Université de Paris XII-Val-de-Marne
Centre d'Etudes et de Recherohes sur les Civilisations,
Langues et.Littératures ~'Expre8sion Française
IDEOLOGIES El' DISCOURS SUBVERSIFS DANS LE ROMAN FRo\\NCAIS DE 1930 A 1945
LES EXEMPLES
DE DRIEU LA ROCHELLE El' DE LOUIS ARAGON
CONSEIL AFRICAIN ET MALGACHE
POLIR L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
C. A. M. E. S. -
OUAGADOUGOU
~ Arrivée 3l·MA~··1995·· .....
\\ Enregjstr~._~~.u.~. ~.o .~jt~~· ·1·.~·
Thèse pour le Doctorat ès lettres Nouveau régime
Littératures et civilisations d'expression française
Présentée à l'Université de Paris-Va1-de-Marne
par
DIENE Ibra
Sous la direction du professeur Robert JOUANNY
1981
-II-
~u'il me soit permis, au début de ce travail impersonnel, de remercier
tous ceux qui y ont contribué et en particulier Nessieurs les profes-
seurs Robert Jouanny et Bernard Baritaud, mes amis Papa Guèye, Papa
l'lade, Amadou Falilou N'diaye et ma femme Yaye ;\\.wa Diène.
1
1
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l
-1-
INTS.oDUCTION G.:.'1r.21l:'.M
La. notion de pertinence est difficile à fonder si on l'applique
à un cnoix. surtout quand l'évocdtion d'un int8r~t subjectif ne peut cons-
tituer un ~rgument dacisif. Il nous semble cependant que dans la production
romanesque du 20e siècle, et, ~n prrticulier de l'entre-deux-guerres, le dis-
cours fondé sur un modèle idéologique représenté sur le théâtre social, et
sur une intention de subversion, occupe une pl~ce prépondérante. Etant don-
nées les circonstances sociales cela semble tout à fait logique. Lorsqu'un
système politique de gestion et une civilisation font la preuve de leur f~il-
lite, la pensée collective est remise en cause et les hommes tentent de re-
trouver ou de trouver d'autres modes de pensée et d'organisation politique.
De là s'explique la naissance ou la renaissance de plusieurs pensées sys-
tématiques orientées dans un but pratico-social
- au lieu d'une fonction
cognitive - et qui sont non seulement les reflets mais aussi les justifica-
tions des pouvoirs que les groupes ont instaurés ou tentent d'instaurer.
Ce sont là les idéologies des groupes. La définition de l'idéologie la plus
partagée aujourd'hui est d'inspiration marxiste. Elle souligne d2ns l'idéo-
logie le caractère systématique c'est-à-dire cohérent et logique, la fonc-
tion de représentation et le rOIs historique. De cette définition on peut
retirer et expliciter d'~utres trc~ts de l'idéologie- les car?ctères col-
lectif , partisan - et d'autres fonctions etc ••• Dells un essai assez concis
;\\.lthusser décrit ces tr'its et montre, comme du reste la paraphrase que
nous avons fai~de sa définition, que l'idéologie s'oppose à la science
"Il suffit de savoir très schématiquement qu'une idéologie est un systè-
me (possédant sa logique et sa rigueur propres) de représentations (images,
f
mythes, idées ou concepts selon les cas) doué d'une existence at d'un rô-
f
le historique au sein d'une société donnée ( ••• )
1
-2-
L'idéologie comme système de représentation se distingue de la science en
ce que la fonction pratico-sociale l'emporte en elle sur la fonction théo-
rique (ou fonction de connaissance)." (1)
:üthusser s'inspire de Harx (l'Idéologie allemande) pour restreindre sa
définition et la rapprocher de la politique. L'idéologie devient alors "rap-
ports imaginaires à des conditions d'existence réelles". (2) La restriction
sémantique et le rapprochement à la politique sont d'autant plus intéres-
sants pour nous, qu'étudier l'idéologie dans la littérature, c'est en fait
proposer une lecture globale et totalisante de celle-ci. En plus de ce que
l'analyse porte ici sur les idéologies politiques et doctrinaires, il nous
faut faire une nouvelle restriction et puis prendre une précaution supplé-
mentaire. Notre objet sera le discours qui justifie sa transitivité (3) au
delà de l'intention de subversion - de destruction - du modèle social.
Et nous entendons par discours toute production verbale ou textuelle supé-
rieure à la phrase, rendant compte de son procès d'énonciation et dotée d'un
sens antérieurement à toute analyse.
~~endre en compte la valeur de la transitivité d'une idéologie
subversive permet de dépasser les idées qui seront examinées dans notre
première partie - l'idéologie du refus de l'idéologie - et dans lesquelles
le pessimisme semble s'établir en système. f·lais s' arr~ter à la conception
qui se contente de refuser toute idéologie serait ignorer comment notre epo-
que connote le terme idéologie. Elle l'associe à un projet politique et
le discours idéologique est devenu le discours d'une classe donnée ou d'un
groupe relativement homogène, dans sa lutte pour imposer son projet de so-
ciété. L'on comprend ainsi pourquoi, au lieu d'une idéologie qui revendi-
que le modèle bourgeois et capitaliste, il sera question ici de celles qui
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1
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1- Louis ~lthusser, Pour Marx, Paris, ~hspero, 1965 p.238
1
2- Idem p.241
1
3- Une id001ogie transitive comporte un projet constructif qui constitue le
i
but et l'objectif des actions qu'elle ordonne.
f
-3-
visent à le subvertir.
Nous avons dans ce c8dre voulu chercher l'idéologique dms ce qui
le contient sans presque jamais se l'avouer,aut8nt pour des raisons d'ef-
ficacité que d'esthétique. A cause de cela notre choix porte sur le roman
de la période où le discours subversif de fondement politique a été,~n rai-
son des conditions réelles d'existence,un reflet, un tant soit peu, Je la
réalité sociale. Ce reflet n'est cependant ni conforme ni contemporain
aux événements reflèt€s.
C'est là le propre du littéraire que de procéder
ainsi avec les faits et événements qui constituent son objet.
Les romans de Drieu et d'~r2gon ne suffisent pas pour illustrer
une étude aussi ambitieuse. Ils refl~tent cependant les principales idéo-
logies subversives de l'entre-deux-guerres. Ce fait ne dispensera pas
d'interroger les textes de leur contemporains qui partagent la lutte pour
la destruction de la société bourgeoise. Parmi ceux-ci il ya les écrivains
qui construiront la nouvelle tr2~ition subversive et qui, au contraire de
Drieu et d'Aragon, m~me qU2nd leur contestation se radic21ise au point de
toucher la tradition de l'écriture romanesque, tr2dition fort élastique du
reste, ne proposent presque jamais un modèle de société ni m~me des orien-
tations claires. Ils n'envisagent pas l' <'.près-destruction de la société
bourgeoise. Céline, Sartre, Guilloux et m~me Malraux, veulent, il est
vrai, orienter notre interprétation du réel par la médiation par leurs tex-
tes mais ne nous révélent pas leur préférence pour l'après-société bour-
geoise. En cela ils ne s'insèrent point dans une idéologie politique selon
la connotation actuelle. Il serait plus juste de dire que leurs propositions
sont en dehors des corps doctrinaires constitués, qu'ils soient anciens
comme le capitalisme ou relativement nouve',ux comme le communisme et le L's-
eisme. Nous assistons ainsi à la vie d'une littér8ture idéologique qui re-
fuse toute idéologie consacrée mais qui n'en cherche pas moins à pros-
-4-
pecter de nouvelles voies pour résoudre les grands problèmes que pose
désormais la vie. C'est dans ce par~~oxe du refus total que demeure l'ori-
ginalité des écriv3ins les plus connus de l'entre-deux-guerres. Comme
leurs contemporains, Céline, Sartre, Guilloux etc ••• ont mesuré l'inani-
té de la civilisation bourgeoise. Ce qui les oppose aux politiques comme
Drieu et Aragon n'est-il pas le caractère individuel des solutions qu'ils
proposent quand ils n'affirment pas purement et simplement l'inutilité de
toute solution.
Les textes de Drieu et d'Aragon semblent rejoindre, pour l'essen-
tiel, des'modèles idéologiques politiquement constitués. Ils nous donnent
à lire un tableau dégo~tant de la société, tEi.ble;...:.u qui, s'il n'est pas
aussitôt suivi de la solution p~éconisée, laisse cependant la deviner.
L'ambition de ce travail est d'éclairer le système des textes qui véhicu-
lent la double intentionnalité d'une idéologie qui veut détruire ce qui est
et construire autre, conformément à la pensée objective et unifiée d'un
groupe constitué. La référence à une pensée politique homogène et socia-
lement attestée, à une doctrine, n'est pas ici une contrdinte mais plutôt
une hypothèse de travail. De ce f~it le ou les systèmes des textes dont
nous rendons compte de la lecture seront constr~its au cours de l'~nalyse
et non posés d'avance comme des c~ons dans lesquel l'~alyste campera
vP~lle que v2~11e les romans de Drieu et d'Àr2gon.
I\\Tous ne sommes point conv::-Jncu qu'il puisse exister d2l1s un texte
~omanesque une idéologie homogène et unique. c~insi après avoir tenté de dire
cO!!lIllent Drieu et~ragon rendent compte de la société qu'ils veulent dé-
truire, des str...~tégies mises en oeuvre pour ~tteindre l' éfficaci té et::Lgir
sur les lecteurs,nous chercherons à dépasser le sens global du schéma idéo-
logique des textes pour dém~ler les éléments constitutifs de cette 6ntité
autonome. Il semble au premier chef, qu'au caractère d'interdépendance des
-5-
constituants internes des systèmes idéologiques exprimés dans les romans,
il faut ajouter des éléments extérieurs aux textes et qui contribuent à
leur donner un sens ou déterminent celui-ci. Le dialogisme ne sera donc
pas envis~gé ici sous sa forme uniquement intratextuelle. La partie qui
la tr::üte s'inspirera de le. théorie de l::~ communic'3,tion et intégrer2t ~I'l
plus de la perception intratextuell~ ~ussi bien le contexte que les des-
tine.taires des messages idéologiques contenus dans les romans.
Peut-on se contenter de marquer ses préférences dans la produc-
tion littéraire d'une époque pour justifier la néglige nce du reste ou
fonder la légitimité d'un choix? Peut-on expliquer ne serait ce que par
l'histoire sociale et celle des idées pourquoi le roman de 1930 à 1945 est
pour une large part enticonformiste ?
Il est certes vrai que le roman ne tre.duit pas l'expérience hu-
maine. Nais en tmt qu'oeuvre de l'homme il ne saurait se situer entière-
ment en dehors. L'histoire de la littérature est de ce point de vue un re-
flet déformé et décalé de l'histoire sociale. Ainsi n'est-elle pas
indif-
férente aux grands bouleversements du 20e siècle français et dont les C2U-
ses remontent à la défaite de Sedan. La littérature ne refl~tera ces bou-
leversements qu'à la veille et surtout au lendemain de la Grande Guerre.
Les suites d'une déf2ite militaire peuvent, peut-être, entamer l'orgueil
national et modifier l'idéologie dominante.
Pourtant Sedan aur~it sans doute moins d'écho si la fin du 1ge
siècle et le début du 20e siècle n'étaient marqués par d'2utres faits qui
entamèrent l'édifice de la civilisation bourgeoise. Ceux-ci obligèrent à
repenser 1 'homme et Sa nature • .En effet les tr~wJux de Henri Bergson re-
mettront en cause, au début du siècle, le scientisme et le positivisme.
La mort de Dieu annoncée par Nietzsche et depuis réitérée, contribuiit à
l'insécurité morale et intellectuelle. Celle-ci s'aggravera avec le freu-
disme qui va enseigner qu'en dehors de toute rationalité, la conduite hu-
-6-
maine est en partie déterminée par des pulsions sexuelles inconscientes.
Au plan politique le marxisme, non seulement montre l'incohérence du c~-
pitalisme mais préconise la révolution et la destruction de ce modèle.
S'inspirant de ces faits R. M.;~bér~s a eu r~ison de dire que la crise
intellectuelle et morale du 20e siècle est née aux environs de 1900. Com-
me pour consolider cette situation d'insécurité et de destruction des va-
leurs traditionnelles l'Eglise va se séparer de l'Etat à partir de 1905.
Malgré le sursaut religieux qui s'en,suivit et qui embrigada Claudel,
péguy etc ••• , le pou~oir de l'Eglise diminua considérablement. Dans cette
atmosphère déjà faite d'incertitude tombe sur l'Europe une folie meurtrière
jamais connue à travers le monde. C'est l'aboutissement de la montée des
nationalismes étroits mais aussi la confirmation de toutes les réflexions
de moins en moins optimistes sur l'avenir de la civilisation. La guerre
n'est pas tombée comme une nuée de sauterelles. Elle fut préparée et 3n-
noncée par toute une somme de faits et d'événements. Par exemple toute une
vague de nationalistes menait une forte campagne anti-allemande et croyait
ferme que la guerre était la seule ch~nce pour la France de venger la dé-
faite de 1870. D'autre part certains monarchistes et politiciens de droite,
en plus de Sedan, considéraient l'affeiblissement de l'église et l'accession
de la g~uche au pouvoir (1906) comme des torts à redresser. Bien que les
socialistes sous la direction de J3uxès luttassent farouchement pour pré-
server la paix, le vote de la loi du service militaire de trois ans enle-
va toute illusion sur la possibilité de contrecarrer la guerre. Le déchi-
rement politique et social
qui car3ctérise
cette période sera illustré
par le développement de la presse d'opinion. En 1914 par exemple, il y avait
~
à Paris 41 quotidiens politiques avec un tirage de plus de 6 millions
d'exemplaires p~r jour. "c la veille de la guerre, la droite a récupéré le pou-
voir et étouffé la lutte pour la paix. Elle fera d'ailleurs assassiner
~
1
-7-
1
Jaurès peu av,~t le début du conflit mondial. La douloureuse épreuve de
1
la guerre révèlera la précarité de la civilisation et portera à son com-
!i
ble le pessimisme et le sentiment d'insécurité qui avait cours depuis la
~
fin du 1ge siècle. Le grand choc moral, et les tentatives de solution qui
1
ont suivi la guerre n'éuront pas immédiatement fait écho d2ns la littéra-
ture. Ainsi, à la victoire, les thèmes et les formes littéraires étaient
toujours les m~mes. Le 1ge siècle sembla se continuer et c'est seulement
1
à partir de 1930 que le grand désarroi moral envahit le roman. C'est aussi
f
à cette époque que les idéologies subversives se sont exprimées avec force
et ont connu une profonde radicalisation et un grand rayonnement. L'ex-
1
périence de la deuxième guerre mondiale apporta,elle aussi,un nouveau
bouleversement que le roman de l'après-guerre va refléter. De ce fait la
1
période 1930 - 1945 nous semble assez homogène au plan idéologique (1). Deux
grandes tendances se dessinent d2ns le roman mais elle ne sont peut-~tre
pas les seules: L'idéologie subversive qui refuse toute doctrine idéolo-
gique attestée et des idéologies subversives doctrinaires.
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La première, que nous avons baptisé la nouvelle tradition sub-
~
versive se veut une rupture totale d'avec l'expérience sociale, m~me lit-
téraire. Elle correspond au pl~ thérnP.tique à l'expression de l'absurdité
1
1
de l'existence, à son tragique, à l'angoisse qu'elle suscite et à l'aspi-
t
r8tion à l'affirmation de la dignité de l'homme, à la qu~te 1e nouvelles
f
valeurs mais en dehors des pratiques consacrées. Cette mode nouvelle qui
i
subvertit tout, jusqu'à ses moyens d'expression, la littérature, va se
constituer assez vite en tradition et donnera un nouveau classique du
!
roman.
1
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La seconde orientation, illustrée par les romans de Drieu et d'Ar~
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'gon, est anticonformiste elle aussi, mais du point de vue de ses intentions,
f~(
1- Pour Aragon nous dépasserons le seuil de 1945 pour ne pas couper Le monde
réel et parce que Les communistes, publié à partir de 194~est informatif sur
le temps de son histoire qui est en fait celui qu'on analyse ici.
-8-
C-t.Mlt' ole..
de sa transitivité future. Ses thèmes reposent comme/l'autre sur la cri-
tique sociale mais contrairement ~u roman de Céline par exemple le ro-
man d'Aragon a un modèle doctrinaire et un autre esthétique. Son idéolo-
gie est communiste et il reprend pour l'essentiel la forme du roman tra-
ditionnel, telle qu'elle est héritée du 1ge siècle.
Ainsi les trois gr~des articulations de cette analyse décri-
vent en fait deux sortes de roman.
Si l'on a insisté avec beaucoup plus de détails sur le second ro-
m~m c'est parce qu'il a permis de poser une hypothèse de travail. Le dis-
cours littéraire peut-il ~tre instrument et porter autre chose que lui-
m~me. DAns ce cas et quand ce qui le double est un discours idéologique,
peut-on en esquisser les traits et à partir de là bâtir le modèle expli-
catif qui en rendr2it compte. ~ant ~u roman de la nouvelle tradition sUb-
versive, il ~ eu tellement d'influence sur la vie littérsire et m~me 80-
ci2le de notre époque qu'on ne saurait valablement parler d'une dutre for-
me de ro~m sans en marquer les s~ilitudes et les différences. De plus
dans le cas de notre bi~~rtition les deux types de roman procèdent d'un
point de départ commun, la critique sociale, d'un but en partie commun,
la subversion du modèfe soci~l. Les différences ne sont-elles pas les mo-
yens de cette subversion et comment ils envisagent ou n'envisagent pas
l'au-delà de la subversion?
PREMIERE PARTIE
LA NOUVELLE TRADITION SUEVERSIVE
-9-
PREMIERE PARTIE z
LA NOUVELLE TRADITION SUBV&lSIVE
INTRODUCTION z
L'histoire de l~ littérature nous donne souvent l'illusion d'un ve-
ritable bouleversement des objets, des buts, des moyens et des formes de la
création, selon que l'on considère tel ou tel moment de l'histoire. Presque
toutes les générations se sont, en ce sens déclarées spontanées. Une étude
approfondie rév~lerait pourtant que la production littéraire est, au plan dia-
c~xonique, une tr~dition constamment renouvelée et non une juxtaposition d'o-
riginalités car~ctéristiques des époques et indifférentes les unes aux autres.
Ce qui est au contr2ire courant chez les commentateurs c'est de définir les
époques par le degré de nouveauté qu'elles apportent, chacune, au patrimoine
littéraire hérité. Ainsi l'évident l'emporte sur le discret. Bt le mérite sem-
ble ne point devoir revenir à ceux qui reprennent les thèmes littéraires
usi-
tés et les moyens qui les accompagnent. Le continuum est ignoré ou négligé.
L'histoire littéraire ressemble de ce fait à une esthétique de la rupture.
On a m~me pu parler d'attardés et de précurseurs. Force est cepend2nt de re-
marquer que le nouveau quand il s'est affirmé est déjà une tradition. L2 pers-
pective d'une étude peut donc épouser la nouvelle tradition ou celle qui s'ins-
pire d'une plus ancienne histoire. Ce serait mutiler la littér~ture que de
réduire son enalyse à ces deux grilles. Rien ne traduirait mieux l'ignorance
de ce qui unit toute nouveauté à ce qui l'a précédé et engendré à travers
un processus d'évolution progressive, régressive ou de rupture. La dernière
est très souvent et surtout en littérature, une intentionnalité plus qu'un
état de fait.
Nous comprenons ainsi que le discours idéologique et subversif
n'est pas né avec les grands noms du vingtième si~cle littéraire.'I1ais
i
l'originalité avec laquelle i l est repris dans l'entre-deux-guerres et
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sous la pression des événements, en fait une nouveauté qui est, certes,
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(1) 'l,':;;v:;t',n 'rodorov, Litt:";r-,turc r-lt c i ]1ifiction, l' .ris, L '~:::ou;Jse, 1~'67 p.C;~
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au profit de fictions plus cousues. Au 1ge siècle les romanciers construi-
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contenu ,-L: ju:,:;oi-:ent, cm, :Ji l ' on p:r.'éf~:::'''~, entrr" l' 0 bJ;ctiYi té ,~u dO:ll1,.;
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Lunil)r:::.3 et c:e lA 1u~te des cortituc13s ;?hilosophiqu8s, ,:} 'est &UI'Jole cl 'lL1
rialicne permL ::;ii.
',.31ui-ci repose sur l.A vraisemblance, qui, du reste et
cŒ:1De tout le D,oncLe le Seit, :"1' ':::st ~'J,s 1& pr,i:::,::mtatiol1 brute (le L, ri.li ti.
;:'8 c~lob:: 'lU8 cette GsthcitiqU8 COL'lJ""J ncle, les <lutcmrs l'ont op::iré a n.rtir
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La subversité du texte est donc dans le caractère transitif de son con-
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1- OU du moins en ce qui conoerne les romanciers de la nouvelle traditian
subversive.
1
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1
-15-
1
CHAPITRE UNI L'IDEOLOGIE DU REFUS DE L' IDIDWGIE
1
Emmanuel Berl écrivait en 1929 dans un pamphlet virulentl
1
(
n Le conformisme par~
qu'il accepte une idéologie qui s'est peu à peu
t
vidé de son contenu implique touj ours un retard de l'esprit sur l'époque.
1
Ainsi comme elle est conformiste notre littérature est inactuelle n (1)
!
La rema.rq~1 ~tait juste. Malgré la faillite de la civilisation bourgeoise,
1
faillite dont la Grande &uerre était l'illustration supr@me, la littératu-
re était toujours conforme aux tendances de 1 'avant-guerre. ~me les témoi-
gnages des anciens combattants, peignant 1 'horreur du conflit, étaient
J
écrits à travers les canons hérités du 1ge si~cle et traités comme des
f
thèmes mineurs. La guerre n'avait en rien modifié le paysage littéraire.
\\
La vérité c'est que le personnel, et Berl le dit, a peu varié en littéra-
1
ture comme en polit11.ue.
1
" ( ••• ) notre littérature, en gros, exprime un Ministère Briand 1911. "(2)
1
i
En effet les histoires littéraires du 20. si~cle ne situent le changement
1
dans le roman français que vers les anné~s trente. Comme pour répondre à
t
1
l'invective de Berl, ci-des~U5;
" Assez d'inconscients, n'est ce pas la première valeur est la lucidité "(3),.
toute une génération s'accorda à s'examiner avec une lucidité maladive.
Il s'el'V'SUit une perte de confiance en tout, un refus de tout ce qui jus-
1
que-là servait de palliatif. Les contemporains de Berl voient dans cette
irf
ré'roIte une révolution. (4) Ce qui les indigne dépasse le cadre de simples
injustices et imperfections sociales. C'est surtout un ensemble de problè-
1
mes transcendants et absurdes où l'angois::;e prend sa sourcel l'existence
1
t
~.
(1) Emmanuel Berl, Mort de la pensée bourgeoi~, Paris, Grasset, 1929 p.86
t
(2) Idem p. 81
(3)
t
Ibidem p. 200
(4) Ibidem p. 11
1
1
l
-16-
1
injustifiée, la mort, le destin, la faiblesse. Et au delà de l'indignation,
le personnage de ro~an se demande comment vaincre cette transcendance sans
tomber dans l'indignité des subterfuges conformistes.
A) MESURE DE LA CIVILISATION 1
Le texte littéréure,même quand il s'en défie, informe son lecteur
1
i
sur le microcosme qui en est, à défaut du référent, le pilotis. Ainsi,mê-
me s'ils ne l'ont pas tous explicitétcomme Drieu la Rochelle qui publiait
en 1922 Mesure de la France, les auteurs nous livrent cependant une image
de la société. Celle-ci se fonde sur une thèse pessimiste. Mais le pessimis-
me de l'entre-deux-guerres n'est ni 'nihilisme ni désespoir total. Il se
veut pe~eption lucide. Le roman se propose d'apprécier avec sincérité et
clarté, les pratiques, les moeUl's, l'éthique et la morale sociales.
Une
pareille ambition veut,au delà ùe la critique, détruire la société
bourgeoise. Quelles raisons justifient un tel projet?
a) La b~tise humaine:
1
La première cible des auteurs sera la raison et ses avatars.
r
S'appuyant sur les faits, les romans contestent, par leur fiction, l'idée
selon laquelle ce qui caractérise 1 'humani té e.st la raison clairvoyante.
C'est la folie ou plut~t la bêtise. Dans la plupart des cas on se sert de
la guerre pour illustrer cette affirmation. Henri Barbusse avait donné le
ton dès 1916 dans Le feu (1).11 y souligne l'absurdité de la guerre. Les
premières pages du Voyage au bout de la nuit de Céline reprennent la dénon-
ciation de la guerre dans des propos dont l'apparente naïveté ne voil; pas
l'ironie mordante. Bardamu entame avec la guerre un voyage dans l'horreur.
Son expérience est un processus de découvertes horribles, de plus en plus
précis. Il a l ' impression d'être devant " une immense, universelle lIOClUerie-(2)
(1) n Deux aDnées qui se battent, c'est comme une grande a:r:mée qui se
suicide" Le feu, Paris, Flammarion, 1916, p. 363
(2~ Louis Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, GallimaJX:,
1932, p. 19 ( reéd. de 1952 )
1
-17-
1
La folie meurtrière semble saisir tout le monde et Bardamu appara!t comme
un grand lucide dans une assemblée de fous. L'absence de raison et d'huma-
nité dans l'acte guerrier est affirmée.par une comparaison entre soldats et
chevaux (1).
La critique de la guerre n'épargne pas l'arrière. Elle se rédui-
rait d'ailleurs à une psychologie de l'armée. L'héroi• • de l'arrière et
la débauche qui y r~gne sont sévEh-ement parodiés. Louis Guilloux consacre
son reman .!:!. Sang noir à la satire
de l'héroisme et des moeurs de l'arrière.
Il faut cependant remarquer, et c'est là la thèse qui porta l'il-
lustration de la b~tise, que Bardamu n'est pas un saint innocent plongé dans
un monde ignoble. C'est seulement son rele de narrateur qui le démarque des
autres. Il n'est différent que parce qu'il est le juge. La preuve semble
en @tre fournie par Robinson son double et reflet.
Au contraire èI.eAe
du roman traditionnel où une bipartition sa-
1
vamment dosée fait coexister ou entrer en conflit un monde bon et innocent
avecun autre pervers et mal intentionné, Céline applique dans
Voyage au
bout de la nuit le régime de la loi unique. Les personnages de Céline (2)
retirent de leur expérience une sorte de souffrance d'origine métaphysique
et transcendantale. Cela crée leur condition tragique et les emp~che d'adop-
ter une conduite pratique de lutte. c mtre le mal. Ils ne dépassent jamais
le refus hystérique et subjectif du monde.
La guerre, fait accidentel etconjoncturel ne semble pas suffire
pour justifier une condamnation de la civilisation quand bien m~me elle il-
lustre la b~tise humaine. C'est pourquoi Céline s'en prend à la colonisation,
une fille, elle aussi,
de la raison et de la civilisation. La juxtaposition
de sa perfidie hypocrite avec la corruption et lamasquinerie des sauvages
d'Afrique permet de livrer un démenti à la thèse rousseauiste de l' homme
1.0ù les chevaux ne sont pas, eux, hypocrites:" Les chevaux ont bien de la
chance eux, car s'ils subissent aussi la guerre, comme nous, on ne leur de-
II
mande pas d' y souscrire, d'avoir l'air d' y croire" Voyage ... p. 41
..
2. Et certains de Drieu et de Ha1r.::tux
1
1
-18-
naturellement bon. Dans la même perspective se situe le voyage en Amérique,
la confrontation avec le modèle le plus accompli du capitalisme. L'expé-
rience oméricaine s'ouvre sur une critique du scientisme et du rati~-
lisme, du matérialisme fanatique (1). Le séjour de B3xdamu en banlieue pa.-
risienne poursuit la mise en scène de la perfidie.
Plusieurs autres romans de l'entre-deux-guerres peignent la fa-
lie humaine'. Cette bêtise est souvent associée à une certaine hypocrisie
sociale. Ainsi Le sang noir de ~lloux rejoint .!LA Voyage au bout de la nuit.
Ce livre est néanmoins beaucoup moies subjectif et moins immédiat dans son
langage que le livre de Céline. Cripure est une sorte de conscience luci-
f
de et hargneuse, m@me s'il n'est pas toujours sincère, à l'intérieur d'un
1
immense et aveugle j eu thé~tral où la guerre sert de suj et. Mais chez Guil-
t
loux comme chez le Sartre de La nausée, la peinture de la comédie sociale
l'emporte le plus souvent sur celle de la bêtise.
b) La 9.9Jllédie sociale :
Le trait le plus évident du personnage romanesque de 1930 à
1945
se lit dans sa démarcation nette avec le milieu dans lequel il évolue.
Cette divergenca apparaît dès qu'on considère l'état civil.Bardamu,Roquen-
tin, ClaudeVannec, Gilles Gambier etc ••• n'ont aucune attache sociale. Ils
sont pour la plupart célibataires et orphelins, libérés de toute responsa-
bilité et charge. Le poids de contraintes réelles ne pèse jamais sur leurs
épaules. Pour preuve, ils disposent de l'aisance matérielle (sauf Bard~u),
étant le plus souvent des rentiers. Cela les dispense d'~tre impliqués
directement dans la
mouvance sociale. Ils occupent ~insi une situation
privilégiée pour juger le monde avec objectivité. Du coup se pose le pro-
blème des critères de référence. Pour le citoyen ordinaire ce sont les élé-
ments constitutifs de la morale et de l'éthique de la communauté. Accepter
ces critères c'est aspirer à ~~ idéal social fait d'une lon~~e tradition
1- Comme 'm t0I:loiç;ne le vocabulaire religieux de certains passages : " Quand
les fidèles entrent dans leur banque ( ••• ) ils se confessent quoi"
vOY?" pu bout de la nuit p.176
1
-19-
de civilisation bourgeoise. Comment des gens conscients de la faillite du
système peuvent-ils adopter cette conduite? Les personnages romanesques
1
de l'entre-deux-guerres croient, dans leur majorité, avoir réalisé la dif-
1
ficile et courageuse performance de rupture avec les fausses valeurs. Pour
!
eux les moyens sont la sincérité et la lucidité. Dès lors ils perçoivent
les conformistes comme des gens qui, avec toute la mauvaise foi possible,
s'accrochent à une idéologie dont ils savent la fausseté. Ces personnages
lucides peuvent considérer le monde, Roquentin l'avait fait devant une sal-
le de restaurant, comme une farce. (1)
Le refus de la vie sociale perçue comme une comédie prend fré-
quemment ses sources dans le rejet de l'escorte idéologique qui accompa-
gne les faits quotidiens et habituels; et m~me de ceux qui sont plus sin-
guliers, comme la guerre. Le projet satirique visant à ruiner l'idéologie
dominante s'~ttache ainsi à montrer l'insincérité de l'engouement pour le
nationalisme et l'héroïsme. Le sang noir de Guilloux et Voyage au bout de
la nuit de Céline nous présentent les acteurs de cette comédie sous des
tons différents. Dans Voyage au bout de la nuit tout est raconté du point
de vue de Bardamu. Dans le livre de Guilloux les visions sont plus imper-
sonnalisées; le narrateur est d'ailleurs différent du héros. La satire n'est
pas moins présente. P2r exemple Babinot le grand patriote est ro~par des
soldats ~ qui il offrait des poèmes. Guilloux dégonfle ainsi le patriotis-
me en montrant l'idée que s'en font les véritables guerriers. En humiliant
le patriote verbeux, Guilloux montre que cette idéologie est un pur arti-
fice entretenu par des gens dont le désir est de s'exhiber.
La distinction entre narrateur et personnages fournit la possi-
bilité de juxtaposer des points de vue différents. Dès lors plusieurs sys-
tèmes de pensée circulent dans le texte. En plus de la représentation, la
1- "Je parcours la salle des yeux. C'est une farce." sartre, La nausée,
Paris)Gallim3Xd,1938.col. Folio 1980 p.158
f
1
i
li!
-20-
,
~.
description aide à railler le ridicule . . . . . . . ~..... Ce que Henri
,
Mltterand appelle, au plan de l'énonciation, n le soliloque de l'auteur,
r
face au mod~le dont il pose l'existence" (1) reproduit le commentaire du
1
narrateur sur les faits présentés. Ce
surplus d' infonnation n'est pas
excessif car il limite la polysémie du texte en proposant une cOIlllDtation
t
f
principale. Nous cOlllprenons donc pourquoi., malgré le caractère dialogique
f
des passages relatifs à la f@te, l'auteur glisse dans Le Sang noir les in-
1
t
trusions du narrateur (et peut-~tre de lui-m~me). Ceux-ci ne portent pas
à . e'AX seuls le connot2.tum de fausseté puisque les dialogues les représen-
tent, mais ils en précisent l'effet et la signification sous-jacente. Ce
procédé sert la plupart du temps à dévaluer un personnage ou une idée.
Les faits satirisés sont ainsi perçus à. travers la conscience lucide du per-
sonnage (2). La polyphonie permet à Guilloux de décrire les scènes et de
t
les commenter. C'est le commentaire dont la fonction signifiante est paral-
lèle à la description (c'est-à-dire qu'il précise sans modifier la signifi-
1
cation de la description) qui est le véritable pilier du sens corJloté qu'est
i
le comique.
Pour arriver à cette fin la voix rebelle(3) utilise l'hyperbole
et la parodie. Ces techniques ont l'avantage de para!tre remettre les cho-
ses à l~ur place et même quelque fois d'épouser l'objectivité.
li~ai le
lecteur adhère au point de vue de Cripure quand celui-ci, compte tenu de
ce manifeste 8xe'. de patriotisme, pousse la logique à l'ext~me et im~-
gine qu'au lieu du ruban et en bonne justice, il faudrait distribuer
des
1- Henri Mitterand Le discours du roman p 6
,2- Par Axemple voici comment est décrite la cérémonie de décoration de ~Me
Faureh" P:lrtout on s' agH::d.t .. C'était un brouhaha sans fin. Cripure se, 4r"1t
au théâtre, quand les musiciens accordent leur instrument
avant le lever
du rideau.ch:J.cun ,?ssoy::it
sa voix, son regard .'r te :Jang noir, Paris, C"tllimard,
1935 p 304
3- Ici Cripure
î
1
1
1
-21-
membres amputés ou des cadavres entiers (1). En m~me temps cette vision
des choses garde présente à l'esprit l'horreur de la g\\1erre et par voie
de conséquence celle de ses provocateurs. Le réalisme de Cripure, en pro-
posant la réduction par analogie
de la distance entre le symbolisant (la
décoration) et le sy:I!lbolisé
(l'idéologie patriotique)
fonctionne comme la
conséquence logique des faits, tout en restant foncièrement subversif.
Dans VOyage ~ l2!i ~ ~~, la pratique sociale peut-@tre,
certes, perçue comme un faux semblant mais c'est surtout la perfidie et
la folie humaine qui sont dénoncées. Il faudra attendre la nausée de Sar-
tre pour que cette perfidie ne soit plus attachée au dégo~t qu'inspirent
les actions sociales elles-m~mes, mais à l'insincérité des "salauds". Le
procès de Sartre persuade d'autant plus le lecteur qu'il porte sur la vie
quotidienne du bourgeois alors que Céline et Guilloux choisissaient des
événements ou des milieux singuliers. Le héros de Sartre commence sa g~iti
que par la peinture du caractère dérisoire des actions. Pour cela il se re-
fuse à dépasser le sens dénoté des actions qu'il perçoit. Celui-ci se tisse
le plus fréquemment, à partir de la fonction. Pour Roquentin l'hypocrisie est
à la base des pratiques sociales bou~eoises. La vie lui apparaît comme une
immense comédie. Par exemple la cérémonie religieuse du dimanche (La. n,cusée )
en est une illustration
pertinente. L'office religieux,
mis en parallèle
à l'ouverture des bordels, réduit au fait de boire du vin, est ramené à son
sens immédiat à des fins satirique.) Comme cela se voit, le travail subver-
sif du journal de Roquentin commence par la critique des institutions et
des pratiques les plus cOcmuDément admises.
Plusieurs alibis de la comédie sociale reposent sur la gloire, le
culte de la grandeur et· de la persormalité. L'exemple des"grands" de Bouville
a déterminé une fois pour toutes 'idéal de la communauté. Ce sont les m~messen5
qu'on évoque pour justifier 1. conformisme. Ils dispcn:::ent de prendre toutes
1- Louis Guilloux: Le sang noir, p 306
-22-
responsabilités. Des pratiques hypocrites et des alibis conventionnels
non moins faux, tels sont les composants de leur civilisation. Parce qu'elles
sont insinc~res et inauthentiqu8.3 les personnages romanesques-rejettent
les certitudes bourgeoises comme tas faux fuyants. Le conformisme devient
alors signe de défaitisme. D~s lors le problème fondamental n'est pl~~ seu-
lement le désir de lucidité.
B)
"SION NE CROIT A. RIEN"
( 1).
La peinture satirique
que les héros de La nausée,
du Sang ~,
de Voyage ~ ~ ~ .!§!: œJi font de leur société et de sa civilisation ma-
nifeste claireaent leur rejet de celles-ci. Ni la foi religieuse ni l'éthi-
que sociale, qu'elle soit esprit de famille ou cette autre forme de confor-
~isme qu'est la morale sociale ne les anime. Bien qu'ils aient rejeté toutes
les certitudes qui fondent l'équilibre social, ils n'en demeurent pas moins
convaincus d'autres vérités. Celles-ci sont douloureuses, d'autant plus
qu'elles affirment le caractère injustifié de l'existence, la perfidie fon-
damentale de l'homme, l'inanité de son idéologie sociale.
Cette attitude de la table rase a des conséquences immédiatement sensibles
a)La solitude :
Ce trait revient dans les portraits de personnages centraux des
romans de l'entre-deux-guerres. Il est aussi bien physiqlle que psychologique.
Au plan physique m~me l~ s~mple camaraderie est inexistlPte. Cripure vit
avec son ancienne bonne. Mais la rancoeur que crée en lui son oeuvre r2tée,
sa femme partie, le dégoe.t du monde qui l'entoure, et p.n m~me temps l".sprit
i3impl.et de cette illettrée ancienne bonne,éc:'..rtent du couple, la, pos-
sibilité d'une communion réelle.
Au lycée le phil.csophe est méprisé et fui
de ses collègues. Lui-m~me refuse toute société.
Bardamu baigne parfaitement d'na le pessimisme. Il s'avère impos-
sible qu'une quelconqu4 vertu puisse l'attirer ou le retenir auprès d'un
1- André Malraux, .!§!: condition humaine. Paris, G~llimard 1933 col Folio R 208
-23-
d 'un ~tre humain. La misère générale de la guerre ne l'a point rapproché
des autres. Médecin de pauvres dans la banlieue parisienne, il demeure é-
,
"',
tranger, degoute de la vie qu'il partage malgré lui. Robinson est comme
son ombre mais Bardamu voit en cet homme un mal qui le suit.
A Bouville Roquentin traîne entre son hôtel, la biblioth~que et
les cafés, ruminant ses obsessions. L'alibi de la biographie de H. de Rol_
lebon s'est bien vite envolé. Sa solitude est assez grande et il en mesure
parfaitement l'étendue (1)~
Leur psychologie traduit assez éloquemment la solitude de Barda-
mu et de ses cadets. Quand les autres sont retenus par des intér@ts basse-
ment matériels ou le meilleur profit à tirer de la comédie sociale, ces per-
sonnages s'indignent du dérisoire de la vie sociale et se posent des ques-
tions métaphysiques. Il n'est pas gratuit qu'un philosophe (Cripure), un
historien (Roquentin) et un médecin (Bardamu) s'interrogent sur le sens de
la vie. Pourtant ces personnages lucides ne raisonnent pas de façon pure-
ment abstraite. Au lieu de s'interroger sur l'origine et la cause de l'exis-
tence par exemple, ils constatent qu'elle est là et, d~s lors, se demandent
comment lui donner un sens. Ces inquiétudes les écartent naturellement du
troupeau. La solitude ne se guérit pas par la seule présence des autres.
Non seulement la communauté d'intér@t est requise mais ancore faudrait-il
que rien n'en détourne. L'acte par lequel le personnage communie avec les
autres ou réalise se3 projets doit @tre suffisamment motivant. Tel n'jst
malheureusement pas le cas dans la pratique sociale consacrée. M~me les
révolutionnaires de Malr~ux, jetés dans la multitude des camarades et tout
absorbés par leur lutte, apparemment, sont en réalité des isolés.
Le personnage de roman de 1930 à 1945, m@me s'il est déclassé et
déraciné, n'a pas réussi le plus souvent à instaurer un nouvel ordre ni
1. Ainsi se dit-il,quand l'autodidacte qui l'a invité lui témoigne de la sol-
licitude: "Quelqu'un se soucie de moi, se demande si j'ai froid; je parle à
un autre homme; il ya des années que cela ne m'est 3.rrivé" La. nausée p. 148
-24-
même à adhérer à un projet de société défini. Sa démarche est alors incon-
testablement négative puisquielle ne suscite aucun espoir.
Est-ce à dire que les protagonistes de ces romans sont compl'tement passifs
et défaitistes, qu'ils se suffisent d'un cri lucide mais de désespoir?
M'Ame si le langage intestinal de Bardamu porte à croire cela, on pourrait
se demander s'il n'y a pas, au delà du sens immédiat, une certaine quête.
b) L'ambition
Le roman du 1ge siElcle lui faisait la part belle. Rien d'étonnant
puisque le héros était problématique et son ambition demeurait le perfec-
tionnement du système. Mauvais citoyen ou incompris, le personnage ~'en
était pas moins sociable. Le roman de 1930 renverse la perspective. L'am-
bition subversive se veut totale et fondamentale. La perfidie et l'horreur
de la société ne laissent plus entrevoir une possibilité d'accommodation.
Alors les idéologies deviennent des instruments théoriques systématiques
que les hommes se donnent pour détruire le statu q,uo. Mais une idéologie
projette le plus souvent, au delà du renversement de ce qu'elle conteste,
la réalisation d'un idéal qu'elle juge seul valable. Cette dernière dimen-
sion manque à Bardamu et à ses pairs. D'ailleurs, le pessimisme ,.î;u héros
de Céline est au delà de tout espoir constructif. Il ne cherche qu'à fuir(1).
Bardamu sait pourtant qu'on ne peut se sauver par l'égoIsme ou la misanthro-
pie, le mal étant intrinsèque à l'homme. D~s lors, il attend la mort et
l'avilissement inévitable; son cri ne cherche pas à les conjurer mais à
en mesurer toute la dimension et l'imminence.
C'est en fait un discours
qui rejette le réel social et toute la pensée fondée sur un espoir en ce-
lui-ci. Il faut sans doute insister sur le sens anticonformiste de l'ambi-
tion de certains héros du roman de l' entre-deux-guerres; car nombreux sont
les cas où les personnages luttent sous l'impulsion d'une ambition; celle-
ci , et c'est là qu'est la nouveauté, n'a pas pour motif une ascension so-
1. B?.rdamu dit de la guerres" Dans une
histoire pareille, il n'y a rien
à faire, il n'y a qu'à foutre le camp .. Voyage au bout de la nuit p. 19
-25-
ciale mais cherche à triompher de la condition humaine. Cette dernière se
compose d'une vie et d'une liberté qui sont données sans que l'on puisse
s'en servir pour s'affirmer ou se justifier en tant qu'existant. Or le but
de Roquentin est, sans emprunter les alibis des lit salauds ", de se délivrer
du poids de l'existence.
Aussi nombreux que soient les moyens utilisés pour les réaliser,
les <"mbitions des personnages de l'entre-deux-guerres sont presque toujours
réductibles à l'affirmation d'une qu@te de dignité et de moyens de surmon-
ter la condition humaine. Une pareille attitude n'est dictée par aucun sys-
tème politique doctri~aire codifié. A L'exception de certains personnages
de Malraux, qui d'ailleurs ne se servent de la révolution que pour assouvir
leurs désirs personnels, les solutions préconisées sont presque toujours,
en ce qui concerne les romanciers de la nouvelle tradition subversive, d'or-
dre individuel. J. Bousquet a clairement expliqué cela:
" Il s'agit de faire avec sa propre vie un intrument pour explorer la vie
collective et de ne venir tout à fait à bout de cette difficile ambition
que par l'extériorisation littéraire de l'e~2rience " (1)
Ainsi la révolte consécutive à cet état ne débouche sur aucun es-
poir positif. Elle s'arr@te au désir de détruire ce qui est socialement
établi et à celui d'~tre plus fort que le transcendant. Une pareille ambi-
tion n'est pas assouvie au premier tour de main. Les romans rendent surtout
compte des nombreux échecs et des sentiments qui leur sont corollaires.
C'est pourquoi les personnages ressentent une réelle souffrance devant le
spectacle de la vie.
c) La détresse:
~lle est générée dans le roman par deux constata ~ssentiels des
héros: l'inanité de la civilisation et l'abs~nce d'une nouvelle éthique.
1. Jo~ Bousquet Il Aminadab de M. Blanchot" in Problème du roman, Confluen-
C~B nO spécial 1943 p.160
-
-26-
La tentation du suicide plane aussi sur la vie de tous ceux qui mesurent
le tragique de cette situation. Cripure, Michel Kraus (1) vont y céder.
Le suicide se présente ainsi comme le refus extr~me de la réalité sociale,
la marque d'une détresse excessive. Il se classe cependant parmi les fo~es
de fuite. Il symbolise alors un comportement passif et défaitiste mais re-
présente néanmoins un aspect glorieux et romantique. C'est la possibilité
de disposer de sa vie, d'~tre plus fort que la mort en la conquérant. De
plus le suicide inspiré par le dégo~t de la vie affiche une leçon, la vic-
time se donnant en exemple. La condamnation,sans appel, n'est pas suiviede
propositions constructives. Le nihilisme serait alors une idéologie de la
destruction de toute idéologie. Le suicide porte en lui-m~me la preuve
d'une impuissance ou d'une défaite, c'est un désespoir total.
Le roman met en spectacle d'autres formes de désespoir plus lâches.
Ce sont celles. qui caractérisent les personnages lucides devenus ou demeu-
rés des " salauds n. Dans la plupart des fic~~ions ce sont des bourgeois hy-
pocrites qui jouent la comédie de la respectabilité et de la sociabilité.
La monotonie d'une vie aussi conformiste, la tranquiD.ité des bourgeois et
les activités qui forment le fond de leurs valeurs révoltent les sincères.
Roquentin décrit merveilleusement cela:
If
Ils sont paisibles, un peu moroses, ils pensent à demain, c'est-à-dire,
simplement, à un nouveLaujourd'hui; les villes ne disposent que d'une
seule journée qui revient toute pareille à chaque matin. A peine la pompon-
ne-t-on un peu, les dimanches. Les imbéciles. Ça me répugne de penser que
je vais revoir leurs faces épaisses et rassurées. Ils légifèrent, ils écri-
vent des romans populistes, ils se marient, ils ont l'ext~me sottise de
faire des enfants. " (2)
Libérés de cette hypocrisie perfide les sujets n'en rencontrent
1. Respectivement personnages du Sang noir de Guilloux et du Quai des bru-
~ de Mac Orlan
2. Jean Paul Sartre, La nausée p. 221
-27-
pas, pour cela, ipso facto la grandeur, la dignité d'une vie justifiée. Que
leur reste-t-il après qu'ils se ~oient dépouillé .de .tout ce qui composait leur
civilisation. Le héros de La nausée, fait un constat
douloureux qui répond
à cette question :
" Je suis libre : il ne me reste plus aucune raison de vivre, toutes celles
que j'ai essayées ont laché et je ne peux en imaginer d'autres. Je suis en-
core assez jeune, j'ai encore assez de force pour recommencer. Mais que faut-
il recommencer? " (1).
