UNIVERSITE
DE
NANCY
II
U.E.R.
de Psychologie,
Philosophie et
Sociologie
UNE ORGANISATION D'ETUDIANTS
AFRICAINS EN FRANCE
THESE POUR LE DOCTORAT DE
3è CYCLE
MENTION
PSYCHOLOGIE SOCIALE
Présentée par
KONAN
KOUASSI
SOUS
LA
DIRECTION
DE MM
André LEVY
Pierre ALEXANDRE
Chargé d'Enseignement
Professeur à l'Ecole des
à l'Université de NANCY II
Hautes Etudes en
Sciences Sociales de
Paris
Décembre
1981

A ma regrettée mère, qui avait tant souffert pour m'as-
surerune bonne éducation et qui n'aura jamais profité du fruit de
ses efforts.
A feu mon oncle KONAN KAN
A mon cher Oncle KOUAME Blaise qui a veillé sans faille
à la réussite de mes études tant scolaires qu'Universitaires.
Enfin à ma femme et à mes enfants qui ont supporté avec
moi toutes les difficultés rencontrées pour la réalisation de cette
Thèse.
A toutes ces personnes donc,
je dédie cette Thèse.

REMERCIEMENTS
C'est avec l'aide considérable de Messieurs André LEVY
et Pierre ALEXANDRE, respectivement Directeur et CO-Directeur de ma
Thèse, que ce travail a eu l'issue souhaitée.
Grâce à eux j'ai pu
surmonter mes angoisses devant les multiples problèmes que posait
cette investigation.
Qu'il me soit donc permis de leur dire merci
pour leur compréhension et la patience dont
ils ont fait preuve du-
rant toutes mes recherches.
Je remercie tous mes amis
(particulièrment KOFFI
KOUADIO François) qui m'ont remonté le moral lorsque j'étais sur le
point d'abandonner mes recherches à cause des obstacles que je cro-
yais insurmontables.
J'exprime
parailleurs toute ma reconnaissance à l'en-
droit de Monsieur AKA KOUADIO Joseph,
Directeur du Centre Ivoirien
d'Etude et de Recherche en Psychologie Appliquée
(C.I.E.R.P.A.)
pour
l'aide matérielle et technique qu'il m'a apporté durant tout ce tra-
vail.
Je m'adresse également à tous les étudiants africains
membres de la F.E.A.N.F.
qui ont contribué énormément à la réalisa-
tion de ce travail en acceptant de se prêter aux interviews malgré
les conditions précaires et peu rassurantes que connaissait cette
organisation.
Enfin,
j'exprime toute ma gratitude à Mademoiselle
.
Isabelle MEYER,
étudiante en Psychologie à l'Université de NANCY Il,
pour l'aide qu'elle m'a apportée durant
les entretiens avec les étu-
diants africains.

-
1 -
l
N T R 0 DUC T ION
========================
"UNE ORGANISATION D'ETUDIANTS AFRICAINS EN FRANCE".
Tel est le sujet que nous nous proposons d'étu-
dier.
Celui-ci qui aurait pu également s'intituler:
Mouvement
étudiant et psychologie de groupe s'inspire d'une étude anté-
rieure que nous avions effectuée dans d'autres conditions (Mé-
moire de psychologie sociale
(1)
sur l'adaptation des étudiants
d'Afrique Noire au milieu Français.
Comme échantillon, nous
avions choisi des étudiants membres de la F.E.A.N.F. (2).
Si nous nous donnons pour tâche de travailler
de nouveau sur cette Organisation mais avec d'autres hypothèses
c'est que l'idée nous en est venue au moment où nous avons obser-
vé des conduites conflictuelles qui prenaient une ampleur telle
que l'Organisation toute entière en ressentait les effets.
A la fin de l'année
1976 la F.E.A.N.F.
n'était
plus que le théatre d'affrontements entre des individus et des
~
groupes, entre groupes et entre des individus eux-memes
; au
même moment l'Organisation connut sa première scission.
En
Décembre 1977 lorsque nous entamons nos recherches elle était
chancelante du fait
de certains
départs de meDbres liés à la ré-
pression interne ou externe à l'Association;
ce qui
va expli-
quer en grande partie les difficultés rencontrées dans
la quête
de nos données et ce qui explique peut-être aussi les activités
devenues rares et insoupçonnées, de cette association.
( 1 )
Ce mémoire a été fait
en 1975 lorsque nous étions étu-
diant
à la Faculté des Sciences Humaines de BESANCON.
Fédération des Etudiants d'Afrique Noire
( 2 )
F.E.A.N.F.
en France.
. .. / ...

-
2 -
Les conflits à la F.E.A.N.F.
étaient donc un
sujet intéressant pour nous en tant qu'étudiant en Psychologie
Sociale attentif aux problèmes des Organisations
; mais aussi
le sentiment de pouvoir aider les individus membres de l'Or-
ganisation à mieux saisir les réalités qui leur échappent dans
cette situation de crise nous a guidé dans l'étude de la F.E.A.N.F
L'analyse de la F.E.A.N.F.
est ainsi notre première expérience
de longue durée de psychologue.
Pour être plus précis. disons
que
trois rajsons essentielles expliquent notre choix
:
- La première raison est celle que nous venons
d'exposer à savoir le désir d'aide aux étudiants.
-
La seconde est le désir de comprendre par l'ap-
plication de nos connaissances en psychologie sociale, la désor-
ganisation de la F.E.A.N.F.
Désorganisation qui semble encore
aujourd'hui surprendre beaucoup d'individus membres.
-
Enfin la troisième raison tient
::'.U fait
que
nous ne voulions pas nous satisfaire de l'interprétation de la
crise de la F.E.A.N.F.
uniquement sous l'angle de la militance.
En effet,
les militants et particulièrement les dirigeants de
l'Association pensaient que les conflits et tensions qui per-
turbaient le fonctionnement
de celle-ci étaient la conséquence
d'attJtudes
qualifiées de "contre-révolutionnaires".
Ils esti-
maient que les contradictions entre groupes, entre individus et
groupes étaient l'oeuvre de personnes taxées d'agents de l'impé-
rialisme" de "petits Bourgeois ennemis des peuples a.fricains etc ...
Notre but a été donc de proposer d'autres inter-
prétations des événements vécus par les membres de la F.E.A.N.F .
.
que celles qu'ils avaient tendance à fournir eux-mêmes.
Nous
nous sommes pour cela basés sur leurs discours recueillis au
cours d'entretiens et de discussions.
. .. /'"

- 3 -
Les hypothèses que nous verrons plus loin ont
été formulées à partir d'~nterprétations de discours recueillis
au cours de discussions menées avec des étudiants africains
membres de la Fédération.
Quand,
par exemple, nous leur posions
la question suivante
:
"Pourquoi vivez-vous en groupe avec les
autres Africains ?". La réponse (le plus souvent spontanée)
e s t :
"C'est de cette façon que je me sens vivre par rapport à
la société française".
Tout se passe comme si la vie en association
chez ces personnes constituait une stratégie défensive contre
un monde qui n'est pas le leur et qui de toute évidence pré-
sente des aspects agressifs,
du moins pour les personnes qui
lui sont étrangères.
Parce qu'elles se trouvent devant des
modes de pensée, d'activité,
des normes sociales et culturel-
les auxquels elles n'ont pas ou presque été conditionnées dans
leur milieu traditionnel.
Elles sont ainsi placées dans une
situation particulière où la fidélité aux normes de leur so-
ciété d'appartenance se trouve en quelque sorte remise en ques-
tion du fait de la contrainte exercée par la nouvelle société
à laquelle elles doivent s'adapter si elles veulent conserver
leur équilibre psychologique.
Nous nous sommes donc demandés si le fondement
ou l'un des fondements de la vie en groupe n'est pas ce désir
de se retrouver sOi-même, de parvenir à un certain équilibre
psychologique.
Le désir de vivre en groupe ne serait-il pas
lié à un besoin vital de "sécurité psychique" parallèlement
à ce facteur de groupalité,
il semblait ressortir des discus-
sions que la F.E.A.N.F.
est aussi un lieu pr~vilégié
pour
repenser les problèmes de l'Afrique
(problèmes politiques,éco-
.. . J ...

- 4 -
nomiques et socio-culturels) comme ensemble de sociétés dépen-
dantes par rapport aux sociétés Occidentales.
Repenser les problèmes de l'Afrique signifiait
pour ces personnes interrogées,
développer un contre-pouvoir
visant au renversement des rapports de forces à l'intérieur
comme à l'extérieur des sociétés africaines
A l'intérieur,
il s'agit de mettre en place un
nouvel ordre social, de réaliser un modèle de société jugé
utile à l'Afrique;
et à l'extérieur, il s'agit de soustraire
les sociétés africaines à la domination Occidentale.
Autrement dit,
repenser les problèmes africains
pour ces individus signifie opérer une déconstruction de normes
et de pratiques sociales vues comme aliénantes.
Une déconstruc-
tion non seulement de pratiques et de normes économiques et
politiques mais aussi de pratiques socio-culturelles les unes
étant liées aux autres
; car A.
TOURAINE ne disait-il pas que
"le drame est qu'une société économiquement dépendante l'est
aussi intellectuellement."
(1)
Ces deux conceptions de la F.E.A.N.F.
par ses
membres nous fit penser à l'analyse de Jean GRISEZ qui affirme
"La constitution des groupes spontanés s'effectue
en rapport avec la société globale et par rapport
à elle,
soit en réaction défensive,
soit comme
projet de transformation."
(2)
(1) Alain TOURAINE,
les sociétés dépendantes P.
162 Duculot 1976
(2)
Jean GRISEZ, Méthodes de la psychologie sociale 1975 P.
36
... / ...

- 5 -
A la lumiêre de ces observations nous étions amenés
à croire que les individus (à la différence des uns et des autres)
poursuivent des objectifs différents à deux niveaux
-
niveau psychique
-
niveau socio-politique.
La coexistence
de ces deux niveaux n'était pas sans
poser quelques problèmes à l'organisation.
Les tensions entre les membres,
les résistances mani-
festes aux décisions semblaient correspondre à des attitudes rigi-
des qui fonctionneraient comme un contre poids au processus d'ins -
tauration d'une idéologie politique au niveau socio-politique de la
F.E.A.N.F.
Le niveau psychique nous paraissait d'autant plus ancré
dans les conduites qu'il semblait fondé et développé sur une désil-
lusion.
En effet les représentations
(1) que l'étudiant africain
avait de la société française avant d'y être venu,
se trouvent
aujourd'hui estompées démunies de toute leur teneur imaginaire
lorsqu'il a été livré aux épreuves de réalité;
par exemple,
les
difficultés d'adaptation liées à des problèmes de communication sug-
gèrent en eux le sentiment de rejet par cette nouvelle société,
sentiment renforcé par une attitude défensive.
Car les représen-
tations qu'il avait, de la France conféraient à celle-ci des qualités
paradisiaques.
Tous les fantasmes
(2) nourris par l'étudiant afri-
cain se trouvent comme un brouillard dissipé par sa confrontation
aux réalités sociales françaises.
(1) Nous définissons ce concept ici comme étant une acquisition des
sujets leur permettant d'évoquer ou d'exprimer les réalités socia-
les françaises en leur absence.
(2) Ce phénomène s'observe également chez l'Africain non étudiant.
Michel Samuel dans une étude en 1978 sur les travailleurs africain:
immigrés en France
(cf.
Bibliographie) a pu montrer que ceux-ci
tiennent le discours de personnes désabusées.
Tout comme une socié·
té affranchie de tous les problêmes économiques,
sociaux et même
politique.
iJ.8
croyaient y trouver le bonheur parfait .
.. . J ...

- 6 -
On pourrait nous faire observer que cette question
est d'ordre culturel et qu'elle touche de loin (ou ne touche pas
du tout)
la psychologie sociale.
Mais nous répondrions que la
culture a nécessairement une dimension psychosociologique dans
la mesure où elle est le produit du processus de socialisation
et donc d'intériorisation des valeurs sociales, des connaissances
acquises, du savoir qui caractérisent une société.
La culture
étant elle-même à l'origine d'une tendance chez l'indiv~du à re-
chercher des objets de satisfaction qu'il désire Derpétuels, sta-
bles et cohérents.
Quoi qu'il en soit nous pensons que nul ne
peut nier qu'il est difficile d'établir une frontière entre ce
qui est purement culturel et ce qui est purement psychologique.
Sans doute n'est-il pas absurde de vouloir établir cette frontière.
Nous y reviendrons.
Compte tenu de cet aspect culturel des problèmes
que nous étudions dans cette recherche, nous avons jugé bon, pour
plus de clarté de nous référer à la théorie de la personnalité
de base d'Abraham KARDINER et reprise respectivement dans des
ouvrages de vulgarisation par Michel DUFRENNE et Jean STOETZEL.
Egalement pour mieux appréhender les questions au ni-
veau socio-politique, nous nous sommes appuyés sur la théorie
des mouvements sociaux d'A.
TOURAINE.
Bref la partie
théorique
en fin de compte est un résumé des thèses de
différents auteurs.
Nous sommes parfaitement
conscients des lacunes et
imperfections qui pourront· être constatées dans ce travail.
Aussi
n'avons-nous nullement la prétention de faire oeuvre d'érudition,
et l'intention niîve d'analyser en exhaustivité les phénomènes de
groupes ou encore de nous faire découvreur d'inédits.
Nous nous
bornons dans cette recherche à expliquer à la lumière de théorieS
.. , /'"

