UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR
FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
THESE DE DOCTORAT D'ETAT
LA GESTE D'EL HADJ OMAR ET L'ISLAMISATION
DE
L'EPOPEE PEllLE TRADITIONNELLEiRlc41
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Présentée par Samba DIENG (~)\\I
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rnent
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Sous la Direction de Claude BLUM
Professeur titulaire de Chaire
à l'Université de PARIS-X NANTERRE
En détachement
à l'Université Cheikh Anta DIOP de DAKAR
Année Uni't~rsitaire 1988-1989
Tome 1
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LA GESTE D"Eb HADJ OMAR
ET
L'ISLAMISATION DE L'EPOPEE PEULE
TRADITIONNELLE
"En route espèce, la valeur se chiffre. Sauf pour l'homme, tant il est vrai que mille mauvais
n'cn vaudront jamais un seul d'excellent "1.
André (M.), Ousâma. Ull prillee sydell face alu croisés, Paris. 1986, p. 58.

,' ..
PREMIERE PARTIE
EL HADJ OMAR ET L'EPOPEE PEULE

2
INTRODUCTION
L'épopée d'El Hadj Omar, malgré son ampleur et sa vitalité, a très peu attiré les
efforts des chercheurs qui, depuis l'époque coloniale, ont négligé J'expression littéraire du jihâd
au profit de sa réalité historique]: Henri Gaden constitue cependant la seule exception 2 Cet
officier colonial, promu par la suite gouverneur et dont l'un des titres de gloire fut d'avoir
assisté à la capture de Samory3, publia une version de l'épopée d'El Hadj Omar, celle de la cour
de Ségou sous le règne d'Ahmadou. 11 s'agit de la transcription et de la traduction annotées d'un
manuscrit omarien où un disciple de la première heure, Mohammadou Aliou Tyam, chante le
jihâd de son Cheikh, à travers la biographie poétique de celui-ci. Par la suite, d'autres
recréations sont venues s'ajouter à La Qacida en poular. Cependant, l'épopée d'El Hadj Omar
reste, après tout, dans un isolement relatif qui la maintient dans la routine des griots et dans la
tradition manuscrite des lettrés.
Or, l'action d'El Hadj Omar, pour avoir entre autre chose, profondément modifié
l'aire du jihâd et détourné le cours de son histoire jusqu'à la conquête coloniale, lui valut d'être
au centre d'une vaste littérature, et en particulier d'une épopée vivante, aux multiples versions,
où l'oralité interfère sans cesse avec l'écriture. Impressionné par une oeuvre aussi riche, nous
avons compris très tôt tout l'intérêt que revêtait son étude. L'intérêt se transforma, du reste,
rapidement en vocation. Issu d'un milieu toucouleur profondément omarien, ayant acquis sous
la férule d'un père marabout ['essentiel de la formation coranique, la tâche nous apparut
progressivement sous le visage d'une nécessité.
Aussi, pour étudier l'épopée d'El Hadj Omar, avons-nous tout d'abord fait une
collecte systématique des principales versions orales et manuscrites conservées dans les
Deux études récentes méritent d'être signalées à ce sujet
Robinson
(D.),
La
guerre
sainte
d'Al-Hajj
Umar.
Le. Soudan occidental· au
milieu du X/Xe siècle, Paris, 1988.
,
;;.'.
Ly' Tall (M.), Le
mouvement
omarien
et ses
rela'tions
avec
la
colonie
du
. ,.: .
Sénéga{A1796-/862), Thèse de Doctoral d'Etat, Université t.A.D, Dakar, 1988.
2
. -
-
-.../
'
.
--./'
GadeiI (R), La vie d'El Hadj Omar, Qacida en poular de Mohammadou Aliou
Ty am, in
"Travaux
et
Mémoires
de
J'Institut
d'Ethnologie" (X XI).
Transcription,Traduction, notes et glossaire, Paris,
1935.
3
Person (Y.), Samory. Une Révolution Dyula, Mémoire de l'lFAN, n° 80,1968, 3
tomes.

3
glorieux sites omariens, prolongement de ce que nous avons ébauché dans le cadre de notre
Mémoire de Maîtrise1, puis de notre Thèse de Doctorat de 3ème cycle2
C'est ainsi qu'entre 1976 et 1988, nous nous sommes rendu de Halwâr, village
natal d'Omar, à Déguembéré, grottc où il disparut; en passant par Dinguiraye, sa première
capitale, Ségou, Bandiagara, Médine, sans compler d'autres localités moins prestigieuses, mais
auxquelles est attaché le souvenir du Cheikh, telles SOUloukhoullé près de Kayes ou
Goundiour, située en Gambie.
,',
Notre choix s'est porté avant tout sur des textes profondément épiques: le
."noddol Sayku Umar" ou la devise du héros chantée par Sidi Mbôthiel, l'épisode de la geste
d'Omar qui va de sa naissance aux JOUles oratoires du Caire déclamée par Kalidou Bâ. Nous
avons ensuite retenu le fragment qui promène l'auditoire de Dinguiraye à Hamdallahi par Sidi
Mbôthiel et enfin le dernier épisode de l'épopée du jihâd, celui qui va de Hamdallahi à
Déguembéré, composé par Hammât Samba Ly, chanté par Demba SaIT. Ces trois auteurs
présentent ici les différentes fonnes que revêtent les performances3 des versions omariennes :
composition orale, déclamation accompagnée par la musique, récitation d:un texte manuscrit.
L'analyse de cette épopée, dont une des caractéristiques reste l'interférence de
l'oralité et de l'écriture, nécessitait un bilan scientifique du genre, Aussi la collecte des traditions
orales se doubla-t-elle de celle des manuscrits, ce qui nous mena auprès des foyers islamiques
négro-africains et maures situés en Afriquè de l'Ouest. Cette quête se prolongea auprès des
instituts de recherche et Universités du Sénégal, de la Mauritanie, du Mali, de la Guinée,
auxquels s'ajoutent la Bibliothèque du Palais Royal de Rabat, la Bibliothèque de la Qarawiyyine
de Fez ainsi que le Fonds Archinard de la Bibliothèque Nationale,
Pièce essentielle de notre recherche manuscrite du jihâd omarien, le Fonds
Archinard 4 ou "Bibliothèque d'Ahmadou" fut acheminé à Paris par le Colonel Archinard après
la prise de Ségou en 1890, Les écrits d'Omar et de son fils Ahmadou furent, par la suite, à la fin
de 1892, déposés à la Bibliothèque Nationale. L'inventaire du Fonds fait ressortir 518 recueils
qui se répartissent en trois périodes: la naissance et la formation d'Omar, le jihâd, et le règne
d'Ahmadou, Le document essentiel de la collection'concerne la seconde période et constitue la
DIENG (S.), Une approche de l'épopée d'El Hadj Omar, d'après la chronique'd El
Hadj Mamadou Abdoul Niagâne, Mémoire de Maîtrise, Dakar, 1978.
2
DIENG (S.), L'épopée D'El Hadj Omar.
Approche littéraire et historique, Thèse
de Doctorat de I!Iènie cycle, Dakar, 1984.
Nous employons ce mot dans le ."erls que lui reconnaît Paul Zumthor dans son'
Introduction à la poésie
orale, Paris, 1983, p. 32. ". Perfonnancc, c'est ·l'action
complexe
par
laquelle
nn
message
poétique
est
simultanément
tiansmis
et
perçu
ici el
maintenant."
Nourreddine
(G.),
Sidi' Mohamed
(M.)
et
Brenner
(L.S),
Inventairè
de
la
Bibliothèque 'Umarienne
de Ségoll,
Paris, 1985.

4
justification omarienne du jihâd que deux chercheurs l viennent de publier en traduction
. ;
commemée.
L'analyse de cette vaste documemation s'organise autour de trois grands axes de
recherche. Le premier étudie les rapports existant entre l'épopée d'El Hadj Omar et l'épopée
peule traditionnelle. Envisagée sous l'angle de l'intenextualité, la geste d'Omar apparaît comme
une formalisation de la tradition épique peule et le produit de formes littéraires alors dominantes
en milieu poular. Mais la geste du jihâd déborde le modèle peul traditionnel là où l'Islam afftrme
sa présence.
L'analyse littéraire du corpus occupe la deuxième panie du travail. L'étude du
héros et des personnages conjoints éclaire cenains mécanismes d'islamisation de l'épopée peule
traditionnelle. Celle de l'organisation du temps et de l'espace du récit, tout comme celle du
scLJéma narratif s'inscrivent dans la même perspective que l'exposé de la représentation du
monde dominant achève de mettre en relief.
Enfin la dernière partie, consacrée à l'édition du texte, donne la transcription et la
traduction juxtalinéaires annotées du corpus.
Notre ambition reste cependant de sauver de l'oubli une oeuvre majeure, inspirée
par les hauts faits d'un homme qui symbolise, pour beaucoup d'Africains, la sainteté et la
résistance à la colonisation. C'est pourquoi, en livram au public la geste d'Omar, nous croyous
introduire ce public à une oeuvre littéraire paniculièremem riche.
Ce travail n'a pu néanmoins voir le jour que grâce au concours généreux
d'informateurs que nous tenons à remercier vivement, et à la tête desquels se trouvent: le
sénégalais El Hadj Mamadou Abdoul Niâgane de Ndioum ; les maliens Thithié Dramé de Nioro,
Bocar Cissé de Bamako, Garan Kouyaté et Saad Touré de Ségou; les guinéens El Hadj
Ahmadou Oumar Thiam et El Hadj Makk:i Thiam de Dinguiraye, Sadio Sow de Dhabatou. Par
la même occasion nous adressons nos vifs remerciements aux Institutions universitaires, aux
Bibliothèques et Archives qui nous ont aimablement reçu. De même, sans le concours de
L'AUPELF et de la Fondation FORD, nous n'aurions pu effectuer certains des déplacements
nécessaires à notre enquête, ni donner au travailla présentation matérielle qui est la sienne.
A ce propos, le personnel des Presses Universitaires de Dakar doit être cité pour
son extrême dévouement. Je tiens à remercier Monsieur le Doyen, particulièrement attentif à
encourager et à favoriser la recherche à la Faculté des Lettres. Mais ma dernière pensée ne
saurait oublier la sollicitude, le soutien constant et dévoué que nous a manifesté Monsieur le
Bayàn mà Waqa 'a, (Cote 5605, ff. 2 . 29) publié sous le titre : Voilà ce qui est
arrivé. Bayan. ma waqa 'a d'Al HàJJ 'Umar al Fùti. Plaidoyer pour une guerre

sainte
en
Afrique
de
l'Ouest,
Institut de Recherche cl d'HislOire des textes,
Paris, 1983 par TL. Triaud Ct S.M. Mahibou.

5
Professeur Claude BLUM, notre Directeur de Thèse. Il fait partie des maîtres dont on n'oublie
pas la leçon.
Tous ont contribué à la sauvegarde et à la restitution d'une des plus belles
épopées de notre culture.
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· :
CHAPITRE 1
INVENT AIRE ET CLASSIFICATION

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1
Genre le plus noble de la littérature des Peuls ou Fui De, l'épopée ou "daarol"
y apparaît comme une longue narration des hauts faits d'un héros, proposé et reconnu par le
groupe comme modèle pour avoir vécu de façon paroxystique le "pulaagu" ou l'idéal peul. A
ce titre, elle dramatise la somme de valeurs attendues de chacun et de tous, ici fondées sur le
sens de l'honneur, de la dignité et surtout de la fierté. c'est pourquoi la geste occupe une
place de choix au sein des productions littéraires peules.
A - INVENTAIRE ENUMERAT,IF DES EPOPEES PEULES
L'examen de la littérature pulaar en général, des épopées en particulier, permet
de distinguer l'existence d'un certain nombre de formes qui peuvent se classer en deux
grandes catégories : les formes traditionnelles et les formes islamiques. En effet, au
lendemain de son adhésion à J'Islam, la société peule fut véritablement envahie par la culture
du livre. Il se créa de la sone une ligne de démarcation claire entre le religieux et le profane.
L'épopée peule n'échappa point à la règle et, mieux, elle l'illustra même de
façon éloquente et originale.
1 - LES EPOPEES PEULES TRADITIONNELLES
A l'instar des épopées classiques, les gestes peules se définissent d'abord
comme des genres essentiellement oraux. Elles illustrent ainsi point par point le constat de
Daniel Madelénat : "Voix vive, parole efficace, liée à l'action - mythos désignant le verbe
sacré, et logos le discours logique - d'ascendance divine, l'épos, absolu, soustrait à la
eontingence évanescente de la communication quotidienne, nomme les choses et fonde l'être
par le langage"l. L'épopée se structure ainsi autour d'une trilogie organique que constituent
l'artisan du verbe, le récit et le public. Ces trois instances, loin de se superposer,
entretiennent des relations dynamiques. Elles délimitent aussi les parties de cette étude, qui se
propose d'explorer le vaste champ des épopées peules.
1°) LES ARTISANS DU VERBE
En milieu peul traditionnel, l'épopée est l'apanage des gens de caste, que
l'ethnologie désignait sous le vocable trop général de griot. Le maître de l'épopée renvoie en
Madelénat (D.), L'épopée, Paris, 1986, p. 19.
7
'RA
Mii

CHAPITRE l -INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
8
fait chez les Haal pulaar l à trois groupes sociaux très précis
"maabuoe", "awluoe",
"wammbaa6e", que Gaden glose ainsi:
"maabu8e : tisserands et chanteurs
awlu8e : griots chanteurs qui battent du tam-tam.
wammbaa8e : griots musiciens dont les instruments sont le hoddu, sone de guitare, et le
naanooru, qui se joue avec un archet"2
.A la lumière de ces défInitions, on constate que le champ sémantique du terme
griot, d'usage accepté, recouvre des ariistes'ou anisans du verbe aux métiers et aux talents
variés.
L'origine commune des "awluoe" (au singulier "gawlo"), des "maabuoe" (au
singulier "maabo"), des "wammbaaoe" (au singulier "bammbaad'o") explique sans doute
leur communauté de destin, et panant de préoccupations anistiques. Henri Gaden rappone à
ce sujet une légende significative: trois frères contraints par la famine, durent se disperser
pour pouvoir survivre. L'aîné prit une hache, coupa des arbres et gagna sa vie en fabriquant
des ustensiles de bois. Le second se fIt berger; le troisième enfin, muni de son hoddu, se fit
chanteur et vécut des cadeaux que lui rapportait son activité. L'aîné fut l'ancêtre des lawbe
(sing. labbo), le cadet celui des peuls, enfin le troisième celui des griots ou wammbaaoe.Le
peul "trouvant que ses deux frères gagnaient leur vie d'une façon dégradante, ne voulut pas
d'alliance entre ses enfants et les leurs"3
Cette légende insiste :'ur l'origine commune du Peul, du tisserand et du griot,
tout en révélant les causes de leur division. Sur le plan épique, cela se rraduit par un fait
constant: "maabuoe", "awluoe" et "wammbaaoe" ne cessent d'exalter les "Fuloe" et le
"pulaagu", alors que l'inverse ne se produit jamais. Le Peul se contente d'octroyer aux
artisans du verbe des dons substantiels, conformément à l'éthique qui le régit.
Mais une autre légende raconte aussi l'origine des griots: deux frères furent
victimes d'une disette au cours d'un voyage. Le plus jeune, durement éprouvé, perdit
connaissance et sombra dans un profond sommeil. Pour le sauver, son frère aîné l'alimenta
avec un morceau de sa propre cuisse. Plus tard, quand le jeune apprit la vérité, il décida de
chanter à jamais les bienfaits de son aîné. De la sone, la disette lia les deux frères tout en
hiérarchisant leurs rapjXJns.
Au vu de ces deux légendes, on constate une origine commune à l'humanité
peule, laquelle se réduit au noble (le Peul), ei aux artisans: le tisserand et le griot. Les traits
psychologiques fixés dans ces deux exemples rejaillissent amplement dans les
comportements respectifs des anisans.dù verbe et des héros épiques.
1
Mot à mot : ceux qui parlent le peul.
2
Gaden (H.), Proverbes et maxImes peuls et coucouleurs, Paris, 1931, p. 12.
3
Id., p. 12.

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CI "ASSIFICATION
9
Dès lors, le statut de l'artiste détennine en grande partie son oeuvre: le
tisserand tisse des paroles et les "colore" ; tandis que le griot chanteur, qui ne compte que sur
sa voix, exploite toutes les ressources de celle-ci jusqu'à leur extrême limite; enfin le griot
musicien établit un dosage savant entre le chant et la parole, pour produire des chefs-
d'oeuvre. En plus de son statut social, la fonnation du griot détermine aussi la nature de ses
productions anis tiques. En effet, dès son jeune âge, le futur griot se voit confié parsa famille
à un maître chevronné, ou bien il se"met à l'école d'un des membres de sa famille. Cet
apprentissage obéit à un principe absolu qui peut se fonnuler ainsi: ne jamais troubler l'ordre
social, ne rappeler que les souvenirs heureux, les relater par des "paroles plaisantes au eoeur
. et à l'oreille" 1.
Une fois ce principe acquis, une longue période de fonnation s'ouvre alors,
fondée sur une méthode pédagogique originale. Cette pédagogie visait en effet à développer à
la fois la mémorisation et l'improvisation. Le travail de mémorisation se retrouve dans la
constitution du noyau narratif de base commun à toutes les versions d'une même épopée.
Ainsi les épopées peules traditionnelles que sont Samba Guélâdiégui2, Ham-Bodêdio,
Silâmaka, font-elles apparaître, quelle que soit la version récoltée, un tronc commun
repérable au fil de \\a narration. La récitation ou restitution du noyau de base est la marque de
la fidélité à l'enseignement d'un maître griot incontesté. Elle donne, du même coup, une
sorte de garantie à la performance, constituant le lien diachronique qui relie chaque version
au modèle originel.
Quant à l'improvisation, elle apparaît eomme l'espace de liberté laissé à
l'artiste. Celui-ci en profite pour faire montre de ses talents. L'improvisation fonde
l'originalité de l'oeuvre d'art, grâce à elle les séances se suivent mais ne se ressemblent pas.
C'est elle qui, surtout, explique le fait que l'auditoire ne se lasse jamais de réécouter une
épopée ou tout autre genre de la littérature orale, d'ailleurs. Elle permet à l'artisan du verbe
d'apporter sa contribution à l'oeuvre qu'il recrée, tout en restant fidèle à l'idéal du groupe.
Cette élaboration laborieuse d'une oeuvre qui se renouvelle au fil des
performances de l'artiste, se lit en filigrane dans le récit de l'artiste où son statut social et sa
fonnation viennent se refléter. La louange y alterne avec la récitation de la leçon apprise ou
avec l'invention personnelle. Dans des épopées comme celles d'El Hadj Omar ou du cycle
omarien qui mettent en scène jusqu'à nos jours deux camps opposés: celui des vainqueurs et
celui des vaincus, le griot, pour ménager les sensibilités, produit une oeuvre qui faIt
l'unanimité.
, /
1
Définition de la poesie ou Njimri
en poular.
.2
Samba Guélâdiégui
ou
Samba Guéiâdio. Diégui.
Il s'agit d'un
héros
peul
nommé Samba dOIll le père s'appelle Guélâdio Diégui Bâ.

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
10
Ainsi Farba Gouwa, d'après la verSIOn de Sidi Mbôlhiel, envoyé en
. ,
ambassade par El Hadj Omar auprès d'Ahmadou Ahmadou, Emir de l'empire peul du
Macina, se vit obligé de vanter les mérites de celui-ci. La louange toucha l'Emir qui offrit au
griot un troupeau de vaches. Un tel fragment qui exalte le roi peul, rival d'El Hadj Omar, est
fort significatif de l'art du griot. Artiste consommé, le griot construit des oeuvres où il est à
la fois l'émetteur et le récepteur principal. A cet égard, il est constamment dans, et hors de,
son récir. Ce jeu subtil produit, sur le plan textuel, des réussites admirables:
"
" Si la générosité empêchait de mourir,
si le courage empêchait de mourir,
si le savoir empêchait de mourir,
Ch 'kh 0
T'd' o
,,1
el
mar
1 Jane...
.
déclare le griot au début de la relation du jihâd. lei la profonde sympathie dc l'artiste pour
son Cheikh l'empêche d'achever le vers. Dès lors sa complicité est évidente, en tOUl cas il
prend parti pour Cheikh Omar dans la bataille qui l'oppose au Macina. En faisant parler le
griot du Cheikh, il énonce ses propres sentiments:
" Mais nous t'avons dit (Ahmadou fi 1)
qu'il fallait se méfier du Fouta
des hommes petits et solides
Mais Je "sel" du récit reste incontestablement la musique qu'entraîne
nécessairement avec elle gestualité et mimique. Malgré les sons de sa petite guitare, Sidi
Mbôthiel éprouve le besoin de se livrer à une création poétique fondée sur l'harmonie
imitative:
"kikka ka waaja, kaanina waaja.
kikka kakka bogo waaja, boogo neyri waaja
kikka keke kikka kaka
kikka kaalu keke waaja."
.../
t
Mbôthiet (S.),La devise d'El lIadj Omar, vv, 9 à 12.
2
Id., v, 1060.

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICA TlüN
1 1
~-
L'ensemble bénéficie de la double connivence du temps et de l'espace :
l'épopée se déclame en général la nuit et sur invitation d'un mécène, ou à l'occasion des fêtes
familiales ou religieuses. Le public contribue alors, par ses dons, ses acclamations, ou
diverses formes de participation, à l'élaboration de l'oeuvre. Ce phénomène est logique dans
une société qui se définit, avant tout, par son caractère profondément communautaire. il est
naturel, par conséquent, que l'épopée, genre majeur de la littérature orale peule, soit créée
collectivement et savourée collectivement.
Cet aperçu du statut social, de la formation ct de l'art des artisans du verbe en
milieu peul, désigne les "maabuve" et "wammbaave" comme de véritables professionnels de
la parole, du chant et de la musique. TI se crée ainsi des liens indéfectibles entre le griot et son
oeuvre, au point que l'un finit par s'identifier à l'autre et réciproquement.
2°) LE RECIT
La narration épique intègre en elle trois instances liées: l'intertexte des cycles
épiques, le triptyque héroïque et la devise. Ces trois composantes, qui évoluent à divers
niveaux du texte, font de la geste une sorte de récit éclaté, à la fois un ct multiple. Une
analyse de ces instances donnera une vue précise de leurs imbrications réciproques.
a) Les qcles épiques pculs
Les épopées peules traditionnelles s'ordonnent autour de trois cycles très
solidaires; le cycle de la lance, celui de la vache et celui de la femme. La narration épique se
plaît à les superposer ou même à les confondre, surtout lorsqu'elle peint des scènes
héroïques et émouvantes. Ces cycles sc structurent autour des vertus qui donnent un sens à
la vie du Peul, dont ils constituent un abrégé éthique.
al) Le cycle de la lance
Il regroupe un ensemble d'épopées qui chantent le courage, les vertus
guemeres, le sens de l'honneur. Ces gestes destinées à former moralement le Peul
définissent l'idéal de vie qui doit être le sien. A cet égard, l'épopée de Samba Guélâdio
Diéguil illustre parfaitement notre propos. Samba, héros de la geste de même nom, prince
. peuldu Fouta-Toro au XVTHème siècle, brava, dès sa plus tendre jeunesse, le sort, la société
des hommes et l'univers des génies. II incarna l'esprit du "pulaagu" (idéal peul) et l'éthique
Equilbec (F. V.), La légende de Samba Guélâdio DlégUI, prince
du
Fauta,
Dakat, 1975.

(. "
, "
cHAPITRE 1- n,rvENTAIRE ET CLASSlFICATION
12
des guerriers (seooe) : courage, intrépidité, pudeur, mais aussi irréflexion, témérité,
violence.
Fils posthume du roi Guélâdio Diégui et d'une jeune infirme 1 Koumba,
surnommée "Diôrngal" (la sèche, la stérile), sa naissance comme son existence sont
entourées de merveilleux. Lésé dans ses droits de succession au trône par son oncle Konko
Boubou Moussa, Samba n'aura de cesse de recouvrir le pouvoir qui lui revient Mais le
cycle de la lance s'affirme en mettanCle héros en gros plan: Samba, monté sur sa fidèle
jument Oumou Latoma, entouré de son sage griot Séwi Mala} Lâya et de son esclave hâbleur
Doungourou, se lance dans une série d'aventures guerrières.
Samba "Dent de Lion", armé de précieux talismans (fusil magique qui ne se
charge pas, plume qui rend invisible, invulnérabilité absolue) offerts par un génie, tue son"
bienfaiteur puis délivre une ville du joug d'un crocodile monstrueux qui exigeait chaque
année une princesse en échange de l'eau du f1euve. Plus tard, Samba guerroie pour le compte
d'un roi maure, fait fortune, lève une armée et revient en son pays pour livrer à son oncle la
célèbre bataille de Bil Basi, où il se révèle être un demi-dieu. Au bout de sept jours de
combat, dans des conditions particulièrement difficiles, Samba sort vainqueur. A peine
remonté sur le trône, non sans avoir fait grâce à Konko auquel il doit malgré tout respect, le
preux retourne vers de nouvelles batailles. Il sera victime d'un repas: ayant consommé une
sauce, Samba tombe malade et meurt. Son griot Séwi, sa mort venue, se fera enterrer à ses
côtés.
Mais Samba réussit encore à triompher de la mort: la terre en effet refusa de le
garder en son sein. Il put ainsi continuer de tuer après sa mort Un berger passant près de sa
tombe, assét1a un coup de bâton sur le squelette qui affleurait, fut cOt1traint d'avaler un gros
os qui lui fut fatal. L'épopée de Samba, déclamée au son de l'hymne du héros, le "lagiya"
déclare "Samba warii ina wuuri, Samba warri ina mayi"2 (Samba a tué vivant, Samba a tué
une fois mort). Par cette apothéose du héros, l'épopée se pétrifie en mythe et fait de Samba le
prototype de la bravoure.
Il' cot1vient
de
t1Nèf. aussi
que
Sogolot1
Kedjou,
la
mère
de
Sotmdjala
Keïia,héros
de
l'épopée"
mandingue,
était
bossue,
"infirme.
En "Afrique
traditionnelle, la mère du fUlUT chef est soit infirme, soit soumise.1I y a là
une équivalence et1tre la valeur et la souffrance.
Version de Amadou Kamara dit Kamarcl, recueillie à" Nouakchott en Août
1985
(inédite).

CHAPITRE 1- INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
.
-
13
Le cycle de la lance comprend aussi la geste de Silâmaka et Poullôri 1. Cette
. j
épopée très vivante a pour cadre historique l'époque qui couvre la fin du XVllIème siècle et
le début du XlXème siècle où les royaumes peuls et bambaras s'affrontaient. Epopée très
populaire, le récit des exploits du Peul Silâmaka et de son captif Poullôri domine l'univers
poulo-mandingue. Silâmaka porte en fait son vrai prénom?e Yéro Mâma dans les versions
toucouleurs. Dès sa naissance, il se signale par une bravoure exceptionnelle. La geste qui le
concerne raconte que lorsqu'il était béb.é, couché sur une natte, un taon vint sucer son sang.
Le bébé ne poussa pas le moindre cri et le taon gonflé de sang tïnit par éclater. Les Bambaras
du royaume de Ségou alors suzerain du Macina, venus percevoir l'impôt royal, furent saisis
d'étonnement.
Plus tard, aidé de son captif, Silâmaka brava le péril en capturant un serpent
qu'il lUa et dont un marabout lui fit un talisman rendant le héros épique et son double
invincibles. C'est alors qu'il s'attaqua à Sâ2 et le força à la débandade. Poursuivie par
Silâmaka et Poullôri, l'armée bambara se disloqua, Sâ se dirigea vers sa maison:
"II sauta par dessus le mur et tomba dans sa maison.
Silâmaka voulait arrêter son cheval,
Alors la femme de Sâ se mit devant lui et
lui dit : "Peul laisse à cause de Dieu:
* Quand un roi confond la porte cie sa maison avec un mur,
* C'est qu'il a vraiment hOllte".
Il regarda Sâ et se mit à rire.
Il lui dit:"Sâ", Sâ dit: "oui!"
Il lui dit: " Tu ne rdillasseras pins l'impôt du Macina à panir de ce jour"3
Vieillard (G.), "Récits peuls du Macina et du Kounari", in Bul/elin du Comilé
d'Eludes HislOriques
el
Scienlifiques
de
l'Afrique
Occidenrale
Française,
XIV 1931, p.146et sq.
Bâ (A. H.), "Une épopée peule : Silâmaka", in L'Homme, t.8, nOI, 1978.
Seydou (C.), Si/âmaka el Poul/ôri, récit raconté par Tinguidji, Paris; 1972.
Meyer (G.), "Sïlaamaka et Pulloru", in La lance, la vache, le livre,
inédit,
Goudiry,1979.
2
Sâ : roi bambara de Ségou, suzerain du Macina. A. Hampaté 'Bâ, précise dans
L'Empire peul du
Macina ~/p. 108, que les Peuls se ",voltèrent contre Ngo\\,9/
:--..
Diana de '1766 à ~J797, parce que le Macina refusait de payer lcdi~ sooo ou
"prix du miel", taxe annuelle qui s'élevait
r_.
à
plusieurs kilos d'or.. Le miel
désigne l'hydromel,
boisson des chefs achetée avec l'or perç·u.
3
Meyer (G.), op.' cil., p. 32. Nous avons revu la traduction des vers ~ marqués
d'un
aSlérlsque
.. -

CHAPITRE 1- !,'IVENTAIRE ET CLASSIFICATION
14
A son retour, Silâmak!l fut tué ignominieusement par un enfant, envoyé par
Sâ. Il fut enterré hâtivement, Poullôri continua et acheva son action . .La fin de la geste,
transcendant les clivages sociologiques, chante le captif "Poullôru Bénâna!" (Poullôru est
venu, la terreur de l'armée bambara).
1
Quant à Silâmaka (Silaama kaa ; ce sabre), il a tïni par s'imposer comme un
modèle de témérité et d'audace. Qui peut: en effet, mieux symboliser le cycle de la lance que
l'appellation métaphorique de "sabre" appliquée ou attachée à un vaillant? Le Macina l'a
adopté, pour cette raison, comme une sone de héros natiorml.
Après Samoa Guélâdio Diégui du Fouta-Toro et Silâmaka Ero Dandé
(Silâmaka au Cou-Blanc), ardol du Macina résidant à Kekeye, le cycle de la lance est
brillamment illustré par d'autres preux: Hama Alaseïni Gakoï de Kanioumé ; Boubou Ardo
GaIo, le sans-reproche de Wouro Môdi ; Bougouel Samba, le Petit de Gaïssoungou ;
Guéladio2 Ham-Bodêdio, Oumarel Sawa Dondé et surtout Ham-BodêdioJ Hammadi Pâté
Yella de Goundaka, capitale du Kounâri , région située sur la rive droite du Niger entre
Mopti et Bandiagara.
I-Iam-Bodêdio (Hama-Le-Ruuge) descendant de chefs "Peuls rouges", par
opposition aux "Peuls noirs" devint l'ancêtre de la branche des Férôbe - l'euls Ern;grants - de
patronyme Soho Pour asseoir son aUlOrité politique sur le Kounâri, il épousa la fille de
Monzon, le roi bambara de Ségou. Les versions appellent la fille Ténen ou Téné. Si cette
alliance permit à Ham-Bodêdio cie repollsser les llltrigues de Besma de Sougui, un
usurpateur patenté, elle ne tania pas à provoquer une brouille passagère entre le suzerain et
son vassal, suscitée par les conflits conjugaUX de Ham-Bodêdio avec son épouse bambara.
Ténen, profitant de l'absence de son épouX, humilia sa coépouse peu le en l'accablant de
quolibets et d'injures. De rerour, Harna-Lc-Rouge gifla sa femme bambara avant de la
renvoyer à Ségou. Poursuivant son épouse jusque chez elle, Hama réédita son geste devant
so~ beau-père. Pour laver l'affront, le roi de Ségou envoya le héros peul combame un
ennemi invincible. Hama réussit à le vaincre. Il remit tout son butin au roi qui tïnit aussi par
lui pardonner, enjoignant du coup à sa fi Ile l'orclre de rejoindre le domicile conjugal si tué au
Kounâri.
Le mot ardo est ainsi glosé par Bâ (A. H.) ct Daget (1.) dans L'Empire peul du
Macina, op. cit.,
p. 103. note: "Ardo
est le nom donné au doyen d'une tribu
qui marche en tête et vient
le
premier en toutes choses.
[... ] Les
Ardos
furent donc des guides avant de dcveni~/des chefs ayant droit de vic et de
mon sur· leurs
sujets."
2
Lestrange (M. de.), "Le cycle de
GuéJadyo dans la littérature des Fulakunda
de
la
Guinée
française",
in
Revue
des
sciences
médicales,
nouvelle
sér~c,
n09, 1954.
".
3
Seydou (C.), f/am-Budedio ou [foma- le- Ruuge, Paris, 1978

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATlüN
15
Les vcrsions bambaras donnent une autre vision des rapports ayant existé
cntrc Ham-I3odêdio et Da Monzon. Elle mettent en relief l'insolence de j-Iam, et situent le
conflit au moment où le royaume bambara de Ségou traversait une crise grave. Da Monzon,
excédé par la popularité grandissante d'un de ses généraux, finit par l'exiler. Son départ
priva Ségou d'une force capitale: C'est alors que survint un différent entre Ségou et le
Kounâri.
Ham-Bodêdio, conscien.t de la faiblesse potentielle de Ségou, razzia les
troupeaux de Da Monzon et les dirigea vers le Kounâri. Téné supplia son père de se
réconcilier avec Bakari Dian, le héros ségovien exilé par Da, pour châtier les Peuls. Bakari,
lOuché par Da Monzon, accepta l'offre de paix, puis défia les Peuls, conduits par Ham-
Bodêdio, 'et ramena les troupeaux volés,
Un autre aspect du règne de Ham-Bodêdio passionne les griots: celui qui
concerne l'origine du "Saïgalare", sa devise musicale. Une nuit, Hama-Le-Rouge entend
jouer mystérieusement, dans le vestibule de sa demeure, une musique. Il convoque tous les
musiciens de son royaume et leur demande, sous peine de mort, de retrouver la mélodie qu'il
a entcndue. Quatre vingt-dix neuf musiciens échouèrent dans leur quête; seul Kô Biraïma
Kô, aidé d'un génie, trouva l'instrument, le "hoddu" (luth) et l'air (Saïgalaré) 1. Le roi
combla le griot de cadeaux et en fit son chantre.
Les versions toucouleurs retiennent aussi de I-1am-l3odêdio et de son fils
Guélâdio, des figures de redresseurs de tort. Dans la version de Gilbert VieilIard 2,
Fatoumata demande à Ham-Bodêdio de venger l'honneur de sa mère bafoué par Sâ, le roi
bambara. Elle stimule la fiené de son interlocuteur en ces tennes :
"Celui qui m'a olltragée a ditqu'il n'l'avait pas dans le pays cie Peul capable
cie me venger. Moi, donc, je suis venue vers toi; si tu peux, venge-moi! Si tu
ne peux pas, j'irai trouver Silâmaka Yéro-Héro - Dandé : Celui-là ne boit que
du lait; ce n'est pas comme toi un buveur de bière de mil et je sais bien que
les ivrognes achètent leur courage"3
Touché au plus profond de son amour proprè, Ham-Boclêdio obéissant au
sens se l'honneur, alla combattre Sâ et le vainquit.
1
, Seydou (C), op. cil., pp. 69-8 I.
"
2
Vieillard (G.), op. cil., pp. 143 et 59.
3'
Id., p. 143.

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
1 6
Dans la version recueillie par le Père Gérard Meyer 1,la mère de Fatimel Siré
Biiduane, malgré la désapprobation de sa fille, alla vendre du lait au marché de la ville de
Saa. Le chien du roi vint boire le lait de la femme peule. Celle-ci le frappa de son bracelet au
milieu du crâne. Tel un enfant gâté, le chien se mit à aboyer et à hurler en se dirigeant vers le
palais. Sitôt informé de l'aventure du chien, Saa rlemanda à ses hommes de châtier la
coupable. Arrivés au marché, les soldats mouillèrent la tête de la femme peule, la rasèrent
entièrement, puis la traînèrent par la jambe, du marché au palais, publiquement. Relâchée, "a
mère de Fatimel retouITIa chez elle et racontâ sa mésaventure à sa fille. Fatimèl se mit alors à
la recherche d'un preux capable de soustraire sa famille au déshonneur qui venait de
l'accabler. Guélâdio offrit ses services. 11 combattit Saa, le défit Ct, attachant une corde il son
cou, l'offrit à Fatimel, la priant d'en faire un serviteur.
Le cycle de la lance est également illustré par le cycle de Guélâdyo rapporté
par Lestrange2 , où Guélâdio et Samba Niési Niési reproduisent le modèle Silâmaka et
Pou li ôri.
En gros, les épopées traditionnelles accordent une large place au cycle de la
lance. Dans une société régie par le sens de l'honneur, le courage, la bravoure, l'homme doit
toujours prouver sa valeur à l'aide de son arme. La lance permet au héros de s'affirmer en
réactualisant quotidiennement son existence. C'est pourquoi, de Samba Guélâdio Diégui à
Ham-Bodêdio, tous les preux ont leur sabre "Silaama" et ils en usent à bon escient. Mais la
lance ne sert pleinement yu'à ceux qui empruntent la route des razzias. Dès lors le cycle de la
lance ne pouvait manquer de croiser celui du bovidé.
a2) I.e cycle de la vache
En même temps que se corsait le cycle de la lance, les Peuls composaient le
cycle de la vache, autre cycle épique populaire. sans doute pour donner un sens à la lance,
échappant ainsi au reproche d'un bellicisme puéril: la lance pour la lance. Du reste, Alpha 1.
Sow donne à un chapitre de son onvragt' un titre révélateur à ce sujet "Dieu a des richesses,
j'ai des vaches"3 Comme le héros épique, la vache a sa chanson, sa devise.
Le Djoloff apparaît aussi comme une terre d'élection de l'épopée où les cycles
de la vache et de la femme se croisent continuellement. Le contexte des luttes entre Pt'uls
Mbaalmbaal5e, habitants de la haute vallée du Ferlo et les Ieangel5e à l'ouest du Sénégal,
Meyer (G.),
La
lance,
la
vache,
le
/ivre.
Récits. épiques
Toucouleurs .du
Sénégal· oriental: Inédii·.
Goudiry, 1979, pp. 33-62.' Signalons aussi que le
Père
G.
Meyer
transcrit

par
Saa,
ce
qui
est
plus
conforme
à
la
nanscription
phonétique.
2
Lestrange (M.· de), .op. cll.
3
Sow (A. 1.), La fèmme, la vache. la foi, Paris, 1966, p. 199.

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
17
?;-:-,
fournit des versions assez caractérisliques l Les razzias 2 de troupeaux de boeufs fondent
, i
l'ilni té cie ces récits épiqnes dominés par les aventures de Amaa Sam Poolel et Hammel
Thiam, Amaa Sam Poolel et Gumaalo, Guélel et Gumaalo.
Ainsi, le fragment de la geste de Guélel illustre-t-il notTe propos. Ardo des
Je!]ngeIDe, Guéle!livra contre Amaa Sam Poole!, héros de Madina Sampoolel, u'ne lutte
acharnée à la suite d'une offense faite à la belle Eggué Fari Saabu. Amaa, en tuant le père de
Eggué au cours d'une bataille, razzia du coup son troupeau et le ramena à Madina. EÙ~ué
-
,
Fari Saabu fixa à ces prétendants la clause suivante: l'homme qui lui rapportera' en dm les
vaches de Amaa Sam Poolel sera son mari. Guélel, en consentant à relever le défi, 'FU[
accepté par Eggué: Alors un grand combat opposa Guélel el Amaa, mais il se solda par un
match nul. Les héros convinrent d'une paix des braves: chaque preux accepta de rester dans
sa zone surveillant ses vaches et ne razziant plus celles de son voisin.
D'une manière générale, le héros épiqtie razzie les troupeaux J'un autre Peul
pour son plaisir personnel ou pour satisfaire le caprice d'une femme. Le schéma suivant
fonctionne alors pleinement: rapt - poursuite - combat - victoire du plus vaillant, défaite du
moins chanceux (il n'y a pas de piètre héros).
Le cycle de la vache est anssi présent clans la littérature des Fulakunda du
Badyar3 (Fouta-Djallon). Elle met en relations le cycle de la lance avec celui de la femme. Le
récit intitulé "Ham-Bodèdio, Guéladyo et Fatoumata" en tlonne une idée précise. Ham-
Bodêdio, le roi du pays, décide de tuer toules les Elles qui allaient naître; un oracle lui ayant
prédit qu'une fille serait fatale à 5011 règne. Unc de ses épouses accouche d'une Elle,
h,loumata. Son père, llam-Bodêdio, décide de l'éliminer conformément à la logique du
pouvoir, mais Guéladyo, le frère de FalOumata, assura à leur commun père qu'il s'agissait
plutôt d'un garçon 4 Comme Je roi ne voyait pas ses enfants, il accorda foi à la Jéclaration
de son fils.
Ainsi, dans l'incognilO, Guélâdio éleva sa soeur, jusqu'au jour où Fatoumata,
grandissant en âge, commença à susciter des soupçons au sein de son entourage; GuélaJyo
décida alors de s'enfuir. Il alla s'installer au cocur de la brousse, y construisit lllle sorte de
case, entourée d'un enclos de vaches. L'existence s'y déroula de façon monotone et, très
vite, la jeune fille finit par se lasser, sunout à cause de l'extrême jalousie de son frère. Au
fan de son désarroi, elle bénéEcia de la complicité d'un chasseur Ibrahima Ngurari, et de ses
amis, qui réussirent à la délivrer en l'enlevant de ce qu'ellc considérait comme une prison.
1
Meyer (G.), op. cil.
2
Ngaïdé (M.L.), Le VCtlt de la razzia, Dakar, 1983. Siré Mamadou Ndongo, Le
Fatltatlg. Poèmes mythiques des

bergers peuls, Paris, Dakar, 1986.
l
Leslrange (M.' de), op. cif.
4
Fatoumata
travestie
en
garçon.

C1IAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
1 8
Après une rude journée de g'lrdiennage de boeufs, Guéladyo revilll chez lui ct
. .
:
Ill:"
.
fUI surpris de trouver Sil demeure vide. Il se lança il la poursui le de la fugitive qu'il finit, du
reste, par rattraper. Excédée par sa jalousie, Faloumatn le trahit et le tua;
"Fatoumata elle-même prend aussitôt un coq, le lue, prend son ergot, fabrique
une flèche et un arc; elle tire sur Guéladyo ; il m~un ,,1. .
. .
Ibrahima Ngurari razzie le troupeau de Guéladyo, après avoir pris le soin' de
.
. . . . ,
.... ',::
couper la tête de celui-ci. Accompagné de Fatoumata, il retourne chez lui comblé. Vingt deux
,,1
.

' .
; .
jours après celte mort sanglante, Guéladyo ressuscite, grâce au pouvoir magique des
animaux dont il était un bienfaiteur distingué: les animaux réussirent à voler la tête de
Guéladyo qui pen9ait à un pieu de la concession d'Ibrahima e~ à la ressouder au reste du
corps qui gisait sur le champ de bataille. Une fois ressuscité. Guéladyo fait subir au COUple
une terrible v«ngeance ; il tue Ibrahima, brûle Fatoumala vive, reprend ses vaches, puis
retourne chez 1ui.
Cette version du cycle de la vache tire son originalité du fait qu'die annexe il
l'épopée des élémellls appartenalll au merveilleux du conre2 el aussi qu'elle se termine par
une moralité classique, caractéristique des contes, fables et récits moraux. La leçon qui se
dégage de cette épopée l'on simple se résume ainsi ;' l'homme doit se méfier de la femme,
''',nfanl doil obéissance absolue il son père.
Le cyclc de la vache est aussi attesté par Ham-13odêdio. En effet, les versions
bambaras et peules placent la vache au coeur des démêlés opposant Ham-Bodêdio il Da
Monzon, malgré la caUSe principale: le soufflet que Ham-13odêdio administra Ù sa femme
Téné, fille dll roi Da Monzon, pour avoir manqué de respect à sa coépouse peu le. Pour
l'épopée peule, Ham-l3odêdio ne put retrouver Téné qu'après avoir vaincu et razzié les
vaches d'un ennemi invincible jusque-là. 1"'épopée bambara, au contraire, soutient que Da
Monzon, une fois réconcilié avec Bakari Dian, leva une amlée confïée à Bakari et attaqua le
Kounari ; les Peuls furenl alors vaincus el leurs vaches razziées.
De même, l'épopée de Samba Guélâdio Diégui n'oublie pas la vache. Le
héros, après son occullation, inaugura son épiphanie par une grande razzia des vaches des
habitants de son village nalal, Diowol, d'aulant plus que son oncle Konko Boubou Moussa
llJi cn avait refusé la jouissance. La vache occupe ainsi une place prépondérante dans la
lillérawre épique peule et constitue le motif principal pemlellalll au héros d'exprimer sa
1
Lestrange (M.de), op. cir., p 59.
2
Cf Tristant et Yseull.

cHAPITRE 1- INVENTAIRE ET CLASSIHCAT[ON
1t)
".
bravoure. C'est elle qui est à l'origine des démêlés des héros peuls, démêlés ravivés par les

caprices de la fière femme reule.
.' - ~
'.
a3) Le cycle de la femme
Base de la société peule, la femme jouit en milieu haal pulaar d'une très grande
considération, même si de nombreux clichés conseillent à l'homme de s'en méfier, et surtout
de ne pas avoir confia~ce en elle. Cepêndant, sa place au sein de la société force le respect
Une légende célèbre proclame, malgré tour, la prééminence de la femme peule sur l'homme
peul:
"Dans une société pastorale comme celle des Peuls, la femme, et la vache, on
ne les sépare point; on les aime ensemble puisque, selon la légende, "Dieu
créa la vache, il créa la femme, il créa le Peul. 11 mit la femme derrière la vache
et le Peul demère la femme" 1.
Cette trilogie mythique apparaît au fil des cycles épiques peuls dans une
profonde unité organique. C'est dire que le cycle de la femme a passionné les griots autant
que les cycles de la lance et de la vache. A ce propos, la version qui relate les démêlés de
Guéladyo et de Gorossigui2. en mettant en gros plan quelques aspects du cycle de la femme.
contribue à la mettre en valeur.
Guéladyo, prince peul du Macina, grâce à la complicité d'une vieille femme de
soixante-dix ans, réussit à s'introduire chez une jeune femme peu le, épouse d'un Bambara
fétichiste, dont il avait entendu vanter l'extraordinaire beauté. Une fois arrivé chez la belle
Gorossigui, Guéladyo se fit enfermer dans une malle afin de repousser les assauts éventuels
du mari jaloux. En arrivant dans sa case, le Bambara se mit intuitivement à critiquer le
libertinage de son épouse, allant jusqu'à l'accuser d'infidélité. Or, une telle accusation
entraînait, dans cette société, la comparution devant un autel Ol! les protagonistes devaient
jurer leur innocence pour être lavés de tout soupçon. Gorossigui demanda à se rendre auprès
de J'autel, après que la vieille femme lui eut conseillé de recourir à un subterfuge pour
confondre son mari. La séance d'ordalie attira un grand concours de peuple. Sur le chemin
de l'autel, Gorossigui fut rejointe par Guéladyo qui la prit sur son chevaL Les maîtres des
lieux ordonnèrent aux protagonistes de jurer. Quand arriva son tour, labelle Gorossigui
appliqua la leçon apprise de la vieille femme:
../
1
Sow (A. 1), op. cil. . p. 285.
2
Lestrange (M. de). op. cil.. p. 63.

C/IAPITIΠ1- INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
20
,.
"Quand on le dira de jurer, lu jureras que III n'as jamais élé assise nulle parI
avec un homme, si ce n'est celui sur le cheval duquel lU es, aussi nos souhaits
seront réalisés pnisque la coutume dit qu'aller jurer devant l'aulel, c'est le
divorce" 1.
Le stratagème fonctionna et Guéladyo épousa Gorossigul. De la sorte, la
version épique met en relief la perfidie des felllmcs et leur connivence avec le lllaL Dans la
même ligne, les épopêcs d~l Macina illustrent aussi le cycle de la femme. Ainsi Ffidia défie,t-
elie Ham-Bodêdio en lui demandant de se mesurer aux autrcs preux du royaume. Lobbollrou
Gâkoï Ali Founé aussi exige de son mari, Hama Alaseïni Gakoï. qll'il razzie les vache's
fauves de Ham-Bodêdio pour satisfaire son caprice de femme peule noble. Son voeu une
fois exaucé, l'altière fille du Macina refllsa de goûter au lait des vaches razziées, déclarant à
son mari que: "la seule raison pour laquelle je t'ai dit que des vaches fauves devaient venir,
c'élait pour savoir que j'avais un homme digne de ce nom et j'en ai bel et bien la.preuve"2
Les autres épopées peules illustrent aussi à leur manière le cycle de la femme,
être indispensable à l'expression de \\'hérolsme. Christiane Seydou a raison d'aflïrmer que:
"la femme pernlet aU.héros d'affirmer sa valeur el d'accroître sa renornrnée"3
La revue des cycles de la lance, de la vache et de la femme met en valeur
quelques caractères généraux qu'il convient à présent de dégager. Si la lanee exalle les
exploits guerriers et le sens de la dignité humaine, si le cycle de la vache met en relief le rôle
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Ces lrois
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slgmflante. Celte sohdame cyclIque s expltque au llloms pour deu'x,pisuns :j,d.<ibord la
,
I)r Supè{\\~
pcrméabilité des genres oraux favorise le passage d'un genre à l'autre, ensuirc"t!:'Strois cycles
exaltent le même "pulaagu" ou idéal peul. Eo somme, la lance pennel au Peul de s'affirmer,
en tant que conscience individuelle; la vache llii fournit l'occasion d'exprimer sa puissance
sur autrui. tandis que la femme octroie à l'héroïsme le cadre idéal de reproduction de son
mod~le. Transmis par J'art du griot. ces cycles mettent en gros plan le héros, son arme ct son
cheval, dans des chefs-d'oeuvre typiques
1
Lcstrangc (M.) , op. GÎL , P 65.
2
Seydou (C), op. Cil., p, 17.
3
Id . . p. 17.

21
b) Le triptyque héroïque.
An conrs de son développement, la narration de l'épopée fait apparaître Lili
triptyque: le héros, le cheval et l'amle. Il convient à présent de passer en revue les élénleJ1IS
de cette trilogie.
b1) Le héros
Personnage principal, il délirilite l'épopée dans le temps et dans l'espace: la
déclamation commence par sa naissance et se termine avec sa mon. La vie du héros pennet il
l'aniste de dramatiser le merveilleux épique; ainsi se retrouve-t-il au centre de la structure du
mythe héroïque 1. Il convient de rappeler qu'en étudiant la stmcture des épopées classiques et
modernes, Philippe Sellier a dégagé uue structure épiqne, ou structure du mythe héroïque,
dont les neuf points sont atlestés par les épopées peules, et vécus illlensément par le héros 2
Né de parents illustres, le héros est toujours annoncé par des présages (SamiJa
Guélâdiégui). Le couple parental, se selllant menacé après la naissance du précieux bébé, sc
sépare de celui-ci; il s'agit de la séquence de l'exposition. Ainsi Samba fut-il présenté
comme étant une fille, de même Guéladyo dans l'épopée Fulakanda qui fait passer sa soeur
Fatoumata pour un garçon. Le héros commence alors une vie d'occultation, ou vic cachée.
Mais il est vite reconnu par un signe: triomphe de Samba, alias Fatoumata, au tir à l'arc,
courage de SiUmaka piqné par un taon devant les homme de Sâ vellUS lever l'impôt du
Macina.
Il partir de ce moment le héros se découvre (Haill-Bodêdio, Sil5maka) et
accomplit des exploits exceptionnels constituant sa manifestation publique ou épiphanie. A ce
moment, il devient le sauveur de son peuple: Silâmaka met fin à l'impôt annuel que le
Macina versait à S5; Ham-Bodêdio obtient l'autonomie dn Kounâri.
Une telle bravoure et ces succès trouvent leur fondement dans des
connaissances occultes dont l'acquisition fait du héros un initié: Samba détient les gris-gris
de son père, un autre génie lui en donne d'aussi précieux. De même, Silâ'llaka ct Poullôri
reçurent d'un marabout un talisman, unique en sail genre, mais au prix d'une bravoure
exeeptionnelle. Auparavant, le prince Hammadi, le père de Silâmaka, avait consulté lUI
marabout aux fins d'amler SOli fils sur le plan occulte:
1
Sellier (P.), Le Mythe du héros, Paris.
1970.
2
Nous
avons
démontré
la
structure
du
mythe
hérolque
à
la
JUluière
de
l'épopée d'El
Hadj
Olllar dans norre Thèse de
Doctora' de
[Ilèllle cycle ,
Université de Dakar, 1984, el prions le lecteur de s'y reporter.

CHAPITRE J -INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
22
" Le prince Hammadi dit: "un lei ! "II dit": oui! "
Il dit : "donne un gris-gris à mon fils et à son captif,
. ,
Je te donnerai toutes les richesses que Dieu te fera désirer."
L'autre dit: " Je connais bien un gris-gris.
Je ne l'ni jamais donné à quelqu'un car il n'est pas facile à obtenir.
Il dit: " à quoi ressemble -t-il '!
L'autre lui dit: il se fabnque avec un python.
Je ne sais pas s'ils peuvent attraper un python" 1.
Après avoir déployé un courage inouï, les enfants capturèrent le serpent.
Nantis de l'argent de leur quête, Silâmaka et PouIlôru se rendirent auprès du
maraboul:
"Silaamaka lenailla tête,
Poullôru tenailla queue.
Le marabout tailla la tige;
on npprocha l'encrier,
Le nlaJaoout écrivit toUl,
Il leur dit: ce !,'Tis-gris est tenniné.
Il dit: prince Hammndi ! Le prince HamIlladi lui dit: oui 1
Il dit: voici tout ce que tu voulais
La tête a été couvene de versets pour Sibamnkn, il s'en est ceint;
La queue a été couverte de versets pour Poullôru, il s'en est ceint;
Lorsqu'ils seront au coeur de la bataille, tu entendras le python siffler sur le
dos de Silaamnka ; quand le serpent aura sifflé, Ol! que soit Püullüorou, la·
queue se tordra sur son dos"2
C'est celle inilimion aux sciences ésotérIques qui assoilles bases de l'autorité
des deux héros. De la sorte, le merveilleux se pare un peu des atours du vraisemblable, en
mettant à côté du héros principal Silâmaka, un double épique: Poullôru qui, malgré ses
qnalités reste un captif. C'est pourquoi la tête du python revient de droit à Silûmaka, qui l'a
capturé du reste, alors que Püullôri se contellle de la queue.
Le dernier point de la structure du mythe hérolque demeure l'apothéose du
héros: l'épopée transforme le personnage principal en dieu pour l'installer dans l'éternité.
Meyer (G.), op. cil., pp. 11-12, vv. 189 -197.
2
Id., p. 18 vv, 320 -333.
,

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
23
-.-;"
Dans ce sens, Samba Guélûdiégui cOl1linue de vivre comme Je prouvel1lles meurtres qu'il
commeura après sa mon.
Eu égard à ce qui précède, le héros apparaît comme le moteur de l'aclion
épique; l'artiste, en le plaçant au coeur du mytlle héroïque, décrit une struclllre originale
permeltant d'insister sur le merveilleux, caractéristique essentiel de l'épos, mais aussi pont
reliant·mythe et épopée. Mais l'héroïsme nécessite aussi un autre type de compagnonnage.
b2) Le héros el le cheval..
Le cheval rel)résente, avec le chien, le compagnon le plus fidèle de l'homme.
Mais la connotation péjorative que revêt le chien en société négro-africaine l'écane, en
général, de l'univers épique. Inversement, le cheval y joue un rôle capital. Son concours
détermine le triomphe de son maître, à l'instar duquel il reçoit une initiation à l'occultisme.
Comme son maître, le cheval avait sa devise et portait un nom symbolique: le destrier que
Samha Guél5diégui chevaucha s'appelait "Oumou Lawma" 1. D'autres chevaux ponèrent
d'autres noms prestigieux par exemple: " soppere Ka!J'Je"2, "1001001i Ka!J'Je"3, "kull;t1
makam"4. Etres extraordinaires. ces chevaux accompliS'cnt des prouesses; lors de son
passage dans le Ferlo, c'est son cheval "Oumou lmoma" qui fait fuir !cs gcns de Djîngué
sitllé à plusieurs cel1laines de kilomètres de là, alors que son maître Samba se,irait le désastre
ii 101Jl vent.
Aussi le griot confond-il 'toujours dans la même louange le héros et son
dcslrier; l'épopée vante autant l'héroïsme de Samba Guéliidio Diégui, lors de la bataille qui
l'opposa à Samba Maïr<lm Môlo Baroga, que celui de leurs chevaux qui se battirent aussi
vaillamment. De même, quand Konko 13oubou Moussa apprit que Samba avait exterminé
toules les vaches de Diowol et qu'il avait tué, sur sa lancée, lous les chevaux, alors le roi
reprocha au jeune héros impétueux d'avoir tué Lies chevaux qui lui auraiem été utiles plus
wrd.
Le destrier et le héros forment un couple nécessaire à l'action épique. La
tradition peuk lie, du reste, le destin de l'homme et du cheval: "Si tu cries de joie que lU as
un cheval, le cheval crie qu'il a un esclave."
1
La mère de LalOma.
2
l'épile d'or.
}
G rclots d'or.
4
Kullal ; le plus grand, Makam
nom du palefrenier.

CHAPITRE 1 - 1NVENTAIRE ET CLASSIFICATION
24
h3) L'arme du héros
. ,
Après le destrier, l'arme constitue le compagnon privilégié du héros de
l'épopée peule traditionnelle. A l'instar du héros et du cheval, elle porte un nom symbolique:
l'arlne de Silâmaka s'appelait "Grande Plaie", celle de Samba Guélâdiégui "Buse Larway".
Alors que celle de Silâmaka recueillie par G. Meyer était: "kaiabaw qui ne laisse pas intact un
vivant"("katab<lw tunndaa guroowoo"). Ainsi l'épieu ou la lance restent-ils les armes
miraculeuses du héros, même si certaines versions, comme celle de Samba Guélâdiégui,
donnent à leur héros des fusils.Il est à remarquer que "Buse Larway", le fusil de Samba, est
d'origine magique; à ce tiO'e, il n'a pas besoin d'être rechargé.
D'une manière générale, le triptyque héroïque, en liant le héros, l'affile et le
cheval, crée un tableau très expressif de l'action héroïque et, du coup, il se présente comme
un fragment très vivant. Une logomachie opposant Silâl1laka Ardo du Macina à un mâbo
donne une idée de la profonde unité qui lie les éléments du triptyque héroïque. Se présentant
à son nouveau maître, l'artisan du verbe déclara:
" J'ai entendu dire
qu'une controverse à opposé les gens durant trois ans:
on prétendait qu'il y avait cinq cavaliers l
capables de vaincre cinq cems cavaliers.
Qui sont-ils donc, Silâmaka7" 2
Son amour-propre piqué au plus haut point, le Peul sursauta:
"Celui qui t'a dit qu'ils étaient cinq chevaliers,
Celui-là l'a menti:
Il n'y a que trois personnes."
Il dit: " Oui donc,
Souleymana 7"
il dit : " Moi,
et Pépite - d'or, mon cheval,
et Maléfique, ma lance.
M.S.
parle de quatre cavaliers
: " Silâmaka Ardo fils de Hammadi
Dikko,
Hambodêdio Hammadi fils de Yelle Dikko, Djenne Veré de Djenné ct Hamma
Alaseyni
Gâkoy".
Quand
aux
renseignemems
recueillis
par
Gilbert
Vieillard, ils désignent : " Duroowel
Baali Guuje e Silaamaka Hera-Daande
kanyum e Ham-Bodeejo Paate kanyum e Hamma Aiseyni Gaakoy."
Qui
est le cinquième ici évoqué 7 Est-ce Boûbou Ardo,
le
frère
de Ardo
Ngourôri 7 Note 2 de l'auteur, p. 117.
2
Seydou (C.), op. cil.

CHAPITRE l - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
2S
Si je vois cinq Cents cavaliers,
à eux tous, ils sont, pour moi, aussi faciles que le sommeil d'un borgne l,
Il ou bliai t ses compagnons!
MêmePoullôri, il l'oubliait !"2
Plus loin, la narration se souvient de Poullôri :
" Pullôri no jogii labbo no wi'ee yaaja-wudde'al
Silaamaka no jogii labbo no wi'ee Bona Golle'al
00 no jogti puccu no wiée obbere-ka~~e
00 no jogii puccu no wi'ee Bona yuooaade."
"Poullôri avait une \\;mce dénommée "Plaie-Béante",
Silâmaka avait une lance dénommée "Maléfique".
L'auITe avait un cheval dénommé" Grelot d'or".
L,auITe avait un cheval dénommé "Piaffement néfaste"3
Cependant, aussi intéressant qu'il soit en lui-même, le triptyque, héroïque,
pour s'épanouir, nécessite le concours d'un certain souffle épique. Le griot a réussi à
l'enferIll~r dans une fomlule symbolique.
c) La devise
Le héros peul se définit par sa devise ou "noddol", à la fois musicale ou
parlée. Le "bammbaaqo" et le "maabo suudu Paate" qui le suit sont chargés de la lui réciter
ou de la jouer à lOut moment. Ces deux artisans du verbe, quoique voisins, accusent
cependant de légères différences. Rapportant les propos de son informateur, Christiane
Seydou écrit:
" La différence fondamentale existant enITe le maabo et le gawlo semble donc,
d'après Tinguidji, se situer surtout au niveau du destinataire: le maabo'
"Un borgne n'ayant qu'un oeil, son sommeil doit être deux fois plus facile
que celui d'un homme qui a ,<tcux yeux" (note 1 de l'auteur), p 119.
Seydou (C), op. cit , p. In.
Id., 207.
Bona-Yubbaade : "Piaffement
néfaste",
mot
à
mot
"
qui
piétine
méchamment". Ailleurs, ce cheval est appelé Rone-Yubbaade
:"Crin-Fou",
(note de l'auteur,
page 207,
note 3).

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
s'adressant aux nobles, le gawlo à lOutes les autres classes. 'En cffet, le
nmabo est généralement attaché, comme nous l'avons vu, il un chef ou à une
grande famille dont il connaît la généalogie détaillée et Ioule l'histoire, dont il
chante ou joue, sur son hoddu, la devise el les hauts faits. Il sait narrer
épopées, légendes, récits glorieux ou édifiants ayant pour acteurs les grands
héros des temps anciens et modernes"l.
Au terme de recherches mylhiques et mystiques, les artisans du verbe, Pnt
découvert les devises des héros peuls 2 Sone dc pelile épopée dans la grande "la devise
jammoore cherche à identifier et à caractériser de la façon la plus pertinente et la plus
marquante la personne en invoquant scs qualités spécifiques on ses exploits les plus
représentatifs; en même temps, elle est la forme par excellence de valorisation de la
personne; car, définition concise et dense de celle-ci, t:lIe est clamée et proclamée pour
l'honorer et la glorifier et finit par en être, en qtielque sorte, la manifestation publiquc cl
ritualisée, une représentation solennelle, périphrastique et métaphoriqtie f)ui, en même temps
qu'elle l'évoque l'invoque.. .',3
La devise emprunte deux modes d't:xpression : la musique et la parole, créaIll
ainsi de~!\\ formes: "Devise musicale et devisc verbale existent indépendamment l'une dc
l'autre mais ont la même signification et la même fonction 4
Elles 'se combincnt
difTéremment; selon l'humeur ou la fantaisie du griot, elies peuvent se superposer, alterner
(HI se chevaucher."
L'examen de la double structure de la devise fail ressortir une des techniques
de cré<JlIon de l'artiste oraliste : cristalliscr autour d'une idée "Ioule une enluminure de
l'imaginaire" et expliquer en même lemps son action sur le héros. La devise réunit alors
l'homme et son double grfice à l'union de la parole et de l'air musical, car à ce moment la
personne invisible de l'homme, l'autre moi, se superpose il la personne visible. La remarque
de Cillistiane Seydou, il ce propos, se révèle assez judicieuse:
" Le Izoddll parle lorsque sa musique est elle-même parole, non pas que la
note soille correspondant musical d'une syllabe à elle allachée par le hasard
d'une coïncidence toute formelle, mais lorsque la note, en elle-même, est un
Seydou (C.), Silâmaka el Poul/ôri, Paris, , 1972.
"Les devises musicales des héros ponent des noms propres ndondoore pour
Silâmaka, "jaru pour Boubou 'Ardo Galo, saygalaare pour Ham-Bodedio, etc".
Seydou (C.), IJam-Bodêdio,
Paris,
1976, p. 20, note 2.
3
1d., pp. 19-20.
4
Une analyse détaillée du sens ct de la fonction de la devise se trouve d.~ns :
Chrisliane Seydou, Silâmaka, .. pp 31 à 38 .f/aln - Bodêdio, op. cil, pp. 19 à 3~.

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ETCLASSIFICATlüN
27
signe total directement saisi par l'intelligence et le coeur et, la suite des notes,
une sone de définition essentielle de la personne qu'elle représerHe dans sa
réalité idéale et sublimée en un concemré de ses venus essentielles" 1.
Les muliiples rappons que l'épopée enrretient avee le héros et avec la soeiélé,
les liens existant entre la musique et la parole épique2 sont mis en lumière par la devise, qui
du reste eultive l'art de la concision et de la sobriélé. Les artisans du verbe ont fini ainsi par
faire coïncider le héros avec sa devise; mieux, ils ont réussi à enfemler parole ct musique
dans une unité signifiallle que la devise de Poullôri illustre parfaitement:
" Kodda oolel Busee
10 1I0oeeje koyd'e ekebbecje,
Pullo 00 koy laawina hannde."
" Benjamin de oole! Buse
Epineux el épines sous les pieds!
Le Peul s'est mis en colère aujourd'hui !"3
Cet appel (noddol) a pour finalité d'irriter le héros, puiscjlle l'image de
l'épineux et des épines veut le forcer à s'emporter. On note, au passage, une sirnilitude avet.:
la devise de Guélâdio, commençant par la même hypocoristiquc. La version de Yéro Boubou
Koumé4 cite la devise de Guéladio au début et il la fin de sa narration. Saa ayant humilié la
mère de Fatoumata Siré Biidané, celle-ci sol1icile J'intervention du h6ros peul; alors,
Guél5dio bat Saa et réduit sa fille Fatollmata Saa en esclave de la jeune femme peule.
1. "Gcla.üo Ham Yelle Dooraare Buuhu Baaye e kebe,
mo Doga Buubu Dogataa 13uubll Baaye,
mo Aaje BUllbu Tikki weelende BUlibu Buubu Baaye.
Plillo !
5. mooronongal balaminaaji,
Seydou (C.), Silâmaka el Pou/lâri, p. 33.
2
On
consultera
avec
profil
les
lravaux suivants : G,eneviève Calame-Griaule,
Elhllologie
el
langage, la parole
chez
(es
DOgOllS, Paris,
]965. G. Calame -
Griaule.
"Introduction
à
l'élude
de
la
musique
africaÎne",
in.
La. revue
mllsicale,
les cahiers· criliques, numéro spécial, 238 (1957) 5-12. A Sadji. "Ce
que dit la musique africaine", in L'Educalioll
Africaille, N° 94, Avril - Juin.
1963, p. 119.
3
Meyer (G.), op. cil.. p. 18, v. 335.
4
Id., p. 34,. v. 1 à 19.

CHAPITRE 1- INVENTAIRE ET CLASSlFICA TION
28
cancortongal ko'e bijaaji.
Pullo leloo, fi'a bawcl'i
hejjiloo, lummbina laacl'e
mo saroo i\\iiye, saakoo pecl'eeli,
10. daO Do daande mo wutte mum nanngetaake
mo kiikiiriwol kaakariiwol kaakowal kaake worfJe,
ngal kaake mum yeewetaake.
KaOko wi'etee jalal manngal, jabbirgal manngal,
wakkee, hela balabe
15. daasee, taya codduli,
Ka Oko woni labangal niiwa,
baylo waawa lafde,
kampaaje nanngataa,
lannde waawa roondaade" 1.
1." Gueladio Ham Yelle Dooraare Boubou Baaye et Kébé
fils de Doga Boubou Dogalaa Boubou Baayé,
Fils de Adié Boubou Tikki Bou bou welelende Boubou Baaye,
Peul!
5. Il se tresse avec trois tresses de chaque côté,
Il se coiffe avec les cornes des vaches laitières.
Le Peul se couche et frappe les tambours,
Il se lève en pleine nuit et fait traverser les pirogues.
Il a les dents écartées, il a les doigts écartés,
10. Son cou est court mais on ne l'empoigne pas par le col,
Redoutable rapace qui attrape les affaires des hommes,
Mais on ne regarde jamais ses affaires à lui.
Il s'appelle Grande Daba, Grande Houe:
Portée à l'épaule, elle brise l'épaule,
15. Traînée, elle tranche les tendons d'Achille.
C'est un mors d'éléphant,
Un forgeron ne peut pas le fabriquer
Des pinces ne peuvent pas le tenir,
Une enclume ne peut pas le porter!'2
Meyer
(G.),
op. cil., p. 33.
Nous avons, en bien ùes endroits, corrigé la
transcription,
de
Meyer.
2
Id, p. 34.

CHAPITRE I-INVENTAIRE ET CLASSIHCATION
29
Cette longue devise mobilise ici toutes les constantes du gcnre qu'il convient
. ,
de caractériser à partir de cet exemple précis. Le aarrateur récite d'abord la généalogie de
Guéladio pour lui rappeler ses illustres dcvancins, le rattachant de la sone à une lTadition
chevaleresque. C'est une manière d'évocation et d'invocation l , qui embrasse la dimension
physique de l'homme, puis [a lTansccnde au profit de son moi profond.
Mais, malgré ccttc continuité historique que représente la généalogie, Guélâdio
opère une rupture en se singularisant: contrairement à l'usage commun "il se tresse avec
trois tresses de chaquc côté". Cela s'explique par la suite. "II il les dents écartées, il a les
doigts écartés". Ainsi, à anatomie originale,. comportements extraordinaires. C'est pourquoi
il est comparé à un redoutable rapace "Kiikiiriwol kaakariiwol kaakowal", animal choisi à
cause dc la valeur expressive des mots qui forment son nom. Les allitérations créenr une
sorte d'harmonie imitative qUI met en relief la peur que le nom du héros à lui seul inspire à
son entourage. Cet homme n'a pas son pareil, et dès lors il attrape les affaires des hommes,
désignation euphémistique des parties sexuelles masculines" kaake worve", alors qu'il est
interdit de regarder les siennes. L'opposition entre "attrape" et "regarde" suggère assez la
force et le courage de Guélâdio.
Le griot, après avoir défini le héros par rapport 11 la société, passe par la suite à
sa définition propre. Il note qu'il incarne un personnage très offensif "Il s'appelle grandc
daba, grande houe porté à l'épaule, elle brise l'épaule. Traînée, elle tranche les tendons
d'Achille." Ce preux hors pair se révèle ainsi une sorte d'être falal, ear il répand le mal à
profusion et clans toutes les directions.
Une autre métaphore vient renforcer la précédel1le : celle de l'élépham. Puisée
dans le stock des clichés et formules qui peuplent la tradition littéraire négro-afri<,;aine en
général, où l'homme de qualité se voit comparéaux animaux virils: bélier, taureau, lion,
éléphant, cette métaphore insiste sur la force, la bravoure et le caractère indomptable du
héros. Il est surhumain, puisque "l'éléphant" qui le symbolise a un mors qui échappe même
au forgeron, pourtant très versé dans la magie, en même temps que maître du fer:
"C'est un mors d'éléphant,
Un forgeron ne peut pas le fabriquer,
Des pinces ne peuvent pas le tenir,
Une enclume ne peut pas le porter."
Aûssi Guélâdio réduit-il à l'impuissance toute personne qui tente de se
mesurer à lui, d'où l'emploi anaphorique du verbe "pouvoir". Notons, par ailleurs, que la
Griaule (G.C.) el Seydoll
(C.), La devise : évocation el in vocal ion de la
t
jJërsonne.
Langage el cullUres africaines, Paris,1978.
1
l,.
~.
~.

CHAPITRE I - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
30
métaphore de l'éléphant à fini par se figer en une formule stéréotypée, que l'on retrouve dans
bien des sociétés africaines, bien qu'elle soit d'origine peule :" Fari yoo ~iiwa alaa
gaynaako" 1, (ô Fari2 , l'éléphant n'a pas de berger).
Cette devise de Guélâdio, que nous venons d'analyser dans ses grandes
lignes, est récitée par l'artiste au son de "Sama et Saygabare", l'air musical de sa devise.
Notons l'existence de similitudes frappantes entre celle devise et celle de Ham-Bodêdio
recueillie par Christiane Seycjou 3. On y observe les mêmcs tcrmcs, les mênies métaphores
rehaussés par le ':Saygalaare", une même devise musicale. Alors que celle de Silâmaka est
."-
.
"ndoondoore", celle de Boubou Ardo Galo étant le "njaru".
Il serait éclairant de comparer les diverses devises des héros peuls afin de
dégager, entre autres caractéristiques pertinentes, le style formulaire ou structure de base. On
pourrait également étudier la perméabilité des genres et la mobilité des formules. Le caractère
symbolique et mythique de la devise, entrevu par Ham-Bodêdio, le poussa à ordonner à son
griot de lui en confectionner une à sa mesure: "Ah non! Ne me donnez pas de ces devises
qui ne valent rien! Ce sont là devises de Croupe - Fuyante! Moi Hammadi, jc nc suis point
une Croupe-Fuyante4,,, La fierté du héros peul implique un souci de distinction très
nettement affinné : " Celle contestation des devises fait partie des motifs traditionnels du
cycle épique de Ham-Bodêdio ; elle a pour fonction de traduire un trait de caractère essentiel
du héros: sa fierté ombrageuse intransigeante"5;
En résumé, l'analyse de la devise musicale et verbale établir qu'elle fonctionne
comme une petite épopée dans la grande d'une part, et qu'à son tour l'épopée apparaît,
d'autre part, comme la devise de la société qui l'a produite. Mais il serait aussi intéressant de
voir les réactions du destinataire de la grande et de la petite épopée.
30) LE PUBLIC
Une analyse de la réception de l'épopée implique une revue des composantes
de la société, qui savourent la performance de l'artiste du verbe. Une fois le lieu et le temps
de la séance fixés d'un commun accord entre l'artiste et Je public ou Je mécène qui a organisé
Les wolofs ont déformé cette formule, et l'aniculent ainsi: "Far; yoo fi aa laa
gaynaako." Le mot niiwa qui désigne l'éléphant en poular, perd tout sens
en sc métamorphosant en naa. qu'ignore la sémantique peule.
2
Feu le Professeur Cheikh
Anta Diop, égyptologue célèbre
à
cause de sa
thèse sur· l'origine nègre de l'Egypte pharaonique, voyait dans le mot F;a r i
une autre forme d'u mot pharaon. Voir Nations nègres et· cultures, T.I,3ème
édition, Paris, 1979,p.268.
3
Seydou (C.), op. cil.
4
Id., p. 76.
5
Id .. p. 43.

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFlCATiu\\
la partie, le public fonne généralement un cercle à l'intérieur duquel, ou à un point paniculier
. ,
duquel, l'artiste évolue. En fm psychologue, celui-ci va utiliser Judicieusement le temps et
l'espace. Se produisant généralement le soir, il écourtera la séance dès qu'il sentira l'effet de
la fatigue ou du sommeil sur les spectateurs. De même, s'il se produit dans la maison d'un
riche personnage, il ne manquera pas de comparer l'aisance des héros de jadis à la sienne, ou
de le comparer à Silâmaka, Samba Guélâdiéguiou Guélâdio.
Le griot va aussi tenir compte du goût du public et des susceptibilités
potentielles. Ainsi, pour les épopées opposant Pe~J!s et "Bambaras, l'artistc fcra-t-il attention
aux récits de bataille afin de montrer que seule la chance ou Dieu décident de la victoire, étant
entendu que les héros se valent. De la sorte, la victoire peule n'affectera en rien les
Bambaras. Par exemple, Silâmaka triomphe de Sâ, mais reste sa victime .. La performance
épouse, par ce biais, le goût du jour et évite de perturber l'ordre social: point essentiel de la
morale griotique.
En exaltant lcs vainqueurs et en ménageant les vaincus, le griot obtient des
dons des deux camps. Faut·ille rappeler aussi, ces dons constituent des sortes de moteur de
la narration, dont ils accélèrent ou ralentissent le cours. En effet, l'indifférence du public
pousse généralement le narrateur à brosser certains passages ou à les résumer; par excmple,
au lieu de citer les variantes de certains fragments de Silâmaka, il mentionne la plus connue
seulement.
La réception de l'épopée implique un certain dynamisme, d'où les différentes
réactions du public: applaudissemellls, apostrophes, questions, dons. En déclamant
Guéladyo et Gorossigui, les auditeurs frémissent fll'Idée d'une bataille entre le jeune peul et
le mari de la belle femme, mais surtout la cérémonie de l'autel provoque joie chez les
téméraires et indignation chez les vertueux. Cette séric de rclmions crée une certaine
connivence entre 'le griot et son public au point que ce dernier fonctionne comme un co-
auteur.
Ces quelques considérations mettent en évidence Je rôle du public dans la
performance épique, puisqu'il en fournit les conditions de réalisations, en accordant une
attention soutenue au narrateur, puis en participant diversement à la réalisation de l'oeuvre.
C'est ainsi que les "Senne" ou guerriers toucouleurs, à la déclamation de la geste de Samba
Guélâdiégui, se départissent de tout ce qu'ils portent et poussent souvent des cris
extraordinaires. Le "Lagya" ou l'air de Samba transfomJe la séance en arène de lutte entre
"Senne" !
D'une manière générale. le public apparaît comme un terme extrême de la .
trilogie qui le lie à l'artiste. l'oeuvre résulte alors du concours du public et du griot, car' sans
public, il ne saurait y avoir de performance. L'analyse des épopées et fragments doit tenir
compte de cette réalité: le public poularophone se sentant l'héritier de Silâmaka Ardo,

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
32
Guélâdio, Ham-Bodêdio, Samba Guélâdiégui, souhaite un moment communier avec eux en
-- faisant appel à un spécialiste qui se propose, à sa 'manière, de redonner vie au passé, par
l'évocation de modèles héroïques. C'es! sans doute la rencontre d'un désir et d'un talent qui
fondent le dynamisme du public et 1art du spécialiste.
Au tenne de cette réflexion-autour de la performance orale de l'épopée peule
se dégage un certain nombre de trilogies organiques savamment articulées au tissu narratif de
l'épos. La solidarité des éléments ainsi créés ne fait que refléter l'unité des genres,
s'inspirant dn caractère communautaire de la société africaine nègre traditionnelJe, point de
départ et de chute de cette forme littéraire.'
Dans ce sens, les spécialistes attitrés ùe l'épopée d'Omar produisent des
oeuvres semblables en tout point à celles des artisans du verbe de l'épopée peu le
tradition'nelle. II est significatif que, malgré leur islamisation, "awluoe". "maabuoe" et
"wammbaaoe" du jihâd se détÏnissent d'abord comme des gens castés ; et que, à ce titre, ils
ne cessem de réclamer la générosité ou l'indulgence du noble. De même, leur éducation obéit
au principe général qui régit leur corporation: ne jamais troubler l'ordre social par des
propos ou des allusions blessantes. Leur méthode pédagogique visait la mémorisation de
certains morceaux choisis, à partir de ['acquisition de certaines tcchniques et d'un
apprentissage de l'improvisation.
Au vu de ces considérations, une parenté commune se dégage entre griolS
peuls traditionnels et griots ommens islamisés. En tout état rie cause, l'engagement politique
et religieux des griots omariens les différencient des autres, car au delà de leur communauté
de destin, les formes de croyances allxquelles ils adhèrent creusenr entre eux un fossé très
profond, que leurs récits ont de la peine à combler. Il ~'agit là d'un reflet des rappons qui
existent entre l'animisme total et l'Islam radical.
Il L'EPOPEE D'EL HADJ OMAR OU LA GESTE DU J1HAD
El Hadj Omar, héros toucouleur du jihâd qui porte son nom, a suscité riès le
début de sa mission une épopée très originale. Inscrite au coeur des cycles épiques peuls,
elle en atteste les caractéristiques essentielles et durables, pour les dépasser aùssitôt
puisqu'clle annexe au modèle classique les apports de l'écriture, entre autres armes de la
théocratie. Ces deux axes-modèle classique et apports nouveaux-vont délimiter cette partie
de l'étude.

33
] 0) PERMANENCE DU MODE!.E EPIQUE TRADITIONNEL
Nous avons montré plus haut que les épopées peules traditionnclles se
caractérisent par trois instances: les anisans du verbe, le récit et le public. L'épopée d'El
Hadj Omar ne fait pas exception, elle réserve même aux dites instances une place de choix.
al'Les artisans du verbe
La geste d'Omar, à l'instar des épopées peules, constitue le régal et le gagne-
pain des artisans du verbe: "maabuoe", "awlufJe", "wammbaabe" . Aussi l'El Hadj Omar
compte-t-il ses spécialistes dans les grandes familles griotiques vivant sur les rives du
Sénégal et du Niger. On peut citer parmi les plus connucs la famille Ndiaye de Weenôdi
(Département de Matam), Abdoul Ata Seck (Département de Podor), Sidi Mbôthiel de Pété
Bôwé (Ferlo), Thithié Dramé (~ioro du Sahel), Djé!i Ahmed Sakho (Diomboukhou).
b) Le récit
L'examen de la trame narrative de l'épopée peule classique met en avant trois
trilogies organiyues remarquables: les cycles épiques, le triptyque héroïque et la devise, qui
se retrouvent aussi dans la geste d'Omar.
hl) Les cycles épiques
Ils comprennent généralement les cycles de la lan'cc, dc la vache et dc la
femme. La geste d'Omar ne les ignore pas, même si elle leur confère une autre signiflcation.
<X) La lance - Le cycle de la lance figure en bonne place dans la poétisation du jihâd cie
Cheikh Omar. De la sone, la lance fut illustrée par des preux qui la manièrent à bon escient:
le courage de Ardo Aliou Ndiéréby devant Karounka, selon la version de Thithié Dramé 1
rappelle' celui de Silâmaka devant Sâ2 , le roi Bambara. Le statut social d'Alpha Oumar
Thiemo Bay!a Wane rappelle Ham-Bodêdio3 Peu! à Ségou et Bambara au Kounâri4 De
1
Consulter le corpus de n~tre thèsc de Doctorat de II1ème cycle. op. cil.
2
Meyer (G.), op. - cil.
,"
.
3
Ham-Borlêdio, prince peul du Kounary, parlait \\e bambara chez lui et le peul
à Ségou, capilale du royaume bambara. Ce polyglotte
fail penser à la vaSle
science doublée de courage d'Alpha Oumar.
4
Seydou (C.), op. éit.

CHI\\PlTRE] - TNVf(H,\\lIΠET CI "SSIFIC'\\TIo.';
', :1
j
.~
même, la désobéissance de Hammât Kouro Wane 1, parti attaquer le fon de Médine en 1857
sans le consentement de Cheikh Om,lf, reproduit à une autre échelle l'indiscipline de
Guéladyo qui s'entête à élever sa soeur, contrairement à l'édit royal qui commande de
supprimer les tilles du roi, futures femmes fatales.
Un autre rapprochement plus fondamental s'impose: le nom du héros peul qui
incarne le mieux le cycle de la lance Silâmaka (la lance), désigne aussi curieusement le titre
du chef d'otouvre de Cheikh Omar, Er Rimâh (Les lances). Silâmaka Ardo du Macina
traduisait l'idéal peul par la lance, El Hadj Omar matérialise l'idéal peul et islamique par "les
lances enfemlées dans le livre", étant entendu que Je Kitâbu Rimâh ( le livre des lances) se
présente comme une glose marginale de lawâhir-AI-Maâni (la Perle des sens), chef-
d'oeuvre du fondateur de la Tidjanyya, le Cheikh Ahmed Tidjâne. Cet exemple met ainsi la
lance au centre des gestes peules, illustrée ailleurs par Amâ Sam Pôlel, Guélel, Goumâdo; ici
par Alpha Ousmane, Koly Môdy Sy, Diôdio Demba Dia1\\o, Lambâ Bôkar, tous héros de
fragments très vivants. Ces héros musulmans eurent aussi des démêlés avec les bovidés, que
la mémoire collective aime ranimer à travers des fresques colorées.
f3J La vache ,- Le thème de la vaehe se dégage très Ilellement de l'épopée du jihâd omarien.
Dans la geste peule classique, l'une des directions privilégiées de la lance se trouve être la
voie des troupeaux. Les héros épiques, sunoui ceux du Djoloff Cl du Macina, passent le plus
clair de leur temps à razzier des troupeaux. Les jihâdisles aussi durent recourir aux mêmes
pratiques pour vivre ou pour survivre. La Qac/da Cil pOl/far dc Mohammadou Aliou Tyam esl
[ormel le : "Là certains désobéirent à la parole de celui au teim noir el luisant, et il leur an';va
malheur"2
Il s'agit de talibés formant une colonne placée sous l'autorité d'Alpha Oumar
Thiemo Bayla, général de l'anl1ée de Cheikh Omar, chargée de délivrer Ardo Abou Ndiéréby
et de lever l'impôt à Tombouctou3 : "Alpha Oumar dégagea Ardo Abou dont les forces
grossirent les siennes, et pilla le Guimballa. Malgré son désir de rentrer à Hamdallahi, il se
laissa entraîner par ses troupes jusqu'à Kabara.
Il y fit un court séjour, dit le Lt Péfonlan, pllla Tombouctou et repartit en
emmenant comme otages des notables de la ville et suivi par Bekkaï ou son cousin Sidia et
des forces maures et touaregs. Il avait hâte de rejoindre Harndallahi, et par un itinéraire hors
Gaden (H.) noie à son sujet : "les lalibés l'avaient surnommé Hade-Wada",
."celui qui fail cc qu'on lui défend". Cf La ~j" d'El Had/ Omar, Qaclda en
poulal de Mohammadou Aliou' Tyam,- Paris, 1935, p. 102, nOie
du v.85.
2
Id., v. ·1098.
3
Pour la petile histoire, notons que Cheikh Omar commanda du Fauta Toro à
Tombouctou ce scul jour. A ta fin de la journée, Alpha Oumar fut tué à
Mani-Mani
et
une
cascade de
rcv~r·s apparurenl.

G:UI1'I!1œ r - li~VENTAIRE ET CLASSIFICATION
35
du Bourgou, plaine que la cme inonde, mais alors à sec Cl favorable à la cavalerie peulc. Là
,
encore, il se heurta à l'indiscipline des talibés qui voulurent passer par le Bourgou, à cause
,
des grands troupeaux peuls qu'ils avaient pillés et qu'ils ramenaient. A Korientza on le
prévint que les Peuls J'attendaient à peu de distance. Il partit quand même et fUI attaqué par
les Peuls et les contingents de Bekkaï à Mani-Mani, vaste terrain voisin ùu lac Débo, au S-S-
E. de Gourao, village situé sur la rive du lac, au pied d'une éminence rocheuse que les Peuls
nomment haire guram "la montagne de Gouram", les lOucouleurs furent anéantis" 1. Cette
note de Gaden donne un aperçu des razzias qui jalonnent l'épopée d'Omar, dominée aussi
par le cycle de la vache, lequel appelle automatiquement l'altière femme peule.
y) Lafemme. - Ellc justifie dans les épopées peules la lance el explique la vache. En effet, la
femme peu le, en temps de paix, réclame pour sa dot, un certain nombre de têtes de boeufs;
en temps de guerre la même dOl se transfolTlle pour les prétendants en une rude épreuve
soumise à leur sagacité: réussir l'impossible (tuer un monstre, laver un affront, effectuer des
"travaux" au sens héroïques). Ces exigences trouvent leur explication dans le sens que le
"pulaagu" ou idéal peul accorde à la femme "dcbbo" : "objet précieux et capricieux" réservé
aux hommes méritants, interdit aux couards et aux indignes.
Malgré le caractère de leur noblc mission, les jihâdistes furent confrontés aux
femmes, Je sel de la vie. Elles apparaissent d'lIls la geste islamique sous un double visage:
des épouses soumises, ou des amazones. Avant tout, les jihâdistes se partagent, au long du
récit, les femmes des vaincus. C'est ainsi que le noyau narratif de base de la geste d'Omar
affinne qu'une fois le Kaana soumis, Cheikh Omar demanda au roi massa si Mâmady
Kandia, de limiter ses épouses à quatre au lieu dc cent, conformément à la loi islamique, les
autres "épouses" devant passer à divers conjoints. Cc traitement, jugé humiliant par la famille
royale poussa les frères du roi à la révolte.
De son côté Mâmady Kandia réprima les sarcasmes des griotes et de la
doyenne cie ses épouses, qui lui réclamaient des balles et de la poudre pour faire face aux
toucouleurs plutôt que de se rendre tout bonnement. Au lieu de briller par son silence et par
une cenaine indolence où la fige l'imagerie populaire, la femme apparaît dans l'épopée
d'Omar comme un élément dynamique, chargé de redynamiser le jihâdiste, en l'équilibrant,
mais surtout eu lui permettant de perpétller sa lignéc avant de vivre son voeu: mourir en
combattant de la foi.
Ce parcours de la geste du jihâd au miroir des cycles épiques peuls démontre
son caractère éminemment peul, et perme(/du mênfe coup de vérifier les autres
caractéristiques du modèle classique,
Gaden (H.), op. cit., p. 191.

CHAPITRE I-INVENTAIRE ET CLASSlFICATION
36
Mi Le triptyque héroïque: le héros, le cheval, l'arme
Un triptyque thématique scelle de manière organique le destin du hé.ros. de
son cheval et de son arme dans les épopées peules traditionnelles. Le phénomène prend
d'autres proportions dans l'épopée omarienne où merveilleux humain er merveilleux divin
s'entremêlent à rout instant.
a) Le /zéros. - L' héroïsme, dans ses m~nifestations diverses, suscite des chants à s~
dimension. Tout d'abord El Hadj Omar, le héros principal, est peint sous les tr~its d'un être
extraordinaire supérieur aux hommes, très proche des dieux païens. Capable de se
métamorphoser. il envoie la mort à distance. C'est également tlfl faiseur de miracies, grâce
auxquels il sauve d'une situation critique ou plonge son ennemi dans une situ~\\ion
désespérée.
A cet Omar unique en son genre, l'épopée ajoute deux ~utres Oumar : Alpha
Oumar Thiemo Bayla et Alpha Oumar 11lierno Mollé, génér~ux de l'armée du jihâd La
tradition r~pporte qu'après I~ défaitc de Mani-Mani, Cheikh Omar décl~ra à propos d'Oulllal'
Bayla : "Je viens de perdre m~ main droite, m~ nlain g~uche m'est peu utile." Une telle
déclaration dit ~ssez, par delà l'aspect métaphorique, l'import~nce de l'illustre homonyme,
bien qu'Alpha Oumar 11lierno Mollé mt aussi un preux hors pair.
En gros, le héros du jihâd se trouve être l'~nnée du jihâd : 13ôlol Sawa Hâko,
Koly Môdy Sy, Anlo Aliou NdiérélJy, Hammât Kouro Waue, LamlJ~ Bôk~r, Thiam ... IOUS
ces vaillants guerriers ont suscité chacun un fragmclH épique très vivant, el l'ensemblc forme
une geste de l'héroïsme traditionnel à bien des égards. Les toucouleurs rappellent les
prouesses d'Alpha Oumar Thierno 13ayla, certes comme celles d'un saint; mais ils les
expliquent surtout par sa fidélité à l'héroïsme peul anté-islamique.
P) Le cheval. - Fidèle compagnon du héros peul, le cheval apparaît dans les épopées
traditionnelles comme un précieux auxiliaire de son maître. Les sold~IS du jihâd, pour
aecomplir leur mission, enfourchèrent des chevaux au souvenir impérissable. Ces destriers
participaient à la guerre, et expliquaicnt, dans bien des cas, la victoire ou la défaite dc leur
cavalier. Entraîné et bien nourri, le cheval, doué en plus de pouvoir magique, favorisait, à
coup sùr, une percée significative dans les lignes ennemies, suivie en génér~1 d'un retour
triomphal. C'est sans doute la raison qui explique que, sentant la situation désespéréc. El
Hadj Omar, afin d'échapper au siège de Hamd~lIahi, dépêch~ son neveu Tidjâni pour
chercher des renforts auprès de ses amis chefs peuls et dogons: " La légende r~collte qu'il
réussit à franchir les lignes ennemies, sans être reconnu, avec six compagnons, Cl monté sur
un cheval que le Chcikh lui avait donné en lui recomm~ndant de se fier à lui et de le laisser

CHAPITRE l - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
37

aller où il voudrait sans le diriger aucunement. Ce cheval, tàdal nasru, " nasru ( le secours) à
la tache blanche au poitrail", le conduisit à ceux qui étaient prédestinés à lui donner les
secours qu'il cherchait: Ella Kossôdyo, de Doukombo, l'Amirou Dé, l'Amirou Bôré et
Bôkar Algâli, des Finôbé, chez les Peuls. Le récit légendaire ne serait pas ici à sa place" 1. En
tout cas, de nombreuses versions épiques vantent les mérites des chevaux et le secours des
armes.
rJ L'arme.- Elle est avec le destrier, l'agent qui contribue dans une large mesure à la victoire
du héros. La geste du jihâd en fait un adjuvant du héros, personnage principal situé au centre
du mythe héroïque, qu'il délimite de surcroît dans le temps et dans l'espace. Les récits
omariens se plaisent à opposer, dès lors, les coups de fusil des jihâdist~s aux charges de la
cavalerie peule armée de lances. Relatant un accrochage entre l'année peule et l'armée du
jihâd aux environs du Sansanding, La Qacida el! poular dévoile les armes de chaque camp.:
"Les genoux furent mis à terre, les doigts furent accrochés aux détentes [des
fusilsl ;
La poudre crépitait, on crut qu'elle ne se tairait pas.
Tu n'entendais que: mon taureau 1 mon cheval, laisse ma lance21
Là Allah détruisit les hypocrites qui ne s'amenderont pas"3
Mais l'arme la plus redoutable fut manifestement, au-delà des fusils, "les
boucs du gouverneur", "ces canons, provenant du NDyoum, village du Ferlo du Boundou
(...) avaient été remis au Cheikh pendant son séjour à Boulé-Bané en mai 1858. Dans un
rappon Cornu, commandant le poste de Bakel, rend compte de ce qu'en février 1858, il a été
amené à aller, avec deux obusiers et quelques canonniers, renforcer l'armée de Boubakar
Saada qui assiégeait NDyoum sans succès, et relate comment, le 16 février, une sortie des
défenseurs ayant mis en fuite l'armée de notre allié, il a dû, pour ne pas se faire enlever,
suivre le mouvement en abandonnant ses deux obusiers dont le tir avait cassé les roues"4
Surnommés" les boucs du gouverneur" parles toucouleurs , "à l'armée dù Cheikh Omar,
ees obusiers, qui ont puissamment contribué à ses victoires, étaient sous les ordres
~l
Gaden (R), op. cir., p. 195.
\\' 2
,
,
" Chacun revsndigue
l'ennemi gu'il vient de tuer, afin de S'STV approprier
les dépouilles : " mon taureau", c'est-à-dire " mon guerrier", "mon cheval"
~
s'entend aussi du cavalier, dont celui gui vient de te tuer veut les armes, les
~3 vêtements et la monture". (Note du traducteur, vv. 972, p. 167).
~4
Gaden (R), op. cir., p. 167.
~ Id., p. 143.
~;.:

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
38
d'un Bakiri de Tiabo l, près de 13akel, qui avait vécu vingt ans à Saint-Louis et y avait acquis
des connaissances que le Cheikh sut mettre à profit. C'est chez cet homme, Samba Ncliayc.
que Mage logea pendant son séjour à Ségou,,2 La Qacida el! p{lIIlar sc souvient de œla el
chante:
"1. Les canons furent tirés, ils furent inquiets alors, au point qu'ils
chancelèrent.
2. Aussitôt s'élancèrent les hommes bien portants, et braves, Dyabal fut
dispersé
3. Les griots du Ségou, là furent descendus de ces chevaux cie race: cles
boeufs gras et des petites servantes grasses furent enlevées"3
Ces derniers vers résument la présence et la solidarité dn triptyque thématique
-la lance, la vache, la femme, et du triptyque héroïque -le héros, l'arme ct le cheval. Conln,,·
dans l'épopée classique, les deux triptyques s'enchevêtrent, s'éclairent et expliquent le;
prouesses du héros. Puissants moteurs de l'action, ils fonctionnent comme clcs référcnts
mythiques implicites qui orientent le cours de la narration épique. P,1reils à des motifs
ornementaux, ils auréolent la vie du preux, ct trouvent un autre répondant, sur le plan
musical, dans le chant que sa vie ct son oeuvre ont arraché il l'art des professionuels
b3) La devise
Dans le domaine peul, l'héroïsme ne devient effectif qu'à la condition d'avoir
produit une devise musicale et parlée. L'explication de cette exigence sc trouve dans les
structures qui défiuissent le mode d'existence et de diffusion des oeuvres orales. Aussi, en
vaillant héros de la "pulaagu", Cheikh Omar a-t-il sa devise ou "noddol". Celle-ci se
,
structure ainsi: brève généalogie, suivie d'un eourtTésumé de ses conquêtes. enfin un survol
rapide de ses qualités intellectuelles et morales, l'ensemble étant accompagné el1 sourdine par
le martèlement de son air musical, "Tara". A ce propos, Sidi Mbôthiel cile une devise
d'Omar accompagnée à la guitare monocorde ou "molo":
1. " Torodo, méÎlez vous de lui,
Nous
pensuns
que 'Gadcll
fut
induit
cn
erreur
par
un
de
ses
illfurm:ltl:urs
qui,
ignorant le 110m de
famille de la personne concernée,
le déforme Cl.
l'ajoutant à sun
prénom, cn
filÎI
deux personnes.
La
réalilé
est
plus simple
:
il s'agit de Samba Ndiayc l3athily ..
2
Gaden (H.), op. cil., p. 144.
3
Id., p. 143.

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
39
Dernier né d'Adama Aysé Elimane Ciré Samba Demba Ali Moutar.
En réalité méfiez-vous de lui.
Etranger le matin, chef de village à midi, Imâme l'après-midi.
s. En réalité méfiez-vous de lui.
Le Riche, le Savant, le Bien éduqué, le Pourvu.
Noble fils de noble; en réalité mélïez-vous de lui.
C'est lui qui a étudié et qu'on a surnommé le marabout Omar.
Ne savez-vous pas que c'est le Cheikh qui a détruit Tamba ?
10. Ne savez-vOlis pas que c'est le Cheikh qui a détruit Goufadé ?
C'est le Torodo qui a détruit Djauguirdé.
C'est le Cheikh qui a détruit Ghégné et l'a communiqué à Ghêgnêba.
C'est le Torodo qui a détruit Farabanna
Le Cheikh a traversé le gué de Diâkalelle.
IS. En réalité méfiez-vous du Pourvu, du Savant.
16.En réalité méfiez-vous de lui"1
Cette devise, après avoir campé le statut social du héros" Torodo", "noble fils
de nobles", s'attache à dégager une image d'Omar pour la graver au fond de la mémoire
collective. Il s'agit ici de celle du preux qui sème la terreur à tous vents. Le vers "En réalité,
méfiez-vous de lui" répété six fois, se trouve confirmé par l'étendue de ses conquêtes, dont
la brutalité soudaine est reprise en écho par "détruit" martelé cinq fois.
Tara chante d'élévation en élévation "un mélange d'élan mystique et
d'héroïsme pai'en" . Ces rythmes et sonorités, ces allitérations, reprises musicales, mythifient
le héros, tOut en l'insérant hannonieusemenl dans la structure hiératique de l'épopée.
cl Le public
Par la nature du sujet et par les multi pies fonC/ions que l'épopée joue en milieu
peul, sa performance attire toujours une foule bigarrée où les différents membres de la
société coexistent sans distinctiou d'âge ou de sexe. La geste du jihâd, comportant en plus de
l'hérirage profane un apport islamique, draÎne une foule impressionnante d'autant plus qu'ici
il n'y a plus de frontière entre l'art et le religieux.
Assuré de participer à un culte, le public communie dans une ferveur toute
religieuse. Le griot, maître de son an, profite alors de l'occasion pour solliciter l'auditoire à

réagir, c'est-à-dire à reproduire le modèle de réception de l'épopée profane. Multipliant les
Version de Sidi Mbôthicl, vOIr corpus de notre thèse.

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
40
récits des batailles du jihâd, invoquant l'Islam et faisant de Cheikh Omar l'héritier du
Prophète, l'artiste oblige le public à s'exclamer, à s'interroger, à verser des larmes ou à
pousser des cris de joie. De la sorte, l'auditoire contribue puissamment à parfaire la
performance, car c'est lui, en fait, qui en fixe généralement le temps, le lieu et la thématique.
Naguère encore, le récit des batailles, la succession des victoires et des défaites faisaient les
délices des spectateurs. Aujourd'hui, la tendance semble privilégier l'exaltation des principes
islamiques et des valeurs peules. Aussi le griot n'oublie-t-il jamais de citer les hauts faits des
habitants de tel ou tel village du Fouta- Toro ou de l'aire .du jihâd, ce qui pousse
immédiatement ses descendants ou les ressortissants du même village à offrir des dons
substantiels au laudateur.
Ainsi, le public joue-t-il tin rôle capital dans la performance de l'épopée
d'Omar. Il détermine le goût du jour, contrôle le rythme du récit; puis par ses dons, ses
multiples sollicitations et ses réponses contribue puissammenr.à réaliser l'oeuvre. De ce point
de vue, le public de l'épopée du jihâd ressemble étrangement à celui des épopées païennes.
La réflexion menée jusque-là révèle une similitude frappante entre l'épopée
d'El Hadj Omar et l'épopée peule. Elle prend en charge les trois instances fondamentales du
modèle traditionnel: artisans du verbe, récit, public, pour les mobiliser dans une série
d'aventures héroïques. Sous ce rapport, l'épopée omarienne se comporte comme une épopée
de la "pulaagu" ou idéal peul.
Mais la geste d'Omar se définit avant tout comme l'épopée du jihâd ; dès lors,
l'impact de l'Islam et la dimension de l'écriture suscitent une rtIpture radicale par rapport à
"épopée peule traditionnelle. Conçue comme un adjuvant du jihâd par les griots et par les
clercs, l'épopée d'Omar, ou les tarikhs qui en dérivent, se proposent de faire le jihâd à leur
manière. Ces considérations dénotent une oeuvre originale, itTéductible au modèle classique
de l'épopée peule : l'épopée peule islamisée apparaît alors comme un modèle spécifique.
21 LE MODELE PEUL ISLAMISE
Convaincus que chanter ou exalter le jihâd omarien constitue un acte
éminemment religieux, griots et marabouts de l'aire du jihâd ont trouvé, dans la vie du Saint
homme, une illustre matière pour élaborer des oeuvres immonelles. Un hadilh 1 du prophète
Mohammed les renforce du réste dans leur conviction: " le rappel de la vie des saints fait
descend no la miséricorde divine". Clercs et anisans du verbe se sont donc naturellement alliés
Le "hadîth" ou
"hadîss" est une tradition prophétique : parole, autorisation,
interdit. Ce "hadÎss" est ainsi libellé : "bi zikri hîm tata nazallu rahma" '(En
rappelant
leur
souvenir,
la
miséricorde
descend).

CHAPITRE 1- INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
4 1
pour immortaliser les hauts faits provoqués par le jihâd d'Omar le Foutanké (l'homme du
FOUla)
,
a) L'artisan du verbe et le maître de la plume
Vivant en pleine théocratie islamique, griots et marabouts ont reçu à peu près
la même éducation, Ils ont fréquenté ensemble la '1,ême école coranique, sous ln férule du
même maître. Les veillées les ont réunis à nouveau auprès du maître du récit oral. Dès lors,
une telle communauté de destin devait entraîner une collaboration naturelle entre clercs et
artisans du verbe, et les deux s'inOuencèrent mutuellement à tous les niveaux. Les marabouts
apportèrent l'écriture et ses avantages, tandis que les griots donnèrelH en échange l'art
oratoire.
al) Le griot olllarien
"Gawlo", "maabo" ou "bamrnbaad'o" à l'origine, l'artisan dtl verbe de
l'épopée d'Omar se distingue par sa forte culture islamique et par son caractère polyglotte.
Qu'il joue de la Illusique comme Abdoul Ata Seck, ou qu'il récite comme les membres de la
famille Ndiaye de Wennôcli (la mare aux crocodi\\Ës), le griot épice wujours son récit de
versets du Coran ou d'extraits d'oeuvres de Cheikh Omar. C'est ainsi qu'Abdoul Ata récite
toujours au cours de ses séances les 1200 vers qui constituent l'une des oeuvres majeures
d'El Hadj Omar, le "Safina tu Saa da" 1 en s'accompagnam à la guitare et chaque fois son
second, Massâba Ahmad Diop, illlervenant à la demande de son patron, déclame une devise
de Cheikh Omar, assez caractéristique de ['art du griot du jihâd :
1." kalJko wiyetee ceernal seernaaoe, waliyal wahyaaoe
2. Tikka alla walia, haoee allajilJnga.
3. Inndee ndee ko ayna baaliiqo miim arraa2:
4. Ayna baaliid'o tirata ko capand'e nay,
6. Arra tOlJngata ko temeedde d'id'i.
7. 0 jalJngii temedde d'id'i fannu,
8. Hay hen gooto jiidaane god'd'o oon,
Titre complet : 'l'ail (El. O.J, Safillalu Saa da li ah/ul duf wa lIajada, lexte
arabe, non traduit, La Barque du
biellhellreux pour
les
hommes faibles
el
les
hommes
courageux.
2
Lettres de l'alphabet arabe, poularisées ici.
li s'agit de "aïn", "mÎm", "râ",
lettres
servant
à écrire Umar.

CHAPITRE 1- INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
42
9. So wonaa Jinne walla chayd'aane l jaongaani d'um
heyye h09re ndee yaltaani.
10.0 Jaongee ~eeremne capancPe nay
Il. Kamne fow ne ndutti tee makko ene naamnoomo
ganndal, 0 wOI1li ceerno manne.
12. 0 woni e aduno 00 capand'e jeecPicPi hitaande
hade makko majjude Dagammbere
13. Bernde ndee mettaani"2
1." C'e~t lui qu'on nomme le marabout des marabouts, le saint des saints
2. Quand il se fâche Dieu l'aide ,quand il se bat Dieu le favorise3
3. Son nom est: "aïn", "nlÎnl", "râ"4
4 "Aïn" équivaut à soixante-dix
5 "MÎm" signifie quarante
6 "Râ" symbolise deux cents.
7 II a étudié deux cents disciplines
8 Aucune d'elle ne re~semble à l'autre
9 Exceptés les djnns et les démons, nul n'a appris cela sans que cela ne
déborde ~a tête.
10. Il a étudié auprès de quarante marabouts.
II Tous revinrent près de lui, lui demandant du savoir, il rcdeviI1l leur rl1aÎtre.
12 Il est resté dans ce monde soixaI1le dix ans, avant qu'il ne disparaisse à
Déguembéré
13 Il n'a éprouvé nul chagrin"5
La déclamation de la devise du héros pitr le griot omarien campe, de façon très
expressive, le statut particulier de cet arùsan du verbe peul. L'analyse du passage cité est très
éclairante à ce sujet. Les deux premiers vers mettent en relief les dons exceptionnels d'Omar
. (v 1) (;( ~a profonde sainteté qui en fait un ami de Dieu "AI waliy" Cv2). Ce portrait en masque
constitue la première partie de la devise. Se souvenant de l'enseignement reçu à l'école
coranique, Massâba appelle l'écriture à son secours et "écrit oralement" le nom d'Omar (v3)
"ChaYlân"
ou
salan,
Lenne
arabe.
l
Cf
notre
bandothèque,
archives
sonores.
:1
MOl à mot: quand il se bat, Dieu devicm son complice.
4
LeLLres de l'alphabet arabe servant
à écrire Umar. Le griot joue à la fois
sur
le
sens
mystique,
en
donnant
leur
valeur
arilhmosophique,
ct
sur
le
sens réel de ces chiffres:
5
Cf notre
bandothèque,
archives
sonores.

CHAPITRE 1- INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
43
dans la deuxième panie de son envolée. Enfin la troisième panie (v4 à vI 3) développe la
pa nie précédente (v3) de façon très originale. D'abord, la devise donne la signification
ésotérique des Jellres (v4 à v6), puis leur sens réel (v7 à v 19). Le dernier vers fait écho aux
vers J et 2.
Ce survol établit la profonde unité qui relie l'oralité et l'écriture dans les
productions des griots omariens. Le texte peul permet de repérer des indices de l'oralité très'
frappants. Par exemple la rime intérieure des vers 1 el 2 : "Seernaabe" / "waliyaabe" (v 1)
:'walla" / "JiQnga" (v2). Il convient de remarquer que "Seernaabe" et "waliyaabe" sont des
substantifs tandis que "walla" et "JiQnga" sont des verbes, et que leur position respective met
le héros en valeur.
De même, la devise est construite à partir d'une technique de mémorisation
soigneusement élaborée. Sur le plan structurel, la première partie (v l-v2) est bâtie sur une
rime intérieure, tandis que la deuxième partie (v3) contient en puissance la troisième panie
(v4 - v 13). C'est pourquoi, à panir du vers 4, on assiste à une sorte de développement du
postulat. Là aussi le griot fait preuve d'originalité: le sens chiffré des Iemes respecte l'ordre
alphabétique (vv 4-5-6), alors que la signification réelle des chiffres inverse cet ordre. Il en
résulte un effet rythmique né de la reprise de "teemedde cricri" aux vv 6 - 7.
En gros, celle devise met au premier plan la spécificité du griot omarien par
rapport au griot peul traditiounel, qùi, bien qu'il se définisse comme un griot, sa profonde
culture islamique et ses capacités orales en font une sorte de relais entre la culture arabo-
islamique et la culture nègre, entre l'oralité et l'écriture. C'est sans doute cela qui justifie la
place du griOt dans la société théocratique, pourtant si opposée aux formes griotiques
païennes. Très tôt, le griot sut se reconvenir : il abandonna cenaines licences autorisées par
sa condition (injures, grossièretés) pour se modeler sur les principes islamiques.
L'expression la plus spectaculaire de sa mutation fut sa reconversion en muezzin ou en
porte-voix et pone-parole du marabout. Il faut chercher la raison de celle mutation, cenes
dans le triomphe de la nouvelle religion, entraînant du même coup avènement de l'idéologie
de l'écrit, mais aussi dans les talents de l'artiste (belle voix, éloquence). La théocratie
rencontrait ainsi un puissant agent de diffusion de son idéal. Dès lors, les griots qui avaient
élu domicile dans les cours royales, les dépeuplèrent au protït des cours marabomiques.
Ce phénomène existe encore. On peut observer, quotidiennement, lé spectacle
du marabout qui se retranche derrière son griot pour émettre un message à l'intention des
fidèles. Mais le fait le plus courant demeure la répétition par le griot du même message
prononcé par le marabout, bien qu'amplifié celle fois par un haut-parleur. Trois causes
semblent fonder cet acte singulier: un souci de magnitïer la parole divine proférée par la
marabout, une ne lie volonté de tïxer la leçon grâce à la répétition, donc une préoccupation
" .
~.

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
44
pédagogique, enfin la perpétuation d'une coutume qui liait le griot au noble. Dans touS les
cas, une franche collaboration existe entre griot et marabout.
En somme, l'artisan du verbe de l'épopée omarienne se révèle un artiste
complet, donlle talent résulte d'une synthèse dynamique entre l'oralité et l'écriture. En fin
psychologue, le griot a su se réadapter, et adapter son art, pour se mettre au service du
marabout, le nouveau maître du jour.
a2) Le nu1Ître de la plume de l'épopée du jihâd
La maîtrise de la plume revient en général à certaines familles dites familles
maraboutiques. Mais cette règle connaît de nombreuses exceptions faisant que toute personne
désireuse de s'instruire finit par maîtriser la lecture et la graphie arabes. Il convielll cependalll
de distinguer les marabouts des clercs et des scribes. En gros, le marabolll possède une
culture islamique correcte, mais il ne maîtrise pas toujours l'arabe. Dans ce cas, il peut
recourir à un alphabet adapté: les caractères arabes augmentés de quelques signes
diacritiques pour transcrire le poular. Une telle graphie donne des manuscrits peuls appelés
"fulfulde". Par contre, le clerc maîtrise le Coran et possède quelques rudiments de l'arabe,
mais il se signale surtout par sa parl'aite calligraphie. Enfin, le scribe désigne une sorte
d'érudit, doublé d'un excellent calligraphe. C'est pourquoi le scribe, en recopiant un
manuscrit, ajoute à la fin quelques formules ou quelques infomlations complémentaires,
tandis que le copiste se contente de recopier tout bonnement le manuscrit qui lIli est confié.
La vie et l'oeuvre d'El Hadji Omar constituèrent une belle aubaine pour les
maîtres de la plume. La proximité des griots les poussa à composer avec l'oralité, pour
irnmonaliser Cheikh Omar et les COmbalWlllS de la foi. Des oeuvres diverses et variées virent
le jour dans toutes les localités du Saint - Empire. A ce propos, la source la plus ancienne de
l'épopée omarienne écrite semble être la version rapportée par Charles Reichadt l, un
missionnaire anglican d'origine allemande qui travaillait sur la langue peu le. Il s'agit d'un
texte fulfulde transcrit en arabe, retranscrit, introduit à Freetown vers 1860 par un clerc
Yorouba musulman. Composée à Dinguiraye vers 1840-1853, la chronique donne des
informations précieuses sur El Hadj Omar et sur ses talibés; en même temps, elle relate les
premières batailles. Oeuvre d'un (alibé plus zélé qu'informé, la version rapportée par
Reichadt contient un certain nombre d'erreurs, surtout la relation de la lutte contre le royaume
bambara de Ségou, où, du reSle, s'arrête le livn:.
Reichadt
(C.),
"Hala
Saihu
Al-Hajj
omaru
Fatiyu
kedewiyu
bi
seibi"
in
Grammar of the
fu/de language,
New-Brompton,
1873.

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
45
La version suivante fut composée par Abdoulaye Ali, secrétaire d'El Hadj
Omar. Elle s'intitule: Souvenirs de /lotre Cheikh au début dujihâd 1. Ecrite à Bandiagara
sous l'influence de Tidjâni Alpha Amadou, neveu de Cheikh Omar et continuateur de son
jihâd au Macina, cette version reflète les idées de Tidjâni dont elle fait le digne successeur
d'El Hadj Omar, à l'exclusion de ses propres enfants. Cette version du jihâd suscita, comme
on s'y anendait, d'autres versions contradictoires dans les cours des enfants du Cheikh,
chacune s'amibuant la légitimité de la succession de l'illusrre père.
Vers 1880, une version anonyme fut composée à Ségou: La manière dO/lt
notre Cheikh conduisit son pèlerinage du début à lafin. L'auteur se mue en laudateur et
s'efforce de mettre en relief le vaste savoir du Cheikh, les miracles qu'il a accomplis. JI
prend nettement position pour Ahmadou, le fils aîné de Cheikh Omar, qu'il élève à un rang
exceptionnel.
Ségou fournit aussi la version la plus populaire de l'épopée d'El Hadj Omar,
que j'appelle "le classique des études omariennes" : La Qacida en poular de Mohammadou
Aliou Tyam2 Il s'agit d'un long poème de 1200 vers rimés - 118<) vers en réalité -, composé
au fil du jihâd, mais rédigé à Ségou entre 1864 et 1880. Il est permis de penser que Tyam
donnait des lectures publiques en rédigeant son poème, et qu'ainsi, grâce aux critiques qu'il
enregistrait, il réussit à améliorer sa première version. La Qw;ida en poular embrasse
poétiquement toute la vie de Cheikh Omar: naissance, pèlerinage, jihâd, disparition. Elle
sublime Ahmadou, le successeur légitime de son père. Poème bien élaboré, La Quacida
résulte d'une transcription du poular COUlme la chronique de Reichadl. Le texte l'one
manifestemem le cachet de la cour de Ségou, le manuscrit étant destiné par son auteur à
Ahmadou que l'action d'Archinard empêcha de lire l'oeuvre d'un talibé.
Les élUdes omariennes possèdent aussi une autre version provenant de
Bandiagara, inspirée par Aguibou, fils d'El Hadj Omar. Elle fait du souverain de Dinguiraye,
le successeur de son père. Nous avons recueilli encore une version composée au Macina par
un autre talibé, Hammât Samba Ly, originaire de Thioubalelle dans le Lao (Fouta-Toro), un
compatriote de Mohammadou Aliou Tyam lui aussi natif de la même région. Nous l'avons
analysée ailleurs en détail3. Ly, dans le cadre d'une narration poétique, revivifie la dernière
bataille livrée par l'anllée du jihâd contre l'empire peul du Macina. L'auteur vante les mérites
de son Cheikh et les oppose aux faiblesses de ses rivaux Arabes et Peuls. Auparavant, nous
Sissokho (M.), a traduit celle version de l'épopée omarienne. VOir à ce sujet
Sissokho (M.), "Chroniques sur El
Hadj Omar et Cheikh Ti<.ijâni, L'éducation
africaine",
in
Blllielin de
l'enseignemelll en
A.O.F,
N° s 96 - 97, janvier
septembre,
1937.
2
Gaden (H.), op. cil.
3
DI ENG (S.), L'épopée d'El Hadj Omar, Ilne approche littéraire e/ his/oriqlle,
Doctorat de 111ème cycle, Université de Dakar, 1984.

CHAPITRE 1 -INVENTAiRE ETCLASSIFICATldN
40
avions étudié un tarikh 1 que nous devons à l'amitié d'un érudit de Ndioum (Podor) ; le voeu
tI'l/I/ ami: les informations les plus parfumées sur la vie et l'oeuvre d'El Hadj Omar. Cette
chronique2 apparaît, à bien des égards, comme une savante synthèse des ouvrages et des
témoignages relatifs au jihâd omarien. Cependant, loin d'être une habile compilation,
l'oeuvre de Niâgane se signale par une cohérence et une rigueur que justitie la grande
expérience de son auteur. De toules les chroniques que nous avons consultées, celle de
Niâgane demeure la plus tïdèle et la plus complète puisqu'elle relate toute la vie d'Omar de la
naissance à la tombe. En outre, cette oeuvre affirme très neltement la mort de Cheikh Omar,
même si, après, elle nuance le tragique d'une telle situaiion par des argilments théologiques
et mystiques.
Uil autre érudit lOucouleur, Cheikh Moussa Kamara, a rédigé une biogràpHle
de Cheikh Omar Tall3, où il célèbre les mérites et la sainteté d'El Hadj Omar. Comrairemeiit
aux autres chroniclueurs qui se métamorphosent en laudateurs patentés du Cheikh Omar,
Cheikh Moussa Kamara reste très critique. Dans ce sens, il dénonce le fait de rattacher la
généalogie d'Omar à celle du Prophète Mohiunmed. Affinnant le caractère profondément
nègre de Cheikh Omar, Kamara lui reconnaît cependant de nombreux mérites. Homme de
valeur, lOucouleur le plus prestigieux pour avoir culbuté les royaumes des bambaras, jadis
bourreaux des lOucouleurs. El Hadj Omar, d'après Cheikh Moussa, demeure un mortel,
malgré ses vertus. Mais Cheikh Moussa doit surtout sa célébrité à son opposition totàle au
jihâd ou guerre sainte et à son esprit critique.
Cependam, une analyse approfondie de la liLlérature maraboutique omariennc
fait apparaîlre une inOuence proche ou lointaine de l'Anonyme de Fez4 ; manuscrit trouvé au
quartier général de la Tidjanyya à Fcz (Maroc), au début du XIXème sièclc. Le traité
s'inspirant dcs Rimâh S (chapitrcs 28-30) citc les miracles du Chcikh dàns unc vaste apologie
omarienne. L'Anonyme rcste une oeuvre écritc à la gloire d'El Hadj Omàr.
DIENG (S.), Une approche de l'épopée d'El Hadj Omar d'après
la chroliique
d'El Hadj M.
Niâgane, Mémoire de Maîtrise, Université' de Dakar, 1978.
2
Titre arabe : Munyatul mu hibbi wa atyabul habar fi sirati Cheikh al Hajj
Umar.
3
Kamara (C.
M.), La vie d'El Hadj Omar ( traduit de l'arabe par A.SAMB) ..
Dakar, 1975.
4
Salenc
(1.),
"La
vic
d'El
Hadj
Omar", in
Bulletin
du
ComiIé des
E/lldes
historiques et scientifiques en A.O.F., vol 3, 1918,. pp. 405'431.
5
Tidjane C.A.), Kitâbu Jawâhir Al Ma 'aiuii
(arabe) .Tall (t. O.), Kitâ/5u
iiiihâh
(texte
anibè).

CHAPITRE 1 - INVI,NTAIRE ET CLASSIFICATION
Un ouvrage récelll 1 est Vl:nu combler une lacune: un [rai té écrit par El Hadj
Omar pour expliquer le jihâd qu'il a mené. Le texte original fut édité par Mohammed AI-
Hfifiz.
Thierno Mountaga 'l'ail, actuel Khalife général de la famille l'ail du Sénégal,
l:st en train dl: rédiger une biographil: monumentale de son grand père2 Son Oèuvre se fonde
sur une exploitation dl: manuscrits aralxs et de données de la tradition orale. Samir 20ghby 3
et Omar Jah 4 ont éwbli, enfin, une bibliographie exhaustive de ces SOllll:eS arabes.
D'une manière générale, les maîtres de la plume de l'épopée d'El Hadj Omar
usent d'un art très original, puisque s'inspirant de l'oralité et de l'écriture. La Qacida en
pOl/lar de Mohammadou Aliou'Tyam 5 illustre parfaitement ce phénomène.
Né vers 1830 au village de Dyan, près de Haïré Lao, en plein coeur du Fou\\a-
Toro, Mohammadoll Aliou 'l'l'am, fils de MohamlTIadou 'l'l'am et de Fatimata Baro,
appartient il une famille maraboulique. Après de brillantes études coraniques el théologiques,
il eut le privilège d'appartenir à la première génération de disciples qui rallia la cause du jihfid
omari<:n en 1846. Son poème en parle:
"Alors un groupe sortit du pays pour s'allacher notre Cheikh.
Des gens qui ont renoncé il mère et père, qui ont choisi d'aller vers le
paradis,,6
L'auteur du poèmè aura par la suite deux aLlln~s litn~s de nobkssc . en 1862, il
sera désigné par Cheikh Omar conHlIe lllemhre de la mission de bons offices chargée
d'obtenir d'Ahmadou Ahmadou, ElIlir du Macina, la conversion d'Ali Da Monzon, le roi
fugitif de Ségou; puis en 1863, il sera envoyé il Ségou pour faire partie de la garnison
d'Ahmadou, fils aîné du Cheikh que celnici venait d'investir du titre de son Khalife.
C'est dans celte garnison, vers 1846, que Tyam commença la réilaction de son
poème: La Qacida eH {Jol/lar. Le titre de l'ol:uvre dit éloquemml:nt tout le pani que son auteur
a su tirer de l'oralité et de l'écriture. II s'agissait d'utiliser un genre de la littérature arabe,
Mahibou (S.) Cl Triaud (J. L.), Voila
ce qui est arrivé. Bayall maa waga'a
d'AI
tlagg 'Umar AI-Fuli, Paris.
1984.
Tati (A.), Glwllaa im
al Ma
wbir sirâc AI lijj Umar
(Tcxtc
arabc
non
Iradui!)
3
Zoghby (S.), Islam
III
.wb-sahariell Africa,
Washington,
1978.
4
Jah (O.),"
Sourl:c malcrials for Ihc carl:cr and thc Jihâd of AI lIâjj Omar Fuli,
1794-1864'", ill Bullecill de lïFAN, T. 41, Sel. B. n02, 1979.
5
Galien (Il.), op. cil.
6
G"den (H.), op. cit., vv. 1-5.

CHAPITRE 1 -INVI~NTAJRE ET CLASSIFICATION
4R
pour écrire unc épopée peule en l'honneur de Cheikh Omar. Le pari fut gagné: les exigences
de La Qucii/a ct du peul étant respectées:
"Mido yetta domam, bàddo, dokko mo hàbatàh.
mo rokki fufan di fa maya ronkatah.
Mido düla, dulde e annabido mohammadà;
pénnindo gOdai àla. gurdo mo mayatàh."
"Je loue mon Maître, l'unique, Je munificent qui ne se lasse pas.
Tout homme à qui il a donné sait que, jusqu'à ce qu'il meure, il ne manquera
de rien.
J'appelle les grâces et le salut d'Allùh, sur le Prophète Mohammed, qui a
rendu évidente l'existence d'Allah, Ie.vivant qui ne mourra pas"l
L'élaboration de cette épopée met aussi en évidence une collaboration entre
oralité et écriture. En cffet, avant de fixer son poème en "fulfulde", Tyam donnait des
Ieclllres publiques des fragments qu'il venait de composer, des critiques diverses émanant
des griots et des marabouts améliorèrent sensiblement ses preniières épreuves. A cet égard,
la Qadi/a en pOlllar constitue un témoignage formel de l'influence mutuelle qui a existé entre
anisans du verbe et 111 aÎlres de la plume.
Il convient d'ajouter, aux griots et marabouts, les aveugles appelés "SalE" ou
"il 1llladda" , spécîalisés dans la mémorisation des lextes de la liuéralllre islamique poular c[
dans leur récitation publique. Ils constituent de puissants agents de diffusion de l'épopée
d'El Hadj Omar. Leur art force l'admiration surtout à cause de l'extraordinaire capacité de
leur mémoire: la récitation des 1200 vers de la Qadi/a en pOlllar ne représellle pour eux
qu'un aIllusement anodin.
La revue des spécialistes de l'épopée d'El Hadj Omar met en évidence unc
coopération dynamique entre griots et marabouts, entre l'or.dité et l'écriture. Le'griot sut très
tÔI se réadapter aux nouvelles exigences de son temps. Sans casser sa guitare, il créa de
nouveaux airs inspirés du modèle ancien; les marabouts, attentifs aux multiples talents des
~riots, les tolérèrent d'ahord, puis se mirent à l'école de leur éloquence et de leur art. Le
,
hénéfïciaire exclusif de cette alliance fut l'épopée d'Omar, la geste du jihâd, aux Illultiples
'-
verSIOn s.
Gaden (H.), op. Cil., vv. 1 - 2.

CHAPITRE 1- INVENTAIRE ET CLASSlrlCATION
49
h) Lc récit
L'épopée d'El Hadj Omar tire son originalité, par rappon aux mllres épopées
peilles ou à celles des autres pCllples, de l'existence d'une foule de versions variées,
différentes, contradictoires; d'où la difficulté de disposer d'un récit définitif. Sans doute
l'ampleur du Saint-Empire, les rivalités entre les enfants d'Omar, la vision des peuples
vaincus expliquent largement la pluralité des récits omariens. Néanmoins, une structure
narrative de base se dégage de lOus ces récits, de laquelle nous retenons trois instances: le
cycle de la foi, le triptyque initiatique, enfin la devise.
bl) Le cycle de laloi
Toutes les versions de l'épopée d'El Hadj Omar
èelles des valllqueurs
s'entend - accordent une place prépondérante au cycle de la foi qui se résume ainsi: la loi, la
voie, la vérité. Griots et marabouts l'om de Cheikh Omar le champion de la loi islamique ou
"charia"; La Qacida Cil {Jol/laT déclare à cet égard:
"Lorsqu'il eut achevé dix huit ans
il ceignit ses reins, il se prépara au combat contre l'âme, qui n'est pas une
aide.
Ihlis el fOuS ses compagnons. ~l Cè monde,
et les accoutumances de lieu, <;t les camarades qui ue 1vousl quillent pas
tout cela, il k rejeta, illenl sortit pour se diriger vers Allah scul et cet envoyé
pour la vérité,juste, qui n'ajoute pas laux prescriptions divinesl
Il rechercha ks cunn .. iss'lnces de la vérité et de toutes les lois;
les prescriptions divines et celles fondées sur ]'~xemple d'Ahmadou fureflt
Ipar illi 1connues.
Lorsqu'il eut accompli treille et trois années,
alors fit ses préparatifs cet homme fcrme qui ne faiblira pas.
Alors se mit en route le serviteur [d'Allahl; il traversa tous les nombreux pays
des Illusulmans,
se dirigeam vers le grand paganisme qui ne se convertira pas" 1.
Cel extrait s'efforce de mettre en pleine lumière la présence du cycle de la foi,
dès le début de la carrière d'Omar. Entre dix huit et trente trois ans, Omar fit la guerre sainte
Gaden (H.), op. cil., vv. 26 . 31.

