UNIVERSITE DE PARIS X NANTERRE
UER: CENTRE DE SEMIOTIQUE TEXTUELLE
THESE DE DOCTORAT DE me CYCLE
LECTURE DE: ILES SOFAS
L'OEJDL
FER DE LANCE Livie li
de BERNARD ZADI ZAOUROU
jEONSEll AFRICAIN ET MALGAC~IE 1
POUR l'ENSElG\\lfM?:NT SUP~R:EUR
Présentée par : Mlle. Mawa COUU ~}A. M. E. S. -
OUAGADOUGOU 1
Arrivée ·0 g. J.U IN .1~. 95 ... _. _/
.
• Enregis~é sous no~O-e'5' 0-4"
Sous la direction de Mr. le professeur Claude ABASTADO
ANNEE
1984

A
MA
MERE
A
MON
PERE
A
Tous les êtres qui me sont chers
Ma gratitude à Monsieur
Daniel DELAS
Ma reconnaissance sincère au
Professeur Claude ABASTADO
pour sa disponibilité et ses
encouragements.

"L(].
conn(].j S~.:lnce l'st comme cc tronc li' ~lrhrl':
n'C"spèrc
.i~111l.:l.i~ qu'un jOtlr tu en arri\\'l'r.1S
~ bout." (11
"Quelle que soit l'importance de l'avant et
de l'après-texte pour l'évaluation correc-
te d'une oeuvre, le descripteur ne peut faire
comme si le texte lui-même n'était nas d'a-
bord codé linguistiquement." (2)
,
"Une oeuvre prend toujours son sens nar rap-
port à d'autres oel1vres, à un svstè~e
de
valeurs et de significations."
(3)
- Alphonse Raphaël N'DIAYE : "Les traditions orales et la
quête de l' identi té culturelle"
in Pré-
sence Africaine n D 114 édition
Présen-
ce Africaine
Paris,
2ème trimestre
1980, p.
14.
2 - Jean-Claude COQUET in Sémiotiglle littéraire: contribu-
tion ai'analyse sémantlgue du discours.
]';chtlon ~lame Pans, 19i3, 11.
26.
3 - Tzvetan TODOROV
"Poétique" in Qu'est-ce Clue le struc-
t lIl' a 1 i s me ? Se u i l Par i s, 1 968, p.
1 54 .

- .~ -
1 N T R 0 DUC T ION

-
.1
-
Bernard ZAI1I
Z'-\\lÎlJlWU l'~t 1111 11000'."ll' l'hl': '.lui l'en":l"I'III"l1t
.
,- ,-
!'C'litiq'.lL' ct
littéraire sc confondent,
St\\'li~ticien de fonn:l-
tiOII,
il est actllellement cllercheur eJI traditions
orales
ivoiriennes. Ces deux aspects de 5:1 rrécccup:ltioq littl'raire
sc
refl~tent dans son oeuvre au travers de laquelle il tente de
faire perdurer ces traditions littéraires en voie d'extinc-
tian.
LE CORPUS
"Le corpus est une collection finie cie matériaux,
déterminée à l'avance par l'analyste,
selon un certain ar-
bitraire
(inévitable) sur laquelle il va travailler",
11
doit être suffisamment "large pour qu'on puisse espérer que
ses éléments saturent un svstème complet de ressemblance et
de différence".
Dans le même temps, il doit être aussi homo-
gène que possible; d'abord l'homogénéité de la substance:
idéalement un bon corpus ne devrait comporter qu'un seul et
même type de documents.
La réalité présente cependant le plus
communément des substances maîtresses
on acceptera donc
des corpus hétérogènes, mais en ayant sOIn
alors
d'étudier
soigneusement l'articulation systématique des substances en-
gagées (.,,) c'est-à-dire donner à leur hétérogénéité même
une interprétation structurale". Ensuite l'homogénéité tem-
porelle qui "doit éliminer au maximum les éléments diachro-
niques"
; le corpus doit serrer d'aussi près que possible

-
5
-
NOLIS avons choisi troi~ Je se~ oeuvres qui svst~-
matisent les principales étapes d'un cheminement conflictuel
et ténlC'ignent des contradictions auxquê'lles peut-être con-
fronté un intellectllel. Dans Les Sofas ~ Fer de lance (livre
1)
s'étalent les ttapes de l'évollltion d'une écriture
et
dans une certaine mesure celles d'une société entière. Cette
aventure socio-littéraire d~bute pour Bernard Zadi Zaourou
avec Les Sofas qu'on qualifierait volontiers d'enfance de sa
pratique, emprunte d'universalité et d'innocence; puis
se
pOllrsllit avec L'oeil qlli correspond ~ l'adolescence faite de
rapports conflictuels ; pour déboucher enfin sur Fer de lance
berceau incontestable de sa maturité littéraire
(lieu d'~bau-
che de l'harmonisation et de la conciliation de deux courants
littéraires divergents), qui s'affirmera dans ses oeuvres ul-
térieures.
L'homogénéité sllbstantielle est assur~e, le corpus
étant "saturé" vu que "certains él~ments -stylistiques et
thématiql1es - connaissent une forte itérativité dans le re-
pérage".
(2).
Alors même qlle l'~l~ment diachronique assure la saturation
1 - James EMEJULU
Pour une lecture du Roman Ouest-africain
analyse sémiotique du roman d'Amadou
Hampaté-Bâ.
2 \\'olumes Paris X,
1960
(p.
14.1'.1. 1 .
Î
-
id.
p.
15.

c.I'
un s)'srème complC'r de ressemblancC' et ch' cli fférC'ncl',
Voinl briè,'el'lent présentées les Oell\\-reS con5titll-
tives du corpus ~ partir cluqllel s'organisera notre travail.
PROBLHIES ~IETHODOLOG 1QUES
"La première question qUl se pose est cie saVOlr
quelle méthodologie est capable de tenir compte des particu-
·larités de la littérature africaine. Sera-t-elle efficace,
exhaustive et économique à la fois?
.,. Existe-t-il une mé-
thodologie connue déjà qui pUlsse efficacement et entière-
ment répondre avec un coOt réduit en fonction du volume
du
résultat, aux exigences de la littérature africaine, Si
la
réponse est intuitivement allcune
(!)
peut-on théoriquement
faire travailler avec succès une seule méthodologie, deux,
ou trois à la fois? laquelle ou lesquelles ?" (1).
Ces interrogations introductives à la thèse de
James Emejulu coincident pleinement avec celles qui furent
les nôtres au moment d'entreprendre ce travail.
L'on
peut
d'aillellrs légitimement s'étonner de cette défiance, eu
égard à la multiplicité des méthodes d'analyse dont dispose
le critique.
1 -
James E~IEJULU
Op, ci t.
p.
17.

- 7 -
l'ourt:1nt dcux f"cteur"
esscnt ic1l C,l\\ent S('C jol ,)-
glqUCS cbns leur fondement,
1:1 conditionnent ct 1:1 rcndcl\\(
inévitahle.
- Le caractère quelque peu particulier du cadre
de ce corpus, "sa nouvelle réalité géo-politique, géo-écono-
miqlle, socio-cultllrelle, naissant d'une inter-culturalité
ambiante,
( ... ) va influer profondément sur la création lit-
téraire"
(1) et donc remettre en cause le style même de son
approche. Dans sa nouvelle perspective, - qUI se détache de
la négritude dont
le but était de réhabiliter le Noir -, "le
roman" mais aussi le théâtre et la poésie qui sont les ooj~ts
de notre étude, "s'attaquent aux problèmes sociaux." L'oeu-
vre littéraire devient "une peinture de } 'homme dans la so-
ciété et des rapports dialectiques entre les deux, d'un dra:]e
d'objectivité appréhendé dans toutes ses dimensions et sur
différents registres. S'enracinant dans un milieu ~ majorité
de littérature orale et destinée a fortiori il la même :1udience
(ou presque). "Le roman",
le théâtre et la poésie" ... ras-
semble(nt) et schématise(nt) les supports stvlistico-cultu-
reIs connus dans les contes, les mythes et autres".
(2)
- Un second problème d'ordre lingllistique vient se
greffer sur le premier.
Le problème de la langue de culture
J ame s HIEJULU
Op.
c i t.
p.
1 2 .
2 -
il!.
p. 13.

'1
- ~ -
de l' é cri \\' a in. CC' 1 1C' - c.i é tan t
" l;1 1 a n ~~; c' man i r(' ~ t l' \\' é h j C 1I-
lant" les écrits.
A ce propos James DIEJULU avance que "j'cut -être, une sémio-
tique,
réllnissant la ]in~llistiqlle, la j'svcllologie et la pé-
dagogie aura
( ... ) une réponse à notre problème" étant
donné "la longueur des années et le prix matériel, culturel,
intellectuel qui se mettent dans l'apprentissage d'une nou-
velle langue dans un environnement cul ".lrel non apparenté"
mais aussi et surtout "] 'automatisme ps'·chique qui sous-tend
toute maitrise d'une langlle.
(1)
Ces deux facteurs conditionnent fane (ils le doi-
vent du moins) les choix méthodologiques du critique. Et,
le
problème se pose en ce·s termes:
les textes ci-avant décrits
évoluent à la périphérie des méthodologies critiques. Celles-
ci se construisent à partir de textes dont les caractéristi-
ques morpho-syntaxiques ne sont pas forcément représentati-
ves de tous les courants.
Car, au-delà des universaux,
il
existe des différences parfois fondamentales.
La tendance
hautement symboliste de certains textes africains ainsi que
leurs particularités langagières relèvent de cette spécifi-
cité. Faut-il, ces réserves émises, s'insérer malgré tout
dans un cadre de travail préétabli, avec les inconvénients
que cela suppose? Ou alors fallt-il ten:er d'aborder les
1 -
James EMEJULU
Op. Ci t.
p.
1:) •

_
0
_
t('xte~ ~C'lon
1IJ)l..'
optique mOln~ dir.igi~tc en ~'efrort.:~lnt ce-
pen d:111 t cl' é \\- i ter 1cs é ,- LI e ils d c 1il non - r i gue li r qu' en t r:l l ne _
rait une tel le perspect i\\-" d'approche"
Nous nvons choisi de tenter la deuxièmc solution.
Pnrce que
nous estimons qlle le trnvai] dll critiqllc n'est pas seulement
objectif et rigoureux.
Il est aussi émotionnel et le criti-
qlle S'y reflète quelque peu. Ce choix qui présente
de
nom-
breux désantages nOLIS nermettrn de décrire le texte le nlus
ouvertement possible. Car nOLIS voulons essentiellement faire
une lecture qui s'adresse en priorité aux textes en tallt
qu'-
"objets linguistiquement codés". Ceci précisément parce que
l'espace textllel littéraire con!emporain, au-del~ de son ca-
ractère de référent historiqlle, politique, ethnolo~ique est
d'abord et avant tout un terrain stYlistique et sémantique
spécifique; et parce que son aSDect esthétique doit trouver
grâce aux yeux du critiqlle et constituer avec sa valeur éth~
que, deux pôles d'une même réalité
le texte.
Par conséquent
sans négliger "l'importance de l'avant et de l'a!1rès-texte
pour l'évaluation correcte d'une oeuvre" nous ne pouvons
"faire comme si le texte lui-même n'était pas d'abord un nro-
cès de signifiance spécifique ~ l'intérieur de l'ordre du
discours social.
Notre intention première est donc d'interroger le texte dans
tous les sens, de le décrire le nlus largement possible. Cet-
te lecture se fera en Sllivant trois directions de recherche :

1 (J
-
- l'çcriture
- le contenu sémant ique
- la mise en relation ~~ec le hors-texte.
QUELS OUTILS U'!'ILISERONS-NOU5 ?
Le caractère exploratoire de notre travail,
la mi-
se en exergue de la notion de sens
(signe l
orientent vers
plusieurs directions de recherche.
raTl~i celles-ci une retien-
dra notre attention.
Celle véhiculée p3r la Sémiot ique.
Con-
sidérée comme le domaine même de
l'exploration du sens,
ell e nous ser':i~3 d'angle cl' im'esti~,at;C)li (lan- notre travail. A partir
d'elle et en l'utilisant comme tremplin nous atteindrons des
niveaux de lecture aucunement réducteurs .
......---.---."
/\\~!CA/.\\ l~~\\,.
'r>.l:
- c· .. :,....,\\
En !lartant d 'une nlcé't./dUTrl.~rnG,iPe que la sémioti-
'-<-'/
(,
\\ " c
q ue est une discipl ine en Da(efn~J~~srso~.y . mfuléable et donc é-
• ~.;' 1
~) '~Il
volutive
; en considérant e~is:u\\.te la d'lv~.tsité mais aUSSI la
.
'\\ ',' ~ ...e-....:it.q
"'0<,
\\~._
convergence de certains outils"'s~~Ü~,ô':t4'ques d'abord et non
sémiotique ensuite, nous envisageons l'usage de la sémioti-
que comme base de travail
tout en connaissant ses limites
circonscriptibles et intallgibles.
La rigidité des frontières
ainsi que le caractère restrictif des définitions s'accommo-
dent mal
b la naturc de notre propos,
qui veut se donner une
large m'Irge de manoeuvre,
Aussi notre méthode de travail re-
lève-t-elle plus de l'amalgame de théories que dc l'applica-
tion stricto censu d'une ligne pré-établie.

-
1 1
C'est-:I-dire qU':llI lieu d':Jppliqucr ~)"stém:Jtiquclllcnt :, un
texte une définition ou unc méthodc d'an:l1\\'sc p:nticuli(>re,
nous le~ a\\'ons soi t fonctionnaI i sécs soit miscs en relat ion
avec d'autres définitions :lfin d'élargir le ch:lmp méthodolo-
gique qu'elles offr:lient au préalable, i\\ous nous sommes ce-
pendant efforcé, afin de donner une logiquc ~ notre démarch~
au long des différentes narties,
(principalement les demième
et troisième) de modiller uniquement sllr des concepts sémio-
tiques les bases de discussion et d'approche des analrses
proposées.
Suivant cette perspective, le travail
s'articule en
trois grands points :
1- Les problèmes d'écriture
11- L'univers imaginaire
111- Le contexte socio-culturel.
La première partie,
les problèmes d'écriture, com-
prend trois chapitres qui vont du général au particulier.
- Le chapitre 1 récapitule l'itinéraire stvlisti-
que de Bernard Zadi Zaourou et pose le problème linguistique
qUI préside à l'analyse de toute oeuvre étrangère: la dupli-
cité et la complexité de la question de la communication
littéraire en Afrique dans ~es grands éléments,

12 -
-
llan5 le chapitre' Il, L'aFencelllC'lll dl' la FriC1ti-
~, TlC1U~ avon5 appliqué il Fer cie lancC' - carrefour clu nn-lhl',
du conte et du récit - la notion cie séquence dépouillée,afin
cie montrl'r que ce poème se prêtait il un concept épistémolo-
gique qui, a priori,-l 'éliminait de son champ d'investigation
et deuxi0mement pour ressortir la structllration - asse: com-
plexe de cette oeuvre - qui montre que l'agcncemcnt des actions
narratives ne coincide pas forcément avec la linéarité
du
discours.
- Le chapitre III, Le tissu musical, traite du thè-
me névralgique des rapports écriture-oralité en littérature
moderne. Ce thème est anal;"sé sur un plan double;
- formel
et conceptuel. L'écriture jusqu'h un certain point est tri-
butaire du rythme et de la clanse
(le geste). Non pas comme
ornement mais comme composante importante et indissociable.
Mais la musique dans l'oralité et dans l'écriture sont-elles
comparables ?
La seconde partie est une approche discursive re-
groupée sous le titre L'univers imaginaire de Bernard Zadi
Zaourou.
Il faut distinguer deux niveaux;
L'espace
topologique - espace narré -
I.'espace
qu'est le texte - espace narratif.
- Dans le chapitre premIer - La conquête de l'e5-

I~ -
J2.ilcC' commE' symbolE' dl' liberté -,1'(':')'1,-(' narré c'e,t ;1
ln
fois
l'esrnce géogrnphiqul', r1n'siquE',
le temps,
La symboli-
que sratiale et temrore]]e joue un grand rôle clnns l' inter-
prétntion narrative, nellx espaces se c)levauchent
: l'espace-
temps figuré
(lieux géogranhiquE's, ph)'siqlles, , ,l, l'espace-
temps fantasmé, celui de ln liberté (espace abstrait),
- Les chapitres deux, trois et quatre s'organisent
autour de l'interprétation narrative des occurrences du récit,
La littérature africaine comme ",., haut lieu des signes et
symboles structuturels, .. " se décoll\\·rc.
Symboles, métarhores·
etc
s'inscrivent comme éléments de rhétorique et leur ca-
ractère pédagogique (ini t iatiquel trOll\\'e sa pleine justi fi-
cation. Le récit devient alors un réseau de translations
qu'il faut lire.
La troisième partie, La rencontre des cultures et
des générations, interroge le texte afin d'y déceler du hors-
texte.
Il s'agit de rechercher dans les textes de Berllard
Zadi Zaourou - oeuvre de réécriture - les éléments qui per-
mettent de poser que ceux-ci sont liés à l'oralité sans y
être aliénés.
C'est une systélnatisation des rapports interculturels au
confluent desquels naît l'oeuvre.
Ils interviennent à deux
nlveaux
d'une part l'intertextualité interne
d'autre part l'intertextualité externe.
Enfin, nous conclurOllS sur les perspectives de la
littérature africaine contemporaine.

-
1·1
-
PREMIERE
PARTIE
PROBLEMES D'ECRITURE
"
; la langue n'est jamais neutre, mais
constitue un lieu de contradiction or,
se
cristallisent de multiples conflits." (lj
1 - J.
L.
CHlSS
J.
FlLLlOLET ; D. MAI\\GUE~iEAU
: Linguisti-
que française.
Initiation b la probléma-
tique structurale. Tome II édition Hachet-
te université,
10;2, p. 10.

-
1 ~
-
"Fer de l[lnce
-ô-
Ill;l
gril.)t ique
5UTgic
des
replis cil' la.'ruinl' parolière - tu cs
le
petit )é't cil' vl'Il.in destine' 'au tillon ,lu pas-
sant
Je
suc
alls~i
la Sève de vil' qui ruisselle gaiement pour
le nassant
( ... )"
Cp.
b).
Cette présentation du poème Fer de lance résume la
conception qu'a Bernard Zadi Zaourou du verbe;
pour lui, il
demeure la force essentielle de l'homme. Arme redoutable aux
pouvoirs insondables,
il est aussi à considérer comme l'outil
principal de l'artiste (poète, chansonnier et maître du droit
traditionnel). Selon Gbaz:a Madou Dibéro,chaJlsonnier et maî-
tre de la parole en pays Bété
(1), le verbe transforme l' ar-
tiste en "homme langue-d'iguane", c'est-à-dire en être dont
la langue possède deux branches
: "Une branche feu qui soulè-
ve les coeurs, et une branche-cau -qui apaise-". Ce culte
exacerbé de la parole et du verbe, dans sa société constitue
le fondement des recherches linguistiques entreprises par
Bernard Zadi Zaourou. Aussi écrit-il que "son indépendance
(celle de J'Afrique s'entend) doit se concevoir comme un pro-
gramme multiforme dans lequel la langlle doit occuper la toute
première place
( ... ); par conséquent, jamais ses batai]]es
économiques, politiques et clilturelles ne seront gagnées de
façon décisive si elle refllse d'engager résolument la batail-
1 - Le pays Bété couvre géographiquement le centre-ouest de
la Côte d'Ivoire.

'-,
, " , "
-
-
1 l'
-
l e 1 in gui q i Cj u e ." Cè' s i n Cj u j é t :l n tes e tg;' ;1\\' e s re c a I1HI1:I Il d :I t i a Il "
trou\\'ent
tout
n:Iturellelllent un écho (1:In,o ses écrits l.ittl'r:li-
l'es.
Faute de pOllvolr mohiliser
la lll:Ijorité ct nrovoCjlier son
enthousiasme,
Bernard Zadi
Zaourou :, l'image de CjuelCjue" pré-
Cllrsellrs, dont
Ahilladoli Kourouma,
fait
de ce sujet son cheval
de bataille, sa source d'inspiration et son arme littéraire
favoris.
Au long de cette nremière partie, nous aborderons
chronologiquement les oeuvres du corpus afin de dégager leurs
spécificités langagières et stvlistiCjues.

-
l i -
CHAPITRE
Du REFUS AU COMPROMIS
l1es Sofas ;1 Fer cle lance en pa5sant nar L'oeil
les
méthodes cl'approche varient; produisent d'une oeuvrc il l'au-
tre des résultats sensiblement différents mais relèvent ce-
pendant du même désir.
Le style dans Les Sofas est chargé de
toute l'innocence du déblltant ; celui de L'oeil porte les
marques du conflit linguistiqllc d'un homme mais aussi de tou-
te une société. Quant ~ Fer de lance nous y décelons les é-
léments précurseurs de la maturité littéraire de Bernard Zadi
Zaourou.
Il atteint avec cette dernière un mariage relative-
ment parfait de deux modes littéraires issus pourtant de con-
ceptions idéologiques et philosophiques divergentes.
Et
le
verbe y explose, atteignant sa dimension véritable d'arme po-
lyforme il la fois verbe, chant, rythme.
A - LES SOFAS
Cette oellvre anparait, au plan du langage, comme
un exercice de style ~ travers lequel nous lisons le désir
de Bernarcl Zadi Zaourou de "bien écrire", c'est-à-dire prou-
ver qu'il maîtrise le français.
Ce besoin de reconnaissance,
souci ~remier des écrivains africains,
influence totalement
l'orientation du langage littéraire chez eux
(1).
Aussi dans Les Sofas le désir de créativité bloque
1 - Voyez Mongo BETl avec Perpétue et l 'habitude du malheur -
id. Buchet/Chastel, 1974.

-
1~
-
en p:ntie et cède le pas au conformisme l~nra,:ll'r.
Pourtant, malgré cette quasi ali~nation, Bel'nal'd
Zadi tente d'apporter ~ sa plece une note d'origin~lit~,
*
D'une part le texte est agrémenté d'exclamations en 1 an-
gue malinké. Ohïaka
1
Ambula Brahima (1' . 23) c~mblé
(l',
25),

cambléva (]l . 25) , la ï laI a
1
(1' .
J 2) , Tchébé Tc héyé
(p.
33) ,

AJJah Kabo
(p. 46), Koutouf'ou ...
(p. 49) F~mil ..\\koun' ti-

(Bis)
(p.
53),
Eh 1 Eh! Eh' moulo? (1'.53) Akoun'ti-
ké (p.
54) .
• D'autre part,
la ]'eproduction du rôle du griot (- person-
nage central, médiateur et modérateuT -)
renvoie il la notion
du foyer triadique de la parole. C'est le di~logue h trois
VOIX
sur lequel nous reviendrons un peu plus tard. Si cette
pratique langagière caractéristique du discours oral tradi-
tionnel s'intègre parfaitement au texte; si le langage du
griot
(citations, adages, louanges) rappelle celui des vrais
griots; en revanche les exclamations précédemment citées
jurent avec le reste du texte. Elles n'y sont pas intégrées
et paraissent s'y superposer. Les supprimer ne transformerait
le texte en aucune manière. Bernard Zadi Zaourou donne alors
l'impression de vouloir créer une ambiance surfaite et super-
ficielle.
En d'autres termes, il fait du folklore au sens
vulgaire du mot.

-
Il)
-
\\lctimC' ou prisonnicr clu ,,,'tL' Jingl1istiquc alors
en vigueur,
il
sc
crée
inconscicmment
U:'l
complexe d'Oedipe
de
l ' écri v01in africain
facc il
1 a langue
fr:'lnçaise qu'il
\\'cut
épouscr,
par-delà les écrivains français cux-mômes.
Avec
L'oeil ce complexe sc transforme ell crise.
Bernard Zadi
sort
cle
J'enfance pour entrer dans
l'adolescence littéraire, né-
riode de crises décisives.
Car, L'oeil
sonne l'éveil de la
conscience qui sc traduit par un langage de révolte.
Ceilli-
ci trouve dans le parler populaire comm".;nér\\cnt aprelé "fran-
çais de ~\\oussa", une source de créativité.
B - LA CENSURE D'UNE LANGUE
"C ... J Fama et Sali'lata, mes personnages,
sont décrits
selon ma propre technique ro-
manesque indissociable de mon appartenance
malinké
C••• ) Cj 'ai) simplement donné libre
cours à mon tempéramment en distordant une
langue classique trop rigide pour que
ma
pensée s'v meuve.
J'ai donc tradllit
le salinké en français
en Cassant le français pour trouver et res-
tituer le rythme africain."
(l)
"Françai s de ~Ioussa" est l'expression consacrée,
utilisée par les lvoiriens, pour désigner ce
lang:'lge à mi-
chemin du français et des langues nationales
ivoiriennes.

1 -
Ahmadou KOUROUMA
"Ahmadou Kourouma,
Ecrivain africain"
par ~Ioncef S.
Badda,' in L'\\frigue
litté-
raire ct artistioue ND 10.