- 7 -
en sciences sociales des faits psychologiques et sociologiques ap-
parus dans la F.E.A.N.F.
Nous croyons ainsi apporter notre contribu-
tion à l'étude psycho-sociologique
des organisations qui se cherche
encore en
~~~~rde dégager des éléments susceptibles de consolider
son champ d'investigation.
La psychosociologie des organisations étant un nouveau
domaine,
"un secteur en évolution"
(1)
de la psychologie sociale, ce-
la pose d'énormes problèmes à un chercheur.
En effet la notion d'or-
ganisation et la notion de groupe sont des notions complexes eu égard
aux nombreuses difficultés méthodologiques et épistémologiques.
Nombre de psychosociologues comme J.
GRISEZ (2)
ont dé-
montré le caractère complexe des phénomènes sociaux dont
l'étude ré-
cente ne permet pas,
par des analyses profondes d'inférer sans ris-
ques épistémologiques graves à des théories définitives, d'établir
des modèles normatifs fonctionnant comme des référents théoriques im-
muables.
L'étude que nous avons entreprises sur la F.E.A.N.F.
n'échap-
pe pas à cette difficulté:
tant au plan méthodologique qu'au plan
des concepts et théories.
Dans ces conditions nous avons été amenés sans cesse dans
cette recherche,
à osciller entre plusieurs disciplines autres que
la psychologie sociale (Sociologie,
Anthropologie, Ethnologie,
Psy-
chanalyse etc. ,.,) auxquelles nous avons emprunté des concepts afin de
bien délimiter notre champ d'investigation.
Mais précisons que nos ré-
férences théoriques et/ou conceptuelles ne fonctionnent pas comme des
doctrines ou des modèles qui viendraient authentifier telles ou telles
pratiques de la F.E.A.N.F.
elle-même.
( 1 )
EDGARD ~ SCHEIN, Psychologie et organisation 1971 P.
72
( 2 )
JEAN GRISEZ
: op cit 1975
... /' . -

- 8 -
En commençant
ce travail nous avions l'intention
de porter notre analyse uniquement sur les interviews que nous
aurions recueillies auprès des membres de la F.E.A.N.F. mais les
résistances que nous avons rencontrées au cours des discussions
nous ont conduit finalement à exploiter aussi les documents écrits
de cette organisation.
Néammoins nous nous sommes heurtés à une
double difficulté dans la quête et l'interprétation des données
-
Comment appréhender conceptuellement et opératoire-
ment les désirs
et les réactions des membres de la F.E.A.N.F.
en proie aux conflits enfantés à la fois par leur nouveau cadre
de vie et l'existence d'une idéologie dans cette organisation.
Et comment saisir l'articulation des affects avec
les phénomènes psychosociaux plus généraux.
Toutefois, une orientation s'est fait
jour qui a
permis de résoudre ces problèmes dans des perspectives totalisantes
la considération de la F.E.A.N.F.
comme lieu d'expériences affecti-
ves et cognitives, comme lieu de pratiques sociales.
L'accent est ainsi mis sur le fonctionnement
de l'organisation mais l'intérêt va surtout
(dans le cadre de no-
tre recherche)
aux phénomènes psychologiques comme les mécanismes
de défenses,
les conflits et tensions qui accompagnent et consti-
tuent le
trouble dans la F.E.A.N.F.
Après cet aperçu sur les motivations qui nous ont
conduits à analyser la F.E.A.N.F.
et les moyens pour y parvenir,
... / ...

- 9 -
nous voulons présenter maintenant l'organi~ation de notre travail.
Dans la première partie nous présentons brièvrement
l'histoire de la F.E.A.N.F.
puis nous exposons la problématique
et les objectifs de notre recherche.
Ensuite viennent les hypo-
thèses de travail.
Dans la deuxième partie nous ouvrons un chapitre
sur les sociétés africaines avant et après l'ère coloniale afin
que l'on puisse trouver les fondements de notre critique à
Mannoni
et également pour que l'on comprenne mieux les éléments qui don-
nent sens au mythe de la France chez les étudiants africains en
particulier et chez l'homme africain en général.
Dans la troisième partie nous présentons notre mé-
thodologie avec les limites qu'elle comporte et les difficultés
afférentes à la pratique de chercheur en psychologie sociale.
Dans la quatrième partie nous faisons l'analyse et
l'interprétation des données recueillies.
L'interprétation s'est
faite à deux niveaux
-
niveau psychique
-
niveau socio-politique.
Ces niveaux correspondent aux deux conceptions sé-
parées de la F.E.A.N.F.
dont nous parlions plus haut.
La
cinquième partie'est celle de la conclusion géné-
rale de notre recherche avec quelques réflexions analytiques sur
des éléments de théorie de l'idéologie dans un groupe .
... / ...

- la -
PREMIERE
PARTIE
POSITION DES PROBLEMES
CHAPITRE
1
RAPPEL DES EVENEMENTS QUI ONT MARQUE LA VIE
DE LA F.E.A.N.F.
ENTRE 1950 ET 1980
CHAPITRE
Il
PROBLEMATIQUE DE LA RECHERCHE
CHAPITRE III
HYPOTHESE DE TRAVAIL

- 11 -
PRE MIE R E
PAR T l
E
============================
POSITION DES PROBLEMES
CHA PIT R E l
===================
-
RAPPEL DES EVENEMENTS QUI ONT MARQUE
LA VIE DE LA F.E.A.N.F.
ENTRE 1950 ET 1980
LA F.E.A.N.F.
(Fédération des Etudiants d'Afrique
Noire en France) est une Association créee en Décembre 1950 par
des étudiants d'Afrique Noire Francophone en France.
Elle s'est
constituée sur la base d'une Organisation syndicale pour la dé-
fense des intérêts de ses membres telle que la revendication des
bourses d'étude, des logements en cités universitaires.
Elle re-
groupe des étudiants sans distinctions de religion et d'opinion
politique.
De 1957 à 1960 cette Association soutient manifeste-
ment les mouvements de libération comme l'U.G.T.A.N.
(Union Géné-
raIe des Travailléurs d'Afrique Noire) qui luttaient contre le
colonialisme et pour l'indépendance de l'Afrique.
En 1964 elle commence à parler de néo-colonialisme
dans son discours et à attirer l'attention de ses membres sur la
question de l'impérialisme occidental.
Elle se contente de dé-
noncer verbalement la domination de l'Afrique par l'Europe
(1).
(1) En réalité la F.E.A.N.F. avait une idéologie depuis 1955 qui
se traduisait dans un discours pluraliste car l'idée force
était l'indépendance de l'Afrique.
La question du choix de
société n'étai~ pas dominante dans la lutte engagée par l'Or-
ganisation.
. . . J ...

-
l~
-
En 1970 lors de son congrès, le vingtième de son
existence,
la F.E.A.N.F.
décide de travailler activement avec
des Organisations politiques qui dénoncent comme elle l'impéria-
lisme européen.
C'est à ce moment là que les difficultés de l'As-
sociation débutent car" en commençait à sentir des réticences à
l'établissement de leurs rapports.
Les conflits deviennent paro-
xystiques.
En 1972, le discour de la F.E.A.N.F.
devient de
plus en plus un discours engagé en même temps que les tensions
prenaient de l'ampleur dans l'organisation.
Cette année-là,
la
F.E.A.N.F.
publiait un document relatant l'histoire de la domi-
nation de l'Afrique de l'Ouest.
Dans ce document
(1) on peut
lire des critiques acerbes contre les sociétés dominatrices et
les Organisations politiques africaines comme le R.D.A.
(2)
par exemple, qu'elle estime avoir "trahi les peuples d'Afrique".
Elle y consacrait de nombreuses pages à la résistance des popu-
lations africaines à la pénétration coloniale.
Elle y multipliait
les diatribes contre les sociétés capitalistes.
(1)
Il était intitulé
Analyse historico-critique des luttes de
libération en Afrique.
(2)
R.D.A.
Rassemblement Démocratique Africain .
... / ...

- 13 -
De 1973 à 1974 elle commence à manifester visible-
ment son engagement = des meetings se tenaient pour soutenir
le Vietnam, dans sa guerre contre les Etats-Unis d'Amérique,pour
soutenir le M.P.L.A.
(1)
d'Agostino NETO dans sa lutte de libé-
ration qui l'opposait au Portugal d'une part et au F.N.L.A.
(2)
d'autre part.
Les conflits à la F.E.A.N.F.
à cette époque étaient
à leur paroxysme;
les oppositions violentes, des paroles véhé-
mentes apparaissaient et les dirigeants censuraient des membres
en leur refusant la parole au cours des réunions.
1974-1975, la F.E.A.N.F. se met à l'étude des théo-
ries révolutionnaires:
la R.N.D.P.
(Révolution Nationale Démo-
cratique et Populaire)
de MAO,
l'E.D.N.
(Etat de Démocratie
Nationale), une théorie soviétique élaborée par KROUCHTCHEV et
certaines théories de LENINE (exemple:
le capitalisme, stade
suprême de l'impérialisme).
Rappelons la signification de ces théories notam-
ment la R.N.D.P.
et L'E.D.N.
1) La R.N.D.P.
est la caractérisation que MAO DZO-
DUNG a donné de la révolution en Chine,
en 1939 se basant sur
le fait que la société chinoise était une société semi-coloniale
et semi-féodale, que les principaux ennemis de la révolution
étaient l'impérialisme et les forces féodales et que la bourgeoisie
participait à cette révolution,
(1)
M.P.L.A.
: Mouvement Populaire pour la Libération de l'Angola
.
(2)
F.N.L.A.
: Front National pour la Libération de l'Angola
.. . J ...

-
14 -
MAO concluait qu'il s'agissait d'une révolution démocratique
bourgeoise de type nouveau.
Ce concept a été repris par des théori-
ciens Vietnamiens qui l'ont baptisé Révolution Nationale Démocra-
tique Populaire.
Ces théoriciens affirment qu'avec l'avènement
de l'impérialisme, la classe ouvrière est la seule capable de
diriger la R.D.N.P.
jusqu'à sa victoire totale sur l'impérialisme.
La théorie de l'E.D.N.
prône la jonction entre la bourgeoisie
au pouvoir et les mouvements révolutionnaires pour conquérir
progressivement l'indépendance politique puis économique dans
les sociétés dépendantes.
Elle propose que les révolutionnaires
intellectuels et les couches sociales inférieures des sociétés
dépendantes s'allient à la fraction révolutionnaire de l'armée
natiDnale pour la conquête de l'indépendance.
A
A la meme époque, les dirigeants conseillaient aux
autres membres de l'organisation la lecture des oeuvres de KARL
MARX l'étude du matérialisme historique.
Forte de ces théories
la F.E.A.N.F.
(à ~ravers les dirigeants et quelques membres
chevronnés) appela à la mobilisation active et pratique aux
côtés des ouvriers et paysans d'Afrique,
à la participation
et à la création de mouvements anti-impérialistes dans les so-
ciétés africaines qui seraient dirigés par des partis révolution-
naires d'avant-garde, mobilisés autour de programmes "courageuse-
ment et clairement élaborés avec esprit de suite".
(1)
(1) cf document F.E.A.N.F.
(section académique de NANCY)
publié
en 1976
... /' ..

- 15 -
Dès lors la F.E.A.N.F., va être de plus en plus dure-
ment secouée par ses conflits internes.
D'un côté les invectives
des membres qui ne partagent pas sa nouvelle orientation et de
l'autre le harcèlement pratiqué par les partisans de la révolu-
tion.
En effet le mot d'ordre suivant:
"intégrons-nous aux masses
populaires paysannes et ouvrières
(1)" fut le déclencheur de la
désorganisation de la F.E.A.N.F.
Son application était à la source
de grandes déceptions dues en partie aux difficultés rencontrées
sur les lieux-mêmes de la pratique de la révolution
(incommuni-
cabilité des idées reçues, résistances à leurs actions etc ... )
1976 est la date fatidique de la F.E.A.N.F.
Son
congrès se solde par un échec car beaucoup de membres le boycottent
à la suite d'altercations entre dirigeants et membres d'une part
et entre membres d'autre part.
En 1977 les dirigeants essayent de colmater les brê-
ches en proposant.des congrès extraordinaires pour des "débats
plus démocratiques"
(selon leurs propres termes) mais ce fut peine
perdue.
Car le départ massif des membres avait affaibli le mouve-
ment.
Ce fut donc l'éclatement de l'organisation au début de l'an-
née 1980 (2)
(1) Ce mot d'ordre fut déjà lancé une premlere fois en 1970
au 20è congrès mais ce fut
sans effets.
(2) La F.E.A.N.F.
s'est trouvée sans président quoiqu'elle conti-
nue à vivre.
Mais en Février de la même année les autorités
françaises prononcèrent sa dissolution.
Elle a alors continué
à vivre dans l'illégalité.
. .. / ...

-
16 -
Rappelons la structuration fonctionnelle de ce mouve-
ment.
Il comprend des sous-sections académiques qui sont chacune
dirigée par un bureau de 5 membres.
1 Président
1 Secrétaire général
1 Trésorier
1 Chargé des affaires sociales et culturelles
1 Chargé des relations extérieures.
Tous ces membres sont élus au suffrage universel
par les membres de la sous-section.
Pour les activités,
les com-
missions de travail se forment
à l'initiative des dirigeants.
Elles sont tenues de rédiger un rapport à la fin
de leurs travaux pour être présenté à l'ensemble des membres à
une séance plénière.
Si par exemple le rapport est refusé par la majorité
des membres, alors la commission devra reprendre sa tâche jusqu'à
ce que son accomplissement soit satisfaisant pour tous.
Une fois
les rapports des différentes commissions acceptés,
le bureau se
charge de les mettre en vigueur.
Théoriquement toutes les déci-
sions doivent être prises par l'assemblée des membres.
Les rôles
sont interchangeables au niveau du bureau au cours des réunions
exemple
: le Sécrétaire Général peut assurer la présidence des
réunions
tandis que
le Président lui-même prend des notes à
la place du Sécrétaire, ceci dans le souci de la formation de
tous à des tâches diverses.
. .. / ....

- 17 -
Les sous-sections académiques sont supervisées par
un bureau central nommé Comité Exécutif (C.E.).
Ce bureau se char-
ge de coordonner les activités et les actions des différentes
sous-sections.
Il est aussi composé de 5 membres
1 Président
1 Secrétaire Général
1 Trésorier
1 Chargé des Affaires Sociales et Culturelles
1 Chargé des Relations Extérieures.
Ils sont élus par les délégués de chaque sous-sections;
Les rapports fonctionnels entre le C.E.
et les bureaux locaux
sont basés sur ce que l'organisation appelle le centralisme démo-
cratique c'est-à-dire que les informations en provenance des
sous-sections sont stockées et traitées au niveau central
(au
niveau du C.E.)
puis renvoyées à ces sous-sections sous forme de
tâches exécutoires.
En principe la procédure d'exécution des tâches peut
être choisie par les sous-sections elles-mêmes, celles-ci étant
considérées comme autonomes par rapport au C.E.
On peut représenter ce fonctionnement par un schéma
(voir page suivante)
... / ...

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C. E.
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exécutif
autres membres (la base)
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-
-

- 19 -
Malgré la difficulté d'interprétation de l'ensemble
des évènements que nous venons de retracer tout en respectant la
façon dont ils se sont présentés
chronologiquement et dans le
fil des activités de la F.E.A.N.F., i l nous semble cependant utile,
voire nécessaire, de faire ici une pause afin d'en dégager quel-
ques éléments de significations.
En effet,
ce qui apparait dans l'histoire de ce mouve-
ment est une suite de stratégies visant à l'instauration d'une idéo-
logie dans l'organisation.
On peut donc constater une période spé-
cifique à "l'idéologisation". Au cours de cette période, la pre-
mière circulaire avait pour fonction d'augmenter le petit nombre
d'individus favorables à la militance politique dans la F.E.A.N.F~
Les "texte de cette circulaire qui donne une large vue critique
des situations politiques,
économique et socio-culturelle des
pays d'Afrique fait dominer assez nettement la symbolique du désir
(nous y reviendrons dans les chapitres suivants).
(1)
Il Y a donc déjà le souci d'une image nouvelle de
la F.E.A.N.F.
Il s'agit d'un effort d'adaptation à cette organisa-
tion d'une pensée qui n'est pas au départ prévue par les membres
de l'organisation.
Ceci nous conduits à distinguer deux sous-pério-
des dans la" période "d'idéologisation".
(1) Le texte ne présente pas les objectifs de changement.
On
promet on fait miroiter des choses liées aux besoins immé-
diats des militants.

-
20 -
1 -
De 1964 à 1970 = sous-période de préparation
lointaine.
Il s'agit de savoir si l'idée de quelques uns intéresse
d'autres.
A cette sous-période, on joue la symbolique du désir: on
évite volontairement l~ langage politique trop prononcé parcequ'on
estimait qu'une telle procédure risquait d'induire chez les mem-
bres le comportement de rejet qu'ont la plupart des étudiants vis-;
vis des textes des organisations politique
; par ailleurs il sem-
blait aux "précurseurs" de l'idéologie dans la F.E.A.N.F., que
fournir des analyses toutes faites nuirait à la créativité qu'ils
voulaient favoriser.
2 - De 1970 à 1976 = le petit groupe de départ s'est
bien étoffé.
La preuve est faite que l'idée de départ a du succès.
Il s'agit maintenant de passer à la réalisation.
Les tracts et messages de protestation adressés aux
autorités françaises et à celle de chaque Etat africain font
parti(
de cette période.
Ces tracts et messages ont ouvert la porte à la
symbolique de l'action (nous y reviendrons également).
La fonction
de ces textes est de montrer aux autorités précitées que l'Associa-
tion est sérieuse et efficace.
A la modération du début succède
une affirmation forte du désir d'action politique parcequ'il n'
y
a plus de "risque de malentendu".
En effet il ne s'agit plus d'
analyses toutes faites, mais d'une attitude de choix.
Ainsi, nous
pouvons conclure que la stratégie première des tenants de l'idéolo-
gei politique était que la F.E.A.N.F.
ne devait pas apparaitre
aux membres comme une organisation politique sous peine de "rebuter
les membres et de rester un groupuscule.
Cependant ils n'admettaier
pas le substrat apolitique de cette réaction
; il était donc néces-
saire de développer des relations avec les militants politiques
d'autres organisations,
sans toute fois passer par le préalable
... / ...

-
21 -
d'une ligne politique préétablie. Or la F.E.A.N.F.,
à travers le
groupe favorable à l'idéologie,
tenait à des relations avec des
organisations de travailleurs,
souhaitent même toucher le public
français et, partant, ~es masses africaines par le biais de ces
organisations, mais il était à craindre que les institutions offi-
cielles n'apportent pas leur concours à un groupe qu'elles pour-
raient considérer comme "subversif".
On avait alors peur d'un endiguement de la F.E.A.N.F.
par les
autorités africaines.
Il fallait ainsi naviguer en finesse,
en gardant
une certaine cohérence.
Donc dans un premier temps on jouait la
symbolique du désir, ce qui permet d'intéresser le plus grand nom-
bre possible d'étudiants à la militanc'e politique.
Les relations
avec les organisations politiques et syndicales passaient par des
contacts personnels déjà existants
(tel membre de la F.E.A.N.F.
avec tel responsable syndical ou politique).
Le soin de ces rela-
tions est laissé plutôt que confié à une ou deux personnes.
Le facteur déterminant du passage à la symbolique
de l'action est l'impact du premier temps:
des étudiants sont
intéressés,
des personnalités aussi,
donc l'entreprise semble via-
ble
(les réalisations sont déjà en route:
meeting de dénonciation
ou de soutien).
La crainte à propos de la militance et des thèmes
politiques peut disparaitre.
La F.E.A.N.F.
peut commencer à
constituer sa nouvelle image vis-à-vis des membres.
En revanche,
vis-à-vis des institutions politiques
africaines c'est à une fin de non recevoir que l'Association se
heurte.
Elles considèrent cette transformation de la F.E.A.N.F.
comme un défi et plus que celà,
comme ce qui peut détruire leur
... / ...

-
22 -
existence.
Cette réaction des autorités va faire
jouer à fond
la symbolique de l'action
par le renforcement de la cohérence
et de la netteté de l'image de l'Association et par le débordement
,
des autorités en recourant aux institutions de l'information:
presse écrite par exemple.
A cet obstacle s'ajoutent des contradictions entre
deux conceptions dans la F.E.A.N.F., qui opposent ses membres.

- 23 -
CHA P I T R E
Il
-
PROBLEMATIQUE ET OBJECTIF DE LA RECHERCHE
En sciences sociales et particulièrement en psychologie
sociale pour expliquer il faut dégager ce qui est latent à partir du
manifeste et cette activité implique nécessairement une prise de pos
tion théorique.
La recherche que nous menons pour le moment doit débou-
cher sur un autre travail dans la perspective d'une analyse sociale
1
Toutefois nous nous proposons ici d'aider les étudiants africains en
France notamment ceux qui forment
la F.&.A.N.F.
à clarifier leur
vécu et à en dégager la signification.
Nous nous considérons ainsi comme remplissant une fonc-
tion d'aide sans donner d'ordre ni prendre en charge le fonctionne-
ment de l'organisation.
En effet des ordres ou des recettes toutes
faites auraient pour conséquence de couper l'exploration par les
individus de leur propre vécu,
en leur substituant comme disait
MEIGNIEZ "un pseudo-apprentissage passif"
(2)
de la manière dont on
doit se comporter.
(1)
cf.
ELLIOT JAQUES
Intervention et changement dans l'entreprise
(traduction française)
Dumod 1972
(2)
R. MEIGNIEZ
L'analyse de groupe,
1970
... / ...

-
24 -
L'analyse que nous entreprenons ici part de la consta-
tation que les étudiants africains notamment ceux de la F.E.A.N.F.
rencontrent dans leur vie en France un grand nombre de difficultés
à saisir les causes et les conséquences de leur propre conduite so-
ciale et qu'en même
temps ils se trouvent limités dans leur possi-
bilité de saisir également les causes et les conséquences du comportE
ment social des Français et des autres Africains.
Or ces difficultés qui interfèrent avec la fonction d'ur
organisation comme la F.E.A.N.F.
semblent dans une large mesure d'or-
dre socio-affectif c'est-à-dire qu'elles reposeraient sur la manière
dont ses membres vivent leur comportement et le sens qu'ils lui don-
nent dans l'organisation sans en être tOujours conscients.
1)
Pour une approche psychosociologique des phénomènes
organisationnels.
Notre réflexion est partie d'un constat d'échec lorsque
pour expliquer la désorganisation de la F.E.A.N.F., nous avions applj
qué le schéma conceptuel et théorique du groupe formel et du groupe
informel.
Le groupe formel est défini comme un ensemble de personnes
ayant des fonctions spécifiques qui font partie des activités officiE
les de l'organisation.
Ce groupe remplit donc une ou plusieurs fonc-
tions formelles c'est-à-dire qu'il exécute des tâches qui lui sont
assignées et "dont il est officiellement tenu pour responsable Il
;
(1)
(1)
E.H. SCHEINE
Op ci t
p.
74
... / ...

- 25 -
Quant au groupe informel,
il est celui qui se forme en
dehors de la mission de l'organisation, car l'homme a d'autres besoi
,
A
que celui d'exécuter une tache et,
par conséquent,
il cherchera, par
le biais du groupe informel,
à satisfaire ces besoins.
Les groupes
informels selon les théories des relations humaines tendent à naître
en partie de la structure formelle soit des conditions normatives
de l'organisation, des règles qui la régissent.
Les études d'Hawtho
en sont un exemple probant:
deux clans s'étaient formés dans -un ate
lier d'assemblage à cause de la différence des travaux effectués dan
les deux parties de la salle
; les ouvriers du devant se considéraie
supérieurs à ceux du fond car ils estimaient qu'ils effectuaient un
travail plus délicat quoique cela ne soit pas mieux payé que le tra-
vail fait par les autres.
Ainsi les difficultés énormes que nous a-
vons rencontrées dans l'évaluation des évènements, dans leur mise
en rapport avec ce qui était considéré comme l'organisation formelle
de la F.E.A.N.F. c'est-à-dire celle qui a été conçue par ses créateu
"prescrite et réglementée"
(1)
avec son fonctionnement officiel, et
parfois l'impossibilité de pouvoir valider nos hypothèses nous ont
conduits à poser autrement la question des conflits dans la F.E.A.N.
et à leur supposer d'autres modes d'explication.
En effet, en 1976, lorsque les difficultés de fonction-
nement de la F.E.A.N.F.
commençaient à se faire sentir, nous nous
sommes mis à analyser cette organisation à la lumière des théories
précitées. Mais comment avions-nous procédé?
(1) ARNOLD S. TANNENBAUM
Psychologie sociale de l'organisation
industrielle P.
1
.. '/'"

- 26 -
Nous avions commencé par l'étude de l'organigramme de la
F.E.A.N.F., de son fonctipnnement,
de ses buts, puis nous avions
cherché à déceler l'utilisation réelle de cette organisation par
ses membres.
La mise en relation de celle-ci avec les autres élé-
ments
(fonctionnement et buts officiels de la F.E.A.N.F.) n'a pas
donné les résultats escomptés à savoir que les difficultés de l'or-
ganisation proviendraient de l'aspect formel de la F.E.A.N.F. et
de son utilisation extrinsèque liée aux besoins individuels pour
faire écran au caractère rigoureux de cet aspect.
Les résultats
n'étaient donc pas satisfaisants pour nous dans la mesure où nous ne
pouvions pas distinguer l'existence d'une contradiction entre ce
qui était dit et réalisé
c'est-à-dire leB conduites actuelles et ce
qu~_ devrait être dit et réalisé (les conduites officiellement prescri-
tes)
;
(1) bien au contraire,
le second élément semblait absent dans
la trame des conflits.
Les conflits prenaient de l'importance sans qU(
nous arrivions à situer le second "terme" de la contradiction.-Or now
avions constaté par ailleurs qu'il existait de nouvelles conceptions
(2) des pratiques nouvelles dans l'association et qui n'avaient aucun(
commune mesure, du moins visiblement, avec les objectifs officiels
(1) Notons que notre analyse ne s'inscrivait pas dans une institu-
tion si bien que les résultats ne sont consignés dans aucun
texte.
Cette réflexion a pu avoir lieu grâce aux observations
faites au cours des Assemblées Générales ou des réunions de
travail de la Fédération.
(2) Nous parlons ici de nouvelles conceptions car,
initialement
la F.E.A.N.F., était conçue comme une Association pour
;evendi-
quer les droits matériels et financiers des étudiants membres
(cf.
Première partie ch.
l)
... / ...

- 27 -
Pourtant ces conceptions et les pratiques qui les accompa-
gnaient participaient aux conflits et tensions que connaissait la
F.E.A.N.F~, or la manifestation d'une tension, d'un conflit est
bien la preuve d'une contradiction entre au moins deux forces ou
deux tendances antagoniques.
En psychologie particulièrement en
psychanalyse, on parle de conflit lorsqu'il y a contradiction entre
deux tendances fondamentales.
Par exemple une tendance instinctive
peut être en opposition avec l'environnement ou les contraintes
sociales ce qui rend possible le refoulement.
Cette définition pa-
rait insuffisante dans la mesure où elle se limite à l'homme aux
prises avec son environnement social.
Un conflit, certes, peut être iT
tra-individuel mais aussi inter-individuel,
donc intragroupe et in-
tergroupe.
Dans cette perspective on peut' étendre aisément la défi-
nition en posant qu'un conflit est une situation où coexistent des
désirs, des fins ou des valeurs incompatibles les uns avec les au-
tres ou exclusifs les uns des autres et dont sont porteurs des in-
dividus ou des groupes.
Les tensions sont les effets du conflit.
Sans doute,
tout conflit ne conduit pas aux tensions mais toute
tension prend sa source dans un conflit,
si l'on admet qu'une tension
est un état émotionnel latent et collectif (dans le cas d'une organi-
sation en conflit comme la F.E.A.N.F.) qui surgit et influe sur l'har-
monie du groupe à la suite d'insatisfaction chez des individus mem-
bres de l'organisation.
Certes nous disposions des informations sur
l'un des termes des conflits à savoir que la F.E.A.N.F.
hormis ses
objectifs officiels est conçue comme un lieu de protection du moi,
de réalisation de soi, d'adaptation à la société française,
en un mot
une conception qui traduit le désir de protection de l'indentité socie
culturelle des membres.
. .. / ...

- 28 -
Mais l'autre au moins des termes ne se révéla guère.
Plutôt
que de continuer les recherches dans ce cadre théorique, nous avions
abandonné notre schéma d'analyse pour nous tourner vers d'autres pers·
pectives à la recherche bien sur d'une explication plausible des con-
f1its dans la F.E.A.N.F.
Car les constats et les observations faits
étaient difficiles voire impossibles à interprèter à la lumière des
conceptions de l'organisation formelle et de l'organisation informe11(
et le schéma d'analyse qui en découle ne permettait pas davantage de
rendre compte de la spécificité des comportements observés.
En développant notre réflexion par rapport à la nouvelle con-
ception de la F.E.A.N.F.,
à son fonctionnement réel et à ce que cel1e-
ci pouvait par conséquent masquer ou démasquer, nous sommes arrivés à
constater que cette nouvelle conception n'était pas la seule et qu'il
y en avait une autre qui considérait l'Association comme lieu possiblE
d'une idéologie politique.
Cet état de chose nous a amenés à penser
que les conflits venaient plutôt du désir d'appropriation de la
F.E.A.N.F.
par les tenants de chaque conception. Ainsi -l'organisation
formelle
(que d'autres auteurs nomment structure formelle)
de la
F.E.A.N.F. ne participe pas ici aux conflits.
Elle semble même avoir
été évacuée dans son fonctionnement et ne constitue plus le cadre
de référence des conduites sauf lorsque l'on s'en sert pour réprimer
étouffer les tensions en s'abritant derrière des statuts et des rôles
détenus dans l'Association.
Par ailleurs il ressort de nos observatior
qu'un autre problème se posait au niveau meme de la conception idéolo-
gique.
Celle-ci présente dans sa pratique des contradictions,
(1)
des clivages qui
(1)
Ces contradictions reposent sur le fait que certains étudiants
préconisent la lutte armée immédiate tandis que d'autres estiment
qu'il faut d'abord faire le travail de sensibilisation et de cons-
cientisation des masses ouvrières· et paysannes .
. " / ...

- 29 -
mettent sous tension le groupe d'individus porteurs de l'idéologie
et qui en même temps fragilisent l'Association tout entière.
A la lumière donc de ce qui précède nous avons placé nos
analyses actuelles à un niveau "inhabituel", un niveau qui ne prend
pas en compte (ou pas tout à fait)
l'organisation formelle de la
F.E.A.N.F.
en tant que telle, parce qu'il ne pouvait en être autre-
ment.
Dans cette perspective, nous avons pu définir deux idée~ direc
trices qui ont guidé toute cette recherche
: la première consiste
dans la validation (ou la mise en exergue) du fait que les conflits
dans une organisation peuvent provenir aussi d'une contradiction
entre deux groupes informels ayant des objectifs différents de ceux
de l'organisation formelle
(1).
Même si ces groupes ont été induits
par cette organisation il n'est pas dit que nécessairement leurs
comportements soient liés à elle surtout lorsqu'ils sont conflic-
tuels.
Le conflit de la F.E.A.N.F.
porte à croire que la stratégie
de chaque groupe informel partageant l'une ou l'autre conception
est de s'approprier l'Association pour la réalisation des désirs
individuels et collectifs.
Ces stratégies comme nous le disions
dans notre introduction ne mettent pas en jeu le statut et les rè-
gles originelles de la F.E.A.N.F.
comme on devrait s'y attendre
dans le schéma classique, mais en plus leur contradiction se fait
en deçà de ceux-ci.
(1) A.
LEVY définit l'organisation comme "un ensemble ou un groupe-
ment empirique d'~ndividus ou de groupe, réunis sous un même
nom ou dans une même structure, constituant donc une même unité
sociologique"
(thèse d'Etat 1978)
... / ...

-
30 -
Tout se passe comme si l'organisation formelle de la F.E.A.N.F.
n'avait jamais existé. La seconde idée consiste à poser que l'idéo-
logie (1) n'a pas toujou~s cette fonction stricte et absolue de co-
hésion dans l'organisation dont beaucoup d'auteurs parlent, mais
qu'elle peut avoir des propriétés de destructuration de l'organi-
sation
; propriétés liées à une conception particulière de l'idéo-
logie elle-même.
Voyons un peu comment l'idéologie est p'résentée dans cette
fonction par certains auteurs.
Essayons donc de remonter à l'origine de cette conception
trop positiviste de l'idéologie. Le socîologue Emile DURKHEIM est
l'un des premiers à avoir avancé l'idée que l'idéologie (dans sa
forme religieuse) a une fonction de cohésion du groupe.
L'auteur
de les formes élémentaires de la vie religieuse en définissant la
notion d'idéologie la présente comme un système de représentation,
autrement dit un système de valeurs, de notions et de· pratiques qui
oriente la conduite de l'individu ou du groupe.
Les travaux
de DURKHEIM sur les pratiques religieuses en
Australie et chez les Indiens de l'Amérique du Nord,
l'ont conduit
à affirmer que la fonction de l'idéologie religieuse est "d'assurer
l'accord des esprits les uns avec les autres".
(2)
(1) En fait dans notre travail il s'agit de l'idéologie politique
que nous analysons, mais comme ce concept entre dans la défini-
tion générale que nous donnons plus loin,
il nous parait logique
que la règle s'applique à toutes les idéologies.
(2) DURKHEIM,
les formes élémentaires de la vie religieuse,
P.
624 .
... / ...

- 31 -
Dans ces multiples recherches,
DURKHEIM s'est attaché à
démontrer le caractère absolument unificateur et éminemment collec-
tif d'une idéologie comme' la religion.
En effet é c r i t - i l :
"En de-
hors des sensations et des images individuelles,
il existe tout un
système de représentations qui jouissent de propriétés merveilleuses.
Par elles les hommes se comprennent,
les intelligences se pénètrent
les unes les autres.
Elles ont une sorte de force d'ascendant moral
en vertu duquel elles s'imposent aux esprits particuliers.
Dès lors
l'individu se rend compte au moins obscurement qu'au-dessus de ses
représentations privées il existe un monde de notions -
types d'après
lequel il est tenu de régler ses idées"
(1).
On voit dans cette analyse que 1" auteur a de l'idéologie
une vision unitaire positive.
L'unité positive de l'organisation
sociale, de la collectivité est produite par une appartenance uni-
taire et toute puissante, puisque selon lui elle est régie par des
propriétés qui transcendent l'individu voire le groupe social.
L'ana-
lyse de DURKHEIM laisse transparaître ici sa conviction (2) que tous
les phénomènes observables dans une société sont toujours des faits
collectifs.
Le refus d'admettre qu'il puisse y avoir un substrat
psychologique et individuel aux représentations l'amène évidemment
à conférer à l'idéologie cette fonction qui dépasse l'emprise de l'in-
dividu.
(1)
idem P.
623
(2) DURKHEIM soutient que le recours aux explications psychologiques é
rëte l'analyse parce qu'on s'expose à donner pour explication celé
même qu'il faut expliquer et que les faits sociaux ne sont pas de
simples développements des faits psychiques mais les seconds sont
le prolongement des premiers dans la conscience.
Autrement dit seue
le fait social peut expliquer le fait
psychologique,
puisque le pr~
mier est la cause du second qui en est l'effet.
(Les règles de la
méthode sociologique).
. .. /'"

- 32 -
Si l'idéologie a cettte force implacable de créer et de
maintenir la cohésion du groupe social comment peut-on expliquer
que dans une organisation comme la F.E.A.N.F.
elle n'ait pu jouer
ce rôle "merveilleux" ?
(1) Les distorsions individuelles des repré-
sentations collectives, l'appartenance des individus à des classes
sociales différentes et une certaine conception des pratiques de
l'idéologie même religieuse sont autant de paramètres qui peuvent
être des éléments d'explication à cette non-fonction.
Sans doute
faudra-t-il pour comprendre ce raIe de l'idéologie dans le groupe
ou dans la collectivité, élargir ses rapports aux personnes en tant
qu'individus jouissant de marges de liberté dans le groupe ou la
collectivité et au groupe ou à la collectivité eux-mêmes.
Dans une perspective fonctionaliste Pierre ANSART,
Fernand
DUMONT et Jean BEACHLER (pour ne citer que les auteurs les plus ré-
cents) ont repris,
les thèses de DURKHEIM avec beaucoup de nuance.
L'idéologie, dit P.
ANSART (2) en substance,
à la fonction essentiellE
de procurer au parti,
à la communauté nationale une
image positive
à travers laquelle les membres du groupe trouvent leur identité collee
(1) L'idéologie d'une société n'est pas de mëme nature que ce que l'or
pourrait appeler l'idéologie d'une organisation;
car ce qui as SUI
la cohésion sociale peut être source de conflits dans un groupe
particulier.
Nous faisons l'hypothèse que lorsque l'idéologie danE
l'organisation donne
lieu à des représentations diverses et que
les modalités de sa réalisation demeurent floues,
elle devient
sources de conflits et de tensions.
(2)
P. ANSART , Idéologies, conflits et pouvoir 1977
.. '/."

- 33 -
Pour cet auteur l'idéologie est un système qui transcende
les différences individuelles pour faire la cohésion du groupe.
Ce système surmonte les complexités et les contradictions
de la réalité.
L'idéologie dans la littérature psychosociologique
et sociologique apparait comme le ciment du groupe.
Elle noue de
façon stricte les liens de solidarité entre les membres du groupe

A
qui l'ont produite, face à l'lntéret commun et aussi face à l'adver-
saire commun.
Jean BEACHLER parle,
par exemple,' de ralliement entre
les membres du groupe ou de l'organisation partageant la même idéolo-
gie.
Cette fonction de ralliement est basée,
selon l'auteur, sur
"les passions les plus viscérales", en particulier" les passions
de groupement défini comme la volonté primitive de fusion dans le gro i
pe"
(1)
Somme toute,
l'idéologie est présentée comme un système
toujours harmonisant des conduites groupales des acteurs dans la
recherche commune d'un ordre social.
Fernand DUMOND de son côté, caractérise l'idéologie comme
une source de standardisation des pensées;
pour lui,
l'idéologie
est une pratique de la "convergence culturelle"
(2), une pratique
essentielle de la formation de sujets collectifs.
En d'autres termes,
une pratique qui tend sans coup férir à uniformiser les conduites
individuelles,
à harmoniser les personnalités.
(1)
J.
BEACHLER , Qu'est-ce l'idéologie P.
64
(2) DUMONT 1 Les idéologies P.
67
......
. . . /"
.

34
En s'appuyant sur des exemples linguistiques, DUMONT
montre comment le discours idéologique crée un champ de conscience
,
et un répertoire linguistique de telle sorte que ceux-ci permettent
à chaque individu de s'approprier le langage idéologique commun meme
lorsqu'il se désigne comme "je". Nous n'entrerons pas ici dans une
analyse trop profonde (qui pourrait être fastidieuse)
de cette con-
ception univoque de la fonction de cohésion de l'idéologie, mais
nous ferons tout simplement apparaitre que si l'idéologie fait 'la
cohésion des groupes dans des circonstances données, cette fonction
ne peut avoir un caractère absolu car elle peut avoir un effet con-
traire;
la logique des idées n'est pas nécessairement suivie par la
logique des pratiques, celle-ci ne tend pas seulement à s'adapter
aux réalités extérieures mais cherche tout autant à adapter les réa-
lités à son existence.
Ainsi l'idéologie à travers cette fonction
peut aussi s'avérer comme un facteur de désorgani-sation des conduites
collectives tel que le cas de la F.E.A.N.F.
Loin d'opérer la cohésion de l'organisation ou du moins
de poursuivre ce travail, elle a introduit une distorsion dans les
comportements des membres face à la question de la finalité de l'ac-
tion historique et des modalités pour y parvenir, question à laquelle
elle ne répond pas.
Toutefois nous voulons éviter un malentendu
Ces idées générales que nous voulons développer dans
ce travail ne fonctionnent pas comme une rupture conceptuelle avec
les démarches qui ont permis de mettre à jour les concepts de fonc-
tion de cohésion de l'idéologie et d'organisation formelle et infor-
melle, mais elles doivent être prises comme un recul méthodologique
et théorique pour en proposer des éléments d'analyse .
. . . / ...

- 35 -
Nous n'avons donc nullement la prétention d'invalider
les démarches habituelles en cherchant à valider les nôtres car me me
si nos hypothèses sont vérifiées,
toujours est-il que ce travail
est à poursuivre dans d'autres conditions pour qu'il connaisse
une validité externe. La recherche que nous avons entreprise n'est
qu'une étude de cas dans la mesure où la F.E.A.N.F.
est l'unique
organisation que nous analysons pour la vérification de nos idées.
Même si elles sont déclarées exactes par les données empiriques,
notre travail devra être considéré plus dans s~ validité interne
que dans sa validité externe.
Pour conclure nous dirons que i'échec que nous avons
subi dans l'utilisation du schéma conceptuel du groupe formel et in-
formel traduit peut-être notre propre incapacité à déceler la vérité
scientifique là où elle se trouve, mais nous sommes en droit de pense
que cet échec souligne sans doute la faiblesse et l'insuffisance de
ce schéma
dans les situations spécifiques, d'autant plus qu'il n'a
pu suppléer justement à notre carence,
si carence il y-avait.
Toute-
fois nous tenons à rappeler que notre but n'est pas de démontrer la
nullité de ce schéma pas plus que de faire croire que l'idéologie
ne fait
pas la cohésion du groupe en toute circonstance, mais de fair,
pressentir que ce schéma à des limites dans son application et que
l'idéologie peut faire un travail contraire à la cohésion.
C'est donc
à partir de ces deux idées directrices
(qui orientent notre recherche
que nos hypothèses ont pris corps.
. .. / ...

-
36 -
2) Visée de la recherche
,
A quoi servirait-il d'étudier les problèmes socio-affec-
tifs et idéologiques qui se posent à une organisation, notamment des
problèmes relatifs à un projet de société si notre analyse ne serait
ensuite connue qu'à l'intérieur du cercle des psychologues et des
psycho 7 sociologues ?
Pour répondre à cette question, notre objectif est de
soumettre aussi notre analyse à tous ceux qui nous ont permis de l'él.
borer, surtout aux membres de la F.E.A.N.F. qui,
par leur participa-
tion à nos réunions d'enquê~e, ont rendu possible la réalisation de Cl
travail.
Cela peut paraitre ambitieux dans la mesure où la population
que nous voulons atteindre est très hétérogène du point de vue de la
formation universitaire des membres.
Cela suppose en effet que nous
devrons résoudre de très nombreux problèmes
:
-
Des problèmes pratiques c'est-à-dire comment rendre
ut~.J:i.sable ou
accessible la lecture de notre texte et permettre ainsi
sa remise en question si cela s'averait nécessaire.
-
Des problèmes de terminologie
: si les chercheurs scie!
tifiques et parmi eux les psychosociologues créent leur propre langage
c'est pour "se donner un outil plus efficace dans la production et la
transmission des connaissances".
(1) C'est une nécessité réelle mais
qui à la longue risque de sectoriser le monde des scientifiques et
rendre inopérants les résultats des recherches.
Quelle serait donc la
valeur d'une recherche "si elle n'a pas d'impact sur la situation étu-
diée ? (2)
( 1 )
Maurice BLANC, Thèse de 3e cycle
( 2 )
idem

- 37 -
Nous estimons, en accord avec notre conception de la
pratique de psycho-sociologue que les fruits d'une recherche ne doi-
vent pas être jugés et pris en compte uniquement par ceux qui en ont
la compétence institutionnelle mais aussi par toutes les personnes
concernées par son utilisation et qui ne sont pas nécessairement des
initiés à la matière.
C'est pourquoi nous avions eu le souci tout
le long de cette recherche d'utiliser au minimum possible les termes
techniques.
On trouvera sans doute que nos idées sont mal expri~ées
parce que non contenues dans des concepts appropriés où encore que
nos formulations sont touffues et qu'il y a encore trop de termes
techniques pour le
lecteur non averti;
peut-être même toutes ces re-
marques à la fois pourraient-elles nous ëtre faites.
Mais c'est par
rapport à tout cela que nous demandons au' lecteur de juger cette thès(
- Des problèmes de fonds peuvent se poser aussi dans
notre investigation
: ce que nous cherchons à travers ces objectifs
et les effets escomptés. A ce propos, de nombreuses questions sont
possibles. Aussi signalons-nous que nous ne cherchons pas une quel-
conque "approbation populaire" pour rendre crédibles nos affirmations
mais nous pensons qu'à travers les réponses des personnes intéressées
notre analyse peut-être rectifiée et affinée.
Peut-~tre aussi pour-
rons-nous à cet effet aider ceux qui se posent encore des questions
sur l'éclatement de la F.E.A.N.F.
et les amener par là à mieux ajus-
ter leur appréciation des événements.
Si nous nous résumons nous dirons que notre but est l'a-
mélioration de la capacité des individus à saisir les raisons et les
conséquences de leur mode habituel d'être et de réagir vis-à-vis des
autres individus et de l'un ou de l'autre groupe de la F.E.A.N.F .
... / ...

38
Enfin il s'agit pour nous de les aider à dépasser les
contradictions et à reconnaitre les divers sentiments qui se trouvent
associés aux rapports sociaux quotidiens tant avec la société fran-
çaise_qu'avec la F.E.A.N.F.
elle-même.
Jo

0
0
0
0

1\\,
- 39 -
CHA P I T R E
III
H Y POT H E SES
====================
Dans les pages précédeptes nous avons vu que la
F.E.A.N.F. est l'objet de deux conceptions dont la coexistence
met les membres en conflit. A partir de cette situation nous avon~
formulé des hypothèses sur leurs représentations inconscientes
de l'organisation.
Nous avons catégorisé ces conceptions
suivant deux
niveaux
- niveau psychique
- niveau socio-politique
PREMIERE HYPOTHESE
1) Le niveau psychique
Le niveau psychique correspond pour nous au désir
profond chez les sujets
(les étudiants) de protéger leur moi.
Leur désir qui est rattaché au besoin de sauvegarder leur "espace
psychique" c'est-à-dire la défense de leur dégré de liberté, de
leur marge d'action considérés comme en voie de disparition après
leur expérience dans le nouveau contexte social
(la France).
Comme nous le disions dans notre introduction,
il s'agit en fait
d'une attitude défensive contre ce qui est considéré comme obsta-
cIe à leur existence.
Le niveau psychique nous parait donc un élé-
ment important dans le processus d'intégration à la F.E.A.N.F.
celle-ci semblant offrir à l'individu l'objet de ses attentes
c'est-à-dire la sécurité psychologique qu'il recherche dans la
... /' ..

- 40 -
mesure où cette organisation, dans ses démarches prosélytiques,
fait comprendre aux étudiants nouveau-venus en France qu'elle sau-
rait répondre à leurs besoins, par ce discours qui se résume ainsi
"la F.E.A.N.F.
est un syndicat qui défend les intérêts matériels
et moraux des étudiants africains."
Nous avions donc émis cette hypothèse que le mécanis
me de défense développé face à l'environnement social nouve~u et
contraignant aurait engendré le renforcemen~ de la personnalité
de base (1) des individus qui résisteraient au processus d'assi-
milation ou plus exactement au processus d'aliénation culturelle.
Nous entendrons par aliénation culturelle, la perte
de l'identité socio-culturelle d'une personne au profit d'une au-
tre identité. On peut dans ce cas prétendre que c'est la personna-
lité de base qui conduit les individus aux prises avec les réalité
françaises,
à adopter une attitude défensive par rapport à leur
nouveau cadre de vie.
Elle permet au sujet de se retrouver soi-
même, de recouvrer à tout moment son identité dans les images si-
gnificatives que la F.E.A.N.F.
lui propose.
Elle est pour l'indi-
vidu, une clôture protectrice contre l'extérieur considéré comme
menaçant et frustrant.
(1) Ce concept théorique est défini dans la deuxième partie de
cette recherche.
. .. / ...

- 41 -
2) Le niveau socio-politique
Le niveau socio-politique est le deuxième versant
,
des problèmes de la F.E.A.N.F.
Il est carar.t.érisé par le fait
idéo
logique; c'est la conception idéologique de l'organisation.
Une
conception qui a effectivement pris sens dans les discours. A ce
niveau nous avons observé qu'il n' y avait pas que l'existence en
tant que telle de l'idéologie mais qu'elle était suivie d'un cor-
tège de conflits et de tensions interpersonnels
: par exemple on
assistait à des débats très vifs et parfois à des menaces verbales
et physiques à propos de l'action historique impliquée par l'idéo-
logie.
Certains membres se demandaient où allait la F.E.A.N.F.,
que voulait-elle au juste, d'autres demeuraient perplexes tandis
que les dirigeants, croyant avoir trouvé la solution par le biais
de la répression, ne faisaient qu'engloutir l'organisation dans
ses problèmes.
Partons maintenant de l'organisation elle-même comme
pratique.
Cette organisation a-t-elle connu une situation idéolo-
gique mais d'une manière informelle, ou bien y avait-il un noeud
beaucoup plus complexe où s'articulaient connaissance, action,
culture,
idéologie,
institution? N'
y avait-il pas doute,
incer-
titude,
flottement à propos de la coexistence
des deux conception
la défense des intérêts communautaires et le projet de transfor-
mation sociale (l'idéologie critique)
? Notre réflexion nous a
amenés à croire qu'il s'agit d'un désir d'action politique origi-
nale qui veut sortir de l'ornière où semblent s'enliser toutes
les actions d'organisations politiques étudiantes incapables d'éch;
per à leur destin groupusculaire.
Cette action est d'abord conçue
comme une action de conscientisation, une action de critique idéo-
logique.
. .. / ...

-
42 -
Elle est envisagée semble-t-il en liaison avec un
changement de rapport de forces
à l'intérieur aussi bien qu'à l'ex
térieur des sociétés africaines.
La F.E.A.N.F.
se voulait désormai
lieu de connaissance et d'action, de savoir social.
En effet, la
connaissance est au sein de l'action quand on parle d'action socia
car au moment même où une action sociale existe, elle se constitue
comme savoir, comme fait de culture.
La stratégie nouvelle de la
F.E.A.N.F. vise à la création et au développement d'un système
de contre-pouvoir en opposition aux institut~ons socio-politiques
des sociétés
dont
sont issus les différents membres, mais aussi
en opposition aux sociétés dominatrices.
En d'autres termes il
s'agit de mener et de poursuivre une action critique qui a plus
de chance d'être une connaissance qu'une action simple ou non-cri-
tique
(revendication des bourses d'étude et des logements en cités
universitaires).
Il s'agit de considérer cette action comme source
éventuelle d'un changement social dans les sociétés d'Afrique Noir,
De là serait née l'idéologie anti-impérialiste (ou l'anti-impéria-
lisme). Or cela nécessiterait une double distenciation :
1) par l'accession de l'ensemble de l'organisation
au statut de groupe de pression, voire de mouvement social.
2)
par l'utilisation d'un outil critique adéquat.
Toutes ces modalités étant demeurées floues dans
l'organisation, il s'en est suivi un sentiment général d'incerti-
tude chez les membres puisque rien ne leur permettait d'être ras-
surés qu'au-delà de leur horizon actuel,
ils seraient toujours
capables de se situer par rapport à un avenir.
Face à cette situation et à la lumière des observa-
tions faites,
nous avons été amené à formuler les hypothèses sui-
vantes.
. .. /' ..

- 43 -
DEUXIEME HYPOTHESE
L'émergence des conflits et tensions est le résultat
de l'incompatibilité entre les deux conceptions dans la F.E.A.N.F.
le conception qui donne à la F.E.A.N.F.
la fonction de micro-sociét(
africaine, soit la conception communautaire, et la conception idéo-
logique.
TROISIEME HYPOTHESE
L'émergence des conflits et tensions dans la F.E.A.N.F
est le résultat de représentation inconscientes sur les visées po-
litiques des membres.
'
.. /' ..

- 44 -
DEUXIEME
PARTIE
CULTURE
ET
SOCIETE
CHAPITRE
1
LA PERSONNALITE DE BASE
CHAPITRE 11
- L'AFRIQUE ET LA COLONISATION
1) Les structures sociales en Afrique Noire avant la
colonisation.
2) La pénétration coloniale et ses conséquences
:
- Le mythe de l'Occident et les fantasmes chez
l'Africain
3) Du prétendu complexe de dépendance de O. MANNONI
' "
/ ...

- 45 -
QU'EST-CE-QUE LA PERSONNALITE DE BASE
?
Si la personnalité tout court est un "agrégat organi-
sé des processus et états psychologiques"
(1) qui relèvent d'un
individu,
la personnalité de base est celle qui est commune à une
culture.
La personnalité de base complémentaire de la personnalité
"individuelle" est une réalité psychosociologique,
structurée et
structurante des comportements d'un groupe sociologique.
Elle pro-
cède de plusieurs composantes dont
l'environnement socio-culturel
est d'un poids important par le biais de la socialisation.
La cul-
ture en tant qu'elle est vécue par les membres de la société en
qui elle détermine les conduites et étant elle-même déterminée
par la personnalité des individus
c'est ce qui donne le caractère
complémentaire
de la personnalité de base et de la personnalité
individuelle.
Mikel DUFRENNE caractérise la personnalité de base
comme le "dénominateur commun des institutions régissant une socié-
té, qui sont agissantes
( . . . ) ou agies"
(2)
C'est par le processus
de socialisation que la personnalité de base s'opère dans l'indivi-
du car la socialisation est à la fois un vécu,
un élément de l'his-
toire psychologique de la personne,
et le moyen qu'elle a d'entrer
en relation avec
les autres individus,
car elle est sous-tendue
par des institutions qui totalisent et contrôlent les conduites.
(1)
Ralph LINTON,
les fondements culturels de la personnalité
lS
(2) M.
DUFRENNE,
la personnalité de base P.
10
... / ...

46
Le psychiatre et anthropologue américain Abraham
KARDINER,
(1) précurseur de la théorie de la personnalité de base,
fait la distinction entre deux sortes d'institutions
(primaire et
secondaires) qui représentent pour les unes l'expression de l'action
du milieu sur l'individu, et les autres l'expression de la
réac-
tion de l'individu agissant sur le milieu.
Les institutions primaires,
selon KARDINER,
sont cel-
les qui constituent la problématique de l'adaptation des hommes
et les institutions secondaires sont celles qui procèdent de "l'ef
fet des institutions primaires sur la structure de la personnalité'
La personnalité étant comprise entre les deux institu·
tions,
elle en est à la fois l'effet e~ la cause.
Pour Y.
CASTELLAl
les institutions primaires se reconnaissent par exemple dans la fa-
mille,
(3)
avec sa structure sociale,
ses systèmes d'éducation,
ses rôles,
ses gratifications et bien sur ses frustrations,
car on ne saurait
concevoir une éducation sans frustration dans la mesure où éduquer
implique imposer des limites aux impulsions antisociales.
"Les qua-
lités sociales dans la personnalité d'un individu dit LASWELL,
s'ac
quièrent au prix du maintien d'une résistance aux impulsions non
socialisées".
(4)
(1) A.
KARDINER,
Psychological frontiers of society (pp 47-100 et
414-454)
(2) M.
DUFRENNE OP.
cit P.
130
(3) Yvonne CASTELLAN, Initiation à la psychologie sociale 1972
(4) Harold D.
LASWELL,
Psychopathology and politics 1960 (phrase
traduite par nous-mêmes)
... /'"

- 47 -
La personnalité de base est donc
(pour reprendre la
défini t ion complète de M.
DUFRENNE)
"une configurat ion
psychologi-
que particulière,
propre aux membres d'une société donnée et qui
se manifeste par un certain style de vie sur lequel les individus
brodent leurs variantes particulières:
l'ensemble des traits qui
composent cette configuration
( . . . . ) mérite d'être appelé person-
nalité de base, non parce qu'il constitue exactement une personna-
lité mais parce qu'il constitue la base de la personnalité pour
les membres du groupe,
la matrice dans laqueile les traits de ca-
ractère se développent.
En bref c'est ceux par qui tous les Coman-
ches sont Comanches,
les Français,
Français"
(1)
KARDINER lui-même pense que cette théorie peut s'éten
dre aux civilisations si bien qu'on peut parler d'un homme occiden
/
tal par exemple.
(2)
En effet, quelle que soit la société considére~
on constatera toujours que les membres ont une manière commune, ou
plus exactement des conduites similaires,
dans des situations don-
1
nées.
Cela permet de croire à l'existence d'éléments de personnalite
communs à ces individus et qui seraient bien intégrés pour l'ensem
ble social.
Ces éléments favorisent des modes d'appréhension et
!
de compréhension, des situations ,ct 'une manières sensiblement unifi~(.L
Jean STOETZEL dans son ouvrage intitulé la psychologie sociale énu·
mère trois principaux éléments constitutifs de la personnalité de
base.
1)
"Les techniques de pensée c'est-à-dire la manière
dont l'individu pense la réalité,
le monde extérieur et par laquel
il peut agir sur eux".
(1) M.
DUFRENNE OP.
ci P.
128
(2) A.
KARDINER OP cit P.
405
(in M.
DUFRENNE)
. , . / ...

- 48 -
Cet ensemble de mécanismes mentaux et de procédures
propres à la société permet à l'acteur social de se représenter
le monde extérieur.
2)
"Les systèmes de sécurité consistant dans les dé-
fenses institutionalisées auxquelles l'individu a recours pour ré-
sister aux anxiétés produites par les frustrations de la réalité
physique et sociale".
3) "Le sur-moi dont le sens ne doit pas être limité
à celui qu'il a dans la psychanalyse classique, mais qui repose
sur le désir de jouir de l'estime et de l'amitié d'autrui".
Pour Jean MAISONNEUVE (1)
(in introduction à la psychD
sociologie), la personnalité de base désigne ce qu'il y a de com-
mun entre les membres d'une même culture, une sorte de style propr
à leurs conditions collectives d'existence,
transmise par
l'éduca-
tion et s'exprimant à la fois dans des conduites, des sentiments
des systèmes de pensée et de valeurs.
Toutes ces composantes de
la personnalité de base ne fonctionnent pas isolément mais sont
en interrelation constante avec des supports ou cadres physiques,
sociaux et culturels et donc liées aussi à des instances perceptiv'
(1)
J.
MAISONNEUVE,
Introduction à la psychosociologie 1973 (PP.
189 -
195)
... / ...

- 49 -
Chercher à élucider et
à comprendre les représentations
et les fantasmes associés à ces représentations des sociétés occi-
,
dentales et les conduites de groupe chez l'étudiant africain, c'est
d'une certaine manière chercher une
explication normale à ces phé-
nomènes.
Cela nécessite une vue sur l'univers auquel la population
que nous étudions appartient:
l'Afrique.
Deux niveaux d'appréciation apparaitront dans cette étudf
qui sont les niveaux historique et culturel.
Mais avant d'aborder les questions de fonds nous voulons
dire comment les deux niveaux s'articulent entre eux et comment ils
sont pertinents à la population étudiée.
l)Niveau historique
La colonisation de l'Afrique a mis face à face deux cul-
ture, deux groupes culturels:
la culture du colonisateur et celle
du colonisé.
Dans ce duel sociologique,
les forces colonisatrices,
par leur supériorité technique et militaire ont soumis' l'Afrique
à leurs modèles culturels,
à leurs référents sociaux
de cette ac-
culturation forcée sous-tendue par l'ethnocentrisme,
il résultera
que le colonisé Il
appauvrî' soit psychologiquement atteint.
Il était
arrivé à se voir comme le colonisateur le voyait
(1).
(1) Le livre d'Albert MEMMI intitulé "Portrait du colonisé" décrit
des cas très intéressants.

50
Ainsi réduit à un état d'infériorité dont il s'est convair
cu lui-même par la force des choses;
l'homme africain choisit incons-
ciemment ou non le mécan1sme de défense qui consiste d'en l'identifi-
cation à l'agresseur.
Le fait colonial en soumettant le colonisé a
crée au niveau des sociétés colonisés une situation de dépendance
politique, économique et social -que les indépendances récentes n'ont
pas modifiée.
Le colonisateur' s'étant retiré, ce qu'il était restera cristaJ
lisé so~s forme de mythe dans l'esprit du colonisé, en particulier
de l'intellectuel africain, mythe qui va sous-tendre les comportement
envers tout ce qui a trait à l'Occident.
C'est ce mythe que nous évo-
querons pour interpréter les conduites d~s étudiants face à la sociét
française.
2)
Niveau culturel
Traditionnellement parlant, les Africains sont des peuples
communautaires.
Sur des fondements institutionnels de lignée, clans,
castes, polygamie etc ...
la famille africaine s'étend au-delà du père
de la mère et des enfants pour englober les neveux, cousins et autres
individus qu'une référence religieuse, ancestrale commune ou nécessi-
té vitale met en contact.
Ainsi en Afrique c'est toute une généalogie qui s'incarne
dans le nouveau-né.
Ce n'est
jamais une mère seule qui accouche mais
toute la parentèle et le voisinage.
L'individu entretient de ce fait
des liens privilégiés avec la communauté familiale par laquelle il
se définit
; ses besoins et ses projets sont rapportés au groupe fa-
milial qui les
réalisent.
L'individu ne se conçoit donc pas seul.

- 51 -
Cette famille fonctionne suivant une cosmogonie et/ou cosmologie dy-
namique.
En effet l'univers africain est régi par un ordre strict
d'un point de vue métaphysique,
par un "soufle" qui anime diversement
mais différemment les êtres et les choses.
Aussi par exemple la pluie
qui mouille le sol et le rend fertile est due à un souffle céleste
divin qui la provequerait et qu'on peut invoquer dans certaines cir-
constances de sécheresse prolongée.
L'organisation sociale elle-même y trouve son explication.
Cette métaphysique,
nous dit en substance CHEIKH ANTA DIOP,
loin d'ê-
tre un fait
secondaire d'une sociologie historique de l'Afrique, est
donc un trait dominant.
(1)
Voilà grosso modo les deux niveaux d'étude que nous allons
amorcer.
(1)
C.
ANTA DIOP,
Etude comparée des systèmes politiques et sociaux
de l'Europe et de l'Afrique,
de
l'Antiquité à la formation des
Etats modernes
(Thèse de Doctorat es lettres 1960.p.48.)
... / ...

- 52 -
CHA P I T R E
Il
L'AFRIQUE, ET LA COLONISATION
l
-
~~~_~~~~~~~~~~_~Q~~~!~~_~Q_~f~~g~~_~Q~~~_~~~Q~_!~_~Q!QQ~~~~~QQ
(bref rappel)
La parenté,
phénomèn~ sociologique existant dans toutes
les sociétés,
était très accentuée dans les sociétés africaines d'a-
vant la colonisation.
Elle constituait en quelque sorte un cadre fon
damental de toute organisation sociale en Afrique Noire.
Le clan,le
lignage,
sont les formes les plus connues.
La stratification sociale
était en général vécue en termes de clan,
de lignage,
de classe d'â-
ge et de
nation
Le clan et le lignage jouaient des rôles importants
voire essentiels dans la structure économique,
politique et r~ligieu
-
Le clan
C'était une unité sociologique qui désignait un ensemble
d'individus consanguins dont un totem représente l'ancêtre commun.
Cette structure quoique bien connue était très peu répandue en Afri-
que Noire.
-
Les lignages
Les lignages regroupaient en leur sein tous les descendan
d'une même lignée parentale.
Le lignage peut être patrilinéaire ou
matrilinéaire selon les sociétés considérées.
-
La nation
La nation comprenait des clans -
La cohésion était assuré,
par une conscience de groupe développée qui leur permettait de se
... / ...