CHAPITRE r - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
50
,.
" :;nn âme, il S'Han, aux mond~nilés el amitiés frivoles, el il rechercha ~clivement la
connaissance de la loi divine, dont l'application sur la voie divine permel d'~ccéder à
,
l'étcrnel le vérité. L'épopée du jihâd en enfonç~nt la destinée d'Omar ~u coeur de la loi, de b
voie el de la vérité il dix-huit ans passés, l'inscrit en même lemps au coeur du jihâd, puisqu'à
la fin de sa trente troisième année, Om~r, en s'acquitl~nl du cinquième pilier de l'Islam - le
pèlennage aux Lieux Saints de l'Islam - sc uirige aussi "vers le grand pagauisme". De la
snrte, il aCCümplitloutes les formes ue jihâd : le plus grand étant celui de l'âme (v 26), et le
plus petit le combat contre les païens et le paganisme (v 31). La Qacida fait ici d'une pierre
deux coups: diffusion des principes islamiques et défense du jihâd OIll~rien au doubl~ point
de vue théologique et mystique.
b2) Le !ripryque illicialique
Le cycle de I~ foi appelle naturellement le triptyque initiatique dans l'épopée du
jihâd. Celui-ci s'identifie à une ascension en lrois étapes: le Cheikh, le Prophète et Dieu;
une sorte de m~térialisalionde la foi, vue sous le cycle ternaire de la loi, de la voie et de la
vérité. Moh~mmadou Aliou évoque le triptyque initialique en ces termes:
"J'appelle les gdces et le salut d'Allah sur le prophèle Mohammed, qui a
rendu évidente l'existence d'Allah, le vivan! qui ne mourra pas.
Aussi sur sa famille ct sur ses compagnons el sur tous Ceux qui ont suivi.
S'él!lnt liés il la Sou ma, ils ne se déliaont pas, nc s'en L,sseront pas.
Sur les Sainls Cl sur les Ulél1l~S Cl sur 10US ceux qui onl suivi fidèlemenl la
Souma ;
Gens de la vérité et de la loi, ils ne se f~ligueront pas" 1.
Après Dieu elle Prophète, le Cheikh Ahmed At-Tidjâne "ll3élierj vigoureux,
glorieux, prestigicux, qui ne chancclle pas, Ibélier] à la voix haute, bl~nc il tache noire en têle
Cl qui ne se lasse pas"2 est exalté en ces lennes :
"Terminaison de 10US les sainls, de même que son ancêtre a Icrminé tous les
Prophètes; choisis à la limite Idu choix], ils n'enfreindront pas { les
prescriptions divinesJ.
1
G~dcn (H.), op. cil., VV .. 2 - 3 - 4.
2
Id., v.7.

CHAPITRE I-INVENTAIRE ETCLASSIFlCATION
51
Celui-là est notre Cheikh Ahmadou, fils du Mohanlllladou at Tidjani,
descendant du Prophète qui sera sans inquiétude Ile jour du jugement]" 1.

La Qacida considère par la suite Omar le Foutanké, talibé de Cheikh Ahmed
Tidjâne:
"Celui-là est Omar le FOlllanké, fils de notre Saïdou,
fils de la Sokhna Adama, la purifiée qui ne sera pas souillée"2
Voilà dans leurs grandes lignes les trois marches qui constilllent la chaîne
mystique que l'on remollle après une iniliation progressive. Le triptyque initiatique indique là
les graines qu'il convient d'égrener pour accéder à l'Elernel.
/)3) La devise
Les maîtres de la plume de l'épopée d'El Hadj Omar, n'ont pas composé de
devise pour leur héros; à la place, ils versent dans le dithyrambe. J. Salenc écrit à ce propos
en présentant l'Anonyme de Fez: "Quoique sous une forme un peu dithyrambique (mais
peut-on reprocher à un disciple d'aimer et d'admirer son maître ?) \\Ous les trails qui
con 'posent le caracté...:; du Saint et du Chef religieux sont bien mis en relief et aucune de ses
qualités morales, intellectuelles et littéraires n'est passée sous silence"3 L'auleur de
l'Anonyme renchérit:
"Sache, ô lecteur, que celui qui fait l'objet de cette biographie a été l'un des
prodiges envoyés par Dieu pour montrer aux hommes la vérité et les conduire
dans le droit ehemin en secret et en mystère"4
Emboîtant le pas à cet auteur, Mohammadou Aliou Tyam note que Cheikh
Omar constitue le :
"Pôle et Médiateur que tous les pays regrettaient Ide ne pas compter comme
leurj ;
mâle des mâles est le dernier-né d'Adama, tu le saurJs.
1
Gaden (H.), op. cil., vv .. 10-11.
2
Id., v.17.
3
Salenc (1.), op. cie, [J.. 408.
4
Id, p.. 408.
,
1

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATiON
52
C'eslun soleil comme à mi-hauteur de son point culminant, une lune gui ne
s'obscurcit pas,
comme par une nuit de pleine lune avec un clair de lune sans mélange.
C'est une gloire, une élévation, ou encore une panthère au milieu d'ennemis.
C'est un secours rapide, c'est un fleuve profond gui ne noie pas.
C'est une très grande chose unigue dans tous nos pays de l'ouest.
C'est le miel de la création, son aliment vital gui ne s'altèrera pas en
vieillissant" 1.
Des comparaisons expressive.>, reprises par une série de métaphores, font ici
de Cheikh Omar le double champion du triptyque iniliatigue et du cycle de la foi.
En gros, les auteur.> de.> manuscrits omariens n'ont pa.> composé une devise
pour le Cheikh, [out au plu.> J'appellent - ils "Bahral dm" (océan de .>cience); par contre, ils le
chantent en termes émouvants où le langage fleuri - influence de la littérature arabe -
s'ajoutant à un rythme pnissant - héritage négro-africain -, donnent à l'ensemble un etTct
sublime. Dès lors, la musique fuse au fil de la lecture, entraînant une gesticulation
individuelle ou collective.
c) Le public
Il jOlie lin rôle capilal dans les Inanllscrirs omariens où son action se fait selHîr
en amont et en aval de leur élahoration. Ainsi, les critique.> des auditeurs furent-elles
déterminante.> dan.> la rédaction définitive de La Qilcidil el! pou/ilr. En outre, tenu de bien
pré.>enter son ocuvre, J'auteur d'un manuscrit doit soigner son écriture d'abord, car la
calligraphie e.>t un miroir qui reflète l'flme du copiste. Il doit aus.>i soigner les thèmes pour ne
pas choquer un groupe, et le style, pour mériter le regard des érudits.
Une fois admis, le manuscrit circule et il est tré.> vite mémorisé par les
marabouts, clercs et avengles qui vont le récita dan.> des cour.> maraboutiques, sur
l'esplanade de.> mosquées ou au cour.> des veillées pieuses, dans l'enceinte des maison.>.
Loin d'être passive, la réception de ces proJuctions, bien que recueillie, donne lieu à une
réel 1" participation Je la conununauté.Le public se croit alors en pleine guerre sainte et il n'est
pas rare de noter de nombreuse.> conversions à l'Islam et à la Tidjanyya, ou aux deux, après
tille séance réussie. Naguère encor", Abdoul Ata Seck, lors d'une soirée à Saint-Louis,
poussa deux cents personnes à s'affilier à la Tidjallyya, séduites qu'elles furent par les dons
d'Omar et l'ampleur de son jihâd. En fait, l'écrivain conscient de la force que représente son
Gaden (H.), 01' cit,
VV. 22 à 25.

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
53
écru, s'entourc de toute les garanties, pour atteindre le double but à lui imposé par le
manuscrit ûmarîcll : islanlÎser et plaire.
,.
Au terme de cet inventaire des épopées peules, on constate que l'épopée du
Jihâd se situe, par rapport à l'épopée peule traditionndle, au carrefour de la continuité et de la
rupture. Prolongement naturel de l'épopée peu le, la geste d'Omar la renouvelle, en lui
apportant l'Islam el l'écriture. Considérée sous ccl angle, elle ajoute à la trilogie cyclique et
au triptyque héroïque, le triptyque cultuel et la trilogie initiatique, à travers la synthèse de
l'oralité et de l'écriture, confiéc au mode d'expression et de diffusion du modèle classique.
En définitive, l'épopée d'El Hadj Omar apparaît comme une vaste geste peule qui conjugue
l'art et la foi, l'oralité et l'écriture. A ce titre, elle peut favoriser des comparaisons pertinentes
aux plans formel, thématique et idéologique, avec l'épopée peule traditionnelle.
13 ~ CLASSIFICATION: RECITS DE BASE ET VARIANTES
L'inventaire énumératif des épopées peules met en lumière L1ne matière
abondante qu'il convient d'ordonner. Dans ce sens, trois unités se dégagent assez nettement:
le tronc commun, les branches et les variantes à l'intéricur de chaque branche.
J - LE TRONC COMMUN
Malgré leur variété etlcurdivcrsité, les épopées peules se réduisent à quelques
ékments invari'"11.1 : thèmes récurrellls. personn'Iges, lieux, uoyau narratif de base du récit
,
formant une sorte de matrice génétique.
1°) LE NOYA U NARRATIF DE IIASE
Genre de la littérature qui exalte les valeurs d'un groupe à travers les hauts
fails d'un héros historique proposé comme modèle, l'épopée se structure autour d'un noyau
narratif de
base. Le récit de la vie du héros fournit alors à l'imagination populaire, une
matière qu'elle cmbellit en lui annexant les aulres valeurs de la communauté. Dès lors sc
dégagc, il travers les diverses versions et variantes, un noyau de base que les techniques
narratives, mémorisées par l'artiste, embellissent indifféremment dans le temps et dans
i 'espace.
Silaamaka et El Hadj Omar nous permettent ici d'étayer nos assertions; deux
IJ10rJèles des épopées peule et islamique (cf tableau récapitulatif du noyau narratif de base).

) q
U~s dillérentcs vcrsions de Silaanwka 1 attestent toUleS de J'existence d'un noyou narratif
réductible à quatre moments essentiels:
Naissance des deux hérus - Révolte et quête
initiatique - Epiphanie de Silaamab - Apothéose de Pullooru. Ce noyau n'apparaît pas
c entièrement dans toute les versions, le récit pouvant privilégier un aspect de !'ensen1ble
auquel il s'attachc paniculièrement.
De même, l'épopée d'El Hadj Omor2 fait apparaître un noyau narratif de base
en einq phases: Naissance miraculeuse à Halwâr - Formation studieuse et miraculeuse -
Pèlerinage triomphal aller et retour - jihâd victorieux - Apothéose et mythification. Nous
avonS indiqué que les griots se Sont spécialisés dans l'épopée d'Omar doublement: certains
se sont identifiés à l'épopée du jihâd, mais ils n'ont travaillé 'lu'une ou deux phas"s du
noyau narratif, généralelllelll celles qui correspondent à leur zone géographique. Il existe par
ailleurs des généralistes 'lui remplissent à leur manière Je schéma de base. La geste du héros 1>
se trouve, de ce fait, réduite à quelques invariants récurrents: thèmes, personnages, lienx,
temps, narration.
2°) LES INVARIANTS THEMATIQUES.
Pour les épopées petdes païennes, ils se réduisent à la trilogie cyclique (la
lance. la vache, la femlll<:) ct au triptyqne héroïque (le héros, le destrier, l\\mnlO). S'agiss'\\Il\\
de l'épopée d'El HadJ Omar, on Ilote les mêmes invariants, mais sous d'autrcs sens auxquels
vicnncll! s'ajouter la trilogie cultuelle (la loi. la voie, la vérité) et le triptyque initi;llique (le
CheIkh, le Prophète, Dieu). Ayallilargement développé ces invariams thématiques au di5but
de l'étude, nous y renvoyons le lecteur.
30 ) l'ERSONNA(;ES INVARIANTS
Tout d'abord, le héros el son double épique: Silaamaka èt Pullooru, El Hadj
Omar et ses deux homonymes Alpha Oumar Thiemo Bayla el Alpha OUll1ar Tltierno Mollé.
Christiane
Seydoll
en
a
recueilli
sepl
(7),
Amadou
Hampalé
13à
une
(1)
Gilbert
Vieillard.deux (2), le père Gérard
Meyer une (I).
Parmi
les
cemaines de
versions de
j'épopée d'El
Hadj
Omar disséminées il
travers
l'aire
du
jihâd,
nous
avonS
recueilli
une
vingtaine
de
versions
fragmentaires
cl
douze
versions
apprécillblcs
: auprès
de
El
Hadj
Mamadou
Abdoul
Niàganc de Ndioum
(Podar). Thilhié Dramé de Nioro
(Mali).
Dcmba
Hamme
de
Nioro (Mali).
Mamaduu Sambou de Nouakcholl (R.I.M.), Thienlll
Mâmoudou DIa de Dakar, Demba San de Dakar, Abdoul
Ala Seck (Podor), El'
Hadj
Amadou
Oumar
Thiam
(Dinguiraye),
Et
Hadj
Makki
Thiam
(Dinguiraye),
Sadio Sow (DhabalOu), Abdoul San (Médine),
Alrnamy
Diallo
(Kayes).

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
55
Le l\\riot ptout remplacer cette fonction, par exemple Hal11-Bodêdio et Kô Bouraïma Kô,
Samba Guélâdiégui et Séwi. Deux autres personnages accompagntont toujours les héros:
l'anllto et le chtoval, doués de puissancto occultto, que suggère du reste leur nom symbolique:
"M:liéfique" et "Scarabée d'or" désignant la lance et le chtoval de Silaamaka, disent
éloquemment leur fonction. El Hadj Onlilr avait enfDurché "le secours", s'appuyant sur un
bâton de pélerin l, plus puissant qn'une lance puisque provenant des Lieux Saints de l'Islam.
Vivanl intensément les catégories de la démtosure, les héros peuls obéisstont à
la loi de la mobilité permanelllto, d'où la variation des champs dto bataill<::. So\\llcilés par le
sens de l'honneur, la voix de l'orgueil ou la voie de l'Islam, ou par l'héroïsme, Silaamaka
Ardo, Harn-Bodêdio, Samba GuéIâdio Diégui, Guélâdio, El Hadj Omar el ses jihâdistes sont
obligés de parcourir de vastes territoires. Si Silaamaka mourut sous le caïlcédrat qu'il avait
planté dans la concession de Ardo, l'nllooru disparut dans le cosmos.
Samba représente cependant le héros qui porta le plus loin possible l'héroïsme
peul païen. D'après la version recueillie par Equilbec2, en partant chez Elel131i Jikri, Samba
confia sa mère et celle de son caplic' DDungourou au Tounka (roi) de Tiyübou. Après son
départ, le roi soninké les transfonna en savantes, les obligeant ainsi à mendier pour vivre.
De retour de chez Elcl Bil Jikri, Samba sacc;lgea Tiyâbou et administra au Tounka une
correction exemplaire, qui du reste enrichit le poular d'nn proverbe: "Ngal TunKa e
Tiyaabu"J (comme la bastonnade quc Tounka reçut à Tiyübou). Cel adage s'emploie pour
désigner un châtiment inoubliable. Sa base historique dénote les multiples déplacements dc
Sam ba.
Le jilJfld ûmarien, Cil raison des dimensions peu communes du Saint-Empire,
olïre le plus grand nombre de lieux il J'action épique. Des rives du Sénégal aux rives du
Niger, ks jihâdisles se ballirenl cOlllre les Fr;\\nçais à Médine, pour le contrôle du f1wve
Sénégal; et contre les païens ou hypocrites au l3ambouck, ;IU Kaarta, au K inglli, il Ségou
enfin contre l'Empire peul du Macina soulenu par Tombouctou. Autant de champs dc bataille
qui inspIrent à l'épopée ses envolées les plus lyriques. Elles ont enrichi la langue poular de
IllOiS hoançais b~unbaras. mandingues, lllaures.
J
Cc bâton se trouve aujuurd'hui
à
Bandiagara.
Placé ainsi
que les reliques
d'El
Hadj
Omar sous l'alliorité dll
plus ancien petit-fils d'Omar résidant à
Bandiagara, il est l'objet d'une
grande vénération.' Nous j'avons Vil lors de
notre passage dans celte localité en 1985.
2
Equilbee (F.v), op. C;I.
Mot à mot: comme celle de Tounka à Tyabou

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ETCLASSIFICATION
56
50) LE TE~IPS DU 1{(~Crr
<
La narration épique choisit toujour, un temps symbolique, qu'il s'agisse des
geslCs paYennes ou de celle du jihâd. Régi par la loi d'airain de l'honneur, le héros peul
refuse la lrahison, c'est pourquoi il sc bat, le plus généralement en plein jour: petit-matin,
zénith, coucher de soleil. Les jihâdistes, comme leurs ancêtres, évitent de surprendre autrui,
car la lâcheté déprécie l'héroYsme. Par ailleurs, il est difficile d'analyser ici le temps du récit,
si j'on entend par temps celui de la narration griotique, qui en passant par le filtre de la
traduction change généralement beaucoup. Néanmoins, nous étudierons ce temps dans le
corpus de la thèse.
En somme, le tronc commun des épopées reules et de la geste du jihâd
révèlent la présence d'une concordance thématique, nuancée par une série de variations des
schémas narratifs.
II - LES BRANCHES DIVERSES
La variation des schémas narratif, a suscité quelques branches diverses,
fondant des récits secondaires, des personnage, originaux, enfin des lieux el des temps
extraordinaires.
ID) LES fŒCITS SECONDAIRES.
La structure du mythe héroYque défiuit l'épopée comme un miroir social, où se
reflètent à la fois les héros et l'humanité moyenlle. Cela explique que, malgré l'imposant
poids des héros, tous les autres types sociaux défi lem au cours de la narration, créant aillsi
ries récits secondaires très vivants. Dans l'épopée de Samba Guélfldjégui, ['exil permet ail
preux de combattre Elel Bil Jikri, mais aussi le Tounka de Tiyahou. Silflmaka multiplie ces
récits pour faire ressortir un trait psychologique uu sociologique: la place du Ilwabo dans la
société justifie la tin tragique de Sil:îmaka, la bravoure ignore les sexes et les castes, ce qui
explique la témérité de Hourêra la serve, et le courage précoce de Aminata, la fille de
Siliimaka. De même, l'image de la femme fatale justifie les figures de 13andfldo - Ardo et
Bandfldo - Abdoullaye.
L'épopée d'El Hadj Omar fourmille de récits secondaires, perrnettallt au griot
d'introduire l'auditoire au coeur des réalités du nouveau pays à conquérir ou du roi à abattre.
Ces récits commencent dès \\a naissance d'Omar, laquelle coïncide avec la bataille de

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFlCAl'ION
57
Rongoye 1, o[J[Josaml'Almamy du Fouta au Damel du Cayor. Par ce biais, le récit inscrit le
destin d'Omar au sein du jihâd, mais aussi désigne le Damel comme un païen.
Plus lard, Omar visitera la Casamance et sera bien reçu par Môlo et sa mère
Eggué. La bénédiction du marabout permit à ces captif de régner sur une partie de la
Casamance jusqu'à l'arrivée des Français. L'épopée en profite pour présenter le pays et les
activités des hommes: des chasseurs impénitents. D'autres récits introduisent au Sine-
Saloum, en Gambie, en Guinée Bissao, en Guinée et en Mauritanie. La trahison des gens du
Bosséa donne également une idée des réticences et des inimitiés causées par le jihâd.
La lutte contre le ~aarta fait dire à l'épopée que les Massassis pouvaient se
métamorphoser en chiens dans certaines de ses versions. De même, les sept années de lutte
qui opposèrent l'année du jihâd aux lanciers Diawara de Karounka suscite un récit curieux:
Karounka doit son invincibilité à une femme djinn, FNE Diarra 2 qui, en outre, ne possède
qu'un sein.
Les empoignades, qui opposèrent le jihâd au royaume bambara de Ségou,
sont rapportées par les versions lOucouleurs comme une sorte de lutte entre la parfaite magie
et l'orthodoxie islamique: Ségou possède un feu incandescent selon l'épo[Jée toueouleur,
toujours ardent, où poussent des tiges de mil continuellement vertes; un lait frais qui ne
caille jamais; un petit singe qui babille sans cesse; tout ce monde magique se dissipa
cependant à l'arrivée d'Omar.
La geste du jihâd, évoquant le Macina, met en gros plan la solidarité peule. En
eelet, c'est grâce à la complicité dcs femmes példes que les princcs du Macina, emprisonnés
par El Hadj Omar à la suile d'un complot éventé, purent s'évader. Les Maciuankes,
apportant le repas aux illustres prisonniers, mirent des haches dans leurs calebasses,
permettant ainsi à Bâ-Lobbo et Abdou Salam de s'enfuir. L'épopée du jihâd draÎne ainsi une
somme importante de récits secondaires, par exemple ceux relatifs au contact avec les lettrés
du Fouta-Djallon sont capables de remplir plusieurs ouvrages.
A tout prendre, les ép0[Jées peules et la geste du jihâd accordent une place
prépondérante aux récits secondaires. Conçus comme des sortes de tiroirs, ils représentent
des récréations pour le griot. Vus de l'intérieur, les récits secondaires assument une double
fonction: cognitive et esthétique. Un récit uniformément axé sur la vie d'un héros à beau
passionna l'auditoire, il finit à la longue par le lasser. Pour ménager un certain plaisir dans
ie contact aVéC l'oeuvre, l'artisan du verbe use de discontinuité thématique en brossant une
':ontrée ou en croquant un héros. Dans tous les cas, les récits secondaires se greffant de la
,one au récit principal, empêchent tout ralentissement de l'action.
Verdat (M.) op. cit.
2
Voir DIENG (S.), L'épopée d'El Hadj Omar. Approche litléraire ee hiscorique,
Thèse de Doctorat de lHème cycle; Dakar, 1984, T. 1. p. 253, v.1280.

CHAPITRE 1 - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
2°) LES PERSONNAGES ORIGINAUX
Dans les épopées peules traditionnelles, les gens de caste (griot, maabo,
cordonnier, forgeron, bûcheron), les êtres difformes et les génies forment la catégorie des
personnages originaux. Ce sont des êtres intouchables: Séwi échappe aux intrigues de
Konko dans Samba, pour avoir git1é un maaoo, Silâmaka Ardo doit mourir symboliquement
et physiquement. La femme et l'enfant complètent le tableau, dominé par les maraoouts et les
devins. Silâmaka fut victime, selon les versions, d'un enfant incirconcis nu, d'un enfant
albinos, ou d'une femme. Les marabouts et les génies, vivant sur deux plans différenrs,
dominent toute l'humanité, sauf les héros qui généraiemenl - Samba, Silâmaka - les tuent
après avoir bénéficié de leur science, craignant d'autres concurrents également at"més.
L'épopée d'El Hadj Omar connaît aussi ces personnages originaux: le griot
Farba Gouwa, qui agit et parle en alter ego du Cheikh; Ahmadou, le fils d'El Hadj Omar,
qui, jeune, étonnait tout le monde par sa science et sa profonde spiritualité. Après le fils du
Cheikh, son captif Bâtou Dembélé fit preuve de beaucoup d'originalité en ouvrant les
hostilités à Thiâyawal. En effet, l'ultime combat contre le Macina fut précédé de la bataille
des deux esclaves des chefs d'am1ée El Hadj Omar ct Ahmadou Ahmadou: Bâtou Dembélé
et Yaranka Tamooura.
Le jihâd a aussi des géomallciells, la version de Thithié Dramé l'ail dériva la
défaite de Karoullka Diawara du recours d'El Hadj Omar au service que Ardo Aliou
Ndiéréby lui rendit gratuitement en usant de magie noire. Il convient aussi de signaler les
agents mythiques que l'épopée populaire prête au Cheikh: un serpent et un oiseau. Ces
êtres, selon les sources, expliquent le succès du jihâd : la fin de la guerre sainte correspond
aussi à leur mise à mOll par la coalition macino-lOmbouctienne.
En somme, les personnages originaux participent d'une certaine volouté du
narrateur de varier les. perspectives. Ils fonctionnent, par conséquent, comme des contre-
poids chargés de fixer des limites à la nature humaine du héros. Leur existence et leurs
actions contribuent puissamment à humaniser l'atmosphère épique.
3°) LES LIEUX ET LES TEMPS.
La caractéristique la plus saillante de l'épopée demeure l'omniprésence du
1I1erveilleux. Celui-ci soumet les êtres et les choses qui la peuplent à sa loi d'airain. Le temps
et l'espace n'échappent pas à la règle, et accusent alors un autre sens. Les gestes peules se
déroulent le plus souvent dans un espace symbolique: la bataille de Bil Bassi dans l'épopée

CIIAPITRE 1- INVENTAIRE ET CLASSI FICATION
59
de Samba Guélâdjégui 1 sacralise à la fois Samba et Bil Bassi : le héros en son vainqueur et,
il panir de là, il esl comparé à un soleil qui domine la nature. Bil Bassi aussi devient un
<
cspace sacré, un lieu de pèlerinage qui allire encore des foules. Silaamaka Ardo meurt, de
son côté, sous "le petit caï/cédrat ,,2 qu'il avait planté selon certaines versions, alors que
d'alltr~s affirment que ce fut sous le piquet de son cheval3. Dans tous les cas, il mourut dans
la concession de son pèrc, espace qui l'avait vu naître. De même, pour venger la mère de
Douce-Etreillle, Ham-[lodêdio quitte Goundaka pour Sâ. Là, il extermine la ville et ramène le
roi, Amirou Sâ, puis la rcmet à celle qu'il avait humiliée..
L'épopée d'El Hadj Omar possède aussi ses lieux symboliques. Avant tout
Omar naquit dans un village béni: Halwâr qui comptait un marabout dans chaque maison. Le
,
Fouta-Toro, pays d'Omar, venait d'instaurer l'Almamyat ou théocratie, et par conséquent
avait décrété un jihâd tous azimulhs contre les païens et leurs alliés. Dès lors, la naissance
d'Omar changea la physionomie de son village en suscitant un cours d'eau, délivrant par la
même occasion les habitants de la corvée d'eau qui éwit leur lOlo Cheikh Omar, à la tête de
['armée du jihâd, disparaîtra soixante-dix-ans plus tard, dans les falaises de Bandiagara, dans
la grotte de Déguembéré4
Entre "Njaajalol", le marigot de Halwâr et la grotte de
Déguembéré, l'épopée du jihâd cite plus d'une centaine de lieux merveilleux: toutes les
grottes situées en Sénégambie sont prêtées à Omar. La geste n'oublie pas les Lieux Saints de
l'Islam auxquels s'ajoutent, naturellement, les champs de bataille: Kolomina, Karêga,
Woytêla, Thio, Tyâyawal. La forte empreinte mystique qui marque le jihâd, renforcée par le
merveilleux, ne pouvait qu'inspirer au griOl un espace extraordinaire, à la dimension de la
démesure d'Omar ct de ses jih<Îdisles enturbannés.
Le temps aussi accuse des caractères épiques: mythique et symbolique. Ainsi,
pour combattre l'année de Sâ, Silâmaka se lève-t-il à l'aube, pour éviter le désagrément de la
surprise sans doute, mais surtout parce que le matin porte chance. Par contre, Poullôri rentre
au crépuscule du voyage que Silâmaka l'envoya faire et à l'issue duquel il apprit la funeste
nouvelle de la mon de son ami. Les d,;ux moments choisis - aube, crépuscule - désignant,
dans la pensée négro-africaine, avec le zénith, des moments extrêmement dangereux, parce
qu'instants favoris des génies ct des esprns.
L'épopée d'El Hadj Omar illustre cette conception du temps, puisqu'elle
commence par un temps mythique et se tennine dans l'éternité où elle installe son héros dans
LIlle saine apothéose. En d'autres temles, " l'oiseau qui voltigeait .. entre ciel ct terre, devenu
1
Equilbec (P. V.), op. cil.
2
Scydou (C.), op. cil., p. 135.
3
Id., p. 233.
4
Nous avons
visité aussi
bien· Ndiâdialol que Déguembéré.
Jusqu'à ce jour,
ces lieux attirem
Ulle foule de pèlerins musulmans ou de simples tourist"s.

CHAPITRE l - INVENTAIRE ET CLA SSIFICA TI0 N
60
jihâdiste plus tard, disparaît "au zénith de Bandiagara" 1 en une heure Imprécise. Du temps
mythique à l'apothéose, les autres variations temporelles vont recourir au temps historique et
,même à des anachronism&'Aussi pour effacer de la mémoire collective la défa~subie à
Médine en 1857, la geste du jihâd, faisant fi de toute chronologie, fait-elle de Faidherbe un
imâme incirconcis qui berna les gens de la Mecque, en abusant de leur naïveté. Il fallut
l'arrivée d'El Hadj Omar pour démasquer le coquin qui fut démis au bout de son premier
septennat. Cet anachronisme se justifie avant tout par la logique interne de l'épopée. Celle-ci,
bien que jouant sur des oppositions, refuse toujours d'enregistrer ses défaites. Dès lors, la
bataille de Médine, qui fut un désastre pour les jihâdistes, se voit réinterprétée dans une
perspective glorieuse, donc dans celle de la guerre sainte triomphante. Mais l'homme
Faidherbe aussi explique cet anachronisme:
" La légende dit que Faidherbe a dirigé la prière à la Mecque pendant 7 ans et
que c'est grâce à El Hadj Omar, que les Mecquois ont su qu'ils avaient comme
Imâme un infidèle, un homme qui n'était pas circoncis."
Voici ce que nous révèle un vieil instituteur:
"Comme l'Islam était fortement enraciné dans le bassin du fleuve, Faidherbe,
au retour d'un voyage de France, avait fait .courir un faux bruit par ses
proches collaborateurs selon lequel il revenait de la Mecque. Son objectif était
de créer un effet psychologique dans l'esprit des musulmans de l'époque: il
pourrait ainsi exploiter leur fanatisme et passant à leurs yeux pour un être
surnaturel, une espèce de saint, dans le but de les subjuguer"2
L'épopée d'Omar reprend toutes ces légendes et les intègre à son projet.
ID - VARlANTES A L'INTERIEUR DE CHAQUE BRANCHE
En bien des points, l'épopée est comparable à l'homme. A son image, elle
naît, grandit et meurt. Mais, entre temps, elle se renouvelle constamment. Les variantes
semblent assumer ce rôle de rajeunissemem. Dès lors, le goût de la libre créativité a scellé à
jamais le destin de l'épopée avec ses variantes. Comme les autres gestes, les épopées peules
1
Version de Thithié Dnimé, griot omarien. spécialiste de la version de Nioro.
2
Bà (O.), La Pénétration française
au Cayor, qui était Faidherbe
"Ndiaye" ?
Tome I. Documents inédits pour servir à histoire de l'Afrique, Recueil n° 2,
Dakar. Sénégal, 1976, p.724.

CIIAPITRE 1-INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
6 l
ne vivent quc de variantes, dont l'élude exhaustive exige de longs développements. Nous
proposons, en lieu el place, l'examen de quelques exemples lypiques, assez représentatifs de
l'ensemble.
Silaarnaka Ardo, prolOlype de l'héroïsme peul, a inspiré de nombreuses
varianles. Nous en retenons deux, siluées dans les branches qui relaient son assassinat et Je
SlUlut servile de Pullooru, RacOnlanl l'épopée du Prince, la gesle se cristallise autour de
quatre phases, constituant un noyau narratif de base: naissance, initiation, épiphanie de
Silaamaka et apothéose de Pullooru l, L'épiphanie de Silaamaka connaît des fortunes
diverses 2 Si son assassinat figure dans tOllles les versions, l'identité de l'assassin et le lieu
du meurtre va,rient. On admet qu'il mourut dc la flèche funeste décochée par un enfant
inclrconcis, nu,
D'autres griots soutiennent que c'esl une jeune tille qui lui décocha la fameuse
flèche, ailleurs c'est un enfant monté sur un "barkéhi"3 Dans ces mêmes versions, la tin cie
l'assassin pose problème: l'enfant tombe de J'arbre et se tue; foudroyé p,u' le regard de,
Silâmaka il tombe et ses os se bnsenl; enfin, d'après une autre branche, l'enfant tombe et le
cheval de Silâmaka le piétine.
Le rang social de Poullôri, aussi, lui suscite quelques déboires: les versions
cilent trois occasions au cours desquelles le noble rappela au captif son statu\\. Ces occasions
occupent aussi une place de choix dans la trame événementielle de la geste: " c'est à propos
de ces trois occasions que se rencoutre le plus grand nombre de variantes, bien que l'épisode
lui-même <Jpp<Jraisse dans les sept versions sans exception"4, ces Irois occasions som les
suiv<Jnles :
- En voulant enfiler ses pieds dans les chaussures de Silâmab, Poullôri se vit rappeler à
l'ordre: les pieds d'un esclave étant généralement plus longs et larges que ceux d'un noble,
il risquait d'abîmer les chaussures du Pell!.
- Se baign<Jnt dans une mare, les deux héros aperçurent des femmes peules, alors Silâmaka
deillanda à Poullôri de lui apporter son boubou, car un noble ne doit j<Jmais être vu nu par
lIne femme noble, ce qui, cependant, n'est interprélé que comme un spectacle banal dans le
cas d 'u n esclave.
- Silâlllaka demanda qu'on lui amène la plus belle serve du pays. on lui présenta Hourêra
Maïrarn. Le Peul condui avec elle un mariage, A la fin des festivités, les invités se retirèrent,
quand Poullôri VOlilul panir, il sut à ses dépens et en des termes amers qu'il était esèlave :
Poullôri
ou
Pullooru
désignent
la
même
personne.
2
Cf Seydou (C), op ClI. , p. 257, note l.
:\\
"B"rkéhi"
ou
"Barkéwi"
(Piliosligma
rellcu{alllm;
Piliosligma
rhonningii):
arbre
de
la
zone
sOlldano-sahélienne.
4
Seydou (C), op. cil.

CHAPITRE [ - INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
62
"Eh 1 dis donc 1
Eh ! Poullôri, tournc-toi, rcviens, rcste !
Quand bien même il n'existerait plus de V<lchcs des l'culs n'iraicnt pas garder
les hyènes. Ils fcraicnt n'importc quel aulre travail!
Si bclle que puissc être une servc, si je lui prcnds la jambe, ce sera pour y
mettre dcs chaînes ou une eordc !
La beauté d'une servc ne me la fera pas épouser pour autant !
Je ne vois même pas la beauté d'une servc.
Il faut que tu comprennes '1uc si j'ai amené une serve ici, c'est pour loi.
Poullôri, lU as vu conlllle clle est bclle ; mais lU sais que je l'ai prisc pour
ferDille, pour moi-même: toi vivanl, coucherai-je avec une scrve" 1 ?
C'est au Illoment Oll, de retour clu voyage effectué sous j'injonctioll de SI/Il
ami, ct après avoir tué Ic l'cul sosie dc Sil~[]laka - fallx fabriqué dc loute piècc pour lempùel'
son ardeur -, que Poullôri rappclle il sa conscicnce nlCUririe, ces doulourcux instants, les
trois fameuscs occasions:
. - " Il épousa une scrve, il fit commc il convenait et la mit dans sa case"2 ct lui
dit:
"Tu sais bien, Poullôri, que je n'épouscrai pas unc serve dcvant toi 1
C'cst pom toi 'I"e je fcrai ce mariagc"".
- Comme lcs deux compères mangeaient dc la bouillic, Je Peul dema'lda
auparavant il Poullôri d'apponer dc l'eau, car celte tâche revient à l'csclave.
- Surpris par l'orage, Poullôri voulut chausser les chaussures de Silâmaka,
celui-ci le lui intcrdit: "Poullôri tu sais bien que tes pieds n'entreront pas dans
mes chaussures"4
En additionnant ces deux séries de variantes, on obtient qualre occasions au
lieu dc lrois.
L'épopée du jih~d connaît aussi certain nombrc de varianles à l'intéricur des
branches. La guerrc sainte s'étant traduite par l'cxistence de vainqueurs cl de vaincus, il est
normal que chaque camp suscile dcs versions, créant ainsi deux gesles parallèles aliX
multiples variantes.
1
Scydou (C). op. cil.,pp.
159-16 L
2
Id., p. 259.
3
Id ..
p.261.
4
Id .. p. 2GL

Quelques exemples mérilelll d'ètre rappelés. De relour de Pèlerinage, El li adj
Uillar pas,a par le Sokuto, le Macina. Ségou, le Foula-Djallon avant de retourner chez lui an
hllilil-Toro. Dans toules ces localités, le passage d'Omar revil encore sous la forme de récilS
contenant des variantes. A ce tilre, le royaume bambara de Ségou apparaît cornille un cas
typiqne. Les versions populaires sOIJliennerH que Cheikh Omar fut retenu prisonnier à Ségou
par le roi bambara Tiéfolo, expliquant du coup l'invasion du jihfld comme une vengeance.
D\\nllres versions aftïrillenttju'une fois prisonnier de TiMolo, Cheikh Omar réussit à gagner
fi sa cause le roi et sa soeur qui tïnirent par devenir ses disciples. Par contre, d'autres sources
attribuent la libération du Cheikh aux "Kumaa" (marabouts) de Sansanding qui, aIr fait de sa
puissance mystique, avertirenl .liors Tiéfolo, leur <lisciple, le priant de lihérer l'illustre
marabout, incarcéré fi l'insu du grand public.
1"'épisode du KililI1a présente également un certain nombre de varianres : alors
'Ille le grlOI Thithié Dramé, suutient avec "orce qu'il n'y eut point de bat3ille à Nioro, de
nombreuses ver,;ion,; tOliCOUIeUrs affirment le commère. De même, la révolte de Kamunka
Diawara dll Kinglli a des fondemenls différents d'un camp à l'autrc : Karollnka se semil
révoilé parcc qu'il ne recevail yu'une portion congrue du bulin de gucrre, obtenu en panie
grâce à ses soldats, d'après les vcrsions qni lui sont îavorables ; l:lndis que le c3mp opposé
dil eX3ctel1lCntle COll 1rai rc : KaIOunka refusait de partager loul ce yue ses soldats ubtenaien\\.
Mais c'esi la dis!Jarilion de Cheikh Ol1lar y"i constitue la partie ayanl inspiré les plus
Ilumbreuscs varianles. On peut les résumer ainsi;
j.Jre:..:st. par l'ennemi, DInar se sc.rait suicidé
- En ~rHTallt Ù,lIlS la gruue <le Déguembéré, Omar avait, par devers lUI, lin baril de poudre; ce
dernier aurai( explosé et l'aurait lUé..
- Une fois victorieuse, la coalilion des anciens vaincus (Macina, Ségou, Tombouctou) aurait
oouché l'enlrée de 13 grolle avec des hranches sèches et des feuilles el aurail mis le feu,
C3usant de la sorte la mon par 3sphyxie du Cheikh.
- Le Cheikh s'csl envolé, enfourchant un cheval blanc ponr se jeler dans les bras de
l'Eternd.
- Le Cheikh Omar a disparu mystériclIscmem dans la grolle de Dégucmbéré, apparaissant de
lemps fi autre sous d'au Ires visages. C'est là une récompense digne de son jihâd, d'après la
même variante.
Signalons encore que la geste du jihâd contient une foule de variantes à
l'inlérie,,r des branches. Nous avons idcnlitïé vingt et lin fraglllents préSenlal1l au moins
'!u<ltre types de récils : les versions savantes, les versions populaires, et à chaque fois une
dOllble vision, celle des vainyneurs el celle des vaincus. Ces van3ntes décrivent la slmctllre
d'une autre épopée parallèle 311 récit principal.

C1IAPITI!E 1- INVENTAIRE ET CLASSIFICATION
En gros, la posiliun cJ~s varialll~s par rapport à la narration ~piqLle, kur sens et
kurs implications, signalent une oeuvre originale. La geste s'enrichit ainsi des différences
<
'1u'clle suscite. Les variallIes diversifient alors le récit, en lui ouvrant de multiples
possibilités. Ali lcnnc dc "analyse, on note '1uc la classification de la matière épique fournie
pal les lillératures peulc et omarienne fait apparaître une même Ihénwtique, distribuée
différemment: par exemple "actant verbal dans l'épopée du jihfld est souvent sujet ou
complément dans les versions tr:lditionnelles. La lance, la vache, la femme clnll1genl
automatiquement de statut en passant de "['aristocratie de la lance el de la hOllleue"1 à
"l'aristocratie du livre"2 Une telle concordance thélnalique a engendré une série d'invariants
aux schémas narratifs divers.
Ali tenue de ce chapitre consacré aux rapports que ['épopée d'El Hadj Omar
entretielll avec l'épopée l'cule, il se dégage les poillIs saillants suivams :
- Véritable épopée peule, la geste d'Omar en illustre les principales constantes
trilogie
cyclique, triptyque héroique.
- Epopée originale, die dépasse l'épopée païenne en s'islamisanl, Cl par ce fail récupère les
valeurs profanes positives pour les réinterpréter en fonction de la nouvelle foi. La geSte qui
en résulte efface l'idéologie peule païenne et la remplace par une conscience religieuse
musulmane.
- Située au canefour de l'oralité et de l'écriture, la formation coranique des griots, nés dans
la l!Jéocratiè, l'émergence du Coran, la force de l'idéologie isl1llniquc suscitent l'écrilure dans
Ilile société essentiellemcnt orale. Désonnais, écrit et oral marchent la nlain dans la main: la
gr<lphie :J.ral::x..~ transcrÎt le pouLJr, le ll1i.lflllxHlt penJlt:l ,lU griot de déc!anlLf la poésie religieuse
el de l'accompagner à la guitare.
- E[lopée aux lIIultiples versions, la geste d'Omar est cependalll réductible à lJuellJues
Învananis réClIITents.
Ces CX{HCSSIOns sont de Amaùou
Hampalé Bâ.
2
Id.

CHAPITRE Il
LA FORMATION DE L'EPOPEE D'EL HADJ OMAR

Genre noble de la littérature orale, l'épopée se présente comme une longue
narration de failS historiques poétisés. Partant des exploits d'un héros, l'imagination
populaire crée une fiction poétique soigneusement élaborée, qu'elle dote des valeurs
fondamentales de la collectivité; tout en faisant appel aux autres genres oraux. La formation
de l'épopée d'El Hadj Omar obéit au même principe. Son étude implique un examen des
formes littéraires pré-existantes, de ses modes d'existence et de diffusion, enfin de son point
de départ historique.
A - FORMES LITTERAIRES PRE-EXISTANTES 1
La littérature pulaar lùurmille de genres encore très vivants. C'est ainsi que
,.
des artistes talentueux et des maîtres chevronnés donnent encore aujourd'hui des spectacles
de très haute tenue, meublant les journées et les soirées des paisibles paysans. La
caractéristique essenticlle et durable de cette httérature reste sa profonde islamisation, malgré
quelques réticences. En effet, l'adoption de l'Islam se traduistl paf la mise en place d'une
ligne de démarcation très nette elllre les genres. La conséquence du duel opposant tradition et
nouvelle religion engendra ainsi deux lùrmes d'actualisation:
1
les genres traditionnels
Il
les lùnnes islmniq ues
qu'il convient à présent de passer en revue.
1 - LES GENRES TRADITIONNELS
Par genres traditionnels, il convient d'entendre des créallons populaires
léguées par les ancêtres, répandues dans le telllps el dans l'espace, assimilées par un vaste
public, objets de recréation et de variation. Leur étude tentera de donner une idée du
dynamisme qui les sons-tend d'autant plus qu'en société "haal pulaar", la typologie des
gemcs traditionnels est rendue aisée du fait que les formes épousent généralement les
contoltfs des fonllations sociales.
Nous
préparons
cn
cc
mOlllent
un
ouvrage
sur
la
littérature
poular,

nous
souhaitons
trailer
longuement
de
la
lhéoril:
des
genres
et
de
leur
pcrformance.
Ce
chapitre
ne
constituc
donc
qu'un
brcl'
aperçu
des
questions
complexes
que
nOLIS
analysons
ailleurs.

LI 1111>1 1 I{J: Il - LA HJIUv!ATION DE L'EPOPEE
6
]0) LES CENRES SPECIFIQUES
Le genre le plus anciennement connu est associé il l'activité des chasseurs. Ce
,ont des chants qui po.rtent le nom de "keronde" ou "keroocPe". L'étymologie de ces mots
pose encore problème. Nous n'avons rencontré aucun témoin capable de nous donner le sens
de l'objet désigné par le mot "keronde". Par contre, son synonyme "keroocPe" vient du verbe
"herde", qui signifie en poular caqueter. Ce verbe s'emploie pour désigner le caquettement
des poules ct des pintades erl pleine conception. On sait, par ailleurs, que les grandes battues
concernaient surtout les pintades. JI est possible de conclure que l'objet de la chasse a fourni
le nom du genre poétique. Le dernier problème que pose le mot "keroocPe" est d'ordre
formel. En effet "keroocPe" est la forme plurielle de "herde", or c'est là un cas très irrégulier,
car sous cette forme verbale, le pluriel se marque par le suffixe "je" ; dès lors on devait avoir
"kerooje" et non "kerood'e"
Mais qui pourra résoudre la question puisque le genre à presque disparu?
Naguère encore, Kêkouta, le maître incontesté des "kerood'e" déclamait son riche répertoire
pour ses concitoycns, babirants des environs de Kaédi, dans la vallée du Sénégal. II vient de
s'éteindre emportant avec lui son art et sa science. Le "kerood'e" n'a pas pour aUl<lnt échappé
à la mémoire de l'homme de la tradition:
"Bismillaï arahmani 1
Gid'o alla ma rokkimi ngul"ll goal
GicPo alla [nO rokkimi nguru gool yoo
Ko tirdumi mbaggel wellndoogo,
mbaggel mbamu jaawle 1',2
La transcription étant quelque peu défectueuse par endroits, nous l'avons
repri::;e, tandis que nOliS re.pnxJuisons en enlier la lraùuclÎoIl.
"Au [wm de Dieu, le Clément, Je Miséricordieux
Qui me donnera une peau de veau
Qui, oh 1 qui me donnera ulle peau de veau
Afin que je confectionne le petit tam-tam des aurores,
La
force
de
l'idéologie
CL
de
la
doclrinc
islamiques
POUSSCIH
les
artistes
el
les
arlisans
du
verbe
à réinterpréter
leur
art
cn
rOllClion
des
exigences
.
)
nouvelles.
lei
le
premier vers
du
kc rDD cfe reprend
1e premier
versel
de
la
première
Sourale
du
Coran
intitulé "AI-Fiitiha"
ou
"L'ouvranle","
La
Liminaire" .
2
Guèye (T.Y.), AS/JCcts de la litléralUre poular, Nouackcholl,
1983.

\\~! L \\.Yi! l,!: j 1 . L/\\ j-UJ<M f\\ l'IUN DE t."EPC)i"EE
le petit tan Ham des foules de pintades 1... ,,1.
'.i.
Ce prélude invariable, sone de salut à la forêt, était récité par tout chasseur,
puis venaient d'autres compositions sur des thèmes variés, mais généralement axés sur les
qnalités d'un bon chasseur et sur la nature dn gibier à aballre. Des incantations, connues des
seuls initiés, devaient clore la panie, car la brousse représente un univers clos, Ol! le chasseur
reste soumis aux génies et aux fauves; pour échapper à leur emprise, il doit s'armer en
conséquence. Les "kerood'e" résument artistiquement l'univers de la chasse.
Un autre genre se signale par son ancienneté; celui des guen'iers ou senne: le
Gumbalaa ou kontimpaaji ; cette dénoll1ination des chants de guerre leur vient du Fouta
Central, alors que les autres régions du pays les appellent "jimd'i peya yiiyam" ou " chants
de sang", sans doute parce qu'on les déclamait au son de tam-tams royaux "baud'i al,ullari"
ou tam-tams du satigui, appelés aussi" baud'i peya yiiyam" ou "tam-tams de sang".
Le "gumbalaa" est un poème épique qni exalte les hauts faits des anciens
héros: bravoure, courage, endurance, stoïcisme. .'la déclamation pousse le "ccd'd'o" à se
mesurer à ses illustres devanciers par la générosité ou par un acte de bravoure. Il est reçu
que, durant les deux guerres mondiales, les Français mirent à profit la fierté des "senf)e"
enrolés, en favorisant dans les troupes la déclamation des "kontimpaaji".
1\\ existe de nos jours, fort heureusement, des interprètes éminents du
"Gumbalaa"qui se produisent à longueur de journée sur les ondes de l'ORTS et de
l'ORTM2: Samba Diop, Amadou Koly.Sall. Mais, le grand maître du "Kontimpaajl" fut
Alxloul Kanny, II n'a laissé aucun enregistrement. En revanche, son disciple Samba Maïram,
dont la voix troublailles coeurs et faisait ballre le sang, a légué à la postérité un fragment cie
"Gumbahta" relatif à l'épopée de Samba Guélfldiégui 3:
"A nanii ... ananaani golle dono Gelaajeegi ?
Samba e saysaynde
Samba laal\\ kinnji
Samba kinnji
Sarnba lan , sewi tan
Umrnu latorna
Be kirndi e beeli coowi
Guèye (T.Y.), ofJ.eir.
2
üRTS = olfiee de Radiodiffusion Télévision du Sénégal.
ORTM = office de Radiodiffusion Télévision de Mauritanie.
3
L'épopée de Samba Guélâdiégui ou la geste des se58e esi à la fois
\\lU
genre
spécifique
Cl
commun,
puisque
l'héroïsme
qu'clic
chante
transcende
les
groupes
sociaux.

CHAPITRE Il - LA fORMATION DE L'I:POPI:I:
Be mbaali e Mannayel...
Joom kowi joy, booli joy
.
Mo baaraadi sappo e jeegom
Alaa heen fol' ngu a dandaani nalaande
Nande kelle mbiri, mhirtii naange e Imore
Bulli Gaffa ... oulel yooi namaancle, ka nalawma ejelliis!"
Fragment épique clifficile à tracluire à cause des allusions et des jeux cie mots,
mais qui donne à peu près ceci:
"As-tu entendu ... N'as tu pas entencln Iparlerl des hauls faits de J'héritier clc
Guélâdiégui?
Samba et Saysayncle
Samba, le petit-fils cie Kindji
Guélâdio Kindji
Samba seul, Séwi seul
Onmou L1tOlna
Ils partirent de Bêli Thiôwi un après-midi
Ils passèrent la nuit à Mannâyel
L'homme aux seize montures
Chacune a connu un fait d'anlles avcc lui 2
Le jour al! cles applaudissements nourris crépitèrent
An puits cie Gafo ... Bulel paya sa clctle Icle sangj,
Cefutlejonrcle Djellîs!"
Le poète multiplic ici inventions pcrsonnelles et anachronismes; par exemple:
"Saysaynde" n'est choisi que pour ses sonorités, Iandis que "Kindji" donné pour un ancêtre
cie Samba, ne figurc dans aucune cie ses généalogies, le reste du fragment reste confonne aux
données généralement admises: Séwi, d'aborcl griot de Gnelâcliégui. père de Samba,
clevient, à la mari cie ce dernier, le Mentor du prince peul; Oumou Latoma désigne le cheval
de Samba. La juxtaposition des localités - Bêli Thiôwi, Mannâyel, Gafo, I3ulel. Djellis -
apporte à l'histoire la dimension spatiale qu'elle implique; en même temps qu'elle ressuscite,
aux yeux des spectateurs, les chevauchécs et l'univcrs des randonnées épiques. An très
vivant, le "gumbala" continue encore de fairc les délices des "Scf)oe", clcstinalaires premiers
1
Voir
notre
handothèque.
2
MOl à. mol: il n'y a aUCUlle, salis laquelle, il Il'cst passé de jour Imémorablel.

CHAPiTRE JI - LA FORMATiCI\\ DE LFPOPFE
"lU
de ces épopées, mais non exclusifs, puisque le genre transcende leur formaLion spécifiquc
pour embrasser tout le monde peul.
A leur tour, les Maabuoe ou tisserands ont élaboré un genre appelé "dillne"
Il s'agit d'une poésie sobre comme le "kerood'e", même si elle connaît un autre desLin. En
effet, le "dillere" a pu être recueilli, puisqu'il existe des artistes talellluenx, tel Onmar Gafo,
l'homme à la belle voix, qui le déclame sans cesse. En outre, le Fonta comptait de nombreux
spécialistes du "dillere". Un disciple de ces anciens maîtres, Samba AOCIonl Guissé dit lUba
Dionldé de Dabbe, près de Mbâgne, aujourd'hui installé à No.uakchott, donne ici un eXlrait
de l'art du poète tisserand:
"Semme e ndelu Ceene
Gei'i ogo! e Camalle
Dence enguraali
Koddel Dikko Demba!
Semme Sehi Laana
'Ro'Jki Gawyoowo
Gawyoowo dananooma
kono maayde d'acaani !
Alla yoo mi yii koddel dikko Demba
Seydi wuurde Demba Duguma
Ma Demme Maamo Ali to Semme! "
"Semme aux dunes de sable
Guétché aux nlgissements Demba
Oh ! Koddel l Dicko Demba
Semmé n'avait en personne pour la naviguer
on trouva un bon capitaine2
Mais la mort ne le laissa pas [diligerl !
Oh Allah! Qui reverra3 Koddel Dicko Demba Seydi Wourde Demba
Dougouma
Ma Demme Marne Ali de Semmé."
L'extrait se propose d'immortaliser un maître tisserand appelé Koddel Dicko
Dernba. Celui-ci s'était attiré la jalousie de ses quatre collègues, qu'il avait bailLiS
1
Koddel est un diminuLir de kodda qui signirie dernier né. cadct.
2
MOL à moL: on Lrouva quclqu'un pour dirigcr.
3
Mol à moL: Allah ! quc jc revois Koddcl Dikko Demba.

CIIAPITRE 11- LA FORMATION DE L'EPOPEE
71
publiquement au cours d'un concours de tissage. Ayant réalisé, à lui seul, l'exploit
consistant à tisser plus de pagnes que ses quatre concurrents, dans le même temps; ceux-ci,
<
se sentant humiliés, conjuguèrent leurs connaissances occultes et "liquidèrent" ainsi
physiquement leur rival. Les "maabube" décidèrent, dès lors, de composer un chant en son
honneur. Genre sobre, avons-nous dit, le "dillere" se définit par une économie de moyens
d'où l'emploi d'une sylllaxe de la juxtaposition, d'images, le tout étalll confié à la voix et à la
musique, instances supérieures, Disons, enfin, qu'on assiste aujourd'hui à un transfert des
genres spécifiques, allant d'un sous-groupe à l'autre. C'est ainsi que le "dillere" se voit
disputer aux "maabube" par les autres castes.
Les "subalbe" ou pêcheurs ont aussi créé un genre très Jlopulaire chez les
Toucouleurs; le "pekaan", une des formes les plus anciennes de la littérature pulaar. Il est
incontestable que le plus fidèle interprète du genre demeure Guellâye Ali Faii. Né aux bords
du fleuve, aux confins des royaumes aquatiques et de l'univers humain, le "pekaan" subit
'très tôt l'influence de l'Islam qui tempéra son élan pai'en. Guéllâye, né, vers I898, à Aram,
dans le Département de Podor, mounH en 197I à la suite d'une épidémie de choléra, après
avoir donné au genre ses lettres de noblesse. Son talent, admiré des foules, forçait le respect;
"On jugerait que cet homme est soni tout droit du fleuve, tant il en connaît la
topographie elle relief internes; de Saint-Louis à Bakel, pas un pouce du lit
du Sénégal qui ne soit dénommé, décrit et "chanté" quand il a été le théâtre
d'un drame" 1.
. ,
Son répenoire contiem un cenain nombre de compositions dont les plus
populaires demeurent; l'avemure tragi-comique de Balla Diérel, le wolof qui ne savait pas
nager; la légende élégiaque de Sêgou Bali; la légende de l3irome Môdy Komé ; le drame de
Ngaari dans la mare; l'aventure d'un ami du poète le long de la Falémé.
L'extrait de Sêgou Bali que nous citons donne une idée du répcnoire riche et
varié de Guellàye Ali Fall ;
"Seegubali, Seegubali yoo ec woy Samba 1
EDe Ielli leyla januna
Samba bamijll!Jngo nH1Il1 fawe kumba
Mbure2 yoo Kumba werlii ladde.
1
Guèye (T Y.), op. cil., P 37.
2
Mbllre, synonyme de KlIumba, nom de la deuxième fille en milieu peul, le
garçon correspondant
est
Samba.
Ce
rang confère
à
cellx
qlli
le portent

' 1
, --
Seegubali ! Seegubali !
o oami koyd'e makko 0 fawi e Kumba
Mbure yoo Kumba werlii ladde_
o wii : " rem me, ko d'Ulll woni remme 7"
o wii : " d'um kay a hoyniikam,
Nananooma kaa baawd'o e maayo
Debbo cubbal1oJof na yicl'i ardee gal1emaa,
Kono a oamii kam,
A wacl'ii tan yoo necl'cI'o heplu banndum,
yimoe nani njalami.
Mbele mbad'anaami gosi mo cubbal10 meecl'mmi
Wad'aneede d'oo"
o wii : " Seegubali yoo !"
Samba wiimo: "mi woondee woondoore mami warane leemedere ngaari."
o wii 010 : " Mi yid'aa"
o wii : "0 wii mallli warane gelood'i sappo"
o wii mo : " Mi yid'aa"
o wii mo : .. Mami da w jalJngo ladde mi fiya nagge maamaari
e Ngaari maamaari."
o wii 1110: Il Mi yicPaa"
o wii :" Mami fellu ngabu gorko ê debbo"
o wii mo : " Mi yicl'aa"
o wii : " Ko njicl'cI'aa 7"
o wii : "Njicl'mi tan ko Ngaari gawle naayaango, gaw de ne buucl'i dental
maamaari, ndiin barcl'o c1'um fof ko maayoowo, kaoaa e mayri."
Woy seegubali !
Woy seegubali yoo fewjanaama" 1.
"Sêgoubali, oh ! pauvre Samba
Alors qu'ils étaient couchés en pleine nuit Samba posa sa main sur Koumba
Mbouré, oh ! Koumba la rejeta bien loin.
Sêgoubali, Sêgoubali !
Il posa ses pieds sur Koumba
intelligence
el
ruse.
mais
en
contreparLie,
espièglerie
ct
polissollllerie
d'après la Ira'ciilion ! Ici Seegubali se nomme Samba.,
Guellâye
Ali
Fall.
Cf
notre
bandothèque,
L'ORTS
el
Radio
Mamilanie
détiennenl la
totalité des
principales oeuvres du poète el
les
diffusent sur
leurs
ondes.

Mbouré, oh ! Koumba les rejeta bien loin.
Il!ui demanda: " Cousine. chère ccmsine, qu'y a·l·il 1"
Elle lui répondit: " li y a que tu m'as déshonorée
Ta réputation de pêcheur émérite est solidement établie.
Toute femme pêcheur souhaiterait que tu l'épouses,
Mais lu a& obtenu ma main
Confonnément à la Iradition qui veut que la cousine revienne au cousin.
Je suis la risée de mes semblables.
J'exige de loi une bouillie l qui n'a jamais été préparée pour une femme
pêcheur. "
Alors elle dit :"oh Sêgoubali !"
Samba lui dit: " Je le jure par ce qu'il y a de plus sacré
J'égorgerai pour toi cent boeufs."
Elle lui dit: "Je n'en veux pas"
lliui dit: " J'égorgerai pour toi dix chameaux."
Elle lui dit: " Je n'en veux pas"
li lui dit: "J'égorgerai pOLIr toi cent moutons"
Elle lui dit: "Je n'en veux pas"
Il lui dit: "Demain j'irai à la chasse, je te rapporterai un càiman et sa femelle"
Elle lui dit: "Je n'en veux pas"
Il lui dit: " Je Iller"i au f",il pour loi, Lln hippopotame Cl sa kmelle"
Elle lui dit: "Je n'en veux pas"
li lui di t : " Que veux lU '1"
Elle lui dit: "Je veux seulement Ngaari gawle et Nâyângo, Dawlé des melons
et des courges, carrefour des caïmans
or, celui·ci qui le tue meun,
Je veux que tu le comballes."
Malheur à Sêgoubali
Malheur à Sêgoubali, victime d'un complot."
Le drame de Sêgoubali que Guellâye dit tenir de son maître Dikal Ndiaye est
sitLlé ici avec précision. II est dommage que nous n'ayons pas le texte du maître pour le
comparer à celui du disciple, afin de mesnrer les mérites respectifs de chacun d'eux.
Lcs noces du mariage impliquent un plal appelé gosi, (bouillie), servi
aux
amies
de
la
nouvelle
manec.
Sans
doute,
à
l'origine,
il
s'ugissaÎL
d'une
simple bouillie de milou de riz, qui
a dû varier pour devenir aujourd'hui
un
plal
considérable.

CHAPITRE Il - LA rORMA110N DE L'EPOPEE
74
Sêgoubali ou Sêkoubali, fils unique d'une famille de pêcheurs, bel homme, doté par Dieu <le
loutes les qualilés, voit cependant son bonheur limité par nn célibat imposé par sa mère. Le
• mariage devant lui porter malheur. Sêgoubali se résolut alors au célibat jusqu'au jour 0".
convoqué par le chef de canton pour exécuter une corvée coloniale, il constata qu'il travaillair
avec les enfants de ceux de sa classe d'âge. De relour à la maison, il prit sa mère à parrie Cl
lui reprocha son humiliante supercherie qui en faisait la risée du public. Sachant que, marié
ou pas, il devrait mourir un jour, le héros se rendit chez son oncle pour demander la main de
sa cousine Koumba Dié Mâyo, laquelle lui fut accordée sur le champ. La suite est donnée par
l'extrait: Kumba exigea que son mari combatte Ngâri. le génie aquatique, et le combat eut
lieu mais se temlÎna à la pyrrhus : Sêgoubali réussit à le tuer, mais ne lui survécut point.
Les leçons de cette tragédie fort simples insistent sur les conséquences
néfastes de la désobéissance à l'autorité parentale et de l'obéissance aveugle aux caprices de
la femme. Cependant l'intérêt psychologique et pédagogique du drame, la beauté de
l'ensemble - dialogues, images, jeux de mots - font de Sêgoubali 1111 chef d'oeuvre
représentatif du "pekaan" 1.
La poésie pelde s'est encore enrichie d'un genre majeur: le "fantang"2 qui
doit surtout son renom à son origine mythique. On raconle qu'un jour un guitariste enrendit
fredonner un air musical, qu'il décida de reproduire à l'aide de son instrument de musique, ct
le "fantang" naquit de son succès. Poème pastoral, il chante le "pulaagu", le Peul, la vache;
mais aussi la campagne, les pâturages, les points d'eau, les joies et misères du berger. Il
exploite les généalogies des Peuls, surtout celle des "yaalalf)e" en s'appuyant sur les
"jaraalc", sortes de tableaux pittoresques ou, selon l'heureuse formule de Teen Youssouph
Guèye : "éléments décoratifs, autour d'un motif central"3 Pour illustrer ces propos, il est
éclairant d'écouter une déclamation de Sômâ Dia, griot très familier aux auditeurs de l'aRTS
et de l'ORTM :
"Jaalaalo.. Jaalaalo 1
Jaalaalo.. Jaaloolo !
Pullo mo nay pooli mallacl'i !
Ndunngu juumel baban
demminaare
Nous
renvoyons
le
lecleur à
l'opuscule de Teen
Youssouf Guèye cr
aux
éludes
de
Amadou
Abel
Sy
notamment
à
SOIl
Mémoire
de
Maîtrise:
Détermination
traditionneLle
et
détermination
ex[ra~aclive
dafls
le
P(!ka"c
chez Gue/aye Ali 'Fall, Dakar.
1974-1975.
2
Nous
avons
fail
le comple-rendu
de
lecture,
pour
la
Revue
"Elhiopique",
d'un ouvrage récenl de Siré-Mamadou Ndongo.
op. cil.
3
Id.

CI-iAPITRE II -. LA F(,Rl\\1j\\T!Ot~ LiE L'EPOPEE
Ndungu alaa gai'\\o
Pullam ne kay alaa gar~o
Heefo korlal
Juuta Saali faaji daande !
Jammaaji men ina keewi, limotaako
Nalawmaaji haala.~ka
Pullam rokka nmoo
Kono wonaa rokka duurtoo
Moo tik kani waajaaki
JaalaaJo hoo jaalaalo" 1.
La traduction, rendue malaisée par les jeux de mots tel "rokka runoo/ rokka duurtoo", donne
. cette "trahison" :
'"Diâlâlo ! Diâlâlo
Peul au grand troupeau béni
Saison au grand père de
Demminaare2
La saison des pluies n'a pas d'ennemi.
Mon Peul aussi n'a pas d'ennemi.
Mollet lisse
Long cou!
Innombrables sont les nuits lOl! ta générosité m'a comblé]
Sans compter les jours
Mon Peul donne et se retoume,
Mais il ne donne pas avec mesquinerie
Il ne se fâche que conu'e un prévaricateur.
Diâlâlo! oh Diâlâlo !"
La richesse poétique du "fanta,]" qui, à proprement parler, s'apparente à une
déclamation généalogique sur un fond de musique "geseere", lui vient des "Jaraale" qui
accompagnent les généologies. Certains ont pensé que les "jaraale" constituaient un genre.
mais leur étude révèle qu'il n'eu est rien. Ce sont des tableaux pittoresques qui apparaissent
1
Cf noire bandothèque. Voir ausû üRTS cl· üRTM.
2
Demminaare
désigne
dans
le
calendrier
peul.
la
période
qui
précèdc
immédiatement
la
saison
de
pluies,
et
qui
se
situait
cntre
la
deuxièmc
quinzaine de Mai
ct
la première quinzainc de Juin.

7 (j
dans d'atllres genres comme le "failla!]", k "leele"."Mais ces "diarâle" eux-mêmes ont pour
thèmes essellliels soit la description d'une belle femme "noble aux traits purs et aux yeux
blancs comme le lait, "nerveuses et fines" et aux pattes souples comme les lianes de grévia".
Il est regrettable que le pur "fan'tang" de l'ère exclusivement agro-pastorale ait disparu
presqu'entièren;ent" 1. De la sorte, le "fanla!)" se veut· une propriété poétique peule,
inliissociablementliée à ulle ethnie.
Les groupes sociaux ont inspiré aussi d'autres genres aux membres de leur
corporation, on p~UI citer le "Yelaa", chant de femmes "senne" ou guerrières, elllonné au
Coms des veillées d'armes. Ces amazones cherchaient à piquer la fierté masculine. Le genre
fut confisqué par les griotes et il passa par la même occasion des
"senne" aux mains
sanglantes aux "awlune" aux voix d'or.
A leur tour les personnes de condition servile ont cultivé une forme: le
"N'laie", presque disparu aujourd'hui grâce aux effortS conjugués de l'Islam, et de la
colonisation qui aboutit à l'émancipation des anciens captifs.
Ce panorama des genres traditionnels, loin d'être exhaustif, donne cependant
une idée de ces formes littéraires, les extraits cités dégagent les caractères esselllieis des
genres des groupes sociaux aussi bicn en ce qui concerne le fond qne la forme. Mais la
grande originalité demeure ici la co-existcncc de ces genres aVeC d'autres qui tninSCendelll les
clivages sociaux. Ce phénomènes s'explique sans doute, entre autres, par le caractère ouvert
de la liuérature pulaar.
20 ) LES GENRES COMI\\IUNS
Ils comprennent la poésie sous ses diverses formes, les récits mythiques et
initiatiques, les épopées, cnfin les genres miflt;urs (conte, proverbe, devinelle, jeu de IllOtS).
a) La poésie.
Fonne très popuhlire, la poésie se dit w poular "gimol" oil "jimol" (cham) ; le
poète est appelé "gimoowo" ou "jimr.)wo" (chanteur). Chant I:t chaml:ur désigllell\\ ici poésie
et poète cl réalisenll'idéal poétique v<:riaillien "de la musique avant tOllle chose", c'est-à-dire
UIlI: voix, des sonorités agréabks au coeur et à l'esprit. Celle conception de la poésie a
favorisé des fOffiles très diverses: allalll cles créations paslOrales aux compositions politiques
et domestiques.
Guèyc (T.Y.), op. cil.. p. 60.

CHAPITRE Il- LA FORMATION DE L'EPOPEE
77
En ce sens, l'une des formes poétiques peules les plus anciennes semblc être
le "jaargol" (pluricl "jaargi") : long poéme consacré aux bergers, aux pâturages et au'
,troupeaux, composé et chanté par les bergers. A prenlière vue, il apparaît commc l'équivalent
de l'églogue ou de la bucolique, mais le "jaargol" s'en distingue puisqu'il chante
généralement la trilogie formée du berger, du mouton et du pâturage. C'est ainsi qu'un
spécialiste du "jaJlfgol" déclare:
"Kono kecf'ee kwee seecf'a jibi Pennda
ma mi layana mon haala r\\alawna.
Ka wonaa binndol crereeji
Ka wonaa deftere guraana" l
"Mais écoutez; écoulez un peu Djibi Penda
Je vous dirai des mots aussi clairs que le jour2
Des Imotsj qui ne proviennent pas dc l'écriture des pages3
Qui ne proviennent pas non plus de la vulgate Coranique"4
Les "jaargi" n'ont pas une forme fixe; dès lors le poéte varie les stances en
leur donnalll la longueur qu'il veul. 1l1lerrogé sur sa technique de composition, notre poète
affirme :"c'est en cheminant seul, dans la brousse, derrière mes moutons, que mot à mot,
selon \\eurparenté phonétique, je compose mes jaargi". Son statut d'illettré el d'autres
enquêtes complémentaires, auprès d'autres bergers, fondent son assenion.
Une autre fonne poétique, cultivée généralement par les femmes, fait pendant
au "jaargol" c'est le "mallol" (pluriel. malli). Il s'agit d'un poème de longueur variable,
moins struclllré que le "jaargol". Le mot "mallol" vient du verhe "mallude" qui signifie
médire, dire du mal de quelqu'un à travers des allusiOllS. La thématique du "mallol" concerne
la critique sociale, la satire des moeurs, tandis que son style comprend de longues
descriptions, des comparaisons outrées et généralement grossières. Maniés par les griots, les'
"malli" deviennent une arme redoutable, et le noble ("dimo") qui les a mal reçus tombe sous
leurs foudres. De même l'épouse qui maîtrise le genre réduit sa co-épouse à l'impuissance ;
car, comme le définissait un griot, le mallol "tu sais que c'est toi, je sais que c'est toi.
l'assistance sait que c'est loi, si lu te plains je nie tou!.·· En réalité le "mal 101" décrit,
Djiby
Pend a

(28
ans).
berger,
professionnel
du
jaargol
domicilié
à
Gourel Famina. pelit village de Gavinané. Nioro du Sahel. Mali.
2
Mol. à mot:
de la 'parole du jour.
3
Le
poème
sc définit
comnic une oeuvre
étrangère
à Ioule influence écrite.
4
Il
s'agit d'une
poésie essentiellement
profane.
non
islamique.

L;t>tllpare, Ill,lis refllsc dc f}(H]IIllCr la personne visé~ ; ainsi, celle ci, fllllle de preuves, doit
souffrir S;IIl:-i pilr!t:r. Il cn ~st ainsi di; Cc personnage désigné. par f\\'1i\\ydi f'v1iltllildoll :
1. " rvfaydi M'"l1adl dawi l:lwlalli
2. 0 likk i 0 Ylllt)lli
3. () jlppi 0 S<lllllilli, s~d yalli 1 1110 "aa () woyi
4.0 wii DI!lO IlOOlil l) bLlvviilllll hila YlIlIli
5. ytll11 III<lkko Jooroy collildi ddka Yldlldc slIyi
6. Don jilllllllil sü2 1ïjoyaillll soko yillli Ilhe3 b~ kuli
7.0 j<xH.PiiIllil 110011 Iiail wceli tawi 1l1l.:lte crcc cllyi
R. 0 âaill1iil\\li.\\ IlU01\\ hlla [lonyi lkkka Iltlilllgcllge Willi
<J. Nde gallloullli slIllllindclllu lawi kanko Ile 0 huwii.
10. baalllakko wi i\\alllad'l!lI wllyi
11. IIIhi mi guy<:Po kaJa yu femmbc SUllllil mo 1JaIlHll'Hb:l"·1.
i." Milydi Malll.<ldüll parti le f1wlinjatlx ehillllpslllc (fOl/Va ric,;nlà Illungc,;r/ il
SOIl lOtir.
2. JI S~ f;îcila ~l bOllda.
3. JI Icvilll, sailla le clicf ,!lli l'illsldta 1<1111 ,!1I'il se lIJiI b plelll~r
4. il voulut n..:lHn.~r C!IC"L lui, SI..: cugna COlllfL: la pone cl saiglla.
S. Sil Illère Illil son cuns-collS sur le fell, Illais la passoire tl<lit IIl;11 posée.:.
6. Cettt..: l\\l!if illl'alla l':lS jUllC!", ct: qui alarl\\la (nu! le l\\\\uIHk.
7. Il n":S!il ilillSijtlSqll'illJ lIIalin, Sil culère.: lOlIlha.
X. Il dOl/llil pelld'llIllolIgleillps, qllalld il Sc leva le sllleil dardait scs r"yolls.
9. Allssi, quand je suis rCVe/lU ltlÎ dire bOlljuur, il avaij "chÎ~"
10. SOIl péré lui dil: "i\\lIladIlU 1Il0U Jïls, III dois le lasa".
Il. 1\\ quoi, j'"j répolldu "ljUC celui qui a d~s cheveux, liollgs! se ras~ SelOli
les préceples d'i\\ul<lda"5
Les deux derniers vers, en se réf~r~lI][ aux préCtple:i du Pfupilèle J\\1uhallllllt..:d,
rilllaciJcnl le "m;lIlol", fonlle I)fOrilIlC, aux ilutres funlles de la lÎll~riltllre islallliq(lL:. Sans
Val iall[c de
}1tJfI Î.
Vil ri il Il 1<..: de : o.
V;\\IÎan(c:
yil1lt)[ 'HI lic" dl.:: yilll1ll0e.
·1
F:J1illlllla \\Vaf,
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(34illl.s).
Niuro dll S:l!Ic1
(Mali).
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chevelure,
bî~1l
~lI[n.;.[~llllç.

CHAPITRE if - L/I. F()RjvL\\TIO~\\~ DE L'EPUFEE
doute, c'est là un indice de l'islamisation progressive de la société traditionnelle, ou alors il
s'agit d'une réinterprétation des valeurs traditionnelles en fonction de la religion révélée.
Ainsi, derrière le "jaargol" se pralïle l'énigmatique Peul frêle, voué au
troupeau; tandis que le "mallol" dénOnce les tares de la société et les personnes qui les
incarnent. L'analyse stylistique des fragments cités met en évidence une correspondance
asymétrique des voyelles, évitant du même coup au poème de connaître la monotonie, ce
bourreau sans merci. Une telle distribution vocalique rappelle la règle veriainienne qui
conseillait le vers impair. Le poète fait alors défiler le berger, les pâturages, le troupeau, dans
une série de tableaux pittoresques qui enchantent les auditeurs, ravis par les possibilités de
leur langue, une fois exploitées par des artistes talentueux.
La littérature orale peule compte aussi à son actif une forme poétique très
vivante: le "mbooku" pratiquée par les Foulbe du Diamaré (Nord-Cameroun)!. Introduisant
le "mbooku", Abdoulaye Oumarou Dalil écrit: "C'est le terme qui désigne un genr,;
particulier, bien reconnaissable aussi bien à son mode de récitation - sans il1strumcl1I de
musique - que dans sa structure de production à quoi correspondent des attitudes corporelles
précises"2. Structurellement, le "mbooku" comprend deux parties la partie introductive ou
"dooyngel" et la partie principale appelée "gimol": le tout pouvant être précédé d'un chant
d'annonce auquel l'on donne le nom de "ndeyyaha"3
Les spécialistes du "mbooku", les "mboo'en" étaient à l'origine des hommes
de condition libre "rimne" (sing. climo), clonc situés au sommet cie la pyramicle sociale; mais
petit à petit leur statut social se dégrada, et aujourd'hui ils sont assimilés aux griots, à cause
de leur verbe et de leur verve qui n'hésitent pas à louer tel acte généreux ou à blâmer l'avarice
de tel autre. Evoquant leur statut social, Abdoulaye Oumarou Dalilnote au passage:
"Indépendants économiquement parce qu'en dehors du "mbooku", ils
's'occupent cie leur champ cie milou de leur troupeau de vaches, et parfois les
deux, les "mboo'en" le sont aussi moralement parce que la société les
consiclère comme des marginaux qui peuvent tout se permettre. Aussi sont-ils
redoutés de tout le moncle, aussi bien de ceux qui leur offrent cles présents que
de ceux qui ne le font pas, parce qu'ils ont la latitucle cie critiquer qui ils
veulent et leurs pointes prennent pour cible aussi bien les uns que les autres.
Oumarou
Dalil
(A.),
Présentation
d'un
genre
lil/éraire
le
",booku
des
foulbe
du Diamaré (Nord-Cameroun), Mémoire de D.E.A., Paris, 1984.
2
Oumarou
Dalil (A.), "Introduction ou Mbooku, poésie orale des Foulbc du
Diamaré
(Nord-Cameroun)",
in Bull. des Etudes Africaines, de l'lNALCO, vol
IV, 1984, nO 8 , p. 6.
3
Id, p. 6.

....... 1 U--'I Il f\\.C 11 - L-f"\\ l'UI.... IVIA l1UN Ut. L't,POPEE
on se méfie toujours d'eux car on ne sait jamais de quel côté peuvent venir
leurs "coups bas" 1.
L'un des buts poursuivis par le mbooku reste "l'agencement savant des mots
en fonction des jeux phoniques2 :
"Kippo hippitit noo ngu" ( c'est kippo qui a inauguré le genre)
''To Buuba Fiiji fiji mbooku" (Boüba Fîdji a chanté le mbôkou)
"Fiji fijdi e Daadaru" (Fîdji a chamé en compagnie de Dâdârou).
Ces caractéristiques rappellent celles des poèmes pastoraux 3 disséminés le
long des routes de migrations peules, qui les om menés des rives du Nil aux bords de
l'Atlamique, en passant par le Sahara. La poésie peule traditionnelle en s'exprimalll à travers
les "jaargi", "malli" "mergi", en privélégiant les "jammooje n'a i" reprend, à un autre niveau
le triptyque cyclique des épopées trllditionnelles : la lance, la vache, la femme.
Un autre genre s'est imposé à la Iiltérature pulaar : le "Ieele". Situé au
carrefour des genres traditionnels el de formes islamiques, le "leele" pose de sérieux
problèmes de classemeut. La déclamation de longs passages de la poésie arabe U1l1é-
islamique, dans la cadre de chams d'évocation nostalgique en poular, rend difficile
l'établissement d'une taxinomie définitive, et fait plutôt penser à l'existence d'une forme
mixte. Cependant la gérièse et l'évolution du "leele" militent en faveur d'uli genre purement
toucouleur.
Né au Fouta-Toro vers la fin du XYIllème siècle, mais propagé par un poèle,
Sidi Chérif, vers les années 1920, le "!cele" se veut un genre commun à tous les "haal pulaar
en" contrairement aux genres spécifiques. Deux théories s'opposent pour donner le sens
étymologique du mot "Ieele". La première se fondant sur la similitude existant entre "Ieila" (la
Oumarou Dalil (A.), art. cil.,p. 4.
2
Nous devons les exemples suivants à Abdoulaye Oumarou Dalil, op. cil.
J
Pour une
élUde
plus détaillée de
la poésie
pcule.
nOLIs
rcnvoyons
Ic
leclcur
aux classiques peuls et à
quelques publications récentes dont :
Eguehi,
(P.K.),
"Beeda
:
a
Fulfle Mbooku
poem". in
Africa, 1,
Seuri
Elhuologieal slodies t, Osaka, 19n, p 55-88.
Er\\manl\\.(V.).
Bookll.
fine
litcerar;"ch-musikalische
Gaccung
der
Fulbe
des
Dia",are
(Nord-Ka",erun), Berlin. 1979.
Labalot, (R). , Chanes
de
vie
et de
beauté peuls recueillis chez des peuls
nomades du
Nord-Cameroun, Paris, 1974.
Seydoo, (c.). "Les jammooje na'i, pDèmes pastoraux des peuls du
Mali", in
Bulleein. des
Etudes africaines de
lïNALCO, vol 1, nO 1,' Paris, 1981,
p 133-
142; el vol 1, n° 2, 1981, p. 123-134.
Seydou (C.), "Jeux de sons, de mots ct d'esprit : on mergol du poète malien
Njiido Kawdo", in Bull. des Etudes afro de l'lNALCO, Il, 4, 1982, P 131-142.
"

v
,
Iluil, ell arabe) Cl "leelc", conclulque "leele" proviclll d'une défonnalion de "leila", d'alllanl
plus que le gellrc implique de longues cilations des oeuvrcs des poètes anlé-islamiqllcs 1
(Imru 1 Glwïss, Anlar Ben Chaddad, entre aUlrcs), donl la thématique concernait la nuil, le
vin, l'amour. La deuxièmc théorie soutielllque le "leele" eSlun genre essenlieilemeIll pulaar,
issu du "Sawga", musique de guilare servanl d'accompagnement à la déclamation de
certaines épopées el légendes. Ces deux lhéories conliennent chacune une pan de vérité.
En réalité, 10US les spécialisles du "Ieele", les Sénégalais, Sidi Chérif de
Thilogne, Samba Diop de Kanel, Abdonlaye Thiênel de Bokki, Amadou Koli Sail de
Tiguéré, ainsi que leurs homologues mauIilalliens Demba Débya de Kaédi .... émaillenl leurs
chants d'exlraits en arabc souvenl déformés, puis évoquent en poular le charme qui lie deux
êtres el la beauté de la nuil. Youssouf Gnèye IlOle ·à ce propos: "Pour nous, le lélé, c'esl
d'abord el surloUl le chant des étaiS d'âme. C'esl l'évocation de souvenirs; souvenir d'un
être aimé, du pays nalal ; souvenir aussi d'év~nements particulièremelll heureux ... C'est
l'expression de la noslalgie quand les tourments de l'exil (volonlaire ou non) sem:Ill lé coeur
el que l'appel du pays se fail lallcinant el obsédall!. C'est probablemem ce qni donne celte
tonalité Iyriqne remarquable à LOUS les chams de lêk"
Le "'eele" se structure alllour de deux pames : une forme invariable,
qu'atteslenl par conséquenl lOUles les performallces du genre, el une autre variable où
s'exercenll'espril d'improvisalion el la créalivilé du poèle. L'invariaIllque voici revielll dans
presque loules les déclamations du "!eele":
"Miijo am koy dnrii e lobbo yaay mu 111 gOOlo
Finndinee liya mooso, haylitoojawe ndilla
Mo sap po dobbe, ma joy ll1eDkellee ji,
Mo koolone lonllnbe"
"Ma pensée va vers la belle, la mère de l'unique
Celle dom le réveil s'éclaire de sourire, et qui sonne ses bracelels
Aux dix boucles d'oreille, de cinq ll1ulqals2
Aux boucles d'oreilles doublées"
La panie variable permel au poéle de dOllner libre cours à son lyrisme
personnel. C'esl à ce jeu que se livre Abdoulaye Thiênel Fall, en évoquanl SOIl village nalal :
Bokki.
1
Encyclopédie de
l'Islam, Leyde, 1912.
2
Mesure
d'or
en
arabe.
correspondant
à quelques
grammes.

LI II\\Flll<J:~ Il - LA l'UI{MAT1UN [JE L'EPOPEE
82
"Ndaw welndee, wellende .. ,
Miijo am hooti jeeri men mbayraandi ...
I3ammbangel am won ko mbiino m'la mi,
Gilli am konaama, mi roQkii cPaanaade
Somi yiyaa ... "
"Quelle joie, quelle allégresse!
Quand ma pensée retourne à nou'e diéri qui manque
Petit guitariste mien, je t'avais dit que
Mon coeur est razzié, je ne peux m'endonllir
Tanl que je ne verrai pas ... " (suivent noms et généalogies des bienfaiteurs ou
donateurs potelHiels)
Mais le "Ieele" se veut aussi le miroir de son lemps, d'où le rellet de tOUl un
unIvers actif: être aimé, présent ou absent, beauté, nostalgie, paysages, village natal,
champs de culture. Dans cet ordre d'idée, les poètes du leele cOIHemporain charirenl tous le
"gicPo bolle laare" (l'amie, l'être cher), auquel ils associent un lieu di! :
"Mi noddima gorko piyoowo e balaQeeji
Umar Amadu Maymuuna
Gorko mo Baari e Yooli laana
Baari nanaa woonndu
So wonaa kelle e kuljinaali boombi."
"Je t'ai appelé toi qui fais toujours mouche,
Oumar Amadou Maïmouna
L'homme de Bâri où se noie la pirogue,
De l3âri qui n'enlend jamais les pleurs,
(Mais) seulement les c1aquemellls des mains et les trilles des jeunes filles" 1.
La menlion du lieu dil ("gorko mo" ou" debbo mo" ; l'homme de ou la femme
de) loin de se réduire à llll indicè d'identification toponymique, renvoie à un fail hislOrique
précis. La sociélé toucouleur, essentiellement agro-pastorale avalll de s'islamiser, connut le
règne de la "noblesse terrienne", puis celui de "l'aristocratie de l'épée; enfin, en s'islamisant,
vint la théocratie avee l'aristocratie du livre" ou règne de l'Almamy, "En effet, dans ce milieu
Bâri esl le pluriel de bârol qui signifie un sillon.
Il s'agit de
terrains de
culture situés dans les basses terres de la vallée du Ileuve Sénégal.

Cl li, FiTRE il- L~ FCW.MATIUN DE L'EPOPEE
()
~l
6.)
profondément rural, la "noblesse d'épée" qui s'est lentemelll diluée dans la masse dont elle
nc se distingue plus souvent que par le souvenir de son origine pastorale et sa morgue,
c;
comme la "noblesse de lettres" qui s'est rapidemelll assurée une place de choix grâce à un
solide support politico-économique (en procédant à de brutales et avantageuses réfomles
agraires: 1778, 1795, J816, eCL .. ) n'ont jamais réussi à éclipser tout à fait la vieille et
traditionnelle "noblesse terrienne" d'avant l'ère des "Satiguis" 1.
A cette structure originale du "Ieele" qui pemlet au poète de répéter une
tradition (invariant), d'innover (improvisation), s'ajoutent les "jaraale", motifs poétiques au
souftle puissant et à l'élévation stylistique remarquable. Ce sont ces tableaux qui évoquent
les lieux dits dans le "leele". Du reste, nous avons rencontré les "jaraale" dans les genres
spécifiques et nous faisions remarquer que ces brèves compositions, en transcendant les
genres, réactualisent l'unité des formes.
Il convielll aussi de s'attarder sur la déclamation de longs passages de la
poésie arabe anté-islamique précédant la composition en pulaar. Né avec la théocratie du
Fouta-Toro, le lecle devait perpélller les genres spécifiques sans tOmber dans la profanation.
Les exigences de la théocratie poussèrent les poètes à créer des oeuvres réconciliant lettrés el
illettrés, marabouts et hommes du peuple. Ccla explique la tolérance de cette sone de
composition mixte, où l'arabe, défonné par un accent défectueux, voisine avec des envolées
lyriques lOucouleurs de haute tenue.
Ainsi, né en pleine théocratie, le leele apparut comme un genre
"démocratique" qui prit très vile en charge les préoccupations de toutes les couches de la
société. De nos jours, Samba Diop, Amadou Koli Sa1l2, Alxloulaye Thiênel Fall, constituent
les ténors du leele, mais contrairement aux pères fondateurs que sont Sidi Chérif, Demba
Débya, les anistes contemporains semblent river leur art à des considérations plus lucratives
qu'esthétiques, engendrant une sone de dépérissement du genre, miné aussi par la
concurrence des formes modernes. Cependant, la littérature pulaar possède d'autres genrcs
dynamiques qu'elle a confiés à la mémoire et qu'elle ne transmet que par initiation.
Dans ce sens les "janti" ou récits mythiques et initiatiques (au sÎng. jalllol)
occupent· une bonne place au sein des productions peules, d'autant plus que, pour Je Peul,
l'univers pose à l'homme une série d'énigmes, et cache son vrai sens derrière une série de
voiles et de mystères que l'initiation seule permet de découvrir. Dès lors un code
extrêmement riche fut élaboré par les grands maîtres, et transmis par une méthode
Guèye (T. Y.J,. up. cil., p. 4X.
2
Amadou Koli Sali fut un disciple de mon père qui l'initia au Cora". Ce fait
montre le caractère "totalitaire" de l'idéologie islamique qui
soumet
tout
à
sa loi, étant donné que l'Islam est "dîn" :religion, et "dawla": étal.

pédagogique judicieusement adaptée. Les "janti" véhiculent la vraie connaissance ésotérique.
A ce sujet Christiane Seydou remarque fort justement que:
" La littérature sacrée est celle qui transmet les grands mythes et illustre les
degrés successifs des initiations, sous forme de longs récits initiatiques (janti)
qui unissent à la fois les genres du conte philosophique et de J'énigme, de
J'allégorie poétique et du symbolisme ésotérique, de la fable fantastique et de
la parabole, et dont la signification ne peut être entrevue qu'au terme d'une
laborieuse herméneutique" 1.
De ces récits ressortissent Kounzell~ Kaidara 3 et Laaytere koodal. Ces mythes
initiatiques développent, sous une forme naïve, un enseignement de très haute portée
ésotérique. A ces genres s'ajoutent les "daari" (épopées, légendes), récits axaltant les hauls
faits de certains personnages historiques ou légendaires. Les"haal pulaar en"désigncJlI par
"daari" (sing. daarol) invariablement épopées et légendes. Pour avoir étudié longuement les
"daari" de Samba Guélâdiégui, Guélâdio, Ham-Bodêdio. Yéro Maama ou Siliimaka Ardo, El
Hadj Omar Tall, nous préférons renvoyer le lecteur au premier chapitre de ce travail consacré
à El Hadj Omar et J'épopée peu le. JI convient auparavant de préciser que les "daari"
constituent un des joyaux de la littérature poular parce qu'ils font revivre l'héroïsme peul,
résumant en un mot l'essentiel de la "pulaagu" ou idéal peul. En ce sens, ils sont toujours
vivants et très dynamiques, faisant la renommée et la fortune de tel ou tel artisan du verbe.
Les épopées et légendes apparaissent. à bien des égards, comme les genres nobles de la
littérature poular surtout du fait qu'ils expriment, successivement et à la fois, la lance, la
vache. la femme et la foi, autre incarnation des artistocraties terrienne, guerrière et religieuse.
Après ces genres majeurs, suivent les formes mineures, qui ont aussi leur
importance, puisqu'assumant des fonctions précises.
a) - Les "junnili". Ali sens étymologique, "junniti" viellt du verbe "junnitugol"
qui signifie inverser ou renverser. Or, l'inversion est un phénomène linguistique par lequel,
à un ordre'attendu, habituel ou considéré comme nomlal, se substitue un autre ordre.
inattendu, inhabituel ou relevant de J'écart. Les "Junniti" représentent un langage secret, un
parler très circonstanciel cultivé surtout par les Peuls du Fouta-Djallon pour exclure d'autres
groupes, même parlant le peul. Généralement utilisés par les jeunes gens pour dénoncer la
Seydou
(C),
"Panorama de
la litlérature peule", in
Bul/elin
de
/'IFAN., T
XXXV, Ser. B. nQ J. 1973, p, 179.
2
Bâ (A.H) ct Dierterlen (G), "Koumen, texte iniatique des pasleurs peuls", i Il
Cahiers de l'Homme,
Paris, 1961.
3
Ba (A.H) ct Kesteloot (L), Kaïdara, récit initialique peul, Paris , "Classiques.
Africains",
1969.

C! lAPITJ<. E !! - LA fOR!'v1ATI0h DE L'EP()PEE
gérontocratie, les inversions permenerll encore de broder sur les intrigues amoureuses en
présence d'un tiers. La diversité de situations impliquait une composition, d'olt la multiplicité
dcs codes. Henri Gaden note que: "Ces inversions ( ... ) sont fréquemment employées
lorsque les gens d'un village ne veulent pas qu'un Européen ou son interprète étranger au
pays les comprenne" 1. Il cite, par ailleurs, un exemple qu'il a recueiIli il Ditinn, au Fouta-
Djallon il propos du recrutement militaire.
"Himo landii Sagataabhe yaha hawre"
(II demande des jeunes gens pour aller à la guerre) devient en "Junniti"
"Lama indii gasataabhe yo koya rewha".
La référence à l'étymologie pousse à se demander s'il s'agit dans les "Junniti"
d'inversions morphologiques, syntaxiques ou morpho-syntaxiques, d'autant plus que
Labouret signale qu"'au Fouta·DjaIlon, l'expression "dyunnilLlde haala" (renverser le
langage) exprime l'idée de mettre le langage sens dessus-dessous 2 A titre d'exemple, le
corpus recueilli par Gaden à Ditinn semble penincnt :
"Porloobhe bhen arii" (fomle ordinaire)
(Les Européens sont venus)
"Aroobhe bhen portii" (forme renversée)
Ici on nQ[e une permutation entre "ur", la racine du verbe "urii" et "pan", la
racine du substantif "porloonbhe".
"Paykun a yiaali neene maadha ?" (fonne ordinaire)
(Enfant, tu n'as pas vu ta mère ?)
"kun'pay a nealli yiine dhaana 7" (forme inversée)
Kun'pay produit unè interversion syllabitlue dans "paykun"
Le sujet pronominal / a / résiste il tome modification Dans / yiiaali /, la base
verbale pemlLlte avec la première syllabe de l'accusatif / neene/. L'adjectif possessif /
maadha/, à lui seul opère une pennutation des syllabes qui le constituent.
Gaden (H.), op. cil.
2
Labouret (11), "Les langages secrets",
in
La langue des Peuls ou Foulbés,
notes
Africaines, 21 Janvier 1944, N° 22, P 14.

CHAPlTRE Il - LA FORMATION DE LEPŒEE
36
Pour comprendre les "junniti", il convient de s'initier à leurs codes; des codes
en liste ouverte. Ce langage secret procède par défomlation du langage ordinaire tel que le
ï'
montrent les exemples que nous avons envisagés. Le genre continue d'être cultivé de nos
jours au Fouta-Djallon. C'est ce qu'attestent ces exemples recueillis à Timbo l auprès d'un
informateur:
"Hande Kadi Sukaabhe bhen am" (forme ordinaire)
(Aujourd'hui encore les jeunes gens sont venus)
"Kande Kadi akaabhe bhen surri"
"Kande diha akaabhe bhen surri" (fornles inversées)
Les procédés de codage sont très variés et le locuteur peut intercaler, après
chaque syllabe, un terme choisi par le groupe auquel il appartient, c'est la suffixation
parasitaire. Soit le ternle "Kuma" choisi par un groupe de jeunes:
"Sukaabhe bhen arii" (fornle ordinaire)
(les jeunes gens sont venus)
Sera dit par le locuteur
"Kumasu kumakaa kumabhe kumabhen kuma'aa kumarii kuma." (fOITIle
codée ou ésotérique).
Certains poularisants ont assimilé les "junniti" à l'argot en se fondant sur les
inversions initiales et désinentielles. II nous semble hâtif de conclure à une identification des'
deux genres, l'argot n'obéissant pas au mécanisme de création des langages artificiels que
sont les "junniti". Même s'il déforme la langue courante, l'argot s'appuie sur un code établi,
à la différence des "junniti" qui se définissent comme, à la fois, des inversions, des
renversements, des langages secrets ou ésotériques.
D'une manière générale, le cadre socio-contextuel qui en?endre les "junniti",
leurs procédés de création, leurs fonctions, mettent en relief des dialectes sociaux voisins des
argots, mais très spécifiques.
b) Les "tinndi" ou "talli" (les contes) ; les "cifti" (devinettes); les "puri"
(proverbes). Genre universel s'il en fut, les contes se retrouvent sous tous les cieux. Partout
les mêmes, -mais sous une forme différente, les contes développent;/à travers une culture et
une civilisation qui leur donnent leur couleur locale, une leçon de morale universelle. La

Mission de recherche en Guinée du 18 Mars au 7 Avril 1988.

87
littérature poular ne fait pas exception à la règle. les "tinndi" signifient "paroles du soir" ; une
coutume voulant qu'on conte la nuit, la transgression de cette règle pouvant entraîner un
malheur.
//'
/ r '
A la différence de l'épopée réservée à des spécialistes, les contes ne sont
l'apanage de personne et peuvent être dits par n'imponequi, bièn que les femmes se les
approprient progressivements. Le Père Meyer, auteur de plusieurs recueils de contes et d'un
recueil de contes toucouleurs inédits! l'a' noté : "Au cours d'une veillée, la parole circ~le et
celui qui veut conter prend 'la parole; il n'est pas rare cependant qu'un conteur ou qu'une
conteuse, plus doué, fasse l'unanimité et soit sollicité pour parler le plus longtemps possible.
il semble que ce soit SUJ10ut les mères qui disent des contes pour leurs enfants"2
La thématique des contes peuls, tourne autour de l'homme, de ta société et des
liens les unissant. Ainsi la vie et seS aléas, le danger, le malheur, la démesure - sont
dramatisés dans des scènes très vivantes. De même le triomphe du bien sur le mal revient
dans de très nombreux contes. La critique de la force brutale, du pouvoir arbitraire, la magie,
la jalousie ou la passivité absolue alimentent une veine assez puissante: " Toute une
humanité se joue et se représente dans le conte: la jalousie des co-épouses, les tensions à
l'intérieur des familles et au sein de la société, la menace du désordre, mais aussi la
fraternité, le courage dans l'épreuve, la victoire du faible sur le fon, de la ruse sur la brutalité
et, plus profondément, de l'être sur le paraître3
Sur le plan structurel, le conte se présente comme une sone de dissertation
bien menée: un récit précédé et suivi d'une formule. En effet, le récitant commence toujours
par "wonko wonnoo d'oo" (quelque chose était ici) et achève son conte par "diwa d'oo daka
d'aa" (saute d'ici, s'accroc Ile là-bas), Ces formules stéréotypées font du conte une parole
transmise et à transmettre, qui dès lors saute d'ici, s'accroche là-bas. Cet énoncé met en
évidence le caractère profondément communautaire du genre, qui n'appartient à personne en
propre, mais à la chaîne de transmission appelée à l'enrichir. En outre, la plupan des contes
ont une panic chantée qui alterne avec le récit, ce qui leur donne l'allure d'une chante-fable,
et dans certains cas, le conteur exige un choeur car la question imtialc :"won ko wonno d'oo"
doit rencontrer la réponse d'un membre de l'assistance "Ena wona, wonataa ko tinndol" (ce
sera, ce ne sera pas, c'est un conte)4. Cet échange de propos libère le conteur, car il sait à
présent pouvoir compter sur la complicité d'un public. Cet échange de propos, plus
Meyer
(G.),
Paroles
du
soir,
contes
tOI/couleurs
du
Sénégal
orienral,
Goudiry, Avril, 1979.
2
Id.,
p. II (Introduction).
3
Id., p. III.
4
Cetre traduction
littérale
signifie : "vrai ou
faux,
c'est
un
conie".
Ainsi
l'univers du conte épouse toul Ic champ du possible.

88
exactement de fonnules, permet au conteur de s'assurer que les conditions de réception sont
optimales et qu'il peut, par la suite, démarrrer paisiblement son récit.
Il convient, à présent, de dégager le sens et la portée des contes en milieu
pulaar. Récit éducatif au sens fort du tenne, le conte peul, cn même temps qu'il présente un
modèle de société et des types de comportement humain, vise à inculquer une vision dll
monde. Alors que l'épopée ambitionne d'intérioriser vivement le "pulaagu" (l'idéal peul) en
chaque Pullo, le conte, plus modestement, essaie de cultiver en chaque Peul le "ned'd'aagu"
(la qualité de l'homme peul). Dès lors, l'universalité du genre apparaît dans sa volonté de
poser les grands problèmes de l'humanité à trdvers la satire et l'humour.
"En entendant un conte, on se met à l'écoute d'un art de vivre, on le fait
ensemble et en riant", déclare le père Meyer. C'est sans doute ce qui lui vaut d'êtrc ainsi
glosé par les Toucouleurs: "fenaande" (mensonge), "kecce" (futilités), "balle puuycfe"
(paroles sans importance). Cette minimisation du genre fonde son importance, puisqu'elle
choisit de se définir délibérément comme une fonne mineure, pour mieux poser les
problèmes majeurs.
Le conte permet aussi d'enjamber le proverbe et la devinette, d'autant plus que
les Toucouleurs désignent par le même mot "tinndol" conte et proverbe; en outre le conte
contient généralement un ou plusieurs proverbes et, bien des fois, il en illustre un. Par
exemple, pour illustrer le proverbe suivant: "Aime une femme, mais ne t'y fie pas" ; un
contI: intitulé "Une méchante marâtre" 1 met en scène une femme, épousée en secondes
noces, qui use de tous les moyens puur.éliminer le fils de son nouveau mari. Malgré son
affection hypocrite pour le jeune garçon, ses projets machiavéliques découverts, elle fInira
par mourir de honte.
p'atrimoine universellement répandu, les proverbes, maXImes, adages,
apophtegmes, paroles sentencieuses, relèvent de ce qu'on appelle communément li sagesse
des nations. Discours structuré, le proverbe s'adresse à l'intelligence, et prouve en même
temps le degré d'enracinement 1:[ de culture du locuteur :
"Les proverbes nécessitent une grande mobilité d'esprit pour discemer, sous
une fonne condensée, toute la somme d'observations, d'expérience,
d'humour, toute la sûreté de jugement qu'ils contiennent, pour évaluer
comment les vérités générales qu'ils expriment peuvent s'appliquer à des cas
particulicrs car ils né prennent évidemment leur sens que dans le discours qui
les véhicule"2
,/
,/
1
G. Meyer, op. cit.
2
Emy (P.), L'enfant et son milieu en Afrique Noire. Paris, 1978, p. 176.

C'est pourquoi l'homme de la tradition a enfermé toute la vie dans les
proverbes: aucun secteur du monde visible ou invisible n'est oublié. Considérons quelques
exemples:
Leçon de morale
"waaldude e tikkere, nun waaldude e nimsa"
"Passer la nuit avec la bouderie, vaut mieux que passer la nuit avec le
remords"
A propos de la femme
"Debbo ko Jayngol Sad'a nolcka d'um, nokku hen seed'a"
"La femme est feu, si tu en prends, prends en un peu."
Les enfants
"Subaka moyyo, andetee, ko gila fajiri"
" La bonne matinée se reconnait dès l'aube."
Le pouvoir
"So Alla welaama bonde e baanoowo, huccina e mum teko"
"Si Dieu veut du mal à un chasseur, il lui envoie la coqueluche."
La vie
"MoY'Y'ere mbaadi ko feccera arsuko, haqqille woni fof'
"La beauté est une chance; l'intelligence est tout."
La richesse
"yimne buri jawdi"
"Les honunes valent plus que la fortune."
La mon
"korsa hatta maayde"
. "Une profonde affection n'empêche pas la mon."
~/
La sagesse
/
"Ganndal ko ngesa, sa remaaka, reenaaka, sonetaake"
" Le savoir est un champ, s'il n'est pas cultivé, gardé, il ne sera pas

"
11
mOlssonne.

CHAPITRE Il - LA FORM.\\TfQi'.i DE LH'OPEl:
Ces quelques cas, pris au hasard, donnent une idée de la richesse et de la
diversité des proverbes toucouleurs1lls constituent le raccourci qu'emprunte la pensée pour
démontrer, argumenter ou tOut simplement constater. En outre, "un véritable maître de la
parole sait rapprocher les proverbes, !es enchaîner Jesuns aux autres et organiser ainsi un
véritable enseignement moral"Z. Art de la parole, le proverbe se veut aussi école de style :
"waawde haald ko anndude :
kohaalata
mo haal data
d'o haalata"
"Savoir parler, c'est savoir :
ce qu'on dit
avec qui on le dit
où on le dit."
Ce proverbe illustre parfaitement l'assertion suivante de P. Erny: "Parler
constitue une des occasions privilégiées où la libre expression et la libre création SOnt
rendues possibles, non de manière anachronique, mais dans les limites d'une tradition qui
impose au locuteur de se mouvoir dans un cadre assez rigide, tOut en lui fournissant un
instrument linguistique riche, un stock d'images et de locutions permettent une manifestation
de la pensée"3
La littérature pulaar connaît aussi d'autres genres mineurs tels les devinettes,
les anagrammes, les jeux de mots, généralement réservés aux enfants. Les artisans du verbe
ainsi que la synthèse des autres couches4 peules formées par Je "jege rekel", les "almuooe
ngay", les "cooloo", disputent, de nos jours, les genres mineurs aux enfants. Le "cooJo"
(troubadour?) Banndal décrit ainsi Dakar.
"Tilleen njümi mooriioe leen
Mbii mi : " yoo alla reen
Anngal muus goral yalti <foon e duus
1
Gaden' (R), Proverbes et maximes peuls et toucou/eurs, Paris, 1931.
2
Rousso .CA'), Etude
du
contenu
et des jonctions
sociales
des
proverbes
pu/aai, Mémoire de C.A.P.E.S, ENS, Nouakchott; 1981-1982, p: 21.
3
Emy (P), op. cil., p. 164.
4
Il
s'agit
généralement
de
nobles
ou
de
personnes
issues
de
castes
traditionnellement
ignorant
l'an
du
verbe,'
qUI, se métamorphosent en
gï:iots ou anis tes du verbe.

CHAPITRE Il- LA FORMATION DE L'EPOPEE
y 1
wiinu: "hllUS !"
"A la Médina j'ai vu des (femmes) tressées à l'aide de la laine
J'ai dit : " que Dieu (les) protège"
A l'angle Mouss sortit un gaillard d'une douche
puis me dit "houss !"
Ces deux scènes juxtaposées par un jeu de rythme et de sonorités ne sont
pertinentes que dans la langue du poète: la traduction dissocie leur harmonie. Un autre
exemple renforce cette idée:
"Ngarmi kess njippimi galle Beess"
''J'anivai à Thiès et je descendis chez Bêsse"
De même, le pulaar a cultivé les genres mineurs comme les
"cifti" ou
proverbes et les "jaanis" ou jeux de mots.
La séance de devinettes a lieu généralement le soir. Elle suscite un échange de
propos entre un homme ou une femme âgée avec un groupe de jeunes gens des deux sexes.
L'ouverture de la scène commence par la fomlule suivante:
" Ciftanee kam ~" (Traduisez pour moi)
Citons au hasard quelques devinettes populaires
1. "ko juuti, ko juuti alaa mbeelu 7 " Réponse "laawol"
2. " Marga marga mes 7" Réponse "yaadu uuga e ceenal"
3. "Sagataa6e ndmii, mbii ina pella Alla ?" Réponse "tugaaje g,~le"
4. "Gorel heewa wulaango 7" Réponse "fetel"
5. " Gorel daDDel heewa bakaaji 7" Réponse "wutaanddu:' 1
Nous traduisons ainsi ces devinettes citées en poular:
l. "Ce qui est long, long et dépourvu d'ombre ?" Réponse "la route"
2. "Marga marga mes 7,,2 Réponse "la marche d'un sauteriau en terrain
sablonneux. "
3. "Des jeunes hommes debom,.décidés à tirer des coups de fusil sur Dieu."
Recueil
de
lexIes
de
/a
tradilion
orale
(Pu/aar)
, projet
tradition orale.
Réalisé avec le concours de l'ACer, Nouakchott, Juin, 1984. p. 40.
2
Onomatopée peule imitant la marche d'un sauteriau.

CHAPITRE II - LA FORMATION DE L'EPOPEE
92
Réponsc "les pieux d'une concession"
4. " Un petit homme aux cris multiples" Réponse"le fusil"
5. "Un petit homme aux nombreux habits" Réponse "l'épi".
A côté de la devinette qui instruit et plaît, le "jaanis" ou jeu de mots passionne
aussi les participants aux veillées familiales; il se caractérisé par une pauvreté thématique
s'opposant à une extrême richesse formelle. Le "jaanis" traduit à ce titre, la capacité
d'invention et la libre improvisation par association de rythmes et sonorités. Soit cette
composition de Abdoulaye Diack :
"Aset, Alet, Altine, Talata, Taltalol, jaas, ndakeeso, saara kay, sallasalkaa,
woy Samba tello e puccu am"l
"Samedi, Dimanche, Lundi, Mardi. .. intraduisible =jeu de mots...
oh Samba descends de mon cheval."
Autre genre, la chanson ou "njimri". Forme de la littérature orale, la chanson,
du fait qu'elle exprime toute l'importance de l'oralité, occupe une place de choix dans l'art de
la parole. Parfaitement élaborée et méticuleusemcnt agencée, "njirnri" qui signifie chanson,
poésie, est glosée par "paroles belles au coeur et à l'esplit". La littérature peule foum1ille de
chansons composées et déclamées au gré des évènements qui jalonnent le cours de la vie de
l'homme. Leur inventaire et leur analyse exhaustive nécessitent une étude spéciale. Nous
nous contentons ici de dter les "njirnri"
(au singulier "jimol" ou"gimol") les plus caractéristiques:
-les "mergi" (au sing" ou "mergol")
-les "mal li " (au sing "mallol")
- les "jimd'i moorol" ou chants de tressage
-les "jimd'i tuppo" ou chants de tatouage
- les"jimd'i sottoooe" ou chants de pileuses de mil
- la poésie esotérique
- les chants des initiés
- la poésie de circonstance composée à partir du fait divers le plus banal (par exemple au
cours d'une conversation ou lors d'une cérémonie familiale) ..
./"
Au vu de ces cas, il apparaît que la chanson ou poésie imprègne la vie du Peul
et confère à sa littérature une teinte lyrique que le parler des Peuls du Fouta-Djallon met
'1
Recueil de tradition orale, Nouakchott, Juin, Î984, p. 50.

CHAPITRE II - LA FORMATION DE L'EFOP'T -
suffisamment en relief. De la naissance à la mort,en passant par le mariage où s'enregistrent
de beaux épithalames, la poésie peule anté-islamique offrait des compositions vivantes. Mais
-, l'islamisation totale de la société a freiné le développement de genres profanes, et même elle a
étouffé ceux qui lui tournèrent délibérément le dos. Il s'ensuivit une régression, voire une
extinction des genres profanes au profIt des fonnes islamiques qui bénéficièrent de
l'expérience de leurs aînés. Ainsi les marabouts, en acceptant de composer avec les griots,
ont-ils enrichi leur talent pour diffuser le message islamique. Par conséquent, la poésie peu le
se présente comme une mise en pratique des possibili tés littéraires d'une langue, qui décide
de prendre en charge toutes les activités de ses locuteurs. Il s'ensuit une série de productions
originales du fait de leur diversité et de leur richesse.
Au terme de ce parcours à travers les genres traditionnels de la littérature
pulaar, on voit apparaître deux grands courants: les genres communs appartenant à toute
l'éthnie et les genres spécifiques propres à certaines corporations. Ces deux facettes d'une
même littérature délimitent un champ à la fois riche et exhubérant. Mais la grande originalité
de ces genres, c'est aussi leur perméabilité et leur profonde unité. Ainsi les "jaraalé" circulent
d'une fonne à l'autre, par exemple du "fanta~ "au "leele". Aussi un même mot désigne-t-il à
la fois le genre et l'instmment de musique- par exemple au Macina "hoddu" signifie guitare et
épopée - , un autre mot, "tinndol" désigne aussi le conte et le proverbe. En somme, les
genres bien que codifiés, avaient cependant le loisir, tout comme leurs interprètes, de
voyager.
En tout état de cause, le nombre et la distribution des genres d'nne part, leur
perfonnance et les conditions d'énonciation des récits de l'autre, sont caractéristiques d'une
littérature particulièrement dynamique. Le mouvement d'islamisation qui s'exprima
amplement à travers des jihâds, destinés à convertir le plus grand nombre, comprit très tôt
l'impact de fonnes traditionnelles et, au lieu de tenter de les dissoudre, les récupéra, au
contraire, pour y couler son message.
II - LES FORMES ISLAMIQUES
Au lendemain de la révolution théocratique, le Fouta-Toro, à l'instar du
Sokoto, du Macina et du Fouta-Djallon, connut une éclosion littéraire remarquable. La
nécessité de la diffusion de l'Islam au sein de toutes les couches de la sOCiété favorisa une
collaboration des lettrés et des orâlistes, qui reçut la bénédiction pleine et entière des"
marabouts, pourtant si opposés aux choses profanes. D'inspiration essentiellement islamique
ces formes exaltent Dieu, le Prophète Mohammed, Cheikh Tidjâne et son disciple Cheikh

94
Oumar. Ces compositions différent aussi des genres traditionnels du fait que, même dites en
poular, elles sont écrites à l'aide de caractères arabes.
Les formes islamiques sont, en gros, les "beyti" (au sing. beytoi), poèmes
sermonnaires doublés de louanges; "les guiris" au cha~ts des "almu66e ngay,,1 ; les tarikhs
ou chroniques enfin les "khutba" ou senllons du vendredi ou des fêtes (de la korité ou Aïd El
Fitr (rupture du Ramadan) et de la Tabasky ou Aïd AI Udhâ (fête du mouton). Ces
compositions sont interprétées en général par les aveugles ou par toute personne qui possède
une belle voix.
1°) LES "BEYTI" (APOLOGIE DU PRorHETE OU POEMES SERMONNAIRES)2
Voie royale pour pénétrer au coeur des formes islamiques de la littérature, les
"beyri" se défmissent commc des pièces ljui poétisent en peul la nilogie islamique: la chana
(loi), la Tariqa (voie, chaine mystique), la Haqîqa (vérité Eternelle, Allah). Déclamées en
poular, ces formes se dotent d'une puissance prodigieuse qui, allant droit au coeur de
l'auditeur, le gagne automatiquement à leur cause, d'autant plus qu'il ignore généralement
l'aridité des textes religieux. Cette force des "beyti" n'a pas échappé ail "prince des
beytôbe"3 du Fouta-Toro : Thierno Alhassane Diaw de Wodobéré plus connu sous le
sobriquet de Ihierno "Boy":
"ka ccemo Boy haali koo
Fawi ka e pulaar laabd'o cer
kettiid'o haa faami fof
Maa <indu jiI6aani".
"Ce qu'a dit Thierno Boy,
Relève du pulaar authentique
L'auditeur attentif
Les almuô8e
ngay (au sing. almuudo
ngay) sont des disciples en fin de
cursus
qui
décident
de
se
former· socialement
à
leur
future
tâche
de
marabout ou de sennonnaire. Ils s'affranchissent de toutes les
lois divines
ct deviennent comédiens,
bouffons, griots pour vaincre la timidité ou pour
se fonner.
Au bout d'un cenain temps, ils doivent abandonner ce mode de
vie. On note une tendancè il .Jendurcissement de nos jours.
/ '
2
Dans l'Introduction
à
la
liJlérature pulaar que nous rédigeons,
nous' avons
retenu dix beyti de Thicmo
Hamme Bàba Athie pour illustrer le genre. Il
convient d'ajouter que beyti vient de l'arabe "baït": vers.
3
Nous
nous
proposons
d'éditer
prochainement
son
oeuvre
dont
nous
ayons
recueilli
J'essentiel.
Cf notre
bandothèque.

UiAPI j Kt 11 - LA FORMATION DE L'EPOPEE
95
saura que tout y est clair".
L'histoire du genre montre que les "beyti" , qui remontent au delà du
XVIIIème siècle, maintiennent leur auteur dans l'an()nymat, alors que celles de la fin du
XIXème et du XXème sont signées. C'est ainsi que, dans toutes les théocraties - Sokoto,
Macina, Fouta-Djallon, Fouta-Toro - survivent encore des "beyti", et de nombreux auteurs.
Le Fouta-Toro connut et connaît encore de grands compositeurs, Demba Doûmel, Thierno
Abdourahmane Banâdji, Thierno Boy, Niokkâne Djiby Selly et le courant inspiré par le
Marabout de Madina Gounass : El Hadj Mamadou Saïdou Bâ.
, Avant d'aborder le "beytoi", il convient de définir le contexte de production
du genre. Né d'un double besoin de propager la foi islamique, de favoriser l'éclosion de
talents littéraires, le "beytoI", composé par un "beytôwo", est généralement interprété par un
autre qui porte le même nom "beytôwo". Les deux personnes - comme c'est le cas chez
Thiemo Boy - peuvent se confondre, mais la règle les dissocie. L'interprète, en général un
aveugle 1, s'appelle aussi Sally 2 "Finalement, même si on ne le connaît pas nommément,
on est sûr qu'il répondra lorsqu'on l'interpelle par "Sally", C'est un rôle uniquement
masculin" 3.
Demba Doûmel, aveugle en bas-fige, devint la vedette des "beyti", d'abord de
sa région de Yirlâbe, puis de toute la vallée du fleuve Sénégal où son passage attirait des
foules, suscitant aussi un accueil'royal. A cette "vedette" des années 1940-1950, Niokkhflne
Djiby Selly, interprète attitré des "beyti" de Thierno "Boy" n'a rien à envier, puisqu'il se voit
disputé journellement par des mécènes.
Les "beyti" ou poèmes sermonn31res, conçus comme un apostolat, se
déclamaient le soir dans les cours de mosquées. Mais cela n'a rien de spécifique, car à en
croire Paul Zumthor : "L'histoire de la poésie orale à travers le monde révèle Un(; constante
d'un autre ordre qui, dans un régime archaïque de l'imaginaire collectif, a pu revêtir une forte
valeur rituelle et raciale: la cécité de beaucoup de chanteurs. Les Grecs des premières
générations de l'écriture, aux Vème, IVérrie, lIIème siècles, interprétaient le nom d'Homère
comme signifiant\\' "Aveugle"4. Expliquant ce phénomène, Zumthor poursuit: "Dans des
sociétés ignorant notre notion d'handicapé, l'individu privé de la vue se garde intégré dans le
groupe en y gagnant sa vie avec la parole"5 En tout cas, certains "beytoooe" tirèrent un
grand profit de leur cécité comme Demba Doûmel :
.
Les autres handicapés physiques
" . /
Interprelent
rarement
des beyti.
2
Le mot sally dérive sans doute de l'arabe : "As-salât", la prière; sa[ fî, pne.
3
Guèye (T.Y.), àp. cil., p. 92.
4
Zumthor (P.), op. cit., p 218.
5
[d., p 219.

C:-iJ\\P1TRE 11- LA. FOR!\\·1ATi( )"[\\; DE l.'E·:POPEE
96
"Aleyka sala mullaahi !
kaale mo salmina ?
ko baban jeynaba e kursuumu
Baayaad'o anndinaa
o nawa 0 wanngmna asanmu
o holla koo mooftana
o wiyaa ardo won almaami
i\\Jande jamma finndinaa."
"Que la paix d'Allah soit sur lui 1
Dites qui est salué?
C'est le père de Zaynab et de Kalssoum
L'inspiré, le dOlé de savoir
Elevé au ciel,
On lui montra ce qu'on l'y a réservé.
On lui dit: "dirige [la prière], sois l'lmâme"
La nuit au cours de laquelle il fut réveillé."
Celle citation nous introduit en pleine thématique de "beyti" Ici ['auteur relate
l'ascension nocturne2 du Prophète Mohammed telle qu'elle est rappoI1ée par le Coran et par
l'exégèse classique.Les auteurs, usant d'accents épiques, ressuscitent aussi, à travers des
évocations héroïques, la Bataille de Bedr, la vie du Prophète, de ses compagnons, en somme
l'aube et le zénith de l'Islam. Mais les "beyti" rendent surtout gloire au Tout-Puissant:
"Mi yelli Rabbi jom baawd'e mo awwal mum na wad'i kaawd'e
No aaxir haawri jom jiid'e na teskoo baawd'e lillaahi"3
"Je glorifie mon Seigneur l'omnipotent, dont le début rempli de mystères,
tout comme la fin, étonnent ceux qui voient, et pensent à la puissance
d'Allah".
Le genre développe aussi des conseils pratiques:
Il s'agit d.u- Prophète Mohammed Le bey/ol se définit SlIJ:lOut comme ulle
apologie du Prophète, celle-ci constituant un acte de foi essentiel en Islam.
2
Blachère
(R.), Le Coran, Paris, 1966, Sourate XVII: Le
voyage
noC!urne, pp.
305-317 .
3
Mi yelli Rabbi jom baawd'e, bey/ol de Thiemo Hamme Bâba que nous avons
transcrit
el
traduit.

CHAPITRE II - LA FORMATION DE L'EPOPEE
97
0 '
~.
"Mo walla ardinaa galle, so feewii balle Kane bolle, 0 yarnirii besngu cPeen
golle, danee yaakaare fillaahi" 1.
"Celui qui jouit du privilège d'être chef de famille, s'il ordonne actes et
paroles [méritoires], recommande cette voie à sa progéniture, aura de l'espoir
près d'Allah".
Après Allah et son Prophète, les compositeurs chantent aussi Cheikh Ahmed
Tidjâne, le fondateur de la confrérie tidjâne, et son disciple Cheikh El Hadj Omar Tall,
propagateur de cette voie par un jihâd célèbre. Le succès de la confrérie explique en partie la
composition d'odes à la gloire des Cheikhs mais, surtout, l'attachement du talibé au Cheikh
semble le motif décisif. Au Fouta-Toro "Cheikh Ahmed Tidjâne, est la troisième figure de la
religion. Cheikh Oumar Tall en est la quatrième. Leur chapelet est dans toutes les poches.
Leurs noms sont sur toutes les lèvres. Leur amour est dans tous les coeurs. Ici le croyant
n'est totalement crédible que s'il est "tidianyanké"2:
"kutbunaa yaa sayku taanum nulaacPo men
waliyaafle fof njoocPaama bure maa e dokke maa !
walaw laabi fof nguddama illa cParika maa !
Mi yanta e been aaleebe daraniibe wirdu maa 1
Nodd06e Alla be ina njaara Aama daa."
"Oh notre Pôle, oh Cheikh (Tidiane), Petit-fils de notre Prophète3
Tous les Saints admirent tes dons et ton charisme.
Puissent toutes les voies êtres fermées, exceptée ta voie
Afin que je puisse me joindre aux fidèles pratiquant ton "wird"4
Ceux-là qui invoquent Allah et louent [le Prophète] Mohammed."
Cheikh Tidjâne est confondu ici dans une même louange avec le Prophète,
son aïeul. Le poème, par delà l'apologie, rattache la confrérie à l'orthodoxie, conformément
à l'enseignement du Cheikh Ahmed At-Tidjâne.
Ensuite El Hadj Omar semble avoir inspiré les "beytoobe" toucouleurs au
moins pour deux raisons: pour avoir été en même temps un digne fils du Fouta-Toro et un
1
Id.
2
Guèye (T.Y.), op. cit., p. 95
3
. Le Cheikh Ahmed Tidjâne est un descendant du Prophète.
4
Le "wird" désigne des prières spécifiques à une confrérie.

propagateur zélé de la Tidjanyya. Aussi, le plus célèbre "beytoi" à la gloire de Cheikh Omar
fut-il composé par son disciple Mohammadou Aiou Tyam. Il s'agit d'une biographie
hagiographique au titre symbolique: La vie d'El Hadj Omar Qacida en pOlilar 1, qui relate le
-- jihâd omarien. C'est aussi une épopée contenue dans un poème de près de 1200 vers. A
l'instar de Mohammadou A1iou Tyam, un autre disciple du Cheikh, originaire de la vallée du
Fleuve, précisément à Thioubalelle dans le Lao, Hammât Samba L y2, composa un fragment
épique d'assez belle facture:
"WaliyaaDe alla ardinaa kay ko kodda Adama
sayku so jolaama dawa Halwaar 0 i'\\alla to Ma1ckataa
so hiiri 0 hirnda 0 waaJtoya Maadinataa
Tawa koyd'e mum muusaani yaadu 0 tampataa."
" Les Saints ont pour guide le Dernier-né d'Adama.
Si Cheikh [Omar] le veut, il quitte HaJwâr le matin et passe la journée à la
Mecque.
Le soir, il se met en route pour passer la nuit à Médine.
Alors que ses pieds ne sont pas faligués, il ne se fatigue point de marcher"
La Mecque étant distante de centaines de kilomètres de Médine ne peut être
reliée, à pieds, plusieurs fois par jour que par un être extraordinaire. C'est l'aspect
miraculeux d'Omar qui a surtout frappé l'imagination des poètes. Ainsi les "beyti"
apparaissent-ils comme un complément naturel du prosélytisme rnaraboutique ; à ce titre, ils
ont popularisé les points essentiels de la doctrine islamique et confrérique. Ils ont également
voulu combler le vide laissé par certains genres profanes, en prenant en charge toute la satire
sociale. Cette littérature islamique, puisant dans les ressources de ['écriture et de l'oralité,
s'est constimée comme une école très vivante:
1
Gaden (H.), op. Cil.
/ ' 2
Tène
Youssouf
Guèye, 'dans
son
ouvrage
cité
en
référence,
p.
98
et
suivanles, commel
une erreur c"n altribuanl
]a patcmilé
de ce poème à Aii
Hammadi Ali.
Du reste, nous avons déjà transcrit, lraduil, annoté et analysé
ce fragment épique cf DlENG (S.), Thèse de Doctorat de l1lèrne cycle, pp. 383
à
432.
La
méprise
de
Guèye
provient
d'une
confusion
enlre
auteur
el
interprète.

"Elle soutient la résistance désespérée que les milieux culturels traditionnels
opposent dans les villes et même dans les campagnes à J'action corrosive de la
société de consommation et ses aspects négatifs" 1.
Les "beyti", par leur ancienneté et par leur dynamisme, traduisent à la fois la
grande capacité d'adaptation de l'Islam et Je caractère inventif des marabouts et des
musulmans peuls.
2") LES" GUIRIS" ET LES COMPOSITIONS DES" ALMU'B'BE NGAY"
Ces deux genres de la littérature islamique pulaar, bien que voisins, sont
ce'pendant distincts. Cultivés par des disciples en fin de cursus, "guiris" et chants des
"almuoDc ngay" ont connu une évolution très différente. Les "guiris" désignent des
compositions collectives d'étudiants célébrant les louanges de leurs meilleurs maîtres. Ces
poèmes étaient déclamés la veille du départ définitif des élèves, lors de la remise des
diplômes "Ijâza" aux impétrants. Ils étaient aussi repris à l'occasion des baptêmes ou des
mariages dans des familles maraboutiques. Le genre remonte au XYlllème siècle, et semble
aujourd'hui perdu. La tradition en a gardé cependant un vif souvenir: "Il y en eut de fameux
et J'on parle encore - sans se souvenir toutefois des poèmes eux-mêmes- de ceux composés à
l'honneur du grand Souleymane Bâl et plus encore de Almamy Abdoul Ghâdir. Il n'est
pratiquement rien resté de ces chants dont on est en droit de croire qu'ils devaient être de
nature largement laudative et peut être composés avec rime, étant donné la formation des
étudiants-poètes" 2
On peut penser qu'une fois de retour chez eux, les étudiants conscrvèrent
l'appellation "almuDoe" (élèves, étudiants) par modestie d'abord, puis par nostalgie. Ils
constituèrcnt des groupes qui prirent l'appellatIon de "almuooe ngay" (les élèves qui
chantent), Ces cercles se spécialisèrent dans la généalogie et dans l'anathème. Dans L1ne
série de développements où versets du Coran, extraits d'oraisons composées par des cheikhs
alternent avec des louanges adressées à un généreux donateur, les" altnuOoe ngay " débitent
un mélange d'arabe et de pulaar à une vitesse extraordinaire.
Progresssivement , les "almuoEie ngay " se radicalisèrent en se signalant à
l'attention du public par des cheveux longs et négligés, un accoutrement bizarre, le goût de
J'injure, le parasitisme, en un mot par un anticonformisme total. L'extrême. gauche du
mouvement acérut la rupture avec lcs règles de la bienséance et pritJé nom si expressif de
1
Guèye (T. Y.), op. cil.., p. 104,
2
. Id., p. 105.

C[-IhPITRE rI - LA FORvL·\\TfON DE L'EPCPE[
"almuooe ndanganaari" (les élèves qui n'ont pas froid aux yeux, qui n'ont peur de rien) :
"Ce phénomène de déviation malheureux a apporté à la société puular un nouveau type de
groupe de pression pressurant, exploitant et ruinant systématiquement et impunément des
familles entières. Il suffisait que ces hommes, aux cheveux hirsutes, vêtus de haillons,
franchissent le seuil d'une maison pour que les mères de familles s'affolent, car
curieusement, ces" quémandeurs" spéciaux ne s'adressent qu'aux jeunes filles, rarement
aux jeunes fenunes et jamais aux jeunes hommes" 1.
Les "almuooe" devaient s'exercer à parler en public et aussi à comprendre les
mécanisme sociaux durant la période de leur "almudaagal" ou stage. Devenus adultes, ils se
voyaient confiés les tâches d'imâme de mosquée ou de cadi. Ce stage leur permettait de délier
leur langue et d'être initiés à la vie pratique, si différente de l'univers des livres qu'ils avaient
mémorisé, en pleine soumission. La pratique d'une telle "récréation" s'expliquait par Ulle
volonté pédagogique afftrrnée et tolérée. Mais, les déviations aidant, certains "almuooe"
s'endurcirent, refusant de se reconvertir à d'autres responsabilités impliquées par leur âge.
Deux groupes de "almuooe" très dynamiques, entre autres, existent encore: celui de Demba
Tall, animateur d'émissions en pulaar à Radio Sénégal et celui de Niokkâne Djiby Selly, et
Bôkar Almuudo à Nouakchott. Leurs productions sont disponibles, les radios de ces pays
les diffusant au fil des jours sur leurs ondes,
3°) LES "TARIKHS"
Une fois le Corail et la théologie mémorisés, les lettrés peuls se mirent à
l'école de la langue, de la littérature et surtout de l'histoire arabo-islamique. A l'issue de leur
formation ou pendant celle-ci, certains sentirent la nécessité d'écrire leur propre histoire,
Ainsi, un vaste mouvement de collecte des traditions orales vit-il le jour, et permit-il de
rédiger des Tarîkhs ou chroniques qui inspirèrent les historiens de l'Afrique. A ce ti Ire, les
Tarikhs de Tombouctou méritent une mention spéciale: le Târikh es-Soudan2
d'Alxlerahmane es Saadi et le Tûrikh EI-Fcttach3 de Mahmoud Kâti.
Retraçant l'histoire du peuple Sonrhaï, de son empire, le Târikh es-Soudan
s'étale longuement sur le Packalik et présente Tombouctou au milieu du XVIIème siècle avec
magnificence. La chronique mentionne aussi les relations tendues qui existaient entre Peuls et
Armas, De son côté, le Târik:h El-Fettach4 brosse la situation de l'empire Sonrhaï jusqu'à
son déclin. Il évoque la conquête marocaine, la vie politique jusque vers le milieu du
/
---------'--~
1
Id.
2
Houdas (O,), Tarikh Es-Soudan, Paris,
1964.
3
Houdas (O.) et Delafosse (M.), Tarikh El Fettach, Paris, 1913.
4
Id.