Il nous confie que son passé n'incite point à l'espoir; le résultat de sa
démarcation d'avec la société lui est presque fatal:
" Seul et libre. Mais cette liberté ressemble un peu à la mort" (2).
Un pareil état psychologique ne permet pourtant pas d'expliquer
toutes les causes du tragique dans lequel vivent les personnages. Il y a
aussi l'absurde comme par exemple la mort. Celle-ci fait en sorte que la
vie est vue " sur fond de néant" (3). Le pouvoir de la mort n'est pas seu-
lement dans la force de transformer la vie en destin. Elle lui Me aussi sa
dignité et la rend dérisoire en effa?ant son oeuvre. Ainsi ce n'est plus la
mort seulement qui est absurde mais aussi la vie. Perken ne s 'y trompe pas.
" Etre un homme, plus absurde encore qu' ~tre un mourant " (4).
Cela n'~te pas à la mort son caractère tragique. Celui-ci ne saisit pas seu-
lement le mourant, accusant le monde et l'existence. Il ya aussi la douleur
des témoins et leur impuissance. La mort de l'autre rappelle leurcondition,
désigne leur sort.
En définitive on peut constater que la situation du personnage
1- Jean Paul Sartre, La nausée
p 219
2- Idem
3- Gaétan Picon, MDlr~x par lui-m~me, Pdris, Seuil, 1961 p.71
4- Malraux,la voie ~')yale ,Paris B. Gasset, 1930, éd. le livre de Poche, p. 178
-28-
romanesq.ue est parf3itement r~suméf,par cette dLltribe de Céline d~1nS Nord S
.
---.'
" La. raison est morte
8D 14, nCY"J"embre 14••• après c'est fini,
tout décon-
ne " Cl)"
Es effet ni la religion, ni l'édifice de civilisation bourgeoise
bâti sur la raisor. et la tradition ne survivront au raz-de-~ée destruc-
teur qui marquera toute la première moitié du 20e sièc12. Rendre déri30ires
les valeurs,montrer l'insincérité des eivilisés
la vanité des alibis et mesu-
p
rer la conséquence de tout cela pour un lucide non hypocrite, conséquence
faite de tragique et de misère morale, tels sont les traits des systèmes idéo-
logiques de toute une tradition romanesque de l' entre-deux---guerres. Dans c.d;G..
tV'~ch·tio., la fiction ne porte plus d' items catalogables comme des éléments
composants_ou distinctifs d'une idéologie politiquement constituée.
Les idées développées sont certes systématiques et même didactiques
puisqu'elles enseignent la destruction de l'idéologie dominante mais elles
ne débouchent sur aucune doctrine politique en .vue d'instaurer un modèle social.
Si nous ~vons insisté sur une nouvelle tradition subversive et particulière-
ment, ici,sur la guerre des idées après celle des armes, cela ne veut nulle-
ment dire que n~ Eéduisons toute la production romanesque de l'époque à
une seule catégorie. Mais ce roman de l'interrogation métaphysique et mora-
le jouit d'une certaine hégémonie. A o~té existent d'autres romanciers q'lP.
leurs soucis sociaux rapprochent du roman du 1ge siècle. En cela ils sont
moins métaphysiques dans leurs propos même si le tr:-'.gique de l'existence
affleure dans leurs livres. Ces auteurs ne dénoncent pas seulement le mal;
ils l'expliquent, proposent des remèdes dans le cadre plus ou moins claire-
ment défini d'une idéologie politique dont le système porte un projet de so-
ciété. Tous ces romans rejettent évidemment l'idéologie dominante. Mais
1- 10uis Ferdinand ~éline, Nord
in Romans II, F 'ri3, Gallimard Pléi~~dc,
-29-
quand les auteurs de la nouvelle tradition subversive (1) refusent toute
fiabilité aux idéologies historiquement repérées et constituées en doctrines
politiques actives, certains autres contestataires dont Drieu et Aragon se
penchent sur le réel du corps social et au delà da la constatation de la
faillite de la civilisation bourgeoise, proposent des solutions fortement
inspirées des modèles politiques.
La différence entre ces deux sortes de romans n'est pas uniquement idéolo-
gique. Ceux qui illustrent la nouvelle tradition subversive veulent @tre
radicaux dans leur rupture avec la tradition tout court. Ainsi veulent-ils
changer d'armes en bouleversant l'écriture du roman.
1- Il nous semble donc aller de soi que la nouvelle tradition subversive
c'est celle de ce roman anticonformiste et rebelle à toute idéologie
'
politique constituée. Elle inspire cette partie de la thèse.
-30-
CHAPITRE ~ 1 LES ATTENTATS Tm'UEI.S 1 ARMES DE SUBVERSION ET SUBVERSION
DES ARMES
Philippe Muray dit dans son Céline 1
ft
La terreur dans les lettres est née aux alentours de la terreur idéolo-
gique. Les j Oy8UX mots d'ordre d'anarchisme dans la langu.e ont poussé dans
l'ambre de la criminalité politique. Les attentats textuels se sont multi-
pliés au même rythme que les bombes." (1)
Oes affirmations montrent qu'à partir des années trente et surtout de VOyage
~ ~ .!!! ~ ~ la subversion n'a pas épargné le modèle du système tex-
tuel hérité des
grands sa.ltres du 1ge siècle. Celui-ci en tant que compo-
sant d'une somme d'usages, donc élément d'une idéologie, sera remis en ques-
tion. Il n'ya là rien de surprenant si l'on sait que le roman était jusque-
là facteur de socialisation. M. Nadeau l'a montré en disant que le roman
de Balzac, 'olsto! et Dickens etc. exprimait le mécanisme de la réalité
sociale •
. "omniscient ubiquiste semblable à. Dieu, le romancier crée un· univers qui
constitue l'équivalent exact, lisible et significatif du monde qUi l'entoure.
Il tire les ficelles de sa "comédie humaine" (2).
Pour une sensibilité qui rejette en bloc la société, lui refusant
toute perfection obtena.e par une simple amélioration, la tradition de l'écri-
ture romanesque sera également refusée. Le roman va s'adapter aux propos et
sera, pour cela même, subverti
autant dans ses thèmes que dans son écriture.
Il n'en cesse pas cepandant d'être un instrument de subversion pour ce qu'il
bouleverse la tradition.
A) LE REFUS DU ROM.i\\NESQUE
1- Philippe Muray, Céline 'paris ,Seuil, 1981 ,col Tel Quel ,P. 43
2- Maurice NadeaJI , le roman français depuis la guerre, Paris, Gallimard,
1963 p.15
-31-
far souci de précision et de véracité Antoine Roquentin s' inter-
roge, avant de COlllllencer son joumal, sur le meilleur moyen de noter ses
sensatians et ses perceptions. Il va s'exercer d'abord sur l'étui de cax-
ton qui contenait sa bouteille d'encre. Le résultat l'arr@tera net s
" Eh bien, o'est un paralléllpipède rectangle, il se détache sur - c'est
idiot, il n'ya rien à en dire. Voilà ce qu'il faut éviter, il ne faut pas
mettre de l'étrange où il n'ya rien" (1).
Le héros de Sartre ajoutera une fois plongé dalls son texte •.
" Je n'ai pas bp-soin de faire des phrases. J'écris pour tirer au clair cer-
taines circonstances. Se: méfier de la littérat.lU'e. Il faut écrire au courant
de la plume ; sans chercher les .ets" (2).
Ces phrases se donnent à lire comme une véritable glose du narra-
teur et partant de l'auteur. Elles sont significatives 1'un refus de la .
littérature. Elargissant le constat, on pourrait affirmer que les romanci-
ers de l'angoisse et de l'absurde, dans leur entreprise de subversion?n'ont
pas épargné leur moyen, le roman. La nausée est un exemple parmi tant d' au-
tres. On peut citer Voyage au bout de la nuit, La voie royale, Aden Arabie
( de Paul Nizan) etc. Cependant le refus ne vise pas le roman en lui-m~me
mais plutOt la tradition de son écriture. Ce qu'on abhorrait à la suite des
surréalistes c'est de dire s Il La marquise sortit à cinq heures ". Mais
l'analyste pour
qui le principe est de ne rien écarter par tempérament est
obligé de s'interroger sur les pGrticularités de cette phrase que toute
une génération d'écrivains cherchent à éviter.
a) L'incipits
Cette performance semble ~tre le début d'une narration. Aragon
qui, au temps du surréalisme l'aurait dénoncé, mais finit devenu réaliste,
par y avoir recours, l'a théorisée et appelé Incipit. Mais l'incipit d'Ara-
gon n'est pas le début conventionnel qui caractérise une écriture normée,
1. Jean Paul Sartre, La nausée, ,. 11
2. Idem p.85
-32-
épousant un canon traditionnel précédemment construit.
" En fait, et c'est ce qu'il faut comprendre, je n'ai de ma vie, au sens
où l'on entend ce verbe, écrit un seul roman, c'est-à-dire ordonner un ré-
cit, son développement, pour donner forme à une imagination antérieure sui-
vant un plan, un agencement prémédité " (1)
Les auteurs qui illustrent la nouvelle tradition subversive peu-
vent épouser ce point de vue d'Aragon. Les débuts de leurs récits cherchent
à " délittéraliser " leurs propos par des artifices qui inscrivent le tex-
te dans un discours familier ou à la limite neutre. C'est dans cette opti-
que qu'il faut comprendre l'avertissement des éditeurs qui ouvre La. nausée
et qui explique l'origine du texte. Mais ce texte lui-m~me affiche, d~s le
début, le refus du romanesque puisqu'il s'ouvre sur une problématique dis-
cutée par le personnage, dans un monologue: comment rendre compte et le
plus efficacement, avec un minimun de littérarité, de ce qui arrive à .'\\n-
toine Roquentin.
Dans Voyage au bout de la nuit de Céline l'incipit existe mais
il n'est pas héritier du 1ge si~le. Là encore le roman commence par une
glose. Ce n'est pas un moment idéal, choisi pour le début du récit, mais
l'acte par lequel le récitant justifie son action:
"Ca a débuté comme ça. Moi j'avais jamais rien dit. Rien. C'est Arthur
Ganate qui m'a fait parler" (2)
Un texte qui commence par se justifier et revendiquer son carac-
tère de texte subvertit le réalisme sur lequel le roman s'est jusque-là
fondé pour acc~éditer son discours comme tre~sposition du réel ou fabric~-
tion du vraisemblable en fiction. C'est la subjectivité assumée ( nous en
reviendrons) contrairement à l'ob~ivité du discours, neutre mais non in-
nocent,du 1ge si~cle. La personne de l'énonciation ( le je ) se substitue
1. Louis Aragon, Je n'ai j~~is appris à écrire ou Les Incipit, Genève
Albert Skira, 1969 p. 4ï
2. Louis Ferdinand Céline, VOY8.ge élU bcmt de la nuit p.15
-33-
à la non-personne ( le il ). Mais le romanesque n'est pas seulement dans
la maniàre dont le roman aborde son lecteur. Il y a des aspects beaucoup
plus évidents qui, eux aussi, informent sur le rapport avec le romanesque.
Ceux-ci " réalisent "le texte non au sens du réalisme littéraire mais dans
oelui d'une insertion dans le discours q,uotidien en ce qu'il est texte in-
formatif. Cette chasse à la littérarité utilise plusieurs moyens.
b) La. temporalisation redondante
" La marquise sortit à cinq heures " est un énoncé qui inscrit
son action dans un temps et un espace narratifs; mais le récit ne manquera
pas de s'inscrire dans un espace textuel où, allié à la description et à
,
t~
,
'
la represention, il va se constituer en fiction. L ideal du roman tradition-
nel est de mouler les éléments de l'histoire sociale qu'il intégre dans un
monde cohérent OÙ il cherche à emp~cher leur reconnaissance, quand bien
m~me c'est de leur articulation en système et &eîk
seulement qu'ils reti-
rent leur logique. Voilà pourquoi la bonne littérature est pour l'idéologie
dominante des récepteurs, celle qui est datée sans trop s'assujé~r à son
contexte temporelle. Toute les littératures sont datées, cela va de soi
mais l'inscription dans le temps s'affiche en exc~s d~s que la temporalisa-
~ion est explicite. Cela se comprend si l'on sait que toute marque de tempo-
ralité ~.t un moyen d'authentifier le récit. Parallèlement l'authentification
excessive est une tendance à la non-littér~ité. Le roman traditionnel
l'évite alors mais ceux qui rejettent le romanesque l'ont presque consti-
tuée en r~gle. Charles Grivel explique le processus:
" Chaque marque du temporel
dément explicitement le texte en désignant
l'original (cette" histoire" qu'il récite) et donc ne le fait pas voir
pour ce qu'il est, c'est-à-dire une activité de fiction. Temporalisation
signifie camouflage du romanesque du roman. ,,( 1)
Ainsi le journal de Roquentin, décrivélIlt son temps de manière
1. Charles Grivel, Production de l'intér~t romanesque: un état du texte
(1870-1880), un essai de constitution de sa théorie, La Haye, Paris,
Mouton 1973, p. 100
-34-
redondante, camoufle, ce qui est refus, son caractère romanesque. Sa linéari-
té et sa forme chronologique ne surprennent donc pas. Ici la temporalité ne
se refuse pas en se morce.--:lant.
Voyage au bout de la nuit de Céline, paraît moins fortement daté.
Cela est sans doute vrai mais il n'en est pas moins temporalisé. D' ,.:dlleurs
la temporalité ne recoupe pas entièrement la datation. Elle est correspondan-
ce entre le temps diégétique et le temps chronologique tandis que la datation
peut se comprendre comme un moment de cette superposition des temps. De ce
fait le récit de Bardamu est mal daté mais fortement temporalisé. Le statut
du narrateur contribue à ce phénomène. Il serait possible de multiplier les
-
exemples. Citons donc le roman de Guilloux qui relate le demier jour d'un
philosophe marginalisé.
c) Cesser de réciter:
Roland Barthes décrit, dans Le degré zéro de l'écriture, l'inscrip-
tion du roman dans un temps mythique et élastique, sans épaisseur et émergeant
..(i'ti·Qij
d'une autrefois où JCl 1insiste sur un instant, débarrassé du tremblement de
l'existence. Ici le moment privilégié qui permet de dater un roman est un
" souvenir utile, dont l'intér~t compte beaucoup plus que la durée. " (1)
Il est peut-~tre temps de montrer que contrairement, semble·t-il, à ce que
nous avons dit jusque-là, " la marquise sortit à cinq heures" est une notation
fort précise. Pourtant le roman peut dater des faits mais les inscrire dans
un passé flou et mythique. Le passé simple narratif est ce qui rétablit,
artificiellement, sous une illusion la clarté du monde décrit. :Barthes dit
que ft gr~ce à lui, la réalité n'est ni mystérieuse, ni absurde." (2) Il ex-
plique aussi:
" Le passé simple signifie une création: c'est-à-dire qu'il la signale et
qu'il l'impose. ~me engagé dans le plus sombre réalisme, i l rassure, parce
1. Roland Barthes, Le degré zéro de l'écriture,Paris, Seuil, 1953 et 1972 p.26
2. Idem
-35-
que gr~ce à lui, le verbe exprime un acte clos, défini, substantivé,le Récit
a un nom, il échappe à la terreur d'une parole sans limitel la réalité s'amai-
grit et se familiarise, elle entre dans un style, elle ne déborde pas le lan-
gage. n (1)
L'objectif de Céline, de Sartre etc ••• est plut~t d'éviter un pa-
reil récit. Il ne s'agit pas, dans le refus de réciter, de proscrire le pas-
sé simple mais de s'abstenir d'en faire un pacte d'intelligibilité et de so-
ciabilité comme le fait le roman bourgeois. C'est pourquoi malgré les mille
cinq cent quatre vingt huit utilisations du passé simple que dénombre G. Hol-
tus (2), le Voyage au bout de la nuit de Céline demeure une entreprise subver-
sive dans son dire et dans sa manière de dire. Le style de Céline en tant
que preuve de ft l'impossibilité de raconter les choses dans l'ordre de la 10-
gique naturelle "(3) dénonce donc
cet art ' de réciter qui met, comme disait
Roquentin" la raison de son cMé " (4). La raison, ici, organise le récit.
Parmi les techniques usitées il y a l'objectivité qui, effaçant l'instance
productrice du discours,l'investit d'une représentation, les'choses se lais-
sant lire elles-m~mes. Cela oblige le roman du 1ge si~cle et ses avatars fi-
déles à ne pas se passer du rituel de l'ornement que la description rend pos-
sible. S'il Y a évocation objective dans les textes de Céline, de Malraux,
'de Sartre et de Guilloux, celle-ci n'est pas une description au sens balza-
cien ou naubertien. On a pu parler de n naturalisme métaphysique " (5) à
propos du roman de l' entre-deux-guerres mais ici ,il n 'y a ni construction
minutieuse en vue de reproduire ou de mimer le réel par le vraisemblable, ni
neutralité de l'instance énonciatrice comme c'est le dessein de la d~scrip-
1. Ibidem
p.27
2. G. Holtus " Code parlé et code écrit: essai de classification de la langue
de Céline " in Louis Ferdinand Céline, Actes du Colloque international d'Ox-
ford 22-25 sept. 1975, Australian journal of french studies,1976 p. 36-59
3. Philippe Muray, Céline p. 185
4. Jean Paul Sartre, La nausée p. 22
5. G. Picon, Panora1ll::t de la nouvelle littérature française, Paris, Gallimard,
1951 ( Gallimard refondue 1960 )
-36-
tion romanesque. Les auteurs de la nouvelle tradition subversive ont sans
doute compris que la description est un soutien du romanesque. Elle consti-
tue le pilier de la fiction malgré les apparences. On peut s'en rendre com~
te par une simple observation et le résultat montre que la description n'est
correcte que du point de vue du romanesque et à l'intérieur de la fiction
dans laquelle elle se loge. Les descriptions de Zola créent l'épique, celles
de Balzac l'illusion du réel, celles de Barb1l6se l.'horreur.
De plus, la description, parce qu'elle apporte le petit détail
réaliste, est une dimension connotative, composante essentielle de la littérar~
té. Des textes comme le journal de Roquentin, parce qu'ils réduisent cet
élément, se
caractérisent par l'austérité des compt~rendus ou des procés
verbaux. L'objectif est de limiter les sens connotés ou plut~t de les an-
nexer à une dominante. Tels sont les motifs de la simplicité du tissu narra-
tif de ces romans et de leur caractère didactique.
Comme il appara!t insidieusement au cours de ces considérations,
le refus du romanesque est un autre trait de sincérité et de dénonciation
de l'idéologie dominante. ~uand Roquentin propose de se méfier de lalittérature,
quand Eardamu parle en mimant la familiarité, ils visent tous.les deux à
subvertir les schèmes culturels de la sociét4 bourgeoise. S'ils utilisent
les instruments de la littérature, ils entendent les purger des habitudes
et des normes bourgeoiSC6.Mais en tuant le romanesque on a réssuscité son ri-
val: le romantisme. L'originalité a été ici d'avoir su créer le pathétique
et le tragique, c'est-à-dire d'avoir pu retrouver au delà du héros fortement
socialisé du 1ge si~cle, son contraire, le personnage fatal et tragique du
1
romantisme. Ainsi les homicides se poursuivent, les re~surections aussi.
B) LA MORT DU HEROS:
Roland Barthes montrait, dans un article (1), un paradoxe qui
1. Roland Barthes, " La mort de l'auteur ri in Le bruissement du lang3.ge:
Essais critiques IV, Paris, Seuil, 1984
-31-
semble reprendre un malentendu entre la création et la critique littéraires.
Se demandant qui parle dans la nouvelle Sarrasine de Balzac, l'individu Bal-
zac, l'auteur ou la sagesse universelle, il aboutit à cette conclusions
" Il sera à tout jamais impossible de le savoir pour la bonne raison que
l'écriture est destruction de toute voix, de toute origine. L'écriture
c'est ce neutre, ce composite, cette oblique où fuit notre sujet, le noir
et blanc où vient se perdre toute identité, à commencer par celle-là m~me
de celui qui écrit. (1)
Mais remarque :Barthes la critique prend un chemin inverse:
"L'explication de l'oeuvre est toujours cherchée du ceté de celui qui
l'a produite, comme si à travers l'allégorie plus ou moins transparente de
la fiction, c'était toujours finalement la voix d'une seule
et m~me
personne, l'auteur, qui livrait sa Il cbIifidence."(2)
L'auteur de ces phrases ajoute que pour lui, le langage doit se
substituer à son propre présu~osé propriétaire. Il déclare rejoindre ainsi
les tentatives d'écriture impersonnalisée de Mallarmé. Nous remarquons,
pour notre part, que cette mise à mort sera, si l'on se réfère au 1ge si~
cIe, moins nettement recherchée par les auteurs de l'entre-deux-guerres.
Le meurtre du héros a par contre, été fréquent. En cela le roman de 1930
se rapproche de la tragédie du 17e si~cle. Jean-~furie Domenach intitule un
livre Le retour du tragique et l'illustre pour une part par la mort dans
l'oeuvre de Malr~ux. Mais la mort du héros rO~2nesque sous-entend plutOt
une transformation qu'une disparition physique. Il ne sera malheureusement
pas possible, étant donné l'objet de cette étude, de faire ici sa caracté-
risation exhaustive dans l'ancienne tradition littéraire ( du 1ge si~cle ),
ensuite dans la nouvelle. Ainsi énumérerons-nous quelques exemples seule-
ment de modifications dans le profil des héros.
1.
Idem p. 61
2.
Ibidem p. 62
-38-
a) La mort de l'ambition socialea
Le premier trait, nous l'avons déjà montré, est l'absence de so-
ciabilité. Elle provient du rejet du modèle social au nom de la sincérité.
La conséquence la plus immédiate est un déplacement des problèmes qui se
posent aux personnages. Au 20e si~cle ils sont devenus plutôt philosophi-
ques que matériels, pour la plupart. Les paré1II1~tres à travers lesquels les
héros se percevaient et mesuraient le monde ayant pour eux changé, il en
découle un rejet des qualités qui faisaient le bon citoyen. Antoine Roquen-
tin, Bardamu, CriPUre et m~me Perken ne sont plus obnub;lés par la grandeur
sociale. Ils trouvent celle-ci dérisoire et mensongère.
L'idéal de Rastignac ou de Julien Sorel était au contraire tout
tendu vers une sorte de sacre, d'épiphanie sociale. Pour cela ils luttaient
contre les barrières et le joug sociaux, non pour les détruire, mais pour
conquérir une place de choix dans le système. Pour la génération de Barda-
mu plus on monte ou descend la hiérarchie sociale plus on devient "salaud".
La mutation du héros,tel qu'il était conçu au 1ge si~cle, traduit alors un
refus du modèle. Le profil du personnage obéit aussi au dessein de criti-
quer ~'éthique sociale. Le héros,dès lors, cesse de reconnattre les-critères
sociaux de référence. Il , lui importe de se conformer non pas à ce qui est
codifié comme le bien, maisji'acte ou;~~ fait qui pourrait donner un sens
à l'existence quitte m~me à la défier. L'héroïsme œUnt~1 personnage
ne
s'affiche plus dans une lutte socialisante. Il est dirigé contre le défai-
tisme conformiste.
b) La mort du messie:
Le profil du héros a donc changé des siécles derniers au nôtre.
L'héroïsme en tant qu'acte persiste mais ne vise pas les m~mes objectifs.
Le héros de la tragédie et de l'épopée sUit un idéal juste dont dépend gé-
néralement le sort du groupe. S'il n'incarn~ pas l'idéologie dominante, le
personnage romanesque du 1ge si~cle n'en épouse pas moins l'idéal ou l'éthi-
-39-
que de tout un groupe, mAme s'il peut Atre, ainsi, conçu à des fins satiri-
ques. Cette sorte de conscience collective est absente dans l'esprit de la
plupart des personnages centraux de l'entre-deux- guerres. Ce qui est carac-
téristique de ces personnages c'est surtout la nature personnelle de leur
quête. Leurs a1nés cherchaient à sauver le groupe, à sauvegarder ses inté-
rêts contre les imperfections de la machine sociale. Par contre, Roquentin
n'est chef de file d'aucun groupe. Les problèmes qui le font mouvoir sont
certes ceux de tout le monde mais la solution qu'il leur apporte est indi-
viduelle. La perception de ces problèmes ne l'est pas moins. D'ailleurs le
personnage vu son isolement né d'une lucidité trop grande dans un monde de
"salauds" ne saurait dépasser son Atre personnel. Le pessimisme qui expli-
que la fuite constante de Bardamu n'offre aucune possibilité d'adhésion mas-
sive à l'attitude du personnage puisque celle-ci est elle-m~me une absSRce
d'idéal. Certains auteurs créent pourtant des microcosmes où l'intér~t sem-
ble dominé par un projet galvanisant. Les romans
de Halmux sont souvent
cités en exemple. L'illustration de ce point de vue par l'Espoir suscite
moins de doute que par les autres romans. Les p~~sonnages de ~~lraux recher-
chent la fraternité mais les performances qu'ils réalisent en qualité de
chefs d'un groupe sont souvent destinées à des satisfactions personnelles.
Ainsi, m~me si l'on est amené à défendre l'int6rAt cammun,ce n'est nullement
celui-ci qui motive les démarches. Certains protdgonistes poussent l'égo!s-
me jusqu'à vouloir utiliser le groupe à des fins subjectives. Perken de
La voie royale
en offre une illustration :
U
Z:dste:l:' dz.ns un grand nombre d'hommes et peut~trepour longtemps. Je
veux laisser une cic"trice sur cette corte." (1)
De mAme 1<10 et. Katov retirent leur dignité et leur satisfaction beaucoup
plus par le f~it de défier la mort que d'~tre des chefs révolutionnaires
exemplaires.
1- .~dré Malraux, La voie royale p. 60
-40-
E) Modification du statut diégétique (1)
Une conviction fort part".gée considère comme étape uitime du parco~
du héros, le moment de sa reconnaissance après une performance salvatric~
Ce moment de la sanction ~~nque presque toujours dans les romans de 1930.
Les sanctions existent, mais l'iso1ement du héros et son opposition à la
société font de l'épiphanie de l'un, le mal tragique de l'autre. Le roman
a depuis longtemps tenté de ramener ses héros au plan du commun des mertels.
Par ce f.:ùt on pourrait dire que tous les romans sont un peu des mises à
mort de héros.
Mais les personnages centrnux jouissent dans le contexte intra-
diégétique (2), d'une place de choix. Ils sont le centre et le pivOt de l'é-
noncé. I~e rom2n fait éclater, apparemment,l'unité d'action. Mais cet éclate-
ment: n'est qu'artifice réaliste puisque toutes les ramifications de la fic-
tion sont aU service du système textuel et ne prennent sens qu'à partir de
lui. Le roman de l' entre-deux-guerres maintient cette place de choix du per-
sonnage central •. Le texte cependant, informe autrement sur ce personn2.ge.
Au lieu de s'effacer derrière l'objectivité et l'omniscience du romancier
pour accréditer l'idée de la supériorité du héros, laquelle provient d'une
partialité de l'auteur, les narrateurs assument directement le r81e central.
-L 'heure n'est plus de copier la vie mais de rendre compte des pI;'o~lèmes exi~-
tentiels. La fiction cesse d'Otre centrée sur une figure entourée d'adju-
v~ts et d'anti-héros,. se démenant de médiations en-performances. Elle pro-
vient d'une instance qui reste en m~me temps productrice et objet du discours,
affirmant explicitement son égotisme et pleur~t sa tr2.gédie quand elle ne
rend pas compte des tentatives de solution qu'elle
a essayées. Les romans
offrent ainsi la physionomie d'un partage actoriel de deux types principaux:
- Un lucide solitaire et tragique dans une foule dt inconsoients ou d' hy-
1- De diégésis c'est à dire narration;cf Gérard Genette,Figures II ,
Essais,Paris,Seuil,1969 p 50-56
2- C'est-à-dire d~s l'univers de la narration
-41-
pocritee. La nausée et Voyage ~u bout de la nuit sont des exemples bien
choisis.
- Un héros unique par l'intentionnalit4 mais composite et complexe ~r
ses pilotis, qui s'oppose à un groupe ou à une institution d'idéologie con-
servatrice ou contraire. Ce dernier schéma illustré par La condition humai-
~ et L'Espoir ne rend compte qu'en surface. Au niveau profond on cons-
tate la multiplication des intentionnalités et par conséquent des actants,
des parcours et des programmes narratifs particuliers. Ainsi s'explique la
différence entre Tchen et Kyo Gisors.
Il reste toujours, quand m~me, un parcours principal dont le su-
jet constitue le héros(1) du roman. On observe finalement que le héros est
toujours une composante essentielkdu roman mais qu'il a, dans l'entre-deux-
guerres, changé de profil. Au 1ge si~cle on le voulait vraisemblable, supé-
rieur ~u commun mais ni contre ni au-dessus de la société. De 1930 à1940
il est franchement antisocial et ne tire son prestige que de là. C'est le
moment de remarquer que la performance du héros de la nouvelle tradition
subversive est toute subjective et intellectuelle. Dans ces romans il ne
se passe rien d'autre que des pensées.
~me les romans où il y a des actions sont dominés par les réfle-
xions que celles-ci suscitent en rapport ~vec la vie. L'héro!sme est donc
le plus souvent courage et sincérité dans la perception du monde et de son
sens plutôt qu'engagement physique et corporel. La défiance de la mort est
chez Malraux engagement physique mais elle découle directement d'une con-
vict ion couragellUMellt"assumée.
La reconnaissance de la métamorphose du roman à partir de 1930
tA
commence par une suite de constations. Mort du héros que son ambition so-
ciale fait triompher de tous les obstacles. Mort du messie qui, incarnant
la force, la sagesse et la générosité, réussit à sauver et à bien conduire
1- Faute d'un autre terme
-42-
la communauté dans laquelle i l est intégré. r·1ort du sujet principal de
l'intrigue, celùi qui, bien qu'apparemment extérieur à tout le proc~s
d'énonciation, en organise cependant le produit c'est-à-dire l'énoncé. Cet-
te transformation du héros peut se comprendre ainsi comme le remplacement
d'une positivité par une négativité sociale
et, corollairement, le refus
des canons traditionnels de la diég~se. Mais S t~tcontribue à la mort du
héros, la modification du rÔle
intradiégétique n'assume ni la totalité ni
la fonction essentielle dans ce processus.
C) UNE ENONCIATION ASSUMEE:
La question du point de vue ne se posait pas avec acuité dans
les romans français du 1ge si~cle. Au-dessus de celui du personDE,ge rendu
par les dialogues et la description, planait celui de l'auteur, omniscient,
omniprésent comme Dieu le Père. L'auteur prenait le parti d'~tre neutre,
de s'effacer pour laisser parler les faits. Le pari était d'écrire le roman
à la non-personne. C'est le joug de la raison qui imposait ainsi, pour la
crédibilité du discours, la ddsparition de l'énonciateur dons l'énoncé. Il
s'avère inutile de répéter que ce pari n'a jamais été totalement gagné. Il
y eut m~me, d~s le début de notre si~le, des romanciers qui ont préféré ne
pas le tenir. Harcel Proust en est un exemple. La tendance connaît son apo-
gée à partir des années trente. G. Picon voit les raisons de cette évolu-
tion dans l'objet des romans.
" Un roman au sens traditionnel est la représentation fidèle d'un spec-
tacle; au sens actuel il est plutôt l'expression d'une vérité intérieur. "(1)
Au nom donc de 1 'objectivité, 1 'écriture se niait en se camouflant
derrière les faits dont elle rendait compte. Mais quand, sous la pression
m~me des événements, le roman se détacha de l'éthique sociale dans l'entre-
deux-guerres la réalité céda la place aux resse~timent8 que provoque sa· per-
J
1- Gaétan Picon, PŒnorama de la nouvelle littérature fr~çaiset Paris,
Gallimard 1951 (Rééd.1960) p.31
-43-
ception s lvIaurice Nadeau commente très bien cette cn.ractéristique.
" La réalité qu'ils veulent communiquer est essentiellement subjective.
L'homme, l'auteur, le héros, le narrateur sont souvent une seule et m~me
personne" (1).
L'unification de tous ces éléments en une seule figure n'est pas
::-ussi simple qu'il para!t: Plusieurs techniques sont alo"~ ::"doptées; force est
de reconna!tre cepend21lt qu'elles ne subvertissent pas toutes, et complé-
tement, l'~rt du romon.
a) Le discours médiatisé par le personnage.
Dans certains romans de l'après-première guerre mondiale comme
Le sang noir de Guilloux, l'instance énonciatrice qdopte le principe de la
narration à la non-personne. r·Tais l'omniscience de l'auteur refuse "le pano-
r:.mique" (2) et se loge dans la conscience du ou des personnages centr.:1Ux.
Le mérite est d'allier l'objectivité (s'il y en a) du narrateur extradiégé-
tique avec la subjectivité du personnage qui pr~te sa conscience pour relater
les faits. Les buts poursuivis sont dans ce cas, le plus fréquemment, sati-
riques. Le résultat révélerait alors une subversion au plan des idées, qui
se sert de la subversion des armes c'est-à-dire de l'écriture. Il ya dans
cette pratique une immense souplesse d'Gpplication. La conscience médiati-
sante peut ~tre l'élue du romancier,c'est-à-dire,pencl'nt la période des an-
nées trente, la sincère et l~ lucide; elle peut aussi ~tre la satirisée,
c'est-à-dire celle des "salauds".
Malgré l'apparence, un tel discours est fortement polyphonique. Ici
il ya des marques d'énonciation et celles-ci disent les hésitations, les
inquiétudes et les adhésions de l'auteur. Nous retrouvons dans un pareil
1- H::'curice N<1.deau, le roman frC'nçais depuis la guerre p 21
2- Terme emprunté à 10, Filmologie. Nous voulons dire là une revue complète
de tous les personnages.
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DIENE Ibra
IDEOLOGIES ET DISCOURS SUBVERSIFS D,UiS LE RO~~~ FPdNCAIS DE 1930 A 1945
LES EXE11PLES DE DRIEU LA ROCHELLE El' DE mUIS iI.Pi:cGON
-44-
discours ce que Henri [·:ltterand appelle ·"contenu -de jugeme!lt" (1) à ceté
du
"contenu de savoir" (2), le premier infoDIlci.nt sur l'auteur ou le mé-
diateur, le second sur les faits racontés. Une question demeure. A qui ap-
partient l'idéologie véhiculée par le contenu de jugement?
A l'auteur-
narrateur ou à la conscience médiatisante? Il n'ya pas là un r~apport d'ex-
clusion et les deux peuvent ~tre considérés. Quand Guilloux décrit la céré-
monie de la décoration de ~we Faurel à travers la perception de Cripure, il
étale certes la subjectivité du philosophe mais aussi la
sienne propre. Le
refus par l'auteur d'endosser la paternité des idées, refus qui expli_que ;la
médiatisation est informatif à plusieurs points de vue. Soit il ya simple
str~~ème pour mieux f2ire passer ce point de ~~e, soit il ya réellement
rejet. Dans les deux cas on reroit suffisamment d'indices pour classer l'i-
déologie de l'auteur ou plutôt son point de vue de l'heure. La pensée de
Nabucet à l'arrivée du Général bien que "contenu de savoir" ne lD2.sque p2,S le
contenu. de jugement. Ce dernier dit en substance que Nabucet est un vil
courtis2.n.
Il serait un peu trop arbitraire et simpliste de voir, là, le point
de vue de Cripure seulement ou celui de l'auteur exclusivement. Mais le choix
des propos, leur cc.r2,ctère a...-cerbe et sé'.rca,stique inclinent 2. croire à tLll
refus de complicité ou de symp;::.t1:1Ïe de Guilloux _ vis à vis de l'idéologie
iacarnée en Nabucet. Quand on se propose d'étudier non pas l'idéologie des
romanciers de l'entre-~e1L~=o7Uerresmais plutôt celle des romans qu'ils ont
produits, le médiateur prend le pas sur l'auteur. D'2.illeurs l'application
de la technique de la médiatisation permet difficilement à l'auteur de faire
endo~er son point de vue au médiateur sans que la vision de ce dernier cor-
responde au sien. Placé du point -de vue de l'analyse des textes, on admet -fa-
cilement que celui qui assume ici l'énonciation est sans conteste l ',~.utcur 1
1- Henri r''ïtter::md, le discours du rom..'1ll p. 6
2- Idem.
-45-
mais il ne le fait qu'au nom et par le biais du médiateur qui, à défaut de lui
pr~ter sa voix, lui dictera ses propos. r1algré tout un aVQOt~ge demeure: il
n'est plus besoin, avec l'introduction d'un médiateur, de rechercher pour la
créAdibilité, l'impersonnalité cas~trice. Ensuite la médiation donne au lec-
teur l'illusion de l'objectivité de l'~uteur. M~me s'il ya une thèse, celle-ci
n'est p,s directement soutenue par l'auteur. La. suite de tout cela est que
l'énonciation est assumée, mais puisqu'elle ne l'est pas directement.par l'au-
teur, celui-ci garde toute s.,'. neutro.lité 2UX yeux du lecteur natf, m~me quand
il n'en est rien. La présentation sous une forme dérisoire de l'idéologie de
l'arrière en temps de guerre a permis à Guilloux, parce qu'il le f2it à tra-
vers l~ conscience que Cripure a des événements de critiquer la société bour-
geoise S?JlS prendre l'attitude d'un pamphlétaire. Cette technique repose sur
une multiplication des points de vue et leur hiérrarchiaà.tion.
Le risque consiste cependent à construire au plan esthétique , une
bip·"rtition axiologique dQOs le livre : une thèse dévaluée à cOté c't'lme :'utre
positivernent rendue exemplaire. Guilloux: n' y écILl.ppe qu'en 2.ttémLnt 12, posi-
tivi té de Cripure. Celui-ci est d'-bord pnysiquement déprécU. Dès lors le
lecteur envisage difficilement une p--rtLüit,~ ou une sJ'TIlp.thie 1::; l' -uteur
à l'endroit de son perso~~~ge. Et Guilloux fait un portrait qui sembl~ témoi-
GUer de son mépris ou du moLY1s d'une cert~ine r-ipulsion. L-. singul:1rité de
Cripure n'est pas seulement, comme celle de 20quentin une
asociabilité; cela
tr-:_duir~it une mise en v;üeur OU en exemplarité . dans'-mlproj~t subversif.
C'est pourquoi les traits cie Cripure sont des t-'res et des œ.ndic aps person-
nels. Ces derniers ne sont d'ailleurs pas limités au domaine physique. ~
ce qui concerne l'idéologie, Cripure n':-,dhère à aucune doctrine politique pré-
cise. Il n,ppar:-1t comme un simple révolté dont le PçssiTIlisme frise le nihi-
lisme. Le rOl!lém de Guilloux est un refus de l'idéologie. Cripure comme
:B:'r-
d-mu ne sort- j-'o-.is de sa subjectivit6 ~t tous ses sentiments, toutes
ses
~ctions s'expliquent cssentiel12ment par celle-ci.
-46-
La construction d'une fiction autour du compte rendu de ce qui se
passe dans la conscience des personnages a l'intér~t de rendre possible le
dé~~ssement de la réalité quotidienne; ce que réussit difficilement le ra-
man raconté de l'e~érieur, d'un point de vue objectif; on atteint ~lor~
sans artifice grinçant, les problèmes clés mais aouvent ~bstraits de l~ pen-
sée humaine. C'est ce qu'a bien assimilé ."-ndré I1alraux. Partant comme Zola,
de la lutte smcial~il réussit, et c'est peut-~tre là
une différence
avec le ma!tre de Médan, à peindre la solitude immanente à la vie, le tra-
gique de la mort, l'absurdité de l'existence. Là encore l'énonciation est
attribuée à des personnages, donc assumée par procuration.
Toutefoia, ,une analyse profonde montre que l'énonoiation ::1ttribuée
à un personnage autre que la narrateur p~r la médiation n'est pas une i~~o-
vation de l'entre-deux-guerres. Ce qui est nouveau C'è3t l'irnportonce de
son r~le et les aV2ntages qui lui sont attachés.
b) Un discours du "rje".
L'2rt rODk~esque du 1ge siècle, m~me quand il s'appliquait à un
!
texte autobiographique, adoptait souvent la nZ1.rration à 12. non-personne.
r!
IBis il f2ut remarquer que ce régime,co~~e bien d'autres en littérature, n'é- !•f
tait pOtS absolu. L' 2.Ssumation du discours et de son énonciation IEr le narra- r
teur, ce qui conduit à la première personne,n~ s'est cependant imposé com...
r
!
me fOrr:1e littér~"ire 2.cceptée, d:::ns le ::corn.:_n, que fort récemment. Jc"! ce f3.i t
1
il sGr~it intéressant de voir en quoi cette technique narrative. bouleverse
1
1
f'
l'écriture tr2ditionnelle du roman.
c'est un truisme que de rappeler le c8Xactère presque
toujours
personnel du discours centré sur le "je". L'introduction ou br générr'.lis2.-
tian èe ce mode à un moment où les problèmes de tout le monde sont perçus
individuellement et r-açoivent des solutions individuelles n'a rien de sur-
prenant. Considéré de la sorte, le "je" se connote comme 18.. marque de la
subjectivité. Les romans les plus cités ici, Voyo.ge :'.u bout de lél nuit
et
-41-
La nausée, corroborent cette déclaration. C'est d'ailleurs ce coup de force
seulement qui permet le rejet de l'éthique sociale, au nom d'une conduite qui
tire son authenticité de son ~ociabilité, sans susciter la réserve des lec-
teurs. L'idéologie bourgeoise est rejetée par ces romsns sans idéologie cons-
tructive. Alors, en guise d'ersatz, les auteurs proposent la sincérité qui
qui se fonde
sur la répulsion qu'inspire le monde pour dicter des conduites.
Le rOIIk'l.n de E2J.zac ou de Zola av:d t l' ~'mbition de rendre compte de la. réali-
té sociale, le romcn de Céline ou de Sartre veut tr~smettre l'expérience d'un
individu luoide et sincère d::ns un troupe;1,u d'inconscients.
Le refus de l'impersonnalité omnisciente et omniprésente dont le ro-
maIl du "je" est une illustr~ttion, ne débouche pèurtant pas sur une écriture
toto.lement libre. On se soucie, s'ns doute, moins de le: littérarité dans son
sens de nOrr:J.8s.préétablies lW,is le joug de la vraisemblance, de la crédi-
bilité, demeure. On conviendra facilement qu'il peut très bien s'éff~cer
d:ns ID! texte did~ctique qu~d bien m~me son enseienement est soci~lement né-
g;::;.tif. Son refus explique probablement
la limit2,tion des points de vue .:ls.ns
La nausée
et Voye.ge ::tu bout de 12" nuit. De.ns ces romans tout est reb.té à
travers la conscience des personnages centraux. Nous ne savons, pour ainsi
dire, ùes:;,utres, que ce que nous en
apprennent. le "je" narrateur ou les dia-
logues. Ce mode narratif ne vise pas l'objectivité impassible bien qu'il soit
plus vr2isembl~ble que l'omniscience. Dès lors, les éléments persui1sifs du
discours, ~u lieu d'~tre le résultat d'une écriture neut=e , seront intégrés
d~s le texte; le lecteur ser2 alors invité à faire sien le point de v~e du
narrateur-personnage qui ne cherche ni à ~alyser ni à r~iso~~er m2>is à li-
vrer son expérience. C'est de cette f~çon qu'~ndré ~blr2ux décrit presque
toujours l'événement de l~ mort, m~me quand le mode narratif n'est pas celui
de la première personne. D'-utre part, i1U terme de la lecture de La nausée
nous ne savons de ~ouville et de ses habit2nts rien d'~utre que C8 qu'en dit
-48-
ou montre \\ntoine Roquentin. Toute l~ fiction repose sur un microcosme
~u
système b~ti, présenté et. affirmé pax le n~rr~teur. Il se pose alors l~ ques-
tion de l' ;-·,dhésion du lecteur locut~ire virtuel lILc"is pesant sur la conception
du discours. Comment établir l~ complicité? Cette question est analogue
à celle qui touche les fins de tout discours comport,:mt une thèse. Le souci
l'une bonne circulation de cette thèse conduit sans doute à l'p~option d'une
p"l,role peu
allégorique et peu litt4raire dans un but de rejet de la fiction.
L,~ recherche des "rtistes s'oriente éLlors vers la familiarité, le langage or-
dinaire et m~me wlpire. L's,ppropriation du discours par celui qui le dit
de'r.r~ ~lors ~tre implicite. De plus le personnage, qui est pour le lecteur
un homme à son image, parlera le langage quotidien. Cela va de soi si l'on
sait qu'un style direct et soutenu est difficile~ent tolérable et compréhen-
sible. L'on peut 2.ussi const2.ter que l'emploi du "je", s'il n'est pas empœ-
tique, est pour un locuteur un ~.ge de personnalisation de son discours; donc
du reius de cette volonté de supériorité qui ~ccompagne 12. parole neutre à
l'im2.ge des descriptions littér2.ires. Ainsi, dire "je" d2nS lm rOID.:'.n.o'est
chercher à parler comme le lecteur
ou presque. Pourt9nt ni B~rdamu ni Roquen-
tin n'est un bourgeois ordinaire. Pour le praDier il y a une volonté satirique
d.one à.e ët6:WJ.,rcation qui débouche SD.r un discours au l~_-ng':·:,G'e o:z:u et outr~-
CCrJ.t~ l'.oquentin n'est singulier que p2.r la ns.ture des questions qu'il
se
pose. Leur idiolecte
est
né,:mIlloins en rupture ,~.vec celui de l;=" tr,dition
littércdre.
C'est le moment a.e remarquer qu'on a trop souvent confondu le re-
fU3
d'une tradition l2ng2gière (celle de la I1ttér2.ture) :wec le b.nga,ge
populsire. Ainsi sommes-nous tenté
de conclure à l'impossibilité de recons-
truction du 1~ng3ge quotidien. Les tentatives demeurent des fnits ~rtistiques
même si elles parviennent à créer l'illusion de l~ tr~nsposition.
l'iousJ.vons dit pr'~Gûder:.1f;1ent que l ' ,.,.ppropri2tion d'un pareil discours
devr~!,it être irnplicité. Lou::; entcnJcr.s ·t:n,r là r~ue le locuteur n' est p:,~s nom-
-49-
mément désigné par une description extérieure. Mais des marques d' énonoia-
tion assez nettes le désignent toujours à l'attention du leoteur. La paro-
le est ainsi assumée sans qu'on éprouve la nécessité de nommer oelui qui
le fait. Le pronom "j e" marque, c'est un truisme qu'il faut dire, une ap-
propriation par l'énonciateur du sujet logique des dires. Pourtant la seu-
le présence de marques d'énonoiation n'est pas une preuve suffisante de l'as-
sumation du discours par le personnage. En effet m~me les romans les plus
impersonnels dévoilent à travers des marques, dans le rapport de l' én~
ciateur, la présence de ce,demier. Ce qui est propre au roman du "je"
c'est que l'énonciation n'est plus refusée et dissimulée mais qu'elle est
plutet acceptée et m~me revendiquée par le sujet parlant dans le texte.
C'est l'avènement
de la réhabilitation du narrateur et le refus de celui-
ci d'imiter Dieu le père. Il ne pose plus sa parole comme venant d'elle-
m~me. Il en précise l'origine. L'utilisation de la première personne dans
l'appropriation du disoours est d'une importanoe telle que m~me des ro-
mans à la non-personne y ont recours au moment où, pour des nécessités de
réalisme, il leur faut désigner l'origine du discours. Aragon y a souvent
recours quand il fait partager au narrateur une opinion fort répandue. En
voici un exemple tiré des Beaux quartiers après le scandale du retour de
Mestrange au '.'Panier Fleuri."
