une part, les représentations
culturelles du primitif en général et du Noir en particulier
dans la littérature française au début du XXe siècle, et,
d'autre part, l'influence de ces représentations sur cette
littérature-là. Certes un regard sur l'époque concernée révè-
le à quel point art et littérature se mêlaient alors
; mais
nous sommes en littérature et avons travaillé sur des textes,
notre tâche ne se confondant nullement avec celle de l'ethnogra-
phe ou de l'anthropologue. Au plan méthodologique, l'étude
s'est faite aussi bien en :amont qu'en aval~ Elle a tenu
compte du phénomène de la crise des valeurs occidentales mais
aussi du phénomène du nègre à la mode. Enfin elle s'est pen-
chée sur l'influence, dans ces conditions-là, des textes
oraux de la littérature traditionnelle sur l'écriture et la
réflexion des deux auteurs. Les résultats nés de cette inves-
tigation se présentent en trois principaux points. Nous exa~
minons d'abord les pertinences de la rencontre culturelle:
preuve de l'exotisme, elle s'explique aussi par la recherche
ùe nouvelles connaissances et des valeurs pour le renouveau
esthétique de la culture occidentale en crise. Notre atten-
tion se fixe ensuite sur le lien entre le folk-lore étranger
et l'Esprit nouveau européen. Prenant le contre-pied des pré-
jugés du cartésianisme, les écrivains ont prouvé en quoi
l'oralité est, comme l'écriture, un lieu de la littérature en
général et de la poésie en particulier. Enfin, nous indiquons,
dans la dernière partie du travail comment la poésie a révélé
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1

auxdits écrivains l'existence d'une civilisation et d'un mode
de vie étrangers mais riches à souhait. Ce mode de vie, cette
civilisation contiennent des valeurs qui réconcilient en per-
manence l'homme et l~ nature. C'est cette propriété que nous
avons appelé humanisme négro-africain. Face à elle, nos deux
écrivains adoptent une attitude qui, si elle ne prône pas le
retour au bonheur de l'Antiquité, suggère
l'invention d'un
Européen nouveau, en qui s'équilibreraient le rationnel et
l'irrationnel, l'esprit cartésien et la spontanéité. Jean
PAULHAN et Tristan TZARA sont deux primitivistes originaux,
qui décrivent une évolution dans la connaissance de l'Autre.
Contrairement à un Blaise CENDRARS que l'hystérie et la né-
vrose ont poussé à épaissir davantage l'obscurité créée
autour du nègre, eux ont dépassé l'ignorance, l'incohérence,
l'ambiguïté, les traces du racisme, pour saisir, en défini-
tive, les universaux de culture inhérents à l'aire culturelle
découverte.

4 .
INTRODUCTION GENERALE
=====================

5.
Répétons notre sujet: Jean Paulhan, Tristan Tzara
et le poème nègre : un aspect du dialogue littéraire entre
l'avant-garde française
(19-20è siècles)
et les Arts primi-
tifs. Ce sont là les termes d'une alliance culturelle que
l'on pouvait encore évoquer ainsi:
l'expérience nègre de
Paulhan et de Tzara. Cette expérience implique un espace
et un temps que nous devons définir.
D'abord qui sont les auteurs? Paulhan est né français
et il vécut de 1884 à 1968. Roumain d'origine,
le second
habita Zurich de 1915 à 1920, année où il s'installa à Paris.
Tzara obtint la nationalité française en avril 1947. De
douze ans le cadet de Paulhan,
il disparut en 1963. Tous les
deux sont considérés comme de grandes figures de la littéra-
ture française contemporaine. Où commence l'expérience nègre?
Tzara ne vint en Afrique noire pour la première fois qu'en
1962,
"à l'occasion du Congrès pour la Culture africaine, à
Salisb~ry". Pourtant, depuis 1916 son intérêt pour la culture
noire était manifeste car il avait commencé à cette période
la collection de poèmes d'origine africaine et océanienne
qu'il intitula lui-même "poèmes nègres".
Paulhan séjourna à
Madag~scar de 1907 à 1910, vivant au milieu d'un peuple du
centre de l'île, nommé hova ou aussi, mérina.
Il en ramena
des poèmes d'un genre dont il conserva la désignation authen-
tique: les "hain-teny". Ceci dit, ajoutons que le terme "nègre"

6 .
est un générique ici. Valable chez Tzara pour les poèmes
océaniens, malgaches et Africains, nous l'utilisons dans
le sens littéraire où il désigne la diaspora noire de
l'Afrique, des Arnériques, des Antilles et de Madagascar.
Et voilà définis les deux termes du rapport.
Il y a dialogue
entre deux représentants de la Itivilisation"d'une part puis
la culture négro-africaine d'autre part.
Outre l'homogénéité de l'aire culturelle interrogée,
i l faut indiquer le contexte socio-politique de l'époque.
En 1907, et en 1916, une bonne part de l'Afrique et Madagas-
car vivaient sous la colonisation française;
les super-
puissances s'étaient réparti les terres océaniennes et
aujourd'hui encore, Nouméa tire sur la main-mise française.
Par conséquent, en se référant à la mentalité européenne de
l'époque on doit dire que le pacte concernait
d'un côté
deux civilisés et de l'autre le colonisé dont la couleur
signifiait, au-delà de la "médiocrité"
de la pigmentation,
l'infériorité morale et spirituelle. Ce colonisé pouvait
être désigné par une kyrielle de variantes bien connues :
nègre, sauvage, primitif, avec toutes les connotations péjo-
ratives possibles de ces mots. Néanmoins, Tzara ni Paulhan
ne sont les créateurs des différentes acceptions véhiculées
par ces termes. Mieux: démontrer l'originalité que chacun de
ces deux individus a manifestée vis-à-vis de la mentalité
populaire de son milieu occidental, telle est notre tâche.

7 .
Nous devons dire, avant cela, qu'il n'y a
jamais eu
d'action concertée entre Paulhan et le Tzara de Bucarest, de
Zurich ni celui de Paris. Le premier découvrit l'autre à
travers les rumeurs parisiennes sur le tapage du Cabaret
Voltaire; et surtout à travers DADA 1
(1)
qu'il chercha à
lire juste avant la publication de Le Guerrier appliqué
considéré parfois comme une réplique
calme à la
guerre, opposée au tumulte dadaiste de Zurich. Tzara de son
côté
a lu Paulhan et l'on verra que trois "poèmes nègres"
sont des hain-teny de celui-ci. QUoiqu'il en soit, nous
avons un résultat ~édiat; à savoir
que notre tâche concer-
ne un rapport culturel entretenu par deux grands représentants
de la littérature moderne française avec la littérature
orale traditionnelle du nègre; et ce, à une époque où la
morale de la colonisation régnait suprêmement chez ce nègre.
Quelle fut, dans ce contexte, la nature du dialogue Paulhan-
Tzara puis le nègre ?
D'abord, démystifions la distinction civilisé-sauvage.
Elle est historique car déjà dans l'Antiquité gréco-romaine,
n'était considéré comme homme et civilisé que l'habitant de
la cité. L'on rangeait les autres à la même loge que l'animal,
le barbare, le primitif. La particularité de notre propos
réside en ce que, outre l'historicité du phénomène,
ici le
sauvage était un colonisé. Là-dessus, comme nous n'accomplis-
sions pas une oeuvre de pionnier, i l a été possible de saisir,
(1)
Pour ces explications, voir Dada à Paris de Michel
Sanouillet, p.
119-139.

8 .
en recourant à des travaux antérieurs, trois attitudes
distinctes de la littérature occidentale autour du nègre.
Leur évocation permet de bien situer notre tâche et d'en
cerner au mieux la problématique. Exprimée dans une créa-
tion romanesque et descriptive,
la première exclut le
dialogue.
Elle débuta au XVIIè siècle, avec l'exotisme qui n'est
pas impérialisme. Roger Mercier en a fait l'analyse avec
L'Afrique noire dans la littérature française. Les premières
images XVII et XVIIIè siècle. A la description exotique,
succéda le roman colonial qui marqua la période du XIXè
siècle jusqu'à peu avant la première guerre mondiale. A
priori,
le roman colonial projetait révéler mieux que la
première forme romanesque,
l'authenticité du noir. Pourtant,
i l échoua et à l'exotisme, substitua le racisme et la défense
des thèmes impérialistes. Tel est le paradoxe que Martine
Astier Loufti dénonce dans son ouvrage : Littérature et
colonialisme
(L'expression coloniale vue dans la littérature
romanesque française,
1872-1914). Ecoutons-le
A l'opposé des auteurs de la période précédente qui
refusèrent d'intégrer le colonialisme à leur vision,
les auteurs de la génération suivante ont interprété
le monde à la mesure du colonialisme
(p.73)
De cet échec ,
le courant suivant ne tira pas de grandes
leçons puisque Ada Martinkus-Zemp qui traite de la production
littéraire de l'entre-deux-guerres montre que pendant cette

9.
"
période,
"l'Europe n'est pas encore mure pour accepter la
diversité des valeurs culturelles"
(1), qu'elle se considère
comme "le type idéal, le modèle
de toute société humaine
( . . . ) .•. la norme, le reste n'étant qu'écart ou déviation" (2)
Et jusqu'à la deuxième guerre mondiale,
il n'en va pas autre-
ment. La création romanesque persiste dans la méconnaissance
totale de la mentalité et de la civilisation du peuple noir.
Guy Michaud, le préfacier de Le Mythe du Nègre et de l'Afrique
noire dans la littérature française
(de 1800 à la deuxième
guerre mondiale)
écrit par Léon Fanoudh-Siefer n'a pas pu
retenir son ahurissement devant la docilité du lecteur de
Le Roman d'un Spahi
On a peine à croire
( . . . . ) qu'un peuple qui
se prétend le plus intelligent de la terre
ait pu si longtemps accepter sans contrôle
ses images caricaturales
(3)
Ainsi l'effort de connaître l'autre existait parfois
mais i l succombait toujours à la tentation de justifier
inconsciemment ou non l'idéologie impérialiste. Donc l'on
retraçait le méandre des acceptions du terme sauvage tel que
nous en parlions plus haut et tel que Jean-Claude Blachère les
(4 )
résume dans son ouvrage
: du bon sauvage de Montaigne et
Diderot au XVIIIè siècle, on est passé, au XIXè
, au nègre
sauvage-cruel. Puis à notre siècle, le vocabulaire affecté
à ce nègre est ambigu. Conformément aux démonstrations de
(1) MARTINKUS-ZEMP
(Ada).- Le Blanc et le Noir
(Essai de
description du noir par le Blanc dans la littérature de
l'entre-deux-guerres. -
Paris, Nizet, 1975._p.
217
(2)
Ibidem. p.216
(3)
MICHAUD
(Guy).- in Préface à
:[Le Mythe du nègre et de
l'Afrique noire dans la littérature française de 1800 à
la deuxième guerre mondiale.
-
Paris, Klincksieck,
1968J
-p.l0
(4) BLACHERE
(Jean-Claude).
-
L~ Modèle nègre. Aspects littérai
res du mythe primitiviste au XXè siècle chez APollinaire/_
Cendrars- Tzara. - NEA ,
1981.- voir p. 11-14.

10.
Léon Fanoudh-Siefer, i l est "bon enfant",
"bougnoul",
l'inférieur". Donc, d'une manière ou d'une autre, du XVIIè
siècle surtout jusqu'au-delà de la deuxième guerre mondiale,
i l Y eut échec de la volonté de connaître et démonstration
de la supériorité de la Civilisation blanche, donc refus du
relativisme culturel. Conformiste ou gênée par les barrières
raciales, cette littérature supportait l'idéologie impéria-
liste dans toutes ses réalisations.
Pourtant, à partir du
déclenché, que l'on appelle
occidentales, ces valeurs-là que le
continuait malgré tout à déf~ndre.
de
la Civilisation, celles qui déterminaient l'humanisme
du
siècle des lumières : le cartésianisme et le positivisme.
Elle devint particulièrement sensible quand, victime de ses
propres acquis matériels, la civilisation sombra dans une
dégradation qui montra à la fois les limites de la logique et
le pouvoir destructeur qu'elle engendrait. Micheline Tison-
Braun qui a écrit La crise de l'humanisme souligne que la
frénésie de l'Occident de jouir, d'agir,
supprima l'essentiel
de la noblesse humaine, c'est-à-dire la réflexion. Puis le
civilisé se sentit écrasé par sa propre oeuvre:
La crise de l'humanisme consiste en ce que l'esprit
semble avoir perdu ce pouvoir d'influencer l'histoire
( )
Vaincu, complice ou incertain, il a perdu son efficacité

I l .
et le sens de sa mission propre
(1)
Ils furent catastrophiques,
les signes sociaux de cette crise.
Des guerres internes avaient déjà perturbé la vie de ceux de
la génération de Rimbaud. Vinrent ensuite, symboles de la
débacle totale de la Civilisation,
les deux guerres mondiales.
Un grand malaise social elles créèrent. Ecoutons encore
Tison Braun:
L'individu se juge mal intégré à la collectivité
(
sa vie est dénuée de sens
( ) parmi une richesse
matérielle croissante,
i l est spirituellement démuni
(2)
Un autre facteur accentuait la désillusion éprouvée par
l'homme dans cette société, c'était les révélations des scien-
ces révolutionnaires nées au siècle dernier et qui contre-
attaquaient la logique, offensaient la morale bourgeoise en
indiquant que l'essence du primitif était celle de l'humanité
entière. Ces sciences réapparaitront aux bons endroits dans
notre réflexion. Pour l'instant nommons-les seulement. Ce
sont la psychanalyse, la linguistique,
l'anthropologie surtout.
Le bergsonnisme venait nuancer également le radicalisme des
vues positivistes et invitait au scientisme.
Dans le cadre des réactions contre la crise un double
courant d'hommes des Lettres et des Arts français convergea
vers la culture du nègre. Plus précisément,
le monde nègre.
attira puis l'avant-garde française contracta un heureux mariage
avec lui, sur les plans artistique et poétique.
( 1) TISON-BRAm; (rv'içheline). - La Crise de l' humanisrr.e. TarIe 1. - Paris,
Nizet,
1958._p.ll
( 2 )
lb idem. - p. 1 4 .

12.
Sur le plan artistique, les origines dU pacte tel que
nous le considérons remontent aux découvertes de Vladminck,
de Picasso etc ... A partir de 1904 ils décelèrent dans les
arts nègres amassés aux cours des expéditions des explora-
teurs européens, des solutions plastiques et artistiques
propres à renouveler le souffle de la création qui, en
leur monde, devenait de plus en plus désuète. On ne peut
prétendre montrer mieux que le Jean Laude de la Peinture
française et l'art nègre
(1904-1915)
l'influence de cet
art-ci sur l'invention française puis la place de cette
influence dans l'avènement du cubisme. Là, i l Y a eu dialo-
gue culturel.
Ce phénomène eut son répondant chez les partenaires
poètes. ~os préoccupations étant plutôt poétiques nous nous
attarderons sur le prélude de l'action rigoureusement avant-
gardiste~ Il y eut, surtout à partir du XIXè siècle, un vaste
mouvement de collecte de fables, contes, et devinettes de la
littérature orale négro-africaine par des voyageurs, adminis-
trateurs et enseignants français.
Des études antérieures à
la nôtre recenS~nt les oeuvres ainsi constituées et nous ne
répéterons pas leurs indications.
Il suffit que nous mention-
nions le chapitre "Le développement historique" de Pageard
dans son étude intitulée Littérature négro-africaine. Le
mouvement littéraire contemporain dans l'Afrique noire d'ex-
pression française
(1). On retrouve, mais un peu éparpillée,
(1)
Pour le chapitre, voir oeuvre citée p.5-39

13.
dans Littérature nègre, Afrique, Antilles, Madagascar de
Jacques Chevrier, l'évocation du même courant. Cependant
autant ces ouvrages citent abondamment les textes , autant
ils réduisent la rencontre culturelle à un phénomène de
"naissance" de la "littérature nègre". Comme si avant la
découverte du Noir par l'homme muni de l'écriture, comme si
avant l'apprentissage de l'écriture par l'africain, i l
n'existait pas chez ce dernier une valeur équivalente à
la notion de littérature. Puis, si l'on prend au sérieux
l'ouvrage de Lilyan Kesteloot : Les écrivains noirs de langue
française: naissance d'une littérature, on doit croire que
ce qu'il convient de n~mmer littérature nègre n'est qu'un
produit des faits historiques que sont le New-Negro et la
Négritude.
S'appesantissant sur "l'avènement",
"la naissance", ces
ouvrages oublient de dire sérieusement si le monde noir
apporte quelque élément au monde blanc. En somme, trop occu-
pés à montrer la "découverte", à dire "que le génie africain
) fait son entrée dans la littérature française grâce à
des Européens de bonne volonté," (1)
ils négligent d'envisager
le phénomène comme un fait d'échange culturel. Aussi, suscitent
ils des interrogations contre la notion même de littérature
n'y a-t-il de littérature que dans l'écriture? Ou bien,
l'oralité traditionnelle est-elle aussi une littérature avant
(1)
PAGEARD
(Robert). - op. cit._p.8
1

14.
de passer à l'écriture? L'auteur de Muntu et de Manuel
de la littérature négro-africaine du XVIè siècle à nos jours,
de l'Afrique à l'Amérique suggère une réponse en insistant sur
la spécificité négro-africaine. La partie théorique de
Collecte et traduction des littératures orales. Un exemple
négro-africain: les Contes ngbaKa ma'bo de R.C.A. de Jean
Derive est encore plus enrichissante sur ce plan
(1). Au-delà
du recensement des textes,
l'auteur s'interroge sur la qualité
de la traduction de la version.
"Qui l'a traduite et comment ?"
.(2)
Puis il se concentre sur les "problèmes spécifiques posés
par la traduction littéraire des oeuvres orales "(3). Cette
démarche lui permet de mettre en avant la pertinance authen-
tique et d'insister sur l'échange culturel que sa valeur rend
possible avec le monde extérieur. On peut dire qu'au moins,
l'idée d'un tel échange avait effleuré l'esprit des poètes
avant-gardistes.
Car là aussi, ce fut le retour vers le folklore.
La
~uasi totalité des jeunes poètes convertis plus tard au surré-
alisme se sont intéressés à ce mouvement et Apollinaire y
apparaît en vedette. D'ailleurs en se référant au début des
textes de Chronique d'Art, on peut, avec ce poète-là, situer
le début de ce
retour à l'année 1902. On pourrait trouver
(1)
Voir p.
23-85 de l'oeuvre citée
(2)
DERIVE
(Jean). - op. cit. _ p.
39-47
(3)
Ibidem p. 48-73
i
1

15.
dans Le Modèle nègre
(1)
de Jean-Claude Blachère une étude
du dialogue poétique, un exemple correspondant à la réflexion
d'ordre artistique de Jean Laude. D'autre part, nous devons
noter que déjà à cette époque le poète tendait à rapprocher sa
création des modèles, des techniques de l'artiste. Et quoique
nous ayons indiqué que l'expérience débute par la découverte
du poème,
il appara!tra que les deux auteurs se sont également
préoccupés des arts. Cette remarque faite,
revenons au sujet.
Tout ce qui précède permet de dire qu'à partir de l'aube du
XXè siècle, il y a
dans l'univers littéraire français, deux
attitudes contradictoires autour du nègre. L'avant-gardisme .
poétique contredit le conformisme.
Tout en précisant qu'elle ne va pas au-delà du cadre
de notre réflexion, on pourrait parler d'une opposition entre
genre poétique et genre romanesque. Le poète prend le temps
d'écouter et d'engager un dialogue avec le nègre qui est un
interlocuteur. Le romancier interprétait-fort subjectivement-
le nègre qui n'était qu'un personnage romanesque. Le conformis-
me montrait l'inconcevabilité de valeurs nègres. Le poète,
l'artiste croyaient en l'existence de valeurs - spirituelles et
littéraires- nègres. Voilà pourquoi,
,où Blachère distingue
un "Mythe péjoratif du nègre"
(2)et un "discours mélioratif" (3)
nous parlerions de l'opposition de deux idéologies littéraires.
(1)
BLACHERE (Jean-Claude). - Le Modèle nègre. Aspects litté-
raires du mythe primitiviste au xxè siècle chez Apollinai-
re, Cendrars, Tzara,,_NEA,
1981.- p.224.
(2)
Ibidem. - p.
5-6.
(3)
Ibidem, p.6.

16.
Supporter des idées impérialistes le discours descriptif ne
pouvait exercer un regard critique sur la crise. Comme il
se conformait à son action, i l se conformait à ses déboires
ou les minimisait. Au contraire, parce qu'il manifestait la
révolte contre le conformisme, parce qu'il était né de la
crise des valeurs, l'avant-garde contestait la cause de cette
crise : la Civilisation. Aller chercher les solutions esthéti-
ques, littéraires et sociales dans le monde opposé était une
des expressions de la révolte.
\\,
U
Ce recours aux valeurs nègres ou primitives, la croyance
en leur aptitude à apporter quelques solutions aux maux de
la société dite évoluée, l'opposition de la spiritualité
aux aspirations matérialistes
et au colonialisme, c'est
tout cela le primitivisme. En reprenant certains mots de
Jean-Claude Blachère, on dirait que "c'est l'express~on d'une
croyance aux vertus des civilisations nègres pour apporter
des solutions à la crise de l'esprit européen" (1) . Mais pré-
cisons surtout que ce mouvement est une des phases du courant
de révolution poétique inauguré au XIXè siècle par Baudelaire
et Rimbaud, ponctuée en notre siècle par Dada et qui déboucha
sur le Surréalisme. Ce cadre qui est antinomique au discours
conformiste est celui qui circonscrit notre sujet. Et ce qui
vient d'être dit permet d'affirmer que cette révolte a une
histoire, une histoire que nos deux auteurs répètent souvent
(1)
BLACHERE (J.C.). - op. cit._p·
Il

17.
et qui, d'une autre part est éclairée par Raymond Marcel
dans De Baudelaire au Surréalisme et par Michel Decaudin
dans La Crise des valeurs symbolistes, vingt ans de poésie
française 1895-1914. On pourrait aussi évoquer l'étude plus
concentrée de Mario Richter,
la Crise du Logos et la quête
du mythe et ajouter que , tout comme Le Sentiment de la
Nature dans le Préromantisme Européen, de Paul Van Tieghem,
ces oeuvres postulent que nul autre lieu que la nature ne
paraît révéler aux hommes les valeurs vraies; qu'à travers
les temps, ceux-ci n'ont déployé leurs efforts que pour un
même motif: trouver la meilleure traduction du rapport qu'ils
veulent entretenir avec cette nature. En cela, notre devoir
consiste à montrer que parallèlement au discours français anti-
pathique,
il y a eu des exemples de sympathie intellectuelle.
Cette tâche est conforme à la progression nécessaire dans le
monde littéraire, tel qu'il est dit sur la couverture de Le
Modèle nègre.
L'abondance littéraire coloniale a
( ... )
secrété, dans
l'imaginaire collectif de l'Occident un ensemble de
mythes dépréciatifs du monde noir
( ... ) après de nombreux
et bons ouvrages consacrés à l'étude de cette mytholo-
gie péJorative,
( ... )
il Y a une autre histoire à
défricher: celle de l'important courant de sympathie
qui, dès 1900, anime certains écrivains
( . . . ) De cette
"mentalité primitiviste" et,
singulièrement, de son-
influence sur la révolution poétique qui s'opère en
France d'Apollinaire au surréalisme, on s'est trop peu
soucié jusqu'à présent.
Dernier grand leader avant le Surréalisme constitué, Apollinai-
re mena une action fort déterminante dans cette évolution
littéraire. Jean-Claude Blachère s'est particulièrement inté -
ressé à "l'Aventure nègre de Guillaume Apollinaire"
(1)
et à
(1)
BLACHERE
(Jean-Claude).
-
Le Modèle nègre._p.25-70

18.
"l'inspiration nègre dans l'oeuvre de Blaise Cendrars"
(1).
La position de ces deux auteurs
fait d'eux des pionniers
(2).
Celle du premier lui vaut d 1 être reconnu par la majorité
des poètes de la génération de Tzara et de Paulhan comme leur
"premier", en particulier à cause des théories qu'il formula
finalement dans L'Esprit Nouveau. Cette oeuvre introduit
un concept poétique révolutionnaire: l'effet de'la surpris~.
qui pouvait être créé, entre autres facteur~par les agisse-
ments primitivistes.
Selon L'Esprit nouveau,
l'inattendu garantit le beau.
La tâche du poète quant. à elle, est double.
Il doit procéder
à sa propre désaliénation, par le cosmopolitisme livresque
ou réel. L'auto-désaliénation
débarrasse des masques de la
Civilisatio~.et c'est bien elle qui suggère le "voyage" à
Baudelair~et à Rimbaud, la fuite sur un "bateau ivre". Cette
désaliénation est un tremplin pour la connaissance de l'alté-
rité. Après elle, le poète doit se retourner auprès des siens
pour les instruire, leur faire des révélations. Mais qu'est-
ce que la surprise donc? Elle est le réalisme. Et le réalisme
est la vérité. Rimbaud montre dans les
Illuminations
que sa
vérité à lui est la seule valable et qu'elle correspond au
contraire de ce que la Civilisation a fait d'elle-même. Or,
il en est de même de la surprise apolinarienne que de la vérité
rimbaldienne. Valeur cardinale de l'esprit moderne, c'est
(1) 3LACHhRF
(J.C.). - op~cit. - p.71-ll5.
(2) Parallèlement à ce point de vue, nous estimons que les
études de Alexandre Eulalio de Jean-Pierre Goldenstein, et
de Martin Steins
(cf Bibliographie p. 276-277 qui n'interVienent
pas dans l'étude de Blachère lui aurait permis d'être plus
convaincant dans les propos sur l'ambiguïté de Cendrars.

19.
par rapport à celui-ci qu'elle se définit:
Nous l'avons
(1)
établi sur les bases solides
du bon sens et de l'expérience qui nous a amenés
à n'accepter les choses et les sentiments que selon
la vérité, et c'est selon la vérité que nous les
admettons ne cherchant à rendre sublime ce qui natu-
rellement est ridicule ou répugnant. Et de ces vérités
i l résulte le plus souvent la surprise, puisqu'elles
vont contre l'opinion communément admise. Beaucoup
de vérités n'avaient pas été examinées.
Il suffit de
les dévoiler pour causer la surprise.
(2)
La surprise se présente donc comme un instrument de travail
psychanalytique. Désaliéner le lecteur ou le
spectateu~,
telle en est la fonction.
On peut ajouter: plus l'effet
s'amplifie plus l'ambition du poète sera atteinte. L'effet
quant à. lui, grandit à proportion qu'est importante la dis-
tance entre la vérité révélée et le degré d'ignorance du
candidat à la désaliénation.
Quel peut être concrètement cet effet ? Ce peut être
l'émerveillement devant l'inédit ou tout au contraire, le
choc ou la désillusion créée par ce même inédit. En tout cas,
i l est le résultat de la contradiction entre le révélé et
l'insoupçonné. La surprise doit bousculer des habitudes.
Doucement, brutalement ou violemment, cela dépend des indi-
1
vidus et de l'écart qu'ils ont marque entre eux et la nature.
Telles sont les données de l'esprit nouveau poétique comme
nous devions le rappeler.
Mais i l convenait que nous prenions des précautions.
Pour bien traiter du rapprochement de la mentalité primitive
(1)
L'esprit nouveau
(2)
APOLLINAIRE (Guillaume). -
L'Esprit nouveau et les poètes.
-Paris, Jacques Haumont, 1946.-p. 17-18

20.
et de la révolution poétique française,
il faut retenir que le
primitivisme n'est pas vécu uniformément.
c'est dire qu'il y a une diversité du primitivisme.
Et sur ce point, sans prétendre à la dimension des travaux
de Jean-Claude Blachère, nous osons dire qu'après avoir
promis suppléer à l"'insuffisance des analyses du mythe
péjoratif" et montrer"l'existence d'un discours mélioratif" i l
a donné l'exemple du danger que l'on court en généralisant les
1
1
1
~
!
considéra-
1
1
tions relevant
phénomène.
~
Souvent, sitôt
cher-
1
finalité visée. Mais
surtout, nous estimons que s ' i l suffisait très largement pour
1
l'étude effectuée, le corpus utilisé n'autorisait pas des
1
conclusions générales telles que Blachère se l'est autorisé
~i
à la fin.
L'une des grandes leçons de notre expérience nous
1
fait retenir que c'est avec une extrême prudence qu'il faut
(
traiter du rapprochement sympathique effectué par le Blanc
[
à
l'endroit du ijoir. En général, le primitivisme est une affai- 1
re personnelle. Nous voulons dire que la "mode nègre" est
1
l
vécue selon des nuances assorties à chaque personnalité. Paul
~!orand, Apollinaire, Cendrars par exemple sont des maîtres
1
de la plaisanterie excessive et déroutantel de la mystification 1~fr~~f1rt
~
1.

21.
de la fumisterie même; ils affectionnent l'ambiguïté; mieux,
autant ils sont capables de ne jamais eux mêmes se prendre
au sérieux, autant ils peuvent affirmer une chose ou son
contraire mais toujours avec la même capacité de conviction.
Leur primitivisme en est quelquefois empreint.
Le goût du je m'enfoutisme n'est pas absent chez Tzara.
Mais quand on connait ce poète, la différence apparalt tou-
jours entre une apparence qu'il affiche et le sérieux de sa
pensée secrète. Avec Paulhan,
il forme un couple de primiti-
vistes sérieux d'un bout à l'autre. C'est pour souligner
la particulatiré des auteurs au sein de cette diversité que
nous avons employé l'expression "un aspect". Mais ce n'est
pas leur ressemblance qui nous a fixé sur les deux auteurs.
Il y a eu pour cela, d'autres facteurs - dont l'évocation
répondra à la question : pourquoi ce sujet ?
Deux facteurs ont présidé au choix de notre thème.
Ce sont nos préférences littéraires d'une part puis les
investigations qui préparent à la rédaction d'une thèse
du doctorat du troisième cycle, d'autre part. Tous deux
concoururent à nous rendre conscient de l'intérêt qu'il y
avait à examiner l'expérience nègre de Paulhan et de Tzara.
Très tôt,
les recherches nous portèrent à comprendre combien
la tâche impliquait directement au moins Apollinaire, Blaise
Cendrars et même Rimbaud. Ayant élargi la documentation dans
ce sens, nous nous sommes retrouvé
face à trois objections.
1 0
:
Le listing des ouvrages à paraltre annonçait la publica-

22.
tion future du volume de Jean-Claude Blachère, Le Modèle
nègre. Là, nous avons estimé que notre point de vue d'indi-
vidu à cheval sur deux cultures ne pouvait pas créer une
redondance avec celui du français. Mais, d'un autre côté
le bilan de notre documentation fit ressortir deux argu-
ments qui ont plus sérieusement déterminé notre décision.
Ce sont ceux-là la deuxième et la troisième objection.
2° Rimbaud est certes un précurseur mais i l n'a pas utilisé
de poèmes nègres authentiques 3°
: Notre répertoire biblio-
graphique mettait en évidence une différence entre les couples
Paulhan-Tzara d'une part, et Apollinaire-Cendrars d'autre
part. Au contraire des deux premiers écrivains, les seconds
ont déjà fait l'objet de multiples études recoupant notre
propos. Mieux: à notre modeste avis, la seule tâche encore
valable sur Cendrars, Apollinaire, autour de ce sujet, devrait
consister en une mise au point à partir de la critique et du
commentaire déjà existants. Ce serait donc une étude au second
degré. Et ceci n'est point immédiatement possible dans le cas
de Paulhan ou celui de Tzara. Si l'on veut porter ceux-ci au
niveau de l'étude envisageable pour les premiers,
i l faut
d'abord
leur consacrer le temps d'une première réflexion,
centrée sur le texte de l'écrivain. Nous ne prétendons nulle-
ment qu'il fût impossible de concilier les deux temps et de
prendre en compte les quatre auteurs à la fois.
Seulement
nous avons estimé que dans l'immédiat, la réflexion sur Paulhan
et Tzara était suffisamment représentative de la particularité

23.
littéraire qui nous intéressait et nous l'avons privilégiée.
Quelques principes méthodologiques ont été nécessaires à son
développement, que nous devons exposer.
Quoique nous n'ayons écarté systématiquement une seule
des méthodes d'analyses
proposées par la critique, aucune ne
1
nous est apparue devoir être considérée comme un dogme incon-
ditionne1.
Seule la nature de la réflexion que nous voulions
mener à
déterminé notre attitude. Car, plus que des documents
ou de simples sources d'information,
les textes que nous mani-
1
pu1ions mettent en jeu des systèmes de pensée d'un continent
à un autre et font appel à des procédures d'analyse spécifi-
ques. Ainsi nous sommes-nous concentré
sur la recherche
et la mise en évidence~d'une part,des contraintes inte11ectue1-
les dont procèdent les réflexions de Tzara et de Paulhan, et,
d'autre part, des
vérités
qu'ils ont jugé nécessaires de dire
urgemment avec,
à la bouche,
l'argument de la culture nè~re.
Néanmoins si nous nous entendions dire : tout de même
vous avez eu au moins un maître? nous répondrions qu'en
effet, nous avons fréquemment relu les introductions méthodo-
logiques de deux ouvrages. L'une est de Van Thiegem Philippe,
dans Les Influences étrangères sur la littérature française
(1550-1880)
et l'autre, de Jean Laude dans La Peinture fran-
çaise et l ' a r t nègre 1904-1915. Ces deux auteurs nous appri-
rent que l'analogie, ou l'influence est souvent
un habitl
un remède à un déséquilibre; que, plutôt que d'être une révé-
1ation,la culture reçue est révélatrice du génie de l'auteur

24.
qui l'a découverte et l'a expliquée. Donc, à travers l'analyse
des textes c'est l'originalité de Tzara et de Paulhan,
le
1
résidu authentique de leur personnalité littéraire, que nous
1
essayons de montrer.
1
D'ailleurs, de telles précautions nous sortaient de
l'embarras. Car d'un texte autonome on peut dire tout ce qu'on
1
veut et nous sommes d'avis qu'un seul poème suffit à constituer
1
l'objet d'une thèse. Nous avons donc cherché à saisir les
t
raisons pour lesquelles tel élément nègre a été abordé et
i1
comment i l a été intégré; nous nous sommes efforcé de déter-
f
miner le problème littéraire, culturel et social auquel
ii
l'élément nègre permettait à l'écrivain de répondre. Ce souci
impliquait une prise en considération du contexte littéraire
1
p,
général mais aussi la fidélité à un comportement préconisé
par Jean Laude :
1
Apprécier la nouveauté et le sens d'un événement par
rapport à ce qui le précède ou l'entoure au moment oü
i l se produit, sans aucunement préjuger de ses consé-
1
quences;
restituer cet événement, avec son facteur
différentiel ainsi précisé, dans l'ensemble qui l'a
suivi, pour essayer d'évaluer ses conséquences et leur
portée réelle
(1)
D'autre part,
i l apparaîtra que nous réduisons nettememt la
confrontation des deux auteurs. C'est qu'ici, elle tombait
dans le superflu. En dehors du caractère subjectif des voies
-
subjectivité que nous montrerons toujours -
les points de
vue de deux auteurs concordent. Mais, ainsi que nous le disions
tout à l'heure, ce n'est point la concordance qui a dicté notre
- ~--
(1)
LAUDE
(Jean).- La Peinture francaise et l'art nègre
1904-1915._p. 17

25.
choix, elle n'est que l'une de nos découvertes. Donc,
l'étude comparée d'un auteur à un autre occupera une place
moindre que la considération des analogies culturelles - qui
suppose la mise en évidence des pertinences culturelles de ?art
et d'autre, puis l'influence consciente ou inconsciente de la culture
nègre sur les deux écrivains. C'est-à-dire que les termes
de l'étude ne sont pas Paulhan d'un côté et Tzara de l'autre
face au monde nègre, mais ce sont
Tzara et Paulhan
rencontrant la culture étrangère. Ce sont donc l'aire cultu-
relle et le groupe d'individus. Maintenant,
il faut dire
selon quel ordre nous allons présenter nos résultats.
Nous préciserons d'abord les pertinences de la rencontre
cûlturelle. Ceci fait,
i l apparaîtra que assis à califourchon
sur deux cultures les écrivains jouent sur un grand thème.
Nous nous gardons d'indiquer celui-ci dans l'immédiat. Pour
le moment, l'utile consiste à annoncer que ce thème se traduit
à deux niveaux qui seront la deuxième et la troisième étape
de l'étude. Le premier de ces niveaux concerne le style et il
donne à traiter des problèmes de la littérature. Où fait-on
de la littérature? Où est-on hors de la littérature? Les
lettres écrites sont-elles le seul critère de la littérature ?
Le second se rapporte à la vision du monde telle que les
auteurs sont portés à l'exprimer ou à la prôner, à partir de
leur expérience nègre.

26
PREMIERE PARTIE
===============
PERTINENCES DE LA RENCONTRE CULTURELLE :
QUAND LE LITTERAIRE DEVIENT ETHNOLOGUE,

27.
La rencontre se présente comme le résultat d'un
cosmopolitisme intellectuel dont l'évocation permet de
cerner plus précisément les rapports subjectifs entre
les écrivains et le poème nègre.
CHAPITRE l
- LE COSMOPOLITISME INTELLECTUEL
Ici encore, nous partons d'une démarcation avec du
déjà existant. Une même habitude impressionne dans les
chapitres où R. Pageard, L.
Kesteloot, J. Chevrier traitent
de la découverte et/ou de la valorisation de la culture
nègre: celle de l'imprécision rattachée au souci d'évoquer
à la fois mais très rapidement les Européens et les Noirs
ayant participé à cette promotion culturelle. Panoramique,
cette forme de présentation peut être valable juste pour
une vulgarisation et nous ne la bannissons pas. Cependant
quand i l est mis systématiquement en avant, le mouvement
général finit par présenter les tâches individuelles comme
des docilités à un inéluctable, d'une part, et menace,
d'autre part, d'étouffer nos interrogations.
Nous dirions qu'aucun des Noirs habituellement dési-
gnés comme des précurseurs de la véritable mise en valeur
n'a publié un ouvrage avant Paulhan ou Tzara. Même l'énig-

28.
matique Batouala
(1)
trop souvent cité comme la première
agression sérieuse contre la vision colonialiste est posté-
rieur à la première publication de hain-teny par Paulhan.
Celle-ci eut lieu en 1912
(2). De même, Batouala vient chro-
nologiquement après les Soirées nègres du Cabaret Voltaire
et La Première Aventure de Mr Antipyrine, publiée en 1916 .
.
Par ailleurs,
la musique afro-américaine n'envahit réelle-
ment Paris que pendant l'entre-deux guerre, période où,
d'autre part, le soldat de l'ancien Sénégal ou d'autres
colonies commençaient à être connu en cette ville autrement
qu'en tant qu'animal. Enfin
le New-negro lui-même, au sein
duquel Dubois et surtout Garvey inquiétèrent le Blanc ne
naquit que dans les années 1922.
Dans les rangs des Européens,
le problème est diffé-
rent mais la place de nos auteurs n'y est pas moins origina-
le. C'est surtout à travers les anthologies que le grand
public occidental connut la culture nègre. Et si l'on trouve
Frobenius déjà avant le début du XXè siècle, toujours est-il
que Le Décaméron noir ne fut pas aussi populaire que l'Antho-
logie nègre de Cendrars. Mais l'Anthologie nègre ne parut
pour la première fois qu'en 1921. En plus/ces anthologies dont
Jean Derive dresse un répertoire
(3)
empruntaient leur ma-
tière à la récolte ethnographique des colons. Et c'est sur-
(1) MARAN
(René).
-
Batouala. Publié pour la première fois
en 1921.
(2)
PAULHAN
(Jean).
-
"Les hain-teny mérinas".
in Journal
Asiatique T. XIX.- Janvier-Février 1912.- p.133-162.
(3)
DERIVE
(Jean).
-
Collecte et traduction des littératures
orales. Un exemple négro africain:
les contes ngbaka-rna '
ho de R.C;k-p.39-46.

29.
tout
en tant qu'ethnologue que Frobenius
(1)
devance nos
auteurs. Ceci fait avancer notre réflexion et permet de
dire que les véritables prédécesseurs de nos deux auteurs
sont les missionnaires de la période des conquêtes colonia-
les jusqu'à la veille du XXè siècle. En retour, ils appa-
rais sent comme des pionniers-chronologiquement proches de
lévy-Bruhl - dans la "période
nègre".Pour bien les comprendre
i l faut donc, dans un premier temps, quitter la littérature
pure et parler du contexte général qu'est l'ethnographie
puis montrer par la suite comment le primitivisme poétique
s'est accordé avec ce contexte, comment Tzara et Paulhan sont
poètes-ethnologues.
l
-
ETHNOGRAPHIE : APERÇU
=====================
Nous parlerons rapidement des contradictions qui
précédèrent la constitution de la science, puis du caractère
révolutionnaire de celle-ci depuis son institution.
Le plus élémentaire des ouvrages sur l'histoire des
études ethnographiques met en évidence une controverse tou-
jours renouvelée autour du primitif. Depuis le XIIlè siècle
au moins,
les récits des explorateurs mettaient en lumière
la diversité des races
(2). Mais jusqu'au XVIIIè, cette
(1) Il effectua neuf expéditions en Afrique: entre 1904 et 1930
(2)
Nous indiquons deux ouvrages qui nous paraissent prati-
ques pour une initiation:
1°: Encyclopédie du Monde
Actuel
(EDMA). -
L~Anthropologie . - Paris, Livre de
Poche,
1977. -
212 P. + index (Collection diriqée nar
Henri Favta..<?::.d.
2 °
MERe 1ER (Paul). -
Histoire de l'Anthro-
pologie.-I'P~U.F., 1971. - 233 p.

30.
tâche préoccupa non des spécialistes mais des hommes de
toutes les disciplines.
Cela en réduisait la qualité au
niveau de celle du roman exotique ou colonial. Au XIXè
cependant,
s'effectua une démarche intellectuelle symbole
d'une volonté unanime de connaître l'essence de l'autre:
l'étude des sociétés primitives acquit le statut de science
. • . . . . au XIX siècle
( . . . ) l'anthropologie se cons-
titue en discipline autonome, caractérisée par des
techniques propres de travail et un domaine spécifi-
que de recherche
:
les sociétés primitives
(1).
Une théorie advint dans cette recherche, révolutionnaire
l'évolutionnisme. Fondamentalement, l'évolutionnisme en
anthropologie se subordonne à la biologie de Darwin et
pour autant,
i l refute l'humanisme du siècle des lumières.
Contre lui, i l exclut la fixité des races jusqu'alors exhi-
bée pour justifier la supériorité absolue des uns et l'infé-
riorité ad aeternam des autres.
Deux principes sous-tendent
cette théorie, qui revendiquent un statut humanitaire pour
le primitif.
Il s'agit, d'une part, du relativisme culturel
à toute société
correspond un mode culturel; ainsi
la
"Civilisation", la "sauvagerie" et la "barbarie" reflètent
des formes de culture.
Le second principe apparaît comme
l'aspect le plus humaniste de cette théorie:
la réductibi-
lité des différences dans les niveaux d'évolution; quoiqu'il
existe une échelle ob:iective de niveaux r.,'\\ les "civilisi5s" seraient
(1)
EDt-AA
. op.
cit.",p.
9.

31.
1
1
1
au sœrnet et les primitifs au rlus bas, toute socip.t~ est apte 2
1
accéder à la plus perfectionnée des formes culturelles.
Ainsi la science était née, une théorie pro-primitif
aussi.
Il en restait l'application. Certains chercheurs tels
que les défenseurs du confusianisme la remirent en cause
(1).
l
D'autres en tentèrent plus ou moins heureusement la mise en
1
pratique. Parmi eux, Sir James George Frazer, Emile DurkheIm
i
et Lucien Lévy-Bruhl. C'est sur ce dernier que nous allons
nous attarder car, par rapport à ses prédécesseurs
il appa-
rait comme un innovateur de la méthode de recherche, un
innovateur méconnu.
En même temps que Lévy-Bruhl
s'intéresse au primitif,
i l recherche une méthode d'étude dont la critique ne montre
pas toujours la valeur objective. Certes
on trouve ici et
là quelques excès dans les réflexions de cet agrégé en philo-
sophie. N'empêche,
les critères d'une recherche scientifique
le préoccupèrent.
On peut d'abord constater chez lui le rappel de la
différence entre les modes de connaissance chez le civilisé
et chez le primitif. Le premier explique les phénomènes par
des rapports de causalités entre les événements. Chez le
second, ces rapports passent inaperçus ou sont tenus pour
minimes;
ce sont les participations mystiques1 expl~que
Lévy-Bruhl, qui occupent la première place, souvent toute la
1
place
1
~
1
(1)
Le confusianisme condamne la tendance de l'évolutionnisme
,.
à généraliser les faits.
Il préconise la connaissance exac- •
te des faits sociaux par induction, à partir de l'étude
.
de groupes bien localisés dans le temps et dans l'espace.
i
l

32.
c'est pourquoi la mentalité des primitifs peut être
dite "prélogique" à aussi juste titre que "mystique".
Ce sont l~ deux aspects d'une même propriété fonda-
mentale, plutôt que deux caractères distincts."
(1)
Mais, parallèlement à ces observations ce chercheur a
dénoncé la méthode de travail de ses prédécesseurs. Pour lui,
entre autres, Frazer et Durkheim ont commis l'erreur de
croire
dans leurs études, que le primitif devait réfléchir
et raisonner de la même façon que l'Européen.
On constate qu'en fait il ne réfléchit ni ne raisonne
ainsi .Pour expliquer cette anomalie apparente, on a
alors recours à un certain nombre d'hypothèses: pares-
se et faiblesse d'esprit des primitifs, confusion,
ignorance enfantine, stupidité, etc ••• , qui ne rendent
pas suffisamment compte des faits.
Abandonnons ce postulat, et attachons-nous sans
idée préconçue à l'étude objective de la mentalité
primitive." (2)
Cet appel se joignait à ceux de toutes les autres sciences
révolutionnaires du début du XXè siècle pour rappeler le
relativisme culturel, et insister sur la nécessité de consi-
:
dérer l'autre comme un autre si l'on veut que les relations
1
soient normales. Seu~"la solution méthodique"permettrait
;
cette découverte objective des différences. Ecoutons encore
l'auteur de la Mentalité primitive:
Au lieu de nous substituer en imagination aux p~i­
mitifs que nous étudions, et de les faire penser comme
si nous étions à leur place ( ••• ) efforçons-nous, au
contraire, de nous mettre en garde contre nos propres
habitudes (3)
(1) LEVY-BRUHL (Lucien). - Les Fonctions Mentales dans les
sociétés inférieures.- Paris, Alcan, 1922.- p.78
(2)
LEVY-BRUHL (Lucien-.- La Mentalité primitive.- Paris,
Alcan, 1922.- p.IS
(Nous écrirons désormais, pour dési-
gner cet ouvrage, les lettres M-P. )
(3)
LEVY-BRUHL (Lucien). - M -p,- p.IS

33.
Plus tard Mircea Eliade lancera la même invitation : "le vrai
dialogue doit porter sur les valeurs centrales de la culture
de chaque participant"
(1). Et ces signes de soucis scientifi-
ques permettent de conclure ainsi
Le nègre en particulier et le primitif en général est
un homme dont il faut connaître les valeurs objectives. Telle
est l'idée dans la sociologie française au moment où -
le
nègre étant à la mode -, Paulhan et Tzara le découvrent.
Des différences apparaîtront entre les deux auteurs, mais
pour tous les deux
le premier contact personnel avec le monde
nègre est la conséquence de la curiosité intellectuelle et
surtout de la documentation livresque. Et au début
se situe
l'esprit critique.
II - L'ESPRIT CRITIQUE
=================
Paulhan apparaît en solitaire. Tzara par contre est
indissociable de Dada. Mais dans un cas comme dans l'autre,
l'élément privilégié est l'esprit littéraire en tant que fac-
teur d'amélioration des connaissances.
Après le ~ournal Asiatique en 1912
(2), Les Soirées de
Paris
(3)
- qui fut l'une des revues révolutionnaires-
publia
(1)
ELIADE
(Mircea).- La Nostalgie des origines -Méthodolog~e
et histoire des religions.- Paris, Gallimard,
1971-p.20.
(2) Voir Bibliographie p. 269.
(3)
PAULHAN
(Jean).- "Les mots-de-science, les hains-teny".
in
Les Soirées de Paris, n017,
juin 1913.- p.160-164.

34.
un fragment de Hain-teny en 1913. L'esprit paulhanien se
laissait ainsi entrevoir. Quoiqu'on ne trouve chez cet écri-
vain la tendance à la manifestation tapageuse,
ses choix et
ses attitudes littéraires trahissent des dénégations. Contre
le dogme,
i l opte pour le réalisme et sa méthode est simple :
marquer,
sur les plans littéraire et social,
la distanciation
avec le subjectivisme européen. D'ailleurs
plus qu'elles ne
l'attiraient les sciences classiques l'ennuyaient. Paulhan
donne à comprendre que la rencontre avec le bain-teny lui
apporta un sentiment de libération du calvaire de ces sciences
Songez qu'on nous donnait à apprendre
en géométrie les
aventures d'un point dont on admettait pour commencer
qu'il n'existait pas. En histoire une foule de personna-
ges et d'événements, qui auraient tout aussi bien pu ne
pas se passer. En philosophie ..• mais i l serait trop
facile d'insister
(1).
Le choix de l'auteur est d'autant plus clair que cette réflexion:
introduit Langage l, où se trouvent les réflexions sur les
hain-teny. Mais insistons sur l'agacement devant les dogmes
puisque cela permet de mieux faire ressortir le sentiment de
récréation né du contact avec l'étranger. Paulhan dit encore
avant cette libération,
"divers examens ou concours( .•• ) m'ont
vivement ennuyé" (2), Ce n'est point,cependant,que l'auteur
ai t
fait choix de la dolence; au contraire
c'est d'un activisme
intellectuel qu'il a besoin. Et pour cela
"le possédé du
réel" comme l'appelle Maurice Jean Lefebvre
(3)
éprouve le
besoin de briser l'étroitesse où il se sent enfermé dans son
(1) PAULHAN
(J.) O-C-Ix- p.7.
(2)
Id
(3) LEFEBVRE
(Maurice Jean).- "Un Possédé du réelll.in~Paulhan
Jean.- O.C.III.- p.425-435.

35.
monde
et de contrecarrer les idées reçues. Cela apparaîtra
mieux si l'on évoque cette déclaration èe l'homme:
J'ai toujours évité, dans la mesure de mes forces
d'ajouter une vue personnelle de plus à toutes celles
qui courent déjà le monde. (1)
C'est-à-dire: sceptique sur toutes les condamnations émises
sur le primitif par certains hommes de sa propre race, Paulhan
veut, comme dirait de lui Elisabeth Porquerol, "savoir ce qu'il
y a dans le sac."
(2). Avant La Nouvelle Revue Franç~~~~,
l'auteur connut Le Spectateur; celle-ci prônait sérieusement
ce scepticisme intellectuel
: il faut considérer tout ce qui
existe comme pouvant devenir objet de science; il faut dépas-
ser l'idéalisme européen pour étudier les domaines les plus
illogiques, les contrées les plus inconnues. C'est là et là
surtout que se peut définir le rôle propre de l'intelligence
humaine.
On peut donc dire que Paulhan avait embofté le pas de
la sociologie optimiste et adopté le principe de la docilité
intellectuelle. En est-il de même de Tzara?
On ne peut donc parler~ Tzara disions-nous sans évoquer
Dada; et le Dada dont nous devons traiter ici est un projet
révolutionnaire. Avant-gardiste, Dada devait réaliser le tabula
rasa sur les plans social et littéraire. C'est le caractère
absolu de ce tabula rasa qui établit une différence entre
Tzara et Paulhan.
(1)
PAULHAN
(J.).- O.C.
II._p.8
(2)
PAULHAN
(J.).- Jean Paulhan,
1884-1968.- Paris, NRF,
1
,
1969w-p.710.
1
1
fifit

1
36.
1
Sur le plan social
: le tabula rasa vise la Civilisa-
tion à travers tous ses académismes
• Les sept manifestes
dada
(1)
donnent les détails de ce programme et René Lourou
qui s'est attardé sur celui du 22 mars 1918 que l'on considère
comme le plus important éclaire les mécanismes de la révolte
(2)
En bref, plus que tous les tenants de la surprise, Dada veut
rappeler la destruction programmée depuis Rimbaud; pour cela
il proclame :
"il y a un grand travail de destruction, néga-
tif, à accomplir. Balayer, nettoyer"
(O-C-~-P.366). Un fac-
teur semblait à la fois incarner le mal à détruire et allumer
la flamme dadaIste
: la guerre.
A notre avis, d'autres phénomènes qui apparaîtront plus
tard
expliquent aussi la naissance de cet esprit. N'empêche
i l est souvent affirmé que Dada naquit de la guerre. Dans
l'introduction à Dada à Paris Michel Sanouillet la présente
..
comme le catalyseur du développement de Dada. René Lac~te
explique que le fléau
mondial rendait Dada moralement et
socialement nécessaire
(3); et pour Henri Béhar, cette réaction
correspondait à l'étape suprêmé d'une évolution: c'était ·"le
cri d'un homme qui ne veut pas croire à la faillite totale
de la vie". (4)
Mais quel que fut le rOle de la guerre dans
cet avènement, elle permit à Dada de dire ces réalités telle-
( 1) cf.
TZARA
(T .)
. - O. C . l . _ P • 3 5 3- 38 9 .
(2)
LOUROU
(René).-
"Le Manifeste dada du 22 mars 1918 : essai
d'analyse institutionnelle" in Le Manifeste et le caché:
langages surréalistes et autres, par Mary Ann Caws.-p.9-30
(3) LAC8TE
(René).- Tristan Tzara.- Paris,
Seghers,1952·..p.13-19
(4) BEHAR {Henri)
.- Le Théâtre dada et surréaliste.- Paris,
Gallimard,
1979.- p.186-187.

