UNIVERSITE DE NANCY II
.'J
E. H. DUBOIS REYMOND (1818 • 1896)
,
SA PENSEE SCIENTIFIQUE ET SES IMPLICATIONS
,
THE8E
DE DOCTORAT DE ge CYCLE
Présentée et soutenue publiquement
Par
ZOH Lambert
"._------
• CONSEIL AFRICAIN ET MALGACHE 1
• POUR L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
: C. A. M. E. S. -
OUAGADOUGOU
Arrivée .06. JU ~N. ~gg5...
.
Enregistré sous 11° "tto~q !+. .~. ~ •i
....
:",. .
• Directeur de Recherche:
Mr. le Professeur Jean-Marie Paul
OCTOBRE 1986

\\!
AVANT-PROPOS
:1
Nous devons le choix de ce sujet à M. Jean-~arie PAUL
1i
qui a bien voulu nous suivre tout au long de ce travail.
r
1
Nous lui adressons nos sincères remerciements.
Nous témoignons toute notre gratitude à M. et Mme
Geeraerts Jacques pour leur assistance morale et inte1lectuel-
le. La Sibliothèque de la faculté des lettres de Nancy, la
1
Bibliothèque municipale de Serlin et les responsables du
1,
Foyer Jeon Stouffer de Jarville méritent également toute
i
notre reconnaissance.
!

INTRODUCTION

-
5 -
Vouloir resituer le physiologiste Emil Heinrich Dubois
Reymond dons l'histoire de la pensée du XIXe siècle ne constitue
pas une simple recherche de la vérité. C'est aussi prendre en con-
sidération ou ressusciter les vives polémiques de la seconde moi-
tié du XIXe siècle.Nul n'a autant divisé les opinions ni recueil-
li le suffrage de tant de critiques que Dubois,
l!un des maîtres
les plus autorisés dans le domaine scientifique,considéré par ses
étudiants comme"le vrai prince de la science"(1). Son oeuvre,
singulièrement sa philosophie du 'Ignoramus' et du 'Ignorabimus'
(2) n'a cessé d'engendrer des divergences d'appréciation.
D'une part,
l'on rend hommage à Dubois et au réalisme de
sa conception de la connaissance(3). D'autre part on l'accuse de
dissuader les esprits de toute tentative d'investigation à une
époque que caractérisent les découvertes scientifiques et tech-
niques. On lui jette alors l'anathème pour avoir porté atteinte
à l'épanouissement de la science de la nature(4) dont les pion-
niers étaient déjà gagnés par la confiance et l'optimisme. Ces d~­
vergences sont d'autant plus tranchées que Dubois, malgré les
nombreux écrits et surtout les nombreuses archives laissés à la
postérité, détenus
par les bibliothèques municipales de Berlin
est et ouest, n'a pas pris le soin d'expliciter l'acception réel-
le de la sentence latine à laquelle son nom reste à jamais lié.
(1) Hoffmann E., Lebenserinnerungen aus einer Wendezeit der Heil-
kunde. Hannover 1~48/49, Bd l, p. 68. "der wahre Prinz der Wissen-
schaft."
(2)
'Ignoramus' et' 'Ignorabimus': mots latins signifiant "nous
ne savons pas" et "nous ne saurons jamais". Dans la suite de
notre travail nous n'utiliserons que le vocable bien connu du
'Ignorabimus' pour désigner les deux termes.
(3) Lange F. A., Geschichte des Materialismus und Kritik seiner
Bedeutung in der Gegenwart.
Iserlohn 1877, Bd II, p. 157.
(4) Riehl A., Philosophische Kritizismus und seine Bedeutung für
die positive Wissenschaft. Leipzig 1908, Bd II, p. 78.

- 6 -
C'est surtout dans le milieu naturaliste qu~ les opposi-
tions à Dubois et sa pensée sont les plus nettes. La philosophie
de l'homme ne fait pas l'unanimité de ses pairs. Alors qu'au parle-
ment prussien,
certains savants se font
le chevalier de leur collè-
gue(5),
d'autres,
du haut de leur chaire,l'identifient à l'autorité
inflexible du Vatican. dans sa lutte contre la science et la cultu-
re(6). D'autres enfin,
ironie du sort,
croi~nt le blô~er ou expri-
mer autre chose que Dubois en opposant à l'Ignorabimus un "Nous sa-
vons et nous saurons" cinglant(7).
Et pourtant
la sciencp de
la na-
ture a toujours été le maître-mot de
l'oeuvre de Dubois. Par ses
divers travaux sur l'électrophysiologie Dubois a contribué ou déve-
loppement de cette discipline à laquelle il s'est lui-mê~e consa-
cré jusqu'aux derniers
jours de sa vie. On disait de lui qu'il
ne
vivait que de la science de la nature(8).
Homme de vaste culture.
il a continuellement revendiqué la liberté de la pensée dons d'im-
pétueux discours.
Sa notion de la liberté a été travestie par ses antagonis-
tes en "libertinage d'esprit". Chrétiens et orthodoxes le relè-
guent au ban de la société religieuse et lui font porter le flam-
beau du "matérialisme le plus crasseux"(9). Dubois n'a pas échap-
pé au sort réservé aux matérialistes en philosophie. ~urtant, la
pensée de Oubois ne cesse de susciter méfiance voire déce~tion de
..
la part des matérialistes dont elle fait s'évanouir les espéran~
ces(10).
(5) Virchow R.,
Stenographische Berichte.Haus der Abgeordneten.
35.
Sitzung am 26.Februar 188~p. 920-928.
(6) Hëckel E., Anthropogenie oder Entwicklungsgeschichte des ~enw
schen,Leipzig,
187~ III.Auflag~p.XV.
(7) Nëgeli C.v.,Die Schranken der naturwissenschaftlichen Erkennt-
nis"
in: Mechanisch-physiologische Theorie der Abstammungslehre,
Leipzig 1884,p.602.
" . . . wir wissen und wir werden wissen".
(8) Naturwissen und Erkenntnis im XIX.Jahrhundert.E~il Dubois Rey-
~, Hildesheim 1981 ,p.16. Cet ouvrage regroupe l'ensemble des
travaux du colloque sur Dubois tenu à Mayence du 6 au 8 juin 1979.

- 7 -
La critique, dans son ensemble,
s'est quelque peu méprise
o l'égard de la pensée de Dubois sur la religion chrétienne. Liant
matérialisme, anti-cléricalisme et athéisme elle est amenée à voir
en Dubois un athée résolu(11). Elle ne semble pas prendre en con-
sidération la place que le physiologiste de Berlin accorde à la
notion de Dieu dans sa pensée.
Sur le plan politique,
l'appartenance idéologique de Du-
bois avant sa nomination au poste de rectewr de l'université de Ber-
lin en 1869,
fait problème. A ce propos. certains critiques sont
très catégoriques dans leur analyse et dépeignent Dubois comme un
homme imprégné d'idéaux révo1utionnaires(12). D'autres contestent
formellement ce point de vue et insistent surtout sur le fait qu'il
accorde sa préférence non au peuple mais à l'aristocratie prussien-
1
ne,
particulièrement'~ 10 maison royale(13}.
Les divergences de vue et les contradictions montrent la
complexité de l'homme et de sa philosophie,
et surtout l'incompré-
hension dont Dubois a été victime à son époque et même de nos
jours. Cependant,
il a lui-même contribué à perpétuer cet état de
chose par un jeu rhétorique subtil à travers ses discours. Ce ma-
niement habile de la langue,
l'une de ses meilleures ormes,
s'est
Il a été publié par Gunter Mann de l'Institut d'histoire médicale
de l'université Johann Gutenberg 1
dont nous mentionnerons désor-
mais le nom en guise d'autewr.
(9) Gadow G., Die Freiheit der Wissenschaft und Herr Dubois Rey-
~, Giessen 1883,p.20. " ... der crasseste Materialismus".
(10) Sales G.,
Le positivisme et les défaillances de M. Dubois Rey-
mond',de Berlin,
l'Un des mattres les 'plus autorisés dans l'esp~ce,in:
Revue médicale française et étrangère,Paris 1877,~.735.
(11) Herneck F., Emil Dubois Reymond und die Grenzen der mechanis-
tischen Naturauffassunp.
ln: Forschen und Wirken,Berlin 1960,p.241.
(12) Ibid. p. 238.
(13) Mann G., op. cit. p. 16.

-
8 -
toutefois retourné quelque peu contre lui,
en laissant diffici-
lement cerner sa pensée.
x
x
x
Les discours et
les correspondances reflètent
le mieux
les
contours de la pensée voire mê~e de la personnalité de Dubois. Le
physiologiste de Berlin s'est employé è y ex~oser ses doctrines
avec une profonde conviction et une gronde ténacité,
réservant
aux oeuvres scientifiques la publication de ses expériences et de
leur résultat.
Les discours revèlent une gronde
maîtrise de la
longue allemande et demeurent
la source d'une littérature très ri-
che.'
Mois,
très t8t,
le chercheur découvre que
les discours de
Dubois ne relèvent pas d'une simple déontologie trdditionnelle ou
sein de l'Acadé~ie(14). Ils s'adoptent ô l'évolution de la pens~e
et aux grands événements du XIXe siècle.
Ils répondent aux multi-
ples activités de l'homme. Dons la seconde moitié du XIXe siècle,
Dubois,outre son appartenance è
la plupart des grondes Académies
scientifiques du monde entier(1~), était membre du Pr~sidium de
l'Académie de Prusse, Président du -Curatorium-de l'Institut Ale-
xander von Humboldt,membre de
l'Association chargée dè
la réforme
scolairf de Berlin.
et,
enfin,
il occupa un poste beaucoup plus
politique,
le rectorat de l'université de Berlin. Toutes ces res-
ponsabilit~s ont sons doute permis è Dubois de donner Q ses dis-
cours un contenu de plus en plus varié.
Traitant tout d'abord des
(1~) Dons la tradition de l'Académie des Sciences de Prusse, la
prononciation des discours lors des grandes cérémonies revient
ou Secrétaire perpétuel,
responsabilité que Dubois assuma
à
partir de 1867.
(15) Rotschuh K.E.
et Tutte E. mentionnent
l'Acodé~ie de Londres,

- 9 -
thèmes purement scie~tifiques, les discours sont désormais 0
compter de 1869 l'expression des penchants et des convictions
théoriques de Dubois sur l'ort,
la science humaine,
la politique
et la société. Néanmoins,
ces thèmes restent en étroit rapport a-
vec la science de la nature et l'activité de Dubois en tant que
naturaliste. Et c'est pourquoi notre étude se basera essentielle-
ment sur les correspondances et les discours de ]'homme{16).
x
x
Dubois a été l'objet de plusieurs études universitaires,
notamment en Europe. Mais sa pensée n'occupera réellement une
plac~ de choix dans l'histoire littéraire qu'après la deuxième
guerre mondiale. Auparavant le nom du savant n'était cité avec
respect que dans l'histoire de la science. Cependant,
la recher-
che universitaire, sans toutefois négliger l'homme de science chez
Dubois, s'attache de plus en plus à des aspects de sa personnali-
té.
Wolfgang Kloppe publie en 1958 deux travaux sur Dubois.
l'un(17) résume quelques critiques formelles sur les discours de
l'auteur et tend à souligner les Qualités oratoires du savant de
Berlin. l'autre(18) est une étude co~parative de la conception
de la science de la nature chez Dubois et chez Goethe. Kloppe re-
lève une divergence de méthode entre le savant et le poète. Deux
de Neuchâtel, de Paris, de Vienne et également celle d'Amérique
(Academy of Arts and Sciences). Cf.Emil
Dubois Reymond - Biblio-
sraphie,
In: Acta Historica Leopoldina N09~1975,p.119-120,
(1~) Cela n'exclut pas certaines références à des travaux scienti-
fiques au cours de notre analyse.
(17) Kloppe W., Dubois Reymond's Rhetorik im Urteil einiger~­
ner Zeitgenossen.
In: Deutsches medizinisches Journal. Berlin
195~ IX. Bd., p. 80-82.

- 10 -
ans plus tard, Friedrich Herneck se propose d'examiner la vie et
la pensée de Dubois. L'auteur de tendance marxiste fut le premier
à montrer le caractère non dialectique et essentiellement métaphy-
sique de la pensée de Dubois(19). En 1964,
il tente de compléter
sa premlere publication en soulignant la contemporanéité de Du-
bois et de Karl Marx(20). Cette étude a été suivie,quelques an-
nées plus tard,d'un court article de Marcel Florkin dans La chro-
nique de l'université de Liège(21).L'accent y est mis sur la gran-
deur et la notoriété de Dubois dans le domaine scientifique. Un
Soviétique et un Allemand de l'est ont également abordé Dubois et
v
les savants allemands dans le même sens. Ceux-ci, Cesnokova et
Lindemann(22) soulignent la fécondité de la coopération scientifi-
que entre l'Allemagne et la Russie et insistent sur la place de
l'Allemagne dans le développement de la science russe. Dubois ce-
pendant n'occupe pas une place privilégiée dans cette étude.
Contrairement aux chercheurs précédents,
Di~ter Wittich
,
s'est préoccupé de determiner la vision philosophique de Dubois.
Dans l'introduction à son ouvrage(23)il intègre la pensée du sa-
vant de Berlin dans le matérialisme-vulgaire- des 9nnées 50.
(18) ~., Mensch - Natur und Wissenschaft: Dubois Reymond und Goe-
~, Berlin 1958.
,(19) Herneck F.~ op. cit. p. 249.
(20) Id. Emil Dubois Reymond(1818 - 1896). In: Die Lebensbilder
deutscher Arzte,
Leipzig 1964.
(21) Florkin M., Emil Dubois Reymond et Léon Frédéricq.
In: Chroni~
que de l'université de tiègè,
Liège 1967.
v
(22) Cesnokova S. und Lindemann M., Wissenschaftliche Kontakte
zwischen Physiologen aus Ruêland und aus Deutschland in der zweiten
Halfte des vorigen Ja~rhunderts. In: Schrift,R. Naturwissenschaft,
Technik und Medizin, Berlin 1970.
(23) Wittich D.,
Schriften zum kleinbUrgerlichen Materialismus
in Deutschland, Vogt, Moleschott, Büchner, Berlin 1971,2 vol.

-
11
-
Dans la même année,
Karl Rotschuh publie en anglais un résumé de
l1
la vie,
des travaux scientifiques et de la plupart des discours
l"1
de Dubois(24} .Mais Rotschuh ne s'est pas limité à la biographie
1
et .~ la pensée de Dubois. Avec la collaboration d'Elisabeth Tut-
1
te,
il
Fournit,
quatre ans plus tard, une étude bibliographique
1
i
détaillée sur le savant de Berlin (25). Cependant la liste des
chercheurs attirés par Dubois et son oeuvre est loin d'être clo-
se.
C'est en Allemagne de l'est que l'on découvre le chercheur
qui a consacré le plus d'articles ~ Dubois: Siegfried Wollgast.
Celui-ci examine d'abord en 1974~6} la vie et l'ensemble des
discours de Dubois en insistant sur les sources françaiSes et al-
lemandes de la pensée et les insuffisances du matérialisme natura-
liste.' de Dubois. Deux ans après,
il assimile la pe;nsée de Dubois
~ celle des naturalistes du XIXe siècle marquée par un caractère
confus(27). Dans son article de 1977{28} il fait de l'idéalisme
la vision adéquate du savant de Berlin. Le dernier article de
Woilgast consacré à Dubois date de 1979(29). C'est une étude spé-
cifique du matérialisme de Dubois dont l'auteur a mis en relief
les lignes directrices.
(24) Rotschuh K.E.,
Emil Dubois Reymond.
In:
Dictionary of scien-
tific biography,
New York 1971, vol.4.
{25} Id; und Tütte E., Emil Dubois Reymond(1818 - 1896), Biblio-
graphie.
In: Acta Historica Leopoldina,
N°9, Berlin 1975.
(26) Wollgast S., Einleitung zu: Vortrage über Philosophie und
Gesellschaft, Emil Dubois Reymo~d, Berlin
1974.
(27)
Id., Sind bürgerliche Naturwissenschaftler "mechanische Mo-
terialisten. N ? . In: Wissenschaft und Fortschritt 26, Berlin
1976.
\\(28) Id., Emi 1 Duboi s Reymond(181 a
1896}.
In: Biog.rarh i en bedeu-
tender Biologen , Berlin 1977.
(29) Id. Emil Dubois Reymond's naturwissenschaftlicher Materia-
1
-


- 12 -
Tout récemment,un groupe de chercheurs allemands ~'est inté-
ressé b Dubois dons un colloque tenu en 1979 et d~nt les résultats
ont été publiés en 1981 (30). Ce colloque, qui constitue la recher-
che universitaire la plus étoffée sur Dubois,
est un examen du
scientifique et de sa pensée. Oans ce travail,
l'aspect philo-
sophique et scientifique a été privilégié par rapport à l'étude
sociologique et politique chez l'homme. Le caractère métaphysi-
que de la conception scientifique de"
Dubois a été mis en relief.
Un chercheur français,
Jean.Marie Poul, est également parvenu à
un résultat presque similaire sur Dubois dons le cadre de sa thè-
se(31). Analysant l'idée du positivisme chez Strauss et chez Du-
bois, Poul a souligné la nature abstraite de la pensée
du sa-
vant de Berlin. Son examen,cependant, ne touche ~u'un trait spé-
cifique chez Dubois.
x
x
X
Ce travail tentera de privilégier la place de la science de
la nature dans la pensée philosophique,politique et sociale de
Dubois.La philosophie politique et sociale chez Dubois s'ins-
crit dans la continuité de ses t~éories
naturalistes.
La
science de la nature demeure en effet la plate-forme de toute la
philosophie de Dubois. Il n'est pas aisé parfois de dissocier
l'homme de la discipline,
tant les intentions du savant se con-
fondent avec ses théories novatrices concernant la science de la
nature. Pour Dubois, seule la science peut rendre compte de la vé-
rité. de la réalité. C'est pourquoi nous nous proposons dans ce
4
travail, de
rechercher tout d'abord les fondements d'une telle
lismus. In: ~issenschaft und Fortschritt 29, Berlin 1979.
(30) Mann G.,
Naturwissen und Erkenntnis im 19.
Jahrhundert,
Emil Dubois Reymond,
Hildesheim 1981.
(31) Poul J.M., D.F. Strauss(18C8-1874) et son époque, Paris
1982.

[
- 13 -
b
conception dons la vie et le milieu de l'homme jusqu·en 1847. Cet-
te délimitation n'est pas arbitraire. Durant la période de 1818 à
1847, Dubois vivait encore dons l'anonymat, même en tant que na-
turaliste. Ce n'est qu'à partir de 1848 que s'est préparée l'en-
trée de Dubois dons le monde scientifique et que le savant de Ber-
lin a développé et exploité ses théories naturali~tes. En 1848,
Dubois marque publiquement son rntér~t pour la premi~re fois pour
les grands problèmes de son temps dons son premier discours d'en-
vergure philosophique et scientifique:La force vitale(32).Ce dis-
cours est utilisé par l'auteur en guise d'introduction à sa célè-
bre oeuvre scientifique, Les recherches sur l'électricité chez
les animaux (33),
parue
la
'même année et è laquelle le savant
de Berlin Q.oit sa nomination à l'Académie des Sciences de Prusse
en 1851. L'année 1848 ouvre la voie à une série de discours qui
ont fondé la rérutation de Dubois ou XIXe siècle. La deuxième et
dernière parti~ de la vie de Dubois sera intdgrée dans l'étude
de la pensée de l'homme, une pensée de plus en plus tributaire de
l'évolution du statut social et politique du savant.
Puis nous nous intéresserons à la problématique de la
science de la nature chez Dubois avant d'aborder sa dimension
Politique et sociale.
Cependant, dons l'expression de la pensée de Dubois appa-
raît en filigrane la dualité de l'homme. Dubois est d'origine
française attestée par son nom français -Emile Dubois Raymond"
,
mois est et se reclame Prussien authentique. Pourtant, lors de la
guerre franco-allemande de 1870, Dubois suppose cette dernière
t
qualité contestée. Le savant de Berlin se trouve donc confronté
i
t
avec son origine. En liaison avec cette dualité originelle, nous
~1
essayerons de cerner la réalité interne et les intentions profon-
ii
des de l'homme.
,
(32) Dubois Reymond E., Über die Lebenskraft, discours prononcé
à Berlin en mors 1848,
(33) Id.~Oie Untersuchungen über die tierische Elektrizitat ,
Berlin 1848.

J
1J!
1
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PREMIERE PARTIE
1
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i'J11l!
L'HOMME, LA JEUNESSE ET LE MILIEU
1
1
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,
1
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!
\\~
- 15 -
1. Origine et milieu familial
Dans cette étude biographique, nous nous pencherons par-
ticulièrement sur les faits indispensables à la compréhension
de l'homme et de son oeuvre. Oans ce domaine,
nos prédécesseurs,
les critiques allemands, ont placé les sources allemandes plu-
tôt que françaises au centre de leur analyse. Une telle métho-
t1
de donne une vision partielle de la vie de l'autêur et semble
faire une entorse à ses origines.
1
!
Emil Dubois Reymond est d'origine française.
Il a vu le
jour le 7 novembre 1818 à Berlin dans une famille prussienne
mais d'origine française. En effet, son père, Felix Henri Du-
1
bois Reymond naquit dans le canton de Neuchatel,~ancienne prin-
1
!
cipauté suisse, victime des vicissitudes politiques et influen-
1
i
cée par l'Allemagne comme par la Fronce, puisqu'avant d'appar-
tenir à la Prusse, elle était sous la domination française a-
Vec le prince Alexandre Berthier(1). Les habitants du canton
1
de Neuchâtel, en majorité de langue française, étaient protes-
1
1
tants; outre les rapports de voisinage avec la France au XVIIe
i
Î
siècle, Neuchâtel avait aussi donné asile à de nombreuses fa-
~
1
milles émigrées lors de la révocation de l'édit de Nantes, par-
"j
~
mi lesquelles la famille Dubois Reymond. La mère de Dubois,
j
j
Minette Henry, elle aussi fille d'émigrés huguenots qui, avec
j
d'autres, constituaient la colonie française de Berlin, était
la fille d'un prédicateur de la communauté française et petite-
1g
fille du célèbre peintre polonais Daniel Chodowiecki(2).
î
(1) Alexandre Berthier, prince et duc souverain de Neuchâtel de
1806 à 1814.
(2) Herneck F., Emil Dubois Reymond und die Grenzen der mechanis-
tischen Naturauffassung. In: Forschen und Wirken. Berlin 1960,
P. 229.
. 1

-
16 -
Les parents de Dubois, fidèles à leurs origines, avaient
instauré le français comme langue usuelle familiale.
Le père
de Dubois, bien que maîtrisant parfaitement la langue alleman-
de,
la ressentait oomme une langue étrangère(3). Cette prati-
que du français liée à ses origines, constituait pour Dubois
un avantage linguistique évident et lui donnait le sentiment
d'être culturellement partagé entre la Prusse et la France. Du-
bois lui-même se reconnaît de sang celtique et d'éducation fran-
çaise(4).
Dès sa naissance, Dubois a vécu l'heureuse expérience fa-
miliale du couple uni que constituaient ses parents, et qui
jouissait du privilège de communier dans la même confession. Le
coeur noble et l'altruisme du père n'avaient rien à envier au
caractère exemplaire de la mère dont le sens de 10 famille était
j\\
la source du bonheur du coupleeS). Les parents de Dubois étaient
i
attachés à leur religion d'origine, le calvinisme, dont ils obser- il".
voient les obligations avec respect voire avec quelques excès.Ro-
~
senberger note qu'il existe chez les parents de Dubois une "ti-
relire pour venir en aide aux pauvres" de la colonie(6). Dubois
l~i-même, sans y attacher d'importance, relate dqns ses nom-
breux cahiers de voyage, cette dévotion de ses parents dont la
matinée dominicale était consacrée au culte(7). C'est dans cet
esprit piétiste et humaniste que Dubois fut élevé.
1
1
(3) Dubois Reymond Estelle, Jugendbriefe von E. Dubois Reymond
an Eduard Hallmann. Berlin 1918, p.' 9. Il convient de souligner
1
î
ici que toutes les correspondances entre Dubois et son père
1
sont rédigées en français.
1
j
(4) Dubois Reymond E., Reden 1. Bd.,2. vervollstëndigte Auflage
Leipzig 1912, p. 401.
lî!
(5) Rosenberger E., Felix Dubois Reymond(1772-1865). Berlin
i
î
1 91 2, p. 1 47.
\\
(6) Ibid. p. 244.
1
(7) Familienarchiv: Nachlass - Runge - Dubois Reymond. Kapsel 8 •
1
1
J
1
1

tf
- 17 -
, l,
Cependant,
l'esprit charitable des parents de Dubois n'é-
tait nullement une marque d'opulence. Le père,
jeune homme dé-
muni,
poussé par le goût de l'aventure, avait quitté la Suisse
pour s'installer à Berlin en 1804. Il s'était essayé à beaucoup
de professions. Horloger de métier,
il fut succes~ivement pro-
fesseur,
officier de l'armée avant de devenir Secrétaire au dé-
partement des Affaires Etrangères(8). Cette fonction n'était
qu'honorifique et ne changeait rien au mode de vie de la famil-
le dont les moyens pécuniaires restaient limités. Madame Dubois,
en raison de ses origines, était aussi peu fortunée que son é-
poux(9).
Si,grâce à leur foi en Dieu,
les parents de Dubois s'ac-
cOmmodaient sans trop de peine de leur indigence matérielle,
Dubois,
lui, ne tarda pas à mesurer les conséquences de son ori-
gine peu aisée.
Il se plaignait de sa jeunesse sans joie et du
manque de moyens matériels(10). C'est à partir de son séjour à
l'université, alors que les difficultés matérielles s'accumu-
laient de plus en plus qu'il prit conscience de sa situation
difficile.
Il le souligne à son ami Hallmann:
" ... Dans ce cas, en effet,
je serai disposé( ... ) à en-
treprendre une traduction du français ou de l'anglais.
A ce propos, mon intentioQ est uniquement de gagner de
l'argent et, bien plus,
je souhaite même que mon nom
ne soit pas mentionné. Mes expériences et mes livres
coûtent une somme énorme par rapport à ce que je sou-
tire auprès de mon père,
si bien que j'ai été déjà sur
le Point de contracter un sérieux emprunt.-(11)
(8) Rosenberger E., op. cit. p. 255.
(9) ~. p. 67.
(10) Dubois Reymond, Estelle, op. cit. p. 8. Ces plaintes de Du-
bois sont contestées par ses propres enfants qui condamnaient
l'ingratitude de leur père en alléguant le niveau intellectuel

- 18 -
Ce difficile tournant de sa vie restera à jamais gravé dons
la' mémoire de Dubois et constituera un stimulus è ses efforts
intellectuels.
Dubois n'a pas seulement hérité de ses parents des soucis
matérièls mois aussi des aptitudes intellectuelles. Le père de
Dubois se distinguo par la composition de deux ouvrages où se
révélaient tous ses talents de chercheur. Le premier.
L'appa-
reil d'Etat et l'éducation humaine,
renferme un vaste program-
me social. Le second, Kadmus, traite des fondements linguisti-
ques et ethnologiques, c'est à dire de l'origine et du earactè-
re des accents, une branche de la science fondée plus tord par
des physiologistes allemands Hermann von Helmholtz et Ernst BrUk-
ke sur une base physiologique(12). Par ses recherches,
le père
d~bubois était en avance sur son temps. Certains critiques re-
connaissaient en lui
·un esprit doué pour les sciences de la nature et la
linguistique.-(13)
Le père de Dubois avait fait des études de médecinp et particu-
lièrement d'anatomie; il se disait né
pour la recherche. Mois,
malheureusement, sa carrière en ce domaine ne fut pas longue. Il
voit en son fils Emil, second d'une famille de quatre enfants,
l'esprit adéquat capable de réaliser la vocation paternelle.
que leur grand-père lui avait fait acquérir.
(11) ~. p. 94.
"In diesem Fall nëmlich wëre ich gesennen( ... ) eine
Ubersetzung aus dem Franzosischen oder Englischen zu
~
Ubernehmen. ~eine Absicht dabei ist lediglich die,
~
Geld zu verdienen, ja meinen Namen mcchte ieh sogar un-
t.;
terdrücken. Meine experimente und Bücher kosten mr
1
nëmlich im Verhëltnis zu dem, was ich bei meinem Va-
l'
ter loseise. ein Enormes Geld, so dess ich schon ouf
1\\..•.....•.
dem Punkt gewesen bin. eine ernstliche Anleihe zu mache~' ;
(12) Rosenthal J., Emil Dubois Reymond. Berlin 1897, p. 125,
,.
le
Ernst BrUcke (1819-1892~
~
(13) Rosenberger E., op. cit. p. 1~O. Cette citation est en fran-
çais dans le texte.

- 19 -
Dubois était l'élu intellectuel du père. Ceci explique
sans doute le climat de tendresse entre eux et surtout l'iden-
tification du père au fils ainsi que l'amour ardent du fils
pour le père. Dubois ne reprochait rien à sa mère, mais il con-
sidérait son père comme son
seul compagnon(14). A la mort de
sa mère en 1864,
il était plutôt préoccupé par
l'état moral de
son père,
désormais condamné à la solitude(15). Son discours,
Félix Dubois Reymond/prononcé en 1865 à la mémoire de son père,
exprime toute sa reconnaissance pour les efforts paternels à
son égard et traduit la place qu'occupait son père dans sa vie.
L'éducation de Dubois était à la mesure de l'idée que le
père
se faisait de son fils et de sa place dans la famille. C'é-
tait une éducation méticuleuse et sans austérité. On en devine
quel~ues traits à travers ces propos du père
"N'éparGne pas les petites dépenses nécessaires pour te
mettre d'abord à l'aise. Bonne chambre,
table copieuse
et saine, bon lit, pièces d'habillement,
linge,
livres
et services domestiques nécessaires( .•. ) Mais en fait
1
de plumes,
d'encre, de papier, de livres, de logement,
d'habillement et surtout de manger,
voilà sur quoi il
faut économiser. w(16)
Ces conseils du père, sans être exclusivement
réservés à la
formation d'un futur savant(17), sont ceux d'un père qui aime
son enfant et se soucie de son bien-être comme de son devenir.
Il ressort de cette étude que les origines de Dubois lui
assurèrent certaines prédispositions. En effet, Oubois était,
(14) Rosenberger E., op. cit. p. 273,
,
i
(15) Dubois Reymond Estelle, Zwei grosse Naturforscher des 19.
1
l'
Ir
Jahrhunderts. Ein Briefwechsel zwischen E. Dubois ~eymond und
Karl Ludwig. Leipzig 1927, p. 156.
1
(16 ) Rosenberger E. , op. cit. p. 275.
!
(17) Metze E. , Dubois Reymond,
sein Wirken und seine Weltanschau-
!
ung. Bielefeld 1818, p. 8.
1
1

~
\\!
-
20 -
!
1
dès la naissance, au confluent des talents artistiques et rhé-
1
r
toriques de ses grands-parents maternels et des capacités
1
scientifiques de son père. En outre,
le climat familial demeu-
1
re propice à son épanouissement. Ainsi l'évolution scolaire de
~
Dubois qui sera étudiée par la suite, pourrait être considérée
lh!
en prenant comme point de départ cette situation psychologique.
l'1~
2. Le Collège français de Berlin (18)
1
Nous n'avons la prétention ni de relater l'histoire du
Collège français de Berlin ni de décrire la vie de Dubois dons
l'établissement. Notre but est d'analyse~ les grands idéaux aux-
quels aspire cette école des réfugiés et, si possible,
les in-
fluences de ceux-ci sur l'auteur.
Après ses études primaires, Dubois entre ou Collège fran-
çais de Berlin. Eu égard aux origines et à la confession de Du-
bois,
le Collège français
est le mieux
adopté à sa formation.
Fondé en 1689, dans un esprit de tolérance, après la révocation
de l'édit de Nantes,
il compte parmi les établissements royaux
de Prusse. A en croire un de ses directeurs, Kurt Levinstein,
le
Collège français a une double vocation:
il s'agit de
~
il,
"créer une patrie aux émigrés et de donner à leur jeu-
.j.
nesse une école adaptée.-(19)
Le Collège français est un lieu de formation et d'éducation,
mois symbolise avant tout la patrie française.
Ses élèves
é-
taient,
pour la plupart, des enfants de réfugiés. Contrairement
aux établissements de Prusse, le Collège béneficie d'importantes
prérogatives royales.
Il formait une école complète, aussi bien
(18) Dos franz~sische Gymnasium.
(19) Festschrift zur Feier des 260.
jëhrigen 8estehens des
fronzosischen Gymnasiums. Berlin 1949, p. 7
t
"Vertriebenen eine Heimat schaffen,
ihrer Jugend
!
eine eigene Schule geben."
f
1
!!
1~(~

-
21
-
matériellement qu'intellectuellement nantie,
et s'imposait
comme "une université de second ordre"(20).
L'enseignement dans le Collège français était conforme
aux objectifs de Itécole de préparer la jeune génération aux
emplois civils, aux fonctions, ecclésiastiques et 1udiciaires.
Il reposait sur une culture religieuse intense.
Les élèves de-
vaient se familiariser avec l'Ancien Testament, mais aussi pos-
séder la morale chrétienne et les dogmes fondamentaux de la
religion calviniste. La finalité de cet enseignement est de sti-
muler avec toute le rigueur possible,
l'activité de l'élève en
l'orientant vers le bien et le juste(20a).
Cette éducation,
si elle s'inscrit dans la tradition et
dans les statuts du Collège, ne fait pas de ce dernier une sin-
gularité au regard du système scolaire prussien. En effet,
la
Monarchie prussienne est un Etat chrétien et son système d'édu-
cation exige que l'instruction religieuse soit un enseignement
essentiellement chrétien. Cette structure fondamentale du systè-
me scolaire prussien a aussi pour but d'inculquer aux jeunes âmes
une conception du monde dans laquelle Dieu ait toute sa place.
Dubois offre un témoignage vivant de la marque de cette éduca-
tion
deux ans après son entrée au Collège.
La conclusion du
rapport de son voyage le traduit:
"Il ne me reste plus rien qu'b remercier Dieu de nous
avoir ramenés tous ensemble sains et saufs à Berlin et
surtout d'avoir rempli le but de notre voyage. Et la
providence divine ne noue a-t-elle pas conduits à tra-
vers tous les dangers.-(20b)
Ces lignes, dignes de la plume d'un pasteur,
sont un signe révé-
(20) Bartholmess C., Histoire philosophigue de l'Académi~ de Prus-
~. Paris 1850-1851, p. 6.
(20a) L'instruction secondaire en Prusse. Paris 1865, p.
28.
f
(2Gb) Familienarchiv: Nachlass
Runge -
Dubois Reymond. Kapsel 8. 1
t
!
1

-
22 -
.r
lateur de l'influence religieuse et de la foi de Dubois. Dubois
i
croit fermement à la transcendance
et au rôle régulateur de
la providence divine.
Outre ses études religieuses, Dubois devait achever sa
culture humaniste et classique au Collège fronçais. L'enseigne-
ment des langues grecque et latine y vise un but essentielle-
ment cosmopolite. Un ancien élève du Collège insiste sur cette
ouverture que cultive l'établissement à travers les langues
classiques:
1
·C'est seulement quand nous aurons retrâuvé le point
de départ commun à tous les Européens, que nous com-
1
prendrons nos voisins et les reconnaîtrons comme
nos semblables.-(21)
1
Il s'agit pour le Collège français d'inculquer à l'élève les
1
fondements de la civilisation européenne considérés ici comme
un trait d'union et un facteur d'unité. Le Collège tente égale-
ment de s'ouvrir au monde par l'importance qu'il accorde aux
1\\
langues modernes,
notamment ou français qui est la longue domi-
Il,....•/
nante de l'établissement. Seuls les cours d'allemand et de re-
l'
ligion sont dispensés en allemand.
Le reste des matières est
II
enseigné en frcnçais(22).
rels sont les traits 9$sentiels qui
l'
caractérisent le Collège français de Berlin.
1~i
1
L'enseignement,
il est vrai,
ne se limite pas aux disci-
1
1.
plines citées ci-dessus.
Il comprend aussi d'autres matières re-
latives au cycle secondaire en Prusse. Cependant,
il se singu-
1
1
!
(21) Festschrift zur Feier des 260.
jahrigen 8estehens des fran-
t
1
zësischen Gymnasiums,
p. 74.
-Erst wenn wir zu dem olten Europëern gemeinscmen Aus-
J
i
gangspunkt zurückgefunden haben, werden wir unsere Nach-
1
j
barn verstehen und sie uns anerkennen."
Î
1
l
(22) lb id.
p. 1 4.
1
1
.,
l
~
1
1
;
1
;
1
J

-
23 -
larise par ses vis~es morales et sociales qui orientent l'~­
ducation de la jeunesse vers la x~nophilie. Un tel enseigne-
ment contribue ~galement à d~velopper chez l'~lève
des senti-
ments n6bles et le respect pour la France dont
la langue et la
culture sont l'objet d'~tude au sein du Collège.
C'est dans cet esprit du Collège,
soucieux du strict res-
pect de sa règle prernière, à savoir l'amour du prochain(23),
que Dubois, après sept ans de scolarité, passe son baccalaur~at
en 1837. L'examen se compose de neuf matières(24): Dans les
quatre langues,
l'allemand,
le français, .le grec et le latin
Dubois reçoit une appréciation très favorable du jury pour ses
capacit~s linguistiques éminentes. Le jury insiste sur l'él~­
gance de son style et sur la suffisance de ses connaissances(25~).
Cependant,
il n'en est pas de même en mathématiques où les r~­
sultats restent très moyens(25b). Cette matière a toujours été
la bête noire de Dubois.
Un peu plus tard, après '~Yoir opté
pour l'étude des sciences de la nature,
il ne ressent toujours
pas l'importance et
l'utilité des mathématiques. Ces propos
le montrent:
"Tout comme Hallmann mais sensiblement plus jeune,
j'~tais parvenu à l'époque aux études math~matiques
qui me demeurèrent fastidieuses parce qù'elles n'~­
taient pas une matière convenant à mes capacit~s pro-
pres mais aussi l'instruction de caractère formel
qu'elles me dispensaient ne correspondait encore è au-
(23) Ibid.
p. 7.
(24)
Ici nous nous appuyerons essentiellement sur les mentions
f
r,
port~es sur le diplôme de l'homme.
t
(250) Familienarchiv: Nachlass - ~unge - Dubois Reymond. K 10.
Extrait du baccalaur~at.
1
(25b) Ibid.
i
1
1
. 1
1

-
24 -
cune matière satisfaisante."(25c)
En revanche, en physique et dans les sciences naturelles,
les résultats sont prometteurs. La commission mentionne que Du-
bois
"témoignait constamment un vif empressement et un goût
intense po~r les sciences de la nature, ethqJ'il a
acquis des connaissances et des points de vue qui mé-
ritent d'~tre plus ample~ent développés;"(26)
Les efforts de Dubois dans les sciences de 10 nature ne satis-
font pas totalement les autorités prussiennes, mois les encou-
ragent dans leur initiative d'innovation scientifique dans l'en-
seignement du Collège français,
car, cinq ans avant l'arrivée
de Dubois, le Collège était devenu un établissement d'Etat.
1
1
i
L'enseignement avait perdu en partie son caractère rhétorique
1
et avait été adapté à l'évolution scientifique. Ainsi,
les scien-
t
ces de la nature,
jusque-là négligées, furent mises à l'honneur(2711
l
~
Mais la prédilection de Dubois porte sur l'histoire ancien-
ne et surtout sur la philosophie et la religion. Pour ces deux
dernières disciplines, la commission du baccalauréat était una-
nime sur la vivacité de l'imagination de Dubois et sur la pré-
disposition de l'homme à la pensée abstraite. L'appréciation
(25c) Dubois Reymond E., Reden 2. Bd.,p. 95.
1
~
,
"Ich war damaIs wie Hallmann, aber betrëchtlich jUnger
1
bei mathematischen Studien angelangt, die mir leblos
!
blieben, weil sie an sich kein meinen eigentUmlichen
1."
Krëften zusagender Stoff waren,der formalen Bildung aber, 1
die sie mir gewëhrten, noch kein genügender Inhalt ent-
l
sprach~
:
[
(26) Familienarchiv .... Extrait du baccalauréat.
i
" ... bewies stets reg en Eifer und Geschmack fUr die Natur-
wissenschaften und hat er sich Erkenntnisse und Einsich-
ten erworben, welche weiter ausgebildet zu werden verdie-
nen."
(27) Festschrift zur Feier des 260.jëhrigen Bestehens des franzë-
sischen Gymnasiums
p. 16.
t

- 25 -
obtenue est la suivante:
"Il a acquis de bonnes bases pour l'étude ulté-
rieure des sciences philosophiques( ... ).
Il veut d'a-
bord étudier la philosophie à l'université locale et
se Consacrer plus tard à la carri~re théologique."(28)
Dans l'ensemble,
les résultats de Dubois au baccalauréat
sont satisfaisants . Ils montrent un certain équilibre des ca-
pacités de l'homme qui,
s ' i l n'est pas excellent élève au même
titre que son futur antagoniste Ludwig Windhorst(29), garde ce-
pendant des qualités d'él~ve travailleur et appliqué. Eu égard
à ses talents linguistiques, il pourrait être cité parmi les mo-
d~les du Coll~ge qui recherche en ses él~ves le caract~re poly-
glotte. Ses connaissances linguistiques seront d'·une gronde uti-
lité pour la future carrière de Dubois.
j
Quand il quitta le Coll~ge français pour l'université, il
était bien imprégné de la foi et de la culture religieuses.
Il
1f
était également mieux préparé aux études littéraires que scien-
!~'
tifiques.
i:
3. Une jeunesse studieuse et marquée par la science
C'est à la faculté de philosophie de l'université de Ber-
lin que Dubois prend sa premi~re inscription. La faculté de phi-
losophie en Allemagne a une connotation plus large. Elle com-
prend toutes les mati~res enseignées en France dons les facultés
de lettres et de sciences: la philosophie,
l'histoire et la géo-
(28) Familienarchiv •.• Extrait du baccalauréat.
"Er hat einen guten Grund zum weiteren Studium der phi-
losophischen Wissenschaft gelegt( .. ,), Er will zuerst
auf der hiesigen Universitijt die Philosophie studieren
und sich spater der theologischen Laufbahn widmen.·
(29) Colonge P., Ludwig Windhorst
(1812-1891).
Tome 1, Paris 1983,
p, 13.

-
26 -
graphie,
les sciences humaines, mathé~atiques, physiques et na-
turelles,
les cours d'économie politique,
de finances
et enfin
la philologie(30). Celle de Berlin
est l'une des plus célèbres
de Prusse. Sa renommée est redevable à des noms tels que Fried-
rich Schleiermacher le théologien protestant,
les frères Hum-
boldt - Alexander le naturaliste et Wilhelm le philologue -,
Henrik Steffens le naturaliste ••• qui ont marqué l'histoire de
,
la pensée allemande. On est do~c en droit de supposer une qua-
·1
lité de la formation en rapport avec la notoriété des enseignant~. itf
Durant le premier semestre,
les matières littéraires do-
1
1
minent dans les études de Dubois.
Il assiste volontiers aux
1
cours de philosophie de la nature de Steffens, membre de l'Aca-
f
démie des Sciences de Prusse. Il prend également des cours au-
près du célèbre théologien Neander avant de terminer sa forma-
tion par des cours d'esthétique(31). Nonobstant l'éminence de
l'enseignement, ces cours laissent Dubois indécis sur son orien-
tation. Ce n'est qu'au second
semestre que Dubois est séduit
par un cours du chimiste Eilhard Mitscherlich(32). Ce dernier,
à qui l'humanité doit un important traité de chimie, était pro-
fesseur de chimie éminent à la faculté de philosophie et membre
de l'Académie des Sciences de Berlin. C'est grâce à Mitscherlich
que Dubois s'oriente vers les sciences de la nature.
Dubois quitte Berlin pour Bonn o~ Il esp~re continuer ses
4tudes scientifiques; mais auparavant il prend soin de renouer
entièrement avec les mathématiques et la physique(33).
La rai-
(30) Dreyfus B. E.,
L'université de Aonn. Paris 1~79. p. 71.
(31) Herneck F., Emil Dubois Reymond und die Grenzen der mechanis-
tischen Naturauffassung.
In~ Forschen und Wirken ... p. 230.
(32) Engelmann Th. W., Ged~chtnisrede auf Emil Dubois Reymond.
Berlin 1898, p. 4. Eilhard Mitscherlich(1794-1863).
(33) Herneck F., op. cit. p. 230.

-
27 -
son fondamentale de ce changement mérite d'être évoquée. Le pè-
re de Dubois l'expose dans une lettre à son fils dont voici un
extrait:
" ... Ton plan de cours pour l'hiver prochain, si tu y
reviens, me parait très combiné. De plus, il y a main-
tenant à Berlin ce qui te manquait lorsque tu fréquen-
tais la chimie de Mitscherlich, un laboratoire ouvert
aux étudiants qui veulent s'y exercer, ce qui était un
moti f de ton voyage à Bonn et de ton séjour projeté de
préférence à Poppelsdorf~(34)
1
!
t!
!
On remorque que ce n'est pas la nature de l'enseignement
f!
qui détermine le départ de Dubois pour Bonn. Dubois déplore l'in-
f
,
~
digence matérielle de la faculté de philosophie de Berlin. Le
t
phénomène est paradoxal. L'université de Berlin, considérée com~
me hors pair, est, à en croire Dreyfus, la plus importante d'Al-
lemagne, suivie de celles de Leipzig et de Munich. Elle tend
davantage, de jour en jour, à centraliser toutes les forces in-
tellectuelles de Prusse. Matériellement, elle est assez bien
pourvue et n'a rien à envier à celle de Bonn(35).·
Cependant, au XIXe siècle, l'université de 80nn est, après
celle de Berlin,la plus dotée de Prusse. Elle doit son lustre
..
..
et sa prospérité a la faculté de médecine, mais surtout a celle
de philosophie dont l'enseignement des sciences naturelles res-
te de beaucoup le plus remarquable(36). C'est à Poppelsdorf que
t
(34) Familienorchiv: Nachlass - Runge - Dubois Reymond. K 10, Brie.~,
fe des Vaters on den Sohn,3. August 1838; cette citation a été
1
1
intégralement et fidèlement reproduite.
(35) Dreyfus B. E., op. cit. p. 56 et suiv.
(36) Id.,
Ibid. p. 124.

- 28 -
sont r~unis la plupart des instituts de sciences~naturelles
dont l'institut de chimie, le plus important de l'université
de Sonne
C'est donc dans cette facult~ de philosophie non moins
célèbre que Dubois, sans abandonner sa vocation littéraire, pour-
suit ses activités pluridisciplinaires. A l'exception des cours
d'économie politique et de finances, Dubois embrasse la plupart
des branches des sciences humaines et des sciences de la nature.
Il aborde avec enthousiasme la géologie,
la botanique et la mi-
néralogie(37). En revanc~e, les premiers cours de philosophie et
de psychologie laissent en Dubois une certaine insatisfaction et
.de l'amertume. Après avoir suivi le premier cours de philosophie,
Dubois confie à son père:
"J'entendroi après-dîner la première leçon de psycholo-
gie de Richte. Cette fois-ci, il paraît que ce sera du
positif et du solide que je recevrai et point cette
crème fruitée, comme tu l'appelles, du très aimable,
très spirituel et très éloquent Steffens auquel Richte
devrait un peu emprunter les avantages extérieurs."(38)
Les reproches de Dubois concernent particulièrement l'in-
f
. 1
Consistance de l'enseignement de la philosophie et de la psy-
Chologie. Dubois semble déprécier ici son professeur d'anthro-
pologie, Steffens, dont il n'exclut pas l'influence sur Richte
et qu'il retrouvera à la fin du semestre à l'université de Ber-
lin. Finalement, il quitte 80nn après n'avoir suivi qu'un seul
(37) Herneck F., op. cit. p. 230.
(38) Familienarchiv: Nachlnss - Runge - Dubois Reymond. K 10
Briefe von Dubois Reymond an seine Eltern, 18 mai 1838.

-
29 -
cours de psychologie et d'histoire de la philosophie(39).
Il
en demeure profondément marqué.
Désormais, Dubois consacre une grande partie de ses acti-
vités au domaine de la
science de la nature. De cette nouvelle
vocation quasi exclusive, i l lui restera une amitié de taille,
celle qu'il lia avec un jeune médecin Eduard Hallmann, alors
assistant de l'illustre physiologiste Johann MUller. Hallmann
n'a pas échappé à la liste des naturalistes du XIXe siècle,
qui ont suivi le chemin allant des études de théologie aux étu-
des des sciences de la nature, en passant par la philosophie(40).
Son r&le a été déterminant dans la vie intellectuelle et pro-
fessionnelle de Dubois. On découvre dans le discours' La vie d'E-
duard Hallmann(41) que Dubois doit son orientation vers la
physiologie en grande partie à Hallmann. L'auteur lui en sait
gré:
"S'il m'a été accordé, depuis lors,
d'o~complir quelque
chose de fructueux en physiologie,
le mérite lui(Holl-
mann) en revient avant tout.-(42)
Au demeurant,
le discours de Dubois sur Hallmann ~~est qu'un
éloge sans cesse répété des qualités morales et intellectuelles
du jeune médecin.
L'a~teur conclut
ce
panégyrique par un hom-
mage dithyrambique, disproportionné par rapport à la célébrité
(39) Idem.
lettre du 15 mai 1838.
(40) Dubois Reymond E., Eduard Hallmann's Leben.
ln: Hallmann.
Oie Temperaturverhël tnisse der QuelleO. 2. Bd .• Ber lin 1854-1855,
p. 91.
(41) Eduard Hallmann's Leben, discours prononcé par Dubois en
1855 à Berlin à la mort de Hallmann. Le jeune médecin avait 42
(42) Dubois Reymond E •• op. cit. p. 95.
"Wenn es mir seitdem vergonnt gewesen ist,
in der Phy-
siologie etwas Erspriessliches zu leisten,
50
gebührt
das Verdienst davon zunachst ihm.-

\\
-
30 -
véritable de Hallmann:
"La postérité citera son nom et jugera que Hallmann
a été une bonne âme et un grand homme."(43)
.
Dubois couronne sa formation en médecine et plus particu-
lièrement en physiologie auprès de Johann Müller. Müller, an-
cien étudiant à l'université de Bonn comme Dubois', y a ensei-
gné avant d'occuper une chaire de physiologie à Berlin(44). De
Bonn à Berlin, la promotion est édifiante. Elle révèle d'au-
tant plus les aptitudes intellectuelles du promu que, dans la
hiérarchie des universités de Prusse,
la nomination à Berlin
signifie l'acquisition du bâton de maréchal(45). Nul ne dou-
tait de la place de MUller dans l'histoire des so-iences de la
nature. Le père de Dubois est également conscient de cette au-
torité intellectuelle et le fait savoir à son fils:
"L'ouvrage de notre professeur Johann Müller est pro-
bablement 1. plus savant qui soit paru jusqu'à présent
et je l'ai particulièrement noté, après l'avoir feuil-
leté, pour m'en servir si une fois
je reprends et ter-
mine mon a~phabétique générale."(46)
Dans son discours sur Müller, Dubois expose
succincte-
ment la méthode de travail à laquelle est astreint tout étu-
diant de Müller. Elle se singularise par un libéralisme métho-
dique. On apprend que Müller est à la recherche d'esprits de
talent.
Il ne recrute ses étudiants qu'à l'issue d'un test;
il
leur offre des conditions de recherche avantageuses et dévelop-
( 43 ) 1b id.
p. 1 09.
"Oie Nochwelt wird seinen Namen nennen und urteilen,
1
dass Hellmann ein guter Mensch und ein grosser Mensch
1
i
gewesen ist."
(44) Dubois Reymond E., Gedachtnisrede auf Johann Müller. Berlin
1"..'
1860, p. 66. Ce discours a été prononcé à Berlin le 8 Juillet 1858,
(45) Dreyfus B. E., op. cit. p. 59.
.1;
(46) Familienarchiv •.. Brief. des Vaters an den Sohn.
3. Aug. 1838. i
1
~
!
1
,.
~,
,

-
31
-
pe en eux l'esprit d'initiative personnelle en exigeant qu'ils
volent de leurs propres ailes(47).
En tant qu'étudiant préféré de Müller, Dubois a égale-
ment vécu l'expérience de la rigueur et de la minutie qui ca-
ractérisent l'esprit de Müller. Il raconte que, souvent, MUl-
ler lui lit la description d'une forme complexe sons lui mon-
trer l'objet: puis il le lui fait dessiner pour s·assurer si la
description a suscité la juste représentation(48), Plus tord,
on retrouvera chez Dubois tout l'esprit de MUller auquel il suc-
cédera à la chaire de physiologie de Berlin.
On imagine la nature de la formation de Dubôis: une for-
mation solide où la précision et l'exactitude se donnent la main
et où tous, les efforts intellectuels du jeune hOnYT'le sont cana-
lisés vers un travail permanent des thèmes scientifiques. Après
deux mois de formation auprès de MUller, Dubois confirmait déjà
cette réalité patente, à savoir qu'il ne vivait que
de
scien-
ce(49). Cette remarque n'est pas moins pertinente~· Les lettres
de jeunesse de Dubois laissent découvrir que le milieu de l'au-
teur n'est qu'un univers de naturalistes où figurent des noms
plus ou moins célèbres et où l'expérience scientifique demeure
l'ossature de la pensée. On le constate dans cette réflexion
émouvante de Dubois à Hallmann:
"Mes rapports sociaux sont entièrement ~éduit5 à zéro.
Je ne vo~s que des os, des préparations et des savants;
aUCun pas amical ne franchit le seuil de ma porte(,. ,)
(47) Dubois Reymond E., Gedëchtnisrede ouf Johann MUller,
p. 148.
(48) Ibid. p. 143.
(49) Dubois Reymond Estelle, Jugendbriefe von E, Dubois Reymond
an Eduard Hallmann,
p. 31.

-
32 -
Je pense néanmoins que le temps arrivera où je dirai:
'A pr~sent, il faut que tout, vraiment tout change. n (50)
Dubois est écrasé dans cet
univers scientifique.
Il a le
sentiment d'appartenir à un monde qui l'accepte sur le plan
intellectuel, mais l'isole sur le plan social. Cependant,
il
reste optimiste et recourt au travail intellectuel pour se déta-
cher de ce ~onde socialement antipathique.
L'amour de Dubois pour son travail,
si nous pouvons l'ap-
peler ainsi,
lui a ~té l~gu~ par sa famille. Déjq, la grand-mè-
re de Dubois articulait sa philosophie sociale autour de l'hon-
nêteté et du salut par le travail(51a~ Perpétuée par le père,
cette philosophie semble atteindre chez Dubois son point culmi-
nant. En parcourant ses lettres de jeunesse, on serait tenté
de croire que tous les projets du jeune homme convergeaient
vers cet intérêt. Au demeurant,
les alliances amicales scellées
avec de jeunes scientifiques comme Ernst Brücke, Carl Ludwig(51b)
et Hermann von Helmholtz, de 1839 à 1847, s'inscrivent dans cet-
te perspective de coopération intellectuelle.
Dubois a consacré toute sa jeunesse à la recherche scien-
tifique.
Il y est parvenu grace à Goethe •. C•• propos à Hallmann ..
le montrent:
-Ainsi je suis bien désireux de voir quand s'offrira
(50) Id. ~. p. 60,
-Meine gesellschaftlichen Verhaltnisse sind kOMPlett
auf Null reduciert. Ich sehe nur Knochen und Prëparate
und gelehrte Manner,
und über meine Schwelle kommt kein
freundlicher Fuss.{ .•. )Und ich meine, es solI doch nur
die Zeit kommen, wo ich sage:
'Nun muss sich alles, al-
les wenden.-
(51a) Rosenberger E., op.
cit. p.
32.
(51b) Carl Ludwig (1816-1895),
physiologiste allemand.

-
33 -
à moi cet avenir tant promis, plus vivant et plus
heureux.-
Et dans une expression pastichant un vers de Goethe, il conclut:
"En attendant,
je me contente des mamelles de la scien-
ce."(52)
Dubois trouve dans l-activité scientifique une thérapeu-
tique à son mal. En considérant l'activité scientifique comme
Sa seule passion, Dubois a toujours présen~à l'esprit l'image
de Faust, attaché à son ardent désir pour Marguerite. Il tente
de s'identifier au héros de Goethe. On perçoit ici l'influence
morale et stimulatrice du poète de Weimar dans la vie du jeune
étudiant qui affirme savoir par coeur la première partie de la
tragédie de Faust depuis l'âge de 16 ans(53).
Durant sa formation universitaire, Dubois a beaucoup souf-
fert d'abse~e d'affection féminine. Il a sacrifié toute sa vie
sentimentale à sa réussite intellectuelle. Il résume à Hallmann,
avec une grande satisfaction, sa vie d'étudiant à Berlin:
"Comme toi,
j'ai vécu une jeunesse misérable, monotone,
triste, uniquement dominée par la pensée et le travail.
Je n'ai jamais serré une bien-aimée sur mon coeur,mais
en compensation, je peux dire mienne en permanence,une
(52) Dubois Reymond Estelle, op. cit., p. 49.
(
t
"50 bin ich denn begierig genug, zu sehen, wann mir eine
l
so verheissene, belebtere, glücklichere Zukunft erschei-
!
nen wir~: ... Indess lasse ich mir an den Brüsten der Wis-
1
senschaft genügen.-
'1,,
Dans la suite de sa lettre, Dubois indique d'une manière impréci~
se qu'il a voulu pasticher le vers suivant:'An ihrer Brust will
ich mit Freude hëngen.' Or ce vers, placé dans la bouche de Faust,
n'existe pas. En revanche, ce vers inexistant semble bien résulter
de l'amalgame des vers suivants, tirés de la première partie de la
tragédie de Faust:/ILass mich an ihrer Brust erwërme~(vers 3346)
/Ach kann ich nie/ Ein Stündchen ruhig dir am Busen hëngen/(vers
3502-3503).

-
34 -
communaut~ d'esprits et d'ames d'~lites."(54)
Ce bilan relativement favorable que trace Dubois de son s~jour
à l'universit~ de Berlin ~mane d'un esprit assez mûr et surtout
conscient de son devenir,
d~termin~ par la science.
Après son doctorat en médecine, qu'il obtient en 1843
avec la mention"tr~s bien", Dubois sort de l'universit~ avec
.
une bonne opinion des sciences de la nature et des finalit~s de
cette discipline.
Il impute à la physique le devoir de donner
une d~finition de la matière(55).
On remorquera donc que l'orientation de Dubois vers les
sciences de la nature à l'université ne relève d'aucun fait
pr~visible.Elle est le fruit- d'une gronde admirat"ton pour la
qualit~ de l·enseignement de la science
à travers Mitscherlich
et aussi la conséquence d'une déception de l'auteur de l'ensei-
gnement littéraire à l'uniYersit~ de Bonn. C'est donc par un
simple fait du hasard que Dubois embrasse la carrière scienti-
fique. Force est ici de constater également un grand impact de
la vocation litt~raire sur Dubois.
De ses sept ann~es d·~tude& universitaires, Dubois retien-
dra les notions-cl~s des sciences de la nature, à savoir:
la
matière,
le calcul et l'expérience qui marqueront sa manière
d'appréhender la philosophie et la religion.
(53) Mann G.,
Naturwissen und Erkenntnis im 19. Jahrhundert,
(54) Dubois Reymond Estelle, op.
cit. p. 121.
"Ich habe,
gleich dir,
eine kahle,
6de,
traurige,
nur
denk- und arbeitsreiche Jugend verlebt.
Ich habe nie eine
Geliebte an meine Brust gedrückt. Aber ein Ersatz ist
mir geworden,
stets einen Kreis auserlesener Geister und
Seelen mein zu nennen."
(55)
Ibid.
p.
34.

-
35 -
4. L'évolution de Dubois
C'est dans cet univers scientifique que Dubois cultive
sa conscience naturaliste:
une conscience marquée en ce début
du XIXe siècle par une antipathie pour la philosophie. Cette
tendance se cristallise le plus à Berlin.
L'Acodémie des Scien-
ces donne d'ailleurs le ton en ce domaine.
Un outeur françois
note sans surprise que certains esprits de grande envergure
comme Fichte,
Novalis et même Hegel. n'ont pas été élus à l'Aca-
démie parce 1qu'ils sont philosophes(56).
L'hégémonie de la philosophie était consid~rée comme
vaincue. Dubois constate lui-même l'allergie de son milieu à
la philosophie. Outre les instructions formelles reçues de Hall-
mann et condamnant toute oeuvre philosophlque(57),Oubois découvre
que MUller, dans son piétisme, était le premier à combattre l'es-
prit spéculatif au nom de l'expérience scientifique, quoiqu'il
prit soin par la suite de se démarquer légèrement de ce cou-
rant(58). Dubois,
lui, ne tarda pas à adopter l'esprit de son
milieu. Sans perdre de vue l'intérêt de cette science,
il dé-
finit la philosophie comme un ensemble de spéculations stéri-
t
les,
sans fondement qu'expose le docteur de la sagesse universel-

le. En revanche,
il reconnaît que par elle, on apprend une mul-
titude de termes techniques et dialectiques(59).
On remarque que Dubois a subi les influences de son milieu.
1
L'image du jeune élève du Collège français, enthousiasmé par la
1
~
i
philosophie s'efface progressivement devant celle du jeune étu-
l
~
1
!
.(56) Bartholmess C., Histoire philosophique de l'Académie de
i
Prus-
~.
p.
430.
~I
1
(57) Dubois Reymond Estelle, op.
cit. p. 70.
(58) Dubois Reymond Emil, Gedëchtnisrede auf Johann MUller, p.
~
32.
1
~.
(59)
Dubois Reymond Estelle, op.
cit. p. 28.
w

1
,t
-
36 -
\\
diant en physiologie. Pourtant,
tout laisse croire que, malgré
ses considérations relativement négatives sur la philosophie,
Dubois n'a pas totalement
rompu avec cet te dise i p'li ne qui,
ce-
pendant,
reste secondaire dans ses activités.
Les raisons qu'il
évoque pour justifier cette ambiguité
amanent d'un désir d'é-
rudition. Duhois est conscient de ses carences en philosophie.
C'est par la connaissance
historique'en philosophie qu'il tente
de les combler.
Il explique sa méthode à Hallmann:
"Tu ne verras probablement pas d'un bon oeil que j'aie
commencé des études de philosophie de l'hi~toire; mais
tu ne connais pas mon inculture en philosophie."(60)
Dès son arrivée à l'université, Duhois se penche sur
l'oeuvre de Jean-Jacques Rousseau,
l'auteur préféré de son en-
fance,
dont il parcourut les Confessions. Dubois s'était avant
tout intéressé à l'autobiographie de Rousseau(61). Puis au delà
de la biographie et de la philosophie de l'homme,
l'attention
de Dubois a été retenue par la forme remarquable du récit de l'é-
crivain. Dubois conclut de cette lecture:
"Apr~s la lecture de ce livre, qui révèle un art de la
présentation tel qu'on ne le trouve peut-être plus
d'une manière semblable que dans Poésie et vérité,
nous
apparaissent; les aperçus les plus
lumineux sur les an-
1
técédents de la Révolution française.-(62)
L'imagination de Dubois a
~té frappée par l'art de l'écrivain:
t'
!
~:D:'W:::t
(60)
e6 vermutlich nicht mit gutem Auge sehen, doss
1
ich geschichtsphilosophische Studien begonnen habe; aber
1
...•
du kennst meine philosophische Unbildung nicht;"
-
(61) Nous rappelons ici que Rousseau a vécu de 1730 ô 1731 dans
1
le canton de Neuchâtel,
la région natale du père de Ouhois et que
t
depuis l'école primaire, Dubois était déjà informé sur ce philoso- i1
phe.
!
t,,
(62) Dubois Reymond Estelle, op.
cit. p.
71.
"Nach Lesung dieses Buches, worin ausserdem eine Kunst

-
37 -
le choix des épisodes, leur agencement,
l'éclairage des ta-
bleaux. Rousseau lui~même apparalt ici comme un instigateur de
la Révolution française. Pour Dubois, l'influence formelle du
k
,r
philosophe rationaliste sur Goethe, auteur de Poésie et vérité,
n'est pas à exclure.
Du rationalisme, Dubois passe à l'idéalisme. C'est avec
un vif intérêt qu'il aborde La philosophie de l'histoire de He-
gel. Il le confie à Hallmann:
Tout juste après les Confessions,
j'ai fait une lec-
ture intéressante, celle de la philosophie de l'his-
toire de Hegel dont l'introduction est écrite dans
un °langage accessible à tous et dans laquelle il n'y
a rien auquel toi et moi, tel que je te connais, ne
pourrions absolument souscrire."(63)
Dubois, en souscrivant à l'introduction de Hegel, parta-
ge avec le philosophe idéaliste l'idée de l'universalité de
l'histoire. Selon Hegel, l'histoire, pour ~tre universelle,est
aVant tout rationnelle. Son champ, c'est le domaine intellec-
tuel. Elle s'intéresse aux individus et aux Etats. Hegel tente
d'exclure de l'histoire les motivations humaines mais constate
que l'Etat lui-même est une union de la passion et de la raison.
der Darstellung sich gel tend macht, wie sie vielleicht
nur noch in ahnlicher Weise in Dichtung und Wahrheit
zu finden ist, gehen einem die luminosesten Aperçus über
die Antecedenzien der franz~sischen Revolution."
(63) ~. p. 72.
-Nachst den Confessions ~abe ich eine interessante Lektü-
re gemacht an Hegels Philosophie der Geschichte, der en
Einleitung ganz popular geschrîeben ist und worin nichts
steht, was Ou und ich, wie ich dich kenne, nicht unbedingt
unterschreiben moc~ten."

-
38 -
Il assigne alors à l'Etat et la société un rôle moral et régu-
lateur qui consiste à imposer des bornes et à limiter les sen-
timents subjectifs(64) La philosophie de l'histoire de Hegel
restera la plate-forme qui inspirera une trentaine d'années
plus tard l'élaboration de la théorie de l'histoire chez Dubois.
Quelques mois plus tard Dubois étend ses lectures des ou-
vrages philosophiques à Schelling dont il affirme avoir étudié
l'oeuvre à fond et avec une véritable utilité(65). Dubois se
garde ici de tout
jugement et de toute précision sur l'oeuvre
de Schelling.
Il faudra attendre une année plus tard avant
d'entendre Dubois s'exprimer sur la philosophie de Schelling.
Il écrit:
"Schelling est ici depuis plusieurs semaines et fera
un cours sur la philosophie - d e la Révélation
. Ain-
si le sage doyen'de la philosophie de la nature est
1
finafement
parvenu à édifier grandement toutes les a-
mes crédules comme, par exemple, mon père. Celui-ci af-
firme:
'C'est une forte tête;
il a fait
le tour'. Par
le 'tour'
il pense en effet à l'humeur chagrine dans
laquelle s'empêtrent au bout du compte,
en raison de
leur spéculation, des esprits aussi confus que Steffens
et consorts qui retournent à la foi.
En dépit de cette
légèreté, Schelling demeure un vieil édifice remarqua-
ble.-(66)
(64) Hegel G. W. F., Vor lesungen über Gesch i cht sph'ilo soph i e. Stutt-
gart 1961. Einleitung,
p. 25-157.
(65) Dubois Reymond Estelle, op.
cit.
p.
77.
Lettre du 17 oct. 18
(66) ~. p. 102. Lettre du 25 oct. 1841.
"Schelling ist seit mehrere Wochen hier und wird Philo-
sophie der - Offenbarung -
lesen.
Dahin ist der Nestor
der Naturphilosophie zur grossen Erbauung aller glëubi-
gen Seelen, wie z. B. meines Alten,
endlich gelangt.Die-
ser sagt:'Ctest une forte tête;
il a
fait
le tour'.
Mit
'le tour'meint er namlich den Katzenjammer,
in den so
kle Këpfe wie Stef1ens und Consorten am Ende aus ihrer

- 39 -
Dubois tente d'interpréter la philosophie de Schelling
dons un sens théologique,
comme un prêche dont
la finalité est
la conversion.
La philosophie de la nature,
dons 'l'esprit du
jeune Berlinois,
-
telle qu'elle est représentée par' son pro-
fesseur Steffens et par Schelling, dont les notions essentiel-
les se résument dons le panthéisme,
l'interprétation mystique
des données scientifiques et dons la découverte de la vérité
par la Révélation -
est une invite à la croyance~ Malgré son
mérite,
Schelling n'est'plus que le représentant d'une pensée
révolue devant foire place à l'expérience scientifique.
Subjugué par la discipline scientifique, Dubois ne coche
pas son intention de rompre avec toute orthodoxie et de reje-
ter toute religion. Dons ses confidences à Hallmann,
il s'ex-
prime avec une certaine impiété sur la foi chrétienne de son
ami Smith:
-Il croit à la lettre à la Bible. Aux questions insi-
dieuses de savoir s ' i l croit également ou fait que le
serpent a parlé et que le lion s'est nourri d'herbes -
cor comme chacun soit,
ou paradis ces bêtes ne se dé-
vorent pas mutuellement -
il répond facilement qu'il
est prêt à sacrifier toute la science à la foi."(67)
Dubois se détache donc de la réalité métapHysique de la
religion chrétienne.
Il semble convier la science à son tour à
Spekulation geraten,
und zum zurückkehren. Dieser Un-
zucht ungeachtet bleibt Schelling ein merkwürdiges altes
Gebëude.-
(67) ~' p. 53.
"Er glaubt on die Bibel - Wort für Wort. Verfongliche
Fragen, wie ob er dann auch glaube, dass eine Schlonge
gesprochen,
ein Lowe Gros gefressen habe -
denn im Pora-
diese verzehrten si ch diese Siester bekanntlich nicht ei-
nander -
beantwortet er leicht:
Er sei bereit
jede Wisse
schoft dem Glauben zu opf ern . "

- ~o -
se joindre au matérialis~e. Il résulte de cette rupture confes-
sionnelle un certain isolement du jeune étudiant par rapport
à son milieu familial fortement marqué par le calvinisme et par
rapport à son milieu universitaire, dont son prof~~seur, Johann,
MÜller et son ami Hallmann, qui concilient facilement
la scien-
Ce et lb foi chrétienne;
Dubois découvrant ain~i l'incompatibi-
lité de la science et de la religion.
Cette position critique face à la foi chr~'tienne marque
une étape décisive dons la vision du monde du je ,ne étudiant.
Dubois ne veut plus mettre son espoir que dans l observation
et l'expérience scientifique. Dans ce combat contre la théologie
et la métaphysique, on croit plutôt entendre La Mettrie ou d'Hol-
bach quoique, paradoxalement,
le second,
selon Dubois,
figure
aVe~ Diderot, d'Alembert et Helvetius sur la liste des rationa-
listes aux esprits peu profonds(seichte Aufkl~re~)(68). D'ail-
leurs,
grâce à son père, versé dans la philosophie du XVIIIe
siècle, Dubois était imprégné depuis son jeune âge de la pensée
du rationalisme français
et plus particulièrement de celle de
La Mettrie. Dubois nous rappelle lui-même ce souvenir d'enfan-
ce:
"Depuis presqu'aussi longtemps
que je puis le penser,
je me suis familiarisé avec La Mettrie.
L'homme-machi-
~ se trouvait dans la bibliothèque de mon père qui é-
tait un hamme du XVIIIe siècle et tôt me fit pénétrer
dans le courant d'idées de celui-ci. Dans les milieux
auxquels ma famille appartient, des anecdotes sur La
.,
Mettrie se sont conservées jusqu'aujourd'hui même."(69)
(68) ~. p. 71.
(69) eriefe von Dubois Reymond an G. Bertholdt.
In: Dannemann F.,
Mitteilungen zur Geschichte der V,edizin und de- Noturwissenschaf-
ten.
Leipzig 1919, p. 272.
"Ich bin mit La Mettrie fest sa l~nge bekannt gewesen,
w!~ ich denken kann. L'~o~mE-~och np befcnd ~ich in
meines Vaters eibliothek,
der e~n '~nn éps 16. Jc~r~un­
derts war und mich frUh in d~ss~n Ged~r'~enwege einfU~r-
1
i1

-
41
-
1r!
1
Dans l'ordre chronologique,
L'homme-machine semble être
la première oeuvre qui inaugura les lectures philosophiques
de Dubois.
le jeune homme est entré très tôt en contact avec
la pensée matérialiste,
ses défaillances à résoudre certains
problèmes et la théorie mécaniste exposée avec courage et dans
un langage imprégné d'athéisme dans l'homme-machine;
l'esprit
lamettrien caractérisé par la hardiesse du savoir et de la pen-
sée n'a pas également échappé à Dubois.
A partir de L'homme-machine, Dubois a cultivé des senti-
ments de haine pour les vaines spéculations et appris les mé-
thodes de rechercbe de la vfrité pragmatique. Celles-ci con-
sistent à se situer sur un terrain purement sensible et ~ re-
courir ou bâton de l'expérience pour exclure de la compréhen-
sion de la nature
-la métaphysique et l'apologétique chrétienne.-(70)
Ces méthodes essentielles de la pensée matérialiste seront re-
prises plus tord et formulées presque dans les mêmes termes
par d'Holbach dans son oeuvre Le système de la nature. la Met-
trie apparaît comme celui Qui a le plus éveillé la conception
matérialiste de Oubois. Plus tard on retrouvera chez Dubois quel-
ques héritages intellectuels et moraux du philosophe français.
On remarque l'absence de Kant parmi les auteurs d'ouvra-
ges lus ou étudiés par Dubois. Certes, Ka~t en tant que philo-
sophe allemand,
n'est pas inconnu de Dubois. Cependant,
hormis
Quelques rares références sommaires à Kant dans les correspon-
dances de Dubois et qui, en fait,
ne sont pas de nature à légi-
timer une approche des oeuvres du philosophe, on pourrait se
convaincre de la reticence du jeune étudiant face à la philo-
~e. In den Kreisen, denen meine Familie geh~rt, haben
1
slch,sogar bis heute Anekdoten Uber La ~ettrie erhalten.·.f
(70) La Mettrie J. O., L'homme-machine. Paris 1981, présentation
rr
de Poul-laurent Assoun,
P. 50.
!
î:\\f

l
tt
-
42 -
1
f
sophie kantienne. Dubois écrit ainsi à Hallmann:
"Je souhaite pouvoir lire maintenant ta dissertation
d'autant plus que,
pour moi,
le temps ne s'est pas
entièrement écoulé sans tempête.
Il m'est totalement
impossible de m'entendre avec mon père,
un disciple
achevé de Kant et en plus,
le dialecticien le plus ru-
sé du monde."(71)
Dubois a horreur de la dialectique prise par lui dans le
sens d'une argumentation abstraite, d'un débat d'idées.
Il sem-
ble ignorer encore la portée réelle de cet instrument du tra-
vail de la pensée. Son refus rend incompréhensible la volonté
de Dubois de combler son indigence en philosophie qui,
par dé-
finition,
est le domaine de la spéculation et de l'abstrait.
En somme, on constate chez Dubois que les critiques des
philosophes et de leurs oeuvres sont en général formelles.
Le
jeune étudiant de Berlin se garde des critiques de fond,
suscep-
tibles de fournir une idée de sa manière d'appréhender les pro-
blèmes posés par ces oeuvres philosophiques. La compréhen5ion
qu'il a de ce5 oeuvre5 e5t sujette à caution. Toutefois, nous
savons que, six ans après son doctorat,
le Privat-dozent Dubois
continuait à souffrir de l'insuffisance de ses connaissances
en philosophie.
Le XVIIIe siècle demeure la source féconde
dans laquelle
(71) Dubois Reymond Estelle,
op. cit. p.
52.
"Deinen Aufsatz wünschte ich um 50 mehr gerade jet7.t le-
sen zu konnen,
aIs auch für mich die Zeit nicht ganz
sturmlos vorübergegangen ist. Mit meinem Voter,
einem
ausgemochten Kantianer,
dabei dem schlousten Diolektiker
von der Welt,
ist mir ganz unmoglich ous zu kom~en."