XVIlème siècle, et surtout la condition de la population; insécurité, épidémies, crises. Sur ce
plan, le Fettachi permet d'apprécier le contexte socio-politique qui a précédé et permis
l'émergence du royaume bambara de Ségou el de l'empire peul du Macina. On ne dira jamais
assez l'apport immense de ces deux chroniques et les services inestimables qu'elles rendirent
aux premiers rédacteurs de l'histoire de l'Afrique.
Le pays toucouleur compte aussi ses chroniques dont la plus célèbre demeure
celle de Siré Abbas Soho En se fondant sur deux manuscrits du XVlIIème siècle, ce clerc
toucouleur rédigea les chroniques du Fouta Sénégalais l qui permettront à la population du
Fouta de renouer avec ses origines surtout mythiques, Soh écrit par exemple que;
'''Le premier prince qui régna sur le Fûta du Toro comme roi remarquable et
connu s'appelait Dya Ukka ou Dya Ogo, originaire d'une localité du nord de
la Syrie appelée Ukka"2
Puis suivent les principaux Peuls qui habitèrent la vallée du fleuve Sénégal
ainsi que leurs souverains.
Mais Cheikh Moussa Kamara demeure l'un de plus grands chroniqueurs du
Fouta-Toro et son Zuhûr AI-Basatîn3.(les fleurs des jardins) apparaît, à ce titre, comme un
chef-d'oeuvre. Dans cet ouvrage, l'auteur indique que les dimensions du Fouta s'étendaient
de la vallée du fleuve aux confins de l'Adrar et du Tagant. Ce vaste territoire, peuplé de
Sérères et de Soninkés, fut, avant, habité par des rois mythiques; Dyâ Ogo, Manna... Le
livre fourmille aussi d'autres renseignements historiques.
Outre ces grands chroniqueurs, la vallée du fleuve Sénégal regorge de
manuscrits divers allant de l'épopée à des traités d'histoires, mais surtout se définissant
comme des chroniques. Ces écrits se fondent essentiellement sur la tradition orale, surtout
sur les histoires de famille, car chaque groupe social, chaque famille garde jalousement son
passé. Dès lors la valeur scientifique de ces écrits ne peut résulter que de leur critique interne
et externe.
4°) LE "KHUTBA " OU SERMON
Il ne s'agit pas à proprement parler d'un genre, mais plutôt de forme fixe.
Pour ramener le fidèle sur la voie droite, les marabouts, appliquant la tradition prophétique,
Soh (S.A.), Chroniques du F oura Sénégalais, Traduction M. Delafosse, Paris,
1913.
2
Id., pIS.
3
Voir Fonds Cheikh Moussa Kamara, IFAN, Département d'Islamologie.

CHAPITRE II - LA FORMATION DE L'EPOPEE
102
furent obligés d'ajouter aux sermons du Prophète d'autres compositions plus adaptées à leur
époque et à leur milieu. Il faut ajouter que ces innovations se rencontrent auprès des
marabouts érudits, la grosse majorité préfèrant réciter les sermons du Prophète ou des
Cheikhs andalous et persans, sans rapport immédiat avec les préoccupations du moment. Au
Fouta-Toro, on peut citer le "khutba" de Nguidjilone célèbre pour sa consistance, et pour sa
haute portée théologique. Christiane Seydou, citant ceux du Nigéria, analyse ainsi leur
forme:
"Mais c'est incontestablement dans les prônes que se rejoignent pour se
combiner le plus heureusement, le symbolisme académique de la poésie
mystique et l'imagerie populaire traditionnelle qui lui redonne vigueur et sens;
richesse de l'imagination artistique et déferlement du verbe poétique
s'épanchent à profusion pour brosser tel tableau des Damnés dans la
Géhenne, telle fresque du Paradis bienheureux. La Koutouba (koutba) de
Sokoto et de Say en est un exemple fameux. Composé, à l'origine en peul, ce
prône du vendredi est encore plus connu par la traduction en arabe qui en a été
faite; il est encore régulièrement récité à l'office religieux du vendredi dans les
mosquées du nord Nigéria et à Say, au Niger. Ecrit par Dan Fodio, il fut
repris et remanié par Mohammed Bello, puis à nouveau enrichi par Moodibbo
Say célèbre pour son art du takmis" 1.
Le
"Khutba" permit aux lettrés peuls de toucher une large part de la
population: les sermons gagnèrent les ignorants et les hésitants, tout en consolidant la foi
des fidèles.
Au total, les formes islamiques de ]a littérature pulaar mettent en évidence le
statut bi-culturel des clercs peuls tributaires des cultures peule et arabe. Leurs oeuvres font
observer un passage continuel de l'oralité vers l'écriture et vice versa. En conjuguant
délibérément ces deux cultures, ils traduisent leur universalisme et leur liberté, habitués
qu'ils sont à courir derrière la vache le long de vastes terres herbeuses ou désertiques.
L'usage de la plume transforma l'Islam "progressivement en religion populaire et en force
nationale et politique"2. Et les théocraties surent en tirer parti.
. J
Seydou (C.)," Panorama de la littérature peule". in Bullelin de ['[FAN. T.
XXXV, Ser. B, nOl, 1973, p. 187. pp. 176-218.
2
Sow (A.I.). "Notes sur les procédés poétiques dans la littérature des Peuls du
Fouta
Djallon",in Cahiers d'éludes africaines. nO 19. vol. V. Paris, 1965, p.
370.

CHAPJTRE Il - LA FORMATION DE L'EPOPEE
103
50) LES COMPOSITIONS PERSONNELLES OU "NJIMRI NAALADKOOBEE"
A côté de genres traditionnels et des fonnes islamiques de la littérature pulaar,
s'est développé un courant plus personnel composé de.fonnes individuelles ou créations de
"naala!Jkoobe", anis tes consommés. Il s'agit d'oeuvres essentiellement musicales et qui ne
se réalisent que par la danse:
"D'une manière générale, le chanteur inspiré compose son air, quelques
paroles dont l'intérêt littéraire est fonction de sa valeur personnelle, recrute les
membres de son groupe, (batteurs de tam-tam, guitaristes, accompagnateurs,
agents de publicité) et, après s'être assuré une solide notoriété dans son
propre village, entreprend l'inévitable tournée le long du fleuve se produisant
d'un vi liage à l'autre avec des fortunes diverses" 1.
Le Fouta garde jalousement dans sa mémoire collective les compositeurs
suivants: Bocar Guèye, le poète qui chantait aussi bien en pulaar qu'en wolof, mon jeune.
Bocar était polyvalent: à la fois compositeur, batteur de tam-tam, chanteur et danseur. Il
fonna vers 1937 avec Bayal Samba Tène, doué des mêmes qualités, un ensemble d'une
harmonie et d'une entente magnifiques. Leur troupe fut grossie par d'autres artistes de talent:
Yaya Samba N'Daté, Kalmbâne Dioum et sunout Hamet Sy, le bouffon de la troupe. Cet
ensemble domina la vallé du fleuve entre 1937 et 1940. Le Fouta connut aussi d'autres
poètes originaux: "Amadou Kâwôye fut célèbre, mais rien n'est resté de son oeuvre conune
Penda N'Diabel elle même; Alpha et N'Dondi, plus récents sont, cependant, complètement
morts. Ce n'est vraiment qu'à panir de Bayai Samba-Tène que l'on retient les noms et les
créations: Bocar Guèye, Saïdou Mâri et son groupe, Ali Hamady, Kodda Gaye, Alasane
Manguâne, Wâli Seck et tant d'autres que leurs valeurs intrinsèques ont hissé au-dessus de la
foule"2
Il convient de signaler, au terme de ce chapitre, l'existence de fonnes
modernes particulièrement prisées par les jeunes. A proprement parler, il s'agit de fonnes
traditionnelles modernisées. Pour paraphraser Chénier, ce sont des" pensers nouveaux"
coulés sur des vers "anciens". A ce propos, le "wanngoo'~ panie musicale aux paroles
laudatives, constitue un cas typique. Les artistes portent un grand pantalon bouffant, une
chemise et en dansant font virevolter le pantalon. Sukka Hoore, Samba Diyé Sali, Rafâ
Athie, Sidi Baylel, sont devenus des"classiques en la matière.
1
Guèye (T. Y.), op. cil .. , p. 63.
2
. Id, p. 66.

·~

"
CHAPITRE II - LA FORMATION DE L'EPOPEE
104
Une autre étoile monte aujourd'hui au finnament de la littérature pulaar :
Baaba Maal et son ensemble "daande lenol", la voix du peuple. Il s'agit d'un orchestre
moderne qui utilise les instruments de musique occidentaux et fait de vaste tournées à
l'étranger. Baaba Mal s'est spécialisé dans le "Yelaa" qu'il hisse en ce moment au rang de la
musique moderne. Mais l'apologie mêlée au sentimentalisme vicient profondément les
fonnes neuves, malgré l'exploitation de thèmes modernes par Baaba Mal comme le racisme,
l'apartheid, l'imnùgration actuelle.
6°) L'EPOPEE OU "DAAROL "
Héritière des forines modernes et de fonnes pré-existantes de la littérature
,
pulaar, l'épopée participe du renouveau et de la continuité. Déclamée à l'apogée des
différents genres, elle apparaît comme le genre des nobles et comme le genre noble. Dès lors,
les gestes islamiques, en récupérant celles qui les ont précédées, se situent à un niveau
supérieur: l'épopée d'El Hadj Omar s'efforce d'illustrer cela, puisqu'elle met en pleine
lumière l'intertextualité des épopées peules ainsi que les apports islamiques.
Dès lors, les affirmations de Christiane Seydou tendant à présenter l'épopée
comme un genre que les Peuls auraient emprunté à leurs voisins, se révèlent discutables: "Le
genre épique tel qu'il se présente à travers ces textes, ne semble pas faire pm1ie du patrimoine
culturel traditionnel des Peuls pasteurs nomades tandis que, pour les Peuls sédentaires, il
constitue l'une des bases les plus fécondes et les plus populaires de la littérature orale" 1. Il
résulte donc d'un emprunt:
"Ces quelques points que nous venons de rappeler apparaissent comme autant
d'indices tendant à prouver que l'épopée serait, chez les Peuls, le résultat d'un
emprunt culturel"2
Mais la question gêne, en réalité, la grande spécialiste du monde peul:
"Mais si, au contraire, l'emprunt est non pas une excroissance culturelle,
mais la réponse à une aspiration, qui vient combler une" absence ressentie
comme telle ou qui sert de révélateur à une réalité existante et qui n'attendait
plus, pour trouver une fonnulation explicitée, que le surgissement d'un
schéma organisateur, alors, on est plutôr"tenté de voir en cette espèce de
1
Seydou (C.), Ham-Bodedio, p. 35.
2
Id., p. 36.

lU5
coïncidence "du hasard et de la nécessité" l'une des manifestations les plus
SÛTes de l'authenticité culturelle" 1.
Les arguments avancés ne sont pas convaincants. Un inventaire des genres de
la littérature pulaar révèle que l'épopée appartient aussi en propre aux Peuls. Il n'est pas
impossible que ceux-ci l'aient cultivée depuis les régions nilotiques. Des enquêtes effectuées
le long des pistes migratoires diront un jour ce qu'il en est. Mais d'ici là l'examen des
épopées peules, du double point de vue interne et externe, leur comparaison avec les formes
pré-existantes révèle leur caractère éminemment autochtone.
D'une manière générale l'épopée2 apparaît comme un puissant miroir où
l'artiste reflète la société, en même temps qu'il y exerce avec bonheur son talent. Au terme de
cette typologie des genres de la littérature pulaar, on constate que cette vaste production
fourmille de genres et de forines qui, bien que voisines, accusent des nuances. Les vues de
Paul Zumthor s'appliquent ici:
"Une forme n'est qu'exceptionnellement stable et fixe: elle comporte une
mobilité, provenant d'une énergie qui lui est propre : à la limite et
paradoxalement, forme égale forcc"3
Il précise plus loin:
" La forme n'est pas un schème, qu'elle n"'obéit" à aucune règle, car elle est
règle, sans cesse recrée, rythme "pur".
Le terme genre cst aussi ainsi glosé: "certes, le terme genre n'est pas sans
danger. De toutes parts on met aujourd'hui en question le contenu: chargé de valeurs
conventionnelles propres à la culture occidentale "classique", il se prête mal à
l'universalisation"4. Il ajoute:
" Les genres n'ont finalement d'identité que dans leur contexte culturel; les
traits qu'y discerne l'analyse ne deviennent pertinents que par lui: rapport
dialectique, que manifeste, le plus souvent, le vocabulaire usité dans le milieu
.
. , /
.
~/
1
Seydou (C.), Ham-Bodedio, p. 37.
2
Voir à cc sujet la récente synthèse assez remarquable dc Daniel Madclénat,
op. cit..
3
Zumthor (P.), op. cit.. , p.79.
4
. Id., pA7.

CHAPITRE II - LA FORMATION DE L'EPOPEE
l () 6
considéré, que celui-ci soit une ethnie prise globalement, une classe sociale ou
un cénacle d'initiés"," l,
Ces approches campent, en gros, le profil des formes et des genres de la
littérature pulaar : créations universelles, mais pertinentes dans une large mesure, au sein de
l'ethnie, Leur variation se définit par rapport à un contexte culturel implicite que leur discours
prend en charge, qu'il soit ou non improvisé,
B - LE POINT DE DEPART HISTORIQUE
Cheikh El Hadj Omar, géant de l'histoire africaine, à passionné plus d'un
historien et de nombreuses études ont été consacrées à sa vie et à son oeuvre2 Même si les
temps modernes s'opposent à la conception classique du héros messianique, "le chercheur
doit bien constater que certains destins individuels sont rebelles à laisser gommer leur rôle;
force est alors de les intégrer à l'analyse comme un des éléments constitutifs de l'évolution
historique,,3
El Hadj Omar appartient à cette catégorie d'hommes. A la fois personnage
historique et héros épique, puis polygraphe au talent affimJé, il demeure une figure
marquante de son temps. Aussi, pour apprécier correctement son épopée, convient-il, avant
tout, d'en rappeler le point de départ historique. A cet effet, nous examinerons tour à tour :
la naissance, la formation, le pèlerinage, le jihâd ou guerre sainte, la disparition. Cette
esquisse de la courbe de vie de Cheikh Omar permettra une meilleure intelligence des récits
légendaires et des versions épiques omariens.
l . LA NAISSANCE ET LA FORMATIaN
Grâce à l'abondante documentation relative à El Hadj Omar!, il est possible,
aujourd'hui, d'écrire l'histoire du combattant de la foi "Al Mujâhid Fi Sabîlil-Lâh", Cheikh
Omar Tal!. Les sources orales et écrites permettent de le situer dans le temps et dans l'espace,
de caractériser son oeuvre littéraire et religieuse. Malgré le style parfois hermétique qui les
1
Zumthor (P.), op. ci/., p.49.
2
Voir par exemple
Christiane
Seydou,
Bibliographie
générale
du
monde
peul,
Etudes
Nigériennes
tj~' 43,
Institut
de
Recherches
en
Sciences
Humaines, Université· de Niamey, Niamey, 1977.
3
Mari (E), "A propos de Al-Hadim Bi·AMR ALLAH : l'intrusion d'un destin
personnel dans l'analyse historique" , in
La
Revue
Sénégalaise
d'His/aire,
Dakar, Oct,. Déc,. 198D,vo!. 1, W 1, P 4.
4
BNP (Fonds Archinard), ANS (Archives Nationales Sénégalaises).

107
caractérise, ces sources pennettent enfin d'apprécier son action politique, même si dans
l'esprit du jihâd religion et politique s'interpellent. Eu égard à cela, le rappel de certaines
données s'impose.
Né à Halwâr)village situé à quelques dizaines de kilomètres en amont de
Podor, vers 1794, d'une famille maraboutique, Omar se'fit remarquer dès son jeune âge par
des dons exceptionnels. Il faut signaler cependant que cette date de naissance, comme toutes
les autres dates significatives de sa vie, reste controversée. F. Dumont 1 la situe entre 1794 et
1797 "l'Anonyme de Fez,,2 n'en parle pas, de même que la Qacida en pOlllar 3 de
Mohammadou Aliou Tyam, le biographe panégyriste d'Omar, alors que Delafosse4 et MageS
ava~cent 1797. Mohammed AI-Hâfiz6 du Caire, ainsi que Delavignette7 retiennent 1797.
L'Encyclopédie de l'lslam 8 stipule 1794 - 1795.
Mais en confrontant tradition orale et documents, on parvient à déterminer la
date approximative de sa naissance: la tradition orale donne unanimement soixante- dix ans à
Omar. Or si la date de naissance pose problème, celle de sa mort semble connue:
" La date de la mort du Cheikh est confmnée par les chroniques de Néma : " la
même année (1280) ,mourut AI Hadj Omar, sur l'ordre de Sidia Ben !-lamma
Lamine, après un long blocus,,9
Dès lors, la date de naissance remonte aux environs de 1794, compte tenu du
décalage existant entre les mois solaires et les mois lunaires.
Une autre indication renforce cette conviction: la tradition orale fait coïncider
la naissance d'Omar avec la bataille de Bongoye lO opposant l'Almamy du Fouta, Abdel
Kadcr Kane, au Damel du Cayor Amary Ngoné Ndela, en 1210 de l'hégire, soit 1794. Notre
chroniqueur, Niâgane ll précise que l'armée de l'Almamy sur la route du Cayor passa par
Dumont (F.), L'Anli-sultan ou Al-Hajj Omar Tai du Fouta combattant de la
foi.
Dakar-Abidjan,1974. pp 4-5,
2
Salene (J.), op. cit.
3
Gaden (H.), op. cit,
4
Delafosse (M), Haut Sénégal ,Niger. Tome l, Paris, 1952,
5
Mage (E). Voyage dans le Soudan occidental, Paris, 1868.
6
Al Hâfiz, Texte arabe, non traduit.
7
Delavignette, "Faidherbe", in ColonieS et Empires, Paris, 1947.
8
L'En-cyclopédie de
l'Islam. Paris, 1934.
/
~
.
,
9
Gaden (H), op. cit., (1280 de l'Hégire" 1864).
1 0
Verdat
(M),
"La
bataille de
Bongoye", in
Bul/etin
de
l'Enseignement
en
Afrique . . nO 15, 1952.
1 1
Voir Dieng (S.), Une approche de l'épopée omarienne d'après
la
chronique
d'El Hadj Mamadou Abdoul Niâgane,
Mémoire de Maîtrise, Dakar, 1978.

CHAPITRE li - LA FORMATION DE L'EPOPEE
108
Halwâr et, trouvant qu'Omar n'avait pas encore reçu le nom de baptême l, l'Almamy Abdoul
Kader excusa son père: le dispensant de grossir les rangs de l'amlée du jihâd.
.~ Ai~si Omar naquit-il dans une famille de dix enfan1s~dontil fut le dernier-né,
d'où son surnom de "Kodda Adama Aysé". (le dernier né d'Adama Aysé). Ses parents
appartenaient à la noblesse du livre2 Son père, Thierno Saïdou TaII, était un modeste
marabout, sa mère Sokhna Adama Tall devait son titre de Sokhna ( la purifiée) à sa grande
venu, faite de soumission aux parents et d'obéissance au mari. Les parents d'Omar ont
suscité une vaste littérature historico- légendaire: Thierno Seïdou maîtrisait parfaitement le
Coran tandis que Adama symbolisait la pureté corporeIIe et morale.
C'est au sein d'une telle famiIIe, empreinte d'une grande ferveur, qu'Omar
passa une jeunesse studieuse, révélant des dispositions extraordinaires pour les travaux de
l'esprit. A l'âge de huit ans, il mémorisa le Coran, se rendit par la suite auprès des savants
maures à Oualata, au Tagant. On signale encore son passage à Bogué, puis à l'Université de
Pire, au Cayor. II y aurait parachevé ses connaissances en théologie et en littérature.
Toujours assoiffé de savoir, il continue sa quête en se rendant au Fouta-DjaIIon, centre
international du mysticisme (Achrâr, prononcé lassrâr par les non arabophones) à l'époque.
C'est là qu'il reçut sa première initiation à la voie Tidjanyya, des mains d'un Cheikh nommé
Abdal Karim Naguel, près de Timbo.
Salenc 3 dans sa vie d'El Hadj Omar cite cette filiation que Cheikh Omar aussi
mentionne dans son Chef-d'oeuvre, Ar-Rimah 4 (Les lances). Mais l'itinéraire d'Omar en
quête de savoir théologique, littéraire et mystique est discuté, Omar Jah S et F. Dumonr6
présentent le parcours différemment. Jah soutient qu'après l'étude du Coran dans son village
natal, il se rendit à Bogué près de Thiemo Lanline Sakho, puis en Mauritanie:
" He studied under such of famous scholars as Cherno Al-Amin B. Abdallah,
a pupil in Mauritania"7
1
Il n'avait pas encore une semaine.
2
La noblesse ou l'aristocratie du livre désigne le groupe social des Torod'b e
(au singulier Toroodo). Le mol Toroodo signifie: les gens instruits. En 1776,
le parti
maraboutique
toucouleur,
sous Thierno
Souleymane
Bâl,
déclencha
une Révolution qui
mit fin au règne des
Peuls païens. Elle implante.. à la
place
l'almamyat
ou
théocratie.
3
Salcnc (J), op. cie.
4
Tall (El O.), Les Rimâh (Texte arabe), chapitre 28 p. 180.'
5
Jah (O.), "Relationship between the Sokoto Jihad and Jihad of AI-Hajj Umar:
A new assesment", the Sokoto seminar, 6-10 th, January, 1975.
6
Dumont (F.), op.cie., p. 8.
7
Jah (O.), art. cil.

CHAPlTRE 1). LA FOIüiATlOi\\ DE L'EFOPEE
10<.)
De son côté F. Dumont affinne que:
" C'est en Mauritanie qu'il reçut pour la première fois, l'initiation de la voie
tidjanite de Cheikh Mawloud Fall des Ida-ou-Ali Trarza. Il devait encore
recevoir cette initiation du Cheikh Abd - Al- Karîm Ibn Ahmad AI-Naqîl, du
Fouta-Djallon, ancien talibé du Cheikh Al - Murtada de Timbo... "1.
Au tenne de cette quête du savoir et du savoir-faire, Cheikh Omar retourna
d~ns son Haiwâr natal, "plein d'usage et raison". il devait se ceindre pour aller visiter les
Lieux Saints de l'Islam.
II - LE PELERINAGE
Sentant l'appel du cinquième pilier de l'Islam, Omar Saïdou Tall décida de
répondre, en se rendant aux Lieux Saints:
"Lorsqu'il eut accompli trente et trois ans
Alors fit ses préparatifs cet homme qui ne faiblira pas"2
La date de son départ suscite de nouvelles divergences: L"'Anonyme de
Fez"3 avance 1820, ajoutant qu'Omar avait alors trente trois ans, selon Gaden4 il se rendit à
la Mecque en 1827. Delafo~se5 et l'Encyclopédie de l'Isla01 6 proposent 1820; Vincent
Monteil7 sirue le départ en 1827. Autant d'auteurs, autant de dates. El Hadj Omar ne semble
pas parler de la date de son départ ou de son retour des Lieux Saints dans ses écrits. Mais
une lecrure attentive, de l'autorisation spéciale 8, que lui donna le Cheikh Mohamed El Ghâli,
nous en donne une idée. Cette autorisation est datée de la Mecque, du 22 Zul Hijja de l'année
Murchida. Thierno Mountaga Tall, petits-fils de Cheikh Omar et acruel Khalife de la famille
Tall pour le Sénégal, dans une collation du manuscrit, note qu'il convient de lire plutôt
Murchid, le "a" final, contraire à l'orthographe de Cheikh Omar, ne peut provenir que d'une
1
Dumont (F), L'Anti-sultan ... p. 8.
2
Gaden (H), op. cit.
3
Salenc (1), op. cit.
4
Gaden (H), op. cit.
/ '
5
Delafosse (M), op. cit.
6
Encyclopédie
de
/'Islam, op. cit.
7
Monteil (V.), L'Islam Noir. Paris, 1964.
8
TaI! (El O.). Les Rimah (Kitàbu Rimàh), Texte arabe non traduit, chapitre 28,
p.183.
.

erreur d'impression, car il ne temlinait ses écrits que par I;I et jamais par alif. Murchida
équivaut en arithmosophie à 1830 et murchid à 1829. On sait, par ailleurs, que le pèlerinage
à duré trois ans ; dès lors la date de départ se situe vers 1826-1827. Pour notre part, nous
retenons 1826, car la tradition, qui se plaît aux nombres symboliques, retient vingt ans
comme durée totale du pèlerinage aller et retour. Or la date du retour reste 1846, comme en
fait foi, du reste, un document d'archive l .
De son côté, la Qacida en poular 2 indique qu'Omar devait partir à la Mecque
en compagnie de son marabout Abdel Karim, mais ce dernier dut renoncer au dernier
moment: étant retenu par une maladie. Il mourut au Macina un peu plus tard. Le biographe.
du Cheikh, Mohammadou Aliou Tyam3 a cité l'itinéraire de son marabout: Fouta-Toro,
Boundou, Fouta-Djallon, pays Haoussa, Fezzan, Egypte, Médine, Mecque. Une fois en
Orient, Omar mit à profit son séjour. 11 célébra trois fois le pèlerinage, puis se fixa à Médine
où il fit la connaissance de Mohamed El Ghâli, Khalife de la Tidjanyya en Orient, qui ne
tarda pas à l'initier à la quintescence de la voie de Cheikh Ahmed Tidjâne. Sous l'instigation
du Prophète Cheikh Omar y rédigea son premier ouvrage: Rappel des Bien-Guidés et salut
des disciples 4; long poème de 205 vers. L'opuscule fut composé au Mausolée du Prophète
vers 1828. Il s'agi t d'un ouvrage à caractère mystico-théologique.
Une quarantaine d'autres ouvrages vont suivre, mais généralement ignorés du
grand public et méconnus des non arabophones. Profitant toujours de son séjour, Cheikh
Omar se rendit en Syrie et à Jérusalem, où il dirigea une prière à la Mosquée AI Aksa. A son
retour, il passa par la célèbre université AI-Azhar du Caire. Les témoignages sont
concordants: son érudition étonna les Arabes et il fut honoré par les docteurs du Caire.
Poursuivant son retour au pays natal, El Hadj arriva au Kanem Bornou où il
trouva les rois du Kanem et du Bornou en guerre larvée. Pour les calmer, il composa une
ode en acrostiche, au titre très révélateur: Rappel à ceux qui oublient la laideur qu'engendre
le désaccord entre croyants 5. Ce long poème de 197 vers en acrostiches, de mètre rajaz,
composé à partir des versets 9 et IOde la Sourate 49 du Coran, met en relief l'aspect
pacifique d'Omar, occulté par le formalisme du jihâdiste. L'auteur démontre, dans son ode,
la nécessité de la concorde et de la paix, tout en y fustigeant toute velléité belliqueuse, allant
même jusqu'à interdire de tuer une fourmi sans raison, a fortiori un semblable.
1
Gaden (H), op. cil. , vv 32 à 45.
2
TaI! (El O.), Tazkiral al Muslarchidîn
wa [alâhu
lâlibîn.
(Texte arabe non
traduit)./
. /
3
Gaden (H), op. Cil., vv 32 à 45.
4
TaI! (El O.),op. cil.
5
Guerresch (C.)," Tadkira al-Gâfïlîn ou un aspect pacifique peu connu de la
vie d'AI Hâdj Umar", in Bullelin de l'lFAN, Tome 39, Ser. B, nO 4 octoble 1977,
pp. 890-930
.
-

U 1,\\1, 11<" Il - U\\ j'UI<'MA IIUN Vl:. L'l:.I'()I'I::I~
1 1 1
Après le Kanelll, le Cheikh se dirigea vers le SOkOIO, Il y resta sept ans
anprès du souverain Mohammed Bello, fils d'Ousmane Dan Fodio, dont il devint, après les
or:lges des premiers conl:lcts, l'homme de confiance, et le général de son armée. Toul pone il
croire que c'est là que le Cheikh s'exerça au commandement mililaire, puisque le Sokoto
menait un jih:îd dans l'aire géographique qui COllvre le territoire frontalier exiSl:lnt entre le
Nigéria. et le Cameroun: l'Adamaoua, qui l'orle du reste le nom d'un général de l'année du
jih:îd nigérian.
Mohammed Bello ne tarda pas il subir l'influence de Cheikh Omar, et il
abandonna le "wird" Q:îdiriyya au profit du "wird" tidj:îne. Il fit même de son Cheikh son
héritier dans un leslamenl rédigé de sa propre main que celui-ci présenla il sa mort. Son
successeur nalUrel, Âliq, réfuta le teSla ment, arguant que le royaume de SokolO n'était pas la
propriété privée de son frère aîné, mais appartenait il leur commun père, Ousmane Dan
Fodio. Au même momenl, arriva Alpha Ahmadou, frère aîné de Cheikh Omar, venu il sa
rencontre. Ce fail précipita le départ d'El Hadj d'une part, mais aussi apaisa le conflit de la
slIccession royale d'autre part.
El Hadj se dirigea vers le Macina. Celte escale ainsi que celle de Ségou lui
attirèrent complots et inimitiés, Sllrlout il cause de l'importante escorte ct du prestige du
Pèlerin. Des tentatives d'assassinat échouèrent par miracle. Mais Tiéfolo, le souverain de
Ségou, le mit aux fers, pendant près d'un mois, et il ne dut sa libération qu'hl'intervention
de la soeur du roi, B:îjoll.
Pour se faire pardonner, Tiéfolo cOllvril Cheikh Omar d'honneurs et lui douna
une grande quantité d'or. Le prestigieux Pèlerin se rendit par la suite fi Kangaba où il fut bien
re,:u. Il y resla lrois mois; une case fut édifiée en son honneur qui devint, par la suite, lill
lieu de recueillement. C'est il Kangaba que Alfa Mâmoudou Kaba, roi de Kankan, lui prêta
un sennenl d'allégeance. Il demanda ensuite au Cheikh de l'initier il la Tidjanyya et de venir
avec hli il Kankan. Cheikh Omar accepla volontiers l'invitation; il fut bien reçu par les
habitants de Kankan auxquels il accorda le "wird" tidjflne, sans tenir comple de leur
condition sociale, cc qui augmenta considérablemelll son prestige.
De Kankan, El Hadj Omar gagna les hauts plateaux du Fouta-Djallon dont le
clirnat mystique lui semblait favorable. Il se souvint sans doute de son séjour duralH son
,,(\\nlescencc dans ce pays, auprès de son initi:lIeur il la Tidjanyya, Abdel Karilll. Dans tous
les cas, en arrivanl il Tilllbo, capitale de neuf "diwé"(provinces), Cheikh Olllar jouissait
d'une illlponanie suite. Il fut reçu par AIrnamy OUillaI' de Sokotoro, petit fils de l'Almamy
:îorv Mawdo de la falllille des Soriya, et non par l'AlmalllY Boubacar Dara, cOlllme
l'affirment certains chroniqueurs Illal infomlés. La rencontre des deux Oumar est fertile en
légendes à la mesure des deux personnages.

CHAPITRE Il - LA FORMATION DE L'EPOPEE
1 1 2
Selon la version de Fougoumba relative il la filllleuse rencontre de j'Almamy
Oumar de Timbo el de Cheikh El Hadj Omar, la venue du marabout fut précédée d'oracles,
formulés ainsi par les marabouts du Fouta-Djallon :
"Grand Alnwmi du Fouta, tu recevras bientôt dans ta capitale, un pèlerin
répondaI1l au nom d'Oumar 1. C'est un grand marabout qui vient dans le but
de se substituer :1 toi au trône. Mais celle substitution ne sera possible, et le
pèlerin lui-même en est convaincu, que si tu réponds à l'appellation "Tokora"
(Homonyme) qu'il te donnera. Grand maître du Fouta, prends donc tes
dispositions pour ne pas laisser le pays de tes ancêtres tomber dans les mains
d'un étranger"2
Quelques temps 'lprès, un vendredi soir, alors que l'Almamy Otlmar et touS
ses conseillers étaiellt assis dans la grande com de la mosquée de Timbo, on vit El Hadj
Omar et son imponante suite entrer dans la capitale. Les marabouts reprirent:
"Grand maître du FOLHa, ton hôte dont nous t'avions parlé est là. Tiens donc
compte du conseil que nous t'avons donné, car nous ne souhaitons nullement
qu'il se substitue à toi. Grand Almamy, tout le pays a les yeux tournés vers
loi."
A son arrivée dans la cour de la mosquée, El Hadj Omar descendit du cheval
que son hôte de Kankan, Alpha Mamoudou Kaba lui avait offert, et se dirigea droit vers
l'Almamy à qu'il tendit la main en disant: "130njour Homonyme."
Et sur la persistance du Cheikh, l'Almamy du Fouta répondit après le
troisième salut:
"L'Almamy, le seul maître du Fouta, n'a point d'honlOnyme. Sois
cepend.mt le bienvenu, ô hôte de marque t"
La nouvelle de l'arrivée du grand marabout, de renommée proverbiale, à
Timbo, se répandii comme une traînée de poudre dans les neuf "Diiwe" (provinces) du pays.
Au boul d'une semaine, Timbo devint le pôle d'allraction de tous les marabouts du Fouta :
Oumar ou
Omar désigne le même
nom
propre.
Nous
avons
retenu
Omar,
d'usage admis et devenu classique pour El Hadj Omar.
2
Version
recueillie
à
Fougamba.
Mission
de
Recherche
en
Guinée,
Avril,
1988.

C1IAPlTRE [[ - LA FORMATION DE L'EPOPEE
1 1 3
Les uns venant pour s'instruire, auprès de celui qui a émerveillé les théologiens des Lieux
Saints de l'Islam et cie l'Université AI-Azhar du Caire; les autres voulant satisfaire leur
curiosité. Les uns et les autres s'émerveillèrent, et le souverain chercha vainement à endiguer
l'altéi,'Tesse général des marabouts et la popularité du pèlerin prestigieux.
L'Almamy lui demanda d'effectuer une tournée d'enseignement à l'inrérieur
du pays. La qualité de ses conférences, ajoutées à son éloquence extraordinaire, séduisirent
les notables des lieux visités. Ainsi, son séjour à Mali décida-t-il le Chef, Karamoko Alpha
Mo Mali, à donncr à El Hadj Omar son' frère cadet afin qu'il l'instruise. La descendance du
frère de Karamoko Alpha réside de nos jours dans les villages de Sokoboli et Dara, dans la
préfecture de Dinguiraye. Elle détient deux manuscrits d'El Hadj Omar.
Le Cheikh continua sa tournée et ses sermons. A Dalen, dans le Labé, El Hadj
fut reçu avec pompe par le chef de la localité, Thierno Sadou Dalen, un érudit. A Timbi,
Thierno Sununu réserva au Cheikh un accueil rehaussé par une grande vénéra.tion.
Cependant, la faussc note de cctte mission apostolique se produisit à Kankalabé. Selon la
chronique de Fougoumba, le Cheikh fut reçu avec froideur par l'érudit local, Thierno Samba
Mombéyâ. Alpha Ibrahim Sow rapporte l'incidcut de la rencontrc :
"On raconte à Mombéyâ que lorsque le grand maître Seydou Tall (connu
sous le nom d'El Hadj Oumar) y vint lors de son séjour dans le Fouta, il se fit
présenrer le Filon 1 par l'auteur. Après lecturc, il le félicita, mais tint à lui dire:
"Cesse de traduire les écrits arabes dans notre langue, autrement lu feras
disparaîtrc la languc arabe." Le maître se formalisa el répliqua: "A Monbéyâ,
les trois bases de l'Islam SOIll connues: Qaalalaahu ("Dieu a dit"), Qaala
Rassuuluu laahi ("L'Envoyé de Dieu a dit") et Qaala Shayxu (" Le Docte à
dit"). !ci nous connaissons les trois Qaafs !,,2. Voulant dire aussi qu'il n'avait
rien à apprendre d'El Hadj Omar. Ce dernier dans sa colère, lui lança: "En
effet, tu es fort instruit; mais tu seras le dernier !" et c'est ce qui advint
puisque depuis la mort de Thiemo Mohammadou Samba,Mombéyâ a plus ou
moins perdu sa renommée,,3
La chronique de Fougoumba précise que Thierno Samba Mombéyâ s'est
repenti par la suite, en envoyant à El Hadj Omar, alors à Djegunko, une lettre très
.'ympathique. Auparavant, le Cheikh gagna Timbo où il passa la fête de la Tabasky auprès de
son hôte, l'Almamy Oumar. Une légende assez répandue à Fougoumba soutient que les
t
Sow (A.I.). Le Filon du bonheur éreme/, Paris, 1961.
2
"Qaaf" désigne une lettre de l'alphabet arabe.
3
Sow (A.I.), 01'. cil., pp.17 -18 (note 1).

CHAPrIl,E rr - LA FORMATiON DE L'EPOFEE
1 14
marabouts, qui avaient mis l'Almamy en garde contre le Pèlerin, le mirent en garde contre Ic
port d'un bonnet blanc lors de la prière de la 1'abasky, par LILI qLlelconqLle Ialibé du roY'L11nlc:
ce qui placerait le Fouta sous le joug d'El Hadj Omar. De nOLiveaLl, j'Almamy prit scs
dispositions, et envoya des missions dans les provinces de son royaLlllle, pour intcrdil\\:
fomlellement le port du bonnet blanc le jour de la fête,
Ces anecdotes OLi récits légendaires, relatés par les chroniqueurs, mOlllrenl
que la popularité d'El Hadj poussa SOn hôte à prendre ombrage de lui. Il constata amèremelll
9ue l'allégresse générale, suscitée par la venue du marabout, était préjudiciable à son trône.
C'est alors qu'il décida d'exiler le prestigieux Pèlerin à Djegunko, village du Kolen, silllé à
deux jours de marche de 1'imbo, relevant actuellement de j'arrondissement de Kalinku,
département deDinguiraye (Djegunko se trouve à RO km environ de Dinguiraye)
Deux raisons, au moins expliquent le choix de celte localité:
1) Hameau ordinaire, Djegunko assez distant de 1'imbo, pennel\\ait d'isoler le Cheik h dont la
présence à 1'imbo devenait gênante pour l'Almamy.
2) Village limitrophe du Fouta et du DiallonkadoLigou, Djégunko sert de bouclier au Fouta,
tout en exposant le Cheikh aux velléités expansionnistes des rois Diallonkés.
Une fois informé, Cheikh Omar accepta la proposition de l'Almamy. qui
ordonna aux neuf provinces de constituer une délégation pour l'accompagner. En outre, il
adressa une lettre à Modi Alimou Bolaro afin de lui faciliter le passage sur son territoire, mais
aussi de l'accompagner jLlsqu'à la sortie de sa capitale. C'est, dLi reste, ce que fit aussi
l'Almamy Oumar pour donner l'exemple.
Dès son arrivée à Djegunko, Cheikh Omar s'activa à construire une mosquée
et à fonder une zaouïa, école religieuse Oll \\es travaux de l'esprit alternaient avec les exercices
martiaux. En peu de temps, Djégunko devint l'une des plus importantes zaouïa tidjâne de
l'Afrique de l'Ouest, et il semble que le Cheikh y acheva la rédaction de son Chef d'oeuvre
Le Kicàbu Rimâh l, glose marginale du Chef-d'oeuvre de Cheikh Sid Ahmad AI-1'idjfme,
fondateur de la confrérie Tidjâni : lawâhir-i\\/·Maâni (La Perle des sens) qui contient
l'essentiel de la doctrine de la confrérie.
El Hadj Omar définit dans Le Livre des Lances sa philosophie religieuse; en
même temps il met la 1'idjanyya à la portée de la masse, affinnant que c'est l~ meilleure voie
pour accéder à nne connaissance approfondie de Dieu, mais non l'unique. Il convient de
signaler qu'une des causes du succès du jih5d omariell fut la démOCratisation de la confrérie:
Cheikh Omar offrant le wird indistinctement, sans considération de sexe, d'âge ou cie statut
social.
'l'ail (O.), Rimâhu hizb" Rahîm a la ""hur hiz/Jll lIajîm (Les lances des gClls
Idu parti] de la Miséricorde sur les gorges des gens du
parli
1
de Satan ici
Maudit.
(Texte arabe non
traduit).

CI IAI'ITRE Il - LA FORMATION DE L'EPOPEE
1 1 5
Après la construction de la mosquée de Djégunko, El Hadj Omar confia sa
famille et la formation religieuse de ses prosélytes à deux de ses ralibés éprouvés du Fouta,
auxquels il adjoignit son fidèle talibé et ami, Alpha Mamoudou Kaba, qui l'avait suivi depuis
Kankan. Après vingt années d'absences, il décida alors de retourner au pays natal. Entouré
d'ulle suite impressionnante, Cheikh Omar passa par le Fouta-Djallon, le Gabou, la Haute
Casamance, la Gambie, le Saloum, le Baol, le Cayor, le Walo, enfin le Toro. Il était précédé
par un de ses ralibés l'on éloquent, Ousmane Samba Diêwo, un "dia wando" 1 de Halwâr.
Cet éclaireur prépara la venue de son Cheikh, qui fut reçu partout avec
beaucoup d'égards. Son passage auirait des foules considérables, venues écouter ses
sennons, ou par curiosité, Il reçut de.nombreux cadeaux et bien des spectateurs vinrent
.,. '.
grossir sa suite. Il fut reçu à Donnaye, près de Podor, en 1846, par Caille2, Directeur des
Affaires politiques sous le Gouverneur de Grammont. Le Saint homme produisit une
excellente impression sur le Représentant de la France, qui lui remit des cadeaux au nom de
son pays.
Une fois au Fouta, le Cheikh envoya des messagers Cl des lettres dans les
différemes localités, demandant, à panir de Halwâr, à ses pareIHs lOucouleurs d'émigrer, car
la "cohabitation avec l'homme blanc ne sera pas aisée" d'une pan, et parce qu'il fallait,
d'autre part, "balayer du pays le paganisme".
Nombreux l'uremies ralibés qui répondirent à son appel.
Le premier Chef du Fouta à lui prêter serment de fidélité fut Alpha Oumar
Thierno J3ayla, Ull Wane de Kanel dans le Nguénar, suivi de Alpha Oumar Thierllo Mollé ct
de '\\lpha Abbass, deux autres chefs du Bosséa. Le recrutement suscita aussi quelques
hostilités, par exemple Elimane Rindiaw, un érudit, et Abdoul Bokar Kan, Ull chef,
refusèrent de suivre le mouvement omarien. On reprochait à Omar, dans les milieux
marabouliques, son jeune fige oule fondement douteux de son jihâd, tandis que l'aristocratie
refusa d'émigrer, à cause de ses privilèges.
A la tête d'un contingent appréciable de disciples aux origines diverses et aux
condilions sociales variées, Cheikh Omar emprunta la rive droite du fleuve Sénégal pour
retourner dans sa zaouïa. Sur le chemin du relOur, il Cul au mois d'Août 1847, aux environs
cie Sake!, une entrevue avec Je Gouverneur du Sénégal, De Grammont, en tournée
d'inspection dans la région. Au cours de l'enlrevue, le Cheikh demanda au gouverneur des
c(lnriilions particulières pour acheter des armes_ Ce dernier Je laissa regagner le Fouta-
Djalloll, après lui avo.ir tenu de vagues promesses de collaboration. El Hadj arriva à
Djégunko en pleine saison des pluies.
Catégorie
sociale de
'a société
toucouleur,
intclligentc
mais
intrigante.
Cf
Gaden. (11.), op. cil.
1
Voir ANS.

l l 6
Malgré la grande audience dont il jouissait au Fouta-DjaUon, El Hadj Omar ne
put séjourner, après son retour du Fouta-Toro, qu'un an et demi à Djégunko. Selon des
traditions orales, repri~~~ aussi par des chroniques, Cheikh Omar vit en song;le Prophète
Mohammed qui lui dit avec insistance :
"Retire-lOi vers le nord. Cette localité n'est pas la tienne. Va bâtir' ta ville au
centre du royaume animiste voisin que tu auras mission de convertir. Tu
trouveras, à l'endroit où tu dois t'installer, un troupeau important de buffles
couchés. Au centre, tu verras un buffle mâle debout sur une termitière. C'est à
,cet endroit là que tu dois t'installer avant d'allumer la flamme du jihâd. Tu
n'as plus rien à attendre ici. Va donc!".
Les chroniques, interprétant ce songe, s'accordent à noter que le buffle mâle
debout sur la termitière représeme El Hadj Omar sur le trône d'un grand empire; le troupeau
de buffles couchés, la soumission des peuples voisins au Cheikh. Ce songe mit fin au séjour
de la communauté omarienne à Djegunko, mais auparavant, El Hadj envoya des pionniers
parcourir la région afin de repérer le site vu en songe. Au bout de sept jours de recherche, un
groupe de pionniers-chasseurs découvrit la localité corrune annoncé: un buffle mâle debout
sur une grosse termitière et un nombre important de buffles couchés tout autour.
Les éclaireurs, conduits par Alpha Ousmane Sôsso, originaire du Diwal de
Kébali dans le Fouta-Djallon, s'en retournèrent informer le marabout, qui sollicita l'endroit
auprès de l'Almamy du Fouta. Celui-ci répondit que le site ne relevait point du Fouta, mais
du Diallonkadougou. El Hadj réussit à obtenir le permis d'occuper ce lieu, moyennant le
paiement d'un tribut annuel au souverain local.
Le départ de Cheikh Omar de Djégunko est jalousement gardé par la tradition
orale, car il scella un pacte d'alliance entre l'Almamy Oumar de Timbo, Mody Alimou Bolâro
du Kolen, Alpha Mamoudou Kaba de Kankan et Cheikh Omar. Les quatre pierres où ils
s'assirent, au moment du départ, sont toujours à leur place à Djégunko, et font l'objet d'une
grande vénération. De Djégunko, El Hadj Omar et son imposante suite s'installèrent dans un
campement situé à trois kilomètres de la cité prédite: Dinguiraye. Cette localité porte encore
aujourd'hui le nom de Karamoko-Fouga, en souvenir du grand marabout Foutanké.
La région naturelle qui abrite Dinguiraye est à proprement parler une
succession-de massifs montagneux, coupés de plateaux caillouteux appelés "Bôwé" (au
singulier "Bôwal"). Elle est située en grande partie entre les vallées arrosées par le Bafing,
qui porte plus loin le nom de f1euve Sénégal, et par le Tinkisso, affluent du Niger. Ces deux
f1euves sont alimentés par de nombreuses rivières plus ou moins importantes: Kunsilin,

~.• " " • , ,,~ .. - Lr\\ rVI<IVIA J lVN 010 L'EPOPEE
1 17
Walandama, Mini, 8ouka, Kébali, Koubl et Yiro. Ces rivières arrosent des plaines très
kniles, favorables à la riziclIlture inondée.
:
La ville de Dinglliraye proprement dite se trouve dans une ClIvette, dominée
par lice ceintllre fonnée de montagnes eL de collines, Un Lel cordon donne au berceall de
l'empire omarien un aspect défensif évident. C'esL à la saison sèche de 1849, allX mois de
Février-Mars, qll'El Hadj Omar an'iva dans le Dinguiraye, venant du FOllLa-Djallon. Le
souverain du Diallonka, probablement Tamba
Boukari, l'autorisa à s'installer ùans cet
endroit désert qui séparait ses états du nord eL ceux du sud. Deux raisons semblent avoir
amené Tamba à céder au marabout le celllre de son pays:
1) L'important tribut que lui versait annllellememle Cheikh allait accroître ses ressources.
2) Ce nouvel hôte constituait lin appui contre ses sujets du Oulada et du Bélaya, lOujourS
réfractaires à SeS orùres.
Une fois à Karamoko-Follga, Cheikh Omar s'employa à viabiliser
Dinguiraye. Il divisa ses talibés en trois grands groupes de travail. Le premier groupe,
chargé du défrichement, était dirigé par Alpha Ousmane Sôsso ; le second, chargé de la
eonstruction du tata, était placé sous la direction du diawando Ousmane Samba Diêwo ;
quant au troisième groupe qui avait pour mission de construire la mosquée, il était confié à
l'architecte polyvalent, Samba Ndiaye Bathily. Pour mener à bien les travaux, Cheikh Omar
créa une atmosphère de saine émulation entre les groupes constitués. Panolit où il passail,
non seulement il galvanisait les travailleurs par son savoir el son éloquence, mais il donnait le
bOIl eXLIllpie en participa ru effectÎvemenl au travail. Sur la même lancée, un conège de grioL.S
d'éloquence éprouvée tenait les travailleurs en haleine durant toute la jo.umée, les poussant
"insi à dépasser, de lI'ès loin, les UOllues qui leur élaientjoumellellleni assignées.
Grâce à une lellc organisalion rationnelle du travail, au bout d'un an,
DlIlguiraye bénél1cia des deux monuments indispensables à sa sécurité et à la piété: le tata et
la mosquée. Au même mOlllent, alors que le premier groupe avait fini de déCricher, il alla
édifier, au centre de la cité, à l'esl de 1,1 mosquée, une nouvelle et puissante forteresse: le
"Junfulun" ou la résidence du Cheikh Omar. Un extrait du rapport du lieutenant Bouchez
donné une idée de la forteresse.
"Ce tata comportait trois enceintes: la première de forme sensiblement
elliptique et de 18(X) mètres environ de développement, était constituée par un
mur erénelé, en pierre et monier, de 4 mètres de hauteur. La deuxième et la
. plus imponante, de 6 mètres de hauteur, octogone irrégulier de côté de 100 à
]50 mètres, doct chaqué angle érail muni d'uce tourelle débordal1Ie à plusieurs
érages, ce qui assurait un flacquement effeclif. La troisième enceinte de 6
mèlres dé hauteur également, épousait en partie le tracé de la seconde sur les

faces les plus exposées, pour les doubles, en ménageant entre les deux, un
chemin de ronde protégé de 40 à 60 mètres de largeur" 1.
Cheikh Omar resta dans ce cadre sûr de 1849 à 1851. Au bout du dix-
huitième mois, Yimba Sakho, jaloux de la popularité de son hôte, mais craignant surtout les
armes à feu dont disposait le marabout, acquises grâce à l'or que ses talibés extrayaient des
placers aurifères voisins, envoya son griot Djéli Moussa Diabaté demander a~ Cheikh
l'impossible. Au contact des jihâdistes, Djéli se convertit. La guerre devenait inévitable.
, A partir de ce moment la vie d'El Hadj décrivit deux courbes:
1) Quinze' années de méditations, de confrontation, de préparation active, allant de 1834 à
1849, venaierit de prendre fin.
2) Quinze autres années de guerre sainte au jihâd s'ouvraient allant de 1849 à 1864.
III - LE JIHAD
La genèse du jihâd d'El Hadj Omar le rattache aux mouvements similaires qui
l'ont précédé: Sokoto, Fouta-Djallon, Macina, Fouta-Toro entre autres. A l'instar de ses
illustres devanciers, Omar prépara sérieusement son jihâd en multipliant lettres, discours,
sermons, messages, largesses et prières. Il réussit à lever une armée qu'il fonna d'abord à
Djégunko, puis à Dinguiraye.
Au vu de ses réalisation, la jalousie suscita une grande révolte dans la
\\)iallonkadougou, et Yimha Sakho trouva un prétexte pour attaquer le marabout. Il dépêcha
sun confident, le griot du trône Djéli Moussa Diabaté, pour une mission quasiment
impossible consistant à poser à Cheikh Omar des conditions Inacceptables:
1) Remettre au roi, impérativement, l'ensemble des fusils.
2) Lui donner une de ses filles en mariage.
3) Lui céder son cheval blanc, Mbôlou.
Ayant jaugé le rapport de forces Djéli préféra embrasser l'Islam, refusant de
retourner près de son maître. L'épopée raconte à sa manière l'attrait irrésistible exercé sur
[)Iéh qui le [Xlussa il embrasser la cause d'Omar et du jihâd.
En apprenant le ralliement de Djéli au camp omarien, Yimha envoya LIn autre
messager pour réclamer le néophyte. Après audition du message, le conseil des jihâdistes
Bouchez
(Lieutenant),
"Historique de
Dinguirayc",
in Bulletin du Comité de
['Afrique
française. n07. 1913.

1 1 <)
décida, à l'unanimité 1 qu'il était inadmissible dc livrer un musulman il un païen. Au cours du
second message du Diallonkadougou, Yimba ordOlina il ses troupes de marcher
sur
Dinguiraye. A l'attaque de la ville par les troupes du roi fétichiste du Diallonka, Omar
ordonna il ses troupes de riposter. La légende rapporte qu'après l'échange des premiers
coups de feu, les soldats de Yimba furent plongés dans un sommeil de plomb et furent tous
décapités. Les lalibés venaient de remponer la première bataille du jihâd. Ce succès les
galvanisa, et les mit sur la voie d'une guerre sainte, qui va les mener des massifs
montagneux guinéens aux falaises de Bandiagara.
Pour éviter une seconde allaque, l'amlée du jihàd décida en effet de marcher
sur Tamba, la capitale du Diallonkadougou. Il convient de rappeler que la fondation du
Diallonkadougou remonte aux premières armées du XIXème siècle par un homme du
Lougan, nommé Yimba Sakho qui fonda un village près de Tamba, l'ancienne capitale,
rebaptisée Dhabatou par El Hadj Omar. Yimba 1er réunit les villages voisins, et créa une
capitale: Tamba, puis entreprit la conquête de provinces voisines. L'histoire retient le nom de
son successeur, Tamba Bouklin, qui fut très puissant, au point de défier le roi Garau venu
l'assiéger. C'est lui qui autorisa Eilladj Omar à s'installer il Dinguiraye. Il fUI remplacé par
Yimba Sakho qui lulta contre El Hadj Omal".
Avant de marcher sur Tamba, Cheikh Omar divisa son armée en trois corps
correspondant aux trois groupes de travail qui édifièrent Dinguiraye. Le pn:inier, et le plus
nombreux, était celui du Toro dom il prit le conunandemeIli en personne. Les deux autres
corps de l'armée élaierll
celui du Nguénar et celui de Yirlabé, dont il confia le
commandement il lieuX de ses lieutenams : le Diawando Ousmane Samba Diêwo ct ivIamadou
Dian Sàré Bôwal, un Peul originaire du Timbo; les traditionalistes soutiennent que l'armée
omarienne comptai 1 313 guerriers, en d'autres termes, aUlam de comballants que l'armée de
Mohammed à la bataille de Bedr.
l)ans sa marche sur Tamba, l'année du jihâd passa la nuit en route sur un
colline Oll se tint un conseil militaire. Le lendemain fur mis au point le plan d'attaque, tandis
que les dernières recommandations étaient réitérées. Cette colline, située entre Dinguiraye el
Dhabatou pone, depuis, le nOm de "Pellun Waaju" (colline du conseilmilitaire)2, ensuite, le
rassemblement des talibés sc fit 'Iutourdu Cheikh qui pritlesjihâdistes il témoins. Ousmane
Samha Dlêwo s'adressa à El Hadj Omar en ces termes:
Les
versions
du
Foutu
Toro
dÎvcrgcnt
ici
avec.
la
version
de
Dinguirayc.
Niagâne sOlltient que ce sont
les Toucouleurs qui décidèrent
de la guerre, à
la différence des Peuls qui ne souhailaient que la paix.
2
Nous
l'avons
visitée
lors d'une
Mission en Guinée en
Avril
1988.
Elle esl
d'un aecès assez difficile.

CHi\\PITRI~ Il - LA FORMATION DE L'EPOPEE
120
"Louange à Dieu, à son Prophète Mohammed el il toi "Koclcla Adama Aysé".
Les denx Fouta, le Manding, le Tonmanéa, représentés par leurs fils qui ne
souhaitent que mourir au Service de l'ISlam sont avec toi. Nous jurons de
réduire au néant ce petit royaume animiste du Diallonkadougou."
Cheikh Omar répliqna :
"Vaillants combaliants d'une noble cause, JC loue votre courage et votre
ferveur. Que Dieu et son Prophète Mohammed bénissent les deux Fouta, le
Manding et le Toumanéa que vous représentez ici si dignemelll, je vois que
vous êtes aussi détcrminés que moi il soumelire par la force de l'épée ce petit
royaume animiste du prétentieux Yimba Sakho. C'est une mission que nous
avons reçue de Dicu. Même si nous devons tous mourir, il faut qu'elle soit
accomplie. Mourir <hms une telle circonstance vau! mieux que sept pèlerinages
à la Mecque. Soyez assurés que ceux parmi nous qui mourrOI1l au cours du
jihâd, scront panni les premiers compagnons du Prophètc Mohammed le jour
de la résurrection. Dieu élant avec nous, nous vaincrons sans coup férir.
Et pour nous aider dans ce lie noble el1lreprise, Dieu a mis à notre scrvice
deux puissantes armécs pour nous secourir. La première est composée
c1'anges munis de lances, la seconde de diables munis de gourdins. f\\U
moment du combat, tous les soldats de l'amlée fétichiste qui seront couchés
sur le dos, seront lués par les anges. Ceux qui seront couchés sur le venu'c,
saignant du nez, seront victimes des diables. Soycz assurés dc notre vinoirc,
Dieu est avec nous."
Et l'assemblée, très enthousiaste, reprit en choeur:
"Dieu est avec nous. Nous vaincrons les enfant de la souillure. Allons donc,
plus de temps à perdre" 1.
La légcnde ajoute que la participation des anges et des diables au combat fut
ell'cclive. Nous pensons que le discours du Cheikh avait, el1lre autre objectif, de rassurer les
talihés il la veille de leur première grande bataille. Le recours au merveilleùx s'explique ici
pour des raisons psychologiques tendalll à galvaniser les guerriers.
,:
Tradition
recueillie
à
Dinguiraye,
avril
1988.
I!
1
1.'t.~l1t:.,

CHAPITRE II - LA FORMATION DE L'EPO?EE
12 i
Une autre légende rappone qu'au cours de cette marche en pleine saisoll
sèche, l'armée du jihâd fut, à plusieurs reprises, menacée de périr de soif, mais les dons
~
,
miraculeux du Cheikh suscitèrent un cours d'cau ou une source. Il lui suffisait d'égrener son
chapelet, puis d'ordonner à un de ses talibés de dép!acer telle pierre, pour que jaillisse un
filet d'eau, à l'emplacement initial de la pierre. Et une fois la troupe ravitaillée, la source
disparaissait miraculeusement.
A Tamba, Yimba avait aussi mobiiisé ses rrollpes. La guerre commeriçii. fi
Hadj Omar n'eut raison de Yimba qu'après trois mois de siège. De guerre lasse, Yiniba se
repentit, puis accepta d'embrasser l'Islam. Et pour rassurer El Hadj Omar, il déclara:
" 0 Maître, laisse nous un de tes disciples ici pour qu'il nous ensèign~ les
principes fondamentaux de l'Islam" J.
Sans arrière pensée, El Hadj Omar confia cette mission à son talibé le scirii;;ke
Souleymane Gassama. Quelques temps après, abusant de la confiance de Cheikh Omar,
Yimba ligma son instructeur et panit avec lui à Goufoudé, où il espérait prendre le pouvoir
par traîtrise, en assassinant son cousin Bandiougou. Mais celui-ci, aveni, le tua avant de
libérer Souleymane Gassama, qui s'en fn! inronner le Cheikh.
El Hadj Omar réclama alors à Bandiougou les biens de Yimba' et, devant sail
refus, une guerre éclata entre eux au cours de laquelle périt le souverain de Goufoudé. De
retour de celle IUlle, le Cheikh passa par Tamba qu'il fit occuper par ses fidèles. Pour purifier
la ville, il la rebaptisa, l'appelant Dhaba!Ou, un autre nom de Médine, ville où repose
rVlohammed.
Se sentant assez fan, Cheikh Omar quiua définitivement Dinguiraye, le
Dimanche 21 Mai 1854 (Je 2 du mois de châ- biln, en l'an 1286 de l'Hégire), pour "balayer
les pays" du paganisme. Imbus de leur nouvelle victoire, les jihâdistes vont égrener,
dorénavant, un chapelet de batailles allam du Bambouck au Macina.
Un aperçu des événements s'impose. L'année du jihâd soumit aisément les
royaumes situés entre le Bafing et la Falémé, de 1854 à 1855. Puis ce fut la conquête du
Kaana, facilitée par la conversation volontaire de Mâmady Kandia : l'année entra à Niora
sans coup férir en 1855. A l'horizon, pointait le Bâkhounou que les talibés ne tardèrent point
à envahir en 1856. Le Macina envoya alors une fane colonne, commandée par Bâ-Lohbo
l3ôkar, pour stopper J'avancée d'El Hadj Omar. Mais elle fut anéantie par un détachement
commandé par Alpha Oumar Thierno Bayla : sur ordre d'El Hadj, les mans furent enterrés el
les blessés soignés, puis renvoyés chez eux.
Kamara (C.
M.), La vie d'El Hadj Olliar • (traduit
de
l'arabe
par
À.Samb,
Dakar,
1975).

CHAPITRE II - LA FORMATION DE L'EPOPEE
122
L'année Jes combattants de la foi changea alors de direction: se tournant vers
l'ouest, elle se dirigea vers les rives du Bafing en Avril 1857. El Hadj Omar installa alors
son qua nier général à Sabouciré, sur la rive gauche du fleuve Sénégal. C'est là qu'il apprit,
en plein Khasso, par Khanoum Samballa son disciple, que le demi-frère de celui-ci, son
ancien disciple Dioukha Samballa, roi du Khasso, venait de parjurer et de s'allier avec
Faidherbe. Les rappons du Khasso et du jihad onHlrien méritent qu'on s'y attarde, puisqu'ils
éclairent du même coup la confrontation du mouvement omarien avec la domination
coloniale. Une littérature fort appréciable existe à ce sujet; nous signalerons seulement celle
qui se rapporte au Khasso l ~insi que les données légendaires fournies par la tradition orale2.
Résultant d'un métissage entre Peuls et Malinkés, les Khassonkés fondèrent
sur la rive droite du fleuve Sénégal, aux XVlIème et XYlllème siècles, un royaume puissant
appelé Khasso. II s'étendait du Séro à la limite des pays Soninkés, couvront alors: le
Tomora (Tambatinti), le Samakasse (Sabouciré), et avait pour capitale Kouniakâri. Vers la
fin du XYlIlème siècle, des guerres interminablcs entre les chefs du Khasso et les
Bambaras, doublées d'une crise dynastique, obligèrent les Khassonkés à s'exiler. Les
Bambaras Massassi occupèrent le pays à leur dépan. Hawa Demba, prince Khassonké,
s'exila au FOUla, puis revint fonder Médine et l'actuel Khasso auquel il donna son nom: le
Dembaya ou Khasso Dembaya. Né vers 1769, Hawa Demba fut un garçon à la fois vaillant
et intelligent, ce qui le distingua des autres enfants de son père, Diba Samballa. Ainsi, Jès
j'adolescence, il participa aux campagnes guerrières de son grand père, ùemba Séga.
Dunulthon 3, qui lui rendit visite en 1822, en donne le pomait suivant:
"Hawa Demba, écrit-il en 1824, est un hOIllme de cinquantt: ans environ,
bien conservé, un peu rouge de peau, d'un rire agréable et J'une physionomie
ouvene et fraîche, mais son regard est terrible quand il a quelque sujet de
mécontentement, il est d'une taille moyenne et un peu venm,"4
Delafosse (M.), /ialle-Sénégal - Niger, Paris, 1912, Tomes 1 et 2.
Monteil
(C.),
Les
Khassonké:
monographie
d'll;,e
pellplade
dll
SOlldan
français,
Paris, 1915.
Cissoko
(S.M.), Conlriblleion à {' écude de l' histoire dll
Khasso, Thèse de
DoclOral d' Elat, Paris, 1979.
2
Tradition
orale;
informateurs;
Abdoul Wahâb San, instituleur en relraite à Médine
Oury
Demba
Diallo, professeur au lyeée de Kayes, descendant des rois du
Khasso.
3
Commerçant
français,
établi
à Saint-Louis.
4
Cissoko (S. M.), op. cil. p. 280.

CHAPITRE Il - LA FORMATION DE L'EPOPEE
123
En fin stratège, il pratiqua une politique d'alliance matrimoniale, ce qui
conforta sa position: "son alliance est recherchée par le Chef de Niani Marigot dont deux
envoyés sont en ce moment à Mamory pour demander en mariage une de ses filles" 1,
poursuit Ouranthon. De 1823 à 1824, il annexa une partie du Bambouck le Niatiaga, le
Gadiaga (Gal am) avant de se fixer à Koignou, où les Français avaient établi un comptoir
flottant. Là, il fit la connaissance de l'explorateur Fernand Ouranthon et réalisa le parti qu'il
pouvait tirer du commerce français. La fondation de Médine résulta de ces ambitions du
Hawa Oemba.
Située sur la rive gauche du fleuve Sénégal, à douze kilomètres en aval de
Kayes, Médine s'élève sur un site stratégique: colline escarpée descendant en pente douce
vers le fleuve, la ville sc trouve coïncée entre une véritable muraille de pierre elle fleuve. Site
défensif, sans conteste, Médine fut aussi choisie par le souverain à cause de sa position:
carrefour, exceptionnellement favorable au commerce. Ainsi fondée vers 18252 , Médine
devint très vite la capitale du Khasso et les relations avec la France se nouèrent assez
facilement.
Hawa Demba deviIll le Chef incontesté de la région: il annexa à ses
possessions une panie du Bambouck, le Niatiaga, le Gadiaga, le Logo. La domination
politique se traduisit assez tôt par un essor économique. La main-mise sur le Bamboltck
regorgeant d'or, la riche vallée du Logo et du Niatiaga, favorisa le développement d'un
commerce local à Médine: or, céréales, gomme arabique. Ce qui attira très vite les Français,
en quête de l'Eldorado colonial. I-Iawa Demba lia amitié avec Duranthon, ce qui scella Ics
rapports entre Médine et la France, il donna même sa fille, Sadioba, en mariage au Français;
de cette union naquirent un garçon, Charles, mon en France, et une ft Ile, Marie, enlerrée
dans le Fort de Médine.
L'explorateur voulut construire une résidence à Médine; le souverain accepta,
mais refusa qu'elle fût fortifiée, traduisant ainsi son moi profond: bien que voulam profiter
du commerce français, Hawa Dcmba ne voulait point se donner un maître, fûl-il son beau-
fils. Accepter la fortification de la résidence du Duranthon équivalait pour Hawa Oemba à
"avoir deux rois sur une même peau." La seule fortification fut donc celle du roi. Mais, vers
la fin de son règne, les négociations reprirent avec la France pour la construction d'un Fort,
ct ce sera chose faite sous le règne de ses enfants.
1
Cissoko (S.M.), op. cie.. p. 296.
2
La fondation de Médine se situe entre 1825 el 1827. La date precise divise les
informateurs.
Médine
n'existait
pas
avant
1824.
La
première
mention
de
celle ville est faite par Gérardin, gérant de la Sociélé commerciale du Galam
ou Gadiaga à Rakel, dans son mémoire de Juillet 1827.

m
'tMC?,,-
=
CHAPITRE II - LA FORMATION DE L'EPOPEE
124
Hawa Demba avait en effet beaucoup d'enfants dont les plus célèbres furent:
Killri Samballa, Dioukha Samballa, Khartoum Samballa, Makhassé Samballa et Demba
Yamadou. La politique française consista à développer les relations économiques avec le
Khasso. Les Français fondent donc la société du Galam en 1820 qui acquiert le monopole du
commerce, donc de la gomme sur le Haut-Fleuve. Ainsi à partir de 1824, le Khasso devint
un des objectifs de la société du Galam, et par conséquent du gouvernement de la colonie,
d'autant plus qu'aux maigres productions du Gadiaga s'opposait la richesse du Khasso, de
la vallée du Logo et du Niatiaga, regorgeant de matières premières. En oUlre, le Khasso était
voisin du Kama dont les caravanes, au lieu de se diriger verS le Galam, préféraient se rendre
sur les placers aurifères du Bambouck ou aux comptoirs de Gambie, amenuisant de la sorte
le commerce français.
Nées de la volonté du Chef Khassonké de s'approcher du fleuve, afin de
profiter du commerce avec les étrangers, les négociations entre les Français et Médine prirent
une nouvelle tournure, avec la nomination du Généra'l Louis Faidherbe au poste de
Gouverneur du Sénégal. Elles aboutirent sous le roi Dioukha Samballa, troisième roi du
Dembaya après son père Hawa Demba et son frère Kimi Samballa. Les Français purem alors
construire un Fort, d'autant plus que la nouvelle impulsion donnée à Médine par les relations
franco-Dembaya n'était pas sans danger: les chefs voisins, jaloux de Iii suprématie du
Dembaya, contestaient alors l'idée de construire un Fon à Médine et suscitaient des
inquiéllldes chez El Hadj Omar, leur nouvel allié, devenu gênilnt pour le commerce français.
Dioukha Samballa céda alors un lopin de terre à Faidherbe. Le 12 Septembre
1855, la colonne coloniale française débarq,ù\\ à Kayes et arriva à Médine le lendemain, 13
Septembre. Les travaux du Fon commencèrent deux jours plus tard, le 15 septembre, et il
prirent fin le 05 Octobre. La précipitation s'explique par la menace du jihâd. Le terrain, cédé
par le roi, fut vendu à la France aU prix de cinq mille francs plus mille deux cents francs de
cadeaux par an 1. Ainsi, vingt jours suftïrent pour ériger à Médine le Fon militaire dom les
restes dominent encore la bourgade actuelle2 Suivirent la résidence de Paul Holle - maison
du commandant et des officiers - bureau de poste, tribunal, chambre de munitions - , la tour
de guet. Les autres unités seront construites après 1868: la gare et l'école.
Une fois achevée la construction du Fon, Faidherbe le confia à Paul Holle.
Les jalons de la puissance coloniale française venaient d'être posés à Médine et la conquête
du Haut-Fleuve devenait une réalité. Mais, en vrai stratêge, avant même la fin des travaux du
Fon, Faidherbe convoqua, le 30 septembre 1855, tous les Chefs du Khasso el signa avec
Annuaire statIstique, Kayes, 1971, p 5.
2
Lors d'une mission effectuée à Médine en 1988. j'ai v,sIle le Fon Militaire
dont le mur d'enceinte demeure intact. Seules les quatre pointes défensi ves
nécessitent
de
légères
réparations.

CHAPITRE II - LA FORMATION DE L'EPOPEE
125
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eux un lrailé de commerce et d'alliance. Etaient concernés les chefs du Dembaya, Logo,
Niatiaga, Bambouck, Gadiaga. les Français négocièrenl aussi avec les Chefs du Kaméra et
, .
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du Guidimakha. Un trailé fut conclu le 6 oclobre '1855, assurant aux Français la libre
navigation sur le fleuve depuis Bakel jusqu'à Médine.
!:"
La confédération du Khasso plaça ainsi Médine et ses voisins sous la
proteclion de la France. Mais un phénomène nouveau allail bouleverser cene alliance
française sur le Haul-Fieuve : le jihâd d'El Hadj Omar. Depuis sa victoire sur le
Diallonkadougou, le jihâd omarien volait de victoire en victoire. De 1850 à 1854, El Hadj
. Omar ruina la vieille royauté des Massassis du Kaana dont la capitale était Nioro. Le jihâd
changea de direcIion el progressa vers l'ouesl, vers le Khasso Dembaya. Il ne rencontra
aucune résistance entre 1854 et 1855 1 an Khasso, celui-ci à la différence des royaumes
Massassis, n'étail pas animiste2 Le Khasso était musulman praliquant la Qadryya : Hawa
Demba s'étant affilié à Cheikh Sidya, celui-ci lui ordonna de baptiser sa capitale Médine, sur
le mode mohamédien. C'est pourquoi, à l'arrivée d'El Hadj Omar, tous le chefs du Khasso
lui firent leur soumission. La tradition orale khassonké raconle qu'El Hadj remenait aux
soumis des gourdes et des chapelets, d'où l'expression: la "politique des pelites gourdes."
A Médine Kinti Samballa, deuxième roi du pays, traita avec l'illustre Pèlerin.
Il mourul en 1854, et fUI remplacé par son frère Dioukha Samballa, qui mainlintle Khasso
sous le joug omarien.I1 plaça du reste un contingenl militaire, chargé de l'aider dans ses
conquêtes, sous l'ordre de son frère Kharloum Samballa. Mais une série de causes se
conjuguèrent et envenimèrent les relations entre le Dembaya et Cheikh Omar. Elles se
résument en une cause psychologique, une cause politique et une raison économique.
Selon des versions diverses, maiS'concordanles, Kinti Samballa et son frère
Dioukha Samballa ne s'entendaient pas depuis leur plus lendre enfance, leur différend
remontant à leur naissance. Dioukha et Kinti, fils de deux coépouses de Hawa Demba,
naquirent le même jour. La naissance de Dioukha précéda ceUe de Kinti de quelques instants.
Après l'accouchement, la mère de Dioukha Samballa envoya un griot annoncer au roi la
nouvelle. Trouvant le souverain cn train de manger, le griot se gêna et attendit la fin du
repas. Au même moment, arriva un forgeron qui annonça la naissance de Kinti Samballa. Le
griot ajouta: "J'étais venu pour une commission semblable, mais comme vous preniez vOIre
rèpas je n'ai pas voulu vous déranger. Dioukha a accouché d'un garçon un peu avant Kinti",
"Tant pis, répliqua le roi, c'est l'accouchement de Kimi qui m'a été annoncé le premier. Son
Suret-Canale
(J.),
Afrique
Noire
occidentale
et
cenrrale
.
Géographie
.
Civilisation - Histoire,
Paris, 1961.
2
Médine
parla
le
nom
de
la
ville
du
Prophète
Mohammed
sur ordre
<je
Cheikh Sidya Bâba El
Kébir, Cheikh maure "qâdiri".

1
.~
CHAPITRE II - LA FORMATION DE L'EPOPEE
126
fils est l'aîné et devra me succéder" 1. Cela marqua Dioukha Samballa qui n'accepta jamais le
droit d'aînesse de Kinti Samballa, pour qui il n'eut point d'égard. Ainsi, dès qu'il monta sur
le trône, il chercha à rompre les relations avec El Hadj Omar, contractées par son frère Kinti
Samballa.
De leur côté, les Français ne pouvaient pas tolérer l'édification de l'empire du
jihâd qui, à plus ou moins longue échéance, leur interdirait les pones du Soudan. Ils étaient
aussi choqués par le pillage répété des traitants wolofs, entre Bakel et Médine, opéré par
l'armée toucouleure qui manifestait ainsi son hostilité·aux Français.
D'autre pan, les royaumes v~isins de Médine ne cessaient, d'instiguer El
Hadj Omar contre le Dembaya, leur rival, ainsi que ses alliésfrançais. Et le jihâd, qui rêvait
de fonder un puissant Empire musulman au Soudan Occidental, voyait mal l'occupation de
Médine par les Français. En outre,la situation politique et économique de cette ville suscitait
les convoitises de plus d'un jihâdiste.
Face aux exigences de plus en plus insupportables d'El Hadj Omar, selon les
versions du Khasso, - le wird tidjâne était obligatoirenient adopté après l'islamisation, il
fallait en outre pourvoir en vivres les troupes du jihâd, - Dioukha Samballa se révolta: Les
infonnateurs soutiennent, unanimement, que la goutte d'eau qui fit déborder le vase demeure
la co'nduite inconsidérée d'un disciple de Cheikh Omar qui, envoyé par son maître réclamer
des vivres au souverain du Khasso, réveilla celui-ci de manière incorrecte. Dioukha Samballa
remit aux émissaires Foutanké la gourde et le chapelet, symboles de la soumission de son
frère Kinti Samballa. Pour marquer la rupture totale, il alla trouver Cheikh Omar pour lui
signifier de vive voix son indépendance, puis il envoya un de ses frères, Makhossa
Samballa, réclamer le retrait du contingent Khassonké de l'année du jihâd. Mais ceux-ci
refusèrent de partir. Le roi du Khasso convoqua alors le conseil et "excommunia"
publiquement, du Dembaya, les princes Khassonké du camp omarien à la tête desquels se
trouvait Khartoum Samballa2 . D'un commun accord, les notables décidèrent que ni
Khartoum Samballa, ni ses descendants ne pouvaient prétendre au trône du Khasso dont ils
étaient indignes, puisque coupables de trahison.
De son côté, Khartoum Samballa demanda alors à Cheikh Omar de le
réhabiliter, même au prix d'une guerre contre sa patrie. Aussi les Malinkés du Logo, ceux du
Bambouck et les Diakité du Niatiaga, voyant dans le différend opposant le Dembaya à El
Hadj Omar le moyen de porter un coup fatal à Médine, jouèrent le rôle de catalyseur principal
du siège de la ville. Le jihâd refusa de céder aux revendications du Prince Khassonké,
t
Tradition recueillie à Médine, Avril, 1988.
2
Jusqu'à ce jour, "unité de la famille royale ne s'est pas rétablie.

CHAPITRE Il - LA FORMATION DE L'EPOPEE
127
Khartoum Samballa. El Hadj Omar vint stationner à Sabouciré, la capitale du Logo, située à
16 kilomètre environ de Médine.
Composée de 23.000 cavaliers et fantassins, environ,l'armée d'Omar
descendit par le Tomora et campa au Logo. Elle attaqua Médine le 2 Avril 1857 1. La version
de Médine affirme que la ville était entourée par un Tata et la Résidence des Français par le
Fort; entre les deux il y avait un chemin boisé. Les Khassonkés disent que les Toucouleurs
attaquèrent en premier lieu, alors la riposte des Français et des Khassonkés fut terrible.
Banue, l'année du jihâd fit retrait et alla se refoffiler dans le Diombokho et au Kingui.
Ayant refait ses bases, l'imnée du jihâd revint à l'attaque de Médine. au mois
.de Juin. L'assaut le plus meurtrier eut lieu, selon la tradition orale, la nuit du 3 au 4 Juin vers
3 heures du matin. Là aussi, le massacre fut terrible; cependant, sous la pression des
jihâdistes fanatisés, le Tata du roi faillit sauter. Mais les troupes omariennes se trouvaient
coincées entre deux feux: celui des Français et celui des Khassonké ! La deuxième allaque
s'avérant vaine, El Hadj Omar décida de réduire Médine par la faim.
L'armée assiégea Médine pensant que la capitale du Khasso se rendrait.. Mais
Dioukha Samballa el Paul Holle informèrent Saint-Louis. El Hadj Omar avait bien calculé, en
choisissant la période des basses eaux. De Bakel, le lieutenant Essart, venu au secours de
Médine, échoua à 20 km du marigot Papara, à l'ouest de l'actuel quartier Khasso de Kayes.
Les Foutankés chargèrent: ses compagnons périrent, il mourut peu de temps après. Les
Khassonkés ct leurs alliés commencèrent à manquer de vivres et de poudre. On raconte aussi
que Paul Holle voulut faire sautcr le Fort, faute de munirions. C'est au milieu de ce désespoir
qu'arriva Faidherbe, le 18 juillet. Il débarqua sur la rive gauche du tleuve. Aliaqués à la fois
par la troupe française commandée par Faidherbe el par les feux croisés du Fort et du tata,
l'année du jihâd n'avait d'issue que la fuile. Médine venait d'être libérée.
Les jihâdistes furent donc banus, mais les conséquences du siège de Médine
se révèlèrent néfastes pour les deux belligérants. Pour El Hadj Omar, la défaite suscita une
crise de confiance au sein de son armée. Selon les Khassonkés, il se créa deux camps: les
pro-omariens et \\es anti-omariens, dans la région. Le prestige du Cheikh connut un certain
déclin sur le Haut-Fleuve. D'un commun accord, Dioukha Samballa et les Français fixèrent
la frontière de ses états au tleuve Sénégal: les états de la rive droite appartenant au Cheikh,
ceux de la rive gauche au Franco-Dembaya. Quant à Médine, elle vit son prestige s'accroître
par celle victoire sur les Foutankés. Malheureusement, une famine s'installa au lendemain
du siège, qui avait duré d'Avril à Juillet. Notre informateur, Oury Demba Diallo, soutient qu'
après les hostilités, il n'y avait plus qu'une seule vache à Médine. De leur côté, les Français
Archives Nationales - Monographies du Cercle de Kayes
ID-ID 42.
~..:.

CHAPITRE Il - LA FORMATION DE L'EPOPEE
pouvaient désormais organiser leur commerce, à partir du poste de Médine, refusam
,-;
cepcndant toutc confrontation avec les omariens
Dans le jihâd omarien, l'épisode du Khasso marque la confrontation de deux
puissances: les Français el El Hadj Omar. Lc point culminant de celle confrolllation fut sans
conteste le siège de Médine. Dès lors, l'attaque de la ville apparaissait comme un paravent
des tulles incessantes qui vont opposer Français et Omariens. Médine, en faisant appel aux
Français voulait stopper l'avancée du jihâd au Khasso, mais du mêill(; co'up elle fit bascu'ier
le Khasso Dembaya dans le camp des possessions françaises.
Le jihâd arriva ensuite au Kingui, pays des Diawara, où une JUlie sans merci
l'opposa au' chef Karounka Diawara, pendant sept ans. Le courage ex~eptibnnelde ce héros,
spécialiste de la guérilla et de la contre-guérilla, lui vaut des développemeJlts mythico-
.,
légendaires dans l'épopée omarienne. Entre-temps, Cheikh Omar retourna au Fouta-Toro en
1859 pour y lever des troupes, ses campagnes ayant décimé une bonne panie de son armée.
Grâce à ses sermons, il put gagner une importante fraction de ses parems à la
cause du jihâd.A son retour du Fouta-Toro, Cheikh Omar engagea le gros de ses troupes
vers le Kingui et Karounka 1 fut vaincu. La cUlllpagne qui s'annonçait mit Ségou sur la rb'ute
du jihâd; or le royaume bambara ét,ùt célèbre pour son paganisme et sa puissance militaire.
Les premiers accrochages eurent lieu de Décembre 1859 à Janvier 1860. Les
classiques de la colonisation font remonter cel affrontement à la rancune, noume par Cheikh
Omar, à la suite de son emprisonnent par 1'iéfolo, alors qu'il revenait de la Mecque. La
réalité semble plus complexe: en quittant Ségou, Cheikh Omar n'y laissa pas des ennemis,
mais des disciples, puisqu'il avail conveni le roi el sa soeur. lllcur demanda, par mesure de
prudence, ue garder secrète leur foi par peur de représailles animistes.
L'année oillarienne arriva à Ségou au moment où l3ina Ali monta sur le trône,
Il'
'forokoro Mari, le successeur légitime, éram victime de sa nouvelle conversion à l'Islam. En
septembre 1860. l'année du jihâd livra la bataille de Woytêla, particulièrement difficile, alors
que Cheikh Omar s'installait à Sansanding. Le 20 Févlier 1861 eut lieu la bataille de Thio 0"
la coalition Macino-Ségovienne fut mise en déroute par les jihâdisles.
A la vue ue cel échec, Ali Da Monzon quilla son palais et s'enfuit, sonnam
ainsi le glas de la dynastie des Diana. L'empire Ngolossi avait vécu. Ali se dirigea vers
"
Hamdallahi olt l'Emir peul du Macina, Ahmadou Ahmadou, lui donna J'asile.
La guerre fratricide entre le Macina et l'année omarienne, entamée depuis
Kassakéri, devint alors inévitable. L'accueil que le Macina réserva au Pèlerin, les incursions
. ,
.
répétées du Macina en zone omariennc, cn lin mot ses dispositions hostiles, visibles dans la
Karounka 'fut exécllté le 31
mai
1860.
Ironie du son
! une de ses filles
épousera
plus
lard
Tidjâni.
neveu
de
Cheikh
Omar' el
qui
devint· roi 'du
Macina,
3près
le
désaslre
de -Déguembéré.'·
, , ,1·
::"

CHAPITRE fi - LA fORMATION DE L'EPOPEE
129
protection offerte à Ali Da Monzon, ajoutées aux rivalités ethniques et confrériques, donncnt
les origines lointaines et proches du conflit.
Une fois maître de Ségou, Cheikh Omar envoya des émissaires à Hamciallahi
capitale de l'Empire peul, pour réclamer Ali, le roi fuyard. Puis une correspondance fUI
échangée entre le Cheikh et le Souverain. F. Dumont et Mohammed Al-Hâfïz ont traciuit el
commenté ces lettres. En tout état de cause, les arguties juridiques se fondaient moins snr
une interprétation du Coran ou de la charia que sur des rivalités ethniques. L'examen du style
et de la forme de cette littérature épistolaire met en évidence une nette supériorité de Cheikh
Omar, plus âgé et plus érudit que son rival Ahmadou Ahmadou. Citons en quelques
exemples:
Hadj Omar remit une lettre à Thierno Haïmouthe, une lettre scellée pour
l'Emir peul:
Toi, Ahmadou
Ahmadou,.
tes dispositions envers
mOI
sonl
manifestement hostiles jusqu'à l'agression et'cela est clair comme brille à la
vue la flamme d'un feu allumé sur une mont<Jgne. Tu as envoyé, en erret,
contre moi, dans Je Bakhounou, Abdoulaye Bori Am'Sala avec une année que
. Dieu seul détruisit, l'empêchant ainsi de réussir sa mission" 1.
La réponse du prince peul fut prompte, apportée par son oncle Bâ-Lobbo et
Nouhoun. Cheikh Omar était toujours à Sansanding. En voici la teneur:
"Je te donne à choisir entre te soumettre à moi, comme c'est pour toi
l'obligation la plus étroite, el retourner au pays d'oll tu es venu. Je t'accorde
un délai de trois jours pour faire la soumission ou bien plier tes bagages,
sceller tes chevaux au poil ras2 , et tenir prêts tes meilleurs guerriers, car
j'enverrai contre toi des gens âgés de 20 à 25 ans. Car c'est des individus de
ta sorte que le Prophète (le salut éternel de Dieu soit sur lui) a dit: "Tuez-les".
A cet ultimatum, Cheikh Omar répondit:
'.,..-
Sissoko (M.), "Chroniques sur El Hadj Omar ct Cheikh Tidiani", il1
Bi,lIe"l/
de
l'Educatiol1
africail1e (Bulletin de l'Enseignement en A.O.F.), N° 96 Cl 97.
Janv-Sept., 1937, p 132.
2
Les chevaux les plus solide et les plus rapides (noie du traducleur).

CHAPITRE 11- LA FORMATION DE L'EPOPEE
130
"Tu es devenu un infidèle l, puisque tu as calomnié le Prophète (sur lui le salut
éternel de Dieu), Celui-ci, au contraire, considère comme permis de te
combame et que ton sang soit répandu à flot ainsi que celui de tous ceux qui
sOnt avec toi, et cela, à cause de la calomnie que tu viens de commettre. En
effet, dans son ldâhLlILl DOl/djillLl, l'auteur arabe écrit:
"Quiconque nie l'évidence est devenu un infidèle et se joue de lui-
même.
Quiconque affirme comllle pemlises les choses interdites est devenu
un infidèle, car l'interdiction en est fonnelle et notoire"2.
Ces propos trahissent, dans un développement linéaire d'une trame
événementielle, les traits psychologiques des deux protagonistes. A celte logomachie succéda
très rapidement le dialogue des annes.
Le 7 Mai 1862 eut lieu la bataille de Porman qui fut fatale aux lanciers
maciniens, obligés de battre en retraite sous les coups de la fusillade de l'armée omarienne.
La bataille reprit le 10 Mai à Ty5yawal, bois situé dans la plaine d'inondation du Bani. Au
matin du 10 Mai, en effet, le Macina investitics jihâdistes. La bataille fut sanglante et il yeut
de nombreux morts de part et d'autre. L'armée du Cheikh épuisa ses réserves de poudre. Le
Macina était à un doigt de la victoire, mais au lieu de donner l'assaut final, il s'arrêta. Aucun
historien n'a encore réussi à expliquer sérieusement celle pause:
"Jamais Ahmadou Ahmadou ne sut à quel point il avait frôlé la victoire dans
la nuit du 10 au 11 Mai 1862... El Hadj Omar employa activement le répit que
Dieu lui accordait. Il mit à profit celle pause inespérée pour faire reposer les
hommes et couler des balles de fer" 3
Le combat ne reprit que le 14 Mai au soir, Cheikh Omar harangua les talibés el
remporta une victoire fulgurante: le lendemain, l'année du jihâd devint maîtresse du pays.
Ahmadou Ahmadou., blessé, fut évacué dans la précipitation par les siens. Le convoi fut
rattrapé à Kabara, l'Emir fut décapité et enseveli à Malel Nasso, près de Mopti, selon une
s0urce très populaire.
Le
terme
qui
rendrait
le
mieux
la' pensée
de
l'auteur
serait
:"
tu
t'es
infidélisé", si ce mot ne constituait un néologisme (note du
traducteur).
Sissoko (M.), op. cit., pp. 132-133.
3
Ducoudray (E.), El Hadj Omar, le Prophète armé, Dakar, 1975, 1'.87.

CHAPITRE Il - LA FORMATION DE L'EPOPEE
13 1
En retournant vers le Cheikh, Alpha Oumar rattrapa Ali, qui fuyait aussi.
Ramené à Hamdallahi, il fut acculé à dévoiler en public son paganisme. Tauxier a rapporté la
scène J.
A l'époque, Cheikh Omar était le maître d'un très vaste empire allant des rives
du Sénégal aux rives du Niger. Fily-Dabo Sissokho résume le succès du jihâd en ces ternIes:
"Sa réussite étonne encore: 28 rois abattus en 14 ans! De Dinguiraye à
Hamdallahi ! Soit l'ensemble des pays 'compris dans le triangle Dinguiraye-
Nioro-Tombouctou, avec Ségou COmme pivot Cèntral" 2.
IV - LE SIEGE ET LA DISPARITION.
El Hadj Omar entra à Hamdallahi en 1862, Oll il resta jusqu'en 1864. Dès son
arrivée, il fit venir son fils Ahmadou et l'intronisa "comme il l'avait déjà fait à Markoya, mais
Cètte fois avec plus de solennité, le Cheikh désigne Ahmadou comme son remplaçant, son
successeur spirituel et temporel"3 La Qacida de Mohammadou A liou Tyam relate
poétiquement l'év~nemcnt :
"Le Cheikh dit: "Hé! soyez témoins. Hé ! sachez que nous l',ivons fait notre
remplaçant en tout, nous ne laissons lrien] de côté.
Depuis Tombouctou jusqu'à Odédyi, nous lui 'tvons tout remis.
Celui à qui il aura donné, celui-là sera celui qui aura reçu;
Celui à qui il aura refusé n'aura rien"4
Excédés par cet acte jugé humiliant, Bâ-Lobbo et Abdou Salam, les deux
princes maciniens, entrèrent en contact avec Sidi Ahmed El Bekkaï5, chef religieux de la
()adiriyya, impatient de jouer lin rôle politique à Tombouctou. La correspondance fUI
interceptée par un disciple de Cheikh Omar et les comploteurs mis aux fers. Mais ils
réussirent à s'enfuir, grâCè à la complicité de femmes peules, selon notre infoffilateurThitltié
Dramé. Une période sombre s'ouvrit alors pour lejihâd.
Tauxier (L), La Religion bambara, Paris. 1927. p 467-468.
')
Sissokho (F.O.), Les Noirs et la cullure. New-York,
1950.
J
Gadcn (H), op. Cil, p. 185. Note vv 107-1082.
4
Id., vv 1080 p.108!.
5
Ibid., vv 1091-1110, p. 190.

CHAPITRE Il - LA FORMATION DE L'EPOPEE
132
En Mai 1863, Alpha Oumar Thicrno Bayla tomba à Mfini-Mâni, victime de
l'indiscipline des talibés 1. Cette mort du général de l'année du jihfid, de l'homme des
missions délicates et difficiles, constitua une perte cruelle. D'autant plus cruelle qu'Alpha
Ousmane, le suivant d'Alpha Oumar, succomba le 7 Juin 1863 à la bataille de Ségué.
Alors les paladins, pactisant avec les KOllnta de Tombouctou, à qui ils
promirent le pouvoir, assiégèrent Cheikh Omar à Hamdallahi pendant près de neuf mois.
Celui-ci fit sonir son neveu Tidjâni pour chercher une année de secours, mais elle arriva trop
taret.
A l'époque, les communications étaient coupées entre I-Iamdallahi et Ségou.
L'historiographie coloniale2 reproche à Ahmadou, le fils aîné du Cheikh, son refus de voler
au secours de son père pounant assiégé. Cette appréciation provient d'une méconnaissance
de la pensée politique de Cheikh Omar. Ahmadou, en restant à Ségou, ne faisait qu'obéir à
une injonction de son père, relevant d'un souci de réalisme politique: se ménager une issue
en cas de défai te.
Malgré tout, Cheikh Omar mit f1l1 au siège, miraculeusement. Il quitta
Hamdallahi la nuit du Samedi 6 au dimanche 7 Février 1864; à la tête de la poignée de fidèles
attachés au jihâd. Ils mirent cinq jours pour atteindre les falaises de Bandiagara :
"Epuisés par les privations, les Toucouleurs ne pouvai<:nt marcher vite.
Ils furent, dit la tradilion, rattrapés à Nonnono (Niongono du Répenoin:) et il
se réfugièrent dans la montagne. On se battit, dit-on, la nuit du lundi au
mardi, le mardi, et encore la nuit du mardi au mercredi. Les Toucouleurs
avaienll'avantage du feu et de la position; l'ennemi, qui les semait perdus, ne
devait pas meltre grande vigueur dans son attaque; il semble qu'il y ait eu une
accalmie le m<:rcredi. Dans la nuit, le Cheikh, qui cherchait certainement à
s'approcher de Doukombo, réussit à atteindre Déguembéré au petit jour et
grimpa dans la momagne avec sa troupe. Ils y furent cernés et se défendirent
encore toute la journée et une panie de la nuit. Le vendredi matin, les
Toucouleurs, sauf les fils de Cheikh et quelques tidèles, descendirent de '"
montagnes et allèrent se rendre. Sur l'ordre du Cheikh dit la légende, parce
qu'ils n'en pouvaient plus, dit une autre version. L'un d'entre eux,
Mahmadou Ismai1a Samba Siré de Guiraï, alla dire à Siùia que le Cheikh
annonçait l'arrivée de secours pour le lendemain, et Sidia décida de brusquer
le dénouement. Il fit apporter·dans la montagne du bois et des broussailles et y
1
Gaden (H), op. cil, vv 1091-1110, p. 190.
2
Mage (E.), op.cil

CHAPITRE Il - LA FORMATION DE L'EPOPEE
1 33
fit mettre le feu. Le Cheikh et les siens s'étaient réfugiés dans une caveme ; le
tL_
feLl sc communiqua à la réserve de poudre qu'il avait toujours avec lui; il Y
eut une forte explosion, le Cheikh et ses fidèles furent mis en pièces" 1.
., .
Cette longue citation se justifie parce qu'elle reprend l'une des multiples
versions relatives à la disparition de Cheikh Omar. Alors survint Tidjâni, à la tête d'Llne forte.
amlée. Il meLla Llne répression sans rémission, exterminant la coalition des attaquants. Il
régLla au Macina, où il fut remplacé par MouLlirou. Au même moment, Ahmadou était aux
prises avec les Bambaras et les Français. Le fils aîné du Cheikh, talonné par Archinard,
mourut en pays Haoussa, après avoir quitté Ségou pour Nioro, puis pour Bandiagara.
Pratiquant la politique du diviser pour régner, la France, en pourchassaLlt Ahmadou, enrôla
Aguibou Tall, un fils d'El Hadj Omar, dans ses rangs, puis l'installa à Bandiagara.
Malgré les vicissitudes de l'histoire, El Hadj Omar domine l'histoire de
l'Afrique. Maître incontesté de la Tidjanyya, jihâdiste exceptionnel, polygraphe au ,talent
confirmé, il jouit encore aujourd'hui d'un très grand prestige. En conjugLlant action
religieuse et sens politique, Cheikh Omar a inspiré aux lettrés et aux griots des oeuvres
impérissables, commémorant ainsi sa mémoire. Empruntant la voie royale du mérite, il a
forcé les portes de l'histoire et celle-ci l'a installé au cœur du mythe et de la légende, en un
mot de l'épopée. Cela rend l'étude de sa vie très fascinante, mais également assez malaisée.
Les relations qui se tisselll entre l'épopée el l'histoire, ajoutées à la distance qui sépare des
(aits, limite bieu des fois toute approche se voulant objective. L'assertion du Professeur
Claude Blum revêt alors ici tout son sens:
" Mais, si la distance historique paraît éclairer la compréhension d'un
document, elle en voile aussi, parfois, d'anciennes clanés"2.
Gaden (H), 01' cil., pp. 196-197. Nole
vv 1121-1123.
2
Blum
(C.),
"Les
stéréotypes
de
l'imaginaire
:
le
monde
médiéval
dans
l'oeuvre de Rabelais· Les Diables et les Fous", in La
Lico,ne, Publication de
la
Faculté des
Letlres et des
Langues de
l'Universilé de
Poiliers,
1982/6,
Tome JI, p. 227.

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El f-i • .ji am" Tai et ses Toucouleurs.
L'aire dù jihâd
V.J
.,.

DEUXIEME PARTIE
L'EPOPEE D'EL HADJ OMAR
ANALYSE LITTERAIRE

136
A la fois forme de ~écit multiple, vision du monde et chant de beauté, l'épopée
est un genre majeur de la liltérature orale, reconnaissable au caractère multidimensionnel des
fragments qui sont parvenus jusqu'à nous. Néanmoins, sa manifestation la plus éclatante prend
la forme d'un art du langage où la parole peut se parer de [Ous ses ornements. Dans leurs
. délïnitions du genre, les critiques n'oublient jamais d'associer ces divers aspects, comme le fait
Philippe Sellier:
"Les réci ts dans lesquels s'est exprimé le désir J'héroïsme, d'arrachernellt à la
banalité de la vie, de supériorité sur 'le reste du monde, de réalisation éclatante Je soi, .
d'élévation à une condition quasi divine, fonnent un genre littéraire reconnaissable entre tous:
l'épopée" 1.
Confirmant régulièrement ces présupposés théoriques, l'épopée d'El Hadj Omar
présente, en outre, J'avantage de s'inscrire à la rencontre de l'oralité et Je l'écriture, ce qui ne
fait qu'accroître son imérêt esthétique et herméneutique. Les tex les de notre corpus, issus
d'auteurs différents, porlant par conséquent la marque Je styles divers)offrent de belles
possibilités d'approche théorique. Additionnés, ils embrassent toute la vie du Cheikh. Kalidou
Bâ a retenu la période qui va de la naissance d'El Hadj Omar jusqu'à l'épisode des joutes
oratoires du Caire. Sidi Mbôthiel chante le jihâd de Dinguiraye à Hamdallahi. Quant au dernier
fr:lgment de l'épopée, celui qui mène J'auditeur de Hamdallahi à Déguembéré, composé par
H:unmât Samba Ly, il est déclamé par Demba SaIT.
Le mouvement déclamatoire de ces différentes versions crée une unité
harmonique dont la puissance cimente les divers tissus narratifs, au point d'en faire oublier les
points de jonction. Une telle unité favorise une analyse littéraire d'ensemble qui nous mènera de
l'élude du héros et cles personnages conjoints à J'utilisation du temps et cie J'espace par les
narrateurs. L'analyse du schéma narratif cI'ensemble précède ra la mise en valeur tinale de la
représentation de la geste que se font les vainqueurs et les vaincus, à l'intérieur même du chant
qui les immortalise.
Sellier (P.). Le Mythe du héros, Paris, 1970, pp. 14-15.

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fi·
~.
"
CHAPITRE 1
LA GESTE D'EL HADJ OMAR, EXALTATION D'UN HEROS

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
138
A. LE llElWS
El Hadj Omar domine son épopée que, du reste, sa haUle figufto délimite dans
le temps et dans l'espace. Dans ce sens, il est significatif que la geste et son héros voient le
jour à Halwâr et se perdent mystérieusement dans la grotte de Déguembéré.
Dans son appréciatioll du rôle de l'individu, l'époque contemporaine se
démarque de la conception classique qui vouait un culte au héros messianique. L'individu se
voit dilué dans le peuple, et l'héroïsme individuel cède le pas à l'héroïsme collectif. Une telle
conception ne rend pas compte d'une épopée comme la nôtre, ainsi que le dit excellemment
Fwnçoise Mari :
"Incontestablement, ce point de vue présente un progrès; mais pousse a
l'extrême, il amène à nier toute importance à l'impact de certains types de
personnalités, placés par le hasard aux postes de commande, sur les
changements sociaux. Le personnage historique devient alors matière
littéraire, étant rejeté de l'ilisloire comme un intrus, contingent, accessoire.
Pourtant, le chercheur honnête doit bien constater que certains destins sont
rebelles à laisser gommer leur rôle; force est alors de les intégrer à l'analyse
comme llI1 des éléments constillltifs de l'évolution historique" 1.
El Hadj Omar, personnage hislorique ct héros légendaire, appanient en effet à
celte catégorie d'hommes extraordinaires. Le surnatllfel l'accompagne de la naissance
àl'apothéose. Les diverses versions de son épopée lui façonnent une série de visages, tous
réductibles à l'image brillante d'un héros épique peul, harmonieusement intégré dans le lissu
n,lITatif de l'épopée islamique.
Il convient de noter cependant que l'imaginaire collectif, en remontant le cours
de la vie de Cheikh Omar, a porté toute son attention sur cinq moments: la naissance, la
fomlation, le pèlerinage, le jihiid et la disparition. L'art épique apparente dès lors le héros au
soleil et l'oblige il parconrir une carrière comparable à son apparent mouvement de rotntion,
marqué par l'aurore, le zénith et le crépuscule. En ce sens, il ne son de l'ombre que pour y
L:lllrer.
La salarité d'Om:ir fait de son lever une naissance et de son coucher une
apothéose. Sa souveraineté totale s'affirme au zénith: "le héros "sauve" le monde, le
Mari (F.), "A propos
de
AI-Hakim Bi-AMR-ALLAH, l'intrusion d'un destin
personnel
dans
l'analyse
historique",
in La
Revue
Sénégalaise
d'Histoire,
Dakar, octobre - décembre, 1980, vol. l, nO , p. 4.

CHAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
139
. rCllouvelle, inaugure une nouvelle étape" 1. L'étude d'un tel personnage implique
l'Ilivestigation d'une psyehologie dont les élémenls constitutifs restent progressifs et
complémentaires. Cheikh Omar apparaît à travers la narration épique sous un triple visage:
un saint faiseur de miracles, un érudit hors pair, enfin un combattant de la foi victorieux.
L'épopée se plaît à jouer avec ses figures, en les combinant diversement, selon des schémas
qu'il eSl éclairant d'examiner de près.
1. UN SAINT, FAISEUR DE MIRACLES.
Une destinée aussi singulière que celle d'El Hadj Omar refuse les lieux
communs. Aussi, selon nos textes, avant de naître, le futur Cheikh mena-t-ilune longue vie
mystico-religieuse, volant entre ciel et terre. 1\\ finit pitr se fixer sur tene, après avoir choisi
des parents dignes de lui. Il annonça alors sa venue à son "commensal"2, Elimane Boubacar
Kane de Dimar (Podor), "aveugle des yeux, mais non du coeur"3 qui, comme lui, allait tous
les jours prier au Mausolée du Prophète Mohammed, silllé en Arabie Saoudite. Ce dialogue
entre les deux grandes âmes est révélateur de leur psychologie. Elimane s'adressa à Omar en
ces tennes :
"To~ fâne qui viens prier sur le partene fleuri avant d'être née, où vas-tu
habiter ')
Elle répondit :"Le pays s'appelle Fou ta-Toro. "
Il dit: "Quels sont tes heureux parents 7"
Elle dit: "Mon père s'appelle Thierno Seydou 4,
Ma mère s'appelle Adama Aysé."
1\\ dit: "Quand naîtras-tu T'
Elle dit: "Dans la nuit du Jeudi au Vendredi, le jour où débutera le mois du
JeÛne"S.
En même temps qu'il met 'en relief le rôle des oracles dans J'épopée, le
dialogue de "l'âme qui voltigeait enu'e ciel et terre" avee Elimane Boubacar Kane, de Dimar,
lie la vie d'Omar à la destinée politique et religieuse du Foula-Toro. Aussi le premier
Eliade (M.), Trailé d'Hisloire des Religions, Paris, 1964, p. 135.
'2
Terme métaphorique entendu
ici
au sens mystique.
3
Bâ (K.), Saykou
QI/mar, vv. 12-16.
4
Seydou ou Saïdou.
5
Bâ (K.), op. Cil., vv. 17-20.

F,
CI IAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
140
['ragmelll de la ge~te du jihâd utilise t-il tous les effets possibles pour arriver il cette fin:
naissance dans une famille bénie, il une époque paniculière, dans un cadre extraordinaire,
De même, ell choisissant à Omar des parents aussi venueux que Thierno
Saïdou et Sokhna Adama, la geste légitime la carrière future du héros et désigne sa valeur
personnelle, Mais l'épopée attire surtout l'attention de l'auditeur sur la sainteté et
l'honorabilité d'Omar pour réfuter, a priori, les arguments futurs des vaincus contestant les
fondements de son jihâd. La construction du premier fragment de la geste est, par
conséquent, celle qui a demandé le plus de soin, d'autant plus que le genre esl consommé
dans une société de type féodal, où l'homme se mesure au poids de ses origines.
Dès lors, la geste fait naître Omar au sein d'une famille peu commune; dirigée
par Thierno Saïdou Ta] l, un expert du Coran dont l'épouse Adama Aysé fut surnommée
"Sokhna" (la purifiée) il eause de ses immenses qualités. En ce sens, la version de Halw5r
présente Thierno Saïdou l'ail comllle un marabout Torodo, maître incuntesté de la
modulation du Coran. Elle soutient même qu'il cultivait son champ, en récitant la vulgate, du
lever au coucher du soleil, ne s'arrêtant que pour prier. Il retournait alors chez lui, le fusil en
bandoulière pour lui permettre d'abaure, il l'occasion, quelque gibier.
C'est au cours de l'une de ces journées champêtres que survint un évènement,
gardé jalousement par la mémoire collective loucouleur. A la suite d'une journée de dur
labellf, les jJ,lrents du flHur Omar, surpris en chemin par le crépuscule, s'arrêtèrent pour faire
la prière du soir. A ce IIi0nlenl, 1111 fauve - un chacal d'après plusiellfs versions - s'empara de
leur en fa III 1 en train de jouer il côté de sa mère. L'animal se saisit de l'enfant, le dévora, el
disparut dans la brousse, A la l'in de]a prière, Thiemo Saïdou s'adressa il son épouse:
" -Sükhna Adama, pourquoI n'aS-lU pas interrompu ta prièrc pour sauver
l'enl'ant?
- Commenl le ferai-je? Toi qui suis un seul maître, tu ne l'as pas fait, a
foniori moi qui en suis deux 2! Commelll oserai-je le faire?
- Que Dieu le bénisse ainsi que toute la progéniture. Qu'il t'accorde un fils
meilleur que celui que tu viens de perdre3 dit Thierno Saïdou".
En glorifïanlla mère de Cheikh Omar, Kalidou Bâ célèbre aussi l'hannonie du
,:ouple il travers lin jeu d'ami thèses évocatrices:
Frère immédiat d'Omar. Cc fait n'est pas conforme à la réalité hislorique.
2
Dieu el le mari.
:1
Communication
paniclIlièrc.
recueillie
auprès
Je
feu
Thicrno
Alassanc
Guèye de lIatwâr.

CHAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
1 4 1
" Pour lout ce que quelqu'un a reçu, qu'il remercie Dieu,
qu'il remercie sa mère!
Mais si la mère sc lève d'un coin de la concession,
Que la mère soulève le père ct le terrasse,
Que le père soulève la mère et la terrasse,
La lutte, les cris et les clameurs arrivent!
Si un enfant naît là-dedans, il ne pourra rien faire de lui-même" 1.
L'intrusion du thème domestique dans celle hagiographie se veut une leçon de
modération, adressée à l'épouse du généreux hôte de l'artisan du verbe. L'harmonie du
couple étant le noyau indispensable au bon développement de l'enfant, il s'agit de rappeler
constamment à la femme, pilier de la société, cet impératif catégorique.
Une telle digression peut aussi avoir été inspirée au griot, par sa propre
expérience maritale, ou par quelques déceptions amoureuses et sentimentales. Dès lors. 1"
perfomlance de l'épopée peut apparaître pour le griot comme un prélexte pour donner libre
cours à son imagination, à panir d'un fait divers. Omar naquit ainsi qu'il fut prédit par
Elimane Boubacar. Cc moment coïncida avec la Bataille de Bongoye, scion la tradition orale,
bataille qui opposa l'Almamy Abdoul Kader Kane du Fouta-Toro au Damel du Cayor Amary
Ngoné Ndêla. Rapportant une tradition recueillie dans la région de Kaédi, M. Verdat écrit:
"La nuit qu'illl'Almamyl passe avec son année à Halwâr est une nuit merveilleuse: cel le où
naquit Omar, fils de Thierno Saïdou Tall"2
En effet, sous la direction de Thiemo Souleymane l3âl, des marabouts firent,
en 1776, une Révolution qui aboutit au renversement du pouvoir du "Satigui" ou Peul païen,
el à l'instauration de 1"'a11llamyat" ou théocratie. Le parti maraboutique, grisé par son succès,
entreprit une vaste guerre sainte ou jihâd, dont la bataille de Bongoye constitua un épisode.
Né sous le signe de la guerre sainte et de la haute spirilllalité, suggérée par le
mois de Ramadhan, le destin de Cheikh Omar s'annonce comme extraordinaire. Dès sa
venue au jour, Omar se signale par de nombreux miracles. La tradition orale soutient que sa
naissance délivra le village de Halwâr de la corvée d'cau qui était son lot en faisant jaillir un
cours d'eau, "Njaajalol", qui ceinture encore de nos jours le bourg.
De même, la naissance du Cheikh n'empêcha pas sa mère de prier; aulrement
dit, elle redevint immédiatement pure, cc qui lui permit d'élever ses oraisons vers Allah sans
le délai habituel de quarallie jours. Son bébé refusa aussi de téter parce qu'il observait le
jeûne du Ramadhan. La version d'Abdoul Ata Seck indique que Halwâr et sa banlieue
1
Bâ (K.), vv. 57-63.
2
Verdat (M), op. cil..

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
142
modelèrent leurs habitudes sur celles de l'illlistre nouveau-né pour détemliner l'ouverture ct
la rupture du jeûne. Le village natal de Cheikh Omar. illumina, sur le plan religieux, les
villages voisins de Thiêlâw, Ndioum, Sarpôli, Moundouwâye, Dâr El Barka et d'autres
encore.
L'épopée ne se prive pas de s'attarder sur les prodiges du 'Cheikh: le bas-âf(c
et la vie de talibé du héros fournissent aux artistes nombre d'exemples vivants de SOI]
pouvoir à provoquer des miracles. C'est ainsi que l'un d'entre eux rapporte que, parti en
brousse chercher du bois mort avec ses condisciples, Omar jeta son coussinet t et alla se
coucher sous un arbre, Une fois achevé le ramassage du bois, les disciples s'empressèrent
de retourner vers leur marabout pour dénoncer la désobéissance de Barou. Le bois servant
d'éclairage pour l'apprentissage nocturne du Coran, tout talibé doit apporter son fagot. La
dénonciation des disciples amena le marabout à compter les fagots de bois:
"li dit: " combien étiez-vous à chercher du bois? "
L'lin d'eux dit: " nOliS étions six.
Avec lui cela fait sept!"
li dit: "Cela va être clair tout de suite!
Que chacun des six qui avaient des fagots prenne son fagot
et se tienne de côté."
Chacun des six prit son fagot et se tint de côté;
Alors ils aperçllfent un septième fagot posé à terrc"2
Ebranlés par la présence de ce septième fagot, le marabout et ses disciples
décidèrent de faire confiance à Omar. Au tenne de sa troisième année d'une vie tissée de
miracles, Omar fut renvoyé à ses parents par son marabout:
"II se mit à demander au marabout ce que ce dernier ne comprenait pas;
Celui-ci le prit par la mai n et le ramena chez 111Îemo Seydou; 1
Il lui dit: "Hé, Thierno Seydou 1" Celui-ci dit: "oui!"
Il lui dit: ''J'ai donné à ton fils ce que je possédais,
que Dieu bénisse cela 1,,3
Tekkere
en poular désigne
un morceau de lissu ou
de sac, quelquefois des
branchettes
d'arbre
enroulées,
que
l'on
met
sur
la
tête
pour
poner
ulle
charge.
2
Bâ (K.), op. cit. vv, 271-277.
3
1d.,
vv. 282-286.

CHAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
143
Alors, "on donna au marabout son dû, celui-ci retourna chez lui" 1. Par delà
l'ilinéraire coranique d'Omar, ces vers mettent en 1[lInière un aspect du système pédagogique
en vigueur au "Foyer-Ardent"2 En effet, l'école coranique dispensait deux types
d'enseignement: populaire et privé. L'enseignement populaire s'adressait à tous les enfallls
,
de la communauté musulmane. Le marabout devait leur apprendre les rudiments du Coran
dans un régime d'internat. Les élèves travaillaient dans les champs de leur maître et se
nourrissaient en mendiant leur pitance. Bien des fois, le poids du rravaillimita l'acquisition
des connaissances.
S'agissant de l'enseignement privé,appelé ':Iijaar" en poular, les parent
confiaient leur enfant à un excellent marabout afin que celui-ci lui assure une très bonne
fomlation moyennant un payement fixé d'avance, généralement en bovins, ovins, caprins ou
camelins. Logé et nourri par le maître, l'enfant ne travaillait pour celui-ci que le mercredi 3,
jour férié ainsi que le jeudi. A la fin de son cursus, le talibé, raccompaglIé chez lui par son
marabout, offrait à ses parents "Une nuit de Coran"4 : récilation nocturne de tout le Coran
appris par coeur. Alors que le marabout recevait à l'issue de la séance son dli, l'heureux
vainqueur des .iOUles se voyait gratifié de cadeaux, sous la forme d'animaux domestiques ou
d'une épouse. Notre père reçut ce type d'enseignement, mais plus tard, devenu maître
d'école, il le pratiqua peu, se contentant plutôt de dispenser un enseignement populaire, plus
Ollvert.
L'épopée du jihâd suggère ces systèmes pédagogiques en vigueur dans les
théocraties soudano-nigériennes. Bien que Cheikh Omar les connlit, ses qualités
exceptionnelles lui pennirent d'en écourter le cursus habituel. Son maître le ramena donc
chez ses parenls. Là, il vécut pleinemem la condition des jeunes de son âge.
Aussi, à la tombée des premières pluies, accompagna -[-il son l'l'ère aîné Alpha
Ahmadou au champ pour semer du mil. L'opération consistait à plonger la main dans une
gourde cOlllenant des graines, puis à en extraire une pincée que l'on jetait au fond de poquets
creusés au même moment. Mais Barou, contrairement à l'usage, ne remplissait pas tous les
poquets. Sommé de se justifier, d'après la version de Halwâr, il déclara que sa façon de
semer lui était spéciale. Alpha Ahmadou le menaça d'un bâton et le poursuivit. Dans sa fuite,
Barou enjamba un cours d'eau à la stupéfaction de son frère. Arrivé sur les lieux, leur père
jmerpella le garçonnet en lui promeuant l'impunité 5 Omar enjamba le cours d'eau en sens
invCfse. A la demande de son père, il expliqua la signification de son action: "Je refuse de
1
13;î (K.), op. cil., v. 287.
2
Kane (c. H.), L'aven/ure ambigüe, Paris, 1961,
p.83.
3
Appelé jour du maître.
4
Voir Kane (c. H.), op. cil.
5
Version de Halwâr (texte inédit)

,
F
,
CHAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
144
remplir certains poquets, car le mil qui en sortira servira à nourrir les singes, les vaches ou
favorisera "le mauvais repas du soir" 1. Explication qui ressortissait à la mystique agricole.
La famille d'Omar décida d'éloigner celui-ci du village pour Je soustraire aux
cOll1mentaires et extrapolations que ses prodiges suscitaient inévitablement. Il est connu en
Afrique que l'oeil et la langue dégagent une force maléfique que l'on doit éviter à tout prix.
L'occultation du héros le conduisit en Mauritanie, puis à l'Université cayorienne de Pire
Sagnakhôr, dans l'actuelle région de Thiès au Sénégal. Une tradition très répandue en
Sénégambie rapporte, avec insistance, un des miracles qu'il accomplit dans cette localité.
Omar y étonna maîtres et élèves par un prodige gardé jalousement par la mémoire collective
de Pire et de Halwâr : alors qu'il lisait sa leçon SUI' une planchelle. on l'entendit crier plus
d'une fois, "kiss ! kiss !"2 Quand on l'illlerrogeait sur le sens de ces mots, il répondait qu'il
chassait les poules qui s'en prenaient au mil de sa mère, située alors à Halwâr distant de
plusieurs centaines de kilomètres de Pire3
A la fin de ses éludes, Cheikh Omar ayant maîtrisé taUles les sciences
enseignées dans le monde soudano-nigérien, décida d'effectuer le pèlerinage aux Lieux
Saints de l'Islam. Des miracles jalonnelll son trajet dontla somme pourrait occuper plusieurs
volumes. Nous nous contenterons de rapl,oncr les plus pilloresques d'entre eux. Une fois en
Arabie, Cheikh Omar se rendit à Damas Oll il accomplit un prodige, en soignant un prince
alleint d'une folie jugée incurable:
"Le fils du roi de Syrie, olt il séjoumait fUI conduit devant Saïkou Oumar. Il
s'agissait d'un malade mental sur le cas duquel les médecins, guérisseurs,
magiciens et oracles les plus fameux du royaume et des pays voisins, s'étaient
tour à tour vainement penchés. Ses parents avaient fini par se résoudre à
J'enchaîner, celle pénible extrémité représentant alors, à leur yeux, le moindre
mal. L'intervention du grand érudit fut radicale et celle guérison spectaculaire
fut considérée comme miraculeuse dans toutes ces contrées"4
Hiraallde
bOllllde
(Le
mauvais
rcpas
du
soir),
signifie
lilléralemenl
lill
repas fatal,puisqu'il se termine par des disputes, Ou alors il suscite des mau,
divers
tels
que
diarrhée, colique.
l
Onomatopée dom on
sc sen
pour chasser les
poules.
3
Voir aussi
DIENG
(S.),
"La
légende
d'El
Hadj
Omar dans
la
lillérature
africaine",· in Allllaies
de
la
Faeu/ré
des
Lereres
el
Sciences
Humaines,
Université Cheikh Ama Diop, Dakar, N°17, 1987, P 29.
4
Ly, (Dr. C.), "La légende de
Cheikh
El
Hadj Oum al' Tall",.Communication,
2ème Semaine Culturelle Islamique sur la Vie et l'Oeuvre de Cheikh El Hadj
Oumar Foutiyou l'ail, document ronéotypé, Dakar, 1979,.pp. 3-4.

CHAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
145
L'épopée ajoute qu'il venait de faire sonir "Jaa'oo" 1.
Comblé de cadeaux et de dons divers, le graild thaumaturge poursuivit sa
route vers Jérusalem jusqu'à un endroit <lppelé Sâm : le passant ordinaire n'y voit
qu'édifices; tombes et hommes comme lui, m<lis le croyant sur qui sa piété a fait descendre la
faveur de Dieu peut y distinguer tOlll autre chose. C'est ainsi qu'en le traversanr Cheikh
Omar assista à une étrange course de chevaux dans laquelle le coursier le plus vigoureux
arrivait toujours le demier. Cheikh Omar dit à son cavalier:
"Votre monture est la meilleure de toutes, comment se fait-il que les autres
l'emponent sur elle? - Ces chevaux ont pour cavaliers des âmes de trépassés,
répondit-il; moi-même, je suis une âme; mon son vient de ce que, vivant,
j'avais enfoui sous terre ma fortune, une marmite pleine d'or; mes héritiers ne
l'ont pas découverte, cela est cause de mon infortune." Cheikh Omar lui dit:
"Comment vous appelez-vous?" l'âme répondit: "Oumar Bâ". Cheikh Omar
prit co~naissance de l'endroit où la fortune avait été c<lchée et promit d'en
insUllire les héritiers du cavalier, qui fut ainsi délivré de sa damnation"2
Cette version, recueillie par Ousmane Socé auprès de l'éminent guitariste du
Diombokho, dans le cercle de Kayes, Diéli Ahmed Sako, est très populaire en milieu
oillarien. Elle met en relief la profonde science du Cheikh, expert en sciences physiques et
métaphysiques. Omar retourna par la suite à Médine pour s'élancer à la conquête de l'Eternel:
"De la tombe de Mahomet, Cheikh Omar arriva au seuil du grand escalier qui
gravit le ciel et mène <lU trône de Dieu, le plus Haut et le plus Sublime 1 Cet
endroit s'appelle baïti moukhadas. Dieu, par clémence, dépêcha vers Omar
son ange Djibril avec mission de lui annoncer que tout ce qu'il souhaiterait sur
la terre serait exaucé! ,,3
Sur le chemin du retour, Cheikh Omar passa au Sokoto et devintïe confident
du sultan Mohammed Bello dont il finit par être le Cheikh, pour lui avoir octroyé le "wird"
"Djinn"
habilant
la banlieue de
Halwâr, qui
reçuL
en
plein crâne
un coup
de
Cheikh Omar, CL
qui
fil
un
bond pour allerrir à
Damas, d'après
A.ALa
SECK.
2
Socé (O.), Karim et COllles el Légelldes d'Afrique Noire, Paris, 1979 pp. 171-
172.
3
Id., p. 172.

CHAPITRE (- EXALTATION D'UN HEROS
146
tidj<Îne. I"à aussi, ses dons se manifestèrent: "Selon la tradition, il sauva miraculeusement de
la soif et de la faim l'armée du Sultan au cours d'une expédition lointaine" \\.
Ce miracle se répétera plusieurs fois; des cel\\laines de cours d'eau ou de puits
som auribués à El Hadj Omar dans toute l'aire du jihâd. Mais le plus grand des miracles, le
dernier, est la disparition finale de l'illustre pèlerin dans les falaises de Bandiagara: la grolte
de Déguembéré préférant se refenller mystérieusement sur elie-même plutôt que de livrer le
corps du Sainl.
Né en pleine théocratie, Cheikh Omar inscrivit toute sa vie sous le signe du
miracle et du prodige. Toutes les étapes de sa vie: naissance, formation, pèlerinage, jihâd,
disparition, sont jalonnées d'actions surhumaines et enveloppées de mystère. Précisément,
les griots expliquent le deuxième voyage de Cheikh Omar au Fouta-Toro, SllIvenu en 1859,
par la nécessité de recruter les derniers agents de son jihiid : un serpent souterrain et un
oiseau, chargés de guider ses pas. Une telle approche du jihâd, plus animiste qu'orthodoxe,
apparente El Hadj Omar à un roi païen dont la puissance secrète est plus familière au griot
illettré, vivant en pleine théocratie.
D'une manière générale, les versions de l'épopée du jihâd font apparaître El
Hadj Omar sous les traits d'un saint faiseur de miracles. Sa vie se présente alors comme une
trame miraculeuse, entrecoupée de faits historiques. C'est ce Cheikh Omar qui fascine encore
les musulmans, qui auire les sympathies ou favorise des conversions. Pour la grande
majorité des habitants de l'aire du jihâd, le nom de Cheikh Omar évoque celui d'un grand
thaumaturge toujours prêt à secourir ses fidèles. Ses miracles ont solidement établi sa
renommée et donué une autre perception de son jihâd. Un de ses biographes note à ce
propos:
"En résumé, les miracles du Cheikh Omar - Ben Saïd, les sciences divines
qu'il connaissait, les mérites dont Dieu l'avait favorisé sont en nombre si
considérable qu'on ne risque jamais d'être à court sur ces divers sujets et que
le coeur est incapable de tous les contenir comme la langue de tous les
nommer"2
Mais l'aspect thaumaturgique du personnage, si important qu'il soit, n'est pas
le seul retenu par la tradition. 11 est inséparable d'une science dont le caractère universel
émerveille tous les témoins_
1
Boni (N.), l1istoire synthétique de l'Afrique résislllllle, Paris, 1971, p. 103.
2
Salcnc (1.)," La vic d'AI Hadj Omar, Traduction d'un manuscrit arabc de la
zaouia Tidjaniya de
FEZ",
in Bulleein
du
Comité
d'Etudes
HislOriques
et
Scientifiques pour l'A.O.F., vol. 3, 1918, p. 428.