37.
ment vraies aujourd'hui encore que d'en parler donne à la
littérature le sentiment de travailler sur de la matière
vivante et résistante;
à savoir
: mal contrôlés, la logique
et ses produits sont négatifs,
inhumains, parce que destruc-
tifs,
ils abolissent le Grand Amour de l'humanité. Et si l'on
considère que Dada naquit de la guerre, il faut donc ajouter
c'est le mépris pour la guerre et pour .sa cause originelle
qui poussa Tzara vers la culture nègre. Et cela
nous l'enten-
dons
sous la plume de Henri Béhar :
Tzara
( ... ) a rencontré l'art nègre parce que refusant
un type d'art et de civilisation gouvernés par la rai-
son,
il cherchait une expression spontanée dont la
"mentalité primitive" pour employer les termes de l'épo-
que lui donnait l'exemple.
(O.C.I._p.7l5).
Autrement dit, contre les maux des valeurs surestimées,
l'écrivain rechercha les solutions dans les valeurs antinomy-
ques aux premières. Quel rôle la poésie nègre jouerait-là?
Pour le dire,
il faut évoquer les courants littéraires qui
précédèrent Dada.
Plan littéraire : Le Dada de Tzara a une dette envers
plusieurs courants de pensée : le symbolisme
de Maeterlink
et de Baudelaire, le futurisme italien,
l'expressionnisme
allemand puis le cubisme.
Les traces du symbolisme sont soulignées par Gordon
Frederick Browning
(1), Henri Béhar
(2)
et Jean Claude
Blachère
(3).
Tzara a été à "la meilleure tradition symboliste"
(1)
BROWNING
(Gordon Frederick) .- Tristan Tzara : the genesis
of Dada Poem or from Dada to Aa.- Stuttgart, 1979·-p37-59
( 2 ) TZARA
(T.). - O. C . l . _ P .
6 3 2- 6 3 3 •
(3) BLACHERE
(J.C.).- op. cit . • p.126-125.
1
r?

38 . .
L'élève du futurisme et de l'expressionnisme est respectivement
présenté par Giovanni Lista
(1)
et Serge Fauchereau
(2).
Tzara reçut l'influence de ces deux esprits de révolte par
la médiation de Huelsenbeck et de Hugo Ball qui eux-mêmes
en avaient assimilé les principes. Dans son premier article,
1
Lista révèle qu'à l'époque Tzara intenta la publication par
1
les futuristes italiens d'un livre de littérature nègre
(afri-
caine et océanienne). D'autre part, Henri Béhar introduit les
poèmes nègres d'une manière qui définit le rapport avec
l'expressionnis~e.
On sait que les poèmes et les chants nègres constituaien
à l'instar des cabarets expressionnistes allemands, une
partie essentielle des soirées dada zurichoises
(O.C.I.
-p.714)
La liaison avec le cubisme puis les répercussions qui en ré-
sultèrent sont encore plus évidentes.Henri Béhar
(3)
relate
les liens de Tzara avec les artistes parisiens tels que Marcel
Janco, Guillaume Apollinaire puis Paul Guillaume
l'auteur
du premier album d'art nègre. Jean-Claude Blachère
(4)
fait
allusion
à d'autres influences telle que celle de Picabia
(5).
(1)
LISTA
(Giovanni).- "Marinelli et Tristan Tzara"
Les Lettres Nouvelles, mai-juin,1972.-p.82-97
"Encore sur Tzara et le futurisme"
Les Lettres Nouvelles, décembre 1974,
janvier) 1975._p.115.
149
(2)
FAUCHE REAU
(Serge).- "Tzara Dada et l'expressionnisme"
in Critique n0303-3D4. -Aout septembre 1972.- p.752-780.
(3)
TZARA
(T.). - O. C. l . - p. 16-17.
(4)
BLACHERE
(J.C.).- op. cit.~ p. 130-136
(5)
Nous rappelons que nous parlons d'art.
1
i
1
l
1

39.
Mais,
en dépit des rapports bien connus des deux artistes,
l'on éprouve une gêne quant à une ascendance de Picabia
sur ce plan. Et le doute que crée la lecture se confirme
quand l'auteur lui-même conclut:
"tout cela demeure problé-
matique"
(l)~Ce qui est plus sûr c'est que Tzara entendait
user de la poésie selon les normes de la révolte cubiste.
Ecou tons le
:
Ces sonorités
(
) devaient constituer un parallèle
aux recherches de Picasso, Matisse, Derain, qui
employaient dans les tableaux des "natures" différen-
tes.
(O.C.I._p.643)
Ainsi, Dada naquit au carrefour des foyers avant-gardistes.
Et c'est en ce moment qu'il s'intéressa à
la poésie nègre.
Mais nous voulons
en préciser l' e~r"it critique. Pour ce faire,
i l faut dire que Tzara quitta le carrefour.
Il le quitta parce que à
chacun des courants de pensée
qui lui indiquaient la voie, ce nouveau poète reprochait un
reste d'académisme, quelque lien avec les dogmes ou encore
le goût de l'esthétique. C'est que Tzara établissait une
hiérarchie entre lui et les principes organisateurs de ces
courants. Pour réaliser le tabula rasa,
i l devait les dépas-
ser tous en violence. Même l'effet de la surprise devait être
supplanté. Quel devait être le rôle de la poésie nègre dans
ce dépassement? telle sera l'une de nos interrogations per-
manente s.
(1)
BLACHERE
(J.C.). op.cit._ p.
135.

40.
A ce niveau cependant, nous pouvons retenir ceci
l'esprit critique dont ces deux avant-gardistes font preuve
au moment de la découverte de la littérature nègre va à l'en-
contre des préjugés raciaux et se préocuppe de trouver des
solutions esthétiques
sur le plan littéraire. Leurs ambi-
tions seront-elles satisfaites ? On ne pourrait le savoir
avant d'avoir répondu à d'autres questions
comme, par exem-
ple : mais comment Tzara et Paulhan découvrirent-ils la
culture nègre? Ils le firent à travers une démarche qui est
la conséquence de la curiosité, et que nous appelerons :
cosmopolitisme.
III - LE COSMOPOLITISME
=================
Nous en parlerons en deux points. Un même goût
a guidé les deux auteurs vers la culture nègre
: le goût
de l'archivisme. L 1 activité archiviste leur a fait retenir
des sources bibliographiques qui détermineront leurs rapports
avec le monde étranger.
Intéressons-nous successivement à
ce goût, puis à ces sources.
A)
PAULHAN
_______ L
TZARA et L'ESPRIT ARCHIVISTE
_
Avides tous deux de lecture, ces hommes
étonnent par la diversité des documents qu'ils fréquentent.
A André Breton Tzara signifiait sa prédilection pour
la lecture indifférente dans cette déclaration où il parle
des écrivains:
"Je n'ai pas de critère
(
)
je les aime

41.
tous s'ils sont personnels même si je ne les comprends
pas"(l) .Autant que Tzara, Paulhan considère la culture
comme le fruit de la collecte des récits de tout genre et
de toutes les sources du monde. Ecoutons un témoignage de
Albert Guyergyai sur l'encombrement du bureau de ce biblio-
phile
Une longue table s'étendait sous les fenêtres
littéralement su~mergée par les produits variés,
des communications postales modernes, par les
lettres simples ou recommandées, par les imprimés
et les colis de livres, par les épreuves et les
dépêches,
( ) venus de tous les coins du monde
(2).
Il suffit de remonter la filière des hommes nouveaux pour
retrouver l'habitude de l'immersion dans l'abondance livres-
que chez des dévanciers. Très prématurément, Rim,baud se montra
rat de bibliothèque et fréquenta des lectures insolites. Jean-
Marie Carré rapporte
"il s'y terrait des journées entières,
dévorant les oeuvres les plus étrangères" (3) • Plus près de
nous Apollinaire
et Cendrars qui enviait l'esprit documen-
taliste de Rémy de Gourmont, ont érigé la quête des récits en
motif de compétition. Emile Szittya explique que pour répon-
dre à la question "pourquoi ingurgites-tu tout ça ?"(4)
l'au-
teur de l'Anthologie nègre disait:
"C'est pour épater le
bluff culinaire d'Apollinaire et lui prouver grâce à ma salade
(l)Lettre de Tzara à Breton
(lou)
5 mars 1919.- in
Dada
--
à Paris par Michel Sanouillet. op.
cit._p.442
(2)PAULHAN
(J.).- Jean Paulhan 1884-1968.- op. cit~p.669
.
(3)CARRE
(Jean-Marie).- Vie de Rimbaud.- Paris, Plon,1926#
_ p.48
(4)
CENDRARS
(B.).- Blaise Cendrars
(1887-1961).- Paris,
Mercure de France,
1962. - p.67.

42.
_cosropolite
qu'il ne sait rien."
(1). Et pour Apollinaire, ce
cosmopolitisme est le critère de définition du vrai poète. Par
lui
auteur et lecteur atteignent des joies inconnues
Le domaine le plus riche,
le moins connu, celui dont
l'étendue est infinie, étant l'imagination, il n'est
pas étonnant que l'on ait réservé plus particulière-
ment le nom de poète à ceux qui cherchent les joies
nouvelles qui jalonnent les espaces imaginatifs. (2)
Il existe donc une mode de la documentation débordante. Mais
plus que la mode, i l faut en rechercher la signification. La
plus innocente des affirmations qu'on peut en émettre revient
à ceci: l'archivisme trahit la disposition à l'universalisme
intellectuel. Tzara et Paulhan ont donc entrepris d'élargir leu
univers selon un principe d'Apolli~aire : "l'art des poètes
nouveaux prend l'univers enfin comme idéal.". (3)Ont-ils
atteint le niveau de communication avec cet universalisme ?
Pour le savoir, déterminons le rapport culturel entre les
écrivains et la documentation abordée , en nous demandant
qu'ont-ils lu ? Question qui nous porte à parler des sources
bibliographiques.
Nous nous attarderons d'abord sur les sources
elles-mêmes ensuite sur la nature de l'information qu'elles
apportaient. Progressivement, nous répondrons à la question
Que recherchent Paulhan et Tzara ?
(1) CENDRARS
(B.).- Blaise Cendrars
(1887-1961).- Paris,
Mercure,de France, 1962.- p.67
(2) APOLLINAIRE
(Guillaume).- Méditations esthétiques. Les
Peintres cubistes
• Texte présenté et annoté par L.C.
Breunig et J.CL. Chevalier.- Paris, Herman,
1965~_p.52.
(3) Ibidem

43.
a) Les Sources
Avant nous, le mystère a été levé sur les
sources bibliographiques; et comme nous le disions incidem-
ment dans les premières pages,
tous deux ont lu des ouvrages
ethnographiques de missionnaires et chercheurs européens.
Les détails bibliographiques importants à connaître sur
Tzara sont communiqués par Gordon Frederick Browning
(1)
et
Henri Béhar
(2). Ces deux auteurs nous paraissent très complé-
mentaires sur ce plan. Mais que révèlent-ils ? écoutons
Henri Béhar
.•. la publication annoncée, Tzara s'est constitué une
importante documentation
(
). Il a lu Frobenius et
Jean Paulhan
(a)
( ) il a puisé dans les études de
Carl Meinhof et de Carl Strehlow (3)
De plus,
la Revue Anthropos est celle oü nous avons retrouvé
le plus de poèmes. Or, elle est l'un des premiers lieux de
l'ébauche d'un dialogue objectif avec le primitif. C'est
dire que l'écrivain a interrogé les sources les plus crédi-
bles de l'époque. D'autre part, Tzara a laissé un cahier con-
tenant de nombreuses références bibliographiques. L'expérien-
ce
nous a montré que ces documents ne sont plus faciles à
trouver. N'empêche, nous avons reproduit cette bibliographie
en annexe l
pour le curieux (,1) •
(1)
BROWNING (G.F.) .-op. cit. _ p.
97-111.
(2) TZARA (T.).- O.C.I.-p.
74-719.Voir aussi explication de
Tzara : p. 642-643
(a) Trois "poèmes nègres" sont des hain-teny de Paulhan
Ils correspondent chez Tzara aux nO 10,11 et 12,
dans le ~ome 1, et aux pages 447-448
(3)
TZARA
(T.). - 9. C . l . _ P . 715.
(4) Nous conservons la pagination de Tzara.

44.
Les sources de Paulhan sont diversement livrées
par lui-même et par Jacques Faublée
(1). Par lui-même, dans
l'introduction de Langage I. Avant son séjour à Madagascar
.
Paulhan a consulté des travaux sur la langue de cette île.
Les ouvrages publiés en 1913 et en 1939 respectivement chez
Guethner et chez Gallimard fournissent d'autres indications
sur ces lectures. Cependant, plus que Paulhan lui-même c'est
Faublée qui éclaire la qualité des ouvrages ayant servi à
l ' ini tiation :
"d'excellents manuels"
( 2)
dit-il. Les influ-
ences humaines sont également d'une qualité appréciable:
Paulhan est conseillé à la fois par des Européens "malgachi-
sants" et par un "lettré malgache"
(3).
Ainsi aiguillés, nous nous sommes posé la question
suivante : que découvrirent l'un et l'autre des deux chercheurs ?
b)
Nature de l'information
L'examen des sources permet de rélever
une différence quantitative au niveau de la matière embrassée
par les lecteurs. L'unicité prime chez Paulhan et la diver-
sité est évidente chez Tzara.
L'objet de l'unicité, c'est la langue, le malgache.
Et au sein de cette langue, un style singulier,
le hain-teny
Puis le chercheur va vers la spécialisation: outre la langue
(1)
Cf. FAUBLEE
(Jacques).- "Jean Paulhan "malgachisant".in
Journal de la Société des Africanistes, Fac.l )
1970.
_p.151-159.
(2)
Ibid., p.
153.
(3)
Idem.

45.
elle-même il interroge les études qui s'y rapportent, telles
que : Essai de grammaire malgache de Gabriel Ferrand
ou
Précis théorique et pratique de langue malgache, de G. Julien .
.
Autrement dit, Paulhan s'est très tôt concentré sur le domaine
de la linguistique et de la grammaire malgaches.
Contrairement à cette unicité Tzara s'adresse à la
culture générale. Les poèmes empruntés à E. Casalis
(1), au
P.J. de Marzan
(2), et. au P~;-.Eugène Mangin
(3), appartiennent
à de longues réflexions où la vie sociale, les moeurs nègres
sont évoqués dans toute leur diversité. L'information s'y
étend à la totalité de la vie. P. Eugène Mangin a exposé
sa méthode, qui exprime cette prise en compte de la pluralité.
Quoique les autres chercheurs ne révèlent pas les leurs, les
travaux correspondent exactement aux intentions du premier
qui écrit :
Notre méthode de travail a été d'interroger les
indigènes en aussi grand nombre que possible, et
de recueillir leurs dires sur tous les sujets
(4)
qui nous ont paru pouvoir intéresser
(5)
(1)
CASALIS
(Emile).- Les Bassoutos ou vin t
trois années de
séjour et d'observa 10ns au su
de l'Afrique. - Paris,
ch. Meyrulis,
1859.- XVI -
371 p.
Tzara y a tiré le po"ème "Bassoutos" O.C.I._p.474 nO 53
puis "Chant de guerre de Coucoutlé" p.C.I._p.464 nO 35 et
"chant de guerre de Goloanné": O.C.I._p.465 nO 36.
(2)
MARZAN (P.J. de).- "Sur quelques sociétés secrètes aux
Iles Fiji" in : Anthropos, t.III, nO 4,
1908.- p.718-728
Tzara y emprunte :
"fiji"
O.C.I. - p.444, poème n02.
(3)
MANGIN
(P. Eugène).
-
"Les Mossi. Essai sur les us et
coutumes du peuple mossi au Soudan Occidental" in :
Anthropos IX, nO l,
janvier-avril 1914.- p.
1-736
Poème emprunté par Tzara :
"Mossi": O.C. I.p.450.Poème n016.
(4)
souligné par nous
(5)
MANGIN
(P. Eugène).
-
op. cit._p.99

46.
Cette méthode montre bien que la documentation de Tzara
concerne l'hétérogénéité ethnographique. Celle-ci se répète
d'un ouvrage à un autre et même, dans certains cas, à l'inté-
rieur du même ouvrage. Donc, au niveau de l'étude livresque,
au lieu que Tzara embrasse une ethnQgraphie générale, Paulhan
se préoccupe de la spécificité linguistique.
Du cosmopolitisme intellectuel qui est donc une pério-
de de formation
nous pouvons dire : insatisfaits littérai-
rement et socialement de la civilisation, Tzara comme
Paulhan s'en allèrent vers le nègre. Une fois mis en contact
avec lui,
ils l'interrogèrent de plus en plus assidument.
Pour quoi apprendre ? A défaut de nous le dire déjà,
le pro-
chain chapitre le suggérera.

47.
CHAPITRE II - JEAN PAULHAN TRISTAN TZARA DEVENANT
NEGRES
Dans La Peinture française et l'art nègre
(1905-1914)
Jean Laude explique que d'abord indifféremment puis avec un
zèle d'amateurs, des explorateurs européens ramenèrent chez
eux d'innombrables objets d'art nègre; que cette matière
importée participa à l'avènement d'un courant artistique
bien connu aujourd'hui:
le cubisme. D'un tel phénomène,
on pourrait dire: des oeuvres des uns naît l'inspiration
des autres. Mais pour que cela soit véritablement, i l faut
que le milieu d'arrivée ait cerné un minimum des pertinen-
ces de l'objet colporté.
Et
mis en rapport avec une culture
étrangère,
il suffit que nous nous en donnions les moyens
et nous devenons médiateur entre cette culture et notre socié-
té d'origine, ou d'autres sociétés. Cette démarche, Paulhan
et Tzara l'ont accomplie.
En suivant en premier lieu les
voies classiques des interférences culturelles
la traduction
l'emprunt,
la comI;:il.ation.

~
";
48.
f
;·.···.·1······;··:
~
l
- TRADUCTION ET EMPRUNTS
======================
Tous les hain-teny de Paulhan sont des traductions.
Par contre certains "poèmes nègres" ont été découverts et
conservés par Tzara en allemand et n'ont connu leurs premiè-
res traduction et publication que sous la demande de Henri
Béhar .
Il faut donc dire qu'au niveau de la traduction, i l
existe au départ une
différence méthodologique entre les deux
auteurs. Mais elle disparait finalement derrière l'objet
d'une convergence,
l'objet privilégié par les auteurs.
A. La différence méthodologique
Nous l'avons déjà d i t : à l'origine des deux
rencontres avec le nègre, on trouve la lecture. Mais les
poèmes proposés par l'un et par l'autre n'ont pas été récoltés
dans les mêmes conditions. Rappeler que Paulhan est d'une
formation générale littéraire et orientaliste qui le rappro-
chait davantage du monde malgache serait impertinent. Le fait
considérable de la distinction méthodologique est ailleurs;
c'est
que outre la nature de ses études et la documentation
livresque, le séjour de Paulhan à Madagascar a permis de réa-
liser des investigations sur le terrain, d'où ses hain-teny.
Le travail de Tzara par contre s'est limité à l'interro-
gation des documents que les bibliothèques et musées lui pro-
posaient. Ainsi, au lieu que Paulhan pratique une observation

.Il. 9.
participante, Tzara effectue, à l'exemple des pionniers de
l'anthropologie, une compilation de cabinet. Donc l'on remar-
que au passage un autre décalage entre les deux auteurs, qui
suppl~é . à la différence que nous dénoncions plus haut entre
l'éthnographie générale embrassée par Tzara et l'unicité
chez Paulhan. A présent, tous deux semblent baigner dans
les moeurs générales des domaines impliqués. Revenons pour-
tant à notre objet actuel pour nous poser une question : la
différence méthodologique a-t-elle une incidence sur la for-
me de la traduction ? .
B. Paulhan et l'observation agissante
Cette forme de recherche
que nous n'avions
pas à définir
semble réunir les plus grandes chances de
succès pour la découverte de l'authenticité d'une culture;
et nous pouvons dire que Paulhan s'était entouré de facteurs
essentiels pouvant lui permettre de connaître cette réussite.
Tout d'abord,
il en a créé le plus fondamentale qui est
l'expérience de la vie quotidienne de l'indigène. Le cher-
cheur lui-même écrit :
J'ai passé plusieurs années à Madagascar, demeurant
dès les premiers jours dans une famille malgache
dont je m'appliquais à partager les travaux et plus
que les travaux,
les succès et les pensées
(1)
( 1)
PADL HAN
(J.)
- O.C.
l
-
p.99.

50.
Le premier intérêt de cette expérience fut la connaissance
de la langue malgache et ce facteur est à souligner forcément.
Toute langue véhiculant les valeurs essentielles de sa
1
société, ce nouvel acquis venait dedoubler la connaissance
tirée des documents, des "excellents manuels". Enfin Paulhan
1
s'était entouré de la collaboration des indigènes, ce qui
1
ajoute au raffinement de la perception qu'il put acquérir (1).
1
1
Ecoutons-le dans l'introduction des hain-teny de l'édition
1913 :
1
J'accompagnerai la traduction littérale des hain-teny
des quelques éclaircissements sans lesquels leur sens
1
resterait obscur. Randriamifidy (2), dont le succès et
l'intelligence des choses malgaches sont justement
apprécié s
a bien voulu étudier avec moi les hain-teny
que je lui soumettais. J'ai interrogé plusieurs autres
Mérinas. Je ne donne dans les pages suivantes, aucune
explication qui ne vienne d'eux ou qu'ils n'avaient
reconnue oomme exacte. (3)
Ce que le littérateur a donc cherché à rendre, c'est la spé-
cificité mérina dans sa totalité. Certes, les résultats du
1
1
chercheur peuvent rester en deçà de ses intentions et nous
&
(
savons que Paulhan n'a pas échappé à la critique. Bakoly
~
Domenichini Ramiaramanana qui a aussi écrit des hain-teny
f
dénonce - selon son sens - quelques erreurs de traduction chez 1
l
(1) Nous connaissons la critique contre certains aspects de
l'observation agissante, mais restons d'avis que même
1
le morp~oloque oui orétend se passer de la sémantique en
arrive toujours au recours à l'indigène.
f
(2) Un des premiers malgaches choisi comme membre de l'Acadé-
mie malgache
1
1
(3) PAULHAN (J.). - Les Hain-tenv ~érinas. Poêsies nODulaires
~
mal9:aches recueillies et tra_è.':1i tes par ,Jean Paulhan. -
f
paris,Guethner,1913. - p.16

51.
Paulhan
(1)
et donne même à croire qu'il n'a pas découvert
des hain-teny de qualité. Ces critiques ne parviennent cepen-
dant pas à bousculer la crédibilité littéraire de l'objet
qu'elles attaquent. D'ailleurs,
le dénonciateur finit par
constater que,
-
selon une expression de René Etiemble -,
la traduction est un art et non une science, et accuse,
plutôt que des fautes de Paulhan,
le caractère polysémique
des hain-teny.
Dans son propre discours cette critique
s'annule d'elle-même et disparaît pour laisser la place à
la volonté de Paulhan de rendre le plus fidèlement possible
l'âme mérina. En raison de quoi on doit dire de ce littéraire
qui revint de Madagascar à Paris en 1910, qu'il précéda les
recommandations de Bronislaw Malinowski sur le principe
de l'observation participante. Et s ' i l en est ainsi de
Paulhan, que peut-on dire de Tzara ?
Les textes de Tzara sont tantôt des traduc-
tions, tantôt des poèmes simplement et purement sélectionnés
chez les explorateurs. Que nous révèlent les uns et les autres
Voyons les traductions d'abord.
Il suffit d'écouter Henri Béhar pour comprendre que
Tzara a opéré une traduction adéquate
i l a fait une "traduc-
tion-adaptation" (2) , il "a transcrit, traduit, adapté des
(1)
DOMENICHINI-RAMIARAMANANA
(Bakoly).- "Les traductions
poétiques des hain-teny" in Colloque sur la traduction
poétique -
Paris, Gallimard,
1978. - p.l03-150.
( 2 ) TZARA (T.). - O. C . 1. _ P • 7 1 7

57..
poèmes"
(1)
dit l'annotateur. L'affirmation de Henri Béhar
est cautionnée par un travail de dépouillement qui fait
dire au même auteur :
Aucun des poèmes nègres n'est le fruit d'une super-
cherie dadaiste. D'ailleurs, lorsque Tzara adapte,
il le fait avec la plus grande discrétion, pour
rendre intelligible un document privé de son contex-
te original.
(2)
Donc, exactement comme Paulhan, Tzara n'a recherché que la
spécificité nègre.
Venons-en aux textes sélectionnés; et prenons les
exemples des poèmes empruntés respectivement à E. Casalis,
P.J. de Marzan, P. Eugène Mangin
(3) puis à Fr.Witte(4).
L'examen de l'ouvrage de Casalis et des articles - pour les
autres -
contenant ces poèmes permet une découverte : les
ethnologues illustrent leurs discours avec de rares citations
qui sont les discours des indigènes. Ecrits même en italique,
ce sont des proverbes, des chants; c'est-à-dire que ce sont
là, dans l'abondance discursive,
les seuls fragments qui
expriment le nègre sans aucune intervention extérieure. Pour-
tant, seuls ces fragments sont sélectionnés par Tzara.
(1)
Ibid. p.
715
(2)
Id.
(3 )
Pour les trois premiers, cf.
respectivement nos notes
l,
2,3, supra. p.45.
(4) WITTE (FR.-).-" Lieder und Gesange der Ehwe der Ehwe
Neger
(Gè. Dialekt)".- Anthropos, vol.l, nO 1 à 4, 1906.
_ p. 208

53.
Ainsi,
l'un et l'autre des deux auteurs visent un
même but. Contre l'école de Le Tournier,
ils auraient opté
pour celle de Turgot:
ils veulent l'authenticité étrangère.
Mais comment taire que cette étrangeté
allait contraster
avec son milieu d'arrivée? Comment perdre de vue que cette
prédilection met en jeu une structure linguistique et une
vision du monde? D'une autre part, comme l'authenticité
d'une culture est plurielle!
puisqu'elle concerne, pour le
moins, la couche du signifiant et la couche du signifié ?
Cet aspect
qui complique évidemment le problème de la connais
sance des hommes les uns des autres a été largement traité
par Roman Jakobson
(1), Georges Mounin
(2)
et Jean Derive
(3).
Aussi, éviterons-nous de nous y attarder . Nous dirons seule-
ment qu'ici
apparaît un effort de fidélité à la mentalité
primitive, fidélité qui s'exprime comme une hypothèse menant
à la connaissance objective de l'autre. Néanmoins, objecter
que l'originalité d'un texte dépend aussi de la personnalité,
des desseins littéraires du médiateur par qui il nous parvient,
se serait encore peu dire : elle en dépend surtout. Nous avons
vu dans quel esprit les auteurs se sont avancés vers le nègre.
[
On doit se demander
en fonction de cela, quelle oeuvre
~~',~
projettent-ils ? Cela nous amène à parler de la médiation qui
1
suppose une oeuvre et sa diffusion.
~.

1
ft
(1)
JAKOBSON {R.). -
"Aspects linguistiques de la traduction"
1
in; Essais de Linguistique générale. Ed ; Minuit,
19 63._p. 78-8 1
r
(2)
Les Problèmes théoriques de la traduction.- Paris, Galli-
îf
&
mard,
1963._296 p.

1
f-
~
(3 )
DERIVE (Jean).- Collecte et traduction des littératures
f
orales. Un exemple négro-africain: les contes ngbaka-ma'b
f
de R.C.A. -
Paris, Sociétés d'Etudes linguistiques et
l
Anthropologiques de France
(SLLA~, 1975._256 p.
1

54.
II -
LA MEDIATION
============
A)
Quelle oeuvre ?
Produire un effet! Tel est l'objectif de
l'oeuvre. Et l'esprit nouveau a nommé le sien:
l'effet de
surprise. Selon leurs méthodes, quel effet est-il programmé
par chacun de nos: écrivains ? Les détails nous en préoccupe-
ront plus tard. Pour l'instant, nous dirons que cet effet
dépend de la nature du texte. Or, quelle est cette nature?
La sélection adoptée par Tzara,
les circonstances
de la sélection tel que nous l'avons vu, constituent un acte
de suppression de certains discours, du commentaire. Par
contre, ainsi que nous l'avons dit avec Paulhan, celui-ci
accumule le commentaire. L'un crée donc l'absence d'expli-
cation et l'autre, la redondance de l'explication. Ainsi,
l'
"
à propos des poèmes nègres nO
2,
8,
14 et 18, Tzara tait
des notes pourtant présentes dans les textes originaux. Nous
ne voulons pas dire qu'on peut démentir Henri Béhar sur le
caractère intelligible des adaptations de Tzara. Mais nous
affirmons que par rapport aux "poèmes nègres", les hain-teny
de Paulhan sont entourés d'éclaircissements tels que leur
lecture est plus déviemment guidée. Le traducteur y atteint
même à la délicatesse intellectuelle. Le voilà nous avouant
pour telle traduction,
j'hésite entre plusieurs sens; entre
le sens concret et l'abstrait; d'ailleurs,
ils sont opposés.
D'autre part, plutôt que certains hain-teny eux-mêmes, la
seule lecture ëe leur interprétation peut nous suffire
pour

55.
f
1
le sens. Souvent aussi, Paulhan donne l'explication globale,
qui peut commencer ainsi:
"la femme dit par là ... lt ,
"l'homme
veut dire ... ". De fait,
toutes les conditions de la communi-
cation sont décrites. Enfin, pour en revenir au sens,
ajoutons que l'auteur procède bien plus souvent à une vérita-
ble reconstitution du discours et introduit son explication
ainsi:
"le sens est".
Dans l'édition de 1913, nous avons
relevé jusqu'à 92 recurences de cette expression. Elle se
rapporte au lexique, au vers, au groupe de vers, au poème
entier.
Sous cette forme,
les hain-teny constituent donc une
véritable dialogie. La métatexte y étouffe même le poème. Et
dans le cadre des contacts culturels, elle garantit la qualité
positive des interférences possibles.
Donc, à la traduction-adéquate, Paulhan ajoute l'avan-
tage d'une traduction-interprétation. Parce
qu'il se préoc-
cupe du sens authentique. Du sens authentique, Tzara se
préoccupe aussi. Mais sous une forme moins évidente.
Mais,
il fallait surtout envisager le problème du
point de vue du lecteur. Tout à l'heure, nous avons indiqué
que l'avantage de l'observation agissante comblait le manque
contracté pendant la période de l'initiation livresque. La
conclusion ci-dessus permet de préciser une autre identité des
poéticités projetées. L'information accumulée par les deux
écrivains est à la fois "conceptuelle" et "affective". D'Oü
que: du point de vue de l'effet à produire,
ils visent
l'intelligence et l'émotion à la fois. Ainsi, de plus en plus,

les efforts tendent vers l'ethnologie générale: qui contient
l'ethnolinguistique d'une part et d'autre part,
les éléments
d'une littérature inconnue. Elle est avant tout l'expression
orale traditionnelle.
C'est donc, en conclusion,
l'authenticité de la cul-
ture nègre qui préoccupe ces deux traducteurs. Celle-ci
atteinte,
ils l'ont vulgarisée dans leur pays d'origine.
B)
La diffusion
De 1912 à 1958, Paulhan publia au moins
quatre travaux sur les hain-teny. D'une autre part gada 1 qui
parut en juillet 1917 contenait "Chanson du Cacadou" et
Dada 2 qui suivit au mois de décembre de la même année propo-
sa à la fois " ~ l'ouest des nuages végètent" et "chanson du
serpent". De plus,
la Revue de Huelsenbeck, Dada Almanach
(1920)
contient des "poèmes nègres" qui correspondent, dans
l'édition que nous utilisons aux nurneros l,
6,
63-68, 71,
72
et 74. Certes on pourrait dire que sur les soixante dix-neuf
"poèmes nêgres" rassemblés par Tzara, peu ont été publiés.
Mais d'une autre part on doit tenir compte d'un fait compen-
sateur : une très grande partie de cette totalité a été uti-
lisée au cours des soirées nègres. Et celles-ci ne constitu-
aient-elles pas un facteur extrême de vulgarisation au moins
auprès des intéressés qui se retrouvaient là ? En outre, la
Galerie Dada ouverte à Zurich depuis le 27 mars 1917, puis
les expositions d'art nouveau jouaient également une fonction
publicitaire.

57.
Les
soirées nègres et les expositions relèvent déj à de
la tendance de l'auteur à intégrer l'élément emprunté dans sa
création individuelle. Et de ce point de vue, les écrivains
se sont érigés en véritables critiques à partir de l'inter-
prétation de la culture nègre. Tzara a produit sous forme
de notes ou pour les besoins des conférences, un nombre
important de textes sur l'art et la poésie nègres. Ces écrits
qui prouvent combien la conception tzarienne de la poésie
s'enracine dans les pertinences nègres sont regroupés aujourd'
hui dans différents tomes de l'édition que nous utilisons.
On en trouve dans IILampisteries ll
(1), dans ilLe Pouvoir des
images Il (2) , dans IINotes sur l'art ll
(3), puis le poète s'y
réfère dans certains textes des "Ecluses de la poésie ll • (4)
Il en est de même de l'intégration des faits de la
culture malgache dans la production littéraire du second
auteur. Outre la publication des hain-teny tel que nous le
disions plus haut, Paulhan a confondu ses réflexions sur le
hain-teny dans des travaux de linguistique générale. Nos indi-
cations dans la bibliographie attestent : les hain-teny font
bien l'objet de Langage l
et de Langage II. D'ailleurs,
l'introduction du premier ouvrage débute ainsi:
"Messieurs,
mesdames . . . II , c'est dire que
Paulhan prenait même, pour
parler de hain-teny comme fait de langage humain, le ton du
(l )
TZARA (T . ). - O. C . 1. _ P • 3 91 - 4 2 4
(2)
TZARA
(T.). - O.C.I r.v..p.
297-440
(3)
Ibidem p. 501-570
(4)
TZARA (T.). - o.c.v._P. 5-245 .
..

58.
discours qui doit atteindre les masses,
le ton du discours
public. Signalons-le aussi puisque cela servira : quoique
Paulhan ne prenne pas particulièrement appui sur l'art nègre,
Polygraphe l
et Polygraphe II font de lui un critique d'art.
Les points
de vue
émis sur ce plan se confondent avec
ceux nés
avec le hain-teny.
Ainsi,
la fonction des deux écrivains se déssine
clairement. A la fois poètes, artistes, critiques, ethnolo-
gues et avant-gardistes, ils se sont constitués en médiateurs
entre deux sources culturelles,
la source de départ étant le
monde nègre et la source d'arrivée,
le monde occidental.
Cela et tout ce qui précède permet de faire le point
de la première partie de la façon suivante : il appert que
dans le fond,
les différences s'effacent toujours derrière
une préoccupation commune : bousculer les idées désuètes du
monde occidental de la fin du XIXè siècle et du début du
XXè;
raffermir son rapport avec l'autre, cet autre qui est rmrié
encore avec la nature. Comme le voulaient l'anthropologie,
la poésie,
la littérature. Et le faire connaitre. Là-dessus,
cependant, des interrogations nous assaillent:
pourquoi
le choix se porta-t-i1 précisément sur le nègre et non sur un
autre peuple primitif ? Et quels furent les différents abou-
tissements de ce rapport? Telles sont, entre autres,
les
questions qui guideront nos prochaines réflexions. Et c'est
dans ce sens que nous allons aborder la deuxième partie de
l'étude, que nous avons intitulée: esprit nouveau et style
folklorique.

DEUXIEME PARTIE:
=================
ESPRIT NOUVEAU ET RECOURS AU STYLE FOLKLORIOUE

60.
L' authentici té nègre, les jeux linguistiques que
présente l'oralité, c'est ce que nous avons appelé "style
folklorique".
De fait,
nos deux auteurs s'intéressent éga-
lement à la linguistique.
Ils veulent y apporter des vues
nouvelles. Selon Henri Béhar,Tzara intentait de dépasser
celui qui jusqu'à son époque passait pour le plus grand
révolutionnaire sur le plan de l'étude du langage: Ferdinand
de Saussure. Ecoutons plutôt:
"Là où Saussure s'arrête, par
peur des flammes, Tzara et ses amis vont se jeter à corps
1
perdu."
(1). Du côté de Paulhan,
nous savons que son père
François Paulhan a écrit de nombreux ouvrages sur les contra-
dictions linguistiques et ceux de la logique. Et quoiqu'une
influence directe n'apparaisse pas de l'un à l'autre,
la pro-
duction littéraire du descendant montre qu'il a suivi les tra-
ces paternelles.
Quoiqu'il en soit, François Paulhan ni Ferdinand de
Saussure n'ont jamais envisagé la linguistique du point de
vue de la littérature et moins encore, de la poésie. Or,

se situe notre è-ébat. Le mouvement provoqué par les prédéces-
seurs directs de nos auteurs et dont nous devons parler concer-
ne la réunion des moyens de l'alchimie du verbe en vue de
la libération de la poésie. Amorcée par le Baudelaire des
Petits Poèmes en prose la disparition de la rime et du rythme
classiques se prononça de plus en plus radicalement avec le
(1)
Béhar
(Henri-~ - Le théâtre dada et surréaliste.- Paris,
--_.~._-
- - ~ - -
"
-_._~--------
Gallimard,
1979· - p.186

J
61.
Rimbaud des
Illuminations.
Rimbaud qui voulait une poésie
anti-classique résume sa théorie à peu près comme suit:
Je réglai la forme et le mouvement
de chaque consonne, et avec des
rythmes instinctifs
(1),
je me flattai
d'inventer un verbe poétique
(1)
accessi-
ble, un jour ou l'autre à tous les sens.(2)
Pourtant, en même temps qu'il refuse le passé,
le poète
nouveau recherche un effet non ignoré par ce passé : la
musicalité. Seulement, la nouvelle génération veut répondre
plus urgemment à la question suivante : la poéticité est-elle
ou non une exclusivité de l'écriture?
De ce point de vue, au nombre des premières oeuvres
révolutionnaires on peut citer Les Chants de Maldoror de
Lautréamont et Un Coup de dés de Mallarmé. Ce sont des exemples
de la poésie non conventionnelle et donc investie d'une liber-
té totale. Le Chant poétique y provient de la valeur contex-
tuelle du mot
et non de son se~s courant. La poéticité quant
à elle y est définie par le rapport entre le lecteur
et ~on
texte, par l'effet produit sur le lecteur. A l'artiste on
demande de faire preuve
de son habileté à s'écarter de la
norme, sa capacité à violer le langage pour attribuer au mot
une valeur connotative propre à créer l'effet dont nous avons
parlé. Là,
la littérature rejoint Ferdinand de Saussure sur
la distinction langue/parole. C'est à l'originalité artisti-
que que renvoie le second de ces aspects et c'est celui-là
(1) Soulignés par nous
(2)
RIMBAUD
(Arthur). - Oeuvres complètes -
Paris, Gallimard,
1972.-p.
106,
(Edition établie ,présentée et annotée par
Antoine Adam) .

62.
qu'il s'agit de manifester dans la création poétique.
Quels instruments interviennent dans ce jeu poétique ?
Depuis Roman Jakobson et ses ~ssais de Linguistique on peut
affirmer qu'au moins quatre couches
séparables seulement
par abstraction
expriment la poésie. Ce sont : la couche
phonique ou sonore,
la couche des significations des mots et
des unités supérieures aux mots, celle des objets représen-
tés, et enfin, la couche des objets sur ou par lesquels les
choses sont représentées. Et ainsi que Roland Barthes le
dira plus tard dans Le Plaisir du texte, l'effet poétique
peut être de divers ordres: l'ennui, le contentement, la
culture ou - sommet de la concrétisation esthétique-,
le
déclenchement de la critique. Et qu'il s'agisse d'un texte
écrit ou oral, de
vers ou d'une prose, i l suffit que ces
conditions soient partiellement ou intégralement remplies pour
qu'il y ait poésie et poéticité. Au critique d'en déceler
les mécanismes.
Telle est l'expérience tentée par Jean Paulhan et
Tristan Tzara avec le poème nègre. Nous l'évoquerons en trois
chapitres qui tenteront de mettre en évidence l'importance
de la rencontre entre la littérature écrite et l'expression
folklorique. Nous commencerons par des remarques générales.

63.
CHAPITRE l
- QUELQUES PRINCIPES GENERAUX
Avant de cadrer le débat comme phénomène de rencontre
culturelle, nous releverons des faits dont l'évocation garan-
t i t la clarté de la réflexion à venir.
La première remarque est une illustration de la conver-
gence
de l'anthropologie et de la littérature sur la poésie
primitive. Nous avons été impressionné pendant nos recherches
par la ressemblance intellectuelle entre nos auteurs et l'an-
thropologue
Marcel Jousse. Aussi, autant pour Paulhan que
pour Tzara, nous renvoyons le lecteur aux t~vaux de ce spé-
cialiste • S'écartant de certains préjugés, Tzara, Paulhan et
Jousse se posent une question non point normative mais expé-
rimentale. A savoir : en quoi le poème nègre est-il une poé-
sie ? Leur interrogation conduit à la découverte de la clé du
poème nègre. Il se déploie selon une fonction dominante, la
fonction stylistique. Celle-ci repose sur un élément princi-
1
pal
, le rythme. Pour bien comprendre Tzara par la suite
arrêtons-nous un instant sur un aspect du rythme : la répéti-
tion, qui est multiforme.
Nous l'avons appelée multiforme parce que
d'une
part, ce n'est pas le même élément qui est toujours répété, et
d'autre part la place de l'élément répété est changeante.

64.
Ainsi,
la poétique peut être le fruit d'une forme de
répétition réitérée dans chaque couple de vers. Dans "Qui
veut jeter le Zigendung"
(p.461 nO 31)
par exemple, les vers vont
par deux et le second vers n'est jamais rien d'autre qu'un
" repetend " .
Qui veut jeter le Zigendung ?
Zigendung
Què" je veux dans le ciel
Ciel
Qui laisse tomber un peu d'eau sur moi
peu d'eau
Douze couples de vers fonctionnent ainsi dans ce poème.
A côté de ce genre, on trouve aussi celui qui rappelle l'ins-
tabilité. Avec Paulhan, nous verrons
le déplacement indiffé-
rent de l'assonance.
Ici,
il
est question de la poéticité
subordonnée à
la mobilité totalement irrationnelle du mot répé-
té, comme dans "Je suis un passager"
(p.457 ,
26)
Je suis un passager de sang humble un passager
Un passager qui suit les autres qui suit
De femme Reenro, de bonne famille le fils cadet
De femme Reenro,
femme.A.
le sang cadet
Le cadet pendant à la mamelle qui pour la premlere fois
vient à Dobo
Chéri pour la première fois vient à Dobo il reste à contem-
pler les étrangers qui vont faire le commerce
Les étrangers et les Hollandais vont faire le commerce
Le commerce fait avoir des trésors,
à moi de l'argent point
A moi de l'argent point,
je berce les mains vides
~.'<.'
Mains vides;
mais le gouvernail il y a,
je le cherche
~
Le gouvernail et la voile y vont,
je les cherche
Je désire le muscadet qui se tient près de l'eau de Bon~raad
La fleur qui se tient près de l'eau de Bongraad
Le parfum se répand depuis Bal
"Passager",
"mains vides",
sont respectivement à la finale et
à l'initiale dans des vers conslcutifs. Mais parallêlement.
"Doba' 1
est final et médiane,
"gouvernail" médiane et initial, puis,
1
W
"Bongraad", à la finale dans deux vers consécutifs.
1
~~,
t

- 65.
Ce style perpétue l'impression d'un langage à la fois
phatique et émotif. Cependant, on ne peut parler d'un lyrisme
absolu. Plutôt,
il s'agit d'une poésie des relations humaines.
Elle implique
à propos de n'importe quel sujet, le "je" et le
"tu,
le "nous"
et le "vous", elle parle de l'homme à l'homme.
L'on en reçoit aussi l'impression de la désolidarisation
de chaque couple de vers, chacun formant un poème indépendant,
riche de ses propres rimes et rythme; cela ressemble à un
1
morceau autonome
bref, et par rapport au contexte, gratuit.
ltr
Peut-être Tzara trouva-t-il là une forme du poème satisfaisante
fi
pour le désir littéraire historique de mêler la poésie en vers
~l
et la prose poétique dans un ensemble nommé petit poème en
~
prose.
!
L'impression de la désolidarisation n'est cependant pas
absolue. Certes, en raison de la liberté dans l'expression orale,
I
~
;
l'on peut introduire des variations à l'infini. De ces varia-
tions naissent des jeux esthétiques qui présentent des analogies
1
avec les théories dadaistes. Nous le verrons et cela permettra
l
de dire que Tzara a cerné les mécanismes originaux du poème
t
nègre à savoir que par-dessus tout,
la répétition est destinée
1
à la réalisation d'une architecture verbale et qu'elle crée
des correspondances entre les éléments des deux axes de la parole,
l'axe des syntagmes et celui des paradigmes.
Mais, comme es t
importante la répét i tion,
ainsi le sont
les jeux stylistiques et l'orchestration du discours sur le plan
individuel ou/et collectif.

1
Sur le plan individuel le rythme est soumis aux
1
caprices stylistiques subjectifs puis à un minimum de cri-
1
tères créatifs objectifs car,
à l'intérieur de chaque phrase,
le locuteur s'exprime selon ce que Paulhan a pu identifier
1J
comme des "vers et lois de composition des Hain-Teny".
(H.T.ED.G.
1913'P.48~1} Bien qu'il ne soit pas forcément
évident,
le principe est simple. L'on utilise des vers appa-
remment
privés de rime, d'une mesure fixe.
Par contre, un
rythme y existe,
fondé sur plusieurs facteurs.
Comme l'asse
nance des mots. Ecoutons pour ce cas un fragment de Hain-
Teny :
~
~
F
t
lta irf avy avaratra?
Zanak' Andriambola

1
/\\'·al·,ljitro '!Y· vain na"\\erany
Nataoko ny kiady narodany

t
A,a cfa fits.zr<1 Andriamanilra
f
~
[
H.T. ED.G.
1913, p.196
1
Comme on le voit, les assonances y changent indif-
féremment de place. Ainsi,
elles sont soit initiales,
soit
1
médianes ou finales.
Voilà pourquoi Flavien Ranaivo en a dit
1
de cette forme d'asson.ance
1
~,
Rythmique continuellement changeante : chaque
!:
vers a la sienne propre adaptée à ce qu'il veut
,
f
exprimer avec force ou en sourdine
(2).
~
ii
~,~f1
(1)
Nous abrégeons par H.T.
le titre : Les hain-teny mérin~.
t
suivront'la lettre G.
pour désigner: édition Guethner,
~
puis l'année 1913 ou 1939 selon le cas
i
(2)
RAINAVO
(Flavien). -
Hain-teny. Présentés et transcrits
l
du malgache par Flavien Rainavo. -
publications orientales
f
de France.- 1975. -
p.8.
r
t

67
Le jeu sur l'assonance est une révélation de la
capacité du primitif à découper le langage, à distinguer les
plus petites unités linguistiques -
significatives ou non -
définies par Martinet dans ses Eléments de linguistique géné-
rale. Cette remarque faite,
revenons au rythme lui-même
pour dire que souvent aussi,
i l prend naissance dans le paral-
lélisme des vers.
C'est le cas dans ce hain-teny que nous allons citer
en français.
Qui règne sous l'eau?
C'est le caiman qui règne sous l'eau
Qui règne sur l'eau?
C'est la pirogue qui règne sur l'eau
Qui règne sur la terre ?
C'est le roi qui règne sur la terre
(H.T. ED.G.
1913. p.341)
Parfois aussi,
le jeu se concentre sur les allitéra-
tions, comme sur les sons A, Y,
SY et ASY, dans le hain-teny
suivant
Atsy avaratra aisy lah)'"
Misy kolokolo iray valabe

Ny tompony t~F avy mijinja
Ny ombX tsy avy miraoka
Kofokojohy ray Jody
Fa anjara jihinanareo
(ibid. p. 242)
Contrairement au classicisme la poésie orale tradi-
tionnelle ne théorise pas sur la tonicité et la ponctuation.
Pourtant, elle est bien riche en tons et en accents. En témoi-
gnent les regrets émis par les chercheurs en géR~ral et par

68.
Paulhan en particulier
(C.C. III. - p.396) sur la perte
de cette
richesse, due au passage de l'oral à l'écrit. Dans la parole
individuelle, la voix pourvoit au rythme i
des variations
vocaliques
ponctuent l'expression sans en déformer la musica-
lité. Autant dire que les changements d'intonations jouent avec
autant d'efficacité les mêmes fonctions que les points, les
points interrogatifs et exclamatifs du texte écrit.
La longueur du vers adoptée par le locuteur participe
aussi au rythme. Cette mesure ne se compte pas plus en octosyl-
labes qu'en alexandrin. L'on ne s'inquiète pas non plus de son
caractère imparissylabique ou parissylabique. Le souci du réci-
tant est bien plus simple : créer des phrases coupées à inter-
valles égaux et y perpétuer les notions de cadence, de mesure,
de musique, comme cela se voit ici:
A tsy al/aratra atsy Tahy
Misy vilia manga sy mel/LI

A laiko ny mena
Menatry ny mallga

A laiko ny manga
Menatry ny mena
H.llaiko befahatany i:(Y roa
Ny iray kiady ny· iray voninalzitra
(Ibidem. p.
212)
Comme nous l'avons fait
à propos de l'assonance,
il faut désigner la notion de la longueur du vers comme une
aptitude du nègre à découper le langage en syntagmes.
Ici
surtout, i l est évident que le primitif manifeste sa connais-
sance de la valeur de l'unité linguistique significative. ~ais

69
jusque-là nous n'avons parlé de cette poétique que par rapport
au discours individuel. Or,
l'un des facteurs du rythme réside
dans la profération collective, selon un schéma triadique.
Car celle-ci fonctionne selon trois parties d'une même
musique, qui sont:
le récitant;
l'agent rythmique qui, d'une
voix monotone ou tonique ponctue le discours du récitant; puis
l'interlocuteur, distinct de l'agent rythmique. Les éléments
de ce schéma triadique, Marcel Jousse les désigne sous le titre
"Le parlant, la parole et le souffle" (1) • Tous ces phénomènes
montrent à Paulhan - et Paulhan le répercute sur ceux de son
aire culturelle, que l'intelligence se trouve ailleurs
aussi,
en dehors des limites du monde occidental; et Marcel Jousse,
également préoccupé de démontrer l'universalisme du génie poé-
tique répète souvent une pensée;
tous les phénomènes dont nous
venons de parler lui font dire que le noir,
le chinois,
le
palestinien s'expriment
dans un langage poétique qui est un
perpétuel "balancement" ou "bilatérisme". Ce sont, dit-il des
paroles faites de synonisme et d'antithétisme formulaires;
ou
mieux :
"toute parole stylisée est parallèle"
(2). Répétés
les balancements donnent lieu à
ce que Jousse appelle "schème
rythmique". Chaque balancement apporte son propre rythme au
poème et l'ensemble des rythmes le font vibrer de la liberté
expressive du langage parlé.
-
f--
(1)
JOUSSE
(Marcel).
- L'Anthropologie du geste. Le parlant, la
parole et le souffle.
- Paris, Gallimard, 1978. -
329 p.
(2)
JOUSSE
(Marcel). - L'Anthropologie du geste. - Paris,
Resma,
1969. - p.
241.

iO.
Toutes les caractéristiques que nous venons de
mentionner indiquent une profusion de techniques stylistiques.
Mais, visant des objectifs littéraires précis Tzara comme
1
Paulhan s'est attardé sur la notion de rythme-sens.