- 43 -
DUbOis a puisé dans sa jeunesse. Le rationalisme français no-
tamment est particulièrement présent dans la form~ de sa vision.
Outre la grande influence de la science de la nature, celle du
rationalisme a également contribué à, ltévolution de la pensée
du jeune étudiant en matière religieuse, une pensée qui,
pro-
gressivement, confine à l'athéisme.

-
44 -
Dotes importantes de la vi~de Dubois jusqu'en 1847.
7 novembre 1818 : Naissance de Dubois à Berlin.
18 avril 1830
Entrée ou Collège français de Berlin.
18 avril 1837
Début des études universitaires à
la faculté de
la ville.
Moi - août 1838 : Sémestre à l'université de Bonn.
Août 1839 : De retour à Berlin,
rencontre avec le physiologiste
Johann MUller.
Octobre 1839 : Commencement des études médicales.
Moi 1840 : Début des 'études d'électro-physiologie sur proposi-
tion de Johann MUller.
Juin 1843 : Soutenance de'la thèse de doctorat avec la mention
"très bien".
Janvier 1845 : Création de la Société de physique de Berlin
avec G. Karsten,
E. BrUcke, W.
Heintz,
K. H. Knoblauch et
W. Beetz.
1845 : Amitié avec le physiologiste H. Helmholtz.
Juin 1846 : Promotion ou grade de maître de conférence de phy-
siologie à Berlin.
1847 : Début d'amitié avec C. Ludwig.

DEUXIEME PARTIE
LA PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE DE LA NATURE

- 46 -
Introduction
L'étude de la philosophie de la science de la nature chez
DUbois revient en quelque sorte 0 déterminer les contours et les
caractéristiques essentiels que l'auteur entend imposer à la scien.
Ce de la nature de son époque. Cette entreprise est d'autant
moins facile que Dubois lui-même se réfugie dans des rositions
ambiguës. Non seulement le savant de Berlin ne se soucie pas de
concilier
ses théories avec les conceptions existantes mais encore
se refuse-t-fl ~ faire table rase des héritages acquis. Tr~s sou-
vent entre ses théories scientifiques dont il affirme l'efficacité
avec certitude et leur application Dubois érige des barri~res.
Aux yeux du savant de Berlin, la philosophie de la scien-
ce de la nature ou du moins les thiories fondamentales régissant
Sa vision du monde se définissent par rapport aux autres domaines
de la connaissance humaine, notamment la philo6ophie,la religion
et l'art. En voulant tracer les limites de la science par rap-
port à ces disciplines, Dubois attira l'attention du monde sur
lui. Sa pensée devint le point de départ d'un scandale qui se-
coua l'histoire des idées. L'intensité et la virulence des réac-
tions ont contraint Dubois à repenser ses th~ses et à les expo-
ser de nouveau avec une ténacité et un dogmatisme accrus. Mais
Dubois lui-même n'avait pas envisag. l'ompleur du débat ainsi
engagé. Certaines récupérations de 50 pensée lui échappent. Néan-
moins il tira sa renommée de cette polémique et fut assimilé aux
philosophes(1 ).
Mais limiter l'investigation sur la philosophie de la
science de la nature chez Dubois à ce scandale et à ses consé-
quence~ n'est-ce pas là appréhender seulement une partie de la
(1) Cohn M., Dubois Reymond's Weltanschauung und die Entwicklung
der Wissenschaft. In:Klinisch-therapeutische Wochenschrift, Ber-
lin 1 91 9, p. 21 5 .

-
47 -
vision du monde de l'homme? A côté de la philosophie du Ignora-
bimus,à l'origine du scandale,
Dubois s'est fait une autre répu-
tation non moins tapageuse du reste,
en définissant avec
la plus
grande rigueur scientifique les rapports de la science et de la
religion chrétienne. En cette circonstance également Dubois dut
faire face aux conséquences de sa pensée et bénéficier de la com-
plicité du gouvernement prussien.
L'argumentation du savant de
Berlin cependant ne varie pas. Dubois prétend toujours perler au
nom de la science de la nature,
une science qui,
bien plus q'une
discipline intellectuelle, apparaît comme un paravent derrière
lequel toute revendication et toute liberté sont possibles.
Notre but n'est pas de confirmer ou d'infirmer
les thèses
de l'homme.
Nous voulons,
avant tout,
suivre l'auteur dans les
méandres de sa pensée et dégager ses intentions. Notre analyse
prendra en compte,
en premier lieu,
la
méthode
du savant. Cel-
le-ci consiste à déterminer l'état et le niveau du développe~ent
de la pensée scientifique en Allemagne et en France à traversl'étu-
de biographique par le savant des auteurs des XVIIe et XVIIIe siè-
cles,
étude qui occure une large place dans l'ensemble de s e s .
discours. Cet examen ne prétendra pas définir la science de la
nature ~ais il nous permettra d'en déceler les traits fondomen-
taux que Dubois attend à son époque. Puis nous nous attacherons
~ montrer comment Dubois pose et tente de résoudre. le problème
de la connaissance tout en y incluant la recherche de la place
de la science. Dans sa conception du problème de la connaissance
.
1
Dubois lui-même prétend être un produit de l'histoire de la pen-
sée. C'est pourquoi notre analyse se tournera vers le passé
pour y rechercher les auteurs dont
la pensée est proche de celle
de Dubois ou auxquels le savant de Berlin aurait
fait ollusion.
Nous consacrerons également un chapitre à la définition d'une des
conditions nécessaires ~ l'épanouissement de la science chez Du-
bois. Cette étude se basera essentiellement sur
les méthodes de

-
48 -
réfutation de la religion chrétienne,
jugée opposée à la science
~.
et que Dubois ne dissocie pas de la philosophie idéaliste, et
sur les tentatives de lutte pour la c4lture chez le savant et
leurs conséquences.
Enfin, la science étant ainsi caractérisée, il ne s'agira
plus que de déterminer la forme qui lui revient dans la pensée
de Dubois. Cette étude nous conduira à dégager les' rapports de la
science avec l'esthétique; Dubois souhaitant absolument que la
science fut considérée comme une discipline d'art, nous montre-
rons dans le même t.~ps le rôle de l'esthétique dans le dévelop~
pement de la science.
Mais il nous est apparu
nécessaire également de dresser
Un bilan partiel du travail sur la conception de la science de la
nature chez Dubois. Nous déterminerons la position de Dubois
par rapport à l'évolution des idées au sein de l'Académie des Scien-
ces de Berlin avant le XIXe siècle.Cette étude s'appuyera sur le
contenu des discours de l'auteur et sur les grandes idées incul-
quées par Leibniz et Frédéric II 0 l'Académie. En nous basant
sur la forme des discours nous situerons l'auteur par rapport 0
l'esprit de la "République des
Lettres" auquel Fréd~ric II a
donné asile sous son règne. Enfin, compte tenu de la nature de la
science chez Dubois et au regard des objectifs que le savant a
assignés à cette discipline, nous nous pencherons sur la mission
morale de cette sci~nce.

CHAPITRE 1
Méthode de l'auteur
1
l.' L'état de la pensée scientifique au XVIIe siècle: Descartes
et Leibniz
L'appréciation du passé allemand et français dans le domai-
ne scientifique et la reconstitutron des différentes phases de
l'évolution de la pensée scientifique sont des objectifs que pour-
suit Dubois dans ses études biographiques des auteurs allemands
et français.
Lorsqu'on parcoure ces travaux,
notamment Les idées
scientifiques de Leibniz(2). on est frappé par le parallèle
sans cesse r4pété que Dubois établit entre la pensée scientifique
de Descartes et celle de Leibniz. En dépit des divergences qui
les opposèrent, même s'ils ne sont pas de la même époque,
Descar~e
tes et Leibniz paraissent liés par leur conception, de la nature
e~ leurs méthodes de ~echerche similaires. Descartes a tenté de
donner à la physique un contenu purement quantitatif par le re-
cours aux concepts d'étendue,
de figure et de mouvement.
Un de
Ses mérites essentiels aura été la conception de la nature en
tant .que
vaste mécanisme. C'est un point sur lequel Dubois in-
siste dans son discours Le né~italisme et Qu'il fait comprendre
en ces termes:
"On sait que Descartes affirmait que les animaux,
con-
(2)\\OUbois Reymond E ••. Leibnizische Gedanken in der neueren Na-
turwissenschaft.
discours prononcé le 7 juillet 1870 à Berlin.

-
50 -
trairement 'aux horrrnes,
étaient des créatures sans âme,
en un mot,
des machine~"(3)
Dubois se garde de voir en Descartes le fondateur du ~oté­
rialisme mécaniste. En revanche,
il pense que,
si l'intention du
Savant français est de fonder
le nouvel esprit scientifique sur
une base mécaniste,
différente de la science contemplative et de
libérer la physique d'images animistes,
c'est chez Leibniz que
cette pensée cartésienne trouve toute son expression.
Leibniz a
su rendre hommage à la pensée mécaniste.
Il ramène les phénomè-
nes organiques à une combinaison de mouvements physiques. Dubois
le traduit ainsi:
"Il(Leibniz) fait apparattre d'u~e façon purement méca-
nique l'ensemble de l'univers organique avec toutes ses
merveilles,
soh adaptation extérieure et sa finalité in-
terne. Chez ~eibniz, il n'est pas question d'une force
vitale ..• "(4).
Mais le raIe de Leibniz ne s'est pas borné à reprendre
.~
.
Descartes;
il a consisté également à corriger les erreurs
!qui entacheraient la pensée de son prédécesseur. Ôubois s'as-
socie à la critique que formula Leibniz en 1686 contre la loi
cartésienne sur la conseruation des quantités de mouvement:
"Bien que Descartes ait ,tenu pour constante la quantité de
(3)
Id, Über den Ne~italismus,~iscours prononcé le 28 juin 1894
à Berlin. In: Reden, 2. vervollstëndigte Auflage,Berlin 1912,II.
Bd.,p.492.
"Descartes behauptete bekanntlich,
die Tiere &eien,
im
Gegensatz zum Menschen,
seelenlose Geschëpfe,
mit eineM
Wort,
Maschinen."
(4)~. p. 493.
" ... l~sst er(Leibniz) die gonze organische Welt mit ollen
ihrer Wundern,
ihrer ëusseren Anpassung und inneren Zwec~
mossigkeit rein mechanisch zustande kommen.
Bei Leibniz
ist von keiner Lebenskraft die Rede., ,"

-
51
-
mouvement dans l'univers,
écrit Dubois,et bien qu'il
n'oit pas cru que l'âme ait été capable de produire le
mouvement,
il pensait cependant que la direction du mou-
vement était détermin'ê par l'âme.
Leibniz a montré que
ce n'est pas la somme des mouvements mais celle des for-
ces motrices qui est constante ••. "(5)
Leibniz a beau contribuer à l'amélioration de la science à
son époque,
une de ses faiblesses réside dans la
·solution du
problème concernant l'interaction de l'âme et du corps.
Dubois
souligne à grands traits les méthodes peu scientifiques auxquel-
les Leibniz a recouru:
la conciliation de sa vision mécaniste et
de la philosophie métaphysique,
et le rétablissement dans la
science de la nature,de la notion de finalité par l'attribution
à Dieu du rôle de créateur et de régulateur. Dubois relève que
"Leibniz attribuait une monade de l'âme aux animaux"
et considérait
1les états d'âme,
les perceptions sensorielles et la vo-
.
lition sans rapport causal avec les processus physiques
concomittants"
comme
"réglés d'avance par Dieu lors de la création de la mo-
nade de l'âme leur appartenant"(6) ,
avant de tirer cette conclusion:
"Il (Leibniz) croit ainsi pouvoir résoud~~· le problème
de l'interaction apparente d'une âme immatérielle et
d'un corps matériel par l'existence d'une harmonie pré-
établie entre eux."(7)
(5)
Id~ Oie Grenzen des Naturerkennens & Die sieben Weltr~tsel.
Berlin 1882, p. 95-96.
·Obschon Descartes die Quantitët der Bewegung in der
Welt für constant hielt,und obschon er nicht glaubte,
dass die Seele Bewegung erzeugen konne, meinte er doch,
dass die Richtung der Bewegung durch die Seele bestimmt
werde.
Leibniz zeigte, dass nicht die Summe der Bewegun-
gen sondern die der Bewegungskr~fte constant ist ... "

-
52 -
Le reproch~ que for~ule Dubois contre l'har~onie pr~~ta­
blie s'adresse également à Oescartes dont Leibniz aurait h~rité
l'id~e de la solidarité entre l'ô~e et le corps déterminÉe par
Dieu(8). Aux yeux de Dubois,
la·solution du problème de l'in-
teractioo de l'âme et du corps aura été un échec non seuleMent
pour Descartes, Leibniz et leurs disciples mois aussi pour toute
la science ou XVIIe siècle. Pour justifier cette idée,
le savant
de Berlin se refère à des philosophes et savants tels que Hobbes,
Locke , Gassendi, Malebranche ... et se contente de mentionner
l'insuccès de leurs tentatives dans ce domaine.
Désormais, Dubois n'h~site plus à reconnaître que la pen-
sée scientifique de Descartes et de Leibniz souffre des mêmes
maux. Chez les deux savants,
la pensée mécaniste elle-même n'est
à aucun degré une explication totale de tous les phénomènes. El-
le considère la métaphysique et la théologie comme une npcessitê
au point que la doctrine de la conservation de l'énergie,
trésor
de la science au XIXe siècle, est considérÉe comme" une pmonation
de la volonté divine"(9).
(6)
Id; Reden,II. Bd.,p. 492.
"Leibniz schrieb den Tieren eine Seelenmonode zu" ...
~die Seelenzustënde, die Sinnesempfindung und die Willens
ëusserungen, oh ne ursëchlic~en Zusommenh~ng ~it den
gieichzeitigen korperlichen Vorgënge'. ... ~durch Gatt beim
Schaffen der zugehorigen Seelenmonode im voraus geregelt:'
(7) Ibid.
-
"50 glaubt er dos Problem der scheinboren Wechselwirkung
einer immateriellen Seele und eines materiellen Korpers
durch eine prëstabilierte Harmonie beider losen zu kon-
nen".
(e) Dannemonn F., Mitteilungen zur Geschichte der ~edizin und der
Noturwissenschaften, Leipzig 1919, p.269. Lettre de Dubois du 14
moi 1874,
(9) Dubois Reymond E., Reden 2. vervollstëndigte Aufloge, 8erlin
1 91 2.
I. Bd " p. 373.
" ... ein Ausfluss des gottlichen Willens".

-
53 -
Les observations de Dubois touchent ici la tra~e de la
pensée de Descartes et de Leibniz. Considérer la science dans sa
liaison étroite avec la métaphysique et la théologie a eté un
péché originel dont a souffert la science des deux savants(1Q).
Descartes et Leibniz sont accusés d'avoir apporté de l'eau au
moulin de la théologie et d'avoir sacrifié la science française
et allemande à
la cause de la religion chrétienne et de la méta-
physique.
Leibniz,
particulièrement, a été porté responsable
d'avoir compromis la pureté de l'esprit scientifique par son in-
fluence et son autorité en tant Que philosophe(11).
Dubois qui
s'est toujours méfié de la conciliation de la métaphysique et
de la science(12), postule ici une scission des deux disciplines.
Pour le savant de Berlin,
il est clair que la science du XVIIe
siècle, à travers Descartes et Leibniz,
témoigne d'une absence
d'autonomie et d'une incapacité de rupture avec l'esprit chrétien
et spéculatif.
L'intention de Dubois en relevant les erreurs de la scien-
ce du XVIIe siècle n'est nullement de fouler au pied la grandeur
intellectuelle et tant reconnue de Descartes et notamment de
Leibniz(13) mais de,préciser
les limites et les tares de la pen-
sée de ses génies. Cependant, Dubois n'oublie pas que la mécani-
(10) Dubois rapporte que la pensée métaphysique et théologique
a été l'objet de raillerie chez Voltaire dans Candide.
(11) Dans son discours Les idées scientifioues de Leibniz,
Dubois
pense que
la doctrine de la monade de Leibniz a été en partie
àl'origine de l'idée de la force vitale qui a dominé
la science
jusqu'à son époque.
(12) Dobois Reymond E.,
Über die Grenzen des Naturerkennens
&
Die sieben Wettrëtsel, p.63; Dubois affirme que la liaison de la
métaphysique et de la science porte préjudice à l'efficacité de
cette dernière.
(13)
Id. Reden I.Bd., p.371 .Leibniz est considéré comme un"omni-
scient".

- 54 -
que n'est encore au XVIIe siècle qu'une discipline à la recherche
de ses propres principes et méthodes. Il était inéluctable que sa
\\
naissance
s'opérât dans des égarements.
Dubois prend en charge
la science du XVIIe siècle et tente de la légiti~er aux yeux
des philosophes modernes auxquels
il ne fait aucune concession.
Les raisons sont essentiellement intellectuelles voire sociales:
"Chez Descartes et Leibniz on peut toutefois trouver
deux raisons 0 ces faiblesses,
deux excuses dont
les
philosop~es modernes ne peuvent pas. au même degré, re-
vendiquer le bénéfice. D'abord à l'époque de Leibniz,
de D~scartes surtout,
l'éducation de l'esprit humain
par l'étude expérimentale de la nature était à ses dé-
buts.
Etude qui,
seule,
pouvait donner à l'~omme la
défiance salutaire
de lui-même,
le respect du fait,
,
l'indifférence envers l'interprétation,
la resignation
à l'égard des problèmes insolubles. L'outre source du
mal chez Leibniz, c'est
la théologie à laquelle son siè-
cle est encore asservi,
la théologie qui mèle à toute
d
science ses postulats et qui s'oppose au libre dévelop-
pement de la pensée"(14).
A travers la justification qu'apporte Dubois se dévoilent égale-
ment les caractlristiques essentielles que l'auteur attend de la
science moderne.
(14" Ibid.
p.372.
"Bei Descartes und Leibniz lassen sich aber
fUr diese
Schwachen zwei GrUnde angeben, welche neueren Philoso-
phen nich~ in gleicher Weise zur Entschuldigung gerei-
chen. Einmal hotte zu Leibniz',
vollends zu Descartes'
Zeit,
die Erziehung des Menschengeistes, durch die ex-
per imental e Beschaft igung mi t
der Natur er st 'begonnen,
durch welche allein ihm dos heilsame Misstrauen in sei~
ne Kraft,
die nëtige Achtung der Totsache und GleichgUl-
tigkeit gegen die Deutung,
die richtige Ergebung gegen-
Ober unlëslichen Aufgaben eingeflësst wird.
Die andere
Quelle des Ubels bei Leibniz ist die seine Zeit noch
ganz in ihren Fesseln haltende,ihre Voraussetzungen übe-
roll unterschiebende,
jedem unbefangenen Urteil
in den
Weg tretende Theologie."

55
Malgré les faiblesses de la science au XVIIe siècle, Du-
bois n'a pas tardé à voir dans la pensée de Descartes et de Leib-
niz le fondement essentiel des XVIIIe et XIXe siècles;
la science
mécaniste a été une source àlaquel1e ont puisé certains savants.
Dubois cite entre autres La Mettrie et Darwin.
L'oeuvre de La
Mettrie,
L'homme-machine,apo1ogie du matérialisme mécaniste,
est
considérée comme un produit et un dépassement de la 'pensée de
Descartes. Le savant le fait comprendre;
"Pour mieux comprendre l'expression
'ho~me-machine',il
faut
se rappeler que Descartes avait vu dans les bêtes
de pures machines dénudées de sensibilité,de volonté et
de pensée.
L'homme également,
cette espèce de machine,
devait se distinguer des bêtes par
la possession d'une
âme,
substance distincte de la matière,et qui sentait,
voulait et pensait en lui. M (15)
Tirant les conséqu~nces de la pensée de Leibniz, à la fin
du discours sur celui-ci, Dubois ne s'est pas fait
faute de décou-
vrir ou de rechercher une analogie entre l'harmooie préétablie
et la notion de l'hérédité chez Darwin. Pour lui,
la possibilité
d'une transmission des particularités et propriétés physiques
et intellectuelles énoncée par Darwin,
suppose au niveau de l'in-
dividu
une harmonie préétablie qui s'opère de façon mécanique
entre les phénomènes physiques et intellectuels et n'a rien à
(15)
Ibid.
p.524.
"Um den Ausdruck'Homme-machine' gehorig zu verstehen
muss man sich erinnern,
dass Descartes die Tiere für
reine Maschinen ausgegeben hatte,denen Empfindung, Wo1-
len und Denken abgehen. Der Mensch,
auch solche Maschine J
sollte vor den Tieren dur ch den Besitz einer Seele sich
auszeichnen, welche eine von der Materie verschiedene
Substanz sei,
und in ihm empfinde. wolle,
denke."

-
56 -
voir ovec la réalité ~étaphysique. Leibniz a sons doute inspi-
Darwin en partie. Telle est la conclusion de Dubois.
"La doctrine de teibniz(l'harmonie préétablie) se
. rencontre
avec celle de Darwin
(l'hérédité)
pour être confir~e dans sa forme ~ais réfutée Quant au
fond;
car, de la sarte,
l'har~onie préétablie est recon-
~.
nUe COMme faisant partie du mécanis~e de l'univers"(16).
L'actualité et l'universalité de la pensée d~ Leibniz sont ainsi
mises en évidence.
La science moderne, dans l'esprit de Dubois,plongeses racines
dons les XVIe et XVIIe siècle~Descartes et Leibniz en ont jeté
les premières bases.
Il
fallut
att@ndre les XVIIIe et XIXe siè-
cles pour asseoir la pensée de ces savants sur des bases solides.
Mais l'optimisme de Dubois ne peut faire oublier l'intention du
,
savant de Berlin de sonder le niveau de la reflexion scientifi-
que· tant en France qu'en Allemagne.La similitude établie entre
la pensée de Descartes et celle de ~eibniz porte à croire
que
dans le domaine scientifique,
10 France et l'Allemagne étaient
sur un pied d'égalité. Quand Dubois abordera la pensée scientifi-
que au XVIIIe siècle,
il ne perdra plus de vue
la comparaison
entre la France et
~'Allemagne et tentera de se situer par rap-
~ort à leur évolution.
2. Dubois, Goethe et le XVIIIe siècle allemand
Dubois attendait du XVIIIe siècle une amélioration et une
extension de
la pensée scientifique élaborée par Descartes et
Leibniz.
Les progr~s scientifiques du
XVIIe siècle,
aussi
in-
(16)
Ibid.
p.389.
"Die Leibnizische Lehre trifft zusammen mit der Lehre
Darwin's.
um durch sie der Form nach bestëtigt. dem In-
haIt nach aber besiegt zu werden:
denn es ist dergestalt
die prëstabilierte Harmonie gleichsam in den mechanischen
Weltprozess aufgenommen.-

-
57 -
suffisants et modestes soient-ils
, devaient servir de bose au
XVIIIe si~cle dans la continuation de l'~lan donn~ b la science.
Mais
l'ivolution
de la pens'e en Allemagne ne r~pond pas aux
espérances de Dubois. Comment l'Allemagne conçoit et exploite-
t-elle l'h~ritage scientifique du XVIIe siècle? ~a réponse à
cette question permettra de déterminer la position de Dubois par
rapport à la philosophie spéculative e~ les sentiments de l'auteur
pour l'Allemagne.
De tous les discours, Goethe(17) est celui qui permet à
Dubois de donner libre cours ~ sa critique du XVIIIe siècle a1le-
mand(18). La pensée de Goethe est considérée co~me l'amorce d'une
nouvelle phase de la pensée allemande où s#expr im'"e'nt .. -l'avers ion
pour les expériences- et -le mépris pour les travaux m~thodiques
du physicien"(19). Ce discours, beaucoup plus marqué par la forte
personnalité et du moi de l'out~ur que par la rigueur de l'argu-
mentation,
est essentiellement dominé par des reproches ou poète
de Weimar.Dubois reproche b Goethe de s'être refusé à tirer pro-
fit de la théorie mécaniste,
fondée depuis le XViIe siècle, en
tournant le dos à la recherche de la loi de
causaiité concer-
nant les phénomènes de la nature.
Le déterminis~e~ une des assi~
ses essentielles de la science,
lui échappe.
L'histoire de la
science a beau reconnaître en Goethe le précurseur de Darwin
dans le transformisme(20) ,
la spéculation et l'i~agination res-
tent l'apanage de ~a pensée goethéenne. Telle est l'idée qui se
dégage de la conclusion de Dubois sur le poète:
-Ainsi chez Goethe,le savant disparaît devant le poète."(21)
(17) Dubois Reymond E., Goethe und kein Ende, discours prononcé
le 15 octobre 1882 à Berlin.
(18) Dubois étend cette étude également'
à
la première moitié du
X!Xe siècle.
(19) Id., Reden 2. Bd .., p.168.
"die Abneigung gegen das Experiment" ... " die Gering-
schëtzung der schulmassigen Bemühungen des Fhysikers".

-
58 -
Certes,
la conclusion de Dubois touche ici
le nerf de la
pensée de Goethe:
l~ tort du poète est d'avoir trop exclusive-
ment vécu dans le monde des idées et de n'avoir pds ~té capable
de dissocier inspiration poétique et recherche scientifique.Goe-
the vit dans et avec la nature et s'investit entièrement dans ses
recherches. Chez lui,
le poète et
l'artiste ne restent
jamais
étrangers aux exigences du chercheur(22).Toutefois,
le jugement
de Dubois sur la pensée scientifique de Goethe est' partiel voire
injuste.
Il se refuse à cerner le poète dans sa totalité. D'autant
que dans Poésie et vérité, Goethe confessait sans ambages sa vi-
sion mécanique du monde en ces termes:
"La nature agit selon des lois 'ternelles,
nécessaires,
t~Ilement divines que la divinité elle-même ne pourrait
y changer quelque chose."(23)
Le poète rejette implicitement la conception téléologique de la
nature.
La nature elle-même se laisse régir ici par un rigoureux
mécanisme. C'est également l'avis de Kalischer,
le chevalier de
la,pensée de Goethe(24) et de Ayrault, qui tente de redorer
le
blason du poete en le qualifiant de··premier physicien de son
tempsw(2S). Dubois semble pécher ici par excès de~préventions.
Au fond,
en refusant au poète toute audience dans le milieu
naturaliste, Dubois condamne la science allemande de répoque de
Goethe et s'adresse à lCesprit allemand{deutscher Geist) qUi en-
tretient cette science. Cet esprit est défini
par Dubois comme
( 20)
l b id.
p. 1 76 .
(21) llli. p.173.
"50 verschwindet
in Goethe neben dem Dichter der Natur-
forscher."
(22) Ayrault R., La genèse du romantisme allemand,. Paris 1961,
to-
me2~p.282.
(23) Goethe J. W.v., Vermischte Schriften.
IV.
Bd.,
4.
Teil, 16.
Ruch, Darmstadt, Wien 1963,
p. 543-544.
"Oie Natur wirkt na ch ewigen,
notwendigen,
dergestalt gtit~­
lichen Gesetzen,
dass die Gottheit selbst daran nlchts ën-
dern ktinnte."

-
59 -
"la· tendance à remplacer l'induction par la déduction,
à préférer la spéculation dont le ballon trop gonflé
éclate facileMent lors de son envol. à l'empiris~e Qui
reste sur un terrain sûr."(2~)
Dubois fait allusion ici à la philosophie idéaliste de la nature
qui dOMinait l'époque de Goethe et qui,
selon lui,
doit ses meil-
leurs fruits au poète(27). Elle était marquée des noms de Schel-
ling et de Hegel dont les principales oeuvres parurent dons la
première moitié du XIXe siècle.
Durant toute sa vie -
les correspondances lors de sa jeu-
nesse et la quasi-totalité de ses discours
faisant
foi
- Dubois
a éprouvé une répulsion presque maladive ~our la rhilo~ophie icéa-
liste de la nature.
Il condamne la dialectique ce Hegel,
jcgée
,
"
,
chimerique(28),
s'en prend n Schelling et insiste sur les egare-
ments"de sa philosaphie(29).
Ici le b15me est total.
Toute la
philosophie de la nature est récusée en bloc; Dubois la considè-
re co~e la science de la confusion:
"Presque sur tous les points,la spéculation de la ~hil~­
sophie de la nature avait gagné du terrain;
dons presque
toutes les universités,
les philosophes les plus quali-
fiés aussi bien que les savants et les médecins pre-
naient ses chimères pour de la vérité pure( . . . ) Les faus-
ses théories et les fausses maximes de Goethe, soutenues
par sa gloire poétique,
intensifiaient la confusion."(30)
(24) Cf. kalischer E., Goet~e als,Naturforscher und Herr Dubois
Reymond ols sein Kritiker. Berlin 1883.
(25) Ayrault R., op. cit. p. 285.
(26) Dubois Reymond E.,
op. cit.
p.170.
• •.. der Hang zur Deduction gegenüber derlnduction,
zur
Spekulation. deren zu stark geschwellter Luftball im
Steigen platzt, gegenüber der auf sicherem Grunce weilen-
den Empirie.·
(27)
Ibid.
p. 162.
(28)
Ibid.
p. 277.
~

-
60 -
l'observation de Dubois est une remise en couse de tout le
travail philosophique de l~Allemagne depuis Goethe et un constat
de l'influence néfaste de celui-ci sur la science du XVIIIe siè-
cle. Et si le poète est porté responsable de l'état de la science
de cette époque, Schelling aussi n'est pas jugé moins condamnable.
le philosophe ne considérait-il pas la spéculation et la contem-
plation comme le propre de la science?(31) Pour Dubois,
la scien-
ce allemande ou XVIIIe siècle a été victime d'une corruption de
la part de la philosophie de la nature: Goethe, Schelling et
leurs disciples ont introduit dons la recherche scientifique des
notions empreintes de romantisme, de mysticisme,
en sonme, des
notions peu scientifiques et ont contribué à la destruction de
l'esprit scientifique.
Mois Dubois ne s'est pas limité à une constatation de la re-
gression de la science
ou à une condamnation de l'ésotérisme de
la philosophie à l'époque de Goethe, il 0 voulu ~ussi redéfinir
les rapports .~tre la philosophie et la science. Il pense:
Mque la philosophie peut,
sur plus d'un point,
tirer
profit de la méthode que suivent les sciences de 10 na-
ture mois que les sciences de la nature n'ont rien à
(29) Cf. la Colonie française de Berlin à l'Académie des Sciences
In: Revue scientifique de Fr-ance et de l'Etranger,Paris 1886, N°
17, p.519.
Cette traduction Que Dubois a faite lui-même de son
discours Die Berliner franz8sische Kolonie in der'Akodemie der
Wissenschaften ~rite un certain intér't cor elle renferme des
éléments nouveaux ne figurant pas dons la version originale.
(30) Dubois Reymond E.,Reden 2. Bd.,p.268.
MFast ouf allen Punkten hotte die naturphilosophische
Spekulation Boden gewoftnen, und in fast allen Universi-
taten wurden ihre HirngespÎnste sowohl von philosophen
von Fach , wie von Noturforschern und Ar.~ten ols bore
Wahrheit verkundet( ••• } Goethes falsche Theorien und Ma-
ximen, durch seinen Dichterruhm getragen,
steigerten die
Verwirrung.-
(31) Schelling F.W.J., Samtliche Werke 7.Bd. Stuttgart, Augburg
1 805 -1 81 0, p. 1 58 .

-
61
-
tirer de la m~thode philosophique"(32)
et détermine la m~thode que doit appliquer la philosophie. Celle-
ci consiste dans
"laconnaissance des corps et de leurs modifications et
dans l'explication de façon m~canique de ces ~odifica­
tions par l'observation,
l'exp~rience et le calcul."(33)
Certes, Dubois n'ignore pas la n~ce9sit~ de la philosophie, mais
sa proposition d'un rigoureux physicalisme semble prendre ici la
valeur d'une r~ponse à la thèse de Schelling appelant la science
à la spéculation et à la contemplation.
C'est en tant que scientifique anti-m~taphysicien, sûr de
ses convictions et porteur d'une nouvelle vision de la science
que Dubois se laisse appréhender dans son analyse.
Le savant de
Berlin se fait ici le champion d'une pensée scientifique qui ne
recherche ses assises que dans le mat~rialisme. Il réclame ~ga­
lement une science plus impersonnelle, capable de distinguer le
sujet de l'objet de la recherche. Son analyse montre que la scien-
ce allemande à l'~poque de Goethe se complaît dans la recherche
de type purement ~ualitatif et est,. par moments, étrangère au
r~el. Cette science retombe dans la contemplation que Oescartes
avait tent~ d~jà de d~passer. Elle marque en fait une rupture
entre le XVIIe et le XIXe siècle.(34)
(32) Dubois Reymond E., op. cit. p.438.
" ... ,dass die Philosophie an manchen Stellen Vorteil aus
der naturwi ssenschaft 1 i chen Methode;,z i ehen kann, ni cht
aber umgekehrt die Naturforschuhg aus der ~ethode der Phi-
losophie."
(33) ~.
"; .. die Erkenntnis der Korperwelt und ihrer Veronderung
und mechanische Erklorung derletzten durch Beobachtung
Versuch und Rechnung.~
(34) Dubois considère l'époque de Goethe comme l'8ge obscur de
la science allemande. Cf. Reden 1 .Bd./P. 437.

- 62 -
En outre la virulence de la critique de Oubois'à l'égard
de l'époque de Goethe s'explique mieux quand on prend'en consi-
dération l'idée particulière que le savant de Berlin se fait
de la Fronce dons l'histoire de la science ou XVIIIe siècle.
Dubois ne coche pas son intention de
juger la science allemande
ppr rapport à
la science française.
Il le fait savoir en ces ter-
mes:
"Le souvenir de cette aberration de l'esprit allemand
est d'autant plus humiliant qu'il corncide avec une
période scientifique des plus ~~illantes en dehors de
l'Allemagne particulièrement en Fronce . . . "(35)
On découvre l'une des raisons fondamentales du discours sur Goe-
the.
Dubois se soucie autant de la science en général que de
l'histoire de l'Allemagne.
La vive sensation produite par le discours sur Goethe dons
la petite bourgeoisie allemande relève d'une incompréhension.
Dubois n'a pas la prétention de détruire le patrimoine allemand
que constitue Goethe.(36) La condamnation de la science alle-
mande et de l'esprit du XVIIIe siècle émane certes de
l'insatis-
faction de l'auteur dans la recherche des principes clés de la
science, mois est également la manifestation du profond amour
de l'homme pour sa patrie. Une étude de la biographie des auteurs
français du XVIIIe siècle chez Dubois permet encore de mieux fon-
der la position'du savant à l'égard de Goethe et son époque,
(35) Dubois Reymond'E., Reden 2.Bd., p.259.
"Was dieseErinnerung an die Verirrung des deutschen Geis-
tes um so beschamender macht,
ist,dass sle zusamrrenfiel
mit einer der glanzendsten Phasen der Wissenschaft aus-
serhalb Deutschlonds, besonders in Frankreich., ,n
(36) Wollgast F.,
Einleitung zu:
Vortrage uber Philosophie und
Gesellschaft, E.
Dubois Reymond,
Berlin
1974,p,
IXL.

-
63 -
3. Le recours à la pensée scientifique de la Fronce ou XVIIIe
siècle.
La volonté d'examiner la Fronce du XVIIIe siècle dons une
perspective de comparaison avec l'Allemagne
goethée~ne
et d'y rec~ercher les notions fondamentales de la science de la
nature,constitue l'un des objectifs que se fixe Dubois dans l~tu­
de des auteurs fronçais.
Le choix de Voltaire,
La Mettrie, Rous-
seau, Diderot et Maupertuis ne relève pas d'un simple fait du
hasard. Ces héros de la pensée française ou XVIII~ siècle -
ex-
cepté Maupertuis et La Mettrie -
sont contemporains de Goethe,
la
figure de référence à partir de laquelle Dubois juge la France.
Ils sont également liés à l'Académie des Sciences de Berlin dont
la vie intellectuelle a été profondément marquée par la colonie
française(37).
Une caractéristique morale essentielle les unit:
.
,
les héros de Dubois ne résistent pas au plaisir d'exprimer au-
dacieusement leurs pensées et d'en assumer souvent
les consé-
quences sons craintes. Ce trait de caractère semble être avant
tout le cordon ombilical qui relie l'auteur à ses figures histo-
riques.
De tous les discours de Dubois sur les auteurs fronçais,
son Voltaire en tant gue naturaliste(38) exprime le plus forte-
ment le désir de rapprochement de l'Allemagne et de la Fronce.
Ce discours établit u"e cOMparaison entre Goethe et Voltaire.
Dons le domaine scientifique Dubois découvre chez le Français
des qualités qui font défaut chez
l'Allemand,
notamment ' l a ,
conception mécaniste,
fondement de
la science(39) et dont Diderot,
Maupertuis,
La Mettrie et Rousseau faisaient
l'aronoge de leurs
(37) Cf. Oie Berliner franzosische Kolonie in der' ~kodemie der
Wissenschaften,
discours prononcé par E. Dubois Reymond le 25
mors 1886 à Berlin.
(38) Voltaire ols Naturforscher,
discours prononcé le ?O juin
1868 à Berlin.
(3~) Dubois Reymond E., Reden 1 .Bd., p. 333.

- 64 -
. ,
pensées depuis la première moitié du XVIIIe siècle. Dubois s'em-
ploie avec zèle et avec une certaine indulgence à vanter les ca-
pacités de Voltaire. le savant français a le mérite d'avoir r~vé­
lé à la France l'Angleterre intellectuelle en emboîtant le pas
à Newton et en mettant en relief les mérites ~ssentiels du savant
anglais(40). Outre sa qualité d'expérimentateùr qui lui confère
.
\\
urie place de choix dans l'histoire de la science en France, Vol-
taire est considéré co~e celui qui
"avait cerné l'eesence de la physique mathématique et
possédait la méthode inductive.·(41)
A travers Voltaire, c'est surtout le niveau~dtteint par la
science de la nature en France que Dubois tente de souligner. La
science frabçaise Q su se fermer à toute spéculation et a cherché;
dans l'observation et l'expérience, le salut ou, du Moins, la vé-
rification de ses théories(Dubois ne se fait pas faute de faire
de cette méthode scientifique le propre de la pensée de ses héros
et particulièrement de La Mettrie.)(42) Avec l'application de la
méthode inductive, le phénomène a pris une valeur tout à fait
nouvelle dans la science française. Son explication n'exige plus
un recours aux principes métaphysiques mais plutôt à la recherche
des lois qui 'le rlgissent, Plus tard, Dubois fera de la méthode
inductive un ~éritage dU,XIXe siècle,mais remontant à La Met-
~rie.(43)
Le scepticisme que découvre Dubois chez ses h~ros(44) et
(40) Ibid. p. 293. Dubois fait remarquer que le mathématicien fran_
çais Maupertuis était un apôtre de Newton.
(41) ~' p. 333.
~,.,dass er(Voltaire) "dos Wesen der mathematischen Phy-
sik erfasst hotte und die indukti~e ~ethode besoss,"
(42) ~' p. 526.
(43) Id. Uber die Grenzen des Naturerk~nnens & Oie sieben Welt-
ratsel, p. 72,

- 65
sur lequel il insiste, apparaît dans sa conception de l'esprit
scientifique comme une caractéristique fonda~entale de la scien-
ce française au XVIIIe siècle. Pour le savant de Berlin, les sa-
vants français ont su réagir contre la conception ~écaniste
dont le matérialisme au XVIIIe siècle était imbu et qui trouvait
dans la matière et le mouvement, les méthodes d'explication de
tous les phénomènes. Ils ont su imposer à la conscience scienti-
fique les limites de sa raison. Dubois pense que le scepticisme
de La Mettrie résume bien cette pensée. Inspiré par Voltaire(45),
et approuvé par Rousseau(46) , il permet de déterminer avec une
certaine précision le domaine d'investigation de l'esprit humain.
Dubois le traduit ainsi en reprenant l'une des formules célèbres
de La Mettrie dans son étude sur l'homme:
RJamais nous ne comprendrons l'essence de ce que nous
appelons matière et force, et jamais nous ne compren-
drons comment la matière pense.-(47)
!
1
La notion de scepticisme telle que Dubois la présente à
travers la biographie des auteurs français et également les ger-
mes de pessimisme qu'elle véhicule, trouvent ici une justifica-
tion positive. La reconnaissance des limites de l'esprit humain
apparaît comme une attitude, une façon d'être de l'esprit scienti-
fique. Dubois avait déploré l'absence·de cette qualité chez Goe-
the(48).
(44) Selon Dubois, Voltaire, La Mettrie, Diderot, Rousseau et
Maupertuis figurent parmi les sceptiques qui entourent le roi Fré-
déric II. Cf. La Mettrie. In: Reden 1 .Bd., p. 533.
(45) Dubois s'est appuyé ici sur une des pensées célèbres de Vol-
taire, à savoir, "le doute doit être souvent en physique ce que
la démonstration est en géométrie, la cOhclusion d'un bon argu-
ment: Cf. Oeuvres de Voltair~, t. XXXVII. p. 412.
(46) Dubois fait allusion ici à l'oeuvre Emile dans laquelle Rous-
Seau pense qu'
"il n'y a ni mouvement, ni figure qui produise~t
la réflexion." Cf. Oeuvres de Rousseau, t. II p. 251.

- 66 -
Mais la science française aussi n'est pas exempte de re-
proches. Pour Dubois,
les savants français ont beau donner ~
l'esprit scientifique des fondements solides etfaire reposer leur
philosophie sur le matérialisme pour mieux réfuter la métaphysi-
que(49),
leur erreur est d'avoir ét~ ~rop indulgents
envers la
. '
religion.
Dubois leur reproch~ -' notamment aux encyclopé.distes
1
d'avoir péché par excès de morale. Hormis Voltaire,
que Dubois
-1
exclut des encyclopédistes quoiqu'il ait eu des rapports épiso-
!
diques avec l'Encyclopédie(50), Rousseau et Diderot ont
ignoré
l1
leur devoir qui consistait en un combat acharné contre
l'orthodo-
ii
1
xie chrétienne.
Le sovant de Berlin l~xprime de 10 manière sui-
j
vante:
"Les encyclopédistes ont trouvé 10 besogne faite:
c'est
pourquoi ils se sont aussi peu occupés de diriger con-
tre les objets révérés des chréti~ns ces ploisonteries
1
impies o~ se complaisait\\Voltaire, que de tourner en
1
dérision la théorie des tourbillons de DescortAs."(51)
~!!
Aux yeux de Dubois,
les savants fraoçais -
surtout les en-
j
!.~
cyclopédistes -
se sent montrés trop conciliants envers l'ortho-
1
l
doxie chrétienne.
Ils n'ont pas fait table rase dês' conceptions
1
~
théologiques mais ont édifié leur religion naturelle à partir
des religions existantes(52). La critique de Dubois semble se
(47) Dubois Reymond E., op. cit, p.
528.
"Nie werden wir das Wesen dessen begreifen, was wir Mate-
rie und Kraft nennen,
und nie werden wir' begreifen wie
Materie denkt."Cf.également:
La Mettrie J.O.,
L'homme -
machine, Paris 1981, ~. 142.
(48)
Id. Reden 2.Bd~ p.177. A ce propos, GoethA a été jugé préten-
tieux.
(49)
Id. Peden 1.Bd.,p. 531.
(50) BruneI P.,
Histoire de la littérature fronçaise,
Paris 1972,
t . l, p. 299.
(51) Dubois Reymond E., Reden 2. Bd"
p. 294.

- 67 -
fonder_ici sur la conception même du déisme des encyclopédistes
qui, dans la mesure où elle reconnaît l'existence d'un dieu,
fait
appel à une interprétation finaliste dans laquelle se complai-
saient déjà 19& pensées de Descartes et de Leibni~.
Cependant, on cqnviendra que la remorque de Dubois ne s'ap-
plique pas à l'ensemble des scientifiques français d'autant plus
que c'est parmi ceux-là même que Dubois choisit sa figure histo-
rique préférée.Dans toutes les biographies des auteurs français,La
Mettrie est le héros qui tient le plus'à coeur à Dubois. Voltaire
a beau paraître le représentant intellectuel ~u XVIIIe siècle(53)
et Diderot bé~éficier d'excellentes qualités morales et intellec-
tuelles chez Dubois(54), c'est à la Mettrie que reviennent toutes
les affeations de l'auteur. Outre son intention de blanchir l'i-
mage sociale de La Mettrie, Dubois lui concède l'originalité
d'avoir introduit le physicalisme dons la psychologie(55). Le se-
cond mérite du savant français est d'avoir triomphé de la scolas-
tique et d'avoir su déterminer clairement la condition d'une paix
religieuse.(56)
Si le souhait de Dubois est de voir le savant du XVIIIe siè-
.
cIe saper les fondements de la religion et affirmer l'autonomie
de la science, La Mettrie apparait ici comme le mod~le du scien-
(
"Die EnzyklopHdisten fanden das Werk getan, daher sie mit t
dem ruchlosen Spott Uber die dem Christen heiligen Dinge,
f
in welchem Voltaire schwelgt,sich so wenig befassen, wie
f
mit der Verhohnung der Cartesischen Wirbel."
î1
(52) Ibid. p.294. Dubois avait même souhaité que la science se
substituât à la religion.
(53) Ibid. p. 293.
(54~ Id., Diderot,dicours prononcé le 3 juillet 1884 à Berlin. In:
Reden 2. Bd., p. 292.
(55) Id. Reden 1.Bd. p.528.
(56) Ibid. p. 531. Dubois portage l'argument de ~a ~ettrie selon

- 68 -
tifique
dont
la démarche intellectuelle mérite a'être suiv~ car
le savant français a
inculqué ~ la science,
une valeur ~orole, 10
hardiesse, dont L'~omme-machine est l'expression et Qui s'est tro-
duite dans la proclo~atioQ sans ambages d'une conception m~cani-:
Que du ~onde se suffisant à elle- même
"sans se préoccuper d'abord de la mettre en accord avec
la morale,
le droit ..• "(57).
Dubois se
laisse s~duire dans son discours sur La Mettrie
par l'esprit scientifique de l'ho~e certes, mois accorde autont
de prix oux traits moraux et 0 la personne elle-même ce son ~~­
ros, Dans un de ses manuscrits,le savant de Berlin loisse un té-
moignage de ses sentiments personnels pour
l'hom~e:
"La ~ettrie soupait souvent chez la Dame Rufoin et je lui
sois mauvais gré de s'être laissé mourir de sitôt,
j'ou-
rais eu du plaisir à le connaître puisqu'il était savant
et d'une gaieté extrême." (580)
On comprend désormais les raisons de l'appel à l'indulgence en-
vers La Mettrie et son oeuvre que lance Dubois et le plaidoyer
Qu'il
formule pour la reconnaissance de leur
impo~tanc~ dans
l'histoire de la pensée(58b). Il n'est pas étonnant que Dubois,
passionné par les figures héroïques, ait
inscrit
le nom de La
Mettrie au Panthéon de l'histoire aux côtés des atomistes grecs
Démocrite
Epicure et Lucrèce.(59)
t
lequel l'athéisme est l'unique solution des conflits religieux.
Cf. t'ho~me-mochine.p. 130.
(57) Oubois Reymond E., Reden 1. Bd./P. 530-531,
"unbekümmert zunëchst doru~, wie Ethik, Rechtslehre( ..• )
damit fertig w~rd~n.n
(5So) Nachloss- Dubois Reymond, Kasten 4.
Le text~.est en françQis
(5Sb) Dubois Reymond, Qp. cit.
p. 533.
(59)
Ibid. p. ~26.

- 69 -
x
x
x
La biographie des auteurs français chez Dubois n'est pas
seulement une peinture intellectuelle et morale des savants du
XVIIIe siècle, comme le prétend Rosenthal. un étudiant de ou-
bois.(60)-
mais aussi une tentative de résurrection d'une France
intellectuellement en éveil, où les sciences expérime~tales s'im-
posaient de plus en plus: où le savant se montraitméfiantenversles
subtilités métaphysiques(61) et s'attachait è la seule réalité
observée. Sur le plon philosophique, c'est une Fronce qui recourt
au matérialisme pour mieux asseoir ses doctrines et qui, comme le 0
pense un spécialiste du XVIIIe siècle fran9ais,
Mornet,
renonce
à toute explication abstraite pour s'appuyer sur des expériences
qui· se suffisent à elles- m3mes.(62)
De cette 'tude biographique ressort flamboyante la grandeur
scientifique et philosophique de la France. Le savant de Berlin
rend hommage ici à la Fronce des Lumières pour avoir confirmé la
place de la réflexion scientifique dans la pensée du XVIIIe siè-
cle. Diderot, La Mettrie, ~aupertuis. Rousseau et Voltaire incar-
nent chez Dubois le naturalisme moderne et la philosophie natu-
rali ste même si chez eux - sauf en ce qui concerne La Me t tr i e .. -
cette philosophie
n'est pas encore achevée.
La science françai-
se a su raffermir le primat de l'esprit inductif sur l'esprit dé-
ductif.
(60) Rosenthal J.,
Emil Dubois Reymond: ein Lebensbild.
In: Nord
und Sud. Monotsschrift, 1978,p. 164.
(61) Brehier E., Histoire de la philosophie,
le XVIIIe siècle.Tome2,
Par i 5 1968, p. 383.
(62) Mornet O.,
La pensée française ou XVIIIe siècle, Paris 1962
1
p. 103.

-ro-
Il est clair que, pour Dubois, c'est dons la Fronce du
XVIIIe siècle qu'il convient de rechercher les notions- clés de
la science moderne, notions qu'il fait siennes en gronde partie
quand il aborde les grands problèmes de son temps et qu'il n'hé-
site pas à dépasser. le développement scientifique de la Fronce
a une explication profonde. Dubois tente de la donner:
-On a reMorqué précédemment que les Français entendaient
Par science,simplement la science de la 'nature,les Alle-
mands par science,simplement la science de l'esprit."(63)
L'avance de la Fronce et le retord de l'Allemagne sont ainsi lé-
gitimés.
Dubois justifie par l'histoire la caricature de l'état
de la science en Fronce et en Allemagne ou XVIIIe siècl~ illostrée
à trDvers la comparaison d'un poète, Goethe et d'un savant, Vol-
taire. Dans l'esprit du savant de Berlin,
l'Allemagne,
jusque
dons la première moitié du XIXe siècle, était encore au stade de
1
la poésie et de la métaphysique. La Fronce, déjà au XVIIIe siècle, 'ft
s'était hissée aux dernières étapes de l'évolution de l'esprit
\\
h umain(64). Cette constatation ne renferme que un relent de favo-
ritisme à l'égard de la France par 'apport Q l'Allemagne. D'ail-
leurs l'histoire de la science a
rendu raison à Dubois en consi-
dérant d'abord l'Angleterre puis la France comme les berceaux de
la science.(65)
(63) Dubois Reymond E., Reden 2. Bd.,p. 277.
-Mon hat frUher bemerkt, dass Franzosen unter Science
schlechthin Naturwissenschaft, Deutsche unter Wissenschaft
schlechthin Geisteswissenschaft verstanden.-
(64) Pour Dubois,
la marche de l'esprit humain parait être soumi-
se à une loi qui, démontrée par l'histoire de la Grèce, de Rome,
de l'Italie, de l'Angleterre, de la Fronce et de t'Allemagne, é-
nOn~e qu'un peu~le produit d'abord des poètes, ensuite des m~ta­
physiciens et des philosophes, enfin des savants.
(65) Taton R., Histoire générale de la science, Paris 1958,
t. 2,
p. 427.

-
71
-
Dubois a certes puisé dans le rationalisme français mais
~ travers les biographies étudiées, il nous fait découvrir les
contours et les éléments caractéristiques de la science de la na-
ture telle qu'il la conçoit. Désormais, il ne s'agira plus que
de savoir comment le savant de Berlin exploite l'héritage scienti-
fique des siècles passés.

CHAPITRE II
La théorie de la connaissance
Le rroblème de la connaissance est une des préoccupations
et un des thèmes fondamentaux dans la pensée de Dubois. C'est a-
vant tout dans son premier discours de portée
scientifique et
philosophique su~ la force vitale, utilisé en guise d'avant- pro-
pos à son chef-d'oeuvre scientifique Les recherches sur l'élec-
tricité chez les animaux que Dubois, dans un souci de réfuter la
théorie de la force vitale, aborde pour la première fois
la ques-
tion de la connaissance. Deautres discours,
notamment
le célèbre
discours Les limites de la connaissance de la nature(1),
suivi
de Darwin contre Galiani (2) et Les sept énigmes de l'univers (3)
permettent au savant de eerlin d'illustrer,
de préciser et d'ap-
profondir le thème.
La priorité accordée au problème de la connaissance dans
son oeuvre, montre l'importance que Dubois y attache. Pourtant,
(1) Über die Grenzen des Naturerkennens, discours prononcé le 14
août 1872 à Berlin lors de la 45e Assemblée des noturalistes et
médecins allemands.
Il a été traduit dans toutes les gran·
des langues
":(Anglais,
Espagnol, Français,
Italien et Serbe). La
version française figure éans la Revue scientifique de la France
et de l'Etranger du 10 oct. 1874,2esérie,
t.xVI , p. 337. Cette Re-
vue fournit égaleMent la version française d'autres discours ée
Dubois notamment: Voltaire aIs Naturforscher, Rev. du 25
juil. 1868
1e série,
t.V/P.
537. Ùber Universitëtseinrichtungen, Rev.
du 23
avril 1870,
t. VII,
p.
322. Leibnizische Gedanken in der

_ 73 -
le sujet n'est pas nouveau.
Une vaste litttrature abonde
SU,"
ce
sujet et semble l'avoir épuisé. D~ noms célèbres comme La ~et­
trie,
Kant,
Goethe(4) etc figurent sur la liste de ceux qui
se
sont penchés sur le problè~e. Dubois ne prétend pas être un nova-
teur mais pense susciter de l'intérêt par so ~éthode, sa façon
d'pppréhender le problème(5).
Lo recherche de cette ~~thode
guidera notre démarche.
1. Position scientifique du problème
Dans La force vitale qu'il considère comme
une pro-
fession de foi
scientifique(6), Dubois annonce le pragranme d'une
nouvelle école dont le but est l'étude de la possibilité d'une
mécanique analytique des processus vitaux. Cette tendonce qui a-
voit fait
son chemin dans la ~h~siologie du XIXe siècle, con-
neueren Naturwissenschaft, Rev. du 25 oct.
1873, 2e série,t. V/
p.
386. La Mettrie, Rev. du 19 juin 1875, 2e série,t.
VII/p. 1201.
Über Geschichte der Wissenschaft, Rev. du 28 Nov. 1874, 2e séri~
t. XIV,
p. 506. Darwin versu. Galiani,Rev. du 19 moi 1877, 2e sé-
rie/t.XII, p.1101. Kulturgeschichte und Naturwissenschaft, Rev. du
.C .
19 janv. 1878, 2e aérie,t. XIV p. 669. Friedrich II und Jean-Jac-
eues ROUsseau, Rev. du 7 juin 1279, 2e série/t.XVI p.1149. Goethe
..
und kein Ende, Rev. du 16 déc. 1882,
3e série/t.XXX p. 769.
Uber
die Ubung, Rev. du 28 janv. 1882,
3e série,t.~XIX p. 97. Die Hum-
boldt-Denk/mëler vor der Perliner Universitët, Rev.
du 10 nov.1P.83,
3e série/te XXXII/p. 578. Diderot, Rev. du 23 août 1884,
3e série,
t. XXX IV, p. 225 .
(2) Darwin versus Goliani,discours prononcé le 6juil.
1876 à ter_
lin.
(3) Cie sieben Weltrâtsel,discours prononc~ le 1~ ooût 18800 Ber-
lin.
(4) Cf, La Mettrie J. O.,L'hoM"ie-mochinei cf. éga".ement Vant L,
Kritik der reinen Vernunft et Goethe J. W.
v.
Foust 1.
Teil.
(5) Dubois Reymond E., Gter die Grenzen des Noturerkenrens & Die .\\
sieten Weltrëtsel,
Leipzig 18E2,p. 62.
(6)
Id. Peden 1. Bd,/ p.1.

- 74 -
siste à réduire tous les phénomènes de la nature aux mouvements
des atomes à l'aide de l'analyse mathé~atique. Un critique alle-
mand,
Max Cohn,
avait démontré l'insuffisance de cette ~éthode(7).
Mais Dubois a des raisons de nourrir une grande confiance
dans la conception mécanique.
La question
de la con-
naissance relève de la science et doit se fonder sur de& métho-
des scientifiques. Dubois
justifie ainsi cette thèse:
"Les mathématiques possèdent en effet,
ce qui manque à
la métaphysique,
un moyen sûr de trancher si
une hypo-
thèse est
juste ou fausse".(8)
Ici l'auteur ne fait aucune différence entre
sciences de
la nature
et
. sciences exactes. Cependant,
il
fournit
la dif-
férence fondamentale entre
science et métaphysique.
La science seule dispose Re moyens odéquats de vérifier
l'exactitude de l'objet de la connaissance. Cette raison essen-
tielle détermine toute la pensée scientifique de Dubois. Quond
le savant de Berlin aborde la questionde la connaissance,
il se
refère immédiatement à
la connaissance mécanique et en fait
le
devoir de
la science de la nature.
Pour lui,
n'est connaissable
que tout phénomène réductible à une combinaison d~ mouvements
Physiques.
La connaissance mécanique est l'unique forme de con-
naissance.
Dubois l'exprime très clairement:
"Pour nous,
il n'y a aucune outre connaissance que
(7) Cohn M.,
Emil Dubois Reymond's Weltanschauung und die Entwik-
k1ung der Wissenschaft.
In:
K1inisch-therapeutische Wochenschrift.
NO 25/28,Ber1in 1919,p. 237.
(8) Dubois Reymond E., op.
cit.
p.568.
"Auch sie(die Mathematik)
besitzt, was dem metaphysischen
Denken feh1t,
das sichere Mittel zu entscheiden ob sie
richtig vermutet oder nicht."

-
75 -
la connaissance mécanique."(9)
Il Y a tout lieu de croire, comme le remarque un critique
allemand, Friedrich Herneck, que Dubois considère l'univers phy-
sique,
l'objet de la connaissance, comme il devait apparaître
d'après les connaissances de la science de le nature de l'époque,
c'est.à~dire, en tant que mécanisme des atames(10}. Cet univers,
dans san ensemble, est soumis à des lois physiques inflexibles.
~
Dubois pense que tous les phénomènes ql"il renferme,
sont égale-
ment assujettis ~ un rapport immuable de causalité:
"L'état de l'univers entier, y co~pris du cerveau hu-
main, est à choque instant, l'effet méc~nique absolu
de l'état existant à l'instant précédent et la cause
mécanique absolue de l'état existant à l'instant sui-
vant immédiatement.-(11)
En
caractérisant ainsi l'univers physique Dubois détermi-
ne progressivement les contours du connaissable. La connaissance
exclut tout phénamène métQphysique, accidentel, en somme tout ce
que la science ne peut ex~liquer à l'aide de ses méthodes. La
pensée de Dubois est mécaniste et déterministe. Elle rend ~omma­
ge à Descartes et à Leibniz dant le savant de Berlin vante lui-
même le concept du déterminisme inconditionnel et célèbre la con-
ception mécaniste(12). Dons Darwin versus Galiani le naturaliste
anglais Charles Darwin reçoit également les mê~es honneurs pour
(9) Ibid. p.560.
"Es gibt fUr uns kein anderes Erkennen aIs das mecha-
nische."
(10) Herneck F., Emil Dubois Reymond und die Gren~en der mec~anis­
tischen Naturauffassung. ln: Forschen und Wirken, Berlin 1960,
'p. 246.
(11') Dubois Reymond E •• Uber die Grenzen des Naturerkennens &
Die sieben Weltrotsel, p. 87/88.
·Oer Zustand der ganzen Welt, auch eines menschlichen Ge-

-
76 -
avoir substitué la nécessité aveugle aux causes finales.
Mais la recherche de la rigueur scientifique dans la ques-
tion
de la connaissance amène Dubois ~ étoffer la conception ~é­
caniste.
Il y établit une complémentarité de la physique et de
la mathématique: ces deux disciplines constituant chez Dubois le
coeur de la science:
-Il n'y a d'autre forme de pensée vraiment scientifique
que la forme physico-mathématique~(13)
Le prix qu'attache Dubois aux mathématiques et par lequel
est posé le problème de leur place dans la science, n'a rien de
nouveau. Avant Dubois, des penseurs,
notomment
Novalis
et
Johann Müller(14-15)' avaient tenté d'identifier toute la science
aux mathématiques. Mais il est pensable que le savant de Berlin
ait essayé d'embotter le pas à son professeur Müller dont il a
minutieusement étudié
et beaucoup apprécié 10 pensée scientifi-
que dans son discours A 10 mémoire de Johann MUller.
hirns,
in jedem Augenblick ist die unbedingte mechanische
Wirkung des Zustandes im vorhergehenden Augenblick,
und
die unbedingte mechanische Ursache des Zustandes im nëch
folgenden Augenblick.-
(12)
Id~ Reden 1 .Bd~,p. 89. L'oeuvre de Dubois ne foit clairement
aucune mention de l'idée de déterminisme chez Descartes.
(13) ~. p.560.
-Es gibt( . . . ) nur Eine wahrhaft wissenschaftliche Denk-
.form, die physikalisch-mathematischeo-
(14-15) Cf. Novalis F. v. Ho, Fragmente. Stuttgart 1975 et Mül-
ler J., Handbuch der Physiologie des Menschen. Coblenz 1840, 2
vol.

- 77 -
En introduisant la notion de physique et de mathématique
dans la question de la connaissance, Dubois revendique une con-
naissance de l'univers fini, avec tou5 ses changements, uni-
vers explica~le par l'observation, l'expérience et le calcul. La
connaissance chez Dubois exige l'exactitude et la précision.
Dans
un souci de clarté, l'auteur a mis ses auditeurs et ses lec-
teurs en garde contre toute confusion à propos de cette conception.
La connaissance telle qu'elle a été définie, ne. cônfine nullement
à une quelconque prétention à l'omniscience Mais' aspire à une
certaine perfection que Dubois identifie à l'esprit conçu par le
mathématicien Pierre Simon de Laplace. En fait, cet esprit cons-
titue le modèle et le niveau le plus élevé de la connaissance
i
que l'on puisse atteindre:
. !
"Ainsi la connaissance de la nature que poss~de l'esprit
conçu par Laplace, représente l'extrême degré possible
de notre propre connaissance de la nature et peut donc
nous servir de base dans l'examen des limites de cette
connaissance. Tout ce qui resterait inconnu à cet esprit,
demeurera, à plus forte raison, un mystère pour notre es-
prit enfer~é dans un champ beaucoup rlus restreint"(16).
Pour l'instant, la connaissance que possède l'esprit conçu par
Laplace n'est qu'un rêve chez l'homme et sa réalisation demeure
un idéal.
(16) DubOis Reymond E., Reden 1. Bd~ p.446.
"Das Natur.erkennen des Laplace'schen Geistes stellt so-
mit die hochste denkbare Stufe unseres eigenen Naturerken.
nens, und bei der Untersuchung Uber die Grenzen dieses
Erkennens konnen wir jenes zugrunde legen. Was der La-
place'sche Geist nicht zu durchschauen vermëchte, das
wird vollends unserem in so viel enger en Schranken ein-
geschlossenen Geiste verborgen bleiben."

-
78 -
On remarquera -
au risque de nous reréter -
que
l'étehdue
de l'analyse mécanique correspond en fait au champ d'action de
la science de la nature et aux limites implicites de cette disci-
pline. Dans la mesure où la vraie connaissance est celle des
faits mécaniques,
il est clair que l'étendue de cette dernière
Se confond,
dans 10 pens'e de Dubois, avec le domaine de l'in-
telligence humaine. Dubois ne cache pas son intention d'iden-
tifier la science de la nature à
l'esprit humain. On pourrait
schématiser cette pensée de la faç~n suivante:
science de la
"
nature -
connaissance mécanique. monde connaissable pour l'en-
tendement· humain . .
science de
l~ nature -
entendement hu-
main.
Dubois,
en se situant sur 1.
terrain de la conception
mécanique ou du moins en posant s' ,entifiquement le problème de
la connaissance,aura à répondre èlo question de savoir si l'on peut
inclure tous les phénomènes de la nature dans la notion des mou-
vements mécaniques. En d'autres termes,
la science de la natu-
re peut-elle résoudre tous les problèmes de la nature? La ré-
ponse à cette question déterminera la place et
le .rÔle de la
science de la nature dans la
solution
des énigmes de
l'univers
chez Dubois.
2.
La science de la nature et son ~rplication
C'est dans une étude des ér.~;~es de l'univers que Dubois
pOse avec acuité le problème de l'efficacité de
la science de
la nature ou de la connaissance mécanique.
Dans son discours de
1880, Les sept énigmes de l'univers, qui,
dans
l'ordre chrono-
logique de sa pensée et dans un souci d'explication,
fait
suite
au discours de Leipzig,
Les limites de la connaissance de
la na-
u
~(17), Dubois énu~ère
les énig~es dans l'ordre suivant:
/
(17) Dubois n'y avait répertorié que deux limiteg è
l'entendement
humain,
à savoir,
l'essence de la matière et de la force,
et l'ap-
parition de la conscience.

79 -
1. l'essence de 10 matière et de la force; 2.
l'origine du mou-
vement: 3. la première apparition de la vie:
4.
la finalité ap-
paremment préconçue de la nature: 5.
l'apparition de la si~ple
sensation et de la conscience; 6.
la raison,
la pensée et l'ori-
gine du langage: 7. le libre arbitre. Il prend soin de préciser
clairement que la 3e,
la 4e et la 6e énigmes peuvent être résolues
par la science de la nature alors que les quatre autres lui res-
teraient à jamais inconnues: d'où les termes d'Ignoramus et d'I-
gnorabimus. Notre analyse tiendra compte tout d'abord des énig-
mes
solubles, se penchera sur les rapports de Dubois avec la
philosophie matérialiste et tentera de dégager la place qui re-
vient à la science de la nature.
0) Le problème de la vie
En 1872, quand Dubois aborda pour la première fois le pro-
.,
blème des énigmes, la question de la premlere apparition de la
vie ne se posait pas, du moins elle n'était pas une énigme. Du-
bois s'était plutôt préoccupé de démontrer l'incompréhensibilité'
de l'essence de la matière et de la force,
et de la conscience.
La considération de la vie en tant qu'énigme quelQues années
plus tord donne l'occasion aD savant de Berlin de reviser sa
conception de l'origine de la vie. La conception mécanique
de la vie ne suffit
pas. Elle laisse des zones d'ombre.&ur
l'origine de.la matière. Dubois tente ainsi d'apporter un amen-
dement à sa conception de la connaissance.
Fort de l'efficacité de la conception mécanique,
,
Dubois était convai~cu
de la possibilité
de répondre
ù
la question de la vie. Pour lui,
la première apparition de la
vie se laisse concevoir en tant Que
processus m~canique rame-
nable au mouvement de la matière. Elle suppose ainsi une antério-
rité de la matière. A ce propos,
il affirMe qu'
"Il ne s'agit d'obord que de mouvement, d'agencement
de molécules en positions d'équilibre plu~ ou moins sto-

80 -
ble.et d'une introduction d'un métabolisme en partie
sous l'effet
d'un mouve~ent transmis de.~l'extérieur,
en partie de forces inhérentes aux molécules de l'être
vivant en interaction avec les molécules du monde exté-
rieur."(18)
Dubois s'était fondé sur la méthode de la philosophie ma-
térialiste. Tout comme les matérialistes, il avait recherché
l'origine de la vie dons les combinaisons chimiques diverses. La
matière et le mouvement constituaient
les éléments essentiels
à l'apparition de la vie. Cette conception que Dubois avait sou-
tenue jusqu'en 1880 l'avait amené 0 déterminer la différence
fondamentale entre l'organique et l'inorganiques
"Dons le cristal, la matière se trouve dons un état d'é-
quilibre stable alors ou'un courant de la mati~re par-
court l'organisme."(19)
De ce point de vue on aurait du mol à dissocier la pensée
de Dubois de celle que prône le matérialisme mécaniste et parti-
culièrement de celle du baron d'Holbach dont le savant de Berlin
avait minutieusement examiné l'oeuvre avant 1876 et qu'il aurait
tenté de réhabiliter ici(20). Dons le Système de la nature~ d'Hol-
bach considérait également la matière et le mouvement comme les
(18 ) Dubois Reymond E., Reden 1 .Bd' p.451.
I
"Es handelt sich zunijchst nur um Bewegung, um Anordnung
von Molekeln in mehr oder minder festen Gleichgewichtsla-
gen, um eine Ein1eitung eines Stoffwechse1s teils durch
von aussen Uberkomme"e Bewegung, teils dur ch Spannkrëfte
der mit Mo1ekeln der' Aussenwelt in Wechs~lwirkung treten-
den Mo1ekeln des LebeWesen~~
Ibid.
"lm Krista11 befindet sich die Materie in stabilem Gleich-
gewicht, wëhrend durch ~as Lebewesen ein 5trom von Mate-
rie sich ergiesst,"
(20) A travers l'appréciation critique de la philosophie mécaniste

81 -
conditions sine qua non de la naissance de
la vie}
"Le mouvement se produit,
s'augmente et s'accélère dons
la matière sans le concours
d'aucun agent extérieur( ... )
C'est par le mouvement que tout ce qui existe,
se pro-
duit,
s'altère. s'accroît et se détruit."(21)
Cette pensée avait également pour but de rendre impossible toute
intervention immatérielle dans le processus de la vie.
Tout laissait donc croire que Dubois était satisfait de la
thèse matérialiste sur la question de la vie,
thèse dont
il a-
vait lui-même reconnu l'importance et admis
la certitude. Mais à
partir de 1880,
il ~rend conscience de la complexité du problè-
me et ne peut se dispenser de recourir à des hypothèses métaphy-
siques.
Il
insiste particulièrement sur une éventuelle interven-
tion supra-naturelle dans cette probl:matique:
"Je le répète et je persiste,
si nous devions admettre
un acte supra-naturel,
alors un seul de ce genre suffi-
rait pour créer la matière mouvante:
dons tous les cos,
nous n'aurions besoin que d'Un jour de ~réation."(22)
L'hypothèse d'une matière en mouvemen~ même d'une origine méta-
physique qui aurait donné naissance à la vie sous toutes ses
,
formes est crédible aux yeux de Dubois.
Alors que dans les milieux naturalistes,
on croit de plus
de d'Holbach dons Darwin versus.Galiani(1876),In: Reden 1.Bd.,p.
541-544,
on découvre que Dubois avait lu cet auteur.
(21) Holbach ~
H.
T.
baron de, Système de la nature ou des lois
du monde physique et du monde moral. Hildesheim 1966,
tome r"
p.
25 et 40.
(22) Dubois Reymond E., Ober die Grenzen des Naturerkennens & Die
sieben Weltrëtsel,
p.
77.
"Ich wiederhole es und bestehe darauf.
Sollten wir einen
supernaturalistischen Act zulassen.
50
genügte ein einzi-
ger solcher Act,
der bewegte Materie schüfe:
ouf olle Fël~
le brauchten wir nur Einen Schijpfungstag."