- 53 -
défendre contre les menaces extérieures et même intérieures.
C'était une organisation hiérarchisée.
Le chef avait un
pouvoir qui s'inspirait 'de la divinité;
son personnage lui-même
était religieux et il était assisté de conseillers de clans et de
dignitaires religieux ou guerriers.
La superstructure était ainsi à dominante religieuse
(1)
ce qui permettait à certains égards de réguler les tensions et les
conflits, de canaliser toute velléité de transgression désacralisant
du pouvoir du chef dans la mesure où celui-ci,
rêlevant du sacré êta
du même coup considéré comme un être méta-social,
pourvu de toute
autorité judiciaire et ayant parfois d~oit de vie et de mort sur sef
administrés.
Quant à l'économie, certes,elle était basée sur la sub-
sistance mais était structurée puisqu'elle intégrait aussi le commer
de produits artisanaux
(par exemple le commerce de pagnes baoulé en
Côte d'Ivoire,
de l'or, du sel,
de la cola,
du fer etc ... )
(1) M.
MERLE,
L'Afrique Noire contemporaine 1968
... /' ..

- 54 -
-
2) La pénétration coloniale et ses conséquences
Psychosociologiques = le mythe de l'occident,
Les fantasmes africains
Entre le 19è et le 20è siècle,
l'Afrique est passée par
l'épreuve de la colonisation.
Celle-ci comme le souligne Marc AUGE
lia été une épreuve de force non seulement du fait
de l'intervention
militaire et des contraintes économiques,
sociales et politiques qui
l'ont accompagnée et suivie, mais aussi du fait
du message culturel
imposé par le colonisateur".
(1)
Cet événement n'a été possible qu'à partir de situations
sociales et économiques,
de conditions mentales particulières (l'hos
pitalité par exemple) qui demeureront d'ailleurs sous-jacentes à la
période coloniale et qui contribueront à sauver ce qui était encore
sauvable dans le patrimoine socio-culturel africain.
Cependant celui
ci s'est trouvé en grande partie détruit par la colonisation européeJ
ne.
En effet,
l'avénément de la colonisation a engendré la
dissolution des structures sociales qui furent dévalorisées au pro-
fit d'un schéma de vie à l'image de celui des sociétés occidentales.
Les structures politiques ont ainsi subi de plein fouet
l'impact co-
lonial, de sorte que l'autorité judiciaire du chef était
battue en
brèche.
(1) M.
AUGE Dossiers africains 1974
... / ...

- 55 -
La puissance du chef que nous savons très liée aux croyan
ces religieuses fut remplacée par des puissances nouvelles
(les gou-
vernements)
sans relation avec la première parcequ'appuyées sur un
appareil militaire qui,
tout en ébranlant les édifices sociologiques
"s'est imposé comme le seul pouvoir politique réel".
Il s'instaura
ainsi une dualité sociale.
D'un c8té le pouvoir du chef et les valeu
sociales traditionnelles vécues alors dans l'imaginaire -
l'esprit
de corps persistant toujours -
et de l'autre,
le pouvoir et les stru
tures nouvelles vécues dans le réel,
dans la pratique quotidienne,
dans les r8les nouveaux que les individus étaient tenus d'assurer;
les notables avaient été intégrés à l'échelon le plus bas à une admi
nistration dont les membres se tenaient soigneusement à l'écart de
la vie locale.
La transformation mécanique des sociétés africaines et
leur adaptation non dialectique aux conditions nouvelles d'existence
ont fait de ce continent un creuset de problèmes psychosociologiques
accentués par le départ précipité des colons qui laissèrent les soci,
tés dans l'impasse de l'acculturation pour n'avoir pas achevé le pro
cessus de transformation sociales et culturelles.
On assistera donc
à la résurgence de la partie non détruite de l'Afrique, qui va entre
systématiquement en opposition avec un secteur dit
"moderne" de ses
sociétés.
L'impasse va également entraîner le mythe de l'Occident
vu comme l'idéal des sociétés.
. .. / ...

56
LE MYTHE DE L'OCCIDENT
Le mythe ou plus généralement la mythologie dans l'anti-
quité, était le procédé par lequel les hommes rendaient compte des
phénomènes physiques et sociologiques.
Le mythe, qui est une cons-
truction de la pensée humaine,
servait,
à cette époque de l'humani-
té,
à dominer la réalité qui sans lui serait incompréhensible et
rendrait
l'homme soumis aux vissicitudes de l'existence.
Le mythe
constituait alors une volonté de rationnalisation basée sur des
symbolisations, des abstractions,
d'où sa fragilité ou sa solidité.
Certes,
de nos
jours,
la science théorique l'a supplanté
voire éliminé dans sa pratique, mais l~ pensée humaine n'a pas pour
autant renoncé à sa production dans d'autres conditions,
lorsqu'ell-
se trouve confrontée à des réalités contradictoires et apparemment
illogiques.
Le mythe apparaît ainsi comme la réponse à un besoin
d'~xplica~ion logique d'un événement qui n'est pas saisissable dans
l'immédiat telle que l'épreuve sociologique de la colonisation.
En
effet il semble,
d'après nos enquêtes sur les étudiants qui consti-
tuent notre échantillon,
que les sociétés occidentales en particu-
lier la société française est l'objet d'un mythe;
la France dans
les discours que nous avons recueillis,
apparaît comme l'archétype
des sociétés si l'on tient
compte des qualificatifs qui lui sont
donnés par des étudiants.
Cette représentation imaginaire est caraco
térisée par des phrases du type "la France c'est
(ou c'était)
le
paradis; un beau pays;
le pays où l'on vit facilement où on trouvi
tout.
C'est le pays de merveille,
c'est
la liberté" .
. .. J ...

- 57 -
Représentations imaginaires qui sont des succédanés,
des dérivés
du mythe de l'Occident si l'on prend ce terme au sens que nous ve-
nons de décrire.
Essaydns d'approfondir nos affirmations en propo-
sant une explication de ce phénomène,
de son mécanisme d'ancrage
dans la mentalité de l'homme africain.
Le mythe de l'Occident,
le mythe de la société française
et les fantasmes qui les expriment ont leur origine dans l'apparitjon
du système colonial et
son travail de déracinement non achevé.
En
effet la propension des Africains vers la société française prise
comme référence,
comme société-modèle,
est le résultat d'un ensembJ~
d'attitudes,
depratiqups lu'adopteraient les colons français
à l'é-
gard des colonisés:
création et développement du complexe d'inférjo
rité par intériorisation de l'idée d'absence de culture et d'incap~
cité historique dans leurs sociétés.
L'école servait
à cette f i n ;
car c'est une réalité bien connue des psychosociologues que l'école
est un agent de reproduction sociale donc distributrice de statuts
sociaux et culturels,
distributrice d'identités sociales.
Dans le
désir du colon,
le colonisé se sera d'autant plus échappé de sa
"brousse" qu'il aura fait
sienne les valeurs socio-culturelles de
la "métropole".
Pour illustrer cette constatation nous présentons
ici un extrait d'une circulaire de
CLOZEL alors gouverneur de l'AfJ
que Occidentale,
circulaire citée par S.
ADOTEVI
(1)
et qui date de
1912.
(1)
Stanislas ADOTEVI,
Négritude et Négrologues
1972
... / ...

58
CLOZEL écrit
"Nous ne pouyons imposer à nos sujets les dispositions
de notre droit français manifestement incompatible avec leur état
social.
Mais nous ne saurons d'avantage tolérer le maintien à l '
bri de toute autorité,
certaines coutumes contraires à nos princip
d'humanité et au développement naturel
(---)
Notre ferme intention
de respecter les coutumes ne saurait créer l'obligation de soustra
à l'action du progrès
(---)".
On voit bien là la situation ambigüe dans laquelle était
placé le colonisé,
situation traduite aujourd'hui par la dichotomi
sociale (tradition-modernisation) et ~e dualisme culturel (coutume
valeurs culturelles françaises).
Nous disions plus haut que l'écol
servait à cette fin.
En effet il y a une vingtaine d'années,
parler sa langue
maternelle à l'école était considéré comme une mauvaise conduite
parce qu'elle portait atteinte disait-on à la "culture vraie".
C'é
tait un sacrilège, un blasphème que de proférer des phrases de "pe
tit nègre"
puisqu'elles vilipendaient le sanctuaire culturel de
l'homme "civilisé".
Une telle imprudence ne pouvait se pardonner
et le "coupable" devait subir les plus basses humiliations.
châtime
corporel
par exemple
(1).
Parler une langue africaine n'était don
pas,
pour le système colonial la manifestation d'une différence re
connue,
fonpement de conduites et de recherche d'un équilibre psy-
chologique dans la mesure où le
jeune africain était tiraillé entr,
l'école,
(instrument privilégié du système colonial pour la socia-
lisation en vue de l'assimilation des individus)
(1) Cet état de chose existe encore dans les écoles primaires, mai
il est moins accentué qu'à l'époque coloniale.
. .. /'"

- 59 -
et la famille, qui était encore en possession de quelques survivan
de la culture traditionnelle. De cette situation, découleraient le
attitudes ambivalentes' que l'on peut constater chez nos étudiants
d'un côté l'exaltation de l'Occident ou de la France, et de l'autr
la protection de sa propre culture, du moins de ce qui en reste, d~
sa propre société à travers sa personnalité de base au moyen de la
groupalité. La magnificence de l'Occident ou de la France sera d'a
tant plus développée et rendue fantasmatique que le processus de
l'acculturation aura été interrompu par le départ précipité des co~
lonisateurs, départ dû aux conséquences de la seconde guerre mon-
diale. L'inachèvement de l'entreprise coloniale laissera dans l'es
prit des Africains une vague lueur sur une histoire incompréhensib~
d'où le mythe
de la France, de l'Occident et les fantasmes comme
moyens de recherche d'un sens dans lequel l'individu pourrait insc~
re ses conduites et qui pourrait rendre plus acceptables les nouvel"
~
les conditions d'existence
i
parce qu'elles deviennent par là-meme
explicables. Si donc la société
française est devenue un objet de
production fantasmatique que nous appelons représentations imaginai
res, c'est parce qu'elle ne renvoie pas directement à des objets
concrets en Afrique mais à d'autres représentations (1). Ainsi,
l'étudiant africain qui vit encore dans son pays est incapable de
référer son discours, son opération de reconstitution mentale de l~
société française à des formes sociales, culturelles et psychologi-
ques véritables aptes à rendre compte des réalités de cette sociét~
parce qu'il n'existe pas de système de référence réel en fonction
duquel il peut structurer sa pensée et par rapport à quoi, il peut
s'orienter.
(1) Exemple le Blanc
le riche
' "
/ ...

- 60 -
Ces représentations sont imaginaires parce que les ob-
jets qu'elles devraient nécessairement impliquer sont du domaine
de l'abstrait,
de l'insaisissable
Les objets sociaux dit A-
LEVY
,
(1) en substance, ne sont pas, matériels donc saisissables par une
méthode sensible,
leur accès
ne peut se réaliser qu'indirecte-
ment et justement à travers des représentations.
Les représentations forment un procédé de recherche de
sens à des objets supposés réels,
elles sont. aussi une tentative
de comblement du vide psychique laissé par le fait
colonial.
Un
vide caractérisé par l'absence de structures sociales et culturel-
les réelles après l'endiguement des formes socio-culturelles ini-
tialement contenues dans les sociétés africaines. Le comblement
s'effectue aussi par d'autres moyens,
comme la religion où le
syncrétisme est développé.
En effet les conversions au christia-
nisme ont entrainé une transformation de la mentalité africaine
dans la mesure où en apprenant les concepts religieux on entre
par ce moyen-meme à l'intérieur de la logique occidentale qui
est à la fois ouverture et fermeture.
Ouverture parce qu'elle
fait
place à une sorte d'innovation mais fermeture
parce qu'elle
exclut toute tentative de substitution de réalités africaines
à des pratiques vues comme essentielles.
C'est un indicateur de
télescopage,
de clivage m~e d'affrontement entre deux civilisa-
tions hétérogènes.
Le syncrétisme s'interpose comme catalyseur
et ce,
par ces trois principales caractéristiques-
(1) A.
LEVY OP.
cit
... / ...

- 61 -
1)
-
La réaffirmation et sécularisation de l'entité a-
fricaine en réactivant et perpétuant ce qui reste de la tradition
2)
-
Le renouvellement de soi-même en donnant une image
de l'homme qui soit le'mieux en conformité avec les cadres sociaux
de son existence.
3) - L'appropriation du "pouvoir de la culture chrétien-
ne"
(1)
le sens du syncrétisme religieux vient donc du besoin de
conserver sa culture et celui de s'adapter aux nouvelles condi-
tions de vie.
A la lumière de ce qui précède on peut comprendre que
la France soit pour les étudiants africains le symbole de la joie
de vivre, qu'elle incarne pour eux la liberté,
la perfection so-
ciale, qu'elle ne soit pas vue comme un ensemble à composantes
géographiques, géo-politiques et sociales susceptibles de fric-
tions dans les rapports, mais comme une symbiose vue sous l'as-
pect de "liberté", de "paradis" ou de "merveille".
On peut com-
prendre aussi en dernière analyse que le désir de tous les Afri-
cains soit de vivre un jour en France celle-ci étant devenue la
condition ultime de réussite sociale.
Cette analyse nous permet ainsi de refuter quelques élé-
ments de la thèse de MANNONI que nous verrons dans un instant.
Nous ne prétendons pas remplacer la théorie de MANNONI par une
autre, mais nous essayons ici de montrer en quoi elle n'est pas
pertinente.
(1)
Jean Pierre DOZON in Dossiers Africains
1974
... / ...

- 62 -
3) Du prétendu complexe de dépendance
de Octave MANNONI
O. MANNONI dans son ouvrage intitulé Psychologie de la
colonisation conclut à l'existence d'un "complexe de dépendance"
chez l'homme colonisé, complexe qui aurait favorisé le processus
de la colonisation.
Selon MANNONI les forces militaires n'auraient
pas abouti aux résultats que nous connaissons si elles n'avaient
bénéficié "dans l'âme des indigènes des complicités inconscientes"
( 1) .
Poursuivant son analyse,
il affirme que la colonisation
s'est toujours reposée sur ce "besoin-de dépendance" et que "tous
les peuples ne sont pas aptes à ~tre colonisés, seuls le sont
ceux qui éprouvent ce besoin"
(2).
Implicitement, O.
MANNONI démontre le fondement de la colonisation
au moyen de ce concept.
Dans l'application de ce concept il arrive
à inférer que si les colonies ont pu s'installer dans les socié-
...
tés malgaches c'est qu'elles "étaient attendues et meme désirées
dans l'inconscient de leurs sujets."
(3) Autrement dit, la coloni-
sation des sociétés malgaches et d'Afrique par extension n'auraien
pas été possible si celles-ci n'étaient pas prédéterminées à la
recevoir.
Cependant on est amené à s'interroger sur la validité mé-
thodologique et épistémologique des matériaux qui ont servi à cettl
recherche sachant que MANNONI a fait ses analyses à partir de reve:
d'enfants malgaches.
(1) O. MANNONI,
Psychologie de la colonisation 1950 p.
88
(2) O. MANNONI OP.
cit P.
87
( 3)
idem p.
87
... / ...

63
Même si l'enfant est un futur adulte,
peut-on conclure
à un trait de personnalité adulte à partir de rêves d'enfants
sans courir de gros risques méthodologiques ? A toutes ces ques-
tions MANNONI n'apporte pas de réponses.
Il ne dit pas non plus
comment se manifeste ce prétendu complexe de dépendance,
tant
chez l'enfant que chez l'adulte, ni comment il aurait conduit
l'auteur à la proclamation de cet état psychique chez le colonisé.
Lorsque S.
FREUD en 1913 parlait du' complexe d'oedipe
il n'avait pas manqué de fournir les bases théoriques de ce con-
cept
: théorie de la sexualité (développement de la libido et
organisation sexuelle chez l'homme)et les bases méthodologiques
observations directes,
données cliniques, études longitudinales
aussi bien chez l'enfant que chez l'adulte,
démarches analogiques
etc ... Or il n'en est rien dans l'étude de MANNONI dans laquelle
on peut constater vaguement quelques extraits d'entretiens d'en-
fants sans présentation d'un cadre théorique véritable.
Plut6t
que de décrire les faits pour eux-mêmes MANNONI a procédé à une
analyse qui trahit sa pensée en dévoilant son idéologie.
Est-il
besoin de rappeler que le complexe d'infériorité et son corollaire
le complexe de dépendance de l'homme colonisé est le résultat du
double processus de déculturation"
et de socialisation seconde.
En tout cas MANNONI a évacué les variables sociologi-
ques de son analyse au profit du psychologique ce qui l'a naturel-
lement conduit à une vision étriquée de la réalité coloniale.
L'au
teur oublie qu'il existe des rapports de causalité entre le psy-
chisme humain et le contexte social.
. .. / ...

- 64 -
Ce n'est pas qu'il est
préétabli et programmé sur le
clavier comportemental des membres des sociétés colonisées, un
certain complexe de d&pendance qui faisait
d'eux des colonisés
en sursis avant l'arrivée des colons mais,
c'est plutôt l'avène-
ment du système colonial lui-même et son effort de détournement
-de la trajectoire historique de ces sociétés qui ont forgé dans
le psychisme des individus le phénomène complexuel d'infériorité
dont nous parlons plus haut et le comportement de dépendance qui
en découle donc;
et cela nous semble bien différent d'un complexe
de dépendance,
état psychique prédéterminé.
La thèse de MANNONI reflète bien sa méthodologie et les
techniques employées qui ne peuvent que passer sous silence les
relations de pouvoir, d'autorité,
et l'idéologie qui les consoli-
dait,
et qui liaient ou séparaient le colonisateur et le colonisé.
Le pouvoir,
nous l'avons vu,
était entre les mains seules du colo-
nisateur
; il était le seul habilité à l'exercer,
à commander
aux autres.
Ce pouvoir puisait sa force dans l'instrument de légi-
timation des actes coloniaux qui était l'idéologie traduite par
la représentation des sociétés africaines comme des "versions man-
quées de l'humanité" qui pouvaient encore se racheter en épousant
la "vraie civilisation".
Car l'idéologie coloniale qui éclairait
le pouvoir et l'autorité des colonisateurs permettait à ceux-ci
de rendre opérante une conception
rrran~_chp.e!lne' des sociétés humaj nt
d'un côté les "civilisés" donc ceux qui sont dans le bon sens de
l'humanité et qui par conséquent sont bons,
comme les sociétés oc-
cidentales, et de l'autre,
les "non-civilisés,
les "sans-culture",
"les sauvages",
les primitifs,
donc les mauvais .
... / ...

- 65 -
C'est-à-dire ceux qui se trouve sur la mauvaise pente de l'humani-
té et qui méritent qu'on les humanise, d'où la fameuse
"mission
civilisatrice".
Dès lors,
les valeurs occidentales sont devenues
des références à fonction normatives dans le projet de civilisa-
tion des non-civilisés.
Le pouvoir, du coup était constitué à par-
tir du droit et du devoir que le colonisateur s'est assigné d'ap-
porter aux autres sociétés,
la "culture vraie" et la bonne manière
de penser puisqu'il s'agissait de personnes à mentalité prélogique
(cf L.
LEVY BRUHL)
(1),
de personnes privées de raison analytique,
critère de supériorité de l'homme occidental.
On comprend dans
cette situation que les rapports d'autorité qui s'étaient établis
entre colonisateur et colonisé aient été de type dominant-dominé.
Si MANNONI avait fait preuve d'objectivité un seul ins-
tant,
il aurait su que le complexe de dépendance qu'il croit avoir
découvert, chez le colonisé n'est que pure imagination.
Le complexe d'infériorité
(nous préférons ce concept)
et sa manifestation de dépendance sont les faits psychosociologi-
ques mais pas des choses préexistantes à toute activité de l'homme
colonisé et qui seraient
prématurément incrustées dans son tis-
su mental.
Le complexe d'infériorité et ses corollaires sont les
produits de l'action coercitive que la colonisation a exercée sur
les consciences.
Pierre NAVILLE ne disait-il pas que "parler des reves de
la société comme des rêves de l'individu (---)
c'est retourner une
fois encore l'ordre naturel des choses
(---)
le contenu des rêves
d'un humain dépend aussi en fin de compte des conditions générales
de la civilisation dans laquelle il vit."
(2)
(1)
Levy-BRUHL lui-même a répudié explicitement sa théorie de la me
talité prélogique un peu avant sa mort.
(2)
P.
NAVILLE,
Psychologie, Marxisme, Matérialisme 1946
/

- 66 -
On peut donc dire que MANNONI a opéré un véritable tour
de force en psychologisant ce qui n'est pas toujours et uniquement
psychologique.
Terminons cette analyse critique en soulignant que
l'auteur de Psychologie de la colonisation, -
croyant avoir fait
une découverte, n'a (plutôt) fait que prendre en considération ses
idées qu'il a combinées pour en tirer des conclusions non moins
imaginaires.
Il a substitué ses propres idées à l'existence réelle
des faits et en a fait la matière même de ses spéculations. Au
lieu d'une science des réalités il n'a fait qu'une analyse par-
tielle et partiale, une simplification du réel qui l'altère dans
sa signification.

- 67 -
TROISIEME
PARTIE
,
METHODE ET TECHNIQUES UTILISEES
CHAPITRE
l
1) De la difficulté d'être chercheur en psychologie
sociale
Il)
La demande
1 ) L'implication du chercheur dans son objet de recher
2
che.
CHAPITRE
11
.
1) Le choix de la Méthode et des Techniques
Il)
Les entretiens
1 ) Le traitement des matériaux
l'analyse de contenu
2
2)
Procédure
2
) Les thèmes de discussion
1
22)
Le déroulement de l'enquête
la dynamique de l'en-
tretien

- 68 -
T ROI S I E M E
PAR T l
E
METHODE ET TECHNIQUES UTILISEES
CHAPITRE
1
1)
Q~_!~_Q~ff~~~!~~_Q~~~~~_~~~~~~~~~_~Q_~~l~~~!~g~~
sociale
11) La demande
La procédure que nous avons adoptée au cours de notre
recherche empirique n'est sans doute pas originale encore moins
particulière.
Cependant contrairement à ce que l'on constate habituell l
ment dans l'acte d'intervention psychosociologique à savoir que la
demande d'analyse provient en général de ceux-mêmes qui font l'objet
de l'intervention, on peut se rendre compte ici que nous avons in-
versé les rôles . .C'était nous qui étions les demandeurs pour les rai
sons que nous avons déjà mentionnées dans notre introduction (désirs
de comprendre l'éclatement de la F.E.A.N.F.
et de mettre en pratique
nos connaissances acquises en psychologie) et parce que si, nous ne
nous étions pas constitués en demandeurs,
l'analyse n'aurait jamais
eu lieu puisque, d'une part l'organisation n'existe plus en tant que
telle
(1) et que d'autre part les conditions de recherche qui déter-
minent notre travail exigent cette procédure
(2).
Cette procédure
consistait en ceci
:
(1) La F.E.A.N.F.
depuis qu'elle connait la répression policière, vi
dans 1a clandestinité
(2)
Pour prouver les hypothèses émises il était nécessaire que nous
allions à la recherche de données empiriques, d'Où l'obligation
d'être demandeur.
. .. / ...

- 69 -
Nous avons,
dans un premier temps, pris contact avec
chacun des membres de l'organisation en leur demandant de nous ap-
porter leur contribution' dans la recherche que nous avons entreprise
En explicitant notre enquête nous leur signifions que leur aide cons
tera dans la production de discours sur leur vécu dans la F.E.A.N.F.
L'acceptation de cette demande ne fut pas facile.
En effet,
l'on s'el
quit sur les objectifs de notre enquête et, avec beaucoup de méfianc{
on nous demanda pourquoi nous avions choisi cette organisation et pa:
une autre, au moment où, malgré sa dislocation,
les individus ancien,
membres connaissaient des difficultés politiques (1)
dans leur pays
lorsqu'ils y retournaient.
Une méfiance dont nous étions la cause, car nous passion,
pour un "espion"
j
une méfiance qui traduisait aussi une résistance
à notre demande d'analyse.
Néanmoins elle ne dura pas longtemps ou
plutôt elle diminua sensiblement lorsque nous les assur~mes que le
travail que nous faisions était purement universitaire, qu'il s'in-
sérait dans la préparation d'une thêse de doctorat de 3ê cycle.
Aprê~
~
la levée (apparente) de cette inquiétude, nous leur proposames de
nous retrouver dans des groupes de discussion
j
des rendez-vous fu-
rent pris.
Entre autres difficultés, nous devions mener seuls notre
enquête mais une discussion entre notre directeur des travaux et nOUé
mêmes nous révéla la nécessité d'un autre enquèteur qui nous seconde-
rait dans
les séances d'interviews
j
ce qui fut fait mais avec beau-
coup de retard et les premiers rendez-vous eurent lieu sans que nous
ayons trouvé la
personne devant nous aider à l'enquete.
(1) On nous citait des cas d'arrestation.
. .. /' ..

- 70 -
Nous fumes alors contraints d'annuler ces rendez-vous
d'entretien avec toutes les conséquences que cela comporte:
boule-
,
versement du calendrier établi.
Toutefois nous ne perdions pas l'es-
poir, malgré, toute l'angoisse qui nous tourmentait,
d'autant plus
que nous croyons en ceci que dans toute investigation scientifique,
quel que soit le délai imparti au chercheur,
il est toujours préfé-
rable de perdre du temps pour gagner la recherche que de perdre la
recherche pour gagner du temps.
Enfin ce n'est qu'au terme de 2 mois
environ, que la proposition de Mademoiselle I_
MEYER étudiante en
psychologie nous permis d'entamer les interviews.
1 2 L'implication du chercheuF dans son objet de recherch,
Si l'on admet que "l'analyse d'un discours est aussi une
production d'un discours par l'analyste sur les discours q u ' i l trai
,
(1) on peut alors se demander si l'analyste en produisant ce nou-
veau discours n'y introduit pas ses propres fantasmes,
ses désirs
inconscients.
En effet,
dans les sciences sociales,
l'objet d'étude
et le chercheur se confondent souvent.
Celui ou ceux qu'on étudie
et celui ou ceux qui étudient sont parties prenantes d'une meme réal
té,
l'étude.
Ainsi on ne recueille jamais des données brutes mais de~
données déterminées ou surdéterminées par la relation chercheur-objel
de recherches,
celle-ci étant structurante de conditions de produc-
tion des matériaux qui sont demandés à l'objet de recherche.
Dans
cette "confusion" relative,
le chercheur peut etre amené à s'appro-
prier inconsciemment ou non le discours de l'autre ou des autres en
distordant ou le renforçant par son idéologie personnelle ou par ses
fantasmes.
A.
LEVY,
Connexions n
11
1974
... /' .,

- 71 -
C'est une véritable embuscade méthodologique dont l'évi-
tement n'est pas toujours réussi.
Il n'est donc pas surprenant de
constater parfois,
dans
UD
travail d'intervention ou de recherche
psychosociologique,
l'indistinction entre le discours de l'anal~Tste
et celui de l'analysé.
La situation parait plus alambiquée lorsque
le chercheur comme nous-mêmes, est par son appartenance socio-cultu-
relIe impliqué directement ou indirectement dans l'enjeu de la re-
cherche. Ainsi la règle de l'extériorité du chercheur par rapport
à son objet de recherche devient ici plutot un problème qu'une solu-
tion.
Dans ce cas, elle peut servir plus à masquer la faiblesse
l'impuissance à réagir de l'intervenant ou du chercheur devant un
fait qui le transcende à certains égards, qu'à lui assigner le statu
de neutralité b:i_enveillante
Dans une telle situation l'extériorité
peut être ~ sage de la rationalité du chercheur, qui lui assure une
sécurité illusoire vis-àvis des projections dont
il peut être à la
fois sujet et objet dans la relation d'enquête
Elle devient une dé-
fense quand on sait qu'en réalité il s'opère indépendamment de la
volonté des sujets un mécanisme de transfert sur l'intervenant ou le
chercheur.
Il s'établit entre les deux parties un processus psychoso-
ciologique par la seule présence du chercheur qui sans doute n'a pu
laisser au "vestiaire"- parce qu'il ne pouvait en etre autrement-
ses émotions,
ses croyances et ses représentations propres ou ses
imaginaires sociaux.
- .. /
..

- 72 -
La problématique tient donc de l'attitude réellement
choisie par le chercheur pour mener à bien sa recherche.
Car pour
,
s'impliquer comme pour en prendre conscience, i l faut d'abord accept~y
une vulnérabilité.
Cette acceptation est indissociable d'une prati-
que. Ainsi, en sciences humaines,
le chercheur qui accepte de s'impll
quer ne fait que prendre
en compte dans son analyse objective sa pro
pre subjectivité (son système de valeurs son idéologie,
son affec-
vité).
(1) Or, comme nous le disions plus haut,
s'impliquer suppose
qu'on accepte une vulnérabilité.
Cette vulnérabilité au plan scienti
fique consiste à fournir tous les éléments de sa recherche, pour qu'
elle puisse être critiquée (ce que nous essayons de faire ici) et
au besoin déclarée fausse.
Nous pensons donc qu'il est possible d'analyser la
F.E.A.N.F.
sans déformer sa pratique à condition de faire reposer
notre étude sur les représentations que les étudiants ont de la
F.E.A.N.F.
Il Y a d'ailleurs une cohérence entre notre manière de
concevoir la psychosociologie,
les motivations qui nous font analyse
la F.E.A.N.F. et les outils théoriques que nous mettons en oeuvre
pour l'analyse.
(1) A ce propos P.
ALEXANDRE disait
(in cahier d'Etudes Africaines
n° 68,
1977) que "si le recours à l'objectivité (en sciences
humaines) cherche à masquer ce tru~srne
que chaque chercheur
démarre
avec des ~
priori
jdéologiques, philosophiques ou sim-
plement culturels, c'est une naiveté" .
... J ...

- 73 -
Nous estimons qu'une science humaine doit prendre en
compte l'implication de l'analyste par rapport à son objet d'étude.
Le psychanalyste par exe~ple n'analyse pas seulement son patient
mais aussi la relation qui s'instaure entre son patient et lui,
relation où tous deux jouent leur affectivité et toute leur personna-
lité.
Le psychanalyste ne peut accéder à une connaissance solide que
dans la mesure où il controle sa propre implication.
Nous voulons
donc essayer de contr61er l'impact de notre propre implication' sur
notre objet d'étude et pour cela poser explicitement des hypothèses-
En outre nous tenons que la connaissance est action et que l'action
est connaissance.
Il est facile de démontrer les mécanismes de l'ac-
tion de connaissance et notamment par ses répercussions sur l'objet
étudié, par ses accidents,
par tout ce qui la limite.
Connaitre c'esl
tout un ensemble de références qui sont mises en jeu, qui deviennent
interrogatives à propos d'un objet.
Et quand on dit qu'observer en-
tralne une modification de l'objet,
de l'observation, et de l'obser-
vateur cela peut se démontrer aisément.
En revanche il est plus difficile de démontrer que l'ac-
tion est connaissance.
Dire que la connaissance est au sein de l'ac-
tion suppose qu'on parle d'une action sociale
(1)
car repétons-Ie
au ùoment même où une action sociale existe, elle se constitue comme
savoir social
(2).
(1)
L'action sociale est celle qui a pour objectif le changement.
(2)
Le savoir social est le regard critique sur la société et sur
l'action sociale elle-même
... / ...