-
ê {l
-
sous le sii:nt' dt' la co10nis:ltion,
il n'suIte l\\'UnE' pcrtur-
b.ltion linguistique récupér0e et transformée en réalité po-
pulaire.
Il cristallise par-dessus tOllt les symptômes apparents d'lIn
mala ise
social dans la production et la circulation des pratiques dis-
discursives.
Langage d'essence orale,
il laisse à l'usager une
totale liberté de créatioll et d'organisation.
Du français,
il n'a que le lexique et l'on "sait qu'apprelldre une langue
étrang~re ne saurait consister (uniquement) à acquérir une
nouvelle liste de termes"
(1.1.
Libre de toute contrainte
grammaticale et phonétique, le "français
de Moussa" tire de
là toute sa magie et son sens vé.riîtaSJ~e"'~Dès lors qu'il s' a-
~
~~~
-~
.
d
' 1
"
'0" ~~-?~
h
d'
gI t
e Cl apprIvOIser cet ava{tzafre se mU~ "c;.en
an Icap ; pro-
f; (, CAM E '.; \\ r,:\\
bablement surmontable d~ns.l \\~~I'èsUTe-6Ù~Bcf:/tard Zadi Zaourou
- et avec lui certains ecrIvaIn~-~vAn'~resse. Reste il
",.,
' . s'l~.#
'_~:.c.Ir;s!Yl€n.~' , .
savoir, et en tenant compte de lareserve emIse, si le lan-
gage qu'il utilise dans L'oeil est authentiquement "français
'de I-ioussa". En nOU5 appuyant uniquement sur les arguments
sus-avancés, nous répondrions sans hésiter que celui-ci
n'est qu'une formulation savante et inauthentique du parler
populaire. Ceci étant nous ne pouvons ignorer les origines
sociales et la vie de Bernard Zadi Zaourou. En effet, cet
homme fut un enfant des quartiers populaires abidjanais
il
a, pour ainsi dire, pataufé
dans ce parler,
il l'a senti et
1 -
J.L.
CHISS, J.
FII.LIüLET, D. 'IAINGUE\\EAU
Op. cit.
P.31.

-
: 1
cc dernier lui colle 1\\ 111 peilu. En un nw~ il en est
Imprégné.
Plus encore, cette connilissi1J1ce il la c\\:ltive encore p11r la
fréquentation des bars populaires de 111 capitale ivoirienne.
En outre, l'analyse syntaxique de quelques phrases -
en
comparaison avec leur tradllction en français et dans les
langues du pa)'s -
{ait ressortir le rappr0:hement stnlCturel des
dernières avec les phrases du texte. Certes, grammaticalement
et phon~tiquement, le français de Moussa n'ob~it à aucune
règle de manière stricte, néanmoins il s'inspire
et cela a
~té prollv~ -
des langues lvoiriennes. Pour mener cette ana-
lyse nOliS utiliserons trois langues de référellce Bét~, Dioul~
Sénoufo.

-
21
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\\.L
~L-

'Il
L'expI'cssion l'faire bouche"
n'existe pas en
français.
Elle correspond plutôt à "faire la fine bouche"
"Faire bouche"
traduit littéralement l'expression Dioula.
* L'absence c1'article clans "vous fait
bouche" par exem-
l'le provient d'lin décalqlle structurel de nos langues où
l'article n'existe qlle dans certains cas de spécification.
La suppression des articles est une des particularités de la
"langue de ~Ioussa".
* Notons l'emploi "impropre" de seulement. En fran-
çals,
il s'utilise pour "uniquement" ; tandis que dans la
phrase 1 il jouit d'une polysémie propre à certaines langues.
Dans le premier syntaglne de phrase nous devons comprendre :
"chaque fois que", "dès que",
"toutes les fois que". Alors
que dans le second syntagme,
il se substitue à "vous ne fai-
tes que". Cet emploi homophonique existe en Dioula et en Bé-
té.
Et c'est sur lui qlle Bernard Zadi Zaourou opère son dé-
calque. Tout comme le français de Moussa d'ailleurs, seul
parler où sont tolérées de telles incorrections.
* La phrase 2 quant à elle, est une transposition
de l'expression Dioula[J'j(Umâ'l1a:' ~b:D Elle se superpose
aussi à l'expression Sénoufo ayant le même sens.

- 23 -
TOll~ ces écart5 de l:mglle, toute5 ce~ particul:ni-
tés nOll~ les retrouvons indubit:lt-lement dans le "français de
~loussa" .
Cette esquIsse d'analyse, qui n'a évidemment rien
d'absolu, prouve cependant que Bernard Zadi Zaourou utilise
des structures syntaxiques comparables à celles en usage
dans "le français de ~1oussa". Pour cette raIson et pour cel-
les évoquées plus haut, notre appréciation doit être nuancée.
Elle doit tenir compte des rapports sociaux et affectifs de
Bernard Zadi Zaourou avec le "français de ~loussa". Sans aller
jusqu'à affirmer que le langage de L'oeil est de l'authenti-
que parler populaire ivoirien, nous soutiendrons sans hési-
ter qu'il en a les élans et s'en rapproche à s'y méprendre.
Aucun lecteur (ivoirien) avisé ne s 'y trompe. Car il retrou\\"C
ici les parfums des conversations de ses rues, de ses bars
et de ses marchés.
Et puis la force réelle d'un tel langage
n'est-elle pas de laisser à chaque individu le droit et la
capacité de l'inventer? La créativité
et la liberté sont
les maîtres-mots de cette pratique. Et n'est-ce pas juste-
ment dans ces caractéristiques qu'il faut chercher les raI-
sons de son utilisation par les personnages de Bernard Zadi
z. ?
D'abord par la mIse en relation de trois interven-
tions d' Amani.

-
24
-
Ensuite
p:Jr
l'exploitation
d'une
scène
de
b:Jr
entre des 6tudiants et des hommes du rellnle.
Premiers extraits
P.
93
Amani
Juridiquement ... Juridiquement ... c'est toi qlll
le dis.
(Vivement). Ça fait trois jours qu'ils nassent .
. ~ .. Les particuliers parmi lesquels tes amis ou soi-
disant tel! Quel enfer, mon Dieu, quel enfer ...
P.
94
Amani, le foudroyant du regard
Mon cher tu as raison. Comme tu as donné des millions
à mon père, tu as raison. OKPO !
Un peu plus tard
Amani,
se dégageant d'un geste brusque
C'est quand tu me trouves que tu es garçon,
Djédjé . . . . . Si moi-même je ne me débrouiIJe pas pour
taper ma machine, est-ce que .....
L'extrait 1 s'oppose, au plan du langage, aux deux
autres. Le style d'Amani change. Ceci n'est pas un fait
du
hasard. Car il intervient à l'instant précis où Amani pique
une crise de nerfs et ne se maîtrise plus ; au point de
se
battre avec elle-même. Linguistiquement cela se traduit par
un retour inconscient vers un langage plus familier, mieux

- 25 -
maîtrise'. I1ans la colère les harrière;; Ile l'auto-cen;;urL'
tombent.
]1 se prodllit une espèce de lihe'ration de l'incons-
cient, surtout du langage. Le désir refolllé d'Amani glisse
comme attiré, irrésistiblement, par un ,hamn magnétique.
Fa-
ce h cet aimant l'auto-censure devient impllissante. Ce lan-
gage sans contrainte ni loi, Bernard Zadi nOLIS le présente
donc comme l'instrument de libération du carcan qui entrave
et étouffe Amani. Son naturel retrouvé, elle explose litté-
ralement.
Ce langage est aussi instrument de co~munication
privilégié.
Il s'apparente à un véritable pont jeté entre
membres de classes sociales différentes, com~e nous pouvons
le voir dans les extraits ci-dessous:
Dans un bar du quartier, un étudiant tente d'enga-
ger une conversation avec des gens du peuple, l'amorce est
difficile parce que la langue de l'étudiant n'est pas forcé-
ment la leur.
Premier étudiant
c'est tout de même incrovable
.
,
vous autres
0u'est-ce que
vous avez à redouter ce mécréant;
à le louer,
à le faire passer
pour une divinité ? Sogoma
Sangui, c'est un gouverneur com-
me un alltre, bon sang 1 et
un

-
2(,
-
goul-ç rlleur c' ('~t un hc>ml11e camille vc>u~ ct
nmi ! Je me delll:Jl\\dc cC' qu' i 1 a de si p:Jr-
t icu1 ièrcmcnt
tC'rrible ...
Troisième homme
Mon chC'r, mange ta chose on va partir
type-là nous fatigue avec son gros
français-là.
Deuxième étudiant au troisième homme
: 'Ion frère,
tu as
raison.
Ici c'est pas université.
C'est
là-bas on parle gros gros français pour
brouiller l'homme.
Quatrième homme
~lon frère,
touche ma maln.
C •.• J Toi
tu es
quoi même ?
DeuxièMe étudiant
Mon travail? C, .. ) étudiant.
Deuxième étudiant au troisième homme
: ~aintenant, narlons
affaire-là.
C••• l.
~lon frère,
toi tu dis
que tout ce qu'on parle-ici, 50goma 5angui
entend ça. C'est pas vrai?
Le langage se présente lCl comme une source d'in-
communicabilité étudiants-autres consommateurs du bar.
Les
uns ct les autres ne sont pas branchés sur la même longueur

-
!. 1
-
d'ondc
: "tYI'C-n, nous fati!!t1c a\\'cc son ~ro" francais".
Lc
courant ne passe pas, simplement l'arec qll'ils sont divisés
par le moyen de locomotion de la parole. Le thème de la con-
versation n'est pas le mobile dll désaccord. Car, aussitôt
que les étudiants se renient en rejetant leur véhicule lin-
guistique, "c'est là-bas qu'on parle gros gros français pour
brouiller l'homme," le dialogue se renoue. D'ailleurs l'uni-
versité (là-basJ vient comme un lieu extérieur,
'létéro~ène
au
bar
et
l'environnement social des gens du peuple.
Que retenir de ces exemples, SInon qu'ils exprI-
ment clairement le refus de conformisme de Bernard Zadi
Zaourou, son rejet de l'ordre établi. Le langage de L'oeil
c'est celui de la polémique
(cette oeuvre a donné lieu à de
nombreux débats-singulièrement son langage-J, de la contro-
verse, du refus de s'aliéner totalement (choc étudiants-
gens du peupleJ. L'oeil c'est d'autre part le langage de la
marginalisation, avec l'argot de Djédjé et Django. Qui ont
créé un langage propre à eux et qu'ils maîtrisent. A travers
celui-ci, ils se sentent et se comprennent. S'agit-il sim-
plement d'un langage de marginaux? Ou plus exactement d'une
revendication d'un style personnalisé et non emprunté? Le
discours de nos deux marginaux a bien quelque chose de cela
et à travers lui B. Zadi Z. dévoile déjà ses intentions fu-
tures. Car, dans Fer de lance prochaine étape de notre ana-
lyse il tentera de créer un langage qui pourrait être consi-
déré comme la symbiose du discours oral traditionnel et
du
français
(langue écrite).

C - LES SUBTILITES D'UNE ECRITURE
"Chaque lan~ue a une r.1anière différente
d'articuler le réel, d'organiser les don-
nées de l'expérience." (o .. ) (11.
Nous avons déjà évoqué la place de la parole et dll
verbe dans l'oeuvre et la vie de Bernard Zadi Zaourou.
Fer
de lance constitue en cc domaine son oeuvre r.1ajeureo
Il v
tente de porter au texte écrit les particularités du lan~age
et des genres littéraires oraux. Le style de l'oellvre est
fortement
influencé par la strllcture ternaire du discollrs
africain. En Afri'lue, l'on "parle avec" ou l'on "communi'lue
avec". Car le destinataire prononce son discours séquence
par sé'luence, permettant ainsi la participation du destina-
taire au déroulement de celui-ci. Soit comme batteur rythmi-
'lue,
soit comme destinateur secondaire. Ce 'lui se traduirait
par le schéma suivant 'lue nous emnruntons à Bernard Zadi
Zaouroll (Z).
El
1 . Z
~ R1 (E2)
i"' ....... .......
Z
3"'
"'
Z
)..RX
"
1 - J.L. CIIlSS
F.
LlLLIOLET
o ~IAINGlJENEAU
On. cit.
0
no
31
?
-
B.
ZADI
UIOUROU ln Césai TC entre deux cul turcs,
E(l. \\E1\\
AOld]an-Dakar, 19i5, p. 1810
.. :


-
2\\1 -
EI~ment rythmiqllc
dl
= Séquence du discours
dl
=
El + RI
d 2 = El + RI + E2
RX
Cette structuration a pour conséquence le dédou-
blement permanent des acteurs
contrairement au mode de la
parole occidentale, dans lequel s'opère une rupture avec 1n-
version alltomatique de rôles
: El devient RI et vice versa.
Par ailleurs, de cette disposition discursive par-
ticulière naissent les fonctions rythmique et poétique dont
la formule diffère sensiblement selon qu'on parle de poésie
écrite ou de poésie orale.
Nous aurons pour la poésie écrite
1. Sens du .message + forml
poétique - fonction
poétique
destinataire
Emetteur
message ---»
lecteur
+
Récepteur
1. Insistance sur le signifiant
Audi-
- fonction poétique
toire
Et pour la forme poétique orale

- 30 -
r
Emetteur
fonction symbolique
(fonction rytJ
desti-
1
ffilqU~-I._m2---l>
+
nataire
+
fonction poétique
Lfonction mélo-'
public
dlqu~
( 1 )
I.a forme orale retiendra notre attention.
Nous cons-
tatons qu'elle compte une fonction de plus que la forme écri-
te
: la fonction symbolique, élément fondamental des systèmes
de conceptions langagières en Afrique.
La parole s'organise
autour de trois pôles:
le destinateur, l'agent rythmique et
le destinataire (les bases du foyer triadique de la parole).
C'est cette forme d'expression que Bernard Zadi Zaourou a
choisi de transposer dans Fer de lance. Comment s'v prend-il?
1 - Des subterfuges d'écriture
Le désir de reproduction du foyer triadique de la
parole prédomine dans Fer de lance.
Cette technique particu-
lière au langage oral se heurte alors à de nombreux obsta-
cles qu'on peut résumer en un mot: écriture. Aussi, pour
créer l'illusion du foyer,
Bernard Zadi use-t-il d'astuces,
et de truquages.
Il écrit en trompe-l'oeil.
Traditionnellel~ent,l'agent rythmique est celui
1 - B. ZADI ZAOUROU, op. cit. p.
202.

-
31
ponctue le récit et sc char~e <1e le n'\\'t'rcuter. Le !!<,néra-
teur du verbe, du discours a une simple fonction de produc-
tion alors que l'agent rythmique a une fonction de réalisa-
tion que Bernard Zadi Zaourou exprime de la sorte: "Au com-
pagnon querelleur traduit en justice,
... on ne parle plus ~
deux parce que cela est dangereux. On parle ~ trois ( ... ).
Cette seconde opération est extrêmement importante, la troi-
sième personne ne pouvant, en aucune façon, déformer ml'
Elle a toutefois la possibilité - et c'est l~ l'essentiel de
son rôle - d'émousser les arêtes des mots, les phrases trop
tranchantes, la pointe des invectives.
( ... ) Tout au long de
ce processus, elle servira de bouclier et amortira tous les
chocs ... ".
(1)
Dans Fer de lance ce rôle revient ~ Doworé.
Il est
le récepteur-émetteur qui relaye le destinateur premier :
"Tiens ferme Doworé et porte au loin ma voix". Contrairement
au discours oral caractérisé par la répétition; la distri-
bution s'effectue au travers des formes grammaticales. Les
formes interrogative et impérative utilisées assurent la
transmission destinateur premier/destinateur second. Et l~
où il n'y a en fait qu'un monologue, B. Zadi orchestre sa-
vamment un faux-dialogue dirigé vers un personnage fictif
Doworé puis répercuté sur un public non moins fictif.
1 -
Bernard ZADI ZAOUROU
Op.
ci t. p.

-
~2
-
• LJ forme interrog~tive
----------------~-----
Qui donc ferJ écho à ma V01:\\ Sl tu n',' pJrVlenS
Toi 1I0woré ? Cp.
13)
Doworé
Quel coeur ne se briserait au récit de vos
voyages souterrains?
Cp.
38)
DO\\-Joré
Crois-tu vraiment qu'elle le presse pour qu'à
deux
Ils offrent leur coeur au sommeil?
prend garde à toi mon frère
Je n'ai rien dit qui vaille Cp.
ï).
La forme interrogative compense l'absence de
l'interlocuteur Doworé et donne au te:\\te vie et rythme.
Tiens ferme, Doworé -mon frère et porte au loin
ma VOIX
ma von des profondeurs
Cp.
5)
. Dis et redis après moi Cp. 3)
~Iultiplie ma VOlX et que s'amplifie mon poème
DOI"oré mon frère
Cr.
11)

-
::,:; -
Que
je
te
nomme'
ü mon
tour
DOl<oré fi15 de mil mère
(p.
lS).
Les injonctions
(tiens, mliltiple, dis et redis
etc.)
adressées ~ l'illusoire DOl<oré sont all nombre des pal-
liatifs qu'utilise B.
Zadi dans sa tentative de rendre le
langage oral.
Les verbes portent la mention de l'exécution, du
faire
(- Echo, redis, multiplie, fructifie -J et développent
l'isotopie de l'itérativité.
Car Doworé est non seulement le
messager fidèle, mais aussi "l'exécuteur testamentaire" de
Dinard:
"Suivez du regard ce bissa que promène de sa
maln
Souriante l'irréductible Doworé.
'Prêtez l'oreille à sa voix pour ma survie."
(p.
43)
Dinard a une confiance aveugle en Doworé, sa véri-
table caisse de résonnance et son ombre.
Laboure mes joues
tanne donc mes lèvres aux fines rainures
et que ma voix ta vox - souveraine

- :;.1 -
mélodie il p~cjfier
tout m0n:'\\I:" ~ux
qu~tre vi5~ges du monde - féconde 'p0~lr
m~ surv.ie le 5CXC in5~tiable dC5
tcmps - nouve~ux - indécrotablc5 -
v~uricnne"
(pp. 50-51).
A ce point Doworé et Dinard se mêlent. Bernard
Zadi 2.
fait fondre les cieux per50nnages en un. "~Ia voix ta
voix-souveraine mélodie ( ... ) féconde ... ". Doworé fU5ionne
avec Dinard et ce par l'utilisation du singlllier grammatical
malgré la logique du pluriel découlant de "ma voix ta voix"
= nos voix. Ainsi Doworé et Dinard constituent les deux fa-
ces d'un même agent.
2 - Le syntagme rythmiqlle de base
Résultante logique du rôle de l'agent rythmique
et composant du langage littéraire oral, le syntagme rvth-
mique de base participe surtout de la structure des contes
et musiques populaires traditionnelles africaines. Dans le
poème Fer de lance il est répercuté par Dinard lui-même à la
fois destinateur et agent rythmique comme nous venons de le
vOIr. Nous reviendrons de m~nière plus détaillée sur ce syn-
tagme rythmique de base dans le chapitre suivant consacré
aux rapports de la musique et de la littérature.
3 - L'unité Sacrée autollr de la notion cie Symbole
"Le s)"mbole est au centre du problème de la

- ~s -
communic;Jt ion c];Jns le !;Jng;Jge 1 ittér;Jire"
(11 .
Fer de lance est profondémcn: m;Jrquée du SCC;Jll dll
symbole.
"Comprendre un symbole, nous dit P.
Pa~", ce n'est pas cher-
cher un sens caché ... tar il renvoie sans ambiguité à un
unlvers isomorphe et il suffit de comprendre sa structure de
signification pour découvrir sans autre opération associati-
VI"
la structure du vécu qu'il exprime" (2).
Puis il ajoute
"l'on prétend traiter l'oeuvre en elle-O'lême ...
il devient
impossible de ne pas poser dans leur pl~s grande dimension
les exigences d'une lecture symbolique."
(3)
( ... )
"C'est
pourquoi la critique doit tenir compte de la dimension autre
que rationnelle et conceptuelle de l'oeuvre littéraire. Elle
doit entrer dans le domaine du symbole, seul moyen adéquat
de joindre organiquement la représentation intellectuelle et
la dynamique émotionnelle."
(4) Ces citations situent bien
la problématique dans laquelle s'insère notre recherche. Qui
consistera, avant toute chose, à retracer dans l'analyse du
poème Fer de lance le cheminement des relations entre les
images, en considérant que chacune joue un rôle dans la cons-
truction de la mimésis
; mais aussi parce que chaque symbole
1 - P.
PAGE "La critique, la signification et le symbole" in
l'oeuvre littéraire et ses significations. Sous
la direction de René Legri5 et P. Pagé. Les pres-
ses de l'Université de Québec,
1970, p.
20.
2 -
3 -
4 -
ie!.
pP.
Hl-li.

tire son sens prt'cis ct concret du contexte Oll il s'insL"r.it
et se défini t a1nS1 par ral'port 11 l'ensemble.
"Didiga-signe-polyforme-ma-vaillance-
légendaire"
(p. 38).
Il se déploie sous la forme de micro-symboles à
partir du Sème polyvalent "Didiga". Défi et rupture de toute
catégorie logique,
le Didiga est le nom générique, en pays
Bété, de récits - fleuve relatant les exploits d'un chasseur
extraordinaire. Par extension, Didiga devint le svmbole de
toute action défiant la raison.
Et, Fer de lance est un défi-
par son langage et par sa forme - à la littérature (quicon-
que revient d'au-delà des mers se mêle de chanter) !
(n'est-
ce-pas assez douze fois douze lunes le triomphe insolent des
semeurs de mensonges ?! or nous voici) et à une certaine
société
(nous vous sacrons rois! petits rois de plomb ! A
VOLIS
le gant de velours! A nous le zeste! et sus à vos ou-
ragans d'infâme salubrité!.).
Un défi dont nous allons à présent démêler les fi-
celles, car le symbole tisse le texte comme une araignée sa
toile.
Ce défi apparaît dès les premlers vers et s'ins-
crit en termes de spécification ou de définition

:.: -
lIidiga
! l
"Ou" VO.1 (l, Po\\<oré 1 a la
..
raC.1ne de la nuit 1 13 foule e5t
compacte. Fer de lance Cp.
5.1.
Aussitôt commencé Fer de lance se velit Didig~ malS pas n'im-
porte lequel
"Dicliga/Dakôloa Didiga I ... ! Dakôloa Didigal
Dicliga Zara 1 Guidohoa Didiga 1 Dirlira =ar<.1.I ...
Nawabréa Didiga l "
(p.
S.
6).
Cet arbre généalogique toponymique très complet
circonscrit l'univers du Didiga et participe à sa spatiali-
sation.
Il v a là spécification et délimitation de la sphère
d'opération de Dinard.
Ici commence la véritable polyvalence du Didiga.
Le lecteur averti peut entrer dans l'univers et SUlvre pas à
pas les métamorphoses successives de ce Didiga riche en a-
ventures et en contradictions.
"Or nous V01Cl 1 Toi et moi Do\\,oré mon frère ,1
Plus large que la bouche du ciel mon gosier mielleux 1
je crache en un soir plus de sève que le ciel en un soir
d' hi vernage 1 Didiga 1" Cp.
9).
J.'invraisemblance
et l'illogisme contenllS dans
ces vers présagent du style et de l'ampleur dl' propos à ve-

l11r.
115 renferment 18 déml'5ure,
la 5::J'~bond:lnce au-del~l de
toute c;ltégori5~tion logique, de toute borne limitative, de
tOllt qu~ntifi~ble. Ils contiennent aU55i la passion et la
surdétermination de Dinard face à la ~i5sion ~ accomplir.
Nous sommes donc au coeur du Didiga. Scindons-le en diffé-
rents thèmes, pour des raisons de pure commodité.
La puissance du Didiga donne lieu à des propos inimagina-
bles :
"Sa femme - la sorcière inso,,:pçonnée dont la
cuisse pour l'abattre accouche de mille guerriers
farouches Didiga" (PP.
12-1:;).
"mon piège aérien qUI enlace un buffle
Didiga"
(p. 13).
"~Ion père accouche d'une fillette armée de pied
en cape pour ma survie.
Didiga" (p. 1,3).
Il Y a là trois impossibles oue nous retrouvons
sous la plume de Bernard Zadi Zaourou comme éléments consti-
tutifs de Fer de lance. Nous sommes dans l'imaginaire; la
folie.
Pourtant tout semble normal, faisable.
En fait c'est
la dérision .
. ,

_
~ ~l
_
Bern:J ru Z~](li sc SGU" ie l'cu .Ill "rl';11 i~lllC
ouvert"
L':Jnti-
conformisme et l' irrél'l sont
les mots d'ordre. l'lous nc'né-
trons alors dans un monde bouleversé, apocalyptique et en
perdition.
* Didiga Oll le symbole de l'audace
----~---------------------------
L'auteur tire sa force et son audace du Didiga pUiSqll'il dit
Dinard y tire aussi sa force et son audace
"Il faut anlmer la matière ou plutôt savoir
d~couvrir dans l'inerte le frisson sous le-
quel s'abrite la vie. Didiga"
Cp.
9).
"Didiga
Didiga sur la beauté des femmes et des choses.
Cp.
18) .
L'hymne à la beauté symbolise le paradoxe de la Vle
"Sur Terre des Hommes, nulle étoile ne brille de
son seul éclat".
Cp. 19).
La beauté naîtrait de l'effort convergent, malS
aussi de la douleur et de la difficulté.
Le second paradoxe
s'inscrit dans l'invincibilité du faible

- 4(\\ -
"Qui vit jalll~is l'aigle' assen"Jr de' sa se'rre
l'escargot traîn~rd 7" CP.
~~)
"Qui vit jam~is ~\\adi-la-panthère dévorer
Zégbeuhi-la-tortue 7
Didiga".
Cp.
44)
Véritable paradoxe, en effet, que ces petits anI-
maux qUI échappent aux plus forts. Cela nous fait douter
quelque peu de la morale de la fable de La Fontaine CLe loup
et l'agneau) selon laquelle "la raison du plus fort est tou-
jours la meilleure".
"Didiga la chair interdite au:(
voracités scélérates !" (p. 44).
L'interdit ne repose sur aucune loi logique. D'où
son étrangeté. Le faible par la grâce de "je ne sais qui",
devient un intouchable et un invincible en dépit de sa tota-
le vulnérabilité. Ce paradoxe repose sur l'ordre naturel des
choses.
Et, au-delà des lois de la nature ces deux symbo-
les refèrent également aux rapports peuple-pouvoir.
"Jamais l'année miracle n'aurait pu surgir à la
face / du soleil notre soleil si toutes nos forces thésau-

-
'1 1
risécs ! -
l' immcnsc r:Jidisscmcnt
clc nos coeurs! ccrvaux
et m:Jins - ne s'étaicnt cmployés !
~ l'extr3ire dc la tcrrc
en gésine."
La
jonction nature-histoire étant faite,
B.
Zacli
interpelle alors les profiteurs actuels clE' "l'année miracle".
Ce langage qUE'lque peu hermétique et détourné Sllr des voies
symbolistes nous mène
néanmoins ~ la dénonciation d'une
'c'1justicc
soc i:J1 e.
"J'ai chanté DidiPa"
-'
"Prêtez l'oreille afin que vous sachiez redire ce
Didiga
"fameux" Cp.
25).
Didiga devient aUSSl le chant des héros de l'Afri-
que.
Les hymnes se succèdent - hymnes aux maîtres, aux sofas,
aux sages,
à N'Krumah,
etc.
Des chants qui sont ceux du
monde noir.
Bernard Zadi Zaourou chante l'Afrique,
le conti-
nent noir.
Bernard Zadi Zaourou chante l'Afrique,
le continent
noir dont l'histoire a pris la forme ct Je cours cl'un Dirliga, une e.'l,é-
rience sociale étrange sous l'enveloppe des pouvons étranges qui sévis-
sent en Afrique.

-
,1 2 -
Ah Kaïdara - dicu
nicliga je te nommc".
(P.
lU1
Nommez-moi Didiga-grand-soleil-des-tenlps-d'hiver-
nage.
Le Didiga s'apparente à Kaïdara, symbole de la S3-
gesse chez les peuples. Par ce biais le didiga s'attribue
des qualités humaines, à savoir pllissance et omniscience:
"Je suis la jambe" (p.
15)
"Je SUIS le dragon des sources vives ... "
(p. 15).
"Redoute mon oeil de nuit Doworé
L'arme enfouie dans le dur de ma nuque
Je sais le nom des carillons infernaux
Je sais de quelle voix le hibou rassemble
ses adeptes
Doworé
Sept fois sept noctiluques la paupière UnI-
que de mon oeil de nuit
Pourquoi Didiga tu me nommeras
Do\\{oré".
(pp.
48-49).
Par un jeu d'analogie, B.
Zadi s'investit Didiga
et se place donc au dessus des mortels.
Il s'identifie à
l'élu des dieux,
l'omniscient (qui pénètre les autres per-
sonnages et devine leurs pensées), l'enfant prodige, le jus-
ticier
"recloute mon oeil de nuit", "il faut blanchir la
nuit" .

-
~3
-
Sn,l'ole de l ~ jHI1SS3nce ct du S;;\\"Ol r, (lu p~r~d()xe,
du ch~nt, c\\u défi :1 l a lo~ique, de 1 a fc'l ie ct de 1 a dég('ne-
rescencc, le ridig3 répond bien à sa définition de signe-
polyformc. Sème mobile et mouvant qUI cOllyre le texte et crée
un syst~me langagier dont la clé rfside dans la mIse en cor-
rélation de tous les Didiga.
l,angage de la répétition et de
la constance, il est paradoxalement et - de manière
presque
contradietoire- langage du renouveau.
D'autres micro-symboles jalonnent le texte et
créent ce que Bernard Zadi Zaourou appelle dans sa technique
narrative "les tableaux symboliques".
"Les tableaux symboliques" sont des ensembles de
symboles dont seule la corrélation véhicule un sens. Leur
complémentarité concourt à renforcer l'impression d'hermétis-
me de Fer de lance. Car, les symboles en suggèrent
ri'autres et
leur corrélation fait apparaître des univers culturels, par-
fois politiques, dont la :missance implique la possession c'e clés
snécifiques
à l'imaginaire culturel et idéologique de l'auteur.
C'est aussi ce qUI donne à Fer de lance un carac-
tère de texte initiatique.

1°)
L'art
Le dôclô
: L'arc musical
symbole cle l'art en pavs
Bl'té doit être lié au dopé (- le roi des oiseaux il cause de
sa VOlX mélodieuse et envoutante
"ta voix! sl'cluirait même
le fier dopé" -1
; à Dazo \\weudj i (- Olseau mythique, symbole
de l ' a r t :
"Maître du chant parmi la race des oiseaux! spé-
cialiste du chant sifflé" -J.
L'art peut aussi référer au cor, au jazz, à l'at-
toungblan
(le tam-tam parleur).
"Le tableau symbolique" se
construit à travers un axe paradigmatique focalisé sur le
thème musical.
2°)
Le malheur
Le rouge est symbole de malheur chez certains peu-
l'les.
(Par exemple,
le devin,
en pays Bété,
se sert d'un ca-
nari rempli d'eau pour prédire les événements:
si l'eau V1-
re au rouge,
elle présage alors un grand malheur.).
Le mot
"rouge" employé dans le verset suivant "Rouge est ma lune le
solr au lendemain des mélasses d'Accra" p.
26, renvoie à
cette première connotation.
Le cri lugubre du hibou, oiseau de nuit, présage aussi le
malheur
: "le hibou voix cavernale forgée de mains divines
pour inviter au champ du crime les artisans de nuit"
(p.
48).

-
4S
-
Le rouge prend aussi une connotation positive,
symbolisant l'espoir et la liberté;
dans
le yerset
: "je
lui pardonne de n'ayoir découvert qu'à moitié /
les pistes
rouges de Chine"
(p.
2S1 ,
la Chine symbolise la résistance
il
la jluissilnce et l'idéologie occidentale.
4°)
Le Sil\\"Olr et la sagesse
La forge et le nomma sont des éléments de l'ini-
tiation et du savoir dans la mythologie Do~on.
L'acquisition du saVOIr renVOIe à des maitres
:
Gbazza ~lildou Dibéro
; Kilïdara - "
...
s' abreuv~r de la seule
vérité véritablement digne d'être / vécue"
; Osri -
"la dia-
bolique virtuosité
... " ; "ogotommêli" -
le sage Dogon -
:
Koffi Kpékpè
; Gbaka Lèkpa
; Waï de Yacolo
; Tierno Bokar.
5°) La trahison
"Boribana" -
Li ttéralement la course est finie -
symbolise la trahison contre Samory et sa défaite face au
colonisateur:
"Boribana ! suprêT'le degré de néantisation".
(p.
20).
L'auteur situe la "mort" de K"'amé dans le même re-
gistre de la trahison
: "Doublement 'VOllS l' ilvez assassiné
Et votre coeur est assis"
(p. 31).

-
46 -
"Irrésistiblement les sirènes de capré su-
rent l'attirer vers les abîmes d'où l'on
ne revient jamais" (p.
20).
La mort de Kwamé est le résultat d'une trahison perpétrée
nar de; traîtres tels ceux qui sont au pouvoir et qu'il faut
éliminer: "pour vaincre la horde des traîtres
Vous revêtirez de nos muscles d'acier
Vos
os décharnés:'
Cr"
4ï).
Ainsi se construisent les tableaux symboliques,
