UNIVERSITE PARIS VII
U.E.R
G.H.S.S
CONNAISSANCE
DES TIERS-MONDES
Espaces, Heritages, Changements.
ENTREPRISES, ENTREPRENEURS ET ETAT
DANS UNE ECONOMIE DEPENDANTE.
DOMINATION ETRANGERE ET MARGINALISATION DES
AUTOCHTONES(DAKAR~ENEGAW
1930-1973
Thèse
de
Doctorat
Présentée par :
Ibrahima
THIOUB
Sous la direction du Professeur
Catherine COQUERY-VIDROVITCH
----~-·.=Bl..
~~NSEJL AFRIOAIN et MAlGACHE 1
. POUR l'ENSEIGNEMENT SlJPE~:EUR
. C. A. M. E. S. -
QlJ~OUGOU
Arrivée .(J. 1. JU ,.~. ~~.~:
.
j Enregistré
sous n° #.e. O, 3. 'i~ 5~
..
-,..
JURY:
Mme Hélène dt ALMEIDA-TOPOR
MM. Jean Claude DEBEIR
Jean SURET-CANALE
Novembre 1989

II
Le message d'hier ne suffit pas pour résoudre les problèmes
d'aujourd'hui. Il mérite d'être entendu pour éviter les erreurs du
passé.

III
REKERCIEKENT8
Les conventions universitaires en ont ainsi décidé : cette entreprise collective
portera ma signature singulière. Je ne peux manquer de me souvenir, à chaque page
ouverte, de l'immense dette inscrite à mon compte, au cours de ces quatre années de
recherche sur l'histoire des rapports entre l'entreprise, les entrepreneurs et l'Etat au
Sénégal. Ils ont été si nombreux à m'apporter leur concours que l'établissement de la
liste de mes "créanciers" nécessiterait un volume de plus.
Mes
plus
vifs
remerciements
vont
aux
archivistes,
bibliothécaires
et
documentalistes pour leur constant dévouement, à mes maîtres et condisciples qui ont
consacré beaucoup de leurs temps à relire ces pages, à formuler des critiques bénéfiques
à l'amélioration de mon travail.
Aux amis du Sénégal qui m'ont suppléé auprès des miens, à ceux de Paris qui
m'ont toujours et avec chaleur accueilli chez eux, à ceux d'Athis Mons avec qui j'ai
partagé les joies et les peines de l'émigration, j'adresse mes sincères remerciements.
Monique, Maurice, Michel, Claude, Claire, Abdul et Moustafa sont de ceux-là.
C'est ici le lieu de souligner qu'il restera gravé dans ma "mémoire", au
répertoire de l'amitié, l'allégresse des conditions de travail de la "603". Elle a rendu
possible la réalisation matérielle de ce travail.
Que Méné, Mbaye, Modou et Mbène trouvent dans ces pages le témoignage de
la chaleureuse affection d'un époux et d'un père dont ils ont, avec compréhension et
courage, accepté la fréquence des longues absences et la rareté des éphémères passages.
Je suis particulièrement et infiniment reconnaissant à Madame le Professeur
Catherine Coquery-Vidrovitch et à Jean Claude Debeir. Je vous dois ce qu'il y a de
meilleur dans ce travail. Avec une constante sollicitude et une permanente attention,
vous avez, depuis bientôt quatre ans, guidé mes pas dans la recherche, estompé à chaque
étape décisive mes inquiétudes, et surtout, su m'insuffler une volonté d'aller de l'avant.
Je vous exprime ma très profonde gratitude.

MOTS-CLES
Bourgeoisie nationale, capital, commerce, crise économique, dépendance,
domination étrangère, économie de traite, entrepreneur, entreprise, Etat, impérialisme
colonial, industrialisation, investissement, informel, marginalisation, propriété foncière,
urbanisation.

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4
INTRODUCTION GENERALE
1 ; L'OBJET DE LA RECHERCHE
L'objectif initial de cette thèse était l'étude de l'entreprise privée autochtone
dans le tissu économique du territoire sénégalais entre 1930 et 1973.
La grande dépression des années 1930 constitua un tournant décisif dans
l'histoire économique de la colonisation en Afrique. Elle mit à nu toute la fragilité du
modèle de mise en valeur des colonies françaises d'Afrique de l'ouest, fondé sur la
traite. Elle eut un effet drastique sur l'ensemble des entreprises de la région. Au
Sénégal, elle aurait achevé la liquidation des commerçants autochtones.1 Ses effets
demeuraient constamment présents durant les quarante années qui men è rent à la
dépression des années 1970, terme final de cette étude.
1973 coïncide en effet, avec les débuts d'un grippage des mécanismes
économiques du système capitaliste mondial. Les conséquences de cette crise se déroule
sous nos yeux, avec une internationalisation progressive du capital dominant l'économie
sénégalaise. L'intervention vigoureuse de la Banque Mondiale et du Fond Monétaire
Internationale (F.M.I.) et de nouveaux investisseurs privés2 impose une contraction
notable de la participation de l'Etat dans nombre d'entreprises. La cession d'une partie
importante du portefeuille de l'Etat au secteur privé pose le problème de la place à
réserver aux entrepreneurs nationaux et des moyens à mettre à leur disposition pour
l'occuper.
1. S. AMIN: Le monde des affaires sénêgalai~ Paris, Ed. Minuit, 1969, pp. 22.
2. G. ROCHETEAU : Pouvoir fmancier el indépendance économique en Afrique. le cas du Sénégal, Paris,
ORSTOM-Kartbala, 1982, pp. 370-371.

5
Une décennie après l'indépendance du Sénégal, le monde des affaires
autochtones n'était pas encore sorti de sa marginalisation datant de la période coloniale.
Malgré la renaissance des affaires autochtones dans le sillage du mouvement
nationaliste au lendemain de la deuxième guerre mondiale, l'émergence et le
développement d'une bourgeoisie nationale se heurtent à des obstacles qu'il est question
d'analyser dans ce travail.
Cette perspective initiale d'étude des entreprises privées autochtones s'est
enrichie et élargie au cours des recherches. L'enquête orale était initialement envisagée
comme principale méthode d'investigation. Le travail de terrain se heurta à la réticence
des protagonistes autochtones de cette histoire récente. 3 Les sources archivistiques
furent également très laconiques concernant les entreprises privées autochtones.
L'étude de la marginalisation des entrepreneurs autochtones impliquait nécessairement
une prise en compte de ses rapports avec les entreprises étrangères qui dominent
l'économie sénégalaise.
S'il n'était pas question d'abandonner ces premières préoccupations et la
période initiale des recherches, la problèmatique fut réorientée vers une étude de
l'ensemble des entreprises et entrepreneurs du secteur privé sans distinction d'origine.
Le caractère particulièrement interventionniste de l'Etat colonial et de son
héritier postcolonial fait qu'une étude sur le monde des affaires ne peut faire l'impasse
sur les rapports qu'il entretient avec l'autorité politique et administrative. L'ampleur
d'une telle perspective devait conduire à la restriction de l'espace géographique à
couvrir. Les entreprises relevant de la circonscription de la Chambre de Commerce de
Dakar ont focalisé notre attention pendant toute !ia période étudiée.
3. Cette attitude tieot certaioemeot à la situatioo préseote de l'eotreprise privée autochtooe race à la
restructuratioo eotreprise par l'Etat et eo pleioe exécutioo au momeot de moo eoquête (Juillet 1986-
Avril 1987).

6
En 1869, furent créées à Gorée et à Saint-Louis les deux premières chambres de
commerce du Sénégal. Les membres de ces institutions étaient élus parmi les patentés
électeurs dont la liste était publiée dans les journaux officiels du Sénégal et de l'AO.f.
Dakar et sa banlieue furent détachées de Gorée et érigées en circonscription consulaire
le 14 décembre 1888.4 Jusqu'aux dernières élections organisées sous le régime colonial
en 1954, les listes électorales firent appaître une récurrence des patronymes comme
Maurel, Prom, Chavanel, Vézia, Peyrissac, Delmas, Devès, Chaumet. Ils formaient avec
les représentants de la S.C.O.A, de la C.f.AO., de la NO.SO.CO. et des organismes de
crédits de la colonie, une majorité, pour ainsi dire, inamovible dans la première
catégorie des électeurs.
La liste comprenait trois catégories hiérarchisées suivant le tarif de la patente
payée par l'entreprise représentée et exclusivement pour Dakar, une section agricole et
industrielle. 5 La grande majorité des autochtones se retrouvait dans la troisième
catégorie qui exigeait à l'inscription un taux de patente égal au moins à 250 francs de
droit fixe en 1921. 6 Dans la deuxième catégorie, les électeurs les plus constants étaient
des commerçants français moyens: Delorme, Bordes, Contival, Vergé, Sentenac.
4. Bulletin officiel du ministère des Colonies et de la Marine, Création de la commune de Dakar, le 14-U·I887
pp. 387.
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5
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• Cf. 'TableauN'.4SBépartition des électeurs à la Chambre de Commerce de Dakar suivant la patente et l'origine.
6. Journal Officiel, A.O.F.. 1921, ArTêté du gouvernement général réorganisant les chambres de commerce de
l'A.O.F.. Art. 3, pp. 30.

7
Cette hiérarchie institutionnelle était le signe de l'ordre inégalitaire ayant régi
pendant toute la période les rapports entre les entreprises du secteur privé. Le maillon
manquant de la chaîne était constitué par les libanais, les Syriens en majorité et autres
étrangers exclus de l'électorat des chambres de commerce de l'AOF par un décret du 30
décembre 1920.7 L'arrêté du gouverneur général confirmait cette exclusion en ne
retenant comme électeurs à la chambre de commerce que les sujets et citoyens français
résidant à la colonie au premier janvier de l'année de l'électionS. Pendant presque un
siècle, (1888-1970), ces entrepreneurs dominèrent sans interruption l'institution
consulaire de Dakar. Ils représentaient des affaires individuelles, familiales ou des
sociétés à capitaux. Les fondateurs des deux premières formes juridiques étaient en
majorité originaires des départements du sud et du sud-ouest de la France : Gironde,
Ariège, Corrèze, Pyrénnées Orientales.
Il s'agit de montrer que l'hégémonie des grandes maisons de commerce, dans le
monde des affaires, précède et explique cette prépondérance à la Chambre de
Commerce. Cependant, le contrôle de l'institution a eu un effet de consolidation de leur
domination.
La longévité pluriséculaire de celle-ci peut-elle, à elle seule.. expliquer la
marginalisation des entreprises autochtones?
Les réponses des chercheurs sont
nombreuses quant aux causes de la dégradation progressive de la position des hommes
d'affaires autochtones.
7. O. GOERG: Commerce et colonisation en Guinée 0850-1913), Paris, Harmattan, 1986, pp. 348.
H. d'ALMEIDA.TOPOR, C. COQUERY.VlDROVlTCH, C. COlTE, O. GOERG, P. KI PRE, M.
LAKROUM, M. MBODJ : -L'évolution de la petite entreprise dans l'anclenne Afrique Occidentale
FrançaIse-, Petite entreprise et croissance industriel1e dans le monde, publication de la Commission
internationale d'Histoire des Mouvements sociaux et des structures sociales, Paris: C.N.R.S., 1981, pp.
1083·1113.
8. Journal Officiel. A.O.F., 1921 p. 30, Article 9.

8
La traite de la gomme avait donné naissance, au cours de la première moitié du
XVIUème_XIXème siècle, à une classe d'entrepreneurs autochtones comparable du
point de vue de ses richesses à la bourgeoisie parisienne de l'époque. 9 La crise de la
gomme durant toute la seconde moitié du XIXéme siècle fut à l'origine d'une violente
opposition entre les comptoirs français de Saint-Louis et les traitants autochtones.
L'âpreté de la lutte fut à l'origine d'un déclin irrémédiable de la première bourgeoisie
d'affaires sénégalaise. Une volonté politique délibérée a mis fin' à la résistance des
autochtones. Elle se matérialisa par une rupture des crédits de commerce qui leur
étaient naguère accordés. L'administration, de connivence avec les maisons de
commerce coloniales, s'est opposé à leurs tentatives d'acds direct à l'importation.
Tentatives qui étaient motivées par l'ostracisme manifesté à leur égard par le commerce
français qui contrôlait l'importation et l'exportation des produits d'échange. 10
9. R. PASQUIER: Le Sénégal au milieu du XIXème siècle: la crise économique et sociale, Université Paris IV,
thèse d'Etat 1987, 1387 p.
ème
·"Les traitants des comptoirs du Sénégal au milieu du XlX
siècle", Ades du colloque Entreprises et
Entrepreneurs en Afrique XIXème-XXème siècle~ Paris, Harmattan, tome 1, pp. 141·163.
10_ S. AMIN: QILm., 1969, pp. 20.

9
La coïncidence des intérêts du grand commerce français et des vues des
autorités coloniales est de loin antérieure au début du siècle.11
Bien avant
l'achèvement de la conquête coloniale, le pouvoir politique s'engageait dans l'activité
économique sous la forme d'une participation financière ou en étant maître d'oeuvre
dans les entreprises de mise en place de l'infrastructure de communication.12 Durant
tout le XXème siècle, la politique interventionniste ne se relâcha pas. Elle s'exprimait
dans la réglementation de l'activité économique et la mise en place de l'équipement
nécessaire à l'exploitation des richesses coloniales. Le dirigisme du pouvoir politique
devint le facteur décisif de la période étudiée. A partir de la crise de 1930, il se
systématisait dans la fiscalité, les droits de douanes et la protection des produits
. coloniaux dans le marché impérial. Il atteignit un point culminant pendant et après la
deuxième guerre mondiale avec la planification fIXant les grandes lignes de l'orientation
économique de l'AO.F. Le financement des plans, la multiplication des entreprises
publiques et mixtes firent progressivement de l'Etat le premier entrepreneur de
l'AO.F. 13 L'Etat postcolonial hérita de ce patrimoine et, mieux, le renforça avec de
nouvelles créations et des participations au capital de sociétés déjà formées.
Au total, durant toute la période coloniale et postcoloniale, la puissance
publique s'affirme comme
omnipotente dans l'activité économique. Elle légifère,
oriente, organise, contrôle et intervient comme promoteur d'entreprises nouvelles.
L'étude des rapports que le pouvoir politique entretient avec le monde des affaires au
cours de la période 1930-1970 à Dakar confirme la thèse selon laquelle le régime
colonial et son successeur néo-colonial furent "un extraordinaire laboratoire d'économie
dirigée"1 4
11. En 1854, en vue de mettre un terme à l'insécurité du commerce le long du neuve Sénégal, les négociants
salnt·louisiens sous la direction de Hilaire Maurel, firent nommer Faidherbe gouverneur du Sénégal.
Cf. R. PASQUIER: Qlu:tt., p. 2285.
B. BARRY ~
ème
Le royaume du Waalo, le Sénégal avant la conquête, Paris, Karthala, 1985 (2
éd.), pp. 279·
280. (lere éd. Maspéro 1972).
A. VILLARD : Histoire du Sénégal Dakar, 1943, pp. 90-94.
U. M. LAKROUM : -Le jeu de l'argent et du pouvoir dans une entreprise coloniale: la compagnie du
chemin de fer de Dakar à Saint·Louis-, Actes du Colloque Entreprises et Entrepreneurs, Op. Cit., tome 2 pp.
101·U2.
13. CI. COlTE : La politique économique de la France en Afrique noire 0936-1946), Université Paris 7, Thèse
eme
IIl
cycle d'histoire, Novembre 1981, pp. 114 et suivantes.
14. C. COQUERY.VlDROVITCH : -Introduction Actes du Colloque Entreprises et Entrepreneurs- , .Q1t
Cit. pp. 7·22.

10
Quelle place et quel rôle cette omniprésence tentaculaire a-t-elle assignés aux
promoteurs privés?
Ceux-ci étaient loin de constituer un ensemble homogène. Ils se répartissaient
en groupes aux intérêts divergents et même très souvent antagoniques. Dès lors, le choix
d'un modèle d'exploitation de la colonie devenait un enjeu de taille pour les différents
protagonistes.
Prenant en compte tous ces facteurs, nous avons mesuré toute l'importance de
la politique mise en oeuvre par l'administration coloniale et ayant un impact sur
l'activité des entreprises. Nous n'en avons pas pour autant fait les seuls éléments
déterminants de la structure, de la hiérarchisation du monde des affaires dakarois.
L'investigation s'est portée sur la lutte des différents groupes et individualités
pour le contrôle des relais d'acc!s et des moyens de pression sur les instances de
décision du pouvoir. La puissance conférée par le contrôle des institutions économiques
comme la Chambre de Commerce ou les relations extra-économiques (patronage
politique ou social) ont été constamment recherchées et largement mobilisées par les
entrepreneurs pour infléchir dans le sens de leurs intérêts les décisions du pouvoir. Les
rapports entre la Chambre de Commerce et les autorités politiques et administratives
coloniales d'une part, l'attitude des entrepreneurs et de leurs organisations syndicales
d'autre part, ont permis de mesurer l'importance du contrôle des institutions
économiques pour le maintien ou la contestation de la hiérarchie du monde des affaires.

11
De toutes ces institutions, la Chambre de Commerce aura le plus polarisé
l'attention des entrepreneurs. Elle devait cette place de choix à sa position, à la croisée
des chemins de la négociation entre hommes d'affaires et autorités politiques, autour
des grandes orientations économiques.
La violence de l'opposition de la Chambre de Commerce à certaines mesures
montre suffisamment qu'il n' y a pas eu un ajustement automatique entre les intérêts
coloniaux français et ceux du grand commerce. Pour ne prendre que cet exemple parmi
d'autres, autant qu'elle a pu le faire, la Chambre de Commerce s'est opposée à la mise
en oeuvre de la nouvelle politique d'industrialisation consécutive à la deuxième guerre
mondiale. Ainsi donc, l'Etat colonial était loin d'être un simple instrument des
entreprises dominant l'ordre et les institutions économiques de la colonie. Dans le fond,
leurs points de vue coïncidaient sur bien des questions. Seulement, on peut noter un
certain décalage temporel dans cet ajustement. D'où la nécessité d'étudier l'évolution
conjoncturelle pour rendre compte de la gestion de ces contradictions momentanées.
Les mesures prises dans la lutte contre la crise des années trente sont venues
renforcer le régime de préférence douanière de 1928 entre la France et ses colonies. La
politique de repli impérial maintint la spécialisation de l'AO.F. dans la fourniture de
produits primaires et la consommation des produits industriels métropolitains. 15
L'industrie connut ses premiers balbutiements tout en restant dans les limites
compatibles avec les intérêts
du
grand
commerce
colonial
et de
l'industrie
métropolitaine exportatrice vers les colonies. Son accélération au lendemain de la
deuxième guerre constituait une menace sérieuse à la domination des grandes
entreprises.
La modification de la structure économique coïncidait avec la renaissance des
entreprises autochtones qui, malgré l'accession ultérieure
à l'indépendance, ne
réussirent pas à imposer leurs empreintes sur le cours des choses. La recherche des
causes de ce blocage constitue un des axes de ce travail.
15. J. MARSEILLE: Empire colonial et capitalisme Crancais! histoire d'un divorce, Paris, A. Micbel, 1984,462 p.

12
Le retard de leur intégration à l'économie mondiale et le caractère "primitir' de
la
plupart
des
sociétés
ont
rendu
leurs
couches
dirigeantes
incapables,
économiquement, politiquement et culturellement de se muer en bourgeoisies
nationales comme dans les autres pays de la "périphérie" affirment les théoriciens de la
"dépendance". "Les couches il vocation bourgeoise" ont été bloquées dans
leur développement par la concurrence des grands monopoles du commerce colonial,
l'absence de la grande propriété rurale, l'urbanisation récente, l'exiguité des marchés, et
les petits commerçants immigrés.16 La caractérisation de ces couches mérite d'être
discutée.
Il en est de même pour la thèse qui se borne à situer le blocage strictement dans
le comportement social des entrepreneurs autochtones, très vite jugé irrationnel. 17 Le
clientèlisme comme l'ostentation fréquemment mis en exergue n'ont de sens que
replacés dans le contexte social et politique où ils se manifestent. Ils s'avèrent être des
éléments importants d'une stratégie efficace, particulièrement adaptés au mode de
fonctionnement de l'Etat et de la société.
Pour notre part, nous avons pris en compte la spécificité des sociétés africaines
nées de l'impact de la colonisation. Elles sont certes parties intégrantes de l'économie
mondiale capitaliste. Cependant, la variété des sociétés prises sous cette influence,
interdit une généralisation qui ne prendrait pas en considération la différence des
réponses apportées à la domination étrangère.
Le rôle de l'Etat et son mode de fonctionnement clientèliste, la restriction du
surplus que se partagent les couches dirigeantes des sociétés dominées du fait de la
ponction extérieure, la concurrence du secteur informel constituent autant d'obstacles à
l'émergence d'une classe d'entrepreneurs autochtones. L'accession à l'indépendance et
la volonté affirmée par le nouveau pouvoir de promouvoir les hommes d'affaires
autochtones n'ont pas modifié pour l'essentiel cette situation.
16. S. AMIN: L'accumulation à l'échelle mondiale, Paris, Anthropos, 1970, tome 2, pp. 16 et suivantes.
17. P. A. FAlL : Industrialisation et mutations sociales au Sénégal, Thèse de doctorat, Université Paris 7,
Octobre 1981.

13
La dépression des années 1970, en internationalisant davantage le capital
étranger intervenant dans l'économie sénégalaise au détriment de l'ancienne puissance
coloniale, a diversifé les partenaires de l'Etat sénégalais. La situation ainsi créée
favoriserait une plus grande liberté de négociation pour le Sénégal. La question posée
est de savoir si, à partir de la multiplication des dominants, il est possible d'inférer une
plus grande autonomie pour le dominé comme l'affirme G. Rocheteau. 18 A l'ancienne
dépendance vis-à-vis du. capital français s'est substituét une autre aussi prégnante.
Comme la précédente, elle laisse un espace trop étroit pour le développement d'une
bourgeoisie nationale productive.
Le choix de la circonscription de la Chambre de Commerce de Dakar relève de
plusieurs raisons. L'ancienne capitale de l'AO.F. puis du Sénégal indépendant est un
excellent observatoire des différentes composantes du monde des affaires et de leurs
rapports. Les grandes entreprises y ont toutes domicilié leur siège principal en AO.F., à
côté de l'administration centrale de la fédération. Les petites et moyennes entreprises
sont fortement représentées dans le tissu urbain. Au cours du siècle, par le dynamisme
de son développement, Dakar a fini par capturer le gros des flux économiques au-delà
des frontières du territoire sénégalais.19 C'est la raison pour laquelle l'espace de
référence de cette étude va au-delà des limites de la ville et suit les réseaux des
entreprises
à
travers
toute
la
région
ouest-africaine.
18. G. ROCHETEAU: QILm, 1982.
19. A. SECK: Dakar métropole ouest africain, Dakar, IFAN, 1970, 516 pp. et 19 planches.

14
II: MElliODOLOGIE ; LES DIFFICULTES D'UNE APPROCHE QUANTITATIVE
L'un des obstacles majeurs auxquels se trouve confrontée la recherche en
histoire économique de l'Afrique dans une perspective quantitative demeure, sans
doute, la question des données statistiques. Elles sont certes abondantes et relativement
faciles d'accès. Mais sur une question donnée, il n'est pas toujours aisé de constituer une
série continue et homogène. Les ruptures sont souvent nombreuses.
Le fait le plus génant reste cependant les nombreuses discordances et
contradictions existant entre les différentes sources de données statistiques. Il va sans
dire que les statisticiens en élaborant leurs séries et tabl .eaux ne se posaient pas les
questions que l'historien est amené à aborder. En conséquence, et pour ne prendre que
cet exemple, leurs nomenclatures ne répondent pas souvent à nos préoccupations. Ainsi
les données statistiques sur le Sénégal ignorent souvent la contrebande fort active sur la
frontière avec la Gambie et la Guinée (Bissao).
Un autre phénomène source de difficultés est l'inclusion dans les importations
et exportations du Sénégal -jusque dans les premières années postcoloniales- des chiffres
des échanges extérieurs de la Mauritanie et du Soudan (actuelle République du Mali).
Le franc des colonies françaises d'Afrique (CFA), créé durant la période
étudiée, devenu après les indépendances francs de la Communauté Financière Africaine
(CFA), était lié de façon relativement stable au franc métropolitain. Il n'en a pas moins
connu entre 1947 et 1969 trois changements de parité par rapport à ce dernier. 2 0 Cette
variation a rendu aléatoire l'exploitation des valeurs des titres fonciers tirées des
archives de la Conservation Foncière de Dakar-Gorée. Compte tenu du décalage
existant entre le moment des opérations foncières et leur inscriptions sur les régistres, il
n'est pas toujours possible de savoir, à moins d'une indication expresse, en quelle
monnaie la transaction est libellée encore moins le taux de parité à appliquer à la
somme indiquée en francs CFA
20_ A sa c:réatiOD eD 1945, la parité du fraDe CFA était de 1,70 fraDe métropolitaiD; à la fiD de 1947, elle avait
UDe valeur de 2 fraDes puis eD 1959 de 0,02 fraDes fraDçals.

15
Ce qui précéde sur la question des statistiques vaut pour l'ensemble des sources
publiques. Quant aux données fournies par les entreprises privées, non seulement se
pose le problème de leur disponibilité mais aussi celui plus grave de leur fiabilité.
L'orientation vers une fausse piste peut, dans ce cas, découler d'une intention délibérée.
Prenant en compte tous ces éléments, la plus grande prudence s'impose à
propos de l'interprétation des données statistiques recueillies.21
Pour atténuer ces incertitudes, nous avons autant qu'il était possible de le faire
raisonner soit à partir des calculs indiciaires ayant pour base la moyenne des années
considérées, des pourcentages ou de la moyenne mobile. Pour les séries de prix, l'indice
rétrospectif établi par l'INSEE22 des prix de gros à la consommation française a servi
pour la déflation.
Il est apparu préférable de travailler sur la base 1938= 100 bien que
la dernière année de stabilité du franc soit 1914. Le choix a été dicté par le fait que 1914
est hors de la période étudiée.
A la suite du traitement informatique des données, il a été, à chaque fois que la
possibilité s'est offerte, établi un tableau ou l'évolution a été visualisée par une
repésentation graphique. 2 3
21. Par exemple, l'enquête administrative de 1950 sur les entreprises, lia question sur les chiffres d'affaires
i'Ulisés, certains entrepreneurs ont répondu tout simplement: ·se~t commerciar alors que d'autres ont
donn~ des chiffres absolument abérTants (50.000 francs de chiffre d'affaires pour un commerce
employant 2 aides). Toutefois même retourn~ avec comme unique mention la raison soclale de
l'entreprise ou son propriétaire, le questionnaire permet de faire un comptage et de déterminer l'origine
de l'entrepreneur.
22. ~: Institut Nationale de la Statistique et des Etudes Economiques (France)
23. Le traitement des données de même que la représentation a ~U i'Ulisés gr6ce aux outils informatiques
mis Il notre disposition par le Laboratoire TIers·Monde-Afrique de l'U.E.R. H.G.s.s. de l'UnlversiU de
Paris VII. Nous exprimons toute notre gratitude Il tous les membres de l'équipe qui y travaille pour leur
constante disponibiliU.

16
Le paradoxe existant entre l'abondance et la diversité des sources sur le monde
des affaires d'une part, la relative pauvreté de l'historiographie dans ce domaine d'autre
part, est frappant. Les études sur l'histoire économique de l'Afrique de l'ouest sont
certes nombreuses mais sur les entreprises privées, la carence commence à peine à. se
combler. 24 Sur le Sénégal, le rapide panorama réalisé par S. AMIN demeure l'une des
premières études, à notre connaissance, consacrées à ce sujet. Elle se limite aux
entreprises autochtones d'une certaine envergure. 2 5 La première et dernière thèse
soutenue sur les levantins de l'AOF en français date de 1938!26 En anglais, une étude a
été récemment consacrée à l'histoire de cette communauté au Sénégal. 7
2
A propos des sources de première main, les journaux officiels du Sénégal et de
l'AOF contiennent une multitude de renseignements sur les entreprises et les textes
réglementant l'activité économique. Ils prolongent les listes électorales des chambres de
commerce publiées chaque année.2 8 Exceptionnellement, la date, le lieu de naissance
de l'électeur et le type d'entreprise étaient indiqués. La société ou le patenté individuel
qu'il représente étaient toujours spécifiés. Ces renseignements permettent de suivre
l'évolution des rapports entre commerçants autochtones et maisons de commerce. En
droit, tous les quatre ans, les résultats des élections consulaires étaient publiés par la
même source.
24. M. LAK.ROUM : Chemin de fer et rêseaux d'affaires en Afrique Occidentale. le Dakar-Niger (1883-1960>, Thèse
d'Etat Unlverslti Paris VII, 3 tomes, 930 p. Juillet 1987.
• J. SURET-CANALE: Afrique noire et capital!!, Paris, L'arbre verdoyant, 2 tomes 1987.
• U. d'ALMEIDA.TOPOR, C. COQUERY.VIDROVITCU, c. COTTE, O. GOERG, P. KIPRE, M.
LAKROUM, M. MBODJ :WArt. Clt", C.N.R.S., 1981.
• R. NGUYEN VAN CUI·BONNARDEL: Vie de relations au Sénégal. la circulation des bilm§, Mémoires de
l'IFAN NO 60, Dakar, 1978, PP. 780 à 788.
• P. GUILLARD : Vie et mort des sociêtês coloniales bordelaises de la côte occidentale d'Afrique: Peyrissac 1847-
1963, Doctorat de troisième cycle, Universlti Paris VII, 695 p.
25. S. AMIN: Qp..QL 1969.
26. J. C. DESBORDES : L'immigration libano-syrienne en A.O.F., Poitiers, Imprimerie Renault, 1938.
On trouvera également une étude sur les Ubanals dans la thèse de géographie de Régine VAN CUI-CUI
BONNARDEL, Op. Cit., 1978.
27. S. BOUMEDOUHA : The Lebanese in Senegal : a history of the relationship between an immigrant community
and its french and african rulers, Pb. D. Thesis, Universiti de Birmingham, Octobre 1987,319 pp.
28. De 1924 à 1954, les listes électorales de la Cbambre de Commerce de Dakar étalent publiées dans les
LQ, de l'A.O.F. dont dépendait la capitale Jusqu'en 1958, date de la création de la circonscription
territoriale de la région du Cap-Vert.
cr. Cb. BECKER et V. MARTIN: Dêcrets. arrêtês et dêcisions concernant l'organisation administrative du Sénégal
1887-1960, Kaolack, Décembre 1975, pp. 2·3 W

17
La partie non officielle des !L...2.z... contenait les annonces légales où figurent
tous les actes juridiques concernant les entreprises : création. actionnariat, liquidation,
faillite, statuts, et toute poursuite judiciaire. Les concessions, les ventes et retraits du
domaine public aux personnes et organismes privés étaient régulièrement consignés
dans les J.O. de même que le motif de l'acte. A partir de 1930, la suppression de la table
analytique rend l'usage de ce document difficile et très lent.
L'importance de l'intervention des pouvoirs publics dans l'activité économique a
produit une documentation abondante conservée dans les archives publiques. Les
rapports périodiques et de mission permettent de suivre la volonté des "décideurs" et les
diagnostics établis par rapport à des questions ponctuelles. Les résultats de quelques
enquêtes sur les entreprises sont disponibles dans diverses fonds d'archives publiques.
A la section outre-mer des Archives Nationales de France, le Fonds Guernut
contient les résultats de l'enquête de la mission du même nom réalisée dans l'entre-
deux-guerres auprès des entreprises de plus de 5 ouvriers en AO.F. L'échantillon a le
défaut pour nos préoccupations d'avoir exclu nombre d'entreprises autochtones du
secteur
dit "informel". Les questions démographiques, de crédit et d'équipement
colonial peuvent être suivies à partir des fonds "Affaires Economiques" et "Affaires
Politiques".
Aux Archives Nationales du Sénégal, les séries économiques "Q" du fonds de
l'AOF et la série "G" constituent des sources privilégiées pour une étude des options
économiques du pouvoir et de la réaction des milieux d'affaires. Plus d'un millier
d'entreprises ont fait l'objet d'une enquête très exhaustive dans les années 1950. Les
données recueillies par celle-ci permettent d'entrevoir des tendances. L'importance
numérique de l'échantillon (l'ensemble des entreprises quelle que soit leur taille) donne
une situation approximative. Ce souci d'exhaustivité a parfois conduit à des informations
fort sujettes à caution. 2 9 Le recensement baptisé mobilisation industrielle effectué à la
veille de la deuxième guerre est plus sélectif et en même temps plus fiable. Le dépôt
annexe des archives nationales du Sénégal conserve une abondante documentation sur
les entreprises de travaux publics qui ont participé aux travaux d'urbanisation initiés par
le FIDES.
29. Cf. Annexe N"2, Exemplaire du questionnaire adressé aux entreprises en 1950.

18
La principale source de ce travail reste les archives de la Chambre de
Commerce de Dakar. Elles sont soigneusement et systématiquement répertoriées,
classées chronologiquement et par thème aux Archives Nationales du Sénégal. Toute la
correspondance de l'institution, les différentes notes et études réalisées par ses
différentes commissions sur des questions qui ont mobilisé le monde des affaires
peuvent y être consultées.
L'étude de la propriété foncière est tributaire des archives de la conservation
foncière de Dakar et Gorée. 3 0 Les archives privés du Syndicat Patronal de l'Ouest
Africain à Dakar ont été largement mis à contribution. Elles couvrent la période 1937-
1958. Les documents qui y sont conservés se composent principalement de procès
verbaux d'assemblées générales. A partir de là, on a le point de vue des différents
groupements des petites et moyennes entreprises de Dakar sur les questions
économiques.
Il a été déjà souligné que l'une des lacunes de cette thèse est certainement la
faiblesse de l'utilisation de l'enquête orale, d'autant que nombre des protagonistes de
cette histoire sont en vie. Quelques témoignages ont pu néanmoins être recueillis sur les
conflits ayant opposé le monde des affaires au pouvoir postcolonial. Un entrepreneur
qui a voulu garder l'anonymat a été interviewé; dans le texte, il est désigné sous le
pseudonyme Massamba Dièye et son entreprise SOFICA La correspondance qu'il a
échangée avec les autorités politiques et administratives sénégalaises a été dans toute la
mesure du possible mise à contribution dans ce travail. Dans la même rubrique, M.
Abdoulaye Fofana ministre du Commerce dans les premières années de l'indépendance
a donné sa version des faits recueillie dans une brève entrevue en avril 1987.
30. En préambule au chapitre sur la propriété foncière, nous avons fait une présentation de ces archives.

19
III ; ESSAI DE PERIODISATION. LE POIDS DE LA DEPENDANCE
Le flux de capitaux et les échanges en AO.F. en général et au Sénégal en
particulier ont été, pendant la période coloniale comme postcoloniale, largement
dominés par la France. L'histoire économique de cette région de l'Afrique a été
fortement marquée par cet état de fait. Les changements qui affectaient la structure et
la conjoncture de l'économie française étaient en conséquence immanquablement
repercutés sur l'ensemble de ses colonies africaines dont le Sénégal.
Il est nécessaire de préciser toutefois qu'il n'existe pas un ajustement
automatique et immédiat entre les mécanismes de fonctionnement de l'économie
métropolitaine et ceux des pays sous sa dépendance. Le dynamisme interne des pays
dominés créait un décalage dans leur adaptation aux nouvelles donnes qui
apparaissaient en métropole. 31
Le demi-siècle d'histoire économique étudiée dans cette thèse est dans cet
ordre d'idées révélateur de ce décalage. C'est une courte période relativement à la
,,"apport
longue présence française au Sénégal. 32 Elle n'en demeure pas moins décisive par~ ses
conséquences quant au présent de ce pays.
La crise de 1930 inaugura une refonte des rapports d'exploitation impérialistes
entre la colonie et la métropole. La fin de la période étudiée s'ouvre sur une crise
profonde du système capitaliste mondial. Les nouvelles restructurations que cette
50
dernière a misll à l'ordre du jour pour les pays dits sous-développés n'ont pas encore fini
de se mettre en place avec tout ce qu'elles comportent de conséquences dramatiques.
Entre ces deux crises, le monde a subi l'épreuve d'une guerre généralisée entre
1939 et 1945 qui accéléra le processus d'industrialisation entamée au Sénégal dans les
années vingt du siècle. La longue période de sujétion coloniale fait place, en 1960, à une
indépendance formelle, sans rupture des liens de domination, surtout économiques, avec
l'ancienne puissance dominante.
31. G. ROCHETEAU: QILQl p. 9. et suivantes.
32. La première Installation française au Sénégal date de 1659 avec la fondation du comptoir de Saint-Louis.
Cf. B. BARRY : ~,1985, p. 85.

20
La confrontation de ces divers éléments permet de dégager trois périodes
spécifiques dans l'histoire économique et sociale du Sénégal. L'arrivée du Front
Populaire au pouvoir clôture la première née des hauts cours des produits coloniaux
durant la décennie des années 1920. La deuxième partie fut marquée par une
intervention financière massive de la métropole rompant la nature des liaisons
financières en vigueur depuis le début du siècle. Elle s'achève à la veille de
l'indépendance avec l'instauration de l'autonomie interne en 1957. Durant la troisième
période, le nouvel Etat prit en main les circuits du commerce arachi .
en partie,
ç..\\CAINE et
l'approvisionnement du monde rural. Ces deux opérations étaienl.1lJl~I.~'tn\\J're,.,J.UlI~,
liées et assurées par le commerce privé. Il p&suivit la pol· ~ cd'industri is ion
AME
I.:
amorcée sous la période coloniale, après la deuxième guerr mndÛi1ê:Cons stapt à
o
.;,
produire localement les produits de consommation courante.
s-./;
~'q,"'~
~nE~er/)V
Les trois périodes sont nettement marquées dans les courbes des échanges
extérieurs de l'AO.F. et du Sénégal. 3 3 L'allure général de celles-ci confrontées au
contexte économique mondial indique clairement le poids des contraintes extérieures sur
la conjoncture de ces économies. Celles-ci sont essentiellement relayées par deux canaux
: l'appareil d'Etat colonial puis postcolonial et les grandes entreprises qui dominent
l'économie interne.
L'unité entre les périodes dégagées demeure le maintien de rapports
économiques privilégiés avec la France. Ce privilège fondé juridiquement sous la loi de
l'exclusif colonial 34 en vigueur jusqu'en 1789 s'était dans les faits maintenu, pour
nombre de ses clauses, jusqu'à la fin des années 1960.35
33. H. d'ALMEIDA TOPOR: "Introduction à une étude graphique de la crise", L'Afrique et la crise de 1930
0924-1938), Paris, Revue Francaise d·Histoire d'Outr~mer N" 232-233,1976.
cr. Annexe ~.
34. Terme plus approprié que "pact~ colonial" qui suggére une convention entre parties librement
consentantes ou au moins autonomes; ce qui n'était pas le cas des colonies. Erigé en doctrine par
Colbert "l'aclusif colonial" assurait à la puissance dominante un certain nombre d'avantages :
"lA métropol~ fond~ ~t ~ntreti~nt I~s coloni~s , I~s coIoni~s ~ntreti~nn~nt la métropol~. us prodwts coloniaux sont faits
-fHJW"pouI" alim~nt~rla consommation français~, I~s produits français ont s~uls accés sur I~ marché colonial".
Les industries des colonies ne peuvent raire double emploi avec celles de la métropole, le transport entre les
colonies et la métropole est exclusivement réservé au pavillon français.
cr. G. HARDY: Histoire sociale de la colonisation francai~ Paris, Larose, 1953, pp. 14-15.
35. n n'y avait certes pas homogénéité des .-qpmes douaniers entre les diverses colonies françaises. En
Afrique par uemple, des accords internationaux telle que la Con~ntion du Ni~r furent à l'origine de

21
Plus particulièrement pour le Sénégal,
toute
la décennie
qui
suivit
l'indépendance, aussi bien dans le commerce extérieur que dans les investissements de
capitaux, la France conserva une place prépondérante. C'est l'intervention présente de
la Banque Mondiale qui progressivement brise cette dépendance. Elle lui substitue une
intervention extérieure plus diversifiée avec une présence marquée des Etats-Unis
d'Amérique 36. Le maintien artificiel (protection douanière, "surprix arachidiers'; du
marché sénégalais comme débouché de l'industrie métropolitaine n'est véritablement
remis en cause qu'au début des années 1970, avec une première brèche ouverte par
l'association à la c.E.E. en 1966. Et la question se pose de savoir si la diversification des
dominants confère une plus grande autonomie au dominé, tel le suggère l'étude de G.
Rocheteau. 37 La question mérite d'être posée car l'auteur de cette importante étude
sur l'économie sénégalaise, dans une certaine mesure, fait de l'autonomie acquise par ce
biais une des conditions qui ont rendu possible une promotion des hommes d'affaires
nationaux.
L'étude des trois périodes dont les spécificités générales viennent d'être mises
en exergue permettra de répondre aux questions suivantes. Quelles stratégies les
entrepreneurs mirent-ils en oeuvre pour faire face à ces éléments marquants de
l'évolution économique du Sénégal? Comment réagirent-ils aux mesures portiques à
incidence économique notable? Il s'avère nécessaire, au préalable, de préciser le sens de
quelques vocables, largement utilisés dans ce travail, dans le contexte de l'économie
sénégalaise dépendante.
régimes douaniers -libéraux- pour certaines colonies comme le Dahomey et la Côte d'Ivoire. Cette
convention fut du reste dénoncée par la France en 1936.
.
• Cf. H. d'ALMEIDA·TOPOR : Histoire économique du Dahomev <1890-1920), Université Paris IV, Doctorat
d'Etat, 1987, 856 p•
• M. RONDET·SAINT: -L'union douanière franc«K:oloniale- Revue des questions coloniales et maritimes N°
456, Aofit-Septembre-octobre 1933.
36. ROCHETEAU (G.) : QlL.Q1. p.370
37. Id.

22
IV ; DEFINITIONS; LES SPECIFICITES DU CHAMP DE RECHERCHE
En Afrique occidentale, l'exploitation coloniale prit la forme de ce qu'il est
convenu d'appeler l'économie de traite. Celle-ci eut un effet déterminant dans la nature
des entreprises, leur mode d'intervention dans la production et la circulation des biens,
le vlume des capitaux mis en jeu et, le mode de régulation de l'activité économique
d'ensemble. A son caractère saisonnier répondait la légéreté des installations :
boutiques, comptoirs et factoreries, contrÔlés par quelques grandes firmes européennes
38
relayées par des courtiers autochtones -Dioula, Hawsa-et métis
ou par des
intermédiaires asiatiques -Libanais, Syriens, Indiens. Le paysan africain restait le
producteur/ consommateur.39
Cette définition qui insiste sur le caractère primitif, conservateur et très peu
stimulant pour le progrès économique, est judicieusement complétée par une approche
historique sur le lexique en usage dans le commerce de longue distance et les échanges
coloniaux, due à H. Brunschwig. 4 0
La traite se distingue d'une autre forme d'échange, le troc (ou la troque)
caractérisé par son cÔté incertain, aléatoire. A mi-chemin entre l'activité commerciale et
l'aventure, le troc n'usant généralement pas de signes monétaires se faisait en des lieux
et sur des produits pas toujours fixés au départ de l'opération.
38. B. MALDANT et HAUBER.T M. Croissance et conjoncture dans l'ouest africain. Paris, PUF, 1973, p.14O.
39. J. DRESCH : -Les investissements en Afrique noire, le travail en Afrique-, Présence Africaine, N° 13,
1952,pp.232.Z41.
ème
40. H. BR.UNSCHWIG: -La troque et la traite-, Cah. d'études africain~ N"7, vol II, 1962, 3
cahier, pp.
339·346.

23
La traite faisant référence à un commerce de longue distance se substitua au
troc qui domina les rapports économiques entre l'Afrique et l'Europe au XIXème
siècle.41 Il est à noter toutefois, concernant le Sénégal, que cette phase de troc,
intercalée entre la traite esclavagiste et le commerce des produits licites, fut de courte
durée voire inexistante. La gomme se substitua comme produit de traite à l'esclave
avant d'être à son tour supplant~par l'arachide en pleine expansion à la fin du XIXème
siècle. 42 L'Afrique occidentale devint avec la substitution définitive de produits
tropicaux au commerce des esclaves le terrain par excellence de l'économie de traite
dans la seconde moitié du XIXème siècle et tout le reste de la période coloniale.
Contrairement au troc, la traite fut le fait de maisons de commerce, disposant
d'établissements fixes, "organisées et spécialisées pour l'importation et ['exportation", se
référant à des cours relativement stables, usant de statistiques et "de comptabilités
tenues à jour". 4 3 En conséquence, elle revêtit un caractère plus rationnel du point de
vue de l'entreprise capitaliste; les profits attendus de l'opération étant d'une plus exacte
prévisibilité.
Seulement, elle en a gardé certaines caractéristiques. D'une part tous les deux
nécessitaient la présence, dans la chaîne commerciale, d'intermédiaires plus ou moins
autonomes, du fait de la dispersion des producteurs, de la faible densité des réseaux de
communication, mais aussi, et surtout, de l'insécurité qui caratérisait les zones d'échange
intérieure du continent pour les étrangers installés sur la côte.4 4 Cette situation eut des
conséquences immenses sur l'organisation et l'orientation des circuits et de l'espace
économique, encore de nos jours perceptibles, en Afrique de l'ouest. La faiblesse des
mises de fonds de départ restent également un trait commun au deux systèmes
d'échange.
41. Il est curieux de Doter que le Littré défiDit le troc eD ces termes: wCommerce par lchanges de marchandises au
Slnlgor
Ibid.
42. R. PASQUIER :~, 1987.
43. H. BRUNSCHWIG: wArt. ciLw,Cah. d'études africaines, 1962.
44. L'uDe des motivatioDs de la cODquête du Waalo par Faidherbe fut la gêDe OC(asioDDée par les razzias
maures
eme
et les coutumes exigés aux traitaDts du neuve SiDégaI au milieu du XIX
siècle.
cr. B. BARRY :.QJL.m., 1985.

24
Au Sénégal, toutes les tentatives d'intervention directe du capital, privé comme
public, dans la production de l'arachide échouèrent du fait principalement de la faible
valeur marchande du produit. Les entreprises fondées sur la traite arachidière se sont
limitées à l'achat de la production assurée par les unités familiales paysannes. Jusqu'au
lendemain de la deuxième guerre mondiale, l'entreprise dans les territoires de l'Afrique
occidentale française où domine l'économie de traite n'était qu'une firme commerciale
de dimension variée, disposant de relais plus ou moins indépendants, collecteurs des
produits agricoles du commerce et vendeurs des biens de consommation et
d'équipement rural importés.
La situation coloniale de par sa violence a rendu possible la rémunération, au
plus bas niveau, de la force de travail urbaine comme rurale. A partir de la crise de
1930, les revenus des travailleurs urbains (manoeuvre) devenaient relativement plus
important que ceux du paysan. Cette situation contribua de façon déterminante à la
mise en place des conditions d'un exode massif vers les villes de migrants ruraux à la
recherche d'un emploi salarié. Ce mouvement jusqu'alors jusqu'alors saisonnier devint
de plus en plus temporaire ou même définitif avec la crise des années trente. 4 5 Il allait,
à terme, poser le problème de l'intégration de ces migrants dans le tissu économique et
social de la ville.
L'extraversion de l'économie de traite joua un rôle important dans le mode
d'urbanisation caractérisé par le développement des villes portuaires, lieu par excellence
d'évacuation des produits locaux et de diffusion des marchandises importées. La relative
faiblesse de l'industrialisation, conséquence des rapports économiques asymétriques
métropole/colonies, n'a pas permis l'absorption de la force de travail migrante à
l'origine d'une rapide croissance démographique urbaine sans précédent en Afrique. Le
peu d'industries qui s'implantait, visait avant tout la "maximisation" de la rentabilité
permise par le bas niveau des salaires dans les colonies. La structure de la demande
urbaine en produits de faible coût de production et de distribution a pour origine le bas
niveau des revenus de la grande masse des consommateurs urbains composés en
majorité de sous-employés et de travailleurs salariés sous-payés.
4S. M. LAKROUM : Le travail inégal, paysans et salariés sénégalais face Il la crise des années trente, Paris,
L'harmattan, 1983.

25
Elle explique dans une certaine mesure la prolifération des petites entreprises
désignées sous le terme de "secteur informel". Là où la grande entreprise capitaliste est
incapable de fournir un produit ou un service compte tenu de l'étroitesse du marché qui
ne permet pas d'atteindre les seuils minima de rentabilité, le "secteur informel" s'y
substitue. Le développement du capitalisme colonial fut donc à l'origine d'un autre pôle
du monde des affaires la micro-entreprise urbaine informelle étudiée dans la troisième
partie de ce travail.
Les rapports capitalistes de production stricto sensu ne régissent pas le mode de
fonctionnement de cette entreprise. Cela ne signifie pas l'absence de rapports
d'exploitaion : au contraire, ils ont l'avantage de se cacher derrière des rapports
familiaux, ethniques. Les rapports clientélistes rendent difficiles la prise de conscience
par le travailleur du secteur informel de sa situation d'exploité. La conservation en
milieu urbain des rapports sociaux précapitalistes, en structurant les relations de travail
dans ce type d'entreprise, lui permet dans une certaine mesure d'exister et de se
maintenir malgré la précarité de sa situation. L'entreprise informelle est dans bien des
cas incapable d'assurer la simple reproduction de la force de travail qu'elle emploie.
C'est dire l'incapacité de la définition libérale à saisir ce type d'entreprise qui dans bien
des cas n'a pas pour finalité la production d'un profit mais plutôt la survie en milieu
urbain de ses promoteurs. 4 6
L'entreprise dans le contexte des sociétés africaines dépendantes, pendant
comme après la colonisation est donc de toutes les tailles : de la micro-entreprise de
distribution ou de service la plus informelle aux filiales des multinationales. Dakar en
offre tous les paliers entre 1930 et 1973. Un des objectifs de ce travail est d'étudier leurs
inter-relatio~ dans l'espace urbain dakarois.
Dans la genèse et la structuration de ce monde des affaires, les pouvoirs publics
ont de tout temps joué un rôle de premier plan. Il est apparu nécessaire de préciser ce
qu'il faut entendre par Etat colonial.
46. Ph. HUGON et al. : Vivre et survivre dans les villes africaine§, Paris, IEDES/PUF, 1982.
• R. SANDBROOKS : The politics of basic needs. urban aspects of assaulting povem in Afrig, Londres,
Heinemann, 1982, 2SOp.

26
Qu'il soit issu de la doctrine de l'Indirect Rule ou de l'administration
directe, l'Etat colonial est par ses origines, un fait extérieur à la société colonisée. Il fut
avant tout une violence politique imposée. 4 7 IJ ne pouvait prétendre à aucune
légitimité. Dès lors, l'application des théories doctrinaires se heurta à la diversité des
sociétés africaines et à leur résistance multiforme. IJ aura fallu adapter les modèles aux
situations concrètes rencontrées sur le terrain. 4 8 Dans la mise en place de ses structures
d'administration et d'encadrement, le pouvoir politique colonial s'adjoignit des
auxiliaires locaux recrutés dans les anciens groupes dirigeants de la société colonisée
quand ceux-ci acceptèrent de collaborer avec la nouvelle force. Même formellement
recrutés selon les modalités traditionnelles, ces intermédiaires autochtones furent de
simples exécutants de la politique coloniale. IJs outrepassèrent très souvent ces fonctions
au détriment des colonisés.
Le système colonia~sans renoncer à ces intermédiaires "traditionnels", forma ses
propres auxiliaires dans ses écoles. L'enseignement se fIxait comme objectif de façonner
une élite intellectuellement et politiquement soumise au pouvoir colonial. Une faible
minorité parvint à un haut niveau de formation et prit la direction de l'Etat avec les
indépendances. En Afrique française au sud du Sahara, J'Ecole Normale WiJIiam PontY
fut le creuset d'où sortirent les principaux dirigeants des nouveaux Etats.
47. C. COQUE.RY.VIDROVITCH et H. MONlOT: L'Afrique noire de 1800 à nos jou~ Paris, PUF, 1984,
pp. 363. (lere éd. 1974).
48. M. CROWDER : West Nrica Under Colonial Rule, Loncire, Hutchinson University Library for Africa,
1984, pp. 175 et suivantes. (1ère éd. 1968).

27
Les natifs de Dakar, Saint-Louis, Rufisque et Gorée présentaient une certaine
particularité politique et administrative par rapport au reste des colonies françaises
d'Afrique. Les habitants de ces quatre communes eurent acc~s à la citoyenneté,
conditionnelle d'abord, puis sans restriction. Ils étaient depuis 1848 représentés à
l'Assemblée Nationale française et disposaient d'institutions municipales similaires à
celles de la métropole.49 La possibilité d'expression politique allait avoir des
conséquences importantes sur le plan économique et en particulier dans la gestion
foncière de la ville de Dakar. 50 Elle n'enlevait pas à la colonisation son caractère
fondamental de système basé sur une violence réelle ou potentiellement disponible.51
49. Ibid. pp. 181.
50. Cf. Infra : Quatrième partie.
51. C. COQUERY.VlDROVITCH: QILQ!.1984, pp. 363.

28
PREMIERE PARTIE :LA DEPRESSION DES
ANNEES 1930 ET LA MISE EN PLACE DES
PREMIERS JALONS DE L'IMPERIALISME
COLONIAL EN A.O.F.: l'ETAT ET LE
MONDE DES AFFAIRES DAKAROIS 1930-
1939

29
CHAPITRE 1 • LA DEPRESSION DES ANNEES 1930 VECUE A DAKAR:
DIAGNOSTICS ETABLIS ET REMEDES PROPOSES.
Le retournement de la tendance qui s'opéra dans la conjoncture mondiale en
1929-1930, atteignit l'AO.f. avec suffisamment de violence pour semer le désarroi dans
le monde des affaires dakarois. Dans un texte de 1976, J. Bouvier a montré que la crise
mondiale n'a été en définitive qu'un puissant révélateur de la crise coloniale dans
l'empire français.52 La confrontation des tendances des différentes données de
l'économie sénégalaise permet d'aboutir à des conclusions identiques.53 Les prix à
l'exportation-essentiellement constituée de produits arachidiers- enregistraient le
renversement de la tendance en 1928-1929 pour atteindre leur plus bas niveau en 1933-
1934. La courbe des valeurs subit le même phénomène avec un an d'avance; c'est en
1927-1928 que débuta l'inversion de cette tendance. Pour les termes de l'échange revenu
paysan, le fait est encore plus précoce; elle commença dès 1926-1927. Par contre,
l'indice pondéré des prix de détails des marchandises importées n'a été sérieusement
touché par la crise que de manière tardive en 1932-1933. Il ressort de tout cela que le
décalage noté confirme le fait que la crise mondiale est venue s'ajouter à une crise
interne et surtout agraire.
Le propos suivant tentera d'examiner jusqu'à quel point les contemporains ont
perçu le rôle des facteurs relevant de la crise mondiale et celui du jeu des facteurs
internes dans la crise économique qui frappa l'A.O.f. et la dépression qui en résulta?
Quels éléments retinrent-ils comme cause explicative du marasme économique? Quelles
solutions furent envisagées pour faire face à la crise? Quelles sont celles mises en
pratique?
52- J. BOUVIER: -Art. cit!, L'Afrique et la crise de 1930.
- H. d'ALMEIDA-TOPOR: -Introduction il une étude graphique de la crise- L'Afrique et la crise de 1930_..
QILQ!. graphique en Annexe.
53- Cf. Annexe ~ 1 : Le commerce extérieur de l'A.O.F. et du Sénégal.

30
1 - LA CRISE ET LE MONDE DES AFFAIRES DAKAROIS.
La crise a été perçue avant tout comme une crise commerciale. L'indicateur le
plus à la portée des acteurs de l'économie pour saisir la tendance de la conjoncture est
le mouvement des prix. Très tÔt, organisations patronales et entrepreneurs se rendirent
compte que le marasme économiqu"e n'était pas un simple phénomène passager. Le
Syndicat de Défense des Intérêts de la CÔte Occidentale de l'Afrique (SYN.D.I.C.O.A),
représentant des grandes maisons de commerce coloniales)dès 1931)prit conscience de
sa profondeur. Il estimait que
Lo situation actuelle de l'A.O.F. et du Sénégal en ptUticu/ier est sans contredit, la
plus grave qu'elle ait jamais connue au cours de son histoire. Ce n'est pas une
simple crise de croissance de peu de durée, suivie d'une reprise rapide de la marche
et du développement des entreprises. C'est une crise profonde provoquée par
l'avilissement du prix de la production que le temps seul serait impuissant à
guérir. 54
S4- A.N.s, F.C.C, 657 : Commission Financière du SYN.D.I.C.O.A., réunion du 20 janvier 1931.

31
Le monde des affaires coloniales ou au moins sa frange supérieure a très tôt pris
toute la mesure de la violence de la crise. Son pronostic appelle au moins deux
remarques. Le caractère sans précédent de la crise a été perçu à la suite de deux
mauvaises campagnes de même que la forte probabilité de son prolongement, largement
confirmée par la suite.55 Le commerce s'est très vite rendu compte de l'impossibilité
d'un retour à l'équilibre par le simple jeu des mécanismes antérieurs de régulation.
L'expansion économique des années 1920, portée par les hauts cours des produits
coloniaux prenait fin en dévoilant les limites du mode d'exploitation des colonies.
L'appel à une action extérieure pour mettre un terme à la crise est à peine voilé. Il n y a
pas de doute que seule l'intervention massive de la puissance publique pouvait venir à
bout ou au moins atténuer la crise, dans ses effets les plus dramatiquesJmettre un terme
à la multiplication des faillites et des liquidations d'entreprises.
55· Prix du quintal d'arachide à Dakar
(En valeur Indiciaire, 1927·1928= 100)
Campagnes
Indices
1926-1927
90
1927·1928
100
1928-1929
81
1929·1930
57
1930-1931
36
1932·1933
31
1933·1934
24
1934-1935
46
Source: A. VANHAEVERBEKE: Op. Cil.. Annexe n"1.

32
La capitale de l'AO.F. compta en valeur absolue le plus grand nombre de
fermetures d'entreprises.56 L'ampleur des dégâts dépassait st1rement ces chiffres
officiels. La majeure partie des entreprises était des affaires individuelles, juridiquement
ignorée par l'administration dans ses données statistiques. Les entreprises autochtones
furent parmi les plus touchées. En 1920, sur 1892 électeurs des chambres de commerce
du Sénégal, on comptait 51% d'autochtones.57 Il est vrai qu'ils n'étaient pas inscrits à la
catégorie des patentes les plus élevées.58 A Dakar et pour la même année, ils
représentaient 24,38% des 242 membres de la Chambre de Commerce.59 En 1932, ils
n'étaient plus que 14% de l'ensemble. De 1932 à 1934, le nombre d'électeurs
autochtones décrut de 50%.60
56- Cessation d'activités des entreprises en A.O.F.
(1 er trimestre 1931)
Localités
Faillites
Liquidations
Dakar
17
14
St-Louis
3
3
Kaolack
18
2
Bamako
12
Mopti
6
Conakry
8
Grand-Bassam
5
Cotonou
5
Bobo-Dioulasso
2
Source: ANS, 1 Q 63 (19), Lutte contre la crise économique, 1931.
57- H. d'ALMEIDA-TOPOR, M. LAKROUM, et al. REvolution de la petite entreprise dans l'ancienne
A.O.F., Petite Entreprise et croissance industrielle dans le monde aux XIXème et XXème siècles, Tome Il, Ed.
C.N.RoS., Paris, pp. 1081-1113.
SB- Sur les différentes catégories de patentes, d. infra deuxième partie.
59- J • O. A.O.F., 1920, pp. 355-356.
60- Id. 1932-1934.

33
Les grandes entreprises échappèrent à la sanction suprême en réduisant leurs
stocks au minimum et en l, mit an t
l'extension spatiale de leurs réseaux de
commerce.61 Elles comptèrent davantage sur leur trésorerie propre que sur celle des
organismes de crédit de la colonie anémiés par la crise. Si au tout début de la dépression
une entreprise comme la S.C.G.A espérait "attendre sans inquiétude la fin du malaise
actuer621)
c.elui-ci se prolongeant, le doute se substitua à l'espoir. L'origine du
dérèglement est encore situer au niveau du marché.
lA réduction universelle du pouvoir de consommation n'a plus permis l'absorption
des m01Chandises offertes sur les divers m01Chés, l'équilibre a été dét1Uit, de
nombreuses affaires hier encore actives, ont été entraînées par la crise.63
Ce point de vue était partagé par la totalité du commerce colonial. Il fallut, dès
lors, trouver les mécanismes par lesquels la sursaturation du marché mondial s'était
transmi~aux colonies en général et au Sénégal en particulier et les moyens pour faire
face.
L'assemblée générale ordinaire des Etablissements Maurel et Prom en avril
1932, estimait le dépassement de la capacité de consommation du Sénégal par les stocks
accumulés dans le commerce entre 33 et 35%. Même si le volume de leurs échanges
avait été maintenu pour l'exercice 1931 par rapport à 1930, ils enregistrèrent une chute
de valeur de l'ordre de 22%.64 Ils furent contraints de suivre la politique de "liquidations
plus ou moins volontaires et nécessairement désastreuses" de leurs concurrents quelles
qu'en soient les conséquences.65
Les secteurs les plus touchés dans les activités de cette ancienne firme
bordelaise étaient le commerce de la gomme, la production de son usine de glace et la
vente des matériaux de construction très dépendante des ressources publiques.
61· cr. L'attitude des Etablissements Maurel et Prom : A.N.s. L'Information Financière du 28 avril 1932 :
compte-rendu de l'assemblée générale ordinaire pour l'exercice 1931.
62· S.C.O.A., Assemblée Générale des Actionnaires 1930, Centre de documentation de l'U.E.R. G.H.s.s.,
Paris 7.
63· M.1932.
64- A.N.s.17 G 254 (108) : L'information Financière du 28 avril 1932, -Art. Cil-
65· Ibid: Allocution du praident des Ets. Maurel et Prom.

34
Fort de sa puissance dans le commerce arachidier avec la réalisation d'un
cinquième de la récolte sénégalaise, les Etablissements Maurel et Prom réagirent à la
crise en se passant provisoirement du crédit bancaire, se rabattant surleu~ fonds propres.
Ils réduisirent dans le même temps leurs stocks et les capitaux engagés dans la traite. Ils
firent partie des rares entreprises impliquées dans la traite arachidière à s'opposer à la
'F0litique de
protection
des
oléagineux
en
métropole
d'autant
qu'elle
devait
s'accompagner d'une perte de la personnalité douanière de l'AO.F. Ils réaffirmèrent
leur fidélité
à l'accès libre des matières premières dans le marché métropolitain.66
Cette position reflétait les intérêts du groupe impliqué dans l'industrie huilière en
France.
Les propriétaires d'entreprises situées un peu plus bas dans la hiérarchie du
monde des affaires coloniales, trouvèrent d'autres éléments explicatifs de la crise. Pour
Louis
Robert,
responsable
d'une
vieille
maison
d'envergure
moyenne,
les
Etablissements Vézia, c'est l'ascension des levantins dans le commerce de la colonie qui
est à l'origine de la surcharge du marché. La mobilisation de leurs concurrents français
durant la première guerre mondiale aurait ouvert aux Libanais et Syriens, l'opportunité
d'une installation bénéfique à Dakar. Et depuis, "Nombre de ... ces Syriens sollicitent et
obtiennent des fabricants ..., des fournitures directs de marchandises...67
Toutes ces explications péchaient par leur vision unilatérale des causes de la
;,,1'
crise.U~les situait principalement au niveau de la rupture de l'équilibre entre l'offre et la
demande de marchandises. Les mécanismes de l'économie de traite participèrent à
l'aveuglement de ses acteurs quant aux causes de son dérèglement. L'extraversion de
l'économie coloniale explique sa particulière sensibilité par rapport aux effets négatifs
de la conjoncture mondiale en général et métropolitaine en particulier. Le régime
douanier de 1928 ne fit que renforcer cette dépendance.68
66-Id.
67· A.N.s., FCC, 658, Journées Coloniales de Bordeaux du 26 juin 1935.
68- Le régime douanier de 1928 résulte de la loi du 13 avril de cette année modifiant la loi du 11 janvier
1892. Au terme de cel'e--ci, les possessions coloniales de la France étaient divisées en trois groupes. Les
produits originaires de l'A.O.F., étaient taxés au tarif minimum si cell~- c·,
n'accordait.
pas aux
marchandises de la métropole et de l'Algérie un régime préférentiel. Dans le cas contraire certaines
exportations étaient admises en franchise avec ohligation de transport sous pavillon français. Deux cas
se singularisaient: la Côte d'Ivoire et le Dahomey relevant du statut du -Bassin Con~ntionnel du Niger"
des accords internationaux interdisaient tout régime préférentiel aux importations de la métropole; en
retour leulSproduits d'exportation n'étaient pas protégés sur le marché français.

35
La perception partielle et unilatérale des causes de la crise conduisit à des
solutions tronquées, à la recherche de boucs émissaires. La xénophobie contre les
levantins se développa dans les milieux du petit et moyen commerce français.69 Les
adresses aux autorités publiques de plus en plus nombreuses, réclamaient "aide et
protection" avec diligence.70
Pour la Banque Française d'Afrique (RF.A), le pire ne put être évité,
l'intervention de l'Etat arriva trop tard. La faillite de cet organisme de crédit fut lourde
de
conséquences.
La
B.F.A
et
la
Banque
Commerciale Africaine
(B.C.A),
contrairement à la RAO. titulaire du privilège de l'émission en AO.F., avaient pour
clientèle les petites et moyennes entreprises dont les levantins et autochtones
constituaient la majorité.
La B.F.A, fondée en 1904, profita de l'expansion des années 1920 pour
multiplier ses agences en Afrique Occidentale. Hors de Dakar, elle s'était installée au
Sénégal (Rufisque, Kaolack et St-Louis), en Guinée (Conakry), au Dahomey (Cotonou),
au Cameroun (Douala, Yaoundé), au Soudan (Bamako, Kayes), en Côte d'Ivoire
(Abidjan et Bassam). L'essor commercial entraînait à sa suite celui des organismes
bancaires dans un vaste espace, du fait de la nature de l'économie de traite caractérisée
par l'étendue et la diversité des réseaux d'échange. Les grandes entreprises constituaient
en priorité la clientèle de la RAO.
Dès les premières manifestations de la crise, la banque liquida ses succursales
de l'intérieur. La solution s'avéra insuffisante pour empêcher la faillite. La société
française du Dahomey, les Comptoirs Réunis de l'Ouest Africain et les Comptoirs
Coloniaux, entreprises coloniales de commerce très liées à la B.F.A l'accompagnèrent
dans sa chute.71
cr.- Rappon de la sous-commission spéciale de politique de soutien : Conrérence Economique de la France
Métropolitaine et d'outre-mer, 10 avril 1935, Documentation Française, Cote F"543 pp.44 et suivantes.
- M. RONDET-SAINT: ·L'union douanière l'ranco<oloniale·, Revue Francaise des Questions Coloniales et
Maritime~ ~ 456, aoOt, sept., oct. 1933. pp.73-76.
69_ cr. 1ère partie chapitre III.
70_ A.N.s., 1 Q 63 (19), Lutte contre la crise économique 1929-1934, Lettre de L. Sentenac au gouverneur
~néral de l'A.O.F. du 20 mars 1931.
71_ A.N.s., 3 Q 14 (20) ,Organismes bancaires, correspondances difficultés crise 1930.

36
En moins d'un an, d'octobre 1930 à juillet 1931, avant que la crise n'ait atteint
son développement optimal en AO.F., la B.F.A, après avoir mis en oeuvre tous les
expédients à sa portée, n'a pas réussi à juguler la perte de confiance de ses déposants.
Le premier mouvement de défiance est déclenché en octobre.
- Le 10 octobre 1930 avec une grosse et soudaine demande de fonds de trois
grands déposants.
- Le Il octobre: 40 personnes demandaient à solder entièrement leur compte.
- Le 13 octobre : 119 dépôts sont soldés entièrement et 134 partiellement soient
au total un peu moins de 5 millions de francs.
La ruée vers le retrait du 16 octobre, se produisait dans un contexte difficile
pour la banque. Les dépôts à vue représentant plus de 61 % du total des sommes
déposées par la clientèle, révélait une faiblesse relative de la structure des ressources sur
lesquelles la B.F.A pouvait compter. La crise participa à la raréfaction de celles-ci et les
agences comme Cotonou, St-Louis et Rufisque disposaient d'une couverture inférieure à
50% des sommes exigibles.

· - - --
OPERATIONS ET SITUATION A LA BFA : 16 octobre 1930
Localités
Retraits
Montant
Petits déposants
Indigènes
Passif exigible
Faillites éventuelles Disponibilité
SAINT-LOUIS
32
550 000
6 (40 000)
2 129 000
800 000
DAKAR
7 000 000
6 580 000
o
~
RUFISQUE
15
1 035 656
4 (9 300)
478 000
Nombreux
257 540
m
~:j
KAOLACK
20
567 000
3 028 000
o
Z
en
KAYES
34
263 472
32
2 (250 675)
651 738
~
en
BAMAKO
62
1 397 000
2
680 000
4 Syriens,
2
3 Européens
;a.
:j
o
CONAKRY
57
2 170 000
1
3 400 000
3 maisons de commerce
z
:!l
z
ABIDJAN
202
8 192 000
29(153 000)
7 000 000
Plusieurs
~
o
COTONOU
82
1 587 587
53 (240019 F)
26(56 109)
1 398 000
3 Français
740 000
tTI
~
TOTAL
22 762 715
85
70
25 344 738
1 797 540
o
tTI
s:~
Source : ANS : 3 Q 14 (20)
.,.,
~
tTI
Z
8
o
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~
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o
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MM . __ pS;, . ..Jt?4;;.GM.$$!IW&;,WLl,j4,bJ; $iLAMhf$UU_ ,A4 J'/.,",1\\ ,(- -iJ'~~"~

38
Pour faire face à la panique, la B.F.A réescompta tout son portefeuille. Il ne lui
restait plus que le soutien éventuel des pouvoirs publics. Et il lui fallait compter avec
l'hostilité
des membres du consortium bordelais lui reprochant d'avoir favorisé les opérations
des intUpendants en leur accordant trop facilement le renouvellement des traites. 71
Ceux-ci lui reprochaient une ,politique que toutes les grandes entreprises
impliquées dans la traite avaient eu à pratiquer durant la décennie antérieure à la
crise.73
L'intervention de l'Etat permit une timide reprise de confiance momentanée.
Mais elle se doubla d'une mesure confidentielle de retrait des fonds publics de la
banque. La décision prise le 22 juillet 1931, sonna le glas de la B.F.A.74
Le jeu double de l'administration et l'hostilité des grandes maisons de
commerce sont venus s'ajouter aux causes plus profondes pour hâter la fin de la RF.A75
La RAO., exerçait avec les grandes compagnies bordelaises un monopole sur les
activités de l'A.O.F., contraignant les autres banques à des activités spéculatives. La
crise de confiance qui affectait la B.F.A naquit de ces "aventures" hors d'Afrique. Les
petites entreprises qui constituaient ses principaux clients, touchées par le malaise
économique et prise de paniqu~achevèrent de la ruiner en soldant leurs comptes.76
Les deux autres banques échappèrent au sort de la RF.A mais furent
sérieusement ébranlées. Elles sortirent de la crise, rénovées et la répartition des
souscripteurs de leurs capitaux fut profondément modifiée. Le contrôle de l'Etat
devenait effectif sur la RAO.77
71. Ig., Lettre de l'agence de Dakar au gouverneur administrateur de Dakar et dépendances, juillet 1931.
73· cr. Ed. GISCARD d'ESTAING: Rapport de mission au ministre des Coloni~ 18 avril 1931, 80 p, ANSOM,
Afr. Politiques, Carton 539.
74-Idem.
75· 1.. ZINSOU·DERLIN : "La Banque de l'Afrique Occidentale dans la crise", L'Afrique et la crise de 1930,
~, pp. 506-518.
76-Id.
77· Id.

39
La crise financière montrait les limites des explications avancées par le grand
commerce quant aux causes de la crise. Elle révélait également l'anachronisme du mode
d'exploitation des colonies par le biais de l'économie de traite. Elle exposait Les
entreprises les plus importantes aux aléas de la conjoncture mondiale sans solution de
repli sur le plan local.
II ; LA CRISE PERÇUE PAR LES AUTORITES COWNIALES
Répondant à une lettre de l'Union Coloniale sur les mesures à prendre, le
gouverneur général de l'AO.F. reconnaissait que la crise avait surpris l'administration
par son ampleur.78 Il expliquait cette imprévisibilité par le fait que les produits qui, les
premiers affichèrent le renversement de la tendance} occupaient une part négligeable
dans le commerce de l'AO.F. Dès 1929, il était enregistré une chute des cours de
certains produits peu représentatifs des échanges extérieurs de l'AO.F. ; peau, coton,
cacao. Les cours des matières grasses qui représentaient les 3/4 des exportations
s'étaient maintenus. Ils masquaient ainsi la baisse des cours des autres produits dans le
mouvement global du commerce extérieur. orCet élément de stabilité" en s'effondrant à
partir de 1931, a ''fait chanceler les assises les plus solides" de l'organisation économique
fédérale.79 C'était là la cause du retard observé dans la réaction du gouvernement
général pour prendre des mesures contre le marasme.
Quant aux causes de la dépression, les autorités politiques de la colonie s'en
expliquèrent dans une note à la Chambre de Commerce de Dakar.80 Avant la crise, le
commerce a tiré profit de la dévalorisation du franc et de la hausse de la production. Il
s'est dès lors laissé "entraîner à une inflation du volume de ses affaires hors de proportion
avec les possibilités de la production du pays".81
78- A.N.s., FCC, 349, Régime fiscal, lettre du Gouverneur à l'Union Coloniale, le 23 Juillet 1932.
-
79· Id.
80- A.N.s., 1 Q 63 (19), Nole sur la situation économique des colonies du groupe, Dakar le 30 mars 1931.
81·1d.

40
Les banques ont suivi et même encouragé ce mouvement par un abus de crédit.
Les centres de traite se multipliaient et le
marimum de ces errements Q iti Gtteint avec le camion automobile enlevant le
produit sur le champ mime dlJ cultivaJeur.&2
Il fut interdit comme palliatif mais la mesure ne fit pas un grand effet.
L'administration comme le commerce était restée à la surface des causes de la
crise. Elle ignora totalement dans son diagnostic les mécanismes de fond de cette
économie de grappillage, basée sur les transactions autour d'un produit unique dont le
prix est pour l'essentiel régulé par des éléments extérieurs. La crise du mode
d'exploitation de la colonie dévoilée par la dépression mondiale fut sur le moment
perçue comme un dérèglement de grande ampleur et de plus longue durée comparée à
celles qui l'ont précédée. A la limite} l'administration la trouva sur certains points
bénéfique en ce sens qu'elle purgeait l'économie de son trop plein d'opérations
commerciales parasitaires. Le commerce et le crédit furent les porteurs de tous les
péchés. Le gouverneur général se félicita de la "défaillance des banques privées qui a mis
fin à l'abus de crédit"83 et à la surcapitalisation dans la distribution.
Au total, le commerce comme les pouvoirs publics ont chacun isolé un ou deux
éléments en corrélation à des degrés divers avec la crise comme cause de celle-ci.
Pour le premier, il y a eu transmission d'une baisse universelle des cours des
produits coloniaux. Tirant les conséquences de cette explication, il attendait des
pouvoirs publics la solution d'un problème aux origines extérieures. Sans nier l'influence
de l'élément extérieur, les autorités locales privilégièrent les facteurs internes.
La divergence devait se prolonger dans le débat sur les solutions locales mises
en oeuvre pour sortir le commerce de ses difficultés et assainir les finances publiques.84
&2-1d.
83-ThLd., Lettre du gouverneur général au ministre des Colonies, Dkembre 1931.
84- Cf. (nfra sur la fiscalité wanti-crisew•

41
Ce qui est remarquable dans ce débat c'est qu'aucun des protagonistes ne
s'interrogea sur la cohérence de la politique de mise en valeur coloniale. Par là, leurs
points de vue divorçaient d'avec le regard novateur qu'introduisit le rapport de mission
de l'inspecteur des finances Edmond Giscard d'Estaing.
DI- UNE VUE METROPOLITAINE. LA MISSION ED. G. d'ESTAING85
Le 17 décembre 1931, l'inspecteur des finances reçut la mission "d'étudier les
réfonnes qu'il convenait d'apporter aux pratiques bancaires"
en AO.F., en plus de la crise financière, le rapporteur entreprit une étude
critique du modèle de mise en valeur, son financement, les errements auxquels ils ont
conduit et les mesures à prendre pour y remédier.
D'entrée de jeu, il mit en évidence la spécificité de la crise coloniale.
La crise actuelle de l'A.O.F. écn't-i/ tient à des raisons propres et profondes qui sont
inhérentes au processus de développement africain et aux méthodes qui ont été
suivies (PA)
85- ED. Giscard d'Estaing: Rappon cité
Ed. Giscard d'Estaing, fils d'un avocat auvergnat, né en 1894, fit connaissance l la fin des années 1920 avec
le banquier Octave Homberger, propriétaire d'une vingtaine d'entreprises en Indochine dont la
puissaote Banque d'Indochine (B.I.C.) détentrice du privilège de l'émission dans les colomes françaises
d'Asie et du Pacifique. Les déboires de Homberger, suite l son implication dans le ·scandale des piastres·,
profita l Ed. G. d'Estaing qui passa du poste de chroniqueur finander de la revue du banquier l celui
de prtildent du conseil d'administration de la Socié~ Floanclère Franco-c:olonlale absorbée par la
B.I.C. en 1931. Ce fut le point de départ d'une fructueuse c:anière dans le monde des affaires coloniales.
En Afrique, le groupe contrôlait, entre autres, la Soc:lé~ des Comptoirs Sénégalais.
Cf. F. BRUNO: La saga des Giscar~ Paris, Ed. Ramsay, 1980, pp. 7l47.

42
Il récusa l'argument de la chute des cours comme élément fondamental dans la
crise en AO.f. Si au niveau mondial la baisse des cours était le résultat de la déflation
du crédit, dans la colonie, il s'agissait plus d'une inorganisation de l'économie liée au
modèle suivi. L'anarchie du système bancaire a abouti à une confusion totale des rôles.
Le commerce recevait des dépôts, les banques commerciales immobilisaient leurs
ressources dans des opérations à long terme dans l'agriculture et dans l'industrie. Les
ai
crédits fonciers financent des opérations commerciales. Coiffant tout ce désordre, la
RAO. ne jouait pas son rôle de banque des banques dans le contrôle du crédit mais
s'aventurait dans le réescompte du papier commercial douteux. Le personnel local de
direction des banques rémunéré au prorata des bénéfices a "créé ou soutenu une clientèle
inutile, nuisible même dans le cas de la plupart des Syriens du Sénégal' (p. 13).
La récession mondiale a mis à l'épreuve de telles légèretés et la machine entière
a craqué ou s'est complètement bloquée. (pp. 19). Le réquisitoire sévère contre
l'économie coloniale n'a pourtant pas amené le rapporteur à remettre en cause le
système de traite qui ''convient le mieux à l'état embryonnaire du pays" (p.37).
L'absence de spécialisation dans l'activité de la traite fut à l'origine d'une
concurrence exacerbée, sans grands inconvénients, du fait des hauts cours des produits
coloniaux.
Le rapporteur passa sous silence les raisons de cet éclectisme de l'entreprise
coloniale. L'impasse se ressent dans les solutions proposées. L'absence de spécialisation
n'était pas seulement une erreur technique. Elle est à mettre en rapport avec la faiblesse
de la valeur des produits exportés d'AO.f. et le mode d'organisation de l'économie.
Ceux-ci ne subissaient presque pas de transformation valorisante au niveau local. La
faiblesse du profit tiré de chaque opération dans la chaîne commerciale du produit
poussait les acteurs à en contrôler le maximum de maillons pour multiplier leur gain :
achat, manutention, transport, conditionnement.

43
Ignorant cette nécessité où se trouvaient place les entreprises coloniales, le
rapporteur se limita à rappeler l'objectif assigné à l'Afrique : produire certaines
matières premières pour l'industrie métropolitaine et absorber ses produits industriels.
Il n'est point question de mettre en cause la spécialisation agricole dépendante et son
corollaire la traite. Est-il dès lors possible d'empêcher un développement anarchique
des circuits de distribution qui deviennent l'unique lieu de captage du surplus du travail
rural?
En dépit de ce conservatisme structurel, quelques réformes de fond sont
envisagées. Pour mettre fin à l'anarchie qui régnait dans le crédit une première mesure
consista
à faire jouer à la B.C.A son véritable rôle de banque commerciale. Il Fut
envisagé de lui adjoindre un doublet qui se chargerait de la partie affaire des opérations
bancaires et de la liquidation des gages de ses débiteurs. Le 16 juillet 1932, la création
de la Société Immobilière et Financière Africaine (S.I.F.A) répondait à ce projet.
Société anonyme au capital de 50 millions de francs métropolitains, elle ouvrit de
nombreuses agences en AO.F. Elle comptait parmi ses administrateurs le président
directeur général de la B.C.A : P. Ducoulombier.86
Le second volet des propositions dé réformes portait sur une politique de baisse
du prix de revient des produits coloniaux. L'industrialisation étant exclue, il ne restait
qu'à agir sur le transport au sens large: manutention, transports intérieurs et frets et les
taxes douanières et fiscales. Pour ce faire, le chemin de fer comme outillage colonial ne
devait plus se concevoir comme une entreprise à rentabilité financière immédiate. Au
cas où sa mise en place devait continuer à être supportée par les ressources locales, il
faudrait le concentrer dans la "colonie vivante" (p.51), c'est-à-dire les
tenitoires les mieux placés, ..., zones les plus accessibles et les plus facilement
tvacuables et la concentration de tout l'outillage économique sur un petit nombre
de points dont l'efficacité est ainsi portée au mlaimum ... le reste du pays
continuerait d'ailleurs sa vie autonome ... et gravirait plus lentement les échelons du
progrès économiques. (pp. 73-74).
86- Annuaire des entreprises coloniales 1954, p. 96.

44
Le seul moyen d'éviter cette mise en valeur par pôles sélectifs était de revenir
sur la loi des finances de 1901, pour faire supporter à la métropole une partie des
dépenses des colonies.
En définitive, le rapporteur proposait une rénovation de la traite. n s'agissait de
remédier aux excès nés de l'euphorie incontrÔlée des années 1920. L'outillage des zones
rentables de la colonie rendrait possible un développement sans risque de la culture de
chaque territoire. La spécialisation agricole des territoires s'accompagnerait d'une
division ethnique des activités : les autochtones fourniraient les produits du sol et le
secteur privé européen jouerait le rôle d'encadrement. La ruine et le départ de certains
colons à la suite de la crise étaient décrits comme étant "une régression émouvante et
probablement définitive de l'oeuvre même de la colonisation" (p. 70).
Plus que jamais, le maintien de "l'exclusif colonial" est adopté comme une
nécessité. L'Afrique fournirait à la métropole par l'intermédiaire du commerce privé
européen, les produits coloniaux. En retour, elle restait le débouché de ses produits
manufacturés. La rénovation se traduisait localement par des dégrèvements fiscaux, les
subventions aux Sociétés Indigènes de Prévoyance (S.J.P.), la diminution des droits de
sortie sur les arachides, la réduction des tarifs ferroviaires et diverses autres mesures de
compression budgétaire dont la suppression du territoire de la Haute-Volta.
L'une des mesures souleva une vive protestation de l'ensemble des hommes
d'affaires. La parade administrative contre la chute des prix au producteur fut
d'autoriser les S.J.P. à "organiser la vente des produits de leurs adhérents"87 sans participer
à l'exportation. Au nom du libéralisme et de la séparation des fonctions administratives
et commerciales, tous les groupements professionnels des entrepreneurs s'opposèrent à
l'application du décret. Le contrôle de ces organismes par l'administration, l'obligation
faIte aux paysans d'y adhérer, à terme, pourraient aboutir à un monopole de fait des
S.J.P. sur le commerce de l'arachide. La crainte des milieux d'affaires de voir les S.J.P.
supprimer les intermédiaires pour le seul profit des industries de transformation,88 se
dissipa avec l'abrogation du décret par le gouvernement de Vichy.
87-l)écftt du 9 novembre 1933, J.O. du ~négal.
88- L'A.O.f. et L'A.E.f. Républicaines. N"12, 1933, Organe de défense des Intirêts politiques et économiques
de l'A.O.F. et de l'A.E.F.

45
En métropole, la loi du 6 août 1933, protégeant les oléagineux coloniaux contre
la concurrence étrangère sur le marché français, souleva une protestation non moins
violente de l'industrie française;89 la conciliation des intérêts en présence s'avérant
difficile en cette période de dépression.
La crise des années trente par son ampleur et sa durée, marqua la fin d'une
décennie de haute conjoncture. Elle révéla la fragilité du mode d'exploitation coloniale
totalement soumis au capital commercial, extraverti et dépendant. Ce fut un tournant
décisif dans l'évolution économique de la colonisation, aucun secteur ne lui échappa: le
commerce, l'agriculture, les finances publiques.
89· J. MARSEILLE: QIL.Ql., 1984, chapitre XII.

46
IV ; LA SOLUTION FISCALE; L'ENTREPRISE FACE A L'ETAI. UN CONFLIT
SUR LA REPAR1JJJON DES CHARGES
Jusqu'au second conflit mondial, la loi de 1901 sur l'autonomie financière des
colonies était restée en vigueur en dépit des critiques dont elle faisait l'objet depuis le
début des années 1920.90 La colonie ne pouvait compter que sur ses propres ressources
pour financer le fonctionnement de ses institutions et ses réalisations économiques. Les
théoriciens de la colonisation réduisaient l'aventure coloniale en deux carrières ;
administration ou commerce.
Pour être sociale, écrit Delavignette, la colonie a dfl se faire fiscale et pour être
fiscale, elle doit être commerciale. Et par là, elle marque ses coloniaux d'un
caractère bourgeois; elle les met dans les liens de l'administration ou du commerce;
ils sont légistes ou marchands.91
Réduite à sa plus simple expression, l'économie de traite fonctionna sous la
domination de ces deux acteurs: l'administration et le commerce. La première, pendant
longtemps, comptait sur les ressources générées par le deuxième sous la fonne d'un
transfert d'avoirs sans contrepartie à la puissance publique92 pour mettre en oeuvre sa
politique. De pourvoyeuse des ressources de la dépense publique, la fiscalité servit
progressivement d'instrument d'orientation de la politique économique de l'Etat.
90- J. SURET-CANALE : Afrique Noire (Occidentale et centrale), Paris, Ed. Sociales, Tome 2, L'ère Coloniale
(1900-1940),1964, p. 352 (sur la politique d'Albert Sarnlut).
ème
91· R. DELAVlGNETI'E : Les vrais chefs de l'empir~ Paris, Gallimard, 1939, p. 44 (3
éd.)
92· A. NEURISSE: Histoire de l'impôt, Paris, P.U.F., Q.s.J., N" 651,1978, p.3.

47
Contraintes budgétaires et orientation économique n'évoluèrent pas toujours
dans le même sens entre 1930 et 1973. La législation fiscale de l'Etat colonial puis
postcolonial s'est forgée sous le poids de ces deux éléments déterminants. Elle a dû faire
face à la résistance de l'ensemble du monde des affaires et, suivant la conjoncture et la
modulation de la pression fiscale, à l'opposition plus ou moins vive de l'une de ses
composantes. Tous les types de prélèvements fiscaux firent l'objet d'une attention
particulière
des
entreprises.
Le
caractère
conflictuel
permanent
des
rapports
administration
monde
des
affaires
apparaît
à
la
lecture
de
la
volumineuse
correspondance échangée entre la Chambre de Commerce, les syndicats patronaux et
les pouvoirs publics.
La fiscalité est entendue ici au sens large y compris sous sa forme prestataire
qui jusqu'en 1946 existait en AO.F.93 Bien sûr que les entreprises ne furent pas
soumises à ce type d'impôt mais comme partie intégrante de la fiscalité générale, il eut
une incidence certaine sur les prélèvements supportés par le monde des affaires. Le
terme recouvre donc les taxes directes frappant les gains des contribuables (impôt sur le
revenu, sur les bénéfices industriels et commerciaux "BIC'), leurs propriétés (impôt
foncier, sur les propriétés bâties), les personnes physiques (capitation); les taxes
indirectes portant sur les faits et actes du contribuable (patente, licences, taxe sur la
consommation, la production, le chiffre d'affaires, à l'exportation) et enfin, les droits de
douane. La ponction fiscale s'est modulée à l'intérieur des contradictions opposant les
nécessités budgétaires, la politique économique de l'Etat, les facultés contributives et la
résistance des contribuables.
La dernière réforme fiscale significative antérieure à la crise de 1930 datait de
1921. La délibération du Conseil Colonial du Sénégal du 11 novembre 1921, institua le
système qui connut peu de modifications durant la décennie.94 La stabilité venait des
hauts cours des produits coloniaux enregistrés pendant les années vingt.95
93- M. LAKROUM: QlLQ6198Z, pp. 61~.
94- J.O. du Sénégal, 1921.
95- cr. cours de l'arachide à Dakar Annexe N"l.

48
t-
Les droits de patente et de licence constituaient la parie la plus importante de
&n
l'imposition des entreprises. La taille de l'entreprise et l'importance des activités était le
caractère discriminant principal dans la fixation des prélèvements. La délibération de
1921 découpait en trois tableaux comprenant chacun un certain nombre de classes la
répartition des entreprises dans la classifIcation des patentes. Les divisions furent
régulièrement mises à jour suivant l'installation de nouvelles activités à la colonie. A
chaque classe, correspondait un tarif de patente ou de licence comprenant un droit fixe
et un droit proportionnel. Le dernier était fonction d'un élément quantifIable lié à
l'activité de l'entreprise: chiffre d'affaires, nombre d'ouvriers. Les droits ainsi perçus ont
participé avec la capitation et diverses autres taxes à financer l'administration et
l'équipement de l'AO.F. et de ses différents territoires.
Jusqu'en 1930, malgré la sporadicité des interventions financières de la
métropole, le budget fédéral et celui des huit territoires de l'AO.F. accusaient un léger
excédent plus sensible pour le premier.96 La différence venait certainement de l'origine
de leurs recettes respectives. Le budget fédéral était principalement alimenté par les
recettes douanières, les budgets territoriaux par la capitation et les impôts sur les
entreprises.
La crise économique opéra sur les finances de la fédération un double effet par
rapport à la tendance antérieure à la crise. Les courbes des dépenses et recettes, en
ascension jusqu'alors, enregistrèrent une chute brutale. Plus grave encore, les dépenses
dépassaient les recettes dans le budget global et ceci jusqu'en 1936. A partir de 1932, le
budget fédéral commençait à se redresser, la fédération dépensait moins qu'elle ne
recevait. Seulement, elle mit sept ans à retrouver le niveau de ses recettes de 1930 et ses
dépenses le plafond de 1931.
96- H. d'ALMEIDA·TOPOR et C. COQUERY.VIDROVITCH : Graphiques annexés à L'Afrigue et la
crise.... Op, Cit.,

49
La situation du budget fédéral résultait de la chute des recettes douanières
consécutives à la baisse du volume du commerce extérieur. Les ressources de la
capitation furent plus tardivement atteintes par la crise comparativement aux recettes
douanières mais elles restèrent plus longtemps dans le creux de la vague. En 1938, les
recettes de la capitation n'avaient pas encore atteint leur niveau de 1931. En résumé, on
assista à un effondrement plus rapide des revenus directement liés au commerce
extérieur mais aussi à une reprise plus précoce.