- 74 -
CHA P I T R E
Il
1) Le choix de la méthode et des techniques
Au départ de cette recherche nous avions envisagé un
questionnaire écrit comme technique complémentaire des observa-
tions et des entretiens que nous aurions à faire.
Mais très vite
nous nous sommes aperçus dans le cheminement de notre travail que
cette technique ne pouvait être validitée que si notre échantillon
comprend un nombre plus important de personnes. Or dans la pers-
pective clinique où nous nous situions il parait pratiquement et
matériellement impossible de dépasser le nombre de 30 sujets que
nous nous étions fixés.
D'abord, nous n'aurions jamais pu consti-
tuer un échantillon à une échelle plus importante que celle que
nous avons réalisé compte tenu des refus de coopération que nous
avons enregistrés au cours de notre préenquête.
Ces refus comme
nous l'avons souligné dans les paragraphes précédents se justifien
par la méfiance vis-à-vis de nous.
On nous a même fait remarquer
parfois que les questions
que nous posions étaient tendancieuses
et qu'elles avaient un caractère policier.
Une autre raison qui nous a conduit à abandonner la techl
que du questionnaire écrit, s'inscrit dans les difficultés prati-
ques que nous aurions rencontrées dans le dépouillement si nous
avions eu un échantillon plus important.
Comment aurions-nous pu
décrypter seul les discours contenus dans des centàines de réponse~
Ceci relève de la compétence d'une équipe de chercheurs et non de
celle du chercheur solitaire que nous sommes.

- 75 -
Quoiqu'il en soit il fallait choisir selon ses moyens
de bord et aussi selon sa conception de la pratique du métier de p~
,
chologue.G.
VIGNAUX ne disait-il pas que "toute démarche scientifi-
que implique un choix et un engagement de son auteur".
(1) Ainsi,
avons-nous estimé que seule la technique de l'entretien était à la
mesure de nos moyens d'une part et que d'autre part elle nous perme
tait de recueillir les discours non seulement dans leurs aspects st;
tiques mais aussi dans leurs aspects dynamiques.
Elle nous paraissait
ainsi correspondre à notre choix méthodologique à savoir la démarchl
clinique. Mais ne nous cachons pas que la méthode et la technique
adoptées ici, si elles paraissent les plus adéquates elles posent
aussi des problèmes non moins importants que J.
MAISONNEUVE a bien
fait de souligner en écrivant que
"toute enquête psychosociologique
recourant à un système d'informations
verbales par questionnaire,
entretien ou discussion,
affronte des problèmes redoutables;
les
uns tiennent à la nature sociale du langage, moule collectif d'expr~
,
sion et de communication relevant à ce titre de la semantique et de
la sociologie, d'autres concernant la psychologie individuelle et
sont liés au sens même des conduites verbales, au dévoilement, au
déguisement ou au silence"
(2).
En effet la forme connotative et l'implication affectivE
de nos thèmes de discussion ont exposé sans doute notre démarche à
ces difficultés.
Néanmoins nous avons cherché à les circonEcrire en
adoptant une attitude systématique par la prise en considération de
l'ensemble du corpus documentaire et par l'insertion dans une démar-
che théorique générale aussi bien de nos hypothèses initiales que
celles élaborées au cours de notre recherche.
(1) Georges VIGNAUX in Connexions n°
27,
1979
(2) Jean MAISONNEUVE Psychosociologie des affinités 1966 P.
189
o . '
/ ' "

- 76 -
1 )
Les entretiens
1
Ils ont servi à obtenir les informations intrinsèques et
extrinsèques à la situation de crise de la F.E.A.N.F.
et de ses
membres;
informations que seuls les sujets détenaient.
Il s'agis-
sait pour nous d'atteindre des opinions ou des conceptions, élé-
ments utils à notre recherche. A travers les entretiens, nous vou-
lions connaître concrêtement et pratiquement les positions des mem-
bres par rapport aux problèmes posés dans l'organisation, leurs ob-
jectifs,leurs désirs et leurs attentes vis-à-vis de l'Association.
Les entretiens nous ont permis d'appréhender les formes individuell(
de relation à l'environnement social français.
Dans la pratique, no-
tre démarche a été partiellement réalisée
: hormis les obstacles épi~
témologiques dont nous avons parlé plus haut, d'autres difficultés
d'ordre
technique ont surgi,
car il faut dire que nous avions crée
des situations psychosociologiques relativement prévisibles, mais
pour lesquelles nous n'avions pas préconisé de solution ou plus exac
tement de moyens de contr81e.
En effet,
la proposition que nous avi9n~
faite à nos sujets d'enregistrer au magnétophone leurs discours, a
eu des effets dissonnants
: on répétait sans arrêt cette question
:
"que vas-tu faire avec cet enregistrement ?
Malgré notre réponse qui se voulait sans ambigüité,
l'insa-
tisfaction se lisait sur les visages et se percevait dans les chucho
tements. Dès lors cette situation nous était apparu préjudiciable à
notre requête dans la mesure où les sujets, craignant de se compro-
mettre parce que leurs produits leur auraient échappés,
pouvaient pav
\\
~
la-meme se cacher certains faits qui nous auraient été utiles.
Ils
pouvaient par exemple éviter d'exprimer des opinions estimées trop
personnelles.
. .. / ...

- 77 -
Tout ceci semblant lié à la perception que l'on a d'un magnétophone
et de son utilisation dans la mesure où l'enregistrement peut-être
écouté par une tierce per~onne. Prendre des notes constituait une so-
lut ion pratique et peut-être facilement acceptable mais cette solution
a son revers;
elle nous aurait empêché d'observer les sujets en étant
absorbé par l'écriture, ou bien l'entretien aurait pu se trouver cou-
pé par des silences,
les sujets attendant que nous ayons terminé pour
continuer. Ou bien encore nous aurions pu manquer de relever des point~
importants des discours produits.
Ce qui nous aurait difficilement
permis de remarquer les "figures" de ces derniers.
Néanmoins nous avo~)
opté pour l'enregistrement au magnétophone pour les raisons suivantes
-
Il nous permetta~t d'avoir en "exhaustivité les discours qu;
avaient été produi~s
-
Il nous permettait en même temps d'observer les groupes de
discussions,
leurs réactions non verbales d'en noter les points qui
nous paraissaient significatifs.
-
Il nous permettait de suivre librement toute la dynamique
de l'entretien.
Pour réduire au maximum possible les effets inducteurs de
l'entretien, nous avions adopté l'attitude non-directive qui a le mé-
rite de renvoyer constament le sujet à la dynamique de la production
de son propre discours.
L'analyse des données a été complétée par celle de quelques
documents écrits par la F.E.A.N.F.
elle-même.
Ceci pour pallier les
non-di~ dans les discours oraux affectés par la méfiance .
. . . / ...

- 80 -
La méthode de l'analyse sociale nous a guidé le long de ce
travail.
Mais qu'entendons-nous par analyse sociale?
L'analyse sociale est une expression créée par E.
JAQUES en
1964 lorsqu'il intervenait à la Glacier Métal. Cette expression dési-
gne le processus de la recherche et les résultats produit par celle-cl
Ainsi,
l'analyse sociale est un travail de changement,
tou-
jours à reprendre.
C'est un processus qui doit engendrer de nouvelles
formes de conduites et d'action dans l'organisation.
Son engagement
est lié à des situations sociales conflictuelles,
à des rapports dif-
ficiles entre les m~mbres d'une organisation comme la F.E.A.N.F.
L'an.
lyse sociale est donc une pratique du changement dont le but était de
favoriser l'évolution de la situation à l a F.E.A.N.F.
et sa compréhen
sion par ses membres.
Sa visée était de donner aux rapports entre mem
bres de cette organisation et aux rapports entre étudiants africains
et français,
leur pleine dimension.
Autrement dit,
il s'agissait de
de les dégager de la clôture où i~s sont prisonniers en dépassant
leurs contradictions.
. .. / ...

-
81 -
2)
Procédure
Donnons quelques informations complémentaires sur notre
échantillon avant de dire comment nous avons procédé pour les discus
sions.
Nombre d'Etu-
Durée de sé-
Age
Nombre d'Etudiants par
Nationalité
diants par na-
jour en
sexe
tionalité
France
M
F
Cameroun
2
1
à 2 ans
26-28
2
0
Congo Pop.
1
3 ans
26
1
0
Côte
j'Ivoire
18
2 à 7 ans
21à30 ans
17
1
]abon
8
là 10 ans
25à 30ans
7
1
Zaire
1
inconnue
inconnu
1
0
!
:)TAUX: 5
30
... / ...

- 82 -
La population enquêtée comptait donc
30 étudiants africains
tous appartenant ou ayant appartenu à la F.E.A.N.F.
On peut remarquer
que la participatio~ des filles était presque nulle numériquement par
lant = 2 filles seolement ont accepté de prendre oart
aux réunions-di
cussion.
Les 30 sujets furent
répartis en petits groupes de 6 membre
chacun,
soit 5 groupes de discussion.
Pour constituer l'échantillon,
nous avons retenu 3 principa
critères.
-
être résidant en France
-
faire partie de la F.E.A.N.F.
-
être africain francophone
po~r éviter les écueils linguis
tiques que nous aurions pu rencontrer chez les sujets parlant anglais
comme langue officielle et très peu ou difficilement
le français.
Notons que certains groupes de discussion ont vu leur effec
tif diminuer parce qu'il y a eu des départs volontaires ou involontai
En effet certaines personnes guidées par la crainte d'être
"fichées
quelque part"
(1)
ont demandé de ne plus participer aux réunions.
D'a
tres pour des raisons diverses
(voyage,
études---)
n'y venaient plus.
Il eut des moments mêmes où les réunions ne pouvaient avoir lieu faut'
de participants ou à cause du nombre insuffisant des membres.
(1)
Ce sont leurs propres termes.
. /'

- 83 -
Par ailleurs, nous avons pris l'engagement de ne pas divul-
guer les patronymes des sujets à la demande de la majorité de ceux-ci
,
c'est pour cette r~ison que nous nous sommes contentés dans notre ana
lyse de mentionner tout simplement les initiales lorsque nous utilisa
un énoncé émis par un sujet.
L'enquête a duré 4 mois (de février à mai 1979)
(1). Il fau
préciser que les discussions n'avaient pas lieu tous les jours mais 1
fins de semaines, seuls moments propices pour l'ensemble des sujets.
La durée maximum d'une réunion avec un groupe était de 90
minutes. A chaque réunion on ne discutait que d'un thème et un seul.
Autrement dit il Y a eu 6 heures pour l'ensemble des thèmes (au nombr
de 4) soit 30 heures pour tous les 5 groupes de discussion.
2 ) Les thèmes de discussion
1
Les thèmes ont été déduits de nos présupposées théoriques
et de nos hypothèses de travail.
Ils sont centrés d'une part sur la
vie affective de l'organisation (niveau psychique) et d'autre
pa~r su
les rapports socio-politiques dans cette organisation.
4 thèmes avaient été arrêtés dont deux se réfèrent au niveaU
psychique et deux autres au niveau socio-politique.
Ils se présentent comme suit
:
1 - Les conceptions que les étudiants avaient de la France
ou de l'Europe avant leur venue en France.
(1) L'enquête portait sur le présent.
. .. / ...

- 84 -
2 -
Les expériences vécues par ces étudiants depuis leur
arrivée en France.
Ce qu'ils en pensent.
3 - La vie en kssociation (à la F.E.A.N.F.) Ce que cette
Association signifie pour les étudiants.
4 - L'éclatement de la F.E.A.N.F.
causes et effets.
2 ) Le déroulement de l'enquête
2
-
La dynamique de l'entretien
Les réunions se tenaient chez un membre de chaque groupe
(dans une chambre de cité universitaire en général) avec son accord pr
lable.
Nous ne donn~ons pas de consignes particulières sauf que no
leur disions d'entrée de
jeu:
"Merci, mes amis,
d'avoir accepté de participer à cette en-
quête et surtout pour l'aide que vous nous apportez par votre coopéra
tion.
La discussion que nous allons entreprendre ne Constitue ni un
test psychologique d'aptitude verbale
(car nous étions connu en tant
que psychologue) ni une enquête policière
(1).
Il s'agit d'une recher
che universitaire en vue de vérifier un certain nombre d'hypothèses
que nous avons posées dans le cadre de nos études.
La discussion sera
enregistrée pour faciliter notre analyse".
(1) Nous voulons éviter par là toute crainte concernant l'utilisation
des enregistrements.
. .. / ...

- 85 -
Nous leur demandions s'ils avaient des questions à nous
poser. Et puis nous enchalnions : "voici le thème de discussion d'au
jourd'hui" et nous le lisions.
En général il s'en suivait un silence plus ou moins pro-
longé selon
les groupes. Cela pouvait durer de 5 à 10 minutes ou
au-delà dans certains cas.
Qu'est-ce-à-dire ?
Pour les psychanalystes comme D. ANZIEU,
(c'est le senti-
ment du morcellement du moi causé par la présence de plusieurs indi-
vidus qui explique ce silence. La pluralité d'individus n'offre plus
..
l
au sujet une image unifiée de son corps mais une mosaique troubante.
Le silence serait alors une attitude de défense contre cet affect.
L'individu se défend donc contre cette émotion qu'il ressent comme
menaçante. Autrement dit le silence dans les débuts d'une réunion
est l'effet d'une blessure narcissique perçu par les individus dans
le groupe. En effet, ANZIEU considère qu'un groupe se sent "narcisi-
quement menacé lorsqu'on risque de mettre en évidence chez lui les
points faibles qu'il préfère se dissimuler à lui-même" (2).
Le silen
est ici donc une forme manifeste de défense contre ce::e
blessure
narcissique.
(1) Didier ANZIEU , Le groupe et l'inconscient.
(2) Didier ANZIEU , OP ci t
p.
122
... / ....

- 86 -
Mais nous voulons faire quelques remarques en ouvrant une
parenthèse
sur cette question.
En effet toute cette explication
du phénomène silence nous semble insuffisante dans la mesure où elle
centre son objet sur l'individualité et occulte par là-même son ca-
ractère social.
Certes, le silence peut ·~tre la réponse à une bles-
sure narcissique mais il n'est pas pour autant dénué de significatio!
sociale.
Notre expérience des groupes de discussion nous apporte des
éléments qui attestent ce point de vue.
Le silence dans nos groupes
avait pour nous une signification moins individuelle que collective.
.
.
Les sujets loins de voir leur image du corps se morceler,prenaient· p'
tôt
part
consciemment ou non à des inter-actions ou à des projets
d'inter-actions qui ne sont pas encore inscrits dans un système coor
donné et cohérent.
En effet tout le monde nous fixait chaque fois
que nous f~nissions d'introduire le thème du jour.
Il semble que l'o!
désirait davantage de directives de notre part attendant ainsi que
nous prenions les rênes du débat.
Dans un groupe par exemple quelqu'
un nous demandait s ' i l n'
y
avait pas une liste à ouvrir pour les
orateurs.
En termes clairs, on cherchait une direction des réunions,
laquelle aurait eu la fonction distributr;ce
non seulement des temps
de parole mais la fonction de contrôle et de régulation des inter-ac-
tions.
Il Y a donc un besoin manifeste de coordination des discours
à produire et un besoin de conduite des réunions habituellement as-
sumée par un leader connu.
Ces besoins sont eux-mêmes le résultat
d'une disposition acquise au cours des réunions officielles de la
F.E.A.N.F.
où l'on est accoutumé à être dirigé.
Il y a eu donc à no-
tre sens transfert de ces attitudes aux réunions d'enqu~tes que nous
avions organisées.
Ces besoins ne pouvant pas être satisfaits dans
les circonstances présentes dans la mesure où la réunion est non di-
rective,
le silence devient alors la réponse adaptée
à la situation .
... / ...

- 87 -
Durant toute la période de l'enquête nous avons observé
d'autres types de comportements non-verbaux qu'on pouvait également
,
rencontrer dans les Assemblées générales de l'organisation. Nous les
analyserons plus loin dans un paragraphe sans nous y attarder puis-
que ce n'est pas tout à fait l'objet de notre recherche.
Lorsque le silence était rompu pour de bon, la discussion
suivait un cours continu selon les thèmes et les groupes : lorsque
le thème est d'ordre affectif (le thème n° 2 par exemple) on assiste
à une véritable" inflation verbale". Tous les membres du groupe par-
lent presque sans interruption. On refuse parfois la parole à l'autrl
estimant qu'on n'a pas fini de dire ce qu'on veut dire. En revanche
on remarque des phrases laconiques quan~ le thème a une résonnance
socio-politique (thème 3 par exemple) les groupes de discussion qui
au départ des séances semblaient sans structure (pas de leader, pas
de fonctions et de statuts définis pour chaque membre etc ... ) s'or-
ganisaient progressivement de manière spontanée. On assistait à l'ét;
blissement d'un leadership informel.
En effet lors des échanges verbaux on pouvait constater
qu'il y avait toujours un membre du groupe qui prenait plus souvent
la parole que es autres et qui ne la laissait qu'après une longue
tirade. A la suite de cela, tous les autres discours (ceux produits
par les autres membres du groupe) se référaient à son point de vue.
On peut ainsi interpréter le rôle du discours de ce leader comme rem-
plissant une fonction à la fois normative et comparative .
. . . / ...

- 88 -
Normative parce que les évaluations des autres membres se basent sur
les affirmations du leader
; comparative pa~ce
que certains énoncés
du discours du leader devenaient des points de comparaison d'après
lesquels les sujets formulaient
leurs jugements et leurs évaluations
On peut donc dans une perspective de la dynamique des groupes faire
l'hypothèse que la formation spontanée d'une structure de groupe ré-
sulte d'une tendance des individus en groupe à rechercher toujours
des conditions de fonctionnement et l'harmonie du groupe.
Cependant s ' i l y avait un référent commun, on remarquait
aussi des individus qui étaient rejetés et très souvent
contredits
par les autres, même Jorsqu'il s'agissait de rendre compte de leurs
expériences personnelles.
L ' énonciation des discours,
pa~rois à travers un style très
intellectualisé, dissimulait mal une résistance aux thèmes.
Nous é-
tions également pris sans cesse à témoin dans la plupart des discours
par exemple on nous interrogeait du regard en fin de phrase ou bien
l'on disait
"tu vois, hein?
" en s'adressant à nous.
Tout se pas-
sait comme si on voulait notre avis pour attester ou contester ce
qui venait d'être dit.
Cette problématique du chercheur semble bien perçue par
André LEVY.
Pour lui, dans ce processus,
le chercheur est
"un acteur
social,
soumis à des pressions et à des demandes,
ne disposant que
d'une marge de liberté relative pour recueillir des textes et obligé
de choisir une stratégie,
en fonction certes de ses options théori-
ques et méthodologiques, mais aussi de ses désirs,
ses visées person-
nelles
(conscientes ou non)
et des risques psychologiques et sociaux
qu'il est disposé à courir"
(1).
(1)
A.
LEVY,
Sens et Crise de sens dans les organisations thèse d'Etat
1978 dactylographiée.
. .. / ...

- 89 -
Comment pouvions-nous éviter d'être impliqué dans la situation de
discours si on admet que le discours,
noeud de représentations,
as-
sure le passage logique de la situation concern~e 2 è'autres situations
et que l'apanage du discours est celui d'assurer le controle des mo-
dalités de sa complétude par autrui ?
A.
LEVY poursuivant son analyse ajoute que les risques
sont encore plus importants si le chercheur "participe directement
ou indirectement
(par interviews,
des enregistrements ou des question-
naires)
au recueil des discours qui constituent son corpus;
il ne
peut éviter de faire
jouer (à son insu)
dans les discours eux-mêmes
la problématique des rapports institutionnels où il est situé".
Ainsi
notre présence,
considérée comme celle d'un psychologue,
nous inves-
tissait d'un pouvoir de ratification,
de légitimation des discours.
Des phrases du genre
"je ne sais pas si c'est ce que pense notre
psychologue" étaient de nature à confirmer notre statut et notre role
de psychologue",
c'est-à-dire celui qui écoute,
prend note de ce qui
est dit et qui interprête mais surtout celui qui peut valider ou non
le discours de l'autre.
Notre discours est sollicité ici comme le der-
nier modèle des discours après celui du leader
Le discours du psychologue devra confirmer que le discours
de l'autre est signifiant,
dans la mesure où il est perçu dans la si-
tuation d'interview non seulement comme objet, vu mais aussi comme su-
jet voyant,
comme celui qui peut apporter le changement désiré
La
situation d'interviewa suscité le sentiment que chacun en tirera un
profit en confiant ses difficultés à un "spécialiste" ou à un qualifié,
ce qui a conduit les sujets à solliciter le chercheur plus qu'il ne
peut faire.
. .. /' ..

- 90 -
Ce fantasme de la toute-puissance du psychologue a des
effets néfastes sur les conditions de production des discours lorsque
sa mise en jeu par la réalité marque l'impuissance du psychologue qui,
justement,
dans cette situation,
n'
a
pas d'opinions à émettre ni me-
me de suggestions à faire aux risques de fouler au pied les principes
méthodologiques qu'il s'est
promis de respecter
; p~rce que une opinion
émise donne toujours au discours de l'autre le mouvement pour se com-
poser.
Le silence en outre ne fut
pas le seul
phénomène qui se rap-
porterait à la dynamique d~ l'entretien
Il faisait
partie d'un ensem-
ble complexe de manifestations psychosociologiques.
Par exemple à l'annonce du thème sur les conceptions à la
F.E.A.N.F.,
certains sujets n'abordaient
pas du tout
la question à la-
quelle ils substituaient d'autres thèmes.
Le sujet AL.
par exemple disait
à LT qui dessinait un person-
nage sur une feuille de papier:
"que signifie ton dessin,
pourquoi
fais-tu un bonhomme, qu'est-ce-qu'il
représente ton bonhomme ?"
Face à ce comportement deux explications sont
possibles
-
La conduite de AL. symbolise sa ~reoccupation
au sujet de
notre présence qui,
rappelons-le était vue comme celle d'un imposteur,
d'un espion.
Cela se voit par l~
question
"qu'est-ce-qu'il représen-
te ton bonhomme ?" En interrogeant LT sur la représentativité de son
bonhomme c'était comme si AL nous interrogeait sur l ' op~or~un±é
de
notre présence.
L'annonce du
thème a
servi de déclencheur à la con-
duite de rétraction de
la personnalité de AL
(qui n'est
pas l'unique
dans ce cas).
. .. /' ..

- 91 -
-
La conduite de AL traduit le refus conscient ou incons-
cient de reconstituer une situation conflictuelle en l'occurence cel-
le de la F.E.A.N.F.
Elle traduit aussi un phénomène d'évitement et
pour ce faire
le sujet procède par la négation langagière qui n'im-
plique aucunement la personne et qui transforme aussi la réalité en
se servant d'objets extérieurs au groupe de discussion.
Elle caracté--
rise enfin la révolte contre les représentations et les affects pé-
nibles ou insupportables dans la F.E.A.N.F ..
Une autre manifestation à valeur dénégative des conflits
s'était trouvée sous forme de censure.
En effet lorsque EK.
prenait
la parole pour énoncer les circonstances dans lesquelles il est venu
en France,
il fut agressivement interrompu par des remarques venant
d'autres sujets sur la qualité de sa voix,
sur le fait qu'il est ve-
nu en France pour se guérir d'une maladie J,-o:aire Il
Cet état de cho-
se tient au climat habituel dans lequel les Assemblées générales se
tenaient
(agressivité,
violence verbale etc ... ).
Les tensions affec-
tives latentes s'exprimaient là sous couvert de la censure.
Nous faisons donc l'hypothèse que ces
tensions habituelle-
ment vécues à la F.E.A.N.F.
trouvaient au cours des
interviews de
groupes une voie d'expression.
Donc l'agressivité dans les groupes de discussion était
la dominante des conduites.
Elles se manifestait
à 1 1 ~~s'ar des com-
portements observables dans les réunions officielles de la F.E.A.N.F.
L'agressivité peut
ici sc définir comme une attitude dont le but est
d'infliger un dommage à quelqu'un ou à un objet.
Nous ne prétendons
pas que tout conflit se manifeste par l'agressivité mais nous pouvons
affirmer que toute agressivité à une source dans Je conflit et donc
dans la frustration.
. .. /- ..

- 92 -
Un autre aspect de la dynamique de l'entretien est celui de l'inves-
tissement considérable de certains membres dans les représentations
,
qu'ils se font
(ou qu'ils ne faisaient)
de la F.E.A.N.F.
Si des psychosociologues comme A.
LEVY admettent que dans
une organisation, les membres ne s'identifient jamais totalement aux
règles et normes qui la régissent,
(1) on peut cependant constater
qu'il y a un fort investissement qui s'opère au niveau des individus
ou de certains individus dans les statuts et rôles qu'ils jouent dan
l'organisation F.E.A.N.F.
LT, GN et Y occupent des places de responsabilité importan
tes dans la F.E.A.N.F.
Ces individus défendaient farouchement l'orga
nisation au cours des réunions de discussion.
Cette conduite contras
tait avec celle qui pouvait se constater dans des discussions indi-
viduelles où il semble que ces individus avaient eux aussi leur con-
ception de la F.E.A.N.F.
qui n'était pas en rapport avec les objec-
tifs originels de cette organisation.
Il y a là une conduite ambiva-
lente qui nous fait
penser à un transfert de rôle et de statut dans
le groupe de discussion.
Cette conduite qui consistait à défendre la F.E.A.N.F.
tra
duisait sans doute une stratégie de neutralité pour sauver cette org
nisation
LT, GN et Y adoptaient le même style d'intervention que
celui que nous avons pu observer au cours des réunions et Assemblées
générales officielles de la F.E.A.N.F.
Dans le groupe d'entretien
ils continuaient à jouer ce rôle de responsables c?mme s'ils étaient
à une réunion de la F.E.A.N.F.
(1) A.
LEVY, Sens et Crise de sens dans les organisations,
thèse
d'Etat dactylographiée.
. .. / ...

- 93 -
Ils se sentaient le devoir de défendre l'organisation lorsque d'au-
tres lui donnaient une image différente de celle prescrite par les
normes et règles formelles.
Ils éprouvaient un sentiment de "perver-
sion" de la F.E.A.N.F.
par les autres.
Il y avait en eux une déter-
mination sans faille
à démontrer que la F.E.A.N.F.
n'est pas une famil-
le comme les autres l'entendaient mais un "syndicat" qui se veut ac-
tif.
Mais le contenu latent de cette conduite nous parait ètre la
défense de leur conception personnelle dans la mesure où ils se dis-
tinguaient,
non seulement dans les discussions individuelles mais
au cours de l'entretien de groupe à certains moments comme le2 lea-
ders informels d'un courant de pensée:
l'idéologie.
Y,
en particu-
lier par ses
';nsinuations
("les étudiants ne sont pas en dehors de
la lutte des classes") voulait amener le groupe à reconnaitre que
la F.E.A.N.F.
devait s'inscrire dans une histoire.
Assurer la pérennité des règles,
des normes et des objec-
tifs formels de la F.E.A.N.F.
et en même temps envisager des perspec-
tives nouvelles
(l'action historique par exemple,
en rupture avec
le passé et le présent de l'organisation)
tel est le paradoxe de la
F.E.A.N.F.,
symbolisé ici par les conduites de LT,
GN et Y comme un
symptôme dominant des conflits.
Certaines figures utilisées dans la production des discours
ont retenu notre attention et elles méritent qu'on s'y arrête
Car
en psychosociologie les figures du discours"
"implique une relation
complexe, mais toujours motivée à un référent
implicite;
on retrouve
à travers elles les présuppositions du locuteur,
ses investissements
et sa
relation
souvent
irrationnelle à ce référent
(1).
(1) M.
C.
D'UNRUG cité par L.
BARDIN in Analyse de contenu
. . . /' ..

- 94 -
En effet la quasi-totalité des sujets employaient dans leurs énoncés
le pronom on de même que la métonymie
("les gens" pour désigner les
membres).
Nous nous sommes donc interrogés sur la valeur discursive
et sémantique de ces procédés de discours qui nous semblait-il n'é-
taient pas étrangers à la situation anxiogène crée à la fois par no-
tre présence imaginairement qualifiée d'''espionoage'' et par le vécu
réel des membres en intériorité et en extériorité de la F.E.A.N.F.
Sans prétendre vraiment faire une analyse linguis~ique sé-
rieuse de ces indicateurs de discours,
nous avançons l'hypothèse que
la fréquence du pronom on forme impersonnelle est le signe d'une at-
titude profonde chez les sujets
une attitude de rejet partiel de
la F.E.A.N.F.
C'est un procédé de controle de soi dans ses rapports
avec cette organisation.
Le pronom on
(1)
permet aux sujets de se situer à la fois
en dehors et en dedans de l'organisation.
L'image de la famille étan
dégradée,
les individus ne savaient plus tellement la nature de leur
propre rapport avec l
a F.E.A.N.F.
Il ne serait pas excessif de dire
qu'il y avait une évidente désjde~tification (2) inachevée à l'orga-
nisation.
Désidentification marquée par la mosaïque de conceptions
opposées.
Les individus ne se sentant plus tout à fait
liés à la
F.E.A.N.F.
l'implication personnelle est esquivée par le biais d'un
artifice de rhétorique.
Ces considérations sont aussi valables pour
la métonymie.
L'occultation des termes "membres ou militants" est
aussi symptomatique d'une scotomisation de la F.E.A.N.F.
comme orga-
nisation engagée sur une voie sans nom et sans issue.
(1)
Notre analyse s'appuie sur les théories linguistiques décrites
par O.
DUCROT en 1972
(2)
Les é~udiants
ne se reconnaissaient plus totalement membres
de la F.E.A.N.F.
. .. / ...

- 95 -
QUATRIEME
PARTIE
ANALYSE ET INTERPRETATION DES DONNEES
CHAPITRE
1
1 - Proposition d'analyse des interviews de groupe
Principes et concepts méthodologiques
- Problématique
- La double dimension du discours
2 - Analyse des interviews
-
Premières réunions
- Deuxièmes réunions
- Troisièmes réunions
- Quatrièmes réunions
3 - Analyse des données observées
3 ) Le conflit oppose des acteurs bien distincts
1
3 ) La dénonciation
2
33) Le~contenu et la structure de la dénonciation
-
le contenu de la dénonciation
-
la structure de la dénonciation
4 - Le non-règlement des conflits
CHAPITRE
Il
Interprétation des données
Les conflits dans la F.E.A.N.F.
1) Niveau psychique
2) Niveau socio-politique


- 96 -
QUATRIEME
PARTIE
CHAPITRE
1
1 -
Propositions d'analyse des interviews
Principes et concepts méthodologiques
Problématique
Notre réflexion ici porte sur une attitude méthodologi-
que et des concepts qui seront les outils de travail que nous uti-
liserons pour l'analyse des discours.
Il ne s'agit pas d'une réflexion qui tend à définir les
conditions linguistiques d'une analyse du discours ni même d'une
méthode spécifique.
Outre la situation linguistique comme environ-
nement matériel
du discours nous mettons, dans cette analyse,
l'accent sur une notion plus spécifique c'est-à-dire sur le conte-
nu
latent
qui sous-tend les discours produits par nos sujets.
Pourtant dès l'instant que l'on s'intéresse au discours
comme objet linguistique construit on voit surgir une difficulté
propre à la façon dont se présente le phénomène de la significa-,
tion (ou sens)
est diverse et multiple, cela ne tient pas au fait
que l'on se trouverait devant un objet éclaté dont il faudrait re-
composer les morceaux; mais au fait que cette signification n'est
saisissable qu'à travers des canaux d'interprétation qui dépendent
d'une multitude de facteurs
(mod~ d'appréhension, déterminants etc .
. .. / ...

- 97 -
La double dimension du discours
Tout discours a une double dimension significative, la
dimension
latente et la dimension manifeste.
La dimension latente correspond à l'univers de discours
présent dans l'acte de la parole, appartenant à l'intention cons-
ciente ou inconsciente du locuteur.
La dimension manifeste est
la production verbale du discours.
Cependant, un discours,
nous semble-t-il, n'est pas struc
turé uniquement en fonction des intentions conscientes ou non du
locuteur, ni en fonction uniquement des règles linguistiques (1).
"11_ est aussi un objet social qui peut
ê::œ replacé dans un ensem-
ble différent et plus étendu que celui de la situation de communi-
cation particulière où il a été énoncé"
(2).
Autrement dit,
il
nous fallait chercher dans le discours des étudiants ce qui surdé-
terminait la communication, étudier le corpus comme une partie d'un
ensemble de discours s'inscrivant
dans un contexte plus large.
C'est dans cette perspective que nos analyses avaient
été faites.
Il n'était donc pas question,
pour nous, de faire des
classifications qui mettraient des significations dispersées dans
des catégories préexistantes.
Nous avions ainsi suivi un mode de lecture et d'analyse
caractérisé par une attention-flottante, et une activité répéti-
tive en nous rapportant au corpus original.
(1) La perspective classique prétend trouver la signification des
discours par classement
(système des catégories).
Cette opé-
ration nous parait superficielle, car elle ne met pas l'accent
sur le comment les choses sont dites mais seulement sur ce
qui est dit.
Or un discours est toujours l'objet d'un ques-
tionnement de la part de l'analyste.
(2) cf. A.
LEVY, déjà cité
.. '/'"

- 98 -
2 - Analyse des interviews
Premières réunions
Lorsque l'on l i t attentivement les discours produits
par les "étudiants au cours de ces réunions nous nous apercevons
vite que la société française est l'objet d'un désir fortement
ancré dans les individus.
L'apparition fréquente et spontanée du thème "paradis"
nous informe sur l'investissement psychologique des individus
pour cette société. On est tenté de dire que la société française
est pour l'étudiant africain un idéal du moi comme l'indique cette
phrase "Toute notre existence en Afrique tend à copier ce monde",
"venir en France, c'est une réalisation de soi-même".
La France apparait au cOUPS de ces discussions comme le
lieu privilégié de satisfaction de tous les désirs conscients et/ou
inconscients, désirs de faire comme le Français ou d'être comme
lui par identification à ses valeurs sociales et culturelles.
La survalorisation de la société française constitue la
trame des réunions.
Sa référence comme "le modèle" de société,
traduit tout le mythe dans lequel baigne l'étudiant africain lors-
qu'il se met à parler ou à penser à la France.
Dans les discours
des étudiants les rapports sociaux en France sont vus sous la
forme idéalisée et placés parfois dans des structures quasi-mys-
"tiques
"le ciel", l'Eden".
L'univers social français s'y trouve magnifié.
Une re-
présentation qui détermine le projet de venir en France ou qui ex-
plique parfois le fait d'y être!
... /'"

- 99 -
Les images que les étudiants utilisent pour désigner
la société française nous font penser "qu'il y a en eux la coin-
cidence du moi avec l'idéal du moi"
(Freud, psychologie collec-
tive et analyse du moi p.
97) qui est recherchée.
Dans leurs discours il apparaît que leur moi cherche à
se rendre semblable à ce qu'ils se sont proposés comme modèle (la
France et à travers elle l'homme français).
L'idéal du moi que
nous découvrons dans ces discours est posé comme l'objet par qui
le besoin vient à être comblé.
La France fait figure de modèle
auquel les sujets cherchent à se conformer.
Elle apparaît alors
comme un idéal collectif dans la mesure où les sujets se réfèrent
à cette seule et même société qu'est la France.
Deuxièmes réunions
Les discussions au cours de ces réunions se sont effec-'
tuées avec beaucoup d'émotions chez nos sujets-; les échanges de
points de vue serfaisaient avec passion
; la déception se lisait
dans la plupart des propos.
On pouvait constater que les étudiants
cherchaient des termes plus forts pour désigner les situations
désagréables et pénibles qu'ils ont vécues.
La majeure partie"des
causes de ces situations sont évoquées en termes de relations inter
personnelles entre l'étudiant africain et l'homme français.
Ce sen-
timent traduit les clivages interculturels qui font
à la fois la
différence et l'identité d'une personne.
. .. / ...