71.
1 CHAPITRE II - LES DEUX RYTHMES-SENS
Comme il distinguait deux mentalités,
l'une supérieure
(la sienne)
et l'autre inférieure
(celle du colonisé)
le colo-
nisateur resta souvent dans l'ignorance de la capacité intellec-
tuelle du nègre. Nos deux écrivains ont pris le contre-pied de
cette foi en insistant chacun sur la littéralité du folklore
Ils disent;
le poème nègre est le lieu d'un rythme qui est à
la fois abstraction et sens. Mais chacun y insiste selon une
méthode subjective. Nous évoquerons d'abord celle de Tzara.
l
-
DADA ET L'ABSTRACTION NEGRE : LE SENS DE L'INSENSE
(ETUDE
DES ANALOGIES)
==================================================
Selon Gordon Frederick Browning qui cite l'exemple
de "Chanson du Cacadou" le critère de l'art nègre, c'est l'abs-
trait. Et c'est en tant que tel que cet art-là devint modèle
pour Tzara
(1). Trois essences définissent ce critère
l'impersonnalité;
le caractère populaire qui fait de la poésie
primitive une création commune; puis l'utilisation des matériaux
nouveaux qui excluent la logique, l'intelligence et la représen-
tation -
l'originalité de l'art primitif étant le refus de
copier la nature.
(1)
BROWNING
(G.F.).- op. cit.- p.
96-104.

72.
Par ailleurs dans une lettre adressée à Jacques Doucet
à propos des ~ingt cinq poèmes, Tzara laissait entrevoir les
intentions particulières qui l'animaient lorsqu'il se dirigea
1
vers le poème nègre :
1
J'ajoute au manuscrit de 25 "poèmes" une note sur la
1
1
poésie qui pourrait servir de préface, une note sur
1
la poésie nègre dont je m'occupais beaucoup à ce
moment
(j'avais traduit plus de 40 poèmes nègres) ,et
1
1
quelques poèmes de 1917 à 1918 ••• Ces écrits donneront
!
une idée exacte de ~es préoccupations de 1916 jusqu'à
!
l'époque qui finit avec mon manifeste Dada 1918
(mars
1918)
J
(O.C.L_p.
643)
f
Les préoccupations dont i l s'agit servirent connne des "expériences 1
t
(p.643)
qui visaient un objectif précis:
le langage
dans son
~Ji
état le plus primitif; celui dont Maurice Houis a dit
~
"
f
t
Les langues de la famille indo-européennes sont au
f
sommet de l'évolution, et les langues des Noirs au
l
plus bas de l'échelle. Celles-ci présentent toute-
{
fois l'intérêt, pense-t-on , de livrer un état proche
de l'état originel du langage, où les langues seraient
i
sans grammaire, le discours une suite de monosyllabes,
th~
et le lexique restant un inventaire élémentaire et
~'
exemplaire
(1)
i
f~
Pourquoi ce langage ? Celui-là parce que
comme Apollinaire,
1
F
1
Tzara voulait que la poésie soit le plus proche possible de la
t
~
modulation orale, une poésie qui exclut les principes normatifs
ii
et reste en contact avec les choses;
le réel. Pour ce faire,
~i
le dadaiste part d'hypothèses littéraires qui seront ultérieu-
tr
rement érigées en théories révolutionnaires, telles que la
ff~
chronique zurichoise 1915-1919 les expose :
1
~
!i
(1) HOUIS (Haurice). - Anthropologie lin9"uistique de l'Afrique
J
noire. - Paris, P.U.F.,
1971. -
~./.7
ir.~~
ij
i:
h
l

t
1
73.
1
5 experlences littéraires : Tzara en frac explique
devant le rideau,
sec sobre pour les animaux,
la
nouvelle esthétique : poème gymnastique, concert de
voyelles, poème bruitiste, poème statique, arrange-
ment chimique des notions
(o.c.r., p.
563)
rl apparait que dans le sens de ces expériences, Tzara a tourné
et retourné le poème nègre dans tous les sens pour le scruter,
et ce poème a plusieurs facettes.
En somme
i l
s'adonne à de
multiples exercices qui lui permettent d'insister sur les perti-
nences poétiques traditionnelles, de mettre en évidence les
différences entre celles-ci et les caractéristiques de la poésie
classique, par là même,
i l veut ridiculiser la logique occiden-
tale puisque ces pertinences correspondent à une absence apparent
de l'intelligence. En même temps,
le poète joue sur l'analogie
entre les traits du poème étranger et les théories dada.
C'est
ce que nous allons voir en quatre points.
A)
Les jeux de Tzara
Nous entendons par "Jeux de Tzara" les choix
de poèmes par goût des phrases banales d'une part, et d'autre
part les opérations sur certains textes empruntés, qui rappro-
chent le roumain du futurisme italien.
En parlant de la période de sa formation,
Tzara écrit à Jacques Doucet, qu'il affectionnait les phrases
banales :
Je jouais avec une sentimentalité incertaine et
inouie qui résultait de la surprise des phrases
banales employées.
(o.c.r._p.
643)

74.
J
j
D'autre part, privé de son contexte socio-cu1ture1,
le poème nègre peut n'avoir aucune signification. En outre,
le nègre aime bien faire preuve d'un humour que l'on retrouve
encore chez les Afro-américains, comme dans ce blues
Qu'ai-je fait
pour être si noir
et broyer du noir?
(1)
Comme on le voit, déplacée de son contexte, une telle phrase
n'impressionne que par le jeu sur les sonorités. Qui mêle
souvent l'assonance et la consonance. C'est par la prédi1ec-
tion pour ces sons que peut s'expliquer une bonne part des
vers du poème "Kangourou"
Il écarta la queue mouvante
Dans la queue il l'écarta
( ... )
Le gravier c1iquète
dans le creek
~ ... )
Peut-être c'est peu, peut-être c'est feu
(O.C.L_p.
443)
Dans la catégorie des phrases banales,
le poème nègre offrait
aussi l'exemple du poème-conversation, constitué de phrases
qui, arbitrairement rapprochées,
se suivent sans avoir l'air
de se répondre:
c'est le cas du poème "Ba-Ronga"
:
De la farine de cyclamen
Ce chef-ci est méchant
Deux souris se courent après aULour d'une termitière
Deux chefs disent du mal d'un sujet
(O.C.I._p.
470)
(1)
ELLISON
(Ralph).
-
Invisible Man.
-
Penguin Books, 1977.
- p. 27

75.
(1)
"Le Rongué à Chivivoya"
(p.457J 8) suit le même modèle. Cinq
voix et un choeur s'y succèdent. Aucun rapport ne parait lier
les quatre premières.
Seul le choeur explique l'action.
D'autre part: nous avons vu la liaison entre Tzara
et les milieux avant·gardistes parisiens. En général,
les
membres de ces milieux aimaient jouer sur l'ambigulté stylis-
tique. Tzara a trouvé des poèmes nègres pleins de cette ambi-
guïté. Causée par le passage d'une langue à une autre, elle
ressort de plusieurs facteurs.
Ce peut- être la présence
superflue d'un mot:
"ou", dans "Tire, a Taïnoni".":
Tire, a Taïnoni, tire barque
La laisser ou (slapul)
dans la mer
a.C.L.p.
469 139
Parfois, le jeu repose sur l'absence apparente d'un
mot, cette sorte d'ellipse qui court-circuite la pensée. Du
danseur,
il est d i t :
"Quand on le voit sa belle taille". (p.468)
Citons aussi l'exemple oü le vice littéraire prend
naissance dans un fait qui s'apparente à la substitution d'un
signe à un autre ou tout simplement, une agrammaticalité.
Récitons après Tzara :
Seul un ventre
S'élève dans l'air s'élève dans l'air
Poursuis ta route
S'élève dans l'air
p.488
'1
If
..
"
t
et s contrastent et la présence du premier dans cette chaine
parlée détourne la direction du discours. Entre deux périodes
de discours dénotatifs est implanté un discours connotatif. Et
est créée une perturbation sympathique du ton général.
(1)
Le premier chiffre indique la page et le second, le numéro
du poème.

1
76.
1
1
Cet ensemble de poèmes permet de dire que Tzara a
collecté des textes qui reflètent le monde tel qu'il tombe
sur les sens ou tel qu'il est projeté spontanément par eux.
Il s'agit d'un monde subjectif. Ni dans sa composition ni
1
même dans son interprétation la raison ne doit intervenir.
j
Car, ce n'est point le dit qui compte, mais la façon de dire,
"la lexis" plutôt que "le logos" selon les mots empruntés ~
Genette
(1)
par Béhar
(C.C.I._p.
697). Et de ce point de vue,
Tzara était très proche des cubistes. Nous avions annoncé
qu'il fréquenta aussi les futuristes.
Quels sont les preuves
et les résultats du rapport avec ce courant avant-gardiste ?
Nous nous appuyons ici sur les modifications
apportées par Tzara sur certains textes. Ce sont surtout celles
du poèmes "~ l'ouest des nuages végètent"
(p.451 20)
qui indi-
J
quent le passage du poète à l'école futuriste.
Jean-Claude B1a-
chère
(2)
en a fait le point sur les variantes à partir de
DADA 2 et des explications de Henri Béhar
(3). Citons quelques
vers de l'état définitif du poème
Pleurant immobile
Plus large s'étend feu serre
feu ayant vu presse feu
( ... )
tonnerre garde rancune
~~C.I.P. 452,20
(1)
cf. GENETTE
(Gérard).
" Frontières du récit" in
Communications, nO 8, 1966
(p.
152-163) .•p.153
(2)
BLAC HE RE
(Jean-Claude). - Le modèle nègre~p.161-162.
(3)
TZARA (Tristan).
- C.C.I._p.
716 - Note 16.

1
77.
1
f
~iS
~.
Citons un autre extrait, de "Chanson du serpent"
(p.452)
1
!'
~
~
Serpentant jeter en avant
~
se tordant jeter en avant
§
(
)
1
Coeur battre continuellement
~
~
Queue battre continuellement
p.
452
~:-
&:,
~,
~i
Les similitudes formelles sont évidentes entre ces textes
~
~~f;
et les' théories de l'"Antitradition futuriste" écrit en 1913
F
~;
par Apollinaire , puis celles de Le Manifeste technique de
1
la littérature futuriste, écrit en 1916 par Marinetti. Comme
h
t
E,
le mouvement italien, constate-t-on, Tzara aime l'éllipse à
1
~t
l'éxcès;
i l bannit la syntaxe,
lui préférant l'utilisation
f,
~
des substantifs et
des infinitifs dans des dispositions
1
disparates. Cela parce que le poè.te recherche le langage
!~
approximatif, celui de l'enfant qui apprend
encore à parler.
f~f
Et par-delà le comportement linguistique, clest l'âme primor-
~
t
diale qui est recherchée.
r
,
,
Des modifications effectuées sur "Chant de guerre
V'
f,
de Coucoutlé"
(p.464-465)
renvoient à l'aspect fondamental du
(
futurisme
:
le simultanéisme-librettisme. Cinquante trois
~1:-
~
vers de Casalis
(1)
portent une ponctuation à la finale.
Tzara
~!
qui a emprunté le passage de 11 ethnographe nIa reteI'U.l que cin:.r élé-
1
t
ments de cette ponctuation. En outre au lieu de six ponctuations
1
i
combinées
(virgules,
points ou exclamation)
seules deux
i
demeurent chez le second auteur. Ces décalages indiquent l'obéis- 1
sance du poète à un principe cardinal de l'avant-garde :
la ponc- f1~
(1)
cf note
1
p. 45

78
tuation se dressant comme une muraille pour arrêter le flot
musical,
il faut la supprimer et laisser libre cours à la
liberté orale, à la vitesse du simultanéisme.
On sait
d'une autre part, que le futurisme prônait
l'emploi d'éléments bruyants. Tzara aussi recherchait ceux-
ci.
Dans le poème "oiseaux blancs" pris chez Casalis notre
auteur conserve l'expression "naseaux bruyants". Mais plus
loin,
i l préféra multiplier les phénomènes révolutionnaires
en substituant le bruit par la vitesse : Casalis parle de
"pieds résonnants"
(1), Tzara, de pieds "alertes". Ainsi,
bruit et vitesse sont réunis dans le même poème,
selon les
recommandations des théories futuristes.
Certes, tout comme i l en fut de la conversion de Apolli-
naire au futurisme, celle de Tzara a été sans lendemain. N'empê-
che, dans un début de recherche, ces exercices à l'expression
avec des "mots en liberté", donnaient déjà à Tzara le sentiment
de vivre la naiveté
(2). Ainsi,
les jeux comme les expériences
visaient un même but :
la spontanéïté linguistique.
Cette spon-
tanéïté, Tzara l'a également trouvée dans des poèmes auxquels
ses théories personnelles correspondaient et qui eux aussi
contenaient l'abstrait. C'est à propos d'eux que nous allons
parler de "Tzara et l'obsession de l'abstrait".
(1)
cf note
1
p.
45
i l s'agit du vers 9.
(2)
D'ailleurs, les oppositions ne reflètent
oas de différences
défendables à long terme.

79.
B)
Tzara et l'obsession de l'abstrait
Dans l'esprit de Tzara, le poème abstrait
constitue un sommet de la création artistique. Puis deux
contradictions permettent de dire qu'une part de cette convic-
tion littéraire s'opéra à la lumière du poème nègre.
Premièrement: selon G.F. Browning
(1), Tzara s'est
laissé attribuer la paternité de certains poèmes nègres. Parmi
ceux-ci, citons "Chant pour construire"
:
a
ee
ea
eeeea
ee
ee, ea ee, a ee
ea
ee
ee, ea, ee,
ea
ee
ee, ea
ee ee,
Voici que nous bâtissons les pieux de la cour pour le
chef
p.
484,72
Ce genre de poème, notre auteur l'a baptisé: poème-concert
de voyelles. On en trouve un essai d'imitation à travers deux
poèmes de Tzara, restés à l'état inédit. Ce sont:
"La Panka"
où l'on d i t :
De la teeee
ee
erre
moooooonte
des bouuuules
Là aaa aaaaa
où oùoù pououou
oussent les clarinettes
p.511
puis : "La Dilaaaaaatation des volllllcaaans" ou apparaît le
même étirement des voyelles :
Le coq se drrrrrreeeeeeeesse au bououou ouou
ouout de l'Esssssssssspaaaaagne
Ta parole d'amii i i t i i
ii ié des sscend
en ro 0
00
000
00
obe deeee
lumiiiiiiiiière
lu uu uuumière
p.511
Par le poème-concert de voyelles, l'on recherche le monde de
l'enfance. Ecoutons la définition de ce style
poétique.
(1)
BROWNING (G.F.rThe Genesis of Dada -
p.
Ill.

80.
Le concert de voyelles est une invention nouvelle.
Nous tentons à reproduire les sonorités par plu-
sieurs voyelles lues simultanément. Pour accentuer
la pureté de cette conception nous avons pris les
éléments les plus primitifs de la voix : la
voyelle
(p. 552)
c'est dire que le poème-concert de voyelles n'est rien que la
voie par laquelle l'on recule de plus en plus fermement vers
le primordial, les sources de la vie.
Des poèmes dont G.F.
Browning parlait, nous citerons
encore deux extraits distincts
1 0 0 mam re de mi ky
nous avons échappé au wahha, ha ha
Les wazinza ne nous tourmenterons plus oh oh
Mionwu ne recevra plus de tissu de nous hy hy
et Kiala ne nous reverra plus jamais he he
p.
484- nO 71
2 0 Nous balancer iyo nous balancer
Nous balancer iyo nous balancer
p.485 - nO 74.
Ces textes ont une pertinence commune
: la présence du bruit
réel, l'expression par onomatopées. D'ailleurs certains autres
poèmes sont conformes à ce modèle. Ce sont ceux correspondant
aux numéros 4, 5, et 61. Cette forme de poème, Tzara l'appelle
le poème-bruitiste, i l est celui des sonorités par excellence.
En lui, l'oralité supplée à l'insuffisance de l'écriture
Le poème bruitiste . . . j'introduis le bruit réel
pour renforcer et accentuer le poème. En ce sens,
c'est la première fois qu'on introduit la réalité
objective dans le poème, correspondant à la réalité
appliquée par les cubistes sur les toiles". p.551
Tout comme avec le poème-concert de voyelles, c'est le primor~
dial qui est recherché à travers le poème bruitiste. Mais il
est grand temps pour nous de préciser les deux contradictions

81.
dont nous parlions plus haut: c'est que les recherches de
Gordon Frederick Browning lui ont permis de mettre en doute
l'affirmation selon laquelle Tzara fut l'auteur des poèmes
que nous venons de citer
(1). Browning dit
Despite an assertion by Huelsenbeck
("En avant, dada"
transe
in Motherwell, p.33)
that Tzara made these
songs up, many can be traced to publications by
European missionaries and explorers
(2)
A ce premier fait apportons-en un second qui repète la
même obsession pour le primordial:"Toto-vaca" est cité par
p
~ "
toute la critique comme le plus abstrait des poèmes nègres.
Or, au départ Tzara s'en est attribué la création. Ecoutons-
le : "Un poème abstrait Toto-vaca , composé de sons purs
inventés par moi"
(p.643)
La pureté des sons Toto-vaca
étonne
effectivement . Ecoutons-en quelques lignes :
Ko ia rimou ha ere
Kaouaea
totaraha ere
Poukatea ha ere·
Kaouasa
O.C.I.
p.
454
Pourtant, de même qu'il en fut des investigations de G.F.
Browning, celles de Henri Béhar lui ont permis de prendre le
contre-pied de Tzara à propos de "Toto-vaca".
Malheureusement i l nous faut prendre l'auteur en
contradiction, et ceci, à l'aide de ses propres
documents
( . . . ) Tzara n'avait pas "inventé" les
sons
p.
717
Ces différentes contradictions ont une importance qui, sans
être capitale, n'est pas négligeable. Elle ne concerne pas le
sens mystificateur de Tzara mais la signification de sa tenta-
(1)
Ce propos ne concerne pas "La Danka" et "La Dilatation"
(2)
BROWNIN.G (G.F.).
- The Genesis of Dada"poem . . . p.lll

82
tive d'appropriation. Ce comportement démontre l'identité
entre l'état du poème nègre et les projets dadaistes du
poème abstrait, en tout cas,
le poème abstrait tel que Tzara
le voulait.
Voilà aussi pourquoi,
si nous devions répondre à la
question: pour quelles raisons s'attèle-t-il tant à saisir
l'abstraction nègre? nous ne nous sentirions pas naturellement
enclin à réduire cette ~âche aux besoins de la provocation.
Par contre nous affirmerions que ceci faisant, Tzara s'en
retournait intellectuellement vers les réalités instinctives.
Faits de "sons purs"
(p.643)
c'est-A-dire débarassés de leur
"signification"
(p.643)
et ne contenant donc aucune allusion
à la réalité, les poèmes abstraits sont censés faire vivre
l'innocence primordiale. Par eux l'homme retourne à la simpli-
cité stylistique. Mais pour cerner de plus près la pertinence
poétique telle que Tzara la considère, c'est-à-dire en tant que
rythme et liberté,
i l faut parler du poème statique.
C)
Le poème statique ou liberté totale
Quand il s'agit de traiter des débuts de la
subversion dada, de la prétendue révolte absolue et, encore,
de la prétendue prédilection pour l'insensé,
l'exemple du
"Chant du Cacadou" publié dans Dada 1 en juillet 1917 vient en
vedette
dans la critique. Puis,
aussi bien pour ce poème que
pour "à l'ouest des nuages végètent" et "Chanson du serpent"

83:
publiés dans Dada 2
en décembre 1917 on a
jamais porté le
lecteur à s'intéresser à quelque pertinence autre que le subver-
sif. Pour notre part il n'y avait pas lieu à répérer le propos
&rrla révolte. Nous intéressait la tâche inverse, c'est-à-dire
montrer que derrière l'insensé se trouvait une esthétique et
un sens perçus par Tzara, qui correspondaient aux acceptions
révolutionnaires du poème statique. Qu'est-ce donc ce poème?
a
. Définition
----------
Il "concerne" dit Tzara "la réforme de la
dynamique" poétique en vue
du simul tanéisme que Tzara définit ainsi
Toute la poésie moderne accentue le mouvement mais
ce mouvement a toujours existé dans la poésie des
successivités des mots déterminant une idée. Alors,
on a cherché le simultanéisme qui est relatif parce
que la durée est innée dans l'espace
(O.C.I.P.
551)
En quoi y a-t-il simultanéisme ou immobilisme ?
Pour le dire, commençons par lire les passages de "à
l'ouest des nuages végètent" et de "Chanson de serpent"
(supra p.76& 77) .Ajoutons à ces deux exemples un extrait de
1 c hanson
du cacadou".
ici pointes de branches certainement
ici des grains mêlés à la balle certainement
sur la place creusée les poser
des amas des amas y poser
beaucoup d'amas poser
des amas des amas poser
de grands amas poser
de grands amas poser
Sur un amas verser
des noyaux germés des noyaux germés
des noyaux germés couchés brunir
des noyaux germés couchés brunir
des noyaux germés veulent frotter
des noyaux germés veulent lécher
p.
452

84.
L'agencement de ces textes prouve que si l'on a recherché
le bouleversement, c'était moins pour lui-même que pour
la poétique non conventionnelle. C'était pour l'esthétique
du subversif, proche du futurisme.
Ce rythme nouveau amène
Tzara à renier l'ancienne poésie:
"le poème n'est plus
sujet, rythme, sonorité: action formelle".
Mais par cette
négation il veut mieux dégager le caractère révolutionnaire
du rythme nouveau. Qui est trot et liberté :
Le rythme est le trot des intonations qu'on entend,
i l y a un rythme qu'on ne voit et qu'on n'entend
pas: rayons d'un groupement intérieur vers une
constellation de l'ordre. Rythme fut jusqu'à présent
les battements d'un coeur désseché : grelots en bois
putride et ouaté. Je ne veux pas encercler d'un
exclusivisme rigide ce qu'on nomme principe là où
il ne s'agit que de liberté.
(O.C.I.-p.404)
1
Le nom est prononcé. L'essentiel consistait à atteindre le
i
librettisme. Celui-ci comporte un autre facteur rythmique,
1
très proche de celui des cubistes : la conciliation de la
composition hétéroclite et de l'ordre.
bl ~~~E2§!!!2~_h~!~E2S!!!~_~!_E~!~~_ô_!~~§!h~-
1
E!9~~_9~_!~!Ef~E!2~~~!
Cette composition concilie des éléments divers,
parfois contraires les uns aux autres.
"Par le poème statique"
dit l'auteur "nous réalisons pour la première fois un poème
immobile, la relation des forces restant la même"
(O.C.I.p.55l).
De l'autonomie du poème abstrait, chaque élément tient la possi-
bilité d'être spatialement isolé et le poème devenir un ensem-
ble de figures géométriques, une sorte de tableau hétéroclite
faits de segments figés mais rythmiques. L'on peut facilement

85.
vérifier
ces caractéristiques. Dans la seconde partie du
fragment de "Chanson du cacadou"
(1)
-
sans considérer s ' i l
s'agit de paradigme ou de syntagme -, on peut séparer par
des traits pleins les champs lexicaux constitués de synonymes,
et par des tirets les champs lexicaux constitués de mots
divers . Cette matérialisation permet des constatations per-
tinentes :le poème est fait d'une superposition de répétitions
verticales avec des diversités horizontales. L'inverse existe
dans des poèmes tel "Peut-être vous étiez-vous cru la grande
roche"
:
Où trouverez-vous
le forgeron qui ne se brûlera pas
Où trouverez-vous
Le porteur d'eau qui ne sera pas humide
p.448
Outre la superposition le rythme peut découler de la juxtapo-
sition des diversités à gauche et des répétitions à droite
(Poème nO 13)
ou le contraire, comme dans cette partie du
poème 68.
Taarao comme élaboration des plus lointaines
Taarao fait irruption comme lumière
Taarao règne aux tréfonds
Taarao alentour etc...
P.
482
Mais ce que Tzara recherchait surtout c'était le poème lisible
- ainsi que le poème "Chanson du cacadou"
en donne très évidem-
ment l'exemple - dans tous les sens.
"L'équilibre des forces
permet qu'on commence à lire le poème de tous les côtés à la
(1)
supra p.
83

86.
fois"
(.O.C.I._p.552). Du coup,
i l est possible de préciser
le courant historique dans lequel ce poète inscrit sa création.
Des poèmes à lire de cette façon,
Calligrammes de Apollinaire
en propose à profusion. L'idée d'un texte à lire de tous les
côtés aune autre signification fort capitale. En rompant avec
la lecture classique, c'est surtout la logique que l'on rejette,
pour exalter son contraire:
l'irrationnel.
Privilégier l'irrationnel, c'est, évidemment, opter pour
le penser non-dirigé qui est le propre du poème primitif. Et
de fait,
le stylicien,
le morphologue épuiseraient vainement
leurs clés d'analyse à vouloir relever les multiples possibilités
de la poétique orale.
Ils n'en peuvent établir un inventaire
exhaustif. Le Choeur,
le solo -
ou l'individu assumant les deux
rôles -
font éminemment preuve de caprice. On peut marquer sa
partie par le silence.
Indifféremment,
l'on peut répéter la
fin ou le début de la phrase qui vient d'être prononcée; on
peut aussi substituer un autre mot à celui qui devrait être
répété et ainsi de suite.
"Toto-vaca" nous paraît particulière-
ment éloquent du point de vue de cet irrationnel. Certes, on peut
parler de "répétend" dans
ka tangui te kivi
kivi
ka tangui te moho
moho
comme on peut parler d'allitération dans
ko aou ko aou
hitaoue
maki ho te hanga
hitaoue
mais il faut lire tout le poème pour en apprécier la richesse

87.
et l'abondance des procédés stylistiques combinés.
ko ia rimou ha ere
kaouaea
totara ha ere
haouaea
poukatea ha ere
kaouaea
homa i
te tou
kaoueae
khia vhitikia
kaouaea
takou takapou
-
kaouaea
hihie
haha e
pipi e
tata e
a pitia
ha
ko te here
ha
ko te here
ha
ko te timata
e
ko te tiko pohue
e
ko te aitanga a mata
e
te aitanga ate
hoe-manuko
ko aou ko aou
hitaoue
make ho te hanga
hitaoue
tourouki tourouki
paneke paneke
oioi te toki
kaouaea
takitakina
ia
he tikaokao
te haraho
he pararera
ke ke ke ke
he pararera
ke ke ke ke

88.
Pléthore de procédés et de combinaisons ! Nous voudrions
même dire qu'il est seulement possible de parler du rythme
d'une parole, d'un poème particulier mais qu'il ne nous semble
pas possible de formuler des règles générales et définitives
de la poésie dite "irrationnelle". Le locuteur ne choisit pas
une recette,
il s'exprime et applique une technique stylistique
là oü elle lui paraît le plus efficace. Ce sont ces principes
qui fascinèrent l'auteur et lui suggérèrent une loi de compo-
sition qu'il résume ainsi:
Des personnages habillés uniformément
portent les affiches sur lesquelles i l
y a les mots.
Ils se groupent, s'arrangent
d'après la loi
(classique)
que je leur
impose
(p. 551)
Le modèle présenté est donc celui-là qui permet de déranger,
de décomposer pour arranger, composer selon la loi de l'inco-
hérence . Pour Tzara, l'incohérence est le lieu privilégié
de la vitalité, de la personnalité humaine. Aussi, lui est-il
agréable d'être étiqueté comme un incohérent; encore faudrait-
i l que les hommes considèrent l'incohérence comme le propre de
la vie. Nous avons répété le mot "irrationnel". Ce n'est pas
que nous le trouvions acceptable
, nous attendions le moment
de'dire que l'irrationnel n'est qu'une apparence. Tzara écrit
à ce propos :
On nous dit très souvent que nous sommes incohérents,
mais on veut mettre dans ce mot une injure qu'il
m'est assez difficile de saisir. Tout est incohérent.
Le monsieur qui se décide de prendre un bain mais
qui va au cinéma. L'autre qui veut rester tranquille,
mais qui dit ce qui ne lui passe même pas par la
tête etc...
O.C.~-p. 422-423.

89.
Ceci dit,
l'auteur explique le caractère positif, la valeur
humaine
de l'incohérence, c'est-a-dire la logique de l'apparem-
ment illogique :
Aucune logique. Des nécessités relatives découvertes
à "postériori" , valables non du point de vue de leur
exactitude, mais comme explication. Les actes de la
vie n'ont ni commencement ni fin. Tout se passe d'une
manière très "idiote". C'est pour cela que tout est
pareil. La si~plicité s'appelle dada.
(O.C.I-p.423)
C'est dire -
et ce sera notre conclusion sur le poème statique,
que la nouvelle
esthétique compte avec l'irrationnel qui n'est
qu'apparent, ce lieu où autant que l'homme sans écriture, le
poète nouveau se dresse pour proclamer la liberté expressive
"Liberté, liberté: n'étant pas végétarien,
je ne donne pas
de recettes."
(p.405).
Il ne donne pas de recette parce que
la poésie a un sens subjectif, selon chaque personnalité. Et
le sens commun ne se donne pas, i l se vit, c'est la façon
dont la poésie prend corps dans les parties les plus incons-
cientes de notre être, c'est la façon dont elle donne un sens
à notre existence. Pour Tzara cette existence peut être dite
totale si elle réunit le rythme et le mouvement. A cette totalité
qui est un des térroins
des correspondances paradigmatiques et
syntagmatiques de toute expression, Tzara donna le nom de poème
mouvementiste.
D}
Le Poème mouvementiste
liberté du corps et de l'esprit
Par lui, le poète dénonce un autre stade dépassé de
la poésie et annonce une caractéristique du rythme nouveau.
Ce rythme doit être celui de la parole et des gestes primitifs.

90.
L'état dénoncé est le mode de l'expression poétique
classique. Ecoutons le :
Jusqu'à maintenant on a récité les po~mes en haussant
la voix et les bras. La relation entre ces deux élé-
ments d'accentuation constituait l'intelligence artis-
tique. Nous déclarons que les poèmes que nous écri-
vons maintenant ne s'adaptent plus à cette manière
conventionnelle de réciter.
(O.C.I.-p. 552)
Apr~s la dénonciation du dépassé
i l désigne l'idéal. Celui-
ci se confond avec le rythme tel que le primitif l'exprime
dans tous ces comportements. Tzara a l'air de dire que par
le po~me mouvementiste, l'on retourne à un rythme qui est
musique et danse, expression instrumentale et corporelle:
... nous retournons vers les éléments primitifs.
Les enfants récitent les vers en scandant, à
chaque sonorité correspond un mouvement spécial
et défini de direction et de sonorité. Le mou-
vement le plus primitif est la gymnastique qui
correspond à la monotonie et à l'idée de rythme
( .•. ) L' 'acteur doit ajouter à la voix les mou-
vements primitifs et le~ bruits, de sorte que
llexpression extérieure sl a dapte au sens de la
poésie
(P.552)
Ici donc, est introduit dans la poésie ll ac te chorégraphique
comme agent rythmique. Et par cette théorie, Tzara rejoint
l'anthropologue dans la recherche de la spontanéité primitive.
En particulier, le terme "mouvementiste" ressemble fort bien
au mot "balancement" utilisé par Marcel Jousse pour désigner
le rythme de la poésie traditionnelle. Et de même que ll an thro-
pologue, Tzara entend retourner aux comportements primitifs
mais profondément humains. Ces comportements sl expr iment dans

91.
la complicité de la musique et du mouvement corporel
Cl)
Que constatons-nous alors ? Que toutes les notions et
théories de Tzara se rapportent à deux facteurs capitaux
l'esthétique d'une poésie dont la première pertinence est la
liberté stylistique, puis le retour, au moyen de la poésie,
à la vie primordiale. Tel est le sens de l'insen~é, qui dès
lors, ne l'est que d'apparence. En abordant Paulhan, on peut
également parler du sens du rythme.
II -
PAULHAN ET LE RYTHME-SENS
============:============
D'ailleurs l'expérience de ce dernier comporte
elle
aussi quelques pertinences.
Parce que le langage du colonisé leur
était étranger, certains Européens le cataloguèrent comme un
ensemble de cris inhumains. A l'origine de ce comportement se
trouvait un cartésianisme intolérant. Paulhan cite certains
missionnaires ayant manifesté un tel esprit détracteur envers
les hain-teny.
Pour le Révérend Père Malzac, dit-il,
ils ne
sont que des "jeux de mots absurdes et incohérents"
(H.T. Ed.
1939, p.ll
). Quant au Révérend Père Sibre e , rapporte toujours
Paulhan, i l ne voit dans le hain-teny que des "proverbes éro-
tiques"
(H.T. Ed.
1939, p.ll)' Les vues de Paulhan que fascine
tout ce qui résiste à son intelligence diffèrent de celles-là.
(l)
Pour les travaux de Harcel Jousse, on consultera par exemple
Mimétisme humain et style manuel.
-
Paris, Guethner,
1936*
-
24 p.

9~.
Et contrairement à Tzara qui
s'amuse avec l'absence superficielle
d'un sens, Paulhan démontre directement le génie du folklore.
Il en montre en particulier l'esprit logique.
II.1. UNE LOGIQUE PRIMITIVE
==========~==========
La profération individuelle du hain-teny est faite
de la combinaison subjective de clichés, de groupes arbitraires
de mots possédant des règles et des sens, mais surtout de la
contradiction entre des temps faibles et des temps marqués
avec plus de force, un rythme mieux accentué surtout à la fin.
Les temps faibles sont des digressions i
le temps fort,
un ou
des proverbes. Ainsi, et selon les propres découvertes de l'au-
teur,
"à partir d'un cadre fixe l'imagination du récitant"
peut "s'y donner libre cours"
(O.C.II·_p.
80). Jeté avec force
à la fin du discours, le proverbe exprime l'autorité du locu-
teur "comme le peuvent être un discours politique,
la justice,
la liberté,
l'ordre"
(O.C.II~p. 80).
Ce rythme-sens s'appuie aussi sur le fonctionnement du
hain-teny en tant que discours raisonné. En premier lieu, l'on
présente un sujet;
il peut s'agir
aussi bien de l'état d'une
chose, d'un sentiment ou d'un phénomène général. En un deuxième
temps le mérina développe le sujet préalablement exposé. Enfin,
une conclusion intervient qUi met en évidence la leçon à tirer
des deux premières constatations. Cette démarche fascina Paulhan.
En particulier parce que conformément à l'attente de cet auteur
vis-à-vis de tout esprit logique,
la conclusion du hain-teny fait

93.
mieux comprendre le sens général du phénomène et indique
le remède. Eclairons nos explications par un cas concret.
Un homme s'adresse à une femme:
1.
vous êtes le fruit désiré
2.
la banane précieuse
même si le papillon vous effleure
l'on ne vous quittera point
3.
Celui qui meurt pour ce qu'il aime
est un petit caïman avalé par sa mère
Il est mangé par le ventre qui l ' a abrité.
(H.T. 1913, p.??)
Successivement 1 et 2 suggèrent et avouent le désir puis
l'attachement indéfectible à un objet idéal.
En 3
, l ' o n
choisit le pire des circonstances pour montrer le caractère
absolu de la volonté que tout homme déploierait pour atteindre
un objectif vital pour lui. M~me y perdre la vie est encore
une forme acceptable de satisfaction. Certes l'interprétation
d'un hain-teny isolé comme le nôtre ne peut être définitive,
son sens étant toujours fonction d'un contexte où i l intervient.
C'est d'ailleurs pour cela que Paulhan d i t :
Il Y avait dans le proverbe quelque noeud qui exigeait,
pour être saisi, que l'on considérât ce proverbe dans son
application et comme dans sa projection
(
) plus simple-
ment : dans son expression
(C.C.
Ix-p.
123)
Cela ne nous empêche pas de poursuivre notre but qui consiste
à dire en quoi le hain-teny est un discours raisonné.
Si l'on reprend les trois temps du poème, une correspondan-
ce apparait entre eux et le syllogisme scientifique :
la thèse,
,
l'antithèse, la synthèse.
Il semble que Levy-Bruhl lui-même
ait pensé à cette analogie quand il a écrit
:

94.
La mentalité prélogique
( . . . ) a ses conditions
propres auxquelles ses opérations disursives
sont nécessairement soumises
(1)
De ces opérations, un sens surgit toujours, assorti à une situa-
tion précise. Pour que le sens soit opérationnel, il faut que
le discours soit orienté vers un interlocuteur. Que l'inter-
locuteur réagisse et le hain-teny prend son sens plein. Car
alors s'entame un dialogue et c'est dans le dialogue que le
cliché devient véritable instrument d'une dialectique où l'esprit
de chaque orateur doit nécessairement demeureren éveil, toujours.
Comment cela? Pour le dire i l faut revenir au hain-teny
1
comme objet de duel.
Dans ses études "Les hain-teny" et "l'expérience du pro-
verbe" de Langage l, Paulhan n'hésite pas à nommer le hain-
teny comrne une "poésie de dispute" ou à la qualif ier de "duel
poétique" .
En effet, "l'expérience du proverbe" lui a appris les éléments
essentiels de ce style.
Il a compris que dire des hain-teny
c'est contredire la pensée d'autrui, engager un duel linguis-
tique.
1
Evoquons quelques exemples littéraires ana~ogues de ce
style. L'on
'aperçoit la provocation de la raison quand, dans
le duel oratoire cornélien Le Comte déclare : Es-tu si las de
vivre? et que Rodrigue réplique: As-tu peur de mourir? Certes,
la compétition intellectuelle est sollicitée ici. Mais elle
(1)
LEVY-BRUHL.
- La Mentalité primitive.- Paris, Alcan,
1922.-p. 215.

95.
/
relève d'une perspicacite socio-culturelle distincte de celle
du hain-teny. Plus étroitement que ce duel, celui du "dozen" (1)
afro-américain qui perpétue l'âme noire dans les Arnériques
rappelle la notion de concours spirituel ou "concours de
proverbes"
(2). Mais ces genres révèlent en commun l'esprit de
contradiction qui donne à tout discours le profil d'une logique
précise.
Jacques Faublée explique la fonction dialectique de chaque
discours en hain-teny
Chaque hain-teny ne doit pas être considéré comme
une poésie isolée, formant un tout, mais comme
un élément séparé arbitrairement d'une joute
oratoire
(3).
C'est cette notion de joute qui acheva de convaincre Paulhan
du caractère logique du hain-teny.
Le Mérina, explique-t-il
finalement, n'improvise pas, ne récite pas, ne prononce pas
des hain-teny, -
il les fait lutter,
les fait combattre
il lutte en hain-teny (4). Et Jacques Faublée encore commente
Un malgache
(
) combat en hain-teny. Telle est
la découverte de Paulhan.
Il n'a pas été le premier
ni à éditer, ni à traduire des hain-teny. Mais
il a été le premier à révéler leur valeur
(5)
(1)
Le dozen est une parole de contestation. D'origine africai-
ne elle est surtout pratiquée
par les adolescents afro-
américains. On pourra consulter,
pour une étude détaillée
de cette parole, l'ouvrage de Roger D. Abrahams: peep Down
in the Jungle. Negro Narrative Folklore from the Streets
of Philadelphia. - Aldine publishing Company/Chicago,
1970.
- 278 p.
(2)
.GRANET (Marcel).- Fêtes et Chansons anciennes de la poésie
de la Chine. - Paris, E. Leroux,
1919. - ?
261.
~----.
,
(3)
FAUBLEE
(Jacques). - op. cit.- p.
159
(4) cf. PAULHAN, O.C.II. - p.
69-98.
(5)
FAUBLEE
(Jacques). - op. cit.,.., p.
159.

96.
Cette valeur c'est la force
persuasive. Et la victoire
de cette force c'est la victoire de la logique. Comment marche
cette logique ? Le hain-teny est une machine à convaincre
dont le fonctionnement varie peu.
Il faut, par un minutieux
calcul intellectuel, pouvoir dire le maximum de proverbes
chargés d'autorité tout en contraignant l'interlocuteur à des
paroles dénuées de proverbes et sans autorité. C'est, d'un
certain point de vue, ce que Marcel Jousse appelle parfois
"la structure du bilatérisme".Ceci dit,
illustrons nos propos
par un poème où un homme adresse la parole à une femme pour
lui faire des propositions -
L'homme
Puis-je entrer, Rasoa-la-bien-faite ?
La femme
Entrez, Randriamatoa-des-mille-et-des-dix-mille
L'homme
Je me tiendrai debout, appuyé au mur
Dois-je vous avoir ou ne point vous avoir ?
La femme
Nous sommes Randriamatoa, la grande marmite
où se fait le nate
Les enfants morveux n'y mettent pas les doigts
Chaque interlocuteur a pris la parole deux fois.
Seule la
femme a utilisé un proverbe - qui stipule l'impossibilité d'un
mariage entre eux. L'homme s'est montré incapable même d'une
réplique:
il est vaincu.
Pour expliquer ce mécanisme, nous
avons préféré les déclarations de Paulhan même.
J'observai assez vite qu'il suffisait, pour l'emporter
sur un hain-teny riche d'un proverbe, de répliquer
par un poème qui en contint deux : et, pour vaincre
ce dernier, de réciter un hain-teny de trois prover-
bes. Puis de quatre contre trois. Ainsi de suite.
Il
semblait que la vertu d'un hain-teny dépendit unique-
ment de sa teneur en proverbes.
(O.C.lv-p.8l)

97.
Tel est le mécanisme qui permet de parler de rhétorique du
hain-teny, en particulier et de logique primitive en général.
Dans un autre essai, Paulhan a bien insisté sur cette notion
même de logique . Ecoutons-le :
Les hain-teny ont leur secret. Ce sont des
poèmes doubles, dont le sens caché, et le
seul efficace,
relève d'une logique prover-
biale, stricte et sévère
(1).
Pour autant, le chercheur considère cette forme linguis-
tique corrune celle d'un esprit scientifique. Cet esprit lui
parait même d'un rationalisme comparable à celui du "mathéma-
ticien {9·C • II·-p. 87) et du "joueur d'échecs" (cf. .~-p. 85)
Enfin, corrune la majorité des chercheurs ayant tenté une défini-
tion du "hain-teny~ notre auteur le désigne par les expressions
suivantes:
"science de langage",
"science des mots",
"paroles
savantes, paroles sages"
(O.C.II~p.70), ou encore "mots savants"
(O.C.
II._p.82)
D'ailleurs, approuvant Jean Paulhan dans la démonstration
d'une rhétorique primitive, Rolland de Renéville affirma que
la publication de ses hain-teny
(2)
est
un "phénomène" dans
...
la mesure ou à propos de la mentalité primitive ses réflexions.
s'opposent valablement aux points de vue de Frazer, Durkheim
",
et Levy-Bruhl, et montrent clairement la présence,dans l'esprit
du "non-civilisé",de la notion du scepticisme
(3).
On voit pourtant que Lévy-Bruhl tout corrune ses prédéces-
seurs n'a pas totalement méconnu l'esprit primitif -
ni surtout -
(1)
PAULHAN
(Jean).- Les Hain-teny. Eaux fortes originales de
André Masson. -Paris, Folio,
1956,-p.7.
(2)11 s'agit de l'édition Guethner,
1913
(3)
ROLLAND DE RENEVILLE.
-
"Jean Paulhan et l'expression poéti-
que
(à propos des hain-teny)"
in : Univers de la
Parole,
-Paris, Gallimard, 1944. -
p.133-142.

98.
la performance linguistique dont i l fait preuve. Selon ses
propres mots, Lévy-Bruhl chercha à "rendre compte de la finesse
et de la sagacité dont beaucoup de primitifs font preuve en
diverses circonstances.
"(1)
Certes même dans la citation qui
va suivre on pourrait noter la tendance à réduire l'habileté
primitive à une disposition instinctive. Toujours est-il que
Lévy-Bruhl reconnait au moins l'existence d'une rhétorique
primitive, quand il dit
On vante souvent l'éloquence naturelle aux
indigènes d'un grand nombre de sociétés,
la richesse d'arguments qu'ils déploient
dans leurs palabres et l'habileté de l'attaque
et de la défense dans leurs contestations
(2)
C'est aussi dans Les C'arnets que l'on trouve, a propos de la
mentalité primitive, une déclaration absolue, sur la relativi-
té de l'esprit discursif. Lévy-Bruhl y dit encore
Lorsque dans Les Fonctions Mentales, La Mentalité Primi-
tive,
j'employais assez souvent,
l'expression
: Cette
mentalité n'est pas conceptuelle comme la nôtre, elle
restait vague et ne signifiait certainement pas qu'elle
ne forme pas de concepts. Ce que j'avais d'un peu précis
dans l'esprit était ceci:
ils ne font pas le même dosage
que nous de la raison discursive
(3)
Ces contradictions intellectuelles d'un chercheur à un autre
et même dans certains cas chez le même individu nous suggèrent
une pensée plutôt positive. La disposition des races à se décou-
vrir les unes les autres crée parfois des oppositions qui ne
dépassent pas le niveau du superficiel. Déductivement, cela
révèle une vérité qui sera notre conclusion.
(1)
LEVY BRUHL
(L.)
.- M.P . . op. cit ... p.
518-519
(2)
LEVY BRUHL
(L.). - Les Carnets de Lucien Lévy-Bruhl - Paris,
Presses Universitaires de France, 1949. - P.519
( 3)
Ibidem. - P.
167

99.
L'entente relative fut longue à s'établir entre les
chercheurs préoccupés du problème de l'esprit primitif. Mais
comme cela est apparu,
les générations se sont succédées qui
tentèrent de démontrer la notion de la rhétorique primitive,
l'aptitude de l'homme sans écriture à raisonner. On retient
que la poésie orale traditionnelle prend appui sur des phrases
formulaires, mais que,
intelligent, le nègre concilie à souhait
le penser - dirigé et le penser -non dirigé.
Et par-delà la
notion de rhétorique, ces Européens ont voulu affirmer le rela-
tivisme culturel. Un autre aspect intéressait Paulhan:
le
concept dans la pensée primitive.
II.
2 - PAULHAN ET LE CONCEPT DU PRI~ITIF
=================================
Les explorateurs ont longtemps affirmé l'inaptitude
de la mentalité primitive à abstraire. C'était affirmer du coup
une intolérable insuffisance intellectuelle et refuser à l'espri
ainsi désigné la notion de penser-dirigé. Selon Paulhan, Lévy-
Bruhl a abondé dans ce sens. Notre autBur
rapporte l'idée que
l'ethnologue semblait se faire sur ce point:
"les primitifs ne
savent point ou ne savent presque pas abstraire"
(1). En effet
Lévy-Bruhl écrit :
"Chez les primitifs la pensée et la langue
sont de caractère presque exclusivement concret"
(2). Paulhan
a intitulé un de ses textes : La Mentalité prim~~_i:y.§! E?_t_J_' i:.l1u-
-
sion des explorateurs. Là, les réflexions sur les hain-teny
(1)
PAULHAN·-O.C.
II,_p.
144
(2)
LEVY-BRUHL._M.P. op. cit ... p.
506.

100.
sont intégrées dans des démonstrations destinées à prendre
le contre-pied des détracteurs de la mentalité primitive.
Seulement, nous nous posons une question. Dans quelle mesure
,
Paulhan contredit-il Levy_Bruhl
et les autres? Avant d'y
répondre, nous ferons une remarque qui concerne le hain-teny
et verrons la relation entre la notion de l'abstrait chez le
primitif et chez le civilisé.
A)
Faiblesse objective du symbole
Notre remarque concerne l'expérience que nous avons
eue avec le langage du hain-teny. Elle est identique à celle du
langage primitif en général;
à savoir qu'effectivement l'indi-
gène
exprime ses idées en empruntant une part capitale
de ses signifiants à la nature ambiante; cela, à un point tel
qu'il suffit que l'étranger manque de docilité intellectuelle
pour que la langue lui semble exclusivement fidèle au concret,
et par conséquent révélatrice d'une aberrante passivité intellec-
tuelle. Ces rapports linguistiques entre le primitif et la natu-
re sont évoqués par Maurice Houis, dans Anthropologie linguis-
tique de l'Afrique noire. Dans leurs différents travaux sur
le primitif, Marcel Griaule, Denise Paulme et Geneviève Calame-
Griaule
(1)
Y font souvent allusion. Mais qu'en est-il dans
nos hain-teny ?
Nous y avions procédé à un relevé lexical aussi poussé
que cela se pouvait, dans le sens qui vient d'être évoqué. Puis
(1) Pour cette dernière, nous nommons en particulier la Parole
chez les Dogons.

101.
i l nous est apparu qu'ici, plus que le volume du vocabulaire,
son
importance sémiologique nous devions considérer ; et surtout
insister sur la diversité de ses fonctions
(1). Ainsi nous
pouvions établir les faits suivants : le primitif emprunte
ses signes linguistiques à tout son univers.
1. A la ,géographie:
Il peut s'agir alors du nom
-
d'une colline. Exemple
Imangabe
p.119
(v.26)
(2)
- d'un village
Exemple
Ilafy
221,2
- d'un fleuve
Exemple
Ikopa
221,12
2. A la faune
:
pour comparer l'Horrune
- à un oiseau, tel la "petite sauterelle" . 23,6
- à une plante : "une herbe très haute et flexible,verte" 87,2
"une plante rampante" 229,1
Dans cette catégorie, l'horrune ou la ferrune sont
"une
figue" 175,1;
3. C'est aussi à l'histoire que ce langage emprunte
les signes. Des noms célèbres y interviennent, tels que:
"Rolarnb 1
141,3 ; Andriamasinavalona 141,4.
Ce contact avec le réel a inspiré une observation à
Emile Cailliet dans Essai sur la psychologie du Hova
Le Hova ne passe que très imparfaitement de la sensation
à la perception, par suite d'une incapacité profonde à
se dégager des données de l'expérience. Les notions de
temps, d'espaces, d'objets et d'image vraie demeurent
éminemment continge,ntes • (3)
(1)
Ainsi, quand nous donnons un exemple, i l pouvait y en avoir
dans le même cas
au moins une dizaine
(2)
Nous donnons la page et le numéro du vers, selon l'Edition
Guethner, 1913
(3) CAILLIET (Emile).- Essai sur la psychologie du Hova. Paris,
Presses Universitaires, 1926, -
p.145

102.
De ce point de vue,
i l y a à admettre -
ne serait-ce
Il
l,
que provisoirement-, une faiblesse objective
du primitif
dans l'exercice de l'abstraction linguistique. Pourtant, une
question mérite d'être formulée:
à quoi renvoient ces signi-
fiants si concrets ? Nous nous trouvons donc devant un problème
fondamental
: celui du symbole. Quand le ba1afoniste senoufo
de la Côte d'Ivoire joue :" suis-je du sel pour plaire au monde
entier ?" tout le peuple senoufo entend : aliment agréable,
le
sel est indispensable dans tout mets.
Il symbolise la vertu,
l'idéal. Mais l'on a beau être vertueux et réunir les qualités
de l'idéal
à l'exemple du sel,
il y en aura toujours parmi
les hommes à nous taxer de médiocrité. De même, quand le mérina
d i t :
"je suis Ro1ambo.Bourjane, comment peux-tu oser me défier ?"
La compréhension de son discours est d'ordre socio-historique.
Ro1ambo fut le premier roi mérina dont l'histoire soit connue .
et les fils de Ro1ambo sont les nobles de la sixième caste;
,
d'autre part, le bourjane est le porteur de charges. Ces pré-
cisions suffisent pour indiquer que la déclaration précédente
établit une hiérarchie de valeurs entre le locuteur et le des-
tinataire du message.
Il appert donc que la pensée primitive est infiniment
imageante et que l'image évoquée parla réalité est d'une mu1ti-
valence qui varie avec les contextes. Une première dénotation
1
concerne la signification du signe linguistique. Puis une seconde
existe, qui correspond à une signification transférée dont
l'interprétation tient compte des rapports entre la significa-
tion et la situation du discours.
Selon une idée obsédante de

103.
Marcel Jousse l'on part du terre à terre quotidien vers les
profondeurs ou si l'on veut aussi, vers des hauteurs vertigi-
neuses par le simple jeu du bilatérisme. Ecoutons cette expli-
cation qui s'appliquerait autant au mérina qu'au Palestinien
Toutes les choses de la nature vont pouvoir être
prises et affrontées bilatéralement comme termes de
comparaison. La mentalité palestinienne étant fonda-
mentalement comparative, elle insère gestuellement
les choses en elles et les fait parler d'elles-mêmes en
les comparant ou en les opposant multiplement et for-
mulairement, donc mnémoniquement (1)
Ces remarques montrent qu'ici l'abstrait vient quand, par un
processus linguistique nous convertissons le réel à l'image
de notre pensée derrière laquelle ce réel disparait. mais cette
réponse ne suffit pas pour souligner la relation entre la notion
"
Il
de l'abstrait chez le primitif et chez l'Occidental. Allons
plus loin.
B)
. Concept primitif - Universalisme linguistique
-~-----------------------
Pour y parvenir nous nous reporterons à
Emile Cailliet. Dans ~ymb~lis~~~~ mentalités primitives, les
vues de cet ethnologue semblent s'être quelque peu raffinées
par rapport à ce qu'il en était dans Essai sur la psychologie
du Hova. Nous nous reportons à un paragraphe particulier
du
premier ouvrage qui vient d'être cité. L'auteur s'y appesantit
sur une étude qui suggère aussi la clé de notre interrogation :
(1) JOUSSE (Marcel).- L'Anthropologie du geste. - Paris, Resma,
1969. - p. 230-231:

t
104.
1
1
le passage, chez le primitif ,
"du symbole au signe"
(1)
Emile Cailliet rappelle l'idée de l'inaptitude du primi-
tif à abstraire : le symbole serait la preuve de la répugnance
de l'abstraction, le résultat de la tendance à l'inertie men-
tale et à la simplification. Puis se référant au Traité de
Logique de Goblot (2è édition)
Emile Cailliet donne à voir
que le symbole invite
à un effort vers l'intelligence. Comme
nous venons de le voir,
il suffit au mérina qu'il utilise tel
ou tel autre signe emprunté à l'évidence pour être compris par
~
les proches. En se reportant à Paulhan, on constate que, d'abord
déconcerté par les hain-teny,
il découvrit finalement une clé
le, paradoxe du langage -
l'antinomie entre l'apparence et le
sens du hain-teny-, ne disparaît que lorsque l'on a réussi à
banaliser la parole
(cf.O~C. II p.114-115). Banaliser consiste
à découvrir et accepter le caractère social du symbole; compren-
dre, comme le dit Maurice Houis, que
Le référent appartient à la culture autant qu'à la
nature objective
( . . . )
Il permet de rendre compte
1
des signes oü la relation
au référent est établie
par suite d'une expérience oü l'observation du perçu
objectif n'est pas seulement en cause, mais aussi
la conception que les intéressés et leur société se
1
font d'un phénomène
(2).