- 82 ~
en plus avec conviction que l'~tude de la vie incombe exclusive-
ment à la science de la nature(23), Dubois suppose une autre
voie qui ramène l'esprit à l'id~e de la création cosmologique
soutenue par la Bible. On est ici en droit de se demander, com-
me au cours du colloque de Mayence sur Dubois, si ce brusque re-
virement est, en fait,
une fantaisie de la rhétorique ou si le
savant de Berlin est atteint d'une subite religiosité(24). Mais
tout dans sa pens~e tend à confirmer la première hypothèse. On
Sait que le physiologiste Dubois, vers~ dans la connaissance des
ph~nomènes m~caniques, est convainqu du bien-fond~ de la scien-
Ce de la nature et se proclame en toute circonstance anti-m~ta­
physicien. Or en 1880, au moment où le discours Les sept énigmes
de l'univers
fut prononcé, la pensée de Dubois ne trouvait plus
asile chez les chrétiens et les orthodoxes qui reprochaient au
.
.~
savant de Berlin de professer l'athéisme{2S): remarque pertinente
d'autant que le discours Darwin contre Galiani(1876), à l'origi-
ne de cette r~action, est une tentative.d'élimination de l'id~e
de Dieu de la nature. Les hypothèses de Dubois arrivent donc à
propos pour le concilier momentan~ment avec ses adversaires. Du-
bois se montre ici opportuniste puisque dans son dernier discours
Le n~o-vitalisme,
il refusera sur un ton pérempt~ire toute in-
tervention divine dans la question de la vie(26).
Il n'y a là
aucune tentative de corruption de la science.
(23) Virchow R., La conception mécanigue de la vie.
In: Revue
scientifique de la France et de l'Etranger du 7 avril 1866, t.III,
p.
308.
(24) Mann G., Naturwissen
und Erkenntnis •.. p. 219.
(25) Après son discours Darwin versus Galiani, Dubois avait reçu
des lettres de chrétiens de toutes
confessions lui témoignant
leur désapprobation de ses propos. Cf. Dannemann F., Aus Dubois
8eymond's Briefwechsel über die Geschichte der Naturwissenschaf.
~. In: Mitteilung zur Geschichte der Medizin und der Naturwis-
senschaften, XVIII. und XIX. Jahrg. Leipzig 1919. Lettre du 4 juin
1877, p. 4.

-
83 -
Dubois a conscience des progrès réalisés par
la science de
la nature dans le domaine de la vie.
Pour
lui,
même si
le natura-
liste anglais Thomas Huxley(1825-1895),
partisan du transformis-
me,
a découvert que la première vie est apparue sous la mer sous
forme de limon animé(27), Pasteur a
le mérite d'avoir contribué
le plus à
la recherche de la vérité scientifique sur ce point.
Ses exp~riences ont révolutionné la biologie et rendu impossible
la thèse de la génération srontanée(28).
Dubois marque ainsi
le
grand pas accompli dans la science au XIXe siècle.
Mais dans l'esprit de Dubois,la science et
la.philosophie
matérialiste ont beau proposer des solutions,
elles restent
im-
puissantes face à certaines questions que suscite un examen ap-
profondi de l'origine de la vie.
La ~atière, l'un des élé~ents
fondamentaux de la vie et ses origines, est en elle-même une ques-
tion pendante.
Dubois le montre 0 travers cette i~terrogation:
"Si l'on admet que la vie peut naître de façon mécani-
que,
il ne s'agira plus à présent que de savoir si la
matière qui peut s'assembler pour devenir vivante,
était
déjà là,
ou bien si,
comme le pensait Leibniz, elle a
d'abord été créée par Dieu~(29)
Dubois semble remettre en couse la gronde dJcouverte de la
conservation de la matière réalisée par Lavoisier(30). Cor la
théorie de la conservation de la matière,
en énonçant que dans la
nature la matière ne naît et ne disparaît,
contribue à confirmer
la thèse de l'éternité de la matière soutenue par la phil060phie
matérialiste. Soutenir une telle thèse.
n'est-ce pas là se borner
à une simple affirmation? Pour Dubois,
la science'de la nature se
(26) Dubois Reymond E.,
Über Ne~itolismus, discours prononcé le
28 juin 1894 à Berlin.
In: Reden 2.
Ad. / P.514.
( 27)
Id. Red e n 1. Bd., p.
450 .
(28)
Id.
Ober die Grenzen des Naturerkennens & Die sieben Weltrët-
sel,
p.
69.
Dubois'ovoit tout d'abord cru à
l'idie de
la généra-

- 04 -
montre ici insuffisante dons l'explication de façon naturelle
de l'origine de la matière. Le savant de Berlin p0ge ainsi le
problème de l'origine de la matière auquel ni la science de la
nature,
ni la philosophie n'ont encore apporté de réponse.
Il
semble que cette question à laquelle se heurte Oùbois, n'a été
l'objet d'aucune réflexion préalable. Elle est tout simplement
née de l'analyse de l'homme. Autrement elle devrait figurer en
bonne logique parmi les énigmes de l'univerSI
L'analyse du problème de la vie dévoile les lacunes de la
science de la nature ou de la conception mécanique et les diffi-
cultés d'une stricte application de la théorie scientifique dons
les limites acquises par l'expérience. Elle ~ontre que l~ où l'es-
prit humain prétend étendre sa connaissan~e se ~résentent des dif-
ficultés auxq~el!es il ne peut répondre.Il ser~it reut-être trop
tôt de penser ici que toute connaissance résul~cnt de l'expéri~nce
est incoMpl~te, ~ais le problème ce la vie chez Ouhois annonce
déjà les insuffisances ~e la connaissance 5cientifi1ue.
Dubois,
il est vrai, a adopté lCl l'hypoth~se rie travail
de la philosophie matérialiste mois garde par moments ses distance
envers
cette ~cole.C'est dans sa conception ce ~'évolution qu'il
défendra entièrement les mêmes objectifs que les matérialistes.
tion spontanée et l'avait même jugée probable aux yeux de la scien.
ce. Voir p. 68.
(29) Ibid. p. 70 •
•••. nun wird es nur ~och darum handeln~.ob cie ~aterie,
die sich rein mechanisch zu Lebendigem zusammenfügen
kann, stets da war, oder ob sie, wie Leibniz ~einte, erst
von Gott geschaffen ward."
(30) Cf. Lavoisier A., Principes de chimie, Paris 1 7 89.

-
85 -
b) Dubois et l'idée d'évolution
Il s'agit pour Dubois de répondre aux énigmes de la pensee,
de la raison et de l'origine du langage, et de la finalité de la
nature. Le savant de Berlin avait pourtant conscience du fait
que, malgré ses progr~s, la science de la nature n'avait pas en-
core acquis des connaissances solides et suffisantes. ~ais il
lui était apparu nécessaire Qu'elle exploite ses gécouvertes a-
fin de fournir une explication naturelle de ces prob!è~es qui se
posent à l'humanité et de foire obstacle è l'hégé~onie des réron-
ses apportées par la religion. Dubois se situe cons le do~aine
des sciences naturelles et particulièrement de la biologie et fait
corps avec la philosophie matérialiste. Parler de la notion d'é-
volution chez Dubois revient essentiellement 0 se représenter les
théories fondamentales du darwinisme. Duhois lui-~êMe nous en con-
ne un rés~mé à partir de l'oeuvre, L'origine des esp~ces, de Dar-
win:
"A présent,
tout se développait de façon continue ~ par-
tir d'un petit nombre des plus simples germes; mainte-
nant
on n'a
plus besoin de création$ successive5
mais
uniquement d'un seul jour de création o~ la mati~re ~ou-
,
vante fut; ainsi la finalité organique était remplaceQ
~ar une nouvelle sor:e de ~écanis~e loque1le peut être c~n­
çue COMme étant la sélection naturelle. Enfin,
l'hc~~e
p rit 1apI ace qui 1u i r e vie n t à 1a t ê tee e ses f r ère s." ( 11 )
(31) Dubois Reymond E.,Reden 2.Bd., p.244-245.
-Nun entwickelte sich alles stetig aus wenigen einfac~
sten Keimen; nun bedürfte' es keiner schubweisen Schopfun-
gen mehr, nur noch Eines Sch8pfungstages, en welchem be-
wegte Materie wurde;
nun war die organische Zweckmassig-
keit durch eine neue Art von ~echanik ersetzt, ols we1- .
che mon die natürliche Zuchtwahl auffassen kann; nun end~
lich nahm der ~ensch den ihm gebührenden Platz on der
Spitze seiner 8rüder ein."

- 86 -
Cette réflexion impose une remarque.
Le ;,avant de Berlin
vient de tirer de l'oeuvre de Darwin
une conclusion sur l'origi~
ne de l'homme que le savant anglais avait intentionnellement lais-
sée de côté; mais qu'il tire néanmoins dcuze ~ns plus tard dans
L'origine de l'homme et la sélection sex~elle après au'elle a
été d~jà propagée(32). Cette conclusion anticipée sur la pensée
de Darwin éclaire en fait
la nécessité de l'()euvre cu savant an-
glais chez Dubois dans l'explication de l'origine de l'homme.
,
Le resumé de Dubois ne laisse pas
~lace au ~oindre dou-
te sur la détermination du savant de dépasser les idées tradition-
nelles sur la création du monde animé et i~animé s~lon lesquelles
les êtres vivants ont été modelés une fois pour toutes. La t~àse
créationniste qui défend le fixisme de l'espèce,
excluant toute
variation et conduisant à l'immuabilité des espèces,
est reje-
tée
par
Dubois(33). Pour lui,
le développement incessant et les
transformations perpétuelles de la natur& obéissent n des
lois
objectives dont Darwin a énoncé le mécarisme. DU~Qis insiste sur
la sélection naturelle, sur son caractère méconiste et physica-
liste, et souligne l'interaction des facteurs g~n~tiques et des
facteurs écologiques:
"Dans la nécessité la sélection naturelle neus offr~,pour
la première fois,
un~ info~ation à peu pr~s acceptable.
Si 00 10 co~bine avec les lois du jévelcppe~ent. elle fe-
rait co~prendre d'un seul coup rourquoi les êt~es organi-
ques sont si ~erveill~usement adoptés les uns cu. outres
et au Monde extérieur ( ... ) En un 'T'ot.
dans ';cute la "'ature
(32) L'origine des espèces
de Darwin a vu le jour en 1859.
(33)Duboisse dresse ici contre les défenseurs des th~ses des créc-
tions successives et du fixisme et cite notn~ment les naturalis-
tes français Georges Cuvier(1769- 1 832) et s~isse Louis Agassiz
(1807-1873) 'dont l'influence dans ce domaine a été
très rpmar-
quable. Cf. Reden 1. Bd " p. 546.

-87 -
,
organique,
les couses finales feraient
place à une meca-
nique très co~plicu(.e, il est vrai, mai& agisson~ de fa-
çon aveug1e."(34)
Aux yeux de Dubois,
la sélestion naturelle,
la pierre an-
gulaire de
l'évolution naturelle,
a plus de prix que la théorie
de la descendance. Elle ouvre u~e voie tout à fait originale et
permet d'expliqlJer le développement de la nature ~rganique autre-
ment que par l'action obscure des lois marphologicues(35). Certes,
la sélection naturelle,
de ~ême aue les lois morprologiques, est
loin d'avoir la rigueur de la physique et de la ~othémotiquesau­
haitée par Oubois,mais à défaut de mieux,
elle demeure l'unique
voie possible. Dubois traduit clairement cette nécessité dons
une éloquente métaphore:
"Ainsi s ' i l se présente un chemin pour bonnir la finali-
té de la nature,
le naturaliste doit
l'emprunter.
La
sélection naturelle fournit ce chemin. Par conséquent,
nous l'acceptons jusqu'à nouvel ordre. Même si, toutefois,
en nous tenant è cette doctrine, nous avons la sensa-
tion du noyé qui,
n'oyant pas d'outre possibilité de se
sauver,
s'accroche à une planche le maintenant juste à
la surface de l'eau: dons le choix entre la planche et
le naufrage,
l'avantage est incontestablement du cSté
de la planche.-(36)
(34) Dubois Reymond E., Reden 1. Bd.,p. ~51-552.
WIn der Not bietet sich uns zum ersten Mol in der natür-
lichen Zuchtwahl eine einigermassen annehmbare AusKunft.
In Verbindung mit den Bildungsgesetzen wUrde sie mit ei-
nem Schlage verstëndlich machen warum die organischen We-
sen einander und der Aussenwelt so bewunderungswürdig an-
gepasst sind{ . . . )Mit einem Wort on Stelle der Endursachen
in der organischen Natur trëte eine zwor hochst verwickel-
te,
aber blind wirkende Mechanik."
(35)
~. p. 548-549.
(36) ~. p. 557.
"Sietet sich also ein Ausweg die ZwecKMëssigkeit aus der

- 88 -
La sélection naturelle préside à
l'idée du développement
continu et constant qui
inspire Dubois quand il aborde bri~ve­
ment le probl~me de la raison, de la pensée et de l'origine du
langage. Pour lui, cette énigme est le résultat
final d'une évo-
lution intellectuelle. Cette évolution
lui
permet d'examiner la
différence entre l'animal et l'homme:
"Entre l'amibe et l'homme,
entre le nouveau-né P.t l'adul-
te il y a certainement un abîme énorme, mais celui-ci
peut être comblé jusqu'à un certain degré par des transi-
tions.
Le développement des facultés
intellectuelles
dans la lignée animale l'accomplit objectivement
jus-
qU'aux si"ges anthropoïdes;
pour parvenir,
chez l'indi-
vidu,
de la simple sensation aux plus hauts degrés de
l'activité intellectuelle,
la théorie de la connaissan-
ce n'a vraisemblablement besoin que de la mémoire et de
la faculté de généralisation."(37)
['origine de l'homme ne fait plus problème chez Dubois.
Le
savant de Berlin est convaincu de la théorie darwinienne selon
laquelle lthomme est le dernier chaînon de l'évolution dp. la sé-
Natur zu verbannen,
so muss der Naturforscher ihn ein-
schlogen. Solch ein Ausweg ist die Lehre von der natërli-
chen Zuchtwahl;folglich betreten wir
ihn auf weiteres.
Megen wir immerhin,
in dem wir an diese ~ehre une halten,
die Empfindung des sonst rettungslos Vp.rsinkenden haben,
der an eine nur eben
Uber Wasser
ihn tragende Planke sich
klammert. Bei der Wahl zwischen Planke und Untergang ist
der Vorte'il entschieden ouf Seitender Planke."
(37) Id~,'Uber die Grenzen des Naturerkennens & Oie sieben Weltrët-
.!!!.' p. 83-84.
"Zwischen Amebe und Mensch, zwischen Neugeborenem und Er-
wachsenem ist si cher eine gewaltige Kluf~;sie lësst sich
aber bis zu einem gewissen Grade durch Ubergënge ausfUll
Oie Entwicklung des geistigen Vermegens in der Tierreihe
leistet dies objektiv bis zu den anthropoTden Affen ; um
beim Einzelwesen von der einfachen Empfindung zu den hëhe-
ren Stufen geistiger Tatigkeit zu gelangen bedarf die Er-
kenntnisstheorie walirscheinlich nur des GeC'lëchtnisses und
des Ver~ëgens der Verallge~einerung."

-
89
rie animale produit par des causes naturelles.
En partant de l'i-
dée de la transformation progressive, Dubois s'accorde avec Dar-
win pour reconnaître que les rapports d'incommensurabilité jusque-
là établis entre l'animal et l'homme sont abolis.
Le développe-
ment des facultés intellectuelles s'opère aussi bien chez l'ani-
mal que chez l'homme. Le langage articulé, conséquence logique du
développement et agent principal du progrès de l'homme, marque la
distinction avec les animaux, distinction mesurable
en degré~.Il
y a tout lieu de croire ici que tant chez Dubois que chez Darwin
la raison et la pensée ne son~' que
aboutissement de la psycho-
logie animale.
On voit donc que l'jdée de 16 hiérarchie des itres, du pro-
grès constant, en somme, l'idée d'une évolution reste toujours pré-
sente dans 10 pensée de Dubois.Elle est également synonyme de per-
fectionnement.
L'exploitation et les fins des doctrines darwinien-
nes chez Dubois témoignent clairement que l'évolutionnisme était
on ne peut plus nécessaire au savant de Berlin.
Il semble que, de-
puis longtemps, Dubois attendait de Darwin,
l'essentiel de ses
théories pour tenter de résoudre certains problèmes sur lesquels
la science de la nature avait jusque-là buté.
Ces faits expliquent, du moins en partie,
la filiation dar-
winienne de"Dubois et la reconnaissance du savant anglais en tant
qu'auteur d'une conception originale et scientifique de la nature
d'une façon autonome(38).
rIs dévoilent également pourquoi Darwin
apparaît chez Dubois comme le" Copernic du ~onde organique " et
L'origine des espèces, comme le début d'une révolu'tion dans les
sciences naturelles(39).
(38)
Id. Reden,1.Bd.,p. 545.
(39)
Ibid.

-
90 -
Toutes ces considérations quelque peu dithyrambiques sur
Darwin et son oeuvre ~émoignent que le savant de Berlin n'a
pas remonté à l'histoire de la science de la nature pour rorter
Son jugement.
Implicitement il refuse à Goethe et Lamarck,
les
pères du transformisme, ce que lthistoire de la pensée scientifi-
que leur a toujours conféré,
à savoir, d'être les précurseurs de
Darwin(40). En fait ce ne sont plus les motivations scientifiques
qui déterminent
les préférences de Dubois Mais plutôt
l'admira-
tion envers le courage d'un savant et la foi
en celui(41) dont
les recherches apportent de l'eau au moulin de la science, à une
époque où toutes les sciences coalisées livrent un assaut formi-
dable aux dogmes chrétiens(42}.
Cependant, même si DUbOis tend par moments à se substituer
ô Darwin en répondant aux objections théori~ues auxquelles L'ori-
gine des espèces s'expose(43),
il est intéressant de noter que
l'esprit critique et le réalisme chez Dubois dépassent souvent le
cadre de simples sentiments. Contrairement aux darwiniens de la
première heure et même aux évolutionnistes Qui considèrent au-
jourd'hui que la sélection suffit à expliquer la modification de
l'histoire généalogique lstammesgeschichtlichen Wandel)(44), Du-
bois garde une certaine distance face à la doctrine darwinienne.
Pour lui,
le mécanisme de l'évolution naturelle de la matière
formulé par Darwin,
ne constitue qu'une explication' partielle:
-En définitive,
il s'agit ici de savoir, nOn
pas si tel-
(40) Ziegler T., Oie geistigen und sozialen Stromungen des 19.
Jahrhunderts, Berlin 1901" p. 160 et 163.
(41) Dons Darwin contre Galiani;in: Peden 1. Bd.,p.550, Dubois
montre par ses critiques caustiques de l'arbre généalogique dessi-
né par Ernst Hëckel qu'entre ce dernier et Darwin,
il opteroit fa-
cilement pour le savant anglais.
(42) Jousset P.,
L'évolution
et transformisme.
Paris 1910,p 10.
(43) Certains passages dons Darwin contre Galiani montrent que Du-

- 91 -
,.
le ou telle formation déterminée, mais si une formation
quelconque peut s'expliquer de la manigre indiquéé par
Darwin( ••• )Jamais on n'a prétendu que la sélection natu-
relle dût à elle seule rendre compte de la réalisation
de la nature organique."(4~)
Dubois constate que la couse de la doctrine ~arwinienne-n'est
pas gagnée et reconnait les difficultés de la "théorie de l'évolu-
tion. C'est pourquoi,
six ans avant sa mort,
il change de métho-
de et ne se contente plus de simples critiques dont il tire lui-
même une fierté personnelle(46). A l'idée que les organismes se
laissent transformer par une adaptation inconsciente aux condi-
tions extérieures leur permettant d'acquérir une capacité de ré-
sistance dans la lutte pour la vie. Dubois ajoute celle de l'exer-
cice. Pour lui,
l'exercice est une forme de préparation à l'adap-
tation du corps.
Il livre à la sélection naturelle une méthode
de modification et d. perfectionnement des organes. Dubois en con-
clut que:
-dans la lutte pour l'existence,
la victoire a été rem-
portée par les êtres vivants qui, en e~erçant leurs
fonctions~ont augmenté par hasard leurs aptitudes à ces
1
fonctions ou l'ont davantagefait que d'autres etque'les ê
,
tres ainsi favorisés ont transmis cet heureux don à leurs
descendants en vue d'un accroissement futur( ..• ) Ainsi
bois ne laisse pas la parole à Darwin mais utilise le terme de
-on" à la place du savant anglais.
(44) Mann G.,
Naturwissen und Erkenntnis •..
p. 211
(45) Dubois Reymond E.,
op. cit. p. 553-554.
Ooch "kommt es hier schliesslich nicht darauf an. ob die
oder jene bestimmte Bildung, sondern darauf, ob irgendei
zweckmossige Bildung auf die von Hrn Darwin cngegebene
Weise erkldrt werden k~nne( ... ) Nie war die ~einung, dass
die natürliche Zuchtwohl allein Rechenschaft von der Ge-
staltung der organischen Natur' geben salle."

- 92 -
la s~lection naturelle elle-mime s'est cr~~e dans l'exer-
cice un auxiliaire important. Finalement .la totalit~ des
itres vivants tout comme l'individu devient une machine
qui se perfectionne elle-mime.-(47)
A la lecture de ce passage, on ne peut manquer de d~celer le
caractère positif de la critique de Dubois,
Derrière le souci du
Savant de Berlin d'~pporter son concours intellectuel à Darwin, en
vue d'une am~lioration de sa doctrine, on pourrait ~galement per-
cevoir les intentions qui ont
jusque-là motiv~ l'ottachement de
l'auteur à
l'id~e d'~volution. Ici, les buts de Dubois et de Dar-
win sont presqu!identiques. Si le savant anglais se f~licite d'a-
voir cOntribu~ à d~truire les dogmes des cr~ations distinctes(48),
chez Dubois,
c'est la suppression de l'auteur de cês cr~ations qui
est particulièreMent visée. Telle est la conclusion de Dubois:
-Il ne saurait donc y avoir de pire illusion que d'ima-
giner qu'on peut expliquer l'apparente finalité de la na-
ture en ayant recours à
une intelligenee immat~rielle,,
conçue à notre image et ~'évertuant à atteindre un but(49).
En substituant à la notian de finalité - qui en fait suppo-
se un créateur -
la réalisatian inconsciente d'un mécanisme auto-
nome, ou en Consid~raat la nature organique comme une machine s'au_
(46) Dubois s'était félicit~ d'avoir ét~ le premier 0 son époque
... ,
à formuler contre la thèse darwinienne une objection irr~futable
selon laquelle une formation quelconque appropri~e à un but ne peut
itre expliquée par la s~lection naturelle,
(47)
Id. Reden 2. Sd.,p. 128 •
. ', .dass -im Kampf ums Dasein die Lebewesen obsiegten ,wel-
che durch AusUbung ihrer natUrtlchen Verrichtung~n zufël-
lig ihre Sefijhigung fUr diese Verrichtungen steigerten o-
der dieses mehr aIs andere taten,
und dass die so begUns-
tigten
Wesen diese ihre glückliche Gabe
auf
ihre Nach-
kommenschaft zu fernerer Steigerung Ubertragen (,. ,) 50
schuf sich die natUrliche Zuchtwahl selber in der
Obung
ein wichtiges Hilfs~ittel; endlicr so ward die Gesamtheit
der Lebewesen,
gleich dem Einzelnen,
zur S€]bstverkomm~
nungsmaschine."

-
93 -
toperfectionnant,
la pensée de Dubois se confond avec l'une des
thèses fondamentales de la philosophie matérialiste. Cette thèse
consiste à nier que la nature tende vers un but quelconque et à
soutenir que la matière,
rar les seules vertus de ses lois méca-
niques,
réalise des fins qu'elle n'a pas poursuivies(50). On ne
saurait ignorer également
ici la fidélité de Dubois à la démar-
che matérialiste.
Le savant de Berlin considère implicitement que
la recherche des phénomènes matériels et de leurs causes est le
devoir de la science de la nature;
que cette dern~ère ne coit ad-
mettre comme causes que des phénomgnes matériels qui.
seuls,
se
laissent soumettre à l'expérience et au calcul mathématique. La
pensée de Dubois légitime à
juste titre,
comme le constate Sales
Girons un critique français,
l'enthousiasme des philosophes maté-
rialistes qui ne cessent de considérer l'auteur co~me un pilier
de leurs pensées(51).
Il est vrai que Dubois, contrairement aux évolutionnistes,
aux matérialistes,
refuse l'éternité de la matière mais -
en dé-
pit de ses interrogations métaphysiques qUl témoignent de son em-
barras ou de l'incertitude de la science de la nature face à cer-
tains problèmes -
il se montre fidèle partisan de l'évolution en
tant qu'unique solution
permettant une explication naturelle de
la finalité de la nature,
de la pensée,
la raison et l'origine du
langage,
et également de l'origine de l'homme.
L'évolution comble
certaines carences de la science de la nature et apparaît chez Du-
bois comme un moyen par lequel l'auteur tente de faire obstacle
(48) Darwin C. R.,
L'origine de l'homme et la sélection sexuelle
trad.
par Edmond Barbier, Paris 1881, p. 63.
(49) Dubois Reymond E., Reden 1. Bd.,p. 560.
"Es kann daher keine argere Tauschung geben
, ols zu glau-
ben, dass man die Zweckmossigkeit der organischen Natur
erklore, wenn man eine nach unserem Ebenbilde gedachte,
nach Zwecken tatige ,
immaterielle Intelligenz zu Hilfe
nimmt."

- 94 -
à toute forme de pensée justifiant la finalité,
notamment
la théo-
rie vitaliste qu'il a toujours stigmatisée depuis son premier dis-
cours jusqu'au dernier. Au reste,
le choix du titre Darwin contre
Galiani(52) qui montre une opposition d'un naturaliste,
Darwin
et d'un religieux Galiani,
représentant de la téléologie,
confir-
me cette idée. Au regard de ce qui préc~de, il importe de préciser
que la téléologie à laquelle croit Dubois et qui est impliquée
dans la notion de progr~s, est affranchie de tout anthropomorphis-
me.
Les critiques qui reprochent à Dubois de se désintéresser
d'une explication exhaustive du concept d~évolution se sont mé-
pris sur les intentions du savant de Berlin et ont refusé d'ad-
.,
mettre que l'auteur est habité par le désir d'utiliser l'idée d'~-
,volution à ses propres fins.
(50} Dubois Reymond E.
: Darwin versus Galiani (Nolen).
In: Revue
philosophigue de la France et ~e l'Etranger,
janvier ~ juin 1877,
2e Année,
t.
III,
p. 89.
(51) Sales G.,
Le positivisme et les
défaillances de M.
Dubois Rey_
mond de Berlin.
l'un des maîtres les plus autorisée dans l'esp~ce.
In: Revue médicale française et étrang~re , Paris, 4 juin 1877,
t. l, p. 735.
(52) Dans ce discours,
Dubois s'est tourné vers Darwin et ses doc-
trines parce qu'insatisfait de la maladresse et de l'aspect con-
tradictoire de la réponse doanée dans le Système de la nature par
le baron d'Holbach à Galiani à propos de 10 question de la téléD-
logie(voir éd.
Londres, 1771
seconde partie p. 175 et suiv.).
Peu après,
Dubois précise lui-même que ce discours "renferme un
commentaire du darwinisme en tant qu'unique recette jusque-l~
trouvée contre la téléologiew(Sie ~die Rede -
-enthëlt eine Bespre-
chung des Darwinismus al~ des einzigen bisher gefundenen Rezepts
gegen die Teleologie~)(Lettre du 17 août 1876 è F. Danneman~.
1us Dubois Reymond's 8rie~wechsel Uber die Geschithte der Naturw~s­
senschaftep.
In: Mitteilung zur Geschichte der Medizin und der Na-
turwissenschaften .•• p. 2.

95'-
x
x
x
Dons l'application de la science de la nature force nous
est de constater ici la faible contribution du savant de Berlin.
Dubois s'est plut8t mis à
l'écoute des découvertes scientifiques.
Cependant,
c'est avec optimisme qu'il aborde les énigmes solu-
bles même s ' i l reconnaît implicitement et par moments qu'une stric-
te application des principes scientifiques est i~possible
et
que la science de la nature est amenée à se contenter souvent
d'hypothèses même non vérifiables par l'expérience. Cet état d'es-
prit était déjà prévisible chez Dubois depuis la classification
des énigmes en deux catégories:
les énigmes
solubles et les
énigmes transcendantes.
En continuant à quali!ier' d'énigmes les problèmes dont il
a conscience que la science de la nature les a déjà résolus et qui,
par conséquent,
ne constituent plus un mystère po~r la connais-
sance humaine, Dubois ne fait que marquer plus nettement, par
leur
solution,
l'~volution opérée par la
science""de la natu-
re dans le domaine qui reste à
jamais le sien.L'app1ication de
la science de la nature et ses difficultés est l'illustration
de la nature même de cette discipline chez Dubois: une science
aux connaissances eocore insuffisantes et aspirant à asseoir son
hégémonie.
Une fois de plus Dubois confirme par la science de la
nature l'incertitude de la connaissance dons le champ du connais-
sable. Mois ici il est apparu essentiel pour Dubois que l'on pren-
ne
conscience déjà des faiblesses de la conception mécaniste
par rapport à
laquelle il se situera pour tenter de ~iner la
philosophie ~atérialiste.

96
3 •. L'Ignorabimus ou la réfutation du matérialisme
Le désir d'éduquer l'humanité, en tant que naturaliste,et
de l'amener à concevoir la réalité humaine telle qu'elle se pré-
sente, conduit Dubois à la forMulation d'une sagesse. Mais l'in-
tention du savant de Berlin avait été mal comprise.
La critique
ou XIXe si&cle, en appréciant cette philosophie,
n'a pris en
considération que la période dans laquelle la pensée de l'auteur
a vu le jour et à la forme sous laquelle le savant l'a exprimée.
La critique a contribué à lui donner une importonce cardinale et
une autre dimension totalement contraire aux objectifs de l'au-
teur. Dubois a beau se justifier mais so pensée demeure la cible
de
violentes attaques de la part des matérialistes.
Ici
l'argu-
mentation de Dubois nous intéressera beaucoup plus que les mai-
gres explications de l'auteur.
0) DUbois, Strauss, Hockel et le matérialisme
Il est nécessaire dons cette étude d'exposer
une fois de
plus le problème du Ignorabimus auquel Dubois doit so célébrité aU
XIXe siècle. Le savant de Berlin énonce par l'Ignorobimus l'impos-
sibilité à jamais de cerner l'essence de la matière et de l'énergi~
et d'expliquer co~nt le mouvement des atomes produit de la con-
science, de la pensée,
la sensation du plaisir et de la dou-
leur. Dons le souci d'éviter certaines équivoques, Dubois souli-
gne à grands traits que
-la conscience est lip.e à des phénomènes matériels~ (53)
Dubois étend cette formule à l'origine du mouvement et dons une
certaine mésure au pro~lème du libre arbitre.
La véracité de ces thèses est d'autant plus évidente pour
Dubois qu'il
nous en livre une preuve probante dans une démons-
,
'
.
tration savante. Dubois suppose à l'esprit humain une connaissan-
(53) Dubois Reymond E.,
Uber die Grenzen des Naturerkennens & Die
sieben Weltrëtsel
p. 64-65.
-das Bewusstseia ist an materielle Vorgonge verbunden,-

- 97 -
ce astronomique,
c'est à dire une connaissance parfaite,
tout en
précisant paradoxalement,
l'insuffisance de celle-ci dans l'eX-
plication du problème de la conscience:
-Si nous possédions la connaissonce ostronomique de ce
qui se passe à l'intérieur du cerveau, nous n'aurions
pas avonc' d'un pouce quant à la production de la con~·
science. Même en possession de la formule universelle,
l'intelligence imaginée par Laploce infiniment supérieure
mais semblable à 10 n8tre,
ne serait,à cet égard,pas plus
avisée que nous.-(54)
Ce raisonnement,
non vérifiable par l'expérience scientifi-
que,
ne laisse ici aucun doute quant à
l'intention de Dubois d'at-
tribuer à sa thèse une force probante et incontestable et aux é-
nigmes une nature hermétique.
Le savant de Berlin ne voulait pas
se contenter d'une démonstration fragile qui,
au ~il du te~ps, se
laisserait facilement réfuter.
Il renforce son argumentation par
des métaphores beaucoup plus éloquentes. C'est en fait
l'image
de la science jusqu'au XIXe siècle qu'il nous donne.
Il est tout
aussi impossible de résoudre ces énigmes, nous dit Dubois, qu'il
l'est à~aéronaute d'aller sur la lune ou à l'humanité de vole~(55)
De nos jours cet argument ne manquerait pas de faire sourire.
Il est difficilement concevable certes qu'une telle affirma-
tion oit pu être formulée à une époque où la science allemande
était à l'apogée de son prestige et où:
-les instituts allemands de physiologie étaient des mo-
dèles tant dans le domaine de l'enseignement que dans
celui de la recherche.-(56)
(54)
Ibid.
p. 67-68.
-Bessas sen wir astronomische Kenntnis dessen, was inner-
halb des Gehirns vorgeht,so waren wir in Beiug auf das Zu-
slondekommen des 8ewusstseins nicht um ein Haar breit ge-
fordert. Auch im Besitze der Weltformel
jener dem unsri-
gen so unermesslich 'überlegene,
aber doch ëhnliche Lapla-

-
98 -
Oe surcroît,
Dubois était déjà professeur ordinaire de physiolo-
gie à Berlin et président de la Société de physiologie et de phy-
sique de la ville. Cinq ans avant
le discours sur,les
li~ites de
la connaissance où il énonce pour la première fois
la thèse du
Ignorabimus,
Dubois était déjQ
menbre influent de
l'Académie
des Sciences de Berlin en tant que sécrétaire perpétuel.{57-58)
Toutes ~es réalités sont, sans doute, b l'origine m~me de l'inten-
se querelle b propos du Ignorabimus qui a marqué la seconde moi-
tié du XIXe siècle.
Mois pourtant
dans la position du problème du Ignorabimus
Dubois semblait avoir défini sa cible première:
refuser tout re-
cours b la matière et b la conception mécanique comme explica-
tion de certains problèmes, n'est-ce pas là s'opposer 0 la con-
science matérialiste? Le matérialisme est,
par essence,
une phi-
losophie positive qui,
entre autres affirmations,' entend tout
expliquer b l'aide du
seul examen de la matière et cherche éga~
lement à découvrir
l'essence de la nature par la conception
mécaniste.
Un recul s'amorce chez Dubois et,
avec lui,
le
début de la critique d'une philosophie dont
il avait admis et
défendu certaines théories essentielles. Dubois
le montre claire-
ment dans la réplique qu'il formule à la réaction des matérialis-
tes
David Friedrich Strauss et Ernst Hëckel.
"ce'sche Geist wëre hierin nicht klUger aIs wir."
(55)
Id. Reden 1. Bd.,p.
460 et 602.
(56) Florkin M.,
~mil Dubois Reymond et Léon Frédéricq. In:
Chronique de l'Université de Liège,
Liège 1967 / P. 182 •
. (57-58) Ibid.

-
';19
-
Dans la post-face de son ouvrage L'ancienne et la nouvelle
foi,
le philosophe allemand,
Strauss, for~ule des objections con-
tre la trèse du Ignorabimus.
Il pense que la théorie matérialis-
te 0
trois problèmes à résoudre, à savoir,
l'apparition de la
vie,
celle de la sensation et de la conscience de soi.
La
solu-
tion cu problème de l'apparition de la vie ouvre la porte
à celle des problèmes de la sensation et de la conscience. L'in-
connaissable sur lequel
insiste le philosophe réside dans la con-
science de soi et non dans la sensation par laquelle Dubois ten-
te d'appréhender la conscience(59).
L'incompréhension qui se dégage ce ce raisonnement,
conduit
Dubois à une réaction catégorique:
"Je regrette dedevoir l'exprimer mais il(~trauss) n'a
pas appréhendé le nerf de ma réflexion( ... ) La première
apparition de la vie n'a,
en soi,
rien &voir avec la
conscit>n:e( ... ' I)u reste,
je n'ai nullement affirmé que
pour une sensation donnée, chaque niveau supérieur du dé-
veloppement de l'esprit serait compréhensible et que le
problème C(la conscienc~ de soi) serait tout simplement
résoluble."(60)
Strauss,
en considérant la conSClence de SOl comme un point
(59) Strauss D.F.,
Der cl te une der neue Glaube,60nn 1877, VI.Bd"
p.
267.
(60) Dutois Rey~ond E., 0her die Grenzpn des ~aturerkennens & Die
WeI trëtsel , p. (,7. et suiv.
"Ich bedauere es cussprecren zu müssen, aber er(Strauss)
hat den Nerven meiner eetrachtung nicht erfesst(".) Oie
erste Entsterung des Lebens ret an sicr mit de~ Bewusst-
sein nichts zu scraffen( ... '
Obrigens hab~ icr keineswege~
be~~uptet,dass mit gegebener E~pfindung jede rëhere Stufe
geistiger Entwicklung verstëndlich, des Problem C(das Se-
wusstsein) orne weitpres 'ë5bar sei."

-
100 -
auquel notre entendement" renonce,
semble jouer inconsciemment le
jeu de son adversaire dont il reconnaît l'autorité.
Il avoue tout
comme Dubois,
la complexité du problème de la conscience et l'im-
possibilité de l'expliquer par des raisons matérielles.Cependant,
Strauss 'reste optimiste
quant à
la
solution de ce problème.
Il écrit:
"Ce mot du maître serait-il le dernier dans la question,
C'est ce que le temps seul pourra finir par décider;
heureusement,
je puis m'en contenter pour
le moment tout
en conservant mon opinion personnelle."(61)
La philosophie matérialiste,
à travers Strauss, adopte ici
une attitude de fuite en avant. Elle se refuse à se prononcer ca-
tégoriquement sur certains problèmes et se contente
de les ajour-
ner. Or,
c'est là prér.isement un trait saillant d~ matérialisme
que l'Ignorabimus catégorique de Dubois se propose de combattre(62).
La position optimiste de Strauss se retrouve également chez
l'un des chefs incontestés du monisme,
le zoologiste,Ernst Hockel.
Professeur à Iéna, cet ancien élève de Dubois fut le premier à
déceler dans l'aveu du Ignorabimus une autre form~ de lutte con-
tre l'évolution de la science. Chez lui, Dubois n'est plus que le
détenteur du savoir absolu,
susceptible de déterminer où commen-
ce la connaissance et où elle s'achève:
une forme de prétention
(61) Strauss D.F., op.
cit.
P. 269.
"Ob dieses Wort
des Meisters wirklich dos letzte Wort
in der Sache sei, darUber wird am Ende doch nur die Zeit
entscheiden kannen; glücklicher Weise kann 'ich mir dassel~
be vorloufig gefallen lassen,
ohne darum meinen Handel
verloren zu geben."
(62) Dubois Reymond E., Reden 1 .Bd., p.
453.

101
qui s'apparente au dogmatisme du catholicisme à cette épaque.
Hëckel refuse que l'o~ fasse de l-aveu du Ignarabimus l'ex~res­
si 0 n deI 1 hum i 1 i té. 1 l a env u e le de ven i:- deI a .s cie n ce:
·C'est ce même
'Ignorabi~us'
que la biologie berlinoise
veut mettre en guise de verrau au développement progres-
sif de la science. Apparamment ~odeste, ~ois prp.so~p­
tueux en effet,
cet
'Ignorabimus' est le
'Ignoratis' du
Va tic a n i n f a i Il i b 1e et d ef..J1 ' ! n ter na t i 0 na l e no ire ' , . . .. ( f, "1
Hëckel avait encore en mémoire une des ~éthodes par laquelle le
Vatican avait tenté de renforcer son pouvoir,à savoir la procla-
mation du dogme de l'infaillibilité du pape en 1870,
Fort de l'évolution de la science, Hôckel 5e propose d'ex-
pliquer la conscience. Son exposé,
plutôt qu'une démonstration
de l'apparition de la conscience, se borne à nous ~ontrer la li-
aison de la conscience et de la sensation avec la ~atière:
"Sans l'hypoth~se d'une 'ôme-atome',
les phéno~~nes chi-
miques les plus ordinaires et les plus universels demeu-
rent inexplicables( ... ) Les mouvements des atomes qui
doivent se produire lors de la formation. et de la décom-
position en ses éléments de toute combinaison chimique,
~e sont explicables que si nous leur attribuons sensa-
tion et Yolonté .•• (64)
(63) Hackel E., Anthropogenie oder Entwicklungsgeschichte des Men-
schen.Leipzig 1874~III. Auflage/P. XII.
·Oieses 'Ignorabimus' ist dasselbe, welches die Berliner
Biologie dem fortschreitenden Entwicklungsgang der Wisse
schaft als Riegel vorschieben will. Dieses scheinbar de-
müthige, in der Tat aber vermessene
'Ignorabi~us' ist das
'Ignoratis' des unfehlbaren Vaticans und der( ... )
'schwar_
zen Internationale' ... •
(64) Id., Die Perigenesis der Plastidule oder die Wellenzeugung der
L~bensteilchen. Berlin 1876,p. 38.
"Ohne die Annahme einer 'Atom-Seele' sind die gewHhnlich-
sten und allge~einsten Erscheinungen der Chernie unerklër-
lich( ... ) Die Bewegungen der Atome, die bei Bildung und

-
102 -
Il Y a là un quiproquo manifeste.
Nous so~~es dans un cas
Où l'adversaire{Hockel) reconnaît ou admet ce que l'auteur lui-
même révoque,
l'apparition de la conscience; et où il s'acharne
à démontrer ce dont l'auteur n'a jamais douté et qu'il
a soutenu
avec insistance, à savoir la liaison de la conscience à des faits
matériels. La réponse de Dubois tente de relever les contradic-
tions de la démonstration de Hockel:
•... à quoi bon la conscience où la mécanique suffit?
Et si les atomes sont sensibles pourquoi encore les or-
ganes des sens?" (65)
Une fois de plus Dubois souligne l'incompatibilité de la conscien-
ce et de la conception mécanique, et l'impossibilité pour le ma-
térialisme mécanique et
pour la science de la nature de ré-
soudre
cette énigme.
Le débat entre Dubois et son élève a culminé dons la pu-
blication d'un ouvrage, Les énigmes de l'univers. Cette oeuvre,
parue trois ans après la mort de Dubois, est un examen et une ré-
futation radicaux du Ignorabimus par Hockel. Comme son titre en
témoigne,
elle est le refus -
probablement par modestie - de la
reconnaissance du nombre des énigmes évaluées par le savant de
Berlin. Toutefois, elle traduit la ferme conviction de Hockel
de montrer que tous les problèmes posés par Dubois 'sont explica-
bles à l'aide de la disposition et du mouvement de la matière
ou, du moins,
peuvent l'être dons le futur(66). Pour Hockel,
le
problè~e de la substance est l'unique question à laquelle le
science et la philosophie matérialiste renoncent(67). Durant tou-
Auflosung einer jeden chemischen Verbindung stattfinden
mUssp.n, sind nur erklërbar wenn wir ihnen' Empfindung und
Willen beilegen ... •
(65) Dubois Reymond E., Über die Grenzen des Naturerkennens & Die
sieben Weltrijtsel, p. 72.
• .•• wozu Bewusstsein wo ~echanik reicht? Und wenn Atome
empfinden, wozu noch Sinnesorgane ? •
(66) Hoekel E .• Oie Weltrëtsel. Bonn 1899,p. 425-436.

-
103 -
te sa vie Hockel a toujours affiché son optimis~e dons une scien-
ce victorieuse et l'a souvent montré dcns certaines de ses oeu-
vres(68).
Il a voulu combattre en Dubois ce que s~n opti~isme
ressuscite et que le savant de Berlin tente de bannir chez les
matérialistes et chez certains scientifiques, à savoir la préten-
tion dans la connaissance.
Mais l'erreur de Dubois est d'avoir surtout été conciliant
à l'égard du matérialisme "vulgaire" incarné ici par Karl Vogt
et d'avoir implieitement apporté sa caution 0 ce dernier dans son
explication de façon mécanique de la pensée, si décriée au XIXe
siècle(69) ~ais Dubois n'a pas tardé à prendre ses distances envers
Vogt dans une remarque qui vise surtout la for~e de la réflexion
de son collègue matérialiste:
"Par contre, l'erreur dans la manière de s'expri-
mer de Karl Vogt, c'est qu'elle est propre à faire croi-
re que l'activité de' l'âme d'après sa nature,
pourrait
être expliquée par la structure du cerveau comme l'acti-
vité de la sécr:tion par la structure de la glande."(70)
(67) Ibid. p. 437.
(68) ,Cf. Anthropogenie oder die Entwicklungsgeschichte des Menschen~
Leipzig 1874,
III. Auflage/P. XII,
cf. également Vortroge und Ab-
handlungen,Berlin 19~4 IV. BeL} p. 276.
(69) Karl Vogt, dans Physiologische Briefe,
in:
Schriften 7.U~ klein-
bürgerlichen Material.islT"us in Deutschland.8erlin 1971 JI .Bd"
p,17-12J,
expliquait la production de la pensée de la manière suivonte:"Les
pensées sont en quelque sorte au cerveau ce que la bile est au
foie ou l'urine aux reins"(Die Gedanken stehen demselben Verhëltni~
etwa zu dem Gehirne wie die Galle zu der Leber oder' die Urin zu
den Nieren).
(70) Dubo i s Reymond E., Reden 1 ,Bd"
p. 463-464.
"Fehlerhaft dagegen erscheint. dass es die Vorstellung
erweckt, aIs sei die Seelentëtigkeit aus dem Bou
dp.s Ge-
hirns ihrer Natur nach so begreiflich, wie die Abson~e­
rung ous dem Bau der Drüse.~

- 104 -
Le recul de Dubois par rapport à Vogt illustre en fait
la
volonté du savant de Berlin de faire obstacle è l'un des objec-
tifs Matérialiste~,d'expliquerl'activité de l'ame par les fon~
tions de la matière. La philosophie matérialiste à travers Vogt,
Strauss et Hockel a beau exprimer son scepticisme, elle n'affirme
Pas moins la compréhensibilité du monde spirituel. Elle trouve
dans le monde des atOMes le siège de l'esprit.
Au rejet de l'explication du monde spirituel, Dubois ajoute
l'opposition du Ignorabimus à l'une des assises du matérialisme,
à savoir la connaissance de la stricte causalité(71). Pourtant
Dubois avait lui-mime reconnu comme l'un-des fondements de la
pensée scientifique,
la définition des liaisons des faits maté-
riels,
leur dépendance, en somme la recherche de leur enchaîne-
ment causal; mais cela ne l'empèche pas de s'interroger sur le
déterminisme et de poser le problème de son efficacité face aux
matérialistes. Dubois l'exprime en ces termes:
-La situation de notre septième énigme e~t donc qu'elle
n'en constitue pas une ,si tant est qu'on se décide è nier
le libre arbitre et à proclamer que le sentiment subjec-
tif de liberté est une illusion
mais ~ue dons le cos
contraire, elle doit être réputée transcendante."(72)
Le sentiment de la liberté est reconnu ici comme un fait
absolu de la conscience; même si cette liberté devait reroser sur
l'illusion, elle ne pourrait pas exister si la vision déterMiniste
était juste. L'indécision de Dubois le laisse penser. Elle ap-
(71) Oreher E •• Dos Kousolitotsprinzip mit Bezugnohme ouf E. DUb~iSI
Reymond.
In: Naturwissenschaftliche Wochenschrift 4 und 5,Berlin
f
1890,p.
35.
;
(72) Dubois Reymond E., Ober die Grenzen des Naturerkennens & Die
sieben Weltrotsel, p. 103.
-Mit unserer siebenten Schwierigkeit also steht es so,
1
dass sie keine ist, wofern man sich entschliesst. die Wil·i
lensfreiheit zu leugnen und das subjektive FreiheitsgefUhlf

-
105 -
paraît co~me une remise en couse du caractgre absolu de la pen-
sée déter~iniste ou du principe de causalité
auquel Dubois ra-
mène tout phénoMène et par lesquels la philosophie matérialiste
nie logiquement l'existence du libre arbitre.
Pris entre la nécessité de soutenir la transcendance du li-
bre arbitre et de réfuter matérialistes et scientifiques, et le
désir de demeurer conséquent envers lui-même, Dubois est amené
,
à
repenser sa conception mécaniste et à élargir le champ de la
transcendance:
"Sans tenir compte de la possibilité de,~ier la liber-
té et non la douleur ou le plaisir,
le désir qui four-
nit le motif de l'action et ainsi seulement l'occasion
d'agir ou de ne pas agir, est précédé nécessairement
par la perception sensorielle. C'est do~c le problème
de la perception sensorielle et non pas,
comme je l'ai
dit autrefois, celui du libre arbitre, qui est le terme
de l'explication par le mécanisme analytique,"(73)
Au fond,
la thèse du Ignorabimus limite non seulement la
conception mécaniste,
la science, mais surtout
le matérialisme
en lui-même et lui enseigne sa propre fragmentarité,
Elle lui
montre également l'impossibilité de répondre aux 'questions qui
s'étendent au-delà du monde fini,
les énigmes insolubles étant en
für Tëuschung zu erklëren, dass sie aber anderenfalls für
transcendant gelten muss,"
(73)
Id" Reden ,.1, Bd., P. 459-460.
~Abgesehen davon, dass Freiheit sich leugnen lasst,Schmerz
und Lust nicht, geht dem Begehren, welches den Anstoss
zum Handeln und somit erst Gelegenheit zum Tun oder Lassen
gibt,
notwendig Sinnesempfindung voraus. Es ist also das
problem
der Sinnesempfindung und nicht, wie ich einst
sagte,
das der Willensfreiheit, bis zu dem die analytische
Mechanik reicht.-

-
106 -
elles-mêmes des problèmes métaphysiques(74). Dubois illustre
ainsi l'impossibilité de connaître tout phénomène relevant de la
métaphysique. L'agnosticisme demeure l'issue idéale de Dubois mê-
me si à certains points de son oeuvre.
le savant de Berlin commet
la maladresse de restreindre cette forme de pensée en exigeant
du naturaliste, pour mieux comprendre la nature,
l'hvpothèse se-
,
-
lon laque 11 e
" ... 10 nature est intelligible."(7S)
La pensée de Dubois n'a plus rien à voir avec le matérialis-
me dont elle s'est appliquée à saper les fondements essentiels,
à savoir la considé~ation de la matière comme unique source pos-
sible de toute explication, le rigoureux déterminisme,
l'absen-
ce de transcendance, d'un Etre suprême à l'origine d'une éventuel-
le création de la matière et l'éternité du mouvement(76). Mais
Dubois en tant que naturaliste procède de façon st~ietement ma-
térialiste, se fixant pour 'objet la matière fini;.' Quand il s'a-
git de faire face à la métaphysique, il recourt au matérialisme.
Dans le conflit entre le matérialisme et la métaphysique. il opte
volontierspou~le p~emier comme il l'a montré dans sa critique
de la pensée de Descartes, Leibniz et Goethe. et dans sa concep-
tion de l'évolution. Dubois admet le matérialisme dans la for~e
pour le, re jeter dans le fond c' est- à -di re dans sa concept ion de
vouloir tout expliquer.
Tout au
long de la polémique avec les matérialistes, polé-
(74) Dubois avait dit en substance que si la conscience est expli-
cable de façon mécanique, alors strictement parlant,
il n'y au-
rait plus de métaphysique. Cf. aber die Grenzen des Naturerken-
nens & Die sieben Weltrëtsel. p. 74.
;
(75) Id., Reden 1. Bd., p. 557.
" ... die Begreiflichkeit der Natur voraussetzen".
(76) Dubois considérait le mouvement comme un phénomène du hasard

-
107 -
mique au cours de laquelle il a semblé plus facile au soYa~t de
Berlin d'affirmer que de démontrer par des expériences scientifi-
ques la transcendance des énig~es , on remorque le portrait mo-
ral complet du philosophe Strauss, brossé avec bienveillance(77)
et qui contraste avec le sévérité 0 la limite du blâme, que Dubois
applique à son ancien élève, Hëckel. Nous y reviendrons plus tord.
b) Ignorabimus
: une philosophie morale et optimiste
Si
les limites de la connaissance de la nature sont une
critique du matérialisme, elles n'en demeurent pos moins une phi-
losophie générale Qui s'adresse à toute l'humanité. Pour ce faire,
Dubois a
rassuré
les philosophes matérialistes, à l'instar de
Strauss,
qui craignait que la thèse du Ignorabimus ne soit une
Concession à certains penchants occultes et métaphysiaues(78).
Il en apporte la preuve dans son analyse des diverses formes de
réponses proposées au sujet du libre arbitre.
Une grande partie du discours Les sept énig~es de l'univers
a été consacrée à la réfutation des solutions concernant le pro-
blème du libre arbitre. Dans son analyse,
Dubois se montre
cr i tique à l'égard de l ' argumentat ion chrét ienne.· Les pe nseurs de
l'Ere chrétienne Augustin,Pélage et Calvin sont mentionnés chez
lui avec une certaine dépréciation.Dubois s'évertue à faire res-
sortir le caractère contradictoire de leur argum!~tation. Pour
lui,
la tentative de conciliation de la thèse de la prpdestina-
tion et du libre arbitre fai~e par ces penseurs trahit l'insuffi-
sance des doctrines chrétiennes. La prédestination exclut toute
dant on ignore l'origine( Über die Grenzen des Naturerkennens &
Oie sieben Weltrëtsel, p. 76.)
(77) Dubois quolifie Strauss de "grand critique" et,de " perspica-
..
ce"( Uber die Grenzen des Naturerkennens ... p.
65.
)
(78) Stauss entendait par cette concession une résurrection de
l'ancien dualisme et de la pr~existence des 5mes et de leur
transmigration.Cf. Oer alte und neue Glaub~, p.
266.

-
10a -
responsabilité de l'homme dans ses actes au profit d'un Dieu tran
cendant et omniscient. Elle remet en cause l'existence de:
-la doctrine du p~ché originel, les questions de la r'-
demption par le mérite personnel ou par le sang du Sau-
veur,
par la foi ou par les oeuvres . . . "(79)
qui découlent de l'acte de l'homme.
Même si Dubois soutient que la question du libre arbitre
relève de la métaphysique,
il ne saurait admettre le recours 0
un raisonnement métaphysique comme solution fiable.
L'argumen-
tation de Dubois prend une forme mat~rialiste. Le savant de Ber-
lin,
après avoir pris Leibniz au mot en montrant que l'harmonie
préetablie en elle-même suppose a priori un déterminisme qui ex-
clut toute notion de liberté(80),
rejette également la théorie de
l'optimisme. Pour lui, Leibniz,
par cette théorie, a beau sau-
verIa liberté humaine en laissant à l'homme la responsobilité
morale de ses actes et en le consid~rant toujours comme fidèle è
la bont~ et à la justice divine(81),il ne peut fournir une ébau-
che d'explication.Le savant relève contre lui-et è travers lui to
les m~taphysiciens -
le caractère abstrait de 50 pensée. Ce
sont en fait
les reproches habituellement adressés à
la philo-
sophie de Leibniz:
-Il est superflu de dire que le monisme ne peut pas être
servi par ces représentations,
certes logiques en soi,
mais pour le ~oins qu'on puisse dire, hautement arbi-
(79) Dubois Rey~ond E., Über die Grenzen des Naturerkennens & Di!
sieben Weltratsel, p. 87.
- •.. die Lehre von der ErbsUnde, die Fragen noch der Erlo~
sung durch eigenes Verdienst oder durch dos 81ut des Hei-
landes,
durch den Glauben oder durch die Werke ... "
(ao) ~. p. 89.
(81) !..Ei2.. p. 91.

-
109 -
traires et portant
l'empreinte de
l'irréel et
il(Leib-
niz)
doit donc rechercher
lui-même sa nosition à
l'é-
gard du problème du libre arbitre.-(82)
Dans l'esprit de Dubois,
pour que le
problème du libre
arbitre ait une explication adéquate,
il
fallait que celle-ci
fût donnée par la science(quand bien même il était convaincu
des faiblesses de cette discipline dans ce domaine).
Dans son
examen de
la démonstration scientifique faite par les philosophes
et mathématiciens français Cournot,
Boussinesq et Saint-Venant(83)
sur l'indéterminat~on, Duhois exprime clairement son opposition
à toute explication de la liberté faisant appel à des qualités
mystérieuses et occultes. Pour lui,
les notions d~ "déclenche-
ment",
"d'intégrales aux solutions singuli~res" et de "principe di-
~ctéur"(84) sont en fait une autre façon de qualifier
(82)
Ibid.
p. 92.
"Es braucht nicht gesagt zu werden,
dass dem ~onismus
mit diesen 'immerhin in sich folgerichtigen,
ater,
um das
Geringste zu sagen,
hochst willkürlichen und das Geprëge
des Unwirklichen tragenden Vorstellungen nicht gedient
sein kann und so muss er
(Leibniz) denn selbpr seine Stel-
lung zum Problem der Willensfreiheit sich suchen."
(83) Cournat Antoine Auguste(1801-1877)
spécialiste du calcul des
probabilités; Boussinesq Joseph(1642-1929),
professeur à Lille,
spécialiste de mécanique générale et de mécanique physique.et mem-
bre de
l'Académie des Sciences de Paris en 1886
de Saint-Venant,
universitaire parisien réputé pour ses
travaux
sur l'élasti-
cité.
(84) Dubois Peymond E.,
op.
cit.
p.92.
Par
la notion de"déclenche-
ment", Cournot et Saint-Venant ont expliqué mathématiquement com-
ment une substance de l'esprit produit des changements matériels.
Ils considèrent que la force de déclenchement,
susceptible d'engen.
drer le mouvement,
peut être égale à zéro tout en supposant -
no-
tamment chez Saint-Venant -
que "l'union toute mystérieuse du suje~
~ son organe ait été établie telle, qu'elle puisse, sans travail

-
110 -
l'idée d'une force
i~atérielle, ou pouvoir arbitraire, agis-
sant dons les organismes et déterminant
la liberté des mouve-
ments,
en somme l'idée d'une force vitale. Or chez le physiolo-
giste Dubois,
seules les forces physico-chimiques règlent tous
les mOUVements chez les êtres animés.
Il est
impossible de foi-
re de la vie une couse à part, capable d'influer sur les phéno-
mènes physiques. Dubois affirme en suhstance le caractère peu
scientifique du r-~cours au vitalisme:
-L'école allemande de physiologie habituée depuis long-
temps à ne rien voir d'autre dans les organismes que
des mécanis~es particuliers, ne se rapprochera que dif-
ficilement de cette conception ••• -(85)
On retrouvera plus tard cet argument chez Dubois dans l'analyse
des problè~es religieux.
Le refus de tout compromis par la réfutation de toutes so-
lutions et l'affirmation do~atique de la transcendance des é-
mécanique,
y déterminer le commencement de pareils échanges.- Cf.
Saint- Venant
: Accord des lois de la mécanique cvec la liberté
1
de l'homme dans son action sur la matière
Paris 5 ~ars 1877, t.LX-i
~
XXIV,p. 419-422; et
Cournot A. A.
: Traité de l'enchaînement des
idées fondamentales dans les Sciences et dans
l'Histoire, Paris
1861
t.I,p.364et suiv.;quant aux concepts d~intégraleaux solutions
,
,
Singulières- et de -principe directeur-,
leur accertion est donnée
par Boussinesq.
Il définit
le pre~ier COmme "l'expression de l'in-
fluence du moral sur le physique,
le terrain mystérieux où se cor-
respondent et se touchent
l'ordre matériel et moral( ... '
C'est de
ce terrain,
le seul où il puisse prendre pied sons cesser d'être
libre,
que l'esprit dépourvu de toute force matéri~lle, parvient ~
règner sur le monde des corps". Quant au second,
il
le qualifie
de totalement différent du principe vital des anciennes écoles et
pense qu'il n'a aucune force mécanique à son service, mais profite
de l'insuffisance des forces mécaniques pour
influer sur la suite
r
t
des phénomènes.Cf. Mpmoire de la Société des Sciences,
d'Agricultu-!
~

111
nigmes(l'essence de la matièr~ et de la force, et'l'origine
du mouvement n'ayant eu aucune ébauche d'explication') tradui-
sent la volonté de Dubois d'amener non seulement matérialistes
et scientifiques mois aussi métaphysiciens,
penseurs occultes
et mystique~en somme tout Itre humai~b la conscience du carac-
tère fini de l'esprit humain. En exigeant de 1'~omMe une connais-
sance astronomique ou une connaissance parfaite et en opposant
des limites à celle-ci , Dubois affirme la non-existence du par-
fait,
de l'absolu. La thèse du Ignorabimus illustre la relativi-
té de la connaissance.
Dubor~ pose ainsi b l'entendement humain l~ probl~me de
l'inconnaissabl&o Il pense que,quel que soit le développement au-
~u.l l'esprit humain serait parvenu,il finira toujours por rencon-
trer au moins un point inexplicable, peut-être même quelque chose
d'absurde comme la volonté inhérente aux atomes utilisée par
Schopenhauer pour appréhender l'action 0 distance d'un corps
sur un autre(86). Pour Dubois,
l'inconnaissable nie l'espace et
et le temps.
Par ce message qui fait disparaître toute illusion d'une
possibilité de tout expliquer, on est porté b croire que 1'1-
gnorabimus est synonyme de parabole traduisant la volonté du
re et des Arts de Lille, Paris 1879, 4e Séri~ t. VI,p. 31
et suiv.
(8S) Dubois Reymond E., op. cit. p. 98.
·Oie deutsche physiologische Schule,
lëngst gewohnt in den
Organismen nichts zu sehen ols eigenartige Mechanismen.
wird sich mit dieser Auffassung schwerlich befreunden ... ~
(86)
Ibid. p. 73.

-
112 -
savant de Berlin. Ceci exp1ique sans doute
le choix
,
le nom-
bre et 10 méthode de résolution des énigmes dites transcendan-
tes.
Dubois a toujours eu en horreur
la vanité prétentieuse
des savants de son époque,
imbus des progrès réalisés par les
sciences de la nature.
Il tente de prêcher auprès d'eux et de
toute l'humanité la modestie et la sagesse dans le domaine de
la connaissance. Ces qualités font partie eh fait de la vie
quotidienne de l'homme(87). C'est dans la reconnaissance de ses
faiblesses et de ses limites que l'humanité peut évoluer. L'ab-
sence de cette qualité serait en quelque sorte un péché contre
l'histoire de l'évolution(88). Dubois semble ici faire sien le
scepticisme platonicien et le pose comme condition de l'évolu-
tion dans la connaissance.
La thèse du Ignorabimus affirme le sentiment de confiance
de Dubois dans le devenir de l'homme. Cet optimis~e, Dubois l'a-
vait lui-même déjà formulé dans son discours Darwin contre Ga-
liani. Sa conclusion est un appel,
du moins,
une incitotion au
travail dont
les objectifs nobles contrarient c~rtes la senten-
ce du Ignorabimus dans son acception mais la renforce dans sa
(87) Nachlass-Emil Dubois Reymond,
K 1
.
Einige Briefkonzepte.
On raconte que peu avant sa mort,
le professeur Dubois avoit re-
noncé à la fête du jubilé de ses cinquante années de ~aître
de conférence et avec reconnaissance,
avait même refusé
les fé-
licitations que le recteur et
le senat de l'université de Ber-
lin lui avaient adressées.
(88) Dubois Reymond E., op.
cit.
p.
82.
Dubois a traduit cette i-
dée en ces termes:"Allein wenn hier Einer an der Entwicklungsge-
schichte sich versUndigte,
ist es der Jenenser Prophet".
Le terme
de "prophète" que Dubois utilise ici est très ironique et s'adres-'
se à Hëckel et à
SOn optimisme.

-
113 -
finalité:
" . . . c'est pour cela qu'il
(le savant)
cherche et
trou-
Ve sa consolation et sa
joie dans
le travail qui aug~en­
te le trésor des connaissances humaines,
qui,
par des
efforts salutaires,
rel~ve les forces et ·les facultés de
notre esp~ce, étend notre domination sur la nature,
e~­
noblit notre existence en enrichissant notre esprit,
et
l'embellit en multipliant nos
jouissances.
De ce déprimant
Ignorabimus,
le sovant se relève et
fait
sien le mot d'ordre viril que Septime Severe mou-
ra n t
don n ait à ses 1 é 9 ion n air es:
'L a b 0 r e'm us l
"
( B 9) .
On découvre ici toute la philosophie du travail chez Dubois.
Cette conclusion exprime éloquemment tout
l'espoir de Du-
bois et tend à faire du Ignorabimus la racine même du travail.
La th~se du Ignorabimus est synonyme de stimulus permanent de
l'homme dans l'acquisition de l'inconnu.
En cela:'elle apparaît
comme une nécessité.
Il est done clair que Dubois et ses adversaires -
Strauss
et Hockel notamment -
parlent ici le même langage optimiste.
Cependant,
une divergence de méthode les sépare.
Elle est mar-
(89)
Id ..1 Reden 1. Bd.,p.
563.
" . . . deshalb sucht und findet er(der Naturforscher)
Trost
und Erhebung in der Arbeit, welche den Schatz menschli-
cher Erkenntnis durch heilsa~e Anstrengung die Krëfte
und Fëhigkeiten
unseres Geschlechtes steigert,
unsere
Herrschaft über die Natur ausdehnt,
unser Dasein durch
Bereicherung unseres Geistes veredelt,
und durch Verviel-
faltigung unserer GenUsse verschënt.
Von
jenem niederschlagenden
'Ignorabimus'
rafft sich
der Naturforscher wieder auf zu des sterbenden Septimius
Severus mannhaftem Losungswort an seine Legionëre:
1 Laboremus' •

-
114 -
quée par le réalisme chez le savant de Berlin et par une certai-
ne prétention chez ses détracteurs. Dans les deux cas,
l'impac~
Psyc~ologique est
grand.
La thèse du Ignorabimus,
toutefois,
garde son originalité par sa mission moralisatrice et surtout
par le raisonnement savant et irréfutable qui l'énonce.
On pourrait cependant reprocher à Dubois d'être en partie
responsable des ambiguités et des malentendus auxquels sa pen-
sée est exposée. Le savant de Berlin ne donne aucune définition,
aucune précision sur la notion de la connaissance. L'absence
d'éclaircissements sur ce point est telle qu'on pourrait se de-
mander, tout comme le philosophe allemand Friedrich Albert Lan-
ge, si chez Dubois, connaître est l'acte de comprendre les cho-
ses ou celui d'en déterminer l'enchaînement causal(90). A cela
s'ajoute un vice de forme. Le choix des arguments, la rigueur
et l'entêtement dans leur soutenance font croire sans doute
beaucoup plus à l'expression d'une philosophie pessimiste chez
Dubois qu'à un message dont cependant la véracité a été recon-
nUe et même légitimée par certains de ceux-là même dont la pen-
sée fut l'une des cibles de l'homme. Un matérialiste, Rudolf
Virchow, professeur de médecine à Berlin et à Würzburg, a for-
mulé à sa manière un plaidoyer en faveur du Ignorabimus. Après
avoir écarté l'hypothèse d'une connaissance totale et soutenu
l'idée d'une demi-connaissance(Halbwissen), il pehse que:
.:Ja grosse erreur qui se perpétue même chez beaucoup de
savants, repose sur le fait que l'on ne se représente
pas combien, à l'immense grandeur des sciences de la
nature et à l'inépuisable quantité de matériaux spé-
(90) Lange F. A., Geschichte des Materialismus,
Irr. Auflage
Iserlohn 1877, II. Bd., p. 158.

- 115 -
ciaux,
il n'est possible à aucun vivant de maîtriser
la totalité de tous ces dé~oils.·(91)
~ais la pensée de Dubois se veut complexe et sa compréhen-
sion exige une prise en considération de toutes les oeuvres de
l'homme.
Les critiques qui,
sons autre précision, qualifient
Dubois de matérialiste et l'accusent de briser toute investigation
et de s'opposer à toute évolution, n'ont cerné qu'une partie de
sa pensée.
4.
Les énigmes et le positivisme de Dubois
La th~se du Ignorabimus, en mime temps qu'~lle restrei-
gnait les engagements de Dubois envers le matérialisme,
s'oppo-
sait à toute outre forme de philosophie. Elle annonce une sorte
de philosophie morale qui exitait déjà chez Auguste Comte,
le
p~ri du positivisme,et résumée tr~s succinctement ,n ces termes:
"Aucune science ne peut mieux manifester que l'astro-
nomie la nature nécessairement relative de nos connais-
sances réelles."(92)
Comte place l'astronomie ou sommet de la hiérarchie des
disciplines scientifiq~es. Dubois,
lui,
reconnaît'sans contre-
dit la perfection et la relativité de la connaissance astronomi-
que mois dons l'ordre de ses préférences,
la physiologie reste
"la reine de toutes les sciences."(93)
(91) Virchow R., Oie Freiheit der Wissenschaft im modernen 5taot.
Berlin 1877, p. 14.
" ... der grosse Irtthum, der sich eben auch bei vielen
Gebildeten fortsetzt,
beruht darin, dass man sich nicht
vergegenwartigt, wie bei der immensen Grosse der Natur-
wissenschaften und bei der unerschôpflichen FUlle des
Einzelmaterials es fUr keinen Lebenden moglich ist, die
Gesammtheit aller dieser Ein7.elheiten zu beherrschen."
(92) Comte A., Discours sur Pe~prit positif, F'ar,is 1844,p.21.
(93) Dubois Peymond E., Reden 2. Bd./P.
648 .
.... . die Kënigin unter den Wissenschaften."

-
116 -
Les deux savants s'accordent à admettre que la science a des
limites et qu'elle ne peut tout expliquer.
La prétention trop
confiante ou l'aspiration optimiste vers l'absolu lui Échoppe.
Dons sa thèse qui donne un aperçu du positivisme fronçais,
no-
tamment chez Eugène Bourdet, Auguste Comte et Emile Littré,
un chercheur fronçais,
Jean-Marie Poul,
fait
ressortir cette ca-
ractéristique du positivisme:
"l'attitude de la philosophie positive chez Comte et
ses disciples est essentiellement pragmatique:
elle
consiste à rechercher le plus grand progrès possible
par la science,
tout en soutenant qu'elle ne pourra
jamais répondre à certaines questions.·(~4)
Le positivisme fronçais,
à travers Comte, montre une cer-
taine prudence,
une certaine sage5se à propos de certaines ques-
tions tout en se gardant de les Inumérer. Dubois,
par contre,
se veut catégo~ique et précis. Avec une assurance toute dogma-
tique,
il se propose de déterminer clairement les problè~es
.
' . .
,
transcendants auxquels la SCience n'accedera Jamals:
·Une r'flexian réitérée en vue de mes conférences pu-
bliques Sur quelques résultats des sciences de la na-
ture modernes m'amena à la conviction qu'ou moins trois
problèmes transcendants précèdent encore le problème
du libre arbitre;
notamment,
outre le problème de l'es-
sence de la matière et de la force que
j'ai dp.jà dis-
tingué antérieurement,
celui du premier ~ouvement et ce-
lui de la première sensation dons le monde."(95)
.
(94) Poul J.
M.,
D.
F. Strauss(1808-1874) et son époque,
Paris
1982" p.
366.
(95) Dubois Reymond E.,
Uber die Grenzen des Naturerkennens a Die
sieben Weltrëtsel.
p. 103-104.
·Wiederholtes Nachdenken zum Zweck meiner offentlichen
Vorlesungen'Ober einige Ergebnisse der neueren Naturfor-
schunge~fUhrte mich zur Ùberlegung, dass dem Problem der
Willensfreiheit mindestens noch drei tra~Scendante Proble-

117
Aux yeux de Dubois,
les domaines d'investigation concer-
nent la volonté,
la sensation,
l'Idée ou la perception échop-
pent à l'expérience et à l'observation et ne peuvent répondre
à la nécessité de causalité(Kausalitëtsbedürfnis)(96). Chez
Comte,
la philosophie positive n'ignore
pas cette méthode de re-
cherche. Elle estime que la pensée ne peut atteindre
que les
relations entre les phénomènes et les lois les régissant pour
expliquer la nature.
La science étudie l'enchaînement logique
des couses. Comte écrit:
"L'esprit positif repose sur un principe fondamental
qui consiste à expliquer et à prévoir les phénomènes
à partir de leur liaison causale.-(97)
Chez Comte la philosophie positive se fonde essentiellement sur
des phénomènes observables et exclut toute recherche des cou-
ses premières et du but final.
Une telle recherche aboutirait
nécessairement à:
-l'intervention directe ou permanente d~une action
surnaturelle~(98)
Comte renonce ainsi à la métaphysique dont il a toujours sou-
haité la disparition
pour lui substituer une considération
purement positive du monde.(99)
Le scepticis~e de Comte et de la philosophie positive fa-
ce à la métaphysique n'est partagé qu'en partie chez Dubois.
Le physiologiste prussien voudrait dépasser les bornes de l'em-
me vorhergehen;
nëmlich ausser dem auch schon früher von
mir unterschiedenen des Wesens von Materie und Kraft,
dos
der ersten Bewegung und dos der ersten Empfindung in der
Welt.-
(96) Supra v.
p.75.
(97) Comte A.,
op.
cit.
p.
32.
(98)
Ibid.
p. 8.
(99) DUhring E.,
Kritische Geschichte der Philosophie von ihren
Anfëngen bis zur Gegenwort, Berlin 1869,p.
484.