-
100 -
Le racisme sous forme de rejet est très souvent évoqué
par les étudiants pour expliquer leur déception,
leur isolement,
une tentative donc de rationaliser les conséquences d'une ren-
contre répulsive de deux modes de vie.
Le sentiment d'être rejeté
par la société française est d'autant plus fort que les sujets
ne s'attendaient pas aux situations qu'ils décrivent.
On peut s'a-
percevoir aussi que les étudiants manifestent dans leur discours
une lutte contre l'angoisse et la perte de la personnalité de base
( 1 )
On assiste également à la dévalorisation de la société
française.
L'objet survalorisé dans les premières réunions est ici
dévalorisé, nié même dans sa représentation comme norme, comme
l'archétype des sociétés.
Ce virement nous fait poser l'hypothèse
que les étudiants tendent par là à réduire la situation désagréa-
ble qu'à engendrée leur confrontation aux réalités socio-culturelle
françaises.
L'objet idéalisé et introjecté est ici sous sa forme
projetée dans unrprocès de désidentification.
~
En meme temps que la France subit une dépréciation,
l'Afrique est à son tour survalorisée notamment dans ses traditions
culturelles et sociales (la grande famille,
l'hospitalité,
les
interpersonnelles etc ... ) On peut ajnsi
se demander si
l'opposition qui apparait entre les deux sociétés n'est pas due
au besoin de réduire la tension intrapsychique causée par la con-
frontation conflictuelle des deux réalités socio-culturelles.
Le
fait que dans la pensée des étudiants,
la France ne soit plus pla-
cée dans une catégorie unique et presque métascociale montre que
l'adaptation à celle-ci a révélé des images fausses;
les images
idylliques qu'on pouvait voir dans les discours au cours des pre-
mières réunions disparaissent ici pour faire place à des sentiments
plutôt d'anxiété devant cette société.
(1) Nous avons emprunté l'expression à R. KAES in l'Appareil psychi·
que groupaI.
" . / ...

-
101 -
Derrière cette anxiété on perçoit un refus latent de se laisser
"acculturer" si on peut définir l'acculturation comme le phéno-
mène par lequel un individu superpose à son propre style de vie,
qui est aussi celui de sa société d'appartenance, celui d'une
autre société.
Il s'agit d'un processus qui s'effectue souvent
de manière inconsciente.
Ce qui est mis aussi en relief dans ces
discours,
c'est le caractère "menaçant" de la société française.
La menace se manifeste selon des modes d'expression différenciés
on distingue les menaces exprimées à l'aide du langage verbal, de
celles qui reposent essentiellement sur une symbolique gestuelle
:
"on vous bouscule sans dire pardon".
En effet le support de la menace n'est pas toujours le
langage mais elle peut résider dans le simple fait
pour l'indivi-
du,
d'avoir participer
à une inter-action qui lui apparaît com-
me menaçante.
Cette catégorie des faits est très particulière car
elle ne présente pas d'éléments élaborés, aussi structurés que la
menace verbale qui est très souvent évoquée par les sujets.
Elle
révèle cependant
la part de subjectivité qui entre dans la per-
ception et l'évaluation de la menace.
Le grossissement des faits
laisse croire que le caractère menaçant de la société française
est surestimé par les étudiants et qu'il naît souvent dans la per-
ception déformante de ceux-ci.
Les situations menaçantes prennent toute leur importance
non seulement dans le "pouvoir des mots" mais dans l'intensité des
sentiments manifestés au cours des scènes (agressivité, colère,
injures etc
... ).
. . . f ...

-
102 -
La pression psychologique que ces faits exercent sur l'étudiant
africain semble liée à une vision allant de la personnalisation
la
plus poussée à la plus grande objectivation.
Ainsi en inversant les valeurs par dévalorisation de
la société française et Tévalorisation ou survalorisation des
sociétés africaines,
l'étudiant recherche un certain équilibre
psychologique pour éviter la dépression.
L'utilisation de l'inver-
sion par dévalorisation /revalorisation sert,
à l'individu à se
défendre contre l'anxiété engendrée par l'épreuve de réalité, face
à la société française.
c'est en d'autres termes une façon de juguler le conflit
interculturel qui est souvent présent dans les discours, une
fa-
çon de lutter contre le processus de dépersonnalisation, le procé-
dé de l'inversion a alors pour raIe de masquer et à la fois d'ex-
primer les conflits etles violentes culturelles
Pour conclure ces réunions, nous dirons qu'elles met-
tent à jour la
~ituation paradoxale dans laquelle l'étudiant afri-
cain en France se trouve confiné.
Elle est faite de vertige; car
étant à un moment attiré et fasciné par cette société il est main-
tenant inquiet devant elle.
Troisièmes réunions
c'est un ensemble de thèmes à la fois complémentaires
et opposés que l'on rencontre
au cours des discussions.
Les thè-
mes comme "la F.E.A.N.F.
comme famille",
"la F.E.A.N.F.
comme
syndicat",
"la F.E.A.N.F.
comme mouvement
politique" sont tous
enchevêtrés dans les discours et laissent en même temps transpa-
raitre les difficultés pour les étudiants de les énoncer claire-
ment.
. .. / ...

-
103 -
On se contente parfois de quelques affirmations vagues dans les-
quelles on distingue des sentiments et des représentations diffus.
En effet la famille qui est évoquée dans les discussions
semble symboliser la famille réelle caractéristique des sociétés
africaines (1)
Il s'agit d'une image,
pensons-nous, qui préfigure
et ordonne le sens et la direction de la F.E.A.N.F.
En d'autres
termes la F.E.A.N.F. est vue dans cette situation comme regénéra-
trice d'existence. A l'instar de la grande famille africaine,la
puissance de la F.E.A.N.F. mise en exergue par les étudiants
est celle que lui procure une fonction imaginaire indestructible
la représentation de la F.E.A.N.F.
comme objet autonome par rap-
port à ses référents et à ses caractéristiques réelles.
L'étudiant étant individuellement défaillant il est sup-
plée" par le corps groupaI de la F. E. A. N. F.
qui,
lui, est li inal té-
rant,
triomphant"
(H.
KAES,
1976).
L'angoisse de la séparation,
le fantasme de la dispari-
tion, de la rupture du lien familial,
l'anxiété due au sentiment de
déculturation et la tentative de les résorber sont présents par-
tout dans les phrases.
L'image familiale éveillée par le "sevrap;e cul turel"
oriente l'étudiant vers la F.E.A.N.F.
en tant que moyen de régula-
tion des tensions.
On y cherche une compensation aux frustrations
dont il est question dans les discussions précédentes.
(1)
cf.
Chapitre sur "Culture et Société"
... /'"

-
105 -
La F.E.A.N.F.
apparait dans la pensée des étudiants
comme le support projectif des désirs refoulés par la société
française.
En même temps elle devient le lieu de protection du
MOr.
On relève dans l'appréciation de la
nature
de la socié-
té française,
des thèmes directement liés au vécu des individus.
Elle est représentée comme inhibitrice, contraignante,
dévitalisée alors que la F.E.A.N.F. qui est sa réplique est vue
comme lieu de créativité, de liberté d'action, de relations inter-
personnelles diversifiées mais vivantes.
Cette organisation parait compenser toutes les limita-
tions,
les interdictions formelles ou informelles imposées par
la société française.
Dénaturée dans les représentations, celle-ci
est figurée comme l'anti-famille, comme le négatif d'une vie dési-
rée.
L'organisation que l'étudiant se représente résulte
donc de l'angois'se que cet te famille ne soit détruite, et que par
conséquent il ne soit lui-même détruit.
Telle est sans doute l'une
des origines des conflits dans la F.E.A.N.F.
Il s'agit dans cette
situation d'un fantasme doublement articulé dans sa référence à
la famille africaine et à la F.E.A.N.F., de l'image de la fam~lle
et sa continuité.
. .. J ...

-
106 -
La spécialité de la F.E.A.N.F.
telle qu'elle est repré-
sentée et vécue par les étudiants est de faciliter et d'offrir un
cadre socioculturel qui rendrait à l'individu la stabilité de sa
personnalité de base plutôt que de jouer le rôle de syndicat. Ainsi
dans la F.E.A.N.F.
conçue de cette manière l'individu retrouve sa
place dans la structure familiale africaine.
Les processus par lesquels s'effectue la transposition
inconsciente ou non de la fami·lle africaine à la F.E.A.N.F.
sont
le "déplacement" qui est à l'origine de comparaisons imagées de
similitudes supposées entre les deux réalités et la construction
symbolique des attitudes familiales dans la F.E.A.N.F.
La F.E.A.N.F.
a donc une fonction identique à celle de
la structure familiale africaine:
la protection de l'individu con-
tre les frustrations extérieures.
C'est en son sein que se résolvent
(dans l'imaginaire)
les insatisfactions qu'inflige la société fran-
çaise,
la "défaillance de celle-ci à recevoir et à donner l'amour". On
constate alors que les fantasmes qui structurent la pensée des étu-
diants sont ceux du retour à la vie africaine fantasmée,
à la socié-
té africaine.
On doit ainsi admettre que les représentations que nos
sujets
(ou certains sujets)
se font de la F.E.A.N.F.
sont construi-
tes sur le modèle des empreintes familiales de type communautaire
fortement
intériorisées
(1).
(1)
cf.
Chapitre intitulé
Culture et Société.
. . . J ...

-
107 -
A travers les références à la famille,
donc
à la commu-
nauté,
surgissent les attaches à cette réalités sociologique de
la vie en Afrique qui, agissant fortement chez l'individu,
fonction-
nent comme. les "organisateurs spécifiques" de la représentation de
la F.E.A.N.F.
comme famille.
Mais si ces "organisateurs soc io-cul turels'~ de la repré-
sentation de la F.E.A.N.F.
apparaissent nettement dans les discours
de certains étudiants,
ils sont absents dans les représentations
d'autres étudiants ou plus exactement ils n
'
y transparaissent
pas comme tels.
En effet,
dans ces discours, on remarque qu'il y a beau-
coup de références au "politique", aux conduites révolutionnaires.
Les leaders comme Y., LT.
et NG.
se reconnaissent une responsabili-
té particulière envers l'entité politique de l'Afrique et se sentent
concernés par les déboires de celle-ci.
Aussi la F.E.A.N.F.,
pour
ces individus et pour d'autres,
devrait-elle avoir d'autres fonc-
tions et d'autres buts que ceux qui consistent à protéger le Moi
ou à faire de simples revendications.
Pour ces étudiants la F.E.A.N.F.
doit être un lieu de formation politique, devant rendre l'étudiant
afr~cain apte à délivrer l'Afrique de la "dominatton étrangère".
Dans leur discours se réflète le sentiment de cause commune
et la sollicitation d'une unité d'esprit basée à la fois sur les va-
leurs culturelles communes et sur la lutte commune.
Il y a également
une unité émotionnelle qui s'exprime dans des phràses comme:
"On se détache de sa personalité pour pouvoir aller se
mettre au service des gens qu'on aime".
Un participant affirme même "qu'il faudrait
lier son sort
à celui de son peuple".
L'analyse que nous proposons de cette conception rend com-
pte des visées masquées ou non des étudiants .
.. ./ ...

-
108 -
En effet on voit dans ces propos se dessiner l'idéologie
à laquelle est assigné le-pouvoir de transformer la F.E.A.N.F.
_
objet en F.E.A.N.F., -
sujet.
L'idéologie se découvre ici comme
une répons~ et un prolongement stratégique des pratiques dans l'or-
ganisation
; elle se révèle comme une réinterprétation totalisante
des représentations en vue du renforcement de celles-ci, mais aussi
de leur mobilisation dans le dépassement de la F.E.A.N.F.
comme or-
ganisation centrée sur elle-même.
L'idéologie de la F. E. A. N. F.,
l "' Ant i-impérial isme" sous-
tendu par le Marxisme-Lenj_nj_sme,
tient le discours du changement,
mais pas n'importe quel changement.
C'est le discours du changement
radical.
Elle a ainsi une visée historique des sociétés africaines.
Elle semble différencier les pratiques répétitives, ritualisées dans
la F.E.A.N.F.
(réunions,
fêtes,
sport ... ) des pratiques innovatrices,
créatrices, ouvertes sur l'action politique donc sur l'extérieur. A
ce niveau se situe sans doute l'un des noeuds probables du conflit
qui secoue l'organisation.
Derrière cette idéologie se cache donc
une contestation d'abord latente puis ouverte des politiques africai-
nes
; elle projette leur modification voire leur destruction parce
que vues comme l'héritage de la colonisation.
On découvre là le déploiement d'un mécanisme de défense
dans un mode différent de celui que nous connaissons jusque là : la
défense socio-politique,
la résistance culturelle mais aussi politique
Son apparentement au premier mécanisme vient du fait qu'il est dirigé
contre les influences extérieures considérées comme une nuance pour
l'équilibre et l'intégrité des sociétés africaines.
. .. / ...

- 109 -
Pour tout résumer on distingue dans ces réunions deux ni-
veaux logiques des discours :
- La recherche de l'identité socio-culturelle et sa pro-
tection, marquée par un discours qui idéalise la vie groupale,
- et la recherche de
l'identité politique marquée par le
discours idéologique qui défend une stratégie du changement social en
Afrique Noire.
QUATRIEMES REUNIONS
Ces réunions, les dernières de l'enquêtes, ont fait res-
sortir toutes les contradictions, les clivages et les ruptures vécus
par les membres de la F.E.A.N.F. dans cette organisation même.
Une remarque est à faire sur ces réunions ; elles opposaient
dans presque toutes les cinq séances, deux groupes bien distincts. Un
groupe qui est attaché à la défense de l'identité socio-culturelle et
un autre groupe d'individus qui sans paraltre unis dans leurs att~~udes
et dans leur discours ten~aien~
de justifier la crise de la F.E.A.N.F.
soit par son inconsistance dans sa pratique idéologique ("pas de ri-
gueur politique dans les discours des gens") soit par la passion des
étudiants quant à la doctrine idéologique elle-même.
Les thèmes "fanatisme" "rêve", "imagination", "super-révo-
tionnaires", "exhibition", moutons de panurge",
"dogmatisme" etc ...
ont structuré une grande partie des phrases. On peut remarquer la
réapparition du thème "famille" mais cette fois pour marquer la con-
tradiction dans l'organisation.
. .. J ...

-
110 -
Nous commencerons notre analyse par ce dernier thème non
pas parce qu'il contient tous les éléments de sens dans ces discus-
sions mais parce sa réapparition même nous semble symptômatique du
conflit que nous avons constaté.
Certa~ns étudiants reprochent à d'autres, particulièrement
à ceux qui tiennent le discours idéologique, de détruire "l'ambiance
farnil iale" .
On revoit dans ces réunions le deuil de la famille,
la
perte de la famille qui signifie aussi la perte de soi, la mort.
On se
souvient que les images familiales originaires sont si fortement inté-
riorisées par l'étudiant africain qu'elles sont d'un dynamisme qui le
porte vers l'intégration à la F.E.A.N.F.
On peut donc faire l'hypothèse
que le sentiment de l'effacement de l'ambiance familiale,
donc de la
destruction de la F.E.A.N.F., est lié à celui de la dissolution des
aspects du Moi assimiliés à ces images, et dont dépend l'intégrité psy-
chologique de l'individu.
La menace de l'intégrité par l'idéologie débordante est per-
çue par ces individus qui assimilent
cette
dernière à la société fran-
çaise.
En effet si l'idéologie est apparue comme complémentaire des
. représentations dans la F.E.A.N.F., elle est ici perçue sous son as-
pect négatif dans la situation de crise qu'elle-même a provoquée; car
si elle s'est établie comme défense contre l'extérieur d'où vient la
menace, comme fermeture sur l'objet F.E.A.N.F.
idéalisé afin de ren-
forcer le sentiment de sécurité, elle s'est révélée aussi comme ouver-
ture sur ce même extérieur dans la mesure où elle s'engage sur la voie
de l'action historique.
. .. / ...

-
111 -
En cela elle provoque une crise en donnant aux individus le sentiment
du retour à la menace,
à la persécution.
A l'idée de l'ouverture, sont associées celles de la dispa-
rition de la. clôture protectrice, d'une menace mortifère et d'une "at-
taque vi tale"
(1).
Les perturbations que l'on remarque dans la structure et
le fonctionnement de la F.E.A.N.F.
et qui sont également vécues dans
les réunions de discussion traduisent bien une situation de rupture
d'avec le "bon objet"
: la F.E.A.N.F.-famille.
Le fantasme de la rupture et le fantasme du retour au mauvais
objet
(la société française)
sont vécues dans l'angoisse de la catas-
trophe.
De nouveau,
la peur de ce que nous avons appelé plus haut le
Bevrage' culturel se fait sentir, le désir d'être en Afrique sans y
être se trouve limité dans sa satisfaction, d'Où les tensions qu'on
décèle au cours des réunions de discussion comme aux Assemblées géné-
rales.
La limitation de la satisfaction de ce désir marque l'avène-
ment du conflit puisqu'elle indique un changement brusque et décisif
dans le cours d'un processus et qu'elle est perçue comme facteur de
désordre dans la F.E.A.N.F. On comprend donc l'agressivité et les al-
tercations au cours des Assemblées générales de cette organisation.
Car la gravité de la rupture perçue ne réside pas seulemnt dans l'idéo-
logie en tant que système mais également dans le discours qui l'accom-
pagne et qui interdit tout écart par rapport à l'objet qu'elle vise,
comme le souligne ce morceau de phrases d'un des étudiants:
"Aux réunions on ne doit discuter que de politique, pas de
sentiments, pas question de danser, même pas de plaisanterie".
,
(1) R.
KAES
in Crise, rupture, dépassement p.
11,
1979
.. . f ...

-
112 -
L'anxiété qui émerge de ces discussions traduit donc le
sentiment de se trouver en conflit avec l'idéologie et partant avec
ceux qui la portent.
Mais d'autres difficultés relevées au cours des réunions
étaient liées à la manifestation de sentiments d'inquiétude de déses-
poir à propos des conduites révolutionnaires.
Cette fois elles ne
sont pas récusées en tant qu'éléments anti-groupe
(ou anti-F.E.A.N.F.)
mais comme étant imparfaites dans leur réalisation.
Des étudiants
déplorent l'incohérence qu'elles comportent.
On dénonce ici et là la
non clarté de la base politique de l'idéologie.
On exprime beaucoup
d'inquiétude et d'anxiété quant au contenu et aux conséquences réelles
de celle-ci.
C'est donc
le caractère ambigu et peu adaptable de l'idéo-
logie ~ui est mis en cause dans les discussions.
L'anxiété que l'on constate le long des réunions est le
reflet d'un deuxième niveau de conflit, un conflit qui s'est installé
à l'intérieur même du groupe d'individus qui défend la "lutte anti-im-
périaliste" .
La lutte politique est en effet pour beaucoup d'étudiants
la forme d'action qui leur parait la meilleure pour changer le cours
de l'histoire de l'Afrique actuelle.
Les discours devenus de plus en
plus critiques et véhéments mais de moins en moins clairs rendent alors
inquiets certains membres de l'organisation.
On pourrait expliquer cet état de fait
par deux raisons
1) Ce conflit est un conflit de rôle fonctionnel .
... / ...

-
113 -
Le conflit qu'on découvre dans ces réunions provient de
la confusion inconsciente ou non, entre rôle de militant syndicaliste
et rôle de militant politique.
Certains étudiants se sentant l'objet
d'une press~on de la part des tenants de l'idéologie afin d'agir com-
me des acteurs politiques, comme des "révolutionnaires", tandis que
leur désir est de mener de simples actions revendicatives. Mais le
rôle que l'idéologie leur demande de jouer parait incompatible, pour
eux, avec leur statut d'étudiant car l'action révolutionnaire, pensent-
ils, se fait habituellement par des personnes qui ont effectivement
prise sur les pouvoirs politiques comme les ouvriers par exemple.
Ce dont il est question c'est de l'anxiété due à la confu-
sion de deux rôles ayant deux champs d'applications différents:
le
champ syndical
(les conduites revendicatives) et le champ politique
(conduites révolutionnaires, contestation politique).
Le conflit est d'autant plus aigu que les prescriptions
qui caractérisent ses rôles sont flous
On distingue mal leur commune
mesure.
Aussi leur extension trouble t-elle les étudiants.
En réalité
la confusion procède d'attentes différentes chez certains membres par
rapport non seulement aux objectifs premiers de la F.E.A.N.F. mais
aussi par rapport aux désirs inconscients dont nous parlions dans les
premières discussions.
Ces attentes sont celles
qui sont rapportées
à la conception de la F.E.A.N.F.
comme groupe de pression voire un
"parti politique".
. .. / ...

-
114 -
2)
Ce conflit est lié au non-savoir sur les réalités socio-
logiques africaines, puisqu'on s'aperçoit au cours des réunions que
ce qui fait obstacle à la pratique révolutionnaire provient du terrain
sur lequel elle doit s'effectuer c'est-à-dire l'Afrique en tant que
réalité sociologique ayant ses propres conditions concernant la révo-
lution marxiste.
La deuxième raison tiendrait donc de la confusion que les
étudiants entretiennent en donnant comme dirait P.
ALEXANDRE" trop
d'importance à des ressemblances superficielles entre tel ou tel trait
de cultures africaines et tel ou tel élément de la doctrine marxiste".
(1) Une telle confusion traduit une "connaissance insuffisante d~
marxiste et de la sociologie africaine".
En effet que ce soit au cours des réunions officielles de
la F.E.A.N.F.
ou des réunions-discussion que nous avons organisées
on se rend compte du non-savoir notoire qui persiste le long des in-
terventions quant aux moyens concrets pour la réalisation de la "ré-
volution".
On s'aperçoit aussi qu'une vue claire des institutions
sociales, politiques.et culturelles africaines est absente des dis-
cours qui par ailleurs ressemblent de beaucoup à certains discours
révolutionnaires européens.
Cela nous conduit à formuler cette remarque que si émotion-
nellement et affectivement l'étudiant africain reste attaché au monde
culturel dont il est issu,
il est cependant intellectuellement et pro-
fondément imprégné par la culture européenne parfois à un niveau si
profond qu'il n'arrive plus à appréhender les réalités de sa société
d'origine; d'Où toutes les difficultées qu'il rencontre à retrouver
les manières de penser et d'agir des siens.
( 1 ) Pierre ALEXANDRE,
Marxisme et tradition culturelle africaine in
revue l'Afrique et l'Asie n°
67,
1964
... / ...

-
115 -
3) Analyse des données observées
Rappelons qu'en dehors des réunions-discussions, nous
avons assisté aussi aux réunions et Assemblées générales officielles
de la F.E.A.N.F.
pour y observer le déroulement des activités.
Nous
allons donc tenté de faire une description poussée des réunions et
une analyse de nos observations.
31 ) Le conflit oppose des acteurs distincts
Nous avons constaté au cours des réunions officielles de
la F.E.A.N.F.
tout comme dans les séances d'interviews qu'il y a un
ensemble de personnes qui tiennent les mêmes types de discours sur
les mêmes sujets (vie traditionnelle africaine ... ) et que cet en-
semble de personnes est différent d'un autre qui tient lui, d'autres
discours sur les sujets comme la lutte anti-impérialiste, la révolu-
tion prolétarienne.
Ces deux troupes sont antagonistes.
Nous utiliserons le
terme antagoniste parce qu'il traduit bien l'opposition entre les
deux groupes d'individus; opposition qui se manifeste par la violence
verbale, l'agressivité dans les réactions envers les personnes du
groupe
adverse surtout quand il s'agit de la finalité de la P.E.A.N.F.
On peut donc considérer que ces comportements sont le résultat d'un
conflit intergroupe, nous y reviendrons.
. . . J ...

-
116 -
Un autre constat a été fait à propos des moyens pour par-
venir aux différents objectifs visés.
Pour une question de commodité de l'exposé, nous désigne-
rons par la lettre A le premier groupe et par la lettre B le second
groupe
(1).
Lorsque les débats au cours des Assemblées générales tou-
chent directement ou indirectement aux conditions de réalisation des
objectifs, on s'aperçoit très vite que le groupe B est en efferves-
cence.
Tandis que le groupe A semble apparemment cohérent dans
ses visées en proposant des activités culturelles
(soirée récréative
par exemple) le groupe B s'enlise dans des polémiques sur ce qui était
à faire et comment le faire.
Il Y a donc un conflit au sein du groupe B concernant les
modalités d'action historique ou critique.
Le clivage entre les deux groupes est d'autant plus mani-
feste qu'on caractérisait
par les termes "barons" et "amicalistes ou
réactionnaires" ceux·avec qui on n'était pas d'accord.
Les "amicalistes
ou réactionnaires" sont justement ceux qui refusent l'idéologie dans
la F.E.A.N.F.
et à qui les autres reprochent de faire de cette organi-
sation une amicale qui la rendrait passive,
parce que détournant les
étudiants des problèmes politiques de leur pays.
Les "barons" sont
les membres qui non seulement ont duré dans l'organisation mais y oc-
cupent toujours des positions statutaires importantes.
Les "barons"
qu'on retrouve dans le groupe B sont jugés par le premier groupe res-
ponsable s de l ' inert ie de l'a 8 soc -; a:: ~ on en 1 a dotant d'une 1 igne po-
litique,
la ligne "Marxiste-Len~n:.i.sme", en parlant de lutte anti-im-
,
périaliste avec le parti ouvrier d'avant-garde.
(1) Ce groupe constitue la majorité de la F.E.A.N.F., et comprend les
dirigeants.

-
117 -
Le groupe A taxe ainsi le groupe B d'''avant-gardiste, c'est-à-dire
ceux qui se réclament du Marxisme-Len~ni_sme et qui considèrent ainsi
la F.E.A.N.F. comme un parti politique, ou d'éléments avancés"
(1).
Ils sont qua;lifiés de "petits intellectuels" impatients de jouer des
rôles politiques.
Le ton monte,
la tension aussi et le conflit entre
les deux groupes prend une tournure exacerbée lorsqu'il se manifeste
dans des phrases telles que:
"petits bourgeois réactionnaires",
"ins-
truments de l'impérialisme français" ou les "rêveurs de la F.E.A.N.F."
Cependant, le groupe B se proposait d'agir:
1) sur les rapports de production dans les sociétés afri-
caines par le biais de la relation classe ouvrière-étudiants révolu-
tionnaires.
2) sur les rapports socio-économiques entre pays occiden-
taux et pays africains par le biais de l'action anti-impérialiste.
Cette action était d'abord conçue comme une action de cons-
cientisation, une action de critique idéologique.
Mais comment était envisagée la question de l'efficacité
de cette action ? A-t-elle été envisagée ? Toutes ces questions sont
restées sans réponses claires.
Tentons malgré tout d'apporter des éléments d'explication
aux stratégies qui se jouent dans la F.E.A.N.F.
(1)
Expression utilisée au sens péjoratif
... /' ..

-
118 -
32 ) Analyse des stratégies et des pratiques
3
2
Stratégie du groupe B
1
. - ,
Une des stratégies ~du groupe B était de faire passer et de
développer des comportements révolutionnaires et surtout une théorie
,du contre pouvoir par rapport aux institutions étatiques des pays
d'Afrique et par rapport aussi à la domination occidentale.
Mais
l'avenir d'un savoir social qui se situe au coeur d'une pratique
sociale en contradiction avec elle-même parce que renvoyant à plu-
sieurs représentations semble difficilement envisageable.
Certes, une action critique a plus de chance d'être une
connaissance qu'une action non critique, mais une connaissance (ou
savoir social)
développée par une action surtout si elle est criti-
que
comme le désire la F.E.A.N.F., a besoin d'être traduite en
termes compréhensibles et acceptables par tous les membres pour que
la connaissance-action se sache connaissance.
Cela nécessite une
double distenciation
:
Premièrement
par l'accession des membres au statut de
sujets.
L'action historique qui doit faire suite à l'action criti-
que n'est possible que si l'ordre social établi n'appara1t plus à
l'acteur comme un système méta-social mais l'oeuvre des hommes, comme
la projection des rapports sociaux, par lesquels une société donne
forme et sens à l'emprise de l'historicité sur les pratiques sociales
L'action historique portée par l'idéologie révolutionnaire,
pour
être perçue comme significative d'un idéal doit s'insérer dans un
schéma d'opération clairement défini.
. .. /' ..

-
119 -
Deuxièmement
:
-
Par l'utilisation d'un outil approprié pour invalider
le passé voire le présent et qui souligne ce qu'il importe de dé-
truire.
C'est sans doute cette double distenciation plus que l'a-
nalyse critique ou la connaissance-action qui est source de conflits
-puisqu'on constate qu'il y a effectivement une analyse critique réel-
le.
Cela est net dans les textes à propos de la situation socio-
économique et politique dans les pays d'Afrique Noire et dans le
reste du monde.
Les commissions de travail constituées pour l'étude
des questions politiques,
économiques et sociales au cours des réu-
nions officielles de la F.E.A.N.F.,
fonctionnaient comme lieu de con-
naissance théorique
: utilisation de concepts et de schémas politi-
ques et économiques permettant d'analyser les questions dans leur
ensemble.
Cette situation parait logique car le groupe B étant majo-
ritairement représenté dans l'organisation,
tout se passait comme
si elle était un mouvement politique.
3
Pratiques dominantes dans la F.E.A.N.F.
2
2
-
La dénonciation
Parlons de la pra~ique dominante dans la F.E.A.N.F.
Rappe-
Ions que cette pratique vise d'abord à une action idéologique, une
conscientisation.
On peut donc la nommer une pratique-théorique.
Il s'agit d'un système que la F.E.A.N.F.
(dans sa majorité)
veut dénoncer:
le système impérialiste occidental, ou ce qu'elle
appelle encore le néo-colonialisme.
Elle veut le dénoncer non seule-
ment comme .prat~queidéologique visant à placer et à maintenir les

sociétés africaines dans des rapports de domination, mais comme
pratique socio-politique aliénante.
. .. /'"

-
120 -
32 ) Le contenu et la structure de la dénonciation
3
Abordons maintenant la double question du contenu et de
la structure de cette dénonciation de "l'idéologie impérialiste".
-
Le contenu de
la dénonciation
En ce qui concerne le contenu, nous y avons déjà fait al-
-lusion dans les pages précédentes.
Il s'agit de dénoncer les rap-
ports de production avilissants dans les sociétés africaines, le
caractère de domination des sociétés occidentales.
Pour beaucoup la
F.E.A.N.F.
devrait être un lieu d'espoir de la jeunesse africaine
en vue de la libération de leurs "peuples", un lieu du possible his-
torique, du possible de l'indépendance économique et sociale des
sociétés africaines, du possible de l'éngagemént politique, du pos-
sible du refus des analyse~ toutes faites par les pouvoirs politi-
ques des sociétés précitées.
Cette conception traduit peut-être
aussi un phénomène de projection fantasmatique,
de choses possibles
créées et vécues autour des problèmes actuels liés à l'accultura-
tion.
C'est-à-dire~la défense psychologique exigée par l'adapta-
tion à la culture du milieu d'accueil.
-
La structure de la dénonciation
En ce qui concerne la structure de la dénonciation nous som-
mes amenés à la décrire comme une dialectique mettant en jeu deux
termes:
rupture-cohérence.
La pratique-thèorique provient d'une volonté de cohérence,
mais pour réaliser cette cohérence il est nécessaire de faire une
rupture par rapport à l'extériorité de la pratique et par rapport
à la théorie.
En effet la vie étud~ante, la fonction étudiante
se veut vulgairement un lieu neutre:
neutralité politique, neutra-
lité de la connaissance acquise ou à acquérir,
la vie intellectuelle
sans pratique etc ... )
... /'"

- 121 -
~
Pour instituer un trait d'union (entre théorie et prati-
que)
la F.E.A.N.F.
devrait manifester une volonté de cohérence et
une volonté de refus, une rupture par rapport à la négation du trait
d'union.
Il apparait ainsi un jeu subtil de rupture et de cohérence.
Notre travail d'observation nous a permis de repérer ici
quels ont été les lieux de cohérence et quels ont été les lieux de
rupture.
En prenant, par exemple,
la notion anti-impérialisme,
qu'est-ce qu'il y a comme volonté de rupture, de cohérence? Par rap-
port à quoi? Par rapport à quel niveau de réalité? Qu'est-ce-qu'on
veut reconstruire et comment ?
Les différents lieux ainsi observés, analysés,
les rapports
dynamJques qu'ils entretiennent entre eux, leur organisation, nous
permettent d' 'apprécier, de préciser la nature du trait d'union qu'on
a instauré entre théorie et pratique.
Par ailleurs la relation dia-
lectique rupture-cohérence nous permet effectivement de faire le bi-
lan sur le fait de savoir si la F.E.A.N.F.
est restée totalement
dans l'univers intellectuel ou bien si elle a pu franchir ce cap.
Que nous apporte cette structure rupture-cohérence ?
Elle va effectuer la structure théorie-pratique en lui don-
nant la dimension critique.
Certains membres de la F.E.A.N.F.
étaient
ainsi en rupture avec l'image de la neutralité contre les pratiques
sociales globales de leur société et seulement en conséquence contre
les théories et pratiques des sociétés dominatrices.
D'autres étaient
en rupture uniquement contre les théories et pratiques de leursocié~é
pa~ce qu'ils
la vivaient concrètement et ensuite seulement contre
les théories et pratiques sociales des sociétés dominatrices .
.. . / ...

-
122 -
Ainsi la rupture fonctionnait au croisement des deux symbo-
1iques dont nous avions parlés dans l'histoire de la F.E.A.N.F.
la symbolique de l'action consistant à réaliser une critique efficace
et active~ une action historique contre les liens cachés ou visibles
de l'idéologie qui régit les rapports entre les sociétés dépendantes
d'Afrique et les sociétés dominatrices de l'Occident;
la symbolique
du désir, celui de la réalisation d'une autre pratique sociale, d'un
autre savoir social (l'idéologie nouvelle) qui relève parfois de l'U-i.
topie, du fantasme comme nous le verrons dans l'interprétation des
données.
Ainsi, on s'aperçoit comment les conflits à la F.E.A.N.F.
.1
étaient liés aux modalités de l'action historique ou critique;
.,
Î
la diversité des lieux de rupture,
la non-clarification des straté-
1
gies et des pratiques n'avaient fait que renfo~cer les conflits et
:
les tensions.
4- Le non-règlement des conflits
Il s'opérait dans un climat d'insécurité avec pour coro11aiI
la réduction de "l'espace de libre mouvement" des membres.
En effet la F.E.A.N.F.
aux prises avec ses multiples pro-
blèmes utilisait la voie répressive pour résoudre les conflits
Les
~
-
-
réunions étaient le théatre des règlements de compte entre
adver-
saires de groupe.
S'appuyant sur le texte du statut de l'organisa-
tion,
les dirigeants suspendaient des membres ou des sous-sections
entières.
. .. j . ..

- 123 -
La censure était pratique courante : les dirigeants refu-
saient de donner la parole à un membre lorsqu'ils estimaient que ce
dernier n'abondait pas dans leur sens, ce qui de toute évidence en-
trainait des protestations vives et parfois violentes du membre frus-
tré. On assistait quelque fois à des agressions physiques sur des
leaders informels c'est-à-dire des individus considérés comme meneurs
-du groupe adverse.
La négociation était absente des procédures de règlement
des conflits. Rarement, on y faisait allusion. On se souvient (dans
les pages précédentes) que les intérêts des acteurs ne sont pas né-
cessairement politiques. Cela rend compte de l'hétérogénéité des ra-
tionalités dans l'organisation, qui ne sont pas de simples différence
mais des contradictions, entre stratégies, entre système de valeurs,
hormis les clivages internes à un mëme système lié à l'enjeu idéolo-
gique.
Ainsi un commentaire interprétatif nous amène à affirmer
que l'histoire des .rapports entre le groupe A et le groupe B n'est
pas celle de vues violemment opposées sur ce que devrait être la
F.E.A.N.F. d'une part, et d'autre part sur la clarté de l'enjeu idéo-
logique et les modalités pour parvenir à sa réalisation.
Aux Assemblées générales on se rend compte que les tensions
occasionnées par les oppositions ne sont pas prises en considération
ou lorsqu'elles le sont c'est
tout de suite pour les réprimer par
le "respect des règles formelles" - La F.E.A.N.F. résoud plutot les
tensions négatives et partant les conflits par des sanctions (ex-
clusion d'individus par exemple)
. o. /


-
124 -
Or, comme nous dit A.
CaSER "dans un groupe où la participation des
membres implique leur personnalité totale et où les conflits sont
réprimés,
si des conflits éclatent néanmoins ils peuvent menacer le
fondement de l'organisation en entrainant une rupture du consensus"
(in A.
LEVY,
-textes fondamentaux)
On comprend aisément que la
F.E.A.N.F.
ait périclité.
CHAPITRE
Il
Interprétation
des
données
-
Les conflits dans la F.E.A.N.F.
1 -
Niveau psychique:
Spécificité d'un processus de groupa-
lité
(les fantasmes)
-
Les mobiles de la groupalité
Tentons à présent d'interpréter les données discursives
observées à partir des analyses déjà faites et de nos hypothèses.
Au-
trement dit nous voulons ici confronter nos hypothèses de départ à
nos analyses des données pour en mesurer la validité et les éléments
d'explication des conflits.
Commençons par la première,
que nous rappelons sommairement
nous posions que la F.E.A.N.F.
représente pour l'individu qui y adhè-
re,
une sorte de clôture protectrice contre l'extérieur,
l'environ-
nement social français ou occidental considéré comme frustrant,
me-
naçant et qu'elle est conçue comme moyen de défense contre cet exté-
rieur.
En effet les faits
semblent confirmer cette hypothèse.
Cette
relation significative ne peut se comprendre que si l'on tente de
la situer par rapport
à l'objet de notre recherche et aussi par rap-
.
po~t à un contexte plus large,
plus général en l'occurence un contexte
théorique.
. .. J ...