supports de l'armature générale du poème.
Ils se développent
en séries isotopes, sur la' base d'une correspondance analo-
gique. Une trame langagière se déploie dans toutes les di-
rections tendant des cordes,
toutes reliées au centre. La
créativité narrative est largement dépendante de ces
axes
symboliques
qui régissent le fonctionnement discursif du
poème.
Après avoir vu comment chaque texte -
à sa façon
~ est tributaire de l'appartenance de Bernard Zadi 2aourou
à deux ul.ivers cultLlrels en constante inter-action, voyons
plus particulièrement l'oeuvre qui constitue la pierre angu-
laire de cette rencontre.

- 47 -
CHAPITRE
II
L'AGENCEMENT DE LA GRIOTIQUE
Pour ce chapitre, nous limitons notre corpus b
Fer de lance parce que notre analyse reposera essentielle-
ment sur un décoLlpage en séquences.
Selon Roland Barthes, la séquence est une "suite
logique de novaLlx, unis entrc cux par une relation de soli-
darité ; la séqLlence s'ouvre lorsque l'un des termes n'a
point d'antécédent solidaire et elle se referme lorsqu'un
autre de ses termes n'a plus de conséquent.
( ... J. Elle est
toujours nom",able" (l).
Il situe ensuite les fonctions sur
un plan distributionnel pour les séparer en deux classes.
Les unes
(no\\-aux)
indispcnsables au fil de l'action, leur
relation de réciprocité définissant l'armature du récit et
produisant "un temps d'ailleurs plus narratif que réel;
les
autres
(catal\\-ses), éléments de digression et de "distorsion"
dont la présence n'est pas indispensable aLI déroulement du
récit.
Enfin, au-delb des fonctions se situent la ou les ac-
tians, prIses en charge par les actants. Leur arencement po-
se les probl~mes de la communication narrative
qui n'est
en réalité qu'un jeu d'écriture, "une aventure du langage"
(2)
pOLir reprendre les propres termes Je Roland Barthes. La
notion de séquence, ainsi cernée ct définie, s'applique en
1 -
2 - Rola'h! B.-\\R1I1E5 in Communication nO S,
E,1 i t ion s cl uSe u i 1 1% ("
[1 p.
1 4 - 1 :; .

- 4R -
priorité ~11 récit littéraire.
Son Iitilis~tion dans l'analyse thé5trale ne nous est cepcll-
dant pas
p3rue pertinente. En fait,
la séquence au thé5tre
correspond au tableau ou il l'acte
(uni té d'action).
La sé-
quence thé5trale est, par conséquent, donnée d'emblée; el-
le préexiste au découpage. C'est pourquoi nous avons choisi
d'axer notre recherche sur Fer de lance, tarrefour de genres
littéraires -- conte, poésie, récit - cette oeuvre a toutes
les caractéristiques d'un véritable pu:zle
; et représente,
à
ce titre un terrain de test indiqué.
Nous nous sommes attelée à identifier et nommer
les différents groupes d'actions qui composent Fer de lance,
afin de ressortir "l'enchaînement du récit, mais aussi et
plus particul ièrement,
sa tissure" (1).
1 -
James E~EJULU
Op.
ci t .

-
4 ~1 -
A - TABLEAU DES SEQUENCES
SEQUENCE
1
Verset
---:> S~ : Situations
Micro-séqllence la
V 1 ---:> 26
Situations
Micro-séquence lb
\\'
27 ------;>
S3
: Quêtes
SEQUENCE
I I : \\ ' 5 4
- - - >
81
: Les svmboles
Micro-séquence II a
\\
54 - - > 59
Les rIvaux
Micro-séquence II b
\\'
60--->81
Le maître
SEQUENCE
III
\\'
82 ---'>
111
: La griotique de Dinard
Micro-séquence III a : \\' 82 -~>
94
: Les con-
signes _
Micro-séquence III b
- - >
97
Les se-
meurs de
mensonges
Micro-séquence III c
\\' 98 -->111
Une grio-
tique
puissante
SEQUENCE
IV
V
112 - - - > 119
L'objectif: percer le mys-
tère des choses simples.
SEQUENCE
V
V 1 20
> 149
Les empailleurs
SEQUENCE
VI
\\' 1 50
> 169
Hommage à l\\aîdara
SEQUENCE
VII
\\'
no
> 217
Le Didiga
SEQUENCE VI Il
V 21 8
> 241
Le s méandres de la gr io tique
SEQUENCE
IX
\\'
242
> 269
Bilan 1

-
~dl -
SEQUEr-;CE
V 27 0 - - 4 )
35-1
:
Le" l10mi nilt ion"
~1 i e r 0 - s é que nce "il
2~ (1
>
291
l1inilrd
l' inc'vi tilble
Hiero-séqucnee "b
2~) 2
>
303
!\\JI,oré la
vou maglque
~1icro-séquence
"e
30-1
>
354
Le nas de
danse
SEQUEI>;CE
'\\I
r 355 - - - > 469 : Les méandre de la beauté.
~1icro-séqucnee '\\Ia : V 3:;5 ---:>
383
: Le cl in
d'oeil à
mézis
~liero-séquence "lb
\\- 38-1----;>
400
Les dessous
de la beauté
~licro-séquence "le
V -101 - - - > 469
La révéla-
tion ou les
dessous de
l'année
miracle
SEQUENCE
XII
V 470
>
503
Hommage au vra i diseur de
s'-mbole s
SEQUEI>;CE
XI II
V 504
>
553
L'hymne aux mortsI
SEQUEI>;CE
'\\IV
V 554
>
no
Hommage à Kwamé
SH1UENCE
XV
V 740
)
8 1 l
L' h;-mne aux morts]l
SEQUENCE
XVI
V 8 l 2
>
8ïS
L'accusation
SEQUEI>;CE
XVII
V 876
> 1033
Hommage à Samory TOURE et
à ses
sofas,
SEQUENCE XVI Il
\\' 1034
> 1 06 S
Le s semonces
SEQUENCE
XIX
r 1066
> Il :; 1
Le chant de s morts
SEQUENCE
XX
r Ils 2
> 1 1 ï 8
BILAN l l

-
SI
B - COn~1E~TAIRES
10 )
Séquence
- - - - )
53
Situations.
Cette séquence est, en quelque sorte, ce que nous
nommerolls une séquence-situations. Elle contient tous les
éléments constitutifs du poème. Les sujets qui seront déve-
loppés plus tarel sont d'ores et déj à
à \\,c'U
J1rè" Dosés. Nous
y distinguons deux micro-séquences
:
~IiCl'o-séquence la
: \\'1 ----;)
26
: situations. On
y rencontre les acteurs principaux qui entreront en
jeu :
Destinateur
Dinard
Destinataire
la fOJle
Constantes
/
"-..
Sujet
(médiateur): D01;oré
' " Objet
Porte au 10i'1 ma FOIX.
~licro-séquence lb : la quête (.
27 - - ) 53) celle-
Cl
est elle-même divisible en séquences plus petites:
V 27 ---:> 29 : Nous avons la formulation de la quête: "il
y a une couronne à prendre".
Il s'agit là el'un novau c'est-
à-dire un élément indispensable
au déroulement de l'action.
\\.'.
30 --~)
42
Nous avons une micro-séquence
qu'on peut appeler le moven du

-
S':
-
V,
43 - - - : > 53.
C'est une petite séquence - catalyse
qui développe le noyau "il y a une
couronne 11 prendre," Cependant l'a-
gencement est plus complexe. Car
cette séquence- catalyse se trans-
forme,
à son tour, en noyau puisqu'-
elle stipule le refus de l'offre;
ce qui implique un manque. Dans cet-
te même séquence nous avons la for-
mulation dll manque qui va déterminer
l'action future du personnage
"11 y a une couronne
Nais l'autre diadème ne sied
guère à mon front
- ~la tête d'ombre - forte -
Je la forgerai moi-même
Au terme de la séquence l
les bases du récit sont posées.
Nous avons
J1estinateur : Dinard
Sujet
(médiatellr)
DO\\<oré
Objet
La voix

Qtlête
5e forger tlnc t@tc
d'ombre fortc
I1cstinatairc
13 fouI c
~\\éd.i um
la griotiquc.
Remarquons qll'il se dégagent deux axes d'actions
* Sur l'un,
le destinateur délègue un sujet: "Tiens ferme,
110woré mon frère et porte au 10il1
* Sur l'autre, il assume la tâche de quêtellr, de sujet
"ma tête d'ombre-forte-
Je la forgerai moi-même".
2°)
Séquence
Il
Verset 5 4 ---~ 81
Les symboles
Celle-ci s'organise autour de dellx micro-symboles
relativement autonomes.
La continuité (la solidarité) est
assurée par un mot unique.
Il s'agit d'une unité par analo-
gie sémantique à partir du terme symbole.
~licro-séquence 1 la : V 54 ---:> 59 : les Rivaux
("les diseurs de symboles")
Micro-séquence lIb
Le maître "Cet autre diseur
de symboles"
Notre schéma actantiel
s'enrichit. Aux fonctions adjuvant
vs. opposant nous pouvons faire entrer respectivement maître
et rivaux.

-
S·)
-
3°) Séquence III
v . 8. ~ - - > 111
la grioti-
t iqlle
de llin:lrd.
~licro-séquence 111a : \\
82 - - - ) 9-1
: Les conslgne,-
Dinard expose ses objectifs et les moyens d'y
pal"-
venIr. Nous avons un exemple de "réitération stra-
tégique qui ( ... ) traduit l'enchaînement du récit" .(1)
Le médium griotique présenté à la micro-séquence lb
est repris et développé.
Micro-séquence II lb
: \\" 9S - - - ) 9ï : Les semeurs
de mensonges.
Encore une réitération: Cf. mIcro-
séquence
lIa: "les diseurs de svmboles ?
;
mes
rivaux" ?
Micro-séquence IIIc
: V 98---> 111: Une·griotique
puissante. Un développement de plus sur le thème de
la griotique.
4°) Séquence IV
V
112 -~) 119
L'objectif: percer
les secrets
50}
Séquence
V
V 120 - - ) 140
Les empailleurs.
Un éléments à a-
jouter au rayon
opposant.
6°) Séquence VI
V 150 -~) 169
Hommage à Kaîdara.
A classer au rang
des adjuvants.
1 - James E~ŒJULU - Op. cit.

- ss -
1'1"0-->::17
Cette séquence relative au Didigil e5t autonome
(relativement s'entend) p:u rilpport 3 Iii logique
actionnelle du poème. Elle n'intervient pas direc-
tement dans le cours de l'action.
Elle peut être
donc isolée sans que cela nuise à la logique du
récit.
. li
"
, . ::13 - - - ) ~~I
1es méancl re s de 1a
gTiotique.
Séquence récapitulative, celle-ci reprend des thè-
mes déjà évoqués. Elle se déploie comme suit:
. \\".
220 ----) 222
: reprise de la micro-séquence
1lIb C\\'. 9 5 - ) 9 7)
• V.
224 - - ) 233
reprise de la micro-séquence
Illc (1'.98 - ) 111)
Les versets
240 - - ) 241
: "le chant que mille
générations assemblées useront leur patience à
rendre à la soif du profane" (p.
14) reprennent
l'idée développée dans le final
de la séquence
VII (le llidiga)
vainement s'assembleront les peuples
pOUT déhrouiller
les mailles du mvstère ton nom
mille ~6nération~ éteintes
oilns les mémoires éteintes
et mon peuple interroge encore le
cen"el des anciens (p.
12).

-
~(l -
Le hilan est aussi
5tipul& clans le tempO'; c'e,-r le
continu c1u c1iscl'urs
: "longue encore la nuit ... ". Cett(' sé-
quence n'est que le rremier éli'ment d'un récapitulatif ct
d'une transition dont le second élément se trollve dans la
séquence sui \\'ante.
9 0 )
Séquence lX
l'.
242 ----') 269
Bilan 1
"Voi,,, comme elles trepIgnent il chaque
effort de tes lèvres
ensorcelées
"Vois comme ruissellent leur corps ... " (p.H)
Ces verse':s [mL écho il la micro-séquence IlIa
(1'.
82-94)
"Rythme-la ferme,
ma griotique
et que l'entende le peuple assemblé
et qu'elle vibre
et qu'elle s'ébranle
et qu'elle ruisselle la foule
(p.
8).
Nous retrouvons donc l'enchaînement logique du ré-
cit de la séquence III il la séquence IX. L'objectif fixé est
atteint.
10 0 ) Séquence X
\\'.
270 - - ) 354
les nomIna-
tions.
~licro-séquence Xa
l' 270 - - - )
291
Dinard l'iné-
vitable.
~Iicro-séquence
Xb: l' 292 - - )
303
Doworé la voix
magique.
~llcro-séquence Xc: l' 304 - - )
354
le pas de danse.

-
Si
-
Cette séquence non plus n' entre 1':1~ d:lI1~ ](' r:II'C[lllr~
diégétiquc.
EII,' est parallÈ'le tout comme la séquencc VIl.
11°) Séquence Xl
\\'.
355 ---+ 469
les méandres
de la beauté.
Nicro-séquence XIa 355 --~) 383
le clin d'oeil
à mézis.
Nicro-séquence XIb 384 ---:> 400
les dessous de
la beauté.
~\\icro-séquence XIc 401 - - >
469
la révélation ou
les dessous de
l'année-miracle.
A partir de là commence l'action véritable. La
griotique doit effacer l'affront fait par les semeurs de men-
songes et les empaillellrs. Aussi, indépendamment des séquen-
ces qui constituent la suite de Fer de lance, celle-ci peut
être considérée comme une immense séquence sous le titre de
révélation ou de vérité. Elle va
dll
verset 401
au
verset
1150. Séquence elle-même est subdivisible en micro-séquences
12°) Séquence XII
\\.'.
470 - - - > 503
Hommage au
vrai diseur
de symbole.
13°) Séquence XIII
V.
504 - - > 553
l'hymne
aux morts 1
14°) Séquence XIV
y.
554 - - > 739
Hommage à

- oH -
1 S ° ) Séqu{'nc{' XV
V
ï40
> 8 Il
L'hymnc ~llX
.,
morts "
16° ) Séqucncc XVI
V.
SI 2
> SïS
L'accusa-
tion.
1ïO) Séquence XVII
V.
8 ï6
--~> 1033 : HomJl1~ge à
Samory et à
ses sofas.
18"1
Séquence XVIII
1034 --~> 1065
: Les se-
monces.
19 0)
Séquence XlX
1066 --->1151
Le chant
des morts.
20°)
Séquence XX
\\1.
11S2--~>
1178
Bilan Il.
~1icro-séquence XXa 1152 - - - > 1190
la Révélation
("je le sais")
Celle-ci est l'aboutissement du travail de Dinard
qUl on s'en souvient voulait "percer le mystère des
choses simples" (séquence IV). C'est donc chose
faite
"je salS le nom des carillons infernaux
je sais de quelle voix le hibou rassemble
ses adeptes" ...
Micro-séquence XXb 1191 ---"'"7)
1 2 1 4
le mouvement
de la terre.
"Il faut anlmer la matière" (séquence IV).
lei nouS pOllvons constater que la terre
bouge, que Je mouvement, le frisson lui
ont été donné.

Ces dellX mjcro-5~qllCn(eS Ollt llne importance C3j'1-
tale POli]' la logiqlle du rfcit.
Pour cette analyse l'on constatera que nOLIS nOLIS
sommes plus attaclléc aux séquences fonctionnelles qu'aux sé-
quences actionnelles.
En conclusion, on peut dire que le découpage sé-
quentiel a débroussaillé, a permis de sérier et de regrouper
les grands axes qui peuvent faciliter et occasionner des
analyses en profondeur sur des points particuliers, tels que
la griotique, le Didiga,
les symboles.
La séquentialisation montre bien qu'il y a un ré-
cit dlns Fel' de lance ; même si celui-ci est moins marqllé
que dans le roman. Tous les éléments inhérents au récit sont
mIS en place. Ce qui prouve bien que Fer de lance relève
d'un statut polyforme et que l'oralité - conte, récit-fleuve
- lui confère un caractère de récit partiel. L'influence de
l'oralité est bien visible grâce ~ la séquentialisation. El-
le se reflète dans la relative autonomie de certaines séquen-
ces
Csq II par exemple)
; ainsi que dans les micro-séquences
itéra~ives et récapitulatives que nous retrouvons régulière-
ment au long du décollpage. Cette itêrativité ouvre le chemin
~ un autre niveall de structuration lié au rythme - c'est-à-
dire la musique; car la structure de Fer de lance en est

- üo -
aussi trihutai re. Cel' i montre bien que la séCluellt ia 1isat ion
ne suffit pas à clore le texte (tout Cl''<lme d'ailleurs 1 '<lna-
lyse qui suivra), mais peut constituer la source ou l'inspi-
ratrice d'lin autre niveau d'appréhensi0n, à la fois plllS
saisiss<lnt et plllS exploratoire. Ce sera l'objet du chapitre
trois de cette première partie.

-
(, 1 -
CHAP 1TRE
111
LE TISSU MUSICAL
"Dans nos traditions culturelles,
le verbe
a trois coordonnées qui le définissent et
qui permettent sans cesse de le situer
aussi bien dans les formes artistiques que
dans les communications entre les gens.
Etant donné ces constantes
; on trouve au
point triple
: la parole qlli sert à carac-
tériser l'expression intérieure et exté-
rieure de la pensée, la musique qui est
beauté et enfin la danse, qui reste soumi-
se à la fois aux battements des instruments
de musiqlle et au rythme intérieur inhérent
au verbe." (1)
1 -
Eno BELlNGA - "le verbe et ses attributs" in
Littérature
et musique nonulaire en Afrique Noire.
Ed i t i on s Cu jas, Par i s 1965, r. 5.

_
(1 ~
_
LeHsqu'on lit Fer de lance, on constate d'emblée
l'interdépendance architecturale t'criturc-musique.
La musi-
que, plels précisément,
le rvtllmc, est ell pal"tie produite par
la pré sen c e dans l e t e x t e de" cel hll cs n" th mi que s" (1). La
cohérence du poème, son unité et sa beauté reT'0sent partiel-
lement sur ces dernières.
Leur rôle intégra tif et leur posi-
tion stratégique dans l'oeuvre les font apparaitre comme
inhérentes à la production littéraire.
Cependant, parler de rythme dans la littérature
africaine comme fait marquant peut paraitre à juste titre
d'ailleurs sclérosé. Dans la mesure oG fondamentalement tout
texte génère un rythme. Consciente de cette difficulté et
désireuse d'éviter au maximum les caricatures, nous avons
axé notre recherche sur les rapports lnusique - texte dans ce
qu'ils ont de généalogique et d'idéologique. L'étude du ry-
thme n'aura donc de raison que si elle sert à éclairer le
concept de musique dans la littérature africaine et singu-
lièrement dans l'oellvre qui nous intéresse.
L'approche ainsi définie est réalisable uniquement
parce que Fer de lance et musique sont congénitalement liés
et entretiennent une relation à la base. Toute lecture poé-
tique dans le cadre qui noliS intéresse (rythme entre autres
1 - Eno BELINCA - on. cit.

chose~) eXIge llne ilIClll"~ion dans le dom~ine de l~ lit[~I"atll-
re or~le (source d'inspil"ation de Bern~rd Zadi :aollroll.l.
Eno Belinga (dans J.ittératllre et Musiglle populaire
en Afrique Noirel pose comme principe premier dl' verbe l'in-
terférence parole-musiqlle-danse :
"Dans nos traditions cul turelles, le verbe
a trois coordonnées qui le définissent et
permettent sans cesse de le situer allssi
bien dans les formes artistique~ que dans
les communications entre les gens. Etant
donné ces constantes, on trollve au point
triple:
la parole qui sert il carElctériser
l'exnression intérieure et extérieure de
la p~nsée, la musique qui est beElllté et
enfin lEl danse, qui reste sourüse à lEl fois
aux battements des instruments de musique
et au rythme intérieur inhérent all \\"erbe".
(l)
La musique et la dElnse dans la littérature orElle
ne doivent donc pas être considérées comme éléments autono-
mes, existant en vase clos;
ils participent à la production
du sens à titre d'éléments de base:
"reflets multiples cl'une
seule réalité qui est le verbe, son, parole, harmonie,
ryth-
me, mélodie simple ou polyphonie se côtoient, s'~ccouplent
pour mieux affirmer le verbe, multiplier ses nuances, ren-
forcer sa vertu expressive,"
(2) Eno Belinga systématise la
problématique du discours oral et nous fournit le cadre théo-
- Eno BELl NGA
Op.
ci t. p,
5.
2 -
id. p.
22.

-
t,·\\
-
rlque néces5~Jire à
'analyse' des texte:' littéraires or~ux.
C'est sur la base de ces définitions et parce que
Fer de lance peut être considéré comme lIn sous-produit de la
littérature orale que nous analyserons ses rapports avec la
musiqlle et la danse.
Ces rapports sont de deux sortes:
les
rapports structurels -
les plus répandus, présents dans tout
texte - et les rapports conceptllels de base ou définitionnels
tels que les circonscrit Eno Belinga.
A - LA MUSIQUE COMME ELEMENT STRUCTUREL
Nous avons effleuré cet aspect du problème dans
l'étude des rapports de la littérature avec le concept afri-
cain de parole. Après avoir fait ressortir la place de la
fonction rythmique dans la production littéraire africaine,
nous nous attacherons, cette fois-ci,
à ressortir les diffé-
rentes formes de manifestations du rythme et à définir son
rôle dans Fer de lance.
La muslque investit le texte à deux niveaux : un
niveau externe ou macro-structurel qui concerne la structure
d'ensemble du poème et un niveau interne ou micro-structurel
relatif à des morceallX de textes particuliers. Cette classi-
fication fait de Fer de lance un récit de forme inclusive
qui se stratifie de la façon suivante: une structure englo-

- oS -
bJntc ct uni riante
(la ~\\acro-structure) di\\'i~ible en struc-
tures spécifiques
(les micro-structures).
1 - La Macro-Strllcture
Le découpage séquentiel du poème d'une part, et la
polyvalence dll Didiga d'autre part mettent en évidence tant
son caractère parcellaire que la relative autonomie des dif-
férents récits qui le composent. A cet ensemble quelque neu
hétérogène, il fallait un ou des fils conducteurs sllscepti-
bles de fonder son unité et sa cohérence. La réitération
quasi-obsessionnelle de certaines expressions que nous nom-
merons "éléments paramétriques" ou "cellules rythmiques"
construit un premier niveau d'homogénéité, du fait de la
réitération d'une constante mais aussi et surtout par le
rythme qu'ils créent et qui berce entièrement le texte.
Avant d'aller pl us loin, précisons que "élément
paramétrique" désigne en musique une constante présente
pendant toute la durée d'un morceau et que "cellule rythmi-
que" équivaut au retour périodique d'un mOU\\'ement du récit.
Etymologiquement "cellule" à l' a\\"antage de regrou-
per plusieurs éléments. Une cellule rythmique peut donc être
la somme de divers éléments paramétriques caractérisés par
leur univocité et leur constance. Cellule et paramètre ont
donc des rapports d'inclusion.
L'une (cellule) contient les
autres 0paramètresJ.

Les cell\\llc~ p,thmiq\\lc, : \\lIlC cel1ule rvthmiqul' !"c-
ticIldr3 p3rticulièrement notre attcntioll.
Elle m3rqlle le
texte dans sa totalité et apparaît d~s les ver~ets ~, -
~
sous la forme d'une strophe:
"Tiens ferme DOh'oré Cl) mon frère et
porte au loin ma voix (2)
ma voix des profondeurs
la fine est douce chanson flltée de ma gor-
ge"(3).
Cette strophe est très brève et constitue un résll-
mé des missions du héros et de son porte-parole.
L'oeuvre
entière n'est que le développement et la précision de cette
idée de fond.
Aussi chacune des expressions qui la composent
correspond-elle à un support du récit:
"DoHoré", l'allocu-
taire sera pendant le déroulement de l'action le pilier et
le discours reposera sur son omniprésence.
"Porte au loin ma voix" contient en condensé le
cri de guerre, de désespoir et d'espoir par lesquels le nar-
rateur exhorte à l'action. C'est le leitmotiv du message.
"La fine et douce chanson fluée de ma gorge" équi-
vaut au poème, au discours q~'il tiendra et qu'il considère
com~e son chant.
Ainsi conçue, la cellule rythmique jouit d'une
grande capacité d'intégration à tous les niveaux du texte.
1 - 2 - 3 - Les élérœnts l, 2, et 3 sont les éléments-clés du nassage.

-
{l Î
-
Son ubiquitl' ~<' trouve renrorcl'e par 1<' fait qu'elle éclatL'
et
sc décompo,(' en troi~ é1ément~ paramc;triqu('~ cependant
qlle l'unité profonde de la cellule - m~rL'
(Oll celllile de
base) per5i~t(' et n'est jamais remise en cRuse. Ce qui nous
permet de dire qu'il y R plus un phénomène d'élargissement
qu'une rllpture véritable de cellule comme on pellt le voir
ci-dessous :
Porte au loin ma voix! (2) DOHoré (1)
et que les peuoles m'écoutent
je sais le temps des plaisirs vains
le temps des nuits d'apocalypse
le savoir se clleille à la main
mais chaque
arbuste qui sur~it du terreau ne
~aurait l'offrir
au passant
nommez-moi Didiga-grand soleil-des-temps
d'hivernage
que l'on m'entende afin que rien de
mensonger ne
vienne souiller ma chanson
la fine et douce chanson fluée de ma gorge (3)
quand il vous la faudra redire aux
quatre \\·ents de
ce pays frappé de cécité".
(p.
21).
Ce texte mentre bien que la dispersion n'équivaut
pas à une perte d'unité mais s'organise en forme d'intégra-
tiori et d'imprégnation textuelle. Les trois composantes
constituent chacune un élément paramétrique créateur de ce
que Eno Belinga nomme la polyrythmie (issue de la superpo-
sition de plusieurs cellules rythmiques). Les tableaux réca-
pitlllatifs des différentes cellules confirment cette sllper-
1 - 2 - 3 - Les éléments 1, 2, et 3 sont repris ICI dans un ordre dif-
férent.

-
l. S
-
position qui SE' trGn,forlile quelquefois en \\'éritGble enchn5-
sement de CE'l 1ule5.
11 en l'l'sul tE' une occupat ion 5patiGle du
,.,".-::.
texte générGtrice d'lin réel facteur d'unification de l'remler
nlVE'au.
En appliquant le mfme procédé à l'extrait suivant
l'Do\\,·oré
porte au loin les noms mllltiples du
rOl
de SlL\\SSO"
(p.
38)
On découvre une autre cellule rythmique :
"longue encore la nuit qu'il nous faut blanchir". Plus que
la modération elle marque chaque étape comme bilan partiel
ne l'action du héros. Action qui consiste à blanchir la nui~
Ces exemples montrent une grande polvrythmie du
texte liée à l'ensemble du discours.
Le rythme est ici inté-
gré à la production du sens. Ce qui rend toute svstématisa-
tian ou toute schématisation très difficile.
(1)
1 - En annexe, on trouvera un relevé exhaustif des cellules
rythmiques principales avec toutes les variations qu'el-
les connaissent dans le poème.

, - Les Micro-strllctures
L'étlldc dcs micro-structllrcs constituc le second
volet de cette première partie. Nous donnerons deux exem-
plaires de micro-structurcs : variantes à plus petite échel-
le de l'étude précédente.
Exemple
1
pp.
70-7]
Exemple II
pp.
72-75

-
- Il
-
-
L'lInIN!: AUX ~101ns -
EXHH'LE 1
STRUCTURE INTERNE : TEXTE PAGE ~~
45,
46,
47
nE l'ER nE LANCE
~Ior t s
~Io r t s
~1or t s
L'art
L'a rt
~Ior t s
~1or t s
o vous,
Héros invincibles qui veillez les tombes,
Nul après vous n'a su faire germer vos vertus
Retenez vos pleurs
Enfants
Retenez vos soupirs
l'avenir n'est point à ceux qui brandissent le glaive
Aux yeux des faibles
o vous
Héros Invincibles
Nul après vous n'a su faire germer vos vertus
"Retenez vos pleurs
Enfants
Retenez vos souplrs,
L'avenir n'est point à ceux qUJ brandissent
le glaive
Aux yeux des faibles
o vous
("Les morts vous entendent)
Enfants
Retenez vos soupirs
L'avenir n'est point à ceux qui
brandissent le glaive aux yeux des faibles".

nDll'LE 11
E\\TRAlT rage ::6,
:: 8 ,
:Cl,
30,
L' IIn1NE
..\\
L\\\\\\~IE
"Rouge est ma lune le SOlr au lendemain des mélasses
d'Accra
Rouge est ma lune
Rouge est ma lline
Rouge est ma lune
Rouge au lendemain des
mélasses d'Accra
Rouge est ma lune
Rouge et Rouge
Au lendemain des mélasses d'Accra
Rouge
Rouge et Rouge ma lune
le soir
Au lendemain des mélasses d'Accra
Rouge
Rouge et Rouge ....
Rouge
Rouge et Rouge ma lune
Brille ma lune
Brille et brille de ton sang purifié
Rouge est ma lune
1
Rouge
Rouge et rouge
~Ia lune

.' -
Grosso-macla une' sC'ule' cellule-rythmique sC' cl,'-
ploie dans 1 'hymne 11 I\\h·am,<. Elle est remarquable par le Llit
qu'elle est une cellule-mère dotée d'une grande maniabilité.
Sur la base de celle-ci Bernard Zadi Zaourou s'est livré à
un jeu de composition dont l'effet est lisible dans la va-
riation de la dite cellule en des formes plus ou moins pro-
ches, qui lui ménagent cependant une marge de manoeuvre suf-
fisante évitant de figer sa cellule-mère, qUI prend ~lors
des formes dont voici quelques exemples.
Cellule-mère
"Rouge est ma lune le soir au lendemain c.es mélasses
d'Accra
Rouge et Rouge ma lune
Cette
cellule-mère évolue vers
1) Rouge est ma lune
2) Rouge est ma lune
Rouge au lendemain des mélasses d'Accra
3) Rouge
Rouge et Rouge ma lune
le soir
au lendemain des mélasses d'Accra
etc .....
L'évolution
se fait par développement ou contrac-
tion à l'intérieur de la constante (cellule-mère).

-
71j
-
La celllile-m~re est donc v~rit~hJemcnt SOllrec de
cr é a t i vit ~ ; dé ve 10 j'j' ~ Il t ete 0 n for tan t',' . l'L' l' "t lll'l'
1
le B
-
l'
,~~(l
Z.
à la fois l'ar son ubinuité plllrl'elle et
'
,
"
par sa capac 1 te
à générer le discollrs,
tOllt en participant activement à son
renouvellement. Evitant par ailleurs toute monotonie grâce
-
:' 1
-
C.R = cellule rythmique
C. R. l
cellule rythmique
C. l', 2
~Iort
C. R. ~
l'a rt
C. 1'.3 = 0 vou s
héros invincible qUI
C.R.4
Retenez vos pleurs
enfants
retenez vos soupirs ...
La première partie de l'extrait avec les C,R.I et
~ développe un rythme élémentaire.
JI faut en retenir qu'il
existe des cellules rythmiques de base dans leur forme la
plus simple. Celles-ci sont de surcroît fixes,
fermées et ne
font
l'objet d'aucune transformation. Elles correspondent
d'ailleurs mieux à la description faite de l'élément paramé-
trique (élément constant,
invariable).
Quant aux cellules rythmiques 3 et 4, elles cons-
tituent un exemple de polyrythmie complexe.
Il y a effecti-
verne nt là sllperposition de deux cellules rythmiques à un
même niveau textuel. Cependa]'t le meilleur modèle de po1y-
rythmie complexe reste la stl'ucture externe du poème.
Rien de particulier SInon que l'extrait figure
bien le rythme et montre concrètement ce que nous évoquions
de façon purement théorique.

"rcdi~ ~l'rè~ mal J Dov.. oré
"rou!'<' est mJ lune le soir au 1endelTl1iTl
de~ mélasses d'AccrJ"
(p.
261
Cet aspect extérieur et vis ible des rapports mU51-
qlle-littérature dérive en réaliLé de relations plus profon-
des unissant le verbe h la musiqlle dans l'oeuvre de B.
2adi
Zaourou. Cette alliance constitllera le deuxième grand point
de notre approche. Nous ~ verrons comment la musique en tant
que concept vit dans la littérature au même titre que le moL
B - LA MUSIQUE COMME ELEMENT CONCEPTUEL
Dans l'introdllction à ce chapitre (1) nous avons
évoqué les bases d'une telle approche. Rappelons cependant
que ses éléments déterminants demeurent la saturation et la
focalisation du langage par et sur les thèmes de la musiqlle
et de la danse.
Fer de lance livre 1 et II ainsi que les
oeuvres ultérieures de Bernard Zadl Zaourou (inédites mais
créées
pres(Jue
toutes
(2), naissent à travers la
musique qui les envahit ensuite. Ce phénomène conditionne
toute analyse du concept de musique dans ses oeuvres.
- pp. 61
à
(14.
2
La Termitière
L'Oeuf de pierre
La tignasse.

-
ï lJ
-
1 -
La complémcntarité \\'crb'.'-~!t15igu('-I1al1se
En nOLIS aprl1yant sur le langage il est possible
d'établir des isotopies musique-danse à travers le texte.
Leur ébauche nOll~ serVlra de base de travail. Elle nous ai-
dera d'abord à comprendre la fascination ql"exerce la musi-
que sur Bernard Zadi Zaourou et qui puise ses racines en
partie dans la littérature orale
(ce qui signifie que nous
parlerons énormément de littérature orale). Ce faisant,
nous
passerons outre la mise en garde d'Ena Belinga dont le cor-