50
Figure W3 (a): FlSCALITE ET BUDGETS EN A.O.F.
B'JDGET FEDER.A.L DE L'A.O.F. '19.30-1952
~(lurre ; CDmptef d f finitiff
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J932
J934-
J936
J93B
J940
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J944
J946
J948
J950
J952
AJOŒBS
o
llUDGET FEDERAL
-t
DROITS D'ENTREE S
l
1
1
1
1
1
1


51
Figure ND3 (b): FISCALITE ET BUDGETS EN A.O.F.
BUDGET DU G00VERNEMENT GE~ERAL DI LJA.O.~.
,..
--
~
~ -- -- -- - - - - - -' - . - -- -- ---- - --- -- -- -- - - -- - - ---- - - ---- -- - -. - -- . --'- -.
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r--------·----------.-----------------.-----.-------- .-----------
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DOLAN l ERF.S (? r_
~ lB8WmH~:Hj:j'Hm:H~~j:1~~rmH:1:1~j~1mTj~Hm~, CRTS)
V
~~~~~~~~~~~~~~~~~~:~~~:~:~:~:~~~~~=~=~=~=~:~~~=~=~:~=~=~:~~~:~~~ 1 ....;-. RECETTES ~rr.
!.
:.r::.::.::.::.::.::.::.::.::.::.::.:
1
Il
CRiS)
~~::.::.::.::.::.::.::::.::.::.::.::.::.::.::.::.::.:
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19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19
29 3B 31 32 33 34 35 3b 37 38 39 48 41 42 43 44 45 46 47 48 4S 58 51 52
ANNEES
Sotrce : comntes
_ r _
déf:nitifs
BUDGET Dü GOüvERMEMENT GE~rp.AL Dr LJA.O.F.
Source: comptes définitifs

52
La politique fiscale mise en oeuvre contribua de façon décisive à cette longue
sortie de crise. La répartition des charges financières dans le contexte difficile des
années 1930 fut à l'origine d'une violente controverse entre l'administration et le monde
des affaires.
Très tôt, l'accord se fit sur la nécessité d'un concours métropolitain aux finances
publiques des
colonies
d'Afrique.
Il
était
question
d'emmener
les
autorités
métropolitaines à revenir sur la loi de 1901. Le principal antécédent vers cette voie
remontait au plan Albert Sarraut du début des années 1920. En effet, en 1921, le
ministre des Colonies mit au point un plan de modernisation de l'équipement colonial
qui, en quinze ans, devait injecter plus de 4 milliards de francs dans les colonies
françaises d'Afrique au sud du Sahara. Cette première tentative de remplissage du "velTe
vide de l'autonomie financière dans lequel on avait donné à boire aux colonies",97 devait
tourner court devant l'opposition des parlementaires métropolitains et les difficultés
nées de la première guerre mondiale.98
La crise des années trente relança l'intervention métropolitaine par une
garantie des emprunts coloniaux. L'intervention réclamée par les autorités de l'A.O.F.
au nom de la solidarité des intérêts métropolitains et coloniaux devait revêtir la forme
d'une protection des produits coloniaux. La protection contre la concurrence des
produits étrangers étant "la seule mesure réellement efficace"99 contre la crise.
L'administration mit trois ans pour vaincre
l'hostilité déc/arée des industriels métropolitains qui considèrent que toutes les
matières premières nécessaires à l'industrie doivent entrer en franchise dans la
métropole. 100
Provisoirement, l'aide métropolitaine se limitait à garantir les emprunts
coloniaux qui grevaient la charge annuelle du budget déjà laminé par la crise.
97- A. SARRAUT, déclaration du 13 avril 1935 à la Conférence Economique de la France métropolitaine et
d'outre-mer. Cité par P.
BIARNES: Op, Cit., pol17
98- C. COQUERY-VIDROVITCH : -L'impérialisme français en Afrique Noire. Idéologie impériale et
politique d'équipement, 1924·1975-, Relations Internationale§, ~ 7, Automne 1976, pp. 261·282.
99- A.N.s., F.C.C., Dossier 349 : Lettre du gouverneur général J. BREVIE à l'Union Coloniale, 23 juillet
1932.
l()().lQ

53
La chute brutale des prix d la veille de la traite 1930/1931 / ...Jfait chanceler les
assises les plus solides de notre organisation économique" et "sans espoir d'une
amélioration par hl Métropole, il ne reste que les ressources locales. 101
Pour parer au plus pressé, diverses mesures sont prises
suspension des
recrutements de personnel administratif, diminution des indemnités de zone, des frais
de représentation, des indemnités de cherté de la vie, des gratifications, des indemnités
de
fonction
militaire,
suppression
des
heures
supplémentaires,
fusion
de
la
circonscription urbaine de Dakar et de sa municipalité, fusion de certains services du
gouvernement général, reclassement du personnel au point de vue transport, révision
des taux des indemnités de déplacement et suppression de la colonie de la Haute
Volta.l02 Toutes ces mesures se traduisirent par des baisses substantielles dans les divers
budgets.l03
Le gouvernement général, pour apaiser les inquiétudes du monde des affaires
nées de la multiplication des taxes, s'attela à l'élaboration d'un nouveau plan fiscal qui
excluait en principe toute nouvelle charge. Très vite, la situation rendait inopérante ce
principe. Le service des emprunts assuré uniquement par les recettes de la colonies
obligeait l'administration à de nouveaux prélèvements fiscaux dont dépendait "la
poursuite du programme des grands travaux"l04 Le commerce, durement sollicité,lOS
dénonçait
101· Ibid
102· Ibid
103- COMPARAISON DES BUDGETS 1931 et 1932
1931
1932
1931
1932
BUDGETS
BAISSE
%
francs crts
francs or
GENERAL
195
138
39
30
09
23
ANNEXES
173
149
35
33
02
06
LOCAUX
474
426
95
94
01
01
104· Ibid.
105· MESURES FlSCALES PRISES ENTRE 1929 et 1932

54
le grave diutger ck méthode qui consiste Q rechercher sans cesse cks ressources
nouvelles au lieu ck modeler, au conrraire, les dipenses ck la colonie sur ses
possibilitis restreintes. 106
L'administration n'avait pas les moyens de suivre l'Union Coloniale. Elle ne
pouvait non plus compter sur la capitation pour soutenir les finances publiques. La chute
des cours des produits coloniaux était telle que le seuil des possibilités contributives du
monde rural était atteint. De 1933 à 1936, les recettes de la capitation restèrent stables
dans la stagnation. Les subventions de la métropole furent relativement défavorables à
l'AO.F. comparée à l'AE.F. En y incluant les ristournes de la taxe protectrice des
produits coloniaux, l'AO.F. reçut en moyenne 31 millions de francs par an contre 58,1
millions à son homologue.107
Il ne restait à l'AO.F. que la mise en oeuvre de son plan fiscal qui fut combattu
par toutes les chambres de commerce des colonies du groupe sous la direction de celle
de Dakar.
Tous les contribuables furent assujettis à un impôt personnel mobilier. A la cote
personnelle s'ajoutait 6% de la valeur locative de l'immeuble
d'habitation. La taxe
d'hygiène et d'assistance médicale était majorée d'un pourcentage de la valeur locative
imposable selon le lieu, la domesticité et le nombre de véhicules possédés.
Intéressant directement l'activité d'entreprise, un impôt sur le chiffre d'affaires
était institué et fixé à 6,5% de la valeur de la facture majorée de 25% ou de la valeur
mercuriale du produit. Etaient exemptés les transactions commerciales des
* 27 -11-1929 : Hausse des droits sur les sacs étrangers
* 17-2-1930: ------------------- tissus de coton
* 3-11-1930: ------------------ vins et liqueurs étrangers
* 22-2-1931 : -------------------- vins et liqueurs
* 25-9-1931: ------------------- voitures étrangères
* 27-3-1932: ------------------ allumettes étrangères
*21-4-1932 : ------------------- tabacs
*28-4-1932 : -------------------- tabacs
*16-6-1932 : ------------------ l'essence
Source: Ibid, Lettre de l'Union Coloniale au gouverneur général, le 7 septembre 1932
106- A.N.s., F.C.C., Dossier N' 349, Lettre de l'Union Coloniale au gouverneur général, Juin 1932.
107_ L'Afrique et la crise de 1930...00, Cit., Annexe.

55
graines et denrées de consommation indigène provenant du cra (mi~ riz, maïs), de
l'extérieur : chtubon, mazout, /ivres, joumaux, légumes frais, graines potagères,
engrais, machines agricoles, produits du cra non exportés, produits industriels
fabriqués Ô la colonie. lOS
Le souci de protéger le consommateur privé rudement éprouvé par la crise est
évident à travers ces exemptions de même que celui de la promotion de l'agriculture en
général et le maraîchage en particulier.
108- A.N.s., F.C.C., Dossier N" 349, Commission consultative.

56
Une nouvelle taxe dite d'octroi de mer fut instituée au profit des municipalités.
La taxe additionnelle sur le chiffre d'affaires qui leur était destinée fut retournée aux
budgets territoriaux. L'octroi de mer aboli en 1924 revenait avec des tarifs plus
importants.I09 La liste des professions figurant aux tableaux des patentes fut complétée
avec de nouvelles professions qui venaient de s'installer à Dakar.110 Le 11 novembre
1932 l'assiette et les tarifs de patentes des exportateurs d'arachides furent révisés en
hausse.lll Désonnais, les tarifs des licences des débits de boissons seraient taxés suivant
le volume démographique du siège de l'entreprise et non suivant le statut administratif
de ce dernier (cercle ou commune). Le crédit non plus ne fut pas épargné par les
réfonnes fiscales. Ainsi une ouverture de crédit de cent mille francs occasionnait des
frais s'élevant à 5,22% du principal, sans compter les intérêts du créancier.llZ Un impôt
sur le revenu basé sur les signes extérieurs de richesses compensait la moins-value
occasionnée par la baisse de 10% de l'impôt personnel dans les cercles. ll3
109 LES TARIFS DE L'ocrROI DE MER EN 1932fFr CRTSl
PRODUITS
: UNITE
TARIF.
PRODUITS
: UNITE : TARIF .
------------------------------.----------------------------
Cola
kg
2,5
Guinée
mètre :0,034 f
Sucre
valeur
5%
Carte jeu
le jeu:1,25
f
Tabac en f.
kg
1 f
Parfumerie
valeur: 10%
Cigarettes
kg
10 f
Cigares
kg
:15 f
Tabacs
kg
9 f
Vins
hl
: 35 f
Champagne
caisse
60 f
Vins
caisse:25 f
Bière/cidre
hl
50 f
Eau de vie
hl
: 300 f
Bière/cidre
caisse
12 f
Alcool/bche: caisse: 75 f
Alcool/mthe
valeur
10%
Alcool/déna: hl
:100 f
110- J.O. Sénégal, Novembre 193Z, p.909
111· Id. p. 908
112- A.N.S., F.C.C., Dossier N°350, Fiscalité, Lettre B.C.A. au
Président de la Chambre de Commerce de Dakar, 1932.
Droits et autres taxes sur un crédit de 100 000 francs.
1. Droit d'enregistrement à l'origine (1%)--- = 1000 francs
2. -----------------------la réalisation (1%) = 1000 francs
3. -----------------------sur la cession(2,5%)= 1250 francs
4. Honoraires du notaire-- 2,5%/30000 francs- =
750 francs
5. ----------------------- 1,75%/70000 francs = 1225 francs
--------------------------------------------------------
TOTAL ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• = 5225 francs
113· A.N.s.. F.C.C.. Dossier N"349, Commission Consultative.

57
L'offensive du pouvoir déclencha une riposte des entrepreneurs à la mesure de
la pression fiscale. Les syndicats patronaux, les chambres de commerce, les grandes
firmes coloniales menèrent bataille contre tous les aspects de la réforme: l'assiette, le
recouvrement, la liquidation, et les tarifs des impÔts. Systématiquement, ils rejetèrent en
bloc toute modification du système d'avant la crise.
L'Union Coloniale exprima la .désapprobation dans des propos assez éloquents
sur le caractère total du désaccord des protagonistes. L'impôt sur le revenu estimait-elle
jouera
au
détriment
du
seul commerce français,
donnant
un
avantage
supplémentaire à des intermédiaires ItTangers parasites dont tous les gains sont
exportés à l'étranger. 114
Il va sans dire que le levantin servit d'exutoire et de prétexte aux entrepreneurs
français. Le véritable problème était de savoir sur qui allait peser la charge fiscale
supplémentaire nécessaire pour faire face à la crise. L'inadéquation entre l'économie de
traite et les charges des colonies étaient une fois de plus mise à nue par la politique
fiscale du pouvoir. La fragilité structurelle de l'économie de traite n'emmena ni les
hommes d'affaires ni les pouvoirs publics à en tirer toutes les conséquences..Les
premiers voulaient s'en tenir au statu-quo. Tout au plus acceptaient-ils l'institution d'une
taxe unique à la production et la perception d'un droit unique à l'entrée et à la sortie du
cordon douanier. Ils s'en tenaient à la simplicité de cette formule pour le commerce et à
son caractère moins onéreux pour le trésor.
114- A.N.s., F.C.C., Dossier N" 349, Lettre de l'Union Coloniale au Ministre des colonies, le 7 septembre
1932.

58
En effet, la proposition s'opposait à la multiplication des taxes et à leur
perception en cascade, à chaque transaction. Apparemment, elle semble ne soulever
qu'un problème technique. En r~alit~, derrière l'aspect technique, se cachait un
problème autrement plus important. Le commerce d'import-export cherchait à s'assurer
le contrôle de la formation des prix des
marchandises. La multiplication des
importateurs suite à la p~riode faste des ann~es 1920, permettait aux petits et moyens
revendeurs de jouer sur la concurrence entre ceux-là. En plus, du fait de la carence
administrative, et du grand nombre de petits commerçants, il y avait possibilit~ pour eux
d'~chapper à une taxe perçue en cascade. Quant aux importateurs-exportateurs, ils
r~percutaient in~vitablement sur leurs comptoirs et op~rations de l'intérieur toute taxe
quel que soit par ailleurs le mode de perception. Perçue au cordon douanier, elle
s'incorporait
immédiatement dans le prix de revient.
La multiplication et la hausse des taxes inquiétaient davantage les milieux
d'affaires coloniaux. Ils dénoncèrent cette recherche vaine et stérile de nouvelles
recettes. CeBe-ci ne pouvait déboucher que sur "le recul économique et la faillite de
l'empire en A. o.F. ,,115 La Chambre de Commerce de Dakar fit bloquer les délibérations
du Conseil Colonial du Sénégal par ses représentants à cette instance pour
incompétence en matière de refonte du système fiscal. La manoeuvre visait à éluder les
dispositions néfastes prévisibles.116 En attendant, elle renvoya aux autorités une motion
repoussant toute révision des taxes fiscales à la hausse qui ne s'accompagnerait pas
d'une compression des dépenses publiques.117 Plusieurs entreprises de grande envergure
signèrent cette motion patronnée par la Chambre de Commerce de Dakar.11S
115- A.N.s.. F.C.C.. Dossier N" 349, Lettre du Syndicat Marseillais des Négociants de l'Ouest Africain au
gouverneur général de l'A.O.F.. le U août 1932.
116- A.N.s.. F.C.C.. Dossier N" 349, Lettre de la Chambre de Commerce de Saint·Louis l la Chambre de
Commerce de Dakar.. le 14 novembre 1932.
117· Idem, Réunion des entreprises lia chambre de commerce sur la fiscalité, 29 août 1932
118- Signataires: S.U.OA.., le Commerce Africain, Me Géni, P. Soucail et Cie, Ets Baraderie, M. Wagane
Diouf, La CSAO.. BAO.. Baltivant, Sté du Ut {)goué, Sté Africaine de Représentation, NOSOCO,
Ets Teisseire et Cie, Ets Uon Brun, Fournier, E.E.OA.., Ets VUla, Groupement des Entrepreneurs
Français de T.P.. Ets Maurel Frères, Ets Peyrissac, S.C.OA.., Ets Maurel et Prom, Smith and Kram,
Banque Belge d'Afrique, Manutention Africaine, F. Meinier et H. Casset, B.CA.., ARDlC, M.
Bonhomme, Cie Soudanaise, Cie Shell.

59
La misère urbaine née de la fermeture des chantiers de travaux publics servit de
prétexte pour rejeter les nouvelles charges pesant sur les citadins au revenu non assuré.
Le "refus total' de l'administration d'engager des discussions sur la fiscalité est jugé
"inhumaine et antidémocratique"; "inadmissible" de même que les prétentions de
l'industrie cotonnière métropolitaine.119
L'administration
coloniale
sénégalaise
semblait
plus
préoccupée
par
l'incertitude de la situation financière. La baisse prévue pour 1935 sur les impôts directs
a été dépassée de 300.000 francs alors que cette
contribution est considérée comme un élément de stabilité en période de crise ou au
moins comme une position de résistance d la débtkle. 110
L'impôt sur le revenu n'a pu empêcher une chute de plus de 22% des recettes
du budget entre 1932 et 1934. Pour le seul Sénégal, le bilan fiscal de la crise était loin
d'être brillant: plus de 2 millions de déficit budgétaire en 1934. Les avances du
gouvernement général en vue de combler le déficit, porta le service de la dette à plus
d'un million par an. L'administration fut contrainte dès lors à user d'expédients comme
l'augmentation de la taxe d'exportation des arachides protégés en métropole. Etant
entendu que le rétablissement des finances publiques n'était plus attendu de mesures
administratives mais plutôt dans une reprise commerciale.
L'expansion des années 1920 a certes contribué à camoufler l'anachronisme de
l'autonomie financière brutalement révélé aux autorités coloniales par la violence de la
crise de la fin de la décennie. Le secours métropolitain tardif s'est soldé par un
endettement chronique avec un service de la dette grevant davantage encore les budgets
coloniaux. Très tôt, la chute des cours a fait atteindre et même dépassé le seuil des
possibilités contributives du monde rural et de la population urbaine. En dépit de la
violence de ses réactions, le monde des affaires dut supporter une plus importante
pression fiscale encore que les impôts indirects soient toujours répercutés sur les
consommateurs.
119· Supplément Bulletin quotidien chambre de commerce de Dakar: 6 septembre 1932.
Uo- A.N.s., F.C.C., Dossier N'"351, Allocution du gouverneur du Sénégal au Conseil Colonial
Extraordinaire du 30 novembre 1935.

60
La persistance de la crise a fait inverser l'ordre des priorités. La reconstruction
économique mise avant l'équilibre budgétaire par J. Brévié, dut être ajournée au profit
d'une ponction fiscale plus forte sur l'ensemble des acteurs économiques. La forme
d'exploitation de l'AO.F. à travers la traite ne laissa aucune alternative fiscale à
l'administration qui dut faire face à la fronde des entreprises pendant toute la
dépression. Jusqu'à la deuxième guerre mondiale, les autorités métropolitaines et
l'administration coloniale locale de même que que le monde des affaires coloniales se
concertèrent pour apporter un remède aux problèmes posés par la mise en valeur des
colonies.

61
CHAPITRE II : L'ELABORATION D'UNE POLmQUE COWNIALE
IMPERIALE121
L'échec de l'intervention de l'Etat dans l'opération de sauvetage de la B.F.A et
sa vigoureuse politique de contrôle sur la RAO. traduisait une certaine prise de
conscience, tardive certes, mais réelle de la profondeur de la crise. La réponse apportée
aux diverses interpellations du monde des affaires permet de mesurer le degré
d'évolution de cette prise de conscience des pouvoirs publics métropolitains et locaux.
1 ; LE ROLE NOUVEAU DES COLONIES DANS L'ECONOMIE FRANCAISE
Jusqu'à la crise des années 1930, le domaine colonial français joua un rôle
secondaire dans l'activité économique métropolitaine. Il est vrai que la France absorbait
l'essentiel des exportations de l'ensemble des colonies et fournissait la plus grande
partie de leurs importations.122 Cependant, ces échanges représentaient un faible
pourcentage dans le commerce extérieur de la métropole. Avec la dépression qui suivit
la crise, on assista à un changement notable marqué par la croissance rapide de la part
des colonies dans les échanges de la France. Cette pente ascendante ne décrut qu'à
partir de 1936 et cela très légèrement.
U1. La politique coloniale Impérialiste est entendue Id au sens que lui donne J. BOUVIER et al. :
L'impérialisme à la française 1914-1960, Paris, Ed.la Découverte, 1986, pp. 222·223
Le uuil d~ passage ~n~ l'exploitation m~rcanti/~ ~t l'impirial;sm~ ~st ivid~mm~nt diffici/~
à itablir; mais on pourrait I~ situ~r ~n princi~ au mom~nt I~s pouvoin dans l'Etat
dicid~nt d'intm~nir direcUm~nt dans I~ prrx~ssus normal d~ ID vi~ économiq~ du urritoire
soumis, pour tucilirer l'ins~rtion d~ ct urritoire conquis dans l'économi~ du pays dominant.
Dans c~ cas, il s'agit d~ m~sures d~ poni~ ginirrJ1~ qui marq~nt un~ voIonti national~ d~
tirerprofit d~ la conquiu.
W. cr. fagure N°4

62
Fi~re ND4 PART DES COLONlES DANS LE COMMERCE EXTERIEUR DE 1.4. FRANCE
COMMERCE DE LA FRANCE VERS SES COLONIES
R.v. des Ouest. Coloniales et Maritimes
34 . . . . . . - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ,
32
30
28
26
24
22
20
1e
16
14
12
10
8
6
4
2
O....L...<'-+.;l....J.---'-"'-+..,;:,.....l-...l....J:....~....L.......l.....':+l..J...--I...'+~--l....L.f~.L...-L....oC..~...J.-...L.....:+:l..l..--L.L.t~
1924
1925
, 926
1927
1933
, 934
1935
1936
1937
ANNEES
lZZl EXPORTATIONS
[SSl IMPORTATIONS

63
Unanimement et douloureusement confrontées à la crise, les possessions
coloniales françaises devaient servir d'amortisseur des effets de la dépression à nombre
d'industries métropolitaines inapte à faire front sur le marché intemational.l23
Globalement, toutes les parties de l'empire furent sollicitées pour apporter leur
contribution au redressement de certaines industries et bénéficier en retour du soutien
métropolitain. Le rôle déterminant fut joué par les possessions maghrébines, avec une
très nette prépondérance algérienne et par l'Indochine. Cette différence dans la capacité
à répondre aux sollicitations métropolitaines mais aussi à endurer la crise avait pour
fondement principal, l'inégalité du niveau d'équipement et le degré d'intégration de
l'économie des colonies au marché mondial.
ère
ID. J. MARSEILLE : Op, Cit., 1
partie.

fj~re N°S REPARTmON PAR COLONIE DES ECHANGES EXTER1EURS DE lA FRANCE.
P,A.RT DES COLONIES O.ANS LE COMMERCE DE
LA F"f'!ANCf(1i Vol. crie) f'!OC'"
70 - , - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ,
60
50
Vl
101
Cl
.. 0
0(
..
%
101
U
lit
~
30
0
~
20
10
ALGEf(IE
IoCAf(OC
TUNISIE
IolAGHREB
AOF
INDOCHINEIoCADAGASCAf(
AlITRES
COLONIES rT GFlOUPES DE COLONIES
IZZJ EXPORTATIONS
cs:::sJ IMPORTATIONS
1
1
1
1
1
1
1
1


65
En la matière, l'AO.F. demeurait particulièrement démunie. Son infrastructure
de production et d'échange restait particulièrement vétuste et le mode archaïque
d'exploitation de ses ressources fondé sur la traite furent à l'origine de l'extrême misère
des investissements qui y furent réalisés aussi bien par le secteur privé que public.124
Jusqu'alors, ces derniers avaient été laissés à la charge presque exclusif des budgets
coloniaux c'est à dire du contribuable local dont les revenus reposaient sur le cours d'un
ou de deux produits agricoles d'exportation obtenus avec des moyens de production très'
peu performants.
La fragilité d'une telle structure économique ne pouvait résister aux effets
drastiques d'une longue crise économique, sans remettre en cause l'existence même de
la colonie. Le diagnostic établi par les pouvoirs publics et les milieux d'affaires coloniaux
sur les causes de la crise et le rôle assigné à l'AO.F. dans l'économie impériale allait
déterminer
l'ampleur
de
l'intervention
financière
métropolitaine.
Dans
cette
perspective, un certain nombre de problèmes restait à résoudre.
Comment concilier la diversité des intérêts, souvent antagoniques, des différents
acteurs d'une économie impériale en pleine réorganisation? Quelle serait la nature des
réformes à mettre en oeuvre pour rendre opérationnel le remplacement, au moins
partiel, du marché international dont l'accès était entravé par la montée du
protectionnisme? L'inégalité de développement des diverses parties de l'empire
constituait un problème dans l'accroissement des échanges entre elles. De multiples
congrès et conférences réunis au cours des années 1930 eurent à répondre à ces
interrogations. Ils eurent des conséquences importantes sur le monde des affaires en
AO.F. à la veille de la deuxième guerre mondiale.
124. J. DRESCH : -Les Investissements en Afrique Noire, le travail en Afrique Noire-, Présence Africaine, N"
13,1952, pp. 232·241.
J. SURET-CANALE: .QJL.9!., 1962, p. 209.

66
II ; LA CONFERENCE ECONOMIQUE DE LA FRANCE METROPOUTAINE ET
D'OUTRE-MER DE 1935
ri Un ministère favorable d l'équipement colonial par WI [moncement métropolitain
En 1932, Albert Sarraut revint au ministère des Colonies dans un contexte de
très forte instabilité politique.U5 Très au fait des affaires coloniales et partisan de la
mise en valeur des coloniesU6 prise en charge par les finances métropolitaines, A
Sarraut avait été l'auteur d'un premier plan d'outillage économique de l'outre-mer
français évalué à 4 milliards de francs-or en 1920-1921.127 Celui-ci échoua faute de
moyens financiers.
Un semestre à peine au ministère, A Sarraut sollicitait du Parlement une
garantie pour les emprunts de l'A.O.F. destinés à un programme de mise en valeur.128
Dans ses grandes lignes, les objectifs du ministre exposés dans sa correspondance au
gouverneur général s'inscrivaient dans les idées émises par le rapport Ed. Giscard
d'Estaing.
L'amélioration du prix de revient des exportations de l'AO.F. au profit de
l'industrie française demeurait l'axe central de cette politique. L'organisation de la
production et des transports demeurait prioritaire. La faiblesse des densités de
peuplement et l'inégale répartition de la population due à l'étendue de l'espace, ne
laissaient aux vues du ministre qu'une seule issue. Les moyens disponibles devaient
entièrement être consacrés à "créer des "îlots de prospérité"" bien équipés vers lesquels
t
seraient attirés les populations. L'exemple à suivre en la matière étant l'office du Niger
qui venait d'être inauguré.129
C. COQUERY.V1DROVITCH, H. MONIOT : Qn....f:iL, p. 195 et suivantes.
125_.t:n 4 ans, de 1931 il 1935, la France eut buit ministères qui furent tous victimes de la défiance du
farlement.
Cf. H. DUBIEF : Le dêclin de la troisième République 1929-1938, Paris, Seuil, 1976, pp. 225·227.
U6. 1itre d'un ouvrage de A. SARRAUT publi~ en 1923, Paris, Payot, 673 p.
127. C. COQUERY.V1DROVITCH : ~L'impérialisme français en Afrique noire, idéologie impériale et
politique d'~quipement, 1924·1975~, Relations Intemationale~~, 1978, pp. 261·282.
128. A.N.s. : 17 G 364 (126) : Programme de mise en valeur de l'A.O.F. dres~ à la demande de M. Albert
SalTaut, ministre des Colonies, pour éclairer le Parlement sur le but de l'empnlDt de l'A.O.F., 1932.,
Lettre du ministre des Colonies au gouverneur g~n~ra1 de l'A.O.F., 22 août 1932.
129_ Id.

67
Le Sénégal, considéré comme suffisamment équipé avec son réseau ferré, devait
s'atteler, par une judicieuse politique d'hydraulique villageoise, à concentrer au
voisinage du Dakar-Niger les producteurs ruraux, au lieu de poursuivre le projet
d'extension ferroviaire casamançaise.l3O
Il était prévu, pour résoudre le goulot d'étranglement qu'avait toujours constitué
pour l'équipement de l'AO.F. la question' du financement, de consacrer les
disponibilités locales à l'infrastructure sociale : protection sanitaire et éducation. A
Dakar, le budget local financerait l'assainissement, l'adjudication d'eau et l'édilité. La
métropole interviendrait sous la forme de garanties des emprunts de la Fédération. Les
fonds attendus permettraient de sortir l'AO.F. de la détresse qui tenait "moins à des faits
extérieurs qu'au caractère archaïque des mécanismes intemes de l'économie /ocale"131
Pour éviter au nouveau plan le sort de ses prédécesseurs, il fut nécessaire de
recueillir l'accord ou au moins l'avis des principaux intéressés, en l'occurrence, les
milieux d'affaires coloniaux et métropolitains. La conférence impériale convoquée en
1935 devait s'atteler à cette consultation.
130. cr. Carte N" 1. Les voies de communication au Séngal. 1928.
131. A.N.s.: 17 G 364 (1Z6) : Ibid.

68
2°/ La conférence impériale de 1935, la victoire de la compUmentarité économique colonie/métropole
Le pouvoir qui organisa la conférence n'eut pas le temps de mettre en oeuvre
ses conclusions. Cela n'enl~ve rien à leur importance du fait qu'elles marquaient une
volonté manifeste d'organiser l'exploitation coloniale au bénéfice de la métropole.
Elle réunit les représentants de l'administration locale des colonies et des
ministères directement intéressés à la question coloniale et les différentes organisations
patronales de l'empire. Sur les questions économiques, les points de vue des différents
protagonistes furent condensés dans le rapport de la sous-commission de la politique de
soutien.132
Pour les colonies, le problème central demeurait la possibilité d'écouler leurs
produits agricoles pour maintenir à un niveau acceptable les revenus des paysans mais
aussi assurer aux budgets locaux les recettes nécessaires en cette période de récession
économique.
Les représentants des différentes branches de l'industrie métropolitaine
s'opposèrent à la protection douanière des exportations coloniales sur le marché
français. Non seulement cette politique renchérissait les prix des matières premières,
mais en plus, elle provoquait des représailles commerciales des autres puissances
industrielles, le tout concourant à créer des handicaps dans le marché international.
Cette position ne les empêchait.. pas de réclamer une protection accrue sur le marché
colonial. A la tête de ces revendications se trouvaient les cotonniers et les industriels des
corps gras. L'industrie chimique élevait de vives protestations contre la surtaxe des
phosphates russes.
132_ R. THIERRY : Rapport de la sous-commission spéciale de la politique de soutien, Paris, Conférence
économique de la France métropolitaine et d'outre-mer, Documentation française, code F"S43, 10 avril
1935, 247 p. ronéo.

69
Ils furent unanimes à s'opposer à toute politique tendant à l'industrialisation des
colonies. Les seules industries acceptées par la conférence hors de la métropole
devaient participer à réduire les coOts de transport ou de conservation des matières
premières exportées vers la métropole : scieries, "décortiqueries" d'arachide, égrenage
de coton, conserveries, congélation. Il était absolument exclu "la création aventurée ou le
développement désordonnée" d'activités industrielles coloniales, à terme source de
''fâcheux déséquilibres" et "d'irréductibles engorgements du marché" et de "concurrences
déréglées".133
Les représentants de l'agriculture métropolitaine eurent leur mot à dire contre
l'admission en franchise des produits coloniaux en France même pour les colonies
e.
"assimilés" au régime douanier métropolitain. Pour chaque produit, le soutien à apporter
de
et la politique à adopter pour sa promotion ou la réduction);sa production était fonction
de la concurrence ou de la complémentarité qu'il entretenait avec la production
métropolitaine similaire ou identique. Le blé et le maïs des colonies subirent une
véritable politique malthusienne.134
Cette levée de boucliers emmena la conférence à recourir à une protection
''budgétaire'' plutôt que douanière. Une partie de celle-là serait supportée par les
colonies sous forme de dégrèvements fiscaux, primes à la production, abaissements des
tarifs ferroviaires et atténuations pour les entreprises locales des "prescriptions fixant
l'emploi de la main d'oeuvre." La plus importante partie serait prise en charge par la
métropole sous forme de financement d'un vaste programme d'équipement en vue de
rendre compétitive la production des colonies.
La commission concluait son rapport sur une note très optimiste quant aux
résultats de la mise en oeuvre de ses propositions. "La fidélité économique" des colonies
assurée à la métropole ferait de l'empire un "corps économique paifaitement solide et
sain".
fi : LA POLmOUE ECONOMIQUE COLONIALE DU FRONT POPULAIRE
133. Ibid.
134. Le stock de blé Invendu dans l'empi~ était estimé il plus de 2S millions de quintaux par la conré~nce.
Il fut décidé de limiter la production de mais de l'Indochine et de ral~ supporter au budget de cette colonie
la subvention des pertes qu'allaient subir en conséquence les producteurs locaux par une taxe sur le riz.

70
Un an après l'élaboration de ce programme, le Front Populaire accédait au
pouvoir. Marius Moutet prit en main le ministère des Colonies au moment où s'amorçait
le relèvement des cours de l'arachide. Les exportations et les importations de l'AO.F.,
en valeur comme en tonnage, reprenaient la pente ascendante.135
Les grandes orientations de la politique coloniale du Front Populaire furent
définies dans une lettre du ministre au gouverneurs généraux des colonies en vue de la
préparation de la conférence de 1936.
L'objectif déclaré du ministre était de
faire régner la justice et la solidarité sociales et de relever le niveau matériel des
masses par des réformes appropriées de la sl1Ucture économique.
Sa première préoccupation fut de mettre fin au rôle jusqu'alors assigné à la
fiscalité coloniale comme aiguillon de la production. Il était également envisagé
la suppression ou au moins la réduction de la lourde entrave aux transactions du
commerce intérieur : petites patentes des colporteurs, droits de place sur les
marchés, droits de circulation. 136
Les taxes sur les carburants jugées anti-économiques devaient aussi disparaître
pour favoriser le mise en valeur du pays. La compensation de la moins-value résultant
de ces dégrèvements fiscaux pourrait se faire par "l'augmentation de l'impôt sur les
moyens et gros revenus".137
Au niveau du budget, une révision de l'autonomie financière des colonies était
prévue de même qu'une compression sur les postes trop lourds pour les ressources
locales: le solde du personnel européen de l'administration et le service de la dette. Il
s'agissait de remplacer, autant que faire se pouvait,
le personnel européen par des
autochtones.
135. Cf. Annexe N"l.
136. A.N.s., 17 G 254 (lOS), Lettre du ministre des Colonies au gouverneur général de l'A.O.F., 13 août
1936•
• J. MARSEILLE: -La conférence des gouvemeun généraux, 1936-, Le mouvement social, 1977.
137. Ibid.

71
Sur le plan strictement économique, il attendait une augmentation du pouvoir
d'achat des colonies par une croissance de la production en quantité et en qualité. A la
suite de la conférence impériale de 1935, le ministre réaffirma la nécessité d'un
renforcement des relations commerciales des colonies avec la métropole. Si les colonies
attendaient une aide de la métropole, elles devaient "dans la mesure du possible, acheter
français".l38 Au regard des chiffres du commerce extérieur, cet objectif semblait être
atteint pour l'AO.F.
138_ Déclaration de M. MOUTET au Parlement cité par D.HEMERY:"Aux origines des
guerres d'indépendance vietnamiennes: Pouvoir colonial et phénomène communiste en
Indochine avant la seconde guerre mondiale", Le Mouvement Social N°101, Octobre-
Décembre 1977, pp. 3-35.

72
Tableau NOZ:
PART DE LA ZONE FRANC DANS LE COMMERCE EXTERIEUR
DE L'A.O.F .
. ANNEES.
IMPORTATIONS. EXPORTATIONS .
. -------.---------------.--------------.
.1932
44,5%
66%
.-------.---------------.--------------.
.1938
69%
82%
-----------~---------------------------
Source : J. SURET-CANALE : Qp. cit., 1962, p. 368.
En valeur courante, le cours de l'arachide était en hausse durant toute la
~annies
période du Frortt Populaire. Il fallut attendre la fin des 1950 pour voir le record des
exportations d'arachides du Sénégal de 1937 égalé.139
Par contre, le succès sembla moins évident quant aux bénéfices attendus de
cette politique. La valorisation des produits coloniaux devaient profiter au producteur
autochtone au terme des projets gouvernementaux et "non à des spéculateurs ou
intennédiaires". Pour ce faire, le ministre préconisait une "réorganisation rationnelle des
méthodes commerciales" où les S.I.P. auraient un rôle de premier plan en dépit "des
protestations violentes et outrancières de certains milieux commerciaux".140
Pour mettre un terme à la spéculation sur le cours de l'arachide, il fut envisagé
la mise sur pied de sociétés d'économie mixte alliant les établissements de crédit, les
S.I.P. et le commerce privé. En A.Q.F., ces projets ne connurent une timide application.
Seule fut maintenue la décision autorisant les S.I.P. à vendre les produits de leurs
adhérents. Elle datait de la crise de 1930.141
Au grand dam des entreprises de T.P., le fonds métropolitain d'outillage
colonial prévu s'orientait vers le petit équipement rural, au détriment des grands travaux
d'infrastructure ferroviaire ou des grandes opérations agricoles.
A propos de la politique du Front Populaire en matière d'industrialisation
coloniale, des divergences opposèrent aussi bien les dirigeants du ministère des Colonies
que les hommes d'affaires.
139. cr. Annexe N"l.
140. J. MARSEILLE: "Art. dU", Le mouvement social, 1977.
141. M. F. ETiLE : Les Sociétés Indigènes de Prévoyance au Sénégal 191~1940, UniversiU Paris VII, Mémoire
de maltrise, 1976, 117 p.

73
Deux positions s'affrontèrent dans le cabinet du ministère des Colonies. En
1936, le directeur des Affaires Economiques du ministère publia un ouvrage où il
défendit la nécessité d'une politique d'industrialisation des colonies. Louis Mérat soumit
à une critique sévère les solutions jusqu'alors adoptées, consistant à renforcer les liens
commerciaux entre la France et ses colonies. Il estimait cette politique contraire même
à la préservation de l'avenir de la colonisation. L'économie coloniale ne pourrait plus se
réduire en une "compensation d'objets fabriqués et de denrées exotiques".142 C'était là, à la
limite, le seul moyen efficace de lutte contre la radicalisation du mouvement
nationaliste.
Dans la ptriode d'éveil d'un territoire d la civilisation,... les résultats sont ceux d'une
économie complémentaire, mais par la suite, et en tout cas théoriquement, si l'on
veut éviter: mécontentement, conflits, troubles etc... il ne saurait en être ainsi... On
l43
aboutit donc, pour des pays suffISamment vastes, d des économies complexes.
Ce sévère réquisitoire contre la politique de complémentarité entre l'industrie
métropolitaine et l'agriculture coloniale remettait en cause les conclusions de la
Conférence Economique de la France d'Outre-Mer qui avaient emporté l'adhésion des
autorités métropolitaines et des intérêts coloniaux moins de deux ans auparavant. Pour
L Méral, préserver l'avenir et les intérêts métropolitains passait
par l'intégration des
colonies dans leur espace économique régional immédiat plus que celui de la lointaine
métropole. La réussite d'un tel pari supposait un préalable : rendre suffisamment
concurrentielle la production coloniale en la complexifiant c'est-à-dire en y impulsant
une industrie.
142. D. HEMERY: Id
143. Id.

74
Un an après la publication de l'ouvrage de L. Mérat, Paul Bernard, économiste
et homme d'affaire ajoutait un nouveau élément dans le débat, confortant la thèse
industrialisante. Il trouvait dans l'industrie un moyen efficace pour mettre un terme à la
revendication nationaliste qui à l'époque agitait l'Indochine. L'unique mesure de
sauvegarde à prendre consistant à faire encadrer par les structures traditionnelles le
prolétariat urbain. Et, en associant les autochtones à la propriété du capital, on
favorisait la naissance d'une classe d'entrepreneurs industriels dans les colonies. Une
politique d'alliance nouvelle pourrait ainsi voir le jour tranchant avec celle de l'appui sur
les élites traditionnelles. Par la jonction des capitaux des investisseurs métropolitains et
des autochtones des colonies,
les aspirations autonomistes céderaient devant le faisceau compact des intérêts
réciproques qui seront noués. 144
Le ministre des Colonies en dépit du fait que nombre de ses principaux
collaborateurs soient partisans de l'industrialisation fut un adversaire farouche de celle-
ci. Il estimait qu"'une politique qui tendrait à industrialiser le pays(/ndochine) serait une
erreur et un crime".145
Il développa largement son point de vue dans une lettre adressée au gouverneur
général de l'Afrique Occidentale Française en date du 13 août 1936. La réforme
économique qu'il envisageait de mettre en oeuvre visait "à faire régner la justice et la
solidarité sociales et à relever le niveau matériel des masses".I46
L'industrialisation était exclue des trois priorités qui formaient l'ossature de sa
politique:
- Alléger de la fiscalité coloniale,
- Réduire les charges budgétaires coloniales,
- Développer des productions locales et revaloriser les cours des matières
premières.
144. I!!-
145. Id.
146. J. MARSEILLE: "Art. cité", Le mouvement social. 1977.

75
Explicitant
le
troisième
point,
M.
Moutet
insistait
sur
la
nécessaire
complémentarité de l'économie impériale et métropolitaine.
Les colonies 1...) doivent, dans ÜI mesure du possible "acheter français" pour venir
en aide à l'industrie métropolitaine. 147
C'est la contrepartie à retirer de l'accroissement de leur pouvoir d'achat par un
relèvement des cours des matières premières coloniales. La seule industrialisation
envisageable et à long terme pour le ministre des Colonies, c'était la création ultérieure
de "relais asiatiques des activités métropolitaines".I48
Au total, la préoccupation centrale du ministre des Colonies s'inscrivait en droite
ligne dans les thèses de la Conférence Impériale de 1934-1935 et donc de renforcement
de l'autarcie impériale. Il s'agissait ni plus ni moins de rationaliser les structures du
commerce et d'instituer une protection des produits coloniaux, d'impulser l'équipement
des colonies en vue de l'accroissement de la production agricole.
Ce point de vue était largement influencé par l'éveil du mouvement anticolonial
en Asie. En arrière plan du débat sur l'industrialisation, se profilait une question de
taille : sur quelle classe sociale autochtone devait s'appuyer le contrôle politique et
social de la colonie. Les "modernistes" répondaient à cette question par une politique
d'industrialisation qui à terme
créeraient les conditions d'un développement d'une
classe d'entrepreneurs autochtones dont les liens de dépendance avec les investisseurs
métropolitains garantiraient le maintien des intérêts français. Ils sont les lointains
précurseurs de la politique de dépendance néocoloniale.
Leurs adversaires craignaient avant tout la dissolution brutale des structures
sociales traditionnelles qui entraînerait la prolétarisation accélérée des masses
paysannes déracinées. Le mouvement nationaliste trouverait sur ce terrain un vivier
particulièrement favorable. Cette position emportait l'adhésion du commerce colonial
en général et de sa fraction supérieure en particulier.
147. Id.
148. D. HEMERY: Ibid.

76
Cette majorité favorable à une poursuite de la politique économique coloniale
sous sa forme la plus archaïque et parasitaire comme la traite, en dépit des
anachronismes révélés par la crise des années trente, laissait pendant un problème de
taille. Le besoin constant de relèvement des prix au producteur comme aiguillon de la
production jusqu'alors assuré par le moyen du travail forcé et de la capitation exigeait
désormais une certaine mise en valeur locale des produits. Le décorticage entrepris sur
l'arachide avait déjà mis en évidence la possibilité de réaliser des économies
substantie]]es sur les frais de transport.
Pourtant, en dépit de la précocité de l'implantation des premières unités
industrie]]es à Dakar, il faudra attendre le choc de la deuxième guerre mondiale pour
sortir les responsables français de leur aveuglement
devant les conséquences économiques et politiques à long terme de la crise
149
coloniale des années trente
Pour l'essentiel, la structure des affaires se maintint: perpétuation de la traite,
"exclusif colonial" de fait en vigueur.
Toutefois, deux mutations notables marquèrent une rupture de fond dans
l'édifice colonial. L'intervention massive de l'Etat dans le champ économique a]]ait se
substituer au "libéralisme" des années 1920. E]]e ne fit que s'amplifier ultérieurement.
La deuxième rupture consista en un resserrement des liens économiques entre la
métropole et ses colonies. La production coloniale bénéficia de la protection douanière
sur le marché métropolitain au bénéfice principalement des grandes maisons de
commerce. Les produits coloniaux payés relativement chers par rapport aux cours
mondiaux par le consommateur métropolitain n'avaient pas vul~urjprix au producteur
croître conséquemment.
149. J. BOlMER : -Crise mondiale et crise coloniale autour de 1929- Re-.. Francaise d'Histoire d'Outre Mer,
L'Afrique et la crise de 1930...00. Cil.

77
Tableau N·3 REPARTITION DE LA DIFFERENCE ENTRE LE PRIX CAF
(FRANCE) ET LE PRIX AU PRODUCTEUR DE CERTAINS PRODUITS
D'EXPORTATION (Octobre 1934.)
. PRODUITS
A
B
C
D
----------------- -----
.
.------- .------- .-------
.arachides coques • 10%.
30%
0%
60%
.----------------~.-----.-------.-------.-------
.
• arachides décort .• 13%.
40%
0%
46%
.-----------------.-----.-------.-------.------- .
• café (Côte d'Iv.).
6%.
14%
0%
80%
-----------------
.
-----
. -------
.
-------
.
-------
. .
.bananes (Guinée)
. 18%.
13%
5%
64%
----------------- -----
.
.------- .------- -------
.
.Hle palme(Dhmey)
. 12%.
22%
0%
66%
- Calculs établis à partir de données tirées de : A.N.S.
: 17 G
254
(108), Dossier Conférence des gouverneurs généraux. Note de
la direction générale des Services Economiques
de l'A.O.F.
1936.
-Léiende :
A : Rémunération de l'intermédiaire et de la manutention
B
Rémunération du transporteur maritime
C
Droits de sortie
D
Marge commerciale en France
Sur l'ensemble des produits, il reste constant que les véritables gagnants de
~r}
l'opération était l'exportateur en première position suivi du transporteur maritime. Il est
connu en plus que très souvent les firmes d'import-export étaient liées à ces derniers ou
transportaient par leur propre flotte les produits exportés. Elles avaient dès lors toutes
les raisons de défendre la conservation de la structure économique de la traite.
Au total, si l'arrivée du Front Populaire au pouvoir a semé le désarroi dans le
monde des affaires coloniales, sa politique économique stricto-sensu a très peu
remodelé
la structure des affaires en AO.F. Par contre, ses lois sociales malgré la
brièveté de leur application, provoquèrent chez les entrepreneurs la crainte d'une
remise en cause de l'ordre colonial.
La politique réformiste du Front Populaire n'inversa pas dans le fond cette
perspective malgré les déclarations d'intention des gouvernants. Autant qu'il était
possible de le faire, le repli impérial fut maintenu, amplifiant la dépendance des
colonies vis-à-vis de la conjoncture mondiale avec une intervention de plus en plus
vigoureuse de l'Etat dans les activités économiques.

78
Du point de vue de ses conséquences sur le monde des affaires, la politique
économique du Front Populaire s'est inscrite en droite ligne dans celle de ses
prédécesseurs. L'expérience de mise en oeuvre d'une doctrine socialiste coloniale dans
la continuité des idées nées de la lutte contre la crise fut de courte durée. Elle n'eut pas
le temps de remettre en cause la hiérarchie du monde des affaires en AO.F. en général
et à Dakar en particulier.

79
CHAPITRE III : LES LEVANTINS DU SENEGAL, COMMERCANTS
CHEVRONNES, BOUCS EMISSAIRES COMMODES DANS LES
PERIODES DE CRISE
Syriens, Libanais, Libano-Syriens, Levantins, tous ces vocables ont servi à
désigner les ressortissants asiatiques et nord-africains immigrés en Afrique de l'ouest.
Cela pose la nécessité d'éclaircir les raisons de mon choix pour le dernier terme. Non
seulement ils ne sont pas que des Libanais et des Syriens, mais, les différentes
communautés nationales qui composent ce groupe expriment une nette conscience de
leur différence.
,,",0_1.1.
Jusqu'à la première guerre" le Liban et la Syrie actuels faisaient partie de la
province ottomane de Syrie d'où l'appellation de Syriens. A la suite de l'éclatement de
l'empire ottoman, avec la première guerre mondiale, le traité de San Rémo (25 avril
1920) et celui de Lausanne en 1924, établissaient le mandat français sur l'ancienne
province ottomane de Syrie. Elle fut divisée en deux territoires: le Liban et la Syrie.150
C'est là l'origine de l'appellation par le terme de Libano-Syriens.151
De cette commune appartenance à une même entité politique, les levantins ont
hérité les appellations associant les toponymes des deux pays qui ultérieurement furent
séparés, sous le mandat français. Les Libanais furent très largement majoritaires dans ce
courant migratoire vers l'Afrique de l'Ouest. La population rurale du sud-est libanais,
dans la région de Tyr alimenta
particulièrement le flux migratoire. Cette région du
Liban est à très forte majorité musulmane chiite.152
150- S. BOUMEDOUHA : The Lebanese in Senegal : 8 history of the relationship between an immigrant community
and its french and african rulen, Centre or West Arrican Studies, University or Birmingham, Octobre 1987,
p.33.
151· Id.
152· Ibid. pp. 292-294.

80
Les Syriens constituaient le deuxième groupe par leur importance numérique.
Il faut noter également une présence très minoritaire de Palestiniens, Iraniens,
Egyptiens, Marocains et Algériens. Faute de mieux, nous utilisons pour les désigner le
vocable de Levantins en dépit de son caractère très général. Nous y englobons plus que
les pays de l'espace géographique de l'Est de la Méditerranée, en l'élargissant aux
ressortissants du Maghreb. Le mandat français et les besoins des grandes firmes
commerciales accélérèrent la lente immigration qui depuis la fin du XIXème siècle
grossissait les rangs des levantins en AO.F.
Dans l'ouest africain français, le Sénégal et la Guinée furent leur terre
d'élection. Ils s'y insérèrent avec efficacité dans les rouages économiques en général et
les réseaux commerciaux en particulier. La traite du caoutchouc dans la colonie du
du
sud153 et celle de l'arachide dansœilli'nord confirmèrent un remarquable esprit
d'entreprise et surtout une capacité d'adaptation efficace dans le commerce locaI.1S4
Ce rôle économique et les récriminations dont ils furent l'objet ont amené
l'administration coloniale à lui porter une certaine attention. Ce qui est à l'origine de
l'abondance des sources les
concernant. Ainsi, malgré la très forte
mobilité
géographique des membres de cette communauté, en particulier dans les premières
années de l'immigration, il a été possible d'établir une mesure, certes approximative,
mais donnant une idée de leur nombre et de son évolution.
Il reste incontestable que ce succès plonge ses racines dans la conjoncture
économique et politique que la première génération d'immigrés mit largement à profit
pour assurer une solide base économique dans leur rôle d'intermédiaire entre les
grandes maisons de commerce et les paysans producteurs autochtones. Cette place
conquise aux dépens des petits et moyens commerçants africains et français fut la source
d'une vive tension tout au long du siècle entre ces divers prétendants au rôle
d'intermédiaire.
153- O. GOERG: QlLQ!., 1986.
154- UD certaiD Dombre d'eDtre eux s'iDstallf\\_ ,,~ daDS les coloDies britaDDiques de la régiOD et eD
particulier eD Sierra-LéoDe. Cf. H.L. VaD der LAAN : Pfbe IibaDese traders iD Sierra-LeoDe" iD Change
and Continuity in Afrie, 1975, N" XII.
Cette dissm.iDatioD daDS des pays limitrophes relevaDt d'autorités politiques différeDtes fut UD atout de plus
daDS le Jeu kODomique des levaDtiDs. Elle leur offrit des possibilités de traDsfert de leurs activités et
aussi de leurs fortuDes, daDS des cODditioDs très souveDt li la limite de la légalité, d'uD territoire li l'autre
et seloD la conjoDcture plus ou moiDS favorable de part et d'autre des froDtières.

81
Il s'agit, dans un premier temps, de mesurer l'impact du flux migratoire et les
causes de son succès relatif dans l'activité économique de traite. Le processus de son
intégration dans l'économie urbaine dakaroise sera ensuite étudié de même que les
temps forts de la réaction de leur concurrents directs et de l'administration coloniale.
1 ; LE FLUX MIGRATOIRE LEVANTIN ; UNE RAPIDE ASCENSION DANS LE
COMMERCE DE LA COLONIE
Le courant migratoire qui, tout au long du siècle, se développa entre l'orient et
l'Afrique de l'ouest, fut, dans une large mesure, à sa naissance, le fruit du hasard. En
effet, les premiers levantins qui débarquèrent en AO.F. venant de Marseille avaient
pour destination le continent américain. C'est l'absence de disponibilité financière pour
poursuivre le voyage qui détourna sur les ports de l'Afrique occidentale les moins nantis
des émigrants.155 La première destination était déjà fréquentée depuis le milieu du
X1Xème siècle.1S6
En 1897, on ne comptait au Sénégal que 10 Libanais.157 C'est seulement avec
les premières années de l'indépendance que fut pour la première fois enregistrée une
régression dans les effectifs levantins au Sénégal alors qu'à Dakar le croît a été
permanent sauf au début des années trente.158 Entre la première guerre mondiale et
1930, la population levantine du Sénégal fit plus que doubler aussi bien pour l'ensemble
que pour la capitale. Pour les deux., le taux moyen annuel d'accroissement s'est
constamment maintenu égal ou supérieur à 30% par rapport à 1909.
155- R. CRUISE O'BRIEN: "Art. CiL", C.EA.
156- PH. K. Hlm: The Syrians in America, New York, G. H. Dorian Company, 1924, pp 47 et suivantes.
L'émigration levantine sur l'Amérique se distinguait nettement de celle de l'A.O.F. Elle se composait
essentiellement de chrétiens maronites fuyant les tensions religieusesenlre leur communau~ et les
Druus (1860) de même que la domination ottomane. Ce mouvement migratoire beaucoup plus précoce
fut à l'origine d'une riche communau~ de commerçants et d'industriels levantins aux Etats-Unis. Les
levantins ont certainement é~ également attirés par le boom du caoutchouc de cueillette dans le Brésil
vers la fin du siècle dernier plus important encore que celui de l'A.O.F.
Cf. J. PIEL : "Le caoutchouc, la winchester et l'empire", ReY. franc. d'Rist. d'Outre-Mer, N" 248-249, Tome
LXVII, 1980, pp. 227-252.
157- J. CHARBONNEAU: "Art. CiL', 1968.
158- Cf. Tableau N"4 : Evolution de la population levantine du Sénégal de 1909 à 1966.

82
Tableau N° 4 : EFFECTIFS ET PROGRESSION DE LA POPULATION
LEVANTINE
DU SENEGAL JUSQU'EN 1935
ANNEES
1
2
3
4
A
B
A
B
A
B
1916
• 1116 • 668.
835. 559
42%
• 73% • 60%
1926
. 1962 . 709 . 1681 • 600
35%
. 32% • 36%
--------------------------------------------------------.
1931
. 2988 .1389 • 2707 .1280
44%
• 53% • 46%
1935
• 3829 .1269 • 3548 .1161
48%
• 41% • 33%
Lé~ende :
1
Effectifs par années
2
Effectifs des accroissements par rapport à 1909
3
Taux moyen d'accroissement annuel par rapport à 1909
4
Pourcentage de Dakar par rapport à l'ensemble du Sénégal
A
Sénégal (Ensemble)
B
Dakar
Source : Haut-Commissariat de la République en A. o. F.
: Annuaire
Statistique, 1954.
Par rapport au reste de l'AO.F., la prépondérance de la Guinée et du Sénégal
restait très nette dans l'accueil de l'immigration levantine. En 1929, trois levantins sur
quatre sont installés dans ces deux territoires avec plus de la moitié au Sénégal.
Avant la crise économique des années trente, les levantins subissaient moins
l'attraction de la capitale de l'AO.F., 71 % des effectifs restaient disséminés dans le
bassin arachidier comme collecteur dans le commerce de traite.

83
Tableau N° 5 REPARTITION PAR COLONIE DE LA POPULATION LEVANTINE
DE L'A.O.F. EN 1929
. COLONIES
.EFFECTIFS.% DU TOTAL .
---------------.---------.----------
.SENEGAL
2868 •
61%
.dont DAKAR
1182 .
25%
--------------- ·--------- .----------
•GUINEE
1354 •
29%
--------------- ·---------' ----------
.
.COTE D'IVOIRE
68 •
1%
---------------.---------.----------
• DAHOMEY
46 .
1%
--------------- ·--------- ----------
.
•SOUDAN
393 •
8%
SOURCE; A.N.S" CC" N° 561. Note sur l'immigration Iibano-syrienne en AO,F..
~

84
II: LE SUCCES ECONOMIOUE DES PIONNIERS DU COURANT MIGRATOIRE
LEVANTIN AU SENEGAL
En moins d'un demi-siècle, une conjoncture économique et politique favorable
fit des levantins un groupe incontournable comme intermédiaire entre les producteurs-
consommateurs autochtones et les grandes maisons françaises d'import-export.
L'observateur du commerce levantin est d'emblée frappé par le caractère
parcellaire voire l'atomisation qui le caractérise. Il tient dans une large mesure à la
structure de l'économie de traite. Cette disposition structurelle a été exploitée au
maximum par les levantins qui y pratiquèrent une dispersion au moins juridique de leurs
patrimoines doublée de la constitution de réseaux de solidarité contre lesquels
l'administration et le commerce européen s'étaient constamment heurtés.
Avant d'avoir pignon sur rue, le nouveau migrant est pris en charge dans les
structures familiales. Il fait ses premières armes comme commerçant ambulant ou
boutiquier dans les autres territoires de l'AOF ou dans le bassin arachidier sénégalais.
Vivant aux .c;ôtés des producteurs-consommateurs paysans, il parvient à se les attacher
par un système de crédit assez simple qui lui assurait une bonne partie de la récolte
d'arachide. En dehors des quelques mois que dure la traite (Novembre à Janvier), les
disponibilités financières se réduisaient pour le paysan à leur plus simple expression.
Sans entrer dans les formalités administratives compliquées si ce n'est le gage exigé aux
nouveaux débiteurs, le commerçant levantin prenait
en charge toutes les dépenses du
paysan : impôt, prestations, amendes, dot, et lui fournissait à l'occasion les semences
pour les cultures suivantes.159 Tous ces crédits étaient remboursés à des taux d'intérêt
très souvent élevéJ.
Le commerçant levantin débutant ne pouvait prendre part à ce système de
crédit qui lui assurait une clientèle sûre qu'en s'appuyant sur les réseaux de solidarité
ethnique mais surtout familiale. Il recevait un crédit fournisseur des autres levantins
déjà installés avant d'accéder à celui des grandes firmes françaises. L'itinéraire du
migrant s'achevait en général par une installation définitive dans le quartier du
commerce levantin à Dakar.l60
159. C. LACHEROY : QlLQ!., p.U
160. Cf. figure ND6

PLAN
DE SITUHIO'
IEPARTITION ETHNIOUE DU COMMERCE
A, DAKAR: 1935
IEAUSEE A PARTIR DE PAILLARD J. OF! CIT. P. 59
EGENDE:
ho fRAlCAlS
~ 1(1 LEVUlIMS
*10 AUTRES
'1
FmCAIS

1
LEVAITI'
*1 AUIRE
.1
AUTlCmu
- _..~-

86
La réussite économique de cette minorité ethnique étrangère à la société où
s'exerce son activité économique n'est pas un fait unique en Afrique. Dans les pays de
l'est et du sud du continent, une expérience similaire a abouti à un succès relatif de
minorités ethniques non originaires de la nation colonisatrice : les Indiens dans les
colonies britanniques du sud, de l'est et du centre de l'Afrique, les Juifs d'Europe
orientale et les Grecs en Ethiopie, au Soudan, au Congo Belge et en Rhodésie du
Sud.161 La forte poussée démographique des asiatiques en Afrique et leur réussite dans
le commerce ont stimulé de nombreuses recherches.l62 Plusieurs explications sont
avancées quant aux fondements de cette suprématie dans le secteur intermédiaire de la
distribution.
F. et LO. Dotson situent les performances de ces minorités à deux niveaux. Les
Libanais possèdent d'incontestables capacités dans les affaires, ce qui ne seraient pas le
cas des groupes ethniques des sociétés hôtes les plus économiquement avancées. Ils sont
originaires de sociétés ayant connu une division du travail et des traditions
commerçantes plus avancées. Les structures socio-culturelles de leurs milieux d'origine
les prédisposent à l'acquisition de ces capacités. Ils sont issus de sociétés paysannes
structurées par un système de familles étendues comme en Afrique. Il en découle un
double stimulant: la solidarité familiale incite à la réussite dans les affaires et permet de
résoudre le problème de l'accueil, de l'insertion du migrant en mettant à sa disposition
le pécule de départ pour lancer un commerce. Cependant les liens familiaux seraient
dans ces communautés beaucoup moins prégnantes qu'ils ne le sont dans les sociétés
africaines enfermées dans une agriculture d'autosubsistance.
Les Indiens et les Libanais étaient certes originaires de sociétés paysannes. Mais en
tant qu'orientaux, ils sont issus de sociétés dans lesquelles le commerce et le négoce
étaient anciennement enracinés et bien assimilés en principe par leurs populations
paysannes. 163
161· F. DOTSON et LO. DOTSON : "The Economie Role of Non.Indigenous Ethnie Minorities ln Colonial
Atrica", P. DUIGNAN et LB. GANN : Colonialism in Africa 1870-1960. Vol IV. The Economies of
Colonialism, Cambridge Press Uni\\'., 1975, pp. 565-672.
162· R. CRUISE O'BRIEN : "Lebanese Entrepreneurs in Senegal : Economie Integration and poUties of
protedlon", C.EA., W57, \\'01 XV, 1er cahier, 1975, pp. 95-115•
. J.s. MANGAT: A Historv of the Asians ln East Africa c. 1886 to 1945, Oxford, Clarendo Press, 1969•
• R.B. WINDER: "The Lebanese in West Atrica, Comparati\\'e Studies", Society and History. Ami 1962, N° 3,
pp. 296-333.
163· F. DOTSON et LO. DOTSON : QIL..QL, 1975, pp. 589-590.

87
Ces arguments sont fort contestables. La diversité des sociétés africaines
précoloniales interdit une rapide généralisation les confondant toutes dans une activité
agricole d'autosubsistance. Nombreuses et anciennes sont les sociétés africaines où s'est
développé une économie marchande ayant conduit à l'émergence de groupes spécialisés
et fortement structurés. Il n'est pas besoin d'insister sur ce point déjà largement
étudié.l64
Les éléments avancés par R. CRUISE O'BRIEN pour expliquer le succès des
Levantins dans le contexte sénégalais sont plus recevables.l65 Les rapports d'extériorité
qu'ils entretiennent avec le système socio-culturel de la société hôte constituent un atout
majeur et dans certaines circonstances une faiblesse. Contrairement à leurs concurrents
français, ils bénéficièrent de la similitude des conditions économiques de leur pays
d'origine et d'accueil. Celles-ci se caractérisaient par la prédominance de la petite
production parcellaire en milieu rural, une infrastructure de communications peu
développée et un niveau relativement faible de la monétarisation. De là naquit un
fractionnement important du secteur de la distribution des produits, en petites unités,
seules capables d'enserrer les nombreux points où se déroulent les échanges dans un
maillage suffisamment dense.
Texte original de la citation traduit par nous (I.T.)
·lndians and Leban~s~s cam~ /rom peasant villages, it is t1U~. But as ori~nta/s, ther a/SO cam~ /rom soci~ti~s in which
comm~rc~ and trad~ wen' anci~ntly ~stablish~dand weil und~rstood in princip/~ /!lien by thûrpeasant populations·.
164- P. BOHANNAN et G. DALTON (éd.) : Markets in Arrig, Northwesteru Vnivenity, 1962, 762 pp.
• CI. MEILLASSOUX (éd.) : The Development of Indigenous Trade and Markets in West Arrig, Londres,
I.A.I. et O.V.P., 1971,444 pp.
• R. GRAY et D. BIRMINGHAM (éd.) : Precolonial African Trade <Essars on trade in central Africa before
1900), O.V.P., 1970,306 pp.
• M. AGIER : Commerce et sociabilité, les négociants soudanais du quartier Zongo de Lomé (fogo). Paris,
ORSTOM, Mémoires N" 99,1983, 317 p.
165. R. CRUISE O'BRIEN: White society in black Africa : the French of Senegal, Londres, Faber and Faber,
1972, 320 pp.

88
D'autres circonstances non moms importantes sont venus s'ajoute.r
à ces
facteurs plus ou moins stimulantes pour le succès des Levantins dans le commerce . La
grande majorité des migrants Libanais est venue du sud du Liban
et est dans une
écrasante majorité musulmane comme au Sénégal. l66 Le mandat français sur le Liban et
la Syrie et, ultérieurement, l'opposition fréquente du Quai d'Orsay ont empêché
l'application stricte par les autorités locales de la politique du ministère des Colonies
tendant à une réglementation des conditions d'immigration imposées aux Levantins en
AO.F.
Il est un phénomène sur lequel insiste nombre de chercheurs pour expliquer le
succès des levantins dans le monde des affaires; il s'agit de la mobilisation des petits
commerçants français et autochtones, de même que leurs employés durant les deux
guerres mondiales.167 Il va sans dire que les pénuries de guerre et les hausses
consécutives des denrées de consommation courante ont profité à certains levantins
dans la constitution de leurs fortunes. Seulement, les effets de cette conjoncture doivent
être nuancés et remis à leur juste place. Le contexte de guerre ne fut pas en effet
toujours facile pour les Libanais et Syriens de l'AO.F. Durant le premier conflit
mondial, ils furent l'objet d'une surveillance policière stricte et ceci du fait de leur état
de sujets ottomans, donc, potentiellement ennemi de la puissance coloniale de leur pays
d'accueil.
Par contre le changement de domination sur le Liban et la Syrie à partir des
années 1920 à la suite de l'effondrement de l'empire ottoman, atténua et même
supprima totalement la pression de l'administration coloniale avec les mandats français
sur les pays d'origine des levantins
Cet élément de sécurité vint s'ajouter à deux autres facteurs particulièrement
déterminants dans la réussite levantine dans le commerce de traite.
166. S. BOUMEOOUHA: Op. Ci!., Annexe.
167· R. CRUISE O'BRIEN, "Art. CiL", C.EA.
• S. AMIN: .QRJd!..., 1969, p. 21 et suivantes•
• J. CHARBONNEAU: "Art. CU·, Rev. Frcse d'Etudes Politiques Africaine~ 1968.

89
Au moment du démarrage du courant migratoire levantin vers l'AO.F., les
hommes d'affaires autochtones ne s'étaient pas, loin s'en faut, remis des effets de la crise
de la gomme qui au milieu du siècle passé, avait gravement fait des ravages dans leurs
rangs. Cette crise fut à l'origine d'une violente opposition entre les traitants autochtones
détenteurs d'un quasi monopole dans le commerce entre les négociants et maisons de
commerce européens et les zones de production.l68 Sous la direction du négociant et
député D. VALENTIN, les autochtones mirent en oeuvre toutes les ressources
politiques et sociales que leur conférait leur statut d'''originaire" donc de citoyen français
pour s'opposer à la politique du grand commerce qui à terme les éliminait de cette
activité lucrative source de leur fortune.169 A la suite de ce mémorable conflit, les
maisons de commerce européennes appuieraient sans réserve des intermédiaires sans
\\~ur
pouvoir politique locale donc plus démunis pour remettre en cause >. domination. En
plus de l'adversité du commerce européen, la reconversion de ce qui restait comme
commerçants autochtones de la gomme à l'arachide en pleine expansion fut abandonnée
au profit de carrières politiques et administratives.170 Le déclassement des hommes
d'affaires autochtones au moment où s'amplifiait l'immigration levantine a certainement
joué un rôle non négligeable dans le succès de la première génération de migrants dans
la traite arachidière.
168- R. PASQUIER: Op. Cit., 1987.
• F. MANCHUELLE : -Métis et colons: la famille Devès et l'émergence politique des Afric:ains au Sénégal
1881·1897-, Cahiers d'Etudes Africaine~ 1984, N" 96, XXIV-4, pp. 477·500.
169· IQ-, pp. 141·144
170- S. AMIN : ~, 1969.

90
Le facteur qui élimina les autochtones de la concurrence n'eut pas à jouer
contre le petit colonat français qui s'était installé au Sénégal. Mais là aussi, en dehors
des atouts des levantins dont le moindre n'était pas leur aptitude à s'intégrer dans les
circuits commerciaux de l'intérieur, contrairement à leur concurrents, la conjoncture
leur fut bénéfique. Le gros des immigrants métropolitains arriva à la colonie après la
première guerre dans un moment de hauts cours des matières premières.171 La
cie ~o,"~1'CWC .~i,~di.i,e~
conjoncture favorable des années vingt du XXème siècle permettait l'emploi'pour la
collecte de l'arachide dans les zones rurales mal desservies par un réseaux de
communication articulé autour de l'axe principal du Dakar-Niger aux embranchements
ferroviaires peu denses. l72 La concurrence ne s'exacerba qu'avec le renversement de la
tendance de haute conjoncture au début des années trente. A partir de ce moment, le
petit commerce français menacé, prit l'initiative d'une campagne de presse violente
contre la communauté levantine.
III : LES LEVANTINS ET LA CRISE: LES BOUCS EMISSAIRES
Comme toutes les composantes du commerce de traite, les levantins du Sénégal
furent durement touchés par la dépression consécutive à la crise de 1930. Entre 1929 et
1935, les L.Q.. du Sénégal enregistraient au total 59 faillites de commerçants Libanais et
Syriens contre 28 chez les Français et 10 autochtones.173 La restriction des crédits
jusqu'alors fournis par le grand commerce ne les épargna pas.174 Cependant, de tous les
intermédiaires, ils furent les plus aptes à saisir l'opportunité offerte par le retrait des
grandes compagnies des zones de production les plus enclavées. En se retirant, les
grandes firmes coloniales laissaient un espace libre où s'engagea la concurrence entre
levantins et petits commerçants français. La lutte sortit très vite du terrain économique
avec la création du Syndicat Corporatif et Economique du Sénégal (S.c.E.S.) qui
déclencha une violente campagne contre le commerce levantin. Sous la direction du
171- cr. Annexe N°l.
172· cr. Figure N" 1 : Voies de communications au Sénégal en 1928.
173- Le comptage a ~U eft'ectu~ sysUmatiquement durant cette période dans la nabrique "partie non
officielle" du Journal Officiel du Sénégal. Dakar n'est pas comprise dans ce comptage parce qu'à
l'~poque,elle ne relevait pas administrativement du Sénégal.
174- cr. supra l'exemple de la politique de crédit de la sociéU Maurel et Prom face il la crise

9]
journaliste J. PAILLARDI 75, le syndicat reçut un écho très peu favorable dans la
capitale de l'AO.F.176 Son audience se limitait aux secteurs les plus sensibles à la
concurrence levantine, en particulier à Diourbel, Thiès et dans les centres de traite
secondaires du bassin arachidier. Les grandes et moyennes maisons de commerce
boycottèrent l'organisation. Quelques commerçants, traitants et employés de commerce
autochtones jouèrent un rôle plutÔt décoratif dans cette campagne "anti-levantine". La
présidence d'honneur confiée au député du Sénégal Galandou Diouf leur fit une bonne
enseigne publicitaire bien que celui ne partagea pas toutes leurs vues.l77 L'organe de
presse du syndicat: une revue mensuelle France-AfriQue Noire, parut trois fois, en août,
septembre et octobre 1935.178
Que reprochait-on aux levantins?
Le S.C.E.S. estimait d'une urgente nécessité la limitation du nombre des
immigrants levantins en A.O.F. Le rapide accroissement du flux migratoire et
l'accaparement des activités jusqu'alors tenuespar le commerce européen, par des
méthodes jugées par le syndicat peu conformes à l'équité commerciale, étaient
violemment dénoncés. L'efficacité du commerce levantin dans la traite et son
installation progressive dans la capitale inquiétaient les petits commerçants français
directement menacés.179 La publication de la répartition ethnique des patentes délivrées
au Sénégal n'était pas pour apaiser ceux-ci. Les Levantins en avaient obtenus largement
plus que les Européens et se rapprochaient des Africains alors que ces derniers étaient
en majorité dans les petites catégories de patente.
175· C~ en Mai 1935, le S.C.E.S. avait son siège il Bordeaux du fait de l'absence de libertés syndicales en
A.O.F. mais aussi du rôle des bordelais dans l'économie sénégalaise et des possibilitis d'intervention
dans les affaires coloniales que permettait la place de Bordeaux.
Aucun des commerçants membre du bureau n'était installé il Dakar. Voir page 98
. le bureau du
S.C.E.S. en 1935.
176- Son représentant il Dakar F. SENTENAC n'était pas membre du bureau et tris tôt il donna sa
démission de l'organisation pour raison de "con~nanus ~nonne//es", selon le mot d'une lettre adressée
au journal France.Afrigue Noire, N" 2 septembre 1935.
177· G. DIOUF: "Il y en a de bons, il y en a de mauvais", France.Afrigue Noire N" 2, septembre 1935.
178- A.N.s., Fonds C.C., Dossier 651, Immigration Ubano-Syrienne en A.O.F., 1935. Les trois numéros
fagurent dans ce dossier.
179· Cf. figure ND6 Commerce et ethnie il Dakar en 1935.

92
Tableau ND6 : PATENTES DELIVREES AU SENEGAL EN 1935.
-------------------------------------------------------------
FRANCAIS
• AFRICAINS
LEVANTINS.
AUTRES
------- .------ .------ .----- .------ .----- .----- ----
.
A
B
A
B.
A
B .
A
B .
--------- ·------- ------
.
.------ -----
.
.------ .----- .----- .---- .
SENEGAL
836
.20%
.2161.51%.1095.26%.106.2,5%.
--------- ·------- .------ .------ .----- .------ .----- -----
.
.----
DAKAR
372
• 29%
498.39%.
386.30%.
14.1%
--------- -------
·
------
.
------
.
-----
.
.------ .----- .----- ----
.
.
TOTAL
• 1208
• 22%
• 2659
• 49 '10 ,
1481
• 27%
• 120 .2%
A
Effectifs
B
Pourcentage par rapport à l'effectif.
Source : J. PAILlARD : La fin des Français en Afrique, Op. cit., p. 78
Pour le commerce européen et le S.c.E.S., la conclusion s'imposait d'elle-même
à partir de ces données: il fallait mettre un terme à l"'immigration étrangère sans limite et
sans frein".l80
La revendication des commerçants français de modeste envergure se heurtait
aux intérêts des grandes compagnies qui soutenaient économiquement les levantins.
L'exemple de la NO.SO.CO. qui pour faire pièce à la mesure administrative autorisant
les S.I.P. à commercialiser la récolte de leurs adhérents augmenta le crédit alloué aux
levantins de trois à cinq fois son niveau antérieur. La conséquence pour le petit
commerce européen fut que sa part dans la collecte des arachides tomba de 50% en
1930 à moins de 10% en 1935.181 Le désarroi des petits commerçants européens de la
colonies trouvent ses origines dans cette concurrence triomphante des levantins. Il
s'exprima avec violence dans France-Afrique Noire:
180- France-Afrigue Noire, N" 1, Août 1935.
181· S. BOUMEDOUHA: Op. Ci!., p. 104.

93
Sous prétexte que les Libano-syriens sont "protégés~ français, now leur ouvrons
toute grande les portes de notre Afrique noire. Déjà, en certains points, ils pullulent.
Non défendus contTt cette invasion concurrente, des Français déjà installb au
Sénégal, en Guinée et autres lieux, doivent leur céder la pltue. Dans l'impossibilité
matérielle et mOl'llle de rrlbalsser leurs conditions d'eristence au niveau de cette rru:e
peu évoluée. 182
Tout le problème du petit commerce français se résumait à son incapacité à
s'adapter aux conditions locales face à des adversaires qui, étrangers au milieu n'en
réussissaient pas moins à en avoir une très bonne maîtrise. Ce succès fut, en partie, à
l'origine du soutien accordé par les grandes firmes aux levantins.
Le S.C.E.S. tenta de mobiliser l'opinion africaine de Dakar sur le thème de
l'emploi. L'activité des levantins n'était pas particulièrement génératrice d'emplois pour
les autochtones. Cette situation constituait pour les levantins à la fois une faiblesse dans
leur rapport avec la société d'accueil et l'administration coloniale mais restait aussi la
clé de leur succès. L'emploi de la main d'oeuvre familiale leur permettait de réduire, au
minimum nécessaire, les frais généraux de leur commerce. Ainsi pouvaient-ils
s'autoriser des marges bénéficiaires très faibles à la vente des denrées de consommation
et des prix plus élevés à l'achat des produits agricoles. Par ce système, il s'attachaient la
clientèle locale et l'appui du grand commerce.
Le S.C.E.S. publia sur ce thème une pétition envoyée par des autochtones au
député du Sénégal. Une liste de griefs retenus contre les levantins y étaient dressée :
exercice illicite de la boucherie, charcuterie, camionnage, maquignonnage à la place des
indigènes, faillites frauduleuses et pratique de l'usure à grande échelle par l'achat des
"récoltes pendantes", gages sur les animaux des paysans.l83
182. France Afrique Noire, N"2 septembre 1935 -Danger politique de l'invasion libano-syrienne en ADF"
183. France.Afrique Noire N" 2, septembre 1935, -Pétition Indigène contre les parasites Ubanafs Il Galandou
Diou".

94
La communauté levantine s'inquiéta des proportions prises par ses attaques en
dépit du soutien d'une partie de l'opinion et du grand commerce. Elle réagit
promptement et vigoureusement auprès des autorités administratives et des institutions
représentatives du monde des affaires en particulier la Chambre de Commerce de
Dakar. Malgré les divisions nationales, religieuses et parfois même villageoises qui la
traversaient, elle avait dès le début de la crise réussi à mettre sur pied un "Comité
Libano-Syrien" à Dakar. Et déjà, en 1931, elle donnait des gages de bonne conduite à la
Chambre de Commerce. Le comité arguait à l'époque que compte tenu de la crise
exceptionnelle que traversait le Sénégal, il était nécessaire de limiter l'immigration qui
dans de fortf'jproportionsdiminuait.184 Devant l'intransigeance du petit commerce, sans
prendre publiquement position, la Chambre de Commerce continuait à harceler les
-ci
représentants des levantins à travers une correspondance assidue. Ceux1, fort du soutien
des autorités administratives localesl85 finirent par prendre une attitude offensive. En
ces termes, ils s'adressèrent au président de la Chambre de Commerce:
Le gros commerce français, soutient en fait l'élément syrien par le large crédit qu'il
lui lUcorde. Si notre présence est réellement nuisible aux commerçants français
comme vous le prétendez, il y aurait un moyen beaucoup plus simple et efficlUe de
vous déba"asser de nous, c'est de nous couper tout crédit. 186
Ni la Chambre de Commerce ni le commerce d'import-export n'avaient intérêt
à relever le défi.
Ce fut plutôt l'administration qui prit une série de mesures rendant les
conditions de l'immigration plus draconiennes et celles de la collecte des arachides plus
contraignantes. Ces
mesures
ne
visaient
pas
du point
de we
exprimé par
l'administration la communauté levantine mais entraient dans la lutte contre la crise par
un assainissement du commerce de traite. Cependant, elles participaient dans une large
mesure à satisfaire les revendications du petit commerce français. Par ordre
chronologique, les plus importantes d'entre elles furent:
184- Correspondance avec le Président de la Chambre de Commerce en mal 1931, reproduit par France-
Afrique Noire N" 2, septembre 1935.
185- France-Afrigue Noire N" l, AoOt 1935 : ·CircuJai~ ~n IJITJM diffusÜ par l~s Syri~ns·. La circulaire Informait
les levantins des engagements pris par le gouverneur général pour la protection des ·d~ la colOfli~ libano-
.syri~nn~ et qUi! l~s attDqUi!S dirigüs cOfl~ d/~ n'aboutiront à aucun risultat fach~ux·
.
186- J.C. DESBORDES : QILQ!.., Poitiers, 1938.

95
- Un arrêté du 10 mars 1932 fIxait la date de l'ouverture et de fermeture de la
traite et interdisait entre ces dates toute activité commerciale entre traitants et
producteurs. la fIxation des dates était fonction de l'évolution des cultures et changeait
d'une région à l'autre entre le 15 décembre et le 1er mai.
-Un arrêté de juin 1932 limitait les centres où pouvait s'exercer la traite sans
aucune possibilité de dérogation. Les points de traite étaient fonction de la proximité de
la ligne de chemin de fer du Dakar-Niger et de l'équipement des localités en
infrastructure de collecte. En 1930, le Sénégal comptait plus de 200 points de traite. 28%
furent supprimés en 1932 et trois ans après, 32 centresfermés étaient ré-ouverts.187
- L'arrêté du 4 septembre 1935 permettait à l'administration de fIXer un prix
minimum pour l'arachide sur initiative du commandant de Cercle.
Les mesures ainsi prises eurent très peu d'effets sur le commerce levantin qui
parvint à les contourner avec la complicité des notables villageois qui leur achetaient
moyennant commission les récoltes arachidières. Cette pratique fut révélée par
l'intervention de la gendarmerie dans le Sine-Saloum principale région arachidière du
Sénégal.188
Il fallut attendre 1938 pour voir intervenir les premières mesures de restriction
administrative du courant migratoire.189 Le solde cumulé des arrivées sur les départs
continuant à être positif et même à s'accroître sensiblement à partir de 1936, après la
stabilisation provoquée plus par la crise que par la campagne de presse contre les
levantins.l90 La crise contribua également au repli des levantins vers l'intérieur du pays
au détriment de la capitale. Entre 1931 et 1935, les effectifs baissèrent de plus de 8%
pour Dakar; pendant la même période, l'ensemble du Sénégal enregistrait unehausse de
28%. Les levantins de Dakar n'était plus que de 30% du total des effectifs dans le pays
alors qu'en 1931, ils représentaient 46%.
187· J. FOUQUET: La traite des arachides dans le pays de Kaolack et ses conséquences économiques, sociales et
juridiques, Saint-Louis, IFAN, 1958, p.93.
188- A.NoS.. Dossiers répertoriés mais non classé s : Fraudes commerciales 1935.
189· U était désormais exigé au migrant une caution de rapatriement de 4800 francs l l'entrée, un
enrégistrement lia police, un passeport et un certificat médical.
A.NoS.. 21 G 141 (108), Réglement sur l'admission et le séjour des étrangers en A.O.F.,Janvier 1938.
190- Cf. Tableau ~ 7, l'évolution des entrées et sorties de Levantins de 1933 l 1937.

96
~{j u ra. NO]: ENTREES ET SORTIES DE LEVAJlITINS DU SENEGAL 1933-1937
IMMiGRATION lElHtNTINE Aii SENEGAL
Source
e .
1933
1935
193b
ANliEE

97
La réponse levantine à la crise a donc consisté à se déployer dans les régions
arachidières, révélant une grande capacité d'adaptation. Ils ont également su tirer le
maximum de profit des changements politiques intervenus dans leur pays. Le mandat
français sur le Liban et la Syrie limitait les possibilités d'intervention négative des
autorités coloniales contre eux. Leurs principaux concurrents métropolitains comme
autochtones n'eurent pas les moyens de tirer profit de leur situation politique privilégiée
par rapport aux levantins. Ils réussirent à s'emparer du créneau d'intermédiaire dans la
traite et à asseoir une solide base pour affronter les crises conjoncturelles qui affectèrent
l'économie sénégalaise.
La dépression des années trente scella pour longtemps la suprématie levantine
dans la distribution des produits de traite. Sur cette base, s'édifièrent des fortunes
énormes qui servirent ultérieurement à la conquête d'une partie importante de l'espace
urbain dakarois où ils étaient déjà bien implantés dans les années trente. Désormais, les
levantins disposaient d'une large marge de manoeuvre face à leurs protagonistes dans le
champ
économique
administration,
maisons
de
commerce,
commerçants
"indépendants" et clientèle locale. Ils furent plus dépendants des contraintes du système
que de l'opposition des autres acteurs. Ils en administrèrent la preuve avec la
conjoncture née du second conflit mondial, malgré les difficultés occasionnées par la
rigueur de l'administration vychiste.

98
SYNDICAT CORPORATIF ET ÉCONOMIQUE
DU SÉNÉGAL
18, Rue Voltaire, BORDEAUX
P,~tJr"' J'Ho_u,: M. GALANOOU DIOUF. Dq.ul~ li" SfDi..1
c..Mll d'A.cIaiai.trati.D•• P,~t".n1: M. G. CASTAGNE.l TIlil,; Vt....P,~I__"
MM. J. DENJEAN,l a."dun CI LACOMBE Alo~. l Tb~,; T'_'In: M. LACOMBE
J~DC. l Tbi~.; ÛllMt/l." : MM. S. PELOFFI•• Di...LeI .1 A. CARRltRE,' n"".:
S.cra"t,. etrol,al: M. JUD PAILLARD: C_.t_trcc DU" C_".: MM. SARDA •
ROUZAUD. Kloo.bolc.
MEMBRES HONORAIRES :
D~nit!on r/ Poillo,d
.
DAKAR.
Soclé/ë E/u/riqur ~/ Indu.~/rirllf du Booi
D'OURBEL.
Lacombf ifUnf!
.
THltS.
Locombf oint
.
.
TH/ES.
Q'au/l~
.
.
DIOURBEL.
Ptrpt,~
.
TI\\'AOUA'IIE.
Baill~
.
TI\\'AOllASL
An/oin~ A'r~1J.<
.
DIOURBEl.
~:~t .~~~~~~i.n
DIOURBEL.
.. : :: :::. :::: :: .::::::: :::::::::
Io:HOMllOI..
Rouzoud
.
KHOMSOL.
Bonn~/
.
DIOURBEL.
Chomh't dt! Commr'u d~ Doka,
.
DAKAR.
C/t(Imb'~ d~ Commuu d~ RUfisqut!
.
RUFISQUE.
Chamb'~ d~ Commtru d~ Koolock
.
KAOLACK.
fRANCE
AfRIQUE NOIRE
Directeur: .Jean PAILLARD
It!%. SEPT. -1935
O~I~g~~ Général .~ Sénégal : Lo~ls GUIRAUD
l'ri. M r'M,o'_1l , 20 fr.
l'ri. . . N•••r. : 2 f,.
Ah..... 1.. A_ _ ota à Ill. b.i, Cairo"" • C-,IOl (~... '''1••• III à D.~..
SO:Ml.1AIRE
Dongu poliliqu~ d~ l'invosion Iibono-sy,j~nnr fn A. O. F..
par c fram:e-Afrique Noire • .
.
.
.
.
.
25
Dtc/a,Q/ion du gént,ol Mt!yllicr
.
27
Au~ iludion/.• sénégalois, p:tr Luuis GUIHAlJO .
21(
E/,ongt Na/ d't!sp,iI des é/udion/s Iibano-sy,;,'/Is
2'1
Unt! p,o/t!s/Il/ion indigène.
.
.
.
.
.
.
.
.
:iO
Qurlqurs ~hiff'll. .
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
32
Lo Chamb,e dt! Commuee d'Alger s'i/lquièl~ dt! l'im'usùm
t/ran/.!tr~ au~ C%nit!$ . .
:l:l
I.e Minis/rt! d~.,· Colon;t!$ d la ,uhe,..h.' dt' rurrii!r." ..,,/1,-
nialfs pou, 10 jt!unrsSi!.
. .
. . . . • .
3~
Lf ComiU Libono-Syrirn rJe Dakor.
.
.
.
.
.
:i~l
Troi/t!mrn/ dt!s Libono-Sy,it!ns ~n F,oner .
411
Unt! It!/lu du Qouvernt!u, Gtn~'o/ p. i. dt' l'A. O. F.
42
L'Emig,o/ion s}',irnn~ t!n A. O. F.
.
44
Lo Poliliqut! franroist! d'immig,o/ion.
.
46
DANGER POLITIQUE
de l'Invasion Libano-Syrienne
en A. O. F.
1
1
1
1

99
DEUXIEME PARTIE: DE LA DEUXIEME
GUERRE MONDIALE A LA VEILLE DE
L'I~DEPENDANCE, INDUSTRIALISATION
ET RESTRUCTURATION DU MONDE DES
AFFAIRES
~
1
l
1
1
1

100
CHAPITRE IV: pU REGIMB DES "NrrBRIORITES" AU l.I.D.B.S., LA
CONJONCTURE BT L'ETAT AU SERVICB DB L'BBGEMONIB DES GRANDES
ENTREPRISES
Dès 1939, le pouvoir comptait ses forces économiques en AO.F., par une
enquête sur les entreprises industrielles de la fédération dite de mobilisation. 1 Les
résultats de l'enquête servirent à mettre au point la politique d'encadrement
corporatiste et ultra-dirigiste de Vichy. Le monde des affaires n'échappa pas à
l'autoritarisme de l'administration vichyste de l'AO.f. Certains membres des plus
influents de la Chambre de Commerce. son président L Turbé et le maire de Dakar
e
firent parties de ses victimes internés en Afrique du Nord. 2
La guerre créa un contexte aux conséquences économiques plus directes. La
rupture des liaisons maritimes avec la métropole, principale source d'approvisionnement
et marché d'écoulement des produits de l'A.O.F., entraîna une chute brutale des chiffres
du commerce extérieur. Elle dépassait de loin celle survenue lors de la crise des années
