~
UNIVERSITE DES SCIENCES HUMAINES DE STRASBOURG
Faculté de Philosophie
La Rationalité techniquel
'.... "les contraintes de l'efficacité
et les stratégies collectives.
.,..
" ..... _.....w,'"
,
1~~'~:~:,~:;;.~~:~~E~~~~~~~~~: 1
THESE i

C. ~',M. E. S'l OUAGADOUGOU!
pour le Doctorat ès Le ~;.r~v~et ',' . D .JUIN .1995.... '
, nreg/s re sous n° ..~O.o4.1+..~
===----_.
_. -
,.
présentée et soutenue par
,
DIAKITE Sidiki
...
,;..,
'~

Directeur de Thèse : Franck TINLAND
..
MAI 1988

A la l'TJ3ro i re de m:m pè re TT[) r t en
Août 1983, alors que je travaillais a STRASBOURG
au projet de cette thèse .
..

A
mon
Professeur
et
Maître
Franck
TINLAND,
qui a su rTE guider avec "fenreté" "[lis aussi avec beaucoup
de gentillesse dans l'élaboration de cette thèse.
C'est
grace
a
son
aide
inconditionnelle,
a
ses rrultiples
conseils,
a
sa
disponibilité
pemnnente,
a
ses soins qui m'ont valu la retraite austère et créa-
trice à PALAVAS-LES-FLCŒS, que cette thèse a pu connaître
son dénouemm t .
Qu'il en soit loué

..

A mon
ami
Joseph
ANOM4,
qui
a
su
pendant les nvments difficiles de cette thèse,
m'apporter les preuves tangibles de son amitié.

4
Je remercie
Mr et Mme ANGOULVANT,
Mr AKA KOMENAN Landry,
Mr et Mme BEER-GABEL,
Mr et Mme CARDAILLAC,
Mr et Mme EBINEY ~YAMKE,
Mlle GRANDJEAN Simone,
Mle MEYER Michèle,
Mr et Mme LOMBARDI,
Dr KEITA Balla,
pour l'encouragement et
le
soutien qu'ils
ont
su m'apporter pendant
ces années de recherche.
Mes remerciements vont également :
- au Secrétariat Général à l'Informatique, et à la Commission
Nationale à l'Informatique, qui,
en m'associant à certaines études et
missions, mlont permis de cOrT'Çlrendre les problèmes qui se posent avec
acuité dans l'informatisation des Sociétés Africaines et la nécessité
d'une
stratégie
régionale
de
maîtrise
des
technologies compétitives,
- à tous mes amis pêcheurs de PALAVAS-LES-FLOTS,
- à tous mes étudiants de l'année universitaire 83-84,
- à tous ceux qui de loin ou de près ont apporté leur contri-
bution à l'élaboration de ce projet.

~.'
6
"Il y avait des graines terribles sur la planète du petIt
prince ... ('étaient les graines de baobab. SI l'on S'y
prend trop tard. on ne peut jamais plus s'en débarrasser.
Il encombre toute la planète. Il la perfore de ses racines.
Et si la planète est trop petite. et si les baobabs sont
trop nombreux; ils la font éclater.
( ... )
"Je n'aime guère prendre le ton d'un moraliste. Mais le danger
est si peu connu ( ... ) que pour une fois. je fais exceptIon ~
ma réserve. Je dis:
"Enfants! faites attention aux baobabs 1"
ANTOINE DE SAINT-EXUPERY
Le Petit Prince
=9=============

_....
...
. ,
~_.
7
INTRODUCTION GENERALE

8
Quelles sont les:conditions qui sous-tendent l'emprise technique
sur la nature ?
- Quels sont leurs effets ?
- Et
plus particulièrement leurs impacts à l'égard des
civilisa-
tions
traditionnelles destabilisées par la rencontre
avec
les
modes de faire et de penser propres aux sociétés industrielles ?
Ces trois questions résument notre problématique d'ensemble.

9
La
technique est l'Enjeu du siècle comme l'indique le titre
d'un
ouvrage
de Jacques Ellul (1).
Et pourtant elle demeure la grande inconnue
de la culture contemporaine (-faute d'un discours unitaire et
systémat1que
.
1
sur
la technique-) d'autant Que ce qui s'est dit à son propos s'est
cgns-
1
titué
"en système de défense contre les techniques" selon les termes de G.
Simondon (2).
Prolifération "cancéreuse" (3),
et "misère" théorique
caractéri-
sent la technique dans la culture contemporaine.
Partout
présente,
la
technique se substitue au milieu
naturel,
notre
paysage et investit notre être corporel et
social,
qui
deviennent
comme l'écrit Philippe ROQUEPLO "imputables" non plus à Dieu mais à l'homme
fabricateur :
(1) Jacques EHul : La 'Technique ou l'Enjeu du siècle, Paris, Armand Colin,
1954.
(2) Gilbert SIMONDON : Du Monde d'Existence des Objets Techniques,
Aubier,
Editibn Montaigne, 1969, P. 9.
(3) L'-expression (est d'Ellul)~ sera explicitée dans
les
développements
ultérieurs.

10
f
,,1i
"L'omniprésence
de la technique évacue la religion au profit de
la politique" (1),
C'est-à-dire
au
profit
de l'effort pour soumettre
ce
"nouveau
pouvoir à un pouvoir supérieur et pour discipliner,
organiser,
socialiser
l'univers mécanique".
Î
En
regardant
autour de nous,
nous constatons sans
peine
qu'il
n'est guère d'aspects de notre vie qui ne dépendent d'une technique (contrôle
des naissances,
soins du corps et maitiise de la vie, avec à l'extrême, la
1
destruction possible de l'humanité par le feu nucléaire ... )
Mais cette présence massive et "obstinée" devient bourdonnante
et
glaciale,
elle équivaut à une absence de sens, si l'on ajoute que étrange-
ment ce phénomène essentiel de notre époque est celui sur lequel les philo-
sophes ont le moins raisonné.
Certes
les diatribes
ne manquent
se ramène
en
l'homme,
supposant que les objets techniques ne
humaine.
Cette attitude de rejet de la
loin de
la
tradition
philosophique
occidentale qui s'est
construite
autour
du
privilège accordé par les Grecs aux occupations libérales, c'est-à-dire
(1) Philippe ROQUEPLO
Penser la technique,
Paris,
Le Seuil,
1983, PP.
17/20.

11
1
propres aux hommes libérés des contraintes imposées par le travail sur
les
1
matériaux et par l'usage des instruments techniques.
Il Y a certes des textes célèbres de Platon,
d'Aristote et autres
penseurs
sur la technique (1).
Mais la référence à la technique comme
le
souligne
Monsieur
Franck TINLANC est plutôt utilisée pour mieux
éclairer
autre chose en jouant sur des affinités ou (plus généralement) des contras-
tes :
"Lorsque les pratiques sont évoquées (celles du
cordonnier,
du
cuisinier,
du
marin,
du
sculpteur)
c'est pour
mieux
faire
comprendre
ou de permettre de mieux évaluer ce qui est soit
de
l'ordre
de
la nature,
soit de l'ordre de la recherche
de
la
vérité
ou de la mise en oeuvre du bien dans la cité comme
dans
les vies individuelles" (2)
Mais ce qui est de l'ordre de l'action de transformation ne nat~re, de la
production des biens matériels, ce qui est de l'ordre de l'articulation des
gestes
engagés dans le corps à corps avec la matière est largement négligé
sinon omis.
La
prise
de conscience de ce vide théorique,
par
opposition
à
l'intérêt
porté à des activités théoriques dont on se plAit en
général
à
souligner
l'irréductibilité par rapport à tout souci d'application
prati-
"
que, a poussé Heidegger au milieu du vingtième siècle à soutenir qu'il
(1) V. Annick CHARLES: "De quelques célébrations grecques de la Techné" in
Cahiers STS ND2, édition du CNRS.
(2) F.
TINLAND :~Le développement technigue et Les systèmes technologiques
: . moyens,
défis,
destins:' Conférence prononcée à Ouagoudou, Décembre
1986.
..


12
revient à la technique une place philosophiquement focale
Cl)
Et il justifie cette position selon la logique suivante
"La
technique
arraisonne
la nature,
c'est-à-dire la
met
au
régime de la raison qui exige de toutes choses qu'elles
rendent
raison, qu'elles donnent raison" (2)
C'est donc une sorte de défi à la nature
rends-moi cette raison
qui
est en moi et avec laquelle tu as un rapport
Il ne s'agit donc
pas
seulement d'opérer sur la nature en se servant d'elle.
"Aussi
longtemps
que nous représentons la technique
comme
un
instrument,
nous restons pris dans la volonté de la
maîtriser.
Nous passons à côté de l'essence de la technique" (3)
Cette
essence de la technique a un rapport immédiat avec
l'homme
et son appétit de sens. Ce n'est pas seulement'une aide matérielle que nous
sollicitons de la nature,
mais une aide métaphysique:
nous lui demandons
de
délivrer
sa
vérité,
sans laquelle notre existence
reste
pauvre
et
soumise.
"Quand
nous nous ouvrons proplrement à l'essence de la technique,
nous
nous trouvons pris de façon inespérée dans un appel
libérateur" (4).Le
sens est libéré, et l'homme le reçoit comme possibilité d'être là où il est
'dans un rapport à la fois naturel et poétique avec le lieu qu'il habite.
(1) Heidegger
"La
question de la technique" in Essais et
conférences,
Gallimard.
(2) Idem.
P. 26
(3) Idem.
p. 13
...
(4) Idem
P. 34

13
La technique selon cette perspective heideggerienne est donc
tout
autre
chose que la "la scierce naturellle appliquée"
elle manifeste
une
intenti6n fondamentale,
qui est de faire venir à la vérité l'être caché de
la nature.
G.
Simondon
dans
une perspective toute différente de
celle
du
philosophe allemand, soulig~ quant à lui que
"La
prise
de
conscierce
des
modes
d'existence
des
objets
techniques doit être effectuée par la pensée philosophique,
qui
se trouve avoir à remplir dans cette oeuvre un devoir analogue à
celui
qu'elle
a
joué
pour
l'abolition
de
l'esclavage
et
l'affirmation de la valeur de la personne humaine" (1).
Peut_ on
parvenir
à
une réflexion
d'ensemble,
qui
domine
le
fonctionnement
global
de
l'appareil
technique,
à
une
technique
des
techniques ?
Cela
exige
une philosophie qui ne semble par encore
disponible,
une nouvelle sagesse,
une nouvelle culture qU'évoque G. Simondon, et dont
il voit dans l'ingénieur d'organisation le porteur désigné.
Ce
qui précède implique l'urgence d'une
réflexion
philosophiquE
sur
la technique qui est "sommée" de se justifier en montrant que sa priSE
en considération donne à penser au philosophe comme tel,
au même titre qUE
ce
qu'elle
peut être objet d'étude pour le
sociologue,
l'économiste
et'
l'historien etc:
(1) G. SI~CNDCN
~ ciL, P. 9

- ._----- -~.
14
"Cette
exigeree de justification est d'autant plus
lourde
que
pour
la tradition philosophique dominante,
la technique est un
sujet
suspect.
Suspect
parce
que
méprisable
indigne
de
l'attention soutenue du philosophe et ne méritant surtout pas de
devenir
le centre d'une discipline philosohique au
même
titre
que
la philosophie du droit,
la philosophie des
sciences,
la
philosophie de l'histoire ou la philosophie du lan;]age" (1).
Cette
exigeree de justification passe inévitablement par une
ré-
flexion
sur
la technique non pas en tant que collection des
outils,
ma-
chines ou instruments de laboratoire ou liste des procédés pour prévoir
et
diriger la consommation,
mais en tant qu'elle se propose de savoir quelles
sont
les prireipales expressions des techniques,
quelles sont leurs co~é­
1
rences internes,
bref tout ce qui leur permet de "prétendre" constituerlun
système
autonome,
consistant,
référant d'un lan;]age dans lequel
l'homme
puisse reconnaître des signes et des repères qui lui permettent de
retrou-
ver ou reconquérir l'un des sens principaux de son existence.
En
d'autres
termes,
il s'agit de chercher à comprendre
comment
progressivement
tout en plon;]eant sa racine dans un "autre terreau que
le
"logos", l'univers des techniques a tracé
sa spécificité et une singularité
et
tend
à irrposer "durement sa loi à tout le vivant et à tout
le créé
(2) •

(1) G.
HOTTOIS:
Le signe et la technique: la philosophie! l'épreuve de
la technique. AUBIER, Edition Montaigne, 1986, P. 18.
--
(2) J. ELLUL : in Pr~face à G. HOTTOIS
~ cit., P.16

15
Il
découle
de
toutes ces considérations qu'il
faut
penser
le
développement technique en lui-même,
en révélant ses modalités internes de
développement,
les
interactions
avec
les autres dimensions
de
la
vie
humaine,
la
confrontation avec la diversité des conditions
offertes
aux
hommes
selon
l'histoire et la géographie afin de restituer aux
processus
techniques l'arrière plan qui permettrait à l'homme moderr~ d'en
maîtriser
le
cours et de déterminer des finalités précises qui cadrent bien avec son
plan de développement.

A quoi il faudrait ajouter que toute démarche pour être efficiente
1
en
vue d~ résoudre un quelconque problème posé à l'intérieur des
sociétés
modernes,
doit
s'inscrire dans la compréhension générale de la
technique
préalablement définie comme système.
En
nous
attachant
à
l'aspect
technique
et
technologique
du
développement,
nous
voulons
toucher
non
pas
seulement
des
variables
exogènes
mais
bien
la dynamique d'une civilisation caractérisée
par
le
"progrès" entendu comme domination technique de la nature et transformation
du monde selon les prévisions de BACON,
GALILEE,
DESCARTES etc ... D'où la
nécessité
de\\éfléchir le processus du développement
technologique,
pour
mieux analyser une "situation critique",
pratiquer une sorte d'archéologie
pour
retrouver les "strates" qui ont rerdu possible cette situation
avant
d'explorer ses conséquences pratiques.
Ces '~trates'se sont bien sûr déposées dans l'histoire,
et on
ne
peut
les
repérer
que
dans
le
jeu
de
leurs
contrastes.
Mais
elles

16
constituent
un socle toujours présent et c'est à partir de leur
actualité
qu'il faut les dégager.
Une telle démarche intègre nécessairement l'étude de la
formation
du monde occidental avec ses idéologies,
sa rationalité,
ses perspectives
sur
la
nature et la société avant de le confronter avec un des
problèmes
sur
lequel
se
joue
la
destinée des
sociétés
africaines
en
voie
de
développement :
Comment
intégrer l'indispensable apport des
techniques
issues
des
révolutions
industrielles et éviter à plus ou
moins
long
terme
la
désarticulation d'une société brusquement
confrontée
avec un autre univers culturel que le sien?
Il faut se rendre à l'évidence qu'un retour radical au mode de vie
traditionnel et à la culture autochtone n'est pas une solution sérieusement
envisageable
en
réaction
aux
effets
destructeurs
des
transferts
de
technologie effectués sans ajustements préalables.
La târ.he première c'est
1
de
préciser
les termes dans lesquels se pose une question à laquelle
les
solutions apportées sont et seront de toute façon irréversibles.
C'est
à partir de ces différentes données qu'il est
possible
de
réintroduire
un
point de vue normatif ou utopique.
Mais il
convient
de
signaler
que
l'utopie
ne change pas le monde si elle postule
le
retour
impossible
du passé;
elle peut néanmoins aider à défi~ir la vision
d'un
avenir autre,
si elle tient compte des "servitudes" du présent. La scierce
et la techni~e sont
notre
destin
et
nous
ne
pouvcns
rien
faire

17
qu'apprerdre à "orienter" la direction de leur progrès.
Le
problème
que nous posons (et dont la réponse peut
avoir
une
coloration normative) est celui de savoir :
quelles
sont les corditions d'un développement conciliant à l la
fois
l'efficacité technicienne et les exigences humaines sur le
.
ford
d'une
prise
en compte de
la
diversité
des
situations
locales.
Le
tout sous le signe des principes sur lesquels peut
s'appuyer une régulation de l'action politique?
Comment résoudre cette aporie?
- Nous
tenterons
d'abord dans un rappel historique
de
dévoiler
l'horizon
non-technique,
les
fondements non
techniques
de
l'expansion
technicienne,
avant de restituer l'ordre chronologique de l'asservissemert
de
l'énergie
et de la maîtrise de l'information en mettant en relief
les
moteurs des Révolutions Industrielles.

- Nous
prerdrons ensuite connaissance du monde technique dans sa
systématicité,
de son caractère hégémo~ique dans sa version contemporaine .

Il s'agira donc d'examiner les caractères systématiques de toute
technique
(et
pas seulement contemporaine) au sens où cela apparaIt chez
A.
LEROI-
GOURHAN, B. GILLE et G. SIMONDON entre autres, avant d'analyser l'avènement
du "système technicien" selon J. ELLUL.

18
C'est
à partir de ce travail conceptuel à faire sur la
technique
comme
système
et sur ses rapports avec d'autres systèmes
socio-culturels
que nous pourrons reprendre sérieusement
- la question générale des transferts de technologie, c'est-a-dire
d'importation
d'un
système
technique cohérent dans
un
ensemble
socio-
culturel qui est initialeme~t étranger à son histoire
- la question de la spécificité des technologies de
l'information
et de la communication ainsi que de leurs impacts sur les débats actuels en
matière de développement ;
- enfin
le
problème essentiel serait de savoir si
la
dynamique
universalisatrice
des
milieux techniques modernes est compatible avec
le
pluralisme culturel de son usage ou de son contrôle.
En
dl autres
termes
peut-il
y avoü
"une
voie" africaine
de
développement
et
de maîtrise des technologies sur la base du
respect
de
l'ipséité des cultures traditionnelles locales?
Nous
tenterons
de
progresser vers la ,réponse
à
ces
questions
(portant
sur
le
développement des techniques en prenant
en
compte
les
i
particularités
de l'informatique qui assure,
dans la voie du progrès, Ile
!
relai
de
la
ma!trise énergétique) à travers des
analyses
de
Positi1ns
diverses,
de
discours officiels,
des
idéologies
diffuses
et
d'argumentations développées par des théoriciens récents. Nous tâcherons de
..
le· faire,
sans perdre de vue l'apport des 17e,
18e,
1ge siècles et
les

19
descriptions données de la ci vilisation technicienne notamment par J. ELLUL,
G.
HOTTOIS,
G.
SIMDNDON ... etc, avant de prendre la mesure des problèmes
éthiques,
économiques
et politiques posés par la croissance technique
et
les
transferts
de
technologie en vue d'éclaircir
la
réalité
africaine
contemporaine
et d'esquisser quelques éléments de réponse à ce
qu'il
est
converu d'appeler "crise du sous-développement".
Cette
dernière
dimension
en
regard
de
son
caractère
,
"programmatique"
et "pragmatique"
pourrai t
présenter
éventuellement
unI
changement
de
ton par rapport à ce qui précède.
Cela est
à
mettre
au
compte
du fait que le passage de la formulation théorique aux propositions
de solutions "concrètes" n'est pas chose "aisée".
Toutefois,
nous
souhaitons que les propositions envisagées pOUl
sortir
de
la "crise" du sous-développement (dont nous ne doutons
pas
du
caractère souvent trop naïf) §oient à la mesure de notre enthousiasme et de
nos espérances:
l'avènement d'une Afrique indépendante et développée
par
la
maîtrise
des sciences et des techniques et qui participerait de
façon
effective
au
rayonnement de la civilisation technicienne
universelle
et
plarétaire.

20

PremiêI~ Par lli
lE DEVELOPPEMENT TECHNIQUE, LES SYSTEMES TECHNOLOGIQUES

21
l - RAPPEL HISTORIQUE
"Tant que la volonté de puissarce était naïve, dit admirablement
G.BACHELARD,
tant
qu'elle était
philosophique
elle
n'était efficace (pour le bien comme pour le mal) qu'à l'échelle
i ndi viduelle.
Mais dès que l'homme s'empare effectivement des puissarces de la
matière,
dès
qu'il ne rêve plus éléments intangibles et atomes
crochus,
mais
qu'il organise réellement des corps nouveaux
et
administre des forces réelles,
il aborde à la volonté de
puis-
sarce prouvée d'une vérification objective.
Il devient magicien
vér idique, démon posi ti f" . ( 1)
Ce
passage
de
la
volonté de puissarce naïve à
la
volonté
de
puissarce
"prouvée" qui transforme du tout au tout les rapports du savoir
au pouvoir,de l'homme à la nature,
a sans doute pris ses racines dans la
scierce antique.
Mais c'est seulement à partir de la scierce moderne qu'il
a
pu s'accomplir.
De cette transformation,
il convient de
rappeler
les
grandes
étapes,
si
l'on veut comprendre le sens de changement dont
nous
sommes nous-mêmes ercore les témoins.
Ce
qui
suit
ne peut être qu'un
exposé
rapide,
survol
plutôt
qu'enquête
délibérée,
se proposant non d'éclairer des points
d'histoire,mai~
i
de
délimiter l'horizon intellectuel à partir duquel les relations
homme-
nature
vont
connaître
un changement radical
à l'unité
symbolique
va
(1) G. BACHELARD, Le matérialisme rationnel, PUF, PARIS 1953, P. 5 .
..

22
l
succéder
un
monde
divisé où 14homme est séparé de la nature dont
il
va
découvrir les lois et lui imposer sa domination.
Les conséquences du comportement de l'homme moderne face à la
nature
ne
peuvent
être
bien
cernées
que
si
l'on
reconstruit
cette
philosophie "conquérante" qui se fonde sur plusieurs facteurs :
- la
capacité instrumentale définie comme la possibilité pour les
propriétés
naturelles
de
s·agencer SOus la main
de
l'homme,
en
modes
inédits de fonctionnement.
- L'aptitude à créer~ de par leur age~ement et le calc~l de leurs
effets, un nouveau "chez-soi", une nouvelle

demeure de l'homme.
- Enfin
la valeur de sublime au sens Kantien d'une
épiphanie
ou
d'une manÏjfestation d'un pouvoir irréductible à la nature.
Ces
trois dimensions de la Ures technica" se prêtent à une diversi Ü
d'accent
susceptible
de fonder une typologie des attitudes
techniciennes
spécifiées respectivement par le souci de l'efficacité combinatoire, par la
,.
prédominance de l'utile,
par la pure générosité créatrice.
Elles ne
sont
pas
dissociables
parce
qu 4elles
actualisent
dans
leur
diversité
fonctionrelle
un même "je puis" qui est simultanément puissance de
faire,
puissance d'avoir, puissance d 4être auto-réalisateur.

23
Ces trois pouvoirs,
où s'épanouit une même puissance, trouvent de
i
façon
explicite
les éléments de leur formulation philosophique
dans
les
pensées de BACON, GALILEE et DESCARTES ...
La rupture fondamentale qui consacre l'entrée de ces auteurs
dans
la
modernité affecte le rapport de l'homme à la nature et se manifeste par
une volonté délibérée d'étendre la domination de l'homme sur la nature.
L'ampleur
de ce bouleversement épistémologique
et
philosophique
sera rendue manifeste par l'évocation de son avant et son après.
Notre
projet,
étant,
non
seulement
de comprendre
comment
un
mouvement
historique
irréversible nous donne
aujourd'huj
une
puissance
technique
(1)
"effarante" que les références d'hier sont
impuissantes
à
"canaliser"
sinon
à
modérer,
mais aussi d'insister sur le fait
que
le
développement
technologique dans les "pays occidentaux"
s'est
accompagné
(1) Par puissance technique, il faut entendre (par anticipation) "tout à la
fois des niveaux d'énergie asservis, utilisables pour des opérations de
transformation
et
de
production par action
sur
des
matériaux,
le
recours
aux
dispositifs de commande et de contrôle,
reposant sur
le
traitement
de
l'information,
la diversification des procédés
et
de
leurs effets, l'utilisation corrrne matières premières de "choses" jusque

réputées
indifférentes
ou
encombrantes,
l'extension
du
champ
d'intervention
humaine
à la fois du côté de l'immense et du
côté
de
l'infime.
A cette liste,
... il faut ajouter l'accumulation des sous-
produits, déchets inutilisables, souvent nocifs, dont il convient de se
débarasser ... ".
F. TINLAND :
"La technique corrrne transformation
L'existence corrrne coexistence
La réalisation des possibles corrrne responsabilité".
(article à para!tre) .
..

24
d'une évolution culturelle (conception de la nature, de l'homme ... etc) qui
s'est
effectuée
depuis
plus de trois
siècles
structures
sociales,
mentalités
se
sont
ajustées et ont soutenu l'effort de
maîtrise
de
la
nature
(avec
cependant
des résistances par
exemple
tout
le
mouvement
romantique) .
C'est ce co-développement techniques-cultures qui fait de ce déve-
loppement des "moyens" "quelque chose d'endogène", et en même temps, c'est
ce
qui fait que tout transfert de savoir et de savoir-faire entraîne
avec
lui
des représentations touchant aux rapports fondamentaux des hommes à la
1
nature, à leurs semblables, au temps, aux institutions etc ...
Cet enracinement de la technique dans l'épaisseur socio-culturelle
doit être pris
en corrpte dans toute tentative "d'appropriation".
C'est là
une des raisons
majeures de ce "rappel historique".
Î

'.
25
A - DE L'ANTIQUITE GRECQUE AU RATIONALISME MODERNE
SURVOL HISTORIQUE ET CONSTAT D'UNE RUPTURE
La science moderne et la technique qui en dérive ont placé l'homme
devant
une
situation
radicalement
nouvelle.
La
radicalité
de
cette

nouveauté
ne
résulte
pas seulement
de
l'accélération
vertigineuse
du
progrès
technique qui permet la domination totale de la nature;
elle est
liée
à
une
volonté
de puissance;
volonté
qui
inspire
une
attitude
conquérante et qui est au coeur même desiprincipes de l'époque moderne.
Certes
l'homme
a
toujours cherché à dompter
la
nature
les
origines de la technique se confondant avec celles de l'humanité selon
les
résultats des recherches. des
géologues
anthropologues et historiens ... (1)
Mais
pour autant que cela puisse être vrai,
il faut
reconnaître
que
l'ampleur
des
moyens mis en oeuvre par l'époque couvrant
les
trois
derniers
siècles,
donne
à
cette notion de
conquête
une
signification
nouvelle.
(1) Dès
que
l'homme
amorce le processus
d'hominisation,
processus
qui
commence avec l'outil,
il est déjà homo faber. Il faut ajouter que les
grandes
civilisations
historiquement connues ont apporté
chacune
un
ensemble
de
procédés sans cesse plus perfectionné
et
les
premières
machines motrices.
Pour
amples
informations
voir:
"les origines
de
la
civilisation
technique" in Histoire Générale des Techniques, Cdlection publiée so~
la directio~ de Maurice DAUMAS. PUF, 1967., Tomp. J.

26
Il
est possible de reconstituer brièvement les grandes étapes
de
~,
l'ascension
humaine" vers la maîtrise de la nature en prenant comme repère
l'antiquité
grecque
pour
marquer
la
nouveauté
de
la
révolution
épistémologique opérée par GALILEE, BACON et DESCARTES ...
Les
Grecs
avaient
une
conception
dualiste
du
savoir
ils
distinguaient d'un côté la théoria contemplative et de l'autre la pratique.
Mais
le
propre
de la mentalité grecque n'était pas d'avoir
opéré
cette
distinction,
mais plutôt d'opposer les deux entités et de les placer
dans
une
hiérarchie privilégiant l'une (la théorie) sur l'autre (la
pratique).
C'est ce que AJ:CROMBIE tente de mettre en lumière lorsqu'il écrit:
"la
pensée scientifique grecque conserva comme
caractérisque
de
s'intéresser
en
premier
lieu à la connaissance
et
à
la
compréhension
et
de
façon secondaire
seulement
à
l'utilité
pratique" (1)
Le
primat
accordé
à
la compréhension
et
à
la
contemplation
entraîne un certain mépris pour les activités pratiques.
Souvenons-nous du
passage
où PLATON déclare,
après avoir reconnu les services insignes
que
l'artisan rend aux cités en contribuant à leur défense:
"Malgré cela tu le méprises, tu fais fi de son art, volontiers tu
lui
jetterais
le nom de son métier comme une injure et
tu
ne
voudrais
ni donner ta fille à son fils,
ni accepter la
sienne
pour toi". (2)
(1) A~CROMBIE : Histoire des Sciences de Saint-Augustin ~ GALILEE.
PUF, PARIS, 1963, Tl P. 5.
(2) GORGIA,
512 C, Traduction CROISET, Edition "Les Belles Lettres". 1923,
P. 204.

27
PLAT()\\J
lui-même n'était pas en marge de ces
considérations,
car
selon lui l'exercice d'une profession mécanique empêche l'homme de
remplir
ses
devoirs véritables;
il est inspiré par la seule recherche des
biens
matériels.
"Le désir de richesse,
constate PLAT()\\J dans les Lois prive tout
notre
temps de loisirs et nous empêche de nous occuper de
tout
ce
qui n'est pas notre propriété personnelle;
suspendue à ces
biens,
l'âme
de· tout citoyen serait absolument
i~apable
de
donner
ses
soins à tout ce qui n'est pas le
gain
journalier.
Toute
connaissa~e
ou
toute occupation
qui
s'y
rapportent,
chacun,
de son côté,
est prêt à étudier ou à les exercer
avec
empressement; toutes les autres, il s'en moque."
"Voilà
la
seule et unique cause

dé!fqu' aucune ci té ne
veut
se
donner de mal pour les scie~es,
ni en général,
rien de ce qui
est
beau
et
bon
;
par suite de ce vorace
appétit
d'or
et
d'argent,
tout
homme
est prêt à employer
indifféremment
les
moyens et les procédés les plus beaux et les plus honteux, s'ils
doivent le rendre plus riche",.
1
La noblesse de l'idée,
pour ainsi dire, qui reflète la perfection
du cosmos s'oppose au caractère vil d'une action sur la matière, action qui
d'ailleurs présuppose une réalité imparfaite et inachevée.
On
raconte
même
à
ce sujet que
PLATON
s'était
fâché
contre
ARCHYTAS
et
EUDOXE
qui
avaient
tenté
une
application
co~rête
des
mathématiques (1).
(1) "PLUTARQUE
mus
a raconté comment PLAT()\\J se fâcha contre ARCHYTAS
et
EUDOXE
qui
avaient
entrepris
de
résoudre
certains
problèmes
géométriques
comme
celui
de
la
duplication
du
cube
à
l'aide
d'appareils
mécaniques.
S' étant,
PLAT()\\J, c,ourroucé
à
eux
en
leur
maintenant
qu'ils
corrompaient et gâtaient la dignité et ce
qu'il
y
avait
d'excellent
en la géométrie en la faisant descendre des
choses
... /

28
Pour
PLATON les Mathématiques devraient demeurer abstraites
sans
application empirique, c'est là une condition nécessaire et suffisante pour
J
qu'elles permettent d'élever l'homme vers les essences archetypales.
Sous
sa
forme abstraite "La géométrie,
nous dit PLATON,
attire l'âme vers les
choses
d'en
haut (2).
D'où le mépris de tout ce qui est
manoeuvrier, ou
artisanal
car tout cela porte honte et déforme l'âme en même temps que lle
corps
autant qu'il empêche l'homme de remplir ses devoirs véritables;
il
est inspiré par la seule recherche des biens matériels (cf
La République
et ses 3 classes).
- - - - - - -
ARISTOTE dans le Politique,
n'est pas moins formel:
le
travail
est
avilissant
et ne saurait être accompli que par
des
esclaves.
C'est
d'ailleurs là la justification de l'esclavage. Ce n'est qu'en supprimant le
travail qu'on pourrait supprimer la condition d'esclave.
"L'esclavage
cesserait d'être nécessaire si les navettes et les
plectres pouvaient se mettre en mouvement d'eux-mêmes". (3)
(1) intellectuelles et incorporelles aux chose~ sensibles et matérielles et
lui
faisant
user
des matières,
où il faut
trop
vilement
et
trop
bassement
employer l'oeuvre de la main: depuis ce temps là, dis-je,
la
mécanique
ou
art
des
ingénieurs vient
à
être
séparée
de
la
géométrie,
et
étant longuement tenue en mépris
par
les
philosophes
devint un des arts militaires.
Cf.
Alexandre
KOYRE
= Etudes d'Histoire de~la
pensée
philosophique
PARIS, Gallimard, 1971, P. 319/320.
(2) PLATON'
:
La République. traduction et notes Dar R. BACON, PARIS. G.F.
1966) 527a 527e.
(3) "S'il
pouvait
suffire
d'un
ordre
ou 9' un. signe
pour
que
chaque
instrument
accomplisse
son travail,
les architectes
n'auraient
pas
besoIn d'ouvriers. ni les maîtres d'esclaves".
ARISTOTE,~Politigue, l, 4.

29
La
vraie science est contemplation c'est-à-dire
vision
purement
intellectuelle des réalités qui sont au-delà du monde sensible.
Cette
science
qui consiste à contempler est !éservée aux "hommes
libres"
qui
font
oeuvre
"libérale",
alors que la technique est
le
propre
des
artisans,
qui font oeuvre "servile".
Et comme la technique est au-dessous
de
la
science,
l'artisan
est au dessous de "l' homme
libre"
qu'est
le
savant.
Ce
préjugé social,
on ne saurait trop rappeler de quel poids
il
pesait alors sur la science, il explique en tout cas le mépris ou le dédain
dans
lequel
l'Antiquité tint la mécanique,
la science
des
machines
et
l'oeuvre
des
rares
savants
qui aient rêvé
d'une
science
mécanicienne
agissant
sur la nature pour la transformer (1).
Cela revient en
d'autres
termes à dire que la prééminence de la contemplation sur l'action constatée
chez
les
grecs,
à
travers les philosophies
de
PLATON
et
d'ARISTOTE,
transparaît dans leur conception du rapport de l'homme à la nature.
En
effet,
en accordant le primat à la contemplation, le grec se
saisi t plutôt comme un être contemplati f
de ce fait d'être au monde
par
la
contemplation,
toute
intervention
pouvant
"bousculer"
la
nature,
"l'altérer. .. "
est considérée comme une action contre-nature.
Car dans ce
cas il s'agit de la tromper afin d'obtenir d'elle des merveilles.
(1) Voir en particulier:
P.M.
SCHUL,
Machinisme et Philosophie Nouvelle
Encyclopédie Philosophique, pur, 1969, 7e Edition.
et. Robert Lenoble
l'origine de la pensée scientifique
moderne
;
l'héritage
médiéval dans Histoire de la
Science,
pleiade
Gallimard,
1957, PP,. 375-378.

30
Dans
les questions mécaniques (1),
il est clairement affirmé que beaucoup
de
choses merveilleuses se produisent selon la nature alors
que
d'autres
contre
nature
(Para-physin)
sont les produits de la
technique
pour
le
bénéfice des hommes.
Quand
la nature s'avère contraire à ce qui nous est
utile,
nous
réussissons
par artifice,
à acquérir sur la nature ce qui justement
nous
dominait
en
elle.
Tel est en effet le point capital où ARISTOTE fait
la
différerce entre "mouvement naturel et mouvement violent" et c'est à partir
de cette différerciation, qu'il lie la technique au mouvement violent (pour
autant
qu'elle
ne se borne pas à aider la nature à combler
ses
lacunes
comme le fait la médecine ou l'art médical).
Si
la nature subit sans réagir les transformations qu 1 on peut lui
!
imposer,
il n'empêche que souvent les dieux (et la nature) peuvent l se
venger
des vexations endurées et punir les audacieux qui,
par démesure ou
orgueil, outrepassent les limites de l'acceptable.
C'est ainsi que la chaleur du soleil fait fondre significativement
la
cire
des ailes d'Icare ou que les calamités
s'abattent
pendant
leur
travail sur les habitants de CNIDE, punis pour avoir voulu transformer leur
presqu'Ile en une Ile au moyen du percement d'un canal.
1 . '
(1) ARISTOTE
:
questions mécaniques,
847,
a.b·(voir le
texte
critique
établi par W.S.
HETT,
in ARISTOTE minor Works, London cambridge Mass,
1955, PP. 330-599.


31
Pendant les travaux, des éclats de pierre blessent continuellement
les
ouvriers
surtout aux yeux au point qu'on doit recourir à l'oracle
de
Delphespour connaître les raisons de la colère divine. Et la pythie répond:
"ne
forti fiez
pas l'isthme et ne creusez pas
de
canal,
car
Zeus, s'il avait voulu aurait fait de votre pays une île" (1).
Cette idée est d'autant plus intéressante qu'elle est à mettre
en
relation
avec
l'idée
d'un cosmos au sens fort du terme,
avec
ce
qu'il
implique d'ordre divin des choses. Cet ordre vaut par soi et par conséquent
il est fou ou impie de vouloir le déranger.

La construction des machines (comme toute altération importante de
l'équilibre entre l'homme et la nature) apparaît fondamentalement comme
un
piège
tendu
à
la
divinité
pareil au vol du feu
réalisé
par
le
rusé
PROMETHEE. 1
L'évocation
du
mythe de PROMETHEE est
intéressante.
Elle
nous
permet de comprendre que même si l'histoire de PROMETHEE exalte le
progrès
humain
et
qu'elle en rend évident le caractère inéluctable
elle
n'en
tradui t
pas
moins
l'effroi
arcestral
de
l' horrvne
devant ses
propres
créations.
Le
châtiment qui frappe le contempteur des dieux rappelle
que
toute oeuvre humaine semble entraîner une transgression de l'ordre divin et
qu'à ce titre elle peut être sacrilège et source de maux.
(1) ~erodote, l, 174.
Il
convient aussi de noter que la première grande oeuvre technique est
faite pour tromper dans l'histoire grecque:
c'est le Cheval de TROIE,
dO à l'artificieux ULYSSE.

32
Victime
des
Dieux
pour
avoir
voulu
être
le
bienfaiteur
de
l'humanité,
PROMETHEE
devrait
au
moins
pouvoir
compter
sur
la
reconnaissance
éternelle
des
hommes,
or les Grecs le rangent parmi
les
titans,
forces aveugles et le plus souvent néfastes.
PLATON justifie cetlE
apparente ingratitude en précisant que la découverte du feu,
quelque utile
qu'elle
soit
au genre humain,
est du seul ressort de la vie
matérielle.
L'entreprise de PROMETHEE pour libérer l'humanité de la servitude se
solde
par un échec,
puisque la loi morale,
seul garant d'une liberté véritable,
continue
à rester entre les mains de ZEUS dit HEGEL avant d'ajouter que le
martyre
de PROMETHEE met en pleine lumière les
conséquences
douleureuses
d'une libération manquée. (1)
(1) C'est
de cette ambiguité du mythe de PROMETHEE que HEGEL tire argument
pour
nous
prévenir
contre
une
conception
tronquée
de
l'activité
humaine:
distinguant dans l'effort multiforme de l'époque moderne une
double
sollicitation
dont l'une consiste à soulever la matière
à
la
hauteur de l'esprit humain,
alors que l'autre aboutit à écraser
l'es-
prit
humain
sous le poids d'une matière inerte,
HEGEL est conduit
à
poser à l'homme moderne la question suivante:
la civilisation techni-
cienne s'épuise -t-elle
dans
l'effort "titanesque" qui
le
borne
à
1
rechercher
la satisfaction des besoins matériels de l'homme
dans
les
limites
tracées par la nature,
ou bien doit-elle tendre vers l'effort
"héroIque"
qui,
au
bout d'un pénible
mais
magnifique
cheminemebt,
permet
à l'homme de dépasser la nature,
en substituant à l'ordre
des
choses tyranniques un monde de l'esprit où règne la liberté?
Nos
développements ultérieurs et notre analyse de l'état actuel de
la
civilisation technicienne se proposent de répondre à cette question.

33
On
comprend comment cette préeminence de la contemplation
sur
la
pratique dans laquelle tout le monde s'accorde à voir le propre de l'esprit
grec,
se
trouve renforcée et soutenue par la supériorité de la nature sur
l'art
ou
la Mechané qui ne peut que
limiter sans jamais atteindre
à
sa
perfection.
On comprend dès lors que, pour les Anciens, toute création humaine
ne
peut
être qu'une imitation plus ou moins bien réussie
de
la
nat~re.
L'esprit
lui-même
ne
s'y trouve pas engagé.
Loin de se
manifester
par
l'activité
des
hommes,
il demeure drapé dans la dignité hautaine
et
le
détachement serein de l'idée.
La philosopie de PLATON (1),
comme celle de
ARISTOTE,
quelles
que soient par ailleurs
leurs
divergences,
postulent
toutes deux que le propre du souverain principe est l'inaltérabilité. Quant
au changement, il appartient à l'essence des êtres inférieurs qui n'ont pas
encore
atteint la perfection de l'Idée et il n'est souhaitable que dans la
mesure où il est orienté avec l'immuabilité.
(1) Certes, il y a poi~ beaucoup de chdses à dire sur cette "mimesis" chez
PLATON ••.
y compris en ce qui concerne la supériorité de l'artisan sur
l'artiste#
dans
la République (à propos du lit),
mais pour ce rappel
historique, nous nous limiterons à ces grandes lignes.

34
B- VERS UNE MENTALITE NOUVELLE : LE PROJET D'UNE SCIENCE
(COMME THEORIE ET COMME ACTION) EN VUE DE
LA DOMINATION DE LA NATURE

La
science
vise
à
étendre
notre
connaissance
et
notre
compréhension de la nature .. Cette assertion banale n'est problématique que
si
on
l'invoque
pour
faire de la
science
une
activité
détachée
des
préoccupations de ce monde et qui,
pour ne viser qu'elle même,
ne devrait
rien ni ne servirait aux autres activités humaines.
"L'idée
d'une science qui se défend d'être utile à la
société,
qui
fait du chercheur un homme que sa curiosité et ses intérêts
enferment dans la fameuse tour d'~voire,
remonte à l'époque

la
science
n'avait
où surtout ne se préoccupait
d'avoir
une
prise sur la nature, c'est-à-dire l'Antiquité grecque (1).
La science qu'on appelle moderne, bien au contraire, s'institue ou
se
constitue
contre
l'idée
de la science
séparant
la
théorie
de
la
pratique.
Les
fondateurs
de
cette
science
avaient
la
conviction
et
l'ambition
de
faire
de
la connaissance un moyen d'actjon
en
liant
la
théoria
et la techné.
C'est tout une autre mentalité quj se développe
en
Europe dès la fin du Moyen-âge.
La "vita activ.a" de plus en plus prend
le
dessus sur la "vita contemplativa".
(1) Jean-Jacques SALOMON
Science et Politique - Edition du Seuil,
Esprit, 1970, P. 36 .
..

35
"le
fléau de la balance se redresse au pro fi t des termes
jadis
dépréciés". Mais le mouvement est lent, surtout à ses débuts "Le
mépris
des arts mécaniques et de l'activité nouvelle subsistera
longtemps.
Il ne s'arrêtera pas (net) aux portes de l'Antiquité
grecque" (1).
Les
auteurs
latins
se réclamant les
véritables
héritiers
des
penseurs
grecs
simplifient
à
l'extrême
cette
question
de
l' acti vi té
martJelle
de transformation de la nature.
La subordination
de
l' acti vi té
mécanique
à
l'activité spirituelle se traduit chez eux par le
mépris
du
travail
qui
donne
à
la
pensée
philosophique
le
plus
sombre
des
repoussoirs (2).
CrCERON affirme que "rien de noble ne pourra sortir d'une
boutique
ou
d'un atelier",
SENEQUE,
imbu de sa dignité
de
philosophe,
plaisante lourdement :
"honorer
le
travail maf\\Jel,
c'est faire croire au
cordonnier
qu'il
est
philosophe.
Et la philosophie n'a
pas
pour
tâche
d'enseigner aux hommes à se servir de leurs mains,
elle cherche
à former leurs âmes".
Le christianisme apporte une nouvelle dimension dans le rappor1 de
l'homme à la nature.
(1) Alexandre KOYRE : Etudes d'Histoire de la Pensée philosophigue
NRF Gallimard, 1971, P. 305.
Mépris,
qui
~ beau renvoyer à une hiérarchie des valeurs et des
fonctions
sociales
révolues,
on
le retrouve de nos
jours
dans
le
prestige
dont
bénéficie
le
chercheur
"pur"
par
apposition
à
l'ingénieur.
(2) Si
les
auteurs
latins prolongent
d'une
certaine
façon
l'attitude
contemplative
héritée
de
l'Antiquité,
il pe faut pas
pour
autant,
négliger l'importance de l'activité technique chez les
Romains.
Pour
prendre conscience de cette importance: voir l'értJmération des prouesses
techniques
établies
par
GILLE
relatives au parc
d'engin
de
cette
période occidentale .
..


36
D'une
part le cosmos des anciens est dépouillÎ à la fois de son
autonomie
puisque
le
monde est l'oeuvre de Dieu et de
son
éternité,
puisque
son
caractère
fini s'oppose à Dieu qui est infini,
d'autre part l'homme
créé
par
Dieu
ne fait plus partie intégrante du cosmos.
Dieu a placé
l'homme
face à lai nature,
en lui ordonnant de "s'assujétir la terre" "Ars
humana,
reflète et prolo~e la création divine, Ars divina". (1)
Ainsi le christianisme situe l'activité pratique de transformation
de la nature sur le plan de l'effort religieux destiné à rapprocher l'homme
de Dieu.
Jean SCOT ERIGENE
écrit au IXe siècle que dans l'homme sont unis
les deux extrêmes du monde créé,
le visible et l'invisible,
la matière et
l'esprit (l'âme).
Toutes choses se fondent dans l'homme médiateur que Jean
SCOT
ERIGENE appelle "le chantier de l'univers" (2).
L'homme n'est pas le
maître d'oeuvre, il est le chantier. C'est Dieu qui accomplit dans l'homme,
à
travers les hommes et l'histoire,
une harmonie construite à
partir
de
toutes les espèces créées. Unissant tout en lui, l'homme est le chantier où
Dieu
rassemble et synthétise l'univers global.
Sans doute l'homme
a-t-il
provoqué la dégénérescence du cosmos par le péché originel,
d'où, chez lui
un sentiment contraire à sa vocation de rassembleur, celui d'être exilé sur
terre
il
n'en
contribuera pas moins à achever la régénération
de
la
nature
en intégrant tout en lui cette valorisation spirituelle du
travail
(qui
reste cependant sans effet pratique).
La vie contemplative garde
sa
(1) ROMANO GUARDINI:
La puissance, essai sur le règne de l'homme. Traduit
par J.A. HUSTACHE , edition du Seuil.
.
(2) Le livre s'intitule
De Divisione Naturae,
ce qu'on
peut
traduire
par : les ordres de la Nature .
..

.~. '
37
supériorité
à
l'égard
de
la
vie
active.
L'essentiel
étant
que
les
préoccupations
de salut l'emportent de loin sur celles relatives à
la
vie
terrestre.
Ce à quoi il convient d'ajouter que le lourd héritage de l'Antiquité, ainsi
que
la
permanence de l'esclavage les inclinent aussi vers une
notion
du
travail
accordée
à
des rapports sociaux que des
nécessités
économiques
maintiennent pendant des siècles.
Saint Thomas d'AQUIN oppose les arts serviles aux arts libéraux
distinction qui se trouve dans la division entre Clercs et Laïcs. (1)
A un autre niveau,
celui de la chevalerie par exemple,
se trouve
l'idée
antique du travail indigne de l' homme libre;
"elle subsiste écrit
PIRENNE
dans la division (opposition) des arts en libéraux et
méCaniqU~S'
dans le mépris que les "médecins nourris d'enfance et de jeunesse es bonnes
lettres
d'humanités,
arts
libéraux
et
toute
espèce
de
philosophie"
professent
pour
les chirurgiens qui exercent un
art
mécanique
(2).
On
pourrait
ajouter
que
le
mépris
de la
noblesse
pour
le
commerce
et
l'industrie se traduit par l'interdiction de déroger.
(1) On sait la signification que PASCAL donne au terme de "divertissement":
c'est
une activité profane qui étourdit l'homme,
une illusion
d'agir
qui lui voile la réalité d'être.
.
(2) Sans
doute
mécanique
ne se confond plus avec servile,
mais
le
mot
s'oppose d'une part,
comme dans l'Antiquit~, à libéral, d'autre part à
noble.


38
Mais
parallèlement,
naissent et croissent les villes qui à
leur
tour donnent une impulsion au commerce et à l'industrie;
les corporations
s'organisent,
les
cathédrales
se
batissent,
les
techniques
se
perfectionnent
; "le collier d'épaule "qui permet d'utiliser à plein
la
force
motrice
du cheval fait son apparition ainsi que le
gouvernail
qui
transforme
les
conditions de navigation (au XIIIe siècle)
et
qui,
deux
siècles
plus
tard,
rendra possible la découverte de
l'Amérique
et
les
grands voyages d'exploration qui,
subitement élargissent la planète, donne
un essor aux énergies des hommes et déversent sur l'Europe les richesses du
Nouveau
Monde.
Un
peu plus tôt
les révoltes et les
guerres
auxquelles
s'ajoutent les famines et les épidémies,
prov~quent des crises,
réduisent
la
main-d'oeuvre
ainsi s'explique que le XIVe et XVe
siècles
avaient
recours,
dans une large mesure aux machines, à la force du vent et surtout
à celle de l'eau
qui sert désormais à broyer non seulement les grains mais
aussi à fouler les draps,
fabriquer le papier, à mouvoir les martinets des
1
forges ... etc.
La science commence à pénétrer peu à peu l'intérieur de toutes les
pratiques
purement empiriques
du moins les praticiens,
prétendent avec
plus ou moins de raison,
que leur art est gouverné par la
science.
Cette
union
entre
l'esprit
et la main est une certitude pour
Bernard
PALISSY
lorsqu'il fait dire à "Pratique" dans ses Discours.o
"Il
faut que tu sçaches que,
pour bien conduire une journée de
besongne, mêmement quand elle est émaiJlée, il faut gouverner le
feu
par
une
philosophie si soigneuse qu'il n'y
a
si
gentil
esprit qui n'y soit bien travaillé et bien souvent déçu. Quant à
la
manière
de bien enfourner il y est
requis
une
singulière
..

39
1
géométrie ...
Les
arts
auxquels sont
requis
compas,
règles,
nombres,
poids
et
mesures,
ne
doivent
estre
appelés
mecha nique"(1).
C'est dans le cadre de cette vision que Léonard de VINCI
proteste
énergiquement
contre le discrédit de la mécanique.
Dans une lettre
qu'il
adresse à Ludovic LEMORE il écrit:
"S'il faut les er.l croire, est mécanique la connaissance qui naît
de
l'expérience,
scientifique
celle
qui naît et
finit
dans
l'esprit.
Mais il me paraît à moi que ces sciences sont
vaines
et pleines d'erreurs qui ne sont pas nées de l'expérience,
mère
de
toute
certitude,
et
qui
ne
se
terminent
pas
par
une
expérience définie ...
La
science de la mécanique est de toutes,
la plus noble et
la
plus
utile...
La
mécanique
est
le
paradis
des
sciences
mathématiques,
car
avec
elle,
on
en vient
aux
fruits
des
mathématiques" (2)
B. PALISSY et Léonard de VINCI (3) sont les signes d'un changement
de mentalité et les initiateurs d'un intérêt nouveau pour la mécanique.
On
saisit dans leurs différents discours la tendance
nouvelle
à
dissoudre
l'opposition
théorie/pratique
et à réhabiliter
la
mécanique,
l'activité
de
transformation du donné naturel
en
produits
susceptibles
d'être
consommés.
En
d'autres
termes
ce
qu'ils
réclament
c'est
la
(1) Edition Fillon et Audiat, Tome II, P. 219.
(2) Textes reproduits par G.
SEAILLES,
Léonard de VINCI,
L'artiste et le
savant, - Paris, 1892, PP. 48, 204, 287, 349.
(3) Léonard de VINCI est un ingénieur,
un artiste·,
un homme de la praxis,
c'est-à-dire
un homme qui constitue des objets et des machines.
De là
vient
son attitude pragmatique envers la science qui est pour
lui
un
instrument d'action, plutôt qu'un sujet de contemplation.

40
substitution à l'attitude contemplative,
une conduite active, fabricatrice
et utilitaire.
Nous
arrivons là à ce qui constitue la singularité de la
science
moderne
la
rencontre
entre la théorie et
la
pratique
l'alliance
systématique,
entre
l'ambition
de
modeler
le
monde
et
celle
de
le
comprendre.
Le dialogue expêrimental avec la nature que la science moderne
se
découvre
capable
de mener de façon systématique ne
suppose
pas
u~e
observation passive, mais une pratique.
L'enseignement des porte-paroles, de l'esprit nouveau qui anime la
naissance
de
la bourgeoisie,
prévaut déjà (avec la reprise de
tradition
hermétique)
dans
l'idée de la grandeur et de la dignité
de
l'homme
qui
reprend
après
la chute,
le pouvoir ou la nature que Dieu lui
a
confié.
"Vice-Roi" du Très-haut, il est alors en droit de torturer la nature, de la
mettre
sur
un chevalet pour lui faire confesser ses
secrets.
La
nature
devient donc propriété de l'homme (second propriétaire).
L'orgueil
intellectuel
que l'homme a emporté
du
paradis
perdu
n'est
plus tenu en brassière.
MILTON estime que c'est parce que l'homme a
été
chassé
du
paradis qu'il peut obtenir
le. salut.
L'exhortation
que
l'archange
Michel adresse à Adam résume l'aspiration de l'homme
moderne ..
"ajoute
maintenant
au savoir l'acte et tu ne regretteras pas
le
paradis
puisque tu portes en toi-même un paradis d'une félicité bien plus
grande".
1
Désormais l,'homme entreprend de développer l'ambition de posséder le monde,
1
en
conquérant l'espace,
en s'emparant du mouvement et en domestiquant
le
..

J.
41
temps lui-même. Le cosmos éternel et immuable se transforme progressivement
en
un
monde
auquel l'homme irrçJose ses normes.
L'art de
la
renaissance
témoigne de cette exaltation de la volonté humaine qui trouve en
elle-même
sa
raison
d'être et sa propre fin.
La perfection du
nombre
d'or,
loin
d'enchaîner l'artiste, lui permet d'exprimer la puissance de l'homme qui en
dispose pour sa plus grande gloire.
Le
Pouvoir
des
hommes s'affirme sur la
nature.
Il
n'est
pas
question de se révolter contre-elle.
Mais si l'homme lui obéit, c'est pour
mieux la maîtriser, s'il se soumet à ses lois, c'est pour mieux l'asservir.
1
L'harmonie
est
brisée
dans la vision du monde qui
donne
à
la
nature
sa totale indépendance.
Des courants divers vont y collaborer mais
la
cassure
s'opère avec F.
BACON qui ouvre l'ère de la
science
moderne
lorsqu'il proclame dans Cogitata et Visa.
"Il
est certain que la science seule consti tue la puissance
de
l'homme.
Il peut,
en effet, autant qu'il sait, il n'y a pas de
forces qui puissent briser la chaîne des causes
naturelles,
i l
n'y
a
pas
d1 autre
moyen
de
vaincre
la
nature
qu'en
lui
obéissant" (1).
Il
est certes vrai pour BACON qu'on ne peut commander à la nature
qu'en lui obéissant, mais c'est seulement lorsqu'elle s'est offerte à notre
(1) F. BACON: Cogitata-~ Visa
Spedding, Ellis, 2e Edition 1887-1892.
Londre, Tome III. PP. 610-611.

42
connaissance.
On
se
rend compte cependant de façon plus claire,
que
la
nature ne peut être bernée, et que même lorsqu'on la gouverne, on se plie à
ses préceptes.
Du coup la distinction aristotélicienne entre mouvement violent et
mouvement
naturel
perd de sa signification.
Le concept
de
ruse,
jadis
rattaché à la "mechané", au sens sophistique du plus faible qui prévaut sur
le plus fort,
vient à décliner: on se sent suffisamment fort pour traiter
d'égal
à
égal avec la nature et suffisamment instruit de
ses
lois
pour
pouvoir les seconder afin d'en tirer avantage.
Pour
BACON,
la
plus grande justification de la science est
son
utilité, puisqu'elle se définit comme pouvoir. Non pas qu'il faille tourner
le
dos à l'activité théorique sur laquelle se fondait tout entièrement
la
science
des
anciens,
il
s'agit
plutôt de
réconcilier
la
théorie
et
l'action.
Certes
BACON met l'accent sur les "ressources technologiques"
du
1
savoir qui se fait "le serviteur et l'interprète de la nature" (1) maiS.[la
science
qu'il
entrevoit ne se réduit pas pour autant à l'application
des
arts
pratiques dont son programme entend assurer la légitimité contre
les
attitudes médiévales.
(1) Instauration MAGNA, fine.

43
Commentant de façon judicieuse la pensée de BACON, A.C. CROMBIE ne
peut s'empêcher de souligner
"Les
fruits
et
les
oeuvres sont comme
les
garants
et :les
cautions de la vérité des théories. Ainsi la vérité et l'utilité
ne
sont
qu'une seule et même
chose.
Et
si
l'exécution, lla
pratique,
doit être plus estimée que la simple spéculation,
ce
n'est
pas
en tant qu'elle multiplie les commodités de la
vie,
1 :,
mais
en tant que les utiles applications sont comme
autant
de
gages ou de garantie de la vérité". (1)
Le
but
de
BACON,
est
pour ainsi
dire,
non
pas
la
science
spéculative
mais
la
puissance sur la nature.
Le
frontispice
du
Novum
organum
(1620)
de Francis BACON,
montre
deux navires franchissant
les
colonnes
d'Hercule
(par
quoi les Anciens désignaient le
bout
du
monde
connu) du Détroit de Gibraltar et voguant,
toutes voiles dehors,
vers
le
largei symbolise le nouveau monde intellectuel dont il ouvre les portes
et
dont il a parfaitement conscience d'être le Christophe Colomb;
ce nouveau
monde doit réaliser la conjonction de la puissance,
de l'expansion,
de la
contemplation
et
de l'action,
qui seule permet de vaincre la
nature
et

l'asservir aux fins de l'homme.
Synthétisant
la
pensée de F.. BACON,
Emile BREHIER la
présente
ainsi

"Le
Novum organum a donc même dessein extérieur que l'ancien
la connaissance des formes ou essences,
en partant des faits au
moyen de l'induction. Mais il se vante de réussir là où ARISTOTE
a échoué,
de plus il fait de la connaissance des formes non pas
la
satisfaction
d'un besoin spéculatif mais le
prélude
d'une
opération pratique" (2)
(1) Op. cit. P. 495.
(2) Histoire de la philosophie
Tome 2, Fascicule 1, 17e siècle, PUF.
PP. 28-2~.

44
GALILEE et DESCARTES :

PERSPECTIVES EPISTEMOLOGIQUES ET TRANSFORMATION
DE LA NATURE
Cette
conception
d'une science militante et utilitaire (en
tant
que source de pouvoir) se consolide dans les perspectives
épistémologiques
de GAULEE.
GAULEE pose les conditions "pour pénétrer au plus profond" de
la
nature.
Il
y parvient en mettant en place la mathématisation
de
la
nature par l'entreprise d'une nouvelle pensée du mouvement.
En
calculant
la loi du mouvement
parabolique
des
projectiles,
GALILEE
arrive
à miner l'opposition fondamentale introduite par
ARISTOTE
entre mouvement naturel et mouvement violent.
Il aboutit à la jonction des
mathématiques et de la physique,
à la physique mathématique qui évince
la
physique aristotélicienne. La physique en devenant une science mathématique
va sans cesse dépouiller le monde de tout résidu magique. La conviction des
fondateurs
de la science moderne va plus loin.
Ils pensent (à l'instar de
GALILEE)
la
science comme capable de découvrir la vérité
globale
de
la
nature.
Non
seulement
la
nature
est écrite
en
langage
mathématique,
déchiffrable par l'expérimentation,
mais ce langage est unique:
le monde
est homogène.
C'est fort de ces données,
que GALILEE peut avancer que
la
nature
est transparente et peut être exprimée comme telle.
Les phénomènes
simples, que la science étudie, peuvent dès lors livrer la clé à l'ensemble
de la nature dont la complexité n'est qu'apparente .
..

45
Le
divers, pour ainsi dire, se ramène à la vérité unique des lois
mathématiques,
lesquelles
lois permettent la prévision qui permet
d'agir
sur
la
nature en la maîtrisant.
C'est ce que HUSSERL a bien
perçu
chez
GALILEE lorsqu'il qualifie la démarche intellectuelle de ce dernier en
ces
termes :
"Grâce
à la mathématique pure et à l'art pratique de la mesure,
on
peut former pour tout ce qui est ...
extensionnel
dans
le
monde
des
corps
une
anticipation
inductive
d'une
nature
entièrement nouvelle, à savoir: on peut "calculer" chaque fois,
à
partir des données - de forme que l'on possède et que l'on
a
mesurée,
celles
qui
sont
inconnues
et
ne
seront
jamais
accessibles
à
la mesure directe,
et cela avec
une
nécessité
contraignante". (1)
Le
rationalisme réalise ainsi la victoire définitive et le
désir
d'une connaissance certaine de la nature devient le but scientifique final,
comme on peut le voir chez GALILEE, ~herchant à découvrir la véritable struL-
l
ture du monde physique,
découverte assimilée à la :
"Lecture
du
vrai
livre
de
la
nature
dans
un
langage
mathématique".
Avec
GALILEE est donc esquissé un nouvel esprit
scientifique
et
une véritable philosophie mécaniste de la nature. (2)
(1)
HUSSERL
:
La
crise des sciences européennes
et
la
phénoménologie
transcendantaTë, trad. G. GRANEL, Paris. Gallimard, 1976, P. 38.
(2) Voir à ce sujet Cahiers S.T.S. N° 7 : "L'esprit du mécanisme".
La métaphore de machine, le mécanisme c'est la condition qui consiste à
dire
que tous les objets sont des machines.
Le ciel est une sorte
de
grande
machine
qui
permet aux planètes de
tourner
selon
certaines
..
... /

46
Il
faut
par ailleurs souligner que la métaphore de la machine
a
aussi une connotation économique. C'est ainsi que pour GALILEE, la ruse des
machines
ne
consiste
plus à suspendre la légalité de la
nature
mais
à
l'utiliser à des fins économiques en profitant d'une énergie à faible
coût
et en diminuant l'effort humain:
"Avant
d'entreprendre
la
spéculation des
instruments
de
la
mécanique,
il
faut remarquer en général les commodités et
les
profits que l'on peut en tirer, afin que les artisans ne croient
pas
qu'ils puissent servir aux opérations dont ils ne sont
pas
capables
et dire que l'on puisse lever de grands fardeaux
avec
peu de forces:
car la nature ne peut être trompée ni céder ses
droits,
et
nulle résistance ne peut être surmontée que par une
plus grande force comme je ferai voir ci-après". (2)
Les l .
OlS nature11es ne sont pas bou l "
eversees par la "
mecanlque
(3)
pour
réaliser l'utile propre.
La ruse consisterait à inventer des
prises
qui
s'adaptent
à la source d'énergie exploitable (de même que les
outils
doivent
s'adapter aux organes de l'homme ou de l'animal,
par exemple
aux
... / trajectoires;
les horloges sont des machines qui reproduisent (ou qui
prétendent
reproduire) l'ordre du monde.
De même les animaux sont des
machines,
des
sortes
d'automates compliqués dont
les
savants vont
inventer les modèles mécaniques. Comme par hasard cette métaphore de la
machine
s'est développée et épanouie dans une société où
les
techni-
ciens construisaient de plus en plus de machines,
période qui coincide
avec
l'avènement de la physique "mécanique" c'est-à-dire une
physique
qui
cherche
à
interpréter tous les phénomènes rationnels
comme
des
conséquences directes d'impulsion et de résistance.
(2) GALILEE : Les méchanigues, trad. française MERSENNE, PUF, 1966, P. 23.
L'essentiel
de
la
polémique de GALILEE est rédigé
contre
ceux
qui
recherchaient le mouvement perpétuel.
(3) Un
point
sur lequel insistera tout particulièrement
L.
CARNOT
dans
"Principes fondamentaux de l'Equilibre et mouvement, Paris, An 11 1803,
PP. 44-45.
..

1
47
1
mains
ou: au cou,
de même les machines doivent se conformer
à
l'énergie
1
naturelle qui les fait mouvoir, par exemple au vent, par le biais des ailes
de
moulin ou,
plus tard,
à l'eau au moyen des turbines et les roues
des
moulins à eau).
"La
troisième
utilité des machines est très grande,
parce
que
l'on
évite les grands frais et le coût,
usant d'une force inanimée ou
sans
raison,
qui
fait
les mêmes choses que la force des hommes animée
et
conduite
par le jugement comme il arrive lorsque l'on fait moudre
les
moulins
avec l'eau des étangs ou des fleuves,
ou avec un
cheval
qui
supplée
la force de 5 à 6 hommes.
Et parce que le cheval a une grande
force et qu'il manque de discours,
l'on supplée le raisonnement néces-
saire par le moyen des roues et des autres machines qui sont
ébranlées
par
la force du cheval et qui transportent ce vaisseau d'un lieu à
un
autre
et qui le vident suivant le dessein de l'Inférieur.
Or il
faut
conclure
de ce discours que l'on ne peut rien gagner en force que l'on
ne le perde en temps et que la plus grande machine consiste à
épargner
la
dépense que j'ai montré et conséquemment que ceux qui travaillent à
suppléer
la
force et le temps tout ensemble,
ne
méritent
nullement
d'avoir
du temps puisqu'ils l'emploient si mal comme l'on verra
à
la
suite de ce traité" (1)
Il
faut souligner que cette approche utilitaire de la machine est
d'autant
plus
compréhensible que GALILEE
était
lui-même
ingénieur,
un
praticien.
Il
prenait
des
brevets,
n'hésitait pas
à
écrire
sur
~es
(1) GALILEE : Les méchaniques, Op. cit. P. 24
.. -

48
fortifications militaires. Dans ses ouvrages il parle souvent de mouvement,
c'est
la "scieree noble",
la "mécanique rationnelle",
mais de très lorqs
développements
sont
consacrés
à une autre scieree bien
plus
proche
du
travail
technique
la
résistaree
des
matériaux.
C'est
un
symbole
fondamental : il prouve que chez GALILfE technique et scieree sont liées et
ceci au service de l'amélioration des conditions d'existeree matérielles de
l 'honme. (1).
l
DESCARTES s'insère dans cette tradition rationaliste et
mécaniste
et
participe en même temps à la nouvelle mentalité que nous venons de voir
apparaître soucieuse d'améliorer la condition de l'homme oar le
truchement
des techniques.
(1) C'est
en regard de ces considérations que George GU5DORF a pu écrire:
"La
Révolution
Galiléenne,
la
transformation
radicale
de
l'établissement
intell€Ctuel
de
l'homme
dans
le
monde
était
la
condition
de
possibilité de la révolution industrielle.
La
mutation
technique
est la fille de ce nouveau rapport au monde;
elle
met
en
oeuvre le nouvel instrument épistémologique élaboré par GALILEE ...
Les
catégories
modernes
de l'expansion et du
développement
s'inscrivent
dans
le
lointain prolongement de cette transfiguration de l'image
du
monde et de l'image de lthonme ; oeuvre décisive du siècle mécaniste".
La Révolution Galiléenne, Paris, Payot, 1969, Tome II, P. 485.
N.S. : Cette
pensée
de
GUSDORf
apporte
un
éclaircissement
à
notre
orientation
:
comment
lier
la réflexion sur
les
scierees
et
les
techniques
modernes aux
nouvelles
perspectives
du
développement.
Celles-ci
étant
elles-mêmes
des réactions à une
actualité
qui
est
scientifique
et technique.
Et ctest par là que nous montrerons
qu'en
s'attachant à la dimension scientifi~o-technique du
développement,
on
touche
à
la dynamique d'une culture caractërisée par le progrès au
sens ~e la domination de la nature et de transformation du monde .
..

49
A la lecture du Discours de la méthode,
nous découvrons chez lui,
l'ambition
de
livrer
à l'humanité un savoir nouveau,
apte
à
faire
de
l'homme
le
maître
de l'univers.
Qu'est-ce qui confère à ce
savoir
son
statut inédit et quelle conséquence en découle-t-il.
En
affirmant
l'universalité et le caractère opérationnel
de
la
raison,
DESCARTES rompt avec la scolastique et ,plus loin avec
l'Antiquité
grecque.
En effet, contrairement aux Grecs qui opposaient la théorie et la
pratique
et
dépréciaient
l'utilité
pratique,
DESCARTES
s'attèle
non
seulement
à
montrer
que
théorie
et
pratique
sont
des
entités
,
complémentaires
mais
aussi à réhabiliter la pratique
ce qui aura
pour
effet de placer l'homme dans une situation radicalement nouvelle à
l'égard
de la nature.
C'est
dans
les Regulae et les Principes de la philosopie que
se
trouve posé et résolu le problème du rapport entre théorie et pratique.
Pour résoudre ce problème,
DESCARTES se propose non pas de fondre
la
théorie
dans la pratique et inversement,
mais de veiller à
ce
qu'on
n'oppose
pas (par ignorance ou de façon délibérée) ces
deux
données,
ou

encore qu'on ne les sépare pas l'une de l'autre. C'est ce qui explique chez
DESCARTES son mépris pour les techniques aveugles (sans explication) et des
inventeurs qui,
faute de méthode, s'empêtrent dans l'illusion. A en croire
DESCARTES,
la
méthode en tant que théorie est un. antidote aux
illusions
notamment celles rencontrées chez ceux'qui

50
"étudiant la mécanique sans savoir la physique et qui fabriqL
au hasard de nouveaux moteurs" (1).
Dans l'esprit du philosophe,
il est inadmissible de concevoir
technique
véritable sans théorie,
une mécanique sans
physique
théori
car :
"toutes
les règles des mécaniques appartiennent à la
physiql
en
sorte que toutes les choses qui sont artificielles sont a
cela naturelles" (2)
C'est
"pourquoi,
nous dit DESCARTES,
i l faut avoir expliqué qlLeL
sont
les lois de la nature et comment elle agit à son ordinai
avant qu'on puisse enseigner comment elle peut être appliquée
des effets auxquels elle n'est pas accoutumée" (3).
Ce
qui est important dans ce passage,
c'est l'homogénéité
ent
les
lois de ce qui se produit naturellement et de ce qu'en font les homrr
en
ce
sens
que
d'une
pa~t ce sont elles
(lois)
qui
jouent
le

"d'opérateur" dans la synthèse mathématique/nature, et d'autre part ce so
elles encore qui rendent justement possible la transposition des
process
mécaniques
à
la
nature
dans son ensemble.
Mais
ce
couplage
~cienc
technique
ou
théorie-pratique,
cadre
dans
lequel
se
constitue
cet
naturalisation des artifices, ne saurait trouver en lui-même sa propre fil
( 1)
F.
ALQUIE
DESCARTES,
oeuvres ilosophiques,
Paris, G.F. 1963,
P. 315.
(2)
R.
DESCARTES
Principes de la Philosophie,
IX,
Edition
Adam
t
Tannery, P. 321.
(3 ) Idem II , P. 50.