118
pirisme dans lequel le positivisme reste enfermé.
Il enten-
dait également trouver une solution possible et satisfaisant
la nécessit~ de causalité. Au "comment" des faits,
il ajoute le
"pourquoi" et tombe ainsi dans l'erreur que Comte et ses disci-
ples évitaient depuis longtemps, à savoir le recours à une in-
tervention divine. Ses interrogations métaphysiques sur l'ori-
gine de la matière l'avaient clairement confirmé.(100)
Dubois prend ici ses distances envers Comte et ses disci-
ples, et à l'égard d'un positiviste autrichien,
Ernst Mach.
La
tendance positiviste représentée par le Physicien~outrichien,
l'empirio-criticisme, voudrait être une troisième voie se situ-
ant au-delà de la métaphysique et de l'idéalisme. Elle entend
faire fi de toutes affirmations sur une réalité objective s'é-
tendant en dehors du domaine de la sensation{Empfindungsphëre).
Un chercheur français, Maurice Dupuy résume cette caractéris-
tique:
liE. Mach(tout comme Avenarius) réduit aussi le donné
aux seules sensations~et à leurs rapports fonctionnels;
il n'y a pas de différence essentielle entre le psychi-
que et le physique:
leur différence inessentielle pro-
cède seulement des différents points de Nue adoptés
en vue de l'élaboration scientifique des données sen-
s i b 1 es. " (1 01 )
Certes, chez ~ach, tout comme chez Comte d'ailleurs,
le
but vital de la science n'est nullement négligé;
le philosophe
(100) Supra v. p. 83.
(101)
Dupuy M.,
La philosophie allemande.
Paris,
P.
U. F., 1972,
p. 76.

- 119 -
autrichien
a tendance à insister surtout sur l'économie de la
pensée par le savoir scientifique. Cependant, il voit dans la
philosophie positive non.pas une synthèse des sciences positi-
ves particulières mais plutSt une méthodologie de la science.
Chez Mac~, la démarche de Dubois peut être considérée comme un
égarement de:
"la science de la nature ~ui ne s'infor~e pas du tout
de ce qui est accessible b la rec~erche exacte ou de ce
qui ne l'est pas encore."(102)
En outre,
les solutions proposées par Dubois aux problè~es
de la pensée, de la conscience et de la sensation contribuent à
embarrasser les positivistes.Duhois, co~~e nous l'avons déjà vu'
en niant que la pensée,
l'intélligence soient une pure É~otion
~
organique (matière), n'affirmait pas non plus qu'elle fut le
produit d'une ôme spirituelle. Il s'abstient sur l'essence même de
la pensée en récusant toute proposition qu'elle soit idéaliste ou
matérialiste. Certes, Dubois, de même oue les positivistes
travailloit 0 établir l'inutilité ou, à tout le ~oins, 10
matérialité de l'ôme comme nous'le verrons plus tard. Cependant,
le savant de Berlin ne nie pas l'existence de Dieu mais croit
concourir à son élimination par des méthodes scientifi~up.s (103),
Le paradoxe de l'opposition entre Dubois et les positivistes
se confirme quand on se réfère aux analyses du chercheur français
Paul sur la pensée
positiviste de Bourdet:
"Bourdet refuse donc toute origine m~taphysique ~ l'ôme
bien qu'il s'interdise de se prononcer sur 10 nature de
l'esprit. Il n'ose pas trancher de l'idéalis~e et du
mctérialisme, mais croit pouvoir nier l'existence
(1~2) ~ach E., ~ie ~echanik in ihrer Entwicklung historisch und
~ritisch dorgestellt. Leipzig 1912,p. 444.
·Oie Noturwissensc~aft frogt gar nicht noch dem, was einer
exakten Erforschung nicht zugënglich, oder noch nicht zu-
gënglich îst.-
(103) Supra Y. p.92.

- 120 -
de l'ôme, tout en loi~saot en suspens à tout jamais
le probl~me de l'existence de Dieu."(104)
Dubois fait silence là où les positivistes prennent position
très franchement et tranche là où ils s'abstiennent.
La pensée de Dubois suppose un créateur mais préfère déses-
pérer des sciences de la nature que de retourner à l'hypothèse
de la création. Elle montre ici une certaine contradiction chez
l'hamme.Cependant,Dubois a son ~clectisme personnel.Il ne se mont
pas assez entier à l'égard de la philosophie positive.Il ne s'af-
fiche pas à l'antipode de cette pensée dont il fai.t siennes cer-
taines théories fondamentales; mois il ne la défend pas davantage.
Dubois semble plut&t prendre parti pour une philosophie de com-
promis entre la science et la métaphysique. Peut-êtte pourrait-
on,voir dans l'indécision du savant de Berlin ou dans ce choix
. .
de la voie solitaire la manifestation d'une sorte d'inquiétude
ou sujet de la place qu'on lui a jusque-là faite dans la scien-
ce positive et une tentative de se défaire de ses li.ens sans
foire preuve du courage nécessaire?
x
x
x
Le physiologiste Dubois, en parlant au nom de la science
de la nature, détermine la mission de cette discipline et celle
du naturaliste, celle de foire la différence entrp. le connaissa-
ble et l'inconnaissable et de -régulariser- les connaissances
humaines par la diffusion du message de la modestie.
Il appartient
au naturaliste de trancher de la question de la connaissance mê-
me si cela ne réussit pas toujours.
(104) Paul J. M. op. cit. p. 366. Chez Bourdet,
l'ôme est un en-
d
Semble de fonctions du cerveau regroupant l'imagination,
la vo-
lonté,
l~ jugement, la motilité etc.

-
121
-
La philosophie du Ignorabimus met à la portée de l'humanité
un vaste espace pour ses recherches. C'est le domaine de
l'intuition, de l'inspiration
et de la Révélation.
En comparant avec les connaissances actuell&s de la scien-
ce et la technique les argumentations métaphvriques du savant de
Berlin destinées à mettre en évidence la transcendance de certai-
nes énigmes,
il est clair que,
de nos jours,
il n'y aurait plus
dlénigmes transcendantes.
Dons sa forme la pensée de Dubois appa-
raît
fragile ou penseur moderne mois elle garde sa solidité
par
le message qu'elle livre à l'~umanité. Il est surprenant que le
scepticisme de Dubois continue à hanter l'esprit de certains cri-
tiques contemporains que le développement spéctaculaire
de la
science devait en principe
rasséréner.

CHAPITRE III
19norabimus:
réactions et ana!ogies
Les nombreuses réactions qui suivirent
les deux discours
sur la pensée du 19norabimus -
Qes limites de
la connaissance de
la nature et Les sept énigmes de l'univers -
ont permis à Dubois
de prendre conscience du fait que le thème du Ignorabimus,
appa-
remment dépassé,
n'avait rien perdu de son importance.
Le savant
de Berlin dut se rendre compte de
la proportion prise par cet a-
veu dans son extension àtoutes les· couches sociales(1a).
La ré-
ception de la pensée du Ignorabimus a dépassé
les espérances de
Dubois. Certaines interprétations lui échappent.
L'ampleur des
réactions conduit l'auteur à renvoyer les polémi~tes à l'histoire
de la philosophie{2a).Mais certains critiques ont tendanceà accré-
diter l'idée que la pens~e de Dubois n'est que l'~éritage du ra-
tionalisme français dans le dOMaine de la connaissance(3o).Cette
thèse n'est pas juste.Un rapprochement de la philosophie du 19no-
rabimus et des conceptions de certains penseurs et philosophes
allemands notamment Goethe et Kant_
permet de contester cette
affirmation. Mois auparavant.
nous tenterons de dégager l'in-
t'rêt psychologique de la pensée du Ignorabimus et de lever cer-
taines ambiguftés sur l-esprit dialectique du savant de Berlin.
(10) Dubois Reymond E.,
Dber die Grenzen des Naturerkennens &
Die sieben Weltrëtsel,
p.
64
Dubois dit que ~ême des savetiers
se sont intéressés à l'aveu du Ignorabimus.
(2a)
Ibid.
p.
62.
(30) Cf. Epstein S. S., Emil Duhois Pey~ond(1e'8 bis 1P96). In:

-
123 -
1. Les réactions
Pour que Dubois connaisse son second succès ou niveau na-
tional et international après son ouvrage Les recherches sur l'é-
lectricité chez les animaux,
il était nécessaire que la philoso-~
Phie du Ignorobimus suscitât de nombreuses réactions. Dons une
Allemagne que gagnait de plus en plus l'influence grandissante
de la science de la nature ou détriment parfois, de la philoso-
phie et de la religion,
le moment de l'aveu du Ignorabimus ne
pouvait avoir été mieux choisi. Dubois n'avait pas tardé à le
constater. Sa réplique,
Les sept énigmes de l'univers. en fait
foi. Cependant, Dubois n'y avait pris en considération qu'une par-
tie des réactions qui lui étaient nécessaires et ne s'était nul-
lement douté de l'exploitation qu'on pourrait faire de sa pensée.
Les réactions ont permis à Dubois de déterminer sa conception de
la loi du progrès.
En dehors des archives dont disposent les bibliothèques de
Berlin(Est et Ouest) à propos de la philosophie du Ignorabimus,
l'oeuvre de Günter Mann (1 b) est la première et l'unique jusQue-
là à fournir un repertoire exhaustif des criti~ues et contre-cri-
tiques à ce sujet. Günter Monn s-est appuyé en partie sur l'intro-
duction de Friedrich Wollgast Qui avait succinctement abordé
le sujet dons l'appréciation générale de la pensée de Dubois par
Westermann's Illustrierte Deutsche Monatshefte. [in Familienbuch
..!.Ur dos gesamte geist 1ge Leben der Gegenwart. Ba. Bd, 41. Jahrg.,
Braunschweig 1897; cf, également 8elow E'
Dubois Reymond und die
f
Metaphysik, In: Oie Kritik.Nr. 4, Berlin 1897.
(1b) Naturwissen und Erkenntnis im XIX. Jahrhundert.
Hildesheim
1981.

-
124 -
ses contemporains (2b).Le critique allemand a jugé préférc~te
de rasse~bler sous forme de résumé Ou d'analyse, l'argumentation
concernant l'acceptation et le rejet de la trèse du Ignorabi~us
par la philosophie contemporaine{3b).La réception de Dubois à
Ce sujet chez Günter Mann ne met en évidence que la division du
monde de la pensée par la philosophie de l'homme.Elle néglige les
conséquences de cette thèse et surtout l'intérêt des réactions
pour Dubois.
Tout d'ahord,
pour Dubois,
l'intérêt de l'aveu du Ignora-
bimus est psychologique. L'expression du Ignorabimus est pour
lui, un devoir en tant que naturaliste.
Il s'en félicite et
traduit son soulagement dans une lettre à son collègue Eugen Dre-
her:
"Pour ma part,
je crois l'avoir acco~pli avec satisfac-
tion et je parviens ainsi à une quiétude de la conscien-
ce comme celle d'un mathématicien qui a démontré l'impos-
sibl'll'te' de la
1 t'
( )
so u lon d'un exercice," 4
Mais Dubois, en se libérant d'un poids intellectuel,n'avait
pas songé qu'il offrait des arguments de taille à ses adversai-
res. Un an après l'aveu du Ignorabimus en 1872,
la philosorhie
idéaliste dont Dubois a toujours contesté le droit dans la réso-
lution des énigmesi revendique par la voi~ d'EdlJard von Hartmann
la place qui lui revient dans 10 problp.matique de 1a conryaissan-
ce. Pour Hartmann,
la science de la nature, à travers Dubois,
(2b)Wollgast S., Einleitung zu: Vortrëge über Philosophie und
Gesellschaft. Berlin
1974,
p.IXL-XLI.
(3b)Mann G., op.cit.
p. 187-196.
(4) Dreher E., Die Grundlagen der exakten ~aturwissenschcft. Dres-
den 1900, p. 114. Lettre du 3 octobre 1889.
"Dies glaube ich fUr meinen Teil befriedigend geleistp.t
zu haben und komme damit zu einem Ruhepunkt des Denken~
ënhlich ~em eines ~athematikers, welcher die Unmëglich-
keit der Lësung einer Aufgabe bewiesen ~at,"

-
125 -
vient de formuler son auto-critique et de reconnaître ses fai-
blesses:
"La conclusion,
facile à concevoir et selon laquelle
la connaissanee naturaliste exige et doit recevoir un
comp16ment et un approfondissement gr8ce' ~ d'outres m6-
thodes de recherche et è des domaines scientifiques,
n'est pas encore tir6e. Vis-à-vis d'une telle conces-
sion, apparaissant è tout observateur extérieur comme
allant de soi,le vieil orgueil présomptueux et exclu-
sif, d'une science partielle et limitée,. nourrissant
l'illusion d'être totale, persiste à demeurer aveugle
en la circonstance,
face è son impuissance avouée."(5)
La r6flexion d'Eduard von Hartmann est une cons6auence des
rapports d'hostilité entre la science et laphilosophie dons la se-
conde moitié du XIXesiècle.Elle s'en prend à l'id6e de la science
do~in6e par une attitude trop confiante et 6gocentriste. Hartmann
laisse ici en suspens ce qu'un outre critique allemand pose com-
me une n6cessité, à savoir que la science et la philosophie doi-
vent aller de pair si l'esprit humain ve~t parven~r aux buts des
deux disciplines(6). Ce qui n'est pas éviqent à cette 6poque où
la plupart des naturalistes ne supposaient l'existence de la phi~
losophie que dons la soumission de celle-ci à la science(7).
(s) Hartmann E. v~ Anf~nge naturwissenchaftlicher,Selbsterkennt-
nis.
In: Gesammelte Studien und Aufs~tze. Leipzig 1876, p. 449.
t~
"Die nahe liegende Folgerung, dass dos naturwissenschaft- !
liChe Erkennen der Erg~nzung und Vertiefung durch andere
i
Forschungsweisen und Wissensgebiete bedürfe und zu empfan_t
gen habe,
ist noch nicht gezogen; gegen ein solches jedem l
Draussenstehenden ols selbstverst~ndlich erscheinendes
~
Zugestëndnis
verblendet sich selhst hier noch im Ange-
sichte seiner eingestandenen Chnmacht die alte und ex-
klusive Selbstüberhebung der einseitigen und sich ols
dos Gonze wëhnenden Teilwissenschaft."
(6) Spiller P" Dos Naturerkennen nach seinen angeblichen undwir4c-
lichen Grenzen. Berlin 1873, p. 2-3,

t
f
- 126 -
i
Le problème de la reconnaissance de la philosophie en tant
que science que pose'Hartmann n'est pas un fait nouveau. Depuis
le développement de la science de la nat~re qui a entraîné le
déclin de l~influence de la philasophi~les philosophes de toutes
les écoles n'avaient cessé de plaider pour la cau5e de leur di-
scipline. Leur exigence a trouvé des échos auprès du monde natu~,
raliste qui n'a pas hésité à les épauler. Un homme de science,
Hoppe, professeur à l'université de Berlin, répondant à son
collègue Rudolf Virchow, résume bien cette idée. Ses propos s'a-
,
dressent particulièrement à l'Allemagne.
"La philosophie est, au départ, non seulement la science
dans toute sa totalité mais elle nia jamais' cessé d'ê-
tre conçue en tant que telle; ce n'est qu'une anomalie
si en Allemagne elle s'est transformée en une branche
sépar~e de la science de la nature."(8)
Le Ignorabimus de Dubois constitue ici une pièce à conviction de
la philosophie devant le tribunal de l'histoire de la pensée.
Mais au fond,
il n'y a pas incompatibilit~ chez Dubois en-
tre la science et la philosophie même si le savant de Berlin se
défend de toute coopération avec la philosophie métaphysique de
la nature, à laquelle pourtant, sa pensée ne peut tvujours ré-
sister. Dubois n'est pas aussi catégorique que son idole, La Met-
trie au point de considérer les philosophes comme des vaniteux
et des fainéants à la charge de l'Etat(9). Il fait des conces-
sions à la philosophie,
justifie les raisons de sa défaillance
,~
et lui propose des solutions scientifiques, notamment le physica- '1
,
t
(7) Engelhardt O., Die Legitimation der Naturwissenschaft im 19.
Jahrhundert.Sayreuth 1975, p. 18.
(8) Hoppe E. R. E~ Ober das Verhëltnis der Naturwissenschaft zur
Philosophie. In: Tageblatt der 45. Versammlung deutscher Naturfor-
scher und Arzte. Berlin 1872, p. 105.
"Oie Philosophie ist nicht bloss von Anfang die Wissen~
schaft in voIler Totolitët, sie hat auch nie aufgehort

- 127 -
lisme(10)
~n outre. pour ~ieux foire co~prendre sa philosophie
du Igr.orabimus,
c'est à l'histoire de la philosophie plutôt qu'à
celle de la science de la nature que Dubois renvoie ses auditeurs
et ses lecteurs:
"Comme je l'ai remarqu6. mes id6es ne contenaient rien
qui ne pût être connu de toute personne ~'en souciant
et oyant quelque culture en matière d'anciens traités
philosophiques."(11)
Ces propos ne dévoilent pas moins l'origine de la pensée
scientifique du savant de 8erlin. la science de la nature chez
Dubois tire les fondements de sa pensée d'une ess..e,nce philosophi-
que: conception surprenante pour un naturaliste qui prèche,por
moments,
le physicalisme. l'attitude de Dubois par rapport à
la" philos0phie semble aller dans le sens de la pensée de Fried-
rich Engels qui soutenait l'idée d'une impossibilité de disso-
cier la science de la philosophie chez les naturalistes(12).
l.'aveu du Ignorobimus, quoiqu'on en dise et quelle que soit la
position de Dubois b l'égard de la philosophie, ne saurait dis-
siper le soupçon que certains naturalistes feraient peser sur le
Savant de Berlin de donner à sa pensée scientifique un fond non
scientifique.
l'occasion était également bonne peur les penseurs chré-
ols solche aufgefasst zu werden; es ist nur eine Anoma-
lie wenn sie in Deutschland sich zu einem abgesonderten
Zweige der Noturwissenschaft gestaltet hot."
(9) La Mettrie J, O. op, cit. p. 125.
(10) Dubois Reymond E., aber die Grenzen des Naturerkennens & Die
sieben Weltrotsel,
P.
02.
(11) Ibid.
"Wie bemerkt, meine Aufstellungen enthalten nichts was
bei einiger 8elesenheit in olteren philosophischen Schrif.
ten nicht jedem bekannt sein kënnte, der sich daru~ küm-
merte."
(12) Engels F" Dialektik cer Natur. In:~. 20. Bd., Berlin 1968,
p. 480.

' - 128
tiens,
théologiens et théologisants désireux de trouver la con-
firmation de leur propre position dans la réfutation de la phi-
losophie matérialis~e par Dubois. Les orthodoxes fondent, avant
tout,
leurs arguments sur la pierre de touche des naturalistes,
le matérialisme, méthode traditionnelle à la réfutation de tou~
raisonnement abstrait et théologique.
Niant,
pour un moment,
les
propos matérialistes de Dubois,
les orthodoxes font
corps avec
l'auteur dans sa réaction contre la prétention matérialiste.
Un jésuite,
Dressel,
laisse éclater la satisfaction des ortho-
doxes.
Il voit dans la thèse du Ignorabimus
" ... un déclin du matérialisme dans son incapacité d'ex-
pliquer scientifiquement les phénomènes de l'esprit."(13)
Evidemment,les orthodoxes s'accommodent aisément des natu-
ralistes et des matérialistes quand la pensée de ceux-ci
légiti-
me leurs convictions profondes.
La thèse du Ignorabimus fut
fa-
vorablement accueillie dans les milieux religieux(14).
Pour les
orthodoxes,
la thèse du Ignorabimus,
considérAe comme une défail-
lance de la science et du matérialisme hostiles aux doctrines re-
ligieuse~ est une autre façon de souligner l'imp~rfection de l'es-
1
prit humain et par conséquent,
de reconnaître l'omniscience et
la prescience d'une puissance transcendante.
Le ~agazin fUr die
Literatur des Auslandes,
publiant
le point de vue théologique
d'un philosophe,
conclut dans ce sens:
"Et si la science de
la nature s'impose l'obligation de
préciseravec une grande rigueur les limites de ses con-
naissances, doit-il être donné au théologien ou au phi-
(13) Dressel L.,Der belebte und unbelebte Stoff nach neuesten
Forschungsergebnissen. Freiburg im Bre3gou 1883,
p. 193.
" . . . einen Untergong des Materialismus in
seinerUnf~his­
keit die Geistesvorgënge wissenschaftlrc,h zu erkl~ren."
(14) Mann G.
op.
cit.
p. 138.

-
129 -
~.
losophe de se servir de ses outils en dehors de ses li-
mites? Non,
la conscience religieuse de l'homme n'est
pas soumise à la recherche naturaliste; elle ne peut ê-
tre rejetée après une discussion fondée sur des argu-
ments naturalistes. Aucune "nouvelle croyance" ne sera
en mesure de substituer à cette conscience religieuse
la connaissance serait-elle entièrement perfectionnée
des ph~nom~nes de la nature."(15)
Le point de vue du Magazin für die Literatur des AlJslandes
va à l'encontre de l'acception de la thèse du Ignorabimus en la
considérant comme un problème spécifique de la s~ience de la na-
ture.
Il reconnaît cependant la ligne de démarcation entre la
ccience et la croyance, que Dubois s'interdit de franchir.
Il
rend raison à la science de Dubois d'avoir permis à la religion
une fois de plus une prise de conscience de son existence et de
son importance, et une revalorisation de ses méthodes de connais-
saDce. La religion a, désormais,
la certitude d'être en posses-
sion de la vérité que la science ne saurait lui ravir.
On voit donc qu'au choc produit chez les naturalistes et
les matérialistes par l'aveu du Ignorabimus, correspond une cer-
taine satisfaction chez les philosophes et orthodoxes.
Il se-
(15) Nachlass-Emil Dubois Reymond, K3.
(Magazin für die Literatur
des Auslandes. N°3, p. 36.
·Und wenn die Naturforschung sich verpflichtet fUhlt die
Schranken ihres Erkennens mit aller Scharfe zu bezeich-
nen, solI es dem Theologen oder solI es dem Philosophen
gestattet sein sich ihrer HebeI und Schrauben ausserhalb
dieser Schranken zu bedienen? Nein,das religiose Bewusst-
sein des Menschen ist der naturwissenschaftlichen Erfor-
schung nicht unterworfen; es kann durch naturwissenschaft.
liche Gründe nicht wegdisputirt werden. Kein "neuer Glau-
ben wird im itande sein', an die Stelle dieses religiosen
Bewusstseins die noch so sehr vervollkommnete Kenntniss
der Naturerscheinungen zu setzen."

-
130 -
.
rait par conséquent hasardeux d'affirmer de façon catégorique
que, dans les deux discours au sujet du Ignorabim~s(Les limites
de la connaissance de la nature et Les sept énigmes de l'universll
Dubois n'ait pas fait de concessions à la religion et à la philo-
sophie comme le prétend Friedrich Wollgast,
un critique alle_
mand(16). Evidemment,
la récupération faite ici du Ignorabimus
échappe à Dubois. Le physiologiste de Berlin savait certes que
le philosophe Lange, avait,
le premier, mis en garde les ortho-
.
doxes contre toute exploitation du Ignorabimus à leurs fins(17).
Mais il n'avait pas appréhendé la pensée de Lange dans toute sa
totalité et ne l'avait interprétée que dans le sens d'une défen-
se du Ignorabimus contre le dualisme:
"Strauss et Lange,
l'auteur de L'histoire du matéria-
.
lisme, trop tôt arraché à la science, m'épargnèrent la
peine d'assommer de la maxime 'que celui qui ne peut pas
me comprendre, apprenne à mieux lire',
l'exultation de
ceux qui s'imaginaient qu'en moi était né un pionnier du
dualisme."(18)
La réaction des philosophes et orthodoxes 5em~le soutenir
i'idée d'une quelcon~ue prétention de Dubois, prétention que la
pensée du Ignorabimus se propose de combattre; car Dubois
en de-
hors de la science, n'avait nullement interdit l'exploitation
du domaine de l'infini par d'autres disciplines intellectuelles.
Il n'avait également jamais soutenu la perfection de la science,
(16) Wollgast S., Einleitung zu: Vortrëge liber Philosophie und Ge-
sellschaft,
p. XXXIII.
(17) Lange F. A./Geschichte des ~aterialismus. 2. Bd., p. 157.
(18) Dubois Reymond E. Uber die Grenzen des Naturerkennens & Oie
siebeb Weltrëtsel,
p. 66.
"Strauss und Lange, der zu früh der Wissenschaft entris-
sene Verfasser der 'Geschichte des Materialismus' uberho-
ben mich der Mühe, den Jubel derer, welche in mir einen
Vorkë~pfer des Dualismus erstonden wëhnten, mit dem
Spruche nieder2uschlagen: 'Und wer mich nicht verstehen

- 131
-
ni le caractère achevé de cette discipline et de. ses connais-
sances. On pourrait peut-être comprendre les plaintes du savant
de Berlin d'être mal compris à son époque(19).
x
x
x
,
Si les multiples réactions ont amené Dubois à repliquer,
notamment en 1880, elles n'ont nullement empêché la polémique
qu'il a générée de se développer jusqu'à nos jours. Dubois lui-
même est conscient de la portée scientifique et évolutive de la
méthode polémiste. La' philosophie du Ignorabimus est inscrite
dans cette perspective. En 1890, le savant de Berlin confie cet-
te disposition d'esprit à son collègue Eugen Dreher:
"Je suis entièrement de votre avis: la discussion
et la controverse dévoilent la vérité,
~t je ne peux que
me rejouir d'avoir suscité de tels débats par des pro-
pos tenus de façon succincte."(20)
Dubois caractérise ici la méthode dialectique et la situe
à un niveau purement théorique. Elle est un mouvement intellec-
tuel progressif et ascendant organisé,en fait,
en un débat d'i-
dées, une confrontation de thèses et d'antithèses. Cette démar-
che intellectuelle se révélait déjà dans la forme de la plupart
des discours de Dubois et avait même été reconnue par un de ses
kann,
der lerne besser lesen."
(19) Ibid.
p. 62.
( 20) Dr e h e r E. 0 p. c i t.
p. 1 1 5 ..
"Ich bin ganz ihrer Ansicht, dass Diskussion und ~ontro­
verse die Wahrheit ans Lichte bringen und es konn ~ir
nur in hohem Grade erfreulich sein, durch meine knapp
und kurz gehaltenen Meinungs~usserungen solche weitere
Er~rterungen hervorgerufen zu haben."

, - 132 -
adversaires les plus acharn~s, Hackel(21). Cependant, pour Du-
bois,
la vérité qui se dégage de cette logique des contradictions
ne constitue qu'une étape provisoire dans le processus
de l'évo-
lution intellectuelle. L'auteur le traduit dans cette critique
de la philosophie:
"On sait que Hegel enseignait que l'histoire de la phi-
losophie
est,en général,
l'image du développement lo-
gique de la conception dans l'esprit de l'homme,
lequel
développement se renouvelant, gravissait des éch~lons
toujours plus élevés jusqu'a ce Qu'il culminât en un sys-
tème. C'est à peu près ce qui arrive dans la science de
la nature Qui procède par induction,
avec cette diffé-
rence que le naturaliste ne s'aveugle point jusqu'à pren-
dre le degré de connaissance qu'il a atteint comme l'a-
pogée de la connaissance humoine."(22-23)
Dubois refuse d'admettre que l'esprit humaip puisse par-
venir 0 la vérité absolue. à 10 perfection dans sa totalité.
La recherche de la vérité absolue n'est qu'une c~tre façon d'im-
poser des limites à l'esprit humain. Pour lui,
l'évolution qu'en-
gendre ~a dialectique est continue et infinie. C'est pourquoi la
vérité, que la science de la nature se fixe co~e but ultime de
(21) Kloppe W• • Dubois P.eymond's Phetorik im ~rteil einiger sei-
ner Zeitgenossen.
In: Deutsche'medizinisch~Journal. Berlin 1958,
IX, Bd.,Heft2, p. 81.
(22-23) Dubois Reymond E., Reden 1. Bd., p. 435.
-Hegel lehrte bekanntlich, dass die Geschichte der 0hilo-
sophie im allgemeinen ein Abbild der log'ischen 8egriffs-
entwicklung im menschlichen Geiste sei,welche sich wie-
derholend immer hëhere Stufen erklo~m. bis sie in einem
System gipfelte. Etwas Arnliches trifft
in ~er induktiven
Naturwissenchaft ZU,
nur dass dem Naturforscrer die IJber-
hebung fremd bleibt,
seine Einsicht für die letzte erreich_
bare Stufe der Erkenntnis zu halten."

-
133 -
toute recherche(24), ne ~aurait être considérée comme le carre-
four de tous les contraires. Le processus dialectique chez Du-
bois autorise une certaine ouverture et voudrait tenir compte
de l'avenir.
Sans doute, Dubois ne songe pas à l'application de la mé-
thode dialectique dans la nature. Contrairement aux dialecti-
ciens, il conçoit le développement et le changement dans la na-
ture comme un processus linéaire, allant de soi et non comme
le résultat d'une opposition des contraires. Il ne se soucie
pas d'expliquer le mouvement de la matière par une conception
de l'évolution dialectique. C'est uniquement dans ce' sens qu'il
convient de considérer les reproches des auteurs marxistes ju-
geant non-dialectique l'ensemble du système de Dubois(25).
Au regard de l'ensemble des réactions,
il y ,a tout lieu de
croire qu'au XIXe siècle la mission du naturaliste était semée
d'embûches. Elle exige du naturaliste persévérence et opiniâ-
treté. Dubois l'avait bien compris en recourant sporadiquement
à la méthode dogmatique, même s'il prétend que celle-ci est con-
traire aux exigences de la science (26). Dubois se laisse guider
ici par la certitude que, malgré les obstacles,
la science ne
peut rebrousser chemin. L'accomplissement de sa mission est une
nécessité. C'est là, d'ailleurs,
l'une des forces qui fonde la
philosophie du Ignorabimus et la conviction de Dubois.
(24) Spiller P. ,
op. cit. p. 30.
,
.
(25) Wollgast S.
op. cit. p. LII , cf. également Herneck F.
,
Emil Dubois Peymond und die Grenzen der mechonistischen Naturauf-

fassung.
In: Forschen und Wirken. Berlin 1960, p. 249.
(26) Dubois Reymond E.
op. cit. p. 433.

-
114 -
2.
Le !gnorabimus et
le Faust de Goethe
Cette étude sera très restrictive;
elle se limitera à é-
tablir une analogie entre la philosophie du Ignorabimus de Du-
bois et la conception du savoir chez Goethe dans Faust. Elle
tiendra compte également de la critique du savant contre le
poète.
Sans refuser catégoriquement que Goethe fùt
le père de son
Ignorabimus, Dubois
refuse
que so théorie de la connaissance
soit assimilée à l'attitude de Faust
face au problème du
savoir,
Lo critique du savant de Berlin à cet égard
est très révéla-
trice:
"Je ne parle pas de cette exagération poétique qui nous
mOntre Faust prêt à s'ôter la vie quand il découvre que
nous ne pouvons rien savoir( ... ) Le Ignorabimus de Faust
n'a en réalité aucun sens. Faust a
toujours été persua-
dé de l'existence d'un monde des esprits et il ne le
tient même pas pour un monde clos.K(27)
DUbois,
en réfutant le Ignorabimus de Faust,
reconnaît
im-
plicitement le problème du savoir que pose le scepticisme du hé-
ros goethéen. Cependant,
il reproche à Goethe l'excès de pessimis-
me de son héros devant
l'incognoscible.
Nous savons que le renon-
cement que prèche la pensée du rgnorabimus n'a rien de négatif.
Elle est,
au contraire,
la réalisation,
le dépassement de
l'être
dans la conscience de ses faiblesses.
Dubois pose.à l,p.gard de
(27) Dubois Rey".,ond E.
,Reden
2. Bd., p. 164.
-!ch spreche nicht von der poetiscren Ubertreibung,
dass
Faust sich das Leben nehmen will.
weil er sieht dass wir
nichts wissen kënnen( ... ) Fausts Ignorabimus hat eigent-
lich keinen Sinn. Faust ist vornherein überzeugt vom Da-
sein eine~ Geisterwelt, er haIt sie sogcir nicht für ver-
schlossen."

- 135 -
Goethe le problème de l'attitude de l'homme devant
l'inconnu.
La remorque de Dubois est certes juste mois elle semble
se méprendre Quelque peu sur la portée des symboles et des in-
tentions de Goethe.
Le poète de Weimar voudrait représenter
dans Faust,
l'homme dans toute son ignorance,
sa solitude et sa
détresse,
entour~ des merveilles de l'univers Qu'1l tente de
maitriser(28).
Il montre,dans son protagoniste,
le type
d'être
humain avide de savoir et voulant posséder ce Que Dubois appel-
le la connaissance astronomique ou la connaissance dont dispo-
Se l'esprit imagin~ par Laplace. En somme, Faust voudrait être
l'égal de l'Eternel, de Dieu. Goethe l'exprime dans le monolo-
gue de Faust:
"Moi,
l'image de la Oivinit~, moi qui me croyais déjà/
Tout proche du miroir de l'~ternelle vérit~,/ Qui jouis-
sais de l'existence dans la lumineuse splendeor des ci-
eux/ .. " (29)
Dans son ambition, Faust tend à écarter to~te considéra-
tion mécanique de l'univers.
Il voudrait pénétrer, au plus pro-
fond,
le mécanisme compliqué du monde. Méphistophelès nous
explique
cette nature. Faust est celui
"
qui méprise tant
le
mot
f/ Et qui; plein d'aver-
sion pour toute apparence,/ n'aspire à pénétrer Que l'es-
sence des êtres./"(30)
(28) Berger A. F. v.
, Goethes Faust und die Grenzen des Natur-
erkennens. Wien 1883, p. 17.
(29) Goethe J. W.
v.
Faust 1. Teil. Paris 1981,
p.
22. Vers
614-616
"Ich,
Ebenbild der Gottheit, das sich schon/ Ganz nah ge-
dünkt dem Spiegel ew'ger Wahrheit,/ Sein selbst genoss
in Himmelsglanz und Klarheit/ ... "
(30) ~. p. 44. Vers 1328 à 1330,
" ... der dos Wort so sehr yerochtet,/ Der, weit entfernt

-
136 -
Le symbole de l'homMe -
à travers Faust - à la recherche non pas
d'un savoir en soi mois d'un savoir lié à l'action,
éChoppe ou
savant de Berlin. Pourtant ce symbole est bien représenté chez
Dubois par la nature pratique de la connaissance dons le refus
Sporadique de l'excès de
la spéculation et de la métaphysique.
L'évocation de l'esprit de la terre par Faust rend compte
de l'existence d'un esprit qui anime la nature,
la terre. Mois
pour Faust,
cet esprit n'est rien d'outre que l'essence de la
chose.
L'exorcisme et
le recours à la magie sont
les mét~odes
permettant d'aboutir à la connaissance de cette essence.
Le re-
jet de Faust
par l'esprit de la terre
qui
brise l'espoir du
héros(31) dévoile le Ignorabimus du
poète de Weimar.
Il
traduit
l'impuissance où se trouve Faust de se dépasser lui-mê-
me et de franchir
les bornes que lui
impose sa condition d'être
fini.
N'est-ce pas là une façon d'affirmer que toute tentative
de cerner l'essence(l'intérieur) des choses ou l'infini n'est
que leurre? Goethe explique ainsi la finitude de la connaissan-
ce humaine.
Il représente sous formes d'images et de symboles
ce que Dubois nomme de façon abstraite l'inconnu'Qu l'incompré-
hensible telle l'essence de la force et de la matière.
L'argument sur l'attitude de Faust,
sûr de l'accessibili-
té du monde des esprits, que Dubois utilise pour montrer le non-
sens du Ignorabimus de Faust,
n'est pas différent de la démar-
che scientifique que postule le savant de Berlin et selon laquel-
le seul
le résultat de la recherche permet de déterminer la na-
ture de l'objet de la cOQnaissance. C'est en que~~ue sorte un
sentiment d'optimisme qui préside à la recherche.
Nous savions
que,
pour Dubois,
le but de la science théorique est d'e~pliquer
von allem 5chein,/ Nur
ln der 'Nesen Tiefe tr~chtet./"
(31)
LQ.i2..
p.
1 9.

- 137 -
la nature. Cependant pour que ce but ait un sens, il est néces-
saire de supposer que la nature est intelligible(32).
Il serait difficile d'affirmer que Dubois n'ait pas pui-
sé dans la sagesse goethéenne. C'est à Goethe que recourt Dubois
pour do~ner""à sa thèse du Ignorabimus un fondement" irréfutable.
La maxime 'Il est fait en sorte que les arbres ne croissent pas
jusqu'au ciel'(33), placée par Goethe en exergue de la troisiè-
me partie de Poésie et vérité, se trouve également et intégrale-
ment chez Dubois. Elle lui se~t de métaphore pour montrer l'im-
possibilité d'expliquer l'essence de la matière et de la force.
Même si Dubois décèle des inconséquences dans l'oeuvre de
Goethe, Ses intentions sur la finalité du Ignorabimus sont ana-
logues à celles du poète dans Faust. La révolte de Dubois con-
tre l'esprit vain et prétentieux de son époque existait déjà chez
Goethe. Le po~te de Weimar illustre ce sentiment ~'une manière
contrastée en établissant un dialogue entre Faust, héros de la
connaissance, conscient de ses faiblesses, et Wagner, son famu-
lus, dont il souligne la médiocrité et la sottise par la bouche
de Faust:
"A quoi bon courir après de grands mots?/ Oui, ces dis-
cours parés de clinquant/ Où vous présentez à l'humani-
té des colifichets de papier frisé/ Sont importuns com-
me le vent chargé de brumes/ Qui murmure en automne par-
mi les feuilles sèchesl/"(34)
(32) Supra v. ~. 106.
(33) Goethe J. W: v.
, Qichtung und Wahrheit. In: Vermischte Schri~
ten. Berlin, Darmstadt, Wien, 1963, p. 359
'Es ist dafür gesorgt,
dass die Baume nicht in den Himmel wachsen.' Cf. également: Dubois
Reymond E., Kulturgeschichte und Naturwissenschaf~. In: Reden 1.Bd~
p. 602.
( 34) Id. Fau st 1. Te i 1 ./ p. 20
Ve r s 553 à 557.

- 138 -
Goethe achève cette peinture par les propos de Wagner lui-même
où la modestie fait place à la fierté et à la prétention:
"Je sais beaucoup sans doute, mais je voudrais savoir
tout."/(35)
Le type qu'incarne Wagner,
savant d'un pédantisme stérile,
objet de l'ironie de Goethe, est celui qui avait rebuté le poè-
te à son époque. Goethe aVQit eu en horreur ce qu'un critique
français appelle l'intellectualisme vieillot,
la sagesse terre
.
à terre d'un rationalisme devenu sénile et qui,
inconscient de
sa médiocrité, affichait d'insoutenables prétentions à l'infail-
libilité(36). La révolte de Goethe contre cet état d'esprit qui
avait dominé les universités de son époque répond à l'une des fi-
nalités de la jeune génération du Sturm und Drang à laquelle le
poète s'est joint.
Toutes ces convergences, toutes ces analogies entre Goethe
et Dubois, visent à montrer que le savant de Berlin,
imprégné de
la première partie de Faust depuis son jeune âge, s'est inspiré
de quelques traits essentiels de la pensée de Goethe et les a
adaptés à l'esprit de son époque. Les divergences de conception
et de position du problème de la connaissance existant entre
Goethe et Dubois(37),
procèdent d'une question d'époque et l'é-
tat d'esprit dominant. Goethe appartient à l'époque du Sturm
"Ist's n~tig, Worten nachzujagen?/ Jo, eure Reden, die
so blinkend sind,/ In denen ihr der Menpchheit Schnitzel
krauselt,/ Sind unerquicklich wie der Nebelwind,/ Der
herbstlich durch die dCrren 8latter sauseltl/"
(35) ~. p. 21. Vers 601.
"Zwar weiss ich viel, doch mbcht'
ich alles wissen./"
(36) ~. Introduction de Henri Lichtenberger , p. XXV,
(37) Kloppe W.
, Mensch, Natur und Wissenschaft. Dubois Peymond
und Goethe. Berlin 1958, p. 31.

-
139 -
und Orang qui connait l'exaltation de l'intuition enthousiaste
et
la sp~cu10tion id~aliste(38). Il n'est peut-it~e pas ~ton­
na nt que le poète de Weimar d~finisse la connaissance dans son
oeuvre comme un tout relevant des sentiments.
du sensible.
n'e-
xistant que sur l'empire du coeur et ne satisfaisant avant tout
que le for
int~rieur. Goethe le traduit à travers raust:
"Vous n'y atteindrez
jamais.
si vous ne le sentez
pas./ ..... (39)
DUbois,
lui,
est un produit de la r~volution scientifique. Sa
conception tente de refouler toute science intuitive au profit
d'un savoir fond~ sur l'exp~rience. l·observation.et le calcul.
La contestation du Ignorabimus de Faust est une cons~quen­
ce des préjugés entretenus par Dubois à l'égard de Goethe.
Elle
caractérise,
au fond,
le refus d'une position poétique du problè-
me de la connàissance,
la vraie connaissance étant celle d~termi­
née par la science, et
le rejet d'une essence poétique de la dé-
marche scientifique.
On retiendra toutefois de cette résurgence- de l'esprit
goethéen chez Dubois,
un message commun:
l'id~e de la quête, de
la lutte obstin~e, du désir de connattre la vérité et le secret
du bonheur de l'homme qu'annonce Faust. Celle-ci se métamorpho-
se chez Dubois en un concept où se dessine tout le devenir de
l'humanité:
le travail. Par son Ignorabimus.
Dubois annonce ~go­
lement un dur combat,
un effort
intense et continu tendant à 10
réalisation des fins de l·humanité.
(38) Goethe,J. W. v. op. cit.
p.
XXVI.
(39)
Ibid.
p. 19. Vers 534.
"Wenn ihr's nicht
fühlt.
ihr werdet's nicht erjogen,/ .....

140
3. Dubois et Kant:
la continuité
Si, dans la jeunesse de Dubois, Goethe occupe une grande
place au point qu'il est
souvent aisé d'expliquer certaines
,
Conceptions de l'auteur par l'ascendant intellectuel exercé lur
lui par le poète,
il en est autrement pour Kant. 'On sait que,
dès son jeune âge,
Dubois était fermé à la philosophie kantien-
ne,
attitude qu'on expliquait par une trop grande influence du
matérialisme français au XVIIIe siècle sur 1 'homme(40). Pourtant,
à travers le contenu du Ignorabimus,
il semhle que ce soit à ce
philosophe que Dubois doive aussi une partie de sa pensée.
Plusieurs traits de sa conception de la connaissance lais-
sent croire qu'avant l'aveu du Ignorabimus,
Dubois avait minu-
tieusement parcouru l'oeuvre de Kant et,
particulièrement,
La
critique de la raison pure. La précision et la clarté avec
les-
quelles Dubois s'applique à énumérer les limites de la connais-
Sance semblent correspondre aux exigences formulées
par Kant
dans la polémique que çe dernier engage contre le philosophe an-
glais David Hume sur les limites de l'entendement. Dubois semble
éviter ce que Kant reproche à son contemporain. Pour le philoso-
phe de K~nigsberg, Hume
·se contente de restreindre notre entendement sans lui
assigner de limites et,
à vrai dire, apporte une méfi-
ance générale, mais ne fournit pas de connaissance dé-
terminée de notre inévitable
ignorance ... ·(41)1
(40) Herneck F.
, Emil Dubois Reymond und die Grenzen der mecha-
nistischen Naturauffassung. In: Forschen und Wirken. Berlin 1960,
p. 245.
(41) Kant 1.
, Kritik der reine" Vernunft. 11. Auflage,
Leipzig
1 91 9, p. 639.
Da er(Hume)· . . . unseren Verstand nur einschrënkt ohne ihn
zu begrenzen,
und zwar ein allgemeines Misstrauen,
aber
keine bestimmte Kenntnis der uns unvermeidlichen l'nwissen-
heit zu Stande bringt . . . -

-
141
-
Tout comme chez Dubois,
le but de Kant est non seulement de con-
jecturer que notre raison a des bornes, mais aussi d'en montrer
les limites déterminées. Kant ne voulait pas s'accommoder de sim-
ples barrières vagues auxquelles chacun donnerait à
loisir
un
contenu suivant ses propres convictions.
Kant
lui-même n'était pas moins sceptique que Dubois.
La
maxime fondamentale du scepticisme,
l'incapacité de la raison
d'atteindre l'infini,
est
l'opinion dominante de la critique chez
lui.
Il souligne ainsi
les faiblesses de la raison:
"Dans l'explication des phénomènes de la nature,
il doit
y avoir pour
nous,
beaucoup de choses incertaines et
maintes questions insolubles parce que
ce que nous sa-
vons de la nature est loin de suffire dans tous les cas
à
ce que nous devons expliquer."(42)
En insistant sur l'insuffisance de nos connaissances ou de
notre raison,
Kant avait pris soin de dissocier cl~irement, au-
paravant,
le connaissable de l'inconnaissable. Pour lui,
l'in-
tuition sensible ne peut s'étendre qu'aux objets de l'expérien-
ce,
c'est-à-dire aux phénomènes. Leur fondement,
les choses en
soi,
situées en dehors du champ de l'expérience,
constitue l'
"x
inconnaissable~ (43) qui n'est, en fait, que la réalité
en tant
qu'elle est connue uniquement par l'entendement. C'est ce Que
Kant veut exprimer quand il fait cette distinction:
"L'usage transcendantal d'un concept dans un principe
(42)
Ibid.
p. 429.
"In der Erklorung der Erscheinungen der Natur muss uns
indessen vieles ungewiss und manche Frage.unauflëslich
bleiben, weil dos, was wir von der Natur wissen,
zu dem,
was wir erkloren sollen, bei weitem nicht in allen Follen
zureichend ist."
(43) Srehier E.
, Histoire de la philosophie. Le XVIIIe siècle.
T.
II,
2. Paris 1968,
p. 472.

- 142 -
quelconqueconsiste à le rapporter aux choses en général
et en soi,quand l'usage empirique cependant l'applique
plement aux phénomènes, c'est-à-cire, aux objets d'une
expérience possible( ... ) Le concept d'un nOlimène( •.• ) ne
signifie pas une connaissance détermi~ée d'une chose
quelconque mais la pensée de quelque chose en général,
où je fais abstraction de toute forme de l'intuition sen
sible."(44)
Pour Kant,
notre entendement n'a d'usage que par rapport
aux objets de l'exp~rience. Les choses en soi, le noumène, en
somme le monde intelligible sont à exclure de toute investiga-
tion. Nous ne savons rien de l-p.ssence du moi lui-même, mais dis-
Cernons plutôt son apparence. Kant proclame ainsi la nature phé-!
noménale de notre connaissance. Le savant de Rerlin, quant à lui,
ne parle pas autrement quand il avoue le caractère formel de nos
connaissances à travers l'impossibilité d'expliquer l'essence de
la matière et de la force.
Kant avait mis l'humanité en garde contre 1. danger que
court l'entendement humain à confondre le monde intelligible a-
vec le monde des phénomènes. Toute tentative de pousser les in-
vestigations plus profondément dans le monde intelligible conduit
à une irT'passe:
"Lorsque nous appliquons notre raison non plus simple-
ment pour l'usage des principes de l'entendement à des
objets de l'expérience, mais ~ue nous
osons
éten-
(44) Ibid. p. 272 et 282.
"Der transcendantale Gp.brqucn eines Pegriffs in irgend
einem Grundsatze ist dieser: dass er euf Di~ge überhaupt
und on sich selbst, der empiri,ch~ aber, wenn er tloss
ouf Erscheinungen d.
i. Gegenstërde einer ~cg~ichp.n Er-
fahrung bezogen wird( ... ) Der f1egriff von einem ~:ou""enon
( ... ) bedeutet nicht eine bestimmte Erkenntnis von irgenc
einem Dinge, sondern nur das Denken von Etwas überhaupt,

-
143 -
dre ces principes ou-delà des limites de,cette dernière,
il se produit alors des propositions sophistiques qui
n'ont ni confirmation à espérer,
ni antinomie à crain-
dre dons l'expérience." (45)
Kant parle d'antinomie, Dubois de contradiction insolucle de la
conseption mécanique avec la liberté(46). Tous les deux sont d'a-
vis qu'à chacun des deux ~ondes correspond une méthode de rec~er­
che distincte.
Kant ne s'était pas fait
foute de préciser certains élé-
ments que renferme le monde intelligible.
Il considère l'ôme,
l'immortalité, Dieu et la liberté comme des choses en soi dont
seules les idées qu'ils suscitent en nous,
sont connues tandis
qufeux-mêmes nous restent en fait
inconnus.
Il les relègue dons
la ~étaphysique. Kant exprime cette idée dons la préface de la
Geuxième édition de la Critique de la raison pure:
·Ces inévitables problèmes de la raison pure elle-même
sont Dieu, 1a liberté,
]. i mmo r t a l i té. Et 1a science qui,'!
avec tous ses procédés,
n'a pour but final que la solu-
tion de ces problèmes, se nomme la métaphysique."(47)
Kant transporte la liberté dans le monde intelligible, c'est à
dire qu'il la place en dehors du monde
sensible. 'Dubois,
lui,
consent finalement à l'idée que la liberté reste un problème
bei welchem ich von aller Form der sinnlichen Anschau-
ung abstrahiere."
(45)
Ibid. p. 384.
"Wenn wir unsere Vernllnft nicht bloss zum Gebrauch der
Verstandesgrundsëtze ouf Gegenstënde der Erfahrung ver-
wenden,
so~dern jene über die Grenze der letzteren hinaus
auszudehnen wagen, su entspringen vernünftelnde Lehrsëtze,
die in der Erfahrung weder Bestëtigung hoffen , noch wi-
derlegung fürchten dürfen."
(46) Dubois Reymond E.
, Reden 1. Bd., r. 459.
(47) Kant 1.
, op.
cit.
p. 52.
"Diese unvermeidlichen Aufgaben der reinen Vernunft selbst
sind Gott, Freiheit und Unsterblichkeit. Die Wis5enschaft
aber, deren Endabsicht mit allen ihren Zurüstungen eigent-

-
144 -
transcendant auquel l'entendement renonce. Ce point capital de
rapprochement entre Kant et Dubois et
les points qui suivront
échappent au philosophe Eduard von Hartmann qui,
dans un article,
avait fourni
un résumé très succinct des points de convergence
entre les deux penseurs(48).L'article de Hartmann,
écrit en 1873,
un on après l'aveu du 19norabimus, ne pouvait naturellement pren-
dre en considération la pensée de Dubois dans les sept énigmes
de l'univers,
la réplique de 1880 •
Même si le philosophe de Konigsberg se montre sceptique,
il n'affirme pas moins la nécessité de la connaissance(Erkenntnis-
bedürfnis) dans des proportions concevables.
Kant' lui-même s'é-
tait révolté contre ce qu'il appelle "une impertinente fanfaron-
nade" et
"une présomption extravagante" de ceux qui
veulent
ré-
pondre à toutes les questions et résoudre tous les problèmes(49).
Son scepticisme,
cependant,
loin d'affecter toutes les investiga-
tions,
contribue au contraire à les favoriser.
Kant
résume cette
sage méthode:
"La conscience de mon ignorance,
au lieu de mettre fin
à mes recherches, est, au contraire,
la vraie cause qui
la stimule."(50)
kant
fait du renoncement vertu,
une démarche intellectuelle que
l'on retrouve intégralement chez Dubois.
D'où le tentation de
croire qu'une meilleure compréhension de la philosophie du 19no-
rabimus nécessiterait avant tout une lecture de la Critique de
la raison pure. En tout cas,
DubolS lui-même le laisse penser en
lich nur ouf die Auflosung derselben gerichtet ist,
hei~s
Metaphysik."
(48) Hartmann E.
v.
,
Die Anfënge naturwissenschaftlicher Selbst-
erkenntnis.
In: Gesammelte Studien und Aufsët7.e.
Leipzig 1876, p.
455-456.
(49) Kant 1., op.
cit.
p.
428.
(50)
Ibid.
p. 682.
"Das Bewusstsein meiner Unwissenheit st~tt da5s es meine
Untersuchungen endigen sollte,
ist vlelmehr dle eigent-

- 145 -
renvoyant à l'hlstolre ae la phllosophle pour légitimer la pen-
sée du Ignorabirnus.
Certes,
toutes ces
analogies montrent que Dubois, en ré-
pondant à la question de la connaissance, a tenté d'emboîter le
pas à la pensée de Kant. Cependant,
le savant de Berlin ne parta-
ge pas entièrement toutes les conceptlons de Vant. On retrouve
chez lui,
il est vrai, cette primauté que Kant accorde à la SC1-
ence mathématique par rapport à toutes les sciences. Mais Dubois
voudrait dépasser cette ccnception ou du malns l'adapter aux exi-
gences de son temps ou à sa propre philosophie.
Il explique:
"L'affirmation de Kant dons l'avant-propos aux Premiers
principes mp.taphysiguès de la science de la nature,selon
laquelle 'on ne peut rencontrer de science proprement
dite
dans chaque doctrine particulière de la science
que ce qui y reste de mathématique', mérite beaucoup
plus de rigueur encore si l'on substitu~. la m6canique
atomistique à la mathématique,"(51)
Le désir d'appprter une certaine améliorat~on à la pensée
scientifique de Kant,
n'empêche nullement Dubois de prendre ses
distances à l'égard du philosophe de Konigsberg sur l'origine de
nos connaissances. Kant distinguG deux origines à nos connaissan-
Ces:
l'expérience et l'entendement. Christian Bartholmess, dans
son étude sur la philosophie de Kant le montre clairement en re-
prenant Kant en ces termes:
"Si toutes nos connaissances commencent par l'exp~rien-
liche Ursache,
sie zu erwecken."
(51) Dubois Reymond E., op. cit.
p. 442.
"Kants Behauptung in der Vorrede zu den Metaphysischen
Anfëngs~ründen der Naturwissenschaft, 'dass in jeder be-
sonderen Noturlehre nur soviel eigentliche Wissenschaft
angetroffen werden konne, als darin ~athematik anzutref-
fen sei'-- ist also vielmehr noch dahin zu verschërfen,
dass für Mathematik ~echanik der Atome gesetztwird."

- '46 -
ce,
toutes ne viennent pas de l'e~périence."(52)
Evidemment, Dubois ne retient de cette assertion que la premiè-
re partie.
Il nie la possibilité de l'existence d~idées innées.
Pour lui,
l'expérience seule est l'unique source de nos connais~
sanCes. Pour justifier cette affirmatlon,
il se refère à une au-
torité dans la science de la nature,
son professeur Johann Müller:
" . . . Johann ~üller se prononçait, dans une analyse clai-
re,
contre les catégories innées de Kant et en faveur.
de l'idée que la seule capacité originelle de l'esprit
humain consiste à former des concerts généraux à partir
des idées transmises par les sens."(53)
Tout en s'abritant derrière l'avis de son maitr~Duboisdonnelibre
caurs ici à un certain sensualisme,
rejetant
tout se qui
procè-
de uniquement de l'entendement,
c'est à dire toute connaissance
a priori,
antérieure à l'expérience.
Cette distance envers Kant dévoile le caractère critique de
la conscience naturaliste chez Dubois, méfiant à l'égard de tout
ce que recouvre le domaine s'étendant au-delà de l'expérience.
Ceci explique sans doute le jugement mitigé qu'il porte sur Kant.
Certes, une place historique et déterminante est dévolue à Kant
dans les rapports ae la philosophie et de la sciehce de la natu-
re. Kant est consid~ré comme le aernier de la série des philoso-
phes qui,
en possession aes connaissances naturalistes de leur
époque,
ont activement participé à
l'épanouissement de la scien-
ce(S4). En revanche,
le philosophe de Kijnigsberg est blâmé pour
(52) Bartholmess C. , Histoire philOSOphique de r'Académie de
Prusse. Paris '85~'85', t. Il • p. 300.
(53) DUbois Reymond E.,
Vortrage über Philosophie und Gesell-
schaft.
Berlin
1914, p. 38.
• ... Johann Müller sprach sich in einer lichtvollen Aus-
einandersetzung wider die angeborenen Kantschen Katego-
rien und für die Meinugg,
dass dos einzige ursprüngliche
Vermogen des menschlichen Geistes
darin besteht,
aus
den durch die Sinne zugefUhrten Vorstellungen allgemeine
Begriffe zu bilden~"

-
147 -
son igncrance de la conception m~cani~ue de la vie et de la con-
servation de l'énergie(55). Kant passe pour être responsable de
l'influence de la métap~ysique sur les sciences de la nature
pour avoir conféré à la métaphysique en ta~t que science, des
droits dans la culture de l'esprit humain et pour lui avoir ain-
si accordé un regain de valeur positive(S6). Les jugements de Du-
bois ne prennent en considération ni l'époque qu'ils appréhen-
dent, ni son esprit.
Quelles que soient la nature des jugements et la profondeur
des divergences qui séparent Kant et Dubois,
les affinités entre
les deux penseurs permettent de soute~ir que la pensée du Ignora-
bimus s'inscrit dans la continuité de la pensée kantienne.
La con-
naissance que Dubois établit de manière. scientifique dérive de la
théorie de la connaissance de Kant,
laquelle,
plus complète,re-
clame ~ne synthèse de l'expérience et de la spéc~lation. Il est
donc étonnant que Dubois se soit refusé à mettre Kant sur le mê-
me piedestal que Leibniz et La Mettrie auxquels il dédie des dis-
cours dithyrambiques. Dubois pêche par ingratitude envers Kant
en se bornant uniqueMent à de vagues allusions à l'oeuvre cepen-
dant considérable du penseur.
x
x
x
La célébrité de Dubois liée à la réception de la pensée du
Ignorabimus plonge ses origines dans le rationalisme français
et dans leXVllle siècle allemand. Le rationalisme français a four-
ni à Dubois les bases de sa pensée naturaliste. La Mettrie a été
(~4) Mann G., op. cit. p. 49~
(55) Dubois Reymond E., qeden 1. Ed., p. 439.
(56) Id. Uber die Grenzen des Naturerkenrens & Die sieben We!t-
rëtsel.
p. 62-/'D.

- 148 -
le premier à inculquer au savant de Berlin l'idée des limitAS
de la connaissance.
Les deux premières énigmes e~posées en 1872
par Dubois, à savoir l'essence de la matière et de la force,et
le problème de la cODscience,
ont été entièrement empruntées à
La Mettrie qui
les avait ainsi exposées dons L'homme-machine.
La pensée du Ignorabimus a eu pour point de déport
le ra-
tionalisme français mois il n'en demeure pas moins que c'est dons
le patrimoine intellectuel allemand qu'elle s'achève.Goethe et
Kant ont aidé Dubois à modeler sa philosophie morale.Dans la for-
me,
c'est à dire dans l'évaluatlon des énigmes transcendantes au
1
nombre de quatre, et dans le fond c'est~à-dire dans la finalité de
,
"-
la thèse du Ignorabimus,
l'influence de Goethe et de Kant a per-
mis à
l'auteur de dépasser la pensÂe de La ~ettrie. La pensée
du Ignorabimus en tant que telle,
et considérée par Dubois com-
me un principe scientifique,
laisse découvrir qu'ou fur et à me-
sure qu'on scrute la philosophie de la science de la nature de
l'auteur,
on s'aperçoit de la diversité de ses ràcines.

CHAPITRE IV
Dubois et la religion
Pour parvenir à ses fins,
la nouvelle religion,
la scien-
ce de la nature, doit se proposer de combattre la religion chré-
tienne qu'elle a toujours jugée opposée à son évolution.Duboispen_
se que de cette lutte doivent jaillir la liberté et le dévelop-
pement de la culture. Pour ce faire,la science de la nature doit
saper les fondements de la religion que l'auteur lie aux dispo-
sitions d'esprit faisant appel à l'irrationnel. Les solutions
proposées par Dubois relèvent aussi bien de la science de la na-
ture que de la philosophie mais ont un caractère provocateu~ et
semblent inscrire l'intention de l'auteur dans les visées de
la politique bismarckienne contre les Eglises. Mois Dubois re-
fuse ici de pervertir la science par une récupération politique.
La science de la nature se doit avant tout de sauver la cul tu-
re.
Avant d'aborder le problème de la défense de la culture
par la science de la nature,
nous consacrerons une étude détail-
lée aux méthodes de lutte contre la religion en général et con-
tre le christianisme en particulier chez Dubois.
1. Réfutation de l'interprétation surnaturelle et supr-anaturalis-
te
a) Le problème du vitalisme
Le devoir de la science de la nature chez Dubois est d'é-
liminer de la compréhension de la nature toute idée faisant ap-

-
150 -
pel à une interprétation surnaturelle et supranaturaliste,
no-
tamment
le vitalisme.
Durant toutes ses années universitaires,
Dubois a été beaucoup préoccupé par l'accomplisseMent de ce de-
voir. Un an avant la soutenance de sa thèse de doctorat en 1843,
dans une lettre à son ami Hallmonn,
i l donne librè"cours à son
penchant anti-vitaliste en ces ter~es:
"Brücke et moi avons juré de foire prévaloir la vérité
que dons l'organisme aucune autre force n'est efficace
que les forces physico-chimiques."(1)
Quelques années plus tord,
Dubois élabore minutieusement
un pro-
gramme et des moyens de lutter contre cette philosophie dans son
discours,
La force vitale.
Cette compagne que constitue le discours sur
la force vita-
le est une réaction à la montée de la philosophie vitaliste dans
la pF.emière moitié du XIXe siècle.
Dubois mentionne
lui-même que
SOn discours s'adresse certes à l'ensemble des défenseurs du vi-
talisme mais est surtout dirigé contre son professeur Johann MUl-
ler dont l'oeuvre,Le manuel de physiologie de l'ho~e,publiée en
1840 et fondant
la thèse vitaliste,
faisait
recette à cette épo-
oue.
Dubois ne cite pas ouverteMent le nom de MUller quoique ce
dernier,
en lisant les travaux de son élève,
ait déviné ses
inten-
tions et accepté ses critiques(2).Ce n'est qu'une année plus tard,
après la mort de MUller que Dubois fait publiquement cette r:véla-
tion dans son çiscours à la mémoire de son maître. Après une a-
(1) Dubois Reymond Estelle,
Jugendbriefe von Emil Dubois Reymond
an Eduard Hallmann. Berlin 1918,
p. 108.
Lettre de mai 1842.
"Brücke und iCh, wir hoben uns verschworen die Wahrheit
gel tend zu mochen,
dass im Orgonismus keine anderenKrëfte
wirksam sind,
aIs die gemeinen physikolisch-chemischen;-
(2) Dubois
racont~Müller ne s'était jamais oppos~ à la critique
de sa théorie exposée dons La force vitale,
avant-propos de l'oeu-
vre Les recherches sur l'électricité chez les animaux.
Plus tard,
en parlant de la deuxième partie de cet ouvrage,
Müller dira sur
un ton amical
"Continuez do~c, vous avez un tout outre point de

-
151
-
nalyse critique du Manuel de physiologie de l'homme,
Dubois s'est
particulièrement penché sur la théorie de la vie ~ue ~üller y
expose. Ses remarques sont! éloquentes:
"Tout le monde sait que Müller a,de tout temps, ét~ un
vitaliste acharné et l'est resté jusqu'à sa mort. On
soit que Müller supposait une simple force vitale qui,
totalement différente des forces physiques et chimiques.
agit dans les organismes en tant que couse et en tant
qUAorganisatrice suprème de tous les phénomènes suivant
un plon déterminé. Face à cette force,
toutes les énig-
mes de la physique demeurent entières. n (3)
Dubois nous donne ici un 'aperçu global,
une sorte de défi-
nition de la notion de force vitale telle qu'elle était conçue
dons la première moitié du XIXe siècle. La conception vitaliste
consiste, en fait, à recourir à une force surnaturelle pour ex-
pliquer le fonctionnement interne et externe de l'organisme. El-
le se fonde sur la thèse d'une totale indépendance de la force
et de la matière, et d'une irréductibilité de la force vitale
aux forces physico-chimiques. Dubois pense qu'el}~ est une fa-
çon de qualifier l'âme des penseurs chrétiens(4). La question
de la force vitale reste le point de rupture entre Dubois et son
professeur. Le savant de Berlin découvre que la source de la pen-
sée vitaliste réside dons une conception erronée de la notion
de force et se propose de définir les rapports de la force et de
vue~(Gehen Sie doch, Sie stehen ouf elnem ganz anderen StandpunktJ
Gedëchtnisrede auf Johann ~üller. Berlin 1860, p. 91.
(3) Ibid. p. 87.
"Jedermann weiss, dass Müller stets entschiedener VitalisE
gewesen und bis on sein Ende geblieben ist. 8ekanntlich
nahm Müller eine einfache Lebenskraft an, von den physi~
kalischen und chemischen durchaus verschieden,
in den Or-
ganismen ols Ursache und ols oberster Ordner aller Ersch •
nungen nach einem bestimmten Plane wirkt. Vor dieser
Kraft liegen olle Rëtsel der Physik offen."
(4) Id. Reden 1. Bd./p. 10.

-
152 -
la matière. Sa métaphore est très r:vélatrice:
"La matière n'est pas une charrette à l'avant de la-
quelle des forces pe~vent être, à volonté, COmMe s'il
,
s'agissait de chevaux, attelées maintenant puis detelées
ensuite."(S)
Dubois refuse d'admettre l'autono~ie de l'énergie par rap-
port à la matière et considère que celle-ci est é~ernellement
pourvue de différentes énergies. L'énergie,elle,reste une manifes-
tation de la matière. Dubois fait sienne,
ici,
une des thèses
fondamentales du matérialisme. à savoir l'unité ou la liaison
intime et éternelle de la matière et de l'énergie. L'appropria-
tion de cette thèse rend visible la tentative du savant de 8er-
lin d'échapper au dualisme auquel conduit une distinction ou
une séparation de la matière et de l'énergie. Dubois explique:
"Le même dualisme qui se laisse reconna!tre dans les
idées de Dieu et du monde, de 1 tâme et. du corps,
re-
vient dans les notions de force et de matière."(6)
L'intention de Dubois est claire. La lutte_contre le vita-
lisme passe avant tout par une appréhension du monde matériel
et irrrnatériel en tant
que
tout unique et indivisible.
Il a dé-
fen~cette idée en se reférant à son adversaire Strauss et à
son avocat spirituel. Lange(7). Le refus du dualisme chez Dubois
a été catégorique.
(5) Ibid.
p. 16.
"Die Materie ist nicht wie ein Führwerk, davor die Krëf-
te ols Pferde nach Aelieben nun angespannt,
dann wieder
abgeschirrt werden k~nnen."
(6) Ibid.
p. 14.
"In den Begriffen von I-<'raft und Materie' kehrt derselbe
Dualismus wieder, der in den Vorstellungen von Gatt und
Welt,
von Seele und Leib sich zu erkennen gibt."
(7) Supra v. p. 130.

153
Mais Dubois commet la maladresse - certaineMent rhétori-
que -
de prendre ses distances à l'égard de la pen-
sée moniste à laquelle la logique de sa pensée et de ses inten-
tions a jusque-là répondu. Dans le débat sur la liberté,
il ex-
plique que:
"pour le monisme,
le Monde est un méca~isme et dans un
mécanisme,
le libre arbitre n'a pas de place."(a)
Cette expliEation a cependant une valeur démonstrative.Elle pe~
met au savant
de Berlin de mettre en lumière l'inco~patibilité
de la pensée mécaniste et de la notion de liberté",
La conception
moniste est une possibilité de pensée. Elle semble être,ici,
la
solution finale de la pensée de Dubois. C'est l'idée que
l'auteur fait valoir dans cette interrogation en guise de con-
clusion:
"En dernier lieu surgit la question de savoir( ... )si
l'essence de la force et de la matière nous étant con~
nue,
nous ne comprendrions pas par là-même comment
leur substance de base
peut, dans des conditions dé-
terminées,sentir, vouloir et réfléchir."(9)
Dubois fait clairemeQt 10 différence entre la matière
et la force d'une part et, d'autre part,
la substance qui ap-
paraît comme la causalité de toute vie. Pour lui,
la force et
l~ matière ne sont qu'une forme de manifestation d'une seule et
unique essence même si à la fin du discours sur les limites de
la connaissance de la nature, oubliant sa première hypothèse,
(8) Id.
Uber die Grenzen des Naturerkennens & Die sieben Weltr~i·
sel,
p. 88.
NOem Monismus ist die Welt ein Mechanismus.
und in ei-
nem r--~echanismlJs
ist kein Platz für Willensfreiheit."
(9) Id. Reden 1. Bd., p.
464.
"Schl i.esslich entsteht die Frage, ob (., .. ) wenn wir das
Wesen von Materie und Kraft begriffen, wir ni.cht auch
verst~nden, wie die ihnen zugrunde liegende Substanz un-
ter bestimmten Bedingungen empfindet,
begehrt und denkt."

- 154 -
il se dispose à considérer la matière et la force comme étant la
causalité produisant
la vie(10).
Cependant,
une remarque s'impose. Aux yeux de Dubois,
la
matière et
la force sont,
en fait,
les choses elles-mêmes et,en
tant que telles,
elles sont
les rapports et
les causes de tous
les phénomènes de la nature. Cette idée rend évidente la recti-
fication que Duhois tente d'apporter à sa ~onception des années
quarante où il ôtait à
la matière et à la force toute réalité
objective(11) et acceptait vo~ontiers le mouvement sans cause
tout en niant formellement
la force en tant que couse du mouve-
ment (1 2) .
Duhois,
il est vrai,
n'est ni très clair n1
précis dans
la détermination des fonctions de la substance,
de la matière
et dé la force.
Toutefois,
c'est dans ]0 tradition moniste tel-
le que le philosophe Baruch Spinoza l'a érigée ou XVIIe siècle
que sa pensée tente de se situer.
Hëckel,
un représentant ache-
vé du monisme au XIXe siècle,
résume cette pensée fondamentale
de son mâitre:
"Nous nous attachons au monisme pur et univoque de Spi-
noza:
la matière en tant que substance inf.iniment éten-
due,
et l'esprit(ou l'énergie) en tant que substance
sensible ou pensante,
sont les deux attributs fondamen-
tau~ ou les propriétés de base de l'essence du monde
divine,
embrassant et renfermant
la substance universel-
le."(13)
(10)
Ibid.
(11)
Ibid.
p. 13.
(12)
Ibid.
p. 15.
(13) Hëckel E.
, Die Weltrëtsel.
Bonn 1899,
p.
23.
·Wir halten fest an den reinen und unzweideutigen Monis-
mus von Spinoza: Die Materie, ols die un&ndlich ausge-
dehnte Substonz und der Geist{oder die Energie) aIs die
empfindende oder denkende Substonz,
sind die heiden fun-

- 155 -
Chez Spinoza,la notion de substance repose sur la thèse
de l'unité de Dieu et du monde. Dieu n'est pas étranger au mon-
de.
Il ne saurait être son régisseur ou son crÉateur.
Il est in-
tériorisé dans le moi. Spinoza défend ou fond la thèse du panthé-
isme. Ceci constitue la différence fondamentale qui
le sépare
de Dubois. Le savant de Berlin -ad~et certes le monisMe mais n'en
tire pas toutes les conséQuences ou du moins refuse d'aller jus-
qu'au bout de cette pensée. Dubois a toujours souhaité une na-
ture débarrassée de Dieu et -régie par un mécanisme autonome(14).
sans pourtant se défendre de l'idée que Dieu est le créateur
possible de la nature(15).
La pensée de Dubois, en même temps
qu'elle tente d'échopper ou dualisme, y retombe de façon incon-
sciente. Aussi les reproches adressés au savant de Berlin sur
l'inconstance de sa pensée et l'absence de clarté de sa posi-
tio~ sur la question du monisme et du dualisme (16) ne sem-
blent-ils pas infondés.
Il est clair cependant que,
pour Dubois,
l'unité de la
matière et de la force dont découle sa visio~ moniste, n'est
qu'un rempart,
un paravent contre toute considération surnatu-
relle de la notion de force.
EIJe lui permet également de nier
l'âme, synonyme de 10 force vitale, comme nous l'avons déjà
mentionné.
A cette méthode, Dubois ajoute une démonstration beaucoup
plus scientifique et se fonde essentiellement sur la conservation
de l'énergie, une des grandes découvertes du XIXe siècle réali-
sée indépendamment par les physiciens allemands Julius Robert von
Mayer, Hermann von Helmholtz et Rudolf Virchow. M~is c'est par-
damentalen Attribute oder Grundeigenschaften des allum-
fasSenden gëttlichen Weltwesens, der universalen Substanz:'
(14) Dubois Reymond E., op. cit. p.S63.
(1S)
Id. Reden 2. Bd. , P.S13.
(16) Mann G., Natu~issen und Erkenntnis im 19. Jqhrhundert,
p.36.