1930. 3 La courbe de la production et des exportations d'arachide atteignit son niveau le
plus bas depuis 1920. Une pénurie de biens de consommation sans précédent fut le plus
grave problème auquel l'administration dut faire face.
Comment géra-t-elle la situation? Quelles furent ses conséquences sur les
entreprises? Comment le gouvernement de la France libre prit-il en charge cet héritage?
1 : LE "REGIME DES ANTERIORITES". DU MONOPOLE DE FAIT AU
MONOPOLE DE DROIT
1_ A.N.s.. Annexe, dossier 519, Mobilisation économique 1939.
2_ J. SURET-CANALE: Op. Cil.~, pp. 577.
Ils le furent moins parce qu'ils itaient membres de la Chambre de Commerce ou commerçants. Sans doute,
leur passi politique que nous avons vu dans le chapitre précédent et l'appartenance du premier à la
franc-maçonnerie ont dQ Jouqun rôle dans cet ostracisme à leur igard.
3_ Cf. Annexe N° 1.

101
En appliquant à l'A.O.F. la loi du 6 décembre 1940, le gouvernement de Vichy
y créa des groupements professionnels qui mirent fin à l'activité des syndicats patronaux
et des chambres de commerce. Toutes les entreprises étaient obligatoirement inscrites
suivant leur activité principale dans l'une des quatre corporations existantes:
·Production agricole et forestière,
-Organisme de crédit,
•Transport,
-Commerce
ou des deux comités de production:
·Minière,
-Industrielle.
Une cotisation fixe de 100 francs et une proportionnelle à deux pour mille du
chiffre
d'affaires
accompagnaient
les
adhésions
obligatoires. 4
L'ensemble
des
groupements était coiffé par un Comité Central. La direction de chaque instance était
choisie parmi les candidats ayant reçus l'aval du gouvernement général. Officiellement,
les groupements étaient les
traits-d'union entre l'initiative privée et les services officiels. Ils impulsent
i
l'économie, étudient et rlglent les différends, répartissent les matières premières et
les produits importés. 5
1
i
Cette dernière prérogative fut à l'origine de ce qu'on a appelé le "régime des
antériorités" c'est à dire:
1
1
la répartition des mllTChandises métropolitaines contingentées et des mllTChandises
1
étrangères tuquises sur contingent de devises entre les commerçants ayant effectue
des importations de l'espèce6
4. A.N.s.O.M., Afl'aires Ecooomiques, Cartoo 67, Dossier 14, Cartoo 57 dossier 2.
1
5. A.N.s.O.M., Afl'aires Ecooomiques Cartoo 2808, Dossier 10.
1
6. A.N.s., 1 Q 300 (301), Afl'aires Ecooomiques, A.O.F., 1931.1947.
f
1

102
Les importations désormais faTtes par voie administrative se répartissaient selon
la règle suivante : pour chaque type de produits, un pourcentage était affecté aux
anciens importateurs au prorata des quantités importées par chacun d'eux durant les
trois années antérieures à 1940.
Trois raisons étaient avancées pour justifier une telle discrimination. 7
10/ Il fallait tenir compte, durant la pénurie, des efforts faits dans le passé par
les bénéficiaires dénommés les "antérioritaires:
2°/ Le système visait à écarter les spéculateurs et à éviter le gaspillage des
produits.
3°/ Il facilitait le contrôle administratif en restreignant le nombre des
"attributaires".
En pratique, le système consolidait les positions acquises par les grandes firmes
et même les renforçait du fait de la pénurie qui permettait des marges bénéficiaires
substantielles. La mise au pas voire la suppression pure et simple des organisations
patronales enlevait toute possibilité légale de protestation aux petites et moyennes
entreprises. Les récriminations contre l'iniquité du corporatisme vichyste furent
nombreuses dès que la situation s'y prêta.
En fait, le système institutionnalisait un monopole de fait exercé par les grandes
entreprises d'import-export. Par exemple, 95% de la semoule importée revenaient aux
membres du Syndicat des Commerçants Importateurs et Exportateurs (S.C.IMP.EX.).
Sur 1796 tonnes de maïs importées en 1944, La SCOA, la CFAO et La NOSOCO
détenaient ensemble plus de 50% au titre de leur part d'''antérioritaires''. Aucun
autochtone ne participa à cette répartition; un levantin Ali Assad reçut moins de 2% du
maïs. Parmi les commerçants européens moyens les maisons Chavanel et Maurel et
Prom eurent chacun un peu plus de 10%.8
7. Id.
8. A.NS., 1 Q 357 (77), Syndicats des Maisons de commerce en A.O.F., 1937.1948.

103
Les groupements professionnels furent supprimés avec Je régime de Vichy. La
répartition leur survécut. Le gouvernement de la France Libre institua un Comité du
Commerce Extérieur(CCE) chargé de la répartition. Présidé par le directeur général des
Services Economiques de l'AO.F., le C.C.E. regroupait dans son Comité de gestion
l'ensemble des directeurs techniques du gouvernement général. Les responsables des
syndicats patronaux n'assistaient à ses réunions que sur invitation du président. Le
C.C.E. était, pour ainsi dire, l'expression de l'intervention bureaucratique de plus en
plus importante de l'Etat dans la marche des affaires économiques. Les entreprises sous
peine d'exclusion des répartitions devaient obligatoirement adhérer à un syndicat
patronal. L'exécution des mesures prises par le C.C.E. et la répartition effective
incombaient aux organisations patronales.
La première réforme laissait intacts les privilèges des entreprises d'import·
export. L'Union Fédérale des Syndicats Industriels, Commerçants et Artisanals
(UFSICA)9 fit remarquer qu'avant Vichy, les maisons de commerce utilisaient les
services des détaillants indépendants pour écouler leurs importations. Avec le système
actuel, elles
ont réservé à leurs organismes de vente au détail, la presque totalité des
marchandises qu 'elles obtenaien~ et ont ainsi bénéficié d'antériorités basées en
10
réalité sur l'activité des détaillants indépendants
Tirant les conséquences de ce constat
l'UFSICA demanda que 30% des
quotas soient réservés au petit commerce et que obligation soit faTte aux maisons de
commerce de céder 50% de leur attribution aux détaillants, au prix de gros. 1 1
9. OlWlnisation fédérale des syndicats des petites et moyennes entreprises françaises et autocbtones. Cf.
n-eme partie.
10. Archives privées du SYPAOA, lettre de l'UFSICA au Directeur Général des Services Economiques, 18
janvier 1946.
1l.IQ.

104
Paradoxalement, c'est le grand commerce qui le premier demanda la
suppression du "régime des antérioritB. Au nom de la liberté du commerce, le
SCIMPEX dès 1944 s'élevait contre la situation qui faisait que:
recevant les mémes 1tUUChandises. aux mémes prix, limités par les mêmes taux de
marque, soumis aux mêmes réglementations de stockage et de distribution ...• les
commerçants deviennent des sortes de distributeurs automatiques où le génie des
12
pionniers du Commerce Colonial et de leurs dignes continuateurs s·ttouffe.
Après avoir bénéficié des importations administratives durant la période des
difficultés d'approvisionnement nées de la rupture des liaisons avec la métropole, les
maisons de commerce rejetaient le système qui leur avait largement profité. Le
changement trouvait son fondement dans la possibilité de s'approvisionner auprès des
puissances alliées où elles disposaient de bureaux d'achats. Leurs concurrents, les petites
et moyennes entreprises de commerce n'avaient pas ce privilège. La réglementation
administrative combattue par le petit commerce dans ses modalités de fonctionnement
devenait une entrave pour les grandes firmes ayant accès au marché allié. L'Etat
préoccupé par la maîtrise de la hausse des prix et de la pénurie, ne pouvait se résoudre à
libéraliser l'activité commerciale. Par arrêté du 1er décembre 1946, il remania les
quotas de répartition dans le sens des revendications de l'UFSICA
·75% des contingents importés réservés aux "antérioritaires"
- 25% aux autres.
-Licences et autorisations d'importation attribuées aux agents de marque, aux
utilisateurs finals de produits industriels, aux coopératives de consommation et aux
magasins-témoins. 13
12. A.N.s., F.C.C., 6S1, Syndicats, Assemblée Générale du SCIMPEX, le 29 janvier 1944.
13. A.N.s., 1 Q 300 (301), Affaires Economiques A.O.F., 1931.1947.

105
Avec la fin de la guerre, le système de répartition contrecarrait la politique de
l'administration
qui
rompait
avec
l'orientation
suivie
jusqu'alors.
L'appel
à
l'investissement de
nouveaux capitaux dans tous les secteurs économiques était
incompatible avec la répartition. Contre l'avis de la chambre de commerce, les pouvoirs
"nt
publics pour tenir compte des nouvelles entreprises installées en AO.F. mi~ en place un
système d'appel d'offres sur 50% des importations et 37,5% aux "antérioritaires". En
1949, le système des licences fut généralisé.
La lutte sur la question de la réglementation opposa par l'administration
interposée, petites et grandes entreprises de commerce. ElJ Ql, se. résolut au détriment
du capital commercial anciennement installé à la colonie. L'arrivée en AO.F. de
capitaux issus principalement de l'Indochine mit à l'épreuve son hégémonie dans le
monde des affaires en A.O.F.
La pénurie de guerre ne profita pas seulement aux maISons de commerce
coloniales. L'entreprise autochtone, laminée par la crise de 1930, y trouva les conditions
d'une timide renaissance. Le nationalisme en pleine effervescence incitait l'Etat colonial
à envisager la promotion
d'un
milieu
d'affaires autochtone pour amortir sa
radicalisation. Les fondements de cette politique de promotion s'exprima théoriquement
avec quelque retard. La régression en nombre des commerçants autochtones, retenait
l'attention
au moment où l'ensemble des puissances administratives a reconnu la nécessité de
développer les classes moyennes africaines, facteur de stabilité et d'équilibre des
structures sociales locales. 14
14. A.N.s., 1 Q 653 (167), Projet de décret relatir il la création en A.O.F. de Sociétés de Cautions Mutuelles
et de Crédit, 1954·1955.

106
De plus en plus nombreux, les autochtones participèrent à l'importation de
biens de consommation, surtout vivriers, d'origine diverse. Pendant la guerre, Amadou
A Ndoye gagna le marché de la fourniture de la viande aux établissements publics dans
le Cap-Vert15. Avec d'autres commerçants autochtones, il fut membre fondateur du
SYPAOA et participa dans ce cadre à l'importation du riz pour l'AO.F. De Bamako,
plusieurs commerçants autochtones expédiaient sur Dakar diverses denrées. Après la
guerre, Marc Diallo se lança dans l'industrie légère avec une usine de production de
limonade, important ses intrants d'Angleterre et de Finlande. De Suisse, Amadou
Badiane, un commerçant autochtone inscrit à la deuxième catégorie de la Chambre de
Commerce de Dakar importait 24 machines à coudre, 50 montres et 1000 mètres de
tissu pour le seul mois de novembre 1952. 16 Entre novembre et décembre 1953, la
Commission des importations délivra des autorisations d'importations de divers pays
d'Europe: Hongrie, Hollande, Espagne, Angleterre. 7
1
La diversification des sources d'approvisionnement était moins le signe d'une
libéralisation des échanges que l'indice de la situation de pénurie en métropole. Les
commerçants autochtones ne semblaient pas outre mesure gênés par l'intervention de
l'Etat. Celle-ci constituait même un moyen de parer l'ostracisme des fournisseurs privés.
Ainsi le responsable du SYPECO écrivait:
plusieurs maisons de marque, nous vendent à nous les Africains, les pièces
détachées avec beaucoup de difficultés, et quelquefois, nous sommes obligés
d'abriter (sic) derrière un ami Européen ou Syrien; c'est pourquo~ nous sommes
obligés à faire confiance à l'administration qui jusqu'ici a fait la répartition en
équité18 (sic).
15. Amin S., Op. Cil., 1969, pp. 29.
16. A.N.s., D.N.C., Relevés mensuels des licences définitivement émises.
17-Id.
18. A.N.s., F.C.C., 650: Lettre de El Hadji Lamine Niang, au président de la Chambre de Commerce de
Dakar, le 6 août 1947.

107
Les véritables bénéficiaires du système restèrent les maisons bordelaises à qui
l'administration reprochait dès 1946 d'empêcher l'éclosion d'activités nouvelles. 19 La
défense de ces vieilles maisons de commerce fut prise en main par la Chambre de
Commerce de Dakar qui trouvait
anormal que disposant de toutes les installations nécessaires et de nombreuses
factoreries à l'intérieur, qu'elles aient un pourcentage inférieur à celui d'un nouvel
arrivant. 20
La remise en cause de la rente de situation créée par le système de gestion de la
pénurie souleva la désapprobation du grand commerce. Les dividendes distribués par la
SCOA et la CFAO de 1939 à 1944 sont assez révélateurs du profit tiré de la guerre; 20 à
32 millions de francs par an pour la première et 26 à 31 pour la seconde.21
La suppression du système des "antériorités" n'entama point l'intervention de
l'Etat. Au contraire, elle s'amplifia avec la mise en place du FIDES. C'était le début
d'une ère de prospérité dont les principaux bénéficiaires furent entre autres, les
entreprises de travaux publics. Non seulement le crédit direct aux entreprises dans
l'ensemble augmenta mais une priorité très nette fut donnée aux sociétés d'extraction
minières, industrielles et de travaux publics.
19. I~ Procés.verbaI du Conseil de gestion du CCE du 16 septembre 1946.
20. Id.
21- C. COQUERY·V1DROVITCH:
'L'impact des intérêts coloniaux: SCOA et CFAO dans l'ouest
africain 1920.1965', JA.H., ~ XVI, Avril 1975, pp. 595-621.

108
Il: LE FIDES. UNE MANNE POUR LES ENTREPRISES DE IRAVAUX PUBLICS
La fin de la deuxième guerre mondiale consacra une double rupture en matière
de politique coloniale française. Déjà, vers la fin du conflit, la Conférence de Brazzaville
envisageait une industrialisation devant transformer sur place la production agricole
coloniale avant son exportation et une production sur place des produits de
consommation courante jusqu'alors importés. A la première rupture, s'ajoutait la prise
en charge par les ressources métropolitaines du financement de l'infrastructure
coloniale. Elle mettait fin, après plusieurs tentatives avortées, à la loi sur l'autonomie
financière des colonies d'avril 1901. Ce tournant avait été préparé par l'échec ou
l'absence de continuité de plusieurs essais: plans Sarraut 1921, lois d'emprunts 1929-
1931, projets équipement rural du Front Populaire.
Tentatives sans commune mesure avec la politique initiée après les hostilités;
même si entre 1931 et 1937, l'ensemble des colonies françaises a bénéficié d'une
garantie métropolitaine pour emprunter plus de 5 milliards de francs. La garantie
déboucha pour les finances publiques coloniales Sur un encours annuel de la dette égal
à 26,5% du budget de l'AO.F., 47,4% pour l'AEF, 16,3% en Indochine et 13,3% en
Madagascar. 22 Marius Moutet a tenté en vain de mettre un terme à cette situation en
impulsant une politique significative d'investissement urbain. 2 3
22• A.N.S.O.M., Foof Guemut, Cartoo 57 B 30.
23. A.N.S.O.M., AlTaires Politiques: Rapport aoouel, Semee T.P. A.O.F., 1931 Cartoo 538.

109
FigureN°8Ernprunts de l'A.o.r. garantis par l'Etat
Et'lI F) F~Llf\\JTS F... O. F. G,L\\R~JJT/ ETAT (fr. cds)
A.N.S, 17G25';'(10fl) ; conUr. 1936.
J.~ 1
l.fl -!
/.
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1
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1,4 ~
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0,6
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0.1
(/...lJ........:...~....u._...LL.~~..:....L_-==F==-_.LL...::.-.j.-::......:....L_.L::..~...::.......:u.._.LL..~-->-~
Jl)lL 1903
JAN J QD?
PEV HIJ 0
DEC 1QJ3
FEV J93J
AVR J932
,
da.te d'empru.n.1..-.
C2J AVTORISE
~ REALISE
1
1
1
1
1
1


110
Les exigences de la reconstruction et les leçons tirées de la rupture pendant la
guerre, la difficulté des liaisons avec la métropole, ont montré les défauts d'une
politique de repli impérial basée sur un "exclusif colonial" désuet et un impossible
autofinancement des colonies.
Déjà sous Vichy, les signes annonciateurs
de la rupture étaient
perceptibles. Le gouverneur général de l'AO.F. estimait que la fédération:
doit s'équiper plus et mieux qu'elle n'a pu jusqu'il présent le faire, pour jouer son
24
rôle de complément économique de Jo métropole qui lui incombera désormais.
Le gouvernement de la France Libre envisageait la nouvelle politique ''non plus
dans un espace purement français, mais dans le cadre de l'économie mondiale. ,,25 Au
regard des relations commerciales cette déclaration resta au niveau des intentions.
Par contre, en matière de financement, ce qui dans le passé avait souvent été
une profession de foi devenait réalité. La métropole s'engageait dans le financement des
investissements dans les colonies qui, ainsi soutenues,
pourront assumer il la fois les dépenses de leur vie courante et celles de leur
26
équipement.
Le F.I.D.E.S. intervenait sous deux fonnes : les subventions et les crédits aux
budgets d'équipement d'une durée de 20 ans à un taux d'intérêt très faible, inférieur à
3%. Les premières représentaient jusqu'à 75% des apports de l'organisme.
24_ A.N.s., 3 Q 260 (165) AfTaires Economiques : Lettre du gouverneur général au secrétaire d'Etat aux
Colonies, Non datée.
25. R. PLEVEN, cl~ par C. COQUERY·VIDROVITCH : wL'impérialisme français en Afrique Noire :
Idéologie Impériale et Politique d'équipement 1924-1975", Relations Intemational~ W 7,1976, pp. 261·
282.
26•• A.N.s., 3 Q 260 (l6S) Id.

111
Les opérations menées dans le nouveau cadre étaient concomitantes à
l'intervention de la C.C.F.O.M., sous forme de prise de participation dans des
entreprises mixtes ou d'avances de fonds au secteur privé, aux communes et aux
chambres de commerce. Cette nouvelle orientation marquait une rupture nette dans la
politique jusqu'alors suivie par la puissance publique. L'Etat avait naguère subventionné
des entreprises ou mis en place l'infrastructure nécessaire à l'activité d'une ou de
plusieurs entreprises. A partir des programmes F.I.D.E.S et C.C.F.O.M., c'était un
chapitre nouveau qui s'ouvrait dans les rapports de l'Etat au monde des affaires.
Juridiquement et financièrement, l'Etat avait, désormais, partie liée avec la
grande entreprise privée à un degré encore jamais atteint. Les entreprises où se fit cette
jonction présentaient certes un intérêt stratégique et nécessitaient une mise de fond
énorme : industrie
et
recherche
minières, barrages
hydro-électriques,
grandes
entreprises de travaux publics. L'apport de l'Etat profitait en fait au capital financier et
industriel dont la rentabilité des investissements était
assurée par la participation de
l'Etat mais aussi par les réformes apportées au système fiscal. 27 Des conditions de
remboursement exceptionnellement douces étaient octroyées aux bénéficiaires des prêts
de la C.C.F.O.M. La durée d'amortissement pouvait atteindre 10 ans sans compter un
différé couvrant la période de mise en place de l'équipement. Elle pouvait, selon
l'importance de l'activité entreprise, être doublée. Les mêmes avantages existaient au
niveau des taux d'intérêts situés entre 5,5 et 7% et pouvant, si nécessaire, être réduits à
4%.28
Les leçons de la guerre et les besoins métropolitains avaient certainement
amené le pouvoir à réserver une particulière attention à l'Afrique au sud du Sahara dans
la répartition des crédits du F.I.D.E.S. De 1947 à 1953, celle-ci reçut 331 milliards de
francs courants au titre du programme F.I.D.E.S. et 65 milliards en avances et
participation de la C.C.F.O.M.; soit respectivement 83 et 86% des sommes mobilisées
par ces deux organismes pour l'ensemble des colonies françaises.
27. Cf. Infra chapitre VII.
28. A. POSTEL-VINAY : "Les fonctions monétaires el bancaires de la Caisse Centrale de la France
d'outre-mer en Afrique noire" Chroniques d'outre-mer, N"6 Juin 1954, pp. 19-25.

112
Le plan d'équipement initialement prévu décennal fut en définitive scindé en
deux plans quadriennaux: (1949-1953) et (1953-1957) qui mirent fin aux hésitations
antérieures. L'énorme disproportion dans les investissements publics, avant 1946 d'une
part et après la guerre d'autre part, annonça une option nouvelle dans les modalités
d'exploitation de l'Afrique par le système colonial.
Tableau N°g : INVESTISSEMENTS PUBLI CS EN A. O. F.
(en millions de francs-or)
· PERIODE
. MODALITES . SOMMES • % du TOTAL .
---------- ·----------- .-------- .------------
· 1903-30
EMPRUNTS.
446
0,22%
---------- ·----------- .-------- ------------
.
· 1931-37
EMPRUNTS.
710
0,36%
---------- ·----------- .-------- .------------
· 1938-46
TRESOR
. 2435
1,23%
----------.-----------.--------.------------
· 1947-56
.FIDES/CCFOM. 93100
98,17%
---------- ·----------- .-------- .------------
· TOTAL
.196691
100,00%
Source : Chambre de Commerce de Dakar: Op. cit.
r/Mesure des investissements publics et répartition sectorielle.
Au titre du premier plan, l'AO.F. reçut sur les fonds métropolitains plus de 70
milliards de francs courants (CFA) dont la ventilation montre que les entreprises de T.P.
étaient directement intéressées par 65,5% du montant des sommes totales.

113
Tableau N° 9 : REPARTITION SECTORIELLE DES INVESTISSEMENTS DU
PREMIER PLAN F.I.D.E.S.
(en millions de francs-or (CFA»
• SECTEURS
• FIDES
FIDES
. CCFOM • TOTAL.
%
. A.O.F •
.SECTION GENERALE .
. ----------.---------.----------------.-------.-------.-----.
• ETUDE ET
3250
3250 . 4,5% •
• RECHERCHES .
.----------.-----~---.----------------.-------.------- .-----.
• PRODUCTION.
12800 •
4250
• 3700
. 20750 • 30% •
.ET ENERGIE.
.---------- ---------
.
----------------
.
-------
.
-------
.
-----
.
.
. INFRASTRe .
33700.
800
• 1900
• 36400.
51%.
:;~~~;mt---·----~~~~-:------~~~-------·--~~~--:-~~;~~-:~~~~;:
• SOCIAUX
---------- ---------
.
----------------
.
-------
.
-------
.
-----
.
•TOTAL
55500 .
8750
6500 • 70750 • 100% .
Source:
Chambre de Commerce de Dakar, Op. cit., p. 1257.

114;
Tableau N° 19 _: REALISATION DU F.I.D.E.S. AU SENEGAL
SECTION
LOCALE 1947-1957 (en millions de F. CFA)
AFFECTATIONS
CREDITS
%
Agriculture
5 169
24,49
Elevage eaux et forêts
2 245
11,54
Urbanisme
2 296
10,88
dont Editité, voirie et abattoir DAKAR
1 645
7,79
Routes
3 534
16,74
Ports
4 079
19,84
dont DAKAR
3 555
16,84
Rails
886
4,19
Infrastructures
412
1,95
dont PTT CAP. VERT (C.V.)
352
1,66
Equipement social
2 149
10,18
Equipement sanitaire (C.V.)
586
2,7
Equipement scolaire (C.V.)
474
2,24
Université DAKAR
698
3,3
Aérodromes
140
0,66
TOTAL
21 100
100
SOURCE
CHAMBRE DE COMMERCE DE DAKAR
QQ. Cit. P. 1239

115
La répartition territoriale réservait au Sénégal et à Dakar une nette
prépondérance après la CÔte d'Ivoire. 2 9
29. cr. Supra dans ce chapitre.

1
116
1
Tableau N° ] ] : REPARTITION FlNANCEMEf\\IT REALISE SUR SECT10N LOCALE FJ.D.E.S.
1
1
l
len millions de francs CFA)
! TERRITOIRES URBANI- % INFRASTRUCTURE
%
Route - Port - Rail - Aéro
%
SME
?
- communication
1
1
1 COTE D'IVOIRE
2 205
25,8
1 254
61,8
10 558
27,8
DAHOMEY
1 007
11 ,8
67
3,3
4 148
10,9
GUINEE
1 070
12,5
86
4,23
6 208
16,3i
HAUTE-VOLTA
570
6,68
3 074
8, l(
MAURITANIE
100
1,17
160
0,4;
NIGER
765
8,96
1 030
2,7
SENEGAL
2 296
26,9
412
20,3
8 639
22,7
SOUDAN
516
6,04
210
10,3
4 090
10,7
TOTAL
8 529
100
2 029
100
37 907
100
Source
CHAMBRE DE COMMERCE DE DAKAR
op. cit. p. 1242

l]7
La presque totalité des crédits revinrent à la capitale fédérale, pour certaines
affectations: 71 % dans l'urbanisme, 87% des investissements portuaires, 85% des P.T.T.
et 81 % de l'équipement social.
Ce fut une véritable manne offerte aux entreprises de travaux publics. Leur
regain d'activité se traduisit dans le commerce extérieur par une hausse sensible des
importations de matériaux de construction qui en conséquence profita aux firmes
d'import-export et entreprises de transport maritimes généralement contrôlées par les
premières. L'importance du marché se mesure au fait que 45% du coût des importations
de matériaux d'équipement étaient imputables aux marges commerciales locales. 3 0 La
production locale de ces mêmes matériaux de construction enregistra également
l'intervention financière métropolitaine dans l'équipement de la capitale fédérale. 31
2°/ Les entreprises de travaux publics : un surnombre relatif
Entre 1942 et 1947, se constituèrent pour répondre à cette expansIOn, de
nombreuses entreprises privées du bâtiment et des travaux publics. A côté des multiples
petites et moyennes entreprises, le secteur était dominé par quelques grandes
entreprises qui pour la plupart étaient polyvalentes. 3 2
30- J.C. BERTHELEMY: "Art. CiL" Rev Frcse d'Rist. d'O.M., 1980.
31. Id.
32. Cf. Annexe N" 4 Répenoire des entreprises.

118
Tableau N°]2: PRODUcnON ET IMPORTATION DE MATERIAUX DE CONSTRUcnON EN A.O.F.
MATERIAUX DE aJNSTRUCTION IfIJORTES
(SENEGAL - SOUDAN - MAURITANIE)
-
1950
1951
1952
1953
PRODUITS
1
2
1
2
1
2
1
2
OlNRAGES EN "'8AUX
POUR BATINENT
585)
)25
710)
.61
5935
520
2357
258
PEINTURE ET VERNIS
867
80
1267
122
8)9
96
UO
7)
FERS ET ACIERS
.0718
781
50778
117)
51619
lUO
265)5
777
CI"ENT
15977
296
1~18)
655
60801
))0
S8181
2)7
1 - Poi d.
en tonne
2 - Yeleur en _11110ns d~ Frenes CFA.
SOURCE : Annueire stetistique AOr 195. - P. 270 - 272 - 291
PRODUCTION MTERlAUX DE CONSTRUCTION SENEGAL (.')
1951
1952
1953
1954
CII'tENT
(TONNES)
-
80 000
61 000
B)
000
LATERITE
• 9).
15 S.9
1 500
72 )5S
SABLE
U8 798
12) 981
l ' ) .5S
58 8))
GRAVIER
-
S50
-
2) H.
CALCAIRE
S8S
-
-
925
COQUILLAGE
U
0.0
16 139
2 500
) 6.S
1
PIERRE
170 .80
16) 815
12S 315
U7 ).6
....
p ..
ARGILE
1
-
200
-
8.0
SOURCE
Annueire Stetistique Aor 19S. P
2 •• -
2)1
1
1
1

119
L'exemple de la Société Française d'Entreprises de Dragages et de Travaux
Publics (S.F.D.T.P.) est assez édifiant en la matière. Présente à Dakar depuis 1929, elle
exerçait un quasi monopole dans le marché public du bâtiment en AO.F.. Elle réalisait
dans les premières années du FIDES plus de 75% de son chiffre d'affaires annuel avec
l'Etat et les collectivités publiques.
, Tableau N°13 REPARTITION CHIFFRE P'AFFAIRES DE LA
S.F.E.p.T.P.
(en
millions de francs)
TRAVAUX
1946
1947
-------------------- ----------------
.
POUR
A
B
A
B
--------------- .---------- .--------- .--------- .------
PARTICULIERS
23(0,5).
25%
26(0,4).
20%.
--------------- .---------- .--------- .--------- .------
ETAT ET COL-
70(1,7).
75%
. 102(1,7).
80%.
LECTIVITES PUB ..
---------------.----------.---------.---------.------
TOTAL
93(2,2).
100%
.128(2,1).100%.
Légende :
A
millions de francs courants (CFA).
B
Pourcentage par rapport au total
(0,5)
: Valeur en francs constants (base 100=1914, Indice des
prix industriels INSEE)
Source: Calculs effectués à partir de : A.N.S.
: Enquête
administrative sur les entreprises 1950.
Elle devait sa puissance au pool bancaire qui contrôlait son capital et à ses
ramifications dans tout l'empire français : Indochine, Mrique du Nord. Parmi les
membres de
son conseil d'administration on retrouvait
Guillaume
de Tarde
(PARIBAS), Edwin Poilay et J. Lambert (RAO. et Banque d'Indochine) et H. Worms
(Groupe Worms).

120
Les petites entreprises étaient par contre très spécialisées surtout dans le
bâtiment. Une gamme complète d'entreprises des différentes sections du bâtiment
affluèrent dans la capitale : maçonnerie, peinture, charpenterie, menuiserie, carrelage.
Au plus bas de l'échelle, une certaine spécialisation ethnique avec les petites entreprises
de peinture des originaires des îles du Cap-Vert et une multitude de tâcherons
autochtones développa la sous-traitance dans ce secteur.
A partir des paiements effectués par le S.T.A.G.D., il a été possible d'établir
quelques chiffres d'affaires réalisés par les entreprises des différentes branches, avec les
marchés publics. 3 3 Les paiements étaient consignés au fur et à mesure de l'avancement
des travaux dans des registres dits "carnets d'attachement". Confiés à un ingénieur des
Travaux Publics, tous les faits de dépenses y étaient inscrits par ordre chronologique et
avec une rigoureuse précision. 3 4 Chaque inscription datée était contresignée par
l'entrepreneur.
L'abondance des crédits FIDES permit de rémunérer les capitaux investis dans
les différentes entreprises de travaux pu blics au moins durant les premières années de
son intervention. Elle a durant toute l'exécution du premier plan d'équipement de
l'AO.F. (1949-1953) masqué l'engorgement des capitaux dans ce secteur et surtout la
pléthore relative du sous-secteur du bâtiment. La restriction des crédits métropolitains y
provoqua une grave crise révélant la fragilité de la structure des entreprises dépendantes
du financement public de la métropole. Les petites et moyennes entreprises furent les
principales victimes des difficultés disposant de peu de moyens pour se redéployer ou se
reconvertir. Les 6, 7 et 8 novembre 1952, se réunissait une conférence instituée pour
étudier les causes de la crise et
proposer des solutions appropriées. Elle regroupaient
les représentants des grandes et petites entreprises et de l'administration. La première
question à laquelle elle eut à répondre portait sur les origines de la dépression
spécifique au secteur en dépit de la crise générale.
33_ Id.
34_ Les carnets d'attachement du S.T.A.G.D. sont conservés à l'annexe des Archives Nationales du Sénégal
et ne sont pas encore répertoriés.

121
Au
lendemain
de la
deuxième
guerre, il
n'existait pratiquement pas
d'entreprises de Travaux Publics
suffisamment équipées pour faire face
à l'offre
créée par les crédits FIDES pour l'équipement de
la Fédération.
L'administration suppléa autant qu'elle pouvait à ce manque par les travaux en régie.
Pour parer au plus pressé, il fut
improvisé le moyen de faire venir le plus rapidement possible, et dans /es conditions
les moins mauvaises, des entreprises qui accepteraient de prendre les risques que
comportaient la venue dans un pays aussi lointain. 35
Les grandes entreprises s'intéressèrent à ce nouveau marché d'autant que
l'Indochine n'offrait plus une grande sécurité pour les capitaux et que du point de vue de
la rentabilité,
les
entreprises
dakaroises
avaient
le
privilège
d'amortir
leurs
immobilisations très rapidement. Dans l'immobilier très lié au bfttiment, au lendemain
de la guerre, les constructions étaient amorties avant la construction36.
En dépit de cet intérêt, l'administration accordait également une exemption
fiscale quasi-totale pour les nouveaux venus. 3 7 Cette décision fut violemment contestée
par les anciens établis sans pour autant empêcher la multiplication des entreprises de
toutes les dimensions.
3°/ Restriction des crédits et restructuration dans le secteur des travaux publics
A partir de 1952, il était déploré la diminution en valeur réelle des contributions
métropolitaines suite aux dévaluations successives du franc. 3 8 La restriction des crédits
métropolitains fut durement ressentie à travers la très nette restriction des demandes
d'autorisation de construire à Dakar. 3 9
35. A.N.s., Annexe T.P., Dossier 651, Compte-rendu Conférences des Entrepreneurs de l'A.O.F., Allocution
du gouverneur général, 1952.
36. J. SURET-eANALE : wL'industrie en Afrique Occidentale Française au lendemain de la deuxième
guerre mondiale (1947·1949), ReY. économique de Madagascar, N"3, 1968-1969, pp. 27·53.
37. Cf. supra chapitre VI sur la fiscalité dans l'après-guerre.
38. A.N.s., Annexe Dossier 651, Allocution du gouverneur, Id.
39· J.C. BERTHELEMY: WArt.. Cie ReY Frcse d'Hist. d'OM., 1980.

122
Fj~re N°8 : EVOUmON DES PAIEMENTS DU STAGD
(pourcentage des valeurs)
BATIMEHT
Déflatés avec l'indice des prix industriels (Base 188=1914)
14,42:1.
34,39:;,
•1956
Il 1951
FI lSSZ
bill 1953
0 1954
26,55;.~
HVDHAULI QUE
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31. , G·,
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J. J .....' ...'
15,35;:

1
123
l
Plus sensibles à la conjoncture, les petites et moyennes entreprises, par la voix
1
de 1eu!représentants, réagirent vigoureusement pour éviter de subir les conséquences
désastreuses de ces mesures drastiques de restriction du financement métropolitain.
1
situation n'a pas empêché l'administration de réaffirmer la priorité de la capitale
Cettt fédérale dans les investissements. Ainsi, elle participait à la concentration des
entreprises à Dakar.
1
Les
petites
entreprises
affirmèrent
leur
désapprobation
du
choix
de
1
l'administration même si elles étaient en majorité installées dans la capitale de l'AO.F..
En leur nom, Guy Frutier dressa un véritable réquisitoire contre la politique des grandes
1
entreprises
venues au Sénégal sur l'invitation de l'administration et dans la perspective
1
alléchante d'un programme substantiel de grands travaux se trouvent actuellement
déçues dans leur espoir. Pour se maintenir en place, ces entreprises, nouveaux
l
venues se rabattent sur la quasi totalité des travaux qui se présentent ... Elles
traitent... les petits travaux à des prix extrêmement bas.40
1
Le dumping ainsi organisé devait à terme liquider les petites et moyennes
(
entreprises et assurer un monopole aux grandes entreprises ce qui compenserait les
pertes antérieures.
L'attitude des grandes entreprises ajoutée
aux
restrictions
1
budgétaires menaçait de faillites toutes les P.M.E. La solution proposée pour sortir de
l'impasse était le repli des dernières entreprises arrivées à Dakar avec l'appui de
l
l'administration. Le haut-commissaire de l'AO.F. estimait nécessaire d'atténuer la régIe
de l'appel d'offre intégral sans pour autant en arriver à "...sauver n'importe quelle affaire
t
malsaine. ,,41
Un modus vivendi fut établi entre les différentes parties au grand profit des
1
petites entreprises particulièrement sensibles à la crise. II portait sur les points
suivants: 4 2
1
- Les marchés de gré à gré seraient privilégiés sur toutes les autres formes de
1
passation. L'administration usera le moins possible des travaux en régie.
1
40. A.N.s.. Annexe dossier 651, Allocution G. Frutier, 1952.
41. Id. Allocution du gouverneur.
1
42.!!!, Compte-rendu de la Conférence des entrepreneurs de l'A.O.F.. 1952.
1
1

124
Plus anciennes à la colonie et disposant d'un poids plus important auprès des
institutions administratives, les petites et moyennes entreprises en laissant à l'autorité
publique plus de liberté dans la négociation des contrats créaient les conditions de leur
propre maintien.
- L'accélération des procédures de paiements retenue par la Conférence venait
au secours de la trésorerie des petites entreprises à faible surface financière.
- Pour la publicité des marchés, la concurrence était limitée:
al dans le territoire pour les travaux inférieurs à 25 millions de francs CFA
bl dans le territoire et à Dakar de 25 à 200 millions.
cl dans le territoire, à Dakar et à Paris à plus de 200 millions.
dl pour les bâtiments dont le marché dépasse 3D millions, adjudication par lot
des différents corps du bâtiment.
- Une avance de 15% serait consentie sur le prix du marché au démarrage.
. Les marchés seraient réservés aux spécialistes dans le bâtiment et la route.
L'ensemble de ces accords étaient très favorables aux petites et moyennes
entreprises. Ils firent écho aux voeux du président de la Chambre de Commerce de
Dakar. Recevant en novembre 1952 une délégation comprenant le haut commissaire et
des membres de la Chambre de Commerce de Paris, Charles Tascher souhaitait que :
l'investissement de nouveaux capitaux se dirigeât dans les exploitations agricoles ou
minières, du fait de la pléthore enregistrée dans des secteurs comme les travaux
publics.43
Cependant, les précautions prises et les déclarations d'intention n'empêchèrent
pas une purge du trop-plein relatif d'entreprises dans le secteur des travaux publics et du
bâtiment. La Compagnie Franco-Coloniale (CO.FRACO.) en fut l'une des victimes. 44
4°/ La CO.FRA. CO. : une victime de la crise.
43· Ibig, Allocution du président de la Chambre de Commerce de Dakar, le 8 novembre 1952.
44. A.N.s., Annexe, Dossier 673 (Ancien 2144), Utiges et Faillites CO.FRA.CO : 1951.1952.

125
La CO.FRA.CO. a vécu une décennie avant de faire faillite le 20 juin 1953; six
mois après avoir été admise en liquidation judiciaire. Elle réalisait en moyenne un
chiffre d'affaires d'environ 200 millions de francs CFA par an avec un capital de 26
millions.
La déconfiture de la société résulte de la combinaison de plusieurs facteurs. Le
plus déterminant d'entre eux fut la très forte concurrence créée par la ruée des
entreprises de travaux publics sur Dakar, à la suite des financements FIDES. Entreprise
de taille moyenne face aux géants du secteur, la CO.FRA.CO. souffrit des retards de
paiements des factures de J'administration et de la réticence des banques à financer les
petits marchés publics. Les organismes de crédits de J'AO.F. finançaient plutôt les
firmes commerciales qui se retrouvaient avec les banques métropolitaines dans Je
capital des entreprises de travaux publics installées dans la colonie. 4 5
Il était impossible aux petites et moyennes entreprises de soutenir une
concurrence de longue durée. Pour survivre durant la période de crise, elles furent
amenées à sous-soumissionner dans les adjudications publiques. La direction de la
CO.FRACO.
fit
valoir
cette
pratique
courante
comme
services
rendus
à
l'administration pour requérir son soutien. Ainsi rappelait-il avoir
toujours pratiqué des prix extrêmement raisonnables ... même quand elle s'est
trouvée seule à accepter d'aller travailler dans les localités de brousse. 46
Un exemple parmi d'autres où les petites entreprises et la CO.FRACO. en
particulier se manifestèrent par un rabais de leurs soumissions est le marché de la
construction de la gendarmerie de Médine. 4 7
45. cr. Annexe W 4 Répertoire des entreprises.
46. A.N.s., Annexe, Dossier 673, Lettre du directeur de la CO.FRA.CO. au directeur général des T.P. de
l'A.O.F., le 4 décembre 1952.
47. cf. tableau W14: Soumissions des entreprises de T.P.: marché public gendarmerie de Médina.

126
Tableau N°14 SOUMISSIONS
DES
ENTREPRISES
DE
T. P.
MARCHE
puBLIC GENDARMERIE DE MEPINA
ENTREPRISES
SOUMISSIONS
INDICE
S.A.G.C.O.M.
59
166
S.F.E.D.T.P.
44
124
TRAVAUX AFRIQUE
40
113
VIOLAMER
40
113
SOGETRA
39
112
LEBLANC GERBAUD
37
104
CONTRUCTION TROPICALE
36
102
PAUL MARGUERY
34
95
GUY FRUITIER ET CIE
31
87
COFRACO
30
83
MOYENNE DES SOUMISSIONS
36
100
Valeur en millions de francs
Source: A.N.S., annexe, dossier 673, Lettre du directeur général
des Finances au gouverneur général de l'A.O.F., 1953.
1
1
1
1
1

127
Aucune grande entreprise n'a fait une proposition inférieure à la moyenne des
soumissions totales. La sous -évaluation des soumissions permettait de gagner des
marchés mais en retour l'entreprise était contrainte d'user d'expédients pour les
exécuter. On comprend que la CO.FRA.CO. fut en permanence confrontée à des litiges
et exigea plusieurs fois une réévaluation en hausse de marchés en pleine exécution. Les
ingénieurs constataient de fréquents manquements dans les travaux réalisés avec le
minimum de frais ou sous-traités.
L'accumulation des litiges et des retards de paiements ont été, entre autres
causes, fatals à l'entreprise. Au moment de la faillite, la CO.FRACO. détenait sur
l'administration d'importantes créances dont certaines vieilles de six ans. 4 8 Les
difficultés de trésorerie de l'entreprise venaient en partie de cette dette de près de 10
millions de francs CFA
La faillite de la CO.FRACO. ne peut-être imputée seulement au refus des
banques de lui accorder des crédits même si ce facteur a pu peser. Elle a bénéficié
d'importantes ouvertures de crédit de trois banques de la place : la Banque Nationale
pour le Commerce et l'Industrie, la Banque Commerciale Africaine, et la Société
Générale de Banques auprès desquelles, elle avait un compte débiteur voisinant le
million de francs C.F.A. Au crédit bancaire, il faut ajouter un important crédit
fournisseur accordé par des entreprises de la place qu'elle a failli entraîner dans sa
ruine.
Il faut voir dans cette faillite la très forte dépendance des entreprises de travaux
publics par rapport aux marchés de l'Etat et le temps que celui-ci mettait pour le
réglement de ses factures soumettant à rude épreuve la trésorerie des entreprises. La
restriction des crédits FIDES contribua à la faillite de la CO.fRA.CO..
48. A.N.s., Annexe, Dossier 673, Lettre directeur général des Finances de l'A.O.F. au gouverneur général
1953.

12H
A Y regarder de près, la CO.FRACO. a vécu le temps du premier plan
quinquennal d'équipement de l'AO.F. L'euphorie créée par les crédits dans les T.P. lui
a profité un moment avec le gain de plusieurs marchés. Elle disparut dans la brève mais
forte tourmente
du début des années cinquante avec le rétrécissement de la
contribution métropolitaine à l'équipement de l'AO.F. Ces circonstances indépendantes
de la volonté de sa direction et auxquelles furent confrontées toutes les petites et
moyennes entreprises, contribuèrent grandement à sa faillite.
Tableau N° 15:
BILAN PROVISOIRE CO.FBA.CO. 10-12-1952 (en
francs CFA courants)
ACTIF
Mt
PASSIF
Mt
Terrains et immeubles
6
avances bancaires
Immobilisations
18
- sur attestation
12
Stocks matér. et marchand
14
- de démarrage
0,4
Disponibilités
0,05
- en blanc
6
Clients
Fournisseurs sjtraitants
28
-Acomptes à percevoir. 19
Frais à payer
6
- créances certaines
5
C.C. actionnaires
11
Retenues de garanties
5
C.C. divers
0,06
Loyers payés d'avance
0,2
Pénalités à payer
0,27
cautionnement
0,03
Voyages retour à payer
1,6
Consignation
0,2
Congés à payer
2,14
Provision pour imptsjdiv. 0,3
S.loF.A.
0,26
Voyages restant à amortir 1,6
Avances trav. et approv. 14,6
Créances litigieuses
8,5
Impôts à payer
11
Dégrèvements B.I.C.
2,7
Provisions pour impôts
6,72
Pour balance
19
TOTAL
100
TOTAL
100
La deuxième conférence des entrepreneurs de travaux publics permit aux
représentants des petites et moyennes entreprises de demander à l'administration
de profiter de la période de déflation actuelle pour éliminer autant que faire se peut,
la série des néo-soit-disant(sic) grandes entreprises métropolitaines installées en
A.D.F. avec les crédits FIDES. 49
49. A.N.s., Annexe Dossier 673, Compte.rendu Deuxième Conrérence des Entrepreneurs de "A.O.F., 1955

129
Tout le problème était de savoir si J'administration avait les moyens
économiques et politiques de suivre cette proposition d'ostracisme à l'égard des grandes
entreprises liées aux puissants groupes financiers coloniaux et métropolitains. La force
de ces groupes reposait
dans un certaine mesure, sur les appels de l'administration
aux investisseurs, pour l'équipement industriel de l'Afrique Occidentale française
jusqu'alors bloquée par le mode d'expJoitation mis en oeuvre par les maisons de
commerce et les choix politiques en matière d'économie coloniale. Disposant de moyens
économiques puissants pour défendre leur domination, les grandes entreprises
contrôlaient également par le biais de leurs organisations patronales plus stables les
institutions de négociation avec le pouvoir telle que la Chambre de Commerce enjeu de
multiples rivalités dans Je monde des affaires.

130
CHAPITRE V: LES INSTITUTIONS DE DEFENSE DU MONDE DES
AFFAIRES: SYNDICATS ET CHAMBRES DE COMMERCE
Le mouvement syndical patronal en AO.F. est né des lois sociales du Front
Populaire. Avant cette date, il a existé un Groupement des Entrepreneurs Français de
Travaux Publics et du Bâtiment créé le 1er janvier 1931 sous la direction d'Ernest
Bouquereau. 1944 a été l'année du véritable bouillonnement syndical dans le monde des
affaires en A.O.F. Sur dix huit organisations patronales recensées, huit ont été créées
entre janvier et août 1944. 50 Elles sont le produit de contraintes administratives nées
des problèmes posés par la gestion de la pénurie de guerre. 51
La structure organisationnelle du syndicalisme patronal se calquait pour
l'essentiel sur celle des milieux d'affaires. Elle épousa ses clivages ethniques et/ou
sectoriels. Pour des raisons liées aux sources disponibles, les syndicats des petites et
moyennes entreprises ont été les plus amplement traités.
1 ; LES SYNDICATS D'ENTREPRENEURS; L'UNITE DES GRANDES ET LA
DISPERSION DES PETITES ENTREPRISES
La défaite de Lamine Guèye, candidat des Comités du Front Populaire au
Sénégal, n'a pas empêché qu'un vent de panique s'empare des milieux d'affaires
coloniaux avec la victoire socialiste en Métropole. La peur d'une remise en cause de
l'ordre colonial se renforça chez beaucoup d'entrepreneurs européens avec l'extension
aux colonies des lois métropolitaines sur les accidents du travail, la généralisation du
livret de travail et de la journée de travail de 8 heures. Une liberté syndicale très
restreinte fut accordée aux colonies. Les organisations de défense professionnelle se
multiplièrent dans toute la Fédération et en majorité à Dakar; 119 associations dont 42
syndicats sont déclarés au mois de mai 1937.52
50· Recensements effectués à partir de A.N.s., F.C.C, 651, Syndicats.
51· Cf. Supra, chapitre IV.
52- N. BERNARD.DUQUENET : Le Sénégal et le Front Populaire, Paris, L'harmattan, 1985.
Y. PERSON : -Le Front Populaire au Sénégal (Mai 1936-Octobre 1938)-, Le Mouvement Social, N" 107,
Avril-Juin 1979, pp. 77·101.

131
Les premiers moments de panique passés, la résistance des milieux d'affaires
s'organisa : lutte contre les lois sociales, les réformes fiscales. L'instrument par
excellence de cette résistance patronale fut la Chambre de Commerce de Dakar, relayée
en métropole par la puissante Union Coloniale, les syndicats patronaux bordelais et
marseillais. A partir de 1937, un fait nouveau apparaît dans la panoplie des armes du
monde des affaires coloniale pour la défense de leurs intérêts. L'initiative de la création
de la première organisation syndicale patronale de l'AO.F. fut l'oeuvre des petits et
moyens entrepreneurs français. Cette aptitude à saisir les opportunités est le signe d'une
longue expérience coloniale, mais aussi, elle révèle la fragilité de sa position d'où la
promptitude de sa réaction. Les grandes entreprises moins exposées aux difficultés
conjoncturelles n'éprouvèrent pas le besoin d'un regroupement autre que la chambre de
commerce pour défendre leurs positions. La contrainte administrative fut nécessaire
pour les regrouper dans une organisation de défense de leurs intérêts
en 1943. En 1937, les petites et moyennes entreprises montraient le chemin.
r/ Le Syndicat Patronal et Artisanal de l'Ouest Africain (SY.PA.DA.).53
La loi du 11 mars 1937 portant sur les libertés syndicales est promulguée en
AO.F. le 9 avril de la même année. L'assemblée générale constitutive du SY.P.AO.A
se tint le 30 avril 1937. Le syndicat était ouvert
aux commerçants, industriels et aTtisans français, patentés, ayant le principal centre
de leur activité en A. D.F.54
53- L'ensemble de la documentation concernant cette partie est tirée des archives privées du SY.P.A.O.A. à
Dakar.
54- Archives privés SY.P.A.O.A., article 1 des statuts adoptés par l'assemblée constitutive.

i. 132
Une mesure statutaire tenait les étrangers non citoyens français exclus du
SY.P.A.O.A. La loi limitait l'accès des autochtones aux syndicats; parler et lire le
français étaient exigés de tout syndiqué. Le clivage national et résidentiel et celui qu'on
pourrait qualifier de culturel ainsi établi donnaient toute la latitude nécessaire aux
petites entreprises françaises de l'AO.F. pour contrôler l'entrée dans l'unique
organisation syndicale de la colonie siégeant à Dakar. Malgré toutes ces exclusions, le
syndicat disposait d'une base de recrutement assez large. De nombreux petits ateliers,
garages, restaurants, petits commerces, hôtels, bars et salons de coiffure installés à
Dakar après la première guerre mondiale ont pu résisté à la crise de 1930. Ils formèrent
le vivier du SY.P.A.O.A.
Les listes d'adhérents disponibles, bien qu'incomplètes, permettent de se faire
une bonne idée de l'impact économique et consulaire du syndicat. De 1935 à 1970, tous
les présidents de la Chambre de Commerce ont milité dans les rangs de SY.P.AO.A.:
Turbé, Tascher, et Gallenca.
Fort de sa large base et de sa représentativité certaine, le SY.P.AO.A, dès sa
naissance, s'attacha à réduire la puissance économique des grandes maisons de
commerce. Il exigea des autorités une aide pour faire face aux conditions d'exportation
imposées par les grandes compagnies qui,
constituées en ''pool'' de vente, soutenues financièrement par la Banque d'émission,
disposant elles-mêmes d'importants moyens financiers, pourront [...J attendre la
réalisation de leur stock [...J
L'équité ne saurait vous échapper de la prise en leur (petits et moyens
commerçants) faveur de mesures identiques à cel/es intervenues entre le "pool" et la
BA. O. [ ...Jsous peine de ruine définitive. 55
Plus souvent, les organisations syndicales s'adressèrent à la Chambre de
Commerce comme courroie de transmission en direction des autorités politiques. La
mise en veilleuse de l'activité consulaire se répercuta négativement sur le SY.P.AO.A.
55- A.N.s., 1 Q 65 (26), Formation des différentes associations d'intérêt commercial en A.D.F. 1911-1945,
Lettre du Gouverneur Général de l'A.D.F., 25 juin 1937.

133
L'administration de Vichy en A.O.F. particulièrement dirigiste et la période de
guerre ne pouvaient s'accommoder d'activités syndicales. Le gouvernement de la France
Libre prit une mesure économique qui favorisa une multiplication et un émiettement du
mouvement syndical patronal. Avec la pénurie de guerre finissant et la rupture avec le
corporatisme vichyste, il imposa aux entreprises l'adhésion à une organisation syndicale
sous peine d'exclusion des répartitions. 56 Le SY.P.AO.A dut faire face à de nouvelles
organisations concurrentes. La situation était d'autant plus préoccupante que plus on
comptait d'adhérents plus importante était la participation de l'organisation à la
distribution des marchandises importées. Devant le refus du petit commerce de
rejoindre les rangs du nouveau syndicat des grandes firmes, l'administration prit
l'initiative de réactiver le SY.P.AO.A
L'assemblée générale du 18 juillet 1944, fit sauter les barrières à l'entrée autres
que professionnelles. Désormais, les entrepreneurs des autres nationalités étaient admis,
sous réserve de l'approbation par l'assemblée générale, sur simple demande. 7
5
Très
vite, on assista à une adhésion massive de Libanais et Syriens de Dakar. Les
entrepreneurs autochtones y furent moins nombreux. Le contexte politique marqué par
l'essor du mouvement nationaliste n'était certainement pas étranger à leur attitude. Ils
formèrent une organisation autonome entretenant de bonnes relations avec le
SY.P.A.O.A Ce dernier reposait désormais sur une base dakaroise fortement sollicitée
par d'autres organisations; en particulier, le Groupement des Commerçants Français
Indépendants formé le 17 juillet 1944 et qui comptait le gros de ses troupes dans
l'intérieur du pays. En 1950, s'opèra la jonction des deux groupements.
S6- Cf. Supra Chapitre IV.
57- Archives privées du SY.PADA, Nouveaux statuts du syndicat, 1944.

134
La situation créée par le dirigisme économique fut à l'origine de la renaissance
du syndicat et de la relative massification des adhésions. Avec la libéralisation
progressive qui s'amorça en 1955, le SY.P.A.O.A. connut un certain relâchement dans
ses troupes. Jusqu'en 1960, il a réussi à maintenir ses 70 militants qui, avec
l'indépendance et les nouveaux rapports qu'e]]e créait avec le pouvoir, rejoignirent des
groupements plus corporatistes. Il faut dire également que la chute des effectifs était
certainement liée au départ vers la métropole de nombre d'artisans et de commerçants
détaillants au lendemain des indépendances. Ainsi sur huit coiffeurs inscrits au
SY.P.A.O.A., il n'en restait plus que trois. La concurrence d'artisans et de commerçants
détaillants autochtones (Je nombre des adhérents détaillants a baissé de plus de 66%
entre 1951 et 1963) a dû également jouqun certain rôle dans cette déflation des effectifs
du syndicat. Au total le SY.P.A.O.A. aura perdu entre 1951 et 1963 plus de 26% de ses
adhérents. 58
58· REPARTITION SECTORIELLE DES ADHERENTS DU SY.PAOA
--------------------------------------------------
SECTEURS
1951 1963 DIFFERENCE
%
--------------------------------------------------
IMPORTATEURS
26
25
-1
HOTELS/RESTAU
20
19
-1
INDUSTRIELS
06
07
+1
DETAILLANTS
21
07
-14
PATISSIERS
01
05
+4
COIFFEURS
08
03
-5
HORTICULTEURS
00
01
+1
REPRESENTANTS
03
01
-2
AGENCE DE VOYAGE 00
01
+1
ARTISANS
04
01
-3
EXPERT COMPTABLE 02
00
-2
BOUCHERS
03
00
-3
TRANSPORT
01
00
-1
--------------------------------------------------
TOTAL
95
70
-25
26
--------------------------------------------------

135
Le déclassement des syndicats au profit de la Chambre de Commerce amena le
SY.P.A.O.A. à s'engager aux côtés des entrepreneurs autochtones pour exiger des
pouvoirs publics l'organisation des élections consulaires. La bataille qui a mis du temps
à s'achever victorieusement n'a pas permis au syndicat de remobiliser ses adhérents.
Seule la section "hÔtels cafés restaurants" restait très dynamique du fait de la pression
fiscale qui s'exerçait sur ses membres mais aussi de la concurrence de plus en plus
gênante du secteur informel.
Le SY.P.AO.A après deux décennies d'intenses activités (1937-1957), compte
non tenu de l'éclipse de la période vichyste, sombra dans une profonde léthargie. Elle
n'a pas réussi à s'adapter au nouveau contexte des indépendances en intégrant
l'entreprise autochtone en plein éveil. La jonction entre son expérience et le nombre
croissant des entrepreneurs autochtones pendant la période de transition entre une
situation coloniale et un contexte de souveraineté nationale même formelle donnerait
plus de poids aux petites et moyennes entreprises pour peser davantage sur le cours de
la politique économique.
2°/ Les syndicats des entrepreneurs autochtones: la scission pennanente.
A la fin de la deuxième guerre mondiale et à l'image des autres composantes du
monde des affaires, les entrepreneurs autochtones constituèrent leurs organisations
syndicales autonomes. Chacune des régions du Sénégal se dotait d'un syndicat des
autochtones: à Dakar le Syndicat des Petits Commerçants (SY.PE.CO.), à Thiès le
Syndicat des Commerçants du Cayor (SY.CO.CAYOR), à Diourbel le Syndicat des
Commerçants du Baol (SY.CO.BAOL), à Ziguinchor le SYCOCASAMANCE, à
Kaolack le Syndicat des Commerçants Indigènes de Kaolack (SYCOMIKOL). C'était
une réponse au système des répartitions des produits instauré par le gouvernement de la
France Libre et poursuivi par ses successeurs après la guerre. Au départ, les autochtones
étaient regroupés dans le SY.PE.CO. avant l'émiettement survenu en 1948.

136
3°/ l'évolution houleuse du sy'PE.CO. 59
Durant toute son existence, le SY.PE.CO. passa le plus clair de son temps à
résoudre des problèmes de cohésion interne plutÔt qu'à faire face aux problèmes posés
par la renaissance du monde des affaires autochtones. Lors de l'assemblée constitutive
de 1947, faisant le bilan de trois années d'existence, son président Mbaye Samuel relata
les incidents qui faillirent faire sombrer le SY.PE.CO., il dénonça certains
commerçants de Kaolack qui se /Qiss~rent tenter par les profits alléchants du
marché noir. 60
Ce qui valut au SY.PE.CO. d'être suspendu des bénéficiaires de produits
distribués par le Comité du Commerce Extérieur. Il fut par la suite traduit en justice
par certains compatriotes dont l'admission n'avait pu ltre acceptée pour plusieurs
valables (sic, raisons?) : refus de l'administration d'augmenter le pourcentage de
quote-part, question d'ordre moral.61
L'assemblée générale convoquée pour statuer sur ce constat d'échec s'acheva
sur une rixe. Une commission fut chargée du contrôle de la gestion du précédent bureau
fortement remise en cause. Elle parvint à convoquer une nouvelle assemblée boycottée
par 20 membres soutenant le bureau sortant. Une nouvelle direction fut élue sous la
présidence de Marc Diallo qui réconciliait les deux tendances rivales neuf mois plus
tard. 62
59- Une abondante documentation sur le SY.PE.CO. existe aux archives privées du SY.P.A.O.A. à Dakar.
60- Archives Privées du SY.P.A.O.A., Rapport Moral de l'Assemblée Générale du 11 mars 1947.
61. Id.
62- Le nouveau bureau était ainsi composé :
Président
: Djim Djibril Ndiaye
Vice président
: El hadji Mamadou Al. Ndoye
Secrétaire Général: Joseph Coma
Secrétaire Adjoint: Amadou L Darré
Trésorier Général : El hadji Amadou Lassana Ndoye
=
Adjoint: Tbiémokho Diané
Contrôleur
: Amadou Guèye
Assesseurs
:EI hadji Assane Touré
: El hadji Sadiaraw FaU

137
Entre le 2 mars et le 10 juin 1948, le SY.PE.CO. a eu trois présidents. C'est le
signe manifeste d'une instabilité chronique qui a ses origines dans la répartition de la
portion congrue que l'organisation recevait du c.c.E. La source de la discorde se
trouvait dans la pénurie et la manière dont elle était gérée par l'administration. N'ayant
pas les moyens de s'opposer à cette politique, le SY.PE.CO. ne pouvait non plus
satisfaire avec la répartition de faibles quantités les besoins énormes de ses adhérents.
Le SY.PE.CO. ne pouvait survivre à cette série de crises. En 1948, il disparut,
remplacé par des groupements régionaux. celui de Dakar conserva le sigle.
La naissance au Sénégal d'un syndicat d'entrepreneurs autochtones, au
lendemain de la deuxième guerre mondiale, ne fut pas un phénomène isolé en AO.F.
Le Syndicat Agricole Africain (S.A.A.) de Côte d'Ivoire connut durant la même période
historique une fortune fort différente de celle du SYPECO. Le contexte et le contenu
des revendications jouèrent ~rôle déterminant dans le sort différent vécu par les deux
organisations .
Le SY.PE.CO fut une réponse à des mesures exigeant de tout commerçant,
quelle que soit son origine, l'affiliation à un groupement économique pour avoir accès
aux produits importés dans la période de rationnement des marchandises. La remise en
cause de l'hégémonie des grandes firmes coloniales étaient certes présente dans leurs
objectifs à long terme. Seulement, l'accès à l'import-export relevait, dans ce contexte,
moins d'une discrimination raciale établie par la loi que de la puissance économique des
entreprises. Dans l'immédiat, les contradictions entre petits commerçants européens et
africains s'exprimaient beaucoup plus violemment dans le partage des quota de
marchandises obtenus que celles les opposants aux grandes compagnies coloniales. Le
SY.PE.CO fit les frais de cette situation.

138
Par contre, en CÔte d'Ivoire, le facteur discriminant dans le traitement des
entrepreneurs agricoles par le pouvoir colonial était fondé sur les origines des
protagonistes. Les planteurs européens avaient des privilèges exorbitants sur leurs
homologues africains. La main d'oeuvre leur était en priorité réservée, leurs produits
étaient achetés à des prix préférentiels par l'administration et ils obtenaient des primes
doubles de celles des rares africains dits "méritants".63 Cette discrimination législative et
administrative fut largement suffisante pour stimuler une plus importante mobilisation
et une plus forte cohésion dans le S.AA que dans le SY.PE.CO. La lutte du premier fut
plus directement politique que celui du second plutÔt corporatiste. Il faut remarquer
également que, contrairement au monde des affaires sénégalais de l'époque, à peine
renaissant, les planteurs ivoiriens étaient en pleine expansion avec plus de 80% de la
production de café et de cacao.64 Dès lors, leur marginalisation politique et sociale
devenait inacceptable. Par contre au Sénégal, la lutte avait pour objectif l'élimination de
la marginalisation économique des entrepreneurs autochtones. La lutte anticoloniale,
directement politique, restait sous la direction de /'intelligentsia
petite bourgeoise
urbaine.
Le contexte politique d'après-guerre explique l'émergence des deux syndicats
durant la même période. La différence de nature et de contenu des revendications
assigna à chaque organisation une longévité et un rôle spécifiques.
L'échec du SY.PE.CO amena certains hommes d'affaires à adopter un
syndicalisme plus restrictif dans son recrutement.
4°/ Le SY.CO.AFRlC : un recrutement élitiste.
A la veille de l'indépendance, quelques autechtones se retrouvèrent dans le
Syndicat des Commerçants Africains (SYCOAFRIC). Le SYCOAFRIC mena la bataille
sur deux fronts : la lutte contre le monopole exercé par les maisons de commerce sur
certains activités et le problème du renouvellement de la Chambre de Commerce.
63· G. A. BOGOW
: La Côte d'Ivoire. du désapparentement à l'indépendance 1950-1960, UnlversiU Paris VII,
Doctorat, 1989, p.386.
64· Ibid. p. 384.

1
139
1
Ce fut un groupe très restreint de 17 membres qui composa les effectifs du
syndicat. Les plus en vue parmi eux étaient Marc Diano, Amadou A Ndoye, El hadji
1
Mory Tan, Salla Kassé et El hadji Kémoko Diané; les trois derniers étaient
l
respectivement ébéniste, photographe et armateur et les autres étaient commerçants. Le
SYCOAFRIC dirigea son opposition contre l'accaparement par les grandes maisons de
l
commerce en pleine reconversion des contingents de produits importés. Il exigeait du
pouvoir la réorganisation du système commercial pour la
"requalification des
intennédiaires" et contre le contingentement des exportations qui favorise
1
"les huilien locaux" et décourage les entreprises moyennes dont les moyens
1
financïen sont négligeables devant l'omnipotence du SGMPEX et consorts, les
Pouvoin Publics ont l'obligation morale de les soutenir.65
1
Certains membres du syndicat avaient toutes les raisons d'être aussi radicaux
contre les grandes entreprises. Amadou Assane Ndoye avaient vu nombre de ses projets
1
court-circuiter par celles-ci durant la dernière décennie.66
1
Le SY.CO.AFRIC fut à l'origine de la motion introduite à l'Assemblée
Législative du Sénégal pour le renouvellement des chambres de commerce. Il proposait
1
une représentation paritaire pour toutes les catégories.
1
L'ensemble des problèmes soulevés par ce syndicat aux effectifs réduits ne
connut pas de solutions. Il mobilisait encore les hommes d'affaires après l'indépendance.
1 Mais le contexte avaitprofondément modifié les données du problème.
50; L 'UFSICA : une fédération inter-ethnique des petites et moyennes entreprises:
1
La multiplicité des organisations syndicales constituait un net désavantage pour
1 les petites et moyennes entreprises dans la répartition des produits importés mais aussi
dans leur capacité à négocier des réformes favorables à leurs intérêts.
1
1
1
65· Archives Privées du SY.PAOA; "Lettre du SYCOAFRIC" au D.G.s.E. du 7 janvier 1957.
1 66-1d.
1
1

140
Le SY.P.AO.A prit J'initiative d'où naquit le 12 janvier 1945 L'Union Fédérale
des Syndicats Industriels, Commerciaux et Artisans (U.F.S.I.C.A). Quatre syndicats se
fédérèrent à la constitution: le SY.P.A.O.A, le SY.PE.CO., le SYCOMISS et le GCFI.
Tous furent représentés au bureau élu à l'assemblée constitutive. 67 En dehors de sa
composante autochtone, la direction de l'UFSICA resta paniculièrement stable.
L'instabilité des organisations syndicales autochtones réagissait négativement sur leur
représentation à la fédération. La puissance relative du SY.PAO.A atténua cette
faiblesse. Numériquement plus important, le SY.P.AO.A l'était aussi financièrement.
Il apportait presque la moitié des cotisations à la fédération.
Tableau N° 16 REPARTITION DES COTISATIONS ET NOMBRE
D'ADHERENTS A L'UFSICA.
Nbre Adhérents
COTISATIONS
POURCENTAGE
(Milliers Frs)
SYNDICATS
1946
1948
1946
1948
1946
1948
SYPAOA
280
250
140
125
50%
50%
G.C.F.I.
104
61
52
30,5
19%
12%
SYCOMISS
94
98
47
49
17%
19%
SYPECO
48
60
24
30
8%
12%
SPCIB
32
32
16
16
6%
6%
TOTAL
558
501
279
250.5
100%
100%
Source: Archives privées du SY.PA.O.A. Comptage effectué à partir
des procès-verbaux des assemblées générales annuelles.
67· Bureau de "UFSICA en 1945.
Président :_.....
. CH. Graziani (SYPAOA)
1er Vice-Président: _._B. Dubois (SY.P.A.O.A.)
,2ème Vice-Président: _ _Djim M. Guèye (SYCOMISS)
Secrétaire Général: _ P . Fressinier (SY.P.A.O.A.)
Secrétaire Général Adjoint: _R. Dupuy (GCFI)
Trésorier :..
G. Morin (SY.P.A.O.A.)
Trésorier Adjoint : _•.5. Mbaye (SY.PE.CO.)

141
Les petites et moyennes entreprises, toute origine confondue, trouvaient leur
compte dans le regroupement. Elles représentaient ainsi un poids spécifique important
dans
le
cadre
des
négociations
avec le
pouvoir et les
autres
organisations
d'entrepreneurs. En plus, il faut noter l'importante économie d'échelle qu'elles
réalisaient dans le regroupement de leurs importations. En 1947, l'U.F.S.I.C.A
parvenait à installer un bureau d'achat à Paris; opération qu'aucun de ses membres pris
individuellement n'aurait pu réaliser. Le quart des membres de la chambre de
commerce de Dakar venait de ses rangs. Plusieurs organisations postulaient à une
adhésion à la fédération : le Syndicat des Restaurateurs Africains (SYRADA), le
Syndicat des Commerçants Libanais (S.C.L).
Le dynamisme de l'UFSICA connut très vite son tenne. Les conditions qui
l'avaient suscité ayant disparu, le mouvement s'estompa avec elles. Dès 1950, elle était
réduite à sa plus simple expression: le SY.P.AO.A Ses promoteurs ne se trompèrent
pas sur les raisons de la léthargie. Ils adressèrent une lettre de remobilisation à tous
leurs partenaires défaillants. Le diagnostic établi
s'avérait juste sur la cause du
relâchement syndical : la fin des pénuries et le retour progressif à un régime des prix
moins contraignant avaient fait leurs effets sur la mobilisation du petit patronat. 68
L'appel pour le maintien de l'esprit syndical eut un faible écho auprès des destinataires.
La libéralisation progressive
du commerce rendait
l'achat auprès
des grands
importateurs plus économiques. Mieux le mouvement nationaliste détachait de plus en
plus les autochtones de la couverture des petites et moyennes entreprises françaises dont
ils revendiquaient de plus en plus la place, rendant la collaboration plus difficile.
Jusqu'en
1955,
l'U.F.S.I.C.A, réduit au
SY.P.AO.A, devait se limiter à
représenter des intérêts matériels et moraux partagés par un groupe d'entrepreneurs
plus large que celui des adhérents fonnellement inscrits sur ses listes. 69 Cette année
là, elle enregistra l'adhésion du Syndicat des Hôtels, Cafés et Restaurants de Conakry et
du Syndicat des Commerçants Africains (SYCOAFRIC). Le SYCOAFRIC tirait
immédiatement profit de cette liaison en devenant importateur agréé de riz, à partir de
1956, grâce à la couverture de la fédération.
68- Archives Privées du SY.P.A.O.A., Lettre aux SY.PE.CO., SYCOMISS, GCFI, SYCOBAOL, SPCf, du 4
mai 1950.
69· I~ Procès-verbal Assemblée Générale du 29 avril 1954.

142
Avec l'indépendance du Sénégal, l'UFSICA sombra définitivement du fait de
l'émergence de nouveaux enjeux pour sa composante autochtone. A partir de ce
moment, la petite et moyenne entreprise française perdit toute possibilité d'action
syndicale significative sur le territoire sénégalais. Au contraire, ce sont les grandes
firmes coloniales qui ont réussi à conserver et à utiliser efficacement leur outil
revendicatif dans le nouveau contexte de souveraineté nationale du Sénégal. L'absence
de concurrence autochtone à ce niveau des affaires a certainement joué en faveur de
l'organisation syndicale de la grande entreprise coloniale.
5°/ Le S. C./MF.EX. : une puissante otganisQ/Ïon fermie et stable
Fondé le 13 novembre 1943 par 22 des plus grandes firmes coloniales de l'Ouest
Africain, le Syndicat des Commerçants Importateurs et Exportateurs (S.C.IMP.EX.)
comptait en 1945,56 entreprises adhérentes? °
76- Membres fondateurs du S.CJMP.EX. :
Buhan Teisseire
Dakar
S • C • a .A •
DAKAR
C.I.T.E.C.
Il
Chavanel et Fils
Rufisque
Le Commerce Africain
"
P~terson Z. Ltd
Conakry
Cie Commerciale Sglse
I l
C1e Frse de C.I.
Abidjan
C.F.A.O.
I l
Sté CIe Ind.
C.Af.
"
Compagnie du Niger
l'
..
J. Holt et Cie
Cotonou
Devès et Chaumet
F.B. Ollivant
Maurel et Prom
"
II
J. Walkden et Cie
Maurel et Frères
"
Il
The United Af. Cie
Dakar
V.
Q.
Pétersen et Cie
Il
Ete Vézia
l'
Peyrissac et Cie
Il

143
Le premier bureau élu du S.C.IMP.EX. était dirigé par les trois plus grandes
entreprises commerciales coloniales de l'Afrique de l'Ouest: E. Gavot de la C.F.AO.
était le président, secondé par M. Lidy de la S.C.O.A et le Secrétaire Général en était 1.
Maurel de la NO.SO.CO. Les dispositions statutaires garantissaient cette prééminence
contre toute remise en cause. 71 L'option élitiste était évidente au terme de l'article 5
des statuts. Les promoteurs entendaient tr~s strictement contrÔler la composition du
syndicat. La barre des conditions d'acc~s était si haut placée et le pouvoir
discrétionnaire du bureau si énorme que l'intention limitative était manifeste. Ces
mesures restrictives étaient complétées par un taux de cotisation également fort
dissuasive : 1200 francs par an·7 2 Quelques entreprises de plus modeste dimension
rejoignirent le S.C.IMP.EX., élargissant sa place dans le dispositif institutionnel de
négociation avec le pouvoir: chambres de commerce, Grand Conseil de l'AO.F.
Incontestablement, les entreprises groupées dans le S.C.IMP.EX. furent les
principaux bénéficiaires de l'organisation commerciale initiée sous Vichy et poursuivie
après la guerre. Quatre membres sur neuf du C.C.E. venaient de ses rangs. Durant la
période d'application stricte du système des "antériorités", la quasi-totalité des
importations passaient par les structures du S.C.IMP.EX. Seul, il disposait de
représentants dans tous les pays alliés fournisseurs de l'AO.F. Toutes les importations
se réalisées sur la base de licences fournies par l'administration. Les licences non
réalisées six mois après leur délivrance revenaient à la masse commune pour
redistribution. Cette clause renforçait encore la position de monopole du S.C.IMP.EX.
71· L'article 5 des statuts stipulait:
·Peuvent faire partie du Syndical en qualili de membre, IOUle entreprise commerciale iloblie dans les colonies
d'A.O.F. el du Togo el ayant qUiJliti d'impoffa/eur ou d'exporta/eur et qui, en 0Ulre, possède ch«une une mganisarion et
des moyens suffisants en France mitropolitaine ou dans les pays pour concourir dans une
large mesure aux transactions et
opirarions qui fonnent l'un des principaux objets du syndiCal. II appartient au bureau seul d'appricier si l'entreprise
sollicitant son admission posside 1'000anisarion et les moyens nicessaires pour qUiJlifter sa CQIIdidature".

72· Au SY.P.A.O.A., elle était de 100 fraDcs par an.

144
Le couple
S.C.IMP.EX.
SYPEXAR
(Syndicat
professionnel
des
Exportateurs
d'Arachides) regroupant les mêmes compagnies exerçait un monopole similaire dans les
exportations d'arachides sous la direction de Jean Maurel. Le SVPEXAR se fixait pour
objectif
de contribuer au maintien pendant toute la dulie de la guerre, et sans aucune
dérogation, au principe des antériorités. 73
Tant que dura la pénurie de guerre, les deux groupements s'en tinrent à cette
position.
Le monopole légalisé sur les importations permettait aux membres du S.C./MF.EX.
de ravitailler sans grande IUpture leurs succursales de l'intérieur au ditriment des
autres intermédiaires. 74
Le S.C.IMP.EX. fut l'un des rares syndicats à avoir survécu dans une grande
cohésion et une stabilité certaine aux conditions qui lui avaient donné naissance. Il
devait ces avantages à la puissance de ses adhérents dans l'ensemble du tissu
économique de l'AO.F. mais aussi aux nouveaux défis que la conjoncture d'après guerre
créait en Afrique française. L'appel aux capitaux industriels s'accompagna d'un
allégement fiscal pour les nouveaux investissements industriels. Les moins-values
occasionnées par cette politique sur les rentrées fiscales posa un problème de
répartition de la pression fiscale sur les autres acteurs économiques. Pour faire face à
cette situation, les firmes coloniales ne disposaient pas d'un instrument plus puissant que
le S.C.IMP.EX. Il pesa de tout son poids, par l'intermédiaire de la Chambre de
Commerce, dans la bataille fiscale de l'après-guerre.
73· A.N.s., F.C.C., 651, Lettre du SYPEXAR au Président de la Chambre de Commerce de Dakar, le 3
Dovembre 1943.
74- Id

145
II ; LA CHAMBRE DE COMMERCE DE DAKAR ; SIGNE ET LIEU DU
POUVOIR ECONOMIOUE,
Jusqu'en 1969, la dernière réforme d'une ampleur notable datait de la crise des
années trente, contenue dans l'arrêté du 31 mai 1930.75 Les prérogatives découlant de
ces arrêtés ne furent mises en veilleuse que durant le court laps de temps du
gouvernement de Vichy en AO.F. Leur suppression fut même envisagée en 1942 en tant
qu'elles constituaient un obstacle à la réalisation
de l'encadrement corporatiste des
entreprises mis en place par le pouvoir vichyste.
Au terme du texte réglementaire de 1930, les chambres de commerce
devenaient l'institution économique la plus puissante de la colonie. Du fait du nombre
et de l'importance des entreprises relevant de sa circonscription, la Chambre de
Commerce de Dakar disposait de moyens efficaces pour peser sur le cours des
événements, dans le sens des intérêts des groupes dominants. Financièrement, elle était
autonome pour ses dépenses courantes couvertes par une taxe additionnelle au principal
de la contribution des patentes. Toute décision ayant une incidence économique devait
obligatoirement faire l'objet d'un avis de l'institution consulaire. Elle disposait ainsi
d'une capacité de blocage sur toutes les mesures contraires aux intérêts des entreprises
en général et des grandes entreprises en particulier. L'administration en a fait deux fois
l'expérience sur des questions importantes; le décret autorisant les S.J.P. à s'adonner à
des activités commerciales fut pendant longtemps rendu inopérant par les chambres de
commerce; l'implantation des Grands Moulins de Dakar se heurta à l'opposition
irréductible de la direction de la représentation consulaire.
75· J.O. A.O.F., du 21 Juin 1930, p.520.

146
Le rôle politique, économique et administratif de Dakar fit de sa chambre de
commerce le chef de file de ses homologues de l'AO.F. Dans de nombreuses démarches
en direction des autorités politiques et administratives aussi bien locales que
métropolitaines, elle fut à l'origine de l'initiative et en prit également la direction. Cette
suprématie se manifesta lors de la riposte des hommes d'affaires contre les mesures
fiscales destinées à palier aux conséquences de la crise de 1930. La Chambre de
Commerce de Dakar coordonna la participation des coloniaux d'Afrique aux Etats
Généraux de la colonisation de 1946.7 6 A cette position de force s'ajoutait sa présence
au Conseil du port, à la commission des contributions diverses et des mercuriales. Donc,
bien au-delà de la législation sur les chambres de commerce , la position de celle de
Dakar créait une dynamique propre, au carrefour d'informations commandant une
bonne partie de l'activité économique de l'AO.F.
Dès lors, on comprend l'attitude
des grandes maisons de commerce qui
veillèrent jalousement au maintien de la législation qui favorisait leur hégémonie dans
l'institution. Le décret du 28 septembre 1928 fixait la répartition des sièges suivant
quatre catégories professionnelles en fonction du taux de patente et de l'objet de
l'entreprise. 77 L'ensemble des électeurs ainsi réparti, choisissait ses représentants à la
chambre de commerce selon un quota tel que les élus de la première catégorie étaient
toujours supérieurs en nombre aux trois autres groupes réunis.7 8
76- A.N.s., F.C.C., 650, Correspondance avec l'administration.
77· A.N.s., 3 Q 257 (150), Proposition Djim Momar Guèye.
78- cr. Tableau N" 17 Quota par catêiorie à la Chambre de Commerce de Dakar

147
Tableau N·17: QUOTA PAR CATEGORIE DES MEMBRES DE
LA CHAMBRE DE
COMMERCE DE DAKAR
-------------------------------------------------------------
CATEGORIES
• ETABLISSEMENTS
.NOMBRE DE SIEGES.
titul .• suppl. •
-------------.-----------------------------.--------.-------.
· Commerce 1ère et 2è classe
Première
• du Tableau A des patentes et.
10
10
• 3è partie du Tableau B
-------------.-----------------------------.--------.-------.
Deuxième
· 3è classe du Tableau A
3
3
------------- -----------------------------
·
--------
.
-------
.
.
Troisième
• 4è et 5è classes Tableau A
2
2
-------------.-----------------------------.--------.------- .
• -Exploitation agricole,
Agricole et
• industrielle, forestière et
Industrielle .élevage au capital>20000 FF
3
3
.ou ayant au moins 10 ha mis
.en valeur en permanence
Source: A.N.S., 3 Q 257 (150), proposition Djim Momar Guèye à
l'Assemblée de l'Union Française, 1947. Extrait du décret du 28
Septembre 1928, organisation des chambres de commerce de
l'A.O.F.
Au terme de l'arrêté du 31 mai 1930, il ne suffisait pas d'installer son entreprise
dans le territoire de la circonscription pour être électeur de la Chambre de Commerce.
L'inscription sur les listes électorales était conditionnée par l'appartenance de plus de la
moitié des capitaux de l'entreprise à des entrepreneurs citoyens ou sujets français. Les
responsables de ces entreprises devaient en plus jouir de tous leurs droits civils, avoir au
moins 21 ans, parler français et résider en A.O.F.7 9
Ainsi étaient exclus du corps électoral les "protégés" français comme les
levantins. La barrière linguistique qui éliminait Dombre d'autochtones était maintenue
mais son effet atténuée à la suite d'une première tentative de suppression initiée par
l'administration. En effet, en 1925, appuyé par l'ensemble de ses homologues de
l'AO.F., le président de la Chambre de Commerce de Rufisque réagissait contre la
mesure de libéralisation de l'accès à la représentatioD consulaire en des termes violents :
un patenté baragouinant quelques mots de français pou"a donc venir siéger au sein
d'une chambre de commerce [...). Du fait de son ignorance, son «lion sera très
limitée et il se bomera il écouter passivement.80
79· L.Q. A.O.F., 1930.
80- Bulletin Mensuel de la Chambre de Commerce de Saint-Louis, N"l, SJanvier 1926.

148
A partir de 1930, l'écriture du français n'était plus exigée aux électeurs mais
seulement,
étllient éligibles, / ...). tous les membres dlI corps électoral / ...) dgés de 25 ans au
moins / ...) parlant et écrivant le français. 81
Ces mesures réglementaires, agissant par élimination, conféraient à priori une
majorité écrasante aux entrepreneurs d'origine métropolitaine dans l'ensemble des
chambres de commerce de l'AO.F.
A Dakar~ du fait de son importance économique, se retrouvaient toutes les
grandes entreprises. De 1932 à 1954 -les dernières élections de la période coloniale ont
eu lieu à cette dernière date-, les électeurs d'origine métropolitaine ont toujours détenu
la majorité des postes dans la première catégorie avec pour toutes les années, un effectif
supérieur à 30% des inscrits. Par contre les électeurs autochtones pouvant payer cette
patente n'ont jamais été plus de quatre éléments. Ils étaient plutôt nombreux mais aussi
minoritaires dans les deux autres catégories. 8 2 Alors que le total des métropolitains
dans les deux premières catégories dépassaient chaque fois la moitié des effectifs.
81-lQ A.O.F., 1930.
82· cr. Tableau N'l8

149
Tableau ~18 : REPARTITION DES ELECTEURS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE DAKAR PAR
CATEGORIES ET PAR ORIGINE
CATEGORIE
1 ère
2 ème
3 ème
4 ème *
ORIGINE
A
B
A
B
A
B
A
B
1932
3
66/34%
12
50/26%
12
18/9%
0
31/16%
1934
3
76/30%
6
91/36%
3
34/13%
6
33/13%
1937
1
87/32%
I l
98/36%
2
32/12%
1
43/16%
1950
4
179/43%
20
66/16%
32
31/7%
1
86/20%
1954
4
258/39%
15
157/24%
29
72/11%
2
119/18%
Nota Bene: Les pourcentages sont indiqués par rapport au total de
l'année.
Légende:
A : Autochtone
B : Français
* : Entreprise agricole et industrielle
Source: J.O. A.O.F.

150
Non seulement la représentation catégorielle indépendamment de l'origine des
électeurs étaib
très favorable
aux grandes entreprises, mais en plus, le poids
économique de Dakar renforçait cette hégémonie. Tous ces facteurs aboutissaient à une
marginalisation des petites entreprises en général et des autochtones en particulier. La
contestation de cette représentation décorative accompagna l'éveil du nationalisme au
lendemain de la guerre et la renaissance de l'entreprise autochtone.
Cette côincidence explique certainement que l'initiative de la contestation fut
prise et conduite par un homme d'affaires membre d'un parti politique. En 1948, au
nom du groupe S.F.I.O. et apparentés, Djim Momar Guèye fit à l'Assemblée de l'Union
Française une proposition pour la réorganisation et la modification de la répartition des
sièges entre les différentes catégories des chambres de commerce, d'Agriculture ou
d'Industrie d'AO.F. 8 3
L'exposé des motifs s'élevait contre la législation existante la qualifiant de
partiale et de source d'abus. Ainsi, selon l'auteur, en 1928, 80% des sièges étaient
attribués au seul commerce d'exportation qui ne représentait que 35% des patentes et
27% de la population active de l'économie de la circonscription consulaire. Il proposait
une représentation paritaire selon l'importance des affaires mais aussi et surtout des
effectifs par catégorie.8 4
Les autochtones pouvaient s'appuyer sur leur nombre puisque depuis longtemps
la question de la citoyenneté était réglée dans les quatre communes et en 1946, dans
toute l'Afrique française. Encore qu'à Dakar, même un changement dans la répartition
catégorielle ne permettrait pas aux autochtones d'acquérir la majorité.
83· A.N.s., 3 Q 257 (ISO), Proposition de loi Djim M. Guèye ll'Assemblée de l'Union Française 1947.
84· Id.

151
Malgré tout, la remise en cause de l'hégémonie des maisons de commerce par la
proposition de Djim M. Guèye provoqua une vive réaction. Dans une lettre au haut
commissaire et au ministre des Colonies, la FEN.SY.C.O.A s'élevait contre la
proposition qui négligeait le ''rôle technique" des chambres de commerce. Elle jugeait
que l'argument de la majorité démographique ne constituait pas un fondement solide
pour revendiquer la réforme de la représentation au sein d'organismes requérant des
compétences techniques. 8 5 Elle fit prévaloir que
les Européens ont des intérêts d'un c(II'QCtère plus généroJ que les autochtones,
tenant d leur rôle dans le commerce extérieur, et particulièrement dans les relations
qui les lient avec la Métropole, ou leur apport de capitaux et de technicité {...). 86
Il va sans dire que si les autochtones se battaient pour contrôler la Chambre de
Commerce de Dakar, c'était en vue d'accéder à ces privilèges économiques. Le contrôle
de l'institution n'était pas pour eux une fin en soi mais un moyen de promotion socio-
économique.
Le pouvoir politique suivit l'argumentation du grand commerce en s'opposant à
la proposition de réforme de l'organisation des chambres de commerce. Le haut-
commissaire de l'A.O.F. la qualifiait de "bâclée et démagogique"· 87 Néanmoins,
l'administration prit conscience de l'inadéquation des textes de 1928 et 1930 par rapport
aux conditions politiques et économiques de l'après-guerre. Elle finit par se rendre
compte que
l'omnipotence du grand commerce au sein des Assemblies Consulaires ne va pas
sans provoquer une réelle impatience du petit et moyen commerce tant africain
qu'européen. 88
85· Id.
86- Ig., Lettre du Directeur ~néral des Services Economiques, le 25 Mal 1949.
87· IQ. du 25 juin 1949.
88- Ibi~ Rapport confidentiel du D.G.s.E. au Haut-Commissalre, 1953.

152
L'impatience du petit commerce fut contenu jusqu'en 1969. Le pouvoir lui-
même se heurta à la résistance du grand commerce à travers la représentation
consulaire lorqu'elle s'engagea dans une politique d'industrialisation en AO.F. Autant
qu'il le put, le grand commerce colonial retarda la remise en cause du modèle
d'exploitation coloniale fondé sur la traite qu'il contrÔlait d'amont en aval.

153
CHAPITRE VI: INDUSTRIALISATION ET ECONOMIE DE TRAITE:
LA CONSOLIDATION DE LA DEPENDANCE.
Au moment de la crise de 1930, l'industrie de l'AO.f. demeurait encore très
embryonnaire. Elle se trouvait pour l'essentiel concentrée à Dakar. En dépit de la
précocité des implantations industrielles dans la capitale de la fédération, tout au début
des années vingt du XXème siècle, il fallut attendre le choc de la deuxième guerre
mondiale pour se rendre compte de la nécessité d'une industrialisation des colonies
françaises en Afrique. Au nom de la complémentarité des économies métropolitaines et
coloniales, elle fut écartée des solutions de la crise. Le régime de "l'exclusif colonial", en
principe abandonné depuis la révolution de 178~ était, de fait, toujours en vigueur.8 9
Le niveau des revenus générés par l'économie de traite au profit des
autochtones et la politique des firmes coloniales consistant à rapatrier l'essentiel de
leurs profits tarissaient pratiquement toute possibilité d'épargne locale, et, de fait,
excluaient un investissement important d'origine interne. Tant que dura l'économie de
traite sous sa forme la plus primaire, l'AO.f. restait secondaire dans les zones
d'investissement "extérieur" des capitaux français. Jusqu'en 1914, moins de 10% des
placements extérieurs étaient consacrés à l'Afrique française au sud du Sahara. 9 0
Comparées aux colonies anglaises de la même région, les possessions françaises
souffrirent d'une faiblesse extrême dans les investissements réalisés. En 1936, les
premières concentraient 77% des capitaux investis dans cette région contre seulement
5,7% pour les secondes.91
89· HARDY Op. Cil, 1953
90- SURET-CANALE (J.) : QR..QL, 1962, p.204.
91· COQUERY·VlDROVlTCH (C.) et MONIOT (H.) :.Q1L.Q1., 1984, pp. 194 et 196.

154
Jusqu'à
la
deuxième
guerre
mondiale,
l'infrastructure
nécessaire
au
fonctionnement de l'exploitation coloniale était mise en place par l'administration par le
biais des budgets coloniaux -en fait par le colonisé- L'inteIVention de l'Etat
métropolitain se limitait à la garantie d'emprunts sur le marché des capitaux. La
production était également laissée aux mains des familles paysannes disposant de peu
de moyens. Le commerce contrôlait la production par le biais du marché. Tout ceci
conduisit à une très nette domination des investissements par le capital commercial,
suivi de loin par l'industriel entre 1900 et 1940.92 Les dominants de cette structure
économique n'avaient pas intérêt à remettre en cause un système qui leur assurait des
profits substantiels aux moindres coûts et risques.
92- cr. Figure ND 9: CAPITAUX INVESTIS EN A.O.F.1900-1940.

155
Fi2Ure ND 9: CAPITAUX INVESTIS EN A.O.F. 1900-1940.
CAPITAUX INVESTIS EN A.O.F.· 1900/1940
Transport (4,0';)
Immob:liers (5,5%)
_--.r-__
Commerce (50,5
SQurc~ : J. SURET-CANALE: 19611•
1

156
La dépression des années 1930 ne décida pas les autorités politiques à
encourager l'implantation industrielle dans les colonies. Le Front Populaire compta
parmi ses hauts responsables des affaires coloniales des partisans de l'industrialisation
des colonies. Cependant, leur point de vue demeurait minoritaire au sein du ministère
comme dans l'opinion des milieux coloniaux. 93 Au total cet important aspect de
"l'exclusif colonial" survécut à tous les bouleversements économiques jusqu'au second
conflit mondial.
1 ; LES ENTREPRISES DE TRAITE ET LA OUESTION DE
L'INDUSTRIALISATION
Au niveau des entreprises, l'attitude du groupe Delmas illustre bien ces
réticences à suivre l'évolution économique mise à l'ordre du jour par la dépression des
années 1930. Le groupe s'était très tôt investi dans le contrôle des différentes sources de
profits des réseaux de la traite. Ses activités s'étaient ramifiées dans les affaires
maritimes et portuaires.
93· cr. Supra chapitre II.

157
r/ Le groupe Delmas : une lellte et progressive ramification dDns le commerce de (raite
Originaire de Mulhouse,94 la famille Delmas fait partie du groupe bordelais
dominant le commerce au Sénégal. Déjà en 1919, associé à l'armateur marseillais
Vieljeux, Philippe Delmas fondateur du groupe contrÔlait 12 boutiques à Saint-Louis et
des factoreries dans les escales du fleuve et du chemin de fer Dakar-Saint-Louis. Entre
1926 et 1928, il créait deux sociétés anonymes: les Etablissements J. A Delmas et Cie,
avec des opérations au Soudan (actuelle République du Mali) et au Sénégal, la
Manutention Africaine spécialisée dans le transport et l'immobilier à Dakar. Lors de la
crise de 1930, Pierre Delmas, héritier de Philippe liquida le portefeuille immobilier de
l'entreprise. En association avec les principales compagnies de navigation français~de
l'ouest africain, il participait à la création de l'Union Sénégalaise des Industries
Maritimes (U.S.lM.A) en 1936. Le groupe a par la suite élargi son activité à la
boulangerie industrielle et à la représentation des groupes Caterpil/ar, Renault, Willys,
Overland.
A cette puissance économique, se joignit un pouvoir politique et institutionnel,
construit sur une période relativement longue. Robert Delmas, le président directeur
général de la Manutention Africaine et de l'USlMA fut un membre influent de la
Chambre de Commerce de Dakar et député du Sénégal jusqu'aux premières années de
l'indépendance. Il est resté inamovible à la présidence de la commission permanente du
Grand Conseil de l'Afrique Occidentale Française, poste-clé dans les rouages politiques
d'après-guerre pour l'orientation économique de la Fédération. Pierre Delmas,
administrateur de nombreuses entreprises coloniales du groupe était vice-président de la
Chambre de Commerce de Bordeaux.
94. R. G. DELMAS : Notes et documents recueillis pour servir à l'histoire du Sénégal JUSQu'à l'indépendance.
Dakar, Javier 1964, 2 tomes multigr_
- R. DELMAS : La flone marchande française en Afrique Noire avant 1960.23 pp. multig.-.

158
En dépit de cette puissance acquise à travers une longue expérience familiale
des affaires coloniales, le groupe Delmas a très peu restructuré ses activités. Il est
demeuré conservateur par rapport aux mutations qui affectèrent l'économie coloniale
au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Il resta fidèle à son activité
traditionnelle
de
commerce
d'import-export
et
de
transport.
Sa
stratégie
a
principalement consisté à élargir cette activité par des participations à des ateliers de
réparations maritimes, agences de représentation et sociétés d'assurances. Les
innovations significatives qui tranchaient d'avec cette ligne de conduite consistaient en
une extension géographique de l'activité vers les champs nouveaux d'exploitation
coloniale:
Guinée, Côte d'Ivoire. Il s'associa à une initiative du grand commerce
bordelais, soutenue par la RAO. dans l'imprimerie, avec la création de la Papeterie
Générale Africaine (PAGEN.A) et sa filiale la Grande Imprimerie Africaine (G.I.A.).
L'attitude du groupe Delmas est représentative de celle du vieux commerce
colonial dans la nouvelle dynamique industrialisante de l'après-guerre. Les puissants
groupes que sont la SCOA, la CFAO, La NOSOCO profitèrent de l'expansion soutenue
en Afrique Occidentale Française
par les investissements métropolitains, tout en
gardant l'essentiel de leurs activités dans le secteur de la distribution. Progressivement,
les grandes sociétés se modernisèrent en mettant sur pied des filiales ou en ouvrant des
départements
spécialisés
dans
des
activités
nouvelles:
automobiles,
produits
pharmaceutiques et chaînes de distribution urbaines. Modernisation, diversification et
spécialisation tout en restant maître dans le secteur traditionnel de la distribution, telle
semblait se dessiner la réponse des grandes entreprises coloniales aux mutations
profondes du domaine colonial français dans l'Afrique de l'après-guerre.
2°/Les petites et moyennes entreprises et l'industrialisation: une stratégie défensive
Le commerce moyen bénéficia également de l'expansion sans pour autant aller
au-delà du montage de petites unités plus artisanales qu'industrielles. Les initiatives
dans ce domaine furent nombreuses et parfois même antérieures à la guerre. Elles
annoncèrent, avant l'heure, la politique d'industries de substitution aux importations.
Pierre Guieysse membre influent de la Chambre de Commerce de Dakar était
le type même de cette dynamique catégorie d'entrepreneurs multipliant les expériences
d'implantation industrielle.

159
En 1927, il fonda la Société Anonyme de la CÔte d'Afrique spécialisée dans un
créneau ouvert par la première guerre mondiale : la vente de camions et de pièces
détachées. En 1931, il créa une entreprise de transport, la Compagnie Sénégalaise de
Transport avec un capital de 250.000 francs et neuf camions. En 1933, il prolongea son
activité de transporteur dans l'industrie. Il fut à l'origine de la première entreprise de
fabrication de bougies en Afrique Occidentale Française employant trois ouvriers
spécialisés et 5 manoeuvres. Son industrie était fortement dépendante de l'étranger pour
son approvisionnement. Les machines étaient importées d'Allemagne, la paraffine de la
Roumanie. Seul le combustible à base de bois de palétuvier était d'origine locale. Une
tentative de fabrication de stéarine avec l'huile de palme et le beurre de karité resta
infructueuse. Au total les Bougies de Médina produisaient 60 tonnes de produits finis
par an.
En 1935, Guieysse monta la Biscuiterie de Médina, important de France :
farine, produits chimiques et emballages, de Belgique du sucre, d'Angleterre du
charbon. Sa production moyenne s'élevait à 750 tonnes par an. Les mesures fiscales
prises pour éradiquer les effets de la dépression furent défavorables à son établissement.
Ses charges à l'importation de matières premières l'empêchaient de pouvoir soutenir la
concurrence des produits finis importés. Il fut alors contraint d'abandonner ses projets
d'extension qu'un marché sénégalais protégé aurait pu rentabiliser avec une possibilité
de doublement de la production. 95
En 1937, Guieysse mit au point une nouvelle affaire: la Compagnie Auxiliaire
de l'Artisanat Colonial, au capital de 350.000 francs. Elle avait pour objet la
récupération et le broyage des déchets des abattoirs. En moyenne, elle produisait 130
tonnes de poudre d'os, 70 tonnes de granulés, 60 tonnes de sang séché, poil broyé et
cornes torréfiés. Toute la production était exportée en métropole et une partie en
Guinée, utilisée comme engrais.
L'ensemble de ces initiatives, faute de moyens, fut de courte portée. Néanmoins,
il amorçait déjà la politique d'industrialisation par substitution aux importations de
l'après-guerre.
95. L'ensemble des informations sur les établissements de P. Guieysse est tiré de l'enquête de 1939 dite de
mobilisation industrielle. A.N.s., Annexe Dossier N" 519.

160
Le VIeux commerce colonial y prit part avec timidité. Ainsi, le commerce
bordelais inscrivit à son compte la Société Aofienne de Fabriques d'allumettes. Modeste
société anonyme créée en février 1950 avec un capital de 500 mille francs avec 400 parts
fondateurs souscrites par Charles Grazziani, vice-président de la
Chambre de
Commerce de Dakar, André Thubet de la Société Parisienne des Comptoirs Africains
(S.P.C.A), les commerçants Pierregrosse, Paul Fressinier et Edmond Moukarzel. 96
C'est dire, en définitive, que les initiatives n'ont pas manqué et, principalement,
celles de modestes entrepreneurs. Les grandes compagnies· tendaient à limiter leurs
activités à la traite et à la spéculation immobilière.97 Ce fut à son corps défendant et
avec beaucoup de réticences que le capital commercial colonial se résolut à prendre en
marche le train des transformations structurelles rendues inévitables par l'évolution du
système et les contraintes extérieuntJqu'il subit. La direction de la S.CO.A. exprimait
avec éloquence ces réserves dans les propos suivants:
Tout en souhaitant de voir cette évolution ne s'accomplir qu'avec mesure, notre
Société a considéré de son devoir d'y apporter sa pmticipation financière en
98
s'intéressant d des affaires industrielles nouvellement installées d la colonie
.
Ce ralliement timide à l'industrialisation coloniale de l'une des plus puissantes
sociétés commerciales de l'Afrique Occidentale Française était à mettre en relation avec
la pénurie de guerre et la politique vichyste dans ce domaine. li exprimait du même
coup
l'attitude
ambiguë
du
vieux
commerce
colonial
face
au
processus
d'industrialisation de la colonie; à la fois stratégie d'opposition et politique de
récupération. Cette opposition n'a pas empêché une relative densification du tissu
industriel en Afrique Occidentale Française et principalement dans la région de Dakar.
96. A.NoS., 22 G 25(3), Enquête administrative 1950.
97. M. CAPET: Traité d'Economie Tropicale., Cité par J. SURET-eANALE QJLQ!. pp. 236-237.
98_ S.CO.A., Bilan Exercice 1941-1942 cité par C COQUERY·VIDROVITCH:
"L'impact des Intérêts Coloniaux : SCOA et CFAO dans l'Ouest Africain", JA.R.
N°XVIe, Avril 1975, pp.595-621.

161
Même si juridiquement aucun texte n'a explicitement interdit la mise en place
d'unités industrielles, jusqu'au gouvernement de Vichy, tous les régimes métropolitains
ont conduit une politique tendant à décourager l'industrialisation coloniale. 99 Il
importe en conséquence de faire un bref rappel des positions vichys.tes et des vues de la
conférence de Brazzaville sur la question de l'industrie coloniale en Afrique française.
Il: DE VICHY A BRAZZAVILLE. LES LEÇONS DE LA GUERRE
L'insécurité des océans, l'occupation de la métropole et les dommages causé
par la guerre à l'appareil de production française créèrent les conditions d'une grave
pénurie dans les colonies françaises d'Afrique. Elle se prolongea bien au-delà du conflit
mondial. L'A.O.F. restée sous le contrôle de Vichy subit plus durement encore les
difficultés conjoncturelles. La rupture des liaisons maritimes et à sa suite des échanges
commerciaux avec la métropole réduisaient à un niveau sans précédent le commerce
extérieur de la colonie.1OO
L'isolement des colonies françaises dans le cocon de l'économie impériale
rendait la suppléance du marché mondial difficile devant la défaillance métropolitaine.
A partir de ce moment, la question de l'industrialisation des colonies cessait d'être
théorique. Il fallait parer au plus pressé et le gouvernement de Vichy s'y employa par
des moyens énergiques et autoritaires.
99. cr. première partie chapitre 2.
loo.cr. Annexe N"l

162
J";V;clly et la question de l'industrialisation
Un plan de développement décennal fut mis au point rompant avec le
postulat que les colonies doivent financer intégralement, avec leurs ressources, leur
équipement. 101
C'est certainement là un indice tendant à montrer que si la contrainte
conjoncturelle a joué un rôle important dans cette nouvelle orientation, il n'en demeure
pas moins que le choix vichyste rompait avec les conceptions antérieures. Trois principes
orientaient le plan d'industrialisation :102
al réduire les frais de transport à l'exportation.
bl transformer sur place les matières premières locales chaque fois que
l'usinage en métropole n'était pas avantageux.
de
cl assurer le ravitaillement en prioritila métropole.
L'ensemble des organismes administratifs furent mIS à contribution pour
appuyer cette nouvelle orientation. Un service fédéral de la Production Industrielle fut
créé et rattaché à l'inspection générale des Travaux Publics en février 1942.103 L.a
remise en cause des politiques précédentes prenait un cours irréversible. Les aspects les
plus anachroniques du pacte colonial furent l'objet de critiques acerbes:
alors que la matière est sur place et qu'il suffirait d'une transformation ne
nécessitant ni matériel délicat, donc difficile à manier, ni une main d'oeuvre trop
abondante ou trop spécialisée, il est contraire à la plus saine des logiques d'exporter
cette matière première sur France et de l'y faire revenir transformée. 104
101· A.N.s., Annexe, dossier 1244 : Rapport de la direction générale des Services Economiques cité dans le
Rapport du Grand Conseil de l'A.O.F. sur les GMD, 1949.
.
102. C. COQUERY.VIDROVITCH : -L'impérialisme français en Afrique Noire: idéologie impériale et
politique d'équipement, 1924.1975-, Relations Internationales ~ Automne 1976. pp. 261·282.
103. A.N.s., 1 Q 404 (77). gouvernement général de l'A.O.F., direction générale des services économiques:
Rapport sur les Industries en Afrique Occidentale Française. Février 1942.
104. A.N.s.O.M., Carton 57 Dossier 2. Lettre du Comité d'Organisation des Productions Industrielles
Coloniales au Président du Comité Central des Groupements Professionnels Coloniaux, le 2 avril 1942.

163
Toutes ces idées furent reprises lors de la Conférence de
Brazzaville.
Longtemps encore elles marquèrent les décisions en matière d'industrialisation en
Afrique Occidentale Française.
La rupture avec le passé n'était pas pour autant partagée par l'ensemble du
personnel administratif colonial. L'un des principaux adversaires de cette nouvelle
option "industrialisante" était le premier responsable de la Fédération. Il revenait aux
anciennes craintes d'une prolétarisation dangereuse des masses rurales identifiées à
l'Afrique profonde. Pour le Gouverneur Général Boisson, '7'Afrique noire, [...J est
paysanne [...J et elle doit le demeurer"lOS Le pouvoir de ce responsable accru par
l'isolement de l'Afrique Occidentale Française de la métropole n'avait pas suffi pour
endiguer le processus enclenché. Les contraintes conjoncturelles eurent plus de poids
que la volonté des autorités.
2°/ La réponse de Brazzaville
Les idées du projet vichyste revinrent dans les débats de la conférence de
Brazzaville.106
La politique économique à mener en Afrique française après la guerre divisa la
conférence.
Dès les
préparatifs,
les
divergences
étaient apparues.
Dans
une
correspondance adressée au gouverneur général, le gouverneur du Dahomey se montrait
favorable à l'industrialisation et au "libéralisme" dans les échanges internationaux.107
Après la guerre, la théorie reprit ses droits non pour discuter de la nécessité
d'industrialiser ou non -question close par les leçons de la guerre et ses conséquences-
mais pour définir le type d'industries à implanter dans les colonies et avec quels moyens.
105. A.N.s.O.M., Carton 57 Dossier 2, Lettre il la Fédération Nationale des Producteurs de coton et de
kapok, le 22 octobre 1941.
106- Trois participants il la conférence : Edmond G. d'Estaing, Du Vivier de Streel et G. Peter étaient
membres des groupements professionnels sous le gouvernement de Vichy. Le dernier était au moment
de la conférence le directeur des Affaires Politiques au ministère des Colonies.
Cf. J. MARSEILLE: -Art. dt-.1988, colloque -Conférence de Brazzaville, 1988.
107· A.N.s., 17 G 187 (100) : Conférence de Brazzaville: lettre de M. Assier de Pompignan gouverneur du
Dahomey au gouverneur général de l'A.O.F. le 14 décembre 1943.

164
Dès avant la fin de la guerre, la Conférence de Brazzaville fixait les principes
directeurs de la politique d'industrialisation :108 Il considérait que les industries à
créer devaient être viables sans aucune protection. Ce point de vue découlait de
l'expérience de sa colonie dotée d'une huilerie livrant des produits de qualité inférieure,
à des prix supérieurs à ceux de Rufisque. Toute discrimination douanière basée sur
l'origine du produit était à bannir. Compte tenu des besoins en équipement industriel, le
gouverneur estimait nécessaire la pratique de la politique de porte ouverte comme dans
le bassin conventionnel du Congo. Il concluait à propos du futur immédiat des colonies
en matière économique que
les industries métropolitaines, pas plus que la production coloniale, n'étaient
justifiées à espérer un retour au système autarcique. 109
Prenant le contre-pied de cette argumentation, les services techniques du
gouvernement général en particulier la direction générale des Services Economiques et
la direction générale des Travaux Publics se montraient plus prudents
Le rapport de la
première à la conférence adopta une politique en priorité destinée à améliorer
l'agriculture compte tenu de l'insuffisance de la main d'oeuvre en AO.F.Hlereprenait
quasiment mot pour mot les conclusions du rapport de Edmond Giscard d'Estaing de
1932 pour un développement harmonieux du pays, conforme à sa nature propre par la
mise en valeur par priorité de ses richesses agricoles encore inexploitées", l'industrie ne
suivrait qu'au cours de la prochaine décennie.110 Celle-ci porterait sur la transformation
des produits locaux à valoriser avant exportation : huileries, tanneries, scieries, sacheri.s
et ultérieurement : chaussures, filatures, forges, fonderies. Dans l'immédiat, la création
d'ateliers de réparation était
suffisante 111 Le rapport recommandait également la
révision des constructions d'usines projetées durant les difficultés de ravitaillement pour
la pâte à papier, le carburant végétal et la bitume.
108· C. COQUERY·VIDROVITCH:"Art. Cit", Relations Intemationale~ 1976.
109· A.N.s., 17 G 187 (100) : Id
l1o-lbid : Rappon général direction générale des Services Economiques. 1943.
111· Le rapporteur considérait nic:essaire de consacrer la quasi totalité des sommes disponibles dans
l'équipement MIrai en particulier:
Oftice du Niger : 1 milliard, Vallée du Sénégal : 250 millions, cuvette du Niger : 50 millions, Puits : 200
millions et forages: 50 millions.

165
Les arguments économiques n'étaient pas seuls en cause dans cette réfutation
de la nécessité d'industrialiser l'AO.F. La peur d'une prolétarisation des ruraux , à
terme politiquement dangereux avait également prévalu. Il attendait de l'expansion
agricole un moyen de résorption des populations flottantes déjà nombreuses dans les
villes.1U
Dans l'attente des difficultés d'après~guerre, il était préconisé l'amélioration de
l'encadrement des autochtones contre les
sollicitations extérieures susceptibles d'exploiter ses rancoeurs et déceptions à des
113
fins politiques.
Dans cette optique, la ''boutique de brousse type-bazar" tenu par les petits
marchands étrangers ou métropolitains étaient jugéti'inutiles". Ce fut autour de ces deux
positions que s'élaborèrent différentes nuances lors des assises de Brazzaville.
La conférence parvint à des conclusions assez générales permettant toutes les
souplesses et réservant une importante marge de manoeuvre pour l'avenir immédiat. En
matière d'orientation économique, des principes directeurs étaient tracés pour la
conduite des affaire~ coloniales après les hostilités114 :
al Relever le niveau de vie des colonies en vue d'amorcer un croît
démographique préalable indispensable au démarrage économique.
bl Industrialiser pour suppléer la déficience de la main d'oeuvre par le
machinisme, à condition que soit éviter la prolétarisation des autochtones et
l'implantation d'industries lourdes qui rompraient la dépendance de la métropole.
cl Mettre au point un plan décennal de travaux et de commandes pour suppléer
le manque de moyens des colonies et l'insuffisance de l'initiative privée.
dl Ouvrir l'espace colonial français au marché mondial par l'institution de la
"personnalité douanière".
lU· Id.
113- Id.
114- C. COQUERY·VIDROVITCH : -Art. Cit-, Relations Intemationales.1976,

166
La mise en oeuvre de cette politique exigeait une intervention vigoureuse des
pouvoirs publics qui dans cette mauvaise conjoncture disposaien{seul des moyens
nécessaires.
La conférence de Brazzaville eut lieu dans un contexte international mar.qué
par l'incertitude quant à l'avenir même de la colonisation. Ce qui, en partie, explique le
caractère vague. de ses prises de positions, malgré les bouleversements apportés par la
guerre dans la vie des colonies. On peut cependant déceler urttendance au triomphe des
intérêts des grandes entreprises financières et industrielles sous le couvert de la
puissance publique. N'y avait-on pas affirmé que
le temps n'est plus où l'initiative privée peut tenter sans aucun guide des efforts plus
souvent suivis d'échecs que de succès. Ils
La mise en place du F.I.D.E.S. et la C.C.F.O.M. fut l'une des principales
mesures ayant une filiation avec la conférence de Brazzaville. Les maisons d'import-
export, les entreprises de travaux publics toutes sous le contrôle des firmes
multinationales continuèrent à prospérer après la période faste des "antériorités" grâce
au flux financier métropole/A.O.F. généré par l'intervention de l'Etat. Ce dernier fut à
la base de la densification du tissu industriel de Dakar et son espace environnant.116
III ; L'HUILERIE. UNE INDUSTRIE DANS LE PROLONGEMENT DE LA
TRAITE
Nonobstant la position "anti-industrialisante" des gouvernements français
successifs dans l'entre-deux-guerres, quelques initiatives isolées parvinrent à fissurer la
structure économique de l'Afrique Occidentale Française en implantant dès 1920 les
premières unités industrielles. Au Sénégal, les premières industries se développèrent
dans la transformation de l'arachide.
115- G. PETER dU par J. MARSEILLE: "Art. Cit".l988.
116- A. DUBRESSION : L'espace Dakar-Rufisque en devenir de l'héritage urbain à la croissance industrielle.
Travaux et Documents de l'ORSTOM, N" 106, 1979,371 p.

167
r/ L'évolution globale de l'huilerie sénégalaise
Accompagnant l'expansion économique des années 1920, les entreprises de
décorticage d'arachide se multiplièrent, très tôt suivies par l'installation d'huileries. Les
gains obtenus sur le transport du produit rendu moins pondéreux et la revalorisation de
la production arachidière qu'entraînait le façonnage, incitèrent les promoteurs à
s'installer dans les zones de grande production. Ce n'est pas à Dakar que naquit
l'huilerie sénégalaise. Dès 1920-1921, s'édifièrent à Kaolack et Diourbel, respectivement
la Société des Huileries et Rizeries de l'Ouest Africain (S.H.R.O.A) et la Société
Electrique et Industrielle du Baol (S.E.I.B.).
Avec une décennie de retard par rapport aux régions de l'intérieur, Dakar se
dotait de deux huileries en 1930 et 1932: les Huileries et Savonneries de l'Ouest Africain
(H.S.O.A) et les Etablissements Pétersen.117 L'évolution de ces derniers constituent
une illustration parfaite du rôle de l'huilerie dans l'économie de traite.
Les Etablissements V.Q. Pétersen furent avant tout une maison de commerce
colonial. Le fondateur de l'affaire était d'origine danoise. Viggo Quitsgaard Pétersen
occupait plusieurs postes d'administrateur dans des entreprises dakaroises. A la Société
Africaine d'Assurance fondée en 1945, il était l'associé de membres du groupe bordelais
de la colonie : les Etablissements Vézia, Chavanel, Maurel et fils, Pierre Soucail et le
groupe Delmas par l'intermédiaire de la société des Messageries du Sénégal. Cette
association était coiffée par la banque titulaire du privilège de l'émission en Afrique
Occidentale Française la B.A.O. et par le groupe Lésieur par le biais de la société Le
Commerce Africain.
En 1946, Pétersen participait au Consortium des huiliers locaux dans la Société
Dakaroise des Huiles d'Arachides avec les H.S.O.A, les S.H.R.O.A On retrouvait les
Etablissements Pétersen dans le conseil d'administration de la Société Financière
Africaine (S.F.A), une entreprise de crédit spécialisée dans l'immobilier et patronnée
par la Banque Commerciale Africaine en juillet 1932.
117· cr. Annexe N"4 : Répertoire des entreprises •

168
Les mêmes commerçants-huiliers, fondateurs du consortium dakarois furent à
l'origine d'une entreprise s'inscrivant dans la chaîne de transformation et d'exportation
de l'huile: les Fûts Métalliques de l'Ouest Africain (F.U.M.O.A.) en 1946. En 1943,
déjà, avait été créée dans la même perspective et à cause de la rupture de
l'approvisionnement métropolitain, la Société Coloniale du Sac (SO.CO.SAC).

169
L'essor du département industrie du groupe Pétersen a été permanent avec une
nette accélération pendant et après la guerre.
Tableau N° 19 EVOLUTION DES DIFFERENTES PRODUCTIONS

..
***
· 1936 . 1937 . 1938 . 1943 .1947
.1949
.
------------ ------ ------ ------ ------ ------1 • -------
.HUlLE BRUTE. 2094 • 3876 . 5287 .16000 .18000 . 18000 •
------.------.------.------.------.-------
• TOURTEAUX
· 2574'. 4982 . 6688 .
.24000 • 25000 .
------------ ------
·
------
.
.------ ------
.
------
.
.-------
• DECORTIQUES . 3469 . 3611 . 5500 •
• 23000 .
------------ ·------ .------ .------ .------ .------ .-------
. PROVENDES
300 .
Source: A.N.S.
,F.C.C., Dossier 519 : Mobilisation Economique
1939 .. Huile raffinée .
ANS,
1 Q 554
(148)
: Huileries A.O.F.,
1946-1947.
*
I.S.E.A., 1964 pp. 9-a.
**
Enquête administrative 1950.
***

170
Jusqu'au démarrage de l'usine Lésieur, les Etablissements Pétersen étaient la
plus grande huilerie de Dakar. Elle produisait en 1947 plus de 55% du tourteau
sénégalais, le reste étant le fait de six autres entreprises. Ces dernières trituraient
ensemble 15.242 tonnes d'huile brute, moins que la production d'huile raffinée de
Pétersen.118
Pour peser davantage sur la production d' huile, faire des économies d'échelle
et profiter des avantages portuaires qu'offrait la capitale de l'AO.F., les petites
entreprises montèrent une unité de raffinage à Dakar. Les H.S.O.A, la S.E.I.B., la
S.H.R.O.A. et la S.E.I.C. se taillaient ainsi une part importante dans le raffinage avec la
Société des Huiles de Rufisque (S.S.H.R.) et traitaient en 1943, Pt u s d~ 14.000 tonnes
d'huile brute.
Certaines entreprises dépassaient à peine le stade artisanal : le Libanais
Loftallah Copti dépassait à peine une production de 500 tonnes, la C.F.AO. 1000
tonnes·119
118· I.s.E.A., Op. CiL 1964.
119·Id.

171
2°/ Le tournant de la guerre: la résistance métropolitaine à la remue en cause de l'"adusif colonial"
A sa naissance, cette industrialisation relativement
précoce du Sénégal à
l'échelle de l'Afrique Occidentale Française, était une initiative du commerce local. Il
est remarquable que ce ne furent pas les grandes maisons de commerce qui se
montrèrent les plus actives dans le processus. Il découle de ces deux faits une importante
conséquence qui pendant longtemps se maintint : la faible concentration du capital
industriel dans l'huilerie en plus du caractère artisanal de certaines unités. Après les
entreprises de décorticage, l'huilerie fut la seconde étape de l'industrie inscrite dans le
prolongement de la traite. Elle participait à une valorisation croissante de la première
production agricole sénégalaise, avant l'exportation, et en même temps, approvisionnait
un marché intérieur jusqu'alors dominé par les entreprises métropolitaines et la
trituration anisanale au niveau villageois. Ainsi,
se dessinait une progressive
modification de la structure des exponations de produits arachidiers. 12 0
120- Cf. Figol"e"-N"19 : L'évolution de la structun: des exportations des produits arachidiers de l'Afrique
Occidentale Française dont le Sénégal était le principal producteur.

172
ïab\\e.au
EXPORTATIONS DE PRODUITS ARACHIDIERS D'A.O.F. (Moye~~es 9ui~9ue~~ales e~ mi1liers de to~~es)
ANNEES
1905
1910
1915
1920
1925
1930
1935
1940
1945
1950
1955
PRODUITS
1909
1914
1919
1924
1929
1934
1939
1944
1949
1954
1959
1"
145 731
225 350
177 739
274 761
443 430
409 465
397 965
19 69B
4 233
22 116
7 364
COQues
2
100
100
88,81
94,7
99,52
96,4B
72,04
9,77
l,B9
7,53
1,75
1
22 330
15 230
1 562
13 639
150 64B
162 77B
17B 035
196 397
314 B57
DécortiQuhs 1-- 1-._ _.-
2
11.16
5.97
0,35
3,21
27,29
BC,75
79,63
66,B3
74,Sl
1
76
79
585
1 296
3 729
19 095
41 308
75 373
98 642
Hui le
2
0,04
0,03
0,13
0.31
0,68
9,47
18,48
25.65
23,44
1 : Po'os
2 : Po~rcentage de l'ensemble des exportations
~ : I.S.E.A. : QR. ~ P. 9b
1

173
Les dates de création des huileries au Sénégal indiquent très nettement un
mouvement rythmé par les divers
renversements des tendances de la conjoncture
économique. La première poussée coïncida avec la courte crise de 1920-1921. La
période d'expansion qui suivit, marquée par une hausse des prix des matières premières
agricoles coloniales, n'enregistra aucune installation d'huilerie au Sénégal. Avec la crise
des années trente, et l'effondrement des cours de l'arachide sur le marché mondial,
quatre huileries s'implantèrent à Dakar, Ziguinchor et Louga. La deuxième guerre
mondiale et la pénurie qu'elle provoqua achevèrent la mise en place du tissu industriel
sénégalais dans le secteur de l'huilerie pendant la période coloniale.
Les difficultés des liaisons avec la métropole et le ralentissement de la
production consécutifs à l'occupation du territoire français, furent à l'origine d'une nette
croissance de la demande de produits arachidiers à l'Afrique Occidentale Française.
Jusqu'alors, du fait de l'opposition des huiliers métropolitains, entre autres raisons, les
huileries coloniales fonctionnaient loin de leur capacité maximale de trituration. Face
aux puissantes sociétés multinationales qui dominaient le marché mondial des corps
gras 121, seule une protection sur le marché français permettrait à cette industrie
naissante de se maintenir. A la suite d'une entente avec les producteurs métropolitains,
le décret du 27 août 1937 autorisait l'entrée en franchise douanière de 5800 tonnes
d'huile brute en France et en Afrique du Nord. Au-delà de ce contingent, un tarif
minimal était appliqué aux exportations autorisées sous licence délivrée uniquement aux
huiliers ayant déjà exporté avant l'accord.
Avec la guerre, toutes ces dispositions devenues des entraves inutiles tombaient
en désuétude. L'Afrique Occidentale Française fut de plus en plus sollicitée par le reste
de l'empire pour la fourniture de produits huiliers que la métropole ne pouvait plus
fournir. 122
121· Une violente campagne de presse fut déclenchée contre le groupe Ufli/~r accusé d'être à l'origine de la
crise des cours de l'arachide sénégalaise durant l'effondrement des années trente. Participèrent à cette
campagne La Production Française Awco1e et Industrielle et les petites et moyennes entreprises de
commerce françaises. Le premier dans son numéro du 13 mars 1932 estimait le capital du groupe sans
ses filiales à 16 milliards de francs. Unilever contrôlaient aussi, selon la même source 75% de la
fabrication de margarine et 75% des huileries en Europe, 80% de la savonnerie mondiale.
122. Demande d'huile à l'A.O.F.: 1941.

174
Le contingent fut porté en 1941 (loi du 24 janvier) à 45.000 tonnes dont 18.000
à la seule huilerie Lésieur qui venait de se dé-localiser à Dakar. à la suite de la
destruction de ses usines de Dunkerque, dans le nord de la France.123 Plusieurs
maisons de commerce envisagèrent sans suite des projets d'huileries : Chavanel et Cie,
les Etablissements Victor Régis, Maurel et Prom, Desmarais et Frères, Maurel et
Frères.124 L'administration locale encouragea la mise en place de petites huileries qui
réduiraient le fret, pour faire face au manque de moyens de transport. l 2 5
La tournure que prenait l'implantation des huileries dans la colonie si faible fut-
elle, ne laissa pas indifférente l'huilerie métropolitaine. Etait-elle seulement une
réponse aux difficultés conjoncturelles ou le prélude à une remise en cause définitive de
"l'exclusif colonial"?
Dès la fin du conflit mondial, le problème de la poursuite du processus
enclenché dans la colonie du Sénégal se posa avec acuité. La lutte pour le contrôle du
marché métropolitain et Nord Africain devint inévitable entre huiliers métropolitains et
coloniaux. Au-delà de ce conflit immédiat, se profilait Je sort de l'industrialisation des
colonies.
--------------------------------------._-----------
DEMANDEURS
QUANT!TE(tonnes)
AFRlQUE DU NORD
35.150
ANTILLES. REUNION, MADAGASCAR
2.352
S
TRAVAUX TRANSAHARIENS
5.000
CONSOMMATION WCALE
12.000
Source: A.N.s., 1 Q 554 (148) : Huileries A.O.F., 1946-1947.
123_ A.N.s.: 1 Q 554 (148),)g.
124. )g.
125. Jg.
1

175
Première intéressée dans cette lutte, la Fédération Nationale des Industries de
Corps Gras (FNICG) éleva une vive protestation contre l'extension du contingent
alloué
à l'Afrique Occidentale Française. Dans une lettre au ministre vychiste des
Colonies, elle exprimait les inquiétudes de sa corporation à propos de la dé-localisation
de Lésieur et du privilège que constituait l'allocation fatte à ce groupe de 18000 tonnes
hors du contingent de la colonie. Ces mesures annonçaient, selon la FNICG, le "malheur
de la famille corporative des Fabricants d'huile de France. ,,126
La controverse s'aiguisait avec l'option du gouvernement de la France Ubre
pour une industrialisation des colonies. En 1944, le gouverneur général de l'AO.F.
demandait la suppression du contingentement pour permettre au Sénégal de triturer et
d'écouler les 53000 tonnes d'huile correspondant à la demande de l'empire.127 Le
Syndicat de Défense des Intérêts de la Côte d'Afrique (SYNDICOA), largement dominé
par les grandes sociétés d'import-export de la colonie s'opposait énergiquement à cette
requête des autorités locales. Un de ses membres les plus en vue dans le commerce
colorual, Jean Maurel, considérait que cette politique était '7'exemple type de l'erreur
économique à éviter. ,,128 L'inquiétude du grand capital commercial devant une
éventuelle remise en cause de la division impériale du travail fit hausser le ton· des
débats. Pour les défenseurs du statu quo, les tentatives d'innovation venaient du
désan-oi politique de ces demières années" qui a vu se créer "de toute pièce au
129
Sénégal une impol'1ante industrie hui/ière.
U6. Ibid. Lettre au ministre des Colonies: le 27 mars 1941.
127. Ibid. Lettre au ministre des Colonies: le 19 Février 1944.
U8. Ibid. Note de J. Maurel.
U9. A.N.s•., 1 Q 122 (74), Mission d'Inspection Générale Mérat, Note de Jean Maurel, 1945.

1
]76'
Prétextant l'entrave que constituerait l'industrialisation pour la réalisation d'un
vaste programme agricole, les représentants des grandes sociétés commerciales
s'abstinrent non seulement d'y prendre une part active mais la combattirent par tous les
moyens possibles. A terme, cette évolution rapide de l'industrie liée à l'arachide
remettait en cause leur hégémonie dans le circuit arachidier à moins qu'elles ne suivent
le mouvement·130 Cette alternative ne semblait pas pour le moment recueillir les
faveurs du grand commerce. La priorité, pour lui, était plus dans le développement de la
production arachidière
que l'implantation d'industries concurrentes de celles de la
métropole. 131
Il va sans dire que les tenants de cette ligne de conduite, à leur tête J. Maurel,
n'étaient pas seulement mus par l'unique souci de défendre l'industrie métropolitaine à
laquelle i 15 participait·~t les intérêts du paysans sénégalais. L'augmentation de la
production agricole profitait avant tout aux grands exportateurs dont la maison Maurel
était un des représentants attitrés. Le retour du produit fini s'effectuant par le canal des
réseaux commerciaux qu'ils contrôlaient fonde l'intérêt manifesté pour la préservation
du monopole métropolitain sur le façonnage de l'arachide.
L'Union Syndicale de l'Huilerie Française plus modérée, s'en remettait à
l'autorité publique pour la mise au point d'un statut définissant l'activité industrielle
métropolitaine et coloniaJe.132 Cette modération ne prenait-elle pas acte de
l'irréversibilité du processus en cours dans les colonies?
130. Production et Exportation d'Huile au Sénégal pendant la Guern (milliers cie tonnes)
1939 19401941: 1942 1946
PRODUcrlON
11
20
40
27
36,37
EXPORTATIONS
5,5
13) 24
Source: A.N.s.., 1 Q 554(148), Huileries eD A.O.F. 1946-19<t7.
131. A.N.s.., 1 Q 554 (148), Note de J. Maurel.~.
132. A.N.s.., 1 Q 122 (74), Mission Mérat, Voeu de l'U.s.H.F. du 14-12·1944.
1

177
L'exemple de l'huilerie montre amplement que ni le capital financier et
industriel métropolitain ni le grand commerce colonial n'ont été aux avant-postes dans
l'investissement industriel en AO.f. Paradoxalement, c'est le commerce d'envergure
moyenne qui fut à l'origine des principales unités de transformation industrielle des
produits arachidiers. La conséquence ce fut l'émiettement des unités industrielles
incapables de faire face à la concurrence sur le marché mondial. Elles ne pouvaient
compter que sur une ouverture du marché métropolitain et
. sa protection douanière.
Entre 1920 et 1948, le Sénégal compta jusqu'à une dizaine d'huileries dont la moitié à
Dakar. Ainsi était immobilisée une capacité productive totale de plus de cent mille
tonnes pour une production effective de 30000 tonnes d'huile brute. Soit 71% de sa
capacité productive inutilisés.
L'investissement dans la transformation de la production arachidière était une
réponse du commerce moyen aux conséquences d'une conjoncture défavorable,
marquée par l'effondrement des cours ou d'autres difficultés d'écoulement des produits.
Moins vulnérables au mouvement de la conjoncture, du fait de leur position dans la
structure du commerce de traite, les grandes maisons de commerce n'envisageaient
leur implication dans le champ industriel· qu'avec beaucoup de réserves. En dehors de
celles qui pouvaient découler de l'Etat, les contraintes qui s'imposaient à l'investisseur
industriel étaient essentiellement de trois ordres : l'existence d'un marché capable
d'absorber la production, l'approvisionnement en matières premières et la disponibilité
d'une force de travail "libre".
Les grandes maisons de commerce mieux que les moyennes étaient en mesure
de vaincre ces obstacles. Au moment où les secondes s'investissaient dans l'industrie par
autodéfense dans une conjoncture défavorable, les premières par conservatisme et
défense de leur position dominante étaient restées dans l'expectative ou même
s'opposaient au processus d'industrialisation.

178
Les profits tirés du commerce de traite, l'appui des organismes privés de crédit
mettaient à la disposition des grandes firmes coloniales des moyens financiers capables
d'assurer une immobilisation de leurs ressources dans l'industrie. Ce n'était pas par
défaut de disponibilités financières qu'elles s'étaient abstenues de participer à
l'investissement industriel. A posteriori, leur reconversion ultérieure en était une
preuve. Les solides réseaux de comptoirs, de factoreries et d'opérations dans lesquels les
grandes sociétés de traite enserraient l'espace économique ouest africain, les
prémunissaient
contre
les
effets
d'une
éventuelle
concurrence
de
l'industrie
métropolitaine exportatrice vers les colonies. Du reste, celle-ci écoulait ses produits par
le canal des réseaux de commerce tenus par ces firmes. Les colonies où dominait le
commerce de traite étaient pour ainsi dire la chasse gardée de ces dernières. Le
problème de la force de travail et de sa capacité à mettre en oeuvre les instruments
techniques pouvait également se poser. Des progrès notables avaient été enregistrés, à
partir des années trente, concernant la constitution d'un marché libre du travail, dégagé
des rapports de production domestiques pour le salariat. 1 3 3
Sans sous-estimer les problèmes que l'interaction de ces différents éléments
dans un ensemble social complexe ne manquaient pas de poser, on peut affirmer que le
choix "anti-industrialisant" des grandes sociétés de commerce était plus lié à la
conservation de leur position dominante dans la structure économique de l'Afrique
Occidentale Française. Au moment où le pouvoir politique se remettait de son
aveuglement des années trente, le grand commerce colonial s'accrochait avec ténacité à
la traite. Il faudra attendre l'intervention financière massive de l'Etat dans l'économie
coloniale, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, pour décider les grandes
sociétés commerciales à s'engager dans une reconversion industrielle. A la veille des
années 1960, elles étaient, en définitive, bien impliquées dans l'industrie de substitution
aux importations.134
133· M. LAKROUM : Le travail inéial. paysans et salariés Sénégalais face à la crise des années trente., Paris,
l'Harmattan, 1982, pp. 123 et suivantes.
134· Ce caractère "parasitaire" du capital commercial que nous venons de souligner dans
un contexte colorual a fait l'objet d'un long débat sur son rôle dans la genèse du
capitalisme. Selon certains théoriciens, sa croissance est une des conditions nécessaires
pour un développement du capitalisme, sous sa forme industriel, à travers la
concentration financière qu'elle favorise. Cependant, selon les mêmes auteurs, dans un
contexte de souveraineté de l'Etat, la domination du capital commercial engendre des
effets rétrogrades sur l'ensemble économique. Par le bIais de l'usure, Il détériore les

179
CHAPITRE VII : L'INDUSTRIE DE SUBSTITUTION AUX
IMPORTATIONS: RESISTANCE ET ACCOMODATION DU CAPITAL
COMMERCIAL
Cette forme d'industrie s'édifia en même temps que celle destinée à
l'exportation au cours des années 1920. Elle consistait à fabriquer, dans un premier
temps avec des matières premières locales, des produits destinés en priorité à la
consommation intérieure et qui étaient jusqu'alors importés. Elle s'est par la suite
diversifiée en travaillant des matières premières importées : meunerie, boisson,
biscuiterie, bougie.
1: LES PIFFICULTES DE LA RUPTURE
Jusqu'à la deuxième guerre mondiale, le capital commercial d'envergure
moyenne était la principale source d'investissement industriel en Afrique Occidentale
Française. A partir de la seconde guerre mondiale, des groupes financiers beaucoup plus
puissants se satellisèrent les anciennes firmes commerciales et les impliquèrent
davantage dans l'investissement industriel. Ils se firent, avec leurs administrateurs, les
défenseurs de la politique de valorisation de la production agricole locale par
l'industrialisation. La résistance des vieilles maisons de commerce s'effondra face à leur
offensive économique tendant à concentrer entre les mains de quelques puissants
administrateurs de multiples affaires jusqu'alors indépendantes. Le mouvement de
concentration né avec le siècle avait donné naissance à des firmes multinationales telles
que la S.C.O.A. et la C.F.A.O. à partir des années quarante, c'était un chapitre nouveau
qui s'ouvrait dans ce processus.13 5
conditions d'existence de l'artisan sans pour autant révolutionner le mode de production
antérieur qu'il tendrait à figer.(Voir HILTON (R.), 1953 et DOBB (M.), 1977.)
MUllllis mUla1tdis, le graod capital colooial s'appareote il cette rooctioo.
cr. M. DOBB et P. SWEEZV : Du Féodalisme au Capitalisme. Problèmes de la transitjon. Paris, F. Maspéro, 2
tomes, 1977, 238 et 191pp.
135_ Robert Lemaignen était membre de nombreux conseils d'administration à travers
tout l'empire français. Il était administrateur de la Compagnie Air-France, des Salins du
Midi, des Salins de Djibouti, de la B.AO., des Docks et Entrepôts du Havre, vice-
président de la comnnssion économique du C.N.P.P. Après cinq ans de service à la
C.E.E comme commissaire, il retrouvait ses fonctions de président de la compagnie
général OPTORG et de l'Union Financière Internationale pour le Développement de
l'Afrique, de membre de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer.
a. :.AFRICA NO 46, 1969 : -Qui est M. Robert Lemaigneo?-

180
Robert Lemaignen, un des chefs de file de cette oligarchie financière des
colonies se fit le défenseur acharné de l'industrialisation que les pouvoirs publics se
devaient d'encourager. Lié à la haute banque française, il était administrateur dans des
sociétés aussi diverses que les Anciens Etablissements Peyrissac, dans les entreprises
portuaires comme la SO.CO.P.AO., les AC.D., Dakar-Soutes, Dakar-Mazout.136 La
nécessité d'une rationalisation de l'économie de la traite par la valorisation locale des
produits du crû s'ajoutait à d'autres éléments, accélérant l'industrialisation.
de
Dans le sillage du F.I.D.E.S., les entreprises Xfabrication
de matériaux de
construction se multipliaient.137 Aux importations de produits alimentaires et textiles,
se substituait une production industrielle locale. Un code fiscal assez libéral incitait le
capital
industriel
à
s'investir
en
Afrique
Occidentale
Française.
Le
boom
e.n
démographique dakarois et son importante population européenne créai1 un marché
favorable à l'industrie. L'équipement infrastructurel mis en place par l'administration, la
fourniture à des prix relativement bas de l'énergie électrique, et les difficultés de la
France dans le reste de l'empire, participèrent également à l'attraction des
investissements industriels en AO.F. Entre 1947 et 1957, le kilowatt/heure enregistrait
une chute de son prix de plus de 70% en valeur constante (déflaté à partir de l'indice
des prix de gros français. INSEE, base 1938= 1(0) et de 14% en valeur courante. 138
1
Les conditions étaient réunies pour la rupture des liens de dépendance de la
l
colonie vis-à-vis de l'industrie métropolitaine pour la fourniture de certains biens de
consommation courante. Seulement, cette rupture mettait en place une dépendance
l
nouvelle: financière et technologique. La colonie s'adaptait à de nouveaux mécanismes
d'exploitation rompant progressivement avec les méthodes vieillies de la traite
1
traditionnelle. D'importateur de produits finis industriels, le Sénégal devint non
seulement producteur mais aussi exportateur pour le marché de l'Afrique Occidentale
l
Française au moins. Cette nouvelle orientation aboutit au moment des indépendances à
une production industrielle fournissant 9,5% du P.I.B., part inégalée dans aucun autre
1
pays de l'Afrique française au sud du Sahara.139
136. F.l.O.E.s.: Fonds d'Investissement pour le Développement Economique et Social.
1
137. Annuaire Statistique de l'Afrique Occidentale Francaise, 1954, pp. 47,51 et 52.
138. Calculés Il partir de I.s.E.A.~., 1964.
1
139. D. K. FIELDHOUSE : Black Africa 1945-1980. Economie Oecolonization and arrested Oevelopment,
Londres, Allen & Unwin Ltd, 1986, pp 43.
1
1

181
Dans la mise en place du tissu industriel de l'AO.F., Dakar a ~t~ largement
privilégiée par rapport aux capitales des autres territoires. 14 0
Cette avance prise sur les capitales territoriales de l'AO.F. se maintint
jusqu'aux années 1960. Dakar devait son privilège à la conjugaison des effets d'un
certain nombre de circonstances. Capitale fédérale, elle centralisait l'essentiel des
services centraux du gouvernement général créant ainsi une importante demande de
produits et services lié'?l à la présence de fonctionnaires européens. Le rôle économique
et militaire du port de Dakar vint étoffer cet avantage. 141 Les entreprises industrielles
tirèrent profit des sommes importantes investies dans l'infrastructure largement
prioritaire sur les autres dépenses. 14 2 L'industrie bénéficia également de la forte
poussée de la demande mondiale de matières premières par l'augmentation sensible des
revenus paysans qui eut une influence sur la demande locale. 14 3
A titn comparatif: Part de l'industrie dans le P.I.B. de certains pays d'Afrique en 1960.
PAYS
%
Congo••_.__.14
Kenya
.9,5
1
Gold CoasL_••_
6,3
Côte d'Ivoire_ 5,3
Togo(1965) •••..__• 6,3
1
Gabon._ _ 6,1
Nigéria_ _ 4,5
Rhodésie du sud_ 16
1
140. A. SECK: Op. Cit., 1970, pp. 305 et suivantes.
1
141. R. NGUYEN VANoCHI.BONNARDEL : Vie de relations au Sénégal. la circulation des biens. IFAN,
Mémoires N" 90, Dakar, 1978, PP 182 il 184.
142. J. C. BERTHELEMY : -L'économie de l'Afrique Occidentale française et du Togo: 1946-1960-, Rev.
1
FrçSe d'His!. d'O.M., N"248·249, troisième trimestn 1980. pp. 301.337.
143. Id.
1
1

182
Dans le processus de densification du tissu industriel, le branche alimentaire
arrivait en tête. 144 La transformation des ressources halieutiques connut un net
Q.n eau&~
développement dans la région de Dakar. Elle remettai~ dans une certaine mesure, la
cette.
maîtrise d~aetivité par les femmes de pêcheurs ou des entreprises dépassant à peine le
stade artisanal. Elle fut surtout favorisée par la pénurie alimentaire durant la guerre. La
Société Franco-Coloniale de Conserverie (SOFAC) fut dans l'immédiat après-guerre la
principale entreprise de cette branche. 14 5
Installée à Dakar en 1924, elle connut des débuts difficiles liés au
ravitaillement en matières premières. Cette situation aggravée pendant la guerre
entraîna la fermeture de l'entreprise. Le promoteur s'installa ultérieurement à Saint-
Louis.
Les
femmes
des
pêcheurs
contournèrent
constamment
les
mesures
administratives de contrôle du marché
par
la coopérative mise en place
durant la guerre. Elles vendaient directement le poisson sur le marché dakarois, privant
la SO.F.AC. de matières premières. L'entreprise tenta d'assurer sa propre production
mais les patrons pêcheurs boycottèrent ses offres d'emploi. Le déficit et la vétusté des
moyens de transport -à dos de chameau- ne permettaient pas de garder la fraîcheur du
poisson
acheminé de Kayar. La SOFAC es.say() de diversifier sa production dans la
conserve de viande de porc importéede Casamance, pour rompre sa dépendance de la
pêche artisanale. L'opération tourna court du fait des coûts élevés de production. De
Mbao à Hann, de nombreuses autres petites entreprises de conserveries de poisson
1
s'installèrent pendant la guerre. 14 6
1
1
1
1
144. cr. tableau NOZI
1
145. Un volumineux dossier d'archives sur cette entreprise et les conDits qui "opposèrent d'une part à
l'administration de l'A.O.F. et d'autre part à la population de pêcbeurs des côtes dakaroises se trouve
aux archives nationales du Sénégal. Au moment où nous l'avons consulté, il ~tait répertori~ mais n'~tait
1
pas encore class~.
146. cr. Figure N°n
1
1

183
L'industrie de la boisson connut une évolution similaire. La plus ancienne
brasserie industrielle de l'AO.F., la Société des
Brasseries de
l'Ouest
Africain (S.O.B.O.A.) a été créée à Dakar en 1929. L'initiative en revint à la Société
des Brasseries du Maroc liée à la Société Chérifienne de Participation qui était associée
au groupe Dreyfuss et Maurel et Prom. 147 Jusqu'en 1952, la seule concurrence dans le
marché de l'AO.F. venait de la métropole. La S.O.B.O.A ravitaillait deux entrepôts
qu'elle avait créés à Abidjan (BRACO.DI.) et à Conakry (SO.BRAGUI.) en 1950. Sa
capacité de production de 150.000 hectolitres par an s'étoffa à partir de 1948 avec la
modernisation de son équipement et la diversification de sa production dans l'industrie
de la production de limonade, de boissons gazeuses, de sirop et de jus de fruits divers.
La transformation de l'entrepôt d'Abidjan en entreprise de production, en 1948,
créa une concurrence à terme source de difficultés pour la SO.BO.A. Au moment de
l'indépendance, la production ivoirienne égalait celle de l'entreprise sénégalaise.148 A
Dakar même, de nouvelles entreprises se créèrent dans l'industrie de la boisson. 149
147. J. DELANNOY: Recherches sur l'industrie des boissons su Sénégal, Université de Dakar, Maitrise de
1
géographie, 1968, P.s
148. J. C. BERTHELEMY : "Art. ciL", ReY. Frcse d'Rist. d'O.M., W248·249, troisième trimestre 1980. pp.
301·337.
1
149. Les industries de la boisson a Dakar
RAISONS SOCIALES
DATE CREATION
PART DE MARCHE
1
SOBOA
1929
50%
1
MARC DIALLO
1951
-
SODAGA
1955
10%
1
TONIC AFRIC
1958
16%
SEVEN UP B.C. (WEHBE)
1962
-
1
~ : J. DELANNOY: Op. Cit. pp. 27·28.
r
1

184
De nombreuses autres industries s'installèrent durant la guerre ou avec la mise
en place des fonds F.I.D.E.S. : tabacs, textiles, cuir, pharmaceutiques, chimiques ateliers
mécaniques et réparation et construction navales. Ainsi en 1956, la dépendance en
produits industriels alimentaires de J'AO.F. s'était sérieusement atténuée avec un taux
de couverture de ses besoins égal à 83% et pour J'habillement à 69%. Mais une
nouvelle dépendance financière et technique se mettait en place. L'AO.F. importait
encore 74% de sa consommation finale en' produits industriels mécaniques et
électriques.150
Si jusqu'en 1948, le commerce représentait encore 50lJ\\, du nombre des
entreprises recensées, au niveau des investissements, la progression de l'industrie était
très nette, à un rythme beaucoup plus rapide que celui des autres branches de
l'économie. 151 La production industrielle suivait cette évolution et le Sénégal détenait
l'exclusivité de certains produits et dans d'autres le quasi-monopole. 152
L'importante impulsion donnée à l'industrie modifiait la structure du commerce
extérieur de la Fédération. Les produits naguère circulant dans les réseaux contrôlés par
les grandes maisons de commerce se trouvaient au lendemain de la guerre, fabriqués sur
place et souvent contre la volonté de ces dernières remit-elle en cause la domination du
vieux commerce colonial? Comment allait-il gérer cette contradiction entre la
1
nécessaire industrialisation et le maintien du statu-quo favorable à sa domination?
1 II : LES GRANDS MOULINS DE DAKAR (G.M.D.) ; PUISSANCE FINANCIERE
CONTRE PUISSANCE INSTITUTIONNELLE
1
1
1
1
1 150.J.C. BERTHELEMY:"Art.Cit.", RevFrÇ5Cd'Hist. d'O.M'I-1980.
151. cr. ftgUl'e 7 : Répartition des entreprises par catégorie.
1 1~.Cf. Tableau N° 21: La production industrielle en A.O.F.
1


Tableau H~t1
PROOUCTION INDUSTRIELLE DE L'A 0
. F
. . (en tonnes sluf lndicltlo" contraire)
Mai" d'oeuvre *
Capacité
th'oriQue
1952
1953
1954
51
S2
Hui lnie
Aor
332
2 750
172 600
88 200
100 950
112 500
(Arachide)
SENEGAL
320 (96,38)
2 370 (86,I8l
167 600 (97,10)
86 800 (98,4)
99 432 (98,49)
110 740 (98,43)
Tutile
AOF
58
1 265
90
(e" 1 000 ml
SENEGAL
33 (56,89)
585 (46,24)
6 500
1 464
3 350
Slvo""erie
AOF
20 600
10 170
10 355
13 595
5ENEGAL
SOUDAN
11 500 (55,82)
5 910 (58,11)
6 045 (58,37)
6 800 (50,01)
GUINEE
Cime"terie
AOF
30
280
120 000
80 000
61 000
83 000
SENEGAL
30 (100)
280 (100)
120 000 (100)
80 000 (100)
61 000 (100)
83 000 (100)
8rasserie
Aor
55
600
225
88
106
153
(en 1000 hl)
SENEGAL
30 (54,54)
300 (50)
125 (55 ,55)
77 (87,S)
73 (68,86)
93 (60,78)
Cui r ta""'
AOF
22
390
500
345
280
165
SENE GAL
20
310
200
185
150
165
Chaussures
Aor
20
310
1 400
625
985
1 095
(l000 paires)
SENEGAL
20 (100)
310 (100)
1 400 (100)
625 (l00)
985 (lOO)
1 095 (l00)
A11umettes
Aor
7
230
10 000
630
1 300
6 700
(clisse de
7200 bol tes)
5ENEGAL
7 (100)
230 (100)
10 000 (100)
630 (100)
1 300 (lOO)
6 700 (l00)
li. *: Sl = salari's europfens
52 = sllari's autochtones
(96,38) : pourcentage par rapport l 1'A.0.F.
1
1
1
1
1

185
Le temps mis par les G.M.D. pour s'installer à Dakar, le volume du dossier,153
et le nombre des protagonistes, adversaires ou partisans du projet suffisent pour rendre
compte de l'importance des enjeux liés à cette industrie. Il aura fallu négocier pendant
presque deux décennies pour qu'elle aboutît, au début des années cinquante, à la
substitution d'une production locale aux importations contrÔlées jusqu'alors par les
sociétés d'import-export.
r/ Un tenace promoteur handicapé par son passé
Mirnran Issac Isidore dit Jacques de nationalité française est né le 23 janvier
1913 dans une modeste famille israélite de Saïda (Oran, Algérie). Son niveau
d'instruction s'arrête au certificat d'études primaires. Jusqu'en 1937, il était employé au
trésor public à Rabat. Pendant deux ans, il exerça la fonction de placier dans une
entreprise privée de Casablanca : la S.A. des Anciens Etablissements AB.T. (La
SADEA).
Dans cet itinéraire, rien d'exceptionnel ne présageait de la fortune ultérieure du
promoteur dans le monde des affaires coloniales et postcoloniales. Ni ses origines, ni
son niveau d'instruction n'expliquent sa fulgurante ascension dans les milieux d'affaires
dakarois. C'est en 1939 qu'il arriva en Afrique Occidentale Française, muni d'un projet
d'implantation d'une minoterie à Dakar. Les services de sécurité du protectorat
sollicités par les autorités de l'A.O.F. levèrent le voile sur les origines de sa fortune.
En août 1937, la SADEA avait non seulement abandonné les poursuites
judiciaires contre Mirnran alors accusé d'escroquerie sur un stock de farine importé,
mais en plus, lui avait cédé 748 actions d'une de ses filiales. 154 Une enquête des
.'..
services de sécurité sur les raisons de cette bienveillance fut à l'origine de l'avis très
1
défavorable transmis aux autorités dakaroises sur la personne de Mirnran. 155
1
i
153. Deux dossiers des A.N.s. nous senent de sources sur les G.M.D.
• Affaires Economiques, Fonds A.O.F., 3 Q 573 (165) •
• Annexe, Dossier 1244 (ancien 2068).
1
154. L'attitude la SAEDA s'expliquait par le chantage exercé par Mimran sur son employeur. D'après la
police du Protectorat, Mimran détenait des informations sur des pratiques illicites de l'entreprise
portant sur des importations d'Amérique.
A.N.s., Annexe dossier 1244, Id.
1
155. La conclusion du rapport de la sécurité en témoigne:
1
1

186
Pour notre part, le plus intéressant est de voir comment Mimran, parti de
conditions très défavorables sur le plan de ses rapports avec l'administration, mais
disposant de puissants moyens financiers mobilisa toutes ses ressources relationnelles
pour venir à bout des nombreuses adversités auxquelles il fut confronté.
2°/ Un projet inédit en A.O.F.
Il se composait de deux éléments : principalement d'une minoterie et
secondairement de silos de stockage d'arachide à exporter et de blé importé à Dakar.
L'installation était prévue dans la zone du port au mole 6. Avec un investissement initial
de 35 millions de francs, la minoterie aurait une capacité de production de 20 tonnes et
les silos stockeraient 5000 tonnes de grains.
Comparé à ce qui se faisait jusqu'à alors en matière d'industries coloniales en
Afrique française, c'est un géant qui s'installait dans un espace économique jusqu'alors
occupé par de petites et moyennes entreprises commerciales coiffées par trois grandes
sociétés.
Le promoteur insistait sur l'intérêt stratégique de son projet en cas de conflit. Il
avait des raisons d'être optimiste dans ce contexte de tension où en AO.F. avait déjà
débuté le recensement dit de mobilisation industrielle. L'initiative permettrait de
réguler les cours de l'arachide et les prix des produits dérivés du blé sans compter le
trafic supplémentaire apporté au port de Dakar. L'équilibre du commerce extérieur de
la colonie serait amélioré par les exportations de farine.
Ainsi présenté, l'Afrique Occidentale Française n'avait que des gains à attendre
du projet. Seulement, son intégration dans le tissu économique de la colonie remettait
en cause des intérêts et des équilibres établis de longue date.
1
i
1
WMimron qut! tOUT lt! mondt! s'aceordt! à reconflDÎTrt commt! tris ifllt!lligt!f1T. t!st tris ton t!f1
1
affaires. C't!ST UI1 individu pt!u recommandablt!, toujoun mêlé à dt!s affaires loucht!s. Rompu
au maquis dt! la procédure, il a réussi à st! tirer dt! situations ton compromist!sw
1
1

187
Du point de vue de l'Etat, l'arrêt à terme des importations de farine influerait
sur les recettes fiscales de la colonie. L'autonomie financière de la colonie donnait la
mesure de l'importance de cette question et de la difficulté à. lui trouver une
compensation suffisante. Le projet ne pouvait manquer de heurter les intérêts de
l'ensemble du commerce par le contrôle qu'il exercerait non seulement sur la sortie des
arachides mais plus encore, par la mainmise sur le commerce des dérivés du blé sur
l'ensemble de l'Afrique Occidentale Française.
C'est dire qu'il ne suffisait pas de disposer des moyens économiques de
l'entreprise. Il fallait également être en mesure de lever l'obstacle que constituaient les
intérêts commerciaux de la colonie et des industriels métropolitains de la meunerie. La
ligne de partage entre partisans et adversaires du projet passait par le contrôle du
marché de la farine et de ses dérivés à la colonie. L'administration avait le dernier mot
en définitive et restait très attachée à la stabilité de ses revenus fiscaux.
30;Partenaires, soutiens et adversaires du projet
Aux handicaps déjà soulignés dont souffrait le projet dès sa naissance était venu
s'ajouter l'instabilité de ses partisans. Face à eux, le commerce local formait un bloc
homogène, appuyé par les industriels métropolitains.
1
1
1
1
1
1

188
a/Partenaires et soutiens du projet. puissance. diversité
et instabilité
Dés le départ, le projet obtint l'aval de deux puissantes banques coloniales. Leur
participation, minoritaire certes, n'en constituait pas moins une excellente enseigne
publicitaire. La B.AO., titulaire du privilège de l'émission en Afrique Occidentale
,Française et assurant le réescompte des effets commerciaux de la colonie devrait faire
taire ou au moins atténuer l'opposition du commerce local. Tant que le projet était resté
au stade des études, les souscripteurs et la répartition du capital restèrent stables. Ainsi
jusqu'en 1951, Mirnran à travers les Grands Moulins du Littoral détint la majorité
relative du capital de un million de francs (44%).
Compte tenu des intérêts en jeu, la puissance des partenaires locaux du projet
s'avérait insuffisante. Pour contrer la réaction des intérêts industriels menacés, la
recherche de soutiens en métropole s'avérait nécessaire.
Dès avant la présentation du projet aux autorités dakaroises, le vice-président
de la commission des Travaux Publics à l'Assemblée Nationale avait recommandé le
promoteur à l'inspecteur général des Travaux Publics de l'AO.F. Fort de ce soutien,
Mirnran fut introduit auprès du ministre des Colonies par ses relations politiques. Le
concours le plus décisif vint d'un intéressé au premier plan, le sénateur Patigel,
président de l'Office National Interprofessionnel du Blé.
1
Le poids de ce parrainage aboutit à une lettre du ministre des Colonies au
l
gouverneur général de l'Afrique Occidentale Française:
J'ai l'honneur d'appeler votre attention sur l'intérêt de ce projet et je vous serais
!
obligé de vouloir bien accorder à l'intéressé, toutes facilités compatibles avec les
réglements en vigueur. 156
1
l
1
1
156. A.N.s.. Annexe dossier 1244, Ibid
Correspondance ministre des €olonies au gouverneur général de )'A.O.F. 1939
1
1

189
L'autorité ministérielle était-elle suffisante pour infléchir les positions des
techniciens du gouvernement général et des institutions devant donner leur aval au
projet? Même dans l'affirmative, il resterait à résoudre les problèmes soulevés par les
adversaires métropolitains et coloniaux. La ténacité de cette opposition et sa grande
influence dans la colonie aboutirent au retrait de la plupart des actionnaires.
Remarquons que ce furent les intérêts les plus proches du commerce colonial qui se
retirèrent: B.A.O., Banque d'Indochine, S.O.AE.M., S.AG.A Ce retrait s'opéra au
début des années 1950, au moment où le processus d'industrialisation du Cap-Vert était
en plein essor. Des investisseurs métropolitains se substituèrent à eux. Le capital porté à
100 millions comptait parmi ses souscripteurs des hommes politiques, des journalistes et
des entreprises agricoles. A Dakar, il ne restait plus qu'un seul actionnaire, le gérant de
la S.O.AE.M. 157
!
1
!
1
1
1
1
157. Figure N"22 ACfIONNAIRES DES GRANDS MOULINS DE DAKAR 1951
1
1

l
190
l
Fi~re NCZ2 AcnONNAIRES DES GRANDS MOUl.INS DE DAKAR 1951
l
1
t
l
i
HErn:R de B::G..J.MEIRT/IIJŒF. (]'.'
11111.--- JC.~RVAN~(~
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1

191
La nouvelle répartition du capital n'était sûrement pas le choix délibéré de
l'entrepreneur. Elle était Je signe de l'homogénéité des positions des milieux d'affaires
de la colonie qui systématiquement boycottèrent les Grands Moulins de Dakar.
bl
Les
adversaires
du
projet:
une
puissance
institutionnelle
Ils tardèrent' à manifester leur opposition mais le firent vigoureusement. Ils
portèrent un premier coup dur au projet en obtenant le retrait de la quasi-totalité des
actionnaires
locaux.
Leur opposition,
en
principe,
n'était pas
dirigée
contre
l'implantation d'une minoterie à Dakar. Puisque, les premiers intéressés contre
l'implantation des G. M• D., Jean et François Sentenac étaient propriétaires d'une
minoterie à Dakar depuis 1943. Dans le fond, deux éléments furent à la base du rejet du
projet Mirnran. La puissance de sa société signifiait à terme un monopole qui court-
circuiterait le commerce dans la distribution ou le mettrait sous sa dépendance. Un
argument secondaire, mais fréquemment utilisé par les maisons de commerce
bordelaises, était que le promoteur était étranger à la colonie.
La famille Sentenac était installée dans le quartier européen de Dakar depuis
1911. Elle y tenait un modeste commerce et à la suite de la crise, avait élargi ses
activités dans le décorticage avec une opération à Gossas.1 58 Après la guerre, elle
accédait à la représentation commerciale au nom du fabricant de pneumatiques et
1
articles de caoutchouc, la maison Bergougnan.159 Les frères Sentenac furent membres
fondateurs du Syndicat Patronal de l'Ouest Mricain (SYPAOA), l'organisation syndicale
l
du petit et moyen commerce français en Mrique Occidentale Française.
Les Moul ins de l'A. o. F ., la minoterie des Sentenac démarrait avec un
1
modeste capital de trois millions de francs métropolitains réparti entre les frères. En
1948, ils écrasaient 2200 tonnes de maïs, produisaient 600 tonnes de farine de mil, 1680
1
tonnes de semoule et 120 tonnes de farine de blé.160 La production était écoulée dans
1
le marché local.
1
158. Centre commercial situé dans le bassin arachidier, administrativement rattaché Il l'époque au Cercle du
Sine-Saloum.
159. Annuaire des entreprises coloniales, 1954.
1
160. Enquête administrative sur les entreprises 1950.
1
1

1
,
192
La comparaison avec les G. M. D. lui était à tout point de vue défavorable. Les
propriétaires des Moul ins de l'A. O. F. réagirent violemment contre le projet des
G •M • D.
Pour combler '(lurS handicap, ils augmentèrent leur capital à dix millions de
francs avec l'appui des Grands Moulins de Paris. En plus, ils mobilisèrent toutes
les ressources acquises dans une longue expérience coloniale.
Devant l'administration, les Sentenac firent valoir le passé colonial de leur
maison contre le nouveau venu à la colonie. Ancien membre de la Chambre de
Commerce de Dakar, les Moulins de l'AO.F. s'appuyaient sur le poids de celle-ci pour
parer au danger d'une puissante concurrence.
La Chambre de Commerce de Dakar comme le Conseil du Port faisait partie
des institutions incontournables pour négocier toute installation industrielle à Dakar.
Ils furent, de leur création aux premières années de l'indépendance, sous la coupe des
intérêts bordelais et marseillais. La suprématie du commerce français dans l'institution
consulaire venait, d'une part, de sa position dans l'activité économique de la ville et
d'autre part du mode de représentation qui la régissait. 161 Au Conseil du Port, la
presque totalité des membres venait de la Chambre de Commerce, avec les
représentants des différentes branches économiques de la ville, soient 12 membres sur
18.
Dans cette institution, le débat opposa les représentants de l'administration et
ceux des milieux d'affaires. Les premiers firent valoir un ensemble d'arguments en
faveur du projet.
1
Les G.M.D. étaient seuls à avoir accepté le cahier des charges soumis par
l
l'administration aux différents prétendants à l'installation dans le site du port.
L'administration n'avait fait que suivre la tradition en autorisant cette installation, déjà,
une maison bordelaise, les Etablissements Martre et Frères y tenait un entrepôt de vin.
1
Les silos de stockage que l'administration n'avait pu réaliser diminueraient sensiblement
i
les frais de stockage et d'embarquement des arachides. La fabrication locale de la farine
constituait un moyen efficace de lutte contre la hausse des prix.
1
l
161. Cf. Infra deuxième partie sur la Chambre de Commerce de Dakar.
1
1

193
Les représentants des intérêts locaux invoquaient la faible consommation de
l'Afrique Occidentale Française, 45.000 tonnes en 1950, et l'impossibilité de produire la
matière première sur place pour exclure le caractère stratégique de l'entreprise en cas
de conflit mondial. Etant donné que les exportations d'arachide en saison pluvieuse ne
dépassaient jamais
16.000 tonnes, les silos ne feraient qu'encombrer les quais du
port déjà très étroits. Les manutentionnaires, les transporteurs et transitaires, dans
l'incapacité de moderniser leurs installations portuaires, s'opposèrent à l'emplacement
des G. M. D dans le port. Au terme d'un long débat, le projet fut rejeté à une écrasante
majorité.
A la commission permanente du Grand Conseil de l'Afrique Occidentale
Française, sous la présidence de Robert Delmas, le même sort lui fut réservé. Les
services techniques de l'administration défendirent avec fermeté l'implantation des
G. M. D.
à Dakar. Cette position traduisait les nouvelles orientations en matière
d'industrialisation des colonies avec la politique de substitution de la production locale
aux biens de consommation courante jusqu'alors importés. Leur position antérieure
éclairait cette rupture.
Avant le conflit mondial, la direction générale des Services Economiques de
l'Afrique Occidentale Française n'acceptait l'installation des G. M. D. qu'avec beaucoup
de réserves. Tant que l'administration locale dépendait pour son fonctionnement des
recettes fiscales, toute industrie pouvant porter atteinte au volume de celles-ci ne
pourrait recevoir l'aval des autorités locales. La puissance financière des promoteurs, le
soutien des autorités métropolitaines fussent-elles ministérielles ne pouvaient en décider
autrement.
Un autre obstacle était l'opposition des industriels métropolitains. Ils pouvaient
certes accepter aux colonies l'implantation de petites unités, -ce que firent nombre de
1
petits commerçants européens depuis les années vingt- mais une entreprise de la taille
des G. M • D. était
[
1
l
1
1

194
susceptible, selon le mot du gouverneur de Dakar et Dépendances, de
provoquer le désarroi dans l'industrie métropolitaine pour laquelle, le
marché de fA.O.F. est devenu très intéressant depuis l'interdiction,
en Novembre 1938 de l'importation defarïnes étrangères. 162
Le revirement de la position des autorités locales s'expliquait à partir du choix
des autorités politiques favorables à l'industrialisation dès l'immédiat après-guerre.
L'opposition du vieux commerce colonial montre les difficultés qu'il éprouvait à faire
face à la restructuration de l'économie coloniale par des puissances fmancières.
Cependant, il n'était pas complètement démuni de moyens de pression parmi lesquels la
maîtrise de certaines institutions économiques mises en place par l'administration.
Les G.M.D. acceptèrent quelques concessions liées à l'emplacement. Ils
modifièrent la composition du conseil d'administration désormais présidé par Marcel
Lierman, président de l'Aisne Agricole, ainsi que de la commission de l'Agriculture du
plan Monnet, et membre du Conseil National du Plan.
L'administration autorisa la construction de l'usine qui se termina au bout de 21
mois de travaux. Jusqu'en Octobre 1954, la production fut bloquée par l'opposition de
l'industrie métropolitaine à l'approvisionnement des G. M. Do. Bien que le marché
africain de la farine ne représentait que 1% des exportations de la métropole, la
violence de la réaction de la meunerie française fit parler de "guerre des moulins".163
Quatre ans après le démarrage de la production des G. M. Do,
les deux moulins de
l'AO.f. contrôlaient les 2/3 du marché ouest africain.
t
1
1
l 162.A.N.s.,Annexe, Cité dans le Rapport de lacommission permanente du Grand Conseil de l'A.O.F.,
1949.
1
163. Africa, N" 2 mai 1958, pp. 13.14.
1
1

1
195
Tableau N° 22 : EXPORTATIONS DES G.M.D.
(en tonnes)
ANNEES
FARINE
SON
1955
10853
5029.
----------.------------.--------
1956
28518
11845.
1957
40526
25577.
1958
43519
23712.
Source: Note sur les Grands Moulins de Dakar, A.N.S.,
bibliothèque cote bi III 639, 24p. multiqr.
Une série d'accords signés sous l'égide des pouvoirs publics octroyait
successivement à la meunerie métropolitaine 35% du marché africain en 1957 puis en
1958, le quota fut ramené à 25%.164
La lutte des G.M.D. contre le commerce colonial et les industriels
métropolitains fut exceptionnelle par sa durée mais point par son objet. D'autres
industries dakaroises telles que la SOBOA, la Compagnie
Africaine
des
Produi ts
Al imenta ires (CAPA : sucre) et les conserveries connurent des
difficultés similaires. Toutefois, le processus s'avérait désormais irréversible. Le
commerce de traite sous sa forme traditionnelle était définitivement condamné. Les
entreprises commerciales de la colonies durent s'adapter au nouveau contexte
économique. Non seulement l'arachide n'avait plus sa rentabilité des années vingt mais,
en plus, l'Etat soutenait l'industrialisation par diverses mesures dont les plus
1
importantes étaient d'ordre fiscal.
l
III: FISCALITE ET INDUSTRIALISAnON COLONIALES: L'ATTRACTION DU
CAPITAL EXTERIEUR
1
1
1
1
1
164. Ig., Une entreprise métropolitaine fut obligé face à la concurrence coloniale de se dé·localiser sur
Dakar en 1958.
1
1

]96
Le cours nouveau de la politique économique enclenché par la Conférence
Française Africaine de Brazzaville et la mise en place du Fonds d'Investissement pour
le Développement Economique et Social (F.I.D.E.S.) et de la Caisse Centrale de la
France d'Outre-mer (C.C.F.O.M.) marquait une rupture importante dans le mode de
financement de l'exploitation coloniale. Les sommes drainées par ces organismes publics
de la métropole vers l'AO.F. rendaient possible une décompression fiscale. La question
était de savoir qui en serait le bénéficiaire. Les dégrèvements furent orientés vers une
incitation à l'investissement de nouveaux capitaux et dans l'industrie en particulier.
Cette discrimination partageait les avis des entrepreneurs en deux groupes. La ligne de
clivage passait entre le vieux capital colonial de traite bien implanté dans les institutions
locales représentatives du monde des affaires et les nouveaux investisseurs bénéficiaires
des exemptions fiscales.
Les premières années de la guerre causèrent un net ralentissement de la
contribution des taxes douanières aux recettes du budget de l'AO.F. 165 Les difficultés
de communications de la fédération avec son principal fournisseur et client, la
métropole, devaient se payer très chères au plan
fiscal, pour un budget largement
dépendant des relations économiques extérieures. Toute la guerre durant, les revenus
douaniers voyaient décroître leur rôle de régulateur majeur des ressources du budget.
Le creux de la vague était atteint en 1943. Sa contribution tombait cette année à moins
de 50% du budget fédéral alors qu'elle voisinait les 90% en 1937. 166 Une taxe
intérieure dite de transactions était instituée pour compenser la chute brutale des
recettes directement liées au commerce extérieur.
1
Les contraintes de la guerre et la rigueur du pouvoir vichyste en AOF
réduisaient au silence les milieux d'affaires lors de la mise en oeuvre de la nouvelle
1
taxe. La fin de la guerre marquait un retour en force de leur contestation en particulier
contre la taxe de transaction. Le pouvoir résista, aussi longtemps qu'il le put, pour
1
maintenir la taxe instituée par les arrêtés du 17 juillet 1942 et du 26 janvier 1943. La
ténacité du pouvoir s'explique par le bon rapport progressif de cet impôt pour les
1
finances de l'AO.F..
1
165. cr. Figure ~ 3.
1
166. A.NS., Annexe dossier 1244, Rapport de la commission permanente du Grand Conseil de l'A.O.F.,
1949.
l
1

197
Tableau N· 23 LES RECETTES DE LA TAXE DE TRANSACTION EN A.O.l.
(en milliers de francs)
ANNEES
RECETTES
INDICE
------------- .------------------- .----------------
. . . . . . . . . . . . . . . (FF crts).
(FF or).
(1943=100)
------------- .------------------- .----------------
1942(novjdéc).
11934
978
1943
. 155369
· 10720
100
1944
. 199117
.. 11748
109
1945
. 221078
8843
82
1946
. 382062
9551
89
1947
. 656678
· 10901
101
1948
.1273278
· 12733
119
1949
.2171557
• 19327
180
Source: A.N.S., FCC, 351, Fiscalité, direction des
contributions diverses, Rapport sur les propositions du
conseiller Delafosse, 16 mai 1950.
Aucun des aspects de la taxation, ni l'assiette, ni le tarif ni la méthode de
liquidation, ne fut rernis en cause par le monde des affaires. Il s'avérait difficile d'obtenir
des pouvoirs publics l'abandon d'un impôt au rendement aussi élevé et progressant très
vite avec la multiplication des échanges intérieurs
La création du Grand Conseil et les
prérogatives qui lui étaient conférés sur la politique fiscale fédérale en faisait le lieu
principal de la lutte. Les représentants du Sénégal (Robert Delmas) et de la Côte
d'Ivoire (Jean Delafosse) y défendaient les points de vue du commerce colonial.
Par son assiette, la taxe de transactions était apparemment un doublet de
1
l'impôt sur le chiffre d'affaires. Cependant, une différence de taille les séparait. La
stratégie de la Chambre de Commerce a été constante: faire disparaître cette différence
1
et avec elle la nouvelle taxe. L'ancienne était perçue sur les importations dès le cordon
douanier depuis la réforme de 1932. L'assiette la rendait très sensible à la conjoncture
1
internationale. Toute restriction dans les liaisons marchandes de la fédération avec
l'extérieur l'affectait négativement.
1
1
1
1
1
1

198
La taxe de transactions par contre portait sur les activités commerciales à
l'intérieur du cordon douanier de l'AO.F., de la vente en gros au commerce de détail.
Les transactions mobilières et immobilières, les fournitures de marchandises ou de
services étaient toutes taxées. C'était une sorte de retour à la cascade combattue dans
les années trente par les milieux d'affaires. La quasi-totalité des produits alimentaires
étaient exemptés afin d'éviter une hausse du coût de la vie. Etaient également exonérées
les fournitures destinées aux services administratifs et militaires de même que les
commerçants faisant un chiffre d'affaires inférieur à cent mille francs. Une kyrielle de
sanctions était prévue contre toute infraction, allant jusqu'à une amende de cinq mille
francs et de 2 ans d'emprisonnement avec interdiction d'activité de 1 à 5 ans.
La réaction des entreprises fut d'abord très timide face à ces mesures. La
Chambre de Commerce de Dakar saluait même le grand rendement de cet impôt
bénéfique au budget mais surtout déflationniste. L'attitude du grand commerce
d' import-export était compréhensible du fait de la pénurie qui s'était prolongée bien
après la guerre. Les commerçants détaillants, mal approvisionnés, ne trouvaient rien à
redire du paiement de la taxe. L'unique inconvénient que les grandes compagnies
déploraient était la fermeture inévitable des factoreries qu'elle occasionnait; les
employés indigènes ne pouvant, cas par cas, évaluer la taxe pour chaque marchandise.
En conséquence, elle proposait:
-Une extension de la taxe à tous les articles permettant la taxation d'un seul
coup de la totalité des recettes.
-Une application de la taxe sur les ventes aux consommateurs fmals et non du
grossiste aux détaillants.
l
-La suppression du minimum de cent mille
francs pour l'exemption parce
i
qu'elle en diminuait le rendement.
l
1
1
1
1

199
·La taxation des utilisateurs qui importait directement les marchandises
directement utilisées. 167
DR la fin de la guerre au début des années cinquante, le
grand commerce s'activait pour l'extension à l'ensemble des échanges de la taxe de
transaction. Il fut particulièrement mobilisé pour sa perception au cordon douanier. La
Chambre de Commerce et le Grand Conseil de l'AO.F. exprimèrent avec une
remarquable constance ces revendications.
Pour Robert Delmas, le président de la Commission Permanente du Grand
Conseil, l'argument du meilleur rendement à la perception en cascades n'était valable
qu'en métropole où l'activité productive plus développée entraînait un plus grand flux
d'échanges intérieurs. En AO.F. par contre, le commerce extérieur jouant un plus grand
rôle dans les chiffres d'affaires, il était plus propice et moins onéreux pour
l'administration fiscale de taxer le produit à la sortie ou à l'entrée du territoire fédéral.
R. Delmas estimait que l'égalité de tous les contribuables devant l'impôt exigeait la
détermination d'une assiette contrôlable. Il lui semblait inadmissible que:
les commerçants qui se bornent à rée/amer l'égalité fiscale dont l'administration
doit être le gardien vigilant se voit opposer un calcul spéculatif montrant un super-
bénéfice proportionnel au paiement d'un droit fiscal. 168
Lui emboîtant le pas, la Chambre de Commerce de Dakar jugeait le mode de
perception comme l'assiette anachroniques. Cette situation favorisait la fraude
pratiquée par les commerçants sans comptabilité. Elle trouvait l'activité du commerce
gênée par la discrimination introduite dans la taxation des marchandises et surtout"
l'insuffisance de celle sur les produits locaux. Elle dénonçait le report injuste sur les
1
grossistes et les fabricants locaux du manque à gagner résultant de l'exemption de
certains commerçants. Pour mettre fin à une pareille situation, elle proposait une impôt
1
unique sur le chiffre d'affaires décomposé en:
a .0 Une taxe à l'importation au taux de 4% de la valeur établie par la douane.
1
b • Une taxe à l'exportation au taux de 3% du prix F.O.B.
c - Une taxe compensatrice au niveau de la production locale. 169
1
1
167.lliiQ, Note de la Chambre de Commerce sur la taxe de transaction, le 13-4.1943.
168. Ibig, Rapport à la Commission Permanente du Grand Conseil de l'A.O.F., 19 mai 1950.
1
169. Ibjd, Note de la chambre de commerce, 19 octobre 1950.
1
1

200
Les pouvoirs publics rejetèrent l'ensemble des proPOSitIOns émises par les
entreprises. Dans un rapport sur les propositions du conseiller J. Delafosse, elle mettait
l'accent sur l'intérêt de l'autonomie de la taxe de transaction par rapport aux
fluctuations de la conjoncture internationale à l'origine de son rendement élevé. Le
retour à la perception au cordon douanier qui se justifiait dans les années vingt par le
manque de personnel était considéré comme une régression dans "la rationalité fiscale".
e ....
Les plans d'équipement tendant à "complexifie,..' l'économie de l'AO.F. conduisait à un
"accroissement des impôts modemes"
et un allégement des droits de porte trop
vulnérables pour servir de base aux ressources budgétaires : une crise économique ou
une mauvaise récolte lui serait fatale.
C'était la part fiscale du prix à payer pour la modernisation et l'industrialisation.
Le vieux commerce colonial réticent à suivre ce nouveau cours, combattait ses
conséquences fiscales favorables aux nouveaux capitaux se dé-localisant de la métropole
ou des autres parties de l'empire vers l'A.O.F.. Le service des contributions diverses
estimait que le versement à la douane serait une avance que le redevable n'était pas sûr
1
1
1
1
1
1
1
1

201
de recouvrer. Il rendait en cons~quence la fraude fiscale très profitable surtout par la
minoration de la valeur des ~]~ments imposables. Ainsi,
en suivant Delafosse, on évite 14 fraude sur les transactions et on les rend possibles
sur les patentes et les B./. C. 170
Le mode de perception
qu'il proposait avait l'inconvénient
d'exempter les activités en développement : la consommation
intérieure, les fournitures de services, les opérations
immobilières. Pour la Direction des contributions Diverses, le
rapport Delafosse n'était en définitive rien d'autre qu'un
plaidoyer pour la défense du grand commerce. Elle en donnait
l'illustration suivante sur un produit importé: 171
Tableau N°24: PROPOSITION DE M. DELAFOSSE SUR LA TAXE DE
TRANSACTION.
SITUATION AVANT 1947:
PRIX DE REVIENT: .•.....•.•.. 1000 francs
BENEFICE:20% •.•....•..•.•..• 200 francs
PRIX DE VENTE .•..•••..•.•... 1200 francs
TAXE DE TRANSACTIONS:2% .•..•
24 francs
BENEFICE NET
176 francs
PROPOSITION DELAFOSSE :
PRIX C.A.F.+DOUANES:
1000 francs
TAXE DE TRANSACTIONS: ......•
40 francs
PRIX DE REVIENT: •.......•... 1040 francs
BENEFICE: 20%..•••..•..•••• 208 francs
Source: A.N.S., Ibid: Rapport sur les propositions Delafosse,
1947.
1
1
170. L'impôt sur les bénéfices Industriels el commerciaux (B.I.C.) a éU institué en A.O.F. après la seconde
guerre mondiale.
1
171. !big, Rapport sur les propositions J. Delafos5e.
1
1

202
Il va sans dire que ce calcul faisait abstraction d'un ensemble d'impondérables
clans
lié au marché et n'était concevable que~l'hypothèse d'une concurrence parfaite. Cette
insuffisance mise à part, il n'en dévoilait pas moins les fondements de la lutte du grand
commerce colonial. En suivant J. Delafosse, un commerçant qui faisait un chiffre
d'affaires de un milliard-chose pas du tout rare en AO.F.- gagnerait par rapport au
système en vigueur 8 millions de francs. En fait, du point de vue des contributions
diverses, les protestations des grosses affaires viennent de la difficulté qu'elles
éprouvent, vu le plus de liberté commerciale, à récupérer la taxe de transactions sur les
intermédiaires;
172iorsqu'elles la répercutent sur les factoreries de leur propre
réseau.
L'opposition des techniciens de l'administration ne désarma pas le commerce.
La Chambre de Commerce de Dakar mobilisa ses homologues de la fédération, les
syndicats patronaux comme le SCIMPEX, l'UNISYNDI, l'UFSICA pour des démarches
communes auprès des grands conseillers et conseillers généraux. L'objectif principal de
la mobilisation restait la centralisation du recouvrement de la taxe en un point de la
chaîne commerciale contrôlable par le grand commerce. Le cordon douanier était le
meilleur point possible parce qu'il
minorait les possibilités des petites affaires
d'échapper à la taxe et, en particulier, le petit commerce africain.
La ténacité
des
hommes
d'affaires finit par être payante.
Le projet
gouvernemental de réforme de la taxe de transaction soumis au Grand Conseil prit en
compte l'essentiel de leurs desiderata. Le nouveau texte fut soumis à la délibération des
organisme~nstitutionnels intéressés en 1955.
1
1
.,r.
.-..
1
1
172. Ibid, Commission Af1'aires Economiques Grand Conseil de l'A.O.F., Mai·Juin 1950.
1
1

203
Tableau NOZS LA TAXE DE TRANSACTION: ASSIETTE ET TAUX.
ASSIETTE
TAUX
Ventes de produits consommés
localement, venant des
exploitations de mines,
carrières, produits
du travail des artisans,
des coopératives ouvrières
de production de l'A.O.F ........•••.••••..•.. 5%
Serv ices
3 %
Ventes denrées alimentaires
ou autre produit d'origine
locale non exemptés ..•.••••....••.•.....••••.. 4%
Produits importés après
franchissement du cordon
douanier
7 , 75%
Produits exportés (valeur
F.O.B.) . . . . . . . . . . . • . . . . . . . • . . . . • . . . • . . • . . . . . • . 5%
Source: A.N.S., FCC, 355, projet de Délibération transmis à la
Chambre de Commerce de Dakar le 28 mars 1955.
Seules la Chambre de Commerce de Haute-Volta et l'UNISYNDI émirent
quelques objections que la Chambre de Commerce de Dakar se chargea de présenter au
gouvernement général. 17 3
Les importations
directes de
l'administration 'étant
exemptée? il s'avérait utile d'étendre l'exemption aux fournitures qu'elle recevait de
l'industrie et du commerce local. L'extension éviterait que l'administration ne s'adressât
par souci d'économie à des fournisseurs extérieurs à la fédération. La Haute Voltà
demanda et obtint la défalcation des frais de transport sur les prix des produits de
l'AO.F. vendus dans des régions de la fédération éloigné~de leurs lieux de production
avant le calcul de la taxe de transactions.
1
! 173.MoCorrespondanceChambredeCommercede Dakarau gouverneurgén~ral,le19avril 1955.
l
1

204
Quatorze années de négociations et de contestations ont permis d'aboutir à ce
~1'\\
compromis avantageux pour les grandes entreprises commerciales. EUes renforçait de
fait leur monopole sur le commerce extérieur et intérieur de la fédération. EUes
recouvraient ce puissant moyen de contrôle sur l'activité économique, en utilisant au
maximum
et
avec
ténacité
tous
les
moyens
de
pression
économiques
et
institutionnels pouvant amener l'administration à changer de point de vue. La Chambre
de Commerce de Dakar fit peser toute son influence sur le cours des événements pour
faire aboutir les revendications des grandes compagnies commerciales.
En acceptant le modus vivendi défendu par le grand commerce, les pouvoirs
publics exposaient le budget fédéra] à une plus grande dépendance à l'égard de la
conjoncture extérieure. Le fractionnement de la taxe sur le marché intérieur permettait,
dans une certaine mesure, de parer les risques de défaillance d'un des maiJJons de la
chaîne fiscale.
Les petites et moyennes entreprises étaient moins préoccupées par le mode de
recouvrement que par les taux d'imposition. Immédiatement après l'accord de 1955, le
Syndicat Patronal
de l'Ouest Africain (SYPAOA), représentatif de leurs intérêts,
interpeUait les pouvoirs publics sur la lourdeur de la fiscalité. Le SYPAOA signalait à
l'administration le sourd mécontentement qui découlait de la lourdeur de la charge
fiscale sur les petites entreprises. 1 7 4la même réaction se retrouvait chez les
commerçants autochtones opposés à l'augmentation des taxes sur les tissus, déjà trop
chers, pour compenser les pertes fiscales dues à la détaxe sur le cola considéré comme
''produit de luxe" • 1 75
La contestation unanime et permanente, pour des raisons certes
différentes, s'amplifia.
avec les problèmes fiscaux posés par la"balkanisation" de
l'AO.f..
1
1
1
174. u.s., F.C.C, 354, Correspondance SYPAOA au gouverneur du Sénépl, 19 avril 1955.
1
175. ~ Correspondance Amadou Alassane Ndoye responsable du Syndicat des Commerçants Africains au
pmident de la Cbamb~ de Commerce de Dakar, 11 d~mb~ 1954.
1
1

205
L'Etat indépendant du Sénégal héritait d'une législation fiscale sur les
entreprises constituée entre 1952 et 1955 dans ses aspects les plus importants. A cette
époque, la politique fiscale avait fini d'être principalement un aiguillon pour la
monétarisation des campagnes, pour devenir l'instrument politique d'incitation aux
capitaux privés à s'investir dans l'industrie. Des avantages fiscaux sans précédent étaient
consentis au capital privé industriel chargé de mettre en valeur les produits locaux mais
surtout de produire des substituts aux biens de consommation courante importés. Cette
politique industrielle et son corollaire fiscal furent ultérieurement poursuivis par le
pouvoir post-colonial.
Le Grand Conseil de l'AO.F par une délibération du 14 février 1952 exemptait
de l'impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux (B.I.e.) les entreprises
nouvellement installées en AO.F. et celles qui opéreraient une extension de leurs
aetivités. 176 La même délibération réduisait de 50% l'impôt sur les B.I.e. réinvestis.
Ces premières mesures annonçaient une refonte totale du code des impôts sur le revenu
qui s'acheva en 1955.
Le nouveau code stipulait en son article 3:
sont également affranchis de l'impôt jusqu'à la fin de l'exercice clos au cours de la
cinquième année suivant celle de la mise en marche effective, les bénéfices
provenant exclusivement de l'exploitation d'une usine nouvelle installée en A.D.F.,
postérieurement au premier janvier
1 7
1952.
7
l
!
1
176. A.N.s. : FCC, 355, Fiscalité.
1
177. Id. Délibération du Grand Conseil de l'A.O.F. du 14 mai 1955.
1
1

206
La même année, étaient adoptées les mesures d'accompagnement de
l'exemption quinquennale.
-Le droit fiscal d'entrée sur le matériel d'équipement était supprimé.
-La taxe de transaction sur le matériel d'équipement était réduite de 15 à 10%.
-Les droits d'entrées sur les savons ordinaires et emballages en papier faits avec du bois
autre que tropical augmentés de 10 à 15% de même que ceux sur les tabacs saucés de 50
à 60%.
-Le droit fiscal sur les bateaux remorqueurs de moins de 500 tonnes de jauge passait de
2 à 7%. 178
Les mesures ainsi prises mettaient la chambre de commerce de Dakar dans une
situation délicate de même que le vieux commerce colonial qui la contrôlait. La
politique de reconversion de leur capital dans l'industrie était encore balbutiante, les
précurseurs de l'industrialisation constituaient encore une minorité à la Chambre et
étaient formellement opposés aux avantages octroyés aux nouveaux arrivants. Les
dirigeants de la représentation consulaire redoutaient que la moins-value générée par
les dégrèvements fiscaux ne se compensât par de nouvelles hausses des taux d'impôts. Ils
s'inquiétaient à juste titre de la possibilité réelle qui existait, de faire payer par les
grandes compagnies de commerce, la note fiscale de l'industrialisation. Dans une lettre
au gouverneur du Sénégal, ils estimaient qu'il y avait risque de déséquilibre budgétaire
avec les exonérations sur le matériel importé dont bénéficiaient les nouvelles
installations. Ceci d'autant que les
dites sociétés ont déjà bénéficié de beaucoup d'avantages et assouplissements
fiscaux. 179
L'Union des Syndicats de l'Industrie (UNISYNDI) avait une position beaucoup
plus tranchée. La grande majorité de ses membres proposait le rejet de toute la
délibération du Grand Conseil si les mesures prises n'étaient pas étendues aux sociétés
t
cr~depuis 1946. La politique fiscale du pouvoir était jugée trop défavorable aux
"pionniers de l'industrialisation" de l'A.O.F.
1
l
17X_ lbis!, CommissioD Etudes Fiscales de la Chambre de Commerce de Dakar du 14 octobre 1955.
1
179_ lbis!, CorrespoDdaDce Chambre de Commerce de Dakar au gouverneur du SéDégal,Ie 11 mars 1957.
1
1

1
207
L'Etat indépendant du Sénégal ne remit pas en cause cette orientation
industrialisante de l'après-guerre. Le grand commerce fut obligé de reconvertir en partie
ses activités, laissant à ses intermédiaires levantins et autochtones une partie de la
chaîne commerciale. Le contrôle de cel1e-ci fut un enjeu important pour ces deux
groupes situés au bas de l'échel1e du monde des affaires.

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208
CHAPITRE VIII: AUTOCHTONES ET LEVANTINS: LA LUITE
AUTOUR DU ROLE D'INTERMEDIAIRE
Il a été déjà souligné la nécessité pour le grand commerce de traite d'user des
services de commerçants intermédiaires pour le ramassage et la distribution des produits
à l'intérieur du pays.ISO A travers tout le continent africain, ce rôle de courtiers fut
rempli par divers groupes sociaux ou ethniques souvent spécialisés dans le commerce
avant l'arrivée des européens:
181
Hawsa, Diou/a, SOrIinkl.
Les métis et créoles t jouèrent dans
cette fonction un grand rôle durant tout le XIXème siècle. Au lendemain de la guerre,
l'entreprise autochtone renaissant de ses cendres posait le problème de l'occupation du
créneau intermédiaire monopolisé par les levantins depuis la crise de 1930.182
l
: LES ENTREPRISES AUTOCHTONES: UNE RENAISSANCE DANS L'IMPASSE
r/ L'évolution globale, une constante régression
Durant la première moitié du XIXème siècle s'est développée une bourgeoisie
autochtone à partir du commerce de la gomme et de l'or le long du fleuve Sénégal. Elle
a joué un rôle prépondérant dans la pénétration de l'économie monétaire dans
l'intérieur du pays non encore soumis à la conquête coloniale française.
Maillon
irremplaçable dans la chaîne commerciale du fait de l'insécurité de la zone des échanges
pour les étrangers, ils ont pu accumulerd'importantes fortunes. 183 Par deux fois, le
commerce de la gomme sur lequel reposaient ces fortunes connut de graves crises, au
milieu et à la fin du XIXème siècle.
18(). Cf. Introduction générale.
181· MEILLASSOUX (CI.), (ed) : L'évolution du commerce africain dS'uis le XIXème siècle en Afrigue de l'ouest,
Oxford University Press, 1971, 444 p.
R.GRAY 0. BIRMINGHAM
(ed) : Precolonial African Trade (Essay on Trade in Central Africa before 1900),
l
O.U.".,1970,306 p.
l A. BATHILY
Guerriers.
tobutaires
et
marchands.
Le
Gajaae;a
(ou
Galam)
"le
pays
de
l'or".
le
développement
et
la
rWession
d'une
formation
:::éro<><.n"""o""mw;ig""u:.:::e_......:::et"--___'SOCl~·~al::..e_......cséo.!.!n:<lée;~al~al!::l:·se~_c~.8è~_~_._!1~9è~___'s2!liè~c~le~
Thèse
d'Etat,
Université de Dakar, fév. 1985,869 pp.+ annexe+ glossaire + index.
1
182· Cf. première partie chapitre 2.
183· R. PASQUIER: Op. Cit.,1983•
• -Les
ème
traitants des comptoirs du Sénégal au milieu du XIX
siècle-,
Colloque entreprises et
1
entrepreneurs, Op. Cit. pp. 141·163.
1
1

209
La plupart des entreprises commerciales autochtones sombrèrent durant ces
crises. Elles étaient particulièrement fragilisées par une forte dépendance à l'égard du
grand commerce. L'activité économique, largement dominée par un seul produit la
gomme, offrait peu de possibilité de reconversion rapide. L'entreprise commerciale
autochtone était prise dans une situation paradoxale. D'une part elle avait besoin pour
s'exprimer d'un minimum de sécurité dans une région à peine sortie de la traite des
esclaves mais une paix totale lui enlevait dans une certaine mesure le monopole qu'il
avait dans sa fonction d'intermédiaire entre les producteurs locaux et les négociants
européens installés à Saint-Louis. Au moment où la conquête coloniale ouvrait des
régions nouvelles au commerce avec l'expansion de la culture de l'arachide, l'entreprise
autochtone représentait une portion congrue du monde des affaires. lB4
Tout le long du siècle, les entreprises autochtones furent les victimes des crises
successives de l'économie coloniale. La plus profonde d'entre elles, celle de 1930, fit une
véritable hécatombe parmi elles. Les quelques survivantes furent reléguées aux marges
des différentes
branches
de
l'économie.
L'évolution
des
effectifs
autochtones
représentés aux différentes catégories des listes de la chambre de commerce de Dakar
en témoigne éloquemment. Les autochtones furent très peu représentés à la première
catégorie qui regroupait.
les entreprises payant les patentes les plus élevées. Au
contraire, ils formaient une bonne partie des membres de la dernière catégorie.
5
lB
1
1
1
184- S. AMIN: Qp. Cit., 1969•
• S. DIOP: Les traitants saint·louisiens, genèse et évolution d'un &Toupe social. XVIIIe, XIXe siècle. Université de
l
Dakar, Mémoire de mattrise, Octobre 1979, 110 pp.
185- Cf. Tableau 18.
1
1

210
L'évolution en valeur absolue comme en valeur relative du nombre des
autochtones inscrits sur les listes de la Chambre de Commerce de Dakar montre une
nette progression au lendemain de la deuxième guerre mondiale. L'entre-deux-guerres a
enregistré une baisse très sensible des électeurs autochtones, à l'exception de la
deuxième catégorie. La dernière liste publiée sous le régime colonial en 1954 dénote
une chute en nombre absolu et un recul plus prononcé en pourcentage par rapport au
total des inscrits. Trois facteurs se sont conjugués pour aboutir à ce résultat: d'une part
le repli du commerce européen dans la capitale et la création massive d'entreprises de
travaux publics et de services européens suite au plan d'équipement du Cap-Vert. Le
plus important élément d'explication de ce recul est certainement la courte mais forte
crise qui au début des années 1950, après une période de hauts cours de l'arachide
consécutive à la pénurie de matières premières de l'après-guerre,
précipita le retrait
des maisons de commerce des campagnes vers Dakar.
Les chiffres présentés globalement cachent des détails significatifs quant à la
continuité des entreprises représentées. D'une année à l'autre, même si on trouve le
même nombre d'autochtones, ce n'étaient pas toujours les mêmes entrepreneurs. Les
fréquents changements de catégories étaient dus à une mobilité plutôt descendante en
dépit de la relative renaissance des affaires autochtones durant et après la deuxième
guerre mondiale. Le regain d'activité permit à certains d'initier de nombreux projets qui
se heurtèrent à des obstacles difficilement surmontables.
6
2°/ Un exemple révélateur, Amadou Alassane Ndoye et l'Islam Africain Transport (I.A. T.) 18
Amadou Alassane Ndoye était connu comme l'un des plus importants hommes
d'affaires autochtones de l'après-guerre. Né à Dakar le 28 juillet 1890, sa première
inscription sur les listes électorales de la Chambre de Commerce de Dakar date de 1937.
Il Y figurait comme transitaire dans la deuxième catégorie. Jusqu'à l'indépendance, il
l
é.t~i t sur toutes les listes dans la première catégorie.18?
i
1
186- La correspondance des promoteul"s de l'entreprise sont consen'ées aux archives privées du
S.Y.P.A.O.A.
l
187· J.O. A.O.F. 1937( p. 114), 1950 (pp. 96), 1954 (pp. 308).
1
1

211
Il fut un grand notable Ubou, imam de la mosquée de Sandial et second imam de
la grande mosquée de Dakar. 188 11 a été régulièrement élu au conseil municipal de la
ville à partir de 1929.
Il entra dans les affaires, après sa démobilisation de l'armée en 1918, comme
représentant de R~nau/' à Dakar. En 1931, il s'associa dans une entreprise de salaison de
poisson avec un autre entrepreneur autochtone, Henri Gomis. En 1932, il monta une
fabrique de carreaux avec un français de la colonie. Après avoir cédé l'Office
International de Transit créé en 1929, Ndoye était transporteur avec 5 camions jusqu'à
la fin de la guerre. Membre fondateur du SYPAOA et du SYPEC0189, il importait par
ce biais durant et après la guerre, des produits vivriers et des tissus. Il poursuivit cette
activité jusqu'après 1960 dans la Société Nationale Industrielle et Commerciale
(SONIC)
avec des associés français et sénégalais.
Avec l'Union des Entreprises
Sénégalaises du Cap-Vert, il prit part à la construction de la maison du parti au pouvoir
et de la grande mosquée de Dakar. 190
Qui mieux que cet homme d'affaires pouvait réussir dans une entreprise de
transport de pèlerin sénégalais pour la Mecque?
En 1953, il créait l'I.AT. en vue de la réalisation de cet objet. Ses principaux
associés
étaient des commerçants, transporteurs et entrepreneurs de
production autochtones de Dakar. La société a bénéficié du soutien des responsables
des organisations socialistes en métropole comme à la colonie.
L'appui des
responsables S.F.I.O. comme l'avocat Lamine Guèye et de la section guinéenne pouvait
laisser les promoteurs espérer des facilités administratives ou au moins une neutralité
bienveillante, d'autant que le locataire de la rue Oudinot était socialiste. Au terme de
deux années de lutte acharnée, ils durent se rendre à l'évidence de l'inégalité des forces
face à leur concurrents. La Compagnie de Navigation Fabre et Fraissinet, représentéeà
Dakar par le directeur de l'USIMA Robert Delmas, disposait de ressources lui assurant
une victoire sûre dans la confrontation avec ce groupe d'entrepreneurs autochtones.
1
l
188- Quartier situé au centre de la ville dans le Plateau.
189- SY.PE.CO: Syndicat des Petits Commerçants.
1
190- S. AMIN: QlLQL 1969.
1
1

212
La première tentative de l'LA.T. de briser le monopole de la compagnie
marseillaise eut pour cadre le pèlerinage à la Mecque de 1956. La société affréta un
bateau de la Compagnie Tunisienne de Navigation (eN.T.) dirigée par le secrétaire
particulier du Bey de Tunis. Deux émissaires envoyés à Paris, l'intervention de Lamine
Guèye, le soutien de Hamadoun Dicko sous-secrétaire d'Etat à la Présidence du
Conseil, la proposition de prix inférieur de 25 à 30.000 francs métro par rapport à celui
de leur concurrent,' ne décid~""p~ le ministre de la Marine à délivrer le certificat
d'agrément du navire de l'LAT.. Au niveau local, le goulot d'étranglement fut mis en
place par le chef du Bureau Politique du
~ouvemement ~énéral de l'AO.F..
L'obtention des devises destinées aux pèlerins du groupement de même que le visa
d'entrée en A.O.F. pour leur associé tunisien furent administrativement bloqués.
En définitive, la crainte "d'être torpillé par les armateurs de Marseille" depuis
longtemps 'lm rapport direct avec le directeur des Affaires musulmanes"191 en AO.F. se
réalisait. Au chapitre des seules relations avec la eN.T., il fallait compter avec une
perte nette de plus de deux millions de francs métropolitains sans qu'aucun pèlerin n'ait
voyagé par les services de l'LAT.. L'échec de la deuxième tentative l'année suivante,
malgré toutes les précautions prises : diversification des compagnies de navigation
contactées, les formalités administratives très tôt engagées, finit
par convaincre les
promoteurs de l'impossibilité de briser le monopole des compagnies marseillaises.
Celles-ci non seulement disposaient de puissants moyens économiques et techniques
mais aussi d'influentes complicités dans l'administration pour l'amener à
"intervenir à l'encontre d'une organisation (...] en règle avec la législation
commerciale" fut-elle "africaine et musulmane".192
1
1
191- Archives Privées du S.Y.PA.OA.
1
192- Ibid.
1
1

213
La tentative initiée par Ndoye pour briser le monopole français dans une
branche de l'économie échouait comme tant d'autres qui l'ont précédée. En 1947,
Amadou A Ndoye avait vu son projet de création d'une banque populaire du Sénégal
avec le marabout mouride Cheikh Ahmadou Mbacké, mis en échec par l'hostilité des
banques françaises coloniales. Un projet de ligne aérienne intérieure mis au point avec
A. Guillabert et Léon Boissier Palun connut le même sort en 1952193.
Cette renaissance de l'entreprise autochtone ne constitua pas, en définitive, une
menace sérieuse ni pour le capital français largement dominant dans l'économie
sénégalaise ni pour les levantins. Ces derniers avaient tirés profit du recul de leurs
principaux concurrents à la suite de la crise des années trente pour consolider leur
emprise sur des secteurs de plus en plus important de l'activité économique à Dakar.
II: LES LEVANTINS DE 1939 A 1957 : LA CONSOLIDATION DES ACQUIS
A partir des positions acquises antérieurement, de tous les intermédiaires de la
1e5 mIeux
traite, les levantins furenrplacés pour profiter des modifications notables de la situation
économique nées de la guerre.
r/ Maintien et renforcement du succès économique
Déjà bien implantés dans la capitale de l'AO.f. dans les années trente,l94 les
levantins profitèrent des opportunités ouvertes par le conflit mondial pour consolider
leur maîtrise sur une bonne partie du centre de la ville.
1
1
193· S. AMIN: .QlUd!. 1969, pp. 27·28.
1
194- Cf. fagure N" 2.
1
1

2]4
Le boom démographique urbain favorisa cette implantation en créant au profit
de son commerce une clientèle de plus en plus nombreuse. Non seulement la population
africaine de Dakar crut à un rythme assez soutenu mais en plus, Dakar concentrait à
partir de 1939 et suivant les années de 48 à 72% des Européens et assimilés du
Sénégal.19S
Tableau N" 27 REPARTITION ETHNIQUE ET EVOLUTION DE LA
POPULATION DE DAKAR
ANNEES
TOTAL
AFRICAINS
EUROPEENS
LEVANTINS
1926
40
37
92%
2,4
6%
0,7
2%
1931
54
47
87%
5,6
10%
1,3
3%
1936
92
85
92%
5,7
6%
1,2
2%
1941
112
97
86%
13,3
12%
1,9
2%
1946
*
*
*
11,6
*
*
*
1955 .
231
. 201 . 87% . 26,5 . 11%
. 3,5
1,5%
Source: A.N.S.,
17G 530
(144)
: Rapport sur les Libano-syriens
en A.O.F.
1945-1954. Direction générale des Affaires Politiques
Administratives et sociales, 21 p.
: Haut-commissariat de la République en A.O.F., Recensement
démographique de Dakar 1955. résultats définitifs, Fascicule l,
Paris, Juillet 1958, 125 p. Tableau A2
Les levantins s'attachèrent cette clientèle par des méthodes déjà expérimentées
à l'intérieur du Sénégal. Ils firent un usage à la limite de la légalité du système de crédit
1
dit du "carambouillage". En 1939, une enquête de la police révélait une dépendance
totale à leur égard de nombreux travailleurs urbains par un système de prêts avec des
1
taux usuriers. N. S., une importante personnalité de la communauté levantine dakaroise
fut éclaboussé par le scandale. les principales victimes de l'opération étaient les
1
auxiliaires africains de l'administration, les employés et manoeuvres des entreprises
privées. L'emprunteur en quête de liquidités se voyait proposer un article dans la
1
boutique du créancier qui le rachetait immédiatement à un prix nettement inférieur au
1
prix de vente et au principal de la dette ainsi contractée s'ajoutait un intérêt.19 6
195- cr. Tableau N"26 Population européenne et assimilée de Dakar.
1
196- CESSIONS·TRANSPORT AU PROm DE N.s. (Patente 117,9 trancs/an)
1
1

215
La mobilisation d'une bonne partie des commerçants français et autochtones
leur laissa davantage de champ libre dans le contexte de pénurie et de renchérissement
des prix durant la deuxième guerre mondiale. Ils participèrent au lucratif marché noir
bien que cela leur coûta souvent de fortes amendes, des peines d'emprisonnement et de';:)
fermetures de boutiques.197
Certains levantins tirèrent profit de cette situation mais aussi de la division au
sein de l'Etat français pour faire fortune. Ainsi A A., ami du gouverneur général
vichyste Boisson se vit confier par celui-ci les achats à l'étranger de produits destinés à
l'approvisionnement de l'arrnée.198 Durant la même période, Nadra Filfili obtint un
juteux contrat de transport des matériaux de construction destinés à l'aéroport de Yoff.
Il venait à peine de s'installer à Dakar avec ses deux camions acquis dans le bassin
arachidier après un séjour de plus de 15 ans à Guinguinéo.l99 Les fortunes des Wehbé,
Raffoul et Houdrouge datent de cette époque faste pour le commerce levantin.
------------------------------------------------------------
PROFESSION
CREDIT(fr crts)
CESSION(en fr. crts)
------------------------------------------------------------
Menuisier au port
1600
3000
Agent d'hygiène
1000
1500
Secrétaire
3000
5000
Planton au port
900
1500
Planton au port
1800
3000
chauffeur
1250
1500
Préposé des douanes
1680
3000
Infirmier
900
1500
--------------------------------------------------------------
1
1
Source: 3 Q217 (77), Prêts hypothécaires 3 Janvier 1939.
1
197· Plusieurs arrêtés portant fermetures de boutiques tenues par les levantins furent prises pendant et
après la guerre contre des levantfns pour hausse Illicite de prix. En 1943, 7 et 4 ans d'emprisonnement
ferme ont étf prononœs IlI'encoDtre de 2 commerçants Ubanais.
1
Cf.· J.O. Sénégal 1940·1947.
• S. BOUMEDOUHA : .QlLQ!., p. 145.
1
198- A.N.s., 17 G 590 (152) : La Ubanais en A.O.F., 1952.1957, Aperçu politique sur la communau~ Chiite
au Uban et en A.O.F., 2 Juin 1953.
199· N. FILFILI : Ma vie : 50 ans au Sénégal, Dakar, N.E.A., 1973, p. 70.
1
1
1

216
A la fin de la guerre, ils possédaient plus de 200 immeubles à Dakar. Parmi les
plus fortunés se retrouvaient les plus riches patrimoines fonciers.
1
!
1
1
1
1

217
Tableau N° 28 PATRIMOINE IMMOBILIER DE QUELQUES LEVANTINS DE
DAKAR .
• PROPRIETAIRES.
PATRIMOINE
. VALEUR
IMMOBILIERE
.
(FRANCS CRTS).
------------- ·----------------- --------------
.
• NASRALLAH A.
.
3 IMMEUBLES
8 millions
------------- ·----------------- .--------------
.FAKHRY M.
5
6
------------- ·----------------- .--------------
. AYAD H.
1
6
------------- ·----------------- .--------------
• BOURGI M.
7
6
-------------.-----------------.--------------
.NOUJAIM S.
5
5
Source: A.N.S.
: 21G 118 (101)
: Correspondance administrateur
gouverneur de Dakar et dépendances au gouverneur général de
l'A.O.F., mars 1945.
De 1945 à 1950, les effets de la forte demande de matières premières par
l'industrie européenne et la guerre de Corée, soutinrent
à un niveau élevé la valeur
des exportations arachidières.2OO Cette conjoncture favorable explique le rapide croît du
flux migratoire vers le Sénégal à partir de 1945.201 La période d'après-guerre a elle aussi
vu s'édifier des fortunes colossales. Pour la seule ville de Dakar, l'administration en
avait recensée plus de 200 ainsi réparties:202
1
200- Cf. Annexe N° 1.
201· R. NGUYEN VAN-CHI·BONNARDEL: QQJd!., 1987, p. 782.
1
202. Source: A.N.S., 17G 590 (152) : Aperçu politique._ Ibid. 1956-1957.
Cette prospériU de la communauU levantine débordait largement les frontières territoriales du Sénégal. En
1
Guinée, le monopole sur le commerce de la cola et une forte et ancienne présence dans la traite du
caoutchouc avaient permis une accumulation d'importantes richesses.
Naja frères: 15 millions de francs (compte bancaire) et 50 millions d'actif commercial.
1
Hadiffe fils: 2 millions (Transfert au Uban).
N. Chaval: 15 millions et 8 Immeubles
1
A. Jaffal : 24 millions (Banques)
1
1

218
Fi2Ure N° 29 : REPARTITION DE 22] FORTUNES LEVANTINES DE DAKAR
-----------------------
• NOMBRE
FOURCHETTE.
. (en millions .
. Fr. crts)
.--------.--------------.
9
> 9
--------
.
--------------
.
.
7
3 à 8
.--------.--------------.
22
1 à 3
.--------.--------------.
35
0,5 à l
" --------
-------------- .
59
• 0,25 à 0,5
.--------.--------------.
49
• 0,1
à 0,25
.--------.--------------.
40
. 0,05 à 0,1
------------------------
Durant ces cinq ans, le nombre de commerce levantin à Dakar doubla, passant
de 200 à 400 unités.203 Les richesses accumulées permettaient de diversifier les activités
en investissant dans de nouvelles branches en pleine expansion. Vers la fin des années
quarante, Edmond Abou Jaoude possédait à Dakar, un hôtel de 75 lits; il importait du
thé de Chine réexporté vers la Mauritanie et contrôlait la Société Sénégalaise
Parisienne gérante en France d'un hôtel. Il avait fondé à New York l'African Trading
Company et possédait au Liban un journal populaire.204
La rentabilité de la traite de l'arachide ne souffre pas de doute pour un grand
à
.
nombre de levantins qui parvinrent>'tirer partie des avantages de leurs situations
d'étrangers à la société autochtone. L'itinéraire fut parfois long à mener vers ces
fortunes avec tous les risques d'échec que comportait l'entreprise.
l
Nadra Filfili : un itinéraire classique.
1
1
1
203· F. MANGONE : ·u problème libano-syrien en A.O.F." CHEAM, Conférence dODD~ le 29 Dovembre
1958,9 p. ronéo.
1 204· S. BOUMEDOUHA:QILYl., p. 164.
1
1

219
Il arriva à Dakar en 1923, à J'âge de 23 ans, venant de MarseiJJe. Il naquit à
Kana, vilJage du sud Liban à l'est de Tyr. Dès son arrivée à Dakar, il apprit qu"'ici on
commence par la brousse". 2 OS Son pécule se réduisait à l'époque à 100 livres syriennes
et avec comme biens possédés une valise, une chaise pliante, quelques vêtements et une
carte d'identité turque. Il s'associa avec un ancien de la colonie Nicolas Khoury et
s'installa à Thilmakha, petit village situé dans le nord du bassin arachidier, à quatre
vingts kilomètres à vol d'oiseau au nord-est de la ville de Thiès. Il mena un commerce
ambulant dans les différents marchés hebdomadaires des bourgades de la région. En
1930, il se mit à son propre compte à Guinguinéo dans la région arachidière du Sine-
Saloum, sur le Dakar-Niger, après un court séjour à Mboss, village à 5 kms de sa
nouvelle demeure. 206 Dès cette époque, il était marié et père de trois enfants. Il parlait
couramment le Wolof appris lors de son séjour à Khombole.
Propriétaire de deux camions, il maintint son commerce à Mboss et construisit
une boulangerie à Guinguinéo qui naguère importait son pain de Kaolack. La pénurie
consécutive à la deuxième guerre mondiale et l'amenuisement des produits dans le
circuit arachidier le décidèrent à rejoindre Dakar où il débuta en alliant à son activité
commerciale un transport fort lucratif par camion. Il obtient un contrat administratif
juteux de convoyage des matériaux de construction dans divers chantiers administratifs
et à l'aéroport de Dakar-Yoff en pleine construction pendant le conflit mondiaI. 207 Le
contrat administratif et les revenus du commerce de Guinguinéo confié à un de ses
neveux facilitèrent son installation dakaroise.
1
1
20S- N. FILFILI : Op. cit.. 1973, p.70
206- Cf. Supra, Carte N"1 Les voies de communications au Sénégal en 1928.
1
207- N. FILFILI : Op. Cil. p.92.
1
1

220
Dans l'immédiat après-guerre, il connut quelques difficultés avec les banques de
la place. Néanmoins, il s'investit dans la confiserie puis installa une briqueterie à
Sébikhotane dans la région de Dakar en 1953. Selon N. Filfili, des difficultés techniques
entraînèrent son entreprise vers une faillite certaine sans l'intervention du chef du
nouvel Etat indépendant du Sénégal qui appuya sa demande de crédit auprès de la
banque publique. En 1960, il prit la nationalité sénégalaise. Aujourd'hui, les temps
héroïques sontfinis, la famille Filfili tient la plus grande entreprise d'agro-industrie de la
région de Dakar qui écoule sa production dans ses deux supermarchés de la capitale
sénégalaise.2 os
C'était un itinéraire classique même si tous ceux qui l'ont emprunté n'ont pas
connu le même succès que N. Filfili. L'espace de l'apprentissage des affaires et de la
société hôte avant l'établissement à Dakar peut même commencer hors du Sénégal.
Khalifat Maurice pour ne prendre que son exemple a connu un long périple
africain avant d'installer en 1946 à Dakar un entrepôt frigorifique et une fabrique de
glace. Le fichier de la conservation foncière retrace ainsi ses pérégrinations ouest-
africaines :
1924-1926: Ouahigouya (Haute-Volta)
1926-1931 : Bamako (Soudan)
1931-1933: Mopti (Soudan)
1933-1940: Bamako (Soudan)
1940-1943: Bobo-Dioulasso (Haute-Volta)
t
1943-1946: Bamako (Soudan)
l
1946-... : Dakar (Sénégal)
1
1
108- l'entreprise compte un grand domaine fruitier la Sébikhotane, un élevage de pores produisant quelques
6000 unités par an destinées la la boucherie FUfili, un ranch et une confiserie.
1 Cf.S. BOUMEDOUHA:Ql:L.91..pp.lU-113.
1
1

221
Tous les chemins mènent à Dakar autour des rues adjacentes à l'avenue
Gambetta (actuelle avenue Lamine Guèye) où les levantins tiennent la majorité des
établissements de commerce. 2 0 9
Le contrôle presque exclusif du commerce de demi-gros dakarois par les
levantins au dépens des sénégalais et des français
provoqua une violente réaction des
"petits blancs".
2°/ Campagnes de presse contre les levantins: une adversité politique et économique
La campagne contre les levantins dans les années cinquante fut conduite par le
journaliste Maurice Voisin.210 Cette seconde campagne connut un écho plus important
dans la capitale de l'AO.F. Les Echos d'AfriQue Noire, le journal qui lui servit de
support, connut une plus grande longévité que le France Afrique Noire de J.
Paillard des années 1930. Le 7 août 1957, était créée l'association des Amis du rtit Ju/~s et
l'Association pour I~ Dlf~ns~ d~ l'Afriq~ FrrJllçaiu qui prirent une large part dans la lutte xénophobe
contre la présence levantine.
Le mouvement passa très vite des attaques dans la presse à une campagne de
violence. Les procès se multiplièrent contre Voisin.211 Outre les thèmes développés par
son prédécesseur J. Paillard sur les pratiques illégales des levantins, des thèmes
nouveaux apparaissaient plus liés au contexte. La poussée nationaliste et anticoloniale
dans le monde arabe fut largement exploitéecontre les levantins de l'A.O.F. et surtout de
Dakar, accusés d'être les soutiens des "~b~lI~s du F.L.N.· et actifs propagandistes du
mouvement nassérien après la nationalisation du canal de Suez.2U L'association de
Voisin ratissait également plus large que son prédécesseur et parvint à mobiliser une
importante partie de l'opinion des dakarois européens comme africains dans sa
campagne.213
1
209· cr. Figure N° 6 Répartition ethnique du commerce à Dakar.
210- Les renseignements sur le personnage sont très laconiques. IL est né le 8 novembre 1917 à Mansigne
l
(Sarthe). Fondateur et directeur du -journal de chantage- les Echos d'Afrigue Noire ayant son siège à
Bordeaux.
A.N.s., 17 G 590 (152) : Renseignements généraux Paris 1949.
1
211· J. SAUTERREAU : -Plaidoyers pour Anne et Maurice Voisin" Tribunal colT'ectionnel de Dakar, le 20
mai 1954, Casablanca, Imprigéma, 16 p. cot~ B.N. : Ir Fn31664.
1
212· A.N.s., 17G 590 (152) Réactions des Ubano-syriens après la nationalisation du canal de Suu.
213· Id.
1
1

222
La campagne des années trente avait été entreprise directement par le petit
commerce français. Dans les années cinquante, des organisations plus ouvertes vers
4Jnt
l'opinion publique servir*de paravent et un journaliste professionnel d'agent. La
tendance politique fut en conséquence plus marquée, aidée dans cette optique par le fait
que beaucoup de commerçants levantins installés à Dakar, en particulier les Chiites,
participaient aux luttes politiques qui se développaient dans le monde arabe. Ceux-ci
bénéficièrent du soutien d'organisations culturelles autochtones de tendance islamique.
L'administration s'inquiéta vivement de cette connexion.
En effet, la France, ayant perdu son mandat sur la Syrie et le Liban pendant la
guerre, redoutait particulièrement les ramifications de la propagande pan-islamique
dans ses colonies d'A.O.F. et au Sénégal en particulier. Dès lors, les musulmans
levantins, vecteurs potentiels de cette propagande, furent l'objet d'une surveillance
policière accrue. Les journaux et périodiques du mouvement nationaliste arabe comme
Al Manar, Al Alam et El Arouba furent interdits en AO.F.214
L'un des plus redoutés partisans du mouvement nationaliste arabe en AO.F. fut
le libraire Mohamed Hilal par qui passait toute la littérature subversive interdite et "qu~
['on ~trouve à [a têt~ d~ tout~ mQJIif~station ayQJIt un caractè~ [JQJIoarrJb/'.215 Il était dès 1946 en contact
avec les nationalistes Marocains et Algériens. D'importantes sommes d'argent étaient
envoyées aux combattants du F.L.N. algérien. Son organisation, Le
Comité
de
Bienfaisance Libano-Syrienne avec ses 3.000 adhérents chiites, fondée en 1938,
était en contact permanent avec les associations religieuses sénégalaises comme l'Union
Frat~m~//~
216
dts Pt/trins dt Dakar.
1
1
L'administration soupçonna même le Parti Africain de l'Indépendance (PAl.), organisation
marxiste,
d'apporter sa caution l M. Voisin. dans l:Association pour /0 Dlf~nst dts Intbits Sociaux Economiques du
1
Sm/gal.
214_ A.N.s.O.M.: AlTaires Politiques, Carton 2164, Dossier 4. La Ligue Arabe et les Ubano-Syriens (valable
pour la région de Dakar), 12 mars 1952.
1
215- - A.N.s.O.M. : AlTaires Politiques, Carton 2164, Dossier 4. La Ugue Arabe et les Libano-Syriens
(Dakar), 12 mars 1952.
1
216- A.N.s., 17 G 590 (152) : COITeSpondance direction générale des AlTaires Politiques Administratives et
Sociales de l'A.O.F. au ministre de la France d'Outre-Mer, 29 avril 1946.
1
1.

223
L'administration se préoccupait également de l'unité retrouvée des levantins de
l'AO.F., longtemps divisés en petits mouvements particularistes et maintenant réunis
dans une vaste organisation "la}tunwtAmili,/', sous la direction de Hussein Ali Wéhbé.217
Elle comptait avant tout sur le mouvement "francophilt" dans la communauté chrétienne
libanaise pour contrebalancer l'influence chiite. Encore que le clergé maronite couvrait
un important transfert illégal de fonds, après la réglementation restrictive des
mouvements d'argent entre le Liban et l'AO.F.2ls
Cette situation amena l'administration à faire preuve de beaucoup plus de
complaisance à l'égard du mouvement de M. Voisin. Les levantins réagirent en
recherchant le
soutien
des
notables,
organisations et personnalités
politiques
autochtones. Cette stratégie s'avéra particulièrement payante.
l
1
l
1
1 217·A.N.s.,Id.
218- A.N.s.O.M. : Affaires Politiques, Carton 2164, Dossier 4. Ibid.
1
1

224
Dès 1947, un COntiti Anti·RQCist~ d~ Vigilanc~ Ripublicmn~ était mise en place. Il
réaffirmait l'amitié des Sénégalais en tant que musulman, à l'égard de la LiF An:Ibe et
n'·~nt~ndmtpas s~rvir d'i1lSl1Um~nt tua d~sseins tinib~U%qui inspi~,1t P'lit JuI~s ~r s~s amis".219 Dans une lettre
au haut-commissaire de la République, les dignitaires Ubou firent savoir que:
s'il y a quelqu'un qui doit partir de cene colonie, ce serrl M; Voisin, ... et non /es
Libano-syriens qui rendent beaucoup de services que lui... les lOIS bDillés pour ces
libano-syriens, une construction de 4, 5, 7, JO millions y sont édifiées et malgré les
longs dilais que l'ont signalé, ces constructions bénéficient plus tard à nos
enfants. (sicp20
L'administration dut prendre en compte la manifestation de solidarité malgré
l'inquiétude suscitée par l'influence des levantins en AO.F. Ces derniers ont pu non
seulement maintenir et consolider leur position économique dans la colonie et à Dakar
en particulier mais aussi faire face victorieusement à l'adversité politique. La prospérité
tirée de la traite dans les années 1920 et 1930, à l'intérieur du pays, se reconvertissait
avec efficacité dans la capitale dans des secteurs plus diversifiés. Pour échapper aux
contrôles administratifs, ils maintinrent l'atomisation de leurs affaires; jusque dans les
années 1950, rares étaient les établissements levantins dont le chiffre d'affaires dépassait
10 millions par an. Une faible minorité avait constitué des sociétés anonymes ou à
responsabilités limités (8% d'après nos calculs).221
1
1
1
219· A.N.s., 17 G 530 (144), Dossier M. Voisin, journal Echos d'Afrigue Noire, 1947·1956, cOlTespondance
direction gfnérale des Affaires Politiques au ministre, 1947.
cr. 1. LOUM : "Réponse à M. Voisin, agitateur à la recherche d'une plpulariti lucrative (chef d'une
1
campagne contre les Ubanais Syriens installés en A.O.F." 4 p. s.d. Cot~ B.N. Fol LJcll. 1755.
226- A.N.s., Ibid: lettre des chefs de villages et de quartiers de la communauti Ubou au haut-commissaire
de la Répuhlique en A.O.F., le 7 janvier 1954.
1
121· Exploitation enquête sur les entreprises 1950.
1
1

225
Politiquement, ils parvinrent se mettre, à tout moment, sous la protection du
"maître du jour", sans s'aliéner les potentiels vainqueurs de demain. A en croire
l'administration, le soutien des notables Lébou fut monnayé par M. Bourgi avec une
somme de 250 000 francs.222 Le Libanais A
A ami du gouverneur Boisson aurait
participé au financement du pèlerinage à la Mecque du futur député du Sénégal,
l'avocat Lamine Guèye. Abdou Karim Bourgi participa au congrès constitutif du B.D.S.
et apporta un soutien financier important au mouvement de L S. Senghor.223
L'implication des levantins dans le mouvement politique de la veille de
l'indépendance, aux côtés de certains partis sénégalais, leur permit d'aborder sans trop
de risques politiques, les difficultés économiques consécutives à l'indépendance du
Sénégal.
Du début de la deuxième guerre mondiale à la veille de l'indépendance du
Sénégal, deux faits majeurs ont marqué la vie des entreprises. La rapide croissance
démographique de la capitale de l'A.O.F. et la vigoureuse poussée industrielle. Elles
emmenèrent les grandes entreprises à une refonte totale de leur commerce vers une
spécialisation plus poussée. Les entreprises multinationales - NOSOCO, SCOA, CFAO
- furent les pionniers de ce processus d'urbanisation du grand commerce.224 Les besoins
de la clientèle urbaine avait connu une notable évolution avec le relatif renforcement de
la colonie européenne et l'affirmation numérique des classes moyennes africaines à
Dakar. La spécialisation dans les produits de luxe, l'électro-ménager, les véhicules
automobiles et l'ameublement occupait
l'essentiel des importations des grandes
firmes coloniales. Dès 1953, la S.CO.A. et le groupe" Printemps" pour répondre à cette
nouvelle demande installèrent à Dakar et dans les grandes villes de l'intérieur des
magasins "Prisunic" spécialisés dans ce type de produits.22S
1
1
222· U.s., 17 G 590 (152) : Renseignements, La collectivité Ubou en action 14 septembre 1956.
1
223· S. BOUMEDOUHA:~. p. 187.
224- C. COQUERY.V1DROVITCH: -L'impact des Intérêts coloniaux.--, JA.H., 1975.
1
225· R. NGUYEN VAN-cHI·BONNARDEL: Op. Cil., p. 770 et suivantes.
1
1

226
Leurs comptoirs des villes secondaires furent progressivement rétrocédés à leurs
anciens employés autochtones ou levantins. Elles se limitaient désormais à l'achat et à la
vente en gros des produits et marchandises alimentant les deux circuits du commerce de
traite. La mise en place d'une industrie produisant sur place les biens jusqu'alors
importés, la concurrence des huiliers dans le contrôle du marché arachidier avaient
amoindri la rentabilité de la traite sous sa forme traditionnelle. Les maisons de
commerce bordelaises et marseillaises réagirent plus tardivement et tentèrent de faire
concurrence aux huiliers. Elles finirent par se retirer de la collecte des arachides laissée
aux traitants intermédiaires dont l'installation nécessitait de moindres frais généraux.
Ces derniers indépendants ou payés à la commission collectèrent en 1956 plus de 70%
de la récolte d'arachide du SénégaI.226
En 1959, 85% du chiffre d'affaires de la NOSOCO étaient réalisés dans le
commerce de gros et demi-gros et en 1960, ses ventes au détail étaient quasi nulles.227
1
1
l
1
226. Y. PEHAUT: Op. Cit., p. 800.
1
227·
A. AUGUSTE : Le commerce et le conditionnement des arachides au Sénégal. ministère de la France
d'Outre·mer, direction de l'agriculture, JUiD 1956, p. 69.
1
1

227
TROISIEME PARTIE: L'ETAT
INDEPENDANT DU SENEGAL ET LE
MONDEDESAFFMRES:RUPTURE
POLITIQUE ET CONTINUITE
ECONOMIQUE.
1
l
1
1
1
1
1

228
CHAPITRE IX : LA GESTION POLITIQUE ET ECONOMIQUE DE
L'HERITAGE COLONIAL
Les modalités par lesquelles l'Etat français transféra le pouvoir politique à ses
anciennes colonies d'AO.f. fut à l'origine d'une situation qui eut des conséquences
négatives sur l'économie sénégalaise. A partir de la loi-cadre voté le 2 juin 1956, les
structures fédérales -en particulier le Grand Conseil- de l'AO.f. perdirent leurs
prérogatives réglementaires, relativement importantes en matières économiques au
profit des institutions territoriales.1 A la suite des premières élections organisées sous ce
régime, huit nouveaux conseils de gouvernement prenaient en charge la conduite des
affaires internes dans les différents territoires de la fédération. A partir de ce moment
toutes les luttes engagées pour maintenir l'unité fédérale avortèrent face aux
divergences des intérêts économiques immédiats des nouveaux Etats ou de leur
orientation politique et idéologique.2 L'A.O.f. avait vécu.
1
1
1· Le Grand Conseil de l'A.O.F., Institution créée après la deuxième guerre mondiale votait les budgets
fédéraux, rlX8lt les tarifs des douanes et était compétente pour les autorisations d'implantation
1
d'entreprises.
Cf. Supra: Chapitre VII
1
• G. HESSELING : Histoire politique du SénéiaI. Institutions. droit et société, Paris, Kartbala, 1985, p. 161.
2· Ibid. pp. 173-174.
La Fédération du Mali constituée sous la Communauté entre le Sénégal et le Soudan français se disloqua
1
deux mois après la proclamation de l'indépendance.
1
1

229
1 ; lA FIN DE L'A,Q,F.. LE PRQBLEME DU MARCHE ET LE FINANCEMENT
DU DEVELOPPEMENT; A lA RECHERCHE DES CAPITAUX
La bataille pour le maintien de l'unité fédérale perdue, les autorités
sénégalaises durent faire face à une situation qui exigeait des réponses urgentes,
L'appareil de production industriel et commercial mis en place et fonctionnant depuis
plus d'un demi-siècle dans l'espace ouest africain avait pour ainsi dire sa locomotive à
Dakar. Du jour au lendemain, l'ancienne capitale fédérale se trouvait coupée de son
hinterland. Il fallut pour les entreprises sénégalaises en général et dakaroises en
particulier mettre au point une stratégie d'adaptation au nouveau contexte politique et
économique,
Dakar n'était pas totalement dépourvue d'atouts dans la nouvelle situation,
Premier port de l'AQ,F, et capitale de l'ancienne fédération, elle avait bénéficié du gros
de investissements urbains réalisés par les programmes F.I,D,E,S,3 Ce privilège s'était
traduit par un renforcement de son avance déjà ancienne sur les autres centres urbains
de l'A,Q,F. en matière d'équipement et d'infrastructures économiques, Cette avance se
manifestait également à travers l'existence d'une main d'oeuvre relativement mieux
formée que partout ailleurs dans la fédération et d'un appareil administratif bien rodé,
Cependant, l'héritage colonial présentait des faiblesses certaines. Certains de
ses avantages se transformaient, à la limite, en obstacles au développement économique,
avec l'éclatement de la fédération. Le 1.a\\o n d'achille de l'économie sénégalaise restait
sa très forte spécialisation dans une seule et unique culture d'exportation depuis le
début du siècle, L'arachide, aux commandes de l'économie sénégalaise, était largement
tributaire des conditions climatiques et des cours mondiaux fortement influencés par les
matières premières de substitution aux oléagineux tropicaux. Cette dépendance rendait
fragiles les bases de tout projet de développement qui s'inscrivait dans la continuité de
l'héritage colonial. La balkanisation allait avoir un effet multiplicateur désastreux sur les
1
inconvénients maintes fois mise en évidence par les différentes crises traversées pendant
1
la période coloniale par l'économie sénégalaise,
1
1
3. cr supra nème partie,
1
1

230
Il demeure vrai que toutes les anciennes colonies françaises de l'AO.F. se
trouvaient confrontées au même handicap par l'éclatement de la fédération. Seulement
des territoires comme la CÔte d'Ivoire, au moment des indépendances, avaient
l'avantage d'avoir été tardivement mis en exploitation par le système colonial. Ainsi
disposaient-ils d'un potentiel économique capable de mettre immédiatement en cause la
prépondérance de l'industrie sénégalaise dans l'espace ouest africain. Dans le cas de la
CÔte d'Ivoire, les produits agricoles et naturels plus diversifiés, et de plus grande valeur
marchande relativement à l'arachide, constituaient un atout considérable face à la vieille
colonie sénégalaise aux potentialités largement entamées.4
Bien avant les indépendances, le mouvement d'industrialisation qui remit en
cause la domination du marché ouest africain par l'industrie sénégalaise avait déjà
commencé. Les anciennes colonies françaises s'équipèrent d'unités industrielles
permettant de se passer des exportations du Sénégal. L'exemple de l'industrie de la
boisson était assez édifiante sur cette substitution.!
A elles seules, ces contraintes justifiaient une remise en cause profonde de
l'orientation économique des Etats issus de la colonisation. Au Sénégal, la volonté en a
été plus d'une fois affirmée mais elle fut insuffisante face aux contraintes extérieures
mais aussi et surtout aux obstacles économiques, politiques et sociales internes.
Il est question d'étudier dans cette partie la réponse des pouvoirs publics
sénégalais aux défis des indépendances et son impact sur les entreprises privées et les
diverses réactions qu'elle suscita dans le monde des affaires.
1
1
1
1
4- S. AMIN: Le développement du capitalisme en Côte d'Ivoire, Paris, Ed. de Minuit, 1967, 330p.
1
5_ Cf. chapitre VII
1
1

231
II: UN POUVOIR POLmQUE RELATIVEMENT STABLE
la marche vers l'indépendance a été rythmée en AO.F. par l'existence de
formations politiques multiples à prétention fédérale ou locale. Reproduisant une très
vieille tradition de luttes partisanes bipolaires6, forgée dans le cadre des quatre
communes, la vie politique sénégalaise au lendemain de la deuxième guerre mondiale
restait dominée par deux personnalités. L'avocat Lamine Guèye, issu d'une famille
commerçante saint-Iouisienne', était depuis les années trente le représentant au Sénégal
de la Section Française de l'Internationale Ouvrière (S.F.I.O.).
Cette affiliation ne faisait pas moins de son organisation la formation politique des
classes moyennes des quatre communes qui depuis le Front Populaire le soutenaient
contre Galandou Diouf plus proche des vues du grand commerce colonial.8 Après avoir
été son dauphin dans la S.F.I.O., Léopold Sédar Senghor, lui aussi descendant d'une
famille commerçante de la Petite Côte, créa en 1948, son propre parti le Bloc
Démocratique sénégalais
(B. D. S.) qui se présenta plus comme le candidat
des campagnes, laissant la ville à son rival socialiste.9
6- S. MBAYE : "La représentation du Sénégal au pJlrlement français sous la seconde République (1848·
1851)" Bulletin IFAN, série B., NO 38,1976, pp. 51'·551.
1
,. S.AMIN: QIL.Ql., 1969. p.15
8- Cf; Supra chapitre 3.
1
9- Il a été souvent soutenu que 1.. S. Senghor a été dans ses débuts politiques le candidat des masses
paysannes contre les ·privilégiés· des quatre communes formant l'électorat de la S.FJ.O. Il est vrai que
sile B.D.s l' a emporté sur la S.F.I.O. c:e fut avant tout grâce li la mobilisation de l'électorat paysan qui
1
li partir de 1946 accéda li la dtoyenneté française et au droit de vote comme les originaires des quatre
communes. Le problème est de savoir qui mobilisa cet électorat au profit du B.D.s.? Le poids des
notables ruraux et de la hiérarchie des confréries religieuses a été à notre avis plus déterminant que le
1
programme ou la propagande du parti en direction de la paysannerie. Ceux-ci ont sem d'intermédiaires
et en ont été ultérieurement, largement rétribués.
1 Cf.- CruiseO'Brien D., "Les bienfaits de l'inégalité", Politiqueafricaine NO 14,Juin 1984, pp.34-38.
• G. DESSELING: Q1t..Q1., 1987
1
1

232
Les élections du 15 mars 1957 scellèrent définitivement la victoire du B.D.S. qui
un an auparavant avait réussi, en absorbant diverses autres formations politiques
locales, à créer le Bloc Populaire Sénégalais (B.P.S.).
Mamadou Dia, un des
responsables du nouveau parti reçut la confiance de l'Assemblée Territoriale pour
former le premier Conseil de Gouvernement du Sénégal, sous l'autonomie conférée par
la Loi-cadre.10 Avant le référendum sur la Communauté Franco-Africaine mise
au point par de Gaulle, une nouvelle fusion entre le B.P.S. et le P.S.AS. donnait
naissance à l'Union Progressiste Sénégalaise (U.P.S.). Le nouveau parti mena campagne
pour un vote positif à la proposition de de Gaulle activement appuyé par les notables
ruraux et maraboutiques. Il fut massivement suivi par l'électorat contre une opposition
menée par des militants anticolonialistes plus radicaux de la section sénégalaise du Parti
du Regroupement Africain (P.R.A.) et de la formation marxiste du Parti Africain de
l'Indépendance (P.A.I.).11
Désormais, le contrôle de l'U.P.S. sur la vie politique sénégalaise s'ancrait
solidement et pour longtemps. Devenu président de la République du Sénégal après
l'éclatement de l'éphémère Fédération du Mali, L. S. Senghor mit longtemps à réduire
l'opposition restée active en milieu urbain, particulièrement dans les syndicats et à
l'Université. L'U.P.S. parvint, tant bien que mal, à phagocyter une à une les petites
formations politiques de l'opposition ou à marginaliser dans la clandestinité celles qui
résistèrent à sa politique, sans pour autant les anéantir. Il réussit à surmonter la crise de
décembre 1962 qui mit fin au bicéphalisme parlementaire instauré depuis la loi-cadre et
qui faisait coexister un président de la République et un président du Conseil à la tête
de l'Etat.
Toutes les crises
qui accompagnèrent la mise en place du nouvel appareil
d'Etat bénéficièrent à L. S. Senghor et à son parti. Toute politique radicale de rupture
avec l'ancienne puissance coloniale était écartée. Au contraire, pour le pouvoir,
1
l'indépendance ne pouvait s'acquérir ''contre la France, mais par la France, en association
avec la France". 12
[
16- G. DESSELING: Ibig, p.I66.
1
Le B.D.s obtint 47 sièges contre 13 pour le parti de Lamine Guè~ : le Parti Socialiste d'Action Sénégalaise.
11· Ibig, pp.169.170. Le Oui obtint 97,2% des voix.
1
12· LS. SENGHOR: Liberté TI : nation et voie africaine du socialisme, Seuil, Paris, 1974, p. 226.
1
1

233
La constitution de 1963, en donnant aux tenants de cette position les pleins
pouvoirs, couronnait le processus de centralisation du pouvoir qui ne se desserra qu'avec
les réformes de 1970, consécutives à la crise de mai·juin 1968.13
La question qui se pose est de savoir comment cette relative stabilité politique14
a pu aboutir, au terme de la première décennie des indépendances, à l'échec
économique et social qui déboucha sur la crise politique et sociale de mai-juin 1968. Le
sort de l'entreprise privée autochtone qui amorçait un renouveau difficile au lendemain
de la deuxième guerre constitue également un témoin à charge incontestable de
l'impasse économique de la politique conduite par le pouvoir. La clé de cet énigme doit
être recherché dans les réformes mises en oeuvre entre 1957 et 1973 et les réactions des
différents protagonistes bénéficiaires ou victimes de leurs effets.
13- LS. SENGHOR: Rapport de politique général congrès V.P.S., déc 1969, pp. 159 et suivantes.
14- COQUERY·VlDROVlTCH (C.) : Afrique Noire permanences et rupture§, Paris, Payot, 1985, Carte des
principaux coups d'Etat en Afrique contemporaine. p. 266•
• Cette stabilité est l mettre en rapport avec: la situation de beaucoup d'autres pays africains dont la vie
l
politique a été fréquemment ponctuée par des coups d'Etat militaires. Stabilité relative puisque
l'opposition restait active en ville; mais aussi, le pouvoir a été, plus d'une fois, mis l l'épreuve par des
actes de violence sur ses dirigeants.
- 22 mars 1967: Tentative d'assassinat du président lors de la fête de l'"Aïd el kébir" par Moustapba La•
1
• Assassinat llbià,le 3 mai 1967, du député D. Diop lia suite de luttes fractionnelles au sein de la section
de l'U.P.s.l Mbour.
1
Pb. DECRAENE: Le Sénépl. PUF, QSJ N"'597, Paris, 1985, p. 53.
l
1

234
II ; L'ARACHIDE; FARDEAU ET PIUER DE L'ECONOMIE SENEGALAISE
Au moment de l'indépendance, l'arachide représentait 80% de la valeur des
exportations du Sénégal, un cinquième du produit national brut et occupait 85% de la
population active du pays sur 46% des terres du bassin arachidier. Elle demeura toute la
décennie étudiée, '7'épine dorsale de tous les échanges".lS Elle ne rythmait pas seulement
la vie du paysan en lui procurant l'essentiel de ses revenus; sa transformation fournissait
40 à 55% du chiffre d'affaires globale de l'industrie sénégalaise suivant les années. Les
recettes budgétaires de l'Etat et le traitement des salariés urbains restaient largement
tributaires de sa production.16 Les notables ruraux et les dignitaires des confréries
religieuses qui, en grande partie, assurèrent à l'U.P.S. son hégémonie sur la vie politique
sénégalaise, étaient fortement dépendants des retombées financières que procurait la
culture de la graine.
Les mécanismes par lesquels cette culture s'était imposée au paysan sénégalais,
au service des intérêts de l'ancienne puissance coloniale ont été bien étudiés.17 Au
début des années 1960, 60% de la consommation d'huile végétale en France étaient
assurés par l'arachide sénégalaise qui bénéficiait sur ce marché d'une protection contre
la concurrence des autres producteurs.18
Le contrôle du surplus dégagé par la production arachidière resta pendant
comme après la période coloniale un enjeu de taille pour l'ensemble des acteurs sociaux
de l'économie sénégalaise. Il n'est dès lors pas étonnant que le commerce de l'arachide
jusqu'alors soumis au monopole des grandes firmes coloniales avec de fréquentes
interventions réglementaires et financières de l'Etat pour assurer le maintien de la
production à un niveau suffisant pour la métropole, soit le premier banc d'essai des
réformes économiques du pouvoir postcoloniaI.
l
15· SENEGAL (République du ) : Premier plan quadriennal de développement pour la période 1961·1964 (loi
W61·32 du 13 mai 1961), Rufisque, Imprimerie Nationale, 1962, p. 11.
16- R. NGUVEN VAN-eHI·BONNARDEL : QIL.Çh.. Chapitre 1
1
17· A. VANHAEVERBEKE A.: Q1LQL,1970.
• B. FOUNOU·THUIGOUA: Fondements de l'économie de traite au Sénégal. la surexploitation d'une colonie de
l
1880 à 1960. Paris, Silex, 1981, 173p.
• Ch. V. DIARRASSOUBA L'évolution des structures agricoles du Sénégal, Paris, Ed. Cujas, 1968,
M. MBODJ : Qo....Q!.. 1978, 691 p,
1
18- B. FOUNOU·TCHUIGOUA: Ibid.
1
1

235
III ; LA SUPPRESSION ADMINISJRATIVE DE LA TRAITE ; UN SURSIS POUR
LES HOMMES D'AFfAIRES AtITOCHTQNES
Dès la formation du premier gouvernement autonome, un Comité d'Etudes
Economiques fut chargé d'évaluer les problèmes agricoles, industriels et commerciaux
susceptibles de se poser dans la perspective d'une planification de l'économie
sénégalaise. Sous l'influence de l'économiste F. Perroux et de Y. Goussault de l'IRAM
et la direction du père dominicain J. P. Lebret, tous inspirateurs du Mouvement Vie
Nouvelle et Economie et Humanisme,19 des enquêtes furent menées à travers
tout le pays. Les résultats servirent à l'élaboration du premier plan de développement
économique du Sénégal.
L'élimination du "cycle infernal de la traite,,20 fut l'un des objectifs majeurs
assignés à l'exécution du plan. Des structures organisationnelles nouvelles furent mises
sur pied en vue d'atteindre ce but. Dès 1960, les organismes d'encadrement et de
restructuration de l'activité rurale se multipliaient, créés par voie administrative.
Le mouvement coopératif se présentait comme le socle sur lequel reposerait
"cette révolution des structures archaïques" à mener "dans l'ordre~'21 Il réunissait en 1960,
100 milles paysans dans 810 Associations d'Intérêt Rural (AI.&.) pour une phase
transitoire destinée à initier les nouveaux coopérateurs pendant deux ans aux nouvelles
structures. Déjà, 173 A.I.R avaient atteint la maturité suffisante pour être érigées en
coopératives de plein exercice.22 Le mouvement devait être impulsé par des paysans
recrutés et fonnés sur place comme animateurs ruraux.
19- M. DIA : Réflexions sur l'économie de l'Afrique Noire, Présence Africaine, Paris, 1960, 210 p.
20- SENEGAL (lUpublique du) : This!, p. 16.
21· M. DIA : QJLQ!, 1960, p. 125.
1
~jà, pendant la colonisation, de nombreuses coopératives existaient au Sinégal, prkédées au début du
siècle par les Sociétés Indigènes de Prévoyance. Elles avaient été autorisies par la 101 du 10 septembre
l
1947. Les S.I.P. comme les coopératives d'après-guern furent créées ou tombèrent sous la coupe réglée
des notables I1lraux et chefs religieux. Leur existence a toujours fait l'objet de contestation plus ou
moins v8lémentes des milieux d'affaires.
~Ie
l
Cf. M. F.
. cit.. I976.
22· SENEGAL (lUpublique du) : .QI!:....Ql, p. 52.
l
1

236
La commercialisation de la production arachidière passait du secteur privé à un
nouveau "établissement public à caractère commercial et industriel", l'Office de
Commercialisation Agricole (O.C.A). Il fut chargé, de l'exportation et de la livraison
des récoltes arachidières aux huiliers. La collecte au niveau du producteur était assurée
par deux voies parallèles : les coopératives et les commerçants agréés paf l'O.C.A,
dénommés Organismes Stockeurs (O.S.). Le financement de la campagne de
commercialisation et de l'équipement rural fut confié à un organisme de crédit public:
la Banque Sénégalaise de Développement (RS.D.) et l'exécution technique aux Centres
Régionaux d'Assistance au Développement (C.R.AD.).
Les options du plan étaient très claires en matière de contrôle de la production
rurale.23 En prévoyant de consacrer des ressources substantielles à la production rurale
et à l'infrastructure de communication, l'Etat poursuivait une politique de baisse des
coûts de revient par un accroissement des rendements et des volumes produits. Il était
escompté des gains de 30% sur les quantités produites et de 50% sur la valeur
commercialisée.24 La mainmise de l'Etat sur les circuits de commercialisation de la
production rurale et les structures d'encadrement du monde rural devaient assurer le
succès de ces prévisions. Le contrôle de la distribution du surplus attendu de la
croissance de la production arachidière aux dépens du commerce privé, par le biais de
l'O.C.A et de la B.S.D., assurait son transfert au service du développement industriel
fixé comme objectif prioritaire du plan.
La volonté manifeste de l'Etat de contrôler le circuit arachidier ne se limita pas
à la mise en place de ces nouveaux organismes dotés de larges pouvoirs d'intervention
appelés à concourir à la réalisation du plan. L'analyse des investissements projetés
donne des indications assez précises sur la politique économique du nouveau pouvoir.
l
1
23· Les privislons d'un plan et les réalisations concrètes qu'elles permettent dans une Konomie capitaliste
l
et de surcroit dépendante Il plusieurs igards de facteurs échappant totalement aux planificateurs
peuvent être complètement divergents. Ce qui dans cet exposé retient notre attention, c'est plutôt la
signification sociale des options du planiRcateur, les modalités pratiques de leurs mises en oeuvre et les
réactions qu'elles suscitenL
1
24- SENEGAL (République du) : Op. Cit, p. 43
1
1

237
Le partage des secteurs d'investissements entre Je privé et le public était très
nettement
établi.
L'agriculture,
l'élevage
et
la
sylviculture,
les
dépenses
d'administration,
les
investissements
sociaux
(éducation,
santé,
habitat)
et
l'infrastructure de transport étaient monopolisés par l'Etat.25 L'effort de l'Etat était
presque négligeable dans l'investissement industriel proprement dit, dans le tourisme et
s'annulait dans le commerce.
1
1
1
1
25- Cf. rtgU~ NO 14 Répanition des investissements prévus au plan.
1
1

1
238
1
F'

!~re
14: REPARTITION DES INVESTISSEMENTS DU PREMIER PlAN
1
1
1
IHIJESTISSEMEHTS PREVUS AU PREMIER PLAH QUADRIENNAL DU SEHEGAL
ADMlIHST1::::55::::::::::
HABITAT
SAMU
1
rKSEIGMEt1EIIT~:::::::::::::::
TOURISMEli
1
COMI1ERCE._.
. _

PRIVES
l
SECTEURS
!
MI ARTISA"AT~::::::::::::::::
PŒUSTRI ES
Il PUBLICS
tŒS/PETRO
1
FOR.'1AT/COOPI:::::::::::555:5
PECHE
ELEVAGE
SYLVIj;;;;;;;;;;;=;;;
AGRICULT
TRANS/COMM
e
18
28
38
48
58
&8
78
B8
98
188
POURCEJffAGES

239
Paradoxalement c'est dans le secteur sur lequel le pouvoir comptait pour
équilibrer la balance extérieure, accélérer la croissance, augmenter les offres d'emploi
urbains et articuler les différents secteurs de l'économie qu'il consacra la plus faible
partie de ses moyens. L'''accent prioritaire mis sur l'industrie"u, se traduisit par une attente
d'éventuels investisseurs privés étrangers. Il va sans dire que les 23 milliards de francs
CFA à injecter dans la production industrielle ne pouvaient être le fait des
entrepreneurs autochtones.
Il est incontestable qu'il y a eu à partir des choix d'investissements du plan et
des réformes mises en oeuvre, une très nette volonté de rompre avec la traite au moins
sous sa forme traditionnelle mais aussi la très forte dépendance vis-à·vis de l'extérieur
par rapport à l'importation de biens industriels de consommation. En 1960, le Sénégal
importait en produits industriels alimentaires 80 à 90% de sa consommation.27 Par
contre la dépendance à l'égard des capitaux privés étrangers ne fut pas remis en cause;
au contraire c'est leur refus de s'investir au Sénégal qui était le plus redouté.
Toutefois, les planificateurs laissaient dans l'ombre un certain nombre
d'incertitudes de taille ou se limitaient à émettre des voeux sur des questions
déterminantes quant à la réalisation des objectifs du plan. Ils ignorèrent le poids des
aléas climatiques de même que les cours mondiaux de l'arachide dont dépendaie
pour
une part non négligeable la réaction paysanne par rapport à la culture d'exportation. Les
l
faibles revenus de la majorité paysanne de la population du Sénégal ne pouvaient
suppléer la perte du marché de l'ouest africain par l'industrie sénégalaise.
1
Les débats qui ont précédé la dislocation de l'AO.F. ne laissaient aucun doute
sur l'échec d"'une coordination des politiques d'industrialisation"28, attendue par le
1
pouvoir sénégalais dans la région. De là, l'attention toute particulière que le pouvoir
attacha à créer "les conditions favorables à l'apport de ces capitaux privés",29 objet d'une
1
vive concurrence entre les pays de l'ex-AO.F. La politique fiscale fut l'arme de tous ces
Etats dans cette lutte.
1
1
26-- Ibi!!, p. 93.
27· fuig, p. 11.
1 2s.fuig, p.94.
29· fuig, p. 18.
1
1

240
IV ; LA FISCALITE DANS L'ETAT INDEPENDANT DU SENEGAL ;
PRIVILEGES AUX CAPITAUX ETRANGERS.
Un régime fiscal de transition fut adoptée en 1959, en attendant la loi du 21
mars 1962 qui fIXait dans un nouveau code des investissements la fiscalité des
entreprises. 3 0
La loi de 1962 instituait deux régimes particuliers à la place du régime fiscal de
longue durée et la convention d'établissement de 1959. Le régime fiscal de longue durée
garantissait
la stabilité de tout ou partie des charges fiscales [...J en ce qui conceme le mode
d'assiette, les régies de perception et les tarifs des impôts, taxes et redevances. 31
Pouvaient bénéficier de ce régime les sociétés travaillant dans les
industries
minières,
de
traitements
physiques,
chimiques,
métallurgiques et électrométallurgiques des minerais; d'élaboration
des métaux et de leurs alliages; de raffinage des hydrocarbures; de
production d'énergie hydroélectrique; entreprises immobilières ou de
manutention et de transport dans la mesure où elles sont filiales et
participent exclusivement à l'activité des industries citées ci-dessus. 32
La convention d'établissement, indépendamment du régime fiscal de longue
durée garantissait
la liberté des échanges commerciaux, la facilité de recrotement de leur personne~ le
respect de l'égalité entre les entreprises.33
1
1
l 30.Ministère du Développement, du Plan et de l'Economie Générale de la Fédération du Mali, Conditions
d'installation et d'aetMté des entreprises. Rufisque, Imprimerie Féd. du Mali, 1959, pp. 33.
31.lbi~ pp. 37·38.
32. Id.
1
33. Id.
1
1

241
Les avantages et garanties n'étaient déjà plus suffisants pour attirer le capital
extérieur nécessaire à la réalisation des objectifs industriels du premier plan de
développement du Sénégal (1961-1964). A la quatrième année du premier plan, il était
prévu une augmentation de 17 milliards de francs CF~ des immobilisations
industrielles par rapport à 1959; soit 68% de hausse. Le gros de cet investissement était
attendu du secteur privé. Pour atteindre cet objectif, l'Etat s'engageait à créer les
conditions favorables à l'apport des capitaux, il participerait si nécessaire aux capitaux
des entreprises, prendrait les mesures de protection du marché intérieur dans le cadre
des accords douaniers. 34 L'Etat s'enfermait dans le dilemne du marché pour la
promotion d'une industrie nationale. La faiblesse du nombre des Sénégalais et de leurs
revenus constituait une limite objective dans un espace ouest-africain découpé en Etats-
nationaux concurrents.
Les deux régimes particuliers institués par le code des investissements
traduisaient en pratique la déclaration de principe du plan. Les investisseurs avaient le
choix entre deux options : les entreprises prioritaires et les entreprises conventionnées.
La loi fut adoptée le 21 mars 1962 par l'Assemblée Nationale du Sénéga1.35
r/ Les entreprises prioritaires.
Pour bénéficier de l'agrément à ce régime, les entreprises devaient investir au
minimum 100 millions de francs CFA en trois ans, ou créer directement 100 emplois
1
permanents . Celles qui étaient déjà implantées au Sénégal étaient acceptées sous
réserve d'une extension de leur production au niveau "attendu d'une entreprise nouvelle:'
1
(Article 20)
l
L'article 22 de la loi instituant un code des investissements
condensait les
privilèges fiscaux accordés aux entreprises prioritaires.
l
1
1
1 34-lQ. pp. 18.
35- J.O. du Sénégal, 1962.
1
1

242
Elles bénéficiaient de plein droit des avantages fiscaux suivants:
i - E.xonération de l'impÔt sur les bénéfices industriels et commerciaux, jusqu'à
la fin de l'exercice clos au cours:
- de la Sème année suivant celle durant laquelle a été effectuée la première
vente commerciale, ou, à défaut, la première opération susceptible de permettre la
réalisation d'un profit, lorsque l'entreprise a la majeure partie de ses installations dans
la région du Cap Vert.
- de la Sème année suivant celle durant laquelle a été effectuée la première
vente commerciale ou, à défaut, la première opération susceptible de permettre la
réalisation d'un profit, lorsque l'entreprise a la majeure partie de ses installations dans
une région du Sénégal autre que celle du Cap-Vert.
Toutefois, les bénéfices déterminés en tenant compte de toutes les charges et
notamment des amortissements normaux, ne sont exonérés que dans la mesure où la
somme des bénéfices imposables, cumulés depuis la création de l'entreprise, est
inférieure au montant des investissements réalisés et prévus au programme agréé.
!. - Déduction de l'assiette de l'impÔt sur les bénéfices industriels et
commerciaux de sommes égales à celles effectivement réinvesties sous forme
d'immobilisations au Sénégal, dans l'entreprise elle-même ou dans une autre entreprise
agréée.
En clair, cela voulait dire que non seulement il fallait attirer les capitaux mais
leur assurer les conditions fiscales maximales pour qu'ils se réinvestissent sur place.
1
L'unique contrainte portait sur de plus substantiels avantages accordés aux capitaux qui
accepteraient de participer à la déconcentration industrielle hors du Cap-Vert.
[
Toutefois, ne pouvaient être déduits de l'assiette fiscale des entreprises
[
industrielles :
a) Les investissements consistant en achat de matériels d'occasion, lorsque ceux-
1
ci ont été antérieurement utilisés au Sénégal;
1
1
1

243
b) ceux réalisés avec des fonds provenant de provisions pour le renouvellement
de l'outillage et du matériel.
Les sommes réinvesties sont déduites des bénéfices réalisés au cours de
l'exercice durant lequel le nouvel investissement a été effectué. En cas d'excédent, celui-
ci peut-être déduit des bénéfices des exercices ultérieurs sans limitation de durée.
3D) Réduction de moitié de l'impÔt sur le revenu des capitaux mobiliers jusqu'à
la fin de l'exercice clos au cours de la troisième année suivant celle durant laquelle a été
effectuée la première vente commerciale ou, à défaut, la première opération susceptible
de permettre la réalisation d'un profit.
40 ) Exonération de la patente jusqu'à la fin de la Sème année suivant celle de la
mise en activité de l'entreprise, lorsque celle-ci a la majeure partie de ses installations
dans la région du Cap-Vert, jusqu'à la fin de la 8 ème année, lorsqu'elle a la majeure
partie de ses installations dans une autre région.
Le prix à payer, condensé dans l'article 22 ci-dessu~ mettait en évidence l'âpreté
de la lutte pour l'attraction des capitaux dans une Afrique de l'ouest éclatée en "micro-
marchés" nationaux. Le code des investissements ainsi établi constituait une garantie
contre tout risque offerte aux capitaux. En restant dans le modèle colonial
d'industrialisation, dans le contexte de l'Afrique Occidentale "balkanisée", le Sénégal
s'interdisait toute autre alternative fiscale.

244
Le problème restant à résoudre était de savoir qui allait supporter le nécessaire
fardeau fiscal qui résulterait de ce délestage au profit du capital industriel étranger. Les
libéralités offertes aux entreprises prioritaires par l'article 22 étaient complétées par
d'importantes autres mesures. Tout ou partie des droits et taxes perçus à l'entrée sur les
matériels et matériaux d'équipement "ni produits, ni fabriqués dans les Etats de l'Union
Douanière des Etats de L'Afrique de l'Ouest" étaient ristournés aux entreprises
prioritaires(Article 23). Diverses autres exonérations leur, étaient consenties sur: les
droits de mutatio~ sur les acquisitions de terrains et de bâtiments nécessaires à la
réalisation de leur programme agréé, les taxes sur les chiffres d'affaires, la contribution
foncière des propriétés bâties pour quinze ans. Réductions et exonérations étaient
consenties sur les redevances foncières, minières ou forestières, les droits et taxes sur les
produits exportés,
pour une durée de dix ans. Au terme de la loi, aucun de ces
avantages ne faisait obstacle à ceux prévus par le régime commun sur: les impôts directs,
les
amortissements
accélérés,
les
plus-values
réinvesties,
les
provisions
pour
renouvellement de l'outillage et du matériel, dotation pour le renouvellement du
stock.(Article 24)
Une
seule
contrainte significative s'imposait
aux
nouvelles
entreprises
candidates à l'agrément. Elles ne pouvaient "concurrencer d'une manière contraire à
l'intérêt général" les entreprises déjà installées au Sénégal ou dans un des Etats
signataires de la convention douanière du 9 juin 1959 ou membre de la Coopération
Economique.(Article 9)
1
1
1
1
1
1
1

245
2°) Les Entreprises Conventionnies.
Elles ont passé "avec l'Etat une convention d'établissement, leur imposant certains
engagements et leur accordant certaines garanties...".(Article 24). Elles devaient remplir
les conditions du montant des investissements et des emplois créés indiquées à l'article
20. Les garanties portaient sur l'écoulement des produits, les transferts de fonds, l'accès
et la circulation de la main d'oeuvre étrangère, l'utilisation des ressources hydrauliques,
électriques, et les moyens d'évacuation des produits.(Article 29) Les entreprises
conventionnées pouvaient bénéficier de toutes les dispositions fiscales et douanières
prévues pour les prioritaires. L'exonération de la contribution foncière pouvait durer 25
ans.(Article 30)
L'entreprise conventionnée pouvait bénéficier d'une stabilisation de son régime
fiscal en justifiant
d'un programme d'investissement représentant une dépense minima, en 3 ans, d'un
milliard de francs CFA. (Article 3J)
La libéralité du régime fiscal n'a pas permis d'atteindre les objectifs du plan
quant aux investissements attendus des capitaux étrangers. Si le montant global des
investissements voisinait la somme prévue par le plan, ils se sont concentrés sur
quelques entreprises. En 1963, les apports de capitaux étaient estimés à 6 milliards de
francs CFA dont 4 pour la seule raffinerie de Mbao. Le reste s'était dispersé entre la
1
SISCOMA, LE SAPROl.AIT, BERUET·SENEGAL, LE COMPLEXE lHONIER DU
PORT, LA CONSERVERIE DE DJIFERE. Nombre de projets furent ajournés.
1
Les autres secteurs de l'économie supportaient le poids de la fiscalité. En 1963,
1
le commerce apportait la plus grande contribution.
1
1
1
1
1
1

246
Tableau N° 30 : REPARTITION SECTORIELLE DES CONTRIBUTIONS
FISCALES EN 1963
COMMERCE . . . . . . • . . • . • . • : 59%
INDUSTRIE • . . . • . . • . . • . . : 10%
AGRICULTURE . . . . . . • . . • . :20%
BIENS ET REVENUS •••.•• :11%
Source: I.S.E.A.
: Op. Cit., p.
20
Pour corriger le déséquilibre, la Chambre de Commerce de Dakar préconisait,
déjà en 1957, d'encourager toutes les formes d'investissement. 36
La politique poursuivie par le pouvoir révélait très vite ses limites. Les
avantages offerts aux capitaux étrangers s'étaient traduits par un bénéfice net d'impÔts
Qlle
de 5,2 milliards de francs CFA pour l'industrie dès l'année 1962. Au même moment"ne
décaissait au titre de la fiscalité que 4,2 milliards dont 78,57% payés par l'huilerie et
quelques industries alimentaires. 3 7
La motivation des capitaux étrangers restait la perspective d'une rapide
rentabilité ouverte par' un code des investissements
très libéral. Le sacrifice ainsi
consenti par le trésor public au profit des investisseurs industriels et les mesures de
restructuration de l'économie rurale ne furent pas payants au regard des réalisations
effectives. Les autres protagonistes du monde des affaires subirent les conséquences
néfastes de cette option libérale. Les entrepreneurs autochtones furent les véritables
laissés pour compte de cette politique jusqu'à la fin des années 1960.
Au cours du long processus de réformes structurelles de l'économie sénégalaise
marquée par une opposition/négociation permanente entre les entrepreneurs privés
autochtones et la bureaucratie d'Etat, une question est demeuré en filigrane. Quels sont
les obstacles au développement d'une bourgeoisie nationale en Afrique en général et au
Sénégal en particulier? La question a intéressée plus que la recherche universitaire et
les décideurs politiques; l'art littéraire et cinématographique également en a fait le
thème de sa production.
36. A.N.s., F.C.C., 357, Cornspondance avec le gouverneur du Sénégal, 23 décembre 1957.
37· S. Amin: QILQ!., 1970, pp. 44.

247
CHAPITRE X : L'ETAT ET SES ALLIES: LE SORT DE L'ENTREPRISE
PRIVEE AUTOCHTONE.
1: LE GOUVERNEMENT DE MAMAPOU DIA : A LA RECHERCHE D'UNE
PLACE POUR LES ENTREPRENEURS AUTOCHTONES.
Dès la formation du premier gouvernement de M. Dia, la réaction des hommes
d'affaires autochtones ne se fit pas attendre. Par la voix du président du Syndicat des
Transporteurs Africains, ils exprimèrent le voeu que "le nouveau pouvoir africain" allait
enfin s'atteler à la promotion des hommes d'affaires sénégalais dans les secteurs
rentables de l'économie nationale, par l'accès au crédit bancaire et l'africanisation des
circuits arachidiers.38 Cette attente fut très vite déçue à la fois par l'orientation
doctrinale du régime et les premières réformes imprimées à la structure économique du
pays. La fronde des hommes d'affaires autochtones contre le pouvoir ne se relâcha pas
jusqu'à sa chute. Le premier responsable du gouvernement s'en aperçut très vite.
Je comprends, écrivait-i~ que des hommes d'affaires véreux, qui avaient misé sur un
bouleversement politique, se trouvent désemparés par l'échec de leurs ca/culs. Je
pense, par contre, qu'il Y a place, plus que jamais, et dans des conditions
meilleures, pour tous les autres qui veulent travail/er avec nous au développement et
à l'essor de notre pays.39
Les créneaux offerts à ces derniers étaient, en fait, des voies sans issue. Les
anciens traitants de l'intérieur sur la base des achats antérieurs à la traite de 1960,
étaient agréés par l'O.C.A comme Organismes Stockeurs (O.S.) La concurrence des
l
coopératives dans la collecte de l'arachide et les frais exigés par l'Etat pour la
rémunération des peseurs et des services rendus par l'office de commercialisation
1
réduisaient à néant les profits de ces traitants administratifs.40 Ils disparurent
progressivement et l'Etat supprima leur statut durant la campagne 1967-1968.
1
1
38. Archives privées du SY.PA.O.A., Lettre de El Hadji Amadou Lamine Niang au président du Conseil,
1957.
1
39. M. DIA: QlWd!., p. 161
40. Us devaient verser pour chaque kilogramme collecté 2 francs dont 0,5 franc revenait aux peseurs et une
1
somme égale à l'offiee. Une somme de 1700 francs CFA était requise des O.s. par tonne d'arachide
achetée dont 200 francs senaient à la sacherie et 800 francs comme caution.
1
1

248
Tableau ND 31 LE COMMERCE DE L' ARACHIDE PAR LES COOPERATIVES ET
LES o.S.
• CAMPAGNES.
o.S.
COOPERATIVES •
..
....
*
**
--------- ·--------- .--------- ---------
.
.-------
.1960-61
812
70%
695
22% .
--------- ·--------- ---------
.
.--------- -------
.
.1961-62
1252
53%
1103
47% •
--------- ·--------- .--------- .--------- .-------
.1962-63
768
40%
1092
60% .
--------- ·--------- .--------- ---------
.
.-------
.1963-64
606
36%
1466
64% .
---------
·
---------
.
.--------- ---------
.
.------- .
. 1964-65
585
35%
1465
65% .
·--------- .--------- .---------.--------- .------- .
.1965-66
496
38%
1413
62% .
·--------- .--------- .--------- ---------
.
.------- .
.1966-67
470
36%
1594
64% •
--------- ·--------- .--------- .--------- .-------
• 1967-68
o
0%
100% .
Légende :
* : Effectifs
** : Pourcentage commercialisé
Source :
- R. NGUYEN VAN-CHI-BONNARDEL : Op. Cit., p.628, note 124.
-
Y. PEHAUT : Op. Cit., p. 1202.
Au fur et à mesure que les traitants étaient éliminés de la collecte de
Q.
l'arachide, ils étaient reconvertis dans les coopératives de commerçants créés au niveau
de toutes les régions du pays à l'exception du Cap-Vert. Les coopératives également
eurent un sort peu brillant. Les commerçants autochtones de plus grande envergure
économique, installés à Dakar, connurent une expérience au départ plus prometteuse
cependant, elle se révéla plus douloureuse dans ses conséquences.
1
Dans la capitale, la reconversion se fit à travers une association, sous la forme
1
d'entreprises conjointes, entre autochtones et anciennes firmes coloniales. La politique
dite des "consortiums" fut l'initiative du ministre du Commerce de l'époque: A
1
Fofana. Les plus importantes d'entre elles furent la Société Sénégalaise pour le
Commerce
et
le
développement
(SOSECOD),
l'Africaine
d'Importation
et
1
d'Exportation (AFRIDEX), la Société Nationale d'Industrie et de Commerce (SONIC).
1
1
1

249
Chaque consortium était parrainé par une grande firme commerciale qui
participait au capital en partie souscrit par des commerçants autochtones. La SCOA prit
en charge la SOSECOD et la CFAO l'AFRIDEX.41 La gestion comptable était aux
mains des grandes sociétés et la direction revenait aux commerçants sénégalais. Les
consortiums importaient à partir des bureaux d'achat parisiens de la SCOA et de la
CFAO les produits du commerce et ravitaillaient au prix de gros les différentes
succursales et commerçants des capitales régionales du pays. Les établissements
régionaux étaient gérés par des commerçants sénégalais installés sur place et associés
aux entreprises conjointes.
Au bout de cinq années d'activité, tous les consortiums entrèrent en déconfiture.
Le président de la SOSECOD et un de ses collaborateurs furent même traduit en justice
à l'occasion de la liquidation du plus grand des consortiurm~2 AFRIDEX fut absorbée
en 1967 par une grande société au capital entièrement souscrit par des privés sénégalais
: la Compagnie Sénégalaise du Sud-Est (CS.S.E.). Les avis des différents protagonistes
de ces entreprises conjointes sont très partagés sur les causes de leurs déboires
simultanés.
Du point de vue des mobiles de leur création, le pouvoir cherchait à couper
court aux revendications de nationalisation du commerce. Le ministre responsable de
l'opération confiait à l'époque qu'
en choisissant et en facilitant, dès le départ, l'association des intérêts extérieurs, le
Sénégal enlève tout sens à la revendication de nationalisation puisque les intérêts
nationaux sont en partie aux affaires en cause.43
41. Cf. Annexe N" 4 Répertoire des entreprises
42. S. AMIN: Q1LQ!., 1969, pp. 31 ct suivantes.
43. Moniteur Africain N" spécial Avril 1962 wLe Sénégal à l'beure de l'industriew.du 8 février 1962.

250
A posteriori, il nous a expliqué que la base de sa politique était de remplacer
dans le commerce à tous les échelons les grandes entreprises bordelaises et marseillaises
par des nationaux.44 L'opération devait durer deux décennies et aboutir à la création
d'une centrale des achats sous le contrÔle des autochtones. Selon le ministre, l'échec de
l'opération était, en partie, imputable à l'hostilité du président du Conseil mais aussi aux
conseillers techniques français qui empêchèrent toute diversification des sources
d'approvisionnement des sociétés nouvelles.
La S.C.O.A et la C.F.AO. reprochèrent aux commerçants sénégalais un
manque de rigueur dans le respect des engagements. Celle-ci eut pour conséquence de
grever les comptes des consortiums de dettes irrécouvrables. Les deux firmes déclaraient
avoir perdu des sommes importantes dans l'opération.4S Un homme d'affaires qui refusa
d'intégrer les consortiums estimait que l'opération avait été bénéfique pour les
importateurs des produits. En plus de leurs commissions d'importateurs, la S.C.O.A et
la C.F.AO. utilisaient leurs filiales et les sociétésoù elles avaient des participations pour
les frais d'acheminement jusqu'à Dakar:
transport, assurances, banques. Toutes ces
dépenses anciennement supportées par les firmes coloniales revenaient maintenant aux
consortiums et sans contrepartie.46
La conjonction de plusieurs facteurs jouèrent en définitive contre la politique
des consortiums. Longtemps tenus à l'écart des affaires les plus importantes, certains
commerçants sénégalais ont cherché, très tôt, à se mettre à l'abri d'une éventuelle
remise en cause des consortiums. Pour la SCOA et la CFAO, le type de commerce où
cherchait à les maintenir le pouvoir sénégalais, comme moniteur des autochtones pour
une longue période, avait perdu son intérêt bien avant l'indépendance. Les deux sociétés
s'étaient réorientées vers un commerce plus lucratif en direction des zones urbaines.
44. Nous avons interviewé M. Forana en avril 1987.
4S. S. AMIN: Op. Cil., 1969, p. 39.
46. Entretien avec Massamba Dièye de la SOFlCA, le 3 mars 1987.

251
Un autre problème non moins important peut être perçu dans les différents
~Ur
témoignage~ le partage des rôles dans la chaîne de la distribution de l'achat en France à
la vente au détail au Sénégal. Chacun des deux protagonistes : firmes commerciales
européennes et commerçants sénégalais exerçai~
un contrôle sur une partie de la
chaîne qui en conséquence restait dans l'opacité pour le partenaire. Cette obscurité n'a
pas dû favoriser la confiance mutuelle nécessaire au démarrage de l'opération. Ceci
explique la quasi-simultanéité de la liquidation des deux affaires les plus importailtes au
bout d'un quinquennat.
En campagne comme en ville, toutes les mesures d'insertion des autochtones
dans le circuit économique prises par le pouvoir entre 1957 et 1962 échouèrent peu ou
prou. L'hostilité du commerce d'une part et l'inquiétude des notabilités rurales et
religieuses devant les progrès du mouvement coopératif et de l'animation rurale d'autre
part furent fatals au gouvernement de M. Dia. Il s'était aliéné une bonne partie des
"grands électeurs" qui avaient fait le succès de son parti à la veille de l'indépendance. La
chute du gouvernement eut pour cause immédiate et s'exprima politiquement à travers
une opposition entre le président du Conseil et le président de la République. La
motion de censure votée contre le premier par l'Assemblée Nationale fut déposée par
douze parlementaires parmi lesquels neuf hommes d'affaires.47 Cette prise de
participation dans l'entreprise politique du 17 décembre 1962 contre le président du
Conseil ouvrait-elle un chapitre nouveau dans les relations du monde des affaires avec
les tenants de l'appareil d'Etat?
1
l
1
47. G. BLANCHET: Elites et changements en AFrique Noire: le Sénégal, ORSTOM·Kar1hala, Paris, 1983, p.
1
263.
1
1

252
II ; LA POUTIOUE DE RECDFICATION DE SENGHOR; LES
ENTREPRENEURS AUTOCHTONES A NOUVEAU PARMI LES LAISSES POUR
COMPTE.
A seize jours du premier anniversaire du coup de force qui mit fin à la
République parlementaire, Léopold Sédar Senghor fut élu président sur la base d'une
nouvelle constitution qui centralisait entre ses mains un énonne pouvoir. Il prit en main
la révision à la baisse de la politique radicale du précédent gouvernement. L'orientation
jusqu'alors imprimée aux structures du monde rurale et en particulier l'animation rurale
fut, de fait, supprimée. Le pouvoir, sans abandonner sa référence doctrinale social·
démocrate, fut contraint de rétribuer encore une fois les services rendus par les notables
religieux et ruraux lors de la crise de décembre 1962.48 La campagne reprise en main, il
fallut également asseoir des bases urbaines beaucoup plus solides au régime. Diverses
institutions furent créées pour, en partie, servir à cette fin. Les organismes
d'encadrement du monde rural, jusqu'alors conçus comme moyens de libération des
paysans, se révélèrent comme de puissants instruments politiques de rétribution de la
clientèle sociale et politique du pouvoir. Le monde des affaires adapta sa stratégie à
cette situation en continuant comme par le passé à s'impliquer davantage dans le champ
des rivalités politiques J'Etat ayant conservé son contrôle sur le surplus arachidier
après 1962, avec de gigantesques organismes fortement centralisés à l'image du nouveau
pouvoir. La promotion dans les affaires à partir de ce moment allait être directement
fonction du degré d'allégeance aux bureaucrates de l'appareil d'Etat tenant les rouages
des grands organismes économiques comme l'oNCAD et la BNDS.49 La stabilité du
système tenait essentiellement à la prodigalité des coteries politiques dans la rétribution
de leur clients maraboutiques et affairistes.
t
1
l
48. Sur l'attitude de ceux-ci durant les ivinements de 1962, Voir C. COULON: Le marabout et le prince.
islam et pouvoir au Sénégal. Paris, Pidone, 1981, 317p.
l
49. ONCAP : Office Nationale de Coopération et d'Assistance au DéveloppemenL
BNDS : Banque Nationale de Développement du ~nigal
1
1

253
Les aléas climatiques et la détérioration des termes de l'échange aux dépens des
pays d'Afrique ont été souvent évoqués pour expliquer l'impasse dans laquelle ils se
en
trouvait une décennie après l'indépendance.50 Ces deux éléments entrent en ligne de
compte dans l'explication mais ils ont surtout été les révélateurs des limites du
clientélisme comme mode de gestion politique dans le cadre d'une économie sous-
développée et dépendante. Il est vrai qu'un lourd tribut fut payé aux rapports d'inégalité
qui régissent le marché mondial. Les années de sécheresses pesèrent également sur le
bilan économique de la décennie. Il n'en demeure pas moins vrai que les impératifs
économiques furent sacrifiés à l'autel de la stabilité politique.
La principale critique formulée contre l'orientation économique du premier
plan portait sur la priorité accordée par le précédent gouvernement à l'industrie au
détriment de l'agriculture. Il s'agissait pour son successeur de laisser se "dissiper en
fumée les illusions de l'industrie lourde ,61 au profit de plus modestes unités de
production et une participation accrue de l'Etat dans ce secteur. Dans l'agriculture, à
partir de 1964, fut élaboré un programme accéléré d'amélioration de la productivité.
L'objectif consistait à accroître l'équipement rural par la culture attelée, pour faire
passer la récolte arachidière de 800 mille à un million de tonnes par an, sans augmenter
les superficies cultivées. L'opération visait également le mil dans le but de rompre la
dépendance du Sénégal vis-à-vis de l'étranger pour son approvisionnement en denrées
alimentaires agricoles.
1
l
1
l
50. LS. SENGHOR: QILQ!., 1968, p. 30 et suivantes.
1
51. LS. SENGHOR: Politique. nation et développement moderne. Rapport de politique générale au VIème congrès
de l'U.P.S.• Dakar. 5.6,7 Janvier 1968. p. 44
1
1

254
L'opération mil·arachide confiée à la SATEC,52 fut couronnée de succès dans
l'équipement rural mais enregistra un échec dans son objectif principal d'amélioration
des rendements.53 L'endettement du monde rural fut aggravé par cette opération. En
dehors de deux années records où la production arachidière dépassa le million de tonnes
(1965-1966 et 1972-1973), la moyenne annuelle de 1965 à 1973 était de l'ordre de 850
mille tonnes avec deux campagnes particulièrement difficiles (1970-1971 et 1972-1973).
La chute drastique des revenus des paysans créa un malaise sans précédent en milieu
rural. La fin des "surprix" français sur l'arachide à partir de 1966 et la sécheresse
contribuèrent à l'aggravation de la situation. La ponction de l'Etat fut très déterminante
dans la chute des revenus du monde rural. La part du producteur dans le' prix de
l'arachide avant exportation déjà très faible continua à se détériorer.
Tableau N° 31 PART DU PRODUCTEUR DANS LE PRIX (FOB) DE L'ARACHIDE
AU SENEGAL
• PERIODES
• POURCENTAGE
------------ -------------
·
• 1962-1969
45 à 48%
------------ -------------
·
• 1969-1970
36%
------------ -------------
·
• 1971-1972
40%
------------ -------------
·
1973
30%
Source: D. K. FIELDHOUSE : Black Africa 1945-1980. Economie
decolonization and arrested development, Londres, Allen and
Unwin publishers, 1986, p. 218.
L'affirmation d'une priorité au monde rural s'accompagna d'une ponction
énorme directement tirée par le biais de la fiscalité et indirectement par les organismes
publics d'intervention et en particulier l'ONCAD. L'office fut un énorme dispositif
1
administratif, chargé de multiples fonctions à la suite de la liquidation ou du transfert à
son profit des compétences d'autres organismes d'intervention. Créé en 1966, il fut
1
notamment chargé :54
1
52_ SATEe: SociéU d'Aide Technique et de Coopération.
53· G. ROCHETEAU : ·Modernisation de l'agriculture, occupation du sol et préférence pour la culture
d'auto.<onsommation dans le bassin arachidier sénégalais·, ORSTOM, s.d., 7 pages ronéo.
1
54- L S. SENGHOR : ~., 1968, p.l06
1
1

255
- d'encadrer et de promouvoir le mouvement coopératif,
- de commercialiser les productions agricoles collectées par les coopératives,
- de prêter ses services à la BNDS et à l'OCAS,55
- d'exécuter le programme agricole,
- d'assurer aux communautés rurales les services nécessaires,
- d'assurer le transport des produits collectés,
- de gérer les semences,
- de mettre en place l'équipement rural.
La monopole de l'office sur le commerce arachidier et la sous-rémunération de
la production rurale dont il bénéficia sans concurrence n'empêch;t'p~ qu'au bout de
quatorze années d'existence, il laissait à l'Etat une dette de plus de 90 milliards de francs
CFA en plus des 12 milliards de pertes pour "dépenses inconsidéréifr56 L'Etat hérita le
déficit financier de l'un de ses principaux instruments d'intervention en milieu rural mais
dut aussi éponger une dette de plus de 32 milliards contractés par les paysans auprès des
organismes publics. L'endettement des producteurs ruraux était certes antérieur à
l'étatisation des circuits commerciaux arachidiers57 mais au début des années 1970, le
seuil critique était largement atteint. Les coopératives de consommation dénoncées par
le président de la République comme "agents de conuption"58 qui endettèrent leurs
1
adhérents ne furent pas seuls en cause.
l
1
t
55- C.CA.S. : Office de Commercialisation Agricole du Sénégal.
1
S6- N. CASSWEu.. "Autopsie de l'ONCAD, la politique arachidière du Sénégal 1966-1980", Politique
Africaine N" 14, Juin 1984, pp. 39-73.
1
57- Ibid: En 1960,60% des familles du bassin arachidier étaient endettés auprès du commerce privé.
SB- L. S. SENGHOR: Op. Cit., 1968, p. 102.
1
1

256
En effet on aurait tort de penser que la pression économique sur le monde rural
généra des ressources transférées uniquement dans d'autres secteurs de l'économie par
le trésor public. La caisse de stabilisation de l'arachide tira du monde rural un bénéfice
net de 6,5 milliards de francs entre 1965 et 1969. Cette ponction finança 26% des
investissements publics durant la même période.59 Ce qui économiquement justifierait
le déficit de l'office de commercialisation et l'endettement du paysan épongé par le
trésor public. L'ONCAD coûta très cher au Sénégal mais pas à tous les Sénégalais. Les .
fraudes, la corruption et les malversations de toutes sortes et à tous les niveaux furent
dénoncées dans la presse nationale. Celle contrÔlée par le pouvoir qualifia l'office de
très accueillante maison pour tous ceux qui cherchent d placer un protégé.60
Pour assurer le transport des arachides, l'office s'adressait aux entreprises
privées. L'obtention d'un contrat de transport dépendait, pour une large part, des
relations tissées par le transporteur au sein du parti et dans l'appareil d'Etat. L'office en
arriva même à payer 234 camions à des "transporteurs" qui ne disposaient pas de moyens
nécessaires pour honorer leurs engagements, dépenses par la suite inscrites au compte
des pertes et profits puisque les bénéficiaires ne payèrent pas cette importante avance.
Le pouvoir lui-même s'inquiétait des proportions prises par la fréquence des
abus de biens sociaux dans les organismes publics et de l'absence de sanctions contre les
fautifs toujours ''protégés''. Le président de la République estimait en 1969 à 5 milliards
de francs CFA les pertes de recettes dues à la fraude et à 200 millions par an les
détournements de deniers publics. Les services les plus directement touchés par ce
malaise étaient: l'ONCAD, l'OCAS, l'OPT, le ContrÔle Economique et la Douane, sans
compter les "tant-pour-cent" (sic) sur les marchés publics. Le pouvoir imputait ces
"détournements et soustractions commis par les agents publics", cette "véritable plaie
sociaJe...persistante" à la propension au gaspillage et au relâchement moral et religieux 61
59- S. AMIN: QIL.Q!., 1970, p.36.
60- N. CASSWELL -Art. CU.-, 1984.
61- L S. SENGHOR: Op. Cit., 1969, pp. 152-156.

257
Au cycle infernal qui avait conduit à l'étatisation de la traite, s'était substitué un
non moins infernal cycle de "l'enrichissement i//icite,Q de la bureaucratie d'Etat au
détriment de l'entreprise privée.
Le caractère multifonctionnel des coopératives laissait une marge trop étroite
aux anciens traitants pour s'introduire dans le créneau commercial rural. L'OCA puis
l'ONCAD eurent le monopole non seulement du commerce de l'arachide mais aussi de
l'approvisionnement des coopératives, des commerçants privés, en produits alimentaires
de grande consommation (riz, mil), avec une marge bénéficiaire fixée d'avance pour ces
demiers.63
Les
commerçants
autochtones
et
levantins
profitèrent
des
goulots
d'étranglement provoqués par la lourdeur administrative pour contourner le monopole
des offices de commercialisation. Ils achetaient les récoltes pendantes durant la soudure,
avant la mise en place des fonds des organismes publics. En 1972, les producteurs ont
ainsi vendu une centaine de milliers de tonnes d'arachide au commerce privé à 10 ou 15
francs le kilogramme avant le démarrage des achats de l'O.C.A à 23 francs le
kilogramme.64 Cette collecte illégale alimentait en grande partie la fIlière frauduleuse
du commerce arachidier vers la Gambie.
La contestation du monopole de l'Etat sur le surplus généré par la production
rurale n'était pas en mesure de donner aux monde des affaires une base d'accumulation
solide pour remettre en cause à l'échelle nationale la domination des entreprises
étrangères sur l'économie sénégalaise. La situation en milieu urbain ne fut guère
l
meilleure.
1
1
1
62· Le 29 Juin 1981, le successeur de Senghor fit voter par l'Assemblée Nationale une loi Rprimant
-l'enricbissement lIIicite-. Son effet a ité de peu de portée depuis Ion d'autant qu'elle n'avait aucun
1
caractère Rtroactir.
63· J. LACROIX:
Possibilités d'action coopérative dans le domaine de la distnoution au Sénégal, Nancy,
Coopérative AGEN, riv 1963, 54 pp multigr.
1
64- R. NGUYEN VAN-eHl·BONNARDEL : QJL9!., p. 612.
1
1

258
Le capital français continuait à dominer largement les secteurs urbains de
J'économie. Il contrÔlait 70% des investissements dans le commerce, 80% dans
l'industrie et 56% du capital bancaire.65 En pratique les créneaux commerciaux
s'adressant à la clientèle aisée des villes étaient sous le contrôle des magasins
"Prisunic" de la s. co. A. Par son réseau composé d'une soixantaine de magasins
"cha ine d'av ion", couvrant tout le pays, et offrant plus de 700 articles importés
l'expérience s'était étendue à la clientèle aux revenus plus modestes. Le commerce
autochtone se trouvait dans l'incapacité de rivaliser avec les puissantes firmes
multinationales qui parvenaient à réduire au minimum leurs frais généraux en confiant
la gestion de leurs succursales à des mandataires autochtones rémunérés au pourcentage
des ventes et responsables des stocks et du personnel employé.66 Les tentatives de
collaboration initiées dans le cadre de la politique des "consortiums" furent sans
lendemain. L'Etat se substitua au commerce autochtone dans cette opération
d'entreprises conjointes avec la création de la SONADIS.67
Le repli des levantins sur Dakar et les villes secondaires à la suite de
l'étatisation de la traite verrouillait l'accès des autochtones au commerce du demi-gros
des produits alimentaires et textiles et du transport inter-urbain.68
Compte tenu de la faiblesse des moyens économiques dont ils disposaient et du
contrôle exercé par le capital étranger et la bureaucratie d'Etat sur les différentes
sources d'accumulation au niveau national, il ne restait aux hommes d'affaires
autochtones qu'une faible marge de manoeuvre pour sortir de sa marginalisation. La
lutte sur le terrain strictement économique laissait peu de chance. TI ne restait plus
qu'une alternative : entrer dans la clientèle politique des tenants du pouvoir ou engager
la lutte syndicale et politique pour une refonte de la structure économique qui leur
ouvrirait des perspectives d'insertion dans des secteurs rentables. Les trois voies ont été
expérimentées par la bourgeoisie d'affaires sénégalaise durant la première décennie des
indépendances.
65· LS. SENGHOR: OP. Cit., 1968, p. 66.
66- J. LACROIX: Q1:LQ1., 1963.
67· SONADIS: Société Nationale d'Approvisionnement et de Distribution.
68- NGUYEN VAN-eHI·BONNARDEL (R.) : ~., p. 783.

259
Les
initiatives
les
plus
prometteuses
qui
tentèrent
de
s'autonomiser
économiquement du pouvoir et du capital étranger aboutirent toutes à des impasses.
L'accumulation réalisée à partir des réseaux de clientèle ou des fonctions détenues dans
l'appareil d'Etat conduisirent exceptionne]]ement à des investissements productifs. Les
entreprises fondées sur cette base demeurent congénitalement fragiles puisque
fortement dépendantes de la fortune politique de leur promoteur ou de leur
commanditaire. La lutte pour la restructuration de l'espace économique sans
bouleverser les données du problème permit des conquêtes substantie]]es entre 1968 et
1973.

260
III ; L'ECHEC DES TENTATIVES D'AUTONOMIE
r/ La SO.FI.CA., une tentative infructueuse dans l'huilerie: une chasse gardée tks grantks entreprises
françaises
Massamba Dièye entrepreneur à Dakar et propriétaire de la SO.FI.CA69 a été
l'un des premiers hommes d'affaires à expérimenter la voie de l'autonomie par rapport
au pouvoir politique et au capital étranger dominant. Il fut associé dans ses différentes
entreprisesà deux marabouts-hommes d'affaires mourides : El Hadji Cheikh Ahmadou
Mbacké et Djily Mbaye;70 lui-même était de la confrérie "Tijaan". A partir de 1962, ils
se heurtèrent à des difficultés nées de la concurrence des entreprises françaises.
Après des études de technicien en télécommunication, Dièye a suivi en France
pendant la période coloniale des cours au Conservatoire des Arts et Métiers. Après un
bref séjour dans la Guinée nouvellement indépendante, il
revint au Sénégal pour
participer à la fondation du premier parti marxiste de l'AOF ; le Parti Africain de
l'Indépendance. Il nous a confié que la création de la SO.FI.CA a été motivée par la
conviction que la lutte pour la déconnexion de la dépendance pour laquelle il militait
politiquement ne pouvait être durable qu'en se fondant sur une maîtrise du secteur
économique par les nationaux. Il dut bien vite déchanter sur ce terrain. La puissante
assise sociale de ses associés et leur fortune considérable jointes à ses compétences
techniques n'ont pu empêcher la faillite des projets de la SO.FI.CA qui menaçaient
d'importants intérêts français. La déconfiture selon le mot du promoteur, a été
organisée par les huiliers français avec la complicité de hauts fonctionnaires de
l'administration et de certains hommes d'affaires sénégalais.
69- Le 3 mars 1987, Massamba Dièye nous a fait lin: la volumineuse con-espondance que lui et ses
partenaires ont échangée avec: les autorités gouvernementales sénégalaises.
70- Petit fils du fondateur de la confrérie des mourides, plus connu sous le nom de Cheikh Mbacké dit
Gai"dl Falma Oe lion de Fatma), son nom est resU attaché l une réserve voire une opposition au
pouvoir politique sénégalais. Propriétaire d'une immense fortune foncière, U fut l'un des plus riches
maraboutsde la confrérie.
DJILY MBAYE est l'une des plus grosse fortune privée sénégalaise aujourd'hui. Marabout-homme
d'aft'aires, originaire de Loup, D. Mbaye a construit sa fortune dans le négoce lnterafricain et ses
relations avec: les pouvoirs politiques dans divers pays du continent. En 1974, Uitait conseiller personnel
du président de la République du Tchad. II a débuU par le commerce de d&iI de la cola avant
d'entamer son périple africain
Cf. S. AMIN: Op. Cit., 1969, pp. 49 et 51.
Ediafric: -Les ilites africaines- Paris, 1974 (3ème éd.), 490 p. (1ère id. 1970).

261
L'objectif de M. Dièye était
de faire sortir le commerce Sénégalais de la routine et de la voie sans lendemain
des solutions de faâlitb dans lesquelks ü s'embourbait. 71
Attaques à peine voilées contre la politique des "joint-ventures" commerciaux:
mis au point par le premier gouvernement sénégalais associant les grandes maisons de
commerce multinationales (CFAO et SCOA) et des commerçants autochtones. Pour
donner l'exemple, il choisit la forme juridique de la société anonyme, opta pour la
patente plus chère d'importateur et s'installa dans le centre de Dakar qui leur assure un
standing à la mesure de leurs ambitions. 7 2
Après deux: ans d'expérience, la SO.FI.CA s'était passée de l'aide des
organismes de crédits pour sauvegarder son autonomie. La SO.FI.CA. réalisait un
chiffre d'affaires de plus de 20 millions de francs cfa en moyenne par mois, avec un
réseau de distribution intérieur formé avec ses propres magasins à Thiès, à Diourbel,
dans le Cap-Vert et sur celui de détaillants avec qui elle formait une coopérative. Elle
approvisionnait quinze coopératives de consommation dont celle des cheminots et des
postiers.
La bonne tenue de la SO.FI.CA a duré tant qu'elle se limitait aux: activités de
moindre importance dominées par les entreprises autochtones. Le premier affrontement
avec les intérêts étrangers tourna court et à son détriment. Evincée une première fois du
transport des pèlerins sénégalais à la Mecque, Dièye s'adressa directement au chef de
l'Etat pour prévenir une répétition de ce qui à ses yeux: relevait d'une discrimination
administrative au profit de la Société Sénégalaise de Voyage et de Tourisme tenu par un
originaire des îles du Cap-Vert. La correspondance n'évita pas à son Agence de Voyage
et de Tourisme, créée en juillet 1962, une seconde défaite. Le désagrément des
1
responsables de la SO.FI.CA fut à la hauteur de la violence des propos de leur lettre de
protestation au président de la République. 73
1
71- Lettre au président de la République: le 22 octobre 1964.
72-Jg.
1
73- Id. Lettre en date du 24 aoQt 1965,
Extraits:
1
"Vous avt% icrit M. le Président que "/'indipendance politique n'est qu'un leutre si elle n'est pas enraânie dans et souJenue
par l'Indipendance iCOllomique"
1
1

262
La SO.FI.CA. n'était pas au bout de ses peines. De nombreu
autres petits
projets initiés par elle avortèrent du fait de l'opposition de sociétés françaises ou de
l'Etat sénégalais.
Une chaîne de montage de poste radio japonais ne put voir le jour de même
qu'une usine de fabrique de farine de poisson avec des Polonais. Une tentative
d'importation de riz chinois et de sucre belge connut un sort similaire. Le projet
d'installation d'une huilerie à Mbacké en plein pays mouride où la société avait
implanté depuis 1967 une usine de décorticage donna le prétexte de sa liquidation au
bout de quatre ans, en 1973. Le projet mis au point sur initiative de Cheikh Mbacké
devait être réalisé avec une société industrielle polonaise. Les promoteurs affirmaient
ne porter préjudice à aucun intérêt local compte tenu du fait que la production
arachidière tournait autour du million de tonnes et les huileries locales trituraient la
moitié. Ils soulignaient pourtant dans une lettre du 21 jumet 1969 que
Sa réalisation était une nécessité vitale f. ..J pour mieux défendre les intérêts
sénégalais sur les marchés extérieurs des oléagineux, et de très vite dissiper sur le
plan intérieur ce voile de mystère qui depuis toujours plane sur les résultats réels
d'une trituration locale. 74
Notre tâch~ impérativt d~m~ure l'intégration d~s circuits économiqu~s pour
-en connaftre l~s rouages afin d~ l~s domin~r p~ssivtm~nt,
·démontrer q~ l~ n~gre n'étmt pas dépourvu d~ un~ passion cCU1ési~nn~ ~t indusrri~us~..., ~t qu'il pouvmt... cré~r, orgoniur
~t gé~r d~s ~ntrepris~s valabl~s... QSsum~r l~s nsqu~s d~s affai~s, lmssont d d'autres l~s honn~un d~ la politiqu~
politici~nn~.
La discrimination qui s~ monif~st~ d notlr égard par :
r/ u ~fus sans motifd~ nous délivrrr d~s cCU1~s permon~nt~s d'accès au port ~t d l'airoporr,
!
2°/U ~fus d'agrém~nt ~n douan~ pourfm~ du transit,
3°/ L'inscription sur la list~ d~s sociétés Qvtc l~sq~ll~s l'administra/ion n~ doit pas trait~r d'affai~s... La So.FI.CA. n' a
participé ni d~ près ni d~ loin d un~ q~lconq~ ~nt1rpris~ din"gé~ contre la nation sénégalmu ou s~s ~prés~ntonts.
1
NOt1r action prolonge naturell~m~nt ctll~ d~ l'administration... •
74· Lettre au ministre du Plan: juillet 1969.
1
1

263
Il était prévu un investissement de 520 millions de francs d'investissement
réalisables grâce à un prêt bancaire de 239 millions, le reste sur auto-financement. Le
capital de la société d'exploitation de l'huilerie s'élevait à 75 millions devant être
souscrits par la SO.FI.CA , la Coopérative de Production Mouride et Cheikh Mbacké à
titre personnel. Le 1/3 restant par l'Etat sénégalais qui pouvait être représenté par
l'O.C.A qui à terme rétrocéderait progressivement "ses parts... à des enfants du pays". 7 5
L'accueil du projet par l'Etat et le reste du monde des affaires révèle une
hostilité notoire. L'attitude de l'Etat est certainement à mettre au compte des
antécédents politiques des promoteurs. Le Comité Interministériel du Il août chargé
d'examiner la requête d'agrément de la société comme entreprise prioritaire bénéficiant
d'exonérations fiscales usa de dilatoire pour éviter de répondre à la demande.76
Jusqu'en 1971, ce fut une suite de lettres pour dissuader les promoteurs de
poursuivre leur projet. Il leur fut demandé de s'associer avec la C.S.S.E. et la SO.CE.CI.
sous la direction de la SONEPI et d'implanter l'entreprise à Kaolack. Les promoteurs
restèrent fermes sur leurs positions. Le choix de Mbacké était conforme à la politique
déclarée du pouvoir de décentraliser l'industrie et tous les nationaux pouvaient prendre
part à la réalisation de l'huilerie.
Une entreprise autochtone fut commise pour court-circuiter l'initiative de la
SO.FI.CA Elle écrivait à une firme italienne
75- Lettre de Cheikh Mbacké au ministre du Plan et de l'Industrie, secrétaire général du Comité National
des Investissements, Juillet 1969.
76- IJ souleva un cer1ain nombre de questions préalables parmi lesquels :
1°/ De quelle garantie l'entreprise dispose-t-elle pour écouler sa production dans un marché où existe une
forte et ancienne Implantation d'huilerie?
1,0/ Quelle garaotie de qualité offre son fournisseur? Avec quelle assistance technique étrangère ou
sioégalals du métier compte-t-elle résoudre les problèmes techniques de l'entreprise?
3°/ Pourquoi le choix de Mbaclœ comme lieu d'implantation dépourvu de l'infrastructure nécessaire surtout
eu moyens de transports.
4°/ Sur quel autre partcoaire compte-t-elle au cas où l'Etat ne s'engagerait pas? Quelle est la répartition
exacte du capital? Que veut dire Coopérative de Production Mouride?

264
qu'un groupe concumnt (SO.FJ.CA.) vient de déposer entre les mains du
gouvernement sénégalais un projet d'installation d'un complexe d'huilerie {...)
Inutile de vous dire qu 'aucune ~ponse n'est encore donnée à ce groupe. 77
Le dispositif de blocage avait fini de se mettre en place lorsque la SO.N.E.P.I.
proposa à Massarnba Dièye de prendre 3% du capital d'une huilerie en création à
Louga, à libérer dans les 45 jours suivants réception de la lettre. 7 8 Les nouveaux
associés étant un libanais transporteur Nehmé Khoury et un membre de l'ancienne
famille royale du Djolof, cousin du ministre du plan et homme d'affaire de son état,
pour un capital de 100 millions de francs CFA Aucune des huileries envisagées ne vit le
jour ni à Mbacké, ni à Louga, ni à Kaolack. La diversion l'emporta sur "les impératifs de
développement de l'entreprise sénégalaise"79 Interrogé sur les raisons de cet ostracisme et
sa véracité, le ministre du Commerce de l'époque nous a confié que "tout se faisait par
dessus sa tête" entre le bureau de la chambre de commerce et le chef de l'Etat.8 0
La liquidation judiciaire de la SO.FI.CA de M. Dièye est la preuve que le
problème fondamental de la promotion de l'entreprise autochtone n'est ni dans la
formation des entrepreneurs encore moins dans leur mentalité.
2°/ : Abdoulaye Diop un imprimeur victime de son engagement syndical.
Il aura été l'entrepreneur qui posa le plus de problèmes au pouvoir politique
sénégalais dans la lutte pour la promotion de l'entreprise nationale privée. Nationaliste
intransigeant, il représenta pendant toute la décennie postcoloniale le chef de file de la
tendance la plus radicale dans le mouvement syndical patronal.
77· Archives Privées de la SO.FI.CA. L'auteur de cette lettre était membre du conseil d'administration de la
SO.NE.PI.
er
78- Lettre SO.N.E.P.I. è M. Diè~ du 1
Janvier 1971.
79· Lettre C. Mbaclœ du 18 novembre 1969 au Ministre du Plan.
BO-Inteniew du 10 mars 1987.

265
Formé au métier à l'imprimerie de la mission catholique, il se mit à son propre
compte en 1948 dans un atelier loué dans une maison de l'avenue William Ponty.81
Appuyé par le gouverneur général B. Cornut-Gentil, il implanta la première imprimerie
privée entièrement contrÔlée par un autochtone dans le Plateau africain (Rebeuss) en
1955. La multiplication des partis politiques au lendemain de la deuxième guerre
rent
mondiale et le développement de la littérature africaine de l'époque permi une rapide
expansion de son entreprise. Il tira profit de l'ostracisme de la Grande Imprimerie
Africaine, sous le contrÔle des maisons bordelaises, à 1'égard des partis politiques
anticolonialistes, pour se frayer une voie dans l'édition de journaux d'opinion, de revues
et d'ouvrages divers.82 Sur recommandation de Cheikh Mbacké, il réalisa l'un de ses
plus grands marchés dans l'édition de 35.000 exemplaires du coran.
Son activité syndicale lui valut l'ostracisme du pouvoir avec la mise sur pied en
1962 d'une organisation syndicale qui entendait remettre en cause l'hégémonie des
firmes françaises à la Chambre de Commerce de Dakar. L'édition à partir de 1966 de la
Lettre fermée, bi-mensuel de
lune pour un pluralisme critique et éclairé et contre les monopoles étrangers en
matière de distribution
fut interdite en 1972. Le projet de création de la Société
Nouvelle
d' Edi tion
et
de
Réal isations
Graphiques en collaboration avec 72
intellectuels africains ne put aboutir, du fait qu'il contestait la domination des grandes
entreprises sur la production littéraire. Face à ces multiples difficultés qui se
répercutaient dans la marche de son entreprise, A Diop "s'exila volontairement" en
République Islamique de Mauritanie où il implanta une nouvelle imprimerie et y fut
ultérieurement nommé consul Honoraire du Sénégal.
81· M. PRINZ wQuaranle ans d'imprimerie DIOP 1948-1988wEthiopigues N" 1-2, Vol 5., Nouvelle série,
1988.
wlnterview de A. Diopw pp. 91.109.
82· L'imprimerie Diop édita les oeuvres de A. Sadji : Tounka (1952), Maïrnouna et Modou Fatirn. une revue
destinée aux enseignants en langue arabe : La lumière, la première revue féminine sénégalaise ~ et la
deuxième constitution du Sénégal sous la forme d'une oeuvre d'art lors -du Festival Mondial des Ans
Nègres de Dakar en 1966.

266
L'échec de ces deux tentatives d'autonomie par rapport au pouvoir politique et
aux grandes entreprises montre clairement les choix du pouvoir en matière de
promotion des hommes d'affaires autochtones. Leurs réussites constituaient un danger
par la démonstration qu'elles feraient de la possibilité de se libérer de la tutelle du
pouvoir.
D'autres initiatives de moindre envergure connurent le même sort. Celles-ci
n'avaient aucun contentieux avec le pouvoir d'Etat mais le manque de moyens et la
dépendance à l'égard des marchés publics furent leurs habdicaps majeurs. Que ce soit la
Société Africaine de Confection fondée en 1952 avec 20 employés par une coopérative
de 150 tailleurs licenciés de la CITEC, la SOPONICRO établissement de fabrication de
lits métalliques racheté en 1960 à un Français et employant plus de 60 ouvriers
permanents ou la menuiserie B. MBAYE fondée en 1942 avec en 1964, 8 millions
d'immobilisation, toutes étaient confrontées aux mêmes difficultés. Ils exprimèrent une
série de revendications dont la solution était attendue de l'Etat :83
al protéger le marché local contre les produits importés,
bl faciliter l'accès des nationaux aux crédits,
cl Accélérer le paiement des factures dues par l'administration,
dl Réserver une part du marché public aux nationaux.
L'ensemble de ces revendications fut systématisé et pris en charge par les
organisations patronales qui, durant toute la première décennie de l'indépendance,
tentèrent de remettre en cause la structure du monde des affaires pour la promotion des
entrepreneurs autochtones. Le pouvoir se servit des hommes d'affaires acquis à sa cause
ou tirant profit de ses réseaux de clientèle pour maintenir une division préjudiciable aux
succès des revendications des hommes d'affaires.
83· Ch. B. Lü : "Enquête sur les enmprises qui montent" Sénégal-Aujourd'hui, NO 1 sept. 1963 au NO 11 sept
1964.

267
IV ; LE SYNDICALISME PATRONAL APRES L'INDEPENDANCE; UNE
BIPOLARISATION PREJUDICIABLE A L'EFFICACITE
Les rapports au pouvoir et les moyens de la promotion de l'entreprise privée
autochtone introduisirent un clivage entre les organisations syndicales. A grands traits,
deux tendances s'affrontèrent de 1960 à 1969. La première plonge ses racines dans
l'éveil nationaliste d'après-guerre. Elle posait les problèmes de la place de l'entreprise
autochtone dans l'économie nationale en termes directement politiques, se démarquait
du pouvoir en place sans s'opposer de front à lui. Son chef de file, Abdoulaye Diop,
ouvrier puis entrepreneur dans l'imprimerie, a toujours montré le divorce entre le
discours du pouvoir et la réalité économique sans remettre en cause le premier. La
deuxième tendance était plutôt réformiste et très modérée dans ses revendications. Elle
fut plus instable dans ses instances de direction du fait des avantages découlant de ses
bonnes relations avec le pouvoir mais aussi de l'intervention fréquente du pouvoir pour
démettre tou t dirigeant jugé radical. 8 4
Le pouvoir durant toute la décennie
1957-1973 va manoeuvrer
cette
bipolarisation pour faire échec aux revendications les plus urgentes du monde des
affaires autochtones.
En 1960, deux syndicats autochtones sollicitaient les suffrages des entrepreneurs
sénégalais. L'Union pour la Défense des Intérêts Economiques Africains (U.D.I.E.A)
animée par A
Diop faisait face à la Fédération Nationafe des groupements
Economiques Africains (F.N.G.E.A.) de El Hadji Lamine Ndiaye. Entre 1963 et 1965,
les deux organisations subirent les retombées des difficultés économiques de leurs
dirigeants. La première avec la faillite de l'ERTEC et la seconde celle de la
SOSECOD.8 5
l
[
84. Ousmane Diagne président de la SOSECI parrainé par le directeur de Cabinet du président de la
République eu 1965, a été démis de sa fonction de président de la COFEGES è la suite d'une interview
alors qu'II fut utlli~ par le même pouvoir pour briser l'UNIGES jugée trop radicale.
i Cf.S.Amin,QILsib1969etG. Blanchet,Q1ui!,1983.
85· S. AMIN, QlL9!, 1969 p. 170.
(
l

268
En 1965, A. Diop créa la Chambre Syndicale du Patronat Sénégalais avec des
jeunes entrepreneurs, ingénieurs et techniciens, dont Cheikh Sadibou Gassama, Djim
Kébé et Khalilou SaIl. La CS.P.S. innova en incluant dans sa direction des femmes
entrepreneurs. Un an après, Ousmane Seydi, homme d'affaires, député et trésorier du
parti au
pouvoir,
tentait de
re-dynamiser
la
F.N.G.E.A
devenue
F.N.G.E.S.
(Sénégalais).
A tort, il a été souvent retenu comme seuls acteurs du mouvement de
contestation de mal-JUin 1968 les travailleurs et les étudiants. Or, cette crise fut
l'occasion d'une vigoureuse remise en cause de l'orientation économique du pouvoir par
les entrepreneurs sénégalais. Le 22 et 23 juin 1968, se tint le Congrès de l'UNIGES
''aboutissement d'un long processus d'unification des hommes d'affaires sénégalais". 6
8
Le rapport général présenté par le vice-président du Comité National de Fusion
constitua un sévère condensé des principaux griefs des hommes d'affaires contre la
domination des entreprises étrangères sur l'économie sénégalaise mais aussi de la mise
en oeuvre de la politique définie par l'Etat.87
Comme points saillants du rapport, il peut être retenu l'analyse de la situation
politique, économique et sociale, la dénonciation des conditions faites à l'entreprise
privée nationale et l'établissement d'une série de revendications dont la satisfaction
constitue un préalable à toute politique de promotion.
La question politique fut d'entrée de jeu posée. Il n'était pas question pour les
congressistes de remettre en cause l'orientation socialiste du pouvoir. Au contraire, ils
estimaient que sa limitation au secteur rural de l'économie aboutissait
au paradoxe
que
8lJ% des Nationaux sénégalais" restaient dons "le domaine pauvre de l'agriculture
tandis que le Commerce, l'Industrie et les Services restaient dons le domaine riche
seront la chasse gardée des non-nationaux.88
86. Moniteur Africain, N" 352 du 27 Juin 1968, Compte·rendu du Congrès, déclaratJon de A. Dème de la
C.s.s.E.
87· A. DIOP: Rapport Général. Congrès constitutif de l'UNIGES, 22 et 23 Juin 1968, Cote bibliothèque
A.N.s., bi III 40 1682.
88· A. DIOP : ~.. p. 1.

269
Les congressistes se rendaient bien compte qu'il fallait éviter une remise en
cause de la principale source d'accumulation des tenants du pouvoir mais qu'il était
impossible de leur reprocher une contestation de la domination étrangère. Il faut noter
qu'ils étaient loin de partager la mainmise des organismes d'Etat sur les circuits du
commerce intérieur.
Le pouvoir représenté au congrès par son ministre des Finances fut sommé de
limiter le rôle de l'assistance technique française à donner des avis et non à prendre des
décisions qui perpétuaient des rapports néocolonialistes avec l'ancienne puissance
coloniale. La coopération interafricaine devait aux vues de l'UNIGES être privilégiée
par rapport à toute autre relation internationale comme unique voie de salut à partir
d"'un vaste et unique marché" continental.
L'accès au crédit bancaire fut le point d'orgue de la plate-forme revendicative
de l'UNIGES. Il était inadmissible pour elle que la situation qui prévalait en 1967 en
matière de crédit se maintienne. En effet pour cette année-là, les Sénégalais n'ont reçu
que 3% des crédits distribués. Et pire encore, 1/4 de la somme était
allé
à des
''personnalités non
commerçantes".
Pour résoudre le problème
posé par cette
dénonciation à peine voilée du clientélisme politique dans les affaires, il était préconisé
l'installation de nouvelles banques étrangères. L'exemple à suivre pour l'UNIGES était
la Côte d'Ivoire qui avait accordé une subvention de plus de 100 millions de francs CfA
à son "Centre de Promotion de l'Entreprise Ivoirienne" et mis à la disposition de ses
hommes d'affaires les ressources de la "Caisse de garantie pour la Promotion des Petites
Entreprises Ivoiriennes ".
La représentation consulaire retint également l'attention des congressistes;
u nique organisme économique officiellement consulté par le gouvernement et dont
l'avis restait déterminant
en matière économique. Elle était une importante source
d'injormations et un centre de documentation des entreprises extérieures au pays.
l
L'objectif avoué de l'UNIGES, portée par la vague revendicative de 1968, était de
mettre un terme à la suprématie des entreprises françaises sur la Chambre de
Commerce de Dakar. Elle faisait remarquer qu'
1
il est exclu qu'un Sénégalais puisse briguer le poste de présidelll de la Chambre de
l
Commerce de Bordeaux ou de Marseille.
l
1

270
L'organisation immédiate d'élections consulaires après une restructuration qui
tiendrait compte de ses propositions de "sénégalisation de certaines activités"
constituerait un premier pas vers le rééquilibrage des rapports de coopération.
La réaction du pouvoir fut immédiate, face au danger que représentaient, pour
sa stabilité, les propositions de l'UNIGES. U bureau paritaire élu, dirigé par A DIOP
était loin de recevoir
l'agrément du pouvoir. Deux mois après le congrès, une scission
de l'organisation donna naissance à la Confédération des Groupements Economiques
du Sénégal (COFE.G.E.S.) proche du pouvoir qui fut l'instigateur de l'éclatement de
l'UNI.G.E.S. Plus modéré dans ses revendications, la COFE.G.E.S.
entendait
"sénégaliser" les milieux d'affaires par la concertation et non par la confrontation. 8 9
Le pouvoir apporta une réponse modulée en trois phases. Dans son discours
d'ouverture du congrès, le président du Conseil Economique et Social avait mis en garde
contre les dangers de constitution d'un groupe de pression.90 Deux mois à peine après la
clôture des assises de l'UNIGES, le pouvoir mobilisa un groupe d'hommes d'affaires
membres du parti gouvernemental pour briser la nouvelle organisation.91 La COFEGES
entreprit de remettre de l'ordre dans les milieux d'affaires autochtones sous la direction
de Ousmane Diagne. Les instances du parti furent mises à contribution pour contrer le
radicalisme de l'UNIGES. Elles tentèrent de court-circuiter la poussée revendicative en
affirmant la nécessité d'étendre l'option socialiste aux autres secteurs de l'économie et
de
renforcer le rôle de l'Etat dans l'industrialisation du pays, et, par
dessus tout, mettre tout en oeuvre pour accélérer la promotion
industrielle des nationaux. 92
l
89-lih Moniteur Africain, N" 360, du 22 août 1968.
90- G. BLANCHET: QI!Jd!., p. 266
l
91- Moniteur Africain N" 360 du 22-8-1968
92- Dakar-matin du 20 mal 1969.
l
1.

271
Le président de la République fit de la promotion des hommes d'affaires, l'un
des thèmes centraux de son rapport au vnème congrès de l'V.P.S. Il estima contraire
aux intérêts du pays la politique consistant à
rempltu:er les petits commerçants et entreprises de la bourgeoisie Mlionale par des
établissements publics. 93
Toutefois il tint à rappeler aux hommes d'affaires l'impossibilité juridique et les
dangers économiques que constituaient leurs revendications portant sur une élimination
des étrangers de certains circuits économiques. Le vrai problème était ''de faire des
hommes d'affaires sénégalais des managers, des organisateurs et des gestionnaires" pour les
rendre aptes à concurrencer les entreprises étrangères. Le pouvoir s'engageait à soutenir
les entrepreneurs qui pourraient faire preuve:
- d'un niveau minimum de culture générale au moins équivalent de celui d'un
titulaire du brevet des collèges,
- d'une formation professionnelle suivie d'un recyclage permanent en gestion et
comptabilité,
- d'une réussite professionnelle gage de sérieux et de solvabilité et d'une
affiliation à une coopérative de commerçants ou d'entrepreneurs,
Pour le secrétaire général de l'U.P.S., la solution des problèmes des entreprises
privées consistait à :
tuer le bana-bana et le quotataire,94 voire le traitant d'autrefois, sans compatibilité
modeme, pour le rempltu:er par le commerçant et l'entrepreneur à statut
coopératir95 "sans nous passer du préalable que constitue l'expérience d'une
"bourgeoisie nationale cultivée et compétente et rompue à la gestion des affaires.96
93· LS. SENGHOR: Op. Cit., 1969, p. 71.
94. Bana-bana : Marchand forain, commerçant de tout produit.
• QuotataÏTe : Commerçant de denrfts alimentaires de première nécessité, en particulier du riz reçu en quota
des organismes officiels d'importation.
95· LS. SENGHOR: Qo.Jd!., 1969, p. 185.
96- Ibi~ p. 175.

272
Il ne suffisait pas de répondre au défi culturel lancé par L S. Senghor pour
bénéficier des subsides de l'Etat. Deux exemples cités plus haut témoignent du
contraire.
La formation de cette nouvelle classe d'entrepreneurs serait confiée à la
SONEPI et le problème de l'accès au crédit serait résolu avec la mise en place d'un
fonds de garantie qui participerait au capital des petites entreprises à créer et l'U.S.B. se
transformerait en banque des secteurs secondaire et tertiaire, la B.N.D.S. se cantonnant
désormais dans le monde rural.97
L'intervention du président, la mobilisation du parti gouvernemental et la
scission de l'UNIGES, ne brisèrent pas l'élan de la contestation. Sous la houlette du
pouvoir, les deux organisations s'étaient réunifiées dans les G.E.S. en 1970. A peine
constitués, les GES s'attaquèrent aussi violemment que l~ur prédécesseur, à la politique
agricole du gouvernement à l'origine d'un profond mécontentement larvé du monde
rural qui se répercutait négativement dans la marche des entreprises autochtones. Le
syndicat dénonçait l'inefficacité de l'ONCAD et de l'OCAS. Le détournement du
mouvement coopératif, au nom duquel les traitants avaient été éliminés du commerce
arachidier, au profit d'une nouvelle classe de présidents, de peseurs et d'encadreurs,
commandait un retour au commerce privé des produits agricoles.
Le président de l'UNIGES estimait que la "sénégalisation" des emplois prônée
par le pouvoir, était loin de répondre à l'objectif de formation d'''une bourgeoisie
nationale" que seule pouvait assurer une mainmise sur les entreprises et une politique de
crédit résolument favorable a\\Knationaux.98
Ousmane Diagne naguère commis pour liquider l'UNIGES, et devenu président
de la COFEGES puis des GES dénonçait
les privilèges détenus par les étrangers installés ici... car ils empêchaient les
Sénégalais de développer leurs affaires...Est-ce une politique, se demandait-i4 que
de voir ces intérêts prospérer alors que nous les hommes d'affaires du Sénéga4
continuons à nous appauvrir?99
97-lbi~ p. 78-79.
98- Moniteur Africain N" 447 du 23 avril 1970.
99- Ioterview dooo& à Jeune Afrigue du 17 Juio 1970.

273
Le pouvoir ne put supporter de telles observations et O. Diagne fut démis de ses
fonctions de président des GES et remplacé par Lamine Ndiaye. La défaite des hommes
d'affaires autochtones scellé par cet ultime intervention du pouvoir, n'a pas porté
atteinte aux concessions consenties par l'Etat pendant ces quatre années de lutte des
syndicats patronaux.
Tout d'abord dans l'accès au crédit, la hausse des sommes allouées aux
entrepreneurs autochtones fut très sensible à partir de 1970, même si elle ne fut pas
généralement bien répartie entre les différentes branches de l'économie.1OO Le
commerce, l'industrie et le logement arrivaient loin en tête dans les deux types de
crédit.101
Avec le renouvellement des chambres de commerce du pays, la pression
syndicale aura résolu l'une des plus vieilles revendications de l'entreprise privée
autochtone.
La création en 1968 de la SONEPI répondait, en principe, aux voeux des
entrepreneurs sénégalais. Elle était chargée de prospecter les petites entreprises à
encadrer, de réaliser des études de marché, de former les entrepreneurs à la gestion, de
participer au capital des petites entreprises, de les installer dans les domaines
industrielles mis en place dans les différentes capitales régionales.102
En 1970, fut créé un fonds de participation et de garantie doté de 100 millions
de francs CfA pour permettre aux petites entreprises de disposer de ressources propres
exigées par les organismes de crédits pour le financement des investissements. Jusqu'en
1973, son intervention était encore balbutiante du fait de la réticence des entreprises
sénégalaises de moyenne envergure à collaborer avec ses encadreurs. Les responsables
de la SONEPI expliquent cette carence par l'utilisation encore dominante du patronage
politique ou familial pour accéder aux crédits bancaires et aux marchés publics.I03
l00-G.ROCHETEAU:~.,pp.89.90. COl.lvt ~ mQ'ft.,.. t~Ymc..
101- Id.
102- B. Zuber et J.C. Gautroo : -Les eotreprises publiques et seml-publiques au Séoégal- io LAVROFF G.
(Sous la directioo de) : Les entreprises publiques en Afrique Noire, Tl le Séoégal, le Mali et Madagascar,
Paris, Pédooe? 1979, pp. 1 lUS.
1
103- Eotretieo avec les respoosables de la SONEPI Mars 1987.
l
1.

274
La lutte des entrepreneurs, malgré ses limites, avait levé un certain nombre de.
difficultés des hommes d'affaires autochtones. La question qui se pose est de savoir si le
contrÔle d'une institution aussi importante que la Chambre de Commerce ou l'accès à
un minimum de crédit étaient suffisants pour lever les obstacles à la promotion des
entrepreneurs sénégalais.
l
l
l
1

275
Tableau N° 32 :
RESULTATS ELECTIONS CONSULAIRES 20.7.1969
(J.O. SENEGAL N° 4048 du 26.7.1969)
SECTION COMMERCIALE
1ère CATEGORIE 2ème CATEGORIE 3ème CATEGORIE
TOTAL
T
S
T
S
T
S
T
S
A
7
1
1
3
8
3
16
7
B
16
7
1
0
0
0
17
7
C
23
8
2
3
8
3
33
14
SECTION INDUSTRIELLE
A
3
1
3
1
6
2
B
6
2
5
2
11
4
C
9
3
8
3
17
6
SECTION ARTISANALE
A
5
2
3
2
2
1
10
5
B
0
0
0
0
0
0
0
0
C
5
2
3
2
2
1
10
5
TOTAL PAR ORIGINE
l
A
15
4
7
6
10
4
32
14
B
27
9
6
2
0
0
28
11
l
C
37
13
13
2
10
4
60
25
l
1NSCR ITS
758
A
Autochtones
VOTANTS
597
B
Français
l
EXPRIMES
562
C
Total par section et catégorie
NULS
35
T
Titulaire
S
Suppléant
1
1
1

276
CHAPITRE XI : LES OBSTACLES A L'EMERGENCE D'UNE
BOURGEOISIE D'AFFAIRES AU SENEGAL.
1 ; XAiA104, UN ROMAN REALISTE SUR LE MONDE DES AFFAIRES
SENEGALAIS.
"Kébé
•.. train
de
vie
féodal,incurie,
manque de capacité ..•.
El
Hadj
qui
sommes-nous?
De
minables
commissionnaires,
moins
que
des
sous-
traitants .•• Sommes-nous des hommes d'affaires?
-
Laye
:
Nous sommes
indépendants.
C'est nous
qui gouvernons. Et tu collabores avec le régime
en place.
-
El
Hadj
Nous
voulons
la
place
de
l ' ex-
occupant.
Nous y
sommes.
Cette Chambre en est
la preuve. 'Quoi de changer .• ? Rien."
SEMBENE (O.) Xala, Présence Africaine, Pan's, 1973, pp. 136, 138, 139.
Dialogue caustique, réquisitoire violent des uns et des autres, la plume du
romancier, trempée au vitriol,
fait assister à une houleuse séance de la Chambre
de Commerce de Dakar. El Hadj Abdel Kader Bèye est à la barre, jugé par ses pairs.
Instituteur rayé des cadres de la fonction publique pour activité subversive, El
Hadj avait patiemment construit sa fortune dans le commerce des produits alimentaires
et les transactions immobilières. Allié à un "libano-syrien", il accéda au statut de sous-
traitant puis exportateur et enfin prête-nom administrateur dans trois grandes sociétés
de la place, percevant régulièrement ses tantièmes par cette manoeuvre frauduleuse. Il
était également membre du groupement des hommes d'affaires nationaux.
104· Ure WkhalaW
, roman de Ousmane SEMBENE, porté à l'écran sous le même titre. Le terme, traduit dans
le texte par l'expression wnouer l'aiguilletteW
, désigne une impuissance sexuelle provisoire, provoquée par
un sort jeti par les prétendants évincés, selon la croyance populaire.

277
Le jour où, pour la première fois un des leurs accédait à la présidence de la
"Chambre", coïncida avec le troisième mariage de El Hadj, "bon musulman peu
pratiquant", quinquagénaire polygame, père de 12 enfants nés des deux premiers lits.
Les deux cérémonies rivalisaient dans la pompe en ce premier jour d'indépendance
véritable. El Hadj dépensa sans compter et pour la seule nouvelle élue une voiture
neuve en cadeau de mariage et 10.000 litres d'essence.
Cest en ce jour de fête que commence le calvaire du héros. Au moment de
consommer son mariage, il découvre qu'on lui a "noué le xala". Les dépenses se
multiplient : les plus réputés des guérisseurs, médecins et voyants sont consultés.
L'entreprise abandonnée tombe en faillite sous le coup des
banquiers, fournisseurs,
office d'Etat de commercialisation des denrées alimentaires.
L'origine de son mal, El Hadj l'apprend au bout de ses pérégrinations. L'auteur
du ''xala'', c'est le mendiant installé à la porte de son entreprise; son cousin qu'il a réduit
dans cet état, en le dépossédant de son héritage foncier.
"Xala" est une fiction romanesque. Il n'en pose pas moins avec un réalisme tout
cru, les contraintes sociales et culturelles qui font obstacle à l'émergence d'une
bourgeoisie d'hommes d'affaires. Le prétexte du roman est l'élection à la tête de la
Chambre de Commerce de Dakar d'un Sénégalais. Ngoné la troisième épouse n'est-elle
pas cette indépendance qui s'échappe au moment où on croît la saisir? L'alternative est
simple pour sortir de l'impasse : soit le retour chez Adja Astou la première épouse, la
goréenne des temps héroïques avec son malheur ou s'allier avec la foule des laissés pour
compte de l'indépendance, la foule des pauvres de la ville qui en lui faisant subir
l'extrême humiliation de la nudité devant sa famille dénouerait le ''xala''.
ce.\\u;
L'itinéraire de El Hadj traduit l'échec d'un homme mais aussi.\\d'un groupe
social du fait de son train de vie inadapté à une efficacité dans les affaires. Son
entreprise, bénéficierait-elle du sursis des créanciers, ne lui aurait sûrement pas survécu.
Un partage du patrimoine entre les trois familles rivales serait inévitable. Le regard du
romancier soulève nombre de questions qui divisent les chercheurs sur les causes de
l
l'échec des bourgeoisies africaines: absence de contrôle sur les institutions de décision
(chambre de commerce), inadaptation des structures socio-culturelles (polygamie,
1
dépenses ostentatoires), exclusion des pauvres des fruits de l'indépendance.
1
1

278
Il LA MARGINALlSAllON. UNE CAUSE MULllFACfQRIELLE?
Opposés ou alliés au capital colonial dominant, les hommes d'affaires
_ autochtones n'ont pu s'imposer de façon durable dans aucune branche de l'économie
sénégalaise pendant ou après la colonisation. Au terme de son étude sur le monde des
affaires sénégalais, S. Amin tire une conclusion qui résume cette marginalisation des
autochtones:
l'ensemble des entreprises sénégaloises privées {...l ne constitue pas encore
véritablement un secteur socio-économique au sens plein du tenne, lequel exigerait
un minimum d'autonomie à l'égard du secteur étranger et de l'Etat••!05
Le problème posé déborde les frontières du Sénégal et s'étend à l'ensemble du
continent. la question des obstacles à la
~
formation d'une bourgeoisie nationale capable de s'assigner des objectifs stnlcturels
de développement ;ndépendant. 106
revient souvent dans la problématique du monde des affa'ires autochtones en
Afrique.
De la "démarche
dépendantiste"
au libéralisme apologiste du "miracle
ivoirien,,107 s'affrontent diverses explications avec des nuances plus ou moins marquées
par rapport à ces deux extrêmes. Le "Kenya debate" fut dans les années 1970, une vivante
illustration de cette controverse. 1 08
Existe-t-il une bourgeoisie autochtone dans les pays africains au sud du Sahara?
Peut-elle être qualifiée de nationale? Quels rapports entretient-elle avec le pouvoir
d'Etat? Est-elle
105· S. AMIN: Le monde des affaires",Op. Cit., pp. 180.
106- Id.
107· A. Morice : wL'Etat africain typique, lieu ou instrumentW, Politique Africaine, N" 26, 1987, pp. 4Z.Q.
108- J. COPANS : w~pendance et émergence d'une classe capitaliste indigène, africanisation et mainmise
étrangère: le débat sur l'expérience kenyaneW, Le Monde Diplomatique, Novembre 1981.
Dans ce numéro, un dossier intitulé wL'Afrique des bourgeoisies nouvelleswavec des articles sur le Zaïre,la
Côte d'Ivoire, sur wl'aide internationale et l'accumulation capltalistew•

279
un simple fondé de pouvoir des multinationales'~
"bourgeoisie
périphérique dans le concert de la bourgeoisie mondiale apatride?l09
Au lendemain des indépendances africaines, diverses politiques fondées sur des
discours idéologiques ont été mises en oeuvre dans les économies héritées de la
colonisation. Nombre d'entre elles ont réussi à promouvoir une entreprise autochtone
assez performante sans pour autant parvenir à remettre en cause la domination du
capital étranger, ni rompre la dépendance vis à vis de l'élite au pouvoir.
Un premier groupe d'Etat a mené une politique systématique de répression des
entreprises privées autochtones qui aux yeux des tenants du pouvoir pouvaient
contrebalancer leur hégémonie. Ces politiques n'ont pourtant pas réussi à anéantir
l'entreprise privée autochtone qui, au contraire, a souvent prospéré dans la contrebande
et le marché noir. 11 0
A l'autre extrême, la Côte d'Ivoire, le Kenya, le Nigéria ont développé une
politique de promotion vigoureuse désignée par les chercheurs anglophones sous le
vocable de "nurture capitalism,,·lll Il consiste en un système où l'Etat apporte
l'infrastructure, soutient financièrement l'entreprise autochtone, lui assure, par rachat,
une part des capitaux des sociétés multinationales, créant ainsi les opportunités d'une
accumulation productive. A l'opposé de cette politique, celle qui en 1973-1974 a été
initié par le pouvoir zaïrois. Le ''parasitic capitalism" ainsi décrit a consisté à transférer
par voie administrative non pas aux hommes d'affaires autochtones mais à plus de 2000
politiciens et clients de l'élite au pouvoir les entreprises étrangères. La "zaïrisation"112
du pouvoir économique allait conduire à un chaos de l'appareil productif sans
qu'émerge à sa suiteune classe d'hommes d'affaires autochtones performante.113
Toute une série de politiques intermédiaires s'échelonnent entre ces cas
extrêmes.
109. Cl. MIRAS: wL'eutrepreueur Ivoirieu ou uue bourgeoisie privée de sou Etat" Y FAURE et J. F.
Médard, Etat et Bourgeoisie en Côte d1voire, Paris, Karthala 1982, pp. 181-229.
no- J. ILIFFE: The emergence or arrican capitalism, Loudre, Th Macmillau Press Ltd, 1983, pp. 77·78 et 109.
111· D.K. FIELDHOUSE : Black Africa 1945-1980. Economie decolonization & arrested development, Loucires,
Alleu & UUWÎu(Publishers) Ltd, 1986, pp. 155.
112· E. MBOKOW: wLa Triple Stratificatiou Zaïroise_w, Le Monde Diplomatique Nov. 1981.
113· R. SANDBROOKS : QR....QL pp. 71.

280
Rendant compte du débat sur l'expérience kenyanne, J. Copans rappelle à juste
titre que si la nature de l'Etat est au coeur de la controverse, des questions primordiales
ont été escamotées. La mondialisation des perspectives de l'investigation élude '7a
recherche minutieuse des aires concrètes de l'histoire et de l'anthropologie".114 La stratégie
des multinationales mérite plus d'attention sans que cela ne conduise à ignorer les
obstacles internes au monde des affaires autochtones. La plus importante carence du
débat, c'est l'absence d'une étude sur la place des facteurs familiaux, idéologiques,
culturels et politiques dans la formation d'une bourgeoisie en Afrique. C'est cette
perspective que nous envisageons de tester sur le contexte sénégalais.
114- J. COPANS :wArt. CiLwLe Monde Diplomatique, Nov. 1981.

281
r/ Les Obstacles iconomiques.
Sur un total de 37,8 milliards de francs CFA investis dans l'industrie en 1976, les
Sénégalais contrÔlaient 24,5% dont 21,5% de capitaux publics. Les entreprises
étrangères détenaient 75,5% des sommes investies avec 70% aux entreprises
françaises. 115
Cette situation tend à confirmer le point de vue des théoriciens de la
dépendance. Pour eux, l'exportation des capitaux, avec l'émergence des monopoles, a
rendu "inutile cette bourgeoisie" qui, auparavant, jouait un rôle de premier plan dans
'7'intégration de la périphérie au système capitaliste mondialH 116

La formation des monopoles et leur intervention dans la colonie n'a pas rendu
surannée la fonction d'intermédiaires qu'occupaient les commerçants autochtones. Le
capital colonial n'est pas entré directement en contact avec le producteur local. Par sa
structure, l'activité dominante de l'économie coloniale, la traite, exigeait une médiation
entre le producteur autochtone et les maisons de commerce européennes. La politique
de liquidation des autochtones des circuits commerciaux ne relevaient donc pas d'une
désuétude de sa fonction de relais. Du reste, l'élimination s'est fatté par une substitution
des Libanais, Syriens et petits commerçants français aux autochtones. En une décennie,
de 1920 à 1930, la crise aidant, s'acheva l'opération de liquidation.117
115. D.K. FlELDHOUSE: Op. Cit. pp. 224.
• En comparaison, notons:
De 1969 à 1979, le privé Ivoirien a Investi 7% des capitaux Industriels du pays
Au Ghana de 1962 à 1970, le capital étranger contrôlait 75,1% à 78,4% de l'industrie.
Au Nigéria, en 1963 les autochtones contrôlaient 10% du c:apitallndustriel et l'Etat 21%.
116- S. AMIN : "La politique coloniale française à l'égard de la bourgeoisie commerçante sénégalaise.' ,
Meillassoux CI. Evolution du commerce en Afrique de l'ouest, Oxf'ord University Press, 1971, pp. 361·372.
117· S. AMIN: 'La politique coloniale française à l'égard de la bourgeoisie commerçante sénégalaise",
Oxf'ord Unlv. Press, 1971, pp. 361-372.

282
A terme, le développement d'une bourgeoisie autochtone était un danger
potentiel pour la domination des grandes maisons de commerce pour la colonisation
elle-même. Situation d'autant plus dangereuse qu'elle renforçait le poids politique
acquis avec l'accession à la citoyenneté des habitants des quatre communes du Sénégal.
Il devenait doublement intéressant de soutenir la communauté levantine. D'une part,
elle était économiquement plus rentable et d'autre part, politiquement moins
dangereuse.
en
Autour de ce double intérêt, se cristallisait la politique de l'Etat et la stratégie
du grand commerce français. La jonction de ces deux facteurs se traduisit par une
restriction du crédit à l'entreprise autochtone. La législation sur les chambres de
commerce et la fiscalité achevèrent la mise en place d'un système institutionnel très
favorable au grand commerce.
La lutte pour l'accès au crédit devenait et restait pour longtemps le credo des
entrepreneurs autochtones. Encore en 1947, la seule forme de crédit à la petite
entreprise établie localement était le crédit agricole. IIS Elle n'était destinée ni au petit
commerce ni à l'artisanat.
Quant aux crédits libres, ils ne peuvent être accordés que si les requérants offrent
une surface suffisante.l... ] à moins qu'el/es (les petites entreprises) n'obtiennent
l'aval d'entreprises déjà existantes ou celui d'organismes semi-publics comme les
chambres de commerce. Cette demière garantie est acceptée même par la banque
d'émission. 119
La politique de discrimination aboutissait aux résultats suivants pour l'ensemble
de l'AOF.
118· En fait ce crédit ~tait ouvert sur aval des Soci~ûs Indigènes de ~voyance. Au ~négal, en profitèrent
surtout les notables ruraux et religieux en particulier.
119· A.N.s., 3 Q 260 (16S), Extraits!Q., Débats parlementaires du 7 AoOt 1947. R~ponse du ministre de la
F.O.M. à une question orale d'un d~puté guin&n.

283
Tableau N° 33 : CREATION D'ENTREPRISES EN A. O. F. 1942 ET 1953
ORIGINES
.TYPE D'ENTREPRISE.
1942 • 1953 . EVOLUTION(%) •
. ------------.-----------------.------.------.------------- .
• française
• société
192.
242 •
+26%
.------------.-----------------.------.------.------------- .
• française
• individuelle
105 •
60 •
-42%
------------ ·----------------- ------
. .------ .-------------
• autochtone
• individuelle
• 5495 • 3188 .
-41%
------------ ·----------------- ------
.
------
.
-------------
.
• levantine
• individuelle
584.
480.
-17%
Source: - ANS, 1 Q 653 (167), Projet de décret relatif à la
création en AOF des sociétés de caution mutuelle et de crédit
1954-1955.
à
Face); une pareille régression et à la poussée de couches sociales aux
revendications plus radicales que celles de la bourgeoisie des affaires, l'administration
coloniale reconnut
la nécessité de développer les classes moyennes africaines facteurs de stabilité et
120
d'équilibre des structures sociales locales
Par conséquent, un effort était envisagé en faveur du petit commerce et de
l'artisana1.
Faute de crédit, bloquée dans son expansion par la domination du grand capital
qui contrôle le marché extérieur, la bourgeoisie d'affaires se rabattit dans le marché
intérieur. A ce propos, S. Amin donne les exemples de réussite dans ce secte·ur où
s'offrent des possibilités d'accumulation rapide parce qu'échappant au contrôle du
capital étranger. Le succès des chevillards et des maraîchers de la région du Cap-Vert
s'inscrit dans ce registre. 121 P. Ph. Rey voit également les meilleures perspectives de
développement d'un capitalisme national dans le commerce et le transport relais entre
la petite production vivrière marchande et les salariés des villes. 122
126- A.N.s.,1 Q 653 (167), Projet de décret 1954-1955. Op. Cil.
Ul· S. AMIN: "Art, Cil.", 1971.
U2· P.Ph. REY : Op. CiL, 1973 p. 163.

284
Les deux auteurs semblent sous-estimer la très forte concurrence que se livrent
la petite entreprise capitaliste et le secteur informel, réduisant du coup les possibilités
d'accumulation dans ces secteurs voués à développer un capitalisme national. Celui-ci
est économiquement pris en tenaille entre, d'une part, la grande entreprise sous contrôle
public, bénéficiant potentiellement du soutien du trésor public, et, d'une part, les bas
coûts du secteur informel.
C'est pourquoi, le moins que l'on puisse dire est que le succès des chevillards est
resté fort modeste et très limité à Dakar. Aucun chevillard n'a encore réussi à dépasser
réellement le stade artisanal. Leurs productions restent enfermées à l'intérieur des
structures lignagères ou ethniques avec toutes les contraintes qu'elles imposent à la
reproduction élargie du capital engagé dans ce secteur.
Economiquement les hommes d'affaires autochtones disposent d'un espace
d'expression très restreint. L'intense concurrence qu'ils se livrent dans le petit et moyen
commerce, dans la boulangerie, le transport, la construction, rend difficile leur décollage
économique. La faible intensité capitalistique requise par ces branches de l'économie,
de même que le bas niveau de la technologie qu'elles nécessitent, participent également
à leur engorgement.
Cet obstacle majeur pose le problème de l'intervention de l'Etat en vue de son
dépassement. Cette intervention reste intrinsèquement liée à sa nature, à ses rapports
avec la société globale. Nous sommes ainsi introduit au devant d'un problème évoqué
par nombre de chercheurs : les blocages sodo-culturels au développement d'une
bourgeoisie nationale dans les pays dominés. 12 3
123- P.A FALL: Industrialisation et mutations sociales au Sénégal. Doctorat Université
Paris 7, Octobre 1981, Fall note à la page 128:
"LA I>ourgeoisit morchandt stntgalaist. s'tntourant d'unt cour composit dt ~nts, d'al/its, dt griots d d'QU/r'ts parasitts
sociaux; tOUl u mondt vivant d ses crochets et faisant panulaxalement sa fient. [...]. la SUTVivanu de utte conception
inadaptit aux exigtnus de l'iconomie modtmt est urs ceT1ainement la cause fondamentale de /'incapacitt de cettt

I>ourgeoisit contemporaine d'être tconomiquement productivt.•

285
20; Les obstacles politiques et socio-culture/s.
Corroborant le point de vue dégagé par P. A F~ une étude sur l'économie
de la viande au Cap-Vert donne l'exemple de Mamadou Issa Samb, un des plus grands
chevillards de Dakar. Celui-ci est particulièrement impliqué dans la consommation
ostentatoire. Grande villa à trois étages en pleine Médina, voiture "Mercedes"
personnelle, voiture "204" et "Fiat 850" pour son fils et sa
récente tris jeune épouse,{...] sommes fabuleuses dépenstes par la première, dans
les cérémonies, n'épuisent pas la gamme Ms dépenses somptuaires auxquelles se
livrent notre homme d'affaires. U4
Le phénomène ostentatoire est un comportement très répandu à l'échelle de la
société sénégalaise, des milieux les plus démunis aux groupes les plus aisés; ses formes
d'expression sont multiples. De la compétition dans la construction des mosquées, à
l'organisation de grandioses pèlerinages, en passant par le faste des meetings politiques,
la puissance des hommes d'affaires se mesurent à l'aune de la générosité dans l'étalage
ostentatoire de leur richesse. Il y a un siècle, Th. Veblen écrivait:
dans une société où l'étalage somptuaire fait partie du style de vie, tout
accroissement des possibilités de paiement d'un individu a des chances de
s'accompagner aussitôt d'une dépense en proportion, et que ce supplément sera
affecté à quelqu'un des modes en honneur de la dépense ostentatoire. 125
Il dénonçait ainsi les moeurs de la bourgeoisie américaine naissante. Dans le cas
du Sénégal, sommes-nous en présence d'un héritage de la tradition précoloniale en voie
de disparition? D'une survivance d'un passé conservé par défaut d'instruction sur les
exigences du monde capitaliste? D'une ré-interprétation et réadaptation rentables de
pratiques surannées maintenues après la déstructuration inachevée des modes de
U4· B. LY: L'économie de la viande dans la région du Cap-Vert, Doctorat université de Dakar, 1969·1970, pp.
191.
US• lb. VEBLEN : Théorie de la classe de loisir, Paris, Gallimard, 1970, pp. 74, 1ère édition 1899.

286
production précapitalistes. Pour les origines, E. Terray renvoie à la naissance de l'Etat
et aux mutations qui l'accompagnent. L'économie domestique
dominée par la valeur d'usage/...} vient se superposer un système dont la volonté de
prestige et d'ostentation est la principide force motrice/...} Ils (les groupes
dominants du système) vont s'efforcer d'acCUMuler des biens 1UIlUrellement ou
socialement rares, dont la possession signifiera aux yeux de tous Jo supériorité de
leur position. 126
Sans se départir de ce rôle idéologique, l'ostentation remplit de toutes nouvelles
fonctions
créées
par
l'intégration
sous
une
forme
dépendante
d'une
société
précapitaliste dans le marché mondial.
~
126- E. TERRAY: "Sociétés segmentaires, cbelTeries, Etats: acquis et problèmes", Revue Canadienne des
Etudes Africaine~ Vol. 19, N"l, 1985, pp. 106-115.
l
1

287
Au Sénégal, la relation clientéliste déborde largement le cadre politique stricto-
sensu pour s'étendre au cadre religieux. Financer la construction d'une mosquée,
organiser un pèlerinage, acheter la grosse cylindrée de son marabout 1 27 , mettre à la
disposition des fidèles les moyens de transport pour se rendre au champ du chef
religieux sont monnaie courante, dans l'ordre naturel des choses pour un homme
d'affaires sénégalais. Un exemple relativement récent parmi d'autres a frappé les esprits
au Sénégal. En 1979, Djouga Kébé, un homme d'affaires mouride de la capitale a acheté
un lustre de 80 millions de francs cfa pour la mosquée de Touba. 128 Ces services sont
dans la plupart des cas sollicités par les chefs religieux eux-mêmes. Et comme on est
jamais mieux servi que par soi-même, certains chefs religieux deviennent tout
simplement hommes d'affaires à leurs comptes. Mesurer à l'aune "Wébérienne", ce
comportement tombe sous le coup d'une totale irrationalité. Replacé dans son contexte,
la conversion d'une partie de sa fortune en prestige personnel par le biais du religieux,
du social ou du politique 129 devient un investissement; elle est source de gains et de
pertes, compte non tenu, des fautes de gestion qui relèvent de la micro-économie. A ce
dernier niveau peut être invoquer le problème de la formation de l'entrepreneur.
Encore qu'il peut se passer d'intervenir dans la gestion directe en déléguant cette
fonction à des employés formés à cet effet par le système scolaire.
127· Marabout: Chef religieux des confréries islamiques du Sénégal.
128- M.C. DIOP: La confrérie mou ride: organisation politique et mode d'implantation urbaine, Université Lyon II,
1980, 273 pp.
·-Les affaires mourides à Dakar", Politique Africaine, N"26, Paris, Juin 1987, pp. 90-100
·Touba est la capitale religieuse de la confrérie des mourides.
129· J.L AMSELLE : -Fonctionnaires et hommes d'affaires au Mali-, Pplitique Africaine N" 26, Paris, juin
1987, pp. 63·72,

288
La mainmise du capital étranger sur les secteurs les plus rentables de
l'économie et l'existence d'acteurs économiques "à califourchon" entre un poste de haut
fonctionnaire et une activité d'entrepreneur privé sont autant de facteurs qui poussent
les hommes d'affaires autochtones à investir dans le champ social, les ressources
accumulées dans l'activité économique. Il n'existe pas de rationalité abstraite de
l'entrepreneur, hors du contexte où s'inscrit son action. Il n'est dès lors pas possible
d'ignorer la rentabilité, bien des fois supérieure aux taux d'intérêts des orgarusmes
financiers modernes, des investissements des hommes d'affaires autochtones hors du
champ
strictement
économique.
D'où,
s'impose
nécessairement
une
approche
anthropologique du monde des affaires.
Une politique de promotion qui ne s'appuie pas sur la prise en compte de
l'interaction
des
différents
facteurs
qui
structurent
l'espace
économique
est
immanquablement vouée à l'échec. Ni le patronage d'un homme politique ou d'une
personnalité religieuse ni la politique de promotion initiée par l'Etat avec la SONEPI
n'ont permis aux hommes d'affaires autochtones de remettre en cause la domination
étrangère dans le champ économique. Parmi ces dominants, la communauté levantine
occupe une place importante fort contestée.
Non seulement une partie des revenus des hommes d'affaires s'investit dans les
relations clientélistes qui les lient aux tenants du pouvoir politique et à la bureaucratie
administrative (deux pôles souvent confondus ou aux intérêts très liés) mais aussi ceux-ci
investissent le champ économique, exacerbant la concurrence qui y règne.
Les hommes politiques et la bureaucratie d'Etat utilisent les informations que
leur procure la maîtrise des rouages administratifs pour animer des réseaux
commerciaux, entreprises de production et de service. Le phénomène désigné sous le
terme de "straddling"130
avec lequel les protagonistes du débat sur l'expérience
kenyanne ont rendu compte de la situation de ces hommes d'affaires ayant un pied dans
le secteur public et un autre dans l'entreprise privée. Par son origine comme par ses
lieux d'investissements, ce type de capital a pour caractéristique principale d'être
parasitaire.
130- J. IUFFE : QlL.Q!., pp. 31.

289
Les multiples liens tissés à partir de leur position dans l'appareil politique et
administratif, ouvrent à la bureaucratie d'Etat des lignes de crédit -sans parler de la
corruption-131 dans les banques publiques. Ces crédits sont ensuite investis dans des
immeubles loués à l'Etat ou aux représentations diplomatiques dans les "beaux
quartiers" de Dakar. 132
Dans le meilleur des cas, ces sommes sont utilisées dans l'achat des terres de la
couronne maraîchère du Cap-Vert et au-delà. Une étude de 1972 sur la propriété
foncière dans les Niayes133 s'étonnait en constatant
la grande concentralion des terres en~ les mains d'hommes politiques, de hauts
fonctionnaires, de quelques chefs religieux musulmans et calholiques. 134
Une étude officielle aboutissait aux mêmes conclusions six ans après. 13 5
131· L'ampleur du phénomène a amené l'Etat sénégalais à voter une loi dite de lutte contre
"l'enrichissement Illicite" en 1981. Elle a en définitive eu peu d'effets. L'usage de prête-noms et la
situation politique ont contribué à la mettre en veilleuse très rapidemenL
132· M. C. DIOP "Art. CiL", Politigue Africaine, 1987.
133· Nlayes : Dépression interdunaire dans la région côtière entre Saint-Louis et Dakar. On y pratique le
maratchage.
134- T.
DIA cité par M.C. DIOP, "Art. cit." PolitigueAfricaine, 1987.
Hommes pol i tiques .....•..•..•..•.....•.. 36 à 32%
Hts Fonctionnaires et prof. Libérales ... 32 à 13%
Chefs religieux et coutumiers •..•.••.... 8 à 13%
Voir également sur la question Oculi 0., "Bourgeoisie verte contre paysans", Le Monde Diplomatigue,
Novembre 1981,
135· CF. Figure N° 15.

290
Fj~re N° l~ :Propriêlé foncière dans les Niayes
Sourc~ :M. C. DIOP: "An. Cil.", PolitiQue Mrjcai~ N"26, 1987
INOrTE:F<!I.AINES (1.71l'i)
CULTIVATEUF<!S (29.~lI;)
SE:CTEUR PF<!IVE: (~8.51l'i)
t.lARABOUTS (O.351i)
roNCTIONNAIRES (20,11l'i)

291
Le phénomène est à mettre en relation avec la base économique faible du
groupe social qui succéda à l'autorité coloniale à la tête de l'Etat sénégalais. La
décolonisation a eu lieu avant la consolidation de la renaissance des hommes d'affaires
autochtones entamée au lendemain de la deuxième guerre. Ceux parmi eux qui
participèrent à la lutte anticoloniale occupèrent dans ce combat les seconds rôles
derrière les intellectuels des classes moyennes. Les cadres moyens et auxiliaires de
l'administration coloniale ont ainsi constitué l'élite du nouvel appareil d'Etat. Ils ont,
pour ainsi dire, instrumenté l'appareil politique et administratif pour se construire une
base économique.
Pour donner un exemple, voici un enseignant qui de 1957 à 1959 était conseiller
territorial puis député du Sénégal; de 1959 à 1968, il était ministre puis ambassadeur en
Yougoslavie et en Italie jusqu'en 1970. Son départ de l'administration fut motivé par le
détournement des fonds destiné à un projet dont il avait décroché le financement en
Italie.136 En 1973, il était administrateur d'une grande société d'assurance à Dakar,
actionnaire à la Société Nationale d'Exploitation des Arachides de Bouche. Propriétaire
d'une grande société de distribution à Dakar où il était également concessionnaire des
voitures "Fiat,,13 7
Par leur fonction dans l'appareil politico-administratif, ce type d'hommes
d'affaires est le plus porté à la soumission au capital international dont il dépend en
partie.
Il ne s'agit pas pour nous de condamner cette immixtion des tenants de
l'appareil politico-administratif dans le monde des affaires. Il s'agit d'en mesurer les
conséquences dans le développement d'une bourgeoisie nationale autonome par rapport
à l'Etat et au capital étranger. Elle explique en partie l'impasse dans laquelle a abouti le
redéploiement des entrepreneurs autochtones consécutif à la montée du mouvement
nationaliste de l'après-guerre.
136- Interview donnée à l'Office de Radiodiffusion Télévision du Sénégal en 1988. La somme en question
était d'un montant de 15 milliards de francs CFA.
137- Guide Economique Noril,-Sociétés et Fournisseurs d'Afrique, Paris, Ediafric, Documentation Française,
1979,869 pp., Sénégal: 459·524.

292
Toutes les tentatives de promotion de l'entreprise privée autochtone partant du
postulat de
l'irrationalité et de
l'anachronisme du
comportement ostentatoire
aboutissent à la conclusion selon laquelle il s'agit de donner une formation de bon
gestionnaire à l'entrepreneur à promouvoir. Ce postulat est à la base des échecs de
nombreuses tentatives de modernisation d'activités économiques qui une fois classées
dans la rubrique du "traditionnef' sont l'objet d'un traitement par l'amélioration des
moyens techniques utilisés dans ces dites activités. Elles oublient très souvent que les
activités en question ne sont pas seulement une mise en oeuvre de techniques de
production mais aussi et surtout, elles sont l'expression de rapports sociaux de
production qui acceptent ou rejettent les innovations les plus performantes du point de
vue technique.
La compréhension du phénomène ostentatoire ne peut faire l'impasse du
contexte social qui lui a donné naissance. Rappelons que
toutes les fois qu'un phénomène social est directement expliqué par un phénomène
psychique, on peut être assuré que l'explication est fausse. 138
Il nous faut donc replacer l'homme d'affaires dans le contexte socio-économique
et politique de son action. Nous saisirons dans un même mouvement le mode
d'accumulation des richesses, les rapports c1ientélistes qu'il implique dans l'ensemble
social, le tout inscrit dans une économie dominée par le capital étranger. Cette approche
permet de comprendre le fait ostentatoire dans son expression moderne et non pas
seulement comme survivance culturelle d'une société traditionnelle en voie d'extinction.
En prenant l'ostentation comme cause du blocage de l'entreprise privée autochtone et
non comme conséquence, on tombe inévitablement dans la quête du type idéal de
l'entrepreneur capitaliste définit par Max Weber:
il redoute l'ostentation et la dépense inutile tout autant que la jouissance consciente
de sa puissance; il se sent gêner des signes extérieurs de considérations sociales dont
il est l'objet. 139
138- E. DURKHEIM: Les régIes de la méthode sociologique, Paris, PUFIQuadrige, 1987,23ème éd.(l ère
éd. 1937). pp. 103.
139· M. WEBER: L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964, pp. 73·74.

293
Partir de ce modèle pour tenter de rendre compte du blocage
de l'entreprise autochtone en Mrique en général et au Sénégal en
particulier, c'est s'interdire toute explication du phénomène.
La domination coloniale et l'intégration de l'économie sénégalaise dans le
système capitaliste mondial n' a pas conduit à la désintégration des modes de production
préexistants dans la formation sociale. L'intérêt que le capital dominant trouve dans
cette conservation est aujourd'hui bien connu.l40 Il ne s'agit pas, partant de là, de
considérer qu'il y a un mécanisme automatique d'ajustement entre les besoins exprimés
par le centre capitaliste dominant et les réponses de la périphérie dominée. La plus ou
moins grande résistance de la société périphérique est à l'origine de la spécificité de
chaque formation sociale dominée.
Les différentes classes de la société dominée puisent, reconstruisent et ré-
interprètent suivant la perception qu'elles ont de leurs intérêts, les modèles de
comportement qui ont leur origine dans la culture de la formation sociale dé-structurée
par l'intégration au marché capitaliste. Phénomène degroupe, le modèle s'impose aux
individus avec plus ou moins de prégnance. Les hommes d'affaires n'échappent pas à, ces
contraintes.
Dans l'économie sénégalaise, aussi bien pendant et après la période coloniale,
l'Etat était le premier client de l'entreprise privée. Le fonctionnement du système
politique et administratif avec la très forte personnalisation des pouvoirs, implique pour
l'entrepreneur un patronage politiquement et/ou socialement puissant. Presque
toujours, l'accès au crédit bancaire, à l'adjudication des marchés publics de même que le
réglement financier de ceux-ci dans les délais requis sont le fruit d'un patronage
politique ou social. Celui-ci se construit autour d'échanges de services entre patrons et
clients dans le domaine de compétence de chacun des protagonistes.
140- S. AMIN: Le développement inégal. Paris, Ed. Minuit, 1973,365 pp.

294
La puissance dans les rapports cJientélistes étant souvent fonction du nombre de
dépendantst on comprend les raisons qui poussent les hommes dtaffaires à entretenir des
cours de parents et de divers autres dépendants. Vétalage ostentatoire est signe de
pouvoir et source de bonnes relations dans les hautes sphères de ltEtat qui, e]]es-mêmest
ont besoin de l'influence sociale et de la puissance économique des hommes d'affaires
pour conforter leurs positions dans le jeu politique. Le cercle des échanges de services,
de la rétribution des soutiens et la recherche de la protection,
participent à
l'élimination de l'autonomie des hommes dtaffaires par rapport aux tenants du pouvoir
politique et administratif. Avoir son homme aux plus hautes marches de rappareil
dtEtat, ctest dans une large mesure stautoriser nombre de passe-droits: fraude fiscal et
douanièret accès au crédit bancaire indépendamment de la solvabilitét avec assurance
dtimpunité en cas de non remboursement. Maist ctest aussi dépenser des sommes
importantes au risque dtanéantir le capital de son entreprise pour maintenir à ce niveau
de responsabilité "son homme" au pouvoir. A moins que rentrepreneur lui même ne
s'investissent dans le champ politique ou que le politicien ne se reconvertissent dans le
monde des affaires.
Cette interdépendance entre pouvoir politique et pouvoir économique explique
dans une certaine mesure la précarité des entreprises autochtones. La disgrâce dtun
homme politique staccompagne très souvent de la faillite de sa clientèle impliquée dans
le monde des affaires.

295
QUATRIEME PARTIE: EXPROPRIATION
ET EXCLUSION: L'ETAT ET
L'ENTREPRISE DANS LA MAITRISE DE
L'ESPACE URBAIN DAKAROIS
1
1
1
1
1
1
1

296
CHAPITRE XII : PAUVRETE URBAINE ET ENTREPRISE
INFORMELLE: UN DOUBLE OBSTACLE A L'ACCUMULATION.
Tout Dakar indigène est encore campé dans des cases et des baraques vennoulues
occupant une superficie d'environ 30 hectares! Que de promesses faites depuis plus
de 10 ans pour assainir ces quartiers populeux! Quelle amélioration obtenue?
Aucune! La population de plus en plus dense en augmente l'insalubrité
L'A,O,F, : "Ville de Dakar, élections municipales du 23 avril 1925, liste de
défense des intérêts locaux sous le patronage des notables indigènes de Dakar,
profession de foi." N° 1782, 24 avril 1925.

297:
Fi~ure
N° 21
PLAN
DE DAKAR
QUARTIERS
ET SECfEURS
N
OAK A
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SECTEURS ET QUARTlERS __
LEGENDE.
____ :L1MITE DE SECTEUR
f AS 5 : 0UART 1ER IRREGULIER
BOPP
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REGULIER
E~h.lI. : 11.2.0.000
1

298
Au delà de son caractère de propagande électorale, cette adresse aux autorités
administratives de la ville de Dakar traduisait la réalité des conditions misérables des
quartiers autochtones de la capitale de l'AD.F. La situation allait se maintenir voire
empirer
avec
la
rapide
croissance
démographique
incontrôlée
de
la
ville
jusqu'aujourd'hui. Elle fut en partie, l'un des éléments explicatifs de l'absence de
données suffisament fiables sur l'évolution de la population urbaine. Pour toute la
période antérieure à 1955, il est possible d'établir une série discontinue du nombre des
habitants. C'est seulement à partir du recensement fait à cette dernière date qu'une
étude exhaustive de la structure de la population, sa répartition géographique, ses
activités, devint possible. Avant, on ne peut compter que sur quelques indices disparates
glanés dans des sources diverses pour appréhender ce facteur décisif dans la structure
économique de la ville et dans ses rapports avec sa zone d'influence.
1; DAKAR. UNE RAPIDE CROISSANCE. LE POIDS DE L'IMMIGRATION.
r/ le nombre des dakarois
Au début du siècle, Dakar était la troisième ville du Sénégal du point de vue
démographique. Avec 18.400 habitants, elle venait loin derrière Saint-Louis qui en
comptait 28.000 suivie de Rufisque avec 19.200. Ensemble, elles regroupaient 80% de la
population urbaine du pays.l En une génération, entre 1904 et 1930, les trois villes
connurent une évolution démographique fort divergente. Dakar fit plus que tripler sa
population. Quant à la capitale du Sénégal, elle n'avait plus que les 2/3 de ses effectifs
au moment où Rufisque marquait le pas avec 20.000 habitants.
1· Calculs effectués à partir de : L VERRIERE : La population du Sénégal (Aspects quantitatifs), Thèse de
doctorat en sciences économiques, Dakar, juillet 1965, P.40.

299
Dans J'ensemble du Sénégal, les villes du bassin arachidier : Kaolack, Diourbel,
Thiès et Louga suivirent Je rythme de progression de Dakar, en pourcentage; encore
qu'aucune d'entre elles n'avait 5.000 habitants au début du siècle. Seule, Dakar maintint
son rythme de croissance accélérée jusqu'au début des années 1970. En moyenne, elle
multipliait par 2,5 sa population tous les 25 ans. Par deux fois elle connut une régression
vite comblée, au début de la crise de 1930 et en 1960. Hors de ces deux paliers
conjoncturels, ce fut de brusques accélérations, avec des maxima dans l'après-guerre et
au début des années 1970.2 Cette croissance se fit essentiellement au détriment du reste
du pays aussi bien pour les villes que pour les campagnes. En 1930,31 % des citadins du
Sénégal étaient dakarois, en 1960 la proportion atteignait 54%. Entre ces deux dates, la
population urbaine du pays passait de 8 à 22% de la population totale.
La capitale de l'A.O.F. puis du Sénégal indépendant dut son prodigieux essor
démographique à un concours de circonstances qui, tout au long du siècle, multiplièrent
leurs effets, la surpeuplant au détriment de ses concurrentes. Avant de s'y installer, le
colonisateur nourissait déjà le dessein d'en faire la
capitale, la grande ville commerciale et le siège du gouvemement générale de tous
nos établissements de la côte occidentale d'Afrique y compris le Sénégal mê~e. 3
2· cr. Tableau ND 27 chapitre 7.
3- A. SECK : ~. 1970, p. 286

300
Le site de Dakar. son rôle politique, militaire et maritime, l'implantation du
réseau de communications et le développement de la culture arachidière. furent autant
d'éléments favorables à son expansion. Le Dakar-Niger captura le trafic du fleuve qui
faisait jusqu·alors les beaux jours de Saint-Louis. Le transfert de la capitale de l'AO.F. à
Dakar, en 1902. acheva de sceller le sort de la ville du nord.4 Rufisque résista plus
longtemps que Saint-Louis. Port de commerce très spécialisé dans les exportations
arachidières, elle fut à son tour victime de la dépression de 1930. Son déclin devint
irrémédiable avec le transfert de sa Chambre de Commerce à Thiès en 1937.5 Kaolack,
fut également surclassée par Dakar, sans tomber au niveau de décadence de Saint-Louis
et de Rufisque. L'étroitesse du cours d'eau qui la relie à la mer. la mauvaise navigabilité
de celui-ci et la concentration des industries huilières à Dakar s'ajoutèrent aux choix
politiques des pouvoirs publics défavorisant la capitale du bassin arachidier.
Ce déclassement successif des villes du Sénégal au profit de Dakar fit de celle-ci
le réceptacle de l'important flux migratoire venu des campagnes sénégalaises, accéléré
après la dépression des années trente. L'aire d'influence de la ville dépassa largement
les frontières du pays. Dakar fut l'aboutissement de mulitiples itinéraires de migrants
des pays limitrophes mais aussi de l'Europe et du Levant. Ce qui fit dire à au géographe
D. Whittlesey, en 1941, qu'au sens occidental du terme. Dakar était l'unique ville de
l'Afrique occidentale.6 Ce point de vue ne coïncidait sûrement pas totalement avec la
réalité de l'époque, mais il donnait une idée de l'évolution spectaculaire de la ville. Dix
ans plutard, J. Dresch y voyait "une de ces métropoles monstrueuses dont la croissance
désespère statisticiens et urbanistes".7
4- I!lli!, p. 297.
5· A. DUBRESSON : L'eSJ?ace Dakar-Rufisque en devenir. De l'héritage urbain à la croissance industrielle. Paris,
Orstom. Travaux et documents ND 1(»6. 1979, p. 32
6- WHITfLESEY (D.) : wDakar and the other Cape Verde settlementsW Géographical review, T. XXXI, 1941,
pp. 609-638.
7- DRESCH (J.) : wLes villes d·Afrique occidentaleW Cahiers d'outre-mer, ND 11, 1950, pp. 200-230.

301
2°/ : les {acteurs de la croissance: les soldes naturel et migratoire
Deux facteurs agirent dans le sens de cette rapide croissance démographique :
les soldes naturel et migratoire8. Leurs effets n'eurent pas, dans le temps, le même poids
dans l'évolution de la ville. Jusqu'au début des années 1960, on peut affirmer que Dakar
était une ville d'immigrés. De 1915 à 1931, le solde naturel annuel était négatif à une
exception près. En 1926, il fut positif d'une centaine d'éléments.9
1
8· solde naturel: la différence entre les naissances et les déc:és dans un temps déterminé.
l
• solde migratoire: la différence entre le nombre d'arrivées et de départs pendant un~riode donnée.
9· Cf. Figures N" 16 et 17 Evolution de la population de Dakar (solde naturel et migratoire)
1
1

302
Figure N°16 EVOLUTION DE LA POPULATION DE DAKAR
Source: V. Martin: Op. Cit.
MOUUEMEhi NATUREL DE LA POPULATION DE DAKAR
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5&789812345&789812345&789812345&7898123456789
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303
Fi~re ~o17 EVOLUTION DE LA POPULATION DE DAKAR (soldes naturel et
nugratOlre)
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AHHEES

304
Cette tendance s'inversa définitivement à partir de 1932. Le cumul du solde
nature] ne fut positif qu'à partir de 1942-1944.10
Tableau N°18: TAUX DE NATALITE ET DE MORTALITE A DAKAR
. ANNEES .
TAUX
DE
· NATALITE .
MORTALITE .
CROISSANCE.
-------- ·---------- .-------------- .--------------
1916
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6,8%
-4,1%
-------- ·---------- .-------------- --------------
.
1945
4,1%
2,3%
1,8%
-------- ·---------- .-------------- .--------------
1961
5,3%
1,4%
3,9%
Source: L VERRIERE : Op. Cit. p.45
Le renversement tardif de la tendance n'empêcha pas un galop démographique
assez rapide dû à un important flux migratoire. Au début des années 1960, le
pourcentage des personnes résidant dans le Cap-Vert et nées hors de la région
constituait un indice révélateur de cette expansion de l'immigration; avec des taux
particulièrement élevés dans les tranches d'âge supérieures à 20 ans.
10- li!.

305
Fj~re N° ]9; POURCEIIITAGE DE LA POPULATION DU CAP·VERT NEE HORS DE LA REGION
1955
Source : ~l]ul-oomm. f?p. en AOF'.. Op. Cil. p.1 71
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20-29ANS
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40-49ANS
PAR TRANCHES D'AGE

306
L'équilibre entre les deux apports démographiques s'établit dans la décennie
1945~1955. Sur une croissance moyenne de 10.000 habitants par an, le solde migatoire
représentait la moitié des apports.l1 De 1955 à 1960, moins de 45% de la population de
la ville était dakarois de naissance. En y incluant la banlieue, l'accroissement total de la
période, estimé à 79% se décomposait en 30% d'apport du solde naturel et 49% du
solde migratoire. Le problème qui se posa dès lors était de savoir comment gérer cette
forte croissance démographique. Les ressources de la ville soumises à l'épreuve de cette
pression se révélèrent insuffisantes pour la prendre en charge. L'administration se
préoccupa plus de résoudre la question de l'occupation de l'espace que celui de l'activité
des hommes.
Le sous-emploi qui naquit de cette pression fut à l'origine du développement
d'une activité informelle multiforme et partout présente dans l'espace urbain. Il s'agit
d'en mesurer l'ampleur, de dégager les étapes de son évolution, de repérer les éléments
décisifs qui alimentent sa croissance.
1
1
11· MARTIN (V.) : QlLQ!., p.13.
l
1

307
II ; LA GESTION URBAINE; POLITIOUE D'EXCLUSION ET
DEVELOPPEMENT PRECOCE DU SECTEUR INFORMEL.
La gestion de ce flot migratoire a très tôt été prise en charge par l'autorité
coloniale. Le statut des originaires de Dakar devenus citoyens à part entière en 1916,
constitua un obstacle difficilement contournable, par les projets de ségrétaion raciale,
dans le partage des zones résidentielles urbaines. Les autorités coloniales parvinrent
tant bien que mal à leurs fins par le biais du prétexte sanitaire et ultérieurement par la
ségrégation sociale. Dès 1914, à la suite d'une épidémie de peste, le premier quartier
réservé à la population africaireétait créé et séparé du Plateau "européen" par un no
man's land de 800 mètres.12 La Médina devenait ainsi la zone d'accueil des déguerpis du
centre-ville mais aussi des arrivants de l'intérieur du pays. La proximité du centre
commercial de la ville et ultérieurement de la zone industrielle, lieux des opportunités
d'emplois, contribua à y agglomérer de fortes proportions d'immigrants, dans des
conditions de plus en plus désastreuses.
r/: Migration et activité infonnelle avant la deuxième guen-e mondiale: du travail saisonnier à la fixation ell
ville.
Avant la deuxième guerre mondiale, le coeur de l'activité économique
dakaroise se situait dans le port de commerce. Point d'appui militaire à ses débuts, deux
phases d'investissements importants (1904-1910, 1926-1935) et la jonction de la ville
avec les zones de production arachidière propulsèrent le port au rang de premier
instrument dans les relatioIlféconomiques avec l'extérieur, aussi bien avec son hinterland
africain qu'avec le marché internationaI.13 Dès avant 1930, Dakar était le premier port
d'importation des produits du commerce de l'AO.F. La chute de Rufisque le classait en
1933 au deuxième rang des ports arachidiers de l'Afrique française après Kaolack.14
l
u- A.N.s.O.M. : AfTaires Politiques, Carton 523 dossier 9, Lettre de Blaise Diagne au ministre des colonies,
le IS mal 1917.
l
13- Sur l'évolution, l'équipement et le rôle du port, voir SECK (A.) : Op. Ci!., 1970.
14- DUBRESSON (A.) : Qlt....Q!., p. 29.
1
1

308
L'existence de cet actif port de commerce offrait des opportunités d'emploi
pendant la saison de la traite. Cette période de pleine activité portuaire impulsait en
même temps un dynamisme certain à l'ensemble de l'économie de la ville. Elle
coincidait, en même temps, avec le début du sous emploi en milieu rural avec la fin des
cultures de saison des pluies. L'émigration vers la viJJe prenait à cette époque une forme
de mouvement pendulaire de travailleurs saisonniers faisant la navette entre Dakar et
son hinterland. Les fixations définitives en ville restaient du domaine de l'exceptionnel.
Le mouvement fut profondément perturbé par la crise de 1930.15 Les premières
réactions face aux rigueurs de la dépression consistèrent à se retirer vers les zones
rurales.16 Il a été déjà noté une réaction formellement identique chez les levantins mais
pour des raisons différentes. 17 L'indice le plus révélateur de cette réaction est fourni par
l'évolution du taux d'accroissement moyen annuel de la population de la ville. Le solde
naturel, rappelons·le, jusqu'en 1931 était négatif comme son cumul jusqu'en 1942-1944.
En conséquence, la croissance démographique positive avant cette période était pour
l'essentiel le fait du flux migratoire. De 1921 à 1930, la population augmentait en
moyenne par an de 10% et de 1930 à 1936, le taux était à 7%. Ces valeurs relatives ne
doivent pas cacher qu'en valeur absolue, la dernière periode l'emportait de plus d'un
milliers d'habitants.
Le ralentissement des activités de l'économie urbaine et du port en particulier
dans les exportations d'arachide débouchait sur la formation d'une population flottante
1
ne trouvant pas toujours à s'employer. Dakar enregistrait un taux de chômage (nombre
de chômeurs / nombre de salariés) six fois supérieur à la moyenne du pays.lS
1
L'administration inquiète
des
proportions du
phénomène
espérait qu'avec les
investissements du fonds colonial un terme serait mis à cette situation.19
1
1
1
15· M. LAKROUM : Op. Cit., pp. 131 et suivantes.
16- Il!., p. 132
1
17· Cf. supra: première partie sur les levantins.
18- M. LAKROUM : Ibil!., p.132.
1 19· A.N.s., 17 G. 255 (lOS) :Conférence des gouverneurs généraux, rapports de la direction des Travaux
Publics du gouvernement génral de l'A.O.F.
1
1

309
Avec le déréglage du système économique consécutif à la crise, un fait nouveau
apparut dans la rémunération du travail au Sénégal. Par rapport au cultivateur
d'arachide, le salaire du manoeuvre dakarois sans qualification supportait une
comparaison avantageuse qui ne s'inversa plus.
Tableau N°35 COMPARAISON DU SALAIRE MOYEN DU PAYSAN SENEGALAIS ET
DU MANOEUVRE DAKAROIS (base 100=1890).
• PERIODE
MANOUEUVRE
PAYSAN
-----------.--------------.-------------
1890
100
100
----------- ·-------------- .-------------
· 1919-1921 •
275
321
----------- ·-------------- -------------
.
· 1922-1926 .
458
500
----------- --------------
·
.-------------
· 1927-1931 •
550
464
----------- --------------
·
.-------------
· 1932-1936 .
650
286
----------- ·-------------- .-------------
· 1937-1941 .
750
464
Source : M. MBOOJ : "Sénégal et dépendance : le Sine-Saloum et
l'arachide, 1887-1940", C. COQUERY-VIDROVITCH (textes réunis
par) Sociétés paysannes du tiers-monde. Presse Universitaire
de Lille, Lille, 1980, pp. 139-154.
1
l
l
1
1
1
1
1
1

310
COMMERCE ET COMMERÇANTS AlTTOCHTONES
..., _"'.L. - 'lftl~''''''-:.
..
" ..
t
.~
A.N.S. Photothèque 4 FI 724 TRAITANT DU KAYOR, au début du siècle
1901-1904.
10.
M.gllin d. Nou......" (Sénégall
!
1
A.N.S. photothèque 4 Fi 543COMMERÇANTS DE TISSUS AUX ABORDS
1
DU MARCHE SANDAGA 1906-1910.
1
1

31]
A condition d'y trouver un emploi, à partir de la dépression des années trente, il
devenait plus rémunérateur de tenter l'aventure urbaine. Cette situation existait déjà
depuis le déclin du commerce de la gomme pour les originaires du fleuve Sénégal. Le
premier foyer d'émigration des riverains du fleuve fut le bassin arachidier. Mais avec la
dépression des années trente, l'arachide devenant de moins en moins rentable, et ses
zones de culture glissant plus loin vers le sud-est du pays, l'émigration changea
progressivement de nature pour devenir plus urbaine que rurale.
Des régions jusqu'alors peu touchées commencèrent à fournir des contingents
de migrants à destination de Dakar. Dans l'entre-deux-guerres, la zone du chemin de fer
du Dakar-Niger enregistrait le départ de 6 à 7% de sa population dans l'émigration.20
La destination dakaroise était de plus en plus ouverte à tous les migrants du Sénégal. La
réorientation du flux migratoire n'entraînait pas uIVrupture des rapports avec le milieu
d'origine; Son urbanisation ne lui enlevait pas encore son caractère saisonnier ou
temporaire.21 Ce que confirme un contemporain des années de la dépression écriVlnt :
Les domestiques, garçons d'hotel, de café et de restaurant, ce qu'on appelle
couramment en langage colonial "boys~ qui travaillent dans les grandes escales:
Dakar, Saint-Louis, Thiès..., sont pour la plupart des toucouleurs de la région de
Matam ... Ceux qui quittent ainsi le pays ne partent jamais sans esprit de retour,
(souligné par nous)
et il ajoutait, à propos de l'apport économique de la migration,
il Y a des villages dont la moitié ou les trois-quarts des charges fiscales sont payés
1
par les jeunes gens de l'extérieur. 22
1
1
1
20- A. MARTIN: Op. Cit., p. 43.
21· Ces deux termes sont entendus au sens où l'utilisent les statisticiens démographes.
1
migrant saisonnier : présent au moment du recensement et revenant régulièrement ,. un moment donné de
l'année.
1
migrant temporaire: séjour plus long en ville sans s'y être définitivement fixé, absence du ou de la conjoint(e).
22· G. MAIGRET cité par A. ADAMS: Le long voyage des gens du neuve, Paris, Maspéro, 1977, p. 60.
1
1

3]2
Ceux qui gagnaient en ville les moyens de subvenir aux besoins de leurs familles
conservaient toujours l'esprit de retour, les moins chanceux même sous l'effet de la
contrainte préféraient encore s'aggripper à la cité. En 1937, l'administration dakaroise
tenta une "opération retour à la te"e" en direction des originaires du fleuve, sur la
demande de chefs de cantons de Matam et de Bakel. Le rapport qui rendit compte des
résultats de l'opération aux autorités constatait que:
Vivants les uns et les autres aux crochets soit d'une femme, soit d'un frère. soit d'un
cousin,.... ils ont préféré demeurer il Dakar dans l'espoir de trouver bientôt il
s·employer. 23
L'ensemble de ces éléments constitue des indices d'un changement de nature
dans le flux migratoire vers une fixation plus durable en ville; mais celui-ci demeurait
encore balbutiant dans l'entre-deux-guerre. Le vivier qui accéléra l'expansion du secteur
informel se constituait dans l'espace urbain.
Si le mobile de l'immigration demeurait essentiellement économique, d'autres
facteurs s'y ajoutaient pour expliquer le phénomène du push-pull observé dans nombre
de migrations dans le continent. Plusieurs liens socio-culturels continuaient à lier le
migrant à son milieu d'origine. Il s'y marie, y retourne en cas de perte d'emploi sans
autres ressources pour survivre. Souvent il se résigne à cette solution si le pouvoir ne l'y
contraint.24
1
1
1
23· A.N.s.O.M. : Mission Guemut, carton 50, BU· Rapport de l'inspection du travail, le 22 janvier 1937.
1
24- Le cas le plus frappant de ces retours perpétuels vers les zones rurales se retrouve en Afrique du Sud
avec le système de l'Aparth~id et sa gestion de la main d'oeuvre des Bantoustans et des pays limitrophes
1
(Mozambique et Angola).
Cf. Cl. MEII..lASSOUX: Femmes. greniers et capital!!, Paris, F. Maspéro, 1982, pp. 177-178.
1
1

313
A côté de ces migrants, les véritables autochtones de la ville, les femmes lébou
assuraient, depuis bien longtemps déjà, une bonne partie de l'approvisionnement du
marché dakarois en denrées alimentaires agricoles produites sur place : légumes,
poisson. Le déguerpisse ment des villages autochtones des quartiers du Plateau vers la
Médina nouvellement créée, en 1914, fut l'occasion pour elles de montrer leur poids
dans l'économie urbaine. Elles organisèrent à cette occasion, en signe de protestation
contre la mesure administrative un boycott du marché dakarois du 21 au 25 mai 1914.25
Le contrôle de leur activité préoccupa jusqu'à la guerre l'administration coloniale qui
tenta en vain de les soumettre à une coopérative.26
l
1
1
1
1
25- I. D. THlAM : L'évolution politique et SYndicale du Sénépl colonial de 1840 à 1936, Université Paris l, thèse
1
d'Etat, 1983, pp. 1653-1656
26- Cf. supra deuxième partie.
1
1

314
COMMERÇANTES DE POISSON A DAKAR: 1906-1910
AN.S. Photothèque 4 FI 435

315
Les autochtones étaient encore moins bien représentés dans les métiers
introduits par la présence européenne mais exerçaient ceux traditionnellement réservés
aux castes : coordonnerie, forge, tissage qui au contact de la ville prenaient des formes
nouvelles avec les matières premières utilisées et les produits fabriqués. Deux
autochtones propriétaires de fiacres participaient également au transport à l'intérieur de
la ville.27 La présence européenne et levantine dans les métiers nouveaux étail=
par
contre relativement importante.
A partir de la crise de 1930, l'immigration européenne sur Dakar enregistrait
une nette progression et une féminisation de plus en plus importante.28 Suivant cette
croissance, les cafés, restaurants, bars, librairies se multiplièrent. Elles s'ajoutaient aux
divers petits métiers qui accompagnèrent l'installation française à Dakar. La voie fut
ouverte en 1908 avec l'installation du premier pâtissier européen de Dakar.29 A partir
des années 1920, l'introduction de l'automobile à la colonie permit l'installation de
garages et ateliers de réparations mécaniques. Au service de l'armée, on trouvait des
selliers et carossiers français inscrits sur les listes électorales de la Chambre de
Commerce de Dakar. A côté des métropolitains, une importante colonie d'originaires
des colonies portugaises limitrophes se spécialisait dans les métiers de peintre et
électricien.
En 1930, la description des marchés de la ville par un voyageur ne laissait
aucun de doute sur le brassage des différents groupes de la société dakaroise dans le
secteur informel : les femmes européennes vendeuses de poissons, tenancières de
restaurants et présence de nombreux artisans et de travailleurs non qualifiés européens
1
côtoyant les autochtones dans l'activité quotidienne.30
1
27· Franee-Afrigue noire N" 2 Septembre 1935.
1
28- P. BIARNES : Les Francais en Afrique noire, de Richelieu à Mittéran~ Paris, A. Colin, 1987, 448 p.
29· J. DRESCH : "Art. cité", Cah. d'outre-mer, 1950.
1
3D- cité par CRUISE O'BRIEN: Op. Cit.,
'Th~ visitor to th~ market ofDaJcar will su Euro~an wom~n s~lIingfish to nativt!s; if h~ OJt~rs a nstaurant or stan, h~ will
su European wom~n waiting on nativt!s and Euro~ans alike. Both th~ Fnnch and th~ B~/gian coloni~s havt!
1
import~d a I~ number ofartisans and unsla'll~d ~an worlc~rs who labour sid~ by sid~ with blacks, and ~iform
worlc which in a British ttrritory is ~iform~d by lndians or nalÏvt!s.•
1
1

3]6
MARCHES DAKARûIS
A.N.S. Photothèque 4 FI 948 INAUGURATION MARCHE SANDAGA 1930
l
1
1
A.N.S. Photothèque 4 FI 396 MARCHE IŒRMEL Septembre 1942
1
1
1
1
1

317
La production artisanale comptait également sa colonie européenne et
levantine de longue date. L'itinéraire de l'un des plus anciens membres de ce groupe
d'entrepreneurs au moment de la deuxième guerre mondiale éclaire sur les mobiles de
la migration des artisans français sur Dakar. Le témoignage date du 24 octobre 1941.31
Fils aîné d'une famille de paysans pauvres de l'Ariège, Louis Contival
abandonna ses études au niveau du certificat d'études primaires. Il quitta l'apprentissage
pour faire un tour de France, en partie à pied, en travaillant à Tours, Angers, Nantes, La
Rochelle, Bordeaux, Toulouse, Montpellier et Marseille. En 1897, il embarqua pour la
Tunisie où il se maria. En mars 1916, il arriva à Dakar comme soldat, y fut démobilisé
après la première guerre. Il y créa une petite entreprise de sellier. Pendant 45 ans, il
allait travailler pour les administrations civiles et militaires du gouvernement général de
l'AO.F. et de la circonscription de Dakar et Dépendances. Il n'hésitait pas à donner des
recettes d'ascétisme qui rappellent les conditions frustes de l'informel moderne et ses
espoirs:
se coucher tôt, se lever tôt, ne jamais boire ni fumer [...] ne jamais
aller au cinéma[...] donnir sur des lits de campagne[...]
Telle est la vraie vie de colons [...] de telle sorte qu'on puisse faire des
économies et des bénéfices. 32
En 1932, l'artisanat comptait 27 inscrits sur les listes de la Chambre de
Commerce représentant tous les ordres de métiers. En 1937, on n'y comptait plus
d'horlogerie, certains métiers comme la menuiserie et la coordonnerie stagnaient
numériquement et enfin il était enrégistré de nouvelles installations : mécaniciens,
1
selliers.33 Absentes de certaines professions, les femmes étaient majoritaires dans
d'autres: café/bars, confection et bijouterie.
1
1
31· Lettre de Louis Contival, sellier à Dakar au Gouverneur Général de l'A.O.F. citée
par CRUISE O'BRIEN., op. Ciro pp. 88-89.
1
32· Id.
33- Cf. Figure N~O
li n'a pas été possible de poursuivre le recensement de ces métiers puisque qu'à partir
1
de 1937, les listes électorales de la Chambre de Commerce n'indiquaient plus la
profession des inscrits.
1
1

318
Fi2Ure N~Q :ARTISANS INSCRITS A LA CHAMBRE DE COMMERCE DE DAKAR
E"TREPRISES ARTISANALES IHSCRITES ALA CHAMBRE DE COMMERCE DE
DAKAR: 1932
COIffURE
PHOTOGRAPHE~~~
RESTAU/HOTE1~",,~
BIJOUTERIE ~
~
MEHUISERIE1III
~
SELLIER/CAROSSEjII"'~ ......~
El FEMME
SECTEURS
PATISSERIEJ--"'~"'~

HOMME
COI1FECT10"
CAFE/BAli
BOUCHERIE_. . . ._ . . . . . . ._ . . . . .~
MECANIQUE
CORDOHHERIE~",,~
HORLOGERI E~~~---t-J--t-"'+--+-~-l-~

8 8,5
1
1,5
2 2,5
3
3,5
4
4,5
5
HOMBRE D'ENTREPRISES
ENTREPRISES ARTISANALES INSCRITES ALA CHAMBRE DE COMMERCE DE
DAKAR: 1937
COIFFlmEjB_"._._.
PHOTOGRAPHE~ ...............
RESTAU/HOTEL~:::::::::t::~
BI JOI!I'ERI Eli
MEHUISERIE~....
l
SELLIER/CAROSSE:jlllIII
~
IIII. .
Il FEMME
SECTEURS
PATISSERIEJ--
....
":.-.:~~.~ .
1
.::::::-;~"""~:.~-~~ ~~

HOMME
CONFECTION ~~~
_ _
c
_
,
_
CAFE/BAR
BûUCHEilI E............_ . . . . .
1
MECAHIQUE
COJlDO""ERI E)111.--1
1
HOnOGERIE+---;---;--+--+--+--4-----1
8
1
2 3 4
5
6
7
1
HOMBRE D'ENTREPJlISES
1
1
1

319
La concurrence des autochtones mais surtout des levantins se faisaient déjà
sentir. Celle des seconds étaient violemment dénoncée par le S. C. E. S .34 Au début du
siècle, les 40 Libanais du Sénégal étaient tous recensés colporteurs, sans installation
fixe.3S En 1935, ils contrÔlaient à Dakar 41 fiacres sur les 43 que comptait la ville. 8
tailleurs et 13 coiffeurs "Syriens" s'y étaient installés, menaçant la domination française
dans ces secteurs.36
Par la concentration des hommes et des activités qu'elle créait, la ville
constituait dès avant la guerre, un espace de recours pour le paysan mal rémunéré par
l'économie de traite. Vaste marché de consommation quotidiennement ravitaillé, elle
offrit aux autochtones la possibilité d'écoulement des produits agricoles frais. Le
contrôle de cette activité dans le cadre de la production lignagère fut à l'origine du
monopole de sa distribution par les femmes lébou. C'est récemment que ce contrôle est
en passe d'être remis en cause par le capital commercial à travers l'intervention des
mareyeurs.37
Les grandes firmes coloniales de traite s'intéressaient essentiellement au
drainage de l'arachide vers le port de Dakar laissant les activités moins rentables à un
secteur informel déjà bien installé. Le développement des activités du port, un moment
ralenti par la crise des années trente, exerçait une attraction sur les migrants ruraux.
Ceux-ci en nombre croissant et en voie de fixation, contribuèrent à l'extension des
activités informelles non seulement dans le commerce de détail, le colportage et les
activités marchandes et productives mais aussi dans la maîtrise de l'espace résidentiel.
l
La mise en place de
cette part de l'activité et de la population urbaines qui sont marginalisées par
f
l'économie dominante, et qui existent pour une large part en dehors ou à côté des
lois et réglements et, par plusieurs caractères essentiels, se différencient de la société
et de l'économie "modemes".38
1
1
34· Cf. première partie: campagne "anti·levantine" du Syndicat Corporatif des Intérêts su Sénégal.
35· S. AMIN: Q1L.Q!. 1969, p. 21
1
36- France-Afrigue noire, N" 2, sepL 1935.
37· R. NGUYEN VAN-eHI·BONNARDEL: Op. cil., 1987, p.581.
1 38- J. BOUGNICOURT : "Quelle alternative urbaine pour l'Afrique?, Dakar, avril 1976, IDEP·UNEP·SIDA.
23p. multigr.
1
1

320
Distinct des autres structures de l'économie urbaine, le secteur informel n'en
reste pas moins partie intégrante de celle·ci et profondément articulée à celles·là. Même
s'il fut souvent statistiquement ignoré et pas juridiquement reconnu, de son émergence à
nos jours, il remplit des fonctions sociales économiques et politiques essentielles dans
l'espace urbain. L'industrialisation du Cap-Vert après la deuxième guerre mondiale lui
fit franchir un tournant nouveau.
20;: De /0 guerre d la veille de /'ind/pendance: l'ère des bidonvilles dakarois.
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le programme d'équipement et
d'aménagement de la presqu'île du Cap·Vert financé par le F.I.D.E.S. et la densification
du tissu industriel ne purent absorber cette arrivée massive de bras manquant pour la
grande majorité de qualification relative aux emplois offerts.39 Cependant elle créait les
conditions d'une accélération de la croissance démographique de la ville et un marché
favorable au développement de l'entreprise informelle.
A côté des chantiers de travaux publics et au coeur de la zone industrielle en
pleine expansion, les femmes passaient de la vente au détail dans les marchés à
l'entreprise de restauration. A la limite de la légalité dans leur implantation comme
dans leur ravitaillement, elles parvenaient à assurer au plus bas prix le repas de la main
d'oeuvre aux revenus faibles. Au sommet de la hiérarchie de l'informel, de petites
entreprises autochtones ne cessaient de protester contre leurs concurrents qui
proliféraient dans toutes les zones de concentration de la main d'oeuvre. Le Syndicat
des Restaurateurs Africains (SYRADA) s'en plaignit auprès de l'Union Fédérale des
l
Syndicats Industriels, Commerciaux et Artisanaux(UFSICA) :
1
(
1
1
39· Durant cette période, ce sont 57 nouvelles entreprises industrielles qui s'installèrent clans la région du
1
Cap.Vert.
• Cf. V. MARTIN: Q1L.Q!., p. 13.
1
1

321
L'activité indescriptible des restaurateurs africains, hommes et femmes non
syndiqués, dépourvus de patentes et d'autorisations administratives locales pour
exercer leur métier, escapadl!s commerciales qui entravent éno""ément la bonne
marche de notre syndicat, par suite d'un ravitai//ement clandestin des denrées
(principalement le riz), par des commerçants syriens et marchands ambulants
africains, venant de l'extérieur, / ...J. Ces anomalies commerciales qui immobilisent
sans relat:he J'activité de notre association.40
La concurrence de l'informel à l'entreprise régulièrement installée constituait
un sérieux handicap à la renaissance d'une classe d'hommes d'affaires autochtones. Cet
obstacle prenait de l'ampleur avec l'accélération du boom démographique dakarois. De
1945 à 1955, Dakar enregistra un accroissement moyen annuel de sa population de
l'ordre 7,8%. Le flux migratoire apportait pendant cette décennie 45% de la croissance
pour la seule agglomération, compte non tenu, de la banlieue de Pikine aménagée en
1952.
La Médina qui jusqu'alors était le receptacle du flux migratoire connut des
densités extrêmes d'occupation (700 habitants à l'hectare) et une flambée des taux des
loyers sans précédent,41 Cette saturation conduisit les immigrants à étendre leur zone
d'implantation et à créer une ceinture de bidonvilles autour de la zone industrielle
naissante du début des années 1940.42 Le quartier africain originel débordait vers le
nord-est et le sud avec la création des bidonvilles de la zone industrielle : Alminko,
Colobane, Mbode, Fass-paillotte, Darou Khane, Baye Gaïndé. La pression exercée sur la
Médina aboutit à une "squattérisation" de la zone non-aedificandi séparant le quartier
africain du Plateau. Cette zone tampon fut de fait abolie en 1930,43 et occupée par les
1
quartiers de Champ de course, Gibraltar.44 Les données statistiques sur leur peuplement
disponibles à partir de 1955 révélèrent des densités supérieures à celles des quartiers
1
réguliers déjà surpeuplés et évoluant plus rapidement.
(
40. Archives privées SYPAOA, Lettre du 17 mai 1949.
41· J. DRESCH : "Art. CiL", C.OM., 1950.
1
Chiffre à réviser à la baisse compte tenu des informations données plus loin.
42· M. VERNJERE : Volontarisme d'Etat et spontanéisme populaire dans l'urbanisation du tiers-monde. Formation
1
et ~olution des banlieues dakaroises. Le cas de Da~oudane Pikine., Paris, Biblothèque Nationale, 1977, p.28.
43· F. GEFFROY: Un guanier de Dakar le Plateau, Université de Dakar, D.ES. de géograpbie, 1966-1967, p.
1
41.
44· cr. plan N" 6, Commerce et occupation ethnique de l'espace li Dakar.
1
1

322
Tableau N°36: EVOLUTION DES DENSITES DANS LES ZONES
RESIDENTIELLES DE DAKAR (nombre d'habitants ~ l'hectare)
QUARTIERS
· 1955 . 1961 • 1963 . 1970 .
.----------------- ------
.
------
.
------
.
------
. .
.PLATEAU EUROPEEN.
. 100
----------------- ·------ .------ ------
.
.------
. PLATEAU AFRICAIN. 280
. 400
• 400
----------------- ------
·
.------ ------
.
.------
. MEDINA (S-W)
· 250
.
332
----------------- ·------ .------ ------
.
.------
• MEDINA CENTRALE
. 320
• 345
----------------- ·------ .------ ------
.
.------
.GRAND-DAKAR
· 340
. 330
. 390
----------------- ·------ .------ ------
.
.------
. CHAMP DE COURSE
. 400
• 450
. 502
----------------- ·------ .------ ------
.
.------
. ALMINKO
• 500
.----------------- ------
.
------
.
------
.
.------
. MBODE
• 517
----------------- ·------ .------.------ .------
. FASS
· 400
----------------- ·------ .------ .------ .------
. WAKHINANE
· 450
Légende :
ALMINKO : quartier irrégulier, bidonville de la zone
industrielle
MEDINA
quartier régulier de Dakar
Source
-
1955 et 1970 : VERNIERE (M.)
: Op. Cit. p.
37
-
1961 : calculés à partir de MARTIN (V.)
: Op. cit., p. 18-19
et SECK (A.)
: Op. cit.
- 1963 : calculés à partir de DIOP (A.B.)
: Société toucouleur
l
et migration (enquête sur l'immigration toucouleur à Dakar)
Dakar,
IFAN,
Initiations et études africaines N° XVIII,
1965,
p. 138
1
1
1
1
1
1
1

323
LE QUARTIER DE LA MEDINA DAKAR 1957
Musée de l'Homme C. 64-1246/712, 2/158 Cliché Sauva~eQt
_.--
-_.__._~--~
..... ;.. ..'" " "-'
-. ,""-

324
Les plus fortes concentrations humaines se retrouvaient dans les zones les
moins bien équipées. Les laissés pour compte de l'urbanisation dakaroise furent obligés
d'inventer tous les jours les moyens de leurs survie en ville.
La
lutte
contre
cette
"urbanisation
sauvage"
demeura
une
constante
préoccupation des autorités coloniales. Elle parvint difficilement à décongestionner
certains quartiers comme la Médina par la création de Grand-Dakar en 1950,45 PHane
en 1952. Les néo-citadins qui s'agglutinaient dans les quartiers irréguliers ne
s'intéressèrent pas à la banlieue nouvellement créée. Elle était
éloignée des zones
d'embauche et de la clientèle des classes moyennes bénéficiaires des opérations
immobilières de la SICAP et des OHLM.46 C'est cette stratégie d'insertion dans le tissu
économique urbain qui explique le fait que Pildne, prévue comme "déversoir" de la
main d'aouvre migrante, ne fut en fait occupée que par des "Dakarois d'installation
ancienne,"'7
Le recensement de 1955 permet d'appréhender la structure de cette population:
composition ethnique, activité, origine et âge.48
1
~
1
45- V. MARTIN : Qlh.Q!., 3000 parcelles il la création plus 500 nouvelles en 1955 pour 27.000 habitants soit
UDe moyenne par parcelle de 7,7 habitants.
1
46- A. OSMONT : Processus de fonnation d'une communauté urbaine : les Castors de pakar, Paris, doctorat
troisième cycle, E.P.H.E., 268 p. ronéo.
1
En 1959, 95% des salariés dakarois n'avaient pas les revenus minimums requis pour accéder aux logements
de l'O.HLM.
47· V. MARTIN : QILQ1., p. 49.
1
48· Hauto<ommissariat de la République: Reœnsement démographique de Dakar (1955) : résultats définitif§,
Paris, Juillet 1958, fascicule 1, U5p., fascicule 2 mars 1962.
1
1

325
Tableau N° 37 POPULATION RECENSEE A DAKAR EN 1955
STATUT DES RECENSES
TOTAL
AFRICAINS
non AFRICAINS
..
Domiciliés
206.476
176.196 · 85\\ 27.276 · 15\\
-
.. *
comptés ~ part
8.006
5.818
73\\
27\\
·
2.188 ·
.....
Saisonniers
6.328
6.328 .100'
00 · 00%
Passagers
10.081
9.438 · 94\\
643 · 6\\
Flottants
16.409
15.766 · 96%
643 · 4%
Total
230.887
213.546 ·
30.750 ·
U&ende :
* : Militaires, écoliers, prisonniers •••
Source: Haut-commissariat de la République: Op. cit, p.l1.
Tableau W38 REPARTITION DE LA POPULATION FLOTTANTE PAR ZONE
RESIDENTIELLE
ZONES
DE
NOMBRE
PART DANS LA
PART DANS LA POP.
POP. FLOTTANTE
DE LA ZONE
DAKAR - VILLE
1.430
9,36%
5,2%
MEDINA
6.934
45%
10,6%
GRAND - DAKAR
5.135
34%
7,5%
BANLIEUE
1. 748
11%
4,4%
GOREE
19
0,1%
-
1
Source: Id.
1
l
1
1
1
1
1


326
Tableau N° 39 REPARTITION DE LA POPULATION ACTIVE DE DAKAR EN
1955
(En pourcentage)
SITUATION
TOTAL
HOMMES
FEMMES
Sans profession
61.130
52%
9.374
15%
51.756
85%
Avec profession
55.337
4l:S% 51. 568
93%
3.769
7%
TOTAL GENERAL
116467
100%
60942
-
55.525
-
Nota bene :
- Le pourcentage par sexe est en rapport avec le total de la
ligne.
- Les pourcentages de la colonne "TOTAL" est en rapport avec le
"TOTAL GENERAL".
1
1
1
1
1
1
1

327
Tableau N° 40 REPARTITION DE LA POPULATION AYANT UN EMPLOI
SITUATION/EMPLOI
TOTAL
HOMMES
FEMMES
emploi permanent
45.692
42.537
93%
3.155
7%
emploi temporaire
2.449
2.189
89%
260
11%
sans emploi
6.101
5.865
96%
236
4%
non déclaré
1. 095
977
89%
118
11%
indéterminé
63
53
84%
10
16%
TOTAL
55400·
51.. 621
93%
3.779
7%
Nota bene :
- Le pourcentage par sexe est en rapport avec le total de la
ligne.
Légende:
* : La différence de 63 unités par rapport au tableau précédent
vient de la prise en compte de la situation/emploi
"indéterminé"
Source: .IQ.
1
1
l
1
1
1
1

328
Le taux élevé d'immigrants dans la population dakaroise détint sur sa structure
socio-professionnelle. Sur une population active équivalant à 50% des recensés, 52%
étaient sans qualification professionnelle. 39% des actifs disposaient d'un emploi
permanent et 2% d'un emploi temporaire. Au regard de la structure par sexe de cette
répartition professionnelle, les femmes constituaient plus de 84% des "sans emploi" et
n'occupaient que 6% des emplois permanents.
En affirmant que
Hors de la brousse où elle participe largement aux travaux agricoles, la femme
africaine ne joue pratiquement aucun rôle dans la vie économique lorsqu'elle réside
en ville 49,
"a
le rapport du haut-commissariat montre la difficulté qu'il y al.saisir les multiples
petites activités urbaines à partir des catégories sodo-professionnelles (c.s.p.) utilisées
dans le recensement. A partir de là, on s'explique que 49% des femmes exerçant une
activité soient recensées dans la CS.P. des "patrons industrie-commerce". En fait comme
le précise le rapport, elles étaient presque toutes de ''petites marchandes au détail sur
les marchés et places publiques. ,,50
Cette inadéquation des instruments de mesure avec la réalité de l'activité socio-
économique urbaine, déplorée dans des études sur d'autres villes d'Afrique51 complique
la mesure du sous-emploi chronique, forme déguisée du chômage, au plus bas niveau de
l'activité informelle. A côté des multiples bras sans qualification professionnelle, la
longue présence en ville permit à un certain nombre d'immigrants d'apprendre un
métier et de s'installer à leur propre compte. La pénurie de guerre avait déjà contribué à
donner un regain d'activité à certains métiers artisanaux traditionnels.
l
49· Haut-commissariat de la République: Op. Cit., 1958, p. 38.
50- I~ p. 43.
l
51- M. AGIER : Commerce et sociabilité. les négociants soudanais du Quartier Zongo de Lomé (fogo). Paris,
ORSTOM, Mémoires N" 99, 1983, pp. 46
Ainsi à Lomé, plus de la moitié de la population est dassée à la fin des années 1920, •Autres et non
indiquées· comme activité. 90% des commerçants sont à leur propre compte et 84% d'entre eux sont
1
des femmes.
1
1.

329
L'expansion de ces métiers "modernes" ou "traditionnels" s'est nourrie de la
demande accrue accompagnant le boom démographique et l'émergence des classes
moyennes africaines employés et auxiliaires de J'administration, fortement concentrées à
Dakar. C'était par centaines qu'on les comptait à la veille de l'indépendance,
inégalement répartis dans les quartiers de la ville. A partir de l'inventaire qui en fut fait
en 1959, il est possible de tenter d'appréhender la stratégie de ce secteur important de
l'entreprise informelle en rapport avec le marché urbain et l'occupation de l'espace.
1
1
i
t
1
1
1
1

330
Tableau N°41 ATELIERS ET METIERS ARTISANAUX AFRICAINS PAR
SECTEURS A DAKAR (inventaire 1959)
. SECTEURS
· Ml . M2 . Tl . T2 . Cl . C2 . B . F . TOTAL.
·
.
.
.
.
.
.
. .
.
0
- - - - - - - - - - - - -
- - - -
- - - -
- - - -
- - - -
- - - -
- - - -
- - -
- - -
- - - - -
. Plateau
O.
7.
14.
15.
7 •
8.
7.
O.
58.
.-------------.----.----.----.----.----.----.---.---.-----a
. Gambetta
13.
15. 166 .
3.
13.
12. Il.
9. 242 .
.-------------.----.----.----.----.----.----.---.---.-----a
. Rebeuss
31.
20.
84.
15.
8.
4. 17. 54. 233 .
·------------- ---- ---- ---- ---- ---- ---- --- ---
. .----- .
.Médina ouest.
17.
18.
63.
27.
23.
15. 42.
5. 210 .
·------------- ---- ---- ---- ---- ---- ---- --- ---
. .----- .
.Médina est
20.
17.
99.
44.
24.
17. 48. 21. 290 .
-------------
·
---- ---- ---- ---- ---- ---- --- ---
. .----- .
.Gueule tapée .
4.
8.
27.
33.
7.
1.
14.
5.
99.
-------------
·
---- ---- ---- ---- ---- ---- --- ---
. .----- .
.Grd-Dkr(case).
4.
32.
77.
24.
24.
18.
3. 46. 211 .
------------- ·---- .---- ----
.
.---- .----.---- ---
. .--- -----
.
.Chps de crse.
12.
15.
19.
2.
7.
2.
6. 12.
75.
------------- ·---- ----
.
----
.
.----.---- .---- .---.--- .-----
. Alminko
O.
13.
19.
4.
6.
1.
1.
o.
44.
-------------
·
---- ---- ---- ---- ---- ---- --- ---
. .----- .
.~
6.
6.
14.
5.
1.
O.
4.
6.
42.
-------------
·
---- ---- ---- ---- ---- ---- --- ---
. .----- .
. Colobane
7.
10.
15 .
5.
10.
4.
5.
6.
62 .
.-------------.----.----.----.----.----.----.---.---.----- .
•Nimzatt
3 •
6.
15.
2.
5.
O.
Il.
7.
49.
.-------------.----.----.----.----.----.----.---.---.-----.
. TOTAL
· 117. 167. 612. 179. 129.
67.212.132.1615 .
.
.
Source
MARTIN (V. )
Op. Ci t. 1 Tableau B 16.
Légende :
Ml = mécanicien
M2 = menuisier
Tl = tailleur
T2 = tisserand
Cl = cordonnier - C2 = coiffeur
B
1
= bijoutier
F
= férailleur.
Plateau
quartier régulier
1
Alminko
bidonville.
1
1
1
1
1
1

331
Le volume de ces ateliers et métiers n'était pas fonction de leur caractère
"traditionnel" ou "moderne". ~s métiers "traditionnels'~ malgré la limite imposélpar une
barrière statutaire de caste, étaient relativement bien représentés en nombre. Les
bijoutiers et les tisserands venaient en deuxième et troisième position après les tailleurs
et représentaient respectivement 13 et 11 % des ateliers. Par contre la demande jouait
un rôle discriminant certain. Ce n'est pas un hasard si les tailleurs constituaient 38%
des ateliers et les coiffeurs seulement 4%. Les difficultés d'installation eurent également
à agir;, compte tenu de la différence entre les métiers dans le niveau du minimum
d'installation nécessaire à une activité durable. Les mécaniciens comptaient pour 7%
alors que les menuisiers n'étaient que 4% du total des ateliers.
1
1
l
1
1
1
1

332
Figure N~2 ATELIERS ET METIERS A DAKAR EN 1959
\\ ,
,.'" ,,- -r --
,
·1
N
,
-
1
,
,,
1
1
l
1
,;.
1
1
1
~
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~
1
;;; ....
~
t. ·
1
t--
l
--'"
.[mICllM IIJaU
NOMBRE
0

+ D( 30
.~ \\.

\\

10 A 20
\\.
0
, \\.
• ~ 0 • 5 A10

~
0
1 A 5
SDUltl : V URIII. ~ Çl!.
Di
(CNllI(
1I20000f

333
La localisation dans l'espace semblait plus répondre à l'emplacement de la
clientèle, des matières premières et des coûts d'installation. 27% des tailleurs se
trouvaient à l'avenue Gambetta, lieu de concentration du commerce de tissu tenu par
les levantins. Les mécaniciens occupaient tout le front séparant la Médina du centre-
vine, dans le nord du Plateau, à l'entrée du centre-vine. Si les densités les plus fortes de
population étaient concentrées dans les quartiers irréguliers, leurs bas revenus faisaient
que les ateliers y étaient très peu représentés alors qu'une bonne partie de ses
travailleurs y logeait certainement. 74% des petites entreprises artisanales étaient
localisées dans les quartiers réguliers avec une faible densité dans le Plateau central.
Cette exception tenait aux difficultés d'installation dans ce dernier quartier.52
l
1
1
1
1
52· Cf. Figure N" 22, Répartition de quelques ateliers et métiers à Dakar.
1
1

334
Tableau N° 42 REPARTITION PAR QUARTIER DES ATELIERS ARTISANAUX DE
DAKAR EN 1959
· QUARTIERS
· EFFECTIFS . POURCENTAGE .
----------------- ·----------- -------------
.
· PLATEAU CENTRAL .
58
3,5%
----------------- ·----------- -------------
.
· REBEUSS
242
15%
----------------- ·----------- -------------
.
• MEDINA OUEST
233
14%
----------------- -----------
·
-------------
.
· MEDINA EST
210
13%
----------------- -----------
·
.-------------
• GRAND-DAKAR
211
13%
----------------- ·----------- -------------
.
.GUEULE TAPEE
99
6%
-----------------.-----------.-------------
.CHAMP DE COURSES •
75
4,6%
----------------- ·----------- .-------------
.FASS
42
2,6%
-----------------.-----------.-------------
.COLOBANE
62
3,8%
----------------- ·----------- .-------------
.NIMZATT
49
3%
----------------- ·----------- .-------------
.ALMINKO
44
2,7%
Légende:
PLATEAU
quartier régulier.
NIMZATT : bidonville de Dakar.
Source : Calculés à partir de haut-commissariat de la
République: Op. cit., 1962. fascicule 2.
1
l
!
1
1
1
1

335
La pauvreté et l'instabilité de leurs populations, l'absence d'infrastructures de
transport adéquats, de commerce nécessaire à l'approvisionnement des ateliers,
défavorisaient les bidonvilles dans l'installation des petites entreprises artisanales. Les
zones les mieux loties de la ville reçurent le gros des petits métiers qui y trouvaient
clientèle et matières premières nécessaires à leur activité. Pour n'avoir pas tenu compte
de ces paramètres déterminants dans l'occupation de l'espace, toutes les politiques
musclées de gestion de l'espace urbain se heurtèrent à la résistance ouverte ou
souterraine des acteurs de l'informel. D'une manière ou d'une autre, ces derniers
reconstituaient leurs bidonvilles intra-urbains, aussitôt apaisés les mesures de
déguerpissements. Les petits ateliers n'avaient aucun intérêt à S'éIO~'er des vieux
....
quartiers même si leurs propriétaires et leur main d'oeuvre résidaien les bidonvilles.
Ceci reste vrai également pour le plus bas niveau du secteur informel : colporteurs,
vendeurs d'eau, cireurs.
3"/ L'informel après 1960: unité et diversité des stratégies ethniques dans l'économie urbaine.
Le transfert de la capitale du Sénégal de Saint-Louis à Dakar, la poursuite de la
politique d'industrialisation par substitution aux importations et sa concentration
extrême dans le Cap-vert, l'accentuation de la ponction sur les revenus des paysans
contribuèrent à augmenter la pression sur les ressources de la ville.53 Le premier plan
de développement constatait déjà, au tout début de l'indépendance, l'impossibilité de
mesurer le poids du sous-emploi chronique dans l'économie dakaroise. li l'estimait à
30% de la population active.54 A moyen terme, il s'avouait incapable de mettre un
terme à la prolifération des petites activités de survie des déshérités des bidonvilles qui
avoisinèrent entre 1960 et 1969 plus de 60.000 habit~nts.
Le flux migratoire était alimenté à la fois par les populations de toutes les
régions du pays mais également par les ressortissants des Etats limitrophes du Sénégal.
La plupart des migrants ne trouvant pas d'emplois salariés s'investissait dans les petites
activités informelles. Cependant, le milieu d'origine des migrants créait des contrastes
notables dans leur nombre comme dans le secteur d'activité et les zones d'installation
dans l'espace urbain.
1
53- Avec 88% des industries, Dakar distribuait 2/3 des salaires du pays.
M. VERNIERE : Op. Cit., p. 16, Dote 2.
1
54- SENEGAL (République) : QlL.9!., 1962, p. 6.
1
1

336
Les wolof et les toucouleur faisaient preuve d'une plus grande mobilité, par
rapport à leur part relative dans la population nationale. Le fait tenait plus à des raisons
économiques
qu'à
une
particularité
ethnique.
Les
wolof constituent
l'ethnie
numériquement majoritaire du Sénégal mais en plus ils furent les plus marqués par
l'économie arachidière et en conséquence aussi par sa crise. Les toucouleurs par contre
sont originaires d'une région qui fut très tôt victime de la décadence de la traite de la
gomme et économiquement 'déclassée au profit du bassin arachidier. Ces deux groupes
fonnaient le plus fort taux de populations dans la ville plus que les lébou qui sont les
véritables originaires de Dakar.
Tableau N° 43 REPARTITION ETHNIQUE DE LA POPULATION SENEGALAISE
ET DAKAROISE
.ETNHNIES
· SENEGAL* .
nAKAR
.
1955*~ . 1961***.
----------.---------.---------.--------
. WOLOF
36%
43%
51%
---------- ·--------- .--------- .--------
. LE BOU
12%
9%
---------- ·--------- .--------- .--------
. SERERE
16,5% .
6%
6%
---------- ·--------- .--------- .--------
. TOUCOULEUR.
9%
12%
12,5%.
---------- ·--------- .--------- .--------
• PEUL
17,5% .
5,5% .
6%
---------- ·--------- ---------
.
.--------
• AUTRES
21%
21,5%.
15,5% .
Source :
* : SENEGAL (République du) : Premier plan .•. , Op. cit., 1961,
l
p. 6.
** : SECK (A.) : Op. Cit., p. 18.
*** : MARTIN (V.)
: Op. Cit., p.
25.
1
La crise rurale et le déplacement des régions de culture arachidière vers le sud-
en
est du pays les plaçait au premier rang, dans les régions alimentant le gros du contingent
1
de l'immigration vers Dakar. Toutes les études entreprises sur ce vieux foyer
d'émigration confirment le rôle fondamental joué par la motivation économique dans
1
ces mouvements de populations.SS
1
55- F. RAVAULT : ·Kanel, l'exode rural dans la vallée du Sénégal· Cahiers d'outre mer NO 65, janv.-mars
1964, pp. 58-80.
1 - A. B. DIOP: QILQ!.,196S, 232 p.+ 2 cartes.
- A. ADAMS: Op. Cit.,I977, 222 p.
1
1

337
Avant 1940, ils représentaient 16 à 20% des migrants à Dakar.56 Ils se
spécialisèrent dans certaines activités informelles où ils finirent par constituer de
véritables monopoles. 66% des détaillants du commerce des tissus appartenaient en
1955 à cette ethnie, 29% des manoeuvres, 23% des cuisiniers, 22% des effectifs des
services de police et de pompiers.57 A un niveau plus bas, ils contrôlaient la vente de
journaux et le métier de cireur.
La quête d'un minimum de ressources pour assurer la nourriture dans les zones
de départ, payer l'impôt constituèrent depuis fort longtemps le mobile principal des
départs des migrants de la vallée.58 La misère des activités rurales dans la région ne
,
laisait aucune perspective en dehors de l'émigration. Un petit cireur de Dakar en moins
de deux mois gagnait les revenus de toute une unité de travail dans le fleuve.59 Les
dominants de l'économie urbaine en particulier les grandes entreprises capitalistes
trouvaient dans ce mouvement de population un intérêt tout particulier. Celles-ci
disposaient ainsi d'une main-d'oeuvre dont elles n'avaient pas assuré la formation et
qu'elles ne prendraient pas en charge à la fin de sa période active avec le retour au
terroir d'origine. Le plus intéressant pour elles étant bien entendu la pression exercée
par ce flux migratoire sur le marché du travail et le bas niveau des salaires qui en
découle. Le secteur informel par les bas coûts des services et produits qu'il livre sur le
marché urbain contribue à faire vivre, au bénéfice du grand capital, des travailleurs
sous-rémunérés. Solution de survie en milieu urbain des ruraux déracinés par le malaise
paysan, le secteur informel fut, depuis ses origines, alimenté par une migration qui
déborde les frontières sénégalaises
!
1
1
• J. P. MINVIELLE : Paysans migrants du Fouta Toro, ORSTOM, travaux et documents N" 191, Paris, 1985,
281 p.
1
S6- M. VERNIERE : Op. Cit., p. 18.
57· Haut-eommissariat de la République: QlLQL p. 38.
1
58· A. B. DIOP: Op. Cit., 1965, p. 86.
59· F. RAVAULT: -Art. CiL·, 1964.
1
1

338
Ainsi, l'attraction de Dakar s'exerça sur une zone d'influence couvrant plus que
le territoire de l'AO.F. Il a donné naissance à de fortes communautés venues des pays
limitrophes comme la Guinée, la Mauritanie et les îles du Cap-Vert. 60 La population
guinéenne à Dakar, née de cette migration, était estimée à 40000 membres à la fin des
années 1960 sur un total de 300.000 pour l'ensemble du Sénégal.61
Elle
était
massivement présente dans le commerce des fruits, la restauration, la vente du charbon
de bois et le métier de tablier détaillant. Les Cap-verdiens, plus anciennement implantés
et moins nombreux que les Guinéens à Dakar, se spécialisèrent dans les métiers liés aux
entreprises du batiment : peintre, éleetricien.62
Cette forte spécialisation des activités des groupes ethniques tient à plusieurs
facteurs. L'activité dominante dans la région d'origine, la qualification professionnelle
de départ des migrants constituent des facteurs déterminants. Toutefois le mode
d'organisation dans la maîtrise de l'espace urbain demeure la base la plus solide sur
laquelle elle se fonde. Autant qu'ils le purent, les originaires d'une même région, d'une
même ethnie ou d'un même village se retrouvaient dans les mêmes zones. Le succès des
premiers migrants dans une activité poussait les suivants vers le même créneau. Les
associations de solidarité ethnique, religieuse, villageoise et régionale jouant le rôle de
centre d'accueil, de formation, d'agence d'emploi et de service de sécurité du néo-
citadin les intégraient à des activités similaires ou complémentaires.
1
1
1
60 - C. J. SANTOJR : -L'émigration maure: une vocation commerciale affirmée- Cahier ORSTOM Sciences
Humaines N02 Vol. XII, 1975. pp. 137·159.
- P. J. DIALLO : Le &Toupe émigré des Guinéens à Dakar, Université de Dakar, Mémoire de Maitrise,
1
Sociologie, 1968, 52 pp. + annexes.
61- P. I. DiaUo : IsI- pp. 17.
1
62- 1500 en 1926, ils étaient 3500 en 1955.
• Haut-c:ommissariat de la République: QlL.Q!., 1962.
1
1

33Y
L'informel au niveau le plus bas: REPARATEUR DE VELO
Mu~e de l'Homme E 571029-494 Coll. Pales

340
III ; LA MIGRATION MAURE AU SENEGAL EVOLUTION D'UNE VIEILLE
PRESENCE DANS LE SECTEUR INFORMEL
Tous ces facteurs jouèrent en faveur de la forte communauté mauritanienne qui
étai~ .. en passe d'acquérir le monopole dans le commerce de détail dans les quartiers
de Dakar et dans l'économie de la viande.63
La présence maure dans le commerce de détail sénégalais fut très précoce.64
Avec l'essor de la culture arachidière, ils abandonnèrent progressivement la traite de la
gomme et des esclaves pour s'employer comme chameliers transporteurs et traitants
dans les régions non desservies par le chemin de fer. Ils ravitaillaient les tribus
mauritaniennes en produits vivriers du
Sénégal
troqués contre du
sel.65 La
généralisation du transport automobile concurrença victorieusement cette activité. Ils
dominaient le commerce des bestiaux importés de Mauritanie et centralisés par le
marché du bétail de Louga le Marbat qui assurait l'approvisionnement des villes du
Sénégal en viande de boucherie.66 Le déclin du "Marbat" après la deuxième guerre
mondiale, réorienta l'émigration maure vers Dakar. La longue expérience acquise dans
la traite des esclaves, de la gomme puis des arachides d'une part, dans le commerce de
détail et du bétail d'autre part, facilita l'adaptation de la stratégie commerciale maure
aux conditions spécifiques de la ville de Dakar.
l
1
63· Les récents événements (avril 1989) qui opposent les Etats sénégalais et mauritanien a mis un terme à
l
cette expérience.
64· En 1843, des commerçants maures nomades acquirent des fonds de commerce è Saint·Louis et s'y
raxèrenL
1
R. PASQUIER : ~., p.359.
65· A.N.s.O.M. : Mission Guemut, Carton 60, 835 Rapport politique du sénégal 1929.
1
66- M. SAR : Louga et sa ré&ion. essai d'interprétation des rappons yille.campagne dans la problèmatigue du
développement, Dakar, IFAN, Initiations et études africaines N° XXX, 1973, 308p.
1
1

341
LES MAURES DU SENEGAL: UN PRESENCE ANCIENNE
li.'
!~t··
~~ '.~
J' •
A.N.S. Photothèque 4 FI 365,1904-1910: TRAITANTS-SAUNIERS MAURES
A SAINT-LOUIS (et non à Dakar comme indiqué par erreur sur la photo)
2'.
Afrique OcclJu,ltdc - SHtlU :.... DAKAR -
Rue
A.N.S. Photothèque 4 FI 820, 1908: CHAMELIERS MAURES A DAKAR (Rues Vincent-Carnot)

342
La disparité des données sur leur nombre, aussi bien à Dakar que dans
l'ensemble du Sénégal. démontre suffisanunent l'insaisissabilité de cette population liée
au caractère informel de son activité. 6 7 Toutes les sources utilisées pour élaborer ce
tableau soulignent le caractère approximatif de leur chiffre. Toutefois. il est à souligner
que celui donné par J.P. Santoir pour l'ensemble du Sénégal en 1961 doit être largement
sous-estimé.
1
l
1
1
1
1
1 67-Cf.TableauN044.
1
1

343
Tableau N°44
LA POPULATION MAURE DU SENEGAL
ANNEES
DAKAR'
SENEGAV
1
2
3
2
4
1929
28.005
-
-
-
-
1931
-
-
-
800
-
1932
17.091
-
-
-
-
1933
33.212
-
-
-
-
1939
14.500
-
-
-
-
1941
-
-
-
-
-
1943
-
18.000
-
-
2.206
1955
-
-
-
5.500
6.050
,.
-
-
100.000
-
-
1961
33.000
7.000
-
-
1970
-
-
250.000
11.600
-
Sources:
l : A.N.S.O.M. : Carton 395, Tableau récapitulatif de la
population non-européenne par race et pays d'origine.
2 : J.P. SANTOIR : "art. cit."
3 : R. VAN-CHI-BONNARDEL, Op. cit, p. 806
4 : Haut-commissariat de l'A.O.F., Op. cit, 1962.
* : avant l'indépendance.
1
A propos de leur répartition spatialet le recensement de 1955 les localisait en
majorité dans les quartiers réguliers les plus densément peuplés de la ville. 51% de la
1
colonie maure du Dakar vivaient dans la Médina et à Grand-Dakar. Comparée aux
l
autres groupes ethniques autochtonest la population maure de Dakar se caractérisait par
son instabilité. Cependant, elle était plus fixée que les Guinéenst si on se référe au sex-
1
ratio comme indice du degré dturbanisation.
1
1
1
1

344
Tableau N° 45 SEX-RATIO DE QUELQUES GROUPES ETHNIQUES A DAKAR
. ETHNIE
.POUR 100 femmes .
.-----------.--------------- .
. MAURES
159 Hommes.
----------- .---------------
• TOUCOULEUR .
126
-----------.---------------
• WOLOF
93
----------- .---------------
. GUINEENS
246
.----------- ---------------
.
.
• SONINKE
147
Source: haut-commissariat de la République: Op. Cit., 1958 p.
33.
Du point de vue de leurs activités, la population active (plus de 14 ans) maure
de Dakar était à plus de 60% dans le commerce de détail. Installés dans une baraque
des quartiers irréguliers ou dans une boutique en dur généralement prise en location
dans les zones régulières, les commerçants maures représentaient au total 47% de ce
secteur dans la ville. leur succés était essentiellement fondé sur l'efficacité de leur
organisation, particulièrement adaptée aux bas revenus de la clientèle. Le nouveau
immigrant maure apprenait très vite la langue dominante du pays sans s'intégrer dans
ses structures sociales sources de dépenses et s'intégrait dans les organisations maures
''para-politiques'' toujours prêtes à répondre aux sollicitations du pouvoir ou de son parti.
1
1
1
1
1
1
1

345
Sobre dans sa consommation. engageant un minimum de frais généraux
d'installation et de fonctionnement, appuyé sur des réseaux de solidarité et la main
d'oeuvre bon marché des nouveaux immigrants souvent en rapport de dépendance avec
lui, travaillant parfois jusqu'à 20 heures sur 24 sans jour férié, le commerçant maure
éliminait de fait toute concurrence des autochtones à son activité. Il fixait sa clientèle en
lui ouvrant sans formalité une ligne de crédit permanente et tenue discrètement, pour
boucler les fins de mois souvent difficiles.68 A la vente au comptant, il se contentait
d'une marge bénéficiaire très faible rattrappée sur les taux usuraires appliqués au crédit
et tenus secrets par ses "victimes consentantes". La stratégie commerciale maure comme
son mode d'installation s'apparentaient à ceux des pionniers de l'émigration levantine et
restaient aussi efficaces que ces derniers.
Les structures sociales fortement hiérarchisées de la société d'origine marquait
la structure de la division du travail et les rapports entre les différents migrants
maures.69
Ainsi, les Mbeidane70 étaient plus portés vers le commerce de détail considéré
comme activité noble. Groupe dominant de la société maure, ils formaient le plus grand
nombre parmi les immigrants et disposaient plus aisément des fonds nécessaires à
l'installation. Les Hartani et les Abd, faiblement rémunéré comme aide-boutiquier
dans le commerce de leur ancien maître, parvenaient difficilement à acquérir le pécule
nécessaire à une installation régulière. Ils s'investirent en conséquence dans d'autres
1
secteurs nécessitant moins de mise de fonds
au
départ et de qualification
professionnelle: bouchers, vendeurs d'eau, chameliers, tripiers, colporteurs. Cependant
1
certains d'entre-eux ayant recouvré leur liberté réussirent à bâtir de solides fortunes
dans l'économie de la viande.71
1
1
68- R. NGUYEN VAN-eHl·BONNARDEL : QJLQ!.. 1987, p. 807.
. J. C. SANTOIR: "Art. Cit", 1975.
69· L'esclavage a été aboli en Mauritanie en 1980.
1
70- Mbeidane : maure blanc de culture arabe, d'origine noble.
• HaI1ani : maure noir de culture arabe, d'origine servile.
1
Abd: esclave maure de race noire
Ch. TOUPET et J·R PITrE: La Mauritanie, Paris, PUF, 1977, pp. 66-67.
1 71- B. LY : L'économie de la viande dans la région du Cap-Vert, Université de Dakar, doctorat de troisième
qcle, département de géographie, 1969·1970, 239 p.
1
1

346
A la fin des années 1960, 10 maures d'origine haratin contrôlaient plus de
65% du marché de la viande à Dakar. Anciens commerçants de bétail entre la
Mauritanie et le Sénégal, chacun d'eux disposait d'un vaste réseau composé d'une main
d'oeuvre familiale achetant et convoyant le bétail sur Dakar et organisant tout le travail
de traitement et de vente sur le marché. La plus grande entreprise de ce groupe
parvenait avec le dépan des bouchers français après 1960 à faire des bénéfices mensuels
de 4 à 7 millions de francs CFA72Grâce au contrôle exercé par leurs réseaux sur les
éleveurs, ils ont pu non seulement échappé voire même éliminé du circuit les
intermédiaires commerciaux et opposer une résistance efficace à l'entreprise publique
de commerce de la viande. Mais en dehors de l'investissement immobilier ces
entreprises qui n'ont conservé d'informel que la structure ethnique et familale de leur
organisation n'investissent dans d'autres secteurs productifs de l'économie.73
IV ; L'INFORMEL UN OBSTACLE A L'ACCUMULATION PRODUCTIVE
Cette expérience montre, dans une certaine mesure, les limites de l'informel
comme base de formation d'une bourgeoisie nationale. La capacité de certaines
branches du secteur informel à générer une source d'accumulation importante de
revenus se retrouvent également dans le commerce des objets d'art monopolisé par de
puissants réseaux ethniques ou religieux entre l'Europe et le SénégaI.74 Mais là comme
ailleurs, l'informel se montre incapable de dépasser le mode de gestion clientèliste qui
assurent sa rentabilité vers le modèle de l'entreprise capitaliste régie par des rapports
salariaux. Les revenus tirés de ce commerce sont pour l'essentiel employés à la
reproduction simple de ses conditions initiales de production ou investis dans les
1
symboles du pouvoir social ou religieux.'5
1
1
72· S. AMIN: QJLQ!., 1969, p. 99.
1
73· Id.
74- G. SALEM : De Dakar à Paris, des diasporas d'artisans et de commerçants. étude socl<è&éographigue du
commerce sénéialais en France, Paris, E.H.E.s.s./C.N.R.S., doctorat de troisième cycle, 1981, 240 p.
1
• -De Dakar au Boul'Micb : le système commercial mouride en France, Cah. d'études arricaine~ N"s 81-83,
XXI (1·3) pp. 267·288.
1
75· Phénomène igalement analysé pour le cas des commerçants du quartier Zongo de Lomi.
Cf. M. AGIER : Op. cit, 1983.
1
1

347
La faible concentration des moyens de production constituent également un
handicap parfois insurmontable. Ainsi, chez les transporteurs de Dakar, 56% des
propriétaires ont un car, 45% entre 1 et 5 et seulement 8,5% plus de 5 véhicules·76
Même s'ils ont un monopole presque assuré sur le transport des personnes dans les
quartiers périphériques, le.sfaibles revenus de leurs clients et la forte concurrence dans le
secteur leur ne permettent que des marges bénéficiaires très faibles.
La voie de développement d'une entreprises capitaliste à partir du secteur
informel s'est avéré jusqu'à présent bloquée. Ce dernier a par contre permis d'assurer la
survie de milliers de ruraux éjectés en ville par la misère des campagnes. Le pouvoir a
toujours cherché à résoudre le problème posé par cette pression sur les ressources de la
ville en s'attaquant à ses manifestations urbaines et non à sa source: le "malaise paysan".
Les petits métiers urbains connaissent de plus en plus une expansion démesurée on
pourrait dire directement proportionnelle à la paupérisation des campagnes. Est-ce
l'une des conditions préalables au décollage économique?
Par son origine rurale, sa misère et son activité, le secteur informel actuel
s'assimilent facilement aux petits métiers qui envahirent les villes européennes du
XIXème siècle. Cette
"population excédentaire" de l'Angleterre qui végète péniblement, mendiant et
volant, balayant les "-les et y ramassant le crottin, ... vendant au coin des "-les, ou
accomplissant quelques petits travaux occasionnels... La grande majoritt des
"superflus" se lancent dans le colportage... Des lacets, des bretelles, des ga/ons, des
oranges, des gateaux..., des a/lumenes et d'autres choses de ce genre, ..., des
appareils brevetés pour a/lumer le feu. etc constituent également les articles de vente
de tous ces gens. 77
1
Toutefois, ils s'en distinguent par le fait que ces derniers furent le produit des
bouleversements de la propriété foncière (système des enclosures en Angleterre)
1
consécutive à la
révolution industrielle et qui, à terme, furent éliminés par
1
l'expansion industrielle dans le cadre d'économies capitalistes dominant le reste du
monde.78
1
76. J. J. Guibbert, ~.1982.
1
77· F. ENGELS : La situation de la classe laborieuse en Angleterre, Paris, Ed. sociales, 1975, pp.128-129.
78- J. P. RIOUX : La révolution industrielle 1780-1880, Paris, Seuil, 248 p.
1
1

348
Rien dans l'évolution économique actuelle de l'Afrique au sud du Sahara, dans
le cadre des rapports économiques internationaux, n'indique qu'une telle voie soit
ouverte dans ce continent. Au contraire c'est l'expansion d'un secteur informel nourri
par la paupérisation des campagnes qui semble plus probable, même si la politique
musclée de son exclusion de l'espace urbain central se poursuit. Le phénomène prit,
dans les années 1970, une ampleur sans précédent dans la presque totalité des villes79
et surtout des capitales d'Etat du continent. Le tiers voire la moitié de la population des
villes africaines d'aujourd'hui est impliqué dans ce secteur, contribuant à camoufler la
précocité de son apparition.80
Cette politique d'exclusion fut, de longue date entamée par le pouvoir colonial.
L'histoire foncière de la ville de Dakar des premières immatriculations à nos jours,
révèle ce long processus d'exclusion des autochtones dans ce secteur refuge du monde
des affaires.
i
l
1
1
1
1
79· A Lomé, 80% de la population active trouvent les moyens de survivre dans les réseaux
d'intereoonaiss8nces plus ou moins informels et la moitié de ses effectifs est classk dans la catégorie
socio-professionnelle "Autres et non-indiqués".
1
Cf. M. AGIER : ~., p. 45.
80- SETHURAMAN (ed) : The Urban InformaI Sector in DeveloPOÎ!!i Country, Genève, I.LO., 1981, %25 p.
1
- C. COQUERY.VlDROVITCH (Sous la direction de) Processus d'urbanisation en Afrigue, Paris,
L'harmattan, 1988, vol. 1: 135p., vol. 2: 169p.
1


349
CHAPITRE XIII: PROPRIETE ET CREDITS FONCIERS:
L'EXPROPRIATION DES DETENTEURS COUTUMIERS

Te rtlppe//u-tu avoir vendu un grand tem:ùn situé 1> Dieko, appartenant 1> notre
clan? Apfis avoir falsifié les noms claniques avec la compliciti des htwLr-plads, tu
nous as expropriés.
O. SEMBENE : Op. Cil.. p. 165.
Combien sont-ils à pouvoir reprendre à leur compte cette question que le
romancier fait poser à son personnage? L'histoire foncière de la presqu'île du Cap-Vert
est certainement l'un des plus longs processus d'expropriation des autochtones
propriétaires fonciers coutumiers de l'ouest africain français. Pour transformer le site
des anciens villages lébou en siège de la capitale de l'A.O.F., l'Etat colonial dut vaincre
une vive résistance autochtone. Le monde des affaires prit une part déterminante dans
l'émergence de la ville coloniale. Il a fallu combiner sur le long terme des moyens
politiques, financiers et juridiques dans le contexte particulier d'une commune de plein
exercice dont la majorité des habitants avait le statut de citoyen et disposait de moyens
politiques de pression sur l'Etat. Et aujourd'hui encore, le problème reste entier à
propos des contradictions entre l'état de hl propriété foncière à Dakar et la politique
urbaine des pouvoirs publics.81
1
!
1
1
81· M. VERNIERE : Volontarismi d'Etat et spontanéité populaire dans l'urbanisation du tiers-monde : le cas de
1
Dagoudane-Pikine, Thèse de 3 me cycle, Paris, Ecole des Hautes Etudes en ScieDces Sociales, 1973, 278
pp.
1
1

350
A Dakar, comme ce fut bien souvent le cas ailleurs en Afrique, la factorerie
précéda le poste militaire. Lorsqu'en 1857, les représentants de l'Etat français
s'installaient à Dakar, ils y avaient été précédés par les commerçants, déjà sur place
depuis fort longtemps. C'est l'un d'entre eux, le nommé JAUBERT qui leur vendit sa
propriété de la future Place Protêt devenue après 1960 Place de l'Indépendance. 82
L'implantation puis la domination coloniale du Cap-Vert n'avaient pas conféré au
colonisateur la propriété juridique du sol comme il en fut le cas dans toutes les autres
parties de l'AOF. Cette particularité sans précédent dans l'AOF, fit de la question
foncière et des droits s'y rattachant, une source permanente de litiges, de contestations
et réglementations multiples pendant tout le processus d'urbanisation de Dakar.
Plusieurs études plus ou moins importantes ont été consacrées à cette histoire foncière
du Cap-Vert en général et de Dakar en particulier. 83 Notre contribution s'appuie sur
une documentation qui à notre connaissance n'a jusqu'à présent fait l'objet que d'un très
modeste traitement: les Archives de la Conservation Foncière de Dakar et Gorée.84 Le
décret du 24 juillet 1906 en instituant le service de la Conservation de la Propriété
Foncière et des Droits Fonciers en AOF, créait du coup une source importante
d'histoire économique et sociale. Ce fonds archivistique vivant se compose des li~es
fonciers et des documents annexes. 8S
[
[
t
82· P. BIARNES : Les Français en Afrique... Op. Cit., pp. 255.
83· A. B. DIOP: Domination coloniale et problèmes domaniaux fonciers à Dakar jusqu'en 193~ Mattrise d'histoire,
1
Université de Dakar, 1983.1984, 131 pp•
• E. RAU : "La question des ten-ains de "'found"", Annales Africaine~ N" l, 1956, pp. 141-163.
1
• A. SYLLA : "Vérités sur Dakar", Présence Africaine, Décembre 1958 janvier 1959, pp. 81-87.
A. SECK : QJLQ!., 1970.
M. VERNIERE: QIL.QL, 1977.
1
84- M. VERNIERE : "Les oubliés de l'"haussmanisation" dakaroise : crise de logement populaire et
exploitation rationnelle des locataires." L'Espace Géographigu~ N"l, 1977, pp. 5-23.
1
85· Gouvernement général de l'A.O.F, Régime de la propriété foncière en A.O.F, Gorée, Imprimerie du
Gouvernement Général, 1933., Décret du 26 Juillet 1932.
1
1

351
1 ; LES ARCHIVES DE LA CONSERYATION FONCIERE ; UNE SOURCE DE
BASE
JO) Les /iVTf!S fonciers
Ce sont des registres destinés à l'immatriculation des titres fonciers et à la
conservation des droits réels les affectant. Les droits sont obligatoirement soumis à la
publicité. Chaque immeuble occupe dans le livre une feuille portant l'ensemble des
informations le concernant et qui est en même temps celui du titre foncier. Les
mentions figurant sur la feuille forment le titre foncier. L'ensemble des titres sont ainsi
numérotés et ordonnés suivant la date de leur établissement. Chaque titre comprend
cinq sections.
La section 1 contient la désignation et la description de l'immeuble: sa nature
(terrain bâti ou non), sa consistance, sa contenance, sa situation, ses limites, la date
d'inscription, le numéro de registre et la durée de validité des oppositions. Cette section
mentionne également toutes les ventes (date, superficie, destination et prix) effectuéQS
durant les dix dernières années.
Il est mentionné dans la section II toutes les modifications de la consistance de
l'immeuble. Les augmentations et diminutions de superficie sont datées, avec le mode
d'acquisition ou de perte. La superficie et le numéro du titre foncier d'origine ou de
destination selon le cas. Si la modification comporte une opération pécuniaire, le prix
est indiqué.
La section III porte sur les modifications dans l'exercice des droits réels
constitués par démembrement : les baux, loyers, charges et servitudes, les causes
l
d'indisponibilité. La date d'existence du droit et le cas échéant, celle de son extinction y
figure.
1
La section IV est celle des mutations foncières. Par ordre chronologique, elles y
1
sont inscrites avec la mention de la nature de la mutation, l'acquéreur, le prix de la
mutation s'il y a lieu.
1
La section V contient l'inscription des privilèges et hypothèques. La date de
1
l'inscription, son échéance et les conditions financières des dits droits figurent dans cette
section.
1
1

352
Les
trois
premières sections présentent une
certaine
autonomie.
Les
informations qu'elles contiennent se suffisent à elles-mêmes pour être comprises.
Autonomie mais pas indépendance, tous les éléments du titre foncier forment un
système. Ainsi pour situer avec précision un immeuble, les indications de la section 1 ont
besoin d'être complétées. Elles sont souvent très lapidaires et limitées à l'indication
d'autres immeubles attenants qu'il faut au préalable repérer et avec les mêmes
difficultés. Sur ce point précis, il s'avère plus opérationnel de se reporter directement
au dossier du titre foncier. Les sections IV et V apportent des informations très
importantes mais incompréhensibles si on se limite à elles.
2°) Les documents anne:œs
Ce sont des éléments indispensables à la compréhension des informations
so"t
consignées dans les livres fonciers. Cependant, certains d'entre eux 'assez délicats à
exploiter; en particulier les dossiers individuels. A leur langage juridique parfois difficile
à décoder s'ajoute le grand nombre de documents que chacun d'eux contient pour la
justification de tous les actes le concernant. Les documents annexes comprennent les
fichiers des comptes individuels, le réperto~re des titulaires de droits réels et les dossiers
individuels des titres fonciers.
Chaque titulaire de droits réels -personne physique ou morale- dispose d'une
fiche individuelle. Les fiches sont classées par ordre alphabétique dans le fichier des
comptes individuels. Elles contiennent les noms et prénoms ou la raison sociale des
1
titulaires. Accessoirement, il y' est mentionné la date d'arrivée à Dakar pour les
l
étrangers, leur nationalité, la date et leu~ieu de naissance. Le numéro occupé dans le
répertoire des titulaires de droits réels figure pour chaque détenteu~ dans cette fiche.
1
Le répertoire des droits réels recense tous les droits possédés par les personnes
1
physiques et les sociétés avec indication du titre foncier, la date d'existence du droit et
celle de son extinction
1
L'ensemble de ces documents est complété par l'ouverture pour chaque titre
foncier d'un dossier dans les archives de la conservation foncière.
1
1
1
1

353
Le dossier du titre foncier comprend:
- Toutes les pièces de la procédure d'immatriculation,
- Le plan définitif de l'immeuble établi par un géomètre agréé,
- La série des bordereaux analytiques des actes successivement établis,
- Les actes et pièces analysées justificatives des droits, de leur estimation, des
oppositions, jugements et actes administratifs.
Le dossier est le document le plus riche en informations. Il permet seul de
suivre le processus ayant conduit aux résultats consignés dans les autres documents.
Chaque prétendant à un droit fournit les éléments fondateurs de celui-ci et opposables
aux prétentions des tiers. Les incidents qui émaillent la procédure, les relations entre les
différents protagonistes ou leurs représentants sont consignés dans le dossier. De façon
précise, la situation et le contenu de l'immeuble y sont indiqués. Le montant
des
différentes transactions financières, les stipulations des différents engagements des
titulaires de droits, les taux d'intérêts des hypothèques, en somme, le dossier est un
curriculum vitae pour chaque titre foncier. Il donne des renseignements très précis sur
les acteurs fonciers.
Cette réglementation foncière
concernait
toute l'Afrique
Occidentale Française.
II : LA REGLEMENTATION FONCIERE EN A.O.F. : DAKAR UNE SITUATION
SOCIALE ET POLffiOUE PARTICULIERE
1
Plusieurs facteurs se conjuguèrent pour donner à la capitale de l'AO.F., les
l
moyens d'une puissante attraction sur les milieux d'affaires coloniaux : équipement
urbain,
rôle
géopolitique,
rapide
croît
démographique,
fonction
politique
et
administrative. Centre des affaires, siège des organisations patronales et de la Chambre
1
de Commerce, mais aussi résidence des entrepreneurs, des hauts fonctionnaires et de la
1
représentation diplomatique, cet espace est un observatoire privilégié de la pratique
foncière des hommes d'affaires. La volonté d'occupation et de modelage de l'espace
1
urbain des pouvoirs publics et des milieux d'affaires se heurtait à deux obstacles majeurs:
l'étroitesse de l'espace dans un site "presqu'insulaire" et les droits fonciers des
1 autochtones que la colonisation n'avait pas supprimés.
1
1

354
La présente étude s'appesantira davantage sur les quartiers centraux de Dakar,
secteur le plus important pour les grandes entreprises dans la ville. Du nord au sud, se
distinguent la première zone industrielle autour du port, le quartier du commerce
levantin où s'incrustent quelques autochtones entre l'avenue Pompidou (ancienne
William Ponty) au sud, le quartier des affaires européennes à l'est de la place de
l'Indépendance (ancienne Place Protêt) entre le boulevard Pinet-Laprade et la rue
Thiers.
Les patrimoines fonciers de quelques individualités ont été privilégiés, après
une approche selon l'origine et la catégorie socio-professionnelle des détenteurs de
droits réels.
Le décret du 26 juillet 1932, promulgué en A.O.F le 15 avril 1933, constitua la
principale base juridique de l'organisation de la propriété foncière en AOF. 86 Il nous a
permis de préciser certains termes et le cadre juridique à l'intérieur duquel
s'affrontèrent les différentes stratégies foncières. Le décret de 1932 complétait et
corrigeait en certaines parties celui du 24 juillet 1906. De 1857, date de la première
installation politique française à Dakar, à 1906, le statut de la propriété foncière
dakaroise fit l'objet de nombreux litiges. La première tentative de solution pacifique de
1905 avait été contestée par une fraction de la communauté autochtone des lébou. 87
1
Le décret de 1932 fut le résultat d'une pression des organismes de crédits
1
fonciers. Dans son rapport au Président de la République française en vue de sa
promulgation, le ministre des Colonies reconnaissait que
1
tous les établissements de crédit foncier installés dans nos possessions de l'AOF en
réclament le rétablissement (la purge par le tiers détenteur sur expropriation forcée
1
ou sur expropriation pour cause d'utilité publique, en adoptant toute fois une
procédure plus simplifiée que celle du code civil). Le résultat attendu de cette
1
modification consistait à accroître la sécurité des opérations de crédit foncier. 88
1
1
86- Promulgué en A.O.F. le IS avril 1933.
1
87· A. B. DIOP: Op. Cit., pp. 91·92.
88. Gouvernement général de l'A.O.F, Régime de la prOllriété foncière en A.O.E Op. cit.
1
1

355
En fait, il accéléra le processus d'expropriation progressive des autochtones
dont le patrimoine était déjà largement entamé avec les inscriptions hypothécaires qui
se sont multipliaient des années avant.
L'hypothèque est un droit réel susceptible de grever des immeubles : eIle est
l'accessoire d'une créance dont eIle demeure indivisible. Ne peuvent être hypothéqués
que les droits réels se trouvant dans le commerce, à l'exclusion des biens publics. Son
assiette comprend l'immeuble, ses accessoires et toutes les améliorations dont il peut
faire l'objet. Le principe de la subrogation lui est appliqué. Les droits de préférence et
de suite assurent une sécurité optimale pour le créancier hypothécaire. L'hypothèque est
dite forcée quand elle découle d'une décision de justice sans le consentement du
débiteur, eIle est conventionnelle quand eIle résulte d'accords entre créanciers et
débiteurs.89
Moyennant une ouverture de crédit dans les livres des organismes de crédits, les
détenteurs de droits réels sur un titre peuvent y souscrire des hypothèques. Les
autochtones qui s'engageaient dans ces procédures se retrouvaient, dans la plupart des
cas, incapables d'honorer leurs engagements et furent victimes d'expropriation par voie
d'hypothèques forcées, au profit de leurs créanciers. L'ampleur du phénomène se
Clvtc
mesure"" l'exploitation que nous avons entreprise de l'ensemble des hypothèques
inscrites au nom du plus grand organisme de crédit foncier de l'AO.F. : le Crédit
Foncier de l'Ouest Africain (CFOA).
III : LE CREDIT FONCIER DE L'OUEST AFRICAIN: LA PREMIERE
PUISSANCE FONCIERE PRIVEE DE DAKAR
Le CFOA était avant tout une énorme puissance financière tirant ses moyens de
la force économique de ses promoteurs. Sa base financière lui permettait de larges
ouvertures de crédit aux entreprises et aux particuliers de toutes les catégories socio-
1
professionneIles de la colonie. La seule condition était que tous les crédits étaient sans
1
exception gagés sur des titres de propriétés ou de droits réels. Ses engagements étaient
assez larges, n'ayant pour limites que cette exigence de garantie foncière dans le
l
quartier dakarois des affaires de préférence.
1
89· Cl. ALPHANDERY: Les prêts hypothécaire~ Paris, PUF, Q.sJ., 1968, N° 1326, pp. 27.
1
1

356
Nous avons systématiquement recensé l'ensemble des inscriptions hypothécaires
au profit du C.F.O.A. figurant aux livres fonciers de Dakar-Gorée. Les résultats issus du
traitement des données ont été groupés en quinquennat, par catégorie socio-
professionnelle et selon l'origine des débiteurs. Ils révèlent l'absence de discrimination
liée à l'ethnie ou au groupe social du demandeur de crédit. L'unique discriminant était
la propriété de droits fonciers dans l'espace dakarois intéressant le C.F.O.A
Les débiteurs sont divisés en 12 groupes.90
90- cr. Tableau N"46

357
Tableau
N°46
REPAR1IDON
PAR
CATEGORIE
SOCIO-
PROFESSIONNEll.E DES DEBITEURS HYPOTIIECAIRES DU C.F.OA
1
2
3
4
1
GROUPE 1
2
QUINQUENNAT
SUP HYPO
SUP CFAO
POURCENTAGE
3
1925
34540
6853
20
4
1930
4894
3651
75
5
1935
784
79
10
6
1940
23177
0
0
7
1945
4830
0
0
8
9
GROUPE 2
10
1925
4316
0
0
11
1930
1146
319
28
12
1935
7404
0
0
13
1940
1118
0
0
14
1945
4397
0
0
15
16
GROUPE 3
17
1925
43868
15704
36
18
1930
9693
3149
32
19
1935
6942
2314
33
20
1940
703
0
0
21
1945
25609
0
0
22
23
GROUPE 4
24
1925
4784
2947
62
25
1930
1420
0
0
26
1935
867
372
43
27
1940
0
0
0
28
1945
2109
0
0
29
30
GROUPE 5
31
1925
13762
568
4
32
1930
0
0
0
33
1935
3256
0
0
34
1940
400
0
0
35
1945
75064
0
0
36
37
GROUPE 6
1
38
1925
12775
3755
29
39
1930
9719
7755
80
40
1935
6871
0
0
41
1940
1327
330
25
1
42
1945
1285
290
23
43
44
GROUPE 7
1
45
1925
0
0
0
46
1930
0
0
0
47
1935
·3004
0
0
1
48
1940
2212
0
0
49
1945
1894
0
0
1
GROUPE 1
· propriétaires fonciers autochtones.
·
Groupe 2
Commerçants levantins
1
Groupe 3
Commerçants autochtones
Groupe 4
· Cadres moyens autochtones
·
1
Groupe 5
Sociétés privées européennes
Groupe 6
Artisans autochtones
Groupe 7
Sociétés publiques
1

358
Tableau
ND46
REPARTITION
PAR
CATEGORIE
SOCIO-
PROFESSIONNELLE DES DEBITEURS HYPOTIiECAIRES DU C.F.OA
Groupe 8
Commerçants européens
Groupe 9
Professions libérales européens
Groupe 10
Professions libérales autochtones
Groupe 11
Sans profession
Groupe 12
Clergé
1
2'
3
4
50 ou l NOUE:I'~W':'T
SUI' HYF'[,I
~;UP CF{~I[I
F'OUF:CE NTP:GE
51
GROUPE 8
52
1925
6361
1152
18
53
1930
1857
612
33
54
1935
2070
301
15
55
1940
0
0
0
56
1945
764
0
0
57
58
GROUPE 9
59
1925
6004
0
0
60
1930
107046
357
0
61
1935
1345
0
0
62
1940
25521
0
0
63
1945
37098
0
0
64
65
GROUPE 10
66
1925
0
0
0
67
1930
300
0
0
68
1935
0
0
0
69
1940
0
0
0
70
1945
0
0
0
71
1
72
GROUPE 11
73
1925
9028
4592
51
74
1930
409494
189606
46
1
75
1935
2145
1089
51
76
1940
1111
241
22
77
1945
779
0
0
78
GROUPE 12
1
79
1925
401
0
0
80
1930
1145
0
0
81
1935
425
0
0
1
82
1940
139683
0
0
83
1945
16881
0
0
1
1
1
1
1
1

359
1°/ Les propriétaires lonciers "coutumiers" lébou et le C.F.O.A.
Les propriétaires autochtones lébou, détenteurs des plus grandes superficies au
début du siècle, avaient plus que tous les autres groupes sollicité les caisses du CF.D.A.
Ils furent également les principales victimes de expropriations. Le quinquennat 1930-
1934 marqua la période des grandes amputations sur leur patrimoine foncier. Compte
non-tenu des autres adjudicataires, le C.F.O.A. à lui seul s'appropriait plus de 40% des
titres hypothéqués par ces débiteurs autochtones. La crise des années 1930 resta un
tournant décisif dans cette expropriation massive. Les saisies se multipliaient en même
temps que chutait le rapport crédit consenti, superficie gagée.
Les tentatives de remise en cause de la prééminence des propriétaires
coutumiers avaient presque toutes avorté. Ni politiquement ni juridiquement, le pouvoir
n'eut pas les moyens d'exclure totalement les propriétaires coutumiers de la maîtrise du
foncier urbain. Les accords de 1905 et la distribution des terrains de 'Tound"91 en 1926
octroyèrent à certains autochtones lébou le statut de grands propriétaires fonciers.
L'obtention d'une propriété s'accompagnait pour le détenteur d'une obligation de mise
en valeur minimale. En réponse à cette réglementation et faute de moyens financiers,
les bénéficiaires de cette distribution n'eurent comme solutions que la mise sous
hypothéque de leurs titres fonciers. Durant le quinquennat de la crise, une sensible
baisse des surfaces hypothéquées était observable au moment où le CF.O.A s'adjugeait
74,6% des saisies. Au sortir de la crise, la situation se stabilisait avec une nette
diminution de la superficie mise en gage. Avec la guerre, le CF.O.A diminua
sensiblement ses acquisitions en même temps qu'augmentaient les hypothèques
1
1
1
1
91- --round" : terme wolof disignant une ilivation de terrain, l'actuel quartier du commerce levantin. Voir
plan de la ville de Dakar Figure N"22
1
1

360
201 Les aulres calégorie socio-professionnelles elle C.F.D.A.: une plus grande résislance
La situation du groupe des "sans profession" ou à profession non indiquée
(groupe 11) se rapproche sensiblement de celle du premier groupe. En fait, ils étaient
pour bon nombre d'entre eux héritiers des propriétaires coutumiers lébou. En vertu du
droit de suite, ils prenaient en même temps en héritage, les crédits grevant la propriété
acquise. Dans la plupart des cas, l'expropriation était concomitante à l'inscription de
l'héritage. A l'incapacité des nouveaux détenteurs des droits de faire face aux traites
exigées par l'hypothèque inscrite sur leur propriété, s'ajoutait le problème du nombre
des ayant droit. La solution la plus courante était la vente si le titre ne tombait pas
immédiatement sous le coup d'une hypothèque forcée. Les longues procédures de
partage de l'héritage (celui de Théophile Turpin commerçant propriétaire du titre "732"
entre ses 38 enfants dura 10 ans), aboutissaient dans la plupart des cas à une
adjudication au CF.a.A.. De 1928 à 1944, le CF.a.A. avait acquis au moins 50% de la
superficie hypothéquée par ce groupe.
Les artisans autochtones (groupe 6) battirent le record de pertes au profit du
CF.a.A. durant la crise de 1930. C'est 80% de leurs gages qui restaient à la société de
crédit foncier. Contrairement aux autres groupes autochtones, ils continuaient à être les
grands débiteurs du CF.a.A. mais aussi à voir se réduire leur patrimoine.
Les commerçants autochtones avaient laissé au c.F.a.A 24,38% des titres
hypothéqués. Ils résistaient mieux que les autres groupes autochtones même si leurs
1
pertes dépassaient le tiers de leurs gages. La renaissance des affaires qui s'amorçait au
1
lendemain de la deuxième guerre mondiale laissait aux commerçants autochtones plus
de répit. Entre 1940 et 1949, pas un mètre carré de terrain n'était concédé au profit du
1
créancier.
Les non-autochtones usèrent très peu du crédit offert par le c.F.a.A L'accès
1
aux autres formes de crédit les aurait dispensés de la sollicitation des services des
1
sociétés de
crédits fonciers.
En conséquence, ils avaient moins souffert
des
expropriations foncières. Il faudrait mentionner également une plus grande solvabilité,
1
une meilleure maîtrise du système de crédit.
1
1
1

361
En définitive, les moyens juridiques et politiques insuffisantes de l'Etat se
conjuguèrent à la puissance financière des organismes de crédit pour parvenir à
l'expropriation et l'exclusion des autochtones du centre dakarois des affaires. Le succès
du C.F.D.A a bénéficié de l'appui des pouvoirs. Le cadre juridique créé par le décret de
1932 en est un exemple. Elle servit la stratégie de l'organisme de crédit foncier. Les
critiques furent vives contre cette complicité.
3°/ Les rétu:tions à la politique de dépossession des autochtones
Dès 1931, l'hebdomadaire L'AD.F dirigé par l'avocat et homme politique
Lamine Guèye et le Périscope Africain, tous les deux proches des milieux socialistes,
rendirent compte dans leurs colonnes des plaintes des victimes des sociétés de crédit
foncier en général et du C.F.D.A. en particulier. JJ.lsqu'en 1937, ils dénoncèrent avec une
certaine violence verbale les "agissements scandaleux des crédits fonciers en A. a.F'
qualifiés de ''vampires coloniaux et requins de la finance". Le Périscope se donnait pour
objectif de montrer
"comment pour tu:tiver la déconfiture de leur client, ces honnêtes financiers leur ont
fait concurrence en construisant pour le propre compte et en louant à des taux
impossibles à pratiquer par leurs débiteurs, en raison du taux d'intérêt qui leur était
comptr. 92
L'évolution du taux d'intérêt et du volume des hypothèques chez l'un des plus
grands notaires de Dakar montrent une certaine corrélation entre le crédit hypothécaire
et la conjoncture économique.
1
1
1
1
92· L'A.O.F, NO 1886 et 1889, des 21 février et 21 mars 1931. wLa propriéti foncière au Sénégalw.
1
1

362
Tableau N°47 REPARTITION DU NOMBRE DES HYPOTHEQUES PAR AN ET
SUIVANT LE TAUX D'INTERET CHEZ UN NOTAIRE DAKAROIS.
-----------------~-~~-~--------------------------------
ANNEES.
_Jk
.
6%
7%
8%
9%
10%
11%
12%.
.
TOTAL.
.
A
_
1913
7
1
10
1
21
1
41 • 18%
------- -----------------------------------
·
.------ .----
1914
2
4
2
21
29 • 13%
------- ·----------------------------------- .------ ----
.
1922
1
·3
45
11
62 . 28%
------- -----------------------------------
·
.------ ----
.
1926
1
5
3
9
1
65
85 . 38%
------- ·----------------------------------- .------ ----
.
1934
1
1
1
2
5 .
2%

TOTAL
1.2
1
~s,
~
91
~
':J~
.2:1
1001-
Lé2ende
.
A
Pourcentage de chaque année par rapport au total des
années.
Source : - A.N.S., 3 Q 217 (77) , Etude Maitre Gay, Prêts
hypothécaires.
En principe, le risque encouru en matière de crédit foncier est fonction de la
valeur du gage, de la durée du prêt et de la solvabilité du débiteur. La politique de
couverture du risque tendait à élever le taux. En s'en tenant à notre échantillon, on
constate une rupture très nette qui coïncida avec la première guerre mondiale. Les taux
inférieurs à 10% se réduisaient très nettement. 76% des prêts effectués en 1926 l'étaient
au taux maximal de 12%. Malgré ce taux élevé, la prospérité conjoncturelle rendit
possible la hausse du volume des prêts relativement aux quatre autres années: 38%. A
!
partir de la crise, la tendance se renversait; 1934 ne comptait que pour 2% des prêts
dont 4 sur 5 à un taux supérieur ou égal à 10%. En pleine crise, un prêt immobilier de 5
1
ans avait été octroyé à un taux de 12%, confirmant les données notariales ci-dessus.93
1
1
1
1
93- I~Procès-verbal réunion de la Chambre de Commerce de Dakar, 14 mars 1934.
1
1

363
Les conditions draconiennes imposées par les crédits fonciers furent à l'origine
d'une vive protestation à Dakar. Le 13 juin 1934, le gouverneur général rendait compte
à son ministère d'une pétition de propriétaires dakarois victimes des sociétés de crédits
fonciers. Le mouvement fut déclenché par une certaine affaire Sirk (Cheikh?) Guèye. 94
A la suite d'un prêt immobilier consenti par le Crédit Foncier de l'Afrique Equatoriale
Française de un million de francs. Des malfaçons causèrent un retard dans la
construction confiée à la S.F.E.D.T.P. Le prêt ne put être amorti et les arriérés d'intérêts
irrécouvrables. La situation somme toute banale dans les affaires de crédits. De pareilles
situations se dénouaient en général par la délivrance d'un commandement valant saisie
réelle prélude à la dépossession. Seulement dans ce cas précis, la crise multipliant les
mésaventures foncières des autochtones, l'hypothèque forcée sur le titre de Guèye
catalysa le mécontentement général. Même la section locale de la Ligue des Droits de
l'Homme et. du Citoyen intervint dans la polémique par une interpellation adressée au
gouverneur général de l'A.O.F sur la question. 95 Face à cette pression de l'opinion, les
pouvoirs publics cherchèrent un moyen de "venir en aide aux débiteurs"96 sans remettre
en cause le récent décret pris en faveur des organismes de crédits fonciers.
Expliquant la défaillance des débiteurs, plusieurs éléments sont retenus par les
pouvoirs publics au premier rangs desquels: l'imprévoyance des débiteurs autochtones,
la baisse des loyers, l'insolvabilité des locataires, l'effondrement des prix des terrains. 97
La baisse des revenus immobiliers était estimée par la Chambre de Commerce de Dakar
à 30% pour les immeubles européens et à 50% pour les indigènes, en rapport avec la
période d'avant la crise. 98
Différentes solutions furent alors envisagées : garantir les prêts par l'Institut
d'émission, créer un organisme administratif de prêt comme le crédit agricole,
augmenter les droits d'enregistrement avec possibilité de rembourser ces derniers en cas
de revente de l'immeuble par l'adjudicataire dans un délai de trois ans. 99
1
94- Ut., Lettre du gouverneur général de l'A.O.F au ministre des Colonies, 13 Juin 1934.
95- lli-, Réponse du gouverneur général à la Ugue des Droits de l'Homme et du Cito)'t!n,20 mars 1934.
1
96- xg, Lettre du ministre des &Ionies.
97- lli-, Lettre du gouverneur général à la Ugue des Droits de l'Homme.
98- lli-, Procès-verbal Chambre de Commerce de Dakar, séance du 14 mars 1934.
1
99- lli-, Lettre de la Chambre de Commerce de Dakar au gouverneur du Sénégal, 8 août 1934.
1
1

364
Toutes ces solutions furent écartées au profit de celle proposée par le receveur
des domaines de Kaolack. Il s'agissait d'intervenir sur les mises à prix lors des ventes aux
enchères avec une modulation des droits de mutations.
Les crédits fonciers qui sont les créanciers hypothécaires les plus importants,
s'étant engagés d relever le montant de leur mise d prix si certains allégements leur
sont accordés. 100
La formule retenue
consiste d exQnérer des droits de mutation ou d les réduire ... chaque fois que les
prix atteints seraient égaux ou supérieurs au montant de la créance gagée. 101
C'était là un pis-aBer, car le fond du problème restait entier, à savoir, comment
accéder au crédit gagé sur un bien immobilier sans être, par la suite, dépossédé de son
droit par les créanciers?
L'importance des intérêts en jeu et le rapport des forces entre les protagonistes,
largement favorable aux organismes de crédit, autorisaient l'escamotage du problème
fondamental de l'accès au crédit hypothécaire. La solution adoptée donnait du répit aux
débiteurs en réduisant '7a dette chirographaire qui subsiste généralement à la charge du
sais~ après l'adjudication".102 Les bénéficiaires des revenus du crédit hypothécaire
pouvait encore escompter d'importants gains. A titre d'exemple signalons qu'entre mai
et juillet 1949, la vente d'une partie de son domaine, tiré pour l'essentiel des saisies,
pour une somme légèrement supérieure à 80 millions de francs CFA rapportait au
C.f.O.A 77% de profits sur les fonds naguère avancés. 59% de la somme venaient de
1
l'agence de Dakar.103
l
Les organismes de crédits fonciers ne furent pas les seuls à convoiter la
propriété des autochtones lébou. L'Etat, les entrepreneurs levantins, autochtones et les
!
banques participèrent également à la lutte pour la maîtrise foncière du centre-ville.
1
lOO-lQ.
1
101- Ibid.
102- Ibid.
1
103- A.N.s.: 3 Q 14(20), Organismes bancaires, Compte-rendu CA. du C.F.O.A., 10 novembre 1949.
1
1

365
A un moment ou un autre, les différents groupes sociaux ont été intéressés par
les transactions foncières dans le centre de Dakar. Nous avons tenté à partir des cas
précédemment étudiés de voir se dessiner une stratégie des groupes ethniques qui
composent le monde des affaires. Il s'agit à partir de là, de voir sur un échantillon de 200
titres fonciers comment se comportèrent les catégories socio-professionnelle que nous
avons déjà définies.
1
1
1
l
1
1

366
IV ; LES STRATEGIES FONCIERES COLLECDVES
Du début du siècle à 1973, l'Etat fut le plus grand propriétaire foncier à Dakar.
Il acquit la quasi totalité de ses titres au lendemain de la réglementation introduite par
le décret de juillet 1906, par immatriculation des terres concédées par l'accord de 1905.
Très peu de titres lui provenaient d'achat ou de transactions financières. Une fois
acquis, l'Etat s'est très peu livré à la vente, les rares pertes de superficies enregistrées
étaient dues à des échanges. Il en acquérait également par expropriation pour cause
d'utilité publique,
en
particulier,
avec
la mise
en
oeuvre
des
programmes
d'aménagements urbains du S.T.A.G.D. financés par les fonds du F.I.D.E.S.
La grande accumulation des titres fonciers pour les grandes entreprises
commerciales, industrielles et de services européennes débutait avec la crise
économique de 1930. En dehors des deux périodes de relative instabilité ; les
quinquennat de la deuxième guerre et de la veille de l'indépendance, la progression des
superficies conservées par ce groupe, était restée constante. Notons cette légère
augmentation des ventes dans les premières années de l'indépendance du Sénégal,
traduisant certainement l'inquiétude des grandes entreprises face aux réformes
économiques initiées par le nouvel Etat. Cela ne dura pas top longtemps, une fois la
stabilité politique revenue. La formation de cette important patrimoine est à liér avec la
présence dans ce groupe des grands organismes de crédits fonciers tels que le C.F.O.A
et les banques.
Les commerçants indépendants européens de petite et moyenne importance
1
eurent deux attitudes nettement séparée dans le temps. Après avoir acquis un
patrimoine foncier relativement important dès le décret de 1906, ils vont jusqu'en 1944
1
équilibrer plus ou moins bien les acquisitions et les ventes. Dans cet équilibre il y eut
des pointes d'intenses activités accompagnant l'expansion économique des années vingt.
1
A la veille de la deuxième guerre, la tendance au désinvestissement foncier l'emportait
de façon significative sur les acquisitions de titres. L'après-guerre fut marqué par la
1
conservation de la superficie acquise antérieurement avec deux périodes d'exception. Le
quinquennat 1945-1949 connut quelques ventes liées sans doute à l'incertitude de
1
J'avenir colonial avec les premières réformes et mouvement politiques d'importance en
AO.F.
1
1
1

367
La deuxième période exceptionnelle coïncida également avec le moment
d'incertitude politique et économique des premières années d'indépendance dont nous
avons signalé l'effet similaire produit sur les grandes entreprises européennes.
Contrairement
aux
grandes
entreprises,
les
petites
entreprises
commerciales
continuèrent à se débarrasser de leurs titres. La propriété foncière des commerçants
autochtones était fortement corrélé à la conjoncture et en conséquent au niveau atteint
par leurs affaires. Les quinze premières années du siècle, marquées par l'érection de
Dakar comme capitale de l'AO.F, a dû jouetun rôle dans ces acquisitions pour une
nouvelle installation. A partir du quinquennat 1915-1919 ils se livraient à quelques
ventes encore timides.
La crise de 1930 déclencha une accélération de ce mouvement, accompagnée
d'une nette diminution des acquisitions. Le maximum des ventes se réalisa durant la
période 1930-1934; la tendance devait se maintenir durant toute la deuxième guerre
mondiale et se poursuivit jusqu'en 1954. La reprise de l'investissement dans le foncier
coïncida avec la renaissance du monde des affaires autochtones, toute la première
décennie des indépendances fut consacrée à la reconstitution du patrimoine foncier des
commerçants autochtones. Le premier quinquennat des indépendances n'enregistra
aucune vente et prenant à contre pied l'attitude des milieux d'affaires européens, les
autochtones acquerraient et conservaient une position relativement importante par
rapport à leur situation antérieure. Etait-ce la traduction d'un espoir prochain de
promotion des affaires autochtones par le nouvel Etat? C'est une hypothèse à retenir.
Elle fut certainement à l'origine de ce reproche souvent fait par les économistes aux
hommes d'affaires autochtones d'être plus spéculateurs fonciers et immobiliers que
capitaines d'industrie. Nous avons déjà émis un point de vue sur cette propension des
autochtones à investir dans le foncier. Il faut peut-être même nuancée cette affirmation
en rappelant que l'investissement du foncier constitue un moyen d'accès au crédit et un
placement des plus sûr pour un groupe à la marge des affaires les plus rentables.
A côté de l'Etat et des hommes d'affaires toutes origines confondues, d'autres
groupes socio-professionnelles se livraient aux transactions foncières dans une moindre
mesure.

368
y ; UN CAS PARTICULIER. LA PRATIQUE FONCIERE LEYANTINE ; LE
CONTOURNEMENT DE LA LOI
Varrêté du 4 mars 1926 exigeait des propriétaires fonciers de la ville de Dakar
une mise en valeur minimale de leur immeuble. Celui du 27 avril 1927 distribua les
terrains de ''Tound'' aux familles lébou à raison d'un titre par famille avec une clause
d'inaliénabilité pour 15 ans. L'article 11 de l'arrêté de 1926 n'autorisait les locations que
pour les indigènes.
Pour contourner ces difficultés, les spécialistes de la question foncière en
particulier les notaires utilisèrent le système du bail emphytéotique ou bail à
construction. Le propriétaire cédait pour une durée pouvant atteindre 99 ans la
jouissance de son bien à l'emphytéotite qui s'engageait à construire un immeuble
conforme à la valeur exigée par la loi. Au terme du délai, le propriétaire rentrait dans
son bien sans indemnité au preneur. L'origine de cette pratique assimilable au leashold
anglais de la période victorienne a été à tord attribuée à l'Australie. Elle constitue un
type de gestion foncière exceptionnel dans les villes d'Afrique sous domination
française. Elle a été également mise en oeuvre dans la ville camerounaise de Douala.104
Les commerçants levantins furent les principaux usagers de ce contournement
de la réglementation. L'histoire du titre foncier "2664" est un exemple caractéristique de
cette pratique. Il est situé dans le quartier Dieko des anciens villages lébou de Dakar,
dans le lieu-dit Tound, à l'angle des rues Grasland et Gambetta (actuelle Lamine
Guèye).
1
1
1
l
1
104. G. MAINET: Douala. croissance et servitude~ Paris, L'harmattan, 1985, p.388.
1
1

369
Le 27 avril 1927, l'adminjstration de Dakar et Dépendances distrayait du titre
foncier "45" une contenance de 288 m2 attribué à Samba Niang cultivateur lébou.
L'immeuble fut frappé d'une clause d'inaliénabilité pour 15 ans. Niang accorda aussitôt
un bail emphytéotique de 30 ans à un employé de commerce Jean Joseph André Dacos.
Le contrat faisait obligation au preneur de verser une indemnité forfaüaire de 5.000
francs et un loyer mensuel de 50 francs et une charge de 15.000 francs. Il s'engageait
également à édifier sur le terrain une "construction à usage d'habitation européenne
évaluée à 30.000 francs". Le procès verbal du 16 décembre 1938 dressé par l'architecte
agréé estima la valeur de l'immeuble construit à 100.000 francs. A prix égal, un pacte de
préférence à la vente fut signé entre les contractants de l'emphytéose.
Le premier juin 1942, le bail et toutes ses clauses en annexe furent cédés à un
agent de commerce grec contre une indemmté forfaitaire de 270.000 francs. Le 23 juin
1944, il fut l'objet d'une nouvelle cession à Nadra Filfili commerçant libanais contre une
indemnité égale à la précédente. Filfili à son tour vendit à un de ses compatriotes,
commerçant à Dakar Zarzour Joseph le droit acquis à 400.000 francs. Le 4 septembre
1953,le bail est prorogé pour trente ans exactement jusqu'au 31 mars 1983. L'indemnité
est porté à 700.000 francs et les charges à 600.000 francs CFA Le titre était ensuite
hypothéqué à la Société Electrique et Industrielle du Baol (S.E.I.B.) pour un prêt de 14
millions de francs en deux annuités sans intérêt le 3 août 1955. La clause d'inaliénabilité
ne fut levée que le 8 février 1960 et le même jour, le titre était vendu à Zarzour pour la
somme de 2.400.000 francs CFA
De nombreuses propriétés foncières autochtones du centre ville de Dakar
connurent un sort identique à celui de ce cultivateur lébou. Certains baux arriveront à
expiration bien après la fin du présent millénaire. Ils constituent un problème de taille
qui a suscité la naissance d'une orgamsation des propriétaires de Dakar luttant pour une
abrogation des baux consentis aux levantins. Lors de leur congrès de 1981, la résolution
estimait
1
que tous les baux emphytéotiques qui ont été extorqués aux lébou par les Libanais
sont nuls et de nul effet.
t
l
1
1

370
Il est donc tk justice, tk dicitkr cene nu//iti, ou tout au moins tk promouvoir la
suspension tks effets tks baux emphytiotiques par les autoriUs publiques, afin tk
.
1
-1:
. . . . 1
.~.
. , .
-I~l' lOS
restituer es ",ts terrtllns Il eurs propndalres onglflalres, el sans uc al .
En plus des baux, objet de nombreux
litiges, les levantins se sont constitué
d'importantes fortunes foncières.
Nadra Filfili arrivé au Sénégal en 1923 intervenait pour la première fois dans
une transaction foncière inscrite sur les livres fonciers de Dakar-Gorée à la veille de la
deuxième guerre mondiale. Il acquit son premier droit réel sur un titre foncier en 1938
sous la forme d'un droit d'usage temporaire (D.V.T.). Il faisait à l'époque
ses premières armes dans le commerce dakarois. Jusqu'en 1954, il se limita à
contracter des baux qui le liaient sans intermédiaires aux propriétaires coutumiers
autochtones. Ils leur consentaient également des crédits sur garantie hypothécaire. Par
achat et adjudication, il acquit un certain nombre de titres de ses débiteurs et auprès
d'autres propriétaires.
L'ensemble des droits acquis a porté sur une superficie totale de plus d'un
hectare.106 Avant et pendant la guerre, Filfili se limitait à l'acquisition de baux de plus
ou moins longue durée. Ils servirent à son inst~llation dans le quartier du commerce
levantin dakarois autour de l'avenue Gambetta (actuelle Lamine Guèye). C'est
longtemps après la guerre, qu'il accéda au statut de copropriétaire. Ces titres acquis lui
servirent de garanties auprès des organismes bancaires lui accordant des crédits. Ainsi le
titre foncier "2265" fut hypothéqué auprès de la Banque Sénégalaise de Développement
contre un crédit de 29,25 millions de francs CFA en 1958 pour un paiement échelonné
jusqu'en 1963. Comme la grande majorité des levantins, le principal de son activité
foncière était dirigé vers les baux emphytéotiques. Il en a acquis pour 1800m2 couvrant
6 titres fonciers. Ce type de contrat très rentable sur une longue période avait pour
aboutissement la propriété du titre par le preneur bénéficiant très fréquemment du
pacte de préférence. Il n'a pas manqué de se livrer à l'occasion à la spéculation. Ainsi le
titre "2273" de A Dème acheté en septembre 1969 à 200.000 francs CFA était revendu à
1
une société anonyme libanaise \\deux mois plus tard à 7.000.000 francs CFA
1
l
lOS- CIU par A. B. DIOP: QJL9!., 1984.
106- cr. tableau N"48
1
1

371
TRANSACTl ONS fONtI IRES DES COMHEP.CANTS LEVA~T l liS
78e08'"
358C0
&BBBe l:··
3B868
El SUPERFI Cl r
5888B ...,
25888
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lŒHDUE
48B8B
28888
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ACQUISE
3e86B
15eee
-'- SUPERFI Cl E
280ea
18888
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lBBBB
5868
8
8
1981911911921921931931941941951951% 1% 197
7 8 5 8 5 8 5 B 5 8 5 8 5 B
QUINQUENNAT

372
Les levantins ne se limitèrent pas seulement à l'acquisition de titres de propriété
et de baux. Ils édifièrent des immeubles de rapport répondant à la permanente crise du
logement à Dakar. Abdou Karim Bourgi un grand propriétaire libanais possédait en
plein centre commercial de Dakar de nombreux immeubles construits du lendemain de
la guerre aux premières années de l'indépendance. Au total c'est 5769 m2 répartis entre
quatre titres fonciers situés aux avenues Gambetta, Clémenceau, sur la route de
l'abattoir et à la rue Thiers.
VI ; LES STRATEGIES FONCIERES INDIVIDUELLES
r/ Mamadou Alassone Ndaye : entrepreneur et notable /ébou
Ses origines lebou lui furent particulièrement favorables dans l'accumulation de
son patrimoine foncier. De 1925 à 1940, Ndoye a investi 150.000 francs dans l'acquisition
de titres fonciers à Dakar. L'investissement lui procurait en tout 77 hectares de terre qui
furent progressivement revendus. La revente rapportait environ un million de francs
dans la période. Cependant plus de 80% de son patrimoine provenait d'immatriculation
de terrains relevant jusqu'alors du droit coutumier. Il réalisait beaucoup d'achats auprès
des' membres de sa communauté d'origine. Sa connaissance des rouages administratifs
contribuait à faire de Mamadou Alassane Ndoye l'artisan de plusieurs immatriculations
pour de tierces personnes. Il bénéficiait ainsi d'un droit de préférence implicite lors de
la
vente
de
ces
titres
fonciers
nouvellement
établis. Le patrimoine des propriétaires autochtones a partant fait l'objet d'une
spéculation rapportant des gains énormes à Ndoye. Il est évident qu'il tira largement
profit de l'opacité d..
marché en tant qu'intermédiaire entre les membres de sa
communauté d'origine et les autres acteurs du foncier dakarois. Les données recueillies
dans les livres et dossiers des archives de la Conservation Foncière l'illustrent
parfaitement.I07
107· Cf. Figure N"23

373
Figure N° 2.3 : TRANSAcnONS FONCŒRES DE AMADOU AlASSANE NOOYE
6eeeee
6B888B
588eee
5BBBBB
~ SUPERFICIE
CEDEr (h1t )
188688
486888

SUPERFICIE
ÂCQUl sr (lIIt )
388666
388868 mt
-"- SOLDE CUMULEE
2B~~6ô
2886B6
DES GAINS ET
PERTES DE
SUPERflCIL
1B8BBB
1BBBBB
8
,~
e
192192 192 193193193 193193193193193 194 194 194194
5 6 9 8
1 Z 3 5 7
8 9 e 1 3 4
ANNEES
1
l
1
1
1
1
1
1

374
2°/ L. A. Delorme et E. Bouquereau : petits commerçants et grands propriétaires fonciers daJuuois.
La carrière coloniale de Louis André Delorme représente un itinéraire
classique dans le monde colonial dakarois. Il naquit le 19 avril 1886 à Contras dans la
Gironde. En 1928, son nom figurait sur la liste des électeurs de la chambre de commerce
de Kaolack comme représentant de la Banque Française d'Afrique (B.F.A). Quatre ans
plus tard, il s'inscrivait à son propre compte comme commerçant à Dakar. Avec deux
autres entrepreneurs, il fonda la société en nom collectif "Delorme Bordes Castagné".
En 1951, il apportait le titre foncier "2757" à la Société Industrielle et des Bois
Coloniaux (S.I.BO.CO.). Cependant son nom reste lié aux transactions foncières
dakaroisef En 1952, il cédait avec beaucoup de facilités d'achat un titre foncier acheté
avant la guerre. En reconnaissance à cette prodigalité, les acquéreurs donnèrent à leur
quartier le nom de leur bienfaiteur. Ainsi naquit le quartier dakarois Fass-Delonne situé
hors du centre de Dakar.108
Sa stratégie a été moins spéculative. Il achetait des titres qu'il revendait une
vingtaine d'années après. Au total, il a acquis une vingtaine d'hectares durant la période
de la crise de 1930 tant auprès des propriétaires coutumiers lébou que des
intermédiaires fonciers. Il a octroyé trois prêts garantis par des propriétés de droits réels
qui lui valurent deux adjudications de titres fonciers d'autochtones. Le troisième fut
accordé en 1931 à un commis de l'enregistrement. La plus grande partie de son
patrimoine finit par être appropriée par l'Etat par expropriation ou vente durant la
deuxième guerre mondiale. Le reste revint à Marguerite Delorme en héritage.
Ernest Bouquereau naquit à Issoudeur dans l'Indre en 1876. Entrepreneur des
travaux publics, il fut également l'un des plus grands propriétaires fonciers français de
Dakar. Il s'est chargé lui-même d'immatriculer des titres acquis auprès de propriétaires
autochtones pour se charger ensuite de la procédure administrative suite au décret de
1906. Il investit ses propriétés dans deux sociétés immobilières.
- La Société Africaine de Gérance Immobilière: T.F. 993 et 234 en 1932.
- L'Entreprise E. Bouquereau et Cie: Titre Foncier ND 666, 668 et 905 en 1931.
1
1
108- M. VERNIERE: "Les oubliés de la "Haussmaoisatioo"_", 1977.
1
1

375
Il apportait en 1950 le titre foncier 663 à la Papeterie Générale Africaine
(PAGENA), société montée par le groupe des Bordelais du Sénégal. Plus que Delorme,
il a fait bénéficier aux commerçants autochtones de crédits hypothécaires. 109
109· cr. Tableau N" 49.
1

376
Fi2Ure W49 : LE CREDIT HVPOrnECAIRE CONSENTI PAR E. BOUQUEREAU
TRANSACTIONS FONCIERES DE E. BOUQUEREAU
25H88
28B88
li SUPERFJ Cl E
ACQUISE ht)
15888

SUPERFICIE
CEDEE (r)
18888
-A- SOLDE CUMULE
DES GAI MS l.i
PEnES DE
58ee
SUPERFICIE
TRANSACTIONS FONCIE~ES DE A. DELORME
188888
1964";;;;':·-···".,..~·
1953
168888
1951
Il
HB8BB
SUPEJlFICJE
ACQUISE (Ill)
19491&_ilIJ
128888
194s)li_.e·'·ii"""
iii SUPERFJ CI E
1942._11
Hl8B88
CEDEE (Ill)
l ANNEES 1941 >
8888H
1939 t.
-A- SOLDE CUMULE
1932• • • •m
68888
DES GAIHS li
PEIlTI:S DE
1
19381
:_!II
1 9 3 1 ' : : : : : : : : : : - : "
48888
SUPERFICIE
1925
28888
1
1918
8
1
8
188B8 28888 38888 48888 58888 6888878888 B8888 98888
MrI'JlES CIIRRES .
1
1


377
Les prêts étaient généralement de longue durée, plus de dix ans. Ce qui laisse
supposer que ce sont des prêts immobiliers. Bouquereau profita des difficultés nées de
la crise de 1930 pour étoffer son patrimoine foncier.
Les cas que nous venons d'étudier montrent que les commerçants français de
Dakar spéculèrent moins que les autochtones dans la propriété foncière. Ils ne
manquèrent pourtant pas de profiter des opportunités ouvertes par la conjoncture. Ils
misèrent plutôt sur la rentabilité à long terme du placement foncier, s'attachant les
préférences à la vente des titres des autochtones par de substantiels crédits
hypothécaires. Les entrepreneurs autochtones plus vulnérables dans les moments de
crise économique et accédant plus difficilement au crédit bancaire, s'investirent plus
dans la propriété foncière. Avec l'indépendance du Sénégal, les banques publiques et
semi-publiques jouèrent un rôle plus important dans le crédit foncier. Elles s'adressaient
à une clientèle plus diversifiée.
VII; BANOUES ET CREDITS HYPOTHECAIRES APRES 1960. UNE FAIBLE
PART POUR LE MONDE DES AFFAIRES AUTOCHTONES.
Il a été procédé, à partir des données recueillies sur les crédits consentis par les
banques, à un traitement dont les résultats, ci-dessous exposés, indiquent le numéro du
titre foncier gagé (NUM), la superficie (SVP), la date de l'inscription hypothécaire, le
crédit ouvert (SOMME), l'échéance de la dette, le nom du débiteur et sa profession le
cas échéant. Quand un prêt est garanti par plusieurs titres, la montant de la créance
n'est indiqué qu'une seule fois. Les listes établies par ordre chronologique d'inscription
du crédit exprimé en francs courants.

378
ri L'Union Sénégalaises des Banques: U.S.B.
De toutes les banques de notre échantillon, l'V.S.B., organisme bancaire semi-
public, avait le plus usé de la garantie hypothécaire de ses créances. 110 La participation
publique à son capital n'était pas étrangère à la diversification de sa clientèle. Son
intervention s'était massivement dirigée vers l'industrie et le commerce, dans une
moindre mesure vers les professions libérales et artisanales. Le crédit global en francs
courants de plus d'un milliard francs CFA prêté entre 1961 et 1970 se répartissait
comme suit:
Tableau N° 50 : REPARTITION SECTORIELLE DES CREANCES
HYPOTHECAIRES DE L'U.S.B.
(en millions de francs CFA courants)
SECTEURS
. SOMME
%
OBSERVATIONS
------------------------ ·-------- .--------- .----------------
INDUSTRIE
420
39
------------------------ ·-------- .--------- .----------------
SOCIETES
430
40
. DONT 82,5% A
COMMERCIALES
MAUREL ET PROM.
------------------------.--------.---------.----------------.
COMMERCANTS
17
2
------------------------ --------
·
---------
. .---------------- .
ARTISANS
24
2
------------------------ ·-------- .--------- .----------------
PROFESSIONS LIB.
58
5
HAUTS-FONCTIONNAIRES
------------------------.--------.---------.----------------.
SOCIETES IMMOBILIERES
80
7
ENTREPRISES DU BATIMENT •
------------------------ --------
·
---------
.
.----------------
AUTRE
46
4
CHEFS RELIGIEUX
Source: Archives de la conservation foncière de Dakar, livres
fonciers
110- La part de l'Etat a toujours été importante dans le capital de l'V.s.B. en association avec le Crédit
Lyonnais.
1961: 51%
1964 : 44,35%
1970 : 51,09%
G. ROCHETEAU: Op. Cit., pp. 77, note N"9.

379
Dans l'ensemble, les autochtones étaient bien représentés parmi les débiteurs
de l'U.S.B. La composition des débiteurs hypothécaires conforte l'hypothèse de l'accès
au crédit à travers le parrainage du pouvoir politique. Parlementaires, hauts cadres de
l'administration. responsables du parti au pouvoir et chefs religieux forment la majorité
des débiteurs particuliers. Un phénomène similaire était notable dans la répartition du
créditdes entreprises bancaires entièrement publiques.
2°/Les banques publiques de développement
Nous avons recensé les crédits de deux banques publiques post-coloniales: la
Banque
Sénégalaise
de
Développement(B.S.D)
et
la
Banque
Nationale
de
Développement du Sénégal(B.N.D.S.) qui lui succéda.
La RS.D. fut créée en janvier 1960. Son doublet spécialisé dans le crédit
hypothécaire était le Crédit du Sénégal. La B.S.D. accorda en tout quatre prêts garantis
par des droits de propriété foncière. Deux furent accordés à des entrepreneurs libanais:
Nadra Filfili commerçant et agro-industriel d'origine libanaise bénéficia pour onze ans
d'un crédit de 21 millions (du 10 octobre 1963 au 4 octobre 1974), Khalifat Maurice
industriel de même nationalité 4,5 millions du 6 février 1964 au 11 avril 1970. La Société
Sénégalaise de Vêtement, (entreprise semi-publique) reçut 11 millions de francs pour 6
ans à partir d'avril 1962, et la Société Civile Immobilière des Allées Canard: 64,9
millions pour 12 ans de novembre 1964 à mai 1976.
A partir de 1964, la Banque Nationale de Développement du Sénégal
(B.N.D.S.) fusionna les deux précédentes entreprises bancaires. Les petits et moyens
fonctionnaires : secrétaires, commis, enseignants furent les principaux débiteurs
hypothécaires de la RN.D.S. dix sept engagements pour un total de plus de 500 millions
reçurent la couverture d'un titre foncier de Dakar.
En définitive, les banques n'ont en aucun moment constitué une concurrence de
taille face aux entreprises spécialisées de crédit foncier dans les prêts hypothécaires.
en
Cette absence relative tient au fait que les organismes de crédit foncier était pour la
plupart une émanation des banques privées. Ils en étaient les doublets spécialisés dans
ce secteur. Le cas le plus manifeste de cette spécialisation restait la S.I.F.A contrôlée
par la B.C.A

380
Une autre remarque importante est la très nette prééminence des personnes
physiques dans ces transactions foncières. En particulier quelques autochtones se
distinguèrent comme propriétaires, créanciers ou débiteurs sur gage foncier. Ils
appartenaient, pour la grande majorité d'entre eux au milieu autochtone lébou du Cap-
Vert, à la haute hiérarchie des confréries religieuses ou étaient commerçants ayant
pignon sur rue dans le quartier dakarois des affaires.
Les différentes stratégies de tous les entrepreneurs et acteurs fonciers,
autochtones comme étrangers, aboutissaient à la dépossession des propriétaires
coutumiers de la communauté lébou dakaroise.
Ce bref panorama n'épuise pas la panoplie des variantes de la pratique foncière
dans le centre urbain dakarois. Il nous a cependant permis de dégager les grandes
orientations des principales composantes du monde des affaires. La constante reste, au·
delà de l'usage qu'on en fait, l'accumulation de la propriété foncière au détriment des
propriétaires autochtones coutumiers. L'argent est resté le moyen par excellence
d'expropriation, même si l'Etat par le biais de ses réglementations a appuyé la stratégie
des organismes de crédit foncier. Ces derniers jouèrent le rôle primordial dans
l'accumulation des richesses en milieu autochtone d'intermédiaires dans les transactions
foncières.
La connaissance des rouages administratifs fut une ressource décisive dans le
contrôle du nouvel espace urbain en pleine mutation au lendemain de la deuxième
guerre mondiale. Mais déjà à partir de la crise de 1930, on peut dire que les jeux sont
déjà faits. Le cadre juridique était mis en place pendant les premières années du
marasme économique. Les moyens financiers n'avaient plus qu'à jouer leur rôle de
dissolvant sur les anciens rapports fonciers par l'intermédiaire des organismes de
crédits. Le contrôle du centre dakarois des affaires passait en d'autres mains. Au regard
des droits acquis par les sociétés et entrepreneurs privés dans le centre de Dakar depuis
le décret de 1906, il est possible de conclure que le règlement de la question foncière
dans l'urbanisation de Dakar a été, pour une grande partie l'oeuvre du monde des
affaires.

381
La conquête de l'espace central dakarois mobilisa, tout le siècle durant, de
nombreux acteurs. Le premier d'entre-eux l'Etat, mit en place un dispositif juridique
délimitant le champ d'action des acteurs. Il n'en constitua pas la limite; il fut souvent
contournée voire détournée par les différentes stratégies qui s'affrontaient dans ce
champ. Le rapport de force qu'il cristallisait fut particulièrement défavorable aux
propriétaires coutumiers. Il participa dans une large mesure à leur éviction du centre
dakarois des affaires. Comme ressource, Il venait s'ajouter à la puissance financière des
entreprises de crédits fonciers qui dominaient largement le champ.
Le foncier fut le lieu par excellence de cet omnipotence de l'Etat colonial qui
marqua de son sceau tous les compartiments de l'économie coloniale. L'intervention
décisive de l'Etat facilita l'entrée enjeu d'un nouveau pouvoir celui de l'argent. Il
accéléra la dissolution des rapports de propriété foncière par la dépossession des
autochtones coutumiers. Ces derniers pris dans le jeu sécrétaient en leur sein un groupe
d'intermédiaires fonciers, position fort lucrativement rémunérée. Les comportements
fonciers de l'ensemble des entrepreneurs se calquaient sur la conjoncture économique et
la situation politique tout en restant fortement déterminés par la fonction de refuge
sécurisant qu'il constitua en toute période et de moyens par excellence d'accès au crédit.
Encore une fois l'Etat colonial puis post-colonial démontrait amplement à
travers la réglementation foncière et l'étendue de son domaine urbain toute son
omnipotence. Dans le foncier plus qu'ailleurs, l'autonomie du monde des affaires ne put
s'affirmer qu'en se mettant à la remorque de la politique de l'Etat.

382
CONCLUSION GENERALE.
L'espace urbain dakarois et sa vaste zone d'influence ouest africaine fut, au
cours de ces quarante trois années, de 1930 à 1973, le théâtre de mutations politiques et
économiques profondes. Ces transformations se sont inscrites dans la permanence d'une
économie de traite largement dépendante de la conjoncture mondiale en général et
française en particulier.
Cette dépendance a emprunté pour l'essentiel deux canaux de transmission: les
grandes entreprises commerciales qui dominèrent l'espace économique ouest africain et
l'Etat colonial et son successeur post-colonial, véhicule par excellence des besoins
métropolitains. Le poids de la dépendance, sous sa forme
coloniale comme
néocolonialc:;
fut, pour ainsi dire, déterminant dans le modelage de la
structure économique, dans la hiérarchisation du monde des affaires et dans les rapports
de celui-ci à l'Etat.
Le dévoilement des racines du sous-développement, à travers une analyse de ces
rapports a produit une abondante littérature économique et historique. Vu sous cet
angle, l'économie sénégalaise est un des maillons de la grande chaîne de l'économie
capitaliste mondiale, située sous sa sphère sous-développée. En conséquence, rien ne la
distingue des autres pays du tiers-monde pris dans l'engrenage des perpétuels
réajustements, mis à l'ordre du jour par la conjoncture des économies dominantes du
centre.
Pour échapper à cette réduction uniformisante, le présent travail est parti d'un
espace plus réduit pour éclairer la stratégie des différents acteurs du monde des affaires
dakarois. Sous ce rapport, il est possible de conclure que le les différentes composantes
du monde des affaires ont, dans la plupart des cas, reçu et remodelé suivant leurs
intérêts, en fonction de leurs moyens économiques, politiques et institutionnels, les
sollicitations extérieures et la politique de l'Etat.
Quel bilan tirer de ce demi siècle d'histoire économique et sociale?

383
Au moment où apparurent les premiers signes de la crise de 1930, la
spécialisation arachidière du Sénégal était devenu
depuis fort longtemps ancrée dans
l'activité économique du pays. Les solutions envisagées pour remédier à la crise furent
recherchet~ dans le redressement des cours effondrés de la graine oléagineuse. La
réponse à cette question opposa le monde des affaires dans son ensemble au pouvoir
colonial.
Les
grandes
entreprises
françaises
qui
monopolisaient
l'import-export
disposaient de moyens puissants pour faire face au marasme économique. Cependant,
elles payèrent un lourd tribut à la débâcle. Liquidations faillites et pertes se
multiplièrent.
Pendant les années fastes de la décennie précédente, elles avaient ramifié, à
partir de leurs agences de Dakar, leurs réseaux de comptoirs, de factoreries et
d'opérations des villes-escales, des centres et points de traite les plus reculés dans la
zone de culture arachidière. Avec la crise, elles furent contraintes de réduire leurs
installations sommaires à l'intérieur du pays. A partir de ce moment, s'opéra une double
mutation dans le monde des affaires. D'une part, la capitale de l'AO.F. devint un enjeu
pour les entreprises de traite, d'autre part, leur retrait de l'intérieur laissa ouvert un
créneau dans le rôle d'intermédiaires entre les producteurs/consommateurs ruraux et
les maisons d'import-import.
La lutte pour occuper ce créneau se dénoua au profit des levantins et au
détriment des commerçants indépendants français et des traitants autochtones déjà
marginalisés par la crise de la gomme du milieu et de la fin du siècle dernier. Cette
nouvelle hiérarchie donnait naissance à une violente opposition entre les petites et
moyennes entreprises selon leur appartenance ethnique.

384
Dans les hautes sphères de l'Etat, une timide de remise èn cause du mode
d'exploitation des colonies jetait les bases de l'impérialisme colonial qui allait s'affirmer
à l'issue de la seconde guerre mondiale. Les voeux des autorités politiques
métropolitaines eurent dans l'immédiat moins d'effets que la politique défensive des
grandes firmes coloniales et la prolifération des levantins dans l'espace économique. Le
recours à une solution fiscale de la crise se heurta à l'opposition des entreprises qui
finirent par obtenir la protection douanière des oléagineux coloniaux avec la loi du 6
août 1933. L'une des conséquences les plus importantes de la dépression fut la
multiplication des
industries de
valorisation de
l'arachide avec l'implantation
d'entreprises de décorticage et des premières huileries dakaroises. Cette industrie dans
de
le sillage>Ja traite arachidière n'entraîna pas une transformation significative du volume
des capitaux investis restés particulièrement dérisoires jusqu'au second conflit mondial.
La volonté affirmée du Front populaire ne parvint pas à bouleverser les
données de l'économie de traite ni à éliminer ses tares originelles. Tout au plus, elle
permit l'émergence des premières organisations syndicales patronales concentrées à
Dakar. Le petit commerce français fut seul à saisir cette opportunité qui lui permit
d'affirmer une plus forte présence à la Chambre de Commerce. Celle-ci fut l'enjeu d'une
longue bataille qui dura jusqu'en 1969 entre entrepreneurs français et autochtones.
Le pouvoir vichyste de l'A.a.F., sous la contrainte de la rupture des liaisons
maritimes fut la première à mettre au point un plan d'industrialisation de la colonie.
L'appareil industriel français, soumis à rude épreuve par la guerre, est suppléé par
l'huilerie sénégalaise dans le ravitaillement de l'Afrique du Nord puis de la métropole.
La conférence de Brazzaville prit acte de ce processus d'industrialisation devenu
irréversible et qui profita en priorité à la ville de Dakar. Au lendemain de la guerre, le
tissu industriel de la région de Dakar enregistra un essor remarquable sous l'impulsion
des flux de capitaux privés métropolitains drainés dans le sillage des investissements
publics et des financements de la c.c.F.a.M. ~ du F.'. D.E.S.
Cette forte poussée industrielle et la priorité que lui accorda le pouvoir
ut
colonial remir), en cause la domination des vieilles maisons de commerce dans
l'économie sénégalaise, sans supprimer dans ses grandes lignes la traite. A la
subordination commerciale de la colonie s'ajoutait avec l'industrialisation une
dépendance financière et technologique.

385
La forte demande d'huile sur le marché mondial à la suite de la guerre fut
qUI
brutalement interrompue par la récession du début des années 1950~ acheva de
convaincre les grandes firmes coloniales de l'anachronisme économique de la traite
traditionnelle. La reconversion s'opéra à travers une concentration de leurs affaires dans
la capitale et l'investissement de créneaux ouverts par la poussée démographique
urbaine. Leurs anciens intermédiaires levantins suivirent le mouvement dans les
~n"ees
demières~ de la colonisation. Seuls s'accrochèrent au commerce rural, les traitants
autochtones.
Le comportement passéiste et marginal des entrepreneurs autochtones les
confronta aux tenants de l'appareil d'Etat dans le contrôle du "surplus rural. "
Durant la décennie qui sépare la date d'indépendance du Sénégal et le terme
final de notre étude, aucun des gouvernements qui ont eu à diriger le pays, n'a affirmé
une politique délibérée de lutte contre l'entreprise privée autochtone. La bourgeoisie
d'affaires sénégalaise au sortir de la colonisation ne fut pas confrontée aux difficultés
auxquelles certains de ses homologues ouest africaines eurent à faire face. Par leur
orientation politique, les Etats guinéen sous Sékou Touré, malien sous Modibo Keïta et
ghanéen sous Kwamé Nkrumah si on se limite à l'Afrique de l'ouest anglophone ou
francophone, ont réduit l'espace économique d'expression d'une bourgeoisie d'affaires
autochtones à sa portion congrue.lll Dans ces trois pays, les Etats partageant avec le
Sénégal une même proclamation de foi "socialiste" comme idéologie de développement
menèrent une lutte radicale contre l'entreprise privée autochtone en général et les
commerçants en particulier.
Les politiques économiques mises en oeuvre par ces Etats ont toutes, sans
exception abouti à des impasses et des crises qui ont conduit à des coups d'Etat
militaires et des complots endémiques plus ou moins réels. Le Sénégal a très tôt
expérimenté ce mode de résolution de la contradiction. Après deux ans de souveraineté
marquée par une restructuration économique remettant en cause l'activité des
l
commerçants autochtones dans la traite, il s'en suivit une crise politique qui mit fin au
pouvoir du premier gouvernement.
1
l
111- B. K. CAMPBELL et H. BERNSTEIN: (ecL), Op. Cit.,I98S.
- S. AMIN: Trois Expériences Africaines de Dévelop,pement. le Mali. le Ghana et la Guinée, PUF, 1965.
1
1

386
9U~
Le constat est qu'au bout du compte, quellQ).. soit la politique affirmée par ces
différents Etats, les résultats présentent des similitudes frappantes. Nulle part, la classe
tenant le pouvoir politique n'a réussi à démanteler le groupe d'entrepreneurs
autochtones issu de la colonisation. Mais dans aucun de ces pays, l'émergence
irréversible d'une bourgeoisie nationale autonome, c'est à dire capable de s'assigner,
indépendamment de la volonté de la direction politique du pays, la tâche d'un
développement capitaliste national pose encore problème.
La question initiale posée en introduction à ce travail portait sur les raisons de
l'impasse de la politique poursuivie par les responsables de l'Etat indépendant du
Sénégal dans la promotion d'une classe d'hommes d'affaires autochtones. La remise en
cause de l'ordre économique colonial ne fut pas suffisamment radicale pour sortir
l'entreprise privée autochtone de sa marginalisation.
L'Etat indépendant du Sénégal hérita du pouvoir colonial une situation
économique très vulnérable à la conjoncture mondiale parce que essentiellement fondée
sur l'exportation de l'arachide. La sanction des cours mondiaux, avec la fin en 1966 des
"surprix" français, et une série de sécheresses au cours de la première décennie
d~voilèrent toute la fragilité de l'appareil économique, accentuée par la poursuite de la
politique coloniale d'industrialisation par substitution aux importations, dans une
Mrique de l'Ouest morcelée en micro-Etats indépendants. Il en découla une crise rurale
sans précédent, à l'origine d'une accélération des activités informelles déjà très ancienne
dans le tissu urbain dakarois.
L'entreprise privée autochtone de plus grande envergure se trouvait ainsi prise
en tenaille entre d'une part, une domination étrangère des secteurs les plus rentables de
l'économie urbaine et le pantouflage des tenants de l'appareil d'Etat et,d'autre part, la
concurrence~1'entreprise informelle utilisant les réseaux lignagers, religieux} pour
survivre en ville. Cette dernière s'avérant incapable... même dans les cas où elle participe
à une accumulation substantielle de capitaux, à se détacher de ses origines pour s'insérer
dans des rapports salariaux de type capitaliste.

387
La
bourgeoisie
d'affaires
expérimenta
diverses
solutions
qui
toutes
débouchèrent sur des impasses. L'implication dans les réseaux clientélistes du pouvoir
permit à nombre d'entrepreneurs par le biais des marchés publics d'accéder à des
sources d'accumulation importante. Cette stratégie était fragilisée par la nécessaire
participation à l'entretien financier de ces réseaux soumettant à rude épreuve la
trésorerie des entreprises. La seconde solution consistant en une opposition radicale au
pouvoir en place échoua du fait de la faiblesse des organisations du patronat autochtone
en perpétuelle scission.
Ces raisons politiques et sociales viennent s'ajouter à des comportements
culturels qui, bien que peu déterminant~n'en contribuent pas moins à la très forte
"mortalité infantile" des entreprises autochtones. Celles-ci survivent très peu à leurs
fondateurs. Pour toutes ces raisons, il s'avérait difficile de voir se constituer en Afrique
en général et au Sénégal en particulier, ces "longues chaînes familiales" qui furent à la
base de la révolution industrielle européenne.112
En définitive, on peut affirmer que la domination coloniale a développé/en
fonction des besoins de la métropol7 un capitalisme extraverti et dépendant" lequel a
généré les éléments obstruant la formation d'une bourgeoisie autochtone dans le monde
des affaires. Elle n'empêcha pas que s'affirme, localement, une réaction
dynamique des dominés pour s'adapter au nouveau contexte'/'
lU- F. BRAUDEL: La dynamique du Capitalisme, Paris, Ed. Arthaud, 1985, pp. 72-73.

388
ANNEXE 1 : PRODUCTION ARACIDDIERE
ET COMMERCE EXTERIEUR DE L'A.O.F.
ET DU SENEGAL (graphiques)
1
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ANNEES
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1
25 26 27 2B 29 38 31 32 33 34 35 36 37 38 39 48 41 42 43 44 45 46 47 48 49 58 51 52 53
AHHEES
1
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EXPORTATIOMS DE L'A.O.F. (millions de rranc~)
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ANNEES
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25 26 27 ZB 29 38 31 32 33 34 35 36 37 38 39 48 41 42 43 44 45 4& 47 48 49 58 51 52 53
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EXI'OHA1'JOliS D'AMCHJDE DU SEIiEGAL (MiJliers de tonnes)
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VALEUR DES EXPORTATIONS D'ARACHIDE (Millions de francs CfA)
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PRIX DU QUINTAL D'ARACHIDE ADAXAR (Francs CFA)
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Source. A. VANHAE\\ERBEKE, Op. CJt., Annexe " 1::::::::~:::::::: :::::::
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389
ANNEXE 2 QUESTIONNAIRE AUX
ENTREPRISES, ENQUETE
ADMINISTRATIVE DE 1950
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Superficie des magasins et hangars (m2) ---Matt.Ul :l08,"lI2.· .~_Capacité dc stockage (m3) _L+CO -'.,
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Année de création de l'Etabliss!ment
1934~--=-------,----------
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TERRITOIRE
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Cercle. Ré,ion ou Province ,l~ lt ABTD.IAH
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Subdivision ou District .,
lNom ou raison sociale st.' Ame ETS HENRY
Propriétaire de l'Entreprise ....
Nationalité
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R~,1ol1Ale pour l'Atr1qœ l CASABLANCA, 1 47, avenue Poeymirau)
N° Registre du Commerce
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Téléphone
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Adresse télégraphique -vti..~4.a&-
Ad,.esse en France de l'Entreprise ou du Correspondant
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Nom et prélloms
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Chiffre d'affaires en- 1904e:-=:i-~-'720''=::cFI.
Date de fondation de l'Entreprise
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(m6tropo11ta.1na)
----- ---- oblications 10 -000------"-
-l~rrs
(m6tropolita.ins)
ate ct montant de la dernière aucmentation de capital _le l1-.no.vemhr..e ]91+9

]90 t'XX) CX1Q frl
(m6tropoli tains)
~s actio~s sont-elles entièrement libÉrées? -' - Oui_ -- Sinon. combien .ft reste-t-il à libérer? /11/
lte des journaux officiels contenant la publication des statuts et leurs modifiutions
- - - - - - -
"Les Petite8 Attiches"
le
. ~oembre 1911
et le 21 d'cembre 19.49
)
~OCIf>!e 2nonyrT:e ~ respon5ab,;;te i.milee. en nom col:ectif. en ccmmandite, etc...
'2!
Indiquer la monnaie C.F_A., C.F.P.
nseignrments sur lu gérants ou membr~s des Conseils d'adminis/ralicm au 1" janvier 1946.
NOM ET
PRENOMS
FONCTIONS
NATIONALlTl
ADRESSE
IL LABIEL
R6né
. Prhid.Dir. ~n.1 P'ran9a!.e
15, rue Raynouard Paris X' Ie
~ DOTEY Philippe
:Vice Prhident
, P'ran9a1le
TUJa
Pe~Ja.· ~-41n-1)iab- ClSA
~ DOTEr Jean
Adminiatrateur 1 P'rllll çah e
Ile GRAJmJ'EAB Mt.dele1De
Adm.inlitrateur
P'ranqai.e
Administrateur 1 P'ran9a1ae
3, pi..o~ Palail Bourbon P ria
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Ac1min1wtrateur
Française
23, rue d'OrHans Neuillly; seiDe
f !ONN.AIDEL jea.n-Jlarie
DOTEY Henri
1
LEnDET LouiJ
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, Admini.trateur 1 Française
K. PELLEQUER Geor ces'
! Administrateur Française
IL PERRAU-SAUSSINE Henry; Administrate'lr
FrançaUe
10, rue Duphot Pari. 1er
IL LEDDET )fa.thieu
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Française
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J. & G. HA}l{l.L
LIEGE
Postes de Soudure "FURET
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IndiQuez ci·deuous It nomb.e de vrhieules et movens dt tran;port
Iv compr's m.tÉ:r,tl fl" .... 11 pa, ""'QUI .
...dèl, .• n.. c~. puiu.ncc. nombre de pl.e•• ou Cla""
utile.
VEHICULES AUTOMOBILES
NUt.4nO
NOMSR(
MARQUl
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PUISSANCl
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MINERALOGIQUI ..
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..;.~
..' ,~
....
.
AUTRES
MOYENS
NOTA. -
Si l'Etallli...,,,.... , tin '11'1" et lin ,t,li,r. il d,Yr. être '.Mpli u" fich. CIlploitltion indu.trieUe I.N. polir chulI" d'eua,
ENERGIE
Dam le cas où rEtablinem!nt produit de l'énergie pour sa consommation pfrsônndJe (éiectricilé.
pompage. etc.). remplir I~ tableau ci·dessous,
l
NOMaRl
PUISSANCE
SOURCES
Dl MOTEURS
DlS MOTEURS
-.
CV
-
En~cie électrique ..
1
"'
Essence
., . .. ,. ... ,.
~bsout o •••• 1 • 1 • 1 •
1
Charbon ..........
..
--
Bois .............
-.-- _.. _.. -,
~ - -
-'. ...
-,-
_..
1
-~_. . . -_.- -- .
Autres .........
1. -
1


390
ANNEXE N°3 : RESULTATS DE
L'EXPLOITATION DE L'ENQUETE
l
ADMINISTRATIVE DE 1950
l
Le total indique le nombre d'entreprises ayant répondu au questioMaire. Les coloMCS avec les dates indiquent le
nombre d'entreprises crUes durant chaque fourchette.
1
1
1
1
1
1
1
1


- - - - - - -
ENTREPRISES FRANCAISES
PERIODES
AVANT 1920
1920 - 1929
1930 - 1934
1935 - 1939
1940 - 1944
1945 - 1950
TOTAL
%
ENTREPRISES
COMMERCIALES
8
20
10
6
12
39
95
26,31
INDUSTRIELLES
2
6
1
2
11
13
35
9,69
SERVICES
0
1
4
6
5
18
34
9,41
PME
1
1
3
3
5
18
31
8,58
TRANSPORT
1
1
2
1
5
8
18
4,98
FINANCIERE
1
1
0
0
0
0
2
0,55
IMMOBILIERE
0
4
4
0
1
5
14
3,87
NAVIGATION
0
0
0
2
1
7
10
2,77
TRAV. PUBLICS
1
4
2
2
3
9
21
5,81
ARTISANALES
3
1
7
5
9
27
52
14,4
SPEC
0
3
4
3
6
33
49
13,57
TOTAL
17
42
37
30
58
177
361
100

- - - - - -
ENTREPRISES AUTOCHTONES
PERIODES
AVANT 1920
1920 - 1929
1930 - 1934
1935 - 1939
1940 - 1944
1945 - 1950
TOTAL
%
ENTREPRISES
COMMERCIALES
0
1
0
1
1
4
7
31,81
ART! SANALES
0
3
0
0
1
2
6
27,27
TRANSPORT
0
1
1
2
0
2
6
27,27
SERVICES
0
0
0
1
1
1
3
13,63
TOTAL
0
5
1
4
3
9
22
100
ENTREPRISES LIBANAISES
COftYt1ERCIALES
3
38
41
95
53
104
334
92,52
SERVICES
0
1
1
1
0
2
5
1,38
SPEC
0
1
0
1
3
3
8
2,21
TRANSPORT
0
2
1
0
2
9
14
3,87
TOTAL
3
42
43
97
58
118
361
100
~l
4.%1 MA
« 4 M l # S d %
_
g _:mxuacc J lU.
Cl
MW
~---

- - - - - -
ENTREPRISES (ORIGINES DIVERSES)
PERIODES
AVANT 1920
1920 - 1929
1930 - 1934
1935 - 1939
1940 - 1944
1945 - 1950
TOTAL
%
ENTREPRISES
COMMERCIALES
0
7
3
15
la
16
51
81
ART! SANALES
0
0
0
1
0
5
6
9,5
SERVICES
0
0
1
1
2
2
6
9,5
TOTAL
0
7
4
17
23
23
63
100

391
ANNEXE 4 : REPERTOIRE DES
ENTREPRISES

REPERTOIRE DES ENTREPRISES DAKAR 1
101 ENTREPRISES AUTOCHTONES
a: Commerciales2
Africaine d'Importation et d'Exportation (AFRIDIJ;>3 : 1960, 20 millions de
francs, CFAO : 25% A Peyre, H. Gallenca, ERTEC, et 300 commerçants sénégalais
dont Youssouf Seydi président de la Chambre de Commerce de Ziguinchor et Amadou
Dème de la CHAlOIS.
Chaine
Africaine
d'Importation
et
de
Distribution
(CHAIDIS) : 1968,23 millions de francs, fondateur Amadou Dème, administrateurs:
Alioune palla Mbaye: commerçant, transporteur, député-maire de
Tivaouane.
Moustapha Seck: Président conseil municipal de Thiès
Momar Sourang: Président Chambre de commerce Saint-Louis
Abdoulaye Diop: Fondateur de l'UNIGES
Dj im Kébé: transitaire
Ousmane Diagne: ancien inspecteur de la coopération, propriétaire de la
Société Sénégalaise pour le Commerce et l'Industrie.
Samba Guèye: Vice-Président de l'Assemblée Nationale
Tidj ane Dème: ministre ivoirien de l'élevage, frère du fondateur.
1
Alla Sène,Serigne Samb,Babel Thiam.
1
1
1
l
1· Tous les chiffres d'affaires et capitaux sont exprimés en francs CFA courants sauf indication contraire.
Après la raison sociale, Il est Indiqué la date de création de l'entreprise, le capital initiai, les actionnaires et
le conseil d'administration.
1
2· ~ : S. AMIN, Op. cit., 1969. p. 37 et suivantes.
NGUYEN VAN-CHI·BONNARDEL (R.) : Op. cit., pp. 793, 794.
1
3- Moniteur Africain, du 19 mars 1962
1
1

11
Compagnie Sénégalaise du Sud-Est (~) : 1959, 38,6 millions de
francs entièrement contrÔlés par des commerçants sénégalais, Fondateur Amadou Gaye,
administrateurs : Mamadou Tall, Amadou Sy, Youssouf Seydi, Cheikh Djiongue,
Amadou Dème, Amadou DiaIlo, Amadou Seydi.
Fusion avec Afridex en 1966.
Evolution du capital:
Août 1963 : 26 millions
juillet 1964 : 100 millions (incorporations des réserves)
Août 1965 : 116 millions (Participation de Ch. Ndiongue et A TaIl)
Février 1966: 142 millions (Incorporations des réserves)
Juin 1966 : 170 millions (Incorporations de réserves)
Evolution du chiffre d'affaires: (60% de produits industriels
sénégalais)
1959/1960: 150 millions
1965/1966: 2300 millions
Société Maritime et Commerciale du Sénégal (SO.MAR.CO.) :
1962, Capital: 5 millions de francs, Actionnaires: Pierre Senghor, Mamadou
Sakho, Issa Diop, Robert Campanella, Ludovic, Millon, Déricourt.
Société Nationale pour l'Industrie et le Commerce du
Sénégal (SONICS) : 1962, 15 millions, groupe Rondon, Dreyfuss, Sentenac, Ets
Grazziani, SPCA THUBET, ETAPERU, et des commerçants sénégalais dont Momar
1
Marème Diop (grand Serigne de Dakar), Djibril Djogou FaU, El Amadou Assane
Ndoye.
Société Sénégalaise pour le Commerce et le Développement
1
(SOSECOJ)4: 1961,50 millions, Actionnaires: Union pour le Commerce et
l'Industrie (SCOA) : 24% et 700 commerçants sénégalais dont Lamine Ndiaye, Djibril
i
Ndiogou FaU, Djily Mbaye, Abdourahmane Mbacké, Doudou Seydi.
1
l
l
1
1
1

III
Société Sénégalaise pour le Commerce et
l'Industrie:(SQSBCI), 1965, 1 million, Fondateur Ousmane piagne fils de
traitant et ancien inspecteur de la coopération. En 1968, le capital est porté à 22,5
millions de francs et l'entreprise racheta les usines de décorticage de Lésieur à Dakar,
Vélingara, Kolda. Elle disposait d'importants moyens de transport routiers et fluviaux de
voyageurs et de marchandIses. Ouotataire de riz, organisme stockeur, il eut un accès
facile au crédit bancaire (B.I.A.O. et S.G.B.). L'entreprise s'appuya sur un important
patronage ~litique du directeur de cabinet de la présidence de la République. Elle
disposait d importants contrats de transports de l'ONCAD et de l'OCA, faisait un chiffre
d'affaires de plus de 200 millions à la fin des années 1960. Elle employait pendant la
saison des grandes activités plus d'un milliers de travailleurs temporarres et une centaine
de permanents.
b:Travaux publics5
SOCIETE DAKAROISE PES T. P. JALABERT: (SAR.L) Propriétaires:
Mamadou Diagne et Abdoulaye Guèye. Cap i ta l : 1 million de francs, Ma in
d'oeuvre: 96 manoeuvres temporaires, 26 o.s., 4 chauffeurs, 2 employés de bureau et
1 contremaître. Chiffre d'affaires 1946: 1 million (22% de travaux pour
collectivités p~bliques) 1947 : 1,3 millions (13% de travaux de collectivités publiques),
1948 : 2,2 millIons.
2°1 ENTREPRISES EUROPEENNES
a:Entreprises industrielles6
Compagnie Africaine Forestières des Allumettes (CAFAL):
1950,60 millions de francs, Actionnaires: Société Indochinoise forestière des
Allumettes, Sté Dénis Frères, Pierre Maspéro.
l
Compagnie Africaine pour l'Industrie Mécanique et
Electrique (CIMBLEC) 1942, Capital: 56 Millions de francs, Actionnaires:
Baron Ed. Empain, G. de la Rochette, R. Delalande.
1
Compagnie des Eaux et Electricité de l'Ouest Africain
CEEOA) : 1929, capital: 300 millions, Actionnaires: Groupe Davillier, Cl.
Desanges, Société Auxiliaire Africaine.
!
Compagnie des Emballages Coloniaux (CEC): 1946, Capital: 20
millions de francs, Actionnaires: Groupe Dreyfuss.
i
Electrification Africaine (ELAF): 1950, Capital: 75 millions,
Actionnaires: M.G.L. Bompard, CfAO.
1
Fûts Métalliques de l'Ouest Africain (FUMOA) :1946,15
millions, actionnaires: J. Launay, Huilerie Pétersen, Cie Gle des colonies, SEm
GRANDS MOULINS DE DAKAR: Cf. deuxième partie, chapitre IV.
t
5· A.N.s : 21 G 28 (3) et 22 G 25 (3) : Enquête administrative sur les entreprises de Dakar, 1950.
1
6- Annuaire des entreprises colonial~ 1954.
1
1

IV
Huilerie et Savonnerie de l'Ouest Africain (HSOA) :1930,
Capi tal : 144 millions, Actionnaires: H. Durbec, R.I... Norgaard, RJ. Foine, V.
Capillon, A Rostand.
Industries Cotonnières Africaines (ICOTAF) :195~Capital:
200 millions, Actionnaires: Groupe Lambert, SOBOA, Cotonnier de Mulhouse, J.
Pierregrosse.
Manutention Franco-Africaine des Cuirs (MANQcuIR) :1943,
Actionnaire: CFAO.
MOULINS D'A. O. F. : a. deuxième partie, chapitre IV.
SOCIETE AFRICAINE D'EXPLOITATION DES BREVETS ERIES
(S.AB.E.) : 1947, Capital: 5 millions
SOCIETE AFRICAINE DE BETON MANUFACTURE (S.AB.M.): 1948
Capital: 50 millions de francs
b:ENTREPRISES DE TRAVAUX PUBLICS'
GUY FRUTIER (S.AR.I...) : 1945. Capital: 2,75 millions
HYDRAULIQUE AFRICAINE: 1931, Capital: 0,5 million, porté à 60 millions
en 1948. Entre 1948 et 1953, cette entreprise reçut 16% des paiements effectués par le
STAGD dans le secteur de l'hydraulique. Elle réalisait un chiffre d'affaires de plus de
100 millions de francs CFA dans l'après-guerre. J. Launay son président directeur
général occupait des fonctions identiques dans l'huilerie Pétersen et étaient lié , à
travers la Société Immobilière et Financière Africaine, à la Banque Coomerciale
Africaine.
LA CONSTRUCTION TROPICALE: 1929, Capi tal : 0,5 million de francs,
Chiffre d'affaires en 1947,49 millions de francs. Elle fut maître-d'oeuvre dans la
construction des immeubles Maurel Prom, Grande Imprimerie Africaine, CEEOA,
batiments et pscines du UDO pour le privé. En 1948, elle multiplia par 2,6 son chiffre
d'affaires précédents avec les marchés publics de construction des réservoirs des
Mamelles, de l'internat de l'école de médecine. Elle employait 389 salariés africains
permanents et 120 manoeuvres temporaires, 9 contremaîtres et 2 ingénieurs européens.
1
LA SOCIETE CHERIFIENNE DE SONDAGE. INJECTION. FORAGE
l
(ancienne entreprise Bachy) : ouvrit une agence à Dakar dans le silla~e des programmes
FIDES en 1947. Son chiffre d'affaires en AO.F. passa de 11 à 50 millIons de francs de
1947 à 1950.
1
LEBLANC GERBAUD (S.AR.I...) 1903. Chiffre d'affaires: 1947: 26
!
millions de francs 1948 : 93 millions de francs.
S •A. HERSENT (contrôlée ~ar le Groupe Schneider) : ~ence à Dakr : 1942.
Travaux réalisés (1947-1948) : Immeubles RCA, S.G.B.S., 44 logements
administratifs Point E, hangar chargeurs réunis môle II, voie ferrée des carrières,
1
terrassement zone industrielle.
l
,. A.N.s : 22 G 28 (3) et 22 G 25 (3) : Eoquête acimioistrative sur les eotreprises de Dakar, 1950.
1
1

v
SOCIETE FRANCAISE P'ENTREPRISES PE DRAGGAGES ET TRAVAUX
PUBLICS (SlBpTP) : Son installation à Dakar remonte à 1929. Elle était déjà présente
dans tout l'empire: Afrique du nord, Indochine, madagascar, AEF. En AOF, elle
employait au lendemain de la deuxième guerre mondiale plus de mille manoeuvres
permanents, 28 ouvriers spécialisés, 25 chauffeurs, tous autochtones et plus de 30
européens.
Evolution du chiffre d'affaires de 1946 à 1948 (en mi])jons de
francs CFA)
TRAVAUX
1946
1947
1948
A
B
A
B
A
B
PARTICULIERS
23
3. &5
26
J.~L
567
3J. ~
COLLEC. PUBL.
70
11.=10
102
A~. 5'
TOTAL
93
15.55
129
~ 4. Sc
567
3~. 2
Lé&ende:
A : francs courants
B : francs déflatés (indices des prix de gros INSEE base 1938 =1(0)
Source: AN.S., 22 G 28 (3) : enquête administrative 1950.
Conseil d'administration: G. de Tarde (PARIBAS), Ed. Poilay et J. Laurent (B.A.O. et
Banque d'Indochine), H. Worms.
SOCIETE GENERALE DES TRAVAUX AFRICAINS: Date d'installation à
Dakar 1941. Chiffre d'affaire 1947: 100 milions de francs CFA, 1948: 192
millions de francs CFA Main d'oeuvre: Autochtones: 700 manoeuvres, 600
ouvriers spécialisés, 20 chauffeurs, 10 employés de bureau, Européens: 2 employés de
commerce, 13 ouvriers spécialisés.

392
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIES :
l
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1; ARCHIVES NATIONALES DU SENEGAL (AN.S.);
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1 Q 63 (19) : Lutte contre la crise économique 1931
1 Q 300 (301) ; Situation économique de l'A.O.F. 1931-1947.
1 Q 404 (77) : Industries en A.O.F., 1942
1 Q 357 (77) : Syndicats des maisons de commerce en AO.F. 1937-1948
1 Q 653 (167) : Sociétés de caution mutuelle et de crédit en AO.F. 1954-1955
1 Q 260 (165) ; Industries en AO.F. 1946-1947.
1 Q 65 (26) : Formation des différentes associations d'intérêt commercial en
AO.F. 1911-1945
l
3 Q 14 (20) ; Organismes bancaires, correspondances, difficultés crise 1930
!
3 Q 217 (77) : Prêts hypothécaires, crédits en AO.F. 1935-1939
3 Q 573 (165) : Les Grands Moulins de Dakar; 1939-1954
1
3 Q 257 (150); Chambres de commerce en AO.F. 1947
(
2"/série G.
l
17 G 254 (108) : Crise économique 1930-1932
1
1

393
17 G 364 (126) : Programme de mise en valeur de l'AO.F. dressé à la demande
de M. Albert Sarraut, ministre des Colonies, 1932
17 G 187 (100) : Conférence de Brazzaville 1943-1944
17 G 590 (152) : Renseignements généraux 1946-1957
17 G 530 (144) : Les Libano-Syriens en A.O.F. 1945-1954
21 G 142 (108) : Réglement sur l'admission et le séjour des étrangers en AO.F.,
janvier 1938.
21 G 151 (108) : Renseignements sur lés l'immigration au Sénégal 1940
3e/ANNEXE;
Dossier 519 : Mobilisation économique : 1939
651 : Compte-rendu conférences des entrepreneurs de l'AO.F. 1952-1955.
Dossier 673 (Ancien 2144) : Litiges et faillites de la COFRACO: 1951-1952.
Dossier 1244 (Ancien 2068) : Les Grands Moulins de Dakar 1939-1954.
4"/ FONDS CHAMBRE DE COMMERCE DE DAKAR (F.C.C.) : CORRESPONDANCES ET ETUDES
DIVERSES
a: fiscalité
Dossier 658: 1930-1935
l
Dossier 657 : 1931
Dossier 349: 1932
!
Dossier 351 : 1935-1950
!
Dossier 352 : 1951
1
Dossier 355 : 1955
1
1

1
394
1
Dossier 354 : 1955
1
Dossier 357 : 1957
1
b:Syndicats
1
Dossier 650 : 1947
Dossier 651 : 1944
1
c: autres
1
Dossier 561, Immigration libano-syrienne en A.O.F. : 1935
1
50; Dossiers non classés(DNC)
6° / Archives de la Conservation Foncière Dakar-Gorée
1
i
1
i
1
!
l
!
t
[
l
l
1

i
395 :
Il: ARCHIVES NATIONALES DE FRANCE;
riAffaires économiques:
22 G 31 : Statistiques Générale sur la population du Sénégal.
Carton 143 dossier 107 : Rapports agricoles 1933-1936-1947.
Carton 361 T.P. Sénégal 1920-1945 / 1940-1949.
Carton 395 dossier 10 bis; recensements du Sénégal antérieurs à la guerre.
Carton 538; Rapport annuel service T.P. AO.f. : 1931.
2°/Affaires politiques:
Carton 537 Dossier 1 à 5; - Rapports politiques de 1917-1932.
- Rapports politiques d'ensemble 1928-
1930.
1
1
1
(
l
1
1

396
Carton 598 : Rapports politiques 1925-1926
1929-1933
1937-1938
1941
Carton 2306 dossier 7 : Mission Monguillot. 1935
Carton 52: Projet de plan décennal de crise en valeur de l'AO.F. 1943.
SECTION OUTRE-MER (ANSOM) :
r/Affaires économiques:
Carton 67 Dossier 14 : groupements professionnels 1941-1943.
Carton 57 Dossier 2 groupements professionels 1941-1943
:
10 :
21Affaires politiques
Carton 2164 Dossier 4 : La ligue arabe et les Ubano-Syriens (Dakar) 1952.
Carton 2164 Dossier 2 : Pan-islamisme et presse libano-syrienne en AO.F.,
1952.
FONDS GUERNUT
Carton 60 B 35 : Rapports politiques annuels 1928-1936.

397
Carton 53 B 18: Rapports d'ensemble T.P. AO.F. 1928-1936.
Carton 56 B 26 : Rapports économiques du Sénégal 1930- 1936.
:
57 B 30: Emprunts coloniaux 1931-1937

398
III: ARCHIVES PRIVEES ET INTERVIEWS;
50. FI • CA. : entreprise privée de commerce et d'industrie appartenant à un
sénégalais: 1962-1968.
5Y. PA. o. A. : Syndicat Patronal de l'Ouest Africain Dakar 1936-1965.
INTERVIEWS réalisées entre février et avril 1987
- Abdoulaye FOFANA : né le 15 juillet 1927, Inspecteur de l'enseignement
primaire, conseiller territorial puis député du Sénégal de 1957 à 1959, ministre du
commerce puis de l'information de 1959 à 1968, ambassadeur du Sénégal en Italie et en
Yougoslavie de 1968 à 1970.
- Massamba DIEYE : Entrepreneur sénégalais
- Responsables de la SONEPI ; le président directeur général et le reponsable
du département formation et encadrement.
1
r
t
[
~
l
1

399
III: LIITERATURE
A; PRESSE
1~:Publications officielles
Annuaire des entreprise coloniales, Paris, 1954, 1956.
Annuaire statistique de l ' AOF, Paris, 1954.
Comptes définitifs des budgets coloniaux, (consultés aux archives
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Journal Officiel de l ' AOF, Dakar, 1920-1954.
Journal officiel de la République du Sénégal, hebdomadaire,
1960-1973.
Journal officiel du sénégal, hebdomadaire, 1920-1960
Le
moniteur Africain, organe du ministère de l'économie du Sénégal,
1963-1970.
Sénégal
d' auj ourd' hui, magazine
du ministère de la Culture et de
1
l'Information du Sénégal 1970.
l
2~ : Presse d'opinion:
1
Africa, revue mensuel d'économie, Dakar.
l
Bull etins
des
chambres
de
commerce
de
l'A. O. F. journaliers,
hebdomadaires, mensuels, Dakar.
1
Clarté: Organe du Parti socialiste sénégalais: 1946-1947.
[
Dakar-Matin: quotidien d'informations: 1960-1966.
Echos
d' Afrique
noire, organe du mouvement poujadiste à Dakar,
1
hebdomadaire, 1952-1957. Directeur de publication Maurice Voisin.
1
1
1

400
France Afrique noire, Organe du Syndicat corporatif et économique du
Sénégal, Dakar, 1935. Directeur de publication Jean Paillard.
Guide Economique Noria, Paris, 1979.
Jeune Afrique Economie, mensuel, Paris.
L'A. O. F. : Echo de la côte d'Mrique Occidentale: 1925-1935.
L'Ouest Africain Francais: Organe de défense des intérêts politiques
et économiques 1929-1932.
L'Uni té Africaine: Organe de l'Union Progressiste Sénégalais.
Le
Périscope
Africain : Hébdomadaire indépendant défendant les
intérêts de l'AO.F. et de l'AO.F., : 1931-1936.
Le Périscope africain, hebdomadaire dirigé par Galandou Diouf. 1931-
1936.
Marchés
coloniaux
du
monde, pUIS
Marchés
tropicaux
et
méditerranéens, 1930-1970.
1
Notes d'informations de la B.C.E.A.O., divers renseignements et
statistiques économiques sur l'Mrique de l'Ouest.
l
Paris-Dakar: hebdomadaire d'informations: 1930-1935.
1
Paris-Dakar, quotidien d'informations en AO.F.
1
Unité
africaine,
organe
de
l'Union
Progressiste
Sénégalaise
1964-1970.
1
1
1
l
1
1

401
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1; HISTOIRE POLJJJOUE ET SOCIALE
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PUBIEF (H.)
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PUBIEF : Le
déclin
de
la
troisième
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HITTI (Ph. K) : The Syrians in America, New York, Poran Cy., 1924,
139p.
lANDES
(D.S.)
:
L'Europe
technicienne
et
libre
essor
industriel
en
Europe
occidentale
de
1750
à
nos
jours, Paris,
Gallimard, 1975, 779 p. (traduit de l'anglais).
REMOND (R.) : Introduction à 1 'histoire de notre temps. le
XIXème siècle 1815-1914, Paris, Seuil, 1974,248 p.
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1971,248 p.

402
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à
l'ordre
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et
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noire.
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Rufisque, Imprimerie
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TABLE DES ~TIERES
MOTS-CLES
1
INTRODUCTION GENERALE
4
1 : L'OBJET DE LA RECHERCHE
4
II: METIIODOLOGIE: LES DIFFICULTES D'UNE APPROCHE QUANTITATIVE
14
III : ESSAI DE PERIODISATION, LE POIDS DE LA DEPENDANCE
19
IV: DEFINITIONS: LES SPECIFICITES DU
RECHERCHE
~~
&f-t;
22
.~
v,...
PREMIERE PARTIE :LA DEPRESSION
PLACE DES PREMIERS JALONS DE L'IMPJeRl.tt'l~
J'ETAT ET LE MONDE DES AFFAIRES D~~
CHAPITRE 1 - LA DEPRESSION DES ANNEES 'NUAX1'r::~ur
DIAGNOSTICS ETABUS ET REMEDES PROPOSEl ,S
1 - LA CRISE ET LE MONDE DES AFFAIRES DAKAROIS.
3D
II: LA CRISE PERCUE PAR LES AUTORITES COLONIALES
39
III- UNE VUE METROPOLITAINE, LA MISSION ED. G. d'ESTAING
41
IV : LA SOLUTION FISCALE: L'ENTREPRISE FACE A L'ETAT, UN CONFLIT
SUR LA REPARTITION DES CHARGES
46
CHAPITRE II : L'ELABORATION D'UNE POLITIQUE COLONIALE IMPERIALE
61
1 : LE ROLE NOUVEAU DES COLONIES DANS L'ECONOMIE FRANCAISE
61
II: LA CONFERENCE ECONOMIQUE DE LA FRANCE METROPOLITAINE ET
D'OUTRE-MER DE 1935
66
10 / Un ministère favorable à l'équipement colonial par un financement métropolitain
66
20 / La conférence impériale de 1935, la victoire de la complémentarité économique
colonie/métropole
68
~
III : LA POLmQUE ECONOMIQUE COLONIALE DU FRONT POPUlAIRE
69
CHAPITRE III : LES LEVANTINS DU SENEGAL, COMMERCANTS
. CHEVRONNES, BOUCS EMISSAIRES COMMODES DANS LES PERIODES DE
1
CRISE
79
1 : LE FLUX MIGRATOIRE LEVANTIN: UNE RAPIDE ASCENSION DANS LE
1
COMMERCE DE LA COLONIE
81
II: LE SUCCES ECONOMIQUE DES PIONNIERS DU COURANT MIGRATOIRE
1
LEVANTIN AU SENEGAL
83
1
1

II
III : LES LEVANTINS ET LA CRISE: LES BOUCS EMISSAIRES
90
DEUXIEME PARTIE: DE LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE A LA VEILLE
DE L'INDEPENDANCE, INDUSTRIAUSATION ET RESTRUCTURATION DU
MONDE DES AFFAIRES
99
CHAPITRE IV : DU REGIME DES "ANTERIORITES" AU F.I.D.E.S., LA
CONJONCfURE ET L'ETAT AU SERVICE DE L'HEGEMONIE DES GRANDES
ENTREPRISES
100
1 : LE "REGIME DES ANTERIORITES", DU MONOPOLE DE FAIT AU
MONOPOLE DE DROIT
100
II: LE FIDES, UNE MANNE POUR LES ENTREPRISES DE TRAVAUX PUBLICS
108
10/ Mesure des investissements publics et répartition sectorielle.
112
2°/ Les entreprises de travaux publics: un surnombre relatif
117
3°/ Restriction des crédits et restructuration dans le secteur des travaux publics
121
4°/ La CO.FRA.CO. : une victime de la crise.
124
CHAPITRE V: LES INSTITUTIONS DE DEFENSE DU MONDE DES AFFAIRES:
SYNDICATS ET CHAMBRES DE COMMERCE
130
1 : LES SYNDICATS D'ENTREPRENEURS: L'UNITE DES GRANDES ET LA
DISPERSION DES PETITES ENTREPRISES
130
1°/ Le Syndicat Patronal et Artisanal de l'Ouest Africain (SY.P.A.O.A).
131
2°/ Les syndicats des entrepreneurs autochtones: la scission permanente.
135
3°/ l'évolution houleuse du SY.PE.CO.
136
4°/ Le SY.CO.AFRIC: un recrutement élitiste.
138
5°/ L'UFSICA : une fédération inter-ethnique des petites et moyennes entreprises: 13'
6°/ Le S.C.IMP.EX. : une puissante organisation fermée et stable
142
il : LA CHAMBRE DE COMMERCE DE DAKAR : SIGNE ET LIEU DU
POUVOIR ECONOMIQUE.
145
CHAPITRE VI : INDUSTRIALISATION ET ECONOMIE DE 1RAITE : LA
CONSOLIDATION DE LA DEPENDANCE.
153
1 : LES ENTREPRISES DE TRAITE ET LA QUESTION DE
L'INDUSTRIAUSATION
156
1°/ Le groupe Delmas : une lente et progressive ramification dans le commerce de traite
157

III
20 / Les petites et moyennes entreprises et l'industrialisation: une stratégie défensive
158
II: DE VICHY A BRAZZAVILLE, LES LECONS DE LA GUERRE
161
la/Vichy et la question de l'industrialisation
162
20 / La réponse de Brazzaville
163
III : L'HUILERIE, UNE INDUSTRIE DANS LE PROWNGEMENT DE LA
TRAITE
166
la/L'évolution globale de l'huilerie sénégalaise
167
20 / Le tournant de la guerre: la résistance métropolitaine à la remise en cause de
l"'exclusif colonial"
171
CHAPITRE VII: L'INDUSTRIE DE SUBSTITUTION AUX IMPORTATIONS:
RESISTANCE ET ACCOMODATION DU CAPITAL COMMERCIAL
179
1: LES DIFFICULTES DE LA RUPTURE
179
II: LES GRANDS MOULINS DE DAKAR (G.M.D.) : PUISSANCE FINANCIERE
CONTRE PUISSANCE INSTITUTIONNELLE
184
la/Un tenace promoteur handicapé par son passé
185
20 / Un projet inédit en AO.F.
186
3°/ Partenaires, soutiens et adversaires du projet
187
III: FISCAliTE ET INDUSTRIALISATION COWNIALES : L'ATfRACTION DU
CAPITAL EXTERIEUR
195
CHAPITRE VIII : AUTOCHTONES ET LEVANTINS: LA LUTfE AUTOUR DU
ROLE D'INTERMEDWRE
208
1 : LES ENmEPRISES AUTOCHTONES: UNE RENAISSANCE DANS
L'IMPASSE
208
la/L'évolution globale, une constante régression
208
20 / Un exemple révélateur, Amadou Alassane Ndoye et l'Islam Africain Transport
(I.AT.)
210
II: LES LEVANTINS DE 1939 A 1957: LA CONSOLIDATION DES ACQUIS
213
10 / Maintien et renforcement du succès économique
213
l
20 / Campagnes de presse contre les
~ levantins: une adversité politique et économique
221
1
TROISIEME PARTIE: L'ETAT INDEPENDANT DU SENEGAL ET LE MONDE
DES AFFAIRES: RUP1URE POLmQUE ET CONTINUITE ECONOMIQUE.
227
1
CHAPITRE IX : LA GESTION POLITIQUE ET ECONOMIQUE DE L'HERITAGE
COWNIAL
228
1
1
1

IV
1 : lA FIN DE L'AO.F., LE PROBLEME DU MARCHE ET LE FINANCEMENT
DU DEVELOPPEMENT: A LA RECHERCHE DES CAPITAUX
229
II: L'ARACHIDE: FARDEAU ET PIUER DE L'ECONOMIE SENEGALAISE
234
III : lA SUPPRESSION ADMINISTRATIVE DE LA TRAITE : UN SURSIS POUR
LES HOMMES D'AFFAIRES AUTOCHTONES
235
IV : LA FISCAUTE DANS L'ETAT INDEPENDANT DU SENEGAL :
PRIVILEGES AUX CAPITAUX ETRANGERS
240
1°/ Les entreprises prioritaires.
241
2°/ Les Entreprises Conventionnées
245
CHAPITRE X : L'ETAT ET SES ALLIES: LE SORT DE L'ENTREPRISE PRIVEE
AUTOCHTONE.
247
1: LE GOUVERNEMENT DE MAMADOU DIA : A LA RECHERCHE D'UNE
PLACE POUR LES ENTREPRENEURS AUTOCHTONES.
247
II: lA POUTIQUE DE RECTIFICATION DE SENGHOR: LES
ENTREPRENEURS AUTOCHTONES A NOUVEAU PARMI LES LAISSES POUR
COMPTE.
252
III: L'ECHEC DES TENTATIVES D'AUTONOMIE
260
10 / La SO.FI.CA, une tentative infructueuse dans l'huilerie: une chasse gardée des
grandes entreprises françaises
260
2°/ : Abdoulaye Diop un imprimeur victime de son engagement syndical.
264
IV: LE SYNDICALISME PA'ffiONAL APRES L'INDEPENDANCE: UNE
BIPOLARISATION PREJUDICIABLE A L'EFFICACITE
267
CHAPITRE XI : LES OBSTACLES A L'EMERGENCE D'UNE BOURGEOISIE
D'AFFAIRES AU SENEGAL.
276
1 : XALA, UN ROMAN REALISTE SUR LE MONDE DES AFFAIRES
SENEGAlAIS.
276
II LA MARGINALISATION, UNE CAUSE MULTIFACfORIELLE?
278
1°/ Les Obstacles économiques.
281
2°/ Les obstacles politiques et socio-culturels.
285
QUA1RIEME PARTIE: EXPROPRIATION ET EXCLUSION: L'ETAT ET
L'ENTREPRISE DANS LA MAITRISE DE L'ESPACE URBAIN DAKAROIS
295
l
CHAPITRE XII: PAUVRETE URBAINE ET ENTREPRISE INFORMElLE: UN
DOUBLE OBSTACLE A L'ACCUMULATION.
296
l
1 : DAKAR, UNE RAPIDE CROISSANCE, LE POIDS DE L'IMMIGRATION.
298
l
1

v
10 / le nombre des dakarois
298
2°/ : les facteurs de la croissance: les soldes naturel et migratoire
301
TI : LA GESTION URBAINE : POUTIQUE D'EXCLUSION ET
DEVELOPPEMENT PRECOCE DU SECTEUR INFORMEL
307
10 / : Migration et activité informelle avant la deuxième guerre mondiale: du travail
saisonnier à la fixation en ville.
_
307
2°/ : De la guerre à la veille de l'indépendance: l'ère des bidonvilles dakarois.
320
3°/ L'informel après 1960: unité et diversité des stratégies ethniques dans l'économie
urbaine.
335
ID: LA MIGRATION MAURE AU SENEGAL, EVOLUTION D'UNE VIEILLE
PRESENCE DANS LE SECfEUR INFORMEL
340
IV : L'INFORMEL, UN OBSTACLE A L'ACCUMULATION PRODUCTIVE
346
CHAPITRE XIII: PROPRIETE ET CREDITS FONCIERS: L'EXPROPRIATION
DES DETENTEURS COUTUMIERS
349
1: LES ARCHIVES DE LA CONSERVATION FONCIERE: UNE SOURCE DE
BASE
351
1°) Les livres fonciers
351
2°) Les documents annexe
352
II: LA REGLEMENTATION FONCIERE EN A.O.F. : DAKAR UNE SITUATION
SOCIALE ET POLmQUE PARTICULIERE
353
III : LE CREDIT FONCIER DE L'OUEST AFRICAIN: LA PREMIERE
PUISSANCE FONCIERE PRIVEE DE DAKAR
355
1°/ Les propriétaires fonciers "coutumiers" lébou et le C.F.O.A
359
2°/ Les autres catégoriessocio-professionnelles et le C.F.O.A: une plus grande
résistance
360
3°/ Les réactions à la politique de dépossession des autochtones
361
IV: LES STRATEGIES FONCIERES COLLEcnVES
366
V: UN CAS PARTICULIER, LA PRATIQUE FONClERE LEVANTINE: LE
CONTOURNEMENT DE LA LOI
368
VI: LES STRATEGIES FONCIERES INDIVIDUELLES
372
1°/ Mamadou Alassane Ndoye : entrepreneur et notable lébou
372

VI
20 / L A Delorme et E. Bouquereau : petits commerçants et grands propriétaires
fonciers dakarois.
374
VII: BANQUES ET CREDITS HYPOnœCAIRES APRES 1960, UNE FAIBLE
PART POUR LE MONDE DES AFFAIRES AUTOCHTONES.
377
10 / L'Union Sénégalaises des Banques: U.S.B
378
20 / Les banques publiques de développement
379
CONCLUSION GENERALE.
382
ANNEXES
388
SOURCES ET BmUOGRAPHIES :
392
1 : SOURCES ARCHIVISTIQUES:
392
1: ARCHIVES NATIONALES DU SENEGAL (AN.S.) :
392
n: ARCIDVES NATIONALES DE FRANCE:
394
ID: ARCHIVES PRIVEES ET INTERVIEWS:
398
INTERVIEWS réalisées entre février et avril 1987
398
ni :UITERATURE
399
A: PRESSE
399
B OUVRAGES ET ARTICLES DE REVUE
401
1 : HISTOIRE POUTIQUE ET SOCIALE
401
II OUVRAGES ECONOMIQUES
405
III : ETUDES SOCIALES ET URBAINES
420
IV: ANTHROPOLOGIE ECONOMIQUE ET SOCIALE:
422
V DIVERS :
429