51
Il
aura
pour vocation la maîtrise technique de la nature dans le
but
de
pourvoir aux besoins de l'existence humaine. Le célèbre passage du Discours
de
la
Méthode
expose en des termes plus explicites ce
que
nous
venons
d'avancer et mérite à ce titre d'être restitué
"sitôt que j'ai eLj acquis quelques notions générales touchant la
physique,
et
que,
commençant
à
les
éprouver
en
diverses
difficultés particulières,
j'ai remarqué jusqu'où elles peuvent
conduire
et combien elles diffèrent des principes dont on s'est
servi
jusqu'à
présent,
j'ai cru que je ne pouvais
les
tenir
cachées
sans p~cher grandement contre la loi qui nous oblige à
procurer
autant qu'il est en nous le bien général de
tous
les
hommes, car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir
à des connaissances qui soient fort utiles à la vie,
et,
qu'au
lieu
de
cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans
les
écoles,
on~eut trouver une pratique, par laquelle, connaissant
la force et les actions du feu,
de l'eau, de l'air, des astres,
des
cieux,
et
de tous les corps qui
nous
environnent
aussi
distinctement
que
nous connaissons les divers métiers
de
nos
artisans,
nous
les pourrions employer en même façon à tous les
usages
auxquels ils sont propres,
et ainsi nous
rendre
comme
maîtres et possesseurs de la nature." (1)
Cette
citation
rompt
de
façon
radicale
avec
la
science
et
l'éthique
médiévales dominées par la théologie,
et même avec
l'antiquité
grecque "jugée" contemplative.
En
dépit de la modération et de la prudence du ton,
DESCARTES et
1
ses
prédeqesseurs (BACON,
GALILEE, •.. ) avaient conscience que fixer
pour
but
à
la philosophie et à la science le bien-être
matériel
de
l'homme,
c'etait
vouloir opérer une véritable révolution par rapport à la tradition
(1)
DESCARTES
Discours de la Méthode,
in DESCARTES oeuvres et lettres,
biblioth~ue de la pléiade; Gallimard, Paris 1953, P. 168. --

,j
52
scolastique
et
donc
aussi
engager un combat
avec
cette
tradition
et
l'Eglise. Et ce combat fut mené sur deux fronts
_ Sur le front de la lutte contre la nature, il aboutit à considérer
la
nature
comme
extériorité donnée non seulement
à connaître,
mais
à
maîtriser. Le travail du savant consiste ,à transformer le monde ; la nature
entre
se~ mains n'est plus ~n livre dont on déchiffre les symboles mais un
automate dont les mécanismes sont manipulables. (1)
La
science
devient de ce fait le produit d'une exigence
vitale
à
tirer
parti du monde.
_ L'autre
front était celui de la société dans son ensemble et
des
croyances
établies
car
le
nouveau savoir correspondait
aussi
à
de
nouveaux
besoins socio-culturels,
au sens large du terme
les
savoirs
chrétiens convenaient à la société médiévale;
il fallait autre chose, une
nouvelle manière d'appréhender, de connaître, de dominer la nature.
Il
nous
parait
important de souligner ce
double
aspect
la
"révolution scienti fique" opérée par GAULEE et ses émules devait permettre
de
construire
plus rationnellement et plus efficacement les
canaux,
les
pompes,
les
canons et les machines utilisées plus tard dans
l'industrie.
(1)
Cette idée est bien restituée par Mr.
O1i vier REBOLIL canmentant Kant lor:
ouJil ~crit:. le monde· connu n'est pas un monde objectif mais un monde
utile,
manipulable en fonction de nos besoins. vitaux ... La science
.... ne nous donne pas la connaissance des choses mais la puissance sur
les forces
naturelles, la possibilité de les dompter ... "
ruÇo
NI~T7SCHE
Critique de Kant'·
Collection Sur, PARIS 1974 - P. 21

53
Mais
en
soi
le
nouveau programme de connaissance
avait
évidemment
un
intérêt proprement intellectuel et l'on peut même dire philosophique. C'est
ce que Robert LENOBLE a tenté de montrer lorsqu'il écrit:
1 "1632, GALILEE demarde à des ingénieurs de nous découvrir le
J
système
du monde.
Vous voyez bien que cette date mérite d'être
/
retenue
la
structure de la nature et
conjointement
de
la
1
société
vont
subir
un
remaniement
complet
l'ingénieur
conquiert la dignité de savant parce que l'art de fabriquer
est
devenu le prototype de la science.
Ce qui comporte une nouvelle
définition
de la connaissance ( ... ),
une nouvelle attitude
de
l'homme
devant
la
nature,
il cesse de la regarder
comme
un
enfant
regarde
sa mère,
prend modèle sur
elle,
il
veut
la
conquérir, "s'en rendre comme maître et possesseur"". (1)
De ces deux fronts de lutte il découle la considération suivante :
la
science
est
un principe de puissance et son développement
exige
des
conditions
préalables
de liberté,
en même temps
que
son
développement
assure l'indépendance et la liberté. (2)
,
Avant
d'étudier les impacts de l'évolution combinée des
scientes
et
des
techniques
modernes
sur
ce
qu'il
est
convenu
d'appeler
les
Révolutions
irdustrielles
et sur le mode d'expansion de
la
civilisation
technicienne,
(et
particulièrement
de
son
rapport
aux
"cultures
traditionnelles") ,
essayons
de
montrer
que le
rationalisme
moderne
à
connotation
humaniste
(tel qu'il apparait à travers les
philosophies
de
(1)
Robert LENOBLE
Histoire de l'Idée de
Nature,
AlbinMICHEL,
Paris,
1969, P. 312.
.
(2)
Ces thèmes caractéristiques de la philosophie de l'Europe au moment de
.son passage à la "modernité" ont'un rapport évident avec notre dessein
proford
avènement d'une Afrique puissante,
auto-centrée et
libre
dans
un morde réellement libéré.
Tel sera l'objet de notre
deuxième
partie ...


54
BACON,
GALILEE
et DESCARTES) qui participe d'une glorification de l'hqmme
considéré
comme
le maître de l'univers et promis à
d'infinis
progrèJ
à
partir
de son génie créateur,
trouve dans l'Encyclopédie du XVIIIe siècle
les
moyens de sa vulgarisation,
dans le positivisme (tel
qu'il
apparaît
chez
Saint-Simon en tant que scientisme,
industrialisme et
technolâtrie)
l'expression
idéologique de sa continuité et dans la société
industrielle
sa réalisation pratique.


i
55
C- L'ENCYCLOPEDIE ET L'EMERGENCE
DE LA GRANDE INDUSTRIE
"C 1 est
aux
arts
libéraux
à
tirer
les
arts
mécaniques
de l'avilissement où le préjugé les a tenus si longtemps
( ... ). Les artisans se sont crus méprisables parce qu 1 on
les a méprisés ; apprenons leur à mieux penser dIeux-mêmes
( ... ).
Qu 1 il
sorte du
sein des Académies quelque
homme
qui descende dans les ateliers, qui y recueille les phéno-
mènes des
arts
et qui
nous
les expose
dans
un ouvrage
qui
détermine
les
artistes
à
lire,
les
philosophes
à
penser utilement".
Denis
DIDEROT
:
Oeuvres Complètes
-
Ed.
LEWINTER,
club
français du livre, Tome II, P. 349, 1969 .
..

S6
Au début du XVIIIe siècle,
les oppositions de valeurs qui avaient
empêché
le machinisme de se développer sont renversées,
ou peu s'en faut.
Or c'est dans le prolongement de l'action entreprise par BACON,
GALILEE et
DESCARTES qu'il convient de situer la lutte que veut mener l'encycopédie.
L'encyclopédie ou ~ Dictionnaire Raisonné des Arts et Métiers est
l'oeuvre
du XVIIIe siècle publiée en 1751 sous la direction de DIDEROT
et
dIALEMBERT.
En
tant
qu ' oeuvre
scienti fique
et
technique
de
grande
diffusion (24 000 exemplaires) et synthèse du savoir-faire
existant,
e~le
joue
un rôle de catalyseur et prépare les révolutions industrielles(l) du 19€
siècle. A ce titre, elle retient notre attention.
(1) Lorsque
nous parlons de la grande industr~e,
c'est bien de celle
qui
coïncide
avec l'àvènement de la société industrielle et
qui
commence
avec l'utilisation pratique de l'énergie thermique,
point de repère de
l'accélération
croissante
du
progrès
technique
et
des
mutations
~ociales correspondantes .
..

57
Dans l'introduction DIDEROT écrit
"Le
but d'une encyclopédie est de rassembler les
connaissances
éparses
sur
la surface de la terre,
d'en exposer
le
système
général aux hommes avec qui nous vivons et de le transmettre aux
hommes
qui
viendront
après nous ...
(1).
Quand
on
vient
à
considérer la matière immense d'une encyclopédie, la seule chose
qu'on
aperçoive
distinctement,
c'est
que
ce
ne
peut
être
l'ouvrage
d'un
seul homme et comment un seul
homme,
dans
le
court
espace
de
sa
vie,
réussira-t-il
à
connaître
et
à
développer le système universel de la nature et de l'art tl •
L'encyclopédie
se
présente dans ce Fens comme un
miroir
de
la
conquête humaine sur un monde en soi inconnu ; elle devient le catalogue de
nos
acquisitions
que la seule "commodité recommande de classer par
ordre
alphabétique".
C'est
là de façon condensée le nouvel esprit encyclopédique
dont
le
monument
érigé
par
d'ALEMBERT
et
DIDEROT
inaugure
les
grandes
réalisations.
Quel
sens avait le projet du plus beau monument
qu'aucun
siècle
n'avait auparavant élevé à la gloire et à l'instruction du genre humain?
A cette question les Encyclopédistes peuvent répondre
instruire
"l' honrête
homme"
et tout professionnel au XVIIIe siècle
en
d'autres
termes,
un
recueil de savoir et de méthodes concernant les
sciences,
la
poésie,
les beaux arts,
les arts mécaniques, libéraux avec leur exercice,
les métiers.
A l'opposé
du métaphysicien,
le banquier
veut
acquérir,
utiliser,
constituer un capital qu'il transmettra par héritage,
"l'encyclopédie,
voilà
donc
le
capital
de
l'humanité
aux
enfants
de
le
faire
fructi fièr" - DIDEROT.

58
En
bref,
selon les termes de d'ALEMBERT,
le sens du
projet
de
l'Encyclopédie
c'est le progrès de l'esprit humain,
thème par
excellence
des lumières.
L'idée
de
progrès
est
importante.
Présente
chez
BACON
et
DESCARTES, elle constitue une nouveauté des temps modernes directement liée
1
à toute une mentalité. Elle mériterait d'être thématisée en tant que telle.
Mais
il convient de souligner qu'elle est le concept
focal,
c'est-à-dire
celui par rapport auquel certaines notions comme humanisme, universalité et
vulgarisation
des
techniques
prennent
leur
signification
dans
l'Encyclopédie.
L'Encyclopédie, en tant qu'elle se présente comme un instrument au
service
de l'instruction humaine en vue du progrès,
de la liberté
et
du
bonheur de l'humanité,
est avant tout un humanisme.
De cet humanisme nous
1 trouvons les bases dans le 17e si~cle.
Il désigne le support de toutes nos
1
JJ connaissances, de tout notre progrès scientifique; il nous rend maitres de
1
, la
nature
et
de
notre nature
physique
et
morale.
L'humanité
assure
désormais sa propre histoire.
(le Paradis c'elt là où je suis,
proclamait
VOLTAIRE au nez des moralistes tristement vertueux).
Cette
approche de l'humanisme n'est vraie qu'à la seule condition
que
nous 'le définissions de façon claire comme la volonté de ramener à
la
liberté ce qui de l'être humain a été aliéné pour que rien d'humain ne soit
étranger
à
l'homme.
Encore
qu'il
convienne

de
penser
que
cette
redécouverte
de la réalité humaine peut s'opérer en des
sens
différents,
étant
donné
que
chaque époque recrpe un humanisme qui
est
toujours
en

59
quelque
mesure
approprié aux circonstances parce qu'il vise
l'aspect
le
plus grave de l'aliénation que comporte ou produit une civilisation.
La
Renaissance s'est défini un humanisme qui n'est nullement
une
volonté
de
retrouver une image fixe de l'homme afin de restreindre et
de
normaliser le savoir,
mais plutôt un humanisme apte à compenser
l'aliéna-
tian
due au dogmatisme éthique et intellectuel et à développer les
scien-
ces. Il suffit d'examiner à la fin du XVIIe le développement des mathémati-
ques
depuis
VIErE pour constater que les découvertes s'y
étaient
multi-
pliées selon un ordre de raisons différent de celui qui établissait une foi
historique où les "tu dois" d'une conscience d~vine.
Pour
autant que le 17e siècle participe à la mise en place de
la
nouvelle
mentalité
que nous avons "brossée",
i l lui
marque
les
moyens
i
intellectuels de la vulgarisation des techniques.
1
C'est à l'Encyclopédie que revient ce rôle. Toutefois, il convient
de noter que c'est le 17e siècle qui a servi de socle à l'Encyclopédie dans
la mise en oeuvre de son entreprise de vulgarisation de la technique,
dans
la
communication de son enthousiasme pour l'avenir,
c'est-à-dire pour
le
progrès.
(Comme
on
a
pu le voir chez DESCARTES qui accorde
une
grande
bienveillance aux techniques tantôt valorisées comme paradigme tantôt comme
moyen
d'expression (1),
ou alors pour leur valeur humaine qui
ouvre
des
voies nouvelles).
(1) Dans la défense de la langue française, RABELAIS et MONTAIGNE emploient
aussi be~coup de termes tiré~ des métiers.

60
Elle
consacre,
sans
exagération,
la
pensée
technique
consécutivement à la libération de la pensée scientifique effectuée par les
auteurs
du
17e
siècle.
A ce titre on peut dire
que
c'est
la
pensée
scientifique
qui a libéré la pensée technique ou du moins la libération de
la
pensée scientifique pose les conditions de la libération de
la
pensée
technique. (1)
La
technique au 18e siècle en touchant plusieur~ domaines dont le
commerce,
l'agriculture et l'industrie,
révèle la dimension polytechnique
de
l'Encyclopédie
qui
permet
des
transformations
sensibles
dans
les
domaines qui bénéficient des récentes découvertes.
C'est
en considération de ces données que le 18e siècle
a
voulu
retrouver
la signification ou l'effort de la pensée humaine appliquée
aux
techniques
et
a
retrouvé
avec l'idée de progrès la
noblesse
de
cette
continuité
créatrice qui se découvre dans les inventions
l'entassement
empirique
des
connaissances avait suggéré à PASCAL
l'analogie
entre
la
croissance
d'un
homme
et celle de l' humanité "considérée comme
un
même
homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement ... "
n'est-ce
pas
la dédicace de l'Encyclopédie "A la Postérité et à l'Etre qui ne meurt
jamais" .
.,
(1) Il ne faut pas entendre par là que le développement des sciences est la
cause
de la naissance des techni~ues en général.
Ce que nous
voulons
signifier
ici
c'est
comment une conception scientifique du
monde
a
précédé
la mise en oeuvre d'une pratique de sa transformation.

61
L'attitude
enthousiaste des Encyclopédistes envers
la
technique
est motivée par la découverte de la technicité des éléments.
En effet,
le
18e
siècle,
époque

les
outils
et
les
instruments
ont
reçu
une
fabrication
soignée,
recueille les fruits des découvertes des
mécaniques
statique et dynamique du XVIIe siècle,
ainsi que les découvertes d'optique
géométrique et physique.
L'indéniable
progrès
des sciences s'est traduit en
progrès
des
l
éléments
techniques
et
en
retour
des
instruments
améliorés
par
les
sciences, servent à l'investigation de la nature.
Il
convient de mettre l'accent sur le caractère vulgarisateur
de
l'Encyclopédie. En effet, l'information qu'elle véhicule est assez complète
et
peut
permettre à tout homme qui possède
l'ouvrage
de
construire,
à
partir
des "planches de schémas" et de "modèles de démarches",
la machine
décrite ou de faire avancer par l'invention l'état atteint par la technique
et
de faire commencer sa recherche au point où s'achève celle
des
hommes
qui l'ontprécédée.
A
cette
caractéristique,
il faut ajouter que la méthode
et
la
1
structure
de ce nouvel enseignement est universel et rationnel en ce
sens
que
d'une
part
il
emploie la mesure,
le calcul,
les
procédés
de
la
figuration
géométrique et de l'analyse descriptive et qu'il fait
appel
à
des explications objectives et invoque des résultats d'expérience.
D'autre
,
i
part,
cet
enseignement
est universel à la fois pour le public auquel
il
s'adresse
et par l'information qu'il donne.
C'est pour la
première
fois
qu'on voit sè constituer un univeF~ technique

62
""un
cosmos
o~ tout est lié à tout au lieu d'être jalousement
gardé par une corporation" (1)
Cette
universalité
constante
et
objective
qui
suppose
une
résonnance interne de ce monde technique exige:que l'ouvrage soit ouvert
à
tous et constitue une universalité matérielle ~t intellectuelle, un bloc de
connaissances disponibles et ouvertes.
Cet
enseignement
suppose en outre que chaque artisan
puisse
se
"diriger
lui-même" et étant donné la mul tiplication du nombre des artisans
de
cette
époque,
ils vont s'organiser pour s'affranchir
de
la
tutelle
spirituelle
de la minorité dirigeante.
Ce en quoi l'Encyclopédie
devient
une arme redoutable de combat politique ayant apporté une contribution à la
nouvelle
dynamique
sociale.
Et
Gilbert
5l MONDON
a
bien
perçu
cette
dimension
importante de la lutte menée par l'&ncyclopédie en vue du nouvel
ordre social quand il écrit
"La circularité causale de la connaissance encyclopédique exclue
l'hétéronomie morale et politique de la société d'Ancien Régime.
Le
monde technique découvre son indépendance quand
il
réalise
son
unité
;
l'Encyclopédie
est
une sorte
de
fête
de
la
fédération des techniques qui découvrent leur solidarité pour la
première
fois." (2)
A ce point de notre analyse il convient de noter que le caractère
utilitaire
des sciences et des techniques trouve les premiers éléments
de
sa
formulation
idéologique
dans
l'Encyclopédie.
En
d'autres
termes
(1) Gilbert SIMONDCN:
Du mode d'existence de l'objet
technique,
AUBIER-
MONTAIGNE, collectioriAnalyse et Raisons, Paris, 1969, P. 93.
(2) Gilbert S~MONDCN : Op. cit. P. 94.

63
l'Encyclopédie
est un appareil idéologique,
technologique et scientiste à
caractère utilitaire et catalyseur de la dynamique sociale.
Dans un écrit de 1753 ~ l'Interprétation de ~ NatureP) ,le plus
hardi porte parole de l'idéologie scientiste,
DIDEROT, tout en exaltant la
science
expérimentale s'avoue déconcerté par l'immensité de cette
oeuvre.
Comment
arriver
à
connaître "la multitude infinie des phénomènes
de
la
nature?
Et si l'on ne connait pas le "tout" de la nature comment
peut-on
avoir
une
véritable connaissance?
L'infinité de
l'univers
copernicien
déconcerte
sinon
le philosophe du moins l'idéologue engagé à modifier
le
monde humain par l'action et par la technique.
La science expérimentale la
seule vraie et efficace pour DIDEROT,
ne parviendra pas à nous garantir la
véracité de la connaissance.
Qu'est-ce qui doit alors donner un sens à
la
recherche
cognitive
?
C'est
selon
DIDEROT,
l'utilité
humaine
qui
"circonscrit"
tout.
En
d'autres termes,
ce n'est pas
la
science
qui,
dévoilant
à
l'homme
la
réalité
des choses,
permet
à
son
esprit
de
progresser
efficacement.
Mais c'est l'utilité humaine qui
non
seulerent
guide la science mais marque les limites précises qui seules peuvent donner
un sens unitaire à sa connaissance. La primauté de la praxis sur la théorie
est ainsi énoncée et l'idéologie scientiste trouvera au début du 1ge siècle
sa
formulation
définitive et ses envolées les plus lyriques et
les
plus
enthousiastes dans la philosophie de Henri Claude de SAINT-SIMON.
(l) Di OCROT
"De l' interpretation de la nature" - Oeuvres philosophiques
ed. P. VERNIERE, PARIS, Garnier, 1956
..


64
D - LE SAINT-SIM1HSto{ CCf+{ SCIENTISto{ ET UruSTRIPLISl.f
En lieu et place d'une analyse globale et générale du positivisme,
nous
restreindrons
notre
analyse à la pensée de
SAINT-SIMON
(que
nous
considérons comme le père du positivisme). (1)
En
effet,
avec
l'avènement d'une nouvelle forme de
rationalité
dans la connaissance et dans la technologie,
SAINT-SIMON anticipe l'avenir
d'une
société réorganisée sur la base des principes qui assurent.
l'accord
des
esprits
dans la communauté scientifique aussi bien
que
l'efficience
dans l'ordre de la maîtrise de la nature et de la satisfaction des besoins.
Ce faisant,
il est le premier théoricien de la société industrielle
(bien
que
sa pensée fut eclipsée ensuite non sans injustice par celle d'une part
d'Auguste COMTE,
d'autre part des socialismes •proprement ditsscientifiques
ou utopiques) et son positivisme à connotation scientiste et industrialiste
s'inscrit
dans
la
continuité de
l'espérance
suscitée
par
l'humanisme
scientifique
du
17è
siècle
et
dans
la
notion
de
progrès
'" ,
pronee
explicitem~nt par le siècle des lumières.
(1) cf.
:
Notre
thèse
~ 3e cycle 1982
Utopie
Saint-Simonienne
et
idéologie technocratique ~ continuité et rupture.
Le recul historique
que
nous donne la référence à cet auteur nous a permis de bien cerner
l'écart
de ce que fut le moteur technologique lié aux premières
révo-
lutions
industrielles et ce qui èn a résulté à la suite d'une
longue
dérive
conduisant à une technocratie fort éloignée de ce que prévoyait
SAINT-SIMON .
..

65
Les
analyses de SAINT-SIMON montrent que c'est grâce aux
efforts
des producteurs,
des savants,
aux progrès de l'industrie et des sciences,
aux
lois et mesures sociales que le nouveau système sera
instauré.
Cette
1
nouvelle 1 société
industrielle
et
scienti fique
sera
l'aboutissement
nécessaire
et inéluctable de la marche naturelle de la civilisation.
Cela
veut
dire
en
d'autres termesque la nouvelle
société
sera
la
sanction
suprême du règne de la science,
de l'art,
de l'industrie et de la volonté
humaine soucieuse de perfection et de progrès. L'auteur la qualifie comme:
"Le
résultat
final de tous les progrès que la
civilisation
a
faitsdepuis six cents ans et même depuis son origine" (1).
Elle
incarnera l'âge d'or de l'espèce humaine.
'"'L'imagination
des poètes,
"écrit SAINT -SItJON" a placé
l'âge
d'or
au
berceau de l'espèce humai~e,
parmi l'ignorance et
la
grossièreté des premiers temps,
c'etait bien l'âge de fer qu'il
fallait
y
reléguer.
L'âge d'or du genre
humain
n'est
point
derrière
nous,
il est au devant,
il est dans la perfection de
l'ordre
social,
nos
pères ne l'ont point vu,
nos
enfants
y
arriveront un jour". (2)
La
société
réorganisée aura donc pour
objectif
d'engendrer
le
bonheur
général.
Elle
doit
par conséquent reposer
sur
des
structures
adaptées
aux nécessités de son fonctionnement.
C'est-à-dire qu'elle
doit
mettre en place une administration saine, rationnelle, compétente et utile.
(1) SAINT-SIMON: Du systeme industriel, 1ère partie oeuvresAnthropos, III,
P. 100.
(2) 'De la réorganisation de la société Européenne, oeuvresAnthropos, l, PP.
247-248.

66
Dans la conception Saint-Simonienne des choses (qui est en fait un
optimisme
digne de cette période prometteuse de l'industrie),
le
nouveau
système
consacrera l'ère de l'émancipation totale des êtres
humains
tant
matérielle qu'intellectuelle et morale.
Les bases fondamentales du nouveau
système,
écrit
SAINT-SIMON,
sont donc d'une part un état de civilisation
qui
donne aux hommes les moyens d'employer leurs forces d'une manière
qui
soit utile aux autres hommes et profitables à eux-mêmes,
et d'autre
part,
un
état de lumière d'où il résulte que la société,
connaissant les moyens
qu'elle doit employer pour améliorer son sort,
peut se guider d'après
des
principes,
et
qu'elle n'a plus besoin de confier des pouvoirs arbitraires
"à ceux qu'elle charge du soin d'administrer ses affaires" (1).
Ayant
pour
but de promouvoir le plein
épanouissement
physi~ue,
intellectuel et moral de chacun et le bonheur général,
la société nouvelle
orientera les efforts de tous vers les activités ci-après:
- L'expansion
maximale
de
la
production
industrielle
et
~a
satisfaction des besoins matériels.
- Le
couronnement
des sciences positives et
le
développement
intellectuel de l'ensemble de la communauté .

- La
moralisation
de la vie individuelle et de la vie dans
la
société.
(1) L'ORGANISATEUR, Anthropos II, P. 99.

67
Négligé,
ridiculisé,
classé
de
façon hâtive parmi les
auteurs
"chimériques"
SAINT-SIMON
a rejoint les oubliettes de
l'histoire
de
la
pensée,
et pourtant, il demeure pour nous le philosophe qui mieux que tout
autre a bien vu et indiqué la nouvelle voie à suivre. (1)
Voilà la tâche qu'il assigne à l'homme du futur, à l'homme nouveau
comme
préalable
(2) à la réalisation de tout programme industriel
et
du
projet de société correspondant :
"S' occuper
uniquement
d'agir sur la nature,
pour la
modi fier
autant que possible de la manière la plus avantageuse à l'espèce
humaine,
ne
tendre à exercer d'action sur les hommes que
pour
les
déterminer
à concourir à cette action
générale
sur
les
choses" (3)
et encore :
"Le
désir
de commander aux hommes s'est transformé peu
à
peu
dans le désir de faire et défaire la nature à notre gré.
De
ce
moment,
le
désir de dominer inné dans tous les hommes a
cessé
d'être nuisible,
ou au moins, on peut apercevoir l'époque où il
cessera d'être nuisible et où il deviendra utile" (4)
(1) Pour
bien
comprendre
sa pensée,
il convient de la situer ~ns son
contexte
général et admettre que la théorie Saint-Simonienne
est
une
doctrine
en
faveur
du développement des industries et une
prise
de
position
radicale
contre
toutes
les
tendances
pouvant
retarder
l'avènement
de la civilisation industrielle.
Ceci est
d'autant
plus
compréhensible
que se situant à l'aube du grand capitalisme le
Saint-
Simonisme
avait
pu donner une armature doctrinale à
l'expansion
des
"affaires" et les embellir d'un idéal.
(2) Ce
préalable renferme le sens global de la ligne de développement
des
deux siècles précédents.
(3) SAINT-SIMON: L'organisateur, oeuvres Anthropos, II, P. 120/121.
(4) Idem.

68
Par
ces
mots,
d'une
densité
sans
pareille
toutes
les
caractéristiques
de
la
civilisation
techno-industrielle
nous
sont
présentées. Ils présentent en un raccourci le détournement de la Science de
la contemplation de la vérité à un pur moyen de domination des choses.
Ils
nous
montrent
aussi de quelle manière s'exerce
cette
domination
"en
faisant et en défaisant la nature à notre gré." Plus en profondeur,
SAINT-
SIMON
a
perçu le jeu complexe de compensation grâce auquel
les
pulsions
agressives
peuvent se décharger sans dommage.
Il n'y a plus besoin de les
réprimer,
il
suffit
de les diriger adroitement sur
une
nouvelle
voie,
contre
un
adversaire
immensément riche,
qui sera enfin assujetti
à
la
satisfaction générale:
la nature.
Après ces paroles de SAINT-SIMON, sous
un
certain
point
de
vue
peut-être,
il
n'y
aura
plus
de
nouveauté
importante.
L'essentiel
a été dit.
Il faut donc souligner
le
leitmotiv
théorétique que
SAINT-SIMON
a
bien
recueilli,
exalté
et
transmis
l'utilité. Seigneur de la nature au no~ et sous le signe de l'utilité, l'ho~m
désormais pacifié avec ses semblables, peut satisfaire tranauillement son pro
fond instinct utilitaire sans plus sacrifier ses semblables.
Dans
cette
perspective
l'ancien
rapport
homme-nature
semble
d'abord
radicalement renversé.
Tant qu'elle restait intacte sous l'empire
de
ses
propres
lois,
la
nature
paraissait
un
maître
avaricieux
et
despotiquement
capricieux (quel maître est d'ailleurs plus capricieux
que
1
l'avare
?).
L'homme s'adressait à la nature humblement,
il
parvenai~ à
l
peine
à égratigner sa surface par un pénible travail de
fourmi,
toujours
incertain à la merci de la destinée.
Il était obligé de lutter contre soi-
même et contre ses semblables:
la guerre, strictement liée à la nécessité

69
de se procurer et de protéger des biens insuffisants, est le résultat de la
pénurie
d'une
nature
marâtre
qui ne laisse d'autre alternative
que
le
sacrifice ou l'ascèse, selon SAINT-SIMON.
Mais
la
nature
découvre
ses
innombrables
richesses
cachées
aussitôt
que
l 'homme ,secouant son joug,
l'a asservi et lui a
ôté
toute
défense
en
brisant la dure carapace des choses et non seulement la
terre
mais aussi bien les eaux, l'atmosphère, la matière elle-même, réduite à ~ne
énergie
douée de capacité démesurées consacrent la puissance
de
l'hom~e-
maître qui, en dominant le monde n'a plus besoin de dominer les autres.
Pourquoi
faudrait-il
se limiter quand l'imagination en
dilatant
les besoins, dilate aussi la domination sur le serviteur avare et paresseux
et l'oblige à produire des richesses?
L'ancien dominateur avare est devenu ainsi le serviteur au
trésor
inépuisable
l'ancien serviteur besogneux deviendra le seigneur fastueux
et insatiable.
Les
prévisions
de
SAINT-SIMON
se
sont-elles
réalisées
avec
l'avènement de la société industrielle?

Et s'il est démontré
que cette domination de la nature par l'hom~e
moderne
1

est effectlve,
peut-on souteni1 par ailleurs qu'elle est conforme
aux
espé~ances suscitées par l'humanisme scientifique du 17e siècle, des
encyclopédistes, de SAINT-SIMON ?
,',
l '
\\-
'-0"

70
En
d'autres termes l'actualité scientifico-technique qui
devrait
consacrer
le règne de l'homme sur la nature nous permet-elle de
dire
que
l'âge
de
la
machine
est aussi l'âge d'or de l'humanité
(1)
selon
les
prévisions optimistes du Citoyen Bonhomme Henri Claude de SAINT-SIMON.
Avant
de
répondre à cette question,. il
convient
de
restituer
brièvement
le
processus
de
domination
de
la
nature
à
travers
l'asservissement
de
l'énergie et la maîtrise de l'information et
ce
qui
peut
en
résulter
comme spécificité de la systématicité de
la
technique
moderne.
(1) Lorsque nous parlons de l'humanité, nous incluons bien sûr l'Afrique et
le Tiers-monde.
Il est bon de le rappeler parce que notre thèse a bien
ces deux faces
- quelles sont les conditions qui sous-tendent l'emprise technique
sur
la nature ?
.
- quelles sont leurs effets et particulièrement leurs impacts à l'égard
des sociétéstraditionnelles afrièaines.

71
E - OC L' ASSERVISS86T OC L'ENEffiIE A LA t-'AITRlSE OC L' nf(WATI~
HISTOIRE OCS REVa..UlICNS ItnJSTRIB-LES ET OC LA Kl\\ITRlSE OC LA NATLRE
Le désir de "faire et de défaire la nature" ayant pour objecti f la
transformation
du
donné naturel (considéré comme réserve de matériaux
et
d'énergie)
en
produits
susceptibles
d'être
consommés,
ce
projet
retentissant
dans
la philosophie de SAINT-SIMON et qui se
manifeste
par
ailleurs
comme
"administration
des
choses"
est
fondamental
à
toute
compréhension
de
la
civilisation techniciennne organisée
autour
de
la
maîtrise et possession de la nature annoncée par DESCARTES dans le Discours
de la Méthode.
En effet,
cet te action (" faire ou défaire") de l' homme sur
la
nature va se mani fester corcrètement par la "captation" de grands types
d'énergies naturelles,en l'occurrence, la houille (le charbon),
le pétrole
et l'électricité et l'énergie nucléaire.
Avec
l'utilisation de la houille et l'invention de la
machine
à
vapeur,
l'énergie thermique est conquise et domestiquée, c'est-à-dire mise
à
la
disposition de l'homme qui y trouve non seulement des utilités
mais
aussi un sentiment exaltant de puissance,
de domination et de libération.
l
Pour cette fin qui vient d'être évoquée,
des perfectionnements ont dû être
apportés
à
la
première machine à vapeur
construite
par
le
mécanicien
NEWCOtvEN
(1).
(1) t'est en 1712 que NEWCOMEN construisit la premlere machine à vapeur. La
deuxième
machine qui prit son aspect définitif entre 1780 et 1787
fut
l'oeuvr~de l'ingénieur écossais James WATT.

72
Cette
machine fonctionnant par la différence de pression entre la
pression
atmosphérique et la pression de la vapeur,
était
fort
limitée.
Cette lacune,
à en croire WATT,
était imposée par l'emploi de la pression
atmosphérique.
Et pour pallier les insuffisances de cette machine, WATT et
ses
successeurs
mirent
au
point une nouvelle
machine,
une
machinei à
1
condenseur
et
à double effet.
La mise en service de
cette
machine
eut
l'avantage non seulement de libérer la production de l'énergie de certaines
de
ses
servitudes (rareté ou quantité d'énergie réduite,
sensiblité
des
installations)
mais
aussi
de participer à l'avènement de
ce
qu'il
est
convenu
d'appeler
la première révolution industrielle
(période
que
les
historiens situent dans la première moitié du XIXe siècle).
Cependant,
il
se
posait un problème,
celui de la prévison
des
perfectionnements
à
apporter aux machines jusqu'ici
inventées
de
façon
empirique.
En
effet,
les procédés empiriques d'invention étaient devenus
insuffisants pour garantir l'asservissement de l'énergie par
l'utilisation
de machines plus puissantes que celles déjà existantes .

En
clair,
il se trouvait posé le vieux problème philosophique du
rapport de la théorie à la pratique,
problème ~xprimé chez les techniciens
de l'époque par la quête d'une méthode de mesure qui devrait permettre à la

i
fois
de
régler
la marche de la machine et
d'évaluer
objectivement
son
rendement.
La
machine
à vapeur inaugurait ainsi l'époque où
science
et
technique devenaient de plus en plus complémentaires:
le tout n'était pas
d'inventer
des
machines,
encore
fallait-il
chercher
à
exprimer
leur
capacité de travail,
à calculer leur puissance.
~--- . _ - - - - - - - -

73
Les premières tentatives furent réalisées à l'aide de formules arbitraires.
Il n'est pas possible de recenser,
ici, toutes les tentatives faites à cet
eff t
e.
Ret enons
pour
l , essent'le l
que pour
t
resoudre
ce
probl'eme,
WATT
proposa
une
uni té
de mesure connue sous le
nom
de
"hor~ower"
terme
traduit plus tard en frarçais par "cheval-vapeur".
En effet, pour la vente
des
machines
à vapeurs,
WATT fut amené à préciser à ses
futurs
clients
combien de' chevaux la machine remplacerait.
En
dépit des efforts entrepris par les techniciens de l'époque,
force
est
de reconnaître que ces derniers étaient
probablement
en
face
d'ensembles
techniques
saturés:
les machines construites à la suite
de
WATT furent incapables de changer radicalement les moyens
d'asservissement
de
l'énergie.
Mais il fallait considérer cette phase de saturation
comme
une
étape
transitoire
(1).
C'est ce que nous a
semblé
montrer
NECKER
lorsqu'il s'exprimait en ces termes:
"nous
possédons
déjà des moulins à vapeur pour la filature
du
coton,
le tirage des huiles, le râpage du tabac, la préparation
des drogues,
des épices et des couleurs, la forge des métaux et
la moulure des grains".
Et l'auteur d'ajouter:
"Quelles
que
soient les espérances que l'on
fonde
sur
cette
heureuse invention, elles seront dépassées". (2)
(1) Dans
la
"Technique
comme système" nous verrons
comment
dans
leur
évolution
les
ensembles techniques se succèdent dans le
temps.
Voir
Bertrand GILLE: Histoire ~~techniques.
(2) NECKER
cité
par P.M.
SCHUL in Machinisme
et
philosophie,
PUF,
3e
Edition, 1969, PP. 77, 79.

74
Effectivement,
les
espérances fondées sur la machine à vapeur se
trouvèrent
dépassées ou non réalisées en raison des difficultés liées
non
seulement
au stockage et au transport de la houille mais aussi au coût
de
ce combustible.
Ainsi
à
la
fin du XIXe siècle,
époque
qui
coïncide
avec
la
deuxième
révolution
industrielle,
de nouvelles sources d'énergie
furent
découvertes: le pétrole et l'électricité.
Avec
l'utilisation de ces formes d'énergie,
la technique
allait
quitter la phase paléotechnique (1) de son histoire et entrer dans sa phase
néotechnique
les
machines deviennent de plus en plus puissantes et
de
plus
en
plus
précises:
la forme concrête de cette
combinaison
de
la
puissance
et de la précision est la construction des moteurs à
explosion.
C'est
cette
période
qui marque l'avènement des instruments
qui
ont lla
dimension
d'usines
et
d'usines qui possèdent
toutes
la
précision
des
instruments
(2) ..
En
outre,
la grande nouveauté caractéristique
de
la
(1) LEWIS MUMFORD étudiant l'histoire des Techniques distingue trois phasES:
- la phase éotechnique qui est un complexe de l'eau et du bois.
- la phase paléotechnique qui est un complexe du charbon et du fer.
- la phase néotechnique qui est celle de l'électricité et des
alliages
et
qui
englobe les techniques actuelles et les formes ultérieures
de
leur
développement.
in le Mythe de la machine
- Fayard,
traduit
de
l'américain leo OllE, 1974.
(2) voir pour plus de détail :
- P.M. SCHUl Op. cit.
-, Georges FRIEDMANN : les problèmes humains du machinisme industriel
- Alexande
Koyré
"Du
monde
de l'à peu près
à
l'univers
de
la
précision f ' - critigue nO-28~8.

75
deuxième
révolution industrielle est l'intensification sans précédent
des
moyens
de
domestication des hydro-carbures.
Mais ce n'est là que
simple
impression car de ce fait, la nature n'avait pas encore livré à l'homme ses
compartiments les plus "i ntimes" .
Il
a
fallu attendre la découverte de
l'énergie
nucléaire
pour
prétendre
pénétrer les schématismessecrets de la nature (dont nous parlait
BACON) et domestiquer l'énergie qui s'y trouvait dissimulée.
En effet, par
la
fission
de
l'atome
ou plus exactement
par
la
cassure
d'un
atome
d'uranium
en
deux sous l'action d'un neutron,
il est devenu possible
de
produire
et d'asservir une énergie longtemps restée inconnue
l'énergie
nucléaire.

Au
milieu des années 1950,
on espérait que
l'énergie
nucléaire
serait
produite à un coût nettement inférieur à celui des autres énergies,
qu'elle
pouvait
être
divisible pratiquement
sans
difficultés
et
sans
limites
et utilisée économiquement tant sous la forme de chaleur que
pour
la
production électrique.
L'énergie nucléaire aurait pu être à
l'origine
d'une
nouvelle révolution industrielle:
elle aurait permis,
par son bas
coût,
une
utilisation
encore
plus
large de
l'énergie
dans
tous
les
processus de production et de consommation.
Son caractère divisible aurait
permis
à
toutes les régions du monde,
les pays du
Tiers-Monde
en
tout
premier
lieu,
de
disposer d'une énergie abondante et bon marché.
Et
la
forme sous laquelle elle aurait été produite aurait permis son
utilisation
efficace sur le plan technique, pour la satisfaction de multiples besoins :
chaleur, force, usage spécifique de l'électricité.

76
Mais
le
confinement des secteurs nucléaires et les mesures
pour
protéger l~urs environnements des radiations dangereuses,
se sont
révélés
autrement
plus complexes et coûteux qu'on ne l'avait imaginé à
l'origine.
Ajouté à cela,
les contraintes économiques,
politiques et de civilisation
ont
fait que seule la production à grande échelle d'électricité
d'origine
nucléaire
s'avère
aujourd'hui compétitive,
encore qu'il
conviennent
de
modérer
l'appréciation
de
cette compétitivité quand on se
réfère
à
la
baisse du prix du pétrole dans ces toutes dernières années.
Notons
enfin
que
l'énergie nucléaire a certes offert
aux
pays
industrialisés
de multiples possibilités à savoir
l'utilisation
médicale
des
sous-produits
de l'énergie atomique pour
la
radiothérapie,
l'étude
biologique
des
métabolismes
de
toute
nature
grâce
aux
"traceurs"
radioactifs
et naturellement l'utilisation militaire pour
la
fabrication
des armes les plus meurtrières que l'humanité ait jamais connues.
Toutefois, malgré ces apports, l'avènement du nucléaire ne saurait
être
interprété
comme
ouvrant
la
voie
à
une
troisième
révolution
industrielle
pour
la seule raison que les perfectionnements
apportés
ne
furent
que
partiels parce qu'ils étaient
sectoriels,
parcellaires
pour
signaler l'absence d'interconnexion entre les diverses techniques.
En fait
il
n'y
a
révolution
technique que lorsqu'il y a
passage
d'un
système
technique à un autre.
Ce processus s'inscrivant dans le schéma du
progrès
technique est à la fois qualitatif et quantitatif.

77
Cet
aspect
systématique
de
toute
technique
ainsi
que
les
répercussions
de
toute
révolution
industrielle
sur
l'ensemble
des
techniques
à
un moment considéré seront explicités dans le
chapitre
"La
technique
comme
système",
mais à ce niveau de
notre
développement,
il
convient
de rappeler que la substitution du charbon au bois,
au cours
du
XIXe siècle,
correspond à la première révolution industrielle. Elle permet
une très forte augmentation de la production de fer et d'acier,
bouleverse
avec
la
fabrication de la machine à vapeur désormais
possible
en
grand
nombre,
aussi
bien le
système
de
production
induslrielle
que
la
localisation
de
ces activités, grâce à un mode de transport
nouveau,
le
chemin de fer.
L'ère
du
machinisme est née,
grâce en partie au passage
à
une
forme
d'énergie dominante nouvelle qu'est le
charbon,
plus
dense,
plus
abondante et meilleur marché que celle qui la précédait.
Aux
USA,
après la première guerre mondiale,
le pétrole s'impose
rapidement grâce au moteur à combustion interne,
et à l'automobile.
Cette
découverte
permet
un nouveau mode de vie,
une plus large
occupation .de
l'espace.
Puis,
peu à peu,
le pétrole,
auquel vient s'adjoindre le
gaz
naturel,
devient du fait de son bas prix, la principale forme d'énergie de
l'industrie,
mais
aussi
une
matière
première à la
base
de
nouvelles
activités productives.
Cette nouvelle civilisation industrielle du pétrole
se
déplace
vers
l'Europe et le reste du mond~ après
la
seconde
guerre
.
mondiale.
Entre
temps,
une
autre
forme
d'énergie
est
exploitée
l'électricité.
Elle
vient
à
son
tour
révolutionner
le
domaine
des

78
communicationset suscite une espérance euphorique:
elle pén~tre le
champ
de
la
production où elle autorise la mise en application de
procédés
de
fabrication
nouveaux
elle
bouleverse
l'organisation
industrielle
parl'automation
qu'elle
rend
possible et plus tard
par
l'électronique.
L'ensemble
des transformations qui prennent place au début du XXe
siècle,
avec
l'apparition
des
hydrocarbures
bon
marché
et
de
l'électricité,
constitue
la
seconde révolution
industrielle.
Ainsi
ces
substitutions
passées
entre formes d'énergies dominantes ne sont pas des phénomènes
qui
expliqueraient
simplement les caractéristiques comparées de ces énergies :
elles
sont
le fait de révolutions qui prennen~place à la fois
dans
les
domaines technique, économique et social.
L'énergie
nucléaire
nIa
été réduite
qu'à
une
nouvelle
façon
massive de produire de l'électricité.
En ce sens on ne peut penser qu'elle
ouvre
la voie d'une troisième révolution industrielle;
circonstance
qui
par
le
passé
a
toujours
présidé à
l'avènement
d'une
nouvelle
forme
d'énergie dominante.
Ce n'est donc pas du côté du nucléaire et d'une façon générale
de
l'asservissement
de
l'énergie
qu'il
faudrait chercher
la
voie
de
la
troisième
révolution industrielle.
C'est peut-être du côté de la maîtrise
technique
de
l'information.
(Toutefois il faudrait prendre
le
soin
de
signaler que le nucléaire et l'informatique à un certain niveau, sont liés.
L'impossibilité
d'une
approche physique du coeur des réacteurs
exige
le
recours à l'électronique et à l'informatique pour là maîtrise des processus
nucléaïres).

79
La
décennie
des
années
quarante
offre
l'occasion
d'un
renouvellement
scientifique et technique (1) comme il arrive rarement dans
l'histoire
du savoir.
Cette mutation s'est d'abord opérée entre
1942
et
1948,
période
qui
a
engendré progressivement
la
cybernétique
(1948),
l'intelligence
artificielle
à
partir de 1956,
les théories
de
l'auto-
organisation,
la
théorie
dessystèmes à partir des
années
soixante,
la
technologie des communications de masse (téléphone, télévision) qui prit son
véritable essor dans l'après guerre, plus tard la télématique, les théories
de
la
communication
inter-personnelles et bien
sûr
l'informatique
qui
deviendra une spécialité à part entière dès le début des années cinquantes.
L'objectif
de
cette démarche est de montrer que
dans
les
pays
développés
on bascule de la recherche des sources d'énergie et des moteurs
toujours puissants à celle d'une meilleure utilisation de l'information.
L'information de ce fait tend à prendre le relais de l'énergie. Il
s'agit d'un relais et non d'une rupture;
un relais ne détruit pas ce
qui
précède
et le laisse se développer mais déplace le dynamisme.
Ce
nouveau
relais est d'ordre qualitatif.
Si les techniques antérieures avaient comme
(1) Voir le livre de Philippe BRETON: Histoire de l'Informatique - Edition
La Découverte - 1987.
--
i
L'auteur propose dans le livre une approche globale du développement de
l'informatique
l'histoire
des machines et ~es hommes qui
les
ont
conçues
est
replacée
dans
son
contexte
social,
économique,
sans
négliger
les
enjeux
sociaux et 'éthiques.
On
apprendra
ainsi
que
l'informatique est la fille,
dans une large mesure, de la guerre; les
premiers
ordinateurs ayant été conçus pour les militaires,
et grâce à
leur finantement ...

80
problème majeur la mobilisation de l'énergie, ce qui importe aux techniques
contemporaines,
comme dans l'exemple d'une fusée auto-guidée,
ce n'est ni
la puissance de ses propulseurs, ni le pouvoir de déflagration de la charge
qu'elle
transporte,
mais
la
précision de son "ajustement"
à
certaines
tâches définies, son aptitude à ordonner sa trajectoire, à suivre un mobile
en mouvement imprévisible.
L' efficaci té
d'une fusée tient certes à sa puissance
énergétique
mais au-delà d'un certain seuil, elle tient encore plus à la précision aVFc
laquelle sera ajustée sa trajectoire pour atteindre son but.
Et l'on entre
dans le domaine de la régulation cybernétique
la dimension propre
d'une
machine
cybernétique n'est plus l'énergie et la masse,
mais une dimension
plus abstraite:
l'information, qu'il faut entendre, non par référence aux
implications pSychologiques de ce mot,
mais bien comme un concept physique
lié à la notion de structure spatio-temporelle,
à celle d'organisation des
combinaisons d'un système (1).
C'est
en
considération de ces données que
François
MEYER
peut
écrire
"La
grandeur
d'état
d'un
système
cybernétique
n'est
plus
l'énergie,
mais le concept physique.d'information.
Le
progrès
des
techniques
cybernétiques
consiste
à
accroître
les
(1) En
cybernétique
théorique,
la
mesure
de
l'information
est
proportionnelle au logarithme de la probabilité d'état du système
plus
précisément
du
nombre des combinaisons
possibles.
Cette
expression
manifeste
une analogie avec le concept d'entropie en
thermodynamique,
mais
alors que l'entropie est la mesure d'un
désordre,
l'information
est
la mesure d'une organisation ..
d'où l'introductjon du concept
de
neg-entropie (BRILLOUIN) ou ent~opie négative.

81
performances
informationnelles du système,
c'pst-à-dire à
lui
permettre de se réguler lui-même de manière plus efficace" (1)
Outre
ces considérations,
il faut insister sur le fait suivant
les
évolutions
actuelles
révèlent que l'ordinateur
est
une
machine
à
réduire les limitations du temps et de l'espace. L'âge moderne débouche sur
un
monde d'ordinateurs qui permettent d'articuler les informations et leur
logique
ayant
des répercussions sur

l'environnement
socio-économique
et
technique. Cela se traduit concrètement, industriellement par trois grandes
évolutions
la
montée en rapidité et donc en puissance,
autorise
le
fonctionnement
en
temps réel des grands ensembles,
dissémine les
micro-
ordinateur~, inspire la compétition des programmes de super calculateurs
ultra rapides
la capacité des ordinateurs à se connecter entre eux et
à
d'autres machines d'où la télématique et l'irrigation des sociétés modernes
par
les
réseaux
informatiques,
(les
distances
comptent
moins)
le
rapprochement
de
l'ordinateur
et de l'homme par la prise
en
compte
de
l'ergonomie dans les relations homme-machine.
L'informatique
peut diffuser car elle cesse d'être l'apanage
des
informaticiens. Ceux-ci rêvent de recréer la pensée humaine.
(1) François MEYER
La surchauffe de'la croissance, FAYARD, 1974
P. 61.

82
L'intelligerce
artificielle
conduit
déjà
à
des
réalisations
opérationnelles
(1),
ce
à
quoi il faut
ajouter
que
l'utilisation
de
l'informatique
s'est étendue à l'administration publique,
la gestion
des
entreprises,
la
banque des données et les études de marché,
la recherche
scientifique
et
technique,
le
calcul
statistique
et
numérique,
le
diagnostic
et
la
surveillarce
médicale,
la
commande
des
opérations
industrielles,
l'enseignement,
les
bibliothèques et autres
services
de
documentation.
Elle
joue
également
un rôle dans la tpl[.détection et les
télécommunications ..• Bref l'informatique se développe et envahit de vastes
secteurs d'activités ainsi que sous formes de produits manufacturés dans la
vie quotidienne (2).
(1) L'informatique
traditionnelle reposait sur un ordinateur
"mangeur
de
nombre!~
Impressionnant
par sa capacité de mémoriser et de
rapidité,
rassurant ainsi l'homme puisque ce domaine est un domaine où l'homme ne
cherche pas la compétition.
L'ordinateur ne fait qu'exécuter une suite
d'ordre bien déterminée dans un ordre lui aussi figé.
L' intelligerce
artificielle
repose
sur
un
ordinateur
"raisonneur"
c'est-à-dire
capable
de mémoriser et d'opérer sur des symboles
aussi
bien
que
sur
les nombres:
il devient ainsi apte
à
manipuler
les
connaissarces (cf:
système - expert),
à effectuer des déductions,
à
erchainer des raisonnements,
à construire des plans;
il acquiert des
capacités
requises
pour certaines
opérations
cognitives,
réservé~s
jusqu'alors
à
l'homme.
De là à conclure que l'ordinateur
prend
la
place
de l'homme,
il y a un écart de langage.
Nous aborderons
cette
question
dans la partie proprement conceptuelle relatjve aux
systèmes
technologiques
en
révélant
les
caractéristiques
propres
aux
technologies de l'information.
(2) Nous
verrons dans la "Clôture informatique du système
technicien"
la
place
et
l'importance de l'informatique en tant que sous-système
des
connexions entre différentes techn~Ques.
..

83
Reste
en conclusion de ce chapitre à donner quelques
indications
sur l'itinéraire qui reste à parcourir ou plus simplement à mettre en place
les
problèmes
dont
les
solutions doivent
converger
dans
une
théorie
générale des systèmes technologiques.
La
machine a pu s'intercaler dans la cassure entre l'homme et
la
nature.
La civilisation devient mondial~ et technicienne.
L'outil est
un
prolongement
matériel de la main qui permet un contact plus affiné avec le
matériau;
la machine est un auxiliaire du cerveau, une annexe du langage,
un intermédiaire entre l'homme et la nature.
Intercalée entre la nature et l'homme,
la machine devient le lieu
de plus en plus autonome où s'inscrit l'action de l'homme sur la nature. La
production d'objets s'opère dans un espace intermédiaire entre la nature et
l'homme.
En
quelques années la machine accomplit sa destinée
et
devient
robot, capable de réagir au milieu extérieur, d'~nalyser et de résoudre les
problèmes les plus complexes de la grande mécanique qu'est le cosmos et le
jeu de ses éléments.
Du : même coup le travail change de sens et de
portée.
Travailler
aujourd'hui, c'est dialoguer avec cet intermédiaire autonome, ce "médiateur
universel",
qui, en
prenant le relais de l'homme pour le contact avec
la
nature, s'est interposé entre les deux.

84
De
ce
fait
travailler
c'est
donner
un
but
à
la
sphère
intermédiaire
de
la
technique et en
tracer
l'itinéraire
"mathématico-
mécanique".
C'est
un
thème dont il faudra analyser en détail toutes
les
conséquences
pour
mieux comprendre la naissanqe et la
prolifération
des
discours
"misotechniques" et le "désenchantement" relatif à la
modernité,
avant
de
les
évaluer
en
les
rattachant
au
fait
essentiel
que
la
civilisation
industrielle n'a été posible que pour un homme qui
acceptait
l'exclusio~ de la nature, qui se situait, avec une conscience plus ou moins
claire, en marge d'un univers qu'il lui incombait de transformer en"un chez
soi de l' homme':
Cette
évolution
simultanée
de
la technique et
du
rapport
de
l'homme
à la nature s'accompagne d'un bouleversement social
et
culturel.
Cette
dimension
apparaîtra
de
façon
"éclatante"
dans
l'étude
de
la
confrontation
des sociétés traditionnelles africaines avec la civilisation
industrielle et la technologie "électro-informatico-nucléaire".

F ' A N C l H A M A
DE
L " E V O L U T I O N
DES
S Y S T E M E S
TECHN
Q U E S .
PRE-INDUSTRIELLE
1830 - 19~0
INDUSTRIELLE
1950 - 2000
POST-INDUSTRIELLE
1
1
El/ERGIE
Nuscles des halles et des anlllul, vent el uu,
Noleurs a YlpeUr, loleurs a essence, loteurs éleclrlques,
fission
Fusion atolique, herell solalrl el d'autres sources d'berlle
cOlbuslion du bois.
alolique <!t conyersion des cOlbuslfbles fossiles, piles a cOlbus-
" a l'entrée ".
1
1
libles.
1
1
Ouilis en ivoire
~ee du
Ale du
Con'ierslon léclnlque d'ênereie,
COllencelent de Il producllon
1
Bue induslrlelll post-hbrlcatlon : nouvelles technololles
1
1
OU Il LS
en corne et en 05
bronze
hr
pu erelple, loleur a vlpl!ur.
en sérle plr les Ilchines
"ectronlquet. blochlliques, de bio-berele el de coalunicltions
1
1
outils en hr forCé a la Illn et en bois.
1
1
NEiAUX 1
Bois, 1er, bronze, plOlb, ...
Fer, lcler dOUl, cuivre
Acier III lé, lililles lélers,
IIltléres pl15t1ques, cOlposlles el sUpl!r-l11lIles, upioi de
1
1
tlATERIAUX
liulinlui.
nouvelles utléres calle le ulnlhiul el le tlllne.
1
1
1
1
CAPACI TES
t ArtiSlns lUI coapHences eénérlles el
Les procédés de libr 1Cl tI on
AI ilenhlfon ou surveillince
1nlénleurs 1 concepteurs hluluenl lorlés,
COlpélenees hutllnes ren-
PROFE5S 1ON~ELLES
lravlilleurs Ilnuels non qUllilits.
1 réplrt 15 re.pllcent les
pu l' halle rup Ilcée plr
techniciens de Ilintelllnce qUlllllés,
lardes dans les nouVllles
ullSlns qUlllliés pu Irs
des contrOleurs 1
spéclallsles de systhes et prolruleurs.
orllnlutlons et lones de
uchlnlsles selt -quli il lés.
lêClnlciens qUiol if iés.
eeslion.
U"I
1
co
1
1
COM~U~ICATlOHS
Puoles, lubours, lulres si,IllUI
IeSSl,ers
Courriers plr tnlns et blteluX
Téléphone
Radio NA el /If, 1I11S, alcrol i1lS,
Visio-phone, dill-phone, telsllr el syncoa,
1
el Journlul 1 journlul iapr liés aéClniquuent
Téléenphe
télévision, blnde Ilenélique,
utellltis de cOltUnlcltions londlales,
1NfORHAT 1ON
téléphone transocbnique.
ordillolteurs erlphlques.
1
1
1
TRANSPC,iiT
~lrche, .. ploi des nlllul, CIIllUI, yoi 1iers
Chevll el boehel, trlins
Aulolobi le, trllns el bltUUI
Fusées et jell i décolla,e vertical, sous-Ilrlns atoalques, ..bu
1
• VI peur •
diesel, ayion.
calions. coussin d'air, ~lIcopUreli, aononlls a eunde vitesse
1
1
PH - 1NDUSTR 1EllE
1
- 1·" èllpl!
Adlplllion
1
:>
- ~ •• ttipt
DoleslicaUon
1
:>
- 3··· tupe
Diversilicalion 1
:>
1HDUSTR 1ELLE
1
1
- ••• , ttipl!
1
llécinluUon
>
1
POST-IHUUSTR tELLE
1
- S··· ttlpl!
1
Autotillon
>


86
II -
ELEMENTS POUR UNE THEORIE GENERALE DES
SYSTEMES TECHNOLOGIQUES
"Tout objet ou tout procédé efficace relève d'une technologie,
si
l'on
entend par ce mot l'ensemble des
procédés,
représentations,
insti-
tutions qui sous-tendent la reproduction, l'utilisation et le perfectionne-
ment
d'un
ensemble
de
moyens techniques impensables les
uns
sans
les
autres, isolés de ce contexte. Cela est vrai au paléolithique de la techno-
logie
moustérienne ou
levaloisienne comme cela est vrai de notre
techno-
logie électro-informatico-nucléaire".
Franck TINLAND
Conférence prononcée à Ouagadougou en
,
Décembre 1986.

87
i
Les
différentes technologies d'asservissement de l'énergie et
de
J
maîtrise de l'information,
le développement des industries correspondantes
auxquelles
il
faut
ajouter les phénomènes d'urbanisation
toutes
ces
données
ont transformé non seulement le milieu existentiel de l'homme
des
sociétés
industrialisées
mais aussi les institutions et
les
règles
qui
régissent son mode de vie.
Cette transformation n'est pas sans conséquence sur la spécificité
du système technologique contemporain dont il convient de cerner les carac-
téristiques
dans le cadre d'une théorie générale des ensembles techniques.
C'est
de la compréhension générale de toute technique comme système et
de
la
spécificité
de la civilisation technicienne contemporaine
qu'il
nous
serait possible de rendre intelligible~ les causes et les lieux de
distor-
sion
ainsi
que les effets déstabilisateurs des
cultures
traditionnelles
africaines inhérents au processus de l'expansion technicienne.

88
REMARQUES PRELIMINAIRES
L'élaboration d'un discours de statut scientifique est
confrontée
à
des
difficultés
et obstacles qu'il convient d'écarter
afin
de
mieux
circonscrire
l'objet d'étude envisagé.
En premier lieu,
on commence
par
prendre
ses
distances
avec un réalisme essentialiste des
concepts
dont
l'analyse
devrait nous introduire dans la substance même
du
réel.
Cette
prise de distance conduit cependant,
en second lieu, à ne plus tenir grand
compte
de l'activité conceptuelle en ce qu'on assigne prioritairement pour
tâche
à
la science la mise à l'épreuve d'hypothèses
explicatives
et
la
formulation de lois.
Mais ce qu'on néglige ainsi,
c'est l'intelligibilité
obtenue par la description des phénomènes réels à l'aide de concepts qui en
constituent une classification.
Or
celle-ci est indispensable à titre de condition pour le
déve-
loppement d'une théorie des lois.
Ces
concepts
ne peuvent se réduire à des entités
historiquement
contingentes
ou
à des désignations
purement
conventionnelles,
car
ils
constituent en même temps des outils de pensée au moyen desquels une multi-
plicité
de phénomènes peut être réduite à l'unité d'une synthèse.
On diSpose
ainsi
d'une
ligne de démarcation entre les phénomènes "éparpillés"
et
les
phénomènes conceptuellement unifiés:
telle est la condition à partir
de laquelle on peut procéder à la formalisation déductive de la réalité .


89
;
Ces quelques remarques préliminaires tracent sommairement le cadre
1
dans
lequel prendra place cette "esquisse d'une théorie générale des
sys-
tèmes technologiques".
Cette entreprise est délicate car il s'agit de la technique
comme
objet
d'étude,
or
il
existe une confusion relative au contenu et
à
la
délimitation
de ce concept
confusion encore aggravée quand on sait
que
les études auxquelles cette explication pourrait avoir recours,
demeurent
relativement rares et surtout ne forment pas un corpus cohérent.
La diver-
i i
sité
des points de vue jouant ici contre la constitution
d'une
probléma-
t 1
~ 1
tique plus ou moins homogène.
La
pluralité
des orientations est telle que parfois on
peut
se
demander
si
chaque recherche disponible vise le même
concept,
tant
est
grande
la
fluidité des contours que le vocabli "technique
recouvre".
Il
devient
difficile par exemple de distinguer les phénomènes
techniques
de
leur description scientifique.
1
Dans la plupart des travaux qui traitent de la "technique", il est
1
malaisé de discerner l'objet dont il est effectivement question,
objet qui
se réduit souvent à la variable indéterminée des facteurs de production.
L'autre
écueil à éviter est celui de la spéculation:
construire
la notion de technique en restant sur le plan de la pure
abstraction,
et,
par
là,
se contenter d'une saisie théorique de l!essence de la
technique
quitte
à
se réferer à quelques exemples concrets pour mener à
terme
une
démonstration sans rapport avec le fait technicien.

90
Pour éviter de tomber dans ces différ,ntes erreurs, nous tenterons
dans la présente étude de montrer :
- pour
autant que les outils et les machines médiatisent les rapports
que
les hommes entretiennent avec leur environnement physique,
les productions
techniques' ne peuvent se résumer aux seules prises qu'elles donnent sur les
choses. Outils et machines font partie d'un exel"ple plus vaste :le syst·ème
technologique
"qui
les
rend
possibles en même temps
qu'ils
structurent
les
rapports que les hommes ont entre eux aussi bien que ceux
(multi-
dimensionnels) qu'ils ont avec le monde des objets et des matières
premières"( 1).
- C'est
fort de ces considérations que nous tenterons de tirer les
consé-
quences
logiques de la position qui consiste à rejeter la réduction de
la
technique à la seule instrumentalité. Il deviendra alors possible, une fois
éliminé le privilège accordé à l'instrument, de déterminer son articulation
effective
avec un ensemble d'autres éléments comme l'opérateur ou
l'objet
de
travail ou le milieu;
cette articulation d'ailleurs n'étant pas figée
mais
s'opérant
à l'intérieur d'une pluralité d'activités
bien
définies,
celle du processus du travail dont chacune a une place bien circonscrite et
dont l'importance et la répétition s'apprécient à l'intérieur d'un ensemble
plus vaste (le système technologique).
Dans
cette perspective la technique ne peut apparaître
comme
un
arrangement provisoire de certains facteurs en vue d'un résultat puisque le
résultat s'intègre à son tour à l'intérieur d'autres processus techniques.
(l) - Franck TItlLAllD
"De l'autonomie des techniques aux nouvelles dimensions
de la responsabilité éthique et poli tique".
1
'justification de l'Ethigue
XIX Congrès de l'Association des Sociétés de Philosoplie
de Langue Française
Tirage à part
BRUXELLES-Louvain-La I~euve
6-9 Septembre 1982 - P. 426

91
On
est
ainsi
conduit à mettre l'accent sur
Ja
cohérence
d'un
système dont l'aspect principal est la régulation de son propre fonctionne-
ment d'ensemble.
Cette régulation,
partie intégrante du système, détermine sa phy-
sionomie
propre
et rend possible le fonctionnement ainsi que
la
distri-
bution
dans
le temps et dans l'espace des processus particuliers tout
en
intégrant leurs résultats respectivement spécifiés.

92
A-
LE SYSTEME TECHNClLOG lQUE :
COHERENCE ET FONCTIONNALITE
La technique, selon la belle définition de Spengler est "la tacti-
que
de la vie".
En ce sens elle recouvre les voies et moyens que
l'homme
utilise dans la ton) qu~te
de la nature.
La technique
apparait
dans
ses
manifestations
comme
l'ensemJle des moyens produits par les
hommes
pour
donner plus d'efficacité à leurs gestes;
efficacité qu'ils n'auraient pas
s'ils
en étaient réduits à la mise en oeuvre der prises naturelles
qu'ils
ont sur les choses.
Cet
aspect
aisément
perceptible conduit à une
définition
"ré-
ductionniste"
de la technique comme un ensemble d'outils et de
moyens
de
1
, production 1
C'est autour de ce point qu'avec l'avènement du machinisme se sont
développées
certaines théories modernes qui,
assimilant de façon unilat~-
raIe la technicité au seul moyen de production,
privilégient,
par ce fait
même, la notion d'instrument.
Cette
assimilation
a trouvé un appui sûr dans les
théories
qui
essaient d'apprécier de façon objective la technique.
Il
s'agit surtout d'expliciter le côté positif et objectif de
la
technique, en laissant de côté d'autres facteurs qui interviennent au cours
de l'opération (l'opérateur et le matériau de son oeuvre par exemple)
mais


93
sont
cons~dérés comme aléatoires Ou constants,
n'entrant pas en ligne
de
compte dan~ le domaine étudié.
Les motivations profondes de cette attitude proviennent de l'appa-
rition
de nouveaux types d'instruments que sont les machines d'abord ther-
modynamiques et ensuite automatiques,
avec les procédés et les
opérations
quantifiables
qui
transforment
le mode traditionnel
du
rapport
homme-
matière, et suscitent de multiples interrogations.
En
effet,
dans le machinisme apparaît d'une manière frappante un
aspect
inédit de l'activité du projet humain;
celui-ci s'extériorise
et
s'objective
en
réalisant sans son travail une norme qui a
une
existence
effective et constante.
De ce fait le même sujet peut-il par la suite être
considéré en tant qu'objet au même titre que la réalité matérielle.
L'activité
technique,
au moment de
son
accomplissement,
donne
prise à une analyse entièrement rigoureuse, une fois éliminée l'intériorité
insaisissable,
qui
en
tous
cas n'a pas d'incidence importante
dans
le
déroulement de l'opération.
Dans
et par le travail apparaît de cette manière un nouveau
type
d'objectivité: l'élément proprement "technique" qui corrprend les moyens et
les
méthodes matériels qui s'offrent à l'investigation
rigoureuse,
cette
dernière
s'efforçant de définir les caractéristiques spécifiques de
cette
réalité particulière.

94
L'analyse
théorique
peut alors se développer sur un terrain
so-
lide
celui
de
la technicité et du mode d'emploi
que
cette
dernière
incarne et commande à la fois,
à savoir quels sont,
définis d'une manière
précise,
les
gestes nécessaires au fonctionnement de l'outil,
de la
ma-
chine.
Parallèlement,
le
facteur
subjectif de l'opération constitue
un
champ de recherche où les procédés du calcul peuvent être
utilisés,
après
la
décomposition
des gestes de l'opérateur et la détermination
de
leurs
articulations aux différents moments du système que constitue la machine.
Cela,
d'ailleurs,
présente pour la théorie l'immense avantage de
pouvoir
s'appuyer sur les résultats des disciplines technologiques,
de la
mécanique
appliquée,
et
de pouvoir par conséquent exploiter
un
terrain
rigoureux dans lequel peu de place est laissée à la spéculation.
Elle peut
du
même
coup invalider les tentatives d'une
philosophie
des
techniques
comme
celle de F.
DESSAUER qui a voulu définir la technique comme un être
et
un devenir qui réalise l'idée humaine,
et constitue l'effectuation
de
l'esprit dans le monde(l), l'antinature par excellence.
Mais
l'assimilation
de la technicité à l'outil et à
la
machine
découle de préoccupations plus importantes.
En centrant ses développements
sur des moyens de production, la théorie fait dépendre de la morphologie et
1
de la structure de ces derniers ce qui concerne l'activité de
l'opérateur,
les résultats de son travail;
de ce point de vue, machines et instruments
(1) F. DESSAUER
Philosophie der Technik
Bonn, Cohen 1927.

95
constituent finalement la seule réalité technique, et par conséquent l'évo-
lution
de la technique se confond avec l'histoire de l'outillage pris dans
un sens très large.
Corrélativement, l'ensemble des êtres techniques forme
par rapport aux êtres naturels un ensemble isolable avec leurs caractéristi-
ques
propres et une réalité sui généris,
la réalité technique
elle-même,
qui justifient donc leur prise en considération en tant que tels .

Et celà, indépendamment de leur articulation avec l'ensemble de la
production des besoins qu'ils ont pour fonction de satisfaire. La réflexion
sur
la
technique
doit par conséquent s'assigner la
tâche
exclusive
de
,
dégager les modalités qui appartiennent en propre à cet ensemble et
élabo-
1
rer
les concepts aptes à saisir le mode d'être de ce
dernier.
Ainsi,
il
sera
accordé à l'instrument la dignité que les études partielles n'ont pas
pu lui rendre et,
en même temps, la théorie de la technique se constituera
en
véritable discipline scientifique possédant son objet et
ses
méthodes
propres
capable
de
saisir l'évolution et l'organisation
spécifique
des
objets techniques.
La problèmatique et le programme dont nous parlons ont été expres-
sément formulés par J.
LAFITTE dans un livre programmatique,
qui a
peut-
être
le
mieux exprimé les préoccupations qui allaient se manifester
dans
les recherches ultérieures.
Pour J. LAFITTE, en effet, il fallait éliminer
du
domaine
de
l'étude des êtres techniques tout ce qui
se
rapporte
au
"régime
de productio~',
afin de pouvoir détermi~er les
"corps
organisés

96
( ... ) construits par l'homme ( ... ) formant un ensemble isolable et distin-
gué par des caractères essentiels" ( 1) ,
"Caractères qui n'appartiennent qu'à
eux,
qui
leur
sont
essentiels et dont la considération
justifie
( ... )
l'isolement
de l'ensemble qu'ils forment dans le plus vaste
ensemble
des
corps
de
la nature"(2).
Ces corps organisés que l'auteur qualifie
d'une
manière
générale
de "machines" sont pour lui "des
assefllblages
de
corps
résistants
qui
reçoivent
de l'homme une forme
plastique
organisée"
et
couvrent en réalité l'ensemble des objets techniques depuis le poteau et le
flotteur
jusqu'à la machine automatique.
Le concept d'instrumentalité
se
trouve
de
la sorte élargi pour inclure des objets tels que
les
édifices
architecturaux qui possèdent tous les caractères de construction, d'organi-
sation et de plasticité.
En
fait,
une définition stricte du mot machine n'est pas donnée et
c'est
plutôt l'appartenance à une série évolutive des objets créés allant dans le
sens d'une organisation croissante,
qui la remplace.
Mais cette faiblesse
donne
toute
sa
force à cette ébauche théorique,
en supprimant
la
dis-
tinction
entre
l'instrument en tant que moyen de fabrication et
les
ré-
sultats
"plastiques" et durables,
elle accorde le même statut à tous
ces
objets créés par l'homme du fait de leur organisation interne,
aussi
élé-
mentaire soit-elle, et de leur fonctionnalité (3).
(1) Jacques
LAFITTE
:
Réflexions
sur
la science
des
machines,
VRIN,
1972, P.
16.
La première édition de ce livre est parue dans les
cahiers de la Nouvelle journée, Tome 21, Librairie Bloud et Gay, PARIS 193;
(2) Idem P. 23
(3) Idem P. 28

97
J.
LAFITTE traçait les contours d'une problématique qui
trouvait
son pendant dans toute une série d'investigations qui allait se concrétiser
dans
des études multiples
la biologisation du technologique se retrouve
dans
les discussions provoquées par les modèles cybernétiques
et
recoupe
d'ailleurs
les préoccupations de ceux qui rapprochent machine et
organis-
me
(1)
l'élargissement du concept de technique s'est
opéré
dans
études ethnologiques ou archéologiques de l'outillage primitif (2).
De
toute
évidence,
ce n'est pas l'auteur des Réflexions
qui
a
inspiré
ces études,
bien que certaines directions de recherche coïncident
avec
les siennes.
Mais la question qui demeure essentielle est celle
qui
concerne
l'être
technique considéré dans son isolement par rapport
à
la
production.
Sans une investigation de l'ensemble de ces êtres
- machines,
outils, instruments - en tant que tels, il ne reste à la théorie du techni-
que que le mirage de l'opération individuelle, provoquant par conséquent sa
dissolution
dans
la
multitude des projets singuliers
qui
tendraient
à
l'arrangement
chaque fois particulier des moyens en vue de la
réalisation
des
effets
désirés par les sujets en face d'u1e situation elle-même
sin-
gulière. Si, toutefois, l'étude se restreint à cette couche de la technici-
té,
celle
des
"machines" et de
leurs
déterminations
objectives,
elle
transforme
la
totalité des "machines" en règne particulier plus ou
moins
i
isomorphe
à
celui
des autres règnes du monde de
la
nature.
Une
telle
(1) G.
CANGUILHEM: La connaissance de la vie, 2è édition, Paris, 1967, P.
101-128.
-
-
- - -
(2) A. LEROI-GOURHAN
Milieu et techniques, Albin Michel, 1945.