- 156 -
ticulièreTent à
son aMi Hel~holtz que Dubois attribue :e méri-
te d'avoir donn~ des fonde~ents solides et compl~ts à cette t~6­
orie(17)
et il défendra l'originalité de
la découverte
jusqu'à
la mort de ~el~holtz. Dubois énonce 10 thèse de la conservation
de l'énergie"en ces termes:
~La conservation de l'énergie signifie que tout aussi
peu que la matière,
jamais la force ne nait ou ne dis-
paraît ," (180)
Dans sa théorie de la connaissance,
Dubois avait déjà tiré
de cette découverte les conséquences scientifiques
nécessai-
res (18b) dont notre analyse tiendra compte ici.
La conservation de l'énergie suppose que,
dans la nature,
les diverses formes d'énergie sont convertibles les unes en les
autres et que lors de ce processus aucune énergie ne peut se per-
dre,
Toutes les forces efficientes sont immuables.
L'univers ap-
paraît comme un ensemble uni dans lequel tout s$enchaîne,
les cau-
Ses et les effets se conditionnent sans faill~en.somme l'univers
n'apparaît plus que comme
mécanisme complet,en soi fermé,
La
constance de la force et
le déterMinis~e scientifique qu'elle
suppose,
introduits dans la biologie1rendent
inconcevahle toute
idée de l'indéterminé, de protée capricieux vivant dan~ l'orga-
nisme, Dans l'ordre des phéno~ènes physiques scientifiquement
liés,
l'idée cu surnaturel n'a pas ce place,
(17) Dubo i s Reyrnond E.
, Pecp.n 1 . Bd " p.
17.
(18o)rd.
,
Uber die Grenzen des Naturerken~ens & Die sieben ~elt-
rotsel,
p. 87-88.
"Die Erhaltung der Energie hesogt,
doss so wenlg wie ~a­
terie jemals Kraft entsteht oder veraeht.»
(18b) Supra v. p.
75.

-
157 -
Dubois montre que ces méthodes,
l'unité de.la matière et
de la force,
et
la conservation de l'énergie doivent arriver ~
bout du vitalisme et
l'exclure de
la co~préhension de la nature.
Mais la pensée vitaliste que les méthodes de
l'auteur auraient
A
du détruire,
resurgit à
la fin du XIXe siècle et amène
le savant
de Berlin ~ réagir.
b)
La réplique de Dubois
Jusqu'aux derniers
jours de sa vie,
Dubois a montré un at-
tachement
indéfectible à son penchant antivitaliste.Vers la fin
du XIXe siècle,
lors de la réapparition du vita1isme,Dubois réagit
dans son discours,Le néo-vitalisme,
prononcé environ deux
ans avant sa mort et laissa un dernier message ~ l'humanité con-
tre toutes formes de vitalisme.
Sa cible était clairement déter-
miné~.Dubois s'adressait pour l'essentiel au pathologiste de Würz-
burg, Georg Eduard Pindfleisch,
au philosophe de Heidelberg Hans
Driesch et au physiologiste de Bâle, Gustav von Bunge(19),
prin-
cipaux représentants du néo-vitalisme.
Fort de ses méthodes -
unité de la matière et de la force
et leur conservation -
Dubois s'attache essentiellement dans Le
néo-vitalisme ~ la
réfutation
dogmatique et ~ ~n expo-
sé du caractère absurde de la' thèse néo-vitaliste. Après avoir
mis en lumière la similitude entre la nouvelle
force vitale et
les forces physico-chimiques dans le discours de Rindfleisch,Oubois
pose à
l'intention du pathologiste de WUrzburg,le problème de 10
distinction entre l'ancien et le nouveau vitalisme: il
remarque
(19) Rindfleisch,
G.
E.
v.
(1836-1908)
professeur d'anatomie et
de pathologie à
l'université de Würzburg;
Dries~h H. (1867-1941)
biolo~iste et philosophe allemandj Bunge G. v. (1844-1920), pro-
fesseur de physiologie à
l'université de Bâle.

,; .
-
158 -
'.
que:
"nous ne savons rien d'une force dont
Id nature m~me
fait que l'on
ne la connaisse qu'en liaison avec la
matière. Nous pensions qu'il en était de l''''~me de toutes
les forces et c'est pourquoi nous demandons en quoi la
force vitale néo-vitaliste se distingue
donc des
forces physico-chimiques?"(20)
i
Si l'interrogation de Dubois laisse penser à une confu-
:
t'
!
1
sion dans la philosophie né~itoliste chez Rindfleisch.
la con-
ception de Oriesch fait ap~araitre la véritable identité du néo-
vitalisMe. Le philosophe de Heidel~erg pense que 10 science de
la nature ne peut pas expliquer le mécanisme de la vie dans sa
totalité.
Il y a une partie qui lui échappe et dont l'exploita-
tio~ nécessite le recours à d'autres formes d'ex~li~ation d'où
la pensée néo-vitaliste tire toute sa force.
Oriesch qui avait
fondé l'essentiel de sa philosophie sur le néo-vitalism~introduit
une notion nouvelle,
une sorte d'entéléchie qui commande l'évo-
lution individuelle,
les régénérations et les r:gulations orga-
niques et
forme l'essence de l'autonomie des systèmes organiques.
Il la résume sous le nom d'
"énergie de développement" (21 ) .
Mais Dubois se montre critique dans l'analyse dA l'oeu-
vre de Driesch(22).
Il souligne d'abord l'inexactitude du ti-
tre en ~ontrant l'impossibilité d'une autoncmie de la biologie
(20) Du~ois Rey~ond E.
, Reden 2. Bd.,p. 50~
"(dass) wir nichts von einer Kraft wissen,
ZU
deren We-
sen es gehërt. dass man sie nur in Verbindung mit einem
Stoffe kenne. Wir meinten. das sei das Gleiche für aIle
Vr~fte. und fragen daher, worin unterscheidet sich den~
die neo-vitalistische Lebenskraft von physiscl"l-chemi-
schen Krëften?"
(21) Driesch H., Die Biologie ols selbststëndige Grundwissenschaft,
eine kritische. Leipzig 1893, p.
47.
"Entwicklurgsenergie"
(22) Id.

-
159 -
dans les sciences de la nat~re(23). Puis ~l relève les amtigui-
tés de la pensée néo-vitaliste. Pour lui:
la pensée de Driesch
est une caution à la thèse de l'opportunité des phéno~ènes vi-
taux dons la biologie tandis qu'elle cdmet l'incompatibilité de
l'interprétation supranaturaliste avec les exigences de la scien-
Ce de la nature:
"Il(Driesch)
insiste sur le fait qu'est limitée toute
thèse qui voit dans la 'vie' un problème par principe
résoluble non seulement de manière mécanique ~ais mê-
me de façon physique et chimique, c'est-à-dire d?nS no-
tre physique et notre chimie. Il ne voit aucune diffi-
culté d'inclure également des considérations téléologi-
que~ dons la science de la na~ure( ... ) Il n'a rien contre
le fait que l'on dise que là où la causalité
~'arrê­
te,la science de la nature prend fin également."(24)
Aux yeux de Dubois,
la pensée néo-vitaliste- à travers Driesch
en même temps qu'elle reconnaît les princires fondamentaux de la
science de la nature,
contribue à montrer les insuffiscnces de
cette discipline. Elle est en foit une synthèse de la science de
la natu~e et de l'interprétation subjective, une démarche que
Dubois en tant que naturaliste récuse.
Dans la polémique que Dubois engage avec les n~o-vitalistes.
la nouvelle force vitale,
l' 'énergie de dp.veloppement' ou l'enté-
léchie ne sont q'une cutre façon de qualifier ce que eunge cp-
pelait déjà de façon plus mystique, "le
sens interne"
(25), en
(23) Dubois Reymond E.,
op. cit. p.SO?
(24)
Ibid.
p. 508.
"Er(Driesch) betont wie beschrbnkt jene Ansicht sei,die
im 'Leben' ein Problem sehe, welches nicht nur ~echanis­
ticch, sondern sogcr physikalisch-chemisch d.h.
in unse-
rer Physik-Chemie prinzipiell auflosoar sei. Er sieht
kein Fedenken, auch teleologische Betrachtungen zur Natur.
forschung zu zbhlen{ ... ) Er hot nichts dagegen,
dass man
Sage.wo Kau~olitbt oufhore, hore auch t;aturforschung ouf!'.'
(25) Bunge G.
v.,
Lehrbuch der Physiologie des ~enscren. ~pipzig

- 160 -
quelque sorte le sixième sens. Pour le savant de Berlin,
Bunge
trouve dans l'interprétation surnaturelle et supranaturaliste
un moyen de combler certaines carences humaines et scientifiques.
Dubois reprend les propos .de son adversaire:
"Nous possédons un sens de plus pour
l'observation de la
nature vivante:
c'est le sens interne pour
l'observation
des états et des processus de notre propre conscien-
ce "(26)
et
leur orpose une réponse catégorique:
"Je dois avouer qu'il m'est
impossible d'attacher une
signification à cette explication."(27)
Dubois pense que la science de la nature ne reconnaît dans
les organismes que les forces physico-chimiques. Elle ne saurait
s'accommoder de méthodes qui confinent aux domaines subjectifs.
Son rôle est également de se protéger contre toute introduction
de démarch~non scientifiqu~en son sein. Cependant,
force est
ici de remarquer que Dubois,
dans sa réponse,
n'a"pas cerné la
pensée de Bunge dans sa totalité. Chez le physiologiste de Bâ-
le,
le concept de néo-vitalisme a
fait place à la-notion d'idéa-
lisme. C'est du
'sens interne'
que procède ce que Bunge oppelle
lui-même "l'activité- dans laquelle réside toute l'énigme de la
vie;
'l'activité' étant une notion tout à fait
relative.
Bunge
pense que
"nous n'avons pas puisé la notion d'activité dans la
1887,2. Bd.,
p. 11.
"der innere Sinn"
(26) Dubois Reymond E., op.
cit.
p. 509.
"Wir besitzen je zur Beobachtung der belebten Natur ei-
nen Sinn mehr:
es ist der innere Sinn zur Beobachtungder
Zust~nde und Vorg~nge des eigenen Bewuss~seins."
(27)
Ibid.
"Ich muss gestehen,
dass es mir unmbglich ist,
mit dieser
Auseinandersetz~ng einen Sinn zu verbinden."

-
161
-
perception sensorielle mois plutôt dons l'observation
de soi.Nous transférons ce que nous avons puisé dons
notre propre conscience,
sur les objets ,de notre percep-
tion sensorielle, sur les organes,
sur les éléments. des
tissus,
sur choque petite cellule. Ceci est la première
tentative d'une explication psychologique de tous les
phénomènes vitaux."(28)
Le savant de Berlin ne semble pas prendre en considération
le fait que la pensée de son adversaire
s'intéresse
parti-
culièrement
~ux processus psychiques.
Il voit
,plutôt
dons la notion d'activité une divergence d'expression le sépa-
rant de Bunge, comme s ' i l yavait ici convergence entre le scien-
ce de la nature et la pensée néo-vitaliste,
l '
'activité' étant
chez Dubois une manière de qualifier le métabolism~:
"Ce qu'il(Bunge) appelle
'activité' et dons laquelle se
Coche, en réalité,
l'énigme de la vie n'est rien qu'un
métabolisme entretenu par le chimisme qu'il dédaigne
et par lequel
l'énergie potentielle est transformée en
énergie cinétique."(29)
On voit donc que l'argumentation vitaliste et néo-vitalis-
te répond è un certain besoin impératif d'apporter une solution
(28) Bunge G. v., op. cit. p. ~
"den Begriff der Aktivitot haben wir nicht aus der Sinnes-
wahrnehmung geschëpft, sondern ous der Selbstbeobachtung.
Wir übertrogen dos aus dem eigenen Sewusstsein Geschëpfte
ouf die Objekte unserer Sinneswahrnehmung, ouf die Organe,
die Gewebeselemente,auf jede kleine Zelle. Dos ist der
erste Versuch einer psychologischen Erklorung aller Le-
benserscheinungen."
(29) Dubois Reymond E., op. cit. p. 510.
·Wos er(Bunge)
'Aktivitët' nennt,
und worin in der Tat
dos Rëtsel des Lebens steckt, nichts ist, ole ein durch
den von ihm verschmëhten Chemismus unterhaltener Stof~
wec~sel, wodurch potentielle in kinetische tnergie um-
wcndelt wird.-

-
162 -
à
tous les problèmes vitaux.
En l'occurence elle est une sorte
de deus ex machina.
Elle se situe au-delà de tout rationalisme
et introduit l'esprit dans le champ de la croyance.
Elle n'ex-
clut pas également le recours aux qualités occultes.
Certes,
le rejet de la pensée vitaliste ou néo-vitaliste
répond à
une certaine nécessité d'assainissement de la science de
la nature.
Mais il est également une amorce de la critique de
la religion dans la pensée de Dubois.
x
x
La réfutation de l'interprétation surnaturelle et suprana-
turaliste des phénomènes vitaux sous toutes ses formes,
consti-
tue dans l'esprit de Dubois une première phase dans la lutte con-
tre la religion.
La thèse vitaliste ou néo-vitaliste,en accrédi-
tant l'idée d'une impossibilité d'expliquer
le développement de
la nature sans recourir à
la notion de finalité, 'considère le
monde comme ordonné à
une fin et exige,
en fait,
l'existence d'un
être intelligent qui
fixe cette fin.
Elle aboutit en fin de comp-
te à
l'idée d'un Dieu créateur,
fondement même de la religion.
Pour Dubois,
la pensée vitaliste ou néo-vitaliste est une caution
aux croyances religieuses.
En la suivant:
"il est clair que nous sommes,
après comme avant,
de-
vant ces énigmes insurmontables de la première apparition
des organismes,
de leur finalité et de l'histoire de la
création avec ses aventures.
Il semble qu'il
ne reste
d'autre
issue que se
jeter dans les bras du supranatu-
ralisme.
Il doit avoir existé une puissance créatrice,
laquelle,
~LJand la terre fut suffisamment refroidie, op-

-
163 -
pela ~ la Vle des itre vivants, pour la pre~i~re fois~(30)
Duhois tente de situer la pensée vito~iste ou néo-vitaliste
par rcpport à l'évolution historique de la religlon. En ~ême
temps qu'elle assure la continuité de la religion en cimentont
les notions théologiques au sein de la science de la nature,
la
pensée vitaliste ou néo-vitaliste est également une inspiration
de l'essence de la religion. On sait que la force ~itale a tou-
jours échappé ~ toute causalité et ignoré le déterminisme. Elle
est demeurée l'x inconnu auquel des qualités subjectives sont
attribuées. En somme, elle a été la clé de toutes les énigmes
dans l'organisme. Pour Dubois, 'la genèse de la religion offre
en partie un tableau similaire:
"Dons les choses qui,
favorables ou défa~orablessoustrai-,
tes ou contraires à la volonté humaine,
s'opposaient ~
l'homme comme une force naturelle contraignante,
l'hom-
me commença bientôt à voir, conformément ~ un penchant
profondément ancré
en lui-même,
l'oeuvre
d'êtres lui
ressemblant, habituellement cach~ à ses sens et auxquels
il supposait la capacité de lever les barrières lui fai-
sant obstacle. Mais il leur pritait, par ailleurs,
ses
p r 9pres tendances aimables ou hostiles: amour et haine,
reconnaissance et vengeance. Nous nommons religion
l'ensemble de ces conceptions ~ une époque et chez un
(30)
Ibid. p. 513.
"Es ist klar, wir stehen nach wie vor gegenüher jenen
unüberwundenen Pdts#ln der ersten Entstehung der Organis-
~en, ihrer Zweckmdssigkeit, der SChbpfungsgeschichte mit
ihren Abenteuern. Es scheint keine andere Auskunft übrig
aIs sich dem Supernaturalismus in die Arme zu werfen. Es'
m~ss eine schaffende All~acht gewesen sei~, welche aIs
dle Erde hinreichend abgekUhlt war,
ein erst~s ~al Lebe-
Wesen ins Dasein rief. N

-
164 -
peuple déterminés."(31)
Dubois pense que la religion n'a pas toujours existé.
El-
le se situe dans le temps.
Le savant de Berlin ~istingue deux
phases à son origine.
La première est celle de l'impuissance
naturelle de l'homme devant la nature,
c'est~à-dire l'incapaci-
té d'appréhender les phénomènes de la nature en leur donnant une
explication naturelle.
L'ignorance se confond ici avec les fon-
dements de la religion.
La seconde phase est celle de l'imagina-
tion. Elle est un corollaire de la première.
La conscience de
ses faiblesses et le besoin de plus en plus impérieux d'expliquer
l'univers amènent l'homme à puiser dans l'imagination la cause de
l'incompréhensible qui est, en fait,
une volonté supérieure
dont il a lui-même le sentiment immédiat et dans laquelle se
.4

.
,
resolvent toutes les difficultés. ~étaphysique et anthropomor-
phisme constituent également la pierre angulaire de la reli-
gion.
Si l'idée de la religion nait des rapports de l'homme a-
vec la nature,
c'est également de ces rapports q~e découle
la
variété des religions.
L'histoire de la civilisation montre que
les caract~res particuliers de chaque religion sont liés aux
conditions géographiques et écologiques dont la mythologie est
le reflet.
La représentation des objets de l'adoration humaine
(31)
Id., Reden 1. Bd.,
p. 569.
"Was aber GUnstiges oder UngUnstiges des ~enschen Willen
entzogen oder zuwider,
aIs zwingende Naturmacht ihm ent-
gegentrat,
darin begann er bald,
vermëge eines ihm tief
innewohnenden Zuges,
das Werk ihm ëhnlicher,
fUr gewëhn-
lich seinen Sinnen verhUllter Wesen zu sehen,
denen er
Befreiung von den ihn selber hemmenden Schranken,
sonst
aber seine eigenen freundlichen und
feindlichen Strebun-
gen,
Liebe und Hass,
Dankbarkeit und Rache andichtete.
Die Gesamtheit dieser Vorstellungen zu einer Zeit,
bei
Einem Volke,
nennen wir Religion.-

- 165 -
est è l'image des événements naturels dont
l'homme est
le té-
moin.
Telle est
la
constatation que foit Dubois:
"On ne saurait donc nier qu'il y ait quelque chose de
fondé dans cette théorie de l'harmonie des formes re-
ligieuses, avec les
manifestations de 10 nature."(32)
Face è une idée de religion fondée sur l'impuissance de
l'homme et aux interprétations surnaturelles et supranaturalistes
qui
lui prêtent' main forte par
le renforcement de l'idée d'une
puissance transcendante, Dubois pense que 10 science de la na-
ture est l'unique voie permettant la domination dè l'homme sur
la nature et la libération de celui-ci de tout ce qui relèvedela
croyance.
Le rejet de toute interprétation peu scientifique si-
gnifie,
au fond,
une tentative de banalisation de la nature et
de ses forces et aussi une libération de cette dernière de tout
son mystère. Substituer la rigueur scientifique à toute démar-
che faisant appel aux qualités surnaturelles, mystiques et oc-
cultes tel est, du reste,
l'un des objectifs actuels de la
science de la nature:
"L'époque actuelle inexorable ne tolère-plus de vie
imaginaire paisible. Nous n'avons pas besoin d'un Mé-
phisto pour nous attirer dans la vie réelle. Elle nous
tient de ses mille mains tantôt rudes,
tantôt caressan-
tes,
et au lieu du manteau magique,
la locomotive nous
suffit."(33)
(32)~.
p. 572.
-Auch solI nicht geleugnet werden,
dass in dieser Lehre
von der Ubereinstimmung der Religionsformen mit der Er-
scheinungsweise der Notur etwos Richtiges liege."
(33)
Id. Peden 2. Bd.,
p. 141-142.
"Das unerbittliche Heute duldet kein friedseliges
Traum-
leben mehr. Wir brauchen keinen Mephisto,
uns
ins wirk-
liche Leben zu locken; mit tausend bald derben.
bald
schmeichelnden Hënden pockt es uns,
und statt des Zauber-
mantels ist
uns das Dampfross genug."

- 166 -
Cette réflexion illustre la ferme conviction de Dubois
que seule la science de la nature permet à l'homme d'affirmer
son existence et de lui donner une assurance absQlue.
Le déve-
loppement de la science de la nature et avec
lui,
la maîtrise
de la nature aideraient mieux à la destruction de la religion.
Cependant,
la pensée de Dubois ne prend pas en compte
le fait
que l'application et l'expansion de la science de la nature ne
suffisent pas encore à la disparition totale de l'interpréta-
tion surnaturelle et supranoturaliste.
L'existence de
la reli-
gion et
l'évolution du vitalisme à la fin du XIXe siècle et mê-
me de nos jours sous diverses
formes(34)
sont
loin d'être mises
en péril. Cela explique clairement que le problème de l'interpré-
tation surnaturelle et supranaturaliste et de
la religion résis-
te aux progrès de la science de la nature et que des difficultés
restent à surmonter ne serait-ce que pour la faire reculer de
manière décisive.
La proposition d'une "domination méthodique de la nature"
(35)
et de ses forces par la science de la nature comme moyen
de combat contre la religion s'avère ici
insuffisante.
La scien-
ce de la nature chez Dubois,souffre de certaines carences.
Elle
ignore,
comme le remarque à juste titre un critique allemand,
le
fait que les conceptions religieuses garantissent
l'existence
d'un peuple et constituent l'un des piliers d'une société(36).
L'existence de la religion est
liée à la nature humaine elle-mê-
me.
(34) Wollgast S., Einleitung zu: Vortrëge über Philosophie und
Gesellschaft. Serlin
1974,
p. XXI.
(35) Dubois Reymond E., Reden 1. Bd.,
p.
574.
"planmëssige Bewël-
tigung der Natur".
(36)
Nachlass-Dubois Reymond,K4. Article de Lubke W.dans Schwë-
bische Kronik du 30 novemmbre 1879.

-
167 -
2. Dubois et le christianisme
Les th~ses de Dubois, m~me si elles visent .la r~futation
de la religion en g~n~ral, se montrent tol~rantes envers cer-
taines religions. Dans l'esprit de Dubois,
le ch~istianisme est,
de toutes les religions, celle qui a le plus r~prim~ la vie in-
tellectuelle en g~n~ral et la recherche scientifique en particu-
lier. Le savant de Berlin tente de situer la responsabilité du
christianisme dans l'histoire de la civilisation et considère
l'intervention de cette religion comme
"une fatalit~ particulière"
qui
"vint achever la d~vastation intellectuelle, et arr~ter
d'une façon complète et pour longtemps, le progrès des
sciences de la nature d~jb si lent chez les anciens."(37).
Dubois évoque et analyse les moyens de r~pression
du chris-
tianisme qui fondent cette idée.
Ils
sont d'ordre psyc~ologi­
que et physique. Les thèses du christianisme reposent sur une
argumentation purement psychologique. Celle-ci consiste b créer
et à développer chez l'homme la notion de crainté et d'espérance.
Dubois fait ici une critique de l'eschatologie et de la christo-
logie en ces termes:
"La nouvelle foi
limitait e~clusivement le champ des
idées salutaires pour l'homme à la disti~ction entre le
bien et le mal et à la relation de la créature pécheres-
se avec Dieu( ... )A ses adeptes, elle enseignait à con-
(:~7) Dubois Reymond E., Peden 1. Bd., p. 584.
Hein eigenes Geschick" das "dazu kam,
um die geistige
VerwUstung grUndlicher zu machen und den schon bei den
Alten hinreichend kUmmerlichen Forschritt der ~:aturer­
kenntnis vollends auf lcnge zu hemmen."

- 168 -
sidérer l'existence terrestre avec un mépris
détaché et à trembler dans l'attente perpétuelle d'un
jugement menaçant eux-mêmes ainsi que l'univers entier
( ... ) Une vie de célibat derri~re les murs d'un 'cloitre,
entièrement remplie par des exercices de prière et de
pénitence,
était considérée comme la manière
la plus a-
gréable à Dieu de passer le temps de l'épreuve d'ici-
bas. En recompense,
les élus étaient promis à une éter-
nelle béatitude apr~s la mort.-(38)
La critique de Dubois semble,
pour l'essentiel,
s'adresser bien
plus au catholicisme qu'au protestantisme.
Dubois n'ignore pas certes le rôle consolateur du christi-
anisme,
élément fondamental de toute religion en
général.
Pour lui,
les doctrines chrétiennes ne répondent qu'aux
as-
sises
de l'âme humaine.
La vie terrestre en tant que telle n'a
pas de sens dans la philosophie chrétienne. Du moins,
elle n-o
de signification que dans son rapport avec une réalité surnatu-
relle qui
la détermine et la conditionne. Dubois souligne ici
le
carect~re idéaliste de la religion et en impute ~e renforcement
à Platon et Aristote(39). Mais derrière ces ~ropos, ce sont
les vices rédhibitoires du christianisme que Dubois tente de fai-
re ressortir.
En récusant l'existence terrestre,
en prêchant l'as-
cétisme,
le christianisme brise en l'homme tout élan vers le tra-
vail et vers la recherche, dont dépendent le progrès et la civi-
(38)
Ibid.
p.
585.
"Der neue Glaube beschrënkte den für den Menschen allein
erpriesslichen Ideenkreis auf die Kategorien von Gut und
Bose und auf des Verhëltnis des sündigen Geschopfes zu
Gotte ... ) Er lehrte seine 8ekenner mit entsagender Verac~
tung auf das irdische Dosein blicken und in steter Erwar-
tung eines sie selber,
ja die Welt bedrohenden Gerichtes
zittern( ... ) Eheloses Leben hinter Klostermauern,
durch
Gebet und BussUbungen ausgefüllt galt für die gottgefël-
ligste Art,
die Zeit der Prüfung hienieden
zuzubringen,
dafür wurden dieAusgewëhltenauf postmortale unendlich
lange Seligkeit vertrOstet."

- 169 -
lisation.
Le message de Dubois est
implicite.
Le savant de Berlin
ne proclame
pas hautement,è l'instar de Nietzsche, que Dieu est
mort et que l'homme compte sur lui-même pour donner un sens è
son devenir; mais il affirme l'inutilité ou,du moins,
le non-
sens du fondement du christianisme(40), exhorte l'homme è de-
meurer fid~le è la terre et è se soucier de son existence mat~­
rielle.
L'homme doit lutter sur terre pour sa propre survie et
Son propre salut. Seul le travail peut le libérer.
La pens~e de Dubois parait ici superficiell~ quand on se
ref~re è un sp~cialiste enla mali~re. Adolf Harnack, théologien
allemand,
dans
son expos~ sur l'essence du christianisme, re-
connait certes la tendance asc~tique et monacale de l'Evangile
impliquée dans le renoncement(41), mois explique que
le renonce-
ment tel qu'il est prêché par Jésus est plutôt une invite à la
maitrise chez l'homme de ses propres passions,
de ses propres
instincts.
L'homme doit lutter contre certains penchants mat~­
riels et pouvoir les dominer. En ·somme,
c'est un combat
indivi-
duel que sugg~re l'Evangile, combat au bout duquel se trouve la
victoire de l'homme sur lui-même:
"En face de tous ces ennemis,
Mammon,
les SOUCi5 et
l'~goîsme, c'est au renoncement è soi-même qu'il faut
recourir;
et,
par là,
se trouve d~termin~e l'attitude
(39) ~. p. 587. Dubois consid~re que le platonisme aboutit aux
folies de la gnose et l'aristot~lisme à la st~rilit~ scolastique.
De ces deux pensées,
la seconde est, aux yeux de Dubois,
la plus
responsable dans le d~tournement de l'esprit de la r~alité
vers l'asc~tisme.
(40)
Ibid.
p.
595. Dubois pense que c'est une perte de temps de
discuter des doctrines chr~tiennes.
(41) Harnack A.v.
, Das Wesen des Christentums.
Leipzig 1920,p.104.

-
170 -
de Jésus en face de l'ascétisme.n~42)
A ces élé~ents d'ordre psychologique, Dubois ajoute les
méthodes de r~pression et d'intimidation dont dispose le chris-
tianisme.
Du polythéisme au monothéisme,
l'histoire de la civi-
lisation passe de la phase de la tolérance à celle. de l'intolé-
rance dont la responsabilité est imputée exclusivement à la re-
ligion chrétienne. Dubois mentionne avec répugnance et sur un
ton sarcastique les horreurs dont
le christianisme s'est rendu
COupable envers l'humanité:
"Mais hélas,
comme ils paraissent doublement odieux
ces Saint BarthelemYI ces 'autodafés' dont l'horreur
atteint sonromble avec la mort sur les' bûchers de Mi-
chel Servet et de Giordano Brunof"(43)
Pour Dubois les raisons de ces faits historiques sont à
rechercher dans la nature même du christianisme et dpns la con-
ception du monothéisme par cette religion.
Le christianisme
prétend être la religion absolue.
Il se considère comme la ré-
ponse à toutes les questions de la métaphysique," de la cosmolo-
gie et de l'histoire.
En somme,
il se veut
l'unique Autorité
détentrice de la Vérité et du savoir. Dubois,
après avoir mon-
tré que cette tendance à la domination caractérise également
toutes les religions monothéistes(44),
précise ~ue dans le chris-
(42)
Ibid.
p.
55.
"Allen diesen Feinden,
dem Mammon,
der Sorge
und der
Selbstsucht gegenüber gilt es,
Selbstverleugnung zu üben,
und damit ist das Verhaltnis Jesus'
zur Askese bestimmt."
(43) Dubois Reymond E.,
op.
cit.
p.
595.
"Aber ach, wie doppelt grass1ich eine Bluthochzeit,
jene
'Glaubenshandlungen',
deren Scheusslichkeit in Michael
Servetsund Giordano 8runo~ Scheiterhaufen gipfelt!n
(44)
Ibid.
p. 590.

-
171
-
tianisme surtaut, la reconnaissance et
le respect ,de cette ten-
dance sont une nécessité et un impératif.
Le Dieu du chrétien
est le seul dont
il est permis de concevoir l'exi~tence. Dubois
tire les conséquences de l'intolérance du christianisme:
"L'idée d'un Dieu qui ne tol~re b son c8té aucun des
autres dieux( . . . ) conservée durant des siècles,
de gé-
nération en génération,
habitua l'esprit humain,
y com-
pris dans les milieux scientifiques,
b la conception
que la raison des choses est unique et enfla~ma en lui
le désir de connaître cette raison(,. ,) En inspirant
au coeur humain l'ardente ambition d'une connaissance
absolue,
le christianisme compensait le tort que l'ascé-
tisme avait longtemps causé à la science rie la nature~45)
Le christianisme renferme les germes de sa propre contradiction
et de sa propre destruction.
Aux yeux de Dubois,
la science moderne doit son origine
et son développement en partie à l'intolérance du christianisme •
.
Mais même s ' i l est permis d'accorder
à cette religion qu'elle
a pu être un facteur dans l'évolution historique ·de la science,
cette analyse ne fait que confirmer l'intention fondamentale de
l'auteur de faire
table rase du christianisme et de donner à la
raison les moyens de son épanouissement.
Le rejet de cette reli-
gion chez Dubois est l'illustration de ce que doit être la dé-
marche scientifique dans ce domaine: tentative d~maîtrise de la
(45) Ibid.
p. 591.
·Oiese Idee eines Gottes,
der keine anderen Gëtter neben
sich duldet{ •.• )johrhundertelang von Geschlecht um Ge-
schlecht gehegt, gewohnte auch in der Wissenschaft den
menschlichen Geist an die Vorstellung,
dass üherall der
Grund der Dinge nur einer sei,
und entzUndete in ihm den
;vunsch,
diesen Grund zu erkennen( . . . )
Inde~
es der ~en­
schenbrust das heisse Streben nach unbedingter Erkenntnis
einflosste,
vergütete das Chl"'istentum der NatlJrwissen-
schaft, was es dur ch die Askese lange an ihr verschuldet
hatte."

-
172 -
nature,
travail de sape des fondements de toute religion.
La condamnation de la religion chez Dubois traduit une pri-
se de conscience de la part de l'auteur de la lutte entre la
science de la nature et
la religion,
notamment
le christianisme.
Elle est également l'expression implicite de la r.évolte de Dubois
contre l'une des pierres angulaires du Coll~ge français de Berlin
dont il avait accepté l'éducation profondément religieuse. On se
demande bien s ' i l n'y a
pas ici nécessité de fermer
le Collège
français ou de réviser son systè~e d'éducation. En rejetant la
religion à
la faveur de la science,
Dubois prend ouvertement par-
ti pour
la défense de la culture.
3. Le Kulturkampf dans la pensée de Dubois
La philosophie du Kulturkampf chez Dubois ne pouvait ne
pas susciter de
remous en Allemagne au XIXe si~cle. Dubois en
avait fait
un acte de bravoure reposant sur une lutte politique-
ment neutre contre tout obstacle à
la culture et
s~rtoLJt sur une
profonde exploitation de la notion de la liberté.
La raison qui
justifie cette philosophie est morale et histori~ue. Dubois pen-
se qu'il est
le produit du germanisme dont
la liberté d'esprit
est
la caractéristique.
La défense de la culture est une réponse
à une obligation déontologique et une assurance de la continuité
d'une longue tradition:
"Le trait caractéristique de l'université allemande,
c'est en premier lieu la liberté des doctrines.
Le pro-
pre de l'esprit allemand est de ne poser aucune limite
à ses investigations, de ne reculer devant aucune con-
séquence de la pensée."(46)
(46)
Ibid.
p.
359.
"Das Bezeichnende fUr die deutsche Universitbt
ist
in
erster Linie die Freiheit der Lehren. Der deutsche Geist
sel ber kennt keine Schranke der Forschung und schrickt
vor keiner Folge des Denkens zurUck."

-
173 -
Il est évident, à travers cette esquisse du germanisme,
que pour le professeur Dubois, la question de la ,liberté de pen-
sée et de culture ne se pose pas.
Elle se réalise ici par le bi-
ais de la science de la nature.
L'explication qu'il en donne
est
simple.
La culture en tant que telle ne doit son existence et
son salut qu'à la science de la nature dont
la liberté suppose
celle de la culture.
Dubois,
faisant
corps avec Hegel,
idéali-
se ainsi
le rôle de la science de la nature:
"La science de la nature est
l'organe absolu de la cul-
ture."(47)
Le contenu essentiel de la lutte pour la défense de la
civilisation est ramené ~ la liberté en matière scientifique.
Le Kulturkampf est une légitimation rationalisée de la liberté
de la science de la nature.
Le discours Darwin et Copernic(48),
qui veut en apporter une preuve éclatante,
est une exaltation
du darwinisme d'un caractère volontairement provocant. Dubois,
après y avoir fai t
de Darwin le "Copernic du mond'e organique"
et rappelé la portée de la théorie de la sélection naturelle,
conclut de la façon suivante:
" ... Enfin,
l'homme prit la place qui
lui revient à la
tête de ses frères."(49)
En réaffirmant ainsi l'origine animale de l'homme, Dubois expri-
me clairement
son intention. Ce discours bref -
ce qu~ n'est pas
.
habituel chez l'auteur- prononcé publiquement en cette période
d'antagonisme entre Bismarck et les Eglises,
et en présence du
(47)
Ibid.
p.
596.
"Die Naturwissenschaft
ist dos absolute Organ der Kultur:
(48) Ce discours a été prononcé par Dubois le 25 janvier 1883 à
Berlin .
. (49)
Id.
Reden,2.
Bd.,
p.295.
" ... Endlich nahm der ~ensch den ihm gebührenden Platz on
der Spitze seiner Brüder ein."

-
174 -
ministre de rinstruction publique et des cultes,
vo~ Gessler,
exprime bel et bien la volont~ de Dubois de f~ter publiquement
le triomphe du rationalisme sur
la croyance aux dogmes.
Ce suc-
cès avait ~t~ pr~par~ depuis de longue date.
Il n'est que l'a-
boutissp.ment d'un progrès que Dubois lui~même résume dans le des-
tin de Copernic et de Darwin,
les deux h~ro5 de la science:
"Alors que Copernic ne vit un exemplaire de son livre
que du regard du mourant parce qu'il n'avait pas osé le
publier bien qu'il
l ' a i t achevé depuis
longtemps,
Darwin
survécut à la parution du sien pendant près d'un quart
de siècle."(50)
Les r~actions qui suivirent ce discours et les dimensions
politiques qu'elles ont prises présentent un certain intér~t
Pour la compr~hension de la conception et de l'orientation du
Kulturkampf chez Dubois.
Elles méritent un examen un peu plus
détaillé.
Pendant deux
jours,
le 23 et
le 26 février 1883,
le
parlement prussien, à l'instigation du député conservateur pro-
testant, Adolf Stijcker(51),
se pencha sur les thèses du discours
Darwin et Copernic. Dans son intervention,
le député protestant
met l'accent particulièrement sur l'incompatibilité du darwinis-
me avec les doctrines chrétiennes.
Surtout,
il se soucie de l'in-
tégrité des conceptions religieuses et souligne le danger que
représente
"le darwinisme tel que M.
Dubois Reymond l'enseigne"
car il
"rend impo~sib1e l'existence d'un Dieu vivant,
person-
(50)
Ibid.
p.
246.
"W~hren~ Kopernicus nur mit brechendem Auge noch ein Exem-
plar seines Buches sah, weil er es
obschon Idngst vol-
lendet,
nic~t herau5zugeben gewagt hatte, überlebte
Darwin das Erscheinen des seinigen um fast
ein Viertel-
jahrhundert."
(51) Stocker A.
(1835-1909)
pasteur allemand,
créateur du parti
social chrétien en 1878.

- 175 -
nel et tout puissant-
et se dresse contre
"l'histoire de la création,
l'esseÇlce de l'hol'T'me. ,,"(52)
C'est pourquoi il souhaite vivement et de façon générale qu'
"ils(les professeurs) aient la permission d'enseigner
ce qu'ils veulent, mais qu'ils ne
puissent l'enseigner
que dans leur cours."(53)
Pourtant, auparavant, il avait fait cette confidence:
"Messieurs, croyez-vous que je suis contre la science
libre? Un protestant ne le peut absolument pas, un pro-
testant croyant non plus."(54)
Les revendications de Stocker sont, pour l'essentiel, pu-
rement formelles. Le député protestant conteste le choix du mi-
lieu et la méthode de diffusion de l'information scientifique
par Duboi s. ,Pour lui, la science doi t rester le pr i vi lège des
savants, limitée aux enceintes des universités et tenue loin du
public ou de la masse populaire(55). Derrière cette conception
restrictive de la liberté,cependant, on voit en fait que ce n'est
pas l'éducation culturelle de l'humanit' en tant' que telle que
vise Stocker mais plutôt la~défense de l'image et de 10 cause du
.
f
protestantisme.Mime s'il dissimule ses desseins ~errière le problè-t
me de la dignit' humaine que pose l'origine animale de l'homme{56~ l!
l
(52) Stenographische Berichte Uber die Verhandlungen der durch die t
~
Allerhochste Verordnung yom 2. November 1882 einberufenen beiden
1
1
Hëuser des Landtag,
.' Haus der Abgeordneten. 35. Sitzung am 26.Fe- ~-!!
bruar 1883. Berlin 1883,
}
p. 920.
~\\
"der Darwinismus, so wie ihn Herr Dubois Reymend lehrt"
1
,
, 1
", .. die Existenz eines lebendigen, persënlic~en, allwlr-
1
kenden Gottes unmëglich erscheinen lSsst" "die Schtipfungs-!
geschichte,
dos Wesen des Menschen
n
f
(53) Ibid.
p. 919.
"mogen sie (die Professeren) lehren, was sie wellen, aber
sie magen es lehren in ihrem Kolleg.·
(54)
Ibid.

- 176 -
son penchant religieux prend le pas sur un vér i table SOUCl du
développement de la culture.
Si le discpurs de Dubois est l'objet d'une intense préoc-
cupation chez Stocker,
il est chez le chef du parti du Centre,
Ludwig Windhorst,"catholique jusqu'ou bout des ongles"(57),
l'oc-
casion d'apporter son soutien à l'autorité de l'Eglise et de réaf-
firmer l'influence de l'Eglise sur la science. Sa position est
une condamnation implicite de la liberté de la science.
Il e~pli­
Que Que
"Ce n'est pas l'Eglise qui doit s'aligner sur la science
mois plutôt la science qui doi t se conformer à la r~véla­
tion et à l'Institution divines."(S8)
Pourtant, Windhorst se montre favorable ~ l'id~e .que
"la science et ses théories sont libres"(59)
et en fait l'essentiel de son raisonnement. Pour lui,
la liberté
de la science, c'est la soumission de cette dernière ou contenu
de la Bible. La conception de la liberté chez Windhorst trahit
en fait les convictions personnelles de l'homme
et montre le re-
jet du Kulturkampf et la régénération de l'idéal -traditionnel de
l'autonomie et de la liberté religieuses.
"Meine Herren. glauben Sie, dass ich gegen die freie Wis.
S~nschaft bin? Dos konn ein Protestant~gar nicht, auch
eln gloubiger Protestant nicht."
(55) ~. ~. 919. Stocker pense que la masse populaire est facile.
ment influençable surtout por l'autorité intellectuelle d'un pro-
fesseur - de la trempe de Dubois.
(56) .!lli.
p.
918.
(57) Goyau G., Bismarck et l'Eglise: Le Kulturkampf.
Paris 1911-
1 91 3, t. r , p. 242 •
(58) 5tenographische Berichte ... op. cit. p. 926.
"Es ist nient die Kirche, die sich nach der Wissenschaft
riChten muss,
sondern die Wissenschaft, die sich nach
gëttlicher Offenbarung und gëttlicher Institution richten
muss."
(59)
Ibid.
p. 927.
"Die Wissenschaft und ihre Lehre sind ffei."

- .,77 -
Il est clair que tout autant chez Windhorst que chez Stok-
ker , l'hostilité à la culture et à sa liberté est explicitement
traduite. Tous les deux ~ et à travers eux, le christianisme -
sont unanimes
pour récuser le Kulturkampf dont le représen-
tant du gouvernement, ~on GassIer, et le savant Rudolf Virchow'
se font' les chevqliers. Von Gossler et Virchow tentent de traduire
leur attachement ou savant de Berlin en même temps qu'à la poli-
tique bismarckienne. L'argumentation du ministre est très subtile.
Il exploite certaines réactions face à l'aveu du Ignorabimus et
déclore en ironisant qu'ou fond
~ubois est plus proche des chré-
,
tiens. Ses thèses ne constituent qu·un support à l'autorité et
à la hiérarchie écclésiastiques. Pour étayer cett~ idée, von Goss-
1er cite Hëckel dont on connaît la ferme opposition à la philo-
sophie du Ignorabimus:
"Ce professeur qui n'appartient pas à l'université prus-
sienne dit:( ••• )'Cet 'Ignorabimus', apparemment
modes-
te mois en fait présomptueux, est l' Ignoratis du Vati-
can infaillible et de l'Internationale noire' .-(60)
'Pour renforcer sa démonstration du coract~re inoffensif
des thèses de Dubois, von Gossler utilise l'idée de l'insuffisan-
ce de la science à des fins persuasives. Qooique les savants en
disent ou en fassent,
la science en tant que telle est sons dan-
ger. Elle reste une discipline purement intellectuelle dont les
connaissances
et leur application ne peuvent ni remettre en cou-
se la croyance en Dieu, ni en foire table rose. ~ cette idée,
(60)~.
p.
931.
"Oieser Professor ,der nicht der preussischen Universi-
tët angeh~rt, sagt:{ ... )'Oieses scheinbar demüthige, in
der Tot aber vermessene 'Ignorabimus' ist dos Ignoratis
des unfehlbaren Vatikans und der von ihm angeführten
schwarzen Internat ionalen."
Cf. également: Hëckel E .• Die Anthropogenie oder die Entwicklung&-
geschichte des Menschen. Berlin 1877, p. XV.

-
178
-
le représentant du gouvernement donne une illustration beaucoup
plus psychologique, diplomatique
que conciliatrice:
"Il y a eu des décennies où aucun problème naturaliste
ne m'était absolument inconnuj mais je peux cependant
assurer que plus j'ai pénétré profondément les choses,
plus ma foi en Dieu s'est accrue."(61)
Le ministre pose ironiquement ainsi le problème de l'inefficacité
de la science.
Dans ce débat parlementaire,
l'intervention du ministre
est surtout dictée par un désir de faire la paix, tout au moins
de rassurer protestants et cath,oliques. Mais dans la rhétorique
savante du ministre (62) qui,
tout en apaisant les esprits,
re-
lève les contradictions et les ambiguités des adversaires de Du-
bois,
l'intér~t du débat ,le discours Darwin et Copernic, est
re1~gué au second plan. La position de von Gossler est en fait,
une approbation de Dubois et un soutien à la science.
Entre le ministre et les représeDtants du christianisme,
la tentative de conciliation vient du député libéral Virchow,
le
parrain du mot Kult~rkampf. L'intention de Virchow est de propo-
ser une vision homogène du monde dans laquelle se fondraient les
rapports entre la réalité religieuse et la réalité scientifique.
Il pense
que l'incompatibilité de la religion et de la scien-
ce moderne
n'est qu'apparente.
Au deMeurant,
les thèses
(61) Ibid.
p. 932
"Es hat Jahrzehnte gegeben, wo kein naturwissenschaftli-
ches Problem mir abso1ut unbekannt war; aber ich kann
doch versichern, dass,
je tiefer ich in die Sachen hin-
eingekommen bin, um so mehr mein Gottesglaube gewachsen
ist."
(62) Le parti du centre particulièrement avait beQucoup apprécié
l'intervention du ministre del'instruction publique et des cultes.

- 179 -
de Dubois en sont un témoignage
vivant. Chez le savant de
Berlin, on peut déjà présumer l'existence de cette cohabitation
de la science et de la religion~ Virchow fait une analyse fine
de l'idée de Dieu dans la pensée de son collègue. Supposer une
puissance créatrice comme auteur de la matière,
c'est également
reconnaître l'existence de cette puissance.
L'idée de Dieu reste
présente dans la pensée scientifique de Dubois. C,'est pourquoi
"les conceptions représentées par ~. Dubois Reymond sont
parfaitement conciliables avec l'hypotrèse de Dieu et
l'hypothèse de son pouvoir."(63)
Virchow représente certes la tendance dominante du rationalisme
aux couleurs religieuses(64} mois sa position au cours dece débat
ne traduit aucun rejet de Dubois et de la science~ Sa vision du
monde est plutôt un plaidoyer en faveur de l'auteur.
Elle se veut
aussi rassurante et aussi
judicieuse que celle au ministre.
Dans son ensemble,
le débat parlementaire sur Dubois et
ses thèses constitue de la part du gouvernement prUSSlen et des
lib:raux une sorte de soutien à
la lutte pour
la défense de la
culture déjà engagée et une illustration de son triomphe.
Le par-
lement
prussien ne prononça aucune mesure disciplinaire envers
le savant de 8erlin(65). Au contraire,son importance et son rôle
au sein de l'Académie des Sciences sortirent de ce débat grande-
ment réhaussés.
Dubois avait le soutien des autorités locales.
Il le fait comprendre lui-même avec une certaine assurance:
(63)
Ibid.
p.
920.
"Die Auffassungen,
welche von Herrn Dubois Re~mond ve~
treten sind,
sind vollkommen vertraglich mit der Annahme
Gottes und mit der annahme seiner Herrschaft."
(64) Mann G./ Naturwissen und Erkenntnis im
19.
Jahrhundert, p.138.
(65) On raconte que Stocker,
n'oyant pas eu gain de calJse à
l'is-
sue des séances du parlement,
se tourna vers la plèbe berlinoise
et lui ordonna de lapider l'Institut de physiologie de Dubois.

-
180 -
"Un agitateur ecclésiastique renommé qui, comme jadis
les anabaptistes,
sait concilier socialisme et christia-
nisme,
porta la dénonciation contre moi jusqu'à la cham-
br e des députés où (•••)i 1 appr i t assurément .•. qu'en Prusse
l'époque de l'introduction de l'inquisition n'est pas
encore venue."(66)
La couverture politique dont bénéficie Dubois pourrait peut-être
expliquer l'aspect provocateur de la défense de la culture chez
l'homme.
Les positions de Stocker et de Windhorst sont une preuve
supplémentaire pour justifier le radicalisme de Dubois dans son
combat contre le christianisme dans sa totalité. Pour le savant
de Berlin,
les orthodoxies s'équivalent entre elles dans la lutte
contre la civilisation.
Le Kulturkampf ne doit épargner aucune
confession chrétienne. Dans Darwin et Copernic, Dubois avait
mis ses auditeurs et ses lecteurs en garde contre toute utilisa-
tion partiale ou engagée du Kulturkampf.
Il souligne que si, au
Moyen Age,
l'intransigeance du catholicisme a marqué l'histoire,
la Réforme elle-même n'a pas été favorable à la science et qu'on
ne doit rien attendre d'elle:
"Devons-nous nous étonner si Luther la(la théorie de Co-
pernic) refusa également,
si Giordano Bruno expia
sur le bûcher sa propagation et si Galilée, moins fer-
me,
fut contraint de la renier?"(67)
(96) ·Dubo i s Reymond E., Reden 2. Bd., p. 247.
"Ein bekonnter geistlicher Agitator, der wie einst die
Wiedertëufer Sozialismus und Christentu~ zu verbinden
weiss,
trug die Denunziotion gegen mich bis in das ~aus
der Abgeordneten, wo er( ... ) freilich erfuhr, dass in
Preussen die Zeit für Einführung der Inq~isition noch
nicht gekom~en ist."
(67)
Ibid.
p.
246.
"DUrfen wir uns wundern, wenn ouch Luther sie (die Koper-
kanische Lehre) ablehnte,
der Nolaner deren Erweiterung
auf dem Scheiterhaufen bUsste, Galilei, minder standhaft,

-
181
-
Dubois semble dénoncer ici l'ambiguité du KulturkàMpf chez
Bismarck auquel
i l
fait allusion sons
le nO~Mer, et dont la po-
litique consistait à coopérer épisodiquement avec le protestan-
tisme pour
lutter contre le catholicisme,
et
le soutien de cer-
tains nationaux libéraux à cette politique(68).
Parmi les ennemis de la culture ou de la science,
Dubois
indique implicitement Rome,
siège de la papaut6, à laquelle est
assimilée la Fronce,
bastion du dogme de l'infaillibilité(69)
"
et dont son discours La guerre allemande s'attache à illustrer
l'hostilité à la culture. La dimension internationale du Kultur-
kampf est mise ou grand jour dans la pensée de Dubois. L'auteur
.., '
pense que le Kulturkampf doit s'étendre aussi à tout systèMe poli-
tique de tendance étatiste,
synonyme d'aliénation de la liberté
individuelle et culturelle(70). Si,
sur ce dernier point,
l'inten-
tion de Dubois coïncide avec la volonté de Aismorck de liquider
le socialisme(71),
la finalité du Kulturkampf chez l'auteur dif-
fère de l'intention du chancelier prussien. Bismarck vise un ren-
forcement du pouvoir de l'Etat sur
les Eglises. Chez Dubois,
la
notion de Kulturkampf ne saurait être confondue avec un moyen
d'assouvir une ambition politique quelconque et donner lieu à
un soupçon d'athéisme.
Dons ce sens,
Dubois proposait
l'ensei-
gnement du darwinisme uniquement aux âmes mûres(72).
Et quand
il suggéra le remplacement de
l'enseignement religieux par la
science
dons les écoles,
i l ne tarda pas à évoquer les,
gezwungen wurde,
sie abzuschw~ren?"
(68) Goyau G.,
op.
cit.
p.342.
(69) Dubois Reymond E., Peden 1. Bd.,
p.
398.
(70)
Ibid.,
p.
365.
Nous reviendrons plus tord sur ce point.
(71) Goyau G.,
Bismarck et l'Eglise: le Kulturkampf,
tome 3,
p.25.
(72) Dubois Rey~ond E., op. cit. p. 617,

- 182 -
raisons qui sont,
pour l'essentiel,
inspirées plutôt par un in-
térêt de développement scientifique que par un souci politique:
"On ne comprend gu~re ce que peut être cet enseignement
(l'enseignement religieux) dans une classe o~ tous les
él~ves protestants ont déj~ reçu la confirmation."(73)
C'est dans ce sens uniquement qu'il convient de concevoir la
neutralité de l'idée de lutte pour la défense de la culture.
Dubois, ~ l'instar des hérauts du Kulturkampf David Fried-
rich Strauss, Eduard von Hartmann, Rudolf Virchow,
souhaite cer-
tes une autonomie complète de l'enseignement moral ~ l'égard des
E9lises(74) mais
contrairement ~ eux, il voudrait plutôt confier
à la science qu'à l'Etat le soin
d'assurer l'éducation morale
de la société.
La morale de Duhois sera une mora~e laïcisée,
fondée sur une science affranchie de toute domination. Cependant,
Dubois ne perçoit pas que le rôle intellectuel et moral qu'il
attribue ~ la science, tout en minant l'influence ecclésiastique,
apporte simultanément une contribution à la satisfaction des am-
bitions de Bismarck.
S'intéressant ~ l'homme et ~ son épanouisse~ent, Dubois
concède au Kulturkampf une orientation humaniste.
Il Montre à
travers le discours Darwin et Copernic que la liberté de pensée
et d'expression est un droit naturel et inaliénable que la scien-
ce de la nature est appelée à exprimer. On remarquera que c'est
chez Dubois que le Kulturkampf garde son sens étymologique de
lutte pour la culture.
(73)
Ibid.
p. 617.
"Man begreift nicht was dieser(der Religionsunterricht)
solle in der Klasse, deren protestantische Schüler olle
schon eingesegnet sind."
(74) Goyau G., op. cit. p. 241;
teme 2, P. 97.

-
183 -
La science de la nature et l'esthétique
Pour parachever sa philosophie de la science de 'la nature,
Dubois pense que cette discipline doit aller de p~ir avec
l'esthétique, idée qu'il exprima six ans avant sa mort(75).
L'as-
pect formel de la science occupe une grande place dans l'existen-
ce de cette discipline. L'orientation que Dubois lui donne
est
tout à fait nouvelle. Le savant de Berlin attend de l'art une
certaine contribution au développement de la science.
TOlJtefois,
il n'omet pas la place cardinale de la science auprès de l'art.
L'art chez Dubois est présenté comme une discipline à l'an-
tipode de la science. Son but n'est pas désintéressé.
L'art vi-
se à la production d'un effet tant physique,
psychologique que
moral. Telle est l'idée que Dubois tente de ressortir dans sa
définition:
"L'art est le royaume du beau, de la création de ce qui
nous rend heureux par la satisfaction en partie du sens
et en partie de l'5me."
C'est également le
"royaume de la liberté" où ne "règnent pas de lois rigi-
des" et de ·causalité rigo~reuse:'(76)
Cette conception de l'art est convaincante. Mais dans son
application à la science de la nature. c'est la notion de beauté
que Dubois retient essentiellement.
Il lui confèr:..e. une finalité
utilitaire. Pour lui,
l'esthétique nécessaire à la science de la
nature, c'est la beauté mécanique. Cette forme de beauté
(75) Cf. Naturwissenschaft und bildende Kunst,
discours prononcé
par Dubois à Berlin le 3juillet 1890.
(76) Id.,
In: Reden 2. Bd., p.
393,
"Die Kunst ist das Reich des Schënen, ces SChaffens des-
sen, was durch halb sinnliches, halb seelisches Wohlgefol-
len uns beglückt': "Reich der Freiheit" " ... walten keine
s t arr e n Ge set 7. e" ••• "k e i ne s t r e n9 e Ka usa lit Ci t . "

-
184 -
·se lai5se analyser
le mieux( ... ) Son appréciation né-
cessite une éducation particuli~re de l'oeil."
C'est
la beauté
"que peut posséder une machine ou un instrument physi-
que dont
chaque partie a
la juste mesure,
la juste
forme et l'emplacement adéquats pour
l'exercice de ses
fonctions."(77)
La définition de Dubois porte sur
la forme et
le contenu
de l'objet. Elle fait
certes appel au moi mais elle r~posc sur
une appréciation scientifique.
Elle nécessite des qualités sen-
sorielles et
l'intervention de
la raison.
Cette conception a va-
lu à Dubois d'être rapproché de Platon.
Sur ce point,
le résumé
que donne un critique allemand laisse croire que'la beauté méca-
nique n'est qu'une synth~se de la conception platonicienne de la
beauté:
"On trouve déjà chez Platon la distinction de deux sor-
tes de beauté
,
notamment celle qui touche la forme et
celle ~ui concerne le traitement de l'objet de jugement
ment. M (78)
Mais dans le fond,
Dubois voudrait que la beauté mécanique fut
l'objet de recherche de spécialistes,
notamment de scientifiques,
qu'elle portât sur J'aspect pratique de l'objet. La recherche
de la beauté mécanique conduit nécessairement à
l'acquisition de
la notion d'exactitude,
de prpcision et d'objectivité dont
la
(77)
Ibid.
p.
397.
" .•. lasse sich am bçsten zergliedern( ... ) ... zu ihrer Wür-
digung eine eigene Schulung des Auges geh~rt." " ... wel-
che eineMaschineoder ein physikalisches'Instrument besit-
zen kann, an welchem jeder Teil das richtige Mass,
die richtige Gestalt und Lage für seine Verrichtung hat."
(7~) Dreher E., Die formole Schonheit im Lichte der modernen Psy-
cho-physiologie mit besonderer Berücksichtigung der E.
Dubois Re~­
.~ond'sche Festrede 'Naturwissenschaft und Aildende Kunst'. In: ~-
~ 4. Halle 1892, p. 330.

- 185 -
science a besoin.
La recherche de ces qualités avait amenp. Dubois à exiger des
savants une certaine application dans la publication des résUltats
,
des travaux scientifiques.
La beauté mécanique correspond aussi
à la recherche de style et à la diligence dans la représentation.
La rigueur de la langue constitue une nécessité pour l'activité
scientifique. Dubois pense que l'art doit permettre au naturalis-
te de
ft
transformer un traité rigoureusement scientifique( ... )
en une oeuvre d'art telle une nouvelle.-(79)
Le style et la représentation en tant que concepts esthp.tiques
sont considérés ici comme des c·ritères des plus objectifs de la
valeur d'une oeuvre d'art et également d'un travail scientifique.
A la fin de son discours sur la science de la nature et
l'art, Dubois fait découvrir l'intérêt de la tendance à la per-
fection linguistique dans le domaine scientifique. La beauté mé-
Canique constitue
"le meilleur moyenC •.. ) de vérifier l'exactitude sans
failles de la série de pensées résumant une somme d'ex-
périences.-CeO)
Dubois exploite ici'ses notions sur les exercices de précision
linguistique qu'il pratiquait avec son professeur,J. Mülle~(80a)
So-findet sich schon bei Plato die Unterscheidung von
zwei Arten von Schënheit, und zwar von einer, die sich
auf die Form,
und einer, die sich .auf den Gehalt des zu
beurteilenden Gegenstandes erstreckt.-
(79) Dubois Reymond E., op. cit. p.422.
- . . . eine streng
wissenschaftliche Abhandlu~g(.. ) zu einem
Kunstwerk werden wie eine Novelle.-
(80) Ibid.
" ... das beste Mittel( ... )die lückenlose Richtigkeit der
eine Summe von Erfahrungen zusammenfasse~den Gedanken-
reihe zu erproben. w
(800) Supra v. P. 31.

-
186 -
Le développement de la science
suppose entre autre
une
certaine culture de la clarté et de la compréhensibilité linguis-
tiques. Pour légitimer cette idée, Dubois se sert
de l'histoire
et pense que la recherche esthétique dans
le domaine de
la langue
a aidé la science en France à asseoir son pouvoir(81).
Dubois pUlse dans l'art les éléments nécessaires à la science et
montre ainsi l'utilité de l'art.
x
x
x
Dubois pose ainsi le problème de la nécessité de l'art
Pour la science. Cependant, dans sa tentati~e de rehausser l'art,
1e"savant de Berlin se montre partial, voire contradictoire.
L'art a beau servir la science, sa valeur est subordonnée à celle
de la science. D~bois ne se fait pas faute de montrer par un ca-
talogue d'exemples peu démonstratifs la quasi-nullité de la con-
tribution de l'art au développement de la science.
Il insiste
sur la mission de salut de la science auprès de l'art:
" ... sans e1le(la science) la culture y compris l'art et
ses oeuvres pourraient sombrer irrémédiablement chaque
jour comme à la sortie du monde antique."(82)
Le primat 6e la science sur l'art est souligné.
toa science devient
la condition d'existence de l'art.
L'argumentation de Dubois à ce propos est simple. Dans la
mesure o~ la scienc~ et l'art ont le m~me but, à savoir
(81)
Id., Reden 1. Bd.,
p. 17.
(82) Id., Reden 2. Bd., p. 392.
" ... ohne sie(die Wissenschaft) die Kultur somt der Kunst
und ihren Werken jeden Tag wieder rettungslos versinken
konnten, wie am Ausgang der antiken Welt."

- 187 -
"la connaissance du monde tel qu'il est~'83),
il est nécessaire que l'art ne se fonde pas sur une quelconque
inspiration mais qu'il s'approprie certaines r~gles et méthodes
scientifiques. L'observation,
le calcul, en somme les lois scien-
tifique~ doivent l'aider à sa survie. Dubois avait d'ailleurs
proposé à cet égard l'enseignement de la science, surtout l'ana-
tomie et la morphologie dans les écales des beau~.arts(84).
t
Il est clair qu'en prônant cette nouvelle science de l'art
Dubois rend hommage ici à un réalisme éxagéré. Sa pensée est une
tentative de dépassement de la conception classique abstraite
voire métaphysique qui fait de l'art - à travers l'idée de la
beauté -
un phénomène intrinsèque,
ineffable et relevant du for
intérieur. Dubois aurait lui-même reconnu l'impossibilité de
rendre compte des raisons de cette forme de beauté(85). Le sens
traditionnel de l'art, celui d'être le monde de l'idéal, de l ' i -
magination et de la passion excluant les lois de·la physique et
de la chimie propres à asservir le monde matériel,
est négligé.
L'art est en quelque sorte vidé de son contenu. Sa fonction usu-
elle voire historique,
celle de nous soustraire à ,la trivialité,
de nous élever et de nous amuser,
disrarait. Duhois trahit ainsi
Sa définition de l'art telle que nous l'avions vue au déhut
de notre analyse.
Il part en campagne contre tout ce qui est
de coutume et accepté par habitude, par préjugés traditionnels
dans l'art et qui milite en faveur d'un certain
"mépris pour la civilisation et d'une fuite du ~onde."(80
Cette nouvelle conception de l'art a valu à Dubois la dé_
(83)
l b id.
P. 392.
" . . . die Er ken n t n i s der "'t'e l t wi e sie i st. "
(84)
Ibid.
p. 417,
(85)
Ibid.
p.
397,
(86) Bites- Palevitch M., Essai sur les tendances critiques et

- 188 -
sapprobation de certains critiques conte~porains. On reproche
au savant de Berlin une insuffisance dans sa compréhension de
l'art(87). Ce jugement est injuste. Dubois,
comme à
l'accoutu-
.
mée,
a plutôt
fait prévaloir sa conscience naturaliste sur
la re-
cherche d'une analyse objective. Sa conception est
ici
l'illus-
tration de la recherche de l'intérêt
et des buts pratiques.
C'est d'ailleurs l'idée sous-jacente Qui domine toute la philo-
sop~ie de la science de 10 nature chez Dubois.
scientifiques de l'esthétique.
allemande conte~poraine.
Paris
1875, p. 227.
(87) Dreher E.,
op.
cit.
p.
345.

- 189 -
Bilan de la deuxième partie
Dons la première et la deuxième partie de notre travail,
nous
avons tenté de ~ontrer
l'influence exercée par la
science
de
la nature
sur la jeunesse de Dubois et d'établir
les rapports de cette science avec certains
domaines de la con-
naissance. L'analyse nous a conduit
aux résultats suivants:
Dons la conception de la philosophie de la science de la
nature, la rigueur scientifique et la haine de 10 spéculation
pure contrastent manifeste~ent avec l'abondance de la littératu-
re consacrée à la philosophie depuis l'antiquité jusqu'au XI Xe
siècle. Dubois n'a pu s'empêch~r d'y puiser par moments. Cette
position amhigu~ - rejet et acceptation de la ph~losophie - est
en fait très révélatrice. Elle marque chez Dubois la volonté de
concilier deux tendances historiques et fondamentales de l'Aca-
démie des Sciences de Prusse: celle de Leibniz,
le fondateur,
qui avait érigé l'Académie dans un esprit scientifique fondé
Sur "une étude d'observation et d'exp'rience- et proscrivant "la
Spéculation pure-C8S); et celle de
Frédéric II, .~e protecteur,
dont les qualités intellectuelles et morales ont été considérées
comme des
modèles chez Dubois(89). La réforme de Frédéric II
au sein de l'Académie a contribu' à la revalorisation de la philo-
sophie spéculative au point que cette discipline était devenue
-
égale ou même supérieure aux outres bronches de la connaissan-
ce."{90)
Dubois a certes partagé ses sentiments entre Leibniz et
(88) Bortholmess C., Histoire philosophique de l'Académie de Prus-
~. Paris 1850-1851, p. 30.
(89) Cf. Dubois Reym~nd E., Friedrich II und Jean-Jacques Rous-
~j Friedrich II in englischen Urteilen; La ~ettrie;
Voltaire
ols Noturforscher.
(90) Botholmess C., op. cit.
p.170.

-
190 -
,
Frédér iE: II mois dons le fond,
sa pensee semble plus proche du
premier. Sa philosophie d& la science de la nature, dons la for-
me,
tente en effet de suivre, du moins en grand€
pcrtie,
10 recom-
mandotion de Leibni,z, à savoir la démonstration de l ' i nt i me liai-
Son de toutes les bronches du savoir humain,
l'unique travail
philosophique auquel est convié l'académicien(91}.
La pensée de Dubois suit le cheminement intellectuel de
l'Académie des Sciences de Prusse'.
Le savant de Perlin n'a pas
seulement hérité du poste de Secrétaire perpétuel mois aussi de
l'essence intellectuelle et historique de l'Académie.
x
x,
x
En ce qui concerne les rapports de la science de la natu-
re et de la religion,
la position de Dubois est claire. L'anti-
religiosité,
l'anti-cléricolisme et la neutralité relative dons
la conception du Kulturkampf,
le tout exprimé dons l'intérêt de
la science, relèvent en fait d'une diplomatie subtile du savant
de Berlin. En effet, dons les années 1875, Dubois .était nommé
conseiller intime du roi de Prusse(92) dont on connaît la religio-
sité. Pris entre sa liaison ovec la royauté et la déontologie
scientifique dont il a clairement traduit l'inco~potibilité avec
l'essence de la religion(93), Dubois se r~fugie derrière la sci-
ence et sa liberté. Nous savons que le savant de Berlin n'affirme
pas catégoriquement que l'homme est libre mois traduit à travers
(91)
lb id.
p. 31.
(92) FomilienarchivJ 'Nachlass- Runge - Dubois Reymond,
K4.
Nous te-
nOns cette information de la lettre de Hammen Colonel de la Schwe~
zerische Gesellschoft im deutschen Reich adressée le 10 avri 1
1875 à Dubois.
(93) On raconte qu'après un brillant cours de physiologie de Dubois,

-
191
son discours Darwin et Copernic, que la liberté est l'apanage
de la science. Et c'est au nom de cette dp.rniÀrp. qu'il parle.
Le caractère instrumantaliste de la science apparaît
au grand
jour chez Dubois.
Mais la pensée de Dubois, aussi critique
et aussi viru-
lente soit-elle à l'égard de la religion, ne s'exprime pas à la
faveur d'un at~éisme combatif. L'idée de l'existence d'un Dieu
créateur va de pair
chez Dubois avec le rejet d~ toute croyan-
ce biblique et religieuse. D'ailleurs,
le savant de Berlin s'est
même défendu des propos athées qui
lui ont été prêtés par un
journal à l'issue de son discours sur Darwin et Copernic. Sa ré-
action est symptomatique:
" ... Le 'Reichsbote', au lieu de
'A présent, on n'avait
besoin que d'Un jour de création où la matière mouvante
fut' - écrivait
'A présent on n'a plus besoin de jour
de création'. Lp. journaliste, moins familier du langage
scientifique, ne devinait évidemment pas
combien il
changeait le sens de ma pensée lorsqu'il substituait ici,
et dans les phrases parallèles,
Ip. présent au prétérit
que j'ai sagement choisî."(94)
Dubois, en tant
que fidèle partisan du darwinisme,
refuse
la thèse bibliqup. de la création successive, mais partage volon-
~n jeune Suisse, étudiant en théologie, eut subitement l'envie
de faire de la physiologie et demanda conseil au savant. Ce de~
nier lui répondit que s'il co~~ençait les étudp.s de p~Y5iologie,il
nlaurait plus l'envie de rester théologien.
(94) Dubois Reymond E., Reden 2. Bd., p. 247.
" .•. Der IReichsbote l setzte anstatt:
'Nun bedurfte es nur
noch Eines Schopfungstages, an welchem bewegte Materie
ward.' -
'Nun bedarf es keines Schëpfungstages me~r.'
Der mit der wissenschaftlichen Sprache minder vertraute
Tagessc~reiber ohnte wohl nicht, wie er meinen Sinn on-
derte, aIs er hier, und in den porallelen S~t7-en, statt
des weislich von mir gewëhlten Prëteritums mir dos Prë-

- 192 -
tiers l'idée de la création elle-même et laisse supposer ici l'i-
dée d'un créateur. Cependant, sa pensée exclut tout intermédiai-
re entre ce créateur et l'homMe. C'est au demeurant l'une des
finalités de la lutte contre la religion.
Toutefois, cette pen-
sée avait été mal comprise et mal interprétée à l'époque de Du-
bois à cause de l'influence du darwinisme jugée néfaste.
x
x
x
La forme des discours qui· exposent la philo~ophie de la
science de la nature chez Dubois,
révèle une nette affinité en-
tre le savant de Berlin et le philosophe français
La Mettrie.
On retrouve chez Dubois le courage de La ~ettrie dans l'expres-
sion de la vérité scientifique. La conclusion du discours sur
les limites de la connaissance de la nature,
formulée dans des
termes de défi,
pleins d'assurance,
qui convient l'hom~e à 5P
r~signer une fois pour toutes
~à ce verdict beaucoup plus difficile ~ proncncer:
'1-
gnorabimus'
~(95)
Semble être calCluée sur celle de l'oeuvre L'horT'rr:e-machine.
La rv1et-
trie s'y exprimait ainsi:
"Concluons donc hardiment que l'homme est une machine,
(, .. ) Voilà mon système, ou plutôt la vérité si je ne
me trompe fort.
Elle est courte ct simple. Dispute 0
présent qui voudra."(96)
sens unterschob.~
(95) Id.
Peden 1. Bd, p. 464.
", .. zu dem viel schwerer abzugebenden Wahrspruch:
Ignorabimus' ."
(96) La ~ettrie J. O.
, L'homme-machine. Paris 198 1 , p. 151-152.

- 193 -
L'audace devient une arme propre au naturaliste dans la
mise en valeur, dans l'extériorisation de la pensée scientifi-
que. Elle est l'essentiel de la philosophie de sagesse chez La
Mettrie et joue le rôle principal dans la démarche quotidienne
chez Dubois. De même que dans l'esprit du savant français,
"le sage( ... ) doit oser dire la vérité"(97),
chez le savant de Berlin,
la science se substituant ~ l'ho~~e
et transcendant la morale et la tradition, doit affirmer sans am-
bages l'autonomie et la liberté de ses théories(98).
Le scandale
de L'homme-machine,
source d'inspiration des limites de la con-
naissance chez Dubois,
n'a rien à envier à celui des fc~eux dis-
cours Les limites de la connaissance de la nature et Darwin et
Copernic(99). Provoqué par une absence de retenue dcns l'expres-
sion et de considération morale, ce scandale avait valu à La
Mettrie l'étiquette de pervers(1CO) et situé l'hom~e au-dessus
de toute convention morale. La Mettrie fut également la cible
des autorités civiles et religieuses. D'où sa fuite de France
et son exil en Prusse auprès de Frédéric II, acte que le discours
La Mettrie, véritable apologie du savant français et de sa pensée,
s'emploie à saluer. Autant chez La Mettrie que chez Dubois
le
sCandale puise à la même source:
la hardiesse.
Dubois lui-~ême ne voyait-il pas dans la hardiesse de La
Mettrie une vertu dont tout ~enseur doit s'inspirer?(1C1) Cet
amour pour la témérité n'avait-il pas été déter~iné par ses pen-
( 9 7) La r.~ e t tri e .J.O., 0 p. c i t. p. 9 3•
(98) Supra v. ChapitreI, § Le recourso la pensée scientifique de
la France ou XVIIe siècle.
(99) Supra v. Chapitre III, § Les réactions et Chapitre IV,
§ Le
Kulturkampf dans la pensée de Dubois.
(100) L'homme-rr.achine. Présentation par Poul-Laurent Assoun,
p.70.
(101) Supra v. Chapitre l, § Le recours à la pensée scientifiaue
de la Fronce au XVIIIe siècle.