"La ville en général plaignait Pauline. Q.u'est oe que les femmes ont de
leur mari, je vous demande ? Il:; leur reviennent quand ils ne savent plus
où aller." (1)
La littérature semble avoir dépassé une sorte de paradoxe, du
moins dans le roman de l' entre-deux-guerres. En effet avant cette période
la tradition littéraire exigeait du romancier une écriture neutre qui dé-
truise toutes les origines ou voix m~me si, au fond, ùn énoncé porte toujours
les traoes de son énonciateur. A pertir de 1930 finit le jeu qui c~3sistait
à les camoufler.
1- Louis Aragon.Les Beaux quartiers.Paris,Deno~l, 1936,p.126
\\
~
..
-50-
La sincérité en vogue ne se limite pas au domaine éthique et moral. Elle
touche aussi les armes de la subversion et va les t~nsformer. En conséquence
l'av~nement de cette révolte s'accompagne de techniques d'écriture adaptées
à son expression dont l'énonciation 3ssumée n'est qu'un aspect.
D) DU TRAGIQUE RO!'IA.NTIQ.UE A L'ART DE VOIrrn
D.J.IlS son Bil::m littér,'-"ire du 2Ce siee le. TI.H Albéré's
dit que le vrai
rome..ntisme est nd -u d6but du siècle d:.,ns une litt0r~"ture pétrie de réalis-
me. Voici ce qu'il ~ppelait ~lors romantisme.
,,( ••• ) ni le lyrisme, ni la sentimtn~~é du romantisme avorté de 1830, mais
ce fait proprement ro~~ntique qu'est l'expression par l'écrivain d'une angois-
se et d'une liberté" (1).
Force est cepend2~t de remarquer que ce rOm2ntisme ne se sera pas lioité dans
une expression romantique. Elle évoluer& en une satire et une révolte systé-
matique qui laisseront leurs empreintes dans l'art de les exprimer. De ce
fait, pleurer son s~goisse et vomir sa révolte ou exprimer une satire seront
les C2nons qui se partageront le rOITL~ sans entrer en conflit.
a) L'expression du tr:'gique intérieur
Lu 20e siècle (à partir de 1930) la soult'ce
des angoisses dépassa,
'U controire du
1ge siècle, les simples entr2,ves sociales. Les événements
sociaux facilitent la prisede conscience de certains faits. Notre propoà ici,
est seulenent d' -n-:,lY3er l' e:q>ression de ces angoisses dont la technique la
plus usitée reste l'introspection psychologique.
CeL. est s~ms doute l'une des rcisons qui expliquent l'emploi du "j e" dans
le rOffi9n. En réalité ce qui crée le tr2gique quand les personnages considè-
rent leur situation c'est l'~bsence d'espoir qui suit la découverte de
la
préc.:l.rité de leurs vo.leurs. Ces héros ne s'.went comment sortir de leur néant.
Ils ne cessent pourtant pJ.s de
1 - R.H
:',lbéres, Bil2.n littérc:üre du 20esiècle, PCI.ris, Ed. Honta.igne
1962 p. 56
-51-
Les personnages de la tradition balzacienne, compte tenu de leur
r~pport avec le monde, de leur ~bition sociale, évoluaient dans un cadre
où leur ~ffirmation et leur réussite restaient possibles. Pour Roquentin,
Bardamu, Michel Kraus, l~ solit~de est presque complète. Rien ne les diver-
tit de leur obsession. Ceci se traduit, au plan de la
structure du récit,
par sa simplicité. L'action ou plutôt la pensée (puisque ces romans ne pré-
sentent que des pe~sées) reste unique et les personnages réduits à un nom-
bre minimum. r<~me dans les romans où le microcosme
semble plus étendu com-
me le quai des brumes, ce n'est pas plusieurs actions que nous avons. Les
itinéraires des divers personnages sont semblables puisqu'ils sont les 1if-
férentes tentatives de lutte contre le poids du monde. Les tentatives débou-
chent sur une vérité unique qui est le vérit~ble schéma narratif du texte. La
1
conclusion, se fondant sur les divers
itinéraires, semble dire l 1 impuissance
en f2.ce d'un destin tragique. Les échecs de t-Tichel Kraus., de Je-n Re.be, de
Nelly, du Boucher Zabel (1) , parcequ'ils nous privent
de tout espoir cons-
tituent une source réelle d'angoisse. André Nalraux utilise, surtout d2IlS
La condition humaine, cet-~e distribution des itinéraires poUr créer le tra-
gique.
Nais
l ' ::;.tmosphère d'un livre ne saur2_it dépendre exclusivement de
l'architecture de son texte. Encore f2ut-il que le style y contribue. Son
c~r~ctère subjectif, parfois confidentiel et surtout austère crée l~ sinc~-
rité
qui nous plonge, par commisération dans le monde du personnage. L'aus-
térité semble eff2cer toutes +echniques persuasives présentant aussi le per-
sonnage cri~nt sa détresse comme pour lui-m~me. Ainsi le besoin de peindre
l '-..ngoisse explique, certainement, l'emploi systématique, d::ms la plupart
des rom:ms, du présent et la négligence du passé simple, temps narratif par
excellence. Les auteurs éviteront donc le système de sécurité des Belles let-
tres dont f:üt p.-rtie ce p2.SS0 n~l.rratif et que Barthes décrit en ces termes.
1- Personnages de r-bc Or13.n, le quai des brunes, P~,-ris, GÜliIJl;l.rd, 1977
-52-
" Gr~ce à lui, la réalité n'est ni mystérieuse, ni absurde; elle est cla.ire
presque familière, à chaque moment rassemblée et contenue dans la main
d'un créateur" (1).
On peut comprendre aussi la. nécessité de pousser le cri roman-
tique, parce que tragique, à travers le renouvellement de cert.:?~ins genres lit-
téraires subjectifs et personnels : mémoires, romans autobiographiques ou
qui en ont l'cir, jou:rnaux intimes etc ••• Pourt,::mt ici le "je" n'est plus
celui des Canfessions ot l'auteur (J.J Rousseau) prend la parole pour se ré-
véler. D2~S La nausée, Voy,ge au bout de la nuit, le discours est assumé par
le n.:crr'.teur, l' "uteur cherch:::nt à dispa.r8.!.tre dans le récit. Le refus de la
n.'1rrr.tion impa:ssible ne coincide donc pas avec le dévoilement direct de'
1 f:mteur. Les textes générés sous cet artifice ne sont personnels que faus-
sement. La N::tusée reste d~Jns ce cas un rom2.n car 1 ' intimité que dévoile le
"je" est celui d'un narrateur fictif et non de l'auteur m~ma si les points
d'identification sont multiples et repérables. Toutefois,' le développement
de3 genres dits personnels (m~me ~'ils le sont faussement) dénote une volon-
té des auteurs de "se dire" ou de p2.ra!.tre le f:J.ire.
c'est peut-~tre un artifice qui semble plus crédible, pour se
d:voiler, que d'effip~Jnt8r les formes des écrits intimes; mais ce n'est pas
ème condition sine qua non pour exprimer le tragique. En, témoignent les tex-
tes à narrateur extradiégétique qui réussissent quand m~me à contenir cette
atmosphère d'2n0oisse et de tr8gique. Dan~ La sang noir Cripure souffre du
poids de 1 'existence, de l' hJrpocrisie sociale et de l:J.Mt ise hUlll;;.,ine. D:J.IlS
ses livres Halr=.ux peint la fatél.li té de l::-~ mort, son co.ractère injuste et
tr8.gique.
Le principe est, quan~~u fond, le m~me pour l'expression du tr:,.-
da.ns
gique dx'ls les rom::~ns où le narrateur est intradiégétique et Iceux où i l ne
l'est Pi".S. Et d2.Ils tous les C'.S le récit n' est p'~s a. priori plus a,pte que
1- RoL:md Barthes, le d6:;ré zéro de l' écri ture, P~\\ris, Seuil, 1953et 1951
p. 26
-53-
,
~î description
~
rendre cocpte de la souffrance du sujet. L~ gr~de inno-
vation apportée p:,r le roman de 1930 se si tue d~ns l' outr3l1ce de la peinture,
forme manifestée de la sincérité. De l'impossibilité de s'~ppuyer sur des
croyances solides naît un rejet de toute censure et une dénonci2tion cons-
titu~'.nt le "dire" essentiel du roman et se posant en nécessité. La. fiction
devient critique d'un état de f~it et d'esprit qui r~gne en ma!tre.
b) 1'1 s~;,tire systématique.
P~rlant de son temps Drieu écrit dans la préface de Gilles:
" .re me suis trouvé comme tous les autres écrivains contemporç>,ins de-
v~t un fait écrasant: la déc2dence. Taus ont d~ se défendre et réagir, ch~-
cun à Si", ::Il2llière contre ce fc.i t .• Hais a.ucun comme moi - salif Céline- n'en 8.
eu 10 conscience claire. Les uns s'en sont tirés
par l'évaSion, le dépay-
sement, diverses formes de refus, de fuite ou d'exil; moi, presque seul,
par l'observation systématique et par la satire." (1)
Drieu revendiquéd t ici d' ~tre le seul qui:,it porté un reg.ard luci-
de et Slns complaisance sur son temps et sur 8~. soci~t;;. Il rangeait [l,insi
tous ses contempor:,ins- Céline mis 2. part - panni ceux que Sartre avait déjà
appelés des "salauds ll • Nous ne sommes po' s ,::mtièrement de son élvis puisque 13.
satire systématique est sa.ns doute l'vn des points sinon le seul où les au-
teurs de l'époque semblent se retrouver à l'un~nimité. Cette satire a été si
systématique et si profonde qu'au delà
dos contenus de la culture elle s'est
:',tt2.quée à son expression. L' 0 bj ectif des critiques fonnulées veut montrer
le Cé1r·:-.ctère démissionn::,i:C2, hypocrite. de la civilisation : comédie
de 1::0 respectabilité et de l,',~r~.ndeur socL,le dans TA naus~~hypocrisie
et corruption fond2.ffientale de l ' hOmpJ.e cbns le ',·o;m,c;e ,-',u bout de L" tlUi t; in-
sinc6rité de 13. société d:Jns Le s:mi'; noir. 1el , cri tique de l'expression de
l~ cultur9 n'é~lrgne p~s cet instrument dont elle se sert: la littérature.
1- Drieu let, Rochelle; "J:lr(~f'"cc it Gilles ll ,
juillet 1942... in Gillc:::,P ':r..'is,
.li<ülim:·rd,1?3S', éd. définitive 1942, 0011. Folio 19T~, p. 10
-54-
Nous ~vons déjà dit comment les jeunes gens s'en méfiaient depuis le sur-
réalisme. lIous nous intéresserons ici à la subversion et à la critique que
les littérateurs feront des moyens qu'ils utilisent. Cela ne nous dispense
pas de constater que l'objectif de ces révoltés recoupe les intensions des
surré~listes: détruire le réel et créer des formes nouvelles d'expression.
Le discours subversif sur la littér3.ture prend un ::tspect direct
et explicite - qui d' ,ülleurs peut ~tre compris comme une forme pamphlétaire-
ou un autre, indirect, implicite et qui relève de techniques rhétmriques
d' c..llusion •
k. forme p::unphlétaire du rejet de 13. littérature ne donne pas très souvent
ses r.s,isons. Elle sous-entend la littér:.'.ture comme un jeu de l'esprit et un
?,rt de l'emphase, du rajo-dt et de l' éxdgération. Roquentin accuse 12> littéra-
ture de "mettre de l' étr~nge où il n 'y3. rien" (1) et recornm.'mde de s'en mé-
fier. Il oonstate à L, cœ,rge du récit que "r:;:umd on vit, il n'arrive rien
( ••• ) I:I':1.is qu::,nd on r2.conte la vie, tout ch.,mge" (2). La dernière pfuse ex-
plique la méfi~~ce des individus lucioes qui veulent ~tre sincères. Bardamu
commence son délire verbal par Q~ discours à sa décharge comme si, pris en
fb,grant délit de littérn.ture - les surr;~:.·li8tes auraient pE,rlé ai:.:si - ila-lo;t
voulu se justifier et prouver son innocence.
':-. débuté conne ça. Hoi j L w 2is rien dit. Hien. C'est .'.rthur G2,I12..te qui
L'échec de la carrière de CripèlXe, la destruction de son ffiL~uscrit
cause réelle de son suicide, semblent conseiller la m~me chose que Roquentin
vis à vis de l'art. D'ailleurs la dérision avac laquelle Guilloux traite le
1- Jean Paul sartre, La nausée p.11
2- Idem p.62
3- Louis Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit p. 15
-56-
s'agit très souvent d'une habitude de faire ou de dire que le parodiste mo-
difie. Ainsi la décoration de Mme Faurel dans Le sang noir aurait dn ~tre,
une cérémonie sublime selon le code du roman traditionnel, roman probléma-
tique et socialisant. L'auteur en fait une scène comique et ridicule.
L'observation de ces procédés s~tiriques é~ène à se demander où se
sitlte le trQgique. Il natt
de l~ coïncidence entre lln besoin d'~ternité et
de justifics.tion de l 'homille et le consk.t douloureux que ces évocc..tions sa-
tiriques opèrent 'lW'.nt 0. l'L."1,:mité de l'eJtistence. f i f3it il s'agit d'une
entreprise de dest;ru.ction de la civilisation et de ses vCl,leurs et en m~me
temps de l'ongoisse du sentiment de solitude et de gr~tuité qui en d§coule.
Ces entreprises romanesques semblent alors prolonger le surréalisne, du
moins en littérature puisque l ' obj ectif du groupe de Breton ,St- i t surtout la
destruction des v~leurs et l'invention de formes nouv311es d'e:~ression.
c) PCT::Lènence du surréalisme.
Bien qU'2.ffaibli, le surréalisme, Clêne sous s~, fonne d'école n'a-
v8.it pc~s encore dispa.::u en 1930. Ce n'est p.?s là une preuve suffis:::nt3 pour
p~rler de s~ perm~nence d~ns les lettres fr2nçaises entre 1930 et 1945.
Sc',ns refuser de f::,.ire de l'histoire littér,::tire, ce n'est p;::,s de ce point de
vl..le, toutefois, que nous p2.rlons. La peI."IJlEmence du surré"üisme doit donc
se chercher dc..ns so~ entreprise l~ plus réussie
le bouleve:csG~.lent du 1::'.::1-
,-::;e et p2.rticulièrement du Lmg:ïge rl:..ur=',tif, qui nous intéresse ici. Il ya
certes très peu d'oeuvres surré-lictes conçues sous fO:'1ne de :cécit
: JJe TY~'!-
3'!]. dE)
:?:~.ri3 d' ~',-r.?gon, ~Të.dj:'. de Breton, le lTégre de Soupault •.
L'une des premières e:dceüces de l ' a.rt Il l':.".tif sur:;:o6aliGtc est
le refus par l'a.uteur du raIe de Dieu le Père. Ainsi la création de personna-i,
ges :com,-.nesques est fortement dénoncée et ce au nom du vrai. Breton conseille~f;
le subjectivisme; conseil bien compris n.pparemment petr E:ür.:,.ux, C,~line,
1Jrieu L~, Rochelle (;-,urtout d'~n3 Le Feu Follet) S:1rtre etc •••• Le ,)hef
é'.u
·.;roupe surr:i .liot:: ~ou:ccuit du :n~[1 J ton 1
-55-
poète Babinot et ses vers suffit à prouver l'effioacité de oes méthodes in-
direote.>~ de satire et de rejet de la littérature. Pourtant, malgré son pro-
jet, la subversion des for.œes littéraires emprunte, pour se réaliser, très
souvent, des teohniques littéraires éprouvées. Dans VOyage au bout de la nuit
Céline oombine dans certains passages, pour souligner l'aveuglement et la bê-
tise dont procède la guerre, l'évocation aooumulative et l'amalgame(1).
Souvent l'amalgame touohe aussi bien la nature des choses évoquées que celle
des temes utilisés. Les mots se suivent sans qu'on ait le moindre souci pour
leur olasse; oela défie ainsi toute l'esthétique des belles-lettres. C'est là
la parodie d'une oertaine nome de la construotion du beau.
Dans La Nausée Sartre fait une parodie de l' éoriture romanesque
telle qu'elle est pratiquée depuis les grands ma1tres du 1ge sièole. Pour
oela il ohoisit le vieux thème de l'amour. loi la quête de la transparence,
o'est-à-dire le olin d'oeil Par lequel le parodiste refuse la oontingenoe
de son oeuvre et lui donne une référenoe , est très explicite, m~me si la cri-
tique n'est pas directe. Sartre juxtapose la description de la naissance de
l'amour d'Eugénie Grandet pour son cousin - où Balzac peint la sincérité, la
na!veté et la beauté des sentiments- au dialogue hypocrite et sournois d'un
couple endimanohé. Ce procédé suggère le mensonge romanesque qui embellit,
dans sa peinture, une convention sociale oÙ la r~gle est presque toujours
l'hypocrisie. La Parodie et la dérision ne sont pas limitées aux thèmes lit-
téraires les plus usités dans la tradition romanesque mais touchent bien
d'autres domaines. Par exemple dans Voyage au bout de la nuit Céline tourne
en dérision l'esprit soientifique et moderne aux EtatsJUnis d'Amérique.
Le roman de l' entre-deux-guerres emploie quelquefois une forme de dis"",
oours parodique dont le pilotis parodié n'est pas olairement déterminé. Il
1- cf. L. F. Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 21
-51-
"Je ne vous reconnais pas le droit de vie ou de mort sur de pseudo-~tres
humains, sortis armés et désarmés de votre caprice. Bornez-vous à me laisser
vos mémoires; livrez-moi les vrais noms, prouvez-moi que vous n'avez en rien
disposé de vos héros." (1)
La concordance entre les prescriptions de Breton et les intentions de
plusieurs écrivains des années trente est assez apparente. Le mode discursif du
roman s'en trouve, du fait, modifié. Les surréalistes se posent comme les véri-
tables anc~tres du récit à l'énonciation assumée. LeUI3textescomportent d'ail-
leurs le plus souvent une glose qui efface toute velléité d'impassibilité. Il
y a un autre trait du roman traditionnel banni par le surréalisme et que beau-
coup de romanciers angoissés ont eux aussi négligé: c'est la description. Pour
tous ces gens, loin de rendre le récit vraisemblable, elle en montre le carac-
tère conventionnel et artificiel. De m~me le refus de l'intrigue fait partie
des moyens par lesquels le sU±éalisme s'affirme dans les textes romanesques.
Cependant la provocation et l'outrance langagière demeurent sans
doute les aspects du surréalisme les plus fréquemment repris par le roman. Ces
attitudes verbales résultent d'une révolte dont l'intensité n'a pas beaucoup
varié des années vingt aux années trente. Elles donnent naissance à une subver-
sion qui pourrait se présenter comme un Il art de vomir ". L'observateur peut
repérer des exemples de cette pratique dans le roman.
La plus usitée, la défiance morale, se sert de la description parodi-
que des valeurs sociales comme dans La Kausée et de comportements (surtout ver-
baux) qui sont à l'opposé de l'éthique sociale. Un exemple pertinent peut ~tre
cité avec Bardamu dans JLgyage au bout de la nuit. Blessé et soigné dans un hô-
pital il reçoit la visite de sa mère. On s'attend selon les canons de la fic~
tion traditionnelle à la peinture de l'émotion, de la joie de se retrouver, de
l'attendrissement. Du c~té de Bardamu c'est l'indifférence et m~me une niai-
serie qui révéle un mépris absolu de tout ce que cette femme incarne 1
1- André Breton, Point du jour Paris, N.R.F. 1934, p.9
-58-
" Elle était heureuse de me retrouver IIl..'1. mère, et pleunlichait comme une
chierme à laquelle on a rendu enfin son petit. "(1)
"L'art de vomir" a 'appuie aussi sur des procédés rhétoriques et
syntaxiques consacrés. La périphrase porte, à ce titre, facilement une char-
ge satirique. Bardamu dit de l'hôpital:
" Cet endroit où se réparait la v2illance perdue, les réflexes ,3.bolis et
les bras cassés " (2)
La construction périphrastique se donne Qussi à lire comme f2us-
sement euphémique. Le héros de Céline épiant les couples enilnérique finit
par dire:
" Je n'd pns 2.perçu en tout que deux couples à se f2.ire à la lumière les
choses que j'2.ttendais et pas violeClllent du tout. " (3)
Par sa m2Ilière de roconter furd2lllU peut par9,ïtre plIdique mais il
y a son ~ttitude ( épier de3 couples ) qui invalide cette appréci2.tion et
le noircit be~:'.Ucoup plus Séns que la périphré-,se cesse, parce qu'elle con-!'
tourne la sens du mot en cquse, de polariser l'attention cur elle. L'ou-
tr2nce langagière dont use Céline, à l'exemple des surréalistes, présente
un double aV2Iltage: porter <01_tteinte ~~ux moeurs et à la. bienséance bourgeoi-
ses et en m~me temps déplacer les r~gles du code littéraire. Pour ce qui
est du bouleversement des habitudes littér2ires plusieurs techniques sont
utilisées par Céline, allant de la distorsio~ syntaxique au lan~,ge grossi-
er en passant par lea-tournures familières. L~ 8rossièreté ne résulte pccS
uniquement du Lm', ',ge irmnédiat du h3ros omais_',ussi de 12. volonté de noircir
tout ce dont il parle.Il y réussit gr:'!ce à. une manie c),.-plic:"tive et un C'l:lour
profond du dét:ül. '..insi dit-il d 'une d~ Ges mo,Lèdes: " une belle athlète
pour le plo.isir " (4) ~w:'nt de décrire sa f:l::',ladie:
1- Louis Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit p. 90
2- Idem p. 81
3- Ibidem p. 233
4- Ibidem p. 234
-59-
" Je voulus l'examiner mais elle perdait tellement de sang, c'était une telle
bouillie qu'on ne pouvait rien voir de son vagin. Des caillots. Ca faisait
"glou glou" entre ses jambes comme dans le cou coupé du colonel à la guer-
re" (1).
Les atteintes aux normes de la langue sont un refUs de lisibilité
littéraire comme en témoignent les ouvrages ultérieurs de Céline, ou proc~dent
d'une volonté
mimétique. pourtant, la thèse selon laquelle Céline fait parler,
dans ses livres, à ses personnages, un langage mimant les milieux pauvres est
c:.1
peu crédible. Selon celle vIes discours des intellectuels y sont écrits ~ le
m~me ton grossier que ceux des milieux pauvres et certains passages font coe-
xister, peut-~tre par provocation, un langage recherché avec un autre nettement
relâché. A propos du Voyage au bout de la nuit, est-ce parce: qu'il se présente
comme un compte rendu que le texte de Céline a pu parêitre sous le seul ton
du narrateur Bardamu ? On peut en tout caS remarquer que si tout le monde est
hargneux dans le livre de Céline, les intellectuels n'adoptent cependant pas,
pour cela, la syntaxe et les constructions défectueuses ou simplement orales
des pauvres et des gens moins instruits. ll~me Bardamu, quand il livre ses
propres réflexions, qu.:md i l abandonne donc le style indirect libre du compte
rendu, use d'un langage très correct au plan grmmll.atical. Nous pouvons relever
cette qu~te de vraisemblance à travers le discours de princhard sur la réalité
du monde. La dissertation qu'il nous livre- rappelle le professeurd'histoir~,
n~bitué à interpréter des faits sociaux, m~me si son discours, dénonçant le
système, est profondément subversif dans son contenu (2).
Des
l ivres comme La Voie royale de l'·Ialr2.ux, 1:~ nausée, de Sartre, le
Voyage au bout de la nuit de Céline .permettent, ma:).gré leur~ similitude,
d'entrevoir d211s le roman de l'entre-deux-guerres un partage typologique des
Contenus. L'expression de l'angoisse
en f~ce du monde, posé en destin, la
1 - Ibidem p. 234
2 - cf L.F. Célin~ Voyage au bout de la nuit p. 67
-60-
conscience de la faiblesse de l'homme devant ce destin, donnent naissance,
dons les livrés de Halraux et le premier roman de sartre, à un certa.in ro-
mantisme. Voy?.ge au bout de b. nuit se pose, lui, en précu:c.-"geur d'une révolte
pessimiste et d'un ton si sarcastique qu'il perd toute sentimentalité'. Ce'
partage nI est pas absolu ni trenché. D'ailleurs un romantisme qui naît d'une
perception lucide de la condition humaine débouche presque toujours sur une ré-
volte. C'est donc l'intensité et la forme de cette dernière qui semblent con-
duire le partage dans les contenus romanesques tout autant que dans les formes.
~'tu lendemain de la guerre des armes s'est instaurée celle du verbe.
Hais en m~me temps la mission de l'artiste se complique. Le roman se veut un
instrument de subversion. Il fait partie aussi des cibles. La génération de
Céline eut une double mission: dire la subversion mais
aussi et surtout sub-
vertir la. f:'çon de la dire. Les attentats textuels consistent à écrire l.Ul ro-
man qui puisse
détruire le roman. De là un renouvellement de 1 ' écriture
romanesque. La tentative n'est que le reflet d'une préoccupation plus géné-
rale dont le surréalisme est l'expression la plus extrême et le plus viru-
lente. Cette prise de position a cependant ses exigences. Car, en fait, il
n'est pas Possible,nonf'"~,de se contenter de la négation toujours 'et par-
tout, sans laisser soupçonner une possibilité de salut.
-61-
CHAPITRE TROIS a
'LES El'HIQ,UES COROLLAIRES AU REFUS DE L'IDEOLOGIE
Le roman de l' entre-deux-guerres est un témoignage du refus de l'i-
déologie. Les intellectuels ne trouvent pas cependant, derrière la subversion
qu'ils pr~nent, une quiétude toute parfaite. Ils ne peuvent se contenter d'une
simple négation de ce qui constitue la civilisation. Si rien ne justifie l'hom-
me et l'existence se disent-ils, il faut alors que l'humanité se cherche une
raison, d'@tre, une éthique. Le vide que crée le rejet des valeurs de la civi-
lisation ne saurait rester béant et la recherche d'ersatz de ces valeurs de-
vient une nécessité impérieuse.
Dès lors le refus de l'idéologie s'accompagne d'une qu@te. Malgré 1
nanimité dans la recherche, aucune voie ne se pose comme la royale. Les sulu4-:
tions seront presque aussi nombreuses que les chercheurs. Parmi celles-ci il ya
des nouvelles et bien s~ d'autres, de vieux supports qu'on tente de consolider
et de vivifier. Ils apportent au critique une information de taille. Si l'in-
quiétude est générale, tout le monde n'est pas convaincu qu'il faille subver-
tir le monde et ses valeurs, abandonner toute idéologie et éthique jusque-là
connues. Ainsi en est-il des romanciers dits chrétiens~ Il ya aussi ceux qui
croient encore à l'homme et à son pouvoir mais trouvent la société mal faite.
Ils rejettent l'idéologie dominante; o'est en général au nom et pour le compte
d'une autre idéologie qu'ils croient meilleure. Ces artistes sont doublés cha-
cun d'un politique~ La diversité des points de vue sur la crise sociale des
années trente leur fait comprendre l'importance numérique et ontologique des
essais politico-littéraires. Cela n'emp@che pas les romans de contenir les
préoccupations des hommes. Les auteurs ont sans doute compris les avantages
que procure...~\\,.~pour la transmission de leur message, m~me politique et subver-
sif, l'apparente mais trompeuse innocence du roman. L'on comprend aussi les
rapports étroits que les romans entretiennent avec les expériences des au-
teurs ou les éthiques qu'ils font leurs. Jo~ Bousquet dira a
-62-
" Noua sommes au temps où l'on devient un grand et vrai romancier enJ.ppre-
nant ~ devenir un homme. M( 1)
L'expérience personnelle permet alors de canna1tre la vie collective. La solu-
tion consiste à se servir .de la littérature pour révéler son expérience •.
Il faut peut-~tre .:1jouter à l'intention de Bousquet que les romans
n'étaient pas de simples comptesrendUB d'experience; ils s'enrichissaient aussi
de projets éthiques iInaginéf:)-certes, à p~ir des expériences diverses. On
peut s'interroger sur ces expériences et éthiques.
A) DE LA FUITE A LA DEFLccr:TCE
a) La. négation de l ' ('".venture
La plupart des romans publiés au début du siècle sont écrits sur
un airde fuite. C'est la grande période de l'aventure. surtout l'imr:lédb.t
après- guerre en ser2. marqué. lIais comme la recherche effrénée du plaisir
pen-
d21lt les 2.IlIlées folles on se rendit compte et bien vite de leur
niJ.ture oi-: I
seuse • Les derniers textes qui en tr2itent sont sceptiques qU2nt à leur effi-
c~cité, s'ils ne les dénoncent pas purement et simplement. C'est en tout cas
l'idée que l'on retient de la lecture de L3. B2nder:'1. de Pierre Bac OrlC'n.
Ce livre semble pourtant consacrer à la trrnition du roman d'aventuriers.En
effet l'::spect exotique rapproche le livre d'une chronÏJque. Rien d'étonn_nt
ii l'on sait que La ~snd)rq est né
d'un reportage sur les légions étr2ngères
espagnole et française.-Bernard Baritaud dit du personnage central qu'il in-
c~xne deux aspects de l'aventure:
"L'aventure de 18. pègre, et l' ::"venture militaire, toutes deux motivées par
la misère"( 2).
L~~ misère et la souffrmce sont capitales dans le peinture de l' 2.-
venture. Ce sont en fait ces éléments qui fondent le romantisme et e~~ltent
le "passif" qui lit le livre ou écoute l'histoire. :8n effet l'3.venture exige
une perception extéroceptive (venant du monde extérieur). Ni jeé1n Ho.be, ni
1- Jor:! Bousquet ";~milUd.::d de N. BL-nchot" p. 160
2- Bernard Baritauéj. Il :81 Christo y 1.:1 Virgen Il :'cwnt-scène CinéIiB n 0 285-286,
15 Avri-l 1982 p. 13
-63-
Gilieth, ni Perken, ni Claude Vannec ne prennent leur vie comme "un événe-
ment qui sort de l' ordin:1ire ILns ~tre forcément extraordinaire" (1) ,selon la
définition de l'autodidacte de La ttausée. TIoquentin ~ 'y était trompé et pre-
na!t sa vie passée. ch::..rgée dévénements et de faits exotiques comme une aven-
ture. Hais cette idée n'est-elle pas née après coup? De toute façon les cer-
titudes qui lui viennnent en t~te après la visite de l'autodidacte sont de
véritables négations de l'2..venture. Roquentin s'interpelle en ces termes.
"Eh bien, c'est précisément ce que tu n' [~s j ~lIlais eu (ra~elle-toi tu te
dupais avec des mots, tu nommais aventure du <clinquant, de voyage, amour de
filles, rixes, verroteries) et c'est ce que tu n'auras jamais, ni personne
autre que toi" (2).
On le voit bien que ce qui fait sortir la vie de l'ordinaire soit
de 13. souffrance ou de 1::-. pégre comme chez Bac Orlc.m, ou du plaisir exotique
cowme chez Sartre, il ne s'élève j2nais, pour le sujet actif, au rang d'aven-
ture. Les personnages de I;ac Orl::n se prennent pour des tr2.qués plutet que p:>ur
des aventuriers. Roquentin est trop lucide pour ne IkèS voir qu'on appelle aven-
ture un f:,ux-semblc,nt s-'.ns consist2..nce. S'il le rejette c'est parce qu'il est
en m~me temps un f~J_l::c-fuY'=-nt qui permet de s:t?..paiser, une sorte d' ?libi qui
protège de la condition humaine. A ce titre l'aventure est une fuite, celle
d 'une situation qu'on refuse d'assumer. D' ~-illeurs les vrois aventuriers, ceux
qui prennent les événements d'une vie comme tels sont des "passifs" réfugiés
d2.ns l ' imaginaire. Ils se sont engc.gés d~'ns l' expérienc e peu ordiœ.ire qu'ils
posent comme une 3.venture. p::-,x contre ceux que Lac Orl3.Il appelle les "o.ventu-
riers 2.ctifs" (3) n'apportent 2.ucune exaltation im.?ginaire et romantique à
leur vie
b) Le pessimisme déf~itiste
Eeaucoup des romans de la nouvelle tradition subversive sont des
1- Je~ Poul Sartre, La N~usée, p. 57
2- Jean Paul Sartre, La N2usSe, p. 61
3- cf Pierre Mac Orlan, Petit manuel du parfait aventurier, Paris, la Sirène
0011. les Tracts, 1920
-64-
fuites ou des compt%-rendus de fuite. Cependant on ne .se barric2.de plus derri~re
le romantisme d'une vie singulière et exemplaire. Si Roquentin cesse de croire
à l'aventure, il continue à· chercher le moyen de combattre la vie et de s'af-
firmer. BQrdamu ne f~it pas de m~me. Il capitule devant la société et 8e con-
tente de cracher Sur tout, de voir partout le mal et la l)ourriture.
La. morale
de fuite qu'il s ~ est forgée à 'la guerre ne l';:j. jamais quitté m~me quand
il s'est agi d'é'.utres expériences. De là na1t une certaine hypocrisie que-le
héros lui-m~me exprime comme une r~gle de conduite dans une appréciation du
patriotisme :
"comme le thé~tre éte.it part out il f allait jouer et il ava!t bien raison
Br"'nledore" (1) •
c) Le suicide
Le tr~.gique d'un tel pessïmisne conduit au suicide. Bardamu n '3" a
échappé que parce qu'il a accepté de se r8nger parmi les "salauds", la pire des
formes de fuite selon 32rtre. Voici la conclusion du médecin des pauvres :
"La vérité de ce monde, c'est la mort. Il f2.ut choisir, mourir ou mentir.
Je n'é'i j"'mn.is pu me tuer" (2).
L'alternative choisie par B,~do~ est une forme de lâcheté. ~ut2nt que l'au-
tre. Cela va sans dire, le suicide n'est pas une victoire sur la vie ni sur
l'existence. C'est plut~t un refus de combattre. Les gestes de IJi.chelKraus
peu aV2nt sa mort,sont significstifs. ~ssis dans son fsuteuil, les yeux
clos,
il passe en revue s~ vie passée et forme du coup des ir:J.ages chimériques mais
r2.SSUX2Iltes. Et dons son r~ve il oublie le monde et ses horreurs.
"
'Jl! si je n'ét::!.is p:::.s plus œ.ut que cet c.rtilleur, pens~üt Tiichel .KrauB,
je pourr2Ï5viv-re encore sans f~re intervenir cet :"bomin<J.ble dég01H de tout
ce qui ressurgira qucmd j'<J.urai décidé d'ouvrir les yeux" (3).
1- Louis Ferdinand Céline, YOTJr,e :cu bout de la nuit p. 87
2- Idem p. 183
3- Pierre Bac Orlan, le qU2i des brunes 'p_"ri~ G~1.llimard ,1927, p. 109
-65-
8t le jeune artiste allemand refuse dinsi d'ouvrir les yeux. Son geste pré-
figure et symbolise le suicide qui vè.~e suivre. C'est une fuite de la réalité.
Cripure, lui, peut bénéficier de circonstances Rtténuantes. Son
implic·~tion dans le système qu'il dénonce avait été inconsciente et du f2it
m~me, son opposition donnait sens à sa vie. Hais hélas il finit par se dé-
l!Jillusionner.
" J'8.Ï. su percer le mensonge, mais là s'est arr~tée mon audace. Je n'ai
pas su agir, je n'oi su prendre, pas su garder Toinette. A présent, je suis
vieux, laid, infirme, seul malgré •••• l'autre. Battu à plates coutures. En-
core n'2i-je pas le droit de me dire battu, puisque je n'ai pas livré bataille.
Je n':i .le droit de rien. Je ne suis rien. Rien que l'un d'eux" (1).
Il n'en continue pas moins de s'2Ccrocher au souvenir de Toinette
par le biais de cette survivance de la vanité intellectuelle que demeure la
chrestomathie
du désespoir (2), jusqu'au jour où , après avoir appris la
.--
mort de sa bien- aimée
il perd aussi ses notes, déchirés par les chiens.
Perdant la possibilité de donner un sens à sa vie, il cesse de chercher des
succédanés et s'ab?ndonne d~ns le désespoir. Ainsi le duel avec Nabucet était
une occasion inespérée de mettre fin au poids de la vie. C'eût été une forme de
suicide psteille à celle adoptée par Robinson dans le roman de Céline. Ayant
perdu la chance de se faire tue~le héros de Guilloux mettra fin, lui-m~me,
à ses jours.
d) La défiance du destin.
Les formes de fuite sont donc ~ssez nombreuses. Pourtant tout le
monde n'a pas renoncé à s' 2.ffirmer et à fonder sa vie en dignité. Certains
personnages feront remplir à la mort une fonction toute différente. Pour Cri-
pure et Kraus
mourir c'est l'occasion de se soustraire à la vie insuppor-
table. Pour I::.:lr~ux 13. mort est une fatalité qui tr::msforme la vie en destin.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -...._.....:----=---
1- Louis Guilloux, Le s:mg noir, P'-ris GJ.llimard 1935, p.
230-231
2- C'est le nom du livre que Cripure est.ft train d'écrire
-66-
L'auteur de ta !ondition humaine pense cependant que l'homme peut reconqué-
rir sa dignité et se justifier s'il devient plus fort que ce destin. En bra-
v~nt la mort le heros défie donc son destin et par là s'affirme et se fonde
en dignité. La mort permet donc de vaincre la vie et non de la fuir. Perken
le dit clairement dans la Voie royale.
" Ce n'est pas pour mourir que je pense à ma mort, c'est pour vivre" (1).
L'on comprend ainsi pourquoi certains personnages de Malra~ sur-
tout ceux des premiers romans, ne dédaignent pas l' 2.venture. Ils ne l' Gdop-
tent pas cependant parce qu'elle permet de se dépayser, d'oublier les miasmes
de l'existence sociale. Dans l'e.venture les personnages de Ii~lraux retien-
nent surtout le risque et le défi à la mort. Bien que motivée par l'obses-
sion de la mort leur 2.Ction n'est donc pas un paravent futiJt. et l~che. La
pensée de Claude Vannec se fonde sur cette conviction :
"Ce qu' iJ.s appellent aventure pensait-il, n'est pas une fui te, c'est une
chasse: l'ordre du mOnde ne se détruit pas au bénéfice du bLcsard, mais de
la volonté d'en profit.er"
(2).
Cela nous amène à mesurer à sa juste valeur le r~le du courage dans l'univers
romanesque de HEQrc-nx.
-En définitive il est aisé d'observer dans-le roman des années trente
que le refus de l'idéologie, malgré sa fermeté, n'entraîne pas ipso facto
l'absence d'une éthique 1
" L'idéologie poli tique est tout à fsi t absente de k. Voie royale ( ••• )" ( 3)
selon Frédéric Grover mais perken et Claude ont cepend2nt à coeur de
" laisser une cicatrice sur cette c2rle" (4).
C'est de ce besoin de s'af-
fimer, pour donner un sens à une existence qui n'en a pas, que procède tout
le problème mor:ll du rolIl3.Il de l'entre-deux-guerres. En plus du nihilisme,
1- André Malraux, La Voie royale, Paris, B. Grasset, 1930, p.109
2- Idem p.37
3- Frédéric Grover "Ivlalraux et prieu la Rochelle" Revue de lettres moder-
.llill'I, nO 304-309, 1972, p.65
4- André Malraux La Voie royale p.60
-67-
du suicide ou de l'héroIsme il ya aussi d'autres solutions beaucoup moins
pessimistes.
B) Là SEDUCTION DE L' ;\\.RT
Très peu d'écrivains ont voulu dépasser l'instrumentalité de la
littérature pour go~ter les plaisirs de l'art et s'en nourrIr sans 3.ucune
;".utre forme de qu~te. Là encore le cC'rccetère défaitiste serait patent. C'est
d'::illeurs une voie qui a été très vite négligée.
L'expérience de la nausée
conduit Roquentin à découvrir l'inef-
ficacité des feux-semblants. Après avoir pexcouru le monde sans trouver une
r2:ison de vivre le héros de Sartre 2.v~it échoué à :Bouville avec son dernier
alibi: reconstituer la vie du marquis de Rollebon. Dés lors l'~rt biogro.-
phique cesse d'~tre pour le héros de Sartre une simple chronique. Il justifie
son existence. l'Ié:.is bien vite, la quiétude est perdue et le personnage du
maxquis perd son attr:·~it. J.oquentin ne trouve pas tout de suite un succa-
dcmé. 1·12.is qu::,nd La. nauRée l" cC2,ble, un vieux ragtime l' en délivre. C'est
péJ.rce que les notes se suivent avec rigueur et que la chanson contrairement
à. la vie 3. un. commencement, une fin et un ordre. Roquentin const2.te que le
disque s'use, l'auteur est peut-~tre mort, que lui, il s'en va. Gels ne change
rien, la chanson prouve qu'on peut justifier son existence, il sUffit de créer
soi-m~me quelque chose, un livre par exemple, qui ne parlera.it p3.s d'une
existence passée. Pensant au marquis de Rollebon, le héros de Sartre se dit :
" jD.mais un existant ne peut justifier l'existence d'un autre exist.?nt"(1).
Ce qu'il f3.ut à Roquentin c'est ce que récb.mait Perken :
"exister d311S un grand nombre d'hommes et peut ~tre longtemps" (2).
Dans L~ Nausée le personnage pense qu'un roman peut réo.lioer cet objectif :
" Un livre. Un roman. :ct il y 2.urait des gens qui liraient
ce livre et
qui diraient: "c'est Antoine Roquentin qui l'a écrit, c'est un type roux qui
1- Jeo.n P::'.ul SCtrtre, L.1. lTausée P. 247
2- ,Undré rblraux, La voie roy~le p. 60
-68-
trC'1nait cbns les cafés" , et ils penserdent à ma vie comme je pense à celle
de cette négresse 1 comme à quelque chose de précieux et d'à moitié légen-
d.''lire'' (1).
Nous sommes loin de l'esthète qui se nourrit du simple plaisir pro-
curé par la beauté
artistique.' L3.. cause en est certes déjà entrevue. L'es-
thète est lui aussi un fuy~rd, un salaud. Le vieux Gisors qui le devient ,
•
dans La condition hUIIlc'l.ine,après la mort de son fils, n'en est pas dupe. D'ad-
leurs il ne cherche plus à s'affirmer dans et en f~ce de la vie mais, au con-
traire, à dispar?~tre, à s'oublier. C'est une sorte de mort sans gloire.
lIais la séduction de l'art peut mener à des voies subversives sur-
tout lorsque cet art est perçu comme moyen de changer la face du monde. Il est
inutile de rappeler qué le surréalisme a été victime de cette séduction à un
point tel que les conpagnons de Breton posaient la subversité comme l~ mar-
que de l'2rt vérit~ble. De là leur négation des r~gles de la beauté litté-
r2ire, des principes de la bienséance et des catégories logiques ••~ragon par-
lera au nom de tous et dons diverses oeuvres pour revendiquer cette 2mbition.
" rIous introduisons le désordre " (2 )
dit-il dans les-wentures de Télé-
m~'.que. Dzns le G?hier noir il reprend la m~me idée :
" Finie votre rc.1ison. A nous le nouvel ordre où l'ansrchie est reine" (3).
Ailleurs i l lance, désinvolte, " adieu les c:2tégories" (4).
Pour les surréalistes le langoge est l'expression du monde ration-
nel. Il faut donc que naisse une nouvelle forme d'expression pour bouleverser
13. perception et subvertir le monde. L' on voit :,:lors l'import:mce de l' :.:ttrJ.c-
tion de l':::rt. r.~u'on ne s'y trompe surtout pas. Halgré leur refus de L~. litté-
1- Jecn Paul Sartre L2. l'J.~'usée p. 248
2- Louis,_r~gon, "Spilogue" '"'.ux.ventures de Télémaque, Oeuvres poétiques T1
~aris, livre club Diderot, 1974
3- Louis ,~ra.gon " Le c::iliier noir- " Oeuvres rom,mesques croisées T4, Paris,
R. Laffont.1964
4- Louis .~r:lgon, "Rimb'::,ud" Oeuvres poétiques T1, p. 55
-69-
r::1.ture
les surréalistes ne se servent pa.s moins de celle-ci pour ::wcomplir
la t~che de subversion. Il ne serait pas injuste de penser qu'au lieu de
la
littérature, c'est plutet une certaine tr2dition littéraire qu'ils rejettent
si vivement.
Les premiers romans de Halraux mentiorment 13, tentation de l'art
comme refuge contre le destin sans marquer une préférence pour cette voie.
L' ~,ction et surtout l' :=,ction périlleuse, risquée, sollicite" plus la sympathie
de l'2uteur. Dans L:dtausée Roquentin quitte Bouville avec une seule lueur
d'espoir: la possibilité de s'affirmer en f2ce de l'existence, en créant
de l'existence. Chacun d'eux semble dons son évolutiOn postérieure, ~ller
vers le point de départ de l'autre. L'on se r~ppelle ce que ser~ plus tard
la v<C'J.eur de l'action chez Sartre et le culte de l'art chez II'-.lr~ux.
La tentation de l'2rt dans les années trente est toutefois be2U-
coup plus import2nte qu'il ne perg!t aujourd'hui à tr:::.vers b. littér2.ture.
En fait on peut m~me poxler de renouvellement avec la découverte de l'oIt
nègre et orient"'l. Il n'y,':., rien de surprenont, donc si pour les génér2-tions
1
d' "ujourd 'hui, le cubisme,
le Dad'J.!sme et le surré;:;.lisme demeurent un vé-
ritable nk~gma intellectuel inextric2ble, à la fois artistique et politique
parce que subve~if. Pourt2nt ce faisceau d'idées nouvelles ne repose sur
:?,ucune doctrine pol.itico~socLüe ;:J,ttestée. Cette forme de qu~tedu nouvea.u,
vis,~t à venir à bout du destin et du poids de l'existence n'a pourtsnt p~s
complètement eff~cé les &nciermes voies qU2nd bien m~me on les dénonce d2ns
la plup2rt des productions.
é) LES SENTIERS DU CHRISTB.NISME.
EeJ.rc.u.."'< considér~i t vers b, fin de sa vie l' ~rt comme une sorte de
religion. E:üs pour beaucoup d' ::'utres le sentiment religieux ne 3ubir8. p:'.s
de tr~sfert et le christi:~isme rester::1. une voie de salut~ Des romanciers
aussi illustres que Mauriac et Bernanos sont de ceux-là. Leur divergence avec
les pessimistes et les subversifs n'est quand m~me p~s totale. Ils partent
tous de l'absurdité de la vie, de la souffrance morale" du poids de l'angoisse
-70-
corollaires à la découverte de la faillite de la civilisation. C'est seule-
ment lorsqu'il s'est agi de trouver des remèdes que ceux qu'on appelle les
romanciers chrétiens se sont tournés vers les ressources de l~ religion.
}his pour les subversifs la religion est, elle aussi~un alibi.
Bien que religieux, r.!auriac et Bernanos ne sont cependcnt 1"'"..s des
théologiens. Ils ne font m~De pas des oeuvres d'édification. Bernanos dis2.it
dés 1926 d.3.ns une interview
c'.ccordée~ux lTouvelles Littéraires que le ro-
man catholique: n f est pas celui qui ne contient que des propos édifiants mais.
"celui où la vie de la foi g' ,- ffronte 3.vec les passions" (1).
Le but est de rendre sensible le tr~gique qui découle de cet affrontement.