ClIAPITRE 1- EXALTATION D'UN HERbs
147
Il. UN ERUDIT HORS PAIR
L'Anonyme de Fez, une biogriipille d'El j'Iadj oihi]r silns 00;11 d'aliieiir
trouvée à Fez, citant tous les dons qlie Cheikh Ornai a reçus de Die!., iisseôii du même cOlip
sa dimension illlellectnelle :
"Tous les savants de son époliJe o~l éiê d'accord pOlIr reconnaître t]li~ l~
nlonde n'avait jamais produit üli hôm~le pareil à lui et pour déclarer qu'au ds
où tous les livres auraient disparu de ia surface de la terre, 11 eût été capable de
dicter de méÎnoire toutes les sciences relaiives à Iii loi di~jne et 1i ia véCllé
sutirêine ettùysliljuè" 1.
Comme l'incii q itent ces lignes, chez El Hadj Ooiar, h~rüdjiion résiiile Je iii
saintelé et explique le fondement du jihâd. On est loin d'un savoir purement académiqlie. La
manifestation la plus écl ataille de son émdition apparaît au début, au milieu et à la fin lie
l'épopée dü jihâd : lors de la narration de sa formation, de son pèlerinage et de la
composition de ses ouvrages; c'est il dire tout ce qui concerne la phase tliéorique du j:i;âd.
En effet,l'entrée il l'école d'Omar donne une idee des capacités iiiteIiectLielles de l'élève
;;pécia\\ qu'il fuI. Ecoutons Omar et son maître :
"II dit: "Thierno Oumar Seydou i-ilti, pelix-iü conipter ?
Il dit: "J'en Sllis capable !"
li dit: "Dis lili !"
Ii dit: "Un."
:
·1
.
; :
li dit: "Dis deilx !"
Il dit: "Deux."
Il regarda le marabout, li soilrit.
Il dit: '''Avant de me faire dire deux, dis-nioi Ce qile lin sigiliKe."
L'autre dit: "Je ne sais pas ce que un signIfie, sinon que c'est lin chiffre."
Seykou dit: "Un signifie que Dieu est Unique:
Il n'a pas engendré, il ri'a pas été engendré,
Il n'a pas de petit-frère, il n'est pas le petit-frère de t!lid(jU'un.
Dieu est le seul Dieu, l'Uniclue"2
J
Salenc d.J, op. cil, p. 419.
2

(K.),
vv 183- i 95

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
148
Omar, un garçonnet de sept ans, donnait ainsi le sens arithmosophique 1 des
nenr premiers nombres, devant l'école coranique de Thierno ['lammât Nguia Thiam, un
maître chevronné. Celle première leçon d'Omar à l'école coranique met en relief son
immense savoir et surtout sa profonde initiation.
L'épopée revient, du reste, à plusieurs reprises sur les qualités intellectuelles
du ·héros. Tout comme il dépassa son marabout initiateur, Cheikh Omar surpassera les
érudits et les rois des pays qu'il visitera plus tard. Ici, la narration épique prépare l'auditoire
à ses développement ultérieurs. Il s'agit là de prévenir les arguments des vaincus qui tentent
de ruiner les fondements théologiques du ji hâd : les dons mystiques d'Omar alliés à sa
profonde science en font un "Imâme" légitime, un directeur de jihâd.
L'originalité du rragment réside aussi dans le fait qu'il bouleverse la structure
du mythe héroïque. En effet, alors que celle-ci place l'initiation du héros à la fin de sa
carrière, l'épopée d'Omar la place au début. Sans doule, la complexité du personnage justifie
un tel traitement du modèle héroïque, appliquant de la sorte, à une destinée particulière, une
esthétique particulière.
Malgré tout, Thierno Saïdou prél'éra laisser· l'enfant chez le marabout, le
soustrayant ainsi à l'action maléfique du mauvais oeil et de la langue nocive. Omar mêla, par
conséquent, sa vie à celle des élèves et put partager leurs joies et leurs misères. Sur le plan de
,'esthétique épique, celle phase correspond à l'occultation du héros, nécessaire à son
épanouissement, mais surtout au mÎl.-issement de ses idées. Les dons d'Omar écourtèrent
son occultation à travers une série d'initiations à la fois progressives el spectaculaires. La
première leçon reçue anprès de i-1ammât Nguia Thiam, et les réactions du garçonnet,
trahissent la fonnation antérieure d'Omar. Celle-ci se confinllera au fil de la narration épique.
Mais, pour mieux mellre en relier l'érudition exceptionnelle du Cheikh, les
chroniqueurs et les griots focalisent leur art sur les joutes oratoires du Caire, opposant le
Lellré nègre aux Ulémas égyptiens. Les différentes versions soutiennent1a victoire d'Olilar,
répondant sans peine aux questions les plus sybillines relatives au Coran, à la théologie et à
la langue arabe. L'étude de ces versions révèle une rone influence de Tawaddud2
Nous avons recueilli des versions populaires des joutes oratoires auprès des
griots Abdoul Ata, Sidi Mbôthiel, Kalidou Bâ, el des versions savantes auprès des érudits El
{ladj Mamadon i\\lxloul Niâgane de Ndioum et Ell-ladj Mâmoudou Dia de Dakar. Toutes ces
L'arithmosophie
ou
arithmologie
désigne
la
science
ou
la
sagesse
des
nombres.
2
Guerreseh
(C.l.
"Un
récit
des
Mille
el
Une
Nuit
Tawaddud
-Pelite
Encyclopédie de l'Islam
médiéval", in Bullelin de l'l.FA.N, Tome XXXV, sér.
B, nOl, Janv. 1973, pp.58-175.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
149
versions, de même que celles de Gaden 1 et de Dumont2 , attestent unanimemel1l la victoire
dT,1 Hadj Omar sur les docteurs arabes du Caire. En outre, elles portent toutes la marque
d'une traclition écrite, celle vraisemblablement consignée dans les Contes des mille el LIlle
l1/lilS 3, surtout pour ce qui est de la technique du récit, mais aussi cie l'idéologie qu'elle
véhicule.
Aussi pensons-nous que les versions cie l'ét~ipe du Caire s'inspirent de
Tawaddud4 , dom une traduction commentée due à'la perspicacité de Mme Guerresch reSte
.remarquable. En présentant le récit, elle éerit : "Le récit de Tawaddud s'étendant sur plus de
vingt-cinq nuits, de la moitié de la 428ème nuit au tout début de la 454ème nuit, peut se
résumer en quelques lignes. Un riche marchand a enfin dans sa vieillesse un fils, auquel il
lègue une grande fortune. Prodigue, le jeune homme est bientôt réduit à la misère et accepte la
proposition que lui fait par amour une jeune "djâria" Iservantel, le seul bien qui lui soit resté:
la vendre au calife Hârûn-Ar-Rashîd. Soumise à un interrogatoire serré Sur ses connaissances,
Tawaddud est interrogée successivemelll par deux jurisconsultes, un lecteur du Coran, un
médecin, un astrologue, un philosophe et le célèbre théologien mu' tazilite An - Nazzân. Elle
confond tous les docteurs et savants, gagne aux échecs et au tric-u'ac, et se montre musicienne
consommée. Le calife lui permet de retourner auprès de son maître qu'il admet au nombre de
ses convives ordinaires"5
Si on remplace Tawaddud par Omar, la serval1le par l'érudit prestigieux, on obtient
'exactementle même récit. Il f,llIt ajouter qu'Omar ne s'adonne pas au jeu mais "empêcha le feu
de brîder pendant trois jours" selon le poème rimé de Hammiit Samba Ly. Les cairotes
restèrent trois jours sans cuire des aliments et décidèrent finalement de faire d'Omar leur
Imâme. 11 fut aussi le convive des dignitaires et souverains de la ville.
On peut comparer ainsi des épisodes de Tawaddwl à des fragments de l'épopée
savante ou populaire. Le résultat est édifiant: l'épopée savante cite les mêmes versets, pose les
mêmes questions et apporte les mêmes réponses. Prenons Ull exemple, parmi tant d'autres,
pour nous en convaincre, il nous est fourni par la 437ème nuit:
-"As-tu lu le livre de Dieu Très Haut" lui demanda+il, "connais-tu bien ses
versets, ses abrogeants et ses abrogés, ses positifs et ses négatifs, ses douteux,
Gaden (11.), op. cil
2
Dumont (F.), op. cie.
l
L.es
Mille
el
Vile
NU/IS,
contes
arahes
traduits
par
Galland,Paris,
\\ 949.
(Nouvelle éllition revue el corrigée par Gaston
Picard).
4
Gerreseh (C.), art.. cit.
5
ld., p. 58.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
150
ses 11lecquois et ses médinois '1 Comprends - tu son commentaire'! Le cotmais-
tu en ce qui concerne ses versions et les "usuls" qui se trouvent dans le Coran?"
-"Oui" répondit-elle.
-"Quel est le nombre de sourates du Coran'! Combien y a-t-il de sections, de
versets, de lettres, de prosternations, de prophètes mentionnés, combien de
sourates médinoises et combien de mecquoises, et combien d'animaux ailés 7"
-"Mon Maître, les sourates du Coran SOnt au nombre de cent quatorze, les
mecquoises soixallle-dix et les médinoises quarallle-quatre. Ses sections sont an
nombre de six cent vingt et une, ses versets, six mille deux cent trente-six, ses
mots, soixante dix neuf mille, ses lettres, trois cem vingt-trois mille six cem
soixante-dix. Pour celui qui lit le Coran, chaque letlre 1vautl dix bonnes
oeuvres. Les prosternations sont au nombre de quatorze" 1. Le conte place ici la
fin dl: la 437ème nuit. Tawaddud n'a pas oublié qu'ell" n'a pas épnisé la
question du spécialiste du Coran. Elle y répond au début de la 438èmc nuit:
"Quant aux animaux ailés, ils sont au nombre de neuf."
-" Et quels SOnt leurs noms '1"
-"Le moustique2, l'abeille3, la mouche4 , la fourmiS, la huppe 6, le corbeau7 , la
sauterelle 8, les "abfibils"9 et l'oiseau de Jésus, c'est-à-dire la chauve-souris" 10.
Les nuits continueront ainsi, et la jeune captive finira par confondre les savants.
L"s leurés spécialistes de l'épopée d'El Hadj Omar citent les mêmes versets. Quant aux griots,
ils présentenl les faits autremelll, en célébrant la victoire de Cheikh Omar aux joutes oratoires.
A. Hampaté I3fi donne dans L'EII/pire peul du Macina, une version de l'épopée populaire très
vivante, et lrès connue en milieu omanen.
ClJeikh Omar ayant vaincu les oulémas du Caire sur le plan scientifique, ceux-ci
prirent leur revanche cn témoignant du racisme le plus élémentaire. El Hadj soutint une
polémique sans faiblir quand un docteur vaincu déclara: "0 Science, toute splendide que tu
sois, mon fime se dégoütera de toi quand lU l'envelopperas de noir; tu pues quand c'esl un
Gcrrl:seh (C.), an .. cit., pp. t31-132.
:~
Le Curall, Sourate II, versets 24/26.
J
Id., Sourate XVI, versels 70/68.
<j
Ibid, Sourate XXI, versets 72/73.
S
Ibid., Sourate XX VII, versl:1 18.
o
Ibid., Sourate XXVII, versel 20.
7
Ibid., Sourale V, verselS 31/31.
8
Ibid., Sourate VII, ver,els
130/133.
~
Ibid., Sourate CV,ver,ets 3/4.
10
Geneseh (C.l. 01'. cil., p. 132.

CHAPITRE (- EXALTATION D'UN HEROS
151
Abyssin qui l'enseigne" J. Ces propos déclenchèrent une hilarité générale, mais Cheikh Omar,
très serein, déclara quand la clameur se tllt ;
"L'enveloppe n'a jamais amoindri la valeur du trésor qlli s'y trouve enfenné. 0
poète inconséquent, ne tourne donc plus ton visage autour de la Kaaba, maison
sacrée d'Allah, car elle est enveloppée de noir. 0 poète inaltentif, ne lis plus le
Coran, car ses versets sont écrits en noir. Ne répond donc plus à l'appel de la
prière, car le premier Ion fut donné, et sur l'ordre de Mohammed notre Modè!e,
par l'Abyssin Béla!. Hâle-loi de renoncer à ta tête couvene de cheveux noirs. 0
poète qui altends chaque jour de la nuit noire le repos réparateur de tes forces
épuisées par la blancheur du jour, que les hommes blancs de bon sens
m'excusent, je ne m'adresse qu'à toi. Puisque tu as recours à des satires pour
essayer de me ridiculiser, je me refuse la Cûmpélition. Chez moi, dans le
Tekrour, tout noirs que nous soyons, l'an de la grossièreté n'est cultivé que par
les esclaves et les bouffons "2.
Assénant un coup fatal au racisme primaire de ce poète, El Hadj Omar se détï~it
sous les traits d'un intellectuel honnête, doublé d'un nationaliste conséquent.
L'épopée populaire rappone aussi à sa manière la fin des joutes oratoires du Caire:
"Hamadou Moussoul Diné lui dit: OUlllar du Fouta ! Celui-ci dit: oui t Il dit: si
que/qu'un rencontre un savant il doil l'interroger.
Seykou Oumar lui dit: c'est bien vrai!
JI lui posa vingt-cinq questions;
Seykou donna la réponse;
Il dit: maillienam je vais te poser nne quesripn ;
Ce ne sera pas en poular,
Ce ne sera pas en zenna,
Ce ne sera pas en haoussa,
Ce ne sera pas en bambara;
Si Oumar comprend, il répondra,
s'il "ne compreqd pas, il se taira.
Il regarda Seykou, Seykou le regarda;
Il dit: "Kabourou bogourou Kabourouba !"
Bâ (A. H.) et Daget (J.), L'empire peul du A:facina, Paris, La Haye, 1962,
pp. 238-239.
2
Bâ (A. Il.),op. Cil, pp. 238-239.

C1IAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
152
Seykou lui dit : " Sidjilin Sadjalin Kanyoumka."
Alors ils Sllrent que c'était la langue des génies.
Il avait dit: qu'est-ce qui est le plus difficile, vivre ou avoir de quoi vivre?
Seykou avait répondu; si qnelqu'un est vivant, il aura de quoi vivre" 1.
Aussi les JOUles oratoires du Caire occupent-elles une place centrale dans l'épopée
du jihâd, surtout intervenant tout juste après l'élevation d'Omar par Mohamed El Ghâli au litre
de khalife de la Tidjanyya, sur ordre de Cheikh Ahmed Tidjane el du Prophète Mohammed.
Mais la valeur intellectuelle de Cheikh Omar donnera sa pleine mesure dans ses
écrits2 traitant de sujets divers dans un style châtié, parfois hermétique. Les talents d'Omar Ont
embrassé le droit, la théologie, la littérature, la mystique. Il est généralemelll admis que ce
polygraphe, au talent sûr, a légué à la postérité une quarantaine d'ouvrages et plusieurs autres
écrits secondaires tels des 'sermons, des Iellres, des discours. Nous nous arrêtons brièvement à
trois d'emre eux, qui nOus semblent essenliels à notre sujet:
Les {al/ces des gens 1du partij de /allliJéricorde .l'ur les gorges des gem dtlj parti
de Satan lej Maudit som le chef d'oeuvre du Cheikh, glose marginale du chef-d'oeuvre de
Cheikh Ahmed Tidjâne, Oll il expose l'essentiel de sa doctrine. Les Tidjânis se plaisent à
relever que seul Cheikh Omar osa commemer l'ouvrage du fondateur de la confrérie mystique
Tidjanyya. Aujourd'hui, l'édition de ce monument mystique est toujours elllourée des
c(lIllll,entaires du Cheikh noir. Les Ulemas ulilisentune belle métaphore pour évoquer ce fait:
"Cheikh Tidjàne a exposé du diamant3 en plein air, Cheikh Omar l'a entouré de lances4 afin
qu'il ne soir pas volé"5Er-Rilllâlz exprime ainsi toute la valeur mystique de Cheikh Omar.
Sur le plan littéraire, Le rappel à ceux qui oublient la laideur qu'cngendre le
désaccord entre CroYUIllS témoigne d'une maîtrise parfaite de la prosodie arabe, en même
temps qu'il dénote une générosité et nne hauteur de vue admirables. L'oeuvre est une ode en
acrostiche de 1~7 vers, de mètre rajaz, composée à partir de deux versets du Coran 6 Les
circonstances de cette composition remoment au retour de pèlerinage d'El Hadj. Des
allronlements sanglants opposaient les rois du Bornou et du Hawsa el un conflit
armé,commencé avant le pèlerinage de Cheikh, durait toujours. Usant de son influence, El
Bâ (A. 11.), vv. 441 - 459.
2
Voir
le
Fond
Archinard
de
la
Bibliothèque
Nationale et
Vajda (Georges),
"ConlrihlJtion
3
la
connaissance
de
la
lillératurc
arabe
en
Afrique
Occidentale"
ill Bulletin de la Société Africaniste, 1955,
p.90.
Titre
du
cher-d'oeuvre
de
Cheikh
Ahmed
Tidjâne,
la Perle des Sens (en
arabe, jDlvahir al Ma 'âllO·
4
Titre du cher d'oeuvre de Cheikh Omar, Les lallces ou les javelots. en arabe,
Rimâhu hizbu l<uhîm
'a
la
Iluhllr hizbu Rajîm.
5
Communicalion
particulière.
6
Coran, Sourate 49, versets 9-10.

Cf !i\\PITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
J S.3
Il,,di tcnla de réconcilier les antagonistes, en composant sa célèbre ode, qui l'étonnait encore
Ilne fois achevée:
"Je n'ai écrit aucun vers [de ce poème], assis, mais l'ai tout entier composé en
marchant. Je n'ai consulté aucun ouvrage au moment de sa composition, ct, par
Dieu, je ne cesse de m'étonner de <;etle oeuvre qui n'existe que par la grâce du
Bienf<titeuf. Celui qui y décèle des l<tcunes voudra bien accepter les excuses de
l'au teur" 1.
Le poèine s'ouvre sur un préambule en prose où l'allieur loue Dieu el son
Prophète, suivi de la genèse du poème. Une introduction en prose le suit,'ponctuée de hadiths
et d'anecdotes expliquant l'injonction théologique "Amr bil ma'ruf wal nahy an al-munkar"
(prariquer le bien et interdire de commettre le mal). Vient alors un long poème de 197 vers de
mètre "rajal/où Cheikh Omar s'efforce de démontrer la nécessité de la concorde et de la paix,
tout en vantant la libené.
Il est regretlable que le "conquérant loucouleur" ail pris le pas, dans l'imagerie
populaire, sur l'humaniste et le philanthrope qui point ici. Cenains vers méritent d'être cités:
'.'
~
- " Car détruire ce monde et la Ka'aba est moins grave que dc tuer un croyant
uniquement; donc crains.
L'ânle de celui qu'on tue volontairement, dira le jour du jugcment dernier: "0
Maître des <.:ieux el de la terre,
Ton serviteur malfaisant attenta à mu vie, tire assurément pour moi veÎlgeance
de lui"2
- "Louange à Celui qui a condamné la dissension et a instauré la conciliation et
l'amitié" 3
- "Commenf ne devrait-il pas aimer <.:elui que le Créateur des créatures, son
MaÎlre, nomme son frèrc"4
-"Je proclame que ce n'est que dans la paix Iqu'on peUl 1préserver la religion, la
dignité humaine, et aussi l'idéal de générosilé"5
Guerresch (C.), "Ta!!kira
al-'Cafilîn
ou un aspect pacifique peu connu de la
vic
d'AI
Hâjj
'Umar
:
introduction
historique,
édition
critique
du
tcxte
,
arabc, et
traduction
annotée",
ifl
Bul/elin
de
l'IFAN, Tomc 39, Scr B, n04,
i,
octobrc 1977, p. 903.
,.
2
,
Id., p. 913., vv. 42-44.
}
Ibid., p. nI., vv. 124.
",
4
Ibid., p. n3., v. 155.
~.
r
i!',
5
Ibid., p. 927., v. 182.
~,
~
,
i;

CHAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
154
Un tel savant, annoncé par l'élève surdoué qu'il avait été, était tout désigné pour
diriger un jihfid.
III - UN COMBATTANT DE LA FOI VICrORIEUX
Dans les diverses versions qui composent sa grande épopée, El Hadj Olnl\\r doit
son prestige il sa vaste culture, il son expérience, il ses nombreux miracles, mais surtout à la
réussite de son jihâd qui en fit un "Mujâhid al-Akbar" (grand Jihâdiste.) En Lout cas,
chroniqueurs et griots considèrent unanimement que l'érudit et le saint ne faisaient que
préparer le terrain au Mujâhid.
S'inspiranl du modèle prophélique, le jihfid omarien resle un modèle de guerre
sainte réussie de grande envergure. Cela distingue son initiateur dans la foule des saints
confinés dans le "Jihâdu nafs", ou la guerre sainre dirigéc conITe l'âme. Faut-il le rappeler,
l'Islam stipule deux sortes de guerresainle ou "jihâd" ; la grande, dirigée contre les passions,
et la petite, dirigée contre les mécréants ou les païens. Ce n'est qu'après avoir longuement
pratiqué la première, que Cheikh Omar s'adonna il la seconde.
L'Encyclopédie de l'Islam donne du jihfid la définition suivante:
"Djihad, la propagation de l'Islam par les annes : c'eslun devoir religieux pour
les Illusldlllans d'une façon générale (jard 'ala'l - Klfaya). Il s'en est I"allu de
peu que le djihad ne devÎlll un sixième Tl/kil, ou devoir fondamental, Cl
effectivement il est regardé comme tcl par les descendants des kharidjites. On
est arrivé à cette conception du djihad d'une façon progressive mais rapide" 1.
Pour rester orthodoxe, le jihâd "doit être surveillé el dirigé par un souverain ou par
un Imâme." C'est pourquoi Cheikh Omar se présenta comme un instrument du Tout-Puissant:
" Ensuite, le Très-Hall! me révéla le lundi 21 Dzoul-qaada 1268 16 Septembre
18521 que j'étais aUlorisé à faire ln guerre sain le.
J'entcndis, en effel, il ce moment la voix divine me crier par trois fois: " Tu es
aUlorisé il faire la guerre saillle ! Tu es autorisé à faire la guerre sainte! Tu es
aUlorisé à faire la guerre sainte!"2
1
Encyclopédie de
rtslam, Paris-Leyde. 19[3, Tome l, p. 1073.
2
Sulenc (J.), url. cil.. p. 142.

CHAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
155
L'épopée explique aussi la prise de Karêga par le fait qu'Omar était autorisé à faire
le jihâd, puisqu'en ce domaine l'authenticité seule garantit le succès. Karêga résista, malgré les
multiples assauts de la colonne de l'année omarienne, dirigée par Alpha Omar Thierno Bayla.
Se sentant un peu perdu, le général se résolut à provoquer son Cheikh:
" Sache que Karêga a refusé Ide se rendre] . Or, c'est toi qui avais dit que tu es
autorisé à faire le jihâd" 1.
Ces propos suscitèrent l'effet désiré; la colère du Cheikh, qui se traduisit par la
mobilisation de son génie.
" Je le jure par Allah que je ferai savoir à Alpha que je suis autorisé 1il faire le
jihâdJ.c.
Je jure que j'ai une autorisation authentique de conduire le jihâd"2
C'est en prononçant certaines oraisons à l'approche de Karêga que Cheikh Omar
réussit, sans coup férir, à p\\llvériser la forteresse de la ville et à faire écrouler les maisons.
L'épopée brosse discrètement la défaite et l'humiliation des habitants:
"Tu prenais celui-ci et tu l'attachais"3
Mais la conduite du jihâd nécessite aussi d'autres préalables:
" Le peuple contre lequel est dirigé le jihâd doit être invité à embrasser l'islam;
En cas de refus, il a le choix entre deux alternatives: ou bien se soumettre il la
domination musulmane en devenant "dhimms" et payer la "djizya" ou bien
combattre"4
Cette clause est bien attestée par la narration épique du jihâd omarien, qui en fait,
du reste, la condition sine qUil flon de l'invasion de tout pays par. le Cheikh:
" Il traversa Je fleuve au niveau de Djâkalel.
Djâli Mamadou le païen;
1
MbôLhicl. (S.), vv. 477-478.
2
Id., VV. 514-516.
3
Ibid., v,569.
4
Encyclopédie
de
l'Islam,op.cit., p.IO?3.

CIIAPlTRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
J 5 6
"
Ille sennonna , mais celui-ci refusa, il le tua.
Soungourou Bâ Bodian, le païen;
Ille sennonna, celui-ci refusa, il le tua.
Bodian Bâ Soungouroll. le païen;
Ille senllonna, celui-ci refusa, il le tua"I
Il Y a là une énumération de rois tués pour avoir refusé d'obtempérer aux sellllon,
du Cheikh. Cela se traduit, sur le plan sémantique, par l'opposition de "senllonna" et de
"païen" ; la solution se rrouvant dans le verbe tuer, placé à la rime pour répondre aux noms des
souverains, placés à l'ouverture des vers. Il ne s'agit pas d'un affrontement brutal d'intérêts,
mais plutôt d'une guerre de religion, menée en toute légitimité.
C'est dans ce cadre que se situent aussi les deux dernières batailles du jihâd
Ségou et Thiâyawai. Pour les versions de l'épopée omarienne, tout comme pour l'histoire, du
reste, les causes de ces affrontements se trouvent dans le statut du roi de Ségou, Ali Da
Monzon; païen pour Cheikh Omar, musulman tiède pour Ahmadou Ahmadou. Hammât Samba
note à ce propos:
" Cheikh écrivit une lettre qu'il confia à quelqu'un afin qu'il la lui [Ahmadou
Ahmadouj remette.
Il dit: "Ahmadou, Cheikh Omar en personne te salue.
Il a chassé là-bas un païen qui a passé la nuit chez toi. Convertis-le ou alors
remets - le lui afin qu'il le convertisse pour te le renvoyer.
S'il refuse, qu'il l'égorge afin de réformer la religion d'Ahmadou." Ahmadou
Ahmadou dit:" Je ne convertis pas, il ne le convertit pas"2
Le combat devint alors inévitable. Il se tenllina par la victoire, non point du
Cheikh, mais de la religion; d'après le Mujâhid :
" J'ai lllé celui qui a donné refuge et celui qui a demandé refuge. Tous les
deux, ô Ahmadou.
Moi Cheikh si seulement je tue un païen, alors, mon coeur est satisfait"3.
Enfin, le jihâd a aussi ses mérites: "Un musulman qui meurt en combattant "dans
la voie d'Allah" (fi sabil Allah) est un m,myr (Shahîd) ; il est assuré d'aller au Paradis et d'\\,
1
Mbôlhicl (S.), Corpus, vv. 87-91.
2
Ly. (H. S.), Corpus, vv. 48 - 53.
3
Id.,
vv. 116-117.

CHAPITRE \\- EXALTATION D'UN HEROS
157
<Ivilir lks privilègt:s paniculit:rs. Dans les premières générations de l'Islam, pareille mon était
L~{)rlsidéréecomille le véritable couronnell1Cill d'une vîe pieuse" l,
La Qacida en pOLllar l'ail écho à ces privilèges:
"Bienvenue à Omar ct à son groupe,
jusqu'au paradis l'lllioun, en baut ; vous ne serez pas en bas."
L'Elu filera; k rideau est déployé,
glissons IlOLlS par dessous, les portes sonl ouvertes.
L'Elu dira: "Entrez, vous et les compagnons,
jusqu'au paradis J'Iliioun ; le malheur, vous ne le reverrez pas."
Cene ville animée, aux vastes places, dont [le soli est sans détritus, aux élages
blanchis, aux rues qui ne sont pas étroites.
Des lils et des coussins parfumés, Id'un parflllnj qui ne se dissipe pas, el des
vêlements l110ëlleux donl les vi.lriérés Ile sc ressembJelll pas.
Des lam-['"11S pelils et grands, des guitares et des crincrins, des violons et des
tambours, jOllent IOUS et ne se taisem pas.
De grandes écuelles noires, d'une seule couleur, bien décorées,
des calebasses à manche long et à manche coun pour puiser un breuvage qui ne
tarit pas.
Et des InelS doux t:l des ombres fraîches sans êlfe froides.
Il n'y a pas dt: soleil, même les corps ne sement pas la i:lssilude" 2 .
De [elles promesses étaient propices à arracher j'adhésion du sédentaire le plus
irréductible ou du nomade le plus mobile. L'autre forme de jihâd dit "Jih~du nafs", ou guerre
.conlre ses propres péchés, fut aussi pratiquée par Cheikh Omar:
"Lorsqu'il eut achevé dix-huit ans,
il ceignit ses reins, il se prépara au combat comre l'âme, qui n'est pas une aide.
Iblis el 10uS ses compagnons el ce monde,
Cl les accoutumances de lieu, et les camarades qui ne 1vousl tjuiuent p'''.
IOllt cel", il le rejela, ill en 1 sortit pour se diriger vers Allah seul
et cet Envoyé pour la Vérilé el de toules les lois;
les prescriptions divines el celles fondées sur l'exemple d'Ahmadou furent [par Ini 1
connues"3
Encyclopédie de
l'Islam, ... p. 1073.
}-
Gaden (H.), op cil., vv. 1170-1178.
3
Gaden (H.), op cil., vv, 26-29,
p. 5.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
1 58
Dès lors, Farba Sawa Gouwa, le griot de Cheikh Omar, en composant la devise de
snll maître, confond dans un même élan poétique les figures de l'érudit, du saint et du
combattant de la foi, car ce dernier ne pouvait se concevoir sans le secours des autres:
"Noble fils de nobles!
le Savant, le Riche, le Bien éduqué.
C'est toi qui as étudié et qu'on a surnommé Thierno Oumar,
Qui as fait l'exégèse du Corail et qu'on a surnommé Tafsirou Oumar,
Qui as couru les slatiolls de Saffi et Marwa et qu'oll a surnommé El Hadj
Oumar. Quand tu combals, Allah t'assisle.
C'est lOi qu'on appelle le Combattant suprême.
Tu attaques un village le matill, et tu y déjeunes en chef de village.
Tu y passes la journée en chef de village, et le soir tu y officies en qualité
d'Imâme" 1
Le combattant de la foi, en absorbant les figures de l'érudit et du sainl, les
résume. L'épopée reruse de séparer ces figures, préfératll au contraire les composer au prix de
subtiles combinaisons afin de sculpter un ponrait complexe de son héros. Les dons d'Omar
facilitèrent la tâche c1es griols et'des chroniqueurs, spécialisés dans le merveilleux ~t
l'apologélique.
Il. LES
PEnSONNA<;ES CONJOINTS
La gloire et le prestige attachés au jihâd expliquent la haute dislinclion de ceux que
la gest~ consent ;\\ mohilisa à son s~rvice. A celte fin, la liste des quatre-vingt-dix premiers
~ompagnons2 ne meiltiollile que des érudils, des nantis, des aristocrates. Il convierH de
préciser que celle lisle varie d'un griot ou d'un chroniqueur à l'autre; l'évolution du jihâd et
les inlérêts persollileis semblent expliquer cette variation. Ainsi, l'épopée de la guerre sainte
place aux côlés du héros des hommes dc valeur issus des couches supérieures de leur société.
,I,IInh,unmadou Aliou Tyam, disciple de la prcnlièrc heure, issu d'une famille de science bien
;;Ollnue, note que" ce sont c1es gens bons el patients, solides, qui ne sc fatiguent pas vile,
JOli' entre eux, qui s'~xhonent les uns les autres, des gens qui ne se mettent pas en colère.
1
Mbôthiel (S.J, Corplls,vv. 53-60.
2
Voir
en
annexe
la
liste
des
quatre
vingt-dix
premiers
compagnons
de
Cheikh
Omar.

CHAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
159
qui s'aiment les uns les autres, qui s'eutraident en toute a/Taire de ce lllonde, qui se lèvent
avant le jour Ipour prierl, qui se donnent des biens les uns les autres et qui ne sont pas
paresseux" 1.
La spécificité de la mission nécessitait des qualités exceptionnelles. Malgré
tout, la condition humaine reprenait ses droits. Dès lors la narration épique, en passant en
revue la composition des jihâdistes, se plaît à diversifier leur origine et juxtapose, au hasard,
nobles, esclaves, hommes de castes, preux, traîtres, érudits, dévots ... Ainsi, le
compagnonnage épique se lllultipite et joint au héros des milliers de preux, et des ccnraines
de chefs qu'il est impossible d'étudier ici clé façon exhaustive. Néanmoins, l'analyse des
figures les plus saillantes donne une cenaine idée de l'ensemble.
D'une manière générale, la foule de personnages conjoints au héros pose un
problème de taxinomie, puisqu'elle validc l'emploi de plusieurs méthodes d'analyse
découlant de l'existence de plusieurs critères de classification. Cependant, une typologie
cohérente se dégage du vécu individuel de l'héroïsme collectif. Elle s'ordonne autour de
deux rubriques: l'élan mystique et j'héroïsme païen. La cohérence du projet implique sa
propre démarche.
1- L'ELAN MYSTIQUE
De ce groupe d'assoiffés d'absolu se détache le général en chef de l'armée du
iih:îd : A/pha Oll/llar Tilicmo Bay/a Walle de Kanel, membre de l'aristocratie lOucouleuL
L'érudit Oumar Bayla, recruté en 1846, fut d'abord élevé au grade de "Moqaddem,,2, puis à
celui de général de l'armée du jih:îd. Il fUI surnommé "juumo" à cause de son teint
particulièrement foncé! C'esl là un des rares détails physiques que souligne l'épopée, 'fidèle
en cela aux règles du genre, plus narratif que dcscriptif3
Alpha devint très rapidement le 'confident de Cheikh Omar et l'homme dcs
missions délicates. Il fUl plus d'une fois envoyé au Foula-Toro pour faire émigrer des
fidèles. Dès son arrivée à Djegunko, de retour du Fouta-Toro, Cheikh Omar chargea Alpha
Oumar d'une mission:
1
Gadell (IL), op Cil.,
p. 97, vv. 576-579.
2
Dignitaire de
l'ordre mystique
Tidjilne.
:J
Voir Dieng (S.),"
Alpha Ournar Thierno Bayla, général de l'armée ct érudit
du
jihâd
omaricn".
communicalion
à la
Semaine
CullUrcllc
sur
la
vie
l:l
l'œuvre d'Alpha Oumar Thiemo Bayla Wane : Dakar, MBoumba, Kanel, du 03
au 07 Déc.,1988.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'liN HEROS
lGO
"Alpha, il l'envoya vers le Fouta, pour rechercher une armée d'Allah, un
groupe envoyé [par Allah], actif et qui ne cOlllmettra pas d'injustice.
Si bien qu'il entra au Damga, jnsqu'au Fouta, se dirigeant vers notre Toro.
Répondit à son appel un groupe envoyé [par Allah], actif et qui n'est pas
paresseux.
Il se procura MBôlou de B6kar Yéro MOOi, lie cheval] que vous connaissez" l
Le contingent fut ramené par "celui au teint noir et brillant" auprès de son
Cheikh à Dinguiraye. MBôlou suscita les convoitises du Yimba, qui le trouvait indigne d'un
marabout. L'armée dn jihâd, provoquée par Yimba, riposta et remporta sa première vicloire.
Comme lors de la première mission, sitôt de retour à Dinguiraye, Cheikh Omar envoya Alpha
an Fouta-Toro pour lever une année dejihâdistes:
"Le Cheikh envoya quatre Talibés vers notre Fouta, ceu~-là [de] ses enfants
(du Fouta), choisis, des hommes femles qui ne faibliront pas.
Le premier, Ahmadou Boubou, dit aussi Eliman
Donnay, de belle tournure, brillant qui ne sera pas sombre,
Est son second, Mohammadou, fils de notre Tyémo
Lamin Sako, soutien de la religion, qui ne faiblira pas.
Et un Talibé choisi, qui obéit à son Cheikh,
le fils de Tyémo Baila, qui aime la religion et qui ne lui sera pas hostile.
El un Talibé illustre, un brave qui est sans peur,
Alpha Abbas, qui a ceint ses reins ct ne sera pas fatigué"2
Le retour de ce carré de preux il Dinguiraye, à la tête d'une forte colonne,
pennit au jihâd de soumettre le Ménien et le Bambouck. Mais la conquête du Kaarta nécessita
de nouveau le recours aux services de Alpha Omar:
"Le Chelkh envoya quatre Talibés dans notre Fouta ;
Ceux-là, de ses enfants (du Fouta) choisis; dcs bons qui ne deviendrom pas
mauvais:
hé ! Tyêmo Ahmadou Ali, savant qui ne se trompe pas;
le fils de Tyêrno Baila, soutien de la religion qui ne faiblira pas, et Tyêmo
Khalidou; rusé, loyal dans son serment de fidélité, et Tyémo Boubakar
Faïfayo, aux pouvoirs sans fins; "
1
Gaden (H.),
op cil.. vv. 159-161, p. 29.
2
Id.,
vv. 221-225, pp. 38-39.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
16 j
Alpha alliait à l'érudilion une bravoure exceptionnelle, el son action à Kololllina
lui valut de nombreux éloges:
"De tous côtés ils viennent par groupes, cela est tout à fait noir [de guerriers],
Vers Alpha, homme brave qui ne chancelle pas,
Talibé véridique dans son sermem de fidélité à son Cheikh, craignant Aililh,
craignant l'Envoyé, qui aime [la religion] et ne [lui! setH pas hostile.
Si grand que soit le nombre des infidèles, aussi grande eSl la résolulip~
.
-
-
.
d'Alpha; lui et ses compaguons ne faiblirom pas" 1.
Le premier personnage secondaire devient à son lOur un héros autour duqpel
tournent d'autres personnages qui lui sont conjoims. Alpha va s'illustrer au fil des balailles
jusqu'en plein coeur du Macina. La version de Sidi Mbôlhie! fail d'A Ipha Omar un symbole
de bravoure au Macina: conduisant les émissaires de Cheikh Omar à Hamdallahi pour fléchir
l'Emir peul, en vue d'annuler la guerre qui allait opposer le Fauta-Toro au Macina, Alpha
attrapa le col du boubou du souverain puis déclara:
"Bel Homme laisse 1Cheikh Omar].
Cheikh Omar te dit de le laisser.
Bel homme, si le moutHlll allrape le vivalll,
Le mourant meurt et le vivant reste.
De grâce laisse Cheikh Omar:
Il n'est pas ton égal"2.
C'est du reste Alpha qui tuera Ahmadou Ahmadou, après l'avoir rattrapé près
de Mopti. Il continuera toujours à honorer sa renommée et périra au cours d'une mission,
victime de la désobéissance des talibés à Mâni-Mâni :
"Alpha leur dit (à ses gens): "Hé, vous! Passons par là-bas, continuons."
Là cenains désobéirem à la parole de celui au teinl noir el luisant, et il leur
arriva malheur. Là le Macina s'élança et vint sur eux de touS cÔtés, pour
travailler du travail avec les fils du Fauta qui ne faiblissent pas. Alors celui au
teint noir et luisant dil :"Cela est imerdit; mes yeux et les yeux de mon Cheikh,
en ce monde ne se verrOnl plus. Allah en a décidé (ainsi!. c'est irrévocable."
Celle journée s'appelle Mâni-Mâni, celle que les musulmans ont pleurée
1
Guden (H.),
op cil., vv. 401-403, pp. 68.
2
Mbôthiel (S.), Le jihad, vv. 1231-1237.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
162
et aussi les hypocrites. Elle ne sera pas passée sous silence, on ne cessera p,\\s
d'en parler; depuis le Macina jusqu'au Ségou, ils ne la tairont pas;
jusqu'à Nyoro, jusqu'au Fouta, personne~ la taira" 1
En somme, Alpha Oumar devint, à partir de Mâni-Mâni, un héros épique dont la
mémoire fut jalousement gardée dans toutes les parties du Saint-Empire. La légende affmne
qu'une fois infomJé du drame de Mâni-Mâni, Cheikh Omar déclara;
"J'avais deux mains; je viens de perdre la droite; la gauche, malheureusement ne
m'est d'aucune utilité"2
Mais les jihâdistes ne pouvaient pas s'empêcher de reprendre le flambeau, et
l'exemple d'Alpha Oumar fut suivi par Alpha Ousmane, le Taureau Rouge:
"Ceci passé, le Cheikh compta une amJée jusqu'à ce que ce fût tout à fait noir
de talibés et de sofas; au [Taureau] Rouge elle fut remise.
Là parla Alpha, le Peul brave qui n'a pas peur,
Ousmane le Rouge, que tous les ennemis craignent et qu'ils n'osent [affronter] ..
Là, le Peul prit l'engagement de fidélité, lui dit:
"Mon Cheikh, pardonne-moi
Si cela s'est bien passé, tu me reverras; dans le cas contraire, je ne reviendrai
pas"3
Un même sort frappa le Taureau Rouge et celui au teint noir et luisant. Alpha
Ousmane succomba à Ségué, un jour mémorable,qui "ne sera pas passé sous silence". Les deux
"Alpha"4 symbolisent le mariage de l'érudition et de la bravoure dans l'épopée du jihâd.
.
Une autre figure porte aussi cette double qualité jusqu'à son paroxysme, il s'agit
d'Ahmadou, fils de Cheikh Omar, le "lamdho DiouI6e", ou Commandeur des Croyants. Né
vers 1837 au Sokoto de Cheikh Omar et de Satoma, le fils aîné du Cheikh bénéficia, à la
différence de ses oncles, de la divine baraka de son père. L'épopée le chante de la naissance à la
tombe en une vaste geste aussi belle que celle de son père. Elle participe d'un véritable cycle
omarien dont les épopées d'Omar, d'Ahmadou et de Tidjâni constituent les oeuvres majeures.
L'étude des deux dernières nécessiterait d'autres thèses qu'il est impossible d'entreprendre ici
1
Gaden (H.),
op cil, vv. 1098-1102, pp. 192-193.
2
Communicalion
paniculière.
3
Gaden (H.),
op Cil, VV. 1104-1106, pp. 193-194.
4
"Alpha" titre poné par un érudit musulman, qui signifie le perspicace.

CHAPITRE r - EXALTATION D'UN HEROS
163
mais il est utile d'en souligner le caractère vivant et dynamique au bord des rives du Sénégal et
. du Niger.
/~
La Qacida en pou/ar présente ainsi Ahmad~
"Là apparut l'Arabe d'entre les hommes, le brave qui n'a jamais peur,
le mâle des mâles que tous les ennemis redoutent et qu'ils n',?sent [affronter].
C'est un savant qui a compris, qui s'est mis à l'écart des biens de ce monde et
gardé [ de ce qui ne serait pas digne de lui],
Scrupuleux, hospitalier, généreux qui ne se lasse pas.
Soutien d'Allah et du Prophète qui ne faiblira pas,
qui pousse devant lui le paganisme dans la poussière du combat et n'échoue pas
dans ses entreprises.
Successeur du Cheikh El Monada, lui obéissant, ayant hérité de lui des qualités
achevées auxquelles rien ne manque" l
Ahmadou, " or des hommes, or pur qui n'admet pas de mélange" devint le
successeur légitime de son père, d'alltant plus, d'après la version de Dramé, qu'il était le seul de
tous les jihâdistes à pouvoir garder intactes ses abl utions pendant plus de deux jours. A
Merkoya, Cheikh Omar le proclame à la fois son successeur futur et son remplaçant évenmel:
"Le Cheikh désigna L'Arabe comme son remplaçant, dit: "Soyez témoins,
Tournez-vous vers lui, je lui ai remis [mes pouvoirs] je ne réserve rien"2
Une fois installé à Hamdallahi, Cheikh éprouva le besoin de confinner cette
investiture, sans doute pour réconforter le pouvoir de l'Emir de Ségou:
"Ceci passé, l'Arabe d'entre les hommes fut convoqué;
il vint avec soixante hommes, se dirigea vers celui qUi ne commet pas
d'injustice"3.
En fin politique, Cheikh Omar associa cette fois ses proches à la promotion du
Commandeur des Croyants:
1
Gaden (H.),
op Cil, vv.101, pp. 18-19.
2
Id., v.J03, p. 19.
3
Ibid.,
v. 784, p.13S.

CHAPITRE ( - EXALTATION D'UN HEROS
16~
"Le Cheikh consnlia ses gens dcs deux Fouta
sur la nomination comme remplaçam de l'Arabe d'entre les hOlllmes,
le doux qui n'esl pas revêche.
Ils répondirelll, il> dirent: " Il est digne de l'accession au pouvoir comme
remplaçant depuis [sai jeunesse jusqu'à [sajmalllrité; les limites [fixées par
toi!, il ne les fnmchira pas."
Le Cheikh dit: "Hé, soyez témoins. Hé! sachez que nous l'avons fall notre
remplaçant en tout, nous ne laissons [rien] de côté.
Depuis Tombouctou jusqu'à Odedyi, nous lui avons tour remis,
Celui à qui il aura donné, celui-là sera celui qui aura reçu;
Celui li qui il aura refusé n'aura rien" 1.
Désigné chef inCümesté du Saim-Elllpire après son père, Ahmadou dé/im les
clefs des pays allant des rives du Sénégal (Odédyi) , aux rives du Niger, voire au déscn
(Tombouctou). Ici. l'apologie de l'auteur de La Qucida eSI manifeste: Mohauunadoll Aliou
'l'yam fut désigué par son Cheikh pour faire panie de la garnison de Ségou. Du reste, Son
poème apparaît, li bien des ég,lrds, COmme une version de cour, des/inée avam tout à vanrer
les mérites du souverain. La Qllcida
devait d'ailleurs être remise au Commandeur des
Croyants, mais la lUlle comre Archinard en décida autrement. Talonné par le colonisateur,
Amadou mourut li MllÏkoulki 2, en pays haoussa. Son emaremem ressemble plus à celui d'un
héros épiqlle qu'à celui d'ul! saint. En effcl, ponr tromper la vigilanet d'évenlUeis agcn\\s
"oloniuux commis à l'exhlllnalion de son corps ou pour prévenir loute profanalion de celui-ci,
œnt tombes furent creusées, d'après cenaines versions, alors que d'autres ajoutent '1u'une
seule tombe fut creusée et IIne case hiilivetllent bâtie autour d'elle la déroba au regard du
public.
La collusion d'Ahmadou avec Alboury Ndiaye roi du Djoloff3, auparavant, lui
pemlit de mener des comblus victorieux. La mémoire colléclive garde jalousement l'héroïsme
exceptionnel dont ils firent preuve SUrlout dans la région de Nioro el dans la zone deltaïque.
En tout cas, l'épopée du jihiid fait d'Ahmadou un remplaçam digne à tous égards de Cheikh
Omar.
Mais le conlinualeur immédiat du jihiid omarien fut sans conteste Tidjiini Alpha
Ahmadou, neveu d'El Hadji Omar, dOn( il fut aussi le fils spirituel incontesté. Au 1endemuiu
du drame de Déguembéré, il réussit à délivrer les jihâdisles victimes de la coalition des
vainqueurs provisoires. La répres,ion sans rémission qu'il mena au Macina interdit jusqu'à ce
1
Gaden (H.),
op cir., v. 1070, p.185.
2
Localité située à 30 km à l'ouest dc Sokoto.
3
Ndao (C.A.), l'Exil d'A/boury, Paris, 1972.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
165
jusqu'à ce jour à un hôte nommé 'Tidjâni" d'être reçu dans certains villages maciniens. La
Irac1ition orJle est fOffilelle :
"Tidjâni rassembla immédiatemenl son armée et partit pour Déguembéré. Il y
arriva comme Sidia faisait la prière du soir, l'allaqua aussitôt et le ballit. Tout
à la dispute du malin, Balobbo n'intervient pas. Tidjâui poursuivil Sidia, le
défit de nouveau le lendemain à Goundaka et dîna de son chameau, dit la
légende. Sidia s'enfuit à pied. Tidjâni revilH à Déguembéré ; Balobbo s'y
lfouvait, la montagne brûlait encore. Il ballit Balobbo et le chassa jusqu'au
fleuve. Balobbo s'enfuit en pirogue. Tidjâni s'installa à Fatoma et y fit un
grand tas <cLôllfc) des ennemis qu'il avait tués: Alpha Omar étail vengé.
Mo'âdi Basamba, un Ardo du Macina, villl l'allaquer. Ils se ballirenl à
Tyabbôli el Tidjâni le tua. 1\\ fit encore avec les morts un grand las el Alpha
Ousmane fut vengé. Balobbo rassembla une nouvelle année et ils se ballirelll
encore à Sêno-Tyâdyi. Tidjâni fil prisonniers trois cems marabollls du
Macina, et on les allacha les uns aux autres avec leurs turbans. Il voulait les
épargner mais les Toucouleurs exigèrent qu'ils fussent tués. Ils furelll donc
exécutés et on en fit encore un tas pour venger le Cheikh Omar" 1.
Celle vengeance mémorable a inspiré au poèle de La Qacida le vers suivant:
"Tous les actes que le Macina avait accomplis colllre notre Cheikh, Tidjâni
Ahmadou, cenes, les a vengés à un point qu'ils ne nieront pas"2
Pousuivant Bâ-Lobbo el Sidi Ahmed El Bekkaï, Tidjâni fut contraint de piller
tout le Macina, selon Abdoulaye Ali:
"Cheikh Amadou Tidjâni, à son lour, Commandeur des croyants, fils de
Amadou Boun Saïdou, la perle des hommes de son temps, le plus illustre
d'entre eux, réunit les contingents levés dans les mOlllagnes de Bandiagara,
contingents bénis et aidés de Dieu, et il se dirigea vers Goro où il arriva au
soleil couchant. Il allaqua l'armée de Sidi Bakkaï, la défit, la poursuivit toute
la durée de la nuit, faisalll parllli elle de nombreux cadavres et prisonniers. Il
revint, béni, saufet lôuam et remerciant Dieu"3
1
Gaden (H.),
op cil.., note
v.1147,
p. 202.
'2
Id.,
v.1147, p. 202.
3
Sissokho (M.), art. cil., p. 143.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
166
Dieu facilita la victoire de Tidjâni en semant la division dans le coeur des
coalisés, Peuls et Maures. Profitant de leurs dissensions, le neveu du Cheikh vainquit les
uns après les antres. Bekk~', sur le point d'être capiuré, disparut mystérieusement, mais son
chameau" fUI pris, et les Musulmans en firent leur repas du soir. Tous ceux d'entre ces
derniers qui en mangèrent un morceau si pelit fût-il, se virent contier par la suite le
commandement d'une province ou lOut au moins d'un villag'e"1
Pour l'épopée du jihâd, à Tidjâni Alpha Amadou, reste atlachée l'image d'un
héroïsme viril, d'un pouvoir intransigeant, dû surtout au mérite personnel. Mais le miracle de
Tidjâni demeure la disproponion entre son jeune âge et ses hauts faits: entré en scène à
vingt-qualre ans, au lendemain de la disparition de son oncle à Déguembéré, illutla vingt-
quatre autres années avant sa mon. Une vie aussi brève)chargée de tant d'actes de bravoure)
n'a pas échappé aux griotS et aux chroniqueurs qui, en composant la version de Bandiagara,
autre version de cour, ont fait de Tidjâni le successeur légitime de Cheikh Omar.
L'épopée d'Olllar cite aussi Ousmane Samba Diêwo, un "diawando" de
Halwâr, disciple très éloquelll d'El Hadj Omar qui devint un agent très actif du jihâd . C'est
ce "Talibé intelligent qui ne se trouble pas" qui apprit au Fouta la venue d'El Hadji Omar et le
contenu de sa guerre sainte:
"II (1e Talibé) arriva, il dit: " El Hadj Omar El Mortada vous salue d'un salut
parfumé dont Ile parfuml ne se dissipera pas. Il a été pour nous en pèlennage
jusqu'à la Mecque, il a fait les tours lprescrits de la Ka'ba], il a rendu visite au
Prophète à Daibatah.
Allah lui a donné de grands dons qui n'ont pw; de limite, c'est lui (le Cheikh)
qui les considère comme dignes de vous, c'est pour cela qu'il a été ramené."
Ils lui répondirent :" Louange, bienvenue à notre pèlerin, "ahlân wa sahlân",
grand fleuve qui ne s'assèchera pas"2
On remarque les qualités diplomatiques de l'agelll avisé: le pèlerinage aux
Lieux Saints, cinquième pilier de l'Islam, est ici récupéré à des fins politico-religieuses. Il ne
s'agit plus d'une dévotion prestigieuse pour Omar. Souvenons-nous qu'à l'époque, le
pèlerinage se faisait en grande panie à pied et qu'il y avait peu de "Hadj". Aussi Ousmane
Samba Diêwo préparait-il le jihâd, en enracinant la destinée d'Omar dans l'histoire immédiate
clu FOUla. Il réussit bien sa propagande puisque des partisans poneurs de cadeaux affluèrent
vers Halwâr, avalll de poursuivre en direction de Djegunko.
1
Sissokho (M.), an. cil., p. 143.
2
Gaden (H.),
op cil .. , vv.136-139. p. 25.

CHAP[TRE [- EXALTATION D'UN HEROS
167
Un autre disciple de Cheikh Omar a des égards: " Le nommé Abdoullahi
Haoussa que la religion a empêché de rester dans son pays natal, à cause du paradis"l Cet
homme originaire de Sokoto se nommait
Abdoullahi Seïdou Fodiya Dem, de [a même
famille qu'Ousmane Fodiya Dem, bien que ne descendant pas du même "Fodiya", titre
décerné à un érudit en haoussa, équivalant à Thierno en poular. Sa présence dans le jihâd
internationalise le mouvement ommien, et donne au récit du poète épique plus de couleur
locale.
Ces compagnons, auxquels s'ajoutent des centaines d'autres, forment une
sorte de sentinelle qui veilla sur le jihâd dans les domaines intellectuel et spirituel. Le jihâd
cite Thierno Seydou, maître d'école des enfants de Cheikh Omar, mais surtout Ahmadou
Almamy Alassane, émissaire du Cheikh à Hamdallahi dont le savoir et l'éloquence
fascinèrent les érudits maciniens :
"Ceux -là s'en retournèrent, il (le Cheikh) mit avec eux ces envoyés
qui ont la baraka, Khalidou, un homme de bien, intelligent qui ne se trouble
pas, et Mohammadou, fils de Tyêrno Alhassan Baro;
C'est un savant qui comprend, à la langue courageuse qui ne bégaie pas.
Nous allâmes avec eux jusqu'à Hamdou. Lorsqu'on fut arrivé, aussitôt les
pays furent convoqués,se rassemblèrent, la preuve fut alors donnée.
Louange à Mohammadou Alhassan, ton Talibé,[ô Cheikh].
C'en est un à qui on a rendu témoignage au Macina, ceci n'est pas rien.
Des versets Idu Coran] et des traditions furent cités et compris;
Les promesses [ de récompense dans "autre monde] et les menaces Ide
châtiment), les récits historiques, tout cela fut commenté devant lui
(Ahmadou) jusqu'à ce qu'il connût le travail qu'il travaillait jusqu'à ce qu:il
eût versé des larmes abondantes en reconnaissant ce qui ne sera jamais bon
[dans sa conduite["2
Il est intéressant de comparer celle relation de la mission du savant mpportée
ici par l'épopée savante, ,lvec celle de l'épopée populaire:
"II dit oui, qui d'autre '1"
Ahmadou Almamy Alassane se leva.
Il se mit à réciter le Coran, celle parole d'Allah.
1
Gaden (H.), op CiL, v. 428, p. 72.
2
Id., vv. 1000-1005, pp. 172.173.

CHAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
168
~"
Récitant et traduisant.
Avant qu'il ne finisse de lire
les lannes d'Ahmadou Ahmadou
s'étaient nouées à son menton,
A la fin de la lecture, il déclara:
"Voilà ce qu'on m'avait envoyé:-
Cheikh Omar le dit qu'il a chassé un paren
qui a trouvé refuge près de toi.
Convertis le païen ou alors
envoie le lui afin qu'il le convertisse et qu'il te le renvoie" 1.
Alors que la relation de La Qacida s'apparente au récit d'un "târikh", celle de
l'épopée populaire s'inscrit au coeur de l'oralilé_ Il est à noter que le Talibé remplit bien la
fonclion que lui assigne son Cheikh: séduire par le savoir les oulémas du Macina. On se
rappelle qu'El Hadj Omar avait renvoyé le premier porteur du message de l'Emir peul
puisqu'il était incapable d'en déchiffrer la teneur. Pour le Cheikh, un messager doit être un
érudit pour convaincre. C'est sans doute ce qui explique le choix des jihâdisles
accompagnateurs du Cheikh. En lout cas, le geste Ini alltibue des compagnons capables de le
seconder merveilleusement.
JI - L'HEROISME PAIEN
Nous avons essayé de démontrer dans la première panie de notre thèse que
l'épopée du jihâd s'inscrit au coeur de l'illlenexte des épopées peules. La distribution des
personnages, leur fonction et leur implication dans l'action confinne celle réalité. Les
jihâdisles se sont comportés, dans une large mesure, plus comme des peuls que comme des
musulmans. L'entreprise qui les sollicitait nécessitait la manifestation d'une bravoure
exçeptionnelle, que l'origine sociale de certains, ainsi que la mentalité de l'époque
favorisaient amplement. En valllalll l'héroïsme païen, l'épopée d'Omar signale qu'au milieu
des combattants de la foi figuraielll des preux, des descendants de familles régnantes, de
simples individus aux mérites personnels.
Koly Mody Sy, fils d'un Almamy du Boundou, çonslitue un type particulièremelll
,-cprésentatif de l'héroïsme païen. Tout au long du jihâd, il adopla un comportemelll
ilTéprochable. Mais son prestige et sa gloire alleignirent leur apogée à Thiâyawal. Bien que
,'ordre fût de combattre à pied, Ibm Bôkar Thierno Mollé, un aristocrate toucouleur, et Kolly
Mbôlhiel (S.), vv. 1089-1100.

CHAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
169
Mody refusèrent d'obéir et restèrent à cheval. Selon Mage "le choc eut lieu, violent, irrésistible.
L'infanterie du Macina fut culbutée, plus de la moitié de la cavalerie prit la fuite" 1. Pour
magnifier la désobéissance des deux valeureux combattants plus attachés à l'héroïsme qu'au
respect des ordres du jihâd, La Qacida en poular, fonne un vers martelé par la Diple répétition
de l'indéfini "on", comme pour exclure les preux de l'action peu glorieuse qu'elle narre: "Alors
on descendit de cheval, on se mit à dire le dzikr, on fila"2 On se doute bien que les
"récalcitrants" à cheval n'eurent pas le temps de se livrer au "dzikr"- prière.
La version de Sidi Mbôthiel qui tire son originalité de son parti pris
anachronique, fait de Koly Mody un émissaire du Cheikh au Macina pour mieux dramatiser les
vertus guerrières du prince, maître de l'équitation et du fusil:
"Koly Mody Sy se "leva droit.
Il dit: "Apportez-moi mon cheval", le destrier fut apporté et fut attaché très
solidement.
Il dit: "Donnez-moi trois fusils"3.
Le prince du 13oundou, tel un magicien, réussit ainsi à séduire le Macina:
"II plaça l'un des fusils devant Ahmadou Ahmadou,
l'autre, il le plaça au sol, plus loin,
Le dernier, il l'emporta alors qu'il faisait galoper son cheval'04
Alors que ses coups de fusil tonnaient de part et d'autre, en plein galop, "Koly
Mody Sy se leva droit comme une tige de mil"S. Le Macina ne put s'empêchcr d'admirer une
adresse qui confinait à la prestidigitation:
"...Oh! quelle adresse à cheval!
Un homme debout sur un cheval, semblable à une tige de mil récoltée"6
Puis, le prince fit aux lanciers du Macina, peu habitué au fusil, une
démonstration de tir :
1
Mage (E.), op Cil..
2
Gaden (H:{' op Cil., v 1048, p. 181.
3
Mbôthiel (S.), vv. 1169-1171.
4
Id.,
vv. 1173-1175.
5
Ibid.,
v. 1180.
6
Ibid.,
vv. 1181-1182.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
170
"Ils virent le fusil en train de virevolter.
Koly Mody se pencha vers Je sol, il traîna lajambe gauche à terre.
I! tira la selle, à ce moment le fusil retombait.
I! Je saisit,
Tira un coup en direction du sol,
le coup fil :"gar II "
Là encore le Macina ne réussit point à retenir son souffle:
"... Voyez, quel prodige!
Voyez comment le Toucouleur s'amuse sur un cheval"2
Koly continua son jeu, el le Macina en fut sérieusement ébranlé. L'effet
psychologique désiré étant atteint, le guerrier dit:
"Oh, en réalité, voilà ce qu'on m'avait chargé de faire"3
C'est pourquoi l'assistance, ne pouvant récuser les commentaires du griot, les
reçut avec réserves, surtout lorsqu'il affimla l'existence de jihâdistes plus valeureux que
Koly Mody Sy
"HoLllme peul rega.rde moi ...
Les spécialistes de l'équitation ne sont pas venus.
Les spécialistes du fusil aussi ne sont pas venus..."4
L'art oratoire du griot complète ici, sur un autre plan, la manoeuvre militaire
du prince peul. Il s'agit de désamorcer la détemlination des lanciers maciniens et d'apeurer
leur roi. Plus épique qu'historique, la version de Sidi Mbôthiel peint Koly Mody sous les
traits d'un prince dévoué à son Cheikh. Cependant, à la veille de son départ pour
Hamdallahi, il avait dit à son Cheikh:
"Quand tu [Cheikh OmarJ vins au Boundou,
tu trouvas que mon père était roi,
Mbâthiel (S.). vv. 1184-1188.
2
Id.. . v. Il 89.
3
Ibid.,
v. 1201.
4
Ibid.,
vv. 1214-1215.

CIIAPITRE 1 - EXALTATION D'UN Hr~ROS
17 1
Il allachait, emprisonnait, humiliait Iqui il voulail].
Tu sais, par conséquent, que celui qui a abandonné la royauté pour te suivre;
celui-là t'a suivi loyalement par Allah
Puisqn'il n'y a rien de plus délicieux que le pouvoir" 1.
Donc Koly Mody était un interlocuteur valable pour le Macina si imbu de son
aristocratie. Son componement fut aussi constamment royal.
Usant toujours d'anachronismes, la version de Sidi Mbôthiel, pour mettre en
gros 'plan l'héroïsme des musulmans plus zélés pour le combat physique que pour le combat
spirituel, envoie aussi en ambassade au Macina BÔIOI Sawa Hâko, Peul dont la noblesse n'a
d'égale que la richesse. A l'injonction du Cheikh:
"Je cherche quelqu'un qui va pour mourir, qui ne va pas pour vivre; capable
de faire de la parade physique:
Jeter son fusil en l'.tir, le reprendre avant qu'il ne tombe à lerre"2
Le Peul rétorqua:
"...Tu veux simplement une confirmation,
Mais si tu as quelqu'un de ma trempe, tu as qui envoyer"3
Mais qui est Bôtol '!
"... La nuit que lU passas chez moi au FOUla,
Tu m'as trouvé avec quatre épouses peules.
'Chacune d'entre elles plus belle que l'autre
Recevait chaque fois plusieurs écuelles de lait dans sa case.
J'ai répudié toutes ces femmes.
J'ai offert à chacune sa dol.
C'est moi qui t'ai suivi à cause d'Allah"4
Ce grand cœur, qui a répudié ses éljouses sans leur réclamer leur dot, est
aussi un interlocuteur valable du Macina, où la valeur se mesure aussi au nombre de vaches.
Mbôthicl (5), vv. 874-879.
l
1d.,
VV.
832-834.
J
Ibid., vv. 847.
4
Ibid.,
v~. 848-853.
~.

CHAPITRE r -EXALTATION D'UN HEROS
172
On sait qu'en milieu peul traditionnel, le droit à la parole est proportionnel aux têtes de boeufs
possédées. C'est ainsi que lorsque quelqu'un se hasarde à prendre la parole en public, une voix
s'élève toujours pour demander; ,.qui est celui qui parle ?,'Et l'autre répond :"C'est Ardo ~tel,
propriétaire de tant de troupeaux de bovins, d'ovins, de caprins." Ici, la valeur se mesure à
J'action dont la vache constitue un des résultats. En ce sens, Bôtol Sawa Hâko s'affU111a au
Macina comme un homme d'action peu poIlé à la faconde:
"Moi, je suis un Peul, je ne parle pas beaucoup" l, déclare-t-iJ, avant de se
révéler un génie du fusil:
"Et comme il s'est projeté en avant ct en arrière
Le fusil ne tomba pas, lui aussi ne tombant pas.
H prit le fusil violemment, puis donna un coup à terre.
Le coup panit sans blesser une seule personne"2.
L'assistance littéralement éblouie s'exclame:
"Dieu a donné à Omar le Torodo, des spécialistes du fusil. Que le Toucouleur
maîtrise le fusil ! "
Elle a du mal à imaginer d'autres preux plus valeureux que Bôtal :
"Les spécialistes du fusil ne sont pas venus, les spécialistes du fusil s'étant mis
en colère hier ont jeté leur fusil,
el depuis lors, les fusils ne sont pas encore descendus.
Ils sont au sixième ciel" 3.
L'anachronisme rencontre le merveilleux "au sixième ciel" pour mieux stimuler
les gens du Macina, mais aussi pour channer le récepteur présent de la narration épique.
L'épopée du jihâd réserve aussi une place spéciale dans la narration héroïque à Hammât Koura
Wane, un Wane de Kanel tout comme Alpha Oumar Thierno Bayla, le général de l'armée du
jihâd. Ayant assassiné un "traitant", il alla rejoindre El Hadj Omar pour échapper aux poursuites
de l'autorité coloniale. A la tête d'un groupe de talibés, enfreignant l'ordre du Cheikh, Hammât
Koura attaqua le poste de Médine le 20 Avril 1857. La témérité du chef lui valut ces vers :
l
Mbôthiel (S), v. 1140.
2
Id.,
v.1151-1154.
3
Ibid.,
v. 1160-1163.

__ ....u.

C1IAI'ITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
173
"Là l'année s'éloigna; restèrent l'élu Mahamlnadou HanUllat,lditl Badé-Wade,
un talibé ljui n'a pas peur, et son groupe, des hommes fidèles, loyaux dans
l'engag<:ment de fidélité au Cheikh. Ils dirent :
" Notre maître (Allah) l'a défendu nous ne nous retirons pas;
et aussi le Prophète et nos Cheikhs, touS œux-Ià l'ont défendu.
Comment s'enfuirait-on, Ilorsquel vers celles aux Igrandsi yeux on se
dirige'l" 1.
Ce brave que les Annales Sénégalaises2 qualifient "d'homme le plus dangereux
du Fouta" (p. III ) mourut au combat. " Les Talibés l'avaient surnommé Hadéwada "celui qui
fail ce qu'on lui défend". C'était done, pour ses chefs, une mauvaise tête, un indiscipliné et,
pour l'ennemi, un brave que rien n'arrêtait. El c'est surtout à sa bravoure qu'il devait son
surnum"3
La geste peu le m<:nIionne aussi le nom de Ardo Aliou Ndiéréby, P<:ul de Guédé
(Toro), lllé à Mâni-Mâni. C'est lui qui eut raison de Karounka Diawara, qui tint tête au jihâd
pendant près de sept anné<:s. L'épopée brosse ainsi les faits;
"Le Ch<:ikh compta une colonne k mardi, illa r<:mit à un 'l'alibé, Ardo Alioll, qlli
se dirig<:a vers œlui qui ne se convertira pas.
Ils se hâlèrent dalls kur marche, k mercredi, jusqu'au jnldi;
Karoullka fut alleiut, alors sa tête fut tranchée d'un s<:ul coup"4.
Ce fut le jeudi, k 31 Mai 1S60, moills d'une s<:l1Iaine après l'arrivée d<: Cheikh
Omar à Nièl1lina. Les traditions divergent à propos du lieu d'exéeution de Karounka : alors que
les Traditions du Soudan Occid<:ntal S soutiennent que c'est à Sana, près de WoÏlêla, d'autres
traditions situent l'action à Tougouni, plus près de Niémina.
La version de Thithié Dramé6 présente la victoire d'Ardo Aliou comme le résultat
d'un espionnage doublé de synchrétisme rdigieux. Sur l'ordre de Cheikh Omm)1e Peul se
dé~uisa en berger et alla ravir le secret de l'invincibilité de Karounka à sa femme Sirakhonté
"
)
Junl il avait tué le père avanl de la réduire à l'état de servante. Ardo dit à l'infol1l1né<::
c;aden (/-l.),
0[1 cil.,
noie vv. 605-60?
2
An,,"les Sénég"'"ises de 1854-1885, Paris. 1885.
G"deu (Il.),
0[1 cil., Ilote du vers 605, p.
J02.
'd.,
vv. 820-82i. pp. 141-142.
Trildiriolls
hisroriques
el
/égelldaire,
du
Soudall
Occidell/al,
Trad.
Del afosse,Com ité d'A friq ue fI." nç"ise,
1913.
6
Voir noIre thèse de Doetor"t de Ille cycle. Dakar, 1984.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
174
" Mais Karounka est D'ès têtu."
Sirakhonté lui dit:
" Karounka n'est pas têtu, seulement vous n'avez pas encore découvert ses
astuces.
Karounka possède une femme djinn appelée N'FENE Diarra, C'est elle qui a
donné un gris-gris protecteur à Karounka
Elle n'a qu'un sein.
Elle lui a remis sept cure-dents...
On les coupe vers dix-sept heures, ils ont la longueur de sa main, ils doivent
passer la nuit auprès de lui: le matin après le réveil, il doit se curer les dents
jusqu'à ce qu'ils aient la dimension de son auriculaire.
Tout homme qu'il combat, il le vaincra.
Mais s'il n'achève pas Iles sept cure-dents!. toute personne qu'il comballra le
vaincra" 1.
Alors, Ardo confectionna une balle magique et la remit à Lamba Bôkar Thiam
qui, aux termcs de l'opération synchrétiqne, devait être le bourreau et la victime dc
Karounka. L'issue du combat fut fatale aux deux braves:
"Lamba tomba de l'autre côté
Karounka tomba de ce côté-ci"2
Le griot de Karounka, Diâwoy Samfi, se tenant entre les deux cadavres,
entonna un hymne il la gloire de son seigneur:
" On ne peut être plus brave!
Tuer l'homme qui vous a tué, tu es le premier il avoir fait cela.
Diawara ! Même si tu meurs, tu n'apportes plus désormais la home dans l'au-
delil"3
Pour vaincre un tel preux, il fallut découvrir ses astuces puis les déjouer. On
"é manquera pas dé rapprocher le nom de l'épouse surnaturelle de Karounka, NFENE
UlARRA, de celui poné par les princes du royaume bambara de Ségou. L'épopée semble
;uggérer, à sa manière, la collusion de fait liant Karounka à Ali Diarra de Ségou. La victoire
Dieng (S.), Thèsc de IlIème cycle, Dakar, 1984, VV. 1278-1284, p. 253.
2
Id., vv. 1321-1322, p. 261.
3
Ibid.,
vv. 1324-1325, p. 261.

C1IAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
175
du jihfid, résultant du concours de l'ensemble des comballanls de la foi, eSlplus imputable au
groupe qu'à la seule personne d'Ardo Aliou, bien qu'il soit un preux intraitable.
L'héroïsme ignore royalement les clivages ethniques et les stratifications
sociales. Il ne connaît que la valeur. Sous ce rapport, la geste du jihfid réserve une place
spéciale à Kouroubatou ou Batou Dembélé, sofa (esclave) de Cheikh Omar, ancien captif de-
Yamfélé Thiénw, le roi massassi . A Thiâyawal, la lutte entre le FOUla el le Macina fut
précédée du combat symbolique des esclaves d'El Hadj Omar et d'Ahmadou Ahmadou, qui
se solda aussi par un match nul plein de signes prémonitoires. Chaque chef ordonna à ses
hommes d'enterrer son esclave. Ce fut le début des hostilités. La Qacida en pOl/far n'a pas
oublié l'un des meilleurs sofas du Cheikh:
"Sofas faites tous vos efforts, vous serez fennes jusqu'à aller ficher en terre
Kouroubatou Dembélé, le brave qui n'a pas peur,
Celui qui dit toujours le dzikr, le véridique dans Isonl amour du Cheikh et qui
ne "uil sera pas hostile,
Celui à qui on a rendu témoignage dans tous les combats, et ceci n'est pas
rien" 1.
Cette injonction de Cheikh Omar fut exécutée et Batou fut enterré ("fiché en
terre") par ses pairs.
Sidi Mbôthiel décrit avec beaucoup de pittoresque le combat des deux
esclaves, Bâtou et Yerngha:
"Yerngha se dirigea vers Bâtou, Bâtou se dirigea vers Yerngha.
Le preux et son homologue se virent.
Yerngha se tint sur les étriers, très allentif
Yerngha, l'œil vif, le doigt près de la gâcheue.
Alors Yerngha décrocha sa flèche.
BaloU Dembélé chercha la gâchette, son coup retentit.
La lance de Yerngha arriva el se posa au milieu de la tête de Bûtou.
Le coup de fusil de Bâtou alleignit Yerngha.
Les deux preux tombèrent à la renverse, l'un à la suite de l'autre"2.
Gadcn (H.):
op cil.., vv. 1033-lü34, p. 178.
2
Mbôthic! (S.), vv. 1564-1572.

CHAPITRE [- EXALTATION D'UN HEROS
176
Malgré son anachronisme habituel, la narration de Sidi se rapproche ici de la
vérité historique En effet, bien qu'amlé d'une lance, c'est Yerngha qui prend des initiatives,
..'tlscilant ainsi la réaction de BâIOU, nanti de fusil. De même, c'est le Macina, terre
d'excellents lanciers. qui provoquera les jihâdistes, munis de fusils et de "boucs du
gouverneur", c'est-à-dire de canons arrachés à l'armée coloniale au cours d'une
échauffourée. Chaque chef réclama son esclave et ce fut un carnage:
"Le Fouta se leva vivement, le Macina se leva vivemel1t.
Que Dieu nous assiste!" J.
Alors :"Le Fouta et le Macina s'empoignèrent.
La poudre gronda entre eux"2
Le nom dc BâlOu Dembélé et de Yerngha, son vis-à-vis, resteront à jamais
attachés à la batai.lle de Thiâyawal. Ils permettent aussi aux artistes et chroniqueurs du jihâd
omarien, de varier les perspectives à l'aide de personnages situés à tous les niveaux de
l'échelle socia le.
Mais Je jihâd omarien, étant par définition un vaste mouvement de lutte, ne
pouvait manquer de sécréter, de l'illlérieur même, ses propres contradictions. C'est ainsi que
la légende rapporte que Mamadou Isma'ila Samba Ciré rellseigna les Peuls au prix d'une noix
cl<: cola et d'LIlle pincée dc tab'lc. La Qacii/a en [Joll/ar travestit à dcssein la réalité, en faisalll
dc cet homme L1ne femme: " Une menteuse, rappolleuse, délatrice et en outre ellvieuse et
maudite petite femme les ayant renseignés, mOLl Cheikh l'LIt poursuivi"3
De même, parmi les personnages typiques de cette épopée religieuse, les
griots occupent une place de choix. Farba Gouwa se distingue nettement: homme libre,
figure sympathique, imaginatif, parfois grossier ou vulgaire, il domine par son verbe El Hadj
Omar et son épopée. Mais n'y-a-t-il pas quelque exagération dans la description de la
psychologie du personnage? Tout pone à le croire, d'autant plus que le portrait nous est
InlLlsmis par des griots qui sont ses descendants.
Farba est avant tout un maître de la parole qui atteint son sommet dans la
cOlllposition des devises de Cheikh Omar et d'Ahmadou Ahmadou. Les succès du jihâd
.':Hl1"rien sont résumés à l'aide d'une structure répétitive: le Cheikh senllonlle un roi, celui-ci
'-efuse, il est tué. La répétition d'une telle structure ternaire ennuierait ou engendrerait une
certaine monotonie, si le choix judicieux des noms et des localités ne venait apponer une
cellaine couleur locale ct un écho rythmé qui animent l'ensemble :
Mbôthiel (S.), YY.
1182-1183.
2
Id., VV. 1601-1602.
3
Gaden (II),
op cil... Y. 120, p. 196.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
177
"Djali Mamadou, le païen
Il le sennonna, mais celui-ci refusa, il le tua.
Moriba Saféré, le païen;
Il le semlOnna, celui-ci refusa, il le tua.
Soungourou 13â Badian, le païen;
Ille sermonna, celui-ci refusa, il le tua.
Il prit Diara à Kougnakâri, il y construisit une grande mosquée.
Il tua Gharangué Diara à Yélimané,
Guélâdio Dêssé à Diongoye,
Mâmoudou Dêssé à Kolomina,
Mbandiougou Diara du Guimbanna,
Mânmdy Kandia à Nioro,
Barka à Madina Alahêri" 1
La magie du verbe pousse le griot à varier le ton et le rythme de ses versets. A
un début halelant où le deuxième vers revient maneler la victoire, succède une fin plus
brutale certes, 'mais aussi plus sobre et plus discrète: le verset se réduit alors à une
juxtaposition du souverain à sa localité avec ellipse du verbe principal. De même, pour
chanter le règne d'Ahmadou Ahmadou, jeune prince qui préféra à l'austérité des fondateurs
de la Dina, les délices qu'offre le pouvoir royal, Sidi Mbôthie\\ essaie d'imiter la musique des
griots du Macina. Sa réussite est admirable :
"kikka kaa waaja; ka"na waaja,
kikka keke waaja, keke neeri waaja,
kikka keke, kikka kaka,
kikka kaalu. kéké waaja"2
Ces sons, dépourvus de sens précis reproduisent une mélopée au son du
"naaî1ooru", guitare simple dont on joue à l'aide d'un archet, très prisée des Peuls nomades.
l'.n <lUIre, l'an de Farba se caractérise par un gOÛt très prononcé de l'exagération. ,II puise, à
L:cl effel, ses méwphores dans le stock du merveilleux des religions traditionnelles. Au
:v1aGina, d'après la version de Sidi Mbôlhiel, il donna libre cours à sa fantaisie,pour satisfaire
,;ans dOllie une des exigences de sa caste: valoriser son maître avec excès.
Mbôlhiel (S.), vv. 88-99 (La Devise).
2
Id.,
v. t412.

CHAPITRE l, EXALTATION D'UN HEROS
178
Farba adopte aussi une technique originale dans l'exagération; panant du
vraisemblable, il va vers l'invraisemblable afin de bénéficier de l'indulgence ou de la
cr~dulité du récepteur. Par exemple, après la lecture expressive de la lettre de Cheikh Omar
ell direction d'Ahmadou Ahmadou, par Alpha Oumar Thierno Bayla, le griot, ajouta cOlllme
pour exciter l'étonnement des maciniens ;"Les spécialistes de la lecture des lettres sonl restés
auprès du Cadet d'Adama Aysé... "l. Ces lecteurs n'om pas besoin, selon Farba, de sortir le
texte, ils le IiseIH alors qu'il se trouve bien ficelé dalls leur poche. En faisant ainsi du Cheikh
le réceptacle de toute érudition, l'exagération accuse une valeur dramatique. C'est sans doute
ce qui explique la réaction des autres émissaires: "Farba, Cheikh a dit de ne rien ajollter à sa
parole, mais aussi de ne ricn y retrancher"2.
Le griot n'a cure de ces accusations;
" Eh, c'est de vous qu'il s'agit; et non point de moi.
Moi, je suis griot, je dis tout ce que je veux"3.
Farba consomme la rupture avec les autres messagers et du coup s'installe sur
un autre plan; celui de la parole libre, libérée des convenances auxquelles la soumettent les
membres des couches supérieures de la société. Cette scène très vivante va se reproduire
avec tous les messagers prestataires, obéissant à une même structure très simple; prestation
de l'acleur, réaction du Macina, commentaires de Farba.
Après la lecture du Coran de Ahmadou Almamy Alassane, le griot enchaîna;
en s'adressant toujours à Ahmadou Ahmadou;
" Par Allah, je t'avais dit que ce sont les enfants qu'on envoie,
les grandes personnes ne sont pas venues,
des Torodos sont là-bas, fils de femmes vertueuses,
Ceux-là, s'ils se décident à lire le Coran,
Ils jettent le livre là-haut,
Et le livre se met à tomber
Feuille par feuille, feuille par feuille.
Avant qu'elle ne tombe à terre, ils ont fini de la lire.
Ceux-là sont restés auprès du Cadet d'Adama Aysé Elimane Ciré Samba
Demba Ali Moutar"4
1
Mbôthicl (S.),
v. 1082.
2
Id.,
v. 1086.
3
Ibid.,
vv. 1087-1088.
4
Ibid., vv. 1122.
(

~-
•,
~é1iAPITRE 1- EXALTATION D'UN IIEROS
17'!
L'astuce consiste à partir de prémisses justes pour extrapoler et aboutir à d~,
conclusions pour le moins discutables. En réalité, bien que le jihâd comptât d'authentique'.
spécialistes du Coran, la tradition ne semble avoir retenu que les noms d'Alpha Ahmadou
frère aîné du Cheikh, et Ahmadou Almamy Alassane. La démonstralion militaire de Bô'nl
Sawa Hâko aussi inspira il Farba les remarques suivantes:
"Les spécialistes du fusil ne sont pas venus.
Les spécialistes du fusil. s'étant mis en colère hier, ont jeté leur fusil.
Et depuis lors, les fusils ne sont pas encore descendus.
Ils sont au sixième ciel.
Ceux-là ne sont pas encore venus.
Ils attendent le jour du combat" 1.
Des fusils en l'air, en attente d'un combat contre des lances, de quoi inquiéter
les lanciers macinicns. Ayant atteim son but, Farba lança il ses amis interloqués: "Occupo.-
vous de ce qui vous concerne, Farba s'occupe de ses affaires"2
,
"
C'est alors que Koly Mody Sy du Boundou entre en scène il la suite de ses
prestigieux devanciers. II réussit il éblouir le Macina selon l'épopée toucouleur; malgré tout,
le griot de Cheikh Omar ajouta une pincée de sel au plat si délicieux:
"Les spécialistes de l'équitation ne sont pas venus.
Les spécialistes du fusil aussi ne sont pas venus.
Puisque certains preux restés auprès du cadet d'Adama Aysé,
Quand ils se fâchent, ils jettent le fusil en l'air;
Et alors qu'ils font galoper le cheval,
Ils entrent par son anus,
Et ressortent par sa gueule.
Là, ils rencontrent le fusil, le tirent,
Puis regagnent la selle posée au-dessus du cheval"3
Les Toucouleurs, ne pouvant se retenir, s'expriment par une litote: " Farba.
ceci est très fort!" En fait, la recherche de l'effet pousse le griot à jouer de tous les registrès :
1
Mbôthiel (S.). vv.
1160-1165.
2
Id., v. 1167.
3
Ibid., vv. 1215-1256.

CHAPITRE! - EXA.LTATION D'UN HEROS
ISO
è.\\agéralion, grossièreté, image, taul est bon pour énlollvoîr autrui. Alors, goguenard, il
répond ii ses amis :"Occupez-vous de vos affaires. Moi je dis ce que je veux dire" 1.
L'avant-dernière partie remet en gros plan Alpha Omar Thierno Bayla, car
l'épopée, pour mieux frapper les esprits, dramatise les vertus de ses héros. Elle avait monll'é
Alpha l'érudit; à présent, elle désigne le preux, au cours d'une scène où celui-ci fait preuve
de témérité. Mais Farba, minimisant l'héroïsme du général par tactique et technique oratoires,
déclare au prince peul:
"Les preux ne sont pas venus.
Ils atlendem le jour du Combat suprême,
Certains preux restés là-bas, s'il s'agissait d'eux,
En prenant le col de ton vêtement ;
L'ayant violemment secoué, auraient ouvert lOn ventre avec un couteau,
Ils auraient retiré ton foie et l'auraienr mangé"2
Choqués au plus profond de leur être par les intentions aUlhropophagiques
qu'on leur prêtait, les Toucouleurs n'eurent même pas besoin de revenir sur les divagations
de leur griot qui cherche à faire feu de tout bois.
"
Puis ce fut le tour de Farba, personnage central, porte-parole du Cheikh et du
groupe. Sa tâche était facile; il fallait réciter la devise de son Cheikh pour semer la peur et le
trouble dans les esprits. Il prit surtout le soin de mettre en garde le Macina, en ponctuant sa
composition par la fomllile: "en réalité méfiez-vous de lui."
Farba entonna cet hymne à son Cheikh:
"Torodo, méfiez-vous de lui.
Dernier né d'Adama Aysé Elimane Ciré Samba Demba Ali Mouwr.
En réalité, méfiez-vous de lui.
Etranger le matin, chef de village à midi, Irnâme l'après -midi.
En réalité, méfiez - vous de lui.
Le Riche, le Savant, le Bien-éduqué, le PO,urvu.
Noble fils de Nobles en réalité méfiez-vous de lui.
C'est lui qui a éwdié et qu'on a surnommé le Marabout Omar,
Il a fait l'exégèse et on l'a surnommé Alpha Omar.
Il fit les chemins du pèlerinage et visita le Mausolée.
.;!:;i~~
t
Mbôthicl (S.), v. 1225.
;;;6.
2
Id., vv. 1251-1311.

CHAPITRE [- EXALTATION D'UN HEROS
181
Ne savez-vous pas que c'est le Cheikh qui a détruit Goufadé.
C'est le Torodo qui a détruit Djanguirdé.
C'est le Che*h qui a détruit Ghégné et l'a communiqué à Ghégnêba.
C'est le Torodo qui a détruit Farabanna.
Le Cheikh a traversé le gué de Diâkalelle.
En réalité méfiez-vous dll Riche, du Savant.
En réalité méfiez-vous de lui" 1.
Un homme de la trempe de ce Cheikh, pourvu de science et doublé d'un chef
victorieux, doit inspirer plus que de la méfiance. Le roi du Macina ne s'y est pas trompé.
L'ardeur et le zèle de Farba lui suscitent aussitôt une belle périphrase qui lui vaut
l'appellation" un individu qui parle pour se faire payer"2. Ayant apprécié son laient: "que tes
paroles sont délicieuses"3, Ahmadou III récompensa ainsi Farba Gouwa:
"Je t'ai donné cel1l vaches avec des boeufs
Oh ! ta parole vaut même plus.
Ta parole vaut même plus! ,,4
Cette récompense réveilla le vieux démon du griot: son ingratitude légendaire.
Alors Farba se retourna COnlre son Cheikh:
"Donc malgré l'ampleur de mon exaltmion,
et je n'ai point fini de l'exalter,
Mais il ne m'a donné qU'1II1 petit cheval 1
l'ire encore, le petit cheval est borgne.
Pis encore, il ya écrit son nom.
Même si je le vendais, personne n'oserait l'acheter.
Je ne vois comment rester ailleurs, alors qu'ici on donne au griot cent vaches.
Sachez que sije retourné, je reviendrai ici
C'est là que je vais habiler"5
Mbôlhicl (S.), vv.
1293-1311.
2
Id .. v. 1317.
3
Ibid., v. 1315.
4
Ibid., vv. 1317-1319.
5
Ibid., vv. 1327-1333.
.'.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
182
Le griot oppose la générosité clu peul il l'avarice du Torodo et, cie façon
générale, l'ant:ienne noblesse du Peul, fondée sur la propriété bovine, il la nouvelle noblesse
lorodo, fondée sur le Livre, donc sur la mendicité, puisque c'est Allah qui pourvoit aux
besoins matériels du lelLré. Mais Farba est de mauvaise foi, puisqu'avant de venir en
ambassade, il avait exigé et obtenu de son Cheikh quelques grammes d'or. Dans tous les
cas, l'Emir du Macina s'empressa d'exploiter la confusion que les vaches offertes au griot
ont suscitée en lui:
"Je le jure par la magnificence d'Allah, dit-il à Farba, si tu habites ici ...
A la fin de chaque mois, je t'offrirai cent vaches" 1.
L'épopée.toucouleur semble retléter ici l'épopée du Macina qui réduit le jihâd
omarien à une entreprise d'exploitation polilico-économique. Elle abandonne ainsi sa propre
création pour se couler dans le lit de l'intertexte des épopées peu les.
Au lotal, Farba Gouwa, par ses multiples réactions el interventions, résume le
personnage du griot traditionnel islamisé. A la rencontre de celle doublé mouvance, il nous
donne le témoignage d'un art il la fois vivant el aecompli. Notre revue des personnages
conjoints au héros de l'épopée du jihâd, loin d'être exhaustive, s'est arrêtée à quelques
figures exemplaires. L'étude systématique de l'ensemble des personnages serait il faire pour
une meilleure connaissauGe historique et épique du jihâd om,trien. Issus de toutes les couches
cie la société, les personnages conjoints Ont une ligne de eonduite commune: ne clevoir sa
bonne renommée qu'à son unique mérite. L'histoire fournit iei prétexte à la légende.
Ainsi, au fort du jihâd, quand Cheikh Omar voulut se renùre au Fouta pour
recruter des solùats, il éprouva ses compagnons en leur confiant la délicate mission de le
remplacer un temps. M,lis qudle fut sa joie ùe eünstater, à son retour, que ses suivants
étaient capa blés cie commanùer! Quand Cheikh Omar revint, il ne manqua pas ùe les féliciter
pour avoir convenablement administré leur zone: il s'agit ù'Alpha Oumar à Nioro, et Chef
suprême pendant la ùurée de son absence, Thierno Djiby à Kouniakflri, Djoubaïrou Bonbou
au Diafounou, Thierno Amadou à Kagnaremmé, Modi Mohammaùou Fakhou à Yoguiré,
Souleymane Bâba Râki, à Diâlla, Oumar Lamine à Guénunoukoura, AbdouJaye Haoussa à
lJianguirdé enfin Abcloulaye Ali au Bakhounou. L'exercice du commandement sans bavure
leur valut il chacun 1111 fragment épique.
L'épopée du jihâd présente une humanité vivant un héroïsme bipolaire, dont
les ùeux pôles antagonistes, mais complémentaires, oscillent du paganisme au religieux. La
lutte contre le paganisme dominant la geste, la dichotomie majeure dans la revue des
Voir Baudoin (C.), Le
triomphe
du
héros, Paris, 1952, p.
l-ll.et Vries (J.),
fleroic Song and leeroic legend, New-York, 1978, pp. 211-225.
. ,

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
183
pèl"sonnages rcste l'opposition entre les pieux et les timorés. Mais cc qui caractérise
paniculièrement notre épopée demeure le triomphe solaire du divin sur la bassesse de la
matière, "le salut d'un peuple arraché à l'immobilité du marasme, aux étreintes des forces
inconscientes"l. Le héros reprend alors sa place au sein des opinions flotlames des
mythologues qui le situent entre le dieu déchu et l'homme promu.
Ill- IMPLICATION DES PERSONNAGES DANS L'ACTION.
L'inventaire des traits psychologiques des personnages doit être complété par
leur analyse. Celle-ci peut s'appuyer sur l'élUde du rapport des personnages à l'action et sur
leurs relations réciproques. Une telle approche met aussi en relief les procédés par lesquels
les auteurs valorisent les traits du héros principal, ou font valoir les relations qui unissem
entre eux les personnages conjoints. Notre tâche se réduit alors, en gros, à observer les
personnages de l'épopée du jihâd "en situation", étant entendu que seule l'action éclaire leur
caractère. Les Anciens étaient fonnels sur ce plan: dans la Poétique aristotélicieillle, la notion
de personnage est secondaire, elle reste entièrement soumise à la notion d'action. Aristote
estime qu'il peut y avoir des fables sans "caractères" , mais qu'il ne saurait y avoir de
caractères sans fable.
Dans l'épopée du jihâd, les caractères som par avance netlemem affitmés, et
l'action les confirme en les éclairant grâce aux mécanisme éprouvés d'une création épique
dynamique. El Hadj Omar demeure le pivot autour duquel se distribuent les autres
personnages de son épopée, quels que soient par ailleurs leurs mérites respectifs, ce que
rellète aussi la disproponion qui se note au niveau de l'étude des personnages. L'ensemble,
solidement structuré, se fOffiwlise dans une narration ou des réseaux complexes, mais
:;olidaires, tissent entre eux, au niveau de l'action, des rappons syntagmatiques tels que
J'enchainement chronologique, causal et paradigmatique comme la défaite, le défi, la
démesure, les joutes, le succès, la vengeance.
Mais l'action reflète, avant tout, la triple figure que l'épopée du jihâd donne à
son Cheikh: énldit, saint, et jihâdiste :
"L'enfant d'Halwâr, le pèlerin, le marabout conquérant
Celui qui a passé par les trois métamorphoses de la vie
Pour enfin devenir Mujâhid, le Conquérant de la foi"2
t
Diarassouba (C.), La grande Epopée d'AI Hadj Omar, Bamako, s.d., p. 49.
2
Bâ (K): vv. 177-182.

CHAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
184
Son initiation au Coran dévoile l'érudit hors pair:
"Le père le prit par la main,
Il dit: maintenant tu vas commencer à élUdier.
Il l'emmena chez un marabout,
Il 'UTiva et dit: marabout, enseigne à mon fils!
. Ce dernier dit: Thierno Seydou, un enfant qui ne sait pas compter, que lui
Oumar dit: marabout, commençons, je vais essayer '"
Quelle fut la surprise du marabout, quand il se vit réduit, avec son école
cOranique, au rang d'élève par Omar le disciple surdoué qui, refusant le sens arithmétique
des dix premiers chiffres, se livra il une série d'analyses arithmosophiques. A la fin de sa
démonsrration, le marabout déclara après que son étonnement fut passé:
'''Le marabolllmit sa main sur sa bouche.
Il dit: hé Thierno Seydou ! celui-ci dit: oui!
Il dit: ramène ton fils, il m'a dépassé en savoir! "l,
Il n'y a rien d'étonnant pour l'âme qui volait entre ciel et terre avant de
s'incarner, que de déchiffrer le sens caché des nombres. On sait par ailleurs, dans les
",,,litions mystiques, que les nombres régissent le COSlllOS. A partir de là, Omar va cheminer
sur les sentiers de la connaissance, accumulant palmarès et victoires au gré des
circonstances. La relation de son épopée insiste sur ce point particulièrement :
"Omar l'ail a baltu le long sentier de la connaissance
En jetant le Lrouble dans les puits de science d'Orient
Confondant les théologiens d'Alhazar, de Jérusalem.
Il a percé le secret du très sacré Jawahir-AI-Maâni"2
La progression de la narration s'explique par les dons immenses du pèlerin
prestigieux, lesquels lui facilitent l'accès à la connaissance. Dès lors, son triomphe aux
ioutes oratoires du Cain: confirme le reflet de l'érudition et de la sainteté du marabout peul
,'ur t'univers intelleclLlei de l'époque: l'université d'AI-Azhar symbolisant alors le lieu idéal
dt la science. On voit ainsi que l'épisode du Caire, dans les récits de la geste islamisée, loin
1
Diarassouba (C.l, vv. 244-246,
2
Id .. 1'.23.

CHAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
185
d'"pp"r"ître COI lime une étapc exotique, trouva sa juslilïcation dans la volonté des griots et
des chroniqueurs de mieux mOlltrer la mise en action des qualités morales et intellectuelles du
héros, déjà annoncécs dans la séquence de son initiation au Coran.
Cependant, malgré la figure allachante de l'émdit, c'est celle du jihâdiste qui
mauifeste le mieux la trilogic formée par le savant, le saint et'k Mujâhid, où s'enferme la
psychologie du Cheikh. La conquête du pays bambara, relatée par Fanta Damba, interprète
émérite de la chanson traditionnelle malienne, met en gros plan la valeur militaire du
conquérant ainsi que la cohésion de son armée:
"Le Cheikh Omar arrive devant Merkoya
Le Cheikh Omar défait l'année Bamanan
Et le Chef Katilia le cou séparé
Des épaules se rejoignant.
Le Cheikh Om"r dans le Bélédougou
Le Cheikh Omar défaill'année Bamanan .
Et le Chef Karounka a le cou séparé
Des épaules se rejoignant.
Deux lieutenants de Bina Ali tombent
Comme caïlcédra\\s dessouchés.
Olli ! Bagui ct Bonoto rendent l'âme
Sous !cs sabots (ks chevaux déchaînés.
L'armée du Cheikh marche SLIr Niamina
Ni"mina tombe daus le flot prosélyte.
C'est alors qLI'à travers le Faladougou
Le Cheikh Omar arrive devant Woïtala,
Où l'allend Tata, fils de Bina Ali" 1.
Dans cette recréation poétique de l'épopée du jihâd se noie la vaillance d'Omar
d la solidarité de son an liée qui permet au jihâd de remporter des victoires fulgurantes.
L'aniste accélèn; ici son récit pour traduire la pesanteur de l'année du jihâd. Pour suggérer la
corrélation cxistaul entre k Cheikh Om'tr et l'année toucouleur "saturée des sennons du Chef
de 1" Diihad"2, Fanta construit des tableaux expressifs, sorte de triptyques ainsi bâtis:
:Hrivée du Cheikh dans IUIC contrée, défaite de J'am\\ée locale, décapitation du roi. Cependant
1
Diarassouba (C.),
op cil., p. 30.
2
Id., p. 29.
i
t

CHAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
, "1 , '.: .
.
. •
i .. 1 1l ' 1,,' ~ ::'
186
Woïtal~ échappa au schém~. "Symbole du militarisme impérial de Ségou", elle résista
pendant cinq jours aux assauts des jihâdistes et leur fit même subir un échec cuisallt :
"Quand apparaît le Cheikh Omar armé de lance,
Manié sur un coursier au galop fulgurant
Qui déchire les rangs B~manan du trait d'acier
Faisant couler les sèves de vie des corps vidés.
Le Cheikh est donc dans la mêlée el conduit
Les guerriers mystiques au courage ranimé
Par le sévère exemple d'Omar le Foutanké" 1.
En réalité, la b~taille de Woïtala est, avec celle de Thiayâwal, les rares
occasions qui unirent les trois traits qui fomlent la psychologie d'Omar, telle qu'elle est fixée
p~r la tradition. Dans les vers précédents, 011 observe le tableau allendrissanl du Chef qui
prêche par l'exemple pour obtenir aussitôt l'aclhésion cie son armée à sa cause. Aussi WoÏlala
bascula t-elle au bout du cinquième jour cie eombat malgré le courage et la détennination cie
Tata, fils aîné de Bina Ali de Ségou, à la tête d'une fone anl1ée:
"Tata et douze mille cavalicrs
Tata et vingt quatre mille guerriers
Tous couchés à WoÏlala, limons cie l'hisloire"2
Le savant mystique prencl alors le pas sur le guerrier pour b,iser les idoles de
Ségou:
"Le .vainqueur de Woïtala met pied dans le palais d'Ali
Il écrase la chambre des grands fétiches Bamanans :
"Makongoba ! Nangoloko ! Kontoro ! Biné Djougou !"
Cris et lamentations poussés en pays Bamanan"3
Détruire le panthéon bambara et jouir d'une impunité totale conféra au Cheikh
Omar un statut quasi divin en milieu ségovien. Les récits de ce fragment, en chantalllle héros
victorieux à la tête cie ses preux, insistent sur l'unité des traits du Cheikh qui en font un vrai
Chef:
1
Diarassouba (C.),
op cie.,p. 35.
2
Id., p. 31.
3
Ibid.,
p. 39.

CHApITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
187
'>l'.
"lI est maître de Dinguiraye, de Nioro, de Koniakary
II est maître du Bambouck, du Bélédougou, du Fouta
Il est maître de Merkoya, de Woïtala, de Sansanding
Il est maître du Kaarta ! Il est maître de Ségou-Sikoro" 1.
L'anaphore "Il est maître de", par delà l'insistance sémantique, traduit
l'ampleur des conquêtes de l'ardent jihâdiste, bénéficiant du concours de son armée.
Il convient cependant de s'attarder sur le bris des idoles ségoviennes à cause
de son intérêt dramatique. Selon la version de Sidi Mbôthiel, l'amlée du jihâd trouva à Ségou
"des choses extraordinaires" ainsi que des idoles:
"Ils ont trouvé à Ségou une tige de mil bien droite dans un tas d'ordures;
Le tas d'ôtdures brûlait, mais la tige restait toujours fraîche.
La tige portait un épi,
Un épi de millet.
Le feu ne s'éteignait pas,
La tige ne séchait pas,
L'épi ne séchait pas.
Tu sais qu'ils ont trouvé à Ségou une poule couvant ses oeufs,
La poule ne mourait pas,
Les oeufs ne se décomposaielll pas
Tu sais qu'ils ont trouvé à Ségou une calebasse
Contenant du lait
Le lait ne se caillait pas,
Le lait aussi ne se décomposait pas" 2
Une variante de ce récit se trouve dans le récit de Thithié Dramé. A la
différence de la narration de Sidi Mbôthiel qui donne la parole aux jihâdistes pour présenter
ies merveilles de Ségou, la version du Nioro fait circuler la parole entre le n:u-rateur - le griot
Otamé - et les anciens de Ségou:
. "Il Yavait là du mil qui avait poussé, bien droit.
Pendant cent soixante ans, neuf mois el six jours,
II ne portait pas d'épi, il ne séchait pas,
1
Diarassouba (C.),
op Cil.,
2
Mbôlhiel (S.), vv. 624-636 .
...,',-1:if"

CHÀi'ltRE 1- EXAL'tMION D'UN HEROS
188
On ne l'lUTosait pas, il était tout lioir,
Il y avait là du lait frais, bien au repos, qui ne se caillait pas,
Pendant cent soixante ans, neuf mois et six jours,
Il y avait là une poule qui couvait Ides oeufs],
Pendant cent soixante ans neuf mois et six jours,
Sans que les oeufs éclosent. Elle ne se levait pas.
Il y avait là un singe bien recroquevillé, dont la bouche ne cessait de remuer,
Il ne se taisait pas oh ! oh.
"Puisque tous les prodiges sont là, le pouvoir toucouleur ne s'installera pas

'11 1
lel
.
En comparant les deux verSIOns, on reiève un noyau narratif de base
s'~niculant autour de trois "sémal1lèmes" : "l'épi de mil", le "lait caillé", la "poule aux oeufs
frais". La version de Dramé ajoute le singe babillard et la durée de l'empire de Ségou. Ce~
merveilles nécessitent pour être détruites l'opposition d'une force supérieure à celle des
talibés. Les causes de l'anéantissemcnt de l'occultisme ségovicn, bicn que les dcux vcrsions
élèvent le Cheikh au-dessus de ses vaillants gucrriers, divisent cependant les deux
narrateurs. D'après la version de Sidi MOôtiiiel :
"Le pj,~homèneétonna le Fauta.
Ils dirent: "nous devons en infonller le Cheikli" 2
Armé d'un sabre bien tranchant, Cheikh Omar en donna un coup
respectivement à la tige, à la calebasse de lait, à la poule et à ses oeufs. Comme tous les
réformateurs, Omar sait qu'un ordre nouveau ne peul naître que sur les ruines de l'ancien.
Un vieux ségovien solidement attaché le lui fit remarquer aussi:
"II dit: " cette poule si tu ne j'avais pas tuée,
Un fils serait sous l'autorité de ses parents,
Une femme serait sous i'autorité de son man,
Mais puisque tu as tout détruit,
Donc toui cela est doréilavant gâché"3
1
Dieng (S.), Thèse de Illème cycle, Dakar, 1984, pp. 289-291.
2
Id.,
p. 291.
3
Mbôthicl (S.), vv. 715-719:

Qli\\PITRE 1 - EX Al--l'ATION D'UN HEROS
18 l)
Cette justification mythique de l'ordre ancien est, aux yeux d'Omar, entachée
de superstitions, C'est pourquoi le combattant animé par l'orthodoxie islamique du Dieu
unique répond au vieillard:
"Tout ce que lU as avancé là est vrai,
Mais c'est lié aux fétiches!
Or, Oumar n'aime pas les fétiches !" 1.
Dans le récit de Dramé, le pouvoir mystique du Cheikh le dispensa de donner
des coups de sabre:
"Cheikh Omar était à Sansanding, à la tombée de la nuit,
Le Cadet d'Adama Aysé détnlisit tous ces objets magiques"2
Il les détruisit à distance, meùant en action un de ses immenses dOlls
mystiques:
"Quand il les toucha, les idoles sacrées Makongoba
et Nallkoloto crièrent et dirent:
"Le pouvoir peul est venu! le pouvoir peul est venu' le pouvoir pcul est
C'est là que les rraditionalistes loucouleurs disent que:
"Cheikh Omar s'est métamorphosé en lion et a plal)fé ses palles sur la poirrine
de Ali."
Ségou nie ce fait.
Ségou dit que, en pleine nuit, les idoles crièrent en disant
"Le pouvoir peul est venu."
Les anciens de Ségou se précipitèrent vers le bâtiment,
Ils trouvèrent lies idoles] toutes en repos: le lait frais était devenu caillé, le
singe avait cessé de parler, le mil avait un épi, la poule avait des poussins.
Il (Bina Ali) dit: "Votre argument vient d'être ruiné par Cheikh Omar, vellez
voir"3.
,
t
Mbôlhiel (S.), vv. 733-735.
2
i
Drarné (T.), eorpus thèse, p. 291.
i
3
,
Id.,
p. 293.
'
"

CHAPITRE 1 - EXALTATION D'U N HER OS
190
Dans son assurance habituelle, Dramé réfute les versions toucouleurs, qui
représentent le Cheikh Omar sous les traits d'un génie capable de se métamorphoser, minalli
ainsi inconsciemment les fondements théologiques de son jihâd, Le griot de Nioro, pil,'
,
proche du théâtre du jihâd que ses homologues toucouleurs, met plutôt en action le réslOrvoi,
mystique d'Omar, le Khalife Tidjâne.
Le rappel du foud historique de ce fragment pennet cependant de mieux saisir
les mécanismes mis en oeuvre par Sidi Mbôthiel et Thithié Dramé, dans l'élaboration du
fragment épique relatif à la conquête de Ségou par le jihâd omarien. Le récit de Louis
Tauxier, ancien administrateur des colonies au Soudan français, mérite d'être considéré à ce
sujet. Après la bataille de Thiâyawal, les jihâdistes capturèrent Ali, l'ancien roi de Ségou.
dans la déroute d'Ahmadou Ahmadou. Cheikh Omar convoqua une grande assemblée et fït
venir les idoles de Ségou en présence d'Ali, le roi fuyard:
"Devant l'assemblée réunie, il lui fit donner le nom de chaque mâni l'un après
l'autre, puis, se tournant vers les Foulbés, il leur demanda si les sacrifices
faits à ces idoles constituaient un rite islamique ou un rite fétichiste et si
Ahmadou Ahamadou avait pu réellement donner son protectorat à un Chef
païen de ce genre. Il conclut que le défunt roi du Macina lui avait menti en
disant que le royaume de Ségou était sous son protectorat (ce qui était faux en
effet et ce qu'El Hadj fit démentir par Ali. lui-même) et avait mal fait en venant
au secours de ce royaume et en l'attaquant, lui musulman, au moment olr il
était en train de le conquérir. Il avait donc usé lui-même de justes représailles
et du droit de légitime défense en attaquant à son tour Ahmadou et le royaume
du Macina. Telle fut la conclusion de son discours.
El Hadj Omar, conquérant fanatique et puritain, aimait, on le
voit, à mettre le bon droit (ou plutôt l'apparence du bon droit) de son côté
pour légitimer ses conquêtes. En tout cas cette anecdote historique nous
apprend, entre autres choses, que les rois bambara possédaient jadis des
idoles de bois ou d'argile représentant leurs ancêtres, sans compter les
Makongoba, dont il a été question plus haut, bref des idoles rentrant dans la
grande catégorie des bah familiaux" 1.
Inspirés par ce fait, les artisans du verbe tissent des récits colorés dont la
trame met en exergue la puissance occulte de Ségou. Le bris des' idoles et l'anéantissemenl
des mystères de la "chambre d'homme", en même temps qu'ils traduisent la dyn;uuiquc de
Tauxier (L.). La religion bambara, Paris. 1927, pp. 467-4fiR.

CIIAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
1 C) 1
::'. 1.\\
l'illlaginmion des griots, élèvent Cheikh Omar eù le montrant victorieux dans la confrontation
. " '~'" ~ ..
. . . '
.
qui oppose son mysticisme à l'occultisme ségovien. La dramatisation de ce fait divers
associée il l'action du Cheikh créent une atmosphère profondément épique, résultat d'un art
paniclllièrement élaboré.
Outre l'épisode du .bris des ido]~s 9~:~ met El H~dj Omar au premier plan,
l'ambassade omarienne au Macina constitue le moment qui reflète le mieux les rllpports entre
jihâdistes. En effet, au fort du jihâd, Cheikh Omar, qui redoute une condamnation de
"
l'histoire, envoie des émissaires au Macina pour tenter de trouver avec l'Emir peul un modus
vivendi afin d'empêcher une guerre poulo-toucouleur. Le choix des émissaires, leur statut et
l'exécution de leur mission constituelll un des sommets de l'intensité dramatique, qui
parcourt, par ailleurs, l'épopée du jihâd de bout en bout. Pour exalter la valeur guerrière des
jihâdistes, Sidi Mbôthiel, faisant fi de la réalité historique, puise des noms dans la liste des
valeureux jihâdistes 1 et les met en scène, dans de courtes compositions épico-Iyriques,
vestiges des fragments des récits héroïques profanes. Pour échapper au tribunal de l'histoire,
Cheikh Omar envoie au Macina, selon la version de Sidi Moothiel, des spécialistes relevant
de discipline variées. Alpha Oumar Thierno Bayla doit avant tout porter une lenre spéciale à
Ahmadou Ahmadou de la part de Cheikh Omar:
/
"Oh! Fouta; oh fils du Fouta !
Je recherche ici un preux hors pair
Pour l'envoyer auprès de Ahmadou Ahmadou,
Qu'il parte pour mourir, qu'il ne pane pas pour vivre"2
Se sentant visé, Alpha "se leva brusquement" et dit: "Homonyme ... si tu
rédiges une lettre pour l'au-delà et que tu me voies, lU as qui envoyer.
Ecris mon nom, demain matin je verrai Ahmadou Ahmadou"3
L'épopée ne saurait joindre au Cheikh des hommes dépourvus de valeur.
C'est pourquoi le nom du général de l'armée fut écrit deux fois, puisqu'une autre mission
périlleuse attendait un émissaire. Cheikh Omar formule ainsi son appel d'offre. d'après Sidi
Mbàthiel:
"0 Fouta ! ô fils du Fouta !
Je cherche qui envoyer,
Voir en annexe la liste des quatre-vi~,g 9ix ~remiers compagnons d'El Hadj
Omar.
2
Mbôthiel (S.), vv. 798-801.
3
Id.,
vv. 806-808.

CHAPITRE 1 - EXALTATION D'UN HEROS
192
Qui va pour mourir,
Qui ne va pas pour vivre,
Qui ne regardera pas les lances rouges,
Qui traverse J'assemblée jusqu'à Ahmadou Ahmadou,
Qui saisit le col de son vêtement,
Qui le secoue trois fois,
Disant Ahmadou Ahmadou laisse Cheikh Omar,
Si celui qui doit mourir tient ceIL;i qui doit vivre,
Celui qui doit mourir mourra, celui qui doit vivre restera" 1.
Une telle action psychologique ne saurait être exécutée que par Je Cheikh
Omar ou par son double épique, invention qui permet au narrateur d'attribuer au héros un
don d'ubiquité tout en restant respectueux des lois de la vraisemblance. Alpha Oumar ne se
fit point prier:
"Alpha Oumar se leva, saisit violemment le col du boubou de Cheikh Omar.
Cheikh lui dit: "Alpha, il ne s'agit pas de moi.
TI s'agit d'Ahmadou Ahmadou."
Il dit: "Mon Cheikh, quiconque le traite ainsi,
Ne craindra pas d'en uscr aUlill1\\ avec une auu'e créature.
Si quelqu'un craint Dieu, il ne saurait craindre la mon,
De gnîce, écris mon nom."
Il écrivit le nom de celui-là aussi" 2
L'épopée du jihâd s'est aussi souvenue d'Alpha Oumar qui eut J'insigne
honneur d'exécuter l'Enlir du Macina, el lui a consacré des fragments sublimes. Les liens
intimes qui liaient Cheikh Omar aux membres de J'ambassade expliquent, à une exception
près, le volontariat des candidats. Ainsi tel quc nous l'aftlnnions plus haut, des relations
complexes unissaient Ell-Iadj Omar et ses preux, suscitam une série d'interactions entre ces
personnages. L'occasion se présente et le vérifie.
Ahmadou Almamy Alassane,le Torodo, déclina son idemité à la suite d'Alpha
OUll1ar :
Mbôthiel (S.), vv. 883-893.
2
Id.,
VV.
895-~.)Q2.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
193
"Tu es sür et cenain que d'entre les trois cents marabouts qui font la retraite
spirituelle...
n (El Hadj Omar) lui dit: "oui."
\\1 lui dit: "... nul ne me surpasse en Coran.
De grâce, écris mon nom. Demain matin, je verrai Ahmadou Ahmadou" \\.
A l'appel du Cheikh pour obtenir un spécialiste de hl parade gymnique, Bôtol
Sawa Hâko se présenta :
"... En réalité, tu veux simplement avoir une confinnation,
Mais si tu as quelqu'un de ma trempe, tu as qui envoyer."
Il dit: "Puisque la nuit que tu passas chez moi au Fouta,
tu m'as trouvé avec quatre épouses peules,
chacune d'entre elles étant plus belle que l'autre
Recevait chaque fois plusieurs écuelles de lait dans sa case.
J'ai répudié toutes ces femmes,
J'ai offen à chacune sa dol.
C'est moi qui t'ai suivi à cause d'Allah.
Allah sait que celui qui a abandonné une telle maison
Est celui qui te suit [par Allahl sincèrement, plus loyalement,,2.
Succédant au fortuné Peul Bôtol Sawa Hâko, le prince du Boundou Koly
Mody Sy se désigna pour faire une belle démonstration à cheval, afin que le Macina sache
que les jihâdistes pouvaient aussi bien se battre à pied qu'à cheval:
"Ecris 111011 nom,
Demain, je verrai Ahmadou Ahmadou.
\\1 dit: "Quand tu vins au Boundou,
Tu trouvas que mon père était roi.
n attachait, emprisonnait, humiliait.
Tu sais par conséquent que celui qui a abandonné ln royauté pour te suivre,
C'est celui qui t'a suivi loyalement par Allah,
Puisqu'il n'y a rien de plus délicieux que le pouvoir.
De grflce, écris mon nom.
Mbôthiel (S.), vv. 825-828.
2
l d.,
VV.
846-855.
i:

~.'
CHAPITRE [- EXALTATION D'UN HEROS
194
Demain malin, en vérité
Je verrai Alnnadou Ahmadou" 1.
Le dernier candidat se déroba alors que tout le monde savait qui élait visé par
l'appel du Cheikh:
"Je cherche quelqu'un qui sait bien parler,
Qui sait dire des choses agréables.
Pour qu'il suive ces fils du Fouta, volontaires,
Candidats à la nloll pour demain marin,
Que l'orateur les exalte,
car, même si un homme doit mourir, il est bon de le flauer.
Qui peut exécuter une telle tâche '1
Qui accepte de les exalter et d'affronter également la moll '1,,2
Effrayé par l'idée de la mon, Farba Gouwa, le griot d'El Hadj, se tut un bon
moment avant de dire:
"Dans ce cas, ton fils surpasse tout le Fouta en sciencc.
Envoie ton lils Ahmadou.
De tout le FOUla, ton fils est plus savant,
car il est sailll, fils de saint.
Il connaÎltout ce qui est écrit.
Il connaît tout ce qui n'est pas écrit.
Si lU cherches réellemelll quelqu'un, envoie-le.
C'est lui qui peuttransmeltre un lelmessage"3.
Décidément, ccrtains jihâdistes étalent durs il moudre! Mais Cheikh Omar,
qui connaît il fond la psychologie des griots, finit par recourir à un expédient classique, pour
détemliner Farba à faire coucher son nom sur la liste des émissaires:
"0 Fouta 1 Ô enfants du Fouta !
Je cherche quelqu'un qui sait bien parler,
Qui sait ce qu'il dit,
1
Mbôthiel (S.), vv. 872-881.
2
Id.,
vv. 903-910.
3
Ibid.,
vv.912-919.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
195
Qu'il suive ces enfants du Fauta, volollraires ;
Demain qu'il les exalte afin que les poils de leur corps se lèvent, même si un
homme doit mourir que ces poils se lèvent.
Je vais lui donner une mesure d'or"I.
L'appât du gain poussa Farba à commcltrc l'errcur d'accepter, puisque c'est
ainsi qu'il interpréta son geste auprès de son fils, après son monologue intéricur:
"Quand la nuit s'épaissit,
Farba Sawa Gouwa dit:
"Tu as commis là une erreur grave,
Car s'inscrire pour unc mesure d'or
Devant être héritée par son fils, si l'on meun.
Cela n'aura servi de rien.
Dcmain, jc refuscrai de partir"2
Son fils lui rappela que le refus est impossible au moins pour deux raisons: lc
statut de griot implique une certaine noblesse, ensuite tout ce qu'écrit le Cheikh est
ineffaçable. Pris entre deux feux, Farba accepta de partir au Macina. Lc récit de Sidi
Mbôthie! met alors en actes les déclarations des émissaires, ,lu grand élOnnemcnt des
maeiniens, rendus plus perplexes par les exagérations du griot qui, après chaque exploit,
disait au roi :
"Peul regarde-moi par ici ...
Ceux-ci sont des enfants.
Tu sais que pour une commission, cc sont les enfants qu'on envoie.
On n'envoie pas les grandes personnes"3
Qu'il nous suffise pour lradllire la détem\\inalion des émissaires, d'écollter le
griot, en ce soir mémorable où il déclama la devise de son Cheikh au Macina, une devise
effroyable:
"Torodo, méfiez-vous de lui.
Dcmier né d'Adama Aysé Elimane Ciré Samba Demba Ali Moutar.
1
Mbôthicl (S.), vv. 922-928.
2
1d.,
vv. 934-940.
3
Ibid.,
vv. 1077-1081.

---
CIIAI'ITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
196
En réalité, méliez-vous de lui.
Etranger le matin, chef du village à midi, lmâme l'après-midi.
En réalité, méliez-vous de lui.
Le Riche, le Savant, le Bien éduqué, le Pourvu.
Noble fils de nobles, en réalité méfiez-vous de lui.
C'est lui qui a étudié et qu'on a surnommé Alpha Omar.
Il a fait l'exégèse du Coran et on l'a sumommé Alpha Omar.
Il afail les circuits dn pèlerinage et visité le Mausolée.
Ne savez-vous pas que c'est le Cheikh qui a détmil Goufadé ?
C'est le Torodo qui a détruit Ghégné et l'a commnniqué à Ghégnêba.
C'est le Torodo qui a détruit Farabanna.
Le Cheikh a traversé le gué de Diâkalelle.
En réalité, [Héliez-vous du Riche, du Savant.
En réali té méfiez-vous de lui" l
Le manèlement du "ndeenee" (méliez-vous) produisill'effet désiré, Ahmadou
Ahmadou exprima l'impression généra Je des paroles du griot: "Que tes paroles sorit
ç
,
délicieuses!"2. Enlèndons bien: terribles, puisqu'à leur suite le Macina se concerta l'oui-
adopter une position face à ces jihâdistes qui vivent dans l'intimité de la mort, convaincus
lIu"'il est des morts productives, fécondes, qui couplent l'échec biologique avec une victoire
:'lIf un aUlre regisrre"3.
Mais le Macina a aussi impressionné les émissaires; malgré leur prouesse et
dès leur arrivée, Alpha Oumar le Chef de la délégation en informa Cheikh Omar, qui entra
alors dans une vive colère:
"Ah bon, Alpha OumarThierno Bayla !
C'est lOi qui dis que le Macinien est puissant.
Par Allah, FOUla, je vous ferai savoir qne c'est Allah qui est puissant"4.
D'une manière générale, J'implication dans l'action des personnages de
-,
j'épopée omaricnne met en relief des relations réciproques dont la dramatisation contribue à
['inlérêt du récit. S'inspirant de l'histoire, les griots, et ici Sidi Mbôthiel en particulier, font
Mbôthicl (S.), vv.
1293-1311.
2
Id.,
v. 1315.
3
Madclénat (D.),
op cir., p. 44.
4
Mbôthicl (S.), vv. 1372-1374.

CHAPITRE 1- EXALTATION D'UN HEROS
197
y;doir par des procédés épiques les traits du héros principal et des personnages conjoints.
,
.
)
Entre Cheikh Omar el ses preux se dessine alors une relation dialectique pleine de promessc :
"ki s'articulent l'individuel et le collectif, en des relations d'échange: se
soumettant au héros, les hommes multiplient sa puissance et assurent son
renom, bénéfici;lI1t, en retour, d'une protection et d'un entraînement" 1.
Mais ces interactions, bien qu'elles trouvent leur justifica.lion dans le jihâd
d'après la version de Sidi Mbôthiel, n'en tirent pas moins leur essence du souci constant qui
hante l'honune, lié à la tradition, d'accroître le trésor ancestral de renommée. 011 se sOllvient
que seul le désir de gloire empêcha Roland de sonner du cor à Roncevaux, craignant
d'inspirer par là une "male chanson". Au Moyen Age comme en Afrique traditionnelle, la
peur de l'infamie se rallilche fortement à l'éthique du lignage. Pour avoir vécu cet idéal, les
preux et leur Cheikh am droit chez les artistes de l'épopée du jihâd, la version de Sidi
Mbôthiel en fait foi, à lin récit et à un cham, en un mot à un long cham:
"L'épopéc ayam la double nature d'un chant et d'ull récit, il est bien naturcl
quc Ics poèmes épiques oscillcl1l de l'un à l'autre, qu'ils soient, les uns plus
lyriques etlcs autres davantage narratifs." (2)
1
Madelénat (O.),
op cit., p. 44.
2
Id., p. 56.

CHAPITRE II
TEMPS ET ESPACE DANS L'EPOPEE D'EL HADJ OMAR

CHAPITRE Il- TEMPS ET ESPACE DANS L'EPOPEE
199
Organisés autour du héros, le temps et l'espace de l'épopée d'El Hadj Omar
obéissent, par conséquent, à des motivations plus mythiques et psychologiques que
physiques. Fondus en un tout intelligible, la narration gestuelle les intègre au parcours du
héros. Daniel MadeIénat note à ce propos:
"L'axe de la performance héroïque distribue temps et espace spécifiques sans
références précises au temps chronique, sacralisés et polarisés, "chrono tope" 1
où l'invariance d'une orientation générale n'exclut pas l'amplitude des
variations particulières"2
Aussi la dimension métaphysique de l'épopée se traduit-elle ici par une action
éclatante, reflet du génie du héros, qui se déploie dans un espace propice, malgré l'idéologie
fataliste, sceptique sur le pouvoir de l'homme et sur la valeur du temps. Une telle
structuration instaure un univers original lisible dans la distribution du temps et de l'espace.
Malgré l'extrême solidarité des éléments qui forment l'ensemble, l'analyse de la somme
implique la dissociation des parties.
A) LE TEMPS: TEMPS MYTHIQUE ET TEMPS HISTORIQUE
Dans l'espace littéraire de l'épopée du jihâd, l'expression de la temporalité
emprunte une voie typique du genre, à laquelle l'humanité est habituée, au moins depuis le
Mahâbhârâta et le Râmâyana, épopées élaborées en Inde du -IVème au Vlème siècle. Un bref
survol du Mahâbrâta en donne une idée .Attribué à un auteur mythique, Vyâsa le
Compilateur, le Mahâbhârâta se détache sur un vaste continuum d'oeuvres religieuses. Ses
dix-huit livres racontent la lutte opposant les cent fils de Kuru, les Kauravas, et les cinq fils
de Pandu, les Pândavas, commandés par leur aîné Yudhishthira qui, injustement dépossédé
de son trône et contraint à l'exil, entonne un hymne au temps, mettant en gros plan les
principales caractéristiques de la temporalité héroïque:
"Le temps crée les êtres, le temps détruit les créatures; c'est le temps qui
allume le feu de la vie; c'est le temps qui, ensuite, l'éteint"3
"Fusion des indices spatiaux et temporels en un tout intelligible et concret"
(M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, 1978 ).
2
Madelénat (O.), op cit., p. 45.
3
Oum~zil (G.), op cit., Tl, 1968, pp. 145-146.

CIIAPITRE 11- TEMPS ET ESPACE DANS L'EPOPEE
200
L'épopée du jihâd célèbre aussi le temps complexe, dont les pôles
mé.taphysique et chronologique se Slructurem ,IUIOur de la vie du héros. L'examen de la
distribution de ce temps et de ses modalités permet une autre perception de la narration
h"roïque. Dans l'épopée d'El Hadj Omar, temps mythique et temps historique se croiselll,
s'enchevêtrent de diverses manières. Il conviem de préciser aussi que, contrairement à la
chronique qui se complaît dans le temps chronologique, l'épopée privilégie le temps
mythique, ce qui entraîne des variations temporelles multiples et complexes. Dès lors, bien
que faisaIll parfois allusion à des faits objectifs, la narration épique rend difficile une datation
précise de l'action. C'est là un sérieux problème que rencontre actuellement l'historiographie
africaine, qui prend en considération la tradition orale. Dans l'étude qui suit, nous tenIOns de
saisir les différentes combinaisons des temps mythique et hislOrique, dérivant des récits de
l'épopée du jihâd.
La geste d'Omar place les débuts de SOli héros dans une historicité noue,
puisqu'elle débute avec les randonnées de "l'âme qui voltigeait entre cid et terre" à une
époque indétenninée, temps primordial "Ol! ce monde était sans lumière, invisible, envelop·pé
de tous côtés par les ténèbres" 1. L'incarnation de "l'âme", el; apportant la lumière, informe
le chaos. Omar devient le repère et le modèle de sa communauté. En faisant coïncider sa
naissance avec l'apparition de la lune, dans une société al! les années et les mois restent
lunaires, l'épopée exalte la gloire du Dernier-né de Adama Aysé :
"Seykou vint au mOIH]e à Halwâr;
C'était dans la nuit du jeudi au vendredi;
Ce jour-là, le mois du jeûne commençait;
Seykou vint au monde au crépuscule:
A
. l'
. 1 l
,,')
Il venall ( apercevOir a lIne .....
Le nouveau-né vit le jour à Ull momelll symbolique: "la nuit du jeudi au
vendredi", nuit bénie en Islam, à cause du vendredi, jour sailll al! les musulmans célèbrent
solennellement la prière de l'après-midi, dans des grandes mosquées; "le mois du jeûne" ou
l<amadan représente aussi un mois sacré dans la tradition musulmane, observé avec une
c1évOlion spéciale; eniln le "crépuscule", 1I10melll équivoque Oll la nuit succède au jour, dans
la marche inexorable du temps, et qui marque, aussi, la quatrième des cinq ~rières
l:anoniques quotidiennes islamiques. L'époque coïncida aussi avec la "Bataille de
t
Le
MahâlJ/wrâra, TI., p. 4.
2
I3â (K.), VV. 29 il 33.
.~
" "
_~·-Î;·;·~ .

CI IAPITlΠIl - TEMPS ET ESPACE DANS L'EPOPEE
201
!\\(lilgoye" 1, cxp~dilion punitive organisée par la théocratie lOucouleur contre le Damel du
Cayor.
En SOIllmc, le jour, l'heure, le mois, l'année, bien que situés en pleine
chronologie, autrement dit cn pleine historicité, singularisent le nouveau-né et fonctionnent
coillme une temporalité mythique. La mère de fUlm jihâdiste a raison de déclarer "o,. j'ai mis
au monde quelqu'un d'étonnant 1"
Né au début du Illois de Ramadan, Barou se mit à jeûner, exercice naturel
pour "l'âme qui voltigeait entre ciel et terre", mais extraordinaire pour les HalwaIiens:
. "A partir de ce jour, les Torobés cessèrent de regarder le soleil, ils se mirent à
regarder Seykou Oumar ;
Quand il y avait entre eux quelque contradiction au sujet du coucher du soleil,
Ils envoyaient quelqu'un dans la maison de Thierno Seydou pour voir si le
bébé de la mère avait tété;
L'envoyé, en arrivant, disait: "mère Adama, le bébé a-t-illété 7"
Elle répondait: "Par Dieu, le bébé à tété!"
- A cettc époque, les montres étaient rares!
Cela dura jnsqu'à ce que Seykou laissât le sein maternel:
il avait alors quatre ans"2
De la naissance à l'âge de quatre ans, Omar brilla comme un soleil au zénith et
devint, à la fois, le soleil, la boussole el la montre de Halwâr et de sa banlieue. Il le sera pins
lard pùur les pays conquis par sa science et par son jihâd.
La geste d'Omar dilue la temporalité qui régit son univers, dans la carrière du
héros, par des notations judicieusement choisies: "d"ns 1" nuit du jeudi au vendredi" par
excmple. La version d'Abdoul Ata fait d'Omar "l'homme des mercredis"3, puisque ce jour
ponctne les phases marquantes de la vie du héros: naiss"nœ, entrée à l'école, jihâd,
disparHion. Dans cette version, le mercredi est un jour faste qui fonctionne aussi comme un
procédé mnémotechnique.
Poursuivant le récit de la geste du héros, l'épopée met en gros pJan les
:nst"[1IS essentiels de sa vie. D'abord, l'époque de l'école coranique où Omar inversait le
temps:
"Un jour, quand ils eurent tenniné, ils coururent chez le m"r"bout,
1
Cf Verdal (M.), op. cil.
2
Bâ (K.), vv. 64-74.
3
Version
inédite,
cf notre
bandothèque.

C1IAI'ITRE 11- TEMPS ET ESPACE DANS L'EPOPEE
202
ils dirent: "Marabout,
Oumar, le fils de Thierno Seydou, n'a pas récité ce qu'on lui a écrit,
Jusqu'à présent le voici qui don !" l
La dénonciation des élèves est bien inutile, Omar né érudit pouvant se
permettre de dormir aux heures d'étude. La corvée de bois aussi met en relief l'imbrication
des temps historique et mythique dans la vie d'Omar. Cependant, malgré les variations que
fait observer le temps nan'atif, créant ainsi des instants équivoques sur l'axe chronologique,
le récit se recentre sur le' temps historique plus propice à l'évocation de la durée. C'est ainsi
qu'il note pour le délai des étudcs : "II resta là-bas trois ans"2 Durée symbolique, les "trois
ans" représentent l'occultation héroïque plutôt qu'une référence précise, équivalant
ordinairement au double Ou au triple du temps de référence. Mais bien que situé en plein
temps historique, ce délai accuse aussi un caractère mythique puisqu'il l'ail ressortir l'aspect
extraordinaire de l'élève surdoué. Intrigué par son disciple, le marabout le ramena chez lui:
"Seykou resta là-bas jusqu'à l'hivernage", c'est-à-dire trois mois en gros: le temps de se
révéler aux siens. Il se rendit par la suite à l'ire, où il marqua lui-même le temps à sa manière:
HUll beau jour lUTiva ;
Sa mère était en train de metu'e du mil dans le mortier à Halwfir, et lui, il avait
ouvert son livre et lisait à Pire Sagnakhôr ; des chèvres se \\cvèrel1t et se
dirigèrent vers le lIlonier dè sa Inère;
Dieu fit voir cela à Seykou,à Pire Sagnakhôr;
Il prit une tige de mil, alors qu'il était à Pire Sagnakhôr;
Il chassa les chèvres;
Celles-ci prirent la fuite ct s'en retoulllèrelll"3.
13ien qUL sJlué historiquemelll, le temps des miracles est entouré d'une
certaine équivocité, signifiée par des notations telles que "un jour. .. un beau jour" qui
rem lent difficilement repérables les événements dans une suite chronologique ordonnée. Il
s',,~it en fait d'une durée consubstantielle au héros: " à lu fois insilUable dans le temps
alJSlrail, mesure externe du devenir, et inconcevable en dehors d'un temps concrètement el
i mérieuremerlt vécu ,,4
Bâ (K.), vv. 251-254.
'2
Id., v. 281.
1
Version inédite de Halwâr.
4
Zunithor (P.), op. cil., p. 246.

CHAPITRE [[ - TEMPS ET ESPACE DANS L'EPOPEE
203
De Pire, université cayorienne, Omar se dirigea vers l'est. Il arriva au SOkOI(>
et comme à Pire "Seykou séjourna là-bas quelques jours" l, le temps d'assimiler loutes le,
sciences enseignées avant de se séparer de 5011 hôte, Mohammed Bello. pour répondre ~
l'appel d'une autre temporalité, celle du pèlerinage aux Lieux Sainls de l'Islam: " le temps
du pèlerinage arriva"2.
La version de Ilammât Samba renchérit, en precJ'anl les conditions tiu
voyage: Omar fut" plus ~apide qu'un oiselet"~. Le délai du séjour à la Mecque reste
identique à celui qu'Omar passa au Foyer-i\\rderll :"Je suis resté à la Mecque pendalH troi,
ans"4 Mettant à profit celle c1l11'ée, Omar effectua trois fois le pèlerinage. devenant ainsi un
Hadj béni et plein d'expériences, d'autant plus que ce séjour proche-oriental lui pennil de
visiter Jérusalem, en particulier la Mosquée d'Omar ou Mosquée AI i\\ksa,
De retour à Médine, " La Lumineuse ", El Hadj Omar fut fait Khalife par le
Cheikh Mohammed El Ghâli. Jouissant d'un immellse savoir, investi du litre glorieux de
Khalife de la Tidjanyya et du titre honorifique très envié à l'époque de Hadj. Cheikh se
dirigea vers le Caire (Missira), célèbre à cause de son Université el de ses docteurs, pour \\'
dominer le temps:
" Durant trois jours, le feu ne s'alluma pas à Missira"5
" Dieu veut que je dirige ici votre prière pendallltrois jours"6
Arrivé au sommet de sa gloire. Cheikh Omar transfonna le temps en uue vaste
oeuvre pic qui englobe toutes les autres formes de dévotion: le jibâd, temps originel, soumet
à sa loi les jihâdistes et le Cheikh:
"Un jour ils avaient fait la prière du soir, puis celle de la nuit:
Ils avaient récité le "Salaaml Faatiha"7 jusqu'à 1,1 fin,
Ils avaient fail ensuite la prière de la nnil.
Alors Seykou se leva et dit :" Maintenant, rentrons à la maison!"8
1
l3â (K.). v, 318.
2
Id" v. 378,
3
Ly (B.S.), v. 147.
4
Id., v 135.'
5
Bâ (K.), v. 412.
6
Id., v. 404,
7
Orà1son de la confrérie Tidjanyya.
8
Mhôlhiel (S.), vv. 79-82.