- 19~ -
chants naturels pour la République des Lettres entourant Frédé-
ric II, dont les membres avaient ce trait commun d'être poursui-
vis et persécutés pour la virulence et la pétulance de leurs opi-
nions? Les discours sur
la biographie des auteurs français du
XVIIIe siècle en sont une preuve convaincante. C'est' dans la phi-
losophie des lumières française et,
surtout,
dans l'esprit de
l'Académie de Prusse sous Frédéric II,
esprit marqué ces noms ce
La ~ettrie, Voltaire, ~aupertuis et Diderot.~u'ii faut rechercher
les motivations
formelles et morales des discours du savant ce
Berlin.Une fois de plus,l'esprit de l'Académie resurgit en Subois.
x
x
X
La philosophie de la science de la nature chez Dubois est,
dans le fond,
une tentative de définition de la mission de la
science ou du naturaliste au XIXe siècle. Cette mission a plusi-
eurs aspects: un aspect ~oral qui consiste en un rpppel constant
de la nature humaine et de ses faiblesses à travers le problème
de la connaissance;
un aspect
intellectuel et humaniste s'expri~
mont dans la lutte pour le droit de l'homMe à la formation,
à la
culture et dons 10 formulation des conditions du développement,
~ savoir rejet de la religion, tendance à l'esthétique, recherche
de la précision et de l'exactitude:
enfin un aspeét salutaire se
traduisant dans la tentative de r~habilitation ces domaines de
la connaissance nécessaires à
l'homme.
La défense de cette mission nécessite de la science ou du
naturaliste une attitude tout à fait
nouvelle.
La science n'a ja-
mais été autant autoritaire,
orgueilleuse et égocentrique qu'au
XIXe siècle et nota~ent chez D~bois. Le savant de Rerlin en a
fait
la plaque tournante de
toutes
les disciplines de la connais-

-
195 -
sance humaine et a i~posé ses théories, ses prinêipes comme des
dogmes et' ses hypothèses co~e des vérités
inéluctables. Ce com-
portement est si outrancier qu'il pose des interrogations: en
faisant de ses rêves, de son imagination, de son désir un article
de foi, Dubois n'a-t-il pas dévié le sens de la mission morale
1
1
1
de la science ou du naturaliste qui était de faire r~gner la mo-
1
,
1
1.
destie dont il reprochait l'abseDce chez certain~.philosophes et
t (
naturalistes? Dubois ne pratique-t-il pas, dans une certaine me-
sure, l'intolérance qu'il reprochait au christianis~e?
1
Toutefois, même si la science de la nature chez Dubois s'ar-
roge tous les droits, ses rapports sporadiques avec la métaphysi-
que montrent en fait qu'elle est encore loin d'être autonome.
C'était pourtant l'un des reproches que for~u1ait Dubois b 1G
science chez Descartes et 'Leibniz. Comme quoi la nature de la
science chez Dubois estl'illustration de l'impossibilité d'une to-
tale indépendance de cotte discipline malgré tous ses progrès.
Au demeurant, Dubois lui-même ne coche pas le fait que l'existen-
ce et le développement de la science de la nature sont tributai-
res du régime politique et social.

TROISIEME PARTIE
SCIENCE ET seCIETE

-
197 -
Introduction
L'onolyse des rapports de la science et de la société
chez Dubois est à envisager sous un double aspect de
réciproci-
té: d'abord 19influence de la société sur la science puis la
contribution de la science à l'amélioration sociale.
Le développement de la science exige une ce'rtoine organi-
sation sociale et politique. Dubois, en abordant le problème de
la religion et de la défense de la culture, avait déjà effleuré
cette idée. Pour lui,
la liberté et le développement de la sci-
ence sont deux notions indispensables:
la première" est la cause
de la second~ tandis que celle-ci est
la finalité de la premiè-
re. Le choix d'une société qui serait la condition adéquate
d'~n'épanouissement de la science s 9impose. Dubois pense que la
Monarchie,dont il découvre un peu tardivement les avantages(1),
.
est la seule forme d'organisation susceptible de donner à la
.
.
.
science vie et protection: la liberté de la science n'étant con-
cevable que dons le soumission à une autorité.
Ainsi conditionnée par une organisation sociale et poli ti-
que~a science accélérerait son développement et réaliserait plei-
nement ses objectifs sociaux. Ici l'homme et ses conditions d'e-
xistence sont privilégiés: son bonheur étant tribûtaire du niveau
de développement de la science, unique organe de l'amélioration
sociale.
Nous nous
pencherons
avant tout sur les conditions
sociales et politiques de l'épanouissement de la science.
Il
importe ici de prendre en considération l'évolution politique
de Dubois, évolution qui a abouti à la conception de'la Monar-
(1) Dubois avait presque 50 ans'

- 198 -
chie comme une des conditions fondamentales d'existence de
la science; cor la Monarchie que Dubois situe ou ~oeur de sa pen-
sée sociale et politique, était, avant 1867,
la cible de ses in-
vectives,
l'auteur se sentant plus proche des masses populaires.
La défense des institutions monarchiques
après 1867 a nécessité
chez Dubois l'emploi de méthodes originales.
La science dont il
S'agit de déterminer les conditions d'existence
devient l'ins-
trument de lutte contre le socialisme, opposé à
la Monarchie et
synonyme de révolution, et fondé sur la dOMination totale d'un
Etat populaire. Cet Etat est en lui-~ême exterminateur de la sci-
ence. Mois Dubois pense également que la science seule ne suffit
pas. La lutte contre le pouvoir' de l'Etat passe aussi par une
certaine semi-privatisation. Les méthodes de combat politique,
la conception de l'Etat,
le tout s'inscrivant dans la recherche
de la liberté nous permettront de déterminer le type de société
propre à la science de Dubois;
la pensée du savant de Berlin ne se
limitant plus aux institutions monarchiques. Ces points constitue-
ront la der~ière partie de notre analyse.
Puis dans un deuxi~. chapitre, nous montrerons les dimen-
sions nouvelles que Dubois entend donner li la société à partir
du pouvoir de la science dans la vie de l'homme . .L.' importance
de la science pour-l'homme amène le savant de Berlin li voir dons
cette discipline la clé de voùte de toute l'histoire. L'histoire
universelle serait celle de la science. c'est à dire celle de
l'humanité. Mais Dubois met ses auditeurs et ses lecteurs en gar-
de contre une culture exclusive de la science.
Il propose des
solutions en yue d'un épanouissement harmonieux de l'homme. Nous
esquisserons les grands traits de l'humanisme de Dubois.
Nous avons jugé nécessaire d'ajouter à ce travail un cha-
pitre Qui,en somme,montre 10 finalité de l'oeuvre sociale de Du-
bois.
Il porte essentiellement sur la conception de la France et

- 199 -
de l'Allemagne c~ez l'auteur. Tout~ sa vie, Dubois a beaucoup
oeuvré pour l'intérêt de l'Allemagne et témoigné à
l'égard de
sa patrie un profond amour.
L'expression de'ce sentiment,
consis-
tant en un rejet de la France, a été violemment critiquée du ca-
té français et a
suscité une certaine hostilité à l'égard de
l'homme. En fait,
dons les années 1870, quand éclatent les hosti~
lités entre la France et l'Allemagne, Dubois,
eu égard à son
nom et à ses origines français,
voulait affirmer son identité
allemande.
Notre analyse s'intéressera d'abord à
la justification
du germanisme chez Dubois et sa portée dans la vie de
l'homme.
Puis nous étudiero"$ les diverses réactions françaises auxquelles
Dubois n'a pas manqué de répondre. Ce travail
ne pré'tend pas
être exhaustif.
Il se bornera pour l'essentiel aux réactions
, ,
qui ont le plus ma~qué Dubois et l'ont amene a répliquer. La con-
,
frontation des deux positions nous aidera non seulement a véri-
,
fier les sentiments de Dubois Q l'égard de la France - senti-
ments dont il n'a cessé de clamer publiquement
la noblesse -
mais aussi à dégager la nature des rapports entre' l'Académie
des Sciences de Berlin et celle de Paris dans les années qui sui-
vent la guerre franco-allemande-de 1870.
Aussi Dubois a rêvé de faire de l'Allemagne une nation mo-
dèle.
Les méthodes et les solutions qu'il propose pour la réali-
sation de cet idéal mériteront notre attention.
Enfin"un bilan nous permettra
de faire
le point sur
l'oeuvre politique et sociale de l'auteur.
Les faiblesses et
les contradictions de celle-ci seront soulignées.

CHAPITRE 1
Une science ou service de la bourgeoisie
1. Des idéaux révolutionnaires à la bourgeoisie
0) Les idéaux révolutionnaires
Notre intention dons ce travail est de cerner la position
de Dubois sur le plon politique dans la période qui s'étend de
la Révolution de mors 1848 jusqu'en 1867, date de sa
pro-
motion
au
~rade de Secrétaire perpétuel de l'Académie des
Sciences de Prusse. Cette période marque le plus la cristallisa-
tion politique chez Dubois. Et i l n'y a pas d'écrits qui caracté-
risent mieux la conscience politique de l'auteur durant ce temps
que les correspondances de celui-ci avec ses omis -
le mpdecin
Ha1lmann et le physiologiste Karl Ludwig(2) -
et avec ses parents
(3). Dubois ayant pris le soin de circonscrire la divulgation
de ses opinions' politiques à ses proches,
notre analyse s'appu-
yera pour l'essentiel sur les correspondances de l'auteur.
Tout a culminé,en fait,
au moment des événements de 1648.
,
(2) Cf. Jugendbriefe von E. Dubois Re~ond an E. Hallmann. Cf. e-
gaIement,
Zwei grosse Naturforscher des
19.
Jahrhunderts.
Ein
Briefwechsel zwischen Emil Dubois Reymond und Kor: Ludwig.
Les é-
léments de ces correspondances relatifs aux événements des années
1848 ont été repris et complétés par Diepgen P., Die Berliner Morz-
toge 1848 in den Schilderungen E. Dubois Reymond's.
In: Stephonis-
kos, Ernst Fobricius zum 6.9.1927, Freiburg 1927 , p. 21- 31.
(3) Cf. Nochlass-Runge- Dubois Reymond, K10 •

-~-
La Révolution de mars 1848 qui a marqué l'histoire politique
de l'Allemagne
a permis à Dubois de se définir po~itiquement
pour la première fois et de se rendre compte surtout des consé-
quences éventuelles des rapports entre dominants et dominés. El-
le a été accueillie par Dubois avec enthousiasme et un certain
Soulagement. L'auteur y voit le début d'un grand changement so-
cial et politique. La Révolution de mars est considérée comme
la solution expéditive de tous les maux sociaux. Oubois exprime
ainsi sa satisfaction à Ludwig:
"Si quelque chose est de nature à me rendre moins sen-
sible ole vide survenu dans mon existence, c'est bien la
grande, nouvelle et magnifique époque qui a fait irrup-
tion. Certes, avec tout cela, tous mes projets seront à
l'eau, mon voyage sera peut-être une déconvenue, mon li-
vre parattra sans qu'on lui prête attention,
car que si-
gnifie la science à présent? Mais qu'est-ce que cela peut
bien vouloir dire? Que lutter contre la monstruosité,la -
tyrannie devait être le desti~ de cette génération.-(4)
La description que Dubois fait des événements de 1848 est
cert~s limitée
pour l'essentiel aux combats de rue de Aerlin.moi~
.!
elle est engagée.
Dubois y avait ouvertement pris parti en fa-
veur des insurgés. Il se range au cS té des Berlinois désabusés
(blasierte Berliner) à l'égard de la politique prussienne et sa-
lue le courage des ouvriers de l'usine de machines Borsig implan-
(4) Diepgen P., op. cit. p. 23.
Lettre du 22 Avril 1848.
·Wenn etwas geeignet ist, mir die in meine Existenz geris·
sene Lücke weniger fühlbar zu machen, so ist es die gros-
se, die neue, die herrliche Zeit, die über uns hereinge-
brochen ist. Meine Plëne zwar werden dobei zugrunde gehen,
eus m~iner Reise wird vielleicht nichts werden, mein Buch
wird unbeachtet in die Welt treten.
denn was ist
jetzt
Wissenschaft? Aber was will das sagen? Gegen das Ungeheu-
re, dos Gewaltige, wozu dies Geschlecht ~erufen sein soll-
te.-

- 202 -
tée à Berlin, défilant dans les rues.(Dubois les qualifie de"bra-
~.
ves gens-le Il apporte oinsi sa caution à la justèsse et à la
légitimité de leur cause. Dubois, après avoir entendu l'hymne des
ouvriers où s'exprime le mépris pour 10 lâcheté et la honte, et
où la Révolution est assimilée à un ·combat sacré-, traduit ain-
si son état d'ôme à Ludwig:
-Je t'assure que les larmes me vinrent subitement aux
yeux et, bien que je n'a~pas été derrière les barrica-
des,
l'on était profondément remué par l'heureuse con-
science de se sentir le courage, en dépit de toutes les
balonnettesde la garde, de défendre victorieusement
les conquêtes pour lesquelles l'on n'avait pas person-
nellement combattu."(S)
On devine ici les traits que l'auteur
attribue à la Révo-
lution. Dans son esprit, elle est une épreuve de force,
une lut-
te contre l'Etat militaire auquel seul le soulèvement populaire
peut foire pièce. Mois la répression sanglante de
l'insurrection
à laquelle il avait assisté, l'avait amené à la conscience de
.
la véritable nature de l'Etat militaire. Dubois avait traduit
#
.
son aversion de plus en plus prononcée
pour ce type de reglme
dons le choix de ses termes. Pour lui, l'Etat militaire représen-
te la r'pression odieuse,
-10 brutalité sauvage"(die Roheit) et
-le mol pernicieux·(die Bosartigkeit)(6). Dubois avait déploré
l'incapacité dans laquelle il se trouvait de réaliser de façon
(S) Ibid. p. 23-24.
nlch sage dir,
die Trëne stürzten mir in die Augen,
und
obschon ich nicht hinter den Borrikoden gewesen bin, ~an
wurde durchbebt von dem freudigen Bewusstsein. dass man
in si ch den Mut fühlte,
allen Gardebajonetten zum Trotz
die Errungenschaften zu behaupten, die man nicht mit er-
këmpft hatte. n
(6) Ibid.

-
203 -
effective ses aspirations polit.iques, nota~ment d'opposer ~ne
"résistonGe passive" au gouvernement. Les raisons·de santé et
de respect de ses propres principes qu'il évoque. pour se justi-
fier,
sont au demeurant peu convaincantes. En fait.
un sentiment
de peur est ~ l'origine de la réserve de l'auteur. Les explica-
tions de Dubois le donnent à penser:
~Je n'allais pas mieux. Il n'y avait pa~ de co~bat dons
mon quartier,
la rue était dégagée par la cavalerie en
vue du transport de munitions( •.• ) Tous les ponts étaient
relevés:
je n'avais aucune arme, aucune
idée de la
foule et de l'importa~ce de l'événement.
Il n'y avait
rien ~ faire.-(7)
..
Ces
propos ne dévoilent ni hostilité ni indifférence de
Dubois ~ l'égard de la Révolution de mars 1848. D'ailleurs l'au-
,
teur attendait de celle-ci la réalisation d'un certain idiel
qu'il nourrissait depuis ses années de formation ~ l'universi-
t4 de Berlin, idéal qui se résume en trois points: le rétablis-
sement des libertés individuelles que Dubois traduit dans une
critique de la politique prussienne dans ses moindres détails
et dont la lettre du 25 octobre 1841 à Hallmann se fait l'écho:
"Nos journaux sont plus plats que jamais, i l n'est pas
permis de fumer dans les rues •.• ·{a)
Puis la chute de la ~onarchie
et le remplacement de ce régime
(7) Ibid., p.25.
"Mir ging es nicht besser.
In meinem Viertel war kein
Kampf. die Strasse wurde von Kavallerie freigehalten be-
hufs des ~unitionstransports(•.. ) Alle 8rücken aufgezoge~
keine Waffen,
keine Ahnung von der Al!gemeinheit,
der Ee-
deutung des Vargangs. Es war nichts zu machen.~
(a) Jugendbriefe von E. Duhois Rey~ond an E. 4011~ann, p. 103.
"Unsere Zeitungen sind pIotter ols je,
in éen Strassen
darf nicht geraucht werden ... ~

-
204 -
par une République(9)i enfin,
l'unité de l'Allemagne dont
la
. .
."
~
.
, .
condltlon premlere reslde dans un amour reclpro~ue entre Alle-
mands(10).
Or,
la Révolution de mars 1848, même si elle a provoqué une
rupture entre le roi et les forces populaires,
s'était achevée
sans engendrer de solutions positives. Cet échec avait été cau-
sé par l'absence de cohésion des forces populaires.
La bourgeoi-
.
sie allemande s'était inquiétée du péril que constituaient pour
ses intérêts le développement des doctrines socialistes ou com-
munistes et les revendications de plus en plus pressentes des ou-
vriers touchant le droit au travail et les conditions humaines
d'existence. Elle avait recherché dans la rupture avec les clas-
ses laborieuses et 1 . rapprochement avec les classes dirigeantes
une
sauvegarde de ses privilèges et avait ainsi pèrmis le tri-
omphe de la réaction. Dubois avait ressenti le succès des forces
réactionnaires avec une "g~ande amertume. La Révolution a été
une source de désenchantement
pour Dubois et l'a amené à ex-
primer son dégout et sa déception à l'égard de la politique:
"La situation politique est épouvantablé"(11)
'crit-il le 16 novembre 1850 à Hallmann.
Cette ligne qui clat la description des événements de
1848 et de leurs conséquences permet de justifier le recul de
l'auteur à l'égard de la Révolution au lendemain de l'échec de
celle-ci.
Les motivations sont
plutôt psychologi~ues ~u'.idéolo-
(9) Zwei grosse Naturforscher des
19. Jahrhunderts,
Ein Briefwech~
sel zwischen E. Dubois Reymond und Karl Ludwig,
p. 14.
Lettre du
22 avril 1848.
(10)
Ibid.
p. 18.
(11) Jugendbriefe von E. Dubois Reymond ah E. Hallmann,
p. 134.
·Oer politische Zustand ist schrecklich.-

-
205 -
giques.
Le 6 janvier 1849, Dubois tenait ces propos à Hallmann:
"Laisse~moi te dire brièvement qu'au début j'étais tout
à fait enivré par le vin de la nouvelle époque, mais que,
malheureusement,
la réalité vulgaire des choses me ra-
mena vite à la raison,
et que
j'eus la satisfaction d'ê-
tre l'un des premiers à être dénigré dons le cercle de
mes amis en tant qu'affreux réactionnaire,
terme sous
lequel l'on entend tous ceux qui ne se réclament pas du
radicalisme le plus pur."(12)
Ce passage montre certes que sur le plan politique, Dubois
n'était pas un révolutionnaire convaincuj
il est même esseulé
dans les milieux favorables aux idées révolutionnairesj mais ce
passage traduit aussi bien la déception profonde qe l'homme face
à des idées politiques rendues périlleuses par les circonstanceset
,
.
~aremment vouées à l'échec, que le soûlagement de l'auteur d'a-
voir échappé à toute répression.
Les sentiments de Dubois l'em-
portent sur ses propres convictions.
Il convient ici de voir dans la position de Dubois bien
....
plus une simple distance ~ri~e passagèrement ~ar l'homme à l'é-
gard de la Révolution qu'une amorce d'un revirement politique
et d'une concession au gouvernement prussien;
car même si l'on
Prétend que des difficultés matérielles ont en partie contribué
b susciter l'enthousiasme de Dubois pour la Révolution(13), cet-
{12}
Ibid.
p. 128.
"Lass mich in kurzem sagen,
dass ich im Anfang ganz be-
rauscht von dem Weine der neuen Zeit war,
dass mich leider
aber bald die gemeine Wirklichkeit der Dinge zur Vernunft
zurückbrachte,
und doss ich die Genugtuung hatte,
einer
der ersten in meinem Freundeskreise ols ein grëulicher
Reaktionër verschrieen zu werden,
worunter mon hier olle
solche versteht,
die nicht dem plottesten Radikalismus
huldigen."
(13) Rothschuh K.E.
u.
Tutte E.,
Emil Dubois Reymond(1818-1896).
Bibliographie.
In: Acta Historico Leopoldino.
8erlin 1975,N°9,p.11~

-
206 -
te explication s'avère insuffisante à partir des années 1850.
Les positions de Dubois ne sont pas circonstanciel~es. Elles
s'inscrivent dans une certaine continuité. Un an avant la nomi-
nation de Dubois en tant que membre de l'Académie des Sciences
en 1851, les conditions de vie de l'auteur avaient radicalement
changé. Dubois vivait dans la satisfaction matérielle et morale(14h
Son mariage avec Jannette Claude(15),
la fille d'~n riche com-
merçant,
créait des liens entre lui et le monde bourgeois.
Tou-
tefois,
l'aisance matérielle de Dubois n'avait nullement atté-
nué l'aversion de l'homme pour le roi et son gouvernement. Au
portrait moral que brossait le jeune étudient soulignont la fer-
veur maladive et la frivolité d, Frédéric Guillaume IV(16),
s'a-
joute, après 1848, une caractérisation beaucoup plus politique.
Le roi,
considéré comme le responsable de la répr~ssion sanglan-
te, apparaît comme un "assassin du peuple"(17) sous la plume de
Dubois.
Les correspondances de Dubois de 1858 à 1862 .ont également
ce mérite de dévoiler le
ressentiment que nourrit l'auteur à
l'égard du gouvernement. Dubois reproche à;la claSse dirigeante
- sur un ton particulièrement violent -
une politique qui igno-
re la justice et le mérite individuel. Telle est la confidence
~u'il fait à son père le 18 juillet 1859:
"Par certaines raisons,
ils(le roi et son gouvernement)
seront obligés de me nommer professeur ordinaire le 1er
jo~vier(1859). Alors, le jeu changera et ils seront é-
(14) Jugendbriefe von E. Dubois Reymond an E. Hallmann
p. 134.
l
Dubois affirmait lui-même qu'il vivait dans son propre apparte-
ment et comme un prince.
(15) De ce mariage naquirent 9 enfants.
(16) Jugendbriefe von E. Dubois Re~on4 an Hallmann, p. 109.
Lettre de mai 1842.
(17) Diepgeh P., op. cit. p.25 et 28,

-
207 -
tonnés de me voir, moi,
faire mes conditions. En ef-
fet,
dans la position où je me trouve,
je vivrai bien
plus heureux et plus tranquille en me livrant à mes
travaux soit à Postdam soit à Frieste qu'en me don-
nant beaucoup de mal au service d'un gouvernement·bor-
né, rétrograde et stupide,·(18)
Quatre ans plus tard, on entendra Dubois réitérer la même plain-
te(19) •
On constate donc chez Dubois, dans sa conception des évé-
nements de 1848 et dans ses rapports avec le pouvoir en place,
des sentiments de frustration et de révolte surtout m~lés d'am-
bitions personnelles. L'idée d'un changement politique radical
au
moyen
des
masses populaires reste présente chez l'auteur.
Les aspirations profondes de Dubois portent essentiellement
sur la liberté,
le bien être des classes opprimées et la justi-
Ce sociale. Cependant, Dubois ne fait aucune différence entre
ouvriers et bourgeois.
Il pense que tous doivent 'être unis par
une même cause, à savoir aller à l'as~aut de la classe dirigean-
te, maitresse du pouvoir.En se mettant du cSté d~ peuple,il op-
te pour le camp des plus faibles,
les victimes de la politique
.
prussienne
dont il avait partagé le sort tout a'u'long des
événements de 1848. La compassion et les sentiments humanistes
se mêlent,
par moments, aux principes politiques de Dubois.
(18) Nachlass Runge -
Dubois Reymond, K 10.
(19) ~,
Dans sa lettre du 3 juillet 1862, Dubois en veut au gouvernement
prussien de ne l'avoir pas nommé comme membre de la Commissimn
de délibération sur ·la salubrité des exercices gymnastiques·,
alors que son grade de professeur de physiologie obtenu en 1858,
lui en donnait le droit. D'où l'idée d'injustice à l'origine de
cette conclusion que "la Prusse est bien le pays J~ plus sotte-
ment gouverné.·

-~-
Cependant, il n'est peut-être pas étonnant que la posi-
tion politique de Dubois suscite des ambiguïtés prêtant à di-
verses interpr~tations. La négligence de la littérature du Vor-
morz est frappante dans les correspondances de Dubois. L'auteur
ne s'est nullement intére.sé à la situation socio-économique
de l'Allemagne avant 1848. Les conflits sociaux liés à l'indus-
trialisation, le problème du ch~mage, l'exode rural, la révolte
des tisserands(1844) •.• n'ont trouvé aucun écho chez lui. Les
problèmes d'ordre intellectuel préoccupaient Dubois. Goethe,
Schiller, Platon sont mentionnés chez lui avec respect. Mois at-
tribuer ce fait et la position en retrait de Dubois par rapport
à la Révolution de 1848 à un certain penchant de l'homme pour
la Maison royale(20), serait faire une entorse a la pensée de
Dubois animée par une certaine tendance révolutionnaire·.aussi
timide et passive soit-elle. Toutefois, la méthode de défense
des intérêts du peuple qu'adopte Dubois, c'est-a-dire, en se
considérant comme spectateur des faits, sans progra~e politique,
ne peut constituer un danger sérieu_ pour la classe dirigeante.
Quoi qu'on en dise, la position politique de' Dubois avant
1867 demeure confidentielle puisque se situant à un niveau pu-
rement épistolaire. Il faudra
attendre ses conférences publi-
ques pour voir Dubois afficher officiellement ses convictions
politiques.
b) L'éloge de la Monarchie
Si la Révolution de 1848 dont Dubois avait profondément
ressenti l'échec ne semble plus être la voie idéal~ quelles se-
(20) Mann G., Naturwissen und Erkenntnis im
19.
Jahrhundert,
p. 16.

- 209 -
ront donc les méthodes d'une transformation de la société? Du-
bois tente de répondre à cette question en se réfugiant dans la
science. La solution qu'il adopte rel~ve aussi bi~n d'une ques-
tion de conviction que de stratégie.
Tout d'abord une série de promotions professionnelles de
1866 à 1870(21) le poussèrent dans l'arène politique. Dès sa
nomination en tant que recteur de l'université de Berlin, Du-
bois donna à ses convictions politiques une orientation sans
ambiguïté. L'un des premiers soucis du savant de Berlin fut de
témoigner sa reconnaissance à l'égard de la royauté. Dons son
discours La guerre allemande, prononcé le 3 août 1870, le roi de
Prusse, Frédéric Guillaume 1 est élevé au rang de "duc des Alle-
mands"(22). Douze ans plus tard, le roi devient l'objet d'une
apologie
dithyrambique et est proclamé
-héros victorieux, restaurat.Ür de l'Empire de la na-
~ion allemande( ••• )le plus puissant cnef de guerre. et
~éritable prince de la paix.-(23)
Le revirement paraIt opportuniste voire contradictoire.
Dubois dont on conna!t l'aversion pour la classe dirigeante,
vient de se proclamer fidèle serviteur de l'Etat militaire ja-
dis réprouvé et de la Monarchie; en somme, le savant de Berlin
vient d'affinmer son appartenance à la réaction prussienne
à
laquelle il restera lié jusqu'à la fin de sa vie. D'ailleurs,
son avant-dernier discours Maupertuis, prononcé quatre ans avant
(21) Dubois fut d'abord Doyen de la faculté de médecine, puis
Recteur d'u~lversité et nommé ensuite membre de la Commission de
réforme scolaire.
(22) Dubo i s Reymond E., Reden 1. Bd._ p. 419.
"Herzog der Deutschen"
(23) Id., Reden 2. Bd./p. 154,
-den siegnaften Helden, den Wiedernersteller des Rei-
cnes deutscner Nation( •.• ) den macntigsten Kriegsnerrn
und wahren Friedensfürsten.-

-
210 -
sa mort, en fait foi en partie. Dubois y clat ses louanges par
une justification historique des qualités de l'empereur Guillau-
me t. Il en fait un héritier des vertus des Hohenzollern(24).
Ce dernier message que livre l'auteur ~ la postirlté constitue
un témoignage ardent du caractère indéfectible de son attache-
ment ~ la dynastie de. Hohenzollern. Le revirement de Dubois
n'est pas un comportement isolé mois s'inscrit dans le cadre
plus vaste de l'attitude politique de la plupatt des naturalistes
dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Cependant, on ne saurait dissocier cette orientation po-
litique des objectifs précis que Dubois lui assigne: essorer à
la science une couverture sociale et politique; tel est le r5-
le que doit jouer la Monarchie prussienne aux yeux de Dubois qui
traduit ainsi son point de vue:
·Ce n'est pas uniquement parce qu'en Prusse l'Etat et
la Couronne se confondent que notre corps, entretenu,
protégé et soutenu par l'Etat, porte le titre de royal
plus légitimement que plusieurs sociétés sevantes
se qualifiant ainsi. Aucune de celleS-CI n'avait de rap-
ports aussi constamment cordiaux avec la maison règnente
de leur pays.-(25)
la Monarchie prussienne trouve ici une justification po-
sitive. Un de ses mérites réside dans la contribution au dévelop-
(24) ~. p. 428.
(25) Ibid. p. 154-155 •
...........
"Nicht bloss weil in Preussen Staat und Krone stets
Eins waren, führt unsere vom Staat unterhaltene , beschüt~­
te und geschützte Korperschaft den Titel einer Konigli-
chen mit besserem Recht aIs mehrere so sieh nennende ge-
lehrte Gesellschaften. Keine von diesen hatte zum Herr-
scherhause ihres Landes so stetige innige Beziehungen.-

-
211
-
pement de la science. Pour étayer cette idée, Dubois recourt
ou modèle anglais. Il en souligne la nécessité et Jeefficacité:
-L'origine de la Royal Society se perd dons les tumultes
du Corrmonwealth( ••• )Le nom de la jeune Société,qui Se
transforma en d'outres associations savantes d'Angleter-
re, même e~ la Société de Gtittingen, révèle le dési~ de
S'appuyer sur des institutions monorchiques.-(26)
Dubois qui, depuis 1853, fréquentait la Royal Institution de
Londres dont il était membre, s'inspire ici du développement de
la science en Angleterre. Chez lui, l'épanouissement de la sci-
ence est tributaire du regime politique et social. Toutefois,
il se garde bien de livrer d'amples explications, d'amples in-
formations sur cette conception empirique et se convainc lui-mI-
me de son caract~re scienti tique. L'amour pour la... ~onarch ie
chez Dubois trouve ici toute son expression.
Mais Dubois, poussé par une superbe patriotique dons sa
comparaison du passé politique allemand et français, s'empêtre
dans des contradictions en voulant nous fair. des confidences
sur les vices de la Monarchie française ou XVIIe siècle. Le sa-
vant de Berlin voit en Louis XIV
-le monarque dont la folie des grondeurs s'incarna
dan s 'L ' Et a t, c' est mo i' •- C27)
Dubois rejette ici toute idée d'unité du roi et de l'Etat qu'il
soutenait dons la Monarchie prussienne.
(26) Ibid. p.154.
-Oer Ursprung der Royal Society verliert sich in die Stür-
me der Commonwealth( •.• )Oer Name der jungen Gesellschaft,
der ouf di. anderen gelehrten Vereine Englands, sogar
die Gtittinger Gesellschaft überging, verrat dos Bestreben
sich on monarchische Institutionen anzulehnen.-
(27) ~. p. 426.
!
-der Monarch. dessen Grëssenwahn in dem :'L'Etat, c'est
,
moi' sich verktirpert.-
!
1
f
!
, l,

- 212 -
Dans le fond,
la pensée de Dubois ne s'embarrasse pas
dans ses éloges du souei de déterminer avec rigueur les rapports
de la Couronne et de l'Etat. Elle se préoccupe moins de la na-
ture de la Monarchie que de ses conséquences sur le devenir de
la science. Au reste,
les discours du savant de Berlin ne lais-
sent apparaître aucune. trace de critique ou de souhait d'un
a-
mendement du régime politique prussien dont Dubois se contente
et ne constate que les avantages.
Institution suprême,
la Monar-
chie reste dans l'esprit de l'auteur la seule forme de gouverne-
ment de toute nation soucieuse de la science. Dubois définit
ainsi l'une des conditions politiques de la liberté et de l'épa-
nouissement de la science. Désormais,
la lutte pour la pérennité
de la Monarchie restera l'un des soucis majeurs d& l'auteur.
2. Une science de combat
La transformation de la société sur des bases scientifi-
ques, sans luttes popuLaires, par l'extension des connaissan-
ces et par le progrès de la science constitue un ges souhaits
dl Dubois. Or, dans l'esprit du savant de Berlin,. cet idéal,
pour être accessible, exige essentiellememt un certain climat
idéologique auquel l'Allemagne, depuis la création du parti
social-dém~c~at~d. travailleurs en 1869 par Liebknecht et
aebel (28), ~ semble- pas répond..... Dubois pense que dons son
intér3t et surtout pour sa propre survie, la science doit lutter
.
-
.
contre le socialisme et tout •• l.s formes de révolution. En
fait, ce sont ses sentiments politiques qu'il noua dévoile:
-La civilisation. don. son ensemble,
n'a rien à crain-
dre de l'Internationale rouge. La guerre de Spartacus,
(28) Droz J., Le socialisme allemand Qe 1863 - 1918 . Centre de
documentation
universitaire, Parles
p
7



-
213 -
celle des paysans, le soulèvement des anabaptistes,
ont été des psychoses de classes populaires analogues
à celles d'aujourd'hui. L'avenir considérera l'Insur-
rection de juin et la Commune des mêmes yeux que nous
considérons ces maux passés et il combattra la même
maladie sous une forme différente.-(29)
La réaction énergique de Dubois b l'égard des insurrec-
tions et des mouvements de libération s'explique. En 1877, à
la prononciation du discours sur l'histoire de la civilisation
et la science de la nature o~ Dubois développa ces thèmes, En-
gels venait de publier,son oeuvre Anti-DUhring qui contribuait
à sceller les bases de la social-démocratie et te~tait de de-
masquer le cSté idéaliste de la pensée de Karl Eugen Dühring,
jugée reformiste. Elle présente le matérialisme dialectique
comme la philosophie même du prolétariat, c'est-à·dire de la
classe qui a pour tâche historique non seulement de libérer la
classe opprimée mais ~l'ensemble de l'humanité. Or, deux ans au-
paravant, le Congrès de Gotha avait vu la réunification du par-
ti social-démocrate des travailleurs et du parti -Lassallien,
acte qui marque une consécration du renforcement des forces po-
.
pulaires. Dubois avait pris conscience de ce fait,de l'existence
d'une solidarité entre travailleurs de différents pays, de l'ap-
parition d'organisations de mouvements ouvriers et, surtout,
des dangers que ceux-ci pouvaient représenter. Ses' propos sont
une réponse et un défi à la progression des pensées dont Bebel,
Liebknecht, Engels et' Marx sont les principaux ch~val iers.
(29) Dubois Reymond E., Reden 1. Bd., p. 603.
"Die Kultur im grossen und im ganzen hat.von der roten
Internationalen nichts zu fUrchten. Sklavenkrieg, Bauern-
krieg, das Treiben der Wiedertaufer waren der heutigen
verwandte Volksklassenpsychosen. Wie wir auf diese, wer-
den spatere Zeiten auf Junischlacht und Kommune zurück-
blicken und in anderer Erscheinungsweise dieselbe Krank-
heit bekëimpfen."

-
214 -
Pour expliquer sa condamnation de l'attitude des ouvriers
et des travailleurs, en somme des classes peu favorisées,
Dubois convie à se tourner vers le passé dont la Révolution
française de 1799 constitue le point de déport. De tous les pen-
seurs et philosophes du XVIIIe siècle qui ont donné à la Révo-
lution française une origine intellectuelle, Jean-Jacques Rous-
seau est celui qui a le plus marqué la France par le caractère
nouveau de ses pensées politique. et sociales dons l'oeuvre de
Dubois. Par son oeuvre Le contrat social, Rousseau a jeté les
bases de la Révolution française. Il a professé la th~se égali-
taire, libéré les humbles, donné le pouvoir au peuple entier
et conféré à l'Etat le raIe de r'primer le. obus de la proprié-
t4
individuelle~pubois pense que ces idées ont été exploitées
par les classes nécessiteuses et leurs porte-parole qui ont con'-
tribué au succès de la Révolution et de ses effets pervers:
-Il est pareillement certain que plusieurs des traits
1
les plus odieux de la Révolution doivent itre indirecte~
.
.
ment attribués ~ son influence. Les Jacobins Robespierr~
Saint-Just se plaçaient sur le terrain d~ Contrat 50-
.
cial et le malheureux Jean-Jacques qui, en herborisant,
ne brisait inutilement la tige d'aucune fleur, est res-
ponsable devant l'histoire du sang versé par la hache
du bourreau.-(30)
Dubois, tout en manifestant ici son caractère humaniste
face aux conséquences néfastes de la Révolution, ne cache pas,
(30) Id., Reden 2. 8d., p.19.
-Ebenso si cher ist, doss mehrere der grasslichsten Züge
der Revolution mittelbar seinem Einfluss zuzuschreiben
sind. Die Jakobiner, Robespierre, Saint-Just, standen ouf
dem Boden des Sozialvertrages, und der arme Jean-Jacques
der beim 80tanisier~n keine Blume unnütz knickte, ist der
Geschichte mit verantwortlich für dos dur ch dos Fallbeil
vergossene 8Iut.-
.

-
215 -
~.
dans cette diatribe, sa haine et sa peur b l'égard de celle-ci,
La Révolution n'appara!t plus comme un point de déport d'une
évolution historique de la société mais plutôt comme un destia
fatal dont l'humanit' est 1~ plus grande victime, Jean-Jacques
Rousseau,dont la responsabilité est engagée ici, est accusé
d'être le père de la Révolution et du socialisme utopiste en
France, Dubois pense que
" Babeuf, Fourier, Proudhon ne firent que développer
les idées de Rousseau et poursuivre dons la m~me voie
avec plus d'ardeur et moins d'égards,"(31)
DUbois, il est vrai, ref~se d'accorder son crédit au ca-
ractère pragmatique et réaliste des thèses de Rousseau(32) mais
ne peut s'empêcher de voir en celles-ci une menace envers la so-
ciété du XIXe siècle. Dubois, dont on connait l'attachement à
la Monarchie, ne saurait s'accommoder d'une soci'té dont le pou-
voir serait entre les mains d'un Etat, dans lequel le proléta-
riat organisé en classe dominante, centraliserait tout et
ferait dispara!tre les privilèges des classes. Dubois défend ici
les intérêts particuliers de la classe dirigeante dont il se
fait le porte-parole. Il se montre très individualiste,
Dans sa critique de la révolution et du socialisme inti-
mement liés chez lui, Dubois tire les conséquences de cet évé-
nement historique, notamment dans le domaine scientifique. Il
Souli~ne ainsi les rapports de la science et de l'Etat soci31is-
(31) ~,
"Babeuf, rourier, Proudhon entwickelten nur Rousseau's
Gedanken weiter und schritten kecker und rücksichtsloser
in derselben Bahn ~ort.·
(32) Dubois considère les pensées sociales et politiques de Rous-
seau comme des·utopies d'un rêveur téméraire,-

-
21~ -
te:
-Les tête. ensanglantée. de Bailly et de ~avoisier,
la fin lugubre de Condorcet témoignent bien que la
souveraineté du peuple ne profite pas aux Académies"
avant de conclure en prophète quel
"Dans tout Etat social-démocrate qui ne connait que le
principe de l ' u t i l i t i générale, il n'y aurait pas de
place pour elles.-(33)
Les propos de Dubois sont aussi empiriques .que psycholo-
giques. Le savant de Serlin part ici d'une constatation histo-
rique et en fait le fer de lance de sa pensée. Son argumentation
èst simple. Dons la mesure où l'histoire a montré que tout ré-
gime politique et social issu d'un soulèvement populaire con-
tribue à la destruction de la science, l'homme doit se désinté-
resser de toute idée révolutionnaire afin de permettre à la
science la préparation de son bonheur. A ce propos, Dubois di-
sait de Rousseau que prétendre
"que l'art et la science font le malheur de l'humanité",
c g est méconnattre le moteur du progrès et postuler un retour à
-l'Age d'or de l'ignorance et de la simplicité."(34)
La science ne peut survivre sous le poids d'un Etat populaire:
une argumentation à loquelle l'histoire de la science en Alle-
magne
et celle
de
l'évolution du socialisme
à cette
(33)
Ibid.
p. 154.
"Dass Volksherrschaft Akodemien nicht fromme, davon zeu-
gen Bailly'. und Lavoisier's blutige Houpter, Condorcet's
dürateres EndeC •.• ) Vollends im socialdemokrotischen
Staat, der nur dos gemeine Nützlichkeitsprinzip kennt,wa-
re fUr sie keift Platz.·
(34) ~. p. 15.
"dass K~nst und Wissenschaft dos UnglUck der Menschheit
seien" ... zu ... ·dem goldenen Zeitolter der Unwissenheit
und Einfolt·'zurückzukehren.

- 217 -
époque, que Dubois ne pouvait ignorer
et le développement
de la science et dé la technique en République Démocratique
.
.
Allemande apportent un démenti cinglant. La science de Dubois
apparaît ici comme une méthode de dissuasion en politique.
Dans ce domaine excl~sivement, elle reste fermée à l'avenir. Il
serait peut-être
inutile de souligner ici que les sentiments
du savant de Berlin l'opt emporté sur sa propre raison. Son at-
.
titude est bien celle d'un esprit dépassé par l'ascension du so-
cialisme (35).
Dubois a voulu lutter contre le socialisme avec un moyen
.
.
tout à fait moderne et original, la science, et faire pi~ce au
matérialisme historique. Pour lui, l'évolution de'~la société
repose sur l'amélioration - par la science et la technique - des
conditions matérielles d'existence et non sur la modification
des rapports sociaux: une 'conception sociale qui s'av~re insuf-
fisante • Dubois ignore ou du moins, néglige une des lois essen-
tielles de l'évolution de la société
et qui explique l'histoi-
re, à savoir la lutte des classes(36). ~ais sa pensée est bien
l'illustration de la nature conservatrice de la science, de l'es-
prit du savant de Berlin et de l'engagement de la discipline sci-
entifique au service de la bourgeoisie. La pensée de Dubois re-
vèle l'incapacité de la science de garder la neutralité en s'é-
levant au-dessus des conflits idéologiques.
(35) Des statistiques publiées par Jacques Droz da~s Le socialis-
me allemand de 1863 - 1918 montrent qu'en 1884, la social~émocra­
tie avait 24 sièges au parlement et en 1893, trois ans avant la
mort de Dubois,les sièges avaient presque doublé
passant à 40.
l
Ceci illustre l'audience et le progrès de cette pensée en Allema-
gne.
(36) Politzer G., Principes élémentaires de philosophie. Paris
1977, p. 212.

-
218 -
x
En critiquant l'état de la science dans un· Etat socialis-
te, Dubois pose le problème de la liberté. Le développement de
la science suppose chez Dubois une certaine liberté Qui n'est
possible Que dans un régime
où le pouvoir de l'Etat est res-
treint. Ce pouvoir, par rapport à l'Académie des'Sciences et à
l'université, doit se limiter à une assistance matérielle et à
la défense. Même dans ces limites, Dubois se montre très prudent
et craint QU'une trop grande protection n'équivale à une sorte
de domination. Il explique:
-Pour l'existence d. l'Académie, il est déterminant
qu'elle(l'Académie) soit sous la protection de l'Etat
( ••• ) autant que cela est pensable et souhaitable dans
les affaires scientifiques( ••• ) Il(l'Etat) exprime ce-
la avant tout par les moyens qu'il met à la disposition
de l'Académie ~ de. fins scientifiques.~(37)
Dubois refuse que l'Etat exerce une sorte ~e contrainte
agissaht sur la liberté de jugement et de conscience. Il le fait
Savoir notamment dans son analyse sur l'organisation de l'uni-
versité allemande. Dans une comparaison éloquente avec le sygtè-
(37) Dubois Reymond E., op. cit. p. 153.
-FUr dos Wesen der Akademie ist es entscheidend
dass
J
sie unter dem Schutze des Staates( ... ) soviel
dies in wissenschaftlichen Dingen denkbar und wünschens-
wert ist( ••. ) Er(der Staat) drückt dies zunëchst durch
die Mittel aus, die er der Akademie zu wissenschaftlichen
Zwecken zur Verfügung stellt.-

-
219 -
me français,
il met en lumière comment l'université allemande
a su garder son autonomie sur le plan moral et int~llectuel.
En fait,
c'est un équilibre que Dubois souhaite voir s-établir
entre la préservation des libertés individuelles et l'autorité
de l'Etat:
• ••• le professeur de faculté français est à la solde
de l'Etat( ••• ) tandis que le professeur d'université
allemand, à c8té des émoluments qu'il perçoit comme
professeur ordinaire ou extraordinaire, est contraint
d'avoir des ressources complément~ires sous forme d'ho-
noraires versés par les étudiants.-(38)
Dubois se montre partisan d'une semi-étatisation de l'en-
seignement supérieur et condamne le système de la totale gratuité.
Pour lui,
la totale dépendance à l'égard de l'Etat est
aliéna-
tion de la liberté. Cette semi-étatisation
a pour mérite non
seulement de resserrer les liens entre professeurs et étudiants
dans la défense des intérêts de leur université, de responsabi-
liser le professeur devant l'étudiant, mais s~rtout de favoriser
la conscience professionnelle: cette dernière étànt désormcis
l'émanation d'un système politique et s~cial, comme si la conscien-
ce professionnelle ne saurait exister sous le contrôle de
l'Etat. Ces propos en témoignent:
"La perception d'honoraires versés par des
auditeurs
présents en chair et en os, entraine pour le profes-
seur, vis à vis de ceux-ci , une exigence d'accomplir
ses obligations en y consacrant ses forces en permanen-
(38) Id. Reden 1. Bd.,p. 364 •
.•. dass"der franzosische Universitatslehrer vom Staat be-
soldet wird( ..• ) wahrend der deutsche
neben dem Gehalte
welches er ols ordentlicher oder ausserordentlicher Pro-
fessor bezieht , noch ouf Honorar von den Studierenden
angewiesen
ist.-

- 220 -
ce, exigence qui est plus forte à l'égard des étudiants
qu'à l'égard d'un Etat abstrait, versant· un traitement
que l'on accepte comme une quelconque r~tribution.·(39)
A travers ces lignes, c·est la condamnation de tout syst~me
politique
qui, chez Dubois, fait de l'Etat un instrument de
domination. Le système des honoraires dont il souligne le
mérite, n'est en fait qu'un encouragement de l'initiative privée,
seul moyen de contrebalancer le pouvoir de l'Etat et sauvegarder
la liberté. Cependant, on peut remarquer i~i que le système dont
Dubois vante les qualités libérales s'adresse b une catégorie
sociale déterminée et exige de larges possibilités matérielles
et pécuniaires. Il ne peut per~ettre l'accès de tous è la cultu-
rel
La conception de l'Etat dont le sovant de Berlin se veut
solidaire est celle d'un système syncrétique. L'Etat n'est
rien d'outre qu'une puissance matérielle.
Dubois, contrai-
r.ment à certains de ses cont~porains, notamment
l'historien
Theodor Mommsen, Ste à l'Etat son caractère tran~c.endant et
absolu. L'Etat est la représentation unitaire de tous les cito-
yens jouissant de leur entière
liberté. Sa direction, cependant,
est l'offaire d'une minorité d'individus dont le roi ou l'empe-
reur est l'élément dominant, ce qui n'exclut pas le contrôle po-
pulaire : Dubois ne contestant nullement le double jeu du méca-
nisme électoral et parlementaire et la décentralisation. Des prin-
(39) !2i2. p. 365.
-In dem empfangenen Honorar gegenUber den leibhaftigen
Zuhorern die es
zahlten, liegt fUr den Lehrer eine stër~
kere Aufforderung, stets nach Kr~en seine Pflicht zu tun
aIs dem abstrakten Staat gegenOber in einem Gehalt , da$
sieh al. Durchschnittszahlung auffassen losst."

-
221
-
cipes démocratiques, libéraux, oligarchiques et aristocratiques
cohabitent parfaitement dans la pensée de Dubois.
L'Allemagne du XIXe siècle est, selon Dubois, un modèle
de cette organisation sociale et politique. Elle offre à la sci-
enCe les moyens adéquats de son épanouissement et la réalisation
de ses objectifs humanitaires.

CHAPITRE II
Une vision humaniste
1. La finalité de la science
Pour que l'homme connaisse tout son épanouissement,
il
fallait que la science connût également un essor considérable.
La volonté d'accélérer le développement scientifique amène Dubois
à proposer dans la réforme de l'enseignement une p~édominance
des-matières scientifiques. Il l'exprime en ces termes:
"Qu'est-ce que je demande donc au gymnase
pour le con-
sidérer comme répondant aux exigences de notre temps?
( ••• ) Le premier point est clair. Je demande plus de
mathématiques.-(1 )
Cette proposition a été mal interprétée par certai,J\\.s critiques
de tendance marxiste. On a reproché à Dubois de tenter d'aider
la bourgeoisie à accrottre &.5 moyens de production à l'exploi-
tation des classes ouvrières par la promotion scientifique(2).
Pourtant, même si Dubois a nourri une haine à l'égard des mouve-
ments ouvriers et pris conscience du développement industriel,
il attend surtout de la science qu'elle serve la ~ause existen-
tielle de l'homme en tant que tel.Elle est pour l'ho~e le moyen de
"l'accroissement de sa puissa~e, de son bien-être et de
(1' Dubois Reymond E., Reden 1. Bd., p.
616.
"Was ich denn vom Gymnasium verlangen würde, damit es mir
den Forderungen der Zeit zu entsprechen scheine?( ... }Ein
Erstes ist klar.
Ich ver lange mehr Mathematik.-
.
(2) Herneck F., Dubois Reymond E.(1818-1896).
In: Lebensbilder der
deutschen Arzte.
Leipzig 1964, p. 74.

- 223 -
~es plaisirs."(3)
Dans le développement de cette définition, Dubois met l'ac-
cent sur les multiples influences de la science sur la vie de
l'homme et en détermine Igalement les fins humanistes. Pour lui,
la science doit amlliorer les conditions d'existence de l'homme.
Elle doit lui permettre l'acquisition d'un capital de choses vé-
cues que la nature ne peut lui offrir. Dans le fond, Dubois veut
changer les rapports de l'homme et de la nature, libérer l'hom-
me de la domination de cette dernière, combattre en lui tout
sentiment de peur et le familiariser avec son environnement phy-
sique. Nous retiendrons ici quelques exemples:
-La géologie réalise ce que promettait la baguette ma-
gique. Elle extrait du sol l'eau, le sel, la houille,
le pétrole C•.. ) On a enchainé les anges extermina-
teurs d. la petite vérole, de la peste
et du scor-
but ..... (4)
Toutes ces vérités que soutient Dubois et qui traduisent le pro-
grès de la science. font l'unanimité chez tous les naturalistes(5).
Si la science est appelée à répondre aux besoins de l'hom-
me, elle devra également contribuer à son éducation par une ac-
cumulation de connaissances sur le monde, Dubois êonsidérant l'an-
thropocentrisme et "l'europocentrisme· comme le résultat de l'i-
(3) Dubois Reymond E., op. cit. p.574.
• ••. zur VèrmehruRg seiner Macht, seines Wohlbefindens,
und seiner GenU.se,"
(4) Ibid. p. 599-600.
-
"Was die WUnschelrute vorspiegelte, hëlt die Geologie,
Freigebig erbohrt s.ie Wass.r, Salz, Ko"'le, Steinol( ... )
Oie WUrgengel Pocken, Pest, Scorbut sindgefesselt ••• u

- 224 -
gnorance en mati~re .cientifique(6). A cette éducation intel-
lectuelle devra s'ajouter une éducation morale. La science doit
agir sur la nature même de l'homme en permettant à.ce dernier
le raffinement de sa conscience et le polissage de ses sentiments
nocifs: en somme, la science vise la sociabilité de l'homme.
Fort de .cette instruction, Dubois, tout comme les naturalistes
Helmholtz et· Ladenburg(7~ souligDe le caractère cosmopolite de
·10 acience. Pour lui, la science doit dépasser les fronti~res
de. territoire., agir au-délb des barri~res d'idéologies poli-
r
tiques et unifier les peuples:
-Si la littérature est le véritable lien à l'intérieur
d'une nation, la science de la nature est vraiment le
lien international des·peuples.-(8)
Evidemment, pour le savant de Berlin, les différences de
race et de nation sont sans importance. Il souhaite que la sci-
ence fasse de l'homme un citoyen du monde. Dans cette optique
il part en campagne contre ce qu'il appelle l'excès du senti-
ment national et met l'homme en garde contre ses conséquences né-
fastes:
-A travers un examen impartial et universel, l'on reco~
natt que son exagération(le sentiment national) a pour
(5) Engelhardt D., Legitimation der Naturwissenschaft im
19. Jahr·
hundert. In: Berichtder naturwissenschaftlichen Gesellschaft, Bay-
reuth 1975, p. 8-9.
(6) Dubois Reymond E., op. cit. p. 597.
(7) Cf. Helmholtz H. V., Ansprachen und Reden,gehaiten bei der am
21. November 1891 zu Ehren von Hermann von Helmholtz vercnstalten
Feier. Berlin 1892, p. 12. Cf également Ladenburg A., Uber den Ein·
fluss der Naturwissenschaften ouf die Weltanschauung. In: Ncturwis-
senschaftliche Vortrage. Leipzig 1911, p. 252.
(8) Dubois Reymond E., op. cit. p.598.
-Ist die Literatur dos wahre intranationcle, so ist Natur-
wissenschaft dos wahre internationale Bond der Volker,-

-
225 -
conséquence des aberrations dangereuses et que son
développement démesuré de nos jours, e~t sous de multi-
ples rapports, un recul sur lequel j'esp~re que les
siècles futurs jeUeront un regard surprenant •.. ·(9)
Dubois apparatt ici comme un éducateur de la sociét~ en
tentant d'asseoir ses th~ses cosmopolites même si, comme nous
le verrons plus tard,son discours La guerre allemande, véritable
diatribe contre la France, traduit manifestement q~e remise en
(
couse de ses nobles intentions. Dubois tente de tracer le modè-
le de ce que doit Itre la mission du naturaliste, une mission
aussi salutaire que les objectifs de la science. Pour lui,
elle consistera b développer l'vniversallté
Ge la science,
seul moyen de lutte
~ontre le chauvinisme. La diffusion d'une
science unique développerait en l'homme les sentiments d'un rap-
prochement avec d'autres peuples. Dubois l'illustre ~insi:
-Il est peu scientifique de vouloir écrire une histoi-
re de la physique allemande.-(10)
Cette mission aura tout son sens dans le combat pour l'égalit~
entre êtres humains et entre races. Dubois insiste entre outres
sur la lutte contre l'antisémitisme et cite la vie d'un éminent
naturaliste Alexander von Humboldt, nature sensible, comme exem-
ple
du
dépassement du sentiment antisémite(11). Ce cas illus-
(9) ~. p. 666.
-Bei unbefangener allseitiger Erwëgung erkennt mon, dass
5eine~Obertreibung gefahrliche Verirrungen zur Folge habe
und dass seine Obenmassige Entwicklung in unserer Zeit in
mehrfacher Beziehung ein RUckschritt sei, ouf welchen
kUnftige Jahrhunderte hoffentlich mit Befremden blicken
werden.-
(10) Dannemann F., ~us Dubois Reymond's Briefwechsel Uber die Ge-
~chichte der Naturwissenschaften. In: Mitteilungen zur Geschichte~
deroMedizin und der Naturwissenschaften. Leipzig 1919, p. 274.
-Es ist unwissenschaftlich die Geschichte .der deutschen
Physik schreiben zu wollen.-
(11) Dubois mentionne que von Humboldt était un ami de la famille

-
226 -
tre chez le savant de Berlin la réalisation de la mission du
naturaliste.
Parmi les buts humanistes que Dubois assigne à la science
et à la mission du naturaliste, on retrouve quelques caractéris-
tiques du siècle de ,lumières. Le phénomène n'est pas surprenant.
Dubois a toujours considéré la France du XVIIIe siècle non seu-
lement comme la source des grands principes scientifiqùes, mais
aussi comme le berceau de la pensée humaniste. Il s'est toujours
proclamé fidèle disciple de Voltaire. Il définissait dans son
discours sur Voltaire,le voltairianisme comme un sentiment natu-
rel, profond voire nécessaire:
- ... Nous sommes tous plus ou moins voltairiens. Nous som-
mes vol tairiens sans nous en douter et aussi sans en por-
ter le nom. Car nous le sommes seulement dans ce que
,
. .
.
.
le voltairianismecontient d'éternellement vrai."(12)
Voltaire est le héros qui a éveillé la conscience à la toléran-
",
ce, la liberté de pensée, la digni té de l' homme et, la j ust ice,
lesquelles sont devenues
-des éléments naturels de notre vie."(13)
Ce n'est pas sons raison que Dubois considérait l'abolition de
l'esclavage comme un fruit dù rationalisme, que l;~n doit par-
ticulièrement à la science(14).
Mendelssohn M. (1729-1786) , philosophe éclairé qui avait lutté
pour témancipation juive, et correspondait également avec Henri-
ette Herz en écriture courante juive.Cf. Reden 2. Bd., p. 280.
(12) Id. Reden 1. Bd., p. 321 •
. .. dass"wir olle mehr oder minder Voltairianer sind. Vol-
tairianer ohne es zu wissen, und au ch ohne es zu heissen;
denn wir sind es nur in dem, was der Voltairianismus e-
wig Wahres enthielt."
(13) Ibid.
"natUrliche Lebenselemente."
(14) ,lE.i.!t, p. 598.

- 227 -
La finalité de la science exprime toute la confian-
ce que nourrit Dubois dans la science et dans le naturalisme pour
une amélioration de la société. L'auteur leur concède le rôle d'é-
ducateur de l)homme et de la société. On remarquera ici que les
buts nobles de la science laissent supposer la nécessité d'une
promotion de cette discipline. Le développement de 10 science
est bien compatible avec les valeurs humaines et le devenir so-
cial de l'homme. D'ailleurs, l'importance des considérations
humanistes dans l'oeuvre de Dubois a
été reconnue même par les
adversaires de l'homme(15}.
2. Une conception humaniste et universelle de l'histoire
Le contenu essentiel de l'histoire chez Dubois répond à
sa conception humaniste. La définition èlassique de l'histoire
universelle jusque-là enseignée n'offre aucun intérêt pour Ou-
.
bois et ne le satisfait~p~s. Pour lui, il est logique voire né-
cessaire que l'humanité s'intéresse à l'histoire de la discipli-
ne intellectuelle qui constitue la source de son bonheur, à sa-
voir celle de la science de la nature. Dubois justifie uinsi
le choix de cette innovation:
-Qu'ils sont petits, tous ces événements auxquels nous
attribuons d'ordinaire assez d'importanc.· pour les ré-
unir sous le nom ambitieux d'histoire du monde, tandis
qu'en réalité, ce ne sont, pour une moitié, que l'his-
toire des guerres, et, pour l'autre moitié, que l'his-
toire des hallucinations de quelques peuples civilisés~16)
(15) Wollgast S"
Einleitung zu: Vortrijge Uber Ph11osophie und
Gesellschaft, p. XXXI,
(16) Dubois Reymond E., Reden 1. 8d~ p. 595.
"Wie kleinlich aIle jene Ereignisse, denen wir gewëhnt
sind, solche Wichtigkeit beizulegen, dass wir sie unter
dem stolzen Ngmen Weltgeschichte zusammenfassen, da sie
doch nichts sind, ais zur einen Hëlfte Kriegsgeschichte,
zur anderen Geschichte der Wahnvorstellungen einiger Kul-
turvëlkerl"

- 228 -
Les propos de Dubois relèvent du profond sentiment d'hu-
maniste,
las des événements politiques et sociaux dont l'homme
est à la fois l'acteur, la victime et le spectateur. Le savant
de Berlin voudrait souligner l'erreur classique qui réside dans
l'assimilation de l'histoire universelle à l'histoire politique,
erreur qui conduit à une perversion de l'histoire universelle.
Pour lui,
l'histoire politique n'est rien d'autre que l'illus-
tràtion de la destruction humaine ou sociale.
Les' caractéris-
tiques qu'il en donne, sont assez apocalyptiques:
"Nous découvrons ainsi une histoire universelle toute
différente de celle qui porte ordinairement ce nom et
qui ne nous parle que de l'élévation et de la chute des
rois et des empires, de
traités et de
querelles de
succession~ de guerres et de conquites, de batailles
et de sièges( ••• ) .qui ne nous montre rien dans la guer-
re de tous contre tous que la trouble et confuse agita-
tion de l'orgueil, de l'avidité et de la sensualité,
de la violence( •.• ) et de l'hypocrisie."(17)
Thomas Buckle, un historien anglais, que Dubois ci~e avec respect
dans son oeuvre,
ne s'exprime pas autrement(18).
Ramener l'histoire universelle à l'histoire politique re-
vient à soumettre toute l'histoire
aux passions, aux volontés,
en somme à la concevoir comme tributaire des motivations person-
nelles ou collectives qui, en fait,
ne distinguent nullement
(17) ~. p. 593-594.
·00 erblicken wir eine ganz andere Weltgeschichte, aIs
die, welche gewOhnlich diesen Namen trëgt, und uns von
nichts erzahlt. ols von Steigen und Fallen der Kënige
und Reiche, von Vertrogen und Erbstreitigkeiten,von Krie.
gen und Eroberungen, von Schlachten und~~elagerungen;(•. J
welche uns nichts zeigt ols im Kampf Aller gegen Alle
o·dos trUbe Ourcheinanderwogen von Ehrgeist, Habsucht und
~innlichkeit, vom Gewalt( ••• )und von Heuchelei."
(18) Cf. Geschichte der Civilisation in England. Leipzig, Heidel·
berg, 6. Auflage, 1887, Bd 1 und II.

- 229 -
l'homme de l'animal(19). Certes, la notion générale de l'his-
toire n'est pas ignorée chez Dubois. Il identifie l'histoire
à "la connaissance du passé- et en montre la nécessité:
"Qu'il s'agisse d'un organisme, d'un Etat, d'une lan-
gue ou d'une doctrine scientifique,c'est l'histoire de
l'évolution qui révèle le mieux la signification et le
rapport des choses.-(20)
On retrouve ce point de vue à la base de l'ensemble de ses dis-
cours. Cependant, c'est au niveau de la mati~re marne de l'his~
toire que Dubois situe l'objet de sa critique et de sa réproba-
tion. L'histoire universelle considérée d'un point de vue poli-
tique, ne peut servir l'humanité(21). Sa matière fait de la re-
cherche historique une fin en soi, une pure observation contem-
plative d'un lointain passé. L'histoire universelle doit se ré-
duire
à l'étude des possibilités scientifiqueset techniques
de l'homme. Telle est l'idée maîtresse qui se dégage de cette
Pensée de Dubois:
"L'histoire de la science de la nature est la vérita-
ble histoire de l'humanité."(22)
Dubois voudrait faire table rase de la conception de l'E-
cole qui restreint aux événements politiques le contenu de l'his-
toire universelle(23). Désormais, l'histoire universelle prend
une acception tout à fait nouvelle. La loi de la·causalité, la
(19) Dubois Reymond E., op. cit. p.596. Dubois identifie l'histoi-
re politique à celle de la vie animale.
(20) Ibid, p. 432,
"Gleichviel, ob es um einen Organismus, ein Staatswesen
eine Sprache oder eine wissenschaftliche Lehre sich hand-
le, die Entwicklungsgeschichte erschliesst am besten Be-
deutung und Zusammenhang der Dinge."
(21) Ibid. p. 596. Dubois q4alifie l'histoire politique de "mono-
tone et stérile",
(22) Ibid.
"Die Geschichte der Naturwissenschaft ist die wahre Ge-
schichte der Menschheit.-

- 230 -
méthode inductive, la technique appliquée, en somme tous les
produits de l'esprit scientifique et leur application utilitai-
re constituent sa matière. L'étude de l'histoire universelle re-
viendra à observer le cheminement et l'évolution de l'esprit
humain dans le domaine scientifique. Dans le fond~ Dubois re-
cherche l'unicité de l'histoire dans le temps certes, mais sur-
tout dans l'espace; une histoire commune à tous les peuples et
à tous les pays et dont la scientificité résidera dans la cons-
tance de sa matière et dans l'objectivité de l'interprétation
de cette dernière.
Dans son discours sur l'histoire de la civilisation et
les sciences de la nature, Dubois a tenté de retracer les gran-
des phases de l'histoire universelle. C'est en fait celles de
l'histoire de la civilisation qu'il nous donne. Les six grandes
périodes qu'il distingue -
.,
"L"poque primitive ou l'Age des conclusions inc~nscientes
L'Age anthropomorphique
L'Age esthétique et spéculatif
L'Age de l'ascétis~e scolastique
Les origines de la ~cience moderne
L'Age de l'induction et de l'industrie"(24)_
sont analysées dans une perspective naturaliste(scientifique).
Les quatre premières phases montrent une évolution de la connais-
Sance de la nature
allant de la conception animiste, puis mytho-
logi~ue aux capacités d'observation et de généralisation. Elles
(23) Mann G., Naturwissen un~ Erkenntnis im 19.Jahrhundert,p. 150.
(24) Dubois Reymond E., op. ~it. p. 567 et suiv.
-Die Urzeit ols Zeitalter der unbewussten SchlUsse
Dos anthropomorphische Zeitalter
Dos spekulativ-asthetische Zeitalter
Dos scholastisch-asketische Zeitalter
Der Ursprung der neueren Naturwissenschaft
Das technisch-induktive Zeitalter
Nous nous intéresserons ici à l'intention dans laquelle Dubois a
établi ces divisions.

- 231 -
ont été, dans une certaine mesure, des phases préparatoires à
la naissance de la science moderne au début du XVI.e sièc le (25) .
Dubois ajoutera cependant, quelques années plus tàrd, que cer-
taines notions de la physique et de la chimie exi~taient déjà
dans l'antiquité, notamment la constance de la matière et de la
force chez Epicure(26). On remorquera dans
l'ana1yse
de Du-
bois l'importance accordée à l'esprit et aux découvertes scien-
tifiques, les notions de race, de pays, de nation étant relé-
guées au second plan.
La véritable histoire universelle chez Dubois doit être
fondée sur l'idée de progrès et permettre de
-retracer la transfarmation opérée pacifiquement par
la science de la nature dans la condition de l'humani-
Le bonheur, la perfecti~n de l'être humain sont sans cesse vi-
sés dans sa conception de l'histoire. Les grandes figures de
l'histoire seront celles-là mêmes qui ont contribué à l'édifi-
cation des différentes étapes de la science et de la pensée sci-
entifique. Ce ne serant plus Louis XIV, ni Napol'on •.• mais
plutôt Isaac Newton, Alexandre Volta, Descartes, Darwin ..• aux-
quels i l conviendra de rendre hOlT'mage en tant que héros. Dubois
fait découvrir ici une des raisons fondamentales de ses études
biographiques essentiellement consacrées aux savants.
On pourrait reprocher à Dubois taut comme à la plupart
(25) ~. p. 588.
(26) Id. Über die Grenzen des Naturerkennens & Die sieben Weltrët-
sel, p. 83.
(27) Id. Reden 1. Bd., p. 597.
• •.. den Umschwung zu sChidern, den( ... ) die Naturwissen-
scnaft im Zustand der Menschheit friedlich bewirkte."

-
232 -
des naturalistes du XIXe siècle -
notamment Liebig, Siemens et
Gottfried von Jager(28) -
d'avoir voulu trop spéci~liser le
contenu de l'histoire au nom d'un certain humanisme. Même si cet-
te méthode lui a valu le mérite d'être l'historien de la scien-
ce au XIXe siècle(29), elle laisse apparaître les limites de la
conceptlon du savant de Berlin dans le temps et quant au fond.
Dans le temps,
strictement parlant,
l'histoire universelle com-
mence"rait à partir du XVIe siecle et ignorerait les" siècles qui
le pr~cèdent et auxquels Dubois avait
reconnu certaines valeurs
scientifiques. Quant au fond,
le contenu de l'histoire souffri-
rait de certaines carences: le Ignorabimus de l'auteur ayant
clairement montré l'imperfection et .1' insuff isance de la scien-
ce.
Toutefois, on n'oubliera pas que la conception ~e l'his-
toire universelle chez Dubois est avant tout une recherche de
l'unité du monde humain, de rapprochement entre les peuples et
des conditions idéales de l'existence humaine. On retrouvera
également certaines de ces valeurs dans la philosophie de l'au-
teur concernant la société moderne.
3. Une société d'éguilibre
Partisan d'une éducation essentiellement basée sur la sci-
ence de la nature, Dubois a très vite réalisé qu'un vaste déve-
loppement de la science et de la technique,
en même temps qu'il
affranchit l'homme,
contribue également à sa destruction. Cepen-
(28) Cf. Liebig J. v., Uber das Studium der Naturwissenschaften
und über den Zustand der Chemie in Preussen. Braunschweig 1840;
cf. également, Siemens W., Das naturwissenschaftliche Zeita1ter,
In: Tageblatt der 59. Versomm1ung deutscher Naturforscher und Arz-
!!. Berlin 1~86; cf. enfin, Jager G. F. v., Uber den relativen
Wert der Naturwissenschaften auf die formelle Bi1dung der Jugend.
Stuttgart 1841 •
(29) Wollgast S., Einleitung zu: Vortrage Uber Philosophie und Ge-

-
233 -
dont, il ne fallait pas pour autant qu'on interrompît l'ensei-
gnement scientifique car l'Allemagne, dont il soulignait le re-
tard au XVIIIe et au début du XIXe sièCle, lui do~t sa grandeur
et sa puissance. Il tente de convaincre son auditoire et ses
lecteurs des mérites incontestables de la science:
-L'Allemagne est devenue unie et forte et le voeu de
notre jeunesse de revoir le nom allemand respecté sur
terre et sur mer est réalisé. Qui serait disposé b
critiquer de tels succès?-(30)
Dubois a beau considérer la science comme l'instrument
privilégié de domination et de puissance, et lui garantir
constance
et
continuité dans son développement, il ne peut
s'emplcher de mettre l'humanité en garde contre les dangers d'une
forte industrialisation. Une société industrielle est identique
à une civilisation pour laquelle la poésie et les 'beaux-arts
sont superflus, où la science de l'homme et de la société est
négligée, et où les moeurs sont liées à une exploitation indus-
trielle et matérialiste. Elle conduit à une conception étroite
et fausse,
et impose à l'humanité un développement. anormal. Aux
yeux de Dubois, l'Amérique offre l'image d'une telle société:
-A côté de situations où les conditions fondamentales
de la société humaine, sont remises en question, l'on
voit surgir dans l'existence, particulièrement ici, ces
êtres dont la richesse, le luxe, le vernis extérieur,
contrastant avec leur ignorance, leur esprit borné et
leur inculture, éveille l'idée de néo-barbarie. Eu
sellschaft. p. XXVII. Heinrich Boruttau, dans;Dubois Reymond ols
Physiologe und Historiker der Naturwissenschafte~. in:Klinisch-
therapeutische Wochenschrift. Berlin 1919, 26. Bd . • était déjb
parvenu
à ce résultat.
(30) Dubois Reymond E., op. cit. p.606.
-Deutschland ward einig und stark, und erfüllt ist unser
Jugendwunsch, den deutschen Namen wieder geochtet zu sehen
auf Land und Meer. Wer makelte gern an solchen Errungen-

- 234 -
égard à cet aspect de la vie américaine( ... ) l'on a pris
l ' habi tude de désigner sous le nom d' amér icani sat ion
la pénétration et l'envahissement redoutés de la cul-
ture europ~enne par le réalisme et la prépondérance
croissante et déchainée de la technique."(31)
Ici la conscience et les sentiments humanistes de Dubois l'em
portent sur la finalité de la science.
Dubois pose ainsi le problème de l'aliénation, de l'abru-
tissement de l'homme liés à la société industrielle, où la vie
est mécanisée, o~ la course effrénée aux intér~ts matériels est
vertu et o~ l'homme n'est plus qu'une machine. La paternité de
cet utilitarisme est attribuée à Benjamin Franklin(32). Mais,
pour ~tre plus explicite, Dubois met tout particulièrement l'ac-
cent sur la déshumanisation intellectuelle, résultat de ce dé-
séquilibre social. Pour pallier cette carence, situation à 10-
-,, ,
quelle l'Allemagne n'échappe pas, Dubois pense que l'humanisme
doit voler au secours de la société industrielle et constituer
un antidote. Celui-ci, pour être efficace, devra être adminis-
tré prioritairement à ~Q jeunesse. Le savant de Berlin le fait
comprendre dans sa réforme des gymnases prussiens:
"A cette science qui désagr~ge les idéaux, qui repous-
se aVec mépris tout ce qu'elle ne peut éclairer de sa
froide lumi~re,qui dépouille l'histoire de son intérêt
saisissant et la nature elle-même de son voile attra-
schoften?-
(31) ~. p. 605.
"Neben Zustënden, wo die ersten Bedingungen der mensch-
lichen Gesellschaft in Frage stehen, springen vornehmlich
hier jene Existenzen ins Dosein, deren Reichtum, Oppig-
keit und ëusserer Schliff im Gegensatz zu ihrer Unwissen-
heit, Beschrënktheit und inneren Roheit den Begriff der
Neobarbarei erwecken. lm Hinblick auf diese( ... ) Seite
des amerikanischen Lebens gewohnte man sich. die gefürch-
tete Uberwucherung und Durchdringung der eurorëischen Kul·
tur mit Realismus und dos reissend wachsende Ubergewicht
der Technik ols Amerikanisierung ,zu bezeichnen."