C'est pourquoi les rOIll8ns de Hauriac et de Bernanos procèdent d'une dialec-
tique qui part de la perversion de l'homme à 1:, mut~tion salutaire procurée
par la gr~ce, le sacrifice, l'omour.
a) La perversion du bourgeois.
Il serait bien facile, mais de mauv~ise guerre d'utiliser le ro-
men chrétien pour donner l'exemple d'une vie à l'image de celle du ehrist.
Le roIIlc".l1 serait ?insi une sorte d' exemplum. Ec-is sa crédibilité en ser2-it
z.moindrie car les auteurs auraient montré, là, un ::cefus de considérer l'homme
8-vec lucidité et sincérité. l-Iauriac et Bernanos ont compris cela. _~insi re-
trouve-t- on
d9ns leurs textes cette satire de la société qui réduit 18-
pratique soci2.le ou puéril et en D~me temps, pour cela m~D~ crée l'angoisse
et 12. souffrcnce morale. Le principe semble ~tre de créer des personnages
cê~pés d2l1s et marqués par la souillure, les p.assions, le mal. Hauriac ::"ffirme:
"L~me d::'ns l'6tat de grttce mes créatures ll8-issent du plus trouble de moi-
m~me. Elles se forment de ce qui subsiste en moi, malgré moi" (2).
Ce "plus trouble" est f2.it comme pour Bernanos du lieu et du moment où s'~",-f-
frontent 12. foi et les passions.
1- ''Une heure avec G. Bernanos" par F. Lefèvre ,Les nouvelles littéraj.res,
17-4-1926
2- François Mauriac, cité par N. Cormeau in L'art de François Mauriac,
~ris, Grasset, 1951, p. 65
-11-
Hais comment les :::.uteurs font-ils ressortir le
ceté pervers du
bourgeois ? Un lecteur pressé peut facilement retrouver d~s les ro~ns de
Ihuriac un mépris flaubertien
pour le bourgeois. Zn effet :::,ussi bien d~--.ns
Thérèse Desqueyroux que dells le Noeud de vipères, le romancier de ::Bordeaux
présente dès les premières pages, un personnage odieux à bien des ég~rds.
H::-.is, comme dit le Roquentin de S'U'tre refus2Ilt d'admettre
un commencement
véritable pour les récits, la fin justifie tout. Les conditions d'une évo-
lution doivent ~tre créées dès le départ. Ln effet ceux qui retrouvent le
so.lut comme ceux sur qui le suspense' est maintenu sont, dans les premiers
moments de la narr~tion, des p~cheurs à la tr2îne de Satan. Dans ce crépus-
cule des régions' landaises où elle sort du modeste palais de justice d'une
ville de province, ThérèeeDesqueyroux n'entrevoit aucune lumière divine et
sc-lut2ire. Son coeur ne semble, en rien visité par le repentir ou le regret.
Toutes ses pensées consistent
à f2buler un discours qui, maintenant que la
justice l' 3. relt\\ché.e, la défendr2. auprès de
son mari. Ce serdt pourt;::nt
une forme :possible de repentir ou de regret qui pourrait excuser la jeune
femme aupr~s de ::Bern".rd Desqueyroux. Eauriac a. poussé la perversion de son
personnage au point de lui refuser le succ~s de sa défense 2.upr~s de Ber-
nard. Cependant si Thér~se q tenté d'assassiner son mari ce n'est pss par-
ce qu'elle est une nature pervertie. L'ôCte de Thér2se interpelle tous les
bourgeois. C'est l~. réaction d'une femme troublée, angoissée et m~me révol-
tée par le conformisme bourgeois et ses manifestations sordides. Ce qui
prouve que I1auriac ne s'intéresse pas uniquement à l'individualité de la
jeune femme mais à toute lG réalité perverse de la société, c'est l',bsen-
ce de contre-poids exemplaire d~ns ce livre. Les a.utres ne sont certes pas
des assassins. lIais si nous en prenons un exemple,::Bernard,on constate que
sa cru2.uté le met à la h3.uteur de sa femme. D' .ülleurs, ici, les personna-
ges n'ont d'~utres préoccupations que de sauver la f~usse cohérence de leur
société, de préserver leurs intér~ts égoïstes. ~insi le père de Thérèse
-72-
préf~re oublier sa fille que de compromettre son élection. Be~rd ~ur~t
été édifiant s'il aV2it pardonné à sa femme par~our ou par simple généro-
sité. S'il donne l'impression, à ses concitoyens,de l'2bsence d'un drŒme
dans son ménage,c'est pour éviter de fourrÏir une raison d'agir aux préjugés
bourgeois qui auraient emp~ché le mariage conformiste de sa soeur.
I~me la punition qu'il inflige à Thérèse ne fait que l'avilir puisqu'elle
est, non une correction,mais une revanche. En effet depuis fort longtemps
cet homme souffrait de la sUpériorité de sa femme. De plus il ne peut com-
prendre ni admettre qu'on sorte des sentiers battus. L'anticonformisme de
Thér2se lui est donc insupportable.
Le vieil avocat du Noeud de vipères se présente au début comme
un horrible personnage. Certes ,il ne peut agir comme Thérèse; il n'en a pas
moins de sinistres intentions. Lui aussi, ses sentiments pervers naissent
de la comédie et de 13. corruption de son milieu. D~s lors, toute s'on éner-
gie est mobilisée: pour lnlmilier et f~üre I:B1. Cette intention n'est p.-::.s née
d'une mécmnceté congénitole. Nous ,,-vons d:,ns le comportement de Louis la
revanche d'une lucidité qui a découvert l'insincérité dont elle ét~it vic-
time. Il élime, certes, l' ::::crgent en soi, l!l2.is surtout pace que c'est une ar-
me. Je::n-Hervé Donn.:.'l.rd explique pourquoi il humilie sa femme et Ill2,intient
ses fils dans le désespoir.
" Ce qu'il n'a pu obtenir lXlr l'2lnour, l'e.rgent le lui offre" (1)
Ibis la perversion de Louis est à l'ioege de celle de sa f~lle.
Les enfents ne s'intéressent en fait qu'à ses richesses et la religion d'Isa,
sa femme, ne dépè-sse lBS le conformisme formel qui procure la bonne conscien-
ce sens ~tre réellement un ~cte sincere de bonté ou de cbnrité.
"Par une, perversion du sens moral, d'ailleurs fréquente, Isa prend sa du-
reté pour de l~ vertu. ~lle éprouve à bon compte lél satisf2ction du devoir
1- Je ~n-Hervé DonnD.rd, Trois ~criv ins dev.--,nt Dieu: Cl',udel. I: -,urL,c. TIer-
n'nos, P,,,-ris, S.2;D.L:S, 1366, p. 75
-73-
accompli. " (1)
Cette'sorte de pratique méc2nique et hypocrite de la religion provoque une
réaction hérétique de la ~"rt de Louis. C'est sans doute à partir dèlà m~me
observation que Bernanos a ~cquis l'obsession du mensonge. Ce dernier por-
te chez lui l'essentiel du tr~gique. Il trouve que la société est de plus
en plus corrompue par le mensonge en paroles, en pratiques et en intentions.
Cette imposture fonde le secret tragique du mal. C'est donc:
" Cette h;y'pocrisie fondamentale ••• qui fait de la vie de beaucoup d'hom-
mes un drame hideux dont ils ont eux-m~mes perdu la clef, un prodige de du-
perie et d'2.rtifice, une mort vivante. " (2)
La dénonciation de l'homme passe presque toujours, chez Bernanos
par des considérations sur l' enf2Ilce. Celle~i est, soit écras-ée par la o'omo-
mun~uté, d'où une atteinte grave à l'2mour et à la force de la société, soit
corrompue par la pratique sociale. 0n"pourrait-trouver un meilleur exemple que
ces enf2.l'lts du Journal d'un curé de CC:IDp'''gne qui s'intéressent au pr~tre
pour ses beaux yeUL~, permettant aussi par leur luxure la circulation d'une
rumeur selon laquelle, il fer2it tourner la t~te des gamines.
Luxure, mensonge et mépris de l'~our ( donc de l'enfcillce et de
la pauvreté ) fondent chez Bernanos la critique de la société bourgeoise.
Hous retrouvons alors l'insincérité qui explique la réaction hérétique de
certains, l'2ngoisse et le pessimisme des autres. Les écrivains chrétiens
vont-ils, d~s lors, céder au désespoir ?
b) La puissance de la gr1ce.
Le tr~gique et l'2ngoisse naissent chez BerT.kqnos de l'expérience de
ses personnages déchirés par la lutte entre la foi et les passions. Qu'ils
, soient de vrais ou de faux saints ils COIll?-aiss:nt, toujours, cet.te lutte d'DulOU-r
1- Idem p. 71
2- Georges Bernanos, La joie, Paris, Plon, 1929, p. 45
-74-
reuse de laquelle nait, d'ailleurs, la tentJ.tion du désespoir. Chez H:.'l.uri:J.c
l'insincérité et la corruption conduisent plutet, le plus souvent, à une
persistance délibérée dans le ~~l et dans l'hérésie. Ses personnages ne
semblent pas, du moins au début, rejeter l'hypocrisie et la corruption so-
ciales au nom d'une éthique religieuse. Â ce moment leur révolte devient
une ~'30ciabilité née d'une mor21e individuelle. Thér~se n'a pas conscience
de rejeter le conformisme parce qu'il dénature la foi. 3hcore moins l'avo-
co.t 'du 2;oeud de vipères. Une po.reille o,ttitude conduir::-,it à la sainteté.
,C'est justement là que 'demeure l'originalité des écrivains chrétiens car ils
font atteindre cette sorte de sainteté à leurs personnages uniquement dans le
dénouement de leurs romans. Pourtant ce changement ne traduit pas un nouveau
p:'.rcours des héros. lIon plus un repentir ou une expiation ,comme on l'atten-
drc.it de n'importe quel chrétien. Le lecteur entrevoit dans la volte-face et
le chengement de r2pport 2,vec 12. mor:::,le religieuse l'essentiel du contenu
mystique de ces livres. Ce phénomène c'est ce qu'ils appellent le. grâce.
_~u camble de l'hérésie et de 13, haine Louis est subitement visité par l~
lumière. Dans l'état de gr1ce, à un comportement de défi2.Ilce en face du
mal socio.l, le chrétien oppose sa générosité et son pardon. Cette force ne
lui vient pas de la société, encore moins de son ~tre intrins~que. C'est
la douce pitié de Dieu qui, s'exerçant sur le sujet, le modèle à l'image
du cré,?teur. 3lle lui offre alors le s~lut en le transformznt en une sour-
ce de bonté et de sacrifice. Tel est le str2tsgème qui permet ::lUX héros de
l'huri3.c de dépasser l'angoisse créée par la vie sociale et pa.r l'2,bsurdité
de l'existence. Une pareille dérncrche est tout\\à f2it soci2le puisqu'elle
rej oint b. vicil.1e idéologie bourgeoise d'une tr?nScendance pë1rfaite et gé-
néreuse guidant les heureux hWIlE1.inS, fils de Dieu.
N'eût été la dénonciation de la pr2tique méc~que et insincère de la reli-
gion, les romans dits chrétiens n'our2ient aucun contenu subversif. Les so-
lutions qu'ils proposent devcnt le dés~rroi général sorit de vieilles pratiques
-15-
proposées par la superstructure bourgeoise.
~Bis la gr~ce ne conduit pas seulement à la lumière. ~lle aide aussi
à s'y maintenir. Zlle permet ~ux curés de Bernanos, en proie à des tensions
intérieures, de ne point sombrer dans le désespoir. On peut se demander néan-
moins si les bienfaits qu'elle ~pporte aux sujets visités s'3XT~tent là.
c) La beauté du sacrifice et la force de l'~~our
Le fond moraliste des romans chrétiens demeure, en grande p8xtie
et à l'image des romans traditionnels, dans le caractère exemplaire de l'iti-
néraire des héros. Sujets odieux au début, ils finissent par acquérir la s~in
teté OU presque. C'est le résultat d'une mutation des sentiments et donc des
comportements. La haine fdt place à l'amour. Dans ces textes l'e~our n'e~t
pas charnel mais dérivé de celui de Dieu et à son image est aussi celui des
hommes. Il ya bien s~ les passions et les inatincts mais ceux-ci sont dépas-
sés et on atteint l'8mour vérit~ble. Jean Pélouère (1) aspir2it à jouir de
12. be2uté charnelle de Noémi ( 1). Hais ce qui l'élève et f:J.i t qu'il nous est
exemplaire c'est le sens de son abstinence. Celui-ci procède d'une généro-
sité s~s limite. C'est d'2.illeurs cet ~our désintéressé qui provoque son
double sacrifice : celui d'éviter le contact charnel avec une femme qui a
horreur de lui et le fait de témoigner, ~u prix de sa vie, de la sollicitude
et de l'~mour à un camarade tuberculeux et solit~ire.
La résolution fina.le de Louis provient d'un sentiment analogue à ceux
de Jean Pelouère., Ici le sacrifice, si on peut appel~r ainsi 1:a. sépa.ration vo-
lontaire d'avec un objet chéri, conforte l'~mour, s'il ne l'a p~s créé. Le
vieil avocat n'a pas seulement donné sa richesse à sa f2~11e mais
~ussi
tout son coeur. Nous ne prendrons comme exemple que le trouble et le désarroi
dans lequel le jette, vers la fin du livre, l'absence de ses enf2nts. L'au-
teur lui-m~me souligne l' importcnce de l' ~mour à ce moment précis. Pour lui
1- Personno.,ges de Nourio.c, le bdseru 16nreux, P,::.rie, Emile-Paul frères ,1925
-76-
Le noeud de vipères est en apparence :
" un dr3Jlle de f~-unille, mais d3llS son fond c'est l'histoire d'une remontée.
Je m'efforce de remonter le cours d'une destinée boueuse et d'atteindre à
la source toute pure. Le livre finit lorsque j'ai restitué à mon héros, à
ce fils des ténGbres, ses droits à la lumière, à l "amour et, d'un mot à.
"Dieu" (1).
On admet souvent que l'Ia.uriac est le peintre de la culpabilité de
l'homme en face de l'innocence de Dieu et Eerncnos celui de l~ sainteté. ~
tout cas si le premier fait évoluer ses personnages des tén~res à la lumière,
le second témoigne de la lutte entre la foi et les passions. Ses curés cher-
chent à se maintenir d:~ns la sainteté malgré les tentations. Histoire d'une
remontée ou résistance ~ux passions la m~me sève circule dens ces livres.
C'est la puissance de la gr~ce qui se manifeste par la force de l'cmour et
la beauté du s~crifice. Le c~té innovateur de ces romans résiderait, s'il y a
lieu, dans une sorte de purification régénénlnte de la pratique religieuse
et de ses principes.
D) DBFRICFBR L;~ CIVILIS;,TION
Il est toujours malaisé d'opérer des classifications parmi les
créateurs littér,~res d'une époque. La tentative est d'~utant plus difficile
que pour l'entre-deux-guerres il y eut une grcnde diversité de réactions en
f2~e de la crise de la civilisation. La critique sociale a sans doute fait
l'~~imité. Au moment de son dépassement se font jour les divergences. A
ceux qui refusent toute idéologie s' ~l,joutent les chrétiens qui voient le S2.-
lut dans les v01eurs réelles de la religion, purifiée par une pratique sin-
cère, d,~s l'espérance et l~è croy~nce divine; mais aussi et surtout un gen-
re nouve3.U de politiques dont Le'. doctrine n'est pccs une nég:::tion d'2 1 'homme
pure et simple. Parmi ceux-ci Drieu la TIochelle et Louis ~I2gon. Pour eux
il s' c.git de détruire 13. système soci:J.1 exist211t pour L'lire na.1tre une autre
1- François nJ.uriac, Le rom'ncier et ses personna,ges, Ptris Corr~3. 1933,
p. 132
-77-
forme d'organisation mieux adaptée. Il n'est pas question d'assimiler la
vision politique de l'un à celle de l'cutre. Cependant le besoin de défricher
la civilisation (1) leur est commun à bien des égards.
Comme la religionJla politique réussit difficilement Sa représen-
tation d2nS la littératur~quand bien même on peut encore l'y trouver. Pour
Drieu et Aragon le roman ne sera pas seulement une réflexion métaphysique
et angoissée sur l'~xistence et le destin~ Au delà de la critique sociale
il ya un projet de société" qu'il soit sommaire ou mal défini. Le modèle peut
être identifié, il n'est cependant pas explicite dans la plupart des oeuvres.
Les eloches de ~le (2) s'achève sur un hymne et une espér2nce au socialisme.
Gilles (3) 8lD.ène son héros, dans l'épilogue, à l'épiphanie fasciste. Les deux
romans commencent par montrer la corruption de la société bourgeoise, la fai-
blesse, le mal et l'injustice du système.' Drieu et Aragon représentent eux-
aussi, la société bourgeoise pourrissante. Mais la subversion qu'ils prenent
porte, au delà de l'intention èestructrice une idéologie de la reconstruction.
~lle se pose sur un modèle proposé par des doctrines plus ou moins viv8ntes.
Une certaine espérance, comme chez les chrétiens persiste d~s la vision du
monde des personnages de Drieu et Aragon. Ici il ya la subversion mais elle
ne provient d'Gucun pessimisme dSsespéré. Il yc. dans ce cas, une volonté de
refuser l' impuisSê.rlCe qui ::'.c1mettrâit que le mal est d'ordre fatal, métaphy-
sique ou lié au destin. Psul ITizan le dit très bien d~ns Aden Arabie :
,,~ terrible hypocrisie des hommes au pouvoir n'arrive pas à voiler la
présence des ~lheurs que nous ne comprenons pss : nous savons seulement
qu'ils sont là, qu'il arrive des malheurs quelque part. Ne nous dites pas
que c'est pour notre bien. Ne vous contentez pas d'accuser le destin,de f~ire
1- La détruire e~, sur ses ruines f2.ire l1:.:1!.tre une nouvelle
2- Louis Ar~gon, Les cloches de B1le, P~is, Deno~l, 1936
3- Pierre Drieu La Rochelle, Gilles, Paris Gallimard, 1939
-78-
éterncller::ent le~este (le PiLte" (1).
ctte critique ,1,:;3 "(lODI:les:,u pouvoir", c'est-à-cliJ:; (:Cc lA cletsGedo_
minante, celle dent les valeurs fondent la civilisation,a des soubassements po-
litiQuos. C'est pourquoi elle enpnmte des canO:1J i~éolo0iques et repose sur
le, croyance en la. possibilite d'une amUlior' ,tion de L:, condition hum'ine. Cn
const:,te",lors qu' il -:; a. chez Drieu, Ar.azon et Nizan un idéaliswe non r::i'ta.-
physique. Les problèmes qu'ils veuLmt r(~soudre sont, <~,u contr::,ire de C8tL'\\:
cOLlDUJ.'1ément perçus b, tr~.vers la. L:t:::,lité de 1- mort, L" L,iblesse de l'howme
et son in.'.ni ti, dt ordre socLle (~e tr::',it souliJ1e l' import~"nce (Le L: politi-
que è.~',ns leurs oeuvr8s, donc un souci did::,ctique,ssez m:::.rqu6e. ~Tous 3."vons
que le rom~n à thèse ':' été déva.lorisi par la critique 2. un point tel::~u2 tout
;f
le nonde se défencl dt en ':;crire. Il n'en continue p.',s ï.loins de viv".c:::; d2.0'1s la liti
térature. Les livres de' l'ent~e-deux-guerres développ~nt UJ.'1e thèse ne rappel-
l8l'l'Z. p.-,s, il est 7r~i, ceux de P-.1.Ü :OourGet, exactement. :::1:::: miment n:L1ï.loins
',1.:1 ï.lodèle. Dns L' eonspir-tion P. _.~z,n nous cLc:cit un groupe d'adolesce.nts en
proi~ au désarroi des :~nn",es trent8. ,;' est tOèè'Z. C8 ~~u' il ~ïet- Je coDIIlun C:1GZ
eux car cl~cun de ces g:::.rçons VQ suivre un i tinar-ire dif.furent dG celui cle
ses c'u..'r"des • .:.."C. 'technique consiste ici ~~ i:1et tre en par.,l101e cles i tino-
r~,ires exempl- ires nSg.tifs et li.Yl.'.1.ltre positif. ~-:osenth l et :21uvi:"<1- .:r:, œ....t
f"it Œ.'1 "'pprentiss::ge exempL~ire !l'~04tif" C~) .iL is tout l. isse su~>:!o::c::: qu;:;
Philippe ,Laforgue évoluera aut:::'3!:J.ent. :La cri tiQue qui est fdi L' ll.u modèle
30-
cL,l en vi~,uc:u:::, l' ich3C de S3S caoa,rades et l' interprétation ~~ l '48'Gl:ali..-
té"901itié~u8 inclinent c.. penser qu'il d3',-ienc1r:-. cor.:''luniste. ,;2 cŒ1te~u inte::..'-
l'r:..it tif est ,~1'aut nt plus pl'oh!a,at qu::: seul le cOl7ll:llmisme jouit ô.'u..'1 cCl'tc\\.in
prestiGe au::~ j"eu:: c:.u l,)Gl'Gmma.~;e • .Jau::; ces roD. .:lG parfois 4p:;,Jelés l':..iali::;t~·s
2- Sus,'n ='ubin ~:ulseiI:l n, 10 Ror:1a"'l 2" th2;':3é; 01.1.. !' 8utm::i t : l'icti.',-e. '~:..i.:l,
Presses lL'1ivc::sit-,il'c:., ,~. _ FrAnce,
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-79-
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~:OCl .l'l':; t )
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p.'.r f"
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a t"nese, 1 .;' t,:"''US t ure: n rI.' t .l'J(,
soin démonstratif du discours. ~t le texte lui-m~me d~signe un modèle.
~uclle3 :Jont les str.tégies utilisies p::.r les ..uteurs pour
fficher leur mo-
cl~le et limiter 'ussi les interprét.tions du texte ?
T
•
.u .
pr:-tique cour::nte est ici un p-.rt 'ge mc.nichéen u nive-u des
persolU1_~ges. :jette technique peut ~tre a-ppliqucie dns les rOIIL:I1S d' 'ppren-
tissAge que sont W Conspir··tion de ~Jiz::n, Gilles de Drieu 1.::. .G.ochelle ou
les 8ea.ux qu.::.rtiers d' Artl-gon; on 1:-, rencontre:ussi d:'ns des rotl'ns de struc-
turent rsonique : L'espoir de ;.; ·11.' ux par exemple oppose le c mp d(~s r2pu-
blicains, cOr.lh:.~tt'nt pour 1:.::. justice, et le cmp des horribles f~cistes en-
nemis de le démocr:.::.tie.
Dns tous ces livres L. prop:g::'nde politique, s::-.ns ~tre explicite,
se glisse d ns l'intrigue et détermine, presque toujours, son cours. Deux
voies sont Génér-:-lenent utilisées. Le récit exempLüre est positif qu:.ncl l ' u-
teur propose une ligne de conduite f -ce 3. L~ ri:lité décrite. Il peut ~tre
nég~'tif et-lors le livre s 'évertue à expliquer ce qu'il ne f-.ut p.:S f ire
ou 1-. ré: lité contre Lquelle il nous pousse a lutter. Très souvent, les deux
tûèses c08xistent d.ns le texte [l'.is une seule est :.ffich,~e cOrru:J.e un L1odèle.
Le Gl'i tique du rom::.:.n de l ' entre-deux-guerres ser". fr-.ppé,
en ce qui concerne
les "'.utsurs qui veulent détruire L. civilis ..tion pou::: en foire n..-!tl'e une
.-.utre, p·.r l'intention subversive presque .:;énér le.
0ne
utre reIIL~rque peut ~tre formulée : le contenu illocutoire des livres.
,;n. effet ceux-ci visent à f i:cs .:;ir. :"':e but explique en p .rtie leur rap-çorl à.
la réalité et leur besoin de·s'y référer. Il est 3isé d'établir, ~ partir de
ces livres, des isotopies autour des sèmes de la classi.fic:::tion sociale, à. l'
mage de celles existant dans les doctrines Foli tiQU'.~s ::mbversi ves de .1' .~poq,ue.
Les Grnds thè::ffiCS politiques qui
.vdent
lors COUl.'3 sont repris il no los
rom:"ns. D ms Gilles p:"r exemple lJrieu int06T8 les points de vue L 3ci3tcs
sur 1 '. d~ché ncc soci'le, le f'lytho du L1oyon-~.::;e ct des r CC3, l' ttr' ction
-80-
de la virilité, la haine des intellectuels et de l~ démocratie. ~es beaux
!u_~rtiers reprennent les lieux communs cie 101. critique tnar:dste de 1::1 vie
soci·:'.le bourGeoise. 38rL'.nne 1,-" vi:::ux estinsi un ni~ '-~: ~L i) .uche , d' n-
bitions jgo!stes et àe h:-.ine. -Ji cesuteurs ne montl'ent p. s cL.irement le
projet de société qu' ils veulent inst-urer, ils font sentir, cependant, la
nécessité de sonvènement.
D'ns l'intention de àétIuire le modèle sociu.l bourgeois, les
roman-
ciers de 1930 à 1945 ont, presque tous, dév~lorisé, dans leur peinture, la
Gociété conteoporaine. ;:~me qu.-.ndu fond, ils ne proposent rien de nouve.u
comme p r exemple cert'üns rOi:l:.nciers chrétiens, ils ont perçu L. crise de
L;;, civilisc.tion.
Il est pourt:nt curieux de const .ter que les plus ent;' gés ci ns L.
destruction de L. Ir.chine socL,le bourgeoise n'ont p'-.s lill8 idée cL.ire de ce
qu'il f:udr' it 2ettre à L .. pLce. ::;es ,sr-ncis subversifs n'ip,-.rgnent ni le con-
tenu de L. culture BocL.le ni ses fOJ:TIes d' e:cpression. P-,r contre il :r lL'1
:.'.utre groupe ég'lewent oppose-_u système socL~l de son epoque et qui, El L"
pl-:ce propose une fOrDe de société repos-nt sur des doctrines politiques
-:;,ttestées comne le f.J.scisme et le cO!:lffiunisme. Les différences touchent
ussi
les instrunents de 1. subversion dont se ser.fent les écriv-üls.~'est pou:::,-
quoi les rOB-.ns qui m:,.nifestent des s~rmp thies pour des doctrines poli ti::;,u8s
vi'rntes et subversives sewblent repren(~re les c'nons du rOIIL,n trdition.l1el
tel que nous les ~ lGgués le 1?e siècle.
Le linguiste L. Timbal~cbux (1) propose dans UILlll2.nifeste publié
p::cr ':'Or.1-:lunic tion et L: 11'5' ses de Cl'6Gl.' le te:r::'8e li inlis. bles ll et d' voir _inoi
des doublets pour définir les f its que le seul terme lIillisible d~sicne
~.ujourd'hui. L.. c use en est que l'emploi du mot 11 illisible ll peut ~tre
::1-
1- L. Timb'l-Duclaux t1m-nifeste pour l'emploi de lis "ble ct d'i1.11islble"
;or.uJ.unic tio,,- '3t TJn.~-,",\\JS Y1° 66 !~O tri~:.
1~,J5 P. H-1)
-ü 1-
bigue
~e terme peut :::;ic;nifi8r une impossi bilit5 mt.:)riel18 de lectur8 (î:L.u-
vise typo;1l'··phic). Il pout
uc:-;i indiqU'3r c;.ue tel pss ~E: r3 but,'} son 18c-
teur de p·'.r son c' r'ctère.bst:r:us, immorcl ou ennuyeux. JJ ,ns le voc buL.i-
re de 1. critique li ttér.,ir8 contcmpor' ine, l , li3ibilitli dns ce second. sens
(li.s.-.biliti chez ri'inb~,l-JucLux) consiste 8. eDlprunter le code littérire en
vigueur; c'est à dire une f0rI:18 d ';criture qui reprend l'3s h'.bitudGS et con-
ventiŒls fi:des p.r L. tr"dition è.u genre, I:'Lis 'ussi p:r L. prtique et
l'6thique soci~les.
p ~rt'ont de là on pourr.it dire que ~:ord de Ciline enfreint le code
de l~ lisibiliti bourgeoise. ~on illisibilité provient de l'effet psycholo-
gique que crGe s,', lecture et de L~ subversion de L
f01.we qui concluit ~ une
ce:;:-t LE irlcoLlpr,ibension intellectuelle. Il Y-l, là une belle r8ussite pour
un subversif qui défie L. tr-dition rOF•..nesque surtout qu~.ncl il C11erche ..v'nt
tout à L. dét:r:uire. i::'.is qu:~nd l'écriv::-in veut, ;.u delà de L. dest:r:uction
c~'J. code lit tér'ire, véhiculer d.:.'1s son livre un contenu cl' ensei,;nenent cl,ont
l'intcl'prcit.:,tion cl;termine les choix et comportements socL.ux, il devient
pens'bls de pouvoir retenir le lecteur. Les rOTI;:~ciers qui défen22nt ~~'10 i~~o
loc:;ie politique cOLlport'nt un projet de soci8té et m~me tous ceux Qui veulent
enseigner quelque CbOS9 et f',ire
.gir leurs lecteurs ne peuvent iDlOrer les
conclitions d'une bonne r~ception de leur [üess,: Ge. Je là l 'doption chez Jrieu
et :~r' con cl 'une 8critu::e ::"'O~Ln8sque qui, Cœl:9Gl't è1t 1.L.'1 :9roj et subversif cL ns
son contenu,..:llouce
c2pend nt cl ES s. fOrI:1e, les c nons du roo.....l1 tr di tion-
ne!. L ' lisibilit..i limite
in::;i li'.. subversion.
.lle exibe c~u texte cl' ~tl'e
clair, de satisfaire le bon sens du lecteur. C'est pourquoi les auteurs ~dop-
tent ,ies positians de magisters omniscients et cherchent à éviter 1:.1 personna-
lisation nette du disco~rs. Les faits doivent :Parler d'eux-mêmes, c'est-à-dire
quo J. :'.'0cit cloit nous en dormer l'illusion, 2. l ' iIT1 :,Ge J.U ltiOllCle n-:,tu::,,;:; l qui
s'affiche de lui-même devant l'homme. Ce souci explique le réalisme des mi-
crocosmes mis en plQce.
On peut mieux comprendre ces écriv~ins Lrmes d'llUe id801ogie en lèS
de ses livres djclxo
li
0 '.;st tout ce que j '~i
le style. rien d'autre. Il n' ya pas de message d~UlS
::1;::'S
livres, c'est l'affaire èLe L'igli.se" (1).
L' intentionn·.lit 3 dont procèdent ces propos se précise quand l ' 'J.uteur du
Voyage au bout de la nuit dit de ses livres :
"J'écris pour les rendre illisibles" (;2).
Ar gon prend le contre-pied de cette dé:.crche en posant
l'68bition
du roman réaliste soci&liste.
Il
L'art nouve.'.u est nécessc',irenent un rS.~'..lisne nouve.. u, qui nontre 8. L.
fois l ' rb::,o et Le fo:r-êt, et s~"it pourquoi il les montre, un réalisne actif,
~usài loin qu'il es~ possible de l'art pour l'art, un réalisme qui a l'éunbi-
tion i'ider l'hoITlne de l'icl il.'er éi.:-ns s
c. rche, qui se tient 8. l'.Y-nt-
g-rde de celle-ci " U).
~es ~i~~~~3nces de ces deQx optiques conduisent 8. des différences
de ton et (~.::; style. Celine et Ar- Gon ill.iprisent, tous les deux, les bou:':Geois.
Ma,is ils :1':;'.1 ::~Tlent pc.s de L, m~me ELnière. Ar'Gon les cLcrit comr,1G c.~.:.s
exploiteurs ri Y2S à leur débuche m.üs n'utilise p.s les outrances lan~ières
de C:line. Il semble quelqu~ois comprendre leurs L~quiétud8s, entrer dans
leur peAU et tir.lOicner d 'u...~G cert Ü10 compL.isnce. J.J8 chocol.tü):c :;3 l'rel
n'est pa.-s cOL1pl~tement cléshu..~nisé,
même si ='es &ea'LlX quartiers ironise sur
son sentimenta.lisEle et l'hypocrisie de s. soi-dis.nt Gén6::,ositti. Ia peinture
aragonienne cie la. bourGeoisie, dG L. d0c -donce morale at (le la cléba.ucno est
beaucoup plus "lisible" que celle de :_~éline, n~me pour Œl bourGeois •.~ 'ost
1- Cahier Celine n02 Gallimard 1976
2- .'.c • . • \\,.:lin',; ,:;2.~~ lJ r J .
1I.é1celle -LéLtin "Lisibilit<.i ct icL;;olo;;ia ll litt-S-
rturo il
12 ,
1973
Ù
~j-Louis
,u;,l"Gon "il f::.ut ~Fl')'~l~2..' 1~3 cllo:3c3
0A:'"
L1n' nooll in l'ab41t:J Don
./;::·u,Paris, les éditeurs fr-:pç';is rélmis,
1'359, p.165
-83-
L" r.l~me chose pour·)rieu L
~~ochelle qui, n~me ::0 1 il ne r nGe du CÔt8 de
.~Sline, nou::opp ·.r~!t plutôt proche cl' AraGon. Gdline cherche èl. choquer, L~
rebuter, à. avilir l'hor.une en
led,jmLl nt. Drieu et Ar::.bon ensei;.1.ont l.~
nécessit~ cL) ch nc::r 18 ::.;~r:::;t::';~:1'" socL..!. ils ont besoin, pour
tteindre leur
objectif '1.:: t211.i:::- cOr:J.pt:.: éLl lcc:tr;jUl' (Ln3 l
::;enèse de: leurs livres. 7~Ii::'_
;"'Tessiviti des li'lres de .~;jlüle è.cip sse, è. I utre p ..rt le pl.n :'8 l'ex"Ores-
sion. Ëlle touche
ussi le choix à.es cibles. :=;elles-ci ne sont y'S sp5ci ,-
lenent les bourGeois ITLis lillOIJI:le soci .1 tout cOu.::'t. Les id201oQ-lcS veulent
b~tir èes discours illocutoires. ..01,::18 le dit Pol vc1,hdromme ils ont retenu,
contrAirement à ::;élL13 que 1
"L.. respect oili t: GocL .. le ni abdique
9.s et continue à préf8rer les
querelles d'une perfidie ~,ppliquje et polie (D.~me Qu,'..nd elles ni ont que du
t::::.lent) '.ux querelles d'une sauvagerie loyale et d6sordonnée (r.1~me lors-
qu'elles ont du g-énie" (1) •
.\\u pl'~n du style L--.. linite est sU:""Gout l'intelligibilité. ::;elle-ci n'est
p-.C,s seuler.lent l'ossibilité de
d-§cLJ'1ltage O,U' messÇLge. 1·es lois du c<mre doi-
vent ~tre prise:,,-vies.
IlLe texte subversif est lisib12 p, .rce qu 1 en dipi t
de ses jc ':cts i l con-
tinue ~ se confolLle:;: 2.. une ty-polo;i8 Génirique p ',rticulière (ici celle du
rom::n t 'nè.is que le texte tr -ns,ç.cessif opèl.'e lL."1.e destruction r 'dic le du
code G~njriqu8 risul"teur" (c:).
Il faut ;:lAinten~:nt L ..ire une :::'8se~cve cLns l
cL.ssific tion è.es
textes littc5ri:;:8s èc pèrtir ùe tels critères. k
lisibilité d.'un livre ",st
en CX"nà.e P" nie c1.ipel:1dntG des lecteurs. Un texte peut"v:Jc le tcwps , voir
exenple l
subveI'sion du discours GpicifirlU'J et cl:lssé que réussit lJoy-~ge ccu
bout de 1 .. nuit, peu une sorte de melting-pot, éj.' été ;:J.ssez vi te récupérci8 et
1- Pol.' ndromme, Louis [i'ordinnc
_:lin;, P.~.ri3,. 5dition Universit .. il:e 17JP.T(
D. Racelle - 1:ltin "Lisibilité' ~t idéologie" in 1ittér:'ture nO 12 1973 p.8?
-134-
tr8Ilsfonnée en une idéologie du refus de l'idéologie. D. Eo'ceile-L,ltin 3' ex-
plique ~insi la déroute première de la critique dev3nt loyqge ~u bout de la
't
~ e t
son ra 'd
5 "
pl e resalslssement •
"L'usd.ge d'une parole narrative traversée par des discours incompatibles,
les contr2.dictions de l'oeuvre '1,insj. que son hétérogénéité du point de vue
des genres peuvent en effet se fonder en "pertinence expressive" aux yeux
de cette critique du fait que le roman représente un héros déclassé (popu-
laire), engagé dans une épreuve de délaissement moral et social~ (1)
S'il en est ainsi le livre conserve un cOté encore lisible et
idéologique. L'univers de représentation propre au roman n'est pas aban-
donné mais transformé
en un chaos sans issue à l'image de l'hétérogénéité
du melting-pot provenant du mélange des codes
de la langue et de la litté-
rature. Ainsi le "voyage au bout de la nuit" du monde est rendu par un "'10-
yage au bout de la nuit"
de la médiatrice qu'est Id forme. De ce f~it le
Voyage rejoint, p2r le rOle instrumental de sa forme, la fonction p~emi9re ·du
roman : représenter. Selon la classification de D. Racelle - Latin :
"Les formes subversives se déchiffrent dès lors comme connota.tions ou
comme signifiants d'enrichissement du code fondamental et leur négativi-
té vient renforcer le système de récupération de la lisibilité. Les formes
transgressives, par contre, pa~e qu'elles attaquent la lisibilité dans
ses fondements, font sortir de l'idéologique. Elles sont historiques ou
dialectiques." (2)
Céline a sans doute compris cela, et fidèle à son refus de l'idéologie, il
tentera de plus en plus de sortir de la lisibilité par la transgression. Ille
t
-fait au point que ces derniars livres 30nt t.otcü-:ment illisibles_ ~inli3ables.)1r
Mais est-il vrai, comme le pose D. Racelle Latin, que le texte illi-f
sible, c'est-à-dire transgressif ne peut-~tre subversif ? Eta~t au comble de
la subversion ce texte perd sa sociabilité, c'est-à-dire sa fonction communi-
cative et par là tout son contenu illocutoire ou perlocutoire. Dès lors la
1- Idem p. 90
2- D,uüelle fi;'celle-1d.tiu "lisibilité et idéologie" p.)~~
-85-
subversion idiologique et politique 3 'a.ccomp','gle d'une contrainte stylis-
tique qui est m.:.,lgré le refus du système socb,l, une ID rque de; socicbilit~ S
l, lisibilité. Pa.rallèlement et comme le montre si bien J. B8.celle-Latin
le discours illisible devient d"lirant et est fra,ppé par l'ulti:.18 osL'lLci.:-
me de l'institution soc tale qui le considère COQIDe une folio.
Il est f cile de renarquer tJlU teJ.:i!le de cette réflexion sur les
éthiques coroll....ires a,u refus de l' idiologie domiru,nte, une certaine gradlL.-
tion de la subversion.
~u~.nd les chrétiens dénoncent la. dégr ~d tion des v~.
leurs, ils ont en vue une lumière s,c"lvatrice. C'est 1,-, dOUCG pitié C.~0 .:Jieu.
Les idéologues, qu'ils soient mc~xistes ou fascistes, ne veulent -détruire la
socUt-S bourGeoise que pour mettre en pl ce une
utre soci,itS qu'ils .juGent
meilleure. Le 30~et ëe 1
vo~te est occup~
p~r ~~ c~oupe de pessioi3tes
dont les lL'1.S n '-ttribuent
,UCll..'1. sens possi ble ~'.. leur vie et y settent fin.
'.lors, t-ndis que les _"-utres, refus.-nt cette solution déf .itiste et indivi-
duelle prédisent le ch'.os Céné:ra1. Il yI). aussi ceux qui jouent leur vie pour
s '-ffirmer en f-ce du monde absurd8. :~e p'~rt: se des contenus des ::less ..ges
conduit à lli'1. p,ri' se des
expressions. ::;elles-ci reflètent les intention-
n.:.lités desuteurs. Ici,ussi une cerline hiér rcme se retrouve et le
besoin cle rend:::-e le cliscours illocutoire oblige cert ins à lir:li ter L:, sub-
version de 1- f01:ne t ndis que cl' utres recherchent spécL.ler:J.ent l' illisi-
biliti (inlis_.bili t n pour d8.3oci.:l.liser leur discours. Une écriture qui re-
fuse 1:", tr '.dition li ttér.'ire ést limi tie d, ns son cl~roulement prIe besoin
de produire des effets illocutoi:::,es. 1
recherche d'un s,lut n~ d'une modi-
fic tion dù .conportement soci_l ou d'un bouleversement du système de l ~ "":ie
COtJI:lun'ut ire suppose presque toujours une rielle lisibilité du mess sc.
Pouri nt l 'mbition entre 1)30 et
19:-5 consist'it Ct r~ussir Le conbin._.iélon
d'une subversion compléIilent il.'e cLns l , forme et le contenu. c.;' e:Jt ce qui
c'.r:'.ctérise tous lesw·,t'-rs du '{oy .rien bout cIe Lv nuit LL.is il ne 3emble
p_lS encore que l'c5quilibre
it ,:t~ L·;lL~3i.
-86-
CONCLUSION DE LA PRl~NI~ P"~RTI~
D;ns le but de représenter les problèmes relatifs à la conception
idéologiQue m::mifestée p~'.r les rornéens de '1930 à 1)45, ce tr·'.v .il s'est ef-
forcé de refléter les idéologies des toxtos et non celles qui circulent
d:ns les textes. L' n:,lyse
' i n s i l,jv~li trois Gr'ndes orient.tions d ns
le rom:--n,
: celle qui refuse toute idéologie et m~me L~ p:.rtie de L. supers-
tructure recouvrnt le, prtiQue l ittér:üre; celle qui refuse l ' id~ologie
donin,-,nte, propose un système soci~,l diffirent et emprunt~, ù. C.use cle ses
intentions die:. ctiques, le code littiL'ire 3n vi;;ueur; il y, enfin une ,utre
orient tion Qui ne remet P:',s en c'use l ' icl.~ologie ciomin:~nte müs veut cor-
riger L
pr tique socL,le et les moeurs. Il est s'~,ns doute oiseux de r ppe-
1er que toutes ces orient' .tians du roa,n p:.:-oc;dent cl 'tU :,:~me CO:13t.::t
l
l' illit:; ~i.,; l
cic,-ilis tio~1 ct le 3entir,ent c~, üls>u::i t~ ~ui lui est attc.-
::;hé. ='is cett:: étucle sewble procicier d'url p.:cti pris contest al=:. reut -on
v:ü" ble:.lent clét'=:l.TIiner l'idéologie d'un système t8xtuel, mt-elle subversive,
s',ns décrypter les différentes idéologies qui circulent d :13 le texte cm
t'nt que diroulement c.ttesté et objet de l.ng.;e ? Si nOU3 n'vons p, s igno-
ré ces différentes idéologies, nous n':;
avons r::ds explicitenent L,it r6f2-
rence. ::Je plus il T
ici, notre objectif ét-nt une prospection Qui clévoile-
1.'
it les multiples postul tions id~olo~iques, lli~e sorte de circonst nce
.t-
ténu:nte. ~e n'est l~ qu' un r~pit, les prties suiv ntes se propos nt de
mener une étude plus précise en limitont le corpus à deux romanciers de la
"deuxièL:e v L,ue", celle èont le discours subversif
un but extralittéraire
et s' i:1.sère
u pl..n de l
forme d ns l
t:.:- di tion de l ' Sc ritu::."-: :L~O: 1 lL ;~éi.è'.::; •
:L'on ne pourr:" plus, lors 0,2 contenter iu c r: ctère
bst:::i t ct structul.'3.1
d'un système textuel. Il f'udr
ussi ..n lyser comment n i t 1.. si')1ificc.tion
de ce système te::tuel. Pour ccl
il ,::er:
n-icessèire de voir comment toutes
les compos -ntes du texte, clone tout03 le"
iÙ2010~ico, se cOf.1binent.
-87-
D'ailleUrs nous avions ici, dès'le début réfusé l'ambition d'une
_'.Ué'lyse des id801ogies d"ns les rom 'ns ou d 'une ~tude exlLLustive
de 11 idéo-
logie dos textes. iJous cherchions surtout à les d.icrire pour nous ter.ir in-
forme;; du contexte littér:-ire d'ns lequel, 2.près le contexte historique.: llen-
tionn~ d::-ns l'introduction génér"le, b:~ignent les rom~'.ns de lJri2u et d' ,~re.gon.
:il est prématuré d' ,~n:-.lyser rn.:.:is ~~s de se dent 'nder pourquoi l'étude des
idées ne peut ~tre d'une risueur scientifique anhistorique. Il y a certes
L:. ~rt de l ' -uteur rn.:.:.is '-ussi et surtout 18s heisi t-.tions, les flottements
et les mét :morphoses de l ' idéologie elle-m~I:le. 'Toilà pourquoi des idiies
d'une doctrine subversive peuvent, par un processus historique, comme sous
l ' occup:l.tion, s' .Illier avec celles quI elles ont âup;..;.r~vant comb:::.ttues.
D'autre P .rt, notre choix nous a:::nènerôl., clorén:-:.v~nt 8. associer à
llidéolo-.:.:i:; C~'2 L. 3Ubversion cocL.le, le projet le socijté que l'on se pro-
pose d'édifier sur les cendres de la prenière. Ainsi nous interrogerons-'
nous, utilement, sur les stratégies de cette double intentionnalité des
textes.
DEOXIET1E PARTIE
IDEOLOGIE DE L~ SUBVERSION ET Tmu~SITIVITE
-88-
DEITXIEME PARTIE :
IDEOLOGIE DE LA SUBVERSION ET Tfu\\NSITIVITE
INTRODUCTION
k. criti:J.u'3 littér 'ire est, à bien d'è)s ég~'.rds, un effort de géml-
r ··lis::.tion et de typologie de l ' im,,-gin~:.ire. 'II~che p:}..r~cdox:':le
: mener cet ef-
fort à son terme reviendr:cit à procl~.mer l.~. mort de L1 littér'cture. Le ris-
que est d ':.utont plus grcnd qlrvnd on se propose d '~nc,lyser l' cspect idéologi-
(~ue des textes littér ires. F:;.rce qu'en f-.it l'idéo1o~~i8?:.l'Plit et cL borde
b. littér'ture. :elle y est présente P:'.rtout. aucune étude ne saurait l·'é-
puiser ni l'iviter. Il n'est donc p:'S inutile ~e répéter, const~ent, les
sens restrictifs dc~ns les\\[lle1.::; 211e peut:.pp::-cr: 1tre dcns cette étude. ~Ious
."j out ons 2. 13, définition marxiste de l'idéologie comme reflet inversé de la
ré.üité sous forme cie systèI:le d' idc;es, le c2,r-èctère doctrinaL
Ce système se-
r. pour nous et . exclusivement, celui dont la transivité est indispen-
sc-ble et se compose d'un dessein destructif certes, mc.is :ussi, :2utrement
constructif, vis-à-vis du réel (1). Cette triple intentionn~lité qui peut _p-
par",1tre d:ms les textes - b2,tir UIle doctrine systém3.tique ou L~ reprendre,
s'en servir pour détruire le réel, et en même temps proposer un modèle de
reclrnge - nous l'cwons dénommée idéologie subversive et tr-nsitive. C'est
le
souci
typologique
qui explique, ici, l'unicité d 'LUl. noè.81e prétend.nt
s' 'ppliquer à plusieurs idéologies ë:èU sens politique et commun du terme. Au
delà du f~scisme et du communisme, références idéologiques des ~uteurs ici
étudiés, notre but ser:".. de construire un schém2.. explic::.tif. Ainsi comme tout
:J.olè13 c::lui-ci ne pourr~:.it s' :..;.ppliquer de f 'çon conforme et com;plète à l'Ulle
vU l'?utre de ces théories politiques.