98
conclusion s'impose quand la recherche se limite aux seuls éléments mécani-
ques du processus, et à ce titre, la pensée de J. LAFITTE est exemplaire.
Une
approche
plus
précise
de
l'of jet
technique
et
de
sa
fonctionnalité
interne demeure nécessaire,
tout d'abord pour replacer
le
discours
proprement
technologique,
celui
de
l'ingénieur,
dans
une
perspective théorique rendant compte du fait que chaque processus technique
1
est fonction de son articulation avec d'autres objets techniques,
et c'est
ce qui détermine son mode d'être.
De
ce
point
de
vue chaque être
technique
spécifique
est
un
ensemble d'arrangements qui intervient à des niveaux divers: l'arrangement
de son
concepteur diffère de celui du bureau d'études, de l'usinage, de sa
finition jusqu'à celui de son fonctionnement.
A chaque niveau,
il y a
un
nombre de paramètres différents qu'il faut combiner,
qui s'individualisent
tout en s'articulant les uns par rapport aux autres.
La
dialectique de leur individuation est fonction du
niveau
à
l'intérieur duquel leur articulation s'effectue.
Ainsi, pour un moteur; il
est
possible de délimiter une série de milieux successifs qui
l'affectent
et
le concrétisent chacun à sa manière.
Dans la plupart des étapes
qu'il
traverse afin de se réaliser dans sa forme finale,
l'attention se
portera
au
milieu
ou
aux
individus
techniques
qui
interviennent
dans
sa
fabrication.
Le bureau d'études ou l'usine sont en eux-mêmes des ensembles
autonomes

le mode de traitement de l'information et
l'auto-régulation
opèrent selon des principes distincts.

99
Chacune de ses instances est susceptible d'être considérée à part,
ce
qui
par
ailleurs est nécessaire pour
leur
détermination
théorique.
Néanmoins,
cette détermination théorique essaiera de saisir les lignes
de
force
qui
traversent ces instances pour autant qu'elles contribuent à
la
constitution de l'objet, en l'occurrencé le moteur, par l'élaboration d'une
métathéorie expliquant les articulations à travers lesquelles les
éléments
sont
produits pour aboutir à la configuration concrète,
qui n'est évidem-
ment pas sa forme plastique,
mais celle de l'objet technique déterminé. Il
va
de
soi que la même opération théorique peut s'accomplir au
niveau
de
tous les objets intervenant à l'intérieur de chaque ensemble qui s'organise
en un milieu à part: on aura donc une multitude d'interférences se concré-
tisant
en des points nodaux individualisés dotés d'une
cohérence
interne
grâce
à
laquelle chacun acquiert le caractère d'un système fermé dont
la
finalité lui est propre (1).
Il s'agirait ainsi d'effacer, pour rester sur le strict plan de la
finalité,
la
notion de résultat en tant que réponse à un besoin,
ce
9ui
réduit la pratique technicienne à n'être qu'un moyen par rapport à des fins
externes à elle-même,
qu'une variable du système économique. D'où l'impor-
tance accordée,
dans cette perspective, au mode de fonctionnement autonome
de cette "catégorie des réalités" spécifiques dontril est question ici.
(1)
L'essentiel étant la spécificité de niveaux emboîtés les uns dans
les
autres
et
constituant,
tous ensemble,
un règne
justiciable
d'une
méthodologie propre.


100
Ainsi, pour reprendre l'exemple du moteur, son étude aura pour but
1
d'expliquer la structure oarticulIêredans laquelle la somme des
éléments
qui y sont i~liqués la réalise en une "totalité" autonome : la forme et la
matière de la culasse renvoient à un taux déterminé de co~ression,
qui se
rapporte à son tour à un certain degré d'allumage; le moteur ne se compose
pas d'éléments indépendants les uns des autres.
La culasse, sa forme et sa
matière,
la
co~ression et l'allumage,
se constituant
en
moteur,
sont
inséparables
et
restent mutuellement conditionnés.
Il n'y a ni
vide
ni
espaces
possibles
entre
eux (irréductibles à un
rôle
précis)
et
leur
perception
séparée est un artifice du savoir,
pour autant qu'ils font
le
moteur.
De ce point de vue, on est en présence d'un individu technique qui
est saturé dans sa concrétion (1) par le fait que non seulement rien en lui
n'est
indifférent mais surtout par le fait qu'une finalité multiple
régit
ses cellules.
Ainsi
la complexité et les fonctions multivoqu$s de chacune de ses parties
se
trouvent
réalisées
dans un "tout" - qui ressemble
étrangement
à
un
organisme - défini comme ensemble des échanges qui s'intègrent au niveau de
l'objet.
1
La fonctionnalité des éléments de l'être technique, et son autoré-
gulation jouent pleinement à l'intérieur de ses limites.
Mais ces
limites
sont,
pour ainsi dire,
provisoires, car la fonctionnalité de chaque objet
(1) G.
SIMO'lDON, Du mode d'existence des objets techniques, Paris, Aubier-
Montaigne 1958-.- ~ plus spécialement aux pages 19-23 ; 50-56 ; 61-65
et
119
et
suiv.
Les développements de ces pages se
réfèrent
d'une
manière ou d'une autre à cet ouvrage.

101
se trouve subordonnée,
même du point de vue que nous examinons ici,
à une
fonctionnalité plus vaste, celle d'un ensemble ou d'un milieu qui l'englobe
de toutes parts.
G.
SIMONOON n'ignore pas cela, mais il veut accomplir un
1
renversement
des perspectives.
Il met au centre de ses préoccupations
le
"
1
point
de
vue de l'ingénieur;
celui-ci en effet se pose
constamment
la
question du passage de l'abstrait (- c'est-à-dire du résidu inessentiel qui
empêche
l'objet de jouer pleinement son rôle d'organe totnlement
adapté à
l'ensemble auquel il s'intègre -) au concret ou fonctionnalisation complète
des éléments matériels qui lui appartiennent.
Ainsi se réalise le sens
de
l'objet
technique dont le fonctionnement est rendu possible par l'autocor-
rélation
de
ses composants.
La visée est ici celle de
l'acquisition
de
l'homogénéité
qui permettra sa stabilité et son fonctionnement
permanent.
Sans cette homogénéité et l'auto-corrélation qui l'exprime, l'objet techni-
que ne peut pas persister et se "maintenir",
selon la terminologie
anglo-
saxonne, et, inversement, ce sont les caractéristiques qui lui accordent sa
spécificité technicienne.
Or le maintien,
l'auto-corrélation,
trouve sa signification dans
la
construction de l'objet technique,
qui doit par l'arrangement des élé-
ments
disponibles,
permettre
son fonctionnement régulier et
éviter
les
ratés. Les informations ou les matériaux auxquels le constructeur se réfère
sont
subsumés sous la fonctionnalité propre de
l'objet
construit.
C'est
littéralement
à
l'intérieur de celui-ci que ces éléments remplissent
une
fonction par rapport à l'ensemble, qu'ils se réalisent pleinement. Matériaux
et
information,
mais également appareillage machiniste,
sont
les
auxi-
liaires dans la mise en relation des éléments constituant les objets. Cette

102
liaison
dépend du type de ces derniers,
véritables porteurs de la techni-
cité
le
statut
de l'objet est en effet subordonné
à
l'aptitude
des
éléments
à remplir leur fonction et,
par la suite au cours de
leur
évo-
lution,
de leur perfectionnement,
une pluralité de fonctions. A cet égard
l'exemple du "couteau" que ci te LEROI-GOURHAN nous parait signi ficati f.
On
y voit comment une fonction cherche,
à travers des approximations toujours
plus poussées, la forme d'équilibre qui la "remplirait idéalement".
Cette
dialectique
simple de la fonction et de la forme
illustre
l'antique
principe du maximum qui sous-tendait l'argument par
les
degrés
d'êtres.
Mais
ces notations,
si précieuses soient-elles,
restent encore
trop
générales pour cerner dans son essence,
l'originalité de
la
techné
contemporaine.
En effet,
l'objet technique moderne,
"concret" selon la termino-
logie de 5IMONOON se rapproche du mode d'existence des objets naturels,
il
tend vers la cohérence interne,
vers la fermeture du système des causes et
des effets qui s'exercent circulairement à l'intérieur de son enceinte,
et
de
plus
il
incorpore une partie du monde naturel
qui
intervient
comme
condition de fonctionnement,
et fait ainsi partie du système des causes et
des effets.
Par la "concrétisation", l'objet technique devient pour ainsi dire
semblable à l'objet naturel. Au début il avait besoin d'un milieu extérieur
régulateur,
le laboratoire ou l'atelier,
parfois l'usine.
peu à peu dans
son
évolution,
il
prend distance de ces

milieux au fur et à
mesure
que

103
s'accroit sa cohérence,
se ferme en s'organisant sa systématique fonction-
nelle.
Il
devient
dans ce processus comparable à
"l'objet
spontanément
produit" ;
"Il
se libère du laboratoire associé originel,
et
l'incorpore
dynamiquement à lui dans le jeu de ses fonctions" ; (1)
C'est
sa relation aux autres objets,
techniques ou naturels
qui
devient régulatrice et permet l'auto-entretien des conditions du
fonction-
nement.
Cet objet n'est plus isolé,
il s'associe à d'autres objets, ou se
suffit à lui-même, alors qu'au début il était ~solé et hétéronome.
Le
progrès est tributaire du passage à la multifonctionnalité des
éléments qui saturent de plus en plus l'objet devenant capable de subsister
"par
lui-même",
en
dehors d'un milieu artificiel qui le soutient
à
ses
origines.
Dans
cette
dialectique fine,
joue peut-être la
fascination' de
l'assemblage d'un être artificiel acquérant son autonomie et une
existence
naturelle
à sa manière,
comme par exemple celui de la voûte qui se
tient
quand
elle
est achevée,
et se constitue elle-même comme stable
par
son
forctionnement.
(1) G. SIMONDON
DU MODE D'EXISTENCE DES OBJETS TECHNIQUES, Op. cit. p. 47

104
Cette
fascination
traduit bien une logique de l'invention
selon
\\..
laquelle
l'innovation se concrétise,
c'est€tdire
le processus par
lequel
l'être
.. technique évolue par convergence à soi et s'unifie
intérieurement
selon
un principe de résonnance interne" (1).
La logique de ce
processus
aboutit
à
rendre à l'objet technique l'aspect
d'une
dialectisation
des
fonctions, en restant aussi près que possible du fonctionnement effectif de
l'objet.
Cette "connivence", si l'expression est permise, avec l'appareil-
lage,
demeure une condition de la constitution d'une théorie de la techni-
que.
Toutefois
l'optique
de l'invention,
la limitation de l'étude
qui
s'ensuit et qui porte sur quelques séries d'objets techniques,
ne
suppri-
ment
pas
toutes
les
difficultés,
et surtout
font
abstraction
de
la
pratique
technicienne courante dont il serait inconséquent de ne pas arti-
culer les fonctions avec celles d'une pluralité d'objet.
Sans doute,
l'utilité dont nous parlons se manifeste-t-elle
sous
l'angle de la consommation de l'objet en tant que valeur d'usage,
mais est
aussi économique.
Malgré cela,
et en nous restreignant ici à une perspec-
tive strictement technologique, nous devons insister sur l'aspect suivant:
une
fraction importante des objets techniques fonctionne afin de
produire
d'autres
objets
qui
entrent immédiatement dans la sphère des
moyens
de
production et dans le circuit économique.
(1) ~ ci t. Page 20

105
Dans le système industriel~orsque l'objet a acquis sa cohérence
(et
que le système des besoins est moins cohérent) les besoins se
moulent
sur l'objet technique industriel,
qui acquiert ainsi le pouvoir de modeler
la civilisation. C'est l'utilisation qui devient un ensemble taillé sur les
mesures de l'objet technique.
De
plus l'articulation des objets techniques s'effectue à partir
de
leur
mutuelle dépendance qui entre d'emblée dans les calculs
de
leur
production:
l'auto-régulation de chaque machine est nettement subordonnée
à une régulation plus vaste des machines qui forment un
milieu: le moteur
!
d'avion se relie au calculateur de la tour de contrôle,
et ce dernier à la
l
fois au radar et à la calculatrice de l'avion.
L'autonomie de ces individus techniques se relativise à l'égard du
système
au
sein duquel ils opèrent (nous dirons par inférence).
Cela
ne
doit
pas
être
considéré sous le rapport abstrait de
l'unité
et
de
la
multiplicité
des
instruments
ce dont on parle ici concerne un problème
spécifiquement
technologique
celui
du lien
pragmatique
"de
l'individu
technique concret avec l'ensemble (ou dispositif) dans lequel il s'insère·:
ce qui, dans l'exemple cité, suppose également le traitement et la fluidité·
de l'information.
Le même problème surgit, quand on considère les liens de chaque individu du
système
avec les instances de la production dontiil dépend
d'une
manière

106
absolue.
Il est fabriqué, réparé, entretenu : toutes ces opérations suppo-
sent
sa
suture avec les moyens de production - les milieux
techniques
-
dont
il est issu,
auxquels le relie un cordon ombilical,
qu'il ne pourra
jamais
couper,
sauf au moment de sa mise au rebut (encore
qu'une
partie
relativement grande de ses déchets est susceptible d'être traitée pour être
réintroduite dans le processus de production).
Il
porte les signes de ses origines, !si bien que les
opérateurs
i
sont
obligés
d'avoir à leur disposition la documentation
nécessaire
qui
leur
facilitera les demandes des pièces de rechanges au stock et au fabri-
cant.
A vrai dire,
les appareillages modernes sont suivis tout au long de
leur fonctionnement par l'usine de fabrication:
accompagnés de leur
mode
d'emploi, ils sont supervisés par les techniciens de cette usine qui parti-
cipent également à la surveillance de leurs opérateurs.
Bien que distincts
et
partant
de
deux directions opposées ces deux
types
de
surveillance
concourent
au maintien du régime des appareils.
Une calculatrice de
type
ordinaire
est
visitée périodiquement par les inspecteurs de
fabrication,
entretenue
par des dépanneurs et surveillée par son prop~e
servant.
Ses
pannes prévisibles,
son "comportement" et ses ratés sont exploités par ses
conceoteu,,:, qui
en
quelque
sorte expérirnententles
modfllités
de
son
fonctionnement en accumulant les données qui rentrent sous forme de modifi-
cations dans la poursuite de la fabrication.
Aussi paradoxal que cela apparaisse,
la calculatrice et l'appareil techni-
que modernes nAe parviennent pas à être adultes.
Pendant toute la durée de
leur
activité
ils demeurent constamment liés au lieu de
leur
conception
sans
pouvoir s'en défaire.
Ce trait qui était occasionnel pour la techno-

107
logie
machiniste
se transforme en
caractéristique
permanente,
dans
la
technologie la plus avancée.
L'usure de l'appareil technique prend parfois
une
forme inédite:
la cessation de production du même type d'appareil et
par
conséquent
de
ses pièces de rechange et de tout
le
service
"après
vente"
conduit à son invalidation et à son retrait du circuit
d'utilisa-
tion.
Des
objets d'un mode d'emploi simple sont condamnés parce que
cer-
tains
de leurs éléments ont été remplacés par d'autres et s'ils
survivent
quelque
temps grâce à l'existence de pièces de rechange d~ns le
commerce,
l'épuisement de ces dernières les met hors d'usages.
Ils deviennent dignes
de
figurer aux musées technologiques de quelques boutiques d'occasion
où,
en nombre limité, on bricole encore ces pièces à la façon artisanale.
Ainsi,
l'objet
technique est inséré dans un réseau de relations,
et,
dans sa forme moderne,
il se constitue comme point d'un ensemble: il
n'est
valide
que pour autant que son fonctionnement
s'articule
avec
la
configuration
de
l'industrie et opère dans un circuit de
complémentarité
des fonctions du système dont son emplacement est un "maillon".
Son
auto-
corrélation
se
transcrit
finalement par l'exigence
particulière
de
la
fonctionnalité des éléments qui le constituent, de même qu'il est redevable
da
la
bonne
marche
de la partie système de production dont
il
est
le

résultat,
sa
fonction utilitaire l'articule avec une autre partie
de
ce
système
dont il est un élément des conditions d'existence.
Ces
problè~es
font
que l'étude morphologique de l'objet se fransforme très rapidement en
question syntaxique,
questions qui prédominent dans l'étude de la
techno-
logie. Cette prédominance occasionne un déplacement du centre de gravité de
la
théorie vers le système dont il fait partie et dont il est le résultat.

108
On
pourra
dire
que l'objet technique est au coeur
même
du
système
de
production,
et d'une manière relativement impropre, qu'il est l'expression
ou
le
moment
de ce système ou d'un de ses sous-systèmes.
Si
l'on
veut
saisir
cette
situation,
il est facile de l'illustrer
par
l'analyse
de
l'exemple déjà cité du moteur.
Si
le
moteur de l'automobile fascine toute une
littérature
nOl
scientifique,
c'est peut-être parce qu'il rend cette situation manifeste:
il
fonctionne en effet de par l'arrangement de ses éléments mais se trouve
en fait au centre de relations multiples:
il possède des organes qui
lui
permettent de s'articuler à l'axe et à la pédale de débrayage, et de proche
en
proche,
à
l'automobile
tout entière qui elle même s'articule
à
une
infrastructure
(routes,
réseaux
de
distribution
des
carburants)
sans
laquelle le moteur lui même ne serait pas ce qu'il est.
On
pourrait pousser
plus loin ces remarques, mais pour le moment il
suffit
de noter l'étendue de ces articulations multivoques:
la
machine,
selon le mode de sa fabrication, s'adapte à une variété restreinte de types
de
commandes (découlant aussi du savoir du conducteur) et
l'autoroute
se
découvre à son tour comme le résultat d'un travail déterminé présentant des
avantages en même temps qu'elle limite les conditions de son utilisation et
prescrit des règles de conduites.
Que i cela n'apparaisse pas d'une manière explicite - "ce n'est que
par
leurs
défauts"
que
les machines
"font
valoir
leur
caractère
de

109
produits",
disait Marx (1) - peu importe, du moment que le conditionnement
de l'engin reste constant et entre dans les calculs de l'opérateur.
Or ces
diverses
articulations réalisent aussi à leur manière ce qu'on appelle
un
objet
technique et il faudra se demander si la technicité n'est pas confi-
gurée par l'unicité de rapports entre des obj~ts singuliers.
Ces derniers,
véritables monades acquièrent la qualité technique par leur capacité
d'en-
trer en contact avec l'ensemble de toutes les autres,
en cofonctionnant au
même moment.
De
la s~rte,
on peut avancer plus encore en disant que le moteur
possède
ailleurs,
en
dehors de son lieu de fabrication et de fonctionnement,
ses
conditions
d'existence.
L'état du système productif,
comme
totalité
de
techniques
particulières,
n'est pas indifférent aux yeux de l'ingénieur -
c'est
à partir et sur la base de ce système qu'il conçoit ses
plans
- et
encore
moins pour l'utilisateur de l'instrument (tous les deux ont
d'ail-
leurs
recours
à la documentation qui décrit le type d'instruments
et
de
matériaux disponibles). Ainsi, le progès dans la "concrétisation" du moteur
ne
pouvait se réaliser sans que certaines améliorations dans le traitement
du minerai ou le raffinement de l'usinage des métaux,
entre autres, soient
déjà accomplies.
Mais les mots cachent une réalité plus complexe,
car
le
rapport
entre
les différents procédés,
la présence ou non des
nouvelles
matières premières en quantités "suffisantes",
les connaissances
applica-
bles
au
processus de la fabrication ou leur degré
d'applicabilité,
sont
étroitement
liés comme des moments décisifs d'une structure ou
la
récur-
rence joue dans tous les sens.
(1) Le CAPITAL M. gr. I.P. 185 (Editions sociales).

110
Ce
que
l'on appelle "l'état des techniques et des
connaissances
pratiques
à une période donnée" n'est pas une notion a contenu
exclusive-
ment sociologique, ni même seulement historique, mais une réalité technolo-
gique
déterminant le caractère systématique de l'ensemble
des
techniques
considéré
en ce moment précis.
C'est ce que l'historien Bertrand GILLE
a
bien montré dans sa monumentale Histoire des TechniqueS(1):
à une période
donnée
et dans une certaine aire géographique,
la technique constitue
un
système
global,
c'est-à-dire une totalité dont les éléments se
tiennent,
composé
d'un nombre considérable de sous-systèmes,
liés et imbriqués.
Ce
qui
revient en d'autres termes à rejeter toute tentative visant
à
isoler
des objets ou processus techniques.
Le concept de "Système technique" (défini comme un ensemble
cohé-
rent
de
structures
compatibles les unes avec les autres
(2)
que
Gille
introduit dans sa démarche, lui permet de décrire l'histoire des techniques
comme
le passage d'un système à un autre et de restituer le sens du
"pro-
grès technique" (entrevu comme un mouvement global).
Il fonde son analyse sur l'observation de l'inter-action entre les
différentes techniques d'une même époque et l'interdépendance des progrès:
Chacune des composantes d'un ensemble technique a besoin pour son fonction-
,.
nement
d'un
certain nombre de produits de l'ensemble.
Cette liaison
est
(1) Bertrand GILLE: Histoire des Techniques, la pléiade nO 21, 1978, P.19.
(2) ~ cit. : Préface P. VII
GILLE
entend
par
structure
une
combinaison
unitaire.
Et
il
est
possible
de
distinguer des structures élémentaires (comme
celles
de
l'outil),
des structures de montages comme celles de la machine.
cf:
Page 12. ~ Cit.


III
évidente
dans le système technique que.
B.
GILLE associé à la
première
révolution
industrielle
du 19è siècle :
il l'analyse avec finesse et i en
repère les articulations fondamentales :
"la trilogie essp.ntiel1e du
n~u-
veau système ( ... ) : métal, Charbon, machine à vapeur" (1).
Le
métal devenu matériaux universel se substitue au bois,
(maté-
riau-clé du système ancien) et dont les limites furent l'une des causes
du
blocage que la "Révolution industrielle permit de dépasser" ; le charbon se
substitue aux anciennes sources d'énergies (bois,
eau,
vent) et s'associe
étroitement
à
la machine à vapeur,
pivot du nouveau
système
machine
universelle
qui
sert de transport même de la source d'énergie qui
l'ali-
mente
et libère les servitudes de l'énergie intransportable
(vent,
eau).
L'expression la plus achevée du système étant le chemin de
fer,
véritable
axe
de transmission qui postule tout un ensemble de technique en amont
et
en aval (2).
Les mutations techniques dans cette perspective apparaissent comme
des
déséquilibres internes à l'ensemble
technique,
cohérence
nécessaire
entre les diverses techniques,
compatibilités avec les autres systèmes ;ce à
1
quoi il fayt ajouter les notions de saturation d'une technique,
de blocage
pour restituer intégralement tous les éléments contradictoires constitutifs
de
la dynamique des systèmes.
Ce sont ces différentes relations dialecti-
ques qui font que, à partir de certaines limites dans les conditions d'uti-
lisation, un système technique trouve à l'intérieur de son propre fonction-
(1) ~ cit P. 697.
(2) B. GILLE : ~ cit. P. 746

112
nement des obstacles;
c'est dans les

incompatibilités,
consécutives à la
saturation progressive du système des sous-ensembles techniques que
réside
le jeu de limites dont le franchissement constitue un progès.
1
Dans
cette voie B.
GILLE nous fait avancer dans la compréhension
de
la rotion de "progrès technique" et du caractère systématique
de
tout
ensemble
technique à une époque considérée,
mais d'avoir refusé aux révo-
lutions industrielles,
la radicalité de leur nouveauté en tant que rupture
par
rapport aux systèmes techniques antérieurs,
et en ne les
considérant
3
que comme des moments particuliers du "processus cumulatif du monde matériel
1,1
du quotidien de l'humanité depuis ses origines,
GILLE n'a pu nous amener à
la
compréhension
de la complexité de la technique moderne (ainsi que
les
idéologies
qu'elle secrète ou qui sous-tendent son emprise sur la
nature)
qui
se révèle comme une totalité hégémonique étendant son emprise
sur
la
(quasi) totalité des pratiques humaines.
C'est
à
Jacques ELLUL qu'il convient de se référer
pour
rendre
compte de la complexité ou du caractère englobant et autonome de la techni-
que moderne.

113
B- LA NOTION DE SYSTEME TECHNICIEN
L'étude des caractéristiques du "système technicien" (1) aura pour
résultat de nous révéler la spécificité de la technique moderne,
de mettre
en lumière son processus d'expansion et de mesurer ses conséquences sur les
structures des sociétés traditionnelles africaines.
Si
tels
sont nos objectifs,
Jacques ELLUL peut nous
servir
de
viatique dans l'orientation de notre problématique.
Sa compréhension de la
technique
moderne (comme le règne d'un gigantesque système sur
l'ensemple
de ses conditions) représente à notre connaissance,tun des efforts les plus
lucides
tentés
à
ce
jour pour restituer (et prendre la
mesure
de)
la
puissance technicienne.
Quel est l'essentiel de l'apport de J. ELLUL ? Parti de la défini-
tion de FRIEDMANN de la technique comme milieu,
ayant pris conscience
des
..
faits
d'organisation
interne,
de l'importance de l'informatique,
de
la
communication et du rôle de la régulation auto-référencée en
cybernétique,
la
lecture de Parsons
permet à Jacques ELLUL d'identifier la
technique
(1) J. ELLUL : Le système technicien, CALMAN. LEVY Paris 1977.
La
notion de système technicien que J.
ELLUL introduit pour qualifier
la
technique
moderne déborde de loin les ~onsidérations des
systèmes
techniques.

114
comme système, en un sens précis, mais non formalisé (1), que l'on pourrait
résumer dans les termes suivants :
La
technique ne peut être assimilée à la machine encore
moins
à
une
collection
d'instruments,
de méthodes et de produits.
La
technique
n'est
pas un facteur second et intégré dans une société non
technique
et
une
civilisation.
Elle est dans l'état actuel du monde occidental le fac-
teur dominant et déterminant dont dépendent tous les autres.
La
technique
n'est pas une médiatrice aléatoire et incomplète entre"l'homme et le milieu
naturel
elle est une médiatrice universelle,
produisant une
médiation
généralisée,totalisante et prétendant à la totalité.
C'est
sur le fond de ces consrd~rations et pour lever tout~ ambi-
guité que ELLLlL fait une distinction fondamentale entre l'opération techni-
que
et
l~ système technicien:
la première ayant
toujours
existé
dans
1
l'histoire! sous la forme de relation instrumentale,et le second ,préfiguré
par
le passage de l'artisanat au machinisme.
Le système technicien ne
se
réalise que dans la technique moderne,
laquelle franchit un nouveau palier
qualitatif.
(1) Deux unités ou davantages reliées de cette façon qui est un
changement
d'état
de la première soit suivi d'un changement d'état de toutes
les
autres,
qui
sera
suivi
à ~~n tour d'un nouveau
changement
de
la
première constituent un système.
Pour ELLUL,
bien que cette
approche
soit
vague,
elle
caractérise
un
aspect du
système
technicien
et
s'applique bien,
dans la pensée de PARSONS,
au système technicien, en
tant que le système est forcément intégration ~t intégré ou encore "une
organisation
structurale
de
l'interaction
entre
des
unités".
Il
comporte un modèle, un équilibre, un système de contrôle. -
TALCOTT PARSONS : - The Social system 1951
_ The system of Modern Society
Englemood - cliffs 1971.

115
Le
passage au système technicien n'est pas le fait d'une combinaison d'ou-
tillages ou une somme d'opérations techniques ni même de machines. C'est le
fait
d'une mutation brutale en discontinuité avec tout le passé
technique
de l'humanité.
Comment donc isoler le système en tant que tel ?
Le système est un ensemble d'éléments interdépendants, de telle sorte que,
- chaque élément ne prend son sens,
sa signification que grâce
à
l'ensemble,
- toute
évolution d'un élément provoque une évolution de l'ensem-
1
ble
et
toute
modi fication
de l'ensemble
se
.repfTC' :te
sur
l
chaque élément.
Ce
que
ELLUL
inaugure (1),
c'est appliquer cette notion
à
la
technique
comme
ensemble "concrèt"
cohérent,
possédant
ses
caractères
propres,
comparables à rien d'autre,
comportant ses lois particulières de
développement
et
de
transformation,
et
dont toutes
les
parties
sont
coordonnées
les unes avec les autres avant d'être en rapport avec
ce
qui
est étranger,
extérieur au système.
Reconnaître ainsi la technique, c'est
1
(1) A ce point il y a lieu de relever l'incomp~tibilité entre ELLUL
et
GILLE.
Certes
les
deux reconnaissent le caractère systémique de
la
technique,
mais
là où l'un reconnaît une spécificité radicale de
la
technique
moderne
dont
il appréhende la génèse
dans
les
premières
Révolutions
industrielles,
l'autre refuse d'adhérer à cette thèse
et
n'y
voit qu'un rythme accéléré du processus de cumulation
"des
maté-
riels
au quotidien de l' huma ni té",
processus dont la génèse
coïncide
1
avec It'origine de l'humanité.
1
i

l l
116
la considérer comme une organisation spécifique,
relativement indépendante
de l'homme; c'est franchir un seuil devant lequel beaucoup avaient renaclé
soit par idéologie (1), soit par pudeur scientifique (2).
ELLUL
ne
va pas jusqu'à couper le système (3) des
autres
"sys-
tèmes" ou "réalités",
il lui concède une certaine marge d'aléa. Cependant,
l'affirmation de cette spécificité va réclamer le déploiement d'une analyse
appropriée des caractères constitutifs de la technique comme système.
1
Quelles sont les caractéristiques du système technicien ?
Quatre
sont
saisissables
statistiquement
(les
caractère
du
phénomène
technique) et deux dynamioue~pnt
(les caractères du progrès technique).
(1) Le discours marxiste refuse encore de nos jours
toute
interprétation
mettant
en
relief
le
caractère
autonome de la
science
et
de
la
technique
qu'il
considère
comme
des moyens
ou
des
idéologies
de
domination. Dans l'ouvrage Collectif: L'idéologie de L dans La Science
édition
du seuil,
1969,
la thèse de MARX selon laquelle
"il
serait
possible
d'écrire
une histoire complète des inventions faites
depuis
1830,
dont
le seul but est de fournir au capital des armes contre
la
révolte
de la classe ouvrièreJest explorée et soutenue à fond tour
à
tour
par les cosignataires (HILARY
ROSE,
STEVEN
RESEN,
J.M.
LEVY-
LEBLOND ... etc).
(2) C'est le cas de J.
Claude BEAUNE qui tout en acceptant le principe de
totalité
l'applique
de
manière
uniquement
fonctionnelle.
Voir
la
Technologie, collection Dossiers, Paris, 1972 ~ PliF.
(3) "Bien entendu,
en efTl)loyant le mot système,
nous ne v9ulons pas
dire
que
la technique soit étrangère au milieu politique,
economique
etc.
Elle
n'est
pas un système clos.
Mais elle est un système en
ce
que
chaque
facteur technique (celui des machines par exemple) est
d'abord
relié,
relatif
à,
dépendant
de
l'ensemble
des
autres
facteurs
techniques,
avant d'être en rapport avec des ensembles non techniques,
ou
plutôt dans la mesure où la technique est devenue un milieu,
il se
situe dans ce milieu et le constitue en s'en nourrisant".
J. ELLUL:
~ Cit
P. 137.

117
Cette
distinction peut paraître superficielle,
mais
l'essentiel
est
d'admettre
qu'il y a système c'est-à-dire auto-organisation et
auto-
accroissement de l'univers de la technique moderne dans une relation
d'in-
terdépendance
de
plus en plus marquée à l'égard des
décisions
humaines.
Mais
cequ'il convient de comprendre:
c'est plus
l'assujettissement
des
décisions
aux "besoins" (régulation) du système que l'indépendance à
leur
égard qui est en cause.

118
LES CARACTERES DU PHENOMENE TECHNIQUE
L' PJJTCtOHE
Malgré
quelques réticences (1),
l'autonomisation de la puissance
technique est de plus en plusr~ ; l'autonomie n'est pas absolue, (2)
elle se laisse déchiffrer à plusieurs ni veaux;
d'abord dans la "concréti-
sation" de l'objet et du milieu technique.
La concrétisation c'est l'exis-
tence d'un schéma d'invention organisatrice qui reste sous-jacent et stable
1
au
travers de tous les changements et perturbations de l'objet
techniq~e,
mieux
encore l'adaptation-concrétisation est un processus qui
conditionne
la naissance d'un milieu au lieu d'être conditionné par un milieu donné. Il
est conditionné par un milieu qui n'existe que virtuellement avant l'inven-
tian.
Mais
cette invention concrétisante réalise un milieu techno-géogra-
phique,
qui
semble
acquérir une certaine indépendance à l'égard
de
son
environnement et fonctionner en elle-même.
(1) Comme réticences,
celle de Philippe ROQUEPLO demeure frappante:
fai-
sant des remarques justes pour caractériser la technique
contemporaine
(son
couplage
systématique
avec
la
science,
son
pouvoir
quasi
transcendant,
le
caractère
cumulatif et presqu'irréversible
de
son
progrès, son auto-idéologisation)~ Il fait même de l'auto-développement
de la science son hypothèse de référence. Mais cette hypothèse est très
vite critiquée et littéralement renversée: "1a thèse de l'autonomie de
la technique est fausse.
La production de fa société par elle-même lui
interdit
d'accepter
tout
factum
technologicum,
et
c'est
très
précisément
ce
dont il est question dans la décision
d'instituer
un
contrôle
social de la technologie:
il appartient à une telle décision
de mettre en place les dispositifs en permettant de faire preuve de
sa
propre possibilité":
Penser la Technique;
~ ciL PP 15,
28, 99,
127.
Suffit-il de proclamer la nécessité du "volontarisme" pour justifier un
pareil coup de force &étori~ ? A ce point de·notre analyse, nous n'en
somme~ pas encore aux questions polémiques.
Nous y
vie~jrons dans
l'évaluation des discours "misotechniques".
(2) J. ELLUL : le Système Technicien. ~ cit. p. 151

119
"L'objet
technique
est
dore la condi tion
de
lui-même
comme
condition
d'existeree
de
ce
milieu
mixte,
technique
et
géographique" (1).
En
d'autres termes,
l'autonomie déchiffrée au niveau de la "con-
crétisation"
signi fie que la technique dépend q' elle même,
qu'elle
trace
elle-même
son propre chemin,
en ce sens qU'elie tend à
s'auto-déterminer
comme un organisme qui par un prireipe interne tend à se c]ore(2).
Ensuite l'autonomie se manifeste dans l'abandon de
l' instrumenta-
1
lité (disponible,
offerte,
plurielle) au profit de programmes qui s'auto-
définissent et emportent des décisions du fait de leur propre poids j enfin
dans
l'abseree
de
leur prise en compte de l'intérêt
commun
éthique
ou
religieux
(3) .
Toutefois il convient de signaler que "autonomie" ne
veut
(1) J. ELLUL : Le système technicien Op. cit. P. 139.
(2) On
peut parler de système technicien au sens où on parle du career
en
terme de système. Comme le cancer, il y a un mode de prolifération d'un
tissu
nouveau en rapport avec le tissu ancien (il y a "relation
erltre
les
métastases").
Le career inséré dans un système vivant est en lui-
même un organisme vivant,
mais ireapable de vivre par lui-même.
Il en
est
de même pour le système technicien qui ne peut se
manifester
que
dans la mesure où il y a un corps social existant, mais d'un autre côté

dont
la
croissaree
ne laisse pas le corps social
intact.
(Reste
à
signaler que la métaphore elle-même est polémique ainsi que le livre de
ELLUL et que "technicien" implique plus que technique).
(3) Il convient de signaler (peut-être avec nuaree) que progressivement
on
assiste
aujourd'hui à l'émergeree d'une éthique technicienne dont
les
vertus
sone précision,
exactitude,
sérieux et réalisme et par dessus
tout la vertu du travail,
une certaine attitude de vie ...
Cela permet
des jugements de valeurs, ce qui est sérieux et ce qui ne l'est pas. Ce
qui
est utile car "elle est d'abord une éthique venue du
comportement
exigé
pour que le "système foretionne bien" ELLUL: système
technicien
Op. cit. P. 163.

120
pas
dire "indépendaree".
En effet l'aspect autonome d'un milieu technique
se
manifestant
dans son organisation interne et
dans
sa
foretionnalité
impose des contraintes propres aux hommes qui :
"usent de cette médiation dans presque toutes les situations

ils ont rapport au monde" (1)
autrement dit:
"ce
médiateur universel se développe selon une logique
interne
en
produisant des effets secondaires sur le monde social
( ... )
et sur le monde naturel" (2)
De
ce
fait, si l'histoire est un processus à
"dominante"
selon
l'expression
de Louis ALTHUSSER,
la question de savoi r quelle
est
cette
dominante
nia plus de sens en tant que question:
l'auto-production de la
société
n'étant qu'un effet secondaire d'un processus
technique
autonome
"non créé par la société" déterminant tous les facteurs.
L'~ITE
Le deuxième caractère de la technique est l'unité.
-.1
"le système technicien est avant toute chose un système c'est~à­
dire
un ensemble dont toutes les parties sont étroitement unies
les
unes aux autres,
sont interdépendantes et obéissent à
une
régularité commune" (3)
( 1) Frarek
TINLAND
:
"la technique comme médiation et comme système"
in
Revue Technologie et Société, Milieu, N° 1014 Juin-Septembre 1983,
p~
38-39.
.
(2) Idem.
(3) J. ELLUL
Le système Technicien, Op. cit. p. 171.

121
Cette dimension de l'unité a été abordée par SIMONDON. Mais ce que
ELLUL apporte en plus)c'est que partout où le système technicien prolifère,
il présente les mêmes causes, produit les mêmes effets, impose à l'homme ,un
,
cadre
de vie semblable,
les mêmes formes de travail,
implique les
mê~es
1
modifications
sociales et politiques et exige les mêmes conditions pour sa
croissance et son développement (1).
L 'LtHVERSALITE
Le
troisième caractère (le plus important pour ELLUL) est
l'uni-
versalité (2).
L'universalité se présente sous la forme de deux aspects: univer-
salité géographique et universalité qualitative.
Le premier aspect,
c'est
cette tendance de la technique~rre à gagner, tranche par tranche, toute
la planète.
Parmi les signes de cette universalisation,
il faut citer
le
,
phénomène massif de l'urbanisation:
le globe entier,comme le dit A. MOLES)
tend
à
devenir
une vaste Mégalopolis où les parcelles de la
nature
qui
résistent
encore à cette invincible poussée ne sont qu'un phénomène
rési-
duel.
L'état logique et inexorable c'estl l'environnement artificiel fabri-
qué par lek machines automatiques et les réseaux de communication.
(1) Cette
dimension de l'Unité" de la technique moderne est essentielle et
nous
permettra
de
cerner
les effets
de
destructuration
et/ou
de
restructuration
des
sociétés
traditionnelles
africaines
dans
leur
rencontre (choc) avec "l'occident technicien".
(2) L'universalité nous permettra de comprendre le transfert de technologie
comme un processus d'expansion du système technicien.

122
Ce
que Gilbert HOTTOIS appelle le "Technocosme" qui se
substitue
au milieu naturel et l'intègre en même temps : •
"Il
s' y substitue en devenant le nouvel
uni versum,
le
nouvel
e~lobant" (1)
Un autre signe de cette universalité en "extension" Cl est
1
"11 appar ition
de
réseaux
complexes qui
tissent
un
mai lIage
parfois
très
serré,
coextensif
à des
territoires
excédant,
éventuellement
celui
des ETATS ...
ces
réseaux
assurent
non
seulement la distribution de l'énergie et de l'information, mais
encore leur utilisation par un appareillage très diversifié, qui
ne saurait en être détaché" (2).
Le réseau EOF est significatif à ce point,
"tout
en
étant connecté avec les réseaux
voisins,
ce
réseau
recouvre
le
territoire
national
(français)
d'un
maillage
extraordinairement dense,
pénétrant la quasi totalité des lieux
de travail et d'habitation,
imposant sa médiation non seulement
lorsqu'il
s'agit de mouvoir les machines mais encore la plupart
des occurrences de la vie quotidienne" (3).
A un autre niveau ce sont les télécommunications dont les systèmes
peuvent être aujourdlhui interconnectés et de ce fait rendent
disponibles,
sur
tous
les
points
de la planète,
aussi
bien
les
données
que
les
facilités; il
en
est de même des satellites,
relais pour les
émissions
(1) Gilbert HOTTOIS:
le signe et ~ technique - Aubier, RES.
L'Invention
philosophique 1983. P. 88.
(2) Franck TINLANO
La technique comme médiation et comme système ~ cit.
pp. 36-37.
(3) Franck TINLANO
idem.

123
téléphoniques ou télévisées qui (dans peu de temps)
seront
l'illustration
populaire des interconnexions possibles.
C'est la constitution des réseaux
formés
par
les
banques
de
données,
les
ordinateurs,
les
moyens
de
communication,
bref la télématique,
y compris les "centr8ux" qui sont les
gros "terminaux" à usage transnational, et les satellites qui contribuent à
solidariser
le
"reste"
des objets et
projets
constitutifs
du
système
technologique
et
de son développement en système technicien.
De ce
fait
tous ces éléments militent en faveur d'une planétarisation de la
technique
moderne,
de
son omniprésence et de son omnifonctionnalité.
Pour
prendre
conscience de cette nouveauté de l'univers technicien moderne,il suffit
"d'envisager
les répercussions d'une brusque mise hors
service
de ce médiateur (EDF) qui assure la distribution de l'énergie et
de
l'information
sous toutes leurs formes,
et
mesurer
leurs
effets
sur
le
travail,
la
vie
domestique,
la
vie
tout
court ... " (1).
telle
qu'elle
peut
résulter d'un év~nement (incident technique ou adte
délibéré)
analogue
à la panne du 19 Décembre 1978) lors de
laquelle
des
disjonctions
en cascades ont en quelques minutes paralysé la
plus
grande
partie
des activités en France et engendré des conséquences parfois drama-
tiques.
L'autre dimension de l'universalité est qualitative.
Elle exprime
le
caractère
rationnel
constitutif de la
technique
moderne.
Point
de
technique moderne sans le support d'une rationalité scientifique, elle-même
(1) F. TINLAND - Justification de l'Ethique ~ cit. P. 428
- La technique comme médiation et comme système ~ cit. pp.
pp. 37-38.


124
universelle par vocation. Point de développement sans fixation et diffurion
de
modèles,
au
sens industriel avec tout ce que cela
exige
en
matière
d'unification des mentalités, des projets et de vocabulajres; "il faut tout
normaliser pour tout universaliser" (1) disait un spécialiste
présentant
comme une exigence ce qui paraît être plutôt, une fatalité déjà puissamment
lancée.
La normalisation d'un gadget n'est pas la plus décisive.
C'est au
niveau du langage que s'opère la révolution radicale: l'informatisation du
maximum
de données et d'opérations,
l'adoption d'une philosophie cyberné-
tique
couvrant l'ensemble du réel matériel et social mettant en
stock
le
monde comme un immense glacis informationnel. C'est dire que l'universalité
(en
tant
qu'extension de la technique à tous les domaines de
la
vie,
y
compris celui du langage) suppose une

appropriation mentale généralisée des
matériels,
mais
aussi des codes et des valeurs des techniques,
et par là
une
homogénéisation
psychologique
(un consensus
technicien)
grâce
aux
conditionnements de la consommation de ~asse:
!
"Pour
l'effort
le plus important aujourd'hui,
i l
n'est ·plus
besoin de s'entendre"
nous dit en substance Jacques ELLUL (2).
(1) Cité par J. ELLUL : Système Tech8icien, ~ cit., P.194.
(2) J. ELLUL: In Préface: Enjeux techniques et relations sociales. Ouvrage
collectif, Economica, 1985, P. 5.

125
Parce que justement la technique comme langage universel, s'accom-
plit dans la fraternité informulée entre les techniciens et même entre tous
les
hommes.
De ce fait il devient inutile de chercher un autre lien
mon-
i
i
!
dial, religion, idéologie, langue etc ...
i
Joël de ROSNAY SI inscrit bien dans cet te mouvance lorsqu'il démon-
tre
qu'un cerveau planétaire est en train de naître du gigantesque
réseau
de communication qui réunit progressivement les cervaux des
hommes,
"neu-
ronnes
de la terre".
Grâce à la télématique,
aux satellites,
aux fibres
optiques,
aux ordinateurs, nous construisons "au dedans" un cerveau plané-
taire du globe. Un organe sans formes réelles et dont dépend notre avenir.
"Malgré
nos luttes et nos haines,
malgré l'abîme de nos diver-
gences nous participons tous,
consciemment ou inconsciemment, à
cette construction dont dépend notre destin". (1)
Compte
tenu
de ce mouvement déjà amorcé et
de
la
mobilisation
massive
déjà réalisée,
on pourrait comprendre pourquoi les Etats font
de
l'adoption technicienne la priorité de leur projet de développement:
"Si nous considérons notre gouvernement, dit ELLUL, nous consta-
tons
que sa "pensée politique" (hors les thèmes électoraux)
se
résume
à deux idées forces:
développer l'informatique à
tout

prix,
l'introduire
partout,
dans
les ménages,
dans
l'agri-
culture,
à l'école ...
etc.
Et ensuite produire les techniques
les plus en "pointe",
les plus" sophistiquées" en espérant
par
là,
d'un
même
effort,arriver à exporter le plus
possible
et
réduire le chômage" (2).
(1) Joël de ROSNAY : Le cerveau Plarétaire, O1i vier ORBAN 1986, P. 11
(2) in préface Enjeux Techniques et Relations Sociales,
ouvrage collectif,
Economica, 1988. P. 5.

126
LA TOTPLISATICJ4
Le
quatrième
caractère de la technique est la
totalisation
qui
accomplit la fermeture du système sur lui-mêmej
le système se
caractérise
par
la globalité des processus de changement (dont la nature est variable)
par
le fait d'interdépendance de toutes les composantes,par le fait de
la
globali té:
"le phénomène technique est totalisant et spécialisateur. Il est
un
ensemble
global
dans lequel ce
qui
compte,
c'est
moins
chacune de ses parties ( ... ) que le système des relations et des
connexions
entre elles.
Ce qui veut dire que du point
de
vue
scientifique,
on
ne
peut étudier un phénomène
technique
que
globalement", (1)
et,
enfin
par la stabilité acquise.
Et c'est là l'une des dimensions sur
1
.l
lesquelles nous reviendrons dans notre recherche d'une solution à la
crIse
actuelle
de la civilisation techno-industrielle
le système a une
telle
ampleur que l'on ne peut revenir en arrière, on ne peut plus "œtectr'liciser"
Et
selon
les termes de J.
ELLLlL,
tenter une
"détechnicisation"
serait
l'équivalent pour les premiers hommes de revenir en arrière,
de mettre feu
à leur milieu naturel.
(1) J. ELLUL
Le système technicien ~ cit. P. 219.
(2) Que
devient
alors
le
statut
des
discours
"technophobiques"
qui
réclament
un
"retour
à la nature" ou qui se
proposent
de
dégouter
l'homme moderne des machines au profit de la sagesse antique.
Et qu'en
sera
t-il de certains mouvements intellectuels africains qui
prônent"
un retour aux sources" comme voie de rejet Qe i'hégémOnie
occidentale.
Toutes ces questions seront abordées dans l~s chapitres:
- Distorsions, effets pervers et discours misa-techniques
- Transfert de technologie et problématique africaine de modernité.

127
LES CARACTERES DU PROGRES TECHNIQUE
Dans
son
ouvrage "La technique ou l'Enjeu du
Siècle,
ELLUL
ne
séparait
pas
l'exposé
du progrès technique de celui
des
caractères
du
phénomène technique.
L'automatisme
et l'auto-accroissement 'étaient présentés comme les
deux premiers caractères de la technique modern'.
Il avait raison.
Il est
artificiel
de séparer du phénomène l'évocation de son
dynamisme,
il
est
difficile
voire
impossible de concevoir le système sans référence
à
ses
principes
d'organisation
et d'évolution internes:
depuis ses
origines,
1
jusqu'à ceijour, son renouvellement et la perspective de son fonctionnement
lui
ont été consubstantiels.
Il n'y a pas de phénomène trchnique plus
un
attribut (le progrès) qui viendrait le qualifier:
sous sa forme
moderne,
la technique est consti tuti vement "progressi ste" .
L'auto-accroissement est, d'ailleurs, une métaphore
"J'entend par auto-accroissement le fait que tout se passe comme
si
le
système
technicien
croissait par
une
force
interne,
intrinsèque et sans intervention décisive de l'homme" (1).
(1) Système technicien ~ ~ cit P. 229.


128
Formulati~n
plus prudente qu'en 1954,
bien qu'ELLUL note lui-même la fré-
quente reprise de cette idée par d'autres auteurs.
Cet accroissement auto-
nome
ou
quasi
autonome
s'explique
par
l'irréversibilité
de
la
technique,
ensuite
par
ce que GABOR appelle "La loi fondamentale
de
la
civilisation technicienne",
"ce qui peut être fait, le sera" : la pression
d'un
possible
grossissant
par une série d'actualisations
en
chaîne
et
d' inventions convergentes, enfi n par le fait que "la technique provoque des
nuisances
que
seule
la technique peut compenser"
(1)
forme
ultime
et
subtile de l'auto-accroissement.
S'agissant
de l'automatisme (qui résulte de l'autonomie,
même si
ELLUL ne le montre pas), ELLUL met l'accent sur la notion de
souplesse.
La
technique
comme
système
est
souple même
s'il
manque
de
"feed-back".
L'absence
de
"feed-back" signifiant que le système n'est pas
capable
de
rétro-agir (2), de se modifier, de remettre en cause ses fondements. Cepen-
dant, les obstacles doivent céder le pas devant le possible technicien. Tel
est
le principe de l'automatisme.
Celui-ci va jouer par une sorte d'arbi-
trage interne,
au système technicien. Ainsi le choix entre deux techniques
pour une même opération se fera en fonction de l'efficacité .

(1) ~ cit. P. 244.
(2) ELLUL écrit à propos de l'auto-correction: "si de toute évidence, nous
constatons
les
effets
négatifs de la
technique,
les
erreurs,
les
irrationalités,
la
disfonction,
nous n'apercevons
aucun
organisme,
automatique
ou semi-automatique de rectification" cela est vrai,
m~is
au
niveau
global
et
essentiel.
En
revanche
nous
le
vOYdns
quotidiennement amender ou travailler à rectifier,
des
défectuosités,
des procédés ou des procédures dont l'inadéquation a été démontrée dans
la pratique.

·129
On voit par là que ELLUL entend par automatisme, un automatisme de
choix,
automatisme
très souvent effectif parfois seulement
désiré
(mais
exprimant par là-même une sorte d'aspiration irrépressible du monde techni-
que) lorsqu'il s'agit de perfectionner la capacité d'adaptation jusqu'à une
sorte de malléabilité parfaite (1).
En
prenant
en compte les différents caractères de
la
technique
moderne,
sa dimension systématique nous apparait de façon évidente,
(même
s'il
lui manque de "feed-back", un des éléments essentiels de tout ensemble
organisé (2)).
(1) Car
la
technique exige pour progresser une
grande
mobilité
sociale
puisqu'il
faut
des
déplacements considérables
de
populations,
des
mutations
dans
l'exercice
des
professions,
des
changements
de
qualification
sociale,
des
affectations
de
ressources
et
des
modifications de structures à l'intérieur des groupes.
(2) J. ELLUL pense d'ailleurs que cette absence de "feed-back" n'est q~e le
signe "d'une situation provisoire". Certes la technique manque de feed-
back,
mais la nécessité ou l'urgence d'une éthique technicienne <telle
qu'elle
se
pose
de nos jours) à la dimension de la globalité
de
la
technique
moderne,
laisse
entrevoir la fin "très
prochaine"
de
ce
"marque de rétro-action".
"Il
est
possible
que
nous soyons en ce moment
en
présence
de
la
constitution progressive d'une telle rétro-action. Le problème éthique,
celui du comportement de l'homm~?ne peut être considéré que par rapport
à ce système et non par rapport a tel ou tel objet technique".
Et
ELLUL d'esquisser quelques éléments constitutifs de
cette
éthique
"nécessitée" par le développerpent même de la puissance technique
éthique
de
la
non puissance,
de liberté,
de conflits
et
de
trangression.
Voir
J.
ELLUL
"Recherche
pour
une
~thique
dans
une
Société
Technicienne"
in Ethique et Technique,
ouvrage collectif - Editions de
l'Université
de Bruxelles- 1953, PP. 7,15,16,17,18,19,20.

130
En effet,
l'auto-organisation et l'auto-accroissement de la puis-
1
sance
de i l'univers
technicien (unitaire par ses sources
de
progrès
et
unitaire
par
la convergence de son fonctionnemen~)et la synergie
de
ses
applications
dans
une
relation d'autonomie
par
rapport
aux
décisions
humaines/apportent des justifications en faveur d'une telle systématicité.
Toutefois 1 il convient de faire une analyse de l' j nformatique pour
dévoiler
ses dimensions proprement théoriques et de ses r8pports
avec
le
système
technicien dont elle renforce la systématicité.
Il faudrait
pour
cela
analyser
la constitution des réseaux formés par les banques de
don-
nées,
les ordinateurs, les moyens de télécommunication, bref, la télémati-
que,
y compris les "centraux" qui sont les gros "terminaux" à usage transna-
tional, et les satellites.
Autant que cette piste de recherche s'avère prometteuse, nous nous
limi terons
dans la présente étude à la dimension proprement
"connectique"
(1)
de l'informatique:
le sous-système informatique contribue,
par
la
circulation de l'information à tous les niveaux de l'univers technicien,
à
solidariser le reste des objets et projets constitutifs du système
techni-
que et de son développement en système technicien .
.ID. OC RŒNAYa bien perçu cette face de l'informatique
"La complexité du réseau nécessite des interfaces adaptées entre
les
machines
et
entre les hommes et les
machines.
C'est
le
domai ne de la connectique". tt)
Ceci fera l'objet du chapitre suivant.
(1) Le mot est de Joël De ROSNAY: Le cerveau Planétaire ~ cit.
(2) Joël De ROSNAY : ~ cit. P. 27.

131
C- LA CLOTURE INFORMATIQUE DU SYSTEME
La
technique
moderne
constitue
un
gigantesque
système.
Les
possibilités
de
mettre
en
évidence
la
nature
systématique
du
règne
technique
sont
nombreuses et disponibles.
Il suffirait
par
exemple
de
mettre
en
relation les sous-systèmes
ferroviaire,
de
l'imprimerie,
de
l'électricité
ou Ou téléphone etc ...
avec toutes les liaisons en amont et
en aval pour reconstituer le système dans sa globalité.
Ce qui reviendrait
implicitement à dire que le système technicien constitue son propre
cadre
d'existence et de sens et qu'il n'a d'autre cause et d'autre effet que lui-
même.
En
termes plus précis/le système technicien est une totalité
dyna-
mique,
dont tous les éléments se tiennent,
composée d'un nombre
considé-
rable de sous-systèmes liés et imbriqués.
Mais une tâche plus importante pour montrer "cette inter-relatio~'
entre différents sous-systèmes dans tous les sens, consisterait à mettre en

lumière le processus d'informatisation .
Cette démarche est d'autant plus importante que la spécificité
de
la technique moderne ne provient pas seulement de l'avènement de l'informa-
tique,
mais
aussi
du couplage des artefacts asservissant
l'énergie
aux
besoins
d'une prise efficace sur les matériaux avec les artéfacts relatifs

132
à la maîtrise de l'information. De ces différents artéfacts dans leur unité
fonctionnelle, on peut donc dire que la spécificité de la technique moderne
ne
s'explique
pas seulement par les rapports mécaniques (au
sens

on
parle
des différentes pièces d'un mécanisme d'horlogerie) ou énergétiques,
mais
aussi
et surtout par un ensemble de plus en plus
dense
de
rapport
d'information
(d'information irriguant le système dans tous les sens et
à
tous les nouveaux).
Grey WALTER avait présenté cette unité fonctionnelle de la techni-

que moderne dans la constitution des automates lorsqu'il écrivait en 1951 :
"jusqu'à
une date toute récente,
l'univers des machines
était
peuplé de récepteurs et d'effecteurs qui n'étaient que
rarement
reliés
entre eux,
comme si u1n uni vers eût été rempli de nerfs,
Ide muscles,
de glands,
d'yeux, d'oreilles etc ... , isolés, sans
aucune
trace de moëlle épinière,
ni a plus
forte
raison,
de
cerveau.
Le
feed-back n'est autre chose que ce qui se
produit
quand
un
récepteur
et un effecteur sont reliés entre
eux
de
telle
sorte
que
le
récepteur
puisse
à
la
fois
stimuler
l'effecteur
et
être stimulé par lui.
Il est très possible
de
construire
une machine qui manifesterait un comportement
aussi
intentionnel
que
celui
d'un
insecte
ou
d'un
vertébré
inférieur" (1).
De
ce
point de vue)le passage par la théorie
de
l'information,
par
la
cybernétique
pourrait nous permettre de cerner la systématicité de
l'uni-
vers technicien.
Norbert WIENER nous y aidera
(1) Aspects de l'électrophysiologie des mécanismes mentaux
perspectives
cybernétiques en psychophysiologie,
PARIS PUF.
1951.
P. 16. Cité par
M. TINLAND in "la technique comme médiation et comme système" Op.ci t.
P. 38.

133
"La cybernétique,
au sens strict est" la scieree de la commande
et
de la transmission des messages chez les hommes et chez
les
machines"
(1).
Mais
une
réflexion
sur
l'étymologie du terme
cybernétique
et
sur
la
foretion de la "commande" dans la société actuelle, ainsi que sur la vision
du monde proposée par WIENER,
doit faire prendre en compte la cybernétique
de manière fondamentale.
En
effet
lorsque
WIENER définit l'information pour
exposer
sa
coreeption cybernétique du monde,
c'est l'organisme vivant en rapport avec
son
milieu
etfinale~ent la société humaine tout entière qui sont les
domaines privilégiés d'application de cette noLvelle méthode d'intelligibi-
lité :
"Information est un nom pour ,désigner le contenu qui est échangé
avec le monde extérieur à mesure que nous nous y adaptons et que
nous
lui appliquons les résultats de
notre
adaptation.
Vivre
1
efficacement,
c'est vivre avec une information adéquate.
Ainsi
la
communication et la régulation coreernent l'essentiel de
la
vie
intérieure de l'homme,
même si elles concernent sa vie
en
société" (2).
Quand WIENER analyse les échanges entre une centrale électrique et le monde
extérieur, il le fait en terme d'information.
(1) CYbernétique et société, traduction française, PARIS UGE 1971. P. 9.
(2) WIENER~. cit. PP. 46-47

134
"L'ouverture et la fermeture des commutateurs,
des
générateurs
peut
être considérée comme ayant son propre système de probabi-
lité et de cOlfl)ortement lié à sa propre histoire" (1).
Cette autre formule de WIENER
qui suit, est évocatrice et peut nous aider
dans la cOlfl)réhension du système technicien:
"~
même que la quantité d' information d'un système mesure
ton
degré d'organisation, de même
l'entropie d'un système mes~re
son degré de désorganisation".
Ces différentes citations montrent bien que la théorie de l'infor-
mation est une réponse à la nécessité pour l'homme moderne de pénétrer
son
nouvel univers.
A ce
titre l'information est une médiatrice entre
les
diverses
techniques,
entre
les
diverses
sciences et entre les
sciences
et
les
techniques
les théories de l'information interviennent comme science des
techniques
et technique des sciences;
s'il en est ainsi/C'est parce
que
l'information
a
joué un rôle essentiel dans la structuration
du
système
lui-même.
C'est
à
partir du moment où chaque. objet technique ou
méthode
technique
n'avait plus pour fonction que d'ass~mer la tâche pour
laquelle
il
avait été créé mais aussi d'émettre et d'enreg~strer des
informations
émanant
de/et
allant
irriguer
l'environnement technique qu'il
y a
eu
système.
C'est,
en
d'autres termes,
l'information elle
même
qui,
par
l'intermédfaire
des
moyens
qui la
"communiquent",
assure
l'ajustement
interactif des éléments du système technicien.
(1) WIENER
~ cit. PP. 218-219

135
"La connectique permettant à di fférentes machines de communiquer
avec
les
autres,
crée
des
conditions
nouvelles
de
communicatio~l
(1).
Plus
la
technique gagnait en complexité,
plus les
secteurs
se
développaient de façon indépendante et incohérente: seule l'apparition des
ordinateurs
travaillant en corrélation les uns avec les autres
dans
tous
les
domaines
de
la communication permil ci'
remédier à
cet
état
dl ano-
malie. (2)
En
se
reliant les uns avec les autres pour
irriguer
l'ensem~le
,
1
technique
de
l'information
nécessaire à son fonctionnement
coherent
et
systématique, les ordinateurs forment alors le sous-système "des connexions"
entre les différents sous-systèmes techniques:
"Ces techniques diversifiées se sont unifiées en système par les
informations
transmises
l'une
à
l'autre
et
techniquement
utilisées pour chaque secteur" (3)
(1) Joël De ROSNAY
~ cit. PP. 27-28.
(2) L'importance
et
la
singularité
de ce rôle
n'ont
pas
échappé aux
analystes de la technique contemporaine et une sorle de' consensus s'est
même formée autour de ces aspects de l'information:
pour ne
signaler
que
cet
exemple récent 1TCfTLER fait de la, révolution i nforrr.atique
en
cours le nerf de la Troisième vague:
une nouvelle info-sphère
surgit
en même temps que se fait jour la nouvelle techno-sphère.
La troisième
vague, PARIS DENOEL 1978 P. 208.
(3) J.
ELLUL
"La
technique considérée en tant que système"
in
revue
philosophique PLiF. 1976 P. 156

136
La
croissaree et le progrès même de la recherche scientifique est
largement dépendante de ces échanges constants :
"C'est
l'ordinateur
qui
va
permettre
au
sous-système
scientifique de s'organiser efficacement", (1)
par son usage dans les recherches bibliographiques et pour l'enregistrement
des découvertes, innovations et inventions.
Cette
fonction
du
sous-système
informatique
n'est
pas
sans
rappeler
celle du système nerveux dont les neurones en nombre considérable
établissent les connections (communications) entre différents domaines.
connections afférentes (vers les centres)
- connections efférentes (vers la périphérie)
- connections inter-centrales.
Ces neurones,
pour ainsi dire, sont spécialement adaptés à la transmission
d'une
information
sous
la
forme
d'influx
nerveux 1 c'est-à-dire
d'une
impulsion électrique.
Cet influx nerveux passe d'un neurone à un autre par
l'intermédiaire de relais appelés synapses.
,
,
i
Toutefois/ il convient d'indiquer qu'il n'y a de similitude
entre
l'ordinateur
et
le système nerveux que par leur fonction
(similitude
ne
veut pas dire identité). Comme le souligne ELLUL :
( 1) idem P. 111.

137
"C'est
le
passage
permanent
de
milliers
d'informations
opérationnelles d'un secteur à un autre qui est déterminant.
Et
ceci a été facilité par l'ordinateur: nouvel ensemble technique
grâce à qui le système achève de se constituer". (1)
Prenons quelques exemples pour illustrer nos propos: l'exemple du
transport
en
milieu
urbain est assez
intéressant
la
structure,
le
fonctionnement
et
la
fonction
du
système
de
régulation
automatique
(commande
des
feux
rouge,
etc ... ) de la circulation
dans
les
grandes
villes; tout ceci fonctionne grâce à l'informatique.
Il
en est de même du sous-système de la communication
aérienne
qui ne peut fonctionner que par les informations transmises des centres
de
contrôles
relatives aux différentes positions de chaque avion et de
leurs
différentes relations ... etc.
(1) Le
comportement des systèmes techniques complexes,
composé d'un
très
grand
nombre d'éléments en interaction,a inspiré un certain nombre
de
théories
comme
celle
du
Cùnnexionisme
(Branche
de
l'intelligence
artificielle
surtout développée aux USA) qui se propose d'étudier
les
architectures
des machines aussi proches que possible du cerveau.
Ces
différentes théories se posent les questions suivantes: comment relier
les
comportements observés à la structure du système?
Comment
cette
structure
s'est-elle constituée?
Peut-il y avoir
auto-structuration
comme en partie dans l'épigénèse du système nerveux? Peut-on appliquer
la logique de l'auto-organisation des systèmes vivants à la synthèse de

machines
intelligentes
capables
par
exemple
d'apprentissage
?
La
modélisation mathématique
de ces systèmes se heurte
à
des
grandes
difficultés
théoriques
et
pratiques
(même
si
nous
connaisspns
exactement la nature des constituants et de leurs intéractions,
ce Gui
n'est pas le cas pour les systèmes naturels en général):le grand nombre
de
variables
et
le
caractère
non
linéaire
des
interactions
ne
permettent pas d'utiliser les méthodes analytiques classiques, pas plus
que celle de la simulation numérique. Ainsi les discours qui proclament
la substitution de l'homme par le robot ou l'ordinateur relèvent
d'une
méconnaissance
du processus d'informatisation.
Nous aborderons
cette
question dans les discours "misQj:echniques".

",,1
138
Ce n'est pas seulement la théorie de l'information qui nous oblige
à
constater le processus de formation du système technicien mais aussi
la
multiplication des appareils transmetteurs et dés techniques d'information:
l'avènement
dans ces derniers temps des réseaul,
véritables autoroutes de
la communication et qui multiplient entre autres les capacités de transport
d'une
information et accentuent leur interchangeabilité
(câble
coaxiaux,
fibres
optiques,
voies
hertziennes
po~vant véhiculer toutes
sortes
de
i
message) est évocateur. Ce à quoi il faut ajouter la numérisation, qui tout
en comportant cette substituabilité offre une échelle unique de quantifica-
tion
(donc de tarification,
et partant de marchandisation) de toutes
les
informations ainsi traitées et véhiculées.
Ces
exemples montrent que l'avènement de l'informatique n'est pas
un
produit
accidentel
de la capacité de l'homme moderne
à
produire
de
l'information,
il s'agit plutôt d'une exigence de mise en relation
inter-
technique
et
de l'apparition d'un système de médiations.
Cette
exigence
elle-même répond aux besoins de régulation interne du système technicien et
elle
est "dessin en creux" des moyens techniques
informatiques,
au
même
titre
que
"le
câblage"
nerveux
était
lié
aux
besoins
internes
des
organismes
complexes
et donc aussi un "verrou ll qu'il
fallait
IIdéplacer ll
dans l'évolution des êtres vivants.
La
fonction principale de l'informatique et tout ce qui l'entoure
est
l'intégration
du
système
technicien.
L'informatique
permet
la
c.ommunication
et
donc
l'ajustement
des
sous-ensembles
entre
eux
et
l'incursion
de
particularité et de généralité.
C'est
par
l'information
1

.••.1 ,
139
totale et intégrée réciproque que les sous-systèmes techniques peuvent à la
fois se constituer comme tels et peuvent se coordonner.
Permettant
l'intégration
du
"règne
technique"
comme
totalité
complexe,
l'informatique boucle en quelque sorte le "technocosme")le fait
apparaître
non seulement comme autonome mais 1ncore autarcique:
clos sur
soi-même,
sans relation à quelques dehors.
(A ce titre on peut la
penser
comme
langage au-monde technique ou langage au-monde tout court,
le monde
étant
pénétré
de part en part par la technicité).
Le
champ
des
signes
i
informatiques
paraît
totalement
dépourvu
de
référence
autre
que
1
f 0 nc ti 0 nne11e et interne au "technocosme".
Jean
BAUDRILLARD
(1)
note que notre environnement
est
d'ores
et
déjà
transformé
en
univers de la communication et que c'est en cela
qu'il
se
distingue des concepts de nature et de milieu du XIXe siècle (à travers par
exemple
le
romantisme de Goethe).
Le grand signifié,
le grand
référent
"nature"
est
mort
et
ce
qui
le
remplace
c'est
l'univers
"câblé",
(1) Dans l'état actuel de notre développement, cette analyse ne prend aucun
sens
critique
de
l'espace
technicien,
ce n'est
qu'un constat
de
l'emprise de l'homme moderne sur son environnement
naturel.
Toutefois
nous
ne manquerons pas de prendre la mesure de toutes les conséquences
de
cette "régation" de l'espace naturel (critiquée en tant
que
telle
par
les
écologistes)
qui peut,
dans sa
manifestation
suprême,
se
revéler,
dans
l'investissement
du langage par
la
technique,
comme
arti ficialisation de "l'ordre symbolique".
Encore faudrait-il prendre le soin de signaler que cette négation de la
nature
ou cet investissement du langage par la technique ne
sont
que
des manifestations de l'expansion technicienne.

140
l'environnement

le
système
de circulation des
signes
abolit ,toute
référence ou encore devient lui-même son propre référent. (1)
A ce
niveau de notre démarche/avant de
restituer
les
discours
misotechniques
et
pour
mieux
les "évaluer" un
bilan
relati f
à
notre
1
développement sur la technique comme système s'impose:
1)
- D'un point de vue général,
il n'y a d'objet ou de processus
technique
que
tant
qu'il
est un élément
d'un
système
aucun
objet
technique n'est concevable en dehors de sa participation à un environnement
technologique.
2)
L'évolution combinée des sciences et des techniques
modernes,
se
concrétisant dans les différentes révolutions industrielles qui se sont
succédée
depuis le X!Xe siècle et dont le couronnement est l'état
actuel
du
système technicien cohérent,

systématique et autonome)nous
permet
de
définir
la
technique
comme
l'ensemble
des
procédés
ordonnés,
scientifiquement
mis
au point,
qui ont pour fin
l'investigation
et
la
transformation
de la nature et s'accompagne d'un machinisme puissant
pour
aller toujours plus avant dans son exploitation.
(1) Il
convient
de signaler que "cette clôture" informatique
du
système
"est
tout de même relative.
Le système dans son ensemble a besoin
de
"cosmos"
naturel
pour
fonctionner
ou
se
développer
(énergie
et
matériaux).
1
i
\\l

141
D'une telle technique,
nous retiendrons les caractères principaux
que
sont
la rationalité (qui tend à soumettre au mécanisme ce
qui
était
spontanéité
irrationnelle),
l'artificialité (qui éloigne radicalement
le
monde
industriel
du monde naturel),
l'automatisme qui libère
l'activité
intellectuelle de maintes tâches, l'universalisme qui fait que la techni~ue
déborde
de
partout les limites des mentalités j
ce
qui
entraîne
ainsi
l'impossibilité
de
se
cantonner dans une partie de
l'activité
humaine,
enfin l'autonomie et l'auto-accroissement indéfini.
La technique moderne désormais milieu de l'existence humaine,
s'empare
de
l'homme vivant tout entier,
l'ordonne et l'oriente selon son propre génie.
Toute
son
activité tend à être planifiée ou recomposée selon les
schémas
d'organisation rationnelle,
législations, administrations, enseignement et
même jeux. L'habileté et la souplesse rationnelle, comme l'a si bien montré
Gilbert SIMONDON, sont une part essentielle de cette technique, ce qui fait
que
l'homme,
créateur
moderne,
est
indivisiblement
un
savant
et
un
technicien.
La technique,
par ailleurs,
s'jnsère comme un
intermédiaire
dans les raisonnements des savants.

Ainsi
se
trouve
renforcé
l'aspect
systématique
d'un
milieu
technique:dont
"l'organisation
interne"
et
l'autonomie
fonctionnelle
imposent
'leurs
contraintes aux hommes qui usent de cette
médiation
dans
presque toutes les situations où ils ont rapport au monde.