En d'autres termes l'abstrait est le fait d'une décision sociale,
1
avant de devenir celui d'une parole individuelle, ou : socialisé, 1
~:_:~ole devient concept, signe.Emile Cailliet poursuit :
1
(l)
CAILLIET (Emile). -
"Du symbole au signe" in 1 Symbolisme
1
et âmes primitives.- Paris, Boivin et Compagnie; Editions:
1936. - p.
171-178
1
(2) HOUIS (Maurice) . - Anthropologie linguistique de l'Afrique
Noir~ - Paris, Presses Universitaires de France, 1971. p.92

105.
Le symbole se prend dans le signe au moment
où se précipite ce que Goblot appelle la
dépersonnalisation par la socialisation de
la pensée
(1)
Voilà par quelle voie le primitif passe du domaine du concret
1
à celui de l'abstrait. L'auteur àe Jacob Cow le pirate ou Si les
mots sont des signes le soupçonnait.
Celui de La marque des
1
lettres l'a compris:
"C'est dans le passage d'un état à l'état
opposé et si l'on veut, d'une observation à l'observation contrai
re - que tient le jeu."
(O.C.II.-p.
124). Cela autorise donc
à conclure : le primitif est apte à abstraire,
i l abstrait. Mais
" ,
sur ce point, Paulhan est-il tant en contradiction avec Levy-
Bruhl ?
Pour y répondre,
signalons d'abord ceci: conformément à
son habitude de la méthode dialectique,
l'auteur de La Mentalité
1
primitive et l'illusion des explorateurs commence par rappeler
les thèses européennes sur l'incapacité du primitif à abstraire
(O.C.
I~-p.143-145). Puis suit l'antithèse: Paulhan cite des
contre-exemples : de son côté, montre-t-il,
le Mérina considère
que contrairement à lui, le Français ignore l'abstraction
(p.
145-151). En même temps, l'auteur évoque des mots malgaches ren-
voyant à l'abstraction. Toutes ces considérations conduisent à
une leçon : Paulhan insiste sans équivoque sur le relativisme
culturel. L'Européen doit comprendre, suggère-t-il , que la
langue française n'est pas la seule intelligible. La réalité
est toute simple:
le primitif découpe le langage, sauf qu'il
le fait d'une façon autre que la nôtre.
"IL y a d'un peuple
(l)CAILLIET (E.-).- op. cit·..p·178

106.
à l'autre, déplacement de l'abstraction"
(O.C.I~-p.148)
conclut le "malgachisant". Qui pousse sa leçon jusqu'A prêcher
la théorie littéraire de l'acquiescement. Traiter les autres
de sauvages, de barbares, d'ignorants1 c'est se montrer soi-
même ignorant et inattentif. La condamnation facile de l'igno-
rance d'autrui reflète notre propre faiblesse intellectuelle,
- car c'est quand une chose nous "refuse un dangereux conten-
tement" que nous la traitons de "simple"
(O.C.lI--p.5)
- Ainsi,
Paulhan se classe au nombre des négrophiles. Mais son action
intellectuelle est-elle celle d'un véritable pionnier ou est-
elle seulement emprunte d'une prise de position plus tranchée?
QUand nous parlions de la rhétorique mérina, l'auteur était
apparu d'abord comme le "premier" puis, plus tard, comme un
continuateur infiniment plus débarassé de préjugés. Qu'en est-
il ici ?
Plusieurs faits l'attestent: Paulhan
appartient à la classe de ceux qui prolongent l'essentiel des
objectifs de Lévy-Bruhl dans le domaine de l'antrhopologie. En
premier lieu
l'ancien enseignant de Tananarive avoue lui-
même avoir reçu ses premiers encouragements de la part de
Lévy-Bruhl
J'avais même déposé à la Sorbonne un sujet de
thèse, dont j'ai gardé le reçu: Lévy Bruhl,
fort alléché
d'entendre parler
de
"sémantique
et logique malgaches "m'ayant donné ses encourage-
ments et par avance sa bénédiction
(1)
(1) _JUDRI~ (Roger). - La Vocation transparente de Jean Paulhan-
-Paris, Gallimard, 1961. - p.l16

107.
i
On pourrait nous rétorquer qu'il y a là une marque plus
affective qu'intellectuelle. Alors, nous ajouterions, pour
1
satisfaire l'intellect: Paulhan a voulu établir la capacité
1
/'
du nègre à abstraire .
Levy-Bruhl avait déjà souligné la riches-
se intellectuelle que cette aptitude reflète : répétons ce
que nous avons découvert : socialisé le symbole devient concept.
Lévy Bruhl disait aussi dans Les Fonctions Mentales, à propos
-
des primitifs :
1
Dans ces sociétés, autant et plus peut-être que
dans la nôtre toute vie mentale de l'individu est
1
profondément socialisée
(1)
Et éclaircissant ses conclusions ethnologiques dans Les Carnets
.
il met l'accent sur la relativité de la notion du concept et
donc de l'abstraction:
Lorsque, dans Les Fonctions Mentales, La Mentalité
Primitive, et même l'Ame Primitive,
j'employais assez
souvent l'expression: cette mentalité n'est pas
conceptuelle comme la nôtre
( ... )
.. j'étais
( ... )
loin de dire qu'ils n'ont pas de concepts mais
j'insistais sur le fait qu'ils ne tirent pas de
l'usage de leurs concepts ce que nous tirons de
celui des nôtres
(2)
Paulhan a donc poursuivi avec l'énergie qui était la sienne
une tâche humaniste
: révéler la capacité intellectuelle
primiti ve atenir un discours raisonné, d'une part, et d'autre
part à dégager des concepts. Mais plus que ces révélations,
c'est le relativisme
intellectuel et culturel auquel elles
renvoient qui importe suprêmement. LEvy-Bruhl lui-même a éprouvé
le besoin d'éclaircir sa notion de la mentalité prélogique,
(1)LEVY-BRUHL (L.)
.
-
Les Fonctions Mentales dans les sociétés
inférieures. - AICan,
1922. -
p.112.
(2)LEVY-BRUHL (L.-).- Les Carnets. -
p.
167

108.
afin de rendre évident ce fait de relativisme.
Prélogique ne doit pas non plus faire entendre
que cette mentalité constitue une sorte de stade
antérieure, dans le temps,
à l'apparition de la
pensée logique
( ). Elle n'est pas
"anti-Iogique"
elle n'est pas non plus "alogique"
. En l'appelant
prélogique,
je veux seulement dire qu'elle ne
s'astreint pas avant tout, comme notre pensée,
à
s'abstenir de la contradiction. Elle obéit d'abord
à la loi de participation
(1)
En raison de ce relativisme, il est établi que les oeuvres
dites primitives relèvent autant que celles de l'Occidental
de l'universalisme linguistique. Mais justement
ce relativisme/
cet universalisme provoquent des interrogations
dans l'esprit
de Paulhan, qui l'amènent à pousser très loin les réflexions
sur l'universalisme intellectuel en général.
Il se demande donc
y a-t-il une science susceptible d'épuiser l'étude des langues?
ou aussi : la linguistique est-elle suffisante ? Que propose-
t-elle à la littérature et à la poésie ?
C)
L'universalisme linguistique
De ce point de vue les trouvailles sur les hain-
teny sont progressivement assimilées dans des travaux plus vas-
tes où l'auteur mène un double combat:
i l critique le sectarisme
intellectuel et revendique la liberté de la pensée. Trois ouvra-
ges expriment suprêmement ces idées : Les Fleurs de Tarbes,hDon
des Langues et Clé de la Poésie. Pour Paulhan,
i l y a eu les
maîtres de la philologie, i l y a eu F.de Saussure puis d'autres
(1)
LEVY-BRUHL (L.)
• - Les Fonctions mentales,_p.
79

109.
linguistes et d'autres tendances; malgré tout,
les différents
domaines de la science des langages restent insuffisants, en
eux-mêmes et de l'un à l'autre.
Il est donc nécessaire d'élargir
les vues de la linguistique de sorte à pouvoir répondre aux
questions suivantes : sans écriture, ne peut-on faire de la
littérature? Puis, quel rapport existe-t-il dans l'écriture
et
dans l'expression orale-, entre le mot et le sens,
le mot et la
langue, le signe et le sens,
la langue et la pensée? En somme
cet écrivain est en quête d'une loi linguistique valable autant
pour la littérature orale que pour l'écrite. Mais les efforts
fournis pour dégager cette loi se heurtent à de nombreuses
difficultés; au plus , en aperçoit-on le projet. Quelle doit
être cette loi ou quel est ce
projet?
Pour le dire, remarquons d'abord qu'une même idée parcourt
les trois ouvrages que nous avons cités plus haut. Cette idée,
Paulhan l'a résumée pour Jean Arlin
qui a provoqué le critique.
Je tente la découverte de quelques lois générales qui
permettent à l'homme de se trouver à l'aise dans ~'importe
quelle langue, à l'écrivain dans n'importe quel langage
(1)
Notre auteur part du fait que pendant longtemps, certains domaine
de l'esprit humain -
telles les créations
primitives
-
furent
tenus à l'écart de la littérature.
Il convient de les y ramener
et, au delà des travaux des anciens rhétoriqueurs, engager une
nouvelle réflexion
dont l'objectif sera:
Tenter de découvrir s ' i l n'existe pas, des mots
au sens et du langage brut à la pensée, des
rapports réguliers et à proprement parler des
lois dont la littérature évidemment tirerait
grand profit (a.c.
II._p.
143)
(1)
ARLIN
(Jean).- "Jean Paulhan ou de Madagascar au Grand
prix de l'Académie". -
in : Volontés,
Il
juillet 1971.-p.1.

110.
c'est que mots et sens ne se distinguent que par ab~raction,
pour des besoins méthodologiques. Dans le fond,
qu'il s'agisse
de la langue écrite ou de la langue parlée,
ils ne font qu'un.
Et l'on a beau s'interroger, ce n'est ni l'écriture ni l'oralité
qui créent cette unité. Elle est. Voilà comment cette idée est
résumée dans le Don des langues.
A tout mot sa chose, à toute chose son mot
( .•. )
et bien entendu à toute idée son mot et à tout
mot son idée, à toute chose son idée,
à toute
idée sa chose
(O.C.llI-p.
388)
Le langage est donc un véritable Kaléidoscope où, dit encore
Paulhan,
"les mots tolèrent d'être substitués aux idées,
les
idées aux mots"
(O.C.
II~-p. 254). Mieux : chez le civilisé
comme chez le primitif il n'existe qu'un seul langage, le lan-
gage humain. Tout comme le dit F. de Saussure,
la structure
de base est latente en chaque esprit. La compétence aussi.
Seule la performance nous divise: Ecoutons Paulhan l'affirmer
Nous
(1)
disposons tous
(1)
également d'un langage
d'avant réflexion où chaque mot eût trois sens deux
à deux opposés, et d'un langage d'après réflexion
où il n'en eût plus qu'un
(O.C.
II,_p.
421)
A ce point, on croirait avoir définitivement trouvé la clé
du problème. Pourtant, celle-là nous échappe encore, devant
la complicité
incessante entre mot, chose et pensée.
Tout se passe comme si le mot était un objet
à trois faces dont l'une serait faite de mots,
la seconde de choses, la troisième de pensées
et telles qu'aucune des trois ne suffise à elle-
même, mais appelle en quelque façon les autres,
quitte à s'effacer derrière elles."
(O.C.
II~-p.379)
(1)
C'est nous qui soulignons

Ill.
Autrement dit, c'est son caractère suprêmement prolixe et
richement modifiable qu'il faut reconnaître au langage. Et
en suivant toujours Paulhan,
l'on doit parler d'un constat
d'échec des écoles de la linguistique que sont la philologie,
l'école saussurienne du concept, le distributionalisme etc . . .
Du langage, chacune d'elles ne nous révèle qu'un aspect et
non la totalité.
Constat d'échec des écoles, mais aussi constat, avec
l'auteur lui-même, de la difficulté de la tâche: cette pénibi-
lité lui échappe
en ces termes:
"Ah!
le langage n'est pas
une chose simple ni facile"
(O.C.
11~-p.412)
Alors, le critique s'en tient
à l'idée selon laquelle la condi-
tion de la poésie, c'est la faculté même du langage - qui est
un don naturel-
et sa pratique individuelle; c ' e s t : parler.
Aussi, l'auteur de
Clé de la Poésie écrit-il:
En somme, i l faut - mais i l semble suffire pour
qu'il y ait lieu à poésie, qu'il y ait communica-
tion, entretien, commerce
(O.C. II·-p. 244-245)
Autrement, i l suffit qu'il y ait communication; et une fois
déclenchée l'originalité/la communication se moque de nos expli-
cations rationnelles et plus encore, des contraintes classiques-
C'est dire, une fois de plus: ainsi qu'elle s'est progressive-
ment présentée le long de l'exposé,
la vraie poésie est celle
de la naiveté dont l'oralité est modèle absolu. Voilà pourquoi
aussi Paulhan ajoute :
Quand les doctrinaires ont épuisé leurs raisons,
la poésie naive se lève et s'envole. On est tout
surpris de la voir si fraiche - et si différente
des raisons
(O.C.
1~-p.248)

112 .
Est-ce à dire que les règles sont inutiles ? Paulhan est
loin de l'affirmer catégoriquement. Nous verrons plus loin,
qu'il suggère seulement une mise au point, entre les normes
et la liberté subjective.
t
Mais pour conclure ici
. nous dirons que
l'auteur part du style mérina pour présenter des thèses huma-
1
ni stes qui prônent la prise au sérieux du savoir primitif par
les Européens.
A la fin de ce chapitre on doit d'abord remarquer la
similitude entre ses conclusions partielles. Une même réalité
nous parvient toujours, au-delà des légères divergeances métho-
dologiques. On serait tenté de dire qu'au lieu que Tzara privi-
légie la spontanéité linguistique et le jeu qui recrée la vie
primordiale, Paulhan se concentre sur la preuve de l'intelligence.
Mais en dernier ressort,
tous deux sont obsédés de démontrer
l'existence d'une intelligence, d'une logique derrière l'irra-
tionnel apparent. A chaque instant,
ils semblent répéter ceci :
la poésie orale traditionnelle est une littérature. Notre chapi-
tre suivant montrera l'incidence de cette vérité sur la création
des deux auteurs.
Il semble que la littérature-écriture gagne-
rait à recourir à la richesse du folklore.

113 .
CHAPITRE III
:
CONDITION DE LA POESIE NOUVELLE
LE RECOURS A L'ANTIQUITE
Deux idées obsèdent: l'insuffisance de l'écriture
à exprimer la totalité de la volonté humaine puis le recours
nécessaire à l'oralité.
l
-
INSUFFISANCE DE L'ECRITURE
: LE RETOUR AUX SOURCES
===================================================
Progressivement, de l'idée du relativisme culturel
Paulhan glisse vers celle d'une forme de supériorité spiri-
,
~
tuelle du primitif
(1). Mais de ce point de vue, ce n'est
plus l'opposition primitif-civilisé qui prévaut, mais c'est
la dichotomie vraie poésie et langdge ordinaire qui se trouve
au centre du débat.
Illustrons nos affirmations par cette
citation où pour élément comparatif au nègre, Paulhan prend
le paysan de son pays natal, le "paysan" français
:
Pour le Mérina, comme pour le paysan, i l y a
deux sortes de langage : le langage simple, ordi-
naire, spontané, qui est celui de la conversa-
tion, des contes, et d'autre part, le langage
supérieur, noble, recherché,
le langage qui est une
étude et une science
( ... ) c'est la langue des
chansons, des hain-teny et des proverbes.
(H.T •. E.D.G.
1913 p.47)
En lisant cette observation on ne peut s'empêcher de penser
à la hiérarchie entre les degrés de l'expressivité établie
par Jean Cohen dans Le Haut Langage. Sauf que, plus que Cohen
(1) On trouve le même glissement dans "Orphée noir", préface de
Jean Paul Sartre à Anthologie de la nouvelle poeSle nègre
et malgache de langue française, par Léopold Sedar Senghor.
Sartre soutient que la poésie paysanne n'est pas seulement
;.- .. ', 1 : . '. - 1 t.
complémentaire à celle de l'ingénieur. Plus que la seconde,
la première a conservé les vertus de la quintescence.

114.
1
ne le fait Paulhan s'attarde sur le point suivant:
il n'est
pas suffisant de comprendre que la vraie poésie est indiffé-
rente aux singularités ethniques, raciales et culturelles;
i l est fondamental,
lorsqu'on veut la retrouver, de reculer
même
dans le temps, de pourfendre l'obscurité des siècles
et en arriver au lieu où le hain-teny s'intègre, de la même
f
façon que d'autres faits sociaux des quatre coins du monde,
f
dans l'universel. Une fois à cet endroit, l'on ne doutera
t
plus que la poésie primitive que "l'historien" des lettres
nomme poésies obscures, frasies ou poèmes des troubadours"
1
(H.T.G. 1913, p.69) est la matière de la littérature, de la
1
civilisation, et que ses propriétés " nous renseignent mieux
1
que les poèmes clairs, sur la nature de la poésie."
(p.69)
Avec l'exemple du nain-teny,
le poème primitif apparaît donc
comme la forme de poésie le plus revendiquée par l'âme. Là,
on revient au credo des défenseurs
du préromantisme selon
qui, plus qu'aux peuples gagnés par la civilisation,
la vraie
poésie appartient aux hommes dits "barbares". Paulhan a été
visiblement influencé dans ce sens.
Il l'a été littérairement et spirituellement. Parmi
ses écrits se trouvent "Les Instants bien employés "(1) qui
atteste de la volonté d'imiter l'art du récit,
sur le ton de
l'oralité. Mais le Paulhan de "Les instants bien employés"
est celui du monde entier, le voyageur et conteur universel
( 2)
dont André Dhotel parle.
Il y a un autre Paulhan,
typiquement
(1)
PAULHAN
(J.).- O.C.I,_p.312
(2) DHOTEL (André). -
"Jean Paulhan, voyageur et conteur ou le
monde inconnu" in O.C.II - de Jean Paulhan.
- p.313-324.

115.
malgache. Celui-ci nous apprend qu'il a l'âme mérina
"le
proverbe m'a influencé
loin
que j'ai voulu par lui
influencer mon interlocuteur" (1) . L'auteur révèle donc sa
propre conversion spirituelle à la mentalité primitive: à
nous d'en retrouver les significations. Mais avant, écoutons
l'individu ajouter que la langue malgache a affermi sa veine
poétique : parlant des indigènes de la grande île,
i l déclare
qu'il leur doit
"l'expérience du poète que je suis devenu,
grâce à cette foule"
(2). D'ailleurs, l'avant-garde reconnait
l'influence des hain-teny sur lui. Aragon écrit à ce propos:
"qui voudrait étudier l'époque antérieure de la formation de
Jean-Paulhan devra con sidérer ses travaux sur les proverbes
Malgaches" (3). Paulhan a-t-il donc franchi le seuil de la
conception du monde telle qu'elle existe dans l'esprit du
nègre ? En attendant de le savoir voyons comment la recherche
marqua l'esprit de Tzara.
Comme Paulhan, Tzara dénonce l'insuffisance de l'écri-
ture à exprimer la personnalité humaine.
Il faut,
observe-t-il,
accepter de rapprocher celle-là des techniques de l'oralité
afin qu'elles y interviennent pour combler le manque.
Pour mieux comprendre Tzara, i l faut remonter à la
paternité de l'idée de la poésie primitive comme élément compen-
\\\\
sateur dans la poésie moderne. Dans son étude Gestes et Ponctua-
(1)
PAULHAN
(J.).- Û.C.II, p.117
(2) Ibidem.
-
p.96.
(3)
PAULHAN
(J.
-
Jean Paulhan par ses peintres.- Paris,
Editions des musées nationaux, 1974._p. XXII

116.
~
tions et Langase poéti~ue (O.C.V._p.223-245), Tzara, critique
littéraire,
insiste sur un fait qui peut se résumer ainsi
:
Il Y a eu Les Chants de Maldoror, Un Coup de dés, Une Saison
en Enfer, et Illuminations. Mais plus que toutes ces oeuvres,
Alcools et Calligrammes ont consacré un élément, suprême de
la révolution poétique: le génie populaire. C'est en cela
que Apollinaire incarne, dit encore Tzara, une exemplarité
irréfutable:
Dans la poesle d'aujourd'hui,
la voix d'Apollinaire
résonne fidèle,
fière et émouvante. Elle n'a pas
cessé de nous étonner et c'est encore elle qui
conduit la jeunesse à la conquête de nouveaux doma~­
nes et d'exaltantes libertés
(1)
Ce qui rattache donc Tzara à Apollinaire, c'est la volonté
de désacraliser le livre. Car pour lui, la langue est un
phénomène parlé et non un phénomène écrit. L'écriture quant
à elle, n'est qu'une technique de communication et non la
communication. De plus, les principes directeurs de la création
artistique sont le dégoût et la spontanéité, l'ignorance et
le mépris des lettres. Aussi revendique-t-il la banalisation
de la littérature telitque la conçoit la morale bourgeoise.
Il
veut l'abaisser à un niveau inférieur à celui des phénomènes
de la vie.
Et en cela, c'est encore Apollinaire qui est imité. Cette
imitation part du principe suivant/selon lequel la poésie
pure est folklorique:
Il est parfaitement admis aujourd'hui qu'on peut
être poète sans jamais avoir écrit un vers, qu'il
existe une qualité de poésie dans la rue, dans un
(l)in
Alcools. - Paris, Le Club du meilleur Livre,
1953.
(Commenté et annoté par Tristan Tzara).-p.16

117
spectacle, n'importe où
(1)
Elle se fonde aussi sur le fait qu'à l'origine de toute
parole, se trouve un besoin vital
: la volonté du locuteur
de participer au monde. Or, l'écriture est inapte à rendre
cette vie, car selon Tzara, la poésie échappe au pouvoir des
mots ou le dépasse. Aussi pour rendre notre originalité, il
nous faut obéir à la loi selon laquelle "la pensée se fait,
dans la bouche"
(2)
Ici encore, les écrivains sont unanimes. Lieu éternel
de la poésie, l'oralité traditionnelle manifeste la vie, la
vérité de l'individu. Elle doit être intégrée comme élément de
dynamisation de la littérature écrite. Pour ce faire le retour
aux sources antiques est la voie qu'ils proposent. Mais la
rétrospection ne vaut qu'en tant que initiation. Elle est un
tremplin pour la création de la nouvelle poésie. De quoi,
après ce tremplin,
les deux écrivains ont-ils enrichi la litté-
rature? C'est ce que nous allons dire dans le sous-chapitre
suivant .
II - LES LECONS DU RETOUR : LA POESIE NOUVELLE
=========================================
Quoique les deux hommes aient subi la même influence,
ils se distinguent
, du moins dans le cadre de notre réf le-
xion. Paulhan fait la critique ': il théorise. Plus qu'il ne
(1)
TZARA (T.).
- O.C.V._p.9
(2) TZARA (T.)
.- O.C.L~p. 379. On retrouve la même phrase
dans le tome 5 p.
224.

118
théorise, Tzara va jusqu'à l'adoption et la pratique de
l'expression orale traditionnelle. _Ou encore: Paulhan dit
à peu près ceci : le retour aux sources est utile. Encore
faut-il en définir les critères
pour que ce retour soit posi-
tif. Le folklore contient des clichés et les dogmes prohibent
le cliché. A moins d'être la clé de la poésie ces critères
seront un compromis. Avec Tzara, i l s'agira de l'assimilation
stylistique plus ou moins consciente.
A) CLE OU COMPROMIS ? DOGME ET LIBERTE EXPRESSIVE
Paulhan connaissait la farouche opposition de
certains théoriciens de l'esthétique contre la parole stéréo-
typée. Pourtant les hain-teny qui en sont une l'ont conduit à la
remise en cause de cette critique traditionnelle (1), en par-
ticulier à travers les réflexions sur la "terreur" dans les
lettres. Comment expliquer ce paradoxe? Et tout d'abord,
qu'est-ce la terreur?
a. La terreur
C'est Les Fleurs de Tarbes
ou la terreur dans
les lettres qui contient les thèses de la dénonciation du dogme.
Paulhan appelle "terreur" la répression exercée par les dogmes
contre la manifestation du génie individuel et l'utilisation
des lieux communs. Nous gardant de répéter l'exposé -
long et
clair - de l'auteur sur la défense des clichés, indiquons-en
l'idée principale. En bref, elle est comparable à une décision
(l)De ce point de vue S. DOUBROVSKI se rapproche de Paulhan
quand i l montre les critères de l'entente possible entre
l'ancienne et la nouvelle critique dans: Pourquoi la
Nouvelle critique - Critique et vérité. -
Paris, Gallimard,
Mercure de France, 1965.
_ 262 p.

119.
injuste-dans une nation qui serait l'univers de la littéra-
ture-, contre les citoyens que seraient les littérateurs.
Ecoutons Paulhan :
L'on appelle "terreur" ces passages dans l'histoire
des nations
( ) où il semble soudain qu'il faille
à la conduite de l'Etat,
non l'astuce et la méthode,
ni même la science et la technique - de tout cela
l'on n'a plus que faire - mais bien plutôt une extrê-
me pureté de l'âme et la fraicheur de l'innocence
commune. D'Où vient que les citoyens se voient pris
eux-mêmes en considération, plutôt que leurs oeuvres
la chaise oubliée pour le menuisier, le remède pour
le médecin. Cependant l'habileté,
l'intelligence ou
le savoir faire deviennent suspects comme s'ils dissi-
mulaient quelques défauts des convictions
(O.0I}-p.32-33)
Mais Paulhan fait preuve de dialectique : la terreur est une
nécessité. Mais, n'étant pas une science, elle n'est pas absolu-
ment juste. D'une part. Et d'autre: n'étant pas pitoyable non
plus, elle comporte des excès négatifs, et pour autant,
implique
des conséquences malheureuses pour la littérature : elle la
détruit. Car sous sa contrainte, de nombreux génies vont à l'
exil. Pour la fuir,
dit Paulhan, "Rimbaud
( ) émigra à vingt ans"
(P.22). La terreur pousse aussi, comme il en fut de Dada et du
Surréalisme, à une activité apparemment "irresponsable" à la
"révolte", au "bouleversement" total
(cf. p.
20-24). pourtant,
ce n'est pas l'intention de la terreur qui est préjudiciable:
"on ne voulait rompre qu'avec un langage ~rop convenu"
(1)
(p.22)
/
mais son résultat:
" ... et voilà que l'on est prêt à rompre avec
tout le langage humain".
(p.22) C'est cette rupture qui est dou-
loureuse pour la littérature. Elle est à éviter. L'éviter rend
nécessaire un compromis entre la terreur et l'utilisation du
lieu commun
tel le hain-teny.
(1)
souligné par nous

120.
Que perd t-on en rompant avec les lieux
communs? Pour le dire,
évoquons la foi littéraire de l'auteur
la poésie n'est jamais aussi vitale que lorsque,
à l'exemple
de celle de l'Antiquité, elle se nourrit à la source du génie
populaire. Paulhan explique :
1
Les anciens poètes recevaient de toutes parts pro-
verbes,clichés et les sentiments communs.
Ils accueil-
laient l'abondance et la rendaient autour d'eux. Mais
nous qui avons peu, nous risquons à tout instant de
perdre ce peu.
Il s'agit bien de fleurs!
Horace disait
des lieux communs qu'ils sont le pain et le sel des
Lettres
(p.27)
Bannir donc les clichés, c'est se refuser le ferment de la
littérature, couper avec le passé et se départir de la vraie
poésie: c'est rompre avec les racines de la v i t a l i t é . Ainsi
l'auteur prône le retour à l'inspiration ancestrale, pour une
1
prise de contact avec
l'essence poétique.
Pourtant, ainsi que nous l'avons dit, Paulhan n'ignore
pas que des critiques de renom ont considéré comme une vérita-
ble aberration l'introduction de la parole stéréotypée dans
la création littéraire.
Parmi ces critiques,
i l nomme
(1)
Rémy de Gourmont
(2), Antoine Albalat
(3). Ces auteurs appré-
cient l'utilisation du stéréotype comme la preuve de la "déché""
ance", de la "dolence" et d'une abominable "paresse" intellec-
tuelles.
(1)
cf. Les Fleurs de Tarbes, p.
27 et sqq.
(2)
Paulhan renvoie à l'Art d'écrire de cet auteur,
p.76,89.
(3)
Paulhan cite son ouvrage : Esthétique de la langue française
p.
308 et sqq.

1.21.
Or, ainsi que Paulhan l'a découvert, tel que nous
l'avons déjà vu et tel que nous le verrons encorel
loin de révéler une telle passivité le hain-teny-qui est
entouré de règles de composition- , exprime la puissance
d'un génie à le convertir stylistiquement dans son propre
sens. D'une autre part,
instruit sur le fonctionnement du
hain-teny et n'étant pas un défenseur aveugle du cliché,
c'est une méthode préventive de création que Paulhan propose
à la littérature générale. Ce que nous constatons, c'est
l'identité de cette méthode avec le modèle nègre
il faut,
stipule Paulhan, appliquer aux lieux communs une originalité
créatrice qui à la fois respecte un minimum de normes :
Il suffit de faire "communs" les lieux communs et
avec eux, ces lieux plus vastes : règles, lois,
figures, unités qui suivent une même fortune et
relèvent des mêmes lois. Il faudra tout au plus,
quelques listes et quelques commentaires, et pour
commencer, un peu de bonne volonté, une simple
décision
(p.80)
Le principe consiste donc à établir une sérieuse harmonie
entre la parole -le corps, - et le dogme -
l'esprit. Ou
encore
il s'agit de trouver un équilibre entre deux parts du
penser
le penser non dirigé et le penser - dirigé. De cet
équilibre naîtra la poésie vitale.
Donc, Paulhan recommande une lucide conciliation de
la richesse de la poésie antique et de la rigueur des dogmes
du classicisme. Tel~lui semble la condition du renouveau poé-
tique en particulier et littéraire en général. Venons-en main-
tenant à Tzara qui, de ce point de vue, accomplit une évolution
stylistique, de la période dada à l'après dada.

122.
B) DE DADA AU RYTHME POPULAIRE
Tzara ne cache jamais ses objectifs; pas plus
qu'il ne cache les méthodes adoptées pour les réaliser. L'un
de ses aveux à Doucet permet de voir les débuts de l'introduc-
tion, dans les lettres écrites, des matériaux d'ordre non
littéraires :
En 1916 je tâchais de détruire les genres littéraires.
J'introduisais dans les poèmes des éléments jugés
indignes d'en faire partie, comme des phrases de
journal, des bruits et des sons (O.C.l._p. 643)
Conformément à cette déclaration et ainsi que les textes le
montrent, le son nègre n'est, dans la création des poèmes
propres à Tzara, qu'une unité combinée à de multiples autres
facteurs réunis pour une même fonction
la démolition du langa-
ge normatif. A ce propos, Tzara encore disait à André Breton
Je tente depuis des années d'éliminer tout charme
dans ce que je fais,
et comme critère,
je hais les
lignes bizarres et les éléments de l'élégance
extérieure
(1)
Toutes ces indications montrent qu'à long terme,
l'assimilation
du modèle linguistique nègre
par Tzara doit être traitée dans
une perspective débordante que l'on doit désigner sous le thème
général suivant: l'abstraction et le rythme tzariens. Mais ici,
la place du rythme intrigue quelque peu. Tantôt le langage
poétique est concentré sur le fait de l'abstraction et l'élément
rythmique -
le son nègre par exemple -
n'y apparaît que pour
mieux faire ressortir la fonction destructrice. Tantôt, i l
existe pour lui seul. Ce sont ces deux aspects que nous examine-
(1) SANOUlLLET
(Michel). - Dada à Paris - Paris, Jacques
Pauvert, 1965. - p. 442
(Lettre de Tzara à Breton.
1 ou 5
Mars 1919).

123.
rons successivement . Mais avant,
introduisons une remarque.
Pour nous, démontrer en détail cette assimilation dans
la création personnelle de Tzara et le faire tel que cela se
doit/ce serait répéter vainement les résultats de l'auteur de
Tristan Tzara : The Genesis of the Dada Poem of from Dada to
Aa. Or, par rapport à l'objet du présent passage, cet ouvrage
nous semble complet, si ce n'est que sa lecture nous inspire
une remarque d'ordre termi~ologique :G.F.Browning utilise
abondamment des expressions que l'on peut traduire comme suit
art anti-arti art anti-négationi anti-art de anti-art. Certes,
ces différentes appellations découlent du souci intellectuel
de l'auteur à mettre en évidence toutes les finesses de l'évo-
lution de Tzara. Mais pour notre part, l'une ou l'autre des
attitudes de Tzara correspond à une même activité, que recou-
vre valablement l'expression art de négation. Ceci dit, qu'en
est-il quand Tzara passe des modèles nègres à la création per-
sonnelle ?
Nous en parlerons en quatre points. Il s'agira d'abord
de l'abstraction dans La Première Aventure Céleste de Monsieur
Antipyrine. Nous en traiterons singulièrement parce que cette
pièce est particulière en ce sens qu'elle constitue le lieu
de la cinquième expérience, celle d'une création à la fois
1
personnelle et faisant la somme de toutes les expériences isolées 1
i
dont nous avons évoqué les théories. Puis progressivement i l
1
apparaîtra que Tzara a abouti à un rythme poétique bien signifi-
f
catif.
1
l'
~
~
'-
....
~ ..•.

124.
Henri Béhar dit de La Première Aventure
Céleste qu'elle "témoigne
( ... ) de la confusion des genres
prônée par Dada"
(O.C.I._p.
639). G.F. Browning d'autre part
répète souvent la même idée dans le deuxième chapitre de son
étude
(1). Cette confusion de genres constitue une arme de
décomposition du langage. La destruction naît du caractère
abstrait des personnages et du discours tenu.
Et tout d'abord,
le caractère abstrait du théâtre
de Tzara est devenu une connaissance d'ordre général. Pour
le voir,
l'on se reportera au moins à l'étude de Michel
Corvin "Le théâtre dada existe-t-il ?"
(2)
et à celle de Henri
Béhar dans Le Théâtre dada et surréaliste. Ensuite : abstraits
les personnages le sont parce que la fable avec laquelle ils
entretiennent les spectateurs ou le lecteur est elle-même
abstrai te: elle est même suppriméé ..' Les personnages de La
Première Aventure en particulier n'ont aucune existence per-
sonnelle. Pour cela, M. Corvin dit d'eux:
"Ils ne sont que
des voix parfaitement anonymes"
(3). Les réflexions de Henri
Béhar vont dans le même sens.
Les noms des personnages distribués au hasard d'un
discours non individualisé -
sauf pour le manifeste
prononcé par son auteur-,
évoquent un cirque Dada"
(O.C.l-p.
639)
(1)
G.F. Browning. - Tristan Tzara
The Genesis . . . p.21-28
surtout
(2)
In,' Revue d' histoire du Théâtre,
juillet-septembre, 1971,
-p.219-287
(3)
Ibidem. p.
254

125.
Nous parlons du modèle assimilé généralement. Mais comment
s'empêcher de rappeler notre propos sur "Le Rongué à Chivivoya"
(supra p. 75) où toute l'action se passe exactement comme il
1
vient d'être d i t ?
1
L'anonymat n'est pas gratuit. Nous en verrons plus
1
loin la signification. Pour l'instant
remarquons
que outre
1
~•
la nature des personnages le discours est un lieu privilégié
i
1
de la déconstruction.
l
[;
~
f
~
Ici le principe est très évident.
Il y a décomposition
IL
parce que la pièce est un montage, un collage des quatre prem1è-
'
res expériences. En elles-mêmes, elles sont révolutionnaires.
Cumulées, elles créent l'absurdité. Pour montrer cette accumu-
lation citons d'abord l'exemple du personnage LA PARABOLE
t
qui mêle le poème-concert de voyelles et le poème bruitiste
La femme construite en ballons· de plus en plus petits
1
commença à créer. comme une catastrophe
o u i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i
l'idéaliste à tant regardé le soleil que son visage
s'aplatissa
taratatatatatatata
(p.83)
Citons en outre le cas du simultanéisme du poème statique
proféré ici par un choeur de quatre voix
:
Mr Crccri
crocrocrocrocrocrocrodril
La femme enceinte crocrocrocrocrocrocrocrodrel
Pipi
crocrocrocrocrocrocrocrocrocrodrol
Mr Antipyrine
crocrocrocrocrocrocrocrocrocrocrodral
p.79
Enfin, avec Mr Antipyrine, entendons la monotonie et le rythme
du poème mouvementiste, où "des réverbères" est répété 9 fois.

126.
La souris court en diagonale sur le ciel
La moutarde coule d'un cerveau presque écrasé
nous sommes devenus des réverbères
des réverbères
des réverbères
des réverbères
des réverbères
des réverbères
des réverbères
des réverbères
des réverbères
(P.84)
Le collage de tous ces procédés dans une pièce clame la
volonté pour l'art de négation et l'aspiration à la spontanéi-
té linguistique. Et pour atteindre cette vie, un préalable
était nécessaire : "tout rejeter en bloc, y compris la logique
du discours, afin de vivre la spontanéité tant prônée" (1)
dit nenri Béhar, ou encore, comme le montre cette citation
empruntée à Tzara par René Lacôte et qui confirme l'engage-
ment de l'auteur à arracher la littérature à l'écriture:
Il s'agissait de fournir la preuve que la poésie était
une forme vivante sous tous les aspects, même anti-
poétiques, l'écriture n'en étant qu'un véhicule occa-
sionnel. Nullement indispensable, et l'expression de
cette spontanéité que faute d'un qualificatif appro-
prié,
nous appelions dadaiste
(2)
c'est en vue de cet arrachement et pour atteindre cette
spontanéité que l'on a instauré l'incohérence totale:
interne
à chaque discours,
elle existe d'un discours à l'autre. Et
cette spontanéité, Tzara ne l'a pas recherchée seulement :il
en a fait le critère de la création du poème dada. Ecoutons-en
la méthode d'écriture.
(1)
BEHAR
(Henrit.- Le Théâtre dada et surréaliste.p.184
u.G~rE O·)·
(2)-op. cit., p.
19. Interview radiophonique de Ribemont-
Dessaignes
avec Tzara, mai 1950.

127.
Pour faire un poème dadaïste.
Prenez un journal.
Prenez des ciseaux.
Choisissez dans ce journal un article ayant la longueur
que vous comptez donner à votre poème
Découpez l'article.
Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet
article et mettez-les dans un sac
Agitez doucement.
Sortez ensuite chaque coupure l'une après l'autre.
COpiez consciencieusement
1
dans l'ordre où elles ont quitté le sac.
Le poème vous ressemblera;
1
Et vous voilà un écrivain infiniment original et d'une
sensibilité charmante, encore qu'incomprise du vulgaire.
1
f
(O.C.I.-p.382.)
Voilà donc une conceptualisation de la révolte. Contre toutes
les normes,
tous les académismes de la littérature, le poète
nouveau lève, selon l'image créée par Henri Béhar, le poing
de la protestation
(1), et clame la nécessité de la sponta-
néité expressive,
l'expression de l'enfant.
On peut donc conclure ainsi
créant selon le modèle
linguistique irrationnel, Tzara brise les chaines de l'écritu-
re afin que soit possible la spontanéité linguistique. Pourtant,
La Première Aventure que nous avons isolée ainsi n'est pas
absolument représentative
de la création de Tzara. Entre cette
pièce et les oeuvres postérieures à elle, apparaît une nuance
que nous
avons mentionne e sous forme de remarque, et qui
souligne une autre fonction de la culture nègre dans la créa-
tion de Tzara.
(1) BEHAR (Henri).- "Proteste au poing levé. Les manifestes
dada de Tristan Tzara" In : Annales de l'université d'Abid-
jan. Série D.T. VI, Lettres et Sciences humaines,
1973,_p.
347-361
'" .

128.
b). Un tournant : La Galerie Dada
-----------------------------
Selon la critique générale et l'ouvrage de
G.F. Browning en particulier, La Première Aventure est une
oeuvre d'apprentissage. Entre sa subversion et l'état d'esprit
des autres oeuvres,
se situe une plaque tournante marquée par
la Galerie Dada ouverte le 27 mars 1917 et où l'auteur appro-
fondit ses connaissances sur le monde nègre et ses opinions
sur les critères révolutionnaires de la création littéraire.
Ce fut aussi le temps de la vulgarisation de la culture nègre.
~
~
Et, ainsi que le prouvent les notes dans Lampisteries
(1)
sur la poésie et l'art nègres puis sur la poésie en général,
les progrès furent déterminants quant à l'initiation du poète
au savoir
primitif. On pourrait surtout avancer, avec
G.F. Browning qu'à l'abstraction s'est ajoutée de la sagesse
à mesure que Tzara découvrait les pertinences non plus seule-
ment des poèmes nègres mais aussi de l'art nègre. Le lecteur se
reportera aux détails de l'analyse textuelle de cette évolution
dans l'ouvrage de l'auteur que nous venons de nommer, aux
chapitres 4,5 et 6. Ecoutons l'idée-clef de cette évolution
qui répartit l'oeuvre de Tzara à l'image des poèmes de Vingt
cing poèmes, en deux parties
:
Formally,
the pré-Galerie Dada poems display
syntactically developed imagery, visionary
dimensions, and overt aggression.
In contrast,
the post-Galerie Dada poems tighten to a
juxta-
posed, disparate imagery little visionary,conti-
nuity, and hesitant challenge
(2)
(l)
o. C • I.- P • 3 9 1- 4 24 •
(2)
BROWNING (G.F.)
op. cit . • p.
145.

129.
1
QU'est-ce à dire? Que la Galerie Dada vint parfaire le
pouvoir créatif déjà en gestation. Ce pouvoir, Browning
l'appelle "la création imagée de Tzara"
(1). Mais la notion
de l'image est capitale i c i : elle implique aussi bien que
la rhétorique,
la sculpture. C'est-à-dire: à partir de ce
moment,
le poème de Tzara est un poème-tableau, un poème à
la manière de la spontanéité cubiste. Sa poésie de négation
est devenue poésie des contrastes. Et en cela,
elle renforce
son intensité en abstraction.
Par rapport à la période des expériences,
Tzara a donc gagné en maturité spirituelle. Quelles oeuvres
manifestent ce développement? G.F. Browning le limite seule-
ment à celles du premier tome de l'édition que nous utilisons.
Nous pensons que cette limitation ne saurait être rigoureuse :
une fois ses voies trouvées,
Tzara s'y promène aisément, d'un
bout à l'autre de son oeuvre et cela d'une façon si fine qu'on
ne peut se permettre beaucoup d'affirmations hâtées. N'empêche!
pour la clarté de l'exposé tel qu'il nous semblait devoir être
mené,
nous nous arrêterons à un exemple -
qui en plus du fait
des contrastes nous permet de montrer comment du poème nègre
Tzara passe à une création personnelle. Ce sera l'exemple
du poème "Ange".
(1)
En anglais
"Tzara's imagery creation" p.
104

130.
Lisons-en l'original,
la version nègre,
"Hiver-tro-
pique" p. 453
La couleur se recompose coule entre les espaces
comme un pendu liquide se balance
l'arc en ciel
les vers de lumière circulent dans ta diarrhée
là où poussent les clarinettes
femme enceinte toucanongonda
comme la boule verte
femme enceinte culibulala produit de satellite
la sonnerie glisse sous la barque
boule verte brûlante
en bas la ville bandages de fla~es caressant la plaie
centrifugale
serre serre fortement - haut les ventres et infuser l '
acide des plantes
le feldspaath lui dans ta vitesse intérieure ange mec
mec mécanique
o mécanicien des nécrologies
elle jette à la tête de son mari un bol de vitriol
allons vers les autres meeeetéééérroooloooogies
par exemple au _Cambodge
tandis que le soleil glisse tangente de l'atmosphère
à poupaganda je glisse auréole ganda ganda gandanpalalo
patinage conduisant à la ménagerie des mamouths insou-
cieux
EN not~ à ce poème, Henri Béhar
écrit qu'il e s t :
version primitive d'"Ange"
(De nos oiseaux p.198)
nous quittons la traduction-adaptation pour aborder
une assimilation. A partir d'un poème africain de la
tribu Malunbou, Tzara élabore une oeuvre personnelle.
C'est un cas limite, qui renvoie à toutes les oeuvres
de la période zurichoise où apparaissent des sonorités
africaines, privées de signifié
(p. 717)
A présent, écoutons la création personnelle,
"Ange"
ANGE
la couleur se recompose
coule entre les espaces
les pendus liquides
balance arc-en-ciel
les vers de lumière dans la vaFeur
là où nos durées sont visibles
où poussent les clari.,etres
iemme enceinre de satellites
la sonnerie glisse sous la barque
boule verre brûlante
en bas la ville bandages de flammes
caresse la plaie centrifuge
serre serre fortement
acides des ventres et plante

131.
le feldspath luit dans la vites3e
ange mécanicien
en vacance
moulin à vent
mécanicien
des
nécrologues
tête de nègre
mise en scène des ménageries
et des amitiés
puis elle jette à la tête de son mari
un bol de vitriol
allons vers les autres
mééééétéééééboooorooooolooooo-
météorologies
gües
le soleil glisse tangente de l'atmo-
glisse auréole
sphère'
patinage dimensions
La différence entre ces deux états d'un même poème
réside dans la dissemblance graphique d'une part, et d'autre par
en ceci que dans le second poème, aux sonorités nègres ont
été ajoutées d'autres facteurs de la poésie abstraite. De
celui-ci, ces changements ont fait un poème tout autre, dont
nous allons considérer les caractéristiques.
Et tout d'abord la disposition graphique: elle seule
1
est informative. Il s'agit d'un poème-tableau, fruit du collage
à la manière des cubistes. Et comme cela se voit le procédé
laisse des possibilités nombreuses de déchiffrement. Indiffé-
remment,
je peux lire : la couleur se recompose coule entre les
espaces; ou, aussi;
la couleur se ~ecompose les pendus liqui-
des . . . ou encore: coule entre les espaces bala~ce arc en ciel.
c'est la poésie propre pour la lecture en divers sens, dont
Apollinaire
et Mallarmé
donnèrent l'exemple de création.
Evidente,
la volonté du poète consiste à créer un texte où
prime une apparente incohérence, destinée à "manifester l'es-

132
prit Dada de contestation "(1). On perçoit une liberté
totale, une spontanéité absolue dans la structure du langage.
j
Selon l'une des conclusions de Henri Béhar dans Le Théâtre
dada et surréaliste, ce langage visait à mettre le réel en
1
question, à "lever les tabous de toute sorte et donner le
primat à la création esthétique"
(2).
Nous avions d i t :
tout d'abord la disposition graphi-
que. Penchons-nous ici sur les signes utilisés.
Il est possible
de construire des champs lexicaux tous témoins de l'abstraction
Nous mettrons en chef de liste le nom général d~ trait d'abs-
t
traction. Ce sont:
1° Les éléments bruitistes
A)
Le mouvement B) La lumière
IC) Les couleurs D) Les sons
1
-
balance
- vers de lumière
-couleurs
-mécanicien
1
-
glisse
-
luit
-boule vert
- météorologie
-
patinage
-
clarinette
vitesse
-
sonnerie
2°)
Les autres éléments de la poétique résident dans le
contraste. A)
: entre les profondeurs et l'astronomie
(le
haut). Pour le premier lieu nous avons "en bas'; tandis que
"espace", "plaie centrifuge",
"atmosphère",
"dimensions",
"sùtellite" mettent le second en relief.
B)
: L'autre contraste s'établit entre la vie et la mort.
Les expressions qui renvoient à la vie et à la vibration
concernent :
-
la botanique
"plante"
-
la zoologie
"ménagerie"
-
le minéral
"Feldspath"
,
"bol de vitriol"
-
le scabreux
"femme enceinte"
(l)
CORVIN
(M.)
. - op.
cit.
- p.
254.
( 2 ) BEHAR
(H.).
op. cit._p.
383

133.
La mort,
elle, est évoquée à travers :
-
L'eschatologie:
"pendus liquides",
"vapeur",
-
la flatulence
"acide des ventres"
-
la référence aux morts :
"nécrologies"
Tels sont les phénomènes qui attestent de l'assimilation
du modèle linguistique nègre par Tzara. G.F. Browning y
insiste :
à partir de la Galerie Dada, la poésie est confor-
me au principe de l'abstraction qu'avaient déjà cernée les
plasticiens cubistes, dans l'art nègre: celui des juxtapo-
sitions des contraires. Nous ne voulons pas répéter G.F.
Browning.
Il nous faut cependant nommer les lieux fréquents
des contrastes. Ils ressortent
souvent de l'opposition entre:
-
hauteur
et vibration
-
peine et jeu
haut et bas
douleur et _j eu_
- mort et vie
couleurs et obscurité
décomposition et vie
lumières et obscurité
-
cadavre et vie
etc . . .
Dire quélle est la nécessité de ces contrastes, ce serait
court-circuiter en quelque sorte notre réflexion. Pour
l'instant, nous dirons que ainsi que cela se voit dans
Les vingt Cinq Poèmes et Cinéma Calendrier du Coeur abstrait
maisons par
exemple, tous ces éléments de contrastes
apparaissent simultanément dans le poème puis d'un poème
à l'autre. Parce que le vrai thème de cette poésie, c'est
la lutte des contraires. Cette lutte des contraires est
devenue le mode expressif de Tzara.
Donc tout comme les cubistes, Tzara a recherché, à
travers la poétique nègre, des solutions aux nécessités du
renouvellement stylistique de la poésie moderne. Une autre

134.
de ces solutions fut le rythme nègre.
1
Nous avons annoncé que le rythme tel que
Tzara le crée existe tantôt pour servir l'abstraction et
tantôt pour lui-même. Nous appellerons rythme-déconstructif
le premier de ceux-ci, et rythme tout court le second. Ce1ui-
là se rapporte à l'élément, aux signes linguistiques; - qui
peuvent être des sonorités nègres ou celles d'autres langues -
Celui-ci est l'imitation du modèle rythmique nègre.
Ici, une unité linguistique joue une fonction rythmique
si, constrastant avec un discours environnant, elle le ponctue.
De la même façon que d'autres sonorités étrangères, ou inven-
tées, celle du parler nègre est intégrée pour jouer un rôle
d'agent rythmique. On trouve des exemples de cette assimi1a-
tion dans les textes de Vingt-Cinq Poèmes, tel que "Pélamide"
Montre le centre je veux le prendre
ambran bran bran et rendre centre les quatre
beng bong beng bang
où vas-tu iiiiiiiupft
( O.C.I._p.
l02)
Citons aussi un extrait de "Le Marin", de De Nos oiseaux,
beaucoup de sable bicyc1iste jaune
chateau neuf des papes
manhattan il y a des baquets d'excréments devant toi
mbaze mbaze bazebaze m1eganga garoo
tu circules rapidement en moi
p.210
Texte transmenta1, ces unités provoquent par leur caractère
absurde. Elles jouent pourtant une fonction stylistique : la
ponctuation du discours, sa cassure,
créent
du rythme. La

135.
Première Aventure en particulier est parsemée de ce style.
L'élément nègre y ponctue des discours individuels
tel celui de "Mr Bleubleu"
Pénètre le désert
creuse en hurlant le chemin dans le sable gluant
écoute la vibration
la sangsue et le staphylin
Mataoi Lounda Ngami avec l'empressement d'un
enfant qui tue.
Le discours individuel peut être intégralement trans-
mental, comme ceux de "La Femme enceinte " et de "Mr Bleu
bleu" qui se suivent dans la chaine parlée.
LA FEMME ENCEINTE
Toundi-a-voua
Soco-BgaPi Affahau
MR BLEUBLEU
Fara famgama Soco Bgaï Affahou
Dans ces cas, moins qu'il n'est ponctué, le discours indi-
viduel ponctue le texte général.
Ces jeux stylistiques créent un discours polymorphe.
Absurde sur le plan sémantique, absolument insensé,
il se
moque de la raison et ne sollicite que l'oreille, symbole des
sens. Comme le note Henri Béhar à propos du premier Manifeste
Dada contenu dans la pièce, i l y a j eu des
assonances} des
anaphores;
rythme-sens;
en raison de quoi "s'affirme une
poétique de la décomposition."
(p.639).
Pourtant, nous avons vu qu'après la Galerie Dada, Tzara
est passé comme d'une abstraction inouïe et excessivement
rugueuse à une abstraction moins rudimentaire, plus pure.