L'on retiendr~ ~lors l'import[mce de
1- Tour nous donc 1:. tr'msitivité n'est }:l.S 1.'. référenti:t1ité ffi:-..is l'effi-
cace d'un text-3, d'un système ~'id:es etc ••• comport~nt un projet qu'une
construction il:ngin"irG ou int:.::llGctuelle se propose de synboliser.
-89-
la recherche d'une structure qui rende compte des textes de Drieu et d'Aragon
.u delà des différences. Cett3 structure repose sur une cri tique de 1. ré:c-
lité en pl~ce et une mythific~tion v21oris~nte d'un projet de renouve.n sen-
ti comme nécess:--..ire, m~me qUc\\Ild il est m;::tl défini. Cette dialectique semble
-::.voir
rhétorique propre. =t son cc-r".ctère systiD1::',tiqu3
it qu'un to-
pos spécifique d'une idéologie communiste ou Lsciste donn~e,pourrc.it ~tre,
ici, insuffis:-,mment 8tudié .•
C'est ~-.lors à dessein et non pc.rce que ceL: est simplement impossible, que
nous ne prétendrons p''':'S épuiser le sens d'un romzn de Drieu ou ct' Aragon.
ï:T::io'nDoins il est souh"it~·.ble de mesurer L: v~'leur de Ll cri tique
des idées d"ns les romens et d':J,pprécier 1:, diversité et 12.. singul::--rité de
ces idées. Le mod81e que nous proposerons veut donc se b1tir ~ p~rtir de f~its
textuels réels, que ces derniers soient d'ordre idéoloGique (à p3rtir des
idées) ou structur'ê',1. La dém2.rche nous semble d '::.ut.- nt plus justifiée que
le corpus, en olUCun CéLS, n' "utorise à tirer des conclusions c:,tégoriques et
indéfiniDent génér::üisables.
La dialeotique dont l'existence constitue ici, non un présupposi
o.::'ois une hypothèse, commence p8.r une peinture dév:J..loris::mte de !J. sociét8.
Pourt~nt dès ce commencement on peut Idrgement s'interroger sur les diver-
gencès d::-nS' les textes de Drieu et d:,ns ceux d'Ar':gon.
Si,è.u delà de L:. critique, le texte d' idéolo,;ic; subversive et
tr-nsitive-.ctu."lise son discours coDDe un projet positif, :c.'ol")r:m :ntinsi
1-- structure ;lu rO::1 ~1 'nt ',;onique, donc fortement tr:-ditionnel, l'in;>y.:t :"1ce
de la "subversité" ét la particularité de~ schèmes formels permettront de
mesu=er l'originalité d~s
ut~urs. Celle-ci n'est pc Cl un individualisme
ou une simgularité excessifs;
c'est pourquoi il est possible de parler de
nodèle c'2st-à-dire d'w18 iJjolosie. Il ne pdr~!t p-::.s oiseux de rappeler ce
" C:·r les oeuvras è:tod'El'noo, oi d.ifférentes qu'elles soient, p:,::.rt,-gent une
-90-
certaine mythologie et une certaine rhétorique. Que cette mythologie soit
celle de l'individu n'emp@che pas qu'elle soit commune, et repérable à cer-
tains signes. L'individu a pris la place de l'homme. Incommunicable, irréduc-
tiblement singulier, il ne l'est qu'en principe - et sur le plan de l'indi-
cible s dès que l'on se met à énumérer ses différences, on utilise un lan-
gage commun" (1).
Il faut peut-@tre, d'autre part, signaler un des abus de cette
étude et qui provient de la recherche de coffiodités langagières. Le fascis-
It.
me
est souvent mis, ici, en parallélisme~v~/communismeet ,~ marxi~.
\\
A.insi il est évoqué comme une théorie politique. En réalité, malgré son
caractère systématique, la pensée fasciste n'est qu'un faisceau d'idées
politiques diversement interprétées. Ce n'est donc que par un abus voulant
se justifier par des contraintes méthodologiques de systématisation, qu'on
peut penser au fascisme comme à une doctrine.
1- G. Picon "Métamorphose de la littérature" in La table ronde nO 17,
mai 1949 p. 758
-91-
GH;\\.PITRE UN
DEGHR.I.NGE SOCIALE ET DEGH8 UrGE BOURGEOISE.
__ e projet discursif d. ns les rOIl1J.ns de Drieu et d'Aragon se pro-
~)ose, pour une bonne p~rt, de miner l'orgonisa.tion sociale de Lê :I!"'r~"':.nce de
l ' entre-deux-guerres. A ce titre il'J.ppé,r:'.!t comme l.ille peinture dév·'loris.:,-n-
te de son objet. Drieu et Ar"gon rejoignent, p.::.r ;.~., ;jline d,ns le pessimis-
me. Ieis pour etL~ la confi~nce en l'homme demeu~e,le mal ven2nt seulement
du modèle de société en pl~ce. Celui-ci ne cesse, à leurs yeux de dégénérer
:1U plan matériel et mor:,l.
L' :-pp~'.rente identité de vues entres les deux ro-
mz.nciers n'est pourt~nt p~s complète.
Drieu semble, comme il le dir,"':. lui-m~me en 1942 dJ.ns 13. préf~.ce
de Gilles, le plus proche de Céline. D:ns L, plup:èrt de ses rom2l1S le. déchi-
:"nce n'épo.rgne-ucun prot2goniste. D',::"illeurs le projet de réforme ou de ré-
volution qui y rend telle idéologie tr-nsitive est plutet contenu de.ns le
ci6sir subjectif de quelques personn-ges d':::.tteindre à 11.'1. cert'in absolu. Il
n'ya jamais chez lui un partage clair présentant une partie des protagonistes
comme des déc-dents et une :::utre qui inc~~er~it les forces contraires. Ce
qui est plut et fr:Jquent chez Drieu c'est de créer un microcosoe où 1:::. déché-
"nce est 1- loi COLJI:lune. Ses personn:.~ges lucides perçoivent l', médiocrité,
le l .::isne et ils y r8pugnent. l ~üs seules leurs'.spir~.tions les situent en
dehors, d~ns L, plupccrt des crs. L'idé ..1 de virilité et de [,2"ndeur n'est
donc j:::lil..-is ,-,tteint ou r:.~rement. ~:~:ile Gilles G' rabier ne.; l) :t.",:/ient 2. une pos-
sibilité de ré:'lis,'.tion et de [;,T-ndeur que gr~C8 '. l' avEhlement cl 'un f it
80ntin[;ent : L~ guerre d',_spD-1e. l.is 8.~ ~vénement est sns doute l' bou-
tis3e:-.1ent d ''Lm processus et non l ' illustr tion d'un .'.ccident de l'histoire.
,;<:;L'. ne ch~'nGer,-it p:~s
fondamentalement
lcslrguments qui militent en f'l.-
'four d'une perception or.miprésente de l,:. d.scné~-nce chez Drieu. L' 8piph-:nie
de Gilles est
plac\\d ns un contexte différent de celui du reste de 12 fiction.
l;e l' :8p'J1e cb l '~près-E,Uerr('., l 'ut,ju:;: ne dit rien. i-I:is en ce qui concerne
-92-
L1 l?r2Ilce, i l montre la. mort de toute vel15it,i de grmdeux. Lé'. déchénce,
l~ chute mor.le et politique y 5cnt générale
"Ce n'itcit donc pp.s seulement l'hiver de 1: n<.1ture que Gilles voy::it;
c'St'.it un ,~'utre hiver et une a,utre Dort, plus dUJ:' ble, port~mt 1:. menace,
peut-~tre de l' irrémédi.~,ble. Il s'· Giss:: i t de 1 'hiver de 1:, société et de
l'histoire, de l'hiver d'un peuple"(1)~
D::ms '~~veuse bour?;eoisie, l~. m~me L'J.puiss:-".nce totc-,le est miseu
premier pLèn. Ce n'est qu L.près l ' éc1::tement de L: deuxièDe guerre mondie le
et le cl~Jut de L. victoire nazie que Drieu commencera à créer des personna-
ges qui seoblent éclLpper à 13, dérision gén3r~'le.
Ainsi poux l' 'uteur de Gilles 1:::. déché::mce est un:niDe et embr:::.SSt. toutes
les couches soci~les. C'est un f:::it de société.
Louis Ar·~.6on est, lui ::::.ussi, un peintre de L,. déchécnce. Il s'y
:.:œltre m~me plus ré:c.liste et plus méticuleux que son ,:,ncien '.mi. r:'is',u con-
tr":ire d.e :Drieu, les lhrres d' Ar:::gon procèdent d 'une ::~utre mGthode que ~oger
Ga.raudy identifie CODme ét:.nt celle du ré~-.lisoe socie.liste
l(-,~Ol1 p.=.S a.ccuouler indifféreI:lI:lent les ~véner.:ents et les L.its, m..:.is dis-
tinguer ce qui est en tr::tin de se décomposer et de mourir de ce qui est en
trcdn de ni!tre et de gr:ndir" (2).
Cette sélection dGbouche sur une peinture où L, déchécnce se trou-
ve'1tt:-~chée à u...'le cL:sse soci';le bien définie : L. bourGeoisie; elle inc,rne
l'idéologie douirrmte qu' Ar::'.80n veut prisentcr en vue d'en révsler 1"'.. chute
inévit'ble. Ce dessein est souvent bien m::-,rqué et le lecteur risque ri 'y po-
1 'riser son .ttention. k. cri tique cOI:JIJ.uniste consid8r"i t presque toujours
que ce sont là les bons livres. (3)
'i- Jjrieu 1', ~:'ochelle, Gilles, Pris,G'llinLrd,
1,. .39, col ~i'olio p. 4b9
2- ~oger Garaud~ LIItinér~ire d'_t\\ra.gon, P::.rifJ,~--~.llim:J.rd ~I.r:.F,
-1961,p. ~73
)- Ainsi le soviétique ~~on.'n, Les Qor;r'ns sociu.:c d';u-";,on, 1:oscou,1957 trouve
que Les V9y~geuys de,l'impériale est un roman pessimiste sans souffle
r·5volutionn::..ir8 et qui ~LloiJle ùe L... pe~'te d'un i l.2,',1 po:Jitif cl1l.~~~ Gon
ut3ur.
-93-
On percevrait une telle erreur en comparant les deux premiers romans du Nonde
réel avec les suiv8!1ts,moins bien accueillis par les camarades, Les !loches
cIe B~le consacre toute s',. troisième pa.rtie à l~, lutte de 1... ,.;1.33e ouvrière
contre l' org~nis:::.tion soci:Üe bourgeoise. Les 13eaux q'll2.rtiers décrit ,. TlLl-
gri s:.: f'liblesse, l~.: lutte politique de 1:::. cl:sse dominée. De plus l'itiné-
rire des deux frères R,.rbent,~ne instClure ici l
coexistence des deux ten-
d2nces du rom~n ,~r:gonien dont p2.rle P.. Garaudy' : celle qui dénonce 13. pour-
ri ture d'un système et une ',-utre qui ,::n ::::,-,c,-61e les forces de s-J.lut et de re-
nouve'u. ii.::1is
ni Les Voy-;"geurs de l ' impéri2..1e ni Aurélien ne semblent in-
sister sur "lill i tinér-:,ire positif et exempLlire. Cela ne
tr:'.dui t pourt,::,nt
pas, de 12. p::.rt de l ' ,uteur ou du système textue~ un pessimisme:.:.bsolu. m
vérité, pour
Ar:::.gon, 1:::. déché2nce qu'il o.ffiche pour 1:::. f~ire h:::.!r et com-
b .ttre est une tare de 1:1 société bourgeoise. Le prolét?riz.t n'est donc petS
décadent
:u oême titre que la, bourgeoisie si l'on se si tue ,,-u plcn mor?!.
L2. différence des nive:1ux où ils repèrent 1::- déché:'nce entro,!ne
chez Drieu et chez Ar:gon des llL:nières différentes de L~ qU2.1ifier. Ils ::-dop-
tsnt tous cleu:; cepend::,nt, un SCh2llL-:, descriptif qui, m:·,lgré les nucmces de ses
J.rticul 'tions chez l'un et chez l 'utre demsure une peinture soci.,;,le.
A) h, VI.= SOCL~
Il ne semble p~s,-u pri;;le abord, dans les rOmans d' .':ragon que
les difficultés !llètérielles d'existence 30i:nt corolldres, toujours, li r3-
l ~chement 0.01'-1. De ce point de vue il se::"',it plus juste à propos :::'23 i:a-
lieu::,;: défavorisés qu'il nous présente de p::,rler d~'.ns L: plupL,rt des c s le
déc dence plus que de cléché::nce (1). Cette dernière Lit intervenir le pL.n
o.or,,:1. Aragon 1;]. repère surtout dons les moeurs de L. bourgeoisie. Cette bi-
p~.rtition suppose une conception de L'. soci~ti où les cl,,~sses comportent
1- r'ulgré l,; nuance (lui considère 1:'1 déc8dence comme un processus dégressif
vis:~nt ~ ;,ctteindre 1:'. ruine n t .irielle, et L'. déché2~nce un f:- it simiLdre
I!nis plus dé'rlué encore p',r une cert-ine chute:m pl::.n uthique et I!1orp l,
les deux notions sont peu dissoci3.bles.
-94-
des différences t::nt 'è,U nive,':.u de b. vie nntérielle qu'à celui de 1:.1 cons-
cience. Ainsi 1:.1 mise en évidence de la pourriture porte, le plus souvent,
chez les ouvriers, sur les conditions réelles d'existence et d::ns la classe
dominmte, essentiellement sur les moeurs et le'. morale. Drieu 1:: ~:,ochelle ne
'loi t p:'.s ces nu:'nces d~-ns les microcosmes qu'il nous propose. Il ser:' i t ten-
t ,nt de tirer une conclusion h2tive et d 'dmettre que ceL.. 'l" .. de soi puis-
que Drieu ne préconise aucune division sociale à l'image des classes. Il n'en
.borde IXèS moins 1.:: critique cle L'lie m::-ctérielle. Cette critique est certes
'ssez sOnuD.:cire.
-.) La déc::dence du pé'_uvre
Le principe mimétique semble s'dk.cher à l'-:lD.bition ré:iliste. Il
oriente, d-::ns l" plup-rt des rom"-'.ns, le portrait iE:8 personnages, la des-
~:::iption de leur nilieu ou le compte rendu de leurs 'Lctions. L'oeuvre
:i' A-
ragon prend, cie ce point de \\<1.1e, 1:::. suite du rOffi2n de wob.• ;J~me qu nd. elle
cède à la représentation de Id virilité, le portr~it qu'elle fcit de l'ou-
vrier montre cependnt une santé et ~~e physionomie qui suggèrent les diffi-
cultés mc,térielles. Ce que le lecteur prend souvent pour le culte de l~ viri-
lité et de la force de l'ouvrier est en fc-it 1:.. déformation du tr-v:'.i1.
1,jéré d::,ns les 'lOrgeUrs de l ' impéri.;Üe~ :!ictor d2nS les cloches de WHe, :::ï-
quet le copain d'Aurélien et les italiens de$ Beaux quartiers ont ainsi une
corpulence modifi22 p;.,'..r le tr' v'.i1. Ils éLlent i.ussi 1.:.:. misère de leur con-
dition.
Le puissant ;,éré
est rjduit à lutter d~'.ns les rues , ~t l' occ;'sion,
pour r,.-pporter les dix-huit sous du pourboire à une f mille déjà nombreuse.
Ce f·,it illustre une perte involonkire de dignité. Ce sont les contr::intes
de L ... vie m::.t8rielle qui obligent les p,lUvres à tronquer leur honneur et leur
fierté contre le p~in quotidien. Le pire c'est d'~tre obligé, après cel~
ci3 se priver. Eugène Héré mesure l'horreur de la situation:
"Ah oui, pour un b,:g'rrcur, r'}vemir r,vec dix-huit sous, il 'Y',V"it de
-95-
quoi ~tre fier, vr:i.:nent ll (1).
L~ déc~dence de l
vie du pauvre se mesure aussi au sort des femmes.
:':;rnilie IIér6 constitue un exemple p:,rmi t .~t d' 'utres. A !:loins de trente
.n3 elle est déjà vieille, entourée de m:..rmots. A l '~ge où les femmes s..:.-
vent ::'.pprécier les bolles robes, elle s'ont -sse avec sa f~.mille d:'ns un tau-
dis v2tuste et ravaude , m.lgré toute 1:. ripugnmce qu'elle en,'.., les frus-
qU8S des fillc3 C2 joie, ses voisines.
liA vT~,i dire, Emilie Eéré ~v:cit ressenti des sentiments très nél:::ngés.
Humiliée d' ~·bord. Tr:'vdller pour le bordel. "~t puis t:=:.nt pis il Lut I;k,n-
.'-e~II (.J)
Cl....t..
- .
L'::è chute du pauvre procèd8 :üors d:~ns le ronan :-:r:c.gonien de le;. con-
dit ion ~ite au sujet dans une société mal équilibrée. Le déshonneur et l~
perte de 1:"', dignité ne sont p:::~s ici, "'.u contraire de chez les bourgeois, le
résultat d'une pr.iltique soci2.1e consciente, et volontaire. Hous sommes d.lors
en pr2sence d'une décadence plus que d'une déchéance si l'on sdmet d:ns cet-
te dernière le carActère volontaire, recherché ou cOIilpL.is_~t de l' inmora.-
lité qui peut y ~ppara!tre. D'2illeurs IG responsabilit0 du déshonneur des
pauvres est, en dernière ln21yse, attribuée 2 l:=:. cl~sse domin~nte, c'est-à-
dire à l~ bourgeoisie.
De plus Lesbaaux qu.rtiers montre È1- tr::vers l'expérience d' ~nd :Bàlrben-
t::-ne cosnent 133 pr:;jugis bourgeois entretiennent autour du tra.v::.il et de
l:=:. lutte pour le p2i.n quotidien, un vérit::ble mythe de l . déchéance. Le
livre conclut S3. deuxième p2.rtie p~r une victoire, chez Armand, sur le pr;-
jU6é du trAv~il déshovnorant et par la disparition de l'amour-propre ~lL~
cris du ventre a.ffamé • .1.rIJl.'.'nd refusl.Ît d'aller prendre l'Argent qu'EdDond
lui propos:::.it, pcr r~pugn:'cnce peut-~tre envers sa Lamille, et essentielle-
ment, pc"r amour propre. lIais cOlIlT:le tous le3 p:::.uvres il n'a pas les moyens
1- L. Ar'Gon, Les \\/oy geurs do l'impéri',le, P::,ris G;:.lli.."!l,.rd,
lJ4:.!( cd l '
ll~-
finit ive 1947 p. 543
2- ID.":~: p. /,70
-96-
d'entretenir cette t~re :
"C'2S cinqu;'nte fr.oncs,
i l n'y
v i t
ucun d-':shonneur ~;.les pr:m:,l.re.
t
quand il Y aur~it eu du déshonneur. ManGer d'abord. C'est fou, les idées
qu'on se met en t~te" (1).
1.J~~ peinture de L: vie I:l:-:t3rielle du pauvre révèle d.onc une digrc,-
d.tion de ses conditions d'existence et quelqu~ois, un effritement de s~ 'mo-
ralité.
La respons.:-cbiliti imputée implicitement à 4
bourgeoisie permet de
nourrir le dessein subversiî qui se légitiDe p::.r l" necessi té de datIuire
l'injustice.
'Jne sci~1ioloe;ie de la. déc~dence pourr:-:.it s'appuyer dans ce CdS sur
l'itérativité de termes décrivP-nt la vie des pauvres, avec des connota-
tions G.if.f~rente3.,e problème da connotation, ne doit j"rn.=cis ~tre r..iCliCé,
surtout è.:.ns les rorn..,ns d' Arllgon où l'ironie pousse souvent 2. lire l' inl'or-
mtion COlLllile des antiphrases. Dans le passage qui suit, l'ironie permet de
ritc.blir le c·'r;-.ctère ,suo","er;:;if p.,rce qu'elle p:,.rvient à dévaluer l2s ex-
plic... tions de l'idéologie è.ominante. Ainsi :'..U début des :Be~ux qu:.rtiGrs tm
enLnt est mort pC.rce que "c'est si s_~le chez ces gens-là" C:::). Etlu'a.gon
livre les justific~tiîs ~vec un clin d'oeil ironique:
"Jes it"liens qui travaillent à demi-prix, et qui s'entassent dans clC:3
;::abanes pa.rce que tout ce qui les intéresse, c'est de r,c-pporter de l ' ::::;2nt
dans leur p.1ys, ~u Piémont C'~L iL n'ëlTrivent :?l\\.S à vivre." (2)
Le rol.: ~1 ~~, .tl"Gon ne situe p:"s 1:. déchéô..nce clc..l1s le seul CaG:::
de 1.1 vie ffi,térielle liée au tr- 'lai 1 et à L. conqu~te du pain. L' chute du
~pauvre peut être constatéedans d'autres domaines et, là, le bourgeois ne porte
p-.s seulement 1::,;. respons:1.bilité d.e 1:', c:'use. Il p~ut, lui.ussi, ~tre vic-
tine du système soci:tl qu'il a inst,.mré et qu'il continue 2.. clir'endre.
1"- L. Arcgon, Les Beaux qu:rtiers, P:::.ris,D~no~l ,~teel(}, 1)~,6. bi livre de
Poche p. 386
2- Idem p. 9
-97-
b) 7ieillissement et déché:'nce du [londe modenle
L8S
rom:::-~s de Drieu l,::;, I1.ochelle sont peu descriptifs. L,:is cette
vérité ne doit pas pousser à crQire qu'il fait fi ~e la réalité et ne
3'int~rasse qu'à 1::. subjectivité de ses personn:-.ges, l:.quelle ser:.it dé-
duit" de l
::Jicnnc propre (1). L:~ descri-ption j'une conscience collective
défaitiste lui sert, il est vr.i , très souvent,
~'illustration pour l~ d~-
ch·j nce.
~lle nI est pa cepend~nt suffis"nte pour ce rele surtout qu:.nd il s'a-
gitd 'un roman, c'est-à_dire unit fiction que l '·éc:r:iture veut rendre crédible.
Drieu n"
donc p~,s i;;nori l' ;',spect physique des ~tres et des choses. t::; e
qu'il a plutM njglig~ c'est d'en p.=,rler 'vec précision sui',r nt L~ pr-tique
qui les fer,:,.i t id:::ntifi'9ro.u premier coup cl' oeiL Il utilise pourt nt un
code expressif qui, 3' il ne ri~.lise p:,S st.ÙfisC'.lJillent les sliments dont il
p,',rle, porte n.i:::,nr::oins les n;,rques de son fondement idéologique.
La description se sert chez Jrieu de ùét0phores inspirées de l~
::.ùysiolo '_~ie, de 1: religion ou du monde n.:.~,turel selon les intentions illo-
cutoires. On peut illustrer le premier cas par les portraits de personnages
que l ':uteur dresse pour peindre le rel~cheDent, le cUf- itisme, le n nque
de viriliti de l'hoc.rne modenle. Four nourrir 1- sc,tire qu'il f lt de cet état,
Drieu marque une prédilection pour le politicien, pour l'intellectuel et pour
18 juif, symboles de la civilisation de son temps. Voici comment lui appa-
ra1t un des chefs du parti radical 1
"Ch:nte:::u, étalant largement son ventre, s'avAnçait sur le thé~tre ha--
bituel de ses triOL:p~"l3a" (2).
'j- Be::"ucoup de
c:citilj,ues se sont, malheureusement, laiss<:ia eoportes.pé:,r ce
semblant de narc~isme: P. Andreu se demande dans Drieu témoin et vision-
~~ près :::,voir révélJ h, const'nce et L, perIili1.CnC-e (ics tr~its de ses
héros: liA. qui Drieu pren.~it-il tous ces trcits?lJ p.103.'""". ~1enriot est plus
·.:;:qllicite dns Courrier li tt8r~ire: ";os rOQns sont en f- i t des confessions
di:)uisies où ::::;ous cl3S noms
différents, :Jns m~me se soucier de renouveler
le m ,sque du h';l.'os: Gilles,
I-e::
ÜU ,'11
in, c'est toujours de Drieu Lé "oc1101-
la qu'il s' git
( ••• )" p. ,,: 16
2- Drieu l," l'.ocnelle, Gilles p. 559
-98-
Il poursuit l.Ul peu plus loin ce portré-lÎt
s~'.tirique :
"Forte ch2rpente du vislge et du corps, gondolée" effondrée sous la .
gr':..isse. La chevelure seule sembl,üt vivre encore d'une vie si2.ine, comme
sur le gc'.rde-m:mger, une s::,L .de fr;.'.!che qu'on vient d' ~ rr,-'.cher du pot ger" (-1 ) •
Le L1dpris de L. rison, de 1-:l démocr tie et de l'intellectuel est
un (:es lieux COfLl.U1S de l'idéologie fasciste. Drieu se place dans cette li-
gnée ••
F.
Grover(2) remarquera cette associotion, chez Drieu, de la dé-
Ii:ocr tie à l 'idée de l , (~,iché.,nce jusqu-:,: dns Le Feu Follet qui lui semble
~tre le [Joins politique des rODns de i:Jrieu.
_insi
près
voir résumé ses
dix deï:1üères
::mées _cl.in dit de sa jeunesse S
"e ' était une promesse, j'aurai vécu d'un mensonge. Et c' ét ait moi le
menteur" (3).
Puis i l re~rde 1,2 e.h:mbre (le PaL,is :Bourbon) :Iue l' <\\.uteur décrit, suggé-
r 0 nt selon Grover l'honologie entre son 118r03 et l~~e république impuiss~nte
":~u' ét:it-ce que cette f',çAe de c',rton, y:;c son ridicule petit dr·pe.-.u?II(4).
Cel', préfigure cl irer:.ent ce qu'il dir - c~e L. e.h'mbre des députés, cl ons ..30-
cialisme fasciste, trois ans seulement après.
Il ( • • • )
cette irresponsi"bilité hargneuse et arrogante, ce P~L.is-30urbon
:.,ussi ignornt et déd.:igneux que 1', cour dans l'ancien Pi!l::-is des Bourbons
tout ceLe. n'est rien" (5).
L'import:'nce du développement ultérieur de cette idée nous incline
1- Idem
?-- ::Trédéric
Grover, " =h~ Feu Follet: un rOrrLn qui L,it peurll in le ~_A:ezine
littér~ire nO '143 dicembre 1)13 (spéci:ü) p.28-31
3- Drieu l', li.ochelle, Le ll'eu -.'oUet, }J1Tis, G 'llim::,rd IT?,j.", 1931, C~ed. '1963
compren 'nt Adieu à Gonz'Gue) p. 101
5- ~rieu l~ Rochell~tSocialismefasciste, Paris, Gallimard, 1934,p.97
-99-
Q refuser,contr~irement à Frédéric Grover,l'id~e d'un Feu ~ollet peu po-
l i tique et où 1.J. politique se réduit à deux é111usions. D' dlleurs l "uteur
ne commente-t-il pas explicitement, dans le m~me roman, l~ situation du
jeune homme, Al:in, symbole de son époque, d2ns des termes qui r2ppellent
l ' org::mis:ltion dérisoire et ,'bsurde du monde :
"Philosophie, ::::.rt, poli tique ou Clor'-le, tout système lui p':",r.iss~it une
impossible rodomonkde.
cussi, f--ute d'~tre soutenu pé'.r des idées, le Clon-
de ét"'it si inconsist'"'nt qu'il ne lui offr:::.it '-ucun ;:"ppui" (1).
Les Clét~phores religieuses ou inspirées de lé1 n..:.ture, si fraquen-
tes chez Drieu, s'inscrivent d~ns l' m~me optique idéologique et nourris-
sent, non une sc.tire m::.is un iè.\\Ll huto~,lent voulu : 1-. redécouverte de L, v1-
rilité, de la violence et de laforca, en un mot c1.C l 'etion. (jelle-ci ne peut
être trouvée chez le juif ni cilez l 'intellectuel, Don plus. Jri9u confonl
d' -illeurs, volont.:.irement, les cleux notions. ,'.~ p2re :?alkenberg, juif ·.:;t
ncien pol~~echnicien lui sert d'exenple
"_. o:np10te impuiss-nce, en effet de cet l1o~.lI.lG d'-ction Qui n' -,v-'it rien
pu sur S":-, feTJLle, sur S'1 propre vie inti:.12, sur 1'" destin je de ses fils • ."-
quoi bon 'woir br ssé des horr,,-:1es d.'ns les 'df ires pend nt qu-"r-nte ans" (2).
Ii:is d:-ns 12. n-.ture Sc:uv:-- Ge, loin de L, moderniti et de le.. civilis,-,tion
bourgeoise, Gilles s'~pproche de cet -bsolu. C'est L, iJormndie du vieux
C.-rentan qui lui en donne un avant·",;oa.t :
"Gilles dév:~L. le sentier et, n'y tenent plus, se mit à hurler. l:ouvel
étonnement: S:. voix,
be.ucoup plus t'sse,
beucoup plus m~le qu'à. Paris
où elle s' 'iGuisc.it, se fla.t __ it en petits rires et ric~nements. Ici, il re-
trouv:-.it s,~ voix du front" (j).
Le vieillissement est une forme de ddch-.i-:-nce que lescuteurs ont
ég:='lement considérc..~m".is 'l,ssez différemment, en tout C'.8 en ce qui concerne
1- Drieu le TIochelle, Le l;'eu Jollet p. ]5-34
2- Drieu L~ TIochelle , Gilles p. 166
3- Ideo p. 144
-100-
Drieu l~ Rochelle et Louis Ar~gon. Le second è surtout retenu l c d0c ,dence
des corps et des formes, ce qui a 1~1 consequence de füre horreur à Ll
jeunesse. c'est peut-~tre parce que le f~it l'a il' ppé dns Sè jeunesse
qu'Ar'lgon n l'ppar~iss::"i t plus, vers 1-' fin C~0 sa vie, en
public, sans se
n~squer. Cette idée est pLmsible qu,~.nd on l
r'pproche du prer:üer entre-
tien de Pierre Mercadier avec son petit fils Jeannot. Celui-ci lui dira
s-n3
.ucune gêne, peut-~tre prce qu'il croit ~~rler à l';-noureux de s" bon-
ne et non à son Gr'nd-père :
"'lu es si L,id, tu clois ~tre très, très vieux.... " (1).
Le vieillisement rer;:oit presque toujours une explic-tion m:::.-
t 8ri-:oliste chez Ar: gon. Il n' est p'~s nicess-,iremçnt posa COLue une dccrépi-
tucie socL:.le"u contrire de chez :Jrieu. Ce dernier décrit pourtant une vi-
sion sir.rilire à celle cl' Ar'Gon b. t:.:- vers le3 r :pports ent:.:-e ';:'ves et ',:~ene-
Vlcve le ~esnel sec les :;Tnd.s-p~rents Li.::.:n2ul. :~ette forne cl' évocation
de 1-=. vieillesse ne joue p~,s un raIe id~0106ique de premier ordre d ns le
discours. Cepend:nt chez Drieu l ' idâologie def' itiste, inc ruée p',,:;:' le ciéno-
cr-,te intellectuel ou juif, expression de 1:'. déché-cnce, se tr-'duit ',ussi p~r
le vieillissement et l'impuiss'nce des institutions et des pr,tiques du non-
de QOdel-ne. L'on retiendr:., s:::.ns citer les récits politiques (2), combien
le conform.isme routinier est:bhorré d-ns les textes de Gilles.
:-'ous les Il rtis politiques y sont fLjtris _vec une ég:èle outr,nce. Du mon-
de radical réuni pour son congrès Gilles Gambier nous dit
"..:,, ét, it vr"',iment un monde d 'héritiers,
de dçscend_.nts, de dég";ntirGs et
1- L. Ar:->gon : Les Voy-:-.geurs de l ' impérLlle p. 482
2- .;ot;,'mr:J.ent d,'ns le rocueil d '~rticles qu'il ::cppelle ôhronique politique
1934-1/4'2, G.::,llir:l.::.rd 1942 , où il dit dès lé:'" préf::ce: "j' J.i cherché L1. ren"is-
s~ce des v~~leurs d'~ristocr~tie, d'-:-.utorit6 en dehors
de tous les presti-
ges du pcssé et sous tous les m~sques où elle pouv::,it Ge dissimuler pour
s'::,ssurer l'~venir" p. 9
-101-
un monde de remplaçants." (1)
. v:.-nt de préciser quelques p ges seulement _~près
"1'opér:1tion "nnuelle se perpétr~it, le sacrifice rituel, prompt, qui
c. ch que congrès tord~üt le cou gentiment '-'.u petit surs ut de vie dans le
part! • Il (2)
Observ~nt les r:-pports entre auditoire et or-teurs communistes dur,:nt les
discours de C:~chin et de -rh.ilL~nt-eouturier (3), le héros de :Udeu pense 2.
une réception de l ' c:démie fr'-nç:·.ise:
U:L _ ._~:...' nce n',~t~it plus qU'tm8 v'-ste ._~c'-démief 1.U18 ~;.ssemb13e
de vieill_.rè.s
débiles ct pe::.~r2l·S où les r,lots n'ét~.i8nt entendus que COITIIJ.e des DotS. :ill::;s
sentait la mortlui grignoter la moelle comme une petite souris narquoise."(4)
L::. déché~nce est sentie p:cr les personn~~ges de Jrieu.cvec une douleu:c' pro-
fonde et ce surtout p2.rce que I:l~me L~ guerre, moyen privilégié po'1r lequel
s'expri;n,,-.ient L. yc-illcnce, le cour:-.ge et l'héroïsme, est perJ'ertie p.T 1::.
modernité :
I I cutrefois,
L. guerre, c'ét:it des hommes debout. k. Guerre d'ujour:::"~:ui
ce sont toutes les postures de L'. honte" (5).
L,ügré son cC1.r::ctère p:=Lmphlétaire et son ·..pp:=,rence subjectiv3,
Gilles est une peinture qui s'efforce de représenter le. déchi ncc. ;';:out:
1:::. p-::,.rtie p;:risienne du livre est conçue d·ns ce sens. Les prot.gonistes
y évoluent vers la chute et le microcosme qu'ils constituent symbolise l
société tout entière. Le n:~rr~teur de Gilles ne reproche p::'.s uniquement
1- Drieu l~ Rochelle Gilles p. 551
)- Idem :p. 564
~- Ces de~~iers sont pourt~nt réputés ~tre de bons orateurs mais Gilles cons-
t".te ici qu'il y,]. L~ D~me complicitJ que Cll::Z les radicaux: ."L' orateur fa.i-
s,cit semblant de c:.:oire \\ l ' enthousL~sme de 1- foule 0t Id- .1.~oul(] ù l' enthou-
siasme de l~orateur" p.574
4- Drieu L, ;LOchelle Gilles p. :574
lï- nrieu 1,-,- ILochelle,
l'ta. eOUl.idie de Charlc,'-'oi" in 1" Comedie de r~h:-r12roi
P;:'ris,Gallimard,'I(~)4, Copyri::;'ht ,~~lim'l'd, 1:.ü:2 p. 40
-102-
ux institutions d'exprimer l' b ndon et l' i:npuiss·'nce. Il leur ".ttribue
u3si 1:. respons bilit -.: ,.le l . (; use. L~L, il 3e Gert è.e L .. culture moderne,
de l' éduction et cles v.leurs de l'éthique soci:~le, pour ,St'.yer les .. r;;u-
nents qui
nourrissant s'. critique. D'ns ce sens Gilles G:-mbier rejoint L:
nostalgie fasciste du mysticisme, de l'aristocratie et de la virilité. De
là l'<{ttrait de l 'e.i~lise et des relisionsnciennes. (;' est l', p~~.rtie posi-
tive ~u discours subversif, celle qui se donne en exemple, ~ ll.mbition
(l, '.1.{sir et d' ~tre détertrin~mte sur la. com::'uite réelle cl.u lecteur (,,).
Ce dessein n'occulte .;a.bsolUI:1ent pc1.3 son préalable qui, en f it,~ort'3 l,
cœ,rGe subversive : l , critique de L
pl.' tique socL le. De s~·3tèr:le de L,
dév~l.lu.::tion trouve, p,·.rm.i les c'~.uses, l' éduc-tion, qu' elle soit insti tut ion-
nelle ou non. Tous les lecteurs des ess.é,is et " rticles politiques de l'en-
tre-~i.(;ux-:.,ucrres conn issent les ë.i. tri bes de :Grieu sur L.Sorbonne et 3ur.
l'Ecole Normale (2).
"unt à l'école de L: vie, ses effets sont nesurb13s
2. l', peintul'e de Lo. vie quotidienne du Pris cle Gilles, ;:l~rïle pend nt les
journées des 6 et 5 février 1554.
L:-.. m~me obsession de l' ilnpuiss 'nce bourgeoise'pp~,r,ît d,ons ;,~-
veuse bourgeoisie. Ici, Drieu n'e p::-..s encore éLrgi son verdict è, toutes
les couches soci::les. C'est peut-~tre p~_rce qu'il est encore préoccupé
p.':'.r des troubles biogrphiques, reL:-..tifs à son r.ülieu cl' enf nce. ",-is déjà
12 COlÜ Lm tian porto sur le nilieu urbin et non rur:-L
Les p~'.rents de C:-,-
mille sont des c2mpagnards pauvres; mais ils sont encore dignes et culti-
vent les valeurs de grandeur.
P-r contre, en ville, tout le moncle est fi ible. Le père Ligneul
est
'insi un o,1né fort ressembL:nt de i .• :;':lkenberg. Il g:'gne de 11. l'gent
nZ'.is n"
m~me Pc.s 1=1 force d' enp~cher ~/on Il. pille. Agnès, s::-, fille est
tenue pc.r le pl,:"isir de m~me que le m ri, ,; -nille, 12. source de tous les
1- la réflexion sur le contenu des idéologies qui circulent d:·.ns le texte
pr~ciser~ 12 ~~ture de ces critiques
2- irous en reviendl'ons ,'-li point ::lur 1 ... philosophie socir':le.
-103-
les m~'.Theurs.
L~1. déché:'l1ce de cette f;~mille sere d' "illeurs plus complète que celle des
prot gonistes de Gilles. D:'ns l' c.: rülo/Sue de Gilles Drieu pé'.rvient à déro-
ber son héros de L. dégénéresce~cede 1:1 vie p:risienne. D:ms ~1~veuse bour-
FC?oisie il n'y. rien qui prouve qu '-['les le Pesnel 1 roussi à ne p.s res3em-
bler ~'- ~ 'mille son père. :). '1u~te s'est 801(12e p:'.r un 2ch2C et il E1'2u::t:t-
p~èsvoi~ retrouv3 les siens coome pour p~ouve~ son 1.'8tOur
u 02rc il. Son
double su:.""'riv nt, COIr1G pour r.rrquer L. cort clifinitive cle L. force et de
1:, volonté, est une femne, f~ible et eDp~tr3e c:. ns les o.esquineries de L
vie socL.le.
JJ~ description des ~~pports soc:i'u:: IJ'nifeste les diver:;ences (.}~re-
l'idsolo,;ie des ~Or:L ns de :Crieu l '- ~'":.ocl1e lIe et ce Ile de s rorrns de Louis
oiente de l~ sociétd en clss~émanant de la division sociale du travail.
Ar, con p~:.r contre s '-ppuie sur le )rincipe de L: lut te des cL,sses pour ex-
plique=: ou plutôt repri32nter l'histoire 1e l~. commun:.uté. :J:ns ses livres
C8S
classes '.: des c - r cté:cistiques propres, des ~,spir=.tions in-
tilles. 'l:outefois cel. ne :.:2n::: p ,s bourgeois et ouvriers indapend-nts
TIL'is
justifi'3, ,:Jt:-nt dOTL"lé l', nt -sonisille des ic'1t0r~ts, leurs n2cess ..ircs rcl' tions.
:C'our l tuteur d'Aurélien ces relations sont d'abord. économiques et conflic-
tuelles ~èlors qua :pour Jjrieu les ouvri;;;rs et les p:~uvres sont~,u Q~De titre
que les 001.U':;OOi3T10 ,:cClués d ns un Q~IJ.e processus de ::L~cr3pitude. Le but
consiste dans les deux cas à montrer les imperfections de l'or~isation
sociale et la nécessité de la changer.
k. plup:c.rt des rom':ns de 'Jrieu font le procès de l ~ civilis..tion
noderne sms pour "ut,:nt représenter, comme chez Ar't;on, les Conflits de
cette idéolobie dor:lln.:nte ,~vec uneutre qui lui soit contr-:.ire, et qui se-
rc.it exempLüre. D, ns 1.'. m,èj ori t,~ ':';'os c 3 l'idéoloGie exempL.ire s' in8inue
-104-
dns les désirs et regrets des personn:'.ces • .Ll en estinsi, 3~cuf dns
l'épilogue, de l'expression du fascisme dans Gilles. De ce fait le travail
idjologique du rOL1:'ncier s' in3crit presque toujours dus une perspective
nSg,~tive. <omment :0rieu mène-t-il le tr:w:-il de dév'lUê.tion de l' ic.i8010gie
c1.omi.."1'nte ? L' tecllnique semble ~tre de l~, cb.',rger d'un contenu socilenent
in. PI'r;cL.ble. i;' est en f i t ê..:dinir G':' L1or"le, Sl philosophie et dicl'Îl'e
les noeurs qu' elle nourrit ou justifie. ~èOUl'
tteindre son obj actif :Orieu
COI:lCence p'-:.r exposer 18S G uses de L, (~éCr2pitucle.
, . .
.
l
. 't ,- ,
lc~cno-nce ao
. soc~~ 0 Qe SO::1
tenps ~rieu n'
p,~,s hisitô 2. Gcmtre:c c~u
le :1-.1 était issu d'une tradition.
~8tt3 cl2L~ière est à ses yeux perpétué par la Sorbonne et l'Ecole Normale
Supérieure. Ce sont l'our lui è.23 i~~titutions embourgeois~es où l'on en-
SeiQ18 L
routine et le déi'ütisrae. :"," illeurs on n'y. cquiert :uC1.1.:'1e c,p:
cité r6elle. Cette vision est explicite o.'ns L
Chronicms Doli tique où,
",pr2s ?.voir p~,rlé de l' implis3.'ncs et de l 'heisittion des chefs rc',ic ux,
il ajoute :
"~out cel:' vient d.e 1 ~ philosop~1ie. ::. :"::.L.d.ier est 'grige : il a bu ?:.
L. source L. Dorielle limon de c1.s ce ::,tion liSI:J.erck.!que qui doit ~tr2
not::e b~te noire. A l 'universiti, perSOTh"18 ne lui,_ --..ppris ~~ voir les pro-
blèües, ni d:ns L. r,jclità de cl1:'ir et de sn:::; ni d ns leurs dessous spiri-
tusls. Cn lui
DontrG des "prob13L1es ll si::.lplement, ct n3 1::;' ,3(',:13 arithmétique
du not, 6..ss problèmes CJ.ui cl3v 'ient ~tre r8s01us p r ,-,,'1 l,' i30T'1.~:.L:nt :::t ~Lr
:Orieu ser-it woins pessiillste s'il
,vit d-Sceli c8tte attitude
d:5nissionn ,ire cLns une perversion récente et p::.rticulière de l ~ ClÜtU::8
soci21e. ï>lheureusement le3 il-:monts qui cOwposent L~, décha:mce sociü3
1- :Jrieu L1 ~~ochelle, "l 'llicncc
vec les r dic ux" in Chronique politique
p.
'167
-105-
30nt depuis longtemps entrés d~~ns les h~bitudes. Ils n' '.ipéêr0l1ent
UCUfl
dom;-ine de l'''.ctivité moderne. 1e curé embo!te le p-,s à l'instituteur qui,
lui, suit tr2nquillement b. courbe de 1:, chute. l ' description que l ' .uteur
f~it de son enseisnement nous donne une vision ùe ce que seront les citoyens
qu'il forme:
111:. tras p'-.c.uvre philosophie qu' on lui ('. fiÛ3e cL-ns L. t~te à l' icole nor-
n'le, il l ' - r8dui te encore p:~r prudence
ou débilité. Il leur enseigne
ème espèce de lI ch.:-.cun pour soi et Dieu
pour peJ:'sonne" qui ne leur 'pprend
rien, C' r il y:,. longtemps que Cl est P' ssi cl :'lS leur s2-ngll ('1).
b) Une ~or:le Qe l~ fuite
lJn tel enseignement C::'J8 une morale ::lo fuite et 11-"'12 irrespons~.-
bilit,] -.cceptée. ,jette conviction ost si profonde chez Jrieu qu' il en Lit
le: rel~,tion :'vec, ou l'explic,tion de, plusieurs fits réels contemporins.
30n rOI:l:'.n Les chiens de pc ille icri t et publLi sous l ' occup~.tion è-0l1.:."18 ùe
l~ rjsist~"1ce et des alli~nces qu'elle fit n4!tre ~I:l~I:le ll1terpri~tion.
:Ge liv~e 'loit chez tous les ;;Toupes politiques frnç~is, le 2~ru.e c~isi::, :"..e
affronter directauent le r~21 •..
-sene, è. l'insi~ii'i nec ,::" ~t::'2 fI' n-
·~.is dor3n~v~"1t en s' iientil'i :1t ~'. t:::l ou t.::l wlinqueur po::;::3ible" C).
' i le t2l"'ffiC "dor{rl. v nt ll peut f L_~c croire ici Clue Drieu explique cette 11-
C~'1;)t'; p.r la.daLite ct l'occup·tiorl, le jw;eL1ent reste cepend nt s'ns C!lIl-
b :ge cC.4l1S Gilles et surtout (lès ~u' il s' Cit cC.es diri:,;e.nts, Cl est'-à-dire :~_:;
ceu:\\: qui inc'ment l'icléolo:;ia ntioC1.'.le.
n::':'on.ner s:c déDission, c'est le sel.ù'.cte que ssent 'cc:ouplir les l10IJ-
nes politiques en :::"r:nce" C.5).
1:.,;0 .:Drieu L:. =~ochclle , Gilles p. IrS' 2
")
D'
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e: Il-i3S ~auen3 CLe ~~
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:""L::, '..
.LJ.IIL:
è:
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J'A\\..:lL.
3Upprimé~). Réedition Paris, Gallimard, NRF, 1964
]-DJ:'ieu l
_:oc~lo11o,:ilL:; ~).
:7'
-106-
Cette phr:.'se est une preuve, s'il en at:i t
besoin, du réalisme de Drieu
ou plut~t de l'incursion du réel d:,,',ns ses .üetions •.."n effet le lecteur
pense ici, vu le temps de l'histoire, à l'inst1bilité politique qui
~ f~it
se succSder en 1)25-1926, cn quinze nais seulement, cinq c:binets rrinisté-
l:iels. ::'is ,1.1 lieu de narrer les f-its, COlI'.L:1e l'ur-.it L.it .ir'con, :Drieu
en tire une r~gle générale et une preuve de déchéance.