-
125 -
Dans le chapitre précédent,
l'analyse avait révélé que la
F.E.A.N.F.
était perçue comme ce qui apporte à l'individu la sécuri-
té et le soutien affectif, un substitut de l'environnement socio-
culturel d'origine.
Pour certains membres donc,
la F.E.A.N.F.
est plus une mi-
cro-société à l'image de l'Afrique qu'un mouvement social;
,exemple-KD :
"La F.E.A.N.F.
prend le sens d'une famille où l'on
1'e-
partage
un peu une culture commune où on essaie de recréer une vie
qu'on a partagée à un moment donné".
AZ
: -
C'est recréer le milieu dans lequel on vivait.
Ces morceaux de discours sont caractéristiques du désir pro
fond
des individus de rebâtir un univers social qui fut le leur.
Notre hypothèse se trouve ici confirmée car au"delà des
principes normatifs et des objectifs formels de la F.E.A.N.F., c'est
sa valence affective et socio-culturelle qui est soulignée.
La FEANF
en tant que substitut d'ensembles sociaux,
offre à l'individu une so·
lution au déracinement, un moyen d'éviter une crise d'identité cul-
turelle.
Elle sert.de protection à la personnalité de base de l'indi·
vidu dans une société où l'on trouve difficilement une signification
satisfaisante aux situations vécues.
Le sentiment de perte de son univers de référence
("indif-
rence des gens devant les problèmes des autres") que l'on ne peut
partager avec ceux qu'on côtoie ici et maintenant dans sa vie nou-
velle quotidienne fait
apparaitre des affects pén~bles ; les indivi-
dus pensent qu'ils ne sont plus perçus par les autres comme ils l'é~
taient dans leur pays d'origine.
Ils ne sont plus tout à fait eux-
mêmes.
C'est un sentiment bien connu chez tout etre humain trans-
planté ou vivant dans une société 'étrangère,
à savoir rechercher ses
semblables pour revivre sa vie normale.
. .. /' ..

-
126 -
Mais dans le cas des membres de la F.E.A.N.F. il Y a ceci de parti-
culier, voire spécifique, que le besoin de groupalité dù à la frus-
tration du milieu ambiant est fortement marqué par la destruction des
_f...:...a_n....;t;...;:a...:...s:..;m...:...e.:....;:,.s_·....;.c...,:o....;.n:..;c;...e;;..;r;;..;n;.;;,.,;;,,:.a....:n....;.t---=l:....:a=--_s=-o.=....::..c.=i...,:é....;t....;é=----_--=-f..=.r-=a:..:.n:....:ç~a:..:.l=-·
s=-=.e. Le mythe de la France
à l'origine des fantasmes était lui-même dégradé au cours des expé-
riences quotidiennes des individus, ils se révèlent être le produit
de représentations illusoires; car pour l'étudiant africain, le
temps du colonialisme n'est pas si éloigné qu'il ne garde encore de
la France l'image du détenteur
de la puissance matérielle absolue
de "la culture vraie", de la morale et du "bon droit", L'inconscient
collectif se nourrissant de représentations qui symbolisent le bien
le beau, le bon, naivement l'étudiant africain croit avoir sa part
de toutes les richesses en allant vivre là où elles paraissent acces-
sibles à tout le monde. Aussi, le mythe étant battu en brêche, la
désillusion accom Pli 7 l'individu se trouve démuni devant une société
à laquelle il se croyait préparé. Ainsi pour nos sujets le voile fut
levé si brutalement sur les réalités françaises que le besoin de grou·
palité s'est manifesté à un niveau très profond de leur être: la
personnalité de base.
Protection de la personnalité mais d'une per-
sonnalité assez éprouvée, ébranlée par le mouvement de déconstruc-
tion de sa vie fantasmatique, une personnalité de base à la recher-
che d'une compensation du vide laissé par la désillusion, la dispari-
tion presqu'instantanée du mythe de la France.
Devant les
difficultés de cette situation, la F.E.A.N.F.
va recréer des structures sociales ayant gravé leurs traits dans le
patrimoine psychosociologique de l'individu; elles lui permettent
de supporter les discontinuités lep ruptures soudaines dans son mi-
lieu ambiant.
. .. / ...

-
127 -
De meme qu'il est admis que le milieu c'est-à-dire l'en-
semble des conditions extérieures de vie de l'individu, exerce sur
toutes les formes de l'activité humaine une pression tant limitatric<
qu'orient~trice, de même on peut considérer qu'un sujet étranger
dans un milieu donné se sent indubitablement en situation conflic-
tuelle intra-psychique
j
car sa personnalité est mise à l'épreuve
-dans un contexte où i l n'a pas les moyens "normaux" de défense contre
la pression sociale et psychologique qui s'exerce sur lui.
Nous comprenons donc que dès lors la F.E.A.N.F.
serve de
bouée de sauvetage, qu'elle soit utilisée comme dispositif de défens(
comme système de sécurité auquel l'individu a recours pour résister
aux anxiétés,
aux angoisses liées à la frustration due aux réalités
sociales françaises.
La F.E.A.N.F.
est alors pour certains étudiants
une forme de vie "africaine" mais aussi un moyen d'adaptation àces
réalités-mêmes.
L'analyse des premières discussions nous indique le
processus de cette adaptation qui n'est pas reconnu comme tel.
Le sentiment du rejet
un mobile fondamental de la groupa-
lité.
Comme on peut le remarquer dans les discours et les ana-
lyses que nous en avons faites,
le sentiment du rejet par la socié-
té française était souvent au coeur des débats.
Nous voulons donc
nous y arrêter pour en dégager quelques éléments d'explication .
... / ...

-
128 -
En effet, le besoin de réponse affective aux relations
interpersonnelles n'est pas satisfait comme les individus le dési-
rent, et, par dessus le marché,
ils se sentent refoulés par cette
société qu'ils considéraient comme substitut des sociétés africaines
un substitut qui n'avait que des qualités.
Mais les expériences situationnelles ont vite fait de mettre
l'étudiant dans l'angoisse,
se sentant isolé et repoussé par le mode
de vie française.
Ce qui est rejet dû aux dissemblances culturelles
est pris parfois comme une manifestation raciste comma certains dis-
cours en témoignent.
En effet le rejet subi par nos sujets apparait
comme un phénomène de discrimination raciale.
Nous utiliserons ce
term~ dans un sens global car nous pouvons avancer l'hypothèse que
le rejet racial est un phénomène psychosocial qui peut se manifes-
ter à tous les niveaux de la société et dans toutes les sociétés.
Mais le cas de l'étudiant africain est particulier car ce rejet est
d'autant plus vivement ressenti par lui que la France était censée
être au-dessus de ce phénomène et qu'elle devait lui procurer satis-
faction en tout domaine comme on l'a vu dans les premières réunions.
Or nous dit R.
LINTON,
(1)
lorsque le besoin psychique de
réponse affective demeure insatisfait,
il advient que le sujet souf-
fre de sentiments de délaissement et de séparation qui sont pres-
qu'aussi aigus que si personne n'était réellement présent.
(1)
Ralph LINTON
, les fondements culturels de la personnalité
... /'"

-
129 -
Mais comment peut-on comprendre le mécanisme de ce phénomène ?
D'un point de vue théorique, le rejet, de type raciste
participe à des degrés divers d'un même rapport à l' 'autre p~rçu
comme menaée directe ou comme incarnation d'une menace potentielle.
Menace contre "l'existence, l'identité, les valeurs de l'individu
ou du groupe qui pratique le rejet."
(1)
En effet, face à l'interrogation consciente ou incons-
ciente qu'un être humain ou un groupe d'hommes porte nécessairement
sur sa propre identé, sur son intégrité, sa pérennité, sur sa place
et son rang dans l'ordre des choses de la vie, l'étranger, l'homme
de couleur est bien la quintessence de la différence. A défaut de
savoi~ qui il est, de se connaitre lui-même, la tentation est grande
c'hez l'homme de projeter, de fixer arbitrairement sur l'étranger le
négatif de sa personnalité, de faire une projection cathartique en
interprétant l'apparence et la différence de l'autre, de l'étranger
(de l'étrange) dans un sens qui lui est invariablement favorable.
Il
vise ainsi à apaisef en lui les angoisses et la culpabilité
l~êes
à ses désirs refoulés,
à sa violence retenue,
à ses fantasmes.
Car
l'étranger, s'il est autre, est aussi un objet de référence par rap-
port auquel l'on peut définir sa propre réalité, sa propre existence
et ses propres valeurs. L'autre donne toujours le sens, la signifi-
cation et la validité de ses propres valeurs.
Le Sociologue B. SACHS estime que tous ces traits de la
personnalité que l'on rencontre chez un nombre considérable d'indi-
vidus ou de groupes dans une société donnée, sous- tendent un compor-
tement bien adapté, celui du rejet de la différence comme moyen
pour saisir leur propre identité.
(1) Bertrand SACHS, Les autres, la différence in Informations sociale~
CNAF 1978 N°
10
... / ...

-
130 -
En effet, comme le racisme,
les multiples formes de rejet
se caractérjsent par la stigmatisation de la différence réelle ou
supposée, par une focalisation mentale sur celle-ci qui devient l'o-
bjet d'une ,construction imaginaire destinée à fournir une justifica-
tion à l'exclusion.
Elles ont pour caractéristiques communes de résis-
ter à l'intégration de ce qui n'est pas connu dans le construit cul-
turel par la crainte que celui-ci ne soit déconstruit justement par
la présence de l'inconnu.
C'est la perception de l'étranger comme in-
carnation angoissante de la menace pesant sur l'intégrité psychique
et sociale.
Ces formes de rejet visent à priver ceux qui les subis-
sent de la possibilité d'exister en tant que personnes singulières,
irréductibles les unes aux autres.
La désignation et la stigmatisation de la différence, qu'il
s'agisse de différence physique, culturelle, religieuse, sociale, se
fondent sur la réduction de l'identité d'un individu ou d'un groupe
à une caractéristique particulière réelle ou imaginaire, tout au plus
à quelques traits prétendument susceptibles de déterminer l'ensemble
des valeurs et des ~~mportements, d'en éclairer, d'en annoncer la
médiocrité, l'infériorité,
la violence.
Cette réduction dans les cas extrêmes rend impossible la
moindre ébauche de communication et de relation comme on peut le véri-
fier dans les discours de nos sujets.
La couleur de la peau,
la consonnance d'un nom suffisent
à déclencher le mécanisme de rejet.
Cette théorie a une portée générale
; elle peut se véri-
fier aussi dans les enquêtes menées par E.
FRENKEL-BRUNSWIK et ses
collaborateurs sur la personnalité anti-démocratique aux U.S.A.
pendant
la dernière guerre.
. .. / ...

- 131 -
Ainsi toutes ces formes du rejet de la différence ont
des fondements communs et ne se distinguent que par leur support,
leur ampleur, leurs effets, leur gravité pour les individus qui les
subissent.
~
Le rejet a donc des effets psychologiques très
profonds
sur la personne "victime".
ETO : "Il y a même des cités réservées aux étrangers,
c'est décevant ça !"
SO : - ça décourage.
BIN : - On a des professeurs qui sont purement
négropho-
bes parce que tu es nègre et que pour eux tu ne peux rien faire de
bon
En réalité, toutes ces expériences tendent (ou tendaient)
à produire des frustrations plus fortes que la solitude, la nostal-
gie dont il est souvent question dans les entretiens. Car les indi-
vidus ont vu leur univers imaginaire soudain s'étioler dans leurs
relations interpersonnelles avec les français et dans le vécu des
pratiques psychosociales de la société elle-même. Aux fantasmes d'un
monde où ne régnent ni racisme, ni violence, succédait la réalité
d'une société qui n'échappe pas à la conception "manichéenne" du mon-
de : le bien et le mal, le bon et le mauvais, le juste et l'injustice
etc ...
Comme conséquence logique des expériences vécues, les indi-
vidus s'interrogent sur leur existence. L'inévitable incompréhension
face au rejet engendre des comportements de défense qui donne lieu
à la tendance au regroupement pour surmonter la passivité, la rési-
gnation, l'anxiété, et bien sûr pour protéger leur personnalité .
.. . f ...

132 -
Le regroupement à la F.E.A.N.F.
permet l'établissement
d'une sorte de capacité offensive nécessaire à un réequilibrage des
forces.
La F.E.A.N.F. est donc un régulateur de tension et de conflits
intrapsych~ques liés aux épreuves de réalité subies par les sujets.
C'est le lieu de recouvrement du désir insatisfait, le lieu de pré-
dilection d'un remaniement de l'image de la France; enfin la F.E.A.N.
est lieu de protection du moi à partir du moment où elle est, pour
les individus membres, ce qui protège contre la solitude et le sen-
timent de l'irréalité, car elle rend fort,
médiatise les rapports en-
tre l'individu et la société donc son entourage; l'organisation
étant "un Dieu sauveur et une source de sécurité fondamentale"
(1).
Autrement dit, l'organisation sert de clôture protectrice
contr~ l'extérieur hostile et rejetant.
'La F.E.A.N.F.
en définitive joue ici le rôle d'une réali-
té omnipotente qui vient supléer à l'existence de l'individu parce
que, seul et faible,
il est exposé à l'insécurité.
Les expériences désagréables qu'ont vécues nos sujets les
ont alors conduits à adopter des comportements de défense contre le
milieu ambiant
(la société f~ança~se), avec, à l'arrière plan. le dé-
sir de protection du moi que nous prenons ici dans une . acceptibn
particulière, puisqu'il désigne pour nous la personnalité de base,
c'est-à-dire l'identité psychosociologique et culturelle.
La F.E.A.N.F
est l'outil de réalisation de ce désir.
(1) Max
PAGES,
La vie affective des groupes p.
359
... / ...

- 133 ~
L'analyse que nous venons de faire nous permet d'affirmer
que le besoin de groupalité chez les étudiants africains est l'effet
directe ou indirect du désiquilibre psychologique engendré par la dis-
parition des fantasmes et du mythe de la France.
Supports du désir de
vivre en France.
Donc aux élémènts habituels qui motivent tout être
humain à se regrouper dès qu'il se trouve dans un milieu étranger,
~'ajoutent la déconstruction des fantasmes et du mythe de la France
chez l'étudiant africain qui adhère à la F.E.A.N.F.
S'il est donc
admis que l'une des fonctions de la personna-
lité est de rendre l'individu capable de produire et de reproduire des
formes de comportements qui lui soient profitables dans les conditions
imposées par son environnement, on pouvait donc s'attendre légitime-
ment à- ce que des individus membres de la F.E.A.N.F.
aient eu à conce-
voir cette organisation comme un palliatif à leur déséquilibre psycho-
sociologique.
Les conditions de l'environnement social français qui se
sont imposées et/ou qui s'imposent encore aux individus entrent dans
un type d'expérience qui leur a offert l'occasion d'élaborer un ré-
pertoire de réponses défensives contre la société française.
Cependant notre analyse resterait incomplète et sans grand
intérêt réel pour l'objectif que nous nous sommes fixé si elle s'ar-
rêtait à la définition de la F.E.A.N.F.
comme clôture protectrice et
aux causes de cette manière de la concevoir.
Celles-ci n'ont de sens
que par rapport aux conflits aux tensions et aux conduites qui en éma-
nent dans l'organisation.
Notre analyse interprétative au niveau socio-politique
nous fera voir l'articulation de cette conception de la F.E.A.N.F.
avec l'autre,
leur affrontement mutuel qui donne à la F.E.A.N.F.
le
caractère d'un ensemble composé de parties en conflit, reproduisant
sans cesse les attitudes contradictoires des membres.
"
'/'"

- 134 -
SCHEMA RECAPITULATIF DU PROCESSUS DE GROUPALITE AU
NIVEAU PSYCHIQUE
-
Expériences similaires
vécues par les sujets
- Epreuves de réalité
1
-
Déconstruction du mythe de
la France
-
Déconstruction des fantasmes
l
-
Comportement de défense contre le milieu ambiant menaçant
-
Conduites de groupalité
besoin de protection du moi
W
8
W
H
1
0
0
~
~
-
La F.E.A.N.F.
comme instrument
~
de réalisation du besoin de
~
protection
Z
0
H
W
8
~
~
H
8
~
~
0
l
~
Z
Q
~
~
~
- ~
Q
-
F.E.A.N.F./ comme groupe -
sujet
~
~
~
~
W
0
0
~
~

- 135 -
2 - Niveau socio-politique
Remarques préalables
Les discours de certains membres de la F.E.A.N.F.
sont-ils
réductibles à de l'idéologie?
Les données que nous venons d'analyser impliquent une ré-
ponse positive.
Certains membres pensent que ces discours sont très
appropriés à la vie politique de l'Afrique tandis que d'autres affir-
ment qu'ils ne sont pas compatibles avec la situation d'étudiant;
d'autres encore voient dans ces discours une ambigüité, une absence
de clarté dans les projets et dans leur aboutissement.
On peut comprendre ces inquiétudes de deux manières
:
1) une action qui se dit historique et qui est issue du
milieu étudiant court le risque d'être abstraite.
Les travailleurs ont
l'expérience concrète de la lutte sociale,
la lutte des classes.
Des
étudiants qui ne se mobilisent pas sur les objectifs concrets de pou-
voir organisationnel financier ou économique, Ge cher~hen~pas.~~ai~ènt
à modifier le rapport de force et ne font pas un réel choix de société
même de classe.
Ils participent au mieux à la production des idées et
au pire à la clôture d'une idéologie.
Car,
écrit P. ALEXANDRE "l'intel·
ligenzla de formation européenne, même si elle bénéficie d'une bonne
connaissance théorique du matérialisme dialectique, est souvent peu
apte à la relayer dans les masses ou même à opérer efficacement le pas·
sage de la théorie. à la pratique en ce qui concerne les problèmes spé-
cifiquement africains".
(1)
(1)
Pierre ALEXANDRE op cit.
p.
12
... / ...

- 136 -
2) Le fait même de tenir un discours reconnu comme non
rassurant dans ses projets indique une anxiété devant les principes
non-avoués de la F.E.A.N.F.
dans l'o~~entation politique qu'elle s'est
donnée
Après ces remarques nous ouvrons cette partie'-de notre
analyse d'abord sur l'idéologie comme désir d'action critique et en-
suite historique.
Puis nous essayerons de comprendre en quoi ce désir
entre en contradiction avec lui-même et avec d'autres désirs notamment
le désir de faire de la F.E.A.N.F. une communauté (une famille).
Ce travail se propose de montrer l'articulation entre les
deux conceptions de la F.E.A.N.F., ses conséquences sur l'organisa-
tion elle-même. De même nous tenterons d'élucider les points de conflit
dans le groupe B, c'est-à-dire les noeuds de la conception idéologi-
que dans cette organisation.
Pour ce faire nous rappelons nos hypothèses.
Dans la première nous avancions que les conflits et les
tensions à la F.E.A.N.F.
sont le résultat de l'incompatibilité ou in-
comparabilité entre les deux conceptions.
Dans la seconde nous disions que la cause des conflits et
tensions est liée à des représentations inconscientes sur l'organisa-
tion.
.. '/'"

- 137 -
2
1 Les cadres psychosociologiques et politiques de l'idéologie.
-
L'idéologie comme ~eprêsentation
des rapports entre sociétés
développées et sociétés sous-développées
Toute organisation quelle que soit sa nature reste inté-
grée à la société globale qui la comprend.
Pour ses membres~ elle re-
présente la société dans
son ensemble et en subit à coup sûr l'influ-
ence des idéologies qui la traversent.
La F.E.A.N.F.
vit dans un
univers social oü il y a lutte des classes
; elle ne saurait par con-
séquent être en dehors des idéologies qui régissent les catégories
sociales issues du processus d'industrialisation des sociétés.
Nécessairement la F.E.A.N.F.
doit connaitre l'impact de
ces idéologies.
La F.E.A.N.F.
à travers son sous-groupe B opère une
rupture à la fois avec l'image négative de l'étudiant mais aussi avec
un ordre social et politique qu'elle conteste.
En donnant une dimen-
sion critique à la structure théorie-pratique qu'elle a construite,
elle engendre en même temps une rupture avec le système de représenta-
tion' mythique-de- l'Occident.
L'action critique vise d'abord à la dé-
construction totale de ce système et à son remplacement par une cons-
truction rationnelle,
scientifique rendant compte des réalités socia-
les et politiques françaises et des rapports qu'elles entretiennent
avec les sociétés d'Afrique.
C'est ce qui explique l'action de cons-
cientisation
; car la signification que l'on donne à la situation
émerge toujours de l'action.
Donner un sens nouveau aux rapports socio-
politiques existant entre sociétés industrialisées d'Europe et socié-
tés non industrialisées ou en voie d'industrialisation d'Afrique
(lutte anti-impérialiste), est un ~cte de rupture avec le système de
représentations qui fonde ces rapports
c'est aussi donner naissan-
ce à un autre système de représentations de ceux-ci.
. . . f ...

- 138 -
On peut donc avancer l'hypothèse que l'idéologie à la F.E.A.N.F. est
née en riposte aux modes de relations établis entre socip.tés· occi-
dentales et sociétés africaines, modes ressentis comme une aliéna-
tion des sociétés africaines.
Ainsi la F.E.A.N.F.
se proposait-elle de changer ces re-
lations ou d'aider à les transformer:
"mener une lutte contre la bourgeoisie internationale
et contre l'impérialisme français".
Les représentations liées aux relations établies, dès
lors,
deviennent caduques pour les membres de l'organisation.
Elles
se dissipent pour faire place à d'autres représentations celles-ci
étant -attachées à l'idée de changement historique.
Ces représentations utilisant le paradigme de la politi-
que révolutionnaire comme modèle d'action critique, entrent par ce
biais dans la sphèr~ des idéologies mais avec cette caractéristique
qu'elles ne servent pas à attester et défendre l'ordre établi mais
à le contester et à vouloir sa destruction.
Le désir de changer l'ordre existant n'apparaît pas ici
comme destiné à satisfaire aux besoins personnels des membres du grou-
pe
, mais il est tourné vers des perspectives globalisantes; c'est-
à-dire qu'il vise à associer à l'action des membres les catégories
sociales au plus bas de la hiérarchie
(le prolétariat).
D'où des mots
d'ordre du genre "intégrons-nous aux masses ouvrières et paysannes"
... / ...

- 139 -
Cette idéologie révolutionnaire s'est renforcée à la
lumière d'analyses politiques faites par le groupe.
Il organisait par
exemple des séminaires durant lesquels l'on étudiait les classes so-
ciales en Afrique, les caractéristiques de l'impérialisme occidental
et les attitudes politiques à adopter face à ces problèmes. On voit
bien que cette idéologie ne se contentait pas de dénoncer mais vou-
lait aussi se constituer en savoir social.
En effet en se révélant
comme un savoir social qui s'oppose à l'institué, l'idéologie donne
à la F.E.A.N.F.
le statut de groupe de pression.
(1) Mais pression
sur qui ou sur quoi? La clarté n'a jamais entièrement été faite sur
cette question qui constitue un noeud des conflits dans l'organisa-
tion.
L'idéologie révolutionnaire est tout d'abord rattachée
à un sujet historique dont les conduites sociales sont la négation
de l'idéologie dominante.
Elle se veut ainsi une théorie de la pra-
tique pour les étudiants entrant en lutte contre une situation de do-
mination, contre une pratique d'aliénation.
C'est un acte social de
transformation des rapports sociaux et/ou des rapports entre l'homme
et la nature dans la mesure où elle est constituée d'un système d'i-
dées, de jugements de mise en action.
Mais l'idéologie en général
décrit, explique,
interprête, oriente les rapports entre les hommes
fixe les valeurs, les modèles de conduites historiques du groupe ou
de la collectivité.
La question qui se pose donc à la F.E.A.N.F.
n'est plus
seulement d'ordre purement théorique mais renvoie à la possibilité
de parvenir à un modèle de rapports sociaux par un lan~age
clair et
à des conduites qui détruisent l'assymétrie économique,
politique et
socio-culturelle entre sociétés dominatrices et sociétés dominées.
(1) A la différence du parti, le groupe de pression s'assigne le raIe
d'~nfiuence.r ceux qui détiennent le pouvoir, leurs décisions sans
y
ètre impliqué.
. .. / ...

-
140 -
Si l'impérialisme est défini à la fois comme un système,
une théorie et une pratique aliénante, on peut comprendre que la
F.E.A.N.F., vise à travers l'idéologie révolutionnaire à contre-ba-
lancer ce phénomène. Aussi certaines analyses faites par elle annon-
cent-elles la marche des sociétés africaines pour leur libération de
la domination extérieure, des théories et pratiques de l'aliénation.
La F.E.A.N.F.
s'oppose à ce qu'elle nomme "l'impérialisme occidental".
Si nous essayons d'appliquer ici le schéma d'Alain
on reconnaît déjà dans cette perspective de la F.E.A.N.F.
le principe d'opposition,
(1)
l'un des trois principes qui définis-
sent un mouvement social.
La F.E.A.N.F.
en identifiant son adversaire
(l'impérialisme) comme celui qui "freine le développement socio-éco-
nomique"
(2),
se définissait elle-même comme la "négation de la néga-
tion"
(3) donc affirmation positive des valeurs sociales, économiques
et culturelles des sociétés africaines.
Contre la dépendance, contre
les obstacles au développement,
la F.E.A.N.F.
s'élévait en affirmant
l'identité sociologique, politique et économique des sociétés afri-,
caines.
Cette exigence est l'une des bases sur lesquelles reposent
les systèmes d'action historique.
Elle caractérise aussi la repré-
sentation du champ de l'action historique (l'idéologie et sa mise en
marche).
(1) A.
TOURAINE Op.
cit.
(2) Discours d'ouverture du 28è congrès de la F.E.A.N.F.
p.
21, do-
cument 1975
(3) A. TOURAINE 1 Les sociétés dépendantes P.
192
... /'"

-
141 -
-
L'idéologie comme opposition aux bases institutionnelles
de la domination dans les sociétés africaines
Comme nous venons de voir,
l'idéologie de la F.E.A.N.F.
s'est cons~ituée comme un système à visée contre-institutionnelle
d'une structure socio-politique aliénante. Mais on s'aperçoit rapide-
ment que cette visée est double lorsqu'elle est tournée à la fois
.
vers 1eR institutions extérieures aux sociétés africaines comme
l'O.C.A.U.
(1) et celles internes à ces sociétés.
Abordons donc la question de cette double visée.
Quel est son contenu et quelle est sa structure ?
En ce qui concerne le contenu, nous y avons déjà fait al-
lusion en faisant l'analyse descriptive de la F.E.A.N.F.
Il s'agis-
sait de dénoncer les rapports entre les sociétés africaines et les
sociétés occidentales en particulier la société française, rapports
considérés ~âr la F.E.A.N.F. comme sans avantages pour les sociétés
africaines.
Mais il s'agissait aussi de dénoncer,
à l'intérieur des
sociétés africaines" elles-mêmes, le mode de production socio-écono-
mique.
(1) O.C.A.U.
: Office de Coopération et d'Accueil Universitaire, est
un établissement public à caractère administratif.
Il est chargé de
l'action sociale exercée parles pouvoirs publics en faveur des na-
tionaux des Etats liés à la France, par des accords de coopération,
qui entreprennent et poursuivent des études en France,
(cette défini-
tion nous a été fournie par le C.R.O.U.S.
: Centre Régional des
Oeuvres UniversitAires de Nancy)
... / ...

142
Pour beaucoup donc, la F.E.A.N.F.
à travers son idéologie
d'action critique et historique devait être "un lieu du possible"
du possible du changement historique, du possible de l'engagement
politique, de la militance, du possible du refus des institutions
et du pouvoir dans les sociétés africaines.
Pour ces étudiants, une idéologie n'est pas seulment un
système de pensée mais aussi un ensemble d'actions, une pratique qui
se propose de faire prendre conscience des problèmes qui concernent
les catégories sociales dont elle est le porte-parole en créant des
modèles sociaux auxquels peuvent s'identifier les membres.
L'action critique et historique envisagée par la F.E.A.N.F
voulait s'appuyer sur les classes sociales inférieures des sociétés
africaines mais aussi sur la classe moyenne (la petite bourgeoisie) cal
de conscientisation elle entendait toucher ces classes
qui donneront toute leur force à l'action historique elle-même. Dès
l'instant où la F.E.A.N.F. considérait le changement social comme un
fait historique c'est-à-dire un fait qui concerne toute la société
et non uniquement des intellectuels, elle était amenée à se situer
en rupture avec les institutions, le pouvoir, en un mot l'ordre exis-
tant. L'idéologie anti-impérialiste prenait alors cette dimension
de contre-pouvoir dans les sociétés africaines parce qu'elle donnait
un sens négatif aux institutions dans ces sociétés, puisque ces ins-
titutions étaient perçues par la F.E.A.N.F. comme les succédanés du
pouvoir de la domination.
(1)
(1) Dans les textes de la F.E.A.N.F. on parle de pouvoir néo-colonial
ou de régime néo-colonial.
. .. / ...

- 143 -
... /'"

- 144 -
D'après les analyses qui précèdent la F.E.A.N.F. se re-
vèle plutôt comme un groupe de pression sa transformation en un
lieu de savoir social et ses connaissances sur les fondements de
l'existence sociale, leurs répercussions psychosociologiques et
historiques sur ses membres ont rendu possible sa visée historique.
Elle voulait concrétiser son savoir, ses connaissances
parce que la connaissance ne peut servir de moteur à un mouvement
social que si elle s'engage dans le destin concret
(1) des sociétés
auxquelles elle s'adresse c'est-à-dire lorsqu'elle assume et assure
la situation historique,
"qu'elle met le mouvement en marche en elle
et à partir d'elle"
(2). On voit l'idée de la "conscientisation"
d'une part
et de la "révolution" d'autre part, se préciser au fil
de l'analyse.
Il s'agissait pour la F.E.A.N.F.
d'accomplir sa connais
sance dans une problématique du changement qui touche les institu-
tions fondamentales des sociétés visées.
Un tel accomplissement ne
s'opère pas dans le sens de l'influence des idées sur la réalité so-
ciale et historique mais dans le sens d'une transformation consciente
de cette réalité.
L'idéologie de la F.E.A.N.F.
voulait susciter un
changement historique dans la mesure où dans ses opérations de rup-
ture elle faisait transparaitre son projet de société
(1) Herbert
MARCUSE,
Philosophie et révolution 1969, p.
145
(2)
indem
p.
146.
'" J ...

- 145 -
Or un tel projet pour se réaliser nécessite un changement
social non seulem~nt en surface des formes et structures effectives
(formes de vie, de culture ... ). Mais, et surtout la manière d'exis-
ter qui est à la base de toutes ces formes en d'autres termes cela
nécessite des conditions d'historicité favorables à l'accomplisse-
ment d'un tel projet.
Les questions sont alors celles-ci: la F.E.A.N.F. a-t-ellE
fourni des règles, des normes d'action? Comment les sujets devaient-
ils s'y conformer? Cette idéologie faisait-elle l'unité du groupe
et de la F.E.A.N.F.
?
Sinon comment s'opéraient les clivages? Nous
tentons d'apporter des éléments de réponse.
- Les conflits dans la F.E.A.N.F.
Le conflit intergroupe
Le conflit intergroupe est la contradiction manifeste en-
tre le groupe A et le groupe B, définie par l'opposition entre les
conceptions défendues respectivement par chacun des groupes.
En effet nous avons dégagé dans une première partie de
notre analyse deux conceptions de la F.E.A.N.F.
Il s'agit de la conception qui caractérise la F.E.A.N.F.
comme une communauté socio-culturelle et de celle qui considère cette
organisation comme un mouvement d'action critique et historique (un
mouvement social).
. .. / ...

- 146 -
Notons bien que ces deux conceptions ne sont pas
formalisées comme telles dans l'organisation fonctionnelle de la
F.E.A.N.F.
Cela nous amène à introduire dans cette partie de l'a-
nalyse de l'organisation l'une des idées directrices de notre re-
oherche.
La problématique que nous évoquons n'est certes pas pour
proclamer l'inutilité de toute analyse qui partirait des structures
formelles et informelles d'une organisation mais elle nous éclaire
sur la spécificité d'une organisation:
la F.E.A.N.F.
L'analyse de
celle-ci en tant qu'étude de cas nous renseigne sur cette spécifici-
té qu'elle confirme. Au lieu d'une contradiction
(1)
en~re la st~uc-
ture formelle de la F.E.A.N.F.
c'est-à-dire les composantes organi-
sationnelles et fonctionnelles qui définissent cette organisation
et ses structures informelles (2) représentées par les différentes
conceptions qui s'y sont développées,
on assiste plutôt à un affron-
tement entre ces conceptions et partant une contradiction entre
deux constitutions groupales.
(1) MARCH et SIMON (in les organisations)
considèrent que lorsque
l~ ~tructure formelle de l'organisation est rigide, elle entre
en contradiction avec les besoins des individus ce qui entraine
un conflit entre les individus et l'organisation, c'est-à-dire
un conflit entre la structure formelle de l'organisation et la
structure informelle.
(2)
Nous employons aussi à la p)2Ce
les concepts d'organisation for-
melle ou informelle.
. .. J ...

- 147 -
Les deux groupes ou plus précisément les deux sous-groupes
que l'analyse a révélé~. ~llustrent la situation de désagrégation de
la F.E.A.N.F. ils expliquent aussi son éclatement.
Sans revenir sur les caractêristtques de ces groupes
nous allons essayer de comprendre les effets de leur
affrontement
sur l'ensemble de l'organisation et de situer aussi les causes du
conflit.
Rappelons que la conception communautaire de la F.E.A.N.
repose sur les ruj.nes de représentations mythiques de la France.
En effet Ja désillusion chez les étudiants depuis leur arrivée en
France, les expériences frustrantes qu'ils ont vécues et le sentime
de la perte de leur identité qui en découle, constituent les mobile~
essentiels de la groupalité au niveau psychique. De même le désir
du changement social en Afrique sert de motivation à la groupalité
au niveau socio-politique.
Au premier niveau l'objectif à atteindre est la sécurisa
tion de la personnalité socio-culturelle, au deuxième niveau, l'ac-
tion historique et critique prime les intentions et les activités ;
elle donne sens à la F.·E.A.N.F.
Voilà donc deux conceptions qui mettent à jour deux caté-
gories d'attentes:
1) Compensation du vide psychologique dû à la
démythification de la société française et à la disparition des fan
tasmes
; la sécurisation.
2) Déconstruction d'un système politique, économique et
social (le néo- co~onialisme~t réalisation d'un projet de société
(le socialisme).
. .. /' ..