142
Autrement dit
"ce
médiateur universel ( ... ) multiplicateur de possibilités et
de
contraintes,
se
développe
selon
une
logique
interne
produisant
des effets secondaires sur le monde social et/ou
le
monde naturel. Ces effets en marge des résultats obtenus dans le
droit fil des intentions techniciennes visant la
transformation
du
donné
par
une activité efficace en vue de
satisfaire
les
besoins et les désirs humains" (1)
seront en partie les éléments autour desquels vont s'organiser les discours
misotechniques.
( 1) Frarck TINLAND
"La technique comme médiation et comme système"
~ cit P. 39.
1

143
D- DISTORSIONS ET/OU PERVERSITES DES TECHNIQUES
ET PRU..IFERATI~ DES DIsaI..R5 MISOTECHNI(J.I:S
Le
XIXe
sièèle associait le progrès des techniques à
l'idée
de
progrès,
face à un univers existant sans lui, l'homme assumait la tâche de
faire de sa planète "le corps inorganique de l'humanité" selon l'expression
de
Karl
MARX.
La confrontation entre l'homme et la nature
finirait
par
l'appropriation, 'l'homme ferait du monde son "chez soi" par la connaissance
-~
;
scientifique et la maîtrise technique. Réminiscence du vieux rêve cartésien
de "rendre l'homme comme maître et possesseur de la nature".
Aujourd'hui,
il faut revenir avec plus de prudence sur ces consi-
dérations
la
machine et la civilisation industrielle sont chargées
de
1
i
tous
les maux présents et à venir.
La formation du "système
technic~en" ,
l'artificialisation et la mécanisation du milieu existentiel de l'homme des
sociétés industrialisées,
de son rythme de vie,
ainsi que la substitution
par la pensée moderne à tout schéma, le schéma mécaniste et rationaliste de
l'explication
la mondialisation de l'économie et l'universalisation
du
système
technicien;
leur systématisation à l'échelle
internationale
se
caractérisant entre autres par l'uniformisation des cultures ainsi que leur
répercussion sur l'écosystème et sur la vie sociale
tout ceci s'effectue



144
en
même
temps
que l'opposition homme/nature se
transmue
en
opposition
1
homme/teqhnique.
Selon
certains discours contemporainsedestinée à alléger la peine

des hommes, la technique ne ferait au contraire que l'aggraver, l'âge de la
machine,
au
lieu d'être l'âge d'or de l'humanité,
se révèlerait en
être
l'âge
de fer,
au lieu de libérer l' homme et d'en faire "le maître
et
le
possesseur
de la nature",
la machine transformerait l'homme en un esclave
de
sa propre création,
enfin la machine du moins l'industrie
détruit
le
cadre naturel de l'homme et rend la vie de plus en plus incertaine.
C'est
autour
de ces points (plus les guerres meurtrières du 20e
siècle, la découverte de l'atome nucléaire ... etc) que l'orientation "miso-
technique"
s'est constituée selon les termes de Gilbert SIMONDON "en
sys-
tème de défense contre les techniques".
Les Orientations misotechnigues et les réactions anti-technicistes
"Parce que le pouvoir technique a crû démesurément,
la méfiance
et
l'horreur qu'il suscite ont une portée beaucoup plus
essen-
tielle.
C'est cette dimension nouvelle qui importe. En dépit de
leur impact concret effectif et possible énorme, les craintes et
les refus de la technique dictés par les considérations "pragma-
tiques"
(... ) ne sont pas l'essentiel parce
qu'ils
continuent
d'émaner
d'une
évaluation anthropologiste de la
technique
et
roulent
sur
la
problématique simpliste du "bon usage"
de
la
technique dont l'acteur et le bénéficiaire demeurent les
sujets
humains" (1).
(1) Gilbert HOTTOIS
~ cit. PP. 149-150.

145
En effet les discours Jisotechniques partent de
la
définition de la technique comme d'un ensemble d'outils ou de moyens de
production,
"acte traditionnel efficace" ou encore comme la réalisation de
l'idée
dans le monde.
Parallèlement, 1 il s'agit de situer le
niveau
par
rapport auquel on aborde les entités techniques en question.
Ainsi
l'instrument
ou
la machine appartient au
domaine
de
la
réalité
objective
tandis
que le travail,
qui les manipule ou
les
fait
fonctionner,
se présente comme le "côté subjecti f" du processus total.
On
pourrait considérer que leur rapport contradictoire se ré saud au moment
de
la
réalisation du produit,
mais dans ce cas on doit alors tenir compte du
fait qu'une technique se constitue par la répétition constante d'une
seule
et même opération (ce qui ne signifie pas du même geste). Par ailleurs, une
autre
forme
de contradiction se profile à travers l'acte
du
technicien,
celle qui concerne l'hétérogénéité radicale des moyens et des fins,
et qui
recouvre partiellement la première.
Car "la fin", expression d'une subjec-
tivité qui veut s'accomplir dans le monde, doit se confronter aux exigences
d'un
ensemble matériel plus ou moins rigide et de plier le désir à la
loi
de l'instrument,
qui est inertie, et devenir elle-même (cette subjectivité
singulière)
la
servante de l'inertie,
se transformant par là en
élêment
passif
d'une machinerie qui s'oppose à elle et devient apparemment
l'élé-
ment actif de la synergie homme-matière.
C'est
de
l'exploitation systématique de ces oppositions
que
se
nourrit
le discours misotechnique philosophique (1)
oppositions
d'ail-
(-1) Gilbert HOTTOIS utilise le concept de "Technophobie philosophique" pour
caractériser
les
différentes
attitudes
anti-technicistes
des
philosophes contemporains.

146
leurs,
héritées de la philosophie classique
la théorie se trouve à
son
aise
dans
l'explicitation qu'elle opère du couplage des notions
qui
lui
sont familières:
distinction entre pratique et théorique, entre praxis et
poiésis, subjectivité et chosé!té.
Cette démarche consiste à subjuguer en quelque sorte la technicité
à
l'intérieur de l'opération familière du philosophe,
sans se demander si
les notions issues de l'explication de la tec~nicité, celles
qu'élaborent
les scientifiques et les ingénieurs dans leurs disciplines respectives,
ne

possèdent
pas
une sémantique qui leur est propre et à partir de
laquelle
l'appropriation théorique de la "réalité" technique peut devenir
possible.
Non sans ironie,
un auteur s'interroge pour savoir si la situation pouvait
être
pire
étant donné que la philoso~hie, par sa négligence coupable à
l'égard ide la technique,
contribue à bloquer les analyses des "significa-
tions et des applications de la technologie" (1).
Il faut toutefois raffi-
ner
ces
développements afin de se prémunir contre les
pièges
créés
par
certaines pensées philosophiques, constituant un réseau complexe.
En
premier
lieu,
cette
pensée se distingue par sa
tendance
à
élabcrer son discours, d'une part en rigidifiant l'opposition entre notions
complémentaires (homme/matérialité,
nature/cul~e) de sorte que ses
ana-
lyses se
réalisent à l'intérieur d'un espace bien clos,
et d'autre. part,
par leur répétition constante.
Mais pour qu'une telle structure opère, une
démarche conjointe est nécessaire:
la possibilité de traduire chaque fois
(1) J. C. BEAUNE
La Technologie, ~ cit. P. 27

147
fl
l'avènement
d'une
pratique nouvelle en une catégorie déjà
connue.
C'est
' p
ainsi que le travail effectué dans les disciplines concrètes a eu recours È
des notions neuves,
telles que celles de machineries ou de production; or
t,
pour acquérir de l'efficacité, celles-ci sont immédiatement transformées er
e,'.',
des mots vagues,
comme ceux de moyen et de pratique, sans que leur conte~
"
de catégories philosophiques pérennes en soit modifié. Au lieu d'une explo-
ration du concept, on se trouve en présence d'une substitution lexicale qui
vise
à
établir la permanence de la catégorie déjà connue,
comme
apte
à
couvrir
les significations inédites que les nouveaux
signifiants
délimi-
tent.
En
quelque
sorte,
est
refusée
aux
"mots
nouveaux"
la noblesse des opérateurs théoriques;
ce simple fait de langage, apparem-
,
ment
innocent,
dissimule
cependant
des conséquences
importantes
la
technologie a une histolre qui se déroule dans un champ
spécifique,
celui
de
la production matérielle,
histoire et champ qui,d'une manière ou d'une
autre, Idoivent
être
éliminés et subir une commutation
qui
les
rendent
capables de jouer une fonction qui s'accorde avec les structures du discours
spéculatif dominant. (1)
Toutefois,
cette situation bien connue (2) ne fait qu'exprimer le
rôle
idéologique
de la philosophie dans un de ses aspects les plus
ordi-
(1) discours particulièrement inspiré par HEIDEGGER.
(2) Les travaux de l'Epistémologie sont à cet égard décisifs même s'ils
ne
concernent que le seul plan des sciences exactes.
cf:
Les travaux de
G.
BACHELARD, en particulier le Rationalisme appliqué et également les
développements
de
D.
LECOURT
l'Epistémologie historique
de
Gaston
BACHELARD,
Paris, 1970 et Pour une critique de l'Epistémologie, Paris,
1972 .

149
trouve soumise aux normes de ce dernier et obéit à son ordnnnancement fondé
sur
le calcul.
C'est ainsi que la réalité humaine perd de son intériorité
et
s'objective,
passant
de créatrice de ses appareillages à
un
élément
calculable de l'automate.
De cette façon l'homme du rendement, assimilable
à une machine,
est pensé sur le modèle de cette dernière, car il "se situe
dans
les choses et les appareils dont il dépend pour
exister"
(1).
Avec
l'artificialisation
de son milieu existentiel,
se déchire la belle
cohé-
rence du monde, et comme dit K. JASPERS, l'ensemble des étants n'entre plus
dans
la totalité du "WeI tbild" à laquelle se substitue l'ordre des
calcu-
~ .'
,.'
latrices.
D'une
manière
générale,
le
monde se désagrège pour
obéir
aux
injonctions du machinisme fondé sur les équations :
"L'homme
du XXe siècle a perdu un monde plein de sens et
s'est
perdu lui-même" (2)
Dans le monde des objets fabriqués par lui,
il a perdu sa subjec-
tivité pour se transformer en victime de ses propres créations.
De plus la
standardisation et le nivellement des objets ainsi que la spécialisation
à
outrance, se repercutent sur l'être humain considéré comme uniforme dans ses
attitudes
et
ses
désirs,
habitant solitaire des
immenses
agglomérats,

(1) Gabriel MARCEL
Les hommes contre l'humain-rd. du Vieux-Colombier,
PARIS 1951 - PP. 46 et 133.
(2) P. TILLICH
Der Mut Zum sein,Stuttsard 1954.

151
"Nous
sommes en train de réduire tous les hommes à n'être
plus
que
les rouages de la machine (1)" disait K JASPERS et
Gabriel
MARCEL
complète
"ce qui n' étai t
au départ qu'un
ensemble
de
moyens
au
service
d'une
fin tend à être
apprécié
par
soi-
même
(2).
Déjà
SPENGLER poussant plus loin cette attitude n'hésitait pas
à
parler d'une émancipation du système à l'égard des fins,
seules donatrices
de
la signifiC8tion considérée comme le corrélat essentiel de la
présence
de
l'homme dans le monde,
le monde d'avant la domination du golem
de
la
technique.
C'est
dans ce mouvement d'idéBqu'il conviendrait de placer la
critique faite par Max WEBER de la technique moderne. (3)
Pour
lui" la technique a désenchanté (ENT -ZAUBERT)
l' homme,
l'a
enlevé au charme des légendes anciennes".
On ne rencontre plus de cyclopes
ou de nymphes au détour des chemins,
ce que nous avons partout
maintenant
sous
les
yeux,
ce sont des poteaux
télégraphiques,
des
machines,
des
constructions en béton;
tout un décor technologique qui ne laisse plus de
place à la poésie.
La technique ayant uniformisé toutes les cultures, nous
retrouvons
d'aéroport en aéroport,
les mêmes objets et presque les
mêmes
gens maintenant, la technique ayant arasé les particularismes.
Cette différence de potentiel à travers laquelle passait le dialo-
gue humain, cette différence est annulée. Dans l'univers technicien, l'hpm-
me
ne peut plus vivre poétiquement le monde,
il ne peut
plus
désormkis
(1) Op. cit.
(2) Op. cit.
(3) MAX
WEBER Le savant ~ la politique,
trad.
J.
FREUND,
Paris,
Plon
10/18 1950
P. 70.

152
"-
"habi ter" au sens ou HEIDEGGER utilise ce terme:
nous sommes sans "feu ni
lieu";
tous les lieux se valent. Le monde hurlait BERNANOS, (1) va mourir
de froid". Pour lui la technologie étouffe la liberté et dégrade les âmes:
\\
1 c'est
la conspiration universelle contre touteaespèce de vie intérieur~ A
la
même
époque
LEVI-STRAUSS dépeint l'avilissement des primitifs
et
la
destruction irrémédiable de leurs cultures au contact de l'occident (2). Il
......
acheve
son oeuvre maîtresse en prédisant une sorte de fin du monde
entro-
pique où,
toutes différences disparues,
s'engloutiront les cultures
1
(3) .
L'ethnologue sait que lorsque la technique moderne progresse, les anciennes
techniques se perdent, les coutumes s'effritent, les moeurs se banalisent;
la
civilisation indigène n'a plus qu'à assimiler ou à se laisser détruire.
Il Y avait plus de trois mille langues parlées en Afrique èn 1950,la moitié
n'existe plus;
partout où la tecnniqu~ avance, la parole recule, du moins
la
parole
proférée par l'homme et non par les machines qui parlent
à
sa
place.
Sur toute la planète, le langage, la mémoire, la poésie se trouvent
ainsi
recouverts,
dissous ou digérés par un immense réseau technique.
La
technique moderne de ce fait installe un réseau de communication qui
ouvre
la possibilité d'un seul monde.
Cette
critique
a été formulée de la façon la plus
philosophique
par l'Ecole de Francfort
elle met en cause la technique dans sa rationa-

lité
prétendument émancipatrice elle-même;
l'aliénation
techniciste
se
(1) La France contre les Robots,Plan
(2) Tristes Tropiques, 1955. t\\bJs cDorœrOlS largement cette question dans
la
partie relative à la problématique africaine de modernité.
(3) L'home Nu. Finale, Plan 1971.

153
trouve
ainsi abordée frontalement
sa dimension de domination,
de mani-
pulation
déjà
pressentie dans le Capital sous la forme de pouvoir
de
la
machine
sur
son homme.appendice,
apparaît dans les domaines
de
la
vie
sociale comme "administration totale", société "unidimensionnelle" primat
de la pensée calculatrice,
absolution du dialogue,
du négatif, de l'alté-
,
rité, de la bidimensionnalité.
ADORNO
et HORKHEIMER dans la dialectique de la Raison (1) pensent
que
la
raison
technicienne,
après avoir contribué à
la
libération
de
l'humanité, est en train de devenir elle-même un mythe et d'étouffer toutes
1
les virtualités humaines.
"L'identité de toutes les choses entre-elles,
se paie de l'impos-
sibilité
de
chaque chose d'être identique
à
elle-même".
Ils
lancèrent
d'étonnantes accusations envers la
"raison calculatrice
dont
la
lumière glacée
fait
lever
la
semence de la barbarie" et il s allèrent à partir des horreurs de
l'hitlerisme jusqu'à écrire que "SADE et NIETZSCHE avaient "pris
la science au mot".
Cette
condamnation radicale de la technique moderne est le
fruit
d'une
spéculation pure n'ayant aucune prise sur la réalité technique,
sur
son
mode de fonctionnement,
sur le processus de solidarisation des
sous-
systèmes techniques etc.
Les préoccupations des tenants des discours anti-
technicistes,
à partir desquelles est issue la ~onfiguration théorique
du
(1) Paris, Gallimard 1974 P. 48 trad. Fr.

154
thème de la technicisation du monde moderne et de sa déshumanisation ne leso nl
sans
doute pas amené à considérer de près le phénomène technicien dans
sa
globalité
et
le fait technique dans sa concrétion.
C'est pourquoi
leurs
descriptions des automates et de l'emprise du calcul sur la production
ont
peu de rapport avec le machinisme réel. Néanmoins il serait injuste d'igno-
rer l'importance de ces discours dans la formulation littéraire du "système
des
représentations
misotechniques" ainsi que de leur
répercussion
dans
certaires disciplires scientifiques directement "branchées" sur
l' acti vi té
technicienne.
Les
études de "Sociologie du travail" de G.
FRIEDMAN sont
ex'em-
plaires à ce sujet.
En
partant des mêmes prémisses que les auteurs que nous venons de
citer,
et sur la base de l'analyse sociologique du travail,
des lieux
de
travail, FRIEDMAN extrapole et conclut que le monde est technicité et prend
l'aspect d'un milieu, sorte de tissus de plus en plus serrés d'êtres fabri-
qués
qui
s'imbriquent
dans tous les domaines de la
vie
l'homme
des
\\
sociétés
industrielles ne fait que quitter une machine pour en trouver une
autre; ,il vit,
pour ainsi dire,
dans un monde de machines
il est pris
dans
un
réseau
d'objets techniques qui l'enserre de toutes
parts
et
le
soumet
à
des sollicitations incessantes.
La prolifération des
machines
produit
un nouveau mode de perception "interprétant" qui élimine les
élé-
ments représentant directement les choses parc~ que les choses
s'évanouis-
_sent,
pour
ainsi dire,
au profit des interrflations qui les constituent.
Ainsi,
le
travail n'étant plus coextensif aux
mouvements
humains,
"les
."'.' .
>
\\
.

155
irdividus sont dominés" par les machines et leur temps de loisir est défini
comme la remontée de l'homme après le travail avec les mass médias. Dans le
monde
technique
les individus sont régis par les machines et les
gadgets
qui se servent d'eux au lieu de leur être asservis"(l).
On peut insister sur cette coïncidence entre la
philosophie [des
techniques
et la sociologie du travail,
celle-ci ayant pour rôle d'appor-
ter, en quelque sorte, la preuve "expérimentale" qui manquait à la première
et,
paT un effet de retour,
de la renforcer dans ses positions.
De plus,
des auteurs comme G. FRIEDMAN malgré leur pessimisme, veulent apporter des
remèdes
à
la situation en faisant appel aux
sages
administrateurs
afin
qu'ils mettent leurs cOlllJétences techniques "au service de la découverte de
l'homme
par
lui-même à travers la transmutation du temps libéré en
temps
(1) FRIEDMAN ~ ci t. P. 5 8 ,
Dans son ouvrage:
La Technique et la sciince comme Idéologie HABERMAS
cite HEGEL pour montrer que ce dernier ava t présenté cette mutation du
travail.
\\
"C'est
de
l'horrme
que l'outil tient comme tel
son pouvoir
de
négation partielle,
mais
elle
reste ~n activité
:
avec
la
~achine, l'homme dépasse lui-même cette activité formelle qui est
la sienne et il la fait travailler pour lui. Mais il devient à son
tour victime de cette tromperie à lui-même.
En faisant travailler
la
nature par toutes sortes de machines,
il ne supprime
pas
la
nécessité
de
son propre travail,
i l se contente
d'en
retarder
l'échéance, il s'éloigne de la nature et ne se règle plus sur elle
comme
vivant
sur
une nature qui est vlvante
;
cette
vitalité
négative disparaît et le type de travail qui lui reste est de plus
en plus machinal".
Réal philosophie 1,
p.
237,
texte cité par HABERMAS ~ cit
P.188.


-.--IIIII!II!II
•...
......---.-.,.....,---.....-........-....-.
156
libre"
ils
croient encore à l'efficacité des
sciences
sociales
pour
maîtriser
le milieu opaque de la technicité. ;Mais ce qui véritablement se
dessine est tout autre:
le mythe de l'autogénèse d'un monde ou milieu qui
est
la
conséquence de l'objectivation de la
pratique
technicienne
dans
l'ensemble
des
machineries
machineries qui acquièrent
une
existence
indépendante
et
modèlent à leur gré la forme de l'existence
de
l'homme.
Cette
préoccupation n'est pas absente des controverses
sur
l'auto-repro-
duction
et
la
pensée
des
machines
automatiques
et
l'on
sait
que
WIENER
lui-même n'a pu
éviter l'écueil du pessimisme en
voyant
le
pœgrès de l'automatisation dans le fait que les automates pourraient
modi-
fier
le
milieu dans lequel nous vivons à un tel degré qu'il ne nous serait
plus possible de nous y adapter (1).
En même temps,
derrière les descriptions du malaise du technicis-
me,
transparaît le désir d'un retour au statu quo ante du temps de l'outil
(1) Ici
transparaît
encore l'idéologie du robot serviteur et
rebelle 'boU
l'ordinateur
qui remplacerait l'homme dans le processus
évolutif
es
êtres techniques. Tout ce discours relève d'une ignorance des foncti ns
réelles
de
l'ordinateur
:
"la seule fonction
de
l'ordinateur,
de
l'ensemble informatique (est-il besoin de le rappeler) est de permet re
la jonction
souple
informelle,
purement
technique,
immédiate, et
universelle
entre les sous-systèmes techniques.
C'est donc un
nou el
ensemble
de
fonctions
nouvelles d'où
l'homme
est
exclu,
non
ar
concurrence
mais parce que personne jusqu'ici ne les a remplies.
C la
ne veut pas dire,
non plus,
que l'ordinateur échappe à l'homme,
m is
que se met en place un ensemble qui est strictement non humain. Lors ue
la technicisation parcellaire des tâches s'est effectuée,
on est pasbsé
progressivement
à des
dimensions de production qui
ont
exigé
es
nouvelles organisationsi"cela l'homme savait encore le faire. Mais avec
la
technicisation de
toutes les activités et avec la
croissance
de
toutes les techniques,
on se retrouve en présence d'un
blocage,
d'un
dérèglement "parce que ce qui se fait en quantité et en cOlTlllexité,
en
vitesse
n'est plus à la dimension de l'homme".
Aucune organisation ne
peut plus fonctionner de façon satisfaisante.
Le phénomène
ordinateur
apparait exactement à ce niveau de blocage".
J. ELLUL : "La Technique en tant que système" Op. cit P. 157.

157
manuel ou de l'artisanat,
désir qui se manifestait jusqu'à maintenant dans
la valorisation du contact direct avec les choses et les êtres naturels aux
époques

l'homme entreprenait une oeuvre dont il connaissait
tous
les
tenants et les aboutissants dans son échoppe ou dans son champ ; la techni-
que, en ce moment là, correspondait au commerce avec l'entourage de l'homme
et n'avait pas encore "perdu son site".
Maintenant
cette nostalgie est capable de se transformer en
acte
accusateur grâce au secours apporté par l'Ecologie, qui, par son témoignage,
se
révèle comme l'expression symbolique du drame actuel de la civilisation
techno-industrielle. Cette accusation écologiste s'articule dans les termes
suivants:
Dans
l'univers
des espaces infinis,
la terre
est
vraiment
la
minuscule
et fragile coque de noix où nous sommes enfermés et d'où
toute-
fois
nous avons pris notre essor pour affirmer le "regnum hominis" sur
le
cosmos.
Mais
désormais
pour nous aussi l'heure des "mauvais
rêves"
est
arrivée
à
ébranler
notre orgueilleuse certitude en
la
souveraineté
de
l'homme.
Pour
l'homme
qui croyait avoir atteint,
enfin,
après un long
esclavage, l'énivrante condition de souverain, c'est bien dur de voir cette

souveraineté mise en doute et menacée.
Il s'efforcera alors, de chasser ce
doute
et
de minimiser cette menace en les considérant
comme
de
simples
cauchemars
destinés à s'évanouir pourvu que l'on sache raisonner.
Mais il
;
est
di fficile de ravaler à un simple "mauvais rêve" ce qui a désormais l un
l'
nom précis et scientifique,
de retentissement mondial: catastrophe écolo-
gique " considérée
comme
la
conséquence
d1 une
conception
scientifico-
:, .~

..
. , '
158
technique inadéquate.
C'est en ces termes que SERGIO COTTA (1) dépeint
la
situation
actuelle de la "crise de l'environnement" et des mesures à pren-
dre pour y remédier par l'entremise de l'écologie.
~.
A vrai dire l'apport de l'Ecologie en tant que discipline scienti-
fique relativement récente consiste en la prise en considération des
inte-
ractions
des êtres vivants
et de leur milieu,
en l'étude des
variations
structurelles
concommitantes que la modification d'un élément introduit [dans
l'ensemble
d'un écosystème (groupement des êtres sur un milieu déterminé).
De
cette
manière,
la
conception
des
êtres
naturels
comme
variables
agissant constamment l'une sur l'autre a introduit une
démarche
dynamique
dans la physiologie et a rendu possible la dialp.ctisation des
rapports entre les éléments naturels
le changement sur un point du
sys-
tème
se répercute sur l'ensemble de ce dernier et provoque sa
réorganisa-
tion
à plus ou moins long terme.
En même temps il est devenu clair que la
pratique technicienne des changements produit
des modifications imprévisi-
bles
dans
l'environnement,
modifications qui contiennent
quelque
chose
d'autre que ce que visait cette pratique.
Il est aussi indéniable que dans
le développement de la technique moderne ces résultats "irr(jrévisiblès",
en
fait, peuvent être détectés d'avance sans que pour autant ils puissent être

exactement
circonscrits.
C'est
sur ce derniJr
point
que
l'orientation
misotechnique dans sa version écologiste a trouvé un socle objectif qui lui
(1) SERGIO CaTTA - L'Homo Tolemaico, Milano, Rizzoli, 1976.
"Homme
et
Nature"
article synthèse de ce livre paru
dans
la
Revue
philosophique Avril-Juin 1976 P. 47 PUF. \\ 1 (

159
a permis
de se transformer en une véritable technophobie (1) qui
prétend
émettre un discours de type scientifique. ~
J
L'activité technicienne ayant toujours des suites négatives, d'au-
tant
plus
négatives
que cette activité devient
plus
intense,
elle
se
retourne
contre
l'homme,
mettant en danger l'équilibre et la
survie
de
l'espèce
et de la nature et conduit fatalement à la destruction des
deux.
De cette manière la technologie moderne,
non seulement transforme
l'homme
en
"chose"
calculable et le réduit à n'être qu'une simple
composante
de
l'appareillage technique, mais
encore se trouve d'ores et déjà
être
la
cause de sa dégradation en tant qu'organisme humain, encerclé littéralement
par les produits de son activité.
Dans cette perspective il est inutile de
faire
des
distinctions subtiles entre les différents
objets
techniques,
étant donné que tous tendent à détruire "l'économie de la nature".
EHRICH,
au
début
d'une
étude
bien documentée souligne ce point avec force;
1
"Equipée d'armes aussi diverses que la lourde machine thermonucléaire et lIe
D.D.T.,
cette masse humaine menace de détruire la plus grande partie de ce
qui vit sur la planète"
et apparemment d'après lui, les différents types
d'intervention humaine
ne diffèrent pas quant à leurs conséquences
de
toute évidence,
certains d'entre eux (il s'agit des systèmes
écologiques)
sont
complètement détruits par toutes sortes d'activités comme la
culture
de plantes alimentaires, l'abattage de forêts, l'incendie, l'édification de
(1) L'expression est utilisée par Gilbert HOTTOIS Op. cit. P. 113 •


160
barrages,
la
défoliation artificielle de la jungle et la construction de
bâtiments ou la construction de voies de communicatio~' (1).
En outre, les
tentatives
pour
rééquilibrer
un système devenu
instable
ne
paraissent
avoir, aux yeux de ces auteurs, aucune chance de succès étant donné que ces
efforts
"peuvent provoquer une destabilisation plus grave encore se réper-
cutant
dans
d'autres domaines"(2). Aussi d'une
manière
assez
paradoxale,
l'avènement
d'une
science
dont le cours a été marqué par
une
tentative
importante
pour,
d'une part,
déterminer l'influence mutuelle des
divers
facteurs
de la biosphère et d'autre part,
pour améliorer
"les
relations
globales
entre
l'homme et l'environnement" s'érige en savoir absolu
pour
condamner au nom de la sauvegarde de la nature, la démonie de la technique.
Ce sont les scientifiques eux-mêmes comme le remarque J. PASSMORE,
qui suspectent l'avancement de la technique. Ainsi l'équipe des écologistes
anglais du groupe de Blue-Print n'hésite pas à assigner comme objectif à la
lutte contre la pollution "de nous affranchir au maximum de la
technologie
comme
moyen de régler les cycles écologiques dont nous dépendons,
et d'en
i
revenir autant que possible aux mécanismes naturels de l'écosphère" (3)i
Il
s'agit finalement de supprimer la question du
rapport
homme-
nature.
Mais,
en
tout état de cause,
si l'on formule comme une des lois
fondamentales de l'écologie,
ainsi que le dit COMMONER,
le fait que
"the
nature
knows best",
on voit mal comment éliminer les nuisances dues à
la
(1) P.R. et A.H. EHRICH : Population, Ressources, Environnement
Trad. Française Paris 1972, P. 1.
(2) Qp. cit. PP. 201 - 202.
(3) Changer ou disparaitr~Plan pour la survie par the Ecologist,
Paris, 1972 P. 25.

r
~~--~~_.
\\i"'Jw;~t"t'~~"". " ,
161
production sans supprimer tout le processus productif en tant que
tel.! Si
1
le
but
de l'écologie appliquée est le maintien des
équilibres
naturils,
ainsi que le suggère R.
DAJOZ,
(1) encore faudrait-il avoir recours à une
technologie adéquate.
Mais ce ne sont pas les considérations de la pensée écologique qui
valorisent
l'absence
d'intervention
humaine et insistent sur
le
danger
provoqué
par chaque action technique que nous voulons mettre en
évidence.
Le
but affiché par certains savants d'un retour à la stabilité
naturelle,
autre formule de la vieille tentation d'un retour à la nature,
(2) s'intè-
gre bien à la mise en question des techniques modernes
si cette fois~ ci
ce sont les savants qui cautionnent avec force l'attitude antitechnicienne,
c'est en raison d'une élaboration insuffisante des concepts et des méthodes
dans leur discipline.
En réalité,
ils procèdent de la même manière que la
philosophie spéculative: c'est-à-dire d'une

part par l'oubli:
- de l'insertion effective de l'homme dans l'écosphère
- de l'interaction constante qui résulte de cette insertion
1
1
i
et
d'autre
part
par l'établissement d'une
barrière
infranchissable
au
niveau de l'interprétation,
entre l'auto-régulation des systèmes
naturels
et
l'activité supposée perturbatrice de l'human1té technicienne.
A partir
de
là,
la
fabrication des êtres artificiels se trouve
à
l'origine des
(1) Précis d'Ecologie, Paris, 2e édition, 1971. P. 388.
(2) S.
MOSCOVICI
a bien analysé,
en partant d'un autre point de vue, les
contradictions
insurmontables
auxquelles
conduit
la
tentative
d'appréhender la nature en tant que telle.
(Essai sur l'histoire Humaine de la nature), Paris, 1968.

, ,$jJfiJM.
163
découle
ni d'une description adéquate de la machinerie moderne ni
de
ses
liaisons
avec les autres objets techniques,
comme si cela va de soi.
Les
i
tenants de ce courant ne font pas l'analyse des principes ou des structufes
des ensembles techniques,
ni même celle de la spécificité de chaque enJem-
ble
à
une époque déterminée.
Bien plus,
la controverse n'est
même
pas
amorcée
avec les orientations qui tentent,
de délimiter le concept de
la
technique et son statut.
Leurs développements ne portent pas sur les expo-
sés
des ingénieurs ou des théoriciens qui essayent d'élaborer une
concep-
tion de la technologie ou d'en dégager les lois,
mais sont orientés contre
la
machine
elle-même ou ce qui est perçu comme étant
l'attitude
de
ses
"servantes". Si on les suivait sur cette voie, on n'avancerait pas vers la
constitution d'une théorie du transfert de technologie (l'une de nos préoc-
cupations
essentielles) qui tiendrait compte du caractère systématique
de
toute
technique.
C'est peut-être le rôle de toute idéologie de pousser
à
une argumentation dont elle-même reste toujours le centre.
Il
serait tentant d'amorcer sa critique,
de montrer comment
les
conceptions
misotechniques
sont
réversibles.
Mais dans le cadre
de
la
présente
étude, ce serait une discussion sans fin, qui porterait les em-
preintes ide l'antitechnicisme.
Peut-être,
d'ailleurs,
cette
discussion
serait-elle sans conclusion, parce que l'attitude antitechniciste se préoc-
cupe
des processus qui se déroulent dans le réel et c'est ce réel précisé-
ment
qui est contesté en tant que porteur de malédiction ou
d'apocalypse.
Assurément,
il est difficile de contredire les annonciateurs d'une
catas-
_trophe généralisée sur toute la planète.

164
Le
plus important est d'essayer de se dégager des pièges de l'en-
semble théorique que l'antitechnicisme a peu à peu construit à la lueur
de
ce que nous avons développé dans les chapitres précédents.
C'est seulement
à
ces
conditions que nous pourrions prendre congé d'une idéologie
(anti-
,
techniciste)
tout
en signalant son caractère compact (1)
et
les
fruits
l
qu'une étude des structures des idéologies pourrait récolter.
Mais l'atti-
tude
antitechnicienne n'est pas uniquement d'ordre théorique.
Par la mise
en valeur des mêmes arguments et leur interférence s'est perpétué peu à peu
le mythe de la technique dont l'analyse reste à faire (2).
La présence des
mêmes arguments constitue des mythèmes dont il faudrait fixer les
contours
ainsi
que la loi de leur commutation dans les ensembles divers
qui,
(sur
fond
d'oubli de la mère-nature) tournent autour de la décadence d'un héros
(l'homme) dans
son commerce avec le mauvais génie de
la
machine
et
sa
transformation en robot aliéné dans un univers dont il n'a aucune maîtrise.
(1) Les explications pour justifier une condamnation du machinisme et de la
technique
en
général "parlent" d'une man.ifre "irréfutable" contre
un
adversaire nécessairement absent:
les élements et les
configurations
du système technicien.
Si les controverses violentes qui ont lieu tout
au
long
de l'évolution de l'économie politique
(et
particulièrement
celles
qui tournent autour du marxisme ou de la psychanalyse)
avaient
un
point de départ non scientifique,
elles se préoccupaient cependant
de théories:
on refutait le capital ou l'interprétation des rêves
en

dénia~t
la
valeur
scientifique de'leurs concepts (la
plus-value
ou
l'Inc~nscient
par
exemple).
Cela
contribuait
tout
de
même
à
un
raffinement de l'appareillage conceptuel,
même
indirectement.
Tandis
que
l'énumération réftérée des méfaits du machinisme se situe d'emblée
en dehors de toute perspective réaliste.
Ce n'est ni la technique,
ni
la sociologie,
encore moins la philosophie qui en tireront le
moindre
profit.
(2) J.M. AUZIAS a esquissé une étude dans ce sens dans son ouvrage.
La
philosophie
et
les
techniques en consacrant
un
châpitre
à
la
constitution des mythes.

165
En partant des résultats de notre approche de la technique moderne
se développant comme un système hégémonique, il serait non seulement possi-
ble de dissiper l'opacité qui empêche les antitechncistes de comprendre
le
monde
technique,
mais
aussi de replacer dans leur contexte
général
les
effets
de distorsion et/ou de disfonction (tant décriés dans ces "discours
alarmistes")
et
d'esquisser quelques éléments de réponse à ce
qu'il
est
converu
d'appeler
aujourd'hui "crise" et qui a un
retentissement
plané-
taire.
En
d'autres
termes,
il
s'agit,
après
l'exposé
des
discours
"technophobes", de passer maintenant à leur évaluation.

166
E- DE LA PUISSANCE TECHNICIENNE AUX EFFETS DE
DISTORSION ET/OU DE DISFONCTION :
LES PERVERSITES D'UNE TRAJECTOIRE INCONTOURNABLE
Nous avons
1) défini la technique moderne comme un système
autonome mettant en oeuvre la transforJ'lation de la planète
et la conquête du Cosmos ;
2) montré que le fait technicien est un phênomène
global, unifiê dans ses diJ'lensions sociales, cognitives et!
ma têrie Iles ;
l
3) détecté la dynamique technicienne comme le fac-
teur dominant de la civilisation moderne.
Ce à quoi il faudrait ajouter que les conceptions
philosophiques et scientifiques qui conditionnent et s'in-
carnent dans ce processus technicien sont rêpérables dans
l'histoire occidentale; en effet, ayant pour intention de
doter l'homme d'un pouvoir sur la natu~e, ces thêories abor-
dent la nature non plus avec la passivitê de l'observation

167
contemplative ou même empirique mais par le hiais du calcul
opératoire et de l'instrument (cf. Bacon-Gali16e, Descartes).
C'est à partir de ces différ~ntes considérations
combinées qu'il conviendrait de déduire les principes expli-
catifs des effets néfastes des techniques modernes et d'en-
trevoir des solutions à la dimension de cette compréhension
globale. Ce serait en d'autres termes, montrer comment la
critique du développement technique moderne implique aussi
une critique et une analyse des fondements th6uriques de la
science dont le monde occidental
a tirf ct continue de tirer
sa puissance.
~Iais avant de reprendre ces différents points, il
semble important de rappeler que nombreux sont les auteurs
qui, sous des termes différents, vont plus ou moins dans ce
sens; 'Illich demande de ne pas "user" des "moyens extrêmes"
dont nous disposons et parle de "convivialité" ; E.f. Schu-
macher, en se r~férant à la petitesse naturelle de la race
humaine, stigmatise la tendance actuelle du gigantisme et
,
.
,
1
affirme
"Small is Beautiful", une société a la mesure de
l'Homme
Patrick LAGADEC découvrant par les catastrophes l
déjà advenues et les risques potentiels liés aux effets de
la puissance technicienne nous invite â prendre conscience
de la logique de la "surpuissance" et à tenir compte du
risque technologique majeur (R.T.~1.).

168
Les différents problèmes soulevés par ces auteurs,
parce qu'ils les posent par rapport à la puissance dont
"dispose" ou qui dispose de l'homme moderne, nous invite à
prendre au "sérieux" leurs arguments et à tracer entre eux
et les discours technophobes, simplistes une d0marcation.
Ce qui implique, avant la phase de l'évaluation générale des
discours misotechniques, la restitution de leurs différentes
argumentations et les solutions qu'ils proposent pour sortir
de la "crise" du système techno-industriel.
PUISSANCE TECHNIQUE -
EFFETS PERVERS -
ET RECHERCHE
D'UNE "SOLUTION ALTERNATIVE"
ILLIClI ET LA CONVIVIALITE
Les problè~es de la technique se ramènent à la
question de puissance. ILLICH dans ses analyses de la socété
moderne, tient compte de cet aspect.
Production autonome (celle où l'outil, maîtrisé,
reste au service de l'individu et du groupe), contre produc-
tion hét~ronome (celle où l'outil, démesur~ment d~veloppé
impose sa loi à l'individu et au groupe) ... C'est ILLICH
qui a ainsi opposé au "système industri~l la sociét~ convd
viale qu'il préconise".


,
1
·1
169
.~,
Laissons lui la parole avant de procéder à l'ana-
lyse de ses arguments
"les symptômes d'une crise qui v, s'accélerant sont
manifestes. On en a de tous côtés cherché le pour-
quoi. J'avance pour ma part l'explication suivante:
la crise s'enracine dans l'échec de l'entreprise
moderne à savoir la substitution de la machine à
l'horrme" (1).
"Il est temps de centrer le débat politique sur la
façon dont la structure de la force productive
menace l' horrnne" (2).
"La solution de la crise exige une radicale volte~
face: ce n'est qu'en renversant la structure
profonde qui règle le rapport de l'homme à l'outil
que nous pourrons nous dormer àes outils justes" (3).
'~es outils peuvent se ranger en une serIe continue
avec aux deux extrêmes, l'outil dominant et l'outil
convivial. Le passage de la productivité à la con-
vivialité est le passage de la répétition du manque
à la spontanéité du don" (4).
Ou encore "la convivialité est la liherté indivi-
duelle réalisée dans la relation de production au
sein d'une société dotée d'outils efficaces" (S).
A travers ces citations, nous apparaît de façon
claire le caractère radical de la critique de notre auteur
de la "surpuissance" technique. Mais elle oblige à une mise
(1):IVAN ILLICH
La Conviv.ialit~·BG. duSe~l, Collection.
Points, 1973, page 26.
(2)
idem p.28
(3)
idem p.28
(4)
idem p.28
(S)
idem p. 28 .

170
en question sans détours. Cette enveloppe" technique qu'a
sécreté l'humanité, est-elle son corps infiniment agrandi,
une sphère qui rcverbère la communication, l'instrument de
la reconciliation et de l'unité dont rêvaient les prophètes
modernes, de Renan à Theilhard de Char4in, ou bien entraîne
1
t-elle la paralysie des facultés créatrices, l'étiolement
des cultures, la destruction de la nature\\déshumanisation
et dénaturation ?)
Les deux analyses s'affrontent chez ILLICH avec des argu-
!
i
ments impressionnants.
. "
~.
~':
'.
Il forge son concept de convivialité à partir de
la notion de puissance, la surefficience des "outils" (1).
/
Il veut reduire cette puissance des outils à la mesure de
l'homme, à la dimension du contrôle humain.
En usant de ce concept de "convivialité", ILLICH
radicalise sa critique de la société technicienne et ambi-c
tionne de poser les bases d'une société autre, qui donnerait
à l'homme la possibilité d'exercer l'action la plus autonome

et la plus créative, à l'aide d'outils moins contrôlables
par autrui. En d'autres termes Conviviale est la société où
l'homme "contrôle l'outil".
(1) : "J'emploi le terme d'outil au sens le plus large d'instnunent ou
de moyen, soit qu'il soit né de l'activité fabricatrice, organi-
satrice ou rationalisante de l'homme, soit que, tel le silex pré-
historique, il soit simplement approprié par la main pour réaliser
une tâche spécifique, c'est-à-dire mis au service d'une intention-
nalité".

171
L'essentiel des analyses de l'auteur de la Convil
vialité se ramène à l'examen de la relation de l'homme à
l'outil. ILLICH constate que "la prise de l'hoJT'JTIe sur l'ou-
til s'est transformée en prise de l'outil sur l'homme" (1),
et de cette transformation, l'homme moderne est. sorti "déra-
ciné" castré dans sa réalité, verrouillé dans sa capsule
individuelle" (2).
Cette "fâcheuse" transformation de la relation de
l'homme à l'outil peut s'expliquer par la surefficience de
l'activité outillée "car passé à un certain seuil, l'outil~
èe serviteur devient despote". Plus: "lorsque l'activité
outillée dépasse un seuil défini par "échelle ad hoc, elle
se retourne d'abord contre sa fin, puis menace de destruc-
tion le corps social tout entier"
(3). Ainsi
ILLICH parvient
à la conclusion que par la surcroissance de l'outil, l'homme
,
et la société tout entière se trouvent menacés. ~lais l'auteur
1
(1)
"ILLICH doit son concept de convivialité à Bri.:ülat-Savarin qui
l'employa pour la première fois dans son ouvrage la physiologie
du goOt : méditgtion sur la Gastronomie Transcendantale. Mâis
le sens qu'ILLICFl donne à la notion de "Convivialité" est nette-
,Jrnent différente de ce~de Brillat-Savarin.
ILLICH définit la
-
convivialité par rapport à l'outil qui est Con-
vivial et non par rapport à l'homme. Par contre l'homme qui trouve
sa joie et son équilibre dans l'emploi de l'outil convivial, ILLICH
l'appelle austère. Il connaît le mot que l'espagnol no~ la con-
viviencialidad, il vit dans ce que l'allemand appelle 1
MITMENSCHLICHKHEIT.
(2)
Op. cit p.26
(3)
Qp.citp.l1.

172
ne se contente pas de tirer sur la sonnette d'alarme, il se
,
,
propose en outre de repertorier ces menaces, de les décrire
et de les faire reculer voire les il enrayer".
l
ILLICH distingue en effet 5 JT1enaces fondamentales
qui pèsent sur la vie de l'homme moderne et il les énumère
dans l'ordre suivant:
- la surcroissance de l'outil (menace le droit de
l'homme à s'enraciner dans l'environnement avec
lequel il a évolué)
- l'industrialisation (menace le drojt de l'homme
à l'autonomie dans l'action)
- la complexit6 des processus Je production (mena-
ce son droit 5 la parole,lc'est-a-dire à la
politique)
- le renfermement des mécanismes d'usure (menace
le droit à sa tradition, son recours au précédent
à travers le langage,
le mythe et le rituel).
Le première mQnace correspond à un déséquilibre
entre l'homme et la biosphère: la perversion de l'outil
mettant en péril l'équilibre écologique~ l'on assiste "pres-
_ que impuissant à la dégradati~n dramatique et spectaculaire
du milieu naturel. "La perversion de l'outil, écrit ILLICH,
menace de saccager le milieu physique"(l).
(1) : Op. cit p.144.

173
Mais le caractère surefficient et destructeur de
l'outil, peut s'exprimer d'une toute autre manière: l'outil
surefficient peut "alt~re~' le rapport entre ce que les gens
ont besoin de faire eux-mêmes et ce qu'ils tirent de l'in-
dustrie, c'est la deuxièrle menace que l'auteur appelle "mo-
nopole radical".
"Le monopole radical" est la domination
(de l'outil) qui inhihe la capacité auto-créatrice de l'in-
dividu.
'Vn monopole radical s'établit quand les ~ens aban-
donnent leur capacité innée de faire ce qu'ils peu-
vent faire pour eux-mêmes et pour les autres, en
échange de quelque chose de "mieux" que peut seu-
. ,
lement produire pour eux un outil dominant. Le
monopole radical reflète l'industrialisation des
valeurs. A la réponse personnelle, il substitue
l'objet standardisé" (1).
Selon ILLICH, les premières menaces d~crites ci-
dessus se heurtent à l'indifférence aveugle du grand nombre.
Cet aveuglement, à en croire l'auteur, serait l'effet d'une
troisième menace
la surprogrammation, c'est-~-dire le dé~é-
quilibre du savoir.
ILLICH part du fait que "l'équilibre du savoir est
déterminé par le rapport de deux variables: d'une part, le
savoir qui provient de relations créatives entre l'homme et
son environnement, de l'autre, le saviir réifié de l'homme
(1) : Op. ciL p.84

174
agi par son milieu outillé. Le premier savoir, dit-il, est
l'effet des noeuds de relations qui s'établissent spontané-
ment entre des personnes dans l'emploi d'outils conviviaux.
Le second savoir est le fait d'un dressage intentionnel et
programmé. L'apprentissage de la langue maternelle relève
du premier savoir, l'ingestion des mathématiques à l'école
relève du second" (1).
Or dans la société techno-industrielle le savoir
acquis spontanément a moins de crédit que l'enseienement
programmé, standardisé qui a. cependant l'inconvénient de
faire "avorter toute curiosité personnelle", d' "étouffer
dans l'homme le poète" et de "geler son pouvoir de donner
sens au monde"
(2).
L'auteur peut alors conclure qu'il y al
déséquilibre de la balance du savoir.
Plus haut, nous avions montré que l'aveuGlement
du grand nombre devant les menaces qui pèsent sur lui éta~t
l'effet de la troisième menace, la surprogrammation. Mais
devant le danger qui le menace, le grand nombre peut paraître
non seulement aveugle mais aussi impuissant. L'impuissance
est d'après l'auteur, le fait de la perturbation d'un qua-
trième équilibre; c'est la quatrième menace qu'il nomme
"polarisation"
c'est la polarisation croissante du pouvoir.
(1)
Op. cit. p.88
(2)
idem p. 92.


175
En effet, "sous la poussée de la méga-machine en expansion,
le pouvoir de décider du destion de tous se concentre entre
les mains de quelques uns. Et dans cette frénésie de crois-
sance, les innovations qui améliorent le sort de la minori-
té privilégiée croissent encore plus rapidement que le pro-
duit global" (1).
Enfin la cinquième menace, l'usure ou 1'obsoles-
cence. Elle installe dans l'esprit de l'homme moderne, l'il-
lusion que le nouveau est nécessairement le meilleur. Cette
croyance aveugle qui est devenue partie intép,rante de la
mentalité moderne, fait qu'aujourd'hui, la valeur d'un pro-
duit se mesure à sa nouveauté. Mais ce que l'homme moderne
semble ignorer et qui constitue sa misère c'est que le nou-
veau modèle produit une nouvelle pauvreté. En effet, dans
une société engagée dans la course effrénée du "toujours
mieux", "le consommateur, l'usager ressent durement la dis-
tance entre ce qu'il a et ce qu'il serait mieux d'avoir"(2).
Ainsi, "l'individu qui ne change pas d'objets connaît la
rancoeur de l'échec et celui qui en change découvre le ver-
tige du manque. Ce qu'il a l'écoeure, ce qu'il veut avoir
le rend malade". La conséquence ultime d'un tel changement i
1
l
est que la dialectique de l'histoire se brise, "le rapport
(1) : idem p.l02
(2): idemp.lll

176
1
entre le présent et la tradition s'évanouit. Le langage perd
ses racines, la mémoire sociale se fige, le précédent perd
son emprise sur le droit, l'accord sur l'action légale, so-
ciale et politique s'oriente vers l'alchimie de l'avenir"(l).
Nous venons ainsi de passer "en revue cinq ci rcui ts
différents. En chacun d'eux, l'outil surefficient mQnace un
équilibre (2).
Il importe maintenant de penser les conditons
d'un réoutillage, mieux d'une reconstruction conviviale.
C'est par la limitation des outils qlle s'établit
la reconstruction conviviale; celle-ci devra permettre de
défendre des valeurs essentielles telles la survie, l'équité
et l'autonomie créatrice. Les deux pre~ières valeurs se com-
pIètent et sont enveloppées par la troisième. "Chacune de ces
valeurs, nous dit l'auteur, limite â sa manière l'outil. La
survie est la condition nécessaire, mais non suffisante de
l'équité: on peut survivre en prison. L'équit0, dans la dis-
tribution des produits industriels, est la conùition néces-
saire mais non suffisante d'un travail convivial: on peut

devenir prisonnier de l'outillage. L'autonomie comme pouvoir
de contrôle sur l'énergie enveloppe les deux premières va-
leurs citées et définit le travail convivial. Celui-ci a pour
(1)
idemp.112
(2)
idemp.114
-

148
,
.. naires
;
elle
ne serait pas digne d'une attention spéciale
si
elle
ne
"~' ~·-~"'·:"i
..
".,'. ;; E~: contribuait pas à la création d'une conjoncture théorique visant à éliminer
'.. '.:
~. f' :
~.
, '"'10 •
. ,. ',:,t ; les
problèmes concrets de la technicité,
de ses structures et de ses rap-
t
• ~. ~

<.
'.~:
"
~. '- ports avec les autres secteurs de la pratique sociale, et à imposer une
. .... ~:~,
'~~erspective dans laquelle l'ensemble de cette problématique se trouve
.. ~.
. f
'•• ~éduit à la mise en question de la technique .
.. ';
...-"
. ~ '::'
."
. '::
~
,
Une
telle
mise en questio~ se trouve facilitée par le manque
de
desc~iption théorique des procédures techniciennes dans leurs interrelT-
," , ...~~
"
tions,
ou
bien
par
l'avènement relativement récent
de
l'histoire
des
techniques dont les méthodologies n'ont pas encore fait l'unanimité.
Néan-
,
-,
-
......•
mOlnsces
raisons
ne sont pas essentielles et ce ne sont pas
les
vides
théoriques laissés par l'investigation théorique qui nourrissent le courant
anti~tèchniciste. Ses tenants
ne se préoccupent pas de ce qui
se
passe
"
••
1:;'
~
cO'ncrètement
dans
la
pratique technicienne et de la
spéci fici té
de
la
\\ ( .
.,. .
.-
puissa~~ technicienne contemporaine, pas plus qu'ils ne se soucient de ses
articulations
ou des problèmes concernant l'outillage conceptuel qui
con-
vient
à .1\\analyse de ces pratiques et de
ces
articulations.
Il
s'agit
. '1,:•
. .. "
plutôt, pour'.l'exploitation systématique des réseaux de catégories philoso-
phiques
"""
triditionnelles,
de construire une image des rapports actuels
de
~~
l'homme avec les moyens, l'objet de son travail et son milieu existentiel.
~
.
\\..,
La
re~titution des discours couvrant la technique moderne de tous
\\r~ les anathèmes Po~sibles s'avère à ce niveau nécessaire.
1
1'· .;
! \\
,\\
1
! t\\
Dans
le
transfert
des capacités musculaires
ou
cognitives
de
à 11 agrégat machiniste automatisé,
la conduite du
travailleur
se
,
\\1,
'.~

177
condition l'êtablissement de structures qui rendent possi-
ble cette distribution êquitable de l'énergie" (1).
De ce point de vue, ILLICH nous fait avancer sur
,
le chemin de la recherche d'une ethiq~e de la limitation de
la puissance technicienne.
Il y a même dans cette thèse une
perpective sur la libert6 humaine. En effet la fixation des
limites est l'acte spécifique par lequel l'honp.le donine à
la fois son destin et la nature. Maintenant il faut yajou-
ter la technique. Et c'est là la question fondamentale. C'est
en ~tablissant des limites volontaires que l'llomme s'insti-
tue homme. Le seul acte de maîtrise authentique à l'égard de
la technique serait de fixer des limites à son développement.
Mais ceci est la contradiction du système. Le système est
incapable de corriger les "défauts" qui lui SOIlt constitutifs.
Il ne faut pas s'attendre à une auto-correction globale qui
serait fondamentale.
Autant ILLICH a raison de montrer les effets de
menaces de la surefficience de la technique, autant il y a
lieu de se demander s'il ne se fait pas une conception trop
"superficielle" de notre renfermement dans le système tech-
nicien et l'avenir de celui-ci. Victime à son tour des dis-
cours misotechniques·
ambiants, il en vient à pousser le
(1)
idem p. 31

,_.
178
constat de la puissance technicienne jusqu'A la conséquence
extrême d'une planétarisation de la catastrophe écologique
et pose comme condition de notre libération l'établissement
des limites volontaires, par lequel l'homme pourrait s'af-
firmer comme être libre. Serait-ce donc que tout n'est pas
définitivement scellé par le système?

ILLICH a reconnu la puissance en sa figure techni-
cienne. ~Iais au total, sa méthode et ses conclusions l'ex-
posent à des objections qui peuvent être ainsi regroupées
!
Quan~ il passe de la "surefficience" de l'outil à "l'outil
convivial", il ne fait pas de différence entre le problème
des auto-corrections techniques et l'au-delA du technique
proprement dit. Il effleure plus qu'il ne traite la question
principale de la volonté de puissance comme condition d'émer-
gence de la technique moderne et la technique moderne comme
manifestation hégémonique, comme actualisation de cette puis-
sance (autonome et s'auto-générant).
La question est complexe, nous y reviendrons de
façon plus méthodique dans l'évaluation glohale des discours
misotechniques.

179
E. F. SCHUMACHER
Small 1s beautiful
une société à la mesure
deI 'homme (1)
Observant avec précision le monde ~oderne, E.F.
Schumacher s'aperçoit que celui-ci est entièrement dominé
par une technologie du gigantisme, domination qui se traduit
par la maximisation des rythmes d'exploitation, le regroupe-
ment des unités de production et le perfectionnement à ou-
trance du système des transports et des communications.
Ce gigantisme, loin de résoudre les problèmes aux-
quels se trouve confronté le monde moderne, fait peser slr
lui des menaces qui de l'aveu de l'auteur, se ~anifestent
co mm e "c ris e à t roi s vol et s". En pre mie r lie u, dit - il, " l a
nature humaine se révolte contre les for~es inhumaines de la
technologie ( ... ) qu'elle ressent comme asphyxiantes et débi-
1itantes. Deuxièmement, l'environnement vivant, pilier de la
vie il um a in e est mal ad e : i 1 gémit e t don ne des 5 i ?, n e 5 d '; e f -
fondrement partiel. Enfin, troisièmement, quiconque est plei-
nement informé du problème voit clairement qlle les brèches
or
ouvertes dans les ressources non renouvelables du monde, par-
ticu1ièrement dans celles en combustibles fossiles, sont telle
(1)
E.F. SCHUMACHER
Srna11 is beautifulJ
traduit de l'anglais par Denie11e et William DAY
et Marie-Claude Florentin
Ed. de Seuil/Contretemps. Paris 1978.

180
tfi
"'.:
. ,
.ij
\\!
que se profilent dans un avenir tout à fait pr0visible, de
1
sérieuses restrictions
on court pratiquement à l'épuise-
men t" (1).
Mais comment sortir de cette spirale infernale,
cette "crise" ?
Pour en sortir, l'auteur procède avant tout à un
examen de la technologie elle-même. A l'issue de cet examen,
il découvre que la tecllnologie se d6valo pp e suivant des lois
et des principes diarlètralement opposés à ceux de la nature
humaine et de la nature vivante en général. En effet "toutes
les choses naturelles, souligne Schumacher, connaissent une
mesure Idans leur taille, leur vitesse ou leur violence ( ... )
la technologie (par contre) ne reconnait aucun principe
d'auto-limitation, par exemple quant à la taille, la vitesse
ou la violence. Elle ne possède donc pas les vertus de s'auto-
régul er et s'auto-purifier (2).
A travers ces lignes, l'auteur semble toucher du
doigt l~ point nevral gique de la question de la technique
moderne: la d~mesure ou l'ampleur des moyens qui font naitre
1
chez l'homme moderne l'illusion d'avoir non seulement des
pouvoirs illimités mais aussi d'avoir r~solu le problème de
1
la production.
1
(1)
E.F. SCHUMACHER
op ci! p.154
1
(2)
op cit : p.153
f,!
'1

..,.
.~~+"
181
C'est cette illusion que l'auteur se propose de
dissiper lorsqu'il écrit: "l'idée d'une croissance économi-
1
que illimitée: la politique du "davanta3e toujours davanta-
i
ge" C... ) doit être remise en question" (1).
1
ljl
La remise en question va consister (dans les pers-
1
pectives de notre analyste de la société industrielle qui
souffre de ",6on gigantisme") à réorienter la science et la
technique, à intégrer à leur structure la "sagesse".
Mais à qui incombera cette mission? Aux scienti-
1,
fiques, aux politiques?
1
Comme pour répondre à cette interro~ation l'auteur
1
l
écrit
"nous ne pouvons pas laisser cela aux seuls scienti-
fiques. Comme le disait Einstein lui-même, le nombre
de scientifiques doués d'un sens des responsabilités
sociales est si faible" qu'ils sont incapahles de
~:
définir la direction de la recherche ( ... )
~i
la tâche incombe donc aux profanes intelligents, à
ti
ceux qui, préoccupés par la conservation de l'envi-
!!~!
ronnement se retrouvent au sein de la National Society
ii1
for Clean Air (Société nationale pour la pureté de
i
l'air) et d'autres sociétés semblables" (2).
Pour sa part, face à la "crise" qui menace le monde
moderne, l'auteur préconise le triomphe d'une technologie à
visage humain qu'il nomme "technologie intermédiaire" ou
technologie de "l'a ide z-vous vous -mêmes ,', ou encore technolog ie
(1)
idem p. 1S3
(2)
idem p. 148
-

....
·
182
1
Î~
"démocratique" ou "technologie du peuple", c'est-à-dire
"une technologie à laquelle tout le monde pour accéder et
qui n'est pas réservée a ceux qui sont d~j~ riches et puis-
1
sants" (1).
l
Avec cette technologie intermédiaire, va se subs-
tituer au systène de production de masse le système de pro-
duction par les masses. Dans le premier cas, il s' ar,issai t i
de faire reposer le système de production sur une "technolol-
gie sophistiquée, très gourmande en capital, tributaire
d'une forte consommation d'énergie et qui fait l'économie
du travail manuel. Dans le second cas au contraire, nous au-
rons affaire à un système de production qui "mobilise les
ressources inappréciables propres â tous les êtres humains
leur esprit élairé et leurs mains expertes et leur donne en
renfort des outils de première classe" (2). Et l'auteur de
préciser
"la technologie de la ;>roduction de masse. porte en
elle la violence. Elle fait des ravages sur le plan
écologique. Elle va à l'encontre du but recherché
quant aux ressources non renouvelables et annihile
la personne humaine. La technologie de la produc-

tion par les masses, qui fait appel au meilleur de
la connaissance et de l'expérienqe
modernes, favo-
rise la décentralisation, est compatible avec les
lois de l'écologie et fait un emploi modéré des
ressources rares. Enfin elle se propose de servir
la personne humaine au lieu d'en faire l'esclave
des machines (3).
(1)
idem
p.160
(2)
~
p.161
(3)
idem
p.161

183
En d'autres termes, cette technolo~ic intermédia'-e
1
(1) doit être simple, peu coûteuse, non polluante, économe
en énergie, applicable à des réalisations de petite envergure,
orientée vers les besoins essentiels des masses, conforme aux
cultures locales et féconde en emploi.
De ces différents aspects de la "technique intermé-
diaire", peuvent "naître la non violence ainsi qu'un rapport
de l'homme ~ la nature et ~ sa culture, qui est une ~arantie
de permanence".
Il convient avant l'6valuation globale des discours
"misotechniques" de faire remarquer que Schunacher, bien que
attestant d'une bonne comprGhension du ph6nomêne tecJlnique
s'avère "lacunaire" quant aux solutions proposées pour faire
face â la crise qui menace le monde moderne.
En effet en exaltant la "technologie intermédiaire",
l'auteur semble s'enfermer dans la nostalgie d'un passé rendu
caduc par l'irréversible progrès des sciences et des techniques.
On comprend dès lors son penchant pour ceux qu'il nomme "les
nostalgiques du passé" dans le conflit qui les oppose (selon sa
(
(1)
Le mot "intermédiaire" signifie de "niveau'moyen". Il est utilise
par l'auteur pour indiquer la supériorité des technologies intermé-
diaires par rapport â la technologie primitive des siècles passés.

184
propre terminologie) aux "partisans de la fuite en avant",
parmi lesquels, il fait compter les Experts ainsi que tou;
ceux qui souhaitent la sophistication des objets techniques.
\\1
Certes, la nostalgie du passé peut "reconforter notre auteur
qui pense qu'elle peut freiner le gigantisme croissant de la
technique moderne. Mais de là à affirmer qu'il faille retour-
ner à une technologie dépassée qui viendrait se bâtir sur les
ruines d'une technologie sophistiqu6e, cela nous paraît fort
utopique et relève de la part de notre auteur d'une néconnais-
sance de "la loi de Gabor;' de la dynal!lirjue des systèmes tech-
niques, de leur irréversibilité.
D'ailleurs l'auteur n'a-t-il pas lui-nême reconnu
que ses solutions étaient romantiques ?
"Certes, voilà, écrit-il, pourrait-on dire une
vision romantique, utopique des choses c'est
assez vrai".
Small is beautiful, ce qui est petit est beau.
"
i
Les solutions proposées par notre auteur sont "helles" maisi
1
,
difficilement applicables en ce sens qu'elles vont dans un l
sens opposé à celui
de la dynamique des systèmes techniques
et elles sont incompatibles avec les principes du système
technicien "s'auto-générant" dans un mouvement de croissance
infini.

185
Patrick LAGADEe
Risque technologique majeur et Stratégie
de contrôle
"
De tout temps, on a su que l'outil comportait
quelques dangers; et ce tribut s'est sensiblement
alourdi quand la manufacture s'est substituée à
l'atelier, quand la mine devient lieu de travail,
quand la vapeur remplaça le cheval. Il y eut
Courrières en 1906 : la mort de 1909 mineurs; il
y eut le Titanic en 1912 : 1500 disparus. Sans
doute l'ingéniosité humaine a-t-elle pu trouver
des parades et faire baisser les fréquences des
accidents et des catastrophes : l,a mine, le chemin
de fer, le bateau, les ponts, etc ... , sont devenus
plus sûrs. J·lais ces ajustements I1e peuvent plus
cacher la réalité ni la gravité dU risque techno-
logique contemporain: fuites massives de eaz ex-
plosible, échappées de produits extrêmement toxiques,
libération de produits radio-actifs, etc ... " (1).
Analysant les catastrophes ou accidents de Flix-
1
borough, Toronto, Three Mile Island et quclques élutres,
Lagadec montre que nous sommes à l'âge du risqlle technologi-
que majeur, risque spécifique, associé au Jéveloppenent
scien tifique et industricl contemporélin. Un risque qu'on
pourrait appeler de la troisième génération dans la mesure
où, après les catastrophes et les fléaux naturels du XVlllè
siècle, la multiplication des accidents~individuels au XIXè
siècle, il vient interpeler notre conscience philosophique
et politique. C'est dans ses dimensions scientifiques, tech-
nologiques, politiques et sociales que 1agadec pose les pro-
- blèmes et menaces liés à l'état actuel de la civilisation
industrielle dans un livre essentiel
(1)
Patrick LAGADEC
La civil isation du lü,sque
Ed. du Seuil, Coll.
"Science ouverte" p.16.

186
Entre les tremblements de terre de Lisbonne (1755)

et Seveso (1976) ou Three Mile Island, l'Amoco Cadiz. Quoi
de commun ?
Rien dans la mesure où dans le premier cas il s'agit
1
d'une ~atastrophe naturelle et dans le second d'une catastro-
phe technologique; la première ne pouvait qu'être subie alors
que la seconde aurait pu être évitée.
Flixborough, Seveso, Amoco, Cadiz Three Mile Island,
Toronto, cette série longue d'accidents survenus ces dernières
années viennent nous le rappeler ; à la menace des catastro-
phes naturelles sont venues s'ajouter celles des catastrophes
technologiques. Ou plutôt, comme le montre Patrick Lagadec,
il ne s'agit pas seulement d'une menace de plus, mais surtout
d'une menace d'un autre type.
Si en son temps, le tremblement de terre de Lisbonne
a pu provoquer la réflexion philosophique de l'Europe éclairée,
l'irruption du "risque technologique majeur" nous confronte, et
dans l'urgence, à l'exigence d'une réflexion philosophique,
politique et sociale analogue.
Une mise en perspective historique aidera à poser le
problème dans toutes ses dimensions. On pourrait distinguer

187
trois ~rands momtnts dans l'llistpire moderne du risque.
1
Le premier correspondrait au XVlllè siècle où,
avec le tremblement de terre de Lisbonne, les granLi.s incen-
dies (pensons à Londres), les épidémies (comme la variole),
naît la problématique
"
moderne la sécurité. La sécurit~ se
sécularise: Candide, renvoyé à lui-même et à sa propre pré-
voyance, doit cultiver son jardin; et Rousseau, en réponse
à Voltaire écrit, toujours ~ propos du tremblement de terre
de Lisbonne: "Ce n'est ras la nature qui a rassemblé là
vingt mille maisons de six ~ sept étares ; si les habitants
s'étaient dispersés ou logés plus légérement, on les eut vus
le lendemain à vingt lieux de l~, tout aussi gais que s'il
n'êtait rien arrivé".
Le mal ne renvoie plus à Dieu et à sa Providence,
il n'est plus même dans la nature; mais dans l'homme et son
histoire.
La deuxième étape dans l'histoire moderne du risque
serait marquée par la résolution d'un des problèmes qui va
obséder le XIXè siècle. Ce n'est plus des catastrophes mais
celui des accidents (accidents du travail bientôt relayés par
les accidents de la circulation) qui tou~hent chacun indivi-
du~lement, et, qui par leur multiplication, sont en même
temps des phénomènes de masse. L'accident se distingue des
risques précédents par la causalité qui est la sienne.

~..
188
L'accident du travail servira ici de modèle. C'est un risque
qui n'est pas naturel,
(il est le fait du travail, de son
organisation) mais il n'est pas non plus volontaire. C'est
précisément pour le penser et avec lui les problèmes de la
maladie, de la vieillesse; et du chomâge, que vont se dévo-
lopper les techniques et politiques modernes de la sécurité,
1
assurances et sécurité sociale.
La troisième génération des risques, celle que nous
découvrons avec Patrick Lagadec, tient à la fois de la premi-
1
ère et de la seconde. De la première, par l'ampleur des do~-
mages potentiels,
(ils concernent toujours des populationsl
entières dont il faut prévoir le rep li ou le re~lacement en
cas de sinistre (SEVESO, Three Mile Island) et de la seconde
dans la mesure où ces menaces ne sont pas naturelles malS à
la fois connues, estimées et acceptées co~me c'est le cas
typique de la construction des centrales nucléaires.
Ces risques technologiques, "les risques technolo-
giques majeurs" ont la dimension de catastrophes artificiel-
les, ils sont inassimilables à la force majeure des juristes,
et la responsabilité qu'ils mettent en cause, en dehors des
fautes personnelles qui peuvent être l'occasion d'un sinistre,
est nécessairement politique et sociale. Par là même ils met-

tent en échec les politiques de sécurité qui avaient été édi-
fiées à la génération précédente.