pus de réflexion ne pre~d en compte que les textes de tradi-
tian orale, à cause, selon lui, de la "non-représentativité
de la littérature écrite." Un seul argument - mais de taille -
milite cependant en notre faveur:
le gros impact de l'ora-
lité sur Fer de lance en particulier et sur l'oeuvre ulté-
rieure de B. Zadi en général. Celui-ci ne présente-t-il pas
son poème comme un chant :
"tiens ferme,
Doworé mon frère et porte
au loin ma voix
ma VOlX des profondeurs
la fine et douce chanson fluée de ma gorge"
Le poème vit au rythme du chant et s'organise com-
me tel. Chant, poème et griotique étant synonymes dans les
propos de Bernard Zadi Zaourou, il les emploie indifférem-
ment au gré de ses états d'âmes.
"Dévide ~riotigue" (p. 8)

"lIIultiplie 'lIIil VOIX ct qUe' 5':,mplifie' r.\\c'n
poèllle'''.
(p.
11''---
"nlC'~t-ce-ras é1ssez que je' \\"OtiS nourri:-::::e
au suc de mon art mon chant". (l'. 151
Ces trois termes opèrent au même niveau paradigma-
tique'. Leur contenu sémantique est équivalent et interchan-
geable. A partir de cette équivalence se développe un axe
paradigmatique de la musique allant des instruments -
Dôdô
(arc musical), trompette -
au phénomène musical -
mélodie,
jazz, chanson, griotique, chant sifflé, chanson fluée, air
de jazz, chant mystérieux, barde, élégie, hymne
en pas-
sant par les symboles de la pureté et de la grâce musicale -
Dazô Wueudji (maître du chant], moire au cri si pur, gosier
mielleux, cigale - . On remarquera l'importance du monde ani-
mal. Un autre fait très important est le caractère réitéra-
tif de la totalité des termes.
La mise en évidence de l'identification muslque-
poème concorde avec les thèses d'Eno Belinga selon lesquel-
les la musique n'est qu'une des trois dimensions du verbe-
un de ses constituants intégraux -
qu'il a vite fait d'ab-
sorber. "Le verbe, écrit-il a trois coordonnées qui le dé-
finissent ... Etant donné ces constantes, on trouve au point
triple, la parole ... , la musique ... et la danse ... " (1]. La
transmutation du verbe s'accomplit donc à travers un pro'
1 -
Eno BELIJliGA - op. cit. p.
S.

-
7S -
cessus multidimensionnel dont
l('~ compos3ntE'S ne sont qUE'
lE's reflets multiples d'une seulE' ré31ité lbJl~ 1:J'I"cllc ver:'l',
son, parole, h3rmonie, rythme, mélodie simple Oll polypl10nie
se côtoient, s'accollplent pour miellx affirmer le verbe, mul-
tiplier ses nuances, renforcer sa vertue expressive.
(1 J
Mais le verbe ne s'accomplit totalement que s'il
rencontre la danse, troisième élément du point triple et
forme d'expression du rythme.
"Geste par excellence",
(elle)
se développe, comme le rythme, ~ la fois dans l'espace et le
temps".
(2).
Elle est surtout la synthèse de la parole et de
la musique. Un point de rencontre. Une forme d'expression
privilégiée à l'instar de sa place dans certaines mytholo-
gies africaines. Dans le mythe Dôgon de la création par
exemple, on l'associe au verbe créateur. Car c'est à partir
de la danse du chacal (voir Dieu d'eau de Marcel Griaule)
que fut créée la première table de divination : "la terras-
se où a dansé le chacal, a été la première table de divina-
tion.
( ... ). Les hommes l'on ensuite imitée dans le sable,
autour des villages. Ainsi la première danse attestée avait-
elle été de divination" (3). La danse est donc, plus qu'un
acte de défoulement, lIn acte libérateur d'une parole lourde
de sens et de conséquence
:
Eno BELl NGA
Op. cit. 1'.22.
2 -
id. p.
14.
3
~larcel GRIAULE
ln Dieu d'ea:l : entretiens avec OGOTOM~lELI
Fayard,
19G6, p. 176.
. .,..'

-
7~)
-
Et vous dansiez femmes du )'acolo
au rythme lellrs lucuhres coassements?
Et v~us hattiez de; mains et des pieds
(p.
32).
Elle est aussi et surtout rescrvée allX initiés
"au rendez-vous des tempêtes
est mort qlli danse d'une jambe infirme
qui ne sait veiller en dansant" (p.
30).
Elle est enfin symbole d'union sociale.
"est mort qui s'amuse à danser seul." (p. 30)
La danse est en définitif synonyme d'action. Car,
elle seule, en tant qu'acte réalise le rythme, et rend
l'homme maître de la musique et de l'espace. Ogotommêli -le
sage Dôgon ne compare-t-il
pas les danseurs à "des morceaux
de soleil" (1). La danse véritable requiert beaucoup de sa-
voir et d'agilité:
"Kawmé dansait la danse des sorciers
je savais qu'il avait le mollet maIgre
et la jambe frêle
du Macoco
qu'à peine ses reIns d'enfants supportaient
son corps
immense" (p.
28).
Seule l'action peut rendre B. 2adi
2aourou maître
de la situation. Mais il s'agit avant tout d'une danse d'é-
lites
1 - Marcel GRIAULE
op. cit.

-
~: p -
"dan'''l":! le hibou :!u rythme de no, \\'OlX
"j(' sJis de quelle voix
Je hibou ra~semblE'
,e, :!ùeptes" (p.
48)
Le texte est donc une invitation b la danse
(~an-
se: m:! d:!nse à moi ... ) (1)
;
mieux une exhortation à celle-
Cl.
La danse reste finalement un symbole comme dans la cho-
régraphie de La Termitière
(autre pièce théâtrale inédite de
l'alltellr qui a été déjà créée) où elle supplante le discours.
Les acteurs, par le geste, transcendent le discours et at-
teignent un niveau de communication plus expressif et total.
Virtuellement dans Fer de lance le geste transcende aussi
:
"de la parole et du geste, tranchons la nuit de victoire".
Cp.
51). L'acteur parle avec le corps,
et il parle aux sens.
Bien évidemment Fer de lance se cantonne à l'usage du con-
cept, ne pouvant figurer réellement danse et geste.
Il s'a-
git plus d'un usage sémantique et thématique dans la mesure
où le thème de la danse revient en permanence. Mais ce n'est
le cas ni du Tam-tam parlellr ni de l'hymne aux sofas qui
sont réalisés.
2 - Le Tam-ta2 parleur ou le langage désarticulé
Dans ce passage,
le langage désagrégé, décomoosé
et réduit à sa plus simple expressIon devient lieu d'ins-
cription du sens. Bernard Zadi Zaourou par démantèlement et
1 -
B. Zadi ZAOUROU
Op.
ci t. p.
30.

écl~temellt de l'écriture crée une strllctl1l'ation, 00 50115 Je
tam-tam, lex~mes et mots sc rencontrent et s'harmoJlisent
dans un sYstème différent.
Il s'inspire volontiers de la
structuration langagière du tam-tam parle\\lr ou Attoungblan
che: les ,,,kan.
Il quaI ific cet instrument "d' échasier de
la race tambourine" (l)
; son rôle, rappelons-le, est de
transmettre par code, d'un village à un autre, d'une région
à une autre
; des messages qUl sont ensuite décodés par des
initiés ct transmis au peuple. Voici d'ailleurs un exemple
de langage tambouriné :
TEXTE l
Essounon
yèr~ sè, 5 è , sè
yèrè sè.
yèrè 5 è , 5 è , sè.
yèrè, 5 è , 5 è , sè.
yèrè sè.
yèrè sè tchrè ? dabi,
yèrè sè, yèrè kon
Dabi yèrè sè, yè redjuani.
Warakassa, worokoussou
yèrè sè.
Odom sè kôtôkô
Ossa ! kôtôkô di ~Iinan sounou
1 -
Bernard Zadi ZAOUROU
ln Fer de lance, p.
4-'.

- ~= -
l1s5Clllnol'lha kl,adj a k6kô,
Ambim koffi Minan S0unCll,
Essounon, WÔ kô man br a,
mè flè wô â bla
Ehinin inan fri man b6in,
Mou gnran, mou dié
!
Mou gnran gnran mou dié
Mou dié nya atchrèman bè kan
(1)
Le texte de "er de lance - objet de cette étude - est le
suivant :
TEXTE II
Kidi kidi
2
Ta
3
Ta ta
4
Kidi kidi
5
Ta
6
Tata
7
Kidi kidi
8
vent s
9
Ventres creux
10
kidi kidi
11
sangs
1 - G. NIANGORAN-BOUAH
ln Introduction à la drumologie
collection Sankofa, Abidjan 1981
r. 65.

12
S:lll-I'c'c1ro
1 :;
kidi bdi
1 4
1'1:
1 5
plus de l' l Z
16
bdi kidi
1 7
Vis
18
Riviera
1 9
bcli kidi
20
Tc) i
21
Toi le 1'01
22
kidi kidi
7"
_J
Prends
24
Garde à toi
25
Kidi kidi
26

27
Révolu
28
kidi kidi
29

:;0
Révolution
:; 1
kidi bdi
32
kidi kid i
(1) .
La comparaIson entre les textes 1 et Il prouve que Bernard
Zadi Zaourou (Texte III s'est inspiré du langage ta~bouriné,
langage codé compréhensible par les initiés.
Un examen nl~s détaillé du Texte Il montre que le
1 -
op. ci t. p.
1 7 .

-
S·)
-
thème' ce'ntral pure'me'nt phonologique' Se' con,;truit sur la base'
d'un système' de' correspondances sensorie'lles, c'est-~-dire
le rapprochement de sons similaires ou homophonie de base.
C'est elle qui commande' la désagrégation lexicale et synta-
xique.
Sur le plan lexical l'extrait
est très pauvre; peu de
mots ou des mots banals auxquels B. Zadi L. semble cependant
insuffler un élan. En brisant le mot il lui fait subir une
opération presque magIque qui le transforme en mot-thème ca-
pable de déclencher une série d'images. Le premier mot-thème
apparaît au verset 8 : "vents". Pris isolement il ne produit
aucun effet particulier; mis en rapport avec le verset 9 :
"ventres creux".
Il s'illumine aussitôt. L'homophone [vàJ
génère le verset 9 par un déclic sonore. Ainsi un verset en
appelle un autre, comme dans les séries suivantes
sang / san-pédro
riz / plus de riz
vents / ventres creux
Ré / Révolu / Révolution.
Ce retour sonore s'intègre harmonieusement aux
sons du tam-tam et participe à la création d'un rythme régu-
lier et progressif.

Pour l'étudier nou" suhdiviscrons le texte en
trois grandes part ies.
La p:lrtie ] va du verset 1 au verset
9 ; la partie Il dll verset
10 au verset 27 et la nartie III
qUl
commence au verset 28 finit au verset 32. Suivant ce dé-
coupage nous avons
:
PART] E 1
4
1
2
4
Régularité parfaite dans ces trois strophes
2
de trois versets chacune.
4
1
2
PARTI E II
4
1
3
4
3

4
Eomparativelnellt ~ la partie 1. celle-ci
présente une l~g~re accélération de rv-
thme.Le troisi1'r..(' n'rset des strophe,;
3
allgrnente d'lin pied.
Il y a une lente
progression, une lente intensification
4
dll rythme.
Le po1'me reste tout de mfme
1
très régulier.
3
4
1
3
4
1
3
PARTI E 11 1
4
Le dernier verset augmente d'un pied
1
par rapport à la partie 2. L'accéléra-
tion est nlus grande. Elle augmente d'un
4
cran par rapport à la partie deux et de
4
deux crans par rapport à la partie 1.
4
J.'accélération rythmique évolue donc en crescendo
du verset 1 au verset 28.
Elle est le signe d'une certaine
agitation que nous retrouvons dans la voix du narrateur.
Il
y a aussi une correspondance tension rythmique - tension

\\
- "
verbale sur laquelle nous reviendrons l'lus bas.
Ici aussi le texte se réduit à sa plus simple ex-
pression. Guère de verbes sur les trente-deux versets (ex-
cepté 2). Des syntagmes élémentaires tel N + Ad (ventres
creux) ou N (vents). La réduction squelettique et le dénue-
ment du poème produisent a contrario un effet d'intensité.
Loin d'appauvrir le texte, ceUX-Cl l'enrichissent énormément.
La sobriété des mots est compensée par leur mise en relation
conflictuelle ou oppositionnelle. Car ils entretiennent des
rapport~ antithétiques par lesquels ils se nient et s'affir-
ment à la fois "vents / ventres creux.
Le vent, entre d'autres axes paradigmatiques, ap-
partient au paradigme de la destruction; tandis que l'ex-
pression "ventres creux" résulte de la famine, la faim. L'as-
sociation vents / ventres creux implique un conflit, une lut-
te. Car la faim, la famine peuvent entraîner la destruction.
Destruction ayant ici un aspect double :
perte de vIe par la faim
destruction-révolte
Vis / nVlera
Vis issu du verbe VIvre implique l'idée d'être,

- ~~ -
d ' ex i 5 ter, de v 1 V r e, il 10 r ~ qU <' l ~ Ri \\' i e ras yIII h0 1 i ~ e l:l \\' i II e
blanche dont l'existence ét()u:fe et empêche de vivre,
Elle
s\\'mbolise aussi tout cc il quoi aspire celui qui désire s'é-
panouir. Second symbole amhivalent
(vie et étau),
Ré",.
/révolu/révolution.
Révolu signifie anéanti, aboli,
tandis que révolu'::
tion qUI se situe aux dellx bouts de la chaine entre en rap-'
port dialectique avec destruction ct construction. En fait,
la révolution est censée engendrer le renouveau il partir de
la destruction. Révolu et Révolution sont deux termes compl~
mentaires dont le rapprochement pertinent valorise et renfor-
ce l'idée de révolution,
L'amplification est aussi présente dans l'évolution
sémantique. D'abord un constat: "plus de riz".
Ensuite une mIse en garde
"toi le rOI
prends garde à toi"
Enfin la catastrophe, le chaos final
"révolutiorl' .
Chaos et destruction sont présents à tOllS les ni-
veaux: morphologique,
syntaxiqu~ et rythmique. Mais cette
destruction signifie espoir à l'image du texte qui, totale-
ment désarticulé dans les preniers versets
-Finit par se
construire. Bernard Zadi Z.
se sert du tam-tam à la fois

camille T\\·thmc' et cOlllllle l8ng8ge t8mboLlrir:~. l.'écriture nllme le
réel aU55i bien dans la reproduction dl: 50n qlle dans la bri-
sure lexicale.
CONCLUS]()\\;
Au terme de cette étude trois constats s'imposent
l' env~rÜ5erlent du texte par la musIque et la danse; la com-
plémentarité de tous ces arts; enfin l'impossible sépara-
tion musique-verbe.
Cependant -
et toute la question est 111 -
quelle
évolution pour l'utilisation du chant et de la musique en
tant que partie intégrantes de la littérature. Bernard Zadi
essaie d'intégrer à Fer de lance un cha~:, l'hymne aux Sofas.
Mais l'efficacité d'une telle pratique reste à
prouver. Car contrairement au conte, à la chantefable ou à
tout autre texte de tradition orale qui sont des textes con-
nus, repris depuis des temps lointains: les chants que ten-
tent d'intégrer les poètes sont des créations nouvelles, donc
sans air musical ou mélodie préétablie et connue.
Faut-il
alors complèter l'oeuvre par une transcription musicale, qui
permettrait effectivement de pratiquer l~ chant dans ce sty-
le de poésie? L'exemple de L'lJymne aux sofas pose concrète-
ment le problème. Fait pour être chanté cet hymne pour l' ms-
tant est condamné il la récitation. Cepen~ant dans le même

-
'1I1
-
temps ct, lil n(lll~ élargissons notre ch~;:ij'
-
les nouvelles
pièces tll~5trales de Bernard Zadi, qllanJ elles sont jOll6cs
intègrent le chant qlli s'harmonise parfaitement avec la poé-
sie et la danse. Alors que faire? De\\'ant l'obstacle que
constitue l'écritrue fallt-il abandonner tOLite tentative
d'innovation poétiqlle liée au chant?

_
~l 1
-
DEIJXIEME
PARTIE
:
UN UNIVERS D'APOCALYPSE
ET
DE
SANG,

-
q 2
-
CHAP ITRE
LA CONQUETE DE L'ESPACE COMME SYMBOLE
DE LIBERTE,
D3ns son am-rage L'espace et la nouvelle, ~lichaël
Issacharoff écrit: "]lans l'étude des formes romanesques, la
critique dans son ensemble a fait preuve d'une certaine myo-
pie à l'égard de la spatialité.
( ... ) Cela est d'autant plus
curIeux qu'on a déj~ attiré l'attention sur le rôle primor-
dial de l'espace dans notre sensibilité Foderne"
(11.
La
quantité et la diversité des travaux sur l!espace apportent
un démenti aux propos de Michaël Issacharoff. La recherche
topologique est bel et bien présente dans la critique. Les
sémioticiens plus particulièrement accordent à l'étude de
l'espace une grande importance. Aux pages 28,
29 du numéro
27 de la re\\-ue Communication nous pouvons lire: "le groupe
107 considère que l'espace ne prend son sens qu'en fonction
de l'usage qui en est fait,
du faire qui s'v déroule.
Ce
faire, posé au nIveau du contenu, exige la présence au ni\\-eau
de l'expression de personnes qui se déplacent dans un envi-
ronnement matériel. Par conséquent, si le niveau du contenu
n'a qu'une catégorie d'unités
(le faire), celui de l'expres-
SIon présente trois composantes
les personnes, l'espace de
leur mouvement, et l'espace qui leur est impénétrable (celui
des objets). Trois remarques s'imposent ici:
1 - Michaël ISSACHARDFF
in L'esnace et la nouvelle,
tian Librairie José Corti, 1976, p. 10.

-
~'."1
_
* les personncs joucnt un rôlc très import:lllt d:1I15
cettc sémiotiquc
* le mouvement cst l'unc des c:lractéristiCluCS
principales des persolllles
* les trois composantes ci-dessus ne sont pas
elles-mêmes des catégories d'llnités de l'expres-
sion; elle concourent à la formation dc ces
dernières.
(1)
Ces remarClues correspondent bien à la conception qlle nous
avons de l'espace. En fai~ l'espace et singulièrement l'es-
pace en littérature, ne peut être ni circonscrit ni étudié
in abstracto.
Il n'est qu'en tant qu'il est hanté par des
personnages qui créent une dvnamique~ concrétisée par les
rapports de Topoi
; dont l'importance est réaffirmée par
James Emejulu qui constate qu'ils sont, d'une part, "dû aux
. mouvements des actants" et Clu' ils "s'avèrent être, d'autre
part, une tactique de la production narrative" génératrice
de sens au même titre que les autres composantes du récit.
Mais qu'entendons-nous par Topos? Il s'agit
d'''un espace, un volume contenant des personnes et des ob-
jets" (2). Espace géographique ou physique par définition,
1 - Communication n°
27
: l.'csnace du Séminaire in Sémioti-
Que de l'espace. Seuil, Pai-is, 197ï. Numéro spécial con-
sacré aux problèmes de l'espace. Il étudie tout particu-
lièrement l'espace d:lns lequel s'est déroulé ce colloque sur
l'espace.
Z -
Id.

le topo~ n:1rratif demeure esscntiellement verb:11
; et c'cst
sur cette b<lsc que ~lich:l,'J lS5<1charoff peut Je diqinguer de
l'espace th6fitral bu cinématographique. Qui eux, se manifes-
tent concrètement, de Yisu ou par ouie
: "espaces visuels"
et "espaces audibles". Pourtant dans l'étude qui suivra nous
considèrerons tous les espaces, y compris ceux du théâtre,
comme (verbaux). Car il s'agit ici de travailler presque
exclusivement sur des textes et non sur leur représentation
théâtrale.
En nous inspirant des travaux parus
dans le numé-
ro 27 de Communication, en particulier l'espace du séminair~
des thèses de Pierre Board on et de James Emejulu mais aussi
des analyses de ~Iichaèl Issacharoff dans le texte L'espace
et la nouvelle, nous tâcherons de circonscrire l'espace géo-
graphique de l'oeuvre de Bernard Zadi Zaourou. Nous commen-
cerons par des études svstématiques de topai dans les dif-
férentes oeuvres; afin de mettre en évidence l'existence
d'une tendance de l'espace dans l'univers imaginaire de
l'auteur.
A - LA NUIT MAGIQUE
Dans Fer de lance le topos bâti joue un rôle se-
condaire.
Sa présence constitue exclusivement un symbole
d'ancrage culturel. Alors que la nuit, élément unique de la

-
~l S -
configuration spatio-temporeJJe de j'ocuyrc envahit le texte
et nie ail topos tOlite possibilité d'expre~sion. Th~mc prin-
cipal de la diég~se, elle se mue progre5sivement cn espace,
temps et agent.
Dès les premiers versets, le poète situe l'action
V2
"nous VOICI Doworé,
V3
à
la racine de la nuit
V4
Et la nuit est compacte
(p. S)
La nuit y est espace du déroulement de l'action,
mals aussi et simultanément temps, durée, éternité. Cette
imprécision spatio-temporelle est renforcée par l'absence
de topos
(symbole de la délimitation et du déterminé) tel
qu'on peut le voir dans les versets suiyants
:
Longue encore la nuit
(1) que nous veillons
Longue et longue
Et les femmes n'ont point baissé la paupière,
Elles d'ordinaire si prompts à baîllonner les
nuits (2) enchantées, notre gloire sans parta-
ge." (p. 14)
Notons au passage la richesse et la diversité
d'emplois du terme nuit.
En 1 sa définition est diacritique,
la nuit est espace-temps; en 2 il est employé dans son sens
étymologique.

L'insistance -
longue
; Longue et Longue -
marque la
vfritable dimension de la dur68. Qui se traduit par un fti-
rement illimité.
Poursuivant son cycle évolutif, la nuit passe du
stade de nuit quelconque à celui d'une nuit spécifique
:
nuit animée et agent de la diégèse.
La nuit des dévoreurs d'âmes
La nuit tronqueuse de vaillance
La nuit qui truque les vaillances (p.
16).
Espace vicié ou espace qUl vice les esprits ? il incombe au
héros de la purifier ou de l'oxygéner. Ensuite, la nuit se
mue en objet de, quête
Car longue encore
la nuit qu'il nous faut valncre
(p.
22)
Longue encore la nuit que nous veillons
Longl1e et longue (p.
23)
..................................
Longue et longue la nuit qu'il me faut
dévorer (P.
33)
...................................
La nuit est longue Doworé
Longue et dure
La nuit qui t'écoute et qu'il te faut
muer en ondes lumineuses
(p.
43).
,
'

La nuit se m~tamorphose et acquiert le statut d'humanoidc :
"La nuit qui t'~coute". C'est donc une nuit vivante. Et, il
suffirait de remplacer le lexème nuit par "gens" pour débou-
cher sur une nuit remplie d'oreilles humaines aux aguets. La
répétition obsessionnelle du mot "longue" marque la notion
de durée illimitée, qui va au-delà des limites de la simple
nuit;
Au terme de cette transmutation évolutive, nous
pouvons comparer le mot nuit à un schème producteur de sè-
mes contextuels riches et variables qui permet de passer de
l'espace nuit à l'objet nuit; noyau de la contradiction
principale, objet de la qu€te
du héros et moteur de son ac-
tion
:
"J'ai dévoré une moitié de nuit
une bonne tranche de nuit"
(p.
48),
L'évolution de la nuit signifie aussi l'accomplissement
partiel de la quête; car "Longue et trapue la nuit qu'il
nous faut dévorer".
(p.
51)
Au bout de la mutation, 1" :1Uit perc\\ à jamais sa con-
dition variable de temps et d'espace. Devenant simultanément
action et temps indéterminé. Nous sommes dans l'atemporel:
à
la fois dans l'instant
"j'ai dévoré une bonne moitié de
nuit" , dans l'illimité ("longue et trapue"), et hors d'un

espace clos, délimité -
absence de top":,, hâti
Nous
nous retrollvons dans le cas de la recherche de l'espace
comme ouverture. Et la nuit en constitue le parcours "ini-
tiatique", l'espèce de voyage initiatique qui doit conduire
de l'ombre vers la lumière. A l'arrivée, l'espace truqué et
tronqué se libèrera totalement, éclatera pOLIr devenir soleil
(un autre symbole qu'utilise Bernard Zadi Zaourou pour si-
gnifier la liberté.).
B - LES DERNIERS RETRANCHEMENTS OU LE SIEGE
LI BERATEUR
1 - LES TOPOÏ
La caractérisation des topoi obéit à des classi-
fications dont les diverses combinaisons donnent au lieu sa
dimension sociologique réelle.' Aussi nous efforcerons-nous,
à
partir de ces lois générales, de circonscrire l'univers
spatial et l'ambiance de L'oeil.
1.1 - Résidentiel vs populaire vs neutre
La configuration spatiale et topologique se fera
à partir des didascalies
(indications scéniques de l'auteur),
de notre imagination en tant que lectrice et de notre cultu-
re architecturale (archétype de villes). Les différents
topoi recensés dans l'oeil sont

-
Oq
_
Le bureall de Sogoma sangul
Le bar-restall]'ant
Le domicile de Djédjé
Le bar populaire "Chez Pédro"
La hauteur (~romontoire)
Le cimetière
La prIson
Le palais de Fama
La résidence du gouverneur général,
Nous pouvons situer le bar-restaurant,
le domicile de
Djédjé, le bar populaire dans les bas-quartiers (quartiers
populaires) de la ville:
"un restaurant-bar dans un quar-
tier populeux"
(p. <79), "Chez Pédro". "Bar populaire".
(p. 96).
Django à Djédjé : t'as le temps? on bouge un peu? /où/ chez
Pédro .. "
(p. 95). Enfin Sogoma Sangui, en tant que gouver-
neur du quartier populaire y possède un lieu d'ancrage: son
bureau.
Le
palais et le domicile du gouverneur, général
sont répérés en fonction des plans architecturaux des vil-
les africaines (cf ethnologie et anthropologie des villes
coloniales). Cette conception architecturale structure tou-
jours la cité en ville haute (quartier résidentiel) et vil-
le basse
(quartier po~ulaire), séparées par la prison, les
forces de l'ordre (casernes, militaires, gardes civiles etc).

Pour situer le cimetière ct la "hauteur", nous
ferons appel à notre imagination.
Cc cimetière constitue à
nos YellX le seul endroit indivis
(qlloique intérieurement
ségréguél qui reçoit l'ensemble des êtres (riches et pau-
vres). Par conséquent il jouit d'une neutralité spatiale.
Quant à la "hauteur", elle serait en dehors de tout système
spatial établi; à l'écart et surplombant tous les autres
topoî
: "quelque part un jeune homme des faubourgs populeux
est assis sur une hauteur" p. 86.
Nous pouvons schématiser la spatialisation des
lieux comme suit :
f Les quartiers résidentiels
Palais de Fama
Domicile du gouverneur
général
Les lieux neutres
LA HAUTEUR
le cimetière

la prIson (comme barrière
Hors-système
frontalière)
Les bas quartiers ou
quartiers populaires
Domicile de Djédjé
restaurant-bar
bar "chez Pédro"
bureau de Sogoma Sangui

1 Il 1 -
En nOlis réfc'r3nt 311 di scollrs 5111' ]cs topoi, cPt tc cl assi fi-
cation sllhit dps Tccotific3tions ou est complèté 1'31' de nou-
vclles qU31ific3tions : Riche VS p311vrp vs nputre.
1,2 - Riche vs Pauvre vs Neutre
L'organisation en populaire Vs résidentiel vs neutre en ap-
pelle une autre lisible à la favellT du discours sur les
Topai. Ses indices qualifiants à la fois les personnages et
les objets sont les principaux embrayeurs (au sens de tous
ce qui renvoie au message) de cette nouvelle tripartition.
Au paradigme "riche" nous rangerons le domicile du
gouverneur général, le bureau de Sogoma Sangui et le palais
de Fama. A "Pauvre" nous regrouperons bar-restaurant, bar
"chez Pédro", domicile de Djédjé, prison.
Examinons à présent les indices qualifiants sur la
base desquels s'est effectuée cette classification .
. Riche développe les idées de luxe et de
somrtuosité.
Bureau de Sogoma Sangui
Etres
"ses collaborateurs entrent, tous
dignement vêtus" (p.
ï3)
Oh jet s
L'intérieur du bureau : "grand luxe,
"magni fique cadre pour photographie"
(p.
69)

-
1 (12 -
Domicile dll GOllverneur général
Etres
: "Cocktail che: ~Ir le Gouverneur
Général.
Tenues très recherchées"
Cp.
116).
Palais de Fama
Symbole du luxe et de la somptuosité. Aucun
indice qualifiant dans le texte. Ce n'est
d'ailleurs pas nécessaire.
Pauvre : idée de misère et de vulgarité
Bar-restaurant
Etres : ouvrlers, petits employés.
Objets et cho~es : "table de fortune"
Ilgros vin"
"musique populaire
Cp. 79).
Domicile de Djédjé
"L'intérieur pauvre d'un pe-
tit fonctionnaire"
Objets
"table misérable"
"un vieux fauteuil"
"une chemise à repriser".
Prison
"En prlson là dans cette merde ? moi
Falikou Koné." Cp. 115)
Sociologiquement la prison est l'opposée
du palais et symbolise la déchéance et
la misère.

- le:> -
. Neutre:
sans confon::ltion particulière
cimetière
hauteur
Nous constatons qLLe les lieux neutres
Testent les même~ mais que dans les
deux principales classes Riche vs
pauvre il s'opère un déplacement. Le
bureau de Sogoma Sangui change d'état.
Il n'est dans le quartier populaire
que par nécessité. Sa place véritable
est sous le paradigme riche.
Il est
"deplacé", parce que mis hors cadre
d'une part; d'autre nart parce que
inadéquat à cet environnement.
1.3 - Topos Privé vs Topos Public
Cette opposition l'enVOle à la fois à la fonction
et à la fonctionnalisation des lieux. La ,fréquentation de
ceux-ci par les agents, leurs divers rapports constituent
les indices à partir desquels nait la d)"namique narrative.
Ils se répartissent comme suit dans L'oeil.
:
Lieux privés
Lieux publics
Domicile de Djédjé
Cimetière
Domicile du gouverneur
Hauteur
général
Bar-restaurant
Palais du Fama
Prison
Bureau de Sogoma
Sangui

1 li -1
-
Cette dichotomie originelle et définitionnelle
est remise en cause par la possibilité ou l'impossibilité
faite allX agents de pénétrer dalls les liellx. D'orl la quali-
fication en lieux ouverts ou fermés.
Ce qui signifie, en
d'autres termes, que des lieux privés par définition sont
violables tandis que, d'autres lieux dits publics s'avèrent
impéliétrables,
inviolables. Quelques exemples: certains
lieux publics (bar des quartiers populaires) accessibles à
tous par principe, ne sont pas fréquentés par Sogoma Sanglli.
Qui, hormis son bureau, n'accède à aucun topos des quartiers
populaires. Comme par une interdiction tacite. Les bars sont
le territoire du peuple.
Il y a aussi Tieffimba dont l'uni-
vers se réduit au palais. Cette non-fréquentation des lieux
publics par une partie des membres de la société nous amène
-.
à les nommer lieux publics fermés. Dans le même temps cer-
tains "sanctuaires" privés sont violés. C'est le cas du do-
micile de Djédjé ; pris d'assaut par les créanciers il se
transforme en lieu privé ouvert
: "Je ne peux plus respirer
avec tous ces types qui défilent avec leurs factures". (1'.92)
Quartiers résidentiel/populaires. Lieux pauvres/
riches; publics/privés, voilà l'univers et l'ambiance de
fond de L'oeil. Pourtant tous ces lieux ne "signifieront"
qu'en liaison étroite avec les agents. "L'espace ne prend
son sens qu'en fonction de l'usage qUI en est fait, du faire
qUI s'y déroule. Le faire, posé au niveau du contenu, exige
la présence au niveau de l'expression de personnes qui se

-
lOS
-
déplacent dans lin environnenicilt matériel
(1).
Aussi aU ons-nous b pYéscnt nolis intéresser aux agents et à
leurs mOllvements.
2 - Des Itinéraires au Signifié Textuel
2.1 - La brousse
le lieu supposé de la neutra-
lisation
50goma 5angui affecte,Gounougou en "brousse" dans