"'';;
lA'
.~..
"",
Ci-IAPITRE 11- TEMPS ET ESPACE DANS L'EPOPEE
204
..
Cc,t sous cclle.èn.: de la dévolion commune qu'inlervient la conversion de
Djéli Moussa e&tlolllirement de la puissance Diallonké :
,.
"La poudre gronda sans interruplion ;
Le début de la soirée passa, c'était bientôt le crépuscule,
[Is abÎmèrelll Cümplètemelll la ville,
Ils coupèrent la tête de Fadjimba,
Ils s'emparèrent de ses hommes et des hommes de Tamba Boukari : .
A tous on leur mit une corde" \\.
Le temps du jihâd irllroduil une rupture profonde entre jihâdistes el non
musulmans, comparable à celle qui sépare les musulmans des païens. En reOéwnt celle
réalité, l'art des griols inaugure un temps dans la relation de l'installl héroïque. La devise de
Cheikh est à cet égard exemplai,:e: "Ettanger le malin, chef de village il midi"2
,.t
Dans l'épopée d'El Hadj Omar, le traitement du temps est mis au service de la
toute puissance du Cheikh et de,ses ",libés. Le griot use én cc SénS de la possibilité qu'il a de·
ùilatér ou Ùé comprimér le lénlps narratif. C'est ainsi quI.' la bataille de Karêga implique une
\\'
dila",rion temporelle, pour meuré en gros plan les conséquences de la détéfmination de·
'....;
i:
Cheikh Omar: "Mais voici que trois jours sont passés el Karêga n'est pas prise"3 Aussi
[;i1lu[-il "trois jours" d~ rétrai[~ spirituelle pour mobilisér une armée de djinns capables
d'anéautir Karèga .La compn.:ssion temporelle exalle l'héroïsme déS comballants en les
(,lisant voler de victoire en victoire:
"Pour Diongoye ce fut un jour,
Pour Kolomina ce fut lm jour,
Pour Guimbanna ce fut un jour,
Pour Nioro ce fut un jour"4
Lc rythme haletant de ces vers, martelé par les anaphores "pour" et "ce fut un
jour", marque éloquemment l'irruption d'une autré épOqUé, clairement perçue par un vieux
s,'govicn subilemelll réduit à l'état de vulgaire prisonnier:
"II arrivera demain aux gens de la race...
Mbôthic] (S.), vv. 418-423.
2
Id., v. 1296.
:;
Ibid., v. 596.
4
Ibid., vv. 592-595.

CHAPITRE Il - TEMPS ET ESPACE DANS L'EPOPEE
205
II arrivera il noire race il la tin des temps ... " 1.
Il s'agil d'une ère nouvelle, celle de l'Islam triomphant, qui met fin il une
époque révolue, celle de l'ardent paganisme. Celle ère nouvelle, pour avoir bouleversé
l'ordre connu, subira, il son tour, la revanche du paganisme sous la forme de calamités qui
vont jalonner sa course. Mais le Cheikh et ses jihâdistes sont prêts il toutes les épreuves sur
la voie du jihâd. La version de Ly déclare il ce propos: "Ils sont prêts au matin de celle
balaille"2 Intégrés au Irajet du héros, Je temps mythique et le temps historique cristallisent
des rêves et des réalités disséminés tout au long du temps narratif. La distribution des
séquences temporelles, toul en manifeslant le talelH des artisans du verbe, donne également
une certaine idée de la dynamique des trois temps hannonieusement insérés dans l'épopée du
jihâd.
n. LE RYTHME TEMPOIŒL DE LA NARRATION
Le tablean récapitulatif que nous donnons en fin de chapitre met en valeur la
diversité des indications temporelles de l'épopée d'Omar. Cependant, malgré la précision de
cel1aines indications, il s'avère difficile de détemliner, avec exactitude, l'âge du Cheikh ou la
dnrée de sa carrière: en croisant continuellement le temps historique, le temps mythique
brouille l'axe chronologique.
Cette organisation du temps, dans l'épopée du jihâd, fait apparaîlre un usage
de 10US les registres temporels. Nos trois auteurs juxtaposent les principaux moments de la
1
journée d'abord, puis construisent, il l'intérieur de ces séquences, d'au Ires variations
temporelles de sorte qn'aucune indicalion ne soil négligée. Le jihâd. vaste entreprise
relii!ieuse, joue aussi de toutes formes que peut revêtir le temps. C'est ainsi que "l'âme qui
,'oltigeait entre ciel el lerre", a inspiré aux artistes de son épopét: un rythmt: temporel très
exprt:ssif. L'étape de Pire reste caractéristiqut: il cet égard:
"Il (Omar) dit: "Je suis vt:nu chercher le savoir!"
L'atltrt: (le mafilboul) lui dit: "Tu es venu il un grand neuve:
Si c'est une bonilloirt: que tu as apportée, lU peux puiser et la remplir, le
fleuve COlltilllll:ra à couler;
Si c't:st nne gourde que tu as apportét:,
Tu peux puiser el la renlplir, le neuve continuera à couler"3
Mbôthicl (S.), (S.), vv. 722-728.
2
Ly (lU.), v. 81.
3
Bâ (K.), vv. 297-300.

CI L'\\PITRE 11- TEMPS ET ESPACE DANS L'EPOPEE
206
Malgré la puissance c1u débil ùu "fleuve" cayorien, Omar réussit à vider tout
son cOlllenu Cil pel! de lemps :
"Seykou resta là-bas quelques jours;
il en finil avec Je savoirclu marabout"l.
L'opposition entre "le fleuve continuera à couler" el "peu ùe temps", Otllre
qu'elle met en valeur J'immense intelligence de l'élève Omar, monlre l'absorption de la
métaphore aqualique par J'indicalion lemporelle. Phénomène insolile que cel anifice littéraire,
d'autant plus que le fleuve eSi unc image habituelle pour évoquer le temps. L'élection ùu
héros inverse ici la lenÙance.
Pour insister sur la diversilé ùes lalenls du Cheikh, J'épopée di laie aussi le
temps. Les exemples foisonnent; Omar resle trois ans auprès de son marabout, non pour
s'instruire, mais pour produire des miracles. Au Caire, le Cheikh elllpêche le (eu de brûler
pendanltrois jours. Pour meltre en valeur la dilatalion temporelle, le griol l'oppose aussi à
une série de compressions temporelles; alors que les conquêtes de Madina Alahêri,
Diongoye, Kolomina , Guimbanna, Nioro ne nécessilèrenl qu'un jour par ruyaume, celle de
Karêga
réclama trois jours. Mieux, pour vaincre Karêgil, Cheikh Omar recourut à Lill
"khalwa" ou retraite spirituelle. I~n lennes Ùe lemporalilé, il se coupa du temps pour plonger
clans le lemps divin. La Il arr:ll Ion épique ajoule quc, sa réclusion une fois achèvée, le Cheikh
maitrisa la 101:llité du temps et Karèga chancela par J'action conjuguée des djinns et des
jih:idisles, soumis à U'llnar.
Intimement lié à la vie du héros, le lcmps ùe l'épopée ÙU jihâd esl habilemenr
intégré à son parcours narralit". Son traitemenl diffère ici d'un griOt à J'aulre, mais s'inscril
tOUjours dans une perspective mythico-chronologique. En ùilal:llll ou ell comprimanl le
lemps, la narration héroïque garde pour objeclif ùe faire fonctionner le temps à J'image du
hérns. Il s'en suit une mél:lphysique ùu lemps, gélléraleur de mythes puissants. Dès lors les
rêvc,. les prémonilions. les Ilash-back el la relation au jour le jour restenl soumis aux
"khalwa", temps ùivin qui orienle le temps hnmain. L'élaboration du lemps se confond alors
w",; la représeillation du héros el s'inscrit dans le projet épique; exaltation des hauts faits
d'Uinar.
En délïnilive, le temps historique, en épousant les contours de l'homme
0,,1<,,', révèle ses limites, Ù la dilTùenœ du temps mythique qui le dole d'une nalUre
'tJrhumaine. L'an du griot a Iteme ces deux temps, pour refléter, sur un :tutre plan, le noyau
mythique et historique de œlle épopée islamique, coulée dans le lit des gestes peu les
Bâ (K.), vv. 318-319.

CI Ii\\PITRE Il - TErvll'S ET ESPACE DANS L'EPOPEE
207
:,."dilionnelles. Le tenlps de la performance réussit cependant à sublimer temps mythique ct
Iljstorique, les insérant de la sorte à la narration héroïque.
C. ESPACE MlèTAPlIYSIQllE ET ESPACE PlIYS'IQUE
L'interl'érence du temps et Je J'espace reste une des constantes de l'épopée
J'El Hadj Omar. Elle suscite un certain dynamisme qui, sur le plan textuel, renforce
J'omnipotence du héros, doté par ce phénomène du don d'ubiquité et de la maîtrise du temps.
Cependarll, bien que l'interaction spatio-tcmporelle implique un héroïsme hors du commun,
les élémerlls qui la fondent conlribucnl de façon inégale il la force de l'ensemble. En ce sens,
alors que le temps insiste sur les limites humaines d'Omar en général, l'espace traduit
concrètement sa puissance Cl son génie. Il est possible de soutenir que l'exploitation de
l'espace physique et métaphysique constitue le poilll de départ du traitement épique, de
certains faits historiques du jihJd omarien.
Notre corpus fait état de vingt-deux stations allant de HalwJr il Kawsara, en
passant par la Mecque et Déguembéré. La revue et la description de ces sites du trajet
ol11arien serait très éclairante, mais leur caractérisation, dans le cadre d'une analyse globale
de leur nature et de leur fonction, semble plus pertinente.
Le trajet qui mène Cheikh Omar de I-Ialwâr à Kawsara pennet il celui-ci
d'explorer tous les plans de l'cspace ct met en exergue l'épiphanie ct l'apothéose du héros
toucouleur. La version de IlammJt Samba ne s'y trompe pas qui débute par Lill hymne au
mdÎlre de l'espace :
"C'est il Halwâr qu'il est né,
Il a grandi, le Torodo a émigré,
Il a traversé dcs mers ct des cours d'cau,
Ceux qu'il avait appelés sont venus" 1.
Après avoir mené une vie spirituelle intense entre ciel et terre, l'âme d'Omar
,k(:l(la <k s'incarner dans une famille bénie et dans un espace sacré: Halwâr. Le mythe de
iù,,,;alion dc ce village. que nous avons recueilli auprès d'El Hadj Mamadou Abdoul
I\\J;,,,;ane 2 apparait C(lllnlle lin exemple réussi d'intégration d'un trajet spatial au parcours
'.'a"atif d'un récir. Ecoutons la relation de notre infonnatcLlr:
. Ly (H.S.), vv. 3-4.
l
Nous
avons
analysé
CIl
déLaÎI
cc
mYlhc
dc
fondation
dans
notre
communicalion
au
l Vème
séminaire du
Oépanemenl
de
Français.
inlitulée
:
"Le Blanc mythique dans l'épopée d'El
Hadj Omar", Dakar, 1987 (à paraître).

CHAPITRE 11- TEMPS ET ESPACE DANS L'EPOPEE
-"Que savez-vous de l'origine de Halwâr, le village natal d'El
Hadj Omar 'l'ail?
- L'origine de Halwâr, d'après ce que nous avons entendu, ce
que nos ancêtres ont diffusé, remonte à Châm 1 Ses habitants sonl donc
venus de Châm, ils ont mis un temps considérable avanl d'arriver. Ils
s'installaient quelque pan, émigraient puis reparlaient. Ainsi firent-ils jusqu'à
leur arrivée à l'Ouest. lis descendirent par le Walo Barack, ils continuèrent
jusqu'à un endroit appelé Halwâr Maayel. Ils y trouvèrent un homme appelé
Diomfo2 Toro de patronyme Sail. Ce chef avait eu des démêlés à Guédé, à la
suile de quoi il émigra vers cet endroit. A leur arrivée, c'est celui-ci qu'ils
trouvèrent là. Ils lui signifièrent leur volonté de cohabiter avec lui. Il dit à san
jeune captif, ou à son petit serviteur, de leur montrer l'endroit où était ellierrée
sa captive Halwâr Tacko. Le mot Halwiir désigne la captive du Diomfo. Ils
arrivèrelll au lieu indiqué, le trouvèrent à leur convenance, puis y habitèrent.
Mais avant d'y habiter, les 'l'ail s'y étaient installés trois ans
auparavant. Quand ils vinrent, puisque des liens multiples existaient entre eux:
matrimoniaux, religieux, sociaux, ils constituèrent un seul village malgré leur
grand nombre, car les T'III avaiem leur village à pan, DjoIn Lobboudou avait
son village à pan, les Thiam avaient leur village à pan el d'aulres encore, leI
Ardo Haga, touS ceux-ci avaient leur vilbge à pan. Tous ces villages furelll
réunis el la famille Thiam fUl désignée Elimane Halwâr, c'esl-à-dire le Chef
du village. Ils lissèrent ellire eux cles lieus cie parelllé et vécurent ainsi en
communauté jusqu'au momelll Dl! Thierno Souleymane Bâl décida de faire la
guerre sainle aux Peuls païens ou Denyankoobe. Les habitants de Ha\\wâr
répondirent à sou appel, mais un peu tard parce qu'ils arrivèrent quelque
temps après sa mort. C'esl Almamy Abdoul Qâclir Kane qui les reçu!. Les
Halwâriens lui soum;rentle problème cie l'habitaI. Il leur dit de choisir le sile
qui leur convenail. Ils vinrent jusqu'à l'actuel emplaccment de Halwâr qui
s'appelail alors Raw, ils dirent que c'est là qu'ils voulaienl. L'almamy
demanda à qui appanenait ce lieu. Ils répondirent qu'il relevait cie la propriélé
de Ardo Edi et de Djom Gamâclji. C'érait un point cie jonction de deux
propriélés.
1
La Syrie.
2
Chef peu 1.

CHAPITRE Il - TEMPS ET ESPACE DANS L'EPOPEE
20\\)
Abdoul Qâdir délimita une très large superficie dans les deux
propriétés et la leur donna, L'étendue comportait des marigots, des terres
inondées, des terres fertiles. C'est ainsi que sont venus les gens de I-Ialw:il.
" - Et le nom Thiam d'oil vient-il 7"
- Je vons ai dit qu'ils sont venus de Châm. Ils n'avaient pas (ic:
patronyme, mais en cours de route les gens les désignaient sous l'appellatinn
de "chaam naabe" (ceux de Chân,l). Cette désignation subit de profondes
modifications pour devenir Thiam.
- A leur arrivée quel Brack du Walo trouvèrent-ils sur le lTône '1
- Non, je ne connais pas ce I3rack, tout cc que je sais c'est
qu'ils sont venus de là-bas.
- Quand arrivèrent-ils à Halwâr Cl quel itinéraire suivirent-ils 7
- Je ne sais pas,
- Connaissez-vous leurs parents restés en Syrie '?
- Non, je ne sais pas" l
De Halwflr, Omar se dirigea, d'après les récits de notre corpus, vers Pire
. Sagnakhôr, Sokoto, la Mecque, Médine, Jérusalem. Ce tr,yet symbolique, dirigé d'Ouest en
Est, place Omar sur la voie de la double quête du savoir ct de la spiritualité. Le retour le
confirme puisqu'il le fait passer par Missira oil il triomphe face aux docteurs de la célèbres
ville. L'espace juxt3pose alors des embûches; neuves, cours d'eall, océans, plaines, monts,
déserts, que le Cheikh franchit toujours allègrement.
Un3utre espace s'ouvre: l'aire dujihfld. De Dinguiraye, plaine défrichée par
le Cheikh aidé de ses talibés, encerclée entre dcs roches, à la grotte de Déguembéré, en
p3ssant par Tamba, Nioro, Karêga, Ségou, Hamdallahi, l'espace reflète toujours le pouvoir
de Cheikh Omar. A la fin de son poème, Hammât Samba se permet aussi d'inviter ses
auditcurs, à la suitc des jihâdistes de se retrouver au bord du fleuvc "Kawsara", qui coule au
paradis. Mais c'est là un aUlre lieu, un aulTe espace
D. LA DYNAMIQUE SPATIALE.
Loin de figurer eOlllmc un élément clu décor, sorte dc couleur locale, l'espace
de J'épopée d'El Hadj Omar fonctionne comme nne clef de signification. Le passage continu
de l'espace mythique à l'espace physique récupère le temps à des fins épiques. Prenons
l'excmple de l'espace mythiquè de I-Ialwâr d'après le récit cité plus haut. Les Halwâ,'iclIs
Cf J'origine de
Halwâr,
B.O. 075. 057, Archives culturelles du Sénégal.
14
Novembre,
1975. (Enquête effectuée à Ndioul1l, Dépanelllel\\t de Podor).

CHAPITRE Il - TI~MPS ET ESPACE DANS L'EPOPEE
210
aprarais,ent commc des descendant, dc Syriens, hien quc la date de lellr implantation cI;lIls LI
région, l'itinéraire qu'ils ont suivi, soiellt repoussés en pleine zone d'ombre.
L'analyse clc cc récit mythiqnc révèle que le premier espace offert par [,
Djomfo Toro était troublé rar la tombe d'unc captive: Halwiir Tacke>. l,cs Syriens. dc',
Blancs, exorcisent Ic licu et réUlblisscnt l'éqllilibre. Mais l'ordre ne vient qu'av,,~ 1',1\\111'''''''
qui octroie un espace à la fois officiel ct sacré, pui"lue relevanl de la théocralie. ],;1 ciirc·'''.li""
dc cet cspace revient alors aux Thiam, c'est-~-dire ~ la famille dont Ic palIonYllle rappelle ,', la
communaulé SOIl origine. Omar, "l'fimc qui voltige:lit entre ciel cr terre" ne saurait naître dans
un enclroit ordinaire: nc pouvait convcnir que lc ehoi, d'un lieu situé en pleinc juricliction
islamique. Halwiir acquiert alors la fonction d'une tcrre d'Islam, dOlllaine dll divin propice '1
l'élévation spirituelle.
L'cspace physique fait du Chcikh un explorateur ricin de mérite, ronr avoir
relié à pied, à LIlle époque où les voies de cOJllmunication demellraient rudimcnt;lircs. les
rives du Sénégal au, bords du Tigre et de l'Eliphrate. Ce vuyagcur infatigable l'SI cité. ('Ollml<:
le meilleur des Torodos l, pOLIr avoir "Sl1rpassé. CClix-ci en science el en voy'ages". II ('.sl
indéniahle que l'espace pllysique e'plique, d'Ills unc largc nle'ure. l'esp''l'e Illyllllqllt: de
l'épopéc du jihfJd.
De nlême, la rapidité des conquêtes rlaça Cheikh Omar très vite ~ la tête d'un
vaste empire allant des rives du Sénégal au' rives du Nigcr, notamment de Odédji à
Tombouctou. " Ce vaste rarallélogramllle"2 selon l'expression d'Alphonse Goudly, lTaduit,
sur le rlan spatial, toutc la mesure de l'héroïsille de Cheikh Oillar Cl de ses jihiidistes, au
moment al! bicn des royaumes se réduisaient aux dimensions d'uil gros village (Ill d'ulle
contrée. Cela conrèr-c ~ son épopéc une dimcnsion r~!1 comI1lul1c.3.
Le dernier espace 'lui abrite l'épopée d'Omar llèmeure les falaiscs de
Bandiagara, en pays dogon, rlus précisément 1" grotte dc Déguemhéré. Celle-ci semble
réullir espace physiquc et espace mythiquc puisque, bien que réelle, elle fait disparaître Ic
Cheikh et ne livre aucun de ses secrets. Le Illystère de la grotte, lié au mystère du temps,
.accentue le caractère tragique de la fin du jihiid tout en débouchant sur de nouvelles
interrogations. relatives au sens des entreprises 11l111l'lillCS.
Mais II" temrs épique selllbie faire Ull clin d'oeil à l'espace pour l'inviter à sc
couler aussi dans le lit clcs gestes l'cules. Ainsi, l'usage de l'espace obéit-il également il cles
nécessités symboliqucs. De wute évidence, l'espace subit la loi d'llile ol'ientalioll tl'ès
précise. Le parcours Est-Ouest, représentant l'idéal islaillique, permet cil' rClnplJrllOl
1
Ly (H.S.), v. 2.
2
Gouilly (A.),op
cil.
3
1\\
noire
connaiSS311Ce,
peu
de
héros
épiques,
douhlés
Lie
pCr.Solll1ilges
historiques
Olll
exploré
JulJl1t
de régions du monde qu'El
lIadj
OJll:\\r.

CHAPITRE II - TEMPS ET ESPACE DANS L'EPOPEI~
21 1
"-
facilement des victoires. L'épopée traditionnelle donne une autl" explicalion ~ cctll'
orientation. Réinterprétant le jihâd omarien à la lumière des migrations peules. la gesle
traditionnelle voit. dans la direction Ouest-Est, le relour vers l'origine, les régions nil<>'iquc:'.
source de victoires. C'est aussi le tracé du Thiâmaha, serpent mythique 'lui a,,,ail "1'1""''-'
aux Peuls la vache; landis que la direclion opposée est-Ouest, celle qui mena Thi;î,uah" ;', >:'
perte, ne réserve aux Peuls qui l'empruntent qu'échecs ct déceptions. Cenains griots, nourris
dl' cette conception, expliquent la défaite des jih;îdistes devant le Fon de Médine. cn 1X5Î.
par le tracé du l'hiâmaba suivi à l'époque par le Cheikh. Le mythe semble leur donner raison.
car en quittant Nioro, l'année passa par le Kaana ct par le Tomara, allant de viCiaire en
victoire, mais essuya une série d'échecs en descendant vers le Khasso et le Logo. La victoire
ne revint qu'après un changement de direction. celui de la Mecque. d'après les versions
islamisées. On se trouve là en préscncc d'un espace symbolique très structuré, Oil les
personnages ct les événemellis s'expriment librement.
Mohilisés par l'avelllure héroïque, le temps ct l'espace de l'épopée dlljih'id'"
stflletllrelll autour du noyau historique ct mythique de la geste du héros. refléwnt de la sone
son origine peule ct islamique. Cenes, le temps cl l'espace narratifs cntrctiennCIll d,,,
rappons étroits avec ceux de 1.1 performance, quc les modalités du récit et le contexte de
production mettent en gros plan. La Cusion des deux notions révèle alors la fécondité de
chacune d'entre elles.
Le traitement du temps cl de l'espace de l'épopée orll;lrienne témoigne d'un art
porte ;1 son paroxysme: :\\ mcsure Ciue l'espace s'amplifte, le temps se comprime Ct
l'absorbe. La relation du pèlerinage d'EI Hadj Omar, ct de ses déplacements aux Lieux
Saints de l'Islam en donne une certaine illustration. Prcmière visite de la Ka'aba, Séjllur d'tnl
mois ~ Dabata (Médine), retour il la Mecque, retour en Egypte, de là, visite à Iliya
(Jérusalcm), séjour dc scpt mois à Châm (Syrie), nouveau retollf il la Mecque oir le
pèlerinagc fut triplé, deuxième séjour il Médine ct deuxième visite au Tombeau du Prophète
En définitive. ":lU cours de 1;1 n:lrr:uivi."ialion s'organise Je chronolope épique:
union du temps mythologique nalional, d'une historicité naissante, et d'un espace "signé"
par le passé (semé de tombcaux, de tèmples, dc villes mémorables), absolumcnt cllupé des
incertitudes du présent, "Corme particulière de perception littéraire dc l'homme ct de
l'événetnent"l. L'épopée du jihâd met en scènc ce systèmc synthétiquc, où tcmps ct espace
fonctionnent à l'intérieur d'autres réseaux non moins signifiants.
Madelénat (D.), op. cil.. p. t08.

Chapitre J : le temps et l'espace dans l'épopée d'El Hadj Omar.
Tableau récapitulatif
Lieux
Indications de temps
Temps écoulé
1 Kalidou Bâ : De la naissance aux joutes
oratoires
i
\\1. Halwar
Naissance d'Omar
"Dans la nuiI du Jeudi au Vendredi
une nuiI
Le nouveau-né refuse de têter
"Le temps passa jusqu'au coucher du soleil"
une journée
Seykou devient le soleil de Torobés
.. A panir de ce jour"
une journée
Apparition de la sainteté d'Omar
"C'était alors pendant l'hivernage"
un matin
Omar chez le marabout
"Un jour, .. un jour. .. un jour.. ...
trois ans
Omar chez lui
"Seykou reSta là-bas jusqu'à la fin de l'hivernage
trois mois
2. Pire Sagnâkhor
"Un beau jour arriva .....
3. Vers l'Est:
"Seykou séjourna là-bas quelques jours.
quelques jours
SokotO
"Seykou séjourna là-bas quelques jours
quelques jours
4, La Mecque Médine. Baïtil Mugaddass (Jerusa1em
"Le temps du pélerinage arriva.....
trois ans
5, Missira ( le Caire):
-la prière
"Dieu veut que je dirige ici votre prière pendant
trois jours"
trois jours
N
~
N

.....
,,~.~
- lc feu
"Durant trois jours le feu ne s'alluma pas à
M.issira"
trois jOUï~
- les joutes oratoires
"Faisons aujourd'hui une réunio~"
un Jour
II Si di Mbôthiel
Al La première bataille du jihâd
1. Dinguiraye : prélude au jihâd
"Un jour, ils avaient fait la prière du soiL."
"Ils avaient fait ensuite la prière de la nuit..."
un soir
- Refus de payer l'impôt
"Aujourd'hui... avant que la lune se lève"
un jour
- La conversion de Jeli : bonne augure
"Ce jour-là, il [Allah] nous donnera un griot
un JOur
du nom de Jéli Moussa"
- La conversion proprement dite
"A ce moment Jeli rentra dans la maison de Sékou
Oumar"
un moment
"Aujourd'hui tu te norruneras Jeli le chanceux
un JOur
"Hier tu te nommais Jeli Moussa"·
2. Tamba = capitale du Diallonkadougou
- Puissance du roi du Diallonkadougou
"Chaque année, il y fail circoncire une centaine
une année
d'enfants"
"Aujourd'hui je vais incendier Dinguiraye"
un JOur
- Victoire du jihâd
"Le début de la soirée passa, c'était bientôt
un SOir
le crépuscule"
Bl De Dinguirage à Thiayâwal
3. Dinguiraye
"Au moment dela bataille"
Imprécis
4. Vers l'Est: jihâd victorieux
"Tu attaques Un village le matin ... lU y -passes
une journée
la journée en chef de village".
N
~
w

- Victoire fulgurante
"Erranger le matin, chef du village à midi"
un~ mariné
5. Karêga :bataille rrès dure
"Quand il déchira la letITe"
"La journée de Karêga ... "
"AUjourd'hui, je suis rrès fâché"
"Mais voici que rrois jours sont passés et Karêga
trois jours
n'est pas prise".
"Mais aujourd'hui lU as vu quelque chose
d'exrraordinaire
6. Madîna Alahêri
"Tu sais que la conquête de Madîna Alahêri
un jour
ne dura qu'un jour"
7. Diongove
"Pour Diongoye ce fut un jour"
un jour
8. Kolomina
"Pour Kolomina ce fut un jour"
un jour
9. Guimbanna
"Pour Guimbanna ce fut un jour"
un jour
la. Nioro
"Pour Nioro ce fut un jour"
un jour
11. Ségou: une ère nouvelle ou la fin d'une époque
"ll arri vera demain aux gens de ta race... "
avenu
"II arrivera à norre race li la fm denemps."
indéterminé
12.Macina : combat fatal
"Demain marin, je te couvrirai d'étoffes de terre"
matin
Dépan des émissaires
"Le matin au réveil"
matin
Transmission du message
"A l'heure de la rroisième prière"
J'après-midi
13. Hamdallahi : arrivée des messagers
"A la tombée de la nuit"
la nuit
Message du griot Farba
Yéro le Peul envoyé par Cheikh Omar
"Au chant du coq"
petit marin
Yéro arrive à Harndallahi
"Le lendemain au réveil"
un jour
14. Thiavâwal: Je combat décisif
"Le lendemam au réveilles chevaux furent sellés"
un marin
Le combat des esclaves
"Aujourd'hui tu verras ta maison du paradis"
ce jour
"Aujourd'hui de belles "ouries t'accueilleront"
ce JOur
N
-i'>-

1
i"u"'. du ccmll:\\i
"Ce jour-là, le Fouta détruisit complètement
cc Jour-lz;
le Macina"
III Hammàt Samba, poème rimé
relatif aujihàd omarien au I\\'lacina
1. Halwâr, la Mecque, Médine: Cheikh
"Cheikh s'il veut [il] quitte Halwar le matin
une Journée
Omar maître du temps et de l'espace
et il passe la journée à la Mecque"
"Le soir il voyage pour passer la nuit à Médine"
un sOIr
2. Ségou, le Macina: Ali se
"Reste aujourd'hui, je vais te sauver"
un Jour
réfugie auprès d'Ahmadou Ahmadou
"Il a passé la nuit dans ma maison"
une nuit
"A ujourd'hui, il n'en son pas"
un Jour
"C'est moi aujourd'hui le roi du Macina"
ce moment
3, Ségou: pouvoir mystique du Cheikh
"A ce moment Cheikh se métamorphose en quelque
ce moment
chose"
4. Thiâvawal : la bataille décisive
"Ils sont prêts au matin de cette bataille"
un mal1n
Début des hostilités dans le
"Lorsque quelques amis furent tués"
Imprécis
camp des jihâdistes
"Alors la poudre gronda sans se raire"
imprécis
5, Déguembéré : la fameuse grotte
"S'il est vivant ou s'il est mon,
il est pani sans amertume"
impréCls
6, La Mecque: le pélerinage
"Je suis entré à la Mecque à l'âge de trente ans"
trois ans
"Je suis resté à la Mecque pendant trois ans"
trOIS ans
7, Le trajet Halwâr - Mecque
"S'il effectue le pélerinage, un vent passe
un clin d'oeil
plus rapide qu'un oiselet"
8. Kawsara : un fleuve du paradis
"Qu'on boive dans le "Kawsara" qui
imprécis
coule au paradis".
IV
l'
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~:lit

le''2'±'' 7 fi ler9=%11
i,
CHAPITRE III
LE SCHEMA NARRATIF

CHAPITRE III - LE SCHEMA NARRATIF
217
Un décodage systématique du nombre immense de versions de l'épopée d'El
Hadj Omar l montrerait à quel point des récits similaires sont VenllS sc greffer sur le sehlonl:'
de base de celte geste peule islamisée. Du reste, l'interférence des diverses narrations avel" le
corps de l'épopée constitue un des traits de cc type de récit. Le noyau narratif de base. s,'.
réduit dans l'El Hadj Omar aux cinq phases suivantes: naissance, f0I111ation, pèlerinage,
jihâd ct disparition. L'évocation de Icurs modalités et de leurs fonctions nOlis conriuil
d'emblée au coeur de notre propos. En effet la réduction des divers récits omariens à lInl"
matrice génétique et à un axe thématique met en exergue leur profonde unité, résull:lt de
jalons mnémotechniques, posés par un travail laborieux sur une matière profondément
épique. L'étude du détail permet de faire émerger la chaJne des éléments fonctionnels
gravitant autour d'unités fixes.
1\\. LA MATRICE GENETIQUE
Les textes constitutifs de notre corpus se récluiselll :', 1111 noyau narratif de
base, aux cinq phases assez nctres : naÎssance n1Îraculeusc, fOlïn;lIiol1 studieuse Cl béllie.
pèlerinage triomphal ct fécond, guelTe sainte victorieuse, enfin disparition mystérieuse. Ces
cinq phases n'apparaissent qu'exceptionnellement dans le récit d'llil seul griot, à cause sans
doute des longs développements qu'exige leur performance, et de la spécialisation qu'elles
imposent aux artistes. Il est reçu que leur traitement correct nécessite, au minimum, plus de
deux journées de déclamation ininterrompue.
En conséquence, les griots orna riens se spécialisent clans une panic de la vic
d'Omar, sans jamais omettre la guerre sainle, moment où l'héroïsme s'exprime sans retenue.
Et ils réussisselll, à partir de là, à donner une bonne idée de l'ensemble. La devise, forme
stéréotypée qui évoque ct invoque le héros, constitue un bel exemple de l'approche de
l'épopée oillarienne à travers l'une cie ses phases.
Notre corpus comprend les textes suivants:
-La devise du héros.
-De la naissance il Halwâr aux joutes oratoires du Caire.
-Le jihâd : de Dinguiraye à Hamdallahi.
-Le jill<îd: de Hamdallahi il Oéguembéré.
La grande épopée d'El Hadj Omar n'apparaît dans aucun de ses textes; seule
leur adclition la restitue dans son intégralité. Le pèlerinage ct le jihâd SOllt eepelld:lllt les
phases les mieux conservées de l'épopée d'El Hadj Omar clans la mémoire collective. Ils
Voir
notre
bandothèque.
JI
eSl
temps
de
sauver
les
versions
orales
cl
les
manuscrits
omaricns,
qui
connaissent
aclucllcmcnl
des
forl (JlIC~
diverse.";.
_ ..4:";..

CHAPITRE III - LE SCHEMA NARRATrF
21 8
apparaissent aussi comme une double migration: d'abord pour répondre il l'appel d'Allah,
ensuite pour combattre les rois païens qui refusent d'embrasser l'Islam.
Or ce mode de sélection est caractéristique de l'épopée arabe, en particulier de
celle des Bénî-Rilal l . Composée de trois entités formant la tribu hilalienne, le corpus de cette
geste se structure ainsi:
-"As-Sîra" ou la généalogie de la tribu et sa disparition dans le temps et dans l'espace.
-"Ar-Rihla" ou la migration des Béni-Rilal dans le Nadj.
-"At-Taghriba" ou le départ vers le Maghreb. C'est aussi le récit des luttes entre les Rilal et
les royaumes jalonnant leur passage entre Nadj et l'Ifriqiya
Comme pour les phases de l'épopée d'Omar, la trilogie hilalienne ne se
retrouve, en général, que partiellement chez un seul et même auteur:
" Les deux derniers cycles sont les plus connus parmi les transmetteurs de
l'épopée hilalienne. Toutefois, le sujet principal, en tout cas celui qui est resté
dans la mémoire populaire collective, maghrébine en particulier, et arabe en
général, semble être" la migration à laquelle la tribu a été forcée"; forcée par
un f1éau naturel, la sécheresse, et par conséquent la famine, mais aussi le refus
des pouvoirs avoisinants d'accorder aux Hilalle droit de "consommer", eux et
leur bétail, le produit de la terre"2
Dès lors, une question se pose: l'épopée arabe a-t-elle inf1uencé l'épopée
peule islamisée? Il est difficile de décider, malgré la maîtrise de l'arabe de cenains griots et
lettrés omariens.
On peut cependant fonnuler deux hypothèses en guise de réponse.
La comparaison des versions épiques arabes faisant de l'épopée hilalienne la
plus ancienne geste arabe, il est permis de penser que le modèle a pu inspirer les lettrés du
jihâd omarien, auteurs de versions. Mais on peut aussi estimer que les jihâdistes, mus par
une oeuvre hautement religieuse, pouvaient parfaitement ignorer la littérature arabe profane.
En composant leur récit, il est possible qu'ils aient donné libre cours à leur imagination.
La question mérite surtout qu'on s'y attarde à cause des rappons, présentés
généralement comme conf1ictuels, entre l'épopée et l'Islam dont Etiemble se fait l'écho dans
l'article "épopée" de l'Encyclopœdia Universalis : "L'idéologie religieuse de l'Islam n'a
J
.../
"Sirat Béni Hilal", épopée arabe la mieux connue et la seule transmise.· Elle
date des environs du
XIe siècle, les Béni Hilal étant alors installés en
Egypte.
2
Ayoub (A), "L'épopée du Maghreb : unité et diversité". in Notre
librairie.
nO 83. Avril - Juin, 1986. p.62.

CHAPITRE ID - LE SCHEMA NARRA TIF
219
marqué que superficiellement l'élaboration de l'épopée "(peter Boratax, et Louis Bazin) ;
comme si la transcendance d'Allah et l'interdiction de l'imaginer, de le représenter sous
fonne humaine ou animale, leur avait coupé le souffle épique. A quoi s'ajoute que, tout
musulman étant qualifié pour diriger à la mosquée la prière du vendredi (sic) te "clergé" n'a
pas en Islam le pouvoir qui fut le sien dans l'Inde, à Rome, dans le boudhisme ou le
christianisme. du coup, point de Gesta Dei per Arabas !
Encore faudrait-il nuancer: Lucienne Saada a publié, grâce à l'Institut national
d'archéologie d'art, le texte arabe et la traduction française de la Geste des Banu Hilal, texte
rrès important quant à la théorie générale du genre épique"l
La réalité est toute aurre2 car, malgré l'obstacle religieux, l'expansion arabe
généra de longs récits qui firent les délices d'une réception populaire. Citons, ourre la geste
des Bêni ou Banoû Hilâle, l'Emir Seïf, et surtout le Roman d'Antar. Cette dernière oeuvre,
composée à partir de poèmes lyriques (VIème-XIIème siècles) diffusa la geste d'Antar, fils
d'une esclave abyssine, qui dut faire preuve d'une bravoure exceptionnelle pour mériter la
main de sa cousine Abba.
D'une manière générale" la plupart des auteurs modernes répugnent à utiliser
l'historiographie arabe, conjointement à l'historiographie latine"3 pour reconstituer par
exemple l'expéclition espagnole de Charlemagne qu'elle éclaire cependant. Or,"les textes
arabes qui nous sont parvenus, sur l'expédition de Charles en Espagne, parlent de cet
événement en deux occasions distinctes. La première a pour motif la remise à Charles du
prisonnier Thalaba, général d'Abderrahman de Cordoue; on trouve ce récit dans l'Akhbar
,
Madjmua (XIème siècle), et autres. La deuxième occasion où les Arabes font allusion à la
venue de Charles en Espagne est le récit de la capture, par le roi franc, d'Ibn AlcArabl, et de
la libération de ce dernier par ses fils. On ne rerrouve ce récit que dans un passage placé par
Ibn AI-Athir avant la notice consacrée à Thalaba"4
Qu'est-ce qui justifie alors le rejet des sources arabes?
"On dirait que l'autorité des Annales royales n'admet pas aisément de voir
moclifier par des textes rivaux son récit consacré par les siècles"5
1
ENCYCLOPiEDIA UNI VERSA LiS , Corpus 7, Paris, 1984, p. 72.
2
Voir Yassine (M.) Le genre épique dans la littérature arabe jusqu'à la fin
du premier siècle

de
/'hégL'e,
Université~e Lyon Ill, Doctorat de IIIème
cycle, 1980.
.
3
Pidal. (R.M.), La chanson de Roland et la tradition ép,que des Francs, Paris,
1960, p. 183.
4
Id., p. 185.
5
1bid., p. 185.

CHAPITRE If] - LE SCHEMA NARRATIF
220
Influence d'un modèle ou pennanence de structures restelll des hypolhès~s
plausibles, alors que demeure certaine la transhumance des schémas narratifs au double plan
diachronique et synchronique. En outre, les phases de l'épopée du jihâd mellent en évi<!enc,·
les rapports dynamiques existant cntre les structures narratives el les mécanismes de. 1;:
création épique. Notre corpus illustre ce constat puisqu'au delà de la base de la narr:llion. il \\'
a la lihre création de chaque aniste. En ce sens, la version de Kalidou Bâ ressemhle:1 un
conte de l'enfance d'Omar et de ses débuts, celle de Sidi Mbôthicl à une vaste symphonie ou
à une chante-fable, avec ses ahernances de parties narrées ct chantées. enfïn celle de Ly. plus
élaborée, rappelle une SOrle de poème très travaillé, situé au carrefour de la prière ct de la
chronique.
Mais pour mieux cerner la matrice génétique de l'épopée d'EI 1!adj Omar, il
nous semble plus indiqué de comparer le poème.de Ly à La Qacida en pOl/far: deux épopées
hautcmcnt élaborées:
Stnlcture du poème de Hammât Samba Ly :
Vers 1-3. Naissance d'Omar à Halwâr.
Vers 4- JO. Le jihâd ou guerre sainte.
Vers 11-25. Le pèlerinage: visite de la Mecque, de Médine, du Caire.
Vers 26-121. Le jihâd : IUlle contre Ali, roi cie Ségou et Ahmadou Ahmadou, émir du
MacÎna_
Vers 122-126. Disparition de Cheikh Omar à Déguemhéré.
Vers 127-145. Discours outre-tombc de Cheikh Omar, émis au style direct. II y rappelle ses
,.
dons et son élection par Allah.
Vers 146-149. L'auteur fait l'apologie de son Cheikh.
Vers 150-154. L'auteur se présente.
Vers 155-164. Doxologie ajoutée par Demba San qui, en faisant l'apologie de Cheikh Omar,
ébauche le cycie omarien composé de son épopée, de celles de ses enfants et des valeureux
jihâdistes.
Vers 165- 169. Prière de pardon pour les croyants et souhait de boire dans l'eau de
"Kawsara", fleuve du paradis.
Vers 170. Fin du poème
. Stnlcture de La Qacida en poufar:
Avant le pèlerinage. Vers \\-30.
Vers 1·14. Prologue: le poète chante Dieu, son Prophète, les Cheikhs.
Vers 15-30. La formation d'Omar; de l'adolescence à l'âge de 30 ans.
Le pèlerinage. Vers 31-·146.
Vers 31-45. Le pèlerinage aller: de J'Ialwâr à la Mecque.
Vers 46-73. Le pèlerinage: rites et rituel.

CHAPITRE III - LE SCHEMA NARRATIF
221
Vers 74-129. Le retour jusqu'à Dyegunko.
Vers 130-146. La campagne de recrutement de j ihâdistes au Fouta-Toro ct le retour cie la
première année de fidèles à Dyegunko.
La guerre sainte. Vers 147-1129.
Vers 147-183. Constitution cie forces années.
Vers 184-1129. Conquête du Dyallonkadougou, du Kaana, de Ségou, du Macina.
Après la guerre sainte. Vers 1130-1189.
Vers 1130-1149. Invectives contre les ennemis de Cheikh Omar.
Vers 1150-1159. Prière pour le Cheikh ct les autres musulmans mons.
Vers 1160-1 172. Entrée d'Omar ct cie ses talibés au paradis.
Vers 1173-1185. Description du paradis "Illioun".
Vers 1186-1189. L'auteur se présente.
En comparant la structure narrative des deux poèmes, ou constate un
traitement différent de la matrice génétique de l'épopée du jihâd. Bien que ces cieux épop':,·.,
consacrent l'esselllici de leur narration à la guerre sainte, des nuances les séparent. Ain:-:i,
alors que la Qacida consacre 983 vers au jihâd sur les 1189 que conlpte le poème. la
composition de Ly nc doit son inspiration qu'à la IUlle qui opposa les comballants de la foi au
royaume bambara de Ségou et à l'empire peol du Macina: 93 vers sor ses 170.
Une telle répartition de la quantité des vers, sensible dans le mouvemelll
général cies deux épopées, désigne la guerre sainte, comm~ un élément central qui génère des
récits seconclaires ct autour duquel gravitent d'autres récits. L'art des griots réussit cependant
sans peine à coudre harmonieusement l'ensemble. Le souci des spécialistes de la geste
d'Omar de couler leurs oeuvres dans la structure du mythe héroïque, fournie ici par le
modèle épique traditionnel, explique la place de choix occupée par la guerre sainte dans leurs
récits.
L'étude des invariants inclut aussi les motifs et formules qui se réduisent pour
l'essentiel, dans l'épopée peu le en général, et omarienne en particulier, à la devise. Leur
importance provient surtout de leur valeur mnémotechnique:
"Les motifs sont essentiels à la composition et à la mémorisation des
chansons" 1,
FOffilule rigoureusement cOnStruile. la devise d'El Hadj Ornar2 cite sa noble
origine, sa carrière, enfin soi! jihâd. Elle peut allssi inclure quelques allusions à ses preux.
Rycllllcr
(J.),
La
Chanson
de
Geste.
Essai
sur
l'art
éplqllC
des
jongleurs.
Genève, Droz / Lille, 1955, p. 127.
2
Mhôthic! (S.), Vy.
102-120.
".-,' en, _
_--&;':'\\'~t

CHAPiTRE Ill- LE SCHEMA NARRATIF
222
Chantée et récitée, la devise s'appuie sur un rythme héroïque, chargé de traduire l'univcr~
épique de la déclamation. Aussi, la formule "Conndi duki deY'Y'aani" (la poudre grund" sau,
cesse) revient-elle dans les récits comme pour reprendre en écho la devise du hé",.,. L.;,
définition que Mihn"n Parry donue alors il la ronnule s'applique bien i, la devise omarieune :
"Une expression qui est régulièrement employée dans les même~ eon<iirioll:,
métriques, pour exprimer une certaine idée essentielle. L'essentiel de l'idée.
c'est' ce qui reste après qu'elle a été débarrassée de toute superr/uilé
stylistique" 1.
Dans le cas présent, la rormule se rédnit aux nobles origiues cI'Omar. i, ses
dons intellecllIels et mystiques, enrin il sa grande valeur militaire couronnée cie succès. La
l'orme stéréotypée renvoie certes il des structure, melll"les, mais ,emble sunout dériver du
métier du griot, tel qlle nous l'avons montré dan~ la première panic du présent tr:lvail. Nons
ne pouvons nous empêcher de citer longuement Parry tant ses remarques sur HUilière
s'appliquent aux artisans dn verhe cie l'épopée cI'EI Haclj Omar. Pou<' Homère,
"versirier c'était sc souvenir. C'était sc souvenir des mots, cles expressions,
des phrases entendues dans le récit des aèdes qui lui avaient enseigné le style
traditionnel de la poésie héln'Ique. C'élait se souvenir de la place ou des places
que les mots et les expressions traditionnels occupaient dans le moule
complexe de l'hexamètre. C'était enfin se souvenir des artirices iunomhrables
qui permettaient de combiner ces mots et ces expressions en l'brases et en
hexamètres dactyliques de six pieds pour exprimer les idées eouvenant aux
récits des gestes légendaires. Car, de génération en génération, les aèdes
avaient conservé des mots et des expressions qui, heureusement trouvées,
pouvaient resservir dans la poésie hérolque. Et, poursuivant le double but
d'une versirieation racile ct d'un style héroïque, ils se rirent une diction
ronmtlaire ct une technique de son emploi, et cette technique des romlll/es.
conservée dans ses plw; petits détails. parce qu'elle fournissait il l'aède des
matériaux adaptés il la versification qu'il n'aurait jamais pu trouver lui-même,
prit le relier des choses traditionnelles. L'apprenti aède, en se familiarisant
avec elle, y soul11etlait son esprit au point que, lorsqu'il mellait en iJexa'n~lrcs
sa propre version des gesles des héros, il employait peu ou pas de mots ou de
Parry
(M.),
L'épithère
traditionnelle
dans
Homère,
essai
sur
/ln
pTohlème
de style
homérique, Paris, 1928, p. 16.
,
:l:o,

CHAPITRE III - LE SCHEMA NARRATIF
223
combinaisons de mots créés par lui-même. Et dc même son public lui-mêmë
s'attcndait à ce qu'il suivît fidèlcmeut le style qui lui est familier" 1.
Cette longue cil<ltion a l'avantage de résumer, par delà la techniqu'.-
d'élaboration des fonnules, celle de l'épopée ainsi que les conditions de sa réception. ";II,;
s'applique à la formule omarienne ou devise du héros, petite épopée dans la grande. 10:> ,'"
structurant autour de la geste du Iléros, la matrice génétique intègre des motifs "t des
formules fixes, délimitant ainsi, dans l'espace épique, des invariants destinés ;'t la
mémorisation. Mais pour composer les récits, le grio[ recourt aussi à d'autres paramètres.
B. L'AXE TElEMATIQUE
Loin de se réduire à des données purement structurel/cs, les invariants de
l'épopée du jihâd annexent;'t la matrice génétique d'autres plans. Des thèmes variés, le;; lieux
de l'action, le temps du récit sc combinent et imprimcnt ;'t leur tour, un schéma de hase aux
multiples récits omariens.
1 - LES THEMES
Intégrant le modèle épique peul traditionnel dans son parcours narratif,
l'épopée d'Omar en récupère la trilogie cyclique (la lance, la vache, la femme) et le triptyque
héroique (le héros, le destrier, ['anne) pour leur ajouter la trilogie cultuelle (Dieu. le
Prophète, le Cheikh). C'est dire que lcs thèmes de la guerre ct de la religion écrasent les
autres ct les réduisent à des thèmes secondaires2
La religion permët de vanter les mérites du Chcikh ct de ses jihâdistes ; la
victoire leur étant offerte par Al/ah qui soutient ainsi leur action 3 El/e oppose aussi Omar
aux animistes si doués; les griots ct chroniqueurs en profitent alors pour exposer les
fondements de l'animisme, à travcrs la lutte qui opposa l'année du jihâd au puissant royaume
bambara de Ségou. Thithié Dramé et Sidi Mbôthicl sont formels, Ségou était un centre où
l'animisme régnait en maître absolu, donc le triomphe du jihâd manifeste la transcend;lIlCë
d'Allah sur les fétiches ségoviens malgré leur efficacité séculaire.
Le thème de l'héroïsme suscite aussi des séries dichotomiques liés
expressives, embrassant à la fois les catégories sociales et les états psychologiquës de
1
Parry (M.), op. cil. pp. 6-7.
2
Ayant
largement développé cet
aspect
all
débllt
dll
présellt
Havail,
nous
)'
rcnvoyon.s
le
1cCLCUr.
3
Cf La chanson de Roland
Otl
Dieu décide au.s:;;j du combat.

»
CHAPITRE III - LE SCHEMA NARRATIF
224
l'humanité qui peuple l'épopée du jihâcl omarien. De la sone, des oppositions signifïcalives
défïlent au fil de la n,uTation: bravoure / traîtrise; érudition / ignor;1I1cc; noblesse / serviwclè:
révolte / soumission; victoire / défaite; bien / mal. .. Celte thém:lliqlle, mémorisée par le,
professionnels de l'épopée, apparaît invariablement au cours des réalisations de la gcste.
quels qu'en soient le temps ou l'espace. Au regard de ces thèmes. on ne peut s'empêcher de
sc demander si l'idéologie trifonctionnelle des épopées indo-européennes, si chèn: ù DlIllié?ii
et à ses disciples, s'applique à l'épopée du jihâd. La question vaut d'être examinée.
Au tenne d'un travail ardu et laborieux sur les épopées indo-européennes.
Dumézil l concJut qu'elles remplissent trois fonctions: une fonction de souverainete'
religieuse et magique, une fonction gnerrière. enfïn une fonction de production et de
reproduction. Appliquant au cycle de Guillaunle la théorie de Dumézil, J.H. Grisward 2
retrouve dans la dispersion des fils d'Aymeri de Narbonne en Inde, en Iran, chez les
Scythes, les Irlandais ct les Germains. un lei schéma avec des frères "fonctionnels" ct des
frères "lelTitoriaux" qu'il rallache, l'al' conséquent. ù la triade indo-ellropécnnc.
Malgré l'universalité de cc schéma. l'épopéc du jihâd résiste à celle t1'iack
solidelllent structurée. La geste islamisée, bâtic .'tlr Ic modèle de l'épopée P'éllk
traditionnelle, préscnte une triple thématique cyclique ( la lance. la vache. la fenlincl ;\\
laquelle s'ajoute un triptyque religieux ou cultuel (la Loi, la Voie, la Vérité). Un tel édifice.
bien qu'évoquant sur certains [loints dcs éléments de l'idéologie Irifonclionnelle, nous
semble cependalll échapper au champ d'application du schéma qui en clécoule.
Âu contraire, en rncllant en gros plan la thématique cyelique et le triptyque
cultuel, l'épopée du jihâd dédouble la triade fonctionnelle et donne la possibilité de multiples
interprétations:
"La théorie de Dumézil réinstaure l'épopée, médiatrice du mythe, dans un rôle
essenliel : penser, élucider, modéliser une idéologie sous forme d'histoires.
Mais le référent social - la structuration ternaire - est une significatiou, parmi
d'autres, d'un récit héroïque qui reste polysémique, car unc cultlll'e J'utilise
pour prendre conscience de scs origines, dc son environnemeut. de son
devenir"3
L'épopée d'Omar, récit héroïque polysémique, s'inscrit aussi dans une
perspcctive plus large.
1
Dumézil (G.), My/he el Epop,'e, Paris. 3 lomes. 196H·1973.
2
Grisward (nL). Archéolo~ie de
J'épopée
médiévale. Paris,
19H l.
3
Maclelénal (D.), 01'. cil. , p. 94.

-----
CHAPITRE III - LE SCHEMA NARRATIF
225
Il - LES UEUX D'ACTION
Soigneusement sélectionnés par la narration eplque pour leur caractèl"
symbolique, les lieux de l'épopée clu jih~cI, loin d'être indifférents, par1icipent activenlCilt a
l'épiphanie héroïque. Des terres inonclées par la crlle cl li neuve Sén',gal cie Halw~r, ~ la grO\\ll'
de Déguembéré au cocur cles falaises de Bandiagara, CIl passant pa,' les Iraje!s du S:I\\'oir CI k"
parcours du pèlerinage, l'espacc de l'épopée omarienne délimite un immense enscmbk. ;1 la
mesure de la démesure de son héros. Un survol de cet espace visité par Cheikh Omar cOlldu;t
dcs lives du Sénégal ~ celles du Tigre et de l'Euphrate.
El Hadj Omar naquit ~ Halw~r, en plein coeur du Toro, dans une casc
devenue depuis un lieu de pèlerinage et de recueillement. L'interférence du mythe de
fondation du village et cles présages de l'épopée d'Omar poussc les griots ~ un traitement
particulièrement élahoré dll premier cadre de vic du héros. Dès lors, Ilalw:îr "cprés~nt" pil"
qu'un lieu de naissance de Cheikh Omar. Sur le plan héroïque, il figure une !ocalis:ui,,,,
mythico-épiquc du récit. De Halw:îr, l'espace él)ique va s'élargir;1 l'A frique Cl ~ l'Oricnt. lo'
paniculier aux berceaux des religions révélées.
En erfet, les versions dc l'épopée d'Omar s'allarc!cnt aussi sur les trajets du
savoir: l'ire, la Mauritailie, le Fouta-Djallon, le Sokoto curent le privilège de recevoir l'élève
surdoué Omar Saïdou l'ail. De même, le pèlerin prestigieux triompha aussi aux joutes
oratoires du Caire, malgré la solide répullllion des 'Ulémas de l'Université AI-Azhar.
Auparavant, Cheikh Omar se rendit en Syrie Oll il soigna un prince atteint d'une rolie jugée
incurable. Celle demière localité réconcilie le 1I1ytite ct l'épopée. Alors qlle l'épopée ou
l'histoire explique le voyage cie Cheikh Omar en Syrie par l1l1 souci cie visiter l'Orient,
berceau des religions révélées, 011 cie s'instruire clavalllage par l'acquisition de connaissances
clirectes, moins livresques; la version d'Abcloul Ala Seck 1 soutien! une explication
totalementmytltique.
Dès l'adolescence, selon la verSIon cI'Abcioul Ata, Cheikh Omar se fit
remarquer par une série de dévotions qui l'obligèrent" sc cléplacer rréquenlilleili. Cest all
cours de l'une de ses randonnées qu'Omar rut opposé ~ un génie nommé "Jaa'oo", Illéchalll
djinn qui combattit le dévot en le piquant el en J'ennammanl. A la fin cles macllillations clu
génie, Omar lui asséna un coup en plein cr:îne qui le fit atterrir ~ "Ch:îlll", la province
syrienne que le pèlerin visita vingt ans plus tard. "laa'oo'" alla sc loger citez le jeune princ'.:
d'où sortit la raison. Le Cheikh réussit vite, une rois là, à déloger son rival qu'il avait vaincu·
Version
inédilc.

CHAPITRE III - LE SCHEMA NARRATIF
226
auparavanl. Ce récit éclaire le trajct de Halwilr à Châm de cette manière, étant elllendu que
l'épopée, il la suitc du mythe, rdusc Lies zoncs Li'ombre.
Aux
trajets cognitifs
succèdent
les
parcours du
pélerinage dont
l'aecomplisscment régulier confère le litre envié de Hadj. A ce titrc, la Mecque el Médine
figurent cn bonne place dans l'épopée du jihâd. Les auteurs ct artistes en profilent pour
asseoir les bases théologiques du jihild omarien. Ils ne manquent pas non plus Li'auréoler le
héros qui a su visiter à picd les deux Mosquées Sacrées de la Mccque et Lie Médine
auxquelles s'ajoute la troisième, celle d'Al-Aksa de Jérusalem. Ces lieux inspirent aux
artisans du verbe des développemcnts colorés où le myth" vient conStammcnt cxpliquer la
légende d'El Hadj Omar, néc dc son épopée
Le dernier parcours reste celui du jihâd puisqu'il englobe le retour de
pèlerinage. Cet espace va Lie Sokoto il Halwâr, puis Lie Halwâr il Déguembéré. L'ensemble,
balisé de plaines, de montagnes, de cours d'eau, Lie grottcS, délimite un cadre symbolique oil
cenaines localités émergent malgré tout: SOkOIO, HamLiallahi ; Ségou, Kangab'l, Kankan,
Djegunko, Dinguirayc, Donnaye, Guiraï, Hôréfondé, Nioro, Kolomina, Karêga. Kingui.
Thiô, Pormân, Sansanding, Thiâyawal, Déguembéré. Autant de lieux où sc déroulèr"nt dcs
faits. des événements, dcs batailles et dont la simple évoealion entaille un fraglllent de
l'épopée du jihâd. Il faudra un Jour recu"illir, auprès lks populations locales, les récits
auxquels restent attachés ces noms. En tout cas ils a[[irent, avec d'autres sites omariens,
chaque annéc des ccntaines de pèlcrins, il la recherche de quelque "baraka"
Sur cc plan
l'I,dwflr ct Dégucmbèré semblent les plus sollicités, suivis de près par Dlnguiraye ct Nioro,
où le pèlerin héroïque entra ct sonit triomphalem"nt.
En réslllné, la rcpréSClltlllion dçs IiGLlX duns les récits de l'épopée umaricllne
sc pense en rappon avec lactton.Dès lors, fidèle il sa volonté d'harmoniser son univ"rs, la
narration épique fail appel au mervcilleux qui reflète sans p"inc, sur l'espa'''' à lui confié, la
démesure du héros dont il a fixé les traits. Ainsi, la vie dJOn1ar donn~ une âIl1C à l'espace de
son épopée, et la sélection des lieux devicnt alors un impératif épique catégorique. L'espacc
du jihâd se pose, par conséqucnt, comme un invarialll et fonctionne dans les récits comme un
indic" de maîtrise de l'épopée.
III - LE TEMPS DU RECIT
Nous avons rappelé que le lemps ell'esp'tce s'interpelle11l nllllucllcment dans
l'épopée d'Omar cl obéissent aux mêmes lois d'éiaboraiioll. Ils forment des unités
complexes que M. Bakhtine appelle "chronolOpe". A ce sujet, aux lieux récurrents de
l'épopée d'El Hadj Omar correspond aussi un temps récurrent. Dans ce sens, la gesle peuk
iSlamisée privilégie trois moments: ceux du Ramadan, du pèlerinage et du jihâd.

CHAPITRE III - LE SCHEMA NARRATIF
227
Ce n'est pas un hasard si toutes les versions de l'épopée d'El Hadj Omar fOIll
coïncider la naissance de Barou avec le Ramadan. Ce mois béni place sous son autorité, en
Islam, les personnes qui l'observem régulièrement. Il est aussi reçu que pendant celle
période Satan est reclus et que ks portes de l'enfer restent fermées. Le Ramadan acquien dès
lors un relief particulier puisqu'il singulanse la destinée d'Omar, entouré de bénédictions. Le
moment choisi place la carrière du héros sous le signe de la ferveur religieuse.
Mais si ce temps symbolique engendre une épopée glorieuse, c'est SUrlour à
cause de la "Bataille de 13ongoyc" qui semble l'impliquer.
Dans tous les cas, au signe de la ferveur répond le signe du jihfld et l'épopée,
qui résout [Gus les problèmes, prélère coordonner Ramadan et jihfld, pour mieux éclairer la
double voie qui sollicite Omar. Par un jeu de retlets, la fin de l'épopée d'Omar, selon la
version de Niagâne, montre un jihâdiste en plein Ramadan qui entre dans la grotte de
Déguembéré. L'on ne pcut s'empêcher de relever la similitude des tahleaux inaugural ct finaL
L'histoire s'est-elle répétée ou a-t-on réinterprété la naissance en fonction de la disparition?
La première hypothèse nous semble plus plausible bien qu'il soit difficile de décider
ohjectivement.
Mais Je temps du pèlerinage aussi a passionné les griots et lettrés de la geste
du jihâd. Alors que le départ et le retour du Cheikh poselll des problèmes cie dalation précise
aux historiens, les spécialistes de l'épopée s'accordent pour en faire le temps des miracles
par excellence. Trois momentS reviennent invariahlemelll au lïl des récits: l'enu'evue avec El
Ghâli, la visite en Syrie et les joutes oratoires du Caire.
Mohammed El Cihâli, Khalife de la Tidjanyya en Orient conféra, au rVlausolée
du Prophète, le titre de Khalife de la Tidjanyya Ù Cheikh Omar sur ordre de At-Tidjflni et du
Prophète. Ce temps el ce lieu suseitelll de longs développemeills d'autalll plus qu'ils
articulent la Tidjanyya (myslicisme) Ù la Charia (théologie, entendue ici au sens
d'orthodoxie) d'une pan, et qu'ils rattachent, d'autre pan, le jihüd omarien au jihâd du
Prophète.
La visite de la Syrie étend le pouvoir du Cheikh dans l'espace el, bien que les
faits soienl réels, leur récupération mythique reSle évidente. En effet, les griots se plaisant à
situer l'origine des Thiüm de Halwür à Châm\\, il fut aisé de u'ouver des liens cllIre le voyage
d" Cheikh et le nom de ses parents. Du point de vue de l'esthétiCJue épique, la durée du
,éJnllr d'Omar en Syrie, outre qu'elle traduit la profonde initiation du héros, met en évidence
l'interaction de l'épopée et du mythe.
L'autre visage du temps invarialll des versions de l'épopée du jihfld s'incarne
à lravers les JOUies oratoires du Caire, opposant les "Ulémas" de la célèbre Université Al-
L'euphonic
"Thiâm"I"Chârn"
milite en Iellr faVCllr
7-:
.-. ,

CHAPITRE III - LE SCHEMA NARRI\\TII'
2n
Azhar au Cheikh Omar. L'illsl<1nt ou le lemps des joutes illaugure une ère nouvelle, celle qui
fait triompher le Nègre sur les Blalles. Les versious Il'omellellt jamais cet épistlde, i.,t le
pl:1CC11i au-dessus de consiclér:!lions étroitement racisl<..:s. On assislc lllêrnt ;1 une deJllarcl1~'
inverse d~H1.s les récils des griots lettrés. Âu terme des jOlllc~, d',qîrL:s la version d'i\\lldul;:
!\\la, un des docteurs cJcm:lIlda au Cheikh de décliner sa généalogie; cellli-ci alors l:i l\\~('lt;! ~:,
ail vil qu'elle le ran:acl1aii rigoureuselllent <lu Prophète îvlohanlll1cd. NOlis aV(lIl~ ;\\11;t!.\\'St:
aillcurs la présence clu "blanc mytbique" dans les généalogics nègrcs 1 des peuples islamisés.
Il s'agit 1;1, ~ la fois, d'ulle· récupératioll islamique du nègre ll1éritalll Ol! d'ull souci du
néophyte dc s'identifier aUlllodèle.
L'époquc du jihfld reticnt aussi l'altention des spécialistc.s de l'époljéc
d'Olll;lr. d'aulan! plus qu'clic suscite des victoires ct, unc rois cncore. sccllc LIll pacte cntre
Icmps cl lieux. Dans cc scns les cI1roniquclirs ont hrgcmcI11 sollicité l'arithIllosophie, ou
scicnce des nornbres~ dans Icurs ocuvres. Cl bicn dc~ fois qlland 011 y interroge le (emps.
c'est l'espace qui répoud. Evoquant ]""Tivéc d'El Hadj Omar ~ Sansanding, ville OLI il cll\\r;;
sans COlll' férir, après la rude bal'Iille dc Woïteb. sans doute '1 c:\\IJse de la vieille is/aluisaliou
de la cité, Niâganc écrit:
"Puis il continua, lui, Cheikh Omar, CI bivouaqua ~ Sansanding, ce fllt 1111
lundi, le 29 Rabî-ou-Ioîtla, le nlois de 'Achollra. Cc jour correspond ~ "Ja'a
nasrounc minai 1,1hi \\-va falholllle l]<lrîboI!Jlc ,,2. Si 011 comple la valcur des
lettrcs formant cc vel'.'Ct, la somme correspond ~ 1277, soit l'année de
l'hégire. QII'Allah béllissc cl sallvc le ProphèlC Ivloh:lIlllllCd"J
Ici le chroniqueur donnc lin repèlc spatio-temporel p:lr lin versel dll Coran. A
panir dc cet insrant, le verset, la dale el le liell vont se lier ~ jamais. Le jihâd absorbe ainsi les
soixante dix ans dll Chcikh, sollieilalll 10liS Ics install\\s de cette vic.
iYhlis le jihfld reste SlirlO1i1 la confrontation dll lemps islamiqlle avec le tcmps
païen, mise cn relief dans les versions de Thililié I)r;nllé4 et cie Sidi Ivlbôthiel 5 En effet,
Dramé CCl opposant à Karoullka Diawara, prince du KinguÎ Cl Ch:1I11pioil du paganismc: i\\rdo
AJioli Ndiéréby, Peul islamisé, Illet bicn en llitte clCIlX v:llellrs différentes. I~a victoire de
Ardo ne s'explique que par sa foi islamique qlli vicnt doubler son savoir ésotériquc pelii.
DIENG
(S.l.
Le
blallc
mythique
dallS
l'l'pop""
dEI
Hadj
Omal.
IV".I1IC
Séminaire du Départemenl de français,
Dakar.
1987. Cl paraître)
2
VCr."Cl
du
Corail dOllt
le sens CSI : "le .'\\CCOUL'\\ d'Allah csl arrivé ainsi qll'lIIH:
vicloire
prochaine".
3
cr DIENG (S.), Méllloire de MaÎlrise, Dakar. 19n. pp 81X2.
4
Cf DlENG (S.), Docloral de Illèlllc cycle, Dakar. 1984.
5
cr Corp"s de l'aClUel TII"se.

CHAPITRE III - LE SCHEMA NARRATIf'
229
Dalls le même ordre d'idéc, la versio[) rie Sidi Mhôthicl dé[)ollce. par la voi,
d'Lill vieux ségoviell, le jihâd qui apporte avec lui (1<0 profonds déséquilibrcs sociaux. Les
chnngcmcnls arreC{cflt les leIlllls préscnl el futur puisque 1;1 crise 6CUI1I)rnique ct la cri~;l~ dt::.
valeurs sc sont défïnitivement installées: sécheresse, absence c1';1ll10rilé p~ln..'-Iltak d l1l~u·jull'
Il y a ]~ 11[1 Lypc cl"cxplicatioll mythiqlle évident: le v,lincLJ voulant fcndre cml1pl <..'. du PP:Sl'I!;
ulliqllemclli par le p:lssé. Dans 10liS les l'as, le fail !l'échappe poinl au Cheikh Om", li Il:
prérère, malgré les c;llal11ité~, vivre SOllS le temps divin, plus confonDe Ù SOI1 ir!~al I.k vie.
L'épopée Ile sc privc pas de chanlc,' ce temps qu'clic confond avec l'étcrnité où clic jm,;'}k
son Cheikh Ct ses .iih~dislCS. baiglJ;l11l c!;lns le "K;t\\vs;lr:I". fleuve du par:ldis, dOJlt les ,:;itL\\
charrient un liquidc plus clélicieux que le lait et le miel, juste récompcnse d'un temp;; jadis
uniformément consacré il Allah.
I\\U vu de la matrice génétique et de l'axe Ihématique dl' l'épopée d'El Hadj
Omar, on ne peut s'empêcher de penser aux t,"avaux cie Milman Parry Cl cie Lord 1. Ces
chercheurs affirment, ,HI terme de lem étude sur l'épopée homé.rique, que la formule l'Si l<-
trail clistinctif le plus pertinent de l'é.popée ct, p:". conséqucnt. réduisent le style épiquc ;I<i
s[y1c formulaire. O:ms le cas préscllL les élélllenls fl(CLlTTCl1IS fO!lctionllent bien (,.'UlllJlh: !!Jl .
schèlliC ICX!UC! illdélï~llrlJCJl[ n~lililis;lbk1t, réclllTCl1\\ c1:IIlS ulle IC-UVn:, lin gnH!I)C d'u:llvrc:, Illl
une aire culturelle, matériau dl' cOllstruclion préfabriqué il l'usagc de l'improvisateur. Cclui-
ci ne se f:lit pas prier pour corser Ic canevas qui relie le griot peul ou omarien à ses illustres
devanciers, pionniers de la litanie et de l'improvisation.
C. VARIATION DES SCHEMAS NARRATIFS
Situées Ù louS les niveaux cie b narration, les \\'arî~lll1eS s'insèrellt dans J'axe
des IlllJls(ormê.lliOIlS clTccti"cs el possibles. La vari,lliorl permet ,1I0rs ù l'improvisation de
rrcndrc sa revanche sur la mémoire. Il Cil résulte 1I1le réelle diversité ,\\ l'intérieur des schémas
préétablis et dcs narrations traditionnclles.
J - LES VARIANTES
Narnuion élaborée, l'épopée illustre cie la manière la plus expressive l'unité ct
la cliversité des "possibles narratifs,,2, cI'aulant plus qu'elle restitue les concepts, les images
Parr); (M.), L'épithète
traditionnelle
da"s
HO/rlère,
essai
sur
{li!
pro!Jfèllw
de
slyle
homérique, Pal'is, 1928.
Lord (A.), The ,,;nger of la/es, Cambridge. 1988.
2
Voir
Claude
Brélllolld,
"La
logique
des
possibles
narralifs",
COlllJJlllllicaljOl\\,
nO 8, 1969, pp
60-76.

C11i\\PITRE 111- LE SClJEMi\\ NARRi\\TIF
230
,;t ks symboles (les sociétés qui l'ont sécrétée dUlls le lemps el d'Ills l'cspace. Les leXies de
","re corpus en donnenl, du reSI", ulle idée puisqu'ils véhiculeut lout le symbolisme peul el
1l1Usu]m:lll. En ce sens, l'éLude tics varÎanles de. l'épopée oillariennc rnéritè d'être envisagée,
'.:U ,~gi\\rd Sllnollt à kur implication dans l'action.
Aussi, malgré le rC)k délennill,Hll des éléments récurrents, canevas pt;f1llelli.lJl[
!\\".xpressiull illilllCITofllplle du souf/lc épique, l'improvisation des griuts oInarÎens resie le
l<"l;pt;tck pilr C,\\CCllCllCL: de l'épus. Faclt,;ur lliJIT,llif esselltiel, la liberté de créer enrichit le
tissu 1li.t1Ti.llif, f~lcilîlallt aussi la transmission du verbe épique dan.') le Lemps de la
performance. Aill~i lè lxsoin communicatif pousse les aUleurs;l articukr all noyau narralif ck
hase des récils secondaires variables cl v'lriés. ft s~ crée alors sOllvent lIrlC accuillularion
Il'uTalive que l'épopée d'El J!adj Oillar Inet parliculièrelllcl1[ eil relier peilll;llill'iilitialion clu
héros et aux joutes oraruires dll Caire. Ces inslants, puisés à d~s.<;eili dans la carrière
illlellèctuelle d'Olllar·, expriment 1;1 dyn;lmique des techniques d'élabor;lllon de 1'<~poJléc du
jihâd, lieu où collaborelll l'oralité cl l'écnlurc.
Il- LES VARIANTlôS A L'INTERIEUR DES BRANCHES
li conviellt de rappeler que la narration de la gesle d'Omar se structure autour
des cinq phases évoquées plus hau!. A panir de ce schéma. 1()[a le Ille il 1 ou p,Iflieileule11l
<!rtc:-;lé par Ie:-i versiolls omaricIlllcs, la Ih.:rfonll<lIICè ljtJèr~ la LU1Ulisie des prolL::-isÎullllc!S clu
1°) VAlUATION
Si l''-'il considèrc Ics strilClures clu poème lie I..y ct de lit Qucida Cil pOIl/ar, Oil
constale lIll trailclllt.:lll original dt.: 1~1 variatioll des sch~lll;\\s /l;lrrali[s. Tout d'aburd [JY,
vouiaui trailcr de 1;1 dernière b;llitille décisive du jihâd olll;ll·jell, Sc voit obliger d'évoqucr lit
n'i!:)S:lllce. le jihâd. le pèlcrill;lge, la disparitioIl. Seule li.! formalion du Cheikh eSl passée
S0US silence pt!]' ce puèle qui Il'l:lIvisage que l'apugéc de son CilCikh.
l'lus slructurée, La Que,,/u enl"enlle lit vie du Cit,,;kh eillre le pèlerinage cl I~
.:ilJ:ld. EVC'lllant l'après jihâd, die tr;:itl'- de la disptlritÎoll alors (]il~ la rOfl1latiOll dl! Chc.ikiJ c~i
:")i.l\\~i;l1;tirL:mellt hrossée: en 15 vers le poèle expédie les trois prciIlièn:s années d'Olllar. suit l
'"Ii,.:(S PUlij deux lins. L'auteur, "lIJl llluj<1hid", ne selllhic iil\\~ressé qllL: par Cc qu'il sail
le
:i/<H!.
La variation pone alors ciIez Ly sur la IUllc COntrc le Macina où il se faill'écho
,!<os traditions plus mythiques qu'orthodoxes selon lesquelles Cheikh Omar avail, comme
agents de son jihâd, un serpent el un oiscau. De même Ly prêle ;IU Cheikh Omar un discours

CHAPITRE Il[ - LE SCHEMA NARRATIf'
231
d'outre-tombe au cours duquel il rappelle ses dons, avanlde se présemer. NOlre infoIln'lIcur.
qui sc veut plus scribe que copistc l , ajoute, sur le mêmc mètre:. 1111 fragmel1t où il esaltc les
;,'
cnCallts dc Chcikh Omar av,ult de COIlllulcr des priè;res pour tous les mUSUIIl1:II1S.
.;
La Qacida . lidèle aux Cormcs islamiqucs. débute avec la loual1ge ,1 Di..-u, :IU
Prophèlc, aux Chcikhs Ahrned Tidjâne et Omar. Elle aborde par la suite son sni,;t. h gUl;II''-
saillte, qu'elle décrit IllÎnlllieu~elllcrl[, en enlrecoupal1t le récil d'1I1v(:clives. cr en l'aC1h:\\';1~1!
par des prières et p:tr la deserillli(J11 du paradis "lllioul1".
En cnll1pararlf les (l'''Sl)ciatinll~ de thèmes, 011 nnle en filigranl' cks cliv;lg'-':-; :
pèleril1age/jihâd, disparitioll/paradis. Bicl1 quc lejihâd ct le p:tradls réslIInel1tla prélx:cup,"i,,"
des auteurs. ils S0l11 diCCéren11l1èm rr'lités parce quc sounlis il la liherté de Ly ct il l:t rigueur llc:
Tyam. Un ::lutre élément mérite l'attention: les deux auteurs s'insèrcllI dans l'oeuvre COllllnc
pour la signer dc l'il1térieur, mais il dcs momcl1ts diCférellts : alors 'Iuc Tyam signe
clairement, Ly use d'tUl fJosl-scrifJlIll1l qui permct aux autres décl,"n'lIclirs d'el1tr':r par celle
porte laisséc ollvcrte.
Les textes cOllstitlitiCs dc notrc corpus étal1t additiCs ne pcollnettcnt P'" lUI':
étllcle systém:lIiquc de !;i V:lrl;llJOll. 1\\ cel effe!. IH1e cornp'lraist..)1l ;\\VI:C d';llJlreS IL'XI~-,>
s'imposc. On pCUl envisager ics récits rcl:Hifs à l'initiation d'Om::l!", au sens des dix prcmler..;
n0l11brcs, aux joutes oratoires du Caire, au contact avec les lettrés peuls, cnfin au sens du
nom d'OrnaI". Il est utile, du rcste, de s'alTêter il ce dcrnier cxemple.
Alors que pour certains les leltrcs scrvant il écrire Omar2 signiCicnt : 70 ans.
40 livrcs composés par Omar. el 200 b'lIailles livrées par lui: pour d'aulres. 70 désignent Scs
années. 40 ses marabouts qui Cinircnt tous par devcnir scs disciples. enlïn 200 Je nomble de
disciplincs maîtrisées par le Cbcikh. A l'évidcilCè, la prcmière interprétation se vcut plus
tnytbico-épique que la dcuxièmc néc cn milieu inteliectucL Il est aussi intéress;lIl1 dc nolcr
que la mission de Ix)ns oCrices omarienne au Macina donne lieu il des récits variab!cs surtout
chez les griots.
2°) UNE OISTRIBUTION DIFFERENTE
La variation dcs schémas narratiCs implique leur libre distribution il l'intérieur
dcs brancbes primitives de l'épopéc. Alors quc le jibâd el sa récompense Coealisel1t 1',"tentiol1
des auteurs de Lez Qacida et du poème composé au Macina, l'élaboration dcs hral1ches
1
Alors que
le
copiste
se
borne
à recopier un
manuscril,
le
scribe
l'cnrlchil
2
L'oralité
el
l'écriture
ménagent
loujours
des
rarallèles
s;,isiss:lJlls.'\\lill:11
s'écrit
ainsi
en
J\\r:lbe
'aïn,
mÎm.
rfl.
Les
doctes
onl
élabli
1';11
arithmosorhie
ulle
correspondance
entre
graphie
arabe
el
Ilombre.
f);lw-;
ce cas, 'arll ~7(). mÎm ~~() cl ra ~2(J(J.

CEAPITIΠIII - LE SCHEMA NARRATiF
232
suscite des récits secondaircs assez caractéristiques. La distribution s'opère à partir du noya"
narratif de hase pour favoriser alors de longs développcments sccondaircs.
Ainsi, centré. autour de !;llulle qui opposcjih;îdjSlc~ (;1 maciniens, Je prrt2111t' (k
Ly cn profile pour embrasser, poéliquelllclll, loure l:l vie du Cheikh. nI: Illêllle. Kalick)ll H;~
ne peut s'empêcher de mettre en vcdette les lIliri1t'.h;,S, bien que SOi\\ ïé:cil S'~ sil Ill': ,ili dd'.'~~l l~"
la can'ièrc d" héros. Sidi Mhêlihic.1. avant de traitcr d" jihiid. ",'III'i l les types soci,,'.!:·. " ;" ..
que leur conduilc. Il dor~lle, p:lr la suite, !Ille rel,:tio!l vivante. dujill;id. s'allilrc!allt VU1UIlIÎlTS
sur le bris des idoles et SIJC J'amhassade d'Omar à llamdallahi. Dans tous l'CO récits '" Ilut,·
lIll schéma unique : ~ partir d'une phase nu d'Iln fragmelll de la gc~re, Je récif hifurque cl
construit une série de tableaux soigneuscmcnt articulés au noyall narratif. Il y a 1:1.
manifestcment, une simplicité stmcturclle qui se m'lIlifestc par une illxuri'lllcc épisotliqll"
souvent digrcssive.
Une telle struclUre confère :1 l'épopée du jihâd une architecture complexe.
malgré l'existence d'une rna/rice génétique HlICSléc p:lr tOtlles les versions, uù sc grelïcJlt
diverses branches secondaires. Cesl I:'! que s'exercc le talent de l'artistc, ch:lrgé cl'orgallisci
un récit à travcrs une masse hrute. Sa tâche s'apparcnte alors à celle d'un orfèvre:
"Dans l'agencement
syntaxique domine la paralaxe ; l'absence dc
concalénation stricle permel, au gré de l'exécutant. des modifications
textuelles par ajouts ou rctraits ; le récit juxtapose. sur le même plan, scs
inform'lIions sur la naturc et les hnllllllcs. exclut le discours exégétique, la
subordin'lIion d'un accessoire second"ire :'! un csscntiel principal. Lcs
événements, clans un espace convoqué à comparaître et ~ revivre, COl1lillllfllJl
cohérent d'espace et de tcmps. manifestCl\\( ''l'existence tranquille dcs choscs
et l'effet, qu'elles produisent n,nllrelleillent" 1.
Ces lignes s'appliquent, presqlle lotalement :1 l'élaboration des schémas
narratifs de l'épopée d'I:1 Hadj Omar. En fait, une typologie des schémas narratifs des
différentes versi()ns de la geslc du jihiid, ainsi que son index:lIion sur la base du. prélèvement
des motifs récurrents, pennellrait de mieux comprendre la démarche de l'esprit qui ahnutit :1
l'élaboration de la strnclure du mythe héroïque. Il faudrait, pour faire uu débnt d'analyse.
collecter un cenain nombrc de versions beaucoup plus impon'"ll que celui dont nous
disposons ac:tuellCll\\CIlL Dans tnus les cas, les griots onl su mailllcllir un certain équili/Jrl'
entre motifs récurrcnts ct éléments variables. A cc tilre, ils ont confié l'invariallce iï la
mémoire, la variation :'!l'improvisation. Par aillcurs, pOlir empêcher cet ensemble fragile ,ie'
Lctlre de Schiller '1 Goelhe (2t
Avril
1797) citée par Madeléllal (1).), 01'. ('JI ..
1'.31.

·
__.
" .
ClIIWITRE III ~ LE SClŒi'vll\\ Ni\\RRATIIC
23l
dériver, ils l'ont soumis il l'cmpire de la répét1tiol1. Dès lors, l'alla lyse formellc du schéll1"
narr;l[jf débouche né.cess<lirelllcnt sur celle du méC:UlislllC de la création littéraire, ~ 1l10iJ1~ lk'
tOlllher dans Ill} fOrlll:l1iSîl1L: exs:!I1gue.
;\\ cc sujet. la stricte :ul;dysc j'Cll"Jlldle telle qu'clIc s'expriille;{ tr;\\Vers !'i:'_~'nJ'.
formaliste, Pany, Lo.-d el Proppl Cf] p<lrtlcll1iel, IJ';llCOnk ljUl: pCl! d'illlé!-êi_ al! dyr1(l:1;1\\lli~_
iciénlngique el f)sycilo!ogiquc ôe ];l n;lrrat)OIl. Elle' s';lltacill~ pel! Ù :Jppll..~cier lès rnt)lÎv;li:(':I',
ré-clles Ljui concllll:\\\\:111 UJ1 artiste ;1 r(dCIl/;liiscr C0I1Sl;lIl1111eJlI ulle ucuvre adll~jsL C(I,!lIJ1{
relevant du p~lssé. En (1;lUtrcs 1enl1C:-; , Ic- formalismc, Cil refus:lJll de souJc-vcr 1;~
problé11l;llique l'omlalllcllul]e de la n~Jérc.l1Ce;1 LI dyn;Hlliquc socio-historiquc, limite sa pUrl0~'
tjU;llH à son appliclliCJJl Il la littérature orale Cil ~é-II(~r;l!, :1 l'épopée rJlllaricnrlL' L'il p~lrticuiieJ
La donnée socio-lIisll1riqnt :-;'il11]Juse ici ù notre lecture du schélllil Jl:lrraIJl" de
l'épopée dll jiil:,d oUl1lodèk tiléocr"llllll". I\\ll IC1Hkl11""l de la cré<ltion dcs tiléocr"ties peilles
et tnlleollicurs (rnllt:J~Dildln" 1725, Sokoto ISOI, 1\\'111('in11 ISIO, FOllt;1-Turo 17'7('1,0"
assista:1 Ui:C véïitah1c rC:VcllltiuIï clIllurelk cl:],'l;; ces pays. Pour miLllx dJlfuscr L; IlU!;"",:!.lr,
religioll en miliell [,lïulIc!lemelli p;lÏCll Cl PI"I..l(u[H!éll1Clll aJl;t1ph;l/1l~te. le PUllvoir tiléoCLlllljlir'
ouvril des éCD1cs, c11:1I-gée.:~ d'il1Clllqll •.:·.r au pCllp!C les rudiments dl! CC·ClIl ;1U '1l'P;lll pl!i~. :)~-r;
à pCI~, de {f;mscrire le poul;\\!":l j'aide de la p.r:lphic ;lr;l!lc.
L'historien
David
Robinsoll
peIlse que
"celle codific:JliOJl e~l tJl~:':
prohablemcJ1[ ]a plu~; îlliporLante uHllrihlIliUIl (HleSl-arricainc ;) l'héritage islamique: lé,~al"2
parce qu'clic fut ;llIssi le pOii!! rlc cl l'pal' d'tille Iltlérlllllre islamique très Ilurisslliite. Dans cc
Sl:J1S, Ousmane 1J~!n Fc,Jjo créa:w Sokoto UJle Iill'Illilé peule aV;lI11 d'entreprendre SOIl jih;îc!,
enl:l f:l(;OIlIl:lllt a p;lnir de sermons cntièrClllCl1! lé<!Jgés l'Il peul.
Âu moment OlI naiss:JÏt aL! Nnrd-Nigéria une linérature pelde islamisée, llne aulre ~c
dévcloppl1it sous III félllic cles érudils cie l>abé au [;ou",~l)jallon. Alors que le public baigllail
dans l'oralité, l'élite illtcllcciue!lc I)rûlail de comlllu11iqucr entre elle par écrit poular:
"Je citerai les i\\lllhcllliqucs Cll languc peulc pour t'en faciliter la
compréhension. En les clllelHialll, 11ecepte-les.
A chacun, en erfet, seule sa lallguc pcnnct
de saisir ce que discnt les Authcntiques.
Pany (M.), 011
cil.,
Lord (1\\.), Tite singer of wk"
Cambridge,
196E.
Propp
(V.), Morphologic
du COI/cc. P;lIis, Seuil
1970.
2
Robinson
(D.),
La
GJ(crrf.?
Sain[f'
(l'Umol
'l'al
dans
Le
}}rwf
.<;é,I(~;':(11 ,~! fi'
,11o)'c!l
NiR('''
(Ilad.
Vui1clllin),
illé-dil. Il.
227_

( '} L, l'ITIΠIII - 1Ji SCI JEMA NAl<HATIF
234
{\\Ulllhll::'h.: l\\:ub Ile p{~llètrel1t pas C~ qui leur ~Sl cnseigllé
pal r<lr;lbe cr (knleUrenl dans l'incen<lin,
!<eposcr sur l'incerl<lin, d<lns les oeuvres du Dcvoir
ne surtït pas en paroles, nÇ suftlt pas en agir.
Qui recherche la clarl6, d'incerjlwk dépourvue,
qu'il lise dOllC Cil peul, C<...'S ver'.') du perit hOI1l111e"]
Ces vcrs de Thierno Samba M"lllbèya, clerc peul auleur de Oogirdé malal 2
e:llièrement rédigé en peul, soulignent nellemCIlI l'illlerférencc de l'oralité et de l'écriture
dans les théocraties peldes.
III· L'ORAl 'TE, L'ECRITURE ET LA DIFF-USION Dl, L'ŒUVRE
La perform<lnce cie l'épopéL d'El j'Lldj On"'1 Illel en le!iél 1<1 dynanüquc
slIscllée par la cullaboration de l'oralité cr de i'écrilllfè; pil~!)()lll(:l1ecaracltSrisl!l}uc de la gestt
pl':llie- islamisée3. Les lextes (iL Jlotre corpus illuslrclll aussi Cetle interaclion : alors L}lIe les
'/,:~:--:;(HlS 1.1e :-;idl Mhnlilid et de Kalidoli lU reS10H CSSGlJlJC]killClll orales, cc.lk de J-bllllll{i[
''';:,l'/Jd porte n!;[fliksit:llJt:lll /a 111arqut: dc !'éUll. Ui: aS>l~lt, Cil pi liS, ;1 Lille i.:irculallull
'P<'·.":-'IJ1tL' de !c\\:rc:s (i;IIlS Le~ vcrsiuns, IouleS C,Jidcll<iii1 ;dl'\\.)] (j(;:, VC-ISCl~ llU CUr;lIi l.:l de;.,
'\\jll,--:--si()Jl~ ;lralx'). Sjl~i tvlhôlllid, p;lr cuqlltllenC. hUi souve-JlI des l:JllprUlll~;tu t"rall\\:ais, cc
lIti!
IH:'llI. s'expliqucr aUSSi 1';\\1" lIll SOUCi de l11odcrillScl" sun ;In, par 1111 t)esoill de
CnJ1l11Hllllquer avec url public plus jellllc, Ignur,lJ1i le poular archalL]ue, clllïn pal" vanilé
gllullqlle.
QuarH Ù l'or;l!i(~, die. fOllrnll le cadre Je COIllIl1LJJlicalioll de l'épopée...: : l'anistc,
iè 1L:t..::t el le public. Yis<llJ1 un ~lr! ln/al, l'oraJjl~ expluI(e (UUléS les ressourCéS du corps pour
l'n:er Ullè CDrlllllUllic,llioll glohale aVeC les Sp~CUllt;lIrS jJl1pllqli~S par j\\.-:x~(;uli()rl de l'ucuvn~_
/ "'::':01 ;lJnsj qlle'. Jcs indices J"onllds, éomJlle l'Ill ilis:1l iotl de J:l voix, pen1ieilelll d~ r~a)iser Ull<,.;
','n()fH;i~\\linn spécilïljll~, avec culllme signe U~ C0ll1pl1Cil~ l'<l!Japhore ou les ill!rusiOI\\S LIll griOt
'~;1I1" I~l. llarr'itiofl.
R~CllGil
de
hadilhs
uu
lradilions
proplJ~li4ue.s
IlIOhaJJllnédjennc.s,
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pal
Bouk/lnri
cl
MO[Js]irn
(cetle
nole
relève
dG
nous).
Saw (A.
.l, Le FilfJn du Bonheur i/ernel. rari:-;, 106 i, p.43.
Voir
aussi
uolre
article
"L'épopée
D'El
Hadj
Omar.
enlre
['oralité
Cl
J'6criwrc",
à pélraÎIf"l~ dans ks Allnales de la Facilité d!!s LClln:s Cl Sciences
Humaines,
Universilé CAD, Dakar.

, .
,~ _.' ..
"
L'oralité, c'est aussi les ornements du langage ou éléments paralinguistiques
comme la mimique, la musique. Ecoutons à ce propos une des créations de Sidi Mbôthiel,
."-
destinées sans doute avant tout à chatouiller l'oreille:
"kikka kaa waaja, kaanitï.a waaja
kikka keke waaja, keke nceri waaja
kikka keke, kLkka kaka
kikka kaalu, keke waaja."
Le griot donne ici l'illusion d'un univers féerique pour captiver l'attention de
l'auditoire. C'est sans doute ce qui détermina les lettrés à puiser dans cet art, en s'ouvrant
ainsi à l'influence de l'oralité: La Qacida en poular et le poème de Ly sont, à ce sujet, des
exemples vivants d'oralisation de fomles écrites. Inversement, des traces de culture écrite se
retrouvent en grand nombre chez des griots comme KaJidou Bâ, Sidi Mbôthiel, Abdoul Ata.
Un pont rdie griots et marabouts de l'épopée omarienne, dont l'art corse le
schéma narratif d'apports spécifiques pour donner la grande épopée du jihâd. Mus par le
sentiment de susciter des adhésions massives il leur cause, ils puisent dans les formes
traditionnelles les ressources capables de véhiculer le message islamique. Cette fusion
formelle est particulièrement adaptée il la dynamique socio-hislotique, et particulièrement au
modèle Ùléocratique.
Ainsi, au lieu de s'opposer, l'oralité et l'écriture se complètent" Au ras des
faits et dans le fil de l'histoire, ces tennes apparaissent comme les extrêmes d'une série
continue. Des traits qui les opposent, quelques uns, certes, sont incompatibles, sinon
contraires (ainsi le recours à la vue dans un cas, à l'ouïe dans j'autre); mais la plupart ne
sont que de degrés, la différence consistant, de manière très variable, en un plus ou en un
moins (ainsi en ce qui concerne les limites spatio-temporelles du message)" 1.
Les manuscrits et les versions épiques du jih:îd omarien confortent cette
Du point de vue de la diffusion de l'épopée omarienne, les manuscrits et les
productions orales vivent une situation originale" L'épopée orale, ayant la mémoire pour
mode d'existence, trouve dans la voix une transmission qui lui permet de subsumer l'espace.
De nos jours, les mass médias contribuent aussi puissamment à la diffusion
des fonnes orales. C'est, du reste, en se fondant sur ce critère que Ramon Menendez Pidal
~/ définissait comme "poésie populaire" des compositions de date récente, répandues dans un
public assez large pendant une période plus ou moins brève au cours de laquelle leur fonne

~) -. :-.
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demeure à peu près inchangée. Par opposition, il considérait comme" poésie traditionnelle"
des pièces non seulement reçues mais collectivement assimilées par un vaste public en une
action continue et prolongée de recréation et de variation 1.
Bien que pertinentes, ces définitions de Pidal ne s'appliquent que partiellement
à la geste d'Omar, et moins encore à la liuérature pulaar dont le critère classificatoire repose
plutôt sur l'organisation sociale.
Quant à l'épopée savante et aux fonnes islamiques de la littérature peule, son
mode de diffusion connaît des fortunes diverses. Propriété exclusive de son auteur, le
manuscrit est rarement destiné au public. L'auteur peut cependant autoriser un scribe ou un
copiste à le reproduire pour un usage précis, par exemple dans la perspective d'un don à un
parent ou à un ami. Mais, en général, les détenteurs des manuscrits refusent de les diffuser,
préférant les conserver comme des reliques, ce qui interdit évidemment leur circulation. Dans
le même sens, on constate que les modes d'existence et de diffusion de l'épopée d'Omar
restent inséparables du métier de compositeur, ce qui explique la forme stéréotypée des
manuscrits et des perfonnances griotiques. Il y a manifestement une relation organique entre
la composition et l'exécution des versions de notre épopée. On sait, par exemple, que
Moharnadou Aliou Tyarn composait La Qacida en pOlliar tout en donnant des représentations
qui lui pennettaient de recueillir les critiques et d'améliorer son oeuvre. De même, l'examen
de la plupart des manuscrits omariens prouve qu'ils furent composés pour la récitation, ce
dont rend compte, en particulier, leur prédilection pour les fonnes rythmées et la parataxe.
Une autre donnée explique aussi le choix d'un tel mode de diffusion: la
diversité et la variation des publics auxquels étaient destinés les manuscrits omariens,
nOlamment :
" Le caractère mouvant des récits tient, avons-nous dit, aux circonstances à
chaque fois différentes de la déclamation; il serait donc faux de renverser
l'ordre des tennes, et, prenant pour constantes les circonstances de la
déclamation, de supposer les chansons bâties sur ces constantes,,2
Les textes de notre corpus s'inscrivent aussi dans cette perspective: griots el
marabouts varient leurs oeuvres au fil des ans ou des perfonnances. Aussi l'existence d'un
noyau narratif de base chez Sidi Mbôthiel, Kalidou Bâ et Hammât Samba Ly, ne les
empêche-t-il pas d'improviser, sur le même modèle, d'autres récits. De leur côté, les
manuscrits omatiens, malgré leur caractère constant, laissent une marge d'improvisation au
1
Zumthor (P.), op. cil .• p. 23.
2
Rychner (J.). op
Cil, p. 48.
-."

CHAPITRE ID - LE SCHEMA NARRATIF
237
scribe, sous la fonne de brèves notations marginales ou infrapaginales, après transcription
minutieuse de l'original. Ainsi, assuré d'une large diffusion grâce à la longue chaîne de co-
auteurs acquise au fil des ans, le manuscrit omarien peut alors souvent présenter des couches
différentes résultant de remaniements inévitables:
"Les remaniements conservés se révèlent comme soumis à deux tendances
opposées. La principale, celle de l'amplification inventive, ajoute de
nouveaux épisodes et des incidents qui accroissent l'intérêt du récit. La
secondaire, celle de l'abréviation expositive, condense l'exposition des
thèmes déjà connus.. ." 1.
Le double mouvement s'observe aussi dans les manuscrits et dans les récits
oraux omariens dominés par la compilation des premiers auteurs et la collaboration entre
auteurs et compositeurs. Il convient de préciser aussi que le mode de composition et de
diffusion des poèmes et des manuscrits omariens limite leur portée. Cependant, malgré
l'originalité de ses modes d'existence el de sa diffusion, l'épopée d'El Hadj Omar ne fait que
s'inscrire dans une tradition devenue classique. Un éminent spécialiste des chansons de geste
résume excellemment ces questions essentielles:
" Que toute la littérature narrative écrite en vers au XIIème et au Xlllème
siècle ait été composée en vue d'une diffusion orale par le chant, par la
récitation mimée ou par la lecture expressive, c'est chose parfois oubliée mais
pourtant bien connue. et il va de soi que cette liuérature doit à son mode de
diffusion certains de ses caractères particuliers"2
Dans la geste d'Omar aussi, le travail des griots et des lettrés rappelle
curieusement celui des jongleurs et des trouvères, la seule différence étant que l'épopée
islamisée s'est greffée à une tradition orale vivante, alors que dans les chansons de geste
l'antériorité de l'oralité par rapport à J'écrit divise encore les spécialistes.
En définitive, en diffusant les versions orales et les manuscrits de la geste
d'Omar à la suite des fonnes de la lillérature pulaar, le long des pistes migratoires et aux
quatre coins de leurs théocraties, les Peuls ouvrent majestueusement leur genre majeur sur
l'extérieur. C'est ce dont prend parfaitement conscience le lettré toucouleur Thierno
Alhassane Diaw de Wodobéré, plus connu sous le sobriquet de Thiemo Boy:
Pidal (R. M.), La chansoll de geste et la tradition épique des Frallcs,
2éme
édit. Paris, 196ü,p. 82.
2
Delbouille (M.), "Allocution" ill Actes du Colloque de Liège, 1957,p.17.
" o .

cHAP1TRE III - LE SCHEMA NARRA HF
238
1." Haala yoo feew, teeya, laaoa, tan gOOQcPa,
2, WeI a, yurrninoo, sifoo, finndina, jirwa, jiloaani.
3. Sabu So kOQngol welaani, yurrnaani, nannaaki, gooQcPaani,
4. Aybinat biicPo tawa hetlioe paamaani.
5. Kono soko oernde winndii, masii, haggille saatiima,
6. Demngal wiya ko teeyi, nanne la.loi jiloaani" 1.
l " La parole doit être belle, pure, limpide, entièrement véridique,
2. Agréable, émouvante, explicite, édifiante, animée, intelligible.
3. Mais une parole désagréable, désobligeante, inaudible2 , fausse,
4. Discrédite son émeueur alors que les auditeurs n'y comprennent3 rien.
5. Mais si le coeur écrit, vocalise4 ; et si l'esprit revoie et corrige,
6. Alors la langue se délie aisément5, puis se fait entendre [un discours]
limpide et logique".
Extrait d'un "bey toi"
de Thierno
Alhassane Diaw de Wodobéré, plus connu
SOus le sobriquet de "Thiemo Boy".
2
Cel adjectif revêt ici une dénotation logique.
Mot à mot: qui ne peut être appréhendé par l'ouïe.
3
Mot à mot: alors que les autres n'ont rien compris.
4
Le
poèle
décompose
ici
les
phases
de
l'écriture
arabe
écriture,
vocalisation,
relecture,
correction,
lecture
finale.
5
Mm à mot: la langue dit ce qui esl pur.

~'r~rn,.,,- .'
Silaamaka cl Pullooru.
Le noyau narratif de base
Silâzpaka (ooble) et FoylÔri fcapyD
l'impôt révollc
Consu\\t.aLÎon d'un
Poulôri plus âgé ou oaissance simultanée
• Ardopayeun
imJ>Ô1 annuel
lcs cnfanL'i
devin ml d'un marabout
• quêtedu Lalisman
magique.
Capture du serpent
Préparation du gris-
gris par des maîtres.
Efficacité du t.ausman :
Maîtrcs exécutés:
Epiphanie héroi"que :
Trahison de
ceînture magique
• maraoouL, cordonnier,
ennemis exterminés
Silâmak, à
vérifiée au marché
forgeron
suppression de l'impôt
cause de sa démesure
• l'ennemi prépareune
...
Ultime combat de
Silâmaka meurt, victime
arme magique: fU.'.che funeste
• Silâmaka éloigne Poulôri
en renvoyant loin
SiJâmaka qui
de la flèche funesTe
extermine l'armée ennemie
tirée par une femme ou par
un cnfam incirconcis nu sur W1 arbre
Silâmaka assis sous un arbre
Tour démllli.ué à travers
PoullôrÎ atLaqué

les ferrunes lui jouent
Bravoure
Retour de ]Joullôn
un tour en lui cachanl \\11
• la gloUionnerie du sosie de

par l'ennemi
~
de Hou:rêra la
mon de SiJaruna\\.:.a
Silaamaka. Poullôri TlJe
Il en extermine
fcrrune de Poullôri
l'impudent
une oolUle partie
... Disparition de Poullôri
avec une panic de ses ennemis:
N
dans une île, dans, un fleuve,
VJ
N.B. In\\'ariants thémathiqucs avc.c vuiation dcs schémas narratifs.
dans l'air. Apothéose
\\.0
;<
el mythification,
Deux éJX'pées conjointes: Epiphanie Silâmaka, retour de
Pou lIôrî.
f
t

~,~'r"""';
. .,..
t.-:
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~~~·1.~t~~~~~{~~~~""~~~
~
i; .
I~'.~,·~··'F"·,,..PJ::..·
,1,,"
.•
.,
.,
L'épupée d'El Hadj Omar
Le noyau narratif de base
Naissance
Formation
Pélerinag~
Jihâd
Apothéose
Miracles à Ha1wâr:
---t.~ L'intelligence d'Omar
Omar revlenl
Onar conquiert un vaSle
DispariLion myst6icusc à Dégucmbér,\\
~
La mère d'Omar reste pure.,
lui aliène lous ses maraboulS.
"plein d'usage Cl raison"',
empire musulman
dans les falais.es de Bandiagara. à la sui:::
Un COUIS d'eau apparail: "Njaajalol"
li accomplît des miracles
auréolé des titrc..~ d'El Hadj
allant des riVc.s du Sénégal
d\\mc asphyxie Ou sumaru.rcll(~mcnt.
CI de. Khalife. RClOur triomphai.
aux rives du Niger
Mythification.
N.B.lmarîams Ù"lémaLiqucs avcc varia Lion des
schémas narratifs.
Thémalique idcnLiquc à celle des épopées pcules,
avec une distribution différenLe.
>-~
~ :,

CHAPITRE IV
LA GESTE D'EL HADJ OMAR C()i'l'!iVIE REl'iŒSENTATIOi'i !lI
i'l'ION DE
-
-."

CHAPITRE IV -LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
242
La polysémie des mots épopée et épique renvoie à une esthétique ou à un
mode narratif, à des formes de récit ou à des spécificités textuelles, enfin à une vision du
monde. Cef(~ dernière caractéristique de l'épopée semble résumêi--~t dépasser les autres,
puisqu'elle renvoie 'au fondement du genre. Le substrat idéologique domine donc
J'élaboration du genre et inscrit J'ensemble dans une perspect.ive à la fois cosrrtique et
ontologique:
"L'homme veut obtenir de la poésie épique sa propre image, plus nette, plus
intense, l'image de sa pratique sociale. L'art du poète épique consisœ
précisément à répartir correctement les valeurs, à accentuer correctement
l'essentiel" 1
Ainsi le projet ontologique implique une dimension épique qui renvoie à une
représentation du monde. S'inscrivant dans la même perspective, J'épopée d'El Hadj Omar
donne ici toute la démesure classique de son talent.
A) L'EPOPEE D'EL HADJ OMAR, MIROIR DE SON TEMPS
Poème déclamé au carrefour du mythe, de la légende et de J'histoire, J'épopée
reflète dans une large mesure la société qui l'a suscitée et qu'elle ne cesse aussi de modeler à
son image. Il se crée alors des liens dialectiques qui figurent les rappons complexes qui se
nouent sans cesse entre J'épopée et l'histoire. Cette complexité s'était posée à des lecteurs de
l'flliade se demandant si l'aède était contemporain des événements que chante son poème.
Gustave Germain pense qu'une certaine distance s'interposa entre l'auteur et les faits
historiques rapportés:
"... Le lointain de la perspective est nécessaire à cette transformation qui,
épurant la réalité, finit par en faire un idéal. Pourtant il n'est pas moins sûr
qu'il vécut à une époque où les âmes étaient tout émues de la même guerre et
qu'il fut témoin ou acteur de drames analogues, tant il y a de vérité dans les
descriptions où revit la mémoire des Gestes accomplis par la Grèce féodale"2
Nombreux sont les chercheurs qui estiment que, malgré tout, l'Illiade et
J'Odyssée représentent bien une certaine Grèce, même si les fouilles archéologiques refusent
Lukàcs (G.), Problèmes
du
réalisme,
Paris,
1957,
pp.145-146.
(trad. de
l'allemand).
,
,
2
Marlet (G.), Le problème homérique, Paris, 1961, p.131.
(~
l-

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
243
parfois de confirmer Homère et ses homérides. L'épopée d'El Hadj Omar, par contre,
suscitée par le jihâd, fut écrite et composée oralement au moment des événements rapportés,
/
/
c'est-à-dire au moment même des faits. Or, dans cetté société de tradition orale où la graphie
arabe ne fit son irruption qu'avec les jihâdistes, du moins ce fut le cas dans bien des'
contrées, l'épopée tient aussi lieu d'histoire..
Cependant les historiens africanistes préfèrent s'appuyer sur la matérialité des
faits du jihâd, ce qui implique un traitement de la réalité différent de la vision épique. Il se
crée alors des écarts entre la description historique de la situation du Soudan Occidental à
l'époque du jihâd et la représentation du monde qu'en donnent les versions épiques. La
confrontation de ces deux approches d'une même réalité éclaire la représentation du monde
que véhicule la geste peule islamisée.
1 - LE SOUDAN OCCIDENTAL A LA VEILLE DU JIHAD OMARIEN D'APRES LES
HISTORIENS
Le jihâd omarien eut pour cadre d'opération un vaste ensemble allant de la
Haute Sénégambie à la boucle du Niger, et des montagnes du Fouta-Djallon au désert du
Hodh. Gigantesque mouvement, le jihâd imprima une marque singulière pendant près d'un
demi-siècle sur ce monde, qu'il plaça sous la bannière de l'Islam dont il bouleversa les
structures traditionnelles.
JO) SITUATION POLITIQUE, ECONOMIQUE ET SOCIALE
A la veille du jihâd omarien, l'occident soudanais, d'après les spécialistes de
celte période, vivait dans une certaine inertie l, indice d'un déclin, perceptible dans Je
morcellement des états et des royaumes indépendants. L'Islam et le commerce transsaharien,
les deux forces qui animaient le Soudan depuis le XVlème siècle, surtout les empires du Mali
et Songhay, déclinèrent au profit du commerce transatlantique des esclaves qui dura environ
trois siècles.
Sur le plan politique, une insécurité pennanente régnait à la veille du jihâd
omarien. La guerre de razzia suscita une classe dominante qui exploita les couches sociales
les plus faibles, provoquant d'importants mouvements de population.
La situation économique était aussi assez préoccupante, marquée par des
invasions de sauterelles, des sécheresses, des famines. Le professeur Cunin2 montre qu'aux
1
Robinson (O.), op. cit.
2
Curtin
(D.Ph.), Economie Change in Precolonial Africa
Senegambia in the
area of the slave (rade, Wisconsin Press,
1975,2 vol.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MOl\\'DE
244
XVIIème, XVllIème et XIXème siècles, des cycles de famine de cinq à dix ans s'installèrent
en Sénégambie, el plus généralement dans la zone sahélienne. Le commerce, par conrre,
portait généralement sur les captifs, les produits de cueillette (gomme, ivoire, or, sel), les
ressources agricoles. Aussi les échanges passèrent-ils rrès vite aux mains des Dioulas
mandingues ou soninkés. Ceux-ci inrroduisirent les produits manufacturés apportés par les
Européens au Soudan, mais leur portée fut cependant assez limitée, et par conséquent ils
n'apportèrent aucune innovation, dans le domaine agraire par exemple, d'olt une certaine
stagnation de la productivité.
Au Fouta-Toro, dès 1776, la Révolution torodo renversa le régime
"denyanké" des "Satiguis" ou Peuls païens 1, puis instaura l"'Almamyat" ou théocratie.
Refusant de se placer à la tête de la nouvelle institution résultant du mouvement qu'il avait
dirigé, Thiemo Souleymane Bill cèda ce rôle à un aurre membre du parti maraboutique auteur
de la Révolution: Abdoul Kader Kane. Celui-ci s'établit à Thilogne, dans le Bosséa, et
adminisrra le nouvel état selon la "charia". Une nouvelle aristocratie, les 'Toorodbe" (au
singulier 'Toroodo") : les gens instruits, se substitua alors à l'ancienne aristocratie qui tirait
son pouvoir de l'épée2 Le pouvoir almamal connut progressivement des crises, découlant
de la nature de ses institutions, qui culminèrent surtout après la disparition de ses pères
fondateurs et devint" une royauté théocratique, élective et islamique, dans laquelle des
marabouts détenaient l'autorité"3
Le fonctionnement des institutions révéla très tôt leur limite
divisé en
provinces qui formaient l'état, le Fouta fut à la merci d'un grand conseil des anciens qui
élisait l'Almamy. A côté du conseil des "jaagorde" (au singulier "jaagorgal" ) ou grands
électeurs, se rrouvait une assemblée populaire fomlée par les fidèles, ne bénéficiant que d'un
pouvoir purement consultatif4 Dans les provinces, l'autorité de l'Almamy devint plus
nominale qu'effective: "... ces fiefs, ces apanages et ces principautés étaient de véritables
souverainetés. Loin de dépendre de l'A Imamy et d'obéir à ses décisions, ils jouaient au
contraire le rôle d'exécutifs locaux de droit, dom les pires agissements laissaient l'Almamy le
plus énergique absolument désarmé"5. Alors, les intrigues s'ajoutant aux ambitions
Le statut des "Satiguis" divise les auteurs : alors que certains eSliment qu'ils
étaient 'des Peuls païens, d'autres s'en tiennent à les considérer comme des
Peuls pratiquam un Islam tiède.
2
Voir à ce sujet, pour plus de détails, la Thèse de M. Oumar Kane, Le
Fuura-
Tooro
des
Satigi
aux
Almaami
(1512
-1807),
Thèse
de
Docloral d'Etat,
Université de Dakar',,)-986, 3 vol.
/
3
Froelich (J.c.), Les Musulmans d'Afrique Noire, Paris, 1962.
4
Voir Wane (B.), "Le Fuuta Tooro de Ceemo Suleymaan Baal à la fin
de
L'Almamiyat(l770
-
1880)" ,in Revue Sénégalaise d'Histoire, vol. 2, n0 1, Janv
- Juin; 1981.
5
Wane (Y.), Les Toucouleurs du Fauta Toro, Dakar, 1969.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME KrYKt.~t.N1A llUN LIU 1V!Vl'UL
personnelles réduisirent le régime almamal en affaire de clan ou de famille. Cesl ainsi que
Almamy Birane et Almamy Youssouph, bénéficiaires des intrigues des grands électeurs,
monlèrenl plusieui's'i'ois sur le trône, au mépris des principes fondateur(d~ l'insriturion.
Aussi les "Toorodbe" occupèrent-ils toules les terres au déIrimenl du peuple, qui en plus se
trouva dans l'obligation de payer de lourds impôts au pouvoir central. Profitant de ce climal,
les Français lancèrenl une série d'expéditions qui se soldèrent par l'annexion progressive du
Fouta. A son lour, 1"'Almamyat" connut "le drame de toutes les constructions politiques
africaines aux prises avec l'impérialisme européen du XIXème siècle" 1.
Dans le Boundou, état théocratique créé vers 1690 par Malick Sy, après une
longue lutte contre le Tounka, ancien maître du pays, la situation devinl crilique au début du
XIXème siècle et finit par consommer la partition du pays entre l'autorité de Khoussan el
celle de Boulebané. A partir de 1850, Je pays connut une crise de succession qui dégénéra en
1852. En effet, Hamady Gaye, nonobslant le caraclère héréditaire du pouvoir, contesra
l'autorilé de l'Almamy Ahmad, cousin de l'Almamy Saada, installé à Khoussan. Gaye, retiré
il Boulebané, commença à lancer des raids sur Khoussan. Après la mon de l'Almamy
Ahmad, Oumar Sané, fils de Hamady Aïssata, frère de l'Almamy Saada, ne réussit pas il
apaiser la situation. C'est dans ce cadre de trouble généralisé qu'El Hadj Omar arriva au
Boundou en 1854. Les habitants de Khoussan rallièrent sa cause, contrairement à ceux de
Boulebané soutenus par les cavaliers bambaras. Ce fait n'a pas échappé à Sissokho,
historien khassonké :
" Le Boundou, déchiré par la guerre civile, se rallia lout entier au jihâd et lui
donna des chefs comme Koly Mody, dont les exploits doivent être chantés par
nos poètes"2
Au Sud-Est du Boundou se trouvait Je royaume du Khasso où Massassis et
Khassonkés étaient en conflit. A l'arrivée d'El Hadj Omar dans ce pays, la tension était
apaisée depuis peu de temps. Mais le calme fut de courte durée: un nouveau conflit éclata
entre Khartoum et Dioukha Samballa 3 , le premier s'allia à Cheikh Omar, le second au
Français.
De tous les royaumes du Haut-Fleuve, seul le Bambouck semble avoir ignoré
cette situation de crise interne.
Saint - Manin (Y.), L'Empire loucouleur el la France
Ull
demi-siècle de
relatiOlls diplomaliques (f 846 - f 896), Dakar, 1966.
2
Cissokho (S.M.), "El Hadj Omar Tall et le mouvement du jihâd dans le Soudan
oceidental" , ill Revue Sénégalaise
d'Hisloire, Va!.!, OCI. déc. 1980. p. 50.
3
Pour plus de détail voir la première partie de celle Thèse : le point de départ
historique.

CHAPITRE IV - LA GES1E COMME REPRESENTATION DU MONDE
246
Quant au Fouta-Djallon, à la suite de la Révolution théocratique de 1725, il
s'était doté d'un état musulman d'obédience Qadiriyya. L'évolution poJjtique amena très vite,
à la mort de Karamoko Alpha;A1phaya et Sorya à se disputer le pouvoir. En arrivant diÎn~ ce
pays, El Hadj Omar mit fin aux luttes des deux farrtilles, aussi de nombreux partisans des
deux camps le suivirent-ils dans sonjihâd.
En ce qui concerne les Bambaras de Ségou et du Kaarta, de tradition animiste,
ils échappèrent à l'Islam. A leur apogée, ils firent de nombreuses incursions dans les états
voisins, les pillant et en ramenant de nombreux captifs, et cela jusqu'au Fouta-Toro 1. Les
peuples soumis devaient en outre payer des rançons. Non loin de Ségou, Cheikhou
Ahmadou Boubou fonda au début du XIXème siècle l'empire peul du Macina, avec comme
capitale Hamdallahi. Cette théocratie connut son apogée vers 1830. Dès le règne d'Ahmadou
II (1843 - 1853) et surtout sous Ahmadou III (1853 - 1862), l'empire songea à s'étendre, ce
qui ne fut effectif que lorsque, quelques années plus tard, une colonne peule battit une armée
bambara près de Sansanding.
Ce tableau assez sombre reflète l'image que les historiens donnent de la
situation 2 qui prévalait dans l'aire du jihâd avant la venue d'El Hadj Omar. Ces états,
sérieusement ébranlés dans leurs structures, avaient perdu de leur vitalité. Cependant, malgré
tout, des relations économiques très étroites les liaient. De plus, la présence française sur les ,
bords du neuve Sénégal pennettait d'apporter les produits de l'intérieur jusqu'aux complOirs
de la Côte. Né dans une théocratie en pleine évolution, Omar inscrivit son action dans ce
cadre d'extrême balkanisation.
2°), SITUATION INTELLECTUELLE ET RELIGIEUSE
Les spécialistes de cette période font remarquer que la régression politique,
économique et sociale entraîna une régression morale, spirituelle et culturelle. Liés aux
foyers économiques, les foyers culturels disparurent en même temps que les centres urbains,
leurs supports. On assista alors au retour de l'ignorance et au déclin de 'l'Islam, solidement
installé auparavant dans des centres comme Aoudaghost, Tichît, Oualata, Djenné,
Tombouctou 3. Intimement lié au commerce et au phénomène des villes, l'Islam soudanais
périclita en même temps qu'elles. En outre, coupé du savoir théologique et de tout apport
Voir à ce sujet Kamara, (C.M.), "La vie d'El Hadj Omar,(traduil de l'arabe par
Amar Samb)", in Bulletin de l'lFAN, série n, Tome XXXI!, Janv
Avril - Juin
1970, nOs, 1, 2, 3. pp.44-135, 370-411, 770-818.
2
Mauny (R.), Les siècles obscurs de l'Afrique Noire. Paris, 1970.
3
Cissokho (S. M.), "L'intelligentsia de Tombouctou au XVe et au XVIe siècles".
in Bulletin de l'IFAN, série B, T.XXI, n04. 1969.

O-lAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
247
extérieur, l'Islam se dilua et se transforma en Islam local, Islam noir, ou se laissa absorber
par la religion traditionnelle et rejoignit l'animisme séculaire.
Telle se présentait la situation intellecruelle et religieuse au Soudan Occidental
dans la seconde moitié du XIXème siècle, à la veille du jihâd omarien. Il y eut cependant au
début du XVlllème siècle et jusqu'à la première moitié du XIXème siècle une certaine
renaissance: des états qui n'avaient pas joué jusqu'alors un grand rôle dans l'histoire
s'affinnèrent.
Les états peuls: Fouta-Djallon, Fouta-Toro, Macina, Sokoto, furent secoués
du XVllème au XIXème siècle par une vague de révolutions théocratiques qui amena le
développement d'une vie' inteiIectuelle et religieuse florissante l . Celle-ci, c1'e~s~nce'
islamique se manifesta avant tout à travers des monuments: mosquées, palais, et par des
oeuvres écrites, poésie, littérature, chronique. L'enseignement qui véhiculait cette culture se
pratiquait à l'ombre des mosquées. Aussi chaque mosquée avait-elle sa ou ses écoles avec
son ou ses maîtres de renom, ce que traduit l'appellation mosquée-école.
L'enseignement comprenait trois niveaux: le premier, celui des débutants,
"Karanden" en "fulfulde", concernait l'apprentissage de la lecture et de l'écriture; le
deuxième niveau, destiné aux élèves qui avaient maîtrisé le Coran, "almubbe", était réservé à
la grammaire; enfin le troisième niveau s'adressait aux étudiants, "taalibaabe", devenus
adultes pour leur ouvrir les portes du savoir à l'aide de.la rhétorique, de la théologie, de la
logique, du droit, de l'astrologie, de l'astronomie, de l'histoire, de la géographie, de la
phannacopée. Cet enseignement s'adressait à toute personne qui en manifestait le désir. En
fait n'en bénéficiaient que les enfants des cités, ceux de hauts dignitaires, de riches
commerçants, qui pouvaient seuls disposer du temps assez long que réclamaient les études.
Malgré tout, les enfants du peuple avaient droit à la culture minimale nécessaire à la
connaissance des bases de l'Islam. Les élèves doués poursuivaient les études ct devenaient
enseignants, métier difficile, ingrat, peu rémunéré. L'absence de document sur le statut de
ces enseignants ne nous pennet pas d'être plus précis, mais l'observation aujourd'hui de
certains centres d'enseignement islamique traditionnel2 peut donner une idée de la situation à
l'époque.
Les maîtres ne recevaient aucune fonne de rétribution: ni de l'état, ni de la
ville. Les élèves et leurs parents en comblaient cependant certains de cadeaux somptueu'x.
Quelques rares professeurs, parmi les plus grands, recevaient des dons des souverains ou
Suret - Canale
(.1-.),
"Essai
sur la
signification
sociale
el
hislgûque
des
hégémonies peules, XVIIè - X1Xè siècle", in Recherches
africaines, nOI,
1969, pp. 5-29.
2
Ould
Mohamed
Adellahy
(M.
A.),
L'enseignement
traditionnel
et
l'introduction
de
['Islam
en
Mauritanie,
Mémoire
de
fin
d'éludes,
ENS,
Rabat, Université Mohamed
V.)198D-1981.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
248
des grands de la cour, parfois de riches négociants ou de riches pasteurs. On rencontrait
aussi des lettrés possédant une cenaine richesse issue, soit du commerce familial, soit de
propriétés agricoles cultivées par leurs élèvés. D'autres pouvaient avoir d'immenses
troupeaux de bovins, d'ovins, de caprins, ou d'équidés, confiés en général à des éleveurs
professionnels.
D'une manière générale, ces maîtres menaient une existence assez aisée qui
leur pemlettait de se donner entièrement à l'enseignement. Us fornlaient une vraie aristocratie
du savoir. A ce titre, leur rappon avec le pouvoir était complexe: ils pouvaient être
conseillers du roi, maîtres indépendants ou associés au pouvoir. Dans tous les cas, leur
action favorisa la construction d'oeuvres monumentales qui défient èncore le temps.'
On peut dire, en gros, que la culture islamique s'implanta au Soudan
occidental à la veille du jihâd omarien, finit par être intériorisée dans bien des contrées et
fonctionna comme une religion ancienne 1. Son succès relégua, dans les théocraties en tout
cas, la religion et la culture autochtones au rang d'un animisme dépassé.
C'est dans un contexte politique, économique et social sérieusement ébranlé
que naquit El Hadj Omar; même si par ailleurs le dynamisme intellectuel et religieux,
émanant de foyers localisés, avait favorisé la formation d'une civilisation florissante.
3°) LE JIHAD ÜMARIEN
L'épopée étant lieu dhistoire dans les sociétés de tradition orale, l'approche
du jihâd omarien dégagée dans la première partie, à panir d'une synthèse des sources écrites
et orales2, pourrait nOLIs dispenser ici de longs développements. Mais les présupposés des
historiens, spécialistes de la question, commandent de reconsidérer certaines vues. Leur
perspective s'inscrit dans une vision historique globale qui établit une corrélation entre les
faits économiques et l'évolution sociale. L'inflnence marxiste, en général, est évidente.
L'étude du jihâd omarien doit donc privilégier selon eux les faits objectifs: l'évolution
politique, économique et sociale des pays conquis au détrimeni des données légendaires,
épico-mythiques, du fait religieux ou du charisme d'Omar. 11 incombe alors au chercheur de
replacer les conquêtes dans leur proponion matérielle, avant de jeter lin regard critique sur
l'oeuvre du Cheikh.
1
Dumont (F), op. cil.
2
Voir nos sources dans la premlere panie du présent travail, notamment
la
panie intitulée : le point de dépan historique.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
24'1
al La conquête
Inscrit en pleine mutation, le jihâd omarien se situe à la croisée de la rupture et
de la continuité. Il ne doit son originalité qu'à son ampleur et à son intensité. En effet, le
mouvement du jihâd apparaît, à bien des égards, comme une tradition bien ancrée en
Sénégambie: jihâd des Almoravides au Xlème siècle, des Sharr Bubba au XVIIème siècle,
des Torodbe au XVlllème siècle, et plus récemment, vers 1835, jihâd du marabout
toucouleur Mohamadou Omar dans le Moyen Sénégal. L'action d'Omar Tall sera cependant
sans commune mesure avec celle's qui l'ont précédée.
L'histoire du jihâd omarien au Soudan occidental commence en fait
immédiatement après le retour du pèlerin. On retient généralement que, de 1849 à 1852,
Cheikh Omar alors installé à Dinguiraye s'occupa à préparer le vaste mouvement qui allait
bouleverser l'ordre existant au Soudan. En 1852, un incident l'opposant à son hôte, le roi de
Tamba, donna le signal du jihâd qui devait mener Omar et ses jihâdistes des rives du Sénégal
aux rives du Niger, ne s'arrêtant que dans les falaises dogons de Bandiagara.
Sitôt déclenché, le jihâd connUt un succès prodigieux 1 : après six mois de
siège, le puissant royaume de Tamba s'écroula suivi par son voisin, le Ménien dans le Nord-
Bouré, qui est une région aurifère. La possession des mines du Haut-Niger procura alors à
Cheikh Omar les moyens de s'approvisionner en armes et en munitions. Par la suite,
galvanisés par leur foi et leurs victoires, les "mujahidîn" conquirent en six mois le Bambouck
riche en or. Ils soumirent par la suite les royaumes de Souloun, des deux Diabé, du
Bambougou, avec pOUI capitale Koundian, en somme toutes les principautés situées dans le
Bassin du Bafing. L'armée des combattants de la foi se tourna par la suite vers l'Ouest et
s'empara de Tambaoura, dont la capitale, Dialafara, est également riche en or, des tatas du
Niagala dont Khokhadion et Sirimanna. Fixant sa résidence à Dialafara, Cheikh Omar
conquit ainsi tout le Bambouck, Farabanna comprise, malgré sa place forte qui avait la
réputation d'être inexpugnable:
"Ainsi, à la fin de 1854, le jihâd omarien était devenu la principale force
politique et militaire sur la rive gauche du Sénégal. Omar était maître des
mines d'or du Bouré et du Bambouck. Il avait une année nombreuse,
redoutable et sa réputation de sainteté, d'invincibilité lui procura des alliés: le
Boundou, déchiré par la guerre civile, se rallia tout entier au jihiid et lui donn~
Reichadt (C.), op. cit.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
250
des chefs comme Koli Mody, héros dont les exploits doivent être chantés par
nos poètes" 1.
Les ralliements se multiplièrent alors: Khasso, Guidimakha. Cependant, un
obstacle de taille se dressa en face du maître du Haut-Fleuve: la présence française. Installés
dans la vallée du fleuve Sénégal depuis la fin du XVIème siècle, les Français décidèrent de
relancer leur commerce dans le Haut-Sénégal avec la construction de comptoîrs fortifiés à
Bakel et Sénoudébou, de points de traite et d'établissements à Bakel et Médine. Cette
politique fut surtout développée par Faidherbe qui venait de remplacer Protêt; Tl s'agissait
pour le capitaine lillois d'étendre l'influence française dans le Haut-Fleuve. Les deux
nouveaux maîtres ne tardèrent pas à s'affronter: le refus de vendre au jihâd omarien et la
volonté de maîtriser l'occupation de la Haute-Vallée rendirent le conflit înévitable2 On pense
que l'objectif du jihâd ne visait pas les Français, mais les infidèles africains: c'est pourquoi,
malgré quelques escarmouches, le jihâd omarien préféra quitter Farabanna en 1854 et alla
s'établir à Bongourou, en aval de Kayes, où les chefs du Khasso firemleur soumission. Le
Cheikh se fixa alors comme objectif la conquête du Kama et prépara sérieusement son plan
d'attaque.
Bénéficiant des conseils avisés des chefs de son armée et des notables
autochtones qui le suivaiem, Cheikh Omar adopta la tactique préconisée par Diodio Demba,
un prince Khassonké. Il s'agissait de diviser l'armée dujihâd en deux colonnes: alors que la
première traverserait le fleuve en amont du gué de Soutoukhoulé, près de Kayes, attaquant
les forces Massassis sur la rive droite, la deuxième remonterait la rive gauche jusqu'au gué,
le traverserait et irait attaquer les Massassis sur leurs arrières. Omar appliqua cette tactique de
l'étau au début de Janvier 1855. Les Bambaras Massassis, pris emre deux feux, s'enfuirem
en désordre. La conquête du Kaarta ne faisait cependant que commencer, malgré celle
victoîre. Le Cheikh la prépara diplomatiquement. En mars 1855, à la tête d'une forte armée,
il se dirigèa vers le Kaatta. Il oceupa sans mal Kouniakâry, capitale de la riche province du
Diomboukhou où il bâtit un tata. Remontant vers le Séro, il reçut le raiIiement du roi Diab
Moriba. Le même scénario se produisit au Diafounou avec le chef Bambara Manan Moriba
après de vifs combats à Yélimané et Madina. De nouveaux ralliements ne tardèrent pas à
venir: les Peuls Oulibas et surtout le Fama Mamadi Kandia de Nioro, capitale du Kaarra, où
l'année du jihâd entra, sans coup férir, le 11 Avril 1855. L'armée d'Omar occupa alors
toutes les places fortes à commencer par Kolomina.
1
Cissoko (S. M.), art. cil., p. 50.
2
Delafosse (M.), Haut - Sénégal - Niger, Tome 1 et Il, Paris, 1912.