189
En effet, le risque technologique majeur est un
risque non assurable, il désigne moins~ un risque, une catas-
trophe d'un degré relativement supérieur, qu'un type de ris-
que radicalement autre, produit par le développement indus-
triel et technique de nos sociét~s. Il faut préciser le terme
et
ce dont il est porteur, pour expliquer pour qUOl il échap-
pe aux modes usuels d'assurance:
Le risque technologique est devenu majeur en
raison ~remièrement de l'ampleur nouvelle des événements
pouvant suivre une défaillance technique. Ainsi le montrent
des exemples comme celui de l'accident de Flixbo~ough (le
1er Juin 1977) un samedi en Grande Bretagne: explosion d'un
nuage de gaz cyclohexane - hors enceinte), 90 % des habita-
tions situées dans un rayon de 3,5 km furent endommagées.
L'usine qui fut rasée en quelqu~dizaines de secondes comptait
en semaine 550 employés. Et la question cruciale est la sui-
vante: que se serait-il passé si l'installation n'avait pas
été située, comme dans ce cas, en pleine campagne?
- Le risque technologique est devenu majeur, c'est
là une seconde raison, plus décisive encore, du fait de la na-
ture des effets pouvant 5uivre la défail~ance technique.
L'exemple de type Seveso: l'accident intervient le ]0 juillet
1976, sept ans après, plusieurs dizaines d'hectares ne sont pas
récupérées. Jusqu'à présent, la catastrophe arrivait au moment

190
de l'accident; elle peut désormais s'inscrire dans la durée.
Au moment de l'accident, la catastrophe ne fait que commencer,

Effets dtfférés, effets à très long terme peuvent marquer
l'accident contemporain
cancer, effets tératogènes, effets
1
génétiques. La vie est altérée dans ses prolongements, dans
sa transmission et non plus seulement dans sa réalité immédiate
1
Ceci pose de redoutables problèmes aussi bien scientifiques que
t
juridiques et éthiques (comme on l'a vu dans le cas de Seveso
l
avec le problème des avortements thérapeutiques). L'ampleur du
,~
f
!
risque bouleverse les frontières de l'espace, sa nature, brise
tf'r
les frontières du temps, des générations.
-Enfin, un autre facteur est à considérer : la
possibilité de défaillances généralisées affectant de vastes
réseaux technologiques. Les grands systèmes marqués par la
centralisation ou l'imbrication de fortes dépendances, sont
aussi susceptibles d'effondrements par "plaques", pouvant
affecter une partie du pays, voire le pays dans son ensemble.
Et comme les réseaux en question sont devenus critiques en
raison de la tendance à la "monoculture" technologique, à la
réduction des possibilités et voies de cheminement pour satis-
faire les fonctions vitales, la défaillance de ces réseaux a
des répercurs ions de très grande ampl i tU,de. L'onde de choc Ise
propage vi te, loin, lo~emps. -Ce sont les pannes d' é1ec t ricli t é
de New York dans les années 1970, la perte du réseau électrique
français le 19 décembre ]978, la défaillance du système

191
tél~phonique dans la région lyonnaise au mois de novembre
1981. Ce dernier exemple est le cas d'école
une région cou-
pée de l'extérieur trois jours durants, les activités s'ef-
fondrent par plaques: Air France, T.G.V.,
La coupure
révélant brutalement la fragilité de toute une vie économique.
La situation a failli entraIn~une défaillance dépassant lar-
gement le niveau régional (par chance, l'incendie du central
téléphonique, noeud critique du réseau ré~ional) n'intervient
pas en période de pointe, mais la veille d'un jour férié)
;
l'administration centrale elle-même perdit ses liaisons télé-
phoniques avec Lyon : les lignes gouver~ementales aussi pas-
saient par ce noeud critique. Une défaillance et c'est, l'ef-
fondrement généralisé. Et dans une société où la complexité
est remplacée, comme on l'a dit, par l'uniformité et la sim-
plification, l'appauvrissement du tissu des possibilités et
cheminement, le système "D" prend plus difficilement le relais.
1
Bref, une question s'impose: l'examen de ces quelques épisodes
qu'il faudrait examiner de plus près, si les vuln€rabilités
augmentent et si, dans le même temps, la "résilIence" de nos
systèmes diminue (capacité à se reprend~e après URe défaillance)
nous entrons dans une société porteuse de crises, de destruc-
tions accidentelles brutales.
C'est en raison
de ces données que Patrick Lagadec
peut dire que le R.T.M. ne peut être assuré pour des raisons
techniques, l'assurance suppose des risques limités dans leur
~

192

ampleur; elle base ses calculs sur des statistiques, ce qUI
1
est exclu ici dans la mesure où, du moins on peut l'espérer,
il s'agit de risques exceptionnels; et enfin on ne voit pas
sur quel autre patrimoine de la.collectivité tout entière on
pourrait les faire supporter. Le problème n'est évidemment
plus ici d'articuler la politique de sécurité ~ur la certitu-
de d'une réparation (comment réparer l'irr6parahle) ? Mais
bien plutôt à la fois sur les conditions qui rendent la prise
du risque acceptable et sur les moyen~ de sa prévention.
Avec l'irruption du "risque technolor,ique majeur"
les "sociétés industrielles", se retrouvent ainsi, une nouvel-
le fois, sur la question de la sécurité, à la croisée des
chemins. Il va leur falloir inventer une nouvelle politique
de sécurité, c'est-à-dire tout un ensemble de nouvelles valeurs
de nouvelles conduites, un nouveau rapport au monde et avec el-
les-mêmes.
L'importance de la démarche de Patrick Lagadec est
de présenter, sans jamais céder aux catastrophismes (qui font
l'opinion dominante en ce domaine), le dossier complet du
problème, de montrer sur la base d'une étude minutieuse de
sinistres advenus ou potentiels et de la manière dont on les
analyse et dont on cherche à les prévenir ; en effet le pro-
blème n'est plus seulement un problème scientifique, une af-
faire d'Experts, mais un problème politique, ph~sophique et

193
social. Dans la mesure Ol! le risque technologiquC' est un ris-
que social dans son acception, comme dans ses effets, il sup-
pose que son assomption soit faite collectivement, selon des
procédures de consultation, d'instruction et d'éducation qu'il
reste à définir. Précisément, et c'est le mérite de Patrick
Lagadec de mener l'analyse jusque-là, le risque technologique
place nos sociétés devant la question de la démocratie et des
procédures de prise de décision.
Pour terminer, l'auteur apporte quelque éléments,
de réponse à ces risques technologiques majeur5 : renforcer
1es con t r ô1es, fa ire 1a cha s s eau à é rai son na b1e, fa ire c i r clu -
1er l'information, ouvrir démoc ratiquC'ment les processus de
décision. Lagadec paraît conscient que les solutions qu'il
propose risquent de n'être que des palliatifs ou des slogans
aisément récupérables et centralisés par l~démagogie politi-
cienne et/ou celle des média.
Mais d'avoir déduit les R.T.M. de la puissance
technicienne et d'esquisser quelque éléments de réponse "à
ces menaces", Lagadec nous fait avancer sur le chemin des
temps nouveaux et nous interpelle à une réflexion philosophi-
que sur la puissance technique
'~u moment de l'histoire où la ra~ionalité scienti-
fique s'épanouit dans une forme industrielle et so-
ciale, de cette même rationalité surgit ~insi la
menace du chaos, la possibilité du
desas tre d'où la

194
raison est absente ....~'adviendrait-il si l'in-
soutenable venait du coeur même de l'activité
productive, non directement militaire? Quelle
politique industrielle après le premier holo-
causte civil? Quelle crise pour la tecID1ologie,
la démocratie, la raison, le fonctionnement
social" (1).
Un
tel
questionnement
doi t-être
relayé
et
appro-
fondi
philosophiquement:
une attitude dubitative et "défen-
sive"
ne
suffi t
pas.
On
ne
peut
se
contenter de
comprendre
(:.,
qu'il soit invénitable que le technicien,
le politique puis-
sent du jour au lendemain,
renouveler leur langage, radicali-
,
ser
leur
vision.
Si
attaché
qu'on
solt
a
la
démocra tie,
il
faut
savoir reconnaître que
l'accroissement
de
la
puiss-
sance
implique
des
risques
constitutifs
que
la
meilleure
démocratie ne pourra éliminer.
A la phase radicale actuelle de 1 'hégémonie des
techniques, deviennent insuffisants les anciens moyens con-
ceptuels (fussent-ils raisonnables).
Chacun des problèmes soulevés par ces auteurs
,
.
pr6sente un aspect technique et un aspect ethIque. Il s'agit
en gros de limiter ou de contrôler la puissance
pour que

l'homme vive dans cet univers technique
menaçant sur certains
de ses aspects, et chaque fois c'est une qualité morale permet-
tant de ne pas user de tous les moyens possibles. L'homme est
appelé à grandir sur le plan de la sagesse en même temps qu'à
(1 )
Patrick Lagadec
ibid p.202

,
195
juger ses moyens. N'est-ce pas une façon ou une autre de
faire appel à Bergson avec son "suppléJTIent d'âme" qu'on avait
tant critiqué. Dans cette perspective, l'autre dimension de la
question en fait, parait être la détermination d'une voie moyen-
ne qui consisterait à opérer des choix entre les possibles tech-
niques à actualiser et les possibles techniques auxquels on
décide de renoncer au nom du bien de l 'huJTlanité
"Nous ne devons pas faire tout CE' que la technique
nous rend capables de faire ( ... ) mais où est lél
morale de la pratique technicienne qui nous donne-
ra les critères pour d§terrniner qUE'ls possibles
techniques nous encoura;5erons et quels possibles
nous abOndonnerons" (1).
Cette question devient encore plus complexe quand
on lui ajoute la dimension de l'autonomie "de la technique
qui répudie toute forme morale de la "recession".
"L'autonomie de la technique se manifeste à l'égard
de la morale et les valeurs spirituelles, la tE'c!mi-
que ne supporte aucun jugement, aucune limitation
( •.• ) elle se situe en dehors du bien et du mal".
C'est pourtant à partir de ces différentes données
et des caractéristiques du système technicien que nous évalue-
rons l'ensemble des discours qui rejettent radicalement la tech-
nique ou qui proposent des voies intermédiaires comme moyen d~
limitation de la puissance technicienne.
1
(1) G. ROPOHL
"Technik - Ein Problem der philosophie" ?
in Philosophia Naturalis, 1981
Cité par G. rDTTOr5 : op cit p.165.

196
Evaluation des discours misotechniques et des
solutions alternatives proposées.
'~ une morale faite pour des hommes sans grand
pouvoir doit se substituer une morale qui con-
vienne à des êtr~dont les actes sont 10urJs
de conséquences. Le pauvre n'a que deux alter-
natives : la résignation ou la révolte. La tâche
de celui qui a des grandes ressources est autre-
ment difficile: il doit inventer l'usage même
de ses actions" (1).
Nous pensons que c'est en ccs termes quc doit se
poser le problème de la maîtrise par l'homme de la technique
moderne en ce sens que la technique telle que nous l'avons
définie est une "affaire de puissance".
En effet faire du monde un sujet techniclue à réaliser
sur le fond d'un réseau mathématique, considérer la nature con-
me un réservoir de matériaux à transformer en produits suscep-
tibles d'être consommés; la volonté qui i~ire cette attitude
est une volonté de puissance. De plus, l'ampleur des moyens 'mis
en oeuvre par l'époque contemporaine pour dominer la nature en
vue de pourvoir aux besoins et désirs humains n'est que le pro-
longement manifeste solidaire de cette rême volonté de puissance.
Quels que soient les dangers que la technique fasse courir à
l' homme, i l est impossi ble de "fai re machine arrière", l' humani H
(1)
G. Berger ci té par Franck Tinland 'in "La technique cOIlV'ne transfonna-
tion ••. " op cit p.2.

197
(par l'Europe) a uni sont sort ~ celui d'une science et d'une
technique triomphant~ Une des idées essentielles autour
desquelles bien des penseurs, critiques européens, organisent
leur interprétation du phénomène technicien, est que de manière
très subtile, l'Europe a créé une vision du monde qui est diri-
gée par une certaine conception du progrès et qui détermine le
développement et les usages de la science et de la technique.
,
1
Georges Grant, un philosophe américain écri t à ce sujet:
"Dans chaque civilisation les croyances JorlÎnante:;,
l~s modes élémentaires de conna~ssance, d'idéal d~
Jrogrès et les styles de vie individuels sont
entremêlés. C'est une erreur de croire qu'à long
tenne nous pourrions utiliser science et technique
autrement que nous l'avons fait, et qu'en d'autres
termes sciences et techniques sont des formes uni-
verselles, rationnelles et éternellement valides,
que l'on ptut associer à divers contenus C••• ).
Nous avons fait de la science et de la tec}mique
les instnnnents dont notre civilisation avait
besoin pour sa poursuite du progrès. Conséquem-
ment nous avons développé la scienc~ et la tech-
nique occidentales, les deux dérivant de notre
idéologie matérialiste d'acquisition et de con-
quête. •• (1).
(1)
Georges Grant : ''The Scientific Wor1d view and the illusision of
progress"
in Social Research, vol I, Printemps 1974, p.80.

198
On voit donc qu'il serait vain de croire qu'il suffit de réorien-
ter la technique moderne en fonction des buts plus humains pour résoudre
le problème créé par la mise en place de la société technicienne : ces
problèmes
sont
liés
intrinsèquement
à
la
puissance
technicienne,
au
système technicien qui constitue un système auto-référenti el.
En effet
ce
système
n'autorise
l'existence
que
des
phénomènes
qui
corroborent
ses postulats.
Il
exclut ou minimise
les phénomènes et
les attitudes
qui sapent sa stabilité.
En ayant suivi
à la trace les processus qui
solidarisent
la
poursuite
du
progrès
technique
et
l'ensemble
de
son
contexte socio-cul turel, nous avons conclu que la technique est devenue
le
milieu
existentiel
de
l'homme
moderne
des
sociétés
occidentales
industrialisées : "or ce milieu technocosmique est complet et accompagne
l'homme dans les démarches de son existence, comme une (seconde) nature" (1)
Lorqu'un enfant naît en europe ou aux USA l'environnement
i l se trouve est déjà technique, c'est un "déjà là". Toute son éducation
est
orientée
vers
son adaptation
aux
conditions de
vie
technique et
son instruction est destinée à le préparer à entrer dans un emploi tech-
nique. Autrement dit, i l ne faut pas négliger que c'est cet homme "pré-
adapté" à la technique et modifié par elle que l'on chargerait de maîtri~
ser et de
réorienter la technique.
Même s'il "affiche" des tendances
écologistes, "de retour à la nature", cet homme ne peut le faire d' une
façon
indépendante.
Il
n'est
qu'un sujet
non indépendant par
rapport
à un objet neutre.
Il est sujet déterminé par l'objet et fréquemment
lui même objet du processus technique.
Il n'a pas le choix entre deux
siJ:uations.
C'est
bien pourquoi
la
solution
du
"retour à la
nature"

(1) G. HOTTOIS
Op. ci t., P. 120.

199
reste
illusoire,
puisqu'elle
consiste
à
opérer
un
choix
impossible.!
L'ensemble des problèmes soulevés par les écologistes se ramène en dernière l
instance à la question de la puissance
technicienne. C'est parce que
la puissance de l' homme croi t avec la technique que sont soulevées des
questions comme par exemple
l'épuisement des
ressources mondiales,
la
multiplicité des risques, d'autre part celle de la croissance démographi-
que
exponentielle
et
du
caractère
infiniment
meurtrier
des
guerres.
Si
la volonté de
puissance qui est à la base de cet te civilisation
Si inscrit
dans le phénomène de la croissance des moyens
, c'est bien
dans ce cadre que nous devons poser les problèmes et tenter d'y remédier.
L'analyse systémique de la technique nous met en face de cette réalité.
La technique "malgré, toutes ses folies" est notre milieu et par consé-
quent la vraie aire culturelle de notre époque. C'est en elle et par
elle que doit s'exercer la nouveauté de notre -talent et la créativité.
Il est alors absurde de vouloir l'échanger par un "retour à la nature" :
"le problème de la puissance,
n'existe pas en soi,
il s'inscrit dans
le phénomène de la croissance des moyens" (1).
Cette
dimension
de
la
puissance
technicienne
n'explique
pas
seulement
les
problèmes
de
l'environnement
naturel
m8is
aussi
elle
s' étend à la question sociale de l'exercice du pouvoir. La vie sociale
tend à reproduire Il l' e~renage" rigoureux de la machine : la direction
des hommes se confond avec celles des machines. Les techniciens et déci-
deurs qui agissent sur les choses et les organisations agissent de ce
fait sur les hOlM1es. L' établissement d'un tel ordre se trouve facilité
:: 1) J. ELLUL "Recherche pour un~ éthique rI::lns une société techni.r5 Pf"1f"10"
in EthicuC' Lt 't.:.:c:--n5.ct.;..:, ~. 2::~. > P. 15.

200

par la technique elle-même. Les techniques dl information et de communi-
cation,
fournissent en effet les moyens nécessaires pour asseoir cette
domination.
Saint-Simon avait annoncé l' hégémonie de l'industriel, c' est-à-
dire de l'homme qui participe à la production et du savant au sein d'une
société
commandée
par
la
machine.
On cannait
le passage célèbre qui
l'a conduit devant les juges : "si en une rui t un malheur affreux faisait
disparaître
les plus importants personnages de la famille
royale,
les
ministres
et
les hauts magistrats,
les Français pleureraient,
car ils
ont le coeur sensible, mais il' n'en résulterait pas, au fond, un vérita-
ble bouleversement pour la Nation.
Au contraire,
la disparition subite
des
principaux
savants,
industriels
et
banquiers
causerait
un
énorme
dommage à la société: car ils sont irremplaçables". (1)
Les
progrès
de
la
science
et
de
la
technique
bouleversent,
aux yeux de Saint-Simon, la hiérarchie sociale : évolution bienfaisante
qui apporte aux hommes la liberté.
Le gouvernement des hommes, oppresseur, cède la place au gouver-
nement des choses,
libérateur. C'est avec une rare sagacité que Saint-

Simon prévoit le développement
inéluctable de la société industrielle .
Il oublie pourtant d'en tirer les conséquences extrêmes.
Le gouvernement des hommes exige que les hommes eux-mêmes soient
considérés comme des choses. L'industrialisme "totalitaire" s'il garantit
la liberté matérielle, n'en exclut pas pour autant l'oppression:
. ~(l) Saint-Simon
"La parabole des abeilles et de_s frelons"
Commentaire dans notre thèse 3ème cycle - P. 70

201
"La croissarce du pouvoir sur les choses va de pair avec
le développement
de
l'action sur
les hommes et par voie
de conséquerce, avec les instances de régulations de cette
action". (1)
Il suffit pour s'en apercevoir de se référer aux rapports entre
la poli tique des organismes gérant les réseaux énergétiques ou infor~a-
i
tionnels et les enjeux dont est nécessairement saisi le pouvoir Politi~ue
proprement dit.
"La
montée
en
puissance
des
techniques
est
incompatibles
avec un dépérissement des centres de décision, de contrôles
et de coercition qui par delà l'administration des choses,
assurent
la
prévalerce des choix conformes à des projets
qui
ne peuvent être
neutres au
regard des hommes et des
groupes
sociaux
aux
intérêts,
non
seulement
divers,
mais
divergents". (2)
A partir de ces considérations faudrait-il conclure avec les
pessimistes que la civilisation technicienne est génératrice de perver-
sités et que celles-ci vont à plus ou moins long terme entraîner l'apoca-
lypse, la perte de l'humanité?

Sans tomber dans cet
excès
pessimiste orchestré par cert~ines
littératures alarmistes qui présentent une version sombre de l'avenir
de la civilisation techno-industrielle, suscitant dans. le grand public,
1
une peur irrationnelle, nous pensons que :
;
"nous
assistons
aujourd'hui
aux
soubressauts
d'un
monde
qui meurt,
en même terfl)s qu'un autre qui naît" selon la
terminologie de F. Mitterand.
(1) Frarck TINLAND
"La technique comme médiation p.t comme système"
in Op. ci t., P. 39.
(2) Frari<
TINLAND
"La
technique comme médiation et comme système"
i n Op. ci t., P. 39.

202
Aussi la question fondamentale est-elle celle de trouver des
moyens
d'une
réforme
intellectuelle et
morale
capable
de
faire
face
à cette mutation complexe.
En effet
à cause de certains de nos pouvoirs,
la nature de
l'action
humaine
a changé.
La
structure
qualitative
nouvelle
de
nos
actions dégage tout un champ de problèmes moraux pour lesquels nos modes
usuels de faire et de penser
ne sont pas équipés. Ces nouveaux pouvoirs
sont,
bien entendu,
ceux
de la technique moderne
;
celle-ci a rendu
possible des entreprises si nouvelles pour leur échelle,
leurs objets
et leurs conséquences que le cadre des théories (éthique, philosophique,
etc.) traditionnelles est devenu insuffisant . •
Un
des
grands faits
nouveaux
c'est
d'abord
la
vulnérabilité
de la nature à l'action humaine. L' homme est désormais responsable de
la
nature
et
cette
responsabilité
implique
(fait
également
nouveau)
qu 1 il
se soucie des effets secondaires et peut. être imprévisibles de
ses actes.
Qu'il s' agisse de ses rapports avec la nature au sens large
ou bien de ses rapports avec l'humanité (son humanité et celle des autres)
les développements de la technique moderne obligent l' homme à soumet tre
son action à de muveaux réquisits éthiques, cela veut dire en d'autres
termes que la nouvelle espèce d'activité humaine implique qu'il faille
prendre en compte plus que les intérêts de l'homme seul, que nos devoirs
s'étendent au delà et que
les limites anthropocentriques ou esthétiques
précéd:ntes
sont désuètes. Pour le moins, i l n'est plus dépourvu de sens
de se demander si la condition de la nature extra humaine, la biosphè~e

203
comme tout aussi bien que ses parties,
n'est pas aux mains
de l'homme
et si elle n'a pas des droits moraux sur nous, non seulement pour notre
survie ultérieure, mais aussi pour sa propre survie et son plein droit.
Si c'est le cas, celle-ci impliquerait que l'on repensât les principes
de base de l'éthique. Cela voudrait dire que l'on s'applique à rechercher
non seulement le bien humain, mais aussi celui des choses non humaines ;
c'est-à-dire qu'il faudrait étendre la reconnaissance de statut de "fin
en soi" au delà de la ~re humaine et faire en sorte que le bien humain
implique la sollicitude pour ces choses.
Cette
idée renferme
en soi
de
précieuses
indications
sur
le
nouveau rapport qui doit être instauré entre l'homme et la nature. Elle
ne comporte pas l'assujettissement à un cosmos mystérieux, mythisé comme
destin aveugle dont l' homme serait l'esclave. Elle ne propose pas non
plus le retour à la nature qui, à certains égards, est une forme cachée
de servitude : cette idée ouvre la voie à 11 humanisation de la nature
par la connaissance de ce qu'elle est
réellement
;
elle invite dohc
1
à une utilisation sage des capaci tés
naturelles dans le plei n respect
de leur équilibre et de leurs rythmes régénérateurs. Mais pour un tel
rôle,
l'homme
moderne
des
sociétés
industrialisées
n'est
préparé
par
aucune éthique et encore moins par la conception scientifique dominante
de la nature.
En fait les problèmes et les risques associés au progrès tech-
nique moderne sont si grands qu'il faudrait acquérir une sagesse suprême.
C'est

toute
la difficulté
de l'homo technicus occidental qui
nie
l'existence
même
de
la
sagesse,
c'est-à-dire
l'existence
de
valeurs
objecti ve$ et de la vérité. Et c'est là que gît le nihilisme de notre


204
époque actuelle, nihilisme étroitement lié au développement de la culture
technico-scientifique occidentale.
On comprend alors
pourquoi
on pert
dire après Max Weber que l'occident est "déserchanté". Pour sa culture
séculière les dieux sont morts, et les occidentaux ont perdu les valeurs
qui pourraient leur permettre d'orienter la liberté nouvellement acquise
face au cosmos. Le nihilisme est un des caractères essentiels du monde
moderne. L'Uni vers technicien rend impossible l'orientation en forction
de valeurs. Toutefois le nihilisme n'est pas un simple effet de la tech-
nique, il est à l'origine même de la modernité et permet d'en éclairer
le sens.
Il émerge de la dualité et de la séparation entre le vouloir
et la liberté d'une part et la nature d'autre part.
La croyance en une connaissance manipulatrice des êtres humains
et non humains se développe en même temps que le mode spécifique selon
lequel nous concevons notre humanité comme
•une liberté (fondatrice de
sens) hors de la nature, de telle sorte que nous pouvons façonner créati-
vement le monde selon nos valeurs.
1
Ainsi,
puisque nous
opposons
notre humanité à la nature,
il
devient impossible de donner un conteru à notre liberté.
D'où tirer
des valeurs objectives
pour orienter cette liberté ? Nous voulons donner
la liberté à tous sans savoir quel conteru elle peut prendre. Les grandes
sociétés modernes
visent
toutes
à
construire le même Etat universel
et homogène ; "la société où les hommes seront libres et égaux et toujours
plus capables de
réaliser
leur individualité ·concrète".
Mais ce but
général camoufle un nihilisme de fond :.ta liberté que visent les diverses
idéologies poli tiques modernes est sans conteru et sans ancrage. Dans
le mythe"
la philosophie,
la révélation, des. ordres étaient définis en
fonction desquels on définissait et mesurait la liberté.

205
Bien que
la liberté
soi t
le
terme
le
plus
élevé du langage
moderne, elle ne peut plus être élucidée ainsi. Il n'y a donc plus moyen
de répondre à la question : ta liberté pour quoi faire ? Peut être est-ce
là bien rendre compte de la situation humaine : une liberté illimitée
pour faire le monde comme nous le voulons dans un univers indifférent
aux buts que nous choisissons.
Mais si c' est là notre situation alors
nous
n'avons
pas
de
système
de
signification.
Pour
les modernes la
liberté humaine Cl est la liberté du vouloir et du
faire et i l n' y a
1
pas de possibilité de
l'orienter objectivement.
La
technique
provient
de,
et est souteflJe par une vision du sujet comme liberté créatrice,
se faisant soi-même et conquérant les opportunités offertes par un monde
indi fférent.
Ainsi le problème de la technique moderne est inséparable
de celui ides rapports de la liberté humaine et de la nature : en tant
que modernes nous n' avons pas d' étalon grâce auquel nous pourrions juger
des techniques particulières, nous n'avons que des cr itères qui dérivent
de notre foi dans le progrès technique.
Il faut reconnaître clairement
ce problème car c'est à cette seule condition qu'il sera possible d'espé-
rer une solution à la crise actuelle de la civilisation techno-industrielle.
En résumé, on peut dire que la mentalité moderne est essentielle-
ment négatrice de toute valeur préétablie ou symbolique et que ce nihilisme
est inséparable du mouvement de pensée qui a permis la mise en place
des cadres conceptuels de la science et de la technique modernes •. C' est
là tout le paradoxe du schéma techno-centré de la civilisation occidentale.
Le même mouvement qui a mis les occidentaux en· possession des pouvoirs
9~vient incontrôlables. Ce mouvement à érodé par une nécessaire complémen-
tarité les fondations à partir de quoi les normes pourraient être déri-
vées ; i l a détruit l'idéal de norme en soi. C'est ainsi que la nature

206
a été neutralisée en ce qui concerne les valeurs et ensui te l' homme
lui-même.
Désormais la technique en tant que système représente pour
l'homme le monde de la nécessité sur lequel il n'a aucune prise.
Peut être mesure-t-on le péril que l'enjeu. Le péril est toujours
le même. L'homme n'est pas chez lui c'est pourquoi il voulait transformer
la nature, "en être maître et possesseur". Mais voici que le monde qu'il
a construit entre lui-même et cette nature "étran;;)ère", ce mcnde qu'il
avait édifié pour maîtriser la nature se comporte comme un monde autonome,
un monde-système qui va jusqu 1 à sécréter ses idéologies nouvelles, un
monde dans lequel il continue d'être en marge:
"le développement autonome d'un monde technique, indifférent
à
l' homme et à toute symbolique, ce processus en quanti té
et en complexité, en vitesse n'est plus à la dimension de
l'homme".
Il
s'agit d'un processus qu'on ne peut diriger à la mesure
des désirs et des volontés humaines.
L'enjeu
est
de
relever
ce défi.
En d'autres
termes comment
dépasser
l'ensemble
des
mutations
complexes
(caractérisant
ce
qu'il
est convenu aujourd'hui d'appeler "crise") échappant à nos modes tradition-

l
nels de penser et de faire ?
Il
faut
insister sur le
fait suivant
: les solutions qu'on
doit apporter au problème des sociétés industrielles doivent se démarquer
de la critique "simpliste" des sociétés modernes qui oscille entre l'image
d'un retour à l'équilibre naturel et la vision messianique et/ou technocra-
tique basée sur un industrialisme et sur un scientisme érigés en panacée

207
fétichisée défiant toutes les valeurs humaines qui pour se voiler, utilise
une mythologie universaliste des sciences et des techniques (1). Preuve
à tout le moins que le déséquilibre existe, mais il ne suffit pas, pour
revenir à l'ordre ancien ou en établir un autre, de récuser celui dont
l'autonomie
et
l'organisation
nous
choquent.
L'utopie
ne
change
pas
le monde si elle postule le retour impossible au passé:
"mais à la conscience de cette impossibilité, il faut joindre
celle des risques qu 1 il y aurait à fermer les yeux sur les
mutations
interverues dans
les rapports entre la puissance
que
donne
le
développement
technologique,
l'interdépendance
des
existences
humaines
et
les
équilibres
naturels"
(2).
A l'autonomie
interne des techniques d' un ensemble qui secrète
et diffuse ses propres normes, il convient de répondre par "l'institution
des moyens de subordonner la quête sans fin de
"l' efficaci té
dans
la
transformation des
choses
en pro~et
de développement en lesquels puisse s' exprimer ce que nous
voulons". (3)
Un tel questionnement, qui implique l'intégration de la rationa-
lité
technicienne
dans
une
rationalité
plus
compréhensive
que
celle
qui
fonctionne à partir du modèle baconien de domination d'une nature
, indifférente, s' ilHpcse à toute
réflexion
centrée
sur
les
problèmes
de
développement
et
des
répercussions
sur la vie
sociale de
l'expansion
technicienne.
, 1) Voir
: Notre thèse 3è cycle
: Utopie Saint-Simonienne et idéologie
technocratique - Strasbourg, juin 1982.
(2) Franck TINLAND : "Justification de l'Ethique" in Ethique et technique,
Op. cit., P. 431.
(3)
Idem

208
Dans cette perspective,
en quels termes se pose la question
africaine de développement ?
Que doit faire l'Afrique face à cette puissaree technicienne ?
Le développement de l'emprise sur les choses à la suite de l'asservisse-
ment de l'énergie et de
la maîtrise de l,information,
en continuité
solidaire de ce qu'est "l' homme occidental, a conduit à la mise en place
du système technicien qui :
d'une part produit de la puissaree ireontournable pour qui-
conque,
d'autre part est liée à une histoire locale (du moins dans
ses racines).
Or nous savons que par un principe interne d'expansion ce système
tend à se planétariser, à s'universaliser ; d'où avec la question afri-
caine de développement (et du
transfert des technologies)
se profile
toute
une
problématique du particulier et de
l'universel.
Ceci
fera
l'objet de notre deuxième partie.

209
Deuxième Partie
RATIONALITE TECHNIQUE ET
DESTINEE AFRICAINE

210
"Dans un monde en mutation profonde chacun se trouve partagé
entre le souci
de
ne point
perdre son identité et celui
de ne point s'isoler d'un mouvement hors duquel s'installent
progressivement l'impuissance et la dépendance.
Nul, aujourd' hui, du Nord au Sud, comme de l'Ouest à l'Est
ne sait très bien où il se trouve conduit par ce qui naguère,
,
revêtait pour tous la figure d'un progrès dont il fallait
seulement
compenser
les
déséquilibres
et
les
distorsi~ns
accidentelles.
Les
enjeux
de
la
puissance
technologique,
de sa distribution et des orientations de son développement
se sont
révélés
autrement complexes,
et
la responsabilité
de tous ceux qui ont part aux grands choix en matière d'équi-
pement, d'aménagement, d'investissement s'en trouve multipliée"
Frank FINLAND : in Préface à
Violence Technologique et Développement.
l'HARMATTAN,
Collection
Point
de
vue,
PP.
12-13,
Paris,
1985.


211
/\\
LE SYSTEME TECHNICIEN ET LA PROBLEMATIQUE
/ '
1
AFRICAINE DE MODERNITE
Dans la mesure où on définit lIa technique moderne comme coeur
1
1
dl un "système technicien" qui déborde de loin les faits techniques et
les sociétés modernes occidentales comme essentiellement techniciennes,
il serait important de considérer aussi la technique comme un phénomène
culturel tendant à transformer tous les domaines de la vie.
Le phénomène technique dans sa version moderne implique donc
un système de valeur, une vision du monde et de nous mêmes. La technique
n'est ni un simple savoir-faire,
ni un complexe dl appareils, d'outils
et de qualifications humaines. La technique en devenant système technicien
et en se substituant progressivement à la nature a progressivement modelé
les institutions,
les moeurs,
la psychologie, la conception de la vie
et l'organisation sociale des sociétés industrialisées.
Or nous avons
montré
que
le
système technicien,
est
"nanti"
dl un principe
inte,rne
d'universalisation,
autonome
et
irréversible.
Ce
qui
revient
à dire
que les sociétés que l'on appelle industrielles ou post-industrielles
(peu importe leur dénomination) tendent à répandre la culture technicienne
dans le monde entier ; il ne s'agit pas dl un choix proposé aux autres
cultures,
mais d'une sorte de mouvement historique, corçu en fonction
de la technique et pour permettre sa croissance accélérée.

212
En regard de ces considérations, que doit faire l'Afrique (déjà
engagée dans ce processus irréversible) pour réussir un véritable dévelop-
pement ? Les solutions proposées par les courants idéologico-cul turels
à connotation tradi tionnaliste ou "technocratique" sont-elles pertinentes
comme réponse à la crise actuelle du sous-développement?
Nous touchons ici à ce qui est au coeur de notre thèse : à
savoir en quoi les techniques issues des révolutions industrielles entre-
tiennent-elles un type de rapport, de relation aux choses et au monde
différents
des
techniques
"traditionnelles"
liées
au
privilège
de
la
participation par rapport à ce qui peut apparaître comme emprise, volonté
de maîtrise ou de puissance.
Il faudrait pour cela une réelle analyse
des présupposés des tehcniques traditionnelles pour les confronter aux
"exigences"
du
système
technicien.
Cela
commencerait
par
une
analyse
de ce qu'implique l'usage des notions de cultures et de techniques tradi-
tionnelles.
...
TEOfo4I~ ET cu..TURE
r
"La culture,
prise dans son sens ethnographique large, est
tout ce complexe qui comprend la connaissance, la croyance,

l'art,
la morale,
le droit,
la coutume,
et
toutes
autres
aptitudes
ou
habitudes
acquises
par
l'homme
en
tant
que
membre de la société" (1)
(1) E.B.
TYLOR
Primitive
culture,
Londres, 1871
Cette
définition
de la culture qui date de Ty lor, est aussi celle de l'anthropologie
sociale.
Elle
nous
servira
de
"repère"
dans
notre
développement
à chaque fois que nous parlerons de cultures traditionnelles .


213
En d'autres termes le mot culture au sens où
nous l'employons
ici désigne le réseau di fférencié de relations nouées par l' homme
avec la nature, avec les autres hommes et avec le divin. La systéma-
tisation complexe
de ces
trois dimensions est
intériorisée avant
d'être réfléchie, chaque individu y découvre ou y construit sa propre
identité: Façon d'être, de connaître et de contracter, structurations
de l'espace et du temps, unité donnée au monde et perçue comme natu-
1
relle tant elle est enracinée dans les traditions.
D'ordinaire la
dimension religieuse ou sacrée est le facteur déterminant de toute
cul ture en ce sens qu'elle en est le noyau dur. Ce qui revient à
dire en d'autres termes que dans les cultures traditionnelles, les
croyances religieuses et les rites véhiculent les valeurs fondatrices.
En plus de cette voie qui consiste à démêler les articulations
des di vers réseaux et éléments qui forment une cul ture, si l'on adopte
une approche empirique et de type idéal, peut-être pourrait-on appréhender
aisément
les
questions
qui
surgissent de
la
rencontre
(conflit)
des
cultures traditionnelles africaines avec le système technicien.
Les cultures africaines offrent une notion de la famille en
tant que pilier de la société, un sentiment d'identité et d'appartenance
ainsi qu'une vision de l' homme comme partie intégrante et non ennemie
de la nature. Elles forment des liens symboliques qui maintiennent la
cohésion d'une société ou d'un groupe donné ; liens implicites, générale-
ment non codifiés, se diffusant par osmose, et 'qui ont pour principales
fonctions:
-
d'entretenir
ou
de
renforcer
le
sentiment
d'appartenance
à une société ou à un groupe,

214
-
de
conserver
et
de
transmettre
la
richesse
de
l'héritage
social et spirituel de la communaLté,
-
de fournir les critères qui donnent un sens et une plénitude
à l' existeree,
-
de permettre aux
individus de
participer aux
rites sociaux
1
établis.
On pourrait à partir de ces données dire que dans la tradition
négra-africaine, l'homme se réalise non par l'affirmation de ses particu-
larités,
mais au contraire par le
sentiment
de sa participation à un
tout qui le dépasse ; à un tout de la nature, à un tout de la communauté.
Dans
toutes
les
cultures
négra-africaines
"authentiques",
tout
ce
qui
est fruit du penser de l'homme, les valeurs, les catégories, les signifi-
cations sont attribuées à la communauté sociale.
En s'éloignant de cette coreeption du monde,
le négro-africain
souffrirait de déséquilibre.
Ici le vieil adage selon lequel "en Afrique
celui
qui
se
met
hors de
la communauté humaine d'une
façon ou d'une
autre perd ses droits et ses qualités d'être humain et devient une sorte
,
de
réirearnation de génie mal faisant
mis
à l'index de tous et craint
de tous" prend tout son sens.
Après
une
analyse
des
sociétés
traditionnelles
africaines,
Paul Mac Henry corelut que si celles-ci ont survécu avant le choc avec
l'occident technicien, c'est parce que

215
"Elles sont fondées sur un système de production dont l'écono-
mie s'inscrit dans les cycles naturels. Elles ne font appel
à aucun élément d'accélération autre que les énergies natu-
relles (eau, vent et soleil) et animales. Les sociétés tradi-
tionnelles
considèrent
le
temps
comme
une
donnée
immuable
liée
à une
cosmologie

les
seuls
changements
affectant
la vie des hommes sont de nature imprévisible ou catastro-
phique.
La
volonté
de
Dieu
prévaut
sur celle
des hommes.
Les
cultures
traditionnelles
sont
essentiellement
celles
des
sociétés
( ... )
parfaitement
réglées dans leur rapports
avec le cosmos, avec les forces qui rélèvent des puissances,
inconnaissables
et
incontrôlables.
La
volonté
humaine
n'a
d'autres recours que de se livrer à des rites :Jropitiatoires
pour tenter de
faire
coincider l' arbi traire di vin avec ~es
voeux immédiats" (1)
1
l
A la lueur de cette citation, on peut tenter de dégager quelques
caractéristiques des systèmes de médiationsqui s'insèrent harmonieusement
dans les cultures.dites traditionnelles.
Le
rapport
de
l' homme
des
sociétés traditionnelles africaines
avec
la
nature
est
médiatisé
par
ce qu'il
est
convenu d'appeler
les
techniques
de
production agricole,
qui
constituent
avec
la
pêche,
la
chasse et l'élevage, ce que Andre'
LEROI-GOURHAN intitule fort pertinem-
ment
"les
techniques
d'acquisition"
(2),
elles-mêmes
n'étant
que
des
activités
techniques, "actes
traditionnels"
et
conscients
selon
Marcel
MAUSS (3), qui forment le champ de la "techn010gje traditionnelle".
~
.
Les
technologies
recouvrent
non
seulement
les technlques mais
aussi les' structures. De ce point de vue la technique forme les points
1
1
(1)
Paul MAC Henry
:
"Culture et Développement"
in Revue La Culture,
UNESCO, Vol VI, N° 1, 1979.
"(2)
LEROI-GOURHAN : Milieu et Techniques, Op. cit., P. 475.
(3)
Marcel MAUSS
: Maruel d'ethnographie,
Payot, Paris 1947. Cité par
H. BAFFET dans le chapitre consacré à la technologie, ch. 12, vol.2,
p.
4A,
de l'ouvrage édité par R.
GRESSWEL et intitulé
Eléments
d'Ethnologie,
Armand COLIN,
collection 4,
Paris,
1975,
2 volumes,
320 pages et 284 pages.
..

216
visibles de l'iceberg : ce sont les outils et le "Know how". Par struc-
ture,
il
faut entendre d'une part les relations sociales ou le mode
de production à l'intérieur desquels les outils deviennent opérationnels
et d'autre part,
la structure cognitive à l' intérieur de laquelle le
"Know how" prend tout son sens. Les outils correspon~ant dans ce sens
"aux moyens de productio~' dans l'analyse marxiste.
Dans
cette
perspective
les
technidues
d'acguisition
ne
sont
autre chose que
les moyen-outils par lesquels l'homme entretient des
relations avec son milieu ambiant afin d'en tirer ce qui lui est néces-
saire pour pouvoir subsister.
L'homme des sociétés traditionnelles en
agissant sur la matière a certes pour objecti f la satisfaction de ses
besoins,
mais
son action s' insère dans une cosmogonie,
reflétant son
rapport au monde et à la nature. S'il utilise des techniques d' acquisi-
tion, pour satisfaire uniquement le strict minimum nécessaire, te n'est
pas seulement parce que les techniques dont il dispose sont peu efficaces,
mais aussi parce qu'il se contente de ce que la nature lui offre immédia-
tement et il ne demande pas plus, il se soumet, pour ainsi dire, totale-
ment et docilement au monde dans lequel il est harmonieusement inséré (1).
Cet homme de la pure tradition africaine a une conception sacrée
et vitale de la nature, une conception d'une nature vivante, de la nature
comme rivières et forêts, comme bêtes et plantes, comme orages et tremble-
ment de terre. La nature est, pour ainsi dire, cet immense ensemble de
vie qui couvre la surface de la terre, et qui se prolonge imperceptiblement
( 1) C'est là l'aspect le plus important:
les techniques d' acquisi tion
de ces types
de société satisfont autant
leurs besoins matériels
que leurs besoins culturels car elles sont aussi et surtout modes
d'orgànisation et de langage sociaux.
,

217
jusqu 1 aux étoiles.
Sans doute,
la plus grande partie de cette réalité
n'est pas vivante au sens biologique du terme, mais la mer, les étoiles,
les rochers, l'arc-en-ciel, etc ... ont une vie en tant qu'ils font partie
de la nature entrevue comme un grand tout ayant son rythme d' exister
propre.
L' imagination de l' homme des traditions a toujours entrevu la
nature comme un grand tout,
doué d'une âme (ou d' âmes),
ou peut - être
devrait-on dire qu'on attribue moins de vie proprement dite à la nature
qu'un sens, une signification, une autarcie propre. Peut- être la nature
n'est pas vi vante comme une plante ou comme un animal, mais elle accuse
puissamment les signes de cette même uni té organique qui est le propre
du vivant. La nature n'a pas une constitution biologique mais elle possède
une finalité,
une uni té téléologique, un système de rythme qui concourt
à la préservation de son unité.
De cette vision sacrée et vitale de la nature, on peut comprendre
pourquoi
l'homme
des
cultures
traditionnelles
en s'emparant
du
donné,
intensi fie
certes
ses
forces,
augmente
ses effets,
mais ne rompt
pas
sa structure.
Ceci
s'expliquant
par
le
fait
qu'il a une attitude pieuse à
l' égard de la nature, or la piété est une vertu religieuse et religi!on
i
signifie: être relié à ..• On est relié à la terre, à la nature, à l'u1i-
vers,
à la famille,
à ses traditions,
à ses ancêtres,
c'est-à-dire à
quelque chose de donnée. La réalité à l'égard de laquelle nous éprouvons
de la piété a une valeur intrinsèque. Elle est .quelque chose de stable,
d'une stabilité spirituelle, non pas seulement matérielle. On est pieux
à l'égard de quelque chose dans lequel on discerne une "âme". Si nous
respecton? les objets personnels ou les vêtements de nos parents défunts

218
c'est parce que nous supposons qu'ils continuent à investir ces objets
d'une sorte de préférence. La piété s'exerce toujours à l'égard de quel-
que chose de vivant, mais dont la vie n'est pas simplement biologique.
L'attitude de piété est foncièrement respectueuse, et selon cet te appa-
rence, passive, mais d'une passivité qui n'est pas dépourvue absolument
d'activités pratiques, d'une praxis.
Dans la piété on contemple, on vénère, on respecte une réalité
et ces attitudes impliquent toute une attente, une immobilité, une distan-
ce.
Or ces réalités vénérées peuvent exiger qu'on déploie des efforts
pour
les entretenir,
pour
les
soigner et conserver.
La piété filiale
implique des soins à l'égard des parents âgés,
la piété à l'égard de
Dieu commande une pratique religieuse constante. L'essentiel de la piété
n'est pas notre velléité de demeurer immobile mai s notre consentement,
si nécessaire actif et agissant,
à l'existence d'une réalité dont nous
avons
auparavant
reconnu
la
valeur,
l'autarcie,
le
sens propre.
En
1
parlant de cette attitude à l'égard de la nature, nous n'entendons das
par là que la nature puisse être en soi comprise. Elle porte bien plutôt
(pour
le
traditionnel
africain)
le
caractère
mystérieux
de
la
cause
originelle et le but dernier. Elle est "Dieu-Nature", objet d'une vénéra-
tion religieuse. Or ce que nous vénérons en général, nous le considérons
! •
comme
ayant
dans
un certain
sens
de
la continuité
avec
nous- mêmes.
,
Saint-Paul
ci te
le poete
ARATOS qui
disait,
en se référant à Dieu
:
"nous sommes de sa famille"
; et précisément il se trouve une certaine
familiarité
dans
la
piété,
basée
sur
la
fréquentation
d'une
réalité
avec laquelle nous entretenons une relation symbolique.
Cette dimension symbolique du
rapport de l' homme des cultures
traditionnelles avec la nature est un point ~ssentiel, "l'être au monde
,

219
symbolique laisse le monde tel qu'il est, il ne bouscule pas les choses:
le symbole ne rompt pas le paysage, ne consomme pas la forêt, ne manipule
pas le vivant, il donne sens, organise, finalise. La relation symbolique
à la nature n'altère pas celle-ci"
(1).
Qu'advient-il de ces cultures
traditionnelles
basées
sur
des
considérations
symboliques
ou
sacrées
de la nature exigeant de la part de l'homme revérance, respect, sympathie,
lorsque celles-ci entrent en relation avec les techniques modernes organi-
sées autour de la notion de domination et/ou de puissance ?

(1) Gilbert HOTTOIS
Le Signe et la technique, Op. cit., P. 73.
,

220
TECHNIQUE MODERNE ET ALTERITE:
LE CHOC
DE L'UNIVERSEL ET DU SINGULIER
"le
système
technicien
se
dérobe
à la
symbolisation parce
que
le
réel
est
produit
par l' homme qui
n'éprouve pas
le
sentiment de mystère et d'étrangeté".
J. ELLUL : Le Système technicien, Op. cit., P. 195.

221
Les différents aspects des cultures africaines que nous venons
d'examiner ont subi au contact des techniques modernes un choc déstabili-
sateur.
"Désormais l' indi vidualisme, la perte du sens du sacré, l'exploi-
tation de la nature,
l'urbanisation ainsi que les risques de pollution
et
de
"violences"
(1)
sont
autant d'éléments jugés "négati fs"
qui se
sont installés dans les sociétés africaines.
En
effet
avec
l'implantation
des
techniques
modernes
et
le
développement
des
villes,
les
ouvriers
qui
vont
travailler
dans
IFs
usines se séparent de leur famille et leur "moi social" reste attaché
au groupe rural,
alors qu' ils sont transplantés dans un autre uni vers,
mécanisé et diffèrent de leur milieu d'origine. De ce fait, la communauté
qu 1 ils forment en ville est fragile parce que non préparée à cette vie
urbaine et s'y détruit moralement et sociologiquement.
Les techniques modernes détruisent pour ainsi dire les cadres
moraux,
font
exploser les communautés
traditionnelles
;
et cela même
les sociologues les plus classiques
le reconnaissent:
"On ne met pas
(1)
5idiki DIAKITE
Violence technologigue et développement Op.
ciL
,

222
de vin dans les vieilles outres, les vieilles outres sont en train d'écla-
ter. Les vieilles civilisations s'effondrent au contact de la technique"
( 1) •
Avec
la
failli te du corps social traditionnel,
les moeurs et
les coutumes perdent leur pouvoir de régulation, laissant les individus
seuls et déserrparés,
leurs types de relations et d'actions deviennent
véritablement intentionnels et guidés par un intérêt personnel.
Le transfert de technologie apparait comme responsable de cette
désorganisation
des
liens
sociaux collectifs qui
se
voient
remplacés
par
un
individualisme
sans
bornes
faisant
perdre
souvent
aux
hommes
la conscience de leur commune appartenance à un ensemble qui les dépasse .

Cette destruction des
liens collectifs
atteint
non seulement
les groupes primaires, mais elle frappe aussi les collectivités locales,
qui sous la double action de l'industriialisation et de l'urbanisation,
doivent
abandonner
leur cohérence interne comme leur autonomie.
A un
ni veau plus global,
la foule soli taire et extro-déterminée ne dispose
\\
d'aucun cadre de référence qui lui permette de conserver une conscience
d'elle-même et de rési ster aux courants passionnels provoqués par une
cause extérieure qui risque de l'errporter.
Cela revient à dire en d'autres termes qu'à mesure que l'activité
technique
alimente
les
principaux
réseaux
de production,
de
service
et
de
gestion des sociétés
africaines,
qu'elle
innerve d'itinéraires
- (1) J. ELLUL
La technique, ou l'enjeu du sièclë, Op. cit., P. 110.
,

223
rigides, hérités des pays industrialisés, le développement du Tiers-Monde
par le transfert de technologie, elle modèle et transforme les rapports
sociaux, les modes de vie et de production, l'imaginaire socio-historique,
en même temps que le milieu naturel. On peut observer ici qu'à l'occasion
de tout transfert, la culture des hommes acquiert une dimension nouvelle,
induite
par
les
technologies
modernes,
et
devient
partie
intégrante
d'une culture internationale caractérisant la nouvelle étape industrielle
du "système technicien" planétaire et 'knglobant".
Nous nous trouvons pour ainsi dire, devant une technique devenue
le milieu englobant

se déroulent
des processus autonomes dont
les
conséquences se répercutent sur la vie des sociétés qu 1 elle tend à ni ve-
1er, à uniformiser (1). les implications des techniques modernes affec-
tent non seulement la structure sociale des relations mais aussi toute
la
façon de penser,
la structure cogni ti ve ; en fait
la culture dans
sa totalité.
Comme suite de la prise de conscience, dans le monde occidental
et hors de celui-ci,de la spécificité de cette "civilisation technicienne"
ainsi que de sa vocation planétaire et de ses effets destructeurs des
cultures
traditionnelles,
des
organisations internationales
telles que
..
les Nations-Unies et ses Agences spécialisées ont proclamé sur le fond
d'une dénonciation des dangers pouvant résulter de la disparition des
particularismes locaux,
l'urgence d'un dialogue entre
les cultures en
(-1) Voir : "lI unité" du phénomène technique chez EllUl, in Système techni-
cien, Op. ci t.

224
vue d'un enrichissement mutuel et dans le respect de chaque identité,
comme
condition
inéluctable
de
la
survie
symbolique de
l'humanité et
du développement harmonieux du Tiers-Monde;
t
Tirées
de
cette
littérature,
quelques
citations,
reflétant
l'état d'esprit qui est à la base de ces réflexions,
méritent d'être
restituées
avant
d'être
réfutées
en regard
de leur
"extériorité"
par
rapport aux phénomènes techniques contemporains:
"Il
est
absolument
indispensable pour
la
sauvegarde de la
diversité culturelle mondiale
que
le
type
de
société
(les
sociétés
traditionnelles
rurales
du
Tiers-Monde)
puisse
avoir
la possibilité de sauver la dynamique interne de sa
propre évolution" écrit Jean-Luc MAURER (1).
Pour cela, contirue en substance l'auteur, il faudrait sensibi-
liser peu à peu l'opinion publique des sociétés uniformisées du monde
industrialisé
à
l'idée
que
le
respect
de
cette
diversité
culturelle
constitue
le
seul
espoir
véritable
que
les
hommes
ont de construire
un monde plus
libre,
juste et
égalitaire.
Or ce
respect
passe avant
tout
par
celui
des
formes
d'organisations
sociales et
par conséquent
des
techniques
d'acquisition
qui
les
déterminent
en partie.
En
fait
aujourd' hui
le
monde
industrialisé
"détenteur
monopoliste"
(ce
sont

les propres termes de MAURER) de la technologie avancée, essaie plutqt,
à travers 11 introduction de nouveaux
facteurs
techniques de production,
de créer dans les sociétés traditionnelles rurales stables et autonomes
des besoins artificiels.
(1) J-Luc
MALIRER
:"L'Introduction
de
nouveaux
facteurs
techniques
de
production en milieu rural" in la Fin des outils, ouvrage collectif,
PUF, Raris, Cahier de l'ILlED, Genève, nO 5, P. 81.

225
Ce sont d'ailleurs les gouvernements intégrateurs de la plupart
des Etats-Nations en formation dans le Tiers-Monde généralement "consti-
tués d' éli tes acculturées aux
valeurs occidentales,
qui
lui
servent de
courroies de
"
transmission. Ce faisant ils poursuivent chacun de manière
directe ou indirecte les objectifs économiques, politiques et stratégiques
qui leurs sont propres.
"Il conviendrait afin de contrer ces tactiques
plus ou moins bien intentionnées, de développer rapidement une "stratégie
de
développement
de
protection de ce
type
de
société".
Telle est la
thèse de MAURER
l'agression de la culture dominée tradi tionnelle e~t
H
.: 1
ici
redoublée
par
l'opposition
entre
Nations
développées
et
Pays
du
Tiers-Monde.
Opter pour les aspirations des hommes contre l'autonomie d'un
développement
technique qui les évacue,
et du même coup les Etats qui
rêvent de modernisation accélérée pour leur développement, est la position
de Jean CHEsNAUX :
"exiger
un
avenir
di fférent,
c'est
affirmer
la
nécessité
d'une
ligne
d'évolution
(dont
le
dynamisme
créateur)
ne
serait
plus
fondé
sur
la
triple
contrainte
( ... )
marché-
technologie-Etat" ,

mais
sur
les
véritables
aspirations
collectives
des
êtres
humains
:
"vivre au pays, maîtriser son travail et le fruit de celui-ci, accéder
à une véritable totalité humaine
fondée
sur
l'épanouissement autonome
de ses différentes composantes et non pl~s sur le laminage globalisant' (1).
1
(1) Jean CHESNAUX
De la modernité, Ed. La Découverte Maspero, paris, 1983,
P. 249.
,

226
A l'échelle
mondiale,
on
aboutirait
à
un
internationalisme
"inter-peuples".
Le développement autonome d'un monde technique qui tend à s'uni-
versaliser, indifférent à l'homme et à toute symbolique autre que mathéma-
tique,est-il conforme avec ces schémas? Nous y reviendrons.

',;" .l "
227
LES COURANTS IDEOLOGICO-CULTURELS TRADITIONNALISTES
ET/OU AFRICA NISTES
En
partant
des
effets
de
réarra~ement"
ou
de
"déra~ement"
internes des sociétés africaines dans leur contact brutal avec les techno-
logies modernes et "di tes occidentales", on Si aperçoi t
que le transfert
de technologie est violence (1) en ce sens qu 1 il ni évince pas seulement
les cultures locales, mais les détruit systématiquement.
Dans
ces
conditions
le
processus
du
sous-développement
est
!
1
vécu par les populations concernées comme crise globale ; crise socip-
économique,
mais
aussi
crise
socio-culturelle
mettant
en
relief
leur
dépendance envers les pays technologiquement développés.
En
réaction
contre
cette
agression
de
leur
culture
doublée
d'une
dépendance
technique
et
économique
qui
leur
confèrent
le
titre
de pays sous-développés, "les africains (en souvenir de cette complainte
de Se~hor)
veulent devenir autre chose que de vulgaires consommateurs
de civilisation".
C'est dans ce sens qu'il convient de comprendre l'émergence des discours
à coloration traditionnaliste (aux environs des années 1970) organisés
autour des concepts d'
"authentici té",
dl" identi té" et de "retour aux
sources".
(1) La
violence est définie ici comme imposition de normes extérieures
à
ce -sur
quoi
on agit et dont les conséquences mettent en péril
la cohérence du milieu dans lequel s'exerce cette action.

-
228
L' "authentici té"
a émergé comme une expression de
la volonté
d'indépendance,d'affirmation de soi et
de développement tout comme la
négritude
fut
à l'origine une
revendication de la dignité de l' homme
noir.
Le Président du Zaïre dans un discours
(que nous résumons
dans
les
pages
suivantes)
le
6
février
1973
définit
l' "authenticité
comme une prise en compte de la liberté et de la capacité du peuplel
zaïrois de recourir à ses sources propres,
de chercher les valeurs de
ses ancêtres afin d'en apprécier celles qui contribuent à son développe-
ment harmonieux et naturel. C'est le refus du peuple Zaïrois d'épouser
aveuglement
les
idéologies
importées.
C'est
l'affirmation
de
l'homme
zaïrois ou de l' homme tout court là où il est tel qu'il est avec ses
structures
mentales
et
sociales
propres.
Le
recours
à
l'authenticité
n'est pas un nationalisme étroit,
un retour aveugle au passé, mais il
est au contraire un instrument de paix entre les nations, une condition
de coexistence entre les peuples,
une plate-forme pour la coopération
entre les Etats. Car l' authentici té est non seulement une connaissance
approfondie de sa culture mais aussi un respect du patrimoine culturel
d'autrui".
D' un poi nt de vue
normati f,
on ne peut pas
ne pas apprécier
cette
conception
de
l'authenticité
en
tant
qu'elle
met
l'accent
sur
l ' activité propre du peuple qui cherche dans ses propres valeurs celles
qui
contribl.Jent
à son développement
tout entier',
ouvert à la culture
d '.autrui.
,

229
Elle est conforme
au
sens
originel du mot,
à "Authentes" en
grec Qui signi fie "Qui agit de lui-même".
L'idée Qui s'en dégage est
celle de l'autonomie de l'action. L'authenticité s'oppose au mimétisme,
au faux ; dans le largage juridique, un acte authentique est celui Qui
provient de l'acteur auquel on l'attribue et non d'un autre.
Dans ce sens l'authenticité se rapprJche de l'endogénéité (autre
concept à la mode). Endogène qui signifie "qui nai t de" ou à "l'intérieur
de". Dans les deux cas c'est l'origine, la provenance qui est seulement
mise en valeur et non l'action en tant que contenu et stratégie. C'est
là la grande insuffisance de ces deux concepts lorsqu 1 on les applique
au
développement. (dont
le
grand déterminant est
la
technique moderne
qui tend à se planétariser).
Le développement signifie dans une certaine mesure une transfor-
mation sociale,
radicale au cours de laquelle les institutions de base
d'un pays et les atti tudes
fondamentales de sa population sont,
sinon
forcément transformées, du moins mises en sursis. C'est ce qui différen-
cie le développement de la simple réforme. Comme la réforme, le développe-
ment peut être progressif, mais son point d'aboutissement est tellement
di fférent de son point de départ, qu'il ne peut s'en servir comme d'une
justi fication.
La Question posée, est en fait, celle d'un chargement d'identité.
L' identité au point de départ est tellement différente de celle du point
d!arrivée, Que les valeurs, les aspirations, les buts et les convictions
antérieures ne peuvent fournir les critères de valeur Qui justifieraient
l'état
final.
D'où
incom,Jatibilité
entre
"le
retour
aux
sources"
et
le développement.
t

."
230
A un autre
niveaJ,
peut-on préserver toute sa spéci ficité et
s'ouvrir en llême terrçJs aux autres cultures ? Cela ne relève t-i l pas
d'une utopie irréalisable? Même entre deux individus, le dialogue authen-
tique dans lequel les interlocuteurs s'engagent en mett3nt en jeu leur
spécificité,
dans le respect de chacun,
et (s'il réussit) qui aboutit
à un rapprochement qui ne laisse ni l'un ni l'autre pareil à ce qu'il
était au départ, est difficile,
voire impossible. Ce préalable établi,
il
faut
se rendre à l'évidence
: le rapport entre les cultures n'est
pas de type forcément paci fique. La rencontre des cultures est toujours
un affrontement :
"Il
existe entre les sociétés humaines un certain optimum de
i
diversité au delà duquel elles ne sauraient aller, mais en dessous duquel,
elles ne peuvent descendre sans danger.
On doit reconnaître que cet le
di versité
résulte
"pour
une
grande
part,
du
désir de chaque culture
de s'opposer à celles qui
l'environnent,
de se distinguer d'elles,
en
un mot d' être soi : elles ne s'ignorent pas, s'empruntent à l'occasion,
mais pour ne pas périr,
il
faut que sous d'autres
rapports,
persiste
entre elles une certai ne impénétrabilité" (1).
Chaque
culture
a pour
ambition de
définir
l'homme
véritable.
Ainsi chaque peuple à sa manière raconte son histoire, et c'est toujours
l'histoire d'un peuple élu.
Car il
ne s'agit pas seulement de garder
la mémoire des ancêtres, mais de fonder l'appartenance à un groupe ethni-
que.
(i) Claude LEVI-STRAUSS
"Culture et nature" Commentaire,
nO
15, 1981.

231
On voit que chaque système culturel fait exister les individus
sur un mode bien difficile à partager. Il ne faut pas déduire hâtivement
de
cette
difficulté
de
communication
des
cultures
traditionnelles
lJ)e quelconque espèce d'imperméabilité absolue en matière de technique.
Toutefois, s'il y a perméabilité, celle-ci est sélective et Si organise
autour des
notions d'assimilation de "procédés" venus de l'extérieur.
Car dans le cas contraire le système technologique serait figé et l'inno-
vation impossible. Mais, cela est important, seuls pénètrent les éléments
qui sont compatibles avec ceux qui sont sur place, et qui ne risquent
pas d'entraîner le bouleversement de la structure technologique existante.
Ainsi
les
systèmes
technologiques
traditionnels
opèrent
à la manière
d'une grille qui éliminerait les innovations fJropres à mettre en cause
le système
dans sa spécificité.
Ceci permet d'expliquer le prétendu
paradoxe de "l'ouverture" des technologies traditionnelles, qui adoptent
facilement certains outils ou procédés totalement nouveaux pour elles,
i
tout en opposant une résistance durable à d'autres outils ou procédés
tout aussi inédits que les premiers. C'est que les éléments empruntés
et acceptés sont intégrés au circuit d'agencement des êtres techniques
déjà présents. Cette intégration de nouveaux éléments ne concerne pas
un ensemble d'instruments mais quelques uns seulement,
ceux qui
sont
insérnbles
dans le nouveau système parce qu'ils ont perdu (au moment
de
leur
intégration)
leur
propre mode
d'articulation avec
les êtres
techniques avec lesquels ils cofonctionnaient dans leur domaine d'origine.
Ainsi
au
moment
de
leur
adoption,
les
techniques
importées,
peuvent
être
considérées
comme
des
sortes d'entités pures,
dégagées de
tout
environnement,
même si les traits qu'elles possèdent rendent possible
leur adoption.

232

L'exemple le plus brut est celui de l' introduction chez les Dida, les
Gouras,
et
les
Guinéens,
de
fusils
européens
relativement
périmés,
1
acquis par achat ou fabriqués sur place (fusil à pierre), acquisi tion
qui date des premiers contacts avec les marchands européens. Rien ne
"prédisposait"
cette
introduction
d'un
instrument
sans
rapport
avec
l'ensemble
instrumental
autochtone
qui,
par
ailleurs,
n'a
provoqué
aucune
réorganisation du
système.
On
voit
bien que
la
substitution
partielle du fusil aux armes de chasse comme la flèche aboutit à la
redistribution des moyens techniques à l'intérieur d'un seul secteur ;
mais la substitution se situe au niveau de la fonction, et ne se réper-
cute pas en profondeur. L'élément nouveau joue un rôle, mais son carac-
tère étranger, disons même son exotisme, la limite à l'occupation d'une
place restreinte et précise.
Parler ici
de son incompatibilité avec
les autres objets techniques ne serait pas absolument juste. Sa fonction,
le
jet
d'un
projectile,
est
familière
à ses
nouveaux
utilisateurs.
Les matériaux de sa fabrication existent sur place (fer, bois, pierre).
Ainsi
l'extension de
son principe et
le mode d'articulation de
ses
composants
ne
s'étendent
pas.
L'objet
exotique
s'articule
avec
les
objets locaux, mais il continue de fonctionner selon ses propres normes
technologiques,
ainsi qu' une locution étrangère dans une
largue dont
l'emploi
n' affecte pas la grammaire de cette dernière.
Les principes
mécaniques du fusil ne modi fient pas les principes technologiques qui
régissent le système local, la place que le fusil occupe étant fonction
de la modalité des
articulations qui
dominent
le secteur en cause,
ici la chasse.

·"
233
Notons toutefois que l'introduction d'objets techniques fonciè-
rement t§trangers au système est assez rare. Par contre l'assimilation
de techniques ou objets apparentés à ceux qui existent à l'intérieur
du système, et la substitution à un objet fabriqué sur place d'un objet
acheté,
sont
d'une
ampleur
considérable.
Tout
d'abord
comme
le
note
fort
justement
André
LEROI - GOURHAN,
l'emprunt
pur
n'existe
pas
car
"pour emprunter le milieu technologique doit être favorable à l'emprunt"(l).
De plus, il est difficile d'accepter que les innovations technologiques
puissent être un pur produit culturel endogène car d'une part, il n'a
jamais existé de groupe ethnique qui ait été en situation permanente
d'isolement
total
et d'autre part,
toute
innovation part d'un acquis
technologique qui contient lui-même déjà de nombreux éléments empruntés.
1
Il est donc raisonnable de penser que dans le domaine des techniqu~
il
n'existe pas de phénomènes purs.
A la limite,
comme le note
une
nouvelle fois A. LEROI-GOURHAN "il Y a fusion entre l'emprunt et l' inven-
tion" (2).
Il
en
est
tout
autre~ent quant
à
l'importation
d'un
objet
technique réellement "original" comme une usine de production moderne .
.
La dimension de cette usine,
les valeurs qu'elle véhicule et qui sont
rattachées au "système technicien" contredisent les cultures africaines
sur des points jugés fondamentaux. Dans ce cas »rien ne va plus ; tout
cha~e quand l'autre est là et me met en question". Et l'accusation
,
(1) Op. cit., P. 373.
(2) Op. cit., P. 354.

234
i
est largement faite à l'occident technicien en ce sen~ qu' aujourd' hui
1
Jj
une culture s'oppose et tend à détruire toutes les autres ; la "culture
technicienne"
dite
"abusivement"
occidentale.
On
se
lamente
que
la
\\
1
colonisation a détruit
les
cultures autochtones.
Le
fait
actuel
est
,
1
plus profond. Car ct est la conception de la vie qui est modifiée de
l'intérieur
par
l'accession des groupes
indigènes
aux
travaux
et à
la compréhension technicienne, plus efficacement et radi calement qu' au-
trefois par la prédication des missionnaires. Et il ne s'agit pas d'une
chose proposée aux autres cultures,
il s'agit d' un moment historique
de
la
"proli fération
cancéreuse"
de
la
technique
mocJerne
di fférant
d'une
avancée
inéluctable
du
progrès
tel
qu'on l'imaginait
au
Xlxè
siècle.

Ce
qui
sépare
l'occident
technicien
des
autres
civilisations
n'est
pas seulement un ensemble de différences historiques et culturelles.
, "ce qui le disti~ue et du coup le sépare de sa propre
culture est
technique,
c'est-à-dire
l'autre de toute
cul-
ture" (1).
Lorsque nous parlons ici de l'altérité de la technique à toute culture,
il ne faut pas entendre par là que la technique en général est étra~ère
à toute culture. Ce que nous voulons signifier c'estle caractère antithé-
tique de la technique moderne (prétendant à une domination systématique
du monde)
par rapport aux cultures traditionnelles organisées autour
des notions de sacré et de symbole.
(1) Gilbert HOTTOIS : Le signe et la technique Op.cit., P. 199.
On
appréhende
cette
dimension
de
la technique moderne dans
les
analyses de Weber. Lorsque Weber isole les caractères propres de
la
science
occidentale,
de
l'art
rationalisé,
de
l'organisation
de la société et de l'Etat, de l'exploitation capitaliste des possi-
bilités d'écha~e et de travail, c'est un phénomène qu'il envisage:
.../

235
Dans
les
cultures
traditionnelles,
les
rapports
de
l'homme
à la nature,
les manières de se si tuer dans l'espace,
les découpages
du temps de la vie humaine étaient sans doute di fférents mais restaient
comparables.
Dans
l'immense
éventail
des
mythes
fondateurs,
l'homme
j:
demeurait le médiateur entre le ciel et la terre,
entre le manifeste
f
et
le caché.
La vie dans le monde était provisoire et en préparait
1
t•
1
; .
une autre. L' oeuvre essentielle que l' homme devrait accomplir sur cette
terre était de s'en libérer pour aboutir,
soi t à une sorte de fusion
avec l'esprit cosmique, soit une survie de l'âme dégagée de la matière.
La civilisation occidentale en Si organisant autour de la notion
de progrès "auquel participe la science et la technique comme élément
et comme moteur, ont-ils une signification qui dépasse cette pure prati-
que et cette pure technique ll ? (1) Faire du monde un projet technique
organisé
autour
de
la
maîtrise
et possession de
la
nature
annoncée
par Descartesdans Le Discours de la méthode, considérer la nature comme
un réservoir de matériaux à gérer économiquement, dans cette voie en
être arrivé à déclarer que la valeur de la terre aussi bien que les
diverses "matières premièresll se mesuraient exactement à leur capacité
de permettre l'incorporation en elle du travail et de la richesse néces-
saire
pour
en
tirer
des
"produits
finis"
et
déclarer
parallèlement
l' homme
comme responsable de la conservation de l'écosystème
;
faire
.../ la substitution d'un archétype (non seulement épistémologique a~
sens de Kuhn, mais global, philosophique et .social) aux archétypes
religieux
des
sociétés
traditionnelles
dont
le
Moyen-Age
a
été
en occident le dernier
support.· De ce fait
il met
le doigt
su~
la mutation philosophique qui
aboutit à la
rationalisation et à
la mani festation technique de la puissance ; l'envers de tout ce
processus étant
le lIdésenchantement" du monde,
"die Entzauberung
der Welt" •
..
(1) Max Weber: le Savant et le Politique, Op. cit., P. 70.

236
i
1
1
tout cela c'est entrer
dans un rapport avec
la nature
incompatible
avec le jeu des correspondances symboliques caractéristiques de toutes
les cultures traditionnelles.
Du coup la culture occidentale,
se trouve en opposition non
seulement
avec
les
autres
cultures,
mais
aussi
avec
les
traditions
de sa propre culture (1).
Cela
revient
en
d'autres
termes
à affirmer
que
lorsqu'une
cul ture rencontre l'occident technicien, elle nI affronte pas seulement
une autre culture, mais encore l'autre de toute cul ture, autre chose
que la culture .. La vérité est que le mode scientifique et technique
du rapport à la nature di ffère du tout au· tout de celui des autres
cultures et qu'on ne peut modifier le mode humain du rapport à la
nature
sans bouleverser les structures sociales et vider toutes les
traditions de leur substance. Ce à quoi il faudrait
ajouter (sur la
base de ce que nous savons du système tehcnicien)
: on ne dialogue
1
pas avec la technique moderne, elle sui t ses impérati fs de croissaree
propre et si
la culture au sein de laquelle elle est née échoue à
l'inscrire
symboliquement
en
soi,
on voit
mal
comment
les cultures
étrangères à
l'occident réussiraient
une
intégration symbolique de la
technique
qui ne soit pas une illusion fatale de ces cultures.
(1) Les traditions de
notre
vieille culture
relèvent
d'une histoire
écrit Abel Jeannière : "elles font partie de l' humus où sont apparus
Galilée,
puis
Newton,
puis
Einstein,
puïs Niels
BOHR".
La
Fin
du Monde, Aubier 1986, P. 125.

237
La notion importante du "transfert de technologie" est ainsi
placée dans une lumière nouvelle. Idéalement,la réussite d'un transfert
implique que le sous-système technologique importé se trouve intégr~
en un milieu culturel récepteur compte tenu de ses besoins, des valeurs,
des coutumes, et traditions de l'hôte qui reçoit la technique.
L'espoir
qui
se
manifeste
dans
cette
stratégie
est
celui
,
1
de garder
son identité et accéder à une moderni té considérée comme
t
1
, ;
source de bien - être. Ceci est une erreur qui consiste à croire que
la technique est neutre et seulement plus ou moins complexe, que l'oeuvre
technique peut être entreprise dans
ni importe quelle vieille culture
sans la bouleverser.
En
fait
la technique suppose les nouveaux
types de rapport
à la nature que
nous venons d' analyser,
et al' on ne peut changer le
rapport à la nature sans transformer les relations sociales et ébranler
les
symbolismes
qui
les
sous-tendent.
Envisager
la
technique
comme
simple moyen au service de l'homme de toujours est un leurre.
Sans
doute
la
technique
ne
comporte
t-elle
aucune
vision
du monde, aucun système de significations permanentes
j
l'erreur est
de
vouloir en profiter pour
l'intégrer à l'un ou à l'autre système
culturel: on oublie alors que cette absence d'image est une exigence.
La technique exige la négation de toute signification permanente d'un
monde où l'homme enfin,
chez lui, cesserait son errance~ "c'est parce
qu'il en est exclut" dit Abel Jeannière, qu'il s'approprie la nature".
La technique, il est vrai, n'est rien d'autre "qu'un vocabulaire universel

238
de l' acti vi té appliquée à la transformation de la réalité" (1), dont
l'organisation arti ficielle dépend de l'obstacle à vaincre, mais cette
organisation se fonde sur la négation d'une image qu i
donnerait au
monde un sens prédéterminé .
"Garder les tradi tions et garder la technique" ; sur la base
de ce que nous venons de montrer et de ce que nous savons du "système
technicien",
i l
faut craindre que cet idéal ne soit en fait qu'une
chimère, et la façon dont se réalise la technisation du monde n'apporte
malheureusement, à cet égard que trop de confirmation
"Sitôt que la technique parait,
elle exige, elle produit
ses propres conditions dl installation et de croissance" (2).
Il est évident qu'on ne puisse pas monter en un lieu une
usine
en
respectant
le
mode
traditionnel
du
travail
artisanal,
ni
la structure
patriarcale du clan de la famille élargie.
L'ouvrier,
le
technicien,
prend inévitablement
sa
distance,
son autonomie
par
rapport à l'ancienne organisation sociale, mentale de sa société tradi-
tionnelle. Il y a donc un bouleversement global qui s'effectue par le sim-
pIe apport de la technique moderne.
Il
faut
toutefois signaler que si
la technique moderne va
à
l'encontre
de
toutes
les cultures
traditionnelles,
certaines
lui
(1) Octave PAZ : L'Arc et la Lyre, trad. de l'Espagnol par Roger Rumier,
Collect.
"Les Essais" Gallimard 1965, PP. 351-352-354. "Ce n'est
pas la technique qui nie l'image du monde ; c'est la dispari tion
de l'image du monde qui rend la Technique possible", P. 354.
(2) Ellul': Op. cit.