le but évident de le faire disparaître ou de l'anéantir. Une
affectation aux allures de représailles. La brousse s~gnifie,
dans le cas présent, la perte de tous les privilèges sociaux,
ainsi que l'éloignement de la "civilisation".
"Tu vas rentrer chez toi et préparer tes
bagages. Je t'affecte en brousse. Tu pars
demain matin."
(p. 69).
L'effet de cette punition dure peu car nous retrouverons
Gounougou plus loin.
2.2.- Koffi Kan ou l'itinéraire de la révolte
Petit employé
(chauffeur de Sogoma Sangui), Koffi
Kan est la principale victime d'une injustice qui le condui-
ra à la révolte. Son itinéraire part du bureau de 50goma
5angui, où nous rencontrons d'abord un être soumis et en
1 - cf. note 2 du chapitre: La con~uête de l'espace comme symbole de
liberté.

prolC ail d6scspoir
"Koffi Kan
Koffi Kan
Patron
Sogoma San~, regard très sévère. Du doigt, il fait signe à
K.K. d'approcher. L'autre s'exécute, bras
croisés sur la poitrine, lisant son destin
sur le visage du maître.
-
Je te croyais ma-
lin, toi. Je me suis trompé, lourdement trom-
pé.
(Il se dresse). Tu es
un voyou. Tu m'en-
tends? Un Voyou.
(un temps) c'est toi qui a
monté toute cette affaire.
Koffi Kan
, effaré.--Au nom de Dieu ... Patron ... Je
.
je
.
Sogoma Sangui, -
Tu connaIS Dieu, toi? Pauvre diable.
C'est toi qui as fait le coup et tu veux
mentir comme nn p?uvre diable.
(un temps).
Toi! C'est fini.
Je te raie de mes listes.
Définitivement. Encore que j'aurais dû te
foutre en tôle comme tu le mérites.
Koffi Kan
le désespoir se lit sur son vlsage.-- Mes
,
enfants ... Et mes petits ...
' -
m sIe ...
Sogoma Sangui, --Je m'en moque, mal, de tes mouflets! Des
fripouilles de ton espèce, certainement ...

-
HI7 -
Koffi Kan
, -
Au nom de Dieu, m' sié ..
Sogoma Sangui, -
sors de mail bureau.
A cet instant le désespoir de Koffi Kan commence
peu à peu à se transformer en révolte. Car il comprend qlle
l'horizon est bouché: "Koffi Kan ne bouge pas. La colère le
gagne. Tu veux sortir d'ici à coups de pieds dans le derriè-
re ? Tu veux que j'appelle la garde?
Un moment ils se foudroient du regard. Va-t-en.
Va-t-en. -
Dehors !
Cc' est presque un hurlement.).
Koffi Kan. - - Tuez-moi, Sogôma Sangui, Tuez-moi!
Cpour la
]1remière fois il appelle son patron par son nom)
Je ne
sors pas d'-ici.
Sogoma Sangui.-- écument.-- insolent!.-
Koffi Kan fait une
moue
dédaigneuse et sort
après avoir adressé à son chef un long "tchrô ..
la .. A
"
o ...
Tu le regretteras Nigaud
Koffi Kan, braillant dans le couloir. -
Toi aussi, tu vas
vOlr
Espèce de Sôgôma Sangui ! Dieu est
grand ...
Le point de départ de la quête de Koffi Kan coîn-

-
IllE
-
cide avec son rCllvoi injuste. Le bureau de Sogoma Sanglli
.
"
représente à ses yeux le lieu de l'injustice sociale, de
l'8rbitraire.
Tout comme pour GOllgounou dont l'affectation
est aUSSI injustifiée. Au point B de l'itinéraire de Koffj
Kan campe le restallrant-Bar Cp.
79), Koffi Kan n'y est pas
physiquement présent, Mais on y parle de lui.
Indirectement
il occupe l'espace du bar avec Sogoma Sangui d'ailleurs.
L' expression "~lon petit -frère propre" d'un des interlocu-
teurs pour désigner Koffi Kan situe l'intimité de leurs liens
et partant l'identification avec lui. Ce bar-restaurant est
précisément celui où commence la quête des étudiants. Celle-
ci consiste en "un faire savoir" dont la cible principale
est la population (les ouvriers). Le sujet "étudiants" veut
"faire savoir" à l'anti-sujet "ouvriers" sa force, sa capa-.
cité: "c'est tout de même incroyable, vous autres
Qu'est-
ce que vous avez à redouter ce mécréant, à le louer, à le
faire passer pour une divinité? Sôgôma Sangui, c'est un
gouverneur comme un autre, bon sang! Et un gouverneur, c'est
un homme comme vous et moi
Je me demande ce qu'il a de si
particulièrement terrible."
Le restaurant-bar est aUSSI le point de départ de l'itiné-
raire du peuple.
Peuple, étudiants, Gounougou et Koffi Kan transitent par un
second bar "chez Pédro" .
........ . ."'

-
1 nII -
Ce trafic peut se résumer aInSI
Gouno~
- - - - - - - - > . Bar "Chez Pédro ----~ - - -
Bureau de
Sogoma San gui
Koffi Kan
Restaurant-Bar
------~
- - - - ~
----~ -'----
Transit indirect
Bar
Bureau de
. Chez Pêdro"
Sogoma Sangui
Peuple
Bar "Chez Pédro"
- - - - - - - - - ; - > .
-> . -------
Restaurant-
Bar
Etudiants
Restaurant-Bar
Bar "Chez Pédro"
- - - - - - - - - - ' - > .
-> - -
Tous ces itinéraires transitent nécessairement par
le bar "Chez Pédro". Les bars ouèrent ici comme lieu de ral-
liement, de bra~sage. Lieux ouverts, qui symbolisent l'hété-
rogénéité, le mixage.
La composition sociale Hétéroclite (ouvriers, étudiants, fonc-
tionnaires, intellectuels), ainsi que la langue utilisée
(langue du peuple) confirment ces lieux dans leur fonction de
topoi de rassemblement de compromission sociale et de commu-
nication. On y communique avec et à l'autre; avec, parce

-
110 -
qu'on discute entre clients; à,
lorsque les étudiants ten-
tent de communiquer leur ferveur r6volutionnaire ail pellple.
Nous reviendrons plus. tard sur la suite de ces itinéraires,
qui aboutissent tous all domicile du gouverneur général.
POLir l'instant nous nous intéresserons à d'autres destinées.
Celle de Sogoma Sangui d'abord puis celle de Djédjé.
2.3 - Le paradis passe toujours par l'enfer
L'itinéraire de Sogoma Sangui est le plus chaoti-
que. Parti d'un bureau dont le luxe nous a déjà été décrit,
il traverse le palais de Fama, lieu clllminant de la somp-
tuosité. Et contre toute attente, il rebrousse chemin, dans
un parcours à contrario. Du Sllmmum il culbute aux enfers,
dans les abîmes présagés par son passage au cimetière et
confirmés par sa chute en prison. Lieu de la mort physique,
de la dégénérescence, du pourrissement charnel, le cimetiè-
re symbolise la bassesse d'esprit, la vilenie et le manque
de scrupules de cet homme. Sa mort et sa déchéance sociale
et économique consécutives à son emprisonnement y sont aus-
si inscrites. Cette étape de son itinéraire est très impor-
tante. Car la prison est le lieu présumé de la réflexion, du
répentir "le labyrinthe punitif" qui oblige à descendre en
soi dans le but de devenir meilleur - Et Sogoma Sangui n'é-
chappe pas à cet instant de doute: "Après tout,
- dit-il -,
ils ont raison et
je suis certàinement l'homme le plus idiot

de m~ géTlération. qllC ne suis-je demellré dans cette opnosI-
tion doet rinale qui fit naguère ma renommée?
..
lJ~ns quel
guêpier notre paU\\Te Afrique s'est-elle fourvoYée ? ..
Et
di r e que j' a i t r uq u é leu r co e ure t leu r es p rit." (p.
1 15) .
Ces paroles de répentir auraient pD faire croire au réveil
du "I\\oné-la-foudre, le ténor des ténors aux jours des con-
grès épiques." (p. 1151. Hélas la "voie du salut" que choi-
sit notre personnage est celle du Koné "pourri mais tran-
quille et content." Il renaît de ses cendres, plus "Duissant"
et plus nourrI
qu'auparavant.
Et cette renaissance coînci-
de avec son arrivée au domicile du gouverneur général.
l'l'lAÙ i)E FA Hf-\\

;>i)KiCiL~.l>iJ (yi)l'v'él'.lJ/::Ue.
o
(~E NE f'iI L
~

CIl-iETIEI<{;
/===~)La (~fetb'i QAJ().h'~
<
la. (e ('\\'~ rJ{"e IIQ r5
te> ci ",es. ,
Le personnage de Soroma Sangui fait équipe avec celui de
Djédjé. Nous allons voir nourqlloi.

-
112 -
2.4 - Lê' sélcri(ice de l'oeil élU dieu "Argent"
L'oeil d' Amélrli est le vecteur rlircct ionnel princi-
pal de tous les mouvements topologiques de la pi~ce. Il con-
ditionne tous les déplacements et dirige les quêtes de l'en-
semble des agents. Plus Gue tout autre, Djédjé trouve en lui
la manne salvatrice. Qui le conduira de sa maIson du faubourg
populaire au domicile dl] gouverneur général, dans le quartier
résidentiel. L'oeil d'Amani est un véhicule ultra-rapide et
sûr qui propulse Djédjé dans un autre monde (celui de l'ar-
gent et l'opulence). C'est aussi le sacrifice sur l'autel du
dieu "Argent". Une sorte de chemin de croix qui succ~de 11
l'errance vaine ("rien ( ... ). Je ne sais plus combien de dé-
marches j'ai effectuées. J'ai fait toutes les boîtes. Rien!
Partout la même arrogance, le même écriteau
Pas d'embauche),
au doute, à l'humiliation -
(je ne veux pas revenIr sur ces
choses -1 à, Dj ango .. , c' e st une honte). Et de ce chemin
de
croix sortira la lumi~re. L'oeil porte Djédjé dans sa quête
du bonheur vaille que vaille, comme le montre bien le schéma
et les commentaires qui suivent ..
2
,licile de
1
djé
-
- - - - - ,
" - , -
"
.
l '
-
Bar
"Chez
3
Péciro"

-
Il 3 -
Le- temps 1 est celui du conditionne-ment -
(J1jango
:
on a
ell lIn premier rendez-vous.
Je crOIS que j'ai r~ussi h tra-
vailler s~rieusement le gars. On se voit demain, et je croIS
que ça ira., ,"
Le temps Z est celui du doOt~ de l'incertitude. Djédjé at-
tend avec beaucoup d'impatience.
Le temps 3, instant de la cueillette pour Django, et du dé-
part vers son nouveau destin, pour Djédjé : "Tu veux donc
mourir dans ce trou que tu aTlpelles ta maison, Djédjé ? ( ... )
Tu hésites (, .. ) Mon seul malheur, c'est de n'avoir nI fem-
me, ni soeur. Je l'aurais moi-mème vendu, cet oeil, en quel-
ques secondes. Et jamais je ne me serais amusé à commettre
la bêtise que je commets en ce moment
: être pauvre soi-
même et supplier un écervelé qui refuse de s'enricllir ...
pour rien ... Non: ça ne t'intéresse pas ...
Djédjé subjugué';' dans un souffle -
OUI.
(p. 105 )
Après la conclusion du marché Djédjé retourne une
nouvelle fois chez lui; cette fois en vue de s'assurer le
véhicule de sa quête.
Il s'empare de l'oeil d'Amani d'auto-
ri té
: "Je t'étripe si tu continues à me résister ....
( ... ).
J'en ai marre de cette vie de misère. Je veux vIvre, mal
aussi, m'entends-tu? Je veux VIvre, comme les autres. Ce
soir même, un homme viendra te prendre. Il t'emmènera loin

1 l ,1
-
d'ici cn Amériquc pour qu'un docteur t'arrache l'oeil. lln
lc rel11placera plu" tard puisque nous ~('rons l'lillionnaircs''
(p, JO'»)'
Ce retour de njéc1jé 11 son domicil(' l'larque aussi la
divergence de parcollrs avec les autre~. Car si, ~ l'instar
de
tous les personnages,
il va au bar "Chez Pérlro", 11 n' y
établit aucun contact avec les étudiants et les ollvriers.
Ils y évoluent parallèlement.
Son rôle de Topos de rallie-
ment est renié ou ignoré volontairement par !ljédjé qUI n'y
voit qll'un lieu public ouvert, donc accessible à tous,
La dernière étape de son itinéraire sera aussi le
domicile du gouverneur général; cependant il v arrIve seul,
signe de son individualisme et de son isolement.
Revenons quelque peu en arrière pour noter que,
comme Sogoma Sangui, Djédjé passe par le labyrinthe punitif
- prison - "Tu sais comment j'ai été foutu à la porte de mon
boulot, puis jeté en prison ? •. ". Et ce trou noir, ce vide
spatial communément vécu scèle l'alliance précédemment con-
clue autour de l'oeil. Sogoma Sangui le destinateur (le com-
manditaire) de l'action ayant pour principal adjuvant Djédjé.
Amani, tête de liste des opposants -- l'lais sa canacité de
résistance est nulle
sera maîtrisée très rapidement et
disparaîtra à la faveur de son voyage en Amérique. Un voyage
dans l'autre monde pourrait-on dire.

-
11 S -
2.S - Le Topo~ de l'abolltissement divergent
Que retellir de tOllS ces itjnérairc~ ? Qu'ils con-
vergent tous vers un lieu unique, alors que les quêtes qUI
les y m~nent divergent profondément. Pour le pellple et les
étudiants elle s'identifie b la quête de la liberté et de la
justice sociale. Pour Djédjé, elle consiste en une quête de
l'argent et pour
Sogoma Sangui enfin elle se résume b la
quête de la puissance. Trois quêtes sur troi~ parcours diffé-
rents avec en point de mire un seul espace : le domicile du
gouverneur général (symbole polvvalent de la puissance, de
l'argent et de la misère.). Pour Djédjé et Sogoma Sangui
c'est un lieu d'ancrage positif. A ce titre son maintien
est vital et signifie pour eux sécurité et puissance. En
revanche, pour le peuple et les étudiants, il symbolise
l'ancrage négatif, d'où la nécessité de sa disnarution.
Au point culminant de l'action, l'espace s'amé-
nUIse et se réduit à ce seul lieu. Tous les agents v sont.
La scène s'y déplace en totalité. Ce lieu de convergence
est transformé en topos d'affrontement. Espace nrésumé de
la réconciliation (Sogoma Sangui-gouvernants-Djédjé : "- au
nom de Fama et en mon nom personnel, qu'il me soit permis
de placer cette fête de famille sous le signe de la récon-
ciliation ... ") ; il dégénère en topos assièp,é. Le peuple
y
accule les gouvernants, les confinant par une espèce d'as-
phvxie spatiale dans leur propre territoire -
"la peur

1 1li
-
s'inst:llle chez les im'ités. ~Iais Oll fuir ?". L'esjl:lce jus-
qu'alor~ truqué par eux
vol, mcnson~€'~, eXl'loit:ltion.
('.' ... c'cst nous! pOlir la pillX des autrcs, pour la joie
des autres, pour leur sommeil de rêves dorés, vous voici,
travaillellrs matinaux, gravissant
de vos mains qlli sai-
gnent. ..... Non!
Nous ne mourrons pas de cécité ... ") -
Se
mue en espace tronqué.
Ils cèdent du terrain aux insurgés
et s'enferment dans une enceinte, devenll pour eux prison,
et o~ le peuple les traquera jusqu'à l'asphyxie complète.
Et ce, malgré l'interposition, entre les deux espaces, d'un
mur aux mille panoplies
(symboles de la répression, de la
corruption et de la ~uissance : étuis de revolvers, ceintu-
l'es de policiers, casques, képis, bottes ... chéquiers ... ).
Seule la détermination du neunle de violer le sanctuaire de
0';

-
l'autre prédomine
: "La foule se crispe, se ramasse et s' é-
branle vers la panoplie qui s'élève,
s'élève à mesure que la
foule a\\'ance." La conquête de la liberté se résume en la
l'l'ISe d'un bastion occupé nar l'ennemi. Le peuple veut faire
éclater l'espace, et pour ce,
il faut en chasser l'autre, il
faut "vaincre l'espace" (p.
121).
2.6 - L'espace protecteur
L'espace de L'oeil ne sera totalement criconscrit
que lorsque nous aurons retracé l'itinéraire de DjaDgo, su-
jet chargé de fournir l'objet de la quête.
11 se meut dans
un unIvers flou et insaisissable: "Quelque part. Un jeune

-
Il i
-.
hommC' dC'~ fauhourgs C'st a~~i5 sur' unC' hautC'ur." Son quartil'r
g6n6ral, contrairemC'nt à cellX dC's alltre5 pC'rsonnafC'5, C'st lin
lieu ouvC'rt.
Nous sommes sur un espacC' g60granhique non b5ti,
dont la caractéristique principale tient à son élevation. ne
là, notre héros dirige le bal1et qui se déroule sur la scène
d'en bas. Chef d'orchestre omniprésent autollr duquel se tra-
ment tOLites les transactions
; il ne descend de son promon-
toire que pour négocier l'objet de la quête. Son itinéraire
de mission s'articule en trois points: la hauteur, le domi-
cile de Djédjé, le bar "Chez Pédro".
domici\\e de
Pédro"
Djédjé
Cet itinéraire rompt l'harmonie directionnelle
précédemment établie.
Ici, le point de mire n'est plus le
domicile du gouverneur général. Cette divergence d'aboutis-
seme nt appelle deux constats déductibles l'un de l'autre:
- Django n'appartient à aucune des tendances en
conflit.
11 en représente une autre:
celle des marginaux.
Le langage argotique utilisé par Django et Gringo, signe de

-
1 1~
-
reconn:1l5sance et de raIl i cment, constitue un autre' él ément
de leur marginalité.
- Django demeure au-dessus de la mflée
; cOllrroie
de transmission, il se sert des deux parties en présence
sans jamais se découvrir. Ses rapports avec Sogoma Sangui
nous sont révélés par Koffi Kan.
Car il n'y a pas de rencon-
tre directe entre le de~tinateur CDjango) et le sujet ou
commanditaire CSogoma Sanglli). Django demeure insaisissable
à
l'image de l'espace qUI le porte; au point que nous arri-
vons à une identification espace-personnage.
Il en résulte
que le topos qui porte le destinateur le soustrait -
de
façon IT,étanhorique -
à la vindicte publ ique.
La superposi-
tion espace-personnage nartici,)e
très fortement à l'identifi-
cation fonctionnelle de Django.
Le personnage s'intégre au
symbolisme de son esnace ambiant.
C - L'ERRANCE OU LA QUETE DE LA LI BERTE
Il nous faut distinguer ici deux nIveaux dans la
distribution spatiale: un nIveau purement dramatique
dit
de représentation scénique - , et un niveau lexical
éma-
nant du discours tenu par les personnages et qui se réfère
à l'espace hors-scène.

-
11 9 -
J -
L'ESPACE ilE LA REPRESE'iTATll~\\
Si dans L'oeil
spécification et corrélation des
lieux donnent
à l'espace son sens véritable; si
dans Fer de
lance espace et temps s'expriment:l tr~\\-,'r, un signifiant uni~
que; dans Les sofas, a contrario, banalisation et simplifi-
cation sont les maîtres-mots régissant la configuration de
l'espace scénique. Dans ce texte, Bernard Zadi Zaourou au
lieu d'ériger des lieux géogranhiques spécifiques, s'effor-
ce d'installer les agents dans un univers
impersonnel
oG
seule l'armature extérieure (l'enveloppe) est prise en comp-
te
-
"le peuple sur une place; les 50ukalas, quelque
part; Siguiri, l'arrière-cour du palais, la place publique-.
Cette sobriété descriptive répond au désir de Bernard Zadi
Zaourou de réleguer au second plan le topos scénique, visant
ainsi à son annhililation
; car nous verrons en second point
d'étude que dans Les sofas, l'élaboration détaillée de Topai
particuliers ne s'impose pas. Par conséquent leur choix re-
lève du svmbole. En effet pour Bernard :adi Zaourou "L' oeu-
vre s'organise toute entière autour d'un fait divers.
Le
châtiment d'un fils indigne par son père. Et c'est un hasard
si le père a non, Samory et le fils Karanoko. Par delà ce
fait divers ... il Y a l'Afrique, son draT'le ... " (1).
Il res-
sort de cette citation que les toponymes et les Topai sont
(1) Bernard Zadi ZAOUROU
in Les sofas suivi de L'oeil.
EditJons L'Harmattan, Parls,
1979,
P.
13.

1 2(1 -
allssi circonstanciels qlle les anthroponvmes Samar" et
~aramoko. Nous sommes dans un csnace sc6nique pllrement fi-
~uratif. Toute la rort~e spatiale de la pièce réside dans
l'espace non-représenté auquel font allusion les personna-
ges dans leurs interventions.
II - L'ESPACE HORS-SCENE
L'espace hors-scène prend corps au tableau l,
lorsque l'un des personnages nous expose les ralsons de la
guerre future
: " .... certains de nos voisins [Jactis.ent
avec les blancs et les encouragent à piller notre [Jays. Les
blancs eux-mêmes, malgré les terres que nous leur avons cé-
f'
,
dées, se montrent insatiables et rêvent ... "/p.('
J. Au-
delà de l'espace figuré, une lutte à mort s'engage autour
d'une revendication spatiale plus vaste. Le problème se pose
en termes de tronquage et de truquage d'espaces vitaux;
Samory se lance dans une guerre dont les objectifs se résu-
ment en conquête et reconquête d'espaces. Et la tactique de
guerre tiendrait en deux mots : mouvement et mobilité. Afin
d'éviter à tout prix de s'enfermer, de s'emprisonner: "
\\ous ne devons donc pas répéter l'erreur d'Hamadou de Ségou
et nous enfermer dans une citadelle.
Ils la broieraient. Le
seul moyen de paralyser cette arme redoutable, c'est de les
obliger à courir les plaines, malS suivant un itinéraire
que nous aurons choisi, nous. Notre salut réside dans l'ex-
trême mobilité de nos troupes .. . ". Enfermement, courir, mo-

- J 21 -
bil it~, citadelles, plaines autant de In'mes judicieusement
choisis et qlli marquent bien le conl~IC: lihert6-sollmission
(esclava~e). La fuite-départ de Samory vers des espaces 011-
verts (plaines) constitue la seule échappatoire, la voix du
salut face à un ennemi implacable,
La plaine offre à lui et
à ses sofas
(des gens dont le véritahle universel
spatial
se nomme liberté et refus d'asservissement -), un espace
ouvert, synonyme de liberté et de voyage vers d'autres es-
paces. On n'est donc pas surpris de constater que Bernard
Zadi Zaourou ne retient de 1 'histoire que l'acte d'héroïsme,
dédaignant volontairement la conclusion historique de cette
guerre (défaite et exil forcé de Samory). De l'Histoire et
de "L'errance" du peuple mandingue Bernard Zadi Zaourou re-
tient surtout le refus de soumission et la lutte farouche
pour la liberté
comme le confirme la devise du mandingue
"plutôt la mort que l'esclavage".
Au terme des analvses,
il se dessine une tendance
générale de l'espace dans l'univers imaginaire de Bernard
Zadi Zaourou. Les trois oeuvres s'organisent autour du même
thème: la libération de l'espace comme condition première de
la 1 iberté et du bonheur. A l'origine de cette nréoccupation, nous
trouvons la falsification préalable de tous les espaces vi-
taux doublée d'une menace d'asphyxie. Partollt nous rencon-

1 '1:>
_
trons des esp3ces souillés, truqués ou tronqués.
Et la tâ-
che essent ie]]e de nos héros, dans les trois oeuvres, con-
siste à les aseptiser, à les stériliser afin de les rendre
viables. Bernard Zadi Zaourou associe irrémédi3blement li-
berté existentielle,
politique à liberté spatiale
condition
siné qua non nous rappelant qu'espace et individu vivent
et s'organisent dans une interdépendance totale.
Après avoir circonscrit l'univers d'évolution des
différents personnages
nous encllainerons sur une étude
anthroponymique qui comptera la caractérisation des agents
ci-avant ébauchée.

-
1 2~ -
CHAPITRE
11
LORSQUE NOMMER C'EST SIGNIFIER
Les antJlroronvm~s sont charg~s originellement de
notifier l'ancrage socio-culturel d'une oeuvre.
Ils consti-
tuent avec les toponymes le facteur d'enracinement ethnolo-
gIque
le plus précieux.
11 arrive aussi que dans cette spécification de
l'espèce humaine l'anthroponyme soit investi d'un sémantisme
plus grand, et devienne un lieu de lecture privilégié.
Chez
certains peuples
(les peuples) africains
(par exemple)
il se
rattache d'une part à la hiérarchie sociale et d'autre part,
au rapport de l'homme à la nature. Etroitement lié au svstè-
me initiatique dins de nombreuses sociétés, il en demeure
l'attribut externe.
En d'autres termes, la relation de l'être avec
l'anthroponyme relève de la psychologie sociale. Seul le
"baptême" donne sa valeur et son poids social à l'individu
qui n'existe que parce qu'il se sent "qualifié". C'est pour
cette raison que le nom donné à la naissance est considéré
comme sobriquet et arbitraire
ayant été attribué sans le
consentement de l'être existentiel du nommé. D'où le pouvoir
et le devoir qu'il a de le changer, le moment venu. Car seul
l'anthroponyme librement choisi "créé" l'homme. Avant
ce
choix il ne peut être admis dans la société des hommes où

-
1: ,1
-
son "être" n'est p~s soci81elllent reconnu: ,'he: les B~ss~ri
(1) r~r exempl (' "en gr8ndi sS:ll1t, l' en f~nt ser8 8ppe1 é p~r un
Sllrnom Oll sobriqllet qui lui est donné p~r S8 m~re,
ses fr~-
res et soeurs ou ses c8mar8des. Un garçon g8rdera ce nom .ïus-
quà son initiation, rite de p8ss8ge
( ... ) qui le fera 8ccé-
der à la société des hommes. A p8rtir de ce moment il ne
sera plus appelé par son sobriqllet mais par son nom d'homme
qu'il aura choisi pendant l'initiation (2).
Il n'y 8 n8is-
sance véritable, accord au monde et aux choses, accept8tion
de soi-même, reconnaiss8nce par les autres que lorsque l'in-
dividu subi l'épreuve initi8tique
au cours de celle-ci il
s'affirme en tant qu'être social, en harmonie pleine
8vec
le monde intégral. De la même manière le n8rrateur de Fer de
lance se nomme et ce, en fonction des situations:
"lui seul et moi, Doworé
Moi Dinard Nal<ayou, l'oeil du jour patience
aux fesses de pierre." (p.
5)
Ainsi le nom va au-delà de la simple nomination et
"porte" l'individu, au lieu d'être simplement porté par
celui-ci. Aussi l'on change (-t-on) de nom au fil du temps
et au gré des événements.
Ils sont de circonstance et la
- Peuple de la Guinée et du Sénégal.
2 - ~1arie-Paule FERRY : in "les noms des hommes et des mas-
ques· oriental" in lang8ge et cultu-
res africaines, éditIons françaises
~laspéro Paris, 1977, p. 85 .
• chez les Bassari du Sénégal.

-
1 2S -
constance en la matière n'a pas de sens: "on change de nom
comme on change de classe ... "
(1). Et Dinard ~a"avou suit le
mouvement
:
"nomme:-moi Didiga - grand - soleil - des -
- temps - d'hivernage" (Fer de lance
p. 19).
Il peut encore devenir
"Didiga-tourment-des-ombres-fortes"
"
(P. 19 Fer de lance).
Au plan purement littéraire, l'anthroponyme tient
également de l'esprit imaginatif et inventif de l'être. Car
il s'utilise pour ironiser, fustiger, ou vénérer.
Il demeure
un langage ouvert où l'imagination a pour seules limites
celles fixées par le créateur lui-même.
Voilà brièvement tracé les caractéristiques géné-
raIes qUI régissent la création des anthroponymes, dont ceux
utilisés dans les oeuvres qui nous intéressent et auxquels
nous consacrerons singulièrement la suite de nos propos.
Ils
se regroupent en deux classes principales : les noms-images
d'une part et les noms régis par le code initiatique d'autre
part. Nous verrons d'abord comment, dans la première classe,
1 - Marie-Paule FERRY, Op. cit. p. 97.

les anthroponymes sont conditionn~5 p3r le d~sir d'identi-
fication
(morale, physique). Les noms s'v apparentent à des
radiographies, imaginaires ou réelles des personnages. Nous
tâcherons ensuite
d'appréhender le caractère de clé-initia-
tique et d'épreuve-test de la seconde classe d'anthroponymes.
A - LORSQUE LE NOM S'IDENTIFIE AU NOMME
Les noms traduisent majoritairement des traits de
caractères moraux ou physiques de personnages. Décalque exa-
géré de ces traits, ils constituent des radiographies an-
thropomorphes : "SogoJ'la Sangui a té môkô klé bôgô ;"
(P. 80
L'oeil). Traduisez
: "Pluie du matin ne bat pas un seul être".
Notre gouverneur de quartier (Sogoma~angui) n'a d'égard
pour personne.
Il est à l'image de la pluie. Métaphore sai-
sissante qui montre que la méchanceté habite Sogoma Sangui,
fait partie de sa personne (Findjougou
méchante chose), le
chosifie
et
l'abétit.
(Koné Falikou
Kon~ queue de
cha-
cal.) L'anthrononvme
devient
l'exutoire
de
la
haine
et
se gonfle
de
toute
la
hargne
et
la
violence
de
ce-
lui qui nODme.
Il demeure aussi le lieu privilégié de l'humour:
Gounougo un nom, aux consonances harmonieuses mais lourdes,
son effet redondant excite l'imagination du lecteur et sus-
cite l'image précise d'un être lourd et gauche.

-
1 27
-
Django, Grin!,o, Pédro ; des noms qUI sont une pa-
rodie à peine voilée des westerns américains. Bernard Zadi
Zaourou exploite littéralement et ironique~ent
l'impact
d'un certain cinéma américain Sllr la jeunesse ivoirienne.
Tieffimba (homme noir et gros),
ICI nous entrons
dans l'humollr noir, avec ce portrait peu reluisant.
Yahweh - Dieu - d'impiété, voilà un nom qUI au
lieu de déifier tend à culpabiliser Dieu et à montrer l'a-
mertume et la désillusion du croyant.
Pendant qu'il dénomme les autres, ce héros n'ou-
blie pas de se nommer lui-même et c'est ce que fait notre
héros: * Moi Dinard Nawayou, l'oeil du jour et patience aux
fesses de pierre.
* Didiga - tourment-des-ombres-fortes
* Didiga-grand-soleil-des-temps
d'hivernage.
Ces anthroponymes laudatifs lui procurent la force
et la foi nécessaires à l'accomplissement de sa tâche.
Il
les utilise aussi comme arme d'intimidation contre l'adver-
saire. Sémantiquement deux des noms empruntent leur lexique
à la nature
(pierre, soleil, jour, hivernage, temps.l. Ici
s'amorce déjà l'usage de la métaphore comme nous le verrons
avec plus de précision dans la seconde partie.

-
1 ~ ~
-
B - CLES POUR INITIES
Nombreux sont les anthroponymes à ranger dans cet-
te partie où la symboliqlle et la métaphore doivent être con-
sidérées comme éléments d'approche et d'intégration du sys-
tème social en place. "C'est ... un moyen par lequel
(on)
établit des relations avec son entourage,
Le nom d'homme
provoque des relations avec les classes d'âges, le nom de
masque met en relation avec les femmes".
(1), et avec l'uni-
vers tout entier (car le nom de masque met aussi "en rela-
tion avec un système
,
différent de celui de la société humai-
ne").
Ceci crée des réseaux relationnels entre niveaux so-
claux ou univers différents. Et, Bernard Zadi Zaourou, sur
tette base, établit à partir de certains anthroponymes un
réseau de relations qui s'inscrivent dans les rapports tex-
tes
(par auteur interposé) - lecteur. Le texte se constitue
en chaîne dont chaque maillon, minutieusement noué, est une
clé. Par exemple, la mention des anthroponymes Kaïdara,
Nomma et Ogotommêli dans Fer de lance, nous invite à une
lecture connotée (et de degré supérieur à zéro) qui se réfè-
re au mythe Dogon de la création du monde et au concept
philosophique du savoir chez les peulh.
Au-delà de l'évoca-
tion de ces noms, il faut lire des messages philosophiques