- 148 -
Mais ces deux catégories d'attentes sont incompatibles
comme nous allons le voir. En observant la F.E.A.N.F. dans ses acti-
vités et dans son fonctionnement on s'aperçoit rapidement que les
conflits qui déchirent cette organisation sont le résultat de l'in-
compatibilité imaginaire entre les deux conceptions. Dans les dis-
cours comme dans le fonctionnement de la F.E.A.N.F., celle-ci appa-
rait comme un espace psychosociologique bipôlaire. Certains membres
s'érigeaient en défenseurs conscients ou non d'une communauté socio
culturelle sans aucune velleité politique, d'autres se situant à
l'antipode de cette conception, proposaient une "ligne politique"
(une idéologie) à la F.E.A.N.F. et qui pourrait s'insérer dans une
pratique révolutionnaire.
Dès lors cette organisation devient l'o-
bjet d'un conflit car chacun des deux groupes voulait se l'approprier
en estimant qu'il était plus que l'autre représentatif de l'ensemblr
des membres.
Le conflit s'intensifiait lorsque le groupe A manifes-
tait son mécontentement en dénonçant le caractère illusoire d'un
"changer la vie"
; le déplacement
(par ouvriérisme, économisme, mili
tantisme) de toutes les questions. Le groupe A déplorait le fait
qu'on invitait sans cesse les membres à réfléchir et à agir à propos
de la guerre en Angola, de l'impérialisme, des ouvriers exploités ma
ja~ais à partir de leur situation d'étudiants étrangers en proie à de
problèmes d'adaptation au milieu social français, ou alors pour
bifurquer très vite vers le "renforcement de la lutte des travail-
leurs contre l'impérialisme, contre l'exploitation".
En d'autres
termes le groupe A avait le sentiment que ses désirs n'étaient pas
pris en compte dans le fonctionnement de l'organisation et qu'ils
étaient mêmes contrecarrés et refoulés par les agissements de l'au-
tre groupe.
Il avait donc le,sentiment d'être déprécié. D'Où sa réac
tion contre le groupe B qui faisait
obstacle à la réalisation de ce~
. ,. / ...

- 149 -
désirs; celui-ci devient par là-même objet d'attaque et de répul-
sion.
En revanche le groupe B refusait la sclérose de la militance,
les attitudes purement défensives et non critiques.
Pour ce groupe
donc,
être à la F.E.A.N.F.
c'était bien plus qu'être à la recher-
che d'une sécurité du moi:
c'était être à la recherche d'une pra-
tique politique n'autonomisant pas la vie quotidienne par rapport
au militantisme.
Ainsi cette catégorie de pensée
est donc antithé-
tique de celle que nous venons de voir chez le groupe A.
Militantisme, non-militantisme sont donc les deux grands
thèmes qui se dégagent dans le conflit entre les deux groupes de la
F.E.A.N.F.
La contradiction ne se m~nifestait pas seulement entre
les deux manières de concevoir la F.E.A.N.F.
mais aussi dans les
pratiques au sein de l'organisation:
d'un côté des conduites effec-
tivement communautaires s'i~sc~ivant déjà dans un système clos, de
l'autre des conduites d'insertion et de globâlisation sociale,de
militant
(confection et distribution de tracts)
et de journaux, mee-
tings,
création d'un discours de déconstruction etc ... ).
Les conséquences du conflit intergroupe
les désirs et
les règles
1
Le refus de considérer la F.E.A.N.F.
comme une communaute
d'une part et le refus du balisage idéologique du désir de protec-
tion du moi d'autre part faisaient que la F.E.A.N.F.
offrait l'image
d'une association éclatée où règnaient des sentiments d'hostilité
et où l'on tolérait difficilement les écarts de conduite.
L'anxiété
où s'écoulaient des affects désagréables.
Personnes ne s'identifiait
plus à elle.
Il s'était opéré un désinvestissement au profit d'une
radicalisation des désirs se traduisant par l'intensification des
tensions entre individus
(menaces physiques).
La F.E.A.N.F.
dans sa
définition originelle
(1) ne jouait plus de rôle.
(1) cf.
Paragraphe sur l'histoire de la F.E.A.N.F.
.. '/'"

- 150 -
Le conflit se déroulait en deçà de cette définition et les diffé-
rentes stratégies qui consistaient à s'approprier l'organisation
pour pouvoir la transformer selon les attentes se tramaient sous J~
couvert de règles que les dirigeants prétendaient respecter.
La
stratégie de ceux-ci étaient de parvenir,
par le biais de la toute
puissance des règles,
à éliminer au maximum les membres du groupe
A (les dirigeants eux-mêmes appartenaient au groupe B).
Les règles
nous l'avons dit précédemment,
servaient à sanctionner les membres
et à voiler par conséquent le conflit.
Ici donc le pouvoir se con-
fondait a~ec le désir personnel et l'usage de l'autorité devenait
l'expression de la violence.
Les règles servaient de paravents aux
désirs des dirigeants.
E.
ENRIQUEZ ne disait-il pas que "la répres
sion à toujours besoin d'être légitimée pour pouvoir s'exercer sans
rencontrer d'opposition",
(2).Autrement dit lorsqu'on se sert du
pouvoir pour exercer la violence on se sert du même coup de la recOr,
naissance du droit d'exercer ce pouvoir pour réaliser un désir non
consenti par les autres.
La répression s'instaurant alors comme négation du con
flit eut un effet dont les individus n'eurent pas conscience:
pro
clamer le non-sens de la F.E.A.N.F.
Dans la mesure où elle ne vi-
sait qu'à supprimer les désirs des autres,
elle ne pouvait qu'être
à l'origine d'une frustration collective,
donc
de la dislocation
de l'organisation.
Plut5t qu'une réduction des tensions,
l'attitud(
des dirigeants a favorisé la crise et a donné un coup de
fouet
au dysfonctionnement de l'Association.
On peut donc dire que si la
F.E.A.N.F.
a éclaté,
cela provient du comportement des individus
(en particulier des dirigeants)
consistant à empêcher la création
d'un discours dialectique et de pratiques collectives dans lesque1:
chacun pouvait donner libre cours à ses désirs et à ses représen-
tations
; un discours et des pratiques collectives qui donneraient
un sens nouveau à la F.E.A.N.F.
mais
(1) Eugène ENRIQUEZ in Connexions n°
3
1972 p.
90
... /' .

- 151 -
dans lesquels tous les imaginaires sociaux pouvaient "avoir valeur
d'organisation collective des conduites" (1). En d'autres termes, IQ
F.E.A.N.F. aurait pu être un système socio-politique intégré dans
la mesure où la défense de l'identité socio-culturelle et la dé-
fense socio-politique seraient apparues dans la réalité comme deux
modes complémentaires d'un processus:
la réduction d'un conflit
opposant sociétés africaines et sociétés occidentales.
A la lumière des analyses qui précèdent nous sommes
amenés à moduler notre première hypothèse parce que l'incompatibi-
lité que l'on remarque entre les deux conceptions de la F.E.A.N.F.
est dans l'imaginaire des étudiants. Les contradictions dans les
conduites non seulement confirment, ma.is contribuent à perpétuer
cette perception.
Le conflit intragroupe
L'idéologie politique et son impact sur la F.E.A.N.F.
Dans notre analyse descriptive, nous avons montré com-
ment l'idéologie politique en tant que système de représentation
s'est instaurée dans 18 F.E.A.N.F. et comment elle opérait un tra-
vail de désintégration.
On peut revenir brièvement à cette analyse pour mieux
comprendre ce qui va suivre.
(1)
E. ENRIQUEZ OP. cit.
. .. / ...

-
152 -
L'idéologie politique, ensemble d'idées révolutionnair
défendues par le groupe B de la F.E.A.N.F. se conçoit comme une
,
théorie-pratique. Elle s'est développée à partir d'une rupture avec
la conception de la vie étudiante comme situation privilégiée, en
dehors de la dynamique sociale, de la lutte des classes. Le rap-
port de leur discours habituel (1) au corps social a permis de con
juguer, sur le plan des idées, mouvement intellectuel et mouvement
social. La conscience critique, s'en prenant à l'application prati
que des mots et des discours qui désignent la situation d'intel-
lectuel, a débouché sur l'identification d'une base objective sur
laquelle s'effectuerait leur rapport à l'ensemble de la société.
C'était donc un processus logique dans la mesure où l'une des ac-
tivités essentielles de l'être social véritable non aliéné consis-
te dans la recherche perpétuelle d'une adéquation immédiate des
mots et des choses. Le passage de la stricte vie d'étudiant à celle
d'individu appartenant à une société, concerné donc par les fonc-
tions négatives et/ou positives de la stratification sociale, a
conduit le groupe B de la F.E.A.N.F. à se poser des questions sur
l'indépendance des sociétés africaines et les modèles de société
qui pourraient leur convenir.
(1) Le discours d'intellectuel n'entretenait de rapport qu'avec
lui-même au
sein d'une sphère close sur elle-même .
. . . /' ..

- 153 -
La rupture avec une image qui définit une place excep-
tionnelle et extrasociqle de l'étudiant ou de l'intellectuel en
général et la rupture par ailleurs avec le mythe de l'occident sont
aux fondements de la F.E.A.N.F.
la formation de la conscience cri-
tique, l'extension des relations organisationnelles à la totalité
de la société et l'adjonction des intérêts personnels ou particulieG
des étudiants à l'intérêt général c'est-à-dire à ceux des autres
membres de la société
, ont donné une allure idéologique aux révendl
cations de la F.E.A.N.F.
Au lieu de défendre uniq~ement les intérets
des étudiants,
la F.E.A.N.F.
(1)
s'était mise aussi à défendre ceuxde
la classe ouvrière et des sociétés dp.pendantes.
Elle ne se référait
plus uniquement à elle-même dans ses pratiques mais à la totalité so
ciale qui devient alors coerxistensive avec la réalité organisation
nelle
:
"Nous lions notre sort à celui des peuples opprimés"
(2)
La conscience critique s'était donc développée lorsqu'était apparue
la référence au système social global.
On peut donc affirmer que la conscience critique précé-
dait et présidait à l'idéologie.
Elle se place en amDnt de l'orga-
nisation rationnelle des idées, de la structuration et de la systé-
matisation de la pensée révolutionnaire.
(1) Etant donné que le groupe B était majoritaire dans l'organisa-
tion,
il nous arrive parfois de dire la F.E.A.N.F.
au lieu du
groupe B.
(2)
Phrase extraite du journal de la F.E.A.N.F .
. .. J . ..

- 154 -
Mais qu'entendons-nous par conscience critique?
La conscience critique est pour nous la phase qui pré-
cède l'idéologie (comme nous venons de le dire) et l'action contes
tataire de la F.E.A.N.F.
c'est la perception claire et analytique
des phénomènes sociaux qui déterminent notre existence. Cette cons
cience est elle-même déterminée par la force de ces phénomènes.
C'est donc la conscience critique qui a conduit les
membres ou plutôt certains membres de la F.E.A.N.F.
à percevoir l~
rapports poJitiques ~conomiques et sociaux entre l'Afrique et l'Oc
cident, comme la négation de l'entité africaine, comme l'aliénatio,:
des sociétés africaines. Or, lorsqu'une personne prend conscience
d'une chose et qu'en plus cette conscience devient critique elle
est nécessairement suivie d'un désir d'action qui est naturellement
contestataire. On comprend aisément que la F.E.A.N.F. se soit li-
vrée à une action aussitôt qu'elle a atteint la phase de la cons-
cience critique.
Pour être plus précis, l'idéologie à la F.E.A.N.F. est
passée par deux phases essentielles :
la phase de la conscience critique (1)
- la phase de la structuration et de la systématisatior,
des idées (2)
(1) Au cours de cette phase étaient nées les idées de changements
sociaux.
(2) Le projet de société (le socialisme) est apparu au cours de cet0~
phase.
. .. / ...

- 155 -
Si donc l'on admet que toute contestation d'un ordre
social établi est aussi l'affirmation d'un projet nouveau de socié
té on devrait s'attendre à ce que l'idéologie de la F.E.A.N.F.
ait
une fonction binaire
: -
la négation de la négation (la lutte cont
l'aliénation à l'intérieur des sociétés
africaines)
-
la lutte pour le changement de société en
Afrique.
Cependant si l'idéologie a connu un développeme~t rapi
de à lA F.E.A.N.F.
elle n'a pas pour autant fait
la cohésion du grou
pe qui la portait, encore moins de la F.E.A.N.F.
tout entière.
En effet le groupe B qui portait l'idéologie était ent(~
en conflit avec lui-même.
Nous allons donc tenter d'apporter les éLi
ments d'explication à ce conflit.
L'étude de ce conflit est d'auta~t
plus intéressante que celui-ci met en opposition des individus de
même groupe partageant en apparence le même système de représenta-
tions.
En se référant
à la thèse de DURKHEIM (1)
on s'aperçoit que
ce groupe a quelque chose qui lui est typique:
l'idéologie l'a dé
sagrégé plutôt que
('onsQi~d-~>.
Mais comment le voyons-nous ? Plusieurs causes peuvent
expliquer ce phénomène.
Le clivage entre la pensée et le réel
En s'engageant dans le processus de l'action contesta-
taire la F.E.A.N.F.
s'est révélée du même coup comme faisant
parti~
d'un mouvement social.
(1) cf premlere partie, chapitre intitulé
problématique de la re-
cherche.
. .. / ...

- 156 -
car , selon TOURAINE, toute organisation qui produit une idéologie
en termes d'ensemble d'idées, de représentations des rapports so-
ciaux liées à une perspective historique, est un mouvement social.
Mais en tant que mouvement social elle portait aussi en
elle une vague d'inquiétude, qui apparaissait au moment où il fal-
lait identifier concrètement l'adversaire, dire clairement les fi-
nalités de la lutte ; définir le schéma de référence commune et for
mer l'identité collective des acteurs.
Si nous tentons d'appliquer une fois de plus le schéma
I.O.T.
(1) d'Alain TOURAINE, on est rendu à l'évidence que dans la
pratique des interactions, le principe d'identité ne se présentait
pas comme une réalité conditionnant le sens du mouvement social.
Un mouvement social dans son développement construit son propre di.
cours avec un paradigme qui décrit la situation contestée et la si
tuation désirée, mais pour que l'adaptation des pratiques aux fina
lités et l'adéquation entre le discours et les autres éléments (le~
réalités sociales à combattre) se fassent clairement, il faut néce~
sairement une structure de sens qui exige un savoir réel sur les
comportements structurales de l'ordre social contesté; une struc-
ture de sens qui doit percer la rationalité des systèmes sociaux.
(1) Initiales des trois principes d'un mouvement social
identité
opposition, totalité
... / ...

- 157 -
L'idéologie de la F.E.A.N.F. ayant survolé .la
nécessité avait
rendu inutilisables et inopérants les référents-mêmes qu'elle dé-
,
crivait,
à savoir les rapports de domination et le projet de so-
ciété.
L'idéologie de la F.E.A.N.F.
se définissait comme un savoIr
social c'est-à-dire comme une connaissance sur l'histoire et les
luttes sociales.
Cependant la pratique de son action contestataire
sa conduite révolutionnaire s'inscrivaient mal dans un cadre théo-
rique qui aurait permis à chaque membre de se définir,
"de se si-
tuer par rapport aux forces adverses"
(1) et d'eR fournir les inteî
prétations utiles à l'action historique.
Cela fait supposer que der
rière ce savoir se cachait un non-savoir.
Différent de la conscienL~
de l'impossibilité et de la reconnaissance des limites,
le non-sa-
voir est ici l't~ncrance et la méconnaisance des institutions.
En effet la concentration des questions
(qui ont couru le
long des réunions) autour des thèmes,
"la direction du front"
;
l'intégration aux masses l'suggère la problématique de l'articula-
tion du discours critique avec les objets de son application.
En réalité les attitudes et les conduites révolutionnaire~
ne correspondaien~ pas aux conditions objectives révolutionnaires.
Ainsi l'idéologie opérait ici un biais en créant une dichotomie entr~
le discours et l'action, un clivage entre la pensée et la réalité.
Elle a proclamé la clôture du discours révolutionnaire en révélant
la symbolique de l'action.
(1)
P.
ANSART OP.
cit.
. .. /" .

- 158 -
Cette situation a fait
surgir des constructions imagi-
naires de futurs différents et mêmes contradictoires à propos des
,
finalités de la lutte révolutionnaire.
Dans un champ imaginaire
aussi hét~~ocli~e que celui du groupe B il est facile de comprendrp
la dislocation de celui-ci et par conséquent l'éclatement de la
F.E.A.N.F.
elle-même; car la distance entre les objectifs du groupe
et la réalité,
et l'inconscience qui la marquait avaient ouvert
la voie à la dissension et favorisé la désorganisation. Auss~ la
troisième hypothèse de notre recherche de meme que la quatrième
tendent-elles à être vérifiées dans cette analyse.
L'écart entre l'idéologie en tant que pensée et ses im-
plications pratiques peut-être conçu de deux manières
-
il est le fait de l'illusion du donné invariant,
-
et/ou il est le fait de l'illusion de la spontanéité de~
structures sociales des sociétés visées.
L'illusion du donné invariant
Les catégories de pensée des militants sont étrangères
aux catégories de pensée des classes
(des sociétés africaines qu'il:
entendaient associer à leur lutte).
. .. / ...

-
159 -
En effet l'idéologie de la F.E.A.N.F.
qui se voulait un
savoir social empruntait ses référents à un mode de civilisation
dont la logique culturelle (1)
présente une différence par rapport
à la logique culturelle des sociétés africaines.
La F.E.A.N.F.
voulait
dans sa lutte révolutionnaire se servir sans modofications
aucune du schéma de changement historique que la Chine populaire
a utilisé en 1949 pour déconstruire J.e ré{T:;'r:le
féodal.
Il s' agis-
L '
sait du schéma de la R.N.D.P.
que nous avions évoqué au chapitre 1
En vérité il n'y a pas d'adéquation entre ce schéma et les réali-
tés sociologiques de l'Afrique. Mais la F.E.A.N.F.
était persuadée
que tout ce qui réussit dans un contexte socio-culturel du point
de vue du changement historique, réussit d'emblée dans un autre Con
texte socio-culturel.
C'était une attitude de négation des parti-
cularités voire de la singularité d'une société.
Elle faisait déjà
poindre à l'horizon l'utopie d'une lutte révolutionnaire, une utopie
marquée par la clôture intellectuelle
(cf.
P.
ANSART).
L'illusion du donné invariant a fait que les militants se
sont trouvés dans une impasse marquée non seulement par l'écart
entre le discours idéologique et son support matériel, mais aussi
par la déconnexion entre le modèle d'action et le champ d'action
lui-même.
La conséquence de cette situation s'est fait sentir au
niveau du fonctionnement du groupe et de la F.E.A.N.F.
Les tension
fréquentes entre individus témoignaient de la difficulté de dominer
cette impasse.
Les tensions avaient dégénéré en un conflit ouvert
parce que le discours idéologique continuait a faire retour sur
lui-même et se cristallisant dans une répétitivité déréalisante
(1)
Nous entendons par logique culturelle tout le processus de cor.
truction et de conservation des valeurs qui aboutit à la ratio. 1
lité d'une culture donnée.
. .. / ...

-
160 -
les représentations s'étaient enlisées dans la théorie sans pouvoir
connaître la pratique.
Un tel discours relève plus de l'imaginaire
,
que du réel, dans la mesure où il n'a pu mettre véritablement un
trait d'union entre la théorie et la pratique en disposant d'un po-
tentiel historique effectif.
Une idéologie qui n'a pas d'application se détruit elle-
~
meme parce qu'elle manque de ce support matériel, condition sine
qua non de sa légitimité et de sa survie.
Les échecs
(1) subis par
des militants dans la réalisation du schéma de la R.N.D.P.
avaient
conduit le groupe vers l'abîme;
l'inquiétude et l'anxiété s'étant
emparées des individus,
leurs comportements devenaient ambigus sui-
vant le diptyque représentations politiques/revendications syndical~S
Ce qui allait surdéterminer le conflit dans le groupe car on ne sa-
vait plus à quoi se référer ici et maintenant puisque le consensus
avait été entamé.
Rien d'étonnant donc à ce que le groupe B ait été en
conflit avec lui-même et que la F.E.A.N.F.
ait couru à sa dispari-
tion.
(1) En 1972 au Bénin (ex-Dahomey) des militants de la F.E.A.N.F.
avaient estimé, lors du coup d'Etat, que l'heure avait sonné pOUr
la réalisation de la R.N.D.P. mais ils ne furent
pas suivis par
les paysans et les ouvriers qui ne comprenaient justement pas
leurs comportements.
o
• •
/
• • •

-
161 -
L'impossibilité de communiquer la pensée révolutionnaire
aux populations africaines faisait que celle-ci n'était plus qu'un
,
système d'idées réduit à sa propre image dans un discours qui n'é-
tait plus là que pour justifier la lutte des classes dans la théori~
un discours de répétition de l'identique qui autorise à parler pour
les autres
(les prolétaires), à transformer la révolte idéologique
de la F.E.A.N.F.
en révolution des classes inférieures des sociétés
d'Afrique Noire,
somme toute, un discours qui faisait parler 'des in
tellectuels au nom du prolétariat africain.
Le non-savoir sur le substrat ethno-sociologique et écono
mique des sociétés africaines instaure la dialectique révolutionnai~
hors du rapport d'application entre la systématisation des idées et
les pratiques historiques.
La tentative de rupture des barrières en
.
tre l'intellectuel et la société globale se trouve -t-elle déniée
par ce discours devenu clôture parce que réduisant l'idéologie à
une distance pratique (1)
à l'égard des systèmes sociaux en Afrique
tels qu'ils fonctionnent dans la vie quotidienne.
(1) Nous avons emprunté ce concept à LOUREAU.
Il signifie ici éloi-
gnement par rapport au substrat matériel de toutes les institu-
tions et organisations sociales.
. .. / ...

-
162 -
Le non-savoir se traduit également par la distance prati
que par rapport aux institutions politiques des sociétés africaines
telles que les formes de pouvoir (pouvoir des chefs de village, des
chefs coutumiers etc ... ).
Avant de poursuivre notre analyse nous voulons ouvrir
une parenthèse sur ces dernières.
Au sens étymologique, l'institution est une structuration
Un instituteur est quelqu'un qui structure, fait
tenir debout ceux
qu'il institue,
leur donne une colonne vertébrale.
Rien d'étonnant donc
à ce que ce éoncept évoque d'abord
un système (analysable en termes de structures, d'organisation)
mais aussi une certaine construction sociale caractérisée par des
contraintes et par des objectifs donc par une idéologie.
La définition de l'institution par les tenants de l'ana-
lyse înstitutionnelle, est la suivante:
" L'institution est la forme que prend la reproduction
et la production des rapports sociaux dans un mode de production
donné"
(1).
L'utilité du concept d'institution est d'éviter de conce
voir la lutte politique seulement comme la prise du pouvoir d'Etat
mais aussi comme la lutte contre-institutionnelle ayant comme enjeu
le contrôle de la vie quotidienne.
(1)
LAPAS SADE ET LOUREAU,
clefs pour la sociologie p.
170
' "
/'"

- 163 -
L'analyse institutionnelle distingue trois aspects de
l'institution
1) L'aspect ~déologique désignant les systèmes de normes
les modèles, les valeurs qui guident la socialisation
2) L'aspect matériel et social, constitué par toutes les
déterminations matéreilles,
financières et par la bas~
sociale de l'institution.
3) L'aspect organisationnel, constitué par toutes les fo~
mes ou structures ou règlement nécessaires pour attei'.
dre les objectifs.
En réalité,
l'analyse institutionnelle ne parle pas d'as
pects, mais de moments.
Le concept de moments renvoie à une dialect;
que et non à une succession chronologique.
Comme nous l'avons montré au chapitre Il de la deuxième
partie,
les sociétés africaines en général avaient des structures ,b.
sées sur la chefferie.
Toutefois cette forme de structure sociale n
vait pas totalement disparu.
On les retrouve dans l'organisation'so
ciale cres sociétés actuelles.
Les sociétés africaines après la colo
nisation, avait laissé subsister des modèles traditionnels de défini
tion et d'organisatio~ du pouvoir politique.
Les sociétés disposent d'instances institutionnelles où
d'éléments reçus du passé, tenus en réserves de l'histoire; dans le
processus de structuration des pouvoirs politiques on remarque une
reprise des modèles traditionnels
; la tradition intervient ainsi
dans l'exercice du pouvoir.
Les chefs de village et les chefs coutu-
miers dans un ordre hiérarchique contribuent au contrôle social par
le truchement de leur image charismatique et des fantasmes dont ils
bénéficient devenant ainsi objets de déification.
Les chefs du ,pou-
voir d'Etat n'échappent pas en général à ces attributions.
Aussi la
stratification sociale des sociétés actuelles fait-elle apparaître
des configurations conjuguant des traits modernes et traditionnels,
mais la relation entre ceux-ci n'est pas dichotomique mais dialecti-
... / ...

- 164 -
que comme le souligne G.
BALANDIER (1).
Sacralité, droits absolus caractérisent le pouvoir d'Etat
Le chef du pouvoir d'Etat comme celui du pouvoir local sont pour les
populations en général des êtres métasociaux que la "conscience con~
tituante"
(2)
protège et met à l'écart des vicissitudes de la socié
té.
Il est donc clair que la méconnaissance de telles struc-
tures sociales ne pouvait que fragiliser les convictions des milita~cs
de la F.E.A.N.F., car ne pas savoir la nature
et le rôle de ces ins
titutions dans les sociétés africaines rendait vulnérable l'idéolo~~
révolutionnaire et l'action historique "en découlant.
(1) Gi BALANDIER, L'autre et l'ailleurs P.
34
(2) A.
TOURAINE est le créateur de ce concept.
Pour cet auteur la
conscience constituante est la mentalité qui sacralise les
maitres, ceux qui détiennent le pouvoir (in sociologie de l'ac-
tion).
. .. /'"

- 165 -
La dernière explication que nous pouvons donner de la
situation conflictuelle et de l'éclatement de la F.E.A.N.F.
porte
,
sur l'illusion de la spontanéité chez les militants à propos des
classes ouvrières en Afrique.
L'illusion de la spontanéité (ou spontanéité de la cons-
cience)
Les sociétés africaines
font partie de celles que '1' on
peut classer parmi les sociétés proto-industrielles c'est-à-dire
celles qui ne connaissent pas encore l'envergure socio-technique
des sociétés occidentales où la division du travail et la réparti-
tion des pouvoirs et des fonctions mettent en relief les conflits
liés à leur caractère ressenti comme arbitraire par l'individu.
La
lutte des classes et la lutte pour le pouvoir sont très développées
dans les sociétés occidentales. En revanche dans les sociétés afri-
caines ces phénomènes ne se manifestent pas avec la m~me acuité.
Pour l'ouvrier africain le travail est conçu comme exé-
cution d'un devoir prescrit par le garant métasocia1 donc comme sou
mission de l'homme à ce devoir et non comme affirmation de l'homme
par l'homme.
Cette conception du travail ne peut aboutir
à une cons-
cience de classe d'autant plus qu'elle se situe en deçà d'une repré
sentation de la société comme rapports de classes assortis de con-
flits et de luttes pour le contr61e de l ' h~s~o~icité
... / ...

- 166 -
Le stade de développement industriel atteint actuellement
par ces sociétés ne permet pas une transformation de la mentalité
liée aux besoins nouveaux qu'un développement plus poussé peut sus-
citer chez les individus.
Aussi,
parait-il difficile de parler véritablement de
lutte ouvrière dans ces sociétés où l'homme travailleur ne se sent
pas sujet historique (potentiel ou actuel) mais une personne située
en dehors du temps de l'histoire.
Cela nous conduit à affirmer que
la F.E.A.N.F.
se nourrisait d'illusions en étant convaincue que les
ouvriers africains constituent une "force révolutionnaire".
Si la classe ouvrière existe en tant qu'agrégat de per-
sonnes effecttuant une même catégorie de travail, elle n'est pas
pour autant un ensemble caractérisé par la conscience de classe,
donc capable non seulement de défendre cette classe par la lutte
revendicative mais de la promouvoir par la lutte pour le pouvoir.
C'est une classe qui ne se sait pas comme classe parce qu'elle ne
perçoit pas sa contradiction ave~ les autres classes en particulier
la classe dominante.
Les garants métasociaux (fantasmes de déification) demeu
rant la base des références sociales cela indique que la prise de
conscience des ouvriers africains comme dépassement de la "conscienc.e.
constituante" qui les rendrait créateurs et auteurs n'est pas (ou
pas encore) une réalité.
La F.E.A.N.F.
a donc produit un discours
sur un phénomène imaginairement construit
:
"la révolution par la
classe ouvrière africaine".
Il va de soi que ce discours a eu donc des effets contra
dictoires sur le groupe
; des effets qui se traduisaient dans un
processus de désidentification tellement,
le sentiment de non-sens
était devenu grand chez les individus.
C'était alors la "crise de
sens" dans le groupe (le groupe B) et dans la F.E.A.N.F., qu'illustre
... J ...

- 167 -
bien ce morceau de discours
(interviews)
= "ce que je regrette ( ...
c'est que quelquefois il y a des militants qui rêvent tellement à
la révolution alors que' nous n'en avons pas les moyens".
Cette crise procède d'une clairvoyance due à de nombreux
événements en particulier ceux du Bénin dont nous avons déjà parlé.
Car jusqu'alors le discours de la F.E.A.N.F.
donnait l'impression
que la conscience de classe et notamment la disposition à'l'action
historique pouvaient surgir spontanément chez l'ouvrier afri~ain et
qu'un mot d'ordre suffirait à mettre la machine ouvrière en illa~che
pour le changement historique.
On peut donc émettre l'hypothèse que le discours de la
F.E.A.N.F.
sur la classe ouvrière africaine est un discours d'anti-
cipation historique ayant entrainé des conduites historiques d'anti
cipation.
Si nous essayons de nous résumer nous dirons que l'ambi-
guité du principe d'identité dans le groupe B,
l'interférence entre
les conceptions contradictoires des groupes A et B,
la crise de sen~
dans l'organisation expliquent les tensions et les conflits qui ont
fait éclater la F.E.A.N.F.
Car les comportements prescrits par l'idr0
logie ne correspondaient pas à la réalité sociologique de l'Afrique
Par conséquent il n'a pu avoir de compatibilité et de congruence en-
tre les attitudes intériorisées des individus et les circonstances
réelles de l'action historique.
L'idéologie et le discours qui la traduit avaient donné
une apparente cohésion au groupe B, mais leur articulation avec le
réel,
en révèle le caractère désorganisateur en faisant
surgir des
tensions et des dissensions.
Dans ces conditions il nous para!t dif-
ficile d'admettre sans réserve la thèse
(1) qui dit que l'idéologie
fait absolument l'unité du groupe parce qu'elle le
crauscende.
(1)
cf.
E.
DURKHEIM in les formes élémentaires de la vie religieuse
1912
.. /'"
,

- 168 -
Pourquoi? Parce que si l'on admet cette théorie qui affirme que
toute chose contient son contraire, on devrait s'attendre à ce que
l'idéologie n'dpparaissê pas comme une chose qui est sans contradic·
tion possible dans sa fonc t ion unifi.r.a tric (' d'e 'groupe:
Autrement dit
on ne peut parler de la fonction unificatrice d'une idéologie sans
songer au rôle contraire qu'elle peut
jouer, car il suffit qu'elle
soit l'objet d'une conception illusolre comme le témoigne le cas de
la F.E.A.N.F.
pour que celle-ci n'opère pas l'unité du groupe, ou
bien cesse de la faire,
ou bien encore la défasse.
Donc accepter qu'une idéologie fait absolument l'unité
du groupe qui la porte c'est croire que les individus qui composent
ce groupe ne bénéficient pas du tout de marges de liberté leur per-
mettant d'agir et de réagir autrement que selon les règles prescritr.
par ce système de représentations;
c'est affirmer l'identification
totale et aveugle des individus aux règles et aux normes.
Il peut y
avoir de fortes projections de la part des individus dans un groupe
ou une organisation mais jamais d'identification totale et absolue
Le " contrat psychologique"
(1) qui 1 ie l ' ~.nd~.v ~du à l'organisation
peut être rompu à tout moment dans la mesure où le rapport entre
l'organisation et lui est un rapport de réciprocité, même si l'or-
ganisation semble avoir de la primauté.
Un groupe ou une organisation sont des systèmes ouverts
au sein desquels interagissent des phénomènes complexes,
ils ne doi·
vent donc pas être
considér€s
comme des choses figées dont le mouve
ment ne peut provenir que de l'idéologie qui les transcenderait.
La fonction unificatrice
(ou la fonction de cohésion) est
une réalité, mais qui dépend tout
autant des individus qui forment
le groupe ou l'organisation que de multiples variables liées à l'en·
vironnement physique et social.
(1) Le contrat psychologiique implique que l'individu a des attente~
vis-à-vis de l'organisation et vice-versa (E.
SCHEIN in psycholc
gie et organisations).
. .. / ...

- 169 -
Si l'apparition de l'idéologie révolutionnaire dans la
F.E.A.N.F.
a suscité un grand enthousiasme chez la majorité des
membres et si elle a crée une solidarité dans le groupe qui la por-
tait, on peut constater qu'elle a des limites; elle s'est défaite
en défaisant le groupe et l'organisation tout entière parce
qu'elle
et son discours qui l'accompagnait n'étaient plus producteurs de
sens.
En conclusion nous dirons que si les conflits à laoFEANF
existent, ils se fondent la plupart du temps sur des éléments irra-
tionnels qui, bien entendu, ne sont pas contrôlés ou contrôlables
par les membres
; les résistances au changement de nature de la FEAW~
sont à la fois liées à des phénomènes non conscients et à des réali
tés extérieures à cette organisation.
Ces phénomènes se manifestent
beaucoup plus au niveau socio-politique
si les sociétés africaine
sont analysables en termes
~a~xisi~ il n'en demeure pas moins que
la situation historique de l'Afrique actuelle est différente de cell('
de l'Europe lorsqu'elle entreprenait l'analyse sociale de sa propre
situation. Aussi la division de la société en classes et la lutte
des classes qui ont caractérisé une certaine période des sociétés
industrielles occidentales ne sont-elles pas semblables dans la si-
tuation de l'Afrique actuelle.
. .. / ...