239
l'
sont propices
à cause de leur "souplesse relative" à son implan-
tation (1) alors que d'autres lui sont foncièrement hostiles. L' impor-
tant pour le système technicien étant de croître,
de poursuivre ses
lois internes de développement dans tous les sens, non de s'insérer,
de s'intégrer. Ou bien il plie son autre culturel à son service (direc-
tement ou obliquement) ou bien il tend à l'évincer, à le transformer
totalement,
à le détruire pour Si y substituer avec violence non sans
colporter
bien
entendu
d'innombrabes
bribes,
lambeaux
et
morceaux
de culture occidentale.
La dimension systémique de la technique joue dans cette ex-
pansion mortifère un rôle déterminant. Le transfert dans le Tiers-Monde
d'un quelconque outil technologique tant soit peu sophistiqué (téléphone,
télévision, automobile etc ... ) entraîne nécessairement le développement
de tout le système qui supporte cet "outil" et qui le transforme pel,J
1
à peu en un nouveau milieu révélant ainsi sa nature non instrumentale !
il n'était pas un simple "outil" dont une autre civilisation pourrait
innocemment se servir. Mais une sorte de "micro-organisme", un "virus
cancérigène"
mettant en route une prolifération mutationnelle boulever-
sant complètement le milieu naturel-culturel d'accueil (2).
La croissance aveugle de la technique, indifférente à l'ordre
cul turel,
ainsi que sa nature systémique,
tous ces aspects font que
(1) Pour aller dans ce même sens André Fel a fait une étude pour resti-
tuer les attitudes de résistance' ou de facilité que certains villa-
ges
africains
adoptent
face
à
l'implantation
d'objet
technique
nouveau
;
moyennant
quoi
il
a pu détecter
les
conséquences de
ces
attitudes
sur
le
rythme
de
"modernisation"
des
populations
concernées.
"Géog.raphie
et
Te~hniques" ~n Histoire Générale ~es
TechnIques,
B.
G111e
:
Op.
clt.,
P.
11'01,
1102,
1103
et
SUIV.
(2) Gilbert HOTTOIS, Op. cit., P. 200.
t

240
le
transfert
de
technologie
d'un
quelconque
sous-système
technique
tend à entraîner ("puisque tout se tient" (1) à mayen terme, la repro-
duction du système global
au détriment des particularités du milieu
d'accueil.
Le
processus
qu'an
appelle
"l'occidentalisation"
de
la
planète et qui est plus sa technicisation, l'extension du technocosme
selon les termes de G. HOTTOIS,
ne serait donc pas un accident, une
l . t .
,
bl
.
l '
.
ï
,
i erreur po l lque repara
e, mal s
expressIon
d'une neces-
si té directement issue de l'essence de la technique et des principes
de
la techno-évolution qui
sont
similaires à (ou qui rappellent) ceux
de la bio-évolution : le règne supérieur croît sur le règne inférieur
et s'en Mourrit,
l'espèce la plus performante évince les autres dans
la lutte pour la vie.
Les problèmes de la
technique et du
développement africain,
deviennent pour ainsi dire une question de puissance, et le philosophe
Camerounais MarcienTOWA l'a bien perçu en ces termes:
"le secret de l'Europe réside dans ce qui
la di fférencie
de nous" donc i l faut
"se
nier,
mettre en question l'être même de
soi,
et
s'européaniser
fondamentalement. . .
nier
notre
être
intime
pour
devenir
l' autre. . .
viser
expressement
à devenir comme l'autre,
semblable à l'autre, et par
là incolonisable par l'autre (2).
(1) Le tout est un "package", une totalité indissociable.
(2) Marcien TOWA : Essai sur la problématique philosophique dans l'Afri-
que Actuelle. Edition, clés, Collection Point de vue, P. 41.

241
C'est
la voie
la plus
réaliste pouvant nous conduire à une
réelle
affirmation
de
nous-mêmes
dans
le
monde
actuel.
Et
Marcien
TOWA prend l'exemple de la Grande Royale (l'héroïne du roman de Cheick
Hamidou Khane
: L'aventure ambiguë)
pour donner plus de poids à son
argumentation:
"L 1 école

je
pousse
nos enfants dit
la Grande Royale,
tuera en eux ce qu 1 aujourd 1 hui
nous
aimons et conservons
avec
soin,
à
juste
titre.
Peut-être
notre
souvenir
lui
même
mourra-t-il
en eux...
ce
que
je propose
c' est
que
nous acceptions de mourir en nos enfants et que les étran-
gers qui nous ont défaits prennent en eux toute la place
que
nous aurons
laissée libre...
Que
faisons-nous de nos
réserves de graines quand il
a plu ? Nous voudrions bien
les manger, mais nous les enfouissons en terre. La tornade
qui annonce le grand hivernage de notre peuple est arrivée
avec les étrangers ... Mon avis à moi, Grande Royale, c'est
que
nos
meilleures graines et
nos champs
les plus chers
ce sont nos enfants" (1).
Ce choix dramatique entre l t essence du soi et
sa destruction
au profit de l'autre s'est imposé à tous les peuples qui durent affron-
ter la puissance de l'occident.
Notre
intention
dit
en
substance
Marcien
TOWA n'est point
de prôner un mimétisme irréfléchi. Mais un phénomène qui donne à penser
est celui-ci: "les peuples qui ont décidé de perdre leur essence afin
d'assimiler
le
secret
de
l'occident
impérialiste
se
retrouvent
au.
i
demeurant
eux-mêmes,
et
ceux
au
contraire
q~ ont voulu préserverl
leur originalité,
leur être profond sont en train de
les perdre en
se perdant. Les premiers,
ont
fait
peau
neuve et
ont
retrouvé sant~
Cl) Cheick Hamidou Khane, L'Aventure ambiguë, Guilliard Paris, 1961,
PP. 62-63, cité par Marcien TOWA, un Op. cit., P. 42.

242
et
vigueur,
les
second
incapables de
riposter
adéquatement
au défi
du temps, succombent sous le poids du passé, s'éloignant de la scène
de l' histoire et deviennent un champ d'action et d'extension de l'au-
tre" (1);.
C'est à partir de ce point de vue que Marcien TOWA s'attaque
avec
virulence
à
la
négritude
senghorienne
et
l'ethno-philosophie
qui entretiennent l'illusion que l'Afrique pourrait apporter un "SUPPlél
ment d' âme" à 11 Europe avant la liquidation complète de l'impérialisme
européen en Afrique.
En
réalité
aucun développement culturel
d'envergure
ne sera
possible en Afrique avant
qu'elle
n'édifie
une
puissance matérielle
capable de
garantir
sa
souveraineté et
son pouvoir de décision non
seulement
dans
le
domaine
politique
et
économique,
mais
aussi
dans
le domaine culturel.
"Notre infériorité matérielle met notre culture
à la merci des puissances de notre temps". Ce que Marx dit à ce propos
des
classes
sociales
s'applique
entièrement
aux
rapports
entre
les
peuples~ "la classe qui est la puissance dominante de la société est
ainsi
la
classe
dominante
spirituelle.
La 'classe
qui
dispose,
des
moyens de la production matérielle dispose,
du même coup, des moyens
de production intellectuelle, si bien que l'un dans l'autre, les pensées
de
ceux
à
qui
sont
refusés les moyens de production intellectuelle
sont soumises du même coup à cette classe dominante. Les pensées domi-
nantes ne sont pas autre chose qu~ l'expression idéale des rapports
matériels dominants" (2).
(1) Marcien TOWA, Op. cit. P. 46.
(2)
K.
MARX
L'idéologie
Allemande,
éd.
Sociales,
Paris
1968,
P.75
t

243
Ceux qui reJet teraient cette pensée de Marx pour le seul fait
qu'elle serait entachée de matérialisme pourraient méditer ces paroles
de l'Ecclésiaste:
"La Sagesse vaut mieux que la force.
Cependant la sagesse
du pauvre est méprisée et ses paroles ne sont pas écoutées ..
La sagesse vaut mieux que les in4truments de guerre, mais
un seul p~cheur détruit beaucoup de bien." (1).
Le projet de notre auteur s' inscri t dans la voie de la "des-
truction ges
idoles
traditionnelles'" quï
seule permettra dl accueillir
1
et d'assimiler l'esprit rationaliste de l'Europe, secret de sa puissance
et de sa victoire sur nous. C'est seulement en édifiant une puissance
comparable aux plus grandes puissances de notre temps et donc capables
de
résister
aux
agressions
éventuelles
et
à
leur
impérialisme
que
nous
aurons
le
pouvoir
et
les moyens
de
nous
affirmer comme monde
auto-centré politiquement, économiquement, et spirituellement.
"Donc,
à la quête
de
l' originali té
et
de
la
di fférence
comme certificat de notre humanité nous proposons de substi-
tuer
la
quête
des
voies
et
des
moyens
de
la puissance
comme
inéluctable
condition
de
l'affirmation
de
notre
humanité et de notre liberté" (2).
Outre ces considérations qui mettent en relief la puissance incontour-
nable liée à la technique moderne et le caractère illusoire des idéolo-
gies
du
"retour
aux
sources",
i l
convient
de
signaler à l'endroit
l1) Ecclésiaste
l,
16
et
18
traduction,
Louis
SEGOND,
Paris
1956,
P. 790.
(2) Marcien TOWA, Op. cit., P. 53.
t

244
des
partisans
dogmatiques
de
"l'authenticité"
que
1eur
corception
souffre d'un autre
irconvénient
:
parler de
l'homme tel qu'il
est,
avec
ses
structures mentales
et
sociales
propres,
est
"fixiste"
et
"anti-progrès". C' est admettre implicitement le règne de la tradition,
le
non-changement.
C'est
d'ailleurs
ce
qui
est
reproché
à Senghor
(par Marcien Towa entre autre)
lorsqu'il définit "la négritude comme
l'ensemble des valeurs culturelles du monde noir telles qu'elles s'expri-
ment dans la vie,
dans les institutions et les oeuvres des Noirs".
Cette vie n'a-t-elle pas changé depuis des siècles ? En effet
la recherche d'une identité de la culture et de la civilisation afri-
caine implique la reconnaissarce préalable du fait que l'Afrique actuelle
est un creuset où se mêlent traditio~précoloniales, influences islami-
ques et euro-chrétiennes, échelles de valeurs industrielles et scienti-
fiques.
Il s' agi t
pour
nous de dépasser cet hybridisme culturel, de
procéder à l'élaboration d'un:
"Système de valeurs morales et .i ntellectuelles qui corres-
pondent
à la complexité de l'Afrique réelle et puissent
constituer un système de référerce pour les peuples africains
dans leur lutte contre le sous-développement". (l)
..
Le
dilemne
tradition-modernité
ne
se
pose pas
d'une
façon statique
qui
correspondrait
un choix d'une Afrique traditionnelle ou moderne
conçue de façon monolithique alors que précisément le vrai problème
est de réaliser quelle Afrique et à partir de quelle réalité corcrëte ?
Notre problématique d'ensemble reste "entier : étant donné que la techni-
que moderne est un système englobant qui fai t que si peu qu'elle ai t
-
(1) Violence technologique et développement - Op. cit., PP. 73 et 74.
t

245
pénétré dans une société,
i l en émane un processus irréversible qui
ne Si achève que dans une technicisation de la société toute entière ;
et du fait que la technique est le grand déterminant dont tout dépend
et à l'intérieur duquel l'on se situe, ce à quoi i l faudrait ajouter
qu'elle est sa propre finalité, ayant en elle-même, (et non à l'exté ï
rieur) ses propres prircipes de développement selon sa propre rationa1
lité.
En
regard
de
toutes
ces
données,
n'est-il
pas
incohérent
de poser la question sui vante
(telle que nous l'avons envi sagée dès
le
début
de
notre
projet)
Comment concevoir
les
conditions d' un
développement
à
l'usage
des
jeunes
Nations
d'Afrique
conciliant
à
la
fois
l'efficacité
technicienne
et
les
exigences
humaines
sur
le
fond d' une prise en compte de la diversité des situations locales
;
le tout sous le signe des principes sur lesquels peut s'appuyer une
régulation de l'action politique? C'est l'énoncé d'un problème auquel
f.'
il
faut
donner
une
réponse
"pratique".
Car
vouloir
ne
va pas sans
l'acceptation de
toutes
les conséquences
de ce qui
est projeté,
ou
sans le sacrifice de ce qui est incornpatiblJ avec la réalisation de
ce vouloir.
"Dans un monde en mutation profonde où chacun se trouve pris
partagé eHtre le souci de ne point perdre
son identité et celui de
ne point s'isoler d'un mouvement hors duquel s'installent progressive-
ment l'impuissance et la dépendance"
(1)
la seule réponse qui reste
(1) Franck FINLAND : Préface à Violence technologique et développement.
Op. ciL, P. 10.

246
au
Tiers-Monde,
c'est
de
créer
les conditions
indispensables
pour
sortir du sous-dévleoppement par la maîtrise d~sciences et des techni-
ques et gérer avec moins de "turbulence" le passage d' une pensée mythi-
que ou symbolique à une pensée de
type rationnel et expérimental,
de façon à ne pas obvier
au
développemeni
social au profit d'une
structure anomique. En d' autres termes comment établir une stratégie
du charv;)ement technique capable d'introduire dans
les pays en voie
de développement des industries et des méthodes modernes qui provoque-
raient
la
modification des
structures
économiques
et
sociales dans
ces pays,
et qui les placeraient au niveau de la technologie et de
l'économie modernes?
C'est la seule issue pour l'Afrique de relever les défis du développe-
ment et d' affirmer ainsi sa dignité avec plus d' élégance et de fierté
au lieu de se replier, comme le commandent certai ns de ses intellec-
tuels dans un africanisme borné, une idéologie étriquée de l'identité,
et périmée dans
sa formulation et dans sa fonction ; toutes les spéci-
ficités culturelles incompatibles avec les exigences du monde technicien
s'évanouissent
avec
fracas
au contact
du
choc
technologique et
se
perdent dans le lot des valeurs inopérationnelles reléguées au simple
rang de pièces de musées. Sur ce point nous sommes sur la même ligne
que Marcien Towa
: te problème majeur est de changer de mentalité
et de logique;
dans son contact avec la technique moderne,
seule
est exigée
la volonté de changement,
aucun dialogue n'est possible
avec ceux qui s'accrochent aux valeurs désuètes du passé et les décla-
rent comme étant immuables.

247
II - ESQUISSE D'ELEMENTS DE SOLUTION
DU TRANSFERT DE TECHNOLOGIE
A UNE STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT REGIONALE
~ .
"
" !i
l

-
248
Comment
concevoir
à
l'usage des
Jeunes
Nations
d'Afrique
un
développement
multidimensionnel
en
harmonie avec le
système
technicien
"englobant" et "autonome" ?
Telle
est la question à laquelle nous tenterons de répondre
dans
cette
section tout en tenant à la fois compte de la rationalité
technique
comme contrainte et comme possibilité.

249
Le
développement
tel
qu'on
l'exprime de
nos
jours
dans
les
discours
officiels repose avant tout sur un calcul économique et
sur
une
vision
instrumentale
de la technique;
le tout lié à une
conception
du
progrès
unidimensionnel,
linéaire
en
corrélation
avec
une
croissance
économique
planifiée
qui
déclencherait automatiquement
les
changements
socio-économiques attendus.
Et si l'on a accordé quelque
"investissement"
en
l'homme,
on
l'a
fait et défini en
termes
économiques
limités.
Le
1
problème en fait reste celui des buts essentiels du développement.
Autrement
dit qu'est-ce qui constitue une fin du développement
?
>.,
Et
quel est le facteur central qui structure le développement en tant
que
globalité?
Cette
question
s'appuie
fondamentalement sur le
fait
que
les
entités
économiques
telles
que le (PNB) produit
national
brut
et
des
données financières apparentées,
ne fournissent pas une mesure adéquate du
bien-être humain et de la qualité de la vie.
Tout
objectif de développement devient un objectif socio-culturel
..
dès lors qu'il est adopté.
Il en est ainsi d'abord parce que la
technique
en
tant
que
système englobant et déterminant est
le
facteur
principal
constitutif de la civilisation contemporaine et planétaire. Les changements
dont elle est le lieu induisent bien des transformations indirectes :
"La technique structure aussi les relations entre les
hommes,
leur
assignant
fonction
et
positions
dans
le
cadre
des
possibilités qU'elle ouvre ...

250
Elle
suggère
et structure enfin les
représentations
que
les
hommes
ont
d'eux
mêmes,
du
monde et de
ce
qu'ils
peuvent
désirer" (1).
Ensuite
tout projet de développement à un autre niveau
d'analyse
n'est pas seulement économique,
n'est pas réductible à la croissance ("qui
est synonyme d'augmentation brute de la production, laquelle n'implique pas
forcément l'amélioration de la vie du plus grand nombre") (2).
Cette
analyse
révèle
la
complexité
du
développement
et
des
relations qui unissent ses différents aspects et nous invite non
seulement
à
considérer
le
développement
comme
un
processus
global
prenant
en
considération
la
société
tout
entière au
travers
de
ses
composantes
physiques,
économiques,
sociales
et culturelles,
mais aussi à apprécier
(selon
notre
perspective
technologique) la technique
non
sous
l'angle
strictement
instrumental
mais
comme
variable
inter-agissante
avec
l'ensemble du milieu,
et pouvant donc entraîner ou freiner le processus de
développement du pays où elle est importée.
Ce à quoi il faut ajouter
que
la
série technologique occupe une place de premier ordre dans tout
projet
de développement et le transfert de technologie est une figure particuli~re
du
processus
de l'expansion planétaire de la technique moderne et
de
la
formation du système technicien .

(1) F. TINLAND : "La technique comme milieu et com.me système" ~. cit P. 33
(~) Alain DE BENOIfi: EUROPE, TIERS-MONDE
même combat
Robert Laffont, Paris, 1986, P. 129.
t

251
La
dimension
systémique
de
la
technique
nous
offre
ici
l'opportunité
de cerner les rapports technologie et développement et
nous
permet de montrer que :
- le
développement
ne
peut
se
réduire
au
seul
concept [de
croissance
économique
mais
doit
s'intégrer
à
un
concept
de
nature
multidimensionnelle;
- le transfert de technologie ne peut se réduire à la transmission
d'un
engin
technique considéré comme simple instrument
neutre,
mais
au
transfert d'un discours et d'un milieu, d'une "structure" organisée. Etant
bien
entendu que la technologie moderne comprend non seulement un ensemble
de
disciplines
relatives
à l'application et
à
la
matérialisation
des
savoirs
scientifiques
mais
aussi
à des
processus
qui
englobent
les
machines,
les outils et les rapports de production qu'ils impliquent,
son
transfert
implique
d'une
part,
une
face
théorique
(assimilation,
appropriation,
interférence des systèmes symbo\\iques et techniques ... etc)
et
d'autre part une face appliquée (l'ampleur des problèmes posés par
"la
technicisation"
des
sociétés africaines,
implique la nécessité
(et
les
modalités) d'une stratégie communautaire de développement).

252
A - ID1ANOES SOCIPLES ET OCVEUPPE~T
1
En
bonne
logique,
l'étude des relations
entre
technologie
et
développement
devrait
avant
tout "transiter" par une
recherche
sur
le
concept
de
développement en partant de la situation et des
statégies
de
chaque
pays
du
Tiers-Monde
à
partir
des
informations
éventuellement
centralisées par les organisations internationales et régionales.
Or
ces
rapports
(notamment
ceux
des
Nations-Unies)
sur
les
problèmes du Tiers-Monde ne retiennent pour l'essentiel que des indications
chiffrées (et très synthétiques) d'inspiration économo-centriste.
Une autre voie aurait été de procéder par regroupement des pays en
voie
de
développement en tenant compte de certaines données
ou
critères
bien
établis.
C'est là une piste prometteuse,
mais aujourd'hui très
mal
défrichée.
La
plupart
des grands rapports sur le développement
dans
le
monde
subdivise la planète en grandes régions,
mais cette répartition ~st
essentiellement
faite
en fonction d'un seul critère (le revenu
par
tête
d'habitant)
qui nous semble en regard de sa coloration
économo-centriste,
réductionniste.
L'analyse
et
la définition des stratégies de
développement
par
région
reste
à faire selon des critères quantitatifs mais
élargis
à
la
dimension qualitative (culturelle, géographique et politique). Et là encore

253
;
~
nous
pensons
qu'une
théorie approfondie de la technique peut
être
d'un
1
apport considérable dans la compréhension de cette problématique.
"Sans doute,
comme le souligne MR.
TINLAND, ne convient-il pas
d'isoler
la
sphère
technologique
de
l'ensemble
des
déterminations
propres
à un ensemble
socio-culturel
plus
ou
moins systématique. Mais si la structuration et le développement
du
"sous-ensemble
technique" dépendent évidemment de
facteurs
économiques
d'habitudes
traditionnelles
ou
de
décisions
politiques,
cette
dépendance n'est pas incompatible
avec
une
large
part
d'autonomie
liée aux
régulations
et
contraintes
internes
qui solidarisent les "moyens techniques" mis en oeuvre
par
une
société
à
un
moment
défini
de
son
histoire
et
sollici tent leur évolution" (1)
Indépendamment
de
ces
considérations,
le
milieu
technique
fonctionne
de façon autonome,
mais tout en assurant la médiation entre la
manière
dont
une
société
perçoit
ses
besoins
dont
elle
reconnait
l'existence
et le monde naturel dévoilant ses ressources en
fonction
des
savoir-faire et des projets corrélatifs des moyens d'action disponibles
"Il
y a une "génèse réciproque" (pour emprunter les termes
de
Pradines (2) de l'emprise exercée par la médiation des outils let
des prises offertes par le monde comme il y a une dialectique Ide
l'arme
et de la cuirasse enchaînant en un
développement
aufo-
entretenu
une cascade de relations entre ce qui apparait t04r à
tour comme cause et comme effet" (3)
Compte tenu
de
cette
dialectique et en
sachant
que
l'avancée
technologique
ne
se borne pas seulement à permettre la
satisfaction
des
désirs
préalablement formés,
mais suscite la formation de ces
désirs
en
(1) "La technique comme système et comme médiation" - Op. cit. P. 34.
(2) Maurice PRADINES: Traité de psychologie générale,
PUF, 1948, Tome l, cité par MR. TINLAND - Op. cit P. 36
(3) F. TINlAND : Ibidem


254
remodelant les besoins en fonction de ce qui apparaît comme réalisable,
il
nous
apparait
astucieux
de
recenser
les
grands
domaines
d'activités
constitutifs
de
la demande sociale dans les pays africains (en ne
tenant
pas
compte
de
la
spécificité
de
chaque
entité
nationale
(1)) avant
l
d'entrevoir une stratégie à la hauteur des défis et des enjeux liés à
tout
projet de développement.
A la
lueur
de
certains rapports des Nations-unies
et
de
ses
Agences spécialisées,
du club de Rome,
et du BIT (Bureau International du
Travail),
et en tenant compte des caractéristiques du système
technicien,
nous
avons
pu mettre en relief sept grands domaines d'intérêt
majeur
en
matière
de
développement
qui
sont essentiels
à
l'alimentation
et
au
développement
de
la
personne humaine et correspondent à
des
nécessités
collectives. Ce sont
- la santé
- l'alimentation

(1) Certes
la
définition
d'une
stratégie
de
développement
passe
inévitablement
par
la
prise
en compte d'un
très
grand
nombre
de
variables hétérogènes qui (tout en étant étroitement inter-dépendantes)
s'inscrivent
dans
des espaces et se 'déroulent sur des
périodes
dont
l'échelle
est
pour
chacune
différente.
Mais
pour
des
raisons
méthodologiques et selon les perspectives que nous avons adoptées, nous
pouvons
"négliger"
la spéci fici té de chaque "enti té nationale"
étant
donné que dans tous les cas il est "programmé" dans le développement du
système
technique
l'uniformisation
des
modes
d'existence
et
de
consommation
à l'échelle planétaire.
Si
telle est
la
finalité
du
système,
la
qualité
d'une stratégie en matière de développement
est
relati ve à sa capacité à maîtriser "le présent". mais aussi et surtout à
détecter d'avance les besoins futurs et à entrevoir les conditions
d'y
pourvoir.
En
ce sens toute politique de développement,
à un
certain
niveau,
se
confond
avec
une
prospective
technologique
sinon
l'intègre comme élément déterminant.

255
- l'éducation
- la communication
- l'exploitation des ressources de base
1
- la maîtrise du développement
- l'administration cohérente de l'Etat.
Une
fois ces "domaines" déterminés et signi ficati fs de la
nature
1
multidimensionnelle
du développement,
il s'agit maintenant de définir les
méthodes
adéquates
pour
les
satisfaire,
en
d'autres
termes
quelles
stratégies de développement pour l'Afrique?
Comme l'a si bien répondu Ivan ILLICH
"La
seule réponse possible au sous-développement
croissant
du
Tiers-Monde
est
la satisfaction des besoins
fondamentaux
qui
sont les siens" (1).
Ce
qui lui permettra d'assurer sa libération et de s'affirmer
au
monde
comme indépendant;
c'est aussi le point de vue de Yves BENOT
qui
ajoute que cette libération
"ne
peut
être
possible
que
par la
mise
au
service
d'une
économie
indépendante
des méthodes de
connaissances
et
de
techniques
acquises
dans
le cadre d'une
réorganisation
plus
humaine de la société sous-développée aujourd'hui travaillée par
les distorsions accumulées" (2).
(1) Cité
par EPPLER(E) in:
Peu de temps pour ~ Tiers-Monde,
GEMBLOUX,
Edition J. DUCULOT, 1973.
(2)
Yves BENOT
IDEOLOGIES des
Indépendances
Paris,
MASPERO,
1975,
PP. 21-22.

,.
1
256
En
nous
inscrivant
dans cette mouvance,
nous
dirons
avec
J.
ELLUL
"La
seule
voie
pour le Tiers-Monde
c'est
la
technicisation
( ... ),
la création de régimes politiques et économiques aptes à
l'utilisation
optimale
de la technique,
d'une psychologie
de
travail
et
de
rendement,
d'une
organisation
sociale
"individualiste massifiée" ... etc" (1)
C'est-à-dire les conditions de développement du système
technique
dans
son entier en tant que système.
C'est la voie imposée par le système
technicien, par l'universalisme, et cette voie est inévitable, la survie du
Tiers-Monde en dépend.
En effet, le problème est tel qu'il n'est possible à aucun pays de
conserver
la
maîtrise de lui-même (à plus forte raison de
la
conquérir)
sans
s'intégrer
dans
la mouvance des
technologies
en
développement
à
l'échelle
mondiale,
et
qu'en
même
temps,
il
ne
peut
conserver
sa
spécificité
et
son indépendance qu'en s'inscrivant dans ce
développement
selon une voie propre. Faute de quoi les distorsions internes multiplierort
les tensions, et le jeu des puissances extérieures en sera facilité.
D'où
l'impérieuse nécessité pour l'Afrique d'une
technicisation-
industrialisation
comme
base
de
sa stratégie
de
développement
et
de

libération;
propositon de plus en plus largement admise, mais qui pose le
problème
essentiel de savoir si cette technicisation doit être
un
simple
transfert
de
technologie
des pays développés vers les pays
en
voie
de
développement ? Et quelle doit être la nature de ce "transfert" ?
(1) J. ELLUL
Op. cit P. 201;


257
A un autre niveau apparaît une question importante
1
entre cette nécessité pour l'Afrique d'une technicisation et d'Gne
1
industrialisation comme
base
Il
de
sa stratégie
de
développement
et lle
Il
transfert
de techrologie comme analogue à un "processus
de
carcérisation
f1
1
totale
et
inéluctable",
y-a-t-il
possibilité de
convergerce
et/ou
de
1
1
!
compatibilité
? En d'autres termes peut-on harmoniser
l'aspiration
des
,,
peuples
d'Afrique au développement en tenant compte à la fois de l'urgence
des
problèmes
locaux
à
résoudre,
de
la
rareté
de
"l'intelligerce"
disponible, et de la nécessité du processus de l'expansion technicienne, de
façon à minimiser les risques de distorsions internes et/ou de
crise,
par
comparaison
aux
effets de "soulagement" de la
technologie
importée.
En
d'autres
termes la recherche d'un développement harmonieux et intégré est-
elle compatible avec la proli fération "carcéreuse" du système technicien?
Le problème tel qu'il est posé est certes similaire à celui de
la
"quadrature
du cercle",
mais implicitement il invite les africains à être
les acteurs principaux de leur propre histoire,
de leur propre destin
par
la
maîtrise
des
sciences
et
des
t~chniques
en
tenant
compte
• de
l'universalité
de
l'efficacité technicienne.
Du
coup,
la
question
du
transfert
des scierces et des technologies réapparaît,
mais cette fois-ci
elle
rous invite à reconsidérer le transfert de technologies par
"greffe"
afin
que les pays
récepteurs,
de
passifs
deviennent
actifs
et
"s'approprient"
par
la compréhension (1) et la maîtrise,
la
technologie
(1) "Ce que nous comprenons nous appartient" dit J. Paul SARTRE.

258
importée
pour
y
appliquer
leur
créativité
en
vue
d'une
éventuelle
innovation. Et c'est bien là le sens de technologie appropriée tel que nous
l'entendrons
dans
notre approche théorique •
du transfert
de
technologie,
avec
ce
que
cela
implique
comme
articulation
de
l'universalité
des
pratiques
et objets techniques,
des particularités socio-culturelles,
le
tout
pouvant
et devant être relié aux1questions de
systématicité
de
la
,
technique
moderne
renforcée
par
l'avènement
des
technologies
de
l'information .
.......

259
B- TRANSFERT DE TECHNOLOGIE
REVU ET CORRIGE
Maladroitement dit : on parle parfois de transfert de technolo-
gie comme une opération entre les centres de recherches publiques et
l'entreprise
(transfert
vertical)
ou
encore
entre
différents
secteurs
industriels
(transfert
horizontal)
ceci
au
sein d'un même pays ou
d'un pays de développements technologiques équivalents.
Mais nous nous
en tiendrons
à la conception
suivante
:
le transfert
de technologie
d'un pays développé à un pays sous-développé et qui s' inscrit dans le
processus
d'expansion
de
la civilisation technicienne dont
l'une
des
finali tés est de gagner le monde tranche par tranche et de reconsti tJer
à chaque fois dans la tranche conquise le système technicien dans sa
globalité (1).
forts
de
ces
considérations,
nous
pouvons
rendre
explicites
les
irrégularités qui
ont causé l'échec des ~Deux
premières décennies
(1) Bien sûr que ici
nous
négligeons,
par abstraction méthodologique,
toutes les contraintes juridiques régissant les transferts de techno-
logie.
-•
,

....
260
du développement et des politiques de transfert de technologie corres-
pondantes. Ces transferts se sont faits au hasard, selon des intérêts
1
et
des
circonstances
incompatibles
avec
les
caractéristiques Ide
tout système technique, et encore moins avec celles du système tech-
nicien.
Part~ de la technique comme simple instrument neutre,
les
théoriciens
d'un
tel
transfert
de
technologie
"postulent
l'idée
selon laquelle les
techniques sont des marchandises qui,
en tant
que telles peuvent
faire l'objet de vente et d' achats suivant le
support
matériel
utilisé
pour
l'échange
des
techniques
relevant
de di fférents marchés : marchés des brevets, marché de l' assi stance
technique, des études, des usines clés en main ... etc.
Ces considérations sont aux antipodes du caractère systématique
de toute technique.
En effet
toute
technique
a un aspect
mult~dimensionnel (déjà amorcé
avec le terme de technologie chez A. Leroi -Gourhan) : corrélation entre
les
différents
éléments
de
l'outillage,
lien avec une
conception du
monde, avec des institutions, avec une l règlementation et éventuellement
avec un milieu naturel.
Or la particularité de la technique moderne,
c'est qu'elle est porteuse d'un type de rationalité en même temps qu'elle
est le résultat évoluti f de l'application universelle de cet te rationa-
lité.
A ce titre elle peut se définir (comme nous l'avons déjà fait)
comme un vocabulaire universel de l'activité appliquée à la transformation
de
la
réalité
dont
l'organisation
artificielle
dépend
de
l'obstacle
à vairere,
mais cette organisation se fonde sur la négation de toute
image qui donnerait un sens prédéterminé au monde.

L 1
261
En d'autres
termes la technologie ~oderne est un système de
valeurs qui n'est pas neutre,
pas plus que ne l'est le processus qui
permet de la transférer. Le tout est un "package", un ensemble insépa-
rable. De ce fait:
1 - La technique ne peut être une marchandise, un bien matériel
qu'on se transmet par simple contact et dont il suffirait de contrôler
l'achat pour s'en rendre maître; ce à quoi il ne faut pas manquer d'ajou-
ter qu'il faut remplir un certain nombre de conditions pour qu'une techni-
que puisse être mise en application ; il faut
nécessairement dans le
pays récepteur,
une organisation économique et sociale susceptible de
les employer.
2 - La technique ne se transmet pas comme l'eau chaude contre
le métal, ou encore commeU:le M.S.T. (Maladie sexuellement transmissible).
De
cette
délimitation
négative,
comment
peut-on
envisager
une
autre
acception du transfert de technologie plus méthodique ?
Il
faut
une
méthode de
transmission des
techniques qui, ;en
partant de l'étude des conditions et des effets des transferts des techni-
ques, prennent en compte la globalité de ces effets et non pas seulement
leur aspect économique ou
juridique.
Il s'agit en d'autres termes de
prendre en considération le caractère complexe de l' ensent>le technique
lié à une conception de la vie. L'utilisation même de technologie évoque
qu'on ne transmet pas seulement un "engin technique" ou un objet techni-
que, mais aussi un discours sur la technique, c'est-à-dire tout l'appareil-
lage
intellectuel,
culturel,
psychologique
qui
permet
l'utilisation
des techniques et y adapter l'homme.

·......
262
Et comme le dit J. ELLUL :
"La machine est un élément du système technicien ... et celui-
ci présente des caractères similaires à ceux de la machine.
Ce que l'on transporte dans tous les pays du monde,
ce ne
sont pas les machines, c'est en réalité l'ensemble du monde
technique, à la fois nécessaire pour que les machines soient
utilisables et conséquence de l'accumulation des machines :
c'est un style de vie, un ensemble de symboles, une idéologie"( 1)
Si le transfert de technologie est une expression de l'expansion
technicienne,
de
l'universalisation
spatiale
de
la
technique
moderne,
il faut éviter de confondre cette caractéristique avec la notion "dl adap-
tabilité spatiale" de la technique. Ce serait un contre-sens, une fausse
compréhension du processus d'expansion du système technicien. La technique
moderne
ne
s'adapte à aucun milieu,
elle plie
le
milieu récepteur à
ses exigences de fonctionnement et de croissance :
irt
"Si tôt que la technique paraît,
elle exige et elle prodlJi t
ses propres conditions d' installations et de croissance" (2)
1
~
i
Mais qu'est-ce qui explique le fait que dans certains cas les
machines
restent
inutilisées,
sous
des
hangars,
à se perdre en vain?
\\
s'interroge avec ironie Robert Mac NAMARA avant d'ajouter : "le Tiers-
Monde est
pavé d' usi nes
en panne".
Dans cet
exemple bien précis,
ce

n'est pas seulement
la compétence qui
est
mise
en cause,
c'est bien
plus une absence de conformité du style de vie, de l'organisation sociale
(1) J. ELLUL
Op. ci t., P. 196
(2) J. ELLUL
Op. cit.

263
etc.
Et rien ne peut échapper à ce dilemne : ou bien la machine est
utilisée,
alors elle implique un certain type de relations familiales,
d'organisation économique,
une
certaine
psychologie,
une
idéologie
de
la productivité, d'efficacité etc ... , ou bien elle ne sera pas utilisée.
Autrement dit, nous devrons prendre en considération la globalité
des effets des transferts de technologie,
et pas seulement leur aspect
économique ou juridique. Ici le problème de l t analyse, celui de la réduc-
tion,
de la fragmentation dl une situation se pose avec acuité.
Et le
"Technology assessment" a posé la question en faux en envisageant seule-
ment "le comment adapter correctement l'homme des pays en voie de dévelop-
pement à l'usage des nouvelles techniques". Ca~ il ne s'agit pas seulement
de l'adaptation, le rapport de l'homme des pays africains avec le système
technicien est à la fois un problème dl adaptation à son nouveau milieu
(comme
le, primitif
s'adaptant
à la
nature
sauvage),
mais
surtout
un
1
problème
de
métamorphose,
de
mutation
radicale
d'esprit,
de
reforme
1
mentale
le passage
d'une
vision symbolique,
mythique et
étrange du
monde
à
un
état
d'esprit
"positif"
au
sens
saint-simonien du
terme.
D'où la double exigence de se nier en tant que faisant partie d'un univers
et d'une conception en voie dt être (ou condamnée à disparaître) révolue
du monde et
de renaître à un autre monde
"fabriqué" par l'homme
où règne la technique (1)
(1) A l'image des Encyclopédistes du 18è et des positivistes du 19è siècle
(Saint-Simon et
Auguste Comte)
les intellectuels africains doivent
mettre leur talent au service de cette réforme mentale exigée par
le passage d'une société traditionnelle à une société industrielle
et "rationaliste",
au lieu de se replier dans un africanisme dont
ils
reconnaissent
eux-mêmes
le
caractère
illusoire,
inopérationnel
et
n'ayant
aucune
vertu
transformatrice
de
la
réalité
africaine
minée par les distorsions du sous-développement
.

264

Ces différentes considérations sont autant dl éléments qui mili-
te nt en défaveur de tout
transfert de technologie par "greffe" ou
1
de "savbir-faire" sans savoir.
Aussi
la
contribution
réelle
et
objective
que
doit
apporter
un intellectuel soucieux du développement de son pays, est-il de récuser
le transfert de technologie "par greffe ll pour le remplacer par un transfert
qu'on pourrait
qualifier
dt
lIorganique ll •
Dans
ce
sens,
il
n'est
pas
question de reproduire
(même pour des raisons financières)
en Afrique
le modèle industriel proposé par tel ou tel pays développé. Ce qui impor-
te c'est de préparer un groupe humain à recevoir la technologie moderne,
à innover,
et à rentabiliser et maîtriser le processus d'apprentissage
sociétal,
c'est-à-dire à mieux gérer la réforme mentale exigée par la
technologie importée.
Une transformation, pour
ainsi dire, des esprits reste à faire
et elle nécessite un énorme effort de formation et d'évolution des valeurs
culturelles
compatibles
avec
le
fonctionnement
du
système
technicien.
Et nos interrogations rejoignent ici celles de Salah GUEMRICHE
"comment
passer,
pour
le
tiers-Monde,
du "clefs
en
mainll
au "clefs en tête" ?"( 1) .
(1)
in Revue Tiers-Monde :
Transfert des techr:ologies de communication
et développement, PUF, Tome XXVIII, N° 111, P. 511.

265
Etant entendu que la technique ne peut exister que s'il Y a
un groupe humain apte à la recevoir,
il convient alors de préparer un
groupe de façon à ce qu'il devienne capable de recevoir et d'utiliser
au mieux
les
nouvelles machines,
la nouvelle structure,
une usine ou
une organisation et ceci implique réciproquement un remodelage de certai-
nes techniques pour les adapter à ce groupe (1). En termes plus simples,
on peut dire que tant qu'il n' y a pas un groupe d' homme faisant partie
d'une
société,
d'un
organisme
capable
d'assurer
dans
les
conditions
jugées satisfaisantes une ou plusieurs fonctions liées ~l une technique
déterminée, il ne peut y avoir de transfert au sens véri table du terme.
Les conditions dans lesquelles les pays comme les USA, la France,
i
l'Allemagne ont acquis au XIXè siècle des techniques précédemment dévelow-
pées par l'Angleterre, nous permettent de dire que la transmission d'une
,
technologie ne peut être effective que s il y a un groupe humain disponi-
ble pour les maîtriser et les orienter vers la satisfaction des besoins
locaux (2).
Il s'agit dans le cas africain,
alors de créer les conditions
"
indispensables à la formation et à l'éducation de ce
groupe en prenant
en compte les besoins
du
pays et
les
exigences
du fonctionnement du
,.
(1) Il est bien entendu que des dispositions démocratiques doivent être
prises pour limiter
le pouvoir de ce groupe,
et
l'empêcher de se
consti tuer en une Caste
technocratique.
(2) L'acquisition
des
techniques
par
les
p~ys non initiateurs, CNRS,
1973, ouvrage collectif. Voir surtout l'article de M. DUMAS : "Or ien-
tation générale, et acquisition des techniques britanniques en France".

266
système technicien,
et en cas de besoin déterminer selon les critères
de l'efficacité,
de la souplesse d'esprit,
du sens de civisme,
de la
compréhension générale du phénomène technique, les hommes capables d'uti-
liser le nouvel ergin et d' y être adaptés avec le maximum d'efficacité
et le minimum de souffrance.
Il convient à ce niveau d'apporter la remarque suivante: aucun
transfert de technologie
ne peut être absolu en soi
;
tout transfert
est relatif,
selon les capacités et les potentialités de chaque pays.
Par
ailleurs,
on
ne
peut postuler t'incapacité
absolue d'une
société à conduire telle ou telle technologie.
"Telle
société
était
incapable
de
conduire
telle
usine,
et elle en devient capable".
C'est
dire
qu'elle
augmente
progressivement
sa
productivité
tout en réduisant le seuil des avaries de matériels, de rebuts des piè-
ces ... etc.
A toutes ces considérations,
il faut ajouter que le transfert
n'e~possible que s'il y a un effort commun du récepteur et de l'émetteur.
Cet effort commun (qui demande de la part de l'émetteur une bonne foi)
( 1)
doit
se mani fester
dans
l'élaboration commune
d'une
minutieuse
'(1) C'est
le
point
névralgique
sur
lequel
doit
s'exercer
l'impératif
de loyauté : la firme fournisseur ne doit pas à la fois transférer
et retenir. Le transfert doit être assez complet pour être efficient
et contribuer effectivement au démarrage ou à la poursuite du dévelop-
pement industriel du récepteur.


267
technique i de
transfert
de
technologie
qui
vient
compléter
d'une part
"t, ingi nier ie" (transfert du matériel technique) et d'autre part l'ergono-
mie (adaptation du travail à l'homme).
Le transfert de technologie débute forcément par une étude de situation du
récepteur, des sources de populations disponibles, de systèmes d'enseigne-
ment
en
place,
des
structures
industrielles
existantes. Le trcnsfert était
2Va"lt tcut Lre Q-EStim œ ŒITTTuüc2lim, il faut voir les niveaux œ CŒflrét'en-
sions des interlocuteurs (récepteur et émetteur) et en cas de décalage,
malheureusement souvent rencontré, il faut mettre en place des interprètes
capables de connaître la technique à faire appliquer en même temps que
la situation de ceux-ci s'exprime au travers de choix de groupes humains
qui effectuent le travail de choix entre di verses techniques selon leur
maximum de proximi té
par
rapport
au groupe.
Mais ce choix est bien
"automatique" car il obéit au
seul
critère de l'efficacité. Cela veut
dire que le plus souvent diverses solutions sont concevables, mais l'auto-
mati ci té consiste en ce que celle qui s'imposera sera "la plus technique"
c'est-à-dire
la plus efficace
relativement
à tel
lieu ou tel climat,
tel groupe.
Le choix d'une structure adaptée à la culture présente du groupe
intéressé et à son évolution probable est un facteur de sirrpli fication
du transfert:
"La mission du receveur consiste ... à apprendre la technolo-
gie,
à
l'assimiler,
à la
maîtriser. et
non à la
remettre
en question, ou à la critiquer, à fortiori donc à ne jamais
la
subordonner
aux
exigences
de
sa
propre
logique
fondée

268
sur
des
valeurs
traditionnelles,
des
méthodes
de
travail
locales, une conception du
temps
et
de
l'efficacité
déjà
bien ancrées dans les mentalités" (1).
L'action
sera
donc
pédagogique,
psychologique,
informative,
plani ficatrice et dans chacun de ces domaines rigoureusement calculée
avec les méthodes exactes qui sont l'objet même de la théorie "organique"
du transfert de~echnologie. Ce qui n'empêche pas bien entendu, de rappe-
ler glorieusement que
le
transfert de
technologie est "le propre de
l'homme" car la lente, mais universelle montée de l'homme vers son devenir
industriel,
puis post-industriel,
n'a été possible que par la double
fertilisation verticale et horizontale par le transfert de technologies :
1
l
verticale en un même lieu, dl une génération à une autre ; horizontale,
d'une. ethnie à une autre, d'une société à une autre.
Est-il besoin de le raçpeler,
la dimension qui a guidé nos recher-
ches est sans nul doute le transfert horizontal. Dans ce processus des
liens de dépendance et de domination se sont souvent tissés entre les
pays émetteurs et les pays récepteurs.
Mais ces situations de dépendance,
loi n d' être statiques ont pu &tre
dépassées dans certains pays en faisant du peuple récepteur, par la maîtri-
se des sciences et des techniques étrangères, l'acteur principal de son
propre développement.
( 1) Denis GOULET : "Démarches intellectuelles' conflictuelles : technolo-
gies et développement". in Enjeux technologiques et relations interna-
tionales. Op. cit. P. 120.

269
L'exemple du Japon est à ce titre parlant et mérite (une atten-
tion particulière)
d'être
restitué
en ce sens qu'il peut servir
de référence et de vérification à notre acception "organique" du
transfert de technologie (au sens d'une stratégie d'appropriation,
d'assimilation et d'innovation des technologies et industries moder-
nes).


270
,
1
\\.._~
i
L'EXEMPLE DU JAPON:
UN PARADIGME DE TRANSFERT DE TECHNOLOGIE REUSSI ?
" Le Japon est un remarquable exerrple d' Uni versali sation à partir
de
la révolution Meiji.
Il est le modèle idéal de
transfusion
des
techniques
occidentales à l'état pur.
Actuellement
( ... )
tout développement technique américain est adopté,
puis
adapté
par
le Japon et l'on sait quel effet cela produit ( ... ),
d'une
part le prodigieux bond en avant économique,
d'autre part
ceci
entraîne une dépendance politique.
Toutefois
arrivé à un degré de développement,
la technique
ne
peut pas continuer à croître selon un processus de simple imita-
tian
:
la tendance à la création d'un processus de
croissance
autonome
( ... )
est
la
consécration
de
l'universalité
technicienne".
r
Voir
ETUDE DE N. VICHNEY : "Le Japon: de la technique à la science"
in le Monde, juin 1972. Texte rapporté par J. ELLUL Op. cit.
P. 197.

271
Le
Japon
est
au
centre
des
débats
actuels.
La
question
fondamentale
que
pose
ce
pays est
comment
le
Japon,
un
pays
non
occidental
a-t-il
pu "se moderniser" par la maîtrise des scierces et
des
techniques
modernes et se classer dans le cercle restreint des
sept
pays
les plus industrialisés du monde ?
Quelle leçon faut-il tirer de l'expérierce japonaise pour les pays
africains? Est-ce un modèle à suivre ou à imiter?
La
réponse
à ces questions nécessiterait tout un
autre
volume,
1
voire une autre thèse.
Nous n'avons pas la prétention de faire une analyke
détaillée
de
la politique japonaise du transfert de technologie
mais
de
repérer
quelques éléments dans l'expérience japonaise susceptibles de nous
permettre
de
"penser un transfert de technologie" à
l'usage
des
jeunes
Nations d'Afrique à la dimension de nos espérances.
Oans
notre
approche "organique" d'un "transfert de
technologie"
nous avons posé comme condition préalable l'existerce d'une organisation,de
"capacités" au sens saint-simonien du terme,
c'est-à-dire d'une "structure
d'intelligerce
organisée"
capable de maîtriser et
de
rentabiliser
avec
efficacité les technologies importées.
Le
Japon
a-t-il
suivi ce schéma?
E~ait-il doté d'une telle
organisation
sociale,
culturelle,
économique et technique susceptible de
lOi permettre de réussir un véritable transfert de technologie?

272
Quelques
éléments
tirés
de l'histoire
récente
du
Japon,
ses
coutumes et organisations nous permettent de répondre favorablement à cette
question.
La
culture japonaise au début de l'ère Meiji (1ge
siècle)
avait
une
telle
organisation qu'elle était préparée à recevoir les sciences
et
techniques de type occidental sans heurt majeur.
Les
japonais
constituaient
un
groupe
culturel
homogène
et
nettement à part, parlant une seule et même la~ue et avait une notion très
nette
de leurs différences par rapport aux autres et de leurs
similitudes
entre eux.
Le
système
éducati f
fondé
sur
le
"confuscïusianisme"
était
i
1
pratique, adapté aux réalités de la vie ; la vie considérée comme une bonne
chose, comme une voie permettant d'accéder à un état de bien être. Il était
relativement
sirrple de développer un système "méritocratique" à partir
de
cette
base
et de le transformer selon le schéma des modèles
français
et
allemands de l'époque (1ge siècle).
Les
talents
que possédaient de simples artisans étaient
tout
à
fait
compatibles
avec ce qu'il fallait savoir pour se rendre
maître
des
techniques
occidentales
du
XIXe
siècle,
et
cette
catégorie
socio-
professionnelle était largement répandue dans la population.


273
A la même époque,
le sens de l'entreprise était tout aussi
bien
développé.
Les
leaders de la politique Méiji inventèrent un
système
qui
combinait
la
fixation des objectfs et la rigueur du dirigisme avec
les
récompenses individuelles et la mobilité sociale en s'appuyant sur le génie
de l'entreprise.
Les
japonais
possédaient
avec
l'éthique
Bus-Hido et le néo-
confusciusianisme
un
équivalent de la "morale protestantell :
le
travail
acharné,
l'application,
la ponctualité,
l'économie, la sobriété, le sens
pratique,
l'humilité et la coopération sociale; ce à quoi il faut ajouter
la
qualité
de chaque japonais d'accepter d'assumer avec
promptitude
les
"chargesll liées aux fonctions de chef sans ostentation.
La
structure
politique du Japon étant
fortement
centralisée,
bureaucratique et IIméri tocratique", il était facile de la transformer en un
gouvernement
autocratique
"moderne" du XIXe siècle à l'image de
ceux
de
l'Europe occidentale industrialisée.
Parallèlement les structures économiques étaient unifiées, rendant
la
standardisation des mesures générale.
Les villes étaient
relativement
grandes
et
bien
ordonnées.
Le
développement
de
l'industrie
et
de
l'agriculture s'est fait de concert. Le vaste réseau d'associations locales
de
crédit
et
de commerce s'est développé en s'appuyant sur
le
penchant
naturel
de
la
population
pour la sobriété
et, le
goût
de
l'épargre,
.réduisant ainsi à un minimum le besoins de capi taux étrarqers.

274
Toutes
ces
considérations
étaient favorables à
l'amorce
d'une
société industrielle.
Qu'ell
est-il aujourd'hui du Japon?
Les
japonais
ont
annoncé
le
développement
d'un
système
informatique
qu~ consti tuera,
selon leurs propres espérances,
"un
saut
qualitatif"
par rapport à la technologie de ces trente
dernières
années.
"C'est
une
ère de transformation des conditions internes et
externes
de
l'environnement (situation énergétique par exemple) et en même temps qu'ils
construiront une société riche et libérale, ils échapperont aux contrain~es
des
ressources et de l'énergie et de ce fait apporteront leur contribution
internationale en tant que puissance économique." (1)
En
un mot les japonais voient dans l'information la source
d'une
prospérité
continue,
une information qui se répand dans toute la
société
"comme
l'air
qu'on
respire"
grâce
à des
systèmes
de
traitement
de
l'information
largement
répartis.
De
ce fait
les
japonais
prétendent
devenir la première société post-industrielll au sens où
l'entend
Daniel
BELL (2),
un sociologue de Harvard qui présente les caractéristiques d'une
telle
société
en
ces termes:
le principal axe de cette
société
post-
industrielle
est
la
centralisatio~la codifiGation
de
la
connaissance
(1) E.
FEIGNENBAUM et P.MC CDRDUCK : La cinquième'génération : "~pari de
l'intelligence artificielle - Inter édition 1986, P. 41-
(2) Daniel .BELL. Vers la société Post-indl;.Jstrielle - Laffont 1976.

275
théorique.
Le
long
de
cet
axe
se
situent
une
nouvelle
technologie
intellectuelle, le développement d'une classe possédant la connaissance, le
passage des produits aux services, une modification de la nature du travail
etc ...
Oans
le cas des japonais,
la nouvelle technologie
intellectuelle
porte
le nom d'intelligence artificielle,
et les machines
amplifient
la
pensée
humaine
de
même
qu'elles
participeront
activement
à
l'accroissement de la productivité.
Vogel
a bien compris cet appétit japorais de la connaissance pour
se
libérer des contraintes d'une nature qui leur est peu
favorable
le
Japon ne possède presque pas de ressources naturelles et très peu de terres
cultivables.
La
plupart des autres Etats n'auraient fait autrement que de
s'adresser constamment à la Banque mondiale.
Dans le passé le Japon a
été
contraint à livrer des guerres à l'issue peu propice.
Aujourd'hui,
face à
des
problèmes
éternels,
ce
pays a pris l'initiative de
"décrocher"
la
première place dans la grande course des sociétés post-industrielles :
"Si un facteur unique peut expliquer la réussite japonaise c'est
bien cette quête commune de la connaissance" (1)
S'il est admis qu'il faut remplir un certain nombre de
conditions
pour
qu'une technique puisse être mise en application,
alors on peut dire
que
le
Japon
regorge
(depuis le début de l'Ere
Meiji)
de
toutes
les
conditions psychologiques, intellectuelles, structurelles ... etc favorables
au démarrage du "processus de cancérisation techniçien".
(1) EZRA VOGEL
Le Japon, médaille d'or, Paris Gallimard, 1983.
t

276
Que
le
Japon
soit
aujourd'hui une
puissance
industrielle
et
technologique,
cela
est un fait incontestable.
Mais que devient
le
mot
d'ordre
du début de l'ère Meiji: "combiner l'esprit japonais avec les
arts
de l'Occident".
Abel
JEANNIERE dans son ouvrage "les Fins du Monde,
après
avoir
fait
une
analyse
assez
convaincante
de
l'accès
de
l'humanité
à
la
"modernité"
(en
ayant
pris
soin
de
relever
tous
les
risques
de
"distorsions") de "crises" et de nivellement des cultures) propose:
"Il
ne s'agit pas de faire table rase du passé
pour
déboucher
dans la monochronie d'une culture occidentale universalisée (1).
"Il
s'agit
pour chacun d'assumer son passé de telle sorte
que
les
traditions ne soient ni un blocage,
ni un idéal,
mais
un
point
de
départ pour un avenir aussi différent
de
celui
des
autres
qu'il le sera de chaque passé culturel.
Le Japon est un
bon
exemple de cette marche en avant".
(Et l'auteur
continue)
"charger
le
rapport
à la
nature,
adopter
le
seul
largage
universalisable,
la
largue
scientifique n'oblige
personne
à
construire
un
univers
semblable
au
nôtre"
(2)
(celui
de
l'occident) .
Nous avons bien peur malheureusement que cette affirmation ne soit
qu'une
fuite en avant,
étant donné qu'elle ne cadre pas du tout
avec
la
réalité
de
"l'univers
technicien qui s'établit envers
et
contre
toute
culture". Un étudiant américain, "spécialiste" des questions japonaises,.
1
Edward ClSEN écrit:
1
(1) Abel JEANNIERE
Op. cit P. 130. .
(2) Idem.

277
"Jusqu'à
présent les japonais se sont arral1lés pour vivre
avec
cette
faille
entre leur attitude esthétique et scientifique
à
l'égard des choses de la nature. Ils sont parvenus à la fois aux
sommets de l'économie nouvelle et de la culture,
d'une part
en
abusant
physiquement
de la nature et d'autre part en
l'aimant
d'une
manière platonique .•.
Les japonais persistent
dans
un
attachement à la scierce qui frise la foi" (1)
Position
irconfortable
pour qui n'a pas le don de
l'ubiquité
amour contemplatif et manipulation de la nature t

Un professeur des sciences appliquées de l'université de Tokyo jun
l
Ui, reprenant
une plainte exprimée actuellement au Japon, insiste:
"Le
peuple
japonais doit cesser de croire au fétichisme de
la
science,
et construire une science et une technique du
peuple,
par le peuple et pour le peuple, à l'échelle humaine" (2).
Ce
qu'il
convient
de
conclure
de
toutes
ces
analyses
contradictoires,
c'est
qu'on
ne
peut
accéder à la
maîtrise
et
à
la
compréhension
des
sciences
et des techniques
modernes,
vivre
dans
un
univers
"hyper
technicisé"
comme
le
Japon
et
prétendre
garder
ses
traditions fondamentales.
Le système technicien, partout où "il proli fère"
apporte certes
ses
"bienfaits" indéniables,
mais
en
même
temps,
il
s'impose
comme
modes
de faire et
de
penser,
bref
comme
civilisation
négatrice de toute "signification préétablie". •
(1) La
Science
et
les facteurs de l'inégalité..:..
leçon du
Passé
et
de
l'avenir - UNESCO, PUF 1979, P. 205;
i
(2) Idem: P. 205.
!

278
Comme
l'a si bien dit Jacques ELLUL "l'image d'un jeune
japonais
ingénieur électronicien qui rentre chez lui,
revêt le kimono,
pratique le
rituel
du
thé
et s'assied par terre;
ce n'est pas l'expression
de
la
conservation d'une culture 8U l'heureuse association du traditionnel et
du
moderne. Ce n'est que du folklore au mauvais sens du mot" (1)
Que conclure de l'exemple japonais?

Le
transfert de technologie a permis au Japon dans des conditions
qui
lui
sont particulières d'être une grande
puissance
industrielle
et
technologique. Certes, le modèle japonais s'est avéré efficace, mais il est
spécifique
au Japon.
Toutefois loin de l'appliquer de façon
monolithique
aux pays d'Afrique,
ne peut-il pas dans une certaine mesure nous servir de
viatique dans l'élaboration d'une stratégie de développement globale et une
théorie
réaliste
et optimiste du transfert de technologie à
l'usage
des
jeunes Nations d'Afrique?
En effet,
chaque pays doit façonner un avenir pour soi-même, avec
ses
ressources,
(sa
culture)
et ses idées propres;
mRis
en
étudiant
soigneusement l'expérience des autres;
étant bien entendu qu'il
n'existe
pas
de chemin sûr et simple tout tracé d'office.
Dans cette même démarche
il
convient
de prendre conscience que l'aspiration au
développement
est
aussi
l'intégration
dans une civilisation technicienne
et
"universelle"
négatrice de tout ipsé!té cul turelle.
(1) in préface: Enjeux Technologiques et Relations Sociales,
Op. cH P. 9.
(

279
A ce point de notre développement un résumé-bilan s'impose.
- Le recensement des besoins fondamentaux à l'existence humaine dans leur
diversité exprime la complexité du développement et son caractère
multidimensionnel et global.
2 - La technique moderne est un système qui tend à s'universaliser (au
mépris de toute spécificité culturelle traditionnelle.
3 - Le trans fert de technologie est une figure de cette expc:lnsion te c h ni-
cienne et mortifère.
4 - Le Japon a réussi son développement dans le cadre d' un transfert
de technologie horizontal et "organique" :
"Le Japon ... est le modèle idéal de transfusion des techni-
ques occidentales à l'état pur.
Actuellement
( ... )
tout
développement technique américain est adopté,
puis adapté
par le Japon et l'on sait quel effet cela produit ( ... )
d'une part le prodigieux bond en avant économique, d'autre
part ceci entraîne une dépendance politique . j
Toutefois, arrivé à un degré de développement, la technique
ne
peut
pas
continuer
à croître
selon un processus d~
simple imitation : la tendance à la création d'un proces-
sus
de
croissance
autonome
( ... )
est
la consécration
de l'Uni versali té technicienne" (1)
En partant de ces différentes considérations, nous pouvons
dire
(1) J. ELLUL:
Op. ci t. P. 197.

280
Si
la
technique
moderne exprime à la fois la
puissance
et
se
présente
comme
le
facteur
déterminant
du
développement,
l'incapacité
"relative"
à
la
maîtriser est un
signe
d' irrpuissance
et/ou
de
sous-
développement conjoncturel.
i
Aspirer
donc au développement,
c'est aspirer à l'exercice
d'une
1
puissance,
par ~a transformation de la nature,
afin de satisfaire à
ses
besoins
vitaux
en toute indépendance.
Les pays africains en aspirant
au
développement
et à l'indépendance aspirent à l'exercice d'un pouvoir
afin
de
s'affirmer
au
monde
comme pays libres
et
maîtres
de
leur
propre
destinée.
Mais
cette aspiration ne peut se réaliser qu'à l'intérieur
du
système qui a secrété les critères du sous-développement.
En
d'autres
termes seul le système technicien qui a secrété
les
critères
du sous-développement est capable de fournir les armes contre
le
sous-développement.
C'est là une des dimensions paradoxales des techniques
modernes.

A la lueur de ces données,
nous tenterons de représenter dans
un
plan
un
système
idéalisé
de
transfert
de
technologie
en
vue
du
développement du Tiers-Monde sans tenir corrpte de la spécificité de
chaque
pays.
Cette
approche
"idéalisée" ou "idéalisation" est une
méthodologie
pouvant
nous aider à la conception d'un transfert de
technologie
tendant
vers
l'idéal en minimisant les contraintes et les perversités indésirables
pouvant surgir ou freiner le processus. Le résultat'de cette approche, loin
,

281
d'être utopique ou fictif, est plutôt un système tendant vers l'idéal. Mais
la
compréhension
en vue de son application ne peut
être
génératrice
de
progrès
constants
que par l'intellection préalable du système
technicien
dans
sa globalité.
Cette compréhension elle-même ne peut
déclencher
les
résultats
escomptés
que si la société qui

veut l'appliquer croit
en
ses
chances de réussite et se donne les moyens de réussir.

282
vation
J'
appropriation
des sciences et techniques.
L - - - - . t - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - _ ; ,
i
°
0i = l'axe du transfert de technologie
0j = l'axe de maîtrise des technologies.
Maitr i~
des sc~
et tect
Transfert ---~~ assimilation --.....:::.') appropria~ion _ _~
ques +
indéper
ce


283
Ces différentes étapes méritent une attention.
Chacun des moments
représente
une phase particulière et exigée du processus de
l'acquisition
des techniques modernes et de la diversification de leur utilisation en vue
d'un "auto-développement".
Cette décomposition théorique est justifiée
le
souci
de rendre explicite chaque "moment" du processus mais
aussi
l'appréhender
comme étant en inter-relation avec le reste de la
dynamique
d'appropriation
du
sous-système
technique
importé
et
qui
tendra
à
reconstituer ultérieurement le système dans sa globalité (1).
En effet, il n'y a véritablement transfert de tecrnologie que dans
la
mesure où le receveur, de passif devienne actif,
se dote des moyens
et
des
infrastructures efficaces pour saisir,
domestiquer et s'emparer voire
"arracher" les technologies qu'il importe.
En
ce
sens la maîtrise (et l'appropriation)
de
la
technologie
comme compréhension des lois internes de son évolution et de la rationalité
1
du
milieu
dont
elle
émane (et qu'elle a structuré) et
qu'elle
tend
à
reproduire
dans la société réceptrice revêt une importance capitale en
ce
sens
qu'aucune technologie ne peut se prêter à la maîtrise et au
contrôle
si elle affiche une totalité impénétrable.
(Toute maîtrise, présuppose une
connaissance) .
(1) Tous les éléments du système technicien se conpitionnent mutuellement.
Il
ne faut pas considérer qu'en emportant l'un d'eux,
nous soyions en
présence d'une sorte de puzzle dont les pièces ~rrffient être disposées
à notre gré.

·+
284
On
comprend
par là que la technologie s'acquiert
au
prix
d'un
effort
continu et demande beaucoup d'effort ft de créativité endogènes.
A
ce titre/elle diffère d'un simple produit d'importation qu'on peut emballer
et
expédier à l'autre bout du monde avec pour seules
restrictions
celles
qui découlent de la règlementation douanière.
A partir
de
ces données se posent dans toute leur
ampleur
les
questions
de formation (et de recherche) qui fournissent au
"système"
la
composante
humaine
requise par sa maintenance,
sa fo~~tionnalité et
son
développement
et
de la spécificité régionale.
Ceci fera l'objet
de
nos
propositions suivantes.


-
285
D_
Quelques IndIcatIons générales sur l'accompagnement
de développement technIque par les structures de formatIon
et de recherche et la nécessIté d'un
regroupement régional

286
En
partant de la planétarisation du système technicien et de
caractère
universel,
c'est-à-dire
de
son
identité
partout

s'introduit,
de la reproduction de ses conditions d'existence, nous sommes
arrivés
après
l'énumération
des distorsions qu'il
occasionne
dans
son
rapport brutal avec les sociétés traditionnelles, à comprendre que le drame
du Tiers-Monde c'est justement son inaptitude (actuelle bien sûr,
non
pas
essentielle) à l'utilisation des techniques.
C'est
forts
de
ces considérations que nous avons
esquissé
une
théorie générale des transferts de technologie tout en mettant l'accent sur
la
dimension
humaine c'est-à-dire la nécessi té d'une
furmation
d' hommes
capables d'assurer dans les meilleurs conditions les fonctions liées à tout
système technique importé, comme condition préalable à son appropriation .

Cette approche n'est pas seulement dictée par notre
"enthousiasme
volontariste"
ou idéologique de voir l'Afrique libérée par l'entremise des
sciences
et
des techniques.
La formation d'hommes capables (au
sens

,
SAINT-SIMON par lait de "capacités") est une nécessité inhérente au
système
technicien.
C'est
elle qui lui fournit la composante humaine requise' par
sa maintenance,
sa fonctionnalité et son développement.
Ne pas prendre au
sérieux
cette dimension,
c'est créer les conditions de sa dépendance
par
rapport
aux pays fournisseurs de cette "intelligence"
(autrement
appelée
\\ \\
par
GALBRAITH 'htechno-structure' dans
son
livre
le
Nouvel
Etat
Industriel) (1).
(1) John Kenneth GALBRAITH
Le Nouvel Etat Industriel - Gallimard 1973.
{

287

Les
différents problèmes et les différents enjeux que nous
avons
évoqués
également dans le cadre dudit transfert de
technologie
appellent
chacun
une
série
de
mesures spécifiques
en
matière
de
Recherche-
Développem~nt. Ces mesures peuvent s'envisager isolément. Cependant il est
recommandable
aux pouvoirs politiques africains de les situer
g~obalement
autour de quelques orientations à plus ou moins long terme,
afin de mettre
en
lumière
leur complémentarité et de renforcer l'efficacité des
actions
menées au niveau national.
L'Afrique
doit
dans
ce
sens
faire
collectivement
un
effort
significatif
pour
élargir
et
réorienter
son
action
de
Recherce-
Développement afin de mieux faire face au double défi industriel et
social
des
technologies
nouvelles.
Cependant
il
convient de
montrer
que
le
développement
technologique
ne
garantit pas à
lui
seul
la
croissance
économique,
ni
la compétitivité à long terme,
ni ~e bien-être social des
Nations, des régions, des entreprises et des hommes.
En effet, un développement rapide de la technologie n'implique pas
en
soi
un
changement
aussi rapide
de
la
société.
D'autres
fact~urs
interviennent comme les politiques économiques et sociales,
les politiques
d'éducation,
les
accords
entre partenaires
sociaux,
les
valeurs,
les
habitudes, bien établies de la vie quotidienne et des institutions sociales
qui sont aussi importantes pour les sociétés que la technologie .


288
En schématisant on peut dire que l'impact social d'une technologie
dans sa dynamique et son résultat final,
dépendent de l'interaction
entre
quatre ensembles de facteurs :
- les facteurs scientifiques et technologiques,
les facteurs économiques et industriels,
les facteurs sociaux,
- les facteurs institutionnels.
Jean
Jacques
SALOMON rend compte de cette complexité en
faisant
intervenir
la
notion
de
"sélection"
sur
la
base
des
priorités
,et
!
1
affectations de moyens financiers et économiques
si la technique possède
en
effet
sa
1 ·
d d '
l
t
l .
.
h
.
01
e
eve oppemen
propre,
' InterventlOn
umalne
lest
constante,
pour des moti fs économiques et sociaux.
"La sélection" ne joue
pas
dans
le
règne
technique comme
dans
le
règne
animal,
les
choix
collectifs, pacifiques ou guerrièrs
ont une importance (1).
Certes
on peut
discuter cette distinction qu'il
opère
sur
la
notion de sélection.
Mais quel que soit le processus de sélection (naturel
ou
artificiel),
l'innovation
technique
est
l'application
d'une
idée
conduite
jusqu'à
sa réalisation concrète ou
industrielle,
la
rencontre
entre
le champ du techniquement possible et celui du
socio-économiquement
désiré.
(î) J.J. SALOMON: PROMETHEE EMPETRE, PARIS, PERGAMON PRESS
Futuribles, 1982.

289
Mais
il
ne
suffit
pas
que
le
possible
et
le
désiré
se
"rereontrent" pour que germe l'innovation. Encore faudrait-il un innovateur
qui sache révéler l'existeree de cette potentialité.
A partir de ces données,
on peut dire que le développement de nos
sociétés dépend
de notre capacité à collectivement maîtriser le "processus
du changement et de l'innovation technologique" qui se pose en terme de :
- définition
des
objectifs
sociaux
en
corrélation
avec
le

"techniquer.le!lt possible",
- appropriation
des
techniques
pour
la
réalisation
de
ces
objectifs définis,
- affectation
des
moyens
économiques,
politiques
et
institutionnels pour admettre ces technologies à la fois par les firmes qui
doivent
les
produire
et par les usagers.
Ces problèmes
étant
dans
la
pratique liés.
Le
problème de la maîtrise de la technologie et du
développement
nous
renvoie
en
définitive
à
celui
de
la
compréhension
du
système
technicien,
de
la
capacité
à
définir opéré:tionnellement une
hiérarchie
d'objectifs
compatibles avec les ressources et les potentialités dont
une
société dispose et sa capacité à maîtriser son propre foretionnement.
t

290
En
d'autres
termes
penser "la technique
et
le
développement"
reviendrait
à
analyser
théoriquement
les liens
entre
le
caractère
systématique
et
auto-référentiel
de la technique
et
le
"pilotage"
du
développement
à
partir
de choix de priorité,
exprimant à
la
fois
des
projets
de société et des capacités (d'investissement) plus ou moins à
la
hauteur des objectifs souhaités.
Dans
ce
processus
il
est impératif de
repenser
les
systèmes
d'enseignement et de recherche de telle sorte qu'en se conformant au ni veau
actuel du développement scientifico-technique,
ils puissent participer
de
façon consciente à l'organisation et à l'acquisition des connaissances dans
le cadre de la recherche des solutions aux problèmes posés.
Ce
nouveau
système d'enseignement doit inclure entre
autres les
procédés
de
participation
vivante
de
l'enseigné
au
processus
de
transformation
de
la société dans le cadre de la
matière
étudiée.
Ceci
exige
de l'enseignant une vue dynamique de la société et de ses problèmes,
une
présentation critique des recherches déjà effectuées sur
la
matière
traitée,
une méthode favorisant les débats et le travail en groupe sur des
thèmes choisis.
L'enseignant
se
doit
de posséder dès le
stade
initial
de
sa
formation professionnelle, un certain nombre
de connaissanc~fondamentales1
lui
permettant d'acquérir une vision nouvelle des problèmes technolo9iquks
de la société.
Telle doit être la justification des enseignements de tronc
èommun portant sur l'impact de la scierce et œ la technique sur la société
et
sur l'environnement.