ou politiques auxquels seuls notre nIveau de connaissance et
notre culture nous permettent d'accéder.
1 -
Marie-Paul e
FERRY,
Op. ci t.
pp.
98, 99.

-
1 29
-
"Kaidara
Kaidara-dieu
je ne sais heures plus succulentes et plus
vraies h l'esprit
Que celles passées à lire dans les yeux de
Kaidara dans le coeur de Kaidara
A s'abreuver de la seule vérité véritable-
ment digne d'être
Vécue"
"Ne comprendra jamais mon chant mystérieux
celui-là qui n'était pas à Boribana !"
Nous avons là une phrase dont le sens et le poids
reposent sur le toponyme "Boribana". Le message de Bernard
Zadi Zaourou y est clairement visible.
Et, la relation du lec-
teur avec les anthroponymes suppose une complicité préala-
ble, sur la base de "je sais de quoi tu parles, je saIS ce
que tu sous-entends et je sais où tu veux en arriver." Les
noms sont des codes, des mots de passe qui constituent les
maillons de la chaine qu'est le poème tout entier. Le lec-
teur averti - initié - accède, grâce à son érudition,
au
décodage final de cet engrenage nommé texte.
Le système anthroponymique mIS en place par
Bernard Zadi Zaourou joue simultanément sur plusieurs plans.
C'est ainsi qu'un autre circuit nominatif s'organise autour
de la mé'taphore. Qui introduit "l' unjvcrs pm'allèle" dans l'u-
nivers humain. Le constat de Marie-Paule Ferry selon lequel

-
1:;0 -
"le nom de masqlle met en relation l'homme ... avec un système
différent de celui de la société humaine" se vérifie dans
Fer de lance. "L'univers parallèle" s'inspire des mondes
animal et cosmique. Le règne animal nous permet d'affirmer
du même coup que nous entrons dans un univers initiatique à
l'instar des contes et récits initiatiques subordonnés au
"diktat" animalier. Ces métaphores sont aussi le privilège
d'une minorité, d'une élite symbolisée par Gbazza Madou
Dibéro, le maître du chant sifflé,
tour à tour oiseau my-
thique, Dazô Wueudj i, pluie diluvienne, Zoguéhi-le-caméléon,
moire vivante, perle.
La métaphorisation et la sublimation sont reser-
vées aux dieux CKaîdara-Dieu)
aux élus des dieux, les hé-
ros de l'histoire,
CGbazza Madou Didéro), et sont accessi-
bles uniquement aux initiés qu'ils sont.
L'ancrage culturel et géographique quasi inhérent
à tout anthroponyme se double parfois d'un investissement à
vocation littéraire et ludique. Bernard Zadi Zaourou en
créant des anthroponymes aussi expressifs et suggestifs don-
ne Vle à ses personnages. A travers le système nominal trans-
paraît l' amb iance des textes.
I l est le lieu d'un investis-
sement sémantique important. Humour, amertume, haine, éru-
dition
s'y 1 isent aisément. Et les luttes et les guerres se
font à travers lui. Un anthroponyme sera de préférence valo-

ris3nt pour l'allié ou celui qu'on aIme bien; dépréciatif
et ridiculisant pour celui qu'on hait ou qll'on veut gêner.
Au total, les anthroponymes doivent être considé-
rés comme une classe d'embrayeurs et d'indices informants.
En tant que classe d'embrayeurs ils opèrent comme
des codes qui renvoient toujours à une situation de message
Et comme indices informatifs, ils "impliquent et annoncent
"le récit dans son ensemble" : Didiga - tourment - des om-
bres - fortes", présage du déroulement du récit.
C - CATEGORISATION ET FONCTIONNEMENT DES ANTHROPONYMES
Pour finir, nous nous sommes livré à une classi-
fication commentée des différentes sortes d'anthroponymes,
en essayant surtout de cerner le mécanisme de fonctionnement
de certains d'entre eux.

/
-
1:; 2 -
Les Anthroponymes en
Les Anthroponvme~
Les Anthroponvmes
trompe-l'oeil
historiques
rhiIo~(\\nhiques
Sogoma Sangui
Tierno Bokar
Kaidara
Gounougou
Toussaint Louverture
Koffi kpékpé
F indj ougou
Dessalines
Gbaka Lekpa
Findjougou môkôdjougou
Chaka
\\l'ai de Yacolo
Dj ango
Samory
Ogotommêli
Gringo
Babemba
Nommo
Tieffimba
Gbeuli de Galba
Falikou
Séka Séka de Moapé
Zénon d'EIée
Lumumba
Ziri
}-----------------', Ar chi n a rd
Les anagrammes
Lieutenant colonel Frey
Zeus
Dinard Nawayou
Mory Fin'djan
Mézis
Mamadou Lamine
Kawmé
Saba Tigui
Dasypeltis
Galliéni
Karamoko
Bâmousso
Binta
Cette liste n'est pas exhaustive malS représentative des di-
vers courants anthroponymiques qui traverse l'oeuvre de
Bernard Zadi Zaourou dans son ensemble.
Notre commentaire s'attachera à deux classes essen-
tiellement : les anagrammes et les anthroponymes en "trompe-
l'oeil", les autres classes présentant peu d'intérêt pour
nous.

- 1:;:;.-
1 - Les Anagrammes
Ils servent à la dissimulation de la vraie identi-
té d'un personnage ou d'une personne. Par exemple Dinard est
issu de la contraction des syllabes finales de Zadi et
Bernar~. Or voilà que certaines constructions d'anagrammes
se traduisent en parodies d'anagrammes. L'anagramme Ka~~é en
l'occurrence prétend dissimuler le nom K~amé. De cette
"fausse feinte", Bernard Zadi ressort tout le ridicule de la
censure qui oblige les écrivains à utiliser des paravents et
des subterfuges.
Il semble dire, que quel que soit le degré
de censure le message reste toujours lisible et ne peut en
aucun cas être censuré. Car quelle différence v a-t-il entre
Kawmé et Kwamé ? D'ailleurs Zadi pousse l'ironie au raffine-
ment. Car si, d'une part il "s'évertue" à maquiller le nom
de son personnage
d'autre part il utilise paradoxalement
des toponymes qui donnent au lecteur - à supposer que cela
fut nécessaire - des éléments de décodage (- Ghana- Accra -).
A la limite, on peut s'interroger sur l'efficacité de l'ana-
gramme Ka~~é, vu que Zadi nous livre la clé de "l'énigme" en
livrant le surnom politique du personnage: "OSAGYEFü". Dès
lors l'anagramme devient caduque.
Il ne cache plus que
des
montagnes.
2 - Des Anthroponymes en "trompe-l'oeil"
Les anthroponymes de cette classe appartiennent

-
13 <1
-
ALi r~rertoire national.
Ils naissent de l'imagination POI'U-
laire alitant que de celle de Bernard Zadi, qlli met ~ profit
sa connaissance des langues du pays et son sens aigllisé de
l'humour pour saisir les personnages dans leurs traits mo-
raux et physiques g~néraux les nlus saillants. Cette appro-
che présente deux avantages :
- Elle évite à Bernard Zadi Z. toute désignation
compromettante et soupçonneuse parce qu'a priori il s'agit
de caractéristiques susceptibles d'appartenir à n'importe
quel individu.
- Elle génère des anthroponymes porteurs d'une
haute expressivité de signifié ou de signifiant et, ayant
une capacité de synthétisation qui évite des descriptions
détaillées. Findjougou, Môkôdjougou, Tieffimba, Falikou s'a-
dressent en priorité à l'imagination du lecteur. Gounougo
pour sa part, est vide de contenu sémantique. Seul l'effet
phonétique qu'il produit lui donne un intérêt. La rudesse et
la répétition du son (ou) produisent une sensation d'ironie
amère, renforcée par le vide sémantique du nom.
Ce style de dénomination s'inspire d'un fait de
société qui frappe notre jeunesse. Désoeuvrée et en quête
d'idéal et d'émotions fortes les jeunes s'octroient des noms

de héros de films westerns am6ricains avec l'illusion de
leurs ressembler. Djanp.o et Gringo sont les éternels justi-
ciers imbattables de ces films.
Le passage de 1 'oeil relatif
à la rencontre Django-Gringo est subli~e dans son pastiche à
la fois du langage et des gestes. Bernard Zadi trouve ici un
terrain propice pour laisser courir son imagination et son
esprit de créativité.

- 13(, -
CHAPITRE III
LES PARADIGMES DE LA SURDETERMINATION
Nous venons de VOIr comment, entre alltres nhénomè-
nes,
la métaphore investit les anthroponymes et constitue un
outil d'intégration de l'individu au système social et à
l'univers tout entier. Dans le présent chapitre nous nous
intéresserons aux rapports qu'entretient Bernard Zadi Zaourou
avec la métaphore au-delà du signifié littéraire qu'elle vé-
hicule. Nous partirons du principe que métaphore et symbole
sont deux notions indissociables dans leurs fondements théo-
riques. Car, d'une part nous considérons le processus méta-
phorique "comme lieu de la surdéterminatio.l" du discours (1)
et la métaphore comme "processus de substitution, de dépla-
cement"
(2) et, d'autre part la symbolisation comme stade
suprême intégré, c'est-à-dire systématisation, fixation et
institutionnalisation de la métaphore en vérité philosophi-
que.
Par ailleurs, Derrida voit dans la métaphore "un pro-
duit philosophique" que la métaphore elle-même ne peut
dominer dans la mesure o~ elle s'est produite ~à travers
l' histoire du langage métaphorique".
(3)
Les termes "lieu de la surdétermination", "pr.oces-
sus de déplacement", "de substitution", "fixation" sont em-
1 - Claudine NOR~~ND in ~létanhore et concept. Editions Com-
plexe, 1976, p. 14.
2 -
Id. p.
16.
3 -
Id.
p.
17.

pruntés il la psn'i13nah'sC',
SCIence il laquelle nous recourons
en priorité au long de ce dévelonnement.
Il y sera Sllrtout
question de s'interroger sur la surdétermination, l'inves-
tissement de l'oeuvre nar 1a "nensée imageante" du créateur. (l)
Notre hypothèse de travail sera
celle avancée par
C. Normand (2). Analysant la métanhore dans ses rapports avec
l'inconscient d'un point de vue 'ls\\'chanahtique,
elle termine
son exposé en ces termes : "le problème devrait alors être
posé autrement, peut-être en termes de fantasmes" (produc-
tion imaginative) "lieu de rencontre de l'histoire et du su-
jet, dans ses rapports au réel et au symbolique.
Ainsi la métaphore "apparaît c':Jnlme un des moyens
par lesquels se donne à entendre ce qui n'était pas destiné
consciemment à l'information ... " (3). Elle devient lieu
d'investissement du "non disable"', du refoulé, du discours
indirect, du transfert et du déplacement qui s'inscrivent
dans la question générale du "fonctionnement des processus
psychiques ( ... ) dans lequel le masquage, le gl issement (de
sens) se révèle comme le lieu même de son contraire : le dé-
masquage, l'apparition du sens, la connaissance à partir de
1 - Bernard Zadi ZAOUROU : La parole POéti1ue dans la poésie
africaine. DomaIne de l'Arlque de l'Ouest
francophone. Thèse de doctorat d'Etat. Uni-
versité de Strasbourg II. Année 1981, p. 490,
Tome II.
2 - Claudine NORMAND
Op. ci t. p. 44.
3 - Id. p.
42.
. /

- 1:;8 -
la méconnaissance
(dans l'i!1terprétation analytique)" (11.
Dans
une'
:ltltrc
approche'
de'
la
~0tapI10re', l'exp]ora-
tion de l'inconscient occupe une place prépondérante
é bran-
lant par ailleurs la conception traditionnelle qui pose le
sens métaphorique uniquement comme sens figuré par rapport à
un sens premier.
Bernard Zadi Zarourou adhère (en grande) partie à
cette conception lorsqu'il écrit "la métaphore comme les
symboles de premier niveau ( ... ) est passive par nature'_' (2).
C'est dire qu'elle relève toujours d'une analogie consciente
et motivée. "Ces métaphores, ajoute-t-il, ne détruisent en
rien les assises de ses mots
(auxquels ils renvoient) mais
exploitent tout simplement les qualités externes des réfé-
<
rents auxquels ils renvoient." Ils restent, pour ainsi dire,
à la périphérie du "sens premier".
Cette vision à un niveau
primaire annule l'existence du sens comme possible travail
de l'inconscient.
Il est certain que, si nous restons à ce
stade de la métaphore, elle demeurera éternellement élément
périphérique. Et B. Zadi semble en être conscient lorsque
très brièvement et sans grand développement, il ébauche une
autre vision de la métaphore. Notons au passage que les ter-
mes métaphores et symboles se chevauchent assez souvent chez
lui (du point de vue théorique).
1 - Claudine NORMAND, pp.
43 ; 44.
2
Bernard Zadi ZAOUROU : op. cit. p. 503.

-
1:'>9 -
Analysant les symbolcs, il les classe en dCllx ca-
tégories, et affirme que les premiers, "qui sont des symbo-
les logiquement explicables parce qu'ils exploitent les
qualités apparentes du sujet ( ... ), sont des symboles pas-
sifs". Quant aux seconds, ils sont "un autre type de symbo-
lisation arbitraire et dynamique ( ... ), inventent de nouveaux
rapports entre les étants." (1) Soit. Nous ajouterons cepen-
dant que l'immotivation des rapports ne relève pas seulement
du niveau analogique - qui se réduit à des rapports essen-
tiellement mécanistes et essentialistes. Ce que ne dit pas,
non plus, Bernard Zadi Zaourou nni, ce (lue nous pouvons ressor-
tir, c'est le caractère particulier des relations entre
l'auteur et le mot. Ces relations prennent racine dans la
mémoire de l'écrivain, et charrient toute la masse dite
,
refoulée qui "monte la garde" aux portes de l'inconscient.
Elle est prête à s'imposer à lui lorsqu'il décide d'exprimer
une pensée ou une idée.
Idée ou pensée dont il n'est pas
toujours totalement conscient. C'est cela qui justifie l'exis-
tence des disciplines, telle que, la sémiologie qui vont, à
juste titre, chercher dans les signes l'inexprimé
c'est-à-
dire: "le fond de la pensée".
11 est donc logique que dans le cadre de cette étude nous
nous interrogions sur le pourquoi des métaphores plutôt que
sur le comment de leur production. C'est ainsi que nous ver-
1 - Bernard Zadi ZAOUROU, Op. cit. p.
503.

-
14 0 -
rons dans un premIer temps comment à partir de paradigmes
construits autour de la métaphore animale le désir profond
ou "inconscient" de l'auteur se laisse entendre. Ensuite,
nous tâcherons de synthétiser cette approche en nous inter-
rageant sur les rapports entre la métaphore et le contexte
socio-politique dans lequel naisseht les oeuvres,
1 - La métaphore animale
Aucun domaine mIeux que celui du règne animal ne
traduit avec autant de justesse l'hypoth~se de travail émise
par C.
Normand et citée
plus
haut
(1".
L'importance de
la métaphore dans l'histoire des peuples semble indiquer
qu'elle est le lieu privilégié de l'investissement fantasma-
tique chez l'homme. Le conte, par exemple, se sert du règne
animal à titre de symbole pour dépeindre la société humaine.
Les oeuvres de Bernard Zadi n'échappent pas à cet-
te prédilection de l'homme pour la métaphore animale. Nous
verrons comment à partir de cette dernière - représentation
symbolique et univers imaginaire - se créent les paradigmes
dont la mise en relation dévoile, en dernière instance,
l'inconscient de celui qui écrit. Nous partirons d'une clas-
sification paradigmatique
; ensuite nous ressortirons
les
1 - Cf. chapitre les paradigmes de la surdétermination, p.
148.

- 1 4 1 -
sèmes pertinents et nOLIS verrons que finalement derrière ce
déploiement zoomorphique se cache un légaliste et un légiti-
J
miste.
1.1
- Remargue préliminaire
En toute logique et en suivant les lois de la na-
ture il Y a une bipartition manichéiste du monde animal en
bons et mauvais anlmaUX.
La classification de Bernard Zadi Zaourou défie
cette logique en établissant pour la circonstance une hié-
rarchie nouvelle dont les lois de fonctionnement sont éta-
blies sur d'autres bases. D'ailleurs la catégorisation (bons
animaux, mauvais animaux), trop évidente, ne retiendra que
momentanément notre attention. Nous essayerons ~lutôt de dé-
gager des sèmes contextuels porteurs d'un degré de signifi-
an ce moins superficiel.
1.2 - Les sèmes contextuels:
Ils se construisent
autour-d'un axe paradigmatique que nous nommerons "la lutte"
et qui met aux prises trois antagonistes
les défenseurs des faibles,
les combattants,
les dominateurs, les envahisseurs
les irréductibles, les invincibles.

Les éléments constitutifs de chacune de ces caté-
gorles sont les suivants
:
Défenseurs, combattants
Irréductibles
Dominateurs
1 ions
L'escargot
oiseaux de Z lIlC
fauves blessés
vautours
mouches tsé-tsé
la tortue
aigles
dopé (oiseau-chanteur
hibou
mythique)
buffle
touracos
le caméléon
panthère
coq
vipères
l'échassier
hyènes <
l'oeuf
chacal
lionceau
hydres
pirhanas
criquets
chien
canard
vermine
faLNe à l'affût
Examinons à présent chaque catégorie afin de déga-
ger avec plus de précisions les sèmes communs à leurs diffé-
rents composants.

- 143 -
1.2.1. - La catégorie des "comb<lttants" et "défen-
seurs" développe plusieurs sèmes pertinents qui sont
Sème autorité "légitime"
1 ion
lionceau
fauve
Sème "maître"
coq
maître de la basse-cour, mâle dont
l'ergot est fatal aux plus puissants
rois (cf La geste de SoundjataJ.
Touraco
symbole de beauté, maître en
l'art de beauté
Dopé = maître du chant sifflé
lion
roi, maître dans la nature.
Sème "majestuosité"
lion
coq
échassier
fauve
touraco
Sème "dangerosité"
fauve

- 1·1~-
lion
mouche tsé-tsé
coq
lionceau
l'oeuf Cà cause de sa fragilité).
Le sème "maître" est contenu dans chaque lexème de
cet axe. Phénomène important à noter: tous les autres sèmes
sont complémentaires du sème "maître". "Légitimité", majes-
tuosité", constituent des mélioratifs apportant la confirma-
tion de la légitimité mais aussi de l'approbation et de la
reconnaissance de l'autorité. Seul le terme mouche tsé-tsé
échappe a priori à ces critères. Nous le rencontrons néan-
moins dans le sème qui crée l'unité fondamentale de la caté-
<,
gorie des défenseurs:
leur "dangerosité". D'autre part sa
présence conforte l'idée de distribution illogique et anti-
définitionnelle des termes.
1.2.2. - La catégorie des "dominateurs" déploit
deux sèmes principaux:
envahisseurs, dévastateurs.
Sous le sème "envahisseur" on peut regrouper
hyène
vautours
criquets
pirhanas

-
145 -
hydres
oiseaux de zinc
chacal
Sous le sème "dévastateur" ," destructeur" nous
avons
vautours
aigles
hyènes
chacal
criquets
serpent-minute
pirhanas
lions à l'affût
buffle
olseaux de zinc
hydres.
Nous relevons aUSSl l'omniprésence des sèmes
"cruauté" et "mort".
Dans l'ensemble,
il se dégage de cette deuxième
catégorie le sentiment que tous respirent, sentent et inspi-
rent la mort, la cruauté et la violence. Ces trois phénomè-
nes rôdent en permanence autour du texte comme les prédateurs
qui tournent inlassablement autour de leur proie, refusant

-
14(i-
de la lâcher. De son côté Bernard Zadi Zaourou revient per-
pétuellement à ces animaux de proie, composante essentielle
du paradigme II, vivant de la faiblesse des autres.
Ils sym-
bolisent à la fois la horde, la traîtrise et la lâcheté.
1.2.3.- La catégorie des "intouchables"
Entre les deux catégories précitées se situent les
intouchables (escargots, tortue, caméléon) caractérisés par
leur extrême lenteur mais aussi leur faculté de camouflage.
Le paradoxe ici réside dans leur invulnérabilité en déDit de
leur totale faiblesse.
Par effet contraire, cette vulnérabi-
lité se transforme en atout, en lieu et place du handicap
qu'elle constitue logiquement. Nos "vulnérables" donnent le
sentiment d'être sous la protection d'une force supérieure
que de refrains laudatifs à l'endroit des fragiles!
Didiga
Le secret de mon nom ?
Qui vit jamais l'aigle asservir de sa serre
l'escargot trainard ?
Qui vit jamais Madi-la panthère dévorer
Zégbeuhi-la-tortue ?
Didiga
Nommez-moi tel, Doworé, mon frère, pour ma survie
et que les peuples t'entendent
Didiga la chair interdite aux voracités scéléra-
tes (pp. 43, 44).

14ï -
Nous constatons dans ces versets une métaplorphose.
Car le narrateur s'~ctentifie dans un premier temps complète-
ment aux animaux qu'il vient de décrire. Et, dans un second
temps, la protection surnaturelle et la justice immanente
dont bénéfic ient les "faibles" les transforment, à leur tour,
en intouchables : "Ni la soif ni la faim n'arrêtaient leur
marche 1 Le soleil qui chauffe 1 et qui d'ordinaire ramollit
l'ardeur au combat, 1 le soleil les vivifiait, Eux, 1 Et
décuplait leur souffle inépuisable
C••• )
C'était des génies
infernaux, 1 des fils d'invisibles puissances souterraines;
C••• )
C
).
Portez couronnes, diadèmes, nous vous sacrons rOlS
etc. mais nous restons aux portes des navires d'abondance.
( ... ) l'avenir n'est point à ceux qUl brandissent 1 le glai-
.
ve 1 aux yeux des faibles".
C
)
i
Au terme de cette analyse nous ferons deux cons-
tats
J
1)
La classe des "maîtres", déjà régie par la lé-
\\..'
galité, l'est davantage par l'art et le mérite. L'idée de
légitimité est sous-tendue par celles de perfection, de
stade suprême de l'art, d'accomplissement. Partant tous les
agents figurant sur ce paradigme (exceptée la mouche tsé-
tsé) ont en commun le fait qu'ils méritent leur autorité .
.'Ii
.'dr-·
"-'
;,
::

-
1·1,
-
2J Cependant, l'idée de vol ct de profit transpi-
rent de la seconde catégorie (celle des dominantsJ.
De toute évidence, B.
Zadi Z.
s'intéresse mOIns au
monde animal et aux animaux qu'à ce à quoi notre imagination
les identifie. La focalisation des termes autour de deux
qualificatifs ("maître", "prédateur"J indiClue le degré d'ob-
session de Bernard Zadi Zaourou : son vocabulaire-consciem-
ment ou inconsciemment - tourne autour des notions de légi-
timité (mérite, reconnaissanceJ, d'illégitimité (vol, expro-
priationJ d'invasion ("car me revient l'immense épidémie de
vautours (
J Iles criquets s'abattirent, les criquets
blancs (
J, d'hypocrisie (hibou, vipère
je sais de quel-
le voix le hibou rassemb!e ses ladeptes ..
; J (1), de violence
(tous les animaux hormis "les intouchables ont une réserve
de violence et de dangerosité en eux.) Dès que nous attei-
gnons ce stade du discours le "replacement" ou le "glissement"
s'effectuent sans difficulté majeure. Nous culminons au degré
où l'identification s'opère sans transition; et là, nous
assistons à un va et vient entre les deux animaux. Ce qui
importe, en définitive ce n'est plus une métaphore prIse
isolément, mais considérée dans ses rapports d'abord avec une
autre métaphore et ensuite avec le texte dans sa totalité. Le
lion n'est plus lion mais attribut
(maître, fauveJ, de même
que l'hyène et le vautour (prédateurs). Tous deviennent des
symboles derrière lesquels nous retrouvons le sujet et son

-
149 -
histoire, ils sont des substituts comme l'inllique bien le
mot métaphore.
Dès lors nous nous devons de nous interroger sur
les motivations profondes qui président à l'élaboration des
métaphores et nous demander pourquoi Bernard Zadi Zaourou
dans sa production leur accorde une place prépondérante.
Une étude stylistique quel que soit son degré de
perfection et de précision ne
Dermet
pas de comnrendre
les mécanismes de production des images parce qu'elle ne four-
nit aucune information sur les relations du créateur avec
celles-ci.
Seule une étude intertextuelle peut permettre de
mettre en relief les rapports de l'auteur avec la littératu-
re et la tradition orale; mais elle n'explique que partiel-
lement et imparfaitement l'emploi des métaphores.
Pourtant métaphore et auteur entretiennent des
rapports au-delà de la simple production de texte. Nous tâ-
cherons d'en apporter la preuve dans l'analyse suivante.
Cl. Normand écrit "tout accès au réel passe par le
fantasme comme par le langage, donc par la métaphore." (1]
1 - Claudine NO~lAND, Op. cit. p. 43.

-
1 S0 -
Pour ainsi dire,
il n'existe pas de lang3ge en dehors de la
métaphore. Tout langage est régi par elle. Et toujol,rs se-
lon Cl. Normand "la métaphore, prenant place dans le fonc-
tionnement polysémique du langage, se rév~le à l'évidence
dans la pratique analytique comme un des moyens dont s'empa-
re le désir dans son processus général de déplacement, de
substitution, de masquage"
(1).
2 - Le contexte socio-politique de la création
des oeuvres
Apr~s aVOIr localisé la métaphore, référons-nous
aux conditions de production de l'oeuvre. Nous nous aperce-
vrons ainsi qu'elle prend forme d'abord autour de deux
grands axes conceptuels, le concept d'initiation et le con-
cept de symbole hors desquels elle n'existerait pas. Ceux-
ci sont la condition
SIne
qua
non
de
l'élaboration
des
textes.
"C'était
C... )
l'heure
des
sorciers / le
temps
des
rendez-vous
de
sabbat"
Cp.
12).
Ensui te
dans
l'atmosphère
socio-politique

naquirent
les
oeuvres censure et auto-censure sont les deux mots d'ordre.
Censure du pouvoir contre des oeuvres dites subversives,
auto-censure, conséquence directe de la censure. Dans cette
1 - Claudine NORMAND, Op. cit. 1'.43.
i

ambiance donc et face à 1a di fficul té, VOl re l' impossibili té
d'une communication directe, Bernard Zadi Zaourou est obligé,
entre d'autres raisons, de biaiser, de "falsifier", de "tri-
cher" volontairement et à son corps défendant.
Devant la suspension du langage direct apparaît le
langage indirect. Mais aussi ce que Cl. Normand dénomme "la
quatrième proportionnelle : "quelque chose de l'inconscient,
qui s'exprime, non pas dans le sens d'un discours, mais dans
l'émergence, pour ainsi dire au mépris du sens, d'une loi
comme la quatrième proportionnelle ou la pression paradigma-
tique. "Le fonctionnement des lois linguistiques rencontre
ainsi les "lois combinatoires du processus primaire" qui se
manifestent lorsque "le désir inconscient d'une façon ou
d'une autre est impliqué." (1) Ainsi le désir inconscient de
Bernard Zadi Zaourou se focalise autour des notions de légi-
timité, de légalité et de mérite ; presque inconsciemment il
se cantonne dans certains paradigmes; et ce, de manière
quaSI obsessionnelle. "La quatrièP.le proportionnelle" s'appa-
rente donc au discours sous le discours, ou au discours créé
par le discours. Car la métaphore est un discours générateur
d'autres discours.
Incontestablement, l'inconscient est présent dans
le processus de construction métaphorique. Ce qui justifie
, - Claudine NORMAND, Op. cit. p. 36.

-
1 S: -
l'interpellation de quelques notions de psychanalyse pour la
pénétration du texte. Le recours ponctuel à la psychanalyse
se réduit à une étude isotopique (partielle), à partir de
laquelle nous débouchons sur une lecture isotopique de plus
grande envergure. Dans le style de celle qui suit.

-
1 S 3 -
CHAPITRE IV
UNE OEUVRE DE VIOLENCE ET DE SANG
A - LECTURE THEMATIQUE OU ISOTOPIQUE?
Lecture isotopique ou thématiqJe ? Les sémioticiens
font une différence entre isotopie et thème et préfèrent la
première au second. L'isotopie est définie, par François
Rastier comme "l'itération d'une unité linguistique"
(1),
par J. ~1. Adam comme "le champ ouvert pë.r la redondance d'u-
nités linguistiques (manifestes ou non) du plan de l'expres-
sion ou du plan du contenu" (2) ; enfin par Marc Gontard com-
me "une série connotative, c'est-à-dire ( ... ) la redondance
généralisée, à partir d'un mot-thème, d'Jne série de conno-
tations dont la simple concaténation produit un discours fi-
gura t if de type paradigmatique" (3).
1 - François RASTIER
"Systématique des isotopies" in essais
de sémiotique pOÉtique, Collection L
1972, p. 82.
2 - Jean-Michel ADAM
"Linguistir\\ue et èiscours littéraire"
Jean-Michel Adam et Jean-Pierre
Goldenstein. L
Larousse, Paris, 1976, p.
97.
3 - Marc GONTARD
"Mustafa Nissabourv
: la mille et
deuxième nuit ou le poème dégénéré"
in Violence du texte. La littérature
marocalne de langue françalse, Edl-
tlons l'HarmattaE, 1981, P. 48.

- 1" ~ -
Ces trois définitions varient sensiblement et font l'objet
du commentaire suivant,
de 1:1 p:1rt de ~1arc Gontard : "dans
notre perspective ( ... ) la notion d'isotopie développée par
A. G. Greimas dans le cadre de sa sémantique, n'est pas
pleinement satisfaisante; pas plus que sa reprIse par
François Rastier, J. M. Adam ou par le groupe mu"
(1). Cet-
te réflexion prouve simplement que la notion d'isotopie est
loin d'être à jamais définie. Nous n'entrerons pourtant pas
dans cette querelle de définitions. Nous ne retiendrons que
les points d'accord.
Ainsi, nous constatn~s
d'abord que la
notion d'isotopie s'est améliorée en se précisant et en élar-
gissant son champ d'investigation. En effet, elle s'expliqu~
chez F. Rastier, Greimas et J. M. Adam à des textes partiels,
et elle couvre chez Marc Gontard l'espace d'une oeuvre; en-
suite, tous ces auteurs sont d'accord sur la notion de répé-
tition (redondance-itération) qui constitue selon eux la base
organisationnelle de l'isotopie. Elle la fonde et la produit.
Il en va de même pour le thème. Selon J.P. Richard, reprIs et
systématisé par Claude Abastado "trois critères permettent
de répérer les thèmes
: leur fréquence, leur variation et
leur situation "stratégique".
( ... ). La répétition signale
l'obsession"
(2). Fréquence, variation sont deux termes qui
1
Marc GONTARD, Op. cit. p.
48.
2 - Claude ABASTADO : "La trame et le licier. Des thèmes au
discours thématique" in Revue des
langues vivantes N° XLIII, 1977, n.
487.
.

-
1 S S -
entrent en relation de connotation avec itération, redondan-
ce. Les dcux notions se recoupent et J.r. Richard emploie
même le terme répétition.
Dans le dictionnaire raisonné de la théorie du langage, l ' i -
sotopie est considérée comme "la récurrence de catégories