- 235 -
yant, opposons le palladium de l'humanisme.·(33)
S'il Y a une valeur que Dubois a gardée du Collège fran-
çais de Berlin, ce sont bien les humanités. Dans son oeuvre, il
accorde une place éminente à l'antiquité gréco-latine, la con-
sidère comme la base de l'éducation et de la civilisation et exal-
te la supériorité des ~tudes classiques(34). Pour Dubois, les ma-
tières classiques, bien enseignées, doivent d'une part
contribu-
er à l'acquisition de l'art de penser, de vivre et,de créer et
donner
à
'l'esprit les moyens de se détacher du monde réel,
de' s'absorber dans les choses de l'outre monde. Elles doivent
constituer en partie la science de l'évasion. A ce propos, Dubois
convie à exhumer l'idéalisme et' pour le jeune Prussien
·l'idéalisme allemand, le bien précieux de la nation:(35)
GOethe est r:habilité avec grand respect. Il devient le repré-
sentant par excellence du classicisme allemand et son oeuvre,
une source d'enrichissement intellectuel(36). Dubois combine
ici l'héritage de l'antiquité et celui du XVIIIe siècle. D'autre
part, les études classiques doivent permettre de puiser dans
l'histoire et la civilisation anciennes la conscience des va-
leurs nobles de l'homme.
Dubois soul~ve ici le problème de la nécessité d'un re-
(32) ~. p. 599. Benjamin Franklin(1706-1790) homme politique
américain.
(33) Ibid. p. 607.
7Halten wir der die Ideale zergliedernden, was sie nicht
ln nüchternes Licht zu set zen vermag, verëchtlich beiseite
schiebenden, die Geschichte ihrer ergreifenden Macht,die
Natur selber des reizenden Schleiers beraubenden Naturwis-
senschaft das Palladium des Humanismus entgegen.·
(34) ~. p. 609. Dubois 'affirme que rien ne peut remplacer les
études classiques.
(35) !2i2. p. 620.
• ••. den deutschen Idealismus, das anvertraute Gut der Na-
tion.-

-
236 -
tour aux sources de la civilisation européenne, dont l'ensemble
de son oeuvre est un témoignage vivant,et invite à une révision
de la notion de culture. La science de la nature ne forme plus
désormais qu'une moitié de la science. La culture générale ne
se réduit plus à la connaissance de la nature et de ses lois
mais englobe tout domaine nécessaire à l'homme et susceptible
d'enrichir son esprit.
Or, dans l'histoire et l'application de la science, Du-
bois s'était montré' très pointilleux et n'avait pas hésité à
condamner les sciences humaines, l'art, la poésie,ici nécessai-
res à l'homme,et à nier leur importance dans la culture. Il a-
vait même blâmé le Moyen Age en le considérant
comme la pério-
de des ténèbres{die Zeit der Nacht} et jugé que la cause de
l'effondrement de la civilisation antique avait ét~ l'insuffi-
sance de sa capacité industrielle(37). Mais quand il s'agit de
sauver l'homme et l'humanité, Dubois opte pour une complémen-
tarité des civilisations antique et moderne,
les jugeant aussi
fragiles l'une que l'autre.
Malgré sa conviction de la valeur de l'enseignement des
sciences, notammant des sciences de la nature et de leur influ-
ence
sur la culture des temps modernes, Dubois ne se départit
.
-
Pas de la volonté de donn.rà l'homme une formation complète et
équilibrée. Il voudrait réaliser ainsi l'intégration parfait~
de l'homme dans la société. L'équilibre de la société procède
d' un)- amalgame de sciences que Dubois juge ut i le 5-" à l' homme.
Il partage ses sentiments entre la volonté de construire une
société technologique et le souhait d'un épanouissement intel-
(36) Ibid. p. 611.
(37) .!lli. p. 582.

-
237 -
lectuel et harmonieux de l'humanité.
x
x
x
Il est possible que la conception de Dubois, cette quête
opiniâtre du bonheur humain, du devenir heureux de l'humanité,
ait été influencée par une jeunesse sans joie et par l'éduca-
tion humaniste reçue au Collège français de Berlin. N'ayant
pas vécu le bonheur durant son enfance et sa jeunesse, Dubois
le souhaite dès lors à toute l'humanité. La libération morale
et intellectuelle par l'épanouissement de l'esprit, et le sa-
lut matériel surtout par la science
sont, pour lui, les se-
crets du bonheur de' l'homme et l'itinéraire historique de toute
l'humanité.
On ne saurait également exclure ici le pessimisme ou les
inquiétudes du savant de Berlin à l'égard de la durée
de
l'univers. Dubois ne croit pas en l'éternité du monde. et le
fait savoir:
"Un jour viendra( .. ,)o~ la terre ne sera plus Qu'une
sphère de glace tournant lentement autour du soleil re-
froidi jusqu'au rouge cerise; Un jour viendra o~(, .. )
l'obscurité sera, parce que le dernier oeil se sera fer-
mé,-(38)
(38) ~. p. 602.
"Ein Tag wird kommen( ••• ) wo die Erde nur noch aIs Eis-
balltrëge um die nur noch kirschrot glühende Sonne rollt:
Ein Tag woC •• ,} Finsternis wird, weil das letzte Auge
sich schliesst,-

-
238 -
La hantise d'une fin du monde,
loin de dissuader 'l'effort hu-
main(39), pourrait être une des motivations fondamentales chez
Dubois dans sa lutte pour le bien-être optimal de l'humanité.
La vision humaniste de Dubois semble se rattacher au ra-
tionalisme et à la philanthropie du XVIIIe siècle; Dubois appa-
raissant à cet égard comme un fils des Lumières, formé notam-
ment à l'école de Voltaire.
(39) Ibid. p. 602. Ayant annoncé la fin du monde, Dubois a te-
nu à rassurer et à encourager ses auditeurs et se~ lecteurs dons
leurs activités, les invitant à dépasser cette dure réalité.

CHAPITRE III
L'idée d'Allemagne et la Fronce
1. La guerre de 1870 et le nationalisme de Dubois
Le désir d'affirmer sa nationalité allemande et de se
faire reconnaître comme tel dans une Allemagne en guerre con-
tre la Fronce, et la nécessité de
dépasser un fait originel aux
conséquences psychologiques
amènent Dubois à prononcer le
3 aoOt 1870, deux semaines après l'éclatement de la guerre, son
discours La guerre allemande. Ce discours qui avait été aussi-
tôt répandu
dans toute l'Allemagne(1), avait fait sensation
dans la République des savants et dans l'opinion publique tant
en Allemagne qu'en dehors de l-Al1emagne. Son ti~re est très
révélateur.
Il porte à croire que la guerre de 1870 est légiti-
me, car il s'agit pour l'Allemagne de se défendre devant l'a~
gression française. Cet engagement justifie le contenu du dis-
cours. L'intérêt de la guerre de 1870 ou du discours dons la vie
de Dubois intéressera notre étude.
La guerre allemande est en grande partie une diatribe
contre la Fronce, diatribe à travers laquelle est mise en lu-
mière toute la personnalité de l'Allemagne.
Tout d'abord,
Napo-
léon III et ses ambitions personnelles portent l'entière res-
(1) Dons la même année,
La guerre allemande fut publiée en tant
qu'oeuvre de circonstance{Gelegenheitsschrift) par l'université
de Berlin,
puis elle fut parue à l'édition August Hirschwald.

-
240 -
ponsabilité de la guerre. Le souverain français est qualifié d.
"princ. des tenèbres-, de ·bourreau·, de ·ment.ur· ...
-qui ne croit en rien d'autre qu'à sa propre étoile san-
glante ••.• (2)
Ces propos ac.rb.s rappellent le discours L. 18 Brumaire d. Louis
Bonaparte d. Karl Marx, visant l'emp.r.ur français. Dubois n'é-
pargne pas le peuple français considéré comme complice de son
souv.rain:
-L. crimin.l dont je parI., plus dangereux que Louis
Napoléon lui-mêm., parce qu'inamovible et immortel,
c'est tout le p.uple français."(3)
Même si, par moments, Dubois r.connatt au peuple français
des qualités, il ne peut s'.mpêch.r d. donner libre cours
à
Ses théories germanistes, théories ess.ntiellement apologétiqu.s
qui vantent la supériorité intellectu.lle
et morale du peuple
allemand sur le peuple français. Celle-ci est exprimée ici
par un procédé d. contraste:
"Nous Allemands, savons très bi.n combi.n l'humanité
doit au peuple français très doué et pl~in d'esprit.
Nous le savons mieux que les Français eux-mêmes parce
que nous 1.5 dépassons de loin en matière de connais-
sance linguistique, de compréhension du
génie étran-
ger ( •.• ' et parce que nous sommes justes envers d'au-
(2) Dubois R.ymond E., Peden 1. Bd.,p. 398.
"Fürst d.r Finsternis-, "M.nschschlochter-, -Lügner· . . .
i
"d.r an nichts glaubt ols an seinen eigenen
1 t ·
5
• t
b U 1gen
tern....~
}
i
(3) ~. p. 400.
·Der Verbrecher. d.n ich m.ine, gefëhrlicher aIs Louis
Napoléon s.lber, w.il unabsetzbar und unsterblich, ist
dos ganz. franzosische Volk.-

-
241
-
tres peuples jusqu'à l'injustice envers nous-mêmes."(4)
La mission civilisatrice de l'Allemagne auprès de la France
dons le passé est également mise en relief chez Dubois en ces
termes:
"Nous nous étions mêlés de leurs affaires intérieure~
avions pénétré chez eux de force pour les empêcher de
se guillotiner à loisir."(S)
L'ingérence étrangère trouve ici une justification"morale et po-
sitive.
Si la guerre de 1870 a penmis ~ Dubois d'exalter le culte
de la nationalité, elle lui 0 également donn~ l'occasion de
dévoiler saphilosophie de la gu~rre. Dubois fait ici la dis-
tinction entre une guerre juste,
légitime et une guerre injuste.
Tant que la guerre a pour but de rétablir les droits"fondamen-
taux ou de servir la cause de la paix, comme la guerre de 1870,
elle est une bonne chose,. A ce propos, Dubois avait salué la
guerre de libération américaine(6). Du côté allemand,
la guerre
de 1870, devrait permettre, en cas de victoire,
l:instauration
de la paix dont l'Allemagne est la championne(7).
Op~ration
défensive,
elle est une nécessité politique pour l'Allemagne.
Elle doit consolider son unité et contribuer à la création de
l'Empire allemand. La mobilisation générale pour la défense de
(4)
Ibid.
p. 401.
·Wir Deutsche wissen sehr gut, wieviel die Menschheit dem
hochbegabten, geistreichen Volk der Franzosen schuldet.
Wir wissen es besser ols die Franzosen selber, weil wir
on Sprachenkenntnis, on Verstandnis für fremdes Volkstum,
( .•• )sie weit Ubertreffen, und gegen andere Volker gerecht
bis zur Ungerechtigkeit gegen uns selber sind."
(5) ~. p. 403.
·Wir mischten uns in ihre inneren Angelegenheiten und
drangen bei ihnen ein, um sie zu verhindern, einander nach
Belieben zu guillotinieren.-
(6) l2i2. p. 423.
(7) Ibid.
p. 424. Un auteur allemand,
le Dr Kerl Georg Bruns avait

- 242 -
la patrie et la prise de conscience des intérêts de celle-ci
doivent faire oublier les divisions internes. Dubois pense que
l'Allemagne devra se faire le devoir d'exploiter cette situation:
-Le sang versé en commun sur le champ de bataille scel-
lera plus sOrement l'unit' allemande que tous les trai-
tés.w(a)
En fait,
quand bien même les reproches de Dubois à l'é-
gard de la France ne reposent sur aucun fondement.
le discours
en lui-même tient une grande place dans le conflit. Sa mission
aura été de galvaniser l'énergie du peuple allemand, de stimu-
ler une prise de conscience collective à l'égard du légitime
salut de la patrie. On entrevoit ici le raIe psychologique de
Dubois dans le conflit, raIe qui fait de La guerre allemande
le produit d'un esprit nationaliste. Cependant, on pourrait
~.
s'interroger sur l'opportunit4 du ton excessif du discours et,
, '
tout au moins, cherch.~ ~ discerner les mobiles de cette déme-
sure.
Plusieurs raisons permettent d'expliquer la~dureté de La
guerre allemande. D'abord, depuis 1. début de la guerre,
tout
dans lq vie de Dubois porte à croire que psychologiquement le
savant de Berlin se sentait étranger en Allemagne.
Le nom fran-
çais qu'il portait, devenait de plus en plus un poids pour lui,
d'autant plus qu'il était convaincu que de l'outr~ côté du Rhin
tout Allemand courait un danger s ' i l est reconnu en tant que tel
repris cette thè.e de Dubois deux mois plus tord. Mais bien plus
que l'auteu~, Bruns voyait dans la victoire allemande la poix de
toute l'Europe( Cf. Oeutschlond's Sieg über Fronkreich. 1~.Okt.
1870, p. 24).
(a) ~. p. 417.
·Ourch gemeinsom ouf dem Schlochtfelde vergossene Blut
wird die deutsche Einheit sicherer besiegelt ols durch ol-
le Vertrage.-

- 243 -
dans les rues de Paris(9). La psychose d'apparaître Français
parmi des Allemands en une période d'inimitié entre ces deux
peuples, avait conduit Dubois à sortir de sa réserve. Au lende-
main de l'annonce de la déclaration de guerre,
il traduisait
ainsi son état d'âme:
"Quand{ •.. )
j'entrais dans l'amphithéâtre,
je trouvais
mes auditeurs disséminés par groupes,
en vive discus-
sion , et apparemment peu disposés à suivre un cours de
Physiologie.
'Oubliez,
Messieurs,
dis-je,
que je por-
te un nom français et mettons-nous au travail' ."(10)
A travers la réaction de Dubois qui,
dons le fond,
n'a-
vait rien à voir avec les sentiments de son auditoire, on peut
clairement se faire une idée de l'état d'esprit du savant de Ber-
lin en cette période. Dubois se débattait avec sa propre consci-
ence. Ce déchirement intime a m3me été
accentué par une co~nci­
dence:' sa nomination, à-cette époque,
comme recteur de l'univer-
sité de Berlin, promotion qui le plaçait au premier plon et, par
conséquent, en point de mire d'une éventuelle critique de ses ori-
gines. Le choix du discours La guerre allemande,
prononcé à l'oc-
casion de la cérémonieofficjelle d'investiture dans sa nouvelle
fonction,
indique clairement son intention d'affirmer publique-
ment son allégeance à la patrie allemande.
Or, avant 1870,dans les rapports entretenus par Dubois
(9) l2!2. p. 420.
(10) Ibid.
"Als ich( •• ,) den Hijrsaal betrat,
fond ich meine Zuhorer
gruppenweise umherstehend in erregtem Gesprach,
und an-
scheinend wenig aufgelegt, einem physiologischen Vortrag
zu folgen.'Vergessen Sie, meine Herren,'
sagte ich,
'doss
ich einen franzijsischen Nomen habe,
und lossen Sie uns an
die Arbeit gehen.'
"

- 244
avec des amis ou collègues français, on ne trouve Que peu
d'arguments pour justifier la nature de son discours, ses cor-
respondances faisant foi'. Dans sa lettre du 4 avril 1850,adres-
sée
à
Mme MUller, épouse de son professeur, et faisant le
bilan de son séjour à Paris(11), Dubois porte une appréciation
assez mitigée sur la France. En même temps Qu'il se pôme d'ad-
miration devant Paris au point d~
-en perdre toute retenue-(12),
et devant l'intelligentsia française, dont il ne pouvait tai-
re les Qualités(13), il découvre le revers de la médaille et la
Source de son insatisfaction dans la vie parisienne. Sa conclu-
sion est résolue:
-Jadis,
j'avais parfo~s l'idée de faire irruption ici
et de m'y installer à la faveur de mon nom et de ma com-
pétence linguistique; je dois avouer Que maintenant je
ne pourrai' jamais m'accommoder de cette idée.-(14)
Ce jugement personnel n'est nullement l'inspitation d'aucun sen-
timent de haine mais plutôt l'expression d'une déception.
Ou côté des Français, l'est ime pour Dubo i s. (1 5) et la re-
connaissance de sa valeur scientifique ont été
uno-
nimes.
Le physiologiste Claude Bernard l'atteste
claire-
(11) Haberling W., Dubois Reymond in Paris. 1850. In: Deutsche
medizinische Wochenschrift. N°6, 5. Februar 1926, p. 251-252.
Sur invitation de l'Académie des Sciences de Pari~, Dubois s'était
rendu en France avec Alexander von Humboldt et Werner vpn Siemens
pour exposer les résultats de ses travaux sur l'électricité chez
les animaux. En dehors de cette lettre, on sait peu de chose sur
ce voyage; Dubois avait promisGY consacrer un rapport plus détail-
lé. Ce rapport n'a jamais vu le jour.
(12) !2i2. p. 251.
-selbst vergessen zu machen.-
(13) ~. Les physiciens français Arago, Longet et Regnault sont
jugés -éminents-, ·illustres· et -excellents- par Dubois.

-
245 -
ment.
50 lettre du 3 avril 1863 exprime tout son respect pour
son collègue allemand. En voici un extrait:
• ... Tous vos élèves que
j'ai connus ici à'Paris sont
sons exception des hommes très distingués. De sorte
que je suis naturellement porté pou~1eux, d'autant plus
que j'ai pour le maître beaucoup de sympathie et une
grande admiration .•. ·(16)
Depuis le passage de Dubois à l'Académie de Paris, un grand nom-
bre d'étudiants françaIs ont été également recommandés auprès
du savant pour l'étude de l'électrophysiologie(17).
Il y a là
sans doute l'expression d'une bonne coopération
scientifi-
que.
Chez Ernest Renan,
le physiologiste de Berlin avait auS-
si.
bénéficié de beaucoup de
prestige et de considération. Sa
lettre du 10 août 1869, adressée un an avant la guerre de 1870
à Dubois en est une révélation: Renan écrit:
• ..• 11 n'y a personne au monde dont la sympathie ait
pour moi autant de valeur que la vôtre ..• ·(18)
Renan qui s'est particulièrement penché sur la Question de la
(14) ~. p. 252.
·Ich hotte' früher zuweilen die Idee, begünstigt durch Na-
men und Sprachfëhigkeit, wie ich es sei, einmal den Ver-
such zu machen hier durchzubrechen und mich zu Ubersiede
iCh muss gestehen, doss ich mich jetzt mit dieser Vorste!'
lung nicht mehr befreunden kOnnte."
(15) Dons Nachlass - Dubois Reymond(K2,
figure une lettre d'invi-
tation solennelle datant du 6 mai 1850 et provenont d'un financier
fronçais,membre libre de l'Académie des Sciences de Paris. Fran-
çois Marie Delessert(1780- 1e68~ de son épouse.
(16) Ebstein E., Sriefe von Dubois Reymond, Claude Bernard und Jo-
hann Müller.
In: Medizinische Klinik, N°10,1925, p.1519.
(17) Nachlass - Dubois Reymond, K2 . Lettre de l'Académie des Sci-
ences de Paris à Dubois, datée du 20 avril 1850.
(18) Nachlass -
Dubois Reymond. Se9. Darmstëdter -
2d., 1863(17):
Ernest Renan.

- 246 -
guerre franco-allemande, a voulu exploiter la profonde amitié
pour Dubois à des fins pacifiques. Il a tenté de faire partager
au savant de Berlin
sa désapprobation de la guerre et la néces-
sité d'une paix entre la France et l'Allemagne. Renan se fait
ici le porte-parole du peuple français.
Il écrit:
"La derni~re élection est l'élimination définitive de
cette funeste possibilité de la guerre dont il était im-
portant jusqu'à ces derniers mois, de ne pas tenir comp-
te.Cette guerre eDt{f)été le plus épouvantable malheur
de l'histoire moderne( ... ) Cela est fini 'maintenant
le
pays veut la paix et l'a hautement dit ... "(19)
L'intention de Renan, aussi noble soit-elle, n'avait pu retenir
son ami dans son élan.
Il a fallu quelques mois pour que Dubois découvre la Sln-
cérité et la véracité des propos de Renan. A peine la paix est-el-
le en vue que Dubois profite de son discours du 6 janvier 1871.
L'empire et la paix(20~ pour tendre une main conciliatrice aux
Français. Son argumentation est basée sur des faits historiques.
Dubois rappelle non seulement l'étroite dépendance de l'Acadé-
mie de Berlin de la vie intellectuelle française à l'époque de
Fréderic Il mais aussi le poùv~ir conciliateur de la science(21).
On assiste là à une sorte de repentir de la part du savant de
Berlin.
On voit donc que le discours La guerre allemande, dans le
fond et surtout dans la forme, et la guerre de 1870 en elle-mê-
me étaient pour Dubois une occasion de se libérer la conscience,
(19) Ibid.
-
(20) Dos Kaiserreich und der Friede, discours prononcé à Berlin.
(21) ~. p. 429. Dubois cite en exemple l'eternelle amitié entre
Dominique François Arago(1786-1853) et Alexander von Humboldt(1769
-1859) malgré 10. hostilités entre la Prusse et la France"

- 247 -
de rompre publiquement et définitivement avec ses origines pre-
mières et son éducation et, surtout, d'apporter une preuve sup-
plémentaire de sa nationalité allemande et de son.~profond amour
pour l'Allemagne.(Oubois ne s'exprimait dans La guerre alleman-
~ qu'en termes de "Nous .Allemands"). L'auteur a d'ailleurs at-
teint son but. L'idée qu'il voulait donner de lui-même a été
confirmée. Depuis son discours, Dubois a le mérite d'être le mo-
d.le du nationaliste allemand(22).
En trouvant dans la gallophobie l'expression de son natio-
nalisme, Dubois a suscité l'indignation de la France. Il aura
à répondre à cette réaction.
2. La réaction française
Si en Allemagne, le discours La guerre allemande est sa-
lué avec éclat(23), en France, dans les revues et journaux et
chez les écrivains de langue française,
il fait l'objet de vi-
ves réactions. Durant la décennie qui le suivit, on a tenté de
répondre à Dubois et de situer la responsabilité de l'homme
dans le conflit.
Il semble que la déception soit le premier sentiment éprou-
vé - avant l'offensive verbale -, la France ayant nourri jusque-
là une grande confiance en son
"ami le plus fidèle de l'étranger"(24)
comme Dubois lui-même se plait à le reconnaître. Le journal Le pd-
(22) Kohut A., Moderne Geistesheroen. Berlin 1886, p. 13.
(23) Nach1ass - Dubois Reymond, K3. Le Local-Anzeiger der Presse
du 14 mars 1871 avait considéré La guerre allemande comme le dis-
cours de la paix.
(24) Dubois Reymond E., Reden 1. Bd., p. 420.
"treuest~Freund im Ausland."

- 248 -
cificateur du 26 octobre 1870 avait cru en un rôle concilia-
teur et pacifique du savant sur un plan général. Il exprime
ainsi sa déconvenue:
"Alors que des deux côtés, on aiguisait l'inimitié, des
hommes graves, des savants qui ne font pas précisement
profession de modestie y montent en chaire pour prêcher
la croisade contre la Fronce, une guerre à outrance,
une guerre de destruction et d'extermination: témoin,le
discours de Dubois Reymond.-(25)
La Fronce a payé un lourd tribut b
la guerre parce que
les savants, pour des raisons personnelles
Dubois voulant se
faire pardonner son origine française (26) - ont failli
à leur devoir d'éducateur. Dubois est considéré comme un in~tiga-
'teur de la guerre de 1870. Cette accusation, cependant, ne prend
en compte ni la politique de la Prusse ni celle de Bismarck.
Seules les idées véhiculées par l'intelligentsia allemande sont
incriminées. Les causes de la guerre sont intellectuelles. Un
article du docteur Henri Faure dons la Revue du parlement appu-
yait cette idée:
-N'oublions pas l'historien Mommsen, le théologien
Strawss, le physicien Dubois, tous professeurs éméri-
tés qui, en tant que nous fussions latins comme ils le
disent, Gaulois ou Celtes comme nous sommes, nous ont
voués à la ruine, au massacre et à la destruction."(27)
(25) Nochlass - Dubois Reymond, K3.
(26) Ibid .
............
(27) Revue du parlement. Journal hebdomadaire des débats polit~­
ques , financiers, économigues et littéraires. 27 septembre 1873.
Article: Nos ennemis, p. 62-64, cit. ~. 63. Tous ces journau~
- Le pacificateur et la Revue du parlement - se trouvent dans
Nachloss - Dubois Reymond, K3.

- 249 -
L'auteur de l'article souligne è l'intention des savants
allemands l'inefficacité de la capacité éducatrice del~ culture
humaniste qui aurait dû constituer un facteur d'union des peu-
ples européens. Tout comme le peuple français dans le discours
de Dubois,
l'intelligentsia allemande porte ici le. brandon de
de l'hostilité.
Depuis le discours de 1870,
l'image illustre qu'on se fai-
sait de Dubois en France, s'était beaucoup ternie. Le savant de
Berlin portait désormais l'étiquette de
"mangeur des Français·.
Le parrain de ce néologisme, Victor Tissot,
un écrivain suiss~
avait l'intention de présenter Dubois aux yeux du monde comme
l'ennemi personnifié de la France. Pour lui,
la francophobie
fait la célébrité de Dubois:
"M. Dubois Rey~ond s'est fait une spécialité de la hai-
ne de l'Allemagne contre la France. C'es~' lui qui, de-
puis dix ans, a dirigé la meut.
et préside aujourd'hui
à la curé•. Il insultait la France dans son triomphe.·(2~
Tissot s'est appliqué à relever les contradictions qui
régissent le comportement du savant de Berlin. Les origines
françaises de l'homme et la haine de la France devraient être
incompatibles(29). Tissot a également exploité
les sentiments
de Dubois è des fins politiques. Ceux-ci sont communs à Dubois
et è Bismarck et apportent de l'eau au moulin de la politique
antifrançaise du chancelier:
"Il{Dubois) voudrait comme Néron que le peuple français
n'ait qU'une tête pour qu'il soit plus facile
à M.Bis-
(28) Tissot V., Voyage au pays des milliards. Paris 1875,
p. 265.
(29) Ibid.

-
250 -
marck de l'abattre.-(30)
Pour l'écrivain suisse, la francophobie de Dubois n'est qu'une
façade derrière laquelle se dissimulent des sentiments de xéno.
phobie et de racisme(31), conclusion extrême dons laquelle cul-
mine sa critique~
Dans le milieu scientifique, une modération relative a
été observée. Dubois a été relativement ménagé. L'importance de
son discours a été presque minimisée. Le souci majeur a consis-
té dans la sauvegarde de la bonne coopération entr~ savants fran-
çais et allemands. Cubois lui-même a reconnu cette pondération
et l'a approuvée(32). Cependant. on ne se faisait· plus d'illu-
sion sur les sentiments de Cubois à l'égard de la Fronce. Voi-
ci comment la Revue scientifique, qui n'a jamais manqué de juger
nécessaires les services de Dubois, dépeint l'homme dons son re~
pertoire des grands savants ayant marqué leur épo~ue par leurs
découvertes:
• ••• Dubois Reymond,
le physiologiste aussi connu pour
ses remarquables travaux que pour son peu de sympathie
pour la Franc•••• ·(33)
La réaction française aussi bien que le disçQurs de Dubois
constituent uoe sorte d'occusation mutuelle qui traduit les réper-
cussions de la guerre sur les relations entre l'Allemagne et 10
Fronce. Elle est également l'expression émotionnelle d'un certain
(JO) j l l i .
(31) ~.
(32) Dubois Reymond E., Lettre du 28 janvier 1881
à M. Richet. In:
Revue scientifique de Fronce et de l'Etran~er. Paris 1881,t. 20 ,
N° 27. p. 188.
(33) Revue des cours scientifiques. Paris 1880,
t. 19, N° 26,
p.
594.

- 251 -
nationalis~e~.Cependant.l'int~rlt particulier de la r'plique fron-
...
..
.. .
çaise "est d'avoir cmwné le savant de Berlin à la conscience de
l'idée qu'on se fait désormais de lui en Fronce et à réagir.
3. La réponse de Dubois
Il semble que, de toutes les réactions, la remorque de la
Revue scientifigue soit celle qui a~le plus frappé Dubois. Le
savant de Berlin qui a toujours exprimé sa volonté de lutter
contre 1. chauvinisme et la xénophobie par la science, refuse
que, dans 1. domaine scientifique, la postérit' le considère
sous les traits d'un francophobe. L.28 janvier 1881, il déci-
de de répondre à la revue. Sa réponse se veut co~ciliatrice
et assez diplomatique.
Nous en livrons ici
un
extrait:
-Mais,puisque l'occo~ion s'en présente, veuillez, mon-
sieur, me permettre encore d'ajouter Que cette haine de
votre pays, que quelques écrivains se plaisent à m'im-
puter, n'existe que dons leur imagination frappée
par
mon nom français ett •.• ) échauffée par je ne sois quel-
les calomnies qui courent, en France, sur mon compte.
Henri Heine dit quelque part que la gronde déchirure qui
fait de ce monde un séjour d'angoisses et de peines tra-
Verse tout coeur de poète. Eh bien, Neuchâtelois d'ori-
gine, mais Allemand de naissonce; d'éducation moitié
française, moitié allemande, t.l est, je l'atteste hau-
tem.n~,mon attachement pour la France, - la France, bien
entendu, libérale, éclairé. et sage, - que cette grave
déchirure, qui depuis dix ans sépare les deux nations,
a traversé mon coeur et a été l'une des douleurs de ma
vi •••. ·(34)
(34) Lettre du 28 janvier 1881 à M. Richet.

- 252 -
Les justifications de Dubois sur ses sentiments sont peu
convaincantes voire contradictoires. Le savant de Berlin croit
être accusé à tort pour son nom français qu'il s'était fait le
devoir de "germaniser- par le discours La guerre allemande et
récuse en bloc toutes les médisances dont il est victime en Fran-
ce. Cependant, ses explications sur ses origines révèlent l'in-
suffisance ou tout au moins, la lôcheté des liens qui l'unissent
à la France: elles marquent un recul originel de l'homme par rap-
port .~ la Fronce et contribuent en foit au renforcement de sa
nationalité allemande.
La réponse de Dubois ne fait pas montre de l'amour de
l'auteur pour la Fronce. Elle marque une nette distinction entre
la France en tant que telle et sa politique. Elle vise à mettre
en lumière les préférences de l'homme pour
le choix politique
de_la France plut8t.
que pour la France elle-même. Dubois a
beau compatir à la nature des relations entre la France et l'Al-
lemagne, les conditions nécessaires à son attach~ment à la. Fronce
lui offrent
une échappatoire qui justifierait tôt ou tord sa
Position.
La réponse de Richet,
jeune physiologiste frpnçais de la
direction de la Revue scientifique, à Dubois (35), est sons doute
soucieuse du maintien des bonnes relations entre la Fronce et
l'Allemagne. Elle apporte tout d'abord sa caution
aux révéla-
tions du savant de Berlin. Richet écrit:
-Il y avait une légende ridicule, celle de la haine vi-
Vace que M. Dubois Reymond nourrissait côntre la Fronce.
(35) Nous devons la connaissance de la lettre de Dubois à
Charles Richet(185Q-1935), membre de l'Académie des Sciences de
P~ris et connu pour ses travaux sur la physiologie du système ner-
veux et la chaleur animale. Richet a intégré la lettre de Dubois
dans son article: Correspondance,de la Revue scientifique de Fron-
Ce et de l'Etranger. Paris 1881, t. 20, N° 27, p. 188.

- 253 -
Voilà que cette fable est détruite."(36)
La réponse de Richet apparemment dévoile une· certaine naï-
veté, une certaine crédulité du savant français, berné par les
propos flatteurs de son collègue allemand, qu'elle se refuse à
appréhender dans toute leur profondeur. Mais, dans le fond, el-
le est l'occasion pour le physiologiste français de souligner
toute la personnalit' intellectuelle et morale de la France. La
France au nom de laquelle parle Richet, a le mérite d'exceller
par l'objectivité. l'éminence et la fécondité de sa vie intellec-
tuelle qu'un illustre savant ne saurait nier. Elle a donné asile
è un esprit cosmopolite dont Dubois lui-même a fait la pierre de
touche de sa philosophie sociale(37).
Richet, au nom de la France, caresse un rêve
de
concor-
de entre sa patrie et l'Allemagne. Il pense que le renoncement
à toute politique militariste en est la condition sine-quo-non:
"Le jour où il n'y aura plus ni conquérants, ni oppri-
més, les haines s'éteindront d'elles-mêmes. Ce jour-là
- Dieu veuille qu'il" soit proche -
la France et l'Alle-
magne marcheront unies vers une civilisation moins bar-
bare que celle du XIXe siècle.-(38)
Cette croyance exagérée en l'homme et en sa nature ne manque
pas d'apparaître quelque peu utopique.
L'intérêt de la réponse de Richet réside surtout dans
(36) Ibid.
(37) Richet qui s'exprime ici en termes de "Nous Français" tout
comme Dubois dans La guerre allemande, pense qu'il n'y a aucun
inconvénient à être Français en Allemagne ou Allemand en France.
(38) Ibid.

- 254 -
l'habilet' psychologique de ses propos. Le physiolo~iste fron-
çais, en même temps qu'il rassure Dubois et ses collègues al-
lemands,
leur accorde une grande confiance et montre l'Allema-
gne et la France comme deux Etats frères ou amis,
tout en s'é-
vertuant également à rehausser l'image de sa patr.ie.
Il a su
opposer à la subtilit' de Dubois une certaine finesse diploma.
tique. C'est la réponse d'un Français animé de sentiments pa-
triotiques et d'sireux de la paix à un Allemond nationaliste.
Le dialogue entre Dubois et Richet, et la réaction fran-
çaise telle que nous l'avons vue précédemment, auront permis
de se faire une idée de la réc~ption de Dubois et de son dis-
cours en France et surtout de la physionomie des rapports en-
tre l'Académie des Sciences de Berlin et celle de Paris à cet-
te époque: une physionomie marquée par de profonds sentiments
patriotiques. En outre~ ce dialogue montre bien que le problè-
me du nationalisme qu'il soulève ne saurait trouver sa solu-
tion dans une simple éducation scientifique.
4. Le devenir de l'Allemagne
Dubois,
tout comme la plupart des auteurs allemands na-
tionalistes de cette époque, a 'gaIement rêvé d'une autre Alle-
magne: une Allemagne qui ferait le lustre de toute l'Europe et
mime du monde entier et qui se rév&lerait autant par son histoi-
re que par ses qualités. L'apologie de l'Allemagne est la finalité
de l'oeuvre politique et sociale du savant de Berlin. L'auteur
voudrait donner à l'Allemagne une assurance d'elle-même dont une
unité linguistique et une éducation morale voire intellectuelle
seraient les supports.
a) Nécessit' d'une unité linguistique
L'Allemagne de demain doit en partie sa force et son uni-

- 255 -
té à l'homogénéité de sa langue. Jusque-là l'Allemagne a tou-
jours payé le lourd tribut de l'utilisation abusive de la notion de
liberté jusque dons la pratique même de sa longue maternelle.
Désormais, il s'agira pour tout Allemond de sacrifier à l'in-
térêt de la potrie ce qu'il possède le plus intimément, à sa-
voir la liberté(39). Dubois rêve en ce domaine, d'une police,
l'Académie de la langue allemande.
Le discours L'Académie de la langue allemande (40} définit
le rôlede cette nouvelle institution qui serait essentiellement
de régir non seulement les essais stylistiques mais aussi de co-
difier la longue par l'établissement de règles d'une valeur uni-
verselle:
l'orthographe, la grammaire et le vocabulaire doivent
être définitivement fixés. Ce projet tenait beaucoup à coeur à
Dubois. Il dut le reprendre quatorze ons plus tard auprès des
autorités prussiennes, notamment auprès du ministère de l'Ins-
truction publique et des Cultes, insistant cette fois sur le
fondement,
le mode de fonctionnement,
les objectifs et surtout
la nécessité d'une Académie ae la langue allemande(41).
L'auteur de ce projet, il est vrai, n'est pas linguiste
mois a une grande autorité en la matière. Dubois a le mérite
d'avoir marqué son siècle par ses capacités dans le manie-
ment·de la langue allemande (42).
Sa rhétorique
tend
(39) Dubois Reymond E., Uber eine Akademie der deutschen Sprache
& Uber Geschichte der Wissenschaft. Berlin 1874, p. 28.
(~O) Uber eine Akademie der deutschen Sprache, discours prononcé
le 24 mars 1874 à Berlin.
(41) Nous avons publié intégralement la lettre de Dubois au minis-
tère et les statuts de l'Académie dons les annexes.
(42) Un article anonyme du Vossische Zeitung du 2 juillet 1896
mentionne les diff~cultés rencontrées par le successeur de Dubois
ou Secrétariat de l'Académie des Sciences, Wilhelm Waldeyer, un
anatomiste, pour séduire comme Dubois, par ses qualités linguis-
tiques.

- 256 -
l
à entrer dons le langage courant(43). Correspondant permanent
1
1
du journal Deutsche Rundschau, Dubois s'est fait apprécier mê-
f
me de ses adversaires, grâce à ses talents linguistiques(44).
Son projet d'une Académie de longue allemande traduit tout d'a-
bord la révolte de l'homme à l'égard de la négligence de la lon-
gue allemande, notamment de la part de ses collègues, qui s'i-
maginent que
"le bon allemand est un don du ciel qui ne mérite pas
d'effort pour celui qui pe le possède pas et qu'il n'est
pas nécessaire qu'on s'en tracasse.-(45)
La maîtrise de l'allemand ne relève pas de la fatalité mais est
le fruit d'un effort individuel.
L'idée d'une Académie de la longue allemande procède d'une
prise de conscience chez Dubois du retord accusé par l'Allema-
gne par rapport à ses voisins européens. La raison qu'il évoque
dans sa lettre de 1888 au minist~re de l'lnstruçtivr1 ~t d~s rul-
tes, a un caract~re purement nationaliste: il s'Qgit d~ faire
de l'Allemagne l'égale de la-France en ce qui concerne la lon-
gue maternelle: d'où la nécessité de calquer l'organisation de
l'Académie allemande sur celle de l'Académie française. Dubois
explique:
"Le nombre de quarante membres qu'il(l'auteur
du pro-
jet)
propose dans le §3 de son statut semble directe-
ment emprunté
à
l'Académie française qui revendique
(43) Kloppe W., ~ubois Reymond·s Rhetorik im Urteil einiger sei-
~
ner Zeitgenossen. In: Oeutsches medizinisches Journal. 9. Bd. Heft.'
~
2, . Berlin
1958,
p. 82. Adolf Strümpell, un interne mentionne
:
dons son
jugement sur un ami de DUbois,. le physiologiste Carl L~d-I
wig que ce dernier n'est pas aussi brillant rhéteur que Dubois.
1
(44) Hockel E., Vortrëge und Abhandlungen. In: Gemeinverstëndliche
Werke. V. 8d./Berlin 1924, p. 275.
(45) Dubois Reymond E., op. cit. p. 23,
" ... gutes Deutsch ein Geschenk des Himmels,
um dos, wer

-
257 -
d'accomplir, depuis deux siècles,
pour la' langue fran-
çaise,
ce que nous voudrions atteindre pour la langue
allemande. - (46).
En 1874, Dubois avait cité l'Angleterre aux côtés de la Fran.
ce(47).
Sans doute,
le modèle français avait-il beaucoup ~arqué
Dubois. Le XVIIe siècle français qui a vu la fondation de l'Aca-
démie frbnçaise par Richelieu en 1635 est le point de départ de
-
.
!a gloire de la langue française chez Dubois.
La littérature
classique française a contribué à donner à cette langue son ca-
ractère universel(48). Un hommage
lui est implicitement rendu.
Alors que l'éminent linguiste allemand Jacob Grimm· dont Dubois
tente ici de r'aliser le souhait,
porte ses préférences sur les
pe~ples romains comme modèles sur le plan linguistique(49), Du-
bois lui,
join~ les Français aux Romains. De tous les auteurs
non-allemands, Voltaire et Rousseau méritent la palme d'or dans
la maîtrise de la langue française.
si' le style du second est
facilement imitable(50), celui du premier reste
·un modèle inégalé de l'expression vive, alerte et per-
tinente. -(51)
On rlest point surpris que la critique allemande,
jugeant
es nicht besitze, umsonst sich bemühe,
und welches über-
dies nicht werth sei, dass mon seinetwegen sich plage."
(46) Nach1ass -
Dubois Reymond,
K4.
Lettre de 1888 à von Gossler.
"Die Zahl von vierzig Mitgliedern, welche er(der Urheber
des Plans) in §3 seines Statutes vorschl~gt•. scheint un-
mittelbar der Acadé~e française entlehnt, welche für die
franz~sische Sprache seit zwei Jahrhunderten dasjenige zu
leisten beansprucht, was wir fUr die deutsche Sprache
wohl erreichen mOchten."
(~7) Dubois Reymond E., op. cit. p. 14.
(48) Id., Reden 2. Bd.#p. 429.
(49) Nach1ass - Dubois Reymond,
K4. Dove A.,
Eine Akademie der
deutschen Sprache. p. 504.

-
258 -
la rhétorique de Dubois, ait fait d'abord du savant un produit
de ses origines fr~nçaises. Dubois apparaît bien souvent comme
un Alexandre Oumas ou un Victor Hugo allemand(52)~
Cependant, Dubois exploitera le modèle français à des fins
nationalistes. De même que l'Angleterre ou 10 France,
l'Allema-
gne devra recourir à l'étude des langues classiques. C'est au-
près de la jeunesse qu'il convient de cultiver cet' intérêt. Dans
SOn projet de réforme des gy"nases, Dubois,
insistant sur la né-
cessité des langues classiques, accorde ses préférences ou latin.
Il énumère les raisons et les avantages de ce choix:
-Pour exercer l'intelligence, pour éveiller et former
le sentiment des qualités les plus néces~aires au sty-
le, de la justesse, de la rigueur et de la brièveté,
le
latin, avec sa clarté transparen~e,sa juste précision
et sa sOret' d'expression, serait incontestablement un
meilleur suiet~d~étud. que le grec ..• ·(53).
Le latin aiderait ~ l'apprentissage de la perfection de la lan-
gue allemande.
Evidemment, dans sa proposition, Dubois se considère non
seulement comme un pédagogue mais comme un psychologue, connais-
(50) Dubois Reymond E., op. cit. p. 34.
(51) Id.,
Uber eine Akodemie der deutschen Sprache ...
p. 27.
(52) Holdenberg F. V., Voltaire und Friedrich II, Dubois Reymond
Und Droysen. 2. Auflage. Altona 1871, p.9.
(53) Dubois Reymond E., Reden 1. 8d./p. 618-619.
·Unfraglich ist Latein mit seiner durchsichtigen Klarheitj
seiner knappen Bestimmtheit und sicheren Auslegbarkeit
ein besserer Lehrgegenstond um doran den Verstand zu üben
und den Sinn für die grundlegenden Erforaernisse einer gu-
ten Schreibart, Richtigkeit, Schërfe und Kürze des Ausdru
kes,
zu wecken und zu bilden, ols Griechisch ... "

-
259 -
seur de la nature de ses compatriotes. Pour lui,
cette base
éducative orientée vers le latin devrait conduire le jeune Al-
lemand entre autre à l'acquisition de la notion d'esthétique
qui lui fait essentiellement défaut(54).
En suivant le modèle français,
l'Allemagne devrait assurer
so~
prestige à l'extérieur par la qualité et l'éclat de sa lan-
gue. A l'intérieur,
elle devrait s'appuyer sur son homogénéité
linguistique pour consolider son unité. Dubois pense que l'Alle-
magne a beaucoup souffert d'un certain morcellement politique
et que la langue est le seul lien moral.
Son rôle est d'unir et
de maintenir
-les tribus allemande~ composant à présent le Reith.-(55)
Politiquement,
l'Académie de la langue allem~nde devrait
servir la cause de la politique unificatrice de la Prusse. Son
implantation à Berlin dèvrait consolider le pouvoir centralisa-
teur de la capitale du Reich. Non seulement la ville de Berlin
serait la capitale culturelle,
siège de tous les philologues et
écrivains de l'Empire(56), mais aussi elle serait )e centre com-
mercial(geschëftlicher Mittelpunkt) de l'Allemagnë(57). Au fond,
Dubois partage la conception de la notion allemande fondée sur
la notion de communauté de langue.
r
Le projet d'une Académie de
la langue
traduit le souhait
~
~'
$
i'
t
1:'
L
!
(54) Id.,
Uber eine Akademie der deutschen Sprache~
p. 12. Oubo i5 f
...
1
pense que l'absence de cette qualité chez l'Allemand est aUSSl a
!
,
l'origine de la négligence de la langue.
(55) Ibid.
p. 32-33.
- - ...die jetzt dos Reich ausmachenden deutschen Stëmmen;-
(56) ~.
(57) ~.

- 260 -
de Dubois d'~ne unité pacifique de l'Allemagne, l'auteur con.
sidérant la paix comme l'armature de la consti tut.ion de l'Empire.
Ce projet est aurteut l'expression d'un désir de rehausser l'Al-
lemogne dans toute l'Europe.
b) Une Allemagne idéale
L'oeuvre sociale de Dubois, dans son ensemble. est une
exalt.tion du culte de la nation allemande. Le phénomène paratt
d'autant plus surprenant que le savant de Berlin prêche le cos-
mopolitisme et lutte contre le chauvinisme et l'excès du senti-
ment national. Dubois voudrait laisser un message que la posté-
rité se fera
le devoir d'appliquer.
Au fur et à mesure que le physiologiste ollemand tente
d'éliminer le sentiment nationaliste en faveur du culte de l'hu-
manité,
le Prussie~ Dubois fait valoir l'image du génie allemand.
Dons l'histoire. Frédéric II est le plus éminent des hommes d'E-
tat possédant les quolités requises et le sens adéquat pour la
direction d'un pays.
Il est en fait l'incarnatio~ de la perfec-
tion .ans lhunivers de 10 politique(58). C'est incontestable-
ment le grand homme de Prusse. Despote éclairé, Frédéric Ir af-
fiche la volonté d'assurer le bonheur et le bien-~tre de son
peuple. Ses actes de guerre ont un fondement pacifique(59). La
Philanthropie et l'hospitalité le caractérisent. Certains pen-
seurs français -
La Mettrie et Rousseau notamment -
lui doi-
vent asile et protection. Dubois avait fait de ces dernières
(58) Id .. Reden 2. Bd. p. 14. Cf. également p. 428.
(59) Id., Reden 1. Bd., p. 428.

- 261
-
qualités morales une des finalités
de ses discours biographi-
ques sur les auteurs cités.
L'apologie dithyrambique du roi de Prusse met en lumière
le caractère moral et vertueux de l'Allemagne. Le choix de Fré-
déric II comme exemple est une tentative de rappel de l'essence
noble et humaniste de la race allemande. Ce sont là des valeurs
que l'Allemagne du XIXe siècle ne fait que perpétuer. Dubois s'ef-
force de le montrer non sans paradoxe. Les défauts qu'il récu-
sait hier ont aujourd'hui la valeur de qualités:
"Les naturalistes allemands ne connaissent malheureuse-
ment pas souvent l'allemand. En revanche, ils partagent
avec les naturalistes 'd'autres peuples germanistes l'a-~
vont age d'itre presqu'également ~ l'aise dans toutes les
littératures et de dominer les faits qui y sont accumu-
lés.-(60)
L'ouverture d'esprit et' l'engouement naturel pou~ les pensées
et les peuples étrangers sont implicitement attribués au peu-
ple allemand. Une fois de plus, les qualités de la race alle-
mande sont soulignées.
Depuis la guerre de 1870, dont on connaît le rôle dans
l'intégration psychologique de Dubois dans la société alleman-
de, l'idée d'Allemagne n'avait été aussi forte chez lui. La
Guerre de 1870 lui a permis de définir le rôle de l'Allemagne
dans le monde. Les propos suivants de Dubois le témoignent:
(60) l2i2. p. 672.
"Oie deutschen Naturforscher konnen leider oft kein
Deutsch. dafUr teilen sie mit denen anderer germanischen
V~lker den Vorzug in allen Literaturen fast gleichm8ssig
zu Hause zu sein, und die darin sich hëufenden Tatsaèhen
zu beherrschen.-

- 262 -
"Né dans la guerre, l'Empire allemand est( •.. ) vérita-
blement l'incarnation de la paix. Son existence qui ne
menace personne, assure dorénavant l'indépendance non
seulement de l'Allemagne mais aussi des ,autres peuples~61J
La volonté de faire de l'Allemagne la "nation-humanit."
apparaît ici sans ambiguïté. L'Allemagne est le peuple .lu, char-
gé de veiller au maintien de la paix dans le monde. Cependant,
Dubois ne propose aucun moyen de r.alisation de cette mission
historique.
Cette pens.e est sons doute une tentative d'affirmation
de la primauté morale de la race allemande. Dubois voudrait que,
dons toute l'Europe,
l'Allemagne fût un modèle de ~ace. La no-
tion de race, chez lui, a une acception purement morale. Elle est
essentiellement basée sur les qualités ontologiques des indivi-
dus constituant une communauté ou une nation.
La race allemande
ainsi caractérisée existe identique à elle-même{ses caractéris-
tiques étant intrinsèquest) et se limite au~frontières de l'Em-
pire, excluant ainsi l'Autriche. L'oeuvre de Dubois se garde
bien d'évoquer l'idée de frontières conquises malgré la récupé-
ration de l'Alsace-Lorraine par Bismorck(La loi de l'histoire
étant bien plus la science que la guerret)
La pensée de Dubois, même si elle exprime une certaine
tendance à l'hég.monie morale de l'Allemagne,
se refuse à tou-
te politique expansionniste. Le germanisme de Dubois s'articu-
le autour d'une simple accentuation de la superbe nationale et
(61) ~. p. 424.
"lm Krieg geboren,
ist das deutsche Kaiserreich{ ... )wahr-
haft der Friede. Sein 8estand, der niemand bedroht, si-
chert foftan die Unabh~ngigkeit nicht bloss Deutschlands
s.~dern auch anderer Vëlker."

-
263 -
de la gloire de l'Allemagne. En même temps qu'il amène cette
nation ~ la conscience de son existence, de ses vertus et de la
force de son esprit. il en foit un peuple idéal.
Mais Dubois commet l'erreur de relativiser son apprécia-
tion grandiloquente de l~Allemagne et du génie allemand. Son
discours ~rédéric ,II jugé
par les Anglais,(62) dans 50 totolité,
justifie bien cette remarque. En voulant mettre en évidence la
noto~iété de ~rédéric II par l'évocation de l'opinion que les
Anglais se font de lui, Dubois nous fait inconsciemment une pein-
ture du roi de Prusse totalement à l'antipode des qualités qui
lui ont été jusque-là attribuées. De même, la pensée d'un écri-
vain allemand du XXe siècle sur la Prusse ôte aux éloges de Du-
bois une part de leur crédibilité. Fabian Fischer souligne que
"toute l'histoire de la Prusse est caractérisée par l'es-
prit d'aggression et de guerres "(63),
jugement
qui
rappellè ici le bellicisme allemand.
Ces deux remarques suf!isent à confirmer que l'image que
Dubois donne de l'Allemagne est, en fait, une image que cette
nation ne possède pas mais qu'elle devrait avoir. On assiste
ici à une projection des fantasmes de l'auteur sur sa patrie.
l'Allemagne de Dubois est l'Allemagne dont il rêve. Toutefois,
Ce rêve reste une leçon de nationalisme que le savant de Berlin
laisse à la postérité. Il montre jusqu'où peut conduite un excès
de sentiment national.
(62) Friedrich II in den englischen Urteilen, discours prononcé
à Berlin le 25 janvier 1883.
(63) Fischer Fabian S., Preussen's Gloria, der Aufstieg eines
6taotes. Darmstadt 1979, p. 12 •
•.. dass -die gonze Geschichte Preussens durch den Geist
des Angriffs und des Krieges charakterisiert werde."

- 264 -
Bilan de la troisième partie
L'analyse des rapports de la science et de la société ou
la tentative d'influencer le cours de l'histoire sociale et po-
litique par la science chez Dubois conduit à des conclusions
permettant de faire la lumière sur l'oeuvre sociale de l'homme.
,
L'étude de la prise de position politique chez Dubois per-
....
met de montrer le souci permanent du savant du strict respect de
l'ordre établi et de la défense des valeurs conservatrices. Le
choix de la Monarchie comme protectricede la science,c'est le
Choix de la solution immédiate .et le refus de tout changement
Par Du~ois. Cet attachement à la bougeoisie et à sa politique
n'a rien de surprenant. Il s'inscrit dans les exigences de l'A-
cadémie des Sciences de Berlin et dans la continuité de la pen-
sée de Dubois. En tant ~ue Secrétaire perpétuel, Dubois préten-
dait parler èt agir au nom de l'Académie dont l'objectif est de
servir l'Etat et la paix(64). L'Académie est au service du pou-
voir en p1ace.(Ce qui ne signifie pas forcément que l'Académie
était politiquement engagéel) Ainsi dans sa démarche, Dubois res-
te logique envers lui-même. 'La lutte contre le socialisme, natu-
re révolutionnaire et porteuse de trouble, est un combat pour la
pérennité de la Monarchie et pour la paix. Le choix politique
de Dubois s'inscrit dans l'essence même de l'Académie.
La pensée de Dubois face à toute révolution est négative.
Les causes de ce fait l'intéressent peu mais les conséquences
l'inquiètent, 'porce que
celles-ci peuvent menacer ses intérêts.
Cette psychose ou du moins ce préjugé puisé dans l'histoire de
la Révolution française lui enlève toute objectivité d'appré-
ciation dans ce domaine •. Ainsi les conditions idéales que recher-
(64) Bartholmess C., Histoire philosophique de l'Académie de Prus-
U. p. 22.

- 265 -
che le savant de Berlin pour répondre aux exigences de la sci-
ence ne se limitent pas exclusivement à l'oeuvre de l'homme.El-
les s'inscrivent dans la lutte idéologique opposent capitalis-
tes et socialistes. L'exemple de Dubois montre comment
on peut
exploiter judicieusement les progrès et l'influence de la scien-
ce à des fins psychologiques{la participation de Dubois à la lut-
te idéologique n'ayant qu'un but dissuasif)et politiques.
Le rejet de toute révolution et le désir chez Dubois d'une
transformation de la société et d'un infléchissement de la poli-
tique par la science est l'illustration des tendances pacifiques
de l'auteur. Cette attitude atteste clairement l'ambition de la
science de résoudre tous les problèmes politiques et sociaux
sans violence. C'est d'ailleurs la finalité fondamentale de l'oeu-
vre sociale de Dubois.
Mais la ~ens~e de~~bois ne s'est pas bornée à un attache-
ment aveugle à la bourgeoisie et à sa politique. Plusieurs traits
~.
de son action et de sa philo,ophie humaniste rapprochent le sa-
vant de Berlin de la masse populaire.
L'espérance que la
1
science élimine totalement l~ misère sociale
et engendre l'aisan-
~e maté~i~lle
la
lutte pour une démocratisation de l'ensei-
gnement et pour une instruction pour tous(65),et enfin la défen-
se des peùples opprimés(antisémitisme et esclavage) en faisant
de la science l'antidote de la misanthropie sont ~ne prise en
considération de l'existence des couches sociales et des catégo-
ries raciales nécessiteuses.
(65) Rothschuh K. E. u. Tutte E., Emil Dubois Reymond(1818-1896~.
Bibliographie,
p. 120. Ces deux auteurs relèvent' qu'en 1879, Du-
bois exigeait le droit à la formation pour les femmes et l'admis-
sion de ces dernières aux études médicales.

- 266 -
Toutes ces positions traduisent l'aspiration de l'~omme
à un monde libre et juste, capable de procurer à l'être humain
bonheur et 6panouissement. Dubois a trouv6 dans la science le
moyen de r6alisation de ce monde et puis6 certains 6l6ments
de celui-ci tels le cosmopolitisme, la liaison des peuples(Vol-
kerbund) dans l'essence même du romantisme.
Sur le plan social la pens6e humaniste de Dubois traduite
dans un certain
penchant
pour le salut et la dignité de l'homme
permet l'établissement d'une certaine converge~ce avec l'huma-
nisme socialiste des classes ouvrières que Marx et Engels avaient
fond6 dans la mission histori~ue de celles-ci. Cette mission con-
sistait à
"renverser tous les rapports dans lesquels l'homme est
un être humili6, asservi, d/laissé et méprisé."(66)
Ici le chemin du bonheur de l'homme est perçu à travers la pri-
se de pouvoir par la classe ouvrière, le prolétariat et à tra-
vers la libération de celui-ci de toute domination. La pensée
de Dubois, elle, refuse le pouvoir politique et 6conomique à la
masse populaire mais laisse à la science la responsabilité de
transformer les condition6 d~existence de l'homme. Si Dubois et
les deux philosophes situent l'homme et son 6panouissement au
coeur de leurs pensées, ies méthodes et les finolit6s divergent.
Le pouvoir que combat 10 pensée de Marx et Engels est celui que
tente de pr6server la pens6e de Dubois.
x
x
x
Une comparaison de la pens6e humaniste et des sentiments
(66) Marx K. u. Engels F., Werke 1. Bd.
Berlin 1970,
p. 385.
" ... alle Verhëltnisse umzuwerfen in denen der Mensch ein
erniedrigtes, ein geknechtetes, ein verlossenes, ein ver-
ëchtliches Wesen. n

-
267 -
nationalistes de Dubois dévoile une contradictio~.profonde et
permet de mettre en relief un aspect de la personnalité de l'au-
teur.
A la lumière de l'exaltation de la suprématie de l'Alle-
magne et de la focalisation de toutes les énergies de Dubois
sur sa patrie, on découvre les marques profondes de l'Académie
des Sciences sur la vie et les sentiments de l'homme. En effet,
depuis sa création,
l'Académie avait été imprégnée de certaines
idées nationalistes. Elle était appelée à
"jouer le rôle dlune institution profondément nationa-
le et patriotique,
pénétrée de sentiments allemands et
zélée pour la gloire de l'Allemagne."(61)
L'oeuvre de Dubois atteste ici un attachement moral à
l'Aca-
démie, c'est-à-dire
montre la volonté de l'homme de perpé-
tuer certaines valeurs essentielles de l'Institution.
Si Dubois apparaît ici comme l'héritier ou le conservateur
d'une longue tradition, son ~entiment nationaliste et sa forme
d'expression -
la gallophobie -
sont une remise en cause de sa
pensée humaniste. (L'amour pour l'homme et le cosmopolitisme
étant incompatibles avec les sentiments de hainel) Cette contra-
diction qui ébranle le gigantesque édifice de projet social de
!
. !.
t
Dubois, a le mérite de déceler la double personnalité antinomi-
i~
que coexistant en l'homme; d'une part, Dubois, Allemond,
person-
nalité physiqu~ foncièrement attaché
à l'intérêt de sa patrie
et dont le nationalisme frise la xénophobie: d'autre port,
Dubois, savant,
personnalité intellectuelle,
désireux
de reconstruire le monde par la science. Cette double personna-
(67) Bartholmess C., op. cit.
p. 23.
~.,

-
268 -
lité chez Dubois est bien l'illustration de l'opposition de l'ins-
tinct et de la raison en l'homme. Dans ce conflit, il semble que
les passions du sav~nt l'aient e~porté sur ses pen~ées.(L'ensem­
b1e dé l ' ••uv~e sociale de l'homme ayant pour aboutissement l'Al-
lemagne et son devenir.)(68)
L'incapacité de Dubois de maîtriser ses sentïments nationa-
1iste.s explique,~ans le fond, que la science a beau instruire
et éduquer, elle demeure insuffisante. Elle ne peut nullement
éliminer l'instinct en l'homme. La nature et la psychologie hu-
maines lui échappent. L'ignorance de cette réalité compromet
ainsi la mission historique du .naturaliste qui était de r;pandre
l'évangile dela science afin de sauver l'homme et condamne
la
pensée sociale de Dubois' à végéter à jamais dans le royaume de
l'utopie.
Une fois de plus, l'attitude de Dubois tend inconsciem-
ment la perche à la religion et lui donne l'occasion de raffer-
mir son rôle d'éducatrice et-de refuge auprès de l'homme. Elle
pose également le problème de la connaissance de l'être humain
et montre les difficultés chez lui d'être toujours conséquent
envers lui-même.
(68) Il semble que ces sentiments, que Dubois a fait valoir en
reniant ses origines françalses, n'aient pas été pris
en consi-
dération. A sa mort, le savant de Berlin fut renvoyé
à ses ori-
gines. On l'inhuma au cimétière français de la v~lle.

-
2690 -
Dates importantes de la vie de Dubois de 1848 jusqu'à
la mort de l'auteur
1848 : Publication du premier tome de l'ouvrage les recherches
Sur l'électricité chez les animaux
1 el octobre 18~9
Enseignant à l'Académie des Arts de Berlin
; Assistant de Johann MUller
Mors-Mai 1850 : Voyage ~ Paris sur invitation de l'Acodémie des
Sciences de la ville
23 janvier 1851
Membre de l'Académie des Sciences de Berlin
30 j ui llet 1853
Membre de la Royal Institution de Londres
Mai 1858 : Professeur de physiologie à Berlin
1865 : Docteur honori~ causa de l'Université de Vienne
1869-1870 : Recteur de l'Université de Berlin
1870 : Membre de la Commission de r:forme ~coloire de Berlin
1882-1883 : Recteur pour la seconde fois de l'Université de
Berlin
1886 : Membre de la Section de physiologie et de zoologie de
l'Academy of Arts and Sciences des Etats-Unis
26 décembre 1896
Mort à Berlin
29 décembre 1896
Inhumation ou cimétière français de la ville.

CONCLUSION

-
270 -
La tentative de recherche de la vérité sur Dubois et sa
, ,
pensée nous a amene a une étude des rapports de la science de la
nature avec divers domaines de la connaissance. Elle nous a per-
mis de lever certaines ambiguftés sur l'homme et son oeuvre et
de souligner les dimensions intellectuelles, morales,
politiques
et sociales que Dubois entend donner à la sciencé.
~
- Il s'ensuit que la pensée de Dubois ne parait pas aussi
négative et aussi scandaleuse que ne le laisse
croire la mul-
titude de réactions violentes qu'elle a suscitées. Malgré ses
contradictions, elle reste
. l'ébauche d'un projet de socié-
té pacifique et humaniste. La· science de la natur.. sur laquelle
cette société se fonde, a pour mission d'inculquer une éducation
adéquate aux individus qui la composent.
L'analyse des rapports de la science de la nature et de la
connaissance, et des rapports de cette disciplineetdel a religion,
deux points qui ont fait la célébrité et l'impop~larité de l'hom-
.
me, montre le caractère essentiellement moral et humaniste de
la pensée du savant de Berl~n. Dans la pro~lématique de la con-
naissance,
la pensée de Dubois est tout d'abord une réhabilita-
tion du passé. Elle a trouvé son berceau dans le· XVIIIe siècle
français et allemand. Née de La Mettrie, puis stimulée par Goe-
the et Voltaire,
elle a convergé vers Kant dont elle s'est sen-
tie plus proche. Elle se veut également un dépassement du XVIIIe
siècle.
La conception des énigmes et la finalité de la philoso-
phie du Ignorabimus amènent l'humanité à la conscience de ses li-
mites et de sa propre nature. Cette
juste appréciation
de la réalité humaine a permis de définir certaine~ lois du pro-
grès chez Dubois, à savoir la conscience des faiblesses de soi
et l'effort au le dépassement de soi par une méthode,
le travail.
Dubois a su exploiter le passé et établir un pont entre celui-ci

-
271
-
et l'avenir.
Dubois a intégré sa conception du travail dans sa positioft,
à l'égard de la religion.Sa pensée a trouvé bien plus dans le tra-
vail que dons la foi ou la nourriture psychologique
l'origi-
T
ne
de
l'accroissement du bien matériel et le salut de l'homme.
Cette démarche émane non seulement des conséquences que l'auteur
a tirées des guerres religieuses sanglantes qui ont marqué l'his-
toire, mais surtout de l'essence et de l'intolérance religieuses.
Elle plonge également ses racines dans la conception religieuse
de La Mettrie. Certes, Dubois ne nie pas l'existence de Dieu ré-
duit au raIe de dernier créateur possible quaod la science de la
nature se trouve dans l'embarras ou se montre défaillante; cepen-
dant, il croit tout comme l.a Mettrie, que l'absence
de
religion
serait une des conditions du bonheur de l'homme. La Mettrie a
aidé Dubois à résoudre le problème de la religion, Le grand sou-
ci témoigné pour l'homm;, son bien-être et le progrès - dans la
question de la connaissance et de la religion - illustre ici le
caractère positif de la pensée de Dubois.
x
x
La pensée de Dubois, pour être cernée, exige beaucoup de
prudenc~ et refuse tout jugement catégorique. Elle se ré-
clame du juste milieu et d'une synthèse dans laquelle
cha-
que pensée isolée peut se retrouver. Sur le plan philosophique,
Dubois s'est appuyé sur le matérialisme qui l'a oidé à mieux as-
seoir ses principes scientifiques de réfutation des conceptions
idéalistes et métaphysiques: méthode' classique dont se sont ser-
vis les philosophes matérialistes notarrrnent d'Holbach et La Met-
trie pour aller à l'assaut des pensées théologiques et chrétien-
nes. Mois le recours subtil à la métaphysique a surtout permis

-
272 -
à Dubois de prendre ses distances à l'égard des positivistes
sans toutefois renoncer à l'attitude positiviste dans sa haute
opinion de la science par rapport aux autres domaines de 10 con-
naissance. Dubois a également adopté la pensée moniste comme
méthode de lutte contre la philosophie religieuse. Il a recher-
ché dans l'unité du corps et de l'âme et dans la négation de la
force vitale un principe d'explication de l'essence de l'homme
et de la nature:
l'existence d'une âme ou d'une force vitale é-
tant un des supports de la thèse religieuse selon laquelle il
existe un monde immatériel, dernier refuge après la mort. Dubois
fait régir l'homme et la nature par un mécanisme et un détermi-
nisme rigoureux et s'évertue à exclure toute transcendance. Ce-
pendant,
il laisse cohabiter cette pensée avec Un certain dualis-
me dans la reconnaissance de l'existence d'un monde matériel et
d'un Dieu, créateur possible. Sa pensée réhabilite Dieu en même
temps qu'elle tente de !'éliminer par la théorie de l'évolution.
Sur le plan social et politique, la pensée de Dubois teo-
te de poursuivre l'oeuvre humaniste de l'Aufklërung et du clas-
sicisme. Elle recueille tout ce qu'elle juge positif du libéra-
lisme et du socialisme: l'homme, sa liberté et son épanouisse-
ment harmonieux. Elle accorde ainsi à l'art, à la poésie et à la
littérature la place qui leur revient dans la vie'de l'homme.
DUbois voudrait ainsi répondre aux besoins de la société humai-
ne. Mais l'art, la poésie et la littérature restent insuffisants
pour harmoniser lq société et répondre aux aspirations concrètes
de l'homme.
Mais quelles conclusions peut-on tirer de c~tte disposi-
tion d'esprit? La pensée de Dubois traduit sa volonté
de
fonder
une philosophie éclectique, originale, illustration
de son immense culture,
culture dont Dubois s'était fait le
principal défenseur à son époque. Elle exprime également le re-
fus de l'homme d'un conformisme rigide qui l'enfermerait dans

-
273 -
un système quelconque ne répondant pas à sa nature. Dubois ap-
porte ici une preuve de son germanisme ou de son esprit alle-
mand dont il avait tond' la caractéristique esseb~ielle sur l'op-
position à toute forme d'aliénation de la liberté.
L'éclectisme de la pensée de Dubois s'affirme le plus sou-
vent dans la contradiction. Dubois en a fait une source de son
originalité et nous a aidé, par moments, à le découvrir. Une é-
tude-des thèmes 0 permis de dégager le message implicite du sa-
vant de Berlin dans la conciliation des thèses même les plus
divergentes. L'union du Ignorabimus et du déterminisme ou du I-
gnorabimus et de l'esprit omniscient conçu par le mathématicien
Laplace fait ressortir l'idée d'optimisme et de p'rogrès chez Du-
bois. La notion de nationalisme s'est jointe à celle de cosmopo-
litisme pour lever toute ambigufté sur la position de l'homme
à l'égard de sa patrie. La pensée de Dubois ne saurait être dis-
jointe d'un certain esp~it utilitariste. Elle se soucie surtout
de l'utilité des notions en les intégrant dans ses intentions.
te caractère antinomique de leur acception importe peu ou du
moins, est négligé.
C'est au sein du matérialisme naturaliste - une tendance
spécifique de la pensée matérialiste née au début de la deuxiè-
me moitié du XIXe siècle et dont Dubois et les physiciens alle-
mands Hermann von Helmholtz, Heinrich Hertz(1857-1894) et autri-
chien Ludwig,Boltzmann(1844-1896)ont contribué ou développement
- que la pensée de Dubois a tenté de réaliser son éclectisme. El-
le a admis la pensée matérialiste au sein de la science de la na-
ture. Elle reconnatt les lois spécifiques des formes de mouve-
ment~ physiques, chimiques et biologiques de la matière et se
laisse guider par la maxime méthodologique selon laquelle tou-
te connaissance se réduit a~x causes mécaniques mais juge cette
maxime incomplète par son Ignorabimus. Elle ne parvient pas jus-

- 274 -
qu'au mat6rialisme dialectique mais se contente d~ fonder de
façon matérialiste le travail scientifique et les résultats de
la science de la nature. Dubois n'a pas suivi la ~ensée matéria-
liste jusqu'au bout.
On ne saurait affirmer de nos jours que Dubois n'ait pas
eu de successeurs. Même si le nom de Dubois Reymond a disparu du
registre administratif pour c6der la place à Runge, nom d'une
famille par alliance, le matérialisme naturaliste fait toujours
son chemin. Il a été perpétué jusqu'au XXe siècle et a été re-
présenté par les physiciens allemand Max Planck(1858-1947) et
anglais Max Born(1882-1970).
x
x
x
Dubois a tiré profit des méthodes de diffusion de ses
pensées. Il a trouvé dans le discours, le choix des thèmes et
les circonstances, les moyens et les moments privilégiés pour
toucher la conscience et la sensibilité de ses auditeurs et ê-'
tre en communication directè avec eux. Il a su d'abord - par
ses talents rhétoriques - acquérir une gronde audience auprès
de son public nombreux et assez composite, allant des savants
jusqu'aux étudiants de toutes les facultés en passant par les
autorités politiques et religieuses. Il a su également int6res-
Ser ses auditeurs par la variété des thèmes où chacun pouvait
presque trouver son goût. La subjectivité de leur traitement
-
è partir de sa propre spécialité, la science de la nature -
n'a nullement porté préjudice è l'appréciation favorable de son
auditoire sur son érudition et sa culture "universelle",
On ne peut se tromper sur l'habileté et l'opportunisme
de Dubois dans ses méthodes de communication.Le savant de Berlin

-
275 -
a exploité certains événements historiques et a su leur donner
,
un sens tout à fait personnel. La guerre de 1870 a permis a Ou-
bois de légitimer sa nationalité allemande. La montée des mou-
vements socialistes dans la deuxième moitié du XrXe siècle en
Allemagne a vu la nécessité d'une définition de la culture et
des conditions d'existence et de la viabilité de cette derniè-
re. L'hommage rendu à Darwin,mort en 1882,0 été l'occasion d'une
critique ouverte et publique de la religion et d"un défi aux au-
torités religieuses. La campagne d'information de Oubois sur la
science a bénéficié
non seulement de la faveur des circonstan-
ces mais aussi de la finesse d'esprit de l'homme basée sur l'ar-
gument classique consistant,à parler au nom de la science de la
nature, et à soumettre cette discipline à la protection de la monar-
chie. Dubois a su garantir judicieusement sa liberté et s'élever
au-dessus de toute contrainte pour distiller sa pensée dans la
population à une époque où la liberté d'expression n'était pas
encore développée.
Mais peut-on penser qU~ Dubois a atteint son but? Dans sa
compagne d'information et de dissuasion, le savant de Berlin n'a
pas 'pu emp3cher la montée d~ socialisme. Son raIe sur le plan
politique n'aura été qu'en grande partie psychologiq~e. Cepen-
dant, à défaut de remplacer la religion par la science de la na-
ture et le travail, Dubois a réussi à jeter le trouble dans la
conscience des fidèles.CCe qui constitue d'ailleurs un mérite
surtout dans un Etat prussien qui tirait l'essentiel de sa for-
ce dans l'autorité de la religion.) Dans le domaine philosophi-
que, Dubois a brisé les illusions de tout un siècle. Il a réus-
si à faire prendre conscience, d'une manière originale, des
limites de la nature humaine en relativisant la connaissance.
Ceci représente une grande valeur et une grande qualité dans
un siècle auquel le développement scientifique a fait perdre tou-
te notion du caractère fini de l'esprit humain et de modestie.
D'ailleurs, les réactions positives et négat~ves qui ca-

-
276 -
ractérisent la réception de' l'oeuvre de Dubois ont confirmé
que le savant de Berlin a atteint sa cible.
Le me$sage ou la
propagande scientifique a ' t ' entendue.Dubois doi~ ce succ~s su~
tout à sa crédibilité due à son autorité intellectuelle et poli~
tique,
et à sa renommée internationale, mais aussi à
la qualité
d'un auditoire susceptible d'exploiter le message de l'homme.
Dubois constitue le v'ritable pont intellec~uel entre l'A-
cadémie des Sciences de Berlin et le monde extérieur. par la clar-
té de ses discours.
Il a brisé le mythe dont on entourait la sci-
ence de la nature en Allemagne en la rendant populaire et acces-
sible à tous. Ce qui est un phé~omène nouveau et un changement
historique;
car, si en Angleterre,
les savants les plus éminents
notamment Sir William Thomson(1824-1907) et John Tyndall(1820-
1893), un ami de Dubois, ont coutume de rester en contact avec
le public et ont tendan~e à exposer les résultats de leurs tra-
vaux dans un langage accessible,
en Allemagne la science était
un tabou et avait un caractère exclusif. En outre, certains sa-
vants des années 40, 50 et 60 Inégligeaient beaucoup l'alle-
mond
,
ce qui faisait du scientifique et de sa discipline une
sorte de sphinx pour le pubiic. Le modèle qu'est Dubois dans le
domaine linguistique et la réforme qu'il y a exigée sont d'une
grande nécessité dans la diffusion de la science.
Si Dubois a été un innovateur dons le domaine scientifi-
que en Allemagne,
il est resté un esprit très conservateur.
Il
est le dépositaire de l'esprit et de la tradition de l'Académie
des Sciences de Prusse dont il est demeuré le Secrétaire perpé-
tuel jusqu'à la fin de sa vie.

x
x
L'oeuvre de Dubois, dans son ensemble,
est l'illustration

.277 -
des difficultés liées à toute tentative d'appréci~tion idéalis-
te du monde, c'es~à-dir. à partir d'un principe unique et ri-
goureux,
la science de la nature, hérissée d'une panoplie d'élé-
ments empruntés à d'autres courants de pensée sons tenir compte
de leur compatibilité mutuelle. Néanmoins,
en dépit de toutes les
contradictions auxquelles elle ne peut échapper,
l'oeuvre de Du-
bois'voudrait .accorder une grande place à la pratique et à l'e11i-
0-
caci~é sur les plans intellectuel et social.
L'oeuvre de Dubois nécessite un travail de spécialiste dans
l'étude de sa conception du notionalis~•• Une étude profonde de psy-
Chologues et de psychanalystes gid~rait davantage °à mieux cer-
ner l'homme. En outre, une
masse~d'archives - quelquefois
illisibles et qui,
pour la plupart, sont des correspondances -
attendent d'être déchi11rées et publiées. Leur contenu apporte-
rait un éclairage nouvequ sur l'homme et sa pensée. C'est dire
que ce travail n'a pas la prétention d'être absolument fini,
en-
core qu'il s'agit d'un domaine -
les sciences humaines - qui doit
sa richesse en gronde partie ~à la science de l'interprétation~
Au demeurant, ce serait faire une entorse à l'esprit du
savant de 8erlin qui refuse toute connaissance finie.et totale;
Cor tout est provisoire, continu; tout est progrès pourvu que
l'homme sache le reconnaître et observer une certaine humilité.
La recherche de la vérité n'a rien d'absolu, elle n'a sa raison
d'être que dons une remise en couse permanente. Ainsi,
l'oeuvre
de Dubois annonce une lutte quotidienne dons la recherche du meil-
leur possible et dons l'aspiration vers un absolu inaccessible,
et qui, en fait,
est la caractérisation de la destinée humaine.
C'est en cela que l'oeuvre de Dubois, quoiqu'on en dise,
reste réaliste et actuelle. C'était également l'avis d'un des
proches de l'auteur.
Julius
Rosenthal,
étudiant de Dubois,

.p
-
278 -
qualifiait l'esprit de son professeur d'éternellement jeune et
souhaitait qu'il serve de modèle à la jeunesse actuelle.