"1':::
~
.c.1
l
Maître de la Haute- Vallée du fleuve, qui était alors convoitée par la politique
française l , Cheikh Omar ne pouvait éviter une confrontation avec Faidherbe qui, de son
côté, avait mis un embargo sur le commerce des armes et des munitions. Encouragé par
Mamadou Hammât Kouro Wane, un des jihâdistes les plus opposés aux Français, er par le
prince Khartoum Samballa, en conflir avec son frère, chef du Khasso, Omar décréta la
confiscation des marchandises françaises entre Bakel et Médine, menant ainsi fin à sa
politique de louvoiemenr. L'escalade atteignit son sommer en Avril 1857, lorsque l'armée du
jihâd assiégea le fort de Médine, défendu par Paul Holle. Malgré la détennination des
Talibés, le siège s'acheva sur un échec cuisant Le Cheikh en tira la leçon qu'il ne fallait plus
s'opposer aux Français, lesquels de leur côré se fixèrent des objectifs qui ne visaient pas·
Cheikh Omar.
En 1857, El Hadj Omar traversa le Bambouck en pleine rébellion, remonta le
Boundou er rentra au Fouta où il prêcha son deuxième Fergo ou émigration. Associant la
persuasion et la manière forte, il leva une armée considérable estimée à plusieurs milliers de
personnes er j'amena en 1859 à Nioro. Maître du Kaarta, le jihâd disposait à l'époque d'un
vasre empire dans la savane soudano-sahélienne s'étendant de Dinguiraye au Kingui et du
Boundou au Bélédougou. Fort de la masse d'immigrants installés à Nioro, le Cheikh décida
de continuer la guerre sainte à l'est, vers le pays bambara de Ségou. En 1859, l'armée du
jihâd s'ébranla en direction du Bélédougou, pays d'animistes bambaras décidés. Malgré ses
petits obusiers, la grande famine qui ravageait les pays soudano-sahéliens ralentit la marche
dd'armée er c'est avec peine qu'elle aneignit Merkoya, la capitale du pays. Ségou devenait
alors l'étape inévitable. Empire le plus puissant du Soudan grâce à son organisation
politique, militaire et à ses ressources économiques, Ségou symbolisait aussi le paroxysme
de l'animisme soudanais. Sa conquête revenait à jouir du Soudan utile. De son côté, le
puissant empire bambara prit aussi au sérieux la menace toucouleur et installa son armée à
Woïtêla, porte de l'empire. Cheikh Omar réorganisa son armée et lui procura vivres et repos
sur les rives du Niger. Il anaqua Woïtêla le 5 Septembre 1860, mais ses canons ne purent
empêcher que son armée fût repoussée par les "tondjons". Par trois fois, les Toucouleurs
furent repoussés et le désespoir commença à gagner certains d'entre eux. Le Cheikh dut alors
recourir à une action psychologique:
" Exhonant l'armée des combattants de la foi par un de ces discours de feu, il
prit son chapelet et s'avança lui-même contre le tata de Woïtêla. L'exemple
/
/
Mage ( E.), Voyage dans le Soudan occidental, Paris, , 1868.
Gouilly ( A.), L'Islam en Afrique occidentale, Paris, '1952.

électrisa ses talibés qui s'élancèrent contre les Bambaras, les refoulèrent
jusqu'au tata après avoir récupéré les canons aux affûts rompus" 1.
Réparés par Samba Ndiaye, les canons permirent, le 9 Septembre J860, de
donner le dernier assaut à la puissance de Ségou. Victorieux, le jihâd dominait alors la vallée
du Niger. Cheikh Omar préféra cependant s'installer à Sansanding, grande métropole en aval
de Ségou. Ce fait posa de sérieux problèmes à l'Empire peul du Macina: le conflit ne tarda
pas à se révéler, opposant des Peuls islamisés entre eux pour des motifs essentiellement
politiques.
L'installation du jihâd omarien à Sansanding, dans la vallée du Niger, à la
limite du Macina, poussa Ahmadou ru et Sidi Ahmed El Bekkaï Kounta de Tombouctou à se
coaliser contre Cheikh Omar. Le conflit se transforma assez vite en guerre politique, ravivée
par des rivalités ethniques et confrériques. Ainsi, alors qu'El Hadj Omar se présentait en
champion d'un jihâd orthodoxe, le Macina considérait la conquête des pays bambaras par les
Toucouleurs comme une ingérence dans sa sphère d'influence, menaçant à la longue son
intégrité territoriale et l'expansion de sa confrérie, la Qadiriyya. Sur un autre plan, l'intensité
de la foi islamique des jihâdistes inquiétait le jeune roi dont le libertinage suscitait l'hostilité
ouverte des Ulémas, compagnons des fondateurs de la Dina ou empire théocratique. Sidi
Ahmed El Bekkaï, qui rêvait de jouer un rôle politique dans la région, ne se fit pas prier pour
entrer dans une lutte qui menaçait la Qadiriyya, dont il était l'un des maîtres2
Prenant l'initiative des hostilités, Ahmadou III envoya une importante .mnée,
sous la conduite de son oncle Bâ-Lobbo, en direction de Ségou pour secourir Bina Ali. Les
arnlées peules et bambaras se coalisèrent et campèrent à Thio pour barrer la route de Ségou à
l'armée omarienne. Mais le 2 mars 1861, elles furent taillées en pièces par les jihâdistes, qui
entrèrent sans coup férir à Ségou où ils s'emparèrent des idoles royales. Le Cheikh consacra
le reste de l'année à fortifier la nouvelle capitale islamique du Soudan nigérien. En 1862,
après maintes missions de bons offices restées vaines, El Hadj Omar décida alors d'engager
l'ultime campagne contre le Macina, et confia auparavant Je commandement de Ségou à son
fils aîné, Ahmadou. Il défit l'armée du Macina à Koghou, puis traversa le Bani après la
victoire de Promani et rentra au Macina. Se sentant sérieusement menacé, Ahmadou ru réunit
toures ses forces et engagea un grand combat dans la plaine de ThiâyawaL La tradition orale
fait ici état d'un combat mystique qui précéda le combat des armes et qui tourna à l'avantage
< Cissikho (S. M.), art.. cit. p. 60.
2
Ould Ely (S. A.), "Ahmed Al -Bakkaye, une grande figure de l'histoire de la
région de Tombouctou à l'orée de la conquête coloniale" . in SAN K 0 RE,
Revue semestrielle bilingue Français
- Arabe, Centre de Documentation et
de Recherches
"Ahmed Baba" (CEDRAB), Tombouctou, nO l, 1985, pp. 24-38.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESEl'rr ATION DU Î\\'IONDE
253
d'Omar. Quoi qu'il en soit, l'année toucouleur attaqua les lanciers macimens qUl la
repoussèrent. Manquant alors de munitions, les jihâdiste firent le siège des Peuls, espérant
ainsi les extenniner. Les Toucouleurs en profitèrent pour reprendre force: les forgerons
coulèrent des balles et réparèrent les fusils. A ln reprise des hostilités, l'année du jihâd tailla
de nouveau en pièces l'année peule. Blessé, Ahmadou Ahmadou fut emporté par les siens.
Ils furent rejoints par Alpha Oumar qui décapita le troisième roi du Macina. Ali aussi fut
capturé sur la route de Hamdallahi, puis, publiquement confondu comme idolârre, il fut à son
tour décapité.
Cheikh Omar s'installa à Hamdallahi, au palais royal où tout le m'onde
macinien, à la suite des princes Bâ-Lobbo el Abdou Salam, vint se soumetrre. Il devenait
ainsi le maÎrre de l'Occident soudanais et vivait l'apogée du mouvement déclenché en 1852,
sur les conrreforts du Fouta-Djallon. Mais cette situation ne dura qu'un an. Les Peuls, déçus
après l'inrronisation en 1863 d'Ahmadou comme titulaire du commandement du Macina, se
révoltèrent et s'allièrent à Bekkaï. Les coalisés défrrent à Mani-Mani la principale colonne de
l'année omarienne tuant son chef Alpha Oumar Thierno 'Bayla. La même année 1863, à
quelques jours d'intervalle, Alpha Ousmane, un aurre général, périt à Ségué à la tête d'une
aurre colonne: A partir du mois de Juin, Cheikh Omar fut assiégé à Hamdallahi 1. A Ségou
aussi, une révolte éclata à la faveur du siège de Hamdallahi. Les relations étant coupées enrre
les deux années, Ahmadou ne put voler au secours de son père.
Néanmoins El Hadj Omar réussit à faire sortir Tidjâni, en vue de chercher une
année pour délivrer la ville. Mais avant son retour, le Cheikh sortit de Hamdallahi, suivi des
jihâdistes pour se diriger vers les falaises de Bandiagara. Poursuivis par les assaillants, les
Toucouleurs essuyèrent un échec cuisant. Cheikh Omar disparut alOI:s dans la grotte de
Déguembéré, sans qu'on le revît jamais2 Cette fin suscita de nombreuses hypothèses, des
plus prosaïques aux plus mystiques. Fin énigmatique, à la démesure du personnage.
b) L'oeuvre
L'ampleur du jihâd omarien, la complexité de la figure de Cheikh Omar
enrraînent des appréciations diverses de son oeuvre, souvent conrradictoires, en fonction des
intérêts du moment ou du statut de celui qui émet le jugement. De façon générale, les
historiens retiennent deux figures d'El Hadj Omar : le religieux et le politique.
Les historiens africains considèrent Cheikh Omar comme le prototype du
nationaliste inrransigeant : "Al Hadj Omar-;"letrré, auteur d'une oeuvre imposante (dont le
. /
1
Mage (E.), op. cit.
2
Wane (Y.),
"De Halwar à Degembéré ou ,'itinéraire islamique de Shaykh
Umar TaU", in Bulletin de l'IFAN, série H, T. XXXI, n02, 1969, pp.445-451.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MOI\\TDE
254
Rimah Hizb al Rahim J, par son expérience du monde et son envergure exceptionnelle, la
vision très moderne qu'il a de son époque, il est peut-être ici, en dépit de son échec dans sa
tentative d'unification du Soudan nigérien, l'homme d'Etat le plus lucide du XIXème
siècle" 1.
De son côté, Sékéné Mody Cissokho est aussi fasciné par Omar le bâtisseur,
bien que le destructeur d'empires le gêne:
"Aussi mit-il en place les
bases d'un Etat nouveau qu'il n'eut
malheureusement pas le temps de consolider. .Il détruisit les structures
politiques dans les grands Etats vaincus, vida de leur contenu celles des petits
royaumes"2
Cerre opinion est baltue en brèche par Yves Saint-Manin qui ne voit dans
l'altitude de Cheikh Omar et de son fils qu'une "volonté de paix"3 Pour cet historien, le
Cheikh et son fils furent pacifistes et respectueux des traités conclus avec la France.
Faidherbe, au contraire, s'évertua à exagérer leur hostilité à des fins de promotion militaire.
Amar Samb rejeta, au nom du nationalisme africain et de la réception objective des faits, les
assertions de Saint- Manin 4
La critique anti-nationaliste culmine cependant sous la plume de Frœlich, qui
pense que faire des héros africains des champions de l'indépendance constitue un dangereux
anachronisme. Ils ne furent que de simples conquérants:
"Prétendre le contraire est une contre-vérité et une flagornerie à l'égard des
jeunes nations qui n'ont pas besoin de fausser l'histoire pour se trouver des
ancêtres prestigieux"5
Une autre controverse surgit quand on examine l'oeuvre religieuse de Cheikh
Omar. Elle s'est traduite incontestablement par une expansion de l'Islam et de la confrérie
Tidjanyya. Aussi de nombreuses mosquées attestent-elles encore de l'action d'Omar au
Soudan occidental, et c'est aussi par milliers que se comptent ses disciples. C'est pourquoi
1
Diaglle (P.), Pouvoir politique
traditionnel. en
Afrique
Noire,
Paris, 1967,
pp. 168-169.
2
Cissokho (S M) op. cit. , p. 25.
/
3
Saint-Martin (Y.), "La volonté~ de paix d'El Hadj Omar et d'Ahmadou dans
leurs relations avee la France", in Bulletin de /ïFAN, Série B, n° 3, 1968.
4
Samb (A.), "Sur El Hadj Omar (à propos d'un article d'Yves Saint-Martin)",
in Bulletin de l'IF AN, Série B, n° 3, 1968, pp. 803-805.
5
Froelieh (J.C.), Les Musulmans d'Afrique Noire, Paris. ,1962, p. 69.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMtvΠREPRESENTATlON DU MUN])]::
,
Fernand Dumont considère Cheikh Omar comme un anti-sultan 1, essentiellement occupé par
son jihâd, à ce titre il mérite l'appellation de Mujâhid ou Combattant de la foi. De son côté,
Jean Suret-Canale2 explique le succès de l'action religieuse d'Omar par le caractère égalitaire
de la Tidjanyya.
A ces vues s'oppose celle qui accuse le jihâd omarien d'avoir attaqué des
musulmans et d'avoir stoppé l'avancée de la Qadiriyya, défendue par les descendants des
Emirs du Macina et par Sidi Ahmed El Bekkaï3.
L'action sociale d'Oillar mérite aussi qu'on s'y attarde. Outre le brassage
d'ethnies diverses qu'il provoqua, le jihâd permit une renaissance Torodo ou toucouleur à
l'Est4 . Il favorisa aussi l'expansion de l'écliture et la promotion de couches marginalisées
qui, grâce à l'étude et au mérite personnel, purent accéder à des postes de commandement,
interdits à leur catégorie sociale. Malgré tout, des critiques se font jour: "Au lieu de
révolution, il y eut substitution de l'ordre traditionnel par un ordre foutanké et musulman"5
En somme, le jihâd omarien est un sujet propice au déclenchement de passions
contradictoires.
II - LA REPRESENTATION EPIQUE DU CADRE DU HHAD
Située dans une dynamique de communication, l'épopée apparaît comme un
lieu privilégié de transposition de la société. Véritable miroir, la geste reOète les relations
humaines, la géo-politique, l'environnement ainsi que les systèmes intellectuel et religieux.
Aussi celui qui assiste à une performance épique, à la différence de l'auditeur
d'un conte, qui doit se livrer à un travail d'interprétation pour tirer du récit la morale
véhiculée implicitement, n'a pratiquement aucun effort à fournir pour identifier les
personnes, les faits, les événements, et la morale à tirer du récit. En outre l'épopée, étant lieu
d'histoire dans les sociétés de tradition orale, a fonction d'encyclopédie pour la société. La
geste d'Omar, en plus de son caractère oral, associe aux constames du geme les apports de
l'écrit. Elle illustre avec éclat la dimension que donne l'épique à une représentation du
monde. L'observation de certaines structures mises en gros plan donne une idée de
l'ensemble.
1
Dumont (F.), op. cit. , p. 244.
2
Suret-Canale (J.), op. cit.
3
Ould Ely
(S A.), art. cil.
4
Ly Tall (M.), op. cit.
5
Cissokho (S. M.), op. cir., p. 66.
.".~,.!ri.

CI-L<\\PITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
256
A cet effet, notre attention se portera essentiellement sur les aspects politique,
économique, social et religieux de la représentation. Les problèmes politiques dominent
cependant l'ensemble.
1°) VIE POLITIQUE
Genre profondément idéologique, l'épopée réserve au politique un traitement
particulier- La geste du jihâd ne fait pas exception, elle consacre à la question une approche
originale. C'est ainsi que plusieurs poinls de vue émergent: alors qu'Omar était naguère.
encore pour l'épopée coloniale le modèle du Prophète armé, il symbolise aujourd'hui, pour
les africains progressistes, le nationalisme inrrinsèque. Entre ces deux points de vue
opposés, un autre plus objectif apparaît:
"En résumé, par rapport à l'intervention française, qui ne pouvait tolérer à ses
côtés l'édification d'un Etat puissant, et qui disposait des moyens matériels
pour le réduire, El Hadj Omar était venu trop tard pour jouer le rôle
d'unificateur- Par rappon à l'état social du Soudan nigérian, il était venu trop
tôt j les conditions sociales n'y étaient pas venues à maturité pour qu'il pût
sumlonter les obstacles hérités du passé: c'est ce qui a joué principalement
contre lui"1
Il est temps à présent d'examiner comment le texte épique a interprété, de son
côté, la réalité historique.
Ainsi, malgré l'existence de réelles contradictions internes du régime almamal,
certaines versions de l'épopée omarienne occultent ces contradictions pour concentrer leur
intérêt sur la carrière future d'Omar- L'une de ces versions soutient que Thierno Seydou
Ousmane, ayant construit un embryon de mosquée dans sa concession, fut cité devant
l'Almamy par ses concitoyens. Le chef de la théocratie demanda alors au père d'Omar de
détruire la mosquée. Ne pouvant contenir leur joie, les Halwâriens déclarèrent:
"Pour qui Seydou Ousmane tient-il les habitants de Halwâr ? pour des
hommes sans pantalon ?"2
~/
Après avoir imposé le silence, l'Almamy réponcjjt"aux excités:
Surel-Canale
(J.),
L'Afrique
Noire
Occidentale
et
Centrale,
Civilisation,
Histoire. Paris. 1961.
2
(A. H.) el Dagel (1), op. cit., p. 233.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MOt\\f])E
257
'Tai demandé à Thierno Seydou Ousmane de détruire sa mosquée, cela ne
veut pas dire qu'il a tort. Il a obtempéré à mon ordre, cela ne veut pas dire non
plus q~'il a peur. Si vous saviez, ô Fouta l , par combi~~ de grandes
mosquées nouvelles sera payée la disparition de la petite mosquée de Thierno
Seydou Ousmane et sur quels vastes territoires ces mosquées seront
construites, vous seriez moins enthousiastes. Je vous le dis par la grâce de
Dieu Eternel; cet enfant que Thierno Seydou Ousmane tient par la main,
construira à lui tout seul plus de mosquées que tous les chefs du Fouta et du
Boundou réunis n'en ont janlais construit." Ce disant l'Almamy caressa la
grosse tête du jeune Oumar Seydou. L'enfant se laissa faire sans cligner des
yeux qu'il avait clairs et expressifs"2
Cene citation condense la vision politique que l'épopée omarienne donne du
Fouta, à partir d'un drame opposant les Halwâriens à un des leurs. Le récit met en vedette
trois figures: l'Almamy, Thierno Seydou et son fils Oumar. Il montre que le pouvoir de
l'Almamy, bien que réel, souffre de quelques contestations3 : Thierno Seydou n'a pas peur
de lui, il obtempère à son ordre par simple discipline. Ce pouvoir se réduit, du reste. à
arbitrer les conflits internes. Par contre, sur le plan religieux, l'Almamy jouit de quelque
considération: appelé à arbitrer un conflit religieux, il en profite pour manifester ses dons de
voyance. La citation ne retient de la carrière politique d'Omar que sa dimcnsion religieuse:
au lieu d'annoncer le futur fondateur d'empires, le souverain annonce le bâtisseur de
mosquées.
Quant à Thierno Seydou, il symbolise le ntusulman orthodoxe, hardi el
indépendant. Un tel père explique l'intransigeance de son illustre fils, donL la ténacité ne
s'accommoda pas d'une foi tiède. Bénéficiaire du drame, Oumar est présenté sous les rraits
d'un êrre extraordinaire à la grosse tête ct aux yeux clairs et expressifs qui ne clignent pas. Il
ne saurait alors être étonnant que le destin lui réserve une carrière plus prestigieuse que celle
des Almamys.
Par contre, La Vie d'El Hadj Omar, Qacida en poular reflète les luttes
politiques qui secouèrent l'Almamyat aux prises avec le jihid omarien ainsi qu'avec les
Français. Le poème présente avant tout Cheikh Omar comme le maître incontesté du Fouta:
C'est-à-dire : Ô gens du FOUla, le pays eSl prtS iCi pour ses habitants (noIe
des
auteurs).
2
Bâ (A. Harnpalé) el Oagcl (J), op. cit., 233.
3
Wane (Y.), art,. cit.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
258
" Le jour où le Fouta eut appris le retour de notre Cheikh, les électeurs du
souverain et le souverain furent troublés, tout à fait troublés.
Ils traversèrent le fleuve et l'on se rendit à Dyoké pour y être enfermés au pied
des rochers jusqu'au jour où, le Cheikh ayant passé, ils reviendraient" 1.
A ce titre, il réussit à enrôler certains grands du Fouta dans l'armée du jihâd,
mais d'autres re.fusèren t de quitter la terre de leurs aïeux :
"Le Cheikh mit les maltres du Fouta en tête de l'émigration.
Ils se soumirent, empaquetèrent, chargèrent [leurs affaires], l'Est fut [leur
point de direction.]
Eliman, celui de Rindyao ; Mohammadou, celui d'Odédyi, le fils
de Mahmoudou Ali, ce qu'ils ont dit, le Fouta, certes, ne l'enfreint pas.
Et Tyêmo Salihou, fils de Siré Harouna.
Ce sont des gens qui se sont fait remarquer au sud du fleuve, des noms qui ne
sont pas sans réputation.
Et Tyêmo Boubakar Mollé, le Cheikh, notre saint.
Eux tous, quand ils sont réunis, Je respect grandit au point de n'être pas petit.
Depuis le Fouta jusqu'à Nyoro, partout où ils s'arrêtèrent, ce furent des gens
honorés, ce ne [ut qu'une fête jusqu'à ce qu'on fût arrivé.
Ceux qui étaient restés, restèrent tâtonnant à la recherche de commandements.
Nomme Tyêmo Fondou à un commandement qui n'achèvera [rienl" 2.
Opposition significative, qui fut historiquement attestée, entre ['aristocratie
pro-amarienne et l'autre, farouchement hostile à toute idée d'immigration, cependant assez
minoritaire et obligée de se cacher ou d'opérer en cachette. A ce sujet, commenrant ces vers
dans une note détaillée, Gaden écrit:
"Ceci est une allusion aux difficultés que le Cheikh rencontra au Fauta
Central. La population ne désirait pas quitter son pays. L'approche du Cheikh
avait suffi à faire déposer l'Almamy Mohamadou Birân, Chef des
"Wanwanbe" du Lao, en qui on craignait de ne pas trouver un protecteur car il
venait, sur la demande du Cheikh, de faire construire le barrage de Garli.
Mais la crainte du Cheikh était telle qu'aucunmÛldidat ne s'était présenté. Tant
1
Gaden (H), op. cie., vv. 701-702, p. 119.
2
Id., vv. 671-676. pp. 114-115.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMJ\\;1E REPRESENTAT10N DU MONDE
259
qu'il fut à Horé-Fondé, il n'y eut pas d'Almami. Chez les "Kanhanbe",
depuis le départ de Bôkar Ali Doundou, qui avait rejoint le Cheikh à
Farabanna en novembre 1854, le Chef était Mohammadou Mahmadou Ali
Doundou. Après lùi venaient Tyêrno Seïdou Mahmoudou Doundou et Abdoul
Bôkar Ali, ce dernier plus connu de nous sous le nom d'Abdoul Boubakar.
Tous deux avaient promis à leur aîné de tenir les engagements qu'il pourrait
prendre. Quand il eut pris, comme on vient de le voir, celui d'émigrer, ils ne
tinrent pas leur promesse et décidèrent de rester. Tyêrno Seïdou, homme
d'étude, se tint tranquille; Abdoul Boubakar, homme d'action, prit la tête de
l'opposition, se préparant ainsi au rôle qu'il joua plus tard contre nous. Tant
que le Cheikh fut à Horé-Fondé, Abdoul Boubakar ne put réussir à trouver lin
Almami. Une fois le Cheikh parti pour le Toro, un candidat osa se présenter et
fut nommé. C'était Tyêmo Fondou qui fut l'Almamy Moustafa Abdoullahi. li
ne fut pas le protecteur qu'on espérait. .. " 1.
Véritable maître du FOUla à la veille de son annexion à la colonie du Sénégal,
Cheikh Omar en détenait le pouvoir politique, malgré l'hostilité de certaIns membres de
l'aristocratie toucouleur représentés ici par Abdoul Bôkar2, désigné dans les archives sous le
nom de Abdoul Boubakar. Ce "jaagorgal", ou grand électeur du Fouta, dont le père et la
mère a vaient suivi Cheikh Omar à Nioro, poussa la hargne jusqu'à razzier le troupeau de
vaches de celui-ci.
n ressort, de ce qui précède, une représentation sobre des convulsions
politiques qui déchiraient le Fouta peu d'années avant et pendant le jihâd omarien. L'épopée
met Cheikh Omar en gros plan et soumet tout à son autorité, laquelle renvoie à l'image d'un
pouvoir pacifique:
"Le Cheikh fut maître depuis Tombouctou jusqu'à notre Fouta. Même une
femme mettait son pagne et partait, pas un ne lui faisait du tort" 3.
Au Boundou, malgré la lutte opposant Boulebané et Khoussan, le pouvoir
politique n'a droit, dans l'épopée du jihâd, qu'à une allusion malgré tout expressive,
1
Gaden (H.), op. cit., note. 676, p. 115.
2
Id., v.J085, p. 188.
- /
3
Dioum
(O.), La pénétration coloniale française dans
le Fuula Tooro
: la
résistance
d'Abdul
Bookar
Kan
1862-1891, Mémoire de Fin d'Etudes, série
Histoire et Géographie, ENS, Nouakchott, 1982-83.
Robinson (D.), Chiefs and clerics - The history of Abdul Bokar Kan and Futa
Toro, 1853-1891, Oxford, 1975.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
260
exprimée par Koly Mody Sy, répondant à Cheikh Omar qui cherchait un preux p(')ur la
mission de bons offices toucouleur au Macina:
/ "
"Quand lU vins au Boundou,
Tu trouvas que mon père était un roi.
n enchaînait, il emprisonnait.
Tu sais, celui qui a abandonné le pouvoir pour te suivre,
C'est celui-là qui te suit par Allah.
En fait, il n'y a rien de plus délicieux que le pouvoir" 1.
n est permis de penser qu'en plus du motif rèligieux invoqué ici, d'aurres
facteurs détemùnèrent le prince Boundounké à quitter la théocratie de ses ancêrres.
Le Fouta-Djallon, pays d'accueil du Cheikh et berceau du jihâd, n'apparaît
qu'à rravers les divers incidents qui éclatèrent entre El Hadj Omar et Almamy Oumar2 De
même, le pouvoir Dyallonké ne transparaît que derrière Yimba Sakho, que Sicli Mbôthiel
confond avec Tamba Boukary, plus puissan t et premier hôte de Cheikh Omar. Soucieuse de
valoriser la puissance, l'épopée n'hésite pas à abriter sous le même toit des personnes
d'époque différente. Ainsi procède la version de Sidi Mbôthiel. Sans doute aussi la
substitution du pouvoir fort de Tamba au pouvoir chancelant de Yimba obéit-elle à une
volonté de magnifier la victoire des jihâdistes, d'autant plus qu'il s'agissait de la première
bataille. Le royaume de Bandiougou, le Ménien, traversé par Je jihâd comme un éclair, n'a
droit qu'à la mention de la tête de son roi coupée.
Au Kama aussi, l'épopée omarienne ne se livre pas, à proprement parler, à
une peinture politique, tout au plus suggère-t-elle la colère des frères du souverain Mâmady
Kanclia, les sarcasmes des femmes griotes, les récriminations de Karounka Diawara, tous lui
reprochant d'avoir livré son pays au jihâd sans coup férir. Cet épisode, attesté par la version
de Nioro, apparaît dans la relation de tous les griots: Sidi Mbôthiel, Thithié Dramé, Demba
Hamme, enrre autres.
Le Kingui, par contre, pays de Karounka Diawara, spécialiste de la guérilla et
de la conrre-guérilla, suscite de longs développements3:
"Alors les méchants furent dispersés, le Cheikh mil pied à terre, la nuit vint.
1
Mbôthiel (S.), vv. 874-879.
2
Voir la première partie du présent travail : le point dc départ historique.
3
Voir la version de Thithié Dramé dans notre thèsc dc Doctorat de IIIème
cycle.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENT!\\TIaN DU t\\'10NDE
261
Karounka fut terrorisé et partit la nuit, ce qui ne [le] sauvera pas. Allah nous
fit hériter de Bassaga par sa propre volonté"l.
Karounka s'enfuit malgré tout:
"Karounka s'enfuit [avec les siens], d'une fuite qui ne sauve pas"2.
Alors le Cheikh lui lança l'hameçon:
"Le Cheikh compta une colonne le mardi, illa remit à un Talibé, Ardo Aliou,
qui se dirigea vers celui qui ne se convertira pas.
Ils se hâtèrent dans leur marche, le mercredi, jusqu'au jeudi; Karounka
fllt attein t,
Alors sa .tête fut tranchée d'un seul coup ,,3
Dans la version de Dramé, Ardo Aliou doit, sur l'autorisation de son Cheikh,
user de syncrétisme, afin de pennettre à Lamba Bôkar Thiam de venir à bout de Karounka,
au prix de sa vie. La longue lu rte qui a opposé Karounka au Cheikh et la collaboration des
jihâdistes pour l'éliminer justifient la version plus épique de Drarné.
Ségou n'existe, de son côté, que par sa puissance militaire: les préparatifs el
la bataille de Woïtêla pem1eltent aux griots de l'évoquer. Le prêche de Cheikh Omar est
formel:
"Hé 1 Soyez solides, soyez fem1es, ceignez vos reins, mettez vos poings sur
vos hanches.
Il n'y a d'autre route que celle de Woïtala ; cela on ne l'évitera pas.
Sachez que la guerre, que la bataille [sera] très dure à Woïtala ; balle dans la
tête, la bouche, la poitrine, jusqu'à ce qu'on soit à terre"4
Malgré tout, "Woïtala fut renversé"5.
1
Gà<Îen (R), op. Cil., vv. 538-539, p. 90.
2
Id.,v. 774 p. 133.
3
Ibid.,vv. 820-821, pp 141-142.
4
1bid., vv. 839-840. p. 145.
5
Ibid., v. 862. p. 148.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESEl'HATlaN DU MONDE
262
"Quant à Ali et Ahmadou Ahmadou, ils furent alors perplexes sur les panis 1à
prendre],
envoyèrent en vue d'un accord auprès de l'éléphant qui n'échoue pas [dans
ses entreprises].
Le Ségou leva ses guerriers, le Macina leva les siens;
ils se rassemblèrent, ils allèrent établir leurs camps pour la guerre [contre\\ le
Pôle qui [est tel que] quiconque l'aura provoqué ne se réjouira pas.
Ahmadou envoya jusqu'au Médiateur qui ne commet pas d'injustice:
"Qu'il s'en retourne à Nyoro, au pays de Kingui, sans tarder.
Si cela ne se fait pas, je le bousculerai avec des chevaux de race jusque dans
l'ouest du Nyoro; c'est tout de suite sans tarder."
Le Cheikh dit : "Je suis un esclave, je suis seulement aux écoutes de la parole
d'Allah et de son Représentant, pour continuer [ma marche]" 1
L'épopée toucouleur oppose nettement l'impétuosité du jeune roi à la sagesse
du vieux jihâdiste, représentants tous les deux de pouvoirs politiques différents. En plus de
sa politique hypocrite, l'Emir du Macina est aussi accusé de méconnaitre ou de passer outre
les textes théologiques classiques:
"Ahmadou, sache que tu as fait ces actions illicites pour t'être mis avec le
grand paganisme qui ne se convertira pas.
Si tu nies, regarde ce verset que notre maître a enseigné dans la Sourate
"Nisa" afin de le connaître et de la comprendre. Et ce qu'a enseigné le Cheikh
Khalil dans le livre appelé "Lawwal", tu le sauras aussi et le noteras bien pour'
le retenir.
Et ce qu~a enseigné J'auteur du "Lakdariyu" dans son interdiction de [tome)
mauvaise intention envers un musulman son frère, tu Je sauras" 2.
Dès lors, la victoire du jihâd omarien, contre la coalition de Ségou et du
Macina, traduit le niomphe du pouvoir islamique sur la paganisme allié au machiavélisme. La
déchéance s'installe alors pour toujours dans le camp des vaincus:
"Hé! sachez que vorre envie et vorre haine
1
Gaden CR), op. cil., vv. 893-897, p.154.
2
Id.,
vv. 902-905, p. 156.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
263
vous ont précipités dans une nJine mauvaise au point que vous n'en sortirez
pas.
Vous vous êtes dépouillés de votre commandement, que vous ne reprendIez
pas,
par vos mauvaises actions contre celui qui ne conunet pas d'injustice."
Les démêlés du jihâd omarien avec la colonisation française apparaissent aussi
au fil de la narration épique. Au Boundou, Cheikh Omar avenit la population des
conséquences de l'occupation coloniale 1.
"Hé, Boundou ! Levez votre pays
afin qu'il se rassemble, vous tirerez sur Sendébou2
jusqu'à ce qu'il soit détruit de fond en comble.
Sans cela, émigrez, ce pays a cessé d'être le vôtre;
c'est le pays de l'Européen, l'existcnce avec lui ne sera pas bonne"3
La tradition orale concorde avec les écrits du Cheikh sur la position
intransigeante de Cheikh Omar par rappon à la colonisation. Assuré que la coexistence avec
le colonisateur ne sera pas bonne, le Cheikh somme le peuple de résister ou d'émigrer. Bien
plus, El Hadj Omar, en fin stratège, utilisa plus tard les armes du colonisateur pour son jihâd
contre Ségou:
"Les canons furent tirés, ils furent inquiets alors, au point qu'ils chancelèrent.
Aussitôt s'élancèrent les hommes bien ponants et braves,
Dyabal fut dispersé"4
Commentant ces canons, Gaden écrit: "Ces canons provenant de Ndyoum,
village du Ferlo du Boundou déjà signalé (n. 316 et 652), avaient été remis au Cheikh
pendant son séjour à Boulé-Bané en Mai 1858"5 Le capitaine Cornu, commandant le poste
de Bakel, vole au secours de Boubakar Saada qui assiégeait sans succès Ndioum, en février
1858. Une sonie des défenseurs ayant mis en fuite l'armée de Boubakar, obligea Cornu,
1
Gaden (H.), op. Cil., VV. 1141-1142.
/"
2
tiaste
français
de moindre
importance commandé. par conséquent, par un
piqueur du
génie.
3
Gaden (H.),op. Cil., VV. 646-647.
4
Id., v. 831.
5
Ibid., p. 143.

CHAPITRE IV - LA GESTE COM!vlE REPRESENTATION DU MONDE
264
pour ne pas se faire enlever, d'abandonner ses deux obusiers dont les roues avaiem été
cassées. Ces obusiers rendront d'énonnes services au jihâd omarien. Sous les ordres de
Samba Ndiaye Bathily 1, ils contribuerom puissammem au succès de Cheikh Omar.
Malgré tout, l'épopée du jihâd évoque aussi la bataille de Médine qui se solda
par un échec, pour la récupérer sur le plan religieux où celui-ci s'explique par un décret
divin:
"Là certains direm : "Dirigez-vous sur Médine."
Il dit "Non, ceux-là om la tête dure, dit le Cheikh, hé ! vous ne vaincrez pas.
Ce qui est leur guerre, c'est de leur saisir touteS les routes, afin que personne
n'arrive jusqu'à eux pour qu'ils fassem du commerce".
Il se trouva qu'Allah avait décidé que, pour certains, un tenne était mis à leurs
délais.
L'année se mit en route, arriva au village; on attaqua, on échoua"2
A la différence des versions de Niagâne, Dramé, Sidi Mbôthiel, La Qacida en
poular mentionne la défaite de Médine, mais s'empresse de l'attribuer aux Talibés
indisciplinés, avant de l'expliquer par une décision d'Allah. Cela lave Cheikh Omar de tout
soupçon. En fait, son épopée le présente comme un ami-sultan, préoccupé surtout par 13
religion. Son pouvoir)d'inspiration divine,retourne finalement à Dieu, qui l'accueille à
"TIlioun", suprême paradis, en ces termes:
"Mon Elu, soyez les bienvenus,
Entrez dans mes bienfaits; vous y resterez toujours, cela n'aura pas de fin"3
2°) VIE ECONOMIQUE ET SOCIALE
Ambitionnam de refléter la réalité héroïque, l'univers épique peim aussi le
cadre de vie où s'exprime cette bravoure exceptionnelle. Les diverses représemations
Victime de ses
informateurs,
sans nul
doute, Gaden
déforme
ce nom
en
Bakiri de Tiabo. Il s'agit de~amba Ndiaye Bathily, soninké, originaire de
./'
Tyabou, près de Bakel. Il avail vécu vingt ans à Saint-Louis el y avait acquis
de
solides
connaissances
en
maçonnerie,
mécanique,
que
le
Cheikh
sut
mettre à profit.
2
Gaden (H), op. cil. , vv. 602-604. , p. 101.
3
Id., v 1185, p. 207.
r
'.c
I"~
--.:

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
265
économique et sociale de l'épopée dessinent les contours d'un monde riche et peuplé où
dominent l'agriculture, l'élevage et une abOndante main-d'oeuvre servile l .
D'après les versions du jihâd omarien, le Fouta- Toro reste le pays de
l'agriculture, car ne pas abandonner des terres inondées par la crue du fleuve fut le principal
motif invoqué par ceux qui refusèrent de suivre Cheikh Omar. Mais le Fouta-Toro est aussi
un pays d'éleveurs et Bôtol Sawa Hâko, le Peul, le rappelle à son Cheikh la veille de
l'ambassade toucouleur au Macina:
"... La nuit que tu passas chez moi au Fouta,
Tu m'as rrouvé avec quarre épouses peules,
Chacune d'enrre elles était plus belle que l'aurre ;
Et recevait chaque fois plusieurs écuelles de lait dans sa case"2
Pays de pâturages, de vaches laitières et de femmes peules allières, le Fouta-
Toro de l'épopée omarienne est l'expression la plus pure de la pulaagu an té-islamique. En
somme, le cadre et les hommes se placent sous l'éthique rraditionnelle. Cependant, malgré
tout, le pays toucouleur demeure moins riche que les pays de l'est. En ce sens, le pays de
Nioro combla les jihâdistes du Cheikh:
"Alfa Oumar, il l'envoya dans le Sountya : qu'il s'y promène partout pour
prendre les troupeaux et les enfants des Chefs entièrement,
et pour le partage des nombreuses femmes des Chefs qui ne se convertiront
pas"3
Au Kingui aussi la situation est avantageuse:
"Au bout d'un peu de temps, il (le Cheikh) dit que le butin revienne afIn d'être
distribué, pour que chacun ait son droit et soit satisfait.
De nombreux biens furent ramenés, tout fut tenniné, sauf qu'il resta les gens
du Dyawara, [qui] refusèrent, dirent qu'ils ne remeto-aient pas [leur butin]
Là le butin fut distribué. Ceux de faible attachement [au Cheikh] s'en
retournèrent,
1
Mbôthiel (S.), vv. 848 - 850.
2
Voir
aussi
Suret-Canale
(1.),
Afrique
Noire
volume
J,_
"Géographie,
Civilisation, Histoire", Paris, 1961.
3
Gaden (H), op. cie., vv 365-366, p. 62.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTI\\TION DU MOi\\il)E
266
Les fidèles choisirent d'être avec J'Emir qui ne nuit pas" J.
Le partage du butin constitue ici le motif de la révolte de Karounka Diawara.
Les versions divergent cependant sur l'explication du motif. Les versions du Kingui
soutiennent que la rébcIJion eut pour cause le fait que Karounka et les siens s'estimèrent lésés
dans le partage du butin; ils avaient reçu une quantité inversement proportionnelle aux
services rendus. Par contre, les versions toucouleurs reprochent aux Diawaras d'avG>ir refusé
de remettre leurs prises dans la communauté (Baïl-el-maal). La Qacida, curieusement, semble
se rallier ici au premier type d'explication. Quoi qu'il en soit, à l'origine de la rébellion
diawara, se trouve une affaire de butin.
De son côté, Ségou offre l'image d'un pays aux richesses durement acquises.
La narration épique d'une telle conquête trahit du même coup la peinture des batailles de
jadis:
" Aussitôt [nos] gens s'élancèrent, il (le Cheikh) s'y opposa; ils s'élancèrent,
il s'y opposa encore.
Au bout de trois jours, le Cheikh donna l'ordre, on fila.
Là,la poursuite poursuivit jusqu'à ce que MBébala fût atteint; ils (les Peuls)
dirent :
"Ehei ! Gens aux hayâ 1 est-ce que vous ne VOus arrêterez pas '1"
Lorsqu'ils eurent cessé de courir puis se furent arrêtés complètement, au point
qu'ils furent face à face,
Les drapeaux furent fichés [en terre], on se regroupa jusqu'à cc qu'on fût de
nouveau en ordre.
Là, les genoux furent mis à terre, les doigts furent accrochés aux détentes [des
fusils] ; la poudre crépitait, on crut qu'elle ne se tairait pas.
Tu n'entendais que: mon taureau! mon cheval 1 laisse ma lilnce"2
Commentant ce dernier vers, Gaden dispose: "chacun revendique l'ennemi
qu'il vient de tuer, afin de s'en approprier les dépouilJes : "mon iaureau", c'est-à-dire "mon
guerrier" ; "mon cheval" s'entend aussi du cavalier, dont celui qui'vient de le tuer veut les
armes, les vêtements et la monlure"3
,.--Mieux encore, la région de Nyémina apparut comme UJYéndroit édénique:
1
Gaden (H), op. cil., vv 492-494, p. 83.
2
Id., vv 968-972, pp 166-167.
3
Ibid., nole v 972, p 167.
, . :
~

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
267
" Là, les Musulmans se réjouirent, louèrent Allah à cause du délassement de
se baigner dans le Dyaliba, grand fleuve qui ne diminuera pas.
Là des biens furent trouvés, des biens "couchés" qui n'avaient pas de fin" 1.
Jouissant des eaux du Niger et des biens "couchés", c'est-à-dire marchandises
de toutes sones, par opposition aux "biens qui marchent", esclaves et animaux domestiques,
: les jihâdistes se partagèrent, entre autres, des chevaux de race, des boeufs dodus et de petites
servantes grasses.
Le Macina, ultime étape du jihâd, se singularise aussi par sa forte
démographie et ses richesses diverses. Ahmadou Ahmadou déclare, à Cheikh Omar, la veille
de Thiayâwal, que:
"Si on se rencontre en plein jour, nuit cela deviendra,
si on se rencontre en pleine clarté, obscurité cela deviendra,
si on se rencontre alors qu'il est de teint clair, de teint noir il deviendra.
A cause du nombre de chevaux et de personnes du Macina"2
Ce monde reproduit aussi les structures sociales: la noblesse se trouve au
sommet de l'échelle sociale, les esclaves 3 à la base de la pyramide, entre ces deux extrêmes
défilent les différentes castes: griot, forgeron, cordonnier, tisserand... Chaque structure vit
cependant son éthique. L'ambassade toucouleur au Macina dramatise la nature et la fonction
des structures sociales du jihâd omarien : Alpha Oumar et Ahmadou Almamy Alassane, parce
qu'ils sont Torodo, se chargent des tâches intellectuelles; Koli Mody, le prince, représente le
pouvoir royal; Bôtol Sawa Hâko, le Peul, symbolise la richesse bovine; enfin Farba
Gouwa, le griot, ambassadeur à la belle parole, siège aussi au nom de sa corporation. Des
passerelles existaient entre ces groupes qu'un même code, fondé sur l'honneur, régissait. La
bataille de Thiâyawal en constitue une parfaite illustration. Toutes les versions de l'épopée
omarienne s'accordent à dire que le grand combat fut précédé par celui des esclaves des deux
camps. Le comportement de l'esclave de Cheikh Omar lui valut des honneurs dignes d'un
saint, et La Qacida l'a immonalisé en des vers sublimes:
"Sofas faites tous vos effons, vous serez fermes jusqu'à aller ficher en terre
KouroufJatou Dembélé, le brave qui n'a pas peur,
~/
1
Gaden (H), op. cit. , vv 815-816, p. 141.
2
Ly (H.S), vv. 74-77.
3
Ki-Zerbo (1.), Le Monde africain noir, Paris, 1963.

,..'
Q-Lf>,PITRE IV - LA GESTE COMME REPRES.ENTATlON DU 1\\'10NDE
268
"
Celui qui dit toujours le "dzikr", le véridique dans [son] amour du Cheikh et
r
qui ne [lui] sera pas hostile,
Celui à qui on a rendu témoignage dans tous les combats, et ceci n'est pas
.
,,1
nen
.
A travers la relation du jihâd omarien, se profile un monde bigarré, dominé
par une économie de type féodal: les captifs défilent èn même temps que les animaux
domestiques et les produits agricoles. Par contre, la stmcturation sociale, bien que
hiérarchisée, semble privilégier l'éthique et le religieux, d'où la juxtaposition dans un même
chant de Cheikh El Hadj Omar, et Kouroubatou Dembélé, à côté des libertés de Farba
Gouwa, le griot du Cheikh. Les nécessités du jihâd, liées aux mutations sociales de
l'époque, semblent expliquer, dans une large mesure, de telles audaces.
"Dîn et Dawla", religion et état, l'Islam ignore l'opposition entre religion et
politique. La "'Umma" ou communauté islamique se définit comme un tout organisé.
L'épopée du jihâd s'inscrit dans cette perspective et annexe tous les autres phms à la religion.
Quoi de plus légitime, puisque l'action de Cheikh Omar s'exprime dans le cadre du jihâd,
prescription divine, mise en pratique par le Prophète de l'Islam Aussi, les versions de
l'épopée d'Omar s'efforcent-elles de faire de leur héros le champion de l'orthodoxie par
opposition aux tenants de l'animisme, aux mauvais musulmans et aux hypocrites.
D'abord, le Fouta-Toro se singularise à ce propos comme une vieille terre
d'Islam, mais où le relâchement des moeurs affectait dangereusement la pratique religieuse
orthodoxe. A ce propos, la version, de Sidi Mbôthiel2 cite l'épisode où Elimâne Rindaw
ayant dénoncé les fondements du jihâd omarien à cause du jeune âge d'Omar, et du fait qu'il
était envoûté par des djinns - se voit à son tour accusé par Omar, ainsi que le Fouta tout
entier, d'être un mauvais musulman. El Hadj, pour démontrer son assertion, se propose de
citer quatorze faits, mais à partir du quatrième, l'assistance le prie, par patriotisme, de ne pas
déshonorer son pays natal. Auparavant, l'intransigeantjihâdiste avait critiqué les cérémonies
familiales mineuses et illicites, le libertinage des jeunes gens des deux sexes, la crise de
l'autorité parentale, la pratique laxiste de la "Zakât" ou dîme.
Du Dyallonkadougou à Ségou domine l'animisme que combat le jihâd. Ainsi,
-./
selon la version de Dinguiraye, le Dyallonka de.vait sa puissance à une force militaire'
1
Gaden (H), op. cU., v 1033-1034, p. 178.
2
Version non
transcrite,
cf notre
bandothèque.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
269
incontestable, appuyée sur une grosse idole en pierre que l'on peut encore voir. La lutte
contre le Dyallonkadougou et le Ménien 1 est ainsi relatée par Mohamadou Aliou Tyam :
"Le jour où le Cheikh eut appris que Yimba s'était révolté jusqu'à [passer] au
Ményen, était arrivé chez Bandyougou, qu'il en avait disposé sans tarder,
aussitôt le Cheikh envoya chez Bandyougou : "Rends-moi
ces gens échappés de chez moi, hé ! négateur du Roi qui ne te conveniras
pas."
Bandiougou dit: "Non! Hé toi ,Marabout!
Toi en personne, je cherche à t'avoir. Qu'as-tu à dire 7"
Aussitôt le méchant rassembla ses gens, jusqu'à ce que ce fut épais et dit:
Qu'ils panent, qu'ils aillent tomber sur le groupe du Cheikh qui ne commet
pas d'injusüce"2
Une même fin sanglante réllnit Yimba et Bandyougou. Puis Je jihâd se dirigea
vers le Bambouck, le Khasso et le Kaarta. Dans celle dernière localité, bien que la
conversion de Mamady Kandia, le souverain du pays, s'effectuât sans dommage, l'épopée
du jihâd relève un fond animiste tenace. Le passage du pays des Diawara de Karounka
suscite une hémistiche fomlelle :
"Ce pays de Kingui, qui est d'une race dont le paganisme ne se convertira
pas"3
Ségou demeure le "pays célèbre du paganisme"4, mais aussi un pays n'ès
riche puisque, d'après la version de Thithié Dramé, au cours de sa fuite, Ali "empona avec
lui des cauris, il emporta avec lui beaucoup d'or"S. Ce fait est aussi allesté, par la marabout
sénégalais, Cheikh Moussa Kamara 6
Plus infamante s'avère l'accusation d'hypocrisie ponée contre le Macina:
"Hé! gens du Macina, vous vous lamentez jusqu'à hurler; malheur à vous 1
Pleurez ces longs pleurs qui n'ont pas de limite.
1
Voir le récit de Sidi Mbôthiel.
2
Gaden (H.), op. cil. :)Iv. 230-233. p. 40.
3
Id., v. 491, p. 83.
4
Ibid., v. 946. p. 163.
5
DŒNG (S.), Thèse de Doctorat de Illème cycle, Tome l, p. 293.
6
Ndiaye (M.), "Histoire de Ségou par Cheikh Moussa Karilara", in Bulletin de
l'IFAN,
Tome XXX, Sér. B,. nO 3, Juillet 1978, pp. 458-488 ..

"kat.
CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESE!\\'TATION DU MONDE
270
De quel côté vous tournez-vous? Où vous dirigez-vous? Quel est votre
espoir?
Vous vous êtes fait précéder de ces mauvaises actions qui ne deviendront pas
bonnes.
Les bonheurs de l'autre monde vous sont interdits depuis que vous avez
travaillé à des choses illicites contre le grand Pôle qui ne se rapetissera pas" 1.
Par opposition à la pratique islamique laxiste, à l'animisme lOtal et à
l'hypocrisie satisfaite d'elle-même du Fouta-Toro, des pays animistes et du Macina, l'épopée
du jihâd dresse le portrait séduisant du Cheikh Omar, érudit musulman, défenseur
intransigeant de l'Islam orthodoxe2 Avant lOut, son jihâd se définit comme une imitation,
mieux, un prolongement du jihâd de Mohammed. Ainsi l'émigration de Djegunko vers
Dinguiraye, puis du Fouta-Toro vers l'Est, fut comparée à celle de la Mecque vers Médine3
De même, le bris des idoles ségoviennes à Hamdallahi s'inscrivit dans la même trajectoire:
"Le Cheikh interrogea Ali:"Qu'est ccci près de nous?"
"Ce sont les idoles", [dit Ali] et il cita leurs noms pour qu'on les connût.
Le Différenciateur leur dit: "Hé 1 l'rappez-Ies, brisez-les afin que vous éleviez
des mosquées dans le Ségou tout entier."
Ali dit: " Mensonge 1 Toi seulles briseras et il en adviendra du bien.
Quiconque les aurait brisées qui ne serait pas lOi ne le raconterait pas."
Là, les mauvais fléchirent la nuque, ils ne redresseraient pas le cou, ils avaient
la tête honteusement baissée à cause de ces mensonges; ils ne parlaient pas.
Là l'unique se leva, alla les briser de sa 1main] chargée de baraka pour imiter
l'action de l'Elu qui habite à Daibam"4
C'est-à-dire du Prophète Mohammed, Daïbata ou Taïbata désignant aussi
"Mailinatoul Mounawara" ou Médine-la-Lumineuse.
Jihâdiste acharné, Cheikh Omar jouit aussi d'une bonne expérience de la vie,
contrairement à Ahmadou Ahmadou, jeune roi très impérueux. La Qacida relie tout cela à la
bataille de Thiâyawal. Au lieu de donner l'assaut final, l'Emir préfère un siège:
. /
.
1
. /
Gaden (H.), op. cit., vv. 1133-1135, p. 199.
2
Voir la première et
la deuxième partie du
présent
travail
le point de
départ
historique et
les personnages.
3
Voir à ce sujet F- Dumont et El Hadj Mamadou Abdoul Niâgane.
4
Gaden (H.), op. cit., vv. 1065-1069, pp. 184-185.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU Mü1'mE
271
" Ahmadou envoya au Macina pour que les haches viennent
afin qu'une haie soit faite autour d'eux, si bien qu'ils ne sonent plus.
Regarde leur sottise, on dirait que c'est à du bétail qu'ils ont affaire.
Ils ne savent pas que le Médiateur qu'Allah a mis comme guide ne faiblira
pas.
C'est un grand Pôle, un saint qui connaît toutes les branches de la science de
la vérité et de la Loi et les comprend,
Qui a traversé des marigots et des étangs, des rivières et des fleuves; qui,
parvenu à cette "hadra "(auprès de Mohammed el Ghâli), y a bu et a été
désaltéré ;
Qui a hérité d'Ahmadou (le Prophète) sa Sounna au complet,
Qui a suivi le livre et, lorsqu'il l'a consulté, ne s'égare pas" 1.
Fidèle aux constantes qui la définissent, l'épopée joue sur des oppositions
significatives, en évacualll le politique au profit du religieux, pour faire de son héros
l'héritier authentique de la "Sounna" du Prophète de l'Islam. Aussi soumet-elle
l'économique et le social au jihâd qu'elle exalte: Cheikh Omar ne traverse les riches pays très
peuplés que pour répandre l'lslam ou réfonner une religion devenue laxiste. Une telle
optique implique une représentation du théâtre du jihâd omarien plus religieuse que
physique.
Inspirés par une telle axiomatique religieuse, griots et clercs omariens, en
opposant l'onhodoxie à la gangue hétércxloxe ou animiste, parent leur représentation du jihâd
omarien d'images reluisantes, convaincus qu'une oeuvre religieuse est avant tout une belle
oeuvre. Ils sculptent alors un univers plus tributaire de la théologie et de la mystique que de
l'histoire, Allah se servant de Cheikh Omar pour sublimer sa propre gloire.
Hl - L'EPOPEE ET L'HISTOIRE
Bien que l'épopée apparaisse comme un lieu d'histoire dans les sociétés de
tradition orale, en général, et dans l'épopée d'El Hadj Omar en paniculier, si l'on compare
les thèses des historiens aux représentations épiques portant sur les mêmes sujets, force est
de reconnaître que nous sommes en présence de deux genres divergents dans leur objet et
dans leur méthcxle: .
Gaden (H.), op. cil. vv. 1036-1040, p. 179.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
272
"La conscience de ces écarts interdit de considérer l'épopée comme fidèle à la
lettre ou à l'esprit de l'événement, mais aussi comme pure fiction: elle est fllle
d'une mentalité où l'histoire, enquête précise sur l'enchaînement et la causalité
des faits d'imponancè collective, n'a pas sa place (même si elle existe
marginalement, aux mains de spécialistes comme les prêtres ou les moines).
Les deux sphères mentales n'obéissent pas aux mêmes critères de validité:
dans l'épopée, un principe général de finalité, mouvement fatal ou
providentiel, bouscule la causalité, piétine le tissu rationnel où l'historien tente
d'enserrer le devenir humain" 1.
Pour mieux saisir cette différence, il impone de comparer ici les traitements
épique et historique du jihâd omarien.
\\
1°) LE TRAITEMENT EPIQUE DU JIHAD OMARIEN
Mue par le souci constant d'exalrer les valeurs du groupe, l'épopée apparaît
avant tout comme une lecture particulière de l'histoire. Le genre constituant une relecture
libre des faits.
A ce titre "j'histoire fournit au poète épique un cadre narratif malléable,
imponant mOlIlS par les informations gu'il compone que par l'émotion qu'il va provoquer.
Une même action, d'un poème à l'autre, d'une version à l'autre, peut être rapponée à un
héros différent, ou l'inverse; des personnages d'époques différentes, réunis sous un même
toit"2.
L'épopée d'El Hadj Omar ne déroge pas à cette règle. Aussi entretient-elle
avec la réalité des rappon complexes, allant de la complémentarité à l'opposition. C'est ainsi
qu'elle emprunte à l'histoire des thèmes, des personnages, en un mot une référence crédible,
que l'arr épique, par un mécanisme de rétroaction, transfonne en version épique. En ce sens,
l'épopée du jihâd reflète fidèlement les contradictions du vaste mouvement omarien, qu'elle
résout cependant aisément en les transcendant au moyen de la guerre sainte. On y suit, par
conséquent, les grandes lignes du système politique, économique, social et culturel de l'aire
du jihâd, ce qui renforce, du reste, la fonction historique de l'épopée, généralement admise:
"Or, la tradition orale est de loin la source historique la plus intime, la plus
succulente, la mieux nourrie de la sève d'authentiéité. "La bouche du vieillard
J
Madelénat (D.). op. cil., pp
87-88.
2
Zumlhor (P.), op. CIl., p. 11!.
,.,
L

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
273
sent rnauvais, dit un proverbe africain, mais elle profère des choses bonnes et
salutaires" 1
Véritable creuset historique, l'épopée omarienne founnille de renseignements
précieux relatifs au jihâd de son héros. Ce caractère en fait une souree irremplaçable pour une
approche conséquente du mouvement omarien. Les historiens coloniaux et contemporains2
surent l'exploiter à bon escient.
Respectant la psychologie' des personnages et la nature des événements, la
geste du jihâd renvoie ses auditeurs ou ses lecteurs à un monde qui fut réellement: El Hadj
Omar, ses jihâdistes, ses victoires, les rois vaincus ressortissent ainsi à la réalité. Cependant,
malgré le souci d'un cenain réalisme qui l'anime, le poète épique ne perd pas de vue qu'il fail
avant tout une oeuvre littéraire. il applique alors sur ce fond crédible !es ressources de SOn
métier. Pour remplir son objectif: exaltation des valeurs du groupe et glorification héroïque,
le poète dramatise 18 réalité au moyen de trois procédés de création profondément épiques: le
grossissement, l'occultation et l'anachronisme.
Visant à doter le groupe de valeurs sûres, le poète cherclle avant tout à
émouvoir son public. Pour y parvenir, il agit sur sa sensibilité. De ceue volonté participent hl
juxtaposition de mythes, de miracles, et l'emploi du double merveilleux: humain et divin
tout au long de l'épopée d'El Hadj Omar. Le mythe de fondation de Halwâr, le discours de
"Pellun waaju"3, les joutes oratoires du Caire, la disparition mystérieuse du Cheikh illustrent
cette volonté de frapper l'inconscient de l'auditeur ou du lecteur. Quant à la glorification, elle
reprend un procédé éculé du genre consistant à jouer sur des oppositions. Ainsi, les
jihâdistes et leurs descendants entrent dans l'éternité par la grande pone alors que les païens
Sont voués à l'éternelle damnation. Un tel parti pris dichotomique }Jousse aussi les
spécialistes de l'épopée du jihâd à faire coïncider le sentiment national avec la conscience
religieuse. C'est sans doute là une autre forme classique employée par tous les chefs des
théocraties peules. On comprend alors pourquoi; Farba Gouwa, le griot d'El Hadj, se met à
exalter Ahmadou Ahmadou, prince peul qui combat son Cheikh.
L'anachronisme répond au même projet: il s'agit d'exalter tout le groupe; dès
lors, il y a place pour tous dans l'oeuvré, sauf évidemment pour les êtres sans valeur, qui
cependant permettent de mettre les autres en valeur. Ainsi, alors que réparée coloniale ne
1
Ki-Zerbo (J.), préface à la Tradition
orale
par Diouldé Laya, Cemre de
documentation pout la tradition orale (C.L.T.O.), Niamey, 1972, p. 7.
2
Nous pensons notamment à : Delafossc, Mage, Laboutet, Soleil let, Gaden e.t à
Suret - Canale, Dumont, Robinson entre autres.
3
Voir le point de dérart historique.
4
Voir en
annexe
la
liste
des
quatre-vingt-dix
premiers
compagnons
d'El
Hadj Omar.
.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
274
repose que sur la Bataille de Médine l, l'épopée du jihâd l'occulte tout bonnement: la
première s'en sert pour ternir l'image de marque du jihâd ; la seconde évite d'en parler, car
on ne donne pas de leçon avec une défaite. De nos jours, les versions épiques les plus
confonnes à la réalité évoquent discrètement "l'affaire de Médine", cependant en prenant soin
de dégager Cheikh Omar de toute responsabilité dans le revers subi par les "têtes dures" de
son armée. Mais l'emploi le plus pertinent de l'anachronisme ne se rencontre dans notre
corpus que chez Sidi Mbôthiel. Soucieux de glorifier tous les valeureux jihâdistes et fidèle à
l'éthique peule, notre griot, contrairement à la logique de la guerre sainte2 , envoie tous les
aristocrates de la lance et de'la vache, en même temps que ceux du Livre, en ambassade au
Macina. Il confond ainsi dans le même éloge Bôtol Sawa Hâko le Peul, Koli Mody Sy le
prince, Ahmadou Almamy Alhassane l'érudit, Alpha Oumar Thiemo Bayla qui allie à la
naissance, l'érudition et la vaillance.
D'autres anachronismes émaillent le récit de Sidi, rraduisant surtout son
ignorance des principes islamiques: par exemple quand il affinne que les jihâdistes morts sur
le champ de bataille furent lavés et enterrés. Or ces soldats de l'Islam sont dispensés du bain
mortuaire et enterrés avec leurs habits de combat, qu'Allah changera au parddis en vêtements
inconnus des humains. Nous pensons aussi que l'emploi répété de la synecdoque "ô
Fouta! ", pour "ô enfants du Fouta!" relève du même registre: le griot confond les preux et
leur pays pour ne pas oublier, dans sa gloriole, un seul jihâdiste.
En outre, le traitement épique des faits historiques du jihâd omarien, presque
totalement opposé à celui du Roland, permet malgré tout des comparaisons saisissantes:
"Au printemps de l'année 778, Charlemagne fit une expédition miliraire en
Espagne pour aider un chef militaire, Yaqzan Ibn Al Arabi, gouverneur de
Barcelone, en révolte contre l'émir de Cordoue, Abderrahman. Deux années
passèrent les Pyrénées, l'une il l'est, l'autre à l'ouest, pour se rejoindre à
Saragosse. Charles, qui commandait celle de l'ouest, prit Pampelune, mais ne
put s'emparer de Saragosse, tenu par AI Husayn. Bientôt, inquiété par une
révolte des Saxons, il repartit pour la France en emmenant AI Arabi
prisonnier. Celui-ci fut délivré, grâce à un coup de main, en Navarre. Le '15
Août 778, au passage des Pyrénées, l'arrière-garde de l'armée de
Charlemagne fut extenninée par des Basques ou des Gascons"3
1
Voir le point de départ historique et Mage, op. cil.
2
Pour El Hadj Omar, un émissaire doit pouvoir lire le message dont il est
porteur.
3
Moigne! (G.), La chanson de Roland, Paris, 1970, p. 3.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
275
Périrent alors Hroland, (Roland) "Comte de la Marche de Bretagne", et
plusieurs de ses compagnons, dans ce coup de main hardi qui demeura impuni, d'après La
Vila Karoli d'Eginhard (830), donc bien postérieure à 778. Il semble que la mention de
Roland constitue une addition tardive au texte primitif du chroniqueur. A ce titre, certains
postulent que cette addition résulte d'un emprunt à une légende de Roland, alors solidement
établie.
En effet, aucun fait ne permet de soutenir que la défaite de Roncevaux ait éré
un événement de première importance dans le règne de Charlemagne. A ce propos, halo
Siciliano fait remarquer 1 que l'historicité du poème se réduit à quelques noms et au souvenir
d'un désastre. Malgré tout, une obscure b,itaille perdue par les troupes de Charlemagne, dans
llne étroite vallée des Pyrénées, inspira à un trouvère un vaste poème qui se répandit dans
toute l'Europe.
Après trois siècles de silence, Roland devient le neveu de Charlemagne et l'un
des douze pairs de France, ses compagnons des barons chrétiens. Parmi eux se détachent
Olivier, l'ami dont la soeur, la belle Aude, est fiancée à Roland, et l'Archevêque Turpin, le
prélat guerrier2. Le jeune Charles devient le vieil empereur "à la barbe fleurie", qui a deux
cents ans. L'expédition militaire se transforme en une croisade qui dure depuis sept ans.
L'embuscade des montagnards basques devient l'attaque de quatre cent mille cavaliers
Sarrasins. Les Francs ne sont, en outre, vaincus que par la trahison de Ganelon et la
démesure de Roland. Dès lors, la mort du courageux Roland apparaît comme un affront fait à
la France que l'cmpereur s'empresse de laver en châtiant les Sarrasins et en punissant
Ganelon.
D'une manière générale, cOlltrairement à J'épopée du jihâd, le traitement
épique des faits historiques du Roland révèle un profond écart entre le poème et son fond
historique. Madelénat a raison d'affirmer à ce sujet:
"Quand on envisage séparément la narrativisation (qui touche les modalités
d'énonciation), et l'émergence de l'action et des thèmes héroïques, on saisit
dans la conjonction de ces deux évolutions la véritable discontinuité sur fond
de très longues continuités"3.
1
Siciliano (1.), Les onglnes des chansons de geste, Paris, 1951, p. 50.
2
Faral (E.), "A propos dc la Chanson de Roland. Genèse et signification du
personnage de Turpin", in Actes du colloque de Liège, 1959
p. 272.
3
Madelénat (D.), op. Cil., p. 112.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
276
2°) LE TRAITEMENT IIISTORIQUE DES
VERSIONS
DE
L'EPOPEE
D'OMAR.
Il est généralement reçu que l'histoire puise dans l'invention épique des
procédés de dramatisation et de développement. En ce sens, au XlIème siècle, les romans de
BrUI et de Rou fonnèrent les annales légendaires et héroïques des souverains bretons et
nonnands.
L'histoire de l'Afrique se constitua aussi en recourant, pour une large pan,
aux traditions légendaires et épiques. Il en eSt de même de l'histoire du jihâd omarien qui ne
saurait écarter le fond épique et mythique qui la génère. En revanche, l'historien, définissant
sa discipline comme une science qui vise une explication rationnelle du passé, ambitionne,
grâce à l'application d'une méthode scientifique, de retrouver l'axe des événements afin de
reconstruire les faits. A cet égard, l'historien fait peu cas des mythes, des miracles et du
merveilleux, si présents dans la narration épique du jihâd omarien. Séparant religion et
politique, il retient le fait idéologique plus confèmne à son champ d'analyse. Dès lors, les
succès du jihâd trouvent leur explication dans le contexte socio-poLitique de l'époque sous
l'action d'un grand homme.
L'analyse historique l discerne aussi dans l'épopée un genre li[(éraire et un
discours idéologique. Elle considère que Jt~s mythes et légendes participent d'une volonté de
domination mentale. Aussi récuse-I-elle le passage de Cheikh Omar à l'Université de Pire
ainsi que l'articulation du jihâd de Mâba Diakhou Bâ sur le jihâd omarien. Symbole du jihâd
victorieux, Omar apparaît alors comme un mythe ambulant, récupéré par les omariens pour
légitimer leurs désirs. Dans tous les cas, l'idée de leader fédérateur fournit au mythe une
heureuse forrune, surtout durant la période coloniale.
Lieu d'histoire, l'épopée d'El Hadj Omar reste la source la plus crédible pour
approcher correctement ce phénomène. Or, l'historiographie africaine la modifie à plusieurs
reprises. Considérons ici les deux cas les plus typiques: la conquête omarienne du royaume
bambara de Ségou et le refus d'Ahmadou de voler au secours de son père; le premier acte est
interprété comme une vengeance, le second comme une ingratitude. Par contre, la réalité
semble toute autre.
De retour de la Mecque, Cheikh Omar passa par Ségou où il fut emprisonné
par le roi Tiéfolo. Mais, "après trois jours de conversation, Tiéfolo fut entièrement subjugué
par le verbe et par l'aspect physique d'El Hadj Omar. Il se convertit à l'Islam et voulut rendre
sa conversiori publique. El Hadj Omar le lui déconseilla. Il lui dit
:" Si les anciens
apprenaient ton abandon de rahimisme, ils t'assassineraient aussitôt. Cache ta conversion et
Nous pensons ici surtout aux historiens marxistes ou matérialistes.

O-JAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
277
use de ton autorité royale pour saper petit à petit le culte des fétiches. Ta mon ne servira pas
la cause de l'Islam. Elle fera des veuves et des orphelins."
La mécÔ;naissance de ces faits induit fatalement en e~r. Aussi,
.
,
l'aff111llation de Maurice Delafosse selon laquelle "El Hadj Omar ne devait jamais pardonner
à la dynastie des Diarra, l'humiliation que l'un de ses membres lui avait fait subir" découle
d'une analyse des faits africains avec la logique européenne" 1.
De même, l'histoire coloniale reproche à Ahmadou le fait de n'avoir pas
assisté son père, alors que celui-ci était assiégé à Hamdallahi. Là encore, il convienl de
rétablir la réalité: "Alors quEl Hadj Omar venait de conquérir sur les Hamarilobbo,lEmpire
qu'ils avaient fondé en 1818 au Macina, il écrivit à son premier fils, Ahmadou Cheikhou, roi
de Ségou, pour lui donner un ordre impératif et un conseil pratique. L'ordre était celui-ci: "
Quelle que soit la situation critique dans laquelle je pourrai me trouver dans le Macina, je
t'interdis de voler à mon secours. Pour rien au monde, ne bouge pas de Ségou ... ,,2
Au lieu de l'ingratitude du fils, il convient de considérer plutôt le réalisme
politique du père. Mais l'épopée et l'histoire sont condamnées à collaborer pour instruire et
plaire, étant donné les goûts divers et changeants de leur public.
3°) REJET ET REJAILLISSEMENT
Vecteur historique relativement peu utilisé dans les civilisations de l'écrit, la
tradition orale joue un rôle prépondérant dans l'épopée omarienne. Ses avantages la
rapprochent de l'histoire, ses inconvénients l'en éloignent.
Un avantage évident de l'épopée du jihâd est qu'elle fait revivre l'histoire. Ici
griots et clercs s'efforcenl d'éviter une suite chronologique morne, préférant retenir l'aspect
humain des personnages historiques. Un deuxième avantage qui, au demeurant découle du
premier, demeure le potentiel poétique considérJble de la performance épique. En effet, l'an
oratoire des anisans du verbe confère à la narration une intense ponée lyrique. Il en résulte
cependant un intérêt plus poétique et ethnologique que véritablement historique.
Et là apparaissent les limites de la transmission orale tant décriée par les
historiens. En ce sens, la pluralité des versions générées par un même événement laisse une
cenaine libené au narrateur. Dès lors, un même héros devient, d'une ethnie à l'autre, d'une
Ba (A. H.), "El Hadj Omar vu de l'intérieur", Union Culturelle Musulmane,
2ème Semaine CulIurelle Islamique sur la vie et l'oeuvre du Cheikh El Hadj
Oumar Foutiyou
Tall,
sur la vie et
l'oeuvre du
Cheikh
El
Hadj
Oumar
Foutiyou Tall, Dakar, du 22 au 30 Décembre 1979, Ronéotypé, p. 37.
2
Ba (A.
H.),
"Comment
la jeune
République
du
Mali
eut
accès
au
port
d'Abidjan", in Afrique Histoire, nOI, Janv. Fév. Mars, 1981, p. 52.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
278
contrée à l'autre, un modèle ou un anti-modèle, et sur une même trame peuvent se greffer
tous les intérêts du narrateur.
De plus, l'épopée se définit avant tout comme un art du spectacle; il convient
alors, à chaque performance, de capter l'attention de la réception par la multiplication
d'actions héroïques sublimées au contact du mythe, des miracles et du merveilleux. TOUl cela
nuit à l'histoire et l'historien est contraint d'opérer de nombreux et difficiles recoupements,
pour restaurer la clarté et l'objectivité du récit, de façon utile et constructive.
L'autre inconvénient intrinsèque à l'épopée demeure la précarité de la parole.
Confiée à la mémoire, la tradition orale épique disparaît au fil des générations, faute de
transmission ou de conservation appropriée. L'histoire, en revanche, fixe d'un trait de plume
ses données, afin qu'elles transcendent le temps.
Cependant, malgré toutes ces différences assez sérieuses, le caractère
idéologique du discours réconcilie l'épopée et l'histoire. Tout comme le poète épique qui se
veut émetteur et récepteur de son oeuvre, " l'historien est dans l'histoire" selon la belle
fonnule de Michelet. Le monde contemporain ne s'y méprend pas; "Les politiques ne s'y
trompent pas: ils captent à leur profit cene soif inassouvie d'admiration et de valorisation, et
"récupèrent" les prestiges tombés en déshérence; le Duce, le Führer, le Père des peuples, le
Grand Timonier, acclamés par des foules géométriques, sanglés dans l'uniforme, incarnent
la nation, l'histoire, le' Bien, et représentent une sinistre mise en scène de l'héroïsme" l.
L'épopée et l'histoire, de par la nature des rapports qu'elles entretiennent dans
le jihâd omarien, indépendamment de leur statut paniculier, obligent à conclure de façon
mitigée. Belle et plaisante, l'épopée reste imprécise et périssable..; objective et claire,
l'histoire reste, dans bien des cas, tributaire de l'historien. La fone empreinte idéologique,
dans les deux genres, indique qu'une saine collaboration permet de concilier leurs avantages
respectifs tout en minimisant leurs inconvénients.
Mais ce problème a trouvé une solution heureuse depuis l'aube du jihâd
omarien, quand griotS et clercs décidèrent de jeter un pont entre l'oralité et l'écriture dans
leurs oeuvres.
B) VISION DES VAINQUEURS, VISION DES VAINCUS
Vaste narration exaltant des exploits héroïques, l'épopée joue sur des
oppositions significatives: valorisation des vainqueurs, dévalorisation des vaincus. Etant
donné que l'homme refuse d'échouer, "chaque/peuple travaille à faire son épopée"2 JI en
l
Madelénat (D.), op. Cil. , p. 249.
2
Id., p. 239, La vision d'Hébal, citée par Hunt, op. cil.. p 95.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU !'.'10NDE
279
résulte une double vision d'un même fait. La prise en compte de ces deux points n'a pas, en
général, passionné les critiques, malgré l'existence d'un corpus considérable à ce sujet.
L'étude d'un point de vue a largement prévalu par conséquent. L'épopée d'El Hadj Omar
permet, fort heureusement, de jeter les bases de l'étude relative à la vision des vainqueurs et
à la vision des vaincus dans le cadre de la geste peule traditionnelle islamisée. Mais,
auparavant, le détour des chansons de geste s'impose.
1- LES CHANSONS DE GESTE: LES CROISADES VUES PAR LES FRANCS ET PAR
LES ARABES
Au lendemain de l'Emigration (Hégire) du Prophète Mohammed de la Mecque
vers Médine, l'Islam entra dans une phase conquérante qui le pona assez vite à son apogée.
A la mort du Prophète, ses généraux (les Khalifes) poursuivirent son action. C'est ainsi
qu'en 809, quand mourut le Khalife Haroun al-Rachîd, la nouvelle religion était très
florissante. L'occupation arabe de Jérusalem révolta la chrétienté, et en 1096, Piene
l'Ennite, à la tête d'une fone armée franque, conduisit la première croisade. Elle fut malgré
tout écrasée par Kilij Arslan, Sultan de Nicée.
)
11 se développa, dès lors, une littérature féconde alimentée par les
observations des deux camps: Francs et Arabes, en d'autres termes croisés et musulmans.
Les chansons de geste et les chroniques arabes en témoignent.
1°) LES CROISADES VUES PAR LES FRANCS
Pour nous limiter à notre sujet, nous avons volontairement circonscrit nos
sources aux chansons de geste, et particulièrement à La Chanson de Roland qui en constitue
un modèle achevé. Inspirées par les intérêts de la foi chrétienne, les croisades furent
encouragées par l'Eglise qui, en plus des secours ordinaires, assura aux armées la présence .
d'évêques et de prêtres pour prêcher l'abnégation, confesser et absoudre au besoin. Telle
devait être à l'origine la fonction de l'archevêque Turpin 1, le prêtre-guerrier du Roland. A la
vue des hordes païennes, il s'anime et s'exprime2 sous les accents des sem10ns d'Urbain
rr3 Puis, équipé comme un chevalier, lance en main, monté sur un destrier, Turpin brandit
Almace, son épée, et fait des Sarrasins un horrible massacre.
Faral (E.), "A propos de la Chanson de Roland. Genèse el signification du
personnage de Turpin", in ACles du Colloque de Liège ... p. 272.
2
Moignet (G.), op. cit. , P 46 (Laisse LXXXIX, vv Il27 - 1136).
3
Il prêcha à Clermont la première croisade. Voir aussi Mathieu (XVI, 24-25).

O-IAPITRE rv - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
280
Ainsi, au terme d'une étude fine et pénérrante, Edmond Faral a monlfé que le
personnage de Turpin, le prélat guerrier, fortifie l'idée que La Chanson de Roland se voulait
une oeuvre militante, conçue pour susciter des vocations héroïques et pour renforcer les
vertus guerrières à même de réaliser les croisades. Le poème lui donne aussi raison, puisque
les croisades et les croisés jouissent d'une représentation paniculièrement reluisante. Les
musulmans, par conue, se voient rravestis en polythéistes, voués aux cultes de trois divinité:
Mohamet, Appolin et Tervagant, d'origine inconnue. Tout le long du poème, une opposition
tenacc met en gros plan des croisés sincères et déterminés, en face de musulmans idolârres et
versatiles.
D'une manière globale, il resson du Roland
une VISIon négative des
musulmans, assimilés à de vulgaires polythéistes. En revanche, le poète multiplie ses
ressources pour faire des croisés les symboles vivants de ta morale parfaite et de la vraie
religion. En se creusant, le fossé qui sépare croisés et musulmans dresse deux entités
irrémédiablement antagonistes. Les chroniqueurs arabes semblent aussi avoir assimilé la
leçon.
2°) LES CROISADES VUES PAR LES ARABES
Ponant la croix sur le dos et proférant la parole divine en Orient, les Francs se
proposaient de délivrer la terre promise du joug des païens. Aussi l'épopée des croisades ne
nous est-elle généralement connue qu'à u'avers le récit des chevaliers chrétiens venus
d'Occident. Le grand public ignore presqu'entièrement l'épopée orientale, arabe, islamique,
des croisades, Celle-ci considère que les croisades signifièrent pour les chrétiens l'accès à la
terre promise : celle des épices, de l'or et des soieries. Elle montre des croisés se
métamorphosant sur place en pilleurs et violeurs, m~ssacrant les hommes, rôtissant les
enfants au nom de la chrétienté. A ces barbares, l'épopée arabe oppose l'Islam, foyer d'une
religion et d'une civilisation supérieure. C'est sur ce fond dichotomique que s'inscrit la
vision arabe des croisades.
De l'imposante masse de chroniques relatant le point de vue de "l'autre
camp", la chronique biographique d'Ousama 1 mérite une place spéeiale. Né à l'époque de la
première croisade et mon quelques mois après la reprise de Jérusalem, Ousama, neveu du
princc de Chayzar, eut la fortune d'être à la fois un acteur et un témoin des croisades, lui qui
fut également un guerrier et un poète.
../
L'autobiographie d'Ousama fUI publiée à Paris en
1896 par les soins de H.
Dcrembourg.
Une
publicaLion
récente
la
réacLUalise
:
il
s'agit
de
celle
d'André Miquel, Ousâma, Un prince syrien face aux Croisés. Paris, 1986.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
28 1
Des écrits de ce témoin privilégié et de ceux de ses pairs se dégage nettement
une image révoltante des croisades et des croisés. Pour les Arabes, les croisés apparaissent
avant tout comme des aventuriers, des mercenaires cruels. Ces barbares se révèlent sunout
par une pratique médicale singulièrement atroce. A cela s'ajoute la manie de la grossièreté l . -
Une telle propension aux vices attire souvent sur eux le courroux du cieL
A la lumière des écrits des historiens et chroniqueurs arabes sus évoqués, les
croisades renvoient à de vastes entreprises d'exploitation coloniale et les croisés à de vils
colonisateurs, sans foi ni loi. Malgré tout, quelques figures sympathiques se dégagent du
tableau noir comme Raymond Ibn Raymond as-Sanjili2, descendant de Saint Gilles, et
l'empereur Frédéric. Ainsi, en mettant en contact croisés et musulmans, les croisades
suscitèrent deux épopées contradictoires, chacune se prévalant sur l'autre. L'épopée arabe
semble rraduire la liberté de création des écrivains qui transcende la force militaire.
II - LE JIHAD D'EL HADJ OMAR VU PAR LES OMARIENS ET PAR LES PEUPLES
VAINCUS.
A l'image des croisades, le jihâd omarien suscita une abondante littérature
orale et écrite de laquelle se dégage une vision des vainqueurs et une vision des vaincus. En
effet, alors que les marabouts et les griots omariens sublintent leur Cheikh dans leurs
oeuvres, l'aurre camp, faisant alterner le dénigrement et l'invective, tente de ruiner les
fondements de son jihâd. Ces vues diamétralement opposées délimitent cette étude.
10) LE JIHAD D'EL HADJ OMAR VU PAR LES üMARIENS
Les versions des griots ajoutées aux manuscrits donnent une idée de la
mission spirituelle de Cheikh Omar, que les auteurs ordonnent en une vision interne assez
homogène. C'est ainsi que l'épopée toucouleur commence, avant tout, par faire d'Omar le
prototype de l'homme parfait, pour en faire par la suite un imâme de jihâd. Les récits
s'attardent volontiers sur les dons exceptionnels de l'enfant, issu du reste de parents
iIlusrres. Faisant ensuite appel au cadre théocratique et à l'époque des jihâds qui ont vu naître
Barou, griots et marabouts enfoncent la carrière du Mujâhid dans le destin originel du Fouta-
1
Voir Maalouf (A.), Les croisades/vues par les Arabes, Paris, 1983, p. 157.
.>---
2
Voir le Chef-d'oeuvre d'Ibn
alcAlhir (1160-1233),
L'Histoire
parfaite
(AI-
K amel
fit-Tarikh)
qui
n'existe
en
français
que
dans
des
traductions
fragmentaires,
tel le Recueil
des
hislOriens
des
croisades, publié à Paris
entre 1841 et 1906 par les soins de l'Académie des Inscriptions et Belles-
Lettres.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
282
Toro. C'est là une manière de récupérer le mouvement omarien à des fins nationalistes,
engageant du coup tout Foutanké.
Le pèlerinage d'Omar aux Lieux Saints de l'Islam fournit, à cet égard, un
heureux prétexte. Parti à pied en Orient, Cheikh Omar revim auréolé du titre prestigieux de El
Hadj, et de celui non moins envié de khalife tidjâni 1. Il uiornpha par la suite aux joutes
oratoires du Caire, ce qui lui valut d'être précédé par une bonne renommée au cours de son
voyage de retour. S'inspirant de ces faits, les griots sculptèrent la figure légendaire du
voyageur infatigable et de l'érudit hors pair: Omar ayant dépassé ses compatriotes
doublement, pour avoir étudié et voyagé plus qu'eux. Quant aux lettrés, ils magnifièrent le
saint et l'érudit qui a su uiompher sur des Arabes. La Qacida en poular rappelle à ce 'propos
Ceci :
"Louange à Omar le Fouranké, qui aimc [la religion] et ne [la] haïra pas,
qui s'est pourvu du coeur d'un homme qui a ceint ses reins, d'un homme
femle qui ne faiblira pas.
Comme il avait pensé rester (il Médine), alors lui ordonna le retour dans
l'Ouest: " Va balayer les pays.. .',2
La même injonction "Fittoy lesDe", (Balaie les pays), détermina son
destinataire à lancer immédiatement l'appel du jihâd.
Une vie mystique marquée par une volonté inébranlable d'appliquer toute la
"Charia"3 (Loi islamique), s'annonçait, nécessitant une profonde rupture d'avec le modèle
précédent. Se considérant comme un instrument d'Allah, Omar multiplie des retraites
spirituelles pour mieux communier avec son Seigneur. Ces pratiques en font un faiseur de
miracles: il provoque la pluie, éteint le feu,trouve un point d'eau, entre autres. Au sommet de
sa puissance théologique et mystique, il décida d'émigrer de Djcgunko vers Dinguiray~. Il
s'agissait là encore d'une application de la théologie: imitation de l'émigration (Hégire), du
Prophète Mohammed de la Mecque vers Médine4 Poursuivant l'analogie, les émigrants de
Djegunko portèrent, comme les compagnons Mecquois, le titre glorieux de "Muhâdjirun"
(Les Emigrants), et les hôtes de Dinguiraye prirent, comme ceux de Médine, la généreuse
appellation de "Ansâr" (Ceux qui ont porté secours).
1
Voir Dumont (F:), 0l/< cil.
../
2
Gaden (H.), op. cil.~, VV. 69-71, pp. 13-14.
3
Jah (O.), Sufism
and
Ihe
nineleenth
cencury
jihah
movements in
the
western Sudan : A case of Al Hjj Umar Al-Futi's. Philosophie of jihad and its
sufi bases, Inslilule of Islamie Sludies, Mc Gill University; Ph. d., 1973.
4
Dumont (F.), op. cil.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTAnON DU MONDE
283
El Hadj Omar inspira alors aux maîtres de la parole et de la plume de belles
oeuvres où il se voyait peint sous les traits d'un excellent imitateur du Prophète:
"Celui qui a été le meilleur <lira: "Louange à Omar le Foutanké et à ce groupe,
à lui qui a été brillant et ne sera pas obscur.
Ce groupe est celui dont s'est glorifié au-dessus de tous les nombreux
groupes,
Comme de compagnons choisis, les meilleurs sans limite" 1
Le dernier vers explique l'allongement progressif de la liste des premiers
compagnons d'El Hadj Omar2 : chaque Toucouleur, chaque Omarien souhaite faire partie
des "compagnons choisis, les meilleurs sans limite". Dès lors les griots, faisant vibrer la
corde sensible de leurs auditeurs ou obéissant à leurs intérêts, établissent des listes ouvertes
prêtes à accueillir tout ressortissant de l'aire du jihâd qui fut sympathique au Cheikh.
C'est sans doute cette idée qui détennina Sidi Mbôthiel à envoyer Bôtol Sawa
Hâko, Koly Mody Sy et Farba Gou wa, en mission au Macina au mépris de toute
vraisemblance. Pour l'artiste, le bénéfice de l'exaltation du "pulaagu" est de loin supérieur à
l'inconvénient de l'irrégularité. Le personnage du griot Farba Gouwa semble, du reste,
remplir cette fonction car il est plus attentif à la tradition et à ses intérêts personnels qu'à la
cause du jihâd.
Il convient d'ajouter que les succès du jihâd accentuèrent ce type de récit
anachronique: l'héroïsme païen prenant le pas sur le mouvement religieux. C'qt aussi cette
orientation qui fonde les deux agents mythiques du jihâd omarien : un serpent souterrain et
un oiseau qui volait continuellement. En mettant en gros plan ces attributs, les griots faisaient
marcher le mouvement omarien, peut-être inconsciemment, sur les traces de llüâmaba3, le
serpent mythique des Peuls. Tirant alors toutes les conséquences d'une telle analogie, les
griots expliquèrent l'échec des jihâdistes devant le Fort de Médine en 1857 parce que ceux-ci
avaient emprunté l'orientation Est-Ouest, orientation inverse au tracé faste suivi par
Thiâmaba. De même, ils triomphèrent devant les rois bambaras et peuls, quelques années
plus tard, lorsqu'ils suivirent le tracé Ouest-Est. Cette image d'un chef vivant dans l'intimité
d'un serpent et d'un oiseau, exalte sans doute un pouvoir sans limite, mais doit
manifestement plus aux cosmogonies négro-africaines qu'à la stricte orthodoxie islamique.
1
Gaden (H.), op. cil. vv 145, p. 26.
2
Voir en annexe la liste des quatre-vingt dix premiers compagnons d'El Hadj
Omar.
3
Serpent mythique peul. Voir à Ce sujet F. de Zeltner, Conles du Sénégal el du
Niger,
Paris, 1912; A. Hampaté Râ et G. Dieterlen, Koumen, Paris, 1961.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
284
En revanche, l'épopée savante, prenant en charge les connaissànces
profondes et variées de son héros, met en évidence les fondements orthodoxes de son jihâd.
Elle lui adjoint des compagnons dignes de lui: "des gens qui ont renoncé à mère et père et
qui ont choisi [d'aller] vers le paradis" 1. Leur glorieux jihâd résulte de leur engagement très
souvent volontaire et sincère, bien que Cheikh Omar dût, à plusieurs reprises, recourir à la
tactique de la terre brûlée pour faciliter l'émigration de certains, en dernier recours cependant:
"Faire incendier les magasins à mil était, dit la tradition, le meilleur moyen de coercition du
Cheikh"2
Estimés à plus de trente mille hommes, annés de fusils à balles de fer,
fondues par les forgerons, les soldats omariens appliquèrent une tactique vigoureuse
privilégiant l'attaque des places fones, "Yah to satti", ("Va où c'est très difficile"), dit la
Qacida.
Héritiers des compagnons du Prophète Mohammed, les jihâdistes SOnt
couverts de gloire. Par contre, ils sont aussi indisciplinés et il leur arrive assez souvent de
piller les biens des autres musulmans, à l'insu du Cheikh, modèle de justice et d'équité.
Quant à l'empire omarien, il apparaît, à travers les versions populaires et
savantes, comme une vaste communauté islamique paisible où "même une femme mettait son
pagne et partait, pas un ne lui faisait du ton"3 ("fai debbo haddoto yaha, gooto ne lorlatah").
On se croirait au Maroc, où à la grande époque de la paix almohade, au XITème siècle, on
disait qu' "une femme ou un Juif pouvait aller, sans risque, de Taroudant à Tripoli". Mais à
cette paix omarienne allaient succéder des troubles: siège de Hamdallahi, disparition du
Cheikh à Déguembéré. Cette dernière phase du jihâd trouble les griots et les érudits. Malgré
leur solide fornlation, ils concluent souvent à la disparition mystérieuse d'El Hadj Omar,
dernière image du saint imposée à la postérité. Une voix autorisée en donne un exemple
expressif:
"Selon le petit-fils du Cheikh, Seydou Nourou Tall, El Hadj Omar disparut
par une faille de la montagne, et son corps ne fut jamais retrouvé" (Dakar, 21
Mai 1963)"4.
Au jihâd omarien représenté dans toute sa splendeur théologico-mystique,
l'épopée d'Omar oppose la mécréance et l'hypocrisie des peuples vaincus. L'objet du jihâd
omarien étant à la fois d'islamiser les païens et de diffuser la Tidjanyya, Cheikh Omar mena
~/
1
Gaden (H.), op. cit, v.145, P 26.
2
Id., P 109.
3
Ibid., op. cit.
4
Monteil (V), L'islam noir, Paris, 1964, p. 88.


CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
285
une lutte sans merci contre les animistes du Dyallonkadougou, les infidèles du Kaana et les
méchants du Khasso. Les Bambaras sont durement traités" païens immondes, au corps
puant qui ne sera jamais propre" 1. Ils sont peu sincères dans leur conversion: le sabre du
jihâd leur tranche la tète. Karounka et les Dlawara subirent, à leur tour, le même sort.
Ségou resta le fief du paganisme, aussi le jihâd s'acharna-t-il contre son roi
Ali et SOn peuple: tous périrent de mort ignominieuse; les hommes furent tués, les femmes et
les enfants réduits en esclaves. Leurs idoles furent brisées par imitation du Prophète de
l'Islam, confirmant aussi la haute mission du jihâd omarien : marcher "sur les traces du
grand paganisme qui ne se convertira pas"2 ("faade afar keefeeru manngu, ngu tuubatah").
L'empire peul du Macina, théocratie fondée par Sêkou Ahmadou, est accusé
d'hypocrisie, conformément à la lettre et à l'esprit du Coran (Sourate IV, versets 137-138).
Or, une telle accusation s'avère très infamante en Islam. Pire encore, ici l'hypocrisie
s'accompagne de sottise:
"Ahmadou envoya au Macina pour que des haches viennent afin qu'une haie
soit faite autour d'eux, si bien qu'ils ne sortent plus.
Regarde leur sottise, on dirait que c'est à du bétail qu'ils ont affaire"3
Il s'agit de la bataille de Thiâyawal où Ahmadou ru, au lieu de donner l'assaui
final aux jihâdistes assiégés, préféra les réduire par la faim. Mettant à profit ce répit, les
soldats d'Omar reprirent le combat, armés de fusils en bon état et de sabres qui permirent une
victoire éclatante au jihâd, interprétée comme le résultat d'une intervention divine directe.
Cependant, alors que les griots et les marabouts élaboraient la vision des
vainqueurs, El Hadj Omar aussi était à pied d'oeuvre. Il rédigea à ce sujet un opuscule4
considéré comme la justification omarienne de la Bataille contre le Macina. Le Cheikh,
prenant Allah, son Prophète, et Cheikh Ahmed Tidjâne à témoin, citant la correspondance
qu'il eut à échanger avec l'Emir du Macina, accusa l'Empire d'être coupable d'hypoensie.
Invoquant la justice divine, Cheikh Omar supplie Allah afin que le fautif soit vaincu et que le
véridique sorte vainqueur.
Griots et marabouts retinrent cette image de leur héros et la façonnèrent aux
couleurs théologiques et mythiques pour en faire une représentation mentale qu'ils livrèrent à
l'inconscient collectif des peuples vivant sous l'aire de son jihâd. Mais Cette vision des
vainqueurs, qui mobilise aussi l'héroïsme paren pour exalter son héros, ouvrait également
/
Gaden (H.), op. cir.
2
Id.
3
Ibid., v 1035
1036, p. 179.
4
C'
Bayan ma waqa 'a
(BNP, Cote 5605, ff. 2. 29) op. cie.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
286
une .fenêtre sur des éléments non théologiques comme le serpent mythique, les
métamorphoses, le merveilleux païen. Les vaincus n'hésitèrent point à sauter par delà la
fenêtre, et exploitant l'héroïsme païen du jihâd omarien, ils le corsèrent en une autre vaste
épopée.
2°) LE JIHAD D'EL HADJ OMAR VU PAR LES PAYS CONQUIS
En même temps qu'ils affrontaient les assauts des jihâdistes, les peuples
vaincus mettaient en oeuvre une véritable riposte intellectuelle, sorte de revanche culturelle.
Aussi eurent-ils à élaborer une vue d'ensemble qui embrasse toute la carrière d'Omar. C'est
ainsi que, s'appuyant sur une abondante littérature orale et écrite, quoique étouffée par celle
des vainqueurs, la vision des vaincus multiplia accusation et dénigrement afin de déprécier El
Hadj Omar et ses jihâdistes, ruinant du même coup les fondements de sa guerre sainte.
. Dès lors, du Dyallonkadougou au Macina, se développe une vaste
représentation du mouvement omarien. Là, le Cheikh est peint sous les traits d'un ambitieux
conquérant tyrannique; ses jihâdistes apparaissent sous le dehors d'une horde d'aventuriers
indisciplinés; son mouvement est décrit comme une vaste campagne de colonisation totale.
En effet, usant de toutes les possibilités pour dévaloriser le jihâd omarien, la
représentation des vaincus n'hésite pas à recourir à tous les arguments susceptibles de
discréditer El Hadj Omar et son mouvement. A ce sujet, la tradition orale et écrite du Macina
et les écrits tardifs de Sidi Ahmed El Bekkaî restent les plus originaux. Une version
populaire de Hamdallahi note, de ce point de vue, qu'Omar, de passage dans la capitale du
Macina, alors en route pour les Lieux Saints de l'Islam, se vit présenter Ahmadou Ahmadou
afin qu'il le bénisse. Une fois entre les mains du Cheikh, le nouveau né se mit à vagir de
façon extraordinaire. Les érudits et les vieillards conclurent qu'il pleurait puisqu'il se trouvait
entre les mains de son fu tur assassin.
Cette image du tyran ne s'exprime, cependant, pleinement que sous celle de
l'ambitieux conquérant. Bocar Cissé l reste formel:
"En ce qui concerne El Hadj Omar, ce qu'il faut retenir à son sujet est qu'il fut
. un homme cultivé et fon. C'est la culture mise au service de l'ambition. Son
ambition était de dominer tout le Sahel sous la bannière de l'Is1am''2
~-
/
Eminent
chercheur malien,
qui
dispose
de nombreux
documents
collectés
un peu partout au Mali, Bocar nous a communiqué l'essentiel de la vision
des
vaincus,
fruit
de
sa
quête
passionnée
auprès
des
marabouts
et
dépositaires authentiques de la Lradilion orale et manuscrite.
2
Entrevue enregistrée ct retranscrite à Bamako, le 26 Septembre 1985.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
287
La version de Hamdallahi renchérit en clisant qu'El Hadj Omar visita en Orient
les pays turc et kurde afin d'y acquérir des sciences mystique et ésotérique, pour être panout
victorieux, et en particulier pour dominer le Soudan occidental. La preuve est fournie par le
fait qu'en quittant Sokoto pour le Macina, El Hadj Omar, trouvant Guéladio au petlr
Kounâry 1, lui promit de lui restituer son royaume, alors annexé par la Dîna du Macina. Par
la suite, quand il conquit Hamdallahi, il envoya immécliatement un émissaire en direction de
Guéladio pour le prier de reprendre le commandement du grand Kounâri.
Un tel homme politique, dévoré d'ambition, envahit plus d'une fois, et sans
raison, des principautés islamisées comme l'Empire peul du Macina. Les traditions
recueillies par Boear Cissé constituent, à ce propos, une accusation accablante:
"La légende dit que El Hadj Omar, en construisant le tata qui entoure la
concession de Cheikhou Ahmadou, jeta dans un puits les têtes de Ahmadou
Ahmadou et de Bina Ali, plus sept cents jeunes garçons, nouvellement sevrés,
tous fils de grands marabouts. Il a aussi emmuré vivants six marabouts dont
on m'a donné quatre noms: il s'agit de Abdourahmane Bâ de Sâré Seynou,
de Mâlick Al Hadj de Dâri, de Ahmadou Hamadoun Pérédio de Kounari, et de
Ismaïla Hama Sidiki Barry de Tomoura. Ces marabouts furent emmurés
vivants dans les angles du tata, exactement comme le roi de Ségou emmura
auparavant soixante sofas dans les murs de Ségou, ainsi que soixante jeunes
fllles"2
El Hadj Omar est accusé aussi d'avoir, dans la même foulée, réduit la veuve
de Cheikhou Ahmadou, fondateur de la "Dîna" du Macina, en une vulgaire servante. En
effet, après la prise de Hammdallahi, Omar vendit aux enchères la vieille Adja, mais
personne ne voulut l'acheter, alors El Hadj sonit sept cent cauris qu'il distribua aux gens,
prix de la femme noble à l'époque. Un chef aussi cruel ne peut s'appuyer que sur une horde
d'aventuriers indisciplinés, en somme des mercenaires à la solde d'un tyran.
La version du Khasso déclare à ce propos, dans ses diverses relations, que
c'est la conduite inconsidérée d'un talibé mal élevé qui précipita la dissidence de Dioukha
Samballa : alors que le roi du Khasso faisait la sieste dans son appanement privé, un talibé
força la garde et pénétra dans sa chambre. Pour le réveiller, le jihâdiste tira fon son gros
oneil. Dioukha Samballa se réveilla brusquement et cria: "Est-ce un homme ou un cliable ? "
/
Chassé du Kounâry par la Dîna, GuelMio fonda un royaume cl lui donna,
par nostalgie, le nom de petit Kounâry.
2
Cissé (B.), informaIions recueillies auprès du marabout de Djengo, Bamako,
le 26 septembre 1985.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
288
A quoi le talibé répondit: "Je suis un homme, je suis envoyé par Cheikh Omar, et toi, tu
dors encore à l'heure de la prière? Le marabout te demande de la poudre" 1.
Malgré les conseils de sagesse de Cheikh Omar, le roi du Khasso lui jeta le
chapelet et le bonnet qui les liaient. Cette image des jihâdistes est conservée dans toute l'aire
du jihâd. Ahmadou Hampaté Bâ a, de son côté, noté sept cas de désobéissance2 des soldats
omariens, qui causèrent aussi la perte du mouvement.
Dès la Bataille de Médine (1857), El Hadj Omar cessa de contrôler son année
affamée de butins; elle lui désobéira sept fois:
- Bien que Cheikh Omar tolérât les Blancs, à cause de la supériorité de leur
armement, l'attaque de Médine fut faite contre sa volonté.
- A Méné-Méné (Nioro), les soldats modifièrent le plan d'attaque de leur
Cheikh.
- Cheikh Omar interdit à son arnlée, en route pour Ségou, de débarquer sur la
rive droite. Par contre, à Sansanding, le débarquement eut lieu contrairement au vœu du
marabout.
- Alpha Oumar dit aux soldats qui l'accompagnaient à Mâni-Mâni de passer à
l'aller par la zone inondée et au retour par la zone exondée. Le détachement fit le contraire,
entraînant la mort du général de l'armée omarienne.
- Au fon du siège de Hamdallahi, les soldats obligèrent El Hadj Omar à sortir
coûte que coûte, alors qu'il avait envoyé Tidjâni et Pâté Poullo3 chercher une armée de
secours.
- A la sonie de la grotte de Déguembéré, Cheikh Omar fut désobéi; il déclara
alors: "Si vous désobéissez une autre fois, vous détruirez tout, car Dieu a créé en six jours."
- Enfin, El Hadj Omar fut trahi par un soldat qui divulga son plan à ses
ennemis maciniens et tombouctiens.
Ces jihâdistes indisciplinés furent aussi au service d'une vaste campagne de
domination politique, et d'exploitation économique, sources de vives tensions sociales. En
fait, pour les peuples vaincus, le jihâd omarien fut surtout inspiré par une cause économique.
"El Hadj Omar, en revenant de la Mecque, a traversé le pays de Ségou, a traversé le Macina,
a vu la richesse de ces pays, d'immenses champs bien cultivés, des vaches grasses. Il a vu
que ces pays étaient civilisés, puis s'est dit qu'il fallait les conquérir."
Recueillie' à Bamako auprès de Garan Kouyaté et Bocar Ci.>sé: à Kayes auprès
de Almamy Diallo et Oury Demba Diallo, enfin à Médine auprès de Abdoul
Wahab Sarr.
2
Communication particulière, séance' d'entretien, Dakar, le 31
Août
1981.
3
Pâte Poullo est 'le grand père maternel de Amadou Hampaté Bâ. C'était le
gardien des vaches d'El Hadj Omar.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
289
A l'inverse, d'après les vaincus, son pays connaissait une rare indigence. En
tout cas, touS les marabouts qui ont écrit sur la situation des pays vaincus, les présentent
comme un véritable ElDorado. L'un d'eux note que:
"Une fois à Sansanding, El Hadj Omar, après s'être reposé, convoque
Boubou Cissé, le chef de la ville, lui demandant d'appeler tous les notables
afin d'apporter de quoi habiller son année. Boubou Cissé lui demanda s'il y
avait une armée autre que celle qui se trouvait dans la ville. El Hadj Omàr
répondit que non. Alors le chef dit: "Ce n'est pas la peine que je convoque
mes notables, si je ne suis pas capable d'habiller ces hommes là moi seul" 1.
Et il habilla sur le champ toute l'armée; chacun eut trois vêtements: un
boubou, une chemise et un pantalon. Rivalisant d'ardeur avec le chef de la ville, l'hôte d'El
Hadj donna aussi à chaque soldat de l'armée, alors estimée à plus de trois cent mille
hommes, une femme accompagnée d'une servante 2,
Mais c'est le Macina qui accuse surtout Omar et ses jihâdisœs d'être mus par
des considérations économiques. Une fois maître de Hamdallahi, d'après la vision interne de
l'Empire peul, El Hadj Omar fit venir un Peul qui possédait un troupeau si immense qu'il
était incapable de le dénombrer. Le marabout lui demanda par trois fois le nombre d'animaux
qui composait son troupeau; le Peul refusa par trois fois de répondre. Il finit enfin, devant
l'insistance de l'assistance, par dire:
"Aaah ! J'ai compris 1 Bon, dites au marabout que je lui donne sept cents
taureaux pour sa viande, cinq cents vaches laitières allaitant chacune une
génisse pour son lait. Le reste, il n'a pas besoin de savoir"3
Ainsi les vastes champs bien cultivés, les immenses troupeaux de boeufs et de
vaches laitières du Macina, l'or et les captifs de Ségou, les diverses richesses du sol et du
sous-sol de l'aire du jihâd habitée par des gens civilisés semblent, d'après les vaincus, avoir,
plus que tout autre motif, inspiré à Omar son jihâd. L'appât du gain fut si manifeste qu'il
continue encore de diviser les princes du Khasso. Khartoum Sarnballa, pour avoir suivi El
t
Cissé (B.), communication paniculièré, Bamako, le 26 sept. 1985.
2
Pour une comparaison utile, voir notre chapitre sur la situation du Soudan
Occidental à la veille du jihâd omarien.
3
Cissé (B.), communication paniculière, Bamako, le 26 sept. 1985.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
290
Hadj Omar, se vit sanctionné avec les princes de son armée par le grand Conseil l : décision
lourde de conséquences qui leur interdit le commandement du Khasso ainsi que [out mariage
avec les "nationalistes" restés sur place. Cette sanction est toujours en vigueur.
Cependant, les succès d'El Hadj Omar troublent aussi les vaincus au point
d'alimenter une matière où émerge une image fascinante d'El Hadj Omar. TOUl d'abord,
l'érudition du Cheikh retient l'attention des 'Ulemas du Fouta- Toro, du Macina, de
Tombouctou. Le noir qui niompha aux joutes oratoires du Caire a droit par conséquent à
quelque respect. Le Macina estime aussi qu'il possédait un livre unique en son 'genre qui lui
permettait d'être partout victorieux. Un érudit macinien réussit cependant il mémoriser le
divin opuscule, puisque le Cheikh l'enseigna avec succès à Hamdallahi.
Les qualités militaires d'Omar aussi suscitent une admiration certaine, par
exemple le plan qu'il mit en oeuvre lors de la Bataille contre le MaCina. S'étant approvisionné
en poudre, Cheikh Omar organisa un grand festin pour ses soldats, au cours duquel il fit
abattre tous les bovins, ovins et caprins de son 'mnée. A la fin du régal il s'écria:
"Maintenant, c'est fini. Vous avez le choix aujourd'hui entre la victoire et la
·mort. Si les Peuls vous prennent, vous ne pourrez jamais retourner au Fouta.
Alors aujourd'hui, ou vous êtes vainqueurs ou vous êtes vaincus. Sachez
surtout qu'il n'y a plus rien il manger"2
Le faiseur de miracles aussi étonne le Macina, même si celui-ci explique les
prodiges par des métamorphoses ou par le recours à la magie. En tout cas, l'Empire peul ne
,
sut se remettre de l'effet produit par les jihâdistes marchant sur le feu pour sortir du siège de
Hamdallahi. Le secret du pouvoir du Cheikh réside cependant, d'après le Kingui, dans le
sabre magique qu'il arracha de force aux Diawara. Ce sabre passa aux mains d'Ahmadou,
fils aîné du Cheikh, avant d'être confisqué par Archinard qui soumit, en peu de temps, un
vaste territoire au nom de la France, et qui lui valut l'appellation de "Père du Soudan".
L'épopée des vaincus use ici d'une explication mythique pour rendre compte des succès
fulgurants remportés par le jihâd omarien et par la conquête coloniale française. L'ampleur de
la déception des vaincus permet de comprendre un tel exutoire de leur amertume.
En définitive, El Hadj Omar reste pour les vaincus un personnage complexe.
Dès lors, ils en donnent une représentation mêlée. Le témoignage de Bocar Cissé, chercheur
érudit, reste capi ta! :
, /
Cissoko (S.M.), "Les princes exclus du
pouvoir royal (Munsaya) dans les
royaumes du khasso (XYIIIè-XIXè s.)", in Bulletin de l'IFAN, t.XXXY, sér.B.,no
l, 1973, pp. 46-56
2
Cissé (B.), communication particulière, Bamako, le 26 sept. 1985.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MONDE
291
"Le personnage d'El Hadj Omar est double: religieux et politique. Sur le plan
religieux, c'est un marabout très savant qui a pour mission de casser les
idoles. Il est absolument intransigeant sur ce point. Il n'y a pas de dialogue
possible, alors qu'il existait une entente tacite entre Cheikh ou Ahmadou et les
Bambaras fétichistes. El Hadj Omar, par contre, ne plaisante pas en religion,
il ne badine pas. Tout ce qui va à l'encontre de la religion, il l'écrase sans
pitié. Sur le plan politique, il apparaît comme un nationaliste au Sénégal, où il
eut à lutter contre la colonisation; et comme un conquérant au Soudan, où son
jihâd se transforma en entreprise coloniale" 1
A cette figure éuigmatique, le Macina oppose celles plus conséquentes de
Sêkou Ahmadou, fondateur de la Dîna, et de son petit·fils Ahmadou Ahmadou. Les griots
maciniens ne composèrent·ils pas un hymne évocateur pour pérenniser la gloire d'Ahmadou
Ahmadou?
"Roi, fils de roi, petit-fils de roi.
Imâme, fils d'lmâme, petit-fils d'Imâme.
Erudit, fils d'érudit, petit-fils d'érudi["2
Par contre, Sêkou Ahmadou laissa au Macina l'image d'un austère
réformateur qui stipula, entre autres lois, celle-ci:
"Sira fari hampe! rewoe fati ngime!" 3.
(Le tabac ne le chiquez pas 1 que les femmes ne chantent pas!)
Au terme de notre observatiou du regard croisé appliqué au jihâd omarien,
certains constats s'imposent:
- L'épopée apparaît comme un genre profondément idéologique, où
cependant une entière liberté revient aux protagonistes, alors que, dans la réalité ou sur les
champs de bataille, la liberté est confisquée par un groupe. Cette relativité explique la
réécriture libre de l'histoire qui la caractérise et affecte aussi sa forme.
1
Cissé (B.), communication paniculière, Bamako, le 26 sept. 1985.
2
Id.
3
Version orale du Macina.

CHAPITRE IV - LA GESTE COMME REPRESENTATION DU MOi'mE
292
- Champ particulièrement fécond, l'épopée fournit aussi une matière
aux thèses les plus controversées. Dès lors, chaque groupe élabore son système de valeurs
qu'j] soumet à l'empire de l'épos.
- Réceptacle de fomles narratives variées, l'esthétique épique se veut
un cadre original où des talents divers s'investissent, favorisant du mème coup une
confrontation d'idées, facteur de saine émulation. Mais, surtout, la grande originalité de
l'épopée réside dans la confrontation de traditions orales et manuscrites des vainqueurs et des
vaincus. Un traitement particulièrement intéressant de la matière épique se dégage aussi de
leurs auteurs.
En effet, alors que les marabouts des deux camps s'opposent en tOut, au
niveau des idées et de leur traitement surtout, les griots divergent sur le plan des idées, mais
s'accordent par l'art. Par exemple, les marabouts omariens vantent Omar, ses talibés, son
jihâd, mais dénigrent les pays vaincus, en dénonçant le paganisme des uns et l'hypocrisie
des aUlTes. A leur tour, les griots du même camp glorifient leur Cheikh, ses disciples et leur
mouvement, mais n'hésitent point à recourir aux cosmogonies locales pour doter leur Chef
de tous les pouvoirs:
A l'opposé, les marabouts du camp des vaincus, principalement ceux du
Macina et de Tombouctou l, ruinent les fondements du jihâd omarien considérés comme peu
orthodoxes. Les griots du même camp. s'inspirant de la littérature maraboutique, critiquent
les pratiques magiques auxquelles durent se livrer Omar et les siens, sunout par le biais du
syncrétisme.
On assiste ici au triomphe de la dichotomie classique au terme de laquelle,
l'écrit s'opposant à l'oralité, la loi divise tandis que la parole unifie. Au total, vainqueurs et
vaincus se réconcilient dans leur volonté commune de jouir d'une belle épopée. D'aut;mt plus
que chaque camp génère une esthétique de la réception où l'horizon d'attente exige d'être
comblé:
"Même au moment où elle paraît, une oeuvre littéraire ne se présente pas
comme une nouveauté absolue surgissant dans un désert d'information: par
tout un jeu d'annonces, de signaux - manifestes ou latents -, de références
implicites, de caractéristiques déjà familières, son public est prédisposé à un
certain mode de réception ,,2.
1
Voir Sidi Ahmcd El Bckkaï.
2
Jauss (H.), Pour une esthétique de
la
réception, (traduil de l'allemand par
Claude Maillard) Paris, 1987, p. 50 .
-,t,F·il'

CHAPITRE IV . LA GESTE COMME REPRESENTA TION DU MONDE
293
Nos épopées, issues de sociétés ùe tradition orale, où la fidélité à des modèles
est toujours en vigueur, confimlent l'esthétique de la réception. C'est pourquoi, aussi,
/
~
l'épopée d'El Hadj Omar, en suscitant, à l'opposé de la vision des vainqueurs, la vision des
vaincus, se révèle une œuvre majeure, même si, par ailleurs, elle étouffe toujours les
versions qui sont hostiles à l'image de marque de son héros.
{

294 A
CONCLUSION
Œuvre carrefour: telle apparaÎ! dans une première approche la geste d'El
Hadj Omill". En elle se rencontrent l'antique culture orale des Peuls el la culture écrite
apponée par l'Islam conquérant. A la culture peule, elle doit ses modes mêmes
d'existence el d'élaboration. Elle s'inscrit profondémem dans la trilogie de:s cycles de
l'épopée peule lfadilionnelle : cycle de la lance, où est exalté j'héroisme ethnique;
cycle de la vache ou cham cles razzias; cycle de: la femme qui valorise les caprices de
la bien-aimée. Trilogie de genre: constamment saturée par la trilogie aClanlielle
dominallle formée pill" le héros, son destrier e:t son arme. Le tout élanl généré par la
trilogie des producteurs du texte épique: le récit de transmission, l'''auteur'' qui
l'aclualise el le public.
Mais la geste d'Omar est également une épopée du jihfld, aspect à peu près
seul retenu par la crilique jusqu'alors. Au texte générique précédent, la rradition
culturelJe véhiculée par l'Islam ajoute le cycle du Livre qui se formalise autour de trois
thèmes, ceux de la foi, de la voie et de la loi, ct mobilise comme suppon narratif les
trois l'onnes dOll)inantes de la lillérawre arabe classique: la "Sîra", réci! linéaire
biographique, le plus souvent une Vie de Saint; la "qacida" ou poème; le "târikh", la
chronique, l'histoire. Ces trois l'onnes s'associent dans un récit linéaire où le temps de
la narration est celui de la vie d'El Hadj Omar et dont la finalité est de magnifier le
héros de la geste et ses compagnons.

294 B
Ces superpositions, ces associations, ces rencontres de strates narratives,
idéologiques, fOffilelleS et esthétiques venues d'horizon divers font de la geste d'Omar
le champ d'un sourd et vaSte cont1il, décisif pour la cullUre peuk. En ce texte
magnifique, l'épopée peule traditionnelle est soumise à une formidable tentative
d'absorption et de réduction par une culture islamique süre de sa vérité. On voit ainsi,
dans celle œuvre, les constituants essentiels du genre et notamment les actants
principaux, les représentations du temps et de l'espace, les schémas narratifs, la vision
du monde être soumis au service d'une islamisation, d'une arabisation de la tradition
épique peule. Lc héros peul sc componc alors en néophyte et revendiquc avec trop de
ferveur sa nouvelle foi. Lè tcmps et l'espace de la geste se dil:ttent aussi vers une
direction uniquc, Médine et la Mecque. Lc trajet narratif de l'antique cycle de la lance
se confond bientôt avec le déroulement de la guerre saillie.
Or, étonnant paradoxe, l'une des richesses de cellè œuvre vient
précisément de ce que j'entreprise édlOUC en panie. [lle échoue non parce que la
culture pcuk "poularise" à sul1 tour la culture arabo-islamiquc. Ce type d'explication
uadiol1l.el:e n'est pas pertinent: le combat était trop inégal. C'est au cœur de la culture
pCJle que s'installe la culture ;trabo-islamique ct l'on ne sache pas que la culture peule
ait marqué la culture arabo-islamique ailleurs qu'en pays peul. Non, l'entreprise
échoue parce qu'u,n espace de parole se crée dans la c,Llture pcule, qui v;t devenir le
lieu dc refuge où celte culture peu!e, qui va devenir le lieu de refuge Ol] celte culture
s'est conservée, lieu béni Où nous pouvons lire la douloureuse et vivifiante mémoire
de notre passé. Ce lieu est fOffilé de ce que nous avons appelé "l'épopée inverse",
traces dispersées d'un texte épars où les vaincus disent leur propre épopée.
Le combat épique se trouve alors transféré là où se gagnent toures les
guerres: sur le telTain de la culture. L'épopée inverse est le lieu de conservation de la
pennanence de la culture peu le, de sa vision du monde, des richesses d'un passé qui
est la source même de son identité jusqu'à ce jour.
,rb..'

294 C
Alors la geste d'Omar, vision des vainqueurs et vision des vaincus, prend
une nouvelle dimension, qui cesse d'être conflictuelle. Elle devient le lieu d'un
"dépassement" pemlanent de la tradition et celui d'une prise de conscience de sa
spécificité, sous l'impulsion du jih5d. Elle devient la châsse de l'épique peul. Par là,
simultanément, elle immortalise l'héritage ancestral et devient le chemin de la
conversion du peuple peul et de sa glorification sous la protection de Dieu.
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THESE DE DOCTORAT D'ET AtpnIS"?~<~
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LA GESTE D'EL HADJ OMAR ET L'ISLAMISATION
DE
L'EPOPEE PEULE TRADITIONNELLE
Présentée par Samba DIENG
Sous la Direction de Claude BLUM
Professeur titulaire de Chaire
à l'Université de PARIS-X NANTERRE
En détachement
à l'Université Cheikh Anta DIOP de DAKAR
......... _-----'
Année Universitaire 1988-1989
Tome II

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FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
THESE DE DOCTORAT D'ETAT
LA GESTE D'EL HADJ OMAR ET L'ISLAMISATrON
DE
L'EPOPEE PEULE TRADITIONNELLE
Présentée par Samba DIENG
Sous I~ Direction de Claude BLUM
Professeur titulaire de Chaire
à l'Université de PARIS-X NANTERRE
En détachement
à l'Université Cheikh Anta DIOP de DAKAR
Année Universitaire 1988-1989
Tome II

TROISIEME PARTIE
L'EPOPEE D'EL HADJ OMAR
EDITION DE TEXTE (BILINGUE: PULAAR / FRANÇAIS)

PRESENtATION
296
PRESENTATION
1· Les auteurs
Nous devons à l'amabilité de Sidi Mbôthiel, Kalidou Bâ et Demba Sarr les
textes qui constituent notre corpus. La discrétion des "uteurs, résultant sans doute de la
pudeur qui interdit à l'homme de la tradition de se dévoiler publiquement, surtout devant
celui que l'on ne connaît pas, nous a privé d'informations précises les concernant.
Néanmoins, Sidi Mbôthiel 1, griol musicien très prestigieux en milieu peul traditionnel,
accuse une fone personnalité. Né à Fété Bôwé, cn plcln l'erIo, ce sexagénaire s'affirma très
vite à l'aide de son "naanooru", go.itàre monocorde, comme un spécialiste de l'épopée peule X- .
traditionnelle. Son art lui valut d'être invité par les riches bergers peuls et par les travailleurs
immigrés. Ces soirées au Ferlo Ou au Djoloff ainsi qu'en France lui ont permis d'acquérir un
grand troupeau de bœufs, d'autant plus qu'il a Su lr~s vite islamiser son répertoire profane
Moins populaire que Sidi. Kâlidoll Bâ2 est un jeune, artiste qui a hérité d'une ..
,,>
tradition griotique qu'il essaie de prolonger.
\\1
' .
,
Quant à Demba SalT, aveugle, il s'c>! spécialisé dans la littérature islami4ue .
poular, principalement dans les "beyti". Il se prodUit, sous la conduite de son fils. touS les
VendredIS à la grande mosquée de la Médina de Dakar, où il décl<lme, entre autres chants, le
fragment du jihâd omarien composé par Hamm:ll Sambà Ll', un jihâdiste de la premi~re
heure. Demba vit à Guédiawaye, dans la banlieue dakaroise, au milieu de ses deux épouses
et de ses enfants.
2. Les textes.
Recueillis au magnétophone, les textes de notre corpus furent transcrits,
tr<lduits et annotés non sans difficultés.
En effet. alors que nous penchions pour une transcription phonéti4ue, les
linguistes poularophones, soucieux de fixer la langue sur le plan scientifiljue, nous
conseillaient plutôt une transcription phonologique. C'est ainsi que nOtre transcription fur
revue et corrigée par Monsieur Mamadou Ndiaye, linguiste au Dépanement de Linguistique
de la Faculté des Lettres de Dakar. Nous ne saurions a3sez lui exprimer notre profonde
1
Informateur aussi de Gérard Meyer, cp. Cil., et de Mamadou L. Ngaïde, op.cil.
2
Informateur de G. Meyer, op .. cil.

PRESENTATION
297
gratitude. Il convient d'ajouter cependant que les nombreux emprunts à l'arabe nécessitèrent
v
1
l '
parfois le recours à,fautrEs graplîies) 1\\Jalgré tOLlt, notre transcription reste conforme au,' ~
' - - - _ .
' -
..
-:
-
/~ décret portant transcription des langues nationales au Sénégal e: au consensus des chercheurs !' ..
peuls ou foulanisants. Il semble opportun, du reste, de préciser les règles qui nous Ont
guidé.
Le système phonologique du poular.
A - Le système vocalique.
Le poular présente deux systèmes vocaliques: un système vocalique bref et un système
vocalique long.
a) le système vocalique bref:
u
e
o
a
b) le système vocalique long,
u
uu
ce
00
Remarques: - La différence entre voyelle brève et voyelle longue est une différence ou
opposition phonologique, autrement dit qui assume une fonction distinctive, c'est-à-dire qui
confère au mot des sens différents,
1
l '
Exemple :
"fadd~" ~ attendre'
"faa8e'
= se diAger vers
1
- Le poular ne possède pas de voyelles nasales: an, in, on,
- le "u" français se prononce "ou" en poular.
B - Le sys/ème consonanzique du poular (cf tableau)
i
f,
1
1
!,

PRESENTATION
298
; )
, ,
1 ,
i
1.
,', L:)
SYSTEME CONSONANTIQUE DU POULAR
Lieux d'articulation
Catégories
labiales
apico-alvéolaires
palatales
postérieures
Sourdes
p
(
c
k
Sonores
b
d'
J
g
GlottaJisées
b
d
Y'
Prénasales
mb
nd
nJ
ng
Nasales
m
n
'J
il
Consrriccves
f
s
h
r
1
W
/
i
NB : - w et y 'sont des "semi-voyellé;" ou des "semi- consonnes"
-"'.
/
- west labio-";é1aire,elle,sé prononce comme le, "oui" français
""1\\ ", . '
. /
- y, palatale, se pronsmce'comme y, ex, : "yeux"
/
-'J. vélaire, se pw60nce co~èaans l'anglais "speaking"
/
.~
- c : palatale,;!orrespond au "tch" franç;';s~ ex :"Tchad"
- j : palaw{ correspond au son français "dj" e";iDjebel"
/
"'-"
- g ~~vtoujours dur en poular,
~ '"
)'Y. d'. Y'. sont des "implosives" ou "injectives" propres à cèrt.~ines langues, dont le
~~,
,

PRESEl'.'TATIüN
299
Pour la chuintante "ch" qui n'existe pas en poular, nous avons adopté S
De même la q note l'implosive g.
Une transcription pjusJ~ste commande cependant une transcription phonologique en
lieu et place d'une transcription phonétique. A ce sujet, nous ne saurions assez remercier
Monsieur Mamadou N'Diaye qui, non seulement a lu et annoté tout notre corpus, mais nous
a communiqué les informations que nous reproduisons.
De l'orthographe et de la séparation des mots.
a) L'occlusive gIoltale.
Elle est notée en position interne et finale.
.
'.
.
e.u:
eel
èelnude
= parler à hàute voix
el
elnude
= hésiter
bahe
= barbes
koe
= têtes
, ~ ,
·b)Lesprénasales vélaires
On l'écrit f !Jg f et non f ng f. Cela pour la distinguer de la suite
n + g.
\\.
exx:
kongol (Kon-gol)
= le fait de piller
kondo! (kon- Dgol)
= qui a pillé (panicipe accordé
"
avec un nom de classe !Jgol)
,
= parole.
'\\ '
Devant k on notera !J lorsque c'est la nasale vélaire qui est réalisée.
\\
\\
\\
'
\\
'
\\ \\
,
l '
' .
en:: ka~ko, da~ki, sa~kaade ro!ikud~
,
,
\\
\\
'1
\\
'
f
et n IOr$que :c'est la\\nasale:alvéolaire.
\\
i
\\
'
\\
1
\\,
\\ ; .
.
en: : haako'njonko, lekki njanki

PRESENTATION
300
c) La gémination
Elle est réalisée pour les consonnes non prénasales par le redoublement de la consonne
(eu; debbo, ned'd'o, mbabba) et pour les consonnes prénasales par le redoublement de
l'élément nasal (eu; jaQQgude, koaQgol) .
.,-:
C- Les contractions
Quand on parle, des contractions peuvent se produire entre des mots qui forment des
unités graphiques distinctes. On ne tient pas compte de ces contractions quand on écrit;
eu ;
baali e bey [ballieebei]
ta 0 fayi [toofayi]
D- Les majuscules
On met une majuscule à l'initiale des noms propres ainsi qu'au début des phrases et des
vers.
eu ;
Jaa Lii Umar
!Jgal teddungal ina timmi
E- La ponctuation.
Elle est marquée par les mêmes signes qu'en français
F- Les articles définis
,.
0, mba, nde, ndu, ndi, agu, age, !Jgo, !Jgol, agal, agel, kal, ka, lei, d'a, d'uro, d'am,
;r_ .
t
De, d'i, d'e, kan... sont toujours séparés du nom.
,.
G- Les adjectifs démonstratifs
Formés à partir des articles définis, ils sont séparés du nom. Certains adjectifs peuvent
être précisés par des adverbes de lieu avec les suffixes démonstratifs ( d'oo, d'aa, too, gaa).
Ces adverbes sont séparés du démonstratif.

~.
PRESENTATION
301
t"éi
eu: 00 d'oo, 00 too, agol too.
H- Les adjectifs possessifs.
a) Les suffixes possessifs spécifiques à cenains termes de parenté ne sont pas séparés-
du nom:-Ces·suffixes sont->
2ème personne du singulier
Co
- njaaté
...
3ème personne du singulier
- üko,.-om -taanüko / ma wn um
1ère
pluriel
,·en - mmen, esen.
..
2ème
. on . mawnen
3ème
- iioe - giY'iioe
b) -. am, possesseur de la 1ère personne du singulier, 'n'est pas séparé du nom.
;, .
eu: gallam, laawolam, oi'J'Je1am.
c) :rous les autres.éléments exprimant la possession sont séparés du nom.
eex: Wuttc ma, debbo makko
1· L'adjecllf interrogallf
L'élément interrogatif est séparé du nom.
en : hol galle? hol lcggal?
1· Les pronoms personnels
a) Les pronoms personnels sujets
- placé avant le verbe, le pronom personnel sujet est séparé de celui-ci.
eu: : 0 ani, ad'a ara.
~,
•t'
-placé après le verbe, le pronom sujet est soudé au radical s'il est à l'initiale vocalique, mais
t~
il est ~ttaché au verbe par un trait d'union s'il est à l'initiale consonantique.
~.<-
~;
'"'

PRESENTA TION
3 02
eu : fi aamaa,
tu manges
njahen,
panons
tottu-mi,
je donnai
loot-d'aa,
tu lavas.
b) Les pronoms compléments
Sauf - am et - e qui sont soudé~ au radical du verbe, tous les pronoms personnels sont
séparés du verbe.
- ,
eu:
1':'1 t;
0 yü-kam;- tottam
Les pron-oms personnels sont toujours séparés de la préposition, à J'exception de am, qui
n'est séparé que des prépositions monosyllabiques à la finale vocalique (type C.V.).
exx :
0
am to am
o ar:n yeeso makko
1 i
mais
o arii yeesam
-" ..
o am caggal3f+l
Quant à la traduction, elle nous a reposé les problèmes liés au passage d'une langue à
une autre, aiguisés ici par le passage de l'oral à l'écrit. Il s'agit d'une opération difficile,
parfois déroutante, car l'oralité vit alors que J'écrit fige. Néanmoins, nous avons suivi le
texte pulaar d'aussi près que possible, et devant le caractère souvent elliptique de
J'expression de la pensée, nous avons, pour plus de clané, introduit des mots sans
équivalent dans le texte, mis entre crochets. Quand la clané du récit exige une autre tournwe,
nous avons mis le mot à mot en note. Malgré tout, passer d'un registre à l'autre donne le
sentiment d'exiler le texte originel. Aussi, notre corpus, dépouillé de ses ornements extra-
textuels et de la vision du monde qui l'inspire, est-il le témoignage d'une cenaine trahison.
Mais, en vérité, d'une amicale trahison, puisqu'elle permet à l'oral de survivre, tempérée par
des notes explicatives.
Ainsi la combinaison de la transcription, de la traduction et des annotations du corpus
restitue l'épopée vivante du jihâd omarien, par le concours de trois voix mâles, autorisées à
dire l;épopée en milieu peul. Malgré l'absence du support musical de Sidi Mbôthiel et de la .
chaleur des voix de Kalidou Bâ, et de Deroba Sarr, nous souhaitons au lecteur un délicieux

PRESENTATION
303
parcours épique. n ne nous reste plus qu'à laisser couler ces "paroles données" par des
hommes issus de la tradition, où "donner la parole" revêt encore un sens.

EDITION DE TEXTE I31LINGLIE POLILAR / FRANÇAIS

CORPUS


307
LA DEVISE OU " NODDOL"
D'EL HADJ OMAR PAR SIm l."ŒOTHIEL
CORPUS l
DE LA NAISSANCE D'OMAR A HALWAR AUX JOUTES
ORATOIRES DU CAIRE
PAR KALIDOU BA
CORPUS II:
LE JIHAD: DE DINGUIRA YE À HAMDALLAHI
PAR SIDI MBOTHIEL
CORPUS III
LA DERNIERE PHASE DU JIHAD DE HAMDALLAHI A
DEGUEMBERE
PAR HAMM AT SAMBA LY, DECLAMEE PAR DEMBA
SARR.


LA DEVISE
309
LA DEVISE D'EL HADJ OMAR PAR SIDI MBOTHIEL
1.
Noble fils de nobles l
2.
Qui a porté sur ses épaules la prière mystique de " Hizbul Bahri "
3.
Il a commencé à réciter le " Arahmânou " .
4.
Qui commence par ces mots: Ô toi Allah. c'est toi Allah Roi de la
Vérité évidente2 .
5.
En récitant cette prière, cent anges se prosternent en face de lui
6.
Tu sais qu'Allah ne donne rien. mais il préte tout.
7.
Tout ce que tu possèdes. tu le perdras.
8.
Par Allah le possible deviendra impossible.
9.
Si la générosité empêchait de mourir ..}
.",
_ .. ' - -
;;f1/f/!Ufl
la.
Si le cour:age empêchait de mourir.
Il.
Si le~ayoir ~mpèchait de mourir,
)#11/11Mt,.11 4/41f;1;UU«.AI!
12.
Cheikh Omar Tidjâne .. .3.
/"13.
QueLfut le-lieu. de la première-bataille-d u-Gheikh ?
.,J' f
.1 .
,'- 14.
"Elle eut.l~u':'èn un endroit appelé Dinguiraye.
'. J
>.15.
Au moment de-la.bataille. à combien se chiffraient les disciples?
16.
Trois cent trois disciples.
17.
Qui fut son premier protagoniste?
Le nommé Tamba Boukari4.
18.
Le Riche, le Savant
'/ 19.
Il a combé\\ttu vingt et un pays.
20.
Noble fils de nobles.
21.
En ce qui me concerne. je peux affirmer qu'il a livré cent trente et
une batailles5
22.
Le Riche, le Savant, le Bien éduqué!
23.
Cheikh Omar a fréquenté quarante marabouts.
24.
Il écrit et se lave, on écrit pour lui et il se lave6 .
1
Il s'agit d'El Hadj Omar Taii.
2
Le découpage des versets obéit au souffle du griot.
3
L'épopée refuse au héros le fait de mourir, d'où la suspension du vers.
4
Anachronique, Cheikh Omar fut opposé plutôt à Yimba Sakho.
5
Mot à mot : d'après mon savoir, il a livré ...
6
Il s'agit de la pratique du ayé
ou
eau
bénite.
Le
marabout
écrit
certains
versets du Coran ou cenains signes mystiques sur une planchette qu'il lave
" ensuite.
L'eau
recueillie
est
un
liquide
magique
qui
produit
des
effets
immédiats, quand on s'en lave le corps.


25.
L'autre marabout! soutient qu'il a fréquenté cinquante marabouts.
26.
Noble fils de nobles.
27.
Tu sais qu'avant de se battre contre Tamba Boukari.. .2.
28.
En vérité, implorons Allah afin qu'il nous octroie la "baraka"3
29.
Tout ce qui est dépourvu de " baraka" ne vaut rien.
30.
Tu sais que le Cheikh ne possédait que trois cent trois disciples.
3l.
Mais à combien s'élevait l'effectif que Tamba Boukari dépêcha?
32.
A six mille païens.
33.
Ils trouvèrent le Cheikh à Dinguiraye.
34.
Ils assiégèrent la ville.
35.
Un homme à côté d'un homme. un fusil à côté d'un fusil.
36.
Alors Cheikh Omar
37.
Jeta un coup d'œil par ci et vit une foule;
38.
Jeta un coup d'œil par là, en vit une autre
39.
II dit: Fouta
40.
Ils 4 répondirent: TaIi.
4l.
Il dit: avez-vous vu cette foule?
42.
Ils dirent: nous l'avons vue.
43.
Il dit: ne craignez pas cette foule.
44.
Allah possède une foule plus nombreuse qu'elle.
'1 45 .
A présent, je vais-faire une retraite spirituelle. ' L
46.
N'attaquez pas en premier lieu.
47.
S'ils vous attaquent en premier lieu.
48.
Attendez et agissez selon mes conseils.
49.
Puis il se dirigea vers l'Est.
50
Ils appelaient. Allah répondait.
51.
Farba Sawa Gouwa5 était à ses côtés.
52.
11 disait: noble fils de nobles !
53.
Noble fils de nobles 1
/Le.Savant-Ie-Ri-'----'~Bien-éduqué
\\
, U J . ' C . J..... .
.,
_;
54.
'C'est toi qui as étudié et qu'on a surnommé Thierno Oumar
55.
Qui as fait l'exégèse du Coran et qu'on a surnommé Tafsirou Oumar
1
Un autre spécialiste de l'épopée d'Omar qui mentionne une variante.
2
Rupture au nlveau de la narration. Le début est toujours difficile !
3
Grâce divirie.
4
Mélonymie : les habitants (ils) pour le Fouta (le pays).
5
Griol .d'EI Hadj Omar.

LA DEVISE
313
Qui as couru les stations de Safâ et Marwa l et qu'on a surnommé El
Hadj Oumar.
Quand tu te fâches, Allah se fâche,
Quand tu combats; Allah t'assiste. :",
. , , ,,,,' '. '. "
".1" '-'0 ,'"
C'est toi qu'on appelle le Combattant suprême.
Tu attaques un village le matin, et tu y déjeünes en chef de village.
Tu y passes la journée en chef de village. et le soir tu officies en
qualité d'lmâme 2 .
C'est à ce moment que retentit le coup de fusil des partisans de
Tamba Boukari3
Ce coup fit: "gar"! "gar" !
Jusqu'à sept fois.
Alors Allah envoya à Omar un Messager ,.
Qui lui dit: le Maître, l'Omnipotent te dit
Qu'il t'a octroyé ce que tu lui as demandé.
Il dit: je demande au Maître. à l'Omnipotent
D'endormir toute l'armée de Tamba,',.
Car il est plus aisé de combattre un dormeur.
Le messager dit: le Maître t'a accordé ta requête.
Alors Cheikh Omar se leva brusquement, il regarda le Fouta.
Il dit: ô Fouta ?
Ils lui dirent: Tall.
Il dit: prenez-moi ces ânes. Allah a crêé le secours
Qu'a-t-il récité sur eux pour qu'ils dorment?
"Yaa Kaali, yaa el
Anta ludhi, wa gadhaa
wa kullu jabbin,wajabalun
yaa kalka yaa ru" ,
77.
Il cracha légèrement ses paroles sur eux et ils s'endormirent
Ci, 78.
Jusqu'à ce que le côté sur lequel ils avaient--couché fut mangé par
,
' 1 .
'
• . ,k. < ,.
les termites à leur-insu. "",.
, "
:.1:
II\\.'--
,
79.
Le Fouta les trouva là. les brûla complètement.
80.
C'est ainsi qu'il commença4 ,
81.
Il a-combattu-ensuite le nommé Fâdjimba
_1. , -> ,-\\ J
~.- -:..,:...\\..,1..-
1
Circuits du pélerinage islamique situés aux environs de la Mecque.
t.
,
2
Outre
les
grandes
qualités
d'Omar,
ce
vers
suggère
la
rapidité
des
conquête·s.
3
Ôn note une imprécision dans la narration épique. à cause des digressions.
4
MOI à mol : c'est là qu'il commença.


LA DEVISE
315
82.
C'est pourquoi les griots_ disent
il a détruit 1 Tamba. il a détruit
Fadjimba.
83.
Il détruisit Djanguirdé.
84.
Il cassa Ghégné,
85.
Il
1
~cra~il_9hégnaba,
86.
Il anéantit Farabanna.
. •.
. .- - -._-
87.
Il traversa le fleuve au niveau de Djâkalel.
88.
Djâli Mamadou, le païen; il le sennonna, mais celui-ci refusa, il le
tua.
89.
Moriba Sâféré, le païen ;il le sennonna, celui-ci refusa, il le tua.
90.
Soungourou Bâ Bodian, le païen; il le sermonna, celui-ci refusa, il
le tua.
91.
Bodian Bâ Soungourou 2 le païen; il le sennonna, celui-ci refusa, il
le tua.
92.
Il prit Diara â Kougnakâri,
93.
Il y construisit une grande mosquée,
94.
Il tua Gharangui Diara à Yélimané,
95.
Guelàdio Déssé à Diongoye,
96.
Mâmoudou Déssé à Kolomina,
97.
MBandjougou Diara du Guimbanna,
98.
Mamâdy Kandia à Nioro3 ,
99.
Barka à Madina Alahéri.
100.
C'est là où l'on dit: "avoir mangé la bouillie de Barka sans
remercier Barka"4. Puis l'année se dirigea vers le Kingui.
101.
Le Riche, le Savant. le Bien éduqué.
102.
Noble fils de Nobles.
103.
Sache Ue t'apprends] quelque peu S.
104.
Il écrit et se lave, on écrit pour lui et il se lave.
105.
Il appelle Allah et celui-ci répond.
106.
Etranger le matin,
107.
Chef de village à midi.
1
Mot à mot : il cassa en deux parties égales.
2
Jeu de mot résultant de l'inversion des prénoms de ces princes. Les mêmes
noms circulaient à l'intérieur du clan ou. de la tribu.
3
Détail non confonne à la vérité historique. : Kandia ne fut pas tué.
4
Expression
devenue
proverbiale.
Barka
fut
tué" alors
qu'il
célébrait
les
noces
nuptiales
de
sa
fille.
Les
plats
destinés
aux
invités
furent
servis
. plutôt aux combattants de
la foi
qui mangèrent le repas de Barka sans le
f
remercier.
5
.. Syntaxe
peu le.

LADEVI5E
317
108.
Imâme l'aprés-midi.
"
0 ,

~'."
\\ \\. , "_,
,
'~.-:. 109.
Il ne renvoie pas les étrangers, il ne fuit pas les sollicitations l .
110.
C'est là qu'il poursuivit Karounka Diawara à Méné-Méné.
111.
Ali Woytêla était le plus puissant.
112.
Sur quoi se fondait Ali ?
113.
Ali avait ses dieux en chiffons.
;, 114.
C'étaient des idol~_s2 des "bôli".
i,
115.
Le Chef du panthéon. il l'appelait Kangkoba.
116.
L'un, il l'appelait Nongokoba,
117.
L'autre. il l'appelait D.iôkéba, '
118.
Un autre aussi s'appelait Kelle.
!'
1:
119.
Un autre aussi s'appelait 'Kellen Téké...
120.
Oh ! les jours de Harndallahi3 . '
' , '
MOI à mOl : il ne se souslraÎl pas à ceux qui viennem passer la journée chez
lui, il, ne fuil pas ceux qui viennem lui demander quelque chose,
2
• Le
pamhéon
bambara componai!
une foule de
divinilés
hiérarchisées.
.....;,.,
..,-- ',(Sl La devise du héros résume ici l'épopée que la suile du récil développe en
~
,.j(·\\.ldélail.
\\ :l,)
~~ ~~c\\"k: ~'~' dt. ~\\lv'1,.,j,t?
\\0,)
~'L tJr ~--.Q\\.t \\t~L0v'Z', 'V\\ç{\\' c1. c.:.fu rlJ.;\\;v0.tr-r

CORPUS 1
319
L'EPOPEE D'EL HADJ OMAR: DE LA NAISSANCE
A HALWAR AUX JOUTES ORATOIRES DU CAIRE
PAR KALIDOU BA
1.
Qui ~a- été mis le premier au courant de la naissance de Seykou
0umar? .
' 2
'" .
Il s'appelait Elimane de Dimar l :
3.
Il était aveugle des yeux mais non du coeur.
4.
Toutes les nuits que Dieu faisait.
5.
Il se levait de Dimar,
6.
Il allait prier sur un parterre fleuri2,
.i
7.
Puis il revenait et passait la nuit à Dirnar.
8.
Cela alla jusqu'à un beau jour :
9.
Il partit de Dimar.
la.' , II allait prier sur le parterre fleUri,"
Il.
Il re~~.n._._Vi,~,Il~
3
àme
voltigeant entre terre et ciel:
12.
Il dit l:~àrne qui viens prier sur le parterre fleuri avant d'être
née
(t"1.- j.;\\
.
,
13.
.où -vas-tu habiter?
14.
Elle répondit: le pays s'appelle FoutaToro4
15.
Il dit: quels seront tes heureux parents?
16.
Elle dit: mon père s'appelle Thierno Seydou,
17.
Ma mère s'appelle Adama Aysè.
18.
Il dit :'"quand naitras-tu?
.
19.
Elle dit: dans la nuit du jeudi au vendredi,
20.
Le jour où débutera-le-mois du Jeùne5:
21.
C'est ce jour-là que je naitrai à Halwâr.
22.
Il mit ce message par écrit
23.
Et l'envoya à Thierno Seydou :
,:~. 24.
ll-éffiit::éem-: tu auras bientôt un fils:
~_+c l"- ".__c.
c . h '
25.
\\(DâllslanüiCduji'iidi aU veÏidrédi, ilviendra au monde.
c -
;.,eL.'
26.
Ge-jGUF-Ià-tlébutera-le-mois-du-jeùne. C •",. ',,', •., .\\ _,.,-, '\\.'.q,,-_i:cL,.-:..
..t:..... \\.'" :.~~,_,.~
~ ~"\\r., •• ) ,,-.\\'
---r-- '_
Dimar : village du FoUla-Toro.
--2-. ~,
Parterre fleuri : il s'agit du Mausolée du Prophète à Médine.
-3-- "
Ame: Je terme poular ruhu
vient de l'arabe. Il désigne le souffle vital.
-4--,
, Fauta-Toro : région du Sénégal.
-5- c,
- Mois de jeûne: le jeûne, koorka, fait partie des cinq piliers de l'lsIam.
(- -i
~~-,::~;,~.:\\~,\\~~:~'~.~k:,c.:::: ~~':,~:_'::_.:,.l.:-~__,,\\~;· ';J i;:~:=:,·'t ,.'J\\:.,~~s ,
~
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J':J..,',t,,;:.:_r ".
,.
.. 1

,.. " "'J:.,'.....:~,_: .•..1 :'
I:~ ;_~ k. ~-.. i.


CORPUS!
321
>: 27.
Quelques-jourspassèrem : ".
,-
"
r" \\',< .• •.J
28.
Le destin se réalisa:
29.
Seykou vint au monde à Halwâr.
30.
C'était dans la nuit du jeudi au vendredi:
3l.
Ge-jour-là.,le mois du jeûne commençait: .,
',', . i"
.1 •. ,
" " . ' , . , ...•'
,.
'.: 32.
Seykou vint au monde au moment du crépuscule:
.. •.•' ( . l,: • ,_
33.
On venait d'apercevoir la lune 1.
34.
Les plats de la nuit avaient été préparés:
35.
Les marabouts ~'étaient dispersés à travers~le village
'\\
36.
Levez-vous. mangez. vous qui jeûnez!
; '"
37.
Levez-vous. mangez. vous qui obéissez à Dieu!
38.
Les fils des pieuses femmes 2 se levèrent.
39.
Quand les gens eurent fini de manger le plat de la nuit.
40.
Seykou cessa lui aussi de téter à partir de ce moment;
4l.
Le lemps passa jusqu'au coucher du soleil,
. . r
42.
La-mère devint inquiète: :
43.
Dieu sait si mon enfant est en bonne santé 1
44.
Seykou avait PClssé la journée sans téter: .
. 45.
~uand le' soleil se coucha. -' .
, 46.
Elle montra le sein à Seykou, ce dernier se mil à téter3 :
47.
Elle-éclata 'de rire.'
48.
Elle dit: Thierno Seydou
·.49.
Ce dernier dil : oui !, '.
50.
Elle,dit : j'ai mis au monde quelqu'un d'ètonnant !
5l.
Mon enfant EWftj.t cessé de téter
52.
Depuis le moment oû nous avions priS les plats de la nuit;
1
. . . " .

53.
Il n'a pas tété a~'ant:quenous ayons' rompu le jeüne.
54.
Le père se souvint du message de Elimane de Dimar.
55.
11 dit: 'Adama.! Elle dit: oui! il dit: j'ai confié cet enfant à Dieu. "
.:... i L. ~_ :.'- i
56.
Tu-as-reçu,un jeune-Torodo:!, quisera.capable_d·étudier !
"-,..
.~ " .... ;.',,-L ~:.::.-" ,;.,: .·•.·,..•. 'L ,:.'"
'.'
.,' .,,'1.......
• .
.
. \\ ' . . c.".· .' ,_.';
, . . . \\
:\\ .. ".::.~
La lune : c'est quand des témoins dignes de foi
ont aperçu la nouvel le lune
que
commence
officiellement
le
mois
de
jeûne
pour
la
communauté
ID usu Imane.
2
Pieuses
femmes
: sogna
ou
sokna est
un
titre
honorifiq ue
donné
à
une
femme épouse et modèle,
remarquable par sa
piétié.
3
Ainsi. dès
le sein de sa mère.
le petit Seykou
respeclait
déjà
les
lois du
jeûne. C'est là un signe de sairiteté pour sa communauté,
4
Torodo
:
c'est
le
nom
qui
est
donné
aux
Toucouleurs
instruits
dans
la
religion
islamique
;
on
entend
couramment dire:
Taroodo
ka
gawri
e
defrere. Pulla jey ka nagge (le Torodo se livre à la culture du mil et à l'étude
du Coran. le peul s'occupe des vaches).


CORPUS 1
323
57.
Pour tout ce que quelqu'un a reçu, qu'il remercie Dieu, qu'il
remercie sa mère !
58.
Mais si la mère se lève d'un coin de la concession
59.
Et que le père se lève de l'entrèe de la concession;
60.
Que la mère soulève le père et le terrasse.
61.
Que le père soulève la mère et la terrasse,
62.
La lutte. les cris et les clameurs arrivent !
63.
Si un enfant nait dans cette atmosphère. il ne pourra rien faire de
lui-même.
,
..
,",
',-
, . 64.
A partir de ce jour, .les Torobés cessèrent de regarder le soleil,
65.
Ils se'mirent àregarder Seykou O u m a r . · " " ,
'.
66.
Quand il y avait entre eux quelque contradiction au sujet du"
coucher du soleil,
67.
Ils=e~veYaient~ûelq~'un daris la màison de Thiemo Seydou,
.
.:.,
: .
:
, . ' :
.
"., .
.
'. - - " .
.~,
::;:
,
68.
Pour voir si le bébé de la mère Adama avait tété.
69.
L'envoyé. en arrivant. disait: mére Adama. le bébé a-t-il tété?
70.
Elle répondait: par Dieu, le bébé a tété!
71.
Il disait alors: rompez le jeûne. le bébé a tété!
72.
- A cette époque, les montres étaient rares! -
73.
Cela dura jusqu'à ce que Seykou laissât·le sein maternel; t,C'
'..
74.
Il avait--alorscquatre ans. ;
.;,
75.
Quandapparutsasaintetè ?
76.
C'était alors l'hivernage, les premières pluies étaient tombées.
77.
Il y avait là-bas quelqu'un du nom de Wakki Alfa Amadou. le
Tiâiane.;
78.
Ce Tidiane était le pére de Lahambou.
79.
Ils se réveillérent un matin et partirent pour semer;
80.
Seykou dit : grand frère. partons ensemble à nos champs pour
semer!
81.
Alfa dit: non, Oumar. tu ne peux pas partir. nos champs sont loin,
nos terres sont éloignées!
;..82.
Il dit: non, grand frère. allons-y seulement-! ,,~ .. c.f,: 1
83.
, Ils se mirent en route. ils partirent,
. i· "',.:. \\.;.[
;~ 84: . Ils arrivèrent.
85.
Alfa creusait les poquets,
86.
Les élèves semaientl .
~ Les élèves: almuufJfJe [almufJfJe/ .11 s'agit des enfants et des jeunes gens qui
.. fréqû"entent
l'école
coranique.


CORPUS 1
325
87.
Seykou prit une gourde pour semer l ;
",,_, -1
:,88.
Alfa dit: .hè·. Oumar. mon petit frère. tu ne peu.x pas semer \\
89.
Il dit: non. j'essaye seulement!
90.
Quand il arrivait à un trou. il mettait une graine;
9l.
Arrivé au trou suivant. il ne-mettait-·pasde graine. il continuait.; , ."
92.
Les éléves étaient fort mécontents;
93.
Ils dirent: Alfa \\ Celui-ci dit: oui \\
94.
L'un deux dit: Oumar ne sème pas. il nous gâte le champ:
95.
Quand il arrive à un trou. il met une graine.
Quand il arrive au trou suivant. il ne met pas de graine. il continue.
" ,
,',
96.
Alfa dit: Oumar. mon petit frère. ne sème pas de cette maniére !
97.
9S.
Si tu sèmes ainsi. nous n'aurons pas beaucoup de mi\\.
99.
Il répondit: hé. grand frère. j'ai compris.
100.
Alfa continua à creuser les poquets:
lOI
Oumar continua à semer,
102.
Oumar n'arrèta pas de semer à sa manière
103
Les élèves protestèrent vivement;
104,
Ils dirent: Alfa 1 Oumar n'a pas arrêté de semer!
105,
Alors Alfa ramassa une baguette.
106.
Il chaSSe! Seykou comme on chasse son petit frère.
107,
Il y avait là-bas un neuve plein d'eau
108.
D'une rive à l'autre:
109
Seykou traversa le neuve en courant.
110.
On aurait Ùlt qu'U marchait sur la terre fenne.
I I I
II partit et rejoignit l'autre rive du fleuve.
112.
Alfa se tenait sur la rive opposée:
113.
Il mit sa main devant sa bouche2
Et dit : sachez que mon petit frére Oumar m'a fait_une.surprise! ,',,"
114.
~, ..
115.
Il dêsigna alors un è l è v e . ,
' ".
Il lui dit: va,
~.. 116.
dis',aûPè~e qu'il vien~~ ici tout de suite.
Oumar m'a fait une-énorme, surprise. dans les_champs .."':,
,., \\ . .l. " "'.\\.."",,'-'
;;117.
118.
L'élève partit. arriva et dit: Thierno Seydou ! ' " C',' -,
119.
Celui-ci dit: oui!
'
". ,Le
.
' -,: _!'2,."
;< 120.
Il dit: Alfa veut- que tu viennes'itout de suite.
Les
graines
destinées
au<
semailles
son!
conservées
dans
une
grande
gourde.
2
Signe
d'élOnnemem
el
de
surprise.


CORPUS!
327
.< 12l.
Oumar lui a fait une énorme surprise dans les champs .
122.
Il dit: qu'est-ce que Oumar lui a montré là-bas? ' ','" ,1."
123.
Il dit: moi, je ne peux pas le dire, il faut que tu viennes.
124.
Thiemo Seydou se mit en route. appuyé sur son bâton,
125.
Sa bouche murmurait des prières, il égrenait son chapelet 1
126.
11 arriva chez Alfa; "
127.
li lui dit: Alfa ! Celui-ci dit: oui!
128.
Il dit: pourquoi m'as-tu appelé dans les champs ici?
129.
Il dit: je t'ai appelè car Oumar m'a fait une-surprise: '
". '".
130.
Oumar avait mal semè ici.
13l.
Je voulais le frapper.
132.
Il prit alors la fuite et traversa le fleuve.
\\ , "
133. , Le voilà qui se tient sur l'autre rive!
134.
Le père l'appela: hé toi. mon Oumar !
135.
Oumar dit: oui !
136.
Il dit: viens. personne ne te frappera !
137.
Oumar traversa le fleuve en marchant.
138.
On aurait dit quelqu'un qui marchait sur la terre.
\\ 139.
_i Les dons de Dieu Tout-Puissant! - , \\
140.
En arrivant, il embrassa Thiemo Seydou :
14l.
Celui-ci lui dit: mon Oumar. qu'est-ce qui t'a brouillè avec Alfa?
142.
Il dit: j'étais en train de semer ici.
143.
Père, Alfa ignorait ce que signifiait ma manière de semer,
144.
Quant à moi. je savais ce que je faisais;
145.
Il disait que je semais mal : :, i
146.
Il m'a chassé, j'ai alors traversé le fleuve.
147.
Le Père dit: mon Oumar. ne sois pas si rapide à te faire connaître:
148.
Cependant. si tu sèmes de cette manière, nous n'aurons pas
beaucoup de mil :
149.
Tu arrives à un trou, tu mets-une-graine, ~,
'., 150.
Tu arrives au trou suivant, tu rie';met~:p~:êJe-graine.tu continues!
-t.... '"':~.
'. ".0_'
.,.
• .. ' ... .!-
.L, ". ~.
15l.
Oumar dit: si fai--serrié-ainsi: c'est qu'il y a une raison à cela!
"
152.
Il dit: que signifie cette manière de semer?
,
153.
Ils\\:s'~'p~~c'hèrentau-dessus d'un trou où il n'y avait pas de graine.
154.
Il dit: sais-tu ce qui m'a empêché de semer dans ce trou?
Chapelet
:
les
musulmans
récitent
des
prières
diverses
en
égrenant
un
chapelet
;
le
nombre
des
grains
de
ce
chapelet
est
variable
selon
les
confréries
(Qadiriyya,
Tidjanyya ... ).


CORPUS 1
329
155.
Il dit: non, par Dieu. mon Oumar. je ne sais pas!
156.
Il dit: ce qui m'a empéché de semer dans ce trou,
157.
C'est que. quand il sera ensemencé et que la tige poussera.
158.
Les singes vont venir la sucer. elle ne produira rien:
159.
Je ne séme pas pour les singes. pére !
160.
Ils se penchérent sur un autre trou où il n'y avait pas de graine;
161.
Il dit: sais-tu ce qui m'a empêché de semer dans ce trou?
162.
Il dit: par Dieu, mon Oumar. je ne le sais pas!
163.
Il dit: quand ce trou sera ensemencé.
164.
La tige poussera. une vache viendra casser la tige. celle-ci ne
produira rien:
165.
Je ne sème pas pour les vaches. père!
166.
Ils se penchèrent au-dessus d'un autre trou où il n'y avait pas de
graine;
167. . Il dit: sais-tu ce qui m'a empéché de semer dans ce trou?
168.
.Il dit: par Dieu, mon Oumar. je ne le sais pas!
169.
Il dit: quand ce trou sera ensemencé.
170.
Du mil poussera. il sera coupé et mélangé avec d'autre mil.
171.
Ce mil ne sera pas terminé sans qu'on ait fait un sacrifice pour un
mort l .
172.
Il dit: sois brave. mon Oumar, laisse cela!
173.
Il dit: Alfa! Celui -ci dit: oui!
174.
Il dit: viens, prends soin de Oumar :
175.
Ce Oumar que tu vois là est plus fort que moi. il est plus fort que
toi.
176,
Alfa dit: quant à moi. je m'interdis de vouloir le frapper.
177.
Le Père le prit par la main,
178.
Il dit: maintenant, tu vas commencer à étudier.
179.
Il l'emmena chez un marabout.
180.
Il arriva et dit: Marabout. enseigne à mon fils !
181.
Ce dernier dit; Thierno Seydou. un enfant qui ne sait pas compter.
que lui enseigner?
j, 182. ;i.Oumar dit : Marabout.,commençons. je vais essayer!
183.
Il dit: T-hiemo Oumai',:Sèydou TaU. peux-tu compter?
184.
Il dit: yen-suis.capable·!· ... ,·
, \\.
"CO'..
Sacrifice pour un
mort : dans
les jours qui suivent un décès,
une
famille
aisée
tue
un
taureau
;
les
plus
pauvres
se
contentent
de
préparer
une
boisson.
le njaram. mil pilé auquel sont ajoutés du lait et du sucre.


CORPUS 1
33 1
185.
Il dit: dis un !
186.
Il dit: un !
187.
II dit: dis deux !
188.
II regarda le marabout. il sourit.
189.
Il dit; avant de me faire dire deux. dis-moi ce que un signifie.
(
190.
L'autre dit: je ne sais pas ce que un signifie.
191.
Sinon que c'est un chiffre.
192.
Seykou dit: un signifie que Dieu est l'Unique;
193.
Il n'a pas engendré. Il n'a pas été engendré.
194.
Il n'a pas de petit frère. Il n'est pas le petit frère de quelqu'un.
195.
Dieu est le seul Dieu. l'Unique l .
196.
Le marabout dit: dis deux !
197.
Il dit: deux!
198.
Il dit: dis trois!
199.
Il dit: dis-moi ce que deux signifie.
.
200.
Il dit: j'ignore ce que deLLx signifie
,
201.
Sinon que c'est un chiffre.
202.
Il dit: voici ce que deux signifie:
203.
Dieu n'a pas créé les choses une par une mais deux par de=:
204.
Il a fait la mort et le petit enfant.
205.
Il a fait l'enfant et le vieillard.
206.
Il a fait le paradis et l'enfer.
207.
Il a fait le monde ,et l'au -delà,
208.
Il a fait le Blanc et le Noir,
209.
Il a fait le riche et le pauvre
210.
Voilà ce que deux signifie.
211.
Il dit; dis trois! Il dit: trois!
212.
Il lui dit; dis quatre!
213.
Il lui dit: dis-moi d'abord ce que trois signifie!
214.
II dit: sinon que c'est un chiffre. je ne sais pas.
215.
Il dit; quand Dieu a fait le paradis et l'enfer, l, :- " ,,', '._
'.
216.
qu'Il a fait le monde(et l'au-delà. ,; :J' C'L)
217.
qu'Il a fait le ciel et la terre
218.
Lui-même. Dieu seul et unique. s'y est ajouté. cela fait trois!
,
219.
C'est cela que trois signifie.
220.
Il dit; dis quatre! Il dit; quatre!
; ,
221.
Il dit; dis cinq
Dieu est l'Unique
c'est le principe de la foi musulman:.> l'unicité de Dieu.

CORPUS!
333
222.
Il lui dit: dis-moi ce que quatre signifie!
223.
Il dit : sinon que c'est un chiffre. je ne sais pas.
224.
Il dit: voici ce que quatre signifie :
225.
Dieu a fait les quatre points cardinaux :
226.
L'est et l'ouest. le nord et le sud.
227.
Cela fait quatre.
228.
Il dit : dis cinq! Il dit: cinq!
229.
Il dit: dis six !
230.
Il dit: avant de passer à six. dis-moi d'abord ce que cinq signifie!
23l.
Il dit: sinon que c'est un chiffre. je ne sais pas.
232.
Il dit: cinq veut dire: lorsque Dieu a fait l'est et l'ouest.
233.
Qu'il a fait le nord et le sud.
234.
Il a créé le ciel et l'a posé dessus.
235.
C'est cela qui fait cinq.
236.
Il dit : dis six !
237.
Il dit: Marabout. tu as fini de compter:
238.
C'est à cinq que le compte s'arrête
239.
Six c'est un.
240.
Sept c'est deux.
24l.
Huit c'est trois
242.
Neuf c'est quatre.
243.
Cinq et dix se ressemblent, marabout Il
244.
Le marabout mit sa main sur sa bouche 2
245.
Il dit: hê Thiemo Seydou ! Celui-ci dit: oui!
246.
Il dit: ramêne ton fils. il m'a dépassé en savoir!
247.
Il lui dit: de tout ce que tu vois. j'ai vu dix fois plus.
".248.
Mais qu'il commence à étudier ch'è~~tei, marabout!; \\..
. .
249.
Quand on avait écrit pour Seykou. il s~ouchaitsur sa planchette]' .~.
et dormait:
..
(.'
Cinq et dix se ressemblent : en ce sens que dix est le double de cinq.
Toute
l'argumentation de Seykou repose sur le
fait que les chiffres de six à neuf
sont. en poular. des composés des chiffres de un à quatre. ainsi :
un
go'o ;
Jeegoom
six
deux
d'id'i;
Jeed'id'i:
sept
.';,
' L
'
trois
tati ;
Jeetati :
hui t
.. \\
quatre
naYI ;
Jeenayi
neuf
cinq
joy;
2
En
signe
d'étonnement.
3
A l'école coranique une planchette en bois est le suppon de la lecture et de
l'écriture.


CORPUS 1
335
250.
Les élèves étaient en train de réciter:
251.
Un jour. quand ils eurent terminé. Us coururent chez le marabout.
252.
Ils dirent: Marabout.
253.
Oumar. le ms de ThierrlO Seydou. n'a pas récité ce qu'on lui a écrit.
254.
Jusqu'à présent. le voici qui dort ;
255.
Il dit: Oumar ! Oumar dit: oui!
256.
Il dit: viens. apporte ta planchette. approche-toi!
257.
Il apporta sa planchette. U s'approcha du marabout.
258.
Il lit tout.
259.
Il récita tout.
260.
Le marabout dit: par Dieu. Tall. ce sont eux qui ne savent pas.
261.
C'est toi qui es plus fort qu'eux.
262.
Un jour. il les accompagna pour chercher du bois:
263.
En arrivant. ils se mirent à ramasser du bois:
264.
Quant à lui. il lança son coussinet l sous un arbre et se coucha.
265.
Quand ils eurent fini de ramasser tout le bois.
266.
Il enroula son coussinet sur sa téte et les suivit.
267.
En arrivant. ils jetèrent leurs fagots à terre et coururent chez le
marabout.
268.
En disant: Marabout. Oumar le fils de Seydou n'a pas ramassé de
bois aujourd'hui!
269.
Le marabout se leva et dit: toi. tu n'as pas ramassé de bOi? disent-
ils !
270.
Il dit: Marabout. qu'ils rassemblent leurs fagots. moi j'en ai
ramassé!
271.
Il dit: combien étiez-vous à chercher du bois?
272.
L'un d'eux dit: nous étions à six ;
273.
Avec lui. cela fait sept!
274.
Il dit: cela va étre clair tout de suite!
275.
Que chacun des six qui avaient des fagots prenne son fagot et se
tienne de côté !
276.
Chacun des six prit son fagot et se tint de côté:
277.
Alors ils aperçurent un septième fagot posé à terre.
278.
Oumar regarda le marabout.
279.
Il dit: demande aux élèves qui a ramassé ce fagot-là!
280.
Les élèves furent saisis d'étonnement.
Coussinet
tissu
enroulé
que
l'on
met
sur
sa
tête
pour
suppOrter
une
charge.


CORPUS 1
337
281.
Il resta là -bas trois ans.
, 282 .
Il se mit à demander au marabout ce que ce dernier ne comprenait
.pas;
'-'."_:.-
~.,'
....,': ..... ,...,t.
283.
Celui-ci le prit par la main et le ramena chez Thierno Seydou
284.
Il lui dit: hé Thierno Seydou ! Celui-ci dit: oui!
285.
Il lui dit: j'ai donné à ton fils ce que je possèdais,
286.
Que Dieu bénisse cela!
287.
On donna au marabout son dû. celui-ci rentra chez lui.
288.
Seykou resta là-bas ( chez lui) jusqu'à la fin de l'hivernage;
289.
Puis il fit ses adieux à son père et à sa mère.
290.
Il voulait aller étudier à Pényisanyakourou 1;
291.
Il avait entendu qu'il y avait un savant à Penyisanyakourou.
292.
Sa mère lui dit: mon Oumar. que Dieu te garde!
293.
Son père lui dit: mon Oumar. que Dieu te garde!
294.
. Le Torodo lia ensemble planchettes et livres ;
295.
Il partit: il arriva chez Thierno Firo2 ;
296.
Il salua ce dernier. celui-ci le salua à son tour;
297.
Il dit: je suis venu chercher le savoir!
298.
L'autre lui dit: tu es venu.à un grand fleuve 3 ~.
299.
Si c'est une bouilloire que tu as apportée,
300.
Tu peux puiser et la remplir. le fleuve continuera à couler.
301.
Si c'est une gourde que tu as apportée.
302.
Tu peux puiser et la remplir. le fleuve continuera à couler.
303.
Seykou dit : c'est cela que je cherche,
304.
Le Torodo lisait là-bas le Coran.
305.
Un beau jour arriva;
306.
Sa mère était en train de mettre du mil dans le mortier à Halwàr,
307.
Et lui, il avait ouvert son livre et lisait à Pényisanyakourou ;
308.
Des chèvres se levèrent et se dirigèrent vers le mortier de sa
mère:
309.
Dieu fit voir cela à Seykou. à Pényisanyakourou.
310.
Il prit une tige de mil. alors qu'il était à Pényisanyakourou
311.
Il chassa les chèvres ;
Pényisanyakourou : défonnation de Pire Saniakhôr. ville située non
loin de
Tivaouane dans la
Région de Thiès.
Le
griot
toucouleur prononce
mal
le
nom de la ville. qui donna son nom à la célèbre université du Cayor.
2
Il convient d'entendre plutôt Thierno Pire 00 (le marabout de Pire).
3
Grand fleuve : la connaissance est comparée à un fleuve dont personne ne
peut venir à bout. La métaphore aquatique est très suggestive ici.


CORPUSl
339
312.
Celles-ci prirent la fuite et s'en retournèrent.
313.
Le marabout le regarda longuement:
314.
Il dit: hé Oumar. fils de Thierno Seydou TalI. c'est loin!
315.
Lire le Coran à Pényisanyakourou
316.
Et chasser les chèvres à Halwâr.
317.
Tall. c'est bien loin !
318.
Ournar resta là-bas quelques jours;
319.
Il en finit avec le savoir du marabout:
320.
Dieu voulut que tout ce que le marabout savait,
321.
Ille transmît au saint, qui finit ainsi son savoir.
322.
Il le prit par la main.
323.
Il le ramena à Halwàr.
324.
Seykou resta là-bas jusqu'à la fin de l'hivernage:
325.
Il fit ses adieux à son père et à sa mère.
326.
Il voulait aller chercher le savoir du côté de l'est.
327.
On entend là-bas des gens qui chantent le Coran.
328.
Depuis le jour où Seykou avait quitté le Fouta.
329.
C'est toujours vers l'est qu'il partait;
330.
Il traversait des fleuves,
331.
Il traversait des rivières ;
332.
Ceux qu'il avait appelés venaient.
333.
Tous les marabouts chez qui Seykou allait.
334.
Voyaient leur savoir tari au bout de quelques jours l .
335.
Seykou continua sa route.
336.
Un jour on le renseigna sur un marabout
337.
Qui se nommait Ousmane Fodé Bello2
338.
Il se mit en rocte. il arriva à la maison du marabou t Ousmane.
339.
Ille salua. ce dernier le salua à son tour ;
340.
Il lui dit qu'il était venu chercher le savoir.
341.
L'autre lui dit: bienvenue à toi, homme du Fouta !
342.
Chaque nuit que Dieu faisait.
343.
Ousmane quittait Sokoto et allait prier sur un parterre fleuri3 ,
344.
Puis il revenalt passer la nuit à Sokoto.
1
Seykou dépassait rapidement en
savoir ses propres maîtres.
2
Ousmane Fodé Bello : descendant des Peuls qui avaient émigré de l'Ouest
vers
l'Est.
Ousmane
naquit
à
Gobir,
au. nord
du
pays
haoussa.
vers
1755. Vers
1804. il prêcha la guerre sainte.Lettré. il composa des ouvrages
en
Arabe.
3
Sokoto: ville fondée en 1809 par Mohamed Bello fils d'Ousmane Dan Fodio.


341
345.
Quand Seykou Oumar avait pris le repas du soir.
346.
Il partait lui aussi prier sur un parterre fleuri.
347.
Puis il revenait passer la nuit à Sokoto.
348.
Quand Seykou Oumar avait fini de prier sur le parterre fleuri,
349.
Ousmane allait [ au parterre fleuri],
350.
Ousmane partait au parterre fleuri.
35l.
Ils rencontrèrent une àme qui volUgeait entre terre et ciel.
352.
Seykou prit l'âme dans ses mains.
353.
Il di t : où habites-tu?
354.
Elle dit: Seykou. moi je n'habite nulle part encore.
355.
Je suis une àme qui est entre terre et ciel.
356.
Alors Ousmane regarda à terre.
357.
Il dit: que Dieu me donne de mettre au monde cette âme qui va au
parterre fleuri avant d'ètre nèe !
358.
Seykou s'assit à terre; il dit : que Dieu me donne de mettre au
monde cette âme qui va au parterre fleuri avant d'ètre née!
359.
Ils revinrent et rentrérent en "Kalwa".
360.
Ils invoquèrent Dieu. l'Unique;
36l.
Dieu fit descendre un message pour Ousmane:
362.
Il dit: tu as demandé un fils:
363.
Mais Dieu le Tout-Puissant a permis,
364.
Que la prière de cet élève. qui t'est confié, est arrivée la première
chez le Seigneur.
365.
11 lui a donné un fils,
366.
Mais à toi, Ousmane. il a donné la mère de ce fils.
367.
Alors Ousmane prononça le nom de Dieu, le Seigneur l .
368.
Cela alla jusqu'à l'aube.
369.
Il dit: hé. Oumar, fils de Thiemo Seydou ! Celui-ci dit: oui!
370.
Il dit: toi. Oumar. tu n'es pas petit:
37l.
Nous avons demandé un fils ;
372.
Le Seigneur Tout-Puissant dit que c'est moi qui possède la mére
373.
De ce fils, mais que c'est toi qui possèdes le fils.
374.
Il dit: Ousmane. c'est beaucoup ce que j'ai obtenu. mais ce que toi
tu as obtenu. ce n'est pas petit.
375.
Il appela "mère" Satoura 2;
1
Genre d'oraison qui consisle à repeler le nom de Dieu.
2
Fail
hlslorique
: Ousmane donna
une de ses
filles
en
mariage
à Seykou
Oumar.


CORPUS 1
343
376.
II dit: c'est Dieu qui te donne "mère" Satoura.
377.
Seykou séjourna là-bas quelques jours.
378.
Le temps du Pèlerinage arriva:
379.
Il fit ses adieux à Ousmane:
380.
II voulait aller prier sur un parterre fleuri.
38l.
Seykou entreprit trois chemins 1:
382.
Il parcourut la distance entre la Mecque et MadIna2 :
383.
C'est une bonne route!
384.
Il alla chez Bayta Moudjatati (Jèrusalem).
385.
Il demanda le droit de faire la guerre sainte3.
386.
Le Torodo doit faire la guerre sainte,
387.
C'est une bonne route!
388.
Il alla chez Hamadou Modiali (Mouhamadoul Ghâli).
389.
Il demanda le wird des Tidianes4 :
390.
Cela aussi c'est un bon chemin.
39l.
Un matin, il se rèveilla et se mit en route:
392.
Dieu l'amena jusqu'à Missira :
. 4~[iVv~&1(
393.
Il vit la mosquèe de Missira ;
394.
Il Y trouva cette inscription: "quel que soit le savoir que quelqu'un
apporte ici,
395.
Il trouvera ici quelqu'un qui le dépasse",
396.
Il dit: si ce n'est moi Oumar du Fouta.
397.
Dieu n'aime pas les vantards, sauf moi Oumar le Foutanké :
398.
Je suis venu ici avec le savoir.
399.
Je n'ai pas laissé derrière moi quelqu'un qui me dépasse,
400.
Je ne trouverai pas ici quelqu'un qui me dépasse!
40l.
Il rentra dans la mosquée:
402.
Il les (les savants] trouva en train de se tourner vers l'Est pour
prier :
403.
II se mit devant eux :
404.
Il dit: Dieu veut que je dirige ici votre prière pendant trois jours
C'est durant son séjour aux Lieux Saints que Seykou accomplit les rites du
pélerinage,
reçut
le droit de mener la guerre sainte et
fut
instruit par des
maîtres
célèbres.
2
Madina : se situe au nord de la Mecque. Cette ville fait panie du circuit du
pèlerin.
3
La guerre sainte, le jihad est un devoir pour tout musulman, cf notes.
4
Le "wird" des Tidianes:
le "wird" est un formulaire
de prières spécifique à
chaque
confrérie.


CORPUS 1
345
405.
- Les Blancs méprisent les Noirs l .-
406.
Ils le regardèrent et se mirent à rire
407.
Ils dirent: dans la mosquée qui est construite ici.
408.
Jamais un Noir n'est entré pour prier encore moins pour diriger
notre prière !
409.
Tu n'as pas à prier ici, encore moins à diriger notre prière
410.
Ils chassèrent Seykou Oumar, qui sortit.
41l.
Le Torodo supplia Dieu. Dieu l'exauça;
412.
Durant trois jours. le feu ne s'alluma pas à Missira.
413.
Aucun enfant ne téta sa mère,
414.
Aucun chevreau ne téta une chèvre.
415.
Aucun mouton ne téta une brebis;
416.
Alors les gens de Missira eurent très peur;
417.
Ils partirent, ils appelèrent Seykou ;
418.
Ce dernier arriva et dirigea leur prière pendant trois "rakàs"2 :
419.
Sa prière fut exaucée.
420.
Il y avait là-bas un savant
421.
Qui se nommait Hamadou Mousoul Diné.
422.
Ils dirent : Hamadou Mousoul Diné, nous avons ici quelqu'un
d'étonnant!
423.
Un Noir pourrait venir ici, te montrer son savoir
424.
Et tu ne serais pas capable de répondre!
425.
Il est impensable qu'un Blanc vienne ici,
426.
Te montrer son savoir, sans que tu ne saches y répondre, encore
moins un Noir!
427.
Il dit: ce Noir que voici
428.
Est certes très brillant.
429.
Mais aujourd'hui je lui poserai des questions.
430.
Faisons aujourd'hui une réunion;
431.
Il faut que je dise à ce Noir ce qu'il ne pourra pas comprendre;
432.
Comme il connait le poular et le haoussa,
433.
Le zerma et le bambara,
434.
Je lui réciterai un verset
Les Blancs méprisent les Noirs : allusion au racisme entre Arabes et Noirs;
aujourd'hui
encore,
dans
le monde
arabe,
"l'Islam noir"
(sic)
est
suspecté
de n'être pas très pur.
2
Rakâ
[raka'aL ensemble de gestes et de paroles : il constitue le corps de la
prière
rituelle.


CORPUS 1
347
435.
Qui se trouve dans le livre de "Louga" 1
436.
Je lui parlerai la langue des génies2 ;
437.
Quand on parle à un Noir la langue des génies, il ne répond pas.
438.
Alors. ils firent la réunion;
439.
Ils appelérent Seykou Oumar ;
440.
Seykou arriva et s'assit.
441.
Hamadou Mousoul Oiné lui dit: Oumar du Fouta ! Celui-ci dit: oui !
442.
Il dit: si quelqu'un rencontre un savant.
443.
Il doit l'interroger.
444.
Seykou Oumar lui dit: c'est bien vrai !
445.
Il lui posa vingt cinq questions;
446.
Seykou donna la réponse ;
447.
Il dit: maintenant, je vais te poser une question:
448.
Ce ne sera pas en poular,
449.
Ce ne sera pas en zerma.
450.
Ce ne sera pas en haoussa.
451.
Ce ne sera pas en bambara;
452.
Si Oumar comprend. il répondra,
453.
S'il ne comprend pas, il se taira.
454.
Il regarda Seykou, Seykou le regarda;
455.
Il dit: "kabourou bogourou kabourouba" !
456.
Seykou lui dit: "sidjilin sadjalin kanyoumka".
457.
Alors ils surent que c'était la langue des génies.
458.
Il avait dit: "qu'est-ce qui est le plus difficile. vivre ou avoir de quoi
vivre 7"
459.
Seykou avait répondu : "si quelqu'un est vivant, il aura de quoi
Vivre."
460.
C'est ici que cela prend fin.
461.
Noble. fils de nobles!
1
"Louga":
signifie
grammaire.
2
La
langue
des
gemes
la
connaissance
de
cette
J angue
prouve
l'intelligence
pénétrante
de
Seykou
Oumar.
elle
souligne,
par
delà
celle
perspicacité
de
Seykou.
son
caractère
exceptionnel.
L'épopée
place
son
héros au-dessus des
hommes, puisqu'il communique avec
les
génies.


CORPUS II
349
LE JIHAD D'EL HADJ OMAR DE DINGUIRA YE
A HAMDALLAHI
SEYKOU OUMAR ET T AMBA BOUKARI
La première bataille du jihâd
1.
Seykou Oumar émigra du Fouta où il avait fait des disciples 1;
2.
En arrivant, ils allèrent dresser leur campement à Dinguiraye2 ;
3.
Il avait demandé la permission à Tamba Boukari;
4.
Tamba Boukari lui avait demandé s'ils acceptaient de payer l'impôt;
5.
Il avait dit qu'ils paieraient l'impôt.
6.
Tamba dit: habitez ici!
7.
Alors ils partirent. ils coupèrent un "lengeewi"3,
8.
Ils cassérent une termitiére et construisirent une mosquée.
9.
Cet endroit s'appelait Dinguiraye.

~.
f

r . 1 .
,', . .
' .
10.
C'est là-bas que les disciples se soumettaient à ·Seykou.
11.
00
Comme ils se soumettent aujourd'hui à Al Hadji Mamadou Saydou
de Médina Gonass4 .
12.
Quand Seykou voyait un fusiL il l'achetait :
13.
S'il voyait une épée, il l'achetait,
14.
S'il voyait de la poudre. il l'achetait.
15.
Que Dieu nous protége des menées de l'hypocrite 5 !
16.
Dans le monde, il y a six personnes:
17.
Les trois premières. si elles t'aiment, aime-les,
18.
Si elles te haissent. aime-les!
19.
Les trois autres. si elles te haissent. hais-les.
20.
Si elles t'aiment, hais-les!
21.
Voici quelles sont ces six personnes:
••••
l,
:\\ 22.
Ton parent: s'il t'aime. aime-le.
r
23.
S'il te hait. aime-le,
24.
C'est l'enfant qui cherche la bénédiction de son parent,
.~ 25.
Mais lep~arerit ne cherche pas la bénédiction de l'enfant6 . l, '" H"',.r
1
Disciple : la plupart des jihâdisles étaient originaires du Foula-Toro.
2
Dinguiraye
:
ville située
en
République
de
Guinée
(Conakry)
peuplée
de
Malinkés,
Peuls
el Toucouleurs.
3
Lengeewi : Il s'agit de l'Afzelia
af-ricana.
4
Madina Gonass : ville située dans la région de Casamance.
5
Hypocrite : le lerme poular nafigi vient de l'arabe il désigne un délateur.
6
Bénédiétion : Il s'agit de la "baraka" ~ rien n'est plus grave que d'avoir été
maudit par ses parents, tandis que
leur bénédiction
apporte
le bonheur.


CORPUS II
351
26.
Ton marabout: s'il t'aime. aime-le.
27.
S'il te hait, aime-le.
28.
C'est le disciple qui cherche la bénédiction du marabout.
29.
Mais le marabout ne cherche pas la bénédiction du disciple.
30.
Le roi du pays: s'il t'aime. aime-le.
31.
S'il te hait, aime-le.
32.
C'est ton bien que tu recherches. un roi est plus fort qu'un pauvre.
33.
De ces trois. s'il y'en a un qui t'aime. aime-le.
34.
S'il te hait, aime-le!
35.
Quelles sont les trois que tu dois haïr même si elles t'aiment,
36.
Que tu dois haïr si elles te haIssent ?
37.
L'hypocrite: s'il t'aime. hais-le.
38.
S'il te hait, hais-le!
39.
Il te brouille avec la famille et va t'aider pour la réconciliation!
40.
Le voleur: s'il t'aime, hais-le.
41.
S'il te hait, hais-le!
42.
Il vole tes biens et t'aide à chercher alors qu'il les dètient.
43.
Le sorcier l s'il t'aime. hais-le.
44.
S'il te hait, hais-le!
45.
Il prend ton enfant et te conduit chez les deViris 2 !
46.
Voilà les six personnes qui sont dans le monde.
47.
Que Dieu nous protège du malheur de l'hyprocrite !
48.
Un hypocrite se leva et alla chez Tamba Boukari,
49.
Il lui dit: Tamba !
50.
Tamba lui dit: oui!
51.
Il dit: toi. tu habites ici avec un marabout,
52.
Moi. je ne connais pas le caractère de ce marabout,
53.
II n'a pas le caractère des marabouts.
54.
Tamba lui dit : que fait-il donc?
55.
Il dit: ce marabout. quand il voit un fusil, il l'achète.
56.
Ce marabout, quand il voit de la poudre. il l'achète:
57.
Ce marabout, quand il voit une épée. il l'achète.
58.
Un marabout qui achète des fusils. des épées et des balles.
59.
De la poudre. a d'autres intentions que de s'incliner pour faire la
prière!
Sorcier
les sukuii a [suku ii a a 8e. pluriel]
sont des hommes qui ont un
pouvoir malfaisant ; ils agissent sunout pendant la nuit ; ils peuvent "boire
le., sang" de leurs victimes.
2
r(eY1ns' : contre-sorcier qu'on
va consulter.
"- "---"


60.
Tamba Boukari appela Kodda Adama Ayse Elimane Ciré Samba
61.
DembaAll Moutar Seydi Buudu Muusa l .
62.
Il lui dit: Marabout!
63.
Seykou dit: oui!
64.
li dit : j'ai appris que tu achètes des fusils, des balles et de la
poudre.
65.
Or si quelqu'un craint Dieu, il n'a peur de personne.
66.
Seykou lui dit: c'est vrai2 !
67.
li dit: que je ne revoie plus cela, que je n'entende plus cela!
68.
Seykou dit: entendu. puisque tu le dis.
69.
Je vais laisser cela car c'est toi le roi!
70.
Seykou revint et cessa d'acheter des fusils et des balles
71.
Jusqu'à ce que Tamba Boukari l'eût oublié.
72.
Seykou reprit les achats.
73.
Un jour. le Torodo compta ses fusils.
74.
Il trouva trois cen t trois fusils :
75.
Les disciples ètaient au nombre de trois cent trois.
76.
li se mit à rire et dit: vraiment Dieu est l'Unique.
77.
C'est cela que Dieu a décidé!
78.
Dans peu de temps, la poudre va gronder sans interruption3 .
79.
Un jour. ils avaient fait la prière du soir. puis celle de la nuit;
80.
lis avaient récité la "Salatul fatiha" jusqu'à la fin4 .
81.
lis avaient fait ensuite la prière de la nuit.
82.
Alors Seykou se leva et dit: maintenant. rentrons à la maison!
83.
Les fils des pieuses femmes du Fouta, les disciples. dirent:
Seykou!
84.
Seykou dit: oui!
85.
lis dirent: Marabout, toi tu peux rentrer chez toi
86.
Mais nous avons quelques chose à dire à Alfa Oumar Thiemo Bayla.
87.
Or c'est lui qui était le plus proche de Seykou.
88.
lis appelèrent Alfa et s'éloignèrent avec lui
89.
lis lui dirent: Alfa !
90.
Alfa dit: oui!
91.
lis dirent: quand nous avions quitté le Fouta pour venir ici.
1
C'est la généalogie abrégée de Cheikh Omar.
2
C'est
vrai
:
pour
approuver
quelqu'un,
on
utilise
l'expression
arabe
"wallâhi !" [par Allah].
3
Sans' interruption: littéralement sans se taire [deY'Y'aani].
4
"Salatil fatiya "["Salâtul fâtiha"] : Il s'agit d'une panie du "wird" tidjane.

1
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1

CORPUS II
355
92.
Vous aviez dit que nous venions pour faire la guerre sainte l ;
93.
Or nous sommes installés ici, nous cultivons. nous produisons des
biens.
94.
Nous travaillons d'une maniére conforme à la religion.
95.
Nous donnons cela à Tamba Boukari, ce païen maudit de Dieu,
96.
Qui mange ce qui est interdit par la religion2 ;
97.
Cela ne nous fait pas plaisir à nous. par Dieu!
98.
Alfa Oumar Thiemo Bayla dit; à moi aussi cela déplaït.
99.
Ils dirent: alors. maintenant pars dire cela au marabout.
100.
Cela nous suffit maintenant!
101.
Alors Alfa arriva,
102.
Il lui dit: Oumar, l'homme du Fouta!
103.
Seykou lui dit: oui!
104.
Il dit: sache que les enfants des pieuses femmes m'ont envoyé
chez toi.
105.
Il dit: qu'y a-t-il ?
106.
II dit: les jeunes du Fouta disent: tu nous as fait quitter le Fouta.
107.
Tu nous as amenés ici. tu as dit que nous ferions la guerre sainte,
108.
Tout mourant entrerait au Paradis,
109.
Or, nous sommes intallés ici. nous produisons des biens.
110.
Nous travaillons de maniére conforme à la religion.
111.
Nous donnons cela à ce païen, fils de païen, qui mange ce qui est
interdit par la religion.
112.
Les disciples entourérent Seykou
113.
Seykou dit: que dites-vous, gens du Fouta ?
114.
Ils dirent: nous avons dit ce que Alfa t'a fait savoir.
115.
Il dit: savez-vous ce qui arrive quand on refuse de se soumettre à
un roi?
116.
Ils dirent: nous sommes courageux !
117.
Il dit: tout de suite il y aura beaucoup de veuves!
118.
Ils dirent: nous avons de l'audace.
119.
Il leur dit: quand on refuse de se soumettre à un roi.
120.
Alors les orphelins de père seront dispersés et feront pitié.
121.
Leurs pères seront abandonnés. dépouillés.
122.
Ils dirent: nous avons de l'audace.
C'est
uniquement
pour
la
guerre
sainte
que
les
hommes
du
Fouta
ont
émigré.
2
Ce qui est interdit: harmi vient de l'arabe "harâm"
[interdit
religieux].


CORPUS Il
357
123.
Il dit: tout de suite le temps arrivera où nous ne pourrons plus
124.
Prier parce que la poudre grondera sans interruption.
125.
Ils dirent : si ce n'est pas un péché pour nous. nous avons de
l'audace!
126.
Il dit: c'est ainsi que vous dites?
127.
Ils dirent: c'est ainsi que nous disons.
128.
Il dit: bon. alors révoltons-nous!
129.
Le lendemain arriva, ils firent la priére du matin.
130.
Ils récitèrent la "Saalatul fatiha", la prière d'honneur 1.
131.
Tamba Boukari envoya des gens :
132.
Quand vous partirez, dites-moi à Al Hadji Oumar
133.
Qu'on rassemble l'impôt de son village tout de suite pour que vous
me l'ameniez.
134.
Alors les courtisans2 rentrèrent dans la maison de Seykou Oumar ;
135.
Ils dirent: Marabout!
136.
Le marabout dit: oui!
137.
Ils dirent; nous sommes des envoyès de Tamba Boukari ;
138.
Tamba Boukari te dit de rassembler aujourd 'hui l'impôt de ton
village;
139.
Nous l'emporterons tout de suite avant que la lune ne se lève.
140.
Seykou dit: c'est bien!
141.
Il dit: Alfa!
142.
Alfa dit: oui!
143.
Il dit: appelle-moi les disciples !
144.
On appela les fils des pieuses femmes.
145.
Il dit: regardez. ceux qui sont arrivés ici sont venus pour l'impôt.
146.
Qu'en dites-vous?
147.
Ils dirent: si nous avons aujourd'hui de quoi payer l'impôt à ce
maudit,
148.
Nous en habillerons nos familles. nous les en nourrirons.
149.
Seykou dit: avez-vous entendu?
150.
Les envoyés dirent: nous avons entendu.
15l.
Il dit: quand vous partirez, dites à Tamba :
152.
Moi, o umar, si j'ai aujourd'hui de qUOi donner l'impôt,
J
C'est la prière principale qui compose le "wird" tidjane, voir v 80.
2
Counisans : le batula [watulaaoe. pluriel] Ce son! les hommes qui viven!
o
dans l'entourage des chefs, dont ils son! les émissaires et les conseillers.


CORPUS il
359
153.
J'habillerai ma famille et la nourrirai.
154.
Les envoyés rentrèrent sans l'impôt.
155.
Lorsqu'ils arrivèrent. Tamba dit: vous avez apporté l'impôt?
156.
Ils dirent: Tamba. demande-nous comment nous sommes revenus!
157.
Il dit: comment êtes-vous revenus?
158.
Ils dirent: le marabout et ses disciples ont dit :
159.
S'ils ont de quoi donner l'impôt, ils nourriront leurs familles et les
habilleront.
160.
Même le marabout a dit : s'il a de quoi donner l'impôt,
16l.
Il nourrira sa famille et l'habillera.
162.
Tamba Boukari se mit à rire en hochant la tête,
163.
Il dit : pitié, le marabout pense qu'il est fort maintenant
164.
Il ne me connaît pas, si je prends une armée dans un de mes
villages.
165.
Cela fera deux fois plus d'hommes que son armée.
166.
Il avait un griot du nom de JeU Moussa 1:
167.
Il dit: J eli Moussa J
168.
JeU Moussa dit: oui!
169.
Il dit: viens. accompagne ces envoyés,
170.
Dis au marabout: s'ils veulent habiter près de mon village.
17l.
Pour s'incliner. se prosterner et prier,
172.
Pour tailler des bois et les remplir d'écritures noires,
173.
Pour lire en disant que c'est la parole de Dieu,
174.
Qu'ils te donnent l'impôt!
175.
Sinon, j'incendie leur village tout de suite.
176.
Jeli Moussa monta sur son cheval et accompagna les envoyés.
177.
Dieu montra cela à Seykou Oumar à Dinguiraye :
178.
Il dit: hé les gens du Fouta !
179.
Ils dirent: oui!
180.
Il dit: le-jour-où Dieu l'Unique nous donnera de faire la guerre
/
\\.
sainte,
18l.
Ce jour-là. Il nous donnera un griot du nom de JeU Moussa;
182.
I.e jour où Jeli Moussa fera partie de notre religion.
183.
Quel que soit celui que nous attaquerons et combattrons, nous
serons les vainqueurs.
184.
J'ai appris que Jeli est très proche du roi:
185.
Voilà que Jeli quitte le village de Tamba Boukari,
leli est le nom malinké du griot, dont l'équivalent poular est gawlo.


\\...VI'..r UÙ .1.1
.J 0 1
186.
Il vient chez nous prendre l'impôt.
187.
Que chacun des fils des pieuses femmes rentre dans sa case:
188.
Sa mère s'appelle ainsi;
189.
Son père s'appelle ainsi.
190.
Vous connaissez certains dessins magiques l ;
19l.
Inscrivez-y son nom. le nom de sa mère et celui de son père.
192.
Que chacun prie deux "rakâs" et rècite douze fois le chapelet,
193.
Supplions Dieu l'Unique de faire rentrer Jeli Moussa dans notre
armèe.
194.
Alors la guerre sainte sera arrivée.
195.
Les fils des pieuses femmes rentrèrent dans les cases.
196.
Ils approchèrent les planchettes. ouvrirent les livres.
197.
Prirent l'encre. ils écrivirent et inscrivirent les noms.
198.
Seykou se dirigea vers l'est, il pria deux "rakâs".
199.
Il récita douze fois le chapelet;
200.
Il-appela Dieu. Dieu répondit:
" 201.
Dieu fit descendre lln iTIessager.
202.
Ce messager dit : le Seigneur Tout-Puissant te dit:
203.
Ce que tu as demandé. il te l'accorde.
204.
Il dit: j'ai demandé à Dieu qu'il fasse venir Jeli Moussa dans votre
armèe.
205.
Pour que nous fassions la guerre sainte.
206.
Il dit: le Tout-Puissant l'a décrété pour toi.
207.
Il dit : hé disciples!
208.
Ils lui dirent: Tall !
209.
Il dit: si vous voulez. arrètez là où vous êtes arrivés.
210.
Celui qui ne ment pas2 dit qu'il nous accorde ce que nous avons
demandé.
21l.
A ce moment, Jeli rentra dans la maison de Seykou Oumar ;
212.
Ses yeux rencontrèrent les yeux de Seykou.
213.
Son front était plus brillant que tous les fronts qu'il voyait.
214.
II le regarda longuement,
215.
Il dit : Marabout. n'est-ce
pas toi qui es le marabout ici ?
Dessins magiques.
[carrés cabalistiques]
: haatumeere. ce sont les dessins
géométriques où l'on inscrit des versets du Coran. des noms de Dieu ou du
Prophète. On utilise ces dessins pour les gris-gris.
2
Celui qui ne ment pas : Dieu. en effet ne peut pas mentir.
Il
peut
s'agir
aussi
d'un
"Rawhane"
:
esprit
faisant
office
de
messager
mystique.


CORPUS Il
363
216.
Seykou dit: c'est ainsi qu'ils m'appellent.
217.
Il dit: par Dieu, Marabout, toi et tes disciples vous ètes beaux !
218.
Il dit: Jeli Moussa. la beauté est un chiffon de Dieu 1.
219.
Il lui dit: Marabout!
220.
Seykou Oumar lui dit: oui!
22l.
Il dit: est-ce bien si un païen qui ne prie pas aime un musulman?
222.
Il lui dit: JeU Moussa, l'amour est un chiffon de Dieu mais il n'est
pas agréable à poser2 .
223.
Il lui dit: Marabout!
224.
Seykou lui dit: oui!
225.
Il dit: si quelqu'un est ici. qu'il se purifie le visage,
226.
Chaque fois que vous vous purifiez le visage.
227.
S'il s'incline. se prosterne, s'il possède ce que vous possèdez,
228.
S'il égrène le chapelet pour réciter le wird.
229.
Est-ce qu'il sera beau comme vous éte beaux ?
230.
'II dit: par Dieu, Jeli, celui qui suit Dieu,
23l.
Même s'il n'est pas beau, son front sera brillant.
232.
Il dit: Marabout!
233.
Seykou dit: oui!
234.
Il dit: tu sais ce qui m'a amené?
235.
Il dit: non, Jeli, je ne sais pas, il faut que tu me le dises.
236.
Il dit: c'est Tamba Boukari qui dit que vous me donniez l'impôt,
237.
Mais dites que vous ne le donnez pas:
238.
Que celui qui veut des biens travaille!
239.
Voilà qui est vitc dit, Marabout. .
240.
Seykou dit: d'accord!
24l.
J'ai cessé d'être l'ami de Tamba Boukari.
242.
Ce n'est que vous que j'aime,
243.
Je vais donc rester ici.
244.
Il lui dit: hé Jeli !
245.
Jeli dit: oui!
246.
Il lui dit: un chemin est meilleur qu'un autre.
f. 247.
Mais. Jeli Moussa. fais·ton deVOir3 . ;. ,i .. ' ... "i' .',
1.....
,.
• • •... ï
248.
Pars, fais ton devoir. si Dieu veut que tu reviennes, tu reviendras.
249.
Alors Jeli s'en retourna. il dit: envoyés, venez, rentrons;
1
La beauté est une valeur passagère et futile : elle est le "chiffon" de Dieu.
2
Il n'est pas agréable à poser : la fidélité dans l'amitié est une chose difficile.
3
Fais ton devoir : liuéralement que la route soit terminée.

CORPUS II
365
250.
On ne peut pas habiter avec Tamba Boukari.
.,,25l.
Ces derniers sont venus fonder un village.
252.
Ils se fatiguent pour eux-mêmes.
253.
Tout ce qu'ils commencent à gagner, il le leur prend:
254.
Un tel roi n'est pas prêt d'avoir des gens.
255.
Alors les envoyés suivirent Jeli Moussa. Jeli alla au loin.
256.
Ils arrivaient alors en pleine brousse.
257.
Jeli descendit de son cheval,
258.
n prit son épée, il l'accrocha à la selle du cheval,
259.
Il prit son habit. il l'accrocha à la selle du cheval,
260.
Il dit aux envoyés: quand vous partirez, dites à Tamba Boukari :
26l.
Il ne m'a pas engendré, il n'est pas mon grand frére,
262.
Je n'étais que son ami, j'habitais dans sa maison.
263.
Qu'il me haIsse, je le hais!
264.
Maintenant. je suis l'ami du marabout,
265.
Je sais que la vérité est du côté du marabout,
266.
Je vais retourner chez le marabout.
267.
JeU Moussa se mit à courir.
268.
Il arriva et se mit à genoux devant Seykouo..mar.
269.
Il dit: oui!
270,
Il dit : hier tu te nommais Jeli Moussa?
27l.
Il dit: oui!
272.
Il dit: aujourd'hui tu te nommeras JeU le chanceux:
273.
Comme tu t'es mis à genoux, tu t'es converti.
274.
Celui qui ne ment pas m'a fait savoir tout de suite
275.
Que ta maison a été apprêtée dans le paradiS.
276.
Alors ils rasèrent totalement la tête de JeU,
277.
Ils lui donnèrent un habit blanc et une coiffure blanche,
278.
Ils lui remirent un chapelet "tidiane",
279.
Il lui dit: JeU!
280,
JeU dit: oui !
28l.
Il lui dit: Jeli, prends la corde de Dieu l,
282.
Elle ne se coupera pas entre tes mains.
283.
Alors JeU s'installa.
284.
Les envoyès rentrèrent sans emporter l'impôt. sans emporter Jeli :
Prends la corde de Dieu
remets-toi entre les mains de Dieu.


CORPUS Il
367
285.
A peine arrivés. Tamba Boukari leur dit: avez-vous apporté l'impôt?
286.
Ils lui dirent: Tarnba. fais doucement.
287.
Avant de nous demander l'impôt.
288.
Tu ne nous demandes pas comment nous sommes revenus?
289.
Il dit: comment êtes-vous revenus?
290.
Ils dirent: nous n'avons pas eu l'impôt,
29l.
Puis Jeli s'est révolté.
292.
Tu as vu le cheval qu'il montait?
293.
Il dit qu'il n'est plus ton ami, il est l'ami du marabout, il est resté
là-bas.
294.
Tamba Boukari rentra dans une trés grande colére.
295.
Il dit: à présent. le marabout m'a atteint. le malheur est à son
comble!
296.
Le marabout dit qu'il ne me donnera pas l'impôt.
297.
Et il prend le griot que je préfére. que je préfère entre tous les
griots.
298.
Il dit que ce dernier restera là-bas.
299.
Celui-là. il ne pourra pas le garder toujours,
300.
Je vais montrer tout de suite à ce marabout ce que je possède.
30l.
Alors il envoya quelqu'un.
302.
Il dit: je vais incendier le village du marabout.
303.
Mais je ne veux pas l'incendier alors que Jeli est là-bas.
304.
Si tu entends que l'herbe sèche ne brûle pas)comme l'herbe verte
c'est qu'elles n'ont pas ètè ensemble.
305.
Alors il dit à l'envoyé: quand tu partiras. dis au marabout.
306.
Je lui pardonne son impôt, mais qu'il me redonne Jeli Moussa.
307.
Amenez-le moi. qu'il sache que Jeli est mon griot préférè.
308.
Il n'en est pas le maître!
309.
S'il veut. qu'il garde l'impôt de son village.
310.
L'envoyé arriva. il était solidement ceint 1,
31l.
En arrivant. il dit: Marabout!
312.
Seykou Oumar lui dit: oui!
313.
Il dit: Tamba Boukari dit qu'il te remet l'impôt de ton village
314.
Mais sache que le griot est son griot:
315.
Il faut lui rendre Jeli Moussa:
316.
Même si tu ne payes pas l'impôt, que Jeli ne reste pas ici
317.
Seykou dit: hé Jeli !
Il était solidement ceint
il était préparé. bien muni de gris-gris.


LVK..lU~ 11
369
318.
JeU dit: oui!
319.
Il dit: Jeli, viens. réponds, tes parents sont venus te voir.
320.
Il lui dit: Marabout!
32l.
Seykou dit : oui!
322.
Il dit: ce sont des hypocrites purs que tu vois ici!
323.
Avec ceux-ci nous n'avons même pas en commun Adam et Eve 1
324.
Avec ceux-ci nous n'avons rien de commun,
325.
Donc, Marabout.
326.
Le marabout dit : oui!
327.
Il dit: est-ce que l'amitié empêche de dire la vérité?
328.
Il lui dit: non, si des gens s'aiment, qu'ils se disent la vérité.
329.
C'est cela qui les rapprochera.
330.
Il dit: tu m'aimes et moi je t'aime.
33l.
Il lui dit: c'est vrai !
332.
Il lui dit: mais le païen contre lequel tu veux combattre.
333.
C'est un maudit de Dieu. il est plus fort que toi.
334.
As-tu vu le village qu'il habite?
335.
Il dit: oui!
336.
Il dit: chaque année, il y fait circoncire une centaine d'enfants2 .
337.
C'est cela qu'on voit tous les ans dans son pays,
338.
C'est lui qui est plus fort que toi!
339.
Alors Seykou Oumar se mit à sourire.
340.
Il lui dit: Jeli !
34l.
Jeli dit: oui!
342.
Il lui dit: Jeli, c'est Dieu qui possède la force. nul n'est fort.
343.
C'est Dieu qui possède la force!
344.
Il dit: envoyé. vous avez entendu?
345.
Ils dirent: nous avons entendu!
346.
Il dit: quand vous partirez. dites à Tamba Boukari que hier Jeli
était Jeli de Tamba.
347.
Mais qu'il sache que Jeli est devenu Jeli de Oumar du Fauta!
348.
Dites à Tamba : je prends Jeli avec mon pied droit
349.
Jusqu'à ce que Tamba le coupe:
Adam et Eve ; pour la
tradition coranique. Adam et Eve sont les premiers
êtres
humains
;
Jeli
est
très
méprisant
en
récusant
tout
lien
avec
les
envoyés de Tamba
Boukari,
ils
ne
descendent
pas d'Adam
et
Eve,
premier
couple
édénique.
2
S'il
y
a
une
centaine
d'enfants
à
circoncire,
c'est
un
signe
que
la
population
est
nombreuse,
et
la
tradition
insiste
sur
la
puissance
du
royaume du
Dialonkadougou
avec
force.


371
350.
Je le prends avec ma main droite jusqu'à ce que Tarnba la coupe.
35l.
Je le prends avec ma main gauche jusqu'à ce que Tarnba la coupe,
352.
Je prends Jeli avec mon pied gauche jusqu'à ce que Tamba le
coupe.
353.
Je m'étends sur Jeli Moussa jusqu'à ce que Tamba me divise en
deux morceaux.
354.
Alors J eli commencera à étre pris 1.
355.
Les envoyés s'en retournèrent.
356.
Alors Seykou Oumar dit: disciples!
357.
Ils lui dirent: oui
358.
Il dit: mettez livres et planchettes les uns sur les autres.
359.
Suspendez-y les encriers. attachez-les solidement.
360.
Enlevez les turbans de vos têtes. attachez-les à votre taille.
36l.
Prenez les fusils.
362.
Tout de suite une troupe va nous attaquer pour la guerre sainte.
363.
Les fils des pieuses femmes se ceignirent,
364.
On se ceignit avec les turbans.
365.
On affûta les êpées.
366.
On chargea les fusils.
367.
Seykou se tint debout et fit une longue exhortation.
368.
Seykou s'assit,
369.
Les disciples se levèrent et se mirent à supplier Dieu
370.
o Dieu. que je n'échappe pas aujourd'hui de cette bataille
37l.
Pour que demain je voie ma maison dans l'au-delà!
372.
Ils étaient en train de prier ainsi quand les envoyés rentrère,rt
chez eux.
373.
Tarnba Boukari leur dit: comment cela s'est-il passé?
374.
Ils dirent: nous n'avons rien eu. et puis. Tarnba. nous te disons ...
375.
Il dit: oui.
376.
Ils dirent: le marabout a déclaré la guerre!
377.
Alors Tarnba Boukari éclata de rire.
378.
Il dit: je vais faire savoir à ce marabout qu'il n'est pas fort.
379.
Aujourd'hui. je vais incendier Dinguiraye. je vais attacher les
disciples.
1
Jeli
et Seykou
sont
désonnais
inséparables. l'un
ne
pourra
pas
être
pris
sans l'autre.
Ils fonnent une sorte de héros épique et son double. La suite
du jihâd pennit à ce((e dualité organique de donner la pleine mesure de ses
capacités : el la langue de Jeli compléta bien les dons mystiques d'Omar.


CORPUS Il
373
380.
Je vais prendre Jeli et le marabout pour les amener ici dans mon
village.
381.
Il dit: savez-vous à combien sont les hommes du marabout?
382.
L'un d'eux dit: moi. je connais les gens de là-bas.
383.
Je connais leur nombre.
384.
I! dit: à combien sont les disciples?
385.
Il dit: les disciples et lui. sans compter Jeli,
386.
Sont au nombre de trois cent trois personnes.
387.
Alors Tamba se mit à rire :
388.
Il dit: ils ne constituent même pas un bataillon!
389.
Ses tambours rêsonnèrent.
390.
Son pays se rassembla.
39l.
I! dit aux gens: j'ai besoin parmi vous de six mille jeunes gens.
392.
Des jeunes gens dont la barbe n'est pas encore sortie,
393.
Qui n'ont jamais êtè mariés et qui ne pensent pas à leur famille.
394.
Les gaillards harnachérent leurs chevaux et se mirent de côté.
395.
Il dit: quand vous partirez au village du marabout.
396.
Mettez-y le feu. tuez les disciples:
397.
Prenez Jeli et le marabout. amenez-les moi,
398.
Je leur ferai ce que Dieu permettra.
399.
Un nuage de poussiére avala les arbres.
400.
Le bois sec fut cassé, le bois vert fut écrasé.
401.
Le bois long. on y passa dessous, le bois court fut écarté.
402.
Lorsqu'ils arrivérent à Dinguiraye, ils formérent un cercle autour
de la ville:
403.
Un homme à côté d'un homme,
404.
Un fusil à côté d'un fusil,
405.
Une main à côté d'une main.
406.
Ils entourèrent Dinguiraye de six cercles.
407.
Seykou Oumar les regarda. il vit que c'était une foule d'un côtè.
408.
Il regarda de l'autre côté. il vit encore une foule.
409.
Il dit: hé. les hommes du Fouta !
410.
Ils lui dirent: Tall !
411.
I! leur dit : n'ayez pas peur de cette foule !
412.
Sachez que Dieu a gardé une foule plus nombreuse.
413.
Il était avec Basi Dembelé 1.
414.
Il était avec Saykolor.
Basi Dembélé : un des fidèles pa ni sans de Seykou [esclave].


CORPUS Il
375
415.
Il était avec Basibasi.
416.
Chaque lignage du Fauta alla de son côté;
417.
Ils entourèrent la ville d'un cercle.
418.
La poudre gronda sans interruption;
419.
Le dèbut de la soirèe passa, c'ètait bientôt le crépuscule,
. 420.
Ils abîmèrent complètement la ville l .
" •
. 42l.
Ils coupèrent la tête à Fadjimba2 ,
422.
Ils s'emparèrent de ses hommes et des hommes de Tamba
Boukari:
423.
A tous on leur mit une corde.
424.
Les têtes enturbannées entourèrent Kodda Adama Ayse3 .
425.
C'est alors qu'ils dirent; il a détruit Tamba, il a détruit Fadjimba.
426.
L'armée continua, elle rencontra
427.
Un Peul appelé Fâle! Bolâro.
428.
Où se rencontrèrent les jambes de l'armée4?
429.
Elles se rencontrèrent à un endroit nommé Kamakindi,
430.
La poudre gronda sans cesse5 entre eux;
43l.
Jusqu'à ce qu'elle fit de nombreux morts et blessés.
432.
Alors, le Cheikh dépècha une armée.
433.
Alpha Oumar repoussa l'armée de Fâlel Bolâro
434.
Jusqu'au lieu nommè Kassakéri Bàkouna6
435.
Au réveil, ils retournèrent à Karêga.
436.
Il écriVit une lettre en direction de Cheikh Oumar.
437.
Sache que toute l'armée que j'avais emmenée à Karêga est défaite.
438.
Il y a un grand nombre de Martyrs, mais Karêga reste inexpugnable.
439.
Et puis, sache Cheikh Oumar
440.
Que si l'armée me trouve à Karêga...
44l.
Il dit; quand l'armée te trouva à Karêga
442.
D'où venait-elle?
443.
Il dit:
elle provenait de Mene-Mene.
444.
C'est Karounka Diawara qui l'avait envoyée.
445.
Il dit: comment t'es-tu comporté face à l'armée?
Le texte poular est le suivant : "Be mbonni wuro bonan de bonde " (ils ont
détruit
la
ville d'une
destruction
destructrice).
2
Fadjimba : roi Malinké, sanS doute Yimba-Sakho.
3
Les têtes
enturbannées
: littéralement les "turbans", synecdoque.
4
L'armée
reproduisait
l'anatomie de l'homme : tête, tronc,
membres.
5
Mot à mot : la poudre vociftra.
6
Kasakéri dans le Bakounou.


CORPUS II
377
446.
Il dit : nous nous sommes rencontrés à Kamakindi
447.
Il dit : comment t'es-tu comporté contre eux ?
448.
Alpha lui dit: je les ai repoussés jusqu'à Kasakéri Bâkouna
449.
J'en ai tué cent quatre vingt Peuls.
450.
Cheikh leur dit alors:
45l.
Ceux-ci sont bienheureux jusque devant Dieu,
452.
C'est pourquoi jusqu'à ce jour, tu vois chez les Wolârbe 1
453.
Un propriétaire de mille vaches qui refuse de manger
454.
Du lait frais, préférant les feuilles de baobabs2 .
455.
Cheikh Oumar envoya à Alpha Oumar Thiemo Bayla une "jambe
d'armée".
456.
Gardant par devers lui le reste de son armée.
457.
Au réveil. ils se dirigèrent vers Karêga.
458.
Des empoignades les opposèrent avec les gens de Karêga.
459.
Jusqu'à ce qu'il y eut de nombreux morts et blessés.
460.
AVant midi. Karêga détruisit complètement l'armèe d'Alpha OUillar.
46l.
Il y eut de nombreux martyrs. mais Karêga ne fut pas pris.
462.
Alors, Alpha Oumar Thiemo Bayla écrivit une autre lettre.
463.
ilia fit accompagner d'un signe évident.
464.
Il dit au Cheikh Omar: Si tu te rappelles un signe:
465.
Quand tu quittas ton village,
466.
Dieu t'envoya vers moi afin qu'on combatte pour la religion.
467.
Moi aussi Dieu m'envoya à partir de Kanel
468.
Que je me rende auprès de toi.
469.
Tu es autorisé à faire la guerre sainte3
470.
Que l'on mène la guerre sainte.
47l.
Nous nous rencontrâmes, nous nous serrâmes la main 4 .
472.
Tu dis que tout ce que tu possèdais dans cette vie nous appartenait.
473.
Sache que maintenant Cheikh Oumar,
1
Wolârbe : sous-groupe Peul.
2
Ce
mythe étiologique
traduit
le
mepns des
sédentaires
pour
le
Peul,
qui
préfére mourir de faim. plutôt que de vendre DU de tuer la vache, sa fidèle
compagne.
3
Mot à mot : on t'a donné le coup de fusil de la religion.
4
Mot à mot : nous nous donnâmes mutuellement la main.


CORPUS il
379
474.
Je ne veux pas cent personnes.
475.
Je ne veux pas mille,
476.
Mais seulement ton drapeau à Karêga.
477.
Sache que Karêga a refusé [de se rendre].
478.
Or, c'est toi qui avais dit que tu es autorisé [à faire le jihâdJl.
479.
Tu sais, Dernier-né d'Adama Aysé Elimane Ciré
480.
Samba Demba Ali Moutar2 ,
481.
Sache qu'un homme de bien ne se fâche pas 3 .
482.
C'est ce jour là seulement que le visage du Cheikh s'enflamma
publiquement,
483.
Quand il déchira la lettre,
484.
Et qu'il scruta les écritures d'Alpha Oumar Thierno
485.
Bayla, alors son visage s'enflamma.
486.
Le Dernier-né prit la lettre et l'enfonça dans sa poche.
487.
Farba Sawa Gouwa se baissa jusqu'au sol. puis cria:
488.
Oh le Riche, le Savant, le Bien élevé
489.
Le Patron des riches. oh Dernier-né d'Adama Aysé
490.
Elimane Ciré Samba Demba
491.
Ali Moutar Seydi Boubou Ndiagnou4 .
492.
Allah seul connaît la teneur de ce message.
493.
Mais ce qui enflamme publiquement ton visage ne doit pas ëtre
ordinaire.
494.
Sache que ton visage s'est enflammé à tel point que le Fouta en est
informé.
495.
Noble fils de Nobles,
496.
Noble fils de Nobles.
497.
Celui qui porte à l'épaule le "Hiz bul bahri"5, qui tient entre ses
mains "Arahmâni"G, qui garde en provision "innà anzal nàhou"7.
Il s'agit ici d'une accusation capitale : si le jihâd d'Omar est légitime, il doit
vaincre Karêga. sinon il s'agit d'une imposture ou d'un leurre.
2
Le griot. après avoir décliné la généalogie du Cheikh. s'adresse à lui.
3
Mot à mot : tu sais que quand une personne est bonne, elle ne se fâche pas.
4
Le griot décline la devise du héros, consitant ici à juxtaposer ses dons et ses
mérites. plus loin il y ajoutera un bref résumé de ses conquêtes.
5
Titre d'un ouvrage mystique de la confrérie tidjane. La récilation ou le pon
de l'ouvrage constitue une arme
redoutable contre
les ennemis.
6
La Miséricorde, mais aussi titre d'une sourate du Coran.
7
Titre d'une sourate du Coran. : "la nuit du décret divin".


CORPUS il
381
\\, 498.
Etranger le matin, chef de village à midi, Imàme en début de
soirée 1.
499.
C'est toi qu'on appelle, "wôbowôbo";-c'est-à-dire"arrive. arrive".
500.,' Annexes un village; y déjeûnes en chef, , J'
50L
Passes lajoumée en chef de village. passes la nuit en lmâme
502.
Oh Torodo. qu'est-ce qui se trouve dans cette lettre qui enflamme
ton visage.
503.
Jusqu'à ce que tout le Fouta en soit informé?
504.
Tous les enfants. fils de femmes vertueuses. sont au courant. [de
ton courroux].
505.
Alors il se dirigea vers Farba et dit: Farba !.
506.
Farba lui répondit: oui.
507.
Il dit: je viens d'avoir la preuve que quel que soit le parti d'un
Torodo.
508.
Les Torodos vont le critiquer.
509.
Il dit; moi tous les Torodos me remettent en cause,
510.
Même Alpha Oumar.
51l.
Malgré la connaisance intime qu'Alpha a de moi: nuit et jour.
512.
Ce qui est caché comme ce qui est évident.
513.
Jusqu'à présent Alpha se demande si je suis autorisé [à faire le
jihâdJ.
514.
Je le jure par Allah que je ferai savoir à Alpha que je suis autorisé fà
faire le jihâd].
515.
C'est le pouvoir qui me transporte.
516.
Je jure que j'ai une autorisation authentique de conduire le jihâd.
517.
Il dit: Fouta?
518.
Ils lui répondiren t : Tall !
519.
Il dit: attachez les chevaux, aujourd'hui c'est à Karêga que nous
passerons la journée.
520.
La .
.
d tr~_-
2
Journee
e l'dJ,ega....
52l.
Alors ils attachèrent son destrier.
522.
Il dit: dites. Fouta.
523.
Ils lui dirent: oui.
524.
JI dit: détachez mon cheval,
525.
Aujourd'hui je suis très fàché.
Il
s'agit
de
L'heure
de
la
troisième
prière
canonique
quotidienne
musulmane. vers 17h 00.
2
Verset
inachevé.
traduisant
l'amertume
du
narrateur
face
aux
atrocités
commises ce jour-là.


CORPUS II
383
526.
Tout ce qui est animé
527.
Aujourd'hui ne peut pas me contenir.
528.
Sur ces entrefaites. ils attachèrent le destrter.
529.
Le Torodo entra dans la chambre.
530.
C'est ce jour qu'ils virent pour la première fois.
53l.
Le Cheikh allant en guerre. habillé
532.
De sa tenue de Pèlerin.
533.
Alors il mit la "Djellaba" acquise à la Mecque.
534.
Alors il mit le bonnet acquis à la Mecque.
535.
Il s'appuya sur la canne.
536.
La main droite tenant le chapelet.
537.
Il leur dit: alors Fouta où en est-on? Que faire?
538.
Ils dirent: à présent nous avons fini.
539.
Il leur dit : aujourd'hui quel que soit l'enjeu, c'est à Karèga que
nous passerons la journée.
540.
Le Torodo appela Allah.
54l.
Les chevaux galopaient de toute leur force.
542.
Ils apercevaient le Cheikh.
543.
Mais les chevaux étaient incapables de le rejoindre.
544.
Les cavaliers qui étaient devant, comme ceux qui étaient derrière,
entendaient tous le bruit produit par sa poitrine.
545.
C'est à ce moment que Farba Sawa Gouwa se baissa à terre:
546.
Torodo, ch.ampion de la mosquée et de la grande mosquée 1.
547.
Mais aujourd'hui tu as vu quelque chose d'extraordinaire.
548.
Le Riche, le Savant, le Bien-élevé,
549.
Le Patron des riches, Noble, fils de nobles.
550.
Par Allah. quand tu te fàches, tout le Fouta le ressent2 ,
55l.
Par Allah, quand tu te fàches, tous les Bambaras le ressentent.
552.
Allah seul sait ce que tu appelles 3 ,
553.
Mais ce que tu appelles est très puissant.
554.
Vois-tu Dernier-né d'Adama Aysé
1
Mot à mot : bœuf de la mosquée et de la grande mosquée.
Dans
la
tradition
peule,
le
bœuf
symbolise
la
force
physique.
l'image
suggère ici
les grandes qualités intellectuelles du Cheikh
: la direction du
culte
dans
les
mosquées,
et en
particulier celle de
la
grande
prière du
Vendredi
demande
des
qualités,
donc
le
champion
en
la
matière
est
extraordinaire.
2
Le· Fouta : métonymie employé ici pour signifier les gens du Fouta ; il faut
noter qu'à
la place de la
figure
correspondante, attendue
au
vers suivant,
le poète préfère employer les Bambaras.
3
Cheikh Omar doit réciter des prières afin d'obtenir un secours mystique.

j
j
j
j
j
j
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j
j
j
j

CORPUS II
385
555.
Elimane Ciré Samba Demba Ali Moutar
556.
Seydi Boubou Ndiagnou.
557.
Tu rugis comme un lion 1.
558.
Tu regardes comme un ange.
559.
Tu t'étires comme un djinn.
560.
o Patron des riches. Noble fils de nobles.
561.
Allah seul sait ce que tu appelles.
562.
Mais ce que tu appelles aujourd'hui est plein de force.
563.
Nous tous. nous sommes persuadés que c'est trés puissant.
564.
Le Cheikh. à l'approche de Karêga.
565.
Sans coup férir - ni lui ni ses compagnons -
566.
Les djinns en avant. la forteresse de Karêga s'écroula.
567.
Le Fouta eut peur. les Bambara~ eurent peur.
568.
Les Bambaras dirent...
569.
Tu prenais celui-là et tu l'attachais.
570.
Dés qu'ils virent que la forteresse était en train de crouler, malgré
sa solidité.
571.
Alors qu'ils ne voyaient pas la cause de l'écroulement.
572.
Les Bambara~ de Nioro eurent peur2 .
573.
Alors. il se dirigea vers Alpha Oumar Thierno Bayla.
574.
Alpha Oumar rit. Cheikh Oumar sourit.
575.
Alpha lui dit: oh ! Homonyme.
576.
Cheikh lui dit: oui.
577.
Il lui dit: aujourd'hui. ton visage n'est pas serein3 .
578.
Il lui dit: Homonyme. mon visage ne peut pas être serein,
579.
Puisque tu m'as provoqué. en plus je te considère comme un pair.
580.
Homonyme. cesse de me provoquer publiquement.
581.
Si tu ne cesses pas de me provoquer en public.
582.
Alors que je te considère comme un pair.
583.
Je ferai ce qui te dépasse. ce qui me dépasse4 .
584.
Jusqu'à présent. Homonyme. tu doutes de moi?
585.
Est-ce que je suis ou non autorisé à faire le jihâd ?
1
Mot à mot : tu rugis comme un rugissement de lion.
2
Le griot est imprécis : les habitants de Nioro sont appellés les Massassi.
3
Mot il mot : ton visage n'est pas propre.
4
Mot à mot : je ferai ce qui se situe au- delà de tes mains. au-delà de mes
mains.


CORPUS Il
387
586.
Alpha Oumar lui dit: Tall.
587.
Si tu vois que je t'ai provoqué publiquement.
;.
588.
C'est pour t'exciter afm de nous délivrer.
589.
Ces jours-ci les Bambaras ont fatigué le Fouta5 .
590.
Nombreux sont les martyrs. mais Karêga rêsiste encore.
59l.
Tu sais que la conquête de Madina A1ahêri dura un jour6 ;
592.
Pour Diongoye. ce fut un jour;
593.
Pour Kolomina. ce fut un jour;
594.
Guimbanna fut détruit en un jOur;
595.
Pour Nioro, ce fut un jour.
596.
Mais voici que trois jours sont passés et Karêga n'est toujours pas
prise.
597.
C'est pourquoi je t'ai provoqué publiquement. et le Fouta connaît la
paiX à présent.
598.
'C'est à ce moment que Karounka Diawara s'enfuit, en direction de
Ségou.
599.
Il dit: oh, Ali Woytêla.
600.
Ali lui dit: oui.
60l.
Il dit: un marabout est entré à Nioro,
602.
Il a dêtruit Nioro.
603.
Tous les souverains de Nioro ont été exécutés,
604.
J'ai fui,
605.
Je suis venu.
606.
Je suis venu me réfugier auprés de toi.
607.
Alors Ali Woytêla lui dit: sois le bienvenu.
.1
608.
Il lui dit: mais toi, le marabout en question. est un Peul ou un

Bambara?
609.
Il dit: par Allah. celui-ci est un Peul.
610.
II dit: quel prodige!
61l.
Un Peul capable de détruire complétement des royautés,
612.
Telle cette destruction dont tu viens de faire cas.
613.
II dit: par Allah!
614.
II lui dit: sois le bienvenu.
5
Métonymie : le Fauta pour les habitants du Fauta.
6
Le griot juxtapose ici les conquêtes et leur durée.


CORPUS Il
389
615.
Les chevaux se dirigèrent vers le village de Karounka à Mene-
Mene.
616.
Ils trouvèrent que Karounka a fui. emportant avec lui le village.
s'étant approvisionné en poudre .
617,
.~s chevaux se dirigèrent vers Ségou.
'/. 618.
Sainteté [d'Allah !]1 leur journée à Ségou.
..
619.
La poudre gronda entre eux et Ségou2 .
620.
Deuxjours Ségou ne s'offrit pas, ne fut pas prise.
62l.
Le troisième jour, ils détruisirent Ségou entièrement.
622.
Karounka Diawara fut exécuté, Ali Woytèla s'enfuit et disparut dans
la brousse.
623.
Tu sais qu'ils ont trouvé à Ségou des choses extraordinaires:
624.
Ils ont trouvé à Ségou une tige de mil. bien droite dans un tas
d'ordures;
625.
Le tas d'ordures brûlait. mais la tige restait toujours fraîche.
626.
La tige portait un épi,
627.
Un épi de millet.
628.
Le feu ne s'éteignait pas.
629.
La tige ne séchait pas.
630.
L'épi ne séchait pas.
63l.
Tu sais qu'ils ont trouvé à Ségou une poule couvant ses oeufs,
632.
La poule ne mourait pas,
633.
Les oeufs ne se décomposaient pas.
634.
Tu sais qu'ils ont trouvé à Ségou une calebasse contenant du lait qui
se caillait.
635.
Le lait ne se caillait pas assez.
636.
Le-laiUuassi ne se décomposait pas3 .
i
.
637.
Quand les talibés virent une tige de mil verte4 au milieu d'un feu,
638.
Et qu'elle ne se consumait pas.
639.
Tout le Fouta s'écria:
640.
Venez voir un prodige!
Formule
employée
pour
lraduire
l'émotion.
la
douleur:
"Subhânallâh"
(Qu'Allah
soit sanctifié)
2
Mot .à mot ; la poudre bavarda, disputa entre eux et Ségou.
3
Mot à mot: le lait ne dormait pas assez.
4
MOI à mot
: une tige de mil fraîche.

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ï
J,

1
t
1

CORPUS Il
391
64l.
Mais qui n'étonne pas Allah et son Prophéte.
642.
Venez voir une tige verte bien droite au milieu du feu.
643.
Tout le FautaI se rassembla à cet endroit.
644.
Un habitant du Fauta prenait2 son sabre.
645.
Alors et essayait de l'abattre.
646.
Il j etait son sabre en direction de la tige ;
647.
Celle-ci tombait. puis se relevait et se redressait.
648.
Le phénoméne étonna le Fauta.
649.
Il s 3 dirent: nous devons en informer le Cheikh.
650.
Un certain Bambara était présent. il était vieux. solidement attaché
[par les vainqueursl.
65l.
Le bonhomme les regardait en riant.
652.
Dés qu'un habitant du Fauta s'emparait d'un sabre,
653.
Il le regardait, puis détournait son regard.
654.
Il disait: tu ne le peux pas.
655.
Je le jure parJl:llah' que tu ne peux pas réaliser ton désir.
656.
Mais celui-ci lançait son sabre,
657.
La tige se jetait à terre,
658.
Puis se relevait et se repostait à sa souche.
659.
Alors la nouvelle arriva à Cheikh Omar le Tidjâne.
660.
Le Riche, l'Erudit. le Bien éduqué.
66l.
Alors le Cheikh se leva droit.
662.
S'appuya sur son bâton de pèlerin.
663.
Tenant son chapelet en main.
664.
Le Cheikh dit: qu'avez-vous vu ?
665.
Ils dirent: noLS avons vu une tige, se tenant au milieu du feu;
666.
Le feu brûlait mais la tige ne s'asséchait point.
667.
Si tu l'abats.
668.
Elle tombe. se relève.
669.
Puis se ressoude à sa souche.
Le
griot
emploie
indifféremment
le
Fouta
pour
désigner
le
pays,
ses
habitants
et
ses quelques
ressortissants.
2
On
note
ici
une
sorte
de
rupture
due
au
fait
que
le
griot
reprend
la
narration,
pour
indiquer,
à
la
troisième
personne
du
singulier.
les
péripéties des Toucouleurs devant la puissance magique de Ségou.
3
Le griot passe de l'image à l'idée, ou alors du contenant au contenu.


CORPUS 11
393
670.
Le Cheikh arriva : quel prodige. mais qui ne l'est point pour Allah!
Allez me le montrer.
671.
Le Riche. l'Erudit. le Bien éduqué!
672.
11 trouva alors la tige bien droite.
673.
11 dit: abattez-la que je voie.
674.
Alors l'un d'entre eux se leva vivement, lança son sabre sur la tige.
675.
La tige se jeta précipitamment à terre, elle se releva et se posta à
sa souche.
676.
Le Cheikh dit: avez-vous vu cela?
677.
Ils dirent: nous l'avons vu.
678.
11 dit: donnez-moi le sabre.
679.
Le Saint Homme saisit le sabre.
680.
Il observa minutieusement la tige, la bouche se remuant.
681.
Il dit: au nom d'Allah. le Clément. le Miséricordieux.
682.
Il lança vivement le sabre vers la tige
683.
La tige brula avec son épi.
684.
Le Bambara solidement attaché regardait le Cheikh.
685.
Il continua et vit le lait.
686.
Il donna un coup de sabre sous la calebasse de lait. qui tomba à
terre, le lait se versa.
687.
Par la suite. il scruta le sol et vit la poule qui couvait ses oeufs.
688.
Il égorgea la poule. il prit les oeufs et les cassa.
689.
Puis le Cheikh retourna, le Fouta le suivit.
690.
Le Bambara lui dit: Marabout.
691.
Il lui répondit: oui.
692.
Il luit dit: viens ici.
693.
Alors le Cheikh arriva.
694.
Il dit: est-ce que tu comprends le Bambara?
695.
Il dit: un peu, un peu.
H dit: Mar-aoout. tu as-teut gâch€.
696.
Il lui dit: si tu comprends le Bambara aussi...
697.
11 lui dit: oui.


CORPUS Il
698.
Il lui dit: tu sais bien que tu as mal fait en agissant ainsi.
699.
Le Cheikh lui dit: pourquoi dis-tu que j'ai mal agi?
700.
Il dit: comme je te connais grand Marabout,
701.
Il dit: oui
702.
Il dit: ce que tu as détruit ainsi.
703.
Tu sais bien que cela ne détruit pas la religion.
704.
Le Cheikh lui dit: qu'est-ce que j'ai détruit?
705.
Il dit : tu sais bien. et tu en es convaincu, cette tige si tu ne l'avais
pas abattue...
706.
Il dit: oui
707.
Il dit :... tout cultivateur vivrait aisément sans aller demander des
graines à son parent.
708.
Quiconque séme son champ. quelle que soit sa petitesse. en
retirerait de quoi vivre,
709.
Si tu n'avais pas coupé la tige.
71 O.Le Cheikh dit: tu es réellement maudit, mais tu as dit vrai.
711.
Il dit: quiconque cultive du mil.
712.
y mettra du lait de ses vaches.
713.
Et mangera jusqu'à satiété.
714.
Le Cheikh lui dit: tu es vraiment maudit, mais tu as raison.
715.
Il dit: cette poule. si tu ne l'avais pas tuée,
716.
Un fils serait sous l'autorité de ses parents.
717.
Une femme serait sous l'autorité de son mari.
718.
Mais puisque tu as tout détruit,
719.
Donc tout cela est dorénavant gâché.
720.
Je sais que demain un de tes compatriotes
721.
Cultivera jusqu'à l'article de la mort, sans obtenir de quoi manger.
722.
Il arrivera demain aux gens de ta race de cultiver et de récolter
beaucoup de mil.
723.
Sans pour autant obtenir du lait pour le verser au couscous.
724.
Il lui dit: il arrivera à notre race à la fm des temps...
725.
Il lui dit: oui
726.
Il lui dit: tu verras un père ou une mère appeler son enfant.
727.
Et celui-ci à son arrivée lui dire:
je me moque de ce que tu
racontes.


CUl:U'US li
j ' : J /
728.
Il dit: il arrivera à notre race à la fin des temps.
729.
Qu'un mari dise à sa femme: où vas-tu 7
730.
Et qu'elle lui réponde: de quoi te mêles-tu 7
731.
Moi je m'occupe de mes propres affaires.
732.
Pourquoi me poses-tu des questions 7
733.
Le Cheikh lui dit: tout ce que tu as avancé là est vrai,
734.
Mais c'est lié aux fétiches!
735.
Or, Oumar n'aime pas les fétiches!
736.
Tout ce qui reste lié aux fétiches, Oumar ne le veut pas.
737.
Il lui dit: tout cela Allah peut le remplacer,
738.
Sans le recours aux fétiches.
739.
C'est là que le Fouta l mit ses m'ains à ~es bouches2 .
740.
C'est là que les preux détruisirent Ségou complétement.
741.
Ali Woytêla courut se réfugier à Woytêla.
742.
C'est là que les hommes de religion se dirigèrent vers Woytêla,
743.
Qu'Allah soit sanctifié le jour où ils entrèrent dans Woytêla,
744.
Malheur aux musulmans, malheur aux paIens!
745.
Il Y eut de nombreux martyrs à Woytêla.
746.
Ils détruisirent complètement Woytêla,
747.
Ali courut et se dirigea vers Hamdallahi.
748.
Il Y trouva Ahmadou Ahmadou,
749.
Entouré par les griots musiciens jouant le "saygalaré",
750.
Lui disant: Ahmadou Ahmadou!
751.
A la paresse de fuir, à la paresse de se cacher.
752.
Possesseur des boeufs et des flèches rouges.
753.
A ce moment, Ali arriva.
754.
Ali Woytêla dit: Peul 7
755.
Ahmadou Ahmadou lui répondit: oui.
'j, 756.
Il dit :" A-bOri-kana "3.
1"
757.
Il lui dit: qu'est-ce que tu racontes 7
1 758.
Il lui dit: "A bori kana 7"
759.
Il lui dit : j'ai combattu un marabout, il m'a chassé,je-viens me
'c .",,,,,,~éfugier auprès de toi.
1
Métonymie désignant les habitants du
FoUla.
2
Mettre sa main à sa bouche constitue un signe d'étonnement.
3
Ali s'exprime en bambara, langue qu'ignore Ahmadou. Le griot traduira ses
propos par la suite, en faisant parler Ali en poular.


CORPUS II
399
760.
Il dit: Peul?
761.
Ahmadou Ahmadou lui dit: oui.
762.
Il dit: Allah. c'est un ou deux l .
763.
Il dit: Allah. c'est deux ou un ?
764.
Ahmadou Ahmadou lui dit: Allah. c'est un seul Dieu.
765.
Il n'a point enfanté. Il n'est point enfanté.
766.
Il n' apas de petit frère. Il n'est pas le petit frère de quelqu'un.
767.
Il lui dit: donc. puisqu'Allah est unique.
768.
Il lui dit: oui.
769.
Il lui dit: Dieu seul sait celui que tu adores.
770.
Mais c'est le marabout à la gourde qui est avec Allah.
771.
Cela m'est évident.
772.
Il dit: Ahmadou Ahmadou?
773.
Ahmadou Ahmadou lui dit: oui.
774.
Il dit: mais s'il y a deux Allah..:
775.
Il lui dit: oui.
776.
Il dit : vous vous courbez là en priant.
777.
Mais. vous n'adorez que le petit frère.
778.
Le grand frère est avec le marabout toucouleur.
779.
Ahmadou Ahmadou lui dit:
780.
C'est ce petit habitant du Fouta qui t'a chassé.
781.
Tu fuis comme une gazelle au milieu de la plaine, abandonnant ta
famille.
782.
Par Allah, reste ici, je te protégerai contre Cheikh Omar.
783.
S'il te dit un mot, je le renverrai jusqu'au Fouta-Toro.
784.
C'est là que le cadet de Adama Aysé Elimane Ciré
.,785.
Samba Demba Ali Moutar Saïdou Boubou Ndiagnou2•.. ~./
786.
Quand arriva la nuit, il leur dit: oh! gens du Fouta ?-.
787.
Ils-lui--r6pondirent -o-o~i.
1
-,
788.
Il dit: vous avez chassé un païen. il est entré à Harndallahi.
Combien de dieux (Allah) existe-t-il. un ou deux? Derrière cette question se
profile le monothéisme qui a secoué le panthéon bambara.
2
Rupture
de
construction.

1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
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1
1
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1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1

CORPUS II
401
789.
A présent qu'avez-vous décidé?
790.
Ils dirent: puisqu'il est entré à Hamdallahi, allons-y.
791.
Le souverain de Harndallahi va le convertir. sinon nous allons
l'égorger.
792.
Il leur dit: oh. Fouta ?
793.
Ils lui répondirent: oui.
794.
11 leur dit: un lmâme n'attaque pas son homologue sans l'avertir.
795.
Le soleil se coucha. le cadet d'Adarna Aysé Elimane
796.
Ciré Samba Demba Ali Moutar organisa une séance de prédication.
797.
Tout le Fouta s'y rassembla.
798.
11 dit : oh! Fouta ! Oh fils du Fouta !
799.
Je recherche ici un preux hors pair,
800.
Pour l'envoyer auprès de Ahmadou Ahmadou,
801.
Qu'il parte pour mourir. qu'il ne parte pas pour vivre.
802.
J'ai là une lettre, qu'il la porte pour moi à Ahmadou Ahmadou.
803.
Mais si la personne se décide à partir,
804.
Qu'elle parte pour mourir, qu'elle ne parte pas pour vivre.
805.
Alpha Oumar Thiemo Baïla de Kanel se leva brusquement.
806.
Il lui dit: Homonyme?
807.
Cheikh Omar lui dit: oui!
808.
Il lui dit: si tu rédiges une lettre pour l'au-delà et que tu me vois,
tu as qui envoyer.
809.
Il dit : le jour où je fis mes adieux à Kanel.
810.
J'avais cent disciples à former.
811.
J'avais cent personnes à nourrir.
812.
Il dit: si tu me vois abandonner une telle maison pour te suivre.
c'est que je te suis par Allah; si je meurs j'entre au paradis.
813.
Ecris mon nom. demain matin je verrai Ahmadou Ahmadou.
814.
Il écrivit son nom et il s'assit.
815.
Il dit: oh Fouta ! Oh enfants du Fouta ?


CORPU:; li
403
816.
Je recherche parmi vous un Torodo qui a mémorisé le Coran, pour
l'envoyer auprès d'Ahmadou Ahmadou?
817.
Qu'il lise le Coran en sa présence et qu'il traduise ce qu'il a lu.
818.
Qu'il ne troque pas la religion contre l'idolâtrie, le paganisme.
819.
Mais que le candidat parte
820.
En se disant qu'il va mourir,
82l.
Qu'il ne parte pas pour vivre.
822.
Un Torodo appelè Ahmadou Almamy Alassane se leva droit.
823.
Il lui dit: oh Cheikh Omar ?
824.
Cheikh lui dit: oui.
825.
Il lui dit: tu es sûr et certain que d'entre tes trois cents marabouts
qui font la retraite spirituelle ...
826.
Il lui dit: oui.
827.
Il lui dit :... nul ne me surpasse en Coran.
828.
De grâce, écris mon nom. Demain matin, je verrai Ahmadou
Ahmadou.
829.
Parce que je ne t'ai suivi qu'à cause de la guerre sainte, si je meurs,
j'entre au paradis.
830.
Celui là aussi, il écrivit son nom.
83l.
Il leur dit: oh Fouta ! â fils du Fouta !
832.
Il dit: je cherche quelqu'un qui va pour mourir qui ne va pas pour
vivre;
833.
Capable de faire de la parade gymnique 1:
834.
Jeter son fusil en l'air, le reprendre avant qu'il ne tombe à terre.
835.
Pour que je l'envoie auprès d'Ahmadou Ahmadou.
836.
Pour que j'apprenne à Ahmadou Ahmadou que,
837.
Ce n'est pas parce que je n'ai pas de combattants, que je ne lui al
pas livrè bataille.
838.
Qu'il n'échange pas la religion contre l'infidélité.
839.
Bâtol Sawa Hako se leva bien droit.
840.
Son coup de fusil tonna.
84l.
Il jeta son fusil en l'air.
842.
Le bonhomme fit une parade, puis se posa à terre.
Fiide
coowti
signifie
littéralement
faire
une
démonstration
de
souplesse
physique.
C'est
une
activité
qui
revient
aux
lutteurs,
consistant
généralement à faire des roulades ou à soumettre ses bras et ses jambes à
des
exercices pénibles.


CORPUS II
405
843.
Le fusil vint, il l'attrapa au vol, du revers de la main.
844.
Il dit: oh Cheikh Omar.
845.
Cheikh lui dit : oui~ >0.> ·,c.
Je (.'
846.
Il dit : '-e'Q~ré:aJitf1~tu veux simplement avoir une confirmation. ,,,T; ./
847.
Mais si tu as quelqu'un de ma trempe. tu as qui envoyer.
848.
Il dit: puisque la nuit que tu passas chez moi au Fouta, tu m'as
trouvé avec quatre épouses peules,
849.
Chacune d'entre elles étant plus belle que l'autre,
850.
Recevait chaque fois plusieurs écuelles de lait dans sa case.
851.
J'ai répudié toutes ces femmes.
852.
J'ai offert à chacune sa dot2 .
853.
C'est moi qui t'ai suivi à cause d'Allah.
854.
Allah saitCJ.ue celui qui a abandonné une telle maison
855.
Est celui qui te suit [par Allah] sincérement~-plus loyalement.
856.
Par Allah écris mon nom.
857.
Demain matin je verrai Ahmadou Ahmadou.
858.
Il écrivit le nom de celui-là aussi.
859.
Il leur dit: ô Fouta ! 0 enfants du Fouta !
860.
Je cherche parmi vous un homme qui maitrise le cheval,
861.
Qui sait faire une belle démonstration sur son cheval.
862.
Jetant son fusil en l'air. puis le rattrapant au vol,
863.
Cheval au galop.
864.
Jetant à la fois son pied gauche et son pied droit. les traînant.
tandis que son fusil ne tombe pas.
865.
Montrant à Ahmadou Ahmadoul
866.
Que j'ai des combattants au sol,
867.
Que j'ai des combattants à cheval.
868.
Qu'il ne troque pas la religion contre l'infidélité.
869.
Roly Mody Sy du Boundou se leva net.
870.
Il lui dit: oh Cheikh Omar !
871.
Cheikh lui dit: oui.
872.
Il lui dit : écris mon nom,
873.
Demain, je verrai Ahmadou Ahmadou.
874.
Il dit : quand tu vins au Boundou,
Njuud'ka e raô8idka ou njuudka e nda8fu longue ou couITe (le mot haala,
parole est sous-entendu). Parole longue ou couITe, autrement dit,
bref.
2
La dot devait être remboursée en cas de répudiation.


CORPUS II
407
875.
Tu trouvas que mon pére était roi.
876.
Il attachait. emprisonnait. humiliait.
877.
Tu sais, par conséquent. que celui qui a abandonné la royauté pour
te suivre.
878.
C'est celui qui t'a suivi loyalement par Allah.
879.
Puisqu'il n'y a rien de plus délicieux que le pouvoir.
880.
De grâce. écris mon nom.
881.
Demain matin, en vérité.
Je verrai Ahmadou Ahmadou.
882.
11 écrivit le nom de celui-là aussi.
883.
11 dit: ô Fouta ! 0 fils du Fouta !
884.
Je cherche qui envoyer.
885.
Qui va pour mourir.
886.
Qui ne va pas pour vivre.
887.
Qui ne regardera pas les lances rouges.
888.
Qui traverse l'assemblée jusqu'à Ahmadou Ahmadou.
889.
Qui saisit le col de son vêtement.
890.
Qui le secoue trois fois,
891.
Disant: Ahmadou Ahmadou laisse Cheikh Oma::,laisse Cheikh Omar.
892.
Si celui qui doit mourir tient celui qui doit vivre,
893.
Celui qui doit mourir mourra, celui qui doit vivre vivra.
894.
Qui est dêcidê à faire cela?
895.
Alpha Oumar se leva. saisit violemment le col du boubou de Cheikh
Omar.
896.
Cheikh lui dit: Alpha. il ne s'agit pas de moi.
897.
11 s'agit d'Ahmadou Ahmadou.
898.
11 dit: mon Cheikh. quiconque te traite ainsi.
899.
Ne craindra pas d'en user autant avec une autre crêature.
900.
Si quelqu'un craint Dieu, il ne saurait craindre la mort.
901.
De grâce, êcris mon nom.
902.
Il êcrivit le nom de celui-là aussi.
903.
11 leur dit: je cherche quelqu'un qui sait bien parler.
904.
Qui sait dire des choses agrêables,


CORPUS II
409
905.
Pour qu'il suive ces ms du Fouta, volontaires.
906.
Candidats à la mort pour demain matin l,
,
~",
907.
Que l'orateur les exalte.
908.
Car. même si un homme doit mourir. il est-ban-de le-flatter2 .
,,-,
909.
Qui peut exécuter une telle tâche?
910.
Qui accepte de les exalter et d'affronter également la mort?
91l.
Farba se tut un bon moment.
912.
Farba lui dit: dans ce cas, ton fils surpasse tout le Fauta en science
913.
Envoie ton ms Ahmadou.
914.
De tout le Fouta, ton ms est plus savant.
915.
Car il est saint. fils de saint.
916.
JI cannait tout ce qui est écrit3 .
917.
JI cannait tout ce qui n'est pas écrit.
918.
Si tu recherches réellement quelqu'un. envoie-le.
919.
C'est lui qui peut transmettre un tel message.
920.
Cheikh Omar se tut.
92l.
Un bon moment après. Cheikh dit:
922.
o Fouta ! 0 enfants du Fouta !
923.
Je cherche quelqu'un qui sait bien parler,
924.
Qui sait ce qu'il dit.
925.
Qu'il suive ces enfants du Fauta. volontaires;
926.
Demain, qu'il les exalte afin que les poils de leur corps se lèvent,
927.
Même si un homme doit mourir que ses poils se lèvent.
928.
Je vais lui donner une mesure d'or.
929.
Alors Farba Gouwa dit: écris mon nom.
930.
Tu sais bien que je surpasse tout le Fouta en parole.
93l.
Tu sais bien que je parle mieux que tout le Fouta.
932.
Ecris mon nom. demain matin je les verrai.
933.
Il écrivit aussi le nom de celui-ci.
934.
Quand la nuit s'épaissit,
935.
Farba Sawa Gouwa dit4 :
Mot à mot : qui se couvriront demain d'étoffes en terre. L'enterrement est
2
:"._,.. c9.~_~a~ ~.. ,~~~ :~,~ture en terre.
,',
L
"'1
~:,-.,~ ..,,~ ~_:- ~L~a:,-
'Mori-mot- " même si un homme doit mourir, que--1es-poils-de-son-corps---se-
lèv-<=t.
V
3
Ce qui est écrit / ce qui n'est pas écrit : les lois écrites et les lois non
écrites.1I s'agit des sciences exotériques et des sciences ésotériques.
4
Monologue
intérieur.


CORPUS II
4 1 1
936.
Tu as commis là une erreur grave.
937.
Car s'inscrire pour une mesure d'or
938.
Devant être hêritêe par son fils. si l'on meurt.
939.
Cela n'aura servi de rien.
940.
Demain. je refuserai de partir.
941.
Au rêveil. Farba se dirigea vers le Cheikh dès le petit matin.
942.
Il lui dit:
ô Cadet d'Adama Aysé Elimane Ciré Samba Demba Ali
Moutar.
943.
Cheikh lui dit: oui.
944.
Il dit: moi. tu avais écrit mon nom hier nuit.
945.
Je devais accompagner les volontaires pour l'au-delà.
946.
Mais efface [ mon nom], moi j'ai trouvé que je ne me porte pas
bien.
947.
Le Cheikh le regarda. rit, puis lui dit:
948.
Par Allah. Farba. je le jure par la majesté d'Allah.
949.
Je n'avais pas commandé ma lance pour un griot.
950.
Mais ce que ma plume a écrit, à partir de l'encrier n'est pas à
effacer,
951.
Si tu ne vas pas. tu te réveilleras mort.
952.
Demain matin, je te couvrirai d'étoffes de terre.
953.
Je t'enverrai au village de Pére Azraël 1
954.
Farba rentra. Il dit: oh!
955.
Ta sainteté ne peut être contenue par des hommes, a fortiori par
des femmes.
956.
Mais si tu sais quelque chose réellement,
957.
Tu as où le prouver:
958.
Ahmadou Ahmadou qui. chaque matin.
959.
Est entouré de milliers de fils de Peuls,
960.
Constitue un enjeu plus sérieux que Farba.
961.
Farba revint et appela son fils.
962.
Il dit: moi.je m'étais rendu chez Cheikh.
963.
Je lui avais demandé d'effacer mon nom, je ne voulais plus partir.
964.
Son fils lui dit: toi aussi papa. tu es certes griot,
965.
Mais tu es noble.
966.
Toi aussi. comment peut-on écrire ton nom
Azraël
l'ange de la mon. Il s'agit d'une périphrase désignant l'au delà.

CORPUS Il
413
967.
En présence de tout le Fouta. et que tu dises qu'on l'efface par la
suite?
968.
Il dit: c'est vrai, tu es de connivence avec lui.
969.
Pour les quelques grammes d'or qu'il m'a donnés.
970.
Pour que si je meurs, tu puisses en hériter et en disposer.
971.
Va. toi aussi tu es un griot.
972.
Il dit: en outre, Cheikh a dit que ... si je ne vais pas, il me tue.
973.
Il dit: c'est sûr. qu'il en est ainsi papa.
974.
Tout ce qui fait jurer Cheikh par la majesté d'Allah sera exécuté
par lui.
975.
Les preux dormirent cette nuit alors que Farba veilla.
976.
Le matin, au réveil. les destriers furent sellés.
977.
Ils se tinrent devant la maison de Cheikh.
978.
Il leur dit: à présent vous êtes venus?
979.
Ils dirent: nous sommes venus.
980.
Il dit: je demande à chacun d'entre vous.
981.
Qu'il ne dépasse pas les termes de son message,
982.
Je ne veux pas qu'on qjoute à ma parole ;
983.
Mais aussi ne retranchez rien :
Je ne veux pas que ma parole soit amputée.
984.
Il se tint debout en face de leurs chevaux.
985.
Il posa son bâton de pèlerin à terre.
986.
Le Saint Homme écrivit jusqu'à la fin.
987.
l! dit: enjambez tous par ici
988.
Ils enjambèrent tous par l'endroit indiqué, et se tinrent par delà
ces écritures.
989.
Il leur dit: Fouta!
990,
Ils lui dirent: Tall!
991.
Il leur dit: soyez raisonnables l .
j 992.
A l'exception de vos squetettes2.
. ,.'
'f
993.
Rien ne subsistera de vous aujourd'hui à Hamdallahi.
994.
Vous ne reviendrez pas ici pour qu'on se salue.
995.
Alors Farba se baissa jusqu'à terre. puis cria:
996.
Le Riche. l'Erudit
1
Mot à mot : ramenez vos esprits.
2
Mot à mot : à l'exception de la demeure de vos corps.


CORPUS Il
415
997.
Le Bien éduqué. le Pourvu.
998.
Noble fils de noble.
999.
Le Patron des Torodos, le Patron des saints.
1000. Le Commandeur des croyants, le Musulman qui craint Allah.
1001. C'est toi qui as étudié et qu'on a surnommé le marabout Omar.
1002. Tu as fait l'exégèse du Coran, on t'a surnommé l'exégète Omar.
1003. Tu as couru entre Safâ et Marwa 1, on t'a surnommé El Hadj Omar.
1004. Quand tu te fâches, Allah se fâche.
1005. Quand tu te bats, Allah prend parti pour toi.
1006. Etranger le matin, Chef de village le soleil au zénith, Imâme
l'après-midi.
1007. Tout ce que tu avais entrevu en retraite avec le Seigneur est vrai.
1008. A présent ton griot est content.
1009. Les destriers se dirigèrent vers Hamdallahi.
1010. Quand ils s'approchèrent de Hamdallahi : le bourg de Farba Goudé,
101l. Ils aperçurent les arbres2 de Hamdallahi.
1012. Là où Ahmadou Ahmadou tient son assemblée,
1013. Les fils du Macina l'entourant.
1014. Chacun ayant quatre â cinq flèches,
1015. Placées sur ses cuisses.
1016. Ils aperçurent les flèches entourant les arbres.
1017. Eux les chevaux du Fouta3 , les envoyés se mirent à discuter.
10] 8. Certains disaient: mais sous les arbres,
1019. Peut-être que s'y trouve de l'eau.
1020. D'autres disaient: peut-être qu'il ne s'agit pas d'eau.
1021. Peut-être que c'est le soleil qui fait danser ses enfants.
1022. Peut-être que c'est cela qu'on y a aperçu.
1023. Mais c'était des lances.
1024. Ils vinrent jusque sous les arbres de Hamdallahi.
1025. Toute l'assemblée de Ahmadou Ahmadou regarda.
1026. Ils dirent: ceux-ci sont des gens du Fouta.
1027. Alpha dit: ceux-ci sont des messagers d'El Hadj Omar.
Safâ et Marwa désignent deux localités du circuit du
pélerinage musulman,
entre
lesquelles
le pélerin doit courir.
2
Nom scientifique:
Ficus
thonningi.
",
3
Pour les cavaliers. La suite explicite cet emploi ~i~r. ;1'" .!,.'C,\\••,r
-


CORPUS Il
417
1028. Alors les destriers arrivèrent, les preux freinèrent les chevaux.
1029. Alpha Oumar Thiemo Bayla dit: Ahmadou Ahmadou ?
1030. Il lui répondit: oui.
103l. Il dit: nous sommes tes hôtes.
1032. Nous sommes envoyés par El Hadj Omar.
1033. Nous sommes envoyés vers toi:
1034. Il y avait là un griot musicien.
1035. Il dit: recevez les gens du Fouta ;
1036. Cherchez-leur de l'eau pour qu'ils se baignent:
1037. Donnez-leur de la nourriture afm qu'ils mangent;
1038. Achetez-leur de la cola.
1039. Donnez à leurs chevaux de quoi manger,
1040. Soyez les bienvenus, aprés vous ètre reposés,
1041. L'après-midi l, venez transmettre vos messages.
1042. Le griot musicien les dirigea chez lui.
1043. Les trous furent creusès2
1044. L'herbe fut coupée3 .
1045. Du mil fut pilé.
1046. Des musettes furent attachées aux chevaux,
1047. Des béliers furent égorgès.
1048. Des repas furent cuits.
1049. De la cola fut achetée.
1050. Des calebasses furent approchées.
1051. Les preu.x mangèrent jusqu'à satiété, puis
1052. Croquèrent de la cola.
1053. A l'heure de la troisième prière canonique,
1054. Ils prièrent. et à la fm de la prière
1055. Les sept tams-tams royaux
d'Ahmadou Ahmadou, retentirent.
1056. Immédiatement le bourg se réunit.
1057. Les griots musiciens lui disant:
1058. Appuyé, tordant son cou4 ,
1
Le alansara
constitue la troisième prière canonique musulmane et se situe
entre 16h et 17h.
2
Il
s'agit
des
trous où
sont
plantés
des
pieux
auxquels
sont
attachés
les
chevaux.
3
L'herbe servant
à nourrir les chevaux.
4
Signe de fantaisie, de vanité bien placée ici.


CORPUS II
419
1059. L'homme au long cou 1.
1060. "kikka kaa waaja. kaafuna waaja.
kikka keke waaja, keke neeri waaja.
kikka keke. kikka kaka.
kikka kaali. keké waaja"2.
106l. Que la paix soit avec toi, quand mon Peul se fâche,
1062. Le Macina passe la nuit à veiller.
1063. Jusqu'à ce que tous les fils du Fouta se rejoignent.
1064. Il dit: soyez les bienvenus. transmettez vos messages.
1065. Le premier intervenant fut Alpha Oumar Thierno Bayla de Kanel,
1066. Le fils de la vertueuse, le Torodo authentique.
1067. Il plongea la main dans la poche. y retira la lettre du Cheikh.
1068. Il dit: cette lettre provient du Noble. fils du Noble.
1069. Moi, c'est ce que Cheikh Omar m'avait envoyé.
1070. Lui. Ahmadou Ahmadou,
1071. Il·se retourna vers le Macina, et dit: ô Macina.
1072. Ils lui dirent: oui.
1073. Il dit: Dieu a donné à Omar, le Torodo, de bons lecteurs de lettres
rédigées à l'aide de caractéres coraniques3 telles que Allah les a
prescrites.
1074. C'est ainsi qu'Allah avait dit qu'on lise son Livre.
1075. En réalité Allah a donné à Omar le Torodo. un bon lecteur de lettre
rédigée en arabe.
1076. En ce moment Farba Sawa Gouwa se leva.
1077. Farba Sawa Gouwa lui dit : Peul regarde moi par ici.
1078. Il le regarda.
1079. Il lui dit: ceux-ci sont des enfants 4 .
1080. Tu sais que. pour une commission, ce sont les enfants qu'on
envoie.
1081. On n'envoie pas les grandes personnes 5:
1
Canon
esthétique
peu 1.
2
Devise
musicale
du
héros
peul.
Le
griot
compose
ici
un
poème
essentiellement fondé sur la
rime, la musique et le rythme.
3
Le griot confond ici le Coran,
vulgate musulmane et
les caractères
arabes.
Cette confusion, est entretenue dans une large couche de la population.
4
Mot à mot : tu sais que, quand on veut envoyer quelqu'un, c'est aux enfants
qu'on
recourt.
5
Mot à mot : Les grandes personnes ne viennent pas.


CORPUS II
421
1082. Les spécialistes de la lecture des lettres sont restés auprès du
Cadet d'Adama Aysé Elimane Ciré Samba Demba Ali Moutar.
1083. Ceux-là, une fois qu'ils se fàchent, ils laissent la lettre en poche,
1084. Et se mettent à lire, alors que la lettre n'est pas sortie de leur
poche. De tels lecteurs sont restés près de lui.
1085. Ils s'approchèrent de Farba, puis dirent:
1086. Farba, Cheikh a dit de ne rien ajouter à sa parole. mais aussi de ne
rien y retrancher.
1087. Il dit: eh, c'est de vous qu'il s'agit: et non point de moi.
1088. Moi, je suis griot. je dis tout ce que je veux.
1089. Il dit: oui. qui d'autre?
1090. Ahmadou Almamy Alassane se leva.
1091. Il se mit à réciter le Coran, cette parole d'Allah.
1092. Récitant et traduisant.
1093. Avant qu'il ne finisse de lire,
1094. Les larmes d'Ahmadou Ahmadou
"
1095. S'ètaient nouées à son menton! ..
1096. A la fm de la lecture. il déclara:
1097. Voilà ce qu'on m'avait envoyé;
1098. Cheikh Omar te dit qu'il a chassè un païen qui a trouvé refuge près
de toi.
1099. Convertis le païen ou alors
1100. Envoie-le lui afin qu'il le convertisse et qu'il te le renvoie.
110l. Il dit : la loi divine dit que si le païen en question refuse de se
convertir, égorge-le.
1102. Sinon. donne-le lui pour qu'il l'égorge et te retourne son corps
pour que tu l'enterres.
1103. Puisque le païen est ton homme.
1104. Voilà ce qu'on m'a envoyé.
1105. Ahmadou Ahmadou se tut un bon moment.
1106. Il tourna la tête. ses yeux s'inondèrent de larmes,
1107. Il dit : oh Macina.
1108. Ils lui rêpondirent : ouill.
1109. Il dit: Dieu a donné à Omar le Torodo de bons lecteurs de Coran.
Mdl à triol :à! son menton.
M~l 1mOl :4ui a pa{sé' la ,riuil' chez .toi.
,
:
'
,
. '


CORPUS Il
423
1110. C'est vraiment ainsi que Dieu avait ordonné que le Coran soit lu.
Ill!. Que soit sanctifiée la sanction divine.
1ll2. En réalité, Dieu a octroyé des dons aux gens du Fauta.
1113. A l'instant Farba se leva.
1114. I! dit : oh, Homme Peul!
1115. I! le regarda.
1116. I! dit : par Allah. je t'avais dit que ce sont les enfants qu'on envoie.
les grandes personnes ne sont pas venues.
1117. Les Torodos sont là-bas, fils de femmes vertueuses.
ceux-là. s'ils se décident à lire le Coran 1.
1ll8. Ils jettent le livre là-haut.
1119. Et le livre se met à tomber.
1120. Feuille par feuille. feuille par feuille.
112!. Avant qu'elle 2 ne tombe à terre. ils ont fini de la lire.
1122. Ceux là sont restés auprès du Cadet d'Adama Aysé Elimane Ciré
Sàmba Demba Ali Moutar.
1123. Ils appelèrent Farba et lui dirent:
1124. Farba. le Cheikh avait dit de ne pas exagérer ses propos.
1125. Il dit: il s'agit de vous et non point de moi.
ll26. En fait. occupez-vous de vos affaires.
1127. Laissez Farba en paix. il s'occupe de ce qui le regarde.
1128. Il dit: oui. qui d'autre?
1129. Immédiatement. BâtaI Sawa Hâko se leva.
1130. Il leva bien droit son fusil,
1131. Il jeta le fusil.
1132. Le preux fit un coup.
1133. Il se jeta en avant. puis en arrière.
1134. Au même moment. le fusil, qui était toujours en l'air, retomba.
1135. Alors. BâtaI le saisit au vol.
1136. Il plia un genou.
1137. Il planta l'autre au sol,
1138. Il tint le fusil droit au sol,
1139. Puis. appuya sur la gâchette et le coup tonna: "gar" !
1
MOl à mol :quand ceux-là sont fâchés pour lire le Coran.
2
Elle désigne ici une feuille.


· CORPUS II
425
1140. Il dit: moi, je suis un peul. je ne parle pas beaucoupl
1141. Cheikh Omar te dit qu'il a chassé un païen qui a trouvé refuge
auprès de toi.
1142. Convertis-le ou alors retourne-le lui afin qu'il le convertisse et te le
renvoie.
1143. Sache que ce n'est pas faute de combattants qu'il a refusé de te
combattre.
1144. Il a des combattants à pied. il a des combattants à cheval.
1145. N'échange pas ta foi contre l'infidélité.
1 1146.
Voilà ce qu'on m'avait envoyé .. '
1147. Il dit: oh Macina!
1148. Ils lui dirent: oh, Peul!
1149. Il dit: Dieu a donné à Omar le Torodo. des spécialistes du fusil.
1150. Que le Toucouleur maïtrise le fusil !
1151. Er comme il s'est projeté en avant et en arrière.
1152. Le fusil ne tomba pas. lui aussi ne tombant pas.
1153. Il prit le fusil violemment. puis donna un coup à terre.
1154. Le coup partit sans blesser une seule personne.
1155. En vérité. Dieu a donné à Omar le Torodo des spécialistes du fusil.
1156. A l'instant Farba vint.
1157. Farba lui dit: Homme Peul!
1158. Il lui dit: Homme Peul!
1159. Il lui dit: oui.
1160. Il dit: les spécialistes du fusil ne sont pas venus.
1161. Les spécialistes du fusil s'étant mis en colère hier ont jeté leur
fusil.
1162. Et depuis lors. les fusils ne sont pas encore descendus.
1163. Ils sont au sixième ciei2 !
1164. Ceux-là ne sont pas encore venus.
1165. Ils attendent le jour du combat3 .
1166. Ils lui dirent: Farba. toi aussi Farba n'exagère pas.
1
Exaltation de l'idéal peul. pulaagu. fait de discrétion. réserve. action.
2
Ciel caché par celui que l'on voit. le septième ciel.
3
Le jour attendu.


CORPUS II
427
1167. Il dit; occupez-vous de ce qui vous concerne, Farba s'occupe de ses
affaires 1.
1168. Ahmadou Ahmadou dit: qui d'autre?
1169. Koly Mody Sy se leva droit.
1170. Il dit; apportez-moi mon cheval. Le destrier fut apporté, et fut
attaché trés solidement.
1171. Il dit; donnez-moi trois fusils.
1172. On lui donna trois fusils tous chargés de poudre.
1173. Il plaça l'un des fusils devant Ahmadou Ahmadou.
1174. L'autre, il le plaça au sol, plus loin.
1175. Le dernier. il l'emporta avec lui, alors qu'il faisait galoper son
cheval.
1176. Il s'éloigna de la vue de l'assistance.
1177. Alors il fit entendre un coup de fusil. puis recommença.
1178. Un grand coup de fusil éclata.
1179. Tout le Macina2 était debout et regardait.
1180. Koly Mody Sy se leva droit comme une tige de mil.
1181. Le Macina dit: oh! quelle adresse à cheval :
1182. Un· homme debout sur un cheval,' semblable à une tige de mil
... récoltée 3 .
1183. Un instant après, il jeta le fusil en l'air.
1184. Ils virent le fusil en train de virevolter.
1185. Koly Mody se pencha vers le sol. il traina la jambe gauche à terre.
1186. Il tira la selle. à ce moment le fusil retombait.
1187. 11 le saisit, tira un coup en direction du sol.
1188. Le coup fit : "gar" !
1189. Le Macina dit: voyez quel prodige! Voyez comment le Toucouleur
s'amuse sur un cheval.
1190. Alors, Koly Mody arriva à proximité du fusil chargè et posé à terre.
1191. Il traîna la jambe droite à terre.
1192. Il déposa le fusil dont il venait de vider la poudre,
1193. Et se releva brusquement avec un autre fusil chargé;
1194. Cependant que le cheval galopait sans arrêt.
1
Mot à mot : parlez votre parole. Farba ne parle que sa paroi e.
2
Métonymie
: le Macina désigne ici les habitants du
Macina
présents à
la
cour du roi.
3
Mot· à mol : semblable à une tige de mil dont on a moissonné ('épi.




CORPUS li
431
1225. Il dit: occupez-vous de vos affaires. Moi je dis tout ce que je veux
dire.
1226. 11 leur dit: qui d'autre?
1227. Prestement, Alpha Omar se leva.
1228. Le preux se dirigea vers l'assemblée d'Ahmadou Ahmadou.
1229. Il prit au colles boubous d'Ahmadou Ahmadou,
1230. 11 tira vivement le col de son boubou.
1231. Il dit: Bel Homme laisse [Cheikh Omar].
1232. Il retira [le col] et dit: Bel Homme laisse [Cheikh Omar].
1233. Cheikh Omar te dit de le laisser. [Bel Homme],
1234. Si le mourant attrape le vivant,
1235. Le mourant meurt et le vivant reste.
1236. De gr.âce laisse Cheikh Omar:
1237. Il n'est pas ton égal.
1238. C'est là que le Macina prit peur.
1239. Ahmadou Ahmadou le regarda et dit: oh. Macina.
Allah vous a montré ceci.
1240. Ils dirent: nous l'avons vu.
1241. Il dit: Allah a donné à Omar le Torodo des preux 1.
1242. Comment un homme peut-il traverser cette assemblée.
1243. Regardant ces flèches qui m'entourent,
1244. Se décider à m'attraper par le col de mon vétement.
1245. A fortiori à le tirer trois fois.
1246. Allah a donné à Omar le Torodo
1247. Des preux spécialistes de la bataille.
1248. A ce moment Farba vint. Farba lui dit: Homme Peul.
1249. Il lui dit: oui.
1250. Il dit: regarde moi.
1251. 11 dit: les preux ne sont pas venus.
1252. Ils attendent le jour du combat suprème.
1253. Certains preux restés là-bas. s'il s'agissait d'eux.
1254. En prenant le col de ton vêtement,
1255. L'ayant violemment secouè. auraient ouvert ton ventre avec un
couteau,
MOI à mot
des gens au venlre courageux.


CORPUS II
433
',1256. Ils auraient retiré ton foie et l'auraient mangé 1.
1257. Ils dirent: qui d'autre?
1258. Farba dit: il ne reste plus que moi2 •
1259. Mais moi, je ne transmettrai mon message que la nuit3 .
1260. A ce moment Ahmadou Ahmadou dit: Macina.
1261. Ils dirent: oui.
1262. Il àit : faisons une entrevue.
1263. Ils se retirèrent à huis clos. 11 dit: oh un païen n'en vaut pas la
peine. Soyez résolus.
1264. Sachez que si le Fouta entre dans le Macina. le Macina sera gâté.
1265. Qu'Ali se convertisse.
1266. La conversion ne tue personne.
1267. Qu'Ali se convertisse. la conversion sert quelqu'un.
1268. Elle ne nuit pas.
1269. Si Ali refuse de se convertir,
1270. Qu'on l'envoie à Cheikh Omar Tidjâne,
1271. Qu'il en fasse ce que bon lui semble.
1272. Les griots musiciens lui dirent:
1273. Cou penché, aux longues rides[par suite d'un embonpoint]
1274. C'est peut-être maintenant que tu vois des raisons de reculer4.
1275. Mais)en réalitépous t'avons mis en garde avant cette scène5 .
1276. Nous avons dit qu'il fallait se mèfier du Fouta :
1277. Des hommes petits et solides;
1278. Si tu luttes contre eux. ils te terrassent.
1279. Si tu discutes avec eux, ils ont le dernier mot.
1280. Si tu refuses la parole de Cheikh Omar. ils t'égorgent.
1281. Ils prennent ta veuve et la rapportent au Cadet d'Adama Aysè.
1282. En vérité, nous avions parlè avant que ceci n'arrive.
1283. Alors Ahmadou Ahmadou surgit et dit:
1284. Ohje refuse.
1285. 11 dit : oh, oui je refuse.
Allusion
cf
. ,
à
des
scènes
d'anthropophagie
pendant
le
jihâd
omarJen;
':
~
Amadou
Hampalé
BA
(ç~~i.s:.~tio.~_I'''I:ticu\\ière).,.".' 1';"'"
2
Le roi du Macina interroge ici le Fouta à travers sa mémoire collective.
3
Art du griot lié au temps.~-;, "Tr\\"':,~-t~_~
(.FJ'"i~\\)::,n''--
r'-'_"(/'J~;ll')
;; 4
Mot à mol : c'est mainlenant que lu vois des raisons d'acceÏJler.
5
MOL à mot
: mais nous t'avons parlé avant que ceci n'arrive.


CORPUS Il
435
1286. C'est moi qui ai priS Ali, je refuse de le rendre.
1287. Si le Fouta entre ici. je le détruirai complètement.
1288. Oui j'ai refusé réellement, griots musiciens.
1289. Voilà pourquoi les gens castés sont mauvais,
1290. A la tombée de la nuit. ils dirent:
129l. Où se trouve l'autre messager?
1292. Farba s'était dèjà levè.
1293. Farba dit: Torodo, mèfiez-vous de lui 1.
1294.
Dernier nè d'Adama Aysé Elimane Ciré Samba Demba Ali Moutar.
1295. En réalité, méfiez-vous de lui.
1296. Etranger le matin, chef du village à midi, Imâme l'après-midi.
1297. En réalité, méfiez-vous de lui.
1298. Le Riche. le Savant. le Bien éduqué. le Pourvu.
1299. Noble fil de nobles: en réalité, méfiez-vous de lui.
1300. Assurèment vous ignorez le Cadet d'Adama Aysé:
1301. C'est lui qui a étudié et qu'on a surnommé le marabout Omar.
1302. 11 a fait l'exégèse du Coran et on l'a surnommé Alpha Omar,
1303. Il a fait les circuits du pèlerinage et visité le Mausolèe2
1304. Ne savez-vous pas que c'est le Cheikh qui a détruit Tamba.
1305. Ne savez-vous pas que c'est le Cheikh qui a détruit Goufadé,
1306. C'est le Torodo qui a détruit Djanguirdé,
1307. C'est le Cheikh qui
a détruit Ghégné et l'a
communiqué à
Ghegnêba,
1308. C'est le Torodo qui a détruit Farabanna,
1309. Le Cheikh a traversé le gué de Diàkalelle.
1310. En réalité, méfiez-vous du Riche, du Savant.
1311. En réalité, méfiez-vous de lui.
.>1312. 11 dit: moi voilà ce qu'on m'avait envoy~_. . '
1313. Ahmadou Ahmadou dit: oh, individu qui flarle
pour se faire payer3 .
1314. Farba lui dit: oui.
1315. 11 dit: que tes paroles sont délicieuses!
individu qui parle pour se faire payer?
Lui
désigne Cheikh
El
Hadj
Omar. comme
l'explicitera le
reste de la devise
du
héros que son griot déclame ici.
2
Il
s'agit
du
Mausolée
du
Prophète
Mohammed,
pièce
essentielle
ajoutée
au
circuil
du
pélcrinagc
musulman.
3
Périphrase
désignant
le
griot.


CORPUS Il
437
IndiVidu qui parle pour se faire payer?
1316. Farba lui dit : oui.
1317. Il lui dit : je t'ai donné cent vaches avec des boeufs 1.
1318. Oh ! ta parole vaut autant.
1319. Ta parole vaut méme plus!
1320. Lui Farba. il dit : que dis-tu Peul?
1321. Ii di t : par Allah.
1322. Il dit : alors je vais émigrer et quitter les Torodos au profit des
Peuls.
1323. Ii lui dit: vois-tu. Homme Peul...
1324. Ahmadou Ahmadou dit: oui.
1325. Ii dit .: tu VOiS ce Torodo dont j'exalte ainsi la gloire. sais-tu ce qu'il
m'a donné?
1326. II dit: par Allah je ne sais pas. Mais tout ce qu'il te donne. tu le
mérites.
1327. Il dit: donc. malgré l'ampleur de mon exaltation. et je n'ai point
fini de l'exalter.
1328. Mais il ne m'a donné qu'un petit cheval,
1329. Pire encore. le petit cheval est borgne.
1330. Pis encore. il y a écrit son nom.
133l. Méme si je le vendais, personne n'oserait l'acheter.
1332. Je ne voiS pas comment rester ailleurs. alors qu'ici on donne au
griot cent vaches.
1333. Sachez que si je retourne. je reviendrai ici, c'est là que je vais
habiter2 .
1334. Ahmadou Ahmadou lui dit: sois le bienvenu.
1335. Moi aussi je le jure par la magnificence d'Allah. si tu habites ici. ..
1336. Il lui dit: oui.
1337. Il dit: à la fin de chaque mois. je t'offrirais cent vaches 3 .
). 1338. Le lendemain matin. ils dirent .qu·a/:t~~lleInënfnous allons rentrer.
r·c
J
1339. Alors c'est là qu'Ahmadou Ahmadou écriVit une lettre.
1
Indice de la générosité du Peul, mais aussi de la richesse du Macina.
2
La cupidité de Farba s'oppose à la fascination de Jeli Moussa pour l'Islam.
L'épopée. en mettant ces deux
griots en
gros plan. veut sans doute, montrer
les différentes
attitudes
des griots
pendant le jihâd omarien.
3
Mot à mot : je compterai pour toi cent vaches que tu mettras dans ta maison

1
1
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1

CORPUS il
439
1340. Il écriVit dans cette lettre: si tu arrives. dis à Cheikh Omar.
1341. Il a pourchassé un païen qui se trouve actuellement chez moi.
1342. Ce païen je ne le lui rends pas.
1343. Je ne le convertis pas, il ne le convertit pas,
1344. Je ne l'égorge pas, il ne l'égorge pas.
1345. S'il me touche. je le pourchasserai jusqu'au Fouta.
1346. Dites à Cheikh Omar que si on se rencontre demain au cours d'eau
appelé Thiâyawal,
1347. Sous chaque arbre qu'il regardera. il verra cent jeunes hommes
robustes.
1348. Chacun monté sur un cheval 1tenant ses lances.
1349. Intrépide. déterminé, immobile2 .
1350. Il mit ~ela par écrit et le remit à Alpha Oumar Thierno Bayla.
1351. Il dit : je salue le Cheikh.
1352. En cours de route. les Messagers estimèrent qu'il y avait lieu de
craindre le Macina. â cause de ce qu'ils avaient vu à Harndallahi.
1353. Alpha Oumar Thiemo Bayla dit: avez-vous bien vu cela3 ? .
1354. Ils dirent: par Allah. nous l'avons bien vu.
1355. Il dit: sachez que l'homme du Macina est très puissant. il dètient
une puissance qui force le respect.
1356. Ils dirent: par Allah, c'est exact.
1357. Il dit: donc à notre arrivée. nous devons en informer le Cheikh.
1358. Car en quittant le Fauta nous n'aVions pas en vue un seul païen.
1359. Et puisque ce païen ne veut pas se convertir.
1360. S'il meurt, c'est lui qui va en enfer!
1361. En tout cas. Cheikh. si tu savais ce que nous avons vu, tu laisserais
Harndallahi en paix.
1362. Mais tu sais, quels que soient les mérites d'un homme,
1363. Un homme casté ne craint point de médire de lui4 .
). l
Rupture de construction de cent, le griot passe à un. Cf style coranique.
2
MOl à mol: alors qu'il n'a pas peur, qu'il ne fuit pas:<:ju'il ne bouge pas.
3
Mot à mot : Allah vous-at-il montré cela>
4
Rupture de construction : allusion à la liberté de Farba Gouwa,
le griot d'El
Hadj Omar à la langue bien déliée.


CORPUS II
441
1364. A la fin de la troisième prière canonique.
1365. Alpha Oumar remit la lettre à Cheikh Omar.
1366. Il lui dit: Cheikh !
1367. Le Cheikh lui dit: oui !.
1368. Il dit : voiCi la lettre que Ahmadou Ahmadou t'a envoyèe.
1369. Mais ô Cheikh. si tu acceptais. Tall. en quittant le Fauta. sache que
nous n'avions pas en vue un pays.
1370. a Tall. tu as certes des dons,
1371. Mais en vèrité 1 sache que le Macina est très puissant.
1372. Il dit: ah bon. Alpha Oumar Thierno Bayla !
1373. C'est toi qui dis que le Macinien est très puissant2 .
1374. Par Allah Fauta, je vous ferai savoir que c'est Allah qui est puissant.
1375. Immédiatement, Cheikh Omar se mit à égrener son chapelet.
1376. La suécession des perles du chapelet faisait: ''Tai! Tai! TaI!"3.
1377. Alpha Oumar s'écria: oh Omar !
1378. Le Cheikh lui dit: oui.
1379. Il dit: arrête ce que tu es en train d'ègrener.
1380. Le Cheikh ralentit son dèbit. puis s'arrèta.
1381. Il lui dit: Omar n'agis pas ainsi.
1382. Tu sais très bien que cette prière que tu as entamée.
1383. Si tu l'achèves, tout ce qui provenait de la boue, redeviendrait boue.
1384. De gràce, cesse cette prière, reprends tes esprits4
1385. Il dit: Alpha Tall, qu'Allah m'excuseS.
1386. Il dit: Alpha Oumar. je vous ferai savoir que c'est Allah qui est
puissant.
1387. Le jour où je verrai Ahmadou Ahmadou. je lui ferai savoir que c'est
Allah qui est puissant.
1388. Il prit la fameuse lettre et la remit à Cheikh Omar, le Cheikh la lut.
1389. Que trouva-t-il dans cette lettre?
1390. Ahmadou Ahmadou dit que le jour de leur rencontre à Hamdallahi,
1
Mot à mot : mais c'est la parole d'Allah.
2
Mot à mot : le Macina a beaucoup de force.
3
Onomatopée
désignant
le
bruit
produit
par
la
successIOn
de
grains
d'un
chapelet
qu'on
égrène
rapidement.
4
Possède ton esprit.
5
Le
griot
confond
Alpha
Oumar
Thiemo
Bayla
Wane,
généralissime
de
l'année d'Omar. el
Alpha
Ahmadou Saïdou Tall.
père de Tidjani, frère
a1né
d'Omar.


CORPUS II
443
139l. Sous chaque arbre situé à Thiâyawal,
1392. Il placera cent jeunes hommes.
1393. A son tour, il rédigea une lettre.
1394. Qu'est-ce qu'il y mit ?
1395. Il écrivit: je te jure par la magnificence d'Allah,
que toi Ahmadou Ahmadou.
1396. Sous chaque arbre où tu placeras cent jeunes hommes,
1397. Moi aussi j'y placerai cent anges et djinns.
1398. Il rédigea ainsi sa lettre.
1399. Il dit: oh Fouta !
1400. Ils lui dirent : oui 1.
1401. Il dit: qui d'entre vous veut partir pour mourir, qui n'y va pas pour
vivre, .qu'il transmette cette lettre à Ahmadou Ahmadou de ma
part. C'est la derniére que nous échangeons.
1402. Ily avait là un disciple appelé Yéro le Peul, c'est lui qui l'avait
formé depuis le cours d'initiation.
1403. Alors Yéro le Peul se posa devant lui: Tal!!
1404. Si tu as une telle lettre, je suis le messager le plus indiqué 2 .
1405. C'est toi qui m'as initié au Coran3 ,
"
"
1406. C'est toi qui m'as autorisé à faire l'exégése4 ,
1407. Si tu écris une telle lettre, tu dois me la remettre.
1408. Il remit la lettre à Yéro le Peul.
1409. Yéro le Peul se dirigea vers Harndallahi.
1410. A l'approche de Hamdallahi, les griots disaient:
141l. Il a la paresse de fuir. il a la paresse de se cacher.
1412. "Kikka ka waaja. kaaiiina waaja.
Kikka kakka boga waaja, bogoo neeri waaja .
Kikka keke, kikka kaka.
Kikka kaalu, keke waaja"S.
1413. Jusqu'à ce que Yéro le Peul arrive: [ il salua ]:
1414. La paix soit avec toi Ahmadou Ahmadou.
1
Chevauchement
enlre
les
aClions.
2
Il n'y a pas de meilleur messager que le disciple du maître, mais aussi
: nul
n'est
mieux
indiqué
qu'un
peul
pour
une
mission
en
direction
d'autres
peuls.
3
Mot à mot : c'est lOi qui m'as appris la première leme du Coran, "le bâ".
4
C'est toi qui m'as appris l'exégèse, donc l'alpha et l'oméga.
5
Le griot déclame
la
devise rythmique d'Ahmadou Ahmadou.


CORPUS II
445
1415. Ahmadou Ahmadou lui dit: que la paix soit avec toi.
1416. Il dit: cette lettre provient d'EI Hadj Omar.
1417. Le dernier né d'Adama Aysé Elimane Ciré Samba Deroba Ali Moutar
Seydi Boubou NDiagnou.
1418. Alors Ahmadou Ahmadou déplia la lettre et la lut.
1419. Il y trouva un passage. où Cheikh disait que partout où
1420. Il mettrait cent jeunes robustes. montés à cheval.
1421. Ayant placé une lance en traverse. lui y placerait cent anges et
djinns.
1422. Ce messager d'El Hadj Omar. à l'appel du muezzin pour la prière
de l'aube. ègorge-Ie 1 . dit Ahmadou Ahmadou à un de ses esclaves.
1423. Alors Yéro le Peul fut gardé.
1424. Au chant du coq.
1425. Le premier appel à la prière fut lancé.
1426. Yèro le Peul frappa à la porte.
1427. L'esclave lui dit: Quel est ton désir?
1428. Il dit : Que tu me sortes afin que je renouvelle mes ablutions. car la
prière de l'aube s'approche. mais aussi pour que. si je dois mourir.
je meure pur2 .
1429. Alors. celui-ci ouvrit la porte. il sortit.
1430. Il lui donna de l'eau 3 .
1431. Il fit complètement ses ablutions.
1432. Il retourna dans la chambre.
1433. Celui-là ouvrit. puis se posta à la porte.
1434. Armé d'un couteau.
1435. Attendant l'appel du muezzin pour l'égorger.
1436. Yéro le Peul se tourna vers l'Est.
1437. Il fit deux "rakâs"4.
1
Mal à mol : que tu coupes le bois de sa gorge.
2
Mot à mol
que si je dois retourner à mon seigneur. que j'ale des ablutions
intactes.
3
Mal à mol
il approcha de l'eau près de lui.
4
"Raka'a"
: ensemble de génuflexions
fonnant
une Unité.


CORPUS Il
447
1438. Il appela le Riche. le Savant. le Bien éduqué.
1439. Il appela Allah l'unique.
1440. o victoire, Ô chance,
1441. o grandeur, ô noblesse,
1442. o Cheikh Omar du Fauta [Toroo].
1443. Le Cheikh égrenait son chapelet.
1444. 11 se ressaisit brusquement.
1445. 11 égrena une perle.
1446. Ils lui dirent: qu'est ce qu'il y a, El Hadj Omar ?
1447. Il dit: il y a un musulman en danger. il m'a appelé 1.
1448. Il m'a appelé une seule fois: s'il recommence, il est sauvé.
1449. S'il ne recommence pas, Allah en décidera autrement.
1450. Yéro ie Peul reprit:
1451. o victoire. ô chance,
1452. o grandeur, et noblesse,
1453. o Cheikh Omar du Fauta [Toro].
1454. Le Cheikh dit: oui2 .
1455. Le Saint égrena sept perles3 .
1456. Après quoi ils virent Yéro le Peul devant le Cheikh.
1457. Le lendemain. au réveil. les chevaux furent sellés.
1458. 11s se dirigèrent vers Hamdallahi4 .
1459. L'esclave préposé à la garde de Yéro le Peul,
1460.
A l'appel de la prière, ouvrit la porte et trouva la chambre Vide.
1461. Alors. ils se dirigérent vers Hamdallahi.
1462. 11s vinrent par le nord de HarndaIlahi5 .
1463. 11s se dirigèrent vers un marigot situé à l'est de Hamdallahi
appelè ThiâyawaL
1
Mot à mot : un esclave d'Allah.
2
Miracle qui
figure dans la devise d'El
Hadj Omar: il répond
de loin
à tout
appel.
3
Le
chiffre
sept
est
très
symbolique,
dans
la
tradition
ésotérique
musulmane;
il
représente
la
perfection
humaine.
4
L'armée
toucouleur.
Interférence
de
deux
narrations.
5
Mot à mot : par le noir de Hamdallahi ; ici l'ouest est ainsi désigné par le fait
que c'est ainsi qu'il indique le pays des Noirs.


CORPUS II
449
1464. Alors qu'à Harndallahi, Ahmadou Ahmadou s'était ceint. les gens du
Macina sortirent.
1465. Ils sortirent par l'ouest de Harndallahi.
1466. Ils se rencontrèrent au lieu appelé 11Jiâyawal.
1467. L'armée de Cheikh Omar étant immobile.
1468. Il avait un esclave appelè Bâtou Dembélè.
1469. Le Soleil fut arrété 1.
1470. Les bouches furent ouvertes.
1471. La terre fut dèchirée.
1472. L'eau coula.
1473. Les yeux regardèrent de travers, les oreilles entendirent de
travers.
1474. Nul refuge pour celui qui cherche refuge.
1475. A ce moment là. Bâtou Dembèlé avait deux pièces d'étoffe rouge.
1476. Il portait un grand chapeau avec aussi un pantalon bouffant de cent
mètres.
1477. Il se pavanait au milieu des chevaux du Fauta.
1478. Cependant Ahmadou Ahmadou venait d'apercevoir Eâtou Dembélé.
1479. Il leur dit: n'est-ce pas cet homme au teint noir. portant un
pantalon très bouffant. avec des étoffes, n'est ·ce pas celui-là
Cheikh Omar ?
1480. Ils dirent: celui-là est son esclave nommé Bâtou Dembélé.
1481. Alors Ahmadou Ahmadou déclara:
1482. 0 sachez que le Fouta possède des esclaves de grande classe.
1483. Il avait un esclave qui s'appelait Yemgh;;l2.
1484. Yemghé n'avait pas un bon boubou. ni un bon pantalon.
/.~ 1485. Yernshé était son esclave. mais il en avait fait un berger de chèvres.
1486. Il passait la nuit en pleine cendre. il ne mangeait que des reliefs.
1487. Il Y avait là un esc!ave devenu son courtisan.
Images
apocalyptiques
avant
le
combat.
,
/
0
,
-
Le
griot emploie
taniôt
Yemghé. Lamôt
Yerngha.
.'


CORPUS il
451
1488. Ce n'était pas son esclave de droit l .
1489. Il s'appelait Sélimaka.
1490. C'est lui qui mangeait les morceaux les plus gras.
1491. C'est lui qui nettoyait les plats2 .
1492. Mais à l'approche des chevaux du Fouta. Sélimaka s'enfuit dans la
brousse.
1493. Je le jure par la grandeur d'Allah.
1494. Les morceaux les plus gras. c'est Sélimaka qui les mangeait.
1495. Les boubous ouvragés. c'est Sélimaka qui les portait.
1496. Les destriers. c'est Sélimaka qui les montait.
1497. Le soleil de saison séche. c'était pour moi Yerngha.
1498. Passer la nuit à la cuisine me revenait à moi.
1499. Mais Ahmadou Ahmadou.
1500. Si tu élèves des chevaux. égalise leur ration alimentaire3 .
150l. Tu ne sais pas lequel tu monteras lors d'une bataille 4
1502. Je le jure par la grandeur d'Allah. si tu me donnes
1503. Un destrier. si tu me donnes une lance.
1504. L'esclave de Cheikh Omar que tu loues.
1505. Je l'enlèverai parmi les chevaux du Fouta. sur le champ.
1506. Alors il chercha un destrier.
1507. Il dit: choisis parmi ces chevaux, celui qui te convient.
1508. 11 en choisit un d'excellente qualitéS,
1509. Il dit: je suis un esclave. c'est celui-ci qui peut me porter.
1510. Il enfourcha vivement le cheval.
151l. Les lances furent rassemblées.
1512. Il en chercha une très puissante.
1513. Il en prit une vivement. alors qu'J! était à cheval.
1514. Il regarda Ahmadou Ahmadou.
1515. Il dit: Ahmadou Ahmadou.
1516. Il dit: oui.
1517. Il dit: contemple mes exploits.
1
Esclave
acquis
par héritage
palernel
ou
maternel.
2
Mot à mol : c'est lui qui récurait les plaIs à la main.
Il
mangeait aussi les
restes des mets
royaux.
Mal à mot : égal ise leur sac conlenant leur ration.
Mot à mOL:
tu ne sais pas avec lequel t'arrivera un malheur.
~tot à mot : celui contre qui on se réfugie doublement.
.Il..


CORPUS II
453
1518. Il dit: tu vas voir bientôt mon action.
1519. Le propriétaire et l'emprunteur ne sont pas identiques 1.
1520. Vois: l'emprunteur a totalement disparu2 ;
152l.
Etant donné que moi je suis possédé, je n'ai pas où me rendre;
1522. Tout de suite. tu verras mon oeuvre.
1523. Il se dirigea vers les chevaux du Fou ta.
1524. Arrivé au milieu de la plaine.
1525. Le preux s'arrêta.
1526. Il dit: que la paix soit avec vous Fouta3 .
1527. Ils lui dirent: que la paix soit avec toi.
1528. Il dit: je ne m'adresse pas à la noblesse.
1529. Je ne cherche pas un Peul.
1530. Sachez bien Fouta. que je n'appelle point ici un Torodo 4 .
153l. Je ne cherche pas un forgeron. je n'appelle pas un ThieddoS .
1532. Je ne cherche qu'un fils d'esclave authentique 6 .
1533. Qui obéit aux injonctions de son maitre jusqu'au prix de sa vie.
1534. Tout le Fouta regarda Bâtou Dembélé7 .
1535. Bàtou Dembélé dit: ô Foua. même si vous ne me regardez pas,
1536. Je sais que c'est moi qu'on appelle.
1537. Alors Bâtou Dembélé se dirigea vers la plaine.
1538. Cheikh lui dit: ô Bâtou mien.
1539. Bâtou lui dit: oui.
1540. Il dit: Bâtou. viens par ici.
154l. Bâtou vint. Il dit : Bâtou étale tes mains 8 .
1542. Bâtou étala ses mains.
1543. Le Riche, le Savant. Il récita et aspergea les mains de Bâtou.
1544. Ses yeux furent inondés de larmes.
1545. Il dit : oh Bâtou Dembélé.
Allusion à la couardise et à la traitrise de Sélimaka.
Yerngha insinue
par
là,
que même
l'esclave est régi
par une éthique.
2
Mot à mot
: voisjl'emprunteur est
entré dans la grande brousse d'Allah.
3
Emploi métonymique de Fauta pour gens du Fauta.
4
Torodo : aristocrate du savoir.
5
Thieddo : caste des guerriers.
6
Esclave
aussi
bien
du
côté paternel que maternel
7
Le griot emploie
Dcmbélé ou Dambélé.
8
Le
marabout
récite
des
prières.
puis
asperge
de
fins
crachats
les
paumes
ouvertes du
fidèle.


CORPUS II
455
1546. Bâtou lui dit : oui.
1547. 11 dit: qu'Allah prenne ton âme en pitié 1.
\\ 1548. Aujourd'hui tu verras de belles "ouries"2 venues t'accueillir.
'~~"'"
1549. Alors. tous les habitants du Fouta remuèrent leur tête.
1550. Ils surent que Bâtou allait rester là, il va mourir.
1551. Alors Bâtou se dirigea vers la plaine.
1552. Ahmadou Ahmadou dit: oh, Yernghji..
1553. Yerngha lui dit: oui.
1554. li dit: Yerngha viens par ici.
1555. Yerngha arriva, il dit: ouvre tes mains.
1556. Yerngha ouvrit ses mains.
1557. li récita et lui aspergea les mains de fins crachats.
1558. li lui dit : Ô Yemgharruen.
1559. Il lui dit: oui.
1560. Il dit: qu'Allah prenne ton âme en pitié.
1561. Qu'Allah te reçoive en son paradis3 .
1562. Aujourd'hui, tu verras ta maison du paradis.
1563. Aujourd'hui, de trés belles "omies" t'accueilleront.
1564. Yemgha se dirigea vers Bâtou. Bâtou se dirigea vers Yerngha.
1565. Le preux et son homologue se virent.
1566. Yerngh?- se Ont sur les étriers, trés attentiJ4.
1567. Yerngha, l'oeil vif. le doigt prés de la gâehette5
1568. Alors Yernghadécocha sa flèche 6
1569. Bâtou Dembélé chereha la gâchette. son coup retentit.
1570. La lance de Yemgha arriva et se posa au milieu de la téte de Bâtou.
1571. Le coup de fusil de Bâtou atteignit Yemgha.
1572. [Les deux preux tombérent â la renverse, l'un à la suite de l'autrL
1573. Alors Cheikh Omar dit: ô Fouta !
-~\\
1574. Le Fouta dit: oui.
MOI
à mol : que Dieu ·Ie. pardonne el le prenne en
sa
Miséricorde.
Elanl
donné
que
le
griol
ignore
l'arabe.
il
emploie
le
féminin
à
la
place
du
masculin
allendu
ici.,
......
"..
". :...
.,:c.:.....
/"
2
Les femmes du paradis ou belles aux gros yeux.
3
Mot à mol : que de bonnes mains te reçoivent.
4
Mal à mol: le doigl de l'étoile de Yemga.
:.
~.: '. .
" . :..
5
Confusion du griot
le Macina ne possédait pas de fusils.
6
La
vision
des
vainqueurs
accuse
le
Macina
d'avoir
PflS
l'initiative
de
la
guerre.
Il:2.;.17
Mal à mol
tomba à la
renverse.
. 1.
( - - -




1599. Que tous ceux qui meurent du Macina entrent au paradis.
1600. Car c'est un païen qui nous a brouillés. mais le Fouta, c'est le Fouta:
le Macina c'est le Macina.
1601. Le Fouta et le Macina s'empoignérent.
1602. La poudre gronda entre eux.
1603. C'est ce jour là seulement que Cheikh Omar Ltira des coups de
fusil 1. :
1604. Il regardait les Maciniens, puis il fermait [les yeux) et se ceignait.
1605. Il disait: oh! Fouta !
1606. Le Fouta disait: oui.
1607. Quel est ce détachement?
1608. Qui sont ces hommes de teint clair à la belle prestance?
1609. Ils disaient: ce sont ces gens qu'on appelle les Maciniens.
1610. Alors le Saint pointait sa main droite [vers le Macinal.
1611. IL disait : oh Fouta.
1612. Ils disaient: TaU.
1613. Il disait: tirez par là.
1614. Chacun de ses cinq doigts était chargé et tirait l'un à la suite de
l'autre.
1615. Le ciel grondait. la terre grondait.
1616. Alors tu voyais un mort gisant. sans savoir s'il s'agissait d'une
femme ou d'un homme.
1617. Tu trouvais un mort étendu, sans la moindre trace d'un coup ou la
moindre blessure d'une lance.
1618. Ce jour-là, le Fouta détruisit complétement le Macina.
1619. Les griots musiciens prirent Ahmadou Ahmadou
1620. Penché au cou étoffé 2 ,
1621. Le Peul au'cou ridé.
1622. Farba suivit leurs traces. Pour vrai, le Fouta détruisit complètement
le Macina.
1623. Les preux avaient un destrier, étaient armés de lances.
1624. Ils disaient: montrez-moi El Hadj Omar ?
,);..., ...
. r
Ce
fait
esl
insoli,e.
Il
n'est
pas
attesté
par d'autres
versions,
qui
le
nient
presque
toutes.
Cheikh
possédail
plutôt
une
lance
qui
lui
permettait
" f '
d'accomplir
des
miracles,
tout
comme
le
bâton
de
Moïse.
L'épopée
i'. Lil
toucouleur
soutient
qu'Omar
n'a
jamais
tué
une
personne
durant
tout
le
j i h âd.
'/ 2
Mot à mot : au cou semblable à une étoffe.

1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
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1
1
1
1
1

CORPUS Il
463
1653. Cependant le "touy" avait bien atteint le roi:
1654. Ahmadou Ahmadou était gravement blessé.
1655. Il leur dit: Macina.
1656. Ils dirent: oui.
1657. Il leur dit: je suis blessé.
1658. A présent, choisissez quelques chevaux.
1659. Pour m'emmener au bord du fleuve. puis les chevaux
1660. Retourneront à Harndallahi : moi. vous me transportez dans une
pirogue.
1661. Cheikh Omar aussi fut infonné.
1662. Qu'Ahmadou Ahmadou était blessé.
1663. Les chevaux se dirigèrent vers le fleuve [Niger].
1664. Alors le Cheikh Omar fit face au Fouta et dit: Alpha OumarThiemo
Bay1a !
1665.' Alpha lui dit: oui.
1666. Il dit: Ahmadou Ahmadou ne se trouve pas parmi les chevaux du
Macina.
1667. Toi aussi prends une colonne".puiS longe la live du fleuve.
166$;: Vous le trouverez là. à bord d'une pirogue.
1669 .. Diiës lui de juger entre nous.:
1670. Son verdict sera le mien 1....
1671. Alors ils se dirigèrent vers le rivage:
1672. Jusqu'à ce qu'ils virent Ahmadou Ahmadou.
1673. Ahmadou Ahmadou. ayant aperçu les chevaux du Fouta.
1674. Leur dit: oh Macina! ils lui dirent: oui. Il dit:
1675. Arrètez la pirogue. les chevau.x de Cheikh Omar arrivent. c'est moi
qu'ils poursuivent.
1676. La pirogue fut arrêtèe.
1677. Il lui remet la lettre. que le Cheikh lui a envoyèe.
1678. Il dit: Ir:: Cheikh me demande de juger entre no.Js.
Mol à mol : toul ce qu'il dira vouloir me faire s'il m'avait attrapé.
trailez-\\e
ainsi.

r
464
CORPUS II
1679.
Wollooy so mi heoiino Soyku Umar,
mi worot d'um
1680.
So mi woriino mbo,
ml laotat no mba,
1681.
Sa ml loatiino mbo,
so mi hosniino mbo,
1682.
Mi oso ngasko hoo timmo
so mi osii ngosko hao timmii,
1683.
Mi ubba ma,
1684.
Mi juula ma njuulu moyyo.
1685.
Yalla yo yoofo mi yaofoo mo.
1686.
o wii : owwoo, miin ne a WII mi
kano mbii-d'o od'o wad'a ma faw,
yo min mbod'e noon.
1687.
'Dum woni De moopti mo Moopti.
De ngarti.
1688.
Soyku wii oe : hol no mbad'-d'an e Aomadu ma Aamadu?
1689.
'Be mbii : min mooptii mo
1690
'Doon woni Moopti l , \\Vuro Maasino
1691.
Kod'oo Kood'nu-mi doaral
Koddo Aadama Ayse
Elimaon Siire Sammbo Demmbc Aoli Muttoar,
1692.
"Akaromoyni Ibni Akaromoyni".
1693.
Daoral Soyku dey gosotocr,
1694.
Kano mi addii hoc d'ao
L'épopée
énonce
ainsi
le
mythe
de
fondation
de
la
ville
de
MOpli.
la
"Venise de l'Afrique". à paI1ir du leu de mots De mooprimo
Moopri,que la
lraduclion dissocie. "MOpli" esl bâti sur le radical mooplude
(garder) d'où
la
récupération
épique
de
la
similitude
morphologique.
Il
est
souhailable
que
des
études
historiques éclairent celle question.

CORPUS Il
465
1679. Par Allah si j'avais pris le Cheikh, je l'aurais tué.
1680. Une fois tué. je l'aurais lavé,
1681. Une fois lavé, je l'aurais vêtu,
1682. Une fois vêtu, j'aurais creusé un trou adéquat,
1683. Une fois le trou convenablement creusé. je l'aurais enterré.
1684. J'aurais fait sur lui des prières spéciales.
1685. Qu'Allah me pardonne et lui pardonne aussi.
1686. 11 dit: alors. moi aussi. il m'a dit que tu sois traité tel que tu voulais
agir à son endroit .
1687. C'est ainsi qu'ils l'enterrèrent à Mopti 1.
1688. lis revinrent. le Cheikh leur dit : comment avez-vous agi par
rapport à Ahmadou Ahmadou?
1689. lis dirent: nous l'avons enterré.
1690. Ce lieu s'appelle Mopti. ville éternelle du Macina!
1691. C'est là que j'arrête l'épopée du Cadet d'Adama Aysé Elimane Ciré
Samba Demba Ali Moutar.
1692. Noble fils de Nobles.
1693. L'épopée du Cheikh ne s'achève jamais.
1694. Mais je l'ai récitée jusque là.
Mot à mot : ils le gardèrent à Mopti. La traduction dissocie le jeu de mots 6c.
mopIimo,
résultant
d'une
similitude
de
radical
entre
le
verbe
garder
moplUde
et la ville de
Mopti. Par ailleurs. celle similitude morphologique
est récupérée por l'épopée pour asseoir un mythe de
fondation.

466
CORPUS III
BEYTOL HAMMAAT SAMMBA LIT
BAAR TÜ MAASINA,
DAANDE DEMBA SAAR
1.
Soyku Umar yoo l
ko Fuuto Tooro 0 Ummorii,
2.
Fow kodda Aadama Ayse
Tooroooe aan Durii.
3.
Ka Halwaar 0 jiDinoo
o.mowni Tooroodo koy fer;i,
4.
Toyii maaje lummbii cao/Ii
De a noddunoo ngorii.
S.
0 wii ko Alla wiyi mi
yo en pellu diine Mohammadoo.
6.
Molanoooe kaD6ii pucei
eaasaati d'iin ngarii,
7.
'Doon juul 6e nani naotii ma
mbii sayku min ngarii.
8.
0 ummii 0 tiindi Fuuta
Halwaor 0 jipparii,
9
Tawii ndunngu foandiima
Hoorefonde 0 ruumtoyii.
10
0 wii Fuuta fow yoo r,ooto
diine Mohommodoa.
Il.
Oawd'o Halwaar so juulnii Makka
ngal teddunngal yanii,
12.
Ceilo nele Sayku woynii Fuuto
fud'noonge ton wonii,
13.
Aon onndi Misiro e Mokka
toon 6urd'0 00 wonii.
YI "Yaa
vocatif arabe.
poulari::;t: Ki.

CORPUS III
467
~
,.
POEME DE HAMMAT SAMBA L Y COMPOSE AU MACINA .)
DECLAME PAR DEMBA SARR
1.: "
.... ':'
~ ..
);
,-.. -.'. ,.'~ '.
. :." _ Id.... ,
,
1
Cheikh Omar oh !
c'est du Fouta-Toro qu'il est venu.
2.
De tous, Cadet d'Adama Aysé.
des Torodos 1 tu es le meilleur.
3.
C'est à Halwar qu'il est né.
il a grandi. le Torodo a émigré.
4.
Il a traversé des mers et des cours d'eau.
ceux qu'il avait appelés sont venus.
5.
Il dit c'est Dieu qui m'a dit:
:t:aisons la guerre sainte de Mohammed2 .
6
Les Bienheureux ont scellé les chevaux.
les chevaux de course sont venus.
7.
Là/les pieux entendirent et répondirent.
disant: Cheikh nous voilà.
8.
Il se leva et se dirigea vers le Fou ta.
c'est à Halwar qu'il descendit.
9.
C'était à l'approche de l'hivernage3 .
c'est à Hôréfondé qu'il descendit.
10.
Il dit à tout le Fouta de répondre
à la religion de Mohammed.
1 1
Celui qui a quitté Halwar le maUn. s'il dirige la prière à la Mecque.
cet honneur que voilà suffit.
12
Depuis que Cheikh a quitté le Fouta.
c'est en Orient qu'il se trouve.
13.
Soit au Caire. soit à la Mecque.
c'est là que le Meilleur se trouve.
l
Hémistiche deux. Torodos : nobles.
2
Nom
ambigu
dans
ce
poème
:
Mohammadou
ou
Amadou
désigne
SOil
le
Prophète Mohammed.
soi t El
Hadj
Omar soit Cheikh
Tidjane.
Il
est
aussi
employé pour la rime.
parfois
il
n'a aucun sens précis.
Il fonctionne
aussi
comme une sone de refrain
revenant après
un groupe de quatre
vers.
3
Il s'agit de la deuxième campagne de recrutement d'El Hadj Omar. Elle est
aussi appelée deuxième émigration. Elle date de ]858·1859. Cf La Qacida en
poular
de Mohamadou Aliou Tyam (v 667. p. !13,v 700. p. 119).

468
CORPUS III
14.
'Burd'o winndere >-'0010
a wii «0 a wiina moo wonll,
IS.
Woliyo06e Alla ordincc
koy ko Aomodoo.
16.
Soyku sa jaloomo dowo Holwoor
o iiollo to Mokkotoo,
17.
So hiirii 0 hirndo
o wccltoyo Madinotoo,
18.
Towo koyd'e, mum muusoani
yohdu 0 tompotoo.
19.
Wonoo koyd'am njiirot-mi
00 bajjo Aminotoo,
20
Koy goongo hoggon l
njiy-mi
Annobi Aomodoo.
21.
Nde rnisironno06e eolinoo Sayka
ordGodejuuln ude,
22
0 hooti 0 noilgii joylii
o hod'i d'um 2
ka hu66ude.
23.
Njaoct'iimo d'oon toti oold'e
06e ndo<]ki deftude,
24.
Ummii 6e mbii soyku ordo
ko oon Durl onndude,
25.
0 ordli 0 juulni 6e Misiro
wokwuji Aomadoa.
26.
0 wii pueeel am ko d066el miin
ko eoosooti ndiddu mi,
1
V20 MOI arabe: la vérité.
2
V22
Rupture
de
construction
:
le
poular emploierail
le
pluriel
en
lieu
et
place. Au lieu de dUmi on devrait avoir d'i.

CORPUS III
469
14.
Tu as vu celui qui a la meilleure parole de toute la création.
ce qu'il t'avait dit s'est réalisé.
15.
Les "waliyous" 1 d'Allah
sont guidés par Amadou2
16.
Cheikh s'il veut [ill quitte Halwar le matin
et [il] passe la journée à la Mecque.
17.
Le soir. il voyage 3
pour passer la nuit à Médine.
18.
Alors que ses pieds ne sont pas fatigués par la marche,
il ne se fatigue point4 .
19.
Ce n'est pas en songe
que je vois le Cadet d'Aminata 5 .
20.
C'est av~c mes propres yeux6
que je vois le Prophète Ahmed.
21.
Quand les habitants du Caire refusèrent que Cheikh
dirige la prière.
22.
Il rentra et retint les feux7 ,
les empèchant de brûler.
23.
Les Cairotes restèrent là trois jours8 .
sans achever leur cuisson 9 .
24.
Ils se levèrent et dirent: Cheikh dirige [la prière],
c'est toi le plus érudit.
, 25
11 dirigea la prière du Caire,
les heures lO d'Amadou.
26.
Il dit:
mon petit cheval est court. et pourtan t
je poursuis des chevaux de course.
Terme
arabe signifiant
: amis.
2
Il s'agit d'El Hadj Omar.
3
,"erbe intraduisible en français. il a le scns de voyager le SOIr.
4
Inversion peu
usitée en
poular : marcher ne le fatigue
pas.
5
Le Prophète
Mohammcd,
fils
unique d'Abdallah et
d'Aminata.
6
"Haggan"
: mot
arabe
traduit en
poular par ganga
: la vérité. lei Cheikh
Omar jouit d'un
privilège offert aux
mystiques
: celui
de
voir
le Prophète
Mohammed. face à face.
7
Traduction mot
à mot : Cheikh Omar rCLint les feux.
C'est
un
miracle que
l'épopée
lui
amibue.
8
Rupture
dc
construction
:
mélange
dc
pluriel
et
de
singulier.
Technique
constante
dans
les
récits
coraniques.
La cuisson
de
leur repas:",
y;
Inversion peu usitée en poular. On dit plutôt
ba/d'e cati.

470
CORPUS III
27.
Wanaa daale ko ballai mlln
ko Allo rokki mi.
28.
Mi wasoraaki d'um ha'l gooto
kola 'limoe ngondu-mi,
29.
Miin Sayku wii pellee
ko Aljanna d'aoou mi,
30.
Cahodind'o so maayi janngo
ko e dUne Aamadaa.
31.
Miin Sayku miin felli
Nooro felli Maasina,
32.
Miin felli kulikoro
leydi heeferoe majjinaa.
33.
Sa mi wasiima ko wad'ata mi
miin Umar ma fuuta'lel,
34
Mi fellaani laarde jawdi
saka dande heen nalel,
35.
Soga am ton mi diwa mi juurao
mi nannda e mar'lamel,
36.
1'0 nder leyd'eel heeferoe
mi fella toon,
37.
Caliid'o fow mi hirsa
mi hesd'itina diine Aamadaa.
38
Nde keefeero huli hirseede
dagi diine moolo'lii,
39.
1'0
Aamadu ma Aamadu 00
mo waliyaaoe njokkoyii,
40
0 WII 1'0010 riddi kam
ko Halwaar 0 ummorii,
41.
Tawi
Alla
waahldum 1 kogooto
V41 Terme arabe
unique. un.

CORPUS ru
471
27.
Ce n'est pas par la force, c'est le secours,
moi, c'est Dieu qui m'a comblé.
28.
Je ne me vante pas pour cela,
parmi mes compagnons.
29.
C'est moi Cheikh qui ai dit: tirez,
c'est le paradis que je cherche.
30.
Celui qui meurt1 , s'il meurt demain,
c'est dans la religion d'Amadou.
31.
C'est moi Cheikh qui ai tiré des coups de fusil
sur Nioro, tiré sur le Macina2 .
32.
J'ai tiré des coups de fusil sur Koulikoro,
le pays des païens ignorants.
33.
Si je me vante qu'est-ce que cela me fait,
moi, Oumar du Fouta3 .
34.
Je ne fais pas la guerre pour des richesses
ni pour acquérir une génisse4 .
35.
Mon désir unique: m'envoler, puis atterrir
semblable â un pigeonneau.
36.
A l'intérieur des pays des païens,
Je vais y tirer un fusil.
37.
Tout incréduleS, je l'égorge.
je réforme la religion.
38.
Quand l'incrédule refusa d'étre égorgé,
il fuit la religion pour se réfugier,
39.
Auprès d'Amadou Amadou 6 ,
descendant de "waliyou".
40.
Il dit: le Tall7 m'a chassé.
c'est de Halwar qu'il vient.
41.
Si Dieu l'unique 8 est unique.
Mot arabe
: celui
qui
meurt en
guerre.
Répétition du
mot
arabe
reprIS
en
poular. C'est un procédé fréquent
dans ce poème.
\\'
2
Anticipation
dans
le
récit.
"·'·c...... '.,
, .. [ ; /
l' Li'j
3
Diminutif de FOUla, Fuurayel.
4
La vache est le bien suprême dans celle société.
5
Le
païen désigne
ici
Ali
Diarra
ou
Ali
Da Monzon,
roi
de
Ségou
qui
se
réfugia
auprès
du
roi
du
Macina
, Ahmadou
Ahmadou
ou
Amadou
III
en
1861.
6
Amadou ma Amadou : Ahmadou flis de Ahmadou.
7
El Hadj Omar Tall.
8
Omar témoigne
de
l'omnipotence
d'Allah.

1Qtt--_Il
472
i5III
koye makko won do yii,
42.
'Dolam ton mi doga hao mi dad'a
00 Soyku Aomadaa.
43.
Aomodu mo Aamadu wii mo
jood'o mi dan ndu maa,
44.
50 Soyku arii d'oo
heoatao ma hirsu maa,
45.
Ngel Fuutoyel tooroQkeyel
ton ena riddu maa,
46.
A dogii dogdu lella e seeno
ad'a woppa galle maa,
47.
Ar jood'o honnde mi danndu maa
e Sayku Aamadaa.
48
Soyku winndi Dalaake
totti ned'd'o 0 tottu maa 1.
49.
0 wii Aamadu mo Aamadu
Soyku Umar nina hinnu maa,
50.
0 riddiino toon keefeero
inan waali galle maa,
51.
Yaa tuubnu wollo tottaa mo
o tuubna 0 tottu maa,
52.
50 0 Saliima 0 hirsa
o hesd'itina diine Aamodoo.
53.
Aamadu mo Acmodu wii
mi tuubnac a tuubnataa' 2 ,
54.
Omo no woali e nder galle am
hannde a yollataa,
55.
Ka miin laomd'o Maasina hannde
moo a ta'.'] mi semtataa,
V48
Rupture
de
construction:
le
poète
change
la
normalement
: IOrri ned'd'o yo
corrumo.
2
V52 Tuubnaa ,forme contracr6c de luabnalaa,


CORPUS III
473
Il est avec Lui 1.
42.
Laisse-moi me sauver. afin d'échapper
au Cheikh Amadou.
43.
Amadou Amadou dit:
reste, je vais te sauver.
44.
Si Cheikh vient ici.
il ne rattrapera point pour t'égorger.
" . 45.
Cet habitant du Fouta-Tor02 ',;, ,'.
!,,:;, i ,~ , \\,' .. \\
\\" .. t... (
<-. ., ...
(',
;
. -.: '. ~:
te poursuit seulement3 ; [,'
46.
Tu as fui comme une gazelle dans la savane:
laissant ainsi ta maison.
47.
Reste, aujourd'hui je vais te sauver
de Cheikh Amadou.
48.
Cheikh écrivit une lettre qu'il confia à quelqu'un.
afin qu'il la lui remette 4 ,
49.
Il dit: Amadou Amadou.
Cheikh Omar en personne te salue.
50.
Il a chassé là-bas un païen.
qui a passé la nuit chez toi.
5!.
Convertis-le ou alors remets-le lui.
afin qu'il le convertisse pour te le renvoyer.
52.
S'il refuseS qu'il6 l'égorge,
afin de réformer la religion Amadou.
53.
Amadou Amadou dit:
je ne [leI convertis pas, il ne le convertit pas.
54.
Il a passé la nuit dans ma maison,
aujourd'hui. il n'en sort pas.
55.
C'est moi le roi du Macina aujourd'hui.
il verra que je ne mens pas.
1
Deuxième hémistiche
El Hadj Omar.
2
L'hémistiche
juxtapose
des
diminutifs
dépréciatifs.
On
pourrall
aussi
traduire par: ce simple habitant du petit Fauta-Toro.
3
Le
deuxième
hémistiche
implique
une
accusation.
Il
a
le
sens
de
:
le
poursuit
alors
sans motif.
4
Leme adressée à Ahmadou Ahmadou,
Emir du Macina.
5
Si Ali
refuse la conversion.
6
Amadou
Amadou.
Ce premier hémistiche est vague pour
ne pas di re confus,
par la
multiplication
du
pronom
personnel
il.

474
CORPUS m
56.
Kala mo kaD-mi maa De ndiiw d'um
De ndidda De d'accotoo,
57.
Haa De nawta d'um nder Fuuta
tooroori 1 Aamadaa.
58.
Sayku wii ma mi yid'aano sa ma ml woel'
sa weetii ma mi felle moo,
59.
Hoa 0 ridda ml Fuuta
Tooro mi monta moo,
60.
Maa min kawra janngo
mi wod'a
paaka 2 mi hirsa moo
61.
Aamadu mo Aamadu 00
ko keefeero hoomtinoo,
62.
Y'ettuel'o diine wostii keefeeru
cl'um wonaa e laabi Aamadoa.
63.
Ndeen Aamadu ma Aamadu
nelanii leyd'eele Maosinoa,
64.
Ko nootii ma Ujunere ned'd'o
d'um ina famd'inao 3 ,
65.
Silamooji beld'i e PUCCI
caasoati r,gardinaa,
66.
'Be njettii De mbii kaolen
ecf'en pella Sayku nao,
67.
So wonaa 0 bonna leyd'eele
Maasina Aamadoa.
68.
'Be kaoldi De kawrii
haa De kooti De njood'oyii,
69.
Omo wirda Sayku ina wirdo
V57 Déformation de Toro. pour la rime.
2
V60 "Paaka" est un mot wolof signifiant COUleau. en poular c'est la8i.
3
V64
La structure syntaxique du
vers eSI
If.nsformée par le poète.
Entendons: ujunere
necPd'o
inajamdlnaaef.:.o
nootimo.

CORPUS III
475
56.
Quiconque je combattrai, ils l
le chasseront,
ils le poursuivront sans relâche.
57.
Jusqu'à le ramener à l'intérieur du Fouta Toro2,
,z.
ô Amadou. i.,. c·", ,"c.
58.
Cheikh lui3 dit: je ne le voulais pas, mais je le ferai,
demain je l'attaquerai,
59.
Jusqu'à ce qu'il me renvoie au Fouta-Toro,
alors je le louerai,
60.
Ou alors nous nous rencontrerons demain,
je l'égorgerai au couteau.
6I.
Amadou Amadou que voilà4 ,
c'est le païen qui l'a séduit.
62.
Prendre la religion, la troquer contre le paganisme,
"
cela est hors des voies d'Amadou. i", ..
63.
Quand Amadou Amadou
fit appeler les provinces du Macina.
64.
Ceux qui lui répondirent [ furent].
de loin supérieurs à mille personnes5.
65.
Sabres tranchants et chevaux
de course furent mis en avant.
66.
Ils arrivérent et dirent:
parlons,
nous allons attaquer notre Cheikh6 ,
67.
Sinon il détruira les provinces
du Macina Amadou ...
68.
Ils discutèrent et se mirent d'accord,
alors au retour, ils tinrent conseil.
69.
Il7 se mit à égrener son chapelet, Cheikh aussi
Les
soldai'
de
l'armée
du
Macina
qUI,
par
ailleur:.
étaient
d'excellents
lanciers.
2
Donc Ahmadou Ahmadou
désigne,
derrière son hypothèse,
El
Hadj
Omar,
habilant
du
Fauta-Toro.
3
Ahmadou
Ahmadou.
4
Le poète donne la parole à Cheikh
Omar sans [ran,ilion.
5
L'inversion rend ce vers quelque
peu
difficile.
Son sens est
"le nombre de
personnes
qui
répondit
à
l'appel
d'Ahmadou
Ahmadou
est
de
loin
supérieur
à mille personnes ".
6
Cheikh Omar. Le possessif "noire" s'explique par
1" rime en "ni" rendue par
J'arabe"
Saykuni".
7
Amadou Amadou et Cheikh Omar.


CORPUS III
égrenait son chapelet jusqu'au plus fort de la nuit.
70.
A ce moment. Cheikh
se métamorphosa en quelque chose.
7I.
Alors qu~il-sommeillait, chapelet [en-mainl, ~:,,\\ .", ,',. ,,',' ,'( :' .. ,
Y,
'0,
,','
..,
1
p, '< r
'~) alors il)é prit .
72.
Il se lamenta, sachant que la victoire
appartenait à Cheikh Amadou.
73.
U dit: malgré tout, si nous nous affrontons demain.
tout deviendra sablonneux.
74.
Si on se rencontre en plein jour,
nuit cela deviendra.
75.
Si on se rencontre en pleine clarté.
obscurité cela deviendra.
76.
Si on se rencontre alors qu'il est de teint clair,
de teint noir il deviendra.
77.
A cause du nombre de chevaux et de personnes
du Macina Amadou.
78.
Il dit: si on se rencontre demain au Macina. sous chaque arbre
je mettrai cent chevaux2 .
79.
Avec un mors et son propriétaire,
avec une selle et une arme.
80,
Us sont assis. ils ne sont pas paresseux.
préts ce jour à 3 se fatiguer.
8I.
Ils sont prêts au matin4 de cette bataille.
ils n'ont pas absorbé un seul grain,
82.
Ils combattent pour moi l'habitant du Fouta.
le Cheikh Amadou,
83.
Cheikh dit: vous avez entendu Amadou Amadou dire.
que si on se rencontre au Macina demain,
84,
Sous chaque arbre il mettra cent chevaux.
Cheikh
Omar se métamorphosa en chat d'après
la
tradition
orale,
Il
trouva
Ahmadou en
train
de somnoler. alors il
prit son chapele!.
C'était là. sur le
plan
mystique.
un
signe
évident
de
victoire.
car
l'adversaire
ayant
perdu
son
arme
devint
vulnérable ,
2
Ici
la
numération poular est
respectée
: chevaux cent.
contrairement au
v.
23,
3
Le deuxième hémistiche est
plus concis en pouJar.
4
Cf vers 80.

478
co
50 min kowrii to Maosina
85.
Lekki fow mi wadat heen
maloykooji ujunere,
86.
Aomodu rro Aamadu oan
heo mao ko majjere
87.
Joroo boom ko miin ouri a
ko miin tiimi e deft,
88.
Ko edeftere jiirul oyni 1
A 110 yid'i ri Moha mrr
89.
Weeti ndeen Be ndowrii woi
d'um ne ina hulôini,
90.
Aomodu mo Aomodu odii
noogoode rabbin ii,
91
0 rokkoo tooo yoo naat e
fetelaoji Sayku nii.
92.
Konu Sayku tiid'nii
roaki dande ko fiyon;
93.
Nde wad'i huunde moayôe e
konu Soyku Aamada,
94.
Sayku wii "Billoohi summa
ml wcondii mi nooml
95
Mbele nll mi fello
ko A 110 wiinoo ml ko.
96
0 salliginii 0 hucciti
fud'naange qiblotoa,
97
0 hucciti Mokka
koddo Acdama soo yo
98.
Jom "Sayfiiyu" hokkao "nosr
oon saatu Aomudoo.
1
V88 Expression arabe el loucouleu'
ll(Jt:
vue des yeux.
2
Expression
arabe
marquant
le

ni.
Celte
formule.
une
fois
prononcée.
engage
son
autel!

CORPUS III
479
si on se rencontre au Macina demain,
85.
Sous chaque arbre.
je placerai mille anges.
86.
Amadou Amadou.
toi. tu n'es qu'un ignorant,
87.
Du reste. mon savoir est plus grand.
car c'est moi qui lis dans le Livre l .
88.
C'est par le Livre2 vu par l'oeil
que Dieu a élu Mohammed.
89.
Le lendemain lorsqu'ils s'apprêtèrent à se battre,
ce fut effrayant.
90.
Amadou demanda
" .
le-·premier. au· Seigneur.
91.
Il obtint que la pluie. mouille
i
les fusils de Cheikh.
92.
L'armèe du Cheikh s'y efforça.
mais fut incapable de tirer un seul coup.
93.
Lorsque quelques amis furent tuès,
dans l'armée du Cheikh Amadou.
' .. 94.
Cheikh dit: par Allah, puis par Allah!
je l'ai juré, je-ne recule point3 ....
95.
Il faut que je combatte
ce que Dieu m'avait dit. rien ne l'infirme.
96.
Il fit les ablutions.
se tourna 4 vers l'Est.
97.
Il se tourna vers la Mecque,
le cadet d'Adama n'échoue pas.
98.
Le propriétaire du "Chaifiy"5 eut le Secours6 .
à cette heure 7 Amadou.
"C'est moi qui
regarde dans le livre" est une lraduction mot à moL
Le sens
du vers est le suivant : El
Hadj Omar, plus inslruit, plus expérimenté el plus
âgé qu'Ahmadou
Ill, traile
la
fougue de son rival
d'ignorance.
2
C'est à dire Le Coran.
3
Mot à mot: j'ai juré je ne le mange plus. Le sens est : j'al juré, c'est soni de
mon ventre, je ne le mange plus.
4
"Qibla" : mot arabe ; la direction de la kaab"
Voir Le
Coran,
traduction
Blachère. Sourate X, v 87.
5
"Chaïfiyu" livre
de Cheikh Tidjane fondaleur dc le Tidjanya.
6
Secours : mot arabe "nasr".
7
Heure: mot arabe : "saâ".

CORPUS III
99.
0 wii pellee mi fellii juulDe
woto e mon mo sikkitii,
100. 'Ooon conndi duki dpY'Y'0ani
Maasina luuncitii,
10 1.
Ndeen kadda Aadama nanngi
pucci caasacti feccitii,
102.
Ndeen diiraali keewi
Aadamo e A/lw luuncitii 1 .
103.
'Oimmere ndeen 0 VIii
kolhaldi waonndi wii naamtataa,
104.
Kala moald'a kan e maalaad'c
ç1'id'a faw mi d'accataa,
105.
Ma mi wara De mi naatnn e Ipydi
faa' bada De njaltataa,.
106.
Nde wana luuru Denni Soyku
d'ao rewi Aamadao.
107.
Hay haamam naan ka ndokkonoo-mi gosii
hal]kadi mi Dennataa,
108.
Mi yii maale majJum e ndiwri
nd iwa tnaon d 1weeyataa,
109.
'Be ngasii leydi De towii toon
ndiin peewnaondi oonotaa,
\\10.
'Be pellii De coppi De ngartirii leydi
foa' bada min oennataa,
111.
'Oum faw ka kaod'tuc1i
diine Saykuuji Aamadaa.
V100 Luuncirii : vocabulaire du Macina.

CORPUS III
481
99.
Il dit: tirez, j'ai tiré musulmans,
que personne de vous n'en doute 1.
100.
Alors la poudre cria sans se taire 2 ,
alors le Macina s'éloigna3 .
;1)01.
Alors le Cadet d'Adama prit
des chevaux de course qu'il divisa4.. l. "\\'" !'"
'.
C.
102.
Quand le tumulte atteignit son point culminant,
Adama et Aliou s'éloignérent5 .
103.
En second lieu, il dit :
le Bélier a juré, il ne se reniera pas.
104.
Celui qui a donné refuge et celui qui s'est réfugié 6 ,
'/
tous les.deux jene les laisserai-'pas.
,'. i
. • r.
.
105.
Je les tuerai, je les enterrerai,
plus jamais ils ne sortiront.
106.
A -la fm du conflit, Cheikh
est passé par là Amadou.
107.
Je regrette 7 que ma mission soit achevée,
dorénavant je ne continuerai plus.
lOS.
J'en ai vu les signes par l'oiseau
qui volait, qui ne plane plus.
109.
Ils ont creusé la terre, il y ont trouvé
celuiS qui était droit qui ne se tord point.
110.
Ils l'ont tiré, ils l'ont coupé puis recouvert de terre,
à jamais nous ne continuerons plus.
Ill.
Tout ceci, c'est la limite
de la religion de Cheikh Amadou.
1
De l'issue victorieuse de la bataille.
2
Lo personnification de 1" poudre est
ici
très évidente.
3
Le Macina désigne
les
Maciniens,
c'est
une métonymie.
4
Qu'il
divisa parmi ses guerriers.
5
Adama est la mère d'El
Hadj
Omar,
Aliou
son
frère
consanguin,
mais plus
que
frère
et
ami.
Selon
le
poète,
,ci,
ces
deux
mons
continuent
d'accompagner El
Hadj.
6
Traduction mot à mot de : protecteur et protégé, Ali et Amadou Ill.
7
Le poète donne la parole à Cheikh Omar sans transition.
8
Ndiin,
classificateur qui
accompagne
ici
le
mot
nboddi
serpent,
sous-
entendu. Selon la tradition
orale,
El
Hadj
Omar avait
un
serpent sous terre
et un oiseau dans
l'espace qui
le
renseignaient.
Arrivés
au
Macina.
pays de
mystiques
rompus.
[cs
deux
auxiliaires
du
Cheikh
furent
repérés
et
tués
avec l'aide de Bekkaye Kounta.


482
CORPUS III
112.
Keefeero biyeteed'o Aoli
doonde mum mi foppitii 1 ,
113.
Aomodu mo Aomadu mi jolnii mo
e laono mi fokkitii,
114.
Mi nowii ma haa ta nder maaje
mowd'e mi sakkitii 2 ,
115.
So mi soppu maa so mi yool mo
doonde makko mi muccitii 3
116.
Mi worii moold'o kam e mooload'o
d'id'o fow Ao modoo.
117
Miin Sayku kam so mi warii keefeer0 4
ton oerndc a m wei i i,
118.
Mi wOi'ii laamd'o Maasino
worngo bonngo a mona le!ii,
119.
Heddiima d'oon miskinBe 5
mbiyetee ko minsalii.
120.
Mi Benni mi naoti e hooyre
wiyetcende sa Isa li i,
121.
Ko d'oon wolde ndee hood'i
juulo06e Aomodaa.
122.
Defte mbii nde ka salsolii
mbiy-d'en nde Dagamberee.
123.
Kodda Aadamo noat, e hooyrc
oeyd i i ko f of te ree,
124.
0 sunii kOQko gaa miskinoc
d'um oeydi mOJjeree.
125.
Soo guurd'o mao soo 0 mooyd'o
a nowaraanl tikkeree,
126
Sobu a worii maold'o kan e mooload'o
d'id'o fow to Aa modoo.
1
v 112 Tenne du Macina rendu en poular du Foula-Toro par lay'ii (couper).
2
V 114 Tenne macinien.
3
V116Id.
4
V 117 Tenne
arabe signifianl
"kâfir"
ou
mécréant.
5
V119 Tenne arabe signifiant:
pauvre.

CORPUS !Il
483
112.
Le païen appelé Ali,
son cou je l'ai coupé.
113,
Amadou Amadou je l'ai transporté
dans une pirogue, puiS je suis parti 1.
114.
Je l'ai emmené jusqu'au fond des mers
_.',
les plus profondes. je l'ai jeté.
,115.
Qui, je l'ai coupé en morceau, cii:i.ï'je l'ai noyé,
son cou je l'ai coupé.
116,
J'ai tué celui qui a donné refuge et celui qui s'est réfugié,
tous les deux, ô Amadou.
117.
Moi Cheikh. si seulement je tue un païen,
alors mon coeur est satisfait.
118,
J'ai tu~ le roi du Macina.
tué d'une mauvaise mort. le voilà qui git.
119,
II reste là des pauvres.
appelés "Minsalii",
120,
J'ai continué. je suis entré dans la grotte 2 .
dénommée "Salsali" .
121.
C'est là que s'achéve la bataille,
ô musulmans Amadou.
122.
Les livres l'appellen t 3 Salsali.
nous l'appelons4 Dagambéré.
123,
Le Cadet d'Adama est entré dans la grotte.
il a accru son repos,
124.
Il s'est fâché contre les pauvres,
cela augmente l'ignorance 5 .
125.
S'il est vivant ou s'il est mort.
il est parti sans amertume.
126.
Car il a tué celui qui a donné refuge. et celui qui s'est réfugié,
tous les deux chez Amadou.
( 1
Déformalion
poétique
du
recll
historique.
Nb
1
!
Cf Dieng (S.J. Une
approche
de
l'épopée
omarienne
d'apri!5
la
chronique
1
d'El Hadj Amadou Abdoul Niagane. Mémoire de Maîtrise. pp. 184-185.u·,,,,·,,. ,c.- ù•.1"
'.2
Le
poète
déforme
les
faits.
d'aulanl
plus
qu'il
fail
parler
le
Cheikh.
Cf.
Dieng (SJ. op. cie
3
La grolle où est entré Cheikh Omar.
4
Deuxième
hémistiche
: le
nom
indigène.
5
El Hadj disparaissant.
les
pauvres
manquè,"nt de guide el
de
bienfaiteur.

,-

484
CORPUS III
127.
Miin Sayku makkanaa6e e misiranao6e
eno ngondi mii.
128.
Saamnaaoe e misiranaaoe
ena ngandi mii.
129.
Iraknaa6e e yamannaa6e
ena ngandi mii.
130 .
Faasnac6e e leydi kuufanaa6e
ene ngondi mii.
131.
Copond'e toti nootru-rni Mokko
ndeen njiy-rni kaobotao,
132
Mohommodel golli min kowri
ko e nokkll d'eybotoo,
~' 133.
o dufii mi jowirol ma ooni l
deftere nde hay gooto yeddotoo 2 ,
134.
Magoomo Ibrohiimo3
hojjirde Aomodoo.
135.
Duu6i toti ngon-mi e Mokko
torbinii mi Ceerno om 4 :
136
Mohommadel goali rokki mi wirdu
Joggi ko e Junngo cm,
137
Vomiri mi dokkllgol wirdu
Seyku am,
138
Annobiijo aan woni seede am
jonngo Aomodoa.
139.
o duwanii mi e qabri Rasululloahi
yoa woon seede am,
140.
Sayku Tijjaani yamiri e Sayku
dokkugol wirdu am,
141.
:5ayku Mohommadul qaali
1
V127 Celle panie ,V 127 - 169 . est ajoutée au poème de Ly par Saar.
2
V133 Titre du livre de Cheikh Tidjane, où se trouve consigné l'essentiel de
la doctrine Tidjane.
3
V134
Station d'Abraham : mot
arabe "poularisé".
4
V13S
L'adjectif possessif est proclilique en poular du Fouta-Toro ex : on dit
ceernam au lieu de ceerno
am comme dit le poular du Macina ou du Fouta-
Djallon. Ici le possessif am
fonctionne comme une rime


. . .
......
w..
"
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••~._.g.u"""' "__ ''''.~_' ,'_0.'
CORPUS III
485
127.
Moi. Cheikh. les Mecquois et les Cairois
me connaissent 1.
128.
Les Syriens et les Cairois
me connaissent.
129.
Les Iraquiens et les Yéménites
me connaissent.
130.
Les habitants de Fés. et ceux du pays de Kûfa
me connaissent.
131.
Je suis entré à la Mecque à l'âge de trente ans,
c'est alors que je vis la Kaaba,
132.
Mohammadel Râli nous nous sommes rencontrés.
à un endroit pur.
< 133.
I! me remit le "Jawarhiral ma'âni".
le livre que personne ne remet en cause,
134.
La station d'Abraham2 .
lieu de pélerinage Amadou.
135.
Je suis resté à la Mecque, trois ans,
suivant mon maitre 3 ,
136.
C'est Mohammadel Râli qui m'a donné le "wird"4.
me prenant par la main.
137.
I! m'a autorisé à donner le wird
de mon Cheikh.
138.
Prophète. c'est toi mon témoin.
demain Amadou.
139.
Il a prié pour moi au tombeau du Prophète.
sois mon témoin,
140.
Cheikh Tidjane a accordé au Cheikh [RâliJ
de me donner le wird S ,
141.
Cheikh Mohammadel Râli.
Le
poète
voit
ainsi
son
texte
allongé
par
notre
informateur,
l'aveugle
Demba Sarr. Ce rajoût est composé en l'honneur d'El
Hadj
Omar,
malgré le
style
direct.
2
Voir Le
Coran, traduction Blachère, Sourate Il, v.119.
3
Deuxième
hémisliche,
mot
à mot
:
faire
serment
d'allégeance
el
travailler
pour
un
maître jusqu'à sa pleine
satisfaction.
4
Prière
chez
les
musulmans
récitée
avec
un
chapelet.
5
Voir la chaîne mystique d'El Hadj Omar. Dumont (F.), L'Anri-sulran. op. clr.
p. 13.

486
CORPUS !II
oon ko gid'o am habibu am,
142.
Sayku Tijjaani seeraan i arde
e banne am,
143.
Mohammadu Rasulullaahi
e jiid'e am,
144.
Sa e jiide maa sa e koyd'i
a tawii kam e wirdu am,
145.
Mi fukkii bakkatuuji
. 1":
yJide Annodi Aamodaa.
146.
Bamande ma e Halwaar haa abbii e Makko
ka Sayku dad'i alluwal,
147.
Sa ma hajja wirto henndu
Dura yaawde hay colel.
148.
Rimaahu ka deftere Sayku
ittaaka hay d'oral,
149.
Safina ka dertere Sayku
jaaroowo Aamadu jom oural,
150
Wad'i mi yimde Sayku
joard'o Aomadaa.
151.
Ko biyeteed'o Hommat Sammba
oon yimi Sayku haa nanaa,
152.
Ko d'oo liido yimi d'oo Taalo
wad'i baar ta Maasinaa,
153.
Nde almuudo yimi d'oo Ceerno
muud'um to Rabbanaa:
154.
Sa won goorj ngoni heen joom am
ycaro Robbanaa.

.'.
CORPUS !II
487
c'est mon ami, mon ami 1.
142.
Cheikh Tidjane n'a cessé
de me fréquenter.
143.
Mohammed, l'envoyé de Dieu,
de ma vue propre,
144.
Par mes yeux ou en songes,
il m'a trouvé faisant mon "wird".
145.
Je suis devenu pur2 ,
en voyant le Prophéte Amadou.
146.
Depuis Halwar jusqu'à la Mecque,
Cheikh est le plus instruit.
147.
S'il effectue le pèlerinage, un vent passe,
plus rapide qu'un oiselet3 .
148.
Rimâhu"4 est un livre du Cheikh.
où il ne manque aucune feuille.
149.
"Safina"5 est un livre du Cheikh,
faisant l'éloge du Prophéte.
150.
C'est pourquoi je chante Cheikh.
qui a fait l'éloge du Prophète.
151.
C'est le nommé Hammât Samba6 ,
qui a chanté le Cheikh, pour que tu entendes.
152.
C'est le Ly qui a chanté le TaU,
dans un air composé au Macina.
153.
Le disciple a chanté son maitre
en Dieu.
154.
Si des fautes s'y trouvent, mon Seigneur,
[nous demandons] pardon, notre Maitre.
Deuxième hémistiche
: le
poular giyo
est repris par le mol arabe "habib"
traduit par ami, d'où la répétion.
2
Mot à mot : jai fait tomber mes péchés.
'l, 3
La
tradition
orale
veut
que
Cheikh
Omar.
même
très
jeune,
aille
prier
régulièrement à la
Mecque et
y fasse chaque année
le
pélerinage.
A cet
',/...
effet, il se métamorphos~ren oiseau.
4
"Rimahu" : Les
lances, écrit vers 1854 à Djegunko. Voir Dieng (S), Une
approche
de
l'épopée
omarienne.
5
"Satina" : la nef ou le navire. Cf Dicng (S), op. Cil.
6
Ce moudjâhid, comme Mamadou Aliou Tyam, auteur de La Qacida en pou/ar
traduite par Gaden,
a composé ce
poème au
Macina après
"le drame de
Déguimbéré". C'est un compagnon d'El Hadj Omar.


CORPUS III
489
155.
0 mon Maitre. ô mon Cheikh 1
Tidjâne. c'est toi que j'appelle.
156.
0 Cheikh. ô Amadou ms de Cheikh.
ô Commandeur des Croyants2 .
157.
o MourtadaAguibou3.
ô Madani. ms de notre Cheikh.
158.
0 Mountaga. ô Nourou.
Bassirou. notre Nazirou.
159.
Que l'on soit parmi la descendance du Cheikh
Tidjâne Amadou.
160.
0 notre Maitre. par la "baraka"
des jumeaux d'Ali:
161.
Alhassane et Alhusseyn.
Petits- enfants du Prophète.
162.
o notre Maitre. ô Cheikh
Amadou. notre Khalife4 .
163.
0 Cheikh Omar. le tidjâne.
Père de notre Mounirou 5 .
164.
Le fils de Saïd s'est fatiguè
à chanter le Prophète 6 .
165.
Nous avons commis beaucoup de péchés. croyants.
Que Dieu nous pardonne.
166.
Pour ce qui est caché. pour ce qui est évident.
Que Dieu ait pitié de nous.
167.
Que l'intercesseur de toute créature.
soit notre intercesseur.
168.
Que le distributeur des paradis
nous soit propice.
. .
169.
Qu'on boive dans le "Kawsara"? qui coule
-1· ..
. ·Sert~-de-.doxologie- finale.
ajoutée par notre informateur•. Demba San, en
l'bonneur d'El
Hadj .. Omar ··et de' ses enfants.
sans
oublier ses
maîtres
:
Cheikh Tidjâne et le Prophète Mohammed .
.,
Amadou. fils aîné d'El Hadj Omar, qui lui succèdera.
L" Les noms qui
suivent sont ceux des fils du Cheikh.
r4 .._. "-_ Khalife...:.....vicaire, -remplaçant. __ successeur.
J Fils d'El Hadj Omar.
" Ici Amadou
désigne Ahmed /Mohammed.
Nom. d'u!l
fkùv.e
du /paradis . d~nt l'ea,\\ à .null~ a~tt~ pareille. / \\rassemble.
d'après
les
exégètes
d~oian."'des qùalités indescriptibles \\·car dépa'ssant
/
;ll 1A,'
.
·=v.:.H~iU1U11411f'

490
CORPUS III
Aljonno Aamodoa,
.'\\>
170.
'Do yimre SaykLJ Umar ndee haad'i.
tout
entendement humain;
cf.
Blachère.
Le
("ran.
Sourate
"L'abondance".
CV. v.3,
p. 668.

CORPUS 1lI
491
au paradis Amadou.
170.
C'est là que le poème dèdié à Cheikh Omar prend fin.

",-" .
P
, .:
,~.
~f
il/.
"f:-
ANNEXES
\\
.' "'1;-.,., •. :

ANNEXES
ANNEXE 1
Liste des quatre-vingt dix premiers compagnons d'El Hadj Omar d'a près
Massaba Ahmed Diop, griot omarien
l.
Elimane Guédô
37. Samba Tacko Dâdo
2.
Alpha AJunadou
38. Idrissa Tacko Dâdo
3.
Thierno Djiby
39. Ali Mâmoudou
4.
Ahmadou Tapsirou
40. Abdoul Houdaké Ndongo
5.
Elimane Ahmadou Boubou
41. Mohamadou Ahmadou Thiemo
6.
Alpha Mohamadou
42. Mohamadou Sileymane
7.
Thiemo Bassamôr
43. Abdoul Sakké Nguidjilone
8.
Alpha Oumar Thiemo Baila
44. Khalidou Youssouph
9.
Alpha Abbasse
45. Hanunady Ali
10. Alpha Ouma,rThiemo Môllé.
46. Mody Ali
11. Alpha Mâmoudou Thiemo Abbasse
47. Samba Arta
12. AI Hadji Saïdou
48. Boubacar Aliou
13. Thiemo Alhassane Bâ
49. Alpha Mâmoudou Boubou
14. Thiemo Ahmadou Ali Dielya
50. Alpha Abdarahmane
15. Abdoulaye Haoussa
51. Tapsirou BaiJa Hammât
16. Thiemo Khalidou Elimane Demba
52. Tapsirou Bodéwal
17. Thiemo Sileymane Bâba Raky Wane
53. Tapsirou Salii
18. Tapsirou Mâlick Guirladio
54. Abdoul Khad&liara
19. Isrnaila Daouda
55. Thiemo Adama
20. Thiemo Djiby
56. Samba Khadêdiata.
21. Thiemo Moussa
57. Boubacar Ahmadou Balasâdji
22. Thiemo Boubacar Elimane Hammâr
58. Sadio Ali
23
Thiemo Haïmouthe
59. Alpha Ousmane Boubou
24. Mohamadou Hammâr Kouro
60. Thiemo Sileymane Sy
25. Lâm Toro Hammé Samba Déthié
61. Elimane Boubacar Mbâye
26. Bôto] Sawa Hâko
62. Salii Elimane
27
Boubacar Ali Doulndou
63. Alpha Sileymane Ahma::ou
28. Elimane Rindiaw
64. Ahmadou Hamme
29. Mâmoudou Ali Doulndou
65. Ahmadou Samba Lobbo
30. Alpha Ali Sidi
66. Alwaly Oumar
31. Thiemo Silèye Amar Béla Racine
67. Mody Abdoulaye
32. Ardo Aliou Ndiéréby
68. Mody Mohamadou Hamme
33. Koly Mody Sy
69. Mody Mohamadou Seydiyanké
34. Yéro Djinnda Tabara
70. Alpha Youssouph
35. Ahmadou Dhâhirou
71. Alpha Ndiarhie
36. Boubacar Tacko Dâdo
72. Alpha Mâmoudou Bassougui
• t'~
' .
" ' .

ANNEXES
494
73. Alpha AlxJoul Samba Lêli
74. Alpha Ahmadou Yéro
75. TIriemo Mohamadou Lamine
76. TIriemo Tilléré
77. TIriemo Boubacar Hamzatou
78. Tapsirou Mfunoudou Oumar
79. Mâmoudou Hammât Moukhtâr
80. Abderahmane Bassamôr
81. Alpha Ali, "t! qariyati"l wenndou Nôcli
82. Thiemo AlxJoul Thioukalelle, "fi qariyati" Harnmadi Hounâre,
83. Boubou Mohamadou Boubou, "t! qariyati" Wourossogui
84. Elimane Ahmadou Boubou, "fi qariyati" Donnâye
85. Alpha Kâssoum, "fi qariyati" Sar Lion 2
86. Alpha Oumar, "t! qaryati" Sâré Mânîkka
87. Elimane Hammady Mâloume, "fi qarayati" Déméthe
88. Lamine Tapsirou Ahmadou, "t! qarayati" Haïré Lao
89. Mohamadou Aliou Thiam3, "t! qarayati" Haïré Lao
90. Sileymani Elimane Boubacar, "t! qarayati" Dimat4.
N.B. Cette liste, manipulée selon les intérêts personnels des griots, subit de profondes
modifications au fil des versions.
Ici elle met en relief Je caractère intellectuel et aristocratique du jihâd omarien qui comprit de
nombreux érudits, ce que traduisent les titres "Alpha", "Tapsirou", "Thiemo", décernés aux
savants musulmans. De même les descendants de J'aristocratie peule des théocraties du SOkOIO,
du Macina et des deux Fouta figurent aussi en bonne place dans cette liste des premiers
compagnons de Cheikh Omar.
1
"Fi qariyati" : expression arabe signifiant "ressortissant du village de".
2
Défonnation de Sierra Leone.
3
Auteur de La
Qacida en pou/ar
éditée par H. Gaden.
4
Autre variante de Dimar, village du Fauta Toro (Département de Podor).

ANNEXE II
IlANDOTHEQUE
NOS PRINCIPAUX INrORMATEURS
A
1
~
Prénoms et noms
Ville
Pays
Statut social
Age
Documents communiq~.
'"
1.EI Hadj Mamadou Abdoul Niâgan
Ndioum
SENEGAL
Marabout
76ans
- Vie d'El Hadj Omar
(Podor)
- Fonda;ion de Halwâr
2.El Hadj Mâmoudou Dia
Dakar
SENEGAL
Marabout
50 ans
- Jihâd d'El Hadj Omar
- Lettre d'El Hadj Omar aux
habitants du Fauta Toro pour les
faire émigrer.
3.Abdoul Ara Seck
Podor
SENEGAL
Griot
40 ans
- Epopée d'El Hadj Omar
4.Massâba Ahmed Diop
Podor
SENEGAL
Griot
40 ans
- Quatre-vingt dix premiers
Compagnons d'El Hadj Omar
S.Boubou Sali
Podor
SENEGAL
Enseignant
78 ans
- El Hadj Omar au Fauta Toro
6,Sidi Mbôthiel
Pété
SENEGAL
GriOI
60 ans
- Devise d'El Hadj Omar
Bôwé
- Epopée d'El Hadj Omar
(Matam)
7.Kalidou Bà
Goudiry
SENEGAL
Griot
40 ans
-.Séquence:
de la naissance d'El Hadj Omar
(Tambacounda)
aux joutes oratoires du Caire
8.Guellâye Ali FaU (in memoriam)
Podor
SENEGAL
Pêcheur
+ 70 ans
- "Pekaan" (Ségou Bali. Balla
Diérel. Falémé)
.p..
~


9.Demba Sarr
Pikine
SENEGAL
Aveugle
60 ails
- Demier fragment épique du
ambulant
jihâd or.1arien:
Composition de Hammât
>-
z
Samta :"'y
~
JO.Thierno Ahmadou Mahmoud
Ouakam
SENEGAL
Marabout
55 ans
- "Beyti" l'~ Thiemo Hamme!
~
,
(/)
Athie
Bâba Athie
11.Bah FaU
Noubaghiyyé
R.I.M.
Emdit
50 ans
- Séquence sur \\es rappons entre
(Boulilmit)
El Hadj Omar et le Cheikh
Maouloud FaU des Ida-ou-Ali
12.Mamadou Sambou
Nouackchott
R.I.M.
Griot
50 ans
- El Hadj Omar au Fouladou : les
rapports avec M610 Eggue
13.Saïdou Kane
Nouackchotl
R.l.M.
Professeur
40 ans
- Epopée d'Ahmadou, le fils aîné
d'El Hadj Omar
- Jihâd d'El Hadj Omar
- Origine des Toucouleurs
14.Niokkâne Djiby Selly
Nouackchott
R.I.M.
Erudit
60 ans
- "Beyti" de Thiemo Alhassane
Diaw dir Thiemo Boy
15.Thithié Dramé
Nioro
MALI
Griot
60 ans
- Epopée d'El Hadj Omar
(version de Nioro)
16.Demba Hammet Guissé
Nioro
MALI
Griot
50 ans
- El Hadj Omar au Kama, au
Kingui et à Ségou
17.Bocar Cissé
Bamako
MALI
Professeur
60 ans
- Vision des vaincus du jihâd
omarien
18.Garan Kouyaté
Bamako
MALI
Inspecteur
58 ans
- Vision des vaincus du jihâd
du trésor en
omarien
retraite
19.5aad Touré
Ségou
MALI
Professeur
65 ans
- Le jihâd d'El Hadj Omar d'après
d'arabe
la littérature omarienne

;J>
20.Tidjani Koné
Ségou
MAL!
!nfinnier
50 ans
-El Hadj Omar à Ségou et au
Macina
~CI:l
21.0ury Demba Diallo
Kayes
MALI
Professeur
50 ans
- El Hadj Omar au Khasso ; une
vision de l'aristocratie Khassonké
22,Almamy Diallo
Kayes
MALI
Administra
60 ans
- El Hadj Omar au Kaana
leur civil en
retraite
23.Abdoul Wahab Sarr
Médine
MAU
Instituteur
84 ails
- El Hadj Omar au Khasso
en
- La bataille de Médine(1857)
retraite
24.EI Hadj Ahmadou Oumar
Dinguiraye
GUINEE,
Marabout
84 ans
- El Hadj Omar en Guinée
Thiam
- Jihâd d'El Hadi Omar
25.EI Hadj Makki Thiam
Dinguiraye
GUINEE
Administra
75 ans
- El Hadj Omar en Guinée
teur civil en
retraite
26.Mamadou Bah
Dinguiraye
GUINEE
Professeur
45 ans
- Dinguiraye sous El Hadj Omar
27.Baykoro Sakho
Galama
GUINEE
Propriétaire
65 ans
- Vision du Dyallonkadougou
du jihâd omarien
. 28.Sadio Soh
Dhabatou
GUINEE
Griot
65 ans
- Epopée d'El Hadj Omar
.,.
- Première bataille du .Phâd (m:nol
'D
MJ! :
-...J
Ne sont retenus ici que les principales versions fournies par nos meilleurs infonnateurs.

GLOSSAIRE

GLOSSAIRE
499
GLOSSAIRE
A
Almamy
Titre que portaient les chefs du Fouta Djallon et du Fouta Toro au
lendemain des révolutions méocrati- qucs
Almamyat
Régime politique du Fouta sous les A1mamys.
Alpha
Titre donné à un érudit en Coran.
Ardo
Titre porté par un chef de tribu peule.
Awlube
(sing. gawlo). Griots diseurs du Fouta, spécialisés dans les
généalogies.
B
Baraka
Tenne d'origine arabe signifiant bénédiction, faveurs divines.
Barou
Diminutif de Oumar.
Boundou'nké
Habitant du Boundou.
C
Charia
Mot arabe qui désigne la loi musulmane.
Cheikh
MOI arabe pour dénommer le maître, l'initiateur.
D
Damel
Titre quc portaient les Chefs du Cayor.
Diawara
Nom de famille de l'aristcx.ntie régnante dans le royaume de Diara.
tombé par la suite sous la domination des Massassi devenus maîtres
de tou t le Kaana.
Djallonké
Population d'origine mandingue qui habitait le massif montagneux
du Djallonkadougou ; elle figurait parmi les premiers habitants du
pays qui s'appela par la suite Fouta Djallon.
Denianké
Nom que portaient les Fulbe de la tribu de Koli Tenguella.
Dina
Mot d'origine arabe qui, étymologiquement veut dire religion, passé
dans le pulaar, dans le sens de pratique du culte islamique.
Théocratie.
E
Elfeki
Titre que portait le Chef Peul de la Province du Ngenaar, au Fouta
Toro.
Elimane
Titre religieux porté par certains chefs du Fouta Toro (Chefs de
provinces ou de villages).
Farna
Titre porté par les chefs Bambara.

GLOSSArRE
500
Farba
Tirre d'origine mandingue pané par les chefs des Sebbe.
Fergo
Mot pulaar désignant l'émigration.
c
Fulbe
,.-
(sing. pullo). Appellation que se donnent les Peuls.
,\\
Futiyou
Originaire du Fou ta.
Futa[ke
Habitant du Fauta.
'1
~
H
1
Haal pulaar en
Ceux qui parlent le pulaar.
J
Jaagorgal
Grands électeurs el grands dignitaires sous le régime de l'Almamyat,
au Fauta Toro .
.
Jaawambe
L
(sing. Jaawando) : groupe ethnique peul, qui faisait fonction de
conseillers des souverains.
Jihâd
Mot arabe qui désigne la guerre sainte, un effon sur le chemin
d'Allah..
K
Karamoko
Terme bambara qui signifie maîrre, passé dans le pulaar du Fauta
Djallon.
Khalife
Temle arabe qui signifie successeur dans les confréries, il désigne le
délégué du Cheikh de l'ordre.
Khalwa
Retraite spirituelle.
Khassonke
Habitant du Khasso.
Kodda
Dernier né.
M
Massassi
Etymologiquement, descendants de Massa, l'ancêtre des premiers
Bambara émigrés au Kaarta.
Mawdo
J
Grand, premier dans la hiérarchie.
Muqadem
Terme arabe pour désigner le vicaire, celui qui seconde le Cheikh
dans l'éducation des disciples.
Qacida
Poème en arabe.
Qadryya
Confrérie mystique musulmane fondée par Cheikh Abdoul Qadr
Zilâni.
Ribât
Sortes de couvents fonifiés, qui Ont joué un rôle imponant dans la
diffusion de l'Islam.

GLOSSAIRE
501
Q
Saiku
Défonnation pulaar de Cheikh.
Satigi
Titre que portaient les Chefs des Denianké.
l, Sebbe
C(" ,-
(sing Ceddo), tenne par lequel le haal pular désigne tout Noir
différent de lui. Aussi, existe-il plusieurs types de Sebbe - groupe
social Toucouleur.
Soninké
Tenne par lequel se désignent les populations appelées Sarakollé par
les Français.
Sokhna
Femme pieuse.
Soufi
Un mystique musulman
Sunna
Théorie et pratique de l'Islam onhodoxe (sur la base de la tradition
du prophète).
Talibé
Etudiant, disciple.
Tapsirou, Tamsir:
Titre poné par toute personne qui sait traduire le Coran.
Tara
Mot d'origine mandingue qui désigne une foneresse.
Tidjanyya
Confrérie mystique musulmane fondée par Cheikh Ahmed Tidjâne.
Tokara
Homonyme.
Tondion
Esclaves de la couronne, qui Ont fini par prendre le pouvoir dans le
royaume de Ségou.
d
, Tooro~be
1
C
(sing Toorodo) Aristocratie politico-religieuse qui dirigeait le Fouta
Toro à partir de la révolution musulmane de la fin du XVille siècle.
Tounka
Titre que ponaient les chefs soninké du Ghana et du Gadiaga.
w
Wazifa
Un des éléments du wird Tidjâne.
Wird
Oraison propre à une confrérie.
z
Zaouïa
Place fone musulmane qui abritaient des hommes pieux s'adonnant à
la fois à des activités religieuses et militaires.
1
1
1
1
1

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
Sources Premières
Anonyme
Dikr ibtidà gihàd al Hàgg 'Umar b.
Sà id, Fonds Brévié, LF.A.N., Dakar, S. d.
Bibliothèque Nationale de Paris. Département des manuscrits arabes. Voir nO 5615, pp. 110-
112. et pp. 221 - 223, ng 5671, pp. 98-99 ; ng 5602, fol 89, nO 5693, fol. la - 2b
(lettre d'AI Hadj Oumar à AI-Kànemi), n05715 (lettre d'Al Bakkà i contre,Oumar), nO
5732, pp. 23-28 (AI Hadj Oumar) ; nO 5485, F. 6 (Al Hajj 'Umar: Safinat al - Saàda li
ahl al-du 'Fwa'l-nijàda) ; nO 5532, F. 123-133 :
Tadkhira al Ghàfilin 'an gubh ikhtilàf al-mu'minîn ; nQ 5259, f - 67 ('Uthman b - fudi);
nQ5605, f. 10 : Kitàb fi mà waq a à baina shaykh 'Umar wa Ahmad b - Ahmad, ou :
Kitàb Shaif al haqq al mu'tamad, fimà waqa'a baina al Shaikh al Hajj 'Umar wa
Ahmad b. Ahmad.
Catalogues des manuscrits de l'University Ahmadu Bello, Ibadan :
- Northern History Research Scheme : First Interim Repon, Zaria, 1966.
- Nonhern History Research Scheme : Second Interim Repon, Zaria, 1967.
Catalog\\Je des manuscrits de l'LF.A.N (Diallo (Th), M'Backé (M.B.) Trif-kovic (M.) et Barry
(B), nO 601 [cf. Fonds Brévié et Fonds Gaden]
Coran (Le), traduction R. Blachère, Paris, 1966.
Diallo (T.M. de K.), Kitab matu al-àgà ib al qadariyya wa - 1 - marwahib al Karamiyya li
sayhinà wa sayyidinà... al Hagg 'Umar b-Sa 'id al - Fùti, LF.A.N., DAKAR, S.d.
Dieng (S.), Une approche de l'épopée d'El Hadj Omar d'après la chronique d'El Hadj
,.
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/
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.'.'

INDEX
,-

INDEX
514
PRINCIPAUX NOMS
Alxloulaye Ali 45; 165; 182.
Alxloulaye Haoussa 182.
Adama Aysé 39; 108; 120; 140; 178; 179; 180; 195; 200; 319; 379; 383; 388; 399; 401; 411;
421;423;429;433;435;445;450;457;461;465;467,
Aguibou 45; 133; 489.
Ahmadou Ahmadou 10; 47; 58; 128; 129; 130;156; 161; 168; 169; 175; 176; 177; 178; 190;
191; 192; 193; 194; 196;253;262;267;270;273;286;287;291;397; 399;401;403;405;407;
411;415;417;419;421;427;431;433;435;437;441;443;449;451;455;460;457;461;463;
465.
Ahmadou Almamy Alassane 167; 178; 179; 192; 267; 274; 403; 421.
Ahmed El BekkaI 252; 255; 286.
Aliou 481
Almamy Birane 245.
Almamy Mohamadou Birân 258.
Almamy Oumar Ill; 112; 113; 114; 116; 260.
Almamy Saada 245.
A1mamy Youssouph 245.
Alpha Ahmadou 111; 143; 179; 323.
Alpha Marnoudou Kaba 112; 115; 116
AlphaOumarThierno Bayla 33; 34; 36;54; 115; 121; 132; 159; 172; 178; 191; 196;253;274;
353;355;377;379;385;417; 419;439;441;463.
Alpha Oumar Thiemo Mollé 36; 54; 115.
Alpha Ousmane 34; 132; 162; 165; 253.
Amaa Sam Poolel 17.
Archinard (L.) 3; 45; 133; 164; 290.
Ardo Aliou Ndiéréby 33; 34; 36; 58; 173; 175; 228; 261.
Atiq III
Bâ (A.H.) 288.
Bâ (K) 136; 140; 148; 232; 234; 236; 296; 302; 307.
Bâ (O.) 145.
Bâ·Lobbo57; 121; 129; 131; 165; 252; 253.
Bathily (S.N.) 117; 264.
Bâtou (D.) 58; 175; 176; 267; 268; 449; 454; 455.
Boubakar Saada 37; 263.
Blum (Cl.) 133.
Bouchez (Lt) 117.
Bôtol Sawa Hâko 36; 179; 265; 267; 274; 283; 403.
Cheikh Ahmed Tidjâne 34; 51; 97; 110; 152; 231; 285; 485; 487; 489.
Cheikh Omar 10; 33; 34; 35; 36; 37; 38; 40; 41; 44; 45; 46; 47; 48; 49; 51; 52; 59; 63; 98; 106;
108; 109; 110; 111; 114; 115; 116; 117; 118; 119; 120; 121; 125; 126; 128; 129; 130; 131; 132;
133; 138; 139; 140; 141; 142; 143; 144; 145; 146; 148; 150; 152; 153; 154; 155; 156; 157; 159;
160; 161; 162; 163; 164; 165; 166; 167; 168; 170; 173; 175; 177; 178; 179; 182; 185; 186; 188;
189; 190; 191; 192; 194; 196; 197;203;204;206;207;209;210;220;221;225;227;228;229;
i
230;231;245;249;250;251;252;253;254;257;259;260;261;263;264;265;267;268;270;
;-.
271;274;276;281;282;284;285;288;290;309;311;313;377;391;399;401;403;405;407;
409;419;421;425;431;433;439;441;447;449;451;455;456;461;457;459;461;463;467;
473;489;491
Cissé (R) 4; 286; 287; 290.
Cissokho (S.M.) 254.
Curtin (D.Ph.) 243.
Dali1 (A. O.) 79.
"
,
.'
De1afosse (M.) 107; 109 ;277.
De1avignette (R.) 107.

INDEX
515
Demba Sarr 220.
Diop (MA) 41.
Dioukha SambaIla 122; 124; 125; 126; 127; 245; 287.
Djéli Moussa 118; 204.
Dramé (T.) 4; 33; 58; 63; 131;163; 173; 187; 188; 189; 190; 223; 228; 260; 261; 264; 269.
Dumont (F.)107; 108; 109; 129; 149; 255.
Dumézil (G.) 224.
EgguéFari Saabu 17.
Elimane Boubacar 139; 141.
Elimane Rindiaw 115; 258; 268.
Equi1bec 55.
Emy (P.) 90.
Fâdjimba 313; 375.
Faidherbe 60; 122; 124; 127; 250; 251; 254.
FâIel Bo1âro 375.
Fall (M.)109.
Fara1 (E.) 280.
Farba Gouwa 10; 58; 158; 176; 177; 178; 179; 180; 181; 182; 194; 195; 267; 268; 273; 280;
283; 311; 379; 381; 383; 409; 419; 457;461.
Fatime1 Siré Biidaane 16.
Frœlich (J.c.) 254.
Gaden (H.) 2; 8; 35; 85; 109; 149; 258; 263; 266.
Gaye (H.) 245.
GhâIi (M.E1)109; 110; 152; 203; 227; 271; 346
Gouilly (À.) 210.
Grisward (J.H.) 224.
Guelâdio Dêssé 177; 315.
Guerresch (Cl.) 149.
Guélel 17; 34
Guèye (T.Y.) 74; 81.
Ham-Bodêdio 9; 14; 15; 16; 17; 18; 20; 21; 30; 32; 33; 55; 59; 84;
Hama A1aseïni 14; 20.
Holle (P.)124; 127; 251.
Jah (O.) 47; 108.
Kamara (C.M.) 46; 101; 269.
Karounka 33; 57; 58; 63; 128; 173; 174; 185; 228; 260; 261; 266; 317; 375; 387; 389.
Khanoum SambaJla 122; 124; 125; 126; 127; 251; 289.
Koly Mody 34; 36, 168; 169; 170; 171; 179; 193; 245; 250; 260; 267; 274; 283; 405; 427; 429.
Konko Boubou Moussa 12; 18; 23.
Kouyaté (G.) 4.
Labouret (H) 85.
Lestrange (M. de) 16.
Lord (A.) 229; 233.
Ly (H.S.) 3; 45; 98; 136; 149; 205; 220; 221; 230; 231; 232; 236; 296; 307; 487.
Madelénat (D.) 7; 199; 275.
Mage (E.) 38; 107; 169.
Mâmady Kandia 35; 121; 177; 250;.260; 269; 315.
Marnadou Djâli 315.
Mahmoud Kâti 100.
Mari (F.) 138.
Mbôthiel (S.) 3; 10; 33; 38; 136; 148; 161; 169; 170; 171; 175; 177; 187; 188; 190; 191; 195;
1
196; 197; 220; 223; 228; 229; 232; 234; 235; 236; 260; 264; 268; 274; 283; 296; 302; 307;
.'
309.
Meyer (G.) 16; 24; 87; 88.
Monteil CV.) 109.
Monzon (A.D.) 15; 18; 47; 128; 129; 156.
Monzon (D.)14.
Niâgane (El H.MA) 4; 46; 107; 148; 207; 227; 228; 264.

INDEX
5 16
Ndiaye (M.) 296; 299.
Niokhâne (D. S.) 95
Ousmane Dan Fodio 111,233.
Parry (M.) 222; 229.
Pidal (R.M.) 235; 236.
Pou11ôri 13; 14; 16; 21; 22; 25; 27; 54; 55; 59; 61; 62.
Propp (V.) 233.
Reichadt (Ch.) 44; 45.
Robinson (D.) 233
Saint-Martin (Y.) 254.
Salenc (J.) 51; 108.
Samb (A.) 254.
Samba Guélâdio Diégui 9; 11; 14; 16; 18; 21; 23; 24; 31; 32; 55; 56; 59; 68; 84.
Sarr (D.) 3; 136; 296; 302; 307.
Seck (AA) 33; 41; 52; 141;148; 225.
Sélimaka 456
Sellier (P.) 21; 136.
Seydou (Ch.) 20; 25; 26; 30; 84; 102; 104.
Siciliano (I.) 275.
Silâmaka 9; 13; 14; 15; 16; 21; 22; 24; 25; 30; 31; 33; 34; 53; 54; 55; 56; 58; 59; 61; 62; 84.
Sissokho (F.D.) 131; 245.
Socé (O.) 145.
Soh (S.A:) lOI.
Sow (A.I.) 16; 113.
Suret-Canale (J.) 255.
Tall (T.S.N.) 108; 140; 141; 2S4.
Tamba Boukari 117; 119; 204; 260; 309; 311; 313: 349; 351; 353; 355; 357; 359; 363: 367;
369; 371; 375;
Tauxier (L.) 131; 190.
Téné 14; 15; 18.
Thiam (El H.A.O.) 4.
Thiam (El H.M.) 4.
Thiemo Boy 94; 95; 237.
Thiemo Sadou Dalen 113.
Thiemo Samba Mombéyâ lB; 234.
Thiemo Mohannmadou Samba lB.
Tidjâni (A.A.) 36; 45; 132; 133; 164; 166; 253; 288.
Tiéfolo 63; 111; 128; 276.
Tounka 55; 56; 245.
Tyam (MA) 2; 34; 45; 47; 48; 51; 98; 107; 110; BI; 158; 164.; 231; 236; 269.
Verdat (M.) 14I.
Wane (M.H.K.) 172; 251.
Yamfélé Thiérna 175
Yemgha 175; 176; 449; 455; 460.
Yimba Sakho 118; 119; 120; 121; 160; 260; 269.
Zoghby (S.) 47.
Zumthor (P.) 95; 105.
1
~I
.j
1
l1

INDEX
517
NOMS GEOGRAPHIQUES
Arabie 139; 144.
Bafing 116; 121; 122; 249.
Bakel37; 38; 71; 115; 125; 126; 127; 250251; 263.
Bamako 4.
Bambara 13; 14; 15; 18; 19; 31; 33; 44; 46; 55; 57; 63; 101; 122; 128; 133; 151; 174; 185; 186;
190;245;246;250252;285;291;345;347;385;387;391;393.
Bambouck55; 121; 123; 124; 125; 126; 160; 187; 245; 249; 251; 269.
Bongourou 2 5 0 . '
Bongoye 57; 107; 141; 201; 227.
Bornou 110; 152.
Bosséa 244.
Boulébané 245; 259;.263.
Boundou 37; 110; 168; 169; 170; 179; 193; 245; 249; 251; 257; 259; 263; 405.
Bouré 249.
Caire 3; 107; 110; 113; 136; 148; 149; 150; 151; 152; 184;185; 203; 206; 217; 220; 225; 227;
230;231;273; 282;290;467;469.
Châm 208; 209; 211; 225; 227.
Dakar 90; 148; 296.
Damga 160.
Déguembéré 3; 42; 59; 63; 132; 136; 138; 146; 164; 165; 166; 207; 209; 210; 218; 220; 225;
226;227;253; 284; 307.
Dhabatou 4; 119; 121
DiâkaleUe 39; 181; 196; 435; 457.
Diallonkadougou 114; 116; 118; 119; 120; 125; 221; 268; 285; 286.
Dianguirdé 182; 435; 457.
Diawando 115; 117; 119.
Diawara 57; 128; 266; 269; 285; 290.
Dimar 139; 319; 321.
Dinguiraye3; 4; 44; 45; 113; 114; 116; 117; 118; 119; 121; 131; 136; 160; 187; 209; 217; 226;
249;251;268;270;282; 307; 309;311;349;359;371;373.
Diombokho 127; 145; 250.
Diongoye 177; 204; 206; 315; 387;
Djanguirdé 315; 435.
Djoloff 16; 34; 164; 296.
Donnaye 115; 226.
Egypte 110; 211.
Européen 85; 244; 263.
Falémé 71; 121.
Farabanna39; 181; 196; 249;250;259;315;435;457.
Ferl0 16; 23; 33; 37; 263; 296.
Fez 3; 46; 51; 107; 109; 147.
Fezzan 110.
Fougoumba 112; 113.
Foulbé 190.
FOUla Central 68; 258.
Foula-Djallon 17; 57; 63; 84; 85; 86; 92; 93; 95; 108; 109; 110; 111; 112; 115; 116; 117; 118;
225;233;243; 246;247;253;260.
FOUla-Toro 11; 14; 40; 45; 47; 59; 63; 80; 83; 93; 94; 95; 97; 101; 102; 110; 116; 118; 128;
139; 141; 146; 159; 160; 161; 221; 233; 244; 246; 247; 265; 268; 270; 281; 290; 319; 399; 452;
467; 473; 475.
Foutanké 41; 51; 116; 126; 127; 186; 282; 283; 343.
France 60; 115; 123; 124; 125; 133; 254; 274; 275; 290; 296.
Franç~s55;57;68; 123; 124; 125; 126; 127; 128; 133;245;250;251;257.

INDEX
518
Gabou 115.
Gambie 3; 57; 115; 124.
Gawlo 8; 25; 41.
Goufadé 39; 181; 196; 435; 457.
Goundiour 3.
Guédé 173; 208.
Guémmoukoura 182.
Guimbanna 177; 204; 206; 315; 387.
Guiraï 132; 226.
Haal puJaar 8; 19; 66.
Haal puJaar en 80; 84.
Halwâr 3; 54; 59; 98; 107; 108; 109; 115; 138; 140; 141; 143; 144; 166; 183; 200; 201; 202;
207; 208; 209; 210; 217; 220; 225; 226; 227; 256; 273; 319; 321; 337; 339; 467; 469; 471;
487.
Hamdallahi 3; 128; 129; 131; 132; 136; 161; 163; 167; 217; 226; 232; 246; 253; 270; 277; 284;
286;287;288;289;290; 317;397; 399;413;415;439;441;443;447;449;463.
Haoussa 110; 133.
Haut-Fleuve 124; 125; 127; 245; 250.
Haut-Niger 249.
Haut-Sénégal 250.
Hôréfondé 226; 259; 467.
Ida-ou-Ali 109.
Jérusalem 110; 145; 184; 203; 209; 211; 226; 279; 280.
Kaana 35; 55; 57; 63; 121; 124; 125; 160; 187; 211; 221; 246; 250; 251; 260; 269; 285.
Kamakindi 375; 377.
Kane181; 115; 159; 172.
Kankan III; 112; 115; 116; 226.
Karêga 59; 155; 204; 206; 209; 226; 375; 377; 379; 381; 383; 385; 387.
Kasalcéri 377.
Kayes 3; 123; 124; J27; 145; 250.
Khoussan 245; 259.
Kolomina 59; 161; 177; 204; 206; 226; 250; 315; 387.
Kounialcâri 122; 182; 250.
Lao 45; 98; 258.
Logo 123; 124; 125; 126; 127; 211.
Macina 10; 13; 14; 19; 20; 21; 24; 34; 45; 47; 55; 57; 58; 63; 93; 95; 101; 110; Ill; 1I8; 121;
128; 130; 133; 150; 161; 162; 164; 165; 167; 168; 169; 170; 171; 172; 175; 176; 177; 178; 179;
180; 181; 182; 190; 191; 192; 193; 195; 196; 220; 221; 230; 231; 233; 246; 247; 252; 253; 255;
260;261;262;265;267;269;270;271;274;277;283;285;286;287; 288;289;290;291;292;
294;415;419;421;425;427;431;433;439;449;457;459;463;465;467;471; 473;477;481;
483; 487.
Macinien 130; 131; 165; 167; 170; 178; 179; 195; 196; 232; 253; 288; 290; 291; 441; 459; 461.
Madina Alahêri 177; 206; 315; 387.
Maghreb 218.
Mani-Mani 35; 36; ;161; 162; 173; 253.
Maroc 46; 284.
Massassi 57; 122; 125; 175; 245; 250.
Matarn 33.
1
j
Maure 3; 12; 34; 55; 108; 166.
Mauritanie 3; 57; 108; 109; 144; 225.
Mecque 60; 98; 109; 110; 120; 128; 166; 203; 207; 209; 211; 220; 226; 270; 276; 279; 282;
288;343;383;467;469;479;485;487.
Médine 98; 110; 121; 145; 203; 209; 211; 220; 226; 270; 279; 282; 469.
Médine (Khasso)3; 34; 55; 60; 122; 123; 124; 125; 126; 127; 128; 172; 211; 250; 251; 264;
274;283;288
Ménien 160; 249; 260; 269.
Merkoya 163; 185; 187; 251.
Ndioum 4; 46; 142; 148; 263 .
.....
. ,~

INDEX
519
Niger 14; 33; 55; 102; 116; 131; 163; 164; 210; 243; 249; 251; 252; 267.
Nigéria 102; Ill; 233.
Nioro 4; 33; 63; 121; 125; 131; 133; 164; 177; 182; 187; 190; 204; 206; 209; 211; 226; 250;
251;258; 259;260;262;265;288; 315; 385; 387;471.
Paris 3.
Pellun Waaju 119; 273.
Peul7; 8; 11; 13; 14; 15; 16; 17; 18; 19; 20; 24; 27; 28; 31; 33; 35; 45; 61; 62; 74; 75; 79; 83;
84; 88; 92; 100; 101; 104; 105; 119; 122; 162; 166; 171; 172; 173; 176; 177; 193; 195; 208;
211;228; 234;237;244;250; 252; 253;265; 266;267;274;283;289;290; 375; 377; 387; 397;
411;419;423;425;429;431;437;443;445;447;459.
Pire Sagnakhôr 144; 202; 209; 225; 276.
Podor 33; 46; 71; 107; 115139.
Poular 66; 67; 71; 76; 80; 81; 83; 88; 90; 91; 93; 94; 99; 100; 102; 103; 104; 105; 106; 107;
110; 143; 151; 157; 163; 167; 169; 175; 176; 220.
Sabouciré 122; 127.
Sansanding 37; 63; 128; 129; 187; 189; 226; 228; 246; 252; 288; 289.
Ségou 2; 3; 4; 13; 14; 15; 33; 38; 44; 45; 47; 55; 57; 63; 101; Ill; 128; 129; 131; 132; 133;
156; 162; 163; 164; 174; 186; 187; 188; 189; 190; 209; 220; 221; 223; 226; 246; 251; 252; 253;
261;262; 263; 266;268;269;270; 276;277; 285;287;288;289; 387; 389; 397.
Sénégal (fleuve) 16; 33; 55; 67; 71; 95; 101; 115; 116; 122; 123; 127; 131; 163; 164; 210; 225;
246; 249; 250.
Sénégambie 59; 144; 243; 244; 249.
Sokoto 63; 93; 95; 102; Ill; 118; 145; 162; 167; 203; 209; 225; 226; 233; 247; 287; 294; 339.
SoninJcé55; 101; 121; 122.
Souroukhoullé 3; 250.
Tamba 39; 119; 121; 209; 249; 315; 435; 457.
Thiâyawal58; 59; 130; 156; 168; 175; 176; 186; 190; 226; 252; 267; 270; 285; 439; 443; 447.
Thiès 91; 144.
Timbo86; 108; 109; Ill; 112; 113; 114: 116; 119.
Tombouctou 100; 131; 132; 164; 210; 246; 252; 259; 290; 292.
Tamara 122; 127; 21!.
Toro 115; 119; 160; 173; 225; 259.
Torodo 140; 172; 178; 180; 181; 182; 192; 195; 196; 207; 210; 244; 255; 267; 321; 337; 343;
345; 353; 381; 383;403;415;419;421;423;425;431;435;437;453;461;467.
Toucouleur 71; 83; 87; 88; 90; 97; 101; 115; 126; 127; 132; 140; 153; 159; 165; 168; 170: 172;
179; 180; 182; 185; 188; 189; 190; 191; 237; 249; 251; 252; 253; 255; 259; 260; 262; 265: 266;
267; 281; 283.
Woytê1a 59; 128; 173; 185; 186; 187; 258; 174; 228;251; 261; 397.
Yélimané 177.
i'
,

INDEX
520
AUTRES NOMS IMPORTANTS.
Al-Azhar 110; 113; 185; 223; 225.
Almamy 57; 82; 99; 107; 108; 111; 112; 113; 114; 116; 141; 168; 208; 210; 244; 245; 256;
257; 259.
Alrruunyat59; 141;244;245;257.
Ansâr 282.
Ardo 14; 17; 24; 34; 165.
Charia 49; 94; 129; 227; 244; 282.
Dame157; 107; 141; 201.
Fama 250.
Fergo 251.
Hadith 40; 153.
Imâme 39; 60; 96; 100; 148; 149; 154; 158; 180; 196; 281; 291; 313; 317; 381; 401; 415; 435;
461.
Jaagorde 244.
Jaagorgai 244; 259.
Jawâhir-AI-Maâni 34; 114; 185.
Jihâd omarien 3; 34; 40; 46; 47; 50; 55; 98; 114; 125; 128; 218; 224; 226; 227; 230; 235; 243:
247;248;249;250;252;253;255;257;259;262;264;265;267;268;271; 276; 278;281;283;
286;288;290; 291;292;296; 302.
Khalwa 206.
Muhâdjirûn 280.
Mujâhid 106; 154; 156; 183; 185; 230; 255; 281.
Mujahidin 249.
Ouléma 150; 168; 225; 227; 252.
Qacida 2; 34; 37; 38; 45; 47; 48; 49; 50; 51; 52; 157; 163; 164; 165; 168; 169; 175; 176; 220;
221;257; 264;266;267;270;282;284;294.
Qadiriyya 131 ;246; 252; 255.
Ramadan 94; 200; 201; 226; 227.
Rimâh 34; 46; 108; 152; 254; 487.
Salaatul Faatiha 203.
Sofa 162; 175; 267; 287.
Sourate 110; 150; 262; 285.
Sultan 145; 279.
Tafsirou 311.
Tidjanyya 34; 46; 52; 98; 108; 110; III; 114; 133; 152; 203; 227; 254; 255; 284.
Tidjâne97; III; 114; 126; 145; 190; 282; 391; 489.
Târikh el-Fettach 100.
Târikh es-Soudan 100.
Wird 97; 111; 114; 126; 343; 363; 485; 487.

T ABLE DES MATIE RES

TABLE DES MATIERES
522
TABLE DES MATIERES
PREMIERE PARTIE: EL HADJ OMAR ET L'EPOPEE PEULE.
1
INTRODUCTION.
2
CHAPITRE 1 : INVENTAIRE ET CLASSmCATION.
6
A - INVENTAIRE ENUMERATIF DES EPOPEES PEULES.
7
I. LES EPOPEES PEULES TRADITIONNELLES.
7
1°) Les artisans du verbe.
7
2°) Le récit.
II
a) Les cycles épiques peuls.
Il
al) Le cycle de la lance.
II
al) Le cycle de la vache.
16
a3) Le cycle de la femme.
19
b) Le niptyque héroïque.
21
ii.
i.
b1) Le héros.
21
,-'.
,.
b2) Le héros et le cheval.
23
b3) L'arme du héros.
24
c) La devise.
2S
3°) Le public.
30
1
II L'EpOPEE D'EL HADJ OMAR OU LA GESTE DU JIHAD.
32
1°) Permanence du modèle épique traditionnel.
33
a) Les artisans du verbe.
33
b) Le récit.
33
bl) Les cycles épiques.
33
a) La lance.
33
b) La vache.
34
g) La femme.
3S
il.
b2) Le triptype héroïque: le héros, Je cheval, l'arme.
36
li
<
~.
a) Le héros.
36
i:.
t
b) Le cheval.
36
g) L'arme
37
b3) La devise.
38

TABLE DES MATIERES
523
c) Le public.
39
2°) Le modèle peul islamisé.
40
a) L'artisan du verbe et le maître de la plume.
41
al) Le griot omarien.
41
al) Le maître de la plume.de l'épopée du jihâd.
44
b) Le récit.
49
b1) Le cycle de la foi.
49
b2) Le triptyque initiatique.
50
b3) La devise.
51
c) Le public.
52
B - CLASSIFICATION: RECITS DE BASE ET VARlANTES.
53
1 LE TRONC COMMUN.
53
1°) Le noyau narratif de base.
53
2°) Les invariants thématiques.
54
3°) Les personnages invariants.
54
4°) Les lieux d'action.
55
5°) Le temps du récit.
56
II LES BRANCHES DIVERSES.
56
10) Les récits secondaires.
56
2°) Les personnages originaux.
58
30) Les lieux et les temps.
58
III V ARIM'TES A L'INTERIEUR DE CHAQUE BRANCHE.
60
CHAPITRE II : LA FORMATI ON DE L'EPOPEE D'EL HADJ OMAR.
65
A - FORMES LITTERAIRES PRE-EXISTANTES.
66
1 LES GENRES TRADITIONNELS.
66
1°) Les genres spécifiq ues.
67
2°) Les genres communs.
76
a) La poésie.
76
b) Les "tinndi" ou "talli" (contes); les "cifli" (devinettes) ;
86
les "puri" (proverbes).

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TABLE DES MATIERES
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'524"'
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II LES FORMES ISLAMIQUES
93
1°) Les "beyti" (apologie du Prophète ou poèmes sermonnaires).
94
2°) Les "guiris" et les compositions des "almubbe ngay".
99
3°) Les "tarikhs" (chroniques).
100
4°) les "khutba" (sermons).
101
5°) Les compositions personnelles ou "njirnri naalaakoove".
103
6°) L'épopée ou "daarol".
104
B - LE POINT DE DEPART HlSTORlQUE.
106
1-
LA NAISSANCE ET LA FORMATION.
106
II -
LE PELERINAGE.
109
!lI - LE JIHAD.
118
IV -
LE SIEGE ET LA DISPARITION.
131
DEUXIEME PARTIE: L'EPOPEE D'EL HADJ OMAR
135
ANALYSE LITTERAIRE
CHAPITRE 1 : LA GESTE D'EL HADJ OMAR, EXALTATION DUN HEROS.
137
A - LE HEROS.
138
l'1
UN SAINT FAISEUR DE MIRACLES.
139
TI
UN ERUDIT HORS PAIR.
147
!lI
UN COMBATTANT DE LA FOI VICTORIEUX.
154
B - LES PERSONNAGES CONJOINTS.
158
1
L'ELAN MYSTIQUE.
159
Il
L'HEROISME PAŒN.
168
C - IMPLICATION DES PERSONNAGES DANS L'ACTION.
183
CHAPITRE Il : TEMPS ET ESPACE DANS L'EPOPEE D'EL HADJ OMAR
198
A - LE TEMPS : TEMPS MY1HIQUE ET TEMPS HlSTûRIQUE.
199

TABLE DES MATIERES
525
B - LE RYTIIME TEMPOREL DE LA NARRATION.
205
C - ESPACE METAPHYSIQE ET ESPACE PHYSIQUE.
207
D - LA DYNAMIQUE SPATIALE.
209
CHAPITRE ID : LE SCHEMA NARRATIF
216
A - LA MATRICE GENETIQUE.
217
B - L'AXE THEMATIQUE.
223
l
LES THEMES.
223
II
LES LIEUX D'ACTION.
225
ID
LE TEMPS DU RECIT.
226
C -V ARIATION DES SCHEMAS NARRATIFS
229
l'
LES VARIANTES.
229
II
LES VARIANTES A L'INTERIEUR DES BRANCHES.
230
230
2°) Une distribution différente.
231
III
L'ORALITE, L'ECRITURE ET LA DIFFUSION DE L'ŒUVRE.
234
CHAPITRE IV : LA GESTE D'ELHADJ;OMJ:-R COMME REPRESENTATION DU
241
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MONDE.
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A .. L'EPOPEE D'EL HM)}OMJ,\\R,/MIR0rR.\\DE SON TEMPS.
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I .. LE SOUDAN OCCIDENTAL A LA vEiàEDU JlliAD OMARIEN.
243
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ltuatlon po l1què;'..E0rp~el' SOC! c.
243
2°) Situation imellectuelle er religieuse.
246
248
a) La conquête.
249
b) L'œuvre.
253
II .. LA REPRESENTATION EPIQUE DU CADRE DU JIHAD.
255
1°) Vie politique.
256
2°) Vie écononùque et sociale.
264

TABLE DES MATIERES
526---' "
3°) Vie religieuse.
268
ID - L'EPOPEE ET L'HISTOIRE.
271
1°) Le traitement épique du jihâd omanen.
272
2°) Le traitement historique des versions de l'épopée d'Omar.
276
3°) Rejet et rejaillissemenL
277
B - VISION DES VAINQUEURS, VISION DES VAINCUS.
278
1 - LES CHANSONS DE GESTE: LES CROISADES VUES PAR LES FRANCS
279
ET PAR LES ARABES.
1°) Les croisades vues par les Francs.
279
2°) Les croisades vues par les Arabes.
280
II - LE JIHAD üMARIEN VU PAR LES üMARIENS ET PAR LES PEUPLES VAlNCUS. 281
1°) Le jihâd d'Ei Hadj Omar vu par les Omariens.
281
2°) Le jihâd d'El Hadj Omar vu par les pays conquis.
286
CONCLUSION GENERALE.
294
TROrSIEME PARTIE: EDITION DE TEXTE.
295
PRESENTATION.
296
1 - LES AUTEURS.
296
2 - LES TEXTES.
296
LA DEVISE D'EL HADJ OMAR PAR SIDI MBOTHlEL
308
CORPUS 1: DE LA NAISSANCE AUX JOUTES ORATOrRES
318
DU CAIRE PAR KALIDOU BA.
CORPUS n : LE JlliAD : DE DINGUIRAYE A HAMDALLAHl
348
PAR SIDI MBOTIIIEL.
CORPUS III :LA DERNIERE PHASE DU JIHAD: DE TIllAYAWAL
466
À DEGUEMBERE, POEME DE HAMMAT SAMBA LY,
DECLAME PAR DEMBA SARR.

TABLE DES MAnERES
527
Annexe.
492
Glossaire.
498
Bibliographie.
502
Index.
513
Table des matières.
522
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