136.
D'une autre part, le présentateur de l'oeuvre dit que dans
la Deuxième Aventure,
"les sonorités africaines ont
(
laissé la place à un humour plus évident"
(p.667)
Il suffit
aussi de suivre les indications données par le même présen-
tateur dans la notice aux Vingt Cinq Poèmes
(1)
et de compa-
rer les différents états des poèmes pour faire une constata-
tion qui a
son intérêt : Tzara recherche un équilibre entre
la musique du mot et celle de la phrase. Mieux : il élimine
progressivement l'abstrait absurde pour que prime la musica-
lité, le "trot" du vers libre. Montrons
quelques exemples
de cette évolution'
Elle apparaît dans le passage de l'état inédit à
l'état publié de certains textes de Vingt Cinq Poèmes. Les
unités transmentales se rarefient. C'est le cas dans l'oeu-
vre citée ci-dessus quand "la femme damnée"
(p.503)
de Mpal~
Garoo devient "froid jaune"
(p.l04). Par ailleurs,le fragment
de vers commun à "la femme damnée"
(2)
et à La Deuxième Aven-
ture
(3)
est l'une des parties 1AZs moins abstraites du texte
inédit. C'est:
Retourne au plus intérieur centre
cherche le plus intérieur centre
sur le centre il y a un centre
et sur le centre i l y a un centre
et sur chaque centre i l y a un centre
Certes "Pélamide" (p.l02)
contient encore quelques sonorités
de l'état inédit
(la femme damnée). Mais d'autres t e l :
(1)
p.
503
(2)
p.
149

137.
"Katchpouki mgaga mgagavé" de "samedi soir"
(p.504)
ont été
éliminées. De même, au lieu de l'imcompréhensible "badaba
badaba badaba gorille" du même "samedi soir", on a, dans
La Deuxième Aventure, une phrase débarrassée de l'élément
bruitiste.
L'on observe, à partir de la comparaison de certains
états inédits de poèmes avec des poèmes de De Nos oiseaux
la même raréfaction des unités transmentales. Nous les men-
tionnerons, en indiquant les références du texte inédit et
celle de l'état définitif laissé par Tzara.
INEDIT
PUBLIE
POEMES NEGRES
DE NOS OISEAUX
"Hiver Tropique" (1)
p.453
:
"Ange"
p.198
MPALAGAROO
- - - - -
"Décomposition 1916" p. 505-506
Puis une autre version du même
poème
"Les Saltinbanques" p.
682
::
"Les Saltimbanques"
p.235
"Dada 5 " p.
682
:
"Le marin 1915" p.
210
Il convient à présent de se poser une question fonda-
mentale : Quelle est la signification littéraire des élimi-
nations non systématiques mais sensibles des unités de la
déconstruction ?
Ces modifications montrent que le poème conserve une
part de son abstraction mais que de plus en plus perceptible-
(1)
Henri Béhar présente d'autres variantes p.
717

138.
ment, Tzara accorde le primat au rythme poétique tel que le
modèle nègre le lui a révélé. C'est de cela que traitera le
dernier point de l'évolution vers le rythme populaire.
La répétition est principe fondamental de la poésie
orale traditionnelle, disions-nous plus haut. Tzara a adopté
ce principe et son corrolaire, l'éllipse. Dès lors, sa
création est liberté puis richesse en "schèmes rythmiques".
Voyons-en un exemple dans un poème de De Nos oiseaux,
"Chanson dada"
(p.231)
La chanson d'un dada
qui avait dada au coeur
fatiguait trop son moteur
qui avait dada au coeur
(
)
La chanson d'un dadaïste
qui n'était ni gai ni triste
et aimait une bicycliste
qui n'était ni gaie ni triste
D'autre part, dans la notice à Vingt Cinq Poèmes, on s'entend
enseigner
le "rythme très marqué et insolent"
(p.644) de
"Froid jaune"
(p.104),
"Pélamide"
(p.102)
"Mouvement"
(p.89),
et de "Le Géant de preux"
(p.87 .. 88). Et comment se passerait-
on de relever la similitude stylistique entre des poèmes
comme "Saut blanc cristal"
(p.113)
et "Chanson du Cacadou"
(p.451)? Dans le premier on entend
Sur un don
Machine à coudre décomposée en hauteur
Déranger les morceaux de noir
voir jaune couler
Et dans l'autre:

139.
sur un amas verser
des noyaux germés des noyaux brunis
des noyaux germés des noyaux brunir
des noyaux germés veulent frotter
Cette poétique,
nous la retrouvons en dehors du Tome l
de l'oeuvre de Tzara. Choisissant au hasard un poème de Où
boivent les
loups, nous tombons sur "solitude"
(p.189)
De façon obsessionnelle, le poète y répète son état d'esprit.
Il n'y a plus personne à mes cOtés
le ciel s'en est allé des têtes de fleurs
les secrets des cuirs dans le nid des lacs
sont tombés sur des yeux murs
Par le ciel aux sourdes portes
a glissé toute l'amertume toute
que de doutes je m'abYme
à ne plus me regarder
Il faut lire "Gestes, Ponctuation et Langage poétique" pour
cerner l'application du modèle linguistique nègre par Tzara.
Pour lui,
i l s'agit de créer avant tout un rythme vital.
Voilà pourquoi en même temps que le "choc émotionnel" l'élli-
pse, des contractions, des rapprochements de mots inattendus
devaient, par-delà la surprise apo:Jlinarienne, créer les
"scandale et provocation".
Voilà donc que le style à la manière du nègre doit à
la fois charmer et éduquer. On peut affirmer que cela, Tzara
l ' a réalisé dans toute son oeuvre. A propos de L'Homme appro-
ximatif par exemple on entend Henri Béhar souligner combien
la technique de création du dadaïste est celle de la poésie
orale traditionnelle :
Le souffle nécessaire à la création d'une telle oeuvre
est d'ordre épique rejoignant d'ailleurs, sans doute
inçonsciemment, les procédés de la poésie orale tradi-

140.
tionnelle avec ses reprises,
ses parallélismes;
ses
échos,
ses associations.
(O.C.
II._p.
416)
Et le commentaire se poursuit, affirmant avec de plus en
plus de détails que la poésie personnelle est refrain d'un
vocabulaire exactement comme celui dont nous avons parlé
en citant Maurice Houis
(supra p 72 ). Elémentaire, il supplée
à la rime et à l'assonance du trouvère.
On pourrait donc clore ce chapitre en empruntant une
observation de celui qui publia la première fois les lIPoèmes
nègres ll ,
Henri Béhar, qui a également écrit lITristan Tzara
ou la spontanéité Il
(1):
Tzara
(
) a rencontré l'art nègre parce que refusant
un type d'art et de civilisation gouvernés par la
raison, i l cherchait une expression spontanée dont la
lI men talité primitive ll ,
pour employer les termes de
l'époque, lui donnait l'exemple. La cadence, le
rythme des poèmes africains,
leur syntaxe particuliè-
re faits de répétitions et d'ellipses, apportaient une
solution à ses propres investigations.
(O.C.I._p.
715)
Voilà pourquoi, paraphrasant le titre de l'ouvrage de G.F.
Browning, nous dirions que parmi les valeurs qui se situent
à la genèse de DADA,
se trouve le modèle linguistique nègre ,
Et la tentation est forte
de nous en tenir à ce constat
pour tout le chapitre. Nous l'aurions fait, mais il nous
apparait que pour conclure valablement nous devons apporter
quelques précisions.
1)
Il nous semble que l'on pouvait parler également d'un
retour de l'auteur à sa veine poétique initiale, celle des
(1)
Béhar
(Henri). -
lITristan Tzara ou la spontanéité ll in
Le Théâtre dada et surréaliste._p .183-214.

141.
Premiers Poèmes qui l'inscrivaient, comme nous l'avons vu,
à la meilleure école du symbolisme. Auquel cas, i l faudrait
dire: après s'être éloigné d'un modèle qui lui était inné,
Tzara l'a retrouvé dans la poésie nègre et cette fois, en
raison des circonstances sociales qui étaient alors les
siennes,
l'a apprécié à sa juste valeur.
2°)
: D'autre
part, le retour de ce poète au primitivisme est dynamique~
Quand dans les "Ecluses de la poésie", i l annonce:
Il s'agit de dénoncer le malentendu qui prétendait
classer la poésie sous la rubrique des moyens d'expres-
sion
(1)
. A cette conception périmée, i l y a lieu
d'opposer la poésie activité de l'esprit
(1)
(2)
il faut entendre par là que la poésie doit jaillir d'une
action conciliée du penser dirigé et du penser-non dirigé.
Autrement dit, Tzara
comme Paulhan
affirment la nécessité
de la connivence entre ces deux lieux de la réflexion. Pour
Tzara,
tous deux vont de l'inconscient vers le conscient;
chez le civilisé comme chez le ptirni tif,
ils
" s'assignent
mutuellement dans la sphère de la pensée humaine".
Et que retenir à propos des deux poètes, à la fin de
la deuxième étape de la réflexion ? Paulhan et ·Tzara parti-
cipèrent.à l'action avant-gardiste contemporaine qui s'est
attelée à démontrer combien le folklore en général et l'expres-
sion poétique nègre en particulier est digne du statut de
littérature. C'est en rapprochant cette expression de l'écri-
ture, de la littérature canonique française,
que les écri-
(1)
Souligné par l'auteur
(2)
Tzara
(Tristan).
- O.C.V._p.
9.

142.
1
1
J
vains parviennent à formuler cette vérité. Expression libre
et suprêmement riche en esthétique, le folklore n'est pas
seulement une littérature, elle est une littérature totale,
la matrice même de toute littérature. Par conséquent,
il n'est
1
pas étonnant que par endroits, la littérature écrite se sente
limitée par ses dogmes et éprouve le besoin de recourir à
f
cette matrice pour combler ses propres lacunes. Ainsi, comme
1
celui du civilisé le savoir du nègre exprime une part du
génie universel. Le reste ne s'explique que par le grand
principe du relativisme culturel. Donc à partir du fait
linguistique et de celui de la poétique, une invitation est
adressée au monde des lettres pour le dialogue et la complémen-
tarité des cultures. Et les deux hommes en ont donné l'exemple
c'est pour cette raison que la tâche ethnographique -
la tra -
duction,
la compilation, la sélection-, s'était concentrée
sur l'authenticité. Enfin,
s'étant épris du mode oral tradi-
tionnel,
les littérateurs rentrèrent en communication avec
la vision du monde qu'il exprime. Nous allons examiner le
rapport intellectuel qu'ils ont entretenu avec elle.

143.
TROISIEME
PARTIE
-----------------
-----------------
RENCONTRE DE L'HUMANISME NEGRO-AFRICAIN
ET
RENFORCEMENT DE LA CONCEPTION PRIMITIVISTE

144~
Parce que le dialogue des cultures les intéressait, Paulhan
comme Tzara tentèrent une sociologie de la littérature qui
s'offrit à eux. Cette activité vint s'inscrire dans un contexte
qui n'est plus à révéler et dont nous ne rappellerons que quel-
ques points
. Avant le contact de nos auteurs avec le monde
nègre, était née, autour de Freud, cette science qui, de même
que la cosmogonie galiléenne au XVllè siècle et la biologie
darwinienne au XIXè,
fit scandale : la psychanalyse . En somme,
elle invitait le civilisé à daigner jeter un regard sur cette
part de l'esprit par laquelle l'on explique -prioritairement-,
les gestes du~primitif·: l'inconscient: à observer combien cer-
tains de ses propres gestes n'étaient compréhensibles que si
l'on les interprétait sous la lumière de cet inconscient. Cette
invitation a ses raisons:
il semble que plus l'on prétend à la
modernisation, plus grande est la menace de la dissociation
entre le Moi et le SURMOI. Le mal peut être individuel ou collec-
tif
(social). Par contre, à travers contes, mythes,
légendes,
proverbes et autres us, dits sauvages, le~primitif'réussitquo-
tidiennement la conciliation des deux contraires de la personna-
lité. Et de ce point de vue, par rapport à la vie moderne,
l'existence de celui-là apparaît, comme un modèle à interroger.
Parmi les fondateurs de la psychanalyse, se trouve le suisse
Carl Gustav Jung.
Il collabora avec Freud au sein de l'Associa-
tion Psychanalytique Internationale fondée en 1910 et en fut

145.
le représentant à Zurich
(1) i Mais,
écartons-nous de cela,
pour en revenir à nos littérateurs. Selon Henri Béhar, Tzara
connut, outre ceux de bien d'autres psychanalystes, les tra-
vaux de Jung
"il était en relation avec de jeunes psychiatres
et surtout
(
i l connaissait les travaux de Jung" (2) . D'autre
part,
le père de Jean Paulhan fut l'un des fondateurs de l'Ecole
française de psychologie scientifique et selon Roland Purma son
influence fut "considérable dans le domaine de la toute neuve
psychologie scientifique"
(3). Ces deux écrivains étaient donc,
au· moment où ils s'en allèrent v.ers l'âme noire, munis de
clefs nécessaires pour poursuivre les ambitions de cette science
révolutionnaire.
Par ailleurs,
les années 1910 à 1913 furent marquées par
une réelle volonté scientifique pour une étude intéressante
chez nous: celle de l'histoire des religions. C'est en 1910 que
Levy-Bruhl publie Les Fonctions mentales dans les sociétés
inférieures. Deux ans plus tard, Emile Durkheim proposait
Formes élémentaires de la vie religieuse, et Jung, Métamorphoses
de l'âme et ses symboles. Analyses des prodromes de schizophré-
nie. Enfin, en 1913
Totem et Tabou parait. Donc, différentes
approches -
sociologie, psychologie, psychanalyse-, convergèrent
sur l'étude de cette histoire,
toutes préoccupées par un même
(1)
Cette collaboration a été émaillée de beaucoup de divergence
ces sur le plan général puis entre Freud et Jung en parti-
culier. Sur ces contradictions, on pourra lire : "Contribu~
tion à 1:' histoire du mouvement psychanalytique" in : .Qing
leçons sur la psychanalyse de Freud. Petite Bibliothèque
Payot, p.69-155. Lire aussi une correspondance de deux
chercheurs: Freud
(S.)
Jung
(C.G.).- Connaissance de
l'inconscient~Correspondance.- Paris, Gallimard
19"15,
(2 tomes)
(2)
Béhar
(H.). -
Le théâtre dada et surréaliste_p.188
(3)
PAULHAN
(J.).- Jean Paulhan,
1884-1968, op. cit . • p.
678

146.
phénomène: l'irrationnel puis une des formes de sa manifes-
tation : le mysticisme. Ce mysticisme dont Lévy-Bruhl dit
dans sa conclusion à La Mentalité primitive
De l'analyse des faits qui précède, et qui pourrait
facilement être confirmée par beaucoup d'autres, il
ressort, une fois de plus, que la mentalité primitive
est essentiellement mystique. Ce caractère fondamen-
tal imprégne toute une façon de penser, de sentir et
d'agir
(l)
Enfin, il faut dire un mot sur l'expérience personnelle des
auteurs.
Sa vie malgache fit de Paulhan une âme partagée entre
deux cultures : celle qui lui est natale puis celle apprise
1\\
Il
chez le primitif. Cette position à califourchon sur deux mondes
le pourvit des éléments d'une réflexion que nous examinerons
prochainement. Avisé de l'actualité scientifique autant que
de celle de la politique internationale de son temps, l'auteur
trouva en sa situation privilégiée l'occasion d'expérimenter
les théories révolutionnaires qui exaltaient l'inconscient et
faisaient appel à une révision de l'esprit cartésien et de
certaines de ses manifestations, tel que la colonisation.
Quand on a débrouillé ne serait-ce qu'une part des
propos aussi bien sérieux que légers sur Tzara et le dadaïsme,
le rapport qui lie cet homme à la poésie et aux arts nègres
en tant que phénomène d'un nouvel humanisme se dresse, quasi-
ment inabordé.
En bref , les deux écrivains effectuent une démarche
qui va contre l'idéologie du siècle des lumières et nous
allons nous attèler à la démontrer en deux chapitres. D'abord
(l)LEVY-BRUffL
(L.).- M'P._p.
503

147.
comme ils s'attachèrent à la poésie nègre,
ils virent
qu'elle renferme un humanisme traditionnel à partir duquel
l'on pouvait concevoir un humanisme nouveau.

148.
CHAPITRE l
-
POESIE DE LA CONDITION HUMAINE
L'HUMANISME
Le premier effet de poéticité
qu'inspire la lecture
des hain-teny et des "poèmes nègres" est qu'ils sont une
poésie pastorale.
l
-
UN TREMPLIN : LA POESIE PASTORALE
=================================
Plus haut nous disions que l'indigène nègre emprunte
son vocabulaire à la nature ambiante. Pour nous la présence
des signes à dénotatioœérotiques dans le hain-teny ne
s'explique que par ce f a i t :
i l s'agit, à l'occasion, de
lexique érotique comme
ailleurs
il s'agit d'autres signes.
S'entêter à n'identifier là qu'une morale médiocre nous
semble tout aussi absurde que l'est le parti de ne rien
comprendre. Ceci dit, avouons qu'à la lecture de toute tra-
duction de hain-teny paulhanienne ou d'autres auteurs, on
pourrait répondre aisément à deux questions
: Comment le
Mérina conçoit-il l'amour? Il le voit selon les normes de
la poésie pastorale, de la spontanéité idyllique. Mais où
cette poésie situe-t-elle l'amour? Elle le place, comme un
produit naturel,dans la campagne, dans les champs:
(p.205,
207)
(1);
Au sommet des Collines:
(p.277) ou au contraire,
(1)
Nous citerons les hain-tenY édition Guethner,
1913,
indiquerons la page pour les hain-teny et le nO du poème
pour les poèmes nègres de Tzara.

14'9.
au pied des montagnes
(p.201). Outre le bas de la montagne
qui rappelle Tityre jouant de la musique, l'eau, la source,
la rivière,
la mer sont des lieux privilégiés de cet amour-
géorgique
(p.
211,
221, 227,
247). D'ailleurs, il est
mobile et emplit au hasard des mouvements humains, tous les
horizons:
le Nord
(p.
207, 209),
l'Ouest:
{p.203)i
il se
déplace donc d'un point à l'autre du globe: ne le voit-on
pas s'envoler du Nord à l'Ouest?
(p.215); du Sud à l'Est
et de là au Nord?
(p.205). En somme,
le hain-teny exalte
à la fois l'amour géorgique, l'amour domestique et l'amour
céleste. Ecoutons un amoureux poursuivre son aimée
Descendre aux champs
monter au village
Entrer dans la maison
Lever la tête vers le ciel
(P.229-)
Paulhan est en vedette. Mais certains poèmes de Tzara
renvoient également à l'amour pastoral
(n07,10,
Il, 12, 13) (1)
Parfois il s'agit ~me d'une forme spéciale de cet amour
teli~les grossièretés érotiques
qu'auraient apprécié~le
compilateur des Poèmes libres
(nO 56, 57, 59,60~ puis le
chant de la noce
(n09, 46,
61,
62).
Tout cet univers renvoie à Virgile et donc à un thème précis
la nostalgie de l'Age d'or et la tentative de le recréer.
l'amour de la nature.
Mais on constate assez rapidement que l'air pastoral n'est
qu'un tremplin pour la création d'une vie au sens très
(1)
Les poèmes nO 10 et Il sont des hain-teny empruntés à
Jean Paulhan

II - POESIE-CREATION DE VIE
======================
1
Ici, les expériences des deux auteurs comportent des
pertinences qui nécessitent qu'elles soient évoquées séparément
Cela est d'autant plus utile que la clarté des propos à venir
s'en trouve garantie. Parlons de Paulhan d'abord.
Le fait de l'étrangeté lui fit apparaitre la langue
malgache comme un univers de paradoxes. Les paradoxes dispa-
rurent,
laissant la place à une idéologie que nous devrons
spécifier.
A). PAULHAN ET LES PARADOXES
Aussi bien du point de vue de la littérature
que sur les plans de la linguistique et de la logique, notre
auteur est présenté par la critique comme un amoureux absolu
des paradoxes. Et nous en avons eu l'expérience: plus une
chose lui résiste plus elle attire Paulhan; quant à sa soif
de connaitre, elle s'intensifie à mesure que l'objet de sa
curiosité se laisse découvrir. Toute cette jouissance, le
hain-teny la lui apportR : se présentent des paradoxes; en
son esprit, les paradoxes suscitent des interrogations longues
à être satisfaites.
L'auteur en a fait un long compte-rendu dans L'Expérience
du Proverbe .L'originalité de Paulhan par rapport à d'autres
Européens fut sa docilité à l'altérité
(supra p.105-106.) . Sinon
l'impression lui vint d'abord que la langue frisait l'absurdit~

151 .
n'étant fondée que sur des contrastes, des antinomies, des
faits insensés qui déconcentrent et créent la décontenance.
Puis l'investigateur crut comprendre l'origine de ses confu-
sions
J'avais pris pour des mots ce que les Malgaches en-
tendaient en choses. A quoi tenait notre malentendu (1)
Mais l'énigme n'en était pas pour autant résolue. Un autre
paradoxe se présenta dont nous entendons l'aveu fait à Roger
Judrin : l'aboutissement du hain-teny est troublant. Ou encore
i l arrive qu'un proverbe mette fin à une discussion. Mais,
plutôt que l'interlocuteur vaincu s'attriste pendant que le
vainqueur se réjouit
,
l'un et l'autre semblent partager un
enchantement commun. Tout se passe dit le français
:
Comme si les deux disputeurs se voyaient ensemble
délivrés de toute querelle - de toute différence.
Comme s'ils parvenaient à la fois dans quelque
Arcadie ou s'effacent les maux de la dispute et de
la réflexion , et comme plongés dans une sorte
d'hébétude satisfaite,
surnaturelle
(2).
Mais l'aboutissement troublant semblait lui-même émaner
de la connivence dont i l s'est agit, entre mot,
signe, sens,
et à propos de laquelle, au bout de ses réflexions, Paulhan
fit un constat d'échec
(3). Cette autre connivence semble
influer sur la finalité du hain-teny et ajouter au trouble.
Pour cela, Paulhan s'intrigue encore
Tout se passe comme si la partie PARTICULIERE
(4)
du
(1)
PAULHAN
(Jean).- O.C.I~-p.123
(2)
JUDRIN Roger.
-
La Vocation trans arente de Jean Paulhan
Gallimard, 1961. -
p.
117LLettre du 18 avril 1960
(3)
Supra p. I I I
(4)
Graphie originale

152.
proverbe, ou la maxime - et si je puis dire l'enchan-
tement où ils me jettent -
tenait à ce passage où
mots et pensées pour moi reviennent au même
(1).
Donc, de quelque côté qu'il fût pris, ce langage présentait
des paradoxes. Ceux-ci évoqués, retournons-nous vers l'homme
pour lui demander quel était l'objet de sa quête. A cette
interrogation i l répondrait que deux objectifs l'accaparaient;
i l veut savoir
pourquoi parlons-nous ? Et à la fin, que
parlons-nous? Et dans cette optique, cet entiché du folklore
disait:
à travers les hain-teny,
je cherche quelques paroles
capables de "m'instruire, de m'intriguer"
(2). Donc, deux
éléments l'attiraient: l'instruction à l'école étrangère,
surtout le mysticisme. Et nous de nous poser la question sui-
vante : eut-il concordance entre les paradoxes et les projets
du littérateur pour satisfaire la quête de ce dernier ? Nous
le
saurons plus tard. Mais avant, interrogeons quelques,
hain-teny pour en déceler l'idéologie.
B). PAULHAN ET L'IDEOLOGIE DU HAIN-TENY
On peut émettre une multitude d'interprétations
sur un
hain-teny non intégré dans un contexte. Et Paulhan l'a
fort bien compris qui, dans "le sens des hain-teny et son
rapport avec
la dispute "
(3)
explique que ce sens dépend
de leur situation, de leur rapport au sujet dont i l est ques-
tion, de l'~-propos avec lequel ils sont prononcés. A défaut
(1)
JUDRIN
(ROGER). - Op. cit ... p.
117-118
(2)
PAULHAN (Jean). - O.C.II.- Pi
114.
(3)
Ibidem p.
86-96

153.
de contexte précis pour nos arguments au sujet
des hain-
teny proposés par l'auteur, les sens dénotés par les thèmes
sous lesquels les poèmes ont été arbitrairement regr.oupés
pouvaient y suppléer. Ces thèmes
(1)
sont:
1° thème de la déclaration d'amour,
2°thèrne du consentement,
3° thème du refus;
4° thème de l'hésitation et des rivales,
5° thème de la séparation et de l'abandon;
6° thème des regrets
et des reproches, 7° thème de l'orgueil; 8° thème de la
raillerie.
Au-delà de l'apparence érotique,
lesthème5concerne~r
les rapports inter-individuels et apparaissent comme les
motifs d'un grand thème philosophique. Nous allons le montrer
en relisant l'exemple qui nous semble représenter au mieux
l'idée centrale de chaque thème et en nous répétant une
interrogation : quelle est la fonction de la machine à
conviction? Un premier sens semble se rapporter à l'identifi-
cation de soi à un idéal.
A l'évidence,
les deux derniers thèmes
(7 et
8)
renvoient à la fierté personnelle. Mais écoutons la conclu-
sion -
lapartie la plus chargée de sens - de deux poèmes
pris respectivement dans l'autre et l'un des thèmes:
1er exemple :
Qui règne sur la terre?
C'est le roi qui règne sur la terre
Quand le vent souffle i l ne s'incline pas
Il reçoit le soleil sans flétrir
p.341
(1)
Pour les thèmes et poèmes, nous citerons selon
Guethner 1913.

154.
2è exemple :
Le requin devient-il riz
Une herbe devient-elle pirogue
Poule à la dent ébréchée, mouche à la lèvre fendue
meurs
comme les feuilles de seva
(P.379)
En allant plus loin que l'apparence on saisit deux autres
préoccupations :
sont exaltées les qualités et banniS
les défauts.
L'interlocuteur à qui ces paroles sont opposées
est appelé à se laisser convaincre de l'inaltérabilité des
vertus -
dans le premier exemple, et de l'inconvertibilité de
la médiocrité à la vertu, dans le second.
Par ailleurs, c'est seulement au niveau du mental que
le locuteur s'identifie à la valeur positive: car pas plus
qu'il n'est vertueux comme le roi,
i l n'est point précieux
comme le sont le riz au ventre et la pirogue au pêcheur :
au plus i l aspire à l'idéal. Par conséquent sa parole est
avant tout la tra~ison d'une obsession. Obsession individuelle
mais aussi sociale. Sous prétexte de "je" veux être vertueux,
l'on d i t :
l'homme doit être vertueux.
Il s'agit donc de
l'expression d'une quête, valable pour l'individu et sa
société.
Ici, elle partait de l'identification de soi à un
idéal, ailleurs, elle s'exprime dans l'attitude de sage
devant la condition humaine.
Prendre l'initiative d'un aveu suppose que
l'on s'est préalablement reconnu comme objet d'une force,
et
que les efforts sont envisagés pour annuler ou conquérir

155.
la force contraignante. Il y a là une quête - qui est évidente
dans le thème 1° •
Par contre l'on pourrait dire que les thèmes
2 et 4 sont des répercussions de la quête initiale. 4° serait le
temps de la délibération qui ne dépend pas de l'actant quêteur
mùis qui le laisse dans l'incertitude.
2° correspondrait à la
satisfaction positive de la quête. Mais ces différents niveaux
se ramènent à une constante
assumer son sort. Voilà comment
un homme déclare son amour
:
Ses deux mains sont pleines de citrons
Si je demande j'ai honte
Si je ne demande pas,
j'ai des regrets
Aura-ton une aimée si l'on écoute la honte? p.89
Le discours signifie : décidons-nous à obéir lucidement à
la nature. Et le thème de l'hésitation
(thème n02)
renvoie au
même enseignement. Ecoutons une jeune fille avouer à son amant
comment elle est prête à envisager la vie avec sérénité encore,
si son amour venait à être brisé:
Cherchez mes poux, tressez mes cheveux
si vous ne m'aimez pas,
les autres m'aiment.
p.203
En d'autres termes, aux contradictions de la vie, l'on oppose
une parole de sagesse qui redonne un sens à la vie. Mais les
actes de la vie comportent des degrés de pénibilité. Face à
certains, i l n'est plus seulement nécessaire de répéter
il
faut accepter un sort, mais plutôt: i l faut admettre un sort,
même pénible.
C'est le cas dans les thèmes 3,5 et 6 qui/
tous/connotent l'échec. Et, paradoxalement, c'est devant l'échec
que la sagesse
primitive impressionne suprêmement. Ici,
trois

156.
procédés traduisent cette particularité. En premier: l'on
peut accepter et
faire accepter 11 échec comme un mal nécessaire
et impliquant des conséquences plus heureuses qulen aurait
impliqué un 'sort positif. Ecoutons le refus d'une fille qui
ne veut pas d'un polygame:
Avec le bois sec, Randriamatoa, l'on peut faire trois
brassées
Mais non avec les filles des hommes
p.171
En deuxième lieu:
lion peut faire admettre que dans quelques
circonstances, le malheur qui nous abat n'est pas le fait
d'une gratuite méchanceté
des autres; mais que face à la réa-
lité plus forte que l'homme -
l'impossible -, reconnaître ses
limi tes est une attitude sage et qui rend heureux. Une fi Ile
dit à son amant dans ce sens
Le nom de mon lamba {l) que voici
Est:
le lamba-doux-que-je-n'agite pas-
p.195
Le dernier procédé
présent ici consiste à opposer au mal une
conception du monde d'un ordre absolument heureux.
Rejeté par
son élue par exemple, un homme fait des adieux qui excluent
la rancune et sollicitent l'entente:
Fermez la porte, Ramaota
Car j'irai dormir chez nous
Les jeunes gens qui ne s'accordent pas
Il est bien qu'ils soient frère et soeur et se respectent
Si le frère et la soeur ne s'aiment pas
Il est mieux de mourir pour devenir ancêtre.
p. 241
Nous avons indiqué qu'il s'agi5sait des attitudes devant
l'échec. Ici,
"échec" est un nom générique pour désigner ce
qui peut arriver d'éprouvant, de terrible à l'homme : bref 1
(1)
Pagne

157
~
1
~
j
ce qui s'applique ici à "échec" concerne toutes les variantes
~
a
~
de la condition humaine. Et ce qui vient d'être dit signifie
tl
que même dans cet enfer, le nègre procède ou la société le
Î
fait procéder, à une démarche à la fois mentale et intellectuel-
l
f~
le qui lui permet de conserver son équilibre psychique, sa
t
f
~
joie de vivre,
la vitalité insoucieuse et surtout, le sens
[

f1
du grand amour pour les autres, pour l'univers. En ce sens, le
~1
hain-teny joue une fonction dominante,
la fonction didactique.
f,
t
[
Parce qu'il veille à la conciliation de l'individu avec
t
f
lui-même d'une part et d'autre part à celle de l'individu avec
f
~l
la société, le hain-teny sert l'idéologie de la cohésion sociale.
A chaque moment de la journée, dès qu'une conduite s'écarte de la i~
norme, que les mécanismes de la société sont remis en cause, le
f
hain-teny intervient pour rétablir l'équilibre. Et comme tel
,"tf~
il rend justice,
joue comme élément de politique, crée l'ordre
et la liberté: C'est pour cela que le proverbe en est l'élément
1
&-
clé, le proverbe dont Marcel Jousse dit qu'il est "la normalisa-
l-
i
tion traditionnelle de l'action" (1). Mieux,
la poésie primitive
r
i
se confondant avec la vie,
le hain-teny traduit l'existence.
1
(2 )
f:
~
Exactement comme le dit Bakoly Domenichini~Rarniaramanana
!
le hain-teny est un "genre poétique qui donne vie aux paroles~
t
~
Flavien Ranaivo de son côté répète
:
Le malgache
( ) continue de vivre son folklore
( ) Le
folklore
( )
est partie intégrante de sa
nature. Son mode d'existence même en est imprégné: sa
vie, dans son évolution, entraîne pour ainsi dire la
tradition et, inversement, tous ses aspects, règle
(1)
JOUSSE
(Marcel). - L'Anthropologie du geste. Le Parlant,·
la parole et le souffle. -
Gallimard,
1978 ._p.222
(2)
DOMENICHINI-RAMIARAMANANA. (Bakoly). -
op. cit. p.104.

158.
1
!
la conduite et le comportement de l'individu/voire son
penser
(1)
1
Ici, on ne peut s'empêcher de penser aux travaux structuralistes
f
des Denise Paulme, Roland Barthes,
T. TOQorov, Vladimir Propp et
Greimas surtout. Ils nous enseignent que la fonction principale
1
~f
dans le conte ou le récit se résume en la quête. Quoique les
~
théories de ces critiques ne soient
directement applicables ici,
1
~
t
on peut établir un parallèle entre l'actant quêteur positif
i~.
~fi
dans le conte et le vainqueur dans la joute du hain-teny. Tous
ê;
1
deux sont des facteurs d'humanisation du monde car leurs ambi-
i~~.
tions subjectives s'effacent pour faire place à celles de la
%
~
~
,m
société, de l'Etat. Cette normalisation comporte en outre une
1
dimension religieuse.
l
Car ce que Paulhan a trouvé dans le hain-teny,
l'explica-
1
tion des paradoxes, c'est, entre autres,
"l'unicité et la pro-
1
1"
fondeur de la vision du monde qu'une oeuvre ou un ensem~le
tf
E
d'oeuvres nous proposent"
(2), c'est l'impérissable et l'éter-
f.
nel. Le caractère prolixe des unités linguistiques, les para-
f
doxes,
la quête constante sont conununs à l'humanité et ils
fi1
manifestent tous la nostalgie des origines.
i
Voilà pourquoi l'auteur de Le Don des Langues résume
Î
l
ainsi l'idée définitive qu'il se fit du hain-teny : "la compli-
!
i.
ci té des contraires trahit chez l ' honune une nostalgie de l'uni té" if
(0 • C • l l 1,- P • 4 1 9 )
f
r
~
t
t
;
(l)RANAIVO
(Flavien). - op. cit._p.6.
l~
i
1)
(2)DOUBROUSKI
(Serge). -
op. cit._ p.
197

159.
Mais pourquoi cette nostalgie, cette hantise? Parce qu'elle
fait communier à la béatitude que l'homme a perdue au cours
des siècles mais dont le souvenir l'obsède. Ce lieu de la
béatitude, notre auteur le définit dans les mêmes termes que
l'on retrouve régulièrement chez Eliade Mircea,
"un état d'avant
le Temps et l'Histoire
( ... ) oü i l n'existait encore qu'Un."
(O.C.III p. 419). Le hain-teny trahit donc le désir d'expéri-
menter une béatitude à caractère divin. Cette béatitude est la
finalité de la fonction didactique rattachée au rythme-sens.
Il semble que passant par des faits culturels distincts, Tzara
débouche sur des conclusions similaires.
Selon les détails de notre première partie,
il eut une
formation autodidacte. Désignons-là comme une initiation à
l'art et à la vie nègres.
C). L'INITIATION DE TZARA :
Essentiellement rurale et rattachée à la terre
puis à la nature en général la vie de l'indigène nègre est
ponctuée de gestes et d'actions qui lui apparaissent tous
comme des temps forts de la condition humaine. Tzara s'est
attelé à découvrir le rapport entre ces temps forts et la
poésie. Les lieux de ce rapport sont nombreux et nous débute-
rons par celui qui concerne la poésie et le labeur.
a). Poésie et labeur
Parce que toute la vie est stylisée, un
souffle poétique accompagne tous ces mouvements que sont :la
marche
(44,45) (1), la traversée d'une rivière, d'un fleuve
(1) Nous donnons le numéro correspondant au poème, dans O.C.I.

160.
la surveillance de la plantation
(74)
et celle du troupeau
(34);
la moisson
(19); la construction d'une maison (72); le voyage
du chargeur de bagages
(70);
le hachage
(73); la forge
(25);
l'action de hâler
(78);
la mise à l'eau d'une barque et la
rame
(24,40,
52, 76,
79): la navigation ou le voyage
(25,26,48,
52); la pêche
(17,75). Cela ce sont les faits. Mais comment le
poème accompagne-t-il l'action? Il énonce, décrit ou dicte le
geste à accomplir. Par là-même i l crée l'action. Le sculpteur
par exemple parle au bois qu'il taille et ses paroles se maté-
rialisent en objet.
Toi, arbre,
tu tLappelles Sayalassi
Joie
Apporte moi cette jeune fille
Mais en signe qu'il doit en être ainsi
Vois,
je mârtelle mes paroles en toi
p.473 /
51
C'est donc ici que l'on pourra évoquer la vraie fonction du
poème abstrait, en l'exemple de Toto-Vaca en quoi aucune
critique n'a jamais rien trouvé si ce n'est le reflet de
l'image de Dada enfant hideux et obsédé par le désir de provo-
quer. Ce poème est tout simplement un Chant de travail des
pêcheurs. De même que nous l'avons dit tout à l'heure, leurs
paroles commandent des gestes. Citons selon la traduction en
français
:
Donc pousse, Rimo
Kauaea
Continue Totara
Kauaea
Continue Pukatea
Kauaea
p.488
A présent citons Tukiwaka où la parole est exclusivement énu-
mération d'actions à éxécuter immédiatement et spontanément:

161
Maintenant tirer
Maintenant pousser
Maintenant plonger
Maintenant tenir
en avant, en avant, en route
en route vers Waipa
486 ,
76
Outre cette première méthode, ~oétiser peut également consister
à se donner l'illusion de n'être pas en labeur: clamer verba-
lement le refus d'une tâche qu'on est pourtant en train d'éxé-
cuter. Ecoutons ce procédé paradoxal chez le gardien de millet
frais oü la fin du Chant dément les premières affirmations :
Ma mère m'a dit
chasse les poules
mais les poules je ne puis les chasser
Je suis assis ici sans pieds
et le riz de la mère est dévoré par les @iseaux
ish ish
p.485~ 74
rI en est de même quand un homme dit, alors qu'il est en
besogne :
Pour travailler,
je suis paresseux mais pour manger
Ah pour manger
Je suis prompt
p. 484,73
La poésie
c'est aussi
tout simplement,le travail dans
l'hilarité. Ecoutons encore un fragment de ~oto-Waka (français):
Tendre fortement
(la corde de hâlage)
Kauaea
mon ventre
Kauaca
Kihi, e
haha, e
pipi, e
tata, e
pitia,
HA,
p. 489
Toute cette poésie fonctionne donc selon le principe de la
galvanisation: travailler en musique. Voilà pourquoi, l'ini-
tiation terminée Tzara a pu affirmer ceci : "La poésie vit
d'abord pour les fonctions
( . . . ) de travail"
(o.c.r.-p. 401)

162.
Elle transforme le travail en jeu. Tzara a donc compris que
dans certains cas, cette poésie réunit les fonctions ludique et
esthétique. D'autre part, ainsi que nous le montrerons dans les
exemples à venir, elle joue tantôt sur la fonction symbolique,
tantôt sur un aspect particulier de cette dernière
: la fonc-
tion cathartique. Mais dans les deux cas elle est magique.
On peut affirmer que Tzara n'a sélectionné
certains poèmes que pour l'unique raison qu'ils relataient les
manifestations du pouvoir magique. Par la magie l'homme agit
sur la nature. Et si l'on relit "Serpent qui rampes"
(p.44472)
il sera possible d'en faire un commentaire qui nous changera un
peu des spéculations parfois complaisantes sur l'abstraction
Serpent qui rampes, daigne descendre bien vite
Le chant des femmes
(que voici)
est pour t'inviter
envoie la vague du vent du sud
Que Rukuratusenileba puisse vaguer dessus
enlève ie pendant du petit buli
pour être un ornement de la jeune fille
prends la rame courte
et tous deux ramons vers le commencement de la passe
Le Révérend Père Marzan chez qui Tzara a pris ce poème annonce
qu'il est une évocation proférée au cours d'une initiation
présidée par un sorcier. Ecoutons
Cette cérémonie avait un but qui la faisait pratiquer
continuellement dans les temps de guerre, c'était de
rendre les guerriers invulnérables, quand ils s'étaient
longtemps exercés
(1)
Ce qui attira donc, ce fut la capacité de l'homme à agir sur
la nature, par des procédés inexplicables: mais ce fut aussi la
(1)
MARZAN
(Rév. P.). - op. cit.-p.
720

163.
s~gnification symbolique de cette capacité : le passage de
l'homme d'un stade de connaissance à un stade supérieur,
sinon
de l'ignorance à la connaissance ésotérique; c'est la naissance
à une autre vie. Tzara a également rencontré d'autres cas, où
la poésie ne sert plus à protéger l'homme contre les agressions
naturelles mais où par elle,
l'homme vise à minimiser syrnboli-
quement le mal qu'il inflige à la nature.
Allons directement aux exemples et écoutons ce
pêcheur chanter :
Poisson, poisson, quel est l'animal qui a mangé mon enfant
Un animal à la queue bruyante, poisson, poisson à la queue
bruyante
tf
Quel animal à la queue bruyante mangerai-je aujourd'hui
r~

!
Prétons maintenant l'oreille à cet autre qui chante pour le
~
~f
!
homard :
t
r1~
Varo, varo, bouge ta queue
f
r
Afin qu'on puisse te prendre par la tête ou par les jambes
l
Avale ce bon morceau de poisson
Es-tu mâle viens à la surface
r
Es-tu femelle,
viens à la surface
f
Un esprit te poursuit hâte-toi
f
Un esprit te poursuit hâte-toi
p.
485~486, 75
r
La capture du poisson, du homard est justifiée poétiquement
@
1
i
par des alibis. Le premier pêcheur prétend venger la mort de
i
son enfant et le second fait mine d'accomplir une tâche salutaire. i~~
Il s'agit là d'une magie élémentaire, qui relève de la vie
~
#
~
mentale et du sentiment du Grand Amour; un amour qui, comme
~~
nous l'avons vu avec Paulhan,
s'étend à la nature entière, selon
5
f

164
les lois d'une religiosité bien évidente
le panthéisme.
Ici s'ajoute une autre donnée: une part de la force d'un
créateur transcendant habite chaque élément de l'univers; et
plus un élément est infime, plus l'on lui doit respect et
preuve de sensibilité. Par contre,
la poésie par quoi l'on
exorcise le mal de ses propres gestes permet à l'individu
de se soustraire de la punition dont ses agressions le rendent
digne. C'est pour cela que par la parole/le pêcheur doit
d'abord abstraire les rapports de force,
normaliser le mal -
la mort de la nature, -
et maintenir l'équilibre du monde. Fai-
sons appel à l'exemple de Freud qui,
parlant de la bête à tuer
cite Reinach pour dire
Lorsqu'on se trouve dans la nécessité de tuer un
animal habituellement épargné,
on s'excuse auprès
de lui et on cherche à atténuer par toutes sortes
d'artifices et d'expédients la violation du tabou,
c'est-à-dire le meurtre
(1)
Ainsi,
la poésie est un moyen de protection des hommes contre
leurs propres craintes et angoisses et contre la colère des
forces supérieures j
elle est une prière. De cette théologie
découle un sentiment de paradis terrestre,
et cela permet àe
dire1Utpar la poésie/l'homme domine et dirige le monde.
Aussi, devenu presque un "homme de la forêt" Tzara théorisa
sur la poésie nègre en ces termes:
"la poésie vit d'abord pour
les fonctions
( ) de religion"
(O. C. L_p. 4 a1). Elle est donc
ésotérique et l'est plus encore quand meurt une personne.
(1)
FREUD
(Sigmud). -
Totem et Tabou.-p.
118

165
Face à la mort du prochain, c'est, entre
autres choses, sa propre réhabilitation psychique que l'homme
recherche. Auto-conservatrice, cette réconciliation de soi avec
les forces de la nature ne nous vient que par le canal d'un
acte poétisé. Cela, Tzara l'a perçu dans des poèmes tel
que
"De vunivutu" oü, à l'annonce d'une mort le peuple entonne,
en choeur :
Au loin la crainte n'est-ce pas?
Que l'on chante
445 7 3
Au-delà du cantique le roumain a décelé le fond mystique du
rite funéraire, ainsi que le révèle "Chant de deuil des Ba-
Totela"
, qui en est une définition on ne peut plus claire :
par les pleurs et la danse, l'on se désaliène:
Chant de deuil des Ba-Totela
Quand une personne est morte les hommes apportent leur
petits tambours
Mères de Monga yo yo priez pour Monga
La guerre l'a écrasé comment la guerre l'a-t-elle écrasé?
Pleure mon gosier, mère de Monga yo yo priez pour Monga
La guerre l'a écrasé comment la guerre l'a-t-elle écrasé?
Quand ils ont fini de pleurer,
ils dansent et chantent
toute la journée
p.
449-no 14.
Et Tzara d'émettre la théorie assortie:
"La poésie est
d 1abord pour les fonctions de danse, de religion, de musique ...
(.a.C.I._p. 401) C'est-à-dire: la poésie est cathartique.
L 1auteur de~Pouvoir des Images" se montre encore plus érudit
en la matière, qui professe:
"L'art est un exercice
capable
d'habituer l'homme à 11idée de la mort."
(a.C.I~_p. 307) Emile
Cailliet dirait : quand surgit la mort "C 1est la vie qu'on veut
appréhender, une vie abondante et sans fin" (1) .
(1) CAILLIET
(Emil~. - Symbolisme et mentalités primitives,~p.89

166.
Ici encore répétons: par la poésie l'on maîtrise et
dirige le monde. Et du sentiment de la mort à bannir à celui
de la nostalgie des origines et du désir de la rédemption,
i l n'y a qu'un pas à franchir. Cela aussi, Tzara l'a vu.
e). ~~~~~!~~~_~~_~~~~~e~~~~_i_!~_~~9~~~~~_~~
uterum
Tzara éxcécrait la guerre.
Il découvrit la culture nègre
au même moment où le premier conflit mondial anéantissait la
vie. Comment se pouvait-il alors que des poèmes catégorisables
sous le présent titre ne l'intéressassent? En tout cas, il
sélectionna des récits du mythe de la création ou de la récréa-
tion du monde. Ce sont :
"Chant de louanges du chanteur Kanyi
(p.
482767);
"Il séjourne, Taarao son nom"
(p.482,.68)
puis
"Le dit d'Omumborambongo"
(p.44778)

nous prendrons une
illustration :
. . . . . . et i l Y a un très grand arbre et i l a un trou, et il
est à l'origine des hommes
( . . . ) Mais le petit bétail on
dit qu'ils sortent d'un rocher, et les boeufs et les êtres
vivants qui sont parmi les hommes
De telles paroles
trahissent l'obsession
de l' homme -
quand
apparaissent les horreurs de la vie -
à voir le monde renaî-
tre de ses cendres. Le désir de Tzara n'était rien d'autre que
le regresus ad
uterum et la rédemption qui s'en suit. Devant
le trop plein de la civilisation il avait besoin d'illusions.
Les poèmes nègres les lui offraient, de plus,
il ne voulait
"pas croire à la faillite totale de la vie" (1)
et brQlait
(1)
BEHAR {Henri). - Le Théâtre dada et surréaliste._p.186 -187

167.
du "désir d'éprouver sa propre existence, la valeur de sa
pensée, au contact d'autrui ",
En cela aussi il eut le
secours de la culture étrangère. Et cette relation avec le
sauvage permet de dire , à la fin
: le mythe de la Destruction
et de la Résurrection du monde n'est pas racial mais il est
universel. Le psychanalyste, l'historien des religions le
disent. C'est "une reprise d'un thème pré-chrétien répandu dans
le monde entier"
(1). Ceci dit, faisons le point sur l'initiation
tzarienne.
Par la poétique, est aboli le sentiment de la contrainte,
du temps et de l'espace; sont asservis et convertis en jeu le
labeur, l'action, la peine. Qui dès lors se déroulent dans une
quiétude parfaite. Le pêcheur, le forgeron,
le haleur, le rameur
par exemple doivent à ce pouvoir de ne pêcher, de ne forger, de
ne haler, de ne ramer, mais de se délecter de pêcher, forger,
haler, ramer; et le primitif, de ne mourir de la douleur de la
disparition du parent, mais de se la rendre supportable. Et
Tzara de retenir : "à travers les vicissitudes,
les peines, les
malheurs,
l'homme a toujours lutté pour le perfectionnement
de sa condition matérielle et morale"
(2). Le poète a donc
décelé et apprécié fort positivement la finalité de la poésie
nègre j
par elle, l'homme améliore sa condition sinon qu'il
(1)
JUNG
(Carl Gustav). - L'Exploration de l'inconscienb.p.99
(2) TZARA
(T.)