-
170 -
CINQUIEME
PARTIE
CONCLUSION GENERALE
1 -
Les illusions d'une idéologie
2 -
Les obstacles d'un projet
3 - L'idéologie dans la F.E.A.N.F.
spécificité d'une
fonction
4 - Niveau psychique et niveau socio-po1itique

171
CINQUIEME
PARTIE
CONCLUSION GENERALE
Si l'acte de conclure consiste à achever une pensée,
mettre un terme à un processus de développement,
i l n'en demeure
pas moins que cette pensée ou ce processus constitue en eux-mêmes
des déroarches
jamais terminées du point de vue dialectique car, corn
me écrit G.
LAPASSADE,
"la seule connaissance-authentique est con-
naissance inachevée et connaissance de l'inachevé"
(1).
Nous allons donc conclure notre recherche sans proclamer
sa fin totale,
son épuisement,
car le travail de recherche que nous
avons entrepris consistait à attirer l'attention des membres de la
F.E.A.N.F.
sur les réalités psychologiques et culturelles cachées
qui empêchaient le fonctionnement normal de cette organisation.
La
perspective clinique que nous avons adoptée le long de notre inves-
tigation était donc dans le but d'une aide à l'organisation pour
"dénicher et i4entifier certaines influences les moins évidentes
affectant son comportement"
(E
JACQUES
1972).
Si nous affirmons que notre conclusion n'est pas la pro-
clamation de la fin de cette recherche c'est parce que nous sommes
parfaitement conscients que la résolution des phénomènes et les dif
ficultés
plus ou moins reconnUffi ~aintenant par les membres de la
F.E.A.N.F.
est une tâche permanente et sans fin.
Il s'agit donc dans cette partie de quelques éléments de
conclusion qui sans doute ne manqueront pas de susciter chez le lec-
teur beaucoup de questions mais qui néanmoins nous semble-t-il, ap-
porteront une contribution à l'élucidation des problèmes psychosocic
logiques de la F.E.A.N.F.
ou favorisant une
plus grande capacité de
(1) Georges LAPASSADE,
Groupes, Organisations et Institutions p.
23
1967.
.. '/'"

- 173 -
Il Y eut donc à la F.E.A.N.F. un désir de mouvement socia
qui n'a pu faire place à un mouvement social réel faute de clarté
sur ses principes d'idehtité, d'opposition et de totalité.
Cette
organisation s'est élévée au niveau d'un mouvement social mais la
juxtaposition d'un désir de mouvement social et d'une action impossl
ble à réaliser a entrainé son effrondrement
; car la logique du déSlr
et la logique de l'action au niveau individuel et/ou collectif ne
sont pas du même ordre et ne s'appuient pas sur les mêmes prqcessus
bien qu'elles soient interdépendantes dans la réalité.
Il y avait'ainsi une bipolari~é dans la F.E.A.N.F.
: d'un
côté l'idéologie avec son désir d'action historique et les conduites
offensives, et de l'autre la protection du moi avec ses
conduites
défensives.
Une protection qui traduit une certaine spécificité
dans l'organisation puisqu'elle prend sa source dans l'effrondement
du mythe de l'Occident et de la dissipation des fantasmes sociaux
chez les individus, une protection qui se fait
par le biais de la
personnalité de base au sens où nous l'entendons
car,
la personna
lité de base d'un individu implique son altérité reconnue,
sa diffé
rence comprise et qu'elle est à la fois historique
(acquis culturel~
traditions ... ) et projet.
Conscience d'être,
protection de soi font
partie intégrante de la notion de personnalité de base.
C'est là sa
définition subjective ou,
en termes plus psychologiques, sa défini-
tion affective.
Dans sa définition objective,
la personnalité de base
implique à la fois maîtrise des appareils du contrôle social
(idéo-
logie, élément de la superstructure de la société),
l'autonomie cul
turelle.
Car la liaison entre les deux définitions,
du moins dans
leurs modalités.
avait échappé aux membres de la F.E.A.N.F.
Mais
dans un champ d'action comme celui de la F.E.A.N.F.
où rien n'était
clair quant aux comportements des individus,
le dépassement de la
.,. /,.,

- 174 -
différence simple et l'instauration d'une liaison entre les deux
définitions étaient en eux-mêmes problématiques.
Les conflits au niveau socio-politique dénotent une vision
généralement illusoire de l'avenir de l'Afrique car l'idéologie qui
sous-tend s'est révélée comme enveloppée dans des fantasmes.
1) Les illusions d'une idéologie
1 ) Le marxisme comme méisianisme.
1
comme on a pu l'apprendre au cours de l'analyse,
les étudiants afri-
cains en France sont attirés par la doctrine socialiste pour plusieul~
raisons
:
D'abord durant l'époque coloniale,
la philosophie socia-
liste était parmi celles qui réclamaient non seulement la libération
des prolétaires européens mais aussi celle de tous les hommes oppri-
més et exploités par les autres hommes.
Sur le plan politique, la
doctrine socialiste fut la seulD
à adopter une politique anti-coloniale.
C'est ainsi que les élites
africaines ayant suivi leurs études en Europe s'étaient senties dans
la nécessité de s'appuyer sur cette doctrine pour lutter contre la
domination occidentale entre les deux guerres.
Cette doctrine a peu
à peu gagné la masse des intellectuels africains notamment les étu-
diants poursuivant actuellement leurs études en Europe, comme ceux
qui militent à la F.E.A.N.F.
Le marxisme est avant tout pour ces étudiants africains
un humanisme qui par ses analyses objectives des réalités sociales
peut aider l'homme à se libérer de l'aliénation et de la domination
sous toutes ses formes.
Cette idéologie apparaît aussi comme une pra
tique sociale qui par sa méthode dialectique peut contribuer au déve
loppement des sociétés sous-développées.
Pour beaucoup d'étudiants l~
marxisme est par-dessus tout un "messianisme" porté par le "Messi
... / ...

- 175 -
socialiste"
: le prolétariat.
Le prolétariat est aux yeux de ces étu-
diants, l'unique classe qui soit aff~anc~ie, du péché originel de
l'exploitation de l'hommé par l'homme.
C'est cette classe qui est ap-
pelée à être la libératrice des sociétés africaines.
L'idée messia-
nique du prolétariat africain est liée à celle de réalisation du
rêve de l'indépendance de l'Afrique et du triomphe du socialisme
sur le capitalisme.
Ainsi le marxisme en tant que doctrine sert aux
militants contre le néocolonialisme et l'impérialisme.
2) Les obstacles d'un projet
Si au plan doctrinal le marxisme prétend libérer l'homme
de toute aliénation, cependant il amputi l'homme de sa dimension spi-
rituelle à cause de son athéisme radical.
Or, bien qu'elle se tradui~e
sous diverses formes de croyances l'âme africaine est essentiellemen~
religieuse
(1).
C'est sans doute là l'une des causes non identifiées
(par les militants) de l'inadaptation de l'idéologie défendue à la
F.E.A.N.F.
~
De meme l'analogie rapide, consciente ou inconsciente, fa=t~
entre le socialisme et l'esprit communautaire des sociétés africaine~
est à la base de conduites non appropriées quant à l'objectif des mi-
litants qui consiste à "conscientiser et éduquer les masses africain(
Car si l'esprit communautaire de solidarité est d'une grar
de valeur au point de vue philosophique et culturel, mais appliqué à
l'organisation économique il est adapté à la société fermée d'un vil-
lage ou d'une tribu soit à une autarcie ou à une société d'auto-cons~1
mation.
Or l'économie moderne repose sur le mécanisme rnonétaire,sur
la division du travail,
sur le salariat.
Il est donc difficile de diI'
à un paysan africain que sa terre ne lui appartiendra plus mais à lIE
tat et qu'il n'en est que le gardien ou bien de faire croire à un ou-
vrier qu'il est exploité alors qu'il se considère comme faisant part je
.. . f ...

- 176 -
~
des personnes privilégiées par le fait meme qu'il a un emploi indus-
triel permanent et payé au mois.
(1) Si l'on entend par religion le rapport entre l'homme et les forces
supérieures et spirituelles qui influencent la vie des humains .
. : . /' ..

- 177 -
La question qui se pose donc à la F.E.A.N.F.
et qui n'est
pas traitée est celle de la mentalité africaine face à l'idéologie
marxiste ou, plus globalement, la question du rapport entre une 'mo-
dernité générique et une tradition spécifique qui tire ses impulsion)
dominantes d'un passé précolonial et les types de rapports sociaux
qui demeure~t singuliers.
Aussi la symbolique de l'action a-t-elle renforcé et im-
posé le désir.
L'action critique de la F.E.A.N.F.
a ouvert un espace
pour le désir et enfin de compte elle a été plus l'ouverture d'un
lieu du possible qu'un instrument de changement historique; plutôt
une réalisation fantasmatique qu'une structure visant à l'établisse-
ment d'un nouveau type de rapports sociaux en Afrique et entre l'Afrl
que et les sociétés occidentales.
Ceci nous amène à parler de notre dernière idée directricE
de ce travail.
3) L'idéologie dans la F.E.A.N.F.
spécificité d'une
fonction
Nous savons que l'idéologie politique est par définition
un système de représentations, d'attitudes,
de sentiments et de va-
leurs qui structurent les conduites manifestes d'une collectivité,
d'un parti ou d'un mouvement social et à travers lequel les individu,
se perçoivent et définissent leurs objectifs; nonobstant,
l'idéolog;~
peut présenter une spécificité dans sa fonction
(1)
de cohésion du
groupe ou de l'organisation qui l'a conçue.
(1)
P. ANSART énumère au total cinq fonctions dans l'idéologie, con-
flits et pouvoirs 1977.
. .. / ...

-
178 -
Cette fonction
(en principe) ordonne,
logiquement selon
M. SIMON,
(1) l'ensemble de la vie sociale par le caractère systé-
matique du discours idéologique.
Pour SIMON ce "discours fournit un
modèle explicatif qui permet de répondre à toutes objections, d'ins-
pirer des schémas de solution pour toutes les questions"
(2).
Plus loin l'auteur ajoute ceci:
"Pris dans son réseau
serré (le réseau du discours)
(3), les sujets porteurs sont encadrés
et sécurisés,
tenus comme dans un corset".
Cette analyse s'apparente
tout naturellement à celles de
DURKHEIM,
de DUMONT et d'ANSART que
nous avons évoquées précédemment.
Toutefois nous nous étions demandé si cette fonction a tou
jours été accomplie dans les groupes ou6rganisations
; si non que
peut-on en déduire ?
L'étude de la F.E.A.N.F.
semble nous avoir fourni la ré-
ponse.
En effet,
les conflits au sein du groupe B -étaient le ré-
sultat de l'illusion de cohérence d'un discours idéologique inadap-
té à la ·réalité sociale
; pour qu'une idéologie soit un facteur de
cohésion et non de division il ne suffit pas qu'elle donne lieu à
un discours rationnel et cohérent, il faut aussi que ce discours tien
ne compte et s'articule sur les conditions de sa production.
(1)
Michel SIMON, Comprendre les idéologies 1978 p.
215
(2)
idem
(3) C'est nous qui ajoutons.
" .f ...

- 179 -
Le discours des dirigeants visant à la régulation des
tensions, au maintien de l'ordre et de l'unité du .groupe, a-t-il opé
ré un travail contraire ~n plongeant le groupe B et l'organisation
entière dans des conflits.
Du fait que le discours idéologique mas-
quait les incertitudes, les anxiétés de l'individu devant la situa-
tion de crise qu'elle a provoquée, la F.E.A.N.F.
est apparue aux mem
bres, comme un lieu de non satisfaction des aspirations, de non co-
hésion.
"L'anti-impérialisme" loin d'énoncer un sens cohérent et
homogène a plutôt produit un discours dont les conséquences sont l'an
xiété dans l'organisation et plus tard sa
d::sJ oc:::..t:Lon
On peut donc
affirmer que la fonction de cohésion de l'idéologie n'est pas une
fonction absolue et irréversible.
4) Niveau psychique et Niveau socio-politique
.-
Nous venons de voir que les deux c onc ept ions de la F. E. A JJ 1-
et les deux niveaux d r analyse que nous avons
dégagés rendent compte
de la crise de l'organisation.
Le niveau psychique qui décrit la protection de la person
nalité de base traduit aussi un conflit entre le moi des étudiants
africains et leur idéal du moi.
Conflit dont on peut situer l'origine
dans le processus d'idéalisation des sociétés occidentales et par
conséquent de l'homme blanc.
Le processus de l'idéalisation est un processus par lequeL
les qualités et les valeurs de la France sont po~tées à la perfectiol!
au détriment de celles de l'Afrique,
celle-ci continuant cependant
par le biais de la socialisation (éducation des enfants à la manière
africaine) de s'affirmer dans l'être de l'étudiant africain .
... J ...

-
180 -
On comprend donc l'attitude ambivalente de certains sujetb
vis-à-vis de la société française
: on rejette la vie sociale fran-
çaise en même temps qu'on est attiré par elle.
Si comme le dit FREUD
"quelquefois le divorce entre 'le moi et l'idéal du moi n'est pas corn
plet" , et que "les deux peuvent continuer à coexister, le moi ayant
conservé partie ou tout
au moins, sa suffisance narcissique anté-
rieure"
(1), on peut constater néanmoins une opposition entre les
deux instances de la vie psychique chez nos étudiants.
Nous pQuvons
donc émettre cette hypothèse que le comportement de groupalité lié
à la protection du moi des sujets est surdéterminé par ce "conflit
originel" qui clive la personnalité de l'africain car le lien qu'il
entretenait avec les valeurs occidentales n'est pas totalment accepte
et reconnu.
Ainsi les relations d'identification (à l'homme français
et aux valeur~ sociales françaises) loin de supprimer la différencia-
tion et donc de prévenir le conflit en assimilant l'individu aux rôles
définis par la société française.
elles ont plutôt impliqué le double
jeu d'attirance inconsciente et de répulsion.
Le dualisme des systè-
mes de valeurs
(valeurs françaises et valeurs africaines) a impliqué
le dualisme des systèmes de représentations chez l'africain, notam-
ment chez l'étudiant
(2) certaines représentations sont entrées en
opposition avec d'autres plus fortes qu'elles,
de là le conflit entre
le moi et l'idéal du moi de l'étudiant, conflit t~ansformé en conflit
défensif.
Mais ce conflit s'est amplifié chez les sujets résidant en
France avec le sentiment de dépossession totale,
de dépouillement et
de perte de leur identité.
Le sentiment d'être "attaqués de tous côté~
dans la société française et d'être ainsi sans recours sous-tend le
(1)
S.
FREUD:
Psychologie collective et analyse du moi p.
158 in
Essais de psychanalyse.
(2) L'école française en Afrique jouait un rôle
très important dans
la construction et la conservation des systèmes de représentatio~~
françaises.
La langue française était considérée comme l'adéquatjo~
à cette situation.
- .. / ...

-
181 -
sentiment de la perte de leur personnalité, car l'impossibilité de
maîtriser, comme dirait R.
KARS, le code culturel de la société
,
française est génératrice d'angoisse.
La protection du moi devient
dès lors une nécessité pour les étudiants.
Le niveau socio-politique définit dans ce travail est à
la fois un niveau d'analyse et un type de conception de la F.E.A.N.F.
Ce niveau est celui qui fait de la F.E.A.N.F.
une organisation à carac-
tère politique.
En effet les différentes étapes d'analyse ont suggéré
que la F.E.A.N.F.
tenait également un discours politique sur sa rai-
son d'être et sur celle des sociétés africaines.
Un discours qui se
donne comme objet le changement socio-politique
; il s'insère égale-
ment dans un ensemble conceptuel qui s'ouvre sur une vision de l'uni-
vers social et politique c'est-à-dire sur une idéologie.
L'idéologie
à la F.E.A.N.F.
a introduit à sa suite une crise non seulement des
systèmes psychiques édifiés pour assurer la sécurité, la continuité,
la contenance et la conservation de l'identité socio-culturelle des
individus, mais aussi une crise dans le sous-groupe favorable à son
existence.
Ceci a engendré un conflit général dans la F.E.A.N.F.,
car la rupture que cette organisation veut opérer par rapport aux
pratiques sociales et politiques occidentales et de certaines sociét~~
africaines,
s'est instauré abstraitement dans le cours de la pensée
théorique de l'organisation sans aucune liaison avec la pratique et
la contemporanéité des faits.
La F.E.A.N.F.
s'était donc disloquée du fait qu'elle n'ait
pu permettre aux orientations nouvelles de s'affirmer clairement;
elle a provoqué son dysfonctionnement en bloquant la capacité à pro-
duire un sens nouveau ~ux dépens de conceptions, et de certitudes quj
la plongeaient dans la répétition.

, ,~ ,
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-
191 -
ANNEXE
- SOUS -
CORPUS

-
192 -
SOUS-CORPUS
Résumé des
discours)
PREMIERES REUNIONS
-
Le jour où je devais venir en France,
je n'ai pas pu
dormir,
le seul fait de savoir que le lendemain je prenais l'avion
pour la France.
-
Je vivais dans le fantasme de la découverte de l ' inconn1_
-
Dans notre société on a une conception de la France comn~
le pays du bonheur, de la technologie,
la mode.
-
Toute notre existence en Afrique tend à copier ce monde
En Côte d'Ivoire à l'école on nous dit toujours que la
France est un beau pays, c'est l'éden, un pays où l'on trouve tout
ce qu'on veut.
-
Venir en France c'est une réalisation de soi-même.
-
Venir c'est un bonheur même si on y fait rien sur le plo·
des études.
-
En France les études sont réussies facilement,
je cro-
yais qu'il n'y a pas de sélection.
-
Un diplôme obtenu en France à plus de valeur en Côte
d'Ivoire.
Je pensais que la France c'était le paradis
La France c'était le paradis, un beau pays,
lé pays où
l'on vit facilement,
où on trouve tout fAcilement.
-
Le pays de merveille,
c'est la liberté.
-
Un pays où il n'y a pas de racisme.
La France,
je pensais que c'est un beau pays où il y
faisait
bon vivre.
-
La France, c'est l'idéal des pays,
c'est presque le cie.
Je croyais que c'est le pays où il y a tout .
. . . / ...

- 193 -
- La France, c'est le paradis
- Aller en France est un grand événement.
- On pense qu'il ~ a pleines de choses formidables en France.
- La France était pour moi un grand centre où l'individu pou-
vait s'épanouir sur tous les plans où il devait trouver une
satisfaction intellectuelle, culturelle assez solide, satis
faction dans les rapports humains.
- C'était un pays civilisé où la couleur de la peau ne pou-
vait influencer les décisions.
France égale aisance donc plus de facilité à y vivre.
- Au pays on s'imagine que la France est le paradis terrestre
je ne pouvais imaginer qu'il y ait des malheureux en Europe
... J ...

- 194 -
DEUXIEMES REUNIONS
- Depuis mon arrivée en France,
je me suis rendu compte que
j'ai vécu dans les fantasmes et que la France est une terre
comme toute autre.
-
L'anonymat
dans les facultés,
la mentalité amorphe des Fran
çais n'encouragent pas à faire quoi que ce soit.
-
C'est une mentalité renfermée, close et à partir du moment
où tu te trouve face à un univers comme ça,
tu n'as pas le courage
de faire quoique ce soit pour débloquer la situation.
- Ma race m'a handicapé dans certains nombres de démarches par
exemple lorsque je vais dans un bureau l'accueil qui m'est réservé est
différent de celui des autres.
Il y a aussi le racisme voilé,
on est refusé à des soirées des booms
où des personnes blanches y sont acceptées.
-
Ce que je regrette,
ce sont les relations humaines.
Lorsqu'un groupe de jeunes Français est formé il n'est pas
possible de l'intégrer et on a comme l'impression d'être rejeté.
-
Ici en France les choses sont tellement différentes qu'on
a l'impression d'être tenu à l'écart.
-
La façon dont nous nouons nos relations avec les gens chez
nous est tout à fait l'opposé ici.
-
Je n'arrive pas à évoluer comme je veux,
je subis une vie
et qui est largement différente de la notre.
Par exemple chez moi au
Gabon,
je ne suis pas obligé dans ma chambre de changer de chaussures
prendre des pantouffles, et puis la façon de vivre ici est reglementé(
à partir de 22 heures,
je ne dois pas crier dans le couloir sinon le
voisin appelle la police et puis ça fait des histoires.
Ce sont des
choses que je ne connais pas chez moi
Tout est vraiment différent,
de ce qu'on a prévu.
-
L'individualisme qu'on trouve ici n'existe pas en Afrique,
il faut vivre en vase clos qu'on a appris à vivre en famille,
en mili(
très large.
. .. /'"

- 195 -
-
On ne peut pas sortir à cause du climat, on vit dans la
crainte du voisin pour le bruit qu'on peut faire si bien que c'est
la déception.
-
Les gens sont si agités,
ils sont pressés,
ils vous bous-
culent sans vous demander des excuses alors que chez moi on prend
tout son temps.
-
Les gens sont si pressés qu'on a l'impression de voir un
film accéléré.
-
Chez nous on prend tout notre temps pour vivre.
Ici les
gens courent après le temps on a pas l'impression de vivre.
-
Les contacts humains ne sont
jamais clairs.
C'est difficile
d'avoir des relations sincères avec des gens et puis pour les amorcer
c'est difficile alors que chez nous c'est spontané.
-
Chez nous les connaissances peuvent se faire sans arrière
pensée.
-
Il Y a aussi l'indifférence des gens lorsqu'il y a un indi-
vidu qui a des problèmes.
Chez nous il y a toujours quelqu'un pour
vous porter secours.
-
Il Y a un rythme de vie qu'on arrive pas toujours à suivre
-
Ici on n'est pas considéré comme des hommes ordinaires on
est dédaigné.
Heureusement qu'il y a des gens sincères pour nous com-
prendre
-
La vie ici est trop mécanique.
Quand on pense à ci il faut
penser à çà.
Ici tout est calculé tout est fonction d'argent.
-
Les gens vivent dans un univers artificiel
j'ai l'impres-
sion qu'ils ne sont pas heureux ici.
-
Les gens fuient les contacts même à la faculté c 1 est à peir
qu'on adresse la parole.
. .. /'"

- 196 -
-
Les rApports sont difficiles.
On veut parler à des gens
mais on rencontre des murs fermés,
un mutisme.
-
La France est une société fermée qui ne permet pas à l'é-
1
tranger de s'épanouir.
Là c'est une grande déception jamais enregistree
de ma vie.
-Je ne vis pas comme je croyais pouvoir le faire.
-
Du point de vue humain,
il. y a d'énormes surprises franche
ment compte tenu de la façon dont on reçoit les Français en Afrique,
on se rend compte qu'ici on est rejeté,
tout à fait rejeté de par la
couleur même de notre peau.
Ce qui m'a le plus déçu c'est qu'il y a
des professeurs négrophobes
; pour eux on ne peut rien faire de bon.
Ca c'est une attitude tout à fait déplorable.
-
Le contact avec les gens est ûne surprise.
Chez nous géné-
ralement les étrangers sont bien accueillis,
tout le monde les affec-
tionne. Alors qu'ici les étrangers sont plutôt des objets de curiosite
Personne ne veut s'approcher d'eux,
c'est la méfiance,
l'individualis
me.
Ca c'est choquant.
- Nous n'avons aucun droit ici alors qu'au Gabon les Français
ont tous les droits.
A
-
L'idée que j'avais de la France a changé depuis.
C'est mern~
le découragement.
C'est decevant de voir qu'il y a des cités réservées aux
étrangers.
. .. / ...

- 197 -
TROISIEMES DISCUSSIONS
-
L'association représente la grande famille africaine de
chez nous.
-
C'est pour lutt~r contre l'isolement ici. On est jamais
seul en Afrique.
-
Il faut recréer l'ambiance du pays.
-
C'est un facteur de rapprochement.
-
C'est un besoin pour briser la solitude parce que chez
nous il est difficle de passer même quelques jours sans se retrouver
en groupe.
C'est pratiquement impensable.
-
Cela offre un cadre de discussion
- On cherche à intégrer le groupe parce que on n'est pas habl
tué à être seul.
-
C'est tout à fait normal;
étant coupé de notre milieu dan:
lequel on vivait en Afrique la première des choses qu'on recherche c'e
de recréer cette atmosphère.
il y a cet appel intérieur qui pousse à
rechercher le groupe.
Ce sont des choses qui se passent dans le coeur
On ne peut pas expliquer.
-
Le groupe redonne confiance en soi.
-
C'est pour ne pas avoir une rupture dans notre esprit.
-
Le groupe permet de vivre de loin ce qui se passe en Afriqli'
-
Tout seul on ne peut pas évoluer au milieu de tout ce cour;1,
de passions.
-
Dans l'Association on se sent en sécurité.
C'est la recher
che d'une paix intérieure.
-
Celà offre un cadre de discussion sur les problèmes politi-
ques de l'Afrique.
. .. / ...

- 198 -
- La F.E.A.N.F.
est un syndicat et moi je le vis comme un
syndicat c'est-à-dire comme étant le canal par lequel je peux faire
valoir certains points de, vue concernant la situation que
... C'est
un canal par lequel j'essaie de faire valoir des droits, exemple les
bourses d'études.
-
La F.E.A.N.F.
prend le sens d'une sorte de famille où on
repartage un peu une culture commune, où on essaie de se récréer une
vie qu'on a partagée à un moment donné.
-
Je vis les deux dimensions de l'Association.
-
C'est l'une des rares occasions où on a la possibilité de
se retrouver et puis de parler des choses de chez nous, d'échanger
des idées à propos de problème précis.
- Moi je la vis comme un club d'amis pas au sens péjoratif
mais une sorte de famille
- C'est aussi l'occasion de discuter des problèmes qui se po
sent à l'Afrique.
-
La vie en Association est purement syndicale pour moi.
- L'Association est un lieu de rassemblement de tous les étu
diants africains conscients de tous les problèmes qui se posent chez
nous et qui envisagent d'en discuter et d'en proposer des solutions
qui doivent s'adapter à nos pays.
- L'Association est une étape dans ma vie en ce sens que ça
me permet de poser un certain nombre de problèmes qui sont èn dehors
de moi, en dehors de ma personne.
L'Association représente pour moi un
espoir en ce sens qu'il y a au sein de l'Association des jeunes qui
lient leur sort à celui de leur peuple et pour moi je pense que c'est
très important
; on se détache de sa personnalité pour pouvoir aller
se mettre au service des gens qu'on aime et c'est cela la raison d'êt,
de la F.E.A.N.F.
-
L'Association permet de lier ses aspirations politiques au
désir de son peuple.
. .. / ...

- 199 -
- L'Association est pour moi un syndicat pour revendiquer
nos droits c'est tout.
,
-
C'est un besoin.
-
C'est pour éviter la solitude.
-
C'est pour revivre le chez nous lointain.
- On se trouve dans un mil~e~ hostile.
Il y a une réaction
de répulsion de ce milieu-là, on ne peut pas le pénétrer
; ça fait
qu'on est obligé de nous retrouver entre nous.
- A la F.E.A.N.F.
les gens se sont rencontrés parce qu'ils
avaient besoin d'avoir la chaleur du pays.
Ils se sont rencontrés
dans un but de chaleur humaine et peu à peu ils ont pris conscie~ce de
certain problème politique.
-
Entre la misère de chez nous et le rejet d'ici il ne peut
y avoir qu'une prise de conscience politique
- Quand on se retrouve toujours il n'est pas possible de ne
pas parler de politique.
- L'Association permet de perpétuer notre tradition qui cons . .
te à nous connaître entre nous.
-
C'est pour des problèmes affectifs.
-
La prise de conscience politique est venue du fait qu'à
travers les discussions on cherche à conceptualiser les problèmes de
chez nous et du fait de la confrontation de nos idées avec celles
d'autrui c'est-à-dire celles du groupe.
-
La F.E.A.N.F.
permet d'avoir des relations humaines entre
nous de dépasser la solitude car il faut reconnaître que le système
dans lequel on vit ici n'est pas fait pour nous.
On ne s'y Attendait
pas.
-
L'Association permet de se passer de ses soucis quotidiens
... /'"

-
200 -
-
C'est un cadre dans lequel les Africains qui ne sont pas
chez eux peuvent parler des choses de leurs pays,
des choses de la
famille.
Et puis parler dV pays c'est parler de tout donc de la situa-
tion économique, politique et sociale.
-
C'est aussi un cadre de révendication de lutte dans le
sens le plus général.
-
Cela crée la solidarité car lorsqu'on quitte son pays on
est dépaysé, on est isolé donc pour se retrouver en famille on a crée
cette Association.
QUATRIEMES DISCUSSIONS
-
C'est parce que l'objectif n'était plus le meme que la
F.E.A.N.F.
a éclaté.
-
Les options politiques sont différentes.
-
La F.E.A.N.F.
ne tenait plus compte des réalités,
la F.EAN~
ne prenait plus en compte les antités nationales.
-
Ce que je reproche à la F.E.A.N.F.
c'est qu'on y voit
tous les défauts qu'ont voit au pays, rien ne va mais il n'y a pas
une vue optimiste, on propose pas une issue,
il n'y a pas de solution
On relève tout ce qui ne marche pas chacun verse son vinaigre dessus
et puis la séance est levée,
on s'en va,
on ne trouve pas une solutior
-
L'Association ne m'a pas encore apporté grand chose.
Je
ne partage pas les vues politiques.
C'est l'ambiance familiale qui n'y
attire.
-
Ce que je regrette c'est qu'extérieurement on donne l'im-
pression d'être révolutionnaire alors qu'on ne dispose d'aucun moyen
-
Ce que je regrette aussi c'est que quelquefois il y a det
gens qui rêvent tellement à la révolution qu'ils effacent la notion
d'ambiance familiale que nous devons créer.
. .. / ...

- 201 -
- Aux réunions on ne doit discuter que de la politique
pas de sentiment;
pas question de danser, même pas de plaisanterie.
Là je dis que ça ne tien~ plus; paRce que c'est se placer très haut
de quelque chose alors qu'on en a pas les moyens concrètement.
-
La F.E.A.N.F. qui m'était présentée comme un syndicat
quand j'y suis arrivé, a trouvé des ramifications maintenant, elle e8t
allée jusqu'à s'occuper de la formation politique de ces militantes,
en plus de cette forma tion,
le syndicat se trouve alors ètre une
Association engagée.
Il a des prises,ode position politique
; p~r exerr
pIe sur la théorie des trois mondes appliquée par la Chine.
-
L'idée que je me suis faite de la F.E.A.N.F.
au départ
est diamétralement opposé à la réalité actuelle.
-
Il Y en a qui croit qu'au p~ys la F.E.A.N.F.
sera la
solution de rechange alors qu'elle se dit syndicat.
-
On mélange revendication et prise de pouvoir.
-
Les revendications ont été balayées complètement ce qui
n'est pas normal.
-
D'autres en arrivent
à imaginer des schémas politiques
puis en vertu de çà on est en train de disperser notre énéergie à dé-
fendre des théories.
On se chamaille par exemple sur la condamnatjon
de la Russie comme pays impérialiste,
on y passe des heures, or penda
ce temps on ne sait même
pas le mécanisme par lequel notre pays est
dominé.
Ca je dis que
c'est inadmissible.
-
Je crois qu'on doit s'abstenir de prendre de grandes pos.
tions.
La prise du pouvoir c'est l'affaire d'un parti politique qui
est doté d'une force populaire, ce n'est pas une Association de jeune
comme celle là qui n'a aucun contact avec les paysans et ouvriers de
chez nous qui peut prétendre le pouvoir.
-
Les jeunes ne vivent pas les réalités du pays.
-
Les militants n'ont aucun contact avec les ouvriers alor
par quels moyens,
par quel miracle songent-ils prendre le pouvoir pou
.. 0/"
.

-
202 -
faire quelque chose en Afrique.
Je pense que c'~st une aberration.
-
Il Y a des militants qui ont des prises de position de
,
telle sorte qu'on les prendrait pour des super révolutionnaires.
-
L'OCAU ne sert pas
les intérêts de nos pays mais ceux
de la France.
-
Je ne pense pas que parce qu'on est anti-impérialiste
qu'on est forcément révolutionnaire.
Celà est lié à la définition mêm~
du groupe dans lequel nous militons.
-
Il Y a des militants qui viennent s'exhiber en citant MAO
MARX, or à côté de ceux-là i l y a ceux qui pensent que çà ne vaut pas
la peine de vouloir à tout prix copier sur l'occident ou autre pour
résoudre les problèmes de l'Afrique.
Certes, MARX a dit des vérités
universelles mais je ne pense pas qu'il faille reproduire fidèlement
l'exemple qu'il a donné.
-
Ce qui est "salaud" c'est qu'on ne
cherche même pas à
savoir ce qui est applicable ou non chez nous.
-
Nous ne pouvons pas suivre comme des moutqns de panurge.
-
On s'emmerdait sur la définition de la direction du front
alors que nous ne sommes pas sur le terrain de la révolution.
Les uns
disent que la direction du front appartient aux ouvriers et aux paysan~
les autres disent que non, qu'elle se définira dans le feu de la lutte
Ceci nous a entrainé à la scission.
Nous théorisons alors qu'on ne
sait pas ce que les peuples d'Afrique réservent comme accueil à nos
désirs.
C'est l'absence de principes démocratiques qui a entrainé
la scission.
-
C'était l'impossibilité de discuter à la F.E.A.N.F., il
Y avait des dogmatiques qui croyaient savoir tout de telle sorte qu'i]
ne laissaient plus la parole aux autres.
-
Les gens de la F.E.A.N.F.
étaient tellement passionnés
par leurs théories; alors qu'ils ne savent pas ce qui se passe dans
.. , / ....

-
203 -
pays respectif.
-
Le problème c'est qu'on n'arrivait pas à trouver un com-
,
promis tellement les gens sont fanatiques de leur idéologie.
En tout
cas c'était difficile d'arriver à un compromis.
-
Le problème se posait dans les choix de société d'où
conflits inévitables.
Il n'
y avait plus de consensus, d'objectif
dans la F.E.A.N.F.
-
Tout le monde n'avait pas le meme objectif, il n' .y avait
pas d'objectif collectif.
-
Il nI
y avait pas de rigueur politique dans les discours
des gens.
-
Il Y '&vaitdes différentes conceptions du monde.
Il nI y
ê.vai t que du verbiage idéologique qui ne recouvrait
rien dans la pratique.
-
Il nI
y
avait pas de base politique claire.

- 204 -
TABLE
DES
MATIERES
PAGES
INTRODUCTION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1
PREMIERE
PARTIE
POSITION
DES
PROBLEMES
CHAPITRE 1
RAPPEL DES EVENEMENTS QUI ONT MARQUE LA VIE DE LA F.E.A.N.F. gNTRE
1950 ET 1980
11
CHAPITRE Il :
PROBLEMATIQUE ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
23
1)
Pour une approche psychosociologique des phénomènes organisa-
tionnels
24
2) Visée de la recherche
36
CHAPITRE III :
HYPOTHESES
39
- Première hypothèse
39
1) Ni veau psychique
39
2) Niveau socio-politique
41
- Deuxième hypothèse
4~
- Trois ième hypothèse
43
DEUXIEME
PARTIE
CULTURE ET SOCIETE
CHAPITRE 1 :
LA PERSONNALITE DE BASE
45
CHAPITRE Il :
L'AFRIQUE ET LA COLONISATION
1) Les structures sociales en Afrique Noire avant la colo-
nisation
'"
.52

-
205 -
2) La pénétration coloniale et ses conséquences psychosociolo-
giques
: le mythe de l'Occident, les fantasmes africains ... 54
3) Du prétendu complexe de dépendance de
O. MANNONI
.. .. .. .. .. .. ; .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
62
TROISIEME
PARTIE
METHODES ET TECHNIQUES UTILISEES
CHAPITRE l
:
1) De la difficulté d'être chercheur en psychologie
sociale
6E
1
) La demande
63
1
1
) L'implication du chercheur dans son objet de
2
recherche. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
70
CHAPITRE 11 :
1) Le choix de la Méthode et des Techniques
74
11) Les entretiens
76
1 ) Le traitement des matériaux:
l'analyse
de
2
contenu
78
2) Procédure
Al
2 ) Les thèmes de discussion
83
1
2 ) Le déroulement de l'enquête: la dynamique de
2
l' entret ien
84
QUATRIEME
PARTIE
ANALYSE ET INTERPRETATION DES DONNEES
CHAPITRE l
:
1)
PROPOSITION D'ANALYSE DES INTERVIEWS DE GROUPE
96
- Principes et concepts méthodologiques
96
- Problématique
96
... / ...

-
206 -
-
La double dimension du discours
·97
2) ANALYSE DES INTERVIEWS
·98
-
Premières réunions
·98
-
Deuxièmes réunions
99
-
Troisièmes réunions
102
-
Quatrièmes réunions
109
3) ANALYSE DES DONNEES OBSERVEES
115
3 ) Le conflit oppose des acteurs bien distincts
115
1
3 ) Analyse des stratégies et des pratiques
118
2
32 ) Stratégies du groupe B
118
1
322) Pratiques dominantes dans la F.E.A.N.F
119
-
La dénonciation
119
3 23 ) Le contenu et la structure de la dénonciâtion
120
- Le contenu de la dénonciation
120
- La structure de la dénonciation
120
4) LE NON-REGLEMENT DES CONFLITS
122
CHAPITRE Il
:
INTERPRETATION DES DONNEES
~24
-
Les conflits dans la F.E.A.N.F
124"
1)
Niveau psychique
124
-
Les mobiles de la groupalité
124"
... /' ..

-
207 -
2) Niveau socio-politique
~
135
2 )Les cadres psychosociologiques et po-
1
litiques ~e l'idéologie
:
137
-
L'idéologie comme représentation des
rapports entre sociétés développées et
sociétés sous-développées
137
-
L'idéologie comme opposition aux bases
institutionnelles de la domination dans
les sociétés africaines.................
141
-
Les conflits dans la F.E.A.N.F
145
-
Le conflit intergroupe
145
-
Le conflit intragroupe
151
-
Le clivage entre la pensée et le réel
155
-
L'illusion du donnée invariant
158
-
L'illusion de la spontanéIté (ou spon-
tanéité de la conscience)
165
CINQUIEME PARTIE
-
CONCLUSION GENERALE
171
1) Les illusions d'une idéologie
174
2)
Les obstacles d'un projet
175
3)
L'idéologie dans la F.E.A.N.F.
: spécificité
d'une fonction
177
4) Niveau psychique et niveau socio-politique
179
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE