UNIVERSITE DE PARIS 1 • PANTHEON· SORBONNE
;CIENCES ECONOMIQUES· SCIENCES HUMAINES - SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES
SOCIETE 1NITIATIQUE ET REGULATION
SOCIALE CHEZ LES MALINKE ET
BAMBARA DU MALI
Essai d'interprétation sociologique d'un système juridique
TH ESE
pour le
DOCTORAT
de
SPECIALITE
(3ème cycle)
SOCIOLOGIE JURIDIQUE
Présentée et soutenue publiquement le
par
Mamadou Balla TRAORE
J URY
PRESIDENT : Professeur Michel ALLIOT
Suffragants: Professeur Yves PERSON
C~argé de recherche au C.N.R.S. Etienne LEROV

L'Université de PARIS l PANTHEON-SORBONNE n'entend donner aucune approbation
ni improbation aux opinions exprimées dans les thèses. Ces opinions doivent
€tre
considérées comme propres à leurs auteurs.

A Waa KAMISSOKO pour sa contribution à la connaissance
de l'histoire mandeng.

-
l
-
AVANT PROPOS
Le travail que nous présentons ici est le fruit de recherches
effectuées en République du Mali pour le compte du Laboratoire d'Anthropologie
Juridique de Paris.
Ainsi notre gratitude va plus particulièranent aU Professeur
Michel ALLIaT, Directeur du Laboratoire d'Anthropologie Juridique qui nous a
fait l'honneur de diriger nos recherches ; ensuite, à Etienne LE ROY dont les
conseils et les encouragements nous ont été précieux; à JacquelineACOSTA-
LASCaUX pour ses conseils et pour le vif intérêt qu'elle a manifesté à
l'endroit de notre recherche.
Nons nous devons d'associer à ces hommages Youssouf Tata CISSE,
chercheur aU '::NRS qui nous a apporté son expérience
des
populations
malinké-bambara. Nous lui devons également notre rencontre avec un informateur
exceptionnel qui nous a fait profiter de son savoir encyc lopédique ,
le regretté Waa KAMISSOKO, traditionaliste à Kr Lna, qui a imprimé à nos
recherches une dimension toute particulière en nous ouvrant"les
yeux et les
oreilles"sur l'univers traditionnel de la société étudiée. Nous lui dédions
cette étude.
Enfin, s'il est impossible de citer les noms de tous ceux envers
qui nous nous sentons redevable,
les autorités traditionnelles
et
personnalités consultées,
amis qui ont accepté de nous relire, nous
disons aUX uns et aux autres
qU'ils trouvent ici la marque de notre profonde
reconnaissance.

- II -
Les recherches que nous proposons de
présenter,
recensent
un
certain
nQmbre
de faits relatifs à la vision
traditionnelle des rapports sociaux.
Il s'agit
beaucoup
plus
d'une approche de
relations et de leurs significations que d'une systérna-
tisation
de
conclusions
tirées dans la perspective d'une théorie
générale.
Sur le plan méthodologique, notre effort pour dégager une
problématique cohérente, un outil de recherche affiné aU contact du réel, a
été principalement nourri par la confrontation des sources orales et écrites,
dans l'esprit des travaUx des récents colloques de
Bamako et Niamey, consacrés
en 1975, 1976 et 1977 à des populations qui seront étudiées ici.
Toutefois, nous ne pensons
pas avoir échappé aux critiques
formulées à l'encontre des spécialistes de la·science africaniste~ Car, en
dépit de notre effort constant
pour
ne paS introduire des catégories
intellectuelles susceptibles de déformer les faits sociaux mandeng interrogés,
nous n'avons pu nous dégager suffisamment d'une vision parfois étriquée et
européocentrique. De même, nous avons certainement succombé à certains
,
moments à la tentation d'universaliser des schémas explicatifs de portée
purement mandeng et nous avons dft admettre plus d'une fois des présupposés
académiques qu'une meilleure saisie des réalités de la société étudiée aurait
certainement permis de réfuter.
Cette étude, de portée limitée, se veut, avant tout, un outil
de travail pour la compréhension scientifique de nQmbreux faits sociaux de
la société mandeng qui sont demeurés jusqU'ici non expliqués. Elle est

~ II I "':'
également une première approche d'une sociologie historique de la société
et du droit mandeng. Son ambition est de retenir en quelque sorte le temps
qui passe et plus encore le temps qui s'efface, afin de donner à voir les
objets d'hier, de retrouver le sens àe leurs configurations perdues, bref
de rendre à la société sa raémoire, son identité que les accu ltur ations
successives (islamique et coloniale) ont tenté d'étouffer.
----------_.-
------~._--_. ---
Fruit d'une première approche d'ensemble de la société malinké-bambara,
cette étude de synthèse se veut une étape, un point de départ qui doit
être poursuivi.
- - - - ~ - - ~ - - - - - -
-
- - - - - - - - - - - -
1
t

IV -
Note concernant le mode de transcription du mandeng
Le
mandeng est transcrit conformément au décret 8S-pC du 26 mai
r967 relatif à la transcription des langues nationales (mandeng, peul, songhay,
tamashey)
(1).
L'alphabet officiel qui permet d'orthographier tous les mots de
chacune des langues nationales est le suivant
a, b, d , j, e , è, f, g, h, i, k , l, m, n, ny, y, 0, à, p, z , s ,
sh, t, c, u, w, y, z.
1
~ornme
La majorité de ces lettres se prononce~n français ; mais certaine~
ont une prononciation différente:
tel est le cas pour le son mandeng j de
j amu (nom, devise), qui correspond au s on
anglais
du
prénom
James,
il en est
de même du son c de cé (homme) qui se lit comme le tch dans le
mot français match.
Signalons également qu'en plus des lettres de l'alphabet, il
existe des voyelles longues et des voyelles nasales, dont voici des exemples
Voyelles longues
Voyelles nasales
aa
baara
travai 1
an
caman
beaucoup
ee
yeelen
lumière
en
den
enfant
~
ee
bée
tout
èn
cèncèn
sable
fi
cii
trait
in
fin
noir
00
kooro
iguane
on
don
jour
uu
luulu
diamant
~
on
nonkon
coin, coude
00
wooro
six
un
Kurun
pirogue
Notons enfin qu'à quelques exceptions près (signes,graphiques), la
transcription adoptée ici reste fidèle à l'alphabet officiel.
1) Ce décret fait suite aux recommandations du groupe d'experts de l'UNESCO
réuni à ·Bamako, du 28 févrièr au 5 mars I966 en vue d'élaborer et d'uni-
fier les alphabets pour les grandes langues de l'Afrique occidentale.

....J.4 al
"0
~
e
"""'
c:
::l
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co
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- VI -
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS
l - V
INTRODUCTION
1. PRESENTATION DE LA SOCIETE MANDENG DANS SON CONTEXTE
GEOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE.
A. Les hommes et la société
B. Situation géographique des populations mandeng
2
C. Les données historiques
4
a) Les royaumes du Do et du Kri
7
b) L'épopée mandeng du XIIIe siècle
9
c) L'émergence des Bambara au XVIIe siècle
12
d) Samari Turé ou le Renouveau mandeng
17
'1. DEFINITION DU SUJET ET CONSTITUTION DE LA PROBLEMATIQUE
24
1° Essai de définition
25
2° Régulation sociale - et contrôle social
30
A. Problè~~s de sources
31
a) Les écrits
32
b) Les vestiges archéologiques
34
c) La tradition orale
35
B. Les méthodes d'investigation et de restitution
40
a) L'accès aux informations
40
b) Le choix des méthodes d'investigation
43
l} Avantages et inconvénients des deux méthodes
44
d'investigation
2) L'interprétation des données recueillies
45
c) Les modes de restitution des données
47

- VII -
C. Méthodes d'analyse
48
D. Hypothèses
52
a) de l'institution de la norme
53
b) de la déviance
54
PREMIERE PARTIE
SYMBOLISME ET SOCIETE
56
CHAPITRE 1
LES CADRES SOCIAUX DE LA REGULATION SOCIALE
57
SECTION I - LA COMMUNAUTE FAMILIALE : PREMIERE FORME DE PARENTE
58
A- La parenté comme système de solidarité
59
a) Aperçu de l'organisation familiale
59
b) Le lu comme unité de production et de consommation
60
B- PRINCIPES ET CHAMP DE L'AUTORITE
61
a) Le symbole de l'autorité
61
b) Les relations internes au lu
63
c) Le conseil de famille: gwa ladyé
ss
SECTION II - LA COMMUNAUTE RESIDENTIELLE
67
A- LA COMMUNAUTE VILLAGEOISE
67
a) L'organisation politique villageoise
69
b) Les groupements d'âge
71
B- LA COMMUNAUTE TERRITORIALE
74
a) Organisation du kafo
75
b) Le conseil des anciens
76
c) Les groupements politico-religieux
77

- qII -
CHAPITRE II
LES IMAGINAIRES SOCIAUX
COSMOGONIES ET COSMOLOGIES COMME
78
THEORIES DE SOCIETE
SECTION - INSTITUTION DE L'IMAGINAIRE SOCIAL DANS LES
79
INTERROGATIONS DE L'ETHNOLOGIE
A- Des théories aux enquêtes de terrain
81
a) Les thèses classiques
82
b) Les thèses contemporaines
88
1°) Pensée sauvage et analyse structurale
90
2°) L1analyse structurale des mythes
90
3°) L1anthropologie dynamique
93
4°) Nouvelle lecture épistémologique des sociétés dites
96
primitives ou sauvages
SECTION II - COSMOGONIES ET COSMOLOGIES MANDENG
107
A- Les mythes de la création ou IIDali folo folo ll
110
B- La nature des mythes
116
a) Les modes d1action des mythes
120
10)Le mythe, univers sémantique plurisignifiant
121
2°)Le mythe, système dynamique de signes
124
b) Les significations des mythes
125
10}L1institution sociale et le symbolisme
126
2°)Le sacrifice créateur et libérateur
134
3°)Quelques applications du modèle des mythes
136
c) Rôle des mythes
140
10)L'imaginaire comme système de références historiques
142
et sociales
2°)L 'imaginaire comme système de croyance
144

- IX -
CHAP ITRE II 1
RELIGION ET UNIVERS SOCIAL
147
SECTIONI - EVALUATION CRITIQUE DES RECHERCHES SUR LE
150
CHAMP SYMBOLIQUE
A- Généralités
150
B- Les africanistes et l'étude du champ religieux
154
a) Mythes et religion
154
b) La rel igion et l'ordre social
157
c) La religion et la remise en cause de
158
1'ordre soci al
d) La religion comme langage et code exprimant
160
le rapport: individu - société et culture
SECTION II - LES ASPECTS FONDAMENTAUX DE LA DIMENSION SOCIO-
163
RELIGIEUSE CHEZ LES MANDENG
A- Les rapports entre la société et le cosmos
167
B- Le culte des ancêtres ou Faa su son
172
C- Les institutions initiatiques : Joo-baw
178
a) La chaine initiatique
179
b) La dynamique globale des Joow
181
CHAPITRE IV
LE SYSTEME INITIATIQUE COMME MODELE DE PRODUCTION ET DE REPRODUCTION
184
DES VALEURS
SECTION 1 - PROBLEMATIQUE DE L'INITIATION
185
A- Les difficultés d'approche
185

- x -
B- L'initiation comme système de connaissance
188
C- L'initiation comme système idéologique
192
SECTION II - LE PROCESSUS D'INTEGRATION SOCIALE
197
A- La pédagogie collective
197
a) Les aspects de l'intégration sociale
198
b) Les étapes de l'intégration sociale
200
1°) Les éducateurs tradioonels de base
201
2°) Le relais communautaire
203
B- La pédagogie rituelle
206
a) L'intégration rituelle
207
b) L'enseignement initiatique
213
c) L'idéologie de la "Société initiatique"
220
1) L'initiation comme moyen d'emprise sociale
221
2) L'initiation comme système de maintenance de l'ordre
225
établi
CHAPITRE V
STRATIfICATION SOCIALE ET IDEOLOGIE INITIATIQUE
229
SECTION l - MODELE INDIEN Er MODELE MANDENG :
229
DEUX FORMES DE STRATIFICATION SOCIALE
A- Système des castes et idéologie des
230
brahmanes aux Indes
a) Analyse structurale de la société hindoue
231
b) Point de vue de l'anthropologie marxiste
233

- XI -
B- Cosmologies et représentations idéologiques
239
mandeng
a) Les fondements mythiques de la segmentation
239
sociale
b) Les techniques et leurs représentations:
245
fondement des croyances relatives à la Nyamaka1a-ya
c) Système des ordres chez les ~andeng
248
1) Relative souplesse des alliances matrimoniales
249
2) Moindre importance du facteur socio-re1igieux
250
chez les populations mandeng
3) La gradation statutaire
251
SECTION II - LA SANANKUNYA COMME MODELE DE COMPLEMENTARITE
256
SOCIOLOGIQUE
A- Fondement cosma-sociologique de la Sanankunya
'256
B- Symbolisation et dynamique des rapports sociaux
261
a) Symbolisation des rapports sociaux
265
b) La dynamique des rapports sociaux
269
c) Complémentarité fonctionnelle et prohibition
276
des alliances
SECTION III
DYNAMIQUE SOCIALE
286
A- Les nyamaka1a
288
B- L'institution de la captivité ou jonya
292
a) Guerre et captivité
292
b) Facteurs constitutifs de la jonya
294
c) Représentation idéologique du jon
295

- XII -
C- Problématique du pouvoir chez les Mandeng
300
a) Le Mansa : arbitre et souverain
303
b) La faamaya ou l'ordre du faama
305
DEUXIEME PARTIE
ASPECTS SOCIAUX JURIDIQUES DU
309
CONTROLE SOCIAL
CHAPITRE VI
ORDRE SYMBOLIQUE ET SYSTEME JURIDIQUE
310
LES PHENOMENES D'INTERNORMATIVITE DANS LA
REGULATION SOCIALE
SECTION l - LE CHAMP SBMANTIQUE DU SIRA ET LA NOTION DE NYAMA
312
A- LA NOTION DE SIRA
312
a) La notion de Droit chez les Malinké et les
312
Bambara
b) Le nyuman comme fondement des valeurs
314
B- LA NOTION DE NYAMA
320
a) Généralités
320
b) Fonction régulatrice du Nyama
322
SECTION II - SYSTEME JURIDIQUE ET REGULATION SOCIALE
330
A- Le -Droit comme moyen de contrôle des actes
333
susceptibles de menacer le pdjet de société
B - Dynamique du Droit
341
C- Mo&ilité des frontières internormatives
351

- XII l -
CHAPITRE VI l
LES MODES DE RESOLUTION DES CONFLITS
359
SECTION l - DES CAUSES DE CONFLITS
359
A- PRINCIPE D'ATTRIBUTION FONCTIONNELLE DES STATUTS
360
B - DE LA CONFRONTATION DES STATUTS
362
SECTION II - LES MODALITES DE REGLEMENT DES CONFLITS
368
A- PROCEDURE DE CONCILIATION ET MEDIATION
369
DES CONFL rrs
B- PROCEDURES CONTENTIEUSES
371
C- LES MODES DE PREUVE DANS L'ACTION
376
JUDICIAIRE CHEZ LES MANDENG
a) Le contexte
376
b) L'importance du rôle de la preuve dans
377
l'action judiciaire
1) le témoignage:séré-ya
378
2) Le serment : sinyé
379
3) les ordalies
379
CHAPITRE VI l l
382
LOI ~T COUTUME: OU L'ETAT CONTRE LA SOCIETE
SECTION l - LE MODELE JURIDIQUE OCCIDENTAL EN AFRIQUE NOIRE
385
FRANCOPHONE : LES FAITS ET LES CIRCONSTANCES HISTORIQUES

- XIV -
A- L'ordre public colonial
389
8- Conflits entre l 'ordre juridique français
393
et les droits traditionnels
C- Mutations socio-juridiques intervenues dans
398
l'ordre traditionnel des sociétés africaines
a) La crise de conjoncture
401
b) La crise de structure
402
1°) La destructuration des pouvoirs politiques traditionnels
403
2°) L'ordre économique colonial
406
SECTION II - LES NOUVELLES LEGISLATIONS AFRICAINES
410
A- Fondements politique et économique des droits
412
du développement
a) LeS principales réformes
414
~) Significations et conséquences des réformes
415
8- Droit de développement et pouvoir politique
422
SECTION III - L'ENDOGENEITE DU DEVELOPPEMENT ET LES PERSPECTIVES
429
D'UNE NOUVELLE APPROCHE DES DROITS AFRICAINS
A- Les incidences contemporaines du transfert du modèle
430
juridique occidental dans les Etats d'Afrique Noire
a) L'alternative du transfert
430
b) Les ambiguïtés du transfert
435
8- Les conditions d'une endogénéïté du développement
436
a) Les voies pour une endogénéïté du développement
437
b) Pour une prise en compte des réalités traditionnelles
440
africaines
CONCLUSIONS
444
BIBLIOG!APHIE
454

- 1 -
INTRODUCTION
l - PRESENTATION DE LA SOCIETE MANDE.NG DANS SO~ CONTEXTE GEOGRAPHIQUE
ET HISTORIQUE
A - Les hommes et la société
Les Bambara et les Malinké sont les deux principaux représentants
du groupe linguistique appelé Mandeng par les ~thno-linguistes (1).
L'aire culturelle des Mandeng est l'une des plus vastes de
l'Afrique occidentale. En effet,
Bambara et Malinké constituent la majorité
numérique aU Mali. Dans les pays limitrophes, les Mandeng forment d'impor-
tants groupes homogènes : c'est le caS des Malinké en République de GUinée
il existe également des minorités très importantes dans les autres Etats
~omme la Guinée Bissau, le sénégal, la Gambie, la Côte d'Ivoire, la Haute-
Volta et la Sierra Leone.
On rattache égalanent au groupe Mandeng des populations voisines
comme les soninké ou Marka, les Bobo, les Mianka. Si les unes et les autres
ont une certaine parenté linguistique due très certainement à l'influence
culturelle des Mandeng, cette parenté, toutefois, est sans grande portée
pratique. En effet, pa~i les groupes classés Mandeng, les possibilités de
communication directe n'existent en fait que pour quelques-uns d'entre eux
-Les
Bambara, les Jula, les Malinké, les Xasonké, les Wassulunké et les
Jaxanké.
(1) Il convient de préciser que le t erme "mandeng" est une création de
l'~inistration coloniale Française. De même que Bambara et Malinké sont
la déformation de Bamanan et de Mandenka ou Maninka (habitant de la région
_ du KJln~te~ T~'!t__ p_~r_~~_ àc_ro!!,e également que le vocable" Bamaman" lui-
même serait lié au phénomêne
d'islamisation~

2 -
Les populations mandeng, malgré des différenciations dues aux
processus historiques de leurs fonctions possèdent une profonde cohésion
qui tient notamment à la concentration au sein d'une aire déterminée de
nomb~eux groupes ayant un passé culturel commun.
C'est ainsi que les Xasonké et les Wassulunké sont le produit du
métissage culturel entre populations mandeng (Bambara et Malinké) avec des
pasteurs Pula ou Peuls. De même que les Jaxanké et les Maninka-Mori de la
République de Guinée sont des soninké "mandinnisés" vers le XVIo et le
À'VIIQ siècle.
Dans cette étude,
les ~andeng qui retiendront notre attention
sont
précisément ceux de la Vallée du Niger. en République du Mali,
pays ~ense de 1 240 710 km2 (1)
entre les étendues désertiques
du Sahara et
la grande forêt tropicale.
B - Situation géographique des populations mandeng
Les populations mandeng du Mali occupent les régions que tra-
versent deux grands fleuves:
le sénégal et le Joliba (Niger) (2).
Le premier provient de la réunion de trois rivières
àBa~oul~
le Baoulé,_le Bakoy et le »a€ing.
Ces rivières
f~ayent des passages
----- S-ud"'"1'iord- -
dans le plateau - mandeng
avant
d'être déviées à l'arrivée
au Kaarta
vers l'ouest et vers l'OCéan Atlantique
(0 Source: Grand Atlas de l'Afrique. Edition Jeune Afrique 1973
(2) Pour être ;,;lus précis, disons que les
populations mandeng peuplent le
centre-ouest et le sud-ouest (-BElnbara, Malindé, Wassulunké) l'OUest et le
Nord-ouest ~Xasonké, Malinké).

-
3 -
Le Joliba, sur les rives duquel confluent tant d'ethnies, est
de loin le fleuve
le plus important de l'ouest africaiR4 Il parco~~t :le Mali
sur plus de 1 600 km. Prenant Sa source dans le Futa Ja110n (République de Gui-
née) il traverse en pays malinké les anciens terrains du bassin de Siguiri en
longeant le plateau mandeng dont il reçoit de courts affluents. Un peu en
aval de Bamako, il franc-lit les grès par les rapides de Sotuba et de Kénié
et parvient à Ku1ikoro dans une large plaine qu'il suit sur plus de 300 km
jusqu'à _Jdfarabé. A Markala, près de Ségu, en pays bambara,où se trouve
l'ancien l i t , aujourù'hu± devenu delta mort que l'Off1~ du Niger
a
entrepris de ré9énérer.
Poursuivant son cours au-delà des pays manderig,
le Joliba reçoit
à Mopti son plus gros affluent,le Bani, puis ses différents bras se réunissent
une première fois pour former le grand Lac Oêbo (250 km2); en Se séparant
à nouveau il forme en pays Songh~ deux principaux r ameaux c le Bara Issa et
l' IsSa Berry. A la hauteur de Tumbuktu enfin, toutes les eaux se réunissent
à nouveau et forment toute une série. de méandres, lal~~~_apparaître de petite:
fles. Ce mouvement qui, de Mopti à Ansogo, a renyersé le sens de la marche du
Jo1iba, a donné naissance à ce qu'on appelle la Boucle du Niger.
Région de contact entre
éleveurs nomades des zones sÇ!,haJ;'i~ne
et sahélienne et agriculteurs sédentaires, entre civilisations ~~-~Qères
e.t ci.vi:J.i.~tions tlégro-:-a.frlcainesparrefour des migrations de peuples venus
du Nord et de l'Est, la Boucle du Niger est le-véritable relais obligé des
relations commerciales nouées dès une haute époque entre l'Afrique ~~harienne

- 4 -
et maghrébine d'une part, l'Afrique soudanaise et guinéenne de l'autre.
C'est dire que le Mali est constitué ~'~Be extrême bigarrure ethnique.
Le Joliba dont les rives sont parsemées de nombreux lieux de
cultes appelés Faro Cini "ou mares de Faro" retiendra nGtre propos.
-- --,;a- llttêraturë--oiâle- traditionnelle -â-tIDriiortaiise-- I~es-·bienfait-s-et- les inéf~j~ts
de ce grand fleuve considéré comme le lieu où se sont déroulés les événements
mythiques les plus significatifs du monde mandeng.
Véritable mère nourricière, le Joliba a été sanctifié et érigé en divinité
en la personne de Faro1hypo~tase de l'Etre Suprême Maatigi, Massa dan bali
dont il symbolise et matérialise l'existence.I;lans les faits, hormis l'empire
du,Ghafia
dont la genèse r~ste à retrouver, tous les empires et royaumes qui
ont marqué ~'h~stoire des Mandeng_ et des autres ethnies de la réqion ont été
édifiés-sur l:+une des-rives- du Jbltba.
c - Les données historiques
Toutes les traditions locales S'accordent pour faire du Mandël, le
berceau de la civilisation mandèng. Mais l'~istoire des Malinké et des
Bambara fait partie intégrante d'une histoire globale, celle du Soudan
central et occidental qui fut une des régions du continent au passé presti-
gieux.
Dans cette partie de l'Afrique où s'opère le contact de deux
civilisations : le monde noir des cultivateurs s edenrtaf r'es et le monde
arabo-berbère des éleveurs nomades, les hommes en unifiant leurs efforts,
1

5
LE t-'ArmEN
PR6COLONIAL
r-c uo r u
ri"':; ~("lnt:1 Hfl.r,tli.".;:--.l.~""
~~7~~;~=l~~ç~r~v~?~l;~to:r~ rte :O'.InJi;lt."\\
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le
-KkI'..4I.-·L
- '
NO'Uf\\inutou.
P:.~r i-r.oron i
CARTE DU PAYS MANDEN
(source Fondation SCOA pour la recherche scientifique
en Afrique noire: tome l - Empire du Mali).

- 6 -
ont réussi à édifier des Etats bien strucutés qui brillèrent de tout leur
éclat plusieurs siècles durant. Ce sont les empires du Ghana ou Wagadu
(IVe au XIe s) avec les soninké,
l'empire du Mali avec les Mandeng (XIIIe
au XVIe s et l'empire de Gao avec les songhay (XVe aU XVIe siècle).
L'histoire proprement dite des populations mandeng telle qu'elle
ressort de la tradition orale se présente de la manière suivante:
- une première
époque
concerne l'origine mythique de la
.nation Mandeng et la formation de ses deux branches représentées par les
Bambara et les Malinké.
- - - - - - - - -
- - - - - - - - - . ~-~-.:;- la-seconde époque ,l.lée~â-l'histoirede-1';-' domination soninké,
e~t celle gui va de l'instauration des royaumes du Do et du Kr!
à
l'hégémonie du Ghana (Wagadu).
------.-- - - - - - -
-
- - . -
- - - - - - - . - - - - ---~
_ la trois ième fpoque
commence avec la conquête du Manden . par
Sumaworo Kanté roi du Sosso
à
la naissance d~ l'empire du Mali sous le
règne de SUnjata Keita (1230-1255).
-
la quatrième époque concerne l'émergence de l'Etat bambara
de Ségu au XVIIosiècle, après la chute de l'empire de GaO sous les coups des
mercenaires marocains (1591).
- enfin, la dernière
é~e
. .
est c.elle.
du pouvoir JYla de Sam~ri. Touré aU XIXe siècle
avant l'intervention des
puissances coloniales européennes.
Passonp
rapidement en revue ces temps forts,-à l'exception de
---Pépoquemythique étudiée en détail -dans la première partie de ce
travaî.l.

- 7 -
a) Les rOyaumes du Do et du Kri
Les pay~ du Do et du Kri
sont mentionnés pour la
.'?remière fois
par
écrit
dans
L'ouvrage
d'El
Békri (1067-1068). L'auteur souligne que les habitants sont à plus
de huit journées de marche de la capitale du ~ qu'il a visitée(1).
1S
Pour la tradition, Kri serait antériéur à ~. Il est, à ce titre,
considéré comme le berceau malinké-bambara (2). CQntréeparticu1ièrement
montagneuse, K!:i aurait pour limites :
"
à l'Est : les falaises des monts mand eng'
qui, du co nf Luarn
du Tidtisso aUx rapides de Sutadunu près de ~ako, surplombent la vallée
du fleuve Jo1iba
es
- au Nord, la chatne des collines qui, de Bamako à Kayes jalonnen
la voie de chemin de fer Dakar-Niger
- à l'OUest, les falaises de Tambawura qui tombent à pic sur la
vallée aurif~re
de la Falémé ;
- au sud,
les gorges profondes du lit du Tinkisso" (3).
Pays des buffles, des éléphants, des antilopes et d~ nombreus~
faune,
Kri est aussi le pays de l'or (s-anu), des pierres précieuses
coume le diamant (.ruulu).
(1) EL ~I : 1965, p. 333. Avertissement: Dans les notes suivantes, les
références bibliographiques sont, selon les nouvelles conventions acadéni-
ques, réduites aux éléments essentiels de signification. Pour une~érence
complète, on Se reportera à la bibliographie en fin de volume où les indi-
cations sont introduites par ordre&phabétique auteur, puis par année de
publication.
(2) NOlis résumons ici les récits recuei 11is lors des deux
enqu~tes effec-
tuées aU Mandeng en 1974 et 1976 dans les villages de :
Balazan, Kabaa,
Krina, aEeyla., Dankasa, Banan Koro, Tombola, Diou1a-fundou, Tégé, Kiénégé,
Tombala(Sombo. Pour plus de détails, on peut consulter : Leynaud et cissé
(1978)
(3) LEYNAUO-CISSE : 1978, p. 24

- 8 -
Nous ne savons pas grand'chose de l'organisation politique et
économique du rOyaume de Kri. Nous Savons toutefois qu'il comptait le
Bambuku et le Buré.
Selon les récits, il subsiste peu de chose de Kri. Nous trouvons
dans les
onts Mandeng que lques bourgs que l'on suppos e être les restes du
berceau antique. Il s'agit de Nyagassola, Mourugula, nokoro, Oaka jalan
(village natal de sunjata, fondateur de l'empire du Mali).
C'est de Kri, s emble-t-i l, que sont partis les mouvements de
migration
et de colonisation des nouvelles terres comprises entre les fleuves
Joliba et Bani. Les fondatims les plus connues et qui subsis tent encore,
sont les villages de ~rlkoni, de MaSsala, derSama, Farako, Kara etc.
-
-
_ _
0
CoU
C'est probablement l'extension de~nouvelles colonies de peuple-
ment qui donnera
naissance plus tard au pays de Do, dont les vastes plaines
fertiles à végétation luxuriante contrastent avec l'antique Kri montagneux.
Les renseignements dont nous disposons actuellement concernant
ces deux fondations originelles des Mandeng sont fragmentaires et parfois
contradictoires, ce qui rend leur ,,\\loti lisation diffici le. Mais tout porte à
croire, grâce à de nombreux recoupements, que les deux royaumes antiques
existaient à l'époque de l'empire du Ghana, lequel,-entre le vrro et le XIO
sièeles, recouvrait sans aoute plusieurs formations politiques situées
en-ool'dure du Sahèl de _l' 1J:lantique à la- boucle du Niger.

- 9 -
b) L'épopée mandeng du XIIIe siècle (1)
Le second âge de l'histoire des Mandeng commence avec Sunjata
~eyi~~ vainqueur du roi de Sosso (2)
Sumaworo Kanté
qui, après les armées
ahnoravides, aurait porté le coup décisif à ce qui restait de l'ancien Gh~na
ou Wagadu.
Les sources écrites arabes pourtant si prolixes sur les généalo-
gies et les pélerinages des souverains mandeng, De nous renseignent guère sur
le fondateur de l'empire du Mali qui vécut probablanent vers la fin du XIIe
siècle.
Dans les récits traditionnels, SunjataKeyit_a, héros semi-légen-
daire est présenté comme celui qui a mis fin à l'hégémonie du puissant roi
SUmaworo Kanté. Son personnage domine toute la phase médiévale de l'histoire
des Mandeng.
La geste
de sunjata constitue l'un des éléments fonda-
mentaux du patrimoine culturel des Mandeng. L'oeuvre du fondateur de l'empire
du Mali, véritable corpus des traditions du moyen-Age mandeng est présentée
cODlDe une "charte sociale". rl s'agit d'un ensemble de traditions homogènes,
cOlllDUnes aU groupeKeyita Mansaren et à leurs principaUX alliés Traoré (3),
Koné, Kamara. La faible importance des variantes est d'autant plus remarquable,
que le corpus ne possède pas une forme rigide, ce qui explique que tout
(1) Concernant l'épopée mandeng, on peut consulter l'ouvrage de Tamsir Niane
(1960) ; les récits de Waa Kamissoko qui ont été traduits et annotés par
Youssouf Cissé (1975) et (1977)
(2) Le Sosso est une région du Mali située à 240 km environ de la capitale
Bamalto
(3) Précisons que Traoré est la prononciation franCjaise de Tarawélé.

- rD -
14
spécialiste de l'art oratoire, le Jéli plus particulièrement, peut, à partir
de ce fon~commun, mettre en relief l'histoire partièulière de tel ou tel
autre groupe social (1).
Dans le pays malinké, la permanence du souvenir de Sunjata est
entretenue par les traditionalistes Jabaté de "l'école de Keyla", dont la
mission cor~iste à (faire) pérenniser les hauts faits mandeng. Traditiona-
listes
attitrés des Keyita; les Jabaté (2), sont également chargés de la
reconfection de la to iture du sanctuaire du Kama-bo lon qui symbo lise l'entrée
des Mandeng dans l'histoire universelle (3).
Les données principales du corpus sont les suivantes
1) La genèse du Manden, des origines à sunj ata .
2) La geste proprement dite du fondateur de l'empire,le Fasa de
Sunjata et ses principaux généraux, notamment Tiramakan TUmw~lé, Fakoli Koroma
ou Dumbya, Faran Kamara etc •••
3) plusieurs chants épiques qui constituent la grande musique
mandeng te ls qu e : J anj on,
B:> 10 ba, Duga" Ku lanj an 1 (,(,t ~ ""
4) La constitution politique et sociale de l'empire
comprenant
la liste des principaux groupes sociaux, leurs r6les et fonctions,
(1) Signalons une strophe ou article de cette constitution, qui exprime à
elle seule la pensée politique de son auteur présumé SUnjata :
"~e ceux qui font la guerre f as s e-ne l~ guerre
~e ceux qui font le commerce fassent le c~rce~ ,
"
QUe ceux qui pratiquent l'agriculture pratIquent L agr2culture.
Si tout cela se faisait,
Le Manden
serait "agréable" (il fera bon
y vivre)
Et le Manden
serait prospère".
(2) A noter qu'au temps de Sunj atal les biographes das Keyi..ta"""étaient les
traditionalistes Kuyaté.
(3) Pour les cérémonies septennales du Kama-blon, lire l'article de Meillassou~
(1968) •


, - Il -
Parmi les successeurs de Sunjata, citons les plus célèbres
Mansa Culé (1255 - 1270) qui consolida et étendit l'empire
Aboubakar
,
(1270 - 1285), Sankura, le captif affranchi qui usurpa le pouvoir (1285 - 1300)
(1). 'Mais le plus prestigieux des souverains manderig , après Sunjata, est sans
aUCun doute Mansa Moussa dit ~K~a~n~k~~M~o~u~s~s~a(1307 - 1322) dont le fastueux
pélerinage à la Mecque est resté célèbre ~ la suite de la distribution
considérable d'or qu'tl fit au caire (2).
Enfin, il convient de souligner que ces successeurs se livrèrent
à des querelles généalogiques ou Faden-ya qui précipitèrent le déclin de
l'empire. Les Mossi pillèrent Tumbuktu sous le règne de Maghan (1322 - 1336),
les TWareg s'emparèrent de la m~e ville en 1435, Walata tomba entre les mains
des Mossi en 1480.
L'hégémonie mandeng prit fin en 1468 quand Soni Ali Ber établit
la domination des song~~y sur l'aire culturelle à dominance mandeng. Le Mali
revint alors à s es frontières naturelles.
L' histoire po litique, économique et sociale de l'empire du Mali
reste à faire. Les différentes sources écrites et orales actuellement dispo-
nibles constituent des matériaux d'une grande richesse rendant possible, à
moyen terme, de faire renattre dans s es grandes lignes un
passé prestigieux
qui a fortement imprégné les institutions sociales et les hommes du Mali
actuel.
(1) Pour la chronologie des Mansa, on peut consulter les travaux de Charles
MONtEIL (1929) et du Professeur MAUNY (1961). Il s'agit bien entendu d'une
chronologie établie d'après les sources arabes. Car la· tradition,
orale.
ignore la plupart des noms que les auteurs arabes ont attribué aux anciens
souverains du Mal~.
r
(V Selon les ci\\t'~niqueurs de l'époque, la qUantité de mét~l j aune libérée
sur. la place du Ca1re, fit baisser le cours pendant plus1eurs années.

- 12 -
c) L'émergence des Bambara aU XVIIe siècle
APrès la disparition tragique de l'empire songhay, en 1591, sous
les mousquets des mercenaires à la so ide du Roi du Maroc, une période d' anar-
chie s'installa. "Tout change à ce moment: le danger fit place à la sécurité,
la misère à l'opulence, le trouble, les calamités et la violence succédèrent
à la t r anqu i llité. Partœ t les gens s' ent re-dévoraient ••• Le désordre fut
général, ils e répandit partout, s'élevant au p lus haut degré d 'i ntens it é" (1)
Le vide politique qui suivit la dislocation de l'empire du
songhay dura environ un demi-siècle avec son cortège d'aventuriers assoiffés
par le caractère lucratif de la traite des esclaves. C'est dans un tel
contexte d'anarchie et de vio lence généralis ée que les activit és mi li taires
incontr61ées vont prendre une dimens ion jamais égalée dans 1 'histoire des
peuples de cette aire culturelle
l'introduction des armes à feu
permit aUx détenteurs des moyens offensifs, les Ton-tigi, les Kélé-tigi, de
devenir des personnages de premier plan.
Dans cet état de convulsion permanente, les tentatives de regrou-
pement en vue de fonder de nouvelles institutions politiques ne manqueront pas
Selon l'auteur du Tarikh Es Soudan, dès 1645
les Bambara se sont
soulevés contre l'autorité chancelante du Sana-Kot et du tarko-Kot, et
" ••• dans ce mouvement de rebellion, ils décidèrent d'aller les combattre
ma
(1) ES-SADI: 1964, p. 233

- 13 -
Dieu-le-Très-Haut par sa Puissance et sa Force, calma le feu de cette
sédition. Toutefois, il le calma sans l'éteindre complètement ••• " Car,
précise l'auteur, au mois.de mars de la même année, les nouvelles de Jenné
font état du siège de Chilla.et de.sa destruction par les Bambara "pierre
par pie~ et de la fuit~ de Sana-KoI. "Peu après, ils agirent de même vis-
à-vis du Farko-KoI de f açon p.us vive encore" (1).
Ces séries d'actions annoncent l'émergence du royaume bambara de
Ségu qui, dans la Boucle du Niger, tentera de remplir le vide politique
laissé par l'écroulement de l'Empire Songha!. Selon diverses sources,
l'artisan le plus célèbre de la puissance bambara naissante fut Kalandian
Kulubaly (1652-1682). Ce chef de guerre ou Kélé-tigi, devenu souverain
(Faarna), assura la suprématie des Bambara en mettant en place les structures
du futur Etat de Ségu. Ses successeurs immédiats seront sans grande envergure.
Et c'est qu'en 1715 que surgira la figure de celui qui sera considéré comme
étant le véritable fondateur du royaume de Ségu : Mamari dit Biton Kul~baly
Avec le mouvement des Ton-jon institué par Biton, la domination
bambara s'étendit du Toron (sud~estde la Guinée) au Bendugu (région de San),
du Kala (cercle de Ségu) .au Bélédugu. Vers 1750, les Ton-jon .détruisirent
la capitale du Mali (Nyani), l'Etat de Ségu annexa ce qui restait de l'Empire
fondé par Sunjata.
Parallèlement, le royaume bambara des Massasi~lubaly, de Kaarta
(1) E.S. SADI 1964, p. 418

- 14 -
rival de Ségu, s'agrandit aux dépens du~, du Bakunu, du Bélédugu et de
Kita.
c'est avec Ngolo
Jara z un affranchi qui usurpa le pouvoir -de la
dynastie Kulubaly, que Ségu connut l'apogée. Il étendit l'Empire Bambara au-
delà de Tumbuktu, ravagea le pays Mossi par représailles pour des sévices
perpétrés par le Yatenga Naba contre un corps expéditionnaire envoyé à
lappel de son prédécesseur.
Parnd les successeurs de Ngolo, citons son fils Daa
Jara qui
étendit l'hégémonie bambara jusqu'aux rndnes d'or du Buré et sa suzeraineté
sur Kankan et Kurusa. Mais avec le mouvement politico-religieux d'El Hadj
Umar qui prit son essor
vers 1850 à Dinguiraye, l'Empire Bambara s'effa~a
petit à petit de cette région du Haut-Niger. Bien avant ce mouvement toucou-
leur, la révolution islandque d'Amadu Cheikhu
(1810) avait déjà ouvert une
brèche
dans le dispositif militaire bambara en soustrayant Macina de la
domination de Ségu. Mais ce qui affaiblit le pouvoir bambara, coume celui
des Malinké au temps de l'Empire; furent incontestablement les querelles
dynastiques. Dans le cas de Ségu, il y eut aussi sa rivalité avec Kaarta
sur qu'il exer~a un contrôle à certaines époques. Mais les luttes frat~icides
que se livrèrent les successeurs de Ngolo, les Ngolo-si (descendants de
Ngolo) affaiblirent le pouvoir bambara.
Lorsque monta la vague hrésistible de l'armée d'El Hadj Umar, les
frères ennends de Ségu et du Kaarta se rapprochèrent, mais ce sera trop tard.

- 15 -
Kaarta fut défait, et en 1861, le roi de Ségu fut mis à mort. La domination
toucouleur engloba alors une bonne partie de l'ancien Empire du Mali (1).
La zone soudanienne entre,avec le XIXe siècle, dans une période de
son histoire extrêmement troublée. Du Soudan occidental au Soudan central,
des rives du fleuve Sénégal à la Boucle du Niger, le XIXe siècle fut marqué
par deux interventions extérieures qui provoquèrent,d'abord à distance, puis
directement, des séries de crises dont les conséquences marquèrent profondé-
ment le devenir des populations de cette région.
Ces deux faits sont d'une part le progrès de l'Islam avec la
constitution d'Etats théocratiques comme celui d'Osman dan Fodyo, du Macina,
d'El Hadj Umar, de Samo~ et d'autre part, l'entreprise de conquête coloniale
européenne. Les deux faits se rencontrent const~ent et, à la limite, on peut
dire que leur conjugaison a produit les mêmes effets. En effet, le commerce
atlantique fondé principalement sur la demande de main d'oeuvre servile,
suscita une activité mercantile de dimension jamais égalée dans l'histoire
de cette partie du continent. La possibilité de vendre des milliers d'escla-
ves aux comptoirs européens du littoral n'est pas sans avoir stimulé les
ardeurs conquérantes de certains chefs militaires qui, au nom de l'Islam,
ont ravagé et anéanti de nombreuses régions (2).
(1) En fait, le royaume bambara de Ségu a continué d'exister, mais sans que
le pouvoir central soit exercé dans la capitale. Après la prise de Ségu par
les troupes françaises (6 avril 1890), Archinard remit Mari: Jara sur le
trône. Ce dernier sera exécuté peu de temps après par les Français (29.5.1890)
(2) La traite des esclaves ne fut pas seulement le seul fait des monarchies
se récl~nt de l'Islam; des royaumes tels que Sikasso et d'autres y ont
participé à des degrés divers.

- 16 -
Certes, bien avant la constitution des Etats théocratiques comme
celui d'Osman dan Fodyo, des Toucouleur d ' El Hadj Umar, des Peuls du
Macina avec Cheiku
Ahmadu
et de Samori chez les Mandeng, dès le Moyen-Age
déjà
les classes dirigeantes du Mali et du Songhay étaient islamisées et
entretenaient avec les pays arabes d'étroites relations. Le fait nouveau au
XIXe siècle réside en la tentative, dans de nombreuses régions du Soudan,
d'une conversion d'ensemble des populations, les résistants étant réduits
en captivité.
Ainsi les guerres intestines ou fa,clen-ya Kélé, la
multiplication
des pouvoirs issus des grands empires, les querelles de succession, l'état
d'insécurité perpétuelle entretenu
par les divers pouvoirs locaux, les
interventions des autorités françaises dans la vie politique et économique
des différents royaumes, sont des phénomènes qui sont à l'origine du grand
nombre d' esc laves dans les pays de la Savane (ü.
·N\\vec
l'entrée- du pouvoir toucouleur sur la scène poli tique
du Soudan, les Mandeng Bambara et Malinké ne feront plus l'Histoire, ils
la subiront comme d'autres l'avaient subie du temps de l'hégémonie mandeng.
Ayant perdu le sens de la grandeur, ils en sont revenus au système des
chefferies (Kafu ou Kafo) comme unités politiques maximales. Ces différentes
unités se livrèrent comme par le passé à des guerres intestines, les plus
(1) La conqu~te du Mali ex-Soudan commence e~ fait en 1879 quand Brière de
l'Isle conçutd'envoyer une mission dans les
.tats sous contr6le des Toucou-
leurs. Ce sont les membres de cette délégation: Gallieni, Pietri, Vallièr~,
Toutain et Bayol qui signeront différents traités avec les pouvoirs locaux
pour les mettre sous la tutelle de la France. Les guerres qui sont entreprises
ensuite contre les deux A.gures 9ui symbolisent la résist~nce au Sou~an"à.
savoir JIIladu (Ségu) et Samori (Blssandugu), auront pour pretexte la vl.olatl.on
des accords conclus soit avec eux, soit avec les protégés de la France.

- 17 -
pourvus en moyens offensifs essayant de contrôler les autres. Cette crise
de société. aggravée par l'ébranlement islamique, dont l'épicentre est situé
dans l~mouvements politico-religieux, va secouer toute cette aire géogra-
phique. Elle inspira chez les Mandeng de nouveaux desseins.
En effet, la tentative permanente de regrouper sur les bases de
l'ancien Mali les multiples diversités issues de la dislocation de l'Empire,
a toujours existé. Les Bambara ont tenté l'expérience qui a été, comme on
le sait, étouffée par les conquérants ToucouleulS, La nouvelle dynamique
sociale nattra chez les Malinké du Sud, ceux qui sont à la périphérie des
lieux qui furent jadis le coeur des hauts faits Mandeng. Le maître-d'oeuvre
de cette nouvelle émergence, la figure de ce Nankama, de celui qui est
investi de ce destin singulier, fut Samori lUré.
d ) Samori Turé ou le Renouveau Mandeng (1)
L'époque samorienne a profondément marqué les esprits en raison
précisément de l'ampleur sans précédent des bouleversements qu'elle a intro-
duits dans la société mandeng. L'Empire de Samori a incarné pour les Malinké
-
et les Bambara, le meilleur et le pire. Il ànourri les imaginations, créé
des nostalgies, inspiré des fantasmes de toutes sortes
dans les pays qU'il
a ébranlés, tels que le Manden",le Wassulu, le Banan, le Kénédugu, etc.
Presque partout l'entreprise samorienne a divisé les esprits, semé la haine
entre les partenaires sociaux
dont
des alliances séculaires avaient
scellé lesdestins.Pour comprendre les contradictions qui ont jalonné l'empire
(1) Samori est né vers 1830 à Manyambala-dugu en Haute-Guinée

- 18 -
de Samori, essayons de reconstituer brièvement sa genèse, son développement
et sa fin.
L'Etat de Samori a pris souche d'abord à la périphérie des régions
qui furent le théâtre de faits qui ont marqué le Moyen-Age mandeng. Mais il
trouva très vite son expression réelle dans les régions même de l'ancien Mali.
L'accession de Samori au pouvoir n'est pas le fruit d'un hasard.
Ele procède de l'incapacité des pouvoirs institués à résoudre les graves
problèmes politiques, économiques et sociaux qui se sont posés avec une
ampleur inouie à toutes les sociétés de la zone sahélo-soudanienne au XIXe
siècle. Certes, rien ne laissait présager qu'il s'imposerait en si peu de
temps. Son génie lui permit de préparer le tenain et d'exploiter les erreurs
de ses rivaux et des pouvoirs en place. En effet, dans l'équilibre instable
des pouvoirs constitués, il lui fallut ébaucher le procès de concentration
des guerriers par lequel le Fanga (pouvoir) se constitue sans éveiller
immédiatement la méfiance. Nous savons qu'avant de devenir souverain (F~),
il fut d'abord un Kélé-tigi (chef de guerre) ; à ce titre, il fljt
en rapport avec une masse d'individus en rupture de société.
Le mouvenent prit même à une certaine époque das aspects d'éman-
cipation des catégories opprimées ; il était constitué essentiellement de
captifs fuyards et de jeunes désirant se soustraire de l'emprise des caté-
gories dominantes (famille, chefferie) afin de se réaliser autrement. Le
butin des campagnes aidant, le mouvement prit de l'ampleur avec le recrutement
de jeUneS' de. plus en p'l.us- nomb-reux. A la suite de Ses mu'l.t.Lp'l.es
victoires,
"5,am,.9:r:;i s'adjuge
des titres qui sont à la fois une conservation pour le
passé et un programme pour l'avenir: Kélé-tigi (chef de guerre) d'abord

- 19 -
MUrUtigi (maître du Sabre) et enfin ~ (souverain) (1).
Les années 1875-1881 seront décisives. Il
installa
le siège de
son pouvoir à Bisandugu (1874) à la suite d'éclatantesvictoires,maig'nombreux
rivaux impressionnés par tant de succès, concluaient avec le Faama, des
alliances qui allaient progressivement lui permettre d'élargir le cadre
géographique de son royaume. Puis éliminant tour à tour les alliés
encombrants et les ennemis politiques, Samori inaugura de nouvelles institu-
tions comme les gouvernements militaires (dugukangorosigi) qui lui permirent
d'exercer de manière très efficace son emprise sur tout l'espace situé
entre la Haute-Guinée, le bassin supérieur du Niger et une grande partie du
pays bambara.
Le souverain avait placé initialement son aventure sous le signe
de la défense de son groupe social (les Kamara de son Konyan natal)
resté
fidèle aux croyances ancestrales contre le prosélytisme des musulmans qui
dominaient le Haut-Niger. Mais avec l'élargissement de
ses conquêtes.
i l
crut
consolider
son
empire
en
lui
donnant
liant qui cimenterait toutes les couches sociales autour de la foi islamique.
Conscient des forces centrifuges et centripètes qui organisaient la société
mandeng, il entreprit d'assurer la pérennité de son pouvoir qui était alors
sans racines véritables, en
inscrivant 'son action en dehors des
struc-
à toute forme de pouvoir dont les
limites dépassaient un certain cadre territorial.
(1) KI ZERBO (Joseph) 1974, p. 376

- 20 -
Ainsi, il fut amené à abandonner le titre de Faama. Il prit alors
celui d'Almany pour illustrer la nouvelle orientation qu'il entendait donner
à l'Empire militaire devenu théocratique. De 1884 à 1866, il s'entoura d'un
collège de lettrés musulmans. Sous l'influence de ses conseillers, il décida
d'entreprendre la croisade contre tous ceux qui étaient restés attachés aux
croyances autochtones. Il décréta la conversion générale à l'Islam en procla-
mant celui-ci religion officielle. Les pratiques afféren~ aux croyances
ancestrales fUrent proscrites dans tout l'empire, et le droit musulman, la
Charia,devait remplacer à terme les coutumes. Pour donner l'exemple, il demanda
à ses parents et proches de se convertir à l'Islam (1).
L'islamisation autoritaire des popula-
tions récalcitrantes bouleversa partout le paysage traditionnel. En effet,
dans les zones d'affrontement, les populations furent durement éprouvées
par la destruction des villages, ~
déportations
massives,
les réductions en esclavage. Ces mouvements qui ruinèrent l'économie des
régions dévastées contribuèrent finalement à les vider de leurs forces vives.
Les excès d'une telle politique religieuse conduisirent à un mouve-
ment de résistance qui fut encouragé en sous-main par les
.rançais. Conscient
al ors
des résistances provoquées par!~ outrances de sa politique,ltAlmany amorça
un repli tactique. Il détourna ses objectifs vers Sikasso qu'il considérait
.......---
(1) Selon YVes PERSON (1970, p. 815), Samori aurait décrété inconvenant de
l'appeler pars~ prénom. La peine de mort devait être prononcée contre
quiconctu e qui ne s'adressait pas à lui en employant l~ terme '~' fa "(mon père)
Son père et ses frères se seraient révoltés contre l'1nstaurat1on d'une
te He règ le •

-
21 -
comme un véritable sanctuaire des croyances traditionnelles (1). Il espérait
qu'avec la défaite de Sikasso, toute veilléité de résistance à sa politique
d'islamisation serait écartée et que la victoire consoliderait définitive-
ment la théocratie. Le siège de Sikasso dura de 1887 à 1888. Les efforts
surhumains exigés des populations de l'empire comme effort de guerre devaient
rapidement briser l'asc~nsion fulgurante de l'Almany. En effet, non seulement
Sikasso ne fut pas vaincu, mais le souverain y perdit ses meilleurs hommes
(frères, fils et amis). L~ guerre
ouvrit
dans
l'empire
une
crise générale qui ébranla ses fondements mêmes~ le mouvement appelé
Ban-kélé (refus de guerre) ou Muruti-baa(la grande révolte) s'étendit dans
tout l'empire sauf dans quelques rares régions. (Milo contrôlé par les
~
~amara, la région des Baoulé en pays bambara et quelques secteurs islamisés)
(2) •
Bien que Samori parvînt pour un moment à restaurer
l'empire au prix
d'une répression féroce, la théocratie, cette expérience qu'il voulait
novatrice, détruisit finalement l'image de marque de l'Almany en ruinant
l'oeuvre longuement préparée etglrtielle)Ilent réalisée. l:l revint au systè me
de tolérance, mais rien ne sera plus comme avant. Il sel;~· contraint d' ab an-
donner sous la pression des forces françaises l'aire culturelle étudiée
pour aller fonder un second empire, itinérant, sur des terres situées beau-
coup plus à l'Est où il sera fait prisonnier le 29 septembre 1898. Déporté
au Gabon, l'Almany mourra en 1900.
"
',:..:
" "',' '\\ ',,,
(1) En fait, le Faama de So;i:kà~o, Céb"S' 1ara.wélé. était lui-même musulman et
appartenait à la co~érië'~are de la Tijani-ya. Il fut un allié des
français.'
(2) Concernant ces événements, on peut consulter
. Person (1970),
p. 1047 à 1109

- 22 -
Samori Turé avait tenté de réaliser un mouvement d'ajustement et
d'intégration de la société mandeng,comme ses prédéce~seurs : Sunjata,
Kankou Moussa, Ngolo ~Jara et bien d'autres. Il fit preuve de beaucoup de
génie et son oeuvre se voulait réformatrice, mais le prix payé
-
-Pii_r Les
populations de _son empire fut très élevé. Derriè_re de s g;-a!1de_s
_
figures qui symbolisèrent la résistance africaine face à l'envahisseur,
l'Almany a non seulement marqué son époque, mais il est également entré
dans l'histoire des grands bâtisseurs d'empire, malgré la représentation
négative qu'en donne l'historiographie coloniale.
Telle est brièvement résumée l'histoire précoloniale d'une des
régions du continent africain qui connut "
après
un passé prestigieux,
une régression due à des interventions extérieures alimentant les conflits
internes des peuples qui l'habitaient.
A la fin du XIXe siècle, au début de la colonisation fran~aise,
l~slam connut un certain recul chez les populations mandeng superficielle-
ment converties et nombreux fUrent les groupes qui revinrent aux croyances
ancestrales. Cependant, un certain nombre de faits allaient permettre la
reprise lente, mais continue du mouvement d'islamisation •


- 23 -
Ainsi l'ouvertcre du pays sous le contrôle du pouvoir colonial
perm~t
aUx Mari ou Marabouts et aUx commerçants (Jula) généralement
musulmans, de pénétrer plus profondément l'arrière-pays. De même,
l'action
de l'administration française fut souvent inspirée par une politique de
collaboration avec l~ autorités religieuses islamiques aux dépens des auto-
rités non soum~ses à l'idéologie musulmane.
Le Soudan sera rattaché au Haut-Sénégal-Niger et, le 1er mai
1888,
le cercle de Bamako s~a créé. Puis le pays sera détaché du Sénégal et érigé
en colonie en 1902. Le Soudan entrera dans la communauté
en
octobre
1958.
Le 24
novembre
de
la
même année, sera
proclamée la République du Soudan qui,
le 4 avr~l l~ou,de-
viendra indépendante au sein de la Fédération du Mali, en association avec
la République du Sénégal. Après l'éclatement de l'union en août 1960, l'ex-
Soudan prendra le 22 septembre 1960 le nom de l~ République du Mali.
Après avoir dégagé le cadre géographique et historique de la
société mand~ng, il nous faut maintenant indiquer les sources
d'analyse utilisées pour accéder à l'intelligence des faits qui
constituent la matière de nos analyses.

- 24 -
II - DEFINITION du SUJET et CONSTITUTION de la
PROBLEMATIQUE
Toute société globale est par définition initiatique,
dans la mesure où les jeunes générations reçoivent des adultes
les valeurs par lesquelles s'opère le renouvellement du-projet
de société.
Dans les sociétés dites traditionnelles, l'origi-
nalité du modèle initiatique réside
dans
1 e
fait que ces sociétés recourent à des appareils et à des modes
de transmission spécialisés pour transmettre le modèle culturel
d'une génération à l'autre. Ces appareils chargés de dispenser
les symboles sociaux par lesquels se perpétuent les valeurs
qui animent l'être de la société, tout enrsituant à des niveaux
sociologiques différents oeuvrent en vue de faire de chaque
acteur social, le porteur des significations par lesquelles
la société se perpétue. L'initiation en tant que phénomène
social extr~mement diversifié, s'inscrit dans un schéma
social total. Elle implique tout un processus éducationnel,
destiné à former les jeunes générations à leur
statut
d' adult.e ~. Dans nombre de sociétés initiatiques d'Afrique
noire, l'initiation de la jeunesse aux valeurs et aux techniques
qui caractérisent le modèle culturel se fait selon des moda-
lités qui obé~ssent à une pédagogie adaptée au projet social.
L'une des caractéristiques fondamentales des
sociétés traditionnelles africaines c'est qu'on n'y brdle pas
les étapes nécessaires en vue d'acquérir tel ou tel statut.

- 26 -
IU.lEATION
....
r>.MA (Puissance)
77 ans .. ancêtre
50-76 ans
~ALlSATION
7e classe
~VOIR
tALlSATION
35-49 ans
, /
/
:AGE
i
de confir-
/
:1on)
/
(
/
/
IA1'ION
/
1
/
ArrE
1
1
1
1
lCONCISION
! de passage)
,..
t<
t
...\\.c
t
r
c
e
r
r
c
c
r
r
etc.
,
1 an
(
t
l - Communauté parentale

- 27 -
J:égende du schéma" fonctionnel de 1a l'société initiatique ll
Les figures
- Les triangles représentent les groupements d'appartenance de
base, auxquels appartient tout individu.
- Les rectangles rendent compte de l'étagement successif des
sept classes et des correspondances moyennes entre l'appartenan-
ce à ces classes et l t qe .
â
Les cercles inscrivent,dans l'espace or qa nt s e par les figures
précédentes, les sociétés d'initiation, avec leurs principales
fonctions et les niérarchies internes.
Les vecteurs
- Les vecteurs en traits pleins désignent le sens du passage
d'un niveau à L' aut r e de l'organisation •
• Les vecteurs en povntillés indiquent les relations privilégiées
entre les classes et les sociétés.
- Les vectèars~ courBes soulignent les correspondances fonction-
nelles entre certaines sociétés dlinitiation, en dégageant ainsi
les lignes de force de l'armature initiatique.
N.B. Il est utile de rappeler que le schéma pr-ê t en d restituer
une organisation non acculturée par l' Islam ou la colonisa-
tion. Ainsi, aujourd'hui, la circoncision se situe
beaucoup pl us tôt dans 1 a vie de 11 enfant.

- 28 -
socialisation des membres de la société de manière à faire
surmonter les tensions et les conflits inhérents à toute forme
de vie communautaire.
l l s o c i é t é
Chez les populations mandz.ng. "
la.
initiatique IIconstitue un ensemble de foyers actifs chargés
d'"organiser le processus par lequel chaque membre de la société
apprend et intériorise ,
au cours de sa vie, les éléments soèio-
culturels par lesquels seront assurés la continuité du projet
de société.
CeS-~oyers actifs ou appareils spécialisés de
la socialisation sont : les familles (Gwa,
Lu), les classes
d'âge (Kari, Fla~-ton), les associations diverses groupées sous
le générique de Ton, et les institutions socio-religieuses
(Joo-Baw
ou les grandes vérités). Chacun de ces foyers de
l'action sociale
est chargé de réaliser un type de sociabilité et
de contr8le social.
Pour
constituer
notre
- .
--
nrnhlpmatiaue, nous nous attacherons à examiner
comment se
combin..e nt
les actions des divers foyers
pour
engendrer une
unité sociale cohérente possédant sa propre rationa1ité.

- 29 -
Dans une 'société initiatique~ comme celle
des Mand~ng
,
l'étude de la régulation sociale,
conduit
à
rel ever
la pertinence des mécanismes
idéologiques intervenant dans chaque type de contr81e social
qu'effectuent les appareils d'action sociale. En effet,
les
systèmes de représentations, de significations, tout comme les
attitudes et les comportements sociaux- qui
traduisent·.
..
'
~ -
... _ - - - - -
l'emprise
sociale
ne sont pas de génération spontanée.
Ils dépendent. comme nous le verrons~de la structure des organes
et foyers d'action sociale, qui remplissent des fonctions idéo-
logiques.
En tant qu'appareils de production idéologique,
les foyers sont chargés de véhiculer des modèles d'être, de
penser et de paraltre, bref des images-guides destinées à
orienter et à légitimer les conduites sociales. C'est donc à
travers l'exercice de telles fonctions,
que les appareils sociaux
familles, classes d'âge, associations et institutions ini-
tiatiques
remplissent les rôles de régulateurs directs ou
indirects de l'ensemble du corrt r-ô Le de la dévl·ance.Ce sont
précis ément leurs interactions qui alimentent le discours ini-
tiatique, qui n'est
autre que celui de la conformité,
de la non-dévlance.
Dans cette perspective,
i l noUS faut définir
deux notions principales du sujet étudié : la régulation sociale,
et le contrôle social.

- 3D -
2° - Régulation sociale - et contrôle social
Le développement des recherches centrées sur le
phénomène de la régulation sociale, du contrôle social, ou
de l'emprise sociale a abouti à la production d'Wl attirail
de notions graduées et très voisines les unes des autres.
Nous n!allons pas nous astreindre à rappeler ici,
les différentes définitions proposées par la littérature. La
raison es. fort simple, i l existe, ~n effet, outre les accep-
'''';
tions divérses, une certaine parent6
qui se traduit finalement
par urie possibilité de glissement d'un
concept à l'autre.
Cette fluidité indique bien que nous sommes en présence de
distinctions qui ne sont finalément que modèles (1). I1
ressort également des nombreux travaux qu'il n'est -'pas toujours
facile (de
-; déterminer laquelle des acceptions : régulation
.
-
sociale, contr8le social, ou emprise sociale,
sp~cifie teloJ te 1
contexte social. Aussi, i l convient d'indiquer ce que nous
entendons par les termes utilisés.
Dans le cadre de ce travail, nous entendons par
régulation sociale, le vaste processus d'indéfinie durée, par
lequel la société mandsng.
organise les signifiants et les
signifiés de son univers. Ce processus, qui est une totalité
....
complexe, se manifeste par des contraintes
- extérieures
(matérielles et humaines comme le contrôle)
-
i nt é rie ure s
(c 1 est lie mp ris e qui
rés u1t e s 0 i t d 1 U n. " con t r ô1e
du moment, soit d'une disposition innée ou
intervenue notamment
dans le processus éducatif).
La régulation sociale dans cette optique, est finalement la somme
des réponses, l'expression, ou la manifestation du
processus
général
qui sous-tend la dynamique du
fonctionnement social
(2)
(1) LECUYER (B.P) ; 1967, VIII, P. 78-85 ; PAGES (R) : 1967,
VIII,
p. 207-221
(2) Pour nous la régulation sociale concerne les valeurs devant
sous-tendre le projet de société, alors que le contrôle sociaJ
vise davantage les normes que les valeurs.
_

- 31 -
Etant donné la variété des
réponses
de leur combinaison en vue de réguler le fonctionnement de la
société, la régulation sociale, exprime finalement quelque
chose de tellement fondamental
et de permanent
dans la vie
sociale, qu'il est permis de douter que l'on puisse définir
ce concept de manière satisfaisante.
Quant à la notion d'emprise sociale, sans per-
mettre un bornage très précis, elle évoque pour nous un domaine
déjà plus limité. Pinsi, il y a emprise chaque fois qu'un sys-
tème normatif' ·droit, religion, morale etc.- est appelé à
jouer en vue de sanctionner un comportement social. Enfin, le
contrôle social peut être défini comme un objet encore
plus
limité que l'emprise.
Il est la dimension socio-juridique,
dans la mesure 00 il lie le contrôle social à la survie du groupe.
e ,
Après la définition du sujet, voyons à présent
les problèmes de sources (A)
les méthodes d'investigation (B)
pour enfin dégager les principales hypothèses que notre démarche
méthodologique suggère (D).
A -
Problèmes de sources
Les populations manda.ng'
ont été pendant
longtemps connues seulement à travers les récits des voyageurs
arabes qui ont parcouru l'empire dUrMali au XIVe siècle.
Grâce à lëurs,ténlo'lgn-ages, 'de Dré-ci-e~x .ial~~·~ ~hronnl(l~inu~s
.
.
..
~
ont pu
être
cun s e rvê s
et
plus
précisément
les
nombreuses
descriptions concernant
les personnages et les moeurs de

- 32 -
llépoque. Ces sources constîtuées de témoignage sont, malgré
leur
contradfction avec les données locales, très intéressantes
pour la connatssance du passé nistorique.
Nous exposerons successivement les sources écrites
et leurs méthodes de perception de la société étudiée, -
ensuite nous examinerons les sources traditionnelles qui retien-
dront particulièrement notre attention.
a) -
Les écrits
Les textes les plus anciens concernant les popula-
tions mande.ng ; _ nous les devons principalement aux écrivains
arabes Al Omari , _
Ibn _ Battuta 2
et Ibn_-. Khaldun
Ces auteurs
ont parlé avec beaucoup d'admiration de l'em-
pire du Mali et de ses souverains ou Mans'a. Les renseignements
fournis par le premier
sont parfois d'une interprétation
difficile, car
i l s'agit de renseignements de seconde main.
Par cantre le texte de Ibn. Battuta est d'une richesse exception-
nelle.
dans la mesure où l'auteur fut le témoin de ce qui il
r app o r t
i l a séjourné dans la capitale du Mali au temps du Mansa SouleymanË
Aux sources typiquement arabes, i l convient
d'ajouter la contribution de lettrJs soudanais arabophones, tels
que Es Saadi, auteur du Tarich es Sudan (histoire du Soudan) et
Kati Mohamed pour sa "chronique du chercheur'
ou Tarich el
Fettach.
(1) AL OMARI : -.1927 et 1959 ; IBIL BATTUTA : 1922 ; IBN KHALDUN :
1927

- 33 -
Les renseignements fournis par ces auteurs de
langue arabe seront complétés par les récits des premiers
explorateurs comme -
Ca da Mosto, Diégo Gomos qui abordèrent
au XVe et XVIe siècles les c8tes africaines et entrèrent en
contact avec les pays encor~ sous domination mandeng.
, ,
Il convient également de signaler les récits
des nombreux explorateurs comme Mungo
Park quf,
parti de la
Gambie, visita le coeur du pays mandeng, de Barth, René
Caillié, enfin les récits de Mage.
A ces
récits d'explorateurs qui sont d'un
intérêt certain doit s'ajouter l'oeuvre'de deux figures célèbres
de l'administration coloniale ~ Maurice Delafosse et Charles
Monteil.
~ Nous devons au premier son monumental "Haut-Sénégal -
Niger," daté de 1912·. Cet ouvrage riche en données est cependant
trop fragm.entaire.-:_.~i.~_~_(fu ' ay a ~t ré col té un e .que nt i té - cCl-nsi ---
- - - - - - - -
-'dé r a bled eren s ~ 9Tl e-~enTs- ,-5 On -a-ù te ur-n a-maTneu
1
r e us~eme nt--
fait intervenir qu'une partie infime des données de la tradi-
tion. On peut lui reprocher par ailleurs une interprétation
trop personnelle, ce qui explique la fragilité de certaines
de
certaines
de
ses
hypothèses.
Cet ouvrage
malgré ses imperfections n.'en constitue pas moins le premier
inventaire sérieux du passé des populations étudiées.
Quant aux deux ouvrages de Charles Monteil .. ~
Bambard de Séeou et du Kaarta (1923) et les empires du Mali
(1929), ils constitu&~t~ malgré les présupposés ethnocentriques

- 34 -
de leur auteur, un premier effort de compréhension de l'univers
malinké - bambara vu de l'extérieur.
Il convient également de signaler les travaux
ethnologiques de l'équipe du Professeur Marcel Gri~ule sur les
populations bambara, malinké et dogon qui ont contribué en
France à une relecture des sociétés dites traditionnelles.
Signalons aussi, les "Coutumiers juridiques" (1939) qui malgré
de nornbreuse~ im~erfections constituent
une source
utile
d'information.
Mais depuis quelques décennies est apparue une
nouvelle source de connaissance des populations africaines en
général et mandeng
en particulier. Ii Si agit des sources archéologi'que
b ) -
Les vest;oes archéologigues
De nombreux témoignages archéologiques révèlent
l'existence d'une civilisation très ancienne, sur laquelle on ne
dispose
pas encore d'assez de renseignements. cNous savons
aujourd'hu~ que certaines régions habitées par les populations
mande.ng,
furent occupées
à l'époque préhistorique : en
témoignent
différents tumul i
les cercles de pierres
dressés
dans la boucle du Niger, et
les hypogées de la région
de &ugu ni. (pays bambara). Les ~foui 11 es d~~Szu~owsky (1-952-
1955) ont révélé, près de Bamako, l'installation d 'établissement5
humains très anciens à l'époque préhistorique (1).
---'-- -~~------_.~-----------_._-----
------- ------ - ----~~-----
Signalons enfin les travaux en co~s concernant
l'empire du Mali, comme les fouilles de R. Bédaux en pays dogon
(1) SZUMOWSKY (G)o 1956

- 35
-
~ivilisation Tellem avant la domination mandeng). Jo Devisse
(Tegdaoust, réseau des voies commerciales)o VL. Filipowiak
(Nrani -
une des capitales médiévales du Mali).
On peut donc espérer que dans un avenir non
éloigné, les sources archéologiques fournissent de
nouvelles
données concernant le développement de la vie urbaine dans
ce qui fut d'abord le Do et le Kri, ensuite le Mali o Ces recher-
ches permettront peut être de déterminer les directions et les
périodes des grandes migrations des différents groupes ethniques
-'-e t d'e-}eterune-fûm iêrenouve 11é sur l a ~-~l-·t·~~e- ;a-té r-i~·l-·l-e -~t----
intellectuelle des habitants de l'ancien Mali.
A c8té de cette seconde source d'information non
- ---_._------------- - --- --- ------ -~----
négligeable qu'est l'archéologie, nous disposons
d'une
troisième source,
la tradition orale,
qui doit trouver
sa juste
pl ace
à
c ô t é ' c h s moyens d'investigation clas...
-
-
siques:
elle n'est pas moins digne d'intérêt que les autres.
c ] -
La tradition orale
sous' le prétexte
Longtemps méprisée;<lu' elle ne repose sur aucun
fondement objectif.. la tradition orale fut .. des décennies
durant, le parent pauvre', des autres sources tenues pour
plus
nobles. Certains ont vu en elle, un peu d'histoire, un peu de
légende ,
un peu de mythe, bref une source purement
subjective
à
~rendre
en compte
'avec scepticisme et
prudence. Pour d'autres 1~écueil principal de la tradition orale
demeure fondamentalement l'absence quasi-complète de chronologie;
de plus, soulignent-ils, certaines altérations se produisent
fatalement dans la transmission, soit
par

- 36 -
l'oubli~ soit à dessein, de sorte que les circonstances explica-
tives des faits rapportés se trouvent modifiées o
Les quelques gr-Lef'e adressés à la tradition
orale peuvent également être formulés à l'encontre de l'écrit
considéré comme intangible, comme plus véridique parce qu'il
est dit-on revêtu de la magie des lettres o Nous savons~jourd'hui
que le document écrit est souvent plus pernicieux que le récit
et l'exemple de certaines civilisations de l'écriture nous
enseigne de mille manières.
que le contenu de l'écrit n'est
rien d'autre que l'histoire des pouvoirs dominants.
~ a tradition orale
constitue~ la source privilégiée de nos investigations. Aussi
convient+i l dl ertindi ~er dès maintenant les raisons.
Ce travail se veut avant tout une recherche de l'identité, une
recherche des configurations perdues~ et dans la mesure où notre
effort s'inscrit dans ~e perspective de rénovation des valeurs
africaines en général et mandeng en particulier, i l devient tout
à fait logique que nous puisi<ins ·notre
matériau
dans
la société elle-même, dans les normes qui nourrissent son
projet existentiel.
1
Ce projet en tant qUI: historicité ne s'exprime
il est
.
pas à travers des archives écrites, mais/profondément~gDavé
et toujours maintenu vivant
parce qu'inscrit
dansœt~ mémoire
fondatrice qu: 1 est la tradition.
Certes, l'étude de la tradi:tion orale doit être
conduite selon de nouvelles méthodes de lecture ,
afin de la
libérer de certains dogmes propres à l'historicisme tel par
exemple ceux qui conçoivent l'histoire comme strictement événe-
mentielle, unilinéaire, et exclusivement fondée sur les sources
écrites. En adoptant une nouvelle lecture de la tradition, i l
sera possible de lui donner un~ importance susceptible de reva-

- 37 -
loriser la mémoire fondatrice de la société mandeng.
Ce
faisant,
les
faits
sociaux
étudiés
retrouveront
une âme, une vie, car
la tradition est avant tout
destinée à toujours rénover d'une certaine manière
l'héritage culturel de la société en l'enracinant dans la
mémoire vivante des populations.
En tant que source de connaissance, la tra-
dition orale est une logique des images, une oeuvre destinée
à former des esprits et à perpétuer des manières d'être
et
de paraltre, qui nous informe des différents niveaux de créa-
tion et de consommation de l'histoire par la société. Ainsi,
à chaque instant du déroulement d'un récit, à chaque maillon
de son enchaînement,el.l.e saisit en quelque sorte la totalité de
l'expérience historique, la totalité cosmo-temporelle réunis-
sant : passé, présent et futur. I l est, en somme, extrêmement
important pour l'institution sociale. de se donner des signi-
fiants et des signifiés fondamentaux
-servant
de
mémoir~ de défense, de protection.
Mais la tradition orale chez les Mandeng
ne
se
limite
pas à l'histoire, elle est aussi l'art, la
mythologie, la, mystique, la médecine, bref la matrice fécon-
dante, l'univers signifié et signifiant qui restitue l'expé-
rience existentielle de l'homme malinké-bambara.
Il faut,
dès lors éviter toute interprétation littérale
des
.
.
récits. La-. - -pfda~o-~ fê - t-ra~ ; ti on n-e 11 e_ ne. t'ra ite
~as ~ ~~. la -notion' du temps et de l'espace de la même f açon
que le spécialiste des sciences sociales traite les séries
chronologiques.

- 38 -
Les enchevêtrements, 1es réciprocités supra-chro-
no1ogiques, qui sont systématiques dans 1a tradition ora1e, entrE
1es différents p1ans tempore1s et cu1ture1s ont conduit certains
auteurs à
den I ex Là
La tradition tout repère chr-ono Logi.que , I1
Y a là incontestab1ement un ma1entendu, ou p1us précisément
un ethnocentrisme into1érab1e, car chaque société a 1e droit
d'instituer son monde de significations
à
sa
façon
1e principa1 restant qu'i1 existe une cohérence 10gique entre
1'institution et 1'institué.
Dans une société d'ora.lité comme ce11e des
Mandeng où 1a 10gique socia1e se veut fi1iatique,
1a notion du
temps et de l'espace se situe bien entendu aux antipodes des
modè1es occidentaux, ce qui est tout à fait 1ogique, car La
tradition est d'abord une socio1ogie historique destinée à
former des esprits en perpétuant un sens, une idéo1ogie avant
d'~tre une histoire au sens généra1 du terme. C'est ce qui
exp1ique 1e phénomène de té1escopage, de po1arisation en amont
et en ava1 des faits et des récits rapportés.
Ainsi des personnages qui ont vécu à des époques
différentes sont présentés comme contemporains et mê1és aux
mêmes évènements, ou bien 1orsqu'un groupe sociaL
devient
politiquement dominant, sa geste, sa fasa éc1ipse celle des
t
autres (cas des Kamara et desiKayfta au Manden, des f{ulubaly et
des . Jara
à Ségu),
de même Lor-sque 1es faits se
perdent
dans La nuit des temps,
la tradition ne retient p1us que 1es
noms de certains personnages sur 1esque1s e1le concentre toute
la g10ire de leurs prédécesseurs ou successeurs
bttatôt effacés de 1a mémoire col1ective.

- 39 -
Cette manière de restitution de l'expérience
collective que d'aucuns ont décriéen'a rien d'illogique (1). Elle
est conforme à la pédagogie traditionnelle qui est avant tout
recherche de l'identité culturelle, enracinement dans la
mémoire vivante des populations de la totalité temporelle. Cette
quête de l'identité peut être incarnée à un moment de l'histoire
par un personnage, mais cet individu qui personnifie l'histoire
~
sociale n'est que de passage,
i l est donc nécessaire pour la
pérennité qu'il soit relayé par une chaîne généalogique inin-
terrompue, c'est pourquoi, du point de vue traditionnel, ce
qui est significatif,
ce n'est pas l'acteur. d'u't\\
moment, ce
qui importe le plus, c'est la société, c'est l'espèce en
mouvement.
Aussi la tradition pour l'homme malinké ou
bambara ne soulève aucun problème de lecture.
Les difficultés
apparaissent par contre avec le changement de logique sociale,
le passage d'une situation de pure traditionnalité
à une
situation de modernité et d'acculturation. Dans ce cas,
i l
convient de faire preuve de beaucoup de sensibilité et d'esprJt
critique en évitant d'identifier toujours les personnages e t l es
épisodes mythiques
avec des év~ements concrets
C'est seulement quand on analyse les schémas
véhiculés par la tradition en term~ de catégories intellectuel-
é
les, que leur trésor d'information sur les structures culturel~
u
les, sur l'histoire intellectuelle de la société commence à
apparaître.
N
d
0 ~s _~j spo 5.0 n_? dg n.c_aI,JJ_Q ur~~ hui
~ --- ----- ~-----
---
e trois types de sources pour accéder à la connaissance des
sociétés africaines.
Les sources écrites, sans être
s:
tes
meilleures
sont
néanmoins
( 1 ) Les c fi e-c.heurs qui ont CoO\\l t 3é das manuels : seo laires . de .
. France, d'Italie,
d'URSS et d'ailleurs y ont décou-
.
~
vert que de manière systématique les faits historiques sont
·onœSet~ronqués. Des mensonges par omission, par exagération, par
simplification abusive~ mais toujours flaueurs pour le chau-
vinisme national
pour-jl e ("roupe
ou l'idéologie au pouvoir
constitu~nt la charpente principale des manuels d'histoire.
I l est donc injuste de traiter seuLement La tradition orale
commme une histoire subjective et engagée o

- 40 -
utiles, m~me si elies ne sont pas toujours de première main.
_~
0
~_
~
0 ' _ ' 0
~ ' . -
_ . ,
-
-
, .
- - - - . , - - - - - -
- - , _
'
-T~-
Llarc~éologie commence à apporter des données nouvelles. Enfin les
sources orales, maintenant considérées comme
aussi dignes dl intérêt
que les autres (1) sont pleines de promesses pour qui sait les
--compre.ndr'ë ~etles -t-rarter:----- ~----- ---- --~
B -
Les méthodes d'investigation et de restitution
I l est indispensable,ne serait-ce que pour une
bonne intelligence
des informations recueillies et du
traitement que nous 1 eur avon s
fait subir, que nous
résu-
mions pour le lecteur les méthodes d'investigation et de
restitution utilisées.
Nous allons examiner successivement :
a)
les questions liées à l'accès aux informa-
tions
b) -
le choix des méthodes de lecture des données
recueilliés
c )
les modes de restitution des données
a) -
L'accès aux informations
Dans les pays mandêng, la tradition orale est
_~ ~l_re!~ ~.!::le_p a-r ..p 1Us i e urs ce nt r e s_ l'n at -i 0naux n_. d ~_ens'e.1.g ne~~ nt pos sé
·----~da ntO .cffa~ij~---se s~ Jl~rfl cuTàfité s.: ~ O:ys-~!ou_'{9niê 9!!J.eme j,T-a.u~n i-veau
des villages certains spécialistes ou Nyamakala qui tiennent
en quelques sorte la "chaire" des faits sociaux concernant le
village, ou la région.
Ces professionnels appelés ,ùéli:;'Ba,
ou Belèn-tigi
sont ceux qui sont passés maîtres dans l'art oratoire, ceux
(1) A en juger par les nombreux colloques concernant la tradi-
tion orale~on peut dire que celle-ci a enfin acquis ses
titres de noblesse • Citons la conférence internationale
. sur les Manden~
tenue à Londres en 122~ ; le S tLQ..iL.~.~_
coll oque s internationaux tenus sous 1es auspices de 1a
Fondation SCOA, â Bamako (27-janv au 1° février 1975 et
16 ~u 22 février 1976), et â Niamey (30 novembre au 6
décembre 1977).

- 41 -
qui connaissent l'histoire générale des pays mandeng o
Concernant le Manden (1»
par exemple,
diffé-
rents centres sontrépartis entre la République du Mali et la
République de Guinée (Konakry) 0
Les uns dispensent des traditions
In f l ue neê e s parl'Islam ,d'autres se réclament de traditions
pl.us authentiques. En République du Mali, - le -rayonneme-nt~d-e _. -~.---.
Keyla et celui de
Kabaa ou
Kangaba
dans
le
cercle
de
Bamako s'étend
sur
toute
llaire
culturelle
mandeng. D'autre
centres. comme Krina,
Ki±a
e t ' thL(l("l(l5-S~'1a
s e
veulent
- - - - -
-
-
~-
également
détenteurs des vraies sources de connaissances
du Mandé.
Dans l'impossibilité de visiter les différents
centreE
qui dispensent l'enseignement des faits historiques
malinké-bambara, nous avons orienté nos efforts
vers
ceux
de
Ja
Haute
Vallée
du Niger (Mali)
Keyla et Kr-Lna , Ce choix répond à des
critères bien déterminés. Tout d'abord, le Manden comme nous
l'avons déjà souligné, présente du point de vue de la connais-
sance de la culture mal~é-bambara, une importance primordiale.:
les vissicitudes de l'histoire en ont fait un ide s
hauts lieux de la civilisation soudanaise, berceau de l'empire
du
Mali, et
c'est également du Manden que sont partis: les nombre~
mouvements de migrations qui se sont propagés à travers la
savane jusque dans les forêts du Sud pour aller fonder de
"nouvelles colonies de peuplement"
( 2) .
(1) le territoire qui constitue le Manden a été partagé par
l'Administration Française entre le Mali (ex Soudan) et
la Guinée (Konakry)
(2) Selon notre informateur privilégié Waa Kamissoko

42
Carte de la zone d'enquête iHaute-Vallée du Ni.g e r )
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~ce
Résultats d'enquête de la mission Leynaud-Roblot, Paris - BDPA 1961

- 43 -
I l convient toutefois de noter que ces centres
aux traditionalistes célèbres, ne doivent pas être considérés
comme de
véritables gardiens des traditions sociales. En
effet, contrairement à l'idée très répandue, le Nyamakala qu'il
soit Jéli
li.!!!!!!:!
ou autre, n'est détenteur
que d~une pa r-t i e
des traditions
populaires. Mais clest dans les familles qulon
trouve
l'autre partie déterminante pour la connaissance pro-
fende,
le legs des ancêtres,
la doctrine qui
porte les normes
justifiant ou condamnant
les comportements des acteurs sociaux.
b) -
Le choix des méthodes d'investigation
Conscient de tous ces faits, nous avons entrepris
notre collecte des informations avec la Den::sé~onstan1e que la
tradition chez les Malinké et les Bambara
ne se recueille pas,
elle doit être reconstituée par un travail de comparaison et
de recoupements critiques. Le souci d'efficacité nous a conduit à me-
rer nos enquêtes à la fois selon une méthode "intensive" et selon une methode"e>
tensive". Dans l'enquête intensive nous nous sommes entretenu,
parfois par informateur interposé, avec les gardiens de la
mémoire sociétaire, en vue de collecter les éléments essentiels
du savoir détenu, c'est-à-dire les versions mythiques ou
légendaires. Dans la recherche extensive, relevant plus de
l'enquête par sondage, de village à village et de famille en
famille,
nous avons cherché à réunir à travers les biographies
et les traditions familiales et locales d'une part des versions
nouvelles des grandes traditions mythiques, d'autre part les
faits concre11s
qui permettent de comprendre le
contexte
réel de la régulation sociale.

- 44 -
Dégageons successivement les avantages et
les
inconvénients de ces deux méthodes puis les enseignements
que nous en avons tirés o
1 0 -
Avantages et inconvénients des deux méthodes
d'investigation
L'enquête "intensive" permet gr-âce à l'instaura-
tion d'un dialogue constant d'établir des relations étroites
et parfois amicales entre l'informateur et Je 0: che r ch eu r . Cet te
méthode peut déboucher parfois sur l'obtention de renseignements
plus approfondis sur certains points plus ou moins protégés
par des interdits sociaux, religieux ou même soumis à des
intérêts particuliers ou idéologiques o
Nous avons pu constater que sous certains de
ses aspects, elle
est
insuffisanteo En effet, dans bien
des cas, l'enquêteur s'expose à recueillirdes ve r si o n s particul iè
res C1_e faits.
qui
ne peuvent ëtre-tenues)our va] ides sans
confrontation à d'autres sources.
L'expérience révèle que sans vérifications
ultérieures, le tableau de la société obtenu à partir de cette mé
thode pourrait être soit déformé, soit simplifié à l'excès:
d'où la nécessité d'explorer d'autres voies.
Quant à l'enquête "extensive" elle consiste
à interroger collectivement , dans chaque communauté villa-
geoise visitée
et sous la direction de son représentant,
l'ensemble des personnes présentes o
Cette méthode qui, a priori, parait
bien
aléatoire
et
superficielle
se

- 45 -
révèle fructueuse.
Son mérite premier est la spontanéité qui fait
souvent défaut chez l'informateur isolé.
Elle nous a souvent fait
déc 0 uv r i r des pers on ne s su s cep t 1b~ es d ' a p~~ ~_!!--'=-_~~_de s ~_oi ~_t~s
_
dé_t e rm 1n~ s des Dré c i s 10 ns au i no usa Il rai e nt. P. ch il noé au t rem ent.
Cette technique nous a permis d'obtenir un résul-
tat plus nuancé et une saisie plus complexe des données o
Force est d'admettre cependant qu'elle présente
l'inconvénient majeur d'être lente, d'autant que les séjours
dans les villages sont forcément assez brefs. n'autre part, le
rendement par cette méthode peut s'avérer faible
si les infor-
mateurs sont réticents ou détenteurs d'un savoir moins sÜr o
c'est pourquoi nous nous sommes efforcés de combiner à la fois
recherches en profondeur (enquête par 'informateur) et recherche
extenSive (enqu~e par village).
2° -
L'interprétation des données recueillies
La qualité de la documentation disponible .au départ
de notre recherche ne satisfaisait pas nos exigences ; et nos
informateurs~ de surcroit, ont eux-mêmes imprimé à nos investi-
gations une orientation différentes des interprétations "clas-
siques" •
Nous souhaitions disposer d'un matériau souverain,
propre à nous conduire au coeur des phénomènes sociaux et capable
de nous fournir une explication des faits sans avoir besoin
d'être interprété à son tour. Pour ce faire~ i l a été indispen-
sable de suivre la route battue ,de tout temps, parles ethnolr.gues
an thrôpoîoguéset soc i 0 l o g u e s : enregistrer tous les ma-

- 46 -
tériaux,quelle qu'en soit la nature,intervenant au cours de
cérémonies significatives pour la société. Mais le travail
descriptif accompli,nous ne nous sommes pas contenté d'admet-
tre les explications usuelles concernant les supports symbo-
liques des phénomènes o
Nous entendions obtenir de la part de nos
informateurs les arguments tenant compte de l'unicité et de la
diversité fonctionnelles des éléments concrets confrontés à
leur signification. Dès lors, i l apparaissait clairement que
l'objectif indispensable à la compréhension des faits et des
institutions observés était de parvenir à trouver le moyen
terme juste, unissant comme s ' i l s'agissait de deux prémisses,
le matériel et sa valeur subjectiv~.
Cette exigence de nos enquêtes a conduit nos
investigations à une extension imprévue. Pour comprendre par
exemple
les symboles et les rites, nous avons fait appel au
système analogique des Bambara
et des Malinké, qui, à travers
les lois qui régissent les correspondances, permet à chaque
objet, chaque être, d'annuler ses limites concrètes en ces-
sant d'être un fragment isolé pour s'intégrer dans un tout.
C'est au terme d'un tel examen que les exp1ic~tions, sommaires
au début, de nos informateurs, relativement à la présence de
tel ou tel, devenaient intelligibles et ont pu être approfon-
dies ultérieurement dans des discussions avec d'autres personnes
consultées.
Ainsi, gr!ce à une multitude considérable de
détails, sommes-nous parvenus à appréhender le symbolisme
Malinké-Bambara ;
par un procédé similaire, la signification de

- 47 -
nombreux rites
est apparue, nous permettant d'accéder
au sens et à '1 enchainement des
institutions
de
1(1
"s o c i
t
ê
ê
initiati0,ue ll • comme les cérémonies qui reprodui-
sent La naissance de l'homme
les festivités qùi marquent
la chute du cordon ombilical de l'enfant, l'imposition du no~
la circonc.ision et
l'excision.
Il nous a fallu procéder à
l'analyse de tous ces événements de la vie d'un Malinké-Bambara
avant de saisir la portée de ce qui nous préoccupait immédia-
tement, à savoir les schémas intellectuels qui organisent
la société. Ces investigations nous ont montré l'existence
de nombreuses lacunes dans les travaux -
bien riches pourtant
de l'ethnologie africaniste.
c ) -
J:.es modes de restitution des données
Les difficultés auxquelles nous nous sommes
véritablement heurté dans nos investigations sont de deux
sortes: celles ayant trait à l'interprétation de la signifi-
cation des représentations, et celles afférentes à la restitu-
tion de ce sens en langage accessible à la culture occidentale.
Les premières ont été résolues par nos informa-
teurs eux-mêmes qui ont consenti
à
dêmèl e r
à
notre place ce qui parfois constituait de véritables énigmes.
Dans certains cas, ils n'ont pas hésité à nous donner la clef
de la symbolique. Nous ne pensons pas que, sur ce point, des
erreurs graves se soient glissées dans notre étude, bien qu'il
convienne de noter la fluidité du contexte symbolique dans lequel
nous nous mouvons. Ce contextes de par sa' nature même, est
susceptible d'admettre des interprétations plus ou moins
proches de l'analogie fondamentale.

- 48 -
Quant aux difficultés de restitution, elles Drésentaient
plus d t embûohe s ,
car la traduction d'un texte d t un-: langue dans
une autre de m~me ~ulture est déjà lourde de conséquences : a
fortiori,
celle Qui s'impose de passer d'une culture à l'autre
Dans la pensée malinké-bambara, le langage, les mots expriment
des réalités matérielles. Les propositions énoncent des relations
serties dans des données sensorielles o L'objet du discours est
doué de volume, de mouvement et ,de vie o Le problème Qui nous
était posé consiste à savoir comment procéder pour rendre intel-
ligible ce que nous avons appris de la société malinké-bambara,
sans fausser la pensée et sans la "rationaliser".
I l a donc fallu faire appel dans la terminologie
française à un ensemble de notions relevant soit du langage
philosophique (telles : être, symbole~ signe, verbe, connaissance);
soit d'un vocabulaire psychologique (âme~ personne, sens •• o )
soit encore'·du l-exique religieux (par exemple mythe, être
suprême, divinité, sacré, attributs divins •• ) et enfin du
langage juridique (droit, consensus, juste, équité, pouvoir o.).
En procédant de la sorte, nous avons été soucieux de ne jamais
employer un terme
sans
avoir serré d'aussi près que pos-
sible son contour avec le mot mandeng, qu'il est censé signifie ...."
c - Méthodes d'analyse
L'analyse d'un phénomène social qlobal
comme celui
que nous nous proposons d'étudier, serait plus fructueuse si
elle empruntait les voies de l'interdisciplinarité, secrétant

- 49 -
ainsi des objets (et des hypothèses) scientifiques d'un
intérêt renouvelé.
Cette proposition n'est pas faite
pour s3tisfaire
aux goût.s du j our
ou pour céder aux exigences de la mode
universitaire.
Les raisons de notre choix dérivent de la
complexité même de l'objet de l'étude. La"société initiatique"
comme on a pu s'en rendre compte, est un phénomène historique,
l
'
un phénomène total. A ce titre, elle se présente comme un magma
de significations dont l'explication doit solliciter le con-
cours de plusieurs disciplines.
L'intitulé même de notre sujet : "Société ini-
tiatique et régulation sociale chez les Malinké et les Bambara
du Mali", indique bien notre souci d'embrasser autant que
possible un large domaine de la réalité sociale étudiée. En
effet, dans une~société initiatique~ l'imbrication conceptuel-
le des différentes composantes sociales est telle que l'on
ne saurait prendre appui sur une conception segmentaire des
phénomènes sociaux qui traite séparément différents nlveaax
de significations et s'interrogerait ensuite sur leur arti-
culation. C'est dire que seule une.'~interpÏ!étation;glob~lisan"6e
et.··dynamique des processus sociaux peut conduire à une com-
préhension d'ensemble des significations.
C'est pourquoi)' dans notre analyse, nous éviterons
toute théorisation partielle des phénomènes sociaux qui préten-
drait expliquer la totalité à partir d'un secteur ou d'une
"base" déterminante, car une telle démarche conduirait à
voiler cette propriété essentielle du système régulateur qui

- 50 -
est de pouvoir fonctionner dans toutes les manifestations
sociales et de pouvoir organiser le signifiant de tous les
rapports. C'est la raison pour laquelle nous avons refusé la
tentation permanente d'introduire une coupure entre la pratique
(qui serait le réel) et l'imaginaire
(1~ c~ l3 praxis ce définit
précisément comme ce qui ne peut se renouveler sans la médiation
du symbolique qui est lui-même l'expression du modèle idéal de
socialisation.
En privilégiant l'aspect idéologique dans la
société initiatique malinké-bambara, sans pour autant nier
l'importance des autres sphères, nous voulions montrer comment
-
sociale
dans cette formation /l ' t dê o l ooi e i n î t i a tt ous est précisément
le lieu où praticues sociales et échanqes symboliques
s'interpénètrent pour donner sens aux normes
en vigueur dans
la société.
Cet t e né ces s i té -d ~ une i nter pré ta t ion 9lob a -
lisante des normes nous a conduit à rejeter le droit comme
discipline coordinatrice au profit de la sociologie juridique.
En effet, le phénomène de régulation sociale
dans une société où l'interpénétration des normes est une donnée
constante, la méthode juridique classique
~erait _ insuffisante
pour diverses raisons.
(1) En particulier quand on assimile, abusivement selon nous,
l'imaginaire à l'utopie.


- 51 -
La raison première tient, nous semble-t-il,
dans le fait que les~oristes n'ont pas encore approfondi les
problèmes épistémologiques de leur discipline. Nous entendons
par là,
l'examen critique systématique des objets des sciences
dites juridiques o Ils ont beaucoup philosophé, théorisé, mais
très peu critiqué les démarches en vue de la validation des
connaissances obtenues.
Cette absence de réflexions critiques est sans
doute une autre raison qui tend à enfermer les juristes oc-
cidentaux dans leur discipline. D'où le dogmatisme de la méthode
et l'étroitesse du point de vue qui limitent considérablement
la portée de la démarche juridique classique appliquée
à
l'étude des phénomènes sociaux. Certes, la critique ne doit pas
être poussée trop
loin dans la mesure où i l existe de plus
en plus de juristes sociologues, politicologues, philosophes,
etc ••• Mais leurs efforts restent encore marginaux et n'attei-
gnent pas toujours la citadelle du Droit 0
La dernière critique qu'on peut adresser à la
science juridique, c'est de ne pas accorder suffisamment
d'importance aux phénomènes de pouvoir et de conflit ;
de
s'en tenir à la règle de droit et à son application conten-
tieuse, en laissant de côté les éléments essentiels qui par-
ticipent à la régulation sociale.
Mais dans une approche interdisciplinaire, la
méthode j.aridique, une fois débarrassée de ses présupposés
philosophiques et académiques,
peut devenir un outil d'analyse
susceptible de formuler avec netteté et précision les critères
de juridicité en permettant ainsi de rectifier certain excès
de la sociologie générale.

- 52 -
En recourant à la méthode sociologique comme
appareil conceptuel et théorique susceptible sinon d'expliquer
totalement du moins de rendre compte des phénomènes que la
démarche juridique ne saurait expliquer, cette méthode pourra
s'avérer bénéfique pour l'intelligence de divers faits
sociaux
(1) .Elle va permettre en outre de montrer comment la
société mandeng exerce sur ses membres le contrôle qui va
aboutir à l'institution des normes, des règles de conduite
et d'orientation de l'action qui doivent se traduire par des
comportements
que la société attend de chacun dans telle ou
telle situation.
Il convient de voir maintenant quelles sont,
en raison des facteurs qui viennent d'être évoqués,
les
hypothèses qui vont structurer nos réflexions.
D ) . Hypoth.èses
Un système de régulation sociale ne s'élabore
pas dans le vide. I l est le résultat d'un processus complexe,
une conséquence des facteurs écologiques, économiques, reli-
gieux et sociaux, bref un déterminant qui s'impose, en tant
qu'idéal, sur le milieu physique et social qu'il est appelé
à prendre en charge.
Aussi,
l'étude de ce phénomène complexe va poser
des séries de problèmes
au
chercheur qui s'y intéresse.
Ainsi les questions principales auxquelles nous
avons tenté de répondre sont les Ibivantes :
-.Pourquoi les populations mandeng ont-elles opté
(1) Il convient de souligner que cette méthode tout en étant
capable d'apporter une aide précieuse, comporte certains
inconvénients et dont le moindre est le risque de se perdre
dans trop de généralités. Pour remédier à cet écueil perma-
nent afin de répondre positivement à l'approche interdisci-
plinaire, nous nous efforcerons de maintenir un certain
équilibre entre les deux disciplines-pivot de notre étude.

- 53 -
à travers toute la gamme du possible pour un mode donné
d'organisation sociale ?
-
Quels sont les principaux déterminismes avancés
pour justifier le choix du modèle social institué ?
Quel est le modèle d'homme que la société
juge conforme à son projet ?
- Y-a-t-il adéquation entre le modèle imaginaire
projeté, à savoir le discours initiatique, et la pratique
sociale ?
- Existe-t-il un Droit chez les Mandeng, et si oui,
quelles sont ses caractéristiques, quel raIe remplit-il dans
la régulation sociale ?
Ce mode de questionnement s'est révélé fructueux.
I l nous a permis de dégager deux niveaux significatifs pour
l'étude de la régulation sociale. I l s'agit principalement
des problèmes liés à l'institution de la norme et
à
la
dévLance .,.
son corollaire logique.
a)_ De l'institution de la norme
En effet, l'institution de la norme
est
au coeur des phénomènes constitutifs de la régulation sociale.
Et à ce titre, elle retiendra davantage notre attention, dans
la mesure où lait société initiatique" a pour but de créer les
conditions propices à la ••• "concrétisation d'éléments culturels,
et notamment de valeurs sociales dans un système de normes d'ac-
tion, de statuts et de raIes sociaux •• " (1). Mais ne serait-
il
pas
plus juste de parler à propos de la"société initia-
tique~ d'institutionnalisatiop. ?Nes'-ag-ft~tl-pas de la création--
( 1) ROCHER (G ) : 1~ '.1{) ". - p" 2 1 (1

- 54 -
d'un mouvement social, dont le rôle fondamental est de permettre
la transposition des valeurs culturelles dans les conduites des
acteurs sociaux et dans les institutions au sein desquelles
ils expriment6 L'institutionnalisation
s'entendrait
,
ici~
non pas comme simple mise en place
de systèmes normatifs
(Droit, Religion, Morale etc.
)
et d'organisation, mais aussi
comme système d'intériorisation des normes et de socialisation
des membres de l'ensemole
institué.
Mais le problème de la régulation sociale ne
saurait être réduit
seulement à l'érection de la norme. Car
aussi importante que soit~la considération de l'institution de
la norme)au double point de vue de son établissement et de sa
réception,
i l n'en reste pas moins que le contrôle social ne
s'y limite pas. D'où l'hypothèse de la déviance.
b)_ De la déviance
Le problème de la déviance, à savoir,
la désobéis-
sance aux règles nous semble être un phénomène social de même
nature que la conformité aux normes. L'observation sociologique
enseigne que la norme implique nécessairement son contraire,
autrement dit, chaque fois qu'une norme est érigée dans une
des régions données de la vie sociale, elle entraine presque
toujours l'émergence de la contre-norme
L'ins-
titution de la norme, de l'ordre, comporte nécessairement dans
le même mouvement, le désordre correspondant. Ce postulat nous
paratt d'un intérêt fondamental pour la compréhension de nom-
breux faits sociaux, et c'est ce qui nous amène à formuler
une autre hypothèse, à savoir que la violation des normes est
socialement aussi "normale" que leur érection.

- 55 -
Telles sont brièvement les hypothèses qui ont
nourri nos réflexions. Il importe de voir maintenant comment
nous avons structuré notre recherche.
Dans une première partie
Symbolisme et
société, nous allons étudier les données constitutives des
rapports de l'homme mandeng avec son univers imaginaire,
c'est-à-dire
montrer comment à partir d'une longue et patiente
élaboration.
la société mandeng est parvenue à mettre en
oeuvre différents niveaux de significations destinés à orga-
niser son monde. Pui~une fois identifi~ les repères signi-
ficatifs,
nous tenterons d'analyser la composition et la méca-
nique sous-j acente à l'organisation sociale.
en nous appuyant
d'une part~sur le système de représentation et d'interpréta-
tion de la société et d'autre part,.· dëpa ss ant.d es Il ":!"'éories:lendosènes" •
50US poseronsi'Ur,l'organisation sociale, un regart! critique·
envue·de -
mt~ux identifier les différentes forces sociales qui orgar.isent.lè.société.
La seconde partie
Aspects socio-juridiques du
contrele social, se veut plus spécifique puisqu'il s'agit de
mettre en lumière la dimension juridique en tirant quelques
enseignements des rapports existant entre les diverses moda-
lités du contr8le social. Il s'agit
, de montrer com-
ment la société mandeng, après avoir délimité certaines fron-
tières de la vie sociale par l'institution de la norme et de la
désignation de la déviance~ a élaboré les moyens de les gérer~
Nous analysarons égal~ment les consé-
quences de la rupture introduite par le fait colonial qui s'est
traduit par la destructuration graduelle des modes de penser et
d'être de l'homme mandeng et par la subtitution progressive des
schémas occidentaux.
Nous examinerons enfin les incidences des Droits
~
.
,
du' développement sur l'ancien ordonnancement de la société
mandeng et rechercherons les voies susceptibles de conduire à
sa rénovation.

- 56 -
SYM e0L rSM E
ET
sec rET E

- 57 -
ŒAPITRE l
LES ~~RES'SOCI~X ])E, LA REGULJITICN SOCIALE
Pour la commodité de l'analyse, il est nécessaire de distinguer dans
l'organisation sociale des populations mandeng deux aspects fondamentaux. Le
premier aspect est constitué par ce que nous appelons les éléments structurels,
à savoir les cadres qui organisent l'action normative des acteurs sociaux, c'est-
à-dire l'action sociale orientée selon les normes ou règles collectives.
Le second aspect de l'organisation sociale est sous-tendu par des éléments
culturels
destinés à donner à l'organisation sociale une identité, une dimension
spécifique, une civilisation pour être plus précis (1).
Ce qui retient notre attention dans ce chapitre, c'est principalement
les éléments structurels
qui constituent les cadres ~iaux de la régulation
sociale. En effet, ce qui frappe d'emblée dans l'analyse d'une société, c'est
qu'elle se présente comme une multitude organisée dont la raison d'être est
l'ordre et la permanence.
Ainsi l'impératif de ~.e communautaire entraîne la création d'un grand
nombre de réseaux de rapports [division du travail, alliance matrimoniale, participe
tion à des cérémonies rituelles, etc.) lesquels se formalisent dans des cadres
organisés qui sont : la famille (qwa, l~, kahila)
, le quartier (kolé, kyin), le
village (~) , voire dans un espace socio-politique plus -large (kafo ou kafu) •
Mais au-delà des cadres
de base dans lesquels se regroupent les individus,
les rapports sociaux entraînent également la formation de groupes tels que : les
classes d'âge (kari ou f~-ton)
auxque..,..d.les sont greffées d'autres formes
d'associations de solidarité appelées ton. De même que les rapports sociaux s'ins-
crivent dans diverses hiérarchies constituées par étagement de niveaux d'autorité,
de titres et de statuts.
Oes cadres qui organisent la régulation sociale créent un ensemble normatif,
une manière de penser, de sentir et d'agir dont l'orientation est structurée
suivant des modèles collectifs partagés par les acteurs composant la société. Qes
modèles sont articulés autour d'une'7,notion fondamentale qui est la parenté
-------- - --
1)
Les éléments culturels seront étudiés dans les prochains chapitres.

- 58 -
envisagée comme structure globale et générale.
Chez les Man.deng, la parenté se dit fadenya, badenya ou baramogoya. Le
premier terme désigne l'ensemble des personnes se réclamant d'un même ancêtre.
Le second vocable véhicule l'idée de solidarité, d'entente fraternelle. Quant
au dernier terme, il évoque l'idée de communauté résidentielle, de parenté socia-
le qui englobe et dépasse la consanguinité.
Ces différentes formes de parenté trouvent leur expression dans la
communauté familiale
(gwa, l~, kabila)
et dans la commuanuté résidentielle
ldugu et kafo) .
Nous étudierons successivement :
- section l
: la communauté familiale, ,.,
- section II : la communauté résidentielle.
SEcrION r - LA" C~E FAMILIALE
PREMIERE "'OIfolE DE PARENTE
Dans une société comme celle des Mandeng, il n'y a pas à vrai dire de
différence essentielle entre ce eue l'ethnologie appelle clan, lignage et famille
étendue . En effet, une analyse rigoureuse montre que les deux premiers ne sont
e~ait que le prolongement dans le temps et dans l'espace de la famille étendue.
Au commencement, nous trouvons l'ancêtre commun, celui dont les exploits
ont permis l'émergence du groupe. ~l est l'ancêtre mythique dont les faits sont
symbolisés par un jamu (devise), nom collectif porté par ses descendants.
L'histoire commence véritablement avec l'ancêtre fondateur du groupe appelé
Bemba
dont les descendants forment
le groupe le plus large appelé
Temusi,Kabila
et qui groupe l' enseml:lle des vivants et des morts.
Le kabila ou le temusi
ne connaît en principe aucune limitation quant à sor
nombre. Il peut essaimer tout autour de l'espace initial pour constituer un village.
Ainsi, si la famille première se segmente, c'est pour diverses ~aisons : exiguité
de l'espace, conflits, etc. De manière générale, on peut dire que ,o." cette
segmentation laisse pour ainsi dire intact le sentiment d'appartenance au même
tronc, d'autant que la segmentation crée très exceptionnellement une distance
entre les sa-gments, car ceux-ci demeurent socialement contigus et en outre as soc Lés
par la communauté de biens" (1).
-----------
1)
WANE (Y) : 1969, p. 159.

- 59 -
Nous aborderons l'étude de la communauté familia-
le à travers la parenté comme système de solidarité (A) et les principes qui
régissent l'autorité (B).
A- La parenté comme système 'de- 'so-l'idarité
L'organisation sociale de la famille repose sur le critère de
primogéniture
qui fixe les positions statutaires et les niveaux d'autorité. Elle donne en
même temps les différences selon lesquelles se codifient les comportements et les
conduites.
a)
!J>erxu de l'organisation familiale
Formellement la famille chez les Mandeng, au sens premier du erme, c'est-
à-dire le lu ou du
est caractérisée par la réuni~n sous un toit commun et sous
"
"
l'autorité d'un responsable d'un doyen appelé lutigi ou gwatigi de personnes
se réclamant d'un ancêtre commun (bemba).
Cette première saisie de la communauté familiale est eqkéalité insuffisante.
En effet, chez les populations malinké-bambara, le ~ (foyer)OUl e bIon-da (vestj-
bule) traditionnel n'est pas seulement une unité biologique. A l'image du dugu-
village, la famille abrite des apparentés, des étrangers, des clients.
Le lu
mandeng se présente, au point de vue de sa structure comme une pluralj
té de foyers (gwa) , de familles restreintes dont les responsables sont unis entre
eux par des lîens de parenté dans lesquels l'élément biologique ne joue pas un
rôle exclusif. Si dans bien des cas. les membres d'une communauté familiale
se rattachent à un ancêtre commun, d'autres sont intégrés au groupe de base, selon
des critères qui ignorent les liens de consanguinité. C'est le cas des wolosso
(captifs nés dans la maison), de~ dunan (étrangers) et des nyamakala (ceux qui ont
une spécialité technique ou artistique) •
Ce qui caractérise l'appartenance à une communauté familiale chez les Mandens
c'est un ensemble de relations socialisées (participation active à la vie du lu)
qui se sont transformées avec le temps en système de parenté au sens social du
terme. On est membre d'une famille, abstraction faite des liens de sang, quand on

- 60 -
s'y rattache par des liens comportant des droits et obligations juridiquement
sanctionnés (1).
Le lu traditionnel constitue un véritable village en modèle réduit. Il est
une cellule de production et de consommation, autrement dit une unité économique
(exploitation agricole), une unité sociologique (socialisation des biens) et
une unité juridique (transmission du patrimoine collecti~.
b) Le lu co~e unité dé productton et de consb~~tion
Chez les Mandeng, le- lu
constitue le Lie u fondamental de vie. Il est le
support démographique de l'exploitation agricole, de l'organisation du travail et
de consommation~' Le foroba
qui SYmbolise cette unité désigne de manière générale
l'ensemble des biens matériels et imm~ériels de la commuanuté; Au sens restreint
du terme, il signifie le champ collectif dont le produit a donné naissance aux
..
autres richesses du groupe.
Dépôt sacré, placé sous le contrOle et la direction du doyen du groupe, le
foroba symbolise l'alliance sacrificielle des ancêtres avec les puissances tutélai-
res (dassîri)
considérées comme les premiers occupants de l'espace non encore
socialisé.
L'exploitation collective du foroba entraîne l'obligation pour les membres
de la famille
(lu
kono mago denbaya) à travailler ensemble et à consommer en
commun (2).
Communauté de vie et de biens, le forOba
constitue un véritable capital
destiné à satisfaire les besoins fondamentaux de la fam:ille. Il est égalemnt le
trait d'union avec les groupes voisins~ En effet, plus il est important (en person-
nes et en biens), plus il constitue une richesse permettant de nouer diverses
alliances matrimo/niales et politiques •
~cfiesse-rndivise, le foroba
est appelé à être constamment augmenté par la
contribution de chaque membre de la communauté aux tâches nécessaires à son dévelop'
pement. Le rOle le plus fondamental est celui du doyen, du faa , chef de la famille
étendue.
1) Ains:i le wo-l-osso
(esclave né de parents captifs) qui a retrouvé sa liberté,
hor~n~
sera considéré comme membre de la famille tant qu'il continue d'une.
manière ou d'une autre à témoigner son
attachement à la famille. Il en est de
même du .fll1amakala
qui offre en permanence ses services au lu • De même l'étran-
ger, dunan
qui se fait adopter par la famille et y vit en harmonie avec ses
membrëSf'init par devenir un membre apparenté
à son groupement d'accueil.
2)
Cf .. TlU\\ORE. r977
(a).

- 61 -
En tant que responsable suprême du dépôt sacré transmis depuis
plusieurs générations, il est chargé de coordonner l'action des divers pr~ducteurs
du groupe. C'est lui qui veille à l'intégrité du foroba, source première de la
vie du groupe. Il évitera tout ce qui pourrait être la cause de sa dislocation.
Son rale est double à ce niveau :
maintenir les biens constitutifs du 'forcba
à l'intérieur de la communau-
té et refus de l'aliénation du patrimoine foncier (1),
- assurer l'unité du groupe par la répartition équitable des charges et la
satisfaction des besoins fondamentaux des sous-groupes (2).
Enfin, c'est du respect du refus de partage du bien commun et la participa-
tîon de tous les membres du lu
au renforcement d~ foroba
que scYo~~assurée
l'unité, la stabilité et la cohésion familiale (3).
B -
PRINCIPES ET œmp DE L'JUTORrrE
L'organisation de la communauté familiale est régie par le principe
patrilinéaire. C'est dans le cadre de la famile paternelle que se définissent
chez
les Mandeng, les rapports d'autorité.
Le système repose sur la notion d'aînesse (koroya) qui s'applique tant à
l' ~ard de la génération qu'à celui de l'âge. Elle se fait valoir à tous les
niveaux de l'articulaoion sociologique.
a)
Le S}'IIlÏ>?le de l'autorité
Dans le cadre
du kabila, du gwa ou du lu, le doyen, le faa
ou père social
du groupe est la figure dominante ~i symbolise l'unité de communauté. Il concentre
entre ses mains l'ensemble des attributs
de la souveraineté du lu ou du ~.
Il assume la personnalité juridique de la communauté dans les rapports avec
l'extérieur. Il lui revient également d'apprécier les relations de chacun des
membres du groupe en référence constante avec les intérêts fondamentaux de la
famille.
1) Les Mangeng sont exogames. C'est pour cette raison que la femme qui est:,è.ppelée à
se-marier à l'extérieur du groupe est exclue de la succession des éléments qui
rentrent dans le foroba.
2)
Lorsqu'il y a dislocation de la communauté familiale ou scission d'un sous-
groupe, leforoba
reste sous le contrale du faa • Il se constitue dès lors un
nouveau foroba à partir des biens personnels des partants.
3)
Nous verrons (chap , VII'I) comment la monétar:isation et les transformations soc L
économiques introduites par le système colonial ont agi pour détruire 1 'ordonnan
cement traditionnel de la société.

- 62 -
Le terme faa
qui signifie plénitude, chef, maître, désigne l'assise
énéalogique du doyen qui trouve son expression dans la faya ou puissance paternel-
jécoulant du principe de la fasya ou ensemble de rèçl~s qui régissent ~es person-
se réclamant d'une même profondeur généalogique. Fondée sur la prééminence des
es sur les fils
Cfaya/dogoya), la règle de la fasya
est la cléf de teus les
portements sociaux de la société malinké-bambara.
Ainsi, le faa qu'il soit lutigi, gwatigi, kabilatigi
est celui qui a la
ninence sur les responsatles des familles restreintes et sur teus les dépendants èe
communauté.
Il a droit au respect
(bonya~ ,à l'obéissance (son) des ses frères
ets et des fils, bref de l'ensemble de la collectivité familiale ou denbaya
et
a leur v i~ durant ,même èR cas de segmentation du greupe.
La règle de la fasya
postule, sous une forme simplifiée, que les enfants
n)
ne peuvent accé ·der à la plénitudede f~ tant qu'il existe des
pères
ssificatoires • Ainsi, le fait d'être père
(faa), d'être doyen, suppose qu'on ait
~ière soi la loi sociaèe et les supports symboliques de l'oràre que sont les
êtres
(faa-suu}
le
responsable suprême de la communauté représente plus que
personne. Garant de l'intégrité du groupe, le kabilatigi, le lutigi ou le gwatigi
ient des qualités considérées comme exceptionnelles et c'est précisément ce qui
t de lui le plus craint, le plus respecté et le plus puissant, au service de la
nunauté.
Symbole de l'unité familiale, il est impensable de l'affronter ouverte-
ce serait
t, car ce faisant,lt0ucher aux racines mêmes du pouvoir ancestral, aux bases
ol.oq i que s ,
ce principe rarement v i c t.é a valeur de symbole.
Il se rattache à la
fonde croyance que la vieillesse est signe de puissance, de sagesse, c~'elle est
ne de la préservation des traditions qui donnent au groupe cohérence et raison
tre et qui
attirent sur lui la bienveillance des esprits protecteurs.
Continuateur de l'oeuvre du fondateur du groupe, le faa est muru kala ti~,
avoir détenteur de l'objet sacrificiel qu'est le couteau symbolisant l'unité de
ccmmunauté familiale.
cette détention fait de lui,
le "prêtre du groupe", le
i t d'union entre les vivants et les trépassés.'~ur cette raison, il est le dépo-
aire et l'interprête de la volonté des ancêtres, i l sera consulté à propos de
~e acte susceptible d'engager le groupe, c'est de cette in.fllience sacrale que
ide l'essentiel de son pouvoir.
cette prééminence
ne constitue pas moins une
~de charge pour le titulaire du pouvoir familial.
En effet, le doyen est soumis à un ensemble d'interdits dont le respect
f
.
-
l
f
.
l
d
d
l cas
.
oree son autor1te et
a
oree v1ta e
u groupe ou
ans
e contra 1re
son
aiblissement comme conséquence du mécontentement des esprits ancestraux
(faa-suu).
Le faâ doit être un modèle de vertu disent les Malinké et les Bambara.
Il
t
être un miroir à travers lequel
chacun de ses dépendants trouvent la
source de
r
inspiration et le guide de leur action.
C'est du respect de la' fasya
que

- 63 -
~ndra les relations internes et les rapports avec les groupes voisins.
Enfin, la consécration du principe de primogéniture permet finalement
;ystème d'organisation familiale de
se reproduire sans bouleversements majeurs,
: des règles
de fonctionnement au demeurant fort simples que nous allons
~ger maintenant.
bl
Les relations internês au"lu
La famille malinké-bambara
perçue de l'extérieur se présente comme un
emble monolithique. Elle est en fait fractionnée en autant de cellules qu'il
d'épouses. On distingue de façon générale deux articulations principales qui
cèdent de la structure polyginique
de la famille. Nous avons d'abord le fabonda
rte du père) qui comprend l'ensemble des individus issus du même géniteur, et le
onda (porte de la mère) qui groupe les personnes se réclamant de la même mère
~)
et qui sont constitués en cellules actives (1).
Entre les différentes cellules qui constituent la communauté familiale,
n'existe aucune relation hiérarchique sauf celle
que nous évoquions ci-dessus,
~st-à-dire le principe de la primogéniture. Aucune cellule n'a d'existence juridi-
~ propre, les droits et obligations de chaque membre
sont définis en constante
" '
'érence à la fasya.
ri en va de même de la vie juridique de chaque membre qui
:nscrit dans une chaîne de solidarité à travers laquelle chacun remplit en fonction
son âge et de son sexe les rôles qui
assureront l'unité et la cohésion du groupe
lsidérées comme supérieures aux intérêts des diverses cellules.
La parenté en tant qu'ensemble complexe de relations sociales est fondée
. une communauté de vie, de pensée et de croyances. Elle est un réseau de droits
d'obligations dans lequel chacune des générations est soumi.se à celles qui lui
lt antérieures. Les relations de soumission et de subordination qu'elle impose
manifestent de bas en haut, alors que
les prérogatives de commandement et de
'oi.r qui sont corrélatifs
de protection
et de sécurité vont de haut en bas à
:ti.r de la génération la plus ancienne, celle des pères ou f~.
Modèle miniaturisé de la société globale, la communauté familiale se pré-
lte
en fait comme une série de groupes emboités les uns dans les autres, se sou-
lant et se valorisant mutuellement. Chaque groupe ou cercle représente une généra-
ln. Nous avons aussi : la génération des enfants, des parents et des grands-parents.
; relations qui unissent les uns aux autres s'expriment dans un schéma à la fois
La descendance par les mères ou babonda
a une grande importance. C'est à travers
elle que s'opère le processus de segmentation de la descendance paternelle.

- 64a-
ve~tical et horizontal.
1: '; a relations ve~~ical~s ou diss)~éL~i~es lorqu'une génératicn
est sOUQise_ celles qui lui scnt antérieures.
Les 9rérogatives de préémi-
nence et d'obéissance qui en découlent créent ur.e inégalité. En :ait, ce
qui apparaît cow~e une inégal~té 3=ciale ~Ies~ ~ie~ jlaut~e que l'express~on
des droits de chacun définis en fonction des devoirs qui lui incombent dans
le cadre de la communauté familiale.
C'est une des raisons qui font que les
générations ascendantes sont col:ectivement resçonsables des actes des
générations descenèantes.
Cette responsabilité collective se conçoit aiséœent dans une société
co~~unautaire dès lors que la vie y est perçue et vécue de manière collecti-
ve.
Il devient alors tout à fait logique que les plus anciens exigent des autl
une soumission qui peut s'analyser comme une sorte de prévention contre
des actes de nature à pouvoir engager la responsabilité
de la communauté
ou
en ébranler la cohésion. Elle est également un "moyen d'assurer la subor-
dination des actes individuels aux pensées du groupe et la primauté du
collectif sur l'individuel"
(1).
0uant aux relations horizontales au sein de
la communauté familiale
on peut les définir comme celles cui unissent les personnes appartenant à la
même génération.
L'égalité qui s'y rattache comporte également des droits
et des devoirs.
Des distinctions interviennent cependant à ce niveau. En
effet,
l'organisation de chaque génération raiL apparaître des niveaux, des
rangs liés à l'àge.
C'est ainsi que le faa,
en sa qualité de responsable
suprême du lu ou du gwa
est le plus âgé de la génération la pins ancienne
(2'
Enfin,
la forte personnalité du doyen,
du faa
pourrait faire
croire qu'il exerce un pouvoir sans partage, un oouvoir despotique.
Il est
entouré,
au contraire, d'un conseil composé de frères responsables des
cellules mineures ou familles restreintes.
1)
KOOASSIGllN
(G)
19ï4, p.
200.
2)
Entre frère aîné et frère cadet,
les relations d'inégalité doivent être
nuancées,
i l y a lieu de les considérer davantage en terme de préséance
qu'en rapport de subordination.

.../ ...-~,,-
=0
Ai
B2
O.=D=O
=0
( 1"
=0
:LI~:
1
1
-r
1
1
1
1
('
1
1
1
1
,
\\
- )
I~-----I
D
f
" ' " ' - - - - -
- -- --_/
\\ .. _----~
4-
2
--'6
A
8
c
A = FAI3üNDl\\
groupes q ênê a l oq igues
Ü;:.;US
du même père et de la ruême mère
B.C
IJ\\DOHDl\\
groupes gén6alogic;ues
issus du même p0rc r.rai s de mi-r e s d i f Le r e n t c s
1,2,3,4,5,6,7 = concessions
Exemples pris au village de héniL~gll
Source: Leynaud et Cissé
(lS7ü).

- 65 -
c)
le conseil de famille ~'gwa ladyé Cl)
L'autorité du faa , du chef de la communauté faite d'acceptation et
de respect est le résultat d'un consensus général. Il est rarement contrai-
gnant. Malgré tout le prestige qui entoure sa personne, il n'est rien
d'autre que le mandataire du groupe, le gérant d'un patrimoine collectif,
1 n'a d'autorité à l'égard des membres de la communauté qu'en cette seule
~_,,-lité.
A vrai dire,
une
analyse
concrète du fonctionnement de la
communauté familiale aurait permis de montrer que son administration
comporte des aspects multiples et par conséquent une division des respon-
sabilités, du pouvoir entre les membres de la plus ancienne génération.
GOmme l'écrit à juste titre Labouret, le f~
mandeng est moins libre de
ses actes et décisions que le maitre de l'ancienne fraternité,
Il est loin d'être un autocrate. Œl remplit plutOt les fonctions d'un adminis-
trateur délégué, d'un agent chargé de la coordination des différentes
tâches du- lu
et tenu de se conformer aux directives arrêtées par le
conseil formé des anciens (2).
L'existence d'un conseil de famille comme organe délibérant constitue
donc un contrepoids qui limite considérablement le pouvoir du chef consulté
à tout moment, les avis du conseil ont force de loi.
C'est lui qui apprécie
et autorise les actes qui engagent la responsabilité du groupe-
+
-+0
+
Ainsi la communauté fam±liale se définit comme une appartenance qui
prend appui et force dans un enracinement ontologique, dans un commun vouloir
de vivre ensemble, dans une volonté d'être ensemble dont l'expression la
plus significative est la mise en commun des acquits qui se traduit par une
solidarité affective qui garantit à chacun la sécurité sociale indispensable
à l'épanouissement et à la cohésion communautaire.
1)
LABOURET ClI): I934, p.
56-57.
2)
A noter
que de nombreux cas de sc~ssîon ont pour cause l'arbitraire du faa

- 66 -
Cette solidarité élevée en culte donne finalement un code de
valeurs, une morale de l'action à travers des pratiques réglées selon une
orientation normative des membres de la communauté.
Lieu de communication et d'échange, la communauté familiale tout
en étant fondée sur l'altérité est en même temps volonté d'ouverture, d'in-
tégration de nouveaux membres (alliance matrimoniale, adoption,etc.) bref,
elle est désir de permanence, idéal historique qui postule le refus de l'ato-
misation, de l'autonomie individualisante , porteuse
d'éclatement, de
rupture et
partant besoin d'enracinement dans une mémoire collective.
L'importance de la vie communautaire comme manifestation de la
so~idarité sociale et de l'unité de croyances assure le triomphe du
groupe sur l'individu.
Dans cette société, chaque acteur social emprunte pour ainsi dire
les liens de parenté de son groupe. Et il ne peut y avoir d'autres formes de
parenté que celles que tissent le groupe, celles qui s'établissent de lu à lu,
'"
"
-,
.. "
'.,""
de gwa à ~, de kabila à kabila, de dugu à,~, bref de kafo à kafo.
Ainsi la parenté forme un tout à l'intérieur comme à l'extérieur, un tout
qui gouverne en définitive l'architecture sociale.
Cette
primauté de l'intérêt communautaire ne doit pas s'entendre
comme anéantissement de l'individu au profit du lu
ou du qwa, Car la per-
avant ~
sonne,dans la conception malinké-bambara, est considérée komme instrument du
~oupe, et en même temps
le groupe lui~ême, Et c'est de cette complémentarité
qu'il tient son essence et son existence, Il y a donc une possibilité de
dissocier l'individu du groupe dans ce système de pensée.

- 67 -
SEeI'ION II
LA COMMUNAUTE RESIDENTIELLE
-
La parenté baramogo~a en tant que processus d'ouverture et
d'intégration déborde les limites du Lu. Elle s'enracine dans un espage
socialisé, assez large pour devenir parenté de résidence, de croyance
et de fraternité. La parenté baramogoya se territorialise. Elle est en
premier lieu celle qui unit les habitants du même quartier (kyin, ~olé}
En second lieu, celle qui associe les ressortissants d'un même villaqe
(dugu) et tisse entre eux des sentiments d'appartenance et de solidarité
fraternelle. Elle est en troisième lieu, communauté d'appartenance à un
ensemble socio-politique appelé kafo ou faso,
(maison du oère ou patrie)
pour lequel on est disposé, à se sacrifier.
La parenté baramogoya s'actualise principalement dans deux
formes concrètes d'organisation politiquae~ociale : la communauté villa-
geoise et la communauté territoriale.
A.
LA COl'1MUNAUTE VILLAGEOISE
Cellule fondamentale de la vie traditionnelle, le village (dugu)
se présente comme une juxtaposition de familles étendues dont le reoré-
sentant est le dugutigi. I l tient son statut de l'ancentralité ou plus
précisément de l'antériorité de son groupe. Si des évènements extérieurs
conduisent à la mainmise d'Un autre groupe sur le village, i l y a là bi-
focalisation du pouvoir. Nous aurons deux maîtrises : celle qui s'exerce
sur des hommes (dugutigiya ou chefferie politique) et celle sur la terre
(prêtrise du soldug"'..ùml.otigiya)
(1).
Qu'il s'agisse de village à structure homogène dans lequel les
membres sont issus d'un ancêtre fORdateur ou à structure non-homogène,
la communauté villageoise s'articule autour de deux éléments: autochtones
et étrangers. Il s'agit de deux entités distinctes: les premiers sont
dits augulen (contraction vocalique de dugu-den, enfants du village} les
seconds appelés dunan (ceux qui sont venus dans le village dugu) •
(1) Cf.TRAORE, 1977 (b)

-
68 -
Ce qui caractérise la communauté villageoise chez les populations
mandeng, c'est essentiellement une série de relations qui donne à la trame
villageoise sa cohésion.
En effet, nous trouvons dans chaque village, un noyau initial à
côté duquel sont venus s'agglomérer des alliés:
(furunion, alliés par
les femmes, kokénion, ceux avec qui nous pouvons traiter, kanunion, ceux
avec qui nous avons des affinités), des descendants d'esclaves (wolosso),
d
k l
d
-
(d
. . f
çeu~
.
-
d
es nyama a a,
es etrangers
unan ou $1g1- en, qU1 sont aSS1S pres
e
nous) .
Comme communauté polittque, le village déborde largement le cadre
qénéaloaiques et envahit pro~ressivement tout l'espace environnant, grâce
à un certain nombre d'institutions dont
- le conseil des faa représentant les familles
- les groupements d'âge fondés sur la fraternité d'âge,
(flanya ou
parenté gemellaire procédant de la circoncision).
- les associations de formation et d'information de leurs membres
groupés sous le générique de ton (groupements de culture et d'ani-
mation culturelle, associations de chasseurs, donso-ton, etc .. (1)
enfin, les institutions initiatiques ou joo-baw qui assurent à
la communauté l'enseignement nécessaire à sa reproduction.
C'est, à l'apport de ces diverses institutions que l'on doit
principalement la cohésion de la communauté (2).
Examinons maintenant quelques unes de ces institutions (3).
(1) A noter que les ton de manière générale sont raccordés aux groupements
d'âge.
a
(2)
La cohésion auraït des difficultés à se réaliser si elle s'appuyait
seu~ement sur les structures généalàgique~qui sont les sources de
nombreux conflits nés des rivalités ou fadenya au sens large du terme.
(3) Les institutions initiatiques seront étudiées plus loin.

- 69 -
a)
L'organisation politique villageoise
La figu=e dominante de la communauté villageoise est le dugutigi
ou le dugukoloti, selon que cette même fonction relève ou non de la même
autorité. La dévolution du pouvoir dans un village traditionnel mandeng
est liéaà des causes historiques. S'agissant d'un groupe considéré comme
premier occupant du terroir, le pouvoir cheffal lui revient de droit aussi
longtemps que les évènements extérieurs (conquête ou ruse) ne viendront
remettre en cause les droits fondamentaux nés, comme nous le savons, de
l'alliance sacrificielle conclue avec les puissances tutélaires (dassiri) <
1 0 /
La chefferie du village
Le pouvoir politique suit le principe de la fasya. Il est exercé
par l'aîné du groupe cheffal. Ce principe dont le mécanisme est simple
peut comporter cependant des exceptions. En effet, au sein de certains
groupes fondateurs, il existe parfois des modalités qui restreignent le
champ d'application de la fasya. C'est le cas dans certains villages où
le pouvoir circule seulement à l'intérieur de la même lignée.
Personnage central du village, le dugutigi symbolise l'alliance

des générations. Il est le continuateur de l'oeuvre des ancêtres, ainsi
il est juge et arbitre des conflits internes au village. Son autorité
repose sur la fidélité aux valeurs cardinales de la communauté, il doit
les incarner aussi longtemps qu'il préside aux destinées duvillage. S'il
venait à s'en écarter son autorité sera contestée, les villageois pourron~
dès lors, solliciter du conseil des faa sa déposition. Cette procédure
intervient très rarement, car le pouvoir villageois s'exerce de manière
collégiale par l'ensemble des-représentants des lu.

- 10 -
2°) Le conseil du villabe
Composé par l'ensemble des représentants des lu, l'assemblée
du village (dugu-ladyé) es~ l'organe ~~gislatif de la communauté.
Llle est réunie par le du~~tigi chaque fois qu'il le juge nécessaire.
Le conseil peut être également convoqué à la demande de tout lutigi
(chef de famille) lorsqu'il désire associ~r ses pairs dans la prise
de décisions qui peuvent avoir des incidences au niveau communautaire.
Le conseil est habilité à statuer sur tous les problèmes
relatifs à sa juridiction. Les relations de badenya et de baramogoya
sur lesquelles reposent la communauté villageoise font de l'institution
un instrument permanent qui coordonne les diverses activités du
village sous la direction du dugutigi.
C'est en son seln que les li~iges tels que la fadenya
(rivalités, luttes d'influence) ou la sorcellerie - subagaya
trouvent leur solution. L'institution atténue les tensions, qui
naissent de ces foyers pe~anents de conflits en établissant
un équilibre certes temporaire, mais nécessaire, au déroulement
du jeu social.
Considéré comme le garant de la conjonction d'événements
propices au bien-être des différents lu, le conseil est chargé
de concevoir et d'organiser les rites propitiatoires (lutte contre
les épidémies, sécheresses, etc ... ).

-
71 -
b) Les groupements d'âge
Les groupements d'âge constituent un des piliers de l'organisation
sociale traditionnelle. Groupes de jeux comprenant les enfants de même
sexe, ils se transforment progressivement en communauté de vie et de
fraternité. C'est ainsi que, tous les garçons et les filles qui ont subi
les épreuves initiatiques (circoncision et excision) dans un intervalle
de sept an~sont considérés comme appartenant à la même génération. Ils
font partie de la même classe d'âge appelée kari ou flan-balo.
Elément fondamental de socialisation, la classe d'âge est le
lieu principal de l'initiative
à la vie d'adulte: par son biais, chaque
individu (garçon et fille) est préparé à exercer les rôles et les fonctions
qué la société lui assigne. Chacun y tient la place qui co~respond à son
statut social.
Le rituel de la circoncision et de l'excision. considéré comme
système qui consacre la maturité physique et qui doit aboutir à la
maturité intellectuelle, â la socialisation en définitive desinitiés,
prépare chacun dans son domaine à la construction de la société par le
mariage.
Parenté d'âge qui modèle la communauté villageoise en une
structure pyramidale, les groupements de fraternité reposent sur des
principes normatifs
très puissants qui découlent de~_l finitiation à
la vie communautaire. Par le rite initiatique qui les insèrent définiti-
vement dans des réseaux de relations dynamiques et responsables, les
membres d'un kari, d'un flan-bolo, sont unis par un symbolisme qui
dépasse la période active de leur existence. En effet, tous ceux qui
ont appartenu au même kari, se doivent leur vie durant.-une assistance
mutuelle et une solidarité en toutes circonstances.

- 72 -
La communauté villageoise est en réalité un vaste réseau composé
de promotions successives de kari disposant chacun d'emblème, de devise
et d'attributs divers qui évoquent soit des évènements en relation avec
leur installation soit simplement pour commomérer.
Ces groupements ont joué dans l'histoire des rôles variables
selon les époques et les circonstances. Dans de nombreux royaumes et
chefferies mandeng, les promotions de kari formaient des corps d'armée
(flan-ton). A ségu et à kaarta, les souverains se sont appuyés sur ces
différents corps pour constituer leur armée (1).
Mais les classes d'âge n'ont pas seulement des rôles militaires,
leurs activités englobent divers secteurs de la vie socio-économique.
Le vocable ton qUi désigne le regroupement des associations de jeunesse
s'applique à de nombreuses activités orientées vers des travaux collectifs
(cyké ton) et les loisirs.
1°/ Organisationdu ton
Articulé à l'image de la communauté villageoise, le ton regroupe,
de manière général~ l'ensemble des promotions de kari du village sans
distinction de sexe (2). L'ensemble des sociétaires (ton-denw, enfants
du ton) sont placés sous le patronnage de deux personnalités du village
-- ,
le ton~faa (père du ton) et le ton-baa (mère du ton). L'un et l'autre
ont pour rôle essentiel, de veiller au nom de la communauté villageoise
à la bonne marche de l'association en apportant leur concours aux repré-
sentants.
L'organisàtion du ton
reflète à bien des égards celle du village.
avec cette différence près que le respect des structures généalogiques
s'y efface dans une certaine mesure pour faire place à un ordre plus éga-
litaire.
(1) Cf. MONTEIL (Ch), 1923.
(2) En fait,le. ton regroupe davantage les jeunes et les adultes âgés de
15 à 35 ans.

-
73 -
Le ton,à sa tête un kun-tigi, qui est généralement l'ainé de son
kari. Il dirige les activités de l'association e~ étroite collaboration
avec les autres sociétaires. Il veille rigoureuse~ent à l'application des
principes moraux qui doivent sous-tendre à chaque moment la vie du groupe (1) .
En cas de non respect de la discipline, il inflige des amendes et au
besoin prononcer l'expulsion d'un membre qui perturbe la bonne marche de
l'institution. Le ton kun-tigi est davantage une autorité morale qu'un
chef et il ne peut riendécider sans l'accorà des sociétaires (ton-denw).
Il a plutôt un rôle d'arbitre que de chef. Dans l'exercice de ses fonctions,
il est assisté par un nonkansiai (celui qui vient anrès) qui le remplace,
en cas d'absenc~ et d'un messager ton-cyden, qui est chargé de transmettre
les décisions.
Nous trouvons également dans le ton, des30ciétaires
qui y jouent
des rôles semblables à ceux de leurs parents, dans la communauté villa-
geoise.
Il s'agit des ton nyamakalaw : griots (jeli), forgerons
(numu)
et des descendants de captifs (wolosso). Ils sont les hérauts, les
intermédiaires chargés de l'animation.
2°/ Les activités des ton
Les activités du ton sont nombreuses et variées. Outre les
travaux de culture effectués contre prestations pour le compte des familles,
les ton-denw apportent leur concours aux parents des sociétaires qui en
font la demande et aux vieilles oersonnes en âge d'effectuer certains
travaux.
Les ton assument d'autres responsabilités telles que : la police
villageoise, la réparation des routes, l'entretien des lieux de culte,
la lutte contre les feux de brousse. Les ton-denw se manifestent et
participent activement aux évènements (fiançaille,
mariage, etc .. ) d'un
des sociétaires. Aussi quand un des leurs est concerné, c'est le groupe
entier qui se mobilise
et apporte sa contribution. S'il s'agit d'un
d'un garçon qui se marie, le groupe se charge de lui construire une
(1) Les garçons et les filles du ~ sont considérés symboliquement comme
formant des couples (système du mariage en blanc). Le garçon doit
protéger sa soeur jumelle, il est responsable de sa bonne conduite
jusqu'à son mariage.

-
74 -
nouvelle demeure ou restaure l'ancienne pour la cérémonie nuptiale. C'est
également les membres de son kari qui iront organiser avec ceux du village
de la future épouse le déroulement des festivités.
Enfin si le ton est un qroupement de travail (cyké-ton), il est
aussi activité de loisirs qui dispose de revenus provenant essentiellement
des travaux de culture. Ces revenus sont utilisés d'une part pour la
célébration des grandes fêtes religieuses et d'autre part pour la commé-
moration de l'anniversaire de l'institution qui est une occasion de
retrouvailles entre les membres du kari dispersés dans les communautés
voiSines (1).
B) LA COMMUNAUTE TERRITORIALE
La communauté territoriale est la résultat d'une longue histoire
matérialisée par le kafo ou kofu (assembléef~)Elle se définit comme un
espace politique, économique et social bien délimité sur lequel un groupe
ou un ensemble de groupes -généralement les premiers occupan~- disposent
des prérogatives socio-politiques liées à leur antériorité.
Première forme d! um, té pol i tique, la kafo est le sommet d' une
pyramide qui laisse un ensemble de villages, parents ou alliés unis par
un puissant
sentiment-d'appartenance communautaire appelé kafonyonkonya
(ceux qui sont semblables). Cette personnalité du kafo repose sur des
structures de croyances communes qui transcendent les particularités des
groupes résidentiels. Il s'agit principalement des alliances (joow) scellées
par les ancêtres fondateurs des groupes et qui constituent de véritables
chartes de coexistence pacifique.
Voyons maintenant les institutions qui assurent à l'organisation
politique sa cohérence et sa permanence
(1) Notons qu'à cette occasion, les jeunes mariées rejoignent leur commu-
nauté villageoise.
(2) Selok nos informateurs, le kafo ou chefferie traditionnelle serait
antérieur
à la formation de l'empire du,Mali lequel aurait coiffé
une pluralité de kafo

- ~ -
a)
L'organisation du kafo
Bien que l'organisation politique des kafo varie selon leur histoire
et la composition de leur population de manière générale, le responsable,
le souverain qui l'incarne est le mansa. Il tient son autorité, son pouvoir,
de la légitimité ancestrale c'est-à-dire de l'antériorité, de l'installation
de son groupe sur le territoire.
Autorité suprême disposant de la confiance des kafonion, le souve-
rain est chargé de la conservation de la mémoire fondatrice de la communauté.
Il est tenu de veiller au bien-être de celle-ci en s'élevant au-dessus des
particularismes. Le mansa traditionnel,
tout en étant sacralisé, n'est pas
pourtant un autocrate, il est tenu de respecter l'autonomie des différentes
cellules qui composent le_ ~erritoire (1~
.11 est un guide, un arbitre qui
tout en exerçant des prérogatives de souverain, exprime l'unité et la
cohésion par sa force de persuasion et la capacité de faire régner l'ordre
et l'entente fraternelle au sein de la communauté.
Dans les kafo, les plus riches en bieœet en personnes, la vie
politique est fortement institutionnalisée, le pouvoir est l'objet de luttes
entre les différents membres des familles qui ont vocation à régner (2~
Mais dans un tel système, au-delà des affrontements pour la succession, le
pouvoir et l'aut@rité ne sont pas fondamentalement contestés dès lors que
le choix du candidat correspond aux règles de la fasya.
La gestion du kafo nécessite des ressources et dans une certaine
mesure un personnel. Ainsi pour faire face aux charges qui incombent la
communauté territoriale pour l'organisation des fêtes, la réception des
alliés et apparentés, le mansa bénéficie d'un ensemble ,de prestations et
de services de la collectivité.
(~ Bien entendu, il s'agit des mansa des kafo et non ceux qui ont fondé
des véritables Etats comme l'empire du Mali par exemple.
(2) Dans le nombre de kafo, la succession politique s'opère selon des
modalités distinctes de celles des familles. La chefferie alœrne entre
les différents ayants-droit.

- 76 -
b; Le conseil des anClens
Unité économique ou sociale, le kafo dispose en fonction de sen
impor~ance d'un appareil ~olitique et aQminis~ratif qui recourt à des
dignitaires (patriarches et pe~sonnalités influentes) et des conseille~s
rec~utés généralement pa~~l les familiers du mansa (1).
Détenteurs lég tines de l'autorité, de ses symboles et de ses
privilèges, les membres du conseil des anciens sont en réalité les
véritables maîtres du territoire. Leurs avis sont nécessaires lorsque
surgissent des problèmes qUl dépassent la compétence des villages.
Dans les kafo malinké, chaque année au mOlS d'octobre
(minkalo) avait lieu l'assemblée annuelle (2). A cette occasion,
les responsables des groupes examinent l'ensemble des problèmes
qui n'ont pu trouver de solution au niveau villageois ou inter-villageois.
Les délibérations s'imposent au mansa. Elles ont force de loi dans la
mesure où elles reflètent le consensus général. Le kafo, comme déjà
souligné, repose sur une idée force qui est le nyonkonya : état de
ceux qui sont semblables. Cet~e idée confère à l'institution la
personnalité politique, la~uelle s'exprime dans l'ordre paren~al dont
la structuration dans le temps e~ dans l'espace a permis l'émergence
de l'institution (3).
Le conseil des anClens est l~ juridiction suprême chargée de
résoudre les litiges susceptibles de mettre en péril la cohésion unitaire.
Le réglement des conflits se fait par les voies de la négociation et du
dialogue.
Enfin, entre kafo, les relations de parenté qui les unissent font
que les conflits qUl peuvent les opposer
atteignent rarement le stade
de l'utilisation de la violence. Les solutions de force ne sont envisagées
qu'après épuisement desprocédures de conciliation.
(1) Les groupes nyamakala et wolosso qui sont les intermédiaires institutiol
nels de la société mandeng ont une grande influence au sein du conseil.
(2) Le minkalo est le mois du calendrier mandeng au cours duquel on célèbre
la mémoire des ancêtres fondateurs.
(3) Dans un kafo non seulement les villages sont alliés par le sang (joow
des ancêtres), mais ils sont également parents à. travers les réseaux de

j 7 .•
ou ,
koma et
):c;,~d. re: ;Jll-SSCI.::
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~2]1t2 des aJ1côtrcs,
s oc i e I
auquel elles 2;~~orte:~t
raison qu'elles sont
consider0. S
commo source originelle du rCt)'';Oil.
En effet,
nous trouvons à tous les niveaux de l'articula'cioil soc ia lo .
des membres influents de ces insti t.u ti.on s .
Qu 1 il s'agisse de la famille
étendue, du village,
des associations
(ton), du kafo, parLout uù les
décisions importantes coric cr narrt le clcvc:nir de la société
sont pr .is e s
Pouvoirs p",rilllè Lr-s ,
~".. u vo i r,' ellF:p] émentaj res,
les in'~~ i t u t i ci..
du politique et
; .uvo i r s
&té'l:li~
(1).
x
x
En dé f i r. i t i f ,
ce q uo nous avons appelé Le s ~~~0.
êl..ructu~"
ou célc1Y'es qui orgéJnis'2nt la régulaLion sociale; sont
Ln t i.mcr..erit; liés et en con s t.a nt.e s inter"c tions avec les éléments dits c u l :
reIs qui sent leur r cf Le r.
L3
c o Lt ur e s'inspire d'eux pour cr c r des 1..c(>':.;·s,
é
des symboles,
pour pr éc i s.cr le corit.cnu normatif né c e.s se i r e
e.ux repré~C';,"-
tations collccti~es, aux v~12UVs et 2UX id~ologics qui les sous-tend2pl.
(1)
Notons que tous les çY'i~nds d i ç n it.c i r e s
font partie d'une ou de p.l uc i ci.r s
institutio~s initiatiques.

-
78 -
CHAPITRE II
LES IMAGINAIRES SOCIAUX
COSMOGONIES ET COSMOLOGIES COMME THEORIES DE
SOCIETE
Les règles de vie dans une société comme celle des Malinké-
Bambara ne sauraient être isolées des productions de son imaginaire. Ignorer
cette interaction reviendrait à s'interdire toute compréhension des normes
secrétées par son système de régulation sociale.
______ ~ __ J:)ans_
une __ telLe
société, _ la n.escription ----
des institutions et de leur fonctionnement, aussi utile soit-elle, ne suffit
pas pour rendre compte de toute la logique du système social. Un dépassement
de l'analyse des causes et des effets est indispensable pour l'intelligence
globale des phénomènes qui participent à la cohérence de la société. En effet,
les institutions, comme nous le v~ons, peuvent être assimilées à un sémaphore
dont la description des pièces et des mouvementsjtout en étant fort utile,
n'apporte paS un approfondissement dynamique quand on ignore la signification
des signaux transmis.
Dans de nombreuses sociétés africaines, il est nécessaire
d'interroger les systèmes de pensées pour dégager l'articulation des différent~
niveaux de la régulation qui sont entièrement liés les uns aux autres. Le
Droit, par exemple, dans de telles sociétés, n'est rien d'autre que l'appli-
cation de la pensée sociétaire à certains problèmes de la vie commune. C'est
dire qu'il ne peut être dissocié des autres systèmes normatifs, des imaginaire!
soèiaux qui balayent le vaste champ du social.
Avant d'aborder tous ces problèmes qui ne sont pas p~Qpres

-
79 -
SECTION l -
INSTITUTION DE L'IMAGINAIRE SOCIAL DANS LES
INTERROGATIONS DE L'ETHNOLOGIE
Dans une société initiatique comme celle étudiée ici, les diffé-
ni:
rentes pratiques sociales cp' on ne <bi tlqualifier de sacrées ni de profanes Cl)
s'expliquent et trouvent leur sens par référence aU dis~ours des origines.
De même, les fins essentielles de la vie collective sont implicitement contenue~
dans les mythes, tout comme la finalité suprême se situe précisément dans la
réalisation du modèle proposé par les mythes (2).
Une telle participation aU modèl~ mythique que nous trouvons
dans d'autres sociétés, a fait croire à de nombreux observateurs étrangers,
missionnaires, explorateurs, administrateurs ou ethnologues occasionnel~ que
dans les sociétés qui associent à leur ordre interne un ordre qui les dépasse,
la logique sociale se trouve naïvement transposée dans la logique du mythe
créateur.
C'est en voyant ainsi arriver des différentes parties de la pla-
nète des récits fabuleux - qui ont parfois mobilisé toutes les ressources de
l'ÙBagination - présentant de profondes similitudes avec ceux des mythologies
de l'Antiquité, que les fondateurs des disciplines en sciences sociales:

sociologie, ethnologie et anthropologie, se sont crus, à juste titre, en droit
d'assigner à leur règne sur l'esprit des repères historiques.
(1) En effet dans une société initiatique, une telle dichotomie n'existe paS.
(2) Le symbolisme du mythe de la création était si poussé que jadis les dispo-
sitions des terres de cultures, des villages, l'agencement des pièces dans
les maisons, la confection des habits, des serrures de portes répondaient aU
contenu des mythes. Il en est de même des techniques. Les deux soufflets de la
forge,par exemple, symbolisent les principes mâle
et femelle
comme logique
qui préside à toute création de vie. Tous les actes du forgeron (Numu) dans
;
son travail quotidien ou lors des circoncisions évoquent également des séquence.
du mythe 4e la genèse. De m@me chez le tisserand (Gësé
dalan), la trame
représente le cours de la vie, la navette les jours qui défilent, la bande
tissée le temps achevé, les pédales le dualisme ciel/terre, le haut et le bas
le principe hiérarchique, la loi .du flux et du reflux qui relie un
à un
des ensembles d'apparence éloignés.

- 80 -
à la seule société mandeng
,
il serait intéressant d'écouter le discours
des hommes de science
dont
le métier consiste à explorer les profondeurs
des autres sociétés afin d'en dégager les tenants et les aboutissants
ethnologu~s, anthropologues, philosophes~ sociolo0Ues, etc.
Nous étudierons donc,
en {remière section,
le problème général
de
l'institution de l'imaginaire social dans
les
int~rrogations
du projet
ethno-anthropologique, et en second lieu, le
modèle
malinké-bambara.

-
81 -
Dès lors, des théories vont être élaborées pour justifier les
constructions "idéologiques" des uns et des autres, des "écoles" vont se
constituer
en vue d'appliquer et d'aPl-'rofondir les conclusions des "maftres".
Sans qu'il soit possible de traiter ici les différents courants
qui ont dominé les
sciences sociales, nous nous efforcerons
de ponctuer notre analyse par le rappel de certaines thèses en rapport direct
avec notre sujet.
A - Des théories aUx enquêtes de terrains
Dans la littérature consacrée aU phénomène mythique, il est
fréquent de constater que des auteurs~dans leur incompréhension des catégories
mentales mises en oeuvre dans les sociétés observée~ en viennent à postuler
un stade originel ou protozoaire dont les faits qu'ils rapportent seraient de
simples vestiges, au cours duquel "l'homme du mythe" se serait trouvé constam-
ment soumis à un état de confusion avec le monde et impuissant à dégager Sa
propre personnalité (1). On en vient donc à fournir des explications sur la
caractéristique essentie lle de la mentalité des membres des sociétés "primitives
ou archa"tques" qui repose) aux dires de ces spécialistes..> sur des catégories
mineures.
De telles t~èses s'inscrivent dans le cadre des théories évolu-
tionnistes ....
Elles concevaient les mythes comme un effort intellec-
tuel pour expliquer l'ordre du monde et en même temps la manifestation d'une
pensée confuse, primitive et "embryonnaire" pour citer Frazer.
Pour les théoriciens évolutionnistes, la pensée mythique relève
de l'Antiquité, et pour bien situer leur perspective, il faut se rappeler que
(1) Cf. M. LEENHARDT, 1947

- 82'-
la mythologie était rattachée à la Grèce considérée c~e berceau des mythes.
Mais à partir du moment où la pensée hellénique s'est détournée des mythes
pour épouser une nouvelle forme de pensée, cette mutation fut
considérée comme le passage de l'âge archarque à l'âge classique, comme celui
du "mythoS"au"logos" , autrement dit du discours de l'illusion fabulatrice
à celui de la rigueur philosophique et de la vérité scientifique.
Comme on le sait, traiter de la logique du mythe
dans son
rapport avec la société, c'est retrouver la coupure établie entre les
systèmes de civilisations et de pensée qui seraient soumis à l'imaginaire
(univers archaïque) et ceux qui seraient ,soumis au double pouvoir de la
raison et de la méthode opératoire (univers avancé de la modernité).
A partir de telles formulations,
les courants évolutionnistes
vont s'ât\\génier à démontrer les différences entre sociétés "évoluées" et
sociétés "archaïques".
Pour étayer leur argumentation, différentes sociétés à structure
simple,
populations australiennes, pygmées et autres, ont été choisies comme
échantillon en vue d'une reconstruction de l'histoire des sociétés dites
"avancées ou plus évoluées".
a) Les thèses classiques
Ces thèses ont été soutenues par d'illustres martres. Pour
DURKHEIM, par exemple, les lois de l'esprit reflètent celles du groupe. Le
fondateur de l'Ecole sociologique croyait les sociétés à fondement mythique

- 83 -
tées d'une cohérence absolue parce qu'elles sont figées dans le temps et
olées dans l'espace. Pour lui " ••• les civilisations primitives constituent
s caS privilégiés parce que ce sont des caS simples. Voilà pourquoi,
dans tous les ordres de faits, les observation s des ethnologues
t été souvent de véritables révélations qui ont rénové l'étude des institu-
ons humaines" (1).
QUant aU théoricien de la ''mentalité primitive", Iuc Len LEVY-
URL, il considérait que l'évolution de la pensée humaine suit une progression
néaire. Elle est en quelque sorte liée à différentes transformations socio-
storiques qui se sont produites dans l'organisation des groupes humains.
IJr l'auteur de l"'âme pri~itive", la mentalité mythique qui est d'essence
rationnelle n'existerait que dans les sociétés "les plus basses" de
évolution. Dans ses analyses, LEVY-BRUHL rejoint les formulations de
RKHEIM, à Savoir que dans les sociétés "d'un type déjà élevé", ou "plus
:>luées", le développement des institutions sociales et de la mentalité qui
Ir est consécutive aboutit à la formation de pensée rationnelle laquelle
empo rt e sur la "mentalité archaf'que" (2).
Comme on peut le constater, les sociétés qui n'adhèrent pas à la
~ perspective et dont les membres fondent leur appréhension du monde sur
; bases extérieures aUx normeS de la pensée occidentale sont définies comme
~ationnelles sous le prétexte que les attitudes magique et religieuse y
!nnent une place surdéterminante; de même, ajoutent les penseurs, ces socié-
i
ignorent le principe de non contradiction qui est en somme le fondement
DURKHElM, 1960, p. 8
LEVY-mUHL,
1927, 1951.

- 84 -
de toute pensée logique.
Ainsi les premiers spécialistes occidentaux en sciences sociales
qui ont étudié les sociétés non-occidentales (africaines, améridiennes et
australiennes) les ont ap~~éhertdées par rapport à leur modèle dé société
~omme des ~at~tés antagoniques, éè qui les a conduit à établir
des
typologies fondées sur des oppositions dont la pertinence n'est paS toujours
fondée. Be~coup plus préoccupés par les différences, ils ont eu souvent
tendance, consciemment ou non, à caricaturer les divergences qui séparent les
unes d~s autres.
~'un des griefs les plus sévères qu'on puisse formuler à l'encontre de ce
thèses,
c'est
celui
d'avoir
choisi
arbitrairement
les.
matériaux
les
uti lis és ou'vc r Lt ères retenus pour développer l'argumentation. De manière
générale, leurs
auteurs
ont sélectionné les faits qui témoignent de
divergences de perspective dans les deux types de sociétés Sans les situer
dans leur véritable contexte socio-cu1ture1.
A aucun moment, on
n'a eu la
Sagesse de s'interroger sur le statut épistémologique des matériaux recueillis
ou de tenter de cerner leur valeur symbo1iquê dans ~a vie quotidie~nedes
communautés aU sein desquelles ils ont été collectés. Des sociétés non
occidentales, on ne retient que le singulier, le marginal, à savoir, le
magicien, le sorcier ou le prêtre ; alors que de leur propre société, ces
analystes ne retiennent que les hommes de science , les hommes de laboratoire
comme eux. rl Va de soi qu'une telle méthode manichéenne ne pouvait aboutir
qu'à donner une image fausse et purement impressionniste des sociétés étudiées
et

accréditer la thèse idéologique selon laquelle il existe deux
types de mentalité
humaine distincts et antagonistes :
l'un
rationnel
(celui des sociétés prométhéennes) et l'autre irrationnel
(celui des sociétés

- 85 -
soumises à l'emprise du mythe).
Mais l'attitude Sans cesse changeante d'un LEVY-HRULH face aUx
thèses qu'il avait
défendues, montre suffisamment
la densité des a priori jont il devait se défaire pour analyser le pro-
blème de la mentalité Cl) ,.
Il convient également de signaler que cette coupure comme tant
d'autres qui ont encombré les sciences sociales, a été validée par d'autres
auteurs plus contemporains. SARTRE, par exemple, dans Critique de la raison
dialectique (2)
retient une opposition catégorique entre la pensée dite
"primitive" estimée "rabougrie" et la pensée' occ identale qualifiée" d' authentique~1
De même nous trouvons chez Jean PIAGET une telle orientation quand il
confronte terme à terme un stade inférieur de la pensée (infantile) qui ~erait
mythique et imaginaire et un stade supérieur (adulte~ serait
rationnel et
opératoire.
Chez les fonctionnalistes et plus précisément celui dont le nom
reste attaché à cette"école", B. MALINQNSKI, le premier des ethnologues à avoir
vécu une expérience du.it er-r atn (tles Trobriand, Mélanésie) et en avoir tiré
des conséquences, le discours mythique doit être appréhendé dans son contexte
social, comme un élément parmi tant d'autres qui participent à la cohésion
(1) LEVY-ERULH (Lucien) 1949
(2) SARTRE (J.P.) 1960.

- 86 -
sociale.
Dans
cette
interprétation, les mythes ont pour fonction non paS
d'expliquer, mais de répondre à une demande de sens, de renforcer et de
codifier les croyances et les pratiques qui sous-tendent l'organisation
sociale.
Considérés comme semblables à toutes les autres formes de produc-
tion de l'imaginaire social, les mythes s'expliquent simplement par leur
fonction,
ils sont dans la conception du fondateur du fonctionna1iste
"1'épine dorsale dogmatique de la civilisation primitive", Sa "charte
pragmatique" en quelque sorte.
Une telle conception de la pensée mythique devait domine-pendant
des décennies toute l'anthropologie sociale britannique en même temps qu'elle
la détournait de l'étude des mythes jugée Sans intérêt scientifique. En effet,
"l'école fonctionna1iste britannique" s'est refusée·~
prendre en considération
et i expliquer les systèmes de correspondanceset d'oppositions qui sont
incarnés par les personnages mis en scène dans les récits. Pour elle, ces
récits "gratuits", une fois dépouillés de tout ce qui justifie l'ordre social,
n'offrent rien de plus; tout ce que l'on peut trouver dans les mythes se
retrouve, disait-on, dans l'organisation sociale elle-même par rapport à
laquelle ils constituent simplement un reflet utilitaire, une sorte de miroir
qui ne montre rien de plus que le paYSage qui existe devant soi.
En France, une telle réduction de la pensée mythique a amené
des ethnologues et plus spécialement Marcel GRIAULE et son "école", à prendre
le contre-pied des thèses défendues par les fonctionna1istes britanniques.

-
87 -
Travaillant dès le début des années 1930 chez les populations
dogon et bambara du Mali, qui ont développé tout un ensemble cohérent de modes
de pensée fondés sur le mythe,
l'analogie,
les signes graphiques, les jeux
de correspondances multiples et complexes, un système initiatique constituant
la toile de fond sur laquelle s'inscrivent toutes les manifestations de la
pensée, des plus insignifiantes aUX plus imposantes ,Marcel GRIAULE et 3es
d:i.::2.ciples
(Solange DE Gl'NP-Y, Germaine DIEI'ERLEN, Dominique Z AHl'Nl vont accorder
toute leur attention à la vision du monde de cespopulations,pétrie de
symboles.
Sous leur impulsion,
l'étude des mythes
connaîtra un net
progrès dans la mesure où ils sont interprétés par rapport à une totalité où
chaque détail trouve Sa place
(1).
Ce qui manque à leur analyse, c'est
l'étude de la réalité sociale qui tout en entretenant une étroite parenté
avec l'idéal, ne reflète jamais totalement les constructions idéologiques
et symboliques contenues dans les mythes.
D'une facon plus oénérale,
on
reproche
aux
thèses classiques,
leur tendance à présenter les sociétés
étudiées comme des entités totalement réconciliées avec elles-mêmes,
~6
tensions
ni
conflits susceptibles de perturber profondément leur
organisation interne. Ces sociétés sont également perçues comme des groupements
où les significations sont à la fois omniprésentes et pleinement désirées par
tout le corps social. De telles analyses les
font
apparaître
comme
tellement situées aux
antipodes
des sociétés qualifiées d' "historiques" que
i'étuàe des premières ne peut rien apPQrter aux
secondes
sinon
1) cet aspect est traité au prochain chapitre

- 88 -
la dénonciation de leur contraste.
Dans les recherches plus contemporaines,
ces thèses seront
nuancées, elles feront l'objet de critiqu~ mais dans la plupart des cas,
elles restent sous-jacentes aUx différents discours.
b) Les thèses contemporaines
Reprenant le diagnostic des sociétés qu'ils disent oubliées de
l'histoire, les théoriciens plus contemporains les ont considérées comme des
sociétés de l'immobilisme, de l'invariance, des sociétés de la passivité,
des sociétés non-prométhéennes au sens "(}.J.rvitchien" du terme. c'est-à-dire,
où l'homme n'intervient pas pournremanier profondément les structures ~
la pensée mythique y abolit, dit-on, l'idée même de changement.
Pour LEVI-STRAUSS
par exemple, ces sociétés "semblent avoir
élaboré ou retenu une sagesse particulière qui les incite à résister désespé-
.1
rément à toute modification de leur structure. Les sociétés primitives selon
le grand mattre du structuralisme se reproduisent Sans variations majeures,
parce que l'homme ne les utilise pas afin de s'approprier totalement la nature
et qu'il n'y a pas pris conscience de Sa capacité à
les transformer. Elles
échappent à l'histoire parce qu'elles "produisent extrêmement peu de désordre"
De manière générale, la démarche conduit à présenter ces sociétés
comme des symboles de refus de la nouveauté et du changement, en un mot de
tout ce qui parart extérieur à l'ordre établi. Ainsi, l'idée du développement
(1) Cf. C. LEVI-STRAUSS et G. CHARBONNIER 1961

- 89 - .
historique comme rationnalité y est absente. Dans le même ordre d'idées, on
postule que l'archive dont la mémoire collective est gardienne n'a qu'une
profondeur limitée, qu'elle né s'é~e~d_guère au-?~l~~d'une micro-hi~toire
anecdotique; le temps du mythe commande et efface le temps de l'histoire.
Tout ce qui existe procède du premier et doit se tenir en état par ~éférence
à la "Loi" initiale, sacrée et inviolable parce qu'elle se reporte à la
période des origines: l'ordre des choses ne peut être transformé, il se
conforme aU projet mythique.
Les sociétés "archaIques"Ill funtque reproduire les archétypes mythiques suivant
lesquels les individus se règlent. La dictature du mythe
rejette
tout proj et social différemment orienté •
Toutes les analyses
mettent l'accent sur l'absence d'initiative individuelle, sur la primauté du
groupe et le manque de liberté qui en résulte.
Ces rappels suffisent amplement à relever le sens général de
l'argumentation qui rappelle sensiblement les présupposés des thèses classiques.
sur les sociétés
dites
primitives
qui, soulignons-le, débouche
souvent plus sur un escamotage que sur une réponse. En prenant même en compte
des travaux récents, on ne peut être que sceptique sur la validité des modes
d'interprétation. Certes, on a introduit depuis quelque
temps les sociétés
dites "primitives" ou "archarques" dans l' histoire. on a reconnu qu'elles ne
figurent plus. dans"le temps de la période où_il n'y avait pas encore de temps",
on accepte qU'elles éprouvent des crises et subissent des mutations. Mais
on s'empresse d'ajouter que leur historicité n'est qu'à l'état d'ébauche, car
"elles ont maintenu la capacité de réduire toute situation qui permettrait à
l'histoire de faire irruption et de s'établir en elles. Elles s'acharnent à
conserver leur état d"é~i1ibre initial" (1).
(1)
BALANDIER (G). I969, p. I79.

- 90 -
Claude LEVI-STRAUSS a appliqué plus particulièrement ces
préoccupations dans l'analyse du mythe et il convient de discuter ici de la
validité de la méthode qu'il propose, en suivant sa démarche dans ses étapes
principales
1°) Pensée sauvage et analyse structurale
Dans un premier temps, et avec Race et Histoire, C. LEVI-STRAUSS
s'interroge sur le sens et la portée de la dimension historique dans la
culture. La distinction qu'il propose entre les "sociétés chaudes" et les
"sociétés froides"
Ct) prêtant à la critique d'ethnocentrisme, il en corrige la
portée dans un second temps dans "la pensée saUVé!g~" où il dégage un domaine de
la pensée, commun à toutes les sociétés qui "procède par les voies de l'entende-
ment, non de l'affectivité, à l'aide de distinctions et d'oppositions, non par
confusion et participation"
(~).
Ayant ainsi souligné l'universalité du processus d'organisation de
la pensée sauvage, il tente, dans un troisième temps, d'en appliquer les
enseignements à travers l'étude des mythes.
20) L'analyse struèturale des mythes
Rendons tout de même justice à Claude LEVI-STRAUSS' pour ~es
hypothèses et méthodes d'analyse structurale appliquées aUx mythes des
indiens des deux ~ériques. Il a formulé des vueS en grande
partie
neuves
sur le symbolisme des mythes.
Dans son essai de mise en ordre d'une réalité qu'il dit "fantas-
tiquement compliquée", i l développe l'hypothèse selon laquelle les thèmes
mythiques ne peuvent être appréhendés que par référence à l'ensemble dont ils
font partie et plus particulièrement à leur position relative dans cet ensemble.
Ainsi dans la perspective de l'analyse structurale qu'~l développe, chaque
mythe est considéré par rapport à une totalité mythique, fon~ coamun auquel
il se rattache, montrant ainsi 9ue l'interprétation d'un mythe requiert qu'il
(1 ) LEVI-STRAUSS..
(C). I961
(2)LEVI-STRJ.\\USS (C) .. I962, p .. 355 ..

- 91 -
soit tenu compte des autres mythes auxquels il fait référence, et également
aux
codes qui renvoient à lui.
Claude LEVI-STRAUSS montre également dans ses analyses que,si la
connaissance du contexte social est indispensable à l'interprétation logique
du mythe, le sens ne décou le pas directement œ ce contexte, mais œ l'étude des
agencements proposés qui fondent le sens de chaque élément énoncé dans le
mythe : correspondances ou oppositions qui conduisent aU développement d'un
vaste système d'analogie comparable au langage ou à l'écriture musicale.
En écrivant que la "terre des mythes est ronde",
il formule
l'hypothèse que malgré la multiplicité des formes mythiques, celles-ci reposent
finalement sur des mécanismes de même nature, chaque société les exploitant
à sa manière. LEVI-STRAUSS exprime peut-être l'idée que ce qu'il avait entrepris
à l'échelle des Indiens des deux ~ériques pourrait être étendu à toute la
-
planète.
I l
montre
en
outre
que
le
phénomène mythique
dans toutes les sociétés ne constitue
que "des séries illimitées de variantes
osc I Ll.ant autour des mêmes armatures "( t) •
Le progrès essentiel qu'accomplit l'analyse structurale des
mythes c'est que désormais, tous les éléments du mythe acquièrent une perti-
nence. Il subsiste toutefois des incertitudes quant à la validité de l'inter-
prétation lévi -strau~enne. En effet, les
Mythologiques
(2)
ne sont paS exempts de critiques.
on
peut
leur
rep:rocher
d'analyser la logique interne des mythes et de leur système de
transformation pour eux-mêmes, en ne les renvoyant à aucun autre réel que celui
des schèmes mythiques qui constituent la trame des récits (animaux, astres,
../'....~
(1). LEVI:,~1'RAUSS, 1971, p. 571
(2) Les r.Jythologiques de C. LEVI-STRAUSS comport:n~ quatre vo~~es : Ii e cru et
le cuit (1964),D.U miel aux centres (1967),
L'or~g~ne des maru.er es de table
(1968) et LI homme nu (1971).

- 92 -
objets divers).
En reprenant l'expression de LEVI-STRAUSS déjà citée, Catherine
BACK.ESCLEMENT a pu écrire que "La terre de la mytho logie est ronde, si bien
qu'on y circule toujours de la même sorte; on y répète et on y perd le sens"
(1). L'auteur montre qu'en défini~ive l'analyse lévi-strau~enne des mythes
qui se renvoient les uns aux autres, instaure en quelque sorte une logique
des relations aU terme de laquelle le mythe ne renvoie qu'à lui-même et,
d'une certaine facson, au non sens. Nous trouvons également formulées' des remar-
ques similaires dans Le sYmooti~.:n~'en. général (2) où SPERBER s'étonne que les
Mythologiques soient la description d'un langage dont chaque société indienne
ne connaftrait que des bribes enfin rassemblées par LEVI-STRAUSS) autrement
dit un langage que personne ne parle.
L'objection que fait CASTORIADIS à LEVI-STRAUSS dans l'Institution
ima8ina~re de la société (3) tient, nous semble-t-il, dans une double affirma-
t i on, D'une part,
il Y a un sens qui ne peut être abstrait indépendamment
de tout signe, lequel est autre chose que l'opposition des signes, ou une
shnple résultante de la combinaison des signes. D'autre part,souligne-t~il,ily
a impossiblité de réduire - comme le fait parfois LEVI-STRAUSS - les institu-
tians symboliques à leur fonctionnalité, d~ même qu'on ne
peut
nier que
le réseau symbolique renvoie à autre chose qui n'est paS forcément du
symbolique.
Parmi les reproches formulés à l'encontre de LEVI-STRAUSS, à
propos des~ythologiques, ceux de Marc AUGE sont incontestablement les plus
(1)
BA~~CLEMENT. (r97r),
(2) SPERFER (0)
1974, p. 84
(3) CASTORIADIS (C) 1975

-
93 -
,
pertinents. Ce qu'il reproche à l'analyse levi-strau~enne, c'est de ne paS
tirer toutes les conclusions qu'elle donne de la définition des systèmes
symboliques et surtout le fait de hiérarch~r les niveaux symboliques.
" ••• l'économie~ la parenté, la religion etc ••• constituent
autant de systèmes symboliques d'égale "dignité", il ne peut être question ni
d'étudier exclusivement leur logique propre, ni de considérer que les uns
reflètent, avec plus ou moins de sophistication, les autres. L'articulation
des systèmes symboliques ne peut se penser que par rapport aUx pratiques qui
les mettent en oeuvre, et qui font appel, en effet, même pour les plus anodines
d'entre elles, à tous les registres de la vie sociale" (1).
En marge de l'analyse du structuralisme et de l'anthropologie
dite marxiste (2), s'est développé tout un courant de recherches appelé
" anthropo logie dynamique", et dont les orientations méritent d'être signalées
dans la mesure où elles
proposent
des éléments de réponse susceptibles
d'éclairer notre problJmatique.
3°) L'anthropologie dynamique
Sous l'impulsion de ce courant anthropologique dont les principaux
représentants sont
G. BALANDIER pour la France, M. GWCKMAN et E. R. LEACH
pour la Grande-Bretagne, les anciennes formulations théoriques ont été repensée~
de même que de nouvelles interprétations des phénomènes sociaux ont été
proposées. on ne recherche plus les images d'une humanité originelle, de même
Cl) AUGE (M) :
1979, p. 113
(2) Il ne sera fait ici mention de l'anthropologie marxiste dans la mesure où
elle. _
tend à ignorer tout ce qui ne relève pas de "1'infrastructurel"
et surtout quand on sait qu'il est reproché à tous ceux qui tendent de suggé-
rer d'aut~es modes de lecture
des causes historiques et socicibgiques,de ne
pas respecter l'ordre des "instances verticales'~.d'être des idéalistes.

- 94 -
qu'on insiste moins sur la négation de la liberté ou sur l'insuffisante prise
de conscience de l'individu des "sociétés èxot.t ques ", de s a personnalité et
de ses possibilités d'actions efficaces aU sein de son univers. L'accent sera
porté davantage sur l'aspect de la dynamique sociale et une grande importance
sera accordée à ~ dimension temporelle des schémas intellectuels qui orches-
trent la vie des sociétés étudiées.
Sans rentrer dans le détail des thèses avancées par les uns et
les autres, on peut toutefois situer les perspectives de recherche de chacun
d'eux.
G.
BALANDIER dans d es études consacrées au domaine
politique dans les sociétés africaines met en évidence les forces et les méca-
nismes qui contribuent à la cohésion du projet de société, tout en montrant
également les facteurs qui le menacent. Une attention particulière est
accordée aux symbolisat
s et aux ritualisations lesquelles sont appréhendées
à travers un langage codé
(1),
QUant à M. GLUCKMAN, il privi légie dans l'analyse qu'il fait des
sociétés africaines étudiées, la notion de conflit. Il voit dans le conflit
Sa perspective,est un élément dynamique, il ne détruit pas le système social,
aU contraire, il participe à son maintien en lui insufflant une vigueur
toujours renouvelée (2).
(1) BALANDIER (G) 1969 et 1974
(2)
GLUCKMAN (M)
1963 et 1965

- 95 -
Les analyses de LEACH sur la société Kachin (1) sont éminemment
instructives pour notre sujet, dans la meSure où elles conduisent aUx
fondements d'une réflexion sur les productions de l'imaginaire. Prenant le
contre-pied des thèses classiques et fonctionnalistes en particulier, il
montre que l'équilibre dans une société ne doit pas être compris comme un
signe de stabilité. Dans la société Kachin, le discours mythique ne recouvre
pas sans tensions l'intégralité des pratiques sociales de l'ensemble des
groupes. Ce discours serait en deça du sens proclamé. Il est incomplet et laisse
s'exprimer des tensions, des rivalités entre les sous-groupes.
De même, il est équivoque car il exist~ des
usages
diffé-
rentiels dans l'u~~l~sation du discours commun par les groupements constitu-
tifs de la société. LEACH repère dans les conflits et tensions qui sous-
tendent les pratiques sociales deux faits majeurs ou plus exactement deux
modèles de société. AU discours officiel des tenants.
du système hiérarchique
qui réaffirment le mythe pour légitimer leur position idéologique,
s'oppose le contre-discours,
le contre-mythe
des autres groupes qui désirent
. _ - - - - --~--'.--
--'~'~-
accéder au pouvoir et aux prestiges et expriment leur rivalité en rejetant
le mythe ou en supprimant des aspects qui leur sont défavorables, autrement
dit en corrigeant des généal0.9ie~Il!Y.th~es."-..
L' auaeur- conclut· qu'un mythe est
susceptible de recevoir plusieurs versions, qu'à l'intérieur d'un même schéma
généalogique peut intervenir une pluralité sémantique qli est Signe de multiples
manipulations par les groupes en compétition.
(1) E. R. LEN:H, 197-2.

- 96 -
Nous ne pouvons conclure cette brève revue des thèses contempo-
raines qui ont alimenté les réflexions anthropologiques, Sans signaler un
récent courant qui, malgré les prises de positions et les passions qu'il a
décharnées, a
apporté un éclairage nouveau dans la vision ethnolo-
gigue
des sociétés dites primitives ou sauvages.
rl s'agit de la contribution de deux auteurs: CLASTRES et
SAHLINS dans les domaines du pouvoir (1) et de l'économie (2).
4°) Nouvelle lecture épistémologique des sociétés dites primitives
ou sauvages
A l'affirmation sous-jacente aU discours Savant selon lequel la
primitivité serait une préfiguration ou préformation de la normalité sociaie,
une réalité dans le dénuement,a.ASTRES et SAHLINSoottenté.chacundmss:mdomaine,
de montrer que la société dite primitive n'est"ni
inachèvement, ni
incomplétude , ni société du manque".
",'
-,
"
Dans la Société contre~l'Etat, CLASTRES développe l'idée que la
société des sauvages "s'inpose comme une positivité, c01III1e une mattrise du
milieu naturel et mattrise du projet social, comme volonté libre de ne paS
laisser glisser hors de son être rien de ce qui pourrait l'altérer, le
corrompre et le dissoudre". Pour cet auteur "les sociétés primitives ne sont
paS les embryons retardataires des sociétés ultérieures, des corps sociaux
aU décollage "normal" interrompu par quelque bizarre maladie, elles ne se
trouvent pas au point de départ d'une logique historique conduisant tout droit
(1) CLASTRES (p) : 1974
(:v SAHLINS (M) : 1976

- 97 -
au terme inscrit d'avance
mais connu seulement a postériori,
notre propre
système social" (1).
En rej etant
l • explication déterministe, CLASTRES considère
que le projet social des sociétés dites primitives se situe aUx antipodes
!S
de celui des sociétés de type "prométhéen",
dans la mesure où les
(premières)
refusent l'accroissement Sans fin des forces productrices,
la domination de la nature, le repérage d'un champ autonome et défini comme
économique, bref le refus d'une activité de production devenant par la suite
travail~iénant et susceptible d'engendrer une division de la société en
dominants et dominés, en mattres et sujets. Pour lui, ces
sociétés
ont
pour
idéal
l'autonomie et
la diversité des segments qui
les constituent, alors que le projet des sociétés dites "prométhéennes"
vise principalement à l'intégration et à l'uniformité, à la mattrise Sans
ceSse de la matière, à l' accumu lat ion.
.\\
L'interprétation "c las trdenne" n'échappe pas à toute Gri.t.i.que c~mme
: '
i :t
en témoigne
une
polémique e~o!:"e,Çl.c;1;~y~ bien après la publication de .~oIl_

.
_ . .: L .

ouvrage. Du
C'Ôté
marxiste, on parle "de critique de l'ethnocentrisme à
on
partir de préoccupations politiques ethnocentriques",Vironise : "les sauvages
(pensés à la manière des philosophes du XVIIIe siècle) ont inventé le moyen
de se défendre contre une prémonition de l'Etat (tout le temps que les
conditions de son apparition ne se manifestent pas)" (2). Avec BIRNBAUM,
on accuse CLASTRES
d'idéaliser la société primitive comme acteur soc:.ial
absolu (3). D'autres, enfin, lui reprochent son néo-évolutionnisme (4).
)
'.1
-.
(1) CLASTRES (p) : 1974, p. 169
(2) MEILLASSOUX (C) : 1975, p. 7
(3)
BIRNBAUM (p)
:
1977, p. 5-29
.! .
(4) AUGE (M) :
1979, p. 172-173

- 98 -
Si les critiques des uns et des autres ne manquent pas de
pertinence, il convient toutefois de souligner le regard nouveau et aigu que
l'auteur projette
sur des matériaux qui, jusque là, étaient traités avec des
banalités étriquées. s~s hypothèses ouvrent un intéressant champ de réflexion,
à condition d'en élargir la problématique,
pour
rendre
compte
de l'éventai l considérable de sociétés intermédiaires existant entre les
deux pôles extrêmes établis arbitrairement par l'ethnologie classique, à
11
"
savoir "sociétés prométhéennes et sociétés primitives" et dont reste encore
victime CLASTRES.
QUant à l'ouvrage de SAHLINS 'iAge de pierre, âge d' abondance'~'
il entretient une certaine parenté de nature avec celui de CLASTRES. Mais à
la différence de ce dernier, il s'appuie sur des matériaux beaucoup plus
,
riches, un échantillonnage diversifié allant des sociétés amérûadiennes, aux
soci'étés australiennes, africaines et mélanésiennes.
Il serait présomptueux pour un non-économiste de tenter de
dégager la quintessence de ce gros ouvrage dont l'argumentation serrée
déborde largement la liturgie des économistes concernant les sociétés dites
primitives. En conséquence, nous limiterons nos propos à s a
thèse
générale.
SAHLINS, à l'instar de CLASTRES, inaugure une nouvelle lecture
des matériaux ethnographiques relatifs aux chasseurs australiens et bochimans
et aux agrioulteurs; "néolithiques"
considéré ~
coume représen-
tati fs
des groupes qualifiés de p lus "primitifs", bref, tous ceux que la
littérature ethnologique considère comme les plus démunis et voués à occuper
_~esmilieUxparticulièrementhos t Ll.es.où l'inefficacité technologique se
conjugue à la rareté des
ressources.

- 99 -
c'est à l'encontre de tels présupposés que s'inscrit, nous
semble-t-il, l'apport de l'auteur. En se contentant de
re.col'lsidérer1escbnnées
recueillies et connues, il entreprend leur exploration systématique qui le
conduit à poser la question fondamentale.
Que si.gnifi-e
l'économie dans les sociétés dites primitives:l Cette interrogation,
aura une portée décisive dans la mesure où elle reformule de
manière radicalement novatrice le champ de l'économie tel qu'il est pensé
par les anthropologues économistes de t ou t es obédience:;.
SAHLINS s' attaque à la thèse courante des économistes
selon laquelle, en raison du sous-développement technique, l'économie des
sociétés dites archaïques
est une économie de subsistance, de survie,
autrement dit une économie de misère, de famine permettant
à
leurs membres de ne pas mourir de faim,~s leur ihterdisantœtroduire suffisam-
,
ment de surplus
pour
constituer
i stocks de biens destinés à
des
préserver l'avenir immédiat
A cette thèse, SAHLINS oppose non pas une autre conception, mais
tout simplement les faits qui relèvent de l'investigation ethnographique.
A l'opposé du discours savant qui ne fait que reproduire des clichés, ces
faits indiquent que le "Sauvage" est loin d'être écrasé par son environnement
économique •


-
100 -
Partant dei
données quantifiées par l'ethnographie sur le temps consacré au travail
nécessaire à la satisfaction des besoins matériels dans telle ou telle société
dite primitive, SAHLINS
montre que si l'économie y fonctionne en de~à de
ses potentialités objectives, cela résulte simplement d'un choix raisonné
et soigneusement désiré.
cres sociétés peuvent,si
elles le veulent
,accrottre leurs forces productives et ce faisant
produire
du surplus. Si elles Se refusent de constituer des stocks,
si
elles limitent volontairement leur quantité de travail,
c'est
qu' elles
estiment avoir couvert leurs besoins nécessaires. ~ans ces sociétés,ajoute
.l'auteur, "les stocks sont dans- la nature" (1).
En jetant ainsi les bases d'une nouvelle lecture des sociétés
indivisées,
CLASTRES et 5AHLINS
dépoUssièrent
et rénovent
le
discours
sur
ces
sociétés
et
sur
les
autres.
On ne
peut
que
_s~ félicg:e~de l~l!rs_c6ntr:ibution!:! _qui
QOUS
permettent de mesurer
l'immense valeur heuris tique
du po litique et
de l'économique.
c'est en cela que l'analyste des sociétés traditionnelles africaines ne peut
ignorer le double apport de CLASTRES et de SAHLINS.
Certes l'expérience des sociétés africaines ou du moins
de nombre
d'entre elles, par Sa complexité même, échappe à la typologie dichotomique:
sociétés prLmitives/sociétés prométhéennes; elle se situe à divers échelons
intermédiaires entre les deux pôles.
(1) Comme le note. à juste titre
CLASTRES dans la présentation -
de
la
traduction
française de l'9uvrage de.SAHLINS CI976)
l'économie des "sauvages" ni est pas une économie de marché ': pourquoi alors
s'évertuer à découvrir chez eux une mentalité de capitaine d'industrie ou
d'entreprise commerciale, soucieux aVant tout d'augmenter Sans cesse la
rentabilité de son exploitation?

-
101 -
En effet, les sociétés traditionnelles africaines, tout en
visant le même projet que les sociétés baptisées primitives, ne poussent
pas aussi loin que ces dernières leur méfiance ou leur d~fiance à l'égard
de l'accumulation et de l'échange des biens ou de l'organisation des
pouvoirs. Dans ces sociétés traditionnelles, nous trouvons la division du
travail, des systèmes de stratification socio-fonctionnelle qui
ne sont
pas toujours
"assez achevés "pour donner naissance à la conscience
de classe telle qu'elle existe dans les sociétés industrielles occidentales.
Deux conclusions peuvent être tirées de l'évaluation critique
des différents travaux passés en revue. D'une part, les ethnologues, tout en
travaillant sur des "sociétés sans histoire" ont bien été obligésde re-
connaître des transformations, une évolution et donc une certaine "histoire".
Diautre part, ces recherches ont infléchi les interprétations que les his-
toriens donnent au sens de l'évolution des sociétés humaines qui ne sont des
entités ni amnésiques,
ni
figées
dans
le
temps.
En
effet,
toute civilisation,
toute
culture
porte
en
elle le poids d'une histoire
et,disons le haut et fort, d'une histoire
mouvementée, faite généralement de guerres, de sécessions, de segmentations,
de transformations socio-économiques, bref d'une
dynamique qui l'oblige Sans cesse à se restructurer. Qu'un tel mouvement
s'effectue par bouleversement des structures sociales, ou simplement par
une restructuration Sans
rupture,
.' cela est un autre problème qui n'a
rien à voir avec le mouvement historique des sociétés.
L'impuissance des théoriciens classiques des
sociétés dites
"exotiques" ou leur répugnance a retrouver l'histoire dans ces sociétés,
a donné. lieu, comme on a pu le constater dans les pages précédentes, à des
analyses qui font apparattre tel ou tel peuple non-occidental sous les

-
102 -
traits d'une réalité statique, attachée à maintenir et à reproduire Sans
cesse le même fonctionnement.
D'autres,
ont
cm
montrer
que cette histoire
reste introuvable parce qu'elle ne répond pas aUx critères définis selon les
repères te ls que
évolution, révolution, renaissance, techniques de production,
etc.
auxquels ~'école et l'université confèrent une valeur quasi~
religieuse. Mais s'ils ne trouvaient pas hors de l'occident leurs références
habituelles, c'est bien qu'il s'agit de paramètres propres au modèle
Un tel ethnocentrisme - qui n'est du reste pas mort - dans lequel
nombre de sciences sociales se sont finalement enracinées, répond aUx sollici-
tations d'une pensée militante qui attend de l'histoire une vérification
expérimentale de l'idée de progrès. Par une sorte d'abus théorique,
a été
projeté sur toutes les époques, sur toutes les civilisations, le système de
valeurs de l'Europe industrielle, son culte du changement et de l'innovation.
qui a été considéré comme le pa~adigme en dehors duquel i l n'v ~ crue
. ~
+- ... ,,-
.nll.,sere r
famtne et désolation.
(1) on a pu lire sous la plume de Claude LEVI~STRAUSS
-
aue
le cheminement de c ès sociétés ':;chappe au"système'
de référence occidentâle, c'est en quoi, ajoute-t-il,
elles s'opposent à
l'histoire cumulative, celle du progrQ~ technique, de la production indus-
trielle (1961, p. 42)

-
103 -
Est-il pertinent de mesurer l'histoire du monde à l'aune d'une
expérience particulière, et de faire autour de cette e<:périence une histoire univer-
selle à laquelle on essaie d'adapter toutes les
autres
civi lisations ? Une
telle manière de-procéder aboutit à fournir plus de justifications que
d'explications des différences.
C'est pourquoi le projet des sciences sociales en Occident, projet
de constitution d'une histoire totale, d'une épistémologie de la connaissance
capable de compréhension et d'explication exhaustive des sociétés et plus parti-
culièrement des sociétés non occ igentales, contient fatalement les g~rmes
de
son échec Cl).
(1) QUand des linguistes enseignent, au nom de la scientificit~des langues
qu'ils ne parlent pas ou que d'autres s'octroyent le label de spécialistes
dans tel ou tel domaine concernant un pays du tiers-monde parce qu'ils y
ont effectué un "séjour scientifique" de quelques mois, il y a de quoi
s'interroger sur la valeur scientifique de tous·
ces experts.

-
104 -
L'histoire de l'ethnologie ou de l'anthropologie telle que nous
la trouvons dans l~manuels
à travers les argumentations théoriques, se
présente toujours sous la forme d'altérations ou d'affrontements entre la
culture ùe ... uu;;;,ervac..eur et celle Ge
l.oDservé.
Ce qui fait problème dans
les différentes formulations
théoriques, c'est précisément le statut de l'autre.
Les sociétés investies sont toujours perçues sous des angles qu'on peut,
grosso modo, ramener à trois : ou bien elles sont jugées comme retardées
(évolutionnisme d'un Morgan avec ses trois âges
sauvages, barbares,
civilisés) ou bien alors on les appréhende sous des aspects divers comme
autant d'entités irréductiblement distinctes, Cc' est le cu lturalisme des
fonctionnaliste~, ou encore on les considère comme des altérités relatives
et l'on situe purement et simplement l'identité du c8té de l'insconscient,
c'est en quelque sorte la démarc~e structuraliste.
Dans les formulations actuelles du projet anthropologique, il est
en
vrai que l'idée que tout système social~aut un autre pourvu qu'il
ait une
cohérence logique est une idée neuve.
A cet égard, on peut noter toute une
série d'évolutions dans la pratique des chercheurs qui, tour à tour, ont su
éliminer de leurs matériaux "les catégories du pré-logique et de l'irrationnel,
de l'évolutionnisme simpliste et de l'ethnocentrisme narf" (t).
~ ~e peut..donc qUe se féliciter d'une telle évolution "qui 12~r""
met d'appréhender, par des critères précis, les autres sociétés de façon
différentielle,non pour établir un palmarès des réalisations historiques,
mais pour abolir les termes prétendûment antagonistes de l'alternative qui
(1) AUGE (M)
1979, p. 26

-
105 -
oppose l'exigence d'objectivité à l'exigence de sens et, d'une certaine
manière, l' impar tialité ethnographique au sens de l' histoire" (1).
A ce point de la réflexion, notre démarche reconnait cependant une double
influence qui, sans immobiliser cette démarche, qui reste encore fluide et
ouverte à toute suggestion et approfondissement, en marque cependant l'esprit.
D'une part, nous partageons avec l'école de l'ethnocide et avec l'auteur de
la Paix blanche (
) et de Gens de soi, Gens d'autrui (
le souci d'une
restitution la plus fidèl~ possible des altérités différentielles et des logi-
ques qui sous-tendent les comportements sociétaires. Cette démarche supposant
une inscription la plus large possible du chercheur dans la société étudiée
ne pouvait que rencontrer notre adhésion dans ses orientations générales,
même si nous nous écoutons en ce qui concerne certaines méthodes de travail
ou certains objectifs politiques.
En effet, et d'autre part, ~ous considérons que notre méthodologie
(et la problématique qui s'en dégage) se rapprochent des analyses systémi-
ques les plus récentes, au moins dans les modalités spécifiques que rappelle
J.W. LAPIERRE dans Vivre sans Etat? (I977, p. 309 et 3IO).
Nous avons trouvé dans l'analyse systémique une concordance avec
notre démarche sur deux points
Nous avons tout d'abord profité de la possibilité de définir et de
décrire de nouveaux objets scientifiques en tant qu'ensembles d'éléments
identifiés à travers une logique de comportements et une pratique sociétaire.
Notre thèse se donne ainsi pour objectif de décrire la soci~té initiatique
comme nouvel objet scientifique et d'en déterminer les contours et les finali-
tés à travers les processus de la régulation sociale,
(1) AUGE (K) :
1979, p. 27

-
106 -
Ensuite, nous avons exploité, dans l'analyse systémique
les
possibilités qu'offre la mise en évidence de divers niveaux de significa-
tion tant entre les éléments du système qu'entre les divers systèmes.
ces potentialités de la méthode recoupent nos préoccupations de restituer
les divers niveaux de savoir et les manipulations des institutions socié-
taires dans la société étudiée.
Il reste enfin
à souligner, qu'au moins dans ses grandes lignes,
notre démarche concorde avec les choix méthodologiques de l'équipe de re-
cherche en anthropologie juridique et reflète les préoccupations qui se
sont concrétisées à travers la recherche collective sur les rapports de
l'homme à la terre en Afrique noire,

-
107 -
SECTION II - COSMOGONIES ET COSMOLOGIES MANDENG
Dans l'ancienne société mandQng,
l'ensemble des normes qui
règlent les rapports sociaux les fondent,
les justifient et les légitiment,pro-
cèdent 'de l'ordre symbo l t que , Il s'agit, comme nous le verrons p lus loin,
d'une masse de productions érigées en système de symboles, de représentations,
de croyances et de pratiques,destînée à servir d'i~dîcateurs positifs aux diffé-
te
rents acteurs sociaux. c'est cet ensemble structuré qui va assurer en quelque sor·
le rapport de .la société malinké-bambara avec Sa "loi" (1). Cette "charte. "
à laquelle la société doit sans cesse se conformer comme signe de son iden-
t
~ication, remonte au temps des origines, le temps d'avant la société, le
=emps de la genèse -?ali folo folo - qui est à la fois immédiat et infiniment
lointain. Exprimée dans l'incessante référence aU temps, à l'espace de FARO
(2), des premiers ancêtres, à l'époque où la société mandeng
était encore
un corps indivisé, la loi primordiale révélée à FARO par l'Etre Suprême fut
enseign~d'abord aUx Grands APcêtres comme système des normes avant de
devenir Lassiri ou Lassidi, le lien, la "religion" dont la mission première
consiste à transmettre la "loi", la faire éternellement respecter par l'entre-
mise de l'initiation comme moyen de socialisation des hommes.
La société malinké-bambara se présente selon la logique mythique
comme une société dont le fondement se trouve en dehors
d'elle-même
sa
fondation,
comme
nous
le
verrons,
,
!. ~ .,. .
1 1.
J
_. l
' . .
CULe IlpOt Loi est une' image, elle est utilisée ici sans signification
part.Leu lière. L •. ,
, v :
(V FARO est le héros mythique des populations malinké-bambara riveraines
du fleuve Joliba (le Niger). rI est considér~ comme celui qui a fondé la
société mandeng .•

- 108 -
~ procède de l'action coordonnée des "trois bases de la
créat ion"
fARO, PEMBA et MUSSa KORONI (1).
-
Dans cette société initiatique, où le savoir s'acquiert progres-
sivement, la loi qui fonde la société n'est pas accessible à tout le monde.
Elle s'articule autour d'un mythe réservé aUx seuls initiés afin de leur
permettre de saisir "l'infrastructure" de l'organisation sociale. Enseigné
de plusieurs manières: tracés géométriques, symbolisme théâtral,
d anses et
récits, le mythe de la genèse, que la voix du Komo (2) révèle aUx initiés,
--.--
explique les actes qui ont présidé à la naissance du monde et à son organisa-
tion.
~--","-...,....--.--.-.
~ - -
Pour diverses raisons tenant à la fois de l'histoire et de
la géographie des peuples mandeng (conquêtes militaires et expansion
_ ~~_;-;:.:lt..q_rJa.1_eLU_ ~st
qevenu Û"'.possibJg~_e_dQnne~
une
_
ve rs Lon complète de la cosmogonie, aussi nous nous limiterons ici à évoquer
les aSpects les plus saillants, les traits significatifs. Pour qU'il n'y ait
point d'ambiguités, une précision s'impose. Chez les Malinké et les Bambara,
il n'y a paS à vrai dire un mythe, mais une pluralité de myth~qui s'explique
pour les raisons
ci-après.
En effet, la segmentation des groupements
mandeng
à travers toute l'aire culturelle sahélo-soudanienne, imposait aUx
populations une réinterprétation appropriée du mythe à leur nouvelle condition
d'existence.
Sous réserve de ces précisions, il convient de noter qu'à partir
d'un fon~commun primaire de convictions
auquel tous
les "Grands Martres"
(1) ZAHAN~ 1960 et 1963
(2) Le Komo est l'institution initiatique à laquelle tous les membres rnascu-
lins,
sauf
exceptio~
.,sont obligatoirement intégrés.

- 109 -
tOHtes le~1
.
et
Ecoles
ont souscrH) la connaissance des "grandes vérités" qui animent
le projet de société repose.
en milieu mand~ng
sur les mêmes postulats.
Ce que les Somaw (Sing.
:soma) , les grands initiés, les prêtres, proposent
aU corps social, ce n'est pas un corpus de vérités "révélées", mais un
ensemble cohérent de croyances destinées à rendre intelligible l'ordre social
dans Sa signification globale. C'est pourquoi la diversité des thèmes du
mythe de la création -Oali folo folo- aU lieu de s'opposer, converge~t pour
"reconstituer l'unité du Sens et de la pratique, cette plénitude vécue de la
signification" (1).
Oans la société mandeng.
pré-islamique, tout porte donc à
croire que les "querelles" doctrinales chères aux re ligions dites révélées
étaient inconnues des tenants de telle ou telle version du mythe des origines.
En effet le discours mythique, matrice des significations et des rapports
humains, n'est paS un "décalogue", c'est un mode d'interprétation qui permet,
par projection, de repenser et d'ordonner tous les phénomènes pourvu qu'ils
puissent être reliés aU tronc qui les sous-tend.
APrès ces préliminaires destinés à balayer les équivoques quand
on parle de mythe, nous allons présenter de manière tout à fait succinc~ le
mythe de la fondation de la société malinké-bambara. Il s'agit bien entendu
d'un condensé qui se veut une synthèse des nombreux récits de la cosmogonie
. bambara-ma linké (2).
(1) »l'SART (p) :
1974, p. 25
(2) Concernant les mythes de la genèse chez les
~bara et les Malinké du
Mali, on peut consulter les travaux suivants :
GANAY (S. de) : 1918 (a), p. 181-201 ; 194-' (b), p. 187-213 ;
DIETERLEN (G) : 1951, p. 253 ; 1955, p. 40-76 ; 1959, p. 119-138
ZAHJN (0) : 1960, p. 438 ; 1963, p.
DIETERLEN (G) et CISSE (y) :
1972, p. 329.

- 110 -
Nous retiendrons trois personnalités mythiques: PEMB& FARO -
MUSSOKORONI (1).
PEMBA" frère jumeau de FARO, se serait, dit-on, échappé de
l'oeuf du monde IIdyè fan" en vue de S'approprier aVant terme le "Royaume
dugukolo", c'est-à-dire notre planète. Quant à FARO, androgyne, son domaine
de prédilection est l'eau, source de vie et de multiplication des êtres.
Ce. mattre de l'eau
tient
dans le système de représentation une
place éminente, il est
la
face
visible
de
1,..'-Etre. Suprême, du Sét.igi ; le symbole même de la création. Considéré comme
le double, le dya du Créateur, il se verra chargé
de perfection-
ner, d'organiser, de perpétuer l'univers
il est constamment invoqué dans
les rites.~ant à MUSSOKORCNI,"la petite vieille femme",elle se verra
accablée de tous les maux; elle est l'instigatrice du désordre qui va
ébr~ler l'h~rmonie universelle.
APrès avoir identifié chacun des personnages de la ~riade
malinké-bamabara, résumons maintenant les récits de leur émergence.
A) Les mythes de la création ou "Dali folo folo"
Pour les Malinké et les Bambara, l'univers s'est développé à
~s
partir du vide, du néant originel appelé fuu. Puis "plein de son vide et son
vide plein de lui-m~e", l'univers étendit partout Sa pu i s s anc e pour, finale-
ment, se concentrer sous l'effet de Sa dynamique interne ou yéré-yéré. Il
(1) Il convient de noter que dans certains récits cosmogoniques, PEMBA ou
BEKBA n'apparait pas;dans d'autres, il fait figure de l'Etre Suprême. On
voit également apparattre parfois un personnage appelé NDOMADYIRI le forgeron
célest
qui représente le moyen terme entre FARO et NYALE considéré comme
princi~e féminin dont MUSSa KORQ~I est l'avatar terrestre.

-
111 -
s'arrondit en boule
(Kur~, devient un cercle
(Kara) qui est l'aboutissement
logique et final de toute vibration.
Selon certaines versions, l'Etre suprême, Sétigi
ou Sébagha,
émit ensuite "une voix de vide" qui créa son double,
~ (principe féminin).
D'un, il fut deux, marquant ainsi le caractère primordial de la g~mellité
comme principe existentiel. Puis il entendit Sa voix intérieure, sorte de
mouvement
(yéré-yéré) né de la réflexion (taasi) issue de Sa pensée (miri).
"Cette prise de conscience de soi (yéré)est conçue comme une vibration(yéré-yéré)
qui animera ~monde que l'Etre Suprême va former tout d'abord dans le secretde
son esprit ~. C'est dire
en d'autres termes
que l'Etre suprême, 'par
Sa pensée (d'essence masculine) et Sa réflexion (d'essence féminine) est
aussi le principe de la dualité, de l'androgynéité.
ta masculinité dans
cette vision, relève du mouvement, la féminité est, source de réalisat-ion, elle
est origine de vie
(1).
Divers commentaires expriment comment "le principe suprême"
symbolisé par la pensée (miir~ et la r âf Iexi onï taasÏ) engendre-
les quatre
éléments essentiels à toute existence: eaU et terre considérées comme principes
femelles, feu et air comme éléments mâles.
Avec ces éléments qui sont les signes préfigurant les choses
en gestation, va commencer l'oeuvre de la création des éléments palpables
sous la supervision de l'intelligenceC~) laquelle en brassant les vingt~deux
ou vin~huit éléments qui constituent les sphères fécondantes, Va donner nais-
sance dans chacune à sa catégorie morphologique spécifique, aUx êtres, aUx
(1) Cf. GANAY (S. De)
et ZNIAN (D)
:
I978, p. 154,

- 112 -
plantes et aUx choses (1).
Parmi les différentes versions
relatant la manifes-
tation des personnages mythiques sur la terre
(dugukolo) deux récits
retiendront particulièrement notre attention. L'un montre comment les diverses
catégories morphologiques qui existaient en puissance, dotées de principes
immatériels, ni et dya (l'âme et le double), mais dépourvues de tout support
physique, vont prendre leur essor. Ce récit raconte l'odyssée de PEMBA qui,
après avoir tourbillonné pendant sept ans, se transforme en graine de
"balanza" (2)-acacia a Lbt da des botanistes - et germe en un arbre, son avatar.
Puis de Sa propre substance, il crée une forme,
lui insufflant ensuite une
âme - ni et un double dya. "Il la nonme alors, pour l'animer, pour qu'elle soit
Sa femme et engendre ce qui sera nécessaire au peuplement de l'univers. Cette
"femne" appelée
MUssa KaRaNI KrJNDYE , petite viei lle fennne à la tête blanche, ..
va devenir en quelque sorte la matrice nécessaire en laquelle se crée l'image
physique, puisqu'il faut une condition terrestre aUx hommes futurs, aux
animaux et aux plantes" (~).
Dans l'autre récit qui est en fait une version malinké de la
genèse, il est question de "l'oeuf de Dieu" dit "oeuf du monde" ou Iljityé-kéli"
dans lequel se trouvaient deux paires de jumeaux mixtes. L'un des jumeaux
mâles PEMBA - figure du despote - voulut s'approprier avant terme le royaume
dugukolo. Pour ce faire, il sortit prématurément de l'oeuf en arrachant un
morceaU "de son placenta, puis se lança dans le vide ; le morceau arraché se
(t) GJtJlAY <S. de)
1948,(a), r948
(b)
(2) Le "balanza" symbo lise chez les Malinké et les Bambara, le paroxysme des
-~~s~~-E~~.kt~(uIs9S~~~~~s ~e:~ ~l-~~nt'~s~~~~~r des détails sur -le "balanza-u-, mais
les concepts qu'il synthétise sont infiniment plus complexes.
- --
-
-
(3) GJtJlAY ( S. De) et ZAHAN (D) : 1978, p. 159

- 113 -
densifia et devint la terre", son royaumeq)Ne trouvant rien dans son riouv e au
domaine, il remonta aU ciel pour récupérer le reste de son placenta et
reprendre Sa jumelle (MUSSOKORONI ). Mais l'entreprise se termina par un
échec. Il revint dans son royaume emportant avec lui les graines mâles qu.il se-
ma pour
féconder la terre
et donner la vie. Cette seconde entreprise fut
également un échec, les graines ne purent germer faute d'eau (dont ~
est le martre).
Ce mythe a une autre portée. En effet dans le vol et dans la
semence des graines se trouve exprimé l'acte incestueux, le sacrilège qui
va provoquer la déchéance de PEMBA qui a semé dans son propre placenta,
autrement dit, dans le sein de Sa mère. Le récit explique comment l'Etre
suprême,pour punir PEMBA de son sacrilège, Va purifier l'autre jumeau FARO.
J
après l'avoir sacrifié et regénéré. Puis l'ayant ressuscite' scus forme
humaine, il le propulse aU moyen d'une arche faite d'un fragment de son
propre placenta dans le royaume solitaire de PEMBA. Selon les commentateurs
du mythe, dans l'arche se trwvaient les huit premiers ancêtres des honmes s
créés à partir de la substance de FARO, ainsi que les animaux et les végétaux
qui devaient se mu ltip lier sur la terre (2).
De même chez les &mb~ra
de la région de Duguni,
plusi eurs
thèmes rendent compte de la genèse. Nous retrouvons les mêmes schémas que
1
précédemment avec toutefois des variances dans l'exposé. Tout gravite ici
autour des notions suivantes: l'Etre SUprême dont l'esprit "concsu comme
vibration" crée twtes choses
"à partir de son index" ; le "grand fromager"
(banan)au symbolisme multiple est le chemin qui conduit à la connaissance
(1)
Pendant ce temps, dit le mythe, le frère jumeau (FARO) est resté au ciel-
(~) DIETERLEN, 1955

- 114 -
divine, il unit le ciel à la terre à travers les personnages de FARO et de
PEMBA
le dangalan ou python sacré participe également à la création ;
enfin,les quatre éléments déjà cités. Ces concepts, avec les "croyances"
et les"explications cosmologiques" qui les sous-tendent, sont les voies
par lesquelles les habitants de cette région accèdent à l'ensemble de .
l'édifice svmboLiaue ml! leur pst nronre (l). -
Dans un autre récit consacré à cette région très fertile en
mythes, nous retrouvons la notion de l' Etre' SUprême, SOurce de vie, "principe
du mouvement universel et créateur de l'univers". Mais les personnages
mythiques que nous avons déjà rencontrés reçotventici des caractéristiques
différentes. Seule MUSSO KORON! apparait dans le même rôle (2).
Ce rapide survol des constructions de l'imaginaire destinées
à déterminer un centre fixe, un quelque part où la société a été ébauchée
n'est pas exhaustif. On pourrait citer d'autres sources, d'autres versions,
mais un tel catalogue n'apporteraitpasgrand'chose à la compréhension du
si
phénomène mythique. La description des phénomènes sociaux importante soit-
~
elle, ne doit pas remplacer leur explication, surtout dans une société
initiatique, où prédomine le symbolisme.
Pour cerner l'impact du symbolisme
que véhiculent les mythes
de la genèse dans la vie de tous les jours, nous serons donc amenés à nous
interroger sur leur statut épistémologique.
(1) Cf. PAQUES, 1954, p. 66 à 78
(2) Cf. :HAMPATE BA 19~, p. 65 à 87

-
115 -
La question qu'on s'est toujours posée etqu'on continue à se
poser à propos des mythes, c'est;à quoi servent-ils? Une telle interrogation
a mobilisé
plusieurs esprits, des plus célèbres au~lus natfs.
Le premier problème de l'interprétation des mythes est
celui du sens de. ce discours spécifique que d'aucuns trouvent décousu, Sans
l'expression dei
fil conducteur,assimilable à un
travail de bricolage pour reprendre LEVI-
STRAUSS. Pour d'autres, les mythes véhiculent un véritable savoir encyclo-
eux
pédique. Dans ce caS, l'analyse tend à rechercher derrière une signification
manifeste, une interprétation masquée, cohérente)de la réalité.
Le second problème que soulève l'interprétation théorique du
,
phénomène mythique, est
celui des
moyens par lesquels la pensée mythique
articule la signification manifeste à l'interprétation et
du
pourquoi
d'une telle articulation. Quelles fonctions remplissent les mythes aU sein
du projet de société?
A Ces
questions auxquelles nous ne pouvons répondre que
partiellement, en raison du manque d'analyse portant sur plusieurs matériaux
constituant des échantillons valables.
Il convient de préciser que notre effort de compréhension du
phénomène mythique chez les Malinké et les Bambara du Mali aurait besoi~pour
plus de clarté, d'être fondé sur une théorie du symbolisme - sans laquelle
elle demeure à l'état d'hypothèses - qui permettrait d'évaluer la valeur
heuristique de notre démarche.
Mais notre problématique, faut-il le répéter, n'est pas l'étude
des mythes, mais précisément l'idéologie sociale mandeng ~ et les mythes qui

-
116 -
l'expriment. Ce n'est donc que de manière incidente, partielle et, dirons-
nous, même implicite) que notre travail envisage ou suppose une théorie des
mythes en tant que tels.
B - La nature des mythes
Malgré l'extrême diversité des formes d'expression, toute
société produit une dimension essentielle susceptible de participer à la
constitution et aU renouvellement d'un imaginaire collectif à travers
lequel elle désigne ses aspirations et les grandes lignes de son organisation.
Quelles que soient les techniques mises en 04VV~~, celles-ci ne sauraient voiler
:énomène universel de la création, par chaque société organisée, d'une
certaine représentation de soi véhiculéepar un imaginaire qui dit son ordre,
désigne ses fins, appelle à réaliser les justes actions et condamne les
déviances.
Pour les sociétés - africaines de manière générale - qui déve-
loppent des productions à fondements mythiques, la création de sens emprunte
les
voies et
les
méthodes qui sont celles du symbolisme et de
l'analogie. Dans de telles sociétés, l'édification des "biens de signification"
(système des valeurs, idéologie etc ••• ) pour être transcendante, associe à
l'ordre interne, un ordre externe qui s'élargit jusqu'au cosmos. C'est un
tel agencement qui constitue ce que nous appelons une surréalité paradigma-
~e.
Nous entendons par cette expression rendre compte à la fois
de l'élargissement nécessaire du sens (par la surréalité) et de la mise en
ordre des diverses explications qui, successivement et logiquement, mènent
de l'expérience quotidienne au surréel et de la surréalité à son application
au vécu soc ial.

- 117 -
Une telle grille de sens qui procède par transfiguration
de tous les éléments perceptibles et imperceptibles de l'univers, considérés
comme doués de vitalité, participe à la cohésion du système des valeurs
et des idéaux conçus comme fondement, modèle et moteur de l'existence
sociale. En contribuant au maintien d'un certain ordre, d'un équilibre
nécessaire pour la production et la reproduction des IIbiens de signification",
la surréalité paradigmatique va, dès lors, définir simultanément l'ordre
du social et du cosmos,
la dimension sociologique et l'idéolo-
gie de la société.
Concernant la société malinké-bamabara, il nous semble indis-
pensable pour la compréhension de l'ordonnancement de Sa surréalité
para-
digmatique, de tenter de définir la nature même de l'explication des mythes
qui sous-tendent l'ensemble des phénomènes sociaux. S'il est vrai qU'expli-
quer c'est, à ce niveau, rendre compte de la manière dont la société
conçoit l'ordre qu'elle instaure, c'est aussi mettre en lumière les catégo-
ries au moyen desquelles se pensent les faits soci~, mais également repé-
rer les traits ou aspects de tel ou tel personnage mythique qU'elle
sélectionne pour son uSage.
Dans cette recherche de l'immanence du sens dans le cadre du
mythe des origines, nous ne nous poserons paS la question de savoir si le
mythe est l'expression directe des valeurs qui régissent les comportements
sociaux comme le prétendaient les tenants du fonctionnalisme, o~ s'il est
une structure médiatisée des valeurs sociales. Cette querelle sur l'anté-
riorité de "la poule ou de l'oeuf" ne nous renseigne guère sur la nature

-
118 -
du discours mythique dans cette société.
En effet, le propre d'une"société initiatiquë, c'est d'établir
sans transition une étroite corrélation entre le système symbolique qu'elle
met en oeuvre et les pratiques sociales qu'elle organise.
C'est pourquoi, quel que soit l'écart entre la réalisation
approchée de l'idéal et l'idéal lui-m~me, la régulation sociale tend à
faire de tous les actes individuels et collectifs, de toutes les techniques,
de tous les ritesetdes évenements réels ou surréels autant de procédures
visant
une approximation toujours plus poussée du modèle de référence my-
thique qui, à défaut d'~tre atteint, ne constitue pas moins un objectif que
les acteurs sociaux doivent réaliser.
Ainsi, la logique de l'idéal et la logique sociale(produit de
l'histoire vivante) ne sont pas toujours éloignées l'une de l'autre. Il
arrive très souvent que ces deux logiques coincident.
APssi, l'ambivalence du mythe
bambara~malinké
nous oblige
à dépasser les formulations courantes afin de réaliser les rapprochements
entre la réalité et ses expresSons symboliques. Si le temps du mythe commande
la vie sociale dans le système de représentation et d'interprétation dans
l'ancienne société mandingue, ceci doit être explicité afin de dissiper
les équivoques entretenues sur la nature de la mythologie des origines.
Le mythe comme discours plurisignifiant doit être considéré
comme phénomène global. A ce titre, il est à prendre comme une totalité qui
offre la possiblité d'une pensée globale de l'ordre social qui se réfléchit
; .1

- 119 -
en lui. Ce qui Va donc nous intéresser ici, ce n'est paS le mythe en tant
que tel, mais les hommes aux prises avec le mythe, des hommes vivant le
mythe, des hommes générateurs de mythes.
Dans un thème comme celui évoqué ici, qui se nourrit de confu-
sion, on aimerait proposer une lecture non figée, une lecture dynamique du
mythe comme théorie de fondation et de justification de l'ordre des choses
et des êtres. En limitant nos propos à l'objet même de notre sujet qui est la
régulation sociale, on peut dire que dans cette société qui se dit non-
fondatrice d'elle-même, le mythe en tant que système de référenc~et de
significations, est une théorie de la société à construire, une théorie qui
se veut une structure totalisante du sens collectif, un code fonctionnel qui
participe aU maintien du système social.
Pour comprendre ce dynamisme créateur, nous allons tenter de
faire éclater les paraboles, de dépouiller le mythe des
allégories afin
de le rendre plus intelligible à tous ceux qui ne sont paS familiarisés
avec une pensée symbolique.
Nous examinerons successivement :
a): [es modes d'action des mythes
b)~ les significations des mythes
c)
le rôle des mythes mandeng.
-----~-----_ - - - - - - -
..

- 120 -
a) Les -modes dl action des mythes.
La cosmogonie mande!!tg_
n'est pas un phénomène isolé. Elle peut
s'interpréter en référence avec d'autres manifestations de la pensée symbol-
lique (1). Mais les
analogies
du comparatisme, si elles peuvent être utiles
q~nd elles suggèrent des parallèles, peuvent devenir par contre pernicieuses
quand elles
se
substituent à
l'analyse des traits spécifiques.
Tout en reconnaissant la part des archétypes mentaux
communs à toute représentation symbolique,
on
doit
constater
que
chaque groupe humain remodèle ces éléments en fonction de son expérience
propre.
Dès lors, au lieu de rechercher chez les Malinké et les Bambara
l'application de quelques-uns des grands thèmes des mythes des origines, il
nous parait plus fécond de repérer aU contact des sources mandéng
les
axes autour desquels se structurent la vision du monde des anciens Malinké-
Bambar a (2).
Nous allons donc tenter d'esquisser le modèle qui restitue les
nombreuses pièces qui participent à la logique
de la symbolique m~den9.
(1) JE~AIRE H.I939.P.147~221, établit des similitudes entre
certaines
institutions de l'antiquité hellénique avec des institutions africaines
cODllle les "sociétés d' iti: iat ion" •
--~ ~
-
- - ----- - - - - - - --
-- -
-
---
(2) SCHUHL. 1949.P.XV, note "qu'une influence indirecte des mythes grecs sur
î a mythologie soudanai'se -n'est d'ailleurs pas impossible".

- 121 -
10) Le mythe, univers sémantique plurisignifiant
En traverSant tous les parcours possibles des rapprochemements
symboliques entre Cosmos et social, la pensée mythique chez les Manding
construit un gigantesque jeu de miroüsoù se réfléchit, se décompose et se
recompose de manière illimitée l'image réciproque de l'homme et du monde,
de la nature et de la culture. Le mécanisme intellectuel qui sous-tend le
système symbolique, en abolissant les frontières arbitraires, devient capable
à la fois de totaliser dans les représentations tous les aspects et tous
les niveaux de l'univers cosmo-bXiogique.
Dans la mesure Où elle peut donner immédiatement et simultané-
ment de façon analytique et synthétique
tous les aspects du réel et du
surréel, en passant d'un niveau à l'autre par déductions réciproques des
analogies, la pensée mythique donne un sens non seulement à l'univers
perceptible, mais également à celui qui est imperceptible.
Elle répond en cela à une exigence intellectuelle qui Sans
cesse tend vers ce qui est au-delà de l'observable, de la ligne d'horizon.
Il est nécessaire pour la pensée initiatique de dépasser les données
premières, de construire et de reconstituer. Et pour y parvenir, il est
indispensable
aU préalable que les hommes s'entendent sur un certain
nombre de conventions qui, tout en n'étant pas l'observation objective des
faits,s'imposentnéanmoins pour la constitution du code qui doit servir de
médiateur
~nt~e
la représentation et
la réalité représentée.
En jetant ainsi les bases de signification de la communication,
les mythes, ou pour être plus précis, la pensée symbolique,v4 1\\\\:: servir à
constituer et à inscrire dans les esprits le système des catégories où

- 122 -
s'enracinent simultanément les dimensions du culturel et du psychologique. La
,pensée symbolique enseigne que tout peut être signifié aU sein d'un ordre
symbolique où prennent plac7dans le foisonnement et la richesse de leurs
détails, toutes les connaissances positives et
négatives qui se retrouvent
transposées dans la matière des mythes. Ce pluralisme est en accord avec
le principe de coupure et du cloisonnement du réel. Mais il est en rapport
avec un jeu subtil de correspondances entre les choses, les êtres vivants,
les directions de l'espace, l'anatQmie humaine,
les principes constitutifs
du cosmos et d
La pensée symbolique ne peut être appréhendée par systématisa-
tion, elle échappe à cette forme d'analyse. A notre sens, il faut l'aborder
par une démarche inverse, quelque chose qui S'apparenterait à l'épistémologie
pas
analogique. A condition, bien entendu, de ne prendre le mythe comme une
mythologie sous prétexte que la pensée mythique est un tissu de symboles.
La mythologie dans la vision occidentale est systématique
~---
~-- -
--~~--------
dans une société initiatique, est une forme de connaissance, une
heuristique qui permet l'exercice d'une activité intellectuelle, le chemi-
nement des idées mattresses, bref la conquête de l'inconnu.
L'univers du mythe, tel qu'il ressort de la pensée initiatique,
n'est pas seulement un ensemble de relations diachroniques et synchroniques
il est significations compréhensives, univers sémantique plurisignifian~

- 123 -
dans
son
domaine, ce n'est paS la forme qui explique le fond,
mais aU contraire
le caractère dynamique de la structure qui rend compré-
hensible la forme.
A cet égard, les différentes versions de la genèse que nous
venons d'exposer autorisent à soutenir que les mythes des origines ne doivent
pas être considérés comme des récits propres à expliquer l'ordre des choses
et des êtres qui y sont traités. Les mythes doivent être pris, ou plus
exactement doivent être analysés, comme un énoncé déchiffrable à partir de
leur contexte psychologique, social et idéologique.
En etfet, les .persQnnages mis en oeuvre; FARO, PE3BA et
~USSO KOReNI, semblent avoir été construits pour permettre à un peuple
proche du concret d'opérer sur certaines catégories abstraites des traitements
spécifiques sans couper ces "manipulations " de l'expérience sensorielle ..
Il est plus aisé, pour une pensée tournée vers le concret,
d'exprimer les contrastes et les oppositions entre principes antagoniqUes
et complémentaires par l'entremise d'indîvidualités fictîves que de recourir
A des spéculations dont la complexité trop poussée ne laisse plus apparaître
le rapport avec le réel~
Il convient d'ajouter également que les personnages mythiques,
à travers les attributs qui leur sont assignés, dissimulent le véritable
sens des représentations, lesquelles sont basées sur la Saisie des rapports
analogiques. Le système de pensée opère avec un ensemble de représentations
._,.JO::'

-
124 -
logiquement organisées sous des catégories classificatoires régies par
des systèmes de correspondances. Cette technique qui recourt aux représen-
tations, repose sur une logique dialectique entre analogies, attributs
et signifiés auxquels elle se rapporte. C'est elle qui confère finalement
à la logique symbolique son caractère dynamique.
20)
I.e mythe, système dynamique de signes
La pensée mythique telle qu~lle ressort de l'enseignement
dispensé dans les institutions initiatiques maj eures (Komo, ~ plus
précisément) apparait à la fois analytique et synthétique (1).
capable de classer ses représentations, de les transformer les unes dans
les autres, ou de les totaliser aU besoin en système
ou modèle, la pensée
symbolique mèt en oeuvre dans ses productions
des principes formels et des
règles opératoires. En procédant ainsi, elle tend à fonctionner comme un
modèle combinatoire dans la mesure où la combinatoire peut se définir comme
un ensemble de règles opératoires permettant de constituer tous les éléments
d'un domaine de telle sorte que ceux-ci appartiennent toujours à ce domaine
et soient permutables les uns dans les autres.
En mettant en marche des principes qui constituent les conditions
formelles propices à tout raisonnement'analogique
"déployé
dans un
champ cohérent, l'interprétation
permet
de saisiraes relations d'équi-
valence, d'opposition et de complémentarité entre des réalités matérielles
ou sociales distinctes et., à un niveau plus abs t re..it:>
des relations de
(1)
Nous reviendrons sur cet aspect dans le chapitre IV • Voir également
ZAlI.AN -(0): 1960 ; OIETERLEN et CISSE
1972

-
125 -
symétrie ou d'assymétrie entre catégories.
Si telle est bien la fonction des mythes dans cette société
initiatique, on peut dire qU'ils fonctionnent de la même manière que le
système de coordonnées
du sémaphore. Comme celui-ci, ils visent à intégrer
des informations multiples dans un schéma de représentation qui donne une
identité aUx êtres et aux choses.
Si les mythes constituent un système de langage, ils ne peuvent
être réduits à cela seulement. Ils sont, nous semble-t-il, plus qu'un langage.
En effet, dans le domaine qui nous intéresse ici, celui des Mandeng,
le
symbolisme qui sous-tend les productions de l'imaginaire recourt - contraire-
ment aU langage courant qui utilise des catégories pour annoncer des
propositions sur le monde - à des propositions sur le monde pour établir des
rapports entre les catégories qu'il met en oeuvre.
Il est possible de montrer dans cette société que les hypostases
divines, FARO, PEMBA et MUSSO KORONI fonctionnent comme des signaux, des
---
,
éléments, des actes ou énoncés qui s'interprètent comme des signes qu~ dans
les rapports sociaux)ont pour sens un ensemble de catégories au moyen des-
quelles
les hommes se représentent le cosmos et le social, tout comme les
animaux,
lion, éléphant, hyène, serpent, panthère.
etc.
qui peuplent la
brousse ,participent également à des niveaux divers à la représentation de
certains aspects des hommes.
b) Les significations des mythes
Un système symbolique est toujours un modèle comportant plusieurs
étages de signifiants et de signifiés. Il enseigne en outre que plusieurs
signifiés peuvent ~tre attachés aux mêmes signifiants. Comprendre ou tout

-
126 -
aU moins saisir la symbolique d'une société ccmme celle étudiée ici, c'est
appréhender les significations quelle porte,
lesquelles, faut-il le rappeler,
n'apparaissent que véhiculées par des structures signifiantes.
On peut re-
formuler ce qui précède en d'autres termes, à savoir qu'il n'y a paS de
significations relativement indépendantes des signifiants qui les sous-tendent-
cés significations, comme" nous allons tenter de le mo~trer, p~uvent corres-
pondre soit aU perçu, soit à l'imaginaire. Les rapports intimes qui existent
entre ces deux pales ne sont pas opposés, c'est plut8t leur connexité même
qui donne cohérence à la représentation.
En partant donc de l'imaginaire qui foisonne à la surface de la
vie sociale malinké-b~bara, nous pouvons pénétrer dans le labyrinthe de la
symbolisation. De même qu'en poussant la réflexion au-delà de l'immédiat,
nous pouvons déceler un magma de significations qui ne sont là non pas pour
représenter autre chose, mais seulement les articulations dernières que la 50-
èteté a imposées
aU monde, à elle-même, et à Ses besoins.
1°) L'institution sociale et l~ symbolisme
Il n'est pas exagéré de dire que tout ce qui se présente à nous
dans le monde social est tissé de symbolisme.
Le travail, la consommation, la guerre, la procréation ou ~es innombrables
productions matérielles qui participent à l'être de la société relèvent
toutes de l'ordre des symboles. Mais le symbolisme n'est paS une création
ex
nihilo. Il ne peut paS prendre ses signes n'importe où, ni n'importe quels
signes. La constitution
d'un ordre symbolique ne se fait pas
dans une liberté totale. La société tient toujours compt7dans l'institution
,
"1
d e .
.
d e .
d' .,
1
Le
qu'el e met en oeuvre, ce qU1 eX1ste, ce qU1 se trouve
eJa en pace.

- 127 -
symbolisme s'accroche au naturel, à l'environnement qui n'est pas un chaos,
mais un univers ordonné d'objets liés les uns aux autres, à l'histoire dont
les hommes sont porteurs.
Pour une pensée qui recourt aUx schèmes mythiques, les rapports
profonds entre le symbolisme et l'imaginaire apparaissent nettement. En effet,
pour devenir réellement significatif, l'imaginaire doit s'entrecroiser avec
le symbolique,
ce
qui
suppose
la
capacité
intel-
lectue lle d' ~gnorer
les frontières arbitraires propres à une pensée
L
de type européen.
Nous aVons vu plus haut que dans le système de représentation
et d'interprétation malinké-bambara,
une partie de l'oeuvre de création
revient aU couple initial formé d'une figure mâle,
PEMBA ou !\\EMBA (l'ancêtre) 1
et d'une figure femelle, MUSSO KORONI,
la "vieille petite femme". Le couple,
comme on le sait, ne pourra pas conduire à terme son action, il va échouer.
C'est alors que surgira
une troisième figure,. a.fldrogyne,
FARO ,qui
ac-
complira
une nouvelle entreprise, cette fois àvec succès.
A partir de cette triade. (que nous représentons dans les
figures 1, 2 et 3), des caractéristiques de chaque personnage et des liens
qui les unissent, il est possible de dégager des données permanentes de la
pensée mandeng.
- ---------------_._-- _ . - - - - - - " - - - - - - - - - - - - - - -
~----
-~------­
~ - - - -

- 128 -
FIG,l Niveau cosmologique: les "trois bases"
ou hypostases de l 'Etre suprême.
Pemba ~--------_. Musso Koroni
ou
(Nya1é) ( fém i ni n)
Bemba
, souffle,énergie
(masculin)
(.nt): âme de l' Etre
Sùprême. Princi-
pe imma téri el
Faro (androgyne),
dya, le double, face visible de
1'Etre suprême,princ;pe matériel
FIG.2 Niveau cosmo-sociologique
Pemba
Musso Koroni
omni po
soeur et épouse
tence:
-
omniscience :sor-
~ ,1n-
celler;e,matrice
lnceste,
des connaissances,
désor-
dre ,etc ..
capitalisation des
Pouvoir
biens et des tech-
niques,sacré
Faro
1 'omniprésence. Héros, transcendance :
êlêment d'harmonisation,force de
persuasion, la vote (stra),Droit élé-
ment régulateur.
- - - -
FIG. 3 Niveau social
(
)
Musso Koroni
Savoir
Faro (Droit)

- 129 -
Chaque terme
de
la
triade
mandeng,
FARO, PEMBA, MUSSO KORONI ,avec les représentations qui lui
sont associées,
exprime
, dans le réseau des significations,
les notions essentielles
relatives
à la régulation sociale. Les personnages mythiques
sont des principes catégoriels que nous trouvons à tous les niveaux de
l'immanence et de la transcendance (fig. 1 - 2 - 3). Une séquence du mythe
fondateur exprime clairement cette vision.
~ commencement, dit le mythe, l'Etre suprême voulait uniquement
le Bien. Il fit alors tout à l'image du Bien. Tout devint
Bien, d'un bout à
l'autre de l'univers. Devant cette uniformité, l'Univers devint muet. Les
hommes s'ennuyèrent de la monotonie et l'abondance du Bien créa alors la
tristesse, ils allaient tous mourir si l'Etre suprême n'était pas intervenu
à temps pour effacer ce premier monde.
La seconde création fut placée sous le signe du Mal. Une fois
de plus les hommes s'ennuyèrent devant l'excès de Mal qui les rendit féroces,
à tel point que tout le monde se mit à faire un mal "identique à lui-même:
L~istence devenant insupportable, les hommes prièrent l'Etre suprême d'inter-
veni,.r. ce:Jut-ci,tomprit enfin que ce qu'il faut aux hommes, c'est un juste
milieu.
Effaçant ce deuxième monde, il construisitun troisième univers
entre les deux pôles an~agonistes qU'il confia à l'intelligence, à la raison
et à la sagesse des hommes.
Avec ces trois actes initiaux, se trouve résumée la totalité
sociale malinké-bambara

- 130 -
Nous pourrions montrer à la suite d'autres auteurs que FARO
symbolise le principe du Bien et que le couple PEMBA-MUSSO KORONI incarne
)
le Mal. Si nous avons renonce
à établir de tels couples d'oppositions, ce
n'est pas
qu'un tel découpage soit faux, c'est simplement la crainte de
forger des
classifications qui ne reflètent pas exactement le p1ura-
1isme attaché à la représentation de tel ou tel personnage mythique. Notre
défiance pour de telles classifications trouve également Sa source dans le fait
qu'elles pourraient
conduire à la mise en place d'une logique statique.
Enfin, une telle approche est particulièrement fâcheuse lorsqu'il s'agit de
cerner les catégories intellectuelles de l'imaginaire social qui, comme on
va le voir, sont en réalité beaucoup plus complexes que les modèles dualistes
ou dichotomiques qui prétendent les refléter.
Dans le système de représentation et d'interprétation mandeng
le ra1e que tiennent les
trois"bases" ou "fondement du monde" ,dygé dyu saba,
peut être comparé au symbolisme des trois pierres du foyer ou gwa-kuru.
Comme ces pierres, les hypostases telles qu'elles apparaissent dans les
représentations sont aussi nécessaires les unes que les autres, chacune
représente des aspects antagoniques et néanmoins supplémentaires. Elles sont
les images, les symboles par lesquels on explique tous les niveaux de signi-
fications.
FARO, puissance androgyne (fig. 1), héros c tvt It s ac eurç exprtme-
comme nous le savons, 1a"loi" fondamentale de la création: l'association
intime des éléments mâle
et femelle,
la dualité dans l'unité. Il est le
symb~le de la filiation commune de tous ceux qui se réclament du

-
131 -
~ (1). C'est par son oeuvre que la création s'achève en permettant
l'émergence de l'ordre humain, en mettant fin aU chaos, en soustrayant les
hommes de l'emprise du couple PEMBA-MUSSO KORONI. En révélant la parole
aUX premiers ancêtres, il institue
les
qui
devront gouverner la société :
la
mémoire
de
la
"Loi"
première, signe de l' humanisation, y sera
entretenue par
l'initiation dont le rituel placé sous son signe conSacre les "grandes
vérités" qui fondent le projet de société. Juge et conciliateur, FARO est
celui qui intervient en dernière instance pour préserver le monde qu'il a
façonné à son image de toute nouveqe irruption du chaos
(fig. 3).
Le personnage de FARO ne s'arrête pas là. Maître de l'eau, du
fleuve Joliba ou Niger, il est celui qui délimite les espaces et les terroiDs,
qui sépare mais sert aussi de communication, qui détermine les espèces, les
métiers des riverains, les statuts en fixant les interdits et les alliances.
Mais FARO, par certains de ses attributs, est plus que cela. En effet,
considéré comme le fleuve. lui-même, il est alors perçu comme l'espace physique
et l'espace symbolique. Celui qui a permds l'émergence des cités qui donnèrent
ensuite les Empires (Ma~i et songh~1)et les royaumes (Segu, lBamako etc.
)
qui ont fait la grandeur, la prospérité, mais aussi la ruine des populations
de la vallée du Niger.
Il est perçu comme l'eau qui fait
.crottre les cultures, l'eau source de richesse (puisque l'or et les cauris
sont aquatique~, mais également l'eau qui peut innonder les cultures, tout
(1) ~ "je dis, je parle" en mand4.ng
est le premier phonème enseigné
aux premiers ancêtres par fARO lors de la révélation de la parole. rI fut
suivi de trente autres. N'Ko est aussi le terme générique employé par les
populations mandtng
pour se définir, s'identifier
comme peuple.

-
132 -
comme le pouvoir qui peut contraindre et abuser (1).
Figure antithétique et néanmoins c omp Lâuent ad r e de ~
symbole de l'équilibre, de l'ordre, de la pondération, de l'égalité, de
~
se
l'achevé, l'eau miroir dans lequel tout reflète, le couple PEMBA-MUSSO KORONI
retiendra particulièrement notre attention en raison des rôles apparemment
négatifs attachés à
Sa
représentation (2).
Dans les récits cosmo logiques, une place de choix est accordée
à
ce couple, en raison du fait qu'il est considéré comme hors communauté.
Ainsi PEMBA -avatar de l'esprit divin, du ~ créateur, fait
figure d' anc~tre (PEMBA). Principe mascu lin (fig. 1), PEMB~ porteur des
semences de la connaissance, incarne le vieil homme omnipotent. Nous aVons
vu dans l'exposé du mythe de fondation, que ses actions, vol des graines
fécondantes, inceste etc.,
ont engendré des désordres et l'apparition de
FARO (fig. 2). Dans le système de représentation et d'interprétation,
l'accent est mis particulièrement sur l'exaltation du personnage, son orgueil,
son ambition démesurée, son désir insatiable de possession et de domination,
en un mot, sa volonté de puissance. Par tous ces traits, il évoque les
multiples visages du pouvoir non mattrisé, de la force aveugle et brutale
qui agit sans discernement. Il est pour tout dire, l'arbitraire, l'illégiti-
mité.
(1) Dans un travail en cours, la grammaire du pouvoir chez les populations
ma1inké-bambara~ nous montrons comment la cosmogonie fournit des schèmes
qui participent à la théorie du pouvoir. On notera que chez les ~andtng) _
les souverains étaient les mattres de l'eau.
(2) A noter que les mythes mandeng<
sont touj ours marqués d'ambivalence.
Ils véhiculent les facteurs d'ordre et de désordre qui sont nécessaires à
l'institution de la société comme corps social diversifié et complémentaire.
A un autre niveau, ils traduisent la difficile coexistence de la diversité
et de l'unité, la vulnérabilité de la solidarité dans les différences.

-
133 -
Ces quelques considérations sont loin d'épuiser toutes les
connotations normatives liées à la représentation de cette hypostase. Nous
pourrions dégager d'autres niveaux. Mais l'essentiel,nous semble-t-il,
c'est de montrer le contenu significatif attaché à tel ou tel personnage.
MUSSO KORONI KUNDYE ou MUSSO KORONI, "petite viei lle fenme à la
tête blanche" est l'avatar de NYALE qui est un principe divin (fig. 1>. Elle
es7dans le système de représentation et'd'interprétation, la matrice néces-
saire à la fécondation des créatures. Dépositaire des semences de la connais-
sance (doni), on l'a dépeinœparcourant l'univers pour y répandre le savoir
-.-.-
nécessaire à l'humanité (fig.~~ai$eldispensant Sans discernement la connais-
sance aUx hommes, elle
crée des conditions qui feront naître la nécessaire
altération.
Elle est considérée, en effet, comme celle qui a semé en
l'esprit des hommes futurs
le germe de toutes les idées,elle est à l'origine de
l'imagination excessive, source de désordres et de passions incontrôlées.
Or, le savoir? dans la pensée africaine en général et mandeng
en particulier,
doit garder Sa pureté pour être transmis intact, il ne doit surtout paS être
détourné dans un but nocif. Il doit être préservé dans le gundo, le secret,
et enseigné à bon escient, avec ordre, pour qu'il ne soit paS galvaudé et
livré à "tous venants" (1).
Le rôle dévolu à MUSSO KORONI S'éclaire davantage dans la
mesure où elle permet de Saisir certaines idées en relation avec le principe
(1) La notion de gundo au secret est un des principes cardinaux de l'ensei-
gnement traditionnel dispensé par les institutions initiatiques qui sont
placées sous le signe de ~

-
134 -
féminin dans la société patrilinéaire mandeng.
Parmi les traits de car ac-
tère qui sont associés au personnage, on peut retenir la sorcellerie (1).
Considérée cormne la "mère de la sorcellerie", MUSSO KORONI
incarne le
principe de tous les changements, des métamorphoses. Symbole des mystères,
elle évoque un noeud de relations: le mouvement, l'énergie, créatrice ou
dévastatrice, les passions, les pulsions incontrSlées. Elle peut faire nattre
l'amour entre les sexes, déchatner des rivalités, des conflits entre parents,
alliés ou amis, la guerre entre les peuples, bref elle représente une
pyramide de forces qui font finalement de son personnage le lieu de rencontre
d'énergies divergentes.
Enfin les personnages de MUSSO KORONI et de PEMBA expriment
le difficile problème de la complémentar1té et de l'opposition des différences
marquées par les signes de la masculinité et de la féminité. Avec eux sont
posés tous les problèmes relatifs aU dualisme sexualisé qui fonde la société.
Le couple mythique ratera l'union et la coopération dans la différence. Les
péripéties et les drames qui conduiront à leur déchéance sont révélateurs
d'un autre niveau de signification: celui du sacrifice créateur.
20 ) Le sacrifice créateur et libérateur
Les récits qui accablent le couple PEMBA-MUSSO KORON! en raison
de leur sacrilège
(désordre initial)
qui
est
à l'origine
de la
rupture -de l'ordre idéal-
en"tan t êiueSurréalif.é . paradigmatique ,
(1) Chez les populations malinké-bambara,
la sorcellerie s'acquièrt par les
femmes. on a beaucoup plus de chance d'~tre sorcier quand votre génitrice
en eSt une.

-
135 -
ne doivent paS pour autant être perçus comme le moment négatif
de l'instauration de l'ordre humain. Leurs mésaventures
aboutissent à
la révolte qui
permet
en quelque sorte l'émergence d'un destin humain
spécifique et supportable.
Si nous nous plaçons dans une perspective
temporelle, la logique de cette révolte fait apparaître le couple de la
contestation comme
précurseur
de la construction du monde, le prototype
des hommes actuels.
En effet, PEMBA et MUSSa KORONI, en se révoltant contre les
injonctions de l'Etre suprême, devinrens de la sorte, les premiers agents
d'individualisation
ils montrèrent ainsi aux Hommes d'autres voies, d'autres
moyens qui vont les libérer. Sans leur sacrilège, les Kommes seraient restés
complets (1), comblés et immortels, mais avec le risque de demeurer des êtres
anonymes, éternellement soudés
à leur femelle et à jamais prisonniers dans
"l'oeuf de Dieu" ou dans "l' 0 euf du monda!",
En apportant avec eux le ferment bénéfique de l'opposition, de
la contradiction, le couple antithétique inaugure ainsi la voie libératrice,
le refus de s'en remettre totalement à la providence. Comme PROMETHEE, PEMBA
et MUSSO KORONI supporteront, tour à tour, les conséquences de leur désobéis-
sance: ils connattront la déchéance, le sentiment de culpabilité, FARO
les
1
vaincra
aU cours d'un combat singulier; mais comme PROMETHEE, leur Sacrifice
(1) A l'image de FARO, les dommes étaient androgynes. Ils ignoraient la
circoncision et l'excisioQ,ils étaient complets. Mais MUSSO KORONI nous dit
le mythe, jalouse de l'emprise de PEMBA sur les ~ommes se serait révoltée.
Elle est représentée
parcourant l'univers et muti1-~nt sur son chendn les
parties sexuelles des uns et des autres, instaurant ainsi la différenciation.
des sexes.

- 136 -
servira à d'autres (1). C'est pourquoi, l'un et l'autre symbolisent dans la
pensée initiatique tous les changements, tou s les renoncements et toutes les
-
~
rétamorPhoses considérés comme signes du mouvement cosmique et social.
Ce qui précède
indique suffisamment que sous le décor de la
symbolisation se trouvent exprimées des idées fondamentales
sur la société. Certes, les déterminations du symbolique que nous
venons de décrire n'en épuisent pas la substance. Elles doivent toutefois
corriger certaines projections qui tendent à faire croire que l'homme des
mythes est un être totalement inféodé au temps d'avant la société .. au temps
du commencement,
répétant inlassablement à travers la durée
les gestes
ancestraux. Toute civilisation a Sa dynamique propre, elle évolue avec ses
contradictions, comme elle peut en mourir. Les populations mandeng
n'ignorent paS le sacrilège créateur, leur histoire est traversée de mutations
Elles ont connu des chefferies centralisées appellées KAFa, elles ont bâti
ensuite des empires et des royaumes qui ont eu des sorts divers. Il en est
résulté des foisonnements de mythes, des alliances ont été scellées dans le
sang, comme par le consensus entre les différents groupes sociaux. Ces activi-
tés créatrices n'ont été possiblES que parce que la pensée symbolique qui
anime l'être de la société fournit toujours des gestes, des éléments qui
permettent de penser et de diriger l'action de la société et des hommes (2).
(1) A noter que Sans cette révolte, la réorganisation du monde, Sa remise
à neuf sous l'égide de FARO ne serait paS intervenue.
(2) L'Islam.en investissant la société mand&ng,
a nié ce dynamisme de la
pensée symbolique en lui substituant ses proprès concepts. La colonisation,
quant à elle, a brisé profondément les équilibres intellectuels de la pensée
symbolique.
introduisant des systèmes de pens~. et d'être totalement
extérieurs aux popu lations soumises à Sa domination.

-
137 -
A la limite, on peut se demander si le mythe des origines,
cette histoire "sacrée",ne réalise pas finalement l'intégration la plus
parfaite de l'homme avec son environnement . Ex?érience existentielle de
l'homme malinké-bambara aUx prises avec lui-m~me et avec son monde, les
mythes du commencement participent à l'historicité Car ils constituent dans cet-
te'société qui ,trouve en eux la logique de son ordonnancement, un des moments
de l'histoire de sa pensée, fruit de la dynamique sociale et métaphysique qui
explique et justifie les significations.
En devenant phénomène. éminemment plurisignifiant apte à totaliser
toutes les significations implicites et explicites à la société, le discours
du mythe
constitue
un élément essentiel du contr8le social, en participant
!là la cohérence du système social total, à la détermination d'une claire
vision du monde, et à la légitimation de l'ensemble de la pratique sociale"
(1) •
c'est pourquoi dans l'ancienne société mand~ng
non encore
soumise à l'emprise islamique, le système symbolique n'est pas simplement
un cadre de référence des pratiques sociales, il est également l'axe de
l'ordonnancement logique permettant de restituer la globalité des rapports
de l'homme à l'homme, et de l'homme à l'univers.
En effet, à partir des schèmes mythiques relatant la genèse et
en suivant les étapes de l'enseignement et de l'expérience initiatiques
(1) WANE (M)
1977, p. 387

- 138 -
on peut appliquer certaines de leurs significations à la compréhension
d'autres phénomènes sociaux. Il est, en outre, possible, à partir des idées-
forces qu'exprime la cosmologie, d'éclairer les différents aspects de la
distribution des individus entre les sexes, les groupes constitués et symbolisés
dans leur complémentarité (Sanankl1nya).
A cet égard, on peut repérer deux modèles de lecture des
relations sociales: celui de l'androgyn;e et
l ' d
l
~
ce u~
e
a gémellité,
signifiant la recherche de l'unité du deux en un et de l'un en deux qui
constituent deux grilles par lesquelles on cherche à concilier l'inconciliable,
c'est-à-dire la complémentarité dans la différence.
3°) QUelques applications du modèle des mythes
L'idée d'androgynie que nous retrouvons à tous les niveaux
du système de représentation, exprime en premier lieu le personnage de FARO,
ensuite l'ordre de l'harmonie achevée, de l'équilibre parfait. Elle signifie
aussi la filiation commune des Mandeng
symbolisée par le N'Ko. Elle évoque
ainsi par-delà les diversités nées de l'histoire,
l'unité du monde mandeng
d~s le sens où tous ceux qui parlent N'Ko, se disent "aYl béé yé kélen yé",
"nous sommes tous parei ls, nous
appartenons à la mêne veine
(biologique)
nous ne faisons qu'un".
Ce symbolisme, en focalisant l'attention des groupes Gui se
rée laJIlent de la c ommunau té mandë.ng ,
Malinké,
Bambara, Jula, Xasonké,
Kagoro, Jaxanka etc.
détermine
dans les m~mes directions
leur champ de perception et d'évocation en les structurant selon les mêmes
schèmes. Cette unité ainsi sublimée, vise à abolir la différence entre ces
différents groupements mand~ng.

-
139 -
Le modèle androgynique est cependant d'une portée assez limitée,
la préférence Va aU se_cond modèle.
En effet, le principe gémellaire,
le groupement par paire des
communautés et des individus s'imPose comme s'il était le modèle naturel
d'existence. C'est pourquoi nous l'avons appelé la "théorie du double" (1).
Ce qui frappe dans la société mandeng,
c'est qu'à tous les
niveaux d'articulations majeures, nous retrouvons la notion du double. C'est
le caS dans la Sanankunya
(système de complémentarité entre groupes porteurs
de
Jamu différents)
la Flan;ra
(de flan .deuxj jumeaux, égaux ,modèla qui régit
les rapports entre les personnes appartenant à la même classe d'âge), Béri-
den-va
(institution qui sanctionne les relations des cousins croisés)~ Moden-
II ( logique qui fonde les rapports entre grands-parents et petits-enfants).
Les applications de la théorie du double se recontrent également
dans les institutions politiques~ les organisations administratives et
les associations (ton) par le jumelage des fonctions, des responsables et des
groupements. Mais le modèle,comme on le verra plus loin, vise à instaurer
des conditions qui transforment la différence entre les partenaires sociaux,
de sorte que "l'altérité génératrice d'opposition et de désordre devienne une
coopération constructive d'ordre et fécondante" (2).
Les dispositifs symboliques apparaissent finalement comme un
(1) Cette question sera traitée en détail dans le chapitre V. Dans le même
ordre d'idées, on pourra lire ou relire les deux chapitres'
de GRIAULE .
.
(1966) intitulés "les jumeaux et le conmerce" où
Ogotomméli développe l'idée que les choses à échanger comme les hommes qui
échangent doivent être des jumeaux.
(2)
BALANDIER (G) :
1974, p ~ 20- 21.

-
140 -
mécanisme général qui,d ans cette ~ociété, s ou s--te n d
toutes les activités,
des plus simples aux plus complexes.
Voyons donc les raIes qu'ils peuvent ~tre amenés à remplir.
cl. - RaIe des myt;~e~
L'histoire est impossible et inconcevable en dehors de l'imagi-
naire créateur de sens, en dehors d'un univers de significations. C'est
relativement à ces significations qu'il est possible de comprendre aussi bien
le
choix de chaque société quant à
son symbolisme et principalement de
son symbolisme institutionnel,
qUe
les
fins
auxquelles elle subordonne
sa
fonctionnalité •
Confrontée aux contraintes du réel, autrement dit insérée dans
un processus historique, chaque société est tenue de définir et d'élaborer
une certaine image du monde naturel, de l'univers où elle vit en essayant
. d'en faire un ensemble de signifiants qui doivent trouver leur
place constamment dans les objets et les ~tres qui importent le plus dans
l'existence de la collectivité.
C'est dire qu'aucune société n'échappe à une ~le création de sens
répondant à des questions fondamentales:
qui sommes-nous coume c01lllIllnauté ?
nous
~e représenton~ ~es uns pour les autres? que voulons-nous, que désirons-nous,
Que nous faut-il
?
Ce mode de questionnement en réalité méta-
phorique est destiné à définir en quelque sorte l'identité de chaque groupe
constitué, son articulation, son monde, bref ses rapports à lui et aUX
choses qu'il contient, ses besoins et ses désirs (1).
(1) Il s'agit bien entendu de métaphore, car de telles questions et réponses
ne sont pas explicitement formulées, la société se,constitue en faisant émerger
les unes et les autres.
..

-
141 -
Le rôle fondamental des significations imaginaires, c'est
précisément de fournir des réponses à ces questions cruciales. A cet égard)
on peut dire que bien d~genres littéraires: l'histoire, l'idéologie
politique, la philosophie comme l'ensemble des sciences dites sociales,
entretiennent un rapport direct avec l'univers imaginaire qui façonne les
significations dont ils sont porteurs. I l en est de même de la Bible,de
de
l'Evangile et du Coran, tout comme l'ensemble des codes (civil, pénal etc.
)
qui régissent les rapports sociaux.
Ces différentes productions de l'esprit, telles qu'elles sont
utilisées dans l'éducation, ont pour but d'expliquer et de justifier les
choses actuelles:cesontdes mythes
dont l'intérêt réside dans la cohérence
sous-jacente qu'on y suppose et le crédit qu'on leur accorde lorsqu'on les
considère non pas comme des séquences d'év~nements passés
mais comme des
schèmes doués d'une efficacité permanente. Dès lors, l'ordre symbolique assure
une transposition à l'égard du réel. Il prend en charge la totalité sociale
et valide l'expérience du vécu. Ce faisant, il devient partie intégrante
de la logique sociale
en opérant dans le sens de la définition de l'ordre
social.
Cet aspect apparatt, nous semble-t-il, davantage dans les
sociétés dites traditionnelles où l'élaboration des concepts opératoires se
fait à travers des modèles visuels, des images sensibles. Cette logique des
images qui ne rompt paS avec le concret, permet de le pense~ au lieu de le
détruire comme le fait la pensée abstraite de type occidental.

- 142 -
1" L' ~ginaire connne système de références nÎ'storiques et sociales
Dans une"société initiatiquè' qui est par définition globale,
il est impossible de maintenir une quelconque distinction intrinsèque entre
mythe, histoire et société. Car le social se fait et ne peut se faire que
comme histoire, et le mythe n'est rien d'autre que de l'histoire pensée et
vécue. Le social est d'abord temporalité, et c'est cette tempor a1ité effec-
tive qui commande l'histoire. De même, si nous concevons que l'histoire
pré~uppose l'existence de la société, on peut affirmer également que là où
\\ '
il Y a histoire, ~e
trouv li!
une S'ectét.é.
Ainsi l'historique est le mode spécifique d'institution du
social,tln'est et ne peut être rien d'autre en dehors de cela. En se faisant
social, il abolit par là-même la ligne de d~ar~ation entre le réel qui
serait
~ la pratique et le surréel, l'utopie. C'est dire que nous n'avons
pas à penser"le monde dessignifications sociales"dans une société tradition-
nelle africaine comme"un double irréel"d'un monde réel. Nous devons plutôt
penser de telles significations comme condition première
par laquelle la
.,
société en tant quo
institution instituée
devient possible. C'est à
travers les significations instituées que s"'instaure les conditions et
les orientations cOllllluneS du "faisable et du représentable, et par là tient
ensemble d'avance et par construction ensuite si l'on peut dire,
la foule
indéfinie et essentiellement "ouverte" d'individus, d'actes, d'objets, de
fonctions" et autres qui fondent concrètement la société J'( 1> •
Il est impossible de comprendre ce qu'a été ou ce qu'est une
société en dehors des catégories de l'imaginaire. Nous ne pouvons comprendre
(1) CASTORIADIS (C)
1975, p. 492

-
143 -
une société Sans nous repôrter à un magma de significations imaginaires
sociales qui constituent son monde signifié, lequel fournit et tisse les
structures symboliques. De tels éléments signifiants ne sont pas réductibles
à un simple réel, ni à un quelconque rationnel. L'observation la plus
élémentaire de l'histoire enseigne que l'historique n1est pa~simple
succession instantanée d'un ordre rationnel, mais qu'il est animé de
cohérences et d'incohérences qui relèvent de l'ordre de la signification.
Sans FARO, MUSSO KORONI et PEMBA et les classifications qui
se réfèrent à ces principes catégoriels,
le monde mandeng . serait indiffé-
reneié, chaotique. Mais avec ses noms, il devient une pluralité ordonnée
qui fait émerger la valeur et la non-valeur, qui détermine pour la société
la démarcation entre le "vrai" et le "faux", le correct et !inconvenant
Sans quoi elle ne peut exister et se reproduire. De telles significations
contiennent "dans une indistinction première et infiniment féconde" (1) le
rationnel et l'irrationnel (2). Sans ~s noms et les supports qui les
véJhiculent, la société serait comme l'amnésique total
incapable de
se définir une identité, de Se sentir exister.
Dès lors, la tentative de distinguer nettement
entre
le fonctionnel, l'imaginaire, le symbolique ou le rationnel ~se heurte, dan~
une socîété comme celle des Mandeng, à l'impossibilité de donner à cette
distinction un contenu rigoureux qui soit réellement significatif pour
ne
elle. Vouloirlrretenir dans le fonctionnement de cette société, que ce qui
(1) CASTORIADIS (C),
1975, p. 227
(2) La coupure introduite par les classifications externes aUx sociétés
ft
ft
observées entre le "réel rationnel et le fonctionnel" n'a pas de sens dans
ces sociétés globales où les lois du fonctionnement de l'imaginaire social
ne s'encombrent point de dissocier la pratique sociale de l'institution de
sa
représentation.

-
144 -
relève du réel, c'est-à-dire
dU per<su, dU concret,ce 'serait incontesta-
blement se condamner à produire une signification tronquée~e serait reproduire
simplement une dimension fort limitée de son monde de significations. Ce
faisant,on ré:iuiraitla sphère du gocial à la distinction entre idéel (imaginaire)
et
réel
ou entre
règle et
qn
1;ausserait
irrémédiahlement
tout le contenu positif
et
négatif des signifiants et des signifiés
sociaux. En effet
si la distance entre la règle et la pratique pouvait donner
la mesure du réel, cela signifierait que tout réel serait par définition un
fait mineur.
2°) L'imaginaire comme système de croYance
L'efficacité de la pensée symbolique produit ses pleins effets
par l'USage idéologique qu'on peut tirer du symbolisme. Un tel uSage arrive
à cristalliser l'adhésion aU modèle de société.
Le
mythe
n'est
à notre sens, rien d'autre qu'un ensemble

de dispositifs symboliques capables d'engendrer des significations ontolo-
i
giques qui inscrivent dans les esprits des. manières de penser incarnées
dans les noms de personnages (FARO, PEM.8AJ MUSSO KORONI etc 1ces personnagJ1~sont
que "des concepts, des catégories, des synthèses d'éléments, des allégories,
des notions morales, (bref) des représentations de noeuds de relations" (1).
L'ordre social doit être pensé afin que
l'histoire ait un sens et, en même temps, so~t. capable de servir de point
de départ
pour
fonder une mémoire collective par l'effet
de la socia-
(1) SMITH (p)
1973, p. 103

-
145 -
lisation.
Et dans les sociétés traditionnelles africaines, cette
exigence se traduit par le recours aux mythes qui sont considérés comme le
lieu par excellence de la vérité où se nourissent non seulement la réflexion,
mais également les désirs, la volonté et les croyances.
Pour
ce
faire; le
sens
doit
être
constamment
réactualisé.
Consciente
de
cettQ
nécessité,
la
société
mandeng
a instauré diverses occasions de rappel du sens collectif : naissance,impositio~
d.u nom, mariage,
décès et plus solennellement encore
rituel d'initia-
tion au 1<bmo.
Dans
~ette cérémonie d'efferve~scence sociale qui unit la
quasi totalité des hommes ayant reçu la consécration du rituel initiatique,
les rites
sont destinés à rappeler la re-création du monde :
ils
rappellent
non
seulement le sens global de l'expérience
commune, mais également le schéma de légitimation qui désigne les pouvoirs
et les subordinations, les droits à la prééminence et les devoirs d'obéissance
des cadets-
aUx afnés, des femmes aUx hommes.
Les significations sociales parce qu'elles visent à ~primer la
même marque
dans l'esprit des membres de la communauté doivent
même être reçues de manière identique. D'un certain point de vue, on peut
l
r.
dire qu'une culture, une civilisation pour être plus précis, ne peut se
définir que par la collectivité des personnes qui partagent les mêmes visions,
..r
lesquelles conditionnent, à leur tour, toutes les manières d'êtr~de penser.
Ce code relationnel projeté sur le réel, impose un modèle qui guide les
comportements. Il est en somme l'instrument qui permet à chacun d'ap~

- 146 -
préhender son environnement,de l'identifier et en même temps d'adopter
à son égard la stratégie qui convient.
Cette brève incursion dans l'imaginaire social malinké-bambara
pourrait donner à d'auc~ns l'impression d'un abus de pouvoir interprétatif.
En fait, nous n'ignorons pas que pour mettre au jour la logique cachée
des pratiques sociales et de leurs représentations, on aurait besoin d'une
théorie du phénomène mythique pensant sans rupture les rapports de sens, de
fonctions et d'idéologies et distinguant clairement ce qui dans les repré-
sentations symboliques tient à leur existence de ce qui tient à leur
utilisation. Faute d'une telle assise théorique générale, nous devons renoncer
à pousser plus loin l'analyse et nous contenter de la conception mandeng
que reflètent les considérations ci~essus.

-
147 -
CHAPITRE III
RELIGION ET UNIVERS SOC rAI..
A s'en tenir à la littérature ethnologique,il est impossible
de se faire une idée cohérente des rapports de l'homme africain avec son
univers dans les sociétés traditionnelles. Fétichisme,
animisme,
naturalisme,
manisme etc., tous ces
concepts,
__
.~---;o-----.:-
----, _.~- --- ---_._----~---~--
bien
qu'inventés
ou
repris
par
d'éminents spécialistes, ne sont
ni définis, ni précisés avec la rigueur scientifique souhaitée, ils présentent
tous de graves inconvénients et sont tous extérieurs aux réalités qU'ils
prétendent décrire.
'p:urement impressionnistes,
ils
ne
parviennent ni au niveau de l'explication endogène, ni même à celui de
modèles rigoureux.
"
--------.~~----.---- - - ~ ~ ~
Les préjugés dont ces concepts
conçus dans les conditions historiques
très particulières de la situation coloniale
sont
imprégnés (évolution-
nisme, diffusionnisme, ethnoc.ntrisme etc.
)
des
analystes
de découvrir les messages véhiculés par les pratiques
qu'ils
observaient.
ces
auteurs
sont
tombés
dans "le sophisme de l'inconditionné qui consiste à privilégier un aspect
valable~ mais parcellaire ou provisoire du réel, en l'érigeant en principe
explicatif total et définitif" (1).
(1) THOMAS LouiS-Vincent,
1964, pp. 219-220

- 148 -
En dressant leurs
typologies,
ces
et hno logues
ont appréhendé de manière grossière les
réalités qu'ils se proposaient d'étudier.
les considérant seulement
comme dominées par les lois de la pensée ou mentalité primitive, créatrices
de rites plus que d'outils,
plus soucieuses d'être accordées
au monde que de parvenir à Sa possession.
Coincés dans leur déterminisme,
les 11jaîtres à
penser
ont saisi la différence des sociétés et des cultures en termes d'oppositions
ou d'inversions. Leur formulation est bien connue: la pensée primitive
s'oppose à la pensée prométhéenne, la connaissance affective à la connaissance
positive, la société a-historique à la société historique, la société à
faible différenciation fonctionnelle (impliquant, en particulier, l'omniprésence
de la religion) à la société à différenciations complexes , etc. Dans ce jeu
"
ft
d'oppositions, ils font jouer le même rôle à la religion dans la société primitive
et à/
l'économique dans la société occidentale: elles sont l'instance déterminante,
la matrice qui façonne les rapports que les hommes entretiennent entre eux
et avec le monde •
.Il a fallu les premières recherches d'anthropologie religieuse
pour montrer la vacuité de telles certitudes. L'approche anthropologique devait
admettre que la religion n'organise pas tout,qu'elle n'est qu'un système par
lequel une culture (une civilisation) se constitue et s'exprime. Elle est ID des
niveaux où se formule le sens qu'une collectivité s·ët:tribue en tant que
collectivité,et qur-uidonne cohés ion
en
permettant aUx existences
individuelles de se dépasser, de se soumettre à des valeurs ultimes.

- 149 -
pour une claire perception de notre problématique, i l n~ est
paS sans intérêt
de procéder à un inventaire sommaire des recherches sur
le champ symbolique. (Section I). Nous tenterons ensuite de dég~ger les
aspects fondamentaux de l'univers socio-religieux chez les ~~de~~(s~ct~9P II) .

-
150 -
SECTION l -
EVALUATION CRITIQUE DES RECHERCHES SUR LE CHAMP
SYMOOLIQUE
A - Généralités
Dans l'eeuvre des fondateurs
universitaires
de la sociologie,
la considération du religieux occupe une position centrale. C'est le cas
de
DURKHEIM dont l'interprétation des Formes élémentaires de la vie
religieuse (19
)
a profondément marqué l'anthropologie,
notamment fran~aise. DURKHEIM fait de la religion la matrice à partir de
laquelle s'est constituée la civilisation. Il
la lie à toute existence
sociale, car la religion
naît nécessairement de la société. En poussant
plus loin son argumentation, il soutient que non seulement la religion
exprime
la société, mais qu'elle est indispensable àtouté vie sociale en
tant que système symbolique. La thèse principale
du
.-
"fondateur de
l'école sociologique, tend à montrer l'impossiblité d'une société d'où toutE
forme de religion serait ~pulsée.
~lus
encore
que dans l'oeuvre de DURKHEIM, la considération du
fait religieux occupe une large place dans l'oeuvre de Max WEBER (Sociolo-
gie de la religion, 1-111, ~9'4' Economie et Société ,19~~
Il se dégage des réflexions contenues dans ces deux ouvrages
que l'auteur s'est donné
W1 doub.1e but :

-
151 -
:ldent Hie!'
l~s fonctions sociales de la religion :
constituer un cadre unitaire au-delà des coupures de groupes et declass~s
(fonction d'intégration) ~ fournîr la justification des positions sociales
(fonction idéologique des "religions de la loi", de la conformité) r ou
..
à l'invet-~ exprimer la demande de compensation (au plan de l'imaginaire
.et des. attentes)
de changement des groupes et classes
défavorisés (fonction des "religions de salut") i
rapport de l~ religion aux autres
constituants de la formation sociale et culturelle, l'économie, la ~tra-
~
tifîcation sociale et le syStème de pouvoir, ce
rapport, plus tensionnel
cation des dominés.
- - - ----~.._ - - - _.. --_.. _ - - - -
D'une certaine manière, on peut dire que la sociologie
religieuse de Max WEBER est une
réplique
à la sociologie de MARX. Elle
Cente de définir le mode de production des biens symboliques et SeS
implications, alors que MARX a surtout porté l'analyse sur le mode de
production des biens matériels et ses effets.
Les apports
de
Durkheim
et
de
Weber
sont
,repris
dans
les
travaux
le&
Elus
récents
de
sociologLe religieuse.
Ces travaux insistent davantage sur les fonctions de la religion, ils
rendent plus manifestes !~s implications politiques
en
même temps qu'ils montrent
qu'elle
est
une
des
formes
du

- 152 -
travail que la société exerce sur elle-même Ccf. JOachim WACH Sociobgy
of Religion, traduction française Paris 1955). Sous cet aspect, trois
fonctions sont accomplies par la religion:
_ 10) Une fonction d'attestation ou d'intégration) ~elle que
DURKHEIM a définie: "le principe sacré n'est autre chose que la société
hypostasiée et tran!Agurée". Tr adu Lte, littéralement, cette affirmation
peut se lire de la façon suivante : la société crée une religion parce
que l'expérience religieuse contribue à la créer elle-même.
_ 2°) Une fonction de contestation,
apparente
dans
les mouvements religieux exprimant une interrogation sur la société
et
visant à la transformer du dedans à la faveur d'une expérience religieuse
nouvelle. Cette remise en cause instruit le procès de la religion établie
c'est le fait des sectes, des hérésies, des schismes,etc.
_ 30) Enfin une fonction de protestation. En ce cas,
la remise
en cause de la société - à travers Sa religion - se radicalise
et la
protestation religieuse radicalisée peut S'associer à la révolte sociale,
comme dans le cas des révoltes paysannes due; à une religion réactivée ou
diss idente.
Il convient
d'ajouter que certaines interprétations plus
récentes tentent de dépasser les schémas fonctionnalistes et
"idéo1o- .~
gistes" de la religion. C'est le cas
de
l'essai de P. IDURDIEU
"Genèse et structure du champ re ligieux" (in Revue française de

- 153 -
sociologie, XII, 1971). Cette étude se propose une interprétation
génétique de la re l i.gLon ,
de la manière dont progresse "la division du
travail religieux"
parallèlement aux autres différenciations sociales.
Ce procès peut être schématisé de la façon suivante: "constitution
d'instances spécifiquement aménagées en vue de la production, de la
reproduction et de la diffusion des biens religieux'~ production et
reproduction de savoirs secrets (des biens rares) entraînant pour les
profanes la dépossession du "capital religieux", formation de structures
de distribution du "capital religieux", création d'un ''marché des biens
de salut", etc.
Dans l'optique de cette étude, le champ religieux est
à la production symbolique
ce que le champ économique est
à la production matérielle.
Enfin, un dernier point à signaler et non des moindres, c'est
la valorisation du champ symbolique dans les études anthropologiques de
ces dernières années. Ce renouveau peut s'expliquer pour la période actuelle
par la vitalité des mouvements religieux contemporains :prophétismes,messianismes,
-,
jrli~es/
dlss1dentes et autres mOUVements de salut. La prise en compte de cette
nouvelle dynamique, signe d'une activité symbolique en "effervescence", en
pleine création, a contraint l'anthropologie religieuse à se renouveler,
à se départir des interprétations conventionnelles. Cette dynamique Se
manifeste à travers de nombreuses études de caS( et de synthèses de œractére ~néra
~le donne lieu à des.formulations théo~iques nouvelles
sur lés conditions
de formation des syncrétismes, sur la nature de l'imaginaire social, bref
sur les fonctions des mouvements religieux.

- 154 -
APrès cette rapide évaluation du champ symbolique dans la
pensée occidentale en général, tourmons-nous plus précisément vers l'Afrique ou
plus exactement écoutons le "discours africaniste"concernant le champ religieux
-----------~- - - - - - - - - -
B - Les àfricanistes et l'étude du champ religieux
Il ne s'agit pas ici de retracer le cheminement de l'anthropo-
logie religieuse appliquée aux données africaines, ou de faire l'inventaire
total des divers modes d'interprétation des religions africaines, mais
de mettre en évidence} selon les étapes de "l'africanisme" les formes
d '-interprétation dominantes.
l'ouverture de ce dossier passe nécessaire-
ment par l'examen d'un courant de pensée
ethno logique
dont Marcel GRIAULE
est le fondateur.
a) Mythes et religion
L'oeuvre de GRIAULE correspond à un moment de la recherche
considéré comme décisif par GRIAULE lui-même: l'année 1946 durant laquelle
un informateur privi légié (OGûTEMMELr) lui révèle "la richesse et la
. ,
complexlt&
ordonnée des conceptions
dogon, c'est-à-dire un système
complet d'interprétation, une théorie de l'ordre du monde et de l'ordre
des hommes (société et culture) (1).
Cet ensemble constitue pour les Dogon la connaissance profonde
ce sont les "grands principes" ou "grandes vérités" dispensés par la
"société initiatique" dogon. I l comprend quatre volets
fondamentaux
un corpus mythologique et une cosmologie; un savoir ésotérique et un
(l)cf. ~ GRIAO'LE -Avant propos" in GRIAULE (M) _ I966 p c l , 3.

-
155 -
système symbolique, une théorie de la personne humaine (1) ; une théorie
de la "parc le" qui révèle la civi lisation dogon comme
une "c i vi lisation
du verbe".
CEs rappels initiaux et sommaires appellent néanmoins quelques complements.
CE qui est cherché par Griaule, c'est la définition
d'une
personnalité
culturelle (la religion à travers ses interprétations aSsure cette fonction),
c'est aussi la définition d'un système de pensée et du type de connais.ance
propre
aux
Dogon.
A la limite, on peut dire que la religion dans
cette démarche est moins considérée pour elle-même (en tant 9ue moyen de
produire et de reproduire la société par le "travai 1 symbolique") que pour
ce qu'elle dit (en tant que Li.ou ou s'exprime la "fclrolè).
L a religion dogon n'est
ni
présentée,
.nt définie, ni interprétée
d'une manière systématique:
il Y a comme un
manque,
la
description
des
croyances
- - - - - - - - - - - - - , - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
et
pratiques,
elle, n'est
ébauchée
que
dans
une
contribution
à
l'ouvrage collectif African Worlds (1960) et inachevéE! dans le';'''Renard
pi,le" (1965).
Malgré l'apport incontestable de GRIAULE
à
la compréhension
du phénomène religieux chez les Dogon, force est d'admettre l'existence
de zon~d'imprécisiondans la présentation de certaines données ethnogra-
phiques et une certaine absence de développements théoriques. Ainsi, le
qLa
(1) rhème repris lors d'un colloque organisé aU CNRS en 1972:
notion
de la personne en Afrique noire". Paris. C.N.R.S .. r973

- 156 -
rapport de l'univers religieux à l'univers social, aU vécu des hommes,
n'est pas considéré dans son entière complexité. Tout ~e passe crnnme si tou-
te l'efficacité
de l'ordre symbolique venait de la croyance et de la
soumission à la croyance. Ce manque d'articulation de la définition
symbolique de la société (par la religion) et de sa
définitioh
réelle (par
des pratiques, la praxis)est sensible
à tous les niveaux. Par contre,quand
on examine de plus près la direction de recherche de GRIAULE, tout porte
à croire qu'il ne S'agit que d'un arrêt, d'une pause dans le mouvement
d'une pensée que la mort prématurée de l'auteur a malheureusement laissé
inachev~ Certains de ses collaborateurs, en analysant plus profondément
les mythes (DIETERLEN) ou en s'en détournant (ZAHAN) , ont apporté des
éléments de réponse tendant à camp léter l'oeuvre du ''Martre''.
On a beaucoup reproché à GRIAULE de s'en tenir obstinément
aux interprétations que les Dogon donnent de leurs institutions. Sa
méthode d'investigation avait de quoi déconcerter les anthropologues
soucieux d'explication positive.
fechercher dans le mythe les réponses
aux problèmes de la vie, ne relève-t-il pas de l'idéalisme le plus
classique? Le mythe aurait-il, dans cette perspective, valeur de vérité.
Ne s'ar~ête-t-on pas en chemin quand on accepte pour l'interprétation du
phénomène une partie du phénomène lui-même qu'il s'agit d'expliquer?
Nous ne nous associerons pas à ces reproches. La démarche
de GRIPULE, malgré certains aléas conceptuels, marque un progrès très net
su~ les études antérieures dans la mesure où elle fait l'économie d'hypo-
thèses évolutionnistes rigoureusement invérifiables et parvient à intégrer dan5

-
157 -
un système unique des institutions que les tenants de "l'histoire
conjecturale" considéraient 'comme sans lien apparent.
b) La religion et l'ordre social
A l'inverse de la démarche précédente, une autre lecture
profondément marquée par le fonctionnalisme a conduit à saisir la sphère
symbolique comme la
transposition
des rapports réels établis entre les
----- ,--- --~--~~--
ce n'est pas tant ce que dit la religion, ce sont les fonctions sociales
qu'elle rempliL
Les travaux de tORTES consacrés aux Tallensi du Ghana sont à
cet égard significatifs, leur orientation est clairement apparente dans
l'ouvrage intitulé: Oedipus and job in West African Reltgio~ Cambridge
1959.
Le point de vue
de
l'auteur consiste à montrer la
religion comme un instrument de conformité, un moyen de maintien et de
reproduction de la société .Re~igion et politique s'associent en tant que
"pouvoirs" qui servent un seul système de pouvoir,
ce qui n'exclut pas
la compétition pour le contr6le de ce système.
C'est égal~ent sur le système d'inégalité et de pouvoir que
J. MIDDLETON
centre
son interprétation de la religion des LUGBARA. I960.

-
158 -
c'est en termes d'efficacité rituelle que se justifient les statuts con-
férant pouvoirs et privilèges; c'est également par une démonstration
d'efficacité rituelle supérieure, que
s'acquiert
le statut d'aîné ou
d'ancien
(accompagné d'un réajustement généalogique ).Enfin,
la guerre
insidieuse entre les classes d'âge se situe principalement sur le
terrain du sacré et de la s orc e Ll.er i e-, les "atnés" menacent d'invoquer
les esprits ancestraux pour sanctionner la désobéissance, la non-conformité
à la tradition
des cadets et des filsVet cela à tous les niveaux d'autorité; à l'inverse,
les hommes jeunes réagissent par la menace d'une accusation de sorcellerie,
en assimi lant à cette dernière tout ce qui estoonsidéré comme un abus CE pouvoir.
Dans l'affrontement des générations, deux langages sont utilisés: celui
de la religion, par la conformité, celui de la sorcellerie, par la contes-
t ac t on ,
Le.
grief
qu'on peut formuler à l'encontre de telles méthodes
d'investigation" 'est qu'elles aboutissent au résu ltat inverse de la méthode
---- ~
-
- utilisée par--GRiilUtE :- elles ne renseignent pas sur la nature même du champ
c ) La religion ~t
la remise en caUse de l'ordre social
GLUCKMAN est le chef de file de ceux pour qui la religion
est
remise en cause de l'ordre social. cette remise en cause peut être envisagée
comme résultant soit de la société elle-même, soit de l'extérieur, soit
de causes à la fois internes et externes (1).
(1) GLUCKMAN, 1963

- 159 -
Dans un cas COIJm1e dans l' autr~
la dynamique du conflit conduit à une entreprise de refaçonnage des
rapports sociaux et culturels. Des exemples pris dans
des
sociétés
d'Afrique de l'Est (U gand a, Rwanda,
Brru nd i ) auraient permis de conc lure
que certaines pratiques religieuses ont pour effet, soit
de·
contribuer
à la réfection périodique d'un ordre qui parait vulnérable (rituels
d'inversion/de rebellion contrôlée),soit
de contester l'ordre établi permet-
tant ainsi
de vivre au plan de l'imaginaire un ordre social différent.
De m&me, les recherches portant sur la religion traditionnelle
en période de grande transformation soulignent des phénomènes internes de
resistance et des phénomènes externes d'emprunt.
La thèse de Marc AUGE consacrée aux sociétés "lagunaires" de
la CSte d'Ivoire révèle que sous l'effet conjugué des différents facteurs
d'acculturation (causalités internes et externes) ce sont des pans entiers
de l'ordre symbolique traditionnel qui S'écroulent et que ce qui subsiste
du chaJUp religieux ravagé
n'est en samme qu'une théorie de la
personne (1).
Pour terminer cette revue.,. disons quelques mots d 'une orien~ation
relativement récen~dont l'~bition dépasse toutes les autres méthodes
et(
d'investigation rencontrées jusqu'ici dont la problématique vise à décoder à
travers
(1) Cf. AUGE (Marc), 1975

-
160 -
le champ symbolique
le rapport qui
lie
l'individu, la
) .
société et la culture.
d) La religion comme langage et code exprimant le rapport
individu - société et culture
Sous l'influence de la psychanalyse,
de la sémiologie, du structuralisme et des théories de l'idéologie,
une nouvelle approche, encore hétérogène, mériterait à elle seule
une analyse
approfondie. Nous nous contenterons
iei, avec quelque
arbitraire, d'évoquer simplement quelques-unes des orientations en rapport
avec l' ordre symbolîqÜ~.
Ainsi les travaux du "groupe de Dakar", Co110mb, zemplenf
et
Ortigues visent à une analyse psychanalytique de faits et comportements
considérés comme entretenant des rapports très étroits avec l'imaginaire
social.
Il semblerait -car nous ne sommes point compéteno pour nous
exprimer dans un domaine fort éloigné de nos préoccupations -- que- les faits
sociaux ou culturels Cne concernant qu'indirectement le champ de la ,psycha-
nalyse) ne
sont considérés
- que par le biais de la fonction symbolique
qui commande le' processus de socialisation et d'individuation humaine,
processus qui semble
conditionner
toute attribution psychologique
ou sociologique
individuelle.
Les
données
cliniques qui constituent l'armature de l'ouvrage "Oedipe africain" vont
en quelque sorte dans le même sens ; elles tentent non pas de rendre compte

- 161 -
des schémas culturels, mais des matériaux avec lesquels ils se construisent (1),
Signalons, pour terminer, quelques études de cis relatives
au champ des interdits et de la souillure
par M. DOUGLAS (!971)
- à
J'analyse structurale des systèmes symboliques de V. TURNER,
relatifs aux rituels
Ndémbu(1972)~à;1'étudede l'idéologie ou"l'idéo-logique"
propre àI'
.M. AUGÈ dans les sociétés lagunaires de la Côte d'Ivoire (1975) •
Ce qui est commun à tous Ces travaux, ce qui est
recherché dans chacun d~eux, c'est la manière dont l'homme africain formule son
rapport au monde et à la société et conmen: il explicite la problématique
résultant de ce rapport.
Les conclusions que suggère
cette analyse critique des
travaux sur l'imaginaire nous réconfortent à plus d'un titre. Elles mon-
trent en effet
que
le débat Sur les productions ~e l'imaginaire est
éminemment plurisignifiàn\\~t que de nouvelles perspectives s'ouvrent devant le
- - - - - - ---- ._---
chercheur soucieux de rendre compte de la totalité des significations expli-
cites et ~plicite~.
En transcendant directement ou indirectement toutes les formes
de la vie sociale, le discours symbolique procure plus que tout autre
discours une explication où le fait particulier prend un sens,
.
i l permet aux évèilements de se coordonner en
une unité pleinement signifi-
cative.
(1) ORTIGUES
1973

-
162 -
Enfin, cet inventaire, tout en étant incomplet, aide à mieux
évaluer les difficu Lt âs , ri montre, en outre,
les imprécisions et les
problèmes de délimitation: comment différencier l'imaginaire des autres
productions sociales? Comment déterminer le rapport de l'imaginaire, du
symbolique et de l'idéologie? Comment appréhender l'imaginaire dans la
diversité de ses manifestations ?
Formulées
ou non, les différentes approches enseignent que la
sphère du sacré est précis énent ce par quoi s'opèrent dans les soc iétés
africaines les échanges au sein desquels se réalisent les adhésions, les
participations et les réalisations (cu lte des ancêtres, "sociétés d' ini-
tiation"). Elles enseignent également que le champ symbolique est aussi
un lieu ou s'expriment et se déplacent les flux collectifs permettant
aUx individus de trouver les objets sociaux de leur
intégration.
Malgré l'apport indéniable de ces études empiriques, on pourrait
leur reprocher une faiblesse commune, c'est-à-dire une approche trop
segmentaire des phénomènes, dans des sociétés qui par définition sont
globales. On ne peut pas étudier dans une société globale un phénomène aussi
total que l'ordre symbolique) de la même manière que le physicien ou le
mathématicien applique
les lois qui régissent leurs disciplines
seule
une démarche globalisante et dynamique peut conduire à une approche plus
poussée des phénomènes sociaux et partant une explication plus serrée des
significations •

- 163 -
SECTION II - LES ASPECTS FONDAMENTAUX DE LA DIMENSrOO socro-
RELIGIEUSE CHEZ LES MANDENG
L'ordre symbolique des Bambara et des Malinké a très tôt
attiré l'attention de certains auteurs parmi lesquels l'Abbé HENRY (1),
Charles MONTEIL (2) et Louis TAUXIER (3). Ces précurseurs n'ont pu
malheureusement dégager les concepts fond~entaux des phénomènes socio-
religieux qU'ils ont observés. Ils ne disposaient pas de l'outil concep-
tuel nécessaire pour analyser"objectivement" les faits sociaux. Comme
bien d'autres, ils furent victimes des préjugés de leur époque.
Il a fallu attendre les travaux de GRIAULE et de son équipe,
plus précisément les contributions de G. DIETERLEN (4) et de Dominique
ZAHAN (5),
pour que s'esquisse une vision homogène de la dimension
socio-religieuse chez les populations soudanaises.
- - ~ _ . _ - -
Mais ces travaux, tout en apportant des données fort intéressantes,sont
axés sur les thèmes mythiques et sur la
"doctrine initiatique".
(1) L'Abbé HENRY (J) : 1910
(2) MONTEIL (Ch) :
1924
(3) TAUXIER (L) :
1927
(4) DIETERLEN (G) : 1951
(5) ZAHAN (D) : 1960

-
164 -
et te absence de développement théorique laisse
inexpliquézsles
~dées essentielles véhiculées par la cosmologie. Il aurait été intéressant
de savoir si c'est le sacré qui reflète d'abord la société
avant d'agir
sur elle, ou bien si c'est la société qui résulte de l'ordre symbolique
avant de se structurer sur c e Iu Ls-c ï, ,
Notre dessein est au contrair~
de tenter de montrer comment cet ordre
symbolique(iont les manifestations les plus élaborées et les plus valori-
sées. s'expriment dans l'organisation sociale à travers un complexe institution-
nel p:'écis que constif~t.{,initiation aux ". :100 baw" (1), -Las "grandes
vérités" et la participation au culte des ancêtres "Faa su") construit le monde
mand~ng . en lui imprimant une configuration spécifique_
Faisons deux remarques préliminaires.
En partant d'une observation attentive du présentt/du vécu,
il est
possible de rechercher
dans le passé
ce qui rend compte des caractéris~iques
f?~amentale~ystèmedes valeurs, ce qui permet, parmi tant d'autres éléments,
de saisir le sens et la portée de l'existence sociale bambara-malinké.
La seconde remarque concerne la prise de conscience par ces
populations de leur appartenance à une entité ethnique, à une société
(1) Les " JOQ baw" sont des institutions initiatiques chargées de plusieurs
fonctions dëins la société mandtl'108-

-
165 -
unitaire distincte des sociétés voisines. Cette prise de conscience qui
s'effectue à travers un contexte extrêmement précis qu 1 est la "société
initiatique",
inscrit
en
chacun
de
ses
membres
la
primauté
de la société considérée comme don de l'Etre Suprême par Faro
interposé.
ces deux remarques préliminaires nous conduisent au coeur de notre sujet
qui vise à formuler des hypothèses sur la construction symbolique du monde
mandeng. Nous voudrions, d'une part, analyser comment l'ancienne
cohésion
sociale se perpétue à travers les pertubations actuelles grace à l'ordre
symbolique qui est devenu le facteur permanent de cette cohésion. D'autre
part il faudra expliquer pourquoi la fonction cohésive n'a rien d'absolu,
la double
exigence d'ordre et de désordre, d'unité et de pluralité, de
totalité et de disparité qui sous-tend le système social n'étant jamais
résolue.
~lltrement dit, nous n'entendons pas présenter l'ordre symbolique comme le seul
élémen~ni même comme l'élément prédominant par lequel les individus naissent~
conscience des liens qui les unissent ou, si l'on préfère, à la conscience
de la spécificité de leur société, de leur culture. En essayant de
déterminer autant que possible la place
exacte
du facteur symbolique
dans le complexe institutionnel et eth-ique , nous espérons montrer en quoi
il concourt à l'équilibre social, vers quoi tend toute société, et
analyser ce qui fait du facteur "re ligieux" un facteur mn négligeable dans la
prise de conscience par les Bwmbara et les Malinké de leur unité.

- 166 -
Nous avons
reI}contré
tout au long des développements consacrés au
champ
religieux, les difficultés qui font obstacle à toute tentative
visant à rendre manifeste l'expérience religieuse dans les sociétés dites
traditionnelles. Tenter de synthétiser dans ce domaine extrêmement
complexe
est une gageure. En effet, l'abondance des éléments a égaré
nombre de chercheurs. Et si le matériel existant est une source irrempla-
çable d'information, il constitue également un écran qui fait obstacle
à l'exacte intelligence des phénomènes observés.
Comme on a pu le constater dans la revue des thèses ethno-
anthropologiques, le concept de religion est imprécis. Dans la pensée
occidentale, il évoque spontanément un corpus de doctrines et de pratiques
considérées cQmme l'expression des rapports entre l'homme et l'au-delà.
En donnant au mot religion une telle signification, on l'appauvrit consi-
dérablement. On ne tient pas compte de l'expérience
d'autres sociétés

elle est vécue autrement.
Il n'est d'ailleurs pas surprenant que la plupart des chercheurs
qui ont étudié les manifestations religieuses dans les sociétés africaines
traditionnelles les aient perçues à travers le prisme de la sotériologie
chrétienne. En aucun moment on ~~ eu l'idée de penser que "le Dieu d'Abraham,
celui de Morse et le Dieu des temps christiques, pouvaient fort bien se
fondre en un seul et même être, et supprimant la perspective temporelle,
se manifester selon plusieurs modalités" (1).
(1) ZAHAN,
1970, p. 30

-
167 -
La
religion ',ou plus précisément le système symbolique
des Bambara et Malinké, ne se mesure pas par des "sormnes théologiques".
Elle a une nat ur e spécifique qui est bien différente de celle véhiculée
par les religions dites révélées. L~sence de
l'esprit reli~ieux dans une
telle conception
consiste "dans le sentiment qu 1 a l'être humain
de se
considérer à la fois comme image, modèle et partie intégrante du monde
dans la vie cyclique duquel il s~ sent
profondément et nécessairement
engagé" (1).
Le sentîment religieux est fondé
sur cette vision de l'homme,de Sa
situation et de son rôle dans la création. D'une certaine manière, on peut
dire que dans la pens ée manda ng,
il n'y a pas l'idée d'une finalité en
dehors de l'être humain. Ici,
les préceptes religieux se substituent en
quelque sorte à un système éth ique, sorte de guide général de la bonne
conduite ou "konyunaIl " qui véhicule jusqu'au mondre détail formel des
modèles de comportement de l'individu social.
Voyons maintenant comment les rapports entre l'Etre Suprême et les
hommes s'établissent chez les Bambara et les Malinké.
A - Les rapports entre la société et le cosmos
Dans la société malinké-bambara, le sacré comme rapport de la
société avec le cosmos, peut être appréhendé comme un système de relatio~
entre le monde visible des hommes et le monde inaccessible régi par un
ü) ZAHAN, 1970, p. 13

-
168 -
Créateur (Sétigi, Sébaga, M~ssa dambali)
et des puissances qui, tout en
étant des manifestations du principe divin, se sont vues assigner sous des
noms divers (Faro. Sigite~ : ~i~, Jiné, Wokolo,etc.)
des fonctions
spécifiques dans l'ordre universel.
Entre le sa~ré·suprême représenté par le Setigi ou Sébaga
(le tout puissant), Maa-tigi (maître de l'homme), Massa dambali (l'incréé)
ou Fenbé
dambaga (créateur de toutes les choses) ,inaccessible de façon
directe, et l'homme, s'étend tout un sacré médian qui prend source et
appui dans le premier.
Par une sorte de délégation en chaîne du Créateur
(que l'on
retrouvera dans l'ordre des hommes comme principe hiérarchique)
le sacré
médian, selon la pensée initiatique, se déverse en forces fastes et
néfastes sur l'univers, par l'entremise
de puissances secondaires, qui
d'une manière générale, sont censées gérer le bonheur et le malheur des
hommes. C'est la raison pour laquelle on adresse à ces divinités les
paroles rituelles et les offrandes propitiatoires destinées à solliciter
leurs interventions, soit pour réaliser des voeux, soit pour apaiser les
conséquences d'une rupture d'équilibre entre le cosmos et le social.
Il nous faut insister un peu sur cet éloignement apparent de
l'Etre suprême dans la pensée cosmogonique mand~n~ . La distance qui
sépare le Créateur de la créature (l'homme) impliquant des appels incessants
aux intermédiaires (divins) nous place au coeur même de la "religion"
mandë.nge

- 169 -
A travers les relations médiatisées, se profile un des aspects
fondamentaux du système religieux: le sacrifice~soni~~(littéralement
offrir son coeur). Il est la pierre angulaire de la "religion", il cons-
titue la "prière" par excellence, celle à laquelle on ne saurait renoncer
sans compromettre gravement les rapports de l'homme et du cosmos. Le
sacrifice obéit à une "logique transcendantale", cons Ls t ant en l'application
des normes d'une pensée aux rapports entre les êtres et les choses, entre
les êtres et les situations qui les déterminent. Il est, en quelque sorte,
la connaissance du rythme universel, son respect et son utilisation en vue
d'une communion de l'homme avec le cosmos.
Malgré la richesse apparente du panthéon, la
religion
mandeng
repose en fait sur un théisme (1). Mais il est difficile à un observateur
non participant~et de surcroît non initié, de saisir la "superstructure
religieuse", à moins d' une longue expérience des populations observées. Or
rares sont les chercheurs qui investissent un si long temps avant de se
hasarder dans des spéculations quL dès lors demeurent à l'extérieur
des
réalités observées. Ceci dit, l'importance des divinités secondaires
(Faro et ses délégataires Dassiri ou esprits locaux) plus ou moins immanentes,
créées par l'Etre Suprême pour servir d'intermédiaires entre lui et les
houmes ~_~ mogow, finissent dans l'imagination populaire par se substituer
à l'Etre Suprême lui-même. Malgré
cette imbrication conceptuelle, ce qu'il
(1) Dans l'enseignement de ~ et du K~ré, la dérté suprême est affirmée
avec force dans de
nombreuses tirades. Voir ZAHAN, 1960, DIETERLEN et CISSE
1972.
A

-
170 -
importe à notre sens de privilégier, c'est l'unité de la religion
traditionnelle, non paS à travers certains de ces éléments qui apparaissent
à la première lecture disjoints, mais plutôt à travers l'attitude de
l'individu vis-à-vis du sacré, 00. si l'onrréfère la dimension qtfil s'assigne au
milieu de la création,
le sentiment qu'il éprouve de son
appartenance à l'univers.
Ces données nous
indiouent
combien les rapports que l' houme ma ndeng
entretient avec l'univers sont complexes et combien il importe de ne point
aborder les manifestations du sacré dans les sociétés traditionnelles de la
même manière qu'on étudie
les religi~ns dites révélées. Chez les popula-
tions malinké-bambara., on ne se perd pas dans les dédales des dogmes théo-
logiques. On ne quitte jamais la "cond Lt i on humaine", on ne monte
pas non
plus au ciel pour y jouir en paix de la vision béatifique. La religion
n'est pas vécue comme mode d'évasion, ni comme moyen de consolation, ni
même comme échelle vers l'Etre Suprême.
Dans la société initiatique mandt~g)
le lieu favori de la
vision béatifique reste la terre, où les vivants et les morts participent
ensemble à la m&me communion. C'est ce qu'expriment les cultes des ancêtres
et les institutions initiatiques destinées à révéler aux initiés les
"grandes vérités" du transcendant.
En dépit de la pluralité des niveaux, ce qu'il convient de
retenir de la "religion" chez les popu lations malinké-bambara, c' est
principalement Sa dimension sociale, envisagée sous l'angle de l'unité

- 171 -
fonctionnelle. En effet,
la
religion
lassiri (lien) en tant que structure
symbolique, constitue un tout et pour comprendre ses fins essentielles,
il est nécessaire non seulement de l'analyser comme un phénomène social
total, mais aussi de saisir les diverses significations qu'elle renferme,
ce qui déborderait bien entendu le cadre de cette étude. Aussi, nous
limiterons notre réflexion à une dimension en rapport avec
notre
objet,
à savoir les fonctions régulatrices de l'ordre symbolique.
L'observation participante permet de constater que dans cette
société, les rapports entre la
religion
et la vie sociale mandengs'inscrivent
dans une pluralité de sens. La religion dépend tout d'abord des cadres
7
sociaux qu'elle exprime. Ensuite, en tant qu
institution, elle modèle
la structure sociale, authentifie les hiérarchies, elle organise l'existence
des cellules de vie (production, représentation, etc.
). Enfin, en proté-
geant les activités ~ssentielles à la reproduction de la société, en
cimentant les relations sociales par l'instauration de résea~de devoirs,
la "religion" devient un lien, un élénent de cohésion, un facteur primor-
dial de socialisation des individus. Ceci se vérifie
niveauc de la
famille avec le culte particulier rendu à l'ancêtre fondateur de la lignée,
et
du village à travers le cult~
des ancêtres et à un niveau plus
général,
par
les institutions initiatiques
"Joo bâw" comme sonme];
de l'organisation soèio-religieuse.
----- - - - - - - - - ----- - - - - - - - -
) Plus particulièrement, nous
~llons tenter de montrer comment ces deux
derniers niveaux de la sphère symbolique organisent les contrôles sociaux

- 172 -
B - Le culte des ancêtres ou Faa su son
L'hommage rendu aUX ancêtres constitue incontestablement
l'une des pièces mattresses de l'activité liturgique
des Mandeng.
Rien n'est plus significatif que le rite qui rappelle aU groupe qu'il n'est
qu'un maillon d'une chatne comprenant plus de défunts que de vivants.
En rappelant solennellement à la communauté les faits et gestes des illus-
tres personnages qui ont fait de la société ce qu'elle est et ce qu'elle
doit être, le culte tend à nouer le contact entre les vivants visibles et
les vivants invisibles. En réactualisant un passé paradigmatique dans lequel
tous les membres de la société doivent trouver les raisons de leur exis-
tence, le culte des ancêtres devient en quelque sorte le pilier, l'âme
de l'organisation sociale, le fondement des diverses autorités.
POur bien saisir la place et le r$le des ancêtres, eSSayons
d'analyser la notion d'ancêtre avec toutes les implications qu'elle engendre.
Chez les populations bambara et malinké, l'ancêtre est d'abord
un homme parvenu à un âge avancé, c'est-à-dire un Nyagaran, celui qui en
plus d'une longévité garante d'une profonde expérience des hommes et des
chose~ possède un savoir sur la société. C'est dire que tous les défunts

-
173 -
ne deviennent pas ancêtres. Ce statut privi1ég~é n'est conféré qu'à
certaines conditions.
porteur de l'histoire du groupe, l'ancêtre n'existe en tant
que tel qu'en raison du fait qu'il a
laissé 'Sa
marque
aU sein de la
structure sociale. Au sein de la société mandeng, pour ê~re ancêtre, à savoir
l
..
figurer dans la liturgie, il est nécessaire d'avoir une pie conforme aUx
règles exigées par la société, c'est-à-dire que du début de Sa vie jusqu'à
sa mort, l'ancêtre ne devra à aucun moment être frappé de discrédit.
Toutes les personnes qui s'écartent du système normatif sont exclues de
la catégorie des morts "i Llus tres" •
Si nous considérons de plus près l'ensemble des normes qui
président à l'élaboration et à la conservation de la notion d'ancêtres,
nous pouvons dégager deux idées maîtresses
Tout d'abord, l'ancêtre est un personnage qui symbolise
1!idéa1 du groupe, son exemplarité doit être à la base du projet de la
société.
D'autre part, l'ancestra1ité apparaît comme le moyen de
préserver suffisamment l'identité du groupe en le distinguant des autres et
. ~.. ~
en le prémunissant de toutes déviations sociales.
Ces deux aspects complémentaires montrent combien Bambara et

-
174 -
Malinké sont doublement redevables à leurs morts "glorieux" auxquels ils
doivent l'acqui~ du savoir ainsi que la garantie d'authe~ticité à l'égard
de la tradition.
Cette valorisation suffit, à notre sens, à justifier l'emprise
considérable du culte des ancêtres sur les populations mandeng)
et
expliquerait pourquoi les ancêtres sont considérés comme les emblèmes de
la société, le symbole de l'autorité, m..üs aussi la source de toute
autorité et de toute exigence de conformité.
Dans cette société qui assume son héritage originel, l'ances-
tralité est vécue comme le signe de la relation entre passé, présent et
a~enir. Le discours sur les ancêtres, sur leurs faits et gestes, est
générateur du sens donné au projet de société.
Dans la société mandang,
l'idéal pour tout yéré wolo, pour
tout individu de bonne souche, est d'accomplir à tous les moments importants
de Sa vie, les faits et les gestes qui ont iumortalis é la personne des an-
c~tres et aU besoin faire mieux que ceux-ci.
C'est dire que le discours sur les morts illustres en devenant
discours de la société, se transmet à travers les âges ; il imprègne tout
l'être de la société, on le retrouve dans les causeries de tous les jours,
dans les rit es, dans les chants, dans les s alutat ions j ou rna lières et même
dans les jeux des enfants malinké-bambara.

-
175 -
Perçuecomme l'ensemble des acquisitions que les générations
successives ont accumulées depuis l'aube des temps dans le domaine de
l'esprit et de la vie pratique, l'ancestralité, dans la vision bambara-
malinké, est porteuse de principes qui fondent et qui justifient l'exis-
tence du groupe. Il n'est guère de situation dans laquelle la conduite
ne soit régie d'avance par des normes héritées de la tradition
considérée
comme parole et action des ancêtres, de sorte que chacun sait comment il
doit se comporter, ce qu'autrui attend de lui et ce que lui-même peut
attendre des autres. Cette loi d'interdépendance et de solidarité, dans
un clÜDat où prévaut le jugement positif et la valorisation sociale,
imprègne tout l'édifice social. En effet, la vie sociale au sein d'un
groupe caractérisé par une appartenance commune que symbolise le culte
des ancêJ:re!ne s'organise et n'est vécue que dans une perspective de
corsnun fo n où les réciprocités de services interviennent dans le cadre
d'une communauté de destin.
La participation au même culte et la soumission aux mêmes
interdits créent entre les individus des réseaux complexes de droits et
d'obligations. C'est dire que l'appartenance au même culte entraîne le
même transport vers le transcendant qui est à la fois identification
de soi aux autres et identité du groupe
à
l'univers _ visible et
-----~~---.---- --_._---------:--.---------- -
-- .-- -----~-- --- -----_._-_.__._-~---
invisible, à travers une série
de représentations collectives non suscep-
tibles de dissidence et à travers les valeurs sociétales prônées par le
__g_r9~e_._.
~
..
.
.
.
.
~_.
._
Mais l'aspect le plus saisissant, le plus significatif des

-
176 -
principes qui découlent de l'ancestralité, c'est incontestablement la
Fasva
ensemble des règles qui régissent les rapports entre les personnes se
réclamant d'un même ancêtre.
Dominée par l'équation
soumission = respect, la Fasya fixe
de manière définitive les rapports entre parents. Comme nous le verrons
plus loin, les mécanismes de contr8le social mis en oeuvre postulent que
chacun assume l'héritage ancestral, que chacun devienne
dépositaire des
valeurs de la communauté qui garantissent et fondent en même temps son
identité.
Ainsi, le principe de la F~sYi~en dominant toute la sphère des
relations sociales, perpétue de manière irréversible la Soumission des

A ,
moa.ns ages
aux plus âgés. C'est ce rapport de dépendance qui
permet que la chatne ininterrompue des relationsgénêalogiques
débouche
sur un système de primogéniture comme fondement effectif des rapports
sociaux qui unissent les vivants ; aux
trépassés.
Dans cette société profondément marquée par des considérations
généalogiques, tous les individus qui se trouvent placés à des niveaux
inférieurs dans la gradation généalogique, se doivent de témoigner de la
déférence à ceux situés plus haut.
Du respect de ce code relationnel dépendra, dit-on,
la bonne
ou mauvaise fortune de l'individu (ktinadya ou ktinagoya), en samme le devenir
individuel. En effet, selon le système de représentation et d'inter-

-
177 -
prétation des relations sociales, la considération (bonya), le prestige
(togo tigi-ya) ne sont pas seulement le résultat d'un
quelconque mérite
individuel, mais également le produit,
le signe d'une surréalité, de
la "grâce", barika ou duba, un don des anc~tres, des parents de la
communauté, bref une faveur divine. L'élévation de l'individu au-dessus
du commun est toujours perçue comme résultant de l'observance des règles qui
animent le projet de société, des. ~nterdi.ts instaurés par les ancêtres
c'est
le ~ign~ de soumission aux "choses du sacré".
Enfin, le culte des anc~tres, malgré l'influence de plus en
plus grande de l'Islam, conserve enCOre toute sa vigueur chez de nombreuses
populations malinké-bambara, m~e en voie d'islamisation. En effet, le
culte des anc~tres avec son ~ndant
naturel, l'organisation initiatique,
sont des structures socio-religieuses par l'in~ermédiaire desquelles la
·société est saisie comme unité totalisant ordre et permanence. Si,
-
l~s institutions initiatiques ont perdu, à la suite de l'islamisation et
de la colonisation, l'importance qu'elles avaient autrefois, le culte des ancê-
tres par contre continue d'être appréhendé comme garant de la sécurité collec-
tive'et comme pur reflet du système normatif, la matérialisation d'une trans-
cendance s'imposant à l'ensemble sociétal.

-
178 -
c- Les instit~tions initiatique~
Joo-baw (1)
Greffées sur les classes d'âge (Kari ou Flan ton), les institutions
initiatiques sont placées sous le signe de Faro, héros civilisateur de la
société mandeng. Pour comprendre les rôles et les fonctions attribuées aux
Joow, il faut les placer dans le contexte global de la société. Ce n'est
qu'ainsi qu'apparalt toute la logique qui orchestre leur existence.
En effet, dans la société mandeng qui ne fait pas de distinction entre
formation des hommes (éducation) et ~_'acquisition du savoir (enseignemen~, les
joow
assurent avec les autres instances du contrôle social (familles, classes
d'âge etc.) la formation des membres de la société en vue d'affermir leurs
facultés morales, intellectuelles et spirituelles,'Pbur réaliser ce vaste
programme~ la doctrine des goow
va s'insérer dans un projet pédagogique d'en-
semble destiné à provoquer des émotions considérables, au niveauœs individus
et de la communauté toute entière.
Les institutions initiatiques ne détiennent donc pas l'exclusivité
de l'enseignement et de l'éducation. Mais la formation qu'elles dispensent fait
d'elles les gardiennes des valeurs qui orientent les manières de vivre, de
sentir et de penser des Mandeng. Chacun des joow
représente un aspect de
l'homme, en même temps qu'un aspect du savoir nécessaire à la reproduction
de la société.
..
1)
Le mot joo
(pluriel joow)
est un terme gener1que qui désigne, chez les
Mandeng,une pluralité de notions: alliance entresan~un, secret etc.
Il est également employé pour nommer l'ensemble des~itutions initiatiques
de portée locale ou générale, Appliqué aux institutions officielles, on lui
adjoint le qualificatif d~ ba (grand). Ainsi, les joo-baw
sont considérés
comme les "grandes vérités de la révélation". Pour plus de commodités, nous
utiliserons l'expression~j~pour désigner les institutions initiatiques.

-
179 -
~insi définis, les j~ sont au nombre de six
Ndomo, Kom0.L NâIn~
~' Nama korokun "U cy.'ha~ et 'Koré.
Selon les informations recueillies, cet ordre d'énumération correspond à celui
des initiations successives que tout Mandeng devait subir pour se réaliser
totalement (1).
Voyons à présent comment se pr sen te la chaîne initiatique chez les
é
Mandeng.
a)
La chaîne initiatique
Les six joow constituent un ensemble de cercles concentriques dont
l'étude déborderait largement le cadre
de ce travail. Aussi nous nous conten-
terons de résumer l'économie d'ensemble de l'architecture des loo~ (2)
1) Le Ndomo. Considéré comme le premier âge de l'homme, ce joo est
une institution pré~initiatique qui se propose de réveiller la conscience des
enfants non circoncis (b~lakoro) en vue de leur ouvrir la route, la voie (sira)
qui mène au savoir (doni~ya).
2) Le Kamo • Littéralement
pêche des choses concrètes et abstraites,
est pour ainsi dire l~ge de la raison. On y accède après avoir subi l'acte de
différenciation et de confirmation qu'est la circoncision. L'organisation
toute entière de ce joo est structurée autour d'une notion-clé. "L'homme verbe,
l'homme savoir". Son enseignement tend à élargi; la prise de conscience de soi-
même (N~o) en l'étendant à la connaissance des "choses concrètes et abstraites'
qui constituent ce que les Mandeng nomment doni-ya, connaissance.
1) Pour avoir une vue d'ensemble des joow, on se rapportera au schéma fonc-
tionnelde la "société initîatiquen::Page 26.
2) Cf. ZAH1\\N I960~ DIETERLEN et CrSSE • r972, pour une étude plus exhaustive
des instîtutions initiatiques mandeng.

-
180 -
3) Le ~ est un joo
dont l'orientation instruit l'initié des
relations créatrices de vie. Son enseignement porte sur la complémentarité
et l'opposition des différences dans le dualisme sexué. Le Rama
développe,
à l'instar des autres j~,
certains thèmes du mythe de la création, en
montrant que société, culture et savoir, ne peuvent résulter que des relations
entre éléments marqués des signes de la masculinité et de la féminité.
Ce ~, comme le Komo, est chargé de veiller à la santé et à la pros-
périté de la société.
4) Le ~ , littéralement oiseau, intérieur, ~en,tre, est un joo
qui se propose d'enseigner à l'initié les rapports dialectiques entre la
"pensée,m.~i et le corps, fari~kolo. Il approfondit à cet effet certains
aspects particuliers de la "théorie" de la personne abordés par les joow
précédents.
"', "-
5) Le Nama KorokUI1 ou cywara
est le 'j~ qui célèbre l'union du
soleil et de la terre. Lié aux techniques de production des biens vivriers, le
Nama Korokun est la seule institution initiatique masculine qui admet en son
sein la présence de tous ~ femmes et enfants. Chargé de magnifier les vertus
du travail de la terre (cy} , ce joo
est associé à la graine primordiale (~~i)
dont la fécondation a permis l'émergence de l'agriculture comme procès de
l'humanisation des hommes,
6) Le ~ (1) est l'institution initiatique qui couronne et totalise
l'intégralité des autres }oow. cette société propose d'élever ses membres,
parvenus au sommet de leur formation,
au-dessus des contingences matérielles.
L'enseignement dispensé par ce joo.
a trait à la transcendance et à la divina-
tion de l'homme. SOn vaste programme initiatique, tout comme le caractère
mystique de ses révélations, font du Koré la fin et l'aboutissement du savoir
mandenq,
"',
"-
'\\,
----
----
1) D!lns certaines régions du Mali (cercle de Buguni, Banan et Jiitumu, les
adeptes du ~
sont appelés Joo-i.lenw.

-
181 -
-, "-
b)
La dynamt~ globale de~ joow
La doctrine initiatique que nous venons d'exposer brièvement
constttueun tout, Ainsi, la dialectique globale des j~ peut se définir
(tout en simplifiant un peu la rœ:lité complexe qui est la leur) comme une
oeuvre de formation des hommes fondée sur la recherche et la prise de conscien-
ce de soi devant aboutir à la connaissance génératrice d'épanouissement.
Il est important de noter que les nombreuses analogies destinées
à dévoiler l'aspect fonctionnel des, joow font apparaItre deux préoccupations
fondamentales de la logique sociale mandeng, Il y a tout d'abord le souci
constant de cons.tdé re rLes institutions initiatiques comme le reflet de
"l'homme idéal" de l'homme intégral qui s'identifie au cosmos, à l'univers et
qui se refléte
dans chaque acteur social.
La seconde préoccupation de la logique ~alînké-bambara résulte, nous
semble-t~il,des analogies qui sont établies entre les j~
et les organes
de l'homme (1). pris sous cet aspect, le symbolisme mandeng introduit des
liens organiques entre les'~oo~,C'est ainsi que l'enfant du Ndomo
est
considéré comme le prototype, sinon le condensé du vieillard du Koré. ce joo
est associé au but vers lequel l'individu s'achemine. De même que le Komo
pourrait être lié~symboliquement- avec le toucher dans la mesure où le savoir
qu'il procure renseigne l'homme sur les objets concrets et abstraits.
Lekono
(intérieur) possède des analogies avec le goût. Sa dialectiqu~
qui est basée sur la saisie des rapports entre l'intérieur (la pensée-miiri) et
l'extérieur
(le corps-farikolo)
traduit les affinités qui rapprochent et les
incompatibilîtés qui dissocient.
( 1) cf. ZAHJlN
1960. p. 22,,23.

-
182 -
Le Koré
qui est la somme des autres joow, peut être considéré
comme un miroir qui renvoie l'image à son lieu d'origine. A ce titre, il est
associé à la vue. L'analogie entre ce joo
et la vision s'explique par le
caractère de totalité que le système de représentation donne à l'un et à
l'autre (1).
Enfin, le symbolisme mandeng en reliant entre elles les six insti-
tutions initiatiques pour en faire un ensemble
articulé
à la manière du
corps humain entend à faire
desjooWdes instruments d'ouverture par lesquels
l'initié accède aux facultés de perception des objets extérieurs selon les
schémas désirés ou voulus par la société.
Le culte des,joow
sur lequel repose une grande partie des conduites
de fraternités d'entraide et de solidarité agissante concourt à l'intégration
sociale des individus et des groupes (2).
Ces institutions, gardiennes des
idéaux qui nourrissent la société mandeng, sont également la source des valeurs
privilégiées que nous aurons à évoquer dans le chapitre suivant.
En effet, par les rites dont elles sont le point de focalisation,
comme par les attitudes mentales qu'elles inculquent aux membres de la société,
les institutions initiatiques continuent ainsi à chaque moment de la vie à
assurer le fonctionnement
harmonieux des institutions socio-politiques. L'ini-
tiation aux joow, et plus particulièrement au'komo, crée dans l'univers malinké-
bambara, une véritable conscience collective, qui symbolise l'alliance des
générations. C'est à travers la chalne initiatique que tout Mandeng prenait
jadis conscience de la nature profonde de sa communauté,
1) Dans de nombreuses sociétés africaines "la vue est le sens exhaustif de l'hom
me ; elle épuise en quelque sorte toutes les autres facultés de perception.
T..a vue supplée le sens de,l'orif!ntation, le toucher, l'odorat, le goût et
l'ouie, elle est
à la ColM,LCd
IT d'eux et leur totalité". ZAHAN.I960.P.23.
2) La fonction cohésive des institutions initiatiques n'est pas totale. Elle ne
parvient pas à la complète réalisation de la communion sociale. En effet, des
manifestations anti-sociales telles que : la magie (dabafi)et la sorcellerie
(subaga-ya)viennent entraver le processus communiel. Il rentre dans les pré-
rogatives des deux joow, &:mlo et Nama, chargés du maintien de l'ordre et de l
santé sociale de démasquer les fauteurs de trouble, de neutraliser leurs mé-
faits, de les juger ou s'il s'agit de sorcier (subaga-venin de la nuit) de
l'exorciser.
~

-
183 -
Les joow', grâce aQX ~1rue'~ et à l'enseignement qu'ils mettent
en oeuv~e, ~articipent de mani~re èécisive à l'orientation normative de
l'action de la société. En exaltant les valeurs profondes, ils
sont
l'ossature intellectuelle de la culture mandeng, bien mieux,
ils traduisent
l'expérience globale de la société, dans ce qu'elle a de plus authentique et
de plus profond.

- 184 -
CHAPITRE IV
LE SYSTEME INITIATIQUE COMME MODELE DE PRODUCTION
ET DE REPRODUCTION DES VALEURS.
"un e s occê t.ê Yle peut.6e c.JtéeJt Yl.{..6e Jtec.JtéeJt, .6aYl.6
du même c.oup c.JtéeJt Uyl -<"déal. Cette c.Jtéat-<"oYl Yl'e.6t
pa.6 pouJt elle UYle .6oJtte d'ac.te .6uJtéJtogato-<"Jte paJt
lequel elle .6e c.ompléteJta-<"t UYle 60-<".6 60Jtmée :
c.'e.6t l'ac.te paJt lequel elle .6e 6a-<..t et .6e Jte6a-<"t~
E.
Durkheim
:
Les
formes
elementaires de la vie
religieuse,
page 603.
Les valeurs
que promeut une
societe sont etroitement
liees à ses structures economiques, politiques et sociales.
Elles forment un
système
ordonne et hierarchise de conceptions
selon lesquelles,
explicitement ou non,
la societe exprime sa
vision du monde et en même temps l'organisation des
rouages de
son ex i st enc e , L'ensemble des principes qui guident une société dans
sa recherche
du
préférable
à
travers
toute
la gamme du possible,
r~lève
d:un
choix qu'elle estime
~
conforme à son projet.
Ainsi,
une culture n'est pas une somme de faits,
n1
un
inventaire du reel
:
elle est
. ..
essentiellement
'
un style de vie, une manière de sentir les
choses, une recherche
du possible.
La societé malinke-bambara
a
repondu
à ce phenomène
universel de creation de
sens~p:-oduisant, comme on a pu le cons-
tater au chapitre precedent,
un ensemble coordonne de representa-
tions,
un imaginaire à travers lequel elle designe ses fins
essentï"elles
en appelant
ses membres à réaliser les
justes action
et à se détourner des déviances.

-
185 -
Dans cette société, la production et la reproduction de
tels "biens de signification" se déroulent
dans
des conditions
de création
et de diffusion spécifiques.
C'est la fonction et le
sens de ce que nous appelons la "société initiatique".
Nous aurons à exam1ner dans ce chapitre successivement
-
la problématique de l'initiation (section I)
-
le processus d'intégration sociale (section II).
SECTION l
PROBLEMATIQUE DE L'INITIATION
Le terme initiation connote deux faits majeurs.
Il peut
s'agir d'une préparation individuelle dispensée par un maître
d'une discipline (technique, spirituelle ou ésotérique) à un
novice, ou à un groupe d'adeptes.
Il peut s'agir également d'un
phénomène collectif d'inspiration religieuse mais de grande portée
sociale, c'est-à-dire
une obligation civique imposée à tous les
membres d'une société déterminée.
Pour éviter toute
équivoque terminologique,
précisons que la notion d'initiation dans la société qui fait
l'objet de cette étude, doit s'entendre non pas comme une prépa-
ration individuelle dispensée par un maître ma1S
bien
comme
un système de socialisation et d'intégration des membres d'une
collectivité.
Ce
t~
d'initiation prend des formes différentes en
fonction des activités privilégiées dans chaque société africaine
qui y
recourt pour intégrer ses membres.
Liée à la pratique de
telle ou telle technique, l'initiation varie .notamment selon qu'il
s'agit de populations d'agriculteurs, de pêcheurs ou de pasteurs.

-
186 -
Partout,
elle modèle, développe et construit un type d'homme
correspondant au besoin du groupe.
Sans vouloir traiter lCl le difficile problème de la
notion de personne,
i l importe de souligner que le besoin de
l'initiation se justifie par la conviction que l'homme est, à
la différence des autres créatures,
un être qualitativement
perfectible.
C'est pourquoi dans les
sociétés africaines qui font
appel à ce mode d'intégration,
l'initiation y paraît comme un
ensemble complexe de techniques visant à socialiser l'être humain
par le biais de la connaissance libératrice des valeurs
~ par les
épreuves
jugées bienfaisantes afin de l'orienter vers
ses respon-
sabilités d'adulte.
Dans le processus mlS
en oeuvre, une importan-
ce fondamentale est accordée à l'étude de la personne,
qui est
considérée comme une pluralité d'éléments
(âmes, principes vitaux,
nomS;etc.) d'origine diverse,
qui peuvent se rapprocher ou s'éloi-
gner,
se disperser ou s'agglomérer.
D'où le rôle important impar-
t i à certaines cérémonies
(rituels
initiatiques)
destinées à amé-
liorer, voire parfaire l'individu.
Dans le système d'initiation des Bambara et des Malinké,
la conception de l'être humain,
de la personne en SOl,
considérée tant dans ses composantes
corporelles que dans l'en-
semble de ses principes spirituels, constitue une des pierres
angulaires du savoir en'général, de la philosophie et de la
psychologie en particulier (1).
L'homme apparaît dans
ce système
de pensée,
comme le capital le plus précieux, la valeur la plus
fondamentale.
Non seulement le cosmos prend souvent forme humaine,
mais l'homme est perçu comme le centre de l'univers et c'est pour
l'homme que l'Etre Suprême (Sétigi ou Sébaga) a créé la vie.Ç'e~t
autour de la personne humaine que,
dans cette cosmologie anthropo-
centrique, gravitent tous les problèmes et s'érigent toutes les
valeurs.
(1)
CISSE Youssouf
1973, p.
132.

-
187 -
Dans _ce
s~~_ème__de_ pensée,
i l ~ 1 Y a pas un ord~e de
l'être qu i
inclut ou qui
exclut l'ordre
du monde.
" r i
y a
d'abord ur. ordre du monde où l'homme trouve d'emblée sa place,
où l'homme trouve d'emblée
son autonomie,
où l'homme trouve
d'emblée
son être.
En d'autres
termes,
c'est
comme être-situé-
dans-le-monde
que se
saisit l'homme,
non pas
en tant que partie
du tout, mais
comme un tout
lui-même,
dans
un tout où se saisit
l'homme aosolu.
Nous dirions même
que c'est dans
ce tout complet
qu'émerge l'homme, pas seulement
en tant que
conscience, mais
en
tant qu'être, mais un être qui
refuse de passer par l'investiture
de la conscience,
qui ne veut pas d'abord passer devant le miroir
de la conscience avant de
se proclamer"
(1).
L'homme dans cette conception n'est
pas perçu isolément
mais
consubs~tiellement à la société, ce qui ne lui enlève pas
son individualité mais fonde par
contre sa personnalité.
En effet,
personne et société sont complémentaires l'une de l ' a u t r e ;
la
société n'est pas une entité abstraite,
pas plus
que la personne
n'est autonome
elles
sont l'une et l'autre,
l'une par l'autre.
Toute définition de l'initiation doi~ sous peine de passer à
côté du phénomène étudié,
tenir compte de ces deux dimensions
sociologiques.
Les difficultés que soulève
l'approche du fait
initiatique sont telles
que dans de nombreuses études de cas
,
consacrées à ce sujet, la pluralité des éléments en présence ont
conduit les auteurs
à privilégier des aspects qui en réalité ne
sont que seconds dans la pensée initiatique.
On a donné la primau-
té à des rites,
à des liturgies, au risque de faire apparaître
ceux-ci non pas comme des véhicules d'un type de pensée spécifi-
que, mais comme des pratiques mécaniques
sans
interférence avec
le réel social.
Or,
la caractéristique fondamentale d'une pensée
initiatique,
c'est d'être totale.
Aussi pour la comprendre,
i l
est nécessaire de
rapprocher
les multiples
éléments ou
aspects qui participent à la totalité sociale.
(1)
.
AGBLEMAGNON
1961, p.
5.

-
188 -
Le
chercheur n'est pas
seulement astreint
à un savoir
parcellaire et
superficiel,
encore doit-il différencier les
fonctions manifestes
(justifications officielles de telles ou
telles
institutions)
et les
fonctions
latentes
(ensemble de moti-
vations
inavouables ou inavouées)
tout en évitant de tomber dans
le piège des généralisations
systématiques
à partir d'un ensemble
connu.
Loin de nous perdre en valnes
spéculations,
nous
aurons
SOUCl de rechercher à travers les buts poursuivis par l'initiatior
(construire l'ordre,
la paix,
la sécurité et l'accès
au sacré)
les moyens
et techniques mis
en oeuvre en vue de la
production et de la reproduction d'un type d'homme
se rapprochant
aussi près que possible des archétypes mythiques.qui codifient
les croyances
et modèlent les comportements
sociaux.
La vision du monde que propose l'initiation constitue incon-
testablement le point de départ d'un système fonctionnant
à la
fois
comme système de connalssance
(Doniya)
et comme système
idéologique.
QI ~~~~~~~~~~~~_~~~~~_~l~~~~~_~~_~~~~~~~~~~~~ apparaît
comme phénomène total qui
imprègne le monde et interprète les
hiérarchies
créées, mais
justifie et soutient les
institutions
sociales.
Toute existence se retrouve expliquée par un cycle de
récits
qui
introduisent à partir du néant primordial
le"fu; le
~olofolo", la déité suprême, autrement dit la substance dynamique
fondamentale
sur laquelle repose la vision générale du cosmos,
cet infini au centre duquel se situe l'homme lui-même
(1).
C'est
dire que le concept d'une puissance suprême qui ordonne l'existen-
ce matérielle des êtres
est nettement formulé
chez tes Bambara
et Malinké.
Cette entité apparaît rarement
comme un être exclusif.
omnipotent,
malgré son évidente supériorité hiérarchique et
ses
mérites.
dans
l'oeuvre de conception et de mise en place de
l'univers.
Ses
interventions, bien que fréquentes
et décisives
dans la destinée des hommes,
sont d'une manière générale réper-
cutées par des puissances secondaires en leur qualité d'intermé-
diaires entre le Créateur et ses créatures.
(1) HOLAS (B.)
19 68 , p. I3.

-
189 -
L'initiation en tant
que système de
connalssance
orchestre,
fonde
et légitime le système.
Elle
se presente en
absence de tout cloisonnement étanche comme phénomène social
total.
Du fait
de cette globalité,
les principes du réel et du
transcend:tal
s'interpénètrent et finissent
souvent par
se
recouvrir et par
se confondre.
Phénomène universel,
le thème de la connalssance est
au coeur même
de l'architecture de toute société.
S'agissant des
sociétes africaines,
la connaissance,
le savoir y est considéré
comme une entité spécifique jouissant d'une existence propre et
doté de surcroît d'un pouvoi~ d'une puissance considerable.
Chez les populations mandeng,
il existe un veritable
culte rendu au savoir -
doni
-
d'où le nom de Doma donné à ceux
qui en possèdent.
Le
savoir fait
l'objet d'une classification
selon les categories suivantes
de l'obscur
(Donifin)
et du
clair
(Donigbwe), du lourd
(Donigiriman)
au léger
(Donifegeman).
Au premier niveau de l'édifice alnSl construit,
nous
trouvons le Donifegema,
le saVOlr ou la connaissance légère, celle
qui est accessible à tout un chacun.
Au second palier,
nous
avons
le Donigiriman qui peut être soit obscur Dcnifi,
soit clair
Donigbwe.
Ce second type de savoir appele "connaissance profonde"
se rattache à des niveaux protegés par des pratiques
appropriees.
Sa
transmission s'opère toujours par le biais de l'initiation
au sens restreint du terme
i l ne peut être communique qu'à ceux
qui le sollicitent en prouvant par leurs efforts,
leur desir de
l'acquerir.
Anterieurement à la conquête coloniale,
la formation
intellectuelle d'un Malinké-Bambara compor~nt son initiation
aux six Dyow
:
c'est au terme d'une telle formation qu'il accé-
dait au titre de Doma.
Ainsi,
quiconque "bouclait" ce cycle,
pouvait être considére comme ayant capitalisé la somme de savoir
offerte par la société.
Bien entendu,
i l ne s'agit que d'un
principe conventionnel; en réalité,
la dispersion du savoir à

-
190 -
l'intérieur de l ' a i r e culturelle mand~g~
la diversité des
"écoles"
donc
des
"maîtres"
sont
autant de
facteurs
qui
rendent
impossible la totalisation du
savoir.
Pour pallier à cette disse-
mination,
certains
Doma
faisaient
"le tour
du
monde mande ng"
pour parachever leur
formation
auprès des divers
maîtres.
Compte tenu du contexte ancien
(difficultés de
déplacements,
moyens
pécuniaires
limites),
rares
étaient
ceux
qui pouvaient
accéder à l'intelligence globale
de la chaîne
initiatique.
Le
saVOlr
initiatique,
celui
qUl
confère la qualité
de Doma,
tient
sa force
du fait
qu'il
intègre aussi bien l'ordre
social que l'ordre cosmique.
Pour des
sociétés
qui
vivent
en sym-
biose avec
la natur~ qUl ne cherchent pas à la domestiquer,
qui
s'allient
à elle, le cosmos apparaît chargé de significations,
i l est porteur
de messages.
En
choisissant d'être un partenaire,
on entre en communl-
cation avec
le cosmos, .on entretient
avec
lui un dialogue constant
afin d'être
renseigné
non seulement
sur
les
individus pris isolé-
ment,
mais
également
sur la société
en géneral
autrement
dit,
le savoir
que
dispense la société
initiatique est
destiné à
assurer
une
double
intégration:
sociale d'abord,
et
cosmique
ensuite.
Cette dualité
de connaissance permet
au Doma,
en sa
qualité de
détenteur du code permettant de décrypter les
diffé-
rents messages
(cosmiques
et
sociaux) d'être pour
ainsi dire une
sorte d'organe central vers lequel convergent toutes les données
relatives
à la société malinké-bambara.
Cette "aristocratie du savoir"
(1)
est
en réalité le
vral maître
de la scène publique et privée.
Plus puissante que
n'importe
quelle
autre autorité
instituée,
le
collège des
Doma
(1) En fait,
les Doma forment deux collèges. Le premier ~ollège comprend
les Soma( de son : coeur, sacrifice, et de maa : personne, individu). Le
second Collèg~st constitué de l'ensemble des grands initiés n'exerçant
pas un office déterminé. Avec l'islamisation est apparue une autre catégorie

de Doma, ce sont les Mori ou Marabouts.

-
191 -
détient partout
en milieu mandeng
un pOUVOlr
sur
les hommes
et les
choses.
C'est pourquoi le Domaya -
qualité de
celui qUl
a
du savoir -
fait
toujours
partie de l'attribut cheffal.
L'initiatio~ parce qu'elle est liée aux récits mythiques
et aux archétypes
symboliques,
se veut avant tout un sacrement
qui met l'homme en contact avec le transcendant
qui doit lui
apporter des
révélations
sur le sacré qui "participe à
la cohé-
rence du système social total,
à la détermination d'une
claire
vision du monde,
et à la légitimation de l'ensemble de la prati-
que sociale"
(1).
Comme fondement,
la sacralité est mise
ici en
relation avec un système d'ordre symbolique et interprétatif de
l'ordre du monde et des
hommes.
C'est cet ensemble
qui
constitue
ce que les Malinké et les
Bambara nomment
lassiri ou lassidi,
c'est-à-dire le lien qui unit les hommes au monde et
entre eux
la religion en quelque sorte,
autrement dit
le Sira,
la voie.
s
Mais
la sacralité n'organise pas seulement la dépendance
des hommes
à l'égard des
puissances qui sont
censées régir les
destins
individuels
et collectifs.
Elle est
le
système par lequel
la culture se constitue et
s'exprime; mieux le sacré est le lieu
par excellence où se formule
le sens
que la collectivité se donne
en tant
que collectivité.;
c'est ce qui donne à cette dernière
cohésion et projet permettant aux existences individuelles de se
dépasser, de se surpasser en vue de se soumettre à des
valeurs
collectives considérées comme primordiales.
Enfin,
l'initiation en tant que système et théorie inter-
prétative de l'ordre des
choses
et des hommes,
apparaît
finalement
comme un aspect constitutif de la pratique sociale,
car,
les
croyances qui
définissent le système et la théorie ne se manifes-
tent
qu'à l'occasion d'actes
sur
les hommes
et sur les
choses.
C'est pourquoi,
l'initiation peut être appréhendée
en fin de
compte comme la sphère prédominante du système social,
et
justifiE
pour cette raison même sa qualification d'idéologie authentifiant
la pratique sociale.
(1) WANE(MJ
1977, p. 387.

-
192 -
Si l'on peut définir l'idéologie comme le produit de
tout le système social,
à savoir l'ensemble des représentations,
des
normes
et des
valeurs
qui
fourn~ssent jusqu'au moindre détail
formel
des modèles de comportement.
à l'individu, on peut alors
dire que l'initiation dans la société mandeng
fonctionne
comme
une idéologie.
L'initiation en tant
que
système symbolique qUl
fonction-
ne comme principe structurant
est
destinée à construire l'expé-
rience -
en même temps
qu'elle l'exprime -
au titre de logique
à l'état pratique
(1).
Comme nous
le verrons,
elle
crée
une
véritable conscience d'espèce qui
fera de l'ethnie mand~g
un bloc
culturellement homogène et distinct des
autres
communautes
voisines.
Par
le travail de l'ideologie initiatique,
l'individu
se sent
totalement
solidaire avec
la masse des
expériences
séculaires qUl constituent la tradition dont les
differents
paliers ne lui
seront
accessibles
que progressivement.
En effet,
dans un ezvs o c i
t
.i n i
ê
ê
t i a t i qu es,
le processus
intégrateur
suit une
VOle linéaire.
On ne brûle
jamais les
etapes qui conduisent à
la possession des
statuts.
On se
soumet au prealable à une prepa-
ration civique et
intellectuelle destinée à acheminer la personne
au moment de
sa maturité biologique,
à atteindre aussi une cer-
taine maturité de comportement.
Compte tenu de l'importance fondamentale
d'une telle
formation,
les techniques
et la pédagogie qui l'accompagnent
visent à préparer
la personne à la soumission à l'ordre social
et aux nécessités de l'existence,
le prix à payer en somme pour
l'accession à la maturité sociale,
à la "condition humaine".
(1) BOURDIEU (P.)
1971, p.
310.

-
193 -
Ainsi,
"avant de conférer aux néophytes le statut
d'hommes
faits,
la société se doit de contrôler leur maturité,
de completer et de confirmer les
qualités
qui
sont
inhérentes
à
l'exercice de leurs
nouvelles
fonctions,
car les
valeurs
sociales
ne pourront être transmises
aux générations suivantes
et ne sont
donc assurées de leur pérennité que dans
la mesure où elles sont
devenues
chair
et sang auprès de la génération présente, médiatri-
ce entre le passé et l'avenir.
L'initiation,
comme on le voit,
cherche à réaliser tout cela à la fois:
fortifier
l'individu à
un moment critique de
sa vie,
sanctionner et notifier à tous son
nouveau statut social, renforcer
l'autorité que le groupe exerce
sur lui par la solennité et la rigueur du rituel"
(1).
Dans
cette société où l'individu est
enserré très tôt
dans un réseau de systèmes
initiatiques
constituant une suite
logique,
la pédagogie initiatique cherche à réaliser un assujet-
tissement total à la Loi sociale, une sorte d'uniformisation ou
de reduction au commun dénominateur.
L'expérience collective est
ici suffisamment puissante pour marquer l'esprit d'un sceau indé-
lebile.
A ce niveau,
on peut dire que la formation ne vise pas
d'abord la transmission d'un savoir, mais le façonnement définitif
et irréversible d'un type de sensibilité propre au modèle cultu-
rel.
L'initiation tend aUSSl à orienter la personnalité des indi-
vidus de telle manière que ces derniers
ne puissent plus conce-
voir la vie en dehors du cadre de la société.
Les
techniques
mises
en oeuvre poursuivent deux fins
non contradictoires
faire éclater les limites de l'individualité pour la fondre dans
la collectivité, et d'autre part
fortifier
le caractère et
affermir la nouv€lle
personnalité née de la volonté du groupe
qui cherche à promouvoir un idéal,
non d'autonomie personnelle,
mais d'interdépendance sociologique.
(1) ERNY Pierre
1972, p. 224-225.

-
194 -
Pour comprendre cette emprlse sociale,
il
faut
aVOlr
présent à l'esprit que l'organisation tout entière de la société
malinké-bambara repose sur des principes
q~i contribuent à
renforcer l'idée que la bonne conduite,
le juste
ko 'Qyuman
.)
est ce qui
importe le plus.
La vie sociale se résume dans le
maintien d'une décence dont le principe et la définition corres-
pondent à ce qui convient pour l'existence d'une communauté au
seln de laquelle attitudes
et sentiments
individuels
s'intériori-
sent et reçoivent leur orientation.
Ce façonnement
s'opère à
travers "la société initiatique" dont le discours retiendra
particulièrement notre attention.
Ce discours
initiatique,
en faisant
à chacun devoir de
réaliser
ce qui
est proposé comme valeur,
s'adresse à chaque
individu en tant
que tel et l'incite à se faire lui-même l'agent
et le dépositaire de la parole juste.
N'est-ce pas là le propre
de toute idéologie que de s'adresser à chacun pour lui faire
accepter et approuver
cette complémentarité
personne
et
socié-
té,
non comme règle extérieure, mais bien comme sa propre loi.
En disant le
juste,
le discours ne cesse èe désigner
et de
condamner l'illégitime,
en s'adressant à la conscience de chacun,
il
interpelle le sujet en tant que conscience et lui
enjoint
d'assumer ses
justes devoirs.
L'initié souhaite ardemment pouvoir
reprendre à
son compte le discours proposé, pour en faire
sa
propre vérité s'érigeant ainsi en une sorte de législateur qui
trouverait en lui-même les
instruments
symboliques de la sanction.
Dans la mesure où l'initiation intègre et régule les
comportements
sociaux,
elle est aussi
système de persuasion et
d'emprise.
En
secrétant des manipulateurs
(les gestionnaires de
l'ordre:
frères
et ainés)
et des récepteurs
(cadets,
enfants,
etc.), l'initiatio~par l'enseignement qu'elle dispens~ agit
sur l'imaginaire collectif à travers lequel, -les initiés peuvent
en particulier se comprendre,
se définir et partant
affermir leur
propre "certitude"
en se fondant
sur la certitude du groupe.
Elle
fournit en tant qu'idéologie aux sujets une image
justificatrice
et dès lors des modèles auxquels
ils devront se conformer pour
réaliser cette image valorisante.

-
195 -
En
encerclant chaque
initié dans
un réseau de normes
intérieures
et
extérieures,
l'initiation structure les motiva-
tions en même
temps
qu'elle
iQcite à se conformer aux règles
dési~nées. Ainsi, par sa puissance de conditionnement ,opérant à
tous les niveaux de la personnalité collective et
individuelle,
-I~idéologie initiatique- construit u~ surréel destiné à
servir de norme)
de contrôle et donc ne guide pour
l'action.
A la limite,
tout
se passe comme si ,par la circulation des
messages,
les
impératifs
se transforment en simple rappel de la
vérité.
Le
système d'emprise devient ici
agent du contrôle
social.
La répétition des
règles
normatives,
l'incitation perma-
nente à une conformité,
la réactivation simultanée des
conduites
déviantes,
font
que l'emprise,
en s'imposant de manière décisive;
devient
instrument d'exercice des
pouvoirs.
Grâce à
elle,
le
contrôle social se réalise pleinement par la "manipulation" des
structures
idéelles
destinées
à maintenir l'ordre établi.
Au niveau des
pouvoirs
constitués, le système d'emprise en
fonctionnant
" . . .
comme idéologie de maintenance,
renforce la
conformité des
comportements aux
institutions établies.
Par le
truchement de l'éducation,
cette
idéologie participe à l'adapta-
tion des
aspirations
individuelles et
collectives
aux institu-
tions.
Par
le
jeu des
légitimations graduées,
elle désigne
l'ordre des prestiges et polarise les aspirations vers
le
renouvellement perpétuel des rôles
institués"
(1). En assumant
une double
fonction d'incitation et de menace,
l'idéologie de
maintenance,
par l'appel
justificateur,
détruit ou réduit
la
distance entre ceux qui
sont détenteurs de pouvoir
et
ceux qui
subissent les pouvoirs
en stigmatisant les défaillances
possi-
bles,
en légitimant la sanction,
en désignant les
actes
contraire:
à la loi sociale, elle organise en quelque sorte la collecte de
la confiance au profit des
pouvoirs.
En définitive,
(1)
ANSART (P.)
1974, p.
92.

-
196 -
en imprégnant la totalité
sociale,l,ediscours initiatiqUellenga:fesuj.et
dans
une situation univoque où la plénitude des
significations
se concilie idéalement
avec le maintien des relations
établies,
où la pleine réalisation de la valeur personnelle
s'accomplit
dans
la répétition du collectif.
Le cercle idéologique s'accom-
plit dans
et par la diffusion des messages qU1,
d'une part,
érigent le sujet
en responsable,
en
juge du bon ordre du monde
et,
d'autre part,
lui
inculquent les désirs
conformes à la
discipline établie"
(1).
Malgré tout le dispositif symbolique,
la société
malinké-bambara n'en termine jamais avec le problème de l'inté-
gration de ses membres
et
ne parvient
jamais
à la plénitude de la sécurité et de la conciliation.
Elle
est
constamment menacée par la dissociation des sous-systèmes, par
le surgissement de contradictions et de conflits
entre les 1ns-
titutions,
les groupes
et
les
individus.
L'idéologie
initiatique nous
place ainsi au coeur même
des problèmes
que soulève l'étude de la société malinké-bambara.
Elle va
justifier notre démarche,
en appellant à
une réflexion
qui,
s'appuyant sur des données nettement localisées,
se hisse
à
un niveau où les problèmes envisagés peuvent être abordés
dans leur
ensemble.
( 1) AN SART
(P.)
1974, p.
93.

-
197 -
SECTION
II
LE~'lROCESSUS
D'INTEGRA'YION
SOCI1'.LE
Nous entendons par processus d'intégration sociale,les
modalités d'apprentissage,
d'assimilation et d'application des
modèles
sociaux.
Ainsi définie,
l'intégration sociale n'est rien
d'autre que
le processus de
socialisation par lequel
les
normes
sociales sont intériorisées,
incorporées à
la personnalité de
chaque acteur social et en deviennent partie intégrante.
Chez
les Mandeng,
les caractéristiques principales de la
pédagogie qui organise
le processus de socialisation sont davan-
tage vécues que pensées.
Il
faut
les dégager par déduction à
partir de
l'ensemble des normes qui participent au
façonnement
des
individus.
Nous allons,
pour la commodité de l'exposé,
distinguer
deux aspects fondamentaux:
nous
aurons un premier volet,
appelé
pédagogie collective
(A).
Elle se
déroule selon un schéma qui
fait appel aux acteurs initiaux de
la socialisation: mères,
père~
aînés,
etc.
Nous verrons ensuite
l~ pédagogie,
dite rituelle
(B)
placée sous le contrôle des
institutions initiatiques -lodw.
Ces deux
registres de la pédagogie
initiatique vont sécréter des
valeurs et des normes qui vont animer le projet de société en
donnant à
chaque membre de
la société les
instruments par lesquel:
sera assurée la continuité du modèle culturel.
Et après avoir
analysé
les aspects fondamentaux de la pédagogie
initiatique,
nous essayerons de dégager le sens global du système d'intégratio:
sociale
(C).
~llec"t:ive
En tant que processus extrêmement diversifié,
la péda-
gogie collective fait
intervenir des
agents
sociaux et des moyens
de nature variée selon une chronologie précise.
Elle constitue
en somme une diversité coodonnée qui forme un tout organique.
En effet,
les interventions des divers agents de socialisation
mères,
pères,
aînés,
les classes d'âge et les groupements divers,
si elles peuvent apparaître hétérogène pour un observateur
étranger,
s'intègrent cependant dans une dynamique globale qui ne

-
198 -
peut être appréciée qu'au
terme de
l'intégration communautaire
que
consacre
la circoncision et l'initiation èu Komo
(1).
Voyons maintenant comment
se déroule
le processus d'inté-
gration
sociale:
ses aspects
et
ses
étapes.
al Les aspe~t~e~intégration soci~l~
Dans les
sociétés dites
traditionnelles,
l'éducation
en tant que transfert des
connaissances,
n'a pas lieu en une
seule et unique période.
ELle
se
fait
tout au long de
l'existence
de
la personne.
Destinée à
faire
assimiler par les membres de
la
société les données
sociales,
écologiques,
politiques de
la
société globale,
l'éducation aura pour
but principal de créer,
au sein de
la communauté,
un équilibre et une homogénéité.
Phénomène social
total,
cette
formation
comporte plusieurs
niveaux qu'il
faut
se garder de privilégier aux dépens des autres
secteurs.
Chez
les Malinké
et les Bambara,
toutes les
institution!
qui
servent de support à
la socialisation des
individus
familles
classes d'âge,
institutions
initiatiques,
et associations diver-
ses groupées sous lé générique de Ton,
concourent vers
le même
but.
De
sorte que
c'est l'économie d'ensemble qui
importe le
plus,
avec son orientation générale
et
le modèle sous-jacent
qu'on cherche à réaliser.
C'est pourquoi,
toutes
les étapes de
l'édification de
la personnalité
(de
la petite enfance aux gran-
des cérémonies de passage)
doivent être prises en considération
pour comprendre la pédagogie.
Dans cette
"société initiatique",
à
mesure que
l'individu
émerge de
l'enfance,
les
interventions du milieu se font plus
explicites:
on
défend,
on stimule,
on
incite,
on conseille,
on explique,
on propose ouvertement
le cheminement ou on sanc-
tionne le cas échéant.
En sensibilisant ainsi
l'enfant à
un
idéal de
conduite,à ce qui
est considéré comme ~yu~a~, comme
justf
ou injuste Ko
jy~gu
,
la transmission des
valeurs modèle progres-
sivement les comportements.
1)
Avarit la colonisation,
la circoncision avait lieu vers
vingt-
et~un ans.
ELle
est pratiquée aujourd'hui
entre un et dix
ans.

- 199 -
Intimement liée au statut social,
l'éducation se pour-
suit en développant un projet d'ensemble qui prend l'individu
de la naissance à
la mort.
Permanente et graduelle,
elle marque
de manière
significatives,
les
étapes qui
jalonnent l'existence
naissance,
imposition du
nom,
initiation aux
jdo~, mariage
bref,
autant de phases qui
correspondent à
un approfondissement
de la participation dans
la vie sociale.
La pédagogie
initiatique tient compte des réalités psycho-
logiques.
Ses méthodes,appliquées à
chacune des différentes
étapes de l'insertion de
l'individu dans la société des adultes,
correspondent en fait au développement physique de la personne.
Une telle adaptation
implique
nécessairement une
compréhension
et une connaissance diversifiée et différente des caractéristi-
ques
fondamentales de
la personnalité de l'être ~humain a chacun
des
stades de son év61ution
(1).
En
agissant sur touè les plans
de la personnalité des individus,
la pédagogie initiatique
édifie,
sur des
bases plus profondes,
une perception unitaire
et dialectique des choses,
une conception de
la vie et de
l'homme
à
partir d'une conformité aux modèles et valeurs qui sous-tendent
l'orientation de
l'action normative de la société.
Ce
faisant,
elle tend à
orienter,
à
partir de l'adaptation aux contraintes
sociales,
l'action des
acteurs sociaux.
Elle propose finalement,
à
partir d'un comportement considéré comme normal,
légitime,
l'acquisition d'une attitude
réfléchie, autrement dit,
la pédago-
gie des valeurs vise
à
promouvoir,
à
partir d'un devoir-être
imposé,
un devoir~être accepté et interiorisé
(2).
Les éléments constitutifs de la pédagogie ne peuvent avoir
de sens pris
isolément.
Il
convient donc de les replacer dans une
persp~ctive fonctionnelle et finaliste.
Dès lors,
i l
sera possi-
ble de constater que chaque apport doit être envisagé en référen-
ce à
la fin recherchée qui
est l'édification d'une
sociabilité
capable d'une triple
intégration.
1)
L'éducation se déroule
conformément à
la "théorie" mandeng
de la personne.
Sur
la notion de
la personne,
voir
CISSE.
I97
2)
ERNY' CP).
1 972 ,

-
200 -

rntégration personnelle qui est aptitude â
totaliser
en un moi unitaire
toutes
les multip~es influences qui
s'exer-
cent du dehors.

rntégration communautaire qui permet â
l'individu de
participer comme membre actif â
la vie du groupe auquel
i l appar-
tient,
de le reconnaître comme tel
et partant d'être accepté
comme membre entier.

Intégration culturelle enfin -
au mode mandeng- qui
fait de
la personnalité
l'expression vivante,
le support d'une
manière de vivre,
de penser et d'être au monde.
Par cette triple intégration,
la pédagogie initiatique
tend â
restaurer
le sujet initié comme le reproducteur d'un savoi
global,
elle
lui fait
reproduire
en outre ses choix et ses
in-
terprétations dans
leur évidence.
Ainsi,
en transmettant des
habitudes de perception,
des
schèmes constants de construction
et d'interprétation,
la pédagogie
initiatique va réactiver et
objectiver en quelque sorte
l'orientation de
l'action normative
de la société.
bl Les étapes de l'intégratioa sociale
Chez les Mandeng comme partout ailleurs en Afrique
noire,
i l y a
séparation entre
les hommes et les femmes.
Ainsi,
il n'est pas étonnant que
l'éducation s'effectue différemment
selon les
sexes,
au fur
et â
mesure de
la croissance des
indivi-
dus.
Les garçons sont formés par
les hommes et les filles par les
femmes.
Les premiers éducateurs,
pour des
raisons
évidentes
sont d'abord les parents
les plus proches: mère et père.
Ils
seront ensuite relayés petit â
petit par
l'entourage social au
fur
et â mesure du développement des
enfants.

-
201 -
1 0
Les éducateu·rs traditic1nnels de base
L'enfant reste intimement lié à sa mère
jusqu'aux alen-
tours de
six ans.
s ' i l
s'agit d'un garçon,
le père ne commence
à
participer activement à
son éducation que
lorsqu'il est
jugé
capable de discernement.
Pour bien saisir la progression de
l'éducation,
i l convien-
de s'arrêter un
instant sur les rôles et les fonctions
de la
mère dans
la pédagogie
initiatique.
Précédant tous les autres éducateurs,
la mère africaine
occupe, dans
la chaîne initiatique,
une place
importante.
Plus
près de l'enfant que toute autre personne,
la mère aura une
influence déterminante dans la formation de l'enfant
(1).
En
effet,
tout au long de
la première enfance,
c'est à
la mère de
pourvoir aux besoins fondamentaux de
l'enfant
elle nourrit,
soigne,
veille avec
intensité à
tout ce qui touche de près et de
loin le bonheur de
l'enfant.
C'est elle qui surveillera plus
tard ses premiers déplacements,
et comme toutes
les mères,
elle
veillera à
la bonne prononciation des premiers
rudiments de la
parole et à
l'enregistrement du bon vocabulaire.
Il revient également à
la mère,et aux autres personnes de
sexe féminin de
la communauté
familiale,
d'enseigner à
l'enfant,
à
travers
les
jolies berceuses,
l'histoire du groupe.
Dans
le do-
maine des bonnes manières,
la mère
s'efforcera d'inculquer à
l'enfant les senttments communautaires.
C'est également à
elle qUE
revîent la charge d'initier l'enfant à
la littérature tradition-
nelle en veillant que
les contes et les récits
soient bien appris
En
bvef~
jusqu'à l'8ge de six ans,
l'enfant
vit à
"l'ombre"
de la mère.
Après
six ans,
l'enfant intègre une classe a~ge. Selon
son sexe,
i l
sera désormais sous la responsabilité,
pleîne et
entière,
des membres masculins ou féminins de
la communauté
familiale.
Par cette double intégration
(communauté famille(Lu)
et dans une fraternité d'âge)
l'enfant est amené
ainsi à
se
1)
Cette prépondérance du rale de la mère est telle que dans
de
nombreuses sociétés africaines,
i l est coutumier d'attribuer
à
la mère
la responsabilité de la réussite ou de l'échec de
l'éducation de
l'enfant.

-
202 -
situer progressivement
dans
la société globale et à y partici-
per activement tout au long de
sa croissance physique et de
son
développmeent psychique et
intellectuel.
Dans cette société profondément attachée aux normes,
les parent,en l'occurrence
la famille,
ont un
sens très aigu de
leurs responsabilités dans
la
formation et l'éducation de
leurs
membres,
non seulement vis~à~vis de ceux~là même qui sont appelés
à assurer,
le moment venu,
les rôles qui
seront les leurs,
mais
surtout par rapport à
la collectivité toute entière.
La
concep-
tion de l'honneur,
le
sens de
la ~ignité qui président les rela-
tions sociales obligent chaque communauté
familiale, œns
le
cadre de l'amour propre,
à
assurer les tâches d'éducation et de
formation comme un devoir sacré
(1).
S'agissant d'une fille,
la mère mettra tout son honneur
pour lui enseigner tout ce qui
a
trait au rôle de
femme
et de
mère.
Chez les Mandeng,
une
fille qui n'est pas en mesure d'ac-
complir correctement ses responsabilités de
femme est présumée
le devoir à ~mère.
En effet,
les références
à
la mère c o n s t L»
tuent des considérations déterminantes dans
le mariage de
la
fille.
Dans l'ancienne société malinké-bambara,
et mêœde
nos
jours encore,
les antécédents de
la mère l'emportent généralement
sur les autres considérations entrant dans
le mariage.
De même que
le garçon,
en secondant dans
le travail
les
adultes mâle~ de la communauté familiale,
apprendra progressive-
ment son métier d'homme
~ou~ la responsabilité de son père.
Il
commencera par surveiller
le champ,
i l chassera les oiseaux et
les animaux,
i l
labourera ensuite un bout de terrain,
etc.
1)
L'attitude des parents vis-à~vis des enfants,
des alnés par
rapport à
leurs cadets,
et des adultes
en général vis-à-vis
de~
plus jeunes est codifiée,
mise en forme en de nombreuses pro-
ductions l i t t é r a i r e s :
maximes,
sentences,
proverbes,
charades
que l'on cite volontiers pour
justifier telle manière de procé-
der ou telle interdiction,
elles
font partie de
l'arsenal péda-
gogique visant à
orrenter la formation de
l'enfant et à
lui
faire admettre l'échelle des valeurs de
la collectivité.

-
203 -
Après
avoir saisi
l'enfant mandeng dans
le cadre familial,
voyons maintenant comme
i l
s'insert dans
les rapports
sociaux
plus vastes.

Le
rel~is communautaire
Dans une société qui se veut communautaire,
les
tâches
d'éducation sont trop importantes
pour les abandonner
aux
seules familles.
Aussi,
la communauté
sera amenée
à
prendre
le
relais
en participant activement à
la
formation de
ses membres
qui sont appelés à
perpi~uer
sa survie et sa prospérité.
L'en-
fant
étant considéré comme un"bien commun"
à
tous,
son éducation
se fera
avec
le concours de plusieurs éducateurs sociaux
: grands'
parents,
pères,
mères,
ainés,
oncles,
tantes,
etc.
Chacun d'eux,
en fonction des circonstances,
interviendra dans
la formation de
l'enfant en lui apprenant
les règles de conduite ou simplement
en le:
rappelant à
l'ordre
s ' i l lui arrive d'enfreindre les
prescriptions.
Ainsi,
dans cette société communautaire,
nous
aurons à
faire
à
un cercle concentrique de plus en plus large de parents
-
au sens extensif du terme
~
lesquels vont se superposer aux
premiers éducateurs.
De
façon générale,
c'est avec la participa-
tion à
la production que commence véritablement le processus de
socialisation de
l'enfant et de l'adolescent, En
effet,
la trans-
formation graduelle de
sa situation extérieure ne devient pa-
tente qu'avec les multiples réseaux qu'il
tisse entre
les indivi-
dus et plus particulièrement les rapport~ quril noue entre
les différentes personnes appartenant à
sa classe d'âge.
Il s'établit,
dès
lors,
un lien très étroit entre lui et.
la communauté.
En entrant graduellement dans
le monde
œs adultes,
au terme d'une maturité,
i l va acquérir de plus en plus d'autono-
mie,
car i l aura sa propre expérience des divers
aspects de
la
vie sociale,
des rapports qu'elle
implique entre individus et
de
la différenciation ou de
la stratificati~n qui
sont
sous-jacentes.
C'est en somme à
travers
les actes de
la vie que
l'adoles-
cent p~end conscience de
l'ensemble des
fondements matériels et

-
204 -
spirituels de la vie sociale
(échelle des valeurs,
vision et
conception du monde
~
cosmogonies et cosmologies,
etc.)
En même temps,
i l réalise
de
plus
en plus
les
devoirs
et les
responsabilités qui
lui
incombent
au sein des classe d'âge,
puis au cours des cérémonies
spécifiques d'initiation aux
j~
Konfo.,
N'a~a.
'
etc.
se tissent et se renforcent
les liens de
solidarité
et de fraternité
entre
ceux qui ont subi ensemble la
confirmation de
leur personnalité,
mais aussi
entre eux et les
aînés,
entre eux et la collectivité
toute entière
(1).
Enfin,
les différents
intervenants dans
la formation d'un
individu
ne se sentiront libérés de leurs
tâches que
lorsqu'ils
auront la certitude que
la personnalité du sujet
a
été
suffis~mment affir~ée par des qualités que la pédagogie initia-
tique cherche à
réaliser.
En
d'autres
termes,
personnalité et responsabilité vont
concourir
à
faire de l'adolescent un maa,
à
savoir une personne
socialisée et dont les actes et les
jugements seront conformes
au modèle d'homme que la communauté cherche à
promouvoir.
En
principe,
cette consécration coincide avec l'initiation rituelle
au K~.9.. qui achève en quelque sor t e
le premier âge du garçon
après la circoncision ou
de
l'excision chez
la fille.
Dès
lors~ l~nitiépourra assister aux assemblées
des hommes,
prendre part aux débats avec bien entendu les précautions d'usage
appr~ses tout
au long du processus d'intégration à
la communauté
c'est~à~dire être polî~ respecter les plus anciens~ ne pas pren-
dre la parole sans autorisation préalable;
bref,
être attentif
aux débats avant de placer opportunément une réflexion ou émettre
une suggestion.
C'est grâce à
de telles attitudes,
à
de telles
discrétions. qu'il sera progressivement amené
à
acquérir de
la
considéra tion.
Au niveau de
sa classe d'âge,
on lui fera davanta
ge confiance et ses paîrs
n'hésiteront pas à
lui confier des
responsabilités de plus en plus
accrues à mesure que s'affirmera
sa personnalité.
l)MOUMOUNI
CA).
I964,
P,
2I.

-
205 -
Dans le domaine de
la production des biens nécessaires,
i l devra montrer aussi
ce dont
i l
est capable.
Il doit être
assidu dans le
t r a v a i l :
défrichement,
culture,
construction des
cases,
bref,
il
sera
jugé
en fonction de
ses maniêres d'être
utiles à
sa communauté
familiale
et à
la collee livité en faisant
bénéficier à
l'une et à
l'autre son apport~
Tous ces faits montrent que
l'enfant,
puis l'adolescent
est éduqué et s'éduque au sein même de la société,
à
l'école
de la vie familiale,
de
la vie de
sa classe dâge,
de
la communau-
té en, contact permanent avec
les divers aspects de
la vie sociale.
C'est dire que les pratiques éducatives, même les plus apparemment
éloignées,
intègrent malgré
tout
l'orientation générale de
la
pédagogie initiatique,
elles vont dans
le même sens que celles
qui sont systémati~êeg et se renforcent mutuellement pour abou-
t i r à
la formation d'une personnalité conforme aux exigences
communautaires.
Ainsi,
entre
l'emprise exercée par les parents
d'une part et les
influences qu'exercent sur l'évolution de
l'individu les autres
foyers
de la normativité~
c'est finalement
l'emprise globale de
la société qui se manifeste à
travers
ses
réseau~ultiples de socialisation.
Cette emprise
joue de manière
cohérente en liant définitivement l'adolescent devenu adulte à
sa fonction sociale et en même
temps
à
la communauté.
Car cette
communauté ne peut se reproduire que s ' i l existe entre ses membre~
une suffi§ante homogénéité que seule une formation permanente
peut perpétuer et renforcer en fixant d'avance~dans l'être de
chaque membre de la société,les similitudes essentielles que
réclame tout projet communautaire.
A travers
les différents
traits de la pédagogie initiati-
que est apparu un des
caractères
les plus
saillants et qui mérite
d'être souligné
sa polyvalence.
L'analyse des moyens et des
méthodes~is en oeuvre a permis de montrer que le système éducatif
m~ndeng embrasse aussi bien l~ formation du caractère,
le dévelop-
pement des aptitudes,
l'acquisition des qualités morales considé-
rées comme d'inséparables attributs de
la qualité d'homme,
de
la

-
206 -
transmission des connaissances et des
techniques nécessaires à
tout individu en vue de
lui permettre de prendre une part
active à
la vie sociale
sous
ses multiples
aspects
(1).
Certes en tout cela,
elle ne
se dif:érencie pas fondamen-
talement des- objectifs que
chaque
société vise
~ réaliser.
Mais
comme nous le verrons plus
loin,
l'efficacité de la fonction
régulatrice de l'éducation n'a été possible que par le lien
étroit établi avec
la réalité
concrète: en effet,
c'est à
tra-
vers les actes
sociaux et les
rapports
sociaux
(vie familiale,
manifestations collectives diverses)
que
s'effectue
la logique
de la pédagogie initiatique.
B -
Ea péd~dgie rituerle
Directement liée aux récits mythiques et aux archétypes
symboliques,
la pédagogie
rituelle
consiste en la transmission
d'une
influence transcendante,
Elle permet à
la société,par
l'intermédiaire des- j'Odw
d' exal ter les valeurs profondes qui
- - .,
doivent servir de support à
l'ordre social
(2).
Les rites
initiatiques
interviennent toujours
à
un moment
considéré comme l'aboutissement de
l'éducation enfantine ou pri-
maire. Ils clôturent et sanctionnent
la période pu-
bertaire en raffermissant la conscience des
jeunes gens.
~Phr la réception du rituel
initiatique -
celui donné par
les "joow-majeurs",
à
l'exclusion du Ndomo ~ l'initié va accéder
de manière irréversible à
la condition humaine.
L'essentiel
de
la pédagogie rituelle va donc consister à
construire un modèle
qui doit changer l'individu graduellement sur le plan ontologiqu
en l'introduisant dans
le monde des symboles,
des
archétypes
mythiques afin de l'arracher à
jamais de son univers primitif.
---:-~- -r-' .._-----:- - -
~-T ---4--_.r"
1)
MOUMOUNI
(A).
1964.P.34.
2)
A la
suite des cosmogonies nouvelles
introduites dans
la
----!l(H!iG.-t-é~e-n~-,p-&r--l.'.Islamet la colo.nis.aticn - - - - - ---.-
fran~aise, les
institutions
initiatiques,le
joow ont presque
partout perdu leurs rôles et leurs fonctions
traditionnelles
Ils ne sont plus raccordés
comme autrefois à
la société glo-
bale, Les altérations qui les affectent de nos
jours varient
selon les régions,
les
familles et les
individus.
Voir notre
étude.
1977
;~
19 et suivantes.

-
207 -
c'est pourquoi,
une
telle
rupture
est fortement marquée
par des
cérémonies au cours desquelles la société glorifie et
ritualise cette étape nouvelle où l'adolescent termine
sa crois-
sance,
prend place définitivement en son sein en devenant un
adulte,
Toute la pédagogie traditionnelle
repose
finalement
sur la superposition
d'un état totalement nouveau à
un état
p r
a L
(bilakoro.,,"ya),
é
e s o c î
rI convient toutefois de préciser que chez les populations
qui recourent aux
techniques rituelles,
celles-ci ne
sont pas
considérées simplement comme des objets
symboliques.
Les
rites
doivent toujours affronter la sanction du réel et se concrétiser
par un événement;. po-ur en
faire un repère qui doit permettre à
la
communauté de réajuster ses attitudes envers
l ' i n i t i é .
Deux aspects fondamentaux de
la pédagogie rituelle
retien-
dront notre attention,
Il
s'agit de
l'intégration rituelle
et de l'enseignement initiatique.
L'intégration rituelle au monde des adultes est assurée
par une mise à
jour des
connaissances,
des
aptitudes,
des compor-
tements,
L'individu doit être éprouvé dans
son être,
i l doit
subir la "loi sociale"
destinée à
l'endurcir
en vue de
ce qui
l'attend.
Et c'est précisément à
travers
la pédagogie rituelle
qu'appar~issent le plus
cl~irement les valeurs
idéelles q~9 la
soci'été malinké.,.bamb~ra propose ouvertement à
ses membres appelés
à
connattre les
joow.
Ce qui apparaît avec une netteté remarquable dans
la pé-
d~gogie rituelle,
c'est que celle.,.ci,
outre l'enseignement,
est
~
À
Uft
moyen destiné à
familiariser
l'individu avec les ~ignifiants
de son corps, av e c
le
sens qu'il doit donner à
l'univers ambiant,
D*ns la vision initiatique,
le corps et le
"monde"
sont perçus
c~mme formant de-ux
entité
inséparables,
pensées
l'une par rapport
à
l'autre.
C'est pourquoi,
dans nombre de sociétés qui pratiquent des
rites
initiatiques,
tout
se passe comme si le seul espace propice

-
208 -
à porter le signe d'un
temps,
la
trace d'un passage,
l'assignatior
d'un destin,
ne pouvait s'inscrire ailleurs
que
sur
le corps du
candidat à l'agrégation sociale.
Les rites
initiatiques sont
toujours des épreuves
destinées
à
éprouver le courage personnel,
ils
se déroulent toujours
dans
le
silence opposé
à
la souffrance.
C'est là que réside
toute
l'efficace de
la pédagogie.
Car,
une
f o-i s
les épreuves passées,
et toute souffrance oubliée,
i l subsis-
te toujours un "surplus"
irrévocable
:
les traces que
laissent
le fouet
(Ndomo)
et
(Koré)
ou la marque du couteau
(Komo)
(1).
Le corps,
disent
les Mandeng,
médiatise l'acquisition du
savoir,
et c'est ce qui
explique que l'initiation en son moment
sublime,
c~est-à-dire lors des cérémonies appropriées,
prend
complète possession du corps de
l ' i n i t i é pour y
inscrire la "loi"
de
la société,
y
rassembler "l'ethos communautaire".
Ce
faisant,
la marque devient par
sa proximité même, un obstacle à
l'oubli,
une partie intégrante de la mémoire de
la société . .
Enfin,
dans la pédagogie rituelle,
tout se passe comme
s ' i l s'agissait de pas perdre de mémoire le dépôt
"sacré"
que
la communauté confie aux
initiés devenus détenteurs des valeurs
qu'ils doivent défendre,
protéger et faire perdurer.
Examinons maintenant le déroulement du processus qui
conduit à la socialisation.
L'apprentissage commence dès
les prem1eres
années de la
è . . ;
,,:l ..... ,..,.: l""'\\ -. 't"';' 0
vie.
Il est centré d'embI~~ §~f la d&~iri;tfon de la souffrance,
tant sur le plan physique que moral.
L'individu apprend constam-
ment à contenir ses réactions vis-à-vis des situations qui
lui
sont imposées par le groupe lors de son insertion progressive
au sein de la société des hommes.
En développant,
par le truche-
ment du sentiment de l'honneur,
la capacité de résister aux
émotions que procurent habituellement la douleur physique et la
souffrance morale,
le code des valeurs engage chacun à
faire
preuve de
Cé-ya
(courage,
bravoure),
condition pour être un homme
1)
La fustigation rituelle,
disent les Bambara et les Malinké
dans leurs chants,
est destinée à "tremper le corps de
l ' i n i t i é ,
à vivifier sa pensée en oeuvrant à
sa réflexion
afin de fortifier
sa personnalité".

-
209 -
Dans
les centres d'initiation au Ndomo,
la
fustigation
en tant qu'épreuve
rituelle
est pratiquée avec
zèle
avant la
circoncision.
Comme
l'indique ùn auteur,témoin
des
épiphanies
"
sur
la place publique,
en face des
tambours qui
donnent
la mesure
et ba ttent la cadence,
nos
j eunes ~fl~o.-~
initiés au N'Ddmo
-
vont se
flageller
et, pour
la plupart,
jusqu'au sang.
Les vieux accourent,
traînant
leurs
nattes
après
eux,
les
femmes accroupies
sur
leurs tabourets minuscules
frap-
pent des mains
et chantent,
et
les mamans ceignent
les
reins
de leurs enfants d'une
longue écharpe blanche pour
leur proté-
ger le bas-ventre d'un mauvais coup . . .
Tous,
deux par deux,
par
rang d'âge et de
taille,
les
enfants se flagellent
et durant des
heures
souvent c'est,
surpassant les
applaudissements de
la
foule
et ses cris d'encouragement,
le
flic
et le
flac
des coups de
gaule faisant
j a i l l i r le
sang,
meurtrissant
les
chairs,
laissant
toujours pour marque un
sillon gros comme
le pouce.
Les petiots
de
six à
sept ans,
s'arrêtent souvent au deuxième coup pour
se
gr a t ter
l ' é é h 1 ne,
0 uv r i r
1 a
b ou che et p 1 e ure r,
mai s
j 1 e n a i
v u-
rester impassibles
tout comme
leurs aînés de dix à
douze ans,
pas une
larme,
pas une Plainte,
pas un cri de douleur,
c'est à
les croire de
bronze tant
ils
sont insensibles
(1)"
,...
'\\ -
"
,. 1'~
"
- - -_.
ll)
L'abbé
HENRY.
I9IO,
p".
IOS' à
II2.
Il convient de préciser que
dans
la vision
initiatique,
se fouetter
équivaut,
sur
le plan
symbolique,
à
s'infliger des
sévices oraux comme
l'ensemble
d~s brimades rituelles. La douleur physique dans son utilisa-
tion rituelle
intervient comme
symbole du mal.
Ainsi,
dans ce
complexe significatif,
l'attitude de
la personne
à
l'encontre
du signifiant acquiert une valeur de
test relatif
au signifié
cf.
ZAHAN.
I970 P.
I79
et suivantes.

-
210 -
Après
les
rituels du ~d~m? qui préparent l'initié à
l'intégration dans le monde des
adultes,
suit un
second rituel
destiné
à
conférer la personnalité sociale.
Il
s'agit de
l'épreu-
ve de
la circoncision qui doit affermir pour de bon le corps
de l ' i n i t i é .
Dans
l'ancienne
société mandeng,
la
circoncision est
une véritable école de
courage,
Les garçons
appartenant à
la même
classe d'âge
sous la conduite des éducateurs
-
Sémé- vont affron-
ter le couteau du maître de
la forge,
le Numtl~ké
Chacun doit
l'affronter,
avec un courage
total,
car
toute
p e t Lt e
défaillance
constituerait une atteinte
à
l'honneur du circoncis qui dès
lors
sera l'objet de
railleries de
la part de
ses pairs
(1).
Pendant tout le
temps que durait la retraite
(un à deux
mois)
(2),
à
l'extérieur du village,
les circoncis seront soumis
à
une discipline très
sévère
se
réveiller
en pleine nuit,
se
livrer à des travaux pénibles
sans
intérêt,
exercer leur mémoire
à
travers les nombreuse productio~ l i t t é r a i r e s : maximes,
devi-
nettes,
etc.,
découvrir
les énigmes contenues dans ces production~
apprendre par
coeur des chants,
des tirades,
et
surtout la cosmo-
gonie et
la cosmologie de
la société,
ne pas
se
laver quand on
veut,
manger
toutes sortes de nourriture,
telles
sont les
épreuves quotidiennes que
le
solima~den
le
circoncis,
doit
subir.
1)
Avant
l'épreuve de
circoncision
.. "dès
le matin,
les
jeunes
gens sont amenés au pas de
course à
travers
la brousse vers
le
lie~ de circoncision d'où surgissent des cris étranges et des
bru~ts de rhombe. Le personnage qui doit pratiquer l'opération
surgit alors d'un buisson dans
le
cliquetis des clochettes don;
son vêtement est couvert.
Non seulement,
i l
ne peut venir à
l'idée de
personne de
fuir,
mais nul
ne doit trahir dans
le
regard quelque anxiété
on affrontera
l'opérateur avec
le
sou-
rire".
CAMARA
(S).
1976,
p.
53.
2)
Notons également qu'à
la fin de
la retraite,
avant de voir
le
masque du Kdmo,
tout est fait pour
insécuris& les néophytes,
on déclenche en eux une véritable panique,
on leur raconte
qu'ils
seront avalés
sept fois par le masque afin de
les
débarrasser à
jamais de
leur W!nzo,
de
leurs
souillures
d'incirconcis,
de bira~o..

- 211 -
Les 0 1 i ma -~d e n
doit apprendre
aussi
à
se
soumettre totale-
ment aux
injonctions des
Sémé.
=~ ;.~ doit pas protes~~~~~urs
désirs
souvent
injustifiés,
ni se
révolter pour
les
insultes,
les offenses et les coups des
nombreux visiteurs.
A chaque
instant
i l doit se convaincre de
la nécessité de
la vie collective et du
rôle social du courage.
Il doit à
chaque
instant se souvenir que
les sévices dont
i l est l'objet ne constituent pas des faits
gratuits.
Il
s'agit de le faire
éprouver dans
son corps,
dans sa
chair,
la nécessité de
l'adaptation à
la "loi sociale".
Les
do uleurs,
comme dans
le Ndomo doivent contribuer à
la destruc-
tion de
l'ancienne personnalité en vue de
fortifier
son nouvel
être.
La pédagogîe
initiatique opère dans
la formation des
caractères.
Elle întervient pour
diviser les caractères selon
les
sexes.
Il est exigé des hommes de
s'écarter de toutes les
tendances à
l'émotion,
Les
femmes,
par contre sont libres d'ex-
prmer toutes les émotions y compris celle de
l'affectivité
"humide~ que représente
l'attendrissement général:
pitié
(makari)
et la peur
(Siran)
(1).
Dans la pédagogie initiatique appliquée aux hommes,
c'est
finalement
la maîtrise des"émotions d'eau"
des réflexes relatifs
à
la sensibilité affective qui conditionne le véritable facteur
d'intégration sociale.
On est valorisé que dans
la mesure où
l'on possède un pouvoir sur soi-même.
Garder un secret,
parler et
se taire à
propos sont des qualités auxquelles on est particuliè-
rement sensible.
L'individu qui parle trop,
ou qui ne
sait pas
garder le secret est mal
apprécié,
dévalorisé,
car le code
social
situe le
fondement de
l'emprise de
l'individu sur ses actes,
sa
conduite et d'une manière plus
nette dans
le pouvoir et le
contrôle exerc~à l'encontre de son verbe.
L'exclusion de
1)
Dans le système de représentation et d'interprétation mandeng,
l'humidité,
l'eau est la marque de
toutes
les émotions qui
ne présentent pas un caractère offensif,
qui ne mênent pas à
l'action.
Il s'agit d'un élément qui est associé à
tout ce
qui est émouvant.
C'est ainsi qu'un poltron est appelé
jito
littéralement "celui qui a de
l'eau".

-
212 -
certaines catégorîes
sociales
(1)
de
la sphère des
"joow majeurs
pourrait être expliquée
entre autres par
l'absence de
contrôle
exercé
sur leur verbe.
Il
n'en reste pas moins vrai qu'une
grande
importance est accordée
à
la parole,
car celle-ci partici-
pe à
la vie de
l'homme,
à
la construction du social,
elle est
source de ré~~isation, Elle porte cependant en ell~-même ses
propres limites.
Elle ne
saurait aller au-delà de
certaines
frontières tacîtement reconnues par la société,
sans exposer son
auteur au sévère
jugement d'autrui.
Chez
les populations man~~ng, la valorisation
par dessus
tout des notions de
soumission et de domination
fait que
l'homme
modèle occupe une place privilégiée.
L'éthique est lei créatri-
ce de héros ou mieux encore,
tout individu qui
se conforme à
cette éthique est un héros,
Cet idéal,
Cheikh Hamidou KANE
l'évoque en ces termes:
"vivre dans
l'ombre.
Vivre humblement et
paisiblement,
au coeur du monde,
de
sa substance et de
sa
sagesse"
(2).
Cette aspiration bien traditionnelle des popula-
tions afr~caines, exclut toute démesure dans
l'ambition,
elle
se complait dans l'anonymat,
se refuse de regarder au-delà du
quotidien.
La maltr~se de
soî s'inscrit sur d'autres plans.
Dans
cette société qui crée du
fait de
sa
structuration interne
énormément de conflits et qui
en exporte également
(société
conquérant~, i l est aisé de comprendre que la division des
caractères et principalement le développement,
chez l'élément
masculin,
d'une sévère répression des réactions
émotionnelles
qui pourraient nuire
à
l'élan du guerrier,
répond à un autre
impératif
:
la guerre kélé
( 3) •
1)
Le système de r~présentation des caractères établit une cer-
taine similitude entre le caractère des Nyamakala
~Jeli, Finé
etc.)
qui
exercent un
art oratoire et celui des femmeS:-
En
effet,
i l leur est permis d'exprimer dans
leur art toute
la gamme des émotions humaines sans
se soucier de
la séparatic
évoquée plus haut.
2)
KANE
(Cheikh).
1961,
p.
89.
3)
Cet aspect sera analysé
au chapitre
suivant.

- 213 -
b)
-
L'enseignement ini~iatique
La structure du
savoir,
telle qu'elle apparaît globalemen:
au sein des
joow,
postule que
l'individu,
à
la différence d'un
animal ou d'une plante quelconque,
ne naît et ne croit à
son gré.
Il doit,
disent les Mandeng,
être pris en charge par
la communau-
té depuis
sa naissance
jusqu'à sa mort.
Ainsi,
ils vont déployer
tous leurs efforts pour
le
faire
venir au monde dans les meilleu-
res conditions,
et une
fois
arrivé,
on va l'aider à
traverser
les vicissitudes de
l'existencé.
On l'instruit en premier
lieu dans
le cadre de
l'institu-
tion pré-initiatique du NdQmo
de
ce qu'est l'homme,
son origi-
ne et sa nature,antérieurement
à
son contact avec
le monde des
adultes.
A partir de ces éléments destinés
à provoquer sa prise
de conscience,
vient ensuite
la circoncision qui va purifier
son intellect
(1).
C'est à
partir de
la circoncision que s'édi-
fie
la connaissance.
L'initié va apprendre du Komo
les rouages
de son existence,
A travers
les
leçons,
i l
saura,
en principe,
tout
ce qu'il convient de
connaître
sur la nature du savoir et
de ses rapports
avec
la société.
Puis
suit toute
la
filière
des initiations dans
l'ordre que
nous connaissons déjà:
Nama,
~,
Namaboro-kun,
(~y~)
et enfin le Korê
qui,
grâce aux
rites et symboles mis
en oeuvre,
permet pour ainsi dire
de
"boucler"
l'itinéraire de
la formation
intégrale de
l ' i n i t i é
(2).
".
1)
Dans
la
"théorie" de
la personne chez les Màlinkê et les
Bambara,
l'incirconcis,
le b!lakoro
est porteur d'un élémenS-
d'un principe ambivalent appelé Wanzo.
La circoncision en le
débarrassant de ce principe,
affÜ~n même temps son intelli-
gence et facilite,
dit-on,
sa socialisation.
2 )
ZAH AN.
196 0 J '#J'.
9 2,
don t
une bon ne par t i e des
t r a vau x po rte
sur les institutions
initiatiques bambara,illustre la succes-
sion des
joow
de
la manière
suivante
:"
La
connaissance de
so
(Ndomo)
engendre l'investigation au sujet de
la connaissance
elle,:",même
LKomo )
et amène l ' homme en face du social
(Nam a l » de
là naissent ~jugement et la conscience morale
(Kono-)-.---
Elargissant son champ visuel,
la connaissance aborde le cosmos
(Cyw".a~) pour aboutir à la divinité
(Koré)".

-
214 -
P~ur avoir une idé~ plus claire de la pédagogie rituelle,
voyons quels sont ses moyens et ses
techniques.
La
pédagogie
rituelle r~court, comme on l'a vu,
essentie:lement aux rites
initia~iques et aux
symboles.
Il
s'agit de deux modes de
trans-
mission complémenta~res. Les rites
peuvent être analysés
comme
étant les vecteurs qu~ favor~sent la transmission du savoir.
M~~~ ils ont en même
temps,
dans
tous les
éléments qui
les
constituent, un caractère
symbolique,
de
sorte qu'ils comportent
nécessairement eux~mêmes un enseignement,
Car les
symboles
sont
précisément le seul
langage qui convient à
l'expression des
vérités de l'ordre
initiatique,
Inversement,
les
symboles constituent,
comme nous
allons
le voir,
un moyen d'enseignement,
mais
ils véhiculent quelque
chose de plus,
ils doivent servir de
support à
la réflexion.
Dans cette
société où l'individu,
dès
l'âge de sept ans,
passe par tout-un encha1nemen t
de
"j!09:.w." f orman t
une
sui te
log ique,
il se forme un véritable esprit initiatique qui
arrive
à
imprégne
toute
la vie et qu~ est en fin de compte la donnée la plus
impor-
tante.
L'initiation véhicule
implicitement un système de
valeurs,
des éléments qui relèvent de
la mythologie,
de la religion
et
du savoir ésotérique,
et place de ce fait
l ' i n i t i é sous l'influ-
ence de la soc~été prise comme un
tout et débordant
largement
sur l'autre monde.
Ces connaissances qui donnent la
"citoyenneté"
ou l'autherticité
(Yéré wolo-ya)
chez les Bambara et les
Malinké
sont trop importantes pour pouvoir être abandonnées
au
hasard,
La p~dagogie initiatique agit sur un mode
fortement
standardis€
et les grands ma1tres
Soma se conforment à
des
modèles d'archétypes précis.
Elle opère une discontinuité
sur d'autres plans encore
jusque
là l'enfant,
l'adolescent
apprenaient de
leurs proches, de
figures
familières,
d'a!nés ou
de pairs
Cl).
P~ur marquer le contraste,
les
initiations sont
conduites,
sauf dans
le 'Ndomo dont
le ressort ne dépasse
jamais
l'espace villageois par des
"étrangers",
des personnages non
familiers
relevant d'un autre village,
d'un autre groupe d'âge.
1 l
E.RNY
(P),
19 72,
p,
22 5

-
215 -
Dans
l'enseignement pr~maire du Ndomo,
la pédagog~e est
basée essentiellement sur
le
"théatre sacré".
Un danseur masqué
mime différents
thèmes
à
l'intention des
enfants,
en vue de
les
sensibiliser aux problèmes de
la vie
sociale.
En
ce qui
concerne
les
joow majeurs,
on utilise
toujours
comme matériel symbolique des objets d'apparence
simple auxquels
on donne une
signification en rapport avec
le système de pensée.
Dans l'ultime
initiation au 'Koré,
par exemple,
on utilise
une
longue perche à
laquelle sont suspendus
266 objets
figurant
la totalité des
êtres que
l'u~ivers est censé
contenir.
Le
maî-
tre,
le dos tourné,
donne
le nom de chacun d'eux et explique
ensuite tout ce qu'ils évoquent,
toutes
les correspondances qui
s'y attachent.
Il s'agit là d'une véritable
"leçon de choses"
destinée à
former
l'esprit habitué
jusqu'alors à
ne voir la réali
té ambiante que sous un seul aspect.
L'initié apprend en fait
à
se mouvoir d'une
signification à
une autre,
à
passer du maté-
riel au symbolique
(1).
Nous sommes
là en présence d'une constante pédagogi~
chaque objet constitue un réservoir
inépuisable de significa-
tions latentes qu'il
suffit de
faire
surgir.
L'enseignement
initiatique cherche à
faire
apparaître et à
faire
parler des
symboles qui
fournissent
la clé de
la connaissance en dévoilant
un monde qui,jusque
là,paraissait
inaccessible au non-initié.
Dans cette
"société
initiatique",
les différentes voies
d'accès à
la connaissance,
qu'il s'agisse du symbolisme ou des
autres productions
littéraires
(contes,
devinettes, maximes,
mythes et proverbes qui
font pénétrer la personne dans
le monde
de la parole et de
la signification)
reposent
finalement
sur
des principes identiques et aboutissent à
la formation d'un type
de pensée nettement caractérisée.
En effet,
tout part d'une observation,
à
la fois
intensive
et orientée,
des différents éléments du milieu et surtout des
êtres familiers.
L'entourage attire
l'attention de
la personne
sur tel ou tel aspect de
la réalité et lui en fournit une inter-
prétation.
Celle-ci peut être explîcite,
mais bien souvent elle
1)
ZAHAN.
1960.P.
238,,:,,255.
..

-
216 -
demeure latente,
en ce sens qu'elle se contente par des
allu-
sions qui vont toujours dans
la même direction,
de mettre
tel
objet en relation avec d'autres éléments
(1).
Concrètement,
la pédagogie
initiatique
illustre
les
thèmes
les plus abstraits
par l'entremise de
l'éléphant,
de
l'hyène,
de
l'hippopotame,
du cheval,
du chien,
de végétaux,etc.
Pour parler de "saveurs"
de la connaissance,
elle fera
interve-
ri~~ le sel
(on dit d'un parole dépourvue de consistance
idée
sans sel),
le piment,
la cendre,
la
sauce.
S'efforce-t-elle de
décrire l'immensité du
savoir? Elle aura recours
à
l'éléphant,
l'animal le plus énorme de
toute la faune
connue d'elle.
Le
lion
incarnera par exemple l'aspect éducatif et noble de
la formation.
L'hyène figurera
la connaissance ramenée à
la portée de l'homme._
Ainsi de
suite.
Chaque objet,
brut ou fabriqué,
chaque être
sont,
dans l'enseignement des
symboles qu'il
faut
se garder cependant
d'utiliser au hasard,
car
leur valeur est fonction de
l'analo-
gie susceptible ou non de
s'établir entre les concepts abstraits
et les attributs des
supports des
symboles ..
A ces matérzaux empruntés
au monde extérieur,
le symbo-
lisme bamba~malinké joint encore des gestes et des
attitudes
corporelles de
la personne elle-même.
C'est pourquoi,
toute
"leçon" est mimée,
dansée,
organisée à
la ~anière d'une pièce
de théatre sacrée" (2) •
Cette mentalité essentiellement concrète ne recule pas
devant l'abstraction "mais à
condition que celle-ci ait un vê-
tement qui ait l ' a i r de lui ôter son pur caractère de généralité
et d'en faire quelque chose de particulier" (3) •
Enftn,
la fonction des
symboles dans une telle pensée,
est "de transformer des objets ou des actes
en quelque chose
d'autre et de révéler ainsi
l'unité
fondamentale
-de plusieurs
zones du réel.
En devenant symbole,
tout être,
(toute chose),
annule en quelque sorte
ses limites concrètes en cessant d'être
1)ZAHAN.
I963.
P
11
et
121-
2)
ZAHAN.
I963.
P
122.
3)
ALL l ER
(R).
l 9 2 7.
P.
2 5 4 •

-
217 -
un fragment
isolé
pour
s'intégrer dans un système"
(1).
Le symbolisme unifie
sans confondre,
i l permet le passage d'un
niveau
à
l'autre.
En
ùéilnitive,
pour toute
~epresentatioL, Ofi
~
s'en tient au signifiant d
nt les qualités
concordent
le mieux
avec~ celles
du
signifié
correspondant. paus
le
rapport
entre
le
contenu du signe
et celui du
signifié approche de
l'identité,
plus
le
s-;mbole
est valable
et puissant,
plus
i l aura
tendance
à
se
fondre
avec
la réalité qu'il
figure
dans
le même
concept.
On en arrive alors
à
une valorisation du représentant à
tel
point que
:: 1. e r,
ne
le
sépare plus du représenté,
avec
toutefois
cette différence
i l
est matériellement distinct
(2).
C'est dire
combien les
cheminements d'une
telle pensée qui
recourt aux
symboles
repose
sur une
mobilité
foncière,
une
sorte de glisse- _o
ment lui est nécessaire pour conduire aux
limites de
la connais-
sance
en traversant
tous
les rapports d'analogie.
A la limite,
on pourrait définir la logique
initiatique
comme une logique
"subjective"
caractérisée surtout par
l'effort
de soi sur soi,
par opposition à
une
logique
"objective"
ou
arithmétique.
En effet,
dans
l'enseignement que dispensent
les
grands Maîtres,
la
disposition des
symboles,
la
réponse
suscep-
tible d'intervenir
résultent beaucoup moins du corpus des
sym-
boles que de
l'effort propre réalisé par
l ' i n i t i é ,
à
travers
la
gamme des significations possibles.
La logique
initiatique consiste
à
partir d'une première
interprétation extensive dont elle tire un sens
premier par un
raisonnement analogique.
Celui-ci, dans
sa forme
la plus
contrô-
lée,
la, plus durement disciplinée,
rappelle à
bien des
égards
le "Quiasse"
des
juriscon~ultes musulmans,
que l'on pourrait
définir
comme une méthode sévère par laquelle
i l
est permis,
en
se fondant sur
la
logique
subjective,
et à
partir d'une
loi por-
tant sur un concept
"scientifiquement c o n çu
de
tirer une
nou- -'
v
,
velle
loi
s'appliquant à
un autre concept "scientifiquement conçu'
1}) ERNY.
I972,
p.
l 87 •
2)
ZAHllo.N.
I963,
p.
114-115.

- 218 -
Ainsi,la méthode de pensée que véhicule
la pédagigie
initia-
tique est autre chose que
le
raisonBement par analogie
tel
qu'il est généralement perçu,
â
savoir une méthode où
l ' i n t e l l i -
gence se contente de
ressemblances et de points
communs.
La dialectique qui
sous-tend l'enseignement initiatique
exige toujours un dépassement,
une
sévérité dans
le mode d'agen-
cement des
symboles.
C'est ce qui explique pourquoi les grands-
MaItres,
ceux qui sont parvenus
au sommet de
la formation,
ne
s'appuient presque
jamais
sur un classement par genres
et par
espèces,
iis préfèrent recourir
â
des catégories
juxtaposées
dont la gradation et la hiérarchie constituent le
fond
logique
de la pensée mandeng.
Il convient toutefois de précis~que tous
les
initiés
faisant partie des
j~ ne
savent pas toujours
les raisons
in-
ternes qui
justifient la présence de
tel ou tel
élément de
l'enseignement.
Seuls,
les grands Maitres,
les
Domaw
ont accès
â
la connaissance rationnelle des rites et des
symboles
faisant
partie de
l'enseignement.
Eux
seuls
sont rompus
â
la dialectique
indispensable de
la démonstration qui n'est obtenue qu'au terme
d'un long processus de ·formation intellectuelle
extensive aux
six j~.
Mais les
joow,
tout en constituant le
sommet de
la pyramide
des connaissances capitalisées par la société,
ne détiennent pas
pour autant le mon~pole de
l'enseignement.
La pédagogie
tradi-
tionnelle
recouvre un champ plus vaste
(1).
En
effet,
en dehors
des
jo~~,
la formation
intellectuelle est assurée par différen-
tes institutions
:famîlles,
associations de
jeunesse,
fraternité~
d'âge groupées
sous
le générique
de
ton,
l'institution des
masques
(SogdW-les fauves),
des
cercles animés par des
conteurs
,
professionnels
appelés Nta~ ou Siria dalaw,les "bouffons sacrés"
l)Certaines catégories sociales comme les
femmes,
les Jéli,
les
Finé,
etc.
sont généralement exclues de la sphère des
joow
majeurs.
La société
a
donc créé pour elles des
lieux où elles
peuvent accéder au savoir.

-
219 -
du'Koré
ou Koré ~duga~
qui
jadis
faisaient
leur
"tour du monde
mandeng"
pour enseigner en
faisant
rire
et pleurer
leur audi-
toire
(1).
En outre,
les
jalons
solennels
qui
marquent la vie
d'un
individu
(naissance,
imposition du nom,
circoncision,
mariage,
décès)
constituent autant d'occasions
pour acquérir
des
connaissances
(2).
+
+
+
En conclusion,
l'initiation en tant que processus graduel
et permanent elle est un vaste sysgê~~P:a..~s:tiné à adapter l'individu
au milieu
social~\\~ppose une démarche pour arracher l'initié à
l'ignorance,
un affrontement de
l'homme avec
lui-même qui ne
cesse qu'avec
la mort:
elle
est une
expérience qui
s'enrichit
de
jour en
jour,
c'est pourquoi
elle est plus
achevée chez
les
vieillard
(Nyagaran)
que
chez l'adulte
(~ogo-K~ro-ba), plus
complète
chez ce dernier que
chez
l'enfant
(den-misin).
Puissant facteur
de
remise
en ordre de
la société,
les
ri-
tuels et l'enseignement prescrits par l'initiation conditionnent
l'accès
à
la
"plénitude"
et à
la pleine "authenticité",
qui
restaurent les
structures
de
la société
et l'ordre du monde
au
sein duquel
l'initiation
s'inscrit en s'ouvrant à
une généra-
tion nouvelle.
Les
initiations aux
j~ culminent en des fêtes
au cours desquelles
la société entière reprend conscience de
la
vie qui
l'anime.
Ce
sont les
cérémonies
les plus
longues
et
les plus
spectaculaires que
connaissent les
Bambara et les
Malinké.
Elles donnent
l'occasion de rappeler par des
chants,
des
tirades,
la cohésion des différentes unités
qui
constituent
la culture mandeng.
Après avoir
survolé
les aspects
intellectuels et moràux
de l'initiation,
i l
nous
faut maintenant rechercher quelle
est
sa finalité
1)
Pour
le
symbolisme des Koré-dugaw,
on peut lire
:
PAQUES
(V)
1 9 54,
P •
66
à
II 0
;
Z AHAN.
l 963,
p.
1 5 5
à
1 79 •
2)
Ceux qui désirent acquérir une
formation
spécialisée
(médecinE
pharmacopée,
géomancie,
astronomie, etc.)
se mettent au servicE
d'un ma1tre réputé
en la matière.

-
220 -
c )
L' i.déolog.ie de
la
" s6ciété inîtia'tique"
Dès
lors que
J. 1 on
'" ~I":.erLoge,
non plus
SUL
.ces
::;euJ.s
systèmes de
représentation mais
sur
leur
intériorisation par
les différents
acteurs
sociaux,
sur
leur diffusion
et
leur mise
en pratique,
force
est bien de considérer
un aspect fondamental
de
l'initiation
~
l'îdéologie.
Dans la société mandeng,
l'extrême efficacité de
la doc-
trine
initiatique découle de
sa propriété de
pouvoir s'adresser
à
tous et d'ê~re intériorisé o
~0ur l'essentiel par chacun à
travers
le vaste réseau d'appareils éducatifs que
sont,
les
familles,
les classes d'âge,
les
divers groupements et les ins-
titutions
initiatiques
(1o~' .Ces appareils,
charg~de l'orienta:
tion normative de
l'action de
la société sont de véritables
relais de diffusion des messages,
destinés à
assurer
le renou-
vellement du discours
institué,
celui de
la conformité.
L'idéologie
initiatique en agissant comme un moyen
d'instaurer un accord collectif sur
les
significations globales
et non comme un pouvoir visant à
obtenir l'accord par le silen-
ce des
consciences,
produit des consciences
parlantes.
En effet,
en encerclant chaque
initié dans un réseau de
normes,
l'idéologie
de la
"société initiatique"
parvient à
imprégner l'être de la
société globale,
à
tel
point que chacun trouve dans
le sens
reçu
,
les moyens de
la maltrise symbolique en ressentant le
vécu social comme sa vérité.
AInsi,
la doctrine
initiatique
tend à
créer entre
les sujets,sur le terrain de
la symbolique,
un accord vivant entre
consciences
jugeantes et conciliées
avec leur propre discours
( 1) .
1)
En fait,
la réalité
est plus complexe,
Les
intériorisations ~
messages communs ne manquent pas de varier selon les
catégories
sociales.
En effet,
à
la répétition des
rôles définis
selon la
division du travail
social
répond une
intériorisation différen-
tielle
sans pour autant que
l'adhésion au projet de société soit
signifiée autrement.
C'est donc à travers une multiplicité complE
xe qu'il
convient de
replacer
l'émission et la circulation des
signifiants sociaux,
en concevant le système initiatique comme
un rés~au intégré dont les éléments sont engagés dans des rapport
dialect1ques.

-
221 -
En apportant à
une
société hiérarchisée,
compartimentée,
oi}
les
facteurs
conflictuels sont
omni9résents,
les
instruments
communs permet~nt la reproduction dE
la
société,
le
système
initiatique devient dès
lors un
lieu de rencontre de
la socia-
bilité,
Ses caractères propres vont induire un
mode
d'échange qu'il
a pour
fonction d'entretenir en disant
le dis-
cours vrai,
en diffusant
la parole
juste chargée de
significa-
tions positives.
L'idéologie de
la "société
initiatique"
fonde
l'accord communautaire,
le consensus social
en fournissant
ce
sur quoi
les esprits s'accordent,
elle désigne ce qu'il est
malséant de contester.
Ainsi,
par la codification du
système
relationnel,
elle vise
à
éviter
les conflits susceptibles
de met t r e en p é r i l I a s-u r vie d e I a
so c i été
e t
à
g é r e r
l ' 0 rd r e
social qu'elle construit.
En
rassemblant des
individus porteurs d'une même
vision,
elle réunit les sujets reconnus dans
leur dignité comme porteurs
de
la
juste cause
K0.:2!Y~!:n.• c'est donc en termes de réponses
dynamiques à
des
exigneces fondamentales et à
des tensions
globales qu'il
faut situer
la diffusion des messages,
l ' i n -
culcation et l'induction des dynamiques proprement idéologiques.
Aussi,
nous allons porter la réflexion sur deux points
essentiels de
l'idéologie
initiatique:
l'initiation comme
moy~n d'emprise
sociale et l'initiation comme
système de main-
tenance de l'ordre établi.
~)
L' ini1!iëition comme moyen d' empt'i~.ociale.
Nous avons vu que sur le plan individuel,
la doctrine
initiatique tend à
placer chacun des sujets
initiés dans une
relation d'intériorisation et de reproduction des valeurs
nor-
matives.
Les sujets ne
sont pas
seulement appelés à
se soumettre
à
des normes, :.il.s doivent
_~ aussi
les reproduire et
les ren-
voyer sous forme de conduites significatives.
Le processus d'in-
tégration sociale tient essentiellement à
cette
"circularité

- 222 -
contrôlée"
oü chacun
se
trouve engagé dans
l'évidence du sens,
dans
le
ieu de miroir où
la
société proclame
l'orientation de
l'action normative et le
fait répéter dans
les
faits
et gestes de
l ' i n i t i é .
La réception des
croyances communes,en
intervenant à
tous
les niveaux,
va contribuer au renforcement des évidences
transmises et des
intériorisations.
Aux
yeux de
la collectivité,
les différents schémes
initiatiques qui permettent de
surmonter
le trouble du doute pour projeter sur le divers
l'unité rassu-
rante du sens reçu revêtent un caractère de
normativité,à tel
point qu'il
serait indigne de pas
s'y soumettre,
car i l s'agit
d'une vérité
(tu~y~).
Ainsi,
l'idéologie qui sous-tend le projet initiatique
en proclamant les raisons d'être de la société malinké-bambara,
en démontrant à
chaque sujet
la valeur éminente de
la conformi-
té aux règles que
les ancêtres se sont données pour que
la
société soit ce qu'elle est.
en apportant les principes sur les-
quels
s'édifie la vision communautaire
,construit une
imag~
de
la société.
désigne
en même
temps
les
forces
et les ensembles
tenus pour fondamentaux.
Le
système
initiatique ordonne un en-
semble de valeurs majeures
(1)
qui permet de distinguer le posi-
t i f et le négatif,
de
juger les conduites.
Ces valeurs en s'é-
rigeant en système normatif
en un
ensemble cohérent,
oü chaque
élément s'éclaire par ses
liens avec les autres,devient finale-
ment un "paradigme" qui n'est ni
adjonctions
de
jugements ou
de
schèmes sans
liens
internes,
mais bien une
synthèse ordonnée
recélant sa pr?pre cohérence logique.
C'est en somme cet
1)8i l'intégration sociale s'effectue au
.moyen de
schèmes qui
jouent une fonction de
"moulage"
des
sujets,
il
faut toute-
fois préciser que
le moule n'est pas aussi rigide qu'on pour-
rait le croire.
Il
reste assez
souple pour une adaptation
conforme à
chaque personnalité.
Au surplus,
la "société initia-
tique"
offre des
choix,
des options entre des valeurs dominan-
tes et des' valeurs
variantes,entre des modèles préférentiels
et des modèles acceptés ou tolérés.
L'adhésion aux normes et
aux valeurs
~mplique donc une
certaine marge de décision de la
part des acteurs
sociaux.
Il n'est donc pas
surprenant qu'on
rencôntre des conduites variantes et des
conduites déviantes
qui sont tolérées
à des degrés divers.

-
223 -
aspect de
systématisation qui
permet à
la doctrine
initiatique
de
fournir une explication du divers,
de
projeter sur l'expé-
Llence
une grille
explicatlvè SUl
répona
aUX
problèmes que
se pose
la société malinké-bamba=a.
C'est en cela,
nous
semble-t-il que
la doctrine
initia-
tique
confine à
la philosophie jans la mesure où elle
formule
une explication exhaustive du monde,
mais
elle comporte en plus
une morale,
une éthique,
c'est-à-dire un devoir-être,
une
façon
de paraître.
Q~elque puisse
ètre,dès
lors,le décalage entre
l'exposé didactique
et le message mobilisateur,
l'appel à
une
certaine pratique
ne peut se dissocier de
l'explication.
Ceci
est très
important dans
une
société comme
celle des Mandeng
qui,
tout en privilégiant les actes
(walé),
accorde aux discours
(foliw
.
Singe
foli)
l'importance requise.
Si
les ancêtres
incar-
nent la volonté de
l'Etre
suprême,
i l faut
en conclure que
l'ac-
complissement
du salut se
réalisera dans
la fidélité
aux prin-
cipes
normatifs
légués par
eux.
Ainsi
la doctrine
initiatique,
par la systématisation, tend
à
rendre patent le rapport entre
l'être et le paraître,
à projeter sur l'expérience une signifi-
ation qui soit ~imultanément une compréhension et une dési-
(g:1ag,pn
de
l ' action
juste
c'est-à-dire
le
Ko-nyuman.
La vie sociale étant structurée à
la fois
au niveau du
discours
et de l'acte,
i l
est dès
lors
impératif pour son
déroulement normal,
pour la réalisation du projet social d'adap-
ter
les conditions de
fonctionnement au but qui
lui est fixé.
Pour ce faire,
i l
faut
que
la finalité
soit exprimée,
proclamée
et elle ne peut l ' ê t r e
que par référence à
une conception
globale de la vie collective.
Une société ne peut
fonctionner
de manière équilibrée
qu'en obtenant de
la part de
ses membres un minimum de consen-
tement et la reproduction des
attitudes
conforme
à
son projet.
La diffusion complexe et inégalitaire des
rôles,
la division
hiérarchisée des
tâches,
imposent que
soient intériorisées et
acceptées les conduites de
respect du
système
social.
La société
à
travers
ses représentants
qualifiés
les pères
(Fa)et les

-
224 -
aînés
(koro)
va devoir rappeler
le sens de
son existence,
pro-
clamer
la valeur ~r~ ~~jectifs
~&&~Y~er l'~~6ryu~~i-- ~e
ses
moyens
aux
fins,
inculquer à
ses
membres une
v)sion conforme
à son
fonctionnement,
combattre au besoin les discours
et pra-
tiques susceptibles de
remettre
en
~ause son
équilibre.
Tous ces efforts
déployés pour maîtriser
la cohésion
interne
laissent déjà apparaître que
le consensus
social
n'est
pas une génération spontanée.
Il est le
résultat de
l'orienta-
tion normative,
du
travail
initiatique dont
la mission consiste
à
contenir la totalité
sociale
en
reconnaissant d'une part la
légitimité des diverses
ambitions,
en refoulant d'autre part les
tendances déviationnistes
et en désamorçant
les
résistances
sus-
ceptibles d'entraver
le projet unitaire.
Le
système
initiatique agit donc comme un modèle
réducteur
des
antagonismes,
i l construit un
type de
champ social où
i l
parvient peu ou prou à
se
reproduire presque
identiquement par
tous
les canaux de diffusion transformés~ en vecteurs
instrumen-
taux.
Il
se présente
simul~anément
comme un
système de
repré-
sentations et système cohérent d'attitudes. Fbr cette propriété
essentielle,
i l cherche à mettre en
forme
et à
conceptualiser
ce qui pourrait apparaître
comme attitudes
spontanées,
diffuses,
non coordonnées à
l'ethos
collectif.
L'importance décisive des
structures
idéelles pour le
maintien de
l'ordre établi tient donc à
cette
omniprésence
possible,
au caractère de
la
"prégance
idéologique" que
la
société,
à
travers
les détenteurs de pouvoirs,
est incessamment
tentée d'étendre et de renforcer Cl) .
En effet,
le champ de
significations
atteint
dans
la
socrété mandeng
par le
système d'emprise
initiatique,
s'étend
presque
indéfiniment,
puisqu'il
arrive
à
se
surimposer à
toutes
ies conduites de
la vie
individuelle et collective.
La doctrine
inrtiatique en permettant d'opérer
la totalité de
l'expérience
sociale,
l'unification des
significations,
tend par là même
à
absorber
l'ensemble des
schèmes unificateurs.
C'est cette
extension indéfinie qui va ouvrir finalement
la voie
à
l'exercice
1)
ANSART
fP)
1:19-74
,
p.
90.

- 225 -
indéfini du contrôle social
.. "comme
le régulateur global des
comportements,
l'élément universel,
le tissu
conjonctif de
la
vie collective"
(1).
Le système d'emprise
initiatique constitue ainsi un
agent éminent du contrôle
social.
En
s'imposant de manière déci-
sive à
l'exercice
des pouvoirs,
le contrôle
social parvient
à
se réaliser pleinement.
Car
le sujet
initié
n'est pas
seulement
un simple récepteur de normes,
il est également engagé dans
un cercle d'appels,
d'exemples,
d'évidences qui,
en devenant
l'élément fécondant de
son univers
concret,
l'amène à
se
réaliser comme membre
intégral de la communauté.
2.) L' ini."tiat'ion comme.~Y~ème de maintenance de l' drdre --
établi
Le système initiatique,
dans
la mesure où i l peut
être défini comme conformité à
l'ordre établi et aux pouvoirs
en place,
fonctionne
comme principe de maintenance.
C'est en
cela qu'il
instaure des rapports de
fidélité
qui doivent corres-
pondre au maintien d'une
altérité garante du
respect des
struc-
tures établies.
Cette altérité nous
est fournie par la réitéra-
tion de
la Fasya
propre à
chaque groupe.
Il
s'agit d'un langage
qui,
comme tout système codé,
fournit
le lien de
communication
par lequel
se signifie et se renforce
la solidarité~la cohésion
communautaire
(2).
Ainsi,
les prescriptions de la "société
initiatique",
entant que messages de la société globale,
fournissent aux
groupes constitutifs le moyen de leur identité '(Fasyla)
et à
chacun la possibilité de
se relier de
façon
significative à
au t.r u L
l'apport décisif du
système
initiatique,
dans
le
fonc-
tionnement des relations auxquelles
i l donne un code général,
consiste à
fixer
l'ordre relationnel
en signifiant et
justifiant
" "
1)
ANSART
(
P)
:
1974,
p.
90-91
2)
Le discours commun fonctionne
comme principe d'accueil et d'ex
clusion,
i l permet ainsi
à
tous ceux qui
se reconnaissent en
lui _de
s'identifier et de formuler une cOn~cience de soi,
et
inversement d'exclure
tous ceux dont les comportements s'en
éloignent.

i
..;..
-
226 -
la distribution des rôles
entre les
individus et les groupes
en presence.
Les termes auxquels
i l
recourt généralement
(le consensus
(bEten),
la solidarité,
la
f r a t e r n i t
(l1adenv~)
é
les ancêtres(Bembaw),
etc.)
ne
cessent de
rappeler
le
jeu normal
des rôles et d'indiquer
à
chacun
le code de
la légitime conduite.
Ce discours,en réactivant à
tout
instant
le code
relationnel,
sert de
lien,
de
liant universel,
bref de
lass~ri (lien),
c'est-à~dire une
religion civique.
Dans cette vaste
fresque
totalisante qu'est
la"société
initiatique",
une dimension particulière est constituée par
la
désignation et la légitimation des détenteurs de
l'autorité.
En
effet,
le discours
initiatique,
en unifiant l'ensemble
socié-
tal,
range et synthétise,
sépare
en coordonnant chacune des
parties constitutives de
la société globale
et l'identifie en
la mettant simultanément en relation réciproque et inégalitaire
avec
les autres éléments
sociaux.
C'est dans
ce double mouvement
que
se définit la logique donnée pour
relative à une ensemble,
à
une
structure -:-Fé!,sya.- qui en
justifie l'existence et les de-
voirs.
En construisant une
image du pouvoir,
de sa nature et des
conditions de son existence,
la
"société
initiatique~ tend à
fonctionner
comme une contre-violence
symbolique à
l'égard des
violences ouvertes et potentielles propres à
tout
sytème fonc-
tionnant sur des principes
inégalitaires.
C'est en cela que
le
"pouvoir initiatique",
en recourant à
l'ordre
symbolique produit
les justifications de
la transcendance destinées à
inhiber
l'agression contre les normes définies,
L'instauration d'un sens commun va donc constituer pour
le Pouvoir ou plus précisément pour les pouvoirs en place,
un
instrument décisif de
leur maintien et de
leur exercice.
La
conformité subjective
qui
fait adhérer
les
non-détenteurs de
pouvoir aux finalités que proposent les gestionnaires de
l'or-
dre social,
dissipe
les réticences et transforme ainsi chaque
sujet,
chaque groupe,
chaque Fasya
en soutien du pouvoir,
en
soutien actif
intensément mobilisé pour la défense de
l'ordre
établi.
La
fonction
intégrative de
l'idéologie
initiatique,
à
ce niveau,
~t non
seulement d'assurer
la permanence de
l ' i n s t i -
tué,
(la société), mais aussi d'assurer
la vitalité de
l'ordre
pour
la mobilisation des
énergies participantes à
l'édification
de
la sc e r
t
ë
ë
,

-
227 -
Par cette orientation idélologique,
la "société
initiatique"
Itend à
rétablir des communications dynamiques entre les détenteurs
d ' a u t o r i t é
et
les sujets de l'ordre à
intégrer
les uns et les
Iautres dans un même réseau de sem et de finalités.
Dans l'ordre des pouvoirs,
le système
initiatique va assurer
effectivement des
fonctions permanentes d'attestation et de légiti-
mation.
Il va renforcer
la conformité des comportements aux
institutions établies.
Par l'explication ou le
silence,
i l participe
au façonnement des conduites,
à
la canalisation des énergies féconda
tes ou à
la répression symbolique des déviances.
Son appel,au
niveau global aura pour effet de confirmer la cohésion des
institutions,
des groupes en déniant les conflits par la réitération
des idéaux transcendants.
C'est dire que le consenSUS n'est pas
une production spontanée de l'être social de la société malinké-
bambara,
ni même le simple résultat du
fonctionnement non conflic-
tuel du système social~ Il est obtenu par l'exercice des contrôles,
par l'induction permanente des mêmes régulations.
Cec i
est si vrai que la répé t i tion même des rites,l a xé acni a 1 i -
sation des significations font apparaître cette urgence d'imposer
les normes contre les risques de désordre
~ il faut rappeler le
sens du projet social,
i l faut l'inculquer aux
individus qui sont
en cours de socialisation,
mais plus profondément i l
faut
rappeler
le sens parce qu'il n'est pas naturellement recréé et qu'il faut,
par son intermêdiaire assurer la reproduction du système
~).
Ainsi donc,
la "société initiatique" répond dynamiquement
à
la menace latente de violence ou de déviance qui se trouve au
coeur
même de
l'être de la société
inégalitaire mandeng.
Dans Une
certaine mesure,
On peut dire que le système initiatique n'est pas
seulement l'expression d'un équilibre social, mais aussi la réponse
dynamique aux divisions,
aux violences potentielles.
Il s'agit
d'une tentative pour les pouvoirs institués de surmonter,
dans une
logique symbolique,
la négation pratique inscrite dans
l'action
sociale
1)
AN5ART
CP)
: 1974

-
228 -
Enfin,
l'idéologie initiatique,telle que nous
avons essayé
de l'analyser,
ne doit pas être considérée comme
le reflet _
d'une réalité
ayant atteint sa plénitude,
mais
bien comme
une réponse nécessaire destinée à parachever en quelque
sorte
l'inachevé qu'est la
sociétéé à
c o n s t r u I r eü). L'idéologie a
pour but d~ créer l'accord de tous sur le terrain de la symholique
par~T"int:ériorisation-etLa Tz pFod u c tLo n des
significations.
L'idéo-
è
logie vise également à
réunir les porteurs de la cause
juste -Ko
nyuman,
à
assurer la vitalité de l'ordre et des pouvoirs,
bref,
à
gérer le contrôle unitaire en évitant les actions qui
peuvent
mettre en péril
l'édifice social,
Ainsi,
la "société initiatique"
apparalt finalement comme
l'espace mental,
moral et symbolique commun à
une pluralité de
personnes qui peuvent communiquer entre elles,
en se reconnaissant
des liens,
des
attaches,
des intérêts
communs, d es divergences
et des oppositions.
Elle est donc le lieu où chacun,
individuellemen 1
et tous,
collectivement_
se sentent enfin membres d'une même
entité qui
les
englobe et qui les dépasse.
1)
Le système initiatique en tant qu'expression de
la société
globale_
ne se confine pas dans une "instance"
et neSE1imite pas
non plus
aux rôles des gestionnaires de l'ordre social.
Il
imprè-
gne toutes les
institutions fondamentales du renouvellement
social qui diffusent,
explicitement ou implicitement,
des messa-
ges,
Ces institutions doow
:
familles,
classes d'âge,
association!
diverses sont des appareils éducatifs qui fonctionnent dans une
certaine mesure par la réactivation de représentations
idéologiques.

-
229 -
CHAPITRE V
STRATIFICATION SOCIALE ET IDEOLOGIE INITIATIQUE
Le principe de hiérarchie qui gouverne le système social
malinké-bambara est si étranger à la perception occidentale
,
aux
habitudes de pensée et aux formulations qui lui sont associées, que
son
intellection, uniquement restituée par les concepts occidentaux,
~isque de manquer de perspicacité et d'efficacité.
Plutôt que
de
décrire
directement le système
social
des
populations mandeng,
nous allons
donc
tenter de
situer
ses caractéristiques essentielles par
rapport à
un modèle de
société,
celui des
Indes.
Après
avoir,dans
une
section
l,
examiné ces deux
formes
de
stratification sociale,
nous étu-
dierons
le modèle
de
complémentarité sociologique ou
sa-
aankunya
section
II et enfin,
en section
III
la dynamique
sociale que
le modèle postule.
SECTION r
bEUX
MODELE INDIEN ET
FORMES DE
fIIO~D..;:E..;:LE:::-.;.:M.:..:AN:....::.DEN:::...G-=---=--=:...:..:.......:....:.:.:...:.;;;.;;--::..:::..
ST~IFIC~ION SOCIALE
La comparaison des sociétés de l'Afrique de rou~st avec le modèle
indien a déjà tenté de nombreux auteurs et pour démêler les argum~nts et
apprécier leur validité nous allons examiner successivement le système des
castes et l'idéologie des brahman aux Indes (N
et les cosmo~ogies et

-
230 -
représentations idéologiques mandeng (B). Ayant dégagé les ressemblances,
nous pourrons également souligner les différences et . 'originalité du
"système des ordres", chez les Mandeng (C).
A> Système des castes et idéologie des brahmanes aux Indes
Selon les analystes du système social traditionnel de l'Inde,
l'étude du régime des castes peut être introduite par le rappel de la
théorie des Varna. Cette théorie permettrait, à en croire les indouistes,
d'éclairer les principes fondamentaux du système des castes. Que dit
la théorie des varna?
S'appuyant sur les premiers hymnes
védiques dits
Setapatha ERAHHAN, elle évoque trois catégories sociales conformément
à la tripartition indo-européenne : brahman 1 kshatriya. y~~hiya ~p'emen~
dit : le prêtre,
le guerrier et le peuple. A une époque plus tardive
apparait une quatrième catégorie, celle des sudra
qui achève l'orga-
nisation de la société.
Dans la hiérarchie des varna, le bra~E(représente la religion,
le kshatriya dispose du pouvoir militaire et pol~tique, le vayshiya est
l'éleveur-agriculteur, le sudra
le producteur non libre (1).
Pour la plupart des auteurs, chacun des groupes et surtout
(1) Dans cette théorisation de l'organisation sociale, une catégorie
spécifique appelée "les intouchables" n'est pas évoquée, elle se trouve
dès lors négativement extérieure aux varna.

- 231 -
leurs relations organiques montrent que cette division correspond à une repré-
sentaë.:..on de la société en "castes". La théorie des varna qui jt:sri.:"ie l'organi-
sation sociale désigne la complémentarité des fonctions dans la reproduction
sociale: aux sudra
sont affectées les tâches de service, aux vayshiya l'éle-
vage et l'agriculture, aux brahman
les fonctions de commandement et de
défense, aux kshatriy~
les fonctions sacerdotales et 'l'accomplissement des
rites. Cette répartition des fonctions pose de nombreuses questions. En
particulier,quel est le système de représentatioœqui fonde cette répartition
et quelle idéologie la justifie? Ici, les avis divergen~ retenons au moins
deux thèses antithétiques dont l'opposition centrale se situe précisément
autour du rôle accordé à l'idéologie dans le fonctionnement du système social.
La première thèse soutenue par L. DUMONT (1) insiste sur les fonctions régu-
latrices de l'idéologie. La seconde, défendue par C. MEILLASSOUX (2) ,met en
doute ces fonctions et la notion même de caste.
a) Analyse structurale
de la société hindoue
Pour DUMONT, un principe général, celui de la hiérarchie,
recoupe tous les rapports entre castes. Les différentes castes quelle
que soit la prolifération des subdivisions, sont bien engagées dans un
réseau de distribution et de graduation réciproques : chaque élément
se définit par l'ensemble de ses différences spécifiques et de ses
relations d'exclusion dans le jeu des rapports de supérieur ~.infér~eQr.
La caste pour cet auteur n'est pas un élément défini par lui-
même, mais par l'ensemble des distinctions qui le situe dans le réseau
de relations réciproques. Le régime des castes se présente comme un
système où la totalité commande la situation des parties. C'est-à-dire
que le système se caractérise fondamentalement par la relation dominante
de hiérarchie : chaque caste ou sous-caste se situant dans un réseau
d'opposition
entre supérieurs et inférieurs ne peut se confondre avec les
1)
DOMONT (L).
1966
2) MEILLASSOUX
(C).
1973.

-
232 -
castes inférieures,
elle s'en défend
avec la même énergie qui
l'empêche, par ailleurs, de prétendre s'introduire dans les couches
qui sont d'un statut supérieur. Dans un tel contexte,
la hiérarchie
caractérise fondamentalement le système, elle engendre un foisonnement
d'indices statutaires à travers lesquels la caste définit son rang
dans la gradation.
Cette hiérarchie fixe en quelque sorte simultanément la
séparation et la complémentarité
étant hiérarchisées, les castes ne
cessent de reproduire les signes de leur distinction - et c'est cet
aspect de la hiérarchie qui sera le plus conscient parmi les acteurs
sociaux -, mais la camplémentairté est inhérente au système, en ce
sens que chaque caste Se situe collectivement par rapport aux autres (1).
L'analyse fait apparattre gue la hiérarchisation dans les
systèmes sociaux à fondement castuel, n'est nu llement fond~ sur l' iné-
galité des fortunes ou de pouvoir, mais bien sur un fondement idéolo-
gique et religieux. En effet, selon l'auteur, un critère universel
reproduit et signifie les rapports d'exclusion: l'opposition du "pur"
et de l"impur". Ainsi,
l'infériorité d'une "caste" ne se mesure pas à
la faiblesse de ses pouvoirs ou des moyens économiques à sa disposition,
mais à son rang dans une hiérarchie de "pureté".
(1) ott .. ~BàUGLE ~~(C).
1900· :-
. L'auteur distinguait déjà trois principes auxquels devait être
ramené un système de castes : gradation des statuts, hérédité et
interdépendance.

-
233 -
Cette thèse
introduit à la limite une dose idéologique
immanente à tous les niveaux des séparations sociales; d'une c~rtaine façon,
eUe t~~duit
le principe effectivement régu lateur du
sys tème social
dans sa totalité.
b) point de vue de l'anthropologie marxiste
L'argumentation développée ci-dessus ne pouvait laisser
indifféren~ les anthropologues marxistes pour lesquels, dans toute
société, ce sont les rapports de production et de reproduction, la
nature des échanges et des prestations qui définissent les groupes
sociaux et non les représentations que créent sur cette base "réelle"
les acteurs sociaux. Pour les tenants du matérialisme historique et
dialectique, retenir les représentations idéologiques comme clef de
l'explication d'un système,. ce ne serait que prendre à la lettre les
affirmations des acteurs, et dans le contexte analysé ici, les affir-
mations -du groupe dominant.
Pour la fécondité de l'analyse, disent-ils, il faut dépasser
nécessairement les discours, confronter les représentations à la réa-
lité sociale et partant dévoiler les rapports de classe et l~
conflits voilés. C'est le sens de la critique formulée par MEILLASSOUX
à DUMONT en opposant à l'interprétation de ce dernier, qualifiée
d'idéaliste, le projet d'une analyse matérialiste (1).
(1) pour l'auteur, les nombreuses études sur l'indouisme et surtout celle
évoquée ici, sont empreintes ~d'une idéologie idéaliste et conservatrice,
désireuse de découvrir dans le système indien l'expression d'une harmo-
nie sociale universelle; ce faisan~ elles ne font que transposer sur
un plan d'apparence scientifique
l'apologétique des idéologues
brahmanes" art. précité p. 6.

-
234 -
En mettant en cause la notion même de caste au profit de la
notion de classe, MEILLASSOUX reformule l'interprétation de l'auteur
de
Homo ~erarchicus. Pour le théoricien marxiste, la constitution
en castes fermées, conscientes de leurs prérogatives, ne se manifeste
.
réellement que dans les classes dominantes
qUlassoient
précisément
leur- domination par le recours à une idéologie de pureté. Ainsi,
l'idéologie, loin d'~tre l'instance dominante du système des castes, ne
.serait en fin de compte qu'un instrument aux mains des classes dominantes
et répressives, la caste elle~ême
n'étant.
.JI
qu'un placage idéo-
logique" dissimulant les rapports d'exploitation.
Pour HElLLASSOUX, le système des castes,
i. . . .
"idéologie conservatrice et répressive
qu'appuient la violence
physique et le terrorisme religieux~
contribue à emp~cher les
classes de se reconnattre cOlllllle telles, maintient dans l'aliénation les
fractions dominées et exploitées, ignore, refoule les rapports critiques
et conflictuels sous les apparences d'une harmonie divine. Le spi-disant
système de "castes" représente ainsi, ajoute l'auteur, la perpétuation
et l'adaptation des rapports et l' idéol~gie statutaire à une société
de classes sans cesse changeante sous l'effet de ses propres contra-
dictions et des impacts extérieurs, cOllIne moyen de domination tlU service
de classes dominantes, elles-m3mes transformées" (1).
L"opposition de ces deux 'thèses extr&es
rappelle, s'il
(1) HEILLASSOQX, 1973, p. 27-28

-
235 -
en est besoin, tout ce qui Se joue dans une recherche sur l'idéologie
il est clair qu'à travers le débat sur la place et les fonctions de
"l'hindouisme", se joue l'interprétation générale des phénomènes sociaux

et partant la nature même des groupes qui en sont les acteurs.
Ces deux contributions apportent de nombreux éléments de
réponse et désignent en même temps de nouvelles voies d'interprétation.
La thèse de DUMONT, en approfondissant la nature de la
correspondance entre le système social et la structure idéologique, tend
à repenser les multiples aspects de la corrélation entre l'ordre social et l'i-
déologie:DUMONT met en lumière l'existence d'une correspondance par
homologie entre les instances. Le principe fondamental qui ordonne les
éléments idéologiques, l'opposition du pur (supérieur) et de l'impur
(inférieur), recouvre, adéquatement, selon l'auteur, le principe de
hiérarchie du système et donne sens à chacune de ses articulations.
Le rapport d'inclusion
et d'exclusion qui rapproche les éléments de même
dignité et expulse la souillure, se trouve significativement dans les
identités" et les distances qui fonctiorment entre les castes. La com-
plémentarité conceptuelle _'
qui intègre dans une unité dialectique
le "pur" et "l'impur" unit et sépare les castes depuis les plus chargées
de "dignité" jusqu'aux plus "indignes". La d tva s i.on du travai l se
retrouve elle-même désignée dans la hiérarchie de la "pureté",
des fonctions les plus pures (prières, rituels),
aux tâches les
plus "impures" (toilette des morts par exemple). On a là une des
caractéristiques fondamentales du système "castuel", à savoir la complé-

-
236 -
mentarité dans l'inégalité qu'assure un ordre symbolique qui fait que
la "pureté" des uns est sauvegardée par la présence complémentaire des
"impurs". Dès lors, la dialectique du pur et de l'impur accompagne la réparti-
tion des rales, fixe les séparations, rapproche les éléments les plus
opposés dans les moments les plus significatifs que l'idéologie se
charge d'entretenir.
L'analyse de DUMONT montre également qu~ l'fdé61o~ti0nt~st ~as un di9
cours, mais bien un système de signification~es discours et de
prati-
ques incessament présentes à tous les niveaux des relations et des
comportement s •
Certes, le constat structural de l'homologie des ~e~résrd~
pureté et de" ta ~ hiérarchie sociale, n'éclaire pas toutes les relations
d'échanges et de conflits entre les groupes en présence; il risque
même de réduire ou de négliger la nature de ces rapports. Car, à la
limite, l'analyse de l'homologie laisserait à penser que le système
social se conforme parfaitement à l'idéologie, et que d'autre part,
le
système ne contient ni transformation, ni conflit.
~-delà des divergences dans les modes d'approche des auteurs,
on peut dire que que1.que soit le mode de lecture retenu,leers-: r'ecnezcbes
mettent en relief l'étendue des fonctions dynamiques assurées par
l'idéologie, non seulement dans le maintien du système, mais également
dans les multiples aspects de son fonctionnement. Chacune des contribu-
tions nous révèle, de manière opposée mais complémentaire, que l'idéo-

-
237 -
logie en tant que réseau englobant une société hétérogène, participe
à la perpétuation d'un typ~ donné de système social, au respect des
ségrégations, à l'identification de chacun à son rang, à son "ordre"
où à sa "caste". Enfin, sans les formuler
explicitement, ces travaux
et précisément les réflexions de DUMONT, permettent de dégager derrière
les apparences d'un déroulement ordonné, de multiples rivalités où les
groupes se saisissent des signes religieux, s'opposent aux tentatives
adverses, manipulent les signes pour s'assurer des avantages qui en
découlent (1).
Les études de cas que nous avons tentées de synthétiser ici,
apportent de nouveaux éléments à la réflexion sur un type de société.
Les interrogations et les réponses formulées .
reposent la question essentielle d'une sociologie des
idéologies ; celle de savoir quels rapports se créent entre le discours
et l'action, quel divorce ou quelle unité·illusoireWmasquent la nature des
rapports sociaux.
La'-:~ais6ir de la société indienne
-'"-_
. _ avec les sociétés de la zone soudanaise pouxra1!
permettre de mieux.é cla·i:r c i :e"1$S' questions.
Mais
_.'analyse de ces sociétés suggère
des voies de
recherche qui doivent, pour être fécondes, se démarquer des théor~s·
1972, III, 4

-
238 -
que
trop synthétiques. Il nous semble que plutôtYde débattre de la primauté
du religieux ou des rapports de production, il conviendrait d'examiner,
dans la complexité des interrelations, comment les processus se
complètent et s'opposent, comment s'opèrent les manipulations, comment
s'effectuent les changements de registre, les symbo lisations ~t·-que;l,lE; effica-
ce ces dernières possèdent. Mais de telles recherches exigeraient que l'on
considérat non pas les seules croyances, les rites et les représentations,
mais bien le système idéologique en tant que sous-système de fonctionne-
,
ment et de participation, tout comme les formes d'interiorisation et
d'adhésion au projet de société. Une telle recherche aboutirait sans
doute à reformuler les théori~s.
Bien entendu de tels efforts d'investigation dépasseraient
largement le cadre limité de cette étude, aussi nous nous limiterons
seulement à jalonner notre parcours en soulignant les ruptures qui
nous paraissent les plus significatives dans cette recherche sur le
champ idéologique de la société mandeng.
c'est dire que dans les pages
qui suivent, nous aurons le souci de faire éclater quelques notions
trop étroites, afin de tenter de trouver un schéma explicable du système man-
deng et en particulier de ses originalités par rapport au modèle indien
qui sert de référence universelle quand on parle de "castes".

-
239 -
B - Cosmologies et re~résentations idéologiques mandeng
-
-
>
Il est dt: la nature même d'une société "mythique"t~nitiati-
que, comme celle des Bambara et Malinké, de situer les rapports sociaux
dans une genèse du monde organisé, où les hiérarchies,
les appellations
et les différentes formations sociales, avec leurs modes de production,
sont complémentaires.
Essayons d'analyser les constructions idéelles qui fondent et justifient
la "théorie" de l'organisation sociale.
a) Les fondements mythiques de la segmentation sociale
Les récits cosmologiques qui expliquent l'origine de la
division de la société,
offrent, dans leurs justifications, des
éléments fort intéressants. Ainsi, l'agricultur~
serait
une obligation mythique destinée à rendre hommage à la divinité FARo
qui, comme on le sait, a vaincu MUSSO KORONI,
le symbole de la terre
impure, et PEMBA, avant d'instaurer le règne de la raison et de la
t
pondération, en donnant aux hommes le premier grain cultivé (FONIO ou FINI) •
Cette obligation, faut-il le préciser, ne s'adresse pas à
l'ensemble de la société, mais 'seulement à ·une catégorie sociale
déterminée, 'celle des agrtcul teurs appelés "Boron". (1) dans la société mandenq .
.'l
. . .
1) Le terme Horon
désigne le groupe des hommes libres et principalement les
agriculteurs

-
240 -
Les autres catégories sociales regroupent
au contraire tous ceux que leur 3pécialité écarte de ce type de
product ion.
Du reste, quand on observe de près la société, on constate
que l' hoame reçoit sa "définition sociale et éthi9"'e. " par rapport au
métier qu'il exerce ou aux matières qu'il manipule. D'Où une floraison
de systèmes de représentation attachés
à l'agriculture, à la forge,
au travail du bois et du cuir, et à l'art de la parole.
L'honme qui se consacre au travail de la terre est un Hor on ,
la Horon-ya, c'est à dire l'état "d'hOUIlle libre" permet à un individu
d'être son propre martre en subvenant seul à ses besoins alimentaires.
Sa destinée, si on peut s'exprimer ainsi, se joue entre son application
au travail et la glèbe,
sans
intermédiaire entre lui et la terre
dont il tire sa nourriture, c'est~à~dîre sa vie,
Tout autrement se présentent les détenteurs des autres
techniques : les Nyamakak Cette catégorie sociale est caractérisée par des ac-
tivités qui ne lui permettent pas de subvenir directement à ses besoins.
Ainsi, les Numu
se consacrent à la transformation des métaux,
les Garanke
à
la
préparation
des
peaux
et à
la
fabrication des objets en cui~
les Jeli et les Fina à l'art
- oratoire. (1)
1) Il convient d'incorporer dans la corporation des Nyamakala
d'autres groupes
tels que Kulé, Ga~lo, Mabo, ~yapurta introduits dans la société mandeng
dans un passé relativement récent.

- 241 -
La pensée sociale,o"plutôt l'idéologie dominante, justifie
la condition et le statut d85 Nyamakala par le f a Lt; que leurs activités
ne leur procurent pas directement les moyens de vivre. Ils
dépendent
de ce que leur donnEfles agricultEurs en échange de leurs
services. Ils vivent sous ~eur dépendance.
plusieurs productions symboliques illustrent cette relation
de dépendance. Il est dit partout
que
l'agriculteur nourrit les
Nyamakala d'une partie de lui-même, d'un morceau de sa chair considérée
comme superflu, c'est-à-dire du surplus de sa production agricole. Mais
on s'empresse d'ajouter que si ce don
fait l'honneur et la noblesse de
l'agriculteur, il n'en reste pas moins vrai que l'honneur est, lui aussi,
fonction de la complémentarité, il ne se fixe dans les uns que face au
renoncement des autres à l'autonomie~ que des dons r~pété~ doivent sans cesse
---'-----~----~-,.--~-_ ..• -----,.--.~---
réactiver, c'est pourquoi, îl est nécessaire que le Nyamakala
vienne
solliciter le Horon
et obtenir des présents.
Les manifestations de cette "primauté" se retrouvent à tous
les niveaux de la société. qu'il s'agisse du pouvoir politique ou 'des
pratiques religieuses,
les Horori, même s'ils font appel aUX autres' caté-
gories sociales, ~par exemple
pour la prêtrise dans certaines institutions
socio-religieuses, gardent toujours le contrôle des faits sociaux les
plus importants.
Cette valorisation de l'agriculture est ~lle que tout le
monde, aussi bien les rois,
les chefs et les prêtres, s'y livre
• Pour

-
242 -
les uns, i l s ' agit
d'activité de subsistance, pour les autres de
rituel, car dans la pens ée des populations mar.deng,
la personnalité
de celui qui ne cultive pas ou qui ne sait pas cultiver est incomplète.
Cette élévation de l'agriculture au-dessus des autres activités fait que
même les Nyamakala s'y consacrent
,certes pas à la manière des Horon,
mais plutôt comme activité d'appoint.
(1).
Nous trouvons, cependant, à côté du modèle de complémentarité
sociologique, d'autres formes de représentations des Nyamakala liées
à l'exercice de leur technique ou de leur art. Ces représentations souvent
bien ambigaës tendent à faire des Nyamakala un groupe de référence
négatif.
Elles justi'fient à leur égard des comportements de"répulsi'On et de
méf~nceJf,
1) En effet, dans le. cadre de l?l divis:f.on mytiùque des activités, seul le
r~onçement mutuel à ce nu' eSt le
domaine de l'autre assure le
fonctionnement de la société, Autrement dit, chacun est tenu de se confor-
mer aux us et coutumes régissant le statut que la société lui a assigné.
Le refus d'assumer cette complémentarité expose l'individu à de terribles
sanctions morales •

-
243 -
Commençons par analyser le mot Nyamakala
en lui-même
afin de dégager davantage la conception qu; sous-tend la
....
représentation
--- d~ -ee ~o~- - - - - - -
~e mot oyama (1)
désigne une pluralité
de phénomènes relevant de la dynamique des forces. Quant à Kala, il
signifie: antidote, immunisation, préservatif etc.
Le Nyamaka la,
comme le suggère la sémantique, peut se définir comme celui qui manipule
le nyama et en même temps celui qui détient son antidote. D'OÙ la
définition suivante donnée par Youssouf CISSE du Nyamakala . "
antidote
du mal et nyama ardent, deux facultés qui font du griot et du forgeron
qui usent tous deux de leur pouvoir, de leur science, mais surtout de la
paro le pour éteindre et chasser le Nyama" deux personnes en relief dans
les soc iétés Ma linké en leur conférant une immunit é invio lab le" (2).
L'affinité particulière reconnue aux détenteurs d'une spécia-
lisation marquée par le nyama donne lieu à de nombreuses spéculations.
L'idée de souillure est à la base de certa;ns
-.
-
....
preJuges populaires
ségrégatifs à l'endroit des Nyamakala.
Cette
idée de souillure ne repose
1
pas comme en Inde sur une idéologie formulant de manière non équivoque
que les gens de caste inférieure sont par définition des impurs, assumant
en tant que blanchisseurs, barbiers, éboueurs, fossoyeurs, l'impureté des
autres et les préservant des effets de leur "nyama".
(J)
La noti.on denyema
sera développée plus Lo In ;'
(1) CISSE, 1964, p. 201

-
244-
Il n'en reste pas moins vrai que par association d'idées,
par glissement de sens et analogie, certains développements de la notion
de nyama comme "mal", comme source de contamination, aboutissent à la fq:r:;matio
--- ---- ---..--
de --nombreux- préj~gés. On dit que l~~;Ny~akai~-se livrent à: des libertés sexuel
les et entretiennent des relations incestueuses, etc. Ges représentations négat
_~es _~pul'~e~_~ar_cj.~_~Jllyth.~~,-_des~_C1.e~~e!?__oj).__§.imQlernJ=ntde.s_ .fantasmaa.ories, pro-
duisent,
,
koute proportion gardee, des effets voisins de ceux observés en Inde.
Saœêtre poussée à son terme, la notion d'impureté tend cependant à faire
des Haron
un groupement supérieur qui doit, pour conserver sa pureté, éviter
certaines relations trop étroites avec les manipulateurs de nyama.
Mais l'impureté
~v 'i 1 s'agit
dl éviter
ne résulte pas, à
l'instar du modèle indien, d'une tare congénitale. C'est p1ut8t la
reconnaissance d'une qualité exceptionnelle détenue par les Nyamakala qui
fonde leur condition. Aussi,
les Horon,qui par définition ne possèdent
pas les attributs qui pourraient les soustraire à l'emprise des nyama.
doivent,parce que moins nantis, éviter d'affronter les Nyamaka1a qui,
comme les wo1osso-captifs, sont les seuls capables, du fait de leur
charge de nyama, de rétablir sans risque pour leur personne l'ordre
cosmique. Cette situation qui les place dans une surréa1ité est une source
d'ambivalence, car les représentants de ce groupe sont à la fois objet
de répulsion à cause de
cette
charge
de
nyama, mais également
craints et respectés en raison de leur connaissance.

-
245 -
b)
Les techniques et leurs représentations
fondement
des croyances relatives à la Nyamaka1a-ya
Dans la conception mythico-re1igieuse des Ma1inké-~bara,
tout art nécessitant une initiation préalable en vue
de la production de certains biens comme par exemple la transformation
des métaux, le travail du cuir ou du Qois, l'art oratoire est considéré
comme une activité susceptible d'engendrer des désordres socio-
cosmiques. Cette conception s'articule autour d'une notion fondamentale
de la psycho-sociologie mandeng
: le nyama.
Pour comprendre certaines projections négatives visant les
Nyamaka1a, ces manipulateurs de nyama, une courte analyse sémantique
s'avère indispensable pour la clarté d'une notion qui a donné naissance,
~
dans la littérature ethnologique relative aux Mandeng
, a beaucoup de
contresens.
Le mot nyama,tonfondu avec plusieurs homonymes comme nyagama
(paille) qui donne par déformation vocalique nyama ou bien nyamân,
ordure, ou nyama nyama , ordure, fumier, objet de valeur dérisoir~ a
1
abuse
plusieurs auteurs qui Se sont inspirés exclusivement des travaux
fort remarquables cependant de DELAFOSSE sur la langue mandeng et ses
dialectes.
Sans reprendre ici les critiques à l'encontre de telle
ou

- 246 -
telle définition du nyama, nous irons droit à l'essentiel d~s notions qu~
suggère l'étymologie du mot nyama.
Qi 0y trouve.. en premier lieu
- - - - - - -
puis ni-Va contracté en nya qui signifie principe de vitalité, fait
d'être animé, d'être en \\itie. Nya évoque aussi une fou le de notions qui
particip~tà la pyramide des forces qui régissent l'univers : un
~
tigi
désigne le responsable d'un culte sacré m~a : n-ya est le culte
rendu aux ancêtres. Quant à~,
c'est le terme générique qui désigne
la pe rs onne humai ne.
Ainsi, le nyama se définit comme une force agissante, un
flux, une émanation de 1 t!me,ni, il est ambivalent, son action peut être
offens ive ou défensive ; c test aussi le ''mal'' que peut provoquer une
action nocive qu te11e soit intentionnée ou non. Il véhicule également
l'idée de "souillure" dans la mesure ou l'action nocive non réparée est
censée affecter l'être de son auteur.
Dans la théorie qui explique le nyama, ce dernier est beaucoup
plus manifeste chez tous ceux qui se coupent de la majorité des citoyens.Tous
ceux que leurs
activités
singularisent
re~b1ent à un Vase sans
système communiquant, le nyama qui s'accumule en eux, devient, dit-on démesuré
par rapport à ceux qui sont en communication avec l'ensemble du groupe.
Cette vision nous éclaire sur la représentation de la nyama-
ka1a-ya,état de nyamaka~ car, le nyamaka1a dans cette conception est celui
qui par son renoncement à exercer l'activité commune, à savoir l'agricu1-
ture, se serait mis à l'écart et ce faisant, est devenu un foyer de nyama.

-
247 -
Détenant des fonctions fondamentales pour la reproduction de
l'ancienne société mandeng •
les représentants des différents sous-
groupes Nyamakala
(~, Jeli, Garanke etc. ),
ne sont pas un rebut
de cette société: l~ forgeron-~ possède la connaissance du sacré, il
est martre des "soc iêtés d'initiation", tandis que le griot-Jeli, le
maître de la parole enseignée par ~,est l'archive, la mémoire qui
conserve vivan~les généalogies.
ci-d~ssus
Nous allons
confronter les enseignements/avec les données du modèle indien
pour dégager l'originalité du système des ordres chez les Mandeng.

-
248 -
c) Système des ordres chez les Mandeng
L'organisation de la société malinké-bambara présente des ressem-
blances évidentes
avec le modèle hindou.
Les deux types de
sociétés
ont
de
nombréux
points
communs,
(rapport au pur et à
l'impur, relations de clientèle, système
d'hérédité)
qui
ont
,conduit
certains
spécialistes des sociétés
sahélo-soudanaises à assimiler
leur structuration hiérarchique
à un système de castes.
Ils ont retrouvé, dans les rapports entre les groupes constitutifs
de ces sociétés, les trois critères définis par BOUGLE (1), à savoir:
~ séparation en matière de mariage et de contacts directs
ou. indirects,
-
division du travail selon des critères socio-religieux
ou idéologiques,
_ gradation hiérarchique qui ordonne les groupes déten-
teurs de mattrise en supérieurs et inférieurs •.
Sans
entrer
_ dans le fond d'un débat qui n'a pas sa place
ici, essayons tout de même de confronter ceS critères avec la réalité sociale_-
mand ëng .
(1)
cf. BOUGLE (C). I900

-
250 -
Comme nous le verrons plus loin, cette disjonction repose
beaucoup plus sur des principes de complémentarité soèiologique que
sur des critères de pureté ou d'impureté. C'est dire que la séparation
en matière de mariage ne revêt pas un caractère impératif.
2) Moindre importance du facteur socio-religieux chez les
populations mandeng
En dehors des différences très nettes avec le modèle indien
en matière d'alliances matrLnoniales, il
y a
lieu de noter
une autre divergence à propos du trait fondamental qui constitue la
spécificité de l'hindouJsme
le rapport entre pur et impur.
Les analystes de sociét~ indienne enseignent que parmi les
critères généralement avancés pour particulariser ou singulariser les
groupes en présence dans cette société, l'opposition du p~~ et de
l'impur occupe une place clef. Ell~ sous-tend
la hiérarchie qui est
supériorité du pur sur' 1"impur
elle est, nous dit-on, le signe qui
sous-tend la division du travail social impliquant ainsi la séparation
des r ô l es ,
Si tout repose en Inde sur la dichotomie
pur/impur,
végétarien/non végétarien, en Afrique
ahélo-soudanaise et précisément
en milieu mande ~,
une telle disjonction ne caractérise pas fondamen-
talement le système des ordres mis en place.
Nous ne trouvons
chez les Ma1ink.é-Bambara~ ni d' intou-

-
251 -
chables, ni d~
tabous relatifs à la prmximité des relations quotidiennes
entre Horon et Nyamaka1a. Certes, 1& crainte
du nyama -, èt: de l'impureté qui
peut
en
résulter
est présente. Mais elle n'intervient qu'à propos
des alliances matrimoniales contractées entre ~ et Nyamaka1a
elle
n'affecte pas les relations quotidiennes. En outre, comme nous le
verrons, si le Nyama peut engendrer une souillure, il n'est pas à proprement
parler de l'impureté et véhicule bien d'autres connotations. Dans la mesure
où elle existe, la crainte de l'~pureté pourrait bien n'être qu'une
justification a posteriori de l'idéologie Horon. Et de toute façon, son
importance est en deça des significations que lui accorde la société fudienne.
3) La gradation. statutaire
----.;-_.---------
----._---_... ---~
- -
--------~-~-------~--------
On peut dire que chez les populations mandeng le principe général
de la stratification sociale repose, comme en Inde,
sur
une
gradation statutaire. La hiérarchie recoupe tous les rapports entre les
catégories sociales représentatives de la société. Les difierents groupes,
quelle que soit la prolifération de leurs subdivisions, sont engagés
dans un réseau de dis~inction et de gradation réciproques : chaque
élément se définit par l'ensemble de ses différences spécifiques et des
relations qu'il entretient avec les autres éléments dans le jeu de
rapports d;ssymétriques.
On retrouve une caractéristique du modèle indien ~ le groupe,
que la laxité du langage ethnologique appelle "caste", n'est pas-
défini
chez
les
Mandeng
en
lui-même
comme
un

-
252 -
signifié ou un signifiant, mais par l'ensemble des distinctions qui le si-
tuent
dans
le réseau des relations de complémentarité.
Si le système se caractérise par la relation dominante de
hiérarchie,
les relations entre groupes hiérarchisés
ne.doivent c~pen­
dant pas être considérées comme
entîèrement rîgidifiées. Elles sont
moins tendues
qu'en
Inde. L'explication de ce phénomène est
lié
au contexte culturel et psychologique propre aux sociétés de cette aire
culturelle. Pour la société mandingue, par exemple,
le modèle de
gemellité
ou théorie du double (Sanan~nya)
intervient
pour postuler
une cpmplémentarité entre Horon et Nyamakala et en même temps, comme
système de "déhiérarchisation". En effet,
le SananKunya que nous étudie-
rons à la section suivante
articule
l'ensemble des groupes dans un
système général où la totalité commande la situation des part~. En
mettant en ·oeuvre des mécanismes neutralisant symboliquement
les effets
de hiérarchie, elle
induit
une moindre différenciation sociale et
partant une distance sociale moins grande entre les groupes.
Au terme de cette brève analyse compa~ée de~ ~odèl~~ oe ~~
société indienne et de la société mandeng, nous cqnstatons que .les nombreux
traits communs n'excluent pas des divergences impo~tantes,
En effet, de nombreuses divergences séparent les analystes de
la société hindoue sur la signification et la caractérisation sociologique

-
253 -
de la caste et du régime des castes.
Nous ne nous poserons donc pas, avec les marxistes, la question
de savoir si les castes, avec leur rigidité,
leur
inamovibilité,
leur endogamie,
préfigurent des classes,
autrement
dit seraient
une formation de classes qui n'a pas encore toute sa maturité, des classes inach
vées, ainsi que l'affirme SF. NADEL
: "Lorsque le statut uniforme de
chaque caste est attribué de manière rigide sur la descendance,
nous
parlons de castes
;
là où le statut uniforme est basé sur des qualifications
acquises, permettant ainsi la mobilité entre les strates, nous parlons
de classes sociales" (1).
Àvec DUMONT, bien des analystes~· la société
indienne considèrent le système des castes comme une donnée culturelle
typique de cette société et
de
ce fait
introuvable
ailleurs
~ logique de l'ordonnancement de la société hyperstratifiée indienne, dit
l'auteur de l'Homo hierarchicus, ne peu~ être comprise en dehors des
représentations philosophico-idéologiques, des systèmes des normes dans
lesquels i l prend naissance.De fait on ne retrouve pas entre les groupes consti-
tutifs de la société mandeng une disjonction comparable à celle qui sépare les
Kshatriya, les hrahman, les vayshiya et les sudra ,
Les Nyamakala, malgré les projections négatives qui les chargent,sont loin d'êtr
considérés comme des catégories sociales exclues totalement -
des alliances,
du
rapport
quotidien
ni
même du pouvoir.
(1) S.F. NADEL,
1958, p. 1741

; '
-
254 -
De même que les Jon (captifs) participent
à
toutes
les
instances de la vie socio-politiî'le.
Cette absence de critère de disjonction statut-pouvoir
invite à renoncer à appliquer à la société mandeng le concept de caste.
Ajoutons
que
pour d'autres raisons que nous développerons au fur et
à mesure
.à travers des exemples concrets,
la théorie
sociologique des castes, appliquée aux sociétés de cette aire culturelle,
entretient des confusions.
Nous préférons formuler d'autres méthodes de lecture
susceptibles à la fois de refléter, de dépasser et de rénover les
représentations autochtones en vue d'une approche toujours plus étroite
de la réalité. Nous pensons qu'on ne peut analyser la situation originale
des sociétés de l'ouest africain qu'en les soustrayant
aux concepts
fétichisés de castes et de
classes
(1)
qui sont des interprétations
destinées,
dans bien des cas,
à asseoir les partis pris
idéologiques
\\. 1)·-
La résistance qu'offre cèS-:- sociétés à un:é interprétation en termes de
-classes- sociales, es~·manifeste. Elle ~e me sure mieux si 1'09 précise que
l'ordre soc...:.-i.àl n'est.
_, pratiquem~nt~~ontestéFt que les idéologies fJ" de
contestation s'y manifestent avec difficulté. Ces sociétés disposent en outre
de divers mécanismes de défense, c apab les de contenir d es flots
agités.
On
notera égà1emen~
que les conflits s'expriment plus au niveau des pres-
tiges et des pouvoirs qu~au niveau des richesses détenues.

- 255 -
de leurs auteurs. Ils s'insèrent très mal dans les réalités précoloniales.
Ces considérations sur la représentation des techniques
et
leur rapport à la pureté et au sacré, n'expliquent pas tous les aspects de
la segmentation de la société. Il convient donc de porter l'analyse des
représentations sur d'autres critères comme celui de la gémellité par
exemple ou théorie du double (sanankunya) qui offre l'avantage de montrer
avec plus de netteté la dynamique de la complémentarité sociologique comme
moyen de structurer toutes les couches de la société.

-
256 -
SECTION II
-
lA SANANKllNYA COMME MODELE DE COMPLEMENTARITE
SOC IOLOGIQUE
La lecture que nous faisons de l'organisation sociale des
populations mandingue à travers le modèle symbolique de la Sanankunya
ou théorie du double, tiRe
sa force et sa cohérence du fait que ce modèle
peut servir de grille d'interprétation à bien d'autres aspects de la
réalité sociale malinké-bambara : les rapports de fraternité,
les
relations inter-villageoises, etc. on peut également, si les circons-
tances s'y prêtent,
l'étendre à un faSceau de relations
ou de domaines
qui, a priori, ne semblent pas s'y soumettre J tels que les rapports
de l'homme à ~a terre( 1). Mais le fonctionnement du ~odèle exige
qu'il ne soit pas généralisé à toutes.les formes de relations sociales.
Pour qu'il puisse jouer pleinement et de façon rigoureuse,
il faut qu'il existe entre les éléments choisis des correspondances
symboliques afin que la complémentarité fonctionne par
transposition
d'un contexte
à un autre~
A - Fondement cosmo-socUlogique de la Sanankunya
Institution essentielle de l'organisation sociale mand~ng)
la Sanankunya est le lien d'articulation de tous les éléments constitu-
tifs de la société, et plus précisément des Horon et des Nyamakala.
Le primat du système symbolique,comme les mécanismes régulateurs,. repose
(1) Cf. TRAORE,
1977, p. 34

-
257 -
sur des principes découlant du mythe créateur auquel doit être rapportée
t oute- explication des
éléments sociaux (t).
Dans ".ff. étude sur les rapports de l' homme mandë ng
à son uni-
Vers (2) ,nous avons signalé que dans le schéma mythique, les hommes
naissaient par couple de jumeaux mixtes. La reproduction sociale s'effec-
tuait soit par l'échange des SOeurs jumelles, soit par l'union gémellaire
jusqu'au jour où le
sacrilège de~emba/Musso Koroni. vint
interrompre
ce processus. Il a fallu dès lors,
disent les exégetes
du mythe,
suppléer à cette loi naturelle de formation des ê~J.
Sans nous apesantir sur les déterminations particulières du
fallut substituer la cousine croisée cormne épouse préférentielle (3)
à la jumelle absente.
On est passé ainsi du modèle naturel, c'est-à-dire de la
geRellité pure, à un modèle conventionnel comme principe de reconstitution
du couple initial.
ra parenté
qui
existe entre le schéma de
l'échange des cousines croisées et les relations qui relèvent de la
sanankvnya
nous a conduit, du point de vue théorique, à concevoir
la
(1) Comme nous le verrons plus loin,
le sanankunya est un dérivé de la
gémellité originelle. Elle peut être analysée comme le modèle maximal de
la gemellité, Jes relations entre cousins croisés étant la gemellité
minimale.
(2)
cr. TRAORE
I977
(3)
cr. G'RImLE. I9-48, p. I95.

-
258 -
sanankunya ~e
une extension aux groupes de la relation entre cousins
croisgs. Il semble bien que c'est le modèle conceptuel de l'échange
conventionnel qui a été appliqué dans l'alliance sanankunya. On est passé
d'une distance sociale
minimale dans
l' khange des cousines croisées
à la distance maximale compatible avec le souci de maintenir l'identique ou la
complémentarité sociologique des groupes sociaux.
Cette hypothèse nous a été suggérée par les nombreux récits
sur l'origine de
la sanankunya
dans lesquels elle apparaît comme une réponse
à l'organisation segmentaire de la société.
En effet, la sanankunya
peut être cc~sidérée comme la réplique du modèle de
l'alliance préférentielle entre cousins croisés dans la mesure où elle est de~~
à apparier des groupes. cependant, elle diffère du modèle initial, lequel
est orienté sur le biologique
et
la
. parenté consanguine, alors
que, par définition même,la sanankunya s'écarte de tels liens
et
fonde
plut8t des relations de réciprocité entre partenaires, instituant
une
parenté sociale née de la volonté présumée des alliés initiaux
de vivre ensemble (1).
Un autre point différencie ces deu~ modes d'intégration
sociale. La "Sinankunya a une profondeur et une étendue qui déborde large-
(1) Initialement la sananll.unya appariait des groupes porteurs de même niûUU'
ou dévise servint à identifier chacun des segments de la société mandin
e.
Mais avec l'éclatement des communautés primitives manden5
et leur
dispers~n dans toute l'aire culturelle, il a paru nécessaire d'élargir
l'alliance à des groupes qui, initialement, n'étaient pas partie prenante
au contrat social. Cette dynamique relationnelle destinée à intégrer
davantage les groupes, n'a nullement porté atteinte à l'institution, elle
l'a
au contraire
vivifi~en multipliant le nombre des partenaires sociaux.

-
259 -
ment les rapports humains.
Elle a ses prolongements à la fois dans le
règne animal
~t
dans le domaine végétal. Entre les trois ordres,
humain, animal et végétal, elle joue
le rôle de système structurant
le social
par l'instauration des relations spécifiques
entre le premier terme et les autres. Ces rapports nommés
tana ou téné
constituent :un ensemble de prescriptions destinées à sauvegarder
l'intégrité des espèces animales et végétales (1).
Ii est dans la logique d'une société initiatique de pratiquer
une écologie sacrée que d'aucuns appellent totémisme. Dans la société
mandeng,
l'homme doit respecter le rythme de la vie universelle qui
amorce la création, il a des devoirs envers les animaux, les végétaux
et le milieu ambiant. En assoçiant .chacun de ses segments sociaux à un
type végétal ou animal, la société mandë.ng. . ne croit pas à une confus ion
originelle entre ces différents éléments. ce qu t e Ll e ch~rche, c'est d'empêcher
./
.
efficacement la destruction massive des espèces animales ou végétales (2) •
.
Ainsi, chacun des groupes porteurs de -d~1 sont liés entre
eux par des alliances,~ls le'sont également avec les animaux et les végétaux ~
des liens consacrés par les ancêtres fondateurs des groupes.
(1) Le tana ou téné comme dérivé de la sanankunya est une forme d'alliance
qui lie~ grou-pes de même j~ à des esp~ces animales ou végétales.
Il est assorti d'interdits alimentaires que tous les porteurs du même
jp' doivent respecter.
(2
Les Bambara et les Malinké croient V1 l'existence de lois précises qui
déterminent le comportement de l'homme face
au
monde environnant. La
violation de ces lois provoqu e
,dis&k.t ':-ils, des déséquilibres dans
la nature et dans la pyramide des forces qui la sous-tendent; des cata-
strophes ,telles que sécheresse ou
excès de pluie, peuvent en résulter.

-
260 -
Pour illuster ces types de relations, citons quelques
exemples : les membres porteurs du
j~1 Jara
(qui signifie également
lion) sont non seulement alliés à l'ensemble du groupe porteur d~ .jamu
TC'ivo.w,lé auxque ls ils doivent s ec our s et ass istance en tout es circonstances,
mais ils sont par ailleurs liés aux lions qu'ils doivent protéger.Deleur c6té,les
Trawawét..·se doivent
aux
J ara
et d'autre part
ils doivent veiller à
la protection des panthères. Les uns et les autres ne doivent jamais porter atteip
-te -scüiliünë:nt -~r ~_tré _dU. ~CE leur aitie _~nimal ou '.Égétal) . IL en va de même
doivent
des SalMké ( littéralement éléphant mâle) qubl"protéger la vie des éléphants.
Les Tangara sont chargés de défendre les hyènes, les Keyita/l'hippopotame
etc.
Il est courant que les uns et les autres endossent la responsabilité
des actions c:oumises par leur "dou ble" E..!!!.!. Ains i, s' il arrive qu'une
hyène vole un cabri dans le Kounari, les Tangara-de Barbé
paient la
valeur du cabri.
ra lcgique de la sanankunya postule de ne pas couper les véq t.aux n' importe œmrent; ni
é
n'importe quand. On ne chasse ni ne pêche n'importe où, n'importe comment
ni n'~porte quand. Il y a des calendriers à respecter pour l'exercice de
certaines activités : la pêche, la chasse, la coupe du bois, l' axtraction des
minerais, le labour, bref tout obéit ici à des prescriptions normatives
que tout le monde doit respecter. Cette forme d'écologie sacrée est un des
traits caractéristiques des sociétés initiatiques africaines. On ne doit
pas détruire sans raison apparente les espèces qui participent au bien~
être social. chaque espèce animale ou vég~tale a un cycle de vie à parcourir
en vue de son objectif final. L'homme doit
veiller au bon déroulement
de ce cycle.

- 261 -
L'alliance sanankunya comme on le voit, intègre dans un
vaste système de correspondances
biologiques, la totalité des êtres
animés. Ce faisant, elle devient l'agent principal, le facteur dynamique
de la régu lat ion du vivant et du social... rappelant ainsi le principe
de g~ellité qui est la raison d'être et la fin de tout ce qui vit et se
perpétue.
APrès avoir dégagé le fondement cosmo-socUiogique du modèle
de la complémentarité ou théorie du double, voyons maintenant comment
s'organise le système d'alliance au niveau du social, comment à travers
un registre plurisignifiant les mécanismes régulateurs, les symbolisa-
tions interviennent et enfin comment tous ceS processus se complètent
et s'opposent.
B -Symbolisation et dynamique des rapports sociaux
Le principe de la sanankunya CODlDe fondement de
la division
sociale des rales,
joue
partout pour faire que chacun s'accepte comme
l'élément partiel d'un tout tenant son essence de sa complémentarité avec
celle des autres. Avec ses fondements mythico-historiques, la sanankunya,
grâce aux mécanismes de régulation sociale mis en oeuvre pour soutenir
le proj et de société: , permet à
chacun
d' intérrorrser
sans ambiguité sa condition sociale. Mais l'intér~t du modèle de
la sanankunya, par opposition à la complémentarité proclamée par l'idéo-
logie brahmanique, c'est qu'il met l'accent sur une complicité originelle,
grâce à laquelle la société a pu passer de l'uniformité à la diversité,
du projet mythique à la réalité historique.

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- 264 -
TUt.rJtAJ1A
DIAGRJlJ'IIME DES PRINCI PALES RELATIONS DE
SANANKUNYA

-
265 -
depuis des temps reculés.
a) - Symbolisation des rapports sociaux
Pour comprendre la symbolisation de la société à travers ce
modèle du double, il est nécessaire de s'arrêter sur une séquence marquante
d'un récit de la genèse où la géographie du corps de FhRO va servir de
schéma à l'organisation spatiale et segmentaire des populations de la
vallée du Niger.
Nous avons vu à la suite de la transgression
introduite
par le couple antithétique Pemba-Muss okoroni , le SébaSd.
0&4
Sétigi, l'Etre suprême, réagir en sacrifiant l'autre jumeau B\\RO en vue
de le purifier. Puis l'ayant ressuscité, il le propulsa sur notre
planète dans une arche contenant les premiers ancêtres des Horon (1).
Cette antériorité mythique du groupe Fbron va servir d~
grille d'interprétation du système hiérarchique. En effet, il est dit
dans le mythe
que l'autre partie constitutive de la société mandeng,
les Nyamakala, ne sont discernables qu'en étant appréhendés comme lambeaux
de cette substance corporelle originelle de Faro, autrement dit de
son sang (2).
D'où l'explication de la
.mnankunya entre Horon et
\\.'
Nyamakala. Les uns et les autres sont placés dans une relation d'inversion
tout en étant considérés conme des jumeaux. Complémentaires les uns des autres,
les BOron doivent toujours donner la représentation de ce que les Nyamakala
(1~ Cf. DJETERLEN, 1955
(2) Le sang symbolise ici le double, cette partie de soi-même qui est
chez l'autre, à savoir le partenaire social.

-
266 -
ne doivent jamais être et inversement.
1\\
AUtrement dit, "être l'envers de l'autre marque bien à la
fois, et d'une autre façon,
la gémellité primordiale et la complémenta-
rité fondée d'une part sur le rencrcement à ce que fait l'autre et d'autre
part
sur l'identification à ce que n'est pas l'autre" (O.
La sanankunya,comme on peut le constater, est reconnaissanCe
d'une complémentarité et en même temps disjonction ou bifocalisation
des termes ou partenaires sociaux.
Parmi les nombreux récits dérivés du mythe fondateur de la
société et qui racontent l'origine de la !ènankunyaJcitons en quelques-
uns pour illustrer le phénomène (2).
1°) Une légende très connue enseigne que lors d'une bataille
meurtrière, lesï"l""we:lé ont été sauvés de justesse grâce à l'intervention
d'un renfort de Koné ou Jara
(3). Les représentants des deux groupes
firent serment (sygné ou joo) de s'entraider en toutes circonstances.
L'alliance (joo) fut concrétisé par l'échange de sang entre les deux
ancêtres. Depuis, ils sont devenus desiPo-gnogon-ya : ceux qui ont conc lu
.
(1) SMITH (Pierre) 1973, p. 47~
.
\\
.
(2)Nous attirons l'attention suz le fâit que dans la soc(été malinké-b_àra,il
y a t rés souvent, pour le même' événement, et:' ceci pour des raisons fort
diverses, non pas u~mais une multiplicité d'cxplications~~emythes.
C'est une des caractéristiques d'une pensée qui est d'essence pluraliste.
Les exemples cités ici ne constituent donc pas des vérités
partagées par tous les membres de la société.
(3) Certains ~ mandë ng.
ont un doublet ou plus parfois. Ainsi le -JQIIIlU
Traoré a pour aouble.tDembélé ; Koné correspond à '
à KGnté ou Kondé ;
DÜl"ttbla. donne : Sissoko, pour les hOllllles et Damba chez les fenmes. De
même Ke~~ a pour doublet Konaté pour les hommes et souko pour les
c
..._

-
267 -
un jll' un pacte, c'est-à-dire des Sanankun.
20) Un autre récit de cette origine de l'alliance nous est
donné par référence à une confusion originelle. Il est très répandu
dans l'aire culturelle
mandeng.
L'exemple choisi concerne les Malinké
du Mali et plus précisément
les porteurs des~ Ke'lj~ (Horon) et
Il est dit dans le récit qu'une femme keyita et une femme kuyaté
mirent deux bébés au monde le même jour dans une même case.
Comme le voulait la tradition de l'époque, les parturientes devaient
observer une retraite d'une semaine. Mais avant ce terme un incendie vint
détruire la case ; les mères
périrent, les
nouveaux~nés furent sauvés.
Dans l'impossibilité d'établir leur identité respective, on se résigna
à les répartir au gré du hasard entre les Keyita et les Kuyaté, en prenant
toutefois soin de prescrire la prohibition des liens matrimoniaux entre ces
deux lignages, afin d'écarter un inceste éventuel (1)
Selon une autre formulation du récit, les avis étaient partagés.
Une partie des .anciens
aurait donné le nom de K..-ùyaté à l'un des bébés et celui
-
de Ke1~a à l'autre.Par prudence dit-on l'autre partie des anc~tres aurait
réservé Sa décision en faisant prévaloir que les lois de l'hé~édité se mani-
(1) Ce thème de la confusion originelle se retrouve également chez les
Jakhanké sous-groupe mandeng
du Sénégal oriental entre les
j~ Kaba
et Qlirassi.

-
268 -
festeront tôt ou tard et que sera considéré comme Horon ou Nyamakala
celui qui se conduirait comme tel. Cette sagesse triompha finalement.En effet,
celui à qui on
avait
attribué le
jamu KeyU:a se révèla conme un griot-
jeli, alors que l'autre par son comportement social se fit reconnaître
Horon.
3 0 ) Nous trouvons également chez les Bédik du Sénégal oriental
(1)
un récit de fondation de la société qui est en même temps celui de la
sanankunya ~
rend compte de l'articulation des deux moitiés
as sure.ut
la chefferie (Key~a qui sont Horon) et la prêtrise du terroir
(1<d..mara
généralement Nyamakala) 0
un jour les Key.'ta arrivèrent au pied de la montagne et
s'installèrent là, en pleine brousse; ils n'avaient pas de village. Les
Kamara leur proposèrent de monter vivre aU village à leurs côtés. Mais les
Ke~~a hésitèrent. Pour les convaincre, les Kamara leur offrirent le comman-
dement du village' les Key~a en retour leur offrirent le co~ndement de
la brousse. C'est ainsi que les KEy~ta, grâce à leur longue accoutumance
4AAJC.
animaux et t/.w:: plantes de la brousse, ont apporté au vi llage
l'élevage et l'agriculture. Tandis que les Kamara habitués à vivre au
village ont pu découvrir les techniques et mattriser toutes les activités
ayant trait à la brousse telles que : chasse, initiation et ~fection des
masques destinés aux cérémonies religieuses (2).
(1) Les
Beaik sont un groupe minoritaire qui a subi l'influence de ses
voisins mandeng
Ils ont adopté depuis longtemps d~s noms malinké.
(2) cf. SMITH 1973, p. 469

-
269 -
b) La dynamique des rapports sociaux.
Des multiples thèmes destinés à sanctionner la ~anankunya
entre les groupes porteurs de
jamu, on peut retenir de manière générale
l'échange qui ajoute quelque chose à la complémentarité des fonctions.
Dans tous les cas, nous trouvons la mention du double renoncement qui
induit que chaque partenaire avait initialement droit à la fonction de
Re
l'autre et qu'i1ytient la sienne que du renoncement de l'autre partie.
Le modèle symbolique enseigne que chacun, en renonçant à Un
domaine aU profit d'un autre, applique ses aptitudes
à
d'autres secteurs au bénéfice du bien commun. En opérant sur deux
registres complémentaires : celui du
Jarnu d'une part et celui de la
division du travail d'autre part, la .sanankunya postule le rapprochement
de deux termes, de deux entités aUx aptitudes différentes et complémentaires,
faisant ainsi du renoncement mutuel à ce qui sera le domaine de l'autre, le
paradigme qui assure le fonctionnement de la société (1).
A partir d'une telle symbolisation des rapports sociaux, il
est aisé 1e comprendre pourquoi l'institution est présentée comme "un
calque, un négatif de soi, un double, une copie". Si une telle représenta-
tion"s'inscrit dans le même champ que les représentations cosmo-biologiques
dans lesquelles elle s'insère pour donner une configuration particulière
aUX
multiples liens qui unissent
le social et le cosmos, elle est vécue de
façon c~ncrète pFeS ~e11e n'est . pe~sée. Et dès lors, la sanankunya joue un
rOle semblable à celui de la fête : il n'y a pas de société sans renoncement,
mais la fête ou le griot libèrent du renoncement.
(1) De la même façon qu'il a fallu renoncer à être à la fois homme et
femme après le sacrilège Pgmba1MussokoTooi.

-
270 -
Scellée par l'échange du sang des ancêtres qui ont contracté
l'alliance, l'institution postul~ des droits et des devoirs entre partenaires
\\
sociaux. Entre .sanankun Haron par exemple, l'assistance mutuelle
!le manifeste en
toutes
circonstances :
pendant la saiSon
de
culture, les partenaires peuvent solliciter le concours des uns et des
autres; à la guerre, ils se prêtaient main-forte
et,
s.' ils se trouvaient
dans des camps opposés, ils devaient. évitër de porter atteinte à l'intégrité
physique du partenaire ; de même si tiri-sanankun -~était faitcaptfi ,i.r-----
devait être délivré ou "racheté"par un double symbolique.
dont les ancêtres ont pactisé, la san~nkunya
entre Horon et Nyamakala,
-.....-
outre ses fondements cosmologiques, repose sur le consensus de la
société toute.ent:tè-re.
Comme nous le verrons dans l'étude de la dynami-
que sociale (section IV),
le
jeu
social
exige
que la Nyamakala soit le sanankun naturel de l'ensemble des groupes qui se
réclament de la Horonya. A cette
fin,
il
bénéficie
du privilège de
(o
l' inviolabi lité. Ainsi,
le Nyamakala qu' il soit ~ (travai !leur de
métaux) ou ~ (spécialiste de l'art oratoire),
. joue
le rôle de
médiateur, d'arbitre et de censeur entre les différents segments du groupe
majoritaire Horon. C'est là un des traits distinctifs des deux niveaux du
modèle de la compl~entarité.
(l )~CNo1ARA (S).
19~ G,
194-230~235.

-
271 -
En effet, la simple intervention du Nyamaka1a suffit à apaiser
le climat tensionne1, et cela qu'il soit ou non en relation de ~anankunya
avec tel ou tel membre de la société. Il en est pas ainsi pour le aanankun
Horon lequel n'a d~ l'emprise que sur son partenaire syrnoo1ique (1).
Quand on analyse de plus près certains aspects des relations
du modèle symbolique, ce qui retient d'emblée l'attention, c'est le jeu
qui veut que l'un des partenaires soit le "martre" et l'autre le captif.
La ~;anankunya fonctionne sur un principe dissymétrique qui
introduit un critère de hiérarchie impliquant qu'un des partenaires soit
le ''martre'' et l'autre le "captif". Dans ce j eu symbolique, chacun
réclame la qualité de martre. Dans le cas des T~I'ClweJi et des Koné ou Jara
par exemple, la dissymétrie repose sur le fait que l'un des partenaires,
en l'occurence les Koné, fondent leur primauté sur le fait qu'ils furent
les sauveurs des To,'fWO",e/t. Ceux-ci à leur tour développent diverses
anecdotes pour réclamer le titre de martre. C'est sur un tel registre
que jouent les plaisanteries échangées. Mais en fait,
le martre symbolique
est celui des partenaires qui est en position de faire plus de dons
qu'il n'en reçoit de l'autre.
Ce jeu n'est pas Sans importance pour l'intelligence du
statut des membres de la troisième composante sociale : les ~ En effet,
(1) Les Nvâffiêka1a en tant que sanankun naturel des Horon, ne participaient
pas à la guerre. Si il leur arrivait d'être sur un champ de bataille,
c'était pour exciter les combattants de leur camp. Sauf accident, ils
ne pouvaient tomber sur un champ de bataille ; de même, ils ne pouvaient
être réduits en captivité,a fortiori être vendus.

-
272 -
devenait Jon celui qui n'était plus en mesure d'assurer sa liberté, son
Horonya, soit parce qu'il ne pouvait pas rembourser une dette contractée,
soit que le sort des armes luiéllait été défavorable. Dans chacun des cas,
il était tenu de payer
de
sa propre personne la perte de son Horonya.
Entre ce débiteur absolu qu'est le Jon et le débiteur symbo-
lique qui est du même rang que son créancier, se situe le Nyarnakala dont
la condition inférieure résulte de la règle selon laquelle le
rang
est
lié
au
don.
Ne dit-on pas en terme de boutade,
qu'il reçoit toujoors sans rien donner en retour?
Dans cette vaste fresque totalisante que constitue l'alliance, un aspect
a retenu l'attention des ethnologues. Il s'agit de la plaisanterie
injurieuse ~u insulte institutionnelle accompagnée de railleries et autreS
"pai llardisef' entre les Sanankun. Ce phénomène ou plus
exactement cet épiphénomène, a donné naissance dans la littérature ethno-
logique à ce qu'on appe Ll.e comnunément "parenté à plaisanterie".

-
273 -
En fait, les plaisanteries qui sous-tendent les relations
de sanankunya s'inscrivent dans le même regis tre que la parodie "maître"
et "captif". Elles visent à atténuer la raideur du système hiérarchique,
,
à décompartimenter la stratification sociale, bref à neutraliser les
effets excessifs de la structure hiérarchique. Tout Nyamakala ou tout
~ankun d'un souverain peut s'adresser à lui en termes familiers, aucune
limite ne lui est assignée hormis cell~ que la décence impose.
Le critère de la plaisanterie, tout en occupant une place
non négligeable dans la ganankunya, a été parfois privilégié par rapport
à l'essentiel qui est la complémentarité.
Il semble que c'est à Marcel MAUSS que l'on doi~e l'introduction
du terme "parenté à plaisanterie" dans la littérature ethnologique en
France (1). Tout porte à croire qu'il s'agirait de la traduction de
l'expression anglo-saxonne jocking relation-ship, créée par LOWIE alors
qu'il étudiait les rapports domestiques dans les tribus indiennes
(1) MAUSS (Marcel),
1927, 3, p. 421

-
274 -
Crow,
Blackfeet, Id at s a , Winnebago etc.
(U.
Ceci dit, c'est à MAUSS que revient la théorisation du
phénomène. rl a dégagé les indications qui tendent à replacer le fait
de la Iiaisanterie dans un cadre plus général. L'auteur, après avoir étudié
les mécanismes liés à la plaisanterie entre individus (société
aus t r a-
lienne), les rattache aUx rivalités entre phraties, groupes qui comme on
le sait, sont constitués de parents classificatoires. Puis dans une
analyse structuralo-fonctionnaliste, il oppose d'une part
la parenté à
étiquette caractérisée par le respect,
les devoirs,
l'évitement, et
d'autre part un type de relàtions qui fait intervenir la détente, c'est-
à-dire la plaisanterie. Une telle dichotomie suggérait donc une fonction
d'équilib~e qui ne pouvait être comblée que par une complémentarité. Enfin
MAUSS achève la construction de son modèle en intégrant le phénomène
de la parenté à plaisanterie
dans une théorie générale de la réciprocité
faisant de l'échange des propos injurieux la contre_partie,
l'autre face,
en un mot,
le
revers
de
l'échange
des
femmes
et des biens de toutes
sortes qui contribuent à la cohésion des groupes.
A partir de cet essai de synthèse, on a décrit sous la
rubrique "parenté à plaisanterie 11 des phénomènes fort divers
et considérés
-
~ - - ~ ~ - - - _ . -
---~--.....,..------_._-
~è-distincts par les populations étudiées, au point qu'on se demande si
cette extension n'a
pas
fini
par
enlever
toute

-
275 -
crédibilité à l'usage du vocable.
Il existe. par 'exemple, chez les- populations mand~ng
diff é-
rentes relations sociales qui secrètent de la plaisanterie. Il en est
àînsi _ des rapports entre cousins croisés ou béni-denya, des relations
entre petits-fils et grand-parents (modenya) ,entre oncle maternel et
neveu utérin (bérin-denya), entre membres d'une même classe d'âge ou
flan-ya. De même qu'il existe des relations de détente entre beaux-frères
et belles-soeurs appelées niymogo-ya. A chacun des niveaux,
la plaisanterie
est codifiée.
Dans la sanankunya, la rlaisanterie n'est qu'un épiphénomène: il est donc
des autres systèmes
de symbo-
- -~.- -~--
lisation comportant de la plaisanterie. Avec ses prescriptions positives
(secours, assistance mutuelle, etc ••• ) et négatives (prohibition de mariage
entre les alliés) la sanankunya est l'expression symbolique et convention-
nelle de la position relative des groupes et des individus dans les
relations ou situations sociales.
Certes, nous n'entendons pas assimiler le symbolique au
conventionnel, car dans une pensée initiatique
ces deux modes d'identi-
fication relèvent de registres différents. Il n'en reste pas moins que la
convention répond à un besoin
d 'équi l i br-e
des relations
sociales dont les agencements sont soumis à de perpétuels réajustements

-
276 -
et doivent pour cela même faire l'objet d'aménagements spécifiques, de
même que la fonction symbolique, outre sa signification régulatrice, doit
servir d'armature à l'expression du Sens donné à la sociabilité organisée.
La sanankunya ,
tout en reconnaissant la valeur particu-
lière de chacun des alliés, instaure dans la communauté le point de
rencontre d'une convergence
marquée par le geste de l'alliance,
et d'une "divergence" inscrite par la prohibition des mariages entre
sanankun Horon et
entre
Horon 'et Ny~akala,
( ) complémentarité fonctionnelle et prohibition des alliances
On peut dire de manière générale que la logique de la
Sanankunya veut que les relations sexuelles entre sananku~ soient probi-
bées, car, dit-on, elles seraient incontestablement incestueuses et de ce
fait provoqueraient chez les coupables la sanction du nyama (ou surmoi)
~---
- - - - -
La théorie du double enseigne
que ceux qui participent à
l'alliance sont égaux, chacun des partenaires . étant perç~ comme le produit
d'une totalité de "forces", d' "énergie" à laquelle un élément étranger
a été ajouté. La complémentarité est inhérente au système dans la mesure
où chacun possède la part qui manque chez l'autre. Mais aussi dans la mesure
où chacun manque
une part possédée par l'autre: le système, pour fonction-
ner, nécessite en quelque sorte une case vide et l'addition qui la supprimerait
doit toujours ~tre impossible,
. ---~---~---~._------
L'interdit matrimonial entresanankun Horon et entre Horon et Nyamakal

-
277 -
trouve alors son explication dans l'application particulière à la
sanankunya
du modèle général de complémentarité qui prohibe comme inces-
tueuse
l'union des semblables.
Union préférentielle
des cousins croisés et interdit matrimonial
entre sanankun
sont deux modes d'alliance fonctionnant de façon symétrique
mais inverse sur l'opposition entre biologique d'une part et sociologique
ou symbolique de l'autre. Les cousins croisés, les beni-den
font comme
s' ils n'étaient pas
frères et soeurs pour pouvoir Se marier, alors
que les groupes Horon et Nyamakala
s'interdisent de contracter
mariage pour faire comme s'ils étaient du
même groupe.
Or,
la proximité biologique des cousins croisés est aussi réelle
que celle des groupes Horon et'NY~akala est fictive (1).
Dans le cas des cousins croisés, la société ne respecte l'exogamie
qu'en oubliant la proximité réelle; dans celui des groupes sanankun , elle
justifie l'endogamie en postulant une proximité fictive, de sorte que
l'alliance
Sknankunya devrent alors l'institution qui marque la transition
"
du système
clanique" vers quelque chose d'autre qu'on peut appeler
"système d'ordre".
La question qu'on peut se poser finalement à propos de la
Sanankunya est comment deux semblables
. peuvent se
compléter en renonçant de part et d'autre à échanger des femmes. A quoi
U) cf. SMITH : ..;r965

-
278 -
peut
servir
une
complémentarité
excluant
l'alliance
matrimoniale
quand
on
sait que l'union est incontestable-
ment l'institution par laquelle les groupes cherchent justenent à s'as-
surer de
solides alliances? Formulée ainsi, l'interrogation ferait
apparattre l'alliance comme une institution à efficacité limitée.
Hais si l'on regarde
~ l'alliance
dans sa totalité
et non pas à travem,quelques aspects, on s'aperçoit qu'il n'y a pas
d' incompatibi lité foncière entre l'absence d'échange des femmes et
de- rap-
ports entre partenair~s..
La prohibition du mariage entre !!anankun Horon
et sanankun Horon et Nyamakila , lo!n d'être une norme aberrante,ré suIte de
la
logique mAne du système régulateur des rapports entre les
différents Sanankun.
~fet. _
les sociél::és' traditionnelles afri-
\\
caines en général et mandeng
en particulier, l'échange des femmes
aboutit ,à une association qui garem:it à chaque instant le pouvoir des
dOD1leurs de fe.aes sur ceux qui ell sont prelleurs, et inversement, le
pouvoir des preneurs de feumes sur"ceux qui les leur donnent •.datte. tr\\q:~cAt101
.
OU iJldiseernabtl1té 41Ue fonde le modèle de La 96tJelltt6 lIlintmale, dort être
~_.'
~
:+···r~~·':

" . . . . . ,
--..
>.".
• •
• • •
. ' - " . . ' f
,. 1
)cxtzt...·+·~·'.:.e.é·n ..·'· ~~~:"'_",--ooI..,.'
.
écartée dans- la:''"s8n~·,·!E1Î effet,1: sanankunya,cœme nous avons-pu-
.
.,
le voit"ydans les différents thèmes qui racontent son origine, joue sur
un registre~qui tout en étant fondé sur l'incertitude - car aucune des
parties n'est sare d'être réellement soi-même, elle pourrait tout aussi
bien être l'autre - tend à y supp1éer. De ce jeu symbo lique décou lent
7
......f:-···

-
279 -
plusieurs manifestations.
Lorsqu'il arrive, par exemple, qu'un Sanankun
por-
tant par inadvertancE
son habit à l'envers et
rencontre un de
ses partenaires, ,il
doit
lui
remettre le vêtement.
Une telle symbolisation atteste
une
des
formes
de l'
altérité.
dans
laquelle
l'autre et l' envers Se rejoignent.
Si mon sanankun peut
ai~si être considéré comme un autre moi-même,
mon alter-ego, c'est reconnartre en même temps qu'une alliance matrimo-
niale ne saurait nous unir.
Pour mieux nous comprendre, prenons par exemple le caS du
neveu utérin qui est dans ce système social une des pièces mattresses
des interférences entre deux groupes alliés matrimonialement. Si l'appa-
rition de tels individus dans les rapports entre Sanankun Horon soulève
moins de problèmes, ill/.'en seraltpas de même dans le c as d'une alliance
entre Horon et Nyamakala ou Nyamakala et Horon.
ISSUS des deux éléments constitutifs de la société,les groupes
qui en résulteraient
seœaf.ent;.. nettement avantagés
par
leur
emprise
sur
chacun
des
partenaires
sociaux.
Une-,_
--7-_,~_~
généralisation de l'alliance matrimoniale entre
Horon et Nyamakala
se présenterait davantage comme une rupture des forces en présence, comme
un déséquilibre au profit des neveux utérins ,elle œrait disfB,raitre la symétrie
qui est aU coeur même du modèle de la complémentarité, à savoir le renon-
cement aU domaine de l'autre comme signe de reconnaissance de soi.

-
280 -
pe rm i s
Dans cuelle mesure ne pourrait-on pas dire que c ": st cette ccmpl.émer.t.ar Lt.è qui al
~ passage de l'alliance
des clans à l'alliance
des" ordres"? Si on
retient une té11e hypothèse, on pourra formuler i a pensée ma1inké-
bambara en ce domaine, comme une négation de la relation due1le pure
par l'introduction d'un renoncement qui fonde une différence permettant
à la relation entre Horon
et Nyamakala
de se maintenir et de fonctionner.
cette différence "contractuelle" au départ mince et susceptible pat
conséquent de disparaître avec le temps,
a fait l'objet d'un approfondisse-_'
ment. Mais à trop la creusa::, on risquait de la voir aboutir à la définition
purement négative d'un des termes et finalement à son absorption
par
l'autre.
c'est peut-être contre cette tendance que s'èst inscrite
l'idée que le Nyamakala en tant que sanankun n~turel du Horon est à
l'inverse du Jon (1) membre à part entière de la société sans laquelle la maj o-
rité Horon ne peut rien entreprendre: guerre, mariage, conciliation,
arbitrage, purification etc.
ne peuvent avoir lieu Sans Sa médiation
symbolique et réelle.
Cette dialectique du mouvement social postule finalement
plus de complémentarité que de réciprocité entre les termes du couple
lL2XQ!!~yamakala. La pensée malinké-bambara traduit du reste as s ez
(1) Le.1,on (captif) ou son descendant wolosso.tout en étant intégré dans
la soci~ ne pwt
être électeur dans lei consei 1s de vi llage et de
~. Il est considéré mythiquement comme un non existant et idéologi-
quement comme untnonpersonne. Cette négation n'est cependant pas poussée
jusqu'à l'~xtrême. En effet sur le plan juridique, il n'avait pas que
des obligations, il possédait aussi des droits reconnus comme te1s~ far
exemple, se constituer un pécule grâce au travai'l qu'il effectuait pour
s on propre compte en dehors- du, temps légal cons acré au mattre. Bien
souvent, ~1 devait son "rachat", sa libération'..
versement à son
mattre~de tout ou partie de ses zevenus ,

-
281 ..
clairement cette dialectique par la référence au métier à tisser qui,
par la coordination des divers mouvements alternatifs qui l'animent,
devient le symbole de "la marche du monde et de la personne" et principc-
lement le modèle de l'harmonie universelle. C'est ce qu'exprime la
métaphore suivante : "la pens ée (Horon ) et la r éf Lexfon CNyemaka La) ne
peuvent pas faire leu~ travail ensemble: il faut que l'une soit arr~téf
pour que l'autre marche" (1).
~ terme de cette analyse sur la complémentarité sociolo-
gique dans le cadre de la Sanankunya, nous devons nous demander si la
démarche que nous avons suivie a tenu ses promesses. En effet, nous
cherchions,à la suite d'autres auteurs,à projeter un éclairage nouveau
sur la structure sociale mandtng
, avec l'ambition d'en dévoiler la logique
interne à l'aide de catégories et de schémas fournis par le mythe.
Une telle utilisation du corpus mythique bambara-malinké,
nous a conduit à reconnaître dans les deux niveaux d'alliance
Horon er, tre eUX
et
et entre Horon, Nyamakala, des conventions qui expriment
symOOliquement
les valeurs qu~ à travers un champ
social préfonné, régulent les relations sociales par la formation d'un
consensus coume fruit du compromis résu ltant des tendances qui peuvent
entrer en conflit avec un certain ordre social.
(1) CISSE (y) 1973, pp. 166 et sv.

-
282 -
Nous avons passé sous silence de nombreux aspects de
la sanankunya
dont le trai~ement aurait alourdi notre analyse, tels
que les pratiques "cathartiques" ou le symbolisme du "maître" et du "captif".
C'est dire que nous sommes loin d'avoir épuisé tout le
contenu de significations du modèle. Un approfondissement des thèmes
mythiques s'avère cependant nécessaire afin d'expliquer pourquoi c'est
autour de la gémellité que tourne l'ensemble des rapports unissant
le social et le cosmos. Pourquoi ce travail d'unification du dehors
et du dedans? Pourquoi enfin la recollection dans l'espace et le temps
des diverses parties du corps de Faro fixe-t-elle la loi
-
d'intégration de ce qui vit et meurt?
Si en l'état actuel de nos connaissances
sur la société
malinké-bambara pré-coloniale, il est difficile de répondre à autant
de questions, on peut néanmoins proposer quelques éléments de réponse.
A notre sens, cette référence constante au double liée à
toutes les articulations de la pensée manda:ng
repose sur le fait que
les jumeaux réalisent l'idéal brisé par la nécessité de la vie sociale
(sacrilège de Pemba/Musso koroni). Ainsi
le double est le seul modèle
que la pensée sociale considère comme
susceptible de réaliser
la ~énitude du perfectionnement éthique et spirituel,

-
285 -
rapports sociaux,
ces
productions
ne reflètent
finalement qu'une partie de la praxis.
Dans la section suivante, nous tenterons de dépasser les
productions symboliques en insistant davantage sur le dynamisme de la
st ratification sociale.

- 286 -
Section III -
Dynamique sociale
Notre ambition n'est pas de reconstituer ici l'histoire du changement
social, ni de déterminer les stades ou étapes de l'évolution de la société
mandeng. Ce que nous cherchons à comprendre, c'est la saisie du jeu des
mécanismes internes qui provoquent les mutations sociales, c'est-à-dire la
dynamique des structures et des systèmes à travers leur composition, leur
fonctionnement et leur maintien. Il s'agit donc de dégager autant que possi-
ble les schémas intellectuels qui rendent compréhensibles l'ensemble arti-
culé des rapports sociaux dans l'ancienne société mandeng, en montrant
comment la structure idéologique a rendu possible un modèle de pouvoir.
Il est bien évident que nous ne pouvons pas prétendre retrouver
toutes les pièces de l'histoire de la dynamique sociale malinké-bambara.
Mais nous pouvons par contre tenter d'expliquer pourquoi la division de la
celle des
société en catégories sociales: Horon , nymakala et jon
s'est perpétuée
une fois constituée. Il ne s'agit donc pas de rechercher les causes exactes
de la genèse des groupes en présence, ni la manière dont cette division est
née. Car, toute explication de ce type se fonderait sur ce qui existe ou
a existé, c'est-à-dire sur une signification déjà disponible. Elle ne peut
donc nous renseigner comment et à partir de quand, les hommes se sont
concertés ou
ont
agi les uns sur les autres pour produire d'une part
la division du travail social et d'autre part la sécrétion des dominants et
des dominés. C'est dire qu'on ne peut reconstituer ce qui est constituant de
la société.
Aussi la manière la plus opérationnelle pour analyser la dynamique
sociale, à travers le système des ordres mis en place par la société
malinké-bambara sera d'identifier quelques repères historiques (1)
et tenter
une
approche sociologique globalisante qui cherchera à expliciter la logique
des inter-relations entre les groupes sociaux.
1) Notre analyse concerne plus particulièrement la période qui va du XIII G au
XIX G siècle

-
287 -
Les horon
sont tous ceux qui avaient comme attribut essentiel
la production des biens vivriers, autrement dit les agriculteurs. Puis
avec la complexification de l'organisation sociale, émergence des chefferies
kafo ou kafu, et plus tard l'empire èJ Mali et les royaumes successifs,:
Ségu , Kaarta, Bissandugu, on assiste à un éclatement de ce noyau. Cette
atomisation a produit le groupe des guerriers ou ton-tigi
et plus tard
l'aristocratie des Massaren et Massari
(1).
Le second groupe , les nyamakala,
se définit, comme nous le
savons, dans son rapport au sacré et à la profession.
Quant au dernier groupe, celui auquel est assigné les tâches
serviles, il comprend les j~ (captifs) et leurs descendants wolosso
(nés dans la maison) •
L'examen de chacun de ces groupes et surtout de leurs relations
montre que cette division correspond à une représentation de la société
en couches superposées suivant une hiérarchisaton verticale et linéaire,
cette hiérarchie fixe en quelque sorte simultanément le séparation et la
complémentarité. Par la hiérarchisation, les différents groupes reprodui-
sent les sîgnes de leur distinction, et c'est cet aspect de la hiérarchie
quî sera le plus conscient parmi les acteurs sociaux. Mais la complémenta-
rité parce qu'elle est inhérente au système, suppose que chaque ordre
se situe au sein d'une collectivité
plus large.
Nous allons examiner le processus de dynamique sociale à travers
les relati~ns triangulaires que nous connaissons déjà.
1)
les titres aristocratiques-, mansa-ren et massasi
sont apparus respective-
ment au~ XIIIo et XVII ~ siècles. L'un et l'autre signifient "souche de
roi", "enfant de roi". Ils sont portés par les descendants Keyita et
Konaté
de la famille de Sunjata, fondateur de l'Empire du Mali, et ceux
qui à Ségu se considêrent comme appartenant à la lignée des rois qui y ont
régné à savoir les Kulubaly et les Jara-ngolo si

-
288 -
A - Les nyamakala
En schématisant à l'extrême, et au risque de formuler une tautolo-
gie, nous pouvons avancer la probabilité suivante, à savoir que sous
l'empire des nécessités liées à des conditions historiques, la société
a été contrainte de procéder à la division sociale du travail et partant
la production des nyamakala
comme une réponse parmi tant d'autres
à la dynamique sociétale.
Une telle hypothèse nous est suggérée par la configuration sociale
de nombreuses sociétés soudanaises. En effet, comment expliquer que dans la
plupart de ces sociétés, la catégorie d'hommeslibres non liés à la profession,
tels que horon
chez les Mandeng,
Ger chez les Wolof, etc •• constituent
de loin la majorité numérique des populations.
Pour répondre à une telle interrogation, des hypothèses ont été
avancées pour expliquer l'origine des nyamakala.
Des historiens comme Charles Monteil ont soutenu la thèse selon
laquelle ce que nous appelons nyamakala
serait un groupe issu de Noirs
autrefois judaisicés. La même hypothèse a été également avancée par
_
Mauny
quant à l'origine de ce qu'il appelle les groupes castés d'Afrique
occidentale (1). La thèse de l'exogénéité des nyamakala
est également
affirmée dans les récits des traditionnalistes islamisés qui font du Yémen
le berceau antique des manipulateurs de nyama (2).
A vrai dire, ces spéculations sont toutes hasardeuses. Elles ne
reposent sur aucune analyse historique conséquente •
certes, nous ne disposons pas de données historiques susceptibles
d'étayer rigoureusement notre hypothèse. Mais celle-ci a le mérite, nous
semble-t-i~ d'être davantage plus vraisemblable que l'ensemble des thèses
avancées jusqu'à ce jour. En effet, divers indices militent en faveur de la
1) MONTEIL (O'l L
1951, p. 265~298 1 MAUNY
2) cf. ZEMP
CH) . 1
: 1966, p. 611"642.

-
284 -
Enfin, la force d'un modèle comme celui analysé ici, tient
"sa cohérence ••• (des)...
contraintes propres du champ qu' il c omnande,
.,
et le fait de ne pas se référer à une sorte de complicité entre jumeaux
ou de solidarité entre doubles
peut être considéré comme tout aussi
significatif que le fait inverse pour la définition d'un ordre social.
Les rapports humains, en effet, doivent être déterminés d'une certaine
façon avant de pouvoir être exploités de plusieurs manières et il faut
voir que si, avec les idées
comme avec la langue, on peu t faire tout,
du pire et du meilleur,
la symbolisation des rapports humains joue par
contre sur un registre aux possibilités limitées et dont aucune n'est
exempte d' ambigurt és" (1).
c'est dire que la lecture que nous venons de faire à travers
la théorie du double ne doit pas être considérée comme une analyse
satisfaisante de la réalité. Elle n'est ni le reflet des configurations
sociales déterminées par une quelconque géographie, ni une pure ration-
na1isation du système social en fonctionnement. Il n'empêche que le
modèle a permis d'éclairer bien des aspects du jeu social chez les
Mandt.ng.
En définitive, les productions symboliques destinées à
cautionner un ordre social, tout en étant importantes pour la compréhension
de nœibreuses manifestations sociales .,ne rendent jamais compte de toutes les
interactions et de tous les facteurs conflictuels~
. Faute de considérer les fondements mêmes des
(1) SMITH,
1973, p .489-490

-
283 -
La gémellité en tant que préfi~ration de la normalité,
constitue pour ainsi dire le modèle
que l'homme et la société doivent d~pas-
ser:tOl.lr le retrouver u1. timement. Car l' humanité, pense-t-on, passe par trois pal-
lie~ dans la marche cyclique de son existence. La phase première est
marquée par l'alldrogynie imposant
à 1'intérieur même de la personne une
symétrie et l'équilibre des sexes ; la phase terminale est le retour à
une androgynie équivalente mais accomplie entre l'homme et la divinité
bisexuée (Faro). Entre c es deux extrêmes, se situe le hiatus occupé par
la vie sociale, sorte d'imperfection passagère et néanmoins nécessaire~où l'ap-
partenance sexuelle est clairement désignée par le renoncement à l'autre sexe.
"Car, le ressort de la vie sociale se trouve dans la 5 i t uat i.on
qui est offerte dans la complémentarité des sexes, à laquelle on ajoute
le renoncement symbolique et la reconnaissance mut~elle ,que marquent
la circoncision et l'excision d'une part, les relations entre cousins
croisés, d'autre part.
Enfin,
à l'autre bout du système, nous avons le renoncement effectif ~aboutissant
à la spécialîsatioI)6es fonctions économiques et sociales et
ài. une complé-
mentarité . traduite en termes de Heron et de Nyamakala.
Comme on peut le constater, c'est finalement à travers le
schéma de reconstitution du corps de ~ (être androgyne) que se trouve
expriméela loi sociale qui offre à chacun des éléments constitutifs de
la société
"une surface de repérage où il puisse s'anticiper" (1).
(1) ADLER et CARTRY
1971, p. 45
..

- 289 -
thèse de la complémentarité (1). Il Y ô
'abord l'institution de la
sanankunya et ensuite le jamu (patronyn~
comme signe de l'identification
des différentes fasya(groupes) •
-
L'institution du jamu (patrOnj0') n'est pas un phénomène fortuit.
Le jamu, comme l'expliquent les produc~i ns imaginaires qui s'y attachent
-
(anecdotes, légendes,etc.) intervient o ar.s le champ des relations
sociales en vue d'indiquer, de spécifiey les fonctions des membres de la
société selon les rôles qu'ils accomplissent dans la production des biens
essentiels à l'existence sociale.
Avant la complexification du t~ssu social, à la suite des boule-
versements liés à la conquête et à la ccnstitution des
grandes formations
politiques mandeng, on distinguait les j~ propres à
'2
chacun
des
groupes constitutifs de la société. c'est ainsi que les horon
(groupe des
agriculteurs) portent des'~ comme: tarawélé, ~, nyaré, samaké
,
keyita, etc. Les'nyamakala
ont principalement pour jamu : kanté, kuyaté
"
'
jabaté, danté ,~ané ,etc. (voir le tableau ci-après) •
. P«>ur une meilleure approche d.e la répartition socio~fonctionnelle,
il convient toutefois de s'arrêter un moment sur le tableau de la page suivant~
En effet, comme on peut le constater, certains j~
traditionnellement
réservés au horon : keyita, tarawélé, koné, konaté, samaké, etc. sont égale-
ment portés par certain~nyamakala.
- Les explications données à ces emprunts sont nombreuses et parfois
contradictoires. Il semble toutefois que l'adoption de jamu horon
par
certain~~ala
relève plutôt de l'opportunité. En effet, la condition
et le statut du nyamakala
font l'objet de protection particulière. Dans
l'ancienne société mandeng précoloniale, les nyamakala
bénéficiaient de
1)
IJ""n~"f~t surtout pas confondre notre distinction entre modèle de la
sanankunxa
et le type de stratification plus complexe (système des ordresr-
comme une d~stinctton d'ordre chr-onologique. Si nous avons repoussé d'em-
blée l'évolutionisme, ce n'est pas pour y retomber ensuite. La distinction
qui est farte ici n'est en fait qu'une distinction de système, un moyen de
découvrîr quelques-uns des mécanismes qui ont pu jouer pour aboutir à la
transformation d'un système dans l'autre. A vrai dire, il y a une loi
d'accumulation qui joue. Le nouveau ne détruit jamais totalement l'ancien.
Il y a superposition des modèles.

-
290 -
HORON
NYAMAKALA
~
U)
1
~
w
~
H
~
c:;
~
...:l
Z
E-<
~
~
~
H
::J
Z
1-)
c..!'
r:r..
-<
BAGAYOGO
+
BAL
+
BERETE
X
-
BOMBOTE
+
CERO
X
DABO
DANTE
+.
DEMBELE
X
+
DUMBYA
®
+
FANE
+
FOFANA
+
FOMBA
+
JABATE
+
JAKITE
X
JALLO
X
JANE
X
JARA
X
-
JAWARA
e
+
+
ltABA
X
KAMARA
6)
+
KAMISSOKO
+
XANTE
+
IŒYITA
X
-
mITA
+
KONATE
X
mHE
KULUBALY
Et)
+
lWMARE
+
KURUMA
+
KUYATE
+
MAGASUBA
X
~OU
+
MARIKO
G)
+
NYARE
X
.SAKO
+
SAMAlŒ
X
SANKARE
X
SANOGO
X
smIBE
x
SISSE
X
SISSOKO
e
+
+
SOGORE
+
SOMANO
+
SYLLA
+
TANGARA
X
+
TARAWELE
X
TOGOLA
TUNKARA
X
+
-
TURE
X
X
Jamu Boron
+
Jamu Nyamakala
@
Jamu Nyamakala > Haron
Jamu BqrQn > Nyamakala

- 291 -
l'immunité et de l'inviolabilité. Ainsi, ils ne pouvaient être réduits ni
en capti f s \\ion) ni être -m.is à mort en cao/ie dé f a Lt;e de leur communauté,
après une conquête militaire. Et il semble bien, quE 20rs des nombreuses
expéditions militaires que connut
cette région du continent,
certains horon
n'ont pas hésité à se faire passer comme nyamakala
afin
d'échapper à la captivité
ou à la mort (1).
De manière générale, les explications et les justifications données
par la tradition à propos de la génération des nyamakala
qui portent des
jamu horon
ou qui l'ont perdu, mettent en cause les mêmes mécanismes. Il
s'agit tantôt d'une fraction horon
qui s'est scindée en vue d'assurer
une complémentarité fonctionnelle à un moment déterminé où la conjoncture
l'exigeait, ou bien alors c'est un segment horon
qui tout en conservant
son jamu
originel s'est vu contraint à exercer une activité de nyamakala-ya
(jeli-ya
activité oratoire du1eli"numu-ya : travail des métaux,
garanké-ya :pratique de la cordonnerie et de la tannerie, etc.),
Les différents récits qui retracent l'émergence de~nyamakala ,
enseignent
finalement que le procès de formation de ce groupe s'est
poursuivi
tout au long de l'histoire des Mandeng, En effet, tous les
nyamakala n'ont pas reçu leur statut à la même époque, mais une fois le
cadre institutionnel fixé, celui-ci
a pu recevoir de nouvelles applications
à des époques ultérieures, Tel est le cas, semble~t-il, des jabaté qui
-
sont actuellement les généalogistes des ker±ta, descendants du fondateur
" '< '.
,
de l'Empire du Mali (2), L'origine des jabaté selon diverses sources, se
trouve résumée:1ans la légende de deux frères :"Dan-'Muséi', ulamba et- Dan",Musa
u-lani 0), Cette légende serait, dit-on, une justification a post~ori
d'un fait historique intervenu au XII4
siècle, en l'occurrence la contrainte
'\\.', ,. " "';
, ,.
imposée à une lignée ~lé (celle de 'Dan,'Musa 'U'-lamba) de porter le jamu
.
Q. ,\\\\~':" ",'" '"
'.~ ,-, ••-;
jahaté et partant devenirnyamakala tjeli) au service de la collectivité •
. .
'"
"
'\\.'
1) Selon certaines tnformations reC\\J.eillies lors de nos enquêtes sur la
genèse de ],:~~pire du Mali, au début du XIII Q siècle, i l ressort que lors du
siège du Sasso par 1 ',~ée de SUnjata Keyita, de nombreux horon se seraient
faits pasSërC"qmIl1e, J+yamakala,
....--
2)
Au temps de Sunjata ,
les gén~a~oçt~t~s,des Keyita étaient les kuyaté.
3) Concernant la légende de Dan Musa Ulamba et dê Dan Musa{}l:ani r lire
Sidtbé (M'
~ I959, n" 81, p~ 14-17,

-
292 -
B - L'inst::ution de la captivité ou jonya
Malin~,
et Bambara, faut,il le rappeler, ne sont pas seulement des
population~ profondément imprégnées de croyances IDysti~~es, Ils furent
également c, s conquérants, des bâtisseurs d'empires. Er, effet, parmi les
facteurs d~ concentration politique chez les Mandeng, lé guerre, le kélé
a joué un rôle détermînant comme en témoigne l'énorme production littéraire
consacrée aux récits épiques,
,
,C.) Guerre' et 'capt:tvt-té
~amp privilégié des affirmations viriles, la guerre en tant que
structure cynamique et dimension politique fut l'essence même de la société
mandeng pré-coloniale. Pour comprendre la valorisation èe ce fait social,
il faut le rapporter, nous semble,t-il, à l'idéologie èe la "société
initiatique", dont la pédagogie accorde une grande importance à l'élément
courage (dusu) dans la formation
des hommes • Cette formation a par ailleurs
pour corollaire
d'îns~ituer à l'intérieur de la société mandeng un parti-
cularisme propre à chacun des groupes et sous-groupes à travers l'élément
"superstructural" qu'est la 'fasya,
Mais la guerre
con~e comme politique ~térieure de la société
mandeng ou pour l'un de ses segments, si elle se rapporte de manière géné-
rale à la politique întérieure, à ce qu'on peut nommer son conservatisme
intransigeant·exprimé dans l'incessante référence au principe de la fasya ,
répond également à la figure des 'autres ," c'est-à-dire à tout ce qui est
étranger au N'ko
qui donne aux Mandeng la représentation de leur identité
- '
-,
-,
en tant que Nous ~tl-~,-,
Dans l'idéologie mandeng, la guerre, le kélé
est le champ d'acti-
·vité par excellence. rI est l'affaire de tout homme courageux lcéfarin}.
-. "
',,'
'-,
"", '-.:' "
Mais le courage'dusu
ou la bravoure~fa~tnya , tout en étant considérés
comme des qualités strictement personnelles sont cependant dans le système
de représentation et d'interprétation de la société en relation avec les
positions statutaires et les prÙlcipes qui leur sont attachés,
En effet, chez les Mandeng, les individus sont socialement définis
par leur naissance qui les rattache à une f~ et par celle-ci à une
'\\
'
catégorie sociale : 'beron ou nyamak~la
qui jouit de prérogatives institution-
nellement définies, Ainsi la guerre est avant tout l'affaire des horon •

-
293 -
Quant au groupe Djamakala , du fait de la divis cn
sociale du travail,
i l ne peut pas
p~~rticiper de manière active et cirecte aux activités
guerrières qui s oi.t; créatrices de héros mais au ::i de vaincus et par voie
de conséquence de captifs, de ~'(1)
L'importance des j~
dans la société r.andenq précoloniale mérite
qu'on s'arrête un moment. Si l'on se réfère auxve cch Lve s sonores"
de la
tradition des nyarnakala
et aux témoignages des auteurs arabes du Moyen-Age,
les activités guerrières dans les pays sahélo-sGudanais comme source
principale de production d'esclavage jouèrent U:. rôle décisif dans la
constitution des formations politiques
(Ghana, r·1ali et Songhay)
qui ont
tour à tour dominé la région.
Dans le récit de la genèse de l'empire du Mali, WaaKamissoko
apporte des révélations qui nous éclairent sur ~e développement de l'esclavag '
à cette époque chez les Mandeng. Selon ses sources,
la conquête du Manden
(pays malinké)
par Sumaworo Kanté aurait pour oeigine le refus des chefs
politiques malinké, les M~ qui étaient à la tête des Kafo
de s'associer
à lui.pour lutter cont~e le fléau de la jonya
et plus précisément
contre
l'emp~~= Soninké
du Wagadu.
(Ghana).
Le wagadu, puissance dominante de la région avait,
semble-t-il
transformé les contrées soumises à sa juridiction et précisément
les pays
mandeng en réservoir d'esclaves afin de pourvoie à la fois à l'extraction
de l'or du Bambugu, mais également pour alimenter le marché méditerranéen en
main d'oeuvre servile. C'est en réaction contre de telles pratiques
qui
dépeuplaient l'aire culturelle de ses forces vives, que Sumaworo, après avoir
mobilisé les ~-forgerons et constitué une puissante armée, aurait
entrepris la conquête du wagadu
après le refus d'alliance des Mansa du
Manden gui tiraient profit de l'esclavage~ (2)
1)
Signalons quelques exceptions à la règle énoncée ci-dessus.
Dans l'empire du Mali, l'une des plus célèbres figures de l'appareil
guerrier était Numu. Il s'agit de Fakoli dumbya ou Kuruma, neveu du roi
du Sosso. De même à Segu, sous le règne du faama monso jara, i l existait une
unité de combat (kélébolo) constituée exclusivement de nyamakala
• Nous
trouvons également dans l'armée de Bisandugu (empire de Samory)
de
nombreux nyamakala •
.2) Notons que Sumaworo après avoir mis fin à l'hégémonie du Wagadu , se retour
ne contre les Mandenka
qu'il vainquit et se proclama ensuite premier Mansa
du ~anden unitaire, concernant cet épisode de l'histoire du Manden, vo~
Waa Kamissoko
(I975).

-
294 -
b' Facteurs constitutifs de la jonya
Le mot jon
ou plus exactement l'idée de jonya
(état de captivité)
couvre chez les populations mandeng un champ sémantique très large. La
ionya n'implique pas une forme particulière d'appropriation. Elle peut être
soit communautaire, soit domestique.
Il a existé chez les Mandeng différentes formes de captivités.
Ainsi on rencontre des captifs affectés à la production des biens vivriers,
des mineurs, des piroguiers, des captifs commerçant~manda~s par le maître
o~ maa-tigi , des captifs guerriers, bref, il y a eu dans le passé autant
de formes de captivité qu'Il y avait d'actMvMtés à exercer.
Bien qu'il existe une diversité dans les formes au'elle recouvre, la
jonya
renvoie cependant aux moyens de sa production. En effet, l'état de
captif se rapporte à un acte initial qui marque son origine et qui
consiste
à
détacher un individu d'une forme sociale détermin~;,~rvue de
sa transformation en son contraire
(~~nya).
Chez les populations malinké-bambara, ce qui est nié dans la ~'
c'est
la personnalité juridique déterminée par la fasya.
C'est l'homme de
telle origine
(~i} , de tel nom (j~u), en un mot
sa liberté
(horonya),
entendue canme autonomie réelle, comme "maîtrise des conditions de sa
réalité"
(1).
Ainsi la jonya
signifie la dépossession, la privation de
toute attache permettant l'identification sociale d'un horon. Elle est
en somme la transformation du h~ron
en son contraire, c'est-à-dire en jon (2).
Jadis, pour qu'il y ait réellement captivité, il fallait nécessaire-
ment que la rupture
du capturé, du banni avec ses rapports d'origine soit
approfondie de façon à créer une personnalité désocialisée.
par l'éloigne-
ment, on complétait ainsi le processus de transformation réelle du jon en
ruinant en quelque sorte toutes ses chances de réinsertion dans ses rapports
d'origine.
1)
BAZIN (JJ
I975_ p. 140.
2)
cnez les Malinké-Bambara, en dehors de la guerre, des réductions en capti-
vité avaient lieu par voie judiciaire, en répression de certains crimes et
parfois même pour un non-paiement de dette.'~r la vente, on éloignait ainsi
à jamais les indésirables. De telles sanctions n'intervenaient qu'après
épuisement des moyens destinés à faciliter la réinsertion du déviant dans
la communauté. Du reste,
elles ne concernaient, semble-t-il qu'une
infime minorité.

-
295 -
Q)mme on le voit, l'état de captc i t.é ne résulte presque jamais
v
d'un processus interne de différenciation ~ociale. Il est toujours le
résultat d'actions situées en dehors de 12 société d'accueil. Mais
essayons de cerner davantage le statut d~~ jon
dans la société mandeng.
c~
Représentation ~déologique du jon
Dans la pensée mandeng, le jon est assimilé à une non-personne.
Objet d'appropriation collective ou domestique, il est à ce titre rangé
dans la même catégorie que les bilakoro, les incirconcis, il relève des
biens meubles. Il peut être vendu, mis en gage, échangé ou simplement
figurer dans le catalogue des biens entrant dans une succession.
Dépossédé de l'ensemble des attributs qui constituent la personnali-
té -mog~ya- , le captif ne peut légalement rien posséder (1). Tout ce qu'il -
-
peut acquérir tombe généralement dans le patrimoine du maître, De même
s'il arrive que le jon
se marie avec l'accord du maître, ou maa- tigi,
sa
progéniture revient au maître si l'épouse est
également
sous la
dépendance de celui-ci. Dans le cas contraire, c'est le maître donneur
d'épouse qui hérite des enfants. Il convient toutefois de préciser que le jon
n'est pas pour autant l'équivalent d'un alieni juris de la société greco-
romaine. En effet, avant la dégradation générale de la condition des captifs
avec le développement de la traite atlantique, le maître ne pouvait pas
exercer sur lui n'importe quel sévice, a fortiori pouvoir disposer de sa vie
comme bon lui semble. S'il arrivait au captif d'être l'objet de traitements
inhumains, le laada lui donnait la possibilité de changer de maître.'fbur ce
faire, il lui fallait sîmplement marquer sa volonté en infligeant une
blessure symbolique à l'oreille de l'enfant du maître qu'il s'est choisi ou
sur le cheval de celui-ci, L'un ou l'autre acte suffit en principe pour
engager l'opération qui doit conduire à son transfert
à celui qu'il s'est
choisi, moyennant bien entendu une compensation.
Dans la société mandeng, les ri~eurs imposées aux ~ concernaient
davantage ceux de la première génération, ceux qui viennent d'ailleurs.
Elles s'estompaient au fur et à mesure de leur îns~rtion dans leur famille
'"
",
-, "
"
'\\
' ' ' ,
'."'
l)A noter que jadis pour achever la dépersonnalisation du 'jon, on le privait
de son nom de fam:tlle, de son 1amu. Il recevait un nouve~prénom qui
exprimait sa véritable:"conditio~
Lorsqu'il é:Ea:i.1affr~chi et intégré, i l
_.
pouvait prendre le jamu
de sa famille d'accueil.

-
296 -
d'accueil. ce n'est qu'avec la séconde génération de j~ appelé wolosso,
à savoir "ceux qui sont nés dans la maison" que s'amorçaient véritablement
la socialisation et l'intégratio'.
(1).
En effet, le wolosso tout en étant
soumis au jon-laada
(règles qui ré~issent la condition de l'esclave), ne
pouvait plus en principe être ve'du, ni faire l'objet de traitements
comparables à ceux que subissent les jon
de la première génération.
'Dans la plupart des cas 1 on peut dire qu'au fur et à mesure que
s'accroî.t l'intégration du'jon,
i l obtient progressivement certains privi-
lèges.
Le Jon affecté à la production des biens de consommation se voyait
--
autorisé à cultiver un champ personnel appeléjon-foro en dehors du temps
',' '
consacré au travail dtt~oroba (ctamp collectif). Il pouvait ainsi se
constituer un pécule destiné à lui assurer une certaine autonomie. Et, en
,
accord avec son ma~tigi, il pouvait ainsi racheter sa jonya
moyennant
remise d'un pécule et partant,retrouver sa libertéhoronra, tout en étant
considéré comme membre à part entière de la famille, Il était même courant
'--"
de voir des jon
affranchis accéder à la t~te de leur famille d'accueil.
Enfin, quelque puisse être l'infinie variété des types de jon, ils
relèvent tous d'un même état. Dans la société mandeng, selon les époques et le:
circonstanGes, ils ont toujours rempli des rôles en fonction de leurs capaci-
"
,"'
"
tés personnelles. Ainsi leS' wolosso
ont pris une part active dans l'appareil
politico~militaire du Mali, de Ségu. Ils sont également représentés à tous
les niveaux
déterminants de la vie sociale et plus précisément dans les
institutions initiatiques où ils avaient pour tâche principale la formation
des futures hommes de la société,
hl question de l'esclavage,de la jonya, nous place au coeur des
événements qui vont bouleverser la configuration de la société mandeng depuis
la fin du Xllo
siècle jusqu'au début du XX o siècle. Nous savons que l'émergenc 1
-,
1)
Selon certaInes sources, la, j?nya s' é~~~t. au bout de quatre générations.
Le -j~ pouvait dès lors retroum son. hori>'nya"
sa liberté ~
"
'
2)
Il convient de si:gnalerqu~ lejon avait une marge
d'autonomie économique
par rapport aux membre iloron
de Son groupe d'appartenance, car leur
production était ïntégraTêment affectée au,'forOba.

-
297 -
des Mandenk4 (habitants du Manden)
sur la scène politique de l'ouest
africain est liée aux événements
historiques
(guerre de Sumaworo)
du xrrr o
siècle et que le pouvoir mandenka en se cristallisant dans un appareil
politique guerrier a produit l'empire du Mali(l). Nous savons aussi que la
traite européenne en relançant au xvrr o siècle la production esclavagiste a
renforcé l'organisation d'Etats guerriers~ tels que Segu ,ou entra!né.
d'autres formations politiques
existantes dans cette voie.
Chez les Mandeng, l'hégémonie de ~ sous le règne des
Ngolo-si
s'est traduite par une production massive de ton destinée d'une part à la re-
production de l'Etat guerrier et d'autre part à la demande extérieure de
main-d'oeuvre.
Qes deux phénomènes sont dialectiquement liés à l'histoire de
Ségu. L'entreprise guerrière ou ~ par l'accumulation des hommes assurait
le renouvellement et l'élargissement de l'appareil étatique, par la vente
des jon elle permettait à l'Etat de ségu de s'approvisionner en fusils,
chevaux, etc.
(2).
Ainsi l'état de guerre, en faisant des vainqueurs
et
des
vaincus,a produit les j~
comme catégorie sociale privée de leur horonya,
de leur liberté. Cette production va bouleverser fondamentalement l~s
rapports de complémentarité instaurés entre les horon et les nyamakala. Dans
toutes les formations politiques qui ont occupé l'espace mandeng, les jon
ont été contraints d'exercer certaines activités réservées jusqu'alors aux
seuls nyamakala
ou à des corps spécialiséseL
L'état de guerre a finalement eu pour conséquence de faire perdre en
partie au jamu
sa signification originelle (3). Les exodes et les répartitiono
autoritaires des populations selon le bon vouloir des conquérants, tout
camne la captivité qui n'a épargné aucun groupe mandeng, ont bouleversé la
configuration de la société. Ainsi le conflit~ le kélé
devient l'un des
- - ,
instruments de la dynamique sociale en créant des coupures, des ruptures, des
clivages au sein de la société. Le problème de la dynamique sociale illustre
d'une certàine manière l'hétérogénéité des couches sociales d'une même société.
1)
Cf. Nr~ (DT)
r960.
2) Cf. BAZIN (J)
' .
r975, p.
135 à 185
3)
A noter que le horon
devenu j~ perd en général son jamu. De nos jours
encore, le jamu
reste réellement significatif que ponr certains groupes
nyamakala qu'il identifie comme tel.
rI s'agit des Kanté, Kuyaté, ~~até,
Danté, etc.

-
298 -
Aux incer~itudes des liens sociaux toujours complexes, le conflit fait
succéder une clarification, il opère une analyse pratique des rapports en
les transformant en rapports de force
(1).
L'action conflictuelle s'exprime
à travers des rapports d'incompatibilité partielle ou de contradictions entre
les acteurs sociaux. Elle se nourrit en se manifestant par des effets et des
incidences de l'action du temps sur la société.
A Ségu, par exemple, l'état
militaire a transformé autoritairement certains jon en pseudo nyamakala ou
en corps spécialisés. Tels furent le cas des roroba-fula
(Peuls publics)
chargés de la garde du bétail royal ou en somono
(piroguiers)
affectés à la
flotte de guerre,
Ce qui parait constant dans l'~istoire des Mandeng à partir du Xlllo
siècle, c'est une certaine permanence èes hiérarchies et des stratifications
sociales. En effet, au-delà des différences de régimes politiques
(Mansa-ya et
fama-ya)
(2),
l'émergence d'un pouvoir central et la stratification sociale
ont progressé conjointement, de sorte eue ces deux phénomènes seront étroi-
tement en corrélation.
Lorsqu'au Xl11° siècle s'est constitué, au Manden, un pouvoir centra~
englobant l'ensemble des kafo, son organisation s'est effectuée d'abord comme
réaction à la menace du dehors, c'est-à-dire aux conquêtes militaires du tout-
puissant Sumaworo, roi du So_o, puis comme cristallisation institutionnelle
dans un appareil politique guerrier né des bouleversements sociaux dus aux
activités militaires du Sosso. Bien que peu renseigné sur les agencements
sociaux précédents,il semble toutefois que l'émergence d'un pouvoir "supra-
kafo" a eu pour résultat d'introduire d'autres formes de stratifications qui
recouvrent celles qui existaient initialement sans les faire disparaître
totalement.
Dans le Manden
unitaire , on assiste en premier lieu au développemer
d'un système d'ordre avec la prééminence des tontigi, détenteurs du pouvoir
politique et guerrier et à la subordination des nyamakala
qu'ils protègent
et entretiennent.
En second lieu, intervient une modification des rapports de force
entre les qroupe s à la suite de l'expansion territoriale due·' aux conquêtes
de Sunjata (qui s'est traduite par la domination des keyita mansaren sur
l'ensemble
d~s groupes~
1)
ANSJ.\\RT l f').
19.77, p.
118-119
2)
cette question sera traitée au paragraphe suivant.
1._"""',
. : t
_
·~_.of..:: ..~_'
.;;r.-. . .~'!'...._,

-
299 -
En troisième lieu, se produit une codification institutionnelle
des rôles et des fonctions dévolus à chaque catégorie sociale. Nous avons
- Mamuru shi cé luru : les cinq lignées de la famille de Sunjata comme déten-
trices constitutionnelles du pouvoir,
- Mori Kanda luru : les cinq familles maraboutiques, Bérété, Jané, Sanogo,
Sissé et~,
- Ngaara naani , "les redoutables", comprenant
- Numu, (travailleurs des métaux) ,
- Jéli et Finé
(spécialistes de l'art oratoire),
- Garanké
(travaillems du cuir)
- Wolosso (descendants d'anciens captifs chargés notamment du maintien de
l'ordre, de l'encadrement de la jeunesse, guerriers, etc.),
- Tonta-jon tan ni woro (les seize jurés de la cause commune), comprend
l'ensemble des hommes libres chargés d'assurer la sécurité du Manden (1).
Dans l'empire du Mali, cette gradation à la fois statutaire et norma-
tive insérée dans l'idéologie de maintenance va fixer cette situation histori-
que en codifrant les privilèges, les foncti~ns et les devoirs de chaque
groupe. En s'imposant à la société comme logique de son fonctionnement, à
laquelle elle ne saurait renoncer sans détrurre radicalement son ordonnance-
ment, la structure statutaire
se perpétue de deux manières: d'abord organi-
quement, c'est-à-dire dans la mesure où les rapports sociaux qui la supportent
sont restés inchangéJ:)ensuite de manière idéologique à travers la persis-
tance des normes dominantes, lesquelles en imprégnant tout l'édifice social
sont intérIorisées par les différents acteurs sociaux.
Il y a toutefois dans le système d'ordre de la société une dialecti-
que malgré l'importance des statuts assignés aux diverse f~. L'apparente
rigidité du sytème social est compensée par l'institution de la compétition
et par l'existence de statut5à conquérir afin que les frustations suscepti-
bles de nattre de la rigueur de la division sociale
n'engendrent pas des
mouvements sociaux qui pourraient affecter le dé~ulement normal du jeu socia:
1) Selon Waa Kamissoko, cette codification correspond à une complémentarité
conceptuelle. C'est ainsi que le sommet de la hiérarchie Ukeyita mansaren)
est assimilé à la tête, les marabouts et l'ensemble des doma, des hommes du
savoir, à la pensée et à la réflexion ; le~ nyamakala (j;;;; naani ) repré-
sentent la bouche et les yeux (j~li~, ~es bras et les jambes de la société ;
les guerriers symbolisent le corps et l'espoir du Manden.
2)
O1ez les Mandeng ~ la dynamique sociale doit être analysée comme une zuptiur e
dans là cont:i:nuité, mais aussi comme une conjonction d'événements provoquan~
une transformation profonde et assurant en même temps par d'autres moyens
la, continuité.

-
300 -
En
faisant donc place à une certaine mobilité sociale fondée
davantage sur le mérite personnel (1) 1 le système d'ordre s'est donné en
quelque sorte des soupapes de sûreté destinées à contenir les tensions nées
de la fasya
et de la rigidité des pr~ncipes hiérarchiques.
Enfin, la dynamique sociale e5Î~e l'expression de l'historicité,
de la créativité sociale s'est traduite tout le temps par le contrôle des
hommes. Nous allons donc examiner comment ce contrôle s'est effectué chez
les Mandeng et quelles sont les figures qui symbolisent ce contrôle.
c - problématique du pouvoir chez les Mandeng (2)
Dans la société mandeng traditionnelle, les différentes forces qui
se sont manifestées en vue de contrôler les hommes et d'édifier des entités
politiques se recrutent de manière générale dans le group~horon.
-
L'examen du groupe 'l'toron montre qu'il s'agit d'une couche hétérogène -,
composée de deux moitiés au moins : celle qui exerce effectivement le
pouvoir, les cnefs'CMansa ou massa, faama (l), dugutigi)
et celle qui a la
1)
Jadis on ëvaluait socialement les individus en fonction de leur courage et
de leur habilité au travail
(de la terre) et
au combat indépendamment des
hiérarchies
établies. La guerre c~éait des héros sans distinction de
naissance ou d'origine. Le jon pouvait devenir un chef de guerre (kélé-tigi)
ou un personnage important,.dans les affaires publiques. Dans l'équilibre
instable des groupements horon, les jQn accédaient à des responsabilités.
Formant l'essentiel de l'armée régulière, ils devenaient souvent les gou-
verneurs
(cerafinba, farba, ou faama) des régions conquises. On notera
également que les ursupations de p~ir qui ont marqué l'histoire mandeng
sont le fait;. de-'J2
affranGhi,s, tels que -sankura e~ santbti. pour l' empire
?U Mali et ngolo;ta:"a pour S~.
2)
Les réflexions qui. sont livrées ' , '
, .
.
1C1 S 1DScr1vent dans une étude
l
- ,
rale du pouvoi.r traditionnel, manden
. c e '
p us gene-
chez les Maltnké etle$ Bamb
d g · .
trava11, la gramma~re du pouvoir
-------
. ~" _,
a-ra
u Mal1 sera disponible très prochainement.
l.}
Selon plusfeurs sources
"·i~e ~ .._. --
.
kafo traditionnel. Il a p~ parP.tUV01~tdU ~sa ne dépassait pas le cadre du
---.,
a SU1 e s exercer au-delà de l
.
id'
prem1ere. nuant au pouvoir du faama
'il s '
1
' .

a Jur
1ction
sa vocation réside dans l'él
~' qu.
o~t d Or1g1ne 1nterne ou externe.~
~__~__---:-_-=-:==-=-~~a~r~g!:1~ssemen!- 1ncl~_;1ni .c:le2on a...? sise_tez:..~_itor ial~..-'
1
1
!
If1~

- 301 -
maîtrise des symboles sacrÉs ou dugulen (1). L'histoire cu pouvoir dans
cette socîété se résume en quelque sorte dans la telatior qui associe ces
deux maîtrises.
La généalogie des ceux figures chargées de l'orgê~isation de
l'action normative de la société révèle en effet que chacune è~s maîtrises
est apparue à des époques èîfférentes. Le groupe dugulen
se réclame d'une
autochtonie qui remonte généralement à l'ancêtre éponyme qui a scellé
l'alliance avec les puissances tutélaires (dassiri) du territoire. Cette
allianc~,véritable
charte de fondation du groupe, confère aux descendants
du fondateur des droits inaltérables sur tout le territoi~e relevant de
l'alliance sacrificielle. Ces droits leur donnent une mait.rise complète sur
l·espace social et politique aussi longtemps que des événements extérieurs ne
viendront pas remettre en cause ces droits fondamentaux.
En fait, la remise en
cause des droits acquis par les dugulen
interviendra très souvent. Dans cette aire culturelle, trois grands empires -
(, Ellia.JlA"__lidl,..i.,,.~!:-:cSonqh~y)
et les Etats militaires (Ségu, Kaarta, Bisandugu.i:~~
qui se sont disputés le contrôle des hommes ont profondément remodelé le
contenu des différents paysages sociaux.
Au risque de trop simplifier l'analyse, on peut àire que le brassage
continuel des populations a abouti à une redistribution permanente des
pouvoirs généralement au profit de nouveaux venus (2).
Les matériaux recueillis lors de nos enquêtes attestent à travers de
nombreux exemples historiques que "l'odyssée du pouvoir prend naissance dans
la translation du fait de
pOstérité à celui de la supériorité"
(3). Chez les
Malinké par exemple, nous savons que les plus anciens souverains, ceux qui
régnaient à Do et àKri, le~ ~~ie~ étaient des tarawélé et des koné
91tûts à la faveur de migrations successives, le
pouvoir politique est
passé au Kamara et ensuite a~Keyta·mansaren. De
tels transferts de pouvoir
ont eu lieu également au niveau villageois (Duguti2i-ya et Dugukolo-tigi-ya)
(21).
C'est en pays bambara que la distinction entre Massa et Faama
1) Dugulen : contraction vocalique de Dugu-den : enfant du terroir, du pays
signifie autochtone.
2)
an peut distinguer à cet effet deux formes principales de conquête de
pouvoir : i l y a ceux qui sont venus en conquérants et ceux qui sont
venus en voisin mais ont utilisé l'alliance et la ruse pour accéder au
pouvoir, tel semble être le cas des Kbnaté Keyita du Manden.
3)
Cf. IZARD (M) I977, p. 60.
4)
Cf. TRAORE. I977(a)

-
302 -
est plus nette. Le peuplement des pays bambara s'est fait avec des éléments
apparemment plus hétérogènes qu'en pays malinké. C'est ce qui explique,
nous semble-t-il, l'instabilité et la redistribution permanente du pouvoir
entre les principaux groupes qui s'y sont fixés.
La distinction entre Mansa et Faama et dugutfgi/Dugukolotigi
(1)
renvoie
de manière générale
à un
encodage
de l'espace social qui fait intervenir
des éléments à la fois opposés mais néanmoins complémentaires. C'est dans
la distinction entre ces principales figures du pouvoir que réside la dynami-
que sociale créatrice d'historicité, car elle met en rapport dialectique
deux groupes au moins dont la mise en place ne se situe pas au même moment.
L'histoire du pouvoir chez les Mandeng enseigne en effet que chaque fois
qu'apparaît de nouveaux détenteurs, les nouveaux chefs rejoignent le
groupe des dugulen
constituant ainsi la couche la plus récente. Autrement dit,-
si le groupe des chefs peut être saisi en un moment déterminé comme un
groupe unitaire, celui des dugulen
par contre rassemble des couches différen-
tes étagées selon leur ordre d'arrivée sur le territoire (2).
S'interroger sur le pouvoir politique chez les populations mandeng
c'est, nous semble-t-il, s'interroger sur celui qui l'incarne (Mansa) ou le
détient (Faamal . Dans une certaine mesure, on peut dire que le pouvoir
politique est illustré dans la différence entre ces deux figures antithétiques
qui sYmbolisent le pouvoir traditionnel (3).
En effet, si la violence du Faama s'oppose à la gestion (~­
autorité) du Massa
d'un ordre qui lui est antérieur et qui fait de lui un
négatif en quelque sorte du Faama, l~massaya peut trouver toutefois son
fondement dans l'appareil initîal de guerre, lequel en se dissolvant peu à peu
s'est mué en puissance pacifîque et fécondante, Il exi~te donc entre .mansa et
1) Il ne sera question ici. que du pouvoir,:du"m~ et de celui du faama. Pour
ce qui concerne ledugutigî et le~guko1~tÎ9i, voir notre étude (1977 h)
2) Il Y a lieu de notEe que l'idéologie sociale liée à la capacité de mémori-
sation de la société ne retient comme totalisation historique que quelques
couches, or les résultats d'enquête laissent supposer que l'histoire peut
trouver à s'approfondir dans une succession de couches jusqu'à un hypothéti-
que point zéro qu'on pourrait appeler l'origine de l'histoire.
3)
en dira d'un mansa
qu'il a été installé au pouvoir (a sigira massaya golo
kan) d'un faama on dira oc il a pris le pouvoir (a yé fanga ta ou a sigira
fanga-kan. Dans le premîer cas, il est fait mention du critère de légitimité,
dans ce cas, on fait référence au recours à la force.

- 303 -
faama
une
certaine équivalence fonctionnelle qui s'explique p~ leur
~arenté généalogiqùe ou hiStorique.
Essayons donc de cerner un peu plus chacune des figures du pouvoir
politique traditionnel à travers les représentations qui les caractérisent.
"-
a) Le Mansa : arbitre et 'S'O'UVera-in
<
Bien qu'il n'apparaît pas très clairement dans les récits de
fondation,
il semble qu'à l'origine de certaines entités politiques, comme le
kafo, il y avait presque toujours au départ un compromis entre des communau-
tés plus ou moins autonomes et dont les chefs soucieux de trouver les moyens
de coexister pacifiquement ont délégué à l'un de leurs pairs~ généralement le
plus sage d'entre eux, la charge de dirrger les affaires sociales (1) ~ En
tous cas, quelles que fussent les origines premières de la~~a , l'exercice
du pouvoir a toujours été collégial et lemansa
fut d'abord
arbitre avant
d'être souverain?
Dans un système unitaire comme le 'kafo , tous les groupes qui ont
présidé à sqfondation non seulement participent à l'exercice du pouvoir,
mais ils se considèrent comme n'étant pas inférieurs au groupe cheffal.
"-
L'histoire de la massaya
est înti:mement liée à la question de la
légitimité, tout pouvoirfut-:-il celui du- 'tllansa, du'dugut.!.'gi (chef J?Olitique
ou du lutî~i (chef de famille étendue) n'est reconnu comme tel pour autant
qu'il réussit à apparaltre plus ou moins' approximativement comme la somme des
pouvoirs devant le conrtttuer. ~insi tout détenteur de pouvoir n'est admis
coœne tel que dans la -mesure OÜ il est reconnu comme étant un relais momentané
d'un pouvotr qui vient de
lom, et c'est un tel éloignement ou approfondisse-
·ment qui fonde l'autorité et partant la légitimité (2) ..
C'est dire que l'idéal d'un bon pouvoir dans la conception mandeng,
mterfère toujours avec la légitbnité telle que l'on vient de le définir. Le
chef suprême, le lIlansa
va devoir son investiture au consensus comme
fondement-
'1
1)
cet aspect du pouvoir traditionnel doit être nuancé .. Hormis le cas de la
présence d'un groupe fondateur, il semble que dans de nombreux cas la cheffe-
rie devait tourner entre les dtfférents groupes. Mais il est arrivé souvent
qu' 11 soit confi~" par l'un d'entre eux. ce qui apparatt rarement dans les
récits,odes- traditionnalistes pour des raisons politiques évidentes.
2)
C'est pourquoi., la société mandeng ne conçoit durablement un pouvoir institu1
entre l'un des pouvoirs qui devrait la constituer. Autrement dit, quelque SOl
le degré d' autonomte institutionnelle entre les pouvoirs, c'est la logique
de !..
constituent en ;-éalité la ~
.que même~
pO ..' .
.;o.-;~ . ~ •
~:~!s-.~'ii~' '-~~,' >~,.
,--- ~~~,.:t:i;~,,~~:'-~.~i::~:.~~~'1iI!}""I§'-"-'i\\IllI__

- 304 -
de la légitimité (1).
La légitimité, à savoir l'accord avec les normes,ne fonde pas pour autant
le pouvoir. Elle n'est qu'une reconnaissance juridique, un moyen de conso-
lidation q~e consacre, annoblit et consolide en même temps le pouvoir.
Ardemment recherchée par tout usurpateur, et principalement par le faama , la
légitimité, comme nous le verrons plus loin devient finalement l'objet de
conquête (2). En effet, l'absence de légitimité qui caractérise généralement
la faamaya
ne doit pas signifier que le pouvoir non conforme ne puisse
exister. ce contrOle -modèle que le discours social présente comme un accident
historique tient sa force dans l'effectivité de la détention du pouvoir, dans
le contrôle de la force (fanga) qui a permis son émergence et ce en dépit
de la norme qui légitimement aurait dû le fonder (3).
Le mansa
ou massa
peut être défini comme une autorité de consensus
qui symbolise le tout de la communauté. Il ne peut être d~fférencié avec
aucun des ~~gments particuliers de la société. C'est cette indifférenciation
qui fait que sa charge est élevée au niveau sacral. Considéré comme le déten-
teur de la vraie parole, le mansa, qu'il soit souverain ou guide spirituel
est nanti d'un maximum d'autorité grâce à la possession d'une double maîtrise
symbolique (prêtrise) et politi~e. Ces deux ma!trises lui confèrent des
moyens d'action exceptionnels sur le devenir de la communauté. Elles lui
permettent de conserver aussi longtemps que possible l'étendue de son pouvoir,
à condition bien.antendu que se maintiennen1;tta cohérence orthodoxique et
l'identification entre les valeurs collectives et leur incarnation dans le
pouvoir qu'il représente. Seule, la rupture de cette identification est
susceptible d'entra1ner la décroissance de son autorité et la mobilisation
des énergies contraires.
Le pouvoirr du mansa n'est
pas autocratique. son exercice repose
sur un compromis institutionnalisé. Et il suffit parfois de l'opposition ou
de l'exclusion d'un des éléments ayant vocation â participer au pouvoir
pour bloquer la machine sociale en créant la crise. La' massaya
repose
1) Ciest.la, :r;upture d'une telle légitimité avec l'avènement de l'ordre du faama
ou faamaya
que s'installe l'illégalité. Le faama
ne peut obtenir l'adhésio
cODlDunautaire, l'oMissance que par la contrainte.
2) Il convient toutefois de noter que le concept de légitimité aussi nécessaire
soit...il n'est cependant pas l'essence du pouvoir.
3) Le pouvoir du faama
est un pouvoir en sursis. Il surviE .. : rarement à celui
qui l'a instauré. De nombreux exemples nous sont fournis par les royaumes
mllitai:res qui: se sont succédés dans cette aire culturelle sans jamais
s'enraciner de manière décisive dans le paysage qui les a vu na!tre.

- 305 -
sur une recherche permanente
de l'équilibre qui se traduit par la nécessité
,
~
;
,
',..
~
de multiples ~0~in~i~ns sous~dues par les alliances et les rapports de
force entre les principaux représentants du corps social. C'est dire que
l'appareil politique,investi
des possibilités d'action sur les institutions
secondaires et les personnes,reflète les clivages que l'impératif social
fait plus ou moins admettre aux uns et aux autres.
b) La faamaya ou l'ordre du faama
L'émergence de la faamaya est liée étroitement à l'instauration
d'un état conflictuel. Elle relève presque exclusivement de la théorie des
conflits.
En fait, le- dfanga
(la force), qui donne la faamaya
ne peut pas
na!tre de la logique normative de la société, du procès de croissance normale
des unités de bases comme le-Lu , le kabila, d'une extension de la fasya.
Il s'est toujours constitué en dehors de ce mouvement de conservation de
l'ordre établi et plus précisément contre les hiérarchies en place, celles
des pères et des aînés. L'avénement d'un faama
bouleversa toujours la
distribution traditionnelle des prestiges et du pouvoir.
La faamaya
est un pouvoir essentiellement militaire. Elle suppose
l'établissement à un moment déterminé de l'histoire de la société une relation
de confiance et d'autorité entre un chef et une masse de guerriers. Un tel
rapport est par définition même opposé aux rapports qui régissent les relations
sociales traditionnelles. En effet, ce qui frappe dan~'analyse de la faamaya
c'est la déviance. Le faama
est toujours un déviant • La genèse de nombreuses
-,
\\
faamaya
illustre cet aspect du-faama. ~si Biton, fondateur de la dynastie
,' ....
' ... -,
des Massas!: KUl-tbaly de Ségu
alUal.t, dit-~m,fait supprimer, lors d'une fête
tous les a!nés du village dont il était le T0117~!1tigi (chef de ton).
Dans cet acte initial se trouve résumé la genèse du ro~e de Ségu. Il est
également établi que Samori Turé avant de devenir Faama
occupait une
position marginale au sein de son groupe d'appartenance. Pour qu'il devienne
--
Kélé-tigi
(chef de guerre) et établir un type de rapport extérieur aux
cœmunautés constituées avec une masse d'individus également en rupture de
société, Samory incarnait déjà lui-même la rupture avec l'ordre qu'il entendait
caBbattre. Clac! est très important dans la formation de la. faana~ya. car dans
l'équ.î:l.î:bre fragile des pouvoirs constitués, il n'y a pas de place pour
un réformateur de l'ordre établi. Tous les futurs faama sont donc contraints et

- 306 -
forcés d'ébaucher le procès ëe concentration des forces qui vont servir
leurs desseins sans éveiller la méfiance des pouvoirs constitués.
De manière générale, l'avénement d'un faama
survient à des moments
de crise, à des périodes non soutenues par la routinisation des institutions.
Il s'agit précisément d'une période de rupture du consensus, d'absence de
discours commun, où tout échappe au contrôle des autorités légitimes, bref,
une période où le mouvement d'ensemble de la société ne peut plus s'affirmer
par le truchement des symboles collectifs, une période où les signes cessent
d'être un instrument de médiation privilégiée des rapports soc~ux.
L'exemple d~~
est à cet égard révélateur. Ségu est l'une des
rares fa~ya
où l'accession aux hautes fonctions a profité aux~(seuls_
jan kuntigi
(chefs des captifs affectés à la_guer~e). Le pouvoir fut l'enjeu
de luttes permanentes entre les différents kél~-tigi. Il revenait toujours
au plus entreprenant des chefs militaires. Présents à tous les échelons de
l'appareil politico~ilitaire et administratif du royaume et -de ses dépendants,
les jan kunti9i
mettront â profit cette position stratégique afin d'accéder
au contrôle des hommes et des biens;
Chez les Mandeng, l'instauration de l'ordre du -fa,ama ou faamaya
en tant que violence contre l'ordre social vise à détruire l'ordonnancement
établi, à briser les frontières routinières. La faamaya
est Porteuse d'ambi-
val.enee ;!.:.m~«'~~'5.~:tt.,_~~.~eun ,t~ps né?atif opposé aux valeurs et aux
normes admises. Mais par bien des aspects, la subversion qu'elle introduit
s'inscrit dans une dynamique globale, dans un processus de lutte contre
l'entropie. Il convient donc de souligner cette orientation que nous trouvons
dans la "théorie du pouvoir" qui conduit en schématisant du mouvement de
révolte à la création de nouvelles institutions et à leur mise en fonctionne-
ment.
'-
Dans"la théorie du pouvoir"
mandeng, la violence du,~àama est
assimilée à une thérapeutique destinée à guérir la société des • souillures"
par l ' '~imlnation des causes et des agents qui en sont porteurs. Le pouvoir
du fa-ama apparaît alors comme la réplique de la construction du "monde".
La cosmogonie
intervient et se fait "théorie du pouvoir". Le faama incarne
tour à tour les principaux personnages de la mythologie : Pemba,' Mussokoroni et
Paro.

-
307 -
Cet aspect de la faamaya est sublimé lorsqu'elle procède de l'échec du pouvoir
précédent, ~elui du mansa
et des autres pouvoirs limitrophes. C'est proba-
blement à Ségu que mythe et histoire
interfèrent davantage dans la construc-
tion du pouvoir. La dialectique désordre/ordre s'y est manifestée de manière
éclatante. Ainsi à l'orée de chacun des grands règnes
(Ngolo, Monson, Daa,etc.)
qui correspondent à l'accroissemnt de la puissance du royaume, or. y retrouve
les deux actes initiaux censés être à l'origine de la fondation de la société
mandeng : la transgression violente des normes (Pemba! Musso KOroni) d'une
part et d'autre part la reprise, la remobilisation des énergies créatrices,
une resacralisation de la société (Faro).
Le récit des hauts faits du temps passé ainsi que la violence initia-
le comme transgressIon des valeurs normatives, si elle peut jouer pendant un
certain temps comme moteur du changement social ne peut se maintenir indéfini-
, .\\.
ment. Le f~ qui donne la 'Eaamaya
a besoin pour sa survie, pour sa sécula-
risation de se
muer en son contraire, ~'massaya.- P~ur se faire~ il lui
faut se transformer par des ajustements successî:fs en parole féconde, gràce
à la vertu vîvifiante du travail Néologique. L'histoire mandeng est riche
d'exemples qui illustrent la métamorphose du. 'faama
en massa (1)
En simplîfiant à l'extrême, on peut dire que le travail d'ajustement
commence après la lutte victorieuse avec le discours unifiant et lénifiant que
symbolise la cérémonie du dégé (2) destinée à gommer l'affrontement passé, à
refermer le fossé séparant les uns et les autres. Le faama
devenu dès lors
massa, à l'intérieur de sa juridiction dont la stabilité indique que le
temps des hostilités est un vieux souvenir peut ainsi, en toute quiétude,
(car revêtu de l'onction de la légitimati.on) détourner la violence~sans devem ;
sans oojet)et du coup allolir la nostalgie qui' l'enrobe.
-,
Dans ce passage de la -f a~a
à La- 'massaya ,
le pouvcdz' n' apparatt
plus dans sa forme première. rI préfère l'efficacité des normes à la force
brute (fanga) non contrOlée. Mai~ la force quoique moins apparente reste tou-
jours la support essentiel de l'exercice du pouvoir. Nous avons ainsi une
force domestiquée qui sous-tend les règles et les normes légales, bref, une
, 'fança
qui porte en elle la légaltté.
Ainsi la quête de la légitimité impose un changement de r~r3pective
qui
prescrit des restrictions à l'exercice du pouvoir. Elle va dès lors
1) Bien entendu de telles mutations de la faamaya s'étendent sur plusieurs
générations. I l est rare qu'elles se réalisent sous le règne du fondateur
de la faamaya.
2) Cêrémonie au cours de
laquelle vainqueurs et vaincus boivent une bouillie
de mil appelée dégé
et prêtent serment de ne pas rouvrir les hostilités.

-
308 -
constituer une garantie contre l'exercice incontr6lé
de la force en
faisant participer l'ensemble des pouvoirs et des autorités qui ont vocation
à constituer le pouvoir politique.
En définitive, c'est par la conciliation des valeurs et des formes
avec l'appareil de gestion de l'ordre social que la légi~imité fournit les
justifications globales du système politique et des principes destinés à
guider l'emploi et le contrôle de la force.
Bien qu'il
n'apparait
pas
de manière assez précise dans les
récits, tout porte à croire que l'histoire du pouvoir chez les Mandeng a
été dominé par le va-et-vient permanent entremassaya et faamaya •
+
+
+
+
Les réflexions que nous venons de faire sur le système de stratifi-
cation sociale chez les Malinké et les Bambara, si elles sont en partie
justifiées, simplifient cependant des réalités au demeurant fort complexes.
Aussi des études plus poussées permettant une analyse plus fine s'imposent
afin de,mieux préciser la problématique des ordres et du pouvoir.
De telles études de cas pourraient montrer, nous l'espérons bien,
que la système de stratification s'est constitué avec des éléments d'âges
différents, eue le modèle que nous avons essayé d'analyser s'est propagé au
détriment d'autres structures en compétition avec lui.et cp'il n'a pu fonctionner
de la même manière depuis son émergence même ,$l "pour son maintien, les normes
transmises de gén·~ation en génération ont pu jouer un
rôle prépondérant
dans sa conservation.
COmme tous les arrangements sociaux, le système social fut soumis
à une mobilité permanente due aux vicissitudes mêmes de l'histoire de la
société (guerres, sécessions, variations démographiques) même s'il n'a pas
été possible de rendre suffisamment compte
de cette marche
de l'histoire.

- 3D9 -
DEUXIEME PARTIE
ASPECTS SOCIAUX JURIDIQUES DU CONTROLE SOCIAL
-
,'.;l,i-;J;i~,_",·,~~~;t~

-
310 -
CHAPITRE VI
ORDRE SYMBOLIQUE ET SYSTEME JURIDIQUE
LES PHENOMENES D'INTERNORMATIVITE (1) DANS LA
REGULATION SOCIALE.
Rien n'est plus ardu que de vouloir fixer dans des définitions,
des notions et des catégories vécues dans une pratique socio-culturelle,
l'ensemble des faits sociaux, tout en se situant sous des aspects très
divers, entretiennent entre eux des corrélations étroites.
c'est ce q,li ressort à l'évidence œ l'étude de notre société l'imbrication œSldliv€j
mécanismes dé la régulation sociale rend bien difficile la recherche
des critères de juridicité. Une telle entreprise, comme nous le verrons,
suppose des choix arbitraires. En effet, elle consiste à extirper d'une
totalité, des éléments ayant vocation à devenir juridiques. Or, tout
indique qu'il n'y a pas dans ce
système
social, de champ propre aux
phénomènes juridiques.
Dès lors, ~el que soit
le niveau
d'interprétation qu'on retienne
pour caractériser les phénomènes sociaux qui participent à la
régulation des ccmportements, E)n ne peut pas le privilégier~'
Si nous accordons dans notre mode
(1) L'expression "phénomènes d'inter-normativité" a été empruntée au titre
d'un article du Professeur Jèan Carbonnier, in
"European Yearbook in law and sociology", 1911 (La Haye, ed. Martinus
Nijhoff) •

-
311 -
de lecture de la société mand~ng-
une préférence aux phénom 6nes
que nous appelons juridiques, c'est uniquement en relation a~ec
l'objet de cette étude, qui est une tentative de restitution des
phénomènes de juridicité à partir d'une démarche intériorisante.
La principale difficulté d'une telle démarche ne réside
pas, comme on pourrait le croire, dans les lacunes de l'information
le système social, tout en étant altéré par des acculturations
successives, conserve néanmoins son soubassement. La difficulté de
l'analyse se trouve précisément dans la restitution des catégories
mandeng-
dans la langue française.
Sous le bénéfice de ces observations,.il y a lieu de
souligner que l'appareil conceptuel du système juridique des populations
mande~.
repose sur un fondement ontologique que nous avons appelé
ordre symbolique. Ce système, comme on a pu le constater, recourt
essentiellement à la symbolique et à l'analogie. Dès lors, son analyse
requiert d'autres méthodes, d'autres moyens que ceux au~quels le
rationalisme occidental nous a accoutumés. C'est une logique différente,
elle exige, pour cette raison même, un traitement différent permettant
d'accéder à la nature même des phénomènes juridiques et non juridiques,
dont les prémisses sont situées hors du champ d'investigation habituel
aux chercheurs
occidentaux
ou occidentalises.
Nous aurons à étudier successivement :
SEd'ICN 1 : LE ŒJli'IP. 5EM1\\N'tltuE Il] SIRA ET LA NorICN DE NYJlMA
SECI'ICN ÎI :
lE SYSTEME Jtnt.rDM~E
ET LA REGULATICN SOCIALE

- 312 -
SECTION l
LE C~P SEMANTIQUE DU SIRA ET LA NOTION DE NYA~
A - LA NOTION DE SIRA.
L'idée de régulation sociale peut être rendue chez les
populations mandeng
par le mot sira ou sila qui signifie : la voie,
le chemin, la route. s,ira, comme ~ous le verrons, exprlIDe la drciture,
c'est la voie, le chemin à suivre ou la route à prendre.
A partir de cette premiè~e notion, la pensée malinké-oambara
va distinguer trois types de s ira : la religion, (l,assiri), est appelée
aussi sira i
f'asira, la voie des pères (ancêtres)'i Allah s·ira
.
. . à l.af.o:ts
.
slgnlflan~(le chemln de Dieu (1), la morale et le droit. Les trois
connotations de sira
s'interfèrent sans se confondre.
Pour bien salSlr cette trilogie, essayons de dégager pour
commencer, le champ sémantique de sira.
a) La notion de Droit chez les ~alinké et les Bambara.
Notion fondamentale dans la langue mandingue, le mot s ira
peut être assimilé à un ensemble normatif à partir duquel différentes
idées peuvent être exprimées. Il traduit dans sa globalité
la
..
,
vérité, t.uniya,
.....
.. .....
le Juste et l equate, j uuma ou n~!ip. •
A partir de cette interprétation du sens de sira, essayons
d'approfondir :
Sira ou s ila, selon Delafosse connote l'idée de loi, de
doctrine, de méthode, d'enseignement (donné à quelqu'un).
Ainsi, sira-tigi "maître de la route, de la voie" est le
titre donné jadis aux rois et aux chefs ou à leurs représentants
(1) L'expression Allah Sira ou la voie d'Allah a été introduite à la
suite de 11 a cculturation islamique. Comme dans beaucoup de sociétés afri-
cai~es, la loi d1accumulàtion, c 1est-à-dire d1empilement des souches
ancle,:J;l1les ~t ~~1Y,::~~ est un phén~~e constant.

-
313 -
auxquels il fallait payer tribut pour pouvoiê circuler à travers
','
leur territoire.Sira~tigi
désigne
ainsi
la position légale de
quiconque détient une autorité : politique, morale ou religieuse dent
le fondement n'est pas contesté.
D'un déviant, on dira: a yé sira bila, c'est-à-dir~
qu'il "a laisse le chemin libre", "qu'il est sorti de la bonne voie",
"qu'il a transgressé la loi sociale". De même l'expression s ira-m ina '
veut dire "prendre un chemin, embrasser une doctrine, ou prendre un
parti".
Le champ sémantique de sira déborde largement la sphère
juridique. Pour cerner davantage la notion de sira, on pourrait
l'analyser dans sa signification éthique. Elle apparaîtra alors conme
une valeur -fondement, au sens où les autres valeurs, comme le bien,
le juste, le normal, se fondent dans le vrai ou sur le vrai, une
sorte de socle sur lequel repose tout le système de pensée malinke-
bambara.
Pour mieux nous faire comprendre, reprenons les deux concepts
clefs que sont : t uniya et ~yuman __ qui, tout en se confondant dans
certains cas, viennent renforcer le champ du ?ira. Il en est ainsi dans
l'ensemble: "suivre le chemin" qui veut dire en langage clair: "faire
ce qui est conforme à la réalité". Ce fait devient alors une obligation
de la conscience, il relève dès lors de la morale.
Tunya.
suggère plusieurs sens, parm1 lesquels nous retiendrons
la vérité, la
rectitude, le vrai, le droit et le juste. On dira, par
exemple: tuniya.-œbolo "j'ai le bon droit avec moi".

- 314 -
Quant à nvuman
, il evoque l'idee de fondement, de base, de
souche, la raison d'être, le bon droit, ce qui est conforme au droit, le
juste et l'équitable (1). Il sert souvent d'additif à d'autres concepts
destinés à préciser une valeur. Dans l'expression ~ira-nyuman_J nous avons
l'idée de bonne conduite, de conformité aux règles qui régissent les
relations entre individus.
En poussant du reste l'analyse un peu plus loin, il est possible
de montrer la connexité des termes tunya
et, -i1yuma~. De même que l'idée
de juste qu'ils entretiennent peut être également rendue par plusieurs
notions, entretenant elles aussi d'étroits liens de voisinage et dont les
nuances respectives sont difficiles à cerner avec une parfaite rigueur.
Pour la clarte de l'exposé, il convient de noter que l'univer-
salisme de Sira en fait le terme générique, qU1 recense aussi bien dans son
extension que dans sa compréhension, toutes les acceptions que les Malinké
et les Bambara se font de l'idee de juste, de nyuman.- comme substrat des
valeurs de la societé.
L'idee que se font les populations mand~ng
du hyuman
renV01e
à deux types d'interprétation.
1°) D'abord dans un sens strict et restreint, nyuman
implique
une notion fondamentale, à savoir ce qU1 ne heurte pas notre sens du juste.
Lorsqu'une infraction est commise à l'égard de la loi sociale ou que
l'échelle des valeurs subit une atteinte intolérable, on dira "~nYt!man-
_
~'f
(1) Sans vouloir établir un parallélisme rigoureux, on peut dire que la
notion de Qyuman
rejoint dans un certain sens celui que Platon apporte au_
Juste, à l'Harmonie.

- 315 -
à savoir!
ce qui n'est justement pas permls par la conSClence morale~ ce
qui est moralement injuste. La notion de juste à laquelle est
associée l'idée de soumission est en dernière analyse une des
valeurs sinon la valeur qui gouverne tout le système malinké-
bambara. Plusieurs productions littéraires: dictons, maximes~
proverbes, sentences, résument de manière condensée ou expressive
l'expérience des populations mandeng
- à partir du Ko-r;-yuman
choses ou causes justes.
Ainsi le toli (maxime) se caractérise par son contenu
normatif.
Il est l'énoncé d'une vérite sur l'expérience et le
bon sens. Qu'elle n'ait jamais été contestee par personne, lui
confère une autorité indiscutée. De même que les proverbes (n'dalé)
engendrent le respect du sira et assurent la conservation des ins-
titutions. Nombre d'entre eux règlent les attitudes que doit adopter
l'individu à l'égard des valeurs sociales. Par exemple, il ne viendra
à l'idée de personne - surtout pendant la période pré-coloniale -
de se moquer du masque du Kamo, quand on a entendu le proverbe
suivant et son commentaire : "On ne sait pas si on a longue vie, tant
que l'on n'a pas frappé l'hyène du Komo", c'est-à-dire le personnage
qUl porte le masque de l'institution (1).
2°) Cette soumission à l'ordre social engendre le
dépassement de l'ordre éthique. C'est ce qui nous amène à la
rapprocher d'une certaine manière de la conception aristotélicienne du
juste, qui se définit par la conformite à la loi (sira) relevant aUSSl
bien de l'ordre moral que du droit positif
1 (le
Laada.
(1) Maa t ' i si kû dama dô ni ma Kama suruku ougo. Dans le commentaire
de ce proverbe, il est fait mention des cas concrets de mort dont
les victimes avaient osé relever le défi (ka korobo) en faisant fi
de la leçon bien connue de tout le monde (cf. ZAHAN "~. p. I06)..

-
316 -
c'est-à-dire la pratique juridique). Un exemple pertinent de cette
convergence nous est fourni par l'esclavage.
Aristote considérait comme juste l'esclavage, parce que,
sans doute, pour son époque et dans sa société, un tel phénomène
correspondait à une exigence de l'ordre éthico-juridique, même si
chez lui, il y avait l'illusion idéologique et idéaliste que l'es-
clavage est un phénomène naturel.
Nous trouvons dans les sociétés traditionnelles africaines
et malinké-bambara en particulier, la même prédisposition avec le système
d
d
"
, , ( . 1 ) . . .
.
~
.
.
es
eux
ordres
.Ce systeme, tel qu'll decoule de l'organlsatlon
de la société et de la distribution sociale
des statuts, est institu-
tionnellement juste, car il ne heurte pas l'éthique sociale dominante;
il est conforme à l'état du droit établi.
La question qui se pose dès lors, c'est comment articuler
l'idée de juste entendue comme justice sociale, avec des pratiques
discriminatoires. Autrement dit, quelle est la corrélation entre
la justice sociale Sira-t1YU~kQ'-OY1Pan.et l'égalité k.en-yê ou
k m-ya.
Les populations mandeng.
ne rapportent pas mécaniquement
la justice sociale à l'égalité. Nous avons vu plus haut que le
système de la hiérarchie sociale fonde sur une organisation à la
fois diachronique et synchronique ne rebute pas la conscience morale
des interessés. Tout au contraire, chacun assume cette bifocalisation
de manière tout à fait normale. Dans ce contexte socio-culturel, la
justice sociale n'est pas reductible à l'égalite démocratique sous
le rapport des principes des statuts, des fonctions, rôles et traite-
ments des individus.
(1) Nous entendons par là, les deux categories constitutives de
la societe mandingue (ceux qui sont consideres comme citoyens à
part entière : les Horon et les Nyamakala, les captifs etant consi-
déres comme étrangers à la société).

3 ï -
Une
elle idéolog c égalitariste - au demeurant fictive -
est étrangère~ux sociétés
fricaines tradit~onnelles. C'est pourqUQ1,
Bambara et lv1a}~nké illustrE':t à travers dive::ses productions litté-
raires (cr a.Les . ce phénomène social en ces termes : "Bée man kan"
littéralement
les individ~s ne sont pas
égaux.
Comn:e on le voit, nous sommes loin des prlnclpes fonda-
mentaux proclaués par les Declarations sur les droits de l'homme.
En fait, ce n'est qu'une apparence. La justice sociale - indépendamment
des conflits inhérents à l'ordre de l'idéal et du vécu
est réalisée
dans cette société qui repose sur la complémentarité, lorsque chaque
groupe, chaque membre du corps social se trouve sous son statut social
et y remplit son rôle. La distribution inégalitaire des statuts, des
rôles, des droits et devoirs, l'éthique malinké-bambara ne la fait pas
découler d'un "contrat social" rousseauiste mais du contrat de renoncement
volontaire que nous avons examiné précédemment.
La conception du juste (~~:) trouve
alors
son fondement, sa raison d'être, en un mot sa légitimité, dans les
vertus de l'hérédité et du Laada (1) dont la variabilité consacre
la réalité de la pratique sociale.
Peut-on conclure, à la suite de ce qui précède, que la
pensée mandeng
exclut de son champ toute référence à l'idée
d'égalité? A vrai dire, la conception malinké-bambara des rapports
(1) Laada signifie en mandë.ng:
: coucher. C'est un verbe. A la suite de
l'acculturation islamique, il est devenu un nom par assimilation avec le
mot arabe" aada" qui veut dire : habitude. Depuis lors, Laada désigne
la règle qu~été couchée, par extension la pratique juridique. Avant la
colonisation, on distinguait différents types de Laada : il y avait le
Laada des Horon, celui des Nyamakala, et le Laada des Jon. Dans l':Elnpire
du Mali, le Laada Mina-na" gardien des coutumes" n ' était autre que le
"Ministre d'Etat".

- 318 -
sOClaux accède au juste par d'autre
vOles, et plus particulièrement
par celle du respect de la personne - mogo b0hyd
-
et de la notion
de dignité de la personne humaine.
Dans cette société inégalitaire, les différences statutaires
impliquent le respect de la différeLce en tant que source de socia-
bilité. Le-mogo, le ~aa, c'est-à-dire la personne humaine est une valeur,
une dignité qui, pour cette raison, exige le'bonJà , littéralement
objet d'égards. C'est une sorte de "summa Lnjur i.a" que de violer le
respect dû à la personne humaine, qu'il s'agisse de captifs ou de
subordonnés, car les uns et les autres, tout en se situant à des niveaux
statutaires inférieurs à celui du meître, n'en sont pas moins des mogow
(pluriel de mogo) au même titre que celui-ci. Ceci expliquerait entre
autres, la relative clémence des conditions de captivité en Afrique Noire
pré-coloniale (1). Mais le respect de la personne humaine s'inscrit
par ailleurs sur un autre registre ; celui du nyama, qui est la clef de
voûte du système de régulation sociele.
La notion de !lyama, comme nous le verrons plus loin, postule
que l'idee de justice sociale dans la société mandeng
ne se définit
pas seulement au moyen de catégories formelles. Cette notion catégorielle
indique par elle-même que la défense de la personne humaine, le respect
de l'autre ne constituent pas un ensemble d'attributs extérieurs et
fragmentaires malS un ensemble de principes érigés en système de croyance.
En effet, dans une soc iété d î or-dr-es comme celle des Mande.ng·
, réalisant
un empilement correspondant à une hiérarchie verticale et linéaire des
groupes en fonction de leurs relations organiques, les gestionnaires de
l'ordre social, se sont toujours préoccupés de réaliser le héré : la
paix sociale qui se définit par la conformité à un ordre moral, au
s lra-lj!xwnan.
(1) Dans l ' aire culturelle sahho-soudanaise, i l existait un l aa.da qui
permettait au jon, au captif qui souhaitait changer de maître (de maa tigi)
pour raison de mauvais traitement, d'infliger à celui-ci, une blessure
symbolique généralement à l'oreille. Il pouvait aussi s'en prendre de la
même manière, au cheval ou à un enfant du maître qu'il s'était choisi.
De façon générale, la réalisation d'un de ces actes suffisait pour que le
trans~ert s'effectue moyennant dédommagement du précédent maître.
~~:.

-
319 -
Ainsi la volonté de Vlvre ensemble eXlge le respect de
"règles de jeu". Elle implique ici la renonciation à la violence privée.
Elle postule la reconnalssance de la légitimité des diverses ambitions,
des intérêts et opinions divergentes, et par voie de conséquence. la
découverte de procédures qui permettent à cette légitimité de se manl-
fester sans risquer de rompre la paix civile. Enfin
la cohésion sociale,
le consensus impliquent nécessairement l'engagement préalable des
partenaires sociaux de ne jamais pousser leurs projets avec une intensité
- ' -
- - " - -
-
-
-- _o.
- -
qui menace le projet de société ,en rendant un compromis définitivement
impossible.
La réalisation de l'idéal de justice sociale fonde la palx,
disent les Malinké-Bambara. D'où une étroite corrélation entre les
notions de Ko--uvuman
(actions justes) et Héré (paix so'c:taile) .
Cette brève analyse emplrlque, qUl est loin d'épuiser tout
le contenu de la notion de sira, a permis de contourner les impasses
classiques - sur lesquelles s'irritent les définitions - tenant pour
acquises que telles normes sont jurid iques et telles autres ne le sont
pas. Une telle démarche, permet d'augurer que les rapports qui se nouent
entre les différents systèmes normatifs (religion, droit et morale)
sont en fait des phénomènes d'inter-normativité.

- 320 -
B - LA NOTION DE NYAMA.
L'idee ou plus precisement le concept de nyama domine toutes
les crOYénces mandeng.
Associe à la notion de Sanuya : purete,
au sens ~ropre comme au sens figure, le ~yama evoque une multitude
de forces qui rend difficile toute abstraction systematique, où
chacune Ge ses composantes a sa fonction specifique.
Sans avoir la pretention d'esquisser une theorie du nyama (1),
essayons de dégager quelques éléments de réfleKion.
a) Généralités
Dans la définitio~ qu'il donne du nyama, Delafosse écrit
"doué de v i.e , doué d'un esprit agissant: vie, esprit (d'un vivant
ou d'un mort, d'un animal, d'un vegétal, d'un mineral
etc.), esprit,
divinité, être pos sêd ê
par un esprit etranger ou par un génie" (2).
Pour Zahan, "le nyama est un principe co smi que qua se
trouve en tout être et en toute chose. Certaines réalités en possèdent
cependant plus que d'autres, en vertu d'un ou plusieurs caractères
ou attributs qui les singularisent. L'on constate en effet, en analysant
des séries d'animaux, de plantes ou d'objets censés posséder un oyama
puissant que, plus un être se singularise, plus i l renferme de Oyama.
(1) Le Nyama est un concept universel en Afrique Noire. On le trouve
sous le nom de Nyame chez les Ngala-Dwala du Cameroun et leurs
voisins, et également sous la même appellation chez les Ashante du
Ghana. Il est le Nam des Mossi de la Haute-Volta, le Swen des Tiv du
Nigeria. Voir DIKA-AKWA ~Jl BONJlMBELJ! (G.B). 1978,
(2) DELAFOSSE (M.) : 1955.

- 321 -
Cette constatation ajoute l'auteur, vau~ ~our les humains. L'in-
dividu ou le groupe d'individus que leur caractère ou leur âge, ou
encore leur métier, isolent du reste de ~2 communauté, sont considérés
comme ayant plus de nyama ou un nyama pLl s fort que les autres. C'est
le cas pour les "sorciers", pour les vie:lles personnes, pour tous
les art isans" (1).
Citons enfin Youssouf Cissé, pour qui le concept ~yama
(de ~, prlnclpe de vie, de ~, au-delà ou en-deçà (du corps) .•.
représente plusieurs choses au niveau de la personne. Pour lui,
dans la pensée malinké-bambara, "toute source d'énergie émet des
radiations qui à leur tour produisent des effluves. Celles-ci
portent, en ce qui concerne le ni ou principe de vie, le nom de
nyama. Situé au dehors et au-dedans de l'être, et JamalS en tout
cas dans le corps qui reste le domaine privilégié du nyà durant la
vie, le nyama reste doué d'un esprit agissant. A l'extérieur, il
répare, durant la vie comme après la mort, les torts subis par la
personne dont l'âme, à la moindre offense, émet en direction de
l'offenseur un flux vital qui devient précisément le nyama. Au-dedans
de l'être, il constitue la samme des faits qui se sont, à un moment
donné, imposés à l'intelligence et à la conscience de la personne
et y demeùrent jusqu'à la mort, même s'ils s'estompaient,pour une
raison au pour une autre, de la mémoire, au cours de la vie: d'où
son nom de nyama intérieur, kono nyama" (2).
Ce survol de l'idée de nyama indique déjà que nous som-
mes en présence d'une notion extrêmement
complexe: "force venge-
resse", esprit des morts et des vivants, principe transcendant et
(1) ZAHAN (D.)
1963, p. 147.
( 2) CISSE (Y.)
1973, p. 160.

- 322 -
immanent, ,1 c::f'! n yama évoque aus s i par c ert a.i ns de Ses aspects de
la vie intime, la conscience, l' .inconsc i enc e et le subconscient" (1)
au niveau de la personne.
Etant donné le champ illimité iu n.y ama - puisqu'il
imprègne tout ce qui existe - nous nous ~ontentons de le situer
dans le champ des relations sociales, en montrant comment il parti-
cipe à la régulation des comportements sociaux.
Si l'on se réfère à la théorie malinké-bambara, qU1.
explique et justifie le nyama comme principe existentiel, celui-ci
apparaît toujours de nature ambivalente. En effet, le n yama , selon
les circonstances peut paraître tantôt comme "puissance fécondante
et enveloppante", tantôt comme "force vengeresse". Cette dualité
structurelle fait du nyama un élément central de la psychologie
sociale des populations mandang
et partant un élément fondamental
de la régulation sociale (2).
Rien n'est plus redouté dans cette société, que la sanction
du n.yama : le nyama-bo - littéralement "sortie" et agissement du
nyama, sorte d'épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de
tout le monde. Il constitue, à ce titre, un puissant dispositif de
contrôle social.
(1) CISSE (Y.) : 1973 , p. 161.
(2) Nous ne traiterons pas ici le premier aspect du nyama, le bon
nyama "la puissance fécondante et enveloppante" parce que son explica-
tion renvoie au traitement du destin, du hasard et de l'hérédité.
Pour cette raison, il ne constitue pas un principe déterminant dans
la régulation sociale des comportements.

-
323 -
En effet, le nyama n'est pas seulement un principe cosmique
ou mé~aphysique, il est également une production de la société elle-même.
Il remplit pour cette raison même, le rôle du "surmoi", du "moi collectif".
On peut l'analyser comme la première forme
de la conscience morale, la
résultante de l'initiation à la vie communautaire. c'est pourquoi il
participe à ce titre au système d'obligations et d'interdits intériorisés
par chaque individu socialisé.
Nous pouvons donc le définir du point de vue juridique
comme une sorte d'interdiction personnifiée et intériorisée par identifi-
cation aux normes sociales de sanction. C'est la reconnaissance d'une
telle propriété qui permet au nyama de prolonger et de maintenir en chaque
individu le k.o\\lyuman .:.' le juste, les attitudes et les jugements des
parents, des représentants autEntiques de la loi sociale (sira), ceux qU1
incarnent au sein de la société mandtng
les idéaux les plus respectés.
En fait, le nyama est un concept idéologique qui fonctionne
comme violence symbolique, c'est ce qui lui permet de gérer les conflits
de rationalité dans la société globale. Il est la censure morale,
celle qui créée en quelque sorte la conscience morale. C'est pourquoi
il est considéré comme étant à l'origine de tous les sentiments de
culpabilité et d'angoisse qui s'emparent des individus et des groupes
qui transgressent les normes sociales. Enfin, le nyama, en tant que
support de l'activité normative, assure à la fois la cohésion sociale
et la légitimation des normes qui sous-tendent les valeurs qui
nourrissent le projet de société.

- 324 -
La meilleure manière de ne pas s'attirer le nyama, disent
les exégètes traditionnels, consiste à faire du kO-QYUIDan _, c'est-à-
dire ne pas commettre de tort (tonyo) , à respecter les normes
sociales, autrement à suivre le sira -nyuman et se soumettre au Laada.
Parce que le nJBma a sa loi propre, les populations mandeng
estiment que tout acte conscient ou inconscient accompli
concrètement
ou
magiquement
par un individu responsable et pouvant causer
un tort - tonyo -
dans les milieux islamisés on substitue genéralement
au tonyo, les mots arabes djurumu (faute) et hake (pêché) - matériel
ou moral quelconque à un être animé ou inanimé doué de Vle, déclenche
le nyama de cet être (2).
Dans l'imaginaire des Mand~ug
, certains individus sont
nantis de nyama exceptionnel.
C'est le cas des personnes très âgées,
celles qui ont capitalise les différents nyama intérieurs qui jalonnent
l'existence d'un individu normal, à savoir le : "waâzo", le "kaâzo".
le "t'a.âzo", et le "maâzo" (3). De même, l'incirconcis, le bilakoro,
cet être androgyne habité par le waâzo, possèderait un nyama virulent.
Entre ces deux pôles: celui qui ouvre l'existence (bilakoro-ya) et
celui qui la clôture (les vieilles personnes), il existe de multiples
états intermédiaires à travers lesquels nous trouvons des individus
appelés nyamato (couverts de~~ ou subissant ses effets). Parce que
les uns et les autres sont situés dans des positions magistrales. il est
(1) Est considéré comme responsable, tout individu circoncis ou excise
qui aurait subi les rites d'initiation durant lesquels les éducateurs,
les maîtres ou Semaw (sing. séma) lui aurait révélé les lois sociales.
(2) CISSE (Y.) : 1964, p. 193. Il convient de preciser que l'introduction
de l'Islam a conduit à l'appauvrissement de la notion de Nyama en lui
substituant les concepts de faute et de pêché. C'est la conséquence Logi q:
du passage d'une pensée initiatique à une pensée reiigieuse.
(3) Voir l'etude de CISSE ~Y.) : 1973, pour la description de ses différer
tes variétés de nyama. , waâzo : "force vitale intérieure", kaâZo : "force
de la vie intérieure" ;',faâzo : "force de plénitude", maâzo : "force de
spiritualité" •
,..

-
325 -
par-t i.cur i.êr emerrt r ecommandê d'éviter de leur porter atteinte et
pc.::- ::,::,:,,;;t de déclencher ~ ur nyama ,
Par contre, des catégories socio-professionnelles selon
l'imagerie populaire, subissent les effets du nyama d'autrui. Il
en est ainsi des gardiens de la paix, des gendarmes, des huissiers,
des percepteurs, des douaniers, de divers agents d'exécution qui,
comme les autres, peuvent être amenés dans l'exercice de leur pro-
fession, à abuser de leur autorité. Il en va de même pour les
individus: usuriers, commerçants fraudeurs, juges véreux ou partiaux,
tyrans, mercenaires, bourreaux
etc
qui vivent en commettant
des actes (kéwalé) non conformes au ~an ." Pour cette raison même
ils sont considérés comme chargés de ~yama, autrement dit des
"nyama to" (1).
De manière générale, les Bambara et les Malinké pensent
que toute rupture du consensus social est susceptible de déclencher
l'action du nyama. Concernant les Malinké de la Haute Vallée du
Niger, Youssouf Cissé note que de nombreuses familles subissent encore
..
la sanction du .yama, à cause de la rupture d'alliance, remontant à
des événements du siècle dernier.
En effet, écrit l'auteur " ... les guerres menées dans cette
région par El Hadj Qnar et Samory et la conquête française ébranlèrent
l'alliance clanique qui constitue le fondement même de l'organisation
socio-politique de ce pays ,' .Les trahisons (janfa '.) qui en sont
résultées mirent en action la formidable force vengeresse des ~
et des ancêtres irrités à juste titre".
(1) Lorsque le Nyama agit avec virulence sur- les nyamato, ils sont dits
"mordus par le Nyama" ou nyama kiln.qui signifie également complexe de
,
culpabilité.

-
326 -
"Ces familles sont en train d'ex:r::::er leur forfaiture, soit dans la
dispersicn de leurs ~e~:,es, s~i
::è:iS
leur éticle:--:c',-, ., . soit
dans la déchéance sociale des hommes qui les constituent" (1).
La théorie du nlama, telle qu'elle ressort du système
des représentations des populations mand~ng~, ) ense1gne à l'évidence
qu'elle est interprétative, en ce sens qu'elle impose un certain
type d'interprétation de la réalité. Son univers reflète le monde
social, il est comme la sorcellerie, le signifié d'un monde qui est
de l'ordre du signifiant.
Mais le n'yama n'est pas seulement une théorie interpré-
tative. En effet, de l'interprétation des relations sociales, il
ressort qu'elles sont une source permanente de nyama, car tout acte,
toute parole comporte des risques d'engendrer du nyama. Pour la pensée
malinké-bambara, rien ne se commet, ni même ne se subit sans consé-
quences , Dès lôrs, le nyama peut se concevozz- comme étant une théor ie
normative ; dans la mesure où la préservation et la lutte contre
ses manifestations passe par le respect des normes qui prescrivent la
conduite de l'individu social.
Il Y a des conduites à observer ou à éviter pour se
mettre à l'abri du n;rama.
De manière générale, il est conseillé
à tout un chacun de recourir à la bonne parole, kuma' ;:n~n_,
(1) CISSE (Y.) : 1964, p. 195. En ce qui concerne la rupture du
consensus social, on peut noter également que le déclin de l'Empire
du Ghana, le Wagadu est attribuée à la mort du Bida, le serpent
tutélaire du royaume tué par un des princes qui refusait que sa fiancée
lui soit consacrée. Les conséquences disent les traditionalistes, c'est
la condamnation des habitants - les Marakaw ou Soninké - à une per-
pétuelle errance. De même, selon Mamby Sidibé, qui donne une autre
version de la mort de Sunjata Key~a, dit que ce dernier serait mort à
la suite de la violation du j~ makinké-peul. Il voulait, semble-t-il,
réduire ses alliés par les armes, mais le Nyama de ceux-ci l'aurait vàincu.

-
327 -
celle qui ne porte pas atteiGte à la sensibilite d'autrui, ou
bien solliciter le nyafaa ou ya-faa de ceux qu'on pouvait offen-
ser (tonyo). C'est pourquoi, toutes les manifestations de socia-
bilité : naissance, imposition du nom, mariage, décès, réconcilia-
tian. etc.
. sont des occasions pour les uns et les autres de
demander le yafaa pour des actions commises intentionnellement ou
non à l'endroit d'autrui.
Ce code du savo1r-v1vre se double en outre d'une serie
de jugements de valeurs où sont designes les critères en fonction
desquels la sociabilite doit s'effectuer. Ces critères ne sont
pas seulement de simples ~ndicatifs, destines à maintenir la co-
hésion communautaire, ils doivent établir à l'intérieur de celle-ci,
des attitudes qui ne sont pas contingentes, autrement dit des
qualités qui fondent le savoir-vivre.
Theorie interpretative et normative, le nyama apparaît
finalement comme l'élément régulateur par excellence de la pratique
sociale visible et invisible. Mais il n'a de sens, que référé
au sira, ce code destiné à modeler la société, à établir des
hiérarchies et des tabous, dont le respect définit la personnalité
de chaque acteur social.
Il convient surtout de noter que le nyama, par son omru.r-
présence, vient renforcer le formidable appareil de contrôle
social que constitue la "societé initiatiquelt • Il complète cette
dernière en lui apportant sa consécration, sa sanction qui est
d'un autre ordre puisqu'il s'agit de croyance. C'est probable-
ment en cela même que le riyama est plus craint que n'importe
quel autre moyen coercitif. Parce qu'il relève de la surrealite,
le oyama, comme tout pouvoir qui ne s'exerce pas de manière concrète,

-
328 -
SI avère
être plus efficace dans ce système soc i a., Que toute
sanction matérielle.
Enfin, dans un système communautaire, le regard des autres
est très significatiff. Il vaut une preuve, dans la mesure où chacun
est jugé simultanément du point de vue de la conformité ou de la
non-conformité au système des normes. C'est dire Qu'il existe une
correspondance très étroite entre agir et parler; l'un et l'autre
postulegt la reconna1ssance de leur auteur par la société, ils expriment
positivement ou négativement la place Qui leur sera réservée au sein
de la sociabilité organisée.
On peut conclure en disant Que, chez les Bambara et les
Malinké, dès l'instant où toutes les actions Quotidiennes sont
susceptibles d'être génératrices de grama, agir ou parler, c'est en
somme partir en reconnaissance de soi, reconnaissance Qui, dans ce
système communautaire, ne peut être obtenue Que d'autrui, dont la
reconnaissance commande la connaissance de soi.
Les notions de nyama, de tunya, de l'wu-man, bref de s i ra ,
nous r amênesren fait au problème du consensus Qui n'est rien d'autre Que
l'adhésion à un ensemble de valeurs relatives aux modalités de la vie
collective. Cette volonté de vivre en commun Que traduit le consensus
est d'abord sentiment d'appartenance à un Nous spécifiQue, à une
culture particulière. Il est aussi partage de croyances Qui ne sont pas
forcément identiQues, mais Qui sont toutes issues d'une même souche
et le fait de relever de registres différents n'est nullement incompa-
tible avec le consensus, au contraire, il le nourrit. c'est dire Que
le consensus en tant que concept idéologique
. Joue
puissamment pour
(amener la plupart des citoyens à s'inc+iner devant les décisions
communautaires, à accepter d'obéir aux autorités légitimement investies,
et partant crée~ les conditions necessaires Qui ne remettent pas en cause
les principes fondamentaux qui animent l'être de la communaute, de
~
sorte Que les conflits ne depassent ~s un seuil critiQue. Ainsi,

-
329 -
le contrôle social, qui sous-tend le consensus,
fait
à son tour
croître la cohesion sociale en faisant apparaître ~e consensus
comme synonyme de la cohesion et en même temps facteur d'accroissement
de celle-ci.

- 330 -
SECTION Il
-
SYSTEME JURIDIQUE ET REGUL'TION SOCIALE
L'analyse du champ s~antique du ~ira et de la notion de nyama
nous autorise à ~largir La conception classique du Droët. Il ressort en
effet de 11 étude de ces deux "concepts" (Sira et nyama) que les systèmes
de valeurs qui sous-tendent les "productions juridiques" dans la société
manda ng
, sont si imbriqué s
que la recherche d'un Droit détaché du tout
social est impossible.
Le modèle juridique de cette société, comme on le voit, enseigne
une non-autonomie du phénomène juridique par rapport à lensemble des normes
ns
qui régissent la société. Mais l'explication de cette intrication du Droit
ir
avec les autres systèmes normatifs a malheureusement échappé à de nombreux
auteur, ethnologues et juristes qui l'ont assimilé à tort
à une imperfec-
tian, à un manque de développement de la société. De même, ces observa-
teurs lointains ont per~u le Droit traditionnel comme nimbé de sacralité
et partan~ difficile à transformer.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Leur vision~Jéformante de
la
réalité des
sociétés dites traditionnelles. En effet dans une soctété initiatique où
les critères de sacré
et de profane ne
àélimitmt pas des sphères
absolument dtffé:r:entes", on ne peut pas dire que le "fas" soit le fondement
de l'observation du "jus", autrement dit que le sacré
assure au

-
331 -
juridique son efficacité. souscrire à une telle formulation, c'est nier,
en quelque sorte, l'existence d'autorités capables de contraindre au besoin
les hommes au respect du l~ada, c'est également admettre que le fondement
de l'obéissance à la "loi sociale" relève de la crainte de châtiments
extérieurs à la société.
A supposer même qU'il existe dans une société traditionnelle
des craintes de nature religieuse, ces croyances ne peuvent en elles-mêmes
assumer toute la fonction du contrSle social, ni a fortiori aSsurer la
soumission spontanée des hommes à l'ordre établi.
L'organisation même des pouvoirs dans de nombreuses sociétés
traditionnelles africaines montre que la régulation sociale n'est pas
obtenue spontanément. En effet,
la présence d'un pouvoir qui dispose des moyen~
de coercition comme celui du massa (autorité de consensus) ou du faama
(pouvci~
autoritaire) indique bien que le contrôle social recourt à différentes formes
Pourquoi faire, dès lors, de l'interpénétration des normes
ou de leur caractère soi-disant affecté de sacralité, dans ceS sociétés
autrement structurées, une imperfect~on ou un manque que seule une op-
tion comparable à.celle des pays occidentaux peut combler?
Une telle illusion ethnocentrique qui transparait dans maints
discours savants, 'prouve
de
façon
manifeste que leurs auteurs n'ont
pas assez médité sur la logique normative de leur propre système social.
En effet, à l'instar des sociétés dites traditionnelles qui associent à

-
332 -
leur armature symbolique des moyens matériels, des moyens de coercition
qui permettent aUX gestionnaires de l'ordre social de remettre "les choses
en état", chaque fois que le besoin !Jen fait sentir, les sociétés occiden-
tales malgré l'apparente séparation des niveaux normatifs, n'échappent paS
à une telle logique.
Dans ces sociétés, on commence à admettre - et le mérite
d'avoir fait passércette idée dans le sens commun revient en grande partie
aux sciences sociales - que les moyens de contrainte physique comme la
prison, la police et d'autres moyens répressifs ne suffisent p as à l'Etat
pour imposer son autorité. La peur du gendarme n'est en réalité qu'une
roue de secours du pouvoir. Son arme secrète et permanente est constituée
par la contrainte idéologique qu'il exerce sur les manières de penser
et d'être à _t:rav.ers divers réseaux : fami He, église, école, médias, armée
etc.
qui donnent l_'.apparence d'un déroulement Sans accroc du processus
social.
En fait, si l'on cherche à comprendre la genèse du droit
d'une société comme celle des Mandeng
, il est nécessaire de se départir
des catégories ou critères de référence généralement admis par les
juristes occidentaux comme signe de juridicité.
Il serait impertinent, ne serait-ce que du point de vue
métho1ogique, de se référer aux concepts de la logique occidentale dans
la mesure ou les modalités de contrale des actes susceptibles de mettre
en danger l'ordre social ne s'opèrent pas selon les mêmes niveaux dans

- 333 -
des sociétés différemment architecturées.
Il convient d'appréhender la sphère juridique dans la société
malinké-bambara non pas comme une entité ayant Sa vie propre, mais comme
un des moments où se formule le contrôle des actes qui pourraient
affecter le tissu social.
A - Le Droit comme moyen de contrôle des actes susceptibles
de menacer le projet de société.
La société malinké-bambara n'échappe pas à la contrainte de
l'impératif juridique. L'accomplissement des devoirs prescri~par le
Laada-la coutume juridique- ne doit pas être recherché dans la peur des
sanctions surnaturelles, il est imposé
par
tout
un
ensemble de sys t èmes normatifs secrété par la "société initiatique".
c'est pour cette raison même que le Laada est un Droit positit
car il s'appuie sur l'autorité des "faits normatifs Uqui lui servent de
support et en même temps de garantie. Dans une société communautaire,
le droit est plus un moyen~e communication et
de socialisation qu'un mode
de sanction et son efficacité réside dans ce trait. Au sein d'une telle sociétE
l'efficience des sanctions spontanées: réprobation, pressio~ollectives,
et autres mesures vexatoires prises à l'encontre du déviant, sont
nettement distinctes de la "contrainte purement juridique" qui supposerait
des mesures organisées
prévues d'avance pour frapper le contrevenant.
Ainsi, le Droit dans la conception traditionnelle ma1inké-

- 334 -
bambara "n'exige nullement de liaison avec la contrainte, mais il admet
cependant la possi bi lité d'être sanctionné par elle" (1).
En simplifiant un peu, on pourrait dire que pression sociale
et contrainte juridique sont deux moyens qui assurent, dans ce système
social, la correspondance des devoirs des uns aux prétentions des autres;
c'est, nous semble-t-il, une des caractéristiques fondamentales du Droit
dans un système d'oralité. Si dans un tel système, la préférence est
accordée au premier mode de sanction : réaction de désapprobation, cela
signifie simplement que la sociabilité organisée, le communautarisme qui
prédomin, réalise une valeur positive qui satisfait à des exigences socio-
logiques dont la société représente une synthèse unifiante. c'est pourquoi
les phénomènes de juridicité doivent être envisagés dans une société
d'oralité, non seulement en fonction des structures partielles et globales
qu'ils sont appelés à cimenter, mais également en dehors de toute structure,
en les recherchant dans les phénomènes sociaux totaux mêmes. C'est bien,
nous semble-t-il, le sens de la définition que donne GURVITCH quand il
délimite le Droit dans le champ social. Pour cet auteur : "Le Droit
représente un essai de réaliser dans un cadre social donné, la justice
(c'est-à-dire une réconciliation préalable et essentiellement variable
des oeuvres de civilisation en contradiction) par l'imposition d'enchaînements
multilatéraux entre prétentions et devoirs, dont la validité dérive des
faits nonnatifs
qui portent en eux la garantie de l'efficacité des conduites
correspondantes. Cette garantie sDciale est particulièrement efficace
(1) GURVITCH (G) 1960, p. 189, L'auteur évoque. bien stlr la seule contrainte
spéc tf tquenent jur:tdtque.,

-
335 -
lorsque ces faits normatifs sont des structures sociales partielles ou
globales. QUand ces structures incluent dans leurs équilibres des orga-
nisations, il arrive que des contraintes extérieures accompagnent le droit,
mais ce n'est nullement Qbligatoire" (1).
Cette définition du champ juridique nous éloigne de celle donnée
-
- -
-
- -
- -
- - _ .
-
-
< -
généralement par les juristes dogmatiq:ues,d' après M. l'J.liot ,qui a:tachent me grande
. .
..
. .
importance à la sanction juridique liée au contrôle social en "ne
reconnaissant le droit que là où le contrôle peut s'exercer par voie
judiciaire ou là
où il peut aboutir à une contrainte physique" (2).
Cette restriction du champ du droit nous paratt arbitraire. En effet,
dans bien des sociétés non-occidentales les contrôles sociaux les plus
significatifs sont exercés de mille manières.
L'exemple de la société malinkê-bambara est à cet égard
significatif. Il montre que le respect du !sâda. n.' implique pas nécessairement
le recours à la contrainte. Comme on a pu le constater dans l'analyse de
la "société initiatique", celle-ci par l'éducation, la persuasion ou la
pression collective, arrive à s'imposer à la conscience des sujets de droit
en créant les conditions psycho-sociales qui feront que chacun accepte et
approuve la "loi" sociale, non comme une "loi" extérieure, mais cormne Sa
propre législation. C'est pourquoi dans bien des cas, l'observance des
règles est presque automatique en raison de cette intériorisation des
(1) GURVITCH (G) 1960, p. 166
(2) ALLIOT (Michel) 1976 (a), p. 1

-
336 -
nonnes et de leur extériorisation par les sujets de droit.
En effet, plus
l'intériorisation des valeurs et la soumission
aux normes sont élevées, moins la contrainte est élevée. Dans une société
initiatique, on peut dire que le contr8le social réfère à des états et des
relations de société, tandis que la contrainte a rapport à la psychologie
des "contr8lés". Ainsi, l' effectivité ~ l'emprise sociale n" a pas un
rapport immédiat et nécessaire avec l'intensité de la contrainte. A notre
sens, l' int ensité de la contrainte
nécessaire varierait en sens inverse du
- - -
-
--
,jegré de socialisation d'un individu: inutile s'il a intériorisé positivement
les valeurs et se soumet aux normes qu'elles postulent, elle apparaît s'il a
intégré négat~v~ent__~~~ va.leU}:"_~~j; r~t'useJ.es_norIlles __qui_leur
_
sont liées,
.----
Ce modèle juridique enseigne que l'emprise non coercitive peut se
révéler bien plus efficace que celle qui n'est efficace
que
par
le
recours à la contrainte. Ainsi, s'il arrive que la société recoure à la
contrainte, c'est toujours à titre exceptionnel. Elle préfère de manière
générale en faire l'économie. Le critère de la coercition ne peut, dès lors,
être retenu
._ coome signe diacritique de la
.juridicité. Dans un tel système, on peut dire "qu'il y a droit
chaque
fois
que le contr8le social porte sur des actes ressentis comme susceptibles
de mettre en péri 1 la vie du groupe" (1).
(1) ALLIOT (Miche 1) 1976 (a), p. 2

-
337 -
Certes, aucune société n'ignore les régulations de type juri-
dique (ubi societas
ibi JUS), mais il convient cependant de noter que de
nombreux faits sociaux échappent à la régulation juridique, comme l'essentiel
de la vie interne des familles, tout comme les multiples rapports qui
s'établissent entre les individus (amitiés, diverses formes de solidarité)
relèvent d'autres systèmes normatifs •

En fait, dans une société globale, il n'y a pas de domaines
spécifiques aUx différents systèmes normatifs que sont la religion, le
droit ou la morale. "Leurs domaines comnuns varient de société à société
ou, dans une même société, au cours du temps : le Droit avance ou recule
selon les époques" (1) ."Il faut donc rejeter la vision selon laquelle
l'évolution des sociétésirait dans le sens d'une différenciation du droit,
de la morale, de la religion etc.
C'est typiquement une illusion
ethnocentrique d'occidental" (2).
Pour autant qu'on puisse opérer une distinction entre r~gles
juridiques et non-juridiques, celle-ci ne doit pas, nous semble-t-il" être
recherchée dans la nature des devoirs imposés
mais plutôt dans la nature
1Il3m.e des règles. C'est pourquoi, ce n'est ni dans le fondement sacral, ni
dans le prétendu aspect fixiste des règles de droit q~:en découlent que
l'on peut trouver la spécificité d'un système juridique comme celui étudié
ici. La spécificitéJvoire l'originalité~se trouve dans l'esprit même qui
anime le système juridique lui-lIl&e. Nul ne saurait contester que le contenu
de toute règle de droit est fourni
par l'expérience sociale - sauf, bien
(1) ALLIOT (:K~ -
1976 (a>, p. 2
( 2) AU. ltrr (Ml
1976 Cà,.), p. 3

-
338 -
entendu, les partisans d'un certain positivisme juridique qui projettent
le droit dans une sphère entièrement séparée de la réalité sociale
vivante - qui est sans cesse orientée autant que possible par la recherche
d'un certain idéal. Cet idéal n'est du reste "qu'un cadre abstrait qui
doit correspondre" à un possible. C'est dire que "tout système juridique
se caractérise par l'adaptation de l'idéal de justice
à un ordre concret~
à un ordre social donné" (1).
La vie sociale né s'accomodant paS du désordre, chaque société
se dOit
don~ en fonction de son proje~d'élaborer les catégories
existentielles permettant à ses membres de réaliser
l'idéal social.
Dans le monde occidental, par exemple, le caractère indivi-
dualiste de l'ordre social consacre le triomphe des droits individuels
sur ceux de la collectivité, cela signifie que les Etats, en accroissant
leur pouvoir sur les citoyen~ sont parvenus à les détacher de leur grou-
pement de parenté. Mais
dans les société africaines
traditionnelles, c'est la, primauté des droits communautaires sur ceux
des individus qui est à la base de l'organisation sociale.
Dans ces sociétés, les droits de chaque membre "n'existent
et ne sont garantis qu'autant qu'ils participent de ceux de la communauté
tout
entière. Celle-ci n'a pas seulement un rôle de protection, elle a
des droits propres, dont dépendent ceux de chacun de ses membres. Ainsi,

- 339 -
l'individu n'existe qu'en tant que membre d'un groupe et ses droits ne
sont sauvegardés et garantis que dans la mesure Où ils ne sont pas de
naf~re à s'opposer à ceux de la communauté. La priorité serait aux
prérogatives de celle-ci sur les droits de chacun de ses membres" (1).
Il est donc tout à fait normal qu'avec des projets de société
différents, les mécanismes de régulation des acteurs sociaux en tant
que valeurs spécifiques à chaque société, ne puissent opérer
aux
...
.
memes nav e aux ,
Sous le bénéfice de cette remarque, il n'en reste pas moins
vrai que quel que soit le niveau d'interprétation des phénomènes ou
mécanismes sociaux qui participent à la régulation sociale, nous ne
croyons pas qu'il puisse exister de
hiérarchi~entre ces différents
modes de contrSles sociaux. L'appareil conceptuel du système juridique
malinké-bambara trouve son fondement 'dans un ordre que nous qualifions
de symbolique. cela signifie seulement' que le code ''mythico-religieux''
est dominant, qu'il est le cadre de référence globale de la société,
- - ~ _.._-~----- - - - - - -
- - - - - ---- - - - - -
qu'il fixe les règles de distinction entre le normal et le déviant, entre
le correct et l'inconvenant, qu'il est par conséquent à la fois "le fond sur
lequel elle pense et agit, la base obligée, impensée" (2), et la grille
d'interprétation et d'action indispensable à l'analyste pour pénétrer
l'ensemble des rapports sociaux.
(1) KOUASIGAN,
1966, p. 35
(2) WILLAlNE (J. P;
1976, p. 324

-
340 -
QUand nous disons que le code dominant des popu lat i ons
mande.ng
avant la colonisation - et même pendant et après - est un code
symbolique, nous entendons par là
que le code est l'élément structurant
des différents sous-systèmes sociaux
idéologie initiatique, structure
hiérarchique, stratification sociale etc.
En combinant sacra lité et juridicité, la pensée malinké-bambara
tend à réaliser un idéal de justice que ne saurait instituer un système
de droit fonctionnant indépendamment de la société. Pour une telle pensée
qui pr8ne l'unité dans la diversité, il va de soi
que
le
droit
ne
peut engendrer
des règles contraires à l'idée
d'une certaine justice.
E LLe ne connait ni forclusion",
ni
prescription t ni autorité de la chose jugée, dispositions qui, dans les
sociétés occidentales visent non pas à répondre à un besoin de justice
sociale, mais p1utSt à conférer une sécurité juridique aux individus
indépendamment
de 1'équité. Or, la coutume juridique, le laada,
est avant tout une pratique qui veut satisfaire l'esprit de justice en
établissant entre les groupes et les individus des rapports paisibles.
C'est pourquoi le Malinké et le Bambara, quand on leur demande ce qu'est
le Laada, répondent qu'"i 1 est l'indicateur de notre route humaine et le
rectificateur de nos mauvaises tendances".
En s'imposant donc à son droit, la société ma1inké-bambara,
loin de s'aliéner à son appareil juridique, en fait un instrument destiné
à maintenir les différences et à faire perdurer la cohérence des différences
ainsi sauvegardées. Dans cette société compartimentée, hiérarchisée, le

-
341 -
droit se différencie selon la.lonction sociale de ceux à qui il s' applique.
Il porte t
outre la marque de la hiérarchie sociale, celle de la division
fonctionnelle de la société, au point que, dans certains cas, le Laada
apparatt non pas comme le droit d'un même peuple dont l'unité est fondée
sur une communauté de culture, mais comme celui d'une traction de ce
peuple ayant la même fonction sociale en exerçant la m&e activité (1).
Ainsi, en respectant "l'être propre de chaque individu, de chaque groupe,
de chaque objet, de chaque acte" (2), le droit dans ce système de pensée,
est un système dynamique
ayant
plusieurs
registres.
La dynalllique m&e du droit
fait de celui-ci quelque chose de vivans
permettant
de l'affranchir de toute forme de pesanteur.
B - Dynamique du Droit
Peut-on, à la manière de certains auteurs, dire que l'imbri-
cation des règles du droit et des autres normes sociales dans les sociétés
africaines traditionnelles, iinplique des corps
de
règles
sta-'
tiques et immuables (3)?
Peut-on
la coutume
juridique dans ces sociétés' n'est pas seulement un ensemble de règles
déterminant les rapports des hommes entre eux, mais aussi et essentiellement
un "décalogue" non susceptible de modification?r;~est a.ffirmer que
__ ----"L_,
'--
_
toute atteint;-â~~-corps de règles" immuables porterait--'~écessairementatteinte
(1) KOUASSIGAN,
1974, pp. 167-168
(2) ALLIOT (M~
,
1976 (b) ~
(3) POIRIER (J)
1958, p. 62


- 342 -
au fondement même de la société (1).
Il Va de soi que pareilles assertions purement ethnocentriques
sont sociologiquement inexactes. En effet, de quelque point de vue que
l'on considère une société, cette société évolue toujours d'une certaine
manière; elle n'est jamais la même d'une génération à une autre et on
pourrait parodier Héraclite en disant que nul ne passe deux instants
successifs dans la même société.
Chaque type de société est gouverné par la dynamique interne
de ses facteurs ou critères de référence • Cette dynamique peut être plus
rapide en fonction des circonstances historiques particulières, ou plus
lente pour des raisons diverses, mai~.d'une façon ou d'une autre, le
mouvement sociétal traduit bien le signe de non-entropie, le signe d'ajuste-
ment des différents rouages les uns aux autres. Cette restructuration en
assurant l'équilibre
des structures stables ne vise
pas toujours à
transformer la société au sens précis du terme, mais à la conserver. Mais
la conservation dont ~l s'agit ne doit pas être considérée comme synonyme
de statisme, de fixité.
]maginons un peu les conséquences d'une non-création continue
du droit pour une société traditionnelle qui conna~t une division du
travail, un système de stratification sociale, renforcé par des modèles de
pouvoirs '~supra-parentaux". La machine sociale serait fatalement bloquée,
(1) ROBERT,
1955, p. 29

- 343 -
l'entropie s'installerait avec le risque de dis Lo.c a t Lon
de l'être de la
société.
Il va de soi qu'aucune société structurée de cette façon n'ac-
cepte pas vassivement sa propre destruct ion. Tout en préservant son
originalité, elle se trouve soumise par l'implacable dynamisme des
facteurs internes ou externes qui l'obligent à s'adapter aux circonstances
nouvelles, à leur trouver une réponse susceptible de s'intégrer dans
son projet d'ensemble.
Le système social étudié icirqui a connu différentes phases
de développement historique~ pouvoir super-villageois (kafo ou chefferies\\,
pouvoir supra-territorial
(empires et royaumes)
n'échappe
pas à ce type
,
,
d'~pératif sociologique. C'est dire que le ~ ne saurait être un
ensemble de règles ~uables sur lesquelles les hommes n'ont aucune prise
réelle t..conçu comme le résultat de l'expérience collective, il doit
refléter pour chaque génération l'état du vécu social.
Précisons toutefois que si le Laada est le fruit de l'expé-
rience sociale, cela ne signifie pas que chaque génération est tenue de
participer à l'oeuvre de création totale du droit. Nous voulons seulement
souligner qu'il lui est loisible de poursuivre ce qui a été fait avant
elle, en s'efforçant si possible de faire mieux, mais
en sachant
que
toute amélioration suppose une certaine conservation.
S'il est exact
que le système juridique étudié ici repose

- 344 -
sur un tréfonds ancestral et que)par ailleurs, une
règle
de vie
est rarement
abrogée,
cela ne doit pas induire ~ue
l'adaptation du Laada aux réalités sociales changeantes soit impossible.
Dans la société mandeng
, tout comme dans celles du m~ modèle, lorsque les
principes séculiers sur lesquels repose
le système social ne carres-
pondent plus au vécu social, il se produit toujours un processus d'ajus-
tement des normes qui peut revêtir deux formes : ou bien la société
trouve en son sein un compromis valable, ou bien alors on assiste à un
bouleversement, à une remise en cause non-contrôlée des structures
sociales. Cette dernière éventualité se produit lorsque la société est
incapable de trouver en elle même l'élément fécondant lui permettant de
se restructurer, de s'adapter aux nouVelles condiciOns d'existence.
Dans uni'société initiatique,"qui est par définition même,
une société de consensus, les rapports juridiques qui prennent source
dans la solidité du tissu des relations sociales ont pour trame l'ances-
tralité
la continuité - qui n'est simple répétition mécanique - leur
confère une légitimité qui est le signe de la cohésion sociale et en même
temps un facteur d'accroissement de cette cohésion.
Cette légitimité donne finalement à la société un fil directeur, un modèle
de ce qui est conçu comme ayant été et doit toujours être.
Il
s'agit en fait du maintien de la continuité de la vie sociale
selon un
certain rythme, de la stabilité des institutions qui donnent à chaque
instant
sens au vécu des hommes.

-
345 -
Mais cette continuité ne réfère pas à un état statique des
êtres et des choses. Elle suppose au contraire un certain mouvement
"régulé" comme dans le travai 1 de la navette pour, rang après rang,
combler la trame de l'ancestralité. C'est dans cet esprit que
les
ge~ttfo'nnair"e'S de l'ordre social traditionnel, conscients de la vertu vivi-
fiante du {aada, se sont toujours préoccupés d'adapter les institutions
aux réalités. De là.
toutes les fictions dont on entoure la procédure
d'abrogation d'une coutume séculière. Ces fictions, à l'instar de celles
que l'on observe dans les sociétés modernes, sont des constructions
intellectuelles destinées à faire évoluer les règles juridiques qu'un long
usage a fini par rendre rigides et conservatrices à l'exc3s (1).
Les catégories socXiogiques et juridiques étant ici essentiel-
lament idéelles et non formelles, on comprendra toute l'importance accordée
aux fictions pour répondre à la dynamique sociale. C'est pourquoi, lorsqu'un
~ada devient inadéquat à la réalité qu'il doit exprimer et que sa rigueur
~ut
devenir une source de perturbation de l'ordre établi, on n'hésite
pas à le tourner de sorte qu'il tombera en désu6tude, ou bien on le vide
de tout contenu. Cette dernière éventualité intervient beaucoup plus
rarement.
Pour n'avoir paS suffisamment réfléchi sur les modèles
juridiques des sociétés négro-africaines, des observateurs étrangers les
ont analysés comme des modèles figés,
incapables de s'élargir pour
comprendre des notions nouvelles. "La coutume existe pour un ensemble
social qui doit demeurer le même pour que les solutions prévues
(1) KOU~SIGAN,_ 1966, ~_29--.:'_ gn ~e_-=e~rtera également ~~I.fAS (T~Q)L~E1
"--- p. 1~S-~Q7.I.~' auteur donne de multiples exemples de fictions dans les
systemes jur~diques négro-africains.

-
346 -
s' app liquent ••• " (1).
Il va de soi qu'un tel jugement de valeur qui rejoint du
reste d'autres formulations ethnocentriques qui décrivent les sociétés
traditionnelles africaines comme des sociétés à fondement répétitif ne
reposant que sur des a priori. rls ne sont guère pertirients. En effet,
ce qui est répétitif dans un système social traditionnel, c'est l'essen-
tiel, c'est-à-dire
ce qui fait son essence, ce dont elle ne peut se
défaire sans perdre en même temps son altérité. En cela, les sociétés
dites traditionnelles sont identiques aux sociétés auxquelles :on
les
oppose,
à savoir les sociétés occidentales.
On sera ct' accord avec nous pour admettre que dans toute société
organisée, on ne peut changer à chaque instant les règles qui donnent
sens au projet social, car à vouloir orienter sans cesse le mod~le de
société, on risque finalement d'instaurer une contre-société. "est
créer, dès lors, des conditions qui feront que les sujets de droit ne
sauront plus connattre d'avance la valeur de leurs actes et par li.même,
la rectitude des actions dans lesquelles ils sont engagés. Nulle part
dans le monde, il n'existe de société qui s'accomode du désordre. Partout,
on retrouve la tentative permanente d'organiser en vue de mattriser le
temps, les hommes et les biens. Même si les voies et les moyens utilisés
diff~rent d'une société à l'autre, la recherche d'un ordre compatible
(D ROBERT 1955, p. 30 Voir également les coutumiers juridiques de
l'AOF
Volume II. Larose 1939

- 347 -
avec une certaine sociabilité est inscrite au coeur de chaque type de
proj et de soc iét é.
Pour mieux saisir cette dynamique du ~, du droit vivant,
il convient de noter que non seulement il est divers, mais il est
également d'une grande plasticité, en ce sens que son application requiert
toujours qu'il soit tenu compte de différents facteurs comme l'~ge,
l'appartenance et la position sociales des sujets de droit.
Ce qui, loin
d'altérer
son efficacité,
lui confère
une garantie sociale en tant qu'il manifeste un consensus qui est
reconnaissance des différences entre les groupes constitutifs Choron,
nyamaka1a, jon) et
le
protège
contre les tendances à
l'uniformité.
Il est dans la logique même de cette société divisée, et qui
contrôle sa division, de protéger son projet social et
partant
l'originalité propre de chacun des éléments qui la constituent. On
comprend alors que le Dœ"U: qui n'est qu '.un rev~tement
de la société
doit se mou1er
sur chacun de ses éléments ~
i l
doit
concourir à protéger la personnalité propre de chaque groupe ou sous-groupe
et non à la détruire.
La société mandeng, en refusant les risques de la différencia-
tion des modes de régulation et ceux de l'uniformisation de son système de
])roit,ou, comme dit M. Alliot, en préférant la "sécurité de l'indif-
férenciation
des
modes
de régulation
et
celle
de
la

-
348 -
diversité juridique" (1), veut persévérer en son être autonome, c' est-à-
dire demeurer sous le signe de Sa propre "loi". Autrement dit, elle
refuse tout sLmplement toute logique qui l'amènerait à se soumettre à
une loi extérieure, une loi unificatrice (2).
"~e Droit n'est donc pas distingué des autres méca-
nismes de régulation. Bien aU contraire, il s'y intègre. L'enchev~trement
des mécanismes de régulation et l'absence d'autonomie des mécanismes
juridiques tant à l'égard des croyances religieuses, des convictions
ethiques, des techniques qu'à celui des phénomènes naturels physiques
ou mystiques, terrestres ou cosmiques, renforcent le respect du Droit" (3).
L'omniprésence du &rama, ce surma I produit par la "société initiatique",
pr~t à agir en cas de transgression des normes juridiques et non juridique~
!. ndique
bien
que
la
non-autonomie du Droit n'est pas une
Lmperfection de cette société, mais
au contraire, un solide rempart
destiné à éviter que le Droit ne puisse ~tre utilisé contre elle.
Peu Lmporte, dès lors, que la société malinké-bambara, par
son organisation, par son projet social, n'ait rien de comparable à la
conception européenne de la société et de son organisation.
L'ÜDportant, nous semble-t-il, par delà les jugements de valeurs, c'est
qu'il n'existe paS de société s~ns droit, dans la mesure où l'on peut
(1) ALLIOT (MJ
1976, p. 13.
(2) Cette résistance à l'uniformisation coamencée sous
l'Etat colonial
se poursuit toujours dans le cadre de l'Etat national.
(3) ALLIOT (M)
:
1976 (b), p. 16-17

-
349 -
identifier "le droit, avec le contrale social d'actes ressentis comme
susc ept t b l.es de met t r.a en péril la vie du groupe" (1).
Une telle définition
suppose que les règles soient conformes
aux principes de l'impératif social,àla dynamique sociale, aux systèmes
normatifs de comportement
acceptés par l'immense majorité des membres de
la société} au consensus qui transcende le pluralisme de telle sorte que le
système social n'éclate pas.
Cette formulatiOn du droit a le mérite, nous semble-t-il,
d'éviter les difficultés auxquelles on se heurte souvent lorsqu'on consi-
dère le droit comme l'acte d'un souverain ou d'un corps législatif souve-
rain, ou bien comme un système de catégories ou encore comme une espèce
de contrale venant d'en haut. Le droit ne suppose aucunement un type
d'organisation politique déterminé)
ni même une doctrine sociale parti-
culière. Aucune société, si "primitive" soit-elle, ne peut exister et se
reproduire sans disposer d'un minimum de projet
en vue duquel elle
impose à ses membres un minimum d'organisation, autrement dit un droit.
C'est bien ce qu'exprime sous une forme lapidaire l'adage latin:
ft
ubi societas, ibi jus u, que nous évoquions précédemment.
Dès lors, on peut dire, au risque de choquer certains partisans
du pos~tivisme juridique, que toute société contient par définition une sphère
jurtdique.En effe~1e réseau des droits et obligations qui enserrent dans
(i) ALLIOT(M.)
1976 (a), p. 2

-
350 -
une telle formation sociale les individus, quelle que soit la coloration
des règles, n'en demeure
pas moins affect~
de juridicité. Des esprits
dogmatiques diront peut-être qu'on n'est pas en présence d'un "vrai"
système de droit. L'objection nous paratt mal fondée. A notre sens, les
tenants du positivisme juridique, en ne voyant du droit que là ou ce
dernier est autonome, voire indépendant, ne retiennent que l'expérience
occidentale. Et encore! Ce faisant, ils appauvrissent considérablement
la sphère du Droit. Car, si nous jetons un regard rétrospectif sur les
différentes périodes de l'histoire de l'humanité, force est de constater
que l'apogée du fait juridique, ou plut8t la supériorité attribuée à la
norme juridique
sur la norme non-juridique dans les pays qui ont accompli
de la théologie dogmatique et du pouvoir de l'Eglise, ont donné naissance au
développement d'un mode spécifique de production, en
l'occurrence le système
capitaliste et non à l'Etat en tant quetei.
Des faits bien connus attestent que dans les pays qui out
théoriquement affranchi le Droit des autres systèmes normatifs, la norme
juridique, contraireœent aUx affirmations des théoriciens du fonctionna-
lisme (1), s'est développée indépendamment de l'Etat, lequel est apparu
beaucoup plus tard. Même là où il a émergé très tôt, il est resté des
siècles durant sans exercer son emprise sur le Droit. C'est dire que "le
droit est de l'Etat Sans que jamais l'Etat soit de droit" (2) , d'où le
caractère tout à fait artificiel et dogmatique de certaines interprétations
de la méthode et de l'objet cie la "science du droit".
(1) R. B. RADCLIFFE œ,aiN 1964, p. XXII
(2) P~ICClJC8NER :- r977 , p. 121 •

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".;:;;;\\iJ...~,-;,

-
351
c - Mobilité des frontières internormatives
L'observation de la vie juridique des pays
occiden~aux, surtout en France
enseigne que la "machine juridique"
tout en fonctionnant parfois en dehors du réel, dans "l', abstraction" des
normes idéelles, n'est pas aussi autonome qu'on le dit. L'idée d'autonomie
du Droit, selon certaines critiques, n'est en réalité qu'une "invention"
destinée à produire de "l'illusion juridique", à détourner la réflexion
en la fixant sur ses imperfections susceptibles d'améliorations.
Pour ces critiques, les critères d'après lesquels se produit
l'abstraction des significations normatives
dégagées de la réalité pleine
du droit
ne peuvent,sous peine de tomber dans l'arbitraire, réaliser la
justice "sociale" car, disent-ils, elles sont presque toujours entièrement
séparées de la réalité sociale "au-delà de laquelle plane l'Etat.
Depuis quelque
temps se dessine dans la pensée juridique,
un
courant qui voudrait que l'originalité du Droit résulte simplement des
modalités particulières dt ~ticulation de ses éléments. Pour les partisans
d'un tel renouveau, il faudra aboutir à réintroduire le Droit dans une
totalité, au lieu de le couper de l'ensemble du champ
social (1).
En reconnaissant que le Droit ne saurait à lui seul prendre
en charge la totalité de la régulation sociale, qu'il se produit des
échanges internormatifs qu t expliquent, à l'évidence, l'étroite parenté
(1) Cf. Extraits et bibliographie in ~tes de la Recherche en Science
Sociale.

-
352 -
de nature entre les phénomènes sociaux totaux, on s'achemine dès lors vers
une "déjuridicisat:ionfl
éventuelle de la vie sociale.
Pour ne citer que la France, on y assiste depuis quelque
temps à un processus de libération du Droit. Rien des comportements jadis
réprimés pénalement
tels que l'avortement, l'adultère, sont
décriminalisés ; le mariage même commence à perdre sa place au
profit de l'union libre, alors que la séparation de fait tr.bmphe du divorce.
Dans tous ces cas, il y a bien.· "déjuridicisation" des relations sexuelles
et faJJliliales. Certes
relations "déjurid:i;cisées" ne signifient pas pour
autant relations déréglées. Ce qui s'est produit, c'est un vrai transfert
de normes de contrôle. En effet, le Droit en se retirant
a cédé la place
à d'autres mécanismes de la régulation, à d'autres systèmes normatifs:
morale et moeurs, pour as sure r le relais.
Cette mobilité des frontières inter-normatives indique bien
que si la règle de Droit peut s'approprier n'importe quelle autre r~gle
sociale, rien n' emp~che "que la mine prédisposition se retrouve peu ou
prou, ai lleurs que dans le droit" (1).
En appauvrissant artificiellement la réalité du Droit,
réduit
exc lusivement aux conduites stéréotypées par des règles rigides
et systématisées,. une certaine "science du droit" about it à proj eter le
Droit dans une sphère entièrement séparée de la réalité sociale. Le
(1) CARBONNIER (J), 1977, p. 45-46

- 353 -
système juridique malinké-bambara ignore cet aspect systématisé du Droit.
Ici, tous les grands impératifs sociaux qui gouvernent
l'organisation
sociale: religion, morale, ethique ,
droit etc.
participent tous à
la régulation des comportements sociaux (1).
Dans cette société, l'interpénétration
constante entre
normes juridiques et normes non juridiques est ~lle que le Droit s'appuie
toujours sur des règlesmoralesou r e l.t.gf eus es , et .que ce Ll.es-c r à leur tour::se noiz
~issent de règles de Droit. D'où la difficulté de délimiter avec la
rigueur souhaitée
les différents niveaux du SIRA
dans ·le système social
malinké-bambara. Même s'il arrive, comme c'est souvent le cas, que le
Laada s'approprie des règles relevant d'autres systèmes normatifs, sa
contrainte s'exerce touj ours et nécessairement dans la même direction,
de sorte qu' i 1 existe une ''morale civique" qui résume son impératif dans
le respect des lois communautaires. Parallèlement, la capacité de tota-
lisation du "religieuxlf à travers le réseau initiatique (jOOW) incline à
penser qu t Ll, Y a également une "religion civique". En effet, l'espèce
de polarisation que constitue le fait "religieux"
a fait croire qu'il
y a antériorité de la "religion" sur le droit. Sans nous prononcer sur
leur généalogie, on peut tout au plus admettre qu'il existe "entre les
deux sys t èmes
une réciprocité très particulière d'échanges internormatifs
qui s'explique à l'évidence par une étroite parenté de naturelf (2).
(1) En cette période où l'on parle beaucoup de transfert de connaissances,
ne pourrait-on
demander aux sociétés industrielles occidentales,
enfermées dans la rigidité de leurs codes,de méditer sur le statut épis-
téœologique des systèmes juridiques africains traditionnels dont les
règles plastiques offrent une plus grande souplesse dans l'application des
normes?· .
(2) CARB)NNIER (J),
1977, p. 46
), ..:~~ ,...'..,

- 354 -
Que le droit soit ou non marqué d'une empreinte religieL
se, que la sanc~ion soit ou non de nature purement juridique, c'est dans la
~ciété mandeng, un point relativement secondaire qui n'affecte nulle-
ment l'essence des relations sociales. Il existe, nous dira-t-on, une
différence dans l'esprit qui anime les modalités du contrôle social. A
nptr~. sens, c,ela concerne beaucoup plus les . sociétés occidentales.
En effet, dans les pays qui ont accompli leur "révolution
juridique", "ce qui frappe de prime abord, c'est que la relation n'est pas
) '
récip~~qùeentre le bloc des normes juridiques et ~es autres
la
norme juridique dispose,..~. l'égard de la norme non-juridique" d'un
pouvoir dont celle-ci ne possède pas l'équivalent à l'égard de celle-là.
Entendez que la règle de Droit est capable de s'approprier n'ümporte
quelle autre règle sociale, mais que l'inverse n'est pdnt vrai ••• Les
juristes parlent, à ce propos, de la neutralité de la règle juridique.
Ils visent par là sa disponibilité, sa réceptivité, son ouverture
"tous azimuts" et ils enseignent que c'est une différence spécifique, sinon
même le signe diacritique par excellence, qui la sépare de toutes les
autres espèces de normes ••• " 0)
..~ revMche,
dans une société globale comme celle des Mandeng,
où la conjonction des normes est naturelle, tout porte à croire"qu' au
rebours des autres normeS sociales, dont chacune a son objet concret,
la règle juridique - le Laada - a un contenu indéterminé, ou plutôt
qu'elle n'a même pas de contenu, qu'elle fonctionne comme un simple
contenant, que le droit ne correspond pas à un système particulier de
Cl) CARBONNI:ER (Je)
.. 1977, p .. 45.

- 355 -
valeurs, qu'il ne se rattache à un système de valeurs qu'indirectement,
par l'interméd~re des autres systèmes normatifs, auxquels il apporte
sa consécration ••• " (1).
Enfin, qu'il s'agisse de la société malinké-bamabara, ou
de toute autre société, force est d'admettre que la régulation sociale
n'est jamais assurée par l'unique appareil juridique de normalisation
et de prévention des conflits, mais également par tout un ensemble de
modalités de formation et d'information qui participe aU contrôle social.
Cette compénétration des différents systèmes normatifs, indique, à
l'évidence, qu'ils ne sont point antin~iques, qu'ils concourent tous à
servir de support aU projet de société.
Ainsi, la conjonction des normes est un phénomène courant et
constant dans toutes les sociétés. En conséquence, il faut rej eter l'idée
selon laquelle l'évolution ou le développement des sociétés non-occidentales
passerait forcément par une différenciation des mécanismes de régulation.
L'observation sociologique de nombreuses sociétés.
enseigne que c'est sous
l'effet de causalités internes ou
endogènes
qu'une société peut être
amenée à privilégier pour les raisons qui lui sont propres (survie du
groupe par exemple) un des
modes
de la régulation sociale
à un moment
précis de son histoire et, à un autre moment, accorder la préférence à un
autre mode.
L'exemple des sociétés occidentales peut illustrer à cet
égard nos hypothèses.
(1) CAROONNIER (J)
1977, p. 45

- 356 -
Le triomphe
apparent du Droit Sur les autres modes de contrôle social, n'y signifie
pas
qu'il
soit totalement différencié des autres mécanismes régu-
lateurs; en privilégiant le Droit, ces sociétés ont simplement considéré
les autres systèmes normatifs comme moins indispensables à la survie de
leur pr6:Jet de vie.
AU risque de nous répéter, nous
pouvons c~nclure que le Droit,
qu'il s'agisse des sociétés occidentales ou non occidentales, n'est
finalement qu'un des multiples aspects du contrôle social. Il importe
dès lors de saisir la règle de ~oit au sein des diverses manifestations
de la pensée globale, d'appréhender la relation juridique comme partie
intégrante du
phénomène social total, de mettre en évidence les inter-
férences et interpénétrations des différents plans et niveaux de
pens ée" (1).
En remontant à la source même du s.ir a, à la paro le pérenne
des ancêtres , mieux encor e, au temps d'avant la soc i ét é, au temps de Far.o.,
nous pensons avoir montré comment le Droit s'inscrit sur les différents
paJ.~ers de l'imaginaire ; comment, dans la conception de la société
malinké-bambara, le temps mythique coamande le temps juridique en lui
donnant une légitimité qui fait que le Droit s'enracine dans une tradition
ancestrale qui est davantage une continuité du temps primordial qu'une
simple succession linéaire et fragmentée du temps social.
(1) VEBD 1ER (R)
1960, P.27

-
357 -
Ainsi, le sira préside à l'hanme, i l est un cadre pré-établi
auquel lfhomme malinké-bambara ne peut se soustraire. S'y conformer,
c'est se faire accepter par la communauté, c'est partager le projet de
société, s'en détourne~ c'est s'exclure de la collectivité. Mais, le
sira ne saurait être réduit à une habitude rontingente
à un simple
-"contrat social" ou consensus ayant une vertu dormitive. 11 est le
moteur, l'âme qui anime le projet de société, le terreau dans lequel
plongent les racines de la vie, c'est lui qui fait vivre, au sens le
plus élevé du terme.
\\.

- 358 -
CHAPITRE VII
LES MODES DE RESOLUTION DES CONFLITS
La société malinké-bambara, malgré tout ce qu'on a pu
en dire jusqu'ici, n'est pas cette belle totalité ethnique que le discours
initiatique voudrait construire. En effet, à tous les niveaux de la structu-
ration sociale, se trouvent des zones de tensions et de conflits. Qu'il
s'agisse de l'organisation verticale ou généalogique avec son principe de
Fasya qui accorde la prééminence aux aînés sur les cadets, ou de l'organisation
des différents L~articu1ée autour des Fabonda et des Ba~onda, nous sommes
dans un cas comme dans l'autre, dans des zones de tempête susceptible de
débordement à tout moment.
De même, l'organisation de la société en groupes et ordres différents
est source de tensions et de conflits - malgré la présence de puissants
mécanismes de contrôle social.
Il faut noter aussi, que les valeurs proposées par la société
contiennent en e11es~êmes des éléments parfois contradictoires. En effet, si
l'initiation vise à construire une société juste, à promouvoir un idéal de
sagesse, elle forme également des caractères propices à des "formes
d'agressivité"
• De nombreux différends trouvent leur origine dans un
défi lancé - soit par un cadet, soit un membre quelconque de la communauté
à quelqu'un d'autre (1) -
Nous étudierons successivement les causes des conflits les plus
courants (section 1) et les modalités de leur résolution (section II). Bien
entendu, il ne s'agit pas ici de dresser une carte des confrontations et des
modalités ae~leur règlement. Ce que nous cherchons, c'est tout simplement de
montrer à partir d'exemples concrets choisis dans la société, comment les
Malinké et les Bambara tendent à leur manière de répondre à cet impératif
sociologique.
(1) La rivalité qui procède de la parenté patrilinéaire est appelée Fadenya ;
par ex.t~~si.pn.,... ce t t.e ~xpr8ss.icm_..s~p1ique à- ~if-féJ:.eates fg.rmes de conflits
dans-resquels se :t;rou'lent- impliqués df.ver s grtmpes.·Ort-peut se faire dès lors,
une idée de telles implications dans un climat où prévalent les solidarités
internes-
s~··

- 359 -
SECTION l
DES CAUSES DES CONFLITS
Dans la société mandeng, comme on a pu 1e_ constater dans les pages
précédentes, les fonctionset les responsabilités auxquelles un individu peut
prétendre, dépendent tout d'abord de critères tels que: la primogéniture,
le sexe, le groupe d'appartenance. Ces critères purement statutaires, vont
s'avérer réductionnistes et, partant, discriminatoires. Ils limitent les
possibilités des uns par rapport aux autres, ce qui va déclencher de nombreux
phénomènes. En effet, les champs d'activité ouverts par la société: guerre,
commerce, acquisition de savoir etc., vont faire éclater les limitations
statutaires. Un autre mode de distribution des statuts fondés sur d'autres
critères tels que la capacité ou les aptitudes personnelles, va intervenir, ce
qui aura pour effet une confrontation entre bénéficiaires de statuts assignés
traditionnellement et titulaires de statuts conquis ou acquis.
Ce phénomène mérite qu'on s'y arrête un instant. Il va déterminer
ce que nous appelons le jeu social des rivalités et des luttes de prestige,
au te~e duquel les individus et les groupes vont exiger des uns et des autres, une
reconnaaasance qui n 'est plus fondée sur les c~itères étroits de la division sociaie.
Pour apprécier la dynamique de la confrontation, rappelons la théorie
de la Fasya:>u principe de la représentation.
Nous avons vu en examinant la famille étendue (Lu ou Du) que
-
-
l'actualisation des relations juridiques, en raison de la prépondérence de
l'entité de référence qu'est le groupe, la communauté, ne peut reconnaître la
théorie de la personnalité juridique, que selon des modalités en relation avec
la Fasya - qui comme on le sait, imprègne tous les comportements sociaux.

-
360 -
A) PRINCIPE D'ATTRIBUTION FONCTIONNELLE DES STATUTS
Principe gérontocratique, la Fasya constitue un élément essentiel
du contrôle social, car c'est par elle que s'ouvrent et se clôturent toutes
les actions et tous les discours qui balayent le champ social malinké-bambara.
&n effet, ce quiest rappelé dans les différentes Fasya, ce n'est pas seulement
le sens global de l'expérience commune, mais aussi le schéma de légitimation
qui désigne les pouvotrs et les subordinations, les droits à la prééminence
et les devoirs d'obéissance. En devenant le code relationnel des populations
nandeng, la Fasya devient alors une notion et une technique autour desquelles
s'articule toute la vision juridique malinké-bambara.
Ce qui retiendra le plus notre attention, ce n'est plus l'explication,
ni ·__~~ten~j:~-_~_ ._" du modèle social
que la Fasya opère, ce qui nous importe
ici, c'est bien la notion de représentation qui s'incarne dans le statut de
l'individu.
Dans cette société patrilinéaire, la division sexuelle nous fournit
une bonne illustration. En effet, dès les premiers signes du mythe des origines,
sont clairement désignées l'autorité de l'homme sur la femme, la primauté du
principe mâle sur le principe femelle. Le symbolisme malinké-bambara n'enseigne
t-il pas l'union essentielle de l'homme et de la femme, cette dualité qui
fonde toute l'histoire de la société, et la distinction hiérarchique qu'il
importe de maintenir entre les deux sexes. L'homme et la femme sont identiques
dans leur subordination au vouloir divin, et complémentaires dans le renouvel-
lement de la vie, mais cependant distincts et inégaux en perfection.
Concrétisée dans l'idéologie de la Fasya, une tellessignification
aboutit à une structure fondamentale de distinction entre le masculin et le
féminin, exprimant ainsi les valeurs auxquelles chacun des sexes doit être
soumis, les hommes étant associés à l'ordre, les femmes à l'obéissance.

- 361 -
Mais la Fasya ne se limite pas à cela seulement. Elle désigne aussi
aux différentes générations comme aux diverses fonctions sociales, leur place
dans une hiéra~chie ; elle fournit le modèle des rapports· d'autorité qu'il
convient de respecter pour assurer la reproduction du sens du projet social.
Les distinctions qui sont faites entre les groupes d'âge, les rites instaurés
par la pédagogie rituelle interviennent pour "homogénéiser" les individus
dans leur génération en les soumettant en même temps à une gradation de
dignité. Ainsi, le rituel initiatique, comme on a pu le constater, marque
de manière irrémédiable la séparation entre ceux qui peuvent prétendre à
un rang et ceux qui ne peuvent y prétendre, interdisant à chacun la trans-
gression des distinctions.
Au nom de la Fasya, des individus, généralement ceux qui ont
capitalisé, du moins franchi, autant d'étapes correspondant à des gradations
statutaires jugées nécessaires, vont se voir assigner des compétences
spécifiques. Ce sont les Mogo-koroba (anciens~. Eux seuls seront habilités à
intervenir dans la vie juridique, en fonction des attributions reconnues au
groupe dont ils relèvent. On n'acquiert jamais d'emblée, dans ce système social,
un statut défintif. La "société initiatique" se définit précisément par
l'initiation progressive; on ne brûle jamri.s les étapes nécessaires à .l'ac-
quisition d'un statut. C'est ce qui expliquerait les "différents types
"d'incapacité" qui excluent des rapports juridiques, tantôt fetmlles et enfants,
tantôt les célibataires, tantôt les chefs de famille, de lignage ou de clan" (1).
Face à ce modèede distribution des statuts
tous ceux qui se
situent à des niveaux intermédiaires dans la chatne hiérarchique vont tenter
de développer leurs qualités individuelles. Certains vont doncS! tourner vers
les activités les plus valorisées, celles qui requièrent des aptitudes spéciales,
(1) LE ROY
(E)
1974, p. 569

-
3' " -
'est-à-dire individuelles. Ainsi, l'acquisition du savoir doni-ya, les
ctivités guerrières (créatrices de héros), le commerce, etc••w vont conférer
es statuts individualisés. C'est ce système de statuts conquis ou acquis en
ehors du schéma classique qui va
remettre en cause, d'une certaine manière,
.e statut quo.
Il va en résulter une atmosphère de rivalité, d'hostilitê
.atente, bref, de conflits.
De même, les différentes manifestations de sociabilité : imposition
lu nom, circoncision, mariage, sont des occasions d'échanges sociaux. Ces
loments sont surtout mis à profit par les groupes ou leurs représentants pour
ie livrer à des dons et contre-dons, qui sont exposés publiquement, examinés,
~t appréciés par la cOmmunauté qui s'érige ainsi en arbitre du jeu social.
~errière cette réciprocité de services, c'est en réalité, l'honneur, le
lrestige des individus et des groupes qui sont en cause.
Bien entendu, ce ne sont pas les seules sources de tensions et de
:onflits dans la société malinké-bambara. Cependant, ces zones névralgiques
IOUS
semblent significatives, à plus d'un titre, car les frictions et les
:rustations qui en découlent, rejaillissent sur les relations sociales, et bien
les conflits sociaux trouvent leur origine dans la confrontation entre statuts
lssignés et statuts conquis ou acquis.
B) DE LA CONFRONTATION DES STATUTS
Il convient de noter que la société ne laisse pas se dérouler
l'importe comment cette confrontation sociale. Lorsque tous les groupes sont
mgagés comme dans l'exemple ci-dessus, c'est la société toute entière qui
;'érige en arbitre. Par contre, quand il s'agit des individus et parfois même

- 363 -
des groupes, il est
nécessaire qu'il y ait des observate~rs neutres, des
arbitres qui ne puissent être considérés comme partie prenante aux
différentes manifestations antagonistes. Ces arbitres, se sont les Nyamakala.
En effet, dans le cadre de la division sociale du travail, cette
catégorie sociale, du fait même des rôles et des fonctions qui lui sont assignés
d'une part, et, par le fait même que la société ait,d'autre part, aménagé en
son sein des occasions où s'expriment librement des comportements opposés à
ses normes courantes, les Nyamakala vont ainsi mettre à profit leur position
sociale pour s'ériger en arbitre du jeu social, des rivalités et des luttes
de prestige. Au besoin, ils n'hésiteront pas à les susciter, à les
exacerber,
pour finalement les résoudre à la grande satisfaction de tous. Leur présence
à tous les actes de la vie sociale, à tous les affrontements entre Horon va
les rendre aptes à accomplir une telle fonction. Mettant ainsi à profit cette
disponibilité, les Nyamakala et plus précisément les Jéli (griots), vont
s'ingénier à enregistrer les points marqués par les uns et les autres, en
vue de les publier. Cette forme d'activité a donné naissance à des genres
littéraires. Nous avons ainsi :
1°) - les fasaw, ou pasaw, littéralement: les tendons, les muscles.
Cette production littéraire, de par sa nature même, est destinée à stimuler
(le nyarna), à galvaniser la personne, à provoquer en lui "l'éveil" de sa
vigueur physique et morale, à entretenir sa "tonicité" (1).
2°) - les maa-jamu-li de ~ : personne, de ~ : double de la
personne, et de mu
oindre, peindre. Il s'agit d'une littérature destinée
à embellir l'image d'un individu, en valorisant son jamu : son nom de famille.
~~
3°) - les baramali et les burujuu se rattachent également auvnom
")'
patronymique. Ce sont des devises et des généalogies déclamées aussi bien par
~(._ .~.t.
'.
r~.
t:J,.

...
1
les Jéli que par tout autre individu désirant rentrer dans les bonnes grâces
d'un autre. On dira d'un Tarawélé : "dansoko", c'est-à-dire "Tarawélé le
perceur de brousse", d'un Jara ou Koné : "Kolo ba-'ari" "lion briseur de gros os".
(1) ZAHAN(D)
1963, p.
133

-
364 -
>ur un Kulubaly par exemple, on énonce le résumé de la devise : "Kulubaly,
l- haute montagne
ne s'affaisse pas. Certains on'' vu ta fumée, ils n'ont
lS
vü ta flamme" etc . . .
Pour comprendre l'efficacité de ces différentes productions
ittéraires sur les individus, il cànvient de souligner que dans la théorie
e la personne des populations mandeng, le nom et le prénom constituent
es éléments fondamentaux, auxquels se rattachent de nombreux rites et
royances. Le prénom toko ou togo est la déformation vocalique de to n'ko
ce que je laisse après moi" en mourant (1), il est lié à la "personnalité"
aa-ya ; alors que le jamu_(devise, patronyme) est associé au "double intelligenl
e la personne" (2). La présence des Nyamakala à tous les faits socia:ux~ bien
u'indispensable, n'est pas pour autant rassurant pour tous les Horon. Dans
ien des cas, il est facteur d'anxiété pour les bénéficiaires des statuts
upérieurs. En effet, s'ils chantent et dansent les mérites des uns, ils
eur arrivent aussi de déclamer les défaillances, les inconduites de certains.
eci expliquerait entre autres, pourquoi chaque famille, chaque groupe et
haque dignitaire tenait à avoir son jéli particulier.
Conscients de leur pouvoir - celui du Verbe - les Nyamakala
.'héSiteront pas à exploiter au maximum tous les avantages liés à leur position
lédiane dans la gradation sociale. Ils agiront de telle sorte que chacun ait
.e sentiment de marquer des points.
Ce qui nous semble le plus important dans ce jeu d'essence sociétale,
.e qui lui confère une dimension essentielle, c'est que les protagonistes ne
e considèrent pas comme des ennemis, ils sont les uns et les autres des
ldversaires sociaux, des acteurs conscients de leurs responsabilités respectives.
<'.• '. •
1) L'expression "togo-nyini" signifie recherche de la renommée. Dans les
rivalités inter-individuelles, elle a une connotation péjorative, elle
désigne toute action de prestige.
2) CISSE (YJ
. 1973, p.
157. "La mort épuise la chair, le corps, les os,
elle épuise même l'âme; la seule chose qu'elle ne peut pa} détruire est le
prénom'<la renommée) ou "sans renommée,la vie d'un homme ne serait que
"sortir pour rien et mourir pour rien".

- 365 -
Pour que le potlach collectif puisse ~è dérouler dans des conditions normales,
toute violence susceptible de donner la mort doit être écartée, c'est la
condition sine qua non de son déroulement. Ce qui est recherché à travers le
heurt des statuts, c'est une reconnaissance sociale de la valeur des uns et
des autres. Le rival, la faden, n'est pas seulement le patrilignage, mais
aussi l'ensemble des membres de la société. On comprend dès lors, que le
meilleur-moyen d'assurer cette reconnaissance ne-réside pas seulement dans le
"dépassement" ou le "surpassement" des rivaux, mais dans le fait de s'imposer
à leur conscience.
Dans la société malinké-bambara, les Nyamakala du fait qu'ils ne
se sentent point impliqués dans une quelconque recherche statutaire, sont donc
tout désignés pour se mettre au service de la reconnaissance des uns par
les autres.
Dans cette société hiérarchisée, compartimentée, les tensions et
les conflits apparaissent comme des nécessités sociales. La notion de conflit
se trouve, comme on l'a vu, dans la loi fondatrice de la société malinké-bambara.
Sans conflit, FARO et PEMBA, seraient encore dans "l'oeuf du monde". De même
que nous devons à la rivalité FARO/MUSSa KORONI l'apparition des principes
d'individualisation des humains. L'importance du phénomène conflictuel est si
important dans la penséemanœng qu'il a fait l'objet d'une représentation dans
le système symbolique. Il existe en effet, dans la société d'initiation au
KOHO, une classe d'initiés appelés ''MUSSO KORONI DENW" ou "enfants" de
MUSSO KORONI. Cette classe représente s}lIIlboliquement, " ••• les personnes qui
cherchent à détruire les valeurs sociales, spirituelles, religieuses et politiques
établies, tout comme le fit MUSSO KORONI en contestant avec véhémence et
fougue la mission de guide et de protection des hommes confiés à FARO par le
créateur". (1).
(1) DIETERLEN et CISSE: 1974, p.
224. Le sens qu'on pourrait donner à une telle
représentation, c'est la reconnaissance de la différence. Car tout en
désapprouvant la contestation, la société la reconnait néanmoins comme
nécessaire et bénéfique pour le déroulement du jeu social.

- 366 -
La sociéta malinké-bambara cultive, à bien des égards, des paradoxes
si l'on s'en tient seulement au discours initiatique qui, comme on le sait,
prône un idéal de soumission à l'ordre établi. Mais à y regarder de près, on
est conduit à admettre qu'il n'y a pas à proprement parler de contradictions
entre le discours institué et le déroulement du jeu social sans cette société
qui développe une pensée dialectique. En effet, l'existence de principes
contradictoires se conçoit aisément, dans la mesure où la dialectique n'est
pas ici un mode de résolution des conflits ou de réduction des tensions. La
dialectique reste, dans ce système social, par son inachèvement même, l'expression
la plus significative de la société initiatique, c'est-à-dire une quête
éternelle de l'homme, une remise en question perpétuelle des situations acquises (1).
L'expérience socio-1inguistique des populations mandeng enseigne que
"le conflit ne détruit pas le système social
au contraire, celui-ci, en lui
faisant place, acquiert une rigueur toujours renouvelée. Et chaque groupe,
chaque individu, n'a pas selon les secteurs .•• de la vie sociale, les mêmes
partenaires dans les relations conflictuelles. Ainsi, le conflit n'a-t-il pas
pour conséquence de rompre complètement l'unité de la société ••• c'est dire que
relations de coopération et relations de conflits constituent des réseaux aussi
importants l'un que l'autre pour la permanence sociale, et qui s'enchevêtrent". (2).
S'il fallait enfin, par une formule condensée définir la société
malinké-bambara, nous parlerions volontiers de société à dialectique antagoniste.
En effet, le système initiatique qui est l'élément structurant dans cette
formation sociale met
en présence une série de couples pertinents formés
de termes à la fois antithétiques et complémentaires, chacun trouvant dans
l'autre la vérification de sa propre insuffisance et son prolongement
nécessaire w(3 ) •
(1) L'exemple du FAAMA nous semble à cet effet significatif. Il est celui qui se
rebelle contre l'ordonnancement social, celui qui symbolise tantôt le couple
antithétique PEMBA/MUSSO KaRONI, tantôt celui qui incarne FARO le héros
civilisateur.
(2) MERCIER P. 1971, p.
172
(3) THOMAS h...V)
_ 1973, p.133

- 366 -
La soc~éta malinké-bambara cultive, à bien des égards, des paradoxes
si l'on s'en tient seulement au discours initiatique qui, comme on le sait,
prône un idéal de soumission à l'ordre établi. Mais à y regarder de près, on
est conduit à admettre qu'il n'y a pas à proprement parler de contradictions
entre le discours institué et le déroulement du jeu social sans cette société
qui développe une pensée dialectique. En effet, l'existence de principes
contradictoires se conçoit aisément, dans la mesure où la dialectique n'est
pas ici un mode de résolution des conflits ou de réduction des tensions. La
dialectique reste, dans ce système social, par son inachèvement même, l'expression
la plus significative de la société initiatique, c'est-à-dire une quête
éternelle de l'homme, une remise en question perpétuelle des situations acquises (1) •

L
• \\;,
L'expérience socio-linguistique des populations mandeng enseigne que
"le conflit ne détruit pas le système social
au contraire, celui-ci, en lui
faisant place, acquiert une rigueur toujours renouvelée. Et chaque groupe,
chaque individu, n'a pas selon les secteurs ••. de la vie sociale, les mêmes
partenaires dans les relations conflictuelles. Ainsi, le conflit n'a-t-il pas
pour conséquence de rompre complètement l'unité de la société .•• c'est dire que
relations de coopération et relations de conflits constituent des réseaux aussi
importants l'un que l'autre pour la permanence sociale, et qui s'enchevêtrent". (2).
S'il fallait enfin, par une formule condensée définir la société
malinké-bambara, nous parlerions volontiers de société à dialectique antagoniste.
En effet, le système initiatique qui est l'élément structurant dans cette
formation sociale met
en présence une série de couples pertinents formés
de termes à la fois antithétiques et complémentaires, chacun trouvant dans
l'autre la vérification de sa propre insuffisance et son prolongement
nécessaire-()) •
(1) L'exemple du FAAMA nous semble à cet effet significatif. Il est celui qui se
rebelle contre l'ordonnancement social, celui qui symbolise tantôt le couple
antithétique PEMBA/MUSSO KaRONI, tantôt celui qui incarne FARO le héros
civilisateur.
(2) MERCIER P.
1971, p.
172
(3) THOMAS lI_v l
_" 1973, p.133

- 367 -
Cette définition de la société serait incomplète si l'on
s'arrêtait simplement aux aspects conflictuels ou tensionnels du jeu social.
Pour aller plus loin, il est nécessaire après avoir montré comment la société
malinké-bambara suscite et gère ses conflits, d'indiquer les procédés auxquels
elle recourt pour les résoudre.

-
368 -
SECTION II
LES MODALITES DE REGLEMENT DES CO\\FLITS
Les populations mandeng du Mali o~ su, à l'instar d'autres sociétés,
développer différentes modalités de réglement de leu~ conflits selon des
procédures bien déterminées et correspondant dans tous les cas à la nature
des conflits.
Avant la confiscation du pouvoir politique par le système colonial,
les KAFO traditionnels détenaient toutes les c ~pétences juridictionnelles
sur l'étendue de leur territoire (1). Comme l'indique à juste titre Pathé DIAGNE
à propos du Cayor : ilLe pouvoir judiciaire organise l'ordre intérieur au sein
de la communauté.
Il repose sur un appareil judiciaire qui connaît des règles
précises de compétences et hiérarchisées ••• On le retrouve réparti aux mêmes
échelons que le pouvoir politique dont il ne se dissocie pas. C'est essentiellement
une justice arbitrale. Assurer une fonction de juge, c'est ici se situer en
position d'arbitre par rapport à ses pairs. Le statut des parties et la nature
des délits contrituent à préciser la compétence de tel ou tel dépositaire de
l'ordre. Le chef de lignée, le maître de terre ou des eaux, le chef d'une
minorité ethnique, d'un ordre ou d'une caste sont autant de juges spécialisés ••• "(Z)
.
Pour compléter ce qui précède, il y a lieu de souligner que dans les
snciétés africaines. l'arbitrage d'un contentieux est très souvent précédé de
tentatives de conciliation, de médiation des parties. Aussi commencerons nous
par examiner d'abord la procédure de conciliation ou de médiation (A), puis nous
étudierons l'arbitrage des contentieux (B)
et ensuite les modes de preuve dans
l'action judiciaire (C).
(1) Selon certaines sources, des KAFO qui n'avaient pas soutenu fidèlement Sundjata
dans la guerre contre Sumawovo, ont été dépossédés de certains de leurs
attributs politiques lors de la fondation de l'Empire du Mali.
SAMORY aurait
également retiré à certains MANSA certaines prérogatives liées à leur
souvera ine té.
(2) DIAGNE\\P)
1967, p.l00

- 369 -
A) PROCEDURE DE CONCILIATION ET MEDIATION DES CONFLITS
Dans cette société malinké-bambara profondément marquée par
l'importance des considérations de hiérarchie, d'autorité, d'étiquette, la
coexistence de statuts divers soulève des problèmes complexes. Car dès l'instant
où les rapports sociaux débordent les relations de la parenté généalogique,
ils
font intervenir entre les groupes et les individus, une compétition plus
ou moins apparente qui les conduit à tenter d'orienter les décisions de la
collectivité dans le sens qui leur est favorable, il se dégage dès lors une
logique toute différente de celle qui gère les relations internes aux KABILA (1).
Si de manière générale
dans chaque société traditionnelle africaine
tout individu appartenant à la communauté peut intervenir comme médiateur
dans les différends opposant des membres de la société, chez les populations
mandeng certaines catégories sociales comme les NYAMAKALA et les WOLOSSO sont,
par
leur position dans la gradation des statuts, plus à même d'intervenir
avec efficacité que tout autre individu. Nous avons vu dans le chapitre qui
leur est consacré que les uns et les autres, indépendamment de leurs
spécialisations professionnelles (travail des métaux, du bois et du cuir, et
art oratoire), remplissaient en outre le rôle d'intermédiaire dans les rapports
sociaux. C'est précisément le cas du JELI (griot) qui est le médiateur privilégié
par rapport à cet autre médiateur qu'est le SANANKUN avec qui il partage du
reste de nombreux rôles sociaux pour le compte d'un commanditaire ou sur leur
propre initiative (2).
Pour comprendre le phénomène de la médiation chez les populations
mandeng, il est nécessaire de le replacer dans son contexte psychologique.
(1) Les conflits internes au patrilignage c'est-à-dire le
KABILA, relèvent
toujours de la juridiction du KABlLA TIGI, qui est l'aîné parmi les
pères. Les solutions y sont toujours internes. Il est déconseillé aux
personnes extérieures au KABlLA de prendre parti dans ces genres de
différends, tant qu'ils n'ont pas de répercussions graves pour l'ordre
communautaire.
(2) L'équivalence fonctionnelle de ces deux personnages trouve sa limite dans
les conflits opposant des groupes ou des individus relevant de KABlLA différents.
Dans de tels cas, seuls le Nyamakala est complétant, car la censure SANANKON
ne s'exerce que sur ses alliés.

-
370 -
Nous savons que la Horon-ya, c'est-à-dire l'état de Horon, implique
pour les bénéficiaires la justification de ce statut à travers des comportements
conformes au code des valeurs. Comme la plupart des confrontations se déroulent
entre Horon, il est indécent.... dans le cadre des statuts assignés, de ne pas
marquer/au niveau des relations personnelles, la distance sociale qui sépare les
uns des autres, quelles que soient les causes (justes ou injustes) du conflit (1).
Les NYAMAKALA et les WOLOSSO parce qu'ils n'ont rien à défendre de
ce côté-ci, parce qu'ils entretiennent avec tous les membres de la communauté
des rapports de familiarité, quelle que soit leur position sociale: MANSA,
DUGUTIGI, etc .•• , sont en d'autres termes les SANANKUN nature~s de to~t le
monde. A ce titre, ils sont désignés, non seulement pour arbitrer le déroulèment
normal des luttes et rivalités issues des positions statutaires, mais aussi pour
apporter leur médiation lors des conciliations entre protagonistes.
En ce qui concerne la structure de la médiation mise en place,
c'est en quelque sorte un "dialogue" à trois. La troisième personne, tout en
n'étant pas impliquée dans le conflit, peut se trouver engagée dans une certaine
mesure de par sa position vis-à-vis d'au moins une des parties (rapports de
Sanankunya). Cette situation est parfois susceptible de retarder le règlement
du différend. Par contre, l'intervention des NYAMAKALA a de fortes chances de
réussir pour les raisons suivantes :
1°)
- ils sont les seuls membres de la société capables de se placer
en deçà des considérations d'étiquette, de hiérarchie, d'autorité ou de référence.
2°) - en se substituant à la partie qui se trouve bloquée du fait de
la faiblesse ou de la vulnérabilité de Sa position, le NYAMAKALA est à même
d'imposer à l'autre partie un changement d'attitude qui l'amène à résoudre le
conflit, non plus par confrontation avec l'adversaire direct, mais par le
dialogue avec une troisième personne qui fait fi de toutes les considérations
de formalisme. Cette situation, en quelque sorte fictive, estompe les passions
de part et d'autre, crée une attitude modératrice favorable aux règlements du
différend.
(1) Les bénéficiaires de statuts super1eurs, les aînés sont sensés avoir toujours
raison de leurs cadets. Ce privilège accordé à l'aînesse est rarement remis
en ques tion.

-
371 -
Dans cette société à structuration hiérarchique, chaque catégorie
sociale doit pouvoir selon sa position statutaire assurer une complémentarité
conceptionnelle qui intègre la totalité dans une unité dialectique, il est
difficile sinon impossible de récuser la médiation des NYAMAKALA.
Ils sont
"le coeur, les poumons et le sang" de cette société, sans eux, les HORON
confinés dans leur dignité sont incapables d'agir. Sans NYAMAKALA et WOLOSSO,
il n'y aurait pas non plus de HORON. En effet, si l'idéologie dominante - celle
des HORON - les considère comme un groupe de référence négatif, c'est parce
qu'ils donnent d'eux-mêmes le spectacle, la représentation de ce que les HORON
ne doivent pas être. Et c'est précisément ce rôle de censeur de la société qui
permet aux détenteurs du pouvoir d'affirmer pleinement leur "noblesse et leur
digni té".
La médiation des NYAMAKALA a cependant ses limites. En effet, si la
nature du conflit atteint une proportion démesurée pour devenir un Bala-u,
c'est-à-dire un facteur~i perturbe l'ordonnancement social, il est porté devant
d'autres instances, par exemple celle du DUGU ou du KAFO.
B) PROCEDURES CONTENTIEUSES
La terminologie malinké-bambara distingue trois niveaux dans ce type
de procédure
le Ka Nyanaba signifie, à la fois, version des fa:'
éclaire· ~ement
du litige
il constitue en quelque sorte l'instruction au sens juridique du terme.
Ka Nya veut dire circonstance des évèneaents.
- le Ko Kun : le mobile de l'acte incriminé.
- Kiri ou Kiti tégé : action de trancher un différend, de rendre la
justice.
A vrai dire, le terme procès, qui est utilisé pour traduire Kiri ou Kiti,
n'exprime pas avec exactitude la réalité complexe que couvre le mot mandeng.
En effet, sauf des cas extrêmement rares : état de guerre, janfa-trahison,

-
372 -
,u complot politique, ou activités susceptibles de porter atteinte à l'intégrité
:e la société, le Kiri ou Kiti n'a pas pour but principal, l'application àes
anctions. La décision n'est pas toujours sanctionnée juridiquement, elle peut
tre soumise à l'appréciation d'autres arbitres.
En règle générale, la forme du Kiti est en relation avec les rapports
ociaux des parties, mais aussi en fonction de la gravité des faits.
Il s'agit
lar exemple de conflit interne à une Kabila, un conséil de famille élargi aux
lifférents FA peut iélibérer ; par contre si d'autres Kabila se trouvent
mpliquées, leurs conseils peuvent toujours s'ériger en tribunal avec possibilité
:'appel à une juridiction supérieure, en principe l'assemblée du Dugu (dugu la dyé)
'u celle du Kafo.
Il y a lieu de noter que le
refus
d'une décision
xiste théoriquement à tous les niveaux de procédure. Mais en fait, elle intervient
arement, car l'instance sollicitée parvient presque toujours à règler le conflit.
De manière générale, on peut dire que le procès -Kiri ou Kiti, est
ne exception, même si on y recourt par nécessité, c'est-à-dire lorsque la
rocédure de conciliation n'a pas abouti. Les juges font toujours en sorte que
es débats,se déroulent de manière paisible, afin que chaque partie ait la
ertitude que la sagesse et l'expérience des anciens, des Mogo Korobaw leur
era trouver une solution acceptable. Cette volonté de réconcilier les parties
ri~phe souvent de l'application de la sanction préfixée. Il en est ainsi
ar exemple en cas de crime : le coupable qui normalement doit être exécuté
ar le Muru Kala tigi - le bourreau - peut se voir condamné à verser aux
arents de la victime une compensation pécuniaire (généralement c'est le
roupe qui répond de ses membres, c'est le Foroba (la communauté des biens
~iliaux) qui verse le montant compensatoire). Dans certains cas aussi, les
~ges peuvent demander que le coupable, ou un membre de son groupe, rejoigne
)ur quelques temps la famille qui est privée d'un de ses membres. Dans ce
:lS,
il est tenu de remplir au sein de "sa famille" d'accueil, le rôle que la
ictime était censée accomplir. Il existe ~oute une gamme de solutions aux

- 373 -
litiges, malgré les règles établies. Tantôt c'est l'action perturbatrice qui
est sanctionnée, tantôt c'est la rupture de l'équilibre des comportements
entre 1esdroits et les obligations de chacun, que les juges s'efforcent de
restaurer. L'organe judiciaire délibérant au nom de la communauté, ne prescrit
des sanctions telles que l'empoisonnement, la noyade, le banissement et autres
moyens destinés à débarrasser la société des indésirables que lorsque tout
espoir de réintégration des délinquants ou criminels dans la société est épuisé.
Il Y a toujours chez les juges traditionnels, le souci constant de
réconcilier les adversaires d'un moment, de chercher la réinsertion du
délinquant au sein de la communauté. C'est une tâche bien difficile qui requiert
pour sa réussite l'approbation de l'ensemble de la société. C'est pourquoi en
dehors des crimes politiques, qui font l'objet
d'une procédure spéciale qui
n'est pas sans rappeler la procédure que l'on retrouve dans les cours de
sûreté actuelles, avec un jury formé par les dignitaires des organisations
po1itico-re1igieuses, surtout ceux du Komo, qui détiennent dans ces cas
d'espèces, des pouvoirs très étendus en leur qualité de gardiens des valeurs
fondamentales de la société malinké-bambara; la justice n'est jamais expéditive.
La participation des habitants du lieu où le fait dommageable s'est produit,
tout comme la présence des représentants des localités voisines, constituent
une garantie que la justice sera rendue selon les normes admises par la société.
Il est loisible, en pareille circonstance, à tout assistant d'exprimer son point
de vue sur des aspects de l'affaire, et cela librement et impartialement
puisque son opinion peut être contredite et confrontée à d'autres témaignage.
C'est ainsi que ce qui peut apparaître aux yeux d'observateurs non
attentifs comme une compilation d'arguties
sans liens les unes avec les autres,
les fameuses palabres, sont en réalité "des échanges d'adage, de maximes ou
de charades, où les esprits les plus rapides et les plus aisés gagnent une
réputation d'orateur ou de futur médiateur et par lesquels les participants
dégagent par approximations successives la base
du règlement" (1). Dans tous
(1) LE ROY, 1977, p. 19

-
374 -
les cas on peut compter sur les juges pour séparer le bon grain de l'ivraie (1)
et dégager ainsi les arguments essentiels, les bases juridiques du réglement ;
c'est-à-dire une décision juste, le Nyuman qui respecte une approche pragmatique
de l'idéal de justice partagé par s'ensemble des personnes présentes.
Il Y a lieu de noter que le contexte sociologique dans une société
communautaire n'est guère propice à l'application de peines trop sévères.
L'interpénétration des intérêts des groupes en présence les oblige à rechercher
aux différends qui peuvent surgir en leur sein des solutions qui ne rompent pas
l'équilibre de la société. C'est la raison pour laquelle, dans de nombreux cas
de litiges, on préfère l'amende, la compensation pécuniaire, à l'application de
règles trop rigides. Une cérémonie a lieu, au cours de laquelle on exhorte
solennellement les règles de l'ordre social que doivent respecter les bons
citoyens, on condamne les actes déviants. De telles exhortations ne s'adressent
pas seulement à la partie qui a tort, ~lles concernent également l'auditoire,
afin qu'il les fasse siennes. Slii fallait dégager la finalité de la justice
chez les malinké-bambara, nous serions enclins à considérer qu'elle vise moins
à dire le droit ou à l'appliquer; "car quels que soient les ~itres dont disposent
les parties, l'intérêt général et l'harmonie sociale sont toujours plus forts
que les intérêts particuliers qui doivent souvent céder devant ceux-là" (2).
C'est pourquoi le droit est rarement objet de revendication légitime
soutenue par une règle préétablie. Dans bien des cas, il est surtout la
possibilité offerte à tous de
vivre sous la protection de la communauté.
(1) Les juges sont ceux qui savent le mieux manier adéquatement les maximes
et autres productions littéraires et en comprendre la portée réelle.
1977, p.53

- 375 -
A l'époque coloniale, cette situation a pu abuser certains
administrateurs et juges coloniaux non avertis de la nature des droits
africains. En transplantant dans les pays soumis à sa domination son
système juridique, la France a introduit une conception de la justice opposée
aux pratiques judiciaires de nombreuses populations. Ca~ si la peine est,toujours
et partou~,une sanction du. corps social contre un acte qui le blesse, les
modalités de réparation peuvent être différentes selon les cultures. En ~
attribuant une double fonction de répression et d'intimidation, consistant
respectivement à infliger au contrevenant un châtùnent destiné à lui faire
expier son acte, ou à dissuader par la menace d'une sanction ceux qui
seraient tentés de commettre le même méfait, le pouvoir colonial a bouleversé
le paysage traditionnel. Il y a eu à cet égard une profonde méfiance vis-à-vis
de la justice de type oècidenta1 dont les décisions apparaissent à la majorité
des Africains trop eé~ressives, et non conformes aux procédures traditionnelles
de règlement de conflits.
Il convient également de souligner qu'il n'existe pa~en droit
mandeng
fiction selon laquelle les juges doivent être étrangers à l'affaire
J1a
qu'ils ont à instruire. La connaissance personnelle qu'ils peuvent avoir des
faits de la cause, n'est pas un motif de désaisissement COmme en droit moderne.
Bien au contraire, cette connaissance dans ce contexte communautaire est une
garantie contre tout délit de justice.
Ainsi, quelle que soit l'instance, la fonction des médiateurs, des
arbitres ou des juges consiste à renforcer l'autorité du SIRA et en même temps
à chercher à rétablir l'harmonie entre les parties. C'est cet aspect de la
régulation sociale qui est frappant quand on compare les systèmes juridiques
négro-africains avec les modèles occidentaux. En effet, la tâche la plus
importante du dispositif de contrôle social n'est pas chez les malinké-bambara,
dans l'application stricte du LAADA ; bien au contraire, le maintien, la
sauvegarde des structures sociales, la cohésion, passent par le besoin d'éviter
à tout prix la rupture ou la diminution de la cohésion sociale.

-
376 -
C'est pourquoi les décisions portent le nom de "been", il s'agit
d'un acte de conciliation, dont la valeur dépend de l'accord des parties.
En fait, le "been" est une décision communautaire. Pour cette raison même,
il est difficile de le récuser, car un tel acte mettrait son auteur au ban de
la communauté. Cette mesure est assez grave pour faire accepter la conciliation
dans la plupart des cas. En effet, dans une société qui se méfie du droit
érigé en système autonome, la garantie (sociale) de l'efficience du droit
se vérifie par des réactions de désapprobation et c'est cette garantie seule -
et non la contrainte juridique - qui assure la correspondance des devoirs des
uns aux prétentions des autres.
C)
LES MODES DE PREDVE DANS L'AerION JUDICIAIRE ŒEZ LES MANDENG
OJ Le
contexte,
De nombreux faits délictuels ou criminels
(profanation d'un lieu
de culte, sorcellerie, crime etc,) sont considérés d'abord comme des déséquili-
bre~ntroduits dans l'organisation sociale. La sanction ne peut dès lors être
répressive, mais vise à rétablir l'équilibre du corps social, cette fonction
essentielle de la peine indique qu'elle
est dirigée moins contre le délinquant ou
le criminel que contre l'acte incriminé. De manière générale on peut dire que
dans cette société, quelle que soit l'origine et la nature des conflits, l'objectif
du droit est d'assurer avant tout l'intégration des individus dans la société,
réintroduisant l'équilibre entre les différents groupes et sous-groupes qui
constituent la communauté, ~insi, dans certaines espèces (homicide, violation de
prescriptions religieuses.,) les peines et les amendes ne sont pas appliquées de
manière systématique, Les gestionnaires de l'ordre social prennent toujours en
considération le contexte spécifique des affaires, même si cela n'apparaît pas de
manière explicite dans la sentence elle-même. Les juges traditionnels, préoccupés
par la recherche de l'harmonie dans les rapports entre individu et société ont
développé une stratégie de restauration de l'ordre social, laquelle, en dépit des
apparences n'est pas irrationnelle.

-
377 -
Les modalités d'affirmation ou d'infirmation de la responsabilité
les individus dans l'accomplissement d'un acte qui porte atteinte à la collectivi-
:é ne procèdent pas d'un acte gratuit. Elles reposent sur un examen en profondeur
les phénomènes naturels ou surnaturels qui peuvent s'abattre sur l'individu en
~ecourant éventuellement à la géomancie.
Conscients de leur rôle de faiseurs de paix, les juges traditionnels,
.es anciens, les mogo-koro-baw n'hésitent pas à recourir à diverses fictions
)our rattacher certains actes humains aux caprices extra-terrestres
• Pour
:e faire, ils n'ont pas besoin de constructions juridiques abstraites, ils
:rouvent dans l'imaginaire social et dans la réaljté les bases de leurs décisionS.
:et aspect de la stratégie juridique dans les sociétés traditionnelles n'a pas
;uffisamment retenu l'attention des chercheurs, il mérite cependant une réflexion
llus approfondie qui, nous l'espérons bien, facilitera une meilleure compréhension
le la pensée juridique de ces sociétés. Le recours à une "théorie" interprétative
;'inscrit dans un schéma psychologique destiné à apaiser les passions si promptes
l se déchaîner en fonction des traumatismes que la transgression des normes
)eut provoquer dans le corps social.
Enfin, il convient de préciser que ces atténuations de responsabilités
~'on pourrait assimiler sans abus de langage à des cas de force majeure ou de
cas fortuit, ont leur limite, El,les n'intéressent que les délits qui peuvent
~emettre en cause l'homogénéité sociale et non l'intégrité de la communauté elle-
lême, car dans ce cas, seules des procédures autoritaires peuvent résoudre les
arobl.èmes posés.
h) L'importance du rôle de la preuve dans l'action judiciaire
Les preuves qui sont appelées à l'appui des décisions conditionnent,
~n quelque sorte, la validité même de l'expression de la volonté communautaire.
oette nécessité de l'adhésion du corps social est d'autant plus néces-
iaire que les moyens d'imposer la sanction sont souvent restreints. Chez les
~andeng, nous ne trouvons ces moyens qu'avec l'organisation des classes d'âge et
~vec certaines institutions initiatiques (telles que le kamo et le nama) , l'équi-
lalent d'un corps de police pouvant exécuter certaines décisions de justice pour
jes faits susceptibles de mettre en péril la survie de la société. De même, les
:aptifs publics (jon et wol'Osso)
pouvaient être requis en vue d'exécuter certaines
sanctions relatives à des faits très graves. Pour le reste, la décision doit

-
378 -
s'imposer par la pression sociale et la preuve doit donc être irrécusable. Examinons
les modes de preuve auxquels la société mandeng
recourt de manière générale en
limitant notre propos à l'examen des plus significatifs, c'est-à-nire le témoignage,
le serment et les ordalies.
i)
Le témoignage
séré-ya
Toute personne majeure des deux sexes connue pour sa probité et son
honorabilité est susceptible d'être citée comme témoin. En droit mandeng, est témoin
celui qui non seulement a assisté aux événements, mais également celui qui peut
contribuer à mettre en évidence la cohérence des faits ou la moralité d'une ou des
partie(s)
en conflit.
Mais tout témoignage peut être récusé par la partie advers 7chaque fois _
que le témoin pressenti ne possède pas les qualités morales et les facultés
intellectuelles requises (1). De même sera récus~ le témoin qui a une réputation
entâchée pour vol, mensonge ou faux témoignage. Un témoignage peut être également
refusé pour partialité quelle que soit la cause. C'est ainsi que les liens de
parenté (baden-ya), d'alliance (sanankunya) et autres formes d'intimité constituent
des cas de récusation des témoins, de plein droit,
Il convient de noter également que dans cette société inégalitaire,
le témoignage de certaines catégories sociales tellsque les nxaeakala
et
précisément les jeli, garanké, finé et autres
n'ont certainement pas, pour des
raisons faciles à comprendre, le même poids social que celui d'un horon.
Les nyamakala
sont, comme nous l'avons vu, attachés à des familles; cette
situation de clientèle ou de dépendance n'est évidemment pas de nature à conférer
à leur témoignage l'impartialité requise.
Quant aux jon (captifs)
qui sont des
alieni juris, ils ~e peuvent témoigner. Si des circonstances pouvaiaat conduire
à les entendre devant une instance quelconque, leurs dires ne FCuvaient avoir
qu'une valeur accessoire.
1) C'est le cas des-mineurs, bilakoro (incirocncis), des incapables (maa-dafa-balii
littéralement personne non complète).

-
379 -
'"J)
Le serment
s-inyé
Le serment, sinyé
joue un rôle de premier plan dans l'action judi-
ciaire.
Elle est une promesse qe dire la vérité, tunya. Sa fonction essentielle
dans la recherche de la vérité consiste à mettre la personne qui ~e prête
en contact ~vec le transcendant. ~trement dit, il est fait appel à une autorité
supra-humaine en vue de sanctionner la discordance éventuelle entre l'affirmation
exprimée et la réalité des faits en cause.
Le recours au serment découle de la
conviction du danger qui résulte-
rait pour celui
qui le prête de faire inconsidérément appel à la transcendance.
C'est ce qui expLdque que les sujets de droit étaient réticents à prêter serment.
car le serment transfert le litige devant les ancêtres et les divinités, aux risques
et périls de celui qui l'invoque. La crainte du serment constitue un allié précieux
de la justice. En effet,
ceux qui osa~affirmer leur innocence en abusant de
l'opinion publique hésitaient devant l'épreuve et reconnaissaient ainsi leur
culpabili té.
Bien que le serment soit une"preuve décisoire",
i l n'implique pas
forcément une sanction immédiate. Son effet direct est de résoudre l'indécision
du juge. Mais à plus long terme, chacun attend que le nyama
se manifeste si le ou
les co-jureurs ont faussement juré.
Le serment est généralement prêté sur un "boli~ considéré comme le
siège de la transcendance, soit sur une tombe d'un
illustre défunt ou ancêtre,
soit par la prononciaiton d'une formule spécifique ou en mimant symboliquement
la sanction que le parjure peut attirer.
Dans la recherche de la vérité du tunya, le serment constitue ainsi un
dispositif de dissuasion pour résoudre une contradiction entre suspects
ou autres
témoins.
3) Les'ordalies
Si le témoignage
.séré....ya
et le serment
sinyé'.
peuvent être analysés
comme des modes bnmatériels de
recherche de la vérité, tunya, l'ordalie, quant à
elle est une ép~euve concrète et îmmédiate. Dans les sociétés où elle est pratiquée,
l'ordalie est considérée comme une affirmation publique et brutale de la culpabilité.
Et c'est précisément en cela qu'elle est la phase finale de l'enquête)de la recherche
des preuves.

-
380 -
Gomme pour le serment, la procédure implique dans tous les cas,
l'appel au transcendan~x mâne~des ancêtres, aux divinités et à l'Etre Suprême.
on recherche la manifestation d'un signe éviden~ faisant connaître à l'opinion
publique celuî qui est l'auteur de l'action en cause.
En pays mandeng,
les épreuves destinées à faire éclater la vérité sont
nombreuses. Outre, le poison (suc de plantes vénéneuses ou bakha), on rencontre
le fer rouge,le feu, l'eau bouillante, la divination etc.
,L'épreuve du fer rouge consiste par exemple à le faire lécher par
le ou les suspects. Si la langue reste intacte, l'assemblée érigée en tribunal est
alors convaincue de l'innocence de celui qui a satisfait à l'épreuve, sinon la
culpabilité ne fait plus de doute .
• Signalons encore l'épreuve du pilon (ou kolon kalani)
et celle
du martinet (ou gényé) .
Dans le premier cas, il s'agit d'un pilon qui a subi un traitement spécifique
(divinatoire) en rapport avec la missiun d'enquête qui lui est assignée. Porté sur
les épaules de deux hommes choisis pour leurs qualités physiques, le pilon mû par
une "force interne" se transforme en véritable agent d'investigation entratnant
les porteurs dans une folle course. A son terme, le pilon vient s'abattre sur une
personne sensée être l'auteur du fait en cause.
L'épreuve du martinet est assez voisine de celle du pilon. Elle repose sur les
mêmes principes divinatoires. Tenu par un homme fort, le martinet animé par un
principe dynamogène, entraîne le porteur vers le responsable du délit
ou du crime
et qui sera durement flagellé.
En fait, l'ordalie n'était pas couramment appliquée. On y avait recours
qu'en dernier lieu et lOxSquel'accusation, fondée sur des présomptions
réelles
porte sur un délit ou un crime particulièrement grave et odieux (procès de
sorcellerie, empoisonnements),
le l~ réglementait son utilisation et prescrivait
la nature de l'épreuve à administrer.
ces quelques exemples de preuves ont permis de montrer combien l'adminis-
tration
de la preuve est une nécessité fondamentale quand surgit un conflit et
que les moyens d'investigation habituels se révèlent inopérants. Si la preuve judi-
ciaire, dans les exemples cités,n'apparalt pas comme une preuve abstraite, elle
reste toutefois l'expression de la recherche de la vérité compte tenu des besoins
de la vie en société. En cela elle concourt au renforcement du consensus social.

- 381 -
Ces moyens d'investigation ont pu avoir, comme nous l'indiquions
plus haut, des conséquences choquantes pour les esprits nourris de rationalisme,
au motif qu'il s'agit de succédanés de moyens rationnels, ce qui a conduit ces
auteurs à distinguer et à opposer dans l'action judiciaire des sociétés dites
traditionnelles ou primitives, une
procédure neutre ou "laïque" et une procédure
"magico-religieuse" (1). De telles typologies, au lieu
d'éclairer la nature des
phénomènes étudiés, ne font hélas que les obscurcir,
Or, nous avons vu d'une part que le droit n'avait aucune autonomie
et que,d'autre part
ses sociétés sont régies par le principe de l'internormativité.
Il n'est donc pas étonnant que le droit recourt aux sanctions des autres systèmes
normatifs. Ceci explique que l'instance chargée de régler un différend peut
solliciter, dans la recherche de la vérité, des règles relevant d'autres modalités
du contrôle social, dès lors que les normes habituelles s'avèrent insuffisantes
ou incapables de résoudre le conflit.
C'est ainsi que le recours à l'ordalie ou au serment
ne fa,lt·o: pas
sortir l'action judiciaire du domaine de l'expérience. Bien au contraire,l'appel
aux croyances partagées et vécues ensemble constitue un moyen déterminant de faire
éclater la vérité.
1)
POIRIER (J).
I963, p. 3 7-55 ~

-
382 -
CHAPITRE VIII
LOI ET COU'fUME
OU L'ETAT CONTRE LA SOCIETE
L'Afrique Noire contemporaine est Sans aucun doute,
l'une des
parties du monde où les habitants vivent le plus cruellement la crise de
l'identité culturelle. En effet, parmi les nombreuses sociétés violées,
dénaturées et aliénées par l'entreprise coloniale européenne,
les sociétés
africaines sont celles qui souffrent le plus profondément de l'acculturation
autoritaire coloniale. Les effets de cette entreprise cnt eu pour conséquence
d'affaiblir partout les anciens cadres de vie. Les mécanismes traditionnels
de régulation sociale ont perdu du terrain, ils ont été plus ou moins
supplantés par d'autres systèmes normatifs provenant directement ou indirec-
tement de la société colonisatrice.
La crise de l'identité culturelle à laquelle les sociétés
africaines sont confrontées aujourd'hui, a des racines lointaines. Elle
remonte à l'époque où les nations occidentales qui se sont partagées la
planète ont couvert celle-ci de leurs institutions, de leurs lois, de leurs
langues, de leurs croyances, bref du poids écrasant de leurs intérêts
économiques, politiques et culturels. Durant cette période de domination
sans partage, les puissances occidentales n'ont consenti aUx peuples dominés
aucune autre alternative que l'assimilation ou l'écrasement.
Pour la défense des intérêts du monde occidental, chaque
puissance coloniale avait baptisé son hégémonie du nom d'universalisme, en
signifiant ainsi, à chaque sujet dominé, qu'il ne serait homme à part

- 383 -
entière~ que dans la mesure où il se laisserait assimiler par l'esprit et
dans les institutions véhiculées par la civilisation occidentale (1).
On ne dira jamais assez cOffibien cette politique d'endoctrinement
a contribué à détruire les schémas traditionnels d'être et de penser, et
combien il a profondément dénaturé les rapports de l'homme avec son univers
en Afrique Noire.
En dépit de la diversité des moyens employés par chaque puissance
coloniale pour gérer son empire, parto~: l'idéologie de l'acculturation a
eu pour instrument privilégié la Loi pour légitimer la domination. Considérée
comme supérieure à la çoutume des populations,
la Loi coloniale en tant que
technique de renforcement du pouvoir,
a servi
à
organiser progressivement
le rapprochement des dominateurs et des dominés.
Cette foi en l'universalité de la culture occidentale dogmatique-
ment élevée à la dignité supérieure, est posée dès le départ ; elle va
conduire les nations colonisatrices comme la France à déployer une stratégie
juridique dont le terme serait l'assimilation des peuples sous Sa juridic-
tion. L'instrument juridique chargé d'organiser et de définir le cadre
normatif de l'assimilation prendra la forme du conflit ,Loi con~re Coutume, qui
devient finalement synonyme de l'antithèsen~ !rogrès contre stagnation.
Bien que la colonisation ait pris fin en principe/en tant
qu'agression historique et offense culturelle,à la faveur des indépendances
octroyées aUx anciens territoires de l'AOF et l'AEF , la latence coloniale
(1)
Jules FERRY écrivait en 1882 : "il faut croire que la Providence a daigné
nous confier une mission en nous rendant martres de toute la terre ( ••• ).
Proclamer partout la loi du travail, enseigner une morale plus pure, étendre
et transmettre notre civilisation, cette tâch~Jssez belle pour honorer une
grande entreprise coloniale". cité par Charles~Robert AGERON, 1978, p. 65

-
384 -
c orrt i nu e toujours d'hypothéquer les relations
entre les nouveaux Etats
indépendants et l'ancienne puissance coloniale qu'est
la France. En effet,
l'avènement à la souveraineté nationale n'a paS pour autant affranchi les
Etats africains de l'opposition formelle
de la Loi à la coutume.
Nous
aurons donc à nous interroger sur le sens et les étapes historiques
de la politique coloniale française
(section 1).
D'autre part
nous tenterons de cerner les e~fets réels de
l'essai
du
transfert
du modèle juridique français sur les structures socio-économiques des
nouveaUx Etats francophones en général et malien en particulier,(section II).
Puis nous tenterons d'esquisser un modèle
endogène du développement
et
les perspectives d'une nouvelle approche
du droit en Afrique Noire francophone (section III).

-
384 -
continue toujours chypothéquer les relations entre les nouveaux Etats
indépendants et l'a1Jcienne puissance co loniale qu'est la France. En effet,
l'avènement à la souveraineté nationale n'a pas pour autant afféanchi les
Etats africains de l'opposition formelle
de la Loi à la coutume.
Nous
aurons donc à nous interroger sur le sens et les étapes h~storiques
de la politique colcniale française
(section I).
D'autre part
nous tenterons de c~rner les effets réels de
l'essai
du
transfert
du modèle Juridique français sur les structures socio-économiques des
nouve aux Etats francophones en général et malien en particulier, (section II).
Puis nous tenterons d'esquisser un modèle
endogène du développement
et
les perspectives d'une nouvelle approche
du droit en Afrique Noire francophone (section III).

-
385 -
SECTION l - LE MODELE JURIDIQUE OCCIDENTAL EN AFRIQUE NOIRE FRANCO-
PHONE : Les faits et les circonstances historiques
Le système colonial a introduit dans les pays soumis à son
autorité
une pensée juridique, une conception des rapports de
l'homme avec son environnem~nt entièrement différente de celle
des populations
sujett es.
La philosophie juridique
occidentale -depuis
plusieurs siècles -
repose sur des principes
qui font que l'homme peut, par la loi, modifier son destin et partqnt
dessiner son avenir et celui des siens (1).
En \\impo~ant
aux colonisés
l'idée qu'il n'a réalisé le progrès éco-
nomique et social qu'en libérant l'individu d'un ensemble de contraintes
inhérentes à
l'ancien ordonnancement socia1,grâce à l'élaboration
d'un dro~t beaucoup plus orienté vers l'avenir que vers la conservation du
passé, le système juridique occidental se veut incontestablement le
produit du triomphe de l'individu sur son groupe d'appartenance. Le
résultat d'une telle conception
a abou~i dàns les civilisations européennes
a crêer le mythe de l'individumattre de construire son avenir.
Concernant les
anciennes colonies françaises, la France, dès
le départ et dans la perspective de sa ''mission civi lisatrice''. n'a pas
trouvé meilleur système juridique à donner en exemple que sa propre
législation. Dès lors, un rapprochement toujours accentué des institu-
tions africaines avec les siennes
étai.t inéluctable ..
"r1 n'était
point concev.ab1e que la France poursuivît sa mission au-delà des mers
tout en laissant ces peuples à l'emprise des mOeurs et coutumes jugées
(1) Cf. ALLIOT (M) .

-
386 -
contraires à la morale chrétienne (1)".
La logique du système colonial impliquait de substituer le
Droit métropolitain à celui du colonisé. Cette substitution, malgré les
stratégies utilisées, n'a pu se réaliser totalement. Il n'en reste pas
moins vrai que la réception -même partielle- du droit colonial pendant
la période de domination affecta
lourdement le paYSage traditionnel.
La colonisation n'est pas seulement la mise en contact de deux
types de civilisation. C'est aussi la confrontation de deux logiques
différentes. D'un côté, les sociétés africaines à économies non techni-
ciennes, envisageant les rapports sociaux sous le signe communautaire)
appréciant la valeur des choses selon des critères en référence avec
des significations plus symboliques que marchandes, consacrant la pri-
mauté du groupe sur l'individu
avec le souci constant d'un équilibre
entre l'individuel et le collectif. De l'autre,
l'Europe à économie
développée, maîtrisant sans cesse la matière et dont la philosophie,
tout en étant d'inspiration chrétienne, conSacre la prééminence de
l'individu sur la communauté.
Qu'il s'agisse des croyances, des conceptions de la place
de l'individu ou de son rôle, les deux projets sociaux sont en opposition. Il
ri' est donc pas surprenan-t que le droit qui est l'expression d'un ordre social
déterminé
(1) KOUASSIGAN (G.A.)
I974,p.22 reproduit,d'après R. Delavignette et C.A.Julien
l'art.XV!! de la Charte de la Compagnie des Cent A s~ciés èI.ui donne- une idée
d~ la convergence de l'évangélisation
et de la
politique
civilisatrice dans l'expansion française: "Les sauvages, -
qui seront amenés à la connaissance de la
Foy et en feront profession seront censés et réputés naturels français et
comme tels pourront venir habiter en France quand bon leur semblera et y
acquérir~ tester, succéder et accepter donations, legs tout ainsi que les
vrais régnicoles et originaires français, sans être tenus de prendre
aucune lettre de déclaration ni de naturalité". -

-
387 -
dont il aSsure le maintien et la stabilité ait été le premier à subir
l~ choc
de la colonisation.
Pour comprendre l' imbrQg lio juridique qu-ï caractérise actuellement
les pays francophones d'Afrique Noire, une brève rétrospective de la
doctrine juridique qui prévalait à l'époque de la colonisation directe
n'est pas sans intérêt. Elle révèle une tendance à l'uniformi-
sation des droits traditionnels sur le modèle métropolitain. Par des
touches et des retouches successives, le pouvoir colonial français est
passé de l'assimilation outrancière à l'assimilation suggéré~·
La doctrine c o Loni a Ie f r anç at.s e avait cru à l'efficacité d'un
droit uniforme, toute la politique législative de l'époque consistait
donc à étendre le bénéfice des lois métropolitaines aux indigènes. Pour
. les soustraire à l'empire de leurs croyances, coutumes et moeù.fl, dès
l'aube coloniale, le code pénal français fut substitué aux coutumes
jugées.
Cette tendance
aU
rapprochement des
institutions autochtones avec la législation française traduit bien
l'idée chère au pouvoir colonial, à savoir la supériorité indiscutée
de la civilisation européenne caractérisée surtout par la loi écrite sur
un ensemble de pratiques "hétéroc l~ tes et au surplus confuses et
indifférenciées". Toute une stratégie à plusieurs temps fut déployée
aux fins d'atteindre ces objectifs.
Cependant
jusqu'en 1939,
l'application
de
cette
politique était
limitée.
i.e
légis lateur
de l'époque,
par ses réformes partielles, montrait bien
que le motif essentiel de
son action demeurait la progression des peuples africains vers les
modes de vie en meilleure conformité avec les conceptions européennes.

-
388 -
Mais une
partie derl a doctrine n ' avait
pas craint de prendre de
contre-pied la politique coloniale. Telle avait été la position d'un éminent
'--
juriste spécialisé dans le droit c o LcnLa L quiavait écrit dès-oI927
que" la subordination des institutions de droit privé indig~ne ~ la loi
française reviendrait ~ s'arroger sur les consciences une autorité ec
un droit de disposition auxquels aucun peuple colonisateur ne saurait
prétendre" (1'.
La seconde guerre mondiale, p<lrce qu'elle a exigé la partici-
pation des colonisés ~ l'effort de guerre mené par la France, et surtout
la Conférence de Br:'azzaville de
194L;.-mt jeté les bases d'une politique
beaucoup plus hardie qui ·revenait ~ substituer la législation française
aux règles coutumières (2). Allant plus. !.oin encore, la constitution française
de 1946 affirmait le caractère transitoire et exceptionnel des institu-
tions africaines de droit privé. Cet idéal d'un droit universel s'était pourtant
déjà
révélé comme utopique et irréalisable face à la résistance opposée
par les structures traditionnelles (3).
(1.) SOLUS (Henri)
1~27, nO 186 et suivants.
(2'> ROBER~ (A.P.)
1955, note
ce propos : "La nature humaine présente
à
un fondscommun sous toutes les intitudes, et leur systàme juridiq~e, fruit
d'une longue évolut~onJ doit être ~pce à régler les rapports entre le~
hommes à que lque race qu Ti 15 appar c i en..'"lent"
(3) Cf. ALLIOT CM'

- 389 -
Ainsi deux modèles juridiques coexistaie nt en matière
de droit privé, avec toutefois la faculté offerte aux autochtones d'abandonner
leurs
coutumes au bénéfice de la loi métropolitaine.
Essayons donc de dégager quelques traits saillants de l'entre-
A
prise d'acculturation juridique pronée par le législateur colonial.
A cet effet nous retiendrons principalement leç domaines qui nous semblent les
plus révélateuude la politique d'assimilation. Il s'agit tout d'abord
de l'ordre public colonial et ensuite de l'intervention directe du
législateur dans le domaine du droit de la famille dans les dernières
années de la colonisation.
JJ L'ordre public colonial
Dans les rapports de type colonial, le pouvoir dominateur
n'intervient dans certains domaines que pour précipiter une transormation.
Dès lors que la colonisation se justifie comme oeuvre de civilisation,
i l était
dans ~a propre logique d'extirper
des droits des popu-
lat ions conquises
tout ce qui paraissait contraire à son code des
valeurs morales, juridiques et économiques.
Ainsi conçu, le droit colonial Se voulait
comme un ensemble
de principes garantissant le respect de la personne et de la dignité
humaine,
mais très tôt, il devait se confondre" avec 1'ordre public

- 390 -
social et économique instauré par le colonisateur et conforme à sa
politique ••• La législation et la jurisprudence en étaient arrivées à
définir comme contraire à l'ordre public tout ce qui était de nature
à ralentir ou à compromettre le développement économique et social" (1).
Mais
au fur et à mesure que l'emprise coloniale sur les populations
devenait de plus en plus solide et qU'elle n'était plus
mise en cause par des troubles, la puissance coloniale allait inaugurer des
méthodes qui se révèleront en contradiction avec sa doctrine première.
Ainsi certains institutions du système traditionnel africain
tel que le mariage par coemption, le lévirat, la polygamie, qui entraient
en conflit avec les principes de la civilisation occidentale ont été mainte-
nus dans la meSure où leur survivance ne constituait paS une entrave au
développement économique. Par contre, les domaines dans lesquels le droit
français a consacré la liberté d'action comme conséquence de l'autonomie
et de la volonté, furent déclarés d'ordre
public.
Il en fut surtout ainsi
dans le domaine contractuel pour assurer la sécurité des transactions. Ce
qui, aU demeurant, était essentiel à l'ordre économique instauré.
La théorie de l'ordre public colonial telle quelle a été
élaborée par M. SOLUS (2) permet de déduire que le droit pénal est
avant tout un instrument d'une civilisation dont il assure la sauvegarde.
Appliquée dans les pays d'outre-mer avec des colorations différentes de
(1) KOUASSIGAN : 1974, p. 55
(2) SOLUS (Henri) : 1927, p. 302 et suive

- 391 -
celle de la métropole, la loi pénale n'a pas toujours eu dans les
colonies un fondement moral et juridique soutenable. Elle répondait
surtout à la volonté du pouvoir exécutif colonial qui selon les cas
réprime ou absout des faits dans certaines parties du "territoire
national" (1).
Tout ceci indique combien le régime pénal institué au nom de la même
civilisation différait selon qu'il s'agissait
de
l'ordre
public
colonial ou de l'ordre public métropololitain.
public colonial ou de l'ordre public métropolitain.
Pour résumer cette tendance qui a prévalu jusqu'à l'avènement
des indépendances, on peut dire de manière générale que la politique
coloniale reposait finalement sur un dosage calculé. La loi française
avait en effet délimité
un
domaine
d'intervention
réduit
des droits traditionnels,
MaÎ's, dans certains . .
cas, elle écartait leur application au motif qu'ils étaient incompatibles
avec l'ordre public.
Dans d'autres, elle intervenait purement et
simplement dans le silence réel, apparent ou supposé
de
ces droits
traditionnels.
Enfin, l'option de législation offerte aux parties
engagées dans une action juridique venait conforter la supériorité de
la loi de l'Etat sur les droits traditionnels à vocation particulière
(1) Les dispositions des décrets du 19 novembre 1947 et 14 septembre
1951 qui tentent d'adapter l'article 339 du code pénal à cette situation
témoignent beaucoup plus de l'embarras du législateur qu'elles n'appor-
tent une solution juridique équitable.

- 392 -
et partout limitée à sa sphère d'influence (1).
L'assimilation législative en tant que principe cardinal de
la politique coloniale, le rêve d'un droit uniforme inspiré de cet
idéal, a gouverné toute la vision des rapports que le pouvoir colonial
entretenait avec les populations ,_.
Malgré
l'échec de l'assimilation obligatoire, l'ordre colonial persistait tou-
jours) dans sa conception première, à savoir que le progrès des peuples
colonisés ne pouvait être réalisé autrement que par la diffusion et
l'adoption par ceux-ci des valeurs occidentales. Si cette politique a
eu des résultats tangibles au niveau des institutions politiques
régies par des principes et des règles du droit métropolitain, en revanche,
il
y
ava.tt;
'
.
,.
l '
,.
,
v
~
en matiere de dro~t prive une dua ~te de systeme :
la législation française et les droits traditionnels. L'armistice entre
ces deux ordres juridiques devait durer aussi longtemps que le pouvoir
colonial respectait les principes qu'il avai~ lui~même définis. En effet,
"il avait pressenti la charge explosive d'une remise en cause" des
règles qui régissent la condition des personnes en droit traditionnel,
lesquelles avaient "l'avantage
de fonder des règles sexuelles et
morales autant qu'économiques et politiques avec une cohésion dont la
pérennité dépasse souvent la vie des systèmes économiques. Le co1onisa-
teur avait donc posé très prudemment le principe du respect des coutumes
familiales au double motif que la famille est le lieu de concordance
des conceptions les plus intimes d'un peuple, du ressort de la liberté
de conscience ou de culte et que l'immixtion du législateur risquerait
(1) LUCHAIRE (F ~
1959, p. 3 et 416

- 393 -
soit l'inefficacité)soit une réaction violente des populations" (l).
Le ''maintien
des institutions indigènes" (2) répondait en fait ••• aux
appréhensions de tout légiste: l'ineffectivité de la règle et le
désordre social. En fait, ''modifier par la loi l'organisation adminis-
trative où les règles de commerce e~t toujours chose possible. Mais à
vouloir briser les structures fondamentales des sociétés traditionnelles,
des législateurs étrangers auraient risqué de ne pas être suivis et de
faire perdre ainsi toute autorité à la loi" (3).
Ayant surestimé peut-être la nature réelle de ses moyens
d'intervention et réconforté par ailleurs par la transplantation et la
réception de certaines de ses conceptions dans d'autres domaines, le
pouvoir colonial a cru alors nécessaire au dernier stade de la coloni-
satio~de rompre l'équilibre instauré par la dualité de régimes juridiques
en matière privée. Les exceptions au principe
du maintien
des institutions privées africaines se multiplièrent, toujours au nom
de l'ordre public colonial et des principes liés à la mission civilisa-
trice.Or~lafilm111e demeurant
le pivot de l'organisation traditionnelle,
toucher à un élément de cet édifice, c'était déclarer la guerre à
l'ensemble sociétal.
B) Conflits entre l'ordre juridique fransais et
les droits
traditionnels
Les institutions d'une société ne sont pas une création
(1) COSTA (J J
1971, p. 155-156
(2) SOLUS (HJ
t927, p. 228 et suive
(3) ALLIOT (Ml
1968 (a.), p. 54

- 394 -
ex nihilo. Elles sont toujours en rapport avec l'imaginaire qui modèle
le projet de société. Leur adaptation à leur paysage d'intervention
répond à des besoins de sens, de sign~fication co~respondant à des situa-
tians concrètes. Le législateur colonial semblait l'avoir compris
dès le début, ce qui explique sans doute sa réserve quant à l'imposition
de ces institutions privées. Pourquoi alors s'attaquer à la famille.->
ce bastion solide qui Se situe au-delà des catégories du droit de la
famille tel qu'il est exprimé dans le code civil français?
Les motifs invoqués pour assurer la sécurité des transactions et
la bonne organisation du régime foncier pouvaient servir à fairf7âssurer le
"respect de la personne et de la dignité humaine et l'identité juridique
des personnes" (l). L'ordre public colonial permit ainsi une même stratégie,
en deux temps : "une atteinte indirecte, puis un coup direct porté aux
institutions familiales locales"
(2)
Les atteintes les plus efficaces furent les atteintes indirectes
des réglementations foncières soustrayant la terre à l'autorité des groupes
traditionnels pour la laisser approprrer par des
indi~idus ou pour la
confier à des groupes de type moderne, telles, par exemple
les coopératives"(3'
tj n régime d' état- civi l,qui de'èi t
"assurer une personnalité juridique
et permettre de suivre les mouvements de la popul~tion" (4), "donna •••
(1) SOWS (H,)
1927, p. 313 et suive
(2) COSTA (J)
-_,
1971, p. 156
(3) ALLiOT (Ml
1968 (ël.), p. 54
(4) sOLU~_ (H~
1927, p. 321

- 395 -
ainsi force juridique à la déclaration individuelle de volonté et
affirma •. le contrôle de l'Etat sur ses ressortissants de la naissance
à la mort" (1). Ces techniques juridiques ont largement contribué à
ébranler le faisceau des relations parentales en modifiant pour ainsi
dire la notion même de personne telle quelle est connue en droit tradi-
tionnel. Cette nouvelle tendance à une conception restrictive de la
parenté et donc de la famille a conduit à un processus d'individualisa-
tion dont les conséquences les plus nuisibles sont l'amenuisement de
l'esprit communautaire et l'émergence d'une nouvelle cellule de base à
l'image du modèle occidental. Cea
t r ans Eormat t ongqua ne s' opèren t
d'ailleurs pas Sans heurts, portent
de
sérieux coups
à
l'Afrique traditionnelle. Car c'est cl<V\\$ la transformation de la famille
et l'adoption d'une nouvelle hiérarchie de valeurs que se trouvent en fait
les causes de modification des rapports entre l'homme et la terre (2).
1
L'instauration de l'identification civile,
accompagnée
de l'organisation judiciaire et de la dualité de statu$,
indigène et français,
porta
un coup décisif à l'ensemble des systèmes juridiques traditionnels.
Les coutumes fUrent reléguées au second rang
dans tous les actes dittés au
nom du progrès, de l'économie de marché (3).
d ' t
la J'ustice française différente de
La conception du Droit intro U1 e par
reJ'ailli sur cette dernière et vidé le
celle de la justice traditionnelle, a
les tribunaux dits coutumiers,
droit autochtone même, dans
de
sa
conception
première
d'instrument
de
(1) COSTA (J)
.
1971, p. 156-157
(2) Cf. KOUASSIGAN : 1966, p. 121-252
(3) Cl,tons les textes principaux: le décret du 25.5.1912 (Dar. 1912-1-649 pour
l'AOF et le décret du 23-5-1912 (Dar. 1912-1-646) pour l'A.E.F.

- 396 -
:réajustement des équilibres
par
la conciliation et l'arbitrage.
A partir de cette période, les droits traditionnels
furent "baptisés"
droits coutumiers. En fait, il s'agissait
de
droits hybrides, mais consti-
tuant moins une synthèse entre éléments de droits traditionnels et apports oc-
cidentaux que nés de pratiques juridictionnellE!s.-ttce.produit juridique"de la
colonisation n'est en réalité "pas tellement un genre de droit qu'un
genre de situation juridique qui se développe dans des contextes où
les systèmes juridiques dominants reconnaissent et font durer la loi
locale des communautés qui sont politiquement subordonnées" (1). Ce
type de droit porte incontestablement la marque de l'altération des
structures fondamentales des sociétés dominées au profit des sociétés
étrangères dominantes. C'est pourquoi nous estimons qu'il n'aurait
pas dû servir de modèle de référence lors de l'avènement des pays
africains à l'indépendance.
PourEn venir à l'intervention directe du légis lateur dans le
domaine du droit de la famille, il y a lieu de souligner, au risque
de nous répéter, que l'influence déterminante
des
croyances tradi-
tionnel1es
sur l'idée de droit s'oppose
à la sécularisation
de la norme juridique, les sociétés traditionnelles,comme on a pu le
constater en étudiant l'exemple mandeng
, se méfient du droit.
L'interprétation des différents impératifs sociaux déborde le cadre
(1) FALLERS etLLOYDS 1969. cité par
_. SNy~ERrG)- "Le droit de la
terre et le changement économique au Sénégal ru r a l , •• " in Etudes sur
le Droit de la terre en Afrique noire. Vol. 2 Laboratoire d'Anthro-
pologie juridique. Paris 1975

- 397 -
purement juridique. Les règlements des conflits requièrent toujours la
conjugaison des divers modes de régulation et non du droit pris isolé-
ment. une telle conception s'inscrit pour ainsi dire à l'opposé des
catégories occidentales. D'Où l'infortune des décrets Mandel et Jacquinot.
Malgré une jurisprudence constante qui affirmait que la
polygamie et le mariage par "coemption" ne constituaient pas un "fait
de traite punissable, parce que non contraire à l'ordre public colonial~
~e_décret du I5 juin I939, dît décret Mandel (1) réglementa
"
le mariage entre les autochtones des colonies
françaises(AOF - AEF'
en requérant un âge minimum pour contracter mariage
et le consentement des époux comme condition de validité du mariage,
de même qu'il considérait certaines conventions matrimoniales (lévirat
par exemple) et les revendications d~ veuves imposées
par les droits
traditionnels comme causes de nullité de plein droit. Estimant
ces mesures insuffisantes, un décret du 20 février 1946 (V .
rendit
les peines frappant le délit de "tr at te'Hes êtres humains" ap-
plicablesa~Xmariages contractés en violation du précédent décret. La
guerre venait donc d'être déclarée au mariage traditionnel
assimilé dans certains cas à une ''mise en servitude".
Dans le même esprit
que le décret Mandel,
un
décret
du .14 septembre 1951, dit décret Jacquinot (3) relatif à certaines dispo-
sitions concernant le mariage. Malgré plusieurs circulaires (appelant
leur existence, ces textes resteront
peu appliqués (4).
(1) roc 1939, p. 811
(2) J.O. 22.2.1946, p. 1581
(3) J.O. 18.9.1951, p. 9644
(4) Cf. COSTA 1971, pp. 157 et suiv.Et ALLlar (M). 1969, passim.

-
398 -
Ainsi le législateur des colonies, sous l'impulsion des travaux des
administrateurs et des missionnaires, avait cru en la possibilité de pousser
sa propre conception du Droit-jusque dari s le coeur du système traditionnel qu 1 est
la famillEet espèré provoquer par là les mutations sociologiques nécessaires
à l'idée qu'il Se fqi:.a.·,( du progrès. c'est dans ce contexte
d'acculturation à la fois autoritaire et suggérée que surgiront les
bases des droits de développement.
L'échec partiel de l'entreprise de colonisation des structures
fondamentales
traditionnelles, à l'aube des indépendances africaines mérite
qu'on s'y arrête un instant, car l'héritage colonial va peser de tout son
poids sur les structures nouvelles que les Etats indépendants tenteront de
mettre en place.
C) Mutations socio-juridiques intervenues dans l'ordre
traditionnel des sociétés africaines
Les profonds changements qui se sont produits dans le
"paysage juridique" traditionnel n'auraient pas été possibles sans une
forte emprise politique, car c'est dans la logique même du système
colonial de n'opérer que dans un climat de domination. C'est pourquoi
il lui était nécessaire pour atteindre ses buts de s'imposer à la
société colonisée dans Sa totalité. Nous avons montré que l'uniformisa-
tion des droits proclamée par le législateur colonial s'était heurtée
à la résistance des systèmes traditionnels africains
et qu'il y
eut
pluralité des ordres juridiques. Leur coexistence ne pouvait

- 399 -
être pacifique dans la meSure où il était demandé à un des ordres
(traditionnel) de se reformer sur le modèle considéré comme supérieur
(celui de la métropole). Or, "chaque chose, quelle qu'elle soit, autant
qu'elle est en soi, s'efforce de persévérer dans son être, n'est que
l'essence même de cette chose" (1). C'est dire qu'il s'est produit
entre
l'ordre traditionnel et l'ordre métropolitain de fréquents conflits et de
nombreux phénomènes d'échange (2).
Il Y a peu de recherches approfondies sur les phénomènes d'accultu-
ration juridique. Gelles que nous connaissons (3)
sont plutôt d'ordre métho-
dologique ou théorique. C'est peut
être la difficulté d'une explication
adaptée à la dynamique des phénomènes sociaux qui fait que peu d'études
juridiques aient été entreprises à ce sujet.
Retournons-nous donc vers les sociologues qui en cette
matière ont devancé les juristes. En effet, les recherches sociologiques
sur les différentes formes de contact culture 1 en Afrique, en particulier
et
sur
le
au processus d'acculturation -notamment dans le contexte
de l'urbanisation- nous introduisent au coeur même des confli~
nés
(1) SPINOZ~ Ethique, Ille partie Propositions, VI et VII
(2) ALLIaT (M:f
1968 (d, p. 1188
(3) ALLIaT (M~
1968 (c), LEVY ERUHL (H) 1968, p. 1111. BASTIDE (R)
1970, p. 149

-
400 -
du heurt des civilisations différentes (1). La réflexion
sociologique
a
tenté
de
dégager
les causes et subsidiairemen~7préparerle terrain à un contrôle actif
du processus d'acculturation par ceux qui en sont responsables "afin
d'éviter les effets les plus délét~res et les plus perturbants" (2).
Une sociologie des mutations avait repéré nombre de ces situations de crise
à la fin de l'époque. coloniale, reconnues comme telles tant du point de
vue psychologique, socia~ que religieux. Du point de vue psychologique, e ll e
avait constaté des phénomènes aussi révélateurs que la tension psychique,
la dépression,
la démoralisation, l'inertie. Du point de vue social
l'écroulement des valeurs, l'amenuisement des
htérarchies et des rapports
traditionnels
qui leur sont as s oc t é-e ,
le désir effréné de l'argent,
la courSe à l'enrichissement individuel, la perversion de nombreuses
règles liées à la morale et aux comportements sexuels
et bien d'autres
formes de déviance inimaginables dans un cadre communautaire. Du point
de vue religieux: la défiance à l'égard de la religion traditionnelle
ou au contraire son exaltation artificielle,
l'aggravation des conflits
internes assortie de peurs, de fanatlisme (chasse au sorcier et "anti-
sorcellerie"), la recherche de nouveaux modes d'expression symbolique,
donnant naissance
à
des
mouvements syncrétiques, prophétiques
et d'attente du salut (Harrisme en Côte d'Ivoire,~t au Ghana,Kimbanguisme
au Congo et au Zatre, Mouridisme au Sénégal).
(1) Cf.
travaux de G. BALANDIER, 1956.) 1971 ; P. MERCIER,
1957 pp.
63-85 ;
AliEMAGNON 1957, p. 157-166
(2) LANTERNARI (vJ
1957 , p. 119

- 401 -
c'est dire que les pays africains, à la veille des indépendances,
connaissaient déjà une double crise de conjoncture et de structure.
a) La crise de conjoncture
Il Y avait
crise de conjoncture, parce que l'ordre public colonial exigeait
la disparition, du moins la réduction de la diversité
des droits au
profit de l'uniformité du droit.n en était résu lté "des commotions et
des déséquilibres, des brisures, des cassures, des disparitions de
certaines
pièces" (1) des anc iens édifices traditionne ls •
pour y parvenir, le système colonial
avait
pesé de tout
son
poids sur les sociétés colonisées, mettant à
profit la supériorité dont
i l hénéfi'ciait
dans la mattrise des activités techniques et économiques
pour
·asseoir son autorité.
pour légitimer cette domination,
la loi,
nous l'avons vu,
était
l'instrument de prédilection. Elle devait l'évolution des peuples colo-
niau~-au nom de-la supériorité culturelle de la métropole. "Face à la
loi du colonisateur,
le droit du colonisé devint coutume et on le
baptisa droit coutumier dans le contexte assÜDilationiste de la politique
coloniale: l'opposition du droit externe et du droit interne prit la
forme du conflit loi/coutume qui devint synonyme de l'antithèse
évolution/stagnation \\ Cette idéologie de l'acculturation coloniale, dominée par
les préjugés évolutioniste et ethnocentrique" (2)
(1) ~
AffLEMAGNON, 1957, p. 158
(V VERDIER (RJ
1977, p. 1

- 402 -
allait
continuer
à
exercer
une
influence considérable dans les premières années
après
les
c;:-mmunément
indépendances: elle sera à l'origine de ce qu'on appellera
"droits du dévelOl?~ement",
b)14-cr{se- de structure
Il y eut c~ise_de structure/parce que l'ensemble fissuré cherchait à trouver
une forme et une structure nouve11~répondant à des ra1es eux-mêmes
nouveaux, tant dans leur apparence que dans leur signification. C'est
cette situation absolument nouvelle qui ne permet
que de vagues
compar at s ore tant avec la vraie dynamique des sociétés tradi-
tionne11es qu'avec la phy~logie d'une société de type moderne
(1)
qui va retenir notre attention. Comme nous le soulignions déjà, c'est
de l'approche de cette situation caractérisée par des éléments contra-
dictoires qu'il sera possible de comprendre le défi que l'histoire a
réservé aux législateurs africains.
Dans
l'impogibi1ité d'inventorier les différents facteurs
qui ont modifié le paysage traditionnel africain, nous nous contenterons
d'illustrer cette crise sociéta1e par l'étude
des pouvoirs politiques
traditionnels et de l'ordre économique colonial.
politique
- et économique
Nous insisterons plus particulièrement sur le droit parental
et foncier et plus particulièrement
sur
la
rapidité des changements et la diversité des transformations.
A1U:MAGNON 1957, p. 159

- 403 -
Bien entendu, les transformations nées de l'emprise coloniale
ne s'opèrent pas partout de la même manière, elles sont par endroits
plus lentes et leur degré d'intensité varie d'un peuple à un autre,
d'une région à une autre. rl serait dès lors arbitraire de vouloir
généraliser les mêmes données de l'analyse à toutes les sociétés africaines
ayant vécu l'expérience coloniale.
Le fait indéniable, c'est que toutes
les sociétés colonisées
même celles qui, à tort ou à raison, étaient considérées comme réfractaires
à toute pénétration étrangère et à toute forme d'acculturation (les pygmées
par exemple) , ont vu leur structure sociale converger de plus en plus vers
le modèle de la métroplole.
1°) La destructuration des pouvoirs politiques traditionnels
Les profondes mutations qui se sont produites dans l'ordre
politique traditionnel des populations malinké-bambara n'auraient pas
été possibles sans une certaine emprise du pouvoir colonial français.

- 404 -
Malgré la farouche rés istance des popu lations manda ng.
du
Mali à la pénétration coloniale,
la
politique des autorités coloniales dans ses premières phases avait été
somme toute favorable aux chefferies traditionnelles,
car il s'agissait
"de cultiver l'amitié des souverains locaux de manière à les rendre favo-
rables à la nation française" (1). La mei lleure façon de les gagner à la
cause française selon les stratèges de l'ordre colonial était de leur
être favorable et de les aider à maintenir leur autorité.
Mais à mesure que le pouvoir colonial avait consolidé son emprise sur
les popu lat ions et que sa présence m~e n'étaitp.us contestée par des
mouvements de révolte, le nouveau pouvoir, la nouvelle puissanc~ p'étaient
. intéressés de plus
près à la désignation des chefs traditionnels lesquels,
rappelons - le, tiennent leur légitimité du SIRAt
Certes la désignationaraita:mtinué à
relever du SIRAt mais les
l
di i
.
1 ' "
compté b
.
l' .
,
con
tons requ1ses par ce U1-Cl ava1ent
eaucoup m01ns que
1nte-
rêt que représente le candidat pour la politique des autorités coloniales.
Sans écarter les règles normatives en la matière,
l'administration française ac
Mali, à l'époque
Soudan français, tout comme dans le reste des colonies
avait
accordé une attention toute particulière à la désignation
des autorités autochtones transformées en auxiliaires de sa politique.
(t> ROBERT (A.P.) 1955, p. 152

- 405 -
progressivement,on était
passé de l'homologation du choix fait par les
organes compétents,en l'espèce les représentants qualifiés (LUTIGI), les
chefs de f~illeJà la suggession
de candidature
Dans
c
certains cas,
l'autorité coloniale avait imposé purement et simplement son
candidat, c'était le fameux chef de "paille",
Dans ce système d'administration indirecte, les représentants
des collectivités traditionnelles
chefs de canton, cheœ de village
et chefs de quartier, qu'ils doive~ou non leur position à la volonté
populaire, ne sont en fait que des agents ou instruments de l'Etat
colonial, avant d'être les représentants authentiques; l'incarnation d'une
autorité de consensus.
En efet, le remplacement du titre de MANSA ou FAAMA, représentant
de l'unité politique traditionnelle (KAFO ou DIllMANPoJ , par celui de K1lFarIGI
ou DIAMANPoTIGI, martres du KFFO ou du DIAMANA, par les autorités coloniales
est en lui -même significatif. Il indique qu'à l'opposé de la conception
traditionnelle de la MANSA.--YA ou FA~_-MA--YA, le chef de canton est avant tout
celui qui est mandaté par le Gommandant de Cercle pour assurer l'ordre,
percevoir l'tmpOt et faire
-exécuter les prestations.
Une telle transformation de la chefferie traditionnelle avait
entratné
de multiples conséquences dans les relations des chefs avec les
populations. ~eprésentants du pouvoir colonial, auxiliaires recevant comme
indemnité les ristournes de l'impôt, les chefs, ou du moins nombre d'entre eux,
avaient mis
à profit leur position pour accapare~es avantages matériels très

- 406 -
supérieurs à ceux qu'ils pouvaient obtenir jusqu'alors. Pour y parvenir, ils n'a-
vaient pis hésité
à exercer sur les populations des mesu r es
contraignantes,
en rupture avec les règles traditionnelles de
gouvernement, fondéessur la collégialité du pouvoir, sur le consensus.
Ainsi, le KAFOTIGI ou le DIAMANATIGI était entré en conflit ouvert
ou larvé avec les représentants authentiques des groupes, car le pouvoir qui
lui était délégué était par sa nature autocratique,
Cette
transformation de l'autorité de consensus ~
autorité
de contrainte pour les besoins de la politique coloniale avait modifié très
profondément l'image de la chefferie et p~tant l'autorité des chefs et le pt~§­
même de l'institution. Il s'en était suivi une désagrégation corrélative du
consensus socia1~
Si les
rapports
des
populations avec leurs représentants auprès de l'administration coloniale
s'é-
talent. profondément altérés sous la pression de celle-ci,
les bou1ever,
sements
de
la configuration de la société malinké-bambara avaient
pour origine les besoins de l'économie coloniale,
2°) L'ordre économique colonial
Les arguments idéologiques ne sont qu'un des volets de l'ensemble
pokique colonial.
Si
la ''mission civilisatrice de la France",était invo-
qléep::mr j..Istifier l'extension territoriale française,
l'examen des
doctrines
coloniales enseigne que
les
fondements
véri-
tables de l'aventure d'autre-mer
sont avant tout d'ordre économique.
La"recherche de débouchés pour les produits manufacturés et les
sourceS d'approvisionnement en matières premières, furent incontestablement

-
407 -
les deux ''mamelles'' qui ont nourri t out e s Les doctrines coloniales) malgré
la diversité des moyens employés par les différentes puissances coloniales
pour arriver à leurs fins.
Dans l'idéologie économique coloniale, la colonie en tant que
prolongement du territoire métropolitain devait servir à la fois de réservoir
de matières premières et de déwer.s~ir de produits manufacturés. Cette double
fonction baptisée "pacte colonial" comportait pour chaque territoire la
production d'un ou de quelques produits destinés à l'exportation. Des pays
comme le Mali, le Sénégal, la Haute-Volta se sont vus imposer la culture de
l'arachide et du coton. D'autres plus nantis par la nature comme la CSte
d'Ivoire, la GUinée, le Cameroun, se sont spécialisés dans la production du
café du cacao, des bananes, du bois etc.
,
Cette division du travail, imposée par le pouvoir colonia~ pour
satisfaire les besoins de la métropole
engendr~
de multiples conséquences
qui
ont profondément marqué les modes d'existence des populations. La
technique juridique,~~
une fois de plus, ~diqua
l'o~ienta-
tion qui
per'll'it
à l'Etat français de s'aSsurer la mattrise des terres
comae moyen de production..En se fondant sur le croit œ conquête al arr les traités pas-
sée avecles autorlté9 Local.ea i l s ' est déc laré successeur aux droits de celles-
ci sur les terres à mettre en valeur. Dans Sa volonté de les soustraire aUx
communautés traditionnelles, le pouvoir colonial
élabora
la théorie
des biens dits vacants et Sans martres. Cette théorie lui permit d'adopter
_.
-
-
diverses mesures législatives destinées à provoquer le remplacement

- 408 -
progressif des droits fonciers communautaires par des droits individuels de pro_
priété (1) et l'entrée de l'agriculture traditionnelle dans les courants économiques
mondiaux. Ces mesure:, dont les effets varièrent en fonction des territoires et
des groupes, ne furent pas sans affecter les structures sociales traditionnelles du
pays malinké-bambara.
Parmi les facteurs socio-économiques qui ont exercé des effets
dissolvants sur la famille mandeng
, la monnaie a joué un rôle principal.
En effet, contrain~de payer d'abord l'impôt en nature, les populations ont
été ensuite astreintes à l'acquit~ en numéraire. Il y eut alors un mouvement
continu dans le sens de la spécid.tiu.l"'i 01'1
des activités liées à l'économie
d'exportation et partant un certain abandon des cultures vivrières. Ainsi,
aU fur et à mesure que l'économie traditionnelle se transforma en économie
d'exportation, les discordances et les conflits que la société contrôlait émer-
~rent et échappèrent
à son emprise. ~ niveau de la famille étendue, du
~
apparurent
des tendances vers l'autonomie de certains Gwa ou famille
réduite, avec pour conséquence la substitution progressive du géniteur aU
père social. Cette émergence du Gwaamorça,à son tour, le processus d'ame-
nuisement de l'esprit communautaire avec le transfert de la puissance
paternelle Faya du père social (atné des pères) aU père physiologique, dont
1'autorité
s'affirma
plus particulièrement
sur ses propres enfants, les
soustrayant ainsi au contr6le de la communauté familiale.
Enfin, les conséquences de l'acculturation coloniale sur les
(1) Citons l'art. 1 du décret du 15 novembre 1935 abrogeant le décret du
23 octobre 1904 sur le domaine et portant règlementation des concessions
"En AOF, les terres vacantes et Sans martres appartiennent à l'Etat. Voir
également l'arrêté du 12 février 1936 règlementant la cession des terrains
domaniaux au Soudan Français, et le décret 55-580 du 20 mai 1955 portant
réorganisation foncière et domaniale en AOF.

- 409 -
populations africaines, peuvent se résumer :
- par un recul général des structures traditionnelles et une
assez forte pénétration de l'individualisme
dans les zones urbaines,
-
- par un relâchement des liens de solidarité de la famille étendue
et par l'émergence des groupes conjugaux distincts/
.,. par le passage ~plus en -P:l.US marqué de s _dxo i.t.s 1"onciers
communautaires
à la division des droits ~ par la transformation
~r,
progressive des droits d'usage en titr~ de propriété.
Ces différentes transformations
ont introduit
les populations
africaines en général et mandeng
en particulier, dans un univers social
perturbé, fractionné, dont la dynamique n'a rien de commun avec la stabilité
du monde traditionnel,œ qui ne devait p!s f ac I liter la tâche des légis lateurs
de l'indépendance. En effet, l'accession à la souveraineté nationale
a
contraint
les nouveaUx Etats africains à procéder à des réformes des
structures léguées par la colonisation.
Les nouveaux droits seront par définition des droits de dévelop-
pement. rls auront pour mission, la promotion du développement économique
et social. Elevés au moyen de régulation sociale, les droits du développement,
comme nous le verrons dans les sections suivantes, vont
imposer dans les
pays africains francophones, des normeS nouvelles destinées à changer la
configuration du
paysage traditionnel.

- 410 -
SECTION II
LES NOUVELLES LEGISLATIONS AFRICAINES
"La co lonis ation avait sa phi losophie, Ses institutions en
tant que moyens d' actio~ et son droit. Dans sa justification a posté-
riori comme une action de diffusion de valeurs de civilisation (univer-
selle), elle avait tenté et réussi en partie la transplantation de ses
institutions et de son droit" dans les zones culturelles
soumises à Sa domination (1). Il en est résulté une situation
conflictuelle
d'un cSté, l'ordre colonial qui affirme sa supérioritéJ
de l'autre le monde traditionnel farouchement attaché à ses institutions,
à ses valeurs.
L'avènement des pays africains à la souveraineté internationale
n'était pas perçu seulement comme un processus inverse de la colonisation,
la décolonisation offrait partout l'image d'une remise en cause
corollaire de la souveraineté retrouvée,ddevait permettre aux populations
africaines d'assumer leur propre destin et de construire librement leur futur
Mais les mutations consécutives à l'indépendance, inspirèrent aUx dirigeants
africains des réactions diverses et parfois contradictoires dans le choix
de la construction du futur.
Ainsi face à l'ampleur des tâches immédiatement nées de l'indé-
pendance
(construction de l'unité nationale, lutte contre le sous-
développement etc.), on a incité les pays d'Afrique noire à se doter
d'institutions susceptibles de leur assurer une rapide transformation
économique et sociale. Le maintien des structures traditionnelles qui
(1) KOUASSIGAN (G.A.) 1974, p. 161

-
411 -
avaient servi de rempart à la pénétration du droit colonial s'avérait
désormais caduc, car à l'unisson J juriates et économistes s'efforcèrent
à coup de "théories"
d'accréditer l'idée que l'ancienne société est
source de stagnation et responsable dans une large meSure du sous-
développement (1).
Au nom du progrès, il a été demandé au droit de dépasser sa
mission traditionnelle de conservation et de sauvegarde de l'ordre
social établi pour devenir l'instrument de construction de l'avenir.
Comme l'indique à juste titre J. COSTA LASCOUX, "le recours à un droit
écrit et codifié obéit à des raisons techniques évidentes et à des
raisons idéologiques qui tiennent à l'impératif de l'unité nationale.
Cette présentation n'est pas la reprise du droit colonial et même
lorsque les nouveaux codes s'inspirent des droits occidentaux, leur
signification normative en est changée du seul fait de la mutation
politique opérée par les indépendances : c'est une logique de pouvoir
différente qui s'est instaurée avec la prise en main du destin
national" (2).
La spécificité des nouveaux droits africains "ne tient pas
seulement dans la force d'une utilisation à u~ge national de techniques
qui reprendraient partiellement des solutions éprouvées ailleurs.
L'originalité se situe bien au-delà, elle est, nous semble-t-il, dans
la vocation "normatique" d'un droit planifié pour une efficacité à long
(1) AUSTRUY (J) 1965, p. 91.Note que "la notion de sous-développement
a été élaborée négativement par rapport aux critères retenus pour
spécifier le prototype unique fourni par l'expérience d'un mode de
développement: celui de l'Occident".
(2).
COSTA-LASCOUX, 1977, p. 429

- 412 -
terme avec une double mission : le changement des mentalités, la protec-
tion des structures récemment implantées. "Pour cela, l'instrument
juridique est utilisé selon une stratégie à effets progressifs: un
effet à court terme par l'intimidation et la répression de comportements
jugés anti-sociaux; un effet à long terme, par l'indication d'une
nouvelle hiérarchie de valeurs" (1).
"En Se mettant au service d'un ordre public" interventionniste
par opposition à cet ordre public "_<li protection" pr~né par les droits
occidentaux, les nouveaux droits africains sont élaborés comme des
programmes d'action au bénéfice du plan. Les Signes d'un tel ordre public,
dans lequel la sanction juridique vient conforter le dirigisme économi-
que, sont apparus dès les premières années de l'indépendance et en
nombre grandissant
dans des régimes quise réclament d'idéologies très
diverses, de la QIinée "socialiste" à la Côte d'Ivoire "libérale" (2).
A> Fondements po1itique_ et économique des droits du
déve loppement
Il ne fait aucun doute que le rôle conféré au droit dans la
politique de développement économique et social est significatif tant de
la doctrine que de la pensée juridiques des législateurs africains.
La conjonction des différentes branches du droit pour une. action
entièrement centrée sur l'objectif du développement est en elle-même
une innovation qui bouleverse la conception classique du cloisonnement
des disciplines juridiques. Mais plus novatrice en matière de stratégie
(1)
COSTA ~COUX 1975, p. 96
(2) COSTA· LASCOUX (J) 1975,
p. 1o~ ~t ,,"09

- 413 -
ju~ique, c'est l'utilisation qui est faite du droit pour réprimer
pénalement
d~s comportements jugés incompatibles à l'idée du progrès
conçu comme rupture avec les structures mentales et socio-culturelles
existantes.
Dans la pensée des législateurs africains, deux types de
comportements constituent des freins, des obstacles au processus de
développement économique: l'obéissance à des schémas culturels contraires
aux principes généraux qui régissent une économie monétaire et la
soumission à des pratiques caractéristiques d'une économie d'auto-
consommation. En s'attaquant à des causes structurelles, les législa-
tions des indépendances entendaient "sonner le glas"
des formes tradi-
tionnelles dans la société africaine à construire. Pour satisfaire à
cette nécessité, on a investi massivement dans l'action législative,
espérant ainsi anéantir ces attitudes profondément ancrées dans les
hommes. Des catégories ou pseudo~catégories empruntées à la conception
occidentale (1) avec la volonté de les imposer purement et simplement
à la majorité silencieuse
ont été élaborées pour provoquer
les mutations sociales indispensables à l'action de développement.
Ainsi, de nombreux Etats firent d'importantes réformes pour
moderniser ou actualiser leur système parental et foncier en vue de
promouvoir "1'émancipation sociale et économique".
(1) Plusieurs Constitutions africaines déclarent que la cellule de
base de la ~~_iété est l_a fami 11e , c'est-à-dire celle que dé~init
le code civil français. Il en est ainsi de celles du Cameroun, du Gabon, de
Madagascar, du Mali, de l'Empire Centrafricain, du Rwanda et du Sénégal pour
les pays francophones.

a) Les principales réformes
- 414 -
1) Dans le droit de la famille, trois attitudes principales
ont été adoptées
Certains pays choisirent très tôt de rompre avec le passé
ce fut le cas de la Guinée et du Mali qui élaborèrent des codes de l~
famille (1962) tendant à concilier les structures traditionnelles et les
nécessités du changement, d'autres comme la Côte d'Ivoire (1964), 1eGabon
(I972) optèrent pour une politique familiale plus proche du modèle oçcidenta1
et partant en rupture avec le modèle traditionnel.
• D'autres Etats
ont préféré choisir des solutions
sélectives et n'intervinrent qu'avec prudence :c'est le cas du Cameroun
(1966). QUelques pays prirent 1a"précaution>lde procéder d'abord à des
..'enquêtesnpour saisir l'évolution de la fami lle, c'est la voie chois ie
par le Sénégal dont le code de la famille vit le jour en 1972 •
• Enfin, il reste encore quelques rares pays qui, jusqu'à ce
j oury n t cnt; pas encore légiféré. C'est le cas du Togo où
la dualité des
régimes de la période coloniale continue à 'prévaloir.
2) C'est dans le domaine foncier que l'ensemble des Etats
sont intervenus de manière mu 1tiforme soit pour réaliser des programmes
spécifiques et sectoriels d'aménagement agricole, soit pour procéder
à une réforme globale destinée à la constitution d'un domaine foncier
national comme le Sénégal (1960)Q11e Mali (ordonnance de jui llet 1974)
qui a élargi le domaine privé de l'Etat. Le Cameroun a opté pour un
"patrimoine collectif national" et le Togo pour une réforme agro-foncière en
1977 •

- 415 -
b) Significations et conséquences des réformes
1) Ce qui frappe d'emblée, c'est une tendance à instaurer une
conception restrictive
"
de~famille. Presque partout, le modèle occidental
de famille semble prédominer.
Cette préémi~ence de la famille restreinte avec toutes les
conséquences sociologiques qui en résultent a conduit au déploiement
d'un véritable arsenal juridique destiné à soustraire les individus à
leurs groupements de parenté. Ceci est visible dans presque tous les
Etats qui ont légiféré en accordant la préférence à l'individu et non
aux groupements. La règle de droit par ce biais crée un processus de
conditionnement conscient visant à insérer selon une stratégie bien
établie chaque citoyen dans un modèle culturel qui n'aura rien de
COUDun avec celui du passé. Une telle acculturation autoritaire ut.
appuyée par ailleurs par tout un ensemble de relais destiné à la mise
en oeuvre et le contrôle des prescriptions sur l'ensemble du territoire
national, grâce au réseau des représentants de l'Etat: administrateurs,
juges, etc.
De plus,
l'émergence de la famille nucléaire, père, mère et
enfants nous éloigne de la conception africaine de la fami Ile. Le couple,
cette création occidentale, même s'il avait son équivalent dans

- 416 -
l'ancienne société, était privé de toute autonomie juridique. Son
existence s'inscrivait dans un schéma communautaire où les droits
et les devoirs procèdent d'une autre logique.
Certes, les groupes de parenté subsistent toujours, mais
ils sont amoindris par une double atteinte: d'un côté,
l'évolution
intense vers l'individualisme
,avec un fractionnement des lignages
et une prédominance de la consanguinité (ligne paternelle) ; d'autre
part, la substitution progressive du groupe de parenté par la descen-
dance
avec la création d'une filiation à partir du couple.
Bien entendu, il subsiste dans de nombreuses législations
des textes qui font encore des concessions aux institutions tradition-
nelles, mais on ne doit pas s'y tromper, car les nouveaux droits
nationaux)
par leur nature et
leur orientation, s'opposent aux
structures du passé. L'exemple du Mali est à cet égard significatif.
Ce pays, tout en r ec onna t s s antç dans une certaine mesure) certaines dLs.
positions traditionnelles comme la séparation des biens entre époux
ou la polygamie, n'hésite pas à déclarer sans ambigurté que les popu-
lations maliennes étaient "régies par un droit privé rétrograde ••• " (1).
Derrière les législations actuelles, il y a tout une arrière-
pensée, tout un programme de destabilisation et de ruine des institutions
traditionnelles, afin de provoquer l'émergence de cette "cellule de
(1) Circulaire malienne nO 885 du 25.7.1962 prise en application du
code malien du mariage: Loi nO 62/17 du 3.2.1962 portant code du
mariage et de la tutelle (J.O. 27.2.1962) modifiée par la loi nO 63/19
du 25.1.1963 (J.O. du 10.2.1963)

- 417 -
base "comparable à celle qui avait présidé à l'édification des
sociétés industrielles occidentales.
Ainsi, la guerre contre les structures de l'ancienne société timidement amor-
cée sous la colonisation est maintenant conduite avec force et sur plusieurs
fronts par le nouvel Etat national: "les communautés traditionnelles
avec leur réseau complexe de so lidarités et de pouvoirs" vont être des
cibles 'du légis Lat eur , "Ce sont les cohérences logiques du système
(traditionnel), auta~t que Ses sig~ications religieuses, politiques
et économiques, que la vérité des gestes quotidiens traduisant une
fraternité active à l'intérieur de chaque groupe de parenté, qui sont
mises en cause" (1).
2)
L'arsenal juridique mis en oeuvre pour venir à bout de la
société traditionnelle, indique de manière non équivoque que le projet
de société que l'on veut imposer doit avoir une certaine parenté avec
le modèle occidental. En effet, en intervenant "tous azimuts" pour
faire prévaloir la valeur économique, le législateur africain croit
pouvoir réaliser le progrès économique et social des populations en
adoptant pour l'essentiel le modèle sociologique occidental. Se fondant
sans doute sur la communauté de destin établie par la colonisation, le
législateur malien, sénégalais ou ivoirien estime à tort ou à raison
que le progrès ne peut être conçu que par l'adoption de la voie suivie
par l'Occident. Ce faisant, il a été conduit à violer l'univers tradi-
tionnel dont il n'accepte plus la cohérence et l'incohérence.
(1) COSTA 4J}
1972, p. 164-165

- 418 -
3)
L'apparente logique des politiques législatives des pays
africains ne saurait masquer les contradictions du droit appliqué
et celles du droit vécu ou sociologique. "Entre la loi et les formes
de pathologie sociale que le législateur cherche à sanctionner ou à
prévenir, c'est autant l'effectivité de la règle que la possibilité
même d'une transformation sociale globale par le droit qui posent
l'interrogation" (1). En effet, la valeur d'une règle de droit ne
dépend pas seulement de sa perfection technique formelle, mais surtout
de son adéquation au réel. Lier le progrès du droit au progrès matériel
nous semble être une erreur que ne cessent de commettre les législateurs
africains. En effet, il s'agit de deux domaines qui relèvent de
logiques ~ifférentes. Chacun d'eux doit chercher son progrès en lui-
même, par l'effort de la société qui prend une plus claire conscience
des valeurs qu'elle représente et des moyens de les assurer.
Le développement économique et sacral, avec ses objectifs lointains,
exige une stratégie à long terme. Si l'objectif est celui de la minorité
occidentalisée qui ne conçoit le progrès que dans le rejet global des
structures traditionnelles et dans l'adoption de valeurs incompatibles
avec celles de la majorité de la population, on risque de voir se développer
ce qu'on appelle le dre>it sociolog ïque ~ celui. que le peuple spontânément
se donne comme correspondant aux améliorations que réclame l'ordre social
réel. C'est dire que le véritable progrès du droit consisterait, dans
l'état actuel des choses, à régler l'organisation de la société de telle
manière que chaque individu puisse agir et vivre en conformité avec un ordre
qu'il considère comme juste, un ordre applicable à l'ensemble de la société.
(1) COSTA-LASCOUX
,
1977, p. 425

---
- 419 -
Le progrès économique et social consiste en effet à atteindre des objectifs
qui réclament la participation du peuple entier. Rien de positif nep::lUr~)féali~
-
dans aucun pays africain si la généralité des citoyens ne perçoit pas
le 'ien-fondé de
mutations qui réclament de cruels renoncements.
Après deux décennies d'indépendance, le développement
économique conçu comme corollaire de la souveraineté internationale est
un processus déjà amorcé. Mais il convient surtout de réfléchir sur
les outils adoptés et les diverses stratégies mises en oeuvre pour sa
réalisation. C'est pourquoi il ne suffit plus de se contenter des
c
thèmes de réflexions ; la situation présente milite en faveur d'un
dépassement de
constatations désormais classiques
telle que
l'opposition ancestralité-modernité. Les débats théoriques sur tel ou
tel asp~ct de la stratégie du'développement ne doivent nous
ni
le vide juridique créé par le pouvoir colonial
et
accru
par les législateurs nouveaux, ni
les
dispositions
aberrantes trop souvent adoptées en matière de droit économique.
Les droits des indépendances parce qu'ils ne sont pas les produits du
dynamisme interne des populations auxquelles ils s"-appliquent, parce
qu'ils ne sont pas ceux souhaités par la majorité des citoyens, ne
provoquent pas l'espoir que les législateurs escomptaient. Leur idéo-
logie ~plicite ou explicite ne parvient pas encore à mobiliser les
esprits de manière permanente dans une discipline collective.

- 420 -
C'est pourquoi les applications des droits nés de l'Indépen-
dance souffrent de ceS contradictions qui jalonnent les différentes
expériences. Vingt ans de législation et de jurisprudence caractérisées
par une acculturation autoritaire à peine réussie, n'ont provoqué ni
le décollage des économies, ni apporté aux maSSeS un quelconque bien-
être. Tout ceci met évidemment en cause la qualification politique
même des dirigeants africains pour une transition vers un développement
harmonieux des pays dont ils gèrent le destin.
Durant cette seconde décennie riche en évJnements de toutes
sortes : changement du personnel politique, modifications constitu-
tionnelles, tentatives d'adaptation de certaines dispositions législa-
tives jugées trop aberrantes, etc.
le sociologue des droits africains
se voit interpeller par des phénomènes d'anomie, _de déviance et
de bureaucratisation du droit. Face à de tels boulever-
sements généralement pathologiques et qui n'ont rien de commun avec
l'expérience occidentale, il lui faut forger des instruments d'analyse,
restituer les contenus concrets de chaque type d'expérience et
dévoiler la réalité pleine du droit que les symboles voilent plutôt
qu'ils ne l'expriment.
Le sociologue du Droit
constate que l'idéologie de l'acculturation,
caractérisée par les préjugés évolutionniste et ethnocentrique,continue,
de nos jours encore, d'exercer une influence considérable
sur les
praticiens du droit et dans les droits nationaux qui accordent une place
marginale, du moins résiduelle,aux droits non étatiques et que l'auto-
ritarisme de la loi étatique cherche àl'emporter sur l'expression de la

- 421 -
loi sociale, faisant ainsi du droit de la majorité un droit minoritaire.
Il est
de son devoir
de
demontrer le
caractère
hétérogène et contradictoire des législations africaines actuelles.
c'est précisément cette situation conflictuelle entre catégo-
ries juridiques consacrées et
réalité du droit qui rend la sociologie
juridique d'une brulante actualité. Dans la situation actuelle
Où les formules juridiques abstraites se montrent incapables
d'endiguer les flots agi~ de la vie réelle du droit avec ses institu-
tions inédites, le législateur, le juge risquent de construire un
édifice tout à fait détaché du droit réellement en vigueur, s'ils ne
tiennent pas compte du droit non écrit, du droit vivant, du droit
souple et dynamique en mouvement perpétuel, qu'il est évidemment impos-
sible de détacher de la réalité sociale du droi; des conduites et des
pratiques sociales (1).
Dans une société qui est par définition globale Où l'interpré-
tation des normes rend quasiment difficile la délimitation même arbi-
traire des différents niveaux des mécanismes de régulation sociale, la
collaboration des sciences de l'homme s'avère comme un QUtil irrempla-
çable.
Une telle collaboration ne peut être que bénéfique à la
science syatématique du droit qui conduit bien souvent à momifier les
catégories juridiques dans des schémas idé~coupés de la réalité
(1) GURVITCH (G) 1940, p. 9

- 422 -
vivante du droit car elle lui apportera sans aucun doute la consistance
et l'efficacité qui hélas lui manquent parfois. En effet, en se révé-
lant comme une des bases irremplaçables de l'interprétation des
phénomènes liés à la vie matérielle du droit, aux symboles juridiques
et à leurs significations, la sociologie du droit devient
une
théorie interprétative du droit positif grâce à une démarche heuristique.
B) Droit de développement et pouvoir politique
En s'interrogeant sur la nature du droit créateur d'avenir,
on est conduit~de constater qu'en Afrique Noire, on est en pleine
inversion de perspective; le droit n'est plus l'expression d'une
civilisation, il n'est plus un mode de régulation sociale parmi tant
d'autres, il est conçu comme une arme qui doit combattre "tous azimuts",
qui doit faire plier toute opposition fut-elle passive ou active,
constructive ou destructive. Cet aspect de la manipulation de l'appareil
juridique préjudiciable à la notion de droit, retiendra quelques
instants notre attention.
Le droit du développement avec un arsenal répressif est
devenu l'exemple-type de la "contrainte organis ée, sous forme de
sanctions étatiques maniées par l'organisation qui a le monopole de la
violence" (1). En devenant une véritable variable dépendante de la
politique des gouvernements, les systèmes juridiques dans les Etats
africains se caractérisent par leur élasticité, par la mouvance des
règles au gré des circonstances. Les droits constitutionnels sont plus
(1) CARBJNNIER 41) .•, sociologie du Droit in Encyclopaedia unfvers a l i s ,
vol. v, p. 811

- 423 -
révélateurs de cet état d'esprit des lois. Les différences massives,
les ruptures entre les prescriptions constitutionnelles et les manifes-
tations réelles du droit et du pouvoir politique sont bien connueS pour
qu'on s'apesantisse trop sur ces points.
Dans la presque totalité des pays ayant accédé à l'indépendance,
on est loin des premières formes de régllnes politiques. Les modifications
constitutionnelles des dernières années consacrent le triomphe du
régime "présidentiel", ce qui permet de renforcer le pouvoir exécutif.
Cette prédominance du chef de l'Etat a conduit à la personnalisation
du pouvoir par la subordination des autres pouvoirs ~ .législatif et
judiciaire
au pouvoir exécutif et cela-en dépit de la séparation des
-
pouvoirs proclamée dans les constitutions.
Cette concentration de pouvoirs entre les mains d'un seul
homme ou d'un groupe d'hommes a amené un "politologue" africain à faire
une réflexion dès le début des indépendance; que le futur n'a hélas pas
démentie
liOn peut dire, écrit l'auteur, que les structures politiques
définies par les constitutions des Républiques d'Outre-mer n'ont de
valeur et de signification que par rapport au contexte politique •••
En réalité, le système se présente non comme un régime de séparation
des pouvoirs, mais comme un régime de concentration des pouvoirs entre
les mains du chef du gouvernement, leader ou délégué du parti unique
ou dominant. Le risque est que le régime l'le tourne à la dictature".
Cette crainte prévisible aux premières heures des indépendances est

- 424 -
devenue une réalité constante de la politique africaine. L'omnipotence
du chef de l'Etat
rend,dès lors,illusoire toutes les limitations consti-
tutionnelles, tous les mécanismes destinés à prévenir l'arbitraire et
la dictature des hommes au pouvoir.
Monopolisation, dépossession et confiscation du pouvoir au
détriment du peuple, tel
est 1 e sens
des pratiques po litiques
africaines. Il en résulte fatalement un excès
de pouvoir qui
conduit au mépris de la règle de droit. Les tenants du pouvoir en se
refusant de subir, à l'instar des autres citoyens, les sanctions des
droits qu'ils ont élaborés ou acceptés lors de leur accession au pouvoir,
ont largement contribué à affaiblir la notion de droit chez des popula-
tions qui s'en méfiaient déjà. Il existe certes quelques pays africains
où des apparences de "démocratie libérale" sont relativement sauves.
Ces exceptions ne doivent pas faire illusion. Car c'est toujours de
chef de l'exécutif, le camarade secrétaire général du parti au pouvoir
qui fait,en dernier ressort,prévaloir Sa volonté sur les dispositions
constitutionnelles.
Pour diverses raisons tenant aux structures mêmes des Etats
africains, des changements fréquents sont intervenus ceS dernières
années pour renouveler le personnel politique. Les nouveaux martres de
la scène politique, souvent membres
des
forces
armées,
parfois: plus méd~ocres qu~ les partants, sont
enc~ins à suspendre
'o~-à abroger les Constitutions, pour des motifs qui ne sont pas toujours
bien fondés.

- 425 -
Oette émergence d'hommes
nouveaux, malgré les proclamations
de foi qui accompagnent leur prise de pouvoir n'induit pas d'actions diffé-
rentes de celles de leurs prédécesseurs, dans les domaines institutionnel
et juridique.
sr: chaque changement da régîme est accompagné paz m arsenal de lois d'exception e
de règlements divers, rares sont les prises de pouvoir qui ont engendré
ou provoqué les ajustements que réclament les structures léguées par
la colonisation. Les hommes changent, les choses restent quant à elles
en l'état. c'est ce drame contemporain,symbolisé par l'abrme~ entre catégories
juridiques abstraites et la réalité du droit, qui rend la sociologie
juridique nécessaire~ quand les formules juridiques vagues et incertaines
Se montrent incapables de juguler les flots agités de la vie réelle
du droit.
Les changements auxquels aspirent les populations, surtout
celles des campagnes~ exigent pour leur réalisation un cadre politique
et juridique défini et en m~e temps une certaine permanence.
Caame l'écrit à juste titre KOUASSIGAN :
"Il n'y a pas de progrès possible en absence ou dans la
mouvance du droit définissant les limites du pouvoir politique, les
droits et les devoirs de chacun dans une communauté de destin. Que
les hommes changent, mais que le droit demeure. C'est la permanence

- 426 -
du droit et non des hommes qui conditionne le progrès. Il faut nécessai-
rement que tout ce qui.fait puisse se rattacher à un état du droit qui
doit être à la fois sa source d'autorité et de légitimité. Rien de
durable ni de va1ab~e ne parart possible dans cette Afrique noire
s4
à travers les changements, chaque volonté dirigeante est loi et n'a de
force qu'autant que se maintient au pouvoir celui qui l'exprime. Et
c'est ramener la règle de droit à un niveau difficilement concevable
que de faire de sa force d'oppression
la volonté qui l'exprime" (1).
(1) KOUASSlGAN 1974, p. 191
.1

- 427 -
Si
la philosophie qui anime les droits du développement s'assigne pour mis-
sion d'arracher les populations au sous- développement,
le
juriste
devra
découvrir le droit qui soit générateur
de valeurs d'intégration positive et cohésive et qui ne soit pas le
râle reflet du modèle occidental dont l'expérimentation, à l'époque
coloniale,a montré de manière manifeste son inadéquation aux sociétés
auxquelles on voulait l'imposer. En réalité,
le devenir des droits d~
développement est tributaire de plusieurs facteurs à la fois endogènes
et exogènes. Il est, nous semble-t-il, plus politique qu'économique.
S'il fallait esquisser les lignes-de force d'une nouvelle stratégie
du développement pour les Etats d'Afrique noire soucieux de satisfaire
les besoins essentiels de leurs citqyet:ls, nous serions enc.l Lna.i.ê,
retenir trois tmpératifs :
- compter sur ses propres forces
- compter sur ses propres ressources
- compter sur les capacités créatrices du peuple.
La mise en oeuvre de ceS
impératifs
dans le cadre
actuel des Etats africains, notamment du point de vue des changements
qu'elle implique au niveau des relations économiques et politiques
internationales, ne va pas sans poser des problèmes. C'est pourquoi,
le développement en tant que vecteur du progrès exige une véritable
libération: libération de la faim et de l'ignorance, libération de

- 428 -
l'exploitation et de la domination, libération des capacités créatrices.
Cette libération exige une mobilisation des énergies du peuple, on ne
peut gagner la bataille pour le développement lorsque l'immense
majorité du peuple vit dans l'oppression et la misère.
Une telle politique a peu de chance de réussir dans le cadre
des micro-Etats actuels. Elle exige l'éclatement et l'élargissement
des frontières héritées de la colonisation. Dans le contexte de la
division internationale du travail contrôlée par les puissances
hosti les à l'émancipation des peuples dominées, seule une large union es t
génératrice de forcé et ç.o"f"ce de résistance et partant de libération
réelle des masses populaires •
....
. !

-
429 -
SECTION III - L'ENDOGENEITE DU DEVELOPPEMENT ET LES PERSPECTIVES
D'UNE NOUVELLE APPROCHE DES DROITS AFR ICAINS
S'il est difficile de formuler une théorie du développement
économique et social pour l'ensemble des Etats africains francophones, on
~eut, néanmoins, indiquer des voies suceptibles d'aboutir à un développement
lendOgène qui n'a rien à voir avec les choix actuels. De tels choix passent
Inécessairement par une prise en compte de la mémoire fondatrice
des sociétés
africaines comme condition sine qua non d'une véritable politique de
développement auto-centré •
Les droits du développement,en tant qu'ensemble de mesures
législatives et règlementaires destinées à provoquer les changements sociaux et
culturels,empruntent pour l'essentiel leurs techniques aUx modèles occidentaux.
-
Cette acculturation a conduit à l'absence d'invention et au
rejet des cadres fondamentaux de la pensée juridique
a.fricaine
qui
aurait certainement permis aUX législateurs afri-
cains de faire l'économie de nombreuses erreurs.
En effet, l'actualisation
des catégories anciennes en vue de les faire couler dans le moule des
droits nouveaux, aurait largement contribué à diminuer les impasses juridi-
ques que connaissent l'ensemble des pays d'Afrique Noire.
Nous commencerons donc par l'examen des incidences contemporaines
du transfert du modèle juridique occidental dans les Etats d'Afrique noire (A) ,
puis nous étudierons les conditions d'une endogénéité du développement (B).

- 430 -
A)
Les incidences c~ntemporaine6 du
transfert du modèle juridique occidental
dans les Etats d'Afrique Noire
Ce serait un truisme de dire qu'il existe un profond abîme
J
.
entre la reglementation théorique et les réalités pratiques dans les
pays africains.
Le divorce entre pratiques sociales et rJglementation
législative se traduit en grande partie par une passivité face à la
volonté des législateurs et, explique la facilité avec laquelle sont
admis les incohérences et les conflits entre les modes juridiques
traditionnels et le système juridique dit moderne. En effet, la rapi-
dité avec laquelle ont été élaborés les droits nouveaux en Afrique
noire, le plus souvent sans un véritable travail préalable, par des
juristes occidentaux ou formés à la pensée européenne, plus soucieux
de reproduire des modèles connus que de faire novation, est à l'origine
de l'impasse juridique dans laquelle Se retrouvent aujourd'hui bien des
pays africains.
L'alternative du tr~nsfert
J...
+d.
Au nom de la sainte doctrine du développement, au Sens
occidental du terme, on a incité l'Afrique no~re à se doter!'institu-
tions susceptibles de lui assurer une rapide transformation économique
et sociale ; ce faisant, on a délibérément confondu communauté de

- 431 -
destin étab~ie par la colonisation avec identité culturelle. On écarta
arbitrairement cette règle de bon sens qui, dans les sciences de
l'homme, veut que toute construction nouvelle exige au préalable une
étude du milieu Où l'on va construire, afin de mesurer l'importance
des traumatismes que la règle nouvelle causera et, par là, si elle
sera acceptée ou rejetée. Les législateurs africains, en se fixant des
objectifs essentiellement utilitaires, font dès lors prévaloir la portée tech-
nique plutôt que la~~éepormative de la règle de droit. Certes, les
difficultés que rencontrent les pays africains sur la voie du déve1op-
pement sont énormes et exigent des efforts • Mais,
pour être efficaces ces
efforts
ne doivent pas Se fonder sur des principes antinomiques
des
valeurs auxquelles la majorité des Africains reste profondément attachée.
Sous le bénéfice de ces remarques, tout porte à croire que
l'inflation législative des premières années de l'indépendance, liée à
la mystique du développement est à bout de souffle. Ici et là, on
commence à se poser des questions sur la vertu du mimétisme qui a servi
de cadre à l'instauration du nouvel ordre juridique. En attendant de
voir tirer les cons équences de cette expérience légis 1ative, qu' il nous
soit pe~is de rappeler que le véritable progrès, la meilleure chance de
succès des choix futur~ ne viendront que d'un approfondissement des
valeurs internes, l'apport extérieur ne pouvant être à la fois que
complément et stimulant. Il est donc nécessaire que les législateurs

-
432 -
1
'
. , f .
t
d "
" 1"
u ' i 1s
africains renouent avec
a seve V1V1 1an e
u
pays ree
, q
retrouvent et rétablissent les liens avec la grande majorité des citoyens
qu' ils se "réapproprient" leur monde en
repartant de ses valeurs et de ses
concepts, en éliminant le supe~ficiel pour retrouver la mémoire fondatrice de
la société.
On serait ainsi "en mesure de répondre à la finalité de toute
action de développement qui réside dans la création d'un équilibre
nouveau par un ensemble de rajustements harmonieux"(4}.P1us réaliste
que les èhoix actuels, une telle option apporterait des éléments de
réponse.p1us favorables aux projets de développement. Il est grand
temps de prendre conscience que l'imitation effr~née par les pays
d'Afrique noire, des modèles d'industrialisation européens n'a conduit
jusqu'ici qu'à un "cOntre-développement", c'est-à-dire à l'abandon au
profit d'objectifs non prioritaires, ant Lsoc i au x qoi r enf orçent les
privilèges de quelques-uns. Dès lors, un "changement de cap", une
nouvelle stratégie de développement s'avère indispensable. C'est
pourquoi il est nécessaire, dans le cadre de cette nouvelle stratégie
de saisir les dynamismes, les forces créatrices des systèmes juridiques
traditioIUle1s à travers leur historrc.i ~
préco1onia1e, coloniale et
contemporaine.
~ . -
C'est à ce prix seulement que les énergies créatrices que
recèlent les systèmes juridiques traditionnels en passe de révocation
seront sauvegardées
• Alors, l'Afrique noire,débarrassée du complexe
de mimétisme, offrira au reste du monde une autre lecture de son système
juridique qui ne sera plus un pâle reflet de celui de l'occident.
(1) LE ROY (E),
1971, p. 67

- 433 -
Certes, ce serait faire mauvaise querelle aux législateurs
africains d~ leur reprocher de réaliser l'unité nationale aU moyen d'un
froit uniforme et d'écarter par là les inégalités de traitements qui affectent
les citoyens à partir des droits qui leur sont applicables. Ce qui fait
problème, c'est que les législateurs
fixent aux droits des indépendances
des objectifs essentiellement éc onom i qc s s (1).
Ce faisant, ils compromettent
largement leur devenir, car le risque, sinon le danger qui guette ces
législateurs, ce n'est pas tant d'être en aVance sur les structures qu'elles
veulent promouvoir, mais d'être parfois détachés des cadres fondamentaux
des systèmes juridiques en vigueur, des droits effectivement efficients que
se sont données les populations africaines.
De
plus,
l'inflation de textes
produit une formidable machin(
administrative "budgétivore" et fonctionnant sans véritable efficience.
Face à cette "bureaucratisation"
des nOrmes juridiques, la boutade
du Professeur Jean CAROONNIER exprime bien l'état du droit en Afrique
noire, à savoir"qu'il est pour ainsi dire dans la nature des règles
de droit de rester largement ineffectives" (2). Les politiques de
développement, parce qu'elles militent pour la destruction des formes
traditionnelles dans les sociétés africaines à construire, parce qu'elles
n'intègrent pas les nouvelles valeurs aux anciennes, parce qu'elles
"étendent considérablement le domaine du droit jusqu'à vouloir
"juridiciser" toute la vie sociale" (3), prétendent réaliser le bonheur
des populations africaines malgré elles-mêmes.
(1) Cf.
COSTA LASCOUX, 1975, p. 241 à 260. Voir également KOUASSIGAN,
1974, p. 162 et suivants
(2) CAROONNlER (J)
, in Encyclopaediauniversalis,p.Bll.
(3) COSTA-LASCaUX, 1977, p. 447

- 434 -
Qu'on nous comprenne bien. Il ne s'agit paS pour nous de
préconiser un retour sans discernement et en bloc à toutes les
institutions traditionnelles, mais face à "l'échec constant de la règle
de droit que l'on tente de légitimer par le prétexte de stabilité
po litique nécessaire au dQveloppement économique et social" (~) , la
logique du bon sens implique, nous semb1e-t-i 1, un "moIndre droit".
L'avènement d'un tel ordre juridique doit nécessairement passer, ne
serait-ce que pour son efficacité par la "déjuridicisation" de certains
domaines où l'intervention du législateur s'est avérée des plus
pernicieuses. Que peuvent signifier dans ces pays où la majorité des
citoyens est exclue de la sphère de la vie moderne,q~i est ici créatrice
d'avantages matériek,
des textes sur le vol de bétail ou sur les
dépenses excessives à l'occasion de cérémonies familiales dans des
régions
-ravagées par la faminei-et dont certains dirigeants vivent
dans l'opulencerévoltarie? Il en est-d.e même de la répression des
délits liés à l'oisiveté, au vagabondage et à .1a mendicité
.
~
On oublie très souvent que les populations dans le cadre de
l'acculturation autoritaire n'ont d'autres ressources que de soliiciter
des institutions traditionnelles '- solidarité, fraternité d'~ge) 1
. ce
. que leur refuse le nouvel ordre s oc i a l.;
(1) KOUASSIGAN (G) 1974, p. 13

- 435 -
b) Les ambiguïtés du transfert
La faillite des droits de développement après deux décennies
d'application est manifeste. Nulle part, ils n'ont pu susciter de manière
permanente, la participation et la mobilisation collectives des citoyens
pour l'oeuvre d'édification nationa1e?)r1 est donc grand t~ps d'en finir
avec le mythe du droit créateur d'avenir •
."
Ce que les législateurs africains semblent oublier ou négliger,
c'est que tout développement économique et social, queU,que soit
la nature du régime politique qui en est le mattre d'oeuvre, ne se fait
pas avec des plans et des structures administratives, il se fait avant
tout avec èes hommes.
En s'interrogeant sur la nature du droit créateur d'avenir,
on est forcément conduit à faire deux constatations de fond
1°) le droit du développement inspiré de l'idéologie occidentale
est inconciliable avec la pensée traditionnelle africaine, telle qu'on
l'a vue dans la société mande ng. ~; .
Mais, i l
prend
également
à
"contre-pied"
l'idée même qu'on se fait du droit dans les systèmes juridiques occiden-
taux. En effet, en projetant son application graduelle dans le temps
et dans l'espace, ce droit "tous azimuts" s'âoigne de la conception
classique, du droit conservateur des acquis de la société. U se sttue ainsi.
d,ans l'utopie • .
(1) L'exemple malien après le congrès du 22.9.1960 proclamant la République
du Mali est à cet effet révélateur de la dynamique des masses populaires.
Avant d'@tre trahi par la classe politique, le peuple "debout comme un seul
homme" a montré ce dont il est capable pour combattre le sous-développement.

- 436 -
2°) En se remettant totalement à un "droit créateur d'avenir",
les législateurs indiquent clairement par là que l'option ne se réduit pas en
terme d'alternative entre le, modèle moderne (occidental) et les structures d~
la tradition.
En fait, au-delà du dilemme tendancieusement entretenu par les
"spécialistes des affaires africaines" "ces industriels des théories", entre
tradition et modernité, c'est en réalité une toute autre alternative que
les légi~teurs africains ont à résoudre, celle de l'endogénéité du dévelop-
pement.
B) Les ,conditions
d'une endogénérté du développement
Ce dont les populations africaines ont cruellement besoin,
c'est bien une idéologie capable de soulever les Passions, de susciter des
élans nouveaux, de servir de guide pour l'action constructive, autrement
dit, une pensée dynamique, une pensée concrète dégagée de l'abstraction
sclérosante des constructions idéalistes importées.

-
437 -
a) Les
voies pour une endogénétté du développement
Si nous avons dénoncé l'excès de "juridicisation" de la vie
sociale qui a engendré l'ineffectivité de la règle de droit,
nous s ouhai tons par contre l'avènement des
idéologies progressistes. rl ne s'agit pas
bien entendu de sous-
crire aux différentes variantes des "identités culturelles" ou de
"l'authenticitê" destinées p lus à occu lter les contradictions internes,
à justifier l'autoritarisme du pouvoir établi, qu'à promouvoir une
véritable prise de conscience des masses sur leur devenir.
L'exemple de certains pays d'~ie et plus particulièrement
celui du Vietnam nous parait significatif. rl montre comment peut
~tre conçqe la notion d' "identité cu lturelle" en relation avec le
développement national. Pour ce pays qui a gagné le combat de l'indé-
pendance politique, et qui a amorcé la lutte pour le développement,
l'héritage traditionnel, tout en étant intégré dans la nouvelle
société à construire, a fait l'objet d'une analyse critique. On y a
incorporé les apports extérieurs susceptibles de catalyser les valeurs
nationales, en tenant compte des transformations auto~on~que ces
apports subiront eux-mœes à la suite de cette intégration. "La finalité
générale étant le service du peuple et non d'une minorité, c'est en
appliquant ce double critère que les responsable~ politiques espèrent
éviter "la mythification du passé et la mystification du présent et
qu'on fera le tri entre les aspects progressistes et les aspects
rétrogrades que comporte toute cu lture" (1).
,
(1) Cf l'article du professeur LE THANH KHOIdans "le
-Monde" du 6/7 août;
1978 nO 10425 "sur le.
retour aux sources".
,1.
~Jii

-
438 -
Le véritable progrès réside dans l'approfondissement des
valeurs traditionnelles. Il ne s'agit pas de s'enfermer dans un quel-
conque conservatisme, mais de prendre conscience de soi et d0nc des
autres. L'évolution vers une économie monétaire, vers une urbanisation
de plus en plus croissante, vers une société industrielle, exige de
lourds sacrifices
de la part des individus.
Or, tout Africain (et plus particulièrement celui des campagnes sur lequel
repose finalement tout le poids des sacrifices à consentir ) est en droit de
demander
quel et: le prix à payer, la somme des renoncements qu'impose
un tel processus de mutations sociales? De manière générale, tous les
Etats africains recourent aux mêmes procédés pédagogiques, à savoir des dis-
cours solennels, des campagnes de presse pour sensibiliser les popula-
tions à des projets de lois. S'agissant la plupart du temps d'actionS
de courte.
durée.
et presque toujours non soutenues par de véritables
systèmes de relais, ces discours comme bien d'autres resteront ~uperfic~~ls et
donc sans effet réel sur .la prise de conscience du citoyen. L'endogénéité du
développement suppose donc une meilleure information du citoyen.
Certes, certains pays comme la Cate d'Ivoire, Ma~agascar,
le Mali, le Sénégal et d'autres, utilisent la voie des ondes comme
moyen d'information. Mais les thèmes étant souvent éloignés des besoins
~édiats des populations, les adhésions recherchées ne viennent pas
toujours. rl peut parattre étrange dans des pays promouvant
l'alpha-
bétisation des masses, que l'instruction civique ne soit pas à la
portée de tous. "Le savoir juridique, y ccmpris les aspects essentiels
,
,J

- 439 -
du droit, de la famille et du droit pénal, devrait faire partie de la
culture ••• du citoyen, du moins si on veut lui donner la faculté de
participer à la vie collective" (1).
Face à des carences aussi manifestes, on est conduit à se
demander si.", en réalité;:> les détenteurs du pouvoir politique souhaitent
une véritable politique
~! information
ou au contraire un
développement de l'instrument juridique et des appareils institution-
nels destinés à renforcer leur mainmise sur les populations ?
~r dans la vie quotidienne,
l'application des droits nouveaux se
heurte à l'ignorance des~nouvelles règles et donc à leur
" ••
H
0 _
.~.
!nlnbservation.
L'hésitation très compréhensive des magis~r~ts dans
l'application de certaines sanctions tient souvent à la méconnaissance
de nombreux contrevenants "en puissance" du caractère délictueux de
leurs agissements (2).
Pour des populations non alphabétisées et dont l'expérience
historique se situe aux antipodes du modèle occidental, que peut
signifier la présomption bien connue, cette fiction occidentale selon
laquelle "nul n'est censé Lgnor œ La loi",'
lot: qui est éc;r~te,
-
- - - y
cOdifiée et rédigée dans une langue étrangère à la maj orité des
(1) COSTA LASCaUX (J),
1975, p. 97
(l)Une étude comparée des différents codes surtout pénaux à de quoi faire
frémir le sociologue du droit. En effet, certains délits d'oisiveté
constituent de véritables amalgames : la mendicité de l'homme valide
est ass~ilée au vagabondage.
. ..,:....;,.

- 440 -
sujets de droit (1). Dans ces conditions, il n'est guère surprenant
que la connaissance du droit ne dépasse pas la minorité qui l'a secrétée.
Le problème d'ineffectivité de la règle juridique
s'éclaire davantage si on se rappelle que les relais sociaux que nous
ovions rencontrés dans la société précoloniale ne fonctionnent plus
comme des intermédiaires structurés, et que les nouveaux relais (partis,
syndicats,etc.) sont inopérants en raison de leur dépendance du modèle
exogène.
b) Pour une prise en compte des réalités traditionnelles africaines
En effet,
l'échec du droit que le pouvoir colonial a tenté
d'Unposer puis de suggérer aux populations est à cet égard significatif.
Il enseigne que son rejet partiel ne tie~ pas de la nature du pouvoir
qui en était l'instigateur, mais essentiellement de la nature des
règles édictées.
(1) La sUnplification et la clarification des textes ne sauraient gommer
tous les problèmes Ua.., à la diffusion et à la réception du droit •
.. ~. -

- 441 -
En réitérant l'expérience coloniale avec
certains
réajustements, les rédacteurs des droits nouveaux ne semblent pas avoir
tiré toutes ~s conséquences des précédents coloniaux qui les ont inspirés
de même" à en juger par l'orientation des choix, on se demande s' ils ont
assez médité les modèles occidentaux auxquels ils se sont référés.
En effet, ~~ ce moment, un peu partout en Occident,se dessine
un mouvement
destiné à rétablir le lien distendu entre le
corps social et son droit, ~n
rai$on
des
distorsions
entre
les représentations du droit et
la justice sociale.
L.:;l société par ai lleurs "s'efforce de renaître
en répudiant l'individualisme et en se socialisant" Cl) • Le.
positivisme juridique, face à" la révo Ite des faits eent r e les codes" (2)
tend de plus en plus à ne pas détacher ses constructions de la recherche
sociologique du droit e[ficient. Il peut parattre paradoxal, dès
lors,
que le législateur africain ignorant ou méprisant les appréhen-
sions de tout légiste, à savoir l'ineffectivité de la règle et le
désordre social qui en résulte, ait choisi délibérément la guerre contre
la société à travers SeS institutions fondamentales : les structures
fami liales ~t foncières.
Devant tant de bouleversements, il s'avère urgent de tenter de saisir la signi-
fication des normes juridiques et en même temps mesurer leurs effets sur le
_passé ,_~~résenLet_le futur .
_
(1) KOUASS l GAN, 1974, p. 294
(V cf. MORIN. (m, 1922
,.
-.~:

- 442 -
Au-delà des prévisions chiffrées et des bilans d'aut~atis-
faction proclamés solennellement, force est d'admettre que le mythe
du "take off'.', coume celui du droit créateur d'avenir n'ont été à ce
jour concrétisés nulle part en Afrique noire. Même dans les rares pays
présentés cQœme vitrine d'un modèle de développement réussi, la réalité
socio-économique enseigne un autre II ~on
de c loche", à savoir la
paupérisation croissante des masses laborieuses au profit d'une nouvelle
classe de riches apparentés au capital étranger.
L'ineffectivité des droits actuels n'est plus à démontrer,
leur inadéquation est significative de leur non-intégration dans les
mentalités. Si une telle distorsion s'est traduite plus particulièrement
dans les domaines relevant des structures familiales, où les résistances
sont les plus vives, il est par contre à craindre que le législateur)
pour des raisons qui lui sont propres, ne persiste à accélérer l'appli-
cation du droit des indépendances dans des domaines moins armés. pour
leur opposer la résistance qui convient.
Le développement, faut-il le répéter, est un phénomène total.
A ce titre il exige la définition d'une problématique cohérente qui ne
saurait se contenter d'uœquelconque "politique de table rase". Dans
l'hypothèse d'un développement auto-centré que nous préconisons, il est
indispensable que la mise en place des structures susceptibles de prendre
.~',
,-.•~>-",;,..,.~ .,.~.--.
'.
,,:~

- 443 -
en charge les valeurs sociales compatibles avec ce type de développement
exige
. que le légis lateur, dans ses codifications, puisse les intégrer
dans une dynamique qu~ leur fera jouer un rôle novateur. C'est à ce
prix seulement que l~s droits de développement pourront devenir
l'affaire de tous, ils pourront dès lors susciter la mobilisation
consciente et la participation active des populations à l'effort
d'édification nationale.

~'
- 444 -
,
CONCLUSIONS
Avant' de recenser les conclusions auxquelles nous sommes parvenus,
il faut rappeler nos hypothèses de départ sur la norme et la déviance et
examiner si elles ont été validées par les faits étudiés.
Dans les pages qui précèdent, nous avons tenté de montrer comment
la société mandeng a organisé les significations de son monde, comment
à partir de telles significations, elle a élaboré des structures, comment
elle les a mises en oeuvre en vue de produite les valeurs et les normes
devant les supporter. C'est ainsi qu'en suivant son propre dynamisme,
elle est parvenue à l'ordonnancement de multiples enchevêtrements de sous-
systèmes avec leurs cohérences et leurs incohérences, leurs coexistences
et leurs conflits ce que vous avons appelé la "société initiatique".
Grâce à l'appareil de formation et d'information qu'est la
"société initiatique", la société mandeng entendait en faire l'instrument
chargé de maitriser le temps, les biens et les hommes. Mais le processus
de socialisation tel qu'il ressort du fonctionnement de la société globale,
a montré qu'lLn'avait pas comme seule finalité de produire la conformité
ou le conformisme aux normes. En effet, si la socialisation vise l'adapta-
tion des personnes à leur milieu, cette adaptation sociale n'induit pas
nécessairement la conformité totale au système normatif. Dans nombre de
sociétés africaines, la norme, aussi importante soit-elle, n'est pas
pour autant prédéterminantes : elle n'est qu'un guide, une indication.
Chez les populations mandeng, on pourrait en simplifiant dire
que chacun fait son droit, soit en respectant la norme générale, soit en
la transgressant. Bien mieux, la transgression des normes participe, au
dynamisme de la société, car la logique initiatique comporte ou implique
le désir d'innover. Autrement dit, le processus de socralisation ,chez les
Mandeng aussëbien des agents dynamiques et novateurs, des· déviants (fils
de Musso-koroni) que des sujets conform1stes.
L'extension de la culture mandeng dans une partie importante de
l'Afrique occidentale en est une preuve évidente. N'est-elle pas due,
dans une' large mesure, aux grands créateurs d'Etat souvent en rupture de
société (tels que Biton Kulubaly, Ngolo Jara, Samari Turé, etc.
?
y. .

- 445 -
Il convient dès lors d'appréhender les phénomènes de déviance -
~i ne sont pas nécessairement synonymes de violation de Droit-
comme
leur
'expression de contre-rôles qui trouv~~1 p ace dans la chaIne dynamique
,es rapports sociaux. Il y a donc une dialectique essentielle dans la
'égulatfon sociale qui s'exprime en tensions incessantes entre normes
,lus ou moins observées et les valeurs qui les secrètent. C'est une telle
lialectique qui fait finalement appara!tre la "société initiatique" comme
.e résultat de plusieurs tensions : tensions entre conformité, liberté
l'action et innovation, tensions entre les impulsions et les idéaux, entre
.es exigences communautaires et les aspirations personnelles.
Un tel compromis, fruit d'une longue expérience de vie communau-
:aire, n'a pu se maintenir que parce que la société mandeng fonctionnait
svec son propre système
de valeurs et qu'elle était ma!tresse en partie
le ses choîx et de ses orientaitons fondamentales.
Il a fallu l'irruption des puissances occidentales sur la scène
ifricaine pour ébranler tout l'édifice normatif des sociétés africaines.
~ec la dépossession et la confiscation du pouvoir normatif des autorités
traditionnelles au bénéfice du-cpouvo i r colonial, de nouvelles significa-
tions apparaissent, deux conceptions du monde, deux cosmogonies vont
s'affronter.
cette confrontation de valeurs est la source la plus générale
je l'apparente anomie actuelle des sociétés
africaines qui connaissent
toute une déperdition, voire une cessation de l'activité régulatrice des
!?assions.
cette anomie laisse le champ libre aux pouvoirs publics qui
~eulent ~éformer la configuration des sociétés sur les modèles des sociétés
industrialisées de l'Europe occidentale et vise à une acculturation contrôlée
et planifiée, dans laquelle le droit, conçu comme source de développement,
joU!r'Ed't un rôle essentiel.
L'échec des droits du développement
ainsi élaborés non par les
peupLes- pour exprmer leurs dynamismes propres, mais par les pouvoirs publics'
pour
contraindre les peuples au changement, est un test de la vigueur
j'une tradition qui se veut l'expressîon d'une culture et d'un droit propres.

- 446 -
La tradition résiste aux réfo:rrnes. Elle l'emporte dtautant plus
sûrement que l'immense majorité des sujets de droit ignorent la volonté
du législateur et que beaucoup jugent les normes traditionnelles plus
conformes à leur besoin et porteuses de plus de sécurité que des réformes
dont les efforts' sont incertains.
~ cette ignorance de la volonté du législateur et à cette crainte
de l'insécurité des réformes, il convient d'ajouter l'inflation juridique,
les conditions de l'élaboration et de l'application du Droit, ainsi que
les transformations ou le détournement des fonctions du Droit. Tous ces
facteurs constituent des raisons évidentes du rejet et de la méfiance à
l'égard du Droit moderne.
~ue ce soit au Mali ou dans les autres Etats francophones, la
fonction militante de la tradition contre les réformes juridiques prend
une importance telle que les pouvoirs publics sont contraints d'en tenir
compte. ce phénomène de rfsistance aux réformes n'est pas spécifiquement
juridique: le rejet d'une part importante du Droit moderne ne saurait être
analysé simplement en termes de déviance ou d'anomie. Une telle analyse,
retrouvée dans trop d'études, n'exprime que très partiellement les phénomènes
de résistance au Droit étatique,
Il s'agit davantage d'un phénomène sociologique, d'un refus de
l'acculturation autoritaire prônée par les Etats, un refus de la politique
assimilationiste, un rejet positif, une revendication de l'identité culturelle
Car le Dr.oit, faut-il le rappeler, est un élément fondamental de la culture
d'une société, aussi il est aisé de comprendre que le refus et le rejet de
la politique d'acculturation juridique actuelle engendrent une résistance et
une volonté de conserver le Droit vivant que la société s'est donnée. Il
s'ensuit que le Droit ne peut s'éloigner trop des valeurs culturelles qui
supportent le projet d'une société~'
L'ignorance de la volonté du législateur dans les pays africains est
un acte positif de contre~acculturationqui traduit bien la volonté de faire
écœcà des règles de
Droit qui ne tiennent pas suffisamment compte des réali-
tés sociologiques.
Nous pensons que cette situation n'est pas véritablement une
situation anomique, dès lors que les populations en continuant à se soumettre
à leur droit,à celui qu'elles jugent adapté à l'état de leurs relations
sociales, ne font finalement qu'exercer leur Droit souverain.
- ... _.~,.

- 447 -
c'est pourquoi, nous avons insisté sur l'effectivité de la règle de droit qui
doit être le souci de tout légiste, faute de quoi l'innovation non désirée
rencontre des résistances quî risquent de l'emporter.
+
+
+
Un des enseignements sîgnificatifs de notre étude est d'avoir
montré que dans les sociétés traditionnelles africaines, en général
et mandeng en particulier, le droit remplit une fonction de stabilisation du
temps, ~n prenant toujours en compte beaucoup d'éléments du passé et en y
incorporant une dose mesurée de changi!IIleItt pour l'avenir.
Dans la société mandeng précoloniale, le laada
évoluait par re-
touch~successives que les générations les unes après les autres apportaient
à des rythmes compatibles avec les besoins de la société. Les gestionnaires
de l'ordre social s'efforçai~nt toujours de ne pas introduire des règles
trop novatrices· par rapport aux usages et aux moeurs. Il n'y avait pour
ainsi dire pas d'anticipation,
La situation est différente à notre époque d'accélération de l'his-
toire. Partout les pouvoirs publics, à tort ou à raison, se croient harcelés
.'
par le temps. Pour répondre à son défi, ils recourent au droit comme à l'ins-
trument miracle destiné à provoquer le changement social, cela en dépit du
droit et dEBmoeurs. Dans nos pays, le fétichisme juridique a conduit au mythe
dudroit créateur d'avenir, autrement dit à l'idée d'un droit de plus en plus
anticipateur.
I~

- 448 -
une autre conclusion de notre analyse, c'est qu'en matière de
réforme juridique et de façon plus générale en matière sociale, on ne peut
pas faire violence ni au temps ni à ceux qui le vivent. L'habitude ou plus
précisément la tradition constitue un frein naturel, une limite imposée aux
réformes.
Nous avons ainsi tendance à penser que la dialectique entre les
différentes modalités du contrôle social reflète principalement des succes-
sions chronologiques, alors que dans la société mandeng pré-coloniale, elle
exprime des oppositions sociologiques.
L'importance des résistances que la tradition oppose aux réformes
juridiques en est une preuve manifeste. En effet, dans des sociétés où
le passé demeure une valeur pour l'homme, les héritiers du pouvoir colonial
semblent l'avoir oublié,
-la population
ne peuvent pas recevoir n'importe
quel choc du futur sans réagir.
La tradition, comme limite aux réformes juridiques, pose également
le problème du rapport du droit au changement, c'est-à-dire au devenir
des sociétés et à l'ampleur des transformations qui les affectent. En chan-
geant de fonction à partir de l'-introduction de la logique coloniale, le droit
a occupé une place nouvelle dans la société. Cbn~u avant tout comme élément
de stabilisation du temps, le droit traditionnel, le ~aada
n'occupait
qu'une place limitée dans le contrôle social. Devenu instrument de mobilité
sociale généralisée avec la colonisation, utilisé de plus en plus pour sus-
citer et orienter l'action de la société et organiser le changement rendu
possible par le progrès scientifique et technologique, le droit en arrive
A envahir tous les secteurs de la société.
Dans les pays africains, cette folle course pour le changement
a donné naissance à une inflation juridique insupportable pour le corps
social : la greffe du droit moderne est presque totalement rejetée comme un
corps étranger.
La fonction de changement qui est attribuée au droit et les mo-
dalités
utilisées pour mettre en oeuvre cette politique
doivent être
reconsidérées. Car, la règle de droit telle qu'elle est conçue actuellement,
n'a pas à intervenir dans n'importe quel domaine. Son extension démesurée
a fini par compromettre le respect social habituellement attaché au Droit. ~ssi
le législateur malien, et plus généralement tout législateur, doit prendre

- 449 -
conscience que le droit par sa nature même est inapte aux changements inces-
sants et à la fonction d'instrument d'anticipation profonde qui lui est
confiée.
Après deux décennies de législation galopante, les
résultats nous
rappellent cette évidence qu'un droit non désiré qui rencontre les vives op-
positions de la tradition s'insérera très difficilement dans la réalité
sociale
Ces résistances de la tradition posent le problème du rapport du
droit au poüvo Lz ,
Dans la ~ciété
mandeng,les pouvoirs institués préféraient la négociation,
l'arbitrage et la conciliation aux décisions imposant des règles définies
a priori. Cette attitude est doublement importante ~ non seulement elle per-
mettait l'insertion des individus dans leur communauté, mais elle concourait
au processus de socialisation f Pëi.r èe processu~ chaque personne reproduit
les valeurs et les règles sociales au point de les intériorise~ et de les
ressentir non comme d'origine extérieur~mais comme élément participant à
sa personnalité. Cette conception favorisait l'adhésion des individus au
temps social.
Mais une telle adhésion aux valeurs qui donnent sens au projet social
n'a été possible que parce que les gestionnaires de l'ordre social se
préoccupaient de ne jamais créèr de
situations susceptibles d'entraîner des
mouvements de désobéissance généralisée. Le rapport du droit au pouvoir
,
pose ainsi le problème du consensus social ou national.
Nous' avons vu que depuis l'entrée des puissances occidentales
sur
la scène africaine, il y a eu rupture du consensus. Les valeurs (comme les
modèles) doivent
être partagées par les m~res
d'une même société; l'adhé-
sion
aux valeurs communes est la condiiton même du déroulement sans grand
heurt du processus social~ Or, la colonisation d'abord, et l'Etat national
ensuite, ont €réé
une division et une opposition entre tenants de valeurs -.~
opposées, à savoir entre la majorité qui se trouve exclue du jeu politique .
nouveau et la minorité acculturée et détentrice du pouvoir mis en place par
l'ancienne puissance coloniale,
C'est dire que la situation post-coloniale apparaît
comme l'envers
de la solidarité qui lie ceux qui adhèrent aux mêmes valeurs, à la même vision
du monde. cette situation est d'autant plus grave que le consensus social doit
être à chaque instant soutenu pour éviter le déchirement de la société :
1
L

- 450 -
il
est nécessaire pour inhiber les pulsions conflictuelles du corps social
et son absence laîsse éclater tous les conflits.
Rejetant
particulièrement les valeurs de la société globale, le
droit moderne est considéré comme instrument de domination et se trouve refu-
sé par ceux auxquels l'Etat veut l'imposer. car il ne faut pas considérer
que le rejet atteint telle ou telle loi inappliquée en raison de son éloigne-
ment des moeurs et des valeurs sociales: c'est l'ordre juridique tout entier
qui est mis en cause si les réformes ne parviennent à &~nsérer dans les rap-
ports sociaux. De même, il ne f~lt considérer que le rejet atteint telle ou
telle décision de justîce non exécutée, mais bien l'ordre juridique et
judiciaire tout entier •• Car
une crise de socialisation
affecte
l'ensemble des sociétés africaines et entraîne la crise de la socialisation
juridique.
En conséquence, les réformes juridiques sont impuissantes à
enrayer la crise de société et de civilisatio~ car les véritables problèmes
ne sont pas spécifiquement juridiques. Leur solution se trouve dans des actions
politiques profondes. Ce n'est qu'à ce prix que le droit, réconcilé avec la
société, pourrait jouer un rôle actif dans le combat contre la misère, l'obs-
curantisme et la démagogie.
+
+
+
C'est dans une telle vision de reconciliation qu'il convient mainte-
nant de formuler quelques propositions d'action pour mettre fin à la tension en-
tre la tradition et laléf~installée au coeur des sociétés africaines. Notre
analyse montre qu'elles doivent concerner
non seulement le droit etle pouvoi~
mais les fondements mêmes de chaque société.
La sphère juridique ne doit pas être démesurément étendue, d'où la
nécessité de recréer à l'instar de la tradition des champs de non-droit.
~Pbur le devenir des normes juridiques, il est indispensable que certaines
plages sociales soient désertes ou plutôt relèvent d'autres systèmes
régulateurs. La révolte des faits contre les codes exige que de nombreuses
dispositions qui les encombrent soîent réduites.

... 451 ..
L'exercice d'un pouvoir sans limit~ou sa monopolisation entre les
mains d'une seule personn~ ou d'un groupe d'hommes conduit inévitablement à
des abus et à des détournements. L'exemple de nombre d'Etats africains
est suffisamment éloquent, pour qu'il soit nécessaire
d'insister sur la
limitation du pouvoir afin d'échapper à la dictature. Il serait donc souhai-
tabl~d'instaurer des situations juridique~ qui rendent impossibles le ren-
forcement,et la mainmise des détenteurs de l'appareil étatique par l'abus
ou le détournement du droit. Pour ce faire, le droit à bâtir ne doit pas être
de nature purement instrumental, il devra comporter des finalités humaines.
Ce n'est_ que-par ce biai~que le lien entre droit et justice sociale,si cher
aux populations africaines,sera instauré à nouveau.
La réalisation de telles possibilité~ passe
nécessairement par la
prise en compte de séries de mesures visant à un réaménagement du pouvoir lui-
même, de son exercice, à réglementer l'usage de la force publique dont il
dispose, bref à rechercher les moyens de diminuer les prérogatives exorbitan-
te~
qui opposent
les gestionnaites de l'Etat, et l'administration aux
simples citoyens et administrés.
Il conviendrait don~ de passer d'une formule d'un pouvoir centralisé,
imposé, de modèle exogène et ayant vocation à intervenir dans tous les domaines
à l~ vie social~à une autre expérience de pouvoirs localisés, médiatisés,
négociés et aux prétentions limitées.
La colonisation a partout affecté les structures sociales tradition-
nelles. Elle a largement contribué au bouleversement des modes de vie et de
pensée. Eile fut non seulement négation de la culture des populations dominées,
mais elle a aussi participé à la génération de nouvelles stratifications)
en créant les conditions propices à l'émergence de groupes sociaux aux
intérêts profondément
divergents,
Le développement des villes, l'institution de l'économie marchande,
la modification directe ou indirecte des régimes fonciers, l'éclatement
des
communautés familiales, l'apparition de la famille nucléaire, la diffusion
d'un savoir ayant comme support l'écrit aux dépens de la connaissance orale,
ont largement contribué à l'ébranlement des anciennes valeurs. Les multiples
bouleversem-ents) ont eu pour coroJlaire} la dénaturati.Jn de la culture endogène,
la dissolution de ses supports symbolique~ et en premier lieu celles des
systèmes socio-religieux qui leurs sont associé.s. Presque partout, les bases

- 452 -
sacrées et les idéologies justificatrices de l'ordre social ont été
profondément atteintes, affaiblissant ainsi les raisons d'adhésion aux
ancienc cadres de vie.
Bien mieux, ce que les philosophies d'inspiration européenne
mettent en question aujourd'hui, c'est la valeur même de cultures propres
à chaque société. En échange
de ces cultures, elles tentent d'imposer la
référence à un homme abstrait, universel, déraciné, isolé, sans âge et à
une société uniforme, sans âme e~sans passé. Au nom de l'histoire, l'idéologie
de dominat1on non seulement tend à priver les Africains de leurs app~rtenances
culturelles, mais elle présente cette dépersonnalisation comme un signe de
progrès.
Malgré toutes ces atteintes~ les structures sociales, dans la
majorité des cas, demeurent encore dominées par les modèles d'organisation
traditionnelle (parenté, solidarité etc,) qui offrent le cadre principal
où s'exprime la sociabilité. Le refus général de l'immense majorité des
populations africaines, de céder à la domination culturelle du modèle
occi~ental, traduit une volonté de demeurer soi-même malgré les
pressions
idéologiques. De telles attitudes doivent être prises en compt7dans la
recherche
d'une renaissance des cultures africaines,
La lutte contre l~ déculturation doit se faire par le refus de
l'asphyxie culturell~et par la rés±stance à l'uniformisation. L'homme
abstrait, dont la philosophie juridique occidentale, s'est évertuée à faire une
catégorie juridique particulièreltla société uniforme dont elle propose le
modèle, ne santpas l 'homme et la société
de nos sensibilités. L'expérience
de l'Afrique précoloniale est là pour nous enseigner que la culture et la
vie sont des forces qui résistent à la mort. Si nous voulons renaître après
l'asphyxie coloniale, nous pouvons retrouver notre passé, Et nous devons le
faire si nous voulons inventer notre avenir. Qe. droit à la différenc~n'est
pas
une revendication passéiste, il est une voie active, un chemin positif~
destiné à sauvegarder notre identité culturelle.
L'échec de la politique d'acculturation autoritaire du colonisateur
et de ses successeur~ impose cette autre voie de libération et d'épanouissement.
Il nous faut découvrir, à partir de notre expérience cumulée (traditionnelle et
contemporaine) ~ les moyens propres à dynamiser de nouveau nos cultures. Car
aucun progrès n'est réalisable si au préalable.! les peuples ne récupèrent pas}
l
1

- 453 -
et n'exercent pa~ leur droit sacr~ à l'initiative créatrice et à la jouissan-
ce de leur propre patrimoine d'expériences sociales et culturelles.
L'ultime leçon de notre recherche sur la "société initiatique"
est qu'une telle renaissance ne peut évidemment être imposée. Les populations
doivent être associées à leur propre
conscientisation. Et cette adhésion
à une idéologie retrouvée~et vivifiée de r~conciliation suppose une
inscription réelle dans le
milieu socio-économique. Aucune idéologie, fut-
elle la plus cohérente, ne peut, par elle-même, mobiliser les énergies
créatrices d'une sociét~ si ses membres ont des intérêts matériels essenti~l­
lement contradictoires. Une idéologie ne peut devenir une force matérielle
qu'en allant à la rencontre des intérêts des hommes et en devenant la vérité
de leur vie quotidienne, de leur monde réel.
Il n'y a pas d'autre voie pour redonner à chaque acteur social,
à chaque citoyen, le goût du passé, le courage de l'action présente, la
lucidité et l'expérience pour la construction du futur.
+
+
+
. ""/ .~, ...:.,
.-.... .;.

B 1 B LlO G R A PHI E
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