-
ü.c.rVo_p. 305

,
"
,
168.
trouve une solution à l'enfer du monde,
à la douleur universelle
dont i l est spectateur. Elle agit sur l'ordinaire et sur
l'exceptionnel,
sur le profane et dans l'acte sacré.
Par delà le
ludique et l'esthétique, elle privilégie le symbolisme et la
catharsis. En ce sens, elle est essentiellement utilitaire.
Son fonctionalisme est voué à une mission; celle de rendre
possible le bonheur des hommes,
sur le plan de l'ordinaire et
sur celui de la métaphysique.
Donc,
la poésie a impressionné sur deux plans : comme
art utilitaire puis comme poésie du mysticisme.
Sur ces deux
1
!'Ii
plans, elle favorise la conciliation des contradictions
de
l'existence. Elle définit donc un humanisme qui est l'unité
aux plans spirituel et cosmique, rappel du sens et de la
dimension de la vie. Dépassant le niveau de cet humanisme,
les écrivains se saisirent d'arguments leur permettant d'affir-
!
mer l'existence d'une culture négro-africaine.
1
!
f
III -
EXISTENCE D'UNE CIVILISATION
============================
1
!~
Paulhan passe par l'argument du relativisme
~
.'
~:
culturel et Tzara, par la différence entre les fonctions de
.'
i
f;
m
l'art européen et celle de l'art nègre.
~:i
~
A.
PAULHAN
1
Outre les traductions dialogiques de hain-teny,
Paulhan
1
offre deux textes qui parlent directement du peuple mérina
1
Aytrê qui perd l'habitude et Les ReEas et l'amour chez les (~frinas 1
~
1-
(1)
Publié en 1971, donc après la disparition de l'auteur
~!,

169.
Ce sont des récits. Dans le second,
l'auteur évoque sans les
approfondir vraiment,
les thèmes du
don, des interdits sociaux,
des rapports
entre l'amour et les aliments etc . . . Après les
avoir scrutés longuement nous avons abandonné ces thèmes avec
le sentiment que Paulhan a approché une matière et ne nous en
dit pas grand chose. Certe~ Essai sur la psychologie du Hova
de Emile Cailliet par exemple compense à cette lacune que Marc
Augé à qualifié d'"occasion manquée " Cl) .Aytré qui perd l'habi-
tude n'est pas non plus une ethnologie d'intérêt sérieux.
Toutefois,
ici et là, on peut dégager la méthode et l'objet de
l'écrivain
i l rapproche le monde blanc et le monde noir pour
insister sur les différences psychologiques. Ainsi, Les Repas
et l'amour oppose l'Européen et le Mérina autour de l'activité
sexuelle.
L'indigène dont Paulhan partagea la vie et dont i l traite
dans Les Repas et l'amour chez les Mérinas,
a une conception
de l'amour qui en fait un homme complet. Pour lui,
cet acte est
"une chose simple et convenable"
{p. 52). D'oü la philosophie
qu'il s'en f a i t :
"l'amour est un besoin très simple auquel on
ne peut se soustraire."
(p.
46).
Il faut cependant éviter les
conclusions hâtives suggérées par ces observations
quoiqu'elles
ne soient aussi approfondies à la manière des études anthropo-
logiques actuelles, celles de Paulhan donnent à distinguer la
liberté dans cet amour de la dépravation des moeurs dans les
sociétés modernes
:
"la grivoiserie aimable,
comme la comprennent
les Européens est aussi une chose inconnue des Mérinas."
(p.55)
(l)AUGE
(Marc.) .-~Les différences et l'indifférence: Paulhan
écrivain et ethnologue"
in : Jean Paulhan le souterrain.
(Centre international de Cerisy-La-Salle.
sous la Direction de
Jacques Bersang. p.26

170.
En bref: cette vie - cette poésie -
marque l'adolescence
c'est le temps de la poésie pastorale dont nous avons parlé -
Là,
tout comme le montre Marcel Granet, dans Fêtes et Chansons
anciennes de la poésie de la Chine, elle joue une fonction
utilitaire. Initiatique, elle est le temps de l'apprentissage
d'une vie sexuelle équilibrée et strictement fidèle, après le
contrat du mariage. Or ,
contrairement à ce procédé, l'amour
européen est entouré de dogmes bourgeois, repressifs
pour
l'inconscient,
l'instinct:
la nature. En raison des contrain-
tes de cet encadrement, dit Paulhan, disparaît "l'idée simple
et saine de l'amour"
(p.65). Puis, consiôérant les déviances
bien connues qui résultent de ces prohibitions élitiques,
l'au-
teur catégorise l'amour européen comme un fait contre nature,
"n~gatif" (1), et celui du primitif comme un fait en harmonie
avec la nature,
"positif"
(2). on connait la contradiction
de
l'image de l'enfant anormalement excité devant les choses quand
elles lui furent longuement cachées et celle de la tranquillité
de celui à qui le même univers fut adroitement révélé à temps
opportun. Paulhan indique que Ècivilisé correspond au premier
et le primitif, au second. Puis i l conclut,
établissant la
supériorité psychologique du dernier
: "en amour,
les Hérinas
ont été pareils à l'enfant riche et les Français, à l'enfant
pauvre."
(3).
Il sera possible, avec Ralph Ellison de citer des exemples
afro-américains de la valorisation de cette plus grande maturité
(1)
(2)
Les Repas et l'amour chez mes mérinas, cf. p.59-70
( 3 )
l b idem, p. 6 6

171
psychologique du nègre.
Invisible man offre l'image d'un
esclave libéré, Trueblood
(1). Ce nègre eut un amour inces-
tueux avec sa fille,
qui en porte une grossesse . A côté de
cette figure, apparait celle d'un blanc capitaliste. Violem-
ment amoureux de sa fille,
i l a toujours été incapable de
s'affranchir de ses principes moraux.
Sa souffrance n'en
est que plus atroce. Au nègre, ce martyr des instincts
refoulés demande s ' i l vit le chaos sans y sombrer. Je ne m'en
porte que mieux, répond ce dernier.
-
You have looked upon chaos and are not destroyed ?
-
'No such ! l
feels aIl right !
(p.46)
M~is il faut dire ceci surtout: c'est au moyen de ses
valeurs folkloriques que le nègre se défantasme et s'attribue
une supériorité sur l'homme moderne. Chez Trueblood, c'est
le blues
(2) qui servit à transformer l'inceste en acte
innocent: dans un style qui mêle l'argot américain et le
puzzle afro-américain, l'homme se justifie, rappelant qu'il
faisait noir, que, couchés,
ils étaient tous deux dans un
demi-sommeil, qu'il yeut un contact involontaire des corps
et tout se passa comme dans un rêve:
surnaturel,
l'acte ne
relève pas du domaine des capacités humaines et s'explique
par la logique des forces irrationnelles. Autrement , par
la catharsis folklorique,
le nègre a rendu tolérable un
acte amoral. Par contre le blanc souffre à la fois du désir
et de l'impossibilité du désir.
(1)
Interprétation possible : True-blood : vrai sang de sa race
(2)
ELLISON
(Ralph). -
Invisible man. op.
cit . • p.
46-60

172.
Insistons, avec Ralph Ellison encore, sur ce parallé-
lisme imagologique. Au nègre, dit l'auteur de Shadow and
act son folklore fait escalader très promptement les échelons
nécessaires de la rraturité
psychologique. Les dogmes bourgeois
perpétuent les états infantiles chez le "civilisé".
""
Here
(in Harlem)
i t is possible for talented youths to
leap through
the development of decades brief
twenty years, while beside them white haired
adults crowl in feudal darkness of children
(1)
Et si l'on revient à Paulhan,
i l apparaîtra que le chercheur
tend à dégager une règle générale du comportement humain.
Selon que nous étouffions l'inconscient ou lui accordions
quelque place, notre comportement n'est pas ou est normal;
i l est négatif
(sentimental)
ou positif. Mais:
Chez les peuples comme chez les individus un acte
prend
(
) un caractère sentimental et théorique
quand on est gêné pour l'accomplir, quand on a
peur, quand la satisfaction du désir n'est plus
régulière ni simple
(2).
Cette citation résume bien la réflexion et nous permet de
conclure comme s u i t : le comportement du civilisé n'est pas
garant d'un plus grand bonheur que la spontanéité primitive.
Aytré qui perd l'habitude véhicule le même message.
Ici cependant, le rapprochement semble plus scabreux.
Mais i l faut choisir.
Si l'on croit, comme Jean-Yves Tadié/
que le procédé de "Paulhan narrateur"
(3)
consiste à présenter
des récits caractérisés par "l'absence de conclusion" et
l'impossibilité d'un dénouement,
i l est possible de procéder
à ce rapprochement. Le choix opposé annule la discussion et
n'est point le nôtre.
(1)
ELLISON
(Ralph).- Shadow and Act.- Random House, New Yorki
1964 __ p.
296
,
~
.
(2)
PAULHAN ( )
Jean.- Les Repas et l
amour chez les Mer~nas,
op. cit ... p. 69
(3)
TADIE
(Jean-Yves). -
"Paulhan narrateur" in:Jean Paulhan
Le Souterrain. - op. cit. -
p.41-S2

173.
La particularité de Aytré dont l'action est animée par
des noirs et des blancs à la fois, c'est de nous faire péné-
trer la vie intérieure de ses personnages seulement par ré-
trospection. Mais surtout/l'impression générale qu'on en
reçoit émane de la contradiction entre deux images: l'une
est explicite et décrit la médiocrité du noir;
l'autre est
implicite et dénonce le monstre qui naît avec la supplanta-
tion - chez le civilisé, du moi par le surmoi.
Deux caractéristiques peignent la médiocrité du groupe
des nègres. 1e mélange des ethnies d'abord: ils sont un
véritable amalgame de WOloff, de Malgach~, de Bambara, de
Toucouleu~. Et la description en est si burlesque que l'on
en retient à peine son rire. En second lieu,
ils sont mora-
lement négatifs, tant chacun d'eux est enclin aux péchés:
"voleurs" par excellence, ils sont aussi bruyants, violents,
coléreux, agressifs
(cf.
p.
175,189). D'autre part "leurs
moeurs sont tout ce qu'il y a de plus dépravé"
(p.191)
Mais à la fois,
le nègre est "un être craintif, mou et peu
travailleur"
(p.190)
Pourtant cette image est peu pregnante.
Nous n'avons pas le temps de catégoriser réellement les
agissemen~avant que l'intrigue - du reste assez légère, nous
en détourne. En sorte que la seule impression qui demeure est
la suivante: les fautes du nègre ne sont que de petits péchés.

174.
Mieux, des erreurs sympathiques d'enfant profondément
heureux.
Le nègre,
non,
la personnalité qui émane de lui est
donc prise en sympathie. A côté d'elle,
se dessinent deux
portraits du blanc, qui rentrent en rapport comparatif avec
la première image pour mettre en évidence le choix de l'auteur
Mais avant de repeindre ces deux images,
i l faut apporter
1
un éclaircissement.
A partir du moment où le noir perd la vedette dans
1
le récit, quatre européens sont mis en avant:
le narrateur,
1
collègues
Guatteloup et Aytré, puis une
ces deux
femm~
1
Raymonde.
Raymonde est assassinée et -
noeud de l'intrigue,
1
l'auteur du crime reste inconnu.
Dès lors, une athmosphère
malsaine règne entre les trois hommes. Personne n'en parlait
mais chacun était habité par la même pensée, que le narrateur
extériorise
"l'un de nous trois pouvait être l'assassin"
(Pf182).
Puis progressivement, chaque conscience s'empoisonne
de ses propres idées obsessionnelles;
jusqu'à ce que le narra-
teur et Aytré émettent de véritables signes de névrosés.
Le narrateur est sujet à
la "sublimation"
d'un désir
refoulé
: Raymonde lui avait fait des déclarations amoureu-
ses.
Il les avait rejetées avec une telle désinvolture que la
femme en fut blessée. Mais, Raymonde disparue cet homme
laisse percer des attitudes troublantes 1 ha suspicion d'abord
violemment désireux de découvrir le meurtrier,
i l jette un
soupçon gratuit sur Guatteloup. A ce soupçon s'ajouta un

175.
agissement tout aussi imprévisible :
sans aucune raison
sérieuse, le narrateur dépense une part de l'argent que la
femme lui avait demandé d'expédier à sa famille à elle. Tous
ces gestes trouvent leur explication vers la fin du texte.
Le narrateur souffre du retour d'un sentiment refoulé. Car,
en réalité,
i l désirait Raymonde,
si ce n'est qu'il l'aimait.
Mais s ' i l a même poussé son apparente indifférence jusqu'à
l'impertinence, c'est que,
inconsciemment le personnage
était comblé par la seule présence de la femme.
La satisfac-
tion inavouée lui a imperceptiblement suggéré le refus,
le
refoulement
des aveux de la femme,
qui correspondaient à
la manifestation extérieure-consciente , de son inconscient.
L'objet du comblement ôté, cet inconscient refoulé s'est
rebellé. D'Où le languissement du personnage, qui ne se
sent plus vivre: l'j'étais
( ) ou plutôt quelqu'un était
et qui était moi" dit-il
(p,17?). S'est donc créée une frus-
tration, laquelle recommanda la quête d'un alibi compensa-
teur
le soupçon,
la dépense irrégulière furent des trans-
ferts affectés à cette compensation. Comme dirait Freud expli-
quant le transfert, par le soupçon et la dilapidation de
l'argent, le personnage "déverse
( ) un trop plein d'excita-
tions affectueuses
( ) mêlées d'hostilité qui n'ont leur
source ou leur raison d'être dans aucune expérience réelle
/1
••• elles dérivent d'anciens désirs inconscients
(1) -Ecrivant
Aytré,paulhan a pu se rappeler ses notes sur la vie du Mérina.
1
1
Car, dans Les Repas et l'amour chez les Mérinas on l i t une leço~
proche de l'enseignement
du fondateur de la psychanalyse, et
(1)
FREUD
(Sigmund). -
Cinq Leçons, op. cit . • p.
61

176.
qui explique le malheureux refus du
narrateur à reconnaî-
tre sa nature
Si l'on pouvait toujours avoir à soi une femme au
moment oü on le désire, on ne songerait guère qu'elle
est absolument nécessaire à notre bonheur
p.66
c'est dire: notre vie n'est normale, équilibrée que lorsque
l'inconscient est pris en compte comme le nègre le fait.
Lui retire-t-on un bien nécessaire et voilà tout notre être
vascillant. Déductivement
: comme l'enseigne la psychanalyse)
notre plein épanouissement suppose une attentivité à une
part de la nature, au petit enfant qui dort en chaque indivi-
du. D'une autre façon, Aytré dit la même réalité.
Aytré représente le "transfert"
du désir impossible,
car finalement,
le récit révèle qu'il est l'auteur du meurtre
Ce fut un crime passionnel. On comprend alors pourquoi, sous
un prétexte, il avait fait annoncer par Guatteloup une déci-
sion alors inexplicable:
"Aytré veut quitter la colonie "(p.17~
1
;>
Butant contre l'impossibilité de s'éloigner, l'assassin chercha
une autre forme de désaliénation. On constate sans rien y
comprendre que le journal de route vers quoi i l se précipita
pour la première fois se transforma formidablement. Au point
que le narrateur ne peut contenir son émerveillement
:"Vraimen~
!
c'est devenu du coup un journal véritable, un journal pour
instruire
( ) quelqu'un d'autre. Aytré ne se suffisait plus ... "
(p.197). Ce dernier agissement est bien conforme à un indice
d'ordre psychanalytique: la sublimation du désir impossible.
i
Aytré a créé l'impossibilité de l'assouvissement de ses senti-
i
1
f
f
e
~

177.
ments en supprimant la vie de Raymonde.
Il devait supplanter
son mal en investissant ses efforts dans de l'extraordinaire.
Exactement comme dit Freud encore.
Les désirs infantiles peuvent manifester toutes leurs
énergies et substituer au penchant irréalisable de
l'individu un but supérieur situé parfois complètement
en dehors de la sexualité: c'est la sublimation
( . . . )
C'est à l'enrichissement psychique résultant de ce
processus de sublimation, que sont dues les plus
nobles acquisitions de l'esprit humain.
(1)
Donc par-dessus tout, de même que le narrateur, Aytré est
un malade, malade du primat du surmoi sur le moi. La perte
de l'habitude/c'est la manifestation extérieure de l'homme
noir -
logé en chaque conscience-, qui, n'en pouvant plus
d'être étouffé
bouscule notre hypocrisie)fait violemment
irruption. Mais c'est surtout par rapport au primitif que
l'image télescopique des deux européens devient significative.
Quelque peu approfondis que soient les thèmes, on
constate que les deux races sont évoquées pour ironiser la
supériorité de la civilisation du blanc et démythifier le
colonisé. La vertu ni la médiocrité ne sont exclusivement
rattachées à
un
peuple singulier • Quand naquit la Négritude,
le même thème
(la sexualité)
fut traité avec le même humour
et selon les mêmes rapports sociaux, par Ferdinand Oyono dans
Une vie de boy. En bref,
i l s'est agit de dire, autant avec
Paulhan qu'avec Oyono, qu'il existe une culture négro-africaine
qui se définit entre autres facteurs, par un comportement
(l )
FREUD
(S.)
. - op. ci t • -
p. 64

178.
réaliste et des agissements correspondants à une catharsis
quotidienne.
Il ne suffit pas de constater que Paulhan se surprend
en train de découvrir une culture.
Il fait le bilan de
l'utilitarisme poétique nègre.
L'E xpérience du proverbe
révèle les impressions de ce principe sur l'écrivain qui
y déclare que l'humanisme malgache est à "l'image d'une âme
( . . . ) moraliste,
subtile et critique"
(1).De cette caractéris-
tique qui l ' a fortement impressionné le français dit encore:
J'aurais volontiers défini les Malgaches par la subtilité
d'esprit,
la douceur et la liberté de leurs moeurs,
leur
morale faite principalement de prévenances et de poli-
tesse
(2).
Dans l'introduction de son étude sur Les Civilisations africai-
~, Denise Paulme adresse une retentissante leçon à certains
Européens.
L'esprit paulhanien nous la rappelle
:
Selon un principe tenace,
les Africains n'auraient
aucune part dans l'oeuvre générale de la civilisa-
tion
(
) En fait,
la barbarie présumée des Africains
résultait surtout du mépris avec lequel les Européens
de la fin du XIXè siècle ont abordé des populations
vivant depuis plusieurs générations dans un état de
guerre et d'insécurité perpétuel "(3)
Déductivement, Denise Paulme affirme l'existence d'une culture
noire. Et
c'est à cette même observation que Paulhan en
arrive. Ecoutons-le l'enseigner dans ce parallélisme:
Le civilisé nous frappe par ce qui en lui échappe à
notre attente,et paraît la contredire :
les traits
de barbarie.
Le primitif, par les traits de civi-
lisation
(4)
(1)
PAULHAN
(Jean-.
- O.C.
II-p.114
f
(2)
Ibidem p.77
1
(3)
PAULME
(Denise).
-
Les Civilisations africaines.
-
Paris,
P.U.F.
,
1969._p.5.
f
(4)
PAULHAN
(J.)
- O.C.II,_p.77
.'
1

179.
Puis intégrant de plus en plus ces travaux sur les
hain-teny dans l'ensemble de sa réflexion, Paulhan explique
combien la culture qui s'en sert relève des valeurs univer-
selles. En tant que moyen de création de la béatitude, le ha
teny exprime une "hantise
que l'on eut aisément retrouvée
dans n'importe quel folklore"
(p.419). Parlant des proverbes/
-élément capital du hain-teny, Marcel Jousse dit ceci, qui
insiste sur l'universalité:
"les termes oraux de ces prover-
bes ne sont donc que la verbalisation
(
) du comportement
(
universel"
(1). C'est-à-dire, pour nous: comme tous les fol-
klores du monde, le hain-teny représente un lieu de la matrice
des civilisations, et i l permet d'affirmer l'existence d'une
civilisation négro-africaine. Voyons maintenant comment Tzara
répond au problème.
B)
. TZARA
rI part de cette donnée : contrairement à
celui du monde occidental qui est fondé sur un "principe"de
gratuité"
(2)
l'art nègre -
qui est utilitaire - véhicule
toujours une "signification"
(2)
sociale;
il "n'est pas un
simple objet de divertissement"
(o.c.rV-p.312). L'écrivain
repète abondamment cette opposition dans plusieurs articles
dit-il "répond à des besoins précis soit religieux, soit
(1)
JOUSSE
(Marcel)
- Antrhopologie du Geste. Le parlant, la
parole et le souffle. - Gallimard,
1978f - P.222
(2)
TZARA (T.).
- o.c.rVo_p.SI3

180.
sociaux"
(p.315)
et tous les motifs y sont chargés de sens.
L'Européen ne doit pas s'y tromper:
L'art des peuples noirs n'a rien de gratuit
( ) Le
sentiment esthétique, dans l'acceptation que nous
lui donnons, étant étranger à ces artistes,
il
faut croire que nos préoccupations du beau corres-
pondent à leur sens de l'efficacité.
(p.315)
Mais pourquoi cette insistance sur l'utilitarisme artisti-
que? C'est que Tzara a pris parti pour ce style. Conformément
à l'enseignement de Rimbaud ce révolté réclame la fin de
l'art et invite au retour vers un art qui ait une emprise
sur la vie sociale, un art d'utilité collective, et qui se
confond avec la vie même. Car, dit
l'auteur
L'art et la vie sont inséparables dans leur acception
individuelle comme sur le plan plus général du devenir
du monde. Et c'est ce qui doit nous intéresser le
plus
(p.558)
Ce message signifie que l'oeuvre d'art doit être elle-même
un univers,
"un tout complet" comme il en est dans les
représentations des peuples primitifs. Un tout dans la
création duquel "l"activité de l'esprit", élément purement
humain, psychique, vital, et le "moyen d'expression", élément
de civilisation, de perfectionnement, se confondent"
(p.514).
Nous reparlerons de cette connivence nécessaire des deux
lieux de la pensée. Pour l'instant concluons de la façon qui
suit: au terme de l'initiation à la culture nègre, Tzara a
opté pour un art utilitaire. Ce ne serait pas suffisant de
constater que ces investigations l'ont amené à prendre le
contre-pied d'une pratique littéraire. Outre cette révolution
i l donne à voir que du point de vue artistique, la culture,

181.
occidentale est inférieure à celle du nègre.
Et la supériorité
culturelle est la preuve d'une civilisation.
Les arguments de cette leçon s'enroulent
autour
du principe de l'utilité de l'art nègre.
En bref, le poète
annonce que le monde nègre est une civilisation ignorée,
même par les ethnologues.
De fait,
en commentant la "Note
sur la poésie nègre"
(1), Henri Béhar, dit,
à l'honneur de
Tzara
Souligner les caractères fonctionnels de la poésie
africaine et son accord avec l'univers en dehors
des milieux spécialisés d'ethnologues était, à
l'époque, encore plus exceptionnel que de s'intéres-
ser aux statues et aux masques
(2).
Cette observation montre en quoi, plus que les cubistes mêmes,
Tzara était au-delà de l'exotisme pur. On peut dire plus:
en raison de l'efficacité attendue de la poésie nègre, le poète
conclut à une supériorité de la culture étrangère sur celle
de l'occident.
" Pour être représentatif d'une culture" dit-
il,
"l'art ne saurait se contenter de gratuité"
(3). Plusieurs
1
textes comme "Le pouvoir des images",
"la révélation de l'art
1ti
africain par l'art moderne" (4)
puis "l'Egypte face à face" (5)
f
dénoncent le complexe de supériorité des Européens pendant
qu'ils font,
à travers l'Egypte,
l'éloge de la grandeur de
1
~
la civilisation africaine. Les complexés, dit Tzara, ne sont
f,
1
que des Européens médiocres, et il n'y a que ceux-là pour
1
mépriser une réalité qui est précisément l'heureuse "enfance
(l )
TZARA
(T.). -
O. C • 1._ P . 4 0 0
(2)
Note par Henri Béhar. O.C.I.-p.707
(3)
TZARA (Tristan). - O.C.I~_p.546
(4)
Ibid. p.
507-512
($)
Ibid. p. 539-556

182.
de l'humanité."
(1)
Ce renversement de situation culturelle prongncé par
l'auteur revendique la remise en cause d'un certain ~ombre
des acquis de la science ethnologique
depuis ses balbutiements.
En particulier les termes "sauvage",
"primitif", ne lui
paraissent pas plus assortis à une race plutôt qu'à une autre
et tout ce lexique lui paraît devoir constituer l'objet d'une
révision. Lévy-Bruhl avait déjà dit "la plus grande partie des
documen t s
( . . . ) ne peu't
être utilisée qu'avec de grandes
précautions
( ... ) .. En toute bonne foi,
les premiers observa-
teurs
(··i déforment et faussent presque toujours les ins-
titutions et lascroyances qu'ils rapportent"
(2). POJrtant,
même celui-là n'échappe pas à la condamnation tzarienne. Lui,
met l'accent sur la nécessité de changer le contenu du concept
"évolutionnisme" • Plus qu'une société n'est à évaluer par
rapport à l'état de développement des autres pays, elle
doit être appréciée dans sa structure interne et par rapport
au dynamisme de cette structure. Parce que, avance-t-il, toute
"vie tribale avec tous ses mythes
( . . . ) qui forment une sorte
d'exutoire à l'influence occidentale - est en continuelle
transformation" (3) . Autant dire:
sur le plan culturel, c'est
un riche patrimoine que le colonisateur a d'abord détruit.
(l )
rb id. P . 54 l
(2)LE~!-BRUHL.-.La Mentalité primitive#_p. 509
(3)
TZARA (Tristan). - o.c.rv._p.
568.

183
Tzara veut donc dire: c'est aussi un niveau de culture
humaine ce que l'on appelle "barbarie"
,
"sauvagerie",
"état primitif"
:
A ce niveau, on peut dire que Paulhan et Tzara ont
insisté sur une même idée. Richard Wright aurait dit :
"Avant
d'être enlevés et déportés comme esclaves en Amérique
(
nous avions possédé en Afrique notre propre civilisation."(l)
A long terme, nos écrivains font presque une histoire des
littératures. En tout cas,
ils ont démontré ceci : de même
qu'il existe une civilisation occidentale, autant il existe
une civilisation du monde négro-africain.
A ce niveau nous pouvons dire que deux faits fondamen-
taux sont dégagés:
l'utilitarisme d'une poésie où le mysti-
cisme intervient souvent; l'existence d'une culture. Mais
rappelons-nous l'époque des deux auteurs. La tâche où ils se
complaisaient en pleine période coloniale juxtaposait des
valeurs rivales à celles .de l'occident.Et implicitement, elle
ouvrait la brèche d'une réflexion controversante pour le crédo
de la civilisation cartésienne. En bref, le Noir et le Blanc
vont être pris en compte et constituer l'objet d'une réflexion
qui signifiera la volonté des auteurs de créer un nouvel
humanisme valable pour le monde entier, qui serait indifférent
aux couleurs et s'organiserait selon un critère unique: amé-
liorer la condition de vie de l'espèce humaine dans le monde
d'aujourd'hui. Les deux aires
culturelles dont nous traitons
constituent donc les éléments d'un projet bipolaire du monde
nouveau.
(1)
Cité par Janheing Jahn dans Muntu, l'homme africain et
la culture néo-africaine.
- Paris, Seuil,
1961o.po24

184
CHAPITRE II
PROJET BIPOLAIRE D'UN MONDE NOUVEAU
Pour le négro-africain cette amélioration s'appelait
respect de l'humanité/même à travers l'homme de couleur; dans
les circonstances de l'époque, ce respect se ramenait à la
libération du joug colonial. La voie la plus directe disponi-
ble pour l'expression de cette réalité, c'était la critique
de l'idéologie colonialiste. Les auteurs y étaient confortés
par leurs découvertes. D'un autre côté Tzara et Paulhan ont
eux-mêm~ incarné la complémentarité entre l'esprit logique
et l'humanisme négro-africain. Celle-ci est affichée par
l'incidence de la vision cosmique du nègre sur la métaphysi-
que des deux auteurs.
l
-
REVOLTE CONTRE LA COLONISATION : POUR LE NOIR LIBRE
===================================================
C'est autour de trois motifs que s'exprime la révolte
en faveur du Noir: la déshumanisation de l'indigène, la
destruction de sa culture puis le remède envisagé par l'auteur
pour guérir ces maux.

185
A)
CONTRE LA DESHUMANISATION
Mandaté en 1907 pour répandre la civilisation
occidentale à Madagascar
(1), Paulhan fut parmi
les
premiers français de notre siècle à dénoncer très adroite-
ment les procédés et l'application de
l'idéologie de la
colonisation. Aytré qui perd l'habitude témoigne de cette
remise en doute. L'auteur réussit à convaincre à l'aide de
deux procédés:
la distanciation
et l'humour contre le
décalage entre la théorie et la pratique de la morale du
missionnaire.
Le narrateur ne prend rien au sérieux. Quoique mission-
naire et responsable d'un convoi, i l reste indifférent à
l'esprit impérialiste qui devrait prévaloir dans cette acti-
vité. Parallèlement à ce détachement personnel,
le narrateur
jette un regard sur ses pairs.
Il montre un décalage entre la théorie
(Eliminer la
sauvagerie et humaniser)
et la pratique. Les colons sont
négatifs, à commencer par le Gouverneur, qui est un homme de
peu de foi.
"Le gouverneur est faux;
( )
je lui fait un petit
cadeau, ce qui ne nous fait pas plus mal voir, au contraire"
dit le narrateur
(p.188). Pis, dans la pratique, la colonisa-
tion est extrêmement contraire à ses propres principes. Elle
est exploitation, déshumanisation:
les terres de l'indigène
lui sont arrachées, et en corvée, ce dernier les met en valeur
sous la surveillance paternaliste du Blanc
(p.189-l90). Enfin
au-delà de la corvée se trouvent la torture et même la mort :
(l)Paulhan faisait partie du groupe des fondateurs du premier
lycée de Tananarive

· 186.
"Les malgaches meurent en servant la France"
(p.192). Ces
propos montrent combien, au coeur même de la colonisation,
un Français
énonça
les thèmes anti-impérialistes qui furent
développés plus tard par les militants de la Négritude.
La déshumanisation, Black boy
de Richard Wright, Une vie de
boy, Le vieux nègre et la médaille de Ferdinand Oyono, ~
bouts de bois de dieu de Sembène Ousmane la stigmatisent.
Ici s'affiche donc une noblesse de la littérature. Paulhan
disait à ses compatriotes : peut-être la tâche comporte-t-
elle quelques bonnes intentions; mais la morale qui prévaut
à son application anéantit toutes les chances d'un succès
généreux pour les deux races. Cette sorte de condamnation,
Tzara l'a également pratiquée.
Sur ce point, nous osons approuver Huelsenbeck
(1)
et affirmer une intervention directe et fort importante du
poète dans la composition de certains textes classés "poèmes
nègres". Ce sont des poèmes OÜ le fond l'emporte sur la forme
et qui se suivent dans un ordre qui ne semble pas gratuit. Ce
sont les poèmes aux numéros:
25,
26,
47, 49,
50,
63,64.
Nous ne croyons pas que ces textes qui figurent bien au nombre
de ceux désignés par Huelsenbeck aient été du cru du colonisé
de la brousse au XIXè siècle ni même de celui du XXè siècle
d'avant les indépendances. Le poème 63 par exemple livre
l'image de l'horreur de la colonisation: elle est châtiment
corporel
(1)
cf, note (2)
p. 81.

187.
Et ils prirent Gbadoe le couvrirent de biens
ils battirent Gbadoe au point qu'il en lâcha sa merde
p.480,63
La pratique colonisatrice fut aussi, selon le même poème,
contrainte de l'indigène à l'exil. Mais conformément à l'image
donnée par le poème 47
:
"yao",
i l y avait pire. Ce pouvait
être la dévastation, la spoliation,
l'extermination même de
la race des indigènes :
Ensuite ils se sont enfuis, mais les
Allemands sont venus, et voilà le
danger, Tout le bois est brûlé,
Les fourmis furent brûlées, les chèvres
furent brûlées;les poules furent
brûlées, tous les gens furent tués.
Ce fut la levée des impôts;
ils durent apporter
des roupies par centaines. Ce n'était pas encore
assez. Le coeur fut serré d'angoisse. Nous
préférons rester de l'autre côté
du Lunga. Monsieur Sulia
télégraphia à Monsieur le sous-préfet
i l vint
pour me tondre la laine sur le dos
et en faire: u-n sac pour ses pesos.
Maintenant je suis las
Les crânes ne jouent pas,
seul joue celui qui a
des cheveux p.
472
Par ailleurs, nous lisons les malheureuses conséquences de
l'exode rural dans le poème 64
:
"chant du chanteur KanYi
à Adydo-Ingratitude"
(p.
480-481). Tout comme l'Africain
Mongo Beti le reprendra plus tard dans ses romans, Tzara
donne à voir la désillusion dramatique des adolescents du
monde rural qui se laissent attirer par le miroir de la
ville.
Ils y viennent connaître la "misère". Les garçons, à
travers un travail inhumain;
les jeunes filles, dans la
prostitution : "mauvaises femmes, vous lIOUS corrompez à
Lomé"
(p. 480}.

188.
Parallèlement à cette image noire, apparaît une autre
où aux richesses matérielles du civilisé, le nègre oppose
sa modestie, sa jovialité et sa sagesse qui se moquent d'un
bonheur artificiel. C'est l'exemple du poème 26 :
"Je suis
un passager". L'indigène semble dire:
la monnaie étrangère
apportele bien-être mais je lui oppose mes richesses natu-
rel les :
Les étrangers et les Hollandais vont faire le commerce
Le commerce fait avoir des trésors,
à moi de l'argent poin
A moi point d'argent,
je berce les mains vides
( ... )
Je désire le muscadet qui se tient près de l'eau . . .
La fleur qui se tient près de l'~au .••• (p.457)
Evidemment tous ces phénomènes insistent sur la prédilection
de Tzara pour le respect des biens non matériels. Comme avec
Paulhan, on retrouve l'esprit humaniste européen du XXè
siècle prenant le contre-pied
de la déshumanisa-
tion.
Ici
Tzara
a
jeté les bases du militantisme du
Mongo Béti de Ville Cruelle, tout comme Paulhan
l'a fait pour
d'autres pionniers e~
~a lu~te pour l'émancipation du noir.
Mais allons plus loin et parlons de la critique de la destruc-
tion
de la culture.,
B). CONTRE LA DESTRUCTION DE LA CULTURE
Des regrets
émaillent le texte des hain-
teny publié par Paulhan chez Guethner en 1913, qui sont repris
dans Langage l
(Tome II~:) La disparition de la culture mérina
inquiète ce français.
Et la gravité du problème réside en ce
(1)
PAULHAN
(Jean).
- O.C.
II, cf. p.99,
107-108,
109

189.
que la population future est la plus atteinte par le mépris
même de la langue autochtone,
à la faveur du français dont
la connaissance confère orgueil et sentiment de salut.
L'important n'est pourtant pas le phénomène; mais l'attitude
de l'enseignant. Le ton sur lequel il en parle révèle sa
révolte contre cette réalité. On l'entend dire des duels
poétiques :"les jeunes gens les dédaignaient"
(1). Et
étendant la critique à la culture générale,
il affirme
dans
Les Repas et l'Amour chez les Mérinas:
Ces croyances furent longtemps puissantes chez eux.
On leur obéit encore scrupuleusement dans quelques
vieilles familles, quand les fils ne sont devenus
ni pasteurs, ni employés de bureau. Car les Mérinas
ne savent défendre leurs moeurs et leurs croyances ni
contre les missionnaires,' ni contre le gouvernement
français.
(2)
Certes à l'époque,la formation scolaire ne pouvait également
impliquer le système occidental et la connaissance
nègre./
avant quelques expériences.Et cela nous permet de nous
retrouver
sans complexe dans cette observation je Jean Derive qui parle
de ses élèves centrafricains, encore qu'il
aurait
pu
affirmer le même fait à propos de certains de ses étudiants
d'Abidjan
(Côte d'Ivoire)
Déformés qu'ils sont par la nature de l'enseignement
qui leur est dispensé,
l'immense
majorité d'entre
eux a tendance à priori à considérer avec un certain
mépris ces mêmes oeuvres, poésies, épopées, contes
lorsqu'elles se présentent sous leur forme authentique,
en langue vernaculaire
(3)
(1)
PAULHAN
(Jean).- O.C.
I~-p.99
(2)
PAULHAN
(Jean). - Les Repas et l'amour chez les Mérinas.
-p.lO
(3)
DERIVE
(Jean). -
op. cit._p·
85

190.
Mais ne faussons pas le débat. Si nous sommes des nègres
qui ne connurent de littérature africaine
à leur programme
scolaire qu'en Faculté et presque sous forme d'initiation,
la situation a bien évolué et aujourd'hui l'on peut être
riche aussi bien de Ronsard que de Ousmane Sembène. Néanmoins
des inquiétudes demeurent, dont nous parlerons dans les pages
suivantes . En attendant on doit retenir ceci : Paulhnn qui
partit à Madagascar pour une fonction d'enseignant dénonça
dès les années 1910 la disparition d'une culture, dans des
termes qui aujourd'hui encore, sont d'actualité en plusieurs
endroits du monde. Par rapport à son appartenance raciale
et vis-à-vis àe l'histoire, ce littérateur fut un original.
Tzara aussi le fut, qui parle également de cette malheu-
reuse intervention sur la culture. Cela, il le reprend plu-
sieurs fois dans "sur l'art des peuples africains"
(1) Deux
'invasions ont achevé cette perturbation; celle de l'Européen
"la conquête de l'Afrique noire par les Blancs a provoqué un
dérèglement (
brusque des conditions de vie des peuples
noirs"
(p.317)
, puis celle des Arabes :
A la détérioration des formes de vie et des institutions
nationales provoquée par les conquérants s'ajoute
l'islamisation de plus en plus prononcée du continent
africain (
p.317)
Outre la détérioration du déjà acquis, il faut signaler le
fait mien connu de la baisse des oeuvres. Le conteur, l'ar-
tiste nègre authentiques subissent les avatars du changement
de la structure sociale. Ce que le poète regrette surtout,
c'est la perturbation du génie créateur. Ecoutons-le dire
(1) TZARA (Tristan). - O.C.IV._p. 314-320.

191.
une vérité dont nous-mêmes avons l'expérience:
Le souffle des artistes n'est plus capable comme
auparavant d'animer leurs oeuvres de l'esprit
créateur et inventif
(p.317)
Les historiens de l'art peuvent confirmer ce regret.
Il est
vrai que se créent des centres de formation destinés à y
remédier mais cette situation demeure encore préoccupante.
Donc,
ici encore les deux auteurs partagent une même
originalité. Mais quels remèdes proposèrent-ils aux maux?
C). LES REMEDES
Ceux de Tzara sont d'ordre général. Paulhan
a lutté en particulier sur le plan universitaire.
Avant la naissance d'Aimé
Césaire (1), ou, si l'on
préfère, un demi siècle avant l'accession des pays africains
à l'indépendance
(2), cet enseignement français engagea un
véritable combat pour la promotion de la langue malgache. Car
de retour à Paris en 1910 Paulhan obtint un poste d'enseignant
à l'Ecole Nationale des langues orientales et se mit alors à y
revendiquer la prise au sérieux de l'enseignement de cette
langue. Répétons-le après Jacques Faublée :
Chargé de cours dans cet établissement i l propose
de substituer, pour l'enseignement du malgache,
des méthodes linguistiques et scientifiques à des
procédés empiriques dissimulés dans le mot "études
pratiques"
(3)
Il ne s'est donc pas agitde créer cet enseignement. Avant lui
le cours existait. Mais sous une forme minoritaire.
Son ori-
(l)
en 1913
(2) Nous considérons l'année 1960
(3)
FAUBLEE
(Jacques).- op. cit._p.154

192.
gina1ité consista à en hausser le niveau;
à en dynamiser
la forme.
Exactement selon la morale universitaire dégagée
par Maurice Houis :
Il faut dénoncer
(
) cette malhonnêteté et cette
absurdité répandues parmi des générations d'ensei-
gnants et selon lesquels toute justification d'un
enseignement en français ou en anglais ne peut se
faire que sur la péjoration des langues africaines,
sur l'obligation de reléguer celles-ci dans une
série antique, traditionnelle et statique. (1)
Ayant agi exactement selon cette recommandation - qui du
reste est formulée après 1ui-, Paulhan, bien que précédé sur
cette voie par d'autres chercheurs, reste un promoteur
important. Nous disions qu'à travers L'Expérience du proverbe
puis La~enta1ité primitive et l'illusion des explorateurs
s'exprimait une défense de la logique primitive. Jacques
Faub1ée considère que ces oeuvres devaient probablement pré-
senter, en 1921, la nécessité "de créer,
à l'Ecole des Lan-
gues orientales une chair de malgache et non plus un simple
cours"
(2). Paulhan y a mis et la volonté/et le ton/pour garan-
t i r l'élévation de cette langue au niveau qu'elle connait au-
jourd'hui, comme langue enseignée et comme langue nationale.
Sur les deux plans elle représente aujourd'hui encore -
avec
quelques autres cas-, une exception par rapport aux nombreuses
autres langues de pays autrefois mis sous tutelle métropo1i-
taine. On. peut donc
ici encore/dire de Paulhan qu'il fut un
être original. Tzara le fut-il plus, ou moins?
(1)
HOUIS
~Maurice). - op. cit._p.7
(2)
FAUBLEE
(Jacques)
op. cit._p.
154

193.
Nous pouvons répondre : il le fut autant. Et à la
différence de Paulhan,
i l poussa plus ouvertement ses réfle-
xions jusqu'aux déductions d'ordre politique. La conclusion
sur l'étude des initiations indique combien les écrivains
estiment nécessaire l'élargissement de la notion de civilisa-
tion. Tzara aime à y insister, comme nous allons le voir
dans cette déclaration où il parle de cette notion là.
Elle n'est plus l'apanage de certains pays
( ••• ) la
doctrine de la supériorité des races blanches sur les
autres tombe graduellement en désuétude
( ). Nous
assistons à la revalorisation de tous les arts jusqu'à
présent considérés comme barbares
(1)
Mais autant que la revalorisation même, son incidence
socio-
politique importe suprêmement. Cette importance, Tzara estima
utile de l'exprimer urgemment. Car en parlant de l'élargisse-
ment que nous avons évoqué,
i l commentait:
" ..•• n 'est-il
pas le signe que l'idéologie moderne, au moins à son avant-
garde, est prêt à envisager la libération des peuples noirs
comme une nécessité inévitable ?"(2)
L'on retrouve là l'état
d'esprit du communiste que Tzara devint.
Et cela permet de
signaler qu'il a posé les fondements du surréalisme au servi-
ce de la révolution. Mais la succession du surréalisme à
Dada est d'une complexité qui ne fait pas partie de notre
propos. Voilà pourquoi nous n'en parlons pas autrement
que
dans notre annexe II . Quant à l'intérêt dusurréalisme - comme
arme de combat -, pour les peuples colonisés,
i l est très
solidement abordé dans un mémoire de maîtrise disponible
(1)
TRISTAN
(Tzara). - a.c. I~-p. 318
(2)
Ibidem p.
320

194.
dans la bibliothèque de l'UER de Littérature comparée,
Paris III
(1).
Enfin, toutes ces observations autour des deux auteurs
nous confortent dans une opinion opposée aux jugements assez
catégoriques de Jean-Claude Blachère contre le primitivisme.
En parlant d'Apollinaire de Cendrars et de Tzara,
il en
dit :
-
"Nous ne pensons pas que nos écrivains aient voulu
sciemment prendre le contre-pied des affirmations
justifiant la politique coloniale" p.185
-
"Le primitivisme littéraire ne décrit pas les pro-
blèmes réels de l'homme noir" p.193
-
"Il Y a, en effet une mystification primitiviste
dont on peut énoncer ainsi les deux grands traits
les problèmes politiques liés à la condition de
l'homme noir sont "oubliés", l'homme noir ne retient
l'attention que s ' i l est jugé primitif" p.191
-"Les problèmes politiques de l'homme noir avait été
"oubliés" p.193
Si certaines attitudes d 1 Apollinaire, de Cendrars rendent
ceux-ci quelque peu suspects, notre démonstration permet de
dire que les affirmations de Blachère ne s'appliquent pas
justement
au primitivisme de Tzara ni à celui de Paulhan.
Et si de racisme Tzara est condamnable, alors, Henri Béhàr
devrait l'être encore plus, qui, plus d'une dizaine d'années
après la disparition de l'ancien avant-gardiste, a ressuscité
les~poèmes nègresNpour le grand public. Mais nous pensons le
contraire. Nos premiers éclaircissements rendent inutiles le
rappel de l'antériorité de Paulhan et de Tzara sur le New-
(I)BIANCIARDI
(M.), GRANDJEAN
(C.)
OLIVIERI
(P.).- Le groupe
surréaliste et la
uestion coloniale.Contribution à l'his-
to~re
e 1 avant-garde du 20è siècle~ - Paris, 1971.-156 p
(2 vol. UER de littérature comparée Paris III Côte L.C.
D.E.S. 8603)
.

195.
1
l
1.
Négro, la négritude, Légitime Défense
(fondé en 1932),
1
L'Enfant noir
(fondé en 1934), sur Cahier d'un retour au

J
1.,
pays natal
(où le terme négritude est utilisé littérairement
~~
pour la première fois),
et sur Présence africaine dont le
1
l'
~,
premier numéro parut en 1947. Mais ne nous égarons pas.
Une
,~
donnée est importante à souligner : la colonisation déracina
l~.
le nègre;
l'originalité des deux auteurs réside en leur place
fr
parmi les premiers Européens de notre siècle à avoir exprimé
~.
t
des opinions qui pouvaient aider au retour du colonisé vers
f~
l'enracinement dans la part positive de sa culture d'origine.
i
Nous avons prononcé aux bons endroits des noms de la
ftf
Négritude militante. A la lecture des oeuvres tels que celles
de Kesteloot, Pageard, Chevrier, l'on se retrouve face aux
tit'1
mêmes thèmes. De Harlem aux Antilles puis en Afrique et à
r
f
Madagascar, la Négritude a revendiqué le droit à une civilisa-
rJ
tion,
à une histoire,
le droit à l'émancipation. Répertoriées
f
f
par Janheinz Jahn
(1)
qui suit les séries et significations
î
établies par Lilyan Kesteloot
(2),
les désign~tiQns de la Négri- 1
f
,
~
tude disent qu'elle" est
"un instrument"
"une forme de style"
"un style"
"un moyen stylistique"
une propriété"
un compoftement"
un
êtret
un être dans le monde"
une race"
une race opprimée"
une couleur de peau"
La somme de toutes les valeurs négro-africaines"
(1)
JAHN(J.). - Manuel de littérature . . . op. cit._p.
238~239
(2)
KESTELOOT
(L.). - Les Ecrivains noirs de langue française.
-op. cit. - p.ll0 et sq.

Et honnêtement on ne peut dire qu'il y ait un thème de la
Négritude qui n'ait été au moins approché par nos deux
auteurs. Donc, quoiqu'ils n'aient pas eu de rapport littéraire
direct avec les militants du vaste mouvement de libération
nos écrivains peuvent être cités comme des pionniers de
cette lutte de reconquête des indépendances. Et le fait que
pour l'être ils devaient aller à l'encontre d'une idéologie
propre à leur milieu d'origine honore les lettres. D'une
façon qui peut se r~sumer ainsi: parcequ'ils avaient foi
en l'Homme, ces écrivains recherchèrent la diversité intel-
lectuelie même chez le colonisé. L'exemple des Dubois, Garvey,
Richard Wright, Chester Himes, Aimé Césaire, Damas, L.S.
Senghor, Flavien Ranaivo etc··· prouve que ces français ont
eu raison de croire à la nécessité de la naissance d'un négro-
africain nouveau
(1). Tzara comme Paulhan incarnent l'esprit
moderne européen avec le concours duquel la culture qu'ils
ont abordée est rentrée encore plus positivement dans
l'Histoire. Ceci dit, rappelons-nous que le projet pour le
nouvel humanisme comporte un second volet, celui où l'on peut
montrer qu'ayant saisi le principe vital de la culture négro-
africaine; les littérateurs en ont fait le critère de leur
retour à la nature et celui de la création de l'Européen moder-
ne.
(1)
Ce n'est pas dire que nous ignorions les attaques contre
la Négritude, du genre de Négritude et négrologues de
Stanislas Adotévi ou qu"'elles n'effleurent notre esprit.
Seu-
lement, nous parlons du mêrite d'une littérature étrangère
face à un courant historique.