291
On
notera,
à
ce
propos,
que
ce type de
connaissance
et
de
démarche,
implique
une
ré-orientation
fondamentale
par
rapport
à
la
conception
traditionnel~ des
relations
entre
les
technologies
et
le
développement
des
sociétés.
Cette remarque entraîne qu'en premier
lieu,
l'enseignant,
l'enseigné
et la société dans son ensemble,
auront tout
à
gagner à ce que cet état d'esprit apparaisse le plus tôt possible dans
les
cycles
d'enseignement,
notamment au niveau de l'enseignement
secondaire.
D'autre
part,
cette
ré-orientation perdrait tout son sens si elle ne
se
prolongeait tout au long des cursus d'enseignement supérieur en
imprégnan4
l'ensemble des enseignements portant sur des disciplines traditionnellesJ A
cette
occasion,
on ne manquera pas au minimum de mettre l'accent sur
les
risques d'accident ou de distorsion liés à toute pratique technologique.
En
corollaire de ce qui précède,
vient naturellement la question
de
la
formation
permanente
et
l'absolue
nécessité de
concevoir
la
pluridisciplinarité
comme
un caractère fondamental de ce nouveau
système
d'enseignement.
L'une
des tâches de la recherche doit être aussi
de
revaloriser
les savoir-faire traditionnels.
L'enjeu
n'est
pas
seulement
cultu~el ou social, mais aussi
économique
et
financier
dans
la
mesure où il faut
bien
se
rendre
à
l'évidence
que les connaissances traditionnelles ne suffisent pas à
faire
face aux problèmes complexes du monde contemporain,
elles n'en constituent

292
pas
moins
un héritage empirique dont les procédés sont employés sans
que
les
raisons
de
leur efficacité soient connues
donc
quelque
chose
à
valoriser avec les connaissances et les méthodes de la science moderne (1).
En
schématisant
ce que nous avons dit
sur
l'accompagnement
de
développement
technologique
par
les
structures
de
formation
et
de
recherches, nous~istinguons le double horizon d'une recherche endogène
- à
court terme,
aider à importer les techniques correspondant à
des
besoins
fondamentaux
au développement
du
Tiers-Mor~e
et
analyser
scientifiquement les conditions que favorise leur implantation.
- Jeter
les
bases
de
la créativité et
de
l'autonomie
seules
capables de déclencher une dynamique sociale et tenant compte de
certaines
valeurs du passé mais orientées vers l'avenir.
(1) L'exemple
de la médecine traditionnelle est significative à ce sujet:
ses
deux principes fondamentaux (à savoir que l'individu ne peut
être
séparé
de son milieu social et naturel,
et que son organisme
est
un
tout et doit être traité en tant que tel plutôt que telle partie ou'tel
organe,
et en combinant des remèdes d'origines animales,
végétales ou
minérales)
peuvent
bien entrer en relation de "consonnance"
avec
la
médecine
moderne.
Etant
donné
que la faiblesse
de
cette
médecine
traditionneU~est l'absence d'expérimentation systématique, il faut donc
l'étudier
et étudier la pharmacopée qui l'accompagne avec les méthodes
scientifiques
modernes.
(Les succ~s et les limites
de
l'acupuncture
sont
bien connus).
De même,
la recherche phytothérapique a perm~ de
valider
les
propriétés de certaines plantes,
tandis que d'autres
se
sont
révélées
dangeureuses.
La première tâche est donc de
faire
un
inventaire
des
substances employées dans
la
pharmacopée
locale,
à
partir duquel on pourrait d'une part rénover ia thérapie traditionnelle
et d'autre part,
à plus ou moins long terme, rechercher des molécules
nouvelles pharmacologiquement actives.

293
Il
va
de
soi que tout ceci doit être assorti
des
conditions
matérielles
satisfaisantes et d'une compréhension favorable au niveau
des
structures
de l'université et de l'Etat.
Sans nul doute une telle
action
nécessite au niveau national, une infrastructure adéquate qui passe par des
moyens
importants à mettre à la disposition des chercheurs,
à
savoir
un
dialogue
permanent entre le politique et le chercheur,
une création et un
équipement des centres de recherche, une réanimation des centres existants,
une
gestion et une direction des unités scientifiques par
des
chercheurs
qualifiés et compétents; une disponibilité du réseau de communication
et
d'information
pour
inventorier
des besoins et évaluer
si
possible
les
résultats obtenus.
Au
niveau
régional il convient de créer un centre
de
recherche
scientifique et technologique, ce centre pourrait être subventionné par les
Etats
membres
et
bénéficier
du
concours
de
certaines
organisations
internationales.
Sa
vocation
serait interdisciplinaire,
ce qui
justifierait
le
caractère
varié et complémentaire de ses fonctions résumées succintement
dans les points suivants :
- l'information par la vulgarisation scientifique afin d'assurer à
l
la
science
et
à la technique une présence dans la culture
générale
des
populations concernées.

294
Si
la
science et la technique sont des productions
de
l'esprit
humain
(dont les effets se font sentir dans tous les compartiments
de
la
société africaine) et si la culture peut-être définie comme ce qui permet à
l'homme
de
penser la réalité au sein de laquelle il vit,
si
la
culture
permet
à l'homme de penser son rapport,
dynamiquement au monde,
si
elle
veut
rester
un
facteur de libération pour l'individu
et
préserver
son
propre potentiel de créativité,
la science et la technique devraient alors
y avoir une place de choix en ce sens qu'elles sont aujourd'hui le moteu~,
l'élément dynamique central de la civilisation contemporaine.
- La
formation
des ressources humaines à même
de
répondre
aux
besoins
identifiés
et utilisant les possibilités de l'université
et
des
instituts de formation et de recherche du continent.
- Le recensement des valeurs africaines pouvant faire "bon ménage"
avec
les
exigences
du "système technicien",
ainsi que
les
sources
de
créativité
et
de motivation,
en faire un support idéologique en
vue
de
galvaniser et de responsabiliser les masses africaines dans le sens de leur
participation
active
au
processus
du
développement,
de
"l'auto-
développement".
- L'appropriation
des
technologies
vitales
au
développement
africain
en
tenant compte des domaines d'intérêt majeurs que
nous
avons
recensés.
Le
problème de choix est exclu,
étant donné que nous avons dit
1
que
le
choix
entre
deux
techniques pour
la ·même
opération
se
fait

295
automatiquement
selon les critères d'efficacité.
Toutefois si le problème
de
choix se posait entre deux technologies
d'efficacité
équivalente,
il
conviendrait
d'opter
pour
celle
qui
est
capable
d'induire
plus
de
participation,
c'est-à-dire plus de créativité responsable. Ce surcroît de
participation doits' évaluer à partir du norrtJre dl hommes qui sont corcerrés
tant
en raison de la part qu'ils prennent aux décisions qu'en
raison
des
effets dont ils bénéficient.

Il
ressort
de ces considérations,
la nécessité de prévoir
dans
tous les cas,
un enserrtJle de procédures permettant de prévenir la
société
contre
le
risque qu'elle pourrait courir si une caste
technocratique
se
trouvait
avoir
la possibilité d'orienter son évolution ir~épendamment de
l'expression de ses choix propres. C'est pourquoi il est impératif que (par
un agercement convenable des institutions ou la recherche et des procédures
finarcières qui l'irri~t)
la décision politique mobilise légitimement les
capacités
scientifiques
pour
atteindre
certains
objectifs
d'intérêt
général,
démocratiquement définis. Pour ce fair~, il faut commencer
par
rompre
avec certaines pratiques archaïques tendant à limiter les occasions
de
dialogue
entre universitaire et industriel,
ainsi que
l'échange
des
.,
hommes
et la mobilité des chercheurs entre l'université et l'industrie
et
réciproquement.
Il
faut faire tlsautertl le cloisonnement
entre
recherche
fondamentale
et recherche appliquée entre université et entreprise.
C'est
dans ce sens qu 1 il conviendrait d'e>hJrter
les scienti fiques à collaborer
à
ce vaste programme de développement. Cette collaboration irait dans le sens
des
impératifs de la science moderne,
celle de BACON ...
et de DESCARTES.

296
Car
la science tire sa légitimité non point des joies qu'elle procure
aux
scienti fiques,
mais
de
l'utilité
sociale
qu'elle
produit
comme
enrichissement
culturel
et comme ressource d'intelligence pour
surmonter
les
malheurs
communs
et comme réservoir d'expertise
pour
éclairer
les
débats que le peuple et ses représentants doivent trancher (1).
Nous avons
- défini
le
système technicien comme un phénomène
universel
et
planétaire et le transfert de technologie comme analogue à un processus
de
"cancérisation" ;
- esquissé
quelques
indications relatives à l'accompagnement
de
développement technique par les structures de formation et de recherche.
On pourrait s'attendre à ce que nous prenions maintenant l'exemple
d'une
technologie
bien précise et lui appliquer nos théories à
titre
de
vérification.
Mais
ce
serait

nous
"eniJarquer"
dans
des
débats
interminables
relati fs
aux
choix
entre
"une
technologie
douce ,.
une
technologie intermédiaire ou une technologie de pointe".
Peut-être setait-
i
il
intéressant de restituer les arguments des différents protagoniste$
de
ce
débat
et dévaluer les différents discours terus en faveur ou~ défaveur
(1) Comme
on
comprend
qu'animé de ce rêve grandiose
d'une
science
qui
serait
à
la fois sagesse et puissance DESCARTES ait c. TU
qu'il
ne
pouvait
la
cacher au monde "sans pécher grandement contre la loi
qui
nous oblige à procurer autant qu'il est en nous le bien général de tous
les hommes". Discours de la Méthode. Garnier et Flamarion P. 84.
t

297
des
nouvelles
technologies
de
l'information,
à
la
lumière
dE
considérations
théoriques
qui
exposent
la
systématicité
du
systèn
technicien
et
du
rôle
"connecteur"
du
sous-système
technique
(
l'information,
ainsi
que
des
effets de puissance liés
à
la
techniqL
contemporaine,
et
parlà Însister. sur les enjeux pratiques
de
l'analys
théorique
tout
en
affirmant
l'autonomie de
celle-ci
par
rapport
au
1
objectifs
pratiques
ou idéologiques.
Mais cette
démarche
abouti~ait
alordir
notre
exposé,
puisqu'elle reviendrait en fait à reprendre
et
réevaluer
les discours misotechniques ou technocratiques dans leur versio;
africaine.
Ce
qui
a déjà été fait dans la
première
partie.
Une
tell!
démarche
n'apportera aucun élément nouveau à notre dessein
l'avènement
d'une
Afrique indépendante par la maîtrise des sciences et des techniques
dans
la coopération régionale en continuité solidaire avec
l'universalitE
technicienne théoriquement démontrée.
Indépendamment de ces considérations, étant donné l'état actuel dL
système
technicien
qui
tend à créer les conditions
de
sa
reproductior
intégrale
à
chaque
fois qu'un de ses sous-systèmes est importé
par
une
société,
ce qu'il conviendrait de mettre e~relief dans tout transfert
de
technologie,
c'est la création des conditions nécessaires à la maîtrise de
ce sous-système et la capacité de "gérer" son extension géographique et son
évolution
verticale
ce
qui
doit se traduire dans
la
formation
des
person~ls
compétents,
la planification de la coopération régionale
dans
tous
les domaines "prioritaires" du développement,
le
développement
des
infrastructures
de
télécommunication
(support
indispensable
de
l'utilisation optimum de l'informatique),
sans oublier la mise en place de
structuJes institutionnelles d'exécution adaptées à chaque pays.

298
Tous
ces
éléments
qui
font partie des
mesures
du
Groupe
de
Yamoussokro
et
de
sa
stratégie
inter-africaine
de
maîtrise
de
technologie,
apportent
des
limites
aux risques
de
dépendance
pouvant
résulter
d'un mauvais transfert de technologie et vont dans le sens de
la
maîtrise par l'Afrique de son propre développement .

~
A ce titre le groupe de Yamoussokro mérite une attention,
et
il
convient alors d1 apprécier son initiative et son projet 2fiicain de co-
dévelop~ement technologique (Pact),
Toutefois,
il
faut
prendre
le soin
d'indiquer
(afin
que
la
présentation
du
groupe de Yamoussokro soit compatible avec nos
théories)
que ce regroupement est lui-même une nécessité de l'expansion technicienne.
C'est une nécessité interne au développement des techniques.
Et la
survie
des
pays d'Afrique dépend de cette même nécessité (comme nous l'avons déjà
signalé) au-delà de toutes considérations idéologiques.
L'expansion
technicienne
et
son pendant
la
mondialisation
de
l'économie
militent
en
faveur
d'un
tel
regroupement,
et
selon 'les
terminologies de Joël ~e ROSNAY :
"un
cerveau
planétaire est en train de naître du gigantesque
réseau
de télécommunication qui réunit progressivement les cer-
veaux des hommes, neuronnes de la terre. Grâce à la télématique,
aux
satellites,
aux fibres
optiques,
aux
ordinateurs,
nous
construisons
du dedans "un cerveau aux dimensions du globe.
Un
organe sans formes réelles mais qui commence à "penser" et
dont
dépend notre avenir" (1).
(1) Op. Cl. t.
(

299
~.. - LE GRO..PE ΠYAMlJSSUJKRO : P(ΠLNE STRATEGIE INTER-PfRICAINE
Œ MAITRlSE ŒS TEGID..CCIES
"Il
est vraisemblable que le système économique
international
ne
laissera aucune chance aux micro-nations et qu'il
poussera,
bon gré, mal gré aux rassemblements économiques sous-régionaux.
La
coopération régionale entre pays en dévelop~ement est vitale
en
particulier
pour
la
définition
des
politiques
d'informatisation
répondant
aux besoins des pays
en
voie
de
développement
et
la conception et la réalisation
de
systèmes
adaptés aux spécificités des pays" (1).
Du
30 au 1er février 1985 un groupe de responsables africains
et
, 1
~
organisations internationales
S~5t réuni à Yamoussokro pour poser
les
bases
d'une
structure de réflexion et de maîtrise
des
technologies
compétitives pour les pays africains regroupés en communauté.
Du 27 au 29 mars de la même année, sur convocation du Président de
la République de Côte d'Ivoire de concert avec ABDOU DIOUF,
Président de
la
République
du
Sénégal,
avec
le concours
de
l'IBI,
a
eu
lieu
à
Yamoussokro
une
conférence sur "l'Informatique et la Souveraineté
une
contribution au plan d'action de LAGOS.
,i
l
Ces
différentes
rencontres
ont
posé les
bases
du
Groupe
de
Yamoussokro en partant des constats suivants:
- la dépréciation progressive des matières premières (agricoles ou
minières) sous l'effet des inventions biotechnologiques et la création
des
(1)
Mahdi ELMANDIRA :"L'Africanisation de l'Afrique" in Revue Futuribles,
NO al. FpvJ;pr 19R1.

300
matériaux
nouvea~ dont les coûts seront appelés à baisser,
les
marchés
traditionnels africains seraient perturbés.
- La désindustrialisation des pays du Tiers-Monde pouvant résulter
de
la restructuration industrielle déjà amorcée dans les
pays
développés
par le canal de la robotisation des usines j
la main d'oeuvre abondante .et
;
moins
chère n'est plus un argument pertinent pour attirer dans les pays ~n
voie
de développement des unités de production de
provenance
europ~enne,
américaine ou japonaise.
- Le
dépérissement
des barrières douanières sous l'effet
de
la
compétitivité
mondiale
et de la multiplication des accords
préférentiels
dont
le sort reste largement lié au besoin de plus en plus limité que
les
pays industrialisés auront des matières premières en provenance des pays en
voie
de développement (le monde devenant un marché unique,
libre dont
le
facteur déterminant est la meilleure offre).
- La
notion de souveraineté a évolué dans ces dernières années en
fonction
de
l'évolution
des
technologies
~ l'information. Autrefois
uniquement terrestre, cette notion, aujourd'hui, s'est étendue à la mer et à
l'espace.
Et
certains
Etats
n'ont pas attendu
que
cette
notion
soit
redéfinie avant d'élargir leur sauverai .~eté en mer en repoussant plus loin
les limités de leurs eaux territoriales.

301
En
ce qui concerne l'espace,
les satellites affectent par
leurs
observations incontrôlables,
la souveraineté des pays en développement. Le
flux de données,
flux unidirectionnels entament sérieusement l'affirmation
de nos souverainetés.

Il
en résulte une dépendance involontaire de la part des pays
en
développement
à
l'égard
de
ceux qui contrôlent ces flux
à
l'aide
des
technologies
complexes et sophistiquées.
La nouvelle dépendance
est
une
notion
dynamique
qui résulte de facteurs relatifs aux technologies
(dont
l'informatique).
C'est en regard de ces données qu'il devient nécessaire et
urgent
de
créer dans les pays en développement une base technologique susceptible
de
leur
permettre de produire des biens,
certes dans le
double
but
de
satisfaire à leurs besoins et de faire face à la concurrence mondiale, mais
aussi de préserver leur "intimité", leur souveraineté.
L'ampleur
des
défis à relever et le prix à payer pour une
telle
ambition
ne
peuvent
être
à la mesure d'un
seul
pays.
D'où
selon La
Déclaration
du Groupe de Yamoussokro "la nécessité de la coopération
Sud-
Sud
et de la création de nouveaux espaces d'apprentissage au service
d'un
développement
régional
et
équilibré.
Ce
qui
suppose
une
situation
permanente
des
hautes
études du développement dont
l'une
des
missions
serait
de
favoriser
une maîtrise plus cohérente des instruments
et
des
techniques répondant efficacement aux besoins de nos peuples" (1).
(1)
Déclaration du Groupe de Yamoussokro,
in AGORA Revue de
l'IBI,
N°12
P.132
-
t

.-
302
En
cela le Groupe de Yamoussokro se trouve sur la ligne des Réso-
lutions
de la conférence des Nations-Unies sur la science et la
Technique
au service du Développement et du Plan d'Action de Lagos pour le Développe-
ment Economique sur l'Afrique (1).
Le
chapitre
V de
ce
dernier
document
intitulé
"Science
et
Technologie" énonce en effet que les Etats:
"doivent
adopter les mesures pour assurer le
développement
de
l'agriculture,
de
l'industrie
y compris
les
agro-industries
connexes,
la santé et l'hygiène, l'énergie, le développement de
l'éducation
et de la main-d'oeuvre,
le développement urbain et
l'environnement".
Mais,ajoutentses rédacteurs, qu'on prenne garde aux effets néfastes
(dépendance,
distorsions
liées
aux
mutations
brusques...
etc)
des
technologies
importées.
La
libération
et
l'indépenda~:e de
l'Afrique
passent
sans
doute par sa technicisation et son
industri.alisation,
mais
l'une
et
l'autre
doivent être conformes à
un
projet
de
développement
global.
,
Dans ce processus, il est impératif que les technologies importées
ne
le
soient
qu'en
vertu de leur adéquation
au
problème
africain
de
développement
et
selon une stratégie pour les maîtriser à plus
ou
moins
long
terme.
L'objectif
primordial devant être d'assurer à
l'Afrique
la
capacité
d'innover et d'appliquer elle-même les technologies nécessaires à
(1) Genève, OUA/IIES/1981, PP. 47-76.

303
son développement, de se les "approprier" et d'être capable de faire face à
la
concurrence
mondiale.
En
un
mot
"d'assurer
son
indépendance
technologique"
(1).
A ce titre l'informatisation de l'Afrique
passe
par
"l'africanisation de l'informatique" (2) ce qui irrplique :
i
- La constitution de nouveaux modes d'acquisition, de stockage, ~e
transmission de verrouillage, de traitement de l'information.
- La
mise
en
place des réseaux,
des langages,
des
formes
de
raisonnement, des entreprises de production de logiciels appropriés ... etc.
- L'analyse
des
enjeux de "cette arti ficialisation"
de
l'ordre
symbolique et des effets qui lui sont liés.
- Un
soutien actif à la formation des hommes et la recherche
par
les Etats concernés.
Ces
implications
s'envisagent
égal,ment
sur
le
plan
d'une
coopération
régionale
renforcée
quant
aux
moyens
de
production,
. de
distributipn
et de consommation d'informations rationalisées,
ouvrant
la
voie
à
ur
marché
africain qui autorise un
rôle
accru
des
opérateurs
économique~ nationaux.
Elle appelle en outre une coopération
scientifique
et
l'animation
des
réseaux
de coopération technologique
en
vue
d'une
ouverture internationale aux niveaux politiques, économiques et culturels.
(1) Déclaration du Groupe de Yamoussokro. Op. cit. P. 13.
(2) Idem.

304
C'est
à
l'aune de cette nécessité et de cette urgence que
le
Groupe
de
Yamoussokro peut conclure en substance
"L'Afrique
doit
se donner les moy~s nécessaires de
maîtriser
cette
technologie
inéluctable
afin
de
l'utiliser
pour
ses
besoins de développement", (1)
~
C'est
la
priorité
des
priorités,
cela
nécessite
une
sensibili~ation à tous les niveaux, notamment au niveau de ceux "qui ont la
lourde responsabilité de décider de l'avenir de nos peuples (2).
Les
participants
à la réunion de Yamoussoukro
(Informatique
et
souveraineté) considèrent qu'un développement authentique requiert en
tout
premier
lieu
une
volonté
politique agissante et
une
mobilisation
des
compétences". C'est pourquoi à la suite des différentes séances de travail,
l'idée d'établir un cahier de charges,
c'est-à-dire un canevas servant
de
schéma directeur a été retenu pour les thèmes suivants :
- projet africain de co-développement technologique.
- Informatique/management et culture africaine.
- Informatique: nouvelle langue d'enseignement.
(1) L'Informatique et la Souveraineté, AGORA, Revue de 1'181, N° 12,
1985, P. 37
(2) Idem.

305
La
nécessité
d'un tel canevas de travail,
étant de permettre
à
plusieurs
spécialistes
de
compétences
différentes
d'apporter
leurs
contributions
à la rédaction d'un document final pouvant servir de
socle,
sinon
de
référence
à
l'élaboration de
la
stratégie
communautaire
de
maîtrise des technologies (1) .

(1) En annexe
voir
notre canevas comme contribution
aux
réflexions
du
Groupe de Yamoussokro.
Nous
avons
également élaboré un texte de 123 pages intitulé
"Système
technicien,
technologies
cO~étitives et développement"
qui
a
été
retenu
par le secrétariat ex~utif du Groupe de Yamoussokro et a servi
de
document de travail pour la première assemblée générale
du
Groupe
tenue les 12, 13, 14 Décembre 1987.
La
traduction
anglaise
a
été
faite
par
l'IBI.
(Bureau
Intergouvernemental pour l'Informatique).

306
CONCLUSION PARTIELLE
"Transfert de technologie", culture,"Informatique" et "co-développemEr
ont été les notions clés de notre dernière partie.
Si l'informatique conditionne l'avènement du système technicien en
tant
qu'elle
constitue le "sous-système" des connexions entre
différents
sous-systèmes techniques, et si de surcroIt elle contribue (de concert avec
les
moyens
de
communication) à la circulation et à
la
distribution
de
l'information
à tous les niveaux de l'univers technicien dont elle
assure
la cohérence,
le fonctionnement et renforce la systématicité, on peut dire
par
métaphore
que l'information est la
"sève"
irrigante,
la
ressource
(d'importance capitale) vitale aux moyens de production,
aux structures de
gestion
et
d'organisation
des entreprises,
des sociétés
et
des
Etats
modernes.

A ce
titre,
on ne peut concevoir une politique de transfert
de
technologie
pouvant
s'inscrire dans le processus d'expansion du
système
technicien sans prendre en considération l'informatique et des technologies
connexes.1 Le
problème
n'est pas de savoir si l'Afrique a besoin
de
ces
technologies dans l'état actuel de son développement:
il s'agit de savoir
si l'Afrique désire maitriser son propre développement dans les domaines de
la banque,
de l'assurance, du tourisme, de l'hotellerie, du spectacle, des
--communications,
mais aussi du pétrole,
de l'aviation, de l'automobile, de
la chimie,
de la médecine,
de l'agriculture etc ••.
car il n'y aura
pas,

1
_1
307
demain,
de
secteur
de
l'économie qui ne dépende de
la
technologie
de
l'information. C'est en raison de ces considérations que l'informatique est
un
détour
exigé
dans le processus de
technicisation
irréversible
dans
lequel le continent africain se trouve engagé :a ne pas la maîtriser, c'est
d'une part créer les conditions d'être tributaire des compétences importées
et
d'autre
part
ne pas être concurrentiel dans les autres
domaines
qui
utilisent l'informatique.
Afin de
ne pas être condamné à être une zone
de
sous-traitance
technologique
et
de consommation passive,
le
continent
africain,
pour
assurer
sa
"modernisation",
doit
faire
collectivement
un
effort
significatif pour élargir et réorienter son action de R + D.
Dans ce
sens
une
politique
glObale
intégrant
les
composantes
industrielles,
scientifiques,
tecnnologiques
et sociales,
et faisant une large
part
à
l'éducation
et
à la formation peut réussir.
La mise en oeuvre
de
cette
stratégie est d'autant plus ambitieuse qu'elle ne peut qu'être régionale ou
sous-régionale. En effet, faute d'une coopération régionale et active, il y
a
risque que les africains continuent à être des consommateurs passifs
de
produits
et de services conçus ailleurs,
ce qui ne pourrait qu'accentuer
leur dépendance envers les pôles technologiquement "avancés".
C'est
en considération de ces raisons que le Projet
africaio
de
co-développement technologique du groupe Yamoussokro dont la double mission
est
de
relever le défi (techno-industriel et social) des technologies
de
.. l'information en vue d'un développement harmonieux des pays concernés prend
tout son sens et devient pertinent, naturel et indispensable.

308
Mais
la
réussite
d'un
tel
projet
doit
s'inscrire
dans
la
compréhension
générale
de
la
dynamique
universalisatrice
des
milieux
techniques
modernes et de leur incompatibilité avec les modes de faire
et
de penser propres aux sociétés traditionnelles.

309
CONCLUSION GENERALE

.-
i
310
PHILOSOPIE - TE~.:~~( - DEVELOPPEMENT
"L'ireptie est de vouloir conclure" dit FLAUBERT (1).
Comment
ne pas l'approuver à propos d'un sujet comme le nôtre

il
s'agit moins de c~~onner définitivement une recherche que de faire
un
premier bilan sur une recherche à la fois urgente,
compte tenu de l'impact
de son objet, et a~ssi peu enracinée dans nos traditions culturelles.
L'analyse théorique de la technique nous a montré que
penser la
technique,
c'est
la
penser
non pas en tant
qu'instrument,
mais
comme
système
global
fait
de
multiples
interconnexions
qui
supposent
des
ajustements
sQUve0t difficiles et longs.
Cela implique la mise en lumière
de la progression par laquelle l'homme a délégué à ses artifices des
rôles
successifs de moteur,
d'opérateur,
de contrôleur, de régulateur. C'est en
..
effet
ce
processus
et cette progression qui
s'accomplissent
en
l'état
actuel de la puissance teChnicienne,
formant un monde quasi autarcique (se
suffisant à lui-même).
(1) Gustave FLAUBERT
Lettre à Louis BOUILHET, 4 septembre 1850.

311
Bien des
penseurs occidentaux focalisent leur attention
sur
la
dimension éthique de la technique.
Partis de points de vue différents,
ces auteurs ont en commun une
approche
globale du fait technicien qu'ils considèrent comme un
phénomène
d'ensemble, unifié dans ses dimensions sociales, cognitives et matérielles.
D'autre
part ils s'accordent à reconnaître que la dynamique technicienne est
le fait dominant de la civilisation moderne, et que la spécificité de cett~
dynamique est celle d'un milieu autonome, d'un "règne":
"Le terme "règne" nous paraît particulièrement bien convenu pour
évoquer l'ampleur,
la spécificité,
l'homogéné!té organique, le
dynamisme
de
croissance
totalitaire
et
de
prolifération
universelle,
l'autonomie et la relative indépendance,
enfin la
concrétude de la technique" (1).
Ainsi,
pour Hannah ARENDT, le règne technique tend à se nouer sur
lui-même, à suivre sa propre logique, et non plus une finalité humaine (2).
Il
s'ensuit
que
l'indépendance,
l'autonomie
que
l'on
attribue
à la
technique
lui donne l'allure d'un système s'auto-générant,
indépendamment
de la volonté humaine •

Mais
y
a-t-il un mouvement propre à la
technique
qu'il
serait
irrpossible
d'arrêter
("on
n'arrête
pas
le progrès")
?
Certains
le
craignent.
(1) G. HOTTaIS: Op. cit, P. 22.
(2) Condition de l'homme moderne.

312
D'autres
protestent
que la technique reste soumise
au
contrôle
humain
jusque
dans ses exc~s.
La machine n'est-elle pas du geste
humain
cristallisé
en
structures qui fonctionnent?
(1) L'un des
critiques
de
l'hégémonie technicienne,
J.
ELLUL, après avoir noté que celle-ci élimine
tout ce qui n'est pas elle, écrit:
"La
puissance
et
l'autonomie de la
technique
sont
si
bien
assurées que maintenant elle se tra~sforme à son tour en juge de
la
morale
:
une proposition morafe ne sera
considérée
comme
valable pour ce temps que si elle s'accorde avec lui~ (2).
A quoi
Philippe
ROQUEPLO répond qu'il n'y
a aucune
nécessité
1
interne
poussant
la
technique
à remplacer la morale
et
la
politique,
puisque produite par l'homme,
elle est sous contrôle humain: imagine-t-on
des
machines
se
mettre
à
produire
des
machines
?
L'homme
reste
l'inséminateur de la technique.
La
technique
a
pris pourtant une ampleur
et
des
dimensions
telles qu'aux yeux de beaucoup de nos contemporains elle reconstitue
parmi
nous les données de la tragédie antique. Elle est ce destin (Heidegger)' qui
entraîne
inexorablement
les hommes dans un processus
de
rationalisation
totale où s'accomplit la modernité en son nihilisme.
Les Grecs craignaient
que
les
pouvoirs de l'homme,
s'ils franchissaient un certain
seuil,
ne
(1) Gilbert SIMONDON : Op. cit.
(2) J. ELLUL : système technicien. Op. cit.

313
provoquent
la
colère des dieux.
Prométhée fut foudroyé
pour leur
avoir
dérobé le feu.
C'est l'Ubris,
la transgression de la mesure, qui déchaîne
la nemesis, la vengeance divine.
Pour ILLICH (1),
au-delà d'un certain seuil, l'appareil technique
devient
effectivement
"contre-productif"
les
transports
engendrent
l'éloignement, la médecine, la maladie, l'école, l'ignorance.
Or
la
puissance technique brise toute limite.
Rien ne
s'oppose
plus à ce que l'homme accroisse infiniment ses pouvoirs. D'où l'anxiété qui
grandit à la mesure des moyens que la technique met à notre disposition
et
qui,
pour
des
raisons
(souvent)
plus
mythiques
que
réelles,
siest
cristallisée autour de l'apocalypse nucléaire (2).
La
croissance
"surexponentielle"
(3)
de
ses
pouvoirs
place
l'humanité
devant
une
question troublante qu'elle
n'a
pas
encore
osé
regarder
en
face.
Elle soulève des interrogations sur
l'utilisation de
cette
puissance,
sur
sa finalité,
sur les critères de choix
entre
les
possibilités
qu'elle ouvre,
sur les limites entre ses usages légitimes et
ses abus.
-
(1) ILLICH : La convivialité.
(2) En
référence
à
cette
frayeur
qu'elle
suscite,
que
la
technique
dérn.Jltiplie
dans
la
conscience "populaire" et
"alarmiste", voir
E.
~!IER
: La Petite Peur du 20è Siècle, Seuil.
(3) Le terme est de F.
MEYER qui représente le rythme du développement
de
la
puissance
par
des
courbes
surexponentielles.
Il
repère
dans
.../

314
Faut-il
utiliser
tous les moyens que la science et la
technique
mettent
à
notre disposition?
faut-il fabriquer un objet,
un
outil
du
moment que nous en sommes capables,
sans prendre en considération
l'usage
1
qui
en
sera
fait et les conséquences qui en découleront?
ou
encore
à
l'image des Aztèques qui décidaient parfois d'abandonner un temple dont les
1
dieux
probablement
ne leur donnaient
plus
satisfaction,
oserions
nous
adopter
la même attitude de rejet à l'égard des objets ou des machines qui
ne sont que nos propres production~?
Le progrès des techniques pose
dans le concret des questions qui
restaient jusqu'alors du domaine de la philosophie et de la théologie. Mais
les
réponses apportées ne sont pas à la hauteur des défis et enjeux de
la
croissance technique: son développement, ses formes hégémoniques actuelles
confrontent
nos
contemporains
à des
situations
pour
lesquelles
"ils
l,l
manquent
de
repères,
et des urgences plus ressenties
que
véritablement
pensées,
ressenties
comme
porteuses
de
menaces,
plutôt
que
sources
d'espérances analogu~à ce Qu'elle suscitait dans le prolongement du siècle
passé" : (cf. SAINT-SIMON) (1).
,
l'évolution à long terme des niveaux d'énergie utilisable, des vitesses
atteintes dans les transports,
dans le rendement des moteurs,
dans la
productivité
agricole
par hectare de terres
cultivées,
des
rythmes
d'accélération
de
la croissance donnant lieu à des
courbes
de
même
allure générale au-delà des fonctions exponentielles auxquelles s'était
arrêté le club de Rome.
1
(1) Franck
TINLAND:
"La technique corrrne transformation, l 'existence comme
co-existence. La réalisation des possibles comme responsabilité"
art. cit.

-
315
Les
progrès
de
la technique ont
été
historiquement
liés
aux
progrès
de
la
raison.
La technique n'est pas seulement l'indice
de
la
présence
de
l'homme,
elle
trace l'itinéraire
de
sa
croissance,
elle
l'incarne historiquement,
elle lui fournit les moyens de son rapport à
la
1
,
nature et l'idée de son progrès,
à la différence de l'art, elle accumule
t
les gains sans jamais revenir en arrière.
1
,

!
1
1
1
Le
bon ou mauvais usage de la technique ou l'idée de son
abandon
relève d'un mode de pensée inadéquat avec l'essence de la technique
cela
reviendrait
à définir la technique comme un ensemble d'outillextérieur.; au
service
de
l'homme.
Il est devenu impossible d'identifier
la
technique
comme
un système extérieur,
ennemi ou allié:
il faut la penser dans son
rapport consubstantiel, indéfectible avec l'homme.
BERGSON dans les Deux sources dit :" le corps humain agrandi attend
un supplément d'âme".
On cite toujours cette fameuse ph:ase.
Mais BERGSON
dit
quelque
chose
de
plus profond.
Il ne
dit
pas
seulement
que
le
développement de la technique appelle les ressources de l'héroisme et de la
sainteté.
Il
montre
comment la technique est liée à l'effort
de
l'être
humain pour exister humainement.
Ainsi touche t-il déjà le thème fondamental cher à HEIDEGGER
"L'homme
ne
se
soulèvera
au-dessus de la
terre
que
si
un
outillage puissant lui fournit le point d'appui.
Il devra peser
sur la matière s'il veut se détacher d'elle".

316
La technique, pour ainsi dire, n'est pas dissociable de l'Existence
humaine;
et pourtant (pour les uns,
les technophobes) on a tendance à la
regarder comme un phénomène étranger,
hostile et presque monstrueux. A ces
critiques,
répondent
les
technocrates,
planificateurs,
ingénieurs,
économistes .•.
etc par
un
acte de foi dans
l'avènement
des
techniques
nouvelles.
On oublie
que
la technique est un assemblage
de
moyens
et
d'intentions
qui dépasse de loin tel ou tel de ses éléments
c'est
une
manière de penser et de faire le monde.
Il y a sans doute mieux à faire qu'à s'engager dans ce débat sur le
fond
d'une
vision
simpliste et superficielle de la
relation
entre
les
hommes et les moyens que leur offre le développement technique.
"S' il
est
bien
vrai qu'une des tâches de notre temps
est
de
tendre
à régler notre emprise sur la réalité en fonction de
ce
qui
nous
convient,
cette
tâche
présuppose
aussi
bien
la
connaissance
de ce qui est en cause que la détermination de
ce
que
nous
voulons véritablement,
sur la base de
ce
que
nous
pouvons" (1).
~. ,
Pour
faire
face
aux
urgences
auxquelles
nous
confronte [le
développement
de
la
puissance technique,
il convient
de
retrouver
la

dynamique
propre
à
la
croissance technique
sur
les
choses,
sur
les
caractères
fondamentaux de la technique,
de ses rapports avec la
manière
d'exister propre aux hommes selon l'histoire et la géographie et de mesurer
ce
que
peut
avoir
de spontanément
autonome
le
devenir
des
systèmes
-
médiateurs d'où l'homme moderne tire ses pouvoirs.
(1) F. TINLAND
La Technique comme transformation ... art. cit.

317
Cette
nouveauté
du
"techrocosme" dans lequel nous
vivons
rend
dérisoires les manières usuelles de penser et de concevoir notre rapport au
monde et
les
objets
que
rous
utilisons
familièrement
ainsi
que
les
représentations
que nous avons de ros responsabilités,
les
normes
selpn
lesquelles nous réglons ros rapports mutuels,
les institutions déveloPPé~s
autour de l'action des hommes sur les choses et sur leurs semblables.
Cette
explication
théorique
des conditions et
des
effets
qui
donnent
un sens à la mise en oeuvre des techniques modernes et la prise de
conscience
de l'écart qui sépare ros modes usuels de penser et
les
défis
actuels
des
technologies
jettent
une lumière sur
nos
perspectives
de
recherche
en
même
temps qu'elles contribuent à évaluer
à
leur
"juste
mesure" les résultats de ce premier bilan auquel nous avons abouti.
Partis
"timidement" (en suivant à la trace les pas de
J.
ELLUL,
G.
HOTTOIS)
des
théories
de
l'information et
des
systèmes,
de
la
cybernétique,
nous avons abouti à une modélisalion rationnelle susceptible
de rendre intelligibles les multiples relations entre les différents objets
techniques constitutifs d'un ensemble techrologique.
Cette démarche rous a
permis de [mettre en relief la quintessense du jeu de réciprocité entre
les

systèmes lartificiels et les types d'activités
socio-techniques.
C'est-à-
dire la possibilité de construire une méthodologie capable de restituer le
processus
technique (tout en dépassant l'aspect anecdotique de
l'histoire
des inventions techniques) ; les structures historiques du p~ technique
traité de façon globale et formelle.

318
Les
dimensions proprement théoriques de l'informatique et de
ses
rapports
avec le système technique (dont elle renforce la systématicité)en
continuité
solidaire
avec
la constitution des
réseaux
formés
par
les
banques
de
données,
les ordinateurs,
les moyens de télécommunication
à
usage transnational et les satellites contribuent à solidariser "le
reste"
des
objets
et
projets
constitutifs
du
système
technique
et
de
son
1
développement ~n système technicien.
A
partir
de

la
question
de
l'universalité
et
de
la
planétarisation du
"modèle" prend toute son if11)ortance et
les
questions
d'une
spécificité
régionale"
se posent dans
leur
vraie
dimension
(y
compris
dans celle de la formation au service du système technicien et qui
lui
fournit
la
COf11)osante
humaine,
requise
par
sa
maintenance,
sa
fcrcticrnalité
et son développement).
C'est
à
la lumière de ~s analyses théoriqu~qu'il nous
a été
possible
d'exposer et d'évaluer les idéologies relatives à la
spécificité
des cultures, des modes de vie et à la recherche des identités culturelles,
.
et les projets liés au transfert des technologies et leur appropriation. Ce
coreept
d'appropriation
a été analysé cOfTlJte tenu de
l'universalité
de
l'efficacité technicienne.
Le problème est qu'il n'est possible à aucun pays de conserver
la
ma!trise
de lui-même (à plus forte raison de la conquérir) sans s'intégrer
-dans la mouvance des technologies en développement à l'échelle mondiale et

319
qu'en
même
temps,
il
ne
peut conserver sa propre
spécificité
et
son
indépendance
qu'en
s'inscrivant dans ce développement selon une voie
propre.
Faute de quoi les distorsions internes multiplieront les tensions,
et le jeu des puissances extérieures en sera facilité.
D'où
aussi
l'importance de la formation,
ne serait-ce que
pour
éviter
d'être tributaire d'une "techro-structure" étran;Jère
et
onéreuse.
Cette
formation conditionne sans doute la maîtrise des techniques et
donc
de
soi-même,
mais
elle
ne
résoud
en rien les
questions
liées
à
la
différence des cultures et à la valeur de cette diversité.
Ce sont là quelques considérations que nous avonstent~ de
mettre
en
lumière tout en prenant le soin de situer le niveau du discours sur
le
strict plan d'un débat théorique et des analyses purement conceptuelles.
1
1
Pour
conclure,
ce qui est essentiellement en question se
rébume
dans les lignes suivantes
L'analyse
théorique
de
la
technique
nous
a montré
que
les
problèmes fondamentaux de la technique (leur systématicité,
leur expansion
hégémonique sur le naturel et le social .•• etc) n'ont pas été explorés avec
une
systématicité et une cohérence suffisantes. "Cette pérurie de
pensée"
philosophique à la hauteur des défis posés à l'interface du monde technique
et
des
autres
dimensions
de
l'existence
humaine
nous
a mobilisés à
- entreprendre
cette
étude sur le caractère systématique de
la
technique,
,

320
ensuite
sur
la spécificité et l'autonomie de ce système
s'auto-généran~,
sur les interférences de l'organisation technicienne de l'emprise
efficabe
sur
les
choses avec l'ensemble des productions sociales
et
culturelles.
Vient
alors
la question
du
transfert
de
technologie,
entendu
comme
transfert des "moyens" (avec leur systématicité) d'une culture à une autre,
d'une société à une société différente.
Ce
qui
précède implique au préalable une recherche
fondamentale
sur
la
technique
et sur son transfert avec ce que
cela
comporte
comme
articulation des pratiques et objets techniques,
des particularités socio-
culturelles,
le tout pouvant être relié aux questions de systématicité
de
la technique.
Cet te
"philosophie
de la technique" ~ans sa version défi niti ve,
pourrait
(entre autres) jouer le rôle d'une propede~iqup à la
formation
technologique (Technologisdhe Aufklarung}au sens où l'emploie Gunter ROPOHL
(1»
délivrée dans l'enseignement et com~e outil d'information de l'opinion
publique. ' Ce qui irait dans le sens des nécessités du moment, si l'on veut
bien que
les débats publics sur les techniques relancés au cours
de
ces
dernières
années
par les mass média ne dégénèrent ni en une
foi
aveugle
,.
dans la technique, ni ne donnent dans un pa~sétsme oppo?é aux techniques.
Cette
philosophie de la technique pourrait être aussi d'un apport
considérable
dans les prises de décision concernant le
développement.
En
(1) Eine System theorie der Technik, 1979.

. [
t
321
t

effet, dans une démarche de réciprocité horizontale avec les représentants

d'autres
disciplines,
la philosophie de la technique (en
expliquant
que
le destiri technique n'est pas situé hors de nous, mais en nous, et en ayant
pris
le soin de dém~ler les multiples liens qui unissent l'ordre technique
à
l'ensemble
d'une culture et aux rapports que les
hommes
entretiennent
avec leur environnement naturel et social) pourrait conduire à éluder (sans
passion) le problème suivant: romment la technologie peut-elle
dialoguer
avec la politique et la morale en vue d'un véritable développement?
Ce nouveau mode de discours entre différents types de raisonnement
revêt
une grande importance,
car le développement,
lui-même a une grande
importance,
et
c'est
la
nature du discours
qui
donnera
l'orientation
principale
des
décisions
majeures
que
l'on
prendra
en matière
de
développement.
Cette
dimension
de
la
philosophie
pourrait
éviter
l'écueil
technocratique qui conduit à réduire le développementaux seuls problèmes de
/
stratégies
ecor.omico-technologiques.
Le
développement dépasse de loin ces considération>. La
question
est
de savoir si le développement qui tend à apparaître comme
auto-normé,
auto-référentiel,
peut
être replacé sur le fond d'une visée autre et plus
fondamentale que celle de l'auto-suffisance économique jointe à la maîtrise
des conditions sans lesquelles la souveraineté n'est qu'une façade. Peut-on
concevoir que la médiation technique,
devenue "impérialiste" (par
rapport

"323
mutations de l'homme-communiquant liées aux technologies
de la communication,
à
leurs possibilités et contraintes)
d'entrevoir une perspective "alternative" à l'uniformisation
"globalisante" du monde liée à l'universalité et à l'autono-
mie de la technique: si l'homme est "parole", comme le dit
si bien Monsieur TINLAND,
ce qu'il est est tributaire des
conditions dans lesquelles se forme et se communique cette
parole,
à
travers des circuits qui
furent ceux de la tribu
(et la communication est au principe des identités culturel-
les) et qui sont aujourd'hui à la fois planétaires et diver-
sifiés,
selon d'autres découpages que géographiques:
au
pluralisme "éthnique" peut se substituer un pluralisme arti-
culé sur des circuits et langues liés aux nouvelles techno-
logies.
C'est dans ce sens qu'il conviendrait de comprendre
les initiateurs du développement d'une informatique franco-
phone.
L'informatique est située au coeur de la révolution scienti-
..
fique,
technique et épist;mologique contemporaine, encore que
nombre de ses sources soient ancrées fortement dans l'histoirt
de la science et de la technique.
Plus,
peut-être,
que toute
autre technique, elle entretient des liens étroits avec la
culture: si la science de l'information et de la commande es~
universelle,
sa mise en oeuvre technique et son utilisation
sont porteuses de choix culturels et sociaux majeurs qui ris-
quent de s'imposer à leurs usagers:
l'utilisation massive de

324
l'informatique perturbe les multiples médias de communication,
,
et finalement cet équilibre entre valeurs qu
est notre civili-
sation. Ce qui nous amène à poser et à développer ces deux
affi~mations : techniques, cultures et langues étant liées, il
y a une informatique francophone
; le français est le support
d'une modernité (technique) spécifique (étant bien entendu que
ces affirmations analogues sont valables pour toutes les cultures).
Refuser un modèle unique d'informatisation,
c'est
respecter les identités culturelles,
c'est permettre à chaque
homme,
chaque nation,
à chaque civilisation d'exprimer et d'enri-
chir sa culture dans et par les techniques et réciproquement.
N'est-ce pas là introduire dans une conclusion,
une
note d'espoir pour préserver la richesse de l'humanité dans l~
diversité ... ouvrant la vie à un nouvel espace symbolique?

325
-----~-
/~
/ '
BIBLIOGRAPHIE
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355

ANNEXES

356
toESSAGE OC SeN EXCfi.LENCE KN5IEUR FELIX HCl.PHOJET-BOIGN, PRESIŒNT
OC LA REPUEl..I~ OC COTE D'IVOIRE
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Directeur Général de l'IBI,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
La
Côte
d'Ivoire
s'honore
du
choix
que vous
avez
fait
de
venir
à
YAMOUSSOKRO
pour tenir l'importante Conférence qui s'ouvre cet
après-midi
et qui réunit sous le thème "INFORMATIQUE ET SOUVERAINETE, UNE CONTRIBUTION
AU PLAN D'ACTION DE LAGOS",
d'éminentes personnalités des pays
Africains.
En
vous remerciant pour cette marque d'estime,
il m'est agréable de
vous
adresser
nos
souhaits
de
bienvenue les plus cordiaux et
nos
voeux
de
réussite totale pour ~s travaux.
Je
saisis
cette
heureuse
circonstance
pour
exprimer
devant
vous
l'attachement
de
mon
pays
à
tout
ce
qui
touche
à
la
Coopération
Internationale,
particulièrement
dans
ses
implications
au
niveau
des
relations inter-africaines,
et pour vous dire,
-une fois ereore, l'intérêt
constant _que
nous portons à l'action de l'IBI,
seul et unique
Organisme
Intergouvernemental de Coopération dans le domaine de l'informatique.
L -__
_
.,5

357
Messieurs les Ministres,
Mesdames,
Messieurs,
Conviés de toutes les parties de l'Afrique Sub-Saharienne à ce
rendez-vous
de Yamoussokro,
en raison des hautes fonctions et responsabilités que vous
exercez
dans
vos
pays
ou
au
niveau
d'institutions
régionales
et
internationales de coopération,
votre Conférence se situe à une période où
les difficultés de la vie des jeunes nations du Continent accentuent encore
plus les sujets d'interrogation et de réflexion concernant leur devenir.
Les
problèmes
de développement qu'elles s'efforcent
de
résoudre
depuis
leurs
indépendances en vue de se doter d'une base économique indispensable
à
la réalisation de leurs légitimes ambitions nationales
de
liberté,
de
dignité
et de bonheur pour leurs peuples,
se posent maintenant de plus en
plus en termes d'acuité et d'urgence,
ce qui dramatise des situations déjà
précaires.
Il
apparaît aujourd'hui que si beaucoup de solutions
ont
été
proposées
de l'extérieur et appliquées par chacun pour sa part avec
bonne
volonté, les résultats de deux décennies et demie d'essais de développement
sont bien maïgres sur l'ensemble du Continent. Bien plus, la persistance de
la crise économique qui secoue le monde entier et à laquelle s'ajoute, pour
l'Afrique la terrible calamité naturelle de la s~cheresse, assombrit encore
l'horizon pour tous nos pays.
Devant
une
situation
générale
aussi
détériorée et
face
à un
avenir
apparemment dénué de perspectives,
la tentation de baisser les bras et
de
se
laisser emporter par les aléas des conjonctures est un risque politique
qui nous guette et contre lequel il faut réagir.

358
Alors que faire ?
D'abord,
nous
devons
prendre courageusement conscience du
fait
que
le
développement
de
notre Continent s'est engagé dans tous les pays sur
des
conceptions
théoriques
peu
conformes à nos réalités et. à
nos
besoins.
Ainsi, pour l'essentiel, nous avons commencé de bâtir verticalement dans le
..,
sens Nord-Sud au lieu de le faire horizontalement dans le sens Sud_Sud,
et
nos
économies
souffrent
de
la
fragilité
des
constructions
manquant
d'ancrage
dans
le terroir et soumises aux turbulences du
ciel.
Or
nous
aurons tous compris maintenant,
je crois,
que si le ciel résonne toujours
de
beaux discours d'intention,
ce qu'il en est sorti concrètement jusqu'à
présent po~r nous ne répond guère à nos besoins et à nos voeux.
Les
rares
cas
de succès relatifi en matière de développement dans nos pays ne doivent
pas faire illusion
l'Afrique est partie sur des bases erronées. Tout est
à reprendre.
On peut
en effet
tout reprendre et recommencer.
Il
y a des
raisons
objectives d'espérance.
Parce que d'une part le potentiel économique reste
intact,je
veux parler de nos ressources naturelles;
d'autre
part
notre
potentiel
humain,
en dépit de tout,
s'est accru en nombre et amélioré en
savoir et en expérience;
enfin, il s'avère qu'aujourd'hui, les chemins du
développement économique peuvent prendre des raccourcis technologiques à la
portée de tout un chacun,
grâce à l'informatique. Notre sous-développement
actuel
n'est donc pas irrémédiable.
Encore faut-il que,
pour en sortir,
nous
saisissions
la
nouvelle chance qui s'offre à nous
en
portant
nos
premiers
efforts
sur
la conversion des mentalités et
des
méthodes
des
responsables des destinées nationales.

359
A l'aube
des indépendances,
l'Afrique avait ressenti fort
justement
la
nécessité
de
construire
un
front politique
commun
pour
endiguer
les
velléités
coloniales de vieilles nations,
et ce,
en vue
d'éliminer
les
entraves
susceptibles
de
retarder
le plein
épanouissement
des
jeunes
nations.
De

naquit l'OUA,
dont l'action politique
est
globalement
positive. Aujourd'hui, constat fait de la persistance du sous-développement
pour les raisons ci-dessus évoquées,
l'Afrique doit se persuader que si le
combat
pour l'affirmation et la réalisation des ambitions africaines s'est
transporté
sur
le terrain économique,
qui est plus difficile
parce
que
diffus,
complexe et anonyme,
il demeure le même combat pour la liberté et
la dignité,
contre les forces diffuses, complexes et anonymes qui dominent
ensemble
nos économies nationales et les empêchent
de
s'épanouir.
C'est
pourquoi,
le chemin à suivre,
la voie vers un développement véritablement
efficace des Etats du Continent passe nécessairement par le renforcement de
notre solidarité,
la conjugaison de nos efforts et la recherche, par nous-
mêmes
et pour nous-mêmes d'abord,
de solutions répondant à des
objectifs
réalistes.
Comme
le
recommande le Plan d'Action de
Lagos,
nous
devons
ensemble analyser les problèmes qui nous assaillent,
sélectionner ensemble
les
solutions,
choisir les voies et les technologies les plus appropriées
pour leur mise en oeuvre efficace .

Le haut intérêt que revêt à nos yeux cette Conférence de l'lBl, qui se veut
rendez-vous
d'interrogations,
de recherches et
de
propositions,
réside
d'abord
dans
son caractère d'opportunité pour la mise en
commun
et
le
partage
des soucis et des espérances de tout un sous-Continent,
confronté
certes
à de graves problèmes de développement mais
résolu,
je
pense,
à
faire feu de tout bois pour les surmonter,
notamment par la technologie de

360
l'informatique.
Celle-ci se présente en effet comme une possibilité histo-
rique
pour
nos
pays de relever tous les défis
du
sous-développement
:
retard technique,
bloquage mental,
non corrpétiti vité,
etc •.••
Une
telle
possibilité
peut-elle
être saisie dans la concertation et la
coopération
des Etats sans abdication de souveraineté nationale?
Voilà posée la ques-
tion majeure de votre thème de conférence.
Cette
question
est
en
effet de grande
actualité,
à
l'heure

les
problèmes
de
développement
se posent pour le Continent
tout
entier
en
termes de survie,
à plus ou moins brève échéance,
pour les peuples et les
régimes africains.
Comment éviter que les indépendances nationales tombent
en désuétude sous l'effet conjugué des calamités naturelles et des endette-
ments extérieurs "margeurs" de toute croissance ?
A ceux qui choisissent la technologie de l'informatique pour conjurer cette
menace, on dit quelque fois: "Et si l'informatique n'était qu'un palliatif
provisoire,
une recette de "sorcier" en mal d'exportation, n'est-ce pas un
risque
dargereux
? A de tels propos,
il faudrait répondre que
même
le
palliatif
serait bon à prendre,
qui empêche l'affaissement
immédiat
des
Etats; le risque aussi, qui leur donne l'espérance et les maintient debout
pour aller plus loin.
Alors qu'il s'avère
maintenant que la pratique des
recettes
économiques routinières mène inexorablement au dépérissement et à
la
ruine
de nos sociétés africaines modernes,
un pays
malade
de
sous-
développement
n'a
pas le droit de se laisser mourir lentement à l'ère
de
l'informatique,
sous prétexte de prudence.
Les médecins qui
recommandent
une
telle attitude à l'égard des prescriptions du nouveau sorcier sont les
mêmes qui se dépêchent de copier et d'adopter son art,
par prudence. Or la

361
vérité
indéniable
est
que l'informatique est
en
train de
transformer
fondamentalement
et de remodeler entièrement le visage de la
civilisation
industrielle
dans
le monde.
Elle remet en cause des
enjeux
politiques,
économiques et socio-culturels qui semblaient fixés et distribués depuis le
XIXe siècle pour de nombreux siècles encore. C'est une véritable révolution
qui
s'opère
sous
nos yeux admiratifs
ou
craintifs,
avec
l'efficacité
redoutable
de
procédures qui mettent tout le monde à égalité de
chances, -
pays développés et pays en développement.
L'histoire oubliera vite que l'Afrique,
pour diverses raisons historiques,
avait
été absente au rendez-vous de la révolution industrielle et
qu'elle
en a souffert quelques décennies en s'éveillant à la
vie
internationale.
Mais l'histoire retiendra pour longtemps les attitudes des pays africains à
l'avènement
de
la révolution informatique,
parce qu'elles
détermineront
pour
longtemps
leur
place relative dans la
nouvelle
hiérarchie
de
la
société
informationnelle
qui
en sortira pour de
nombreuses
générations
humaines.
Afin que chacun y trouve un rang digne de sa vocation spécifique
dans le concert des nations, il est souhaitable que tous, nous participions
aux risques de cette aventure en nous organisant mieux que par le passé, de
façon à éviter la formation,de nouveaux monopoles qui viendraient perpétuer
la domination des monopoles actuels.
Il
ne
faudrait
pas
perdre
de
vue
que
l'informatique
n'est
qu'une
technologie,
un
moyen
de puissance réaliste,
créatrice et qu'elle
doit
s'appliquer
aux
ressources dont dispose l'humanité
pour
satisfaire
ses
besoins.

363
une
contrainte pesante qui consiste à devenir clients de cette
banque
de
données et à y subordonner d'une certaine manière leur développement. Cette
situation requiert vos réflexions.
Au
demeurant,
notre
entrée dans la révolution de l'information implique
nécessairement
que nos pays se donnent les moyens d'assurer
une
parfaite
maîtrise des technologies qui la servent,
en premier lieu par la formation
des
hommes
et
l'acquisition
d'une
réelle
capacité
de
production et
d'entretien des matériels.
Notre Continent doit éviter,
quoi qu'il lui en
coûte,
d'être
un
consommateur
passif
des
produits
des
nouvelles
technologies
de l'information.
Une telle attitude entraînerait de
graves
conséquences
non seulement pour la souveraineté des Etats,
mais aussi
et
d'abord pour leur développement même.
Fort heureusement, en ce domaine, on
nous
assure
que les coûts de la recherche de la
fabrication
sont
loin
d'être
prohibitifs,
et
cela devrait nous encourager à les
assumer
pour
garder les atouts essentiels de notre développement.
Cependant,
ici
comme ailleurs,
une vérité s'impose,
toujours la même et
irréfutable
un front commun des volontés politiques,
quelles que soient
leus racines philosophiques,
pour réaliser une intégration de systèmes
de
réseaux
identiques,
permettant la circulation "horizontale" des richesses
du
patrimoine disponible.
Il s'agit d'alléger le poids de la circulation
"verticale",
la contrainte des barques de données extérieures. Nos pays ne
pourront
tirer un profit maximum de l'informatique que dans une
véritable
intégration de cet outil économique et par une large coopération régionale.
Le
volume
et la variété des ressources nécessaires à une mise
en oeuvre
profitable
de
cette
nouvelle
technologie,
l'extrême
rapidité
de
son
.
"

364
évolution et les conséquences qui en découlent au plan de la formation
des
hommes
comme à celui des équipements et des procédures,
la nécessité d'un
marché
intérieur aussi large que possible,
tout cela rend
dérisoire
les
études
et
réflexions menées dans des cadres étroits,
et
illusoires
les
actions
isolées qui en découlent,
faisant fi des données des
expériences
extérieures.
L'isolement
ne
peut
aboutir qu'à des mécomptes
et
à
des
déconverues.
A vrai
dire,
à moins de disposer seule d'une masse
critique
minimale,
économique et démographique, que peu de pays africains atteignent, il ne me
paraît pas possible d'accéder à la révolution informatique sans être obligé
de sacrifier certains privilèges de la souveraineté des Etats.
C'est
bien
pourqoi
nous observons que même les pays industrialisés qui se préparent à
y
entrer
recherchent
eux
aussi
des
formules
d'union
régionale
ou
d'intégration professionnelle.
Si,
comme
nous
le dicte l'intérêt bien compris du
Continent,
nos
pays
parviennent,
dans
le
domaine
primordial
de
l'informatique,
à
l'indispensable coopération,
il ne fait pas de doute que celle-ci s'étende
aux
divers
secteurs
de leur développement,
en
raison
de
la
position
- ,.,
centrale
qu'occupe
désormais l'informatique dans l'approche de
tous
les
problèmes_ de l'activité humaine. Carrefour des sciences et des technologies
de
pointe de cette fin du 20e siècle,
l'informatique peut,
croyons-nous,
servir
d'élément
dynamique
à l'intégration
régionale
des
économies
nationales et à la consolidation de la souveraineté des Etats Africains.

._- "~
·..,.~w;~'t;t""$
_
365
Je souhaite que votre Conférence ouvre de telles voies vers une coopération
fructueuse
qui
permette
à
l'Afrique
d'accélérer
son
développement
économque,
social et culturel et de présenter demain,
dans la dignité, au
rendez-vous
de
la civilisation de l'information,
avec des mains non pas
vides,
mais
pleines
d'apports
positifs
pour
contribuer,
de
façon
significative, à l'enrichissement du patrimoine commun.

366
toESSAGE DE S~ EXcaLEtCE t<NSIEIJ{ AEIXlJ DIllF,
PRESIDENT DE LA REPUEl..I~
[lJ seEGAL
Monsieur le Président de la République,
Messieurs les Ministres,
Monsieur
le
Directeur
Général
du
Bureau
Intergouvernemental
pour
l'Inform~tique,
Mesdames et Messieurs,
Je
voudrais
tout
d'abord remercier très sincèrement
Son
Excellence
le
Président
Félix Houphouët-Boigny,
pour avoir permis une fois de
plus,
à
l'Afrique
de pouvoir se retrouver et d'échanger autour d'un thème
d'aussi
grande
actualité
qu'est
l'informatique,
et,
à
travers
son
illustre
personne, tout le peuple de la République Soeur de Côte d'Ivoire.
Je remercie également le Professeur Bernasconi d'avoir pris l'initiative de
cette
rencontre
qui est la troisième du nre,
après celle d'Abdijan
en
1980 et celle de Dakar en 1982.
L'IBI
montre
ainsi
qu'elle
concrétise
sa
vocation
d'institution
de
coopération
internationale car l'objectif de ce genre de rencontres est de
réfléchir
sur les voies et moyens d'amener les Etats Africains à élaborer.
des
politiques
et stratégies informatiques et de les
intégrer
dans
les
processus
de
coopération
régionale
définis
par
les
organisations
internationales africaines.

/ '
367
Les questions liées à l'informatisation sont suffisamment importantes
pour
que
ce
niveau
soit
dépassé
aux
fins de
la
ramener
à
la
dimension
d'instrument de croissance dans une période de difficultés économiques.
Aussi,
tous les
gouvernements pratiquent une politique de
rigue~!
pour
sortir
de
la crise.
Dans notre sous-région,
le Plan de
Lagos
est un
exemple.
Comment
y intégrer une
stratégie
informatique
dans
l'optique
d'une
amélioration de
son application et du maintien des
grands
équilibres
économiques et sociaux de la sous-région et de nos Etats respectifs?
Quelles formes prendra cette informatisation ?
De
vos réflexions et des réponses à ces questions et à tant
d'autres,
le
visage de l'Afrique pourrait être modifié.
Je
sou~laite que la Conférence y apporte les premiers éléments de
réponse.
Car,
même
si
dans les pays développés les
questions ci-dessus
restent
évoquées,
il
demeure que leur acuité est plus ressentie dans les pays
en
voie
de développement qui ne sont pas encore au diapason de l'indépendance
industrielle dans la conception et la production de systèmes informatiques,
facteurs
non moins essentiels pour la réussite de
l'utilisation de ces
systèmes.

368
En effet,
les politiques et les stratégies vis-à-vis de l'information, des
constructeurs
de
système
et
des
principaux
utilisateurs
orientent
généralement les axes de développement de la technologie informatique.
Ainsi,
se
pose
le
problème de la vulnérabilité de
nos
Etats
face
au
développement
accéléré de cette technologie notamment les bases de données
et l~ télédétection.
Cette dernière pourrait être considérée comme une "agression
informatique"
des
pays
à
haut
développement
technologique
vis-à-vis
des
pays
en
développement
car
l'espace géographique de ces derniers
est
constamment
"ciblé" par des satellites.
Et
au
risque
d'être dénaturé de sa véritable
mission
de
recherche
et
d'ordonnancement,
l'informatique
et
ses
sous-produits
que
sont
la
télédétection
et les bases de données doivent être au servic~ des pays
en
développement
qui
participeront
à
son contrôle dans
l'espace
qui
les
intéresse par la coopération régionale et internationale.
Par ce biais,
l'informatique, maîtrisée par le développement de politiques
de formation et d'industrialisation,
permettra d'assurer la protection de
la souveraineté de nos Etats.
Je
souhaite un plein succés à vos travaux dont les résultats pourront sans
nul
doute
être
judicieusement
exploités au
profit
de
la
coopération
régionale africaine.

m
369
DISCCl.RS OJ PR(F~ F.A. ŒRNASCCM, DlREC1E1.Jt GENERAL DE L' IBl
f
Monsieur le Ministre d'Etat, Repr~sentant du Président de la République,
Monsieur le Ministre d'Etat,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Représentant personnel du ~résident Abdou Diouf du Sénégal,
Excellerces,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de m'acquitter en premier lieu d'un agréable devoir
au nom
de
tous
et de l'lBl je remercie Son Excellence Monsieur Félix
Houphouët
Boigny,
Président
de
la République de Côte d'Ivoire
et Son Excellerce
Monsieur
Abdou Diouf,
Président de la République du Sénégal,
pour
avoir
accepté
de nous faire l'honneur de leur haut patronage.
Je remercie aussi
tous ceux qui ont voulu être des nôtres aujourd'hui mais qui n'ont pu
nous
joindre pour des raisons indépendantes de leur volonté.
Je vous
remercie
enfin
vous
tous,
ici
présents,
pour la peine que vous
avez
prise
de
répondre à notre invitation.
C'est
un grand
honneur et une grande joie de constater que vous
y avez
répondu nombreux. Je sens, par votre présence ici, l'ercouragement que vous
apportez
à l'lBI dans la poursuite de ses efforts
pour
contribuer,
même
1
modestement, à la mise en oeuvre du ~lan d'Action du Lagos.
1
1
!,
j

··0· . . . . 1 LI 1
370
Le mécanisme de développement auto-centré et auto-entretenu,
dans le cadre
régional,
a des chances de succés lorsqu'il s'assigne des projets concrets
d~ maîtrise des technologies compétitives qui,
comme
l'informatique,
ne
peuvent
être
maîtrisées par un seul Etat.
Projet
commun
et
logistique
commune,
l'informatique
peut
être
le meilleur ciment
de
l'intégration
régionale
africaine.
Il importe d'en prendre conscience et de réserver
à
l'informatique
une place de choix,
dans le discours
politique,
dans
le
.
.
discours national et régional, comme dans celui du Sud à l'adresse du Nord.
Le binôme informatique-intégration régionale est comme les deux faces de la
monnaie.
L'informtique est à la fois sujet et objet de l'intégration. Dans
nos
discussions,
l'intégration
régionale
pour
le
développement
d'une
informatique
africaine
est une face,
l'informatique en tant qu'outil
et
infrastructure
pour permettre l'intégration régionale africaine
constitue
l'autre face.
Vous savez tous que l'informatique est beaucoup plus qu'un simple phénomène
technologique.
L'informatique touche à des aspects économiques,
culturels
et
sociaux.
L'informatique est surtout et fondamentalement
un phénomène
politique qui relève de la décision et de la responsabilité de ceux qui ont
le pouvoir et qui construisent le futur de notre·~ciété.
Je
disais
aussi
que l'informatique en tant que
phénomène
politique
de
grande ampleur et de portée mondiale, fait que celui qui veut vivrê fier et
libre, ou même simplement survivre, ne peut y être indifférent. Chacun doit
y trouver sa part à prendre.

371

Je
vais
faire
maintenant
quelques réflexions sur le
contexte
même
de
l'information.
L'essor
de
l'informatique
résulte de
l'émergence
à la
conscience
de
l'homme,
du rôle joué par l'information
dans
toutes
ses
activités.
L'information,
matière
première et produit fini de toutes ses
décisions,
est
une
ressource économique au même titre que
les
matières
premières
agricoles
et industrielles,
le capital,
la
main-d'oeuvre
et
l'énergie.
Et
là il Y a,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
le fait paradoxal
de
constater
que
nous
tous
ona
une
perception
presque
intuitive
de
l'importance
de
l'information quand on se réfère à l'information du
côté
des
moyens
de
communication
de
masse.
On
comprend
très
bien
sa
signification
politique,
sa
signification économique
c'est-à-dire
pour
établir une analogie,
on comprend bien toute l'importance de l'information
qui est derrière la radio, derrière la télévision. Mais c'est paradoxal, je
disais,
le peu de réflexions qui ontté faites et le peu de compréhension
qu'il
y a sur
le
phénomène
de
l'information
qui
est
derrière
les
ordinateurs.
C'est

l'enjeu qui va être le sujet de
tous
les
grands
problèmes, de tous les grands espoirs, de tous les grands conflits de notre
société
d'ici je ne dirais pas quelques années,
mais d'ici quelques jours
parce
qu'il est déjà là.
Si vous pensez seulem~ qu'une base de
données
économiques
et sociales constitue la mémoire d'une société et
que
toutes
les
bases
de données sur les informations économiques et sociales de
nos
pays
ne
sont pas parmi nous mais dans les pays
développés,
vous
pouvez
comprendre
que
là on se trouve dans une situation pour laquelle
il
faut
faire
tout effort pour la renverser,
pour que nos pays puissent avoir
au
_ _ _ _ _ _ _
...--.------
-- -----------
IllJlIlIIIIIII!===-=~

372
moins la connaissance de ses propres données surtout quand ces données nous
appartiennent,
qu'elles sont prises par des moyens très sophistiqués
même
sans
notre
propre
connaissance et qu'e~les peuvent être utilisées pour
prendre des décisions qui affectent nos propres pays.
Lorsqu'on analyse le
cas
spécifique
de l'Afrique dans ce phénomène de
1 ~.information,
on est
frappé par l'acuité de la pénurie de l'information.
Reconnaître
que
l'information est une ressource économique
c'est
aussi
souscrire
à
l'engagement
de la recueillir,
de
la
conditi~nner et de
l'utiliser dans les conditions de coût économique. Force est de reco'r,naltre
que cela est loin d'être le cas dans la plupart des pays du
Tiers~Mon~~€'
Ainsi,
la ligne de démarcation la plus nette entre les pays déve~?ppés
et
ceux
du
Tiers-Monde
est
tracée
par le coùut
et
la
disponibilité
de
l'information.
Il
n'y
a pas un seul pays du Nord qui
n'ait
une
bonne
infrastructure de traitement de l'information.
On ne connaît pas non plus
de
pays
du Sud
qui aient de bonnes
infrastructures
de
traitement
de
l'information.
Autant
l'information est disponible et bon marché au Nord,
autant elle est rare et chère au Sud.
A cet égard, je voudrais vous donner quelques chiffres et s'il y a quelques
inexactitudes
à
cela on a ici même parmi nous le
responsable
parce
que
c'est
Monsiur Elmandjra qui me les a donnés.
Il me faisait noter que 95 %
des dépenses mondiales de traitement de l'information sont le fait des pays
du
Nord
contre 5 % aux pays du Sud.
Et lorsqU'on analyse
la
partie
de
l'Afrique dans ces dépenses elle est la plus faible de tous les continents.
Elle
a une moyenne de de l'ordre de 0,3.
Pris individuellement,
les pays
!
4
,::::_.
" 0 "

· ..__."
_ ..
-.~'\\"
373
africains
consacrent
entre moins de 0,1 % jusqu'à 0,5 % de leur
PNB
aux
dépenses
d'informatisation contre 3 à 6 % du PNB des pays
du
Nord.
Bien
entendu,
si
vous
calculez
cela en valeur absolue,
en considérant
les
différents PNV.B, la différence est immense.
Je
voudrais citer pour vous trois facteurs qui affectent
la
souveraineté
des
Eta~s
liés au développement de l'informatique et je vais
donner
des
éclaircissèments. Quand je dramatise la différence entre le Nord et le Sud,
ce
n'est
pas
pour
reprocher au Nord son développement
mais
pour
nous
reprocher à nous de ne pas avoir encore fait tous les efforts que ~'on doit
faire dans ce sens.
L'informatique est nécessaire mais elle n'est pas
bon
marché.
J'en viens aux trois cas
le premier,
auquel j'aimerais déjà me référer,
est
le
prélèvement des informations sur les autres
nations,
par
toutes
sortes de procédés incontrôlables, dont la télédétection.
Le
deuxième
est
que
l'informatisation de la société
est
un
phénomène
inéluctable et irréversible et que le risque d'aggravation de la dépendance
est réel pour ceux des Etats qui se résignent à être récepteurs passifs
de

cette technologie nécessaire.
Il
Y a une troisième conséquence qui n'est pas encore bien perçue:
c'est
la
conséquence
de l'informatique industrielle,
de
la
robotisation.
On
assiste aujourd'hui à un processus de désindustrialisation du Tiers-Mond
à
la recherche d'une main-d'oeuvre bon marché, ont trouvé aujourd'hui grâce à
- - - - - . - ------~-- - - - ~

374
la
technologie,
la
possibilité
de
ramener
ces
usines
dans
leurs
territoires.
Ce
n'est pas seulement que l'on est déjà dans ce
processus,
c'est que l'on est en face d'un processus dans lequel nos pays ne sont plus
compétitifs même vis-à-vis des productions pour lesquelles la main-d'oeuvre
nous permettait de l'être.
Donc,
si on ne fait pas un effort conscient et
coûteux
dans le problème de la robotisation dans nos pays on se condamnera
au
seul rôle de fournisseurs de matières premières dont la valeur
est
de
plus en plus faible.
L'informatique lance des défis,
je le disais, à la souveraineté des Etats.
Ces défis sont tels,
qu'aucun pays africain ne peut les relever tout seul,
à l'heure actuelle,
faute d'atteindre la masse critique. Je rappelle aussi
que
l'informatique
offre quand même une chance réelle aux pays du
Tiers-
Monde.
Là aussi,
l'informatique constitue une chance que beaucoup de pays
africains peuvent saisir par un effort commun.
Il ne s'agit pas de combler le fossé technologique, il s'agit de développer
une
informatique
qui soit adaptée aux réelles nécessités de nos
pays
en
développement.
Dans ce domaine comme dans bien d'autres, le cadre régional
est le seul dans lequel le redéploiement des souverainetés nationales
peut

être
effectif grâce
au mécanisme de développement
autocentré
et' auto-
entreteru •
Monsieur le Ministre d'Etat, Excellences, Mesdames et Messieurs, on dit que
c'est
en marchant
qu'on prouve
le
mouvement.
L'intégration régionale
africaine, les liens entre régions, la coopération Sud-Sud, ont des chances
réelles de succés grâce à la chance qu'offre l'informatique.