sémiques que celles-ci soient thématiques (ou abstraites) ou
figuratives"
(1).
Isotopie et thème entretiennent ici des
rapports d'inclusion. Car les catégorie; sémiques composent
l'isotopie. Mieux l'isotopie est un fai;ceau de thèmes con-
vergents. Une convergence que J. P. Richard souligne et re-
tient lorsqu'il écrit que le "thème est caractérisé par son
pouvoir d'organisation.
( ... )
(que) le thème est un schème.
(Qu')il est la loi de construction et d'équilibre~d'un édi-
fice"
(2).
Nous trouvons l'application de cette hiéraychisation très
importante dans une analyse isotopique effectuée par Marc
Gontard sur un texte de Nissaboury : "dans la mille et deu-
xième nuit, écrit-il, deux séries majeures issues d'un même
mot-thème, sillonnent l'épaisseur du texte.
Il s'agit du
lexème "séisme" ( ... J. En effet, ce mot ouvrant ( ... ) un
1 - A. J. GREIMAS, J. COURTES: "Sémiotique. dictionnaire
raisonné de la théorie du langage. Ha-
chette Unlverslté,
1917, pp. 197, 198,
199 .
2 - J.P.
RICHARll cité par Cl. ABA5TAnO in Revue des Langues
Vivantes, op. cit. p.
481.

-
15(> -
double champ isotopique, permet une lecture verticale du
poème qui révèle la manière dont s'y effectue la circulation
du sens
( ... ). La première série L51)
séisme-séparation, ou-
vre à travers toute l'oeuvre une symbolique isotope de la
catastrophe dont les conséquences sont triples
: géologiques
( ... ) géographiques
( ... ) et biologiques
( ... ). Quant au
contraire Nissaboury évoque "l'origine sismique" de sa "voix"
une nouvelle connotation polarise le lexème "séisme" dans la
mesure où le concept de violence lié au phénomène tellurique
devient ici déterminant, au point de générer la seconde sé-
rie connotative (52)
: séisme-violence ( ... ). Ainsi se cons-
titue la seconde isotopie qui se développe selon le paradigme
de l'émeute, de l'insurrection, de l'incendie, de l'explosio~
de la destruction, de la libération"
(1 -,.
Les termes "symbo-
lique isotope" et "paradigme" peuvent-être remplacés par le
mot thème
(thème de la catastrophe, de l'émeute, de l'insur-
rection) .
Dans l'ensemble, cette lecture de Marc Gontard
rejoint en bien des points celle de J.P. Richard; qui con-
sidère la littérature comme "une aventure d'être" et l'écri-
ture une "activité positive et créatrice à l'intérieur de
laquelle certains êtres parviennent à coincider pleinement
avec eux-mêmes" (2).
De la même manière Marc Gontard fait la
Marc Gontard : Op. cit.
np.
49,
50.
2 - Claude ABA5TADO : Op. cit. p.
481.

-
1 S 7 -
ralliographie de l' étre Nissaboury : "sans mémoire" et "sans
nom", voué à l'exil et à la nuit, le po(>te est cet homme
"séparé" de lui-méme, à la poursuite de son "ombre", criant
l'éclatement de sa langue "fissurée", rêvant sans trêve d'un
site originel, lieu de l'identité perdue: "l'île d'ébène"
(1). Voilà en quoi consiste l'aventure d'être de Nissaboury,
habité et obsédé par la déchirure.
Nul doute donc que thème et isotopie constituent
un ensemble homogène et stratifié. Le seul point de diver~
gence demeure les plans d'étude. L'isotopie en effet compte
deux plans - celui du contenu et celui du signifiant. Son
champ d'investigation, partant, s'élargit. Cependant nous
nous en sommes uniquement tenu au plan du contenu (thèmes).
Les isotopies figuratives n'ont pas été prises en compte.
Dans la seconde partie de ce chapitre nous aborde-
rons l'oeuvre de Bernard Zadi Zaourou dans la perspective
ci-avant exposée. Celle-ci baigne totalement dans le sang,
qui en constitue la toile de fond. Car c'est dans un déluge
de sang que se crée et s'organise l'écriture. Chaque oeuvre
est frappée de son sceau.
1 -
Marc GONTARD
Op. c i t. p.
51 .

-
1 Sfi -
B - LE LANGAGE DU SANG
Dans Fer de lance,
le sang op~re à l'image d'un
leitmotiv: c'est dans un d~luge de sang et de violence que
s'organise la parole.
- "Kidi kidi
sang" Cp. 7)
Sept fois j'ai crach~ sur la plerre du chemin
le venin de mon sang Cp.
2i)
- ~1a lune est rouge du sang des preux Cp. 19)
- La paume de l'épée et le fer sanguinaire
l'épée des francs"
Cp.
29)
- Diéna-bourg-héroique-de-Mali
comment piétiner ton sang répandu
à l'aube des temps nouveaux?
Cp.
35J
- Vainqueurs souillés d'un sang indigne et maudit
ils emplissaient la plaine de leurs chants glo-
rieux
Cp. 44)
- La terre a soif
soif d'eau
mals la main des tyrans l'abreuve de sang d'hom-
mes Cp.
46)
Le sang se répand dans le poème et le couvre de
son ombre néfaste et funeste.
Il est d'une part celui de son
peuple et celui de l'auteur le sien propre et, d'autre part,

-
lS()
-
celui des impies et des infidèles.
Partant, il règne dans le texte une ambiance de
désolation et de violence couronnée par le spectre de la
mort. L'écriture s'organise suivant les axes paradigmatiques
de la bestialité, du feu,
de la mort, de l'apocalypse etc ...
Il Y a focalisation du langage sur le monde animaL
Bernard Zadi Zaourou fait une large place à leur cruauté et
à leur bestialité.
Ce sont essentiellement.des animaux de
proie (vautours, fauve, canines, râlement de fauve à l'ago-
nie, rugissement, hurlements de fauve, crocs, serres, grif-
fes),
les serpents (venin, venin de mon sang, vipère), les
hidres, les dragons (animaux géants et tentaculaires)
dard,
froides mandibules, dagues, empaillés. Il y a à la fois dé-
ploiement et concentration : déploiement parce que Bernard
Zadi Zaourou fait largement appel à la faune animale et con-
centration, parce qu'il délimite le champ de ses catégories
aux animaux les plus féroces ou les plus vils. Ce qui conf~re
au texte une ambiance de jungle où seuls survivent les plus
habi les :
"au rendez-vous des tempêtes
des vampires
et de hydres du ponant
sachez-le
est mort qUl ne sait veiller en dansant"
(p.
30).

-
IbO
-
Cette jllngle animalière est cotoy~e et, peut être, alimen-
tée p,l]" le feu,
svmoole de destruction - ("la racine du feu
qU1 dévorait tout", "la bouche de feu", "la main de Zeus
qU1 nous calcinerait") et d'apocalypse ("déluge de feu et
de sang"). Pourtant, le feu peut transformer la vie ou la
faire naître par l'entremise de la forge, du soufflet et de
l'enclume
(trois éléments qui symbolisent la création du
monde dans la mythologie Dâgon). Le maître de la forge V10-
lente, brOIe, anéantit pour conceV01r quelque chose de par-
fait qu'il façonne de ses mains.
Le feu, c'est aUSS1 le rouge, couleur de sang et
de violence. En sept pages
de Fer de lance, le lexème rouge
est réitéré trente-deux fois
ce qU1 dénote que l'écriture
en est imprégnée.
Le sang génère aUSS1 la mort qU1 tient le texte et
le couvre d'une aura funeste
développant ainsi un axe Da-
radigmatique riche en vocables appartenant à la rubrique
mortuaire:
("dévoreurs d'âmes",
"le pus des morgues",
"né-
antisation lT ,
"tombeau",
"âbime",
lichant funèbre",
"assassi-
nés", "les nuits d'apocalypse",
"le désastre des temps nou-
veaux",
"l es
tueurs", "mourais" J
"0 morts"
(itératifs),
llil
mourut "(itératif), "terrible débouli", "mort blanche (ité-
ratif), "mort bicéphale", "la mort étrange allogène" (itéra-
tif). Cet axe paradigmatique de la mort couronne le climat

-
1(.1
de violence qUI caractérise Fer de lance.
Elle semhle être
une finalité, donc inexorable, envahissante. ALI point qu'el-
le finit par se dilater et se répandre dans le cosmos. I.'a-
pocalypse est là. Le désastre cosmique, bouquet final, s'ins-
crit comme destin inévitable à travers toute l'oeuvre et
ouvre sur le thème du déluge de l'apocalypse. Thème qui se
développe, à son tour, sur un axe paradigmatique géophysi-
que:
intempéries, révolution, terribles vents, orages, les
matins et les nuits d'apocalypse, rude sécheresse déclin
des moissons de jadis, les tempêtes, les lourdes intempéries
(déflat ions vespérales)".
A ce nIveau, nous pouvons opérer la jonction avec
un autre texte
: Les sofas - dont le thème principal est la
mort. Le sang qUI coule dans cette pièce fait suite à la
guerre, elle-même génératrice de mort:
"Vient pUlser de tes mains poreuses le sang maudit
des seIgneurs
de la guerre." (p.
51)
"Vainqueurs souillés d'un sang maudit
ils emplissaient la plaine de leurs chants glo-
rieux" (p. 44)
"Et puis toute la terre Mandingue n'est-elle-pas
à feu et à
sang par la faute de l'envahisseur blanc? Le
le Djoliba ne

"ch3rriC' plus quC' dC's e:lUX vC'rmC'i llC's,
1e s:lng dC'
notre peuple."
CP. 56)
Génératrice de mort, elle génère ~articulièrement
le crime, une des nombreuses formes de la mort.
Le lexème
crime opère ici comme le lexème sang dans Fer de
lance. Nous
en dénombrons au moins huit
:
"Pactiser avec la France eut-il été un crIme S1. ..
CP. 43)
"~lon crIme est d' <Ivoi r enfanté un monstre" CP. 4 i)
"Toi aUSSI tu voudrais qu'on taise le crime" CP. 48)
"Nulle part le crIme n'est absent"
CP. 51)
"Qui saurait se souvenir de tous leurs crImes si. ..
CP. 56)
"Tu nous reVIens de France,
truqué. Le VOICI
ton crime"
CP. 56)
"f)'où vient alors 'lue ce qui est patriotisme
prend chez moi le nom de crime"
CP. 58)
"Je n'ai nulle complaisance pour notre ennemI
commun.
Je le
redoute. Où donc est mon crIme ?"
(P.
58)
I.e crIme arpente Je texte de manière qllASi-

obsessionne>lle
; sous-tendant et alimentant le climat de>
suspicion qui y ,.,rt",·aut
: "tout conspire contre Karamoko
dans ce maudit pays" (1'.
4ï) "Karamoko Touré. Tu es accusé
d'avoir trahi ton._pays, ton peuple et ton pronre trône" (P.
54)" c'est vous qui complotez contre mon fiancé"
(P.
48).
Le crime vient de partout et développe un axe paradigmati-
que sanguinolant, sur lequel nous troU\\·ons
: "égorgeurs
(i-
tératif), II mor t vengeresse" "étrangleurs", "égorge", "assas-
sin" (itératif), "peine de mort" exécuta".
Il ne s'agit là
que d'un as,.,ect de la mort.
- Les sofas, dans l'ensemble,
s'ap,.,arente à une oraison funèbre qui rend hommage 11 la mort
"plutôt la mort que l'esclavage". Face au mal de vIvre, au
danger de soumIssIon, la mort devient inexorable ("Face à
la mort qui rôde à nos portes (P.
34), elle est l'issue fa-
tale, le recours dans cette lutte acharnée pour la survie.
Bernard Zadi Zaourou choisit ce recours qui sonne le glas
d'un monde. Car, la guerre des sofas, le don de leur sang,
de leur personne est le sacrifice, le nrix de la liberté
future.
L'apocalypse d'aujourd'hui contient en germe la
yictoire de demain. Ce message de lutte, de sacrifice nous
le retrouvons intégralement dans l'oeil
"Vous voici travailleurs matinaux, gravis-
sant de vos mains gui saignent chaque
maIllon de la chaîne, pour vaIncre l'esna-
ce et mordre aux racines du soleil. Et ~
peine y êtes-vous parvenus, qu'il vou~
faut redescenclre à nouveau dans le tour-
billon des éléments déchaînés, pour mordre
au bec du chalumeau.
( ... J. La fortune

-
1 (> .\\
-
c'est vous ( ... l.
Non!
nous ne mourrons
pas de cécité. Et c'est dès demaIn qU'lI
nous le faudra crier il la face du soléil."
(P.
121)
Une fois de plus le salIg coule. Le sang sacrifi-
ciel, celui du peuple,
s'organise selon un axe paradigmati-
que très militaire mais, peu expansif tous
(ou presque) les
termes sont contenus dans une seule phrase
"C'est une panoplie:
sabres, couTlerets,
fusils vieux et neufs, douilles de balles,
étuis de revolvers, ceintures de policier~
cas que s, képi s, bot tes,
1une tt es ... " (P. 122)
qui lRisse supposer l'envergure et la violence de l'affronte-
ment.
La description de l'acte chirurgical est emnreint de la
même violence: "il t'emmènera loin d'ici
en Amérique nour qu'un docteur t'arrache
l'oeil." (P.
109)
Dans ce climat de bombe désamorcée, la mort déploie son VOI-
le et s'installe de manière plutôt menaçante et dissuasive:
"Tuez::-moi Sogoma sangui ... "
(P.
71 )
"Sogoma Sangui leur tue] 'homme dans pavs-
là . . . "
(P.
79)
"Nous tous on va mort comme ça un à un
alors?
(P. 80)
"Koffi kan même I conduit mais c'est comme
si i était mort déjan
(P.
85)

"C'est pauvre l\\offi kan seulement CJui mort dedans,
alors?
(P. SG)
"]] faut
zigouiller quelqu'un ou quoi 7 (P. SS)
"Tu crois vraiment que ça me fait plaisir de ( ... )
VOlr mes
propres enfant s creuver de faim 7" (P. 92)
"Tu veux donc mourir dans ce trou que tu arrelles
ta maison 7 (P.
104)
"Je t'étrangle
je t'étripe
je t'égorge!
,
(PP. 10S-109)
"Le cimetière" (R.
112)
"Femme de Djédj é là? il é mort dézan
(P. 120)
Cela n'en~êche pourtant pas la révolte
irréversible dans le
processus
Partout
c'est
la
mê~e
conviction
le
même
combat
"Arnos
et
longues
seront
nos
luttes,
âpres et longues.
Que le jour combatte l'ombre qui l'assassine et
la lumière
explosera plus rayonnante que jamais".
(Les sofas)
(p.
31)
Sur terre des hommes nulle étoile ne brille de son
seul
éclat
Toutes elles ont hérité leur charme des horreurs
du T'urin (P. 19)
"Jamais l'année-miracle n'aurait pu surgir à la
face du soleil notre soleil si toutes nos forces
thésaurisées
- l'immense raidissement de nos coeurs

-
1('{1-
cerveaux et mBIns ne s'étaient employées
il l'extraire de la terre en ~"sine." (P.
21)
C'est donc dans la mort et la douleur qu'on enfante la li-
berté, le bonheur, en un mot la vie véritable.
Le déluge du cosmos dans Fer de lance, la révolte
finale de L'oeil, la guerre et la victoire idyllique dans
Les sofas expriment chacun un combat pour la liberté. Une
lutte identifiable à celle de Bernard ëadi Zaourou, qui à
travers un discours de violence, de sang et de mort, parfois
de haine, exorcise son désarroi.
Face à la "~félasse", au
désordre et au pourrissement d'une société, un homme C"êve
d'un cataclysme et exorte l'apocalypse d'où s'élèverait "sa
société".
Faite de jour et de 1umière. Avant banni à "jamais
la nuit, la cécité (le mensonge et le truquage). La satura-
tion et la violence de l'écriture, son enflure permanente
nous fait découvrir un être en proie au désarroi ; un être
blessé, déchiré et révolté dont la parole se veut choquante.
Et, elle y parvient pleinement.

-
1 ()"
-
TROISIEME
PARTIE
:
LA RENCONTRE DES GENERATIONS
ET DES CULTURES

-
lbS
-
"Le caractère le plus i1'1portant de l'énoncé,
ou en tous les cas le plus ignoré, est son
dialogisme, c'est-à-dire sa dimension in-
tertextuelle ( ... ), chaque discours entre
intentionnellement ou non, en dialogue avec
des discours antériellrs tenus sur le même
objet, ainsi qu'a\\'ec les discours à venir"
(1) .
"L'intertextualité n'est jamais anodine.
Quel qu'en soit le support idéologique
avoué, l'usage intertextuel des discours
répond toujours à une vocation critique,
ludique et exnloratoire. Cela en fait
l'instrument de parole privilégié des épo-
ques d'effritement et de renaissance cul-
turels" (2).
1 - Tzvetan TODOROV
"Poétique", in Qu'est-ce gue le struc-
turalisme ?, ParIS, SeuIl, 1968, n.
154.
2 - Laurent JENNY
"Stratégie de la forme",
in Poéti CJue 'JO
]2, Seuil, Paris, 19ï6, p.
281.

-
1 h')
-
CHAPITRE
1
SITUATIO~I ET DEFI~ITION
"Si l'intertextualité nous apparaît aujourcl'hui es-
sentiellement liée à la poéticité et à l'évolution littéraire
C••• )
la critique idéaliste ne voyait que des "influences" et
"des sources" C... ) là où la critique formelle s'efforce de
clécouvrir des textes"
Cl). Cette situation l'lontre que clans
l'approche des textes littéraires influence et intertextuali-
té sont deux notions relativement proches. En théorie cenen-
dant nous pouvons circonscrire les champs d'aeplication
de
l'uee et l'autre. L'influence touche aux relations particuli-
ères qu'un auteur entretient avec une oeuvre, un pays ou
quelque écrivain. Alors que l'intertextualité s'inscrit à la
fois dans le cadre ci-dessus défini et dans celui nI us géné-
ral des rapports d'une oeuvre à un corpus littéraire; elle
se caractérise avant tout par son approche critique des tex-
tes d'origine. Car tout travail intertextuel
s'apparente à
un "processus d'assimilation et cie transformation"
(2).
L'in-
tertextualité diffère de l'influence par sa tendance généra-
trice. Tandis que l'influence véritahle est ponctuelle et
facilement systématique.
Laurent JENNY
O!J.
cit. pD.
260
261 .
2 -
Ici. p. 260.

-
lïtl
-
En intertextualité "ce qui demeure problématique,
c'est jllstement la détermination du degré d'explicitation de
l'intertextualité dans telle ou telle oeuvre, en dehors du
cas-limite de la citation littérale" (l). La démarche inter-
textuelle demeure donc plus subtile et son analyse, ne con-
siste pas à retrouver dans lin texte les traces d'autres tex-
tes ou le style d'autres écrivains. Elle revient plutôt à
voir comment à partir de matériallx d'origines - éléments
d'influence (qui dans le cadre de l'intertextualité sont ma-
tériaux)
-,
l'écrivain bâtit une oeuvre nouvelle; Mallarmé
affirme d'ailleurs que "nlus ou moins tous les livres con-
tiennent la fusion de quelque redite comptée"
(2). Hors de
l'intertextualité, l'oeuvre littéraire serait tout sirnple-
ment imperceptible, au même titre que la parole d'une langue
inconnue"
(3).
Comme on le voit ces deux notions ne sont
donc pas identique. Cependant elles sont indissociables et
constituent les deux faces d'une même médaille dont la dif-
férence fondamentale réside dans leur attitude aux textes.
Attitude critique pour l'intertextualité ; attitude d'envoD-
tement et d'imitation pour l'influence. Deux persnectives
-
judicieusement exposées dans l'interview ci-dessous et qui
concerne les rapports de Gabriel Garcia Marquez avec
des
Laurent JE~NY : Op. cit. n.
258.
2 - MallarMé cité par Laurent JENNY in La stratégie de la
forme, op. cit. p.
257.
3 - Laurent JE~~Y : Op. cit. n.
257.

-
1 ï 1 -
mod~les comme Faillkner.
G.G. Marqlle:
: En fin de compte on apprend à écri-
re avec les grands modèles, qUl sont pour no:i '. Sophocle,
,
'
DostoIevsky ( ... ). Alors pOllrquoi irais-tu tenter d'écrire
plus modestement que ces grands modèles? Ce que tu dois
faire c'est les frapper à mort et vouloir écrire mleux
qu'eux".
Le Journaliste: Alors tu est d'accord avec ce que
dis Régis Debray dans une autre intervie~, à savoir qu'il
faut se battre avec ses modèles jusqu'à les détruire ...
G.G. Marque:
: C'est ce que j'ai nensé. Aussi cha-
que fois qu'on me parle de Faulkner, je dis que mon problème
n'a pas été d'imiter Faulkner, mais de le détruire, c'est-à-
dire me débarasser de son influence qui me faisait suer (1).
G.G. Marquez fait la nette différence entre l'in-
fluence et l'usage qu'il en fait. Au départ, certes il v a
influence mais à l'arrivée celle-ci se transforme en source
d'inspiration, plus qu'un modèle à copier. Car Dour lui il
ne s'agit pas d'imiter.
Il faut dit-il "se battre avec les
modèles jusqu'à les détruire",
une destruction qui s'anpelle
1 - Magazine littéraire n° 178,
1981.

-
1 7 Z -
en langage intertextuel
: transformation, tran5gression con-
séc\\ltives ~ une assimilation. G. G. Marque: p05e en homme
d'écriture averti le processus même d'évolution de l'influ-
ence vers une utilisation intertextuelle du te~te d'origine.
Un usage qui prend les formes d'une influence consumée et
consommée.
Voilà brièvement posé le cadre théorique qui donne
naIssance à toute oeuvre, q\\lelle que soit sa nature et quel
que soit son but.
Pour en revenIr à notre objet d'étude et aux nOSI-
tians théoriques de Bernard Zadi Zaourou face aux notions
d'influence et d'intertextualit6 (quoique le mot ne soit pas
présent ni chez Zadi ni chez G.G. Marquez).
Dans l'avant-propos à L'oeil nous pouvons lire
"Il
s'agit avant tout de créer. Non cet art de reniement
( ... ).
Non plus cet autre, tout de vaillance nourtant (il
s'agit de la négritude) dont nous avons su nous délecter
parce qu'il était bien nôtre.
Et jamais nous ne nous sommes
fait faute de confesser publiquement que seul il
sut nous
émouvoir et déchaîner en nous les flammes et les rythmes qui
nous consument auiourd'hui. Nous ne marquions alors oue le
P'l:2' Or nous voilà pris à notre insu dans les \\'rilles du
cercle,
( ... ). Nous voilà apnelant nous aussi .... , la pluie

-
,;:; -
neuve de l'hivernage - notre - temp5 - Je - cons6cration.
~lais pourquoi donc ne danserions-nou5 p:t5 [1 notre tour?
( ... ) Pourquoi faudra i t- i 1 que meurent forêts et sa\\"anes,
que plL1S jamais du bourrelet des pivotantes aL1X lumineuses
nervures des frondaisons,
une sève nOLIvelle doucement,
len-
tement et patiemment ne s'élève pour un retour de vie fraî-
che? Il s'agit de créer" (1).
De cette position théorique métaphoriquement expo-
sée, deux points essentiels retiennent notre attention
-le dépassement du modèle et l'insistance sur la
nécessité de créer et d'aller au-delà de celui-ci.
Ces positions vis-à-vis de l'oeuvre-source rejoi-
gnent celles de G. G. ~Iarquez.
L'un et l'autre ont,
face au
modèle, une attitude constructive. Car, s'il existe et doit
être reconnu comme tel,
le modèle ne doit en aucun cas de-
meurer ni une fin en soi ni une entrave à la créativité.
Il
n'acquiert sa véritable dimension que lorsqu'il déclenche
l'inspiration et constitue le point de départ d'une autre
aventure.
- La reconnaissance de l'influence de la Négritude
1
-
Les Sofas suivi de L'oeil, ~p. 6 7 -68.
C'est nous qui soulignons.

-
1 Î ,)
-
sur les textes de B.
Zacli Zaotlrou.
Hormis la ~égritude d'autres textes-source sont
lisibles dans ses écrits. Mais pour une saine appréciation
de l'intertexte dans l'oeuvre du poète il est nécessaire de
connaitre le contexte socio-culturel de ses productions.
Bernard Zadi Zaourou fait partie des écrivains dont
la contradiction principale réside dans leur appartenance à
deux cultures aux fondements philosophiques et idéologiques
différents. Une telle situation conduit à un dilef'lme dont la
résolution s'avère complexe et parfois conflictuelle.
Si certains auteurs, résolvent la contradiction
sur le plan littéraire
en épousant sans restriction
les modèles exogènes.
D'autres -
dont Bernard Zadi Zaourou -
au-delà de
la reconnalssance internationale que pe~t rechercher tout
créateur, tentent dans leurs écrits de concilier les deux mo-
dèles culturels dont ils sont tributair~s.
- Le premler modèle est généré par l'écriture et la
langue de colonisation qui hnbitent les écrivains nOlrs et
auxquelles ils sont totalef'lent aliénés -
y étant soumlS dès
leur tendre enfance par le biais de l'é:ole. De nombreux tex-

-
1 ï S -
tes
littéraires témoignellt de l'acharnement avec lequel
le
dominateur s'est évertué à anihiler la personnalité première
du colonisé. Ainsi l'écrivain ivoirien Bernard Binlin Dadié
dans Climbié évoque le port du "symbole" : "Autour de Climbié,
porteur du "symbole", des élèves .... chantent en remuant les
épaules
"Tu parles agnl,
je te donne le symbole,
Ah ! Ah ! je te donne le symbole."
C •.• )
C'est la sortie de l'école. Et hors de l'enceinte sco-
la ire chacun peut parler son dialecte. Mais Climbié pour
avolr parlé N'Zima, dans l'école même, se trouve porteur du
symbole
C... ).
Le symbole
1
Vous ne savez pas ce 'lue c'est
vous en avez de la chance. C'est un cauchemar
il empêche
de rire, de vivre dans l'école, car toujours on pense à lui.
C... ) Le symbole a empoisonné le milieu, vicié l'air, gelé
les coeurs! Vous ne savez pas ce que c'est, ni quelle en
est la cause? Ecoutez: les inspecteurs, au cours de leurs
multiples visites dans les écoles, ont souvent répéré des
"ânes" ne portant point bonnet et constaté les attitudes Dar
trop cavalières des élèves à l'égard de la langue de Vauge-
las . . . . etc Cl).
1 - Bernard-Binlin DADIE in Légendes africaines; Editions
Seghers - Collectlon Classiques
africains 1966, 1973, pp. 106, 112,
1 1 4 .

-
1 i (] -
- L'autre modèle est ISSU de5 cultures africaines
orales et constitue
1a base,
le point de départ de l' édu-
cation des écrivains nOIrs:
"Et Climbi~ qui aimait à se
coucher sur les jambes de l'oncle N'Dabian, regardait lui
aussi le ciel, suivait le doigt qui
lui montrait les myria-
des d'étoiles ...
Tu VOIS l'héritière de la lune? t'est cette étoile qui tou-
jours l'accompagne. Elle connait toutes ses histoires (1).
Cette double appartenance mène immanquablement à
un conflit intériellr permanent chez le sujet et tend à faire
de certains des écrivains africains des lettrés étrangers à
leurs culture originelle,
les exemples ne manquent pas. Dans
son ouvrage intitulé, Négritude et Négrologues, Stanislas
Adotévi écrit "on ne doit nrendre Senghor au sérieux que
lorsqu'il présente ( ... ) la face radieuse de la culture fra~
çaise"
(2).
Ces propos quelque peu polémistes, expriment ce-
pendant la réalité de l'écrivain africain. Senghor lui-même
affirme:
"Aujourd'hui je pense en francais et je comprends
le français - faut-il en avoir honte? - mIeux qu'aucune au-
tre langue. C'est dire que le Français n'est plus pour mOl
un véhicule étranger, malS la forme d'expression de ma nen-
sée" (3).
1 -
Bemard-Binlin DADIE in Légendes africaines; Editions Seghers -
Collection Classiques africains, 1966, 19i3,
pp. 106, 112, 114.
2 - Stanislas S.K. AOOTEVI in Négritude et négrologues. Collection 10/18
Paris 19ï2, Tl. 116.
3 - Id. p. 11i.

-
177 -
Si Senghor r~solld sa contradiction par l'acceptation totale
de la langue française avec une fierté et une satisfaction
visibles nom':>reux sont ceux qui, sans jamais renier l' imnact
de cette langue sur lellr pensée et leur vie quotidienne,
tentent néanmoins de réagir à ce que nous pou\\"ons qualifier
"d'impérialisme linguistique" (1).
Les formes de réactions
sont nombreuses.
Parmi celles-ci, une tendance peut se d~ga-
ger sous le nom générique d'intertextualité - sorte de con-
sortium regroupant toutes les "influences" littéraires nré-
sentes dans une oeuvre. Cette réaction dite intertextuelle
est la manifestation - autant que les autres formes - d'une
crise et comme dit Laurent Jennv "l'instrument de travail
privilégié des époques d'effritement et de renaissance cul-
turels."
: L'époque négritudienne par exemple plus près 'de
nous, celle de l'après-Négritude qui est aussi celle de
Bernard Zadi Zaourou.
A présent, examinons la réalité intertextuelle des
oeuvres de Bernard Zadi Zaourou. D'abord, sur le nlan inter-
ne et ensuite, sur le plan externe.
1 - cf. Yves BENüT : Impérialisme linguistique et colonia-
lisme in Les Temns 'Iodernes, 1973.

7
!d'
-
1 ï ~
-
CHAPITRE
II
L'INTERTEXTUALITE INTERNE
'.
"Le propre de l'intertextualité est d'introduire
à un nouveall mode de lecture qui fait
éclater la linéarité
du texte"
(1). Les rapports qll'entretient Fer de lance avec
le texte introductif de la nièce Les Sofas et avec son éni-
logue relèvent d'une techniqlle d'écritllre anpelée "amplifi-
cation". L'amplification consiste en la "transformation d'un
texte originel par développement de ses virtualités sémanti-
ques"
(2). Concrètement il
s'agit d'une réécriture du texte
consécutive à une mise en abyme du texte originel
; cette
opération entraîne l'éclatement de sa linéarité au profit
d'une désagrégation génératrice d'un matériau d'élaboration
sur la base de laquelle s'écrit l'oeuvre nouvelle.
Examinons à présent la traduction de cette techni-
que dans l'oeuvre de Bernard Zadi Zaourou à partir des tex-
tes pré-cités ; nous nommerons texte-source le texte origi-
nel et texte-arrivé le texte qui bénéficie de l' intertextua-
lité.
Texte-Source
"C'est sur les immondices que germe et pros-
- Laurent JENNY
op. cit. p.
266.
2 - Id. p.
276.

=2"
-
17'J -
pèrC' la fleur dC's champ,. l.e présent de:' nations C'st 11 leur
passé ce qu'est la fleur au terre:lU rél':'.:1du sur li1 nlanche
du jardin"(l).
L'unité de ce texte subit une tri1nsformation nro-
fonde à la faveur de sa reprise dans Fer de lance. Nous ne
le retrouvons plus ni sous sa forme coc;acte, ni sous la for-
me sémantique primaire. Seules sont retenues ce que Laur~nt
JENNY appelle "les virtualités sémantia:.:es". Le texte éclate
en deux axes syntagmatiques directionnels créateurs de deux
discours nouveaux, par développement pT~cisément de ces vir-
tualités sémantiques". Ce qui donne:
Elément 1
"
C'est sur les immondices que germe
et: prosnère la fleur des champs" réintro-
duite dans Fer de lance sous la forme
Sur terre des hommes nulle étoile ne
brille de son seul
éclat
Toutes ont hérité l~uT charme des hor-
reUTS du pUTln
Dessous la peau bru~e des terrains gras
s'accouplent pOUT légueT aux fleuTs beauté
et parfums
Le fumier au lépreux 50UTlre
Le pus des morgues
Et la sueur infect~ des nobles laboureurs
1 - B. ZADI ZAOUROU
Les Sofas suivi d~ L'oeil. Collection
Théâtre afTlcaln, P. J. Oswald,
1975,
n.
14.

-
1:; [1 -
~lé z i s
Nulle gadis ne brille de son seul éclRt
Des douleurs secrètes de leurs mères fRnées
Toutes elles tiennent ce regRrd oblique
et leur sourire
de rosée frRÎche
neuf mois dllrRnt Mézis
Toutes elles ont dû croupir ainsi que d'affreuses
ChrysRlides dans l'ombre puante du placenta
Sur terre des hommes null.c étoile ne brille
de son seul
éc lat.
Et moi donc fleur secrète surgie des détri-
tus du précédent
hivernage ?
Didiga
Didiga - Tourment-des-ombres-fortes ...
(1).
De son côté l'élément 2 "le présent des nations est à leur
passé ce qu'est la fleur au terreau rép~ndu Sllr la planche du
jardin ... " se réécrit:
"Jamais mon peuple et mol n'avons été hors de
L'histoire
1 - Fer de lance, p.
19.

181
-
malS dans le ventre de L'histoire
Didiga"
Cp.
20).
Jamais L'année mira.:le n'aurait DU surgir
à' la faèe
du soleil notre soleil si toutes nos for-
ces thésaurisées
. . : . .
-I.,.-~,
-- L'immense raidissement de nos coeurs'
cerveaux et mains - ne s'étaient emnlovées
à L'extraire de la terre en gésine~
.
Ne comprendra jamais mon chant mystérieQx
Celui-là
qui n'étai t pas à
Boribana
Cp.
21).
L'intertextualité peut prendre la forme de la cita-
tion. C'est le cas pour l'épilogue de la pièce J.es Sofas in-
tégralement reprIS aux pages 39,
40, 41, 42, 43 de Fer de
lance; où il s'inscrit dans une perspective nouvelle. Car à
la dimension épique que l'auteur privilégie dans Les Sofas
viennent s'ajouter les dimensions historique et politique de
l'événement.
Si dans Les Sofas le dit texte est consécutif à la
condamnation de Karamoko et se succède à lui-même :
"Peuple du Wassulu et du Toron,
je demande
pour le nrince Karamoko, et en ton nom, la
peine de mort" Cp.
59).
Dans Fer de lance il
s'insère dans la thématique

-
182
-
des "h"mnes aux morts".
lci l'autcur élargit lc cadre spatial
du texte qUI ne se limite plus ~ l'espace géogranlliqlle sud-
sahérien dégagé dans le texte-sOllrce. La disposition spatiale
joue un rôle primordial dans le jeu de la réécriture du text~
tout comme dans sa sémantisation.
Ainsi concue l'intertextualité répond dans un pre-
mier temps à une volonté d'explicitation d'idées auxquelles
l'auteur accorde une signification particulière.
Et dans un
deuxième temps elle focalise une forme de réitération consé-
cutive aux obsessions de l'auteur.
L'intertextualité crée, par ailleurs, entre les
oeuvres nn lien organique significatif d'un désir de conti-
nuité et de perfectionnement consécutifs ~ un inachèvement et
~ un inassouvissement (dans L'écriture et dans L'idéolo~ie).
Chaque texte està des degrés divers la fusion de quelques
redites.

- 18 ~ -
CHAPITRE
111
L'INTERTEXTUALITE EXTERNE
L'oeuvre de B.
Zadi ne s'auto-crée pas totalement.
Si elle vit et s'auto-alimente relativement,
son devenir vé-
ritable s'accomplit à travers son rapport historique à la
littérature lui ayant préexistée. Chaque écrivain, chaaue
oeuvre en sont marqué.
Dans les oeuvres de notre corpus, les rar~orts si-
gnificatifs s'appellent Négritude et oralité.
A - LA NEGR !TUDE
Par son ampleur et son importance idéologique la
négritude eut un impact considérable sur l'évolution de la
littérature africaine contemnoraine. Elle influencera des gé-
nérations d'écrivains séduits par son caractère militant. El-
le favorisera ainsi un environnement culturel motivant qui
conditionnera la création littéraire. Nous l'avons lu dans
les propos de B. Zadi Zaourou chez qui cet impact s'articule
sur deux volets
:
- la reprise des thèmes négritudiens en général
l'impact d'un homme en particulier

-
1 B,1
-
Aimé Cl'sai re, co-fon.lateur du mou\\"ement de
la Nl'~ritude.
1 - Colonisation et Histoire
deux thèmes aux élans
"passéites " .
L'un des thèmes favoris de B.
Zadi Zaourou demeure
l'histoire de l'Afrique. Deux des trois oeuvres du corpus
s'organisent entièrement autour du passé colonial de ce con-
tinent. Et l'on serait tenté de lui reprocher cette évocation
souvent nostalgique d'une époque révolue si, l'on ne prenait
le soin de s'interroger sur ses raisons profondes. Dans
l'avant-propos de ia pièce Les Sofas il écrit: "le nrésent
des nations est à leur passé ce qu'est la fleur au terreau
répandu". Cette citation résume le sens de son oeuvre entiè-
re et servirait volontiers de présentation synoptique de cel-
le-ci. Car contrairement au courant négritudien qui fait de
l'histoire un thème autonome, chez B. :adi Zaourou histoire
et présent s'imbriquent étroitement. La première servant de
tremplin pour pénétrer le second. Cette vision temporelle é-
largie amène au constat que le présent n'est ni une fatalité
nI une époque close, mais la conséquence et le prolongement
du passé ; ce qui se traduit par la phrase :
Ne comprendra jamais mon chant mystérieux
Celui-là qui n'était pas à Boribana ! (P. 21)

-
1S S -
nan~ Fer de lance, le blanc, le racl~me, l'e~cla-
vage, la négritude, le colonialisme etc -
thèmes négritu-
diens types -
deviennent movens d'appréhen~ion, d'explici-
tation et de critique du présent
; un présent qui se nomme
pouvoir, corruption, abus et par dessus tout refus de recon-
naissance et de respect dll passé
Il mourut Samory Touré
de mort bicéphale - le dard du criquet -
et nul parc,
nulle effigie ... pas une ruelle pour redire
à mon coeur
son idéal et son nom
Il mourut l'Emir Almamy Samory
de mort bicéphale - le dard ou criquet -
à sa gloire
nulle effigie
Et mes villes claironnent les exploits des
bourreaux"
(pp'-37, 38).
L'évocation de Samory Touré n'est qu'un prétexte
favorable à la critique des réalités sociales nouvelles aux
centres desquelles se trouvent les éléments ou présent
: "mes
villes".
2 - Aimé Césaire
Un nère spirituel.
Trêve de Querelle
Doworé
qu'on offre en cheminant une palme au rOI

-
lSh
-
aIl Vrai roi
des diseurs de symboles
ces rameaux de mandragoTe,
que je les lui tisse de ma main afin que nul
n'ose les truquer du jour où je ne serai
plus ....
(p.
22) Fer de lance.
Ces verset laudatifs de Fer de lance à l'endroit d'A. Césaire
posent le cadre général de l'influence du Martiniquais sur les
oeuvres de B. Zadi Zaourou. Les termes "Roi", "Vrai roi des
diseurs de symboles" confinnent la "suprématie" de Césaire.
Au plan stylistique Fer de lance est construit sur
les élans épiques du "cahier"
(1).
Malgré ces certitudes il reste néanmoins difficile
de déterminer avec précision les rapports concrets de texte-
source à texte-arrivé. Certes nous les sentons ici et là et
semblons reconnaître un début de phrase de Césaire. Mais dès
que nous tentons d'approfondir ces impressions premières,
l'explication devient moins évidente. A ce pronos Laurent
Jenny écrit que "ce qui de"leUre problématique, c'est la dé-
termination du degré d'exnlication de l'intertextualité dans
telle ou telle oeuvre, en dehors du cas-milite de la cita-
tion littérale" (2).
1 - "cahier"
appelation courante pour cahier d'un retolJY 311
pays natal d'Aimé Césaire. EditIons
Présence
AfrIcaIne,
1971.
2 - Laurent JENNY, Op. cit. p.
258.

IR7 -
Fer de lance illustre par certains côt6s cette
conception de l'Intertextualité.
Ici l'lIsage intertextuel
est d'llne sllbtilité qUI
le rend presqlle illisible
(d'alitant
que B.
Zadi ne cite pas ses sources). Vouloir absolument ap-
porter la prellve de cette influence reviendrait à faire un
travail de fourmi sur des portions de phrases parfois insi-
gnifiantes. Un tel degré d'assimilation et de trans~ression
nous rappelle à temps qlle l'intertextualité consiste dans une
certaine mesure à se débarasser du carcan dll modèle et à re-
modeler ce qu'on lui "emprunte" afin de L'épurer de sa sen-
teur initiale.
L'autre pôle de l'apport externe relève du domaine de l'ora-
lité. Nous allons voir à présent l'usage qu'en fait Bernard
Zadi Zaouroll dans ses oeuvres.
B - L'ORALITE
L'intertextualité dissolvante face aux oeuvres
d'A.
Césaire, fait place à une intertextualité plus exnlici-
te et facile à mettre en évidence. Les textes-sources abon-
dent et se multiplient à volonté dans le poème.
Ils vont des
fragments de contes fantastiques à des textes de poésie tra-
ditionnelle orale.

1 -
Des fragments de contes mer~eillellx
Didiga
Du plus loin qlle je me SOUV1enne
Les nuits sans frisson du village de forêt
Le cercle autour du feu de prudence
Une bouche une main (la diabolique virtuosité du
vieil
OSRI
Et nulle frayeur dans mon coeur adolescent
juste une passion
surgir de la nuit et défier la sylve jamais
lasse de bouder
épouser chaque méandre du sentier maudit
Frapper du talon le crâne des vipères qui parlent
délivrer SERI
- Ah l'intrépide enfant des berges du NAWA
Travailler -
(est-il coeur plus hardi que mon coeur}
travailler au triomnhe du héros (sa femme-sorcière-
impénitence - venant de le hisser d'un seul geste sur
la cime d'un fromager)
Sa femme.
La sorcière insoupconnée dont la cuisse
pour l'abattre accouche de mille guerriers farouches.
Didiga !
Qui donc fera écho à ma voix Sl tu n'y parv1ens
Toi, Doworé ?
Non piège aérien qU1 enlasse un buffle
Didiga !
~lon père accouche d'une fillette armée de pied en cape
pour ma surV1e
Didiga
Didiga piège-à-nigauds '
(pp. 12-13).
Par un Jeu d'écriture Bernard Zadi Zaourou superpo-
se des visions
:
le souvenir d'enfance
les extraits des contes merveilleux.
Le souven1r d'enfance est le lieu de la réécriture du conte
fantastique:
"frapper du talon le crâne des vipères" etc

-
1 S~)
-
- Ah, l'intrépide enfant de;; berges du
NA\\\\.o.
Travailler -
(est-il c('eUf plus hardi que
mon coeur)
-
etc.-
Cette réécriture se transforre à son tour en lieu
d'expression des fantasmes de Bernard =adi Zao urou (via le
narrateur). Ces fantasmes passent par la reprise d'extraits
de contes; qUl cessent dès lors d'appartenir à la fable
pour devenir propriété du texte de Bernard Zadi Zaourou. Ce
que confirme bien les pronoms possessifs et le pronon person-
nel employés
Mon père accouche
Mon piège aérien
Ce coq aux rouges pétales que
Dieu refuse de me restituer.
Les rêves de l'adolescent font place à ceux de l'a-
duIte. Le fantastique devient fantasme, vision allégorique.
La vision d'adolescent emprunte d'innocence s'es-
tompe. La réécriture transforme l'axe visllel du souvenir des
soirées de conte en propos
réactualisés
: "Didip.a-piège-à-
nigauds" (p. 13). Ce verset nous déplace de l'espace du nassé
dans l'espace de nos indépendances.

-
1~[) -
2 - Kaidara ct ogotommcli
C'est tout naturellement que l'on rencontre dans
Fer de lance des fragments de texte ora~x appartenant aux
classiques de la littérature orale afri,aine
Toi le merveilleux
"le lointain
le bien proche Kaidara" (p.
Il J.
Cette strophe constitue l'un des syntagmes rythmi-
quesde base ponctuant le récit initiatique peulh Kaidara
;
ce nom évoque le savoir vrai, la vérité. Aussi le syntagme
rythmique qUI le porte permet d'extrapoler sur le problème de
la vérité malS en deçà de sa portée et de son cadre initiaux.
Je ne saIS heures plus merveilleuses
Je ne sais heures plus succulentes et plus
vraies à l'esprit
Que celles passées à lire dans les yeux de
Kaidara dans le coeur de Kaidara
à s'abreuver de la se~le vérité véritable-
ment digne d'être
vécue
QUE LE SOLEIL EST EN MARCHE
INEXORABLHiENT
ET MORTEL AU ROSSOLIS SE" RAYONS NOIRS .•. (p. IlJ.
La vérité au sens philosophio'Je de "Kaidilra" dispa-
raît au profit d'un messaRc politique a~x intonations aussi
prophétiques que celles des vérités qui résultent de l'expé-

-
1 l) 1
rlence initiatique.
~Ia tête d'ombre forte
Je la forgerai de mes doigts
de ma main forge enclume et soufflet
mes doigts de Nommo !
En seize jours je la forgerai
(quinze jours blancs et rouge)
rouge le seizième (p. ï).
Dans cet autre extrait Bernard Zadi Zaourou s'ins-
pire du mythe de la création du monde chez les Dôgon. La sym-
bolique du chiffre seize, de la forge,
du soufflet, de l'en-
clume, du Nommo et des couleurs, sont la base de la réécritu-
re.
Il Y a glissement subtil à ~artir de l'idée de la créa-
tion de l'être parfait vers celle de l'élaboration de l'être
du narrateur. Tout comme dans le cas du souvenir d'enfance il
y a ici appropriation par transfert, condensation ou dé~lace-
ment d'un élément-initialement et humainement- extérieur au
champ d'action. Bernard Zadi Zaourou réécrit le mythe selon
une sensibilité et selon des objectifs propres.
Il ne s'agit
plus du mythe de la création du Monde mais de celui de la re-
naissance du narrateur et de son monde.
3 - Waî Gogo, Gbazza Madou Dibéro
deux maîtres de
l'oralité.
Ces deux maîtres "traditionnalistes" du pa;,s Bété
marquent la production littéraire
poétique en particulier -

de' Bernard Zadi Zaourou. Du preJ1lIer il écrit: "\\l'aï (;01'0, de
son vrai nom Boté Z6gbi, est originaire dll villa1'e de Yacoli-
dabré,
( ... ) dans l'Ouest lvoirie'n. C'est un bril1ant maître'
dll droit traditionnel Bété et il v a longtemps que' nous som-
mes à son école" (1).
L'oeuvre littéraire de Gbazza ~ladou Dibéro consti-
tue en partie le corpus des travaux de recherche de B. Zadi
Zaourou. Dans Césaire entre deux cultures
(2)
B. Zadi nous
donne un aperçu de l'oeuvre de Gbazza ~Iadou Dibéro. L'auteur
de Fer de lance emprunte à ses maîtres
et à d'autres que
nous ne citerons pas ICI
des textes plus ou moins ficlèles,
plus ou moins longs.
Les exemples qUI suivent, essentiellement nrlS dans
Fer de lance, nous donne une idée de l'abonclance de cette ln-
tertextualité.
Texte-source
:
"Permets un instant, hônê, que je salue la vaste
assemblée
Ne te trompe pas Déa hônê
Zégbi le grand, toi si rusé, ne te trompe pas
saluons toutefois un instant la vaste assemblée
saluons un instant la vaste assemblée
Toua, ne te trompe pas" (3).
Bernard ZADl ZAOUROU
Césaire entre deux culture. NouveJles Editions
Afncalnes, Alndjan-lJakar, 1978, p. 150.
2 -
Id. p. 150.
3 -
Id. pp. 151, 152.

-
11) 3 -
Ce texte extrait de Césaire entre dellx cultures
est de Cba:z3 Madou Dibéro.
Dans Fer de lance livre 1 nous trouvons un texte
similaire
"Doworé
Saluons en cheminant cet autre diseur de symboles
Gbazza Madou Dibéro
Que je te salue en passant
o pluie diluvienne
&
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
Que Je te salue de ma main rude et chaude
Que je te célèbre de ma main rude et chaude
Que je te saI 'Je, Gbana ~\\adou Dibéro
(pp. 7 , 8 ) .
B.
Zadi Zaourou rend hommage à Gbazza Madou Dibéro.
L'originalité de cet hommage vient de son caractère mimétique
Pas au sens péjoratif -
. En fait Bernard Zadi Zaourou
rend hommage à Gbazza Madou Dibéro à la manière de celui-là
même qui fut son maître d'initiation. Tout comme il rendait
plus avant hommage à A. Césaire à la manière de ce dernier.
L'hommage donne lieu à une réécriture, une recréation des
textes-sources.
Le même procédé intervient dans cet autre extrait
"Gopé à qUI sied SI bien le "yahi" rouge

-
1" ·1
-
Copéa Gopé
Gopé fille de ma mère
Lui seyait Sl bié'l1 le rouge "vahi" (1 J.
Il est inspiré à l'allteur par un wiégweK (genre
poétique Bété) créé par le maître Gbazza Madou Dibéro.
Dans ce dernier passage poétique un autre texte-
source intervient.
Il est la reprise intégrale d'un texte de
Gbazza Madou Dibéro que voici
:
"~Ioi chanteur, le ~1aitre de la fine et douce parole 5aillie
de la bouche, l'accompagnateur du mélodieux Pédou ( ... )
Dazô
wueudji, maître dll chant parmi la race des oiseaux ( ... )
spécialiste du chant sifflé, Dazô wueudji, dont la VOlX
ne s'enroue jamais (2).
Dans le contexte culturel Bété cette technique mar-
que la déférence et l'humilité à l'égard du maître. ~lais au-
delà de cette vision homogène à un autre type de société, il
faut situer cette forme d'écriture dans le cadre du souci de
renouveau et d'originalité propre à l'auteur.
Il exploite des
canons esthétiques anClens à des fins de créativité et d'in-
novation.
1 - Bernard ZADI ZAOUROU, op. cit., p.
162.
2 -
Id. p.
167.

..
.
.
.,
..
0.
• •
-
1 ~)5 -
,C 0 NC LUS ION

- 1'10 -
Notre pr€occupation
a été de lire les oeuvres de
Bernard Zadi Zaouroll suivant les grilles suivantes :
- prise en compte du caractère interculturel et
intertextuel des oeuvres
- le non respect scrupuleux d'une méthodologie
d'approche préétablie.
Il serait prétentieux de vouloir conclure ou spé-
culer sur des résultats ne répondant à aucun objectif préa-
lablement arrêté. Disons simplement que notre intuition et
nos préoccupations face au texte littéraire africain nous
ont orientée vers différentes voies de travail et nous les
avons suivies, espérant y trouver les moyens d'une descrip-
tion pertinente des textes.
L'objet de cette lecture - le texte littéraire
africain moderne - appelle de nombreuses réflexions et c'est
sur ce sujet que nous conclurons.
Pas plus tard qu'en 1980 Alphonse Raphaël N'Diaye
écrivait dans un article intitulé
Les traditions orales et
la quête de l'identité culturelle: "Il importe de voir si
les traditions orales constituent un recours véritable, une
voie de salut pour une identité culturelle qu'elles ont

-
1~ 7 -
nourrie de leur sève e: qUI, d(s~rticul(e par l'entreprise
coloni~le, court vers .:<' nouvelles embûches" l11. La ques-
tion se pose-t-elle r~ellement de nos jours? Ou mieux se
pose-t-elle en ces ter=es ? Si l'auteur apporte la réponse à
cette question, d'aillellrs formelle et depuis longtemps ré-
solue, en précisant que "la première vérité qu'il convient
de souligner, c'est que notre peuple, qui appartient à la
sphère de l'oralité ;
ce peuple marginalisé souvent
dans la conception du ~rojet d'homme et de société, .... , 10-
ge l'essentiel de sa c~lture dans les traditions orales, que
cette culture soit envisagée sous l'angle religieux, litté-
raire, juridique etc ...
(2).
Il reste que le devenir de l'oralité constitue au-
jourd'hui plus que jamôis un problème dont la compréhension
exige une mIse en relation avec la littérature africaine mo-
derne. Existe-t-il une issue pour l'oralité en dehors de
l'écriture et de la littérature africaine moderne et VIce
versa? Nous ferons éveluer la question initialement posée,
par A.R. N'Diaye en co~sidérant comme acquis le principe de
sa participation à l'élaboration d'un nouveau type âe socié-
té littéraire africaine. Il s'agit dès lors - et nous sommes
au coeur du problème - d'apprécier les retombées immédiates
1 - Alphonse Raphaël N'DIAYE : Les traùitions orales et la
quete de l'identité culturelle, in Présence Africaine
n° 114, 2e trimestre 1980, Edition Presence AfrIcaIne,
p.
14.
2 - I d . p . 9 .

-
l~) ~
-
et les conséquences futures de ce maria~e, somme toute iné-
vitable, sur un plan double: hunl3in et littéraire.
Sur le plan humain
Un facteur humain intervient dans la question. Car
l'on peut se demander: pour qui écrit-on en Afrique? En
partant du point de vue des auteurs nous répondrons
: d'a-
bord pour un public africain à qui l'on veut restituer
sa
littérature. Il s'agit donc fondamentalement d'un problème
de restauration afin de sauver de la mort une culture litté-
raire. Cependant l'instrument même de sa sauvegarde, l'écri-
ture, exclue ceux à qui celle-ci ~'adresse en premier:
le
peuple. Comment un peuple à majorité analphabète - mais non
inculte - peut-il se reconnaître"dans une littérature échap-
pant à son intellect et son univers littéraires tradition-
nels ? Comment peut-il la reconnaître, alors même qu'elle
subit des transformations et des bouleversements irréversi-
bles draînés par l'écriture? Ainsi cette chose sienne lui
échappe doublement par l'introduction de l'écriture et par
son adaptation. Seule une minorité, une "élite" peut préten-
dre accéder à ce langage. Aussi arrivons-nous à un résultat
paradoxal. Au point de départ de l'oeuvre il y a un désir de
réhabilitation, de maintien et de divulgation d'un patrimoi-
ne culturel; à l'arrivée il n'y a plus que le souvenir de
ceux-ci devenus entre-temps matériau; pour quoi? pour l'é-
laboration d'une littérature spécifiquement africaine mais
moderne ?

1 ~J ~l _.
..~.
A terme deux tendances se dessinent dans la litté-
ratllre africaine :
- une littérature africaine moderne
- une littérature africaine traditionnelle reprise,
transcrite et traduite.
Une littérature traditionnelle avec des textes tels Kaidara,
Da Monzon, Sundjata - qui sont des reprises écrites de clas-
siques de la littérature orale africaine. Celle-ci pose d'é-
normes problèmes ... Li:térature à support musical et gestuel,
elle perd une part importante de poéticité et de sémantisa-
tion dans sa forme écrite. Pourtant il existe une solution à
sa conservation : les medias audio-visuels qui ont la capa-
cité de rendre simultanément verbe, gestuelle et musique,
avec fidélité.
Ce qui résoudrait du même coup le problème du
public.
On ne peut pourtant s'empêcher de s'interroger sur
les chances de survie et de perpétuation de la littérature
orale africaine dans la phase actuelle de l'évolution socia-
le en Afrique. Littérature de plus en plus coupée de ses ba-
ses idéologiques et philosophiques - les traditions, généra-
trices d'un mode de 'vie et d'une conception éthique. Son
avenIr ne peut que laisser pessimiste mais cependant on peut

-
2tHl -
csp~rer qll'il en reste de gloriellx vestiges
ce, grâce ;1
une politique de collecte et de conversation, qui signifie
du reste sa mort.
La littérature africaine moderne elle, se résume par une
écriture intertextuelle qui, pour vivre, tuera à terme sa
matrice (la littérature orale). Elle mettra d'ailleurs du
temps à se propager car elle demeure encore pour longtemps
un objet le luxe, inaccessible au peuple, son destinataire
idéal, à cause des obstacles que sont la langue et la moder-
nité :
"le développement interne et autonome de
notre société, ne lui a pas permis d'accé-
der d'elle-même à la modernité et C... }
dès lors, une nécessaire accession à la
modernité, apparaît comme une violence per-
turbatrice qui l'agresse, exige d'elle une
mutation d'ordre
économique, culturel et
social, et autorise à se demander si elle
n'y laisse pas son âme'?
(1)
Question ou
réalité quotidienne?
1 - Alphonse N'DrAYE
Op.
ci t. p.S.

2111
-
BIBL! OGRAPH 1E
1 - TEXTES DU CORPUS
ZADI, Bernard Zaourou
Les Sofas suivi de L'oeil, Collec-
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Oswald, 1975.
Fer de lance, Livre 1 ; Collection
"Poésie prose africaine", P. J.
Oswald, 1975.
II - AUTRES TEXTES DE ZADI
Bernard Zaourou
Césaire entre deux cultures
Nouvelles Editions Africai-
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- Z_~I, Bernard Zaourou : La parole poétique dans la poésie africaine
Domaine de 1'_4frique de l'Ouest francophone.
Thèse de doctorat d'Etat. Université de Stras-
bourg II. Année 1981.
Textes Inédits :
Fer de lance Livre II
La termitière, texte dramatique créé par B. ZADI Z.
La tignasse, id.
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- Communication N° 27, Sémiotique de l'espace, Seuil
1~1~7.
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Editions Présence Afric3ine
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- Présence Africaine N° 114 Editions Présence Africaine
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Psychanalyse à l'université, tome 3, n° 11,
juin 1978,
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tissements nouH'au:,,",
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l'université, tome 3, n° 12, septembre
1978.

ANNEXE l
"PORTE AU LOIN MA VOIX"
6
Tiens ferme, Doworé mon frère et porte au loin ma voix
84
Prends-y garde et porte au loin ma voix
1 7 1
Multiplie ma voix et que s'amplifie mon poème ---->
variation
verset
218
Porte au loin ma voix, Doworé
verset
266
Porte au loin ma voix
ve rset
441
Porte au loin ma voix Doworé
519
Porte au loin ma chanson
> variation
verset
564
Porte au loin ma voix je te prie
,c
verset
895
Porte au loin les noms multiples du roi de SIKASSO
> variation
:::;
verset
918
Chante après moi et porte au loin ma voix
verset
1257
Porte au loin ma voix.

ANNEXE I I
"LA FINE ET DOUCE CHANSON FLUEE DE MA GORGE"
Verset 109, Il 0, 111
Pour mordre au fil de ma chanson
} INVERSION
la do~ce et f\\"e chanson de ma gorge longue
.
,
288
Mon chant
298
Ma douce et fine chanson fluée de ma ----> INVERSION
290
gorge' ?
• • •
'
300
.. De redonner viguellr aux invalides
301
Par la chanson
302
La fine et douce chanson fluée de ta gorge - - > RAJOUT (+ ample)
303
ample ?
,
41 4
viendra la chanson des cavernes hautes
.,
41 5
ma voix
416
la dopce et~e chanson fluée de ma gorge ( ... )----> INVERSION
,;-:,
:t
450
Que l'on m'entende afin que rien de mensonger ne
451
vienne souiller ma chanson
452
la do..uce et f:i,pe chanson fluée ,le ma gorge - - > INVERSTON
55ï
les foules nous écoutent
}
558
qlli vihrent all chant de ma gorge fluée
VARIATIONS
chanson est remnlacéc
559
mon chant
par perle.
560
la douce perle surgie de ma gorge longue., .
.'.
584
la chanson

585
la fine et douce chanson fluée de ma gorge
,
verset 1 1 55
la lune qui vient de figer mon chant
Il 56
la dO~lce et f~ne chanson fluée de ma gorge longue ---> INVERSION + RAJOUT
verset 1162
la p~lerine imprudente que vient de figer mon chant
1 1 62
la dorce et f~ne chanson fluée de ma gorge longue ---> Idem
\\
verset Il ï 8
chanson est
~10n chant
\\
remplacée par
1 1 ï 9
~la fine et douce rosée fluée de ma gorge vespérale ---;> VARIATIONS
rosée et p,or.~e
est quaI j fiée
de vespérale.
,
. '.

ANNEXE III
"LONGUE ENCORE LA NUIT QUE NOUS VEILLONS"
verset
2
Nous voici, Doworé
3
A la racine de la nuit
verset
83
Nous voici à la racine de la nuit Doworé
verset
242
Longue encore la nuit que nous veillons
243
Longue et longue
versC't
307 --315 La nuit est longue
la nuit des dévoreurs d'nmes
La nuit est longue
la nuit tronque use de vaillance
la nuit est longue
la nuit qui truque les vaillances
notre nuit
la nuit des brouilleurs de vue
'"
Nuits
, 0
verset
482
Que me revienne le premier mot car longue encore
la nuit qu'il
nous faut vaincre et -
- - -
vcr:-;ct
522
Longue encore la nuit qlle nOliS vei llons
Longue ct
longue
VClc~Ct
555
Doworé
556
Longue encore la nuit qu'il nous taut blanchir et les
557
roules nous écoutent
verset
771
Longue et longue la nuit qu'il me faut dévorer
verset
1034
La nuit est longue Doworé
1035
Longue et dure
La nUlt qUl t'écoute ...
verset
1 259
Longue et trapue la nuit qu'il nous faut dévorer

TABLE
DES
MATIERES
Pages
INIRODUCI ION GENERALE
3
PREMIERE PARTIE: PROBLEMES D'ECRITURE
l~
CHAP ITRE
1 : Du REFUS AU COMPROMiS· ... ······.· ..
l i
A - LES SOFAS
l i
B - LA CENSURE D'UNE LANGUE
19
C - LES SUBTILITES D'UNE ECRITURE.·.·.· .. ·····
23
1 - Des subterfuges j'écriture
30
2 - Le syntagme rythmique de base
3~
3 - L'unité sacré autour de la notion de
symbole
3~
CHAP ITRE
~7
A -
49
B -
51
CHAPITRE III : LE TISSU MUSICAL
61
A - LA MUSIQUE COMME ELEMENT STRUCTUREL .... ...
64
- La macro-structure
65
2 - La micro-structure
60
B - LA MUSIQUE COMME ELEMENT CONCEPTUEL
75
1 - La complémentarité verbe-musique-danse.
76
2 - Le tam-tam parleur ou le langage désar-
ticulé
sa

Pages
DEUX 1EME PARTI E
LIN LIN 1VERS D' APOCAL YPSE ET DE SA~Ir,.
'11
CHAPITRE
LA CONQUETE DE L'ESPACE COMME SYM-
92
BOLE DE LI BE RTE
.
A - LA NUiT MAGIQUE
··
····....
94
B - LES DERNIERS RETRANCHEMENTS OU LE SIEGE
LI BERATEUR
98
- Les topoï
98
Z - Des itinéraires au signifié textuel..
105
C - L'ERRANCE OU LA QUETE DE LA LIBERTE
118
- L'espace de la représentation
119
Z - L'espace hors-scène
120
CHAPITRE
II : LORSQUE NOMMER C'EST SIGNIFIER ....
A - LORSQUE LE NOM S'IDENTIFIE AU NOMME
.
126
B - CLES POUR INITIES
1 28
C - CATEGORISAT10N ET FONCTIONNEMENT DES AN-
THROPONYMES
131
- Les anagrammes
1:;3
- Les anthroponymes en "trompe l'oeil".
133
CHAPITRE III : LES PARADIGMES DE LA SURDETERMINA-
TI ON
••••• t ••• 1 lit ••• 1 • III •••• 1 "
,

136
La métaphore animale
'"
140
CHAPITRE
IV: UNE OEUVRE DE VIOLENCE ET DE SANG·
1S3
A - LECTURE THEMATIQUE OU ISOTOPIQUE?
lS3
B - LE LANGAGE DU SANG
1 58

Pages
TROISIEME PARTIE
LA KENCONTRE DES GENERAI IONS
ET DES CULTURES..................
167
CHAPITRE
l
SITUATION ET DEFINITION
169
CHAPITRE
11
INTERTEXTUALITE INTERNE
liS
CHAPITRE
III
INTERTEXTUALlTE EXTERNE •.•......•
1 S 3
A - LA NEGRITUDE .. • ...... •• .. •• .... ·• .... ·..
183
1 - Colonisation et histoire
: deux thè-
mes aux élans passéistes
184
2 - Aimé Césaire: Un père spirituel....
185
1:1 -
L'ORALITE . . . . . . . . · . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
187
- Des fragments de contes merveilleux.
188 •
2 - Kaidara et Ogotommêli
191
3 - Wai Gogo, Gbazza Madou
Dibéro : 2 maîtres de l'oralité ...
191
CONCLUSION GENERALE.................................
195
Bl BL! OGRAPH 1E
.
~
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ANNEXES
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