197.
II - RENFORCEMENT DU PRIMITIVISME: L'EUROPEEN NOUVEAU
=================================================
Le nouvel homme européen devrait naître d'une exorci-
sation des maux de la civilisation occidentale. C'est Tzara
qui présente les pertinences de cette désaliénation.
A)
TZARA ET L'EXORCISME
Outre la finalité exorcisante, le présent
exposé permet de prouver que l'introducteur de l'art nègre
dans les soirées du Cabaret Voltaire agissait en toute con-
naissance de cause, que sa méthode était une application de
l'aspect dominant de la fonction symbolique de la poésie
nègre, c'est-à-dire la fonction cathartique et de la fonction
rythmique. Jouant sur ces fonctions Tzara exerçait la nouvelle
poéticité qui est soumise au principe ri:mbaldien et primitif
de l'art utilitaire.
Les littéraires, l'historien des arts
surtout, reprochent aux-acteurs des soirées nègres de s'être
servi avec "naiveté" de l'art nègre. Nous ne refutons pas
absolument ce point de vue suffisamment répété dans La Pein-
ture française et l'art nègre
(1)
de Jean Laude. Cependant,
concernant Tzara, nous sommes d'avis que cette naiveté se
limite à la difficulté générale de l'intercommunication cul-
turelle . Celle-là que Baldensperger décrit ainsi
:
(1)
cf. p. 404-419 de l'ouvrage cité

198.
1
1
Il est des particularités inassimilables
,
sinon intrans
missibles, que la meilleure volonté du monde ne saurait
transformer en valeurs nouvelles pour une littérature
nationale. Tout en substratum ethnique s'y trouve engagé
que nos habitudes ancestrales nous empêcheront sans dout.
de jamais utiliser pour notre propre développement
(1).
Ce que Tzara a recherché dans la simnlation théâtrale de
Ir
~~a::a:::::: :~e:tal:o::p:::e::::l:ea~~::::: ::e:u::r::::i:~:S: 1•.'.•
primitive : analogie des procédés utilisés; analogie de la

finalité:
le fonctionnalisme de l'art. Tels sont les données
i
1
du choc. Mais saisissons de plus près son rapport avec l ' a r t
1
~
nègre.
En résumant l'article "Encore sur
Tzara et le futurisme'
(2)
de Lista Giovanni, on dirait que Hugo Ball puis Huelsen-
beck ll.'ml.'tal.'ent leur contestatl.'on a' l'l.'de'ologie de l'oeuvre.
1
Par contre, et en grande partie parce qu'il a intellectuelleme ,
exploité et intégré le principe nègre de l'utilité/Tzara a
[
transformé cette idéologie en une formule plus révolutionnaire,
celle de l'art de négation
(cf. pI23).
Ce phénomène littéraire
affermit la violence de Dada et consolida l'originalité du
~
v
f
roumain-social,
i l consistait à déranger le lecteur ou le
1
f
spectateur : plus que les modifications textuelles dont nous
~
~f
parlions plus haut
(supra p.~a~), c ' é t a i t , remarque Michel
(
f
Sanouillet,
"le changement d'attitudes des participants,
lec-
1
(~
t
~
teurs, auditeurs ou spectateurs" qui préoccupait. D'OU le
~~
J~
(1)
BALDENSPERGER
(Fernand).- La littérature française entre
t
,
les deux guerres 1919-1939. Paris, Gallimard,
1971~_p.173 t
(2)
LISTA Giovanni .
~ Encore sur Tzara et le futurisme". -
t
les Lettres nouvelles, décembre,
1974 -
janvier 1975._p. 12j
(3)SANOUILLET
(Michel).
-
Dada à Paris, Paris, Jacques Pauvert li.•
1965,.p.
21.
.
~r

199.
caractère des personnages:
"ils n'ont d'existence que pour
le lecteur,
le spectateur."
(1)
Et Tzara lui-même explique
dans "Gestes Ponctuations et langage poétique" combien, par
l'introduction de l'art nègre,
i l dépasse tous les grands
noms de la révolutuon poétique depuis Racine jusqu'à Apolli-
naire. En suivant Henri Béhar, on affirmerait que cette
idéologie nouvelle -
l'art de négation/visait trois réactions
la prise de parti contre l'art;
la submersion du navire, le
retour aux instincts primitifs (l) ..
Pour ce faire,
les poètes devaient être vertueux:
"cosmiques, ou primaires, décidés,
simples, sages,
sérieux"
(0.C.I._p.393);
à la fois, chaque artiste devait être respon-
sable : "sévère, et cruel, pur et honnête, envers son oeuvre"
(O. C. I.-p.105)La poétici té consistait en ce gue
l'oeuvre agisse
sur son lecteur ou spectateur à la manière d'un prestidigi-
tateur,
ju~ 'aux
"vibrations intimes de la dernière cellule"
(0.C.I._p.393), pour lui faire découvrir des états insuppor-
tables. Par l'inconnu, l'impression du pénible, l'effort
masochiste. Comment dire que Tzara avait trouvé ces moyens
dans la poésie nègre? En écoutant encore Henri Béhar. Avec
lui on. pourrait dire que de l'art nègre les dadaistes avaient
une connaissance" clanique "
(J).
Et le secret du choc créé
lors d'une soirée nègre résidait en cela:
l'exploitation de
la différence entre l'initiation plus ou moins heureuse de
l'acteur puis l'ignorance totale du spectateur. De là devait
découler le "choc émotionnel" et la transformation de la
surprise en "scandale et provocation". Ce principe saisi,
il
CORVIN (Michel).-op.cit.-p.2I5
BEHAR(H.).-Le Théâtre dada et surréaliste •.. cf.p .I94&sq
Ibid.cf.p.I90-I92

200.
suffit de lui accorder l'importance littéraire qu'il mérite
pour que, contrairement aux suggestions de Jean-Claude
Blachère
(1), tous les agissements de Tzara soient exempts
de
racisme, même d'apparence. Plus simplement: par-
delà toutes les apparences, aucun geste, aucune écriture de
Tzara qui savait que l'image ne doit pas être le fruit d'une
quelconque association mais le rapport avec une réalité vécue
ou au moins projetée, ne s'éloignaient du principe de l'utilité.
Comment le poème nègre remplit-il cette fonction au Cabaret
Voltaire?
Pour bien répondre à la question,
i l faut
distinguer l'organisation de la soirée nègre de l'effet de
la soirée.
On a à peine besoin
d'évoquer les détails des soirées
nègres tant les chroniques zurichoises
(2)
en donnent la
description en même temps qu'elles définissent la place de
la poésie nègre. En bref, une soirée n'était rien d'autre
qu'un long poème mouvementiste .Elle baignait dans une ambian-
ce surnaturelle qui naissait de la combinaison des moyens
d'expressions qu'on y utilisait. Ces moyens étaient auditifs
et visuels.
L'image visuelle:
les vêtements des acteurs s'imposaient
par le clinquant des couleurs de Arp et de Janco :
"Masques
de Janco
(O.C.~-p. 564), "Les masques des acteurs étaient
de Arp"
(p.561
"Bois colorés de Janco"
(p.563)
dit Tzara
(1) BLACHERE
(Jear.-Claude). - Le modèle nègre:
- p.143
(2) cf. O.C. 1.- ~.559-563

201.
pour qui l'art nouveau résidait dans la différence des
couleurs. Ces couleurs devaient exciter les sens. Mais il
fallait aussi du bruit.
Le bruit : les acteurs avaient trouvé la méthode effi-
cace pour créer une atmosphère insupportable :
"faire le
plus de bruit possible"
(p.639). Pour cela, rapporte Henri
Béhar,
"les dadaistes interprètèrent des chants africains
le 14 juillet 1916, avec Hugo Ball à la batterie"
(p.714).
Voyons encore~ce spectacle supra naturel dans le rapport
suivant :
On apporte la grosse caisse
( . . . ) Hoosenlatz accentué
par la très grosse caisse et les grelots au pied gauche
( .•. ) Danse cubiste
( ... ) chacun sa grosse caisse sur
sa tête, bruits musique nègre trabatgea bonooo 000 00
00000
(p. 563)
Ce b~uit jouait la fonction de musique. Puisque le poème
mouvementiste est musique et danse,
le bruit déclenchait
l ' action
chorégraphiqu~, "la nouvelle danse". Voilà pourquoi
Tzara rapporte encore : "grande soirée-poème simultané 3
langues, protestation, bruit musique nègre"
(p.562), ou encore
"musique et danse nègre"
(p.564). L'une des plus infernales
des soirées fut celle du 12.V, 1917, écoutons-en la descrip-
tion
Musique de Henser
(
) Poèmes nègres. Traduits et lus
par Tzara/aranda, Ewe, Bassoutos, Kinga, Loritya,
Baronga /( ) Janco, Ball etc
( ) le mélange de recueil-
lement instinctif et de bamboula féroce
(p.565)
Nous pouvons recourir à l'expérience personnelle pour dire
que Tzara réunissait là les moyens de la dramaturgie. Couleurs,
et musique
provoquent les sens, créent du mouvement : du

202.
I~
rythme;
ils font vibrer. Mais le facteur le plus dramatique

1
li
que Tzara ait
simulé ou fait sim.uler est celui du port du
[
masque et du cosbJme.Les autres moyens n'existent que pour
i:
stimuler et sublimer llaction du masque.
~..
Masque et costume: Même dans leur_milieu d1origine,
le masque et le costume créent quotidiennement l'émotion;
1
à plus forte raison,
en pays étranger. L'affublement qu'ils
f
incarnent -
la grossièret~ est un critère nécessaire dans l'ar ;
nègre - vise à ébranler la psychologie jusqu1au plus profond
!
de toutes les âmes. Cette fonction qui est celle de llinsolite,
Tzara la connaissait. Car parlant des porteurs de masques
1
camerounais,
ivoiriens
(baoulé,
senoufo), llauteur de "Sur
f
l'art des peuples africains" d i t :
t
Ils contiennent,
incorporés à leur masse, des substan-
ces magiques
( ... ) qui agissent à
la manière de
"médecins" ou servent à d'autres usages et sont pour
1
la plupart du ressort des sorciers. (1)
~.~~.
On peut dire plus. Tzara connaissait la fonction divine du
i
1
porteur d~ masque et costume. En effet, un tel élément repré-
f
sente le surnaturel
incarné parmi les êtres pour des fonctions
sociales suprêmes.
Dès l'instant que sont revêtus masque et
!r1w~
costume par un homme préparé pour cela,
il n'existe plus de
t~
masque, plus de costume, pas plus qu'il n'existe un homme mas-
1
~.
qué ou costumé;
i l n'y a plus qu'une force à la fois zoomorphe
tû:
li
et anthropomorphe; une force surnaturelle,
intermédiaire entre
f
les forces divines et les êtres ordinaires; une force suscepti- ~
ble de créer la vie ou de la supprimer : une force de connais-
f
1.
sance. Aussi, Tzara a pu écrire:
"Les masques anthropomorphes
f,
f:
i-
M'
(l)
TZARA (T.). - O.C.
IV._p.
315
~l

203.
1
ou zoomorphes
(ou combinés) ... servent
( ..• )
à des cérémonies
d'initiation
( . . . ) à des danses rituelles"
(1). Comme nous
l'avons dit
(supra R163),
initiation et rite sont les lieux
de transe pour la renaissance à une vie meilleure que la
précédente.
Il Y avait donc, dans les soirées nègres,
l'expé-
rimentation de la création de la vie. C'est derri0.re
cette vie
que, abstraits, fable et personnages disparaissaient. Voilà
aussi pourquoi Michel Corvi~ répète assez souvent que derrière
œ
les provocations de Dada, existaient les données d'un théâtre
total. Pourquoi tarder àledire ? ce que nous avons dit dans
la deuxième partie de la réflexion signifie que Tzara a théorisé
en se fondant en partie sur l'art nègre.
Ici, nous voyons qu'à
la théorisation il ajoute la pratique. En somme par le spec-
!
tacle ainsi monté l'on visait à faire vivre le sabbat et
~
ouvrir les yeux du public sur l'inconnu. La découverte de
1
l'inédit devait soulever une exaltation, faire vivre l'inten-
sité, faire vivre une autre vie.
1
L'intensité
qui peut être aussi la folie est une valeur
f
"i:
~
fondamentale chez les dadaistes. Tzara en disait :" Nous
[\\
~.
voulons rendre aux hommes
la faculté de comprendre que l'uni-
~
~i
que fraternité existe dans le moment d'intensité"
(O.C.lp.393-4) ~~
L'intensité, résultat de l'exorcisme)c'est quand "dans un
li:
monde de pureté" l'homme descend "vers les conséquences inté-
W
f,
~:'
rieures, directes,
au-delà des surfaces et de la réalité"
r
(P.393-394). Cette intensité se dit aussi l'spontanéité". Nous
tr
j
t
~,
J
(1)
TZARA (T.). - O.C.IV. - p. 315.
g'
~:~

204.
avons déjà signalé l'étude de Henri Béhar sur "Tristan Tzara
et la spontanéité"
(1). La spontanéité est l'objectif le
plus avoué pour les soirées nègres; ou encore : il faut
restituer l'état d'enfance par l'exorcisme. C'est pour cela
que Tzara dit :
Dada qui préconisait la "spontanéité dadaiste", enten-
dait faire de la poésie une manière de vivre
( . . . ) dont
la racine profonde se confond avec la structure primi-
tive de la vie affective. (2)
Scandaliser, choquer v~aientdonc à déclencher une catharsis.
Et, toujours selon Tzara c'est ce que les acteurs du cabaret
Voltaire ont tâché d'accomplir,
reliant l'art nègre, africain et océanien à la vie
mentale et à son expression immédiate, au niveau de
l'homme contemporain, en organisant des soirées nègres
( . . . )
.
Il s'agissait de retourner dans les profondeurs
de la conscience .. (3)
C'est dire que l'exorcisme devait servir de tremplin
pour la
renaissance. Tzara y a-t-il réussi ? Les soirées nègres
furent-elles efficaces ?
On ne peut traiter de l'effet des soirées nègres indé-
pend ammentde tout Dada. Du reste, Jean-Claude Blachère exa-
mine la subversion dadaiste à Zurich
(4)
et à Paris~).Cependant
l'étude de la subversion en général
(5)
par cet auteur ne
montre pas l'effet produit par les soirées. Pourtant la chro-
nique zurichoise au moins en parle. C'est que, après l'avoir
(1) Supra p. 140
(2)
TZARA (Tristan-).- O.C.IY-p.301
(3)
~bidem. - p. 301-302.
(4)
BLACHERE (J.C.). op.
cit.~p. 141-151
(5)
Ibid. p.
141-163

205.
indiqué/Blachère n'a plus tenu compte du rapport poésie-
spectateur ou lecteur. Pis, il a tendance à traiter le
deuxième élément de cette alliance comme un passif :
"il
est à craindre que l'opinion publique ait rien vu"
(1)
dit-il
plus tard. Mais, à défaut de prendre au sérieux le principe
de l'utilité qui recommandait aux dadaistes d'être là pour
le spectateur et de le négliger absolument à la fois, on
peut comprendre la morale de ces poètes à la lumière d'autres
critiques: du public qui n'y voyait rien, Dada s'en moquait
éperdument. Et d'ailleurs en raison des réactions -agacement,
ennui- que cela pouvait encore susciter, cette part du
public était aussi bonne pour Dada. Mais en fait la révolte
cOI"ptait son public ailleurs:
"le théâtre dada et surréaliste
ne se préoccupe que de l'homme pensant, de ses' facultés imagi-
natrices"
(~) écrit Henri Béhar.
Ceci dit, nous serons très court sur l'effet.
La chroni-
que zurichoise décrit amplement ce qu'il en fut à Zurich. A
Paris, le résultat fut très nuancé et de sources infiniment plus
divers~. Et là-dessus l'oeuvre de Michel Sanouillet:Dada à Paris r
nous semble absolument complète. Mais que ce soit à Zurich
ou à Paris,
l'accueil fait à Dada provient des individus, des
milieux et groupes littéraires ou artistiques, aussi bien que
du public.
Ici ou là, Dada parvient quelques fois à éveiller
avec plus ou moins de bonheur. Et le public est généralement
(l)
:tb:td. p.
181
(2)
BEHAR (H.).
- Le Théâtre dada et surréaliste.
-
p.3??

206.
plus contarninable. Mais à vrai dire Dada ne réussit jamais
qu'à moitié. C'est pour cela qu'une réflexion de Henri Béhar
nous semble dire assez nettement ce qu'il faut affirmer de
l'efficacité d'une soirée nègre en particulier et de toute
soirée dada en général, sans déborder d'un côté ou de l'autre de
la réalité :
A partir de l'hostilité qu'il a su créer à son encontre,
Dada est parvenu à obtenir la participation de l'assis-
tance à des degrés différents.
Il faut convenir toute-
fois que Dada n'a pas atteint le but logique de sa
démonstration c'est-à-dire le moment où l'auditoire
rejette les médiateurs
(interprètes)
et assume lui-même
son spectacle
(1).
Cela suffit-il pour que l'on retienne l'idée d'un échec
de la nouvelle poéticité ? On est bien mal à l'aise pour y
répondre. Car Dada permettait au moins de dépasser le spleen
non seulement de Les Fleurs du mal mais encore celui de Une
Saison en enfer, de Alcools puis celui bien plus fréquent de
Blaise Cendrars. Dans les trois oeuvres citées comme dans
cellesdu "bourlingueur" l'on retrouve un poète supplicié que
Martin Steins décrit en parlant des textes de l'homme à la
main coupée :
Le poète y apparaît comme sacrifié par une réalité,
une réalité qui le fascine, mais qui, fracassante,
lui passe sur le corps. (2)
Avec Dada, le poète défie au moins mentalement cette morbidité
car :
Il sait allumer l'espoir
( . . . ) Tranquille, ardent,
furieux,
intime, pathétique, lent,
impétueux, son
désir bout pour l'enthousiasme
(O.C.I._p.
403)·
(1)
BEHAR (H.) . - op. cit. _p.
376
(2)
STEINS
(Martin). -
Blaise Cendrars. Bilans nègres.
- Paris,
Lettres modernes, 1977' - p. 53-54.

207.
Mais on est d'autant plus mal à l'aise que dans le fond,
l'exorcisme n'était pas une fin en soi mais un moyen. Tzara
lui-même ne dit-il pas:
"la propriété de l'individu s'affirme
après l'état de folie, de folie agressive, complète ?"(O.C.I.
p.366). Donc, c'est certainement d'avoir proposé le pôle,
carrément à l'opposé de la morbidité que Dada a empêché l'in-
dividu de prendre sérieusement parti entre deux extrémités,
deux excès. Mais cette difficulté n'annulait pas la valeur de
l'objectif dadaiste.
Seulement, n'étant qu'une étape dans un
processus, l'exorcisme ouvre les portes d'un autre stade de
l'existence, celui de "l'homme approximatif"
(1)
Pour spécifier cet homme,
i l faut revenir
à "Egypte face à face" et "Situation de la poésie" de Tzara
pour dire ceci
à la fois,
le principe du dosage entre le
penser-dirigé et le penser-non dirigé est d'ordre psychique
et social; et il en est de même du mode de vie à adopter qu'il
en est du mode linguistique assimilé. Mais Tzara ni Paulhan
n'invitent pas à retourner au stade primordial pour y stagner
passivement. Le retour tient lieu d'une prise de conscience,
il est un tremplin. Dans le premier des deux textes que
nous venons de. nOI'"'!'"'er
deux sortes de primitifs sont distinguées:
le primitif préhistorique et le primitif de notre temps. Le
(1)
C'est aussi le titre d'un texte de Tzara. Voir O.C.II,
p.77-171 Tison.Braun s'y réfère souvent dans son ouvrage/
Tristan Tzara inventeur de l'homme nouveau. Nous utilise-
rons d'autres arguments.

208.
premier conserve en intégralité les survivances originelles
au lieu que le second est un être chez qui a
_ définitivement
disparu la part médiocre de ces survivances. Cet homme-ci
incarne l'équilibre entre les deux faces du penser, entre la
logique et l'esprit primitif. C'est aussi ce que démontre
Micheline Tison·Braun
dans Tristan Tzara inventeur de l'homme
nouveau.
Tzara donne, dans un même texte, une explication techni-
que à cette évolution; c'est-à-dire , à partir de la méthode
matérialiste dialectique. Dans l'esprit de l'écrivain, la
littérature n'exclut pas cette méthode. Au contraire celle-
ci doit être appliquée à celle-là si l'on veut expliquer objec-
tivement la morale Dada de la poésie;
et déterminer le nouvel
humanisme.
Il est possible de lui appliquer la loi de la ligne
nodale des rapports de mesure de Hegel ainsi que
de prévoir à quelles possibilités est liée, dans une
société nouvelle,
sa transformation de qualité en
quantité
(1)
Cette loi est celle des successivités des états d'une chose,
de l'Homme, de l'histoire. Elle suppose la négation que ces
états-sur un plan ou l'autre, s'opposent perpétuellement les
uns. aux autres, pour toujours engendrer un état nouveau. Or,
la société dénoncée ici est celle otle matérialisme de l'état
capitaliste - univers du penser-dirigé,
a banni ou nié le
penser-non dirigé. Cette première négation doit être à son
tour niée pour que naisse la société idéale. Ce sera une
société où le poète "rend l'homme meilleur"
(O.C.I._p.396)
(1)
TZARA (T.)
. -
O.C.v.-p. 25.

209.
Et avec l'auteur, on peut spécifier l'état de cet homme et
de ce monde nouveaux
Il ne sera pas le penser non-dirigé primitif, mais le
fruit de celui-ci multiplié, élevé à la puissance de
l'enseignement des milliers d'années et des additions
dont la logique,
la science et en général la somme de
nos connaissances l'ont enrichi"
(1)
L'homme, la société de cet état, ce seront le primitif et
le communisme modernes. Et comme on le constate, la loi des
successivités présente une extraordinaire analogie avec les
contrastes comme
facteurs créateurs de vie. D'où l'idée
de cycle d'évolution de l'humanité dans l'oeuvre tzarienne.
c'est ce principe qui donne à voir que pour cet écrivain,
l'homme est en perpétuelle navigation entre deux pôles oppo-
sés mais privilégiés : la gestation et la vie unitaire. Entre
ces deux lieux, le visage de la vie se montre sans cesse,
conformément à cette théorie de l'auteur qui répond à une
question de Voronca : pourquoi écrivez-vous ?
Je continue à écrire pour moi-même pour l'instant,
et à défaut de trouver d'autres hommes je me cherche
toujours. (2)
Cette conviction littéraire donne donc à comprendre une
réalité historique:
il n'y a pas un état définitif de l'in-
dividu ni de l'humanité. A chaque étape de l'histoire l'homme
procède aux démarches nécessaires pour son réajustement avec
son monde
l'humanité est en perpétuel devenir conformément
au "mythe de l'éternel retour"
: Cependant, certains traits
: 1
i
(1)
TZARA (T.). -
O.C.V.- p.
25.
(2)
TZARA (T.). - O.C.II,_p.
417

210.
humains sont suffisamment nécessaires pour devoir résister
aux continuelles adaptations. Quel est, une fois le retour
achevé, l'état de l'homme moderne? En suivant les deux
auteurs, on dirait que cet état correspond à une conception
métaphysique proche des principes inattaquables de la poésie
primitive, c'est-à-dire l'ascèse.
B)
LA METAPHYSIQUE DES AUTEURS OU RENFORCEMENT
DE LA CONCEPTION PRIMITIVISTE
L'Européen moderne serait un religieux, vivant
en partie de la contemplation.
a). ~~_f~1!9!Qê!~~
En somme, ces littérateurs se demandent :
comment atteindre ma propre béatitude ? Nous avons vu que
Tzara comme Paulhan aboutissent à la découverte selon laquelle
contrastes, dialectique des contraires, paradoxes sont les
lieux-mêmesde la poésie. Et que cette poésie est la vie,
le UN
ou/si l'on veut encore, l'existence et son reflet métaphysique
qui attire.Mais pour être appelé il faut d'abord reconnaître
les moments de l'invi.tation. Afin de mieux définir l'esprit
nécessaire en ces circonstances, Paulhan commence par nommer
"vocation" l'attirance exercée sur les âmes telles que la
sienne et celle de Tzara.
La définition de la vocation permet de répondre à la
question :les poètes furent-ils satisfaits par leurs découver-
tes 7 A la page 8 de Langage I I Paulhan laisse entendre que le
hain-teny est l'un des remèdes qui l'ont soigné du mal social

211.
et intellectuel que nous lui trouvions plus haut. Il fait
partie, dit l'auteur, des "découvertes
qui m'ont guéri"
A quoi correspond la guérison ? Elle se concrétise dans une
attitude spirituelle: l'application à l'ondoyance du 1anga-
ge, aux contrastes, aux paradoxes du langage poétique,non
pas du raisonnement logique, mais de la connaissance irra-
tionne11e. Telle est la métaphysique élue par ces poètes. Elle
est celle du primitif) le mysticisme. Les contrastes ne
tolèrent pas l'explication logique.
Ils postulent une vocation,
dit Paulhan :
. . . . Au fait,
les rapports d'une part secrète avec une
part évidente, n'est-ce pas, à peu près ce
qu'on appelle VOCATION?
(1)
(a)
Voilà formulée toute la conception religieuse de l'homme
nouveau : chacun de nous est sensible à un certain
nombre
de contradictions qui résistent à toute explication exc1u-
sivement rationnelle. Pis : le malaise
elles créent dans
l'esprit, au lieu qu'elles se livrent bien volontiers aux
explications irrationnelles. Par là donc,
le choix religieux
est clair j
conforme à la pratique générale du~pritimif~ il
atteste
de la méfiance du littérateur vis-à-vis de la raison
pure. Comment résumer la conduite assortie à ce choix? C'est
à peu près ainsi : i l faut consacrer sa vie entière à chercher,
dans une sorte de ferveur métaphysique, la clé de nos contra-
(a)
graphie originale
(1)
JUDRIN (Roger). - op. cit._p.118

212.
dictions quotidiennes , et leur opposer les solutions effi-
cientes, exactement selon le modèle du folklore universel.
Donc, de la logique des contradictions faire sa religion,
l
sa vie. Telle est l'idée capitale de La Vocation.
Plusieurs articles d'un Mélange
(1)
consacré à Paulhan
insistent sur le caractère mystérieux de l'homme. Il a, d'autre
part, écrit un texte sur "Rimbaud d'un trait"
(2)
qui indique
que parmi les rares pertinences qu'il apprécie chez ce pré-
décesseur se trouve surtout cette capacité -
qui préoccupe
aujourd'hui encore - de réunir tous les contraires dans un
mysticisme difficile à dénouer.
La réunion des contraires
qui fascine ainsi ces auteurs leur donne une place au rang
des littérateurs d~ 19'et 20° siècl~qui ont adopté pour rite
la liberté religieuse. Elle se situe au carrefour de toutes
les civilisations et reproche à l'Eglise d'avoir quitté ses
catacombes.
Kaléidoscopique, elle réunit aussi bien Jésus-
Christ q~e le fétiche nègre,
les catholicismes bizantin et
grec; et satan n'y est point exclu.
C'est dire
que tout camœ
Rimbaud, Blaise Cendrars et autre Apollinaire, Tzara et
Paulhan préfèrent un Dieu qui les "réveille" à un Dieu qui se
"révèle".
Il leur faut des sectes et du secret. Cette religion
(1)
PAULHAN
(Jean). - Jean Paulhan,
1884-1968 . Témoignages.
L'oeuvre Langage et pensée.
Les arts,
le rôle, correspon-
dance,
textes inédits.
-
Paris, N.R.F.,
1969._p.
649-105~
16 PL.
(2) PAULHAN (Jean). -
O.C.IV.- p.68-74.

213.
implique donc des pertinences qu'il importe de distinguer.
Elle n'est pas une institution, mais un mode de vie, une
conception de la vie. D'elle André Berne Jeffroy dit,
à
propos de Paulhan :
Il importe de ne pas se méprendre. C'est seulement le
sentiment religieux, celui d'un monde qui nous échappe
et nous dépasse et non point quelque religion établie,
que prônait Paulhan
(1)
Les mots canoniques sont prononcés :
"un monde qui nous
échappe
et nous dépasse". C'est-à-dire , un monde devant lequel,
ainsi que Lucien Lévy-Bruhl l'a dit
(infra p'~26),civilisé
et primitif adoptent la même attitude
: la participation
mystique par quoi l'on
entre en oommunication avec des
forces transcendantes. Et ce qui transcende l'homme ne lui
laisse que le choix de l'émotion et de la contemplation qui
est la forme capitale de cette religiosité.
i
b 1. :a~l~a~ 7t.l~ noti~n.d7 ~a.b~a~itude
t
Ainsi qu'elle apparaît dans l'oeuvre de paulhan;
f
la contemplation se résume de la façon qui suit : bien compri-
se, la vie est un perpétuel sentiment de béatitude devant une
chose supérieure. Trois facteurs manifestent cette supériorité
en même temps qu'ils donnent du plaisir:
la connivence d'un
clair et d'un obscur; un secret qui se laisse soupçonner
seulement; une complicité entre ce secret et l'apparence
l'autonomie de toute oeuvre. Ce sont en particulier trois
(1)
PAULHAN
(Jean). -
Jean Paulhan par ses peintres.-op.
cit.-p. XII

214.
textes
(1)
:
"Les Douleurs imaginaires"
(p.305-335),
"Le
Clair et l'Obscur"
(p.337-368)
et "Le Don des Langues"
(p.369-
il
467), qui véhiculent ces idées. Mais commençons par le clair
1/
et l'obscur:
Paulhan n'a pas seulement répété que le hain-teny est
une "poésie de l'obscur" il a aussi écrit, comme nous venons
de citer,
"le Clair et l'Obscur". Mais tous les textes
que
nous avons mentionnés affirment ceci : le langage nous
attire
et il nous séduit. A la question : Pourquoi sommes-nous
séduits, i l apparaîtrait que notre éblouissement soit déclenché
-paradoxalement -
par un paradoxe:la simultanéité du clair
et de l'obscur '''On nous met le nez sous le paradoxe et nous
restons fascinés
(O.C.IIF-p.432). Dès lors,
i l suffit à l'homme
pour contemple~de se contenter de savoir que autant il n'exis-
te de langage qui ne dépende d'une pensée et vice-versa, autant
i l n'est de clarté qui ne suppose une ombre et réciproquement
"Il faut un point obscur pour que le reste semble clair"
(2)
écrivait Paulhan à André Lhôte. Et dans "Le Clair et L'obscur"
on peut lire encore :
"Moins il fait clair, mieux on y voit"
(p.348) D'un autre côté "le mystère fait autour de lui clarté
et peut-être n'est-il pas de clarté qui ne suppose quelque
,1
Il
m:lJstère" déclare Paulhan dans Clé de la Poésie
(3).
Si le
(1)
PAULHAN
(Jean) .in:O.C.III.
(2)
PAULHAN (Jean). - Jean Paulhan par ses Peintres .• op. cit.
_ p.
61
(3)
PAULHAN (Jean).
- O.C.I~-p.
241-271

215.
langage ou toute oeuvre nous trouble c'est qu'en raison de
la combinaison savante des éléments qui la composent d'une
façon qui nous reste incontrôlable, toute chose et son contrai-
re peuvent en surgir soudainement et impressionner notre esprit.
QU'est-ce à dire? Que la poésie est une sourde entente entre
un secret et un mystère autour du secret . Mais quelle commu-
nication avoir avec cette interpénétration de forces?
Une
oeuvre ne se juge pas; elle s'admire. Le rapport qui nous est
~
possible avec elle est celui du·primitif devant les mécanismes
de son univers, en particulier le rêve
qui nous lie en per-
manence au réel et à l'irréel. Par lui, l'inédit, l'inconnu se
révèlent à l'homme à mesure que par une démarche mentale, celui-
ci avance vers le secret.
L'idée du secret est donc fondamentale dans la
philosophie paulhanienne, Elle
imprègne aussi bien les théories
exclusivement artistiques que celles de la poésie en général et
prend ses racines dans la culture orientale
car : outre son
séjour à Madagascar, Paulhan est, disions-nous, de formation
de cette zone culturelle. De plus,
l'auteur puise à de nombreu-
ses sources philosophiques
aussi bien occidentales, boudhistes

que taoïstes. Enfin, rappelons l'argument de Jeanine Etiemble(1)
f
t
~
selon qui René Etiemble aurait fait lire du Lao-Tseu
à
t
Paulhan; d'autant que,
selon Roger Judrin, cette oeuvre pré-
1
~
(1)
PAULHAN
(Jean). -
226 L
Deux cent vingt six lettres
inédites de Jean Paulhan. Contribution à l'étude du mou-
vement littéraire en France,
1933-1967. présentées et
commentées par Jeanine Kohn Etiemble.- paris, Klincksiech,
1975._p. XXX-XL

216
sente un caractère recherché par l'auteur
la discrétion
de la vertu,
le secret absolu :
Le trésor
(
) d'une religion dont le secret ne
cesse pas d'en être un puisqu'il n'est pas profané
par le vacarme d'un prophète, d'un philosophe,
enfin - qui laisse la perle dans l'hu!tre - car
( ... )
il Y a des vérités qu'il n'est pas bon de
savoir
(1)
Nous tournant du côté de l'art, nous
~ns
, à travers
"FF ou le critique"
(2)
une obsession de l'auteur à démontrer
que réussie, toute oeuvre nous néglige.
Sa perfection ma!trise
des rapports invisibles, nous ôte la parole et impose l'admi-
ration, non : la contemplation du secret invisible.
En poésie, c'est certainement l'éminence de ce secret
qui provoque l'échec des sciences dont i l s'est agit plus haut.
En tout cas, l'on doit affirmer à présent
que sa présence fait
du langage une valeur supérieure aux sciences. Voilà pourquoi,
aussi bien dans l'article paru dans Volontés
(3)
que dans
Clé de la Poésie, Paulhan avoue que la clé rte se laisse pas
saisir. Parce qu'elle est, elle-même, mystère. Mystère, elle
navigue entre l'idée, le mot et la pensée. Ondoyante, la
seule prise qu'elle nous laisse avoir sur elle, c'est de
tenter
(4)
de la saisir. La poésie, la création, c'est cette
tentative même. Et voilà pourquoi
aussi, poésie se résume en
vie~primitive~ mysticisme. Plus la tentative sera réussie,
(1)
JUDRIN
(Roger). - op. cit._p.
98
(2)
PAULHAN
(Jean).- p.C.IV.-p.
85--116
(3)
cf note
1 p.
109.
(4)
souligné par nous

217.
plus l'on aura créé une oeuvre autonome.
Pour Paulhan, l'autonomie est le critère idéal de la
création artistique. C'est elle qui crée la contemplation
et
contraint le lecteur ou le spectateur. Paulhan comme
critique enseigne donc comment créer. La création serait un
acte par lequel -
l'oeuvre devant être contemplée -
l'homme
vise le sUmmum de la perfection divine, Dieu étant l'être
le plus apte à éprouver et à faire éprouver au maximum le
sentiment de la béatitude à travers la contemplation. Plus
le créateur sera divin, plus sa communication -
l'évocation
du Paradis
,
sera ordinaire;
il doit pouvoir "réduire le
monde entier en quelque élément simple"
(O.C.IIl-p.
322). Ce
simple, c'est l'utilisation subjective d'un cliché dans le
hain-teny ou aussi, un tableau. C'est que pour Paulhan, une
fois atteint l'ascèse poétique, le "simple", le "banal" équi-
valent, à peu près selon la philosophie kantienne, à "l'idéal"(1
L'on pourrait, pour insister sur cette idée, rappeler la pré-
dilection de l'auteur de L'Art informel pour un peintre bien
connu, Braque. Dans l'esprit de notre auteur, cet artiste qui
suivit le mouvement artistique de l'impressionnisme au cubisme
incarne la perfection divine. C'est-à-dire la capacité d'éprou-
ver et de susciter pour autrui la contemplation, l'émotion.
Or, à propos de l'immédiateté, Paulhan dit, comme il aurait pu
dire des hain-teny :
(1)
PAULHAN
(Jean).
- O.C. V.-p.15

218.
La peinture de Braque est banale,
fantastique
sans doute, mais commune. Fantastique, comme
il est fantastique,
si l'on y réfléchit, d'avoir
un nez et deux yeux, et le nez précisément entre
les deux yeux
(1)
Autrement dit, c'est la réunion de l'ingénuité et de l '
ingéniosité qui engendre et cache l'idéal, le parfait, l'auto-
nomie de l'oeuvre. Le secret devant rester secret pour conti-
nuer à rendre la béatitude, Paulhan a porté son choix sur
Braque parce que celui-ci lui a semblé assurer, plus que
Picasso
même et Vladminck
, cette protection du sacré.
L'écrivain s'en explique:
Si le grand peintre est celui qui donne de la
peinture l'idée la plus aiguë ~ la fois et la plus
nourricière, alors, c'est Braque sans hésiter que
je prends pour Patron
(2)
En dernier ressort, c'est donc le génie du créateur qui est
sollicité. Mais aussi la docilité intellectuelle du lecteur
et du spectateur. L'un et l'autre doivent dépasser le seuil
de la concrétisation esthétique.
Et cela permet de conclure ainsi: De l'observation des
faits poétiques utilisés pour concrétiser esthétiquement la
béatitude, Paulhan aboutit à la formulation des théories
critiques littéraires. En celles-ci, l'on retrouve le Directeur
de la Nouvelle Revue Française, qui donne et qui demande que
chacun offre le meilleur de lui-même, afin que le curieux
éprouve la plus profonde de ses sensations. En rencontrant
donc des cultures étrangères, la malgache en l'occurence,
(1)
PAULHAN
(Jean). - O.C.V._p.15
( 2 )
ib id . p.
35

219
ce littérateur a assimilé des valeurs assorties à ses
dispositions naturelles et la complémentarité a achever
de grandir l'homme, spirituellement. Mais en fait quand le
créateur et son spectateur
conterrplent,
comment, concrètement,
éprouvent-ils leur état? Comme une extase.
A la place de la question ci-dessus, nous aurions
pu dire encore : selon Paulhan, comment, de par le monde
civilisé ou~primitif~ éprouve-t-on la béatitude, le Un ?
L'extase, qui en est la forme commune se vit mentalement
et pratiquement.
Ici nous parlerons de son expérience mentale.
Le sentiment du UN est si riche et si total que les
mots ne suffisent pas à en rendre l'intensité. Au moins, un
fait est précis. Objet ultime de la contemplation, le Un
..
est un don des formes linguistiques. Aussi,
le titre Le Don
des
"
1~n9uPs paraît-il bien assorti à la description des
états qui définissent l'expression mentale de l'extase. En
effet, l'évocation du Un, -
quand par exemple le locuteur
emporte le hain-teny ou que Braque réussit son tableau-,
"
jette l'âme dans un état fabuleux.
Dans Les Douleurs imaginai-
res~ Paulhan désigne cet état par un nan qui rappelle l'état
suprême de tout plaisir : la "transe"
(p. 342). Mais,I Le Don
des
"
Langues demeure le lieu privilégié de la traduction de cet
état.
Il est "extase ou
( ... ) transport"
:
"Il n'est pas de
mot prononcé ou seulement pensé qui ne suppose une extase fai-
ble, un transport passé et indéfiniment renouvelable'
(p.404).
Toujours insatisfait par les mots,
l'écrivain emprunte encore

220.
les expressions "conscience cosmique",
"expérience-sonunet",
Mais la même exaltation se peut encore nommer
"ravissement,
élévation, vol de l'esprit, rêve dirigé, expérience libéra-
trice", ou
aussi
:
" illumination';
"éveil", En somme le
Un est d'un ordre si divin, qu'il faudrait se contenter
de le désigner sous des termes bien ordinaires tels que
"les instants", les "momenti'
(1)
primordiaux. Dans cet état,
par quoi connaissons-nous ? Par la perception sensorielle;
ici, celle-ci précède la perception logique, qui,
elle,reste
inapte à pénétrer le monde des sensations. Et les choses
ainsi perçues par nos sens se matérialisent dans notre mental;
artistique ou poétique chacune y prend une forme réelle dont
Paulhan découvrit, avec les hain-teny, qu'elle e s t :
"chose"
(O.C. II.•p.
12 3) "fait"
(p.122),
"événement"
(p.124),
"Drame"
(p.114),
"vérité"
(p.123),
"existence"
(p.123).
Autant dire qu'à ce point, le créateur et
son entourage
vivent dans un monde particulier. Et là, nous nous trouvons
bien près de l'idée Tzarienne de "sphère" ou "cosmogonie"
poétique.
b 2. Tzara et la notion de sphère
Cet aspect de la conception litté-
raire de Tzara a constitué l'objet d'un assez long passage de
l'ouvrage de Jean-Claude Blachère :
"Le Modèle nègre "(2).
(1)
Pour tout le lexique ainsi c i t é : O.C.IIl-p. 403
(2)
BLACHERE
(JC.). -
op. cit.-p.
164-177

221.
Si le propos nous parait suffisant? Résumons d'abord;
le monde nègre offre à Tzara l'image d'un univers construit
selon un ordre,
l'ordre poétique. Les caractéristiques en
sont
la pureté - c'est-à-dire un monde décanté des idées
préconçues-, et la force de l'artiste à réduire, décomposer
et recomposer. C'est donc le résultat d'un dialogue permanent
entre le chaos et l'ordre,
le désordre et la construction,
la vitalité primordiale et l'ascétisme: c'est l'harmonie
des éléments hétéroclites.
Ajoutons ceci :
la notion de sphère ou cosmogonie
fait l'objet d'une grande partie des textes de "Lamp~steries"
(a.c. I._p. 391-425). Elle correspond effectivement à la
conception tzarienne du monde,
à partir de l'art et de la
POésie
nègres et en général. Mais, outre le contenu du résumé ci-
dessus, nous estimons que cette notion de sphère renferme
tout ce qui vient d'être dit à propos de Paulhan: faite de
contr~stes - hétéroclite-,
la poésie doit créer
la contem-
plation; car la folie que recherchait l'acteur des soirées
dadaistes,
le retour au primorfial, en manifestent le carac-
tère divin. Divine/elle tient en extase; et les objets du
contraste sont les motifs à contempler. Par conséquent, pour
être efficacement magique la poésie doit fonctionner selon
un schéma et une finalité analogues à ceux du modèle nègre
comme moyen de communication avec un être transcendant. C'est
bien cette leçon que Tzara donne dans "note sur l'art"
:
"l'art
est à présent la seule construction accomplie en soi, dont

222.
i l n'y a plus rien à dire, tant elle est richesse, vitalité,
sens,
sagesse"
(1). Et nous entendons le même enseignement
dans "l'art océanien":
c'est la poésie qui est une des plus grandes forces de
l'humanité. Elle ne s'écrit pas, elle vit au fond du
creuset où se prépare toute cristallisation humaine,
toute condensation sociale aussi simple soit-elle. (2)
Tzara professe donc la même foi que Paulhan. Essence inacces-
sible,
l'activité poétique autorise seulement le sentiment
de l'émotion mais non la recherche du secret qui se situe
à l'origine de ce sentiment. Poésie est donc:
"vigueur et
soif, ~motion devant la formation qu'on ne voit et qu'on
n'explique pas"
(O.C.l._p.
403). Revoilà donc l'idée de
l'autonomie. Le poète veut d'une création qui dépasse la
logique et relève du domaine de l'irrationnel, du mysticisme,
élément du renouveau littéraire. Le lieu d'application de ce
mysticisme est "le rayonnement invisible de la substance,
la relation naturelle, mais cachée et juste, naïvement, sans
explication"
(O.C.l._p.400).
Voilà pourquoi ici aussi,
i l apparaît qu'il faut un
sombre métaphysique pour qu'il y ait lieu à poésie. Ecoutons
l'écrivain:
L'art dans l'enfance du temps,
fut prlere
( ..• )
la
bouche contient la puissance de l'obscurité,
substance
invisible, bonté, peur, sagesse, création, feu
Personne n'a vu si clairement que moi ce soir moudre
le blanc.
(O.C.L_p.
395)
(1)
TZARA
(T.). - O.C.l._p.
393
(2)
TZARA
(T.).
- O.C.
lV,_p.
311

223.
L'obscur c'est aussi les temps forts de la condition
humaine et on pourrait répéter à l'infini combien la concep-
tion poétique est assortie ici aux principes de l'efficacité
et de la religiosité nêgres. Remêde, elle nengendre la
communion interne de l'âme avec les choses n (O.C.I._p.412).
Ce sont ces principes-là que Tzara désigne comme exemples
pour les poêtes du monde entier :
L'obscurité est productrice si elle est lumiêre telle-
ment blanche et pure que nos prochains en sont
aveuglés
(O.C.I._p.
394)
On voit ici aussi que sa désaliénation achevée,
l'artiste

doit revenir vers les siens, pour les éduquer. A chaque
étape, ce niveau de retour pour la désaliénation des autres
apparaît comme un sommet. Nous y avions quitté Paulhan. Avec
Tzara, nous sommes revenu au même point.
Cela signifie que, passant par des voies distinctes,
les poêtes se retrouvent une fois de plus autour des mêmes
préoccupations.
Ils sont unanimes sur le mode de vie méta-
physique.
Selon celui-ci, la poésie, lieu de dissolution des
contradictions doit intéresser tous les
hames. Mais ce que
nous en avons dit jusque là concerne l'attitude mentale. Ce-
pendant,
à quel genre d'homme et à quelle forme de société
correspond cette vie? Pour le montrer,
il faut dire ce
qu'est, selon ces deux écrivains, l'homme nouveau.
Quels
sont ses traits concrets?

224.
C). LE NOUVEL EUROPEEN
Ses traits sont ceux du communisme traditionnel
du nègre tel que Paulhan l'a vu, tel que Tzara l'a découvert,
et qui, évoluant conune toutes les races, n'est pas "préhis-
torique" .
La vie pour Paulhan, c'est conune le Mérina le lui a
montré, la grande fraternité, une béatitude permamente, comme
Tolstoï le disait: "un grand amour, un amour pur et idéal"(l)
et qui, conune tel,
"prend parfois un caractère de grandeur
étrange, au-dessus de tous les sentiments et de tous les désirs
des hommes'(2). Cet amour suppose la capacité des individus
d'éprouver leur bonheur - l'extase; d'une part, et d'autre
part, l'existence d'une confiance réciproque en la bonté des
hommes et en la générosité de la nature. Une simple remarque
de Paulhan
contre L'Etranger de Camus, puis toute la person-
nalité qui exhale de l'oeuvre
de l'auteur permettent de dire de
ce dernier, qu'il concevait la vie selon ces différentes in-
terprétations. Partons d'un fait d'expérience personnelle: à
un moment où nous lisions par pure curiosité, un de nos forma-
teurs nous guida vers L'Etranger; puis, nous conseilla sa relec-
ture avec, cette fois, une attention particulière autour des
thèmes de l'indifférence et de l'absurdité du héros. La conclu-
sion de la petite rédaction que nous fîmes ensuite, disait à
peu près ceci : Meursault - et peut-être derrière lui son créa-
(1)'
PAULHAN (Jean). - Les Repas et l'amour. p. 31

225.
teur - méprise tout. Mais il y a une difficulté à dire
si ce
sentiment est une conséquence ou une cause. Méprise-t-il pour
conjurer un mépris dont il se sent entouré ou au contraire
commence-t-il par mépriser avant de se sentir méprisé ?
Puis i l nous fut donné de rapprocher ce caractère de
la notion de la solidarité virile présente dans ~a Condition
humaine de Malraux. Nous vîmes alors que c'est vraisemblable-
ment de ne s'intéresser à rien qui détermine la personnalité
de Meursault.
Or, voilà que dans une lettre adressée à François
Mauriac, Paulhan dit:"Le sujet de l'Etranger c'est à peu près
comment pourrais-je aimer
(ma mère ou ma femme)
si je n'ai
pas commencé par aimer Dieu ?"
(1)
Nous avons déjà défini Dieu, dans l'acception paulhanien-
ne. Elle se confond à la religiosité et s'appuie sur la fusion
de l'homme avec des forces de l'univers. Elle se concrétise
dans la communion avec tous ses éléments, du plus infime au
plus significatif. Ce que Paulhan reproche donc à l'Etranger
c'est l'absence de la fraternité avec les hommes et toutes
les autres créatures de ce monde. Et sa prédilection concerne
cette grande amitié qui concilie l'être avec le monde ambiant;
ce grand sentiment dont l'absence en leur terre amena Nerval
en Orient, Rimbaud en Orient et en Afrique, Cendrars en Amé-
rique ! et fit ~sciller mentalement l'Apollinaire de "zone"
entre Paris, l'Afrique, l'Amérique, la Méditerranée, la
Chine.
(1)
PAULHAN (Jean). - Jean Paulhan par les peintres.-p.
III

226.
Pour Tzara la vie s'assimile à la spontanéité qui
n'est plus barbare comme l'était celle des soirées nègres,
qui
n'est plus agitation provoquée et transe sado-masochiste,
mais qui est domestiquée, naturelle comme elle l'est chez
le primitif
(1). Et comme telle elle est source de bonheur. A ce
niveau, on envie presque l'époque de ce poète. Parce qu'il
était encore possible de vivre pleinement sa conception
littéraire et de ne vivre que pour elle, cet écrivain fit,
dirait-on,
l'expérience
du primitif
spécial que nous avons
défini en suivant ses pas. Et nous ne parvenons point à déce-
1er - comme le laisse entendre Jean-Claude Blachère/ (2)
le
moindre indice de racisme parallèle à ce choix artistique.
Au contraire ~ et peu d'attention suffit, nous semble-t-il,
pour oser croire que c'est avec une rélle sincérité que le
poète déclare :
"Mon autre frère est na!f et bon et rit.
Il mange en Afrique ou au long des îles océaniennes"
(O.C.I._p.
394). De même nous pensons que Tzara est sérieux quand i l
propose à l'Européen -
ainsi que ce travail le suggère, l'exem-
pIe du rire, de la sagesse, de la capacité de se soustraire
de l'enfer de la condition humaine;
l'exemple du bonheur
partagé. En bref,
il estime salutaire que de la vitalité
coule dans les veines européennes. D'Où enfin, cet appel
prophétique qui à la fois exhorte l'essence primitive et invite
le monde occidental à recevoir la substance nécessaire de la
vivification divine et du Grand Bonheur :
(1) A propos de la différence entre la transe domestiquée
du sauvage et la barbarie de la transe chez le "civilisé~
on lira Le Sacré sauvage de Roger Bastide,_p.
13-38
(2)
BLACHERE
(~.C.).
-
Le modèle nègre._p.
143-146;
180-182

227.
Du noir puisons la lumière.
Simple, riche naïveté
lumineuse
( ... ) Oeil: bouton, ouvre-toi large, rond,
pointu, pour pénétrer mes os et ma croyance. Transforme
mon pays en prière de joie ou d'angoisse. Oeil d'ouate,
coule dans mon sang.
(o.c.r._p.
394)
Voilà qui définit
sur le ton pathétique nécessaire,
l'église
et l'Eglise de l'homme nouveau. Et qui signifie que comme
celle de Paulhan, l'expérience nègre de Tzara dépasse celle de
Rimbaud, de Cendrars et de Apollinaire. Plus que ceux-ci,
ceux-là réussirent l'équilibre de l'aventure rêvée et de
l'aventure réelle.Et cela permet de conclure le propos du
nouvel humanisme européen de la façon suivante :
Aussi bien chez Paulhan que chez Tzara, il s'agit du
retour à la poésie des sens, la poésie mystique. Ainsi que le
montrent Roger Bastide dans Le Sacré Sauvage et Emile
Cailliet dans "le mouvement symboliste "( 1)
cette poésie va
à l'encontre du positivisme et de l'idéalisme de Hegel selon
lequel l'esthétique a pour objet
non les éléments de la per-
ception -
la nature -, mais ceux des intérêts spirituels. La
signification de cecte volte-face? La prise de position pour la
poésie psychologique met en relief une insuffisance de la
raison pure comme facteur de connaissance. Car ainsi que le
dit Carl Gustav Jung ,
Quel que soit l'instrument qu'il utilise,
l'homme arrive
toujours à un moment ou à un autre,
à la limite de
certitude que la connaissance consciente ne peut
franchir
(2)
(1)
in : Cailliet (Emile). - Symbolisme et âmes primitives
p.245-289
(2)
JUNG
(Carl Gustav)
- Essai d'Exploration de l'inconscient
(Jung explique Jung).- Paris, Gonthier,
1971. - p.23

228.
On s'est si souvent mépris sur l'oeuvre de L~vY-Bruhl que
son argument des
accommodementsnécessaire~entrele conscient
et l'inconscient passe inaperçu. Pourtant,
l'auteur de Les
Fonctions mentales disait de l'Européen:
"Notre activité
mentale est à la fois rationnelle et irrationnelle. Le pré-
logique et le mystique y coexistent avec la lOSTique." (1)
c'est que des conclusions des spécialistes des choses anthropo-
logiques à la réalité socio-politique, la distance est bien
souvent importante. La science,
le rationalisme., le positivisme"
Çlvaient..:lissocié ces inséparables. Mais ne pouvant refouler la
nature à jamais l'homme doit revenir vers le prélogique, dans
son sens noble évoqué plus haut·
Tel
que Jean-
Claude Blachère le dit, c'est en ce sens qu'il y a primitivisme
nègre, qui est "l'expression littéraire d'une croyance aux
vertus des civilisations nègres pour apporter des solutions
à la crise de l'esprit européen. Il (2) . Cependant,
si) ainsi que
Blachère le montre abusivement 13),
la manifestation de ce
primitivisme prend parfois des allures d'ambiguïté
ou même
de violence au lieu que chez le nègre les mêmes faits se
déroulent naturellement et dans le calme, c'est précisément
parce que autour des mêmes faits,
le nègre répète une activité
régulière qu~chez l'Européen;joue la fonction d'une conquête
,
ou d'une reconquête. D'ou que le premier agit avec le calme
(1)
LEVY BRUHL
(Lucien). - ~._op. cit.-p.
455
(2)
BLACHERE
(J.C.).
-
op. cit.-p.ll
(3)
Ibidem p.143-146

229.
d'une action dominée, et le second avec la brutalité d'une
action à dominer.
Signe d'une pauvreté du monde occidental,
la rencontre des deux cultures démystifie le primitivisme, qui
démythifie la Civilisation. Voilà pourquoi la constatation de
Jean
Laude à propos de l'art nègre et de la peinture françai-
se est une signification valable pour le problème du primiti-
visme en général
:
Il
(l'art nègre)
intervient de plus en plus dans un mouve-
ment d'opinion en faveur des solutions non européennes,
archaïques, pour atteindre la poésie et l~ réflexion
philosophique. C'est que,
s ' i l n'est pas à son déclin,
l'Occident ne peut désormais plus se camper dans sa
superbe méprisante, comme seule détenteur des valeurs
universelles
( . . . ) Les solutions occidentales ne sont
pas les seules, ni nécessairement les meilleures, les
mieux adaptées,
les plus avancées qui puissent être
données au problème de l'homme, de sa place dans la
société de la vie et de la mort
(1).
Le phénomène que nous avons vu dans la deuxième partie est
donc répété dans la troisième. Comme cela vient d'être démon-
/ '
tré la tâche
consistait pour les littérateurs à proner la
complémentarité en commençant par c.énoncer l'exclusivité de la
puis par-dessus tout,
à communier au supra-sensible.
Il
s'agissait donc de perpétue~non/de parfaire, la religiosité
classique des symbolistes et néo-symbolistes, de vivre avec
plus d'intensité l'expérience des poètes "maudits" et
"décadents"
: se délecter de la maladie de l'amour de l'Uni-
versel. Les écrits montrent qu'à défaut d'y avoir amené
tous
leurs
concitoyens, ces écrivains en ont fait l'expérience indi-
viduelle.
Et pour clore la dernière partie de l'étude, nous
dirions simplement : en cherchant à remédier à la désuétude
(1)
LAUDE
(J.).
- op. cit._p. 535-536

230.
occidentale, les deux écrivains ont jeté les bases de
l'entrée positive de la civilisation africaine dans l'Histoire.
D'une autre part amoureux de l'Homme,
intellectuellement libre
et bien pensant ils ont donné une leçon générale à l'humanité
à
savoir que sur le plan des rapports individuels autant que
dans les alliances internationales, considérer l'autre comme
une autre créature, le libérer de l'étreinte de nos serres
et surtout, l'écouter un tant soit peu, nous font éprouver
avec plus de plénitude notre propre bonheur, le bonheur dont
la nature fit don à l'homme.

231.
CONCLUSION GENERALE

232.
Notre étude a suivi tant de détours que nous commen-
cerons ici par l'aveu de la difficulté même de conclure.
Nous sommes conscient que Paulhan et Tzara ne représentent
que deux cas singuliers d'un courant intellectuel à présent
important aux yeux
des chercheurs européens. Cependant,
nous voudrions tout simplement dire que les deux avant-gardis-
tes dont nous avons traité incarnent des exemples de la ré-
flexion et de la pratique simultanées de la foi littéraire,
que cette expérience méritte
que nous
fassions le point de
ses idées essentielles et
soulignions l'effet intellectuel
qu'elle nous laisse.
Dans leur quête de solutions aux maux de la crise
occidentale, Tzara, Paulhan ont eu à démontrer la civilisation
africaine et des peuples noirs. ceci faisant,
ils sont au
premier rang des Français qui amorcèrent avant les Noirs,
-
et consciemment à notre avis-,
le processus qui allait
déboucher plusieurs années plus tard sur deux événements
l'émancipation du continent africain et de sa grande île,
puis l'introduction positive de cette partie du monde dans
le dialogue de l'universel. Schématiquement,
la culture
noire apporta deux aspects fondamentaux à l'universel:
le
,i
rythme et une vision artistique qui rend visible l'invisible
(Id
Aujourd'hui ses sciences,
sa poésie, ses langues préoccupent
(1)
Pour Roger GARAUDY, les civilisations non-occidentales
aident à concevoir d'autres rapports entre l'homme puis
la nature,
la société, et l'avenir même de l'humanité.
Voir son article "L'apport de la culture afrieaine à la
civilisation universelle" in Art nègre et Civilisation
de l'universel, NEA,
1975._p.
131-143

233.
1
les chercheurs et elles constituent l'objet de programmes
scolaires et universitaires chez le noir lui-même et à
l'extérieur. Des structures se créent qui permettent une
diffusion croissante de cette culture. Des progrès connus
sur ce plan, l'on en lira de bons exposés dans Anthropolo-
gie Linguistique de l'Afrique noire
de Maurice Houis
(1),
et dans un sous-chapitre de l'ouvrage de Jean Derive:
"Les
oeuvres orales négro-africaines et la littérature comparée" (2)
D'autre part, plusieurs collections existent qui publient
des textes originaux, du style de Kaidara.
Récit initiatique
peul, de Amadou Hampaté Ba et Lilyan Kesteloot • Les plus
connues de ces collections sont:
"Classiques africains",
chez Juliard ;
"Langues et Littérature de l'Afrique noire"
chez Klincksieck,
"The Oxford Library of African Litterature"
chez Oxford University Press. La diffusion est également
aidée par quelques Organismes internationaux tel l'UNESCO qui
fait procéder actuellement à
l'étude de l'Histoire générale
de l'Afrique. Enfin des efforts individuels comme celui de
Henri Béhar qui fit traduire les "poèmes nègres" restée en
Allemand et fit publier pour la première fois la totalité de
ceux que Tzara avait baptisés ainsi,
relève de la volonté
européenne de faire disparaître cette dichotomie littérature
écrite -
littérature orale traditionnelle. Le souci de remé-
(1)
En particulier aux Chapitres l
et V
(2)
DERIVE
(J.).
-
op. cit. -
p.
74-85

234.
dier à ce mal est d'autant plus appréciable que ce dernier
nlest plus une tare seulement européenne mais qU'il
a été
inoculé
dans l'esprit même de l'universitaire africain.
C'est bien pour cela que Jean Derive dénonce, après Pierre
Alexandre,
l'existence de deux publics africains de culture
différente,
"l'une écrite et d'expression européenne, l'autre
orale et d'expression afriaaine"
(1)
Mais revenons aux auteurs. Tous deux ont traité de
poésie, de récit et les soirées nègres étaient du théâtre
qui précéda l'enseignement de Robert Cornevin dans Le Théâtre
en Afrique noire et à Madagascar. Au fond,
notre étude montre
que Tzara et Paulhan se situent aux deux bouts de la litté-
rature écrite négro-a tricaine depuis l'aube du XXè siècle
jusqu'à sa spécialisation en genres poétique/romanesque,
théâtral. Une bonne part de l'o~vrage de Lilyan Kesteloot
Les Ecrivains noirs de langue française:
naissance d'une
littérature, ainsi que la quasi totalité du premier chapitre
de Littérature nègre.Afrique, Antilles, Madagascar de Jacques
Chevrier se consacrent à démontrer cette spécialisation. Ceci
dit, nous estimons que valable en son temps cette tâche est
vraiment dépassée aujourd'hui en tan~ que oeuvre de spécialis-
te et i l est surprenant que Chevrier ne s'en détache pas en
1981 dans son Anthologie africaine d'expression française. A
notre avis, la publicité nécessaire est suffisamment satisfaite
par les publications de Présence Africaine et de t'Harmattan
et le chercheur n'apporte rien à leur disputer cette occupa-
tion. Tout le monde sait qu'il existe une littérature écrite
(1) DERIVE
(J.). -
op. cit._p. 84

235.
négro-africaine et, -selon le concept de Jahn Janheing -
néo-africaine; que sa critique écrite aussi est née
(1)
et
que les difficultés de cette littérature sont, avec ses
particularités évidemment, celles du monde de la recherche
en général, et de ceux qui s'occupent encore dans ce monde
des choses de l'esprit, en particulier.
Le problème qui nous paraît d'actualité et qui nous
maintient en fidélité avec notre sujet est celui du passage
de l'oralité à l'écriture, celui de la traduction. Nous
avons longuement cité Maurice Houis.
Il évoque les problè~es~
établit les bilans et donne les perspectives de la culture
nègre,
à partir du fait linguistique. Ici encore, c'est sur-
tout l'ouvrage de Jean Derive que nous indiquons comme ins-
trument exemplaire de travail. D'autant qu'en plus d'une
méthode
originale, l'auteur fait la somme des travaux les
plus sérieux sur la question. Comme lui, nous pensons qu'il
faut distinguer deux genres de traduction qui s'adressent à
des publics distincts:
la traduction de l'oeuvre comme oeuvre
d'art; qui consiste à transposer le texte en en conservant le
charme original. Une telle équivalence doit cependant respec-
ter un minimum de règles. L'auteur de The FaIm Wine drinker,
assez contesté, mais défendu par
Michèle Dussutour-Hammer daQ
Amos T~ tuola Tradition orale et écriture du Conte/peut être
ci~é comme exemple de cet~e forme de traduction. La seconde
forme est celle que Derive qualifie de traduction "savante".
(1) On constate que chez les Africains, cette critique est
plus développée dans les pays anglophones que dans les
pays francophones. Ajoutons en outre que de nombreux mé-
f
moires de ma~trise existant à la bibliothèque de l'UER
1
de Littérature comparée traitent du problème de la récep-
tion de la littérature nègre
t
1

236
Point de converg ence
de la littérature, de l'anthropologie,
et des autres disciplines, cette forme doit présenter aux cher-
cheurs des documents utiles pour d'autres analyses. Notre premier
chapitre a montré que Tzara et Paulhan ont combiné ces deux
modes de retransmission de la culture.
Bilans, perspectives, méthodes de recherches préoccupent.
Néanmoins, il existe une autre réalité qui ne rélève pas de la
volonté du chercheur. Nous devons remarquer que antérieures à
1960, les inquiétudes des deux auteurs français quant au sort
de la culture nègre sont aujourd'hui encore d'une actualité
phénoménale. Et sont d'une nature telle qu'il est nécessaire
de sortir quelques temps de sa littérature pour envisager le
problème du point de vue socio-culturel.
Il dépend des gouvernements et des organismes autorisés
qu'une promotion culturelle voie le jour. Les Instituts de
recherche ont beau déployer des efforts, les facultés organiser
des séminaires, des Festivals réunir des génies,
si les respon-
sables nationaux se limitent à l'extase
inactive devant les
valeurs vox populi et que les compte-rendus moisissent dans
les tiroirs des bureaux ministériels, c'est -
pour le moins-,
sous-exploiter l'énergie intellectuelle et abolir l'épanouisse-
ment de l'intellect. De nos jours, le grand dilemme culturel
qui obsède l'auteur de Peau noire masques blancs ne nous semble
pas correspondre à une fatalité.
La vérité nous parait conforme
à cette remarque de Maurice Houis :
Le problème est de penser une politique linguistique
avec les langues africaines comme véhicule d'enseigne-
ment, d'information et de culture, dans une perspecti-
ve qui avance par étapes précises "(1)
(1)
HOUIS)
(Maurice).- op. cit.~p.7

237.
Encore faut-il qu'il soit entendu par tous que, comme toutes
les langues, les langues orales sont adaptées aux besoins de
communication des gens qui les pratiquent, et que, comme le
fait remarquer Bernard Zadi Zaourou,
La langue créée par le peuple lui-même, à la
dimension de sa civilisation et de son génie est un
facteur de production littéraire, au plan quantitatif
et qualitatif tout à la fois
(l)
Du côté des arts le texte de Jean Laude "Le probl~me du pri-
mitivisme"
(2)
nous aide à résumer notre pensée : la recherche
s'évertue peut-être mais qu'attendre de cet effort quand les
responsables d'une culture ne la rencontrent que lors des mises
en sc~ne ponctuelles - officielles-, souvent
pour distraire
quelque délégation étrang~re ? Rien que la transformation en
artifice des valeurs folkloriques.
De l'accueil réservé aux remarques du genre de celles
de Zadi et de Laude dépend le statut de la culture négro-afri-
caine.
Il en dépend aussi que les observations d'Européens comme
Tzara, comme Paulhan et comme Derive -
n'aient toujours raison
de l'Africain • Apr~s avoir constaté qu'il faut "donner leur
place aux oeùvres orales négro-africaines dans la. littérature
comparée (3)
Derive donne ainsi à réfléchir:
La constatation de l'intérêt que des comparatistes d'autres
pays du monde porteront à la forme authentique de ces
oeuvres
( ... ) pourra favoriser chez les jeunes gens
l'abandon à l'égard de leur propre littérature, de comple-
xes et de préjugés qui ne sont que des séquelles de la
colonisation
(4)
(l)
Zadi Zaourou
(Bernard). - Césaire entre deux cultures.
Probl~mes théoriques de la littérature négro-afr1ca1ne
d'aujourd'hui. - NEA , 1978. - p.278
(2)
LAUDE
(J.). - op. cit., Quatri~me partie. p.399-540
(3)
DERIVE
(J.) .-op. cit. _ p. 83
,(4)
Ibidem. p. 85

238
Ou bien faudra-t-il avec pessimisme, se contenter de savoir
qu'avant 1960, des Européens présentèrent des thèses anti-
impérialistes à la faveur de la culture négro-africaine avec
une énergie aujourd'hui introuvable dans la pratique politique
et scolaire du nègre indépendant ? En tout cas telle est à notre
avis,
la question à poser maintenant, qui concerne la différence
entre l'action intellectuelle étrangère mais
égalitaire puis
celle du nègre responsable de nos jours; telle est, dans le
cadre de cette étude la question qui permet de faire allusion
aux responsabilités qui doivent être assumées aujourd'hui.
Néanmoins - et pour rester littéraire - rappelons qu'au-
delà de la révélation d'une culture étrangère
à eux, se situe
l'obsession des écrivains
: la quête du primordial. Contraire-
ment aux affirmations de l'auteur de Le Modèle nègre
(surtout
dans sa conclusion)
et conformément à nos démonstrations, nous
estimons que le mythe en relief ici n'est pas plus celui du
nègre au singulier qu'il n'est celui de l'Homme. D'un bout à
l'autre il s'est agit du mythe universel du recours à l'éternel;
aussi bien sur le plan des fonctions ludiques, esthétiques,
didactiques, symboliques que cathartiques, sur les plans de la
linguistique et de la culture générale, à travers le sacré et
le profane qui se côtoient,
les auteurs ont recherché les élé-
ments de "l'irrationalisme moderne". Et il suffit d'écouter,
Mircea Eliade dire que :
•.• l'élan vital de Bergson, les découvertes de Freud,
les recherches poursuivies par Lévy-Bruhl sur ce qu'il
appelle la mentalité pré-logique, mystique,
( •.. ) les
révolutions artistiques du dadaisme et du surréalisme,

239.
sont quelques-uns des événements importants de l'histoire
de l'irrationalisme moderne
(1)
et l'on comprend que Tzara et Paulhan sont des exemples de la
participation de la littérature à l'étude de l'universel.
La recherche de cet humanisme moderne est régie aujourd'
hui par un critère esthétique que nous avons vu chez Tzara et
Paulhan : la docilité et la sympathie intellectuelles.
Présent dans toutes les sciences révolutionnaires, ce
critère nous fait comprendre l'obligation pour le littéraire
à avoisiner,
sans forcément prétendre à leur érudition, le
linguiste,
le psychanalyste, l'anthropologue et les spécialistes
de bien d'autres domaines de la connaissance humaine. Quoique
nous ayons souvent opéré des choix pour être compris ici, nous
restons conscient que les deux auteurs dont nous avons parlé
sont des personnalités littéraires telles que ce travail pourrait
être plus actualisé et même plus approfondi dans le sens de
cette pluridisciplinarité.
Mais revenons au critère esthétique pour citer quelques
exemples de son développement diversifié : en anthropologie,
i l s'est perfectionné de Marcel Mauss aux Denise Paulme, Claude
Levi-Strauss et Marcel Griaule, et n'est pas absent dans les
études de Georges Balandier qui, dans une large part, sont orien-
tées sur les problèmes socio-culturels
et politiques de l'Afrique.
Sur le plan de la poésie on ne saurait repertorier la totalité
des oeuvres critiques qui insistent sur la nécessité de la doci-
lité intellectuelle comme critère du
plaisir textuel.
Il pourrait
paraître inutile même de rappeler les noms de Roman Jakobson,
(1)
ELIADE
(Mircea).
- La Nostalgie des origines .-p.94

240.
de Roland Barthes, de Georges Mounin etc . . . Signalons cependant
l'ouvrage de Hans Robert Jauss : Pour une esthétique de la
réception.
Un peu plus que les autres,
i l insiste sur l'élargis-
sement de 1" 'horizon d'attente". C'est que de la critique de
la poésie à la critique générale i l n'y a qu'un pas à
effectuer
Aussi,
citons encore deux exemples de celle-là, qui répètent la
nécessité de la docilité : La Critique de Roger Fayolle, puis
Pourquoi la Nouvelle Critique, Critique et vérité, de Serge
Doubrovski.La nouvelle morale s'efforce à trouver un terrain
d'entente entre la critique normative et le je m'en foutisme
de l'esprit nouveau. Elle est axée sur la conciliation de la
rigueur et de la sympathie en critique, qui doit rendre possible
des contacts intellectuels affectifs, une ouverture au monde
entier et la rencontre de l'homme du monde entier.
Comme de juste, la fin de notre étude fait grandir notre
curiosité à propos de deux problèmes de l'Homme.
Le premier
de ceux-ci renvoie au rapport dada-surréalisme et, par restric-
tion de celui-ci au problème d~ la colonisation, au rapport surréa-
lisme-Négritude. Nous avons dit qu'il y a eu exemplarité de
Paulhan et Tzara à la Négritude. Toutefois, nos recherches nous
ont aussi révélé que contrairement à certaines explications, le
lien réel entre la Négritude et le Surréalisme est celui de la
ressemblance seulement. En sorte que la dernière citation que
nous avons empruntée à Eliade aurait pu inclure le mouvement
des Noirs, précisément au titre de cette ressemblance. Evidemment
les militants noirs ne pouvaient ignorer la révolte française

241.
née de dada ni la IIIè Internationale. Et d'ailleurs André
Breton n'a-t-il pas préfacé le Cahier d'un retour au pays
natal? etc . . . Néanmoins ce qui rapproche le Surréalisme de
la Négritude ou vice-versa, c'est d'abord la cause efficiente
le langage. Janheing Jahn
(1)
et Lilyan Kesteloot se sont pen-
chés sur ce fait.
Celle-ci s'explique
en citant une lettre
reçue de US. Senghor :
Nous acceptions le surréalisme comme un moyen, mais non
comme une fin, comme un allié et non un maître . Nous
voulions bien nous inspirer du Surré~lisme mais unique-
ment parce que l'écriture surréaliste retrouvait la
parole africaine
(2).
Puis, tout comme Jahn, Kesteloot montre combien cette attitude
était aussi celle de Damas, de Césaire etc . . . et combien importe
de ne point parler abusivement d'une influence du surréalisme
sur la Négritude. Le deuxième point commun est la cause finale
Dada,
le surréalisme, Tzara, Paulhan et les militants de la
Négritude marquent des étapes dans des courants d'évolution de
la personnalité. En abordant Tzara et Paulhan, nous avons étudié
un correspondant européen de la Négritude.
ICi et là une même
vérité est répétée, à savoir que toujours, un problème
se pose
aux hommes, celui du bonheur. Et de même qu'aucune race n'échappe
à ce mal, ainsi aucun individu, aucune race ni même une science
ne détient exclusivement le moyen d'accession à ce bonheur;
mais les efforts des uns et des autres y convergent. Souvent l'on
doit surtout combattre une idéologie dominante: c'est le combat
(1)
JA~ (J:) . -,Manue~ de littérature négro-africaine du
16eme s1ècle a nos Jours, de l'Afrigue à l'Amérigu~_p.234-244
(2)
KESTELOOT
(L.). - Les Ecrivains noirs de langue francaise
naissance d'une littérature. - p.
94

242.
non des couleurs mais de l'oppressé universel. Telle est la
raison pour laquelle nous pensons que quelle qu'en soit la
forme,
le primitivisme est fondamentalement distinct d'une
"tricherie"
(1), ou d'un "mensonge"
(2). D'une manière ou
d'une autre,
il manifeste l'obsession pour un humanisme idéal.
En conséquence, si l'on revenait au
su\\éalisme il apparaît
que son lien le plus évident avec le New-négro puis la Négritude
n'est pas celui d'un phénomène de cause à effet mais qu'il repose
sur l'analogie du fait historique, le fait humain qu'est la
conquête du bonheur. Ceci étant nous nous voyons porté au seuil
d'une autre réflexion tout aussi sérieuse et u t i l e : celle qui
s'attacherait/dans l'optique littéraire,à une étude analogique
entre le Surréalisme et la Négritude.
Le second problème de l'Homme qui nous hante à ce niveau
invite à mettre l'accent sur l'explication
des comportements
communs aux
hommes de toutes les formes de société. De fait,
notre connaissance des auteurs comme écrivains, comme rhétori-
queurs, comme artistes et comme critiques d'art et des lettres
s'est quelque peu affermie.Mais à mesure que nous croyons les
approcher,
le sentiment nous vient que nous SOITunes loin d' épui-
ser tout ce que permet de dire l'intégration de l'élément nègre
dans leur création littéraire. A notre avis,
il n'y a pas eu
seulement
utopisme littéraire vain.et Paulhan souscrirait à
1
l'idée de Tzara selon laquelle la poésie est une "chose dont
il faut rougir en public"
(3), c'est-à-dire qu'elle est un lieu
(1)
BLACHERE
(J.C.). - op. cit. -
p.
196
(2)
Ibidem.
p.
197
(3)
TZARA (T.).
-
o. C. 1. - n. 643.

243.
"d'occupations internes"
(1):
la vie privée. Ces écrivains inter-
disent que l'on parle de la mentalité primitive d'une éthnie ou
d'une race singulière, et attirent vers cette essence commune
à toute l'humanité et qui contraint souvent le littéraire à
s'interroger sans pouvoir répondre aisément:
tel fait relève-t-
i l seulement de l'ethnicité, du socio-économique ou du socio-
politique? En d'autres termes, pourquoi découvrons-nous que
dans l'intimité
des deux écrivains qui sont des blancs/pré-
existaient une même malicité, une même intelligence, la même
sagesse et un même sens du mystérieux qui habitent l'âme du sage
de notre culture
africai:ï.'2., où la littérature n'est pas écriture.;
et que le contact culturel n'a fait que fermenter ces sens là
chez
ces Eurc:péens ?
Notre incapacité à nous détourner de cette réalité est
rattachée à deux f a i t s ,
D'une part, l'importance des principes
littéraires cardinaux de chaque auteur : le secret chez Paulhan
et les successivités chez Tzara, et, d'autre part,
le fonctionne-
ment de ces mêmes principes dans les initiations traditionnelles.
Dans la société où les initiations traditionnelles s'effectuent
encore, celles-ci correspondent tantôt au passage d'un âge à
un autre, tantôt à l'acquisition d'une connaissance supérieure,
ou aussi,
à l'introduction dans une société secrète. Mais dans
tous les cas, l'initiation est à la fois point d'arrivée et
point de départ, mort d'une vie et renaissance à une autre. Le
cycle initiatique est donc un ensemble de successivités. Or,
(l)
TZARA
(T.).- Ibidem.
-
p.
643

244
c'est dans ce sens que Tzara a parlé des successivités. En en
traitant nous avions cité L'Homme approximatif et rappelé
l'oeuvre de Micheline Tison-Braun
(1).
D'autres textes illus-
trent le même principe; par exemple Indicateur des Chemins du
coeur, L'arbre des voyageurs, Grains et Issues, Personnages
d'Isomnie, Fuite, etc . . . Bref; directeur, ce principe va d'un
bout à l'autre de l'oeuvre complète dont on attend le sixième
et dernier volume. Lui cerné, tout Tzara qui ne_fut
pas que
(
dadaiste devient transparent. Et cette loi de création, nous
t
l'appelerions ~ambivalence du perpétuel devenir humain. En
1
elle-même elle attire; le fait qu'elle soit commune à la créa-
1
tion populaire et à celle d'un écrivain moderne nous fait croire
qu'elle mérite de constituer l'objet d'une préoccupation parti-
1
~
culière et qu'on peut donc continuer à interroger Tzara autour de
t
1
la fonction littéraire qu'elle joue.
r~
Le secret plus ou moins caché est l'idéal de toute initiatior~
traditionnelle. Celui-ci représente le statut plus ou moins accen- 1
tué de surhumanité au sens de connaissance parfaite ou de sagesse
1
f
totale. Par rapport à Tzara, l'auteur de Langage I, Langage II,
f
t
Polygraphe I et polygraphe II
exalte la vertu à l'état définitif.
J~
la littérature du premier est l'ambivalence du perpétuel devenir
tt~
humain, qui est aussi le stade embryonnaire du néophyte de la
f
"forêt sacrée"; celle du second est l'ambivalence des plus érudits.
des sages de nos villages, qui, plus qu'ils ne répondent aux ques-
tions/tiennent toujours un langage qui interroge sincèrement
pensez-vous vraiment que je connais quelque chose ?
(1)
Supra p. 207

245.
Donc, respectivement exemple de l'apprentissage de la
domination de soi puis exemple de cette domination confirmée,
la littérature de Tzara et de Paulhan représentent ce qu'il
faut appeler avec Mircea Eliade "l'initiation et la société
moderne."
(1). Comme Freud et tBn~ elles prônent la méthode et
l'existence du Vieux monde;
la démystification totale et défi-
nitive des comportements, de l'action et de la création cultu-
relle;
la démystification de l'inconscient des tendances, des
desseinsJ des passions existentielles/dans la société moderne.
Et comme tous nous nous modernisons ! et le Nègre plus bizarre-
ment que le Blanc (car quand la Négritude a fini de jeter ses
injonctions le peuple n'a pas cessé de rester sur sa faim et la
culture de se voir piétiner sans discernement)
alors, nous voilà
tous concernés. Et appelés à nous interroger ainsi
ces deux
auteurs firent la connaissance d'un monde étranger à eux; mais
pour nous qui parlons des deux termes de la rencontre culturelle
ou s'arrêtent les différences et ou commencent les indifférences?
Et qu'est-ce que connaître l'étrangeté? Et tout d'abord jusqu'où
y a-t-il étrangeté? A partir des résultats progressivement
formulés on pourrait approfondir la réponse à ces interrogations
en insistant davantage sur l'intercommunicabilité des cultures,
en minimisant la binarité Noir/Blanc et en considérant que les
couleurs ne sont que des apparences locales au-delà desquelles
existe un fond commun : les universaux culturels. Ainsi,
le
proverbe senoufo "tant que la marche continue, le balancement
des bras ne peut s'arrêter" fut-il vrai pour nous,il nous appa-
(1)
cf. ELIADE
(M.)
. -
La Nostalgie des Origines. - p.20G_230

246.
rattrait nécessaire de reconsidérer nos deux auteurs autour
d'un thème à présent assez clair
dans notre esprit, qui est mis
en avant par tout ce que nous venons de dire, et que nous pouvons
formuler ainsi : littérature et histoire des mentalités :
Jean Paulhan, Tristan Tzara et le génie folklorique.
Car déjà
ce ne sont plus les résultats immédiats qui nous intéressent,
tant est forte notre impression de n'avoir fait que tenter de
tracer une piste à suivre.
A l'évidence,
il y a là une tâche qui invite à la pratique
de certaines de nos conclusions théoriques. A savoir le retour
non seulement vers l'oeuvre des auteurs, mais aussi vers l'anthro-
pologue, la critique littéraire puis les autres domaines des
sciences humaines.Et - pourquoi pas -
l'interrogation sur le
terrain.

247.
ANNEKS
1; BIBLIOGRAPHIE
(TZARA)
( photocopiée selon le dossier de Mr. Henri BEHAR. )
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Il

253.
ANNEXE II
UN MOT SUR LA SUCCESSION DADA-SURREALISME
=========================================
Nous voudrions dire un mot sur le rapport entre DADA et
le Surréalisme . Non point pour en développer les différences
mais plutôt pour en souligner la successivité et surtout la
difficulté de les distinguer.
DADA "l'enfant hideux" était lui-même convaincu de son
caractère ponctuel. Mieux:
i l avait programmé sa disparition
et la clamait :
"Dada reste dans le cadre européen des faibles-
ses."
(O.C.l._p.
357). Mais pour quelles raisons prévoir ainsi
sa propre fin? C'est gue DADA était, conformément au phénomène
des successivités,
une étape particulière dans l'évolution
poétigue. On le l i t sous la plume de René Lacôte
DADA est mort,
i l faut s'en persuader pour bien
comprendre gu'il ait été si vivant,
à son moment
his tor ique
(l)
Tzara même insiste sur la place et la destinée de DADA, dans
Les Revues d'Avant-garde. Avant DADA, dit-il,
il Y eut une
période de recherche marguée par Les Soirées de Paris, Maintenant,
SIC, Nord-Sud. Après l'agonie et la mort de ces écoles, DADA
trancha pour le tabula rasa, gui était la condition sine gua
non de la Rédemption. Celle-ci commença avec Littérature, Pro-
~
verbes, l21-et Cannibales pour s'achever avec la naissance du
Surréalisme consacré successivement par La Révolution Surréaliste
et Le Surréalisme au service de la Révolution.
(l)
LACÔTE
(R.)
. -
op. ci t. _p. 14

254.
COncernant donc le rapport précis DADA -Surréalisme, on
peut écouter Tzara observer que "les surréalistes ont canalisé
le désordre de dada " )
que l'un et l'autre ont la commune
volonté "d'objectiver la révolte"
: mais on ne peut cacher un
embarras. Celui-là que Henri Béhar fait disparaître un tout
petit peu, en en parlant
Il est très malaisé d'établir la différence entre ces deux
mouvements, et de faire le partage des attributions
( ... )
L'activité des individus est complexe et ne s'adapte pas
toujours aux rigueurs du raisonnement. En même temps
qu'ils menaient une action dadaiste, Breton comme Tzara
ne pouvaient exprimer des idées qui- avec le_ recul de
l'histoire, nous semblent appartenir au surréalisme
(1)
Donc,
seul un constat est permis, dans lequel l'on est conforté
par Georges Hugnet
dans l'Aventure dada, et par l'auteur de
DADA à Paris. Le premier montre
(2)
que Dada s'est prolongé
différemment selon les formes qu'il a prises à Zurich, à Berlin
et à Paris. Puis la suite de l'explication est identique à l'a~-
firmation de Michel Sanouilliet : "Le surréalisme fut la forme
française de Dada."
(3). Le surréalisme, le groupe de Breton le
voulut comme arme de combat politique. Tzara voulait bien qu'il
se mît au service de la révolution mais à une condition: qu'il
ne se réduise
pour autant, à la fonction de poésie moyen-
d'expression
. C'est peut-être là la source des incompréhen-
sions qui ne résistent pas à la critique de l'observateur tran-
quille des acteurs agités d'une époque.
(l') BEHAR
(H.)
.- Le théâtre dada et surréaliste. op. cit-~p.235
(1) cf oeuvre citée, p.24
(3) SANOUILLET
(M.)
. -
Dada à Paris._p.
420

ANNEXE 111- QUELQUES BOURDONS A PROPOS DES POEMES NEGRES
Nous ajoutons une liste de bourdons relevés au cours
de notre lecture des "poèmes nègres".
Ils sont de quatre caté-
gories.
Les trois premières catégories sont des modifications
se rapportant à deux des poèmes empruntés à E. Casalis :"Le
Chant de Guerre de Coucoutlé" et "Le Chant de guerre de
Galoané". Nous avons établi les erreurs à partir de la lecture
comparée de quatre états de chaque texte: celui de l'ethno-
graphe, le manuscrit de Tzara, le texte dactylographié de
Henri Béhar puis celui de l'oeuvre complète.
1° : Dans le texte ethnographique de E. Casalis,
"Le Chant
de guerre de Goloané" (1)
précède "Le Chant de Guerre de
Coucoutlé"
(2). Tzara a interverti cet ordre dans la
pagination de son manuscrit. Le premier de ces textes
13
12
porte la cote TZR 568
et le second, la cote TZR 568
C'est dans ce second ordre qu'on les retrouve dans le
dossier de Henri Béhar et dans l'oeuvre complète
(3).

"Le Chant de guerre de Goloanér de l'oeuvre complète
comporte des modifications : les vers 28-54 du texte
original y sont déplacés et enchassés entre les vers
13 et 27. Le dossier de Henri Béhar indique que cet
(1)
CASALIS
(E.)
.- op. cit. -
p.
346-348
(2)
Ibidem. -
p.35ü-351.
12
13
(3)
TZR·568·
: O.C.L-p.
464-465, TZR 568
p.465-466

256.
enchassement est fidèle à des indications données
après la première dactylographie

Les textes du dossier de Henri Béhar et ceux de l'oeuvre
complète comportent des fautes qu'on ne trouve pas chez
Casalis ni chez Tzara. Parlons-en d'abord à propos de
"La Chanson de guerre de Goloané."
Casalis-TZARA
Béhar
(Epreuveset O.C.I.)
- . . . les lâches ... se tenir
- ... se tenir immobile
v.50
immobiles
v.22-23
- Le boeuf ne sera pas rendu
- •..•. ne sera pas vendu v.42
v.15
-
. . . qui leur en donnera
V.33
- •..•. qu'on leur en donne-
ra
v;19
- Rantsoafi ( l )
v.41
- Kansoapé
v.27
-
-
-
-
- Molissé (l )
v.44
- Ms.lissé
v.30
- Letsié ( l )
v.2
- Lerzié
v.2
-
- Pontsani (1) ••• Masétel i s v.18 - Pontsam ... Masétélié
v.45
(1)
- Roc
v.20
- Roi
v.47
- Fauve
v.21
- jaune
v.43
Enfin, une expression diffère chez les trois auteurs
Casalis
un torrent de sang noir
v.39
Tzara
une bande de sang noir
v.39
Béhar
un barrage de sang noir
v.25
(1)
Noms propres de personnes

257.
Avec "Le Chant de Guerre de Coucoutlé" on retrouve les
deux couples opposés
Cazalis-Tzara
Béhar
(Epreuves et O.C.I.)
- Mokossé
(nom d'une région)
v.16 -
Matossé
v.16
--=:--
- Matayané
(nom propre fé-
minin)
v.58 -
Matagané
v.58
- chant du trot
- chant du Tial
v.U
- ... s'élance au milieu
-
..• les élance au
d'ëüx
v.21
milieu d'eux
v.3l
-
... et est allé
v.
5 -
... et elle allée
La quatrième catégorie concerne deux erreurs qui
apparaissent dans les textes pro?osés par l'annoteur de
l'oeuvre complète. La première se trouve dans "Chant de
noces"
36
Tzara :
retourons
TZR 568
v.l
Béhar :
retournerons
O.C.I.P.
478 v.1
La seconde erreur provient de "La danse des femmes graissées"
4
Tzara
Les femmes parées avancent
TZR 568
Béhar
Les femmes pavées avancent O.C.I.P. p.461 v.9

B l B LlO G R A PHI E
Nous ne présentons ici que les livres ayant servi
effectivement à l'élaboration de la présente thèse. Les dis-
tinctions à l'intérieur de la rubrique "ouvrages généraux" ne
sont pas rigoureuses. Nous les avons établies seulement en
fonction de la dominante que nous préférons.
1 -
AUTEURS ETUDIES
A)
PAULHAN
PAULHAN
(Jean).- "Les hain-teny mérinas". in : Journal Asiati-
que, t. XIX,
janvier-février,
1912.- p.
13~162.
PAULHAN
(Jean).- Les Hain-Teny mérinas, poésies populaires
malgaches recueillies et traduites par Jean Paulhan.- Paris,
Guethner,
1913.- 461 p.
PAULHAN
(Jean).- Les Hain-Teny.
Eaux fortes originales de
André Masson.- Paris, Folio, 1956.- 86 p.
(Figures et planches
en couleurs, couvertures en couleurs) .
PAULHAN
(Jean).- Jean Paulhan. Oeuvres complètes.- Paris, cer-
cle du Livre précieux,
1966/1970.
(Edition établie par Pierre
aster, Jean-Claude Zylberstein et Jean Schwartz).
- Torne Premier. Récits. Les Instants bien employés suivis
de : Jean Paulhan, voyageur et conteur ou le monde in-
connu, par André Dhotel.- 316 p.
"Aytré qui perd l'habi-
tude".-) p.
170-198.
- Torne Deuxième. Langage II. La Marque des Lettres suivie
de : Le poids du sanctuaire par Roger Judrin.- 332 p.
"Les hain-teny".- p. 69-96.
"L'expérience du proverbe".- p.
101-124.

21:;0
"Jacob le pirate ou si les mots sont des signes".-
p. 125-142.
"'
"La Mentalité primitive et l'illusion des explorateurs".
- p.
1 4 3-1 5 3 •
"Clef de la poésie".- p.
241-271.
"Petite préface à toute critique".- p.
277-306.
- Tome Troisième. Langue II. Le Don de langues suivi
de
Un possédé du réel par Maurice-Jean Lefebvre.- 428 p.
"Les Fleurs de Tarbes ou la terreur dans les lettres"
p.
11-94.
"Les Douleurs imaginaires".- p.
307-335.
"Le Clair et l'obscur".- p.
339-368.
"Le Don des Langues". - p.
370-426.
- Tome Quatrième. Polygraphe 1. Sade ou autres primitifs
suivis de : Jean Paulhan par André Pieyre de Mandrar-
gues.
518 p.
Tome Cinquième. Polygraphe II. La Tâche aveugle suivie
de Jean Paulhan critique d'art par Jean Grenier et Jean
Paulhan citoyen par Jacgues Debû. Bridel.- 554 p.
"Braque le Patron". p.
13-37.
"La Peinture cubiste".- p. 43-146.
"(Bibliographie par Jean-Claude Zylberstein. Bibliogra-
phie par volume p. 497-526. Bibliographie Chronologi-
que
p.
529-545.)
PAULHAN (Jean).- Jean Paulhan,
1884-1968. Témoignanes. L'oeu-
vre - Langage et pensée.- Les arts - le rôle - Textes inédits
- correspondance - bibliographie.- Paris, N.R.F.,
1969,
p. 649-1055.
(16 plancheS).
-
(Les Repas et l'amour chez les mérinas).
- Montpellier, Fatamorgana,
1971.- ~7 p.
(Illustration d'un
frontspièce et de dessins originaux par Bernard Dufour -
illustré. Texte retrouvé et imprimé après la disparition de
Jean Paulhan) .

260
- Jean Paulhan à travers ses peintres. Paris,
Editions des musées nationaux,
1974.- 246 p.
-
226
(deux cent vingt six)
lettres inédites
de Jean Paulhan. Contribution à l'étude du mouvement litté-
raire en France,
1933-1967.- Paris, Klincksieck,
1Y75.- 472 p.
(Présentés et commentés par Jeannine Kohn Etiemble. Thèse
pour le doctorat de troisième cycle. Bibliographie,
Index).
- Jean Paulhan le souterrain.- Union générale
d'Editions,
1976.- 444 p.
(Colloque organisé par le Centre
culturel international de Cerisy-La-Salle en juillet 1973).
B)
TZARA
DADA. Recueil littéraire et artistique.
- Tome 1.- Reimpression des 6 nO
de la revue DADA.- Centre du
X~
siècle J 117 J rue de France; Nice;
1976.- 132 p.
(Pré-
sentée par Michel Sanouillet).
TZARA
(Tristan).-
(Poème nègres, traduits par Tristan Tzara)
76 feuilles + pages annexes. Cote du manuscrit au Fonds
Doucet: TZR -
563 à 570.
TZARA
(Tristan).- Tristan Tzara. Oeuvres Complètes.- Paris,
Flammarion,
1975
(Texte établi, présenté et annoté par Henri
Béhar.)
1975.
-
Tome 1.
1912-1924.- 747 p.
"La Première Aventure de Mr Antipyrine". p.
75-84.
"Vingt cinq poèmes, Vingt cinq et un poèmes ll p. ~5-119.
"Sept manifestes Dadal Lampisteries. -
p.
353-3501 391-
424.
"Poèmes nègres".- p.
441-489.
- Tome II.
1925-1933.- 457 p.
-
Tome III.
1934-1946.- 63~ p.
-
Tome IV.
1947-1963.- 694 p.

261
"Les Ecluses de la Poésie".- p.
~-245
"Les Revues d'avant-garde à l'origine de la nouvelle
po é sie. " . - p.
4 5 3- 6 14 .
C)
ETUDES CONCERNANT LES AUTEURS
a) Paulhan
ARLIN
(Jean).- "Jean Paulhan ou de Madagascar au Grand Prix
de l'Académie".
in
Volontés,
11
juillet.- p.
1.
CAILLIET (Emile).- Essai sur la psychologie du Hova.- Paris,
"Presses universitaires",
1926.- 188 p.
Discours de Réception de Ionesco
(Eugène)
à l'Académie fran-
çaise et réponse de Delay (Jean).- Paris, Gallimard,
1971.-
98 p.
DOMENICHINI -
RAMIARAMANANA
(Bakoly).- Hain-Teny d'autrefois.
poèmes traditionnels malgaches recueillis au début du règne
de Ravavalona 1er -
1828-1861.- Tananarive,
1971.- LXIV -
335 p.
(bibliographie).
FAUBLEE
(Jacques).- "Jean Paulhan malgachisant" in : Journal
de la Société des Africanistes, Fac.
1,
1970.- p.
151-159.
JUDRIN
(Roger).- La Vocation transparente de Jean Paulhan.-
Paris, Gallimard,
1961.- 160 p.
(bibliographie)
LEFEBVRE
(Maurice-Jean).- Jean Paulhan, une philosophie et
une pratlque de l'expression et de la réflexion.- Paris,
Gallimard 1949.- 28~ p.
RAINAVO
(Flavien).- Hain-Teny. Présentés et transcrits du
malgache par Flavien Ranaivo.- Publications orientales de
France.
1971.- 48 p.
Rolland de RENEVILLE.- Univers de la parole.- Paris, Galli-
mard.,
1~74.- 210 p.
(2ê édition).

262
-
"Jean Paulhan et l'expression poétique
(a propos des
hain-teny").- p.
133-142.
-
"Sur une nouvelle méthode critique
(à propos des
"Fleurs de Tarbes".- p.
143-152.
TOESCA (Maurice).- L'Ecrivain appliqué.- Paris, Variété,
1948.- 153 p.
b) Tzara
BEHAR (Henri).- "Proteste au poing levé. Les manifestes dada
de Tristan Tzara".
In : Annales de l'Université d'Abidjan,
Série D., T. VI, Lettres et Sciences Humaines,
1973.- p.
347-
361.
Le théâtre dada et surréalis~
- Paris,
Gallimard, 1979.- 444 p.
BRAGA (Dominique).- Le futurisme
(Cote Fond Doucet. D.P. 1~7­
198) .
BHOWNING
(Gordon Frederick) .- Tristan TZara: The Genesis of
the Dada poem, or From Dada to Aa.- stuttgart,
1~79.- 195 p.
CAWS
(Mary Ann).- "Tristan Tzara".
ln : The Poetry of Dada
and Surrealism : Aragon, Breton, Tzara, Eluard and Desnos.-
New-Jersey, Princeton University Press,
19/0.- p.
~5-135.
-
~Tristan Tzara the Circus of Langage" in.
The inner Theater of recent french Poetry. Cendrars, Tzara,
Peret, Artaud, Bonnefoy.- New-Jersey, Princeton University
Press.- 1972.- p. 51-75.
CORVIN
(Michel). -
"Le Théâtre dada existe-t-il?
Tzara et
Ribemont Dessaignes ou la problématique d'un théâtre dada".
Revue d'histoire du Théâtre nO
3,
juillet-septembre 1971.-
p.
219-287.
EUROPE, nU
555-556,
juillet-Août,
1~75.- 2~0 p.
(numéro spé-
cial consacré à Tzara) .

263
FAUCHEREAU (Serge).- "Tzara, dada et l'expressionnisme",
in
critique, n°
303-3U4 Août-Septembre,
1972.- p.
152-78U.
HUELSENBECK
(Richard).- Almanach DADA.- Paris, Editions Champ
Libre,
1980.
(Edition bilingue traductions de Sabine Wolf;
notes de Sabine Wolf et Michel Giroud).- 404 p.
LACOTE
(René).- Tristan TZara.- Paris,
Seghers,
1952.- 229 p.
LISTA (Giovanni).- "Marinetti et Tzara" in : Les Lettres nou-
velles.- mai-juin 197~.- p. 82-97.
-
"Encore sur Tzara et le futurisme".
in :
Les Lettres nouvelles, décembre 1974 -
janvier 1975.- p.
115-
149.
MARINETTI et le futurisme. Etudes, documents,
iconographie.
réunis et présentés par Giovanni Lista.- Lausanne, Editions
l'Age d'Homme,
197/.- 297 p.
(ill. Fac. Sin. photographies,
portrait en Front-couv.
i l l . ) .
PETERSON
(Elmer).- Tristan Tzara, Dada and surational theo-
rist.- New Brunswick, Rutgers University Press.-
(copyright.
1971).- 259 p.
PICABIA (Francis).- Le mouvement futuriste et le mouvement
dada
(Cote du Fond Doucet. D.P.6).
RICHTER (Hans).- Dada, art et anti-art.- Bruxelles, La Con-
naissance,
1965.- 218 p.
SANOUILLET (Michel).- Dada à Paris.- Paris, Jacques Pauvert,
1965.- 648 p.
(couverture illustrée en couleurs) .
TISON-BRAUN
lMicheline).- La Crise de l'humanisme.- Paris,

Nizet.
Torne 1 : Le Conflit de l'individu et de la Société dans la
littérature française moderne 1890-1914.- 195~.- 520 p.
-
-

1
264
Tome 2 : Le Conflit de l'individu et de la société dans la
littérature française moderne 1914-1939.- 1~67.- 470 p.
- Tristan Tzara inventeur de l'homme nouveau.-
Paris, Nizet, 1977.- 116 p.
II - AUTRES AUTEURS PRIMITIVISTES
A) APOLLINAIRE, CENDRARS,
RIMBAUD
APOLLINAIRE
(Guillaume).- L'Esprit nouveau et les poètes.-
Paris, Jacques Haumont,
1946.- 29 p.
- Calligrammes.- Paris, Gallimard,
1948.- 205 p.
(37è édition).
- Alcools.- Paris, Le Club du Meilleur
livre,
1953.- 169 p.
(suivis de Reproductions inédites des
premières épreuves corrigées de la main d'Apollinaire. Com-
mentées et annotées par Tristan Tzara) .
- Chronique d'Art.
(1902-1918).
- Textes réunis avec préface et note, par L-C- Breunig.-
Paris, Gallimard,
1960.- 525 p.
- Méditations esthétiques- Les pein-
tres cubistes. Texte. présenté et annoté par L-C Breunig et
J.L. Chevalier.- Paris, Herman,
1965.- 192 p.
(ill. dépliant).
Poèmes libres.- Paris, J.J.
Pauvert,
1978.- 169 p.
(Préface de Michel Decaudin - bibliographie;
p.
11-19.)
BAUDELAIRE.- Oeuvres complètes -
Texte établi et annoté par
Y.G. Le Dantec.- Paris, Gallimard,
1961.- xxx - 1878 p.
(Edition révisée complétée et présentée par Claude Pichois) .
CENDRARS
(Blaise).- Blaise Cendrars
(1887-1961).- Paris,
Mercure de France,
1962.- 208 p.

265
- Blaise Cendrars. Oeuvres Complètes. In-
troduction à la lecture de Blaise Cendrars par Raymond Dumay.
Edition établie avec la collaboration de Nino Frank. Paris, Le
Club français du Livre,
196~ 1971.- Tome 1 à 15.
ELUARD .(Paul).- Première Anthologie vivante de la poésie du
passé.- Paris, Seghers,
1951.-
(2 vol.).
- Donner à voir.- Paris, Gallimard,
1Y98.-
219 p.
- La Poésie du passé.- Paris, Seghers,
1978.-
T. 1 350 p. T. 2 ' 31 7 p.
- La Vie immédiate. Suivi de : La Rose publique
Les yeux fertiles,
et précédé de : l'Evidence poétique.-
Paris, Gallimard,
1978.- 250 p.
LAUTREAMONT,
(Isidore Du casse, dit Le Comte de).- Les Chants
de Maldoror, suivi de Lettres. Poésies l et II.- Edition éta-
blie présentée et annotée par Daniel Oster.- Paris, Presses
de la Renaissance,
1977.- LXXX -
387 p.
MALLARME
(Stéphane).- Un Coup de dés n'abolira pas le hazard.-
Paris, Gallimard,
1952.
(non paginé. Cote de la bibliothèque
de la Sorbonne: C.
1799
(25).
in 4°).
RIMBAUD
(Arthur).- Oeuvres Complètes) .- Paris, Gallimard,
1972.- 1249 p.
(Edition établie, présentée et annotée par
Antoine Adami.
B) QUELQUES ETUDES SUR APOLLINAIRE ET CENDRARS
De notre documentation nous ne parlons ici que des
textes dont le contenu a été particulièrement présent dans
notre esprit pendant la rédaction.
AEGERTER (Emmanuel) et LABRACHERIE (Pierre).- Guillaume
Apollinaire.- Paris, Juliard,
1943.- 273 p.
- Au temps de
Guillaume Apollinaire.- Paris, Juliard,
1945.- 241 p.

266
DECAUDIN
(Michel).- Apollinaire,
inventeur de langage.- Paris,
Lettres modernes, minard,
1973.- 200 p.
(Actes du Colloque de
Stavelot
(1970). Réunis par Michel Decaudin).
- Recours aux sources. Etudes et informa-
tions.- Paris, Lettres Modernes,
1978-1980. 2 volumes. Vol.
Vol.
1 in : La Revue des Lettres Modernes,
530-536, 1978.-
191 p.
Vol.
2 in
La Revue des Lettres Modernes,
576-581, 1980.-
200 p.
ESPRIT NOUVEAU. - nO
26, octobre 1924, - Editions de l'Esprit
nouveau.-
(Numéro spécial consacré à Apollinaire.- 61 p. Cote
du Fonds Doucet: F.D. P'IV.-4).
EULALIO
(Alexandre).- "L'aventure brésilienne de Blaise
Cendrars.- in : Etudes portugaises et brésiliennes. Travaux
de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Rennes,
1969.- p.
19-55.
EUROPE.
54è année. ~
566,
juin 1976. Blaise Cendrars.- Paris,
1976.- 248 p.
GOLDENSTEIN
(Jean-Pierre).- Blaise Cendrars et l'introduction
de l'art nègre en France.- Directeur: Charles Dedeyan. Cote
de la bibliothèque de l'Institut de Littérature Comparée
Paris III : DES 83 99).
PERRUCHET
(Henri).- "Les hommes et leurs oeuvres: Blaise
Cendrars, ou vivre est une action magique" Extrait de Synthè-
ses, octobre 1953.- p.
194-191.
STEINS
(Martin).- Blaise Cendrars. Bilans nègres.- Paris,
Lettres Modernes, 1977.- 84 p.
III - ETUDES EXEMPLAIRES POUR NOUS
ABRAHAMS
(Roger D.).- Deep down in the jungle. Negro narrative
folklore from the streets of Philadelphia.- Chicago, adline
Publishing (Company, 1970.- 278 p.).

267
BLACHERE
(Jean-Claude).- Le Modèle nègre. Aspects littéraires
du mythe primitiviste au xxè siècle chez Apollinaire, Cendrars
Tzara - N.E.A.,
1981.- 234 p.
DERIVE
(Jean).- Collecte et traduction des littératures ora-
les. Un exemple négro-africain:
les contes ngbaka-Ma'bo de
R.C.A.- Paris,
Société d'Etudes Linguistiques et Anthropolo-
giques de France
(SELAF),
1975.- 256 p.
ELLISON
(Ralph).- Invisible man.- Harmondsworst, England,
Penguin Books,
1977.- 469 p.
-
Shadow and Act.- New York,
Random House,
1964.- XXIII -
31B p.
FANOUDH-SIEFER (Léon).- Le Mythe du nègre et de l'Afrique
noire dans la littérature française
(de 1800 à la deuxième
guerre).~ Paris, Klincksieck, 1968.- 212 p.
LAUDE
(Jean).- La Peinture française
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meister) .

277
TABLE DES MATIERES
==================
Pages
REME RC l EMENT S
.
1
INTRODUCTION
.
4
1ère PARTIE
PERTINENCES DE LA RENCONTRE CULTURELLE:
QUAND LE LITTERAIRE DEVIENT ETHNOLOGUE .•.
26
CHAPITRE l
-
LE COSMOBOLITISME INTELLECTUEL........
27
l
-
ETHNOGRAPHIE
: APERCU.....................
29
. La science constituée et l'év0lution-
1
29
31
1
II -
33
33
35
III -
COSMOPOLITISME.........................
40
à)
Paulha~, Tzara et l'esprit archiviste..
40
B) Les sources bibliographiques...........
42
a. Les s o u r c e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
43
b.
nature de l'information.............
44
CHAPITRE II -
JEAN PAULHAN, TRISTAN TZ~PA DEVENANT
NEGRES. • . . • • • • . . . . . . . . • . . . • . . . . . . . . .
47
l
-
TRADUCTION ET EMPRUNTS...
48
A)
La différence méthodologique........
48
B)
Paulhan et l'observation agissante.
49
C)
Tzara et la compilation de cabinet.
51
II -
LA MEDIATION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
54
A)
Quelle oeuvre ?.........................
54
B)
La d i f f u s i o n . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
54

Pages
IIème PARTIE - ESPRIT NOUVEAU ET STYLE FOLKLORIQUE
59
CHAPITRE 1 - QUELQUES REMARQUES GENERALES... .... ....
63
· Poésie et anthropologie : la question expéri-
mentale... .. .. .. .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . .. .
63
· Un principe cardinal: la répétition.........
63
· Un rythme individuel et collectif............
65
CHAPITRE II - LES DEUX RYTHMES - SENS...............
71
1 - DADA ET L'ABSTRACTION NEGRE : LE SENS DE
L'INSENSE
(Etude
d'analogie2' ..
71
A) Les jeux de Tzara..........
73
a) Le goût des phrases banales..........
73
b) Tzara comme futuriste................
76
B) Tzara et l'obsession de l'abstrait......
79
C) Le poème statique ou : liberté totale ..
82
a) Définition...........................
83
b) L'esthétique de l'irrationnel........
83
D) Le poème mouvementiste : liberté du
corps et de l'esprit..........
89
II - PAULHAN ET LE RYTHME-SENS...
91
ILL Une logique primitive...................
92
. Plan individuel........
92
. Plan c o l l e c t i f . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
94
II.2. Paulhan et le concept primitif
".
99
A)
Faiblesse objective du symbole..........
100
B) Concept primitif.Universalisme linguis-
t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
103
af Notion d'abstraction.................
103
b)
Paulhan et Lévy-Bruhl. ..• .. ... . ... ...
106
c) L'universalisme linguistique.........
108

Pages
CHAPITRE III - CONDITION DE LA POESIE NOUVELLE :
LE RECOURS A L'ANTIQUITE
.
113
l
-
INSUFFISANCE DE L'ECRITURE: LE RETOUR AUX
SOURCES. • . • . • . . . . • . • • . . . . . • . . • . . . . . • . . . . . • . . . .
113
II - LES LECONS DU RETOUR: LA POESIE NOUVELLE.....
117
A)
Clé ou compromis ? Dogme et liberté
express1.ve. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
118
a. La t e r r e u r . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
118
b. Le compromi s. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
120
B)
De Dada au rythme populaire
121
a. La Première Aventure céleste . • . . . . . . . . . . .
124
· Les personnages
124
· Le d i s c o u r s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
125
b.
Un tournant: La Galerie Dada . . . . . . . . . . . •
128
c. L'abstraction: poésie des contraires . . . . . 129
• Les dispositions graphiques . • . . . . . . . . . .
131
· Les contrastes sémantiques • . . . . . . . . . . . .
132
d. Vers le rythme populaire • . . . . . • . . . . . . . . . .
134
• Rythme déconstructif . . . . • . . . . . • . • . . . . . . . 134
Elimination des excès
135
• Tzara et le rythme populaire .•.•..•.•..
138
IIIème PARTIE -
RENCONTRE DE L'HUMANISME NEGRO-AFRICAIN
ET RENFORCEMENT DE LA CONCEPTION PRIMI
TIVISTE. . ..
.. . .. . .. . ..
. ..
143
CHAPITRE l
-
POESIE DE LA CONDITION HUMAINE :
L'HUMA.NISME..............................
148
l
-
UN TREMPLIN:
la POESIE PASTORALE
148
II -
POESIE -
CREATION DE VIE . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . .
150
A)
Paulhan et les paradoxes...................
150
B)
Paulhan et l'idéologie du hain-teny
152
a)
La recherche de l ' i d é a l . . . . . . . . . . . . . . . . .
153
b) Accepter un sort . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
154
c) Accepter un sort même pénible
155

280
Pages
C) L'initiation de Tzara
.
159
a. Poésie et labeur
.
159
b. Action magique:
l'exemple général
.
HiJ
c. poésie-atténuation du péché
.
163
d. Mort et magie du Verbe
.
165
e. Nostalgie et rédemption: le regresus ad
u te rum
.
165
III - EXISTENCE D'UNE CIVILISATION
.
168
A)
Paulhan
le relativisme culturel
.
168
B) Tzara: la supériorité de l'art nègre
.
179
CHAPITRE II
-
PROJET BIPOLAIRE D'UN NOUVEAU MONDE ..
184
l -
REVOLTE CONTRE LA COLONISATION. POUR LE
NOIR LIBRE.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
184
A) Contre la déshumanisation................
185
B) Contre la destruction de la culture nègre.
188
C)
Les r e m è d e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
191
. Paulhan et la promotion linguistique. ...
191
. Tzara et la notion de l'émancipation du
c o l o n i s é . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
193
II - RENFORCEMENT DU PRIMITIVISME: L'EUROPEEN
NOUVEAU • • • . • • . . • • • . . . • . . . . . . . . . • • . . . . . . • . . . .
197
A) Tzara et l'exorcisme
.
197
a. La nouvelle poéticité : le principe
.
197
b. Le principe et les soirées nègres •....
199 A
. Les soirées
.
199
. Succès ou échec de dada ?
••••.•••••••
204
B) La métaphysique des auteurs
: le renforcement
210
a.
La religiosité
.
210
b. La Contemplation
.
213
b.l Paulhan et la notion de la béatitude.
213
· Le clair et l'obscur
.
214
· Le secret
.
215
· L'autonomie
.
217
· L'extase mentale
.
219
b.2. Tzara et la notion de sphère
.
220

281
Pages
C) Le nouvel Européen
.
224
. Paulhan et la notion du Grand Amour
.
224
. Tzara et l ' homme nouveau
.
226
CONCLUS ION GENERALE
.
231
ANNEXE l
-
247
ANNEXE
253
ANNEXE III - QUELQUES BOURDONS RELEVES DANS LES
"POEMES NEGRES'~ O.C.I.
255
BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
258
................. .....
TABLE DES MATIERES
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