-
279 -
Sigles et abréviations
Abh. Kijnigl. Preus. Ak.
Abhandlungen der Këniglich Preussi-
schen Akademie der Wissenschaften.
AAP.
Archiv fUr Anatomie und Physiologie. Herausgegeben von
Reichert und Dubois Reymond.
Arch. Not. Ges.
: Archiv fUr Naturwissenscnaft und Geschicnte .
E.D.R.
Emil Dubois Reymond.
Jahrg.
Jahrgang.
MB.
: Monatsberichte der Koniglich PreussiscnenAkademie der
Wissenscnaften zu Berlin. Berlin, Dümmler.
MEW.
Marx/Engels Werke.
MGMNT.
Mitteilungen z~r Gescnichte,der Medizin, Naturwissen_
.c~aft und Technik.
P. U.F. : Preoes Univ'ersi taires de Fronce.
SB.
: 5itzungsberîchte der Philosophisch-historischen Klasse der
'. '
Kaiserlîchen Akademie der Wissensehaften.
SBVHL.
: Stenographisehe Seriehte Uber die Verhandlungen der
dureh die Al1erhijc~ste Verordnung vom 2. November 1882
elnberufenen beiden Hauser der Abgeord"eten •
..... ,
SGNTM.
: Sehriftenreih. fUr Gesehichte der Naturwissensch4ft,
Technik und Medizin.
Verh. Physik. Gesel. Berl.
: Verhandlungen der Physikalisehen
Gesellschaft zu Berlin.

BISLIOGRAPHIE

281
-
Cette bibliographie ne prétend pas être exhaustive par-
ticulièrement en ce qui concerne les discours et les corres-
pondances de Dubois:Elle ne prendra pas en compte les publica-
tions scientifiques de l'auteur et se limitera aux correspon-
dances déjà publiées et aux correspondances inédites dont dis-
posent les bibliothèques municipales de Berlin. Hormis les oeu-
vres,
les archives de Dubois et les ouvrages de référence,
l'en-
semble de la bibliographie est classé par ordre alphabétique.
Principaux ouvrages de référence
1) Bibliographisches Jahrbuch der deutschen Hochschulen. Hrsg.
von Dr. Richard Kukula.
Innsbruck, Verlag der Wagner'schen
Universitats-Buchhandlung, 1892.
2) POGGENDORFF Johann C., Biographisch-literarisches Hondwërter-
buch.
3. Bd.
(1858-1883),
Leipzig,
J.A.Barth, 1898. 4. Bd.,
-
"',
(1883-1904),
Leipzig, J.A.Barth, 1904,
(1945).
3) Gesommtregister übp.r die in den Schriften der Akademie von
1700-1899 erschienenen wlssenschaftlichen Abhandlungen und
Festreden. 8eorbeitet von Dr. Otto Këhnke.
Bèrlin, gedrückt
in der Reichsdrückerei, 1900.
4) Deutsches Literatur-Lexikon. Biogrophisch-Bibliographisches
Hondbuch.
3.Bd., Bern und ~ünchen,Frarcke-Verlag, 1971.

-
282 -
I. Dubois Reymond E.: Litt4rature primaire
0) Les oeuvres
Elles sont clossées par ordre chronologique.
Gedochtnisrede auf Poul Erman.
In: Abh. Akad. Berl.
Berlin, Reimer, 1853, p. 1- 27.
Eduard Hollmann's Leben. In: Hallmann. Die Tempera-
turverhaltnisse der quellen.
II. Bd. gerlin 1854-
1 8 5 5,
p. 90-110.
Uber dos Barrenturnen und über die sogenannte ratio-
nelle Gymnastik. Berlin, Georg Reimer, 1862.
Schwedische Gymnostik und deutsches Turnen vom physio-
logischen Stondpunkt. Berlin, Georg Reimer, 1862.
Dos Gutochten zur Würdigung der Jahn'sc~en und Ling-
Rothstein'schen Turnsysteme. Berlin, Georg Peimer,
1862.
",
Rothstein und der Borren. Eine Entgegnung. Berlin,
Georg Reimer. 1863.
Felix Dubois Reymond.
Nekrolog.
In: Berliner National-
zeitung. Berlin 1865.
Akademische Gutachten über die Zulassung von Realschul-
obitur zu Fokultotsstudien. Berlin 1870.
1
:Geschichtliche Bemerkung. Oescartes -
Entdecker des Ge-
setzes der peripheren Erscheinungen der Gefühlsempfin-
dungen.
In: Arch. Anat. Physiol. Berlin 1872, p.
760-
762.
Aufruf on dos deutsche Volk zur Ehrung A. v.
Hu~boldts
In: Deutsche Rundschou. 1883,
37,
p.
92-93.
Friedrich II.
in der bildenden Kunst.
In:
1.
Bd.,
1887, p. 57-77.
Nachruf on ~<aiser Friedrich. In: 58,
2. 3d., 1888,
p. 673-675.

-
283 -
Reden Von Emil Dubois Reymond. Zweite vp-rvollstëndigte
Aufloge. Hrsg. von Estelle Dubois Reymond. Leipzig/
Veit und Comp., 1912. Le premier tome co~tient:
-
Uber die Lebenskroft
(1848)
-
Uber,tierische !ewegung (1851)
-
Uber lebend noch 8erlin gebrochte Zitterwelse
ous Westafrika (1858)
- Ged~chtnisrede
ouf Johann MUller (1858)
- Voltaire ols Noturforscher
(1868)
-
Uber Universitëtseinrichtungen (1868)
- Aus den Toge" des Norddeutschen8undes (1869)
- Leibnizische Gedonken in der neueren Noturwis-
senschoft
(1870)
-
Oer deutsche Krieg (1870)
- Oos Koiserreich und der Friede (1871)
-
Uber Geschichte der Wissenschoft (1872)
-
Uber die Grenzen des Noturerkennens (1872)
Uber eine Kaiserliche Akodemie der deutschen
Sprache (1874)
-
La Mettrie t1875)
- Darwin versus Goliani
(1876)
- Kulturgeschichte und Naturwissenschoft (1877)
-
Der physiologische Unterricht sonst und jetzt(187
-
Uber dos Nationalgefühl (1878)
Le second tome renferme:
- Friedrich II. und Jean-Jacques Rousseau (1879)
- Aus den Llanos. Nekrolog ouf Carl Sachs (1879)
- Oie sieben Weltrëtsel (1880)
-
Uber die Ubung (1881)
-
Uber die wissenschoftlichen Zustënde der Gegen-
wart
(1882)
- Goethe und kein Ende (1882)
-
Oie Britische Noturforscherversommlung zu South-
ampton
im Jahre 1882 (1882)

-
284 -
-
Friedrich JI. in englischen Urteilen (1883)
-
Darwin und Kopernicus. Ein Nachruf
(1883)
Die Humboldt-Denkmëler vor der B~rliner Uni-
versitët (1883)
-
Zu Diderot·s Gedëchtniss (1884)
Die Berliner Franzosische Colonie in der Aka-
demie der Wissenschaften (1886)
- Adelbert" von Chamisso ols Naturforscher (1886)
Naturwissenschaft und b"ildende l$.unst (1890)
Maupertuis (1892)
Uber Neo-vitalismus (1894)
Gedëchtnissrede ouf Hermann von Helmholtz (1896)
Akademische Ansprachen
-
In der Leibniz-Sitzung der Akademie der Wissen-
schaften am 3. Juli 1851 gehaltene Antrittsrede
Die Akademie der Wissenschaften Hr~. Christian
Gottfried Ehrenberg am 5. Nov. 1868
-
L'Académie Royale des Sciences de Berlin à l'A-
cadémie Royale des Sciences,
des Lettres et des
Beaux-Arts de Belgique le 28 Mai 1872
- Antwort ouf die in der Leibniz-Sitzung der Aka-
demie der Wissenschaften am 2. Juli 1874 gehalte-
nen Antrittsreden der HH. Werner Siemens und Ru-
dolph Virchow
- Antwort ouf die in der Leibniz-Sitzung der Akade-
mie der Wissenschaften am 1.
Juli 1875 gehaltene
Antrittsrede des Hrn. Martin Websky
-
Die Akademie der Wissenschaften Hrn.
Heinrich
Wilhelm Dove am 4. Mërz 1876
-
Die Akademie der Wissenschaften Hrn.
Theodor
Schwann in Lüttich am 23.
Juni 1878
-
Die Akademie der Wissenschaften Ihren Kaiserli-'
chen und Këniglichen Majestëten am 11 .Juni 1879

-
285 -
-
Antwort ouf die in der Leibniz-Sitzung der Wis-
senschaften am 8.
Juli 1880 gehaitenen Antritts-
reden der HH. Simon Schwendener, Wilhelm Eichler
und Hermann ~unk
-
Die Akademie der Wissenschaften Hrn.
Theoaor Lud-
wig von Bischoff in München am 16. Januar 1882
- Antwort ouf die in der Leibniz-Sitzung der Akade-
mie der Wissenschaften am 29.
Juni 1882 gehalte-
ne Antrittsrede des Hrn.
Hans Landolt
Antwort ouf die in der Leibniz-Sitzung der Aka-
demie der Wissenschoften am 3. Juli 1884 gehal-
tene Antrittsrede des Hrn. Wilhe~m Waldeyer
Antwort ouf die in der Leibniz-Sitzung der Aka-
....
demie der Wissenschoften am 2.
Juli 1885 gehal-
tene Antrittsrede des Hrn. Franz Eilhard Schul-
ze.
b) Les correspondonces
DANNEMANN F., Aus Emil Dubois Reymond's Briefwechsel über die
Geschichte der Naturwissenschaften.
In: MG~NT.
.
Leipzig 1918/19,17. Jahrg.,
p.
267-2?4~ 1920/21,
19. Jahrg., p. 1-8.
DIEPGEN P., Oie Berliner Mërztage 1848 in den Schilderungen
Emil Dubois Reymond's.
In: Stephaniskos, Ernst
Fobricius zum 6. 9. 1927. Freiburg 1927,
p.21-31.
DUBOIS REY~~ND EstelleCHrsgJ, Jugendbriefe von ~mil Dubois Rey-
mond an Eduard ~allmann. Berlin, Dietrich Peimer,
1918.
DUBOIS REYMOND Estelle, und OIEPGEN P.(Hrsg.),
Zwei grosse Na-
turforscher des 19. Jahrhunderts.
Ein Briefwechsel
zwischen Emil Dubois Reymond und Carl Ludwig.
Leip-
zig, Barth, 1927.
EBSTEIN E., Briefe von Emil Dubois Reymond,
Claude Bernard und

-
286 -
Johannes Müller an Carl Ludwig.
In: Medizinische
Klinik.
Nr.
40, 1925, p. 1518-1520.
HABERLING W.,
Dubois Reymond in Paris,1850, mit ~inem Brief von
Dubois Reymond an die Gattin von Johannes Müller.
In: Deutsche medizinische Wochenschrift. Nr.
6,
52. Jahrg. 1926,
Leipzig 1926,
p .. 251-252.
KOHUT Adolph, Drei Briefe von Emil Dubois Reymond über die
Grenzen des Naturerkennens an Eugen Oreher.
In:
Die Gegenwart,
Monatsschr i ft 51, 1897,
Nr. 10,
P. 148-150.
RICHET Charles, Correspondance.
In: Revue scientifique de la
France et de l'Etranger. N° 27,
tome 20, Paris,
Baillière et Cie, 5 février 1881, p. 188-189.
SACHS C., Reisebriefe an Emil Dubois Reymond.
In:
~.
1877,
P. 68-95.
c)
Les archïves "
Elles regroupent les documents inédits de Dubois et une
littérature critique sur l'~uteur et son oeuvre. Le classement
et les cotes sont ceux de
'10 bibliothèque muni~ipale de Berlin,
section des manuscrits.
Kasten 1
Schulzeugnisse, Patente
Eigenhandige Briefkonzepte und Notizen
Brief von F. Weber
Umsch1ag mit Briefen in franzosischer Sprache
14 Telegramme zum 1, Mai 1874
Kle iner l.knschlag mi t
Stenogramm-Not i zen
Brief von Hermann Paul on E.O.R.
Tagebuch Paris 1850
"Ergebnisse der neueren Naturforschung"
14 Orden bzw. Verleihungsurkunden
wZ um 7, November 1888"(70. Geburt~tag)

-
287 -
Kasten 2
Briefe von Jugendfreunden on E.D.R, ous den
1830er und 40er Jahren.
Pariser Stadtbriefe, 1850.
Korrespondenz wegen einer Berufung nach Genf(1874),
Zeitungsartikel Uber E.D.R.
Brief des Grafen Nesselrode(Berlin 1870).
Beschriftete Umschlëge
1. Physikalische Gesellschaft
26. Ra~melsberg ~1.
2.
Universitët
27,
Liebig
3.
Zollbehorde Hamburg
28.
Lassa
4, E,D,R.
29.
Kunstmann
5. Zeichnungen
30, Rodenberg J •
6.
Notizen in englischer Sprache
31 , RosentMal
7. Zeitungen und Drucke
32. Roth
8.
unbeschriffet
33.
Kayser
9. Portraits
34.
Kesten
10, unbeschriftet(2 Fotos)
35.
Hirsch
11. Kultusministerium
36, Foerster
12, Konigliche Bibliothek
37, Fick
13. Akademie der Naturwiss.
38.
Engelmann
14. Zuntz
39. Dubois Reymond C.
15. Zollner
40. Dove
16. Weber
41 . Bo'urneville
17. Waldeyer
18. Volkmonn
19. Valentin
20. von Siebold
21 • Riess
22. Richet
23, Reichert C.B.
24. Pouchet
25, Neuhauss R.

-
2R8 -
Kasten 3, Briefe von und an E.D.R.
sowie Zeitungs-
rezensionen zu folgenden Arbeiten:
"Ged~chtnissrede ouf Johann MUller"(1858)
"Der deutsche Krieg"(1870)
"Voltaire ols Naturforscher"(1868)
"Uber die Grenzen des Naturerkennens"(1872)
"Zu Professor E. Dubois Reymond's 70. Geburtstag"
"Biographischer Beitrag"(Westermann's Monatshefte,
1885)
Kasten 4, Briefe an E.D.R. und Zeitungsrezensionen betreffend:
"Uber eine Kaiserliche Akademie der deutschen
Sprache"(1874)
"La Mettrie"(187S)
"Darwin versus Galiani"(1876)
"Kulturgeschichte und Naturwissenschoft"(1877)
"Friedri~h II. und Jean-Jacques Rousseou"(1879)
"Uber die Ubung-(1881)
Kasten 5, Briefe an E.D.R. und Zeitungsrezensionen betreffend:
"Die sieben Wêltratsel"(1880)
"Goethe und kein Ende"(1882)
"Friedrich II.
in englischen Urteilen"(18B3)
"Darwin und Kopernicus"(1883)
"Oie Berliner franzOsische Colonie in der Akade-
mie der Wissenschaften"(1886)
Kasten 6, Briefe an E.D.R.
und Zeitungsrezensionen betreffend:
"Po9gendorfsjubilaum"(1874)
"Naturwissenschaft und bildende Kun~t"(1890)
"Neo-vitalismus"(1894)
Kasten 7
"Ende der Welt"(1877)
"Wondervortrage"(1883/84)
(Briefe an E.O.R.
und
eigenh~ndige ~anuskripte)
"Alte Wandervortr~ge"(Eigenhëndige Manuskripte)

- 289 -
"Alte Wandervortrëge"(Rezensionen)
"Eigenhëndiger Brief an den ~ediziner P. Nuel"
(1892 )
Kasten 8
"Archiv für AnatOMie und Physiologie"(1858), (Brie-
fe an E,D.R.,
4 Lithographien).
"Wissenschaftliche Mechanik"(1874),(eigenhëndiges
Manuskr ipt) .
"Physiologische Gesellschaft"(1874),
(Briefe an
E.D.R •. Katalog der Bibliothek. Statuten der Phy-
siologischen Gesellschaft"(1877)
).
"Wissenschaftliohe Mechanik"(1874!76),(Briefe be-
treffend das Centraldirectorium der Vermessungen
im preussischen Staate).
"Physiologisches Institut",(Briefe an E.D.R.-1877-)
·Akademi~-Angelegenheiten",(Zulassungsantrag.Brie-
fe an E.O.R. sowie ein eigenhëndiges Manuskript
von Hensen).
"British
Ass~ciation Southampton"(1882),(Unterla-
gen zu einer Reise).
Kasten 9
"Humboldt-Denkm~ in Berlin"(1869),(Akten. Briefe
an E.D.R •• 'Uber die Rede des Rectors der Universi-
tët Dubois Reymond'in:'Neue Freie Presse'vom 7.8.
1883) .
"Akten des geschëftsführenden Ausschusses des Com-
mitees zur Errichtung eines National-Oenkmals für
Alexander von Humboldt".(Briefe an E.D.P.).
"Gesammelte Abhandlungen"(1875),(Briefe an und von
Verlegern wegen E.D.R.'s Verëffentlichungen. Kor_
respondenz über Forschungsgerate).
Kasten 10
"Stimme und Sprache".(Eigenhandiges Manuskript -32
Seiten).

-
290 -
-Transfusion und Oiffusion".(Eigenh~ndigesVorle-
sungsmanuskript).
"Gymnotus e1ectricus"(1882}.(Eigenhëndige Notizen,
Briefe on und von E.D.R.}.
Boussinesq M.J~'Conciliation du v'ritable d'termi-
nisme m'conique avec l'existence de la vie et de
la liberté morale'. Paris 1878.
De11boeuf M,J"
'La 1ibert' démontrée par la m'co-
nique'.
(1882)
Morey E.J.,
'Développement de la méthode de gra-
phique par l'emploi de la photographie'. Paris 1885
Eder J,M.,
'Die .Momentphotographie'. Wien 1884.
Ga11enkamp,
'Uber den mathematischen Unterricht
in Gymnasien',
Graf J.M., 'Geschichte der Mathematik und Naturwis-
senschaften in bernischen Landen', Bern 1889,
".
Kasten 11
1 Portrat
(Photographische G1asp1atte)
"Physio1ogie-r1864/65),{Vor1esungsnachschriften
von Studenten. 400 Seiten).
17 eigenhêindi'ge Manuskripte von E.D,R,:"Versuche".
"IV, Experimente 1842/43", 87 Seiten,
"V. Versuche 1843/44", 93 Seiten.
MVI. Nervenstrom. Bewegungserscheinugen, 25.Mai
1844", 93 Seiten.
"VII. Versuche 1845", 88 Seiten.
uVIII. Versuche vom Jahre 1850 bis Mërz 1856",
135 Sei ten,
"IX. Versuche 21. 4. 1856 -
24.
4. 1958", 1 08 Sei-
ten.
"X. Versuche April 1858 - August 1860",
1C9 Seiten.
• XI. Ver suc h e 1 4, 8. 1 860 -
6. 8. 1 862 ", 1 2 9 Sei -
ten.
"XII. Versuche 29. 8. 1862 -
21. 7. 186')",
9 3 Sei-
ten.

-
291
-
"XIII. Versuche 22. 7. 1865 - 9. 6. 1868·,67 Sei-
ten.
"XIV. Versuche 12. 6. 1868 _ 28. 1~'1872·. 76 Sei-
ten.
"XV. Versuche J. 2. 1872 - 31. 5. 1882", 103 Sei-
ten.
·XVI. Versuche 2. 6. 1882 - 24. 8. 1A86", 108 Sei-
ten.
"XVII. Versuche 25. 8. 1886 - 24. 2. 1889", 112
Seiten.
"XVIII. Versuche 26. 2. 1889 - 5. 3. 1895", 102
Seiten.
1 eigenhëndiges Notizbuch.
1 eigenhëndiges Manuskript: "Allgemeines Uber elek-
tromotorische Fische", 150 Seiten.
Kasten 12
1 Umschlag "Vita von Papa in englischer Sprache·,
(eigenhëndiges Manuskript).
~
"AIIgemeine Physiologie", (eigenhbndiges Manuskript,
400 Sei ten). "
"Elektromotorische Fische",{eigenhandiges Manus-
kript, 60 Seiten}.
Vorlesungsmanuskripte und Modellbilder(eigenhbn-
diges Manuskript, 60 Seiten).
"Sur une fonction probable des ganglions spinaux·,
Herpes Zoster,{eigenhëndiges Manuskript, 80 Seiten).
"Minutes des Mémoires, des Notes et des Lettres en
Français·Ceigenhëndiges Manuskript, 60 Seiten).
"Ungleichmossige Fortpflanzung des elektrischen
Stromes in beiden Richtungen durch'ein Elektroden-
Paar. Irreciproke Leitung", (eigenhëndiges Manus-
kript, 20 Seiten}.
"Vorlëufige Mitteilung an die Physikalische Gesell-

- 292 -
schaft zu Berlin betreffend die chemische Reok-
tion des Muskelfleisches(20. 12. 1850)·,240 Seiten.
"Bemerkungen Uber das Einbilden von Gehërempfin-
dungen in die r~umliche Vorstellung", 1840,(eigen-
hëndiges Manusltript, 12 Seiten),
.
~Ergebnisse der neueren Naturforschung-, 1864,
(eigenhëndig~Vorlesungsmanuskriptt200 Seiten).
Uber Nerven-und Muskelphysiologie, 1896,(eigen~~n-
"diges Vorlesungsmanuskr ipt, 600 Sei ten) .
Eigenhandiges Notizbuch, 140 Seiten.
Deposi tum des ,Fami 1 ienarchivs, Nachlass - Runge '':.' Dubo i s Rey-
mond.
Kapsel 8
TagebUcher E.D,R.'s von den Reisen nac~ Dresden
und Neuchatel(1831).
Mappe 9
Skissen zur Reise nach Neuchatel(1~31)
Skissen aus Ischia(1886)
Portrëts von Ê,D.R,(1896)
Kasten 10
Briefe des Studenten E.D.R.
ous Bonn on die Eltern
und Antwortbriefe von Eltern und ~eschwistern(1838)
Briefe von E,D.R. an die Eltern und on Félice
(1849-1862)
Briefe an E,D.R.und Jeannette von Eltern und Ge-
schwistern
Kasten 11
Briefe von E.D.R. an die Eltern(1849-1862)
Briefe von E.D.R. an Jeannette(1852-1896)
Gedëchtnissrede von Isidor Rosenthal ouf E.D,R.
Fotos
Autographensdmmlung-Virchow
Testament von Emil und Jeannette Dubois Reymond

-
293 -
Dans Sammlung Darmstodter on trouve également des ~anus­
crits et des lettres de Dubois sous les références:
Nachlass
E.D.R.(1863):
Ernest Renan(1823-1892)
Nachlass
Alexander von Humboldt(1769-1859)
L'Institut de physiologie de l'Université Humboldt à Berlin
(R.D.A.)
dispose d'un album renfermant des photos de certains
élèves de Dubois.
La Stazione Zoologica di Napoli détient aussi des lettres
de Dubois(1).
(1)
Nous tenons cette information de l'ouvrage Naturwissen
und Erkenntnis im 19.
Jahrhundert.
Emil Dubois ReYMond
...
P. 242, où sont publiées la plupart des archives de Dubois.

-
294 -
II. Ouvrages critiques
a) Etudes d'ensemble
BERSTEH~ Julius, E.D.P., Nachruf. In: Naturwissenschaftlicf"le
Rundschau,
hrsg.
von W. Sklareck,
7. Jof"lrg.,
Braunschweig 1897,
p. 87-92.
BEZOLD W.
v., Nochruf ouf E.D.P ..
In: Verf"l.
Physik. Ges.
Berl.
Berlin, Reimer, 1.Jahrg., 1897, p. 1-3, 2.
Johrg.,
p.
5-6.
Ansprache zur 50-Johrfeier der Berliner Physika-
lischen Gesellschaft.
In: Verh. Physik. Ges.
Berl.
Berlin, Reimer, ~.Jahrg. 1896, p. 19-25.
80RUTTAU Heinrich, E.D.R.(. M~ister der Heilkunde. III.Ad.)
Wien,
Leipzig,
München 1922.
Bulletin de l'Académie Impériale(1) 1897 (Nekrolog ouf E.D.R.)
VI. Bd., Nr. 2, ST. Petersburg 1897, p. V-VI .
.
BURDON-SANDERSON J., O~ituary natice of E.D.R .. ln: Natu,
re
55,
London
and New York, Macmi lIon & Co,
1896-1897, p. 230-231.
COHN Max, E.D.R.'s Weltanschauung und die Entwicklung der Wis-
senschoft.
ln: Klinisch-therapeutische Wochen-
schrift.
26. "Jahrg., Nr 25/26, Berlin 1919,
:
p. 216-219, 234-239.
The Current-Issued every week at Chicago by Edgard Wakemann.
(E.D.P.). Nov. 1884, p. 330-331.
EHRENBERG Ch. G., Antwort ouf die Antrittsrede E.D.R.'s ols
Mitglied der Akademie.
In: ~ , 1851, p. 412-415.
ENGELMANN Theodor W.• Gedëchtnisrede auf E.D.R .. In: Abh. Kënigl.
Preus. Ak. Berlin 1898, p. 3-24.
EPSTEIN S.S., E.D.R.(1818-1896).
In: Westermann's Illustrierte
Deutsche Monatshefte. 82. Bd., Braunschweig 1697,
p. 303-319.
La Escuela de Medicina (E.D.R.).
Tamo X,
~exico ~889. p. 175-190.
EWALD C.A., Ansprache zum 25jëhrigen Jubilëum der Ernennung
(1)
Titre traduit du russe en français.

295 -
E.D.R.'s zum ordentlichen Professor und Direktor
des physiologischen Instituts.
In: Berliner kli-
nische Wochenschrift.
43.Jahrg., 1883,
P. 669-670.
Nekrolog ouf E.D.R ..
In: Berliner klinische Wo-
Chenschrift. ~.Jahrg., 1897, p. 1-2.
FLORKIN Marcel, E.D.R. et Léon Frédéricq.
In: Chronique de l'Uni-
versité de Liège.
Liège 1967,
p. 181-198.
GRUT.ZNER P.,
E.D.R ••
In: AIlgemeine Deutsche Bibliographie.
48.Bd., Berlin 1903,
p. 118-126.
HELMHOLTZ Hermann L.F.v., Glückwunschadresse an E.D.R.
zur Feier
seines SOjahrigen Doktorjubilaums.
In:
SB.
2. Bd.,
1893',
p. 93-97 ..
HERNECK Friedrich, E.D.R.
und die Grenzen der mechanistischen
1
Naturauffassung.
In: Forschen und Wirken.
I. Bd.,
Berlin 1960, p. 229-251.
E.D.R .• In: Von Liebig bis Laue. Berlin 1963,
P. 86-110.
E.D.R.(1818-1896).
In:
Lebensbilder deutscher Arz-
.i!, hrsg. von"Erich Koch. 2. Auflage, Leipzig
1 964,
p. 71 -76.
KOHUT Adolf, E.D.R ••
In: WesterMann's Illustrierte Deutsche Mo-
natshefte. 7.Bd., Braunschweig, Verlag von G. Wes-
termann, 1885, p. 803-819.
E.D.R •.
In: Moderne Geistesheroen. Berlin, Verlag
VOn W.
l s sIe i s, 1 886, p. 1 - 30 .
MAMLOCK G., Zum 100. Geburtstag von E.D.R.(7. 11. 1818). In:
Deutsche medizinische Wochenschrift. 1918,
p.
1254-1255.
MANN Günter,
Naturwissen und Erkenntnis im 19.
~hrhundert. E.D.
~. Hildesheim, Berstenberg, 1981.
METZE Erich,
E.D.R.,
sein Wirken und seine Weltanschauung. Bie-
lefeld 1918.
MUNK Irrmanuel,
Zur Erinnerung an E.D.R •.
In: Deutsche medizini-

-
296 -
sche Wochenschrift.\\
2.8d.,
1897, p. 17-19.
PLANCK Max, Persënliche Erinnerungen aus olten Zeiten.
In: Die
Naturwissenschaften.
33.Jahrg., 1946, p. 230-235.
ROSENBERGER Eugenie, Felix Dubois Reymond(1782-1865). Berlin,
Meyer und Jessen, 1912.
ROSENTHAL Julius, E.D.R •• Ein Lebensbild.
In:
Nord und Sud, Mo-
natsschrift. 6.Jahrg., 1878,
p. 153-166.
E.D.R. zu seinem 50-jëhrigen Doktorjubilëum.
In:
Berliner klinische
Wochenschrift. 30.Jahrg.,
Berlin, 1893, p. 174-175.
Biographie und Gedochtnisrede.
In: Reden von E.
~. hrsg. von ~stelle Dubois Reymond. ~.Bd.,
Leipzig 1912, p. VII-XXXIII.
ROTHSCHUH Karl E., E.D.R .• ln:Dictionary of sClentific Biography
Vol. 4, New York, Charles Scribner'sons, 1971,
p. 200-205.
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ROTHSCHUH K.E.und TUTTE Elisabeth, E.D.R.,
Bibliographie.
In:
Acta Historica Leopoldin~, hrsg. von G. Uschmann,
Nr 9., 1 975, p:- 11 3-1 37 .
RUFF P.W.und CHOINOWSKI H.,
Eine Festschrift für E.D.P .. In:
Wissenschaftiiche Zeitschrift der 'Humboldt-Univer-
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VERWORN M.,
Zum Gedëchtnis E.D.R.'s.
In:
Leopoldina.
59.
Heft,
Halle 1918, p. 78-80.
VIRCHOW Rudolf, Ansprache zum 50-jëhrigen Doktorjubildum von
E.D.R.:
In: Berliner klinische Wochenschrift.
8.Bd., 1893, p. 198-199.
WEBER Theodor, E.D.R., eine Kritik seiner Weltanschauung. Go-
tha, F.A.Perthes, 1885.
WIEDEMANN G., Rede zur Feier des 50johrigen Jubiloums der Ber-
liner physikalischen Gesellschaft.
In: Verh. Ph~­
sik. Ges. Berl. ~.Bd, Berlin, Reimer, 1896,
P. 32-36.

- 297 -
WOLLGAST Siegfried, E.D.R.: Vortrëge über Philosophie und Ge-
sellschaft. Berlin, Akademie-Verlag, 1974.
E.D.R.
In: Biagraphien bedeutender Biologen. Ber-
lin 1977, p. 197-206 und 297-301.
1
b) Etudes sur un ou des probl~mes sp6cifiques
8ELOW E.,
E.D.R. und die Metaphysik.
In: Die Kritik.
4.Bd.,
1897, p. 221-232.
80RUTTAU Heinrich, E.D.R. aIs Physiologeund Historiker der Na-
turwissenschaft.
In: Klinisch-therapeutische Wo-
chenschri1t. 26.8d.,
Nr 5/6, Berlin 1919, p.
41-45.
v
CESNOKOVA S.A. und LINDEMANN M.. , Wissenschaftliche Kontakte
zwischen Physiologen aus Russland und aus Deutsch-
land in der 2. Hëlfte des vorigen Jahrhunderts.
In: SGNTM 7, 1970, p. 85-98.
CLASSEN J., Der wissenschaftliche Materialismus. E.D.R. und F.A.
<.
Longe. In:Vorlesungen über die moderne Naturphi-
losoPhie. Homburg 1908, p. 12-34.
Der wissensch~tliche Monismus Dubois Reymond's.
2. Vorlesung über moderne Naturphilosophen. Berlin
1908.
DOMIN G.,
Einige philosophie-historische Fragen zu den theore-'
tischen Auseinandersetzungen E.D.P. 's.
In: Natur-
wissenschoft -
Tradition - Fortschritt. Berlin
1963, p. 112-118.
DREHER Eugen, Ober das Kausalitëtsprinzip mlt Bezugnahme auf Du-
bois Reymond.
In : Naturwissenschattliche Wochen-
schrift 4 und 5. Nr 36, 1889,
p.
33-37,
Nr 4 und 9,
1890, p. 85-96.
Die formole Schënheit im Lichte der moderne" Psy-
cho-Physiologie mit besonderer Berüèksichtigung
der Dubois Reymond'schen Reden.
In:
Natur.
Halle
1892, p. 330-356.
E.D.R.'s philosophische Weltanschauung.
In: Phar-

-
298 -
maceutische Zeitung.
Nr 14, 8erlin, Julius Spren-
ger, 1893.
DRIESCH Hans, E.D.R •.
In: Geschichte des VitaliSMus.
2.
Verbesserte und erweiterte Auflage des ersten
Hauptteils des Werkes: Der Vitalismus ols Ge.
schichte und Lehre.
Leipzig, Verlag von J. Ambro-
sius Barth, 1922, p. 137-139.
EHRENFELS Christian V., Metaphysische Ausführungen lm Anscnlusse
an E.D.P. •. ln: ~. 112.8d., Wien, Carl Gerold's
Sohn, 1 886,
p.
429-501.
ENGELHARoT Dietrich V.,
Legitimationen der Naturwissenschaft im
19. Jahrhundert •. In; B.erichte der naturwi ssenschaft-
lichen Gesllschoft.Bayreuth 15, 1975,
p.7-27.
GAOOW G.,
Oie Freiheit der Wissenschaft und Herr Dubois Reymond.
Giessen, Verlag von Fr.E.Fehsenfeld, 1883.
GLASER H.,
Lebensgeheimnissen auf der Spur. Johannes Müller und
sein Schüler E.D.R. Oie Entdecker des Men6chen.
Wien 1954, p. 154-167 •
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H~CKEL Ernst, Eine Entgegnung auf die Angriffe E.D.R.'s. In:
Deutschè Rundschau. 29.Jahrg., 18é1, p. 163.
Ignorabimus und Restringamur.
In: Ge~einverstënd_
liche Werke. 5.8d., 8erlin, Carl Henschel-Verlag,
Leipzig, Alfred Krëner-Verlag, 1924, p.275-283.
HOCHE Alfred E.,
E.D.R.
In: Jahresringe.
MUnchen/8erlin ,
J.F.
Lehmann's Verlag, 1941, p. 84 et suiv.
HOOENBERG Freiherr v., Voltaire und Friedrich II~, Dubois Rey-
mond und Droysen. 2. Auflage, Altona,
E. Bouer,
1871 •
HOFFMANN Erich, E.D.R.
In: Lebenserinnerungen eus einer Wende-
zeit der Heilkunde. Hannover,
Schmorl und von See-
feld,
r. Bd., 1948/49, p. 68 et suiv.
KLOPPE ~olfgang,
Mensch, Natur und Wissenschaft.
Dubois Reymond
und Goethe. Berlin, Georg Lüttke-Verlag,
1958.

... 299 -
E.D.R.'s Rhetorik im Urteil einiger seiner Zeit-
genossen.
In: Deutsches medizinisches Journal.
Heft 2, 9.Bd, 1958, p. 80-82.
LORENZ Ottokar, Gagen die'Geschichte der Naturwissenschaft' von
E.D.R.
In: Sybel's Historische Zeitung. 3.Bd.,
1878, P. 458-485.
LU8ARSCH Otto,
rin bewegtes Gelehrtenleben. Berlin,Julius Spren-
ger, 1931.
MANGOLD E., Erinnerungen an die alte 8erliner Physiologische
Gesellschaft. Berlin 1954.
MAUTHNER Fritz, Ausgewahlte Schriften. Stuttgart-Berlin, Deut-
sche Verlagsanstatt, ~.Bd, 1919.
MEYER Bona J., Der Ignorabimusstreit aIs Zeugnis der geringen
philosophischen Bildung unserer Zeit. Eine Apolo-
gie Dubois Reymond's.
In: Zeitschrift für die ge-
.
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blldete Welt.
S.Bd., Braunschweig, 1883, p.168-176.
NATHUSIUS M.,
Beleuchtung der neuesten material~stischen Kund-
gebung von E.Q.R.
In: Zeitschrift für die exakte
Philosophie. 13.Bd., 1885, p.
219-~24.
NAUNYN Bernhard, Erinnerungen, Gedanken und ~einungen. München,
J.F. Bergmann-Verlag, 1925,
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Halb-
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1880 (Causerie bibliographique) p. 593-595.
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300 -
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l'un des maîtres les plus au-
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se et étranQère. N° 23,
Paris, Baiilière, 1877,
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In:
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188 3, p. 839-950. {avec des interruptions).
STRU~PEL Adolf. Aus dem Leben aines deutschen Klinikers. 2.Auf-
loge.
Leipzig. F.C.W. Vogel-Verlag, 1925.
VIRCHOW Rudolf, Verteidigungsrade für E.D.R.
In: SBVHL. Haus
der Abgeordneten.
35. Sitzung am 26. 2. 1883, Ber-
lin 1883. p. 920 et suiv.
WAGNER R .• BespreChUng'" der Gedëchtnisrede ouf Johannes Müller.
Eine Widerlegung der Dubois Reymond'schen Kritik
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2. Ba .•
Berlin 1862.
p.
43 et suivI
WINDHORST Ludwig, Antrag aùf Massregelung des Materialisten
E.D.R.
In: SBVHL. Haus der Abgeordneten,
33. Sit-
zung am 23. 2. 1883,
35.Sitzung am 2n.2. 1883,
2.Bd .• Berlin 1883.
p. 839-950, (avec des interrup-
t ions) .
WITTICH Dieter. Schriften 7.um kleinbürgerlichen Materialismus.
in Deutschland. Eingeleitet und herausgegeben von
Dieter Wittich. 2 Bënde, Berlin, Akademie-Verlog.
1971 .
WOLLGAST Siegfried, "Sind bürgerliche Naturwissenschaftler
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Fortschritt. 26 (1976) 12, Berlin 1976,p. 545-S49.
E.D.R.t s natu~wis5enschaftlicher ~ateriolismus. In1
Wissenschaft und Fortschritt 29
(1979) 6, Berlin
1979,
p.235-239.

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301
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ZACHARIAS Otto,
E.D.R.
über den Darwinismus.
In:
Die ~eoenwart
Nr 48,
10.Bd,
Berlin 1876,
p.
345-346.
ZOCKLER,
Dubois Reymond,
autrefois et aujourd'hui.
In: Revue de
théologie et de philosophie.
Tome iII,
~aris 1883,
p.
293-297.
c) Etudes sur des discours isolés
1) Der deutsche Krieg
BRUNS Carl Georg,
Deutschlands 5ieg Uber Frankreich. Berlin,
Ver-
lag von Puttkammer und Muhlbrecht, 1870.
2) Darwin versus Galiani
E.D.R.: Darwin versus Galiani(Nolen).
In: Revue philosophique
L
de la France et de l'Etranger,
rédigée par Th. Ri-
bot. 2e Année,
tome III,
Paris 1877,
p.
88-93.
3) Uber die Grenzen des Naturerkennens
BOLSCHE Wilhelm,
Die Grenzen des Naturerkennens.
In: Reclam Uni-
versum.
35~Ja"rg., Heft 5,31. Oktober 1918, p.
79-80.
HARTMANN Eduard v., Anfënge,naturwissenschaftlicher Selbster-
kenntnis.
In: GesomMelte Studien und Aufsatze.
Leipzig 1876,' p.
445-459.
LANGWIESER Carl, Dubois Reymond's
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besprochen. Wien,
Verlag von Karl Czermak, 1873.
N~GELI Carl v., Die Schranken der Naturerkenntnis
In:
Mecha-
nisch-physiA'J.ogische Tr-eorie der Abstomr'lJngslehre.
MUnchen und Leipzig,
Verlag von R. Oldenburg,1884.
SIEBECK H.,
Uber das Bewusstsein ais Schronke de's ~Joturerken­
nens. Eine Kritik an Dubois ReYr'ond.
Bosel 1878.
SPILLER P.,
Dos Naturerkennen nach seinem angeblichen Granzen.
Berlin, Denicke's Verlag -
Link und Reinke,
1873.
~) Die sieben Weltrëtsel
H~CKEL Ernst, Die Weltrëtse1. Bonn, Verlag von Emil Strauss,
1899.

-
302 -
5) Goethe unp kein Ende
BERGER Alfred Fr.v., Goethes Faust und die Grenzen des Naturer-
kennens. Wider Goethe und kein Ende von E.D,R.
Wien, Verlag von Carl Gerolds Sohn, 1883.
KALISCHER E., Goethe aIs Naturforscher und Herr Dubois ReYMond
ols sein Kritiker. Berlin 1883.
SCHASLER Max, Goethe aIs Noturforscher und r..D.R,· In: Die Gegen-
wart, Wochenschrift für Literatur, Kunst lmd ëf-
fentliches Leben, hrsg.
von Th,
Zolling. 23. Bd.,
Berlin 1883, p, 7-10,

303 -
III. Ouvrages généraux
a) Art,
histoire,
philosophie.
religion,
science
AMBACHER Michel,
Les philosophies de la nature. Paris,
P.U.F.,
1974.
ANDLER C .• Nietzsche,
sa vie et sa pensée. Paris 1958.
AYRAULT Roger,
La genèse du romantisme allemand.
2 vol.,
Paris,
éd.
Montaigne, 1961.
BARTHOLMESS Christian,
Histoire phi1osophi~ue rie l'AcGdémie
de
Prusse. 2 tomes,
Paris,
M.
Ducloux, 1850-1851.
BITES-PALEVITCH M.,
Essai sur
les tendances critiques et scien-
tifiques de
l'esthétique allemande conte~poraine.
Paris 1875
(thèse d'université).
BREHIER Emile,
Histoire de la philosophie. Le XVIIIe siècle.
Tome 2,
Paris,
P.U.F., 1968.
BRUNEL Pierre,
Histoire de la littérature française.
Du Moyen
<
Age au XVIIIe siècle.
Tome 1,
Nancy,
Bordas, 1977.
(1e édition 1972).
CARNOVE F.W.,
Papismus und Humonitët.
Leipzig, Verlag von Ctto
Wigand, 1838.
COMTE Auguste,
Discours sur l'esprit positif.
Paris,
librairie
philosophique J. Vrin, 1974.
COURNOT Antoine A.,
Matérialisme,
vitalisme et rationalis~e.
Paris,
Librairie Hachette, 1923.
DELAGES Yves,
Les. théories de l,p.volution. Paris, Flammarion,
19Q9.
OREHER Eugen. Die Grundlagen der exakten Naturwissenschaften.
Dresden 1900.
DRESSEL L., Der belebte und unbelebte Stoff nach neu~sten For-
schungsergebnissen. Freiburg im 8r~sgau 1883.
DROYSEN Johann G.,
Historik.
Vorlesungen über Enzyklopodie und
Methodologie der Geschichte,
hrsg.
von Rudolf Hüb-
ner. 5.
unver~nderte Auflage,
München, n, Olden-
burg, 1967.

-
304 -
DROZ Jacques,
Le socialisme allemand de 1863-1918. Centre de
Documentation Universitaire,
Paris.
DUHRING Karl E.,
Kritische Geschichte der Philosophie von ihren
Anfëngen bis zur Gegenwart. Berlin, Verlag von
L.
Heimann, 1869.
DUPUY Maurice,
La philosophie allemande.
Paris,
P.U.F.,
1980.
ENGELS Friedrich, Dialektik der Natur.
In: ~. 20. Bd., Berlin,
Dietz-Verlag, 1968.
Einleitung zur englischen Ausgabe der Fntwicklung
des Sozialismus von der Utopie zur Wissenschaft.
In: ~, 22. Ad., Berlin, Di~tz-Verlog, 1970,
FISCHER-FABIAN S.,
Preussen's Gloria.
Der Aufstieg eines Staates.
Locarno,
Dramer Knaur-Verlag,
1979.
GOYAU Georges,
Bismarck et l'Eglise.
Le Culturkam~f(1870-1887).
4 tomes,_ Paris,
Librairie acad~mique Perrin & Cie~
1 911 -1 91 3.
HARNACK Adolf,
Dos Wesen des Christentums.
Leirzig,
J.C.
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ri ch s, 1908.
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HEISS Wolfgang, Aufbruch in die
Illusion.
Zur Kritik der bUrger-
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Populëre wissenschaftliche Vortrage.
Braunschweig, F. Vieweg und Sohn, 1876.
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JOUSSET P., Evolution et transformisme.
2e édition,
Paris 1910.
KERN Berthold, Dos Problem des Lebens in kritischer Bearbeitung.
Berlin, Verlag von August Hirschwald, 1909.
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Uber den Einfluss der NaturwissenS"Chaften auf die
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Leipzig 1908,
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und über den Zustand der C~emie in Preussen.
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LUBSE Hermann, Politische Philosophie in Deutschland. 80sell
Stuttgort, Benno Schwabe und CO-Verlag, 1963.
MACH Ernst, Oie ~echanik in ihrer Entwicklung ~istorisch-kri­
tisch dorgestellt.
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Oie okonomische Notur der physikalischen Forschung.
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log der Koniglichen Akademie der Wissensc~often,
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tJœNET O., La pensée française ou XVIIIe siècle. Paris, Armand
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losophie "Schopenhouers, Oarwins, R. Mayers und L.
Geigers.-Leip;ig, Veit, 1875.
REAU Louis, L'Europe françQise ou siècle des lumières. Paris,
éd. Albin Michel, 1951.
RIEHL A., Oer philosophische Kritizismus und seine eedeutung
für die positive Wissenschaft. Leipzig, W. En-
gelmann, 1923. 2 vol.
ROMANES Georg J •• Mental evolution in mon. Origi" of ~~an fa-
culty. London,
K. Poul, 1888.
RUSCHKE C.G., Philosophie und Naturwissenschaft. eonn. Veriag
~on Emil Strauss, 1874.
SCHULZE Fritz, Oie Grundgedanken des Materialism~s urd die Kri-
tik derselben.
Leipzig, Ernst GUnthers Verlag,
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SIEMENS Werner v., Dos naturwissenschaftliche Zeitalter.
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scher und Arzte. Berlin 1886,
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92-90.
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Die Streitfrage
des Materialismus.
Jena,
Druck
und Verlag von Friedrich Fro~mann, 1858.
SOBOUL Albert,
Histoire de la R~volution fronçaise.
Tome 1 et 2,
Paris,
GalliMard, 1962.
STU~PF Carl, Leib und Seele. Der Entwicklungsgedanke in der ge-
genwërtigen P~ilosop~ie. Leipzig, Verlog von Jo-
hann AMbrosius Barth, 1903.
SYBEL Heinrich v., Historische Zeitsc~rift 39. 3.Gd., München,
Druck und Verlag von R. Oldenbourg, 1878.
TATON Ren~,
Histoire g~n~rale.de
la science.
Paris, P.U.F.,
1957-1969.
UBERWEG F., Grundrisse der Geschichte der Philosop~ie. 4.Bd.,
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VIRCHOW Rudolf,
Die Freiheit der Wissenschaft im modernen Staate.
Berlin, Verlag von Wiegandt,
Hempel und Parey,
1877.
La conceptionmécani9ue de la vie.
In: Revue scien-
tifique de la France et de l'étranger.
Tome
3
,
,
Paris, Baillière, 1866, p,
305-311,
VOGEL Heinrich, Bemerkungen zum naturwissenschaftlichen Materia-
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Heft 12, Berlin 1964, p.
476-483.
WEYGOLDT G.p.,
DarwinisMus, Religion,
Sittlichkeit.
Leiden,
E.
J. Sri!l, 1878.
ZIEGLER Theobald, Die geistigen und sozialen Strëmungen des 19.
Jahrhunderts. Berlin, Georg Bondi, 1901.

-
307 -
b)
Les lectures de Dubois
Nous ne mentionnerons ici que les ouvrages lus par Du-
bois et qui ont sorvi ~ l"laboration d~ ce tra~bil. Les 6di-
tions ne sont pas forcément celles utilis6es par l'auteur.
BUCKLE Thomas H., History of civilization in England.
2 vol.,
London, J.W. Parker and son, 1858-1861.
BUNGE Gustav v.,
Lehrbuch der Physiologie des ~enschen. 2.8d.,
Leipzig, F.W.Vogel, 1887.
COL~NOT Antoine A., Traité de ltenchaineMent des id6es fonda-
me~tales dans les sciences et dons l'~istoire.
i
Tome 1, Paris 1~61.
DARWIN Charles R.,
The descent of ~on and selection in relation
to sexe 2 vol.,
London,
J.
~'urroy, 1871.
The origin of species by ~eans of naturol
selectiQn or the preservation of favoured races
in the struggle for
life.
London,
J.
Murray, 1878.
DRIESCH Hans, Die Biologie ols selbststëndige Grundwissenschaft.
Eine kritische Studie.
Leipzig, Verlag von Wil-
hel~ Engelmann, 1893.
GOETHE Johann W.v., Faust, 1 .Teil. Traduit et pr6facé par Henri
Lichtenberger,
Paris, éd. Monteigne, Collection
bilingue,
1981.
Vermischte Schriften.
Dichtung und Wohrheit.
Schriften zur Literatur, Kunst
und Wissenschaft.
Berlin Darmstadt, Wien,
Deutsche Buch-Gemei~sc~aft,
1963, 4.Bd.
H~CKEL Ernst, Anthropogenie oder 'Entwicklungsgeschichte des
Menschen. 3. umgearbeitete Auflage,
Leipzig.
Ver-
log von Wilhel~ Engelmann, 1877.
Dio Perigenesis der Plastidule oder die Wellenzeu_
gung der Lebenstheilchen. Ein versuch zur ~echoni­
Schen Erklërung der eleMentaren Leben~vorghnge.
Berlin 1876.

-
308 -
HEGEL Georg W.F., Vorlesungen über die Philosophie der Geschich-
te.
Hrsg.
von D.
Eduard
Gans,Stuttgart 1817.
HELMHOLTZ Hermann v.,
Uber die Erhaltung der Kra~t. Eine p~ysi­
kalische Abhandlung. Berlin 1847.
HOLBACH Poul H.T. de,
Systè~e de la nature ou des lois du ~onde
physique et du monde moral.
2 to~es, Hildesheim,
G. Olms, 1966.
KAN'! !mmanuel, Kritik der reine" Vernunft. 11. Auflage,
Leipzig
Verlag von Felix Meiner, 1919.
LA METTRIE Julien O. de,
L'homme-mechine,
l'anti-robot. Paris,
Editions Oenoël/Gonthier, 1981.
LANGE Friedrich A., Geschichte des Materialismus und Kritik sei-
ner Bedeutung in der Gegenwart.
? Bonde, Iserlohn,
Verlag von J. Bëdecker, 1877.
LEIBNIZ Gottfried W.,
La monadologie. Ouvrage a~not6 par E. Bou-
troux. P~ris, Librairie Delagrave, 1878.
MARX Karl, Der ochtzehnte Brumaire des Louis Bonaparte.
Stutt-
gart,
J.H.W.D~etz, 1914.
MULLER Johann,
Handbuch der Physiologie des Men~chen. 2 Bande,
3.Auflage, C9blenz,JJ.
Hols,
1838-1840.
RINDFLEISCH G.,
Ne~italistische Kundgebung, aine Rectorotsrede.
Würzburg 1888.
ROUSSEAU J.J., Oeuvres complètes.
Tome 2, Paris, Editions du
Seuil,1A71.
SCHELLING F.W.J.v., SëM~tliche Werke.
7.Bd.,
Stuttgart und Augs-
burg, J.G. Cotte, 186C.
SCHOPENHAUER A., Die WeIt ols Wille und Vorstellung.
?-.Auflage,
2 Bande,
Leipzig, F.A. Brockhaus, 1877.
STRAUSS David F., Der aIte und neue GIaube.
VI.Bd., Bonn, Verlag
von Emil Strauss, 1877.
VOLTAIRE François tJ..A., Oeuvres complètes.
Tome 37, Paris,
Nou-
velle Editio~, 1878.

-
309
c) Divers
BERR Henri,
Le germanisme contre l'esprit
français.
Paris,
La
Renaissance du Livre, 1919.
COGNIOT Georges,
Goethe.
Pages choisies.
Paris,
Ecitions socia-
les, 1968.
COLONGE Paul,
Ludwig Windhorst,1812-1891 : sa pensée et son action
politique jusqu'en 1875. Tome 1,
Paris 1983.
DREYFUS B.E.,
L'université de Bonn et l'enseignement pupérieur
en Allemagne. Paris,
Hachette, 1879.
Festschrift zur Feier des 260-jëhrigen Bestehens des Franzësi-
schen Gymnasiums. Hrsg.
von dem Lejter und dem
Lehrkollegium dèr Schule. Buxenstein,
Berlin 1949.
L'Instruction secondaire en Prusse. Enseignement classi~ue et
intermédiaire d'après les documents les plus ré-
cents. Paris,
Impression administrative de Paul
Dupont, 1865.
TISSOT Victor, Voyage
,au pays des milliards. Paris,
E.
Dentu,
1875.
-
WAGNER A., Die Entwicklung der Universitët Berlin, 1810-1896.
,
Rede
zur Genochtnisfeier der Stiftung der Kënig-
lichen Friedrich Wilhelms-lJniversitët
am 3. Au-
gust 1896. Berlin, Druck von Julius Becker, 1896.

310 -
TABLE DES MATIERES
AVANT-PROPOS ...................................... ,
.
3
INTRODUCTION
4
PREMIERE PARTIE:
L'HOMME r LA JEUNESSE ET LE MILIEU,.......
14
1. Origine et milieu f a m i l i a l . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
15
2.
Le Collège fronçais
,
, . , . . .
20
3. Une jeunesse studieuse et
marquée par la science
25
4. L'évolution de Dubqis
"
, . . . . . . . .
35
Dotes importantes de
la vie de Dubois jusqu'en 1847
44
DEUXIEME PARTIE:
LA PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE DE LA NATURE
.. 45
Introduction .:
',
, . ,
46
CHAPITRE 1: Méthode de l'auteur
•.. ,
,
49
1. L'état de la pen;ée scientifique .u XVIIe siècle:
..
DeScartes et Leibntz
49
• • • • • • • • • • • • • • • •
1
• •
,







• • •
2. Dubois, Goethe et le XVIIIe siècle allemand
... ,
56
3. Le recours à la pensée scientifique de la Fronce
au XVIIIe siècle • . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ,.
63
CHAPITRE II: La théorie de la connaissance
,
72
1. Position scientifi~ue du problème
,
73
2. La science de la nature et son application
78
a) Le problème de la vie
, ' , .. ,
, .. ,
79
b) Dubois et l'idée d'évolution
85
3.
Ignorabimus ou la réfutation du matérialisme
96

- '311
0) Dubois, Strauss, Hëckel et le matérialisme
96
b)
Isnorabimus:
une philosop~ie morale et
optimiste
107
4.
Les énigmes et
le positivisme de Dubois • . . . . . . .
115
CHAPITRE III:
Ignorabimus:
réactions et analogies
122
1.
Les réactions
"
123
2.
IgnorabiMus et
le
"Faust" de Goethe
,
,134
3. Dubois et Kant:
la continuité
140
CHAPITRE IV: Dubois et
la religion
, ,
149
1. Réfutation d~ l'interprétation surnaturelle et
supranaturolist@
149
0) Le problème du vitalisme
,
149
b)
La réplique de Dubois • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
157
2. Dubois et
le christianisme
167
3.
Le Kulturkampf dons la pensée de Dubois
172
La science de la nature et
l'esthétique
183
Bilan de la deuxième partie
189
TROISIEME PARTIE: SCIENCE ET SOCIETE
196











• . •





t



Introduction
197
CHAPITRE 1:
Une science au service de la bourgeoisie.
200
1. Des idéaux révolutionnaires à la bourgeoisie ... 200
0)
Idéaux révolutionnaires ... . . . ................ 200
b) L'éloge de la Monarchie
, .208
2.
Une science de combat
212
CHAPITRE II:
Une vision humaniste
222
1.
LQ finalité de la science
222

-
312 -
2.
Une conception universelle et hu~aniste de
1 'histcire .. :
.
227
3.
Une société d'équilibre ......
~-?
t" _,_
CHAPITRE III: L'idée d'Allemagne et la Frcnce
239
1. La guerre de 1870 et le nationalis~e de Dl-bois
239
2.
La réaction française
2t.7
• •
1

1

3.
La répo'nse de Dubois
251
• • • •
l
,

4.
Le devenir de 1 'Alle~agne . .
...
254
a) Nécessité d'une unité linguistique.,
254
b) Une Allemagne idéale
.
250
Bilan de la troisième partie
,',.,.,
264
Dates i~portantes de la vie de Dubcis de 1843

,
l ,
Jusqu'a la ~ort de l'auteur
2590
CONCLUSION • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
269b
SIgles et abréviations ..... : ....
279
. . .
1
• • • •
BIBLIOGRt.PHIE
.
280
TABLE DES MA TIERES
,
,
310
Inédit
31 3

Inédit
Lettre de Dubois concernant lacrp.ation ~'un~
Akadémie de la longue allemande.
(t~ochlass
Dubois Reyr"ond, L<4)
Eur~ Excellenz
bab<:-n durch
hoben El'lars "om 31. .-\\uguH d. J: -
[. I. 1~;60 :l1Iit
"ier .\\n13(;('n; -
die E'hrë"rLidig untt?l'zeÏL:Lnt'tt::' _\\kadel1li~
\\,on dE'1l1 \\'on
pri,-atë"1' Seite angeregren Plan der Grûndung einE'r "Deut"l'hen .\\kalic'l1lit:'''
in IÜllntlliC:, ge~<.'t7.t und sie zu einer :\\uf:.'erll:lg über diE'E-es Cntel'llt'hmel1
a uf;;efÜI'J",J't.
Eine Sumlue \\"on 100000 ~I. i,.t \\'on dem ,.ichtlich t'b".:,:,o
idO:.11 wie IJ3tl'i~lti,~(:h ge~innten C'rhebel· "de,. Planes fül' ùt"~~en Yel'w1l'k-
.1il'hullg hilllerlegt, und auch eine Art \\"on Statut bat derst:lbe :'ChOll ,.èi-
ll?ll
an den Hm, Rekhsbnzler gerichtE:ten E,.ùrtel'ungen beigefft~t.
§,:? dieses St:J t uts bëzeichnet als .\\ uff~Le ùel· ,., Deut,.chen .\\ ka-
dtmic-'", di<:- wohl l'ichtigel· ...-\\kademie dt'I' Dt"uts..:hen Sprache-
hei[~('ll
Wnl'J(', die .\\uE-bildullg und Fest,.tellung deI' Dt'llt,.chen Sprache,
Die llnt~l'zeidlllete Akademie Y~l'kenllt Ilicht~ dars der ~t'gen\\\\ iirlige
Zmtuu,'l U!l5E'I'èr Sprache ein wenig el'fl't'ulit'ilt:'l, i~t.
Die rn~idlel'ht"it ullll •
YI':I'\\\\'il'l'ung der Recbts~'hl'eibung war nie gl''::lf~t'r aIs jetzt.
Die Ha~t dt'I·
l'':'!iti,.cht'Il, litrel'ari~l'ht'n ulld -wiss;ens<.:haftlicl1t'll Schrift~tt:JJel't"i, das; tbel'-
-wit-gell der matl'l'iellen IntereHen, die gt>~ll;lk"ae littel'ariscb - aestlJeti...:he
Bilrlullg dfs jüngt:re:1 G~5chlechtes: Allt>~ (lit'~t:5 fldu,t Zll einer Gt"rin;-
i"dlatZllIl'; un,] Yt:rnadda~sigung d~'5 sp"'lc1l:il.'!ll:.n Ausdl'ucke5: wie sie bl.'i
hinelll andel't'n der gl"(tr~en Cultur\\"ôlkt>l· ~t?dllidd wÛI'de.
Sie wil'd lt'i-
dèl' begûmtigt dUl·ch àen bèi uns im Yerglt'il'11 zu den lateillischell Yül-
hm gel'iugt'l"ell Sinn für die s<:hOne r orm.
Xatürlil:h
W(;l'e
e~ wüu5cbemwerth, di~:-er Yel'wildel'ung t'me
Schran ke zidlt'lI, für Ri.:ht i~k~it unù SchOn heit des spraclJ1ichen .\\ u5-

2
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f.c1wint ul101itteJbal' de,' .-\\eadémie fl'an<;,ai~e entlêhnL welcbE' [Lil' dit' fl'an-
zu,.j"che Sprache seit zwei JaIJl'IJUndertE'1l da:-jenige zu Il'Îstell h(-J.n~j'I'udlt.
",a;: wil' [ÜI' die Deut~chE' ~pl'ache wobl e"Teichen /li':';chten,
AlJt'in e..... Ïi-t se:b,' die Fra.ge, ob sokh,e Eilil'i,'lltul)~ in Dtllt;,,'Llalld
~r<Jktis{'hpl' Erffl1g b~ben würdt.'.
Der ::;inn für l"nabhiillgigkelt. ja l'nge-
L'U1idellheil ist IJei dem DeutH·bt'1l so üloE'l'wiegend,
daf~ Ilie darauf zu
ntLIJen i~t, iLn einer Yor~chl'Îft, wàl'e sie aucll nOc!J sc> beibam, aus
f,'eiélJ SWckelJ, obDe staatlichl'n oder mi!itii!'ischelJ Zw:w(T, 5-id1 fii"f:ll ZU
.
c,
~
sehell.
Den EDtsc1I('idun,::ell einel' ]jttE'l'al'is~Lell Kl'!ïll'r~l"k(fr: \\\\"t'llI1 sie
aUl"h die best.en Kl'afte der ~ation in sidJ \\"fl'einte, würcll' dUl"h kt,ill~
bindencle :\\uetol'itiit zuge~ta:ldl'n werdt'n, uno dél' Wun~('h, dt'rc'iL-t dt";~'1J
,Mjt~lied zu Leif~en, wa~ in Frunkrticb da~ bôch;'lè Zi('1 t-ill(" ~l'ltrifl­
S!(·JJel'i' ist,
dül'fte Lei
UIJ;,;
schwt'I'!idl l'in SI,o!'!1 zu ermtdJ .-\\lj..:trl"!l-
gllngelJ ~ein.
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...
.
r\\'~t'!:lJiir<"tn,
...
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jalJ1',!alJg" fortge~t'tztfn Bt'5-chaftigullgen sokher .-\\ka';dl;ie bt'~tt"lJl:1 ,.uill·'Il.
DiE- BeHillHIJUng dt.'s §. 5 d6.Statuts: ,. DiE' SitZlIl1g1'1l d<:r Dl'l/t;'l'lJ!'!. .Ha-
.dtHlie
,
:-ind ôfft'ntlicu,, und filJdt'lJ wE'ni:.:!'tens
~
E'illnJa! nlC>llath:h illlJ tl'~lt;n
,.SûlilJtag de;;. lIIl.Jllats in B~l"!in s-tatt" -
sagt nie!.L wa- di •.-,(' SitzU:'':;c'11
au~fLllcll solle, lInd YE'n'iidJ fin iillf~el'st gel'ilJge:- )1:d-..: '011 [:I:':c1"
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die wirklichen Yt'r1Ii:iltnissC'.
Es liegt ahE'l' nahe, E'inE'1' Akadt'mi~· d,:,1' lJt'ut~l"bl'll SI'l'a l:],.: IJI"belJ
èfr ûLigt'n Aufgal,e rJoch eiDe andel't' zuzu~ei~ell in d('r gekIJ:,t('!j Er-
fonclJU!lg deI' Spracbe: wdche für diE' Beurtbeilung der
mei8t'.'lJ for-
D.alt-n Fragt'n obneLin die unentLelJrlicLe Grundla;e alogÎfl,t.
Ht'r~tel­
Jung Y011 II u~terau~gaben deut;.chel' Schriftwerkt: und del't'Il ~1'l'al"hlidJe
oder ~3chJicbe Erltiutt'rung, gl'ammatische und lE-Xikali~cLe dit' SCDrift-
Ep"s<:bt' oder die Mundartt'Ii bebandelnde .-\\rbeÎtt'n Wàl't'D ein wiirdige~

a
Ulla
el';;it'l,igès F t'Id t'l'II' sokhe ..... kadt'mit'.
~!it I~ül'bil'!Jt hi"I'~ll1f lI1i'1f~!el1
ihl'e Jlit;;liedèl' in zwei ..... btht'illlilgen Ul'f:.J1Jt'II: l'ine, wt'kll\\.' all~ hel'\\CiI'-
l'a~enJcn
. . ~dll·iftHo:lIt"'rn.
. . , .
Dil'bteJ"lI und PI'(I~:lÏ~~'I':J. unI eillè. \\\\t'kh·C' aus
. .
SprachgeIebrten bestiinde.
III diesel' G('~ta1t lit[se sich cléll1 Gl'ündl1llg~J'~~lne E-illt'l' .-\\bdellJie
der Deutschen Sl,r3che allt'lltàlls nliber trt'tt'lI, und eill PI'U;;I':lllllll l'CIl'
deren .....i·beiten aLlf~tt"lIèn.
Dabei murs aber bdOllt wt'I'dt-n, Jaf", \\,je
rt'i~hli~h bemes,.en aUl'h die yon dem G(·l,t'!· an'g6t'lzte Snlll:lIt' :ll~ t'in
Gèschellk- tilles EillZellJèll fUr einen iJt'ah"n Zwt'ck E'l'scllt'int', si~· flir' die
Bedü!"fnisse eiller ~olc!Jen Staatsan~talt, in \\\\"t'lcber das Intcre',.e des
Reiches und der Sation an der Deutschen Spracbe sic:h glt'ich,.alll \\"er-
kürpern soli, bei naberel' Hetrachtung aIs ganz unzul't'il'hend ~il'h er-
weist.
Die Besoldung eines stAndigen Sel're~ars und eines UlIterbt"'amten
der Akademi~, die Reisekosten und Dia.ten der nach Be..Iin aucli nUI' zu
Einer Sitzung bel'uft'rlen ~litglieder dOrft~n die Zin~t'n dei' angebotl"nen
Summe' grüfstentheils H:rzehren, geschw~ige daf:: das ~CJthige fnr wi~:'eJl­
sl'haftliche Honoral'e, ftir l'nterst'lItzung bei Herausgabe von Wel'kt'n,'''für
Preise 11. d. m. iibl'ig bliebe.
..
Schlielslich gi'Hatten wil' u~, im Anschlufs 8n das Gei':lt.!tc einen
et~a5 veranderteu 5tatuts-Entwurf für eine Akadc-lllie der DèlJtsehen
SlJral'1Je Eure!' Excellenz 111 semen eJ'steu G!'undzügen el'g"Len~t zu ulltel'-
LI't'iten,
Die Koni"..liche Akademie lIer 'Yi.-::senschaften,
~
Ac de~ K,;L SI;j'd~D;:Il:'l-r, U. 5. w.
r
L E.
' 1.
(1. U.-F'\\. ]
Hro Dr. ""Il G('~,l·.'r
Exc"llenz.

Grulldzüge
dps Statuts einer AkadC'lllie
der Deutsc·hell Sprac-he.
1.
Die .-\\kadt-wie dt'r Deutsch':li Sf.racbe bat ZUI' Aufgat.(: die
Pflege und gele·larte Erfol'Schung der DeutH:ben Srracbe.
•)
Sie besteht lunHc115t aus zwanzig ol'dentlic:ht'n Mitgliedel'l1 , de-
l'en ~luttel''''pl'ach~ die Deutsche Spl'ach~ i5t. . tbe!' Erhuhung die5el' Zahl
und .-\\Uf>'h,l1ulIg :lI1dHer K:ltegùrien \\,on ~litgliedel"D kann spiiter \\'erh:m-
dt'lt ·.w~r.ien,
3,
Die ~lit~lieder find in zw€'i Cla5sell \\'ertheilt. YOIl '~ekhen die
eil:e h"'l"\\'ùrl'~gl2l1de S{,bt'iftsteJ)t>r, Dicht.:r und Pro5arki'r, die andere Deut-
sl'!)e !'pral:hgl21",bt,te \\1nlfa~t. Die" Jetztere Classe murs ~lets mindest.ells
die Hitlftl:' d.-r Gt'~aIlHlItht"it 3u~m3chen•
..1.
Fül' die I:r~U! Ernelluung haben
die beiden Akademiell cl (,1'
"ï5~<>n~L"haftt-ll 1I1 Bt>rlin und zu )1 Qndren jeùe zW3lJzig ~1 irglic·d('r '''01'-
zlI"dd:lgt'1).
rntE'I' B~l'a('hidltÎgl1ng dii'i'er YorHblàgl?: jedoth ohne ail
~ie !!t'hund':ll 211 s~ilJ. erOi"llnt der Ka-nzl~J' des Delltsc:1len Rl?i(;he~' dil.'
..
.
,
zwulIli; ('n-kll ~lit~li",<1er und ht'3ntl'&~t di'rt'll Bestatigung durdl S. ~1.
ddl
J\\a·l .. er un.} hl"JI1i;!, wt'h:ber ab cIl?)' S(:hil'mh~l'1' deI' .\\kadt-Illie ùel"
[l",ut,.clwn ~i-'I';l.:ht? gt"llacht ~il'd.
Bei ~p;,tel' eintJ'Ht'lId~1l Y:lc"31lZt-ll el'-
giillzt ~:l'h di(' .-\\bi~t-Illie durch Wabl n3(:h fc:Hzmtellellden XOI'IUC:ll.
~. U,'!' f:t:.~,_·L:;t·tli\\.·ht- ~JiT:.~ll'udt 1""01' die .-\\.b·:fl:.l;t i~t die r.('jd/~­
h311j't,t:vlt.
L:. \\"P!I 11t'f Abrj·,:.mio: a~i~ iLI'~l' ~ETt,: Ll:.~t:llitU', at.:~ illl·.11
~I:th';n l.<,:",j.Jdr'1'. J.I~~tàllJi:;er' Secrl?ta:- l'd'orgt hier ilJ1'e lallft:l)(h:1\\ Ge-
~l·b:ift ... : al,. f"<·,.dliift~filbl'elldt'I'A\\l~~l'hllf$ stellen ihm fül' ge,' ülmlich zlIr
Sl·jk <1i-: ill B·:rliu all."af~i~~:, :\\Iirglied"'l' deI' .\\kadt'mÎl2.
Wichri;;f!'.e E:)t-
s-.:1&t'i.ill11';.:Jl w<?I'<lfll
dUl'\\:,b ~,,'b:,jftiidl-= .-\\bstimmun~
linter S:illJl11tlic:llt'1l
~lit;;lil:.dt'ru, (ldrl' gl:'lrgl'otJil'h Jd' jahrlic'bl?ll ZU5-ammellkunft (~, l1en fL,l-
g~tl\\lt'n P:il'af:l'aph(·n: getl'ùlf~n.
,

6,
Alle Jahre zu bequemer Zeit, etw& wiihl'end dèl" Osterferien der'
Cni,'ersitüten, 6ndét in Berlin eine ZU5ammenkunft sümmtlieher Mit.rlie-
~
der statt.
Es wel'den Bel'iehte über die Al'beiten des "erfiossenen Ge-
schaft,.,jahres entgegengt'nommen, Besehliisse über \\'orzullehmendè ..\\)'bei-
ten gefafst und sonst wichtigere Geschafte Lesproehen,
In eine)' ôtfent-
lichen Sitzllng kônnte eine Rede über einen deutsch-litteral'ischen, ll/ld eine
übe)' einen deut~ch-spl'achwissenschaftlichen Gegenstand gehalten wel'Jen.
7.
Die g,enaUel'è Ausal'beitung des Statuts der Akademie ist YOI'-
behaltlich (in letzter Ill:-tanz) der AlIeJ'hôchsten Be~tiitigung einem "on
der Akademie selber, nach Ernennung der zwanzig ~Iitgli\\;'Jel" zu wühJell-
den Ausschufs zu übertl'agen,
\\.'