-'
375
r
Chaque
région de la terre rencontre des opportunités à saisir
selon ses
propres
caractéristiques.
Vous
savez déjà que l'Amérique latine
et
les
Caraïbes
ont
eu
une
réunion semblable à celle
que
nous
tenons
ici
aujourd'hui. Ils ont constitué ce qu'ils ont appelé le Club de Cali qui est
composé de soixante personnalités,
membres fondateurs;
ils ont constitué
dans
chaque pays un chapitre
national
et
ils
sont
maintenant
dans
l'organisation de leur deuxième réunion à Bogota en juillet prochain.
Je
suis: sûr
que
de la même façon qu'aujourd'hui on a le plaisir
d'être
en
compagnie
de deux membres du Club de Cali,
on aura aussi à l'occasion du
Club
de
Cali des membres africains qui seront là pour établir
des
liens
interrégionaux.
Monsieur le Ministre d'Etat, Excellences, Mesdame et Messieurs, je voudrais
terminer
par
vous dire que,
en tant qu'homme qui a dédié
ses
meilleur~
années et tous ses efforts à la cause du Tiers-Monde,
en tant que
latino-
américain qui
sent et partage avec l'Afrique toutes'ses pénuries et
tous
ses
espoirs,
je m'engage personnellement et j'engage dans les limites
de
mes attributions, 1'181 pour appuyer toutes actions que vous déciderez pour
que la paix,
la justice et la prospérité soient au rendez-vous de tous nos
pays. Merci.
T-- --"- -'.
,

376
IN="CRMATI~ ET SllNERAlNETE
par Mahdi
Elmardjra,
Professeur
à l'Université t-tilaned V et
Merrbre
de
l ' Académie dJ Royaune dJ Maroc
Mars 1983
La
plus
grande mutation au niveau de l'évolution de l'humanité
fait
ses
premiers
pas.
Il
s'agit
de
la
transformation
de
la
civilisation
industrielle en une civilisation du savoir et de l'information. Il est vrai
que
les
germes de ce bouleversement se ressentent
actuellement
beaucoup
plus
dans les pays hautement industrialisés qui accordent
une
importance
stratégique
à
la
recherche scientifique et aux
technologies
de
pointe
(informatique,
télématique,
robotique,
biotechnologie,
génie génétique,
chimie moléculaire, •.. ) et y consacrent près de 3 % de leur PNB. Néanmoins
dès
aujourd'hui,
les
pays
du
Tiers-Monde qui ont
encore
un
milliard
d'analphabètes et dépensent moins de 0,3 % de leur faible PNB en
recherche
et·
développement
subissent
les
secousses
de
cette
révolution
- la
révolution de l'information.
On
estime
que
l'écart
entre
les
pays
industrialisés
et
ceux
en
développement est aujourd'hui de l'ordre de 1 à 20. On pense qu'il pourrait
être
de
1 à 50 d'ici l'an 2000 essentiellement~
cause
des
changements
structurels
que
le
système international subira
comme
conséquence des
effets
politiques,
économiques
et
socio-culturels
des
nouvelles
technologies - surtout celles de l'information.
AL

377
Cette
révolution de l'information affecte inévitablement le
contenu
des
deux concepts qui font l'objet de notre débat:
"Potentialités économiques
et
souveraineté".
Le
potentiel économique d'un pays ne pourra plus
être
réduit
aux explications que l'on trouve dans les manuels de géographie
et
d'économie
politique.
Les
ressources naturelles resteront
toujours
une
donnée
importante
mais
ce
qui est déjà bien plus
vital
ce
sont
les
ressources humaines,
l'information et la recherche scientifique.
Sans ces
dernières,
il
est
impossible de valoriser le potentiel
économique
afin
qu'il mène à un véritable développement. On ne développe plus un pays comme
on
laboure
un champ de blé.
Plus que jamais auparavant le
développement
passe
par
le développement de l'homme et par la maîtrise sociale
de
ses
inventions.
Ceci est en parfait accord avec les systèmes de valeurs de
la
société
musulmane
et
des finalités de l'Islam qui
accordent
une
place
prééminente à la personne humaine.
Le
potentiel
économique d'un pays est d'abord dans ceux qui le
peuplent.
Dieu
a distingué l'homme de l'animal et de la plante en
lui
donnant
un
système
interne
d'information fort complexe qui lui permet de
créer,
de
raisonner,
de
se transformer,
de s'épanouir et de porter des
jugements.
Tout
cela
se réduit en fin de compte à un
traitement
d'information qui
requiert deux éléments vitaux
l'information elle-même et des algorithmes
qui
donnent une structure et un sens à cette information.
Les sources
de
l'information sont l'observation, la perception, la recherche et la mémoire
naturelle et artificielle. Les algorithmes sont le produit de la raison, de
l'expérience,
de l'intuition,
de la créativité, de l'imagination et de la
foi.
Pour
ceux
qui
croient,
les
libres
sacrés
sont
des
recueils
d'algorithmes.
-------------------------~-=;;;------~-

378
Le
développement
économique
ne
dépend
plus
aujourd'hui
que
de
l'exploitation des ressources matérielles,
il est de plus en plus lié aux
traitement de l'information et au savoir.
Le potentiel économique du Japon
de 1983 est-il dans ses sous-sols ? Le tiers-monde comprend un grand nombre
de
pays
riches en ressources naturelles mais pauvres en
savoir· et
donc
sous-développés •., _L'Afrique
a un potentiel
économique
(dans
~e
sens
traditionnel
du terme) énorme si l'on juge par la richesse de ses matières
premières
mais elle n'en demeure pas moins le continent le plus pauvre
de
cette
planète.
Si
l'on
pousse
un
peu
plus
loin
les
implications
économiques,
sociales
et culturelles de cette révolution de l'information
on comprend plus facilement pourquoi le contenu du concept de souveraineté
est en train de changer.
Dans les pays industrialisés ce nouveau secteur de l'information, du savoir
et
des
services représente aujourd'hui 56 % des PNB des pays de
l'Europe
des
Dix
et
occupe
54 % de la
population
active
des
Etats-Unis.
Les
statistiques classiques du commerce extérieur qui ne couvrent pas ce
qu'on
appelle
les
exportations
invisibles
faussent
l'analyse
du
commerce
international.
D'après
ces
statistiques les Etats-Unis ont
une
balance
commerciale
déficitaire avec le Japon.
Ceci n'est pas exact car le Japon

l'an
dernier
avait un déficit au niveau des exportations "invisibles"
de
l'ordre
de
18 milliard
de
dollars
sous
forme
de
services
importés
essentiellement des Etats-Unis.
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _1112111,lIII!IÇ;~5··~1.-"'===:::::::::::::::==_"".:""_:-:
__=_=--._.-.......,.....-----.---.---.- ··-·-r----l--

379
La théorie économique est en crise et l'analyse économique est désorientée.
Nos structures mentales ont du mal à appréhender les implications de
cette
révolution
de
l'information.
Sait-on qu'une
seule
technologie
de
l'information comme
celle de l'utilisation des fibres optiques
dans
les
télécommunications réduira de 40 % les exportations du cuivre avant 1990 ?
Que
les
développements
de
la
biogénétique
et
des
biotechnologies
permettront aux pays industrialisés de se passer de toute une catégorie
de
ressources
végétales qu'ils importent actuellement des pays du tiers-monde
? Et que dire de l'exploitation des ressources marines?
Tout cela est le
produit
de
la
révolution de
l'information.
Sans
les
technologies
de
l'information
les autres technologies de pointe n'auraient jamais pu
voir
le jour. Retirez les technologies de l'information et elles s'arrêteront.
Les
pays
industrialisés ne constituent pas un groupe homogène face
à
la
mutation qui
est en cours.
Ricardo PETRELLA,
haut fonctionnaire
de
la
C.E.E. nous dit :
"L'image
du
monde
que nous Européens
pouvons
nous
faire,
en
regardant
uniquement
aux
applications et aux
conséquences
des
nouvelles
technologies
d'information,
est celle
d'une
société
mondiale
où,
au cours des 20 prochaines années,
les pays de
la
Communauté
risquent
de
mettre
en
jeu
leur
survie
en
tant
qu'économies industrielles autonomes" (1)
Si cela est possible au niveau des pays de l'Europe des Dix,
qu'en sera-t-
il
des pays du tiers-monde qui ne sont pas encore véritablement
autonomes
économiquement ou industriellement? Une intensification de la dépendance?
(1) "Europe 85, Nouvelles Images du Monde et Renouveau de l'Europe" -
Page 8, Bruxelles 1983.

380
Vis-à-vis de qui?
Ce ne sont pas des questionthéoriques.
Elles sont au
coeur de notre sujet.
Dans
un
monde où la connaissance scientifique se développe d'une
manière
exponentielle (le volume des publications scientifiques en 1984 sera égal à
tout
ce
qui
a été publié entre la Renaissance et
1976)
peut-on encore
parler
de
potentiel
économique en évaluant
uniquement
le
tonnage
des
réserves
de
son sous-sol,
le volume de ses cours d'eau et
barrages,
la
surface
de ses terres cultivées,
le nombre de têtes de son
cheptel,
les
nuitées des touristes et le taux de croissance de sa population?
Comme nous l'avons déjà dit,
la notion de potentiel économique ne peut pas
se réduire à des données matérielles. C'est avant tout une donnée normative
qui
est intimement liée à la vision que l'on a de la société et du
modèle
de
développement que l'on cherche à mettre en oeuvre.
C'est ici que
l'on
découvre les méfaits du mimétisme des pays du tiers-monde qui ne leur a pas
encore permis de définir d modèles de développement endogène en l'absence
desquels
la discussion de "potentiel économique" demeurera
nécessairement
vague
car sans pertinence sociale et sans référentiel culturel.
Il n'y
a
qu'à
voir comment ils essaient actuellement de valoriser ce potentiel
sur
le plan international.
Le fameux "dialogue" Nord-Sud est un échec flagrant. Il a succoni:lé face aux
inégalités
indécentes
qui
caractérisent
actuellement
le
système
international
où moins du quart de la population mondiale dispose de
plus
des trois-quart des biens matériels de .la planète.
.....
1
~

381
Que l'on parle de "Nouvel Ordre Economique International" de
"Négociations
Globales",
de
"Co-développement" ou de toute autre formule à la mode,
le
problème est le même - il est structurel et conceptuel.
Il est au-delà des
prix des matières premières, des barrières douanières, du système monétaire
international
ou
même de la dette publique.
C'est d'abord
une
question
d'algorithme (2) ou de "suite de raisonnements ou d'opérations qui
fournit

la
solution
de
certains
problèmes"
pour
reprendre
la
définition
du
dictionnaire.
Par
manque de connaissance,
de savoir et donc d'information les
pays
du
tiers-monde
essaient de négocier avec le Nord sur la base des
algorithmes
dudu
Nord et souvent avec l'information du Nord quand elle est disponible.
Le résultat ne peut être que ce qu'il est.
Il est encourageant de voir que
le
sommet
des
Non-Alignés
à la Nouvelle Delhi
(Mars
1983)
s'~st
mis
d'accord
dans
sa
Déclaration
finale
sur
un
chapitre
qui
traite
de
l'information et de l'informatique.
Le
rôle
de l'information en tant que potentiel
économique
ressort
asse
clairement lorsqu'on examine les faits suivants:
- Plus
de 95 % des investissements en informatique se font dans le Nord et
- ,.,
moins de 5 % dans le Sud.
- 98 % des dépenses mondiales en recherche et développement dans le domaine
des
technologies de l'information s'effectuent dans le Nord contre
2 %
dans Sud.
(2) Ce mot vient du nom du médecin arabe Al-Kharezmi.

382
- Le
rapport
de la Commission de l'UNESCO sur l'information que
Sean Mc
Bride
a présidé
donne
des
statistiques
impressionnantes
sur
les
exportations
de biens culturel(3) - textes imprimés,
libres imprimés,
récepteur de télévision,
radios, enregistreurs de son, matériel photo et
films de cinéma.
Ces biens culturels constituent de l'information aussi
bien que son support Les pays développés en exportent près de 93 % du
pourcentage du total mondial et les pays du tiers-monde moins de7 %.
- La
rentabilité
du capital n'atteint pas 5 % aujourd'hui alors
que
les
investissements
dans l'information rapportent entre 12 % et 15 %.
Quant
aux matièr.es premières et produits de base leur rentabilité est
négative
puisque leur prix réel baisse régulièrement et systématiquement.'
- La découverte du bateau à vapeur et du train au X!Xe siècle ont permis de
transporter
des
biens
matériels
et
de
développer
le
commerce et
l'industrie
aujourd'hui grâce à l'informatique et la
télématique
on
transporte
des
services.
Ces
services
s'internationalisent
et
se
transnationalisent très rapidement et représentent déjà des
transactions
commerciales qui se chiffrent en dizaines de milliards de dollars.
Avant
la fin du siècle on les comptera en centaines de milliard de dollars.
- L'augmentation exponentielle du savoir et l'augmentation de la complexité
mènent
à une compression du temps disponible pour la prise de
décision.
D'où l'importance dynamique et économique de l'information.
(3)
Voir
le
tableau à la page 163 dans Voix Multiples,
Un
seul
monde,
UNESCO (1980)
~.iIIIjlllli\\!':'t·----

- L'information
est' devenue
un
facteur
de
production.
Le
Comité
du
Développement Economique du Japon a recommandé que l'on incorpore le coût
de l'information dans le coût de la production industrielle (4).
L'informatique
offre
de
grandes possibilités pour
le
développement
de
l'intelligence
humaine
et
pour
le
perfectionnement
de
l'inelligence
artificielle,
les
énormes implications économiques des progrès
dans
ces
domaines sont de plus en plus perceptibles.
Ces
données sont parmi les meilleurs indicateurs de la dépendance du Sud à
l'égard
du Nord.
On ne peut pas les ignorer lorsqu'on parle de
potentiel
économique et de souveraineté.
L'article
2 de la Charte des Nations Unies stipule que l'Oragnisation est
fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses
membres.
Cette
égalité
constitue
un
principe fondamental du
droit
international. Paul
REUTER estime comme la majorité de juristes que ,
"La souveraineté exprime un caractère et un seul: celui de n'être
pas soumis à un
autre pouvoir de même nature" (5)
(4) Voir le rapport de Keizai Doyukai,
"A Vision of the 21st Century,
the
quest for industrial restructurirg".
(5) Dans Institutions Internationales, Presse Universitaire de France, page
123.
Lors du Sommet des Non-Alignés (New Delhi,
Mars 1983) es Chefs
d'Etat
ou
de Gouvernement ont invité les Membres du Mouvement à "accorder une
attention particulière aux implications pour la Souveraineté
Nationale
et
le
Développement
Economique
des
pays
en
développement
de
l'utilisation
de
l'orbite
géostationnaire
et de
la
régulation du
spectre
électromagnétique qui sont d'une importance critique
pour
la'
diffusion de l'information dans le Commerce Mondial et les Echarges".

384
Les
Etats
sont
parfois
obligés
d'abandonner
volontairement
et
collectivement
certains
des
attributs
de
leur
souveraineté
afin
de
faciliter
une meilleure régulation sur le plan régional
et
international
dans l'intérêt de cette même souveraineté (6).
Les exemples dans ces domaines sont nombreux:
poste,
téléphone, aviation
civile,
santé,
environnement,
monnaie,
etc ••• Les accords d'intégration
économique
tels
que ceux de l'Europe des Dix limitent la souveraineté
de
ses membres dans certains secteurs dans leur intérêt collectif.
Dans
tous
ces
cas
il
y a une action vontaire de la part des Etats
concernés
et
réciprocité ainsi que des avantages mutuels ou des compensations.
Les
problèmes
que
soulève
pour
la
souveraineté
la
révolution
de
l'information
sont aussi des problèmes de régulation internationale.
Mais
dans ce cas les inégalités entre les pays sont telles que les principes
de
réciprocité et de volontariat se trouvent ViDés de tout leur sens. En outre
les
nouvelles technologies de l'information affectent un des fondements de
la souveraineté : la maîtrise du territoire et de son espace.
L'utilisation des
satellites a modifié la ~ortée de la
souveraineté
sur
..
l'espace aérien.
Les satellites recueillent toute une série d'informations
en
plus des cartes météorologiques que l'on veit à la
télévision.
Outre
leur
utilisation
à des
fins
militaires
les
satellites
font
de
la
télédétection,
don la prospection des ressources naturelles à distance,
(6) Voir Mahdi Elmandjra:
The United Nations System :
An Analysis, Faber
and Faber, London (1973)

385
prévoient le niveau des récoltes, permettent l'accès aux banques de données
et
observent
les
mouvements de biens et de personnes
(certains
de
ces
satellites peuvent photographier la plaque d'immatriculation d'une
voiture
la nuit) pour ne citer que quelques applications.
Avec
une
simple
antenne
parabolique au solon pourra
dès
1985 capter
presque toutes les stations de télévision du monde. Le potentiel économique
le plus apprécié et le plus valorisé de nos jours dans les pays développés,
ce
sont
les
réseaux
de
télécommunication car
ils
véhiculent
de
l'information.
Les
nouvelles
technologies
ont
beaucoup
plus
transnationalisé
qu'internationalisé
l'information.
La transnationalisation contourne
et
ignore le droit international d'autant plus qu'il est en retard par rapport
aux
situations de fait.
Ceux qui bénéficient de ces situations font
tout
pour
accentuer
ce
décalage
entre
la
technologie
et
les
normes
internationales
qui devraient la gouverner.
Les flux
transfrontières
de
données
et
la
concentration du pouvoir de l'information
à
travers
les
banques
de données dans un très petit nombre de pays en sont la meilleure
illustration.
Il
y a une donnée que l'on ignore actuellement sur les flux
transfrontières
de
données:
c'est leur densité.
On sait
qu'elle
est
importante .et
qu'elle
croît
à
un rythme
impressionnant
(7)
mais
la
(7) D'après une étude de l'administration française une importante
société
française
est passée entre 1974 et 1980 de 40 heures
d'interrogations
de
banques
de
données à 2 000 heures - 88 % des
recherches
étaient
effectuées auprès de sources américaines.
, -

386
souveraineté
n'a
même
pas
encore
trouvé
les
moyens
juridiques pour
comprendre le phénomène et encore moins le réguler.
On estime que plus du
tiers des expoTtations o'un pays ·comme la France découlent des activités du
secteur
de l'information et du savoir.
Pour l~s Etats-Unis et le Japon la
proportion est aux alentours de 50 %.
D'où l'enjeu politique et économique
du flux transfrontièr~s oe données.
Juridiquement un pays est souverain du
point de vue "informationnel" (8) mais l'application de cette
souveraineté
se heurte
à d'énormes problèmes conceptuels,
juridiques,
politiques
et
économiques.
Il
Y a tout d'abord une confusion entre trois aspects assez différents
de
la question:
(1) la liberté de l'information ~n tant que droit de l'homme
et libertés publiques;
(2) le droit à la vie privée et la protection des
citoyens
contre
toute
constitution ou exploitation abusive
de
fichiers
personnels
informatisés
et
(3)
la
collecte,
le
traitement
et
la
transmission d'informations par ordinateur ou paT support informatique
au-
delà des frontières nationales.
Les
juristes inteTviennent en généTal après Ifévènement pour en tirer
des
leçons et à élaboTer des lois nationales et inteTnationales. L'accélération
du
développement
technologique et ses implications économiques et
socio-
cultures - surtout en matièT~ d'information - T~quiert un droit anticipatif
(8) Sur la "Souveraineté infoTmationnelle" voir l'étude de A.
Gotlieb,
C.
Oolfen et K. Katz deans The American Journal of International Law, Vol.
68
(1974) et Transborder Sata Flows,
Data Protection an International
Law, TDF 102, IBI, Rome (1981).
----

--
................
387
pour
permettre
à
l'ensemble des pays de
se
protéger
contre
certaines
conséquences
de ce développement qui est monopolisé par quelques pays pour
ne pas dire quelques firmes multinationales. Sinon le seul droit sera celui
du fait accorrpli et de la force.
Peut-on prétendre aujourd'hui qu'un grannombre de pays souverains ne sont

pas soumis dans le domaine de l'information à un pouvoir extérieur? Et que
leur contrôle de ce pouvoir est assez rudimentaire et presque formel
?

interviennent les normes juridiques internationales? La réciprocité et les
arrangement mutuels ?
Le
tiers-monde
est
un consommateur passif
des
produits
des
nouvelles
technologies
de l'information.
Cela va au-delà de la souveraineté interne
et externe des pays car cela touche à une bien plus délicate et essentielle
question
- celle
de
l'autonomie personnelle des
individus
et
de
leur
identité culturelle.
Il
ne
s'agit
pas
de freiner le progrès technologique
ni
d'ériger
des
obstacles
à
la libre circulation des idées.
La
notion
de
souveraineté
intervient
au niveau de la maîtrise sociale et de l'intégration culturelle
d'un
progrès qui doit être assumé et entretenu etrnon pas
unilatéralement
subi sous la pression et le martellement d'autres souverainetés.
Il
est facile de voir pourquoi on essaie d'entretenir une confusion
entre
les
trois éléments du probl~me mentionnés plus haut.
La
distinction
est
relativement simple. Les deux premiers aspects (liberté de l'information et

388
vie
privée)
sont d'ordre politique;
l'exploitation abusive de
fichiers
personnels
présente en outre une dimension économique (marketing)
et
des
questions
d'ordre
déontologiques.
Quant
au troisième aspect
(les
flux
transfrontières de données) il est presque totalement de nature
économique
et touche parfois à des questions de sécurité nationale.
Certains
pays
invoquent
le principe de la
souveraineté
nationale
pour
maintenir
leur
contrôle sur la liberté d'information alors
que
d'autres
invoquent
le
droit
international pour combattre l'érection
de
barrages
contre
un
flot d'informations de presse et de programmes de radio
et
de
télévision
que
les premiers considèrent comme une
agression
culturelle.
D'ooù tout le débat sur le Nouvel Ordre International de la
Communication.
C'est
un
double
débat
- celui
de
la
souveraineté
et
des
rèlations
économiques internationales où l'évolution juridique est très lente pour ne
pas dire dépassée.
Pour
ce
qui
est
des flux transfrontières de données
les
pays
avancés
développent graduellement des législations nationale (9) pour défendre leur
propre
souveraineté économique mais résistent à toute tentative
visant
à
règlementer sur le plan international ce flux (10) par crainte de léser les
(9) Le
Danemark
contrôle
la
collecte de
données
primaires
de
nature
personnelle destinées à un traitement automatisé à l'extérieur du pays.
La
Norvège
règlemente la transmission en dehors du pays
de
fichiers
contenant
des informations personnelles.
L'Autriche et le
Luxembourg
ont
également
adopté
des
législations
concernant
la
transmission
informatisée de données.
(10)Voir les Directives adoptées par le Conseil de l'OCDE,
le 23 septembre
1980 sur cette question et qui mettent en avant le principe de la libre
circulation de l'information.

389
intérêts
des
sociétés
transnationales dont les
activités
échappent
en
général au contrôle de toutes les souverainetés.
Dans
le tiers-monde ce sont les Pays d'Amérique Latine qui ont fait preuve
du plus gra~ dynamisme à l'égard de ce problème. Au Brésil, l'entrée et la
sortie
de
données
du
pays
par
voie
télématique
(ordinateur
et
télécommunications)
requiert une autorisation officielle.
Au cours
d'une
réunion
tenue
à Buenos Aires en octobre 1979 la Conférence des
Autorités
d'Informatique
en Amérique
Latine
(CALAI III) a
précisé
qu "vu
les
déséquilibres
dans les flux internationaux des données et le fait que
les
frontières
nationales et les limites géographiques ont perdu leur
qualité
de
barrières
protectives,
plusieurs pays envisagent
de
restaurer
leur
sécurité
en décrétant des législations nationales pour la protection des
données".
Les
pays
en
voie
de
développement
ont
compris
l'importance
de
la
"souveraineté
pe1'fnânente" sur les ressources naturelles il y a plus de
25
ans
(11).
Il
est à espérer qu'ils comprendront
l'enjeu
que
représente
l'information
non
seulement du point de vue de la souveraineté
nationale
mais surtout sous l'angle du développement économique et social.
Il
Y a toute raison de croire que l'information,
bien avant la fin de
ce
siècle,
relèguera
au
second plan les sources
des
conflits
économiques
actuels entre le Nord et Le Sud.
Le Sud paie et paiera encore plus dans un
proche
avenir pour sa passivité à l'égard de l'information comme moyen de
développement
économique.
Le
Nord finira par faire les frais à moyen et

390
"long
terme par son absence d'anticipation des transformations
inévitables
qu'amènera
cette
révolution du savoir et surtout des
inégalités
qu'elle
engendrera
de
part
l'effet
combiné
de
l'insoucience
du
Sud
et
de
l'hégémonisme économique et culturel du Nord.
La
chose
la
plus
difficile
que le Sud n'arrive
pas
encore
à
saisir
.- .
concrètement
c'est
que la souveraineté nationale de ses membres
dans
ce
domaine
passe
par un minimum d'intégration
économique.
Sans
une
masse
critique
minimale
que
la
grande
majorité
des
pays
du
tiers-monde
n'atteignent
pas
actuellement,
il n'est pas possible d'accéder
à cette
révolution
de
l'information.
Des
ensembles
d'au
moins
100
millions
d'habitants
constitueraient
un
minimum.
Et
encore
faudrait-il
qu'ils
entament une véritable coopération Sud-Sud sans laquelle aucune coopération
Nord-Sud dans la dignité ne saurait être envisagée.
Il
est encourageant de lire dans la Déclaration Economique de la Septième
Conférence des Chefs d'Etat ou de Gouvernement des pays non-alignés adoptée
le 13 mars 1983 à New Delhi, la conviction de ses auteurs quant à la
"futilité
pour
un
seul pays ou un groupe de pays de
tenter
de
.
trouver isolément des solutions aux problèmes économiques
globaux
,
du moment entre pays en développement et pays développés".
L'autodépendance
collective sur le plan économique est maintenant le
seul
garant de la souveraineté nationale des pays du tiers-monde.

391
Economie
et Souveraineté - il ne s'agit en fin de compte que de l'équation
éternelle
du maintien de la paix.
Une paix où l'information
est
devenue
toute
à la fois un élément de compréhension internationale,
un facteur de
développement,
un risque d'oppression,
une arme économique, une source de
libération
sociale,
un amplificateur de l'intelligence
humaine,
et
une
source d'espoir pour l'épanouissement du génie humain. La souveraineté aura
à
s'accomoder
de ces transformations qui découlent de la
compression
du
temps
et
de
l'espace.
Il
fut
un temps où
les
hommes
et
les
idées
circulaient à la même vitesse. Ceci n'est plus le cas depuis l'invention du
télégraphe,
du télex et l'avènement de l'ordinateur et des satellites. Les
frontières n'ont plus le même sens pour l'homme et pour l'information - les
lois non plus.
La souveraineté aura à trouver ses nouveaux droits face à une situatn que
les
juristes
des
trois
derniers
siècles
ne
pouvaient
pas
prévoir.
L'adaptation
a posteriori ne suffira pas
elle ne fera
qu'augmenter
le
fossé
entre
le
droit et les faits.
Il faudra
une
vision
prospective,
reposant
sur l'anticipation et l'innovation,
pour concevoir de
nouvelles
normes
juridiques
qui puissent optimiser les percées technologiques
dans
l'intérêt
socio-culturel des populations tout en préservant
un
équilibre
politique
et
économique
entre
les
différents
pays
de
la
communauté
internationqle.
(11)C'est
en
1958 que l'Assemblée Générale des Nations Unies a décidé
de
confier
à une Commission l'étude de cette question qui a
depuis
fait
l'objet de plusieurs recommandations internationales.

392
Tel
est
le
défi
que
pose
la
problématique
du
binôme
Information-
Souveraineté.
L'information est
souveraine
par
définition,
mais
la
souveraineté
a le droit et le devoir de l'informer afin d'évoluer
et
de
survivre.
t -
- t - = : : : , . . c..

393
INFORMATIQUE ET SOUVERAINETE
IHFORMATICS AND SOVEREICNTY
UNE CONTRIBUTION
A CONTRIBUTION
AU PLAN D'ACTION DE LAGOS ~ill----!. TO THE LAGOS PLAN OF ACTION
Yamoussoukro. COle d'Ivoire
27-28-29/3/1985
DECLARATION DE YAMOUSSOUKRO

Dans le préambule du Plan d'Action de Lagos, les Chefs d'Etat et de Gouvernement
des pays africains ont mentionné que les effets des promesses non tenues de
stratégies globales de développement ont été plus profondément ressentis en Afriqu,
que dans les autres continents du monde. Loin de s'améliorer depuis l'adoption du
Plan d'Action de Lagos en Avril 1980, la situation économique dans les pays
africains a été prise dans un tourbillon de déclin de la production, de l'emploi
et des échanges. Son Excellence Monsieur Félix HOUPHOUET-BOIGNY, Président de la
République de Côte d'Ivoire dans son message lu à la séance inaugurale de cette
Conférence a analysé avec lucidité et éloquence cette situation :
"Les problèmes de développement qu'elles (nations) s'efforcent de
résoudre depuis leurs indépendances en vue de se doter d'une base
économique indispensable à la réalisation de leurs légitimes ambi-
tions nationales de liberté, de dignité et de bonheur pour leur
peuple, se posent maintenant de plus en plus en termes d'acuité et
d'urgence, ce qui dramatise des situations déjà précaires. Il appa-
raît aujourd'hui que si beaucoup de solutions ont été proposées de
l'extérieur et appliquées par chacun pour sa part avec bonne volonté,
les résultats de deux décennies et demie d'essais de développement
sont bien maigres sur l'ensemble du continent. Bien plus, la
persistance de la crise économique qui se'coue le monde entier et 'à
laquelle s'ajoute, pour l'Afrique, la terrible calamité naturèIle
de la sécheresse, assombrit encore l'horizQn pour tous nos pas".
Ces problèmes de développement qui se posent avec le plus d'unité à l'Afrique se
rangent principalement en quatre grandes familles, à savoir :
- la gestion fine de la monnaie ;
- l'augmentation de la productivité agricole, industrielle, commerciale
et administrative face au fort taux de ~roissance démographique ;
- la valorisation des ressources humaines par l'acquisition du savoir, et
du savoir-faire ainsi que par l'alphabétisation;
... 1

/
394
INFORMATIQUE ET SOUVERAINETE
INFORMATICS AND SOVEREIGNTY
UNE CONTRIBUTION
fit CONTRIBUTION
AU PLAN D'ACTION DE LAGOS !-II----! TO THE LAGOS PLAN OF AcnON
Yamoussoukro. Côte d'Ivoire
27-28·29/3/1985
l'assainissement du cadre de vie et la protection des personnes et des
biens.
Il est ainsi apparu que l'une des principales clefs de la solution à apporter
au problème du développement de l'Afrique consiste en la maîtrise de la gestion
rationnelle de l'information sous toutes ses formes. Celle-ci est une ressource
économique. Elle est une matière première de base dont l'Afrique est le parent
pauvre. De son importance résulte l'importance de l'informatique sous toutes ses
formes: traitement de données, de textes, d'images, de sons et de connaissances
ainsi que la reconnaissance de formes.
L'apport de l'informati~eau développement économique et social constitue une
problématique nouvelle qui requiert des élucidations, des options politiques et
culturelles, une stratégie continentale et des plans nationaux. L'urgence en est
d'autant plus grande que le retard informatique de l'Afrique freine son
développement et que lui est également préjudiciable l'avance informatique de
ses partenaires commerciaux et culturels. L'enjeu est un choix de société et une
décolonisation du fueur.
En effet, l'industrie.de l'information dont le chiffre d'affaires annuel, sur le
marché mondial, est de l'ordre de 200 milliards de dollars et qui, vers l'an 2000,
atteindra la côte de 40 % du total. de la valeur ajoutée industrielle, est l'une
des causes principales de l'accroissement du fossé entre le Nord et le Sud.
L'Afrique en prend actuellement l'une des parts les plus négligeables dans
l'utilisation et la portion congrue en recherche et développement (inférieure à
0,1 % du total mondial).
Les Etats africains consacrent actuellement, en moyenne, moins de 0,5 % de leur
PNB à l'informatisation alors que les pays industrialisés y affectent près de
5 % en moyenne.
... / ...
- 2 -

395
"
INFORMATIQUE ET SOUVERAINETE
INFORMATICS AND SOVEREICNTY
UNE CONTRIBUTION
A CONTRIBUTION
AU PlAN C'ACTlON CE LAGOS !...-i i - ! TO THE LAGOS PLAN OF ACTION
Yamoussoukro, Côte d'Ivoire
27-28-29/3/1985
Il serait hautement souhaitable que nos pays révisent leurs priorités à cet
égard et se fixent un objectif significatif (plus de 1 % de leur PNB) pour une
informatisation efficace devenue indispensable au développement économique et
social du continent.
La contribution primordiale de l'informatique se situe au ni~au de la trans-
formation des structures mentales qu'elle déclenche et alimente en favorisant
l'innovation, la créativité et donc la remise en cause de schèmes établis.
Une telle dynamique implique non seulement une maîtrise scientifique et techno-
logique des techniques mais aussi et surtout une maîtrise sociale c~rrespondant
aux besoins réels des populations et une intégration culturelle de cette
technologie.
A un moment où le monde passe d'une société de production à une société du savoir
et du savoir-faire, la valorisation d'une manière non élitiste des ressources
humaines qui constituent son capital le plus précieux s'impose. Pour cela
l'élimination de l'analphabétisme dans le plus bref délai devrait être une
composante essentielle de toute polit~que informatique.
Comme toutes les autres technologies de pointe, l'informatique ne saurait se
développer de manière endogène et viable sans une économie d'échelle et une
masse critique. Elle est de ce fait non seulement un facteur positif d'inté-
gration régionale et continentale mais également.une condition essentielle
pour la survie de l'AFrique dans le concert des peuples du XXIème siècle.
Les développements des techniques de l'information et de la communications nous
imposent une nouvelle lecture du concept de "souveraineté" et une autre approche
juridique des rapports entre Etats.
Il faut cependant souligner qu'une informatique sans participation et sans
anticipation des changements à venir ne serait qu'un exercice technocratique
.
.
et bureaucratique stérile qui accentuerait la dépendance de l'Afrique et la
maintiendrait à l'état de simple marché.
... / ...
- , -

-):7b
1
INFORMATIQUE ET SOUVERAINETE
INFORMATICS AND SOVEREIGNTY
UNE CONTRIBUTION
A CONTRIBUTION
AU PLAN O'ACTlON OE LAGOS !...-i i----!. TO THE LAGOS PLAN OF ACTlON
Yamoussoukro, Côte d'Ivoire 27-28-29/311985
L'informatisation de l'Afrique passe par une africanisation de l'informatique.
Elle implique :
la maîtrise des instruments d'information pour la connaissance des
problèmes, des ressources et des obstacles ;
" ..
- l'appréhension de solutions existantes ou à.inventer ;
- et un soutien actif à la formation des hommes et à la recherche par
les intéressés eux-mêmes.
Ces implications s'envisagent également sur le plan d'une coopération régionale
renforcée au niveau des moyens de production, distribution et consommation
rationalisées ouyrant la voie à un marché africain qui autorise un rôle accru
des opérateurs économiques nationaux.
Elles appellent en outre une coopération scientifique et l'animation de réseaux
de coopération technologique en vue d'une ouverture internationale aux niveaux
politique, économique et culturel qui ne saurait négliger la résistance à toute
"prise en charge" dans des zones d'action qui échappent au contrôle des
peuples concernés.
D'où la nécessité de la coopération Sud-Sud et la création de nouveaux espaces
d'apprentissaie au service d'un développement régional équilibré. Ce qui suppose
une structure permanente de hautes études du développement dont l'une des missio:5
serait de favoriser une maîtrise plus cohérente des ins~ruments et des technique!

répondant efficacement aux besoins de nos peuples.
L'informatisation présuppose des politiques et des programmes et notamment:
L'élaboration d'un code et programme à l'échelle continental destinés à combattre
le monopole extérieur de la technologie d'information et de son application;
La formulation de politiques nationales et régionales assurant la définition et
la programmation des domaines de priorités pour l'application de la technologie
(ex: informatique et agriculture, etc ••• )
... / ...
- 4 -

INFORMATIQUE ET SOUVERAINETE
INFORMATlCS AND SOVEREIGNTY
UNE CONTRIBUTION
A CONTRIBUTION
.
AU PLAN D'ACTION DE LAGOS ~a I---! TO THE LAGOS PLAN OF ACTION
Yamoussoukro, Côte d'lIIoire
27-28-29/311985
L'identification des domaines communs et prioritaires dans un cadre régional
et leur mise en relation avec les infrastructures informatiques existantes et
à venir;
La constitution par les organismes régionaux, sous-régionaux de coopération ou
de financement de banques de données dans le cadre des missions qui leur sont
assignées ;
La mise en place d'un système d'évaluation permanente des résultats accompagnée
par une recherche qui permette le développement de technologies autonomes
(matériel et logiciel) ;
Une stratégie de formation des ressources humaines à même de répondre aux besoins
identifiés, et utilisant en priorité les possibilités des Universités et des
Instituts de formation et de recherches du Continent.
Les banques de données régionales et les réseaux de télé-informatique correspon-
dants constituent un moyen de concrétiser la coopération régionale africaine et,
d'une façon générale, le dialogue Sud-Sud par une systématisation de l'échange
des informations.
L'analyse et la·prise en compte des besoins des utilisateurs et l'éducation des
masses devront être considérés comme des priorités afin de parvenir à la
démocratisation de l'information et à la démystification de l'informatique.
L'Afrique doit se donner les moyens de maîtriser cette technologie inéluctable
afin de l'utiliser pour ses besoins de développement. C'est la priorité des
priorités ; cela nécessite une sensibilisation conséquente à tous les niveaux,
notamment au niveau de ceux qui ont la lourde responsabilité de décider de
l'avenir de nos peuples.
... / ...
- 5 -

398
INFORMATIQUE ET SOUVERAINETE
INFORMATICS AND SOVEREIGNTY
UNE CONTRIBUTION ~=!. .!=~ A CONTRIBUTION
AU PlAN O'ACTION OE LAGOS L....i i;
TO THE LAGOS PLAN OF ACTION
Yamoussoukro, C6te d'Ivoire 27·28-29/31198.5
..
..
*
Les participants à la réunion de Yamous~oulc.ro sur "Informatique et Souveraineté"
considèrent qu'un développement informatique authentique en Afrique requiert en
tout premier lieu une volonté politique agissante et une mobilisation des
compétences.
Ils s'engagent à tout mettre en oeuvre pour assurer la diffusion de ltesprit
de leur rencontre, par la création du "Groupe de Yamoussoukro". Celui-ci est
a~pelé à servir de cadre où stexpriment les préoccupations et les aspirations
régionales en vue de rechercher, par des débats libres et approfondie, l'accord
le plus large autour des stratégies relatives à la maîtrise africaine des
technologie compétitives.
Fait et approuvé à Yamoussoukro, le 29 Mars 1985
- 6 -

.._a
---.
399

CHARTE
DU
GROUPE DE YAMOUSSOUKRO

400
PREAMBULE
Les
participants
à
la
Conférence
de
Yamoussoukro
sur
l'''Informatique et
la
Sou-
veraineté".
contributive au Plan d'Action de
Lagos.
tenue
du
2 7
au 29
mars
1985
par
le
Bureau
Inter~ouvernemental pour
l'Informa-
tique
(IB!).
sous
le haut
patronage ·de
Son
Excellence
Mons ieur
Félix
Houphouët-Boigny,
Président de la République de Côte d'Ivoire,
et
de
Son
Excel1 ence
Mons ieur Abdou
Diouf,
Président de la République du Sénégal.
se
sont
engagés
à
assurer
la
diffusion
de
l'esprit
de
leur
rencontre
tel
que
reflété
dans
la
Déclara tion de
Yamoussoukro,
par
la
création du Groupe de Yamoussoukro.
-
1 -

401
DEFINITION
ARTICLE 1
Le
Groupe
de
Yamoussoukro
es tune àssociation internationale, sans but lucratif
de réflexion sur les technologies
nouvelles.
Elle jouit de la personnalité
civile.
SIEGE
ARTICLE 2
Le Groupe de Yamoussoukro a son Sl.ege à Yamoussoukro.
Celui-ci peut· être
déplacé par décision de l'Assemblée Générale du Groupe.
Le
Groupe
peut
disposer
de
bureaux dans
tout
pays
et
tout
lieu de
son
choix.
VOCATION
ARTICLE 3
La
vocation
du Groupe
de
Yamoussoukro est
celle
de
servir
de
cadre

s'expriment
les
préoccupations
et
les
aspirations
africaines
en vue
de
rechercher,
par des débats libres
et approfondis,
l'accord le plus
large
autour des
straté~ies relatives à la maîtrise africaine des technologies
compéti tives •
ACTIVITES
ARTICLE 4
Le Groupe peut développer des activités telles que;
a)
mener des
études
systématiques
relatives
au
développement
technolo-
gique et à
leurs impacts socio-économiques et culturels;
b)
organiser des conférences et des débats;
c)
assurer la veille
technologique à l'effet d'identifier des
opportuni-
tés
technologiques que peuvent saisir les pays d'Afrique et d'alerter
ceux-ci sur les obsolescences prévisibles;
d)
soutenir et
encourager
la recherche
de solutions originales aux
pro-
blèmes spécifiques du développement des pays d'Afrique;
-
2 -
- , . j

402
e)
développer des activités de conseil sur demande;
f)
éditer et publier documents et périodiques dans le but de diffuser
son esprit dans le public africain;
g)
assurer jes échanges avec d'autres groupes de réflexion existant de
par le monde.
ORGANES
ARTICLE 5
Les organes du Groupe sont
- L'Assemblée Générale,
- Le Comité Directeur,
- Le Président du Comité Directeur,
- Le Secr~tariat Exécutif,
- Les Chapitres nationaux.
FONCTIONNEMENT
ARTICLE 6
a)
l'Assemblée Générale
Elle réunit, sur convocation du Président du Comité Directeur les
membres signataires de la Déclaration de Yamoussoukro et les délégués
des chapitres nationaux.
Elle est l'instance décisionnaire suprême du Groupe. Elle élit en son
sein les membres du Comité Directeur et en fixe le nombre en tenant
compte de divers critères dont la nécessité de relations suivies avec les
gouvernements de la Région.
b)
Le Comité Directeur
Il contrôle les ressources et l'activité du Groupe. Il élabore et adopte
les règlements. Il adopte le programme d'activité. Il établit l'ordre
du jour de l'Assemblée Générale. Le Comité Directeur fixe le nombre des
membre du Secrétariat Exécutif.
Le Comité Directeur peut créer des commissions ou des groupes de travail
et associer à ceux-ci, des membres du Groupe et des non-membres.
Tout membre élu au Comité Directeur désigne son suppléant et en porte
l'identité à la connaissance du Président et du Secrétariat Exécutif.
Le suppléant siège au Comité Directeur, en lieu et place du titulaire,
en cas d'empêchement de ce dernier.
- 3 -

403
Les membres élus au Comit~ Directeur du fait de leur responsabilit~
gouvernementale en matière d'informatique sont, en cas de cessation
des dites fonctions, r2mplac6s par leur successeur sans toutefois
perdre leur qualit~ de membre du Groupe de Yamoussoukro.
c)
Le Président du Comité Directeur
Il est élu par les membres du Comité Directeur au sein de celui-ci
Il préside le Comité Directeur et l'Assemblée Générale. Il convoque
les sessions de l'Assemblée Générale. Il soumet à l'approbation du
Comité Directeur la liste des membres du Secrétariat Exécutif.
Le Président peut, par voies expresses, consulter les membres du Comité
Directeur sur toute question qu'il juge urgente. Il peut inviter des
personnalités non membres du Groupe, à participer aux sessions àu
Comité Directeur ou de l'Assemblée Générale, en qualité d'observateur.
d)
Le Secrétariat Exécutif
Il est chargé de la préparation du Programme d'activité du Groupe, de
la mise en oeuvre des décisions prises, de la présentation du rapport
d'activité, de la gestion courante et de la représentation extérieure
du Groupe. Le Secrétariat Exécutif prend toutes les dispositions utiles
pour le bon fonctionnement du Groupe.
e)
Chapitres nationaux
Ils regroupent dans chaque pays les membres locaux du Groupe de Yamous-
soukro. Ils élisent en leur sein les délégués de l'Assemblée Générale. Ils
entretiennent des contacts suivis avec le Secrétariat Exécutif.
RESSOURCES
ARTICLE 7
La trésorerie du Groupe peut recevoir subventions, dons et libéralités
diverses ainsi que droits d'auteur et droits de participation aux manifestations
organisées par le Groupe.
QUALITE DE MEMBRE
ARTICLE 8
Sont membres fondateurs du Groupe les signataires de la Déclaration de Yamous-
soukro. Deviennent également membres à part entière, les africains qui font acte
de candidature et reçoivent l'acte de reconnaissance du Secrétariat Exécutif.
Peuvent être membres associés des personnes physiques ou morales qui en font la
demande et qui reçoivent l'agrément.
Un membre peut se mettre en congé du Groupe par une simple lettre adressée,
par voie recommandée, au Secrétariat Exécutif.
- 4 -

·,
404
AMENDEHENTS
ARTICLE 9
Tout projet d'amendement à la charte du
Groupe doit être introduit auprès
du Secrétariat Exécutif. L'amendement devient effect if
a p rè s
son
adoption par l'Assemblée Générale.
DISSOLUTION
ARTICLE 10
En cas de dissolution du Groupe, ses biens seront distribués à des insti-
tutions engagées dans la poursuite des objectifs de développement socio-
économique et culturel ainsi qu'à des institutions de recherches scientifique
et technologique.
ACTE JUDICIAIRE
ARTICLE 11
La représentation du Groupe devant des instances judiciaires est du
ressort du Comité Directeur.
- 5 -

~5
DIAKITE Sidiki
B. P. V 34
A 8 l D JAN
Abidjan, le 12 janvier 1987
à

Monsieur le Secrétaire Général
à l'Informatique
A 8 l D JAN
Monsieur,
J'ai
l'honneur de vous remettre les résultats des travaux de
la
première
mission
d'étude sur les réflexions du Groupe de Yamoussokro que vous
avez
bien voulu me confier en Juin dernier.
Deux
raisons expliquent le caractère volumineux de ce rapport.
D'une part
la
nécessité de présenter le système technicien dans sa globalité et
dans
sa cohérence afin de rendre intelligible ses relations avec les technologies de
l'information.
D'autre part la nécessité d'une contribution applicable
au
schéma directeur proposé pour cerner les contours des problèmes posés.
Ce
rapport
intitulé SYSTEME
TECHNICIEN,
TECHNOLOGIES
COMPETITIVES
ET
DEVELOPPEMENT est aussi composé de 2 volumes
- Le
premier
volume
est
un canevas à
titre
d'orientation
de
recherche
et
d'indication
bibliographique
pour
d'éventuelles
contributions aux réflexions du Groupe de Yamoussokro.

406
- Le
deuxième
est un exemple de contribution aux
réflexions
du
Groupe
de Yamoussokro dont il serait impossible d'exiger
qu'elle
"t'\\
soit exhaustive sur tel sujet mené dans le cadre de contraintes de
temps
coïncidant
avec les difficultés auxquelles nous avons
été
confrontés pour accéder à certaines études.
Nous espérons que les résultats de nos futures approches seront à la mesure
de nos espérances.
Au terme de cette première mission deux convictions nous animent :
- Encourager les analyses,
les recherches et les expérimentations
dans
un cadre
régional susceptible
de
situer
les
politiques
industrielles
et
technologiques à l'intérieur des
grands
défis
sociaux et culturels.
- Valoriser
et développer l'ensemble des sources de créativité et
d'innovation individuelles et collectives pour gagn~r la
bataille
du développement par la maîtrise des technologies compétitives.
Je vous en souhaite bonne réception et,
Vous prie d'agréer,
Monsieur, l'expression de ma haute considération et de
mes sentiments les plus fraternels.
S. DIAKITE

407
CONTRIBUTION AUX REFLEXIONS DU GROUPE
DE YAMOUSSOKRO :
Canevas d'orientation de recherche pour les thèmes proposés:
- Pact.
- L'informatique comme nouvelle langue d'enseignement
- Informatique / management et culture africaine
DIAKITE Sidiki
1

408
1 - LE GRClPE DE YAKlJSSCJ<RD (lJ L' EXPRESSICll D' ~ PROJET DE DEVacppEtoENT
A CARACTERE REGICllAL ET INTER-AFRICAIN
QUESTION FONDAMENTALE
Quels
sont les voies et les moyens à
mettre
en
oeuvre
afin
que
les
sciences
et
les
nouvelles
technologies
<......: ..• - 1.\\"
',.,
'.
, concourent
au
"co-développement"
harmonieux
des
Etats Africains ?
A - Définitions
1) La notion de co-développement
2) Définition de PACT comme :
- instrument
d'identification des orientations pour la recherche-
développement commune ;
- contribution
à
la
compréhension
et
à
la
maîtrise
des
technologies nouvelles et compétitives.
B - Quelles sont les technologies ! cibles ?
1) Recenser les domaines d'intérêt majeur en matière de développement
la santé
- l'alimentation
- l'éducation
- la communication
- l'exploitation des ressources

409
- l'administration cohérente de l~Etat
- la maîtrise de son propre développement
N.S.:
Faire
découler ces domaines d'intérêt majeur de la
nécessité
de
l'expansion
technicienne
et
des notions
de
responsabilité
et
d'autonomie.
C - Définition des objectifs sociaux
D - Choix
et
conception des technologies appropriées à la réalisation de
ces objectifs
E - Déterminer des moyens économiques,
politiques et institutionnels
pour
admettre
ces
technologies
à la fois par les firmes qui
doivent
les
produire et par les usagers ; ces deux problèmes étant dans la pratique
liés.
Ici
se
trouve posé le problème d'un vaste marché
commun
pour
écouler les produits réalisés dans le cadre de PACT.
F - Comment aCquérir ces technologies compétitives?
1) Technologies compétitives, éducation et formation

- intégration régionale
- qualification de la main-d'oeuvre
- formation
- éducation

410
- maîtrise du processus d'apprentissage sociétal
changement
technologique,
mutation sociale et
activités
nouvelles,
industrie de la réparation et de la maintenance,
création
de nouveaux emplois, etc ..•
- transfert des technologies : revu et corrigé
. la technologie comme contrainte et comme possibilité.
2) Fonctions de PACT entre autres •••
- Information/vulgarisation
- Favoriser le flux transfrontière des données
- Formation des ressources humaines
- Définition des besoins
besoin
de
soutenir
les
efforts
industriels
de
R-D
communautaire,
besoin
de
relations
meilleures
entre
l'université,
l'industrie et l'Etat;
besoin de stimuler la
mobilité
du personnel informatique par
l'harmonisation
des
programmes
d'enseignement
et standardisation des outils
et
programmes informatique s; besoin de stimulation de transfert
de technologies en vue de maîtrise, innovation et création de
nouvelles
filières
technologiques,
besoin
d'encourager
à
l'innovation par la distribution de prix.~.).

411
G - Propositions pour l'action de R-O.
- Chercher à cerner la demande
- Créer des nouvelles capacités techniques (recherche technol:~~ique)
Recherche
science-technique et société (enquêtes pour
recenser
Les
valeurs utiles au fonctionnement des sociétés modernes, et détecter l ~r
éléments
de résistance aux mutations technologiques et
sociales,
les
combattre,
prévoir
les
distorsions
sociales
pouvant
naître
d'une
mutation
technologique
brusque...
"prévoir
les
conflits
et
les
conduire" etc ...
- Action d'accompagnement.
H - Projet de recherches précises à déterminer dans
- les technologies de l'information
- les biotechnologies
- les énergies diverses.

412
II - L' UFœMATlQUE CCJ+E NtlNaLE LAtGJE D'ENSEI~Et-ENT
La
formation est l'élément le plus important de la lutte contre
le
sous-
développement, la clé de voût~ sans laquelle il n'y a pas de modernisation.
L'informatique
en devenant une langue d'enseignement,
apparaît comme
une
opportunité
en
tant
qu'elle
ouvre
non
seulement
des
perspectives
pédagogiques mais aussi en tant qu'elle se révèle comme moyen efficace pour
la cohérence du système éducatif des pays intéressés.
L'enseignement
assisté par ordinateur (l'EAO) tient une place
privilégiée
dans cette application de l'informatique à l'enseignement. Plusieurs formes
sont proposées :
- enseignement tutoriel
- enseignement par similation
- l'approche logo
Il Y a d'autres formes porteuses d'avenir
--
-
- le recours aux réseaux
-, le traitement de texte
- les banques de données
- la synthèse et la reconnaissance de la parole.

413
Quels
sont les voies et les moyens pour que ces formes puissent
s'adapter
au
contexte
africain
en
matière
d'enseignement
d'éducation
et
d'information?
l
- Etude
historique
et sociologique de l'utilisation
de
l'ordinateur
dans l'enseignement.
Avec l'évolution technologique, l'étude doit être
sur l'axe chronologique.
Prendre des exemples dans deux pays développés.
II
- Déterminer les objectifs
· techniques
• économiques
· politiques
• pédagogiques
III - Insister
sur la notion de révolution pédagogique et de cohérence
de
l'enseignement avec l'avènement de l'ordinateur dans l'enseignement.
IV
- Les
perspectives pédagogiques et les opportunités pour les
systèmes
d'enseignement africains
• l'EAO sous différentes formes
• l'utilisation de l'ordinateur comme outil de traitement de données
• les activités de programmation
• la synthèse et la reconnaissance de la parole

414
v
- Propositions pour R-D
- cultures africaines et didacticiels à l'usage des écoles africqjnes
- projet d'une industrie de didacticiels adaptés au contexte africain
- plan pour formation rapide des formateurs
Dans
le domaine ~l'informatique d'enseignement,
plus que dans
d'autres
peut-être,
les problématiques pédagogiques sont très imbriquées intimement
dans des préoccupations culturelles, économiques, techniques et politiques.
Il
ne
sert
à
rien de s'en offusquer.
Les
choix
à faire
en matière
d'éducation
sont peut-être tout aussi dépendants d'impératifs
économiques
et
techniques que d'une conception du développement de l'humain.
Dans
un
contexte d'interdépendance et de compétition croissante des Etats au niveau
mondial,
il
est
inévitable
que les responsables
politiques
d'un pays
fassent l'analyse des choix éducatifs,
en termes d'enjeux de développement
et d'investissement économiques à orienter.
De
plus,
un système relativement unifié,
sous l'égide de PACT,
présente
incontestablement un atout pour la démocratisation des sociétés
africaines
il
est non moins incontestablement le lieu d'enjeux économiques tout
à
fait massifs.
Il est inévitable, lorsque des dirigeants politiques croient
discerner
telle
tendance
dans l'évolution économique
et
technique,
et
éprouvent
en conséquence
le besoin de
planifier,
qu'ils
utilisent
ce
système éducatif comme levier,
et ceci d'autant plus qu'il est plus massif
et qu'ils le contrôlent mieux.

415
III - I~CRMATIQUE - MANAGEt-ENT ET cu..TURES AFRICAINES
QUESTIONS FONDAMENTALES
1 - Avec
l'avènement
de
l'informatique
quel
comportement
l'entreprise
moderne doit-elle adopter pour être plus efficace et plus compétitive?
2 - Quelles
sont
les
conditions
de
possibilité
de
conciliation
des
nouvelles
exisgences du management moderne et de certains aspects
des
cultures
africaines
et
quelles
sont celles qui
sont
de
nature
à
constituer
un
obstacle
au bon fonctionnement de
la
production,
de
l'organisation et de la gestion de l'entreprise?
N.B.:
Il ne s'agit pas de parler d'un "management africain".
Mais plutôt
de chercher dans les cultures africaines des éléments positifs susceptibles
de
galvaniser et de mobiliser les travailleurs (toutes séries
confondues)
de
telle
sorte
qu'ils puissent être associés
aux
prises
de
décisions
relatives
à·
l'unité
de
production
qui
les
emploie
en
toute
responsabilité ...
Bref comment par la revalorisation du concept de participation à partir des
cultures
locales
corresponsabiliser les différents acteurs sociaux
d'une
unité de production.
Pour
arriver
à une conclusion çonvenable il serait indiqué de
suivre
la
démarche suivante :

-
416
l -
Définition de l'entreprise,
complexité sémantique et évolution de la
notion de gestion.
II -
De
la
notion
de gestion centralisée au
management
moderne
comme
stratégie, décentralisation, communication et participation:
AI Eléments des théories classiques de gestion
81 Les idées que l'on se fait du travailleur dans ces théories
CI Evaluation des théories classiques de gestion
DI Informatique, Société de la Communication et Management
El Révolution de l'intelligence et les nouveaux principes de gestion
FI La participation comme "exigence managériale" fondamentale.
III -Valeurs
africaines
et
"exigences managériales"
Tentative
d'ùne
conciliation.
AI Définition de type idéal des cultures africaines
81
Recensement
de aspects positifs des
cultures
africaines
comme
source
de motivation et de "co-responsabilisation"
(enquête
sur
les processus initiatiques dans différentes sociétés concernées).
CI Les
conditions
de
leur
"consonnance" avec
les
impératifs
d'un
management digne d'une société de la communication, compétitive et
mondiale.

417
DI Perspectives
de recherches:
les cultures africaines et l'idée
de
Bio-Management
les
éléments de résonnance et
les
points
de
divergence.
CONCLUSION PARTIELLE

S'il
est démontré que l'informatique conditionne l'avènement de la société
de
communication
et
que celle-ci exige la participation
de
toutes
les
intelligences
vives pour son fonctionnement cohérent et
systématique,
on
peut
conclure
que
l'informatique
est la
sève
irrigante
(la
nouvelle
énergie)
vitale
aux moyens de production et d'organisation
des' sociétés
modernes.
CONCLUSION GENERALE
Résumé - Bilan et Ouverture de Nouvelles Perspectives.

-
Répartition de. dépen.e. mondIale. de recherche-développement
Il det chercheurs employé. 6 la recherchMéveloppement
Plr grande zone (1973)
-
Rluourc:. dl RD
Chlrchlurs
Montant total
Montant
Nombrl total
par
En
p,raonn,
en millions
,n
.ctivl
du "
PNB ln mllU,rs
'n
~ombrt par
dl dollara
" ln dollars
" million
d'.ctifs
Monde
96418
100
66,4
1,97
2278
100
1570
'l'filn d'nropp,m,nt
2.770
2,9
3,0
0,35
288
12,6
XJ7
Afriqui beuf Afrlqu,
du Sud)
298
0,31
2,8
0,34
28
1,2
271
Arnfrlqu, centrel' ,t du Sud
902
0,94
9.0
0,37
46
2,0
451
AIl. (.uf .I,pon)
1670
1,63
2,1
0,34
21 4
9,4
292
Ply, d6Y'lopp6.
93648
97,1
182,1
2,29
1990
87,4
3871
Europe d, l'Eu
(URSS Incluse)
29509
30,6
160
3,82
730
32.0
3958
Europe d. l'Ouest (1.,...1
Il TUrlluillnclus)
21418
22,2
135,1
1,65
387
17,0
2441
Arn6rlqu, du Nord
33716
35,0
. 331,1
2,35
648
24,1
6386
::m.. (J,pon et Austr,n.
dus)
8005
8,3
129,8
1,76
325
14,3
4687
- Source:Donn'"pr'limln'iresd,",nqu't'IurIIId'pensesmondialesdl RD 1978.C,ntrtd,
d'v,loppem,nt d, l'OCDE, non publi',
SOORCE
B.MADEUF t l'ordre technologique intenational , op., cit. t P.49

419
NOMDRE DE SCIENTIFIQUES ET D'INCiJ:NIEURS AFFECTES
A LA RECHERCHE·D~VELOPPEMENT PAR PAYS (1973·19RO\\
Nom,," dr
NtNftbrp dt rw,ttiji.
'ffdlf'r d",
.w:H:",ifiqv.. tf
'lits rt ;"~"";rv,,
Jrw"".(jqllrJ
A""h
d';n,'";"'''
./f..cth 4 1. RD ".r
" '''J,,.,t''UrJ
.fftr:rh41. RD
trtilliolt d°laob"."tS
1969 • !()()
Pays indllstrialisés
EI:lls·Unis
1980
659000
2854
1il!
Jallon
1979
418046
3608
152
RFA
1977
110972
1 802
14R
Royaume-Uni
1975
79300
1 419
103
Fr:lnce
1978
70700
1 327
12J
Italie
1976
37878
674
149
Noulleau:c pays industriels (NPl)
République
de Corée
1979
15 711
418
294
Argentine
1980
9500
285
146
Brésil
1978
n.d.
208
n.d.
Me~iquc
1974
8446
lOI
230
Pays sous-délleloppés
Sénép,al
1976
.522
102
125
Philippines
1973
n,do
83
n.d.
Côte d'Ivoire
1975
502
75
157
Indonésie
1976
n.d,
57
n.d.
Inde
1977
28233
46
n.d.
Niger
1973
93
20
n.d.
Sourer: UNESCO, Statistiquts rrlativts aux scirflcts rt d la trchflo,
logir. 1982.
SOURCE
J. PERRIN , les transferts de technolo~ie , op. , cit. , P.37

420
INDEX DES NOMS
ADORNO.: 152
D'~LEMBERT : 56, 57, Sg
L: ALTHUSSER : 119

ST. T. D'AQUIN: 37
ARATOS : 21H
ARCHYTAS : 27
ARENDT : 311
ARISTOTE : 9, 28, 29, 30, 33, 44
G.BACHELARD : 21
F.BACON : 15, 23, 26, 41, 42, 43, 51, 54, 56, 53, 75, 196, 295
BAUDEILLARD : 138
D.BELL : 274
Y.BENOIT : 245
BERGSON : 315
BERNANOS : 151
E.BREHIER : 43
J.tHESNAUX : 225
CICERON : 35
COLOMB : 43
COMMONER : 159
A.COMTE : 64
S.COTTA : 157
A.C.CROMBIE : 26, 43

421
R.DAJOZ : 160
DESCARTES : 15, 23, 26, 48, 49, 50, 51, 54,56, 58, 59, 71,
196, 295
F.DESSAUER : 93
D.DIDEROT : 55, 56, 57, 63
A.DIOUF : 299
J.ELLUL : 9, 17, 19, 112, 113, 114, 115, 120, 123, 124, 125,
126, 127, 128, 135, 220, 256, 262, 278, 312, 317
J.S.ERIGENE : 36
EHRICH : 158
EUDOXE : 27
FLAUBERT : 310
G.fRIEDMANN : 112, 153, 154
GABOR : 127
GALBRAITH : 286
GALIL~E : 15, 23, 25, 44, 45, 46, 47, 48, 51, 52, 53, 54,
56, 196
PIRENNE : 37
PLATON: 9, 26, 27, 28, 29, 32, 33
G.ROPOHL : 320
P~ROQUEPLO : 9, 312
J:DE.RoSNAY : 124, 129, 298
SADE : 152
J.J.SALOMON : 286
SENEQUE : 35

422
L.S.SENGHOR : 227, 242, 244
SAINT. SIMON: 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 71, 200, ~63,
271, 236, 314
G.SIMONDON : 9, 13, 17, 19, 62, 100, 101, 120, 140, 143
SPENGLER : 150
L.STRAUSS : 151
F.TINLAND : Il, 85, 210, 253
M.ToWA :.240, 241, 242, 244, 246
J.UI : 277
VitTE : 59
L. DE. V1Ne 1 : 39
VOGEL : 275
VOLTAIRE : 58
G.HALTER : 131
J.~JATT : 72, 73
ft ~JEBER : 150, 204
~.WIENER : 131, 132, 133, 152

423
TABLEDESMATIERES
PAGES
INTRODUCTION GENERALE 1111111111111111111111111111
7
PR81IERE PARTIE - LE DEVELOPP81ENT TECHRIOUE,
LES SYST81ES TECHNOLOGInUES
ET LA VOLONTE DE PU 1SSMKE.
20
1 1 1 1 1
1 - RAPPEL HISTORIQUE. Il
III "'
21
1 1 1 1 1 1 " '
1 1 1 1 1 1
1 1
25
DE LA NATURE.
l ,
l ,
34
1 1 1
1 1 1 l
,
1 1 1
1 1 1 1 1 1 1 1 •
+ GALILËE ET DÈSCARTES : PERSPECTIVES
ËPISTËMOLOGIQUES ET TRANSFORMATION
DE LA NATURE
44
1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1
C - L'ENCYCLOPËDIE ET L'ÉMERGENCE
DE LA GRANDE INSDUSTRIE".I
Il
55
1 1 1 1 1
1 1 1
D - LE SAINT-SIMONISME COMME SCIEN-
TISt1E ET COMME INDUSTRIALISME,"","","
64

424
E- DE L'ASSERVISSEMENT DE L'ÉNERGIE
À LA MAtTRISE DE L'INFORMATION:
HISTOIRE DES RÉYOLUTIONS INDUS-
TRIELLES ET DE LA MAtTRISE DE LA
NAT URE " " " " " " " " " " " " " " " " " "
71
II - ELEMENTS POUR UNE THEORIE GENERALE
DES SYST81ES TECHNOLOGIQUES................... 86
- REMARQUES PRÉLIMINAIRES ••• ", •••••• , •• ", •• ,
88
A - LE SYSTÈME TECHNOLOGIQUE .,,
92
1
1 1 1 1 • •
1
1 1 • • • •
1
• COHÉRENCE ET FONCTIONNALITÉ ••••••• '" •••
92
'B - LA NOTION DE SYSTÈME TECHNICIEN '" •••••••• 113
• LES CARACTÈRES DU PHÉNOMÈNE
TECHN 1QUE •••••••
118
1 • •
1
1 1 • • • • • •
1
• • • • • • •
1 • •
1
• LES CARACTÈRES DU PROGRÈS
TECHN 1QUE •••••••••••••••••••••••
127
1 1

1


• •
C - CLÔTURE INFORMATIQUE DU SYSTÈME ••••••••••• 131
D - DISTORSIONS ET/OU PERVERSITÉS

DES TECHNIQUES ET PROLIFE"R1\\TION
DES DISCOURS MISOTECHNIQUES ••••••••••••••• 143
E- DE LA PUISSANCE TECHNICI:ENNE
AUX EFFETS DE DISTORSION ET/OU
DE DISFONCTION : LES PERVERSITÉS
D'UNE TRAJECTOIRE INCONTOURNABLE •••••••••• 166

425
DEUXIErlE PARTIE - RATIONALITE TECHNIQUE
ET DESTINEE AFRICAINE """""""'" 209
1 - LE SYST81E TECHNICIEN ET LA PROBLE-
MATIQUE AFRICAINE DE MODERNITE"""""" "l" 211
,
Ir - TECHNIQUE ET CULTURE "l" "'l"" """'" III 212
s - TECHNIQUE MODERNE ET ALTÉRITÉ :
LE CHOC DE L'UNIVERSEL ET DU
SINGULIER "', ••.•• , ••••••••.••
220
1 ' . 1 . ' • • • • • • • • •
- LES COURANTS IDÉOLOGICO-CULTURELS
TRADITIONNALISTES ET/OU AFRICANISTES ••••••.
227
11
II - ESQUISSE D'EL81ENTS DE SOLUTION
DU TRANSFERT DE TECHNOLOGIE A
UNE STRATEGIE DE DEVELOPPEMErn
REGIOr~ALE .,.,
247
1 1 • • • • • ' . l '
• • • •
'
• • • • • • • • • • •
A - DEMANDES SOCIALES ET DÉVELOPPEMENT • , • • • 1 • , • 252
B- TRANSFERT DE TECHNOLOGIE : REVU ET
COR R1GÉ " , . , . , " " " " ' , . , " " " "
259
1
l
,
,

,
,
"
C - L'EXEMPLE DU JAPON "',,
270
l
,
,
,
,
,
,
,
,
' 1
• ',' ,
, ',' l
,
,
"
D - QUELQUES INDICATIONS GÉNÉRALES SUR
L'ACCOMPAGNEMENT DE DÉVELOPPEMENT
TECHNIQUE PAR LES STRUCTURES DE
FORMATION ET DE RECHERCHE ET LA
NÉCESSITÉ D'UN REGROUPEMENT RÉGIONAL ••• "'1 285

426
,,
E - LE GROUPE DE YAMOUSSOUKRO
POUR UNE STRATËGIE INTER-
AFRICAINE DE MAtTRISE DES
TECHNOLOG 1ES ••••••••••••••••••••••••••••• 299
,
,.
CONCLUSION PARTIELLE 11111, •• ,111,.",' •• ,11,. 306
CONCLUSION GENERALE .,
,
, .. ,
,
. 309
BIBLIOGRAPHIE "
"
,
,
,
,. 325
ANNEXES .. ,." ... , ... ,., ...
355
- MESSAGES IN
"INFORMATIQUES E
UNE CONTRIBUTION
DE LAGOS " • ., ••• 1 •• , , , •••••• , ••• , ••• , ••• , •• , 356
- DËCLARATION DU GROUPE DE YAMOUSSOUKRO • 1 • • 1 1 392
- CHARTES DU GROUPE DE YAMOUSSOUKRO ••••• ,', •• 399
CONTRIBUTION AUX REFLEXIONS DU
GROUPE DE YAMOUSSOUKRO •••••••••••••••• " ••• 405
- .~,NNEXES: STATlsT·lauE~ 1\\J"I. J'.""" ..c.:." •••••• '-f / ?
INDEX DES NOMS, ••• , ••• , ••• , •••
2
1 • • •
,
• •
,
,
• •
,
l '
\\...,
û

Il découle de J'analyse théorique que les problèmes fondamentatD~
de la technique (leur systématicité, leur expansion hégémonk;ue sur le
naturel et le sodal...) n'ont pas été explorés avec une systém::lUdté et une
cohérence sulfisantes.
•Cette pénurie de pensée philosophique. à la hauteur des défis
posés à J'interface du monde technique et des autres dimensions de
rexistence humaine, est à la base de cette étude qui porte d'une part sur
le caractère systématique de toute technique, d'autre part sur la spécifi-
cité et l'autonomie de ce système s'auto-générant ainsi que sur les
interférences ~e l'organisation technicienn~ et àe l'emprise efficace sur
les choses avec-l'ensemble des pr09uctions sociales et culturelles.
Se pose alors la question du transfert de technologie, entendu
comme transfE:rt •de moyens. (avec leur systématicité) d'une culture à
une autre, d'une société à une société différente.
Cf.; qui précède implique au préalable une recherche fondamentale
sur la technique et sur son transfert avec ce que cela comporte comme
articulation de:; pratiques et objets techniques, des particularités socio-
culturelles, le tout pouvant être relié aux questions de systématicité de la
technique.
Technique -~.:Système - Au~onomie - Transfert - Culture - Universalité
Différence - Rationalité'~. Histoire - Puissance - Ethique.