Pourt-nt ce ne sont p s des f:its
u3si C:O:l~il1:.:;ents que 'l'instabili-
té politique qui peuvent par dé~uction, asseoir l'idée d'une morale ~ollective
éL<imi.ssionn·'ire ou ci 'une philosopill.e soc:i 1.:; -,-'0:1.:":~8 sur l
d8ch~.nce. Jrieu
l'a compris 'et 'ses-romanstentent d'accréditer leur satire sociale à par-
tir de l~ vie quotid.ienne. Il décrit 'insi les pr~oc~up~tions de ses per-
sonnages et s' tt· che à montrer leur c' r--ctère C::.érisoire. J'ns le ? 'ris o.:::
l'entre-deux-guerres les Gens n·:;, s'occupent que Le l.'8Cl:lercher un pL,isir
lli8squin. L2 bI'ou,e de Cl~rences se contente de ~i3cuter et de courtiser les
fCDI:les. N~me les :;ens de "::'..ivolte 11 se ::18uvel1t cl ns une illusio:1 c~e l' ction
;:;r~ce 2. cles outr nces essentielleuen.t vero los:
"iotre a.ction n'a.. ~tj qu' irl4Ction.:·ous veus êt·~s :":;,:uplus èdns l..l:.1.S 4..:;it....-
L'esprit de déchéance est, selon Gilles, si bien ancré dans la mentali-
té collective que nul n'est plus assez ~ucide pour saisir les bonnes occasions
et sortir ::nfin Juc;r 'nL 8'1. C'est pourquoi 12s j O1..ll"J.1 .i23 de f"';v:d8:::' C~)
O~'1t éte succ83si'Jsment tU1e c'.éâite d.e la ciroi te e:t J.e 14. Jl.uche. C::·illes .
vainement cria que clat it l~ le C02ent ~ropice ~our
sir 2t enfin co~ju:::'e:r
le processus de:..lé~tion soci. le. :::1 ne r:encontre que
des "yeu:: froicle(:';)
La jeunesse est Aussi cont~ninee p r le m l que: les intellectuels 8t le8
1- Idem p. 479
2- Le 6 février tU1e ::I1.:',nifestatiO:-l :~ 'a.nciens cODo..tiant:: 1:5~én!rG en une
émeute men';o p;",.r l'extrume J.i.:oite. Le 9 l::l ;;.t.UC~18 +,ip'oste. .p.eü' une cont.L::::-miü1i-/
festation • D~ ~es deux cas, malgré les fortes masses mobilisée~le régime
n"l pc.:s b.'1scul~.
3- Drieu 1:1 nochelle Gilles n. 59:3
-107-
juifs .~illes en ' 1:1 revéL;.tion qUL',nd il vient, 13 sept f8vrier, 8JChor-
ter Clérences à '"gir
W~n coup cl' oeil ,'.utour de lui lui fit voir des visc.ges de vingt~n:J fi-
::;Ss d~'ns les
expressions vieillotes de f"i ble néfLmce, de tatillonne irré-
solution" (1).
1e héros de D:;:-ieu voit dc.ns les nnifest-,tions de février le :;::éveil d'un
peuple qu'il croy-,it
v::incu pêcr Le déché~nce.
,on euphorie sera vite dé-
çue et c'est Glérences qui lui ':,pprend 1
t:dd:; v~:cité, celle qui s '-p-
plique à toute !:co:. né: tion et à
l;,quelle le 11iros n'échappe Il s, bien
C1u'il ' i t cl.'1lle contr"ire
"Il n'y- plus d'nbition en ::?:c'nce, p..1,rce que L
ntion n~I:le n'
plus
d' mbition" (2).
L'amertume de cette déLcite montre à Gilles l'impossibilib de
s' :-fîi:cr:J.er de conquérir so, digni té p,C'~r l' ction ét::ns un p~.ys où :cègne Uo.'1e
p:,',reille philosophie. L'échec de L. tent~,tiv8 de construire une f:mille et
Ci,e
générer l:~, vie, cons:J,cré3 p r I ' L."1terrclTltiol1 involont i:::'e de 1
Grossesse
de P~,uline, :p<..'..r s~ sC'.nté ronsee et llUis par sa mort, symbolise le sort de
1-:,. :r nC8. Il n'2st donc p. s .:itO.-c.:.l nt que L. ferune cle: GLlbier rl8U:i:'e en llê-
r.:e t2r.1pS qu'échoue la révolte de février. Cette conclusion s'inscrit dans la
vision pessimiste du fascisme et sa prophétie d'une mort, d'une destruc-
tion,·nécessaire et prochaine, de la civilisation et d'une renaissance
,'0
1-[ t:::::iC2 • . :'1 cC: sens l'épiloGUe .:!3t icl-5oloGiquament inli3y cns ble puisqu'el-
le-emp~che le roman d'~tre un simple cri de désespoir. Elle s'~ttache alors
u reste du livre p:'r ce qu':;lle nontl'8 l' ttitude ~: p:cen'-'.::e, selon l' u-
teur, en f"-ce clu m,'l décrit. Les derniers Cil pit:ces
Y'nt l'';pilogue décri-
vent un ch:'.os fin:"l qui prélude à un renouve u s.lv teur. Ce tr',it ::lu rom,.'n
d'idéologie fasciste se retrouve chez Drieu même après qu'il a
perdu tout
1- Drieu la Rochelle Gilles p. 59;':;
2- Idem p. 603'
-108-
espoir en l'hitlérisme.
L~ fin des chiens de P~ille est d ns l~ u~me li-
gnée. Constnt accompliss<mt le geste de Judas, s' a.ppré'tait à. sacrifier tous
les prot4Gonistes quand Ll. f4t.alité des bombes:ngla.ises, L~rguées IJc:~r un
::vion 9béissant à on ne s~,it quel ordre, s'abat
sur la cache d'armes-et
sur ceux qui L~ convoi t.rient. Gilles montre
du doigt là où se trouvent les
possibilités
de salut ~lors que l'intrigue des ~hienG Ce paille l~a1ise
le C:~3 fin 1 qui guette notre civilis&tion. bst-ce là une IT~nière pour
Drieu de désapprouver, dans le roman de 1944, la corruption des vo~eurs du fas-
cisme
m~me si le militant hitlérien est t~é - par les allemands et d'af-
rimer en n~me teOy3 l~ vitalité et LL justice de cette doctrine en ré~li-
sant ses ~tapes essentielles.
Four :Jrieu donc, 1a ;.:>~~'132e qui aniu8 Ll. société (bow:geoise) est
y rticullèrenent sereine, ~i=i0le Jonc dérisoire, alors que ÙLréalité du
r.~ond:; ,-,st fa ite:~~,,, CC! ~strophes. 30n p:cocè,~ des ambitions de son époque
est sans appel. En ce qui concerne la morale individuelle il constate que
tout le uonQe s'est enbourgeoisi et :
IJ..:;tre bourgeois, c'est vivre bourg80iseoent, c'est uettre l ' pense',", c~u
bifteck.'.ux pommes _.'1 nt touteutre pensée ll (1).
Cel'? est à 1 - mesure du système soeL.l où r~:.:,nent les intellectuels, les
ar~entateurs et les ~rlenentair2s ~ui posent les problào8s 2 ns les r~-
-
"1
:JoUQrs.~,
est de L11se, ,:l..ll1S lm ùisco1ll'S 3 :ti:cique, (L8 14. p: 1.'t du locut eu1.', de
se distancier des satirisés. Ainai,bien qu'il vive dans les miasmes de
.
,
. "
, 1 0
•
t l
la.. J.-::;noc1.'"tis-, ,~~illes \\.~ Llbi..::!.: as}?i:.:..: ~ U:::2 SOCLjtc.: O~l. regnera~en
a force,
1 'c!L.'i.stoc:.a:tiè.- ::;t l' dDtion virile. =1 r03se::10L: cn ce sens Z. ',:oluont et ::le-
ne à Yves le ?esnel. '';ett·e qU~t0 de b. force fŒ-de l' "mour (le Gilles pour
:001.':'
"Jeule compte la. force, dtUls l' l;lour COL'lDe dans le reste" (;~).
1- Jric:u l,. I.och:Üle "Un holllf"',c; ;71 rche d ns Paris"in Chronique politique 1934-
~, p.254
2-Drieu la Rochelle Gilles p.388
. p.,,,,,...
,,', ..
-109-
~lle
8:>""1'lique '-é; lament, :';;1S doute, ce que .Jrieu ,'.ppelle son intern~',tioI1J.
li8me, c'est a dire 1", fusion de 'Jré ou ,Le force des n,~,tions elU'opdermes,
seul g:, ge de leur survie dev'nt les deux gI'::,nds blocs. Cormont dir~, :
flCertes Trubert a r'ison, l L~u::oIJe è.evisndr~. forc;ment un empire ou el-
le périr-." ( 1)
Louis AraGon observe corrnne 0:!:'ieu L, bip2rti tion des
nbitions cie
ses persorm'::'-Ges jusque d ns Li, dévlu ',tion d'un ::;roupe ~-,u proîit d.e L, mi-
se en eAempb,rité positive de l'~',utre. Ibis il situe, sans 12, dissocier des
él,mbitions de cb.SSé, 1;;;,. mor-le d.e L, fuite_u sein de L:. bourGeoisie. Ainsi
les COWI1lUlistes
montre l ' ,c,ttitude de L:.. cL,sse dirige.nte fr e nç::,ise sous
L
deuxième guerre Bondi,',le COIilllle une dérob de clev n-i; l
nicessiti C~3 di-
fendre le p'.ys - liv-.c -nt
-lors celui-ci aux nazis - et en m~me temps un coup
:ourri
lU: cor,'IJunL;tos. Les exemples sont nO:::loreu::. Lyon est déclarée ville
ouverte alors que rien ne justifiait cette décision. L'on livra ainsi trou-
pes françaises et officiers, à l'ennemi, sans leur donner la possibilité
de se défendre.
MAis c'est surtout les voy~geurs de l'impéri:le ~Ul se propose
de dénoncer 1& mor-le de l~ fuite chez les bourseoi:.;~ celle-ci se traquit
essentiellement P&r une ambition dérisoire. Celui ~ui synbolise ce compor-
tement, Pierre =;erc~dier est pOUIt:'nt une figure dont l'ol.utetU' ne pourra.
plus se d~L ire conpl~tement à.a..'1S le reste du ;=onde réel. L' irrespons,:bili-
té d'Aur8lien l"Dène 8. se réfugier derrière unnour idéeÙiste a.u point
de rester Q:veugle d.ev:',nt les év~neI:lents soci-~ux. ,30n défditistle est sUItout
mis en v""leur P'U' k..- fèlCili tJ a-vec L.quelle il a. AClhéri cl..U "-ichysme. h',
m~me c .:..r-ctéristique déf,ü tiste estttri buée 2. la.. cl-sse dirige -nte, cl-ns
les connunist8s, d.ev~,nt L, GUerre d':":sp',gne, l'expcmsion de l'hitlirisme
et les diff8rents criDes perpit::: is p:.r le n,:zisme. Ainsi
.-t-on c~d"'; sur
1- Drieu L, =-:'och(ülo T,es chiens de P'lille p. 159
-110-
le leurre de L, non-L1tervention en ~;sp"Gne, sur "Munich" (1) et sur une
:iventuelle oUlia...'1ce a,vec l ' .• ".~.3. 1...;, liste serait ici f ~,stidieuse.
Ld peinture des 'mbitions
de leurs perso~ges est un point
commun à Louis Arogon et à :Urieu L, Rochelle. hüs ce sont les dOffi:'.ines
où ils si tuent Le 8-:"tire et les fin 'lités des ,'mbitions qui sont souvent
différents. Pour Aragon les ~.mbitions reposent sur les intér~ts de cl~sse.
Ai~ci ses romLns tentent de fire recouper les luttes ouvrièresvec
l' id~ologie soci.',liste. R~rllèlement les f1ciu.:c et c-t strophes soci u::
émanent des spéculations boursières et financières de la haute bourgeoisie.
IJ . c'r-ctéris~tion è..::: ces Ceux cOr.lportements de clesse dévoile deu:,: philo-
sophies soci:,les diffirentes. :, is ClV~Z Aragon seule 1-,. bourgeoisie porte
l'explic:-.tion de l~, déché:-.nce. Celle-ci est générée entre~utres choses
p~_r les r.lOeurs.
c) .LiU pL,isir à L:. d.ib:cuche
D:'ns l ' peinture de L, déché:.:-nce, Aragon ne s'·'.tt"che po..s, com-
me :Urieu, à montrer l"bsence d'un idé.:,.l de gr..:ndeur.' et de virilité. s:~
critique f i t ressortir combien Le vie du bourgeois enfreint le code no-
1.';;,1 de Lê société. :Je"ucoup de ses rom~-ns tr:duisent ceL. en cré,-nt 1.Ule
sorte de micro-société bourgeoise ~ssez représenk.tive du reste. Les w.eBbres
de cette cOIIlDuna.uté sont presque toujours d.es LIlond,..:.ins oisifs, tendus vers
leur plisir corporel et les ddlicEs de L" vie ùe luxe. Il T'.'.U pL~n
cles fe:Th-:les, les entretenues, celles qui ont choisi de monn~.yer leur be.uté
et leur r:loJ.'~lité. Presque tous les rom:.:..ns du Monde r6el les nettent en
scène. D. ns les elocl1[:s d2 =~le :JLne ouvre L1. s~i..i,. Carlotta (les Beaux
qu .:etiers), ::~eine ( \\Les VOY;8u:C3:~e l' iIlpérLle,) lui embottent le p.'S.
nantiea au lüa.n I:1a.t~riel. :,;ert ines pou:..;sent la. compLis 'nce 0..ens L. vie
lcile jusqu '2, Gntreteni::.:, COLn~ Marie Perceval, des gigolos beCtucoup plus
1- Traité de Munich signé en 1938 et dans lequel la France et l'Angleterre
cédèrent devant » Allemagne sur la question de Tchécoslovaquie.
-111-
jeunes qu'elles. l ' .uteur d;icrit les m:..:..ttresses entr:etenues sous l' ·.3pect
de b~t es 2. jouir sans .tucune conscience politique et mor~11e. Aucune d' en-
tre ell~s n'est Olssez humctine pour ressentir des remords.
Sa.uf d ~ns de rares CilS de réunions oystérieuses, Ar.':'cgon ne con-
tre presque j'.ffi:",is les riches #lU travail. D'illeurs une rem,:"rque :mr Ed-
mond 3'rbent:-ne le sugGère cl~'.irement :
Il ..il
fait, il se born,-~it à ~tre riche et à trouver ça farce ll (1).
:;omme tous les désoeuv'X'és ~dmond et ses semblables s'occupent à 1-1 recher-
che du Qivertissenent n~is surtout et essentiellement ~ celle du pl,isir.
~e lecteur n' aur:-it ;aucune raison de cond";nL'1er les festins qu' i13 orgiini-
sent il' e13,3,::mt C:tC: le g.:aspilbge et les intribues sexuelles (~) qui y sont
conStants. A ce point les· honn~tes bourgeoises et bourgeois, mariés et mères
ou pères de fmille, . rejoignent d..tns L'. dSbL'uc:~e, les mondaines entrete-
nues. Car en fait ces ~ens s'e:nptHrent d~_ns l'Adultère et le oensonge. =~03'3
::elrose, BIE'-llche ?'illeron sont des exeoples p~~rmi d' ·utres. L::. décrépitude
mor-,le n'est p.:S l'apanage de l,Jo seule haute bourgeoisie • .J:'llS les De ux
qu-:-:.rtiers toute l,:, première p::-~rtie clu romn fzÜ t L~ chronique de l~ chute
mor(',le progressive d'une bourgeoisie I:loyen..'1e et provinc;ale. D::,ns Les VoY'-
geurs de l'impéri',le c'est l::-c petite bourgeoisie intellectuelle qui est ch~
tiée à tr"vers le comportement
001.'
l et irrespons,c,ble de Pierre i:erc,-dier.
L
qu~te du pl- isir d3ginère très souvent et ..tteint des propor-
tions proches d'un complexe pXnologique. On peut citer les lubies et les
c"prices sexuels de i:estr nce et de l'inspecteur Colombin cLns les }3e.:ux
qUé.rtiers. Ain.si le milieu bOUl'Ceois app_:r,tt cl. ns les textes d'Aragon, COD-
me une école de déb-uche. Ce n'est donc p s un h's:rd si le bordel occupe
une pLce import,nte d;'ns les rom ns aragoniens et semble ~tre le milieu
n"turel de cert':ins sujets COï::!:.,e Aurélien Leurtillois. J'ailleurs l , m;:jo-
rité des persollil" Ges y P' Gs-::mt le plus cl.ir de leur temps.
1- Louis Ar2gon : Aur:Slien, P"'ri."" ,~allim.:rd 1::H4 p. 17
2- Four ne p~s dire
'I!lOUl:'euses
-112-
Dès lors Al'agonè recours L1 llil8ctivit~ corolL'ire à 1. vi::j c.on-
dine comme à s' disponibilitd, qui nicessite l' is,'.nce ffi,térielle : 18
jeu. ~'est llil8 forc.e Je rlivertiss9ment CJ.U3 les persoŒl'SGS utilisent, ~
première vue, p.èr GotH clu risque, du suspense et peut-~tre, pour cert.ins,
?-. cuse d'llil
.ffiour e:cgéré pour l ' l'gent. L.lS S=_ pl' tique, p"rce qu'elle
s' CCOElp ;-:;ne de ~'in ou de perte de biens a:tGriels, p:.rce qu'elle est,
8nfin, l''':'1.~Or.~ ine réservé de L. h::.ute sociüti, peroet 1- r::mcontre d' intrigants!r
de toutes sortes; 'ceux-ci, de par les vices qu'ils veulent en m~me temps as-
souvir, font du c sino ou de 1.: s 'lle de jeu un centre de débuche
'U m~we
titre que les bordels.
Aragon observe
ussi .=~ ns Gas rOIlli'nS,. L:. vie dor:d.nicle cl·es bour-
:;eois. 12. il TIont::e combien leur cléb:C:cuche est un fléc:.'.u pour le l'est::; ,._
1. sociité
Angélique d.ns Les Ee.-ux qU'~.rtie::.:'s aaté en f .it "suicidée" par
: :estr nce et Pierre :!Jelobelle; le premier pOUl' l ' 'voir CIr ss~~e, :Lè s.~-
cond pour s
tr hison. Il
est signific tif que,
ns ce milieu, l'hJ~oc::i-
sie et l~, perversion sont telles qu'on 3 1
fustiger L~ conduite
d' .IDg21ique et non point celle de :~e3t:C2.nCe ni l~ conpLüsnce de S~. fem-
me. Toute l
ville trouve d"illeurs ,:nom..le lL: situ:tion qui f i t de :~es-
tr'-nce llil cocu de sc', bonne et m.J~tresse. .:~u' il trompe S"
feome, ce1= est
be UCOup Gloins f:,-r-ve. :G.ien de sccndé,üeux non ~ plus qu-=.nd 1-. situ==tion
de cocu vient des oeuvres d 'llil jeune prenier 2. peine pubère. Combl']~2 :~i-
b :uche qu:'nd les fsomes de ces nessieurs, p~crni lesquelles iiùe ::'e:J-;Jill:':::3,
se font le pl isir d' 'loir li ns leur lit, de jellile Gens:;ofillTle A. Barbentane,
futur pr~tre selon l' opinion public~ue; 1JOU::c.' p :;"-:::::1Ïl' 2. "
, .
J.S:Ul.~S
.L2.21S
d';d~iGU8nt p:,s de les enivrer et ensuite de les violer presque.
L,'. plup,:ct ,::'2S ron,ns J'.A.ra::;on mettent en scène des luttes poli-
tiques ou ayndicales entre bourgeois et ouvriers. L'idéologie affichée comme
r-
exemplaire. est alors presque toujours celle des ouvrierS.'Cela ne veut pas dire!f
que L. d8b"uche soit
bsente des Bilieu..'\\: p·'u'lres. L is Ar2.L,'On nous sU6.;ère
-113-
qu'elle est cL~usée p~r les conditions IDJ,térielles cl' existence déficientes.
';"ourt nt les rOrrl:'ns d'Aragon ne se confinent
p 3 d ns un ,~lo,;e a,,'rcugL..; (~U pro-
létariat. jJ' illeurs l ' (?ssentiel L~0S textes pOl:t3 ici sur l.l bour;eoisic;
et ses ooeurs. ;)'il a.boutit, comme ~rieu,
2, L\\ cond.mrl::-.tion cie l'id~olo-
e;ie dooin':nte et de l', société engsndrée p:"r la, pensJe bourGeoisie, i l n'en
pplique p~,s pour a.ut nt Le loi de l ' a.r:J.alg::oe c r
ctéris 'nt l tuteur de Gilles.
La déché.,nce est cionc, chez Ma60n, d 'ns Lê réalité de L. cl sse
dirige:nte et non dans une oentaliti collective et génér-'le, présente chez
le bourgeois comme chez l'ouvrier. On peut, dès lors, p~r l'étude de l'idao-
logie subversive"pprendre que .Jrieu cond:-mne toute une SOCi2t~, le r::onde
Dodeme, ~lors qu'Aragon veut détruire l~m~chine bourgeoise et so~ i~~olo-
:;ie. Pour l'un L, culture à aba.ttre est celle du TIonde noderne CO::'TODPU
8. ns toutes ses formes p::,r L, bourgeoisie. J'où le principe de l!l.loi ,commune
clans 1·' perception des membres de L
comlnunautl-i:
liA ses yeux i l n'était pas de psys au monde, de classe sociale et 'de ré-
gioe politique exist-nts, d' expresaions,rtistiques qui ne fussent :,lors
englués dans l'obscur chaos universel.'11 (1)
Pour l' ::utre, pour Arason, i l f ut renverser l'hégémonie bour-
geoise et s' acheoiner vers èL.'1.e ., bsence d 'hég3monie de cLase. L' 19ré les
diffirences entre les deux "uteurs, il reste 'isé de suivre une structure
•
t.-
l
'
discursive qui leur est commune et 9tH' pl':l,)c.L.-O'·~::._de l'intention subver-
sive. :::;a première
',rticuL,tion est, COlJIDe è. :ns ce qu'on :lppelle le rom,.n
à thèse, une dév:clu"tion du l'ôel existnt. D:c:ieu et Ar Gon n' jviterie~t
pc-cs le nihilisme s'ils s'ék,ient contentés de cette preI:1ière ph::cse. Ainsi,
m.'lgr8 son import'nce, celle-ci devrJ ~tre dép'::cssée.
1- Je~-i[,-rie E"notelle, Drieu ot 1', diché'nce du héros, F,r:is, li'chette,
1930, p. 22
-114-
Une critique nGlgative vis:mt à détruire une si tu,.tion sociale établie
se justifie r:,.rement par elle-r.l~me• .olle fonctionne COIillile une légitim.:.tion
prô.:::;L.ble d'un projet de r2ch~ngr2. C'est L. nicessité de ce projet qui
constitue le c~r-ctère tr~nsitif des idioloGi2s. L'import~nce de l
trn-
~:iti'rit~ est déjà mentionnée d:::ns ce trw·'i1. ,~, est ce qui nous. pernis .8
l".}streinè-re le ch;-mp sém:::.ntique du telme ideolo.:;ie et de ne retenir, en
fait,
~ue les systèmes d'id08s qui sont un reflet de l~ ré~litS ct lli~ pro-
~;-nm8 cl' ~.etion inspiré pol.r cette perception ë:.u ;~~onde. Ainsi toute vision
é~ui souli§,"TIe l'imperfection du SYSt~L1.G considéré débouc:1c sur une subver-
sion. Celle-ci est lini tée comme L
:-lont:l.'e notre première p~.rtie, à tme
intention destructive seulement '1u nd 1\\ conscience gin2rnte de l'idéolo-
gie est d'lli~ pessimisme ~bsolu.
:~Q,nd on définit, coame nous le Laisons ici, l~ politique COnLle
l'institutiorh"'1:üis?.tion d'une idéologie c' est-à.-dire p:r L: ::,;estion socL.-
le des conceptions du groupe, l'idéologie reste porteuse d'une tri ',nsi tivité.
L~'. peinture de 1::. déc~_dence, qQ',nd elle n'accuse p.s l'essence hum::-.ine,
mois seuleI:lent Lê b:.se éthique et mora.le de son existence'.ppelle le re-
nouveu. L. dév-l'lL'ction de 1::. ré:-liti soci.:.:.le se pose :::lors comrile lli"'le pre-
nière ~t ope d. ns L. recherche de 1'. perfection • .jlle Lit évolue:2, quo nd
le pl' ..isent ne r6pond plus
u è.jsir et à 1-, s_~tisLction de l' cor:unu:rl utci,
le renouveau en nécessité et en dehors m~me du prestige de son statut. Le dis-
cou::::'s poli tiqu3 pu.r rend . is~ment LL'12 telle lo:.;illue. Il nI en Va ;;J'. s de
ï.1~ne du roa-n. Dns ce dOr.l",ine il :r lieu de pr,~ser'lel' 1me doubla intention:
fin:'liser lm cliscoUJ:S et le 'r~tir d2 l,:. littérarité. J~2 rom.. ncier Llène de
i'j,'ont ce tr.vc\\il (.~.ont 1:,. Ô.u liti des él";!Jlents c:coe un pel'pétuel conflit
puisque l.xlittérarité est l'\\'1.r essence inutile. Ainsi l '&-rt du rom: Dcier,
-115-
pour peu qu'il ait des soucis idéologiques, rejoint
en quelque sorte celui
,le tout
'utcur de IHtér·,ture U3 contJ:B/[) ~l\\..~:~ ( 1). ,11 1) Teil ilùpél' tif
n:~holoGique et l'iù~ologique pur, ~u nù on se propose QG dit2lL1iner le ::'e-
noœre:·u. Au delà. il fonde eg lenent toute interrogtion 3ur LoS l'disons .::;ub-
jcctives et objectives de 1., qutHe clu renouve 'U chez Jrieu l
'couis AraGon.
'nfin, puisque L~ peinture rle L, déch,j,nce reproduit une
ét·, pe pure et simple du processus icltiologique qu' ,spouse l'i.1tention subver-
si'i'2, il est possible de poursuivre l'. r~flexion menée~~c,puis notre première
p rtie, et qui veut construire lm :::oclèle e:;:plic.i\\..tif, une sorte de rnitori-
~U8 l'oS 1" ren.:aiss:'nce. Il reste évident que COLlilllL.'1istes et fascistes. connais-
ce :1iveu Goe nettes cliff8rences qu nd bien même l'on p--rvient à. sub-
81.1:'.18r lC:èŒ système sous Ull seul scném~,. Les rorn.:.cnciers Jricm et il.l'aGon re-
joignent, concernant la place du renouveau dans leurs livres, une concep-
tiO:l fort génér:-le et qui cléborde 1:-. littér'.ture; c'est l ' imbric-tion, è.-,ns
du
cette notion, d'lL.'1e an41yse/réel et d'une croy~nce mythique ou mythifiée.
Une con~rGl.ison (',e ce que les JtlmoloGU8s ':ppellent Ill, pensee
,rch..!quôYoubien la "pensée sauvage" (~) et de celle du ::londe mod8lne ri-
v8J..e cu:deusement des deux c~tés, lm gr.'ncl espoir en l' 'v'2nir. i~or;nent ex-
pliquer lL.'1e coïncidence pereille entre ce qu'on considère conoe lli'1e pensée
qui procèè.e ie mythes et une LléoloGie objective qu~nd elle ne se dit p:,s
scientifique ? ~)
~"1.'·!-al1t L:Bne de t'mter d.e dém~ler ces questions, il ne sex\\.it p' s
clJpourvl.l. cl' int·irêt de siCTLler, d ns le rom.n d.u 20e siècle, l'avènement
1- Une littér2.ture qui, sous son app;~r211C8 inoffensive véhicule des thèses
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su vers~ves.
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~ns a r , u mon e :L'c"":è ...,
,,)3
p00mes reslS-
t~,nts d'AraGon.
2- Claude Lévi-8trausss, La pensée sauv:'l.ge, Paris, Plon 1962
3- Nous voulons dire una idéologie née de l'analyse d'une réalité.
-116-
d'une qu/He du renouve~u, contr~irel!lent à L, plup~,-rt des rOI:l~ns Gcrits
t1.X siècles
précédents.
J'-iS osuvres d8 Drieu et d'Aragon sont ici de bons
eX8l!lples. Chez l ' 'uteur cLes ':-;8~U:'{ qU'Ttiers cette dimension est si éviden-
te y.u'elle oriente l"rchïtecture cles livres et modifie le ton 2. L
fin c-c;
l'histoire; .:J,.ns :ri2 Mom]e :.'éel l.I. peintu:ce 3St f U3SeI:lent neutre, l' 5.1ist:; ,
,[:oC
p rfois Ull'] pointe :}, ':1U..TllOU:;: ou c~, i:..'oni; 0', tirique. ~e 2.:8 0 rci l~U :""0-
is l
~in ~ui peut 2tr. ~ous for-
::l8
d.' ipilo[,ue
est presque toujours épique. 'J' est L. p,'.rtie ~ui porte 1..
'proph2tie, celle O~t l" uteuT no1..<.S 3UG;ère 1. 'rictoire proch, ine du prol-':-
t :,:i t
et le :::'C:but (1..1. r:mouveu. :G ns les ~loches (l,e :3~,le où le temps de
l'histoire et l'irruption de la conscience de l'auteur, sa connaissance du
cours ultérïeur des événements, ne lui permettent_pas de conclure dans la
di6.:::;.~S3 qu~nt ~~ :L1. victoire du socialisme, Àragon force la logique' tradition-
~'lelle du 5enr·e -=:t
d.joint:"" son ron:',n lli'1. 8pilo,i,ue, evoc,tion âpique et poci-
tique ciu soci::-lisrJe. c: e tour cie p::-.sse-p,',sse est id,~ologiqueI:lent nécess~:ire
p'rce qu'il crie 1..L"le cert-ine lisibilité, orient nt le lecteur. Celle-ci
est fort utile puisque l'échec cles luttes soci les et (8 l'exp~rience iI:'..:..n-
cip'trice qui s' inc:~rJ.1e 2. tr'vers .:.; ." th:;rine, seT.lbL~it
'!"..noncer l,: :cad.uc-
tion è.ifinitive du prolét'ri::t et (:8 son idéolo[;ie socLle.
1:', TI~Ii1e 'rcmtectlll'e est utilisée p,'.r Drieu pour rendre cOï.lpte
de l ' i tinor-ire cle Gilles G rJbi9r et
fficllGr le contenu exeIi1pl;.ire positif
du livre; Mais chez Drieu le renouveau est souvent moins nettement présent. Il
se cherche le plus souvent, d.' où le ton p~,t:1~tique cies rom~~ns. ~)n peut
qu~,md m~me toujours le cl-jIi1~,sCJ.uer, ne se:c-i t-ce qu' Ô. p~.rtir e1.es regrets des
pe:;sonn ",G8S.
Il n'est p's r'rc~, d' ,utre p:,rt, quc ce l'enouve'u se pose en
':)3011..1. et, comp18tenent fuy'.nt, cree le tr"Gique clns le li::,:c;. Dan:] L' J4orü-
;'= ,~ cll!!v".l Jaime '.','on:ij os ; J;::-;Ul'G ce f 'it :J. l
Imûère ùu
pouvoir. Son. ac-
tion de tous les jours, c, 001::'1'" -.,rolonti et son d8sir ÙO pJ.3:J':::JSiœ1 ...1. n:J
-117-
l ' mour n'y ont rien f i t . Le s crifice fin_,l semble un ,~veu cle l'~chec
de son . ction, et i l indique peut-~treu3si une voie nouvelle d, ns 1_,
qu~te de l' bsolu.
L .is èl. pê,rtir ùe quel schène nythologique
ou id8010gique les
'uteurs tentent-ils "insi de troDper 1. 'ri;;iL.nce C"~8S lecteul's, et __ '3 l'3S
er:lbrig ùe1.' d ns leul' lOGique '?
l'os 'nt, plus ll.ut, l
:lu8stion ,,_e:l.~I:lêler, cl ns le renouvG,u, le r::.ytllo-
logique et l ' id,8010:;ique, nous
'lons seI1b12 1.:. l'quel' leu1.' incomp~tibilit -:;.
Il n'en est en fa.it c2bsolUI.:l"':'1t ri,n. :='2 ::.wtholo;iqu:: est presqi."'.2 toujmE's
C: TJ 1", :.:onn un
spect qui renfo:cce l ' i:l"':olo~ique, s ns en ~t:ce i.L1'1 sec-
tsur S P l~ entièro (1).
._.J..' ,
-,-' i t-il ce Cl' S'il de r~nforcenent de l'idioloGie ?
L8 r..:ytl113
li6ieus~ et méthaphysique; .il f ,ut reconn H::ce que 18 :.;Jrocessus
c or,me:1C ,j
'Te u de p.r son fonissent mytholo.::;i·iU _
n' 8ch p-pe p::s 2. ce phénomène; :n, is
il conserve le -prestise cie L
visiœ:~sclL tolo.;iqu8. ,~",lle-ci pr::mcL :L
source <:1 p.~,rtir d 'lm ,~lerveilleux
tt. cil.':;
'U7.:
cOLllnencelilents et n.ou:::oriss.,nt
chez les hOUDes i.L~e conception selon l quelle le tenps est un lent proces-
SU3 d'u::::ure.
"L' ";coulement du temps se trcluit p r un 810iJ1ement pro::J:'2:Jsif ~C'';,J co;n-
menc8nents, et p'r la perte cl8 1 0 perfection initia.L:." (2)
,
J'je cc f~it, pour toute id..1010Gie subversi v''; C'," 1.'or1: ntiSf.l8 (L'::3
1- Roland Barthes semble penser que le mythologique est un secteu.r
~e l'idéologique, là ou savissent le s~cr~ et les t2bo~s. 01. Prévost: Lit-
.L-<;r'turo
V'..J
' - !
noli tique. idéolo,jique, le lui reproche puiser:: 'ainsi on n:: pour-
r-it plus les distinguer.
" 1 _
J. P. Sirormeau "Les deux \\r8rs.~,nts mytholo~il}ue et accio-historique de l'idée
'"
djc~dence" in L' dÔcd211CS :C,' litS, mythe ou i,l.)olo;Ü,s. Actr~s du collo-
'lue; de l' ~quipe de r8ch8rche
Hermeneutique ",t c:citique d88 icl:ioloGi8s, ':',)
'3t 29-Iril 'j
j, ,Jniversit:i Uè:J ~ci~n{.>::~ ':oci les, Grenoble,p. ')
-118-
débuts constitue un pr8cieux_~11L puisqu.' il est -.-:ji.;. présent l ns la
ment'lita popul"ire • .;t le tr~vil des id.iolo,.,ues consister' ~ d..isi.;nGr
les signes e:ctSri8ur~
de l~ d~cAdence qui prudisent l'~rriv.ie du cl~os
:,'inAl. Il nous seuble que là è.eu'3ur'3 l ' attr.ction da la. Guerre chez .0I.'i:Ju
C)t _~=-'.tl,~on. :l:ls y voient le si,')18 c~u début ou de L1. poursuite de l ' a.poc41~'p-
se. C'est pourquoi au lendemain de la victoire en 1918 leurs personnages
ne ,;:'~tent pillS la. l'enaissance ni ;;}~UC lU13 victoire. (n pou:Lr ..it se d21111.è.er,
:c :1ro;,:Jos d '.Ax2gon, COi:JI1e le f<lit
_~.:ile .i:m:ciot 3n 1')!tS, hllÜS aussi et
;~urtout ~t pro']o3 de ~~rieu, s'iL; n' i.5taient pa.s a.u cour~nt de ce que, DOur-
get se
promenant è.ans Paris le -11 novembre 1913 clans la joie de l'armis-
tice, .\\ cli t
j_ur:51icl1 se te::'ffiÜle pa::- une ouverture sur le chaos. Au monent O~i.
le héros et :2:0nirice se retrouvent, 1'.. perversion à.u uonde et c~u teups nI
L1~me pas épargné leur ,.Jl:lour puisque chaC1L.'1 Il ::::hlngé. J:ls n'ont plus rien
à se dire • .GtrangeJ:j'l'un à l'aut::,c, ils divergent encore p~or 14 pensée poli-
tique. L~ fin de leur Idylle s'inscrit d~ns l'atnosphère d'une dé6~aclAtion
génér::-.le. Voici cOr:JI:lent l'8-uteur cOll1uente lA pensée è-u Ccl pi taine Leurtillois
devz.nt la déticle de 1940 :
"J:'out l ' v i t déçu. r,., lutte politique, électorale dans ce P·'.ys où il
viv::.èit c'étAit 3&ns espoir. Il it it de ceu.."{ qui croY<lient qu'on ne peut
refaire le nonde que par la violence. Il a.vai t
ucout0 les uns, les a.Ut:;:'8S.
Il n' :ltiIll&it pa.s repenser à ces de:i:nières ,·,n.."1';es. Tout cel8. pour o.boutir oÙ
onen ét.1it. Peut-~tre quo d'U.Il .:r.nd f.LÜ i l T,l8ut sortir un bien."(:'::)
La. nort (~C Bérénice,
celle qui inca.:rna.it l ' espri t cle la risista,.,YlCe,
1-
Ci t,'; p r . :mile Henriot,
'L'Aurélien" de H•. Aragon ou les soucis
de
l'entre-ùcm:c-G,1.lerrcs" i.,G Monde, 1ère .i.nnée nO 1.:.1., du ) j n'lier 1>;',
:2- Louis Arat:;on Aurilien, p. rL) G,"'.llim::'Lrd,I')Lf'~' p. {~0(3-4G>
-119-
infoTIile, Guffis:.tmment sur le pessimi::me
r'c;onL.:n
J'~12 ,->': livre. L23 ro-
n'en ét,cient p,-;.s moins porteurs du mythe esch -:olor:iqut::. Lot fait est redon-
dant dans les Be,ux qu~-rtiers, m.:,leré l'enseignement exempl ire posi tif '~ll'::
UGpense l'itinér::-ire d'ArI!Lnd :B:Tbr:nt'n;,
u point'l'Ae ch",que p'rti'J :-:;e t(~r-
,~:Ü13 p' l'l' ',~ poc:.lypse. A Li fin cl ": l, première, Armanr-1,
perdu toutes ses il-
lu::dons sur b
Iilor'lebourgeoise. =1 ô.Sfi:, par sa :rupture avec sa famille,
aussi bien la morale de son milieu que la religion chrétienne qui enseigne le
o!pe du r8speet des p::crents et rle leur
r.J.our. i'L'is l'impression de l' av~-
n,:-.::c:nt du m'::',lheur fin 1 vient surtout de l,. précipi t:.tion des év~nec,-;nts
:::t de leur r;r'vité. L
mort semble vouloir f'ire, de tout, u.ne seule bou-
eh:e. Fresque 81Dl1lltGn'ment, .àngélique, un ·'[-ttm--:n, 5.espillière sont Borts.
Arnaud rejoint '.' rmée, ArTIkncl ~,' ,:=nfuit '7ers P,-ris ,'ous les prot'"'gonistes
clisp'r, iS3i-:::1J:,. :? l' llèlement 1", Dor le soei. ,le s' effrite> tous les e~tés.
L~ e:dette ùes filles 3crrel est enceinte, le ,1ernier Drbent?ne hunilie
S,,
Lmille et l', religion chrétien.."12 •. ,près tout, L
source de ses dém~12s
vee son père, ce sont ses coucheries-yec 1::- bonne du lye2e. S','Tieux com-
portement pou,r un futur pr~tre ..UX 111<:'l.lheurs qui s', bc·ttent sur les prot -
~'
::;onistes et/proCToquent leur mort i:umédilte il f-'J.t
2onte~:' L, fin de L',
dernière p?rtie, la menace, de la guerre et le paroxysme
dans la débauche. La
perversion de l ' "mour conduit ,',U p:'rt'ge è. 'll::E ;:].pse Do>,îtresse, pcrt:ge
'lOlnent-ssumé, entre le vieux finncierluesnel et le jeu."1e monrL'in ~:ch;],ond
:::' r'centcne.
La vision mythico-eschatologique 2ffleure égdlement dans presque
.T ime rrorrij os, le ,sort (les prot~·,gonü~tes des Chiens de Lille,
symboles
v4.riés2t
oomplets des di ff,SrcCltes c -té.:.;ories de Fr:-:nç::tis sous l ' oceup.:- tion
Lllem~nde.
:: ls toujours demeure l'espoir, eO:T.18 le dit Aurélien, que d'un gr~nd
-120-
malheur naîtr.a Wl :.;rand bien. ~'insi 1 'JaPpel idôologique du rom,O.n se pr8-.
sente comme uns invit~tion à reprendre le rituel èe 12 cosmogonie. Il s'~-
git donc de consommer. la fin du"monde at.de ré-aliser les gestes d€
r8-cré~-
tion de Le. vie. TJe geste rituel que simule l'idéologie doit en fcJi t dôp.::,s-
ser L: d:5ché;mce et ouvrir une ère de prog=ès. C'est 1",. justifiecttion de
l ' invit:otion ~l.l rite que nous l.t.ncent les doctrines cubversives c~r :
"1e rite, en imitant, en répéta1t ce qui .a eu lif';lè "'H cOTIl.TJlencement, per-
met de récupérer en pc:.rtie la. plénitude de J.' origine." (1)
L'esprit ne saurr'it sc; l'L~ser pe:::'3ua.J.?J:' par lm rüsonnement qui
se contente de reprendre l~ promesse d'un ~ge d'or d'inspir~tion cosmogoni-
que. Le prestige du mystique et de la religion S'8st depuis fort longtemps
écroulé. 12 t1che de l'idéol06~e est de lui rechercher des ersAtz.
b) :Ge mythe du "pror;ressi::;,.12".
En dehors du nihilisme, aucune idéologie subversive ne peut se pas-
ser de Lè. notion (2 progrès. Celle-ci suppose le dép:'.ssement de la rél.lita
décrite et prLsente. C'est l'essence m~me de l~ critique s0c~le qui con~
tr::>int l'idéologie à promettre le meilleur et à se légitiffier p:;.r le progres-
sisne. 1es deux ~spects sont complément~ires. En cré~nt l'insAtisfAction
p.lIr n:1C dévalu;,),tion du présent, le rom_:ncie:~' suscite l'espoir. Cette~ttsn-
t2 '2t~.it :·'utrefois une es,<i,(',)nce religieu.se. c.ujol'.I'd'hui elle se fonde sur
les bouleversemenis sociaux.
Dès lors, le cl18i.os fi;1b.l et r~novateur est présenté CŒ'.l-:l2 un p:o.s-
S:'6e obliGé et un m.'ll18u:;: plL'1itif ou f-ot::'1.30n essent.i4li t,5 lui vient de
ce qu' il introduit le ch:,:'1;:;21'18nt. L'on comprend .ainsi quelles ressources
~~2cieuses le nythe offre au discours subversif comme strAtégie de 14 per-
3u:lsion. Cett'0 stl'Ilté:;ie &st d '",ut :nt plusdppropri6e que persiste' une sor-
te d'infra-idéologie, reflet diffus de l~ mythologie, au sein de c~~que ci-
vilLlottion. 1 'liTt consistera le plus souvent à r"gler c'3tte conscience dif-
1- J. P. Sironneau 1l 1es dete versants i~lytholo:;-ique et socio-historique ••• 11
in La: d6chè.'mc8, do.lité, mythe ou idéolo,des. p. 5
-121-
fuse, à 1-::. r:-onimer i\\ l, lumière de l ' hiCitoire.
in3i QU.',nd L3 discour3
p ,rvient à sociéLli3er le Elythe, il r0joint l 'hi:Jtoire. CeL: permet de 000-
prendre pourQuoi Drieu et' Ar:',gon sont obnubiL5s par l 'hist'Ji:::e, m~me anec-
cloii '"1.1.~.e. L
d~'scription du parcours historique de 1: société promet u:., Ûa
d'or, ':14is c~lui-ci n',tura plus un" origine 8'c1.'.;6.
Sans vC::.loir d,~m~ler toUt03 les interactions entre idéologie et my-
th~ le chercheur peut cependant constater que la première Hmprunte, le plus
:-.;ouv:mt, pou:c rles besoins' de crédibilité, cl ':::ffiC'.ce pratique, les sentiers
peu nets, tr"cés p~lr le second d"ns L, conscience collective. Le renouve'"":u
pr,?::d Alors b
pl:",ce roy.üe d ns une dém'e.rcne persu..-:.~si'.le que seul le pro-
gressisme justifie. Comme- le'd~t J. L. Chabot:
r '\\
\\. I l
réU:ssis;sent '
CUI:.ule:::: ", ~ ,_ C' '-.::' V():.:.":~::;
~1J.211es
l~3 occurrences
\\...
.:..
b~tir des cloisons "! . ~
L C411Crlt.':3
cans at'::'l.L.'18 cornr::lune mesure. Ln effet, 3Ubjectivité (r~ve) :::t objectivit.:5
(lutt?
des cLîsse3) ne sont p:s tot.üement indépendantes. Darre; la. o?,jori-
té de3 c~s, l'une nécGGsite, pour pouvoir exister, l~ présence de l'~utre.
Pour que la lutte des cl.~3ses dSbouche our un proces3US de tr.msfornntion
1- J .L. Chn.bot "ProgessÜ;;me et d.éc~d(mce" in La dCc:'dence. ré.Üité, mythe
ou id5010gies p.
122
-122-
~ü.::;torique 8t cocL"le, il f<lut ",'::;~8oil' les conditioFs de ]a lutte. Corol-
chsr lU1 d~'Jir cè,bJ'r:;ti'':' 'luelconfluc. L'U:'1C semble etre le d.i~clic de l' ",ut::.":,
ct l'."G po~;'~es le su,vent bien.
~JO'J.S"TO::l.3 dé~~'" ::;i,;n'l': j,a. 'iiscrétion de Drieu sur les condi-
-cio:::-
'.!. _-' =-"0 ~~ •
'('ai':;i~,", l'abdication d,a l
,tolo:-.:.t~, =~u oourage, et l' o3e:.'r
é"8
l
forcs.
il,,:olo-=:;iqc;,'è' du
fascisme.
, .
,
l'auteur ne permet
·';,"'",e,
1.'-.::
;3a.
pc,::'Tl ",,?,'(lC",
m~me en latence. Son emprise a deux ,:.spects d~ins l'o@u-
Illier it se fla:.:;~ller. T,p profil èn chsf tcl elU.'il A.PP'Tatt d ns l'oeuvrsp-
pelle 1(;3 Quli t''::s du COUr"38 ~y~iqu:]. [Tn p 'rc:il imp~r ,tif aide ~,compr:;n-
-123-
une différence avec les créatures de Céline. La chose est compréhersible
puisque Drieu cherche le moyen de s'affirmer, de conquérir une dignité, de
cultiver une éthique quand, pour Céline, la vérité présehte et future de
l'homme, c'est la perversion et la déchéance. C'est pourtant cette même dé-
chéance de la civilisation qui pousse Drieu à rechercher dans la t,'Uerre une
sorte de " no modern l:md" où existent les vc'i,leurs viriles qu'il 3.d-
:lire •.Hors ce qui Leit le chef, pour Drieu, c'est l' héroIsme. Dc'ns son oeuvre
ron:anesque cependant il n'y a presque pas de persornages qui réalisent ce
désir de l'auteur. Drieu a surtout créé des anti-héros. Le lecteur de Gilles
se dit que le jeune permissionnaire qui débarque à Paris en 1917 a fait un
séjour réroIque au Sront. Cela n'est qu'une supposition suggér~e par l~
blessure; mais bien vi te le lecteur découvre un embusqué. :?our bien sa'::'sir
la valeur de l 'héroïsme chez Gilles Gambier il faut dissocier sa vie à
Paris - une peinture de la déchéance - des images obsédentes, des remords
et des regrets que provoque cette vie. Ils trad1.üsent un besoin profond d 'hé-
roIsme et cela n'est possible que dans les charges du front. Il y a à ce
point précis une mauvaise volonté de Gilles rarement relevée. Il sait en
fait que la guerre n'est plus ces corps- à_corps r'Jmantiqu'3s mais une tuerie
industrielle. En dépit de ce qu'il décrie tout le temps "la guerre démocra-
tique", celle de la chimie, le héros de Drieu continue à rêver du front et
de l'héroïsme. Son refus de lucidité l'empêche de reconna1tre que la guer-
re telle qu'il la conçoit ne peut plus exister. En réalité il s'agit plu~ot
d'une inconséquence. Gilles sait très bien que son rêve est illusoire; mais
son comportement n'en change pas pour autant. Il refuse d'envisager l'atti-
tude conséquente, et son raisonnement sur la guerre en témoigne, lors de sa
di~cussion avec Debrye; il y dit :
"Cependant, la guerre, si défigurée qu'elle soit, demeure récessité." (1)
La perversion de sa vie parisienne n':üt ère pas son besoin d' héro!sme, d'où
1- Drieu, la Rochelle Gilles p.124
-124-
la présence continuelle de la guerre dans la psychologie et la morale de
Gilles ;
"Je refuse tout ce monde. La guerre, c'est ma patrie." (1)
c'est seulement dans le recueil de nouvelles intitulé La eomédie
de Charleroi que Drieu décrit l'héroïsme non pas à l'état de désir mais à
l'oeuvre,à la suite d'une charge que le personnage a déclanché. Il a comme
la révélation de lui-même. La manière dont il décrit son état reflète la
satisfaction morale :
"'l'out d "'n coup, je me connaissais, je connaissais ma vie. C' était donc
moi, ce fort, ce libre, ce héros." (2)
Pour les personnages de Drieu c'est l'héroïsme qui fait le véritable homme,
celui qui se distingue du troupeau des dégénérés. La blessure du jeune homme
de la Comédie de Charleroi le rend fier.
"J'étais un homme, mon sang avait coulé." (3)
Il n' y a là rien d' é.tonnant
pour un personnage hériti",r ,le ceux des ro-
mans de Barr~s.
Quelques pages plus t8t
le héros saluait sa libération et sa naissance
comme un homme
"Qu'est ce qui soudain jailliss3.it ? Un chef. Non seulement un homme qui
se donne, mais un homme qui prend. Un chef, c'est un homme à son plein." (4)
Ces );r.rases contieT"'.nent le re6I'et jusque dans leu1.' ton l;yriClue et leur allu-
re po~tique. En effet cette sorte d'état de grâce reste éphémère. Les autres
héros de Drieu n'en 'bénéficient d'ailleurs presque jamais.
Le rêve de l'exploit physique (qui sous-tend l'héroïsme de Drieu)
conduit naturellement à l" admiration de la force et de la volonté. Les ex-
tases de Felipe devant Jaime dans L 'H.omme à cheval pou:rraient trouver là un
1- Idem p. 127
2- Drieu la Rochelle La eomédie de charleroi p. 67
3- Idem p. 93
4- Idem p. 68-69
-125-
début d'explication. Comme celles de Drieu lui-m@me en face de Doriot.(1)
On pourrait ranger dans le m~me ordre d'idées l'emprise du vieux Carentan
et celle de Dora sur Gilles. Mais la force physique ne suffit pas pour
combler le personnage de Drieu assoiffé d'absolu. Dora a perdu de son pres-
tige aux yeux de son amant à l'instant même où celui-ci découvre qu'elle
n'aura jamais le courage ni m~me la volonté de s'arracher à sa famille pour
l'aimer. Le communiste ~lichel Boutros souffre de IR peur oe tomberd~~s L~ fai-
blesse et le manque de volonté qui lui feraient adopter la morale et la ci-
vilisation bourgeoise. Alain dans Lei!'eu FoJ.let
s'est condamné pc"rce que,
manquant lui m~me de volonté pour quitter la drogue,il découvre qu'il en est
de même pour toute la civilisation. Et le narrateur parle pour tous :
"La volonté individuelle est le mythe d'un autre ~ge; une race usée par
la civilisation ne peut croire dans la volonté. Peut être se r~fugiera-t-elle
dans la contrainte : les tyrannies montantes du communisme et du .f,scisme
se 12romettent de flageller les drogués." (2)
Dans ce roman d'allure peu politique, Drieu suggère que la formule nouvel-
le permettant de reconquérir la volonté et la force est, sans doute, Gon-
tenue dens ce que la presse d'aujourd'hui appelle les régimes totalitaires.
Ainsi pour les héros de Drieu la force et la volonté qui ceracté-
risent le chef l'opposent au citoyen démocrate, dégénéré et déf~itiste.
Ainsi se nourrit le mythe de la dictature comme moyen pour restaurer des at-
tributs psychologiques et moraux de l'homme occupé à la reconqu~te de la
grandeur et de la dignité.
D'un autre côté Drieu propose en face de la déchéance du corps
la restauration par le sport. Il voit là un moyen de trouver un succédané
à la guerre désormais corro1l11.te. Ce qui frappe cependant les lecteurs de Drieu
c'est l'absence de véritables développement, dans ses romans, en faveur du
sport, contrairement à ses essais. L'oeuvre romanesque n'aborde le sport que
1- Drieu le Rochell~ \\vec Doriot,Paris,G~llimardN.R.F t 1937
2- Drieu la Rochelle,le ;1'CLl. l,'oll'~"'G, p. 48
-126-
par allusion. Et m~me lorsqu'ils en parlent, les personnages de Drieu ne
parviennent pas à masquer le souvenir romantique ou le regret de la guerre.
Le narrateur de La comédie de GhL~rleroi nous fow:ni t un exemple probant
quand il évoque et appelle dans le sport ce qu'il a tout juste go~té dans
la guerre et qui en est d"isparu du fait de la modernité
"Je ne renie pas ce moment de fierté, je ne renie pas cette ivresse pu-
bère. Que demain le sang coule encore dans le sport, puisque le salut de
l'espèce interdit dorénavant le voeu de la guerre, entre autres aspects
face hideuse de notre belle science moderne." (1)
Le vocabulaire sexuel (2) dénote ici une idée de la guerre, moyen de jouis-
sance physique et morale, une effusion dans la violence.
Tout ce culte de la force et du héros ne repose pas sur une ana-
lyse impassible de la réalité. Il part certes d'un examen de la pratique
sociale mais ne se forme et ne se consolide
que modelé par les r~veries d'un
sujet épris d'absolu et de grandeur .:3"piri":.ue2.1e. les v,::'surs 'lue cu.l~i.'re le
héros de Drieu ou plutet celles qu'il ::egrette sont celles d'un passé
mythique, seul refuge d'un suj~t r3fractaire au mOdeIT~3me, opposé à l'idée
de lihi~oire irréversible, du progrès. C9 sont ces termes m~mes qui per-
mettront à l'écrivain fasciste (qui l'avoue) H?urice 13ardeche de définir le
r~ve fasciste et de justifier l'enseignement de celui-ci comme ur.e morale
qui doit servir de modèle :
"ies L:.sciste8 ne croient ];Jas -que t 'homme soit naturellement bon, Ils ne
croient pas au progr~s ni au sens irréversible de "~'hi3toil:e." (3)
Cette phrase dévoile l'opposition entre le f~scisme et les démocratie~. L'au-
teur précise les termes de l '~,nL~gonisme •
"La démocratie distribue des prix d'eXC&llence, elle met ses bons élèves
1- Drieu la fbchelle la ~omédie de Charleroi p. 93
2- L'auteur dit aussi p. 67 "un chef, c'est un homme à son plein; l'homme
qui donne et qui prend dans la m~me éjaculation"
3- Maurice Bardèche, Qu'est ce le flsciste, ~~is, les sept couleurs, 1970
p.
188
-127-
au Panthéon: mais en cent ans, elle n'a pas produit un seul héros." (1)
Le profil du chef fasciste
est en partie fait d'héroïsme. Celui-ci
n'est pas le seul constituant. L'héroIsme est une action singulière, sou-
vent ponctuelle. Le rêve fasciste ne vise pas des éclats éphémères seule-
ment. Son but est de remodeler la mentalité, la morale collective. Il en-
traîne, de ce point de vue, un autre culte celui de l'action dictatoriale.
Le culte de l'action n'a pas été dans l'entre-deux-guerresl'apa-
nage des personnages de sensibilité fasciste. Presque tous les ro@anciers
en ont doté leurs "doubles". A côté des révolutions, actions organisées et
dirigée~existent les tentatives individuelles et gratuites. La conception
de l'action chez Drieu est d'ailleurs fort proche de celle des dilettantes.
Proposant vers la fin de Gilles de s'allier avec n'importe qui, ses inter-
locuteurs surpris font remarquer à Gilles Gambier qu'il ne souhaitait pas
cela. Sa réponse semble privilégier la fin sur les moyens :
"Si, n'importe quoi, pourvu que cette vieille baraque là-bas au "bord de
l'eau craque." (2)
Mais Perken,- Claude Vannec Garine et tous les autres agissent sur-
tout pour s'éprouver en face d'un absurde devant lequel i~ne veulent pas
fléchir. Pour Gilles c'est contre une civilisation qui entrave l'éclosion
des valeurs désirées. Quand Gilles définit sa stratégie il rejoint la reven-
dication fasciste selon laquelle la vrlie révolution n'est ni de droite
ni de gauche.
"Si un honnne se lève et jette tout son destin dans la balance," il fera
ce qu'il voudra. il ramassera dans le même filet l'Action française et les
connnunistes, les Jeunesses patriotes et les :~roix-de-feu, et "bien d 'autres(3)".
Gilles ne propose pas seulement l'amalgame, dans le choix das auteurs de la
révolutio~mais dans le sens et les fins de leur action aussi.
1- Idem
2- Drieu la Rochell~Gilles p. 594. Il parle ici de l'assemblée nationale
3- Idem p. 598
-120-
"Attaque Daladier ou défends-le, mais par des actes qui soient tout à
fait concrets, envahis coup sur coup un journal de droite et un journal de
gauche. Fais bâtonner à domicile celui-ci ou celui-là. Sors à tout prix
de la routine des vieux pdrtis, des lllanifestes, des meetin~ et à.es ar-
ticles et des discours." (1)
Le lecteur perçoit ici le fanatisme de l'action dictée par le dégoftt de la
société de l'époque. La rigueur des innovations repose sur une direction
dictatoriale. Après l'exposé des méthodes l'auteur prédit par la voix de
Gilles des résultats qui sont la description du projet de société envisagé
par le fascisme. Le caractère moral (c'est-à-dire spirituel) et romantique
des merveilles prédites n'est plus à souligner. De plus tout le système et
ses résultats reposent sur le chef
"Et tu auras aussitôt une puissance d'agrégation formidable. Les 'barriè-
res seront à jamais rompues entre la droite et la gauche, et des flots de
vie se précipiteront en tous sens." (2)
Bien qu'il s'adresse à un futur leader vivant, ce discours epouse le style
des recommandations et prescriptions bibliques.
Le fascisme se présente comme une doctrine populaire. Malgré son
culte du chef il doit promettre la grandeur à la masse. Le chef ne sera alors
que celui qui trace la voie. Or no:: seulement c'est u.rt héros mais il apparatt
comme un messie doté d'une lumière et d'une rigueur sacro-saint~ Ces C?I2C-
téristiques en font un exemple et non un stéréotype à l'image de tout le
monde. Il est certain que le modèle f.1sciste int~gre le fan2..tisme de l'-:ction
et de l'héroïsme mais il fait intervenir d'autres traits qui ne sont pas
le fruit de la volonté et de l'effort. La mystique fasciste et son romantis-
me reposent essentiellement sur ces considérations.
b) Modèle de grandeur et romantisme du passé.
L'homme idéal qui justifie la pensée des personnages
de Drieu n'est
1- Ibidem p. 599
2- Ibidem
-129-
pas seulement défini par son effort personnel. Cet effort est m~me, le plus
souvent, absent chez la plupart des protagonistes; cela explique l'atmosphè-
re de déchéance dans laquelle ils évoluent. N'emp~che cependant qu'ils
trouvent dans la vie des réalisations concrètes, même partielles, de leur
idole mythique.
L'un des traits ou des critères qui distinguent le héros chez
Drieu, le modèle exemplaire auquel correspond l'éthique de l'auteur ou plu-
tet de son système textuel, est celui de la race. L'on sait comment, procé-
dant du m~me critère biologique, le juif avait été assimilé à l'esprit de
la déchéance. Avec le juif, Drieu insistait surtout sur les facultés intel-
lectuelles (ruse, machiavélisme) et morales (lâcheté etc). Pour la race Slu~
Drieu parle, en plus des qualités héroïques et viriles, de la beautéphy-
sique et de la force. En somme l'idole imaginaire de Drieu est le contraire
d'un portrait également imaginaire qu'il fait des juifs, et de manière plus
génér:de, de l 'homme moderne. nais· l' :mteur rle. Gilles s'~pesantit be~mcoup
plus sur la peinture de la race dégénérée agent de déchéance que sur celle
qui incarne son idéal. Presque tous les livres parlent avec dégoat du juif
et de ce qu'il symbolise. Mais c'est seulement dans Gilles qu'il y a une
exaltation nette d'une race supérieure. Le mythe de la race dorique (type
du Nord grand et fort selon Gilles) y est explicitement mis en valeur à
travers le portrait de Dora. Les traits privilégies sont surtout physiques;
et l'on sait que la grande absente dans le système idéologique de Gilles
est la force morale
"Jambes longues, hanches longues, hanches longues sur jambes longues. Un
thorax puissant, dansant sur une taille souple. Plus haut, dans les nuages,
des épaules droites et larges, lmebarre bril13.nte. Plus haut encore, :1U
delà des nuages, Lt profusion 30Lür8 des cheveux blonds." (1)
1- Ibidem p•. 271
-130-
Cette évocation ne trarluit pas l'admiration d'une âme sensible
devant la beauté esthétique d'un visage. Gilles sait parfaitement que Dora
n'est pas belle.
"l'Jais son corps manifeste la beauté d'une race et, par contraste avec
l'insuccès du visage, le triomphe du corps était d'autant plus émouvant." (1)
La beauté esthétique et physique n'est pas admirée pour elle-même. Ce qui
attire et retient Gilles c'est ce que manifeste et symbolise ce corps, la
marque d'une race "LQbeauté dorique. Elle n'est pas morte, cette grande
c
race dorique qui n'est jamais si bel] f'l que détachée du Nord, ( ••• ) " (2)
Ailleurs Drieu abandonne le critère racial sans se détacher de l'obses-
sion d~ corps. Pour le guitariste de l'~omme à cheval le modèle vivant
de la grandeur c'est le dictateur Torrijos, c'est-à-dire l'action vigoureu-
se et la force. Cet artiste a comme le culte de la vielence physique, de
la cornmlmion dans l'effort. Ainsi chante-t-i~ à la t~te d'un convoi en
partance pour 12.. guerre.
"Ah si tu n'as pas ertendu. chanter à pleine gorge des hommes qui, par
la grâce de la guerre, savent er-fin qu'ils allaient tous les jours à la
mort, tu ne peux pas conna!tre la fugitive beauté d'être leur frère. C'est
quand le cbzv:ll est préféré à la femme et le fer à l'or. Bénis soiert Apol-
lon et le
Ji'3u l::loLüre des In~éls. J '::i c<l1cl.'1té les hommes plus souvent
que les femmes". (3)
L'action est, dans l'éthique fasciste, la marque d'un sentiment
presque mythiq~e : le patriotisme. Les lecteurs hâtifs concluent depuis
L'Europe contre les patries à l'antipatriotisme d.es oeuvres de Drieu. C'est
ignorer que son internationalisme n'est q~'une forme supérieure de patrio-
tisme. Plus d'un personnage de Drieu parle comme l'Action française bien
que cet aspect de l'oeuvre ne plaise p~s à l'auteur. Ne dit-il pas dans
1- Ibidem
2- Ibidem p. 272
3- Drieu la Rochelle : L'Homme à cheval Paris Gallimard 1943 p. 42
-131-
Exorde:
"J'ai toujours été nationaliste et internationaliste en même temps ( ••• )
Dès mes preiniers
poèmes écrits d,ms les tr;:mchées et les hÔpit~èUX de 1915 et
1916, je me suis posé en patriote français et en patriote européen." (1)
De plus il avait publié le 27 mars 1941, dans le Nouveau journal de Bru-
xelles, un article intitulé "Amou.r de la patrie, amOFr de l'Europe".
Llat~achement, mystique à la patrie, m~is quand celle-ci prend
les orientations du projet de société idéale pour un fasciste ou un aris-
tocrate dictateur, est tUl composant du modèle de grandeur véhiculé par l'i-
déologie des textes de Drieu la Rochelle. Jaime est alors lié 2t livré au
pays comme une prostituée à ses clients. Voici comment le montre Felipe,
lors dlune discussion avec Camilla,tentant de dissocier l'homme qu'est
Jaime et le dictateur qui dirige la Eolivie :
"Or maintenant la Bolivie sera à jamais Jaime, comme la France c'est
Napoléon, et l'Allemagne que vous aimez tant ce Bismark qui vient de b~gner
la bataille de Sadowa et qui fera l'Allemagne malgré Napoléon." (2)
Il n'est pas gratuit que Drieu fasse ici allusion aux empires.
Son r~ve de grandeur sIest également exprimé en dimensions physiques ter-
ritoriales et en quantité populeuse. Il nIa jamais cess~ de parler du péril
des grandes puissances (U.S.A, U.R.S.S.) pour llEurope morcelée; et il rap-
pelle curieusement, ainsi, Barrés et son obsession d'ennemis étrangers.
Ce r~ve de puissance peut ~tre llune des raisons de llinternationalisme
de Drieu. Très souvent d'ailleurs le regret ou le rêve de l'action s'ac-
compagne de cette dimension. Devant la beauté et llimmensité du lac Titi-
caca Jaime r~ve de 11 ancien empire Inca. Ici 13, Bolivie et le :Pél'OU ne
font qu'un. Mais le lucide Felipe perçoit avec regret le ,~3,r~ctèreJ pour
le moment utopique, de ce rêve,et surtout le martyr de celui qui l'incarne.
1- Drieu la Rochelle : l'Exorde" in Récit secret suivi de Journal (1944-45)
et dl exorde, Paris, Gallimard. 1951 p. 91
2- Drieu la Rochelle,L'homme à cheval~Paris,Gallimard,1943 p. 204
-132-
Peut-~tre que la venue de Jaime était prématurée :
"Mais le temps reviendra des grandes actions, des actions impériales" (1).
Le regret est occulté ici par la prophétie. Comme un duo de mystiques
la pensée des deux hommes poursuit un m~me idéal chimérique:
"Toutes ces républiques ne seraient plus de petites provinces charman-
tes et frivoles, elles seraient un empire, quelque chose qui arrache les
hommes à eux-mêmes." (2)
La méthode qui conduit à la grandeur est la m~me dans Gilles et dans L'hom-
me à cheval. Le héros, l'action grandiose, sont les gages de la régéné-
ration.
" Donnez-nous de grands hommes et de grandes actions pour que nous retrou-
vions le sens des grandes choses. " (3)
Dans le fil de cette idée on peut remarquer que Gilles est un
français qui va combattre aux côtés de Franco. Cet acte désigne donc, à
première vue , un extrême dévouement pour la cause fasciste et surtout pour
l'internatio~nalisme idéologique et révolutionnaire. N'empêche que Gilles-
Walter, sur un bateau au service de Franco, fera observer à ses compagnons
irlandais et polonais
" Si vous ne parvenez pas à faire triompher le Fascisme dans vos pays res-
pectifs, vous supporterez la conséquence atroce de votre incapacité et vous
défendrez, au besoin, ces pays contre les puissances fascistes, m~me au
risque de faire triompher les forces antifascistes. Le fascisme peut atten-
dre comme l'église, mais vous ne pouvez sacrifier aux puissances qui se
servent du Fascisme le corps de vos patries. " (4)
Cette longue citation pèse le poids du patriotisme, même pour un
internationnaliste. De ce point de vue L'homme à chevaJ est volontiers tour-
1- Drieu la Rochelle, L'homme à cheval p. 221
'2- Idem p. 228
3- Ibidem
4- Drieu la Rochelle, Cilles p. 658
-133-
né vers le r~ve de grandeur, le mythe de l'empire beaucoup plus que Gilles.
Le suicide-sacrifice du dictateur Jaime Torrijos traduit sans doute l'ex-
tr~me mesure du désarroi moral que crée l'échec du rêve fascite.
"Qu'est-ce qu'un palais bolivien pour celui qui a rêvé de l'Amérique?
Sa patrie est amère à celui qui a rêvé de l'empire. Que nous est une patrie
si elleJ~ous est pas une promesse d'empire ?" (1)
Drieu aurait lui-même pu parler ainsi à la veille du 15 mars 1945(2).
Ou du moins nous aurions dft interpréter son suicide de la sorte si les al-
légations de son journal (3) sur la peur de la prison et la honte des juge-
ments n'inclinaient à voir dans sa mort volontaire, moins de fidélité héroî-
que à un idé21.
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u Perou,~-;)-dl,~' a
an-
cien empire Inca, ne dénotent pas seulement un désir et un besoin de re-
constitutions territoriales grandioses et puissantes. Il y a là, en plus,
un romantisme maladif tourné vers le passé. Le rêve-regret qui le conduit
comporte une contemplation à partir de quelques vestigesdaclenc~illt l'ima-
gination et tournant son cours vers les images illustres et les actions réel-
les. Les sujets s'adonnent ici à une sorte d'auto-excitation. La majorité
des héros de Drieu subissent aussi un certain fétichisme du Moyen-Age et
surtout du Moyen-Age chrétien. L'irlandais O'~onnor de Gilles dit combattre
pour défendre avec la fascisme la "civilisation catholique". Gilles Walter
précise bien vite ce qui est pour lui aussi la cause de son engagement :
"Le catholicisme mâle, celui du Noyen-Age." (4)
Nous pouvons nous demander et à juste titre si l'attraction des
églises anciennes sur le héros de Drieu ne procède pas d'une admiration des
1- Drieu la Rochelle L'homme à cheval p. 236
2- Date de son suicide
3- Notamment quand il dit le 20 janvier 1945 "j'ai toujours pensé que la
prison était une punition bien plus terrible que la mort. Certes je le pense
encore aujourd'hui" Récit secret suivi de Journal et d'exorde p. 78
4- Drieu la Rochelle Gilles p. 658
-134-
oeuvres du Moyen-~ge et d'une fixation de l'âge d'or sur cette période
historique, beaucoup plus que d'une religiosité sincère. On penserait pour-
tant à première vue que ces fascistes qui discutent dans la nuit des Ba-
léares se servent du fascisme comme un moyen d'atteindre à l'absolu reli-
~
gieux, incarné dans le Moyen-~e. Qu'ils soient mus par le sentiment re-
ligieux ou éthique ces combattants de l'esprit démocratique veulent re-
trouver une étape de l'évolution historique, symbole de l'âge d'or. Ainsi
la nostalgie, qu'elle soit d'une situation vécue ou imaginée, se transfor-
me en rêve idéaliste et pousseà l'~ction. Les r8.pports entre l~ psychologie
de Gilles et les milieux où il évolue informent sur le rele du Moyen-Age
comme moyen d'équilibre moral. Tout ce qui est sauvage (au sens de non mo-
derne) ou moye~âgeux délivre le personnage de la décrépitude de la grande
ville. Dans la forêt de Lyon Dora découvrira la métamorphose du démon de
Paris (Gilles) en Un no~evigoureux et viril sur qui on peut s'appuyer.
La nature sauvage joue la même fonction que la charge guerrière chez les
personnages de Drieu. Elle rév~e l'homme authentique et le chef.
Le contact .avec les oeuvres du moyen-âge dGclenche le rêve et
procure l'exaltation morale. Dans une église normande, pour se marier avec Pau-
linè, le héros fait le parallélisme entre ses ressentiments présents et ceux
éprouvés à la guerre.
"Je ne suis peut-être qu'un esthète, mais voilà une fantaisie qui me mè-
ne dans le seul lieu émouvant que j'ai connu, hors la guerre." (1)
La valeur du passé et de la religion dans l'idéal de vie de Gil-
les Gambier se retrouve dans le vieux Carentan, version positive de Gilles
ou réalisation concrète de ses fantasmes et de ses désirs. Il n'est donc
pas étonnant que ce grand sauvage soit un historien des religions, vivant
isolé dans une Normandie à l'aspect moye!k~geux•.
La démarche politique de Drieu dans ses livres ne recoupe pas le
1- Drieu la Rochelle
Gilles p. 545
-135-
fascisme dans la seule opposition aux démocraties. Leur idéal social est,
à plusieurs points de vue, le m~me. Son caractère r~veur et surtout nostal-
gique et tourné vers le passé l'oblige à souhaiter la renaissance plus
que le nouveau. Malgré tou~ le système idéologique des textes de Drieu s'é-
carte, sur certains aspects, du fascisme allemand et italien, les applica-
tions existentes de la doctrine,à l'époque. Drieu ne semble pas partager l'es-
prit bégémoniste du fascisme. S'il est un internationaliste qui souhaite
l'unification de l'Europe, il conserve encore des sentiments anti-impéria-
listes c'est-à-dire contre le nationalisme conquérant.
Toutefois le fascisme n'a pas été dans le roman de l'entre-
deux-guerres la seule méthode préconisée pour la conquête du renouveau
et la subversion de la société bourgeoise. A partir des données de l'or-
ganisation économique et politique et à travers le r~ve de la révolution
prolétarierille,10uis Aragon va servir d2ns ses textes,un projet de destruction
de la société et de conqu~te du changement.
Influencé par son engagement politique, ses prises de position
systématiques et ses déclar2tions intempestives en faveur du réalisme so-
cialiste d2ns les années trente et quarante, les commentate\\lrS d'Aragon
ont souvent tendance à réduire ses romans à un recueil de leçons révolu-
tionnaires. Pourtant si le projet subversif est manifeste d2nS Le Monde
réel, la société qui doit succéder rU capitalisme à la suite de cette sub-
version n'est presque pas dessinée .• L' orien.t,:tion cODI:lu.Yliste des rOJ:'..:;,n3
d'Aragon se réduit alors à la dévaluation du système capitaliste et au
compte rendu des f its qui marquent la lutte des classes.
c) Louis Aragon
de l'histoire comme 'lutte des cl~sses.
Il n'est pas aisé pour un romancier de pratiquer une peinture
réaliste et de prédire l'avenir. La promesse de renouveau qui accompagne
la critique sociale prend alors presque toujours la forme d'une déduction
logique à partir de la dévaluation. Cette déduction est de surcro!t le plus
-136-
fréquemm8nt, laissée à l'initiative du lecteur m~me s'il y .3 suffisamment
d'indices dans le texte pour orienter sa conclusion. Ces difficultés nous
amènent à comprendre la prédilection pour l'histoire chez les romanciers
aux ambitions idéologiques. En effet cette discipline se prétend scienti-
fique, veut partir du passé pour expliquer le présent et éclairer sinon
prévoir l'avenir. Voilà pourquoi le titre de roman historique est selon
certains commentateurs, (1) l'une des meilleures appréciations qu'on peut
faire d'une oeuvre.
L'attraction de l'histoire est manifeste chez Aragon romancier.
Le Monde réel est à la fois fiction et chronique socio-politique du premier
avant-guerre. Mais les événements qui en constituent le fond historique sont
choisis ou travaillés dans le but de refléter la lutte des classes. Aragon
réussit pourtant à éviter la fccilité des romans d'édification. Le r~ve,
l'ambition ou plut8t le désir d'Aragon ne se trahissent pas dans l'issue
qu'il donne aux événements. Au lieu dfun prolétariat qui conquiert sous nos
yeux admirateurs le pouvoir et organise la gestion sociale, les ouvriers
des Cloches de Bâle et des Beaux quartiers sont des grévistes dont l'action
tend vers l'échec. Dans ces deux livres la force révolutionnaire est malgré
tout dérisoire. Aragon ne cond2mne certes pas l~ classe ouvrière. Il veut plu-
t8t montrer qu'elle n'a pas encore les moyens de ses ambitions. Les fai-
blesses révélées sont des appels à l'organisation et à la prise de conscien-
ce quand elles ne servent pas à accuser la cruauté des bourgeois. D'ailleurs
la propagande des romans du ~G~·nde
réel vise beaucoup plus à créer le com-
plexe de culpabilité et corollairement un élan d' humani ~~
chez le bour-
geois, qu'à décrire une épopée ouvrière. Ainsi, comme l'intrigue des Clo-
ches de Bâle, l'histoire de l'immédiat avant-guerre retrace le douloureux
réveil des travailleurs. Il n'est donc pas tout à fait juste, comme on le
1- Comme le pensent ch. Haroche "Helecture des tornmunistes d'Aragon" Cahier
du communisme nO 9 sept 1982 et Roger G,u:J.uil.f: Du surréalisme au monde réel
l'itinéraire d'Aragon Paris Gallimard 1961
-137-
suggère très souvent, que Catherine Simonidzé est une figure révolution-
naire négative et Victor un exemple positif. Cette interprétation néglige
le rapport entre les deux personnages et pose les deux sujets comme des
stéréotypes. Catherine est sans doute une conscience tâtonnante mais ce qui
est important ici c'est son itinéraire, les raisons de son échec et le sym-
bole que tout cela représente.
Victor
Dehaynin n'incarne pas non plus la conscience politique
parfaite puisque son action est surtout limitée à un corporatisme qui ne
bouleversera pas la machine sociale mais améliorera, au mieux, la situation
des ouvriers. Néanmoins il occupe dans ce symbole du processus historique
une place fort importante, étant le moyen terme entre Catherine et Clara,
image métaphorique du futur positif et inéluct?,ble selon le r~v6 connnunis-
te. La lutte des classes est également représentée dans Les Beaux quartiers
sous la forme
d'un antagonisme entre l'idéologie dominante qui veut main-
tenir et légitimer la situation sociale qu'elle reflète et les efforts du
monde ouvrier pour reconquérir la dignité du travail. A partir de ce moment,
il y a , en plus de l'action syndicale, une amorce de lutte plus spéciale-
ment politique. Comme du reste, dans Les eloches de Bâle, avec le congr&so-
cialiste. Mais dans Les Cloches de Bâle on comprend que la valorisation ne
porte pas sur le congr~ lui-même mais sur les événements qui marqueront
dans la prophétie communiste, son dépassement. L'auteur ne se laisse pas
emporter d2ns l'utopie de ce congr~squand 'bien m~me il salue sa grandeur.
Le lecteur sent dans ce livre qu'Arcgon a lu les appréciations de Lénine
sur la deuxième internationale. (1)
Les ~eaux quartiers décrit le rassemblement du Pré-Saint-Gervais
comme une force politique qui, bien qu'encore dominée, lutte non seulement
pour quelques améliorations de sa condition matérielle mais comprend aussi
la menace de la guerre et dénonce la tr3hison des politiciens au pouvoir.
1- Notamment dans La &évolution prolétarienne et le renégat Kautsky.
-138-
L'acte m~me de célébrer la cérémonie annuelle du Mur des fédérés
traduit
déjà une certaine conscience politique. Comme également l'opposition à
la loi des trois ~ns (1)que manifestent les mots d'ordre.
"re partout des cris maintenant prenaient corps : Hou, hou les trois
ans !" (2)
La description de la force politique potentielle des ouvriers prend
èans les premiers romans du Monde réel des airs exagérément épiques. Elle
trahit une présence subjective de l'auteur et une volonté de montrer que
le prolétariat constitue l'espoir de demain malgré ses défaites présentes
et la domination actuelle de la bourgeoisie. C'est là une exigence du ro-
man réaliste socialiste et aussi de tout texte d'idéologie transitive. Il
doit ~tre suffisamment lisi'ble et parfois au point d'orienter l'interpré-
tation du lecteur.
Les eommunistes marque dans l'itinéraire du prolétariat une éta-
pe correspondant à la pleine conscience politique. Dans ce roman la lutte
des classes n'est plus simplement reflétée; elle est représentée. C'est à
travers elle que l'auteur décrit la deuxième guerre mondiale. L'inspiration
de l'histoire y est si forte qu'elle transforme la fiction en chronique.
Presque tous les critiques ont relevé la sUbversion de la forme tradition-
nelle du genre avec personnages princ.i..po.ux et intrigue. Nous accepterons
avec Charles Haroche (3) que le héros est le parti co~~iste franç2is. Hais
nous ajouterons bien vite qu'il y a alors un autre protagoniste, un anti-
héros,la classe politique dirigeante. On voit ainsi que la disparition des
individualités
au profit des institutions reflète parfaitement la concep-
tion de la division sociale en classes opposées. Les eommunistes n'est pa~
1-Loi qui devait porter le service militaire obligatoire à une durée de trois
ans, ce qui était une préparation assez claire à la guerre.
2- Louis Aragon Les ~eaux quartiers p. 336
3- Charles Haroche "Relecture des conununistes d'Aragon", Cahier du communis-
me nO 9, sept. 1982
-139-
d'autre part, uniquement, une épopée de la classe ouvrière et de ses al-
liés. Le livre est en plus une satire politique de la bourgeoisie.
Dans Les Beaux qlllirtiers la description de la force politique
ouvrière, ou plutôt l'évocation de sa puissance en devenir, est intégrée
dans l'intrigue et non plus dans un épilogue (Les tloches de Bâle). Dans
Les ~ommunistes c'est cette force politique elle-m~me et les combats qu'el-
le livre qui sont le sujet du roman. Il y a donc d'un roman à l'autre un aC-
croissement de l'importance du prolétariat, importance non seulement thé-
matique mais qui se traduit aussi dans l'écriture. Ces faits témoignent
peut-~tre d'une plus grande maîtrise de l'écriture romanesque etde l'~rt' de
retracer le cours et le sens de l'histoire à l'aide du matérialisme his-
torique. Cela est confirmé
par le fait qu'Aragon n'oublie jamais dans Les
Eeaux quartiers de mesurer l'importance de la force politique bourgeoise.
Dans l'épilogue des Cloches de Bâle, c'est au contraire un poète qui décrit
sa vision ou interprète les signes que lui rév~lesa perspicacité. L'épi-
logue des Cloches de Bâle manifeste une adhésion et une confiance au so-
cialisme tandis que Les 'Beaux quartiers représente la lutte des classes
sans cesser de croire à la vietoire juste des ouvriers.
Pourtant il serait superficiel de réduire les romans d'Aragon à
une lutte entre bourgeois et ouvriers vers 1914. Ses fictions caractérisent
aussi, en décrivant comment la haute ~L:ê1nce 8 'internationalise et déter-
mine les grands faits de l'histoire, ce qu'est en fait l'impérialisme.
Toutefois cet aspect n'occulte pas mais plutôt renforce le schéma dialecti-
que de l'oeuvre: montrer la nécessité de subvertir lasccid~é bourgeoise
en dévoilant sa déchéance, ses tares, sa corruption. Ensuite apporter le
moyen de cette ambition et le poser commeinéluct~ble et seul valable. cette
rigueur du raisonnement ne suffit pas dans un roman pour obtenir l'adhésion
du lecteur. Il faut aussi que celui-ci perçoive les avantages du renouveau.
d) L'idée de progr~s.
-140-
"
d '
,
Le progres correspon
a un besoin materiel de l'homme social
mais aussi, il faut le rappeler, à Une attente qui a remplacé l'espéran-
ce religieuse et mythique. Le fascisme et aussi les oeuvres de Drieu re-
jettent l'av~nement du modernisme comme un progr~s de l'humanité. Chez Ara-
gon la critique sociale ne refuse pas le progr~s mais elle montre son détour-
nement au profit d'une classe numériquement minoritaire et celle-ci organi-
se sa corruption. Ainsi la responsabilité de la déchéance incombe è:'ill3 :~ '~c~de
réel' ELU système social bourgeois. L'idée de progr~s y est d !:>,bord liée, \\
domme chez.. Drieu, à une subVersion de la. société· traditionnelle. La sui-
te de l'action révolutionnaire préconisée par les textes d'Aragon s'oppose
au r~ve fasciste des livres de :!)rieu'•. C'est .13. raison de Id différence
constatée dans leurs rapports avec la guerre. Drieu revendique la guerre
comme un facteur qui contribue à la formation de la grandeur humaine. Il ne
dénonce que sa forme moderne qui ne permet plus de déployer l'héroïsme. Dans
l'oeuvre d'Aragon la guerre, sauf quand elle est révolutionnaire dans le
sens marxiste, est une conséquence de la qu~te effrénée du profit. C'est
l'oeuvre des c8pitalistes. Ainsi, l'idée d'un progr~.qui ne serait pas au
seul bénéfice de la classe dominante ne saurait s'accommoder de la guerre.
La déclaration de Clara Zetkin au congrès de B~le est explicite de ce
point de vue :
"C'est précisément parce que la victoire future du socialisme se prépare
dans le combat contre la guerre, s'écr~-~elle, que nous autres femmes, nous
renforcerons ce combat." (1)
L'idée de progrès n'est pas uniquemenu véhiculad, dans les ro~~s
d'Aragon, par les textes qui r3content la lutte politique. Certains ne décri-
'fent pas un affrontement direct entre bouT.:;eois et OUV:::i2.cS. C' c~st la C.::S des
Voyage-.r8 de L'impJrLl1e et d.' :\\.urt3Uen. Ils n 1 ~n rend2n t p~'iS Clains Ul13 concep-
,. i
tion qui, à l'aide du retournement, dévoile ce que doit ~tre le sens du progre~r
1- Louis Aragon, Les eloches de B~le p. 437
-141-
Pierre Mercadier recherchait la liberté individuelle et égoïste en refu-
sant tout engagement politique. Il avait pourtant compris le sens véritable
des événements de son temps et de leur issue. Son itinéraire est d~s le
système ~ragonien exemplaire négatif. Le retournement qu'il fJut effectuer
pour retrouver la conduite exemplaire positive est suggér~d~s le texte
m~me à travers
le comportement de Pascal Mercadier. Pascal prend parti de-
vant les événements et montre par son acte dans quel sens se fait la recher-
che de la liberté, donc du progr~s (par rapport à l'état de la société).
"Non, on se bat pour en finir. C'est la dernière guerre. Il ne faut pas
que nos enfants revoient ça. C'est pour eux. Pour eux qu'on se bat." (1)
En m~me temps il exprime la condamnation de tous les Pierre Mercadier :
"Ce sont eux qui nous ont menés là nos pères
avec leur aveuglement,
leur superbe dédain de la politique, leur façon de se tirer des pieds tou-
jours, en laissant les autres dans le pétrin.
ch, ils en ont fait du joli!"(2)
Dans Aurélien Aragon devient plus acerbe pour son personnage.
Il fustige, comme dans les Voyageurs de l'impériale, la conduite de son hé-
ros; Aurélien est un dandy q~i recherche le bonheur et l'cillour en dehors de
et malgré 1:" sitU2-tion sociale. Alors que Nercadier éè eu ,",U dé but "le Bon
aventure l'illusion
d' 3-voir )ttei~t sonaut, _~ur§lien subir"
lui, 11 ~G!:ec
de bout en bout. L:1 leçon qui nous invite au retournement de l'exemple d' Au-
rélien est fournie par Aragon lui-m~me "il n'ya pas d'amour heureux" (3)
dans une société malheureuse.
Les interprétations que nous venons de faire sur Les Voyageurs
de l'impériale et sur Aurélien sont conçues par l'auteur en fonction du con-
texte politique de l'époque de l'écriture. Si Aragon a pu éclli.pper à la créa-
tion d'une littérature de contexte et de propagande malh2,bile, c'est ~v~nt
tout parce qu'il
a su articuler au roman politique
un roman d'amour et
1- Louis Aragon Les Voyageurs de l'impériale p. 646
2- Idem
3- Poème écrit en 1943. Aragon dit dcms les Entretiens ~vec F. Crémieux
Gallim~trd 1964, que le contextE; explique ce pessimisme.
-142-
parce qu'il a, comme dans ses poèmes de Résistance, confondu les deux
thèmes dans une narration reprenant le code scriptural du roman traditionnel.
Le renouveau chez Aragon est pensé à travers la puissance et la
conscience
politiques de plus en plus grandes du prolétariat et son inten-
tion de subvertir la société. Au contraire des personnages de Drieu qui,
malgré le caractère mal défini de leur projet social, disent
quand m~me
à quoi ils r~vent, les protagonistes des livres d'Aragon ne mettent presque
aucun contenu précis à la forme de société qu'ils attendent et déclarent
l'av~nement inéluctable. La cause semble en ~tre un souci d'éviter le di-
dactisme. Il n'ya alors qu'une définition assez vague: dans le communis-
me, dans la société socialiste, les classes vont s'éteindre. La liberté lais-
sée au lecteur est apparemment assez grande. Ce n'est là qu'un artifice que
permet le génie romanesque. En vérité, le projet de société des romans d'A-
ragon se définit aux dépens du système capitaliste • Le processus procède
de ce fait par négation. Définir le socialisme par ce qu'il ne sera pas et
qu'est le capitalisme présente l'avantage double de donner au lecteur l'il-
lusion de choisir sa conduite interprétative tout en poursuivant la déva-
luation du système bourgeois. Drieu n'est pourtant pas plus optimiste qu'A-
ragon. Son discours est peut-~tre seulement plus redondant quant à son ob-
session de la décadence, mais aucun d'eux n'a, sans ~tre totalement pessi-
miste, décrit la société idéale dans ses romans. Alor~ si Aragon appelle un
de ses livres "le roman inachevé", il n'emp~che que c'est toute. son e"euvre
et aussi celle de Drieu qu'on pourrait résumer sous cet intitulé.
e) L'épopée révolutionnaire.
Quel peut ~tre le contenu d'un projet révolutionnaire qui définit
mal la société qu'il propose? Le roman n'est pas un support n~turel de l'i-
déologie m~me s'il permet de la c~'moufler. Il la rend le plus souvent c:.vec
des omissions. Chez Drieu, sauf dans Gilles, dUCun personnage ne réalise,
comme souvent chez Aragon du reste, ses ambitions. L'épopée révolutionnaire
-143-
est donc dans leurs oeuvres une projection dans le futur ou dans un autre
lieuJ elle peut être une évocation du passé. Cela explique en partie la
fréquence des épilogues. Dans Gilles l'épilogue correspond à un changement
du lieu et à une mutation psychologique. C'est l'instance où Drieu confron-
te le personnage avec son idéal. Comme dans les épopées classiques s'y ré-
v~le la grandeur des sentiments et des actions. L'analyse du personnage
nous am~nera à retrouver sa plénitude morale et psychologique mais il se-
rait intéressant de voir comment l'auteur décrit cet état et comment il en
f2it la relation avec le reste de l'oeuvre. Tous les modes de discours sont
ici informati fn : performances des perS~:':lr.;'~ges, commentaires du narrateur,
interventions de l'aute~r.
Dans Gille~ l'épopée se si~lale par l'apparition d'une :':louvelle
sémie opposée à celle de 1"L décadence et ce, que].que soit la source du
discO'.lrs. Le paradigme qui caractérise la décaience et le décadent est d' or-
dre sexù.el ct moralement inj-~rieux ou marque la faiblesse physique et
c~r3ctérielle. Voici des exemples tirés de Gilles.
"L'homme moderne est un affeux décadent" (P. 124)
"A la Sorbonne ( ••• ) il fascinait ( ••• ) par sa fringale d ':mtorité, frin-
gale aussit~t, satisfaite car les hommes se do~ent à qui veut les Eren-
dre" (P. 124)
"La p'Jlitique, :comme on la comprend depuis un ,si.ècle, c'est li.'1.e ignoble
prostitution des hautes disciplines." (p.15S)
"Comp1~te impuissance, en effet de cet homme d'action ( ••• )" (p.166)
"Il y a une puiss311ce de syphilis dans la France." (p.493)
"Au lieu d'une SèÜ:':le et féconde rencontre sexuelle, on voyait deux onanis -
~ s'approcher ( ••• )" (P. 556)
"Nous. sommes pires que des t,ntes" (P. 6U5)
Dans l'épilogue nous avons une caractérisation contraire sauf
quand le discours porte sur les Rouges, c'est-à-dire sur l'ennemi.Le premier
-144-
exemple souligne ici une 3Jl1bition l "Faire autre chose que fuir. Se ~
tre" ( p. 649 ); mais beaucoup d'autres décrivent une réalité.
"Les hommes étaient groupés autour de deux mitrailleUBes, des hommes
rudes. paysans ou p~cheurs, ( ... )" (p. 658)
"Il Y avait en lui une force certaine" (N211uel chef f88ciste p. 659)
"La voix du gradé était rocailleuse, ~" (p. 684)
Les performances des fascistes de l'épilogue ne trahissent aucu-
ne faiblesse ou l~cheté devant le danger mais c'est surtout les commentai-
res du narrateur qui comportent l'aspect épique. Ils décrivent le coura-
ge des soldats, leur résolution et leur sacrifice désintéressé. D'un lieu-
tenant fasciste le narrateur nous dit :
"Il arriva aussi dans le dos du jeune lieutenant, et il lui vit soudain
un visage transfiguré : c' était un visage d' homme; durement figé" (1)
Le caractère épique de la situation est également mesuré à travers l'évo-
lution de Gilles-Walter jusque là emp~tré dans la débauche et la déchéan-
ce par{siennes~ La narration fait appel à un passé glorieux pour le mettre
en valeur; nous retrouvons là l'attraction de la guerre.
"Au lieu de courir à l'autre bout de l'amphithétttre pour chercher une is-
sue, il resta immobile. Il se retrouvait seul, il se retrouvait. Depuis
vingt ans, qutavait il été? Peu de choses. Avant i l y avait eu des moments
comme celui-ci et il en avait gardé le souvenir comme de moments où il
avait existé" (2)
Ainsi la narration change de
ton en passant du récit proprement
dit à l'épilogue. Cela n'introduit pourtant pas une discordance dans le
texte. Au contraire c'est une forme de lisibilité et d'harmonie, du point
de vue du lecteur. Ce changement retrace le passage de la déchéance à la
renaissance, de la vie en démocratie à la mise sur pied d'une société fas-
ciste.
1- Drieu la Rochelle,Gilles p. 683
2- Drieu la Rochelle,Gilles p. 685
-145-
Chez Aragon, m~me les épilogues ne réalisent pas l'idéal révolu-
tionnaire. Ici le caractère épique des faits et des événements passe surtout
par un r~ve révolutionnaire. L'épilogue des Cloches de Bâle manifeste
une intervention nette de l'auteur~ D'ailleurs le récit glisse de la non-per-
sonne à la première personne. Aragon utilise non pas, comme Drieu, 1 'his-
toire pour servir son projet de description épique mais plutet des projec-
tions et des débordements sur le temps de la narration. Au plan scriptural
l'auteur associe à l'accumulation paradigmatique de figures historiques
futures un élargissement géographique. Parlant de Jaurès i l nous dit :
"Il pressent l'Octobre qu'il ne verra point, il pressent la mer noire et
le Waldeck-Rousseau, il pressent les mutins de Kiel, et ceux de Calor; il
pressent C Hollande, tes Sept-Provinces ! Les années héroïques des soviets
de Chine, les soldats de la Catalogne et des Asturies, les Schutzbttdlers
de Vienne, et le Chevalier de l'Espérance, le Brésilien LUis Carlos Pres-
tes, et le métallo Vorochilov, et tous ceux qui n'ont pas encore de nom,
il pressent notre sanglant avenir, qui mettrc.~ fin éJ,UX h8morr~Eies du !2on-
de." (1)
Pour éviter la rupture de l'unité temporelle du récit, l'auteur
a détruit son unicité et s'insurge ici pour construire l'épique mais aussi
dire le futur. Ce futur est un faux puisqu'il est un passé dès qu'on sort
de la diégèse. Il faut sortir pourtant de celle-ci pour comprendre ces évo-
cations et donner un sens et un ton épique au discours. Aragon surmonte ces
paradoxes en se dotant d'un statut d'historien. Toujours est-il qu'il est
alors un mauvais historien parce que subjectif.
Dans Les ~eaux quartiers la narration épique est corollaire à
l'évocation des ouvriers et n'est plus réservée à l'épilogue. La fin de
ce roman, bien qu'épique, fait partie de la fiction, au contraire des Clo-
ches de Bâle où il y a un épilogue. Mais ce qui est en valeur à la fin des
1- Louis Aragon Les genux quartiers p. 341
-146-
Beaux quartiers, c'est la leçon exemplaire que véhicule Armand et qui est l'es-
sentiel de l'enseignement du livre. D2nS Les eommunistes c'est cette leçon
qui s'affiche du début à la fin. Ici l'épopée révolutionnaire n'est plus évo-
quée par le biais du passé ou de projections dans le futur. C'est la vie quo-
tidienne des milit2nts communistes. Nous sommes en face d'innocents patriotes
persécutés mais qui, se préservant du désespoir, continuent, avec de faibles
moyens une double lutte contre l'ennemi de l'intérieur et celui de l'extérieur.
Dans ce livre Aragon ne se contente plus de f~~re, comme dans les précédents,
des incursions dans le récit pour évoquer des héros du passé ou de l'2venir
(par rapport 8U temps du récit.) Ici les actions des militants sont constam-
ment héroïques, conformément à la recommand2tion de Thorez à Armand Barben-
tane lui demand2nt la consigne pour le front.
"
"Rien se spécial. Etre le meilleur partout... faire ce que te dictera t3. cons-~1
cience de communiste, et.de fra.nç."is." (1)
Ce qui permet surtout la peinture épique dans Les !ommunistes c'est
le car2,ctère colossal de l'entreprise. Tous les milieux et toutes les classes
sociales y sont représentés et chacun, prenant position sur les événements,
contribue par addition ou par contraste à valoriser la conduite des communis-
tes. Les Oommunistes ne décrit pas un r~ve révolutionnaire, il représente une
epopee révolutionnaire.
;~and ils essayent dans leurs romans, sauf dans Les eommunistes et
,.
dans Gilles de peindre ~~e épopée révolutionnaire, Drieu et Aragon ne nous
livrent en f8it qu'un r~ve subversif. Ils s'y attellent d'abord différemment.
Drieu est plus mor21iste que son ~ncien ami. Il veut restaurer une somme de va-
leurs détruites par la modernité et qui sont seules à procurer la plénitude mo-
rale. Aragon est moralisateur à l'égard de la bourgeoisie et il exalte la
lutte politique des ouvriers. Il fait l'éloge, lui aussi, des valeurs de
solidarité, de refus de la domination, de gr;mdcur morale, de sacrifice
1- Louis Aragon Les ~ommunistes (sept-nov 1939) Paris La Bibliothéque
française 1949 p.58
-147-
révolutionnaire. Son but est la transformation politique et sociale, la
moralité et la mentalité prolétccriennes étant déjà 3-cquises à ces vé',leurs.
Finalement Drieu cherche à tr2nsfonnp.:r' l' ic1'::olo[ie dominante en une autre,
sortie de son r~ve tandis qu'Aragon veut imposer l'idéologie du proléta-
riat,telle qu'elle lui est dictée par les conditions matérielles et les
rapports sociaux. Tous comprennent cependant que le préalable à leur ob-
jectif c'est la destruction de la société bourgeoise moderne. Ihn'appel-
lent sans doute pas le m~me renouveau mais leurs démarches sont aimilaires.
C) RHEn'ORIQ.UE DE LA RENAISSANCE:
Il s'agit en fait de l'écriture du mythe du renouveau dans le but
de motiver la subversion chez le lecteur. Q.uand on se place au plan des
objectifs, les discours subversifs de Drieu et d'Aragon empruntent le m~me
schéma. Les deux premières étapes semblent ~tre contradictoires mais elles
sont en fait complémentaires. La première consiste à faire paraître le
réel social de manière à susciter le dégo~t. La seconde fait appel à un
travail contraire mais donne un résultat complémentaire quant au projet
global de subversion. L'objectif est ici de séduire le lecteur et de l'a-
mener à désirer l'après destruction de la société. Cette démarche a l'aspect
d'une dialectique hégelienne à l'envers, où le procès discursif commence
.
......
par l'antithèse. En fait ici, L, thèse n'est qu'une ,esqUl::3Se, li..l1e :n,-:nle:r'e
d'affirmer son existence pour ne pas laisser supposer son absence. La tech-
nique consiste alors à créer un "roman inachevé".
a) Para!tre et faire dégo~t.
Au moment où il est de mode de revendiquer, dans le roman, par
l'emploi de la première personne, la paternité du discours, qu'elle soit
attribuée à un narrateur où à l'auteur, Drieu et Aragon écrivent presque
tous leurs rom;ms à la non-personne. l'our Drieu cel:J. n' , petS emp~ché
ses
lecteurs, et parmi les plus avertis, de voir surtout, dans ses livres, l'i-
mage narcissique de l'auteur. Quant à Ar~gon, beaucoup de critiques réduisent
-148-
encore ses romans à une apologie maladroite du communisme. Il n'est pas
possible de dire avec certitude pourquoi tel auteur choisit un mode de
discours à la place d'un autre. Mais il y a des valeurs si intimement
attachées à certains modes de discours que le choix de ces derniers entra!-
ne l'adoption de ces valeurs. La narration à la non-personne suppose l'in-
tention de laisser parler les faits et événements en essayant de camou-
fler toutes les médiations. Ainsi la sa~ire sociale qui repose sur la pein-
ture de la déchéance construit son système de crédibilisation sur l'omni-
science et l'objectivité. Aucun de ces traits n'est absolu mais pour des
raisons
indépendantes de l'auteur le premier est plus aisé à respecter.
En effet celui-ci peut ~tre limité à l'information que nécessite la cohé-
rence du message et sa crédibilité. c'est en réalité une intervention
qui ne craint pas d'~tre démasqué tandis que l'objectivité est une inter-
vention qui veut se donner à lire comme une non-intervention.
Le dégodt que nous inspire la bourgeoisie de Bouville nous est
dicté par la description d' .t\\ntoine Roquentin. Dans les beaux quartiers,
Les cloches de B~le, Gilles, Les chiens de paille, la description ne pro-
cède pas, mise à part celle, peu importante des dialogues, d'un narrateur
intr~diégétique. Cet aspect est un trait'distinctif du rom~~ traditionnel~
Mais refuser dt 2.Ssumer le discours dévaluant ne suppose pas sa dispari-
tion. Parmi les techniques qui permettent d'inspirer le dégo~t et de si-
muler pour la crédibilité un effacement de la source de l'énoncé, nous
pouvons citer l'ironie. Elle est beaucoup plus apparente chez Aragon.
Dans Le3 beaux quartiers c'est le moyen s;,tirique l~ :;lus ''..sit:5 d:.ns LL
première partie.
Le travail ironique commence, comme l'a montré et à juste titre
Doris Kadish (1) dès que l'auteur a opté pour la rupture entre le titre et
1- Doris Kadish, "L'ironie et le roman engagé: les beaux quartiers de
Louis Aragon." , French PcevieL nO 3 , T 45, 1972
-149-
le contenu réel du roman. En effet la beauté matérielle des quartiers
bourgeois y est rarement évoquée et quand l'auteur le faite 1 est cl' une m,mière
telle qu'elle est occultée par l'horreur des sentiments et des pratiques
des protagonistes. L'ironieconsiste dans ce livre à ne pas dire la dé-
chéance mais à la représenter. Au lieu de faire le portrait moral complet
de Barrel, Aragon laisse celui-ci ne us en révéler certains aspects. Ainsi
l'égo!sme de ce personnage sensible nous est rendu par ses justifications
dérisoires et l~ comparaison inappropriée entre son consentement à acheter
les habits du patr().;nage et le sacrifice que doivent faire ses ouvriers
quand il décide de diminuer leur salaire pour ne pas baisser le profit.
Alors pour soutenir la concurrence~
'~n seul moyen: baisser les salaires des ouvriers. Remarquer que c'était
leur intér~t, naturellement pas immédiat, mais est-ce que c'était l'in-
tér~t immédiat d'Emile Barrel quand il débàursait le prix des jolis
v~tements de la clique? " (1)
L'ironie qui consiste à noircir M. Barrel sous l'apparence de la
.neutralité ou P.J.~me 1e: 1-:. complicité nous sUë;gère aussi ses v8ri t?bles· des-
seins, à travers sa pseudo-consci2rlce impartiale d'cDS le choix des ouvriers à.
débaucher. Il prétend faire justice quand il ne fait ~e donner la chas-
se à ceux qui ne lui sont pas soumis. Les critères évoqués sont ;:"::38'2..HI.>~uents.f
"Dix fois, M. Barrel s'était fait rapporter, avec les listes, les dos-
siers de ses ouvriers où étaient marqués toutes leurs défaillances, ab-
sences, retards, maladies, leur condition de famille, les heures supplé-
mentaires, le rendement de chacun, ses idées politiques, et tout ce qui
s'en s uit ." ( 2 )
La p3eudo~bjectivité qui est le pilier da Iti~onie ne c~che
pas l'intention de Barrel. Malgré le soin apporté à la justification de
1- Louis Aragon,Les ~eaux quartiers p. 25
2- Idem p. 22
-150-
celle-ci, son caractère de classe appara1t et, avec lui, le désir de con-
server l'injustice du statu ~uo. Pour Barre~ après vérification du curé,
la liste des débauchés était bien faite :
"Les fortes t~tes, les socialistes avaient été d'abord inscrits par
Emile, et ça en faisait quelqu~uns. Tout de m~me, si on doit absolu-
ment se séparer de serviteurs, il va de soi qu'on garde ceux qui sont
contents de leur place, et non pas ceux qui sont toujours à récriminer.
Ceux-là peut-~tre qu'ailleurs ils seront plus heureux, et que la grâce
les touchera." (1)
Dans Les cloches de B~le l'objectivité au service de la dévaluation ne
prend pas toujours l'aspect d'une énonciation neutre. Ainsi dans l'entre-
tien entre le général Dorsch et Georges BruneI l'ironie ne joue pas, c'est
plutet un personnage, porte-voix de l'auteur qui véhicule la satire. Ce
personnage peut ne pas s'identifier en tout avec l'auteur surtout quand
son discours, comme chez B~rrpl, est celui d'une classe, et caractérise
celle-ci par ce qu'il comporte de non-dit. Le contraire peut arriver et ainsi
dans le passage suivant, Aragon se cache-t-il derrière BruneI pour affi-
cher le dégo~t (à travers le personnage qui l'accepte sciemment) et expri-
mer ce qui est la caUse du dégo~t (le contenu du discours). La réponse à
l' accusation d' ant imilitarisme3::pri..'1le èl.lora bi2n é'u+'re Ch03 ~.
"Je ne vois aucun inconvénient à ce qu'on entretienne pendant
des
années des bandes armées à ne faire que semblant de travailler, à porter
armes et demi-tour à droite, et aùtres divertissements qui joignent l'u-
tile à l'agréable, pourvu que ces bandes avec leurs chefs et sous-chefs
de bande soient pr~tes à me défendre, moi, mes opérations compliqué~et
mes taux usuraires, comme elles défendent, le cas échéant, M. Peugeot,
les frères Izola, le patron du Chabanais et les Etablissements Dufayel. Les
meneurs ouvriers, les >'::;i bdeurs, grévistes ct "LUtres bI'andes gueules
1- Idem p. 23
-151-
ont inventé de nous traiter tous en bloc, vous comme moi, mon général,
M. Lebaudy comme le premier épicier venu, de parasites, et ils ont rai-
son." (1)
Ici la dévaluation de tous les bourgeois qui s'indignent en découvrant
que BruneI est un usurier est
rendue possible par l'homologie da leurs
différentes activités. Celles-ci équiYalent à l'usure. BruneI montre la
solidarité de la classe sociale. Le discours. à cause du subterfuge du
porte-voix, devient direct sans enfreindre l'objectivité.
Il arrive que le désir de faire dégo~t circule avec un person-
nage et ne se per90ive plus à travers une situation ou un fait ponctuel
mais à la lumière d'un comportement ou d'une personnalité globaux, c'est-
à-dire dans l'ensemble du microcosme élaboré. Àurélien Leuriillois est
un personnage sympathique ou plutet attrayant quand on le considère à
travers un comportement isolé. Ainsi se découvre-t-il subitement tendre
et sensible, capable de communiDn,ie camar:.derie, 10:=3 a1':''1e rencor.tr9
avec d'anciens compagnons de combat. Replacé dans le cours de l'itinérai-
re du personnage, ce moment perd son channe puisque le lecteur découvre
que c'était là l'un des signes de la sensibilité fasciste d'Aurélien. En
effet le 6 février 1934 cet esprit de camaraderie dévoile son véritable
sens dans les défilés de l'extr~me-droite.
Le souci d'inspirer le dégo~t par le biais de l'itinéraire
exemplaire négatif d'un personnage est également perceptible s~r~v9rs
Les voyageurs de l'impériale. Pierre Mercadier semble ~tre franchement
méprisé par Aragon. A part son channe physique, l'auteur ne lui attribue
aucun trait positif. Il n'ya rien dans l'intériorité du personnage qui ne
soit horrible. Le stéréotype se retrouve dans les communistes sous les
traits de Fred Wisner, neveu du grélIld industriel fabri--cant d'autos. En
1- Louis Aragon, Les cloches de Bâle, p. 122
-152-
créant un pareil personnage l'auteur joue à Dieu le père mais conçoit sa
créature, formée de négativité. Mercadier et Fred sont les types du petit
bourgeois, le premier au service de l'Etat comme Grésandage dans :Les
beaux quartiers et le second ~ celui de la haute finance. Mais Grésandage
est, comme Joseph Quesnel, du fait de leur prise de conscience de la du-
plicité de l'homme moderne (un côté social, mécaniste et horrible, un
autre tourné vers le naturel et l'humain), beaucoup plus sensible, beau-
coup plus symp~thique. C'est pourtant cette duplicité, cette hésitation
où l'homme social tend à l'emporter sur l'homme tout court qui atténuent
la séduction de Grésandage. Il trouve abominable que des gens, qui pour
lui, ne sont pas des cana.illes, mais d' honn~tes citoyens,. clla:cchent ?:1
déclencher la guerre. Il ne se résout. cepends.nt p~s 8. les conè."nmer.
"Pourtant i l est difficile de trancher, de savoir. Pas de mauvaises
gens, tu sais. Des gens très humains, très bons. Des gens que j'estime •••
Parfois on se demande que penser. C'est l'homme double, probable. L'hom-
me social envisage froidement les catastrophes nécessaires. L'homme tout
court ne s'y résout pas •••• " (1)
L'amour de Q;uesnel pour Carlotta n'efface pas l'horreur qu'il
inspire aux lecteurs depuis son discours de la rue Saint Ferdinand, de-
vant le consortium des I:J.trons •. Cilez ~uesr.:ü, ,",-r.J.gon sugg9r9 1..'-:.'1. D2.t3ria.-
lisme historique inconséquent qui, après avoir montré le rôlè révolution-
naire de la bourgeoisie sur la féodalité, veut freiner le cours de l'his-
~~e..!.ne.\\
toire et arr~ter la révolution sociale; V déclare aUX industriels qu'ils
doivent :
n( ••• ) en face de nouvelles féodalités, syndicales et étatiques, savoir
élever une forteresse du haut de laquelle nous ferons table ras~ de tou-
te cette législation réactiorcrulire, basée sur le droit à la faiblesse, à
la paresse et à la misère, sur ces utopies à la Jean-Jacques qui ne sont
1- Louis Aragon : Les beaux quartiers p. 2'84
-153-
que l'aspect philosophico-légal du sabotage, les équivalents juridiques
de la Mamzelle Cisaille de cet illuminé d'Ervé." (1)
C"est p::.r l'omniscience et par Ll caroctérisation négative des su-
jets et des faits que Drieu rejoint Aragon. A la différence cependant d'A-
ragon il y a rarement chez lui une figure positive, qui n'inspire pas le
dégol1t. Pour Drieu il y a une loi unique qui s'applique au monde moderne,
c'est la déchéance. Ses personnages ont pourtant un certain charme du
fai t qu'ils sont souvent aussi bien marqués par ce à quoi ils aspirent que
par ce qu'ils font. Leurs aspirations sont en porte-à-faux avec l~ dé-
chéance dans laquelle ils baignent. Comment l'écriture de Drieu cherche-
t-elle à véhiculer le dégol1t ? Le principe de base semble en_être ici l'i-
dentification de la conscience d'un personnage lucide et sincère avec la
seule véritable éthique qui forme: le tissu des valeurs convoitées, qu'el-
les soient réelles ou iill~ginaires. Tout le p~ri repose dcms ce c~s sur
une reconnaissance, par le lecteur, du personnage mis en scène et l'iden-
tification de l'un à l'autre. C'est pourquoi les héros de Drieu sont sou-
vent des "types" qui symbolisent et nous renvoient notre propre image, .Ji
nous acceptons le principe d'une déchéance générale; ils reflètent celle
de Drieu quand on considère la déchéance comme une simple obsession de
l'auteur. Va.rt de Drieu consiste alors à représenter le dérisoire et à
le poser comme le fondement de la civilisation. Dans ce sens, R~veuse
bourgeoisie distille le dégol1t à partir du seul thème de la faiblesse.
Celle-ci prend plusieurs aspects dont chacun est, soit un préjugé léger,
soit une défaillance éducative ou charnelle.
La faiblesse des époux Ligneul repose sur des préjugés. D'abord
ils ont consenti au mariage pour le nom de Camille Le Pesnel. On retrouve
par là l'attitude traditionnelle de la bourgeoisie accumulatrice devant
la noblesse ou ce qui en donne l'illusion. n' ;:'utres faiblesses viennent se
1- Idem p. 196
-154-
greffer sur celle-là et mènent au mariage. Il y a celle d'Agnès devant
la beauté de Camille. Plus tard elle sera tenue par la chair et non pas
par la peur du divorce, comme ses parents. Elle est en cela identique à
son bourreau, PUisque Camille est lui-m~me enclin à son plaisir chamel
et ponctuel sans autre souci pour le lendemain. Yves Le Pesnel joue, quant
à lui, un double rele : il dénonce la faiblesse de son milieu et consti-
tue ainsi une sorte de source de redond~mce de celle-ci. Mais quand bien
m~me son désir est de lui échapper, il est victime de son éducation. Ge-
neviève réalise en partie ses désirs. D'ailleurs leurs itinéraires forment
un schéma unique avec deux aspects complémentaires au contraire d'Edmond
et d'Armand Earbentane. Aussi Yves et Geneviève c'sst en réalité le m~
me personnage incarné dans deux situations différentes. Le parcours nar-
ratif que suit ce personnage complexe préfigure celui de Gilles Gambier.
Avec cette peinture de la bourgeoisie Drieu insiste sur un r~ve différent
de celui, révolutionnaire-, de Gilles, ou en qu~te d 'absol~ de Michel Eou-
tros.
Par l'aspect dérisoire de ses aspirations, sa faiblesse aux
conséquences désastreuses, cette famille bourgeoise, rappelant par bien
des aspects celle de l'enfant Drieu la Rochelle, nous pousse à réprouver
ce qu'elle représente et symbolise. Ici l'intention perlocutaire de l'au-
teur est contenue dans son omniscience et sa subjectivité qui lui permettent
de manipuler et de modeler ses personnages. L'écriture du dégodt est donc
d'abord, une attitude du créateur ';nve=s S9S crj'~tu.res•.
Il Y a d'autres personnages de Drieu dont le comportement est,
au contraire des bourgeois de R~veuse bourgeoisie. une conduite exemplaire.
Leur comportement épouse de ce fait, la forme d'une dialectique de l'at-
traction puis de la réPUlsion. Cela se traduit par la création d'un ro-
man social où les ambitions sont celles des personnages balzaciens et d'un
roman :'ntisocial où, subitement, le sujet se détourne des miasmes mor~ides
-155-
de la vie sociale et se donne en exemple. Ce dernier suscite plutOt le dé-
sir et sera analysé un peu plus loin. Quant à la partie qui décrit l'at-
traction, elle inspire la réprobation du lecteur lucide. Dans le cas
où celui-ci serait un parfait "salaud" au sens sartrien, la seconde par-
tie, tout en tentant de l'amener à suivre l'exemple, lui apprend la faus-
seté des sentiments et des ressentiments qui le poussaient à subir l'at-
traction de la sociabilité. Dans ces romans aux doubles postub,tions nous
pouvons isoler une structure narrative qui, sans viser les m~mes inten-
tions dans tous les cas, rappelle le roman chrétien tel qu'il est tracé
par }huriac et dont la leçon est d2IlS le !!:ooment privilégié où le héros
mauriacien est visité par la grâce. (1) Drieu aménage, dans ses fictions
comme DrOle de voyage, un instant où la lucidité, la sincérité et la con-
duite correcte visitent le héros et transforment sa négativité en positi-
vité. Nous avons déjà montré que ce moment privilégié est préparé par tout
le cours précédent du roman. Ainsi le roman social comporte, en latence,
le rom2n ~ntisocial.
Il arrive que le personnage de Drieu, bien que lucide'dès le dé-
part et désirant atteindre l'absolu, continue malgré tout à subir l'em-
prise de la déchéance générale. C'est le cas de Gilles Gambier. Dans les
exemples de ce genre l'auteur dissocie l'expérience sociale concrète de
l'ambition des sujets et il explique la non-réalisation de ces ambitions
par l'ampleur de la déchéance, et par son joug. Du déchirement issu de la
contradiction entre position et postulation nait le tr:Lgique. Celui-ci s'ex-
prime à la fin du livre par une rupture ou par la mort puiqu' il faut ré-
tablir l'équilibre par une soustraction de la déchéance. Julien Hervier
résume ces
constatations:
"Ses romans s'achèvent tous sur des ruptures - généralement suivies de
départs - ou sur des suicides, allusifs ou consommes, avec éventuellement
1- Exemple
le vieil :t'lOC,lt LouL3 ,lu Noetvl de vi T)ères
!
-156-
combinaison des deux procédés (cas de Beloukia) ou juxtaposition des deux
(cas de Gilles)." (1)
Suicide et rupture sont deux comportements exemplaires m~me si
le second est plus optimiste. Mais ce suicide-là n'est pas seulement
une sortie de la vie, c'est surtout une fidélité à une idée, celle qui
met la déchéance au sommet de toutes les ignominies, une sorte de péché
suprême. c'est en définitive prendre un absolu pour l'essence et le sens
de la vie. Découvrir l'impossibilité d'atteindre cet absolu retire tout
son sens à la vie. C'est le seul sens qu'ont retenu ceux qui soulignent
la grandeur de Drieu fondée sur sa mort volontaire.
Comment Drieu et Aragon usent-ils de cet absolu pour mene;, auss~leur pro-
pagande doctrinaire ?
b) Para!tre et se faire désirer.
La séduction, l'intention de faire désirer sont intimement at-
tachées à la subversion transitive. Chez Drieu et Aragon il n'ya pas dans
ce processus une invitation explicite à adopter un comportement précis. Les
romans affichent le plus souvent, à l'issue d'une situation ou d'un com-
portement dévalorisé, une attitude exemplaire du personnage. La leçon
peut venir en parallèle à une autre qui est, elle, négative et condamnée.
C'est le cas dans Les Beaux quartiers. Deux décisions exemplaires sont pri-
ses dans les derniers chapitres. Edmond choisit d'entrer dans le beau mon-
de par la conqu~te des femmes et Armand se range du cOté des travailleurs
et surtout des travailleurs qui luttent contre le capital. Mais le com-
portement négati~ bien que possibl~ est souvent simplement suggéré, ]Jil
n'est pas celui qu'abandonne le personnage pour suivre la bonne voie. Dans
DrOle de voyage Gille d,ie ide
LU
dernier moment de refuser le conformis-
me et la vie décadente (moralement) qu'aurait entra!née le mariage avec
1- Hervier Julien "Drieu la Rochelle ou le roman inachevé" Le Magazine lit-
téraire nO 143 (spécial) décembre 1978 p. 26
-157-
Beatrix Owen. Ce revirement exemplaire s'inscrit dans le cadre d'une le-
çon fasciste. C'est la victoire de la volonté sur la passivité et la fa-
cilité. Bar de telles conclusions Drieu rejoint les réalistes soci~listes
qui, dans un but illocutoire, terminent leurs oeuvres par des leçons. La
fin qui propose plusieurs attitudes possibles parmi lesquelles il y a une
élue semble ~tre plus ouverte que celle qui marque un revirement et l'a-
bandon d'un comportement dévalué pour un.utre mis en exempLè.rité. ;,;om-
ment alors orienter l'interprétation et déterminer le comportement des
di/-
lecteurs? Autrement/quels sont les éléments qui permettent, au delà
d'une présentation prétendument objective de plusieurs attitudes et compor-
tement&possibles, de reconna1tre les préférences de l'auteur? La forme des
textes et surtout le mode de discours sont assez informatifs dans ces cas.
Il Y ad' abord, chez Aragon~un indice assez net qui marque la
description des faits et phénomènes mis en valeur. C'est le passage brus-
que de l'affichage à l'appropriation, de la narration objective et neutre
à la narration subjective et inclusive. L'auteur s'assimile ou s'identifie
alors aux protagonistes qui incarnent l'attitude préférée et mise en eXeffi-
plarité. Dans Les 1:leaux quartiers, le narrateur abandonne parfois la neu-
tralité de la non-personne pour la première personne inclusive. ~insi en
écho au discours de Jaurès au rassemblement du .?ri-3:dnt-Gervè'.is, nous
lisons s
"Oui, Jaurès, comme toi, nous ne sommes pas contre toutes les armées,
fils et frères de Kléber, de Flourens; de Galan, de Marty l " (1)
Un pareil discours n'a pas seulement l'ambition d'inclure le narrateur et
de signifier ainsi son adhésion mais aussi et surtout d'impliquer le n:J.r-
d..
rataire. Il n'ya pas/meilleure manière de persuader que de discourir d'une
voix collective et de poser comme naturellement admis p"r tous ce qu Ion cher-
che en réalité à ,~créditex.
1- Louis Aragon Les Beaux quartiers p. 341-42
-158-
La caractérisation subjective et le jugement de valeur peuvent
aussi être retenus autant pour l'attitude élue que pour celle qui est
abandonnée'~ Nous avons là. l'emploi d'image qui sont souvent des sym-
boles comportant des connotations spécifiques. La spécification se fait
aussi bien par des adjectifs que par d'autres moyens d'actualisation
comme l'emploi d'articles dé finiS;, et/ ou de Til !.juscules d,'ns des noms
communs. Parlant du discours de Jaurès Aragon dit dans les Beaux guartiersl
"Il pressent l'Octobre qu'il ne verra point, il pressent la mer
Noire et le Waldeck-Rousseau, ( ••• )" (1)
Les exemples de valorisation par la qualification sont égale-
ment assez nombreux dans ce roman comme dans celui qui l'a précédé. Les
énoncées inspirés de Jaurès sont là. encore illustratifs.
"Et avec toutes ses erreurs, tous ses flottements, Jaurès, le grand
Jaurès, l'utopiste de l'armée nouvelle, le pressent dans la chaleur pro-
digieuse de ce jour de mai 1913, il pressent la grande armée rouge des
peuples ( ••• )" (2)
Dans Les eloches de ~le la valorisation de Jaurès passe par les images
que crée son discours. La séduction se faufile ici dans la puissance
oratoire du "Tribun" et c'est tout le système qu'il représente que va
admirer le lecteur; il rejette parallèlement ce que le texte dénonce.
"A travers tout le ciel d'Europe, et là-bas dans l'Amérique lointai-
ne, il s'amasse des nuages obscurs, chargés de l'électricité des guer-
res." (3)
Il y a un mode narratif plus simple où Drieu rejoint Aragon, et
qui aboutit aux m~mes résultats que celui qui présente plusieurs itinérai-
res avant d'en élire un seul, positivement exemplaire. Avec ce modèle,
la structure du roman connatt une brusque rupture dans la logique de
1- Idem p. 341
2- Ibidem
3- Louis Aragon Les eloches de ~le p. 435
-159-
l'intrigue. Dans Drale de voyage la conclusion attendue par le lecteur
mais abandonnée par l'auteur devait permettre de pouvoir résumer la der-
nière partie du roman comme le font les contes:"Ils se marièrent, furent
heureux et eurent beaucoup d'enfants". La suite de l'intrigue est tout
autre. Il ne s'agit pas d'un changement signifiant un simple coup de
thé~tre destiné à créer ou à relancer le romanesque. Le caractère exem-
plaire de la rupture dans la logique romanesque est traduit \\ par l' his-
toire de Gille, cette histoire suggère qu'il y ~ une sorte de loi qui
procède
de la subjectivité du personnage. Gille qui rappelle si bien
son père spirituel avait aimé une française, une algérienne à demi espa-
gnole, une américaine, une italienne 1
"Chaque fois après quelques mois, une bourrasque avait soudain tout
balayé. Est-ce que chaque fois la bourrasque n'était pas partie du fond
de son coeur ?" (1)
Le phénomène se rép~era et, au dernier moment, le héros se dérobe et
renonce à un très bon parti. Pourtant toutes les parties précédentes du ro-
man ont mis en place les conditions d'un mariage de cet ordre.
En quoi de pareilles volte-face sont-elles exemplaires et
séduisantes? Tout est compris ici dans une volonté de sortir de-la pra-
tique sociale que la lucidité du personnage perçoit comme entièrement
Gille SI insérer d:::"'ls le 3YSt8::l<3 où L'l. d2cI:';:~:1ce .Lü-t loi .=e seraü COffiID.e
une répétition du péché
origi~el. Toute l~souffrance morale de Gilles
Gambier provient de ce qu'il a cédé à ces tentations de la société durant
tout son séjour parisien.
Aragon use de cette technique qui est à la base de la plupart
des romans de Drieu. Dans Aurélien c'est une sorte d'impossibl~retrou
vaill~ d'éternelle
mésentente
entre Aurélien et Bérénice. Cela relance
1- Drieu la Rochelle, Drale de voyage P:l.ris, Gallimard 1933 p. 240
-160-
à chaque fois le cours du roman. Et toujours l'attitude attendue serait,
si elle s'était réalisée, une conclusion logique et fort romanesque. La
nuit du nouvel an, la logique romanesque consistait, quand Bérénice a
boudé son mari et couru
chez son amant, à ce qu'elle trouve celui-ci
toujours en attente, la mort dans l'~e. A \\~iverny, Bérénice aurait d~,
enfin, renoncer à toute résistance et suivre Aurélien. A chaque fois c'est
le contraire qui se produit et le roman ~art de plus belle. La dernière
rupture logique rejoint celles qui terminent les romans de Drieu. Mais
ici aussi Aragon éprouve la nécessité, comme dans Les beaux quartiers,
de nous désigner nettement l'itinéraire exemplaire négatif à c8té de
l'itinéraire exemplaire positif et de souligner leur antagonisme. Auré-
lien et Bérénice les ~bolisent respectivement; c'est pourquoi leur a-
mour, au lieu de reprendre dans l'épilogue, devient plutôt impossible.
Quand ils se sont retrouv~s, ils n'ont plus rien à se dire.
Chez Drieu, par contre, l'itinéraire négatif n'est pas réalisé
mais virtuellement trJ.cé. 1::.. :r:2.up""rt de 52S ror,eno n~ poursuierent P::'.3,
non plus, l'itinéraire positi:. Ce dernier est d'ailleurs, pour l'essen-
tiel, défini uniquement COmm.2 le contraire du comportement dévalué. Ce
comportement demeure, dans presque tous les romans de Drieu, l'image du
conformisme dans une société décadente. Les romans de Drieu s'achèvent
donc sur une fermeture (un abandon net de l'itinéraire décadent) et sur
une ouverture (possibilité de se réaliser positivement). Il est possible
au lecteur, sans que la fiction atteigne ce st~de, dG sompr3nire ce
qu'est cette réalisation positive pour l'auteur ou plutôt pour l'idéologie
de ses livres. Pour cela nécessaire 3St de prendre en compte les moments
où il se trahit et aussi les désirs, souvenirs, efforts et mépris des
personnages. Dans presque tous les cas la fiction permet d'imaginer va-
guement la mise en oeuvre de la partie transitive de l'idéologie sans
jamais la représenter dans le microcosme. Inachèvement donc, de ce point
-161-
de vue, mais aussi suggestion.
c) "Le roman inachevé" (1)
Le titre est d'Aragon mais il caractérise aussi les romans de
Drieu. Le principe de ce genre de livres repose sur la création d'un dou-
ble désir aUX composantes antagoniques : un désir négatif (le dégodt) qui
débouche sur une intention de destruction et un désir positif (désir ici)
et finalement constructif. Nous avons là les maillons complémentaires
d'une chaine virtuelle. La non-réalisation du dernier maillon exprime le
caractère inachevé. L'inachèvement n'est compréhensible que quand on se
place au plan idéologique. Sur celui de l'intrigue les fictions donnent
l'illusion d'une histoire complète. Drieu parvient le plus souvent à créer
cette illusion à partir d'un déplacement géographique (départ) (2) ou
d'un effacement du temps historique (suicide) (3).La ~isparit~ori,dans les
deux cas, de l'actant principal, marque la fin logique de l'action et sa-
tisfait l'attente de romanesque. Une analyse au plan de surface résumera
alors la plupart des romans sans que le trait de l'inachèvement appa-
raisse. Du Feu Follet on pourrait alors dire que c'est les dernières
heures d'un drogué qui, à travers sa propre faiblesse morale et l'échec
de sa vie découvre l'inanité et le caractère dérisoire de la vie socia~l.
Pris de désespoir il se donne la mort.
Br~le de voyage serait l'histoire d'un coureur de dot doublé d'un aspirant
à l'absolu, pour une vie digne et réelle. Le héros ignore ce dernier trait
de sa psychologie. Il séduit une jeune anglaise assez riche mais mesure
au dernier moment l'horreur d'un mariage aussi conformiste et il se dérobe.
1- Titre d'un poème d'Aragon publié en 1956 chez Gallimard. Le sens que
nous donnons ici à cette expression n'est pas une paraphrase du l.':?cueil
D'Aragon. Hervier lulien emploie aussi l'expression à propos de Brieu
cf note nO 1 page 156
2- Exemples: Gilles d~s Gilles, Boutros dans Une femme a sa fenêtre
Gille
dans Dr~le de voyage
3- Exemples: Alain dans Le Feu Follet, Hassib d,ms B,;lOllki 1, l'ù!13t nt
dana Les ehiens de Paille
-162-
Dans Béloukia il y aurait deux amoureux enclins au plaisir de la chair
mais qui finissent par prendre conscience de leur situation sociale,
de leurs aspirations divergentes et se séparent pour se sacrifier cha-
cun à sa classe sociale.
Chez Aragon Les cloches de Bâle pourrait ~tre résumé comme
l'exploration des différentes conduites possibles devant l'horreur de la
société capitaliste. Les beaux quartiers reprend le m~me thème en mon-
tr~t, 0ette fois, :es leux seuls choix possibles d~ns une société di-
visée en classes sociales.
Mais quand on s'interroge sur le contenu idéologique des romans on cons-
tate assez vi~e que les textes disent beaucoup plus qu'ils ne représentent.
A ce titre ils montrent la bonne voie, celle qui mène à la société idéale;
ils n'aménagent pas dans leur fiction l'av~nement de celle-ci. Le roman
d'ambition doctrinaire et de propagande ne cherche pas à réaliser les dé-
sirs de l'auteur et des lecteurs. Son but est de les soulever et de peUB-
ser à agir, selon une voie qu'il a habilement suggérée, pour satisfai-
re ces désirs. L'esthétique du roman idéologique ne répond pas à l'atten-
te du romanesque, elle donne, signale une interprétation qui est en m~-
me temps une injonction et a, par là, une valeur pr8,gmz.tique. Il y a là
comme l'a bien décrit Suleiman SUsan Rubin une mise en exemplarité de la
parabole. Cet auteur dégage un modèle (1) du discours ?.3.r:1-'0011 Tl'3 •
Destinateur _
~ \\ Histoirel~ -- -;:. (interprétationXinjonction)
7
Destinataire -
-
"Selon ce modèle, le texte pé".rabolique e3t lm~8xt9 '1.ui ~·~.cont ~ :J.n~
histoire telle que cette histoire suscite une interprétation univoque et
une injonction, (une régle d'action)." (2)
1- Susan Rubin Suleiman, ~Roman à thèse ou l' autorité fictive, Paris,
Presses universitaires de France~ool Ecriture, 198\\p. 51
2- Idem p. 51
-163-
On voit aussi que
l'inachèvement ne se situe donc pas au ni-
veau du sens mais plutet de la représentation de celui-ci. Ce sens est
d'ailleurs très souvent redondant - nous y reviendrons -. Roland Barthes
l'a perçu
quand i l déclare que l 'histoire parabolique "comporte expree-
sément un sens." (1)
Les romans de Drieu et d'Arago~ bien que souvent bâtis à par-
tir de faits imaginaires, rév~lent une structure d'apprentissage. L::1 pre-
mière étape montre la leçon exemplaire négative, la seconde la leçon po-
sitive. Quand bien m~me les auteurs désignent la bonne voie ils ne réali.
sent pas le devenir de celui qui s'y engage. Cette rhétorique dépasse la
simple qu~te du renouveau m@me quand elle l'illustre. C'est en réalité une
stratégie discursive souvent employée dans les textes qui veulent trans-
mettre une r~gle de conduite.
Pour souligner le caractère traditionnel de l'écriture des ro-
mans d'Aragon Jean Louis Ezine déclarait à la mort de l'auteur.
"Aragon n'inventait pas, non: il avait des trouvailles, c'est différent." (2)
Sans aller jusqu'à déclarer l'invention absolue impossible dans l'écriture,
nous remarquerons cependant qu'elle est si rare que cette assertion de
M. Ezine nous paraît @tre une critique injuste. Baudelaire disait, il
nous semble, qu'en poésie on imite toujours, l'important c'est d'~tre
inimitab1.e.
Drieu et Aragon semblent partager cette déclaration. Dans l'idéologie de
leurs textes romanesques le Renouveau s'appuie sur le schème mental, psy-
chologique, que véhicule la mythologie d'une réitération de la cosmogonie.
Ainsi l'idéologie subversive reprend à son profit des images apocalyptiques
dans une vision génér2~e eschatologique. Cette étape, posée comme une
1- Roland Barthes, l'Ancienne Rhétorique cité par S. R. Suleim2n oc. cit p. 52
2- Je311 Louis Ezine "Le r~ourv::lri du vieux cerf :JUx-lboisll Les Nouvelles lit-
tér:'l.ires:Aragon 1891-1982 nO spécial nO 2867 bis du 28-12-82 au 05-01-83
-164-
nécessité, appelle dans la vision mythologique rejointe par l'idéologie
subversive, une renaissanoe prospère et idéale à l'image du d'but, des
origines mythiques. Ainsi la promesse de l'idéologie rejoint le rêve d'un
paradis terrestre. Drieu et Aragon cèdent volontiers à ce r~ve mais quand
le second nourrit ses idées par une critique de la réalité socio-économi-
que, le premier décrit la souffrance morale que crée l'idée d'une déchéan-
ce générale de l'humanité ou plutat de sa société. Les romana de Drieu et
à. 'œ='gon baignent dans une atmosphère de désarroi moral. mais ne cèdent pas
complètement aU pessimisme. Leur structure dévoile les ambitions illocutoi-
res des auteurs. Ces ambitions ne sont pas rév&lées seulement par les
valorisations et les dévalorisations de certains éléments qui composent
le réel ou l'imaginaire inspiré de oe réel. Il y a aussi ce que l'auteur
considère comme la conclusion pragmatique de la démarche qu'il nous don-
ne en exemple. Cette conclusion vers laquelle nous pousse toute une série
d'énoncés de valeur persuasive est pourtant presque toujours absente de
l'intrigue. N'en.t
été cette rhétorique de la qu~te du renouveau qui orien-
te'~ de par la 'structure qu'elle génère, le sens de l'oeuvre et propose
sans ambiguïté une interprétation, l'inachèvement des romans serait sans
doute une entrave à la lisibilité. Mais l'imposition d'une interprétation
ne s'opère pas uniquement par la rhétorique de la subversion transitive
dont le sohéma est ici esquissé. Il y a aussi les énoncés qui portent la
persuasion et leur mise en oeuvre obéit à une véritable stratégie. Le fil
directeur semble ~tre dans tous les cas l'intentionnalité des textes, Tli
est souvent celle des auteurs également.
-165-
CHAPITRE TRO IS 1
INTENTIONNALITE ET STRATEGIE DE LA PERSUASION
L'acte communicatif qui s'instaure par le canal d 'un livre dé-
bouohe presque toujours sur un résultat illocutoire ou perlocutoire cons-
ciemment ou non produit par l'écrivain. Il n'est pas nécessairement volon-
taire ni finalisé, Ainsi préférons-nous à la suite de Greimas et de Cour-
t~s le concept phénoménologique d'intentionnalité (1), qui sans s'iden-
tifier à celui de motivation ou de finalité, les subsume tous les deux
et amène à concevoir la communication comme une tension s'inscrivant entre
deux modes d'existence: la virtualité et la réalisation. Il est aisé
alors
de rema~uer que la persuasion virtualise un comportement et rend
possible sa réalisation. C'est là le but consoient ou non, volontaire ou
non de tout idéologue. Les techniques et la stratégie de la persuasion
visent alors à praçurer au destinataire une sorte de compétence modale.
Le contenu de celle-ci peut ~tre matériel mais ici il est surtout psycholc-
gique et intellectuel. Il s'agit de convaincre
de la nécessité de sub-
vertir la société. Un tel objectif implique, pour ~tre atteint, plusieurs
modalités. D'abord, le discours doit se donner comme l'expression de la
vérité. La difficulté d'une telle tâche reprend celle de véhiculer une
doctrine politique systématique à l'intérieur d'une fiction romanesque.
La fiction étant par essence de l'imaginaire systématisé, le discours sub-
versif devra, pour usurper la forme de la vérité, para1tre autrement qulil
n'est. Aragon dira qu'il s'agit là d'un "mentir vrai" (2). Le mensonge
n'est pas exclusivement conscient et destiné aux lecteurs. Il y a un
peu du mythoinane dans chaque auteur et la plupart des romanciers se prennent
à leur jeu. A ce titre Drieu la Rochelle serait possédé par son rOle. Il
1- A. _J. Greim~, J. CourtEl:s, Sémidtigue. dictionnaire raisOIUlé .de la théc--
rie du langage T1,Paris,Hachette,1979 p. 190
2- Louis Aragon Le mentir-vrai, nouvelles, Paris, Gallimard~1980
-166-
a l'air de se confesser, de nous livrer ses sentiments profonds. ~Iais en
réalité l'expérienoe entre dans le système du mensonge qu'est la struc-
ture idéologique du livre et y fonctionne. Qu'importe alors si telle
phrase de Gilles PeUt ~tre identifiée comme une déolaration de Breton
ou d'Aragon, si l'amour de Dora rappelle celu: de Drieu pour Connie Wash.
Dans tous les cas le discours paraIt vrai, comporte des éléments .vrais
pris isol~ment, mais reste fictif dans son système général et sa globa-
lité. L'auteur n'en est pas toujours conscient.
L'acte de produire un discours fictif mais paraissant réel lais-
se des traces qui portent l'intentionnalité de persuader. Plusieurs res~
sources des différents modes d'énonciation se combinent dans le but de
convaincre. De ce fait les points de vue des personnages, ceux du narra-
teur sur l'histoire et sur les visions des personnages, sont pertinents.
De m~me la manière dont l'auteur choisit et dispose ces visions. Il s'a-
git donc de voir comment la mise en discours se propose de crée:r: un texte para.-
·bolique crédible dont l'interprétation conduit à l'adoption d'une conduite et
d'~ comportement conformes à la r~gle d'action enseignée. Ici l'analyse débor-
de le contenu des textes pour s'intéresser à la manière dont ils sont com-
posés, à la genèse des énoncés. Pour dégager donc l'intentionnalité des
textes nous interrogerons celle: des auteurs. Car en fait elle oriente,'
pour une bonne part, le super-système idéologique que nous recherchons.
Malgré l'existence, dans chaque texte, d'énoncés informatifs non contrô-
lés par l'auteur, c'est finalement d'un pari conscient que procède le dis-
cours doctrinaire. Cela n'em~che pas l'idéologie de l'auteur de se dé-
voiler à travers des schèmes dont la portée n'est pas toujours mesurée
par la conscience.
A)'I.A. VOLONTE DE VERITEf (1)
Nous élargirons le sens de oe terme de Michel Foucault pour lui
1- Michel Foucault.L'6rdre du discours,Paris, Gallimard. 1970.p. 19
-167-
associer le désir de transformer un énoncé en vérité. Comme un texte ne
peut toujours fournir, en même temps que le message, contenu de sa-
voir qu' il livre, les moyens de juger de sa véracité, il emprunte l' appa-
rence
formelle dans laquelle s'identifie ia vérité. FoUcault définit la
volonté de vérité par le déplacement des critères qui identifient la vé-
rité 1
''Un jour est venu où la vérité s'est cléplacée de l'acte ritualisé, ef-
ficace et juste, d'énonciation, vers l'énoncé lui-même 1 vers son sens,
sa forme, soa objet, son rapport à sa référence." (1)
A l'instar donc de son énonciation, le discours cherche par
le biais de son contenu et de sa force à se fonder en vérité dans
le but de aonvaincre. Il y a en réalité un certain code consacré à tra-
vers lequel appara1t généralement le message vrai. Cette t~che est fort
difficile puisqu'elle consiste à rendre le langage instrumental et véhicu-
laire d'idées référentielles. Alors que la littérarité s'attache à la va-
leur intrinsèque du langage. Pour sortir de ce paradoxe Aragon et Drieu
adoptent deux démarches lég~rement opposées. L'auteur des eloches de B~le
se sert de thèmes et de sujets où l'ambition d'objectivité et de scienti-
ficité est suffisamment connue; ensuite il tente par le style et la for-
me de conserver la littérarité. Par sa subjectivité et sa sentimentali-
té Drieu est un littéraire mais le naturalisme de son langage, sa sincé-
rité et sa sobriété, le rapprochent du discours scientifique. Ainsi ar-
rivent-ils aux m~mes conclusions, pour la m~me fin, par des manières dif-
férentes.
a) L'histoire comme référence
Aragon a dit lui-~me l'importance qu'il accordait au contenu
de ses romans. Dans ses entretiens avec Dominique Arban il dit reconnattre
1- Idem p. 17
-168-
la nécessité de faire en sorte que la discussion porte sur "ce qui est dit.,
et non sur comment c'est dit n .(1)
On reconna!t là l'outrance qui carac-
térise Aragon dans ses engagements. En réalité il n'en est pas toujours
comme i l le dit et il y a plusieurs contre-exemples. Dans Aurélien "l' é-
nonciation est plus infomante que l'énoncé" (2) m@me pour le but, l'in-
tention de l'auteur. Il nous semble que c'est la formulation d'Aragon qui
est ambigu! et ne traduit pas exactement ce que l'auteur voulait dire:
que l'écriture cesse d'@tre pour lui un art pour l'art mais remplit une
fonction sociale. S'il en est ainsi, ce qui est dit et la manière dont
c'est dit contribuent à jouer le m@me r~le s construire un message dont
l'interprétation débouche sur une r~gle de conduite et d'act~~.Néanmoins,
les romans du Monde réel cherchent, avant tout, dans leur contenu, à évi-
ter le dépaysement, la distraction et l'évasion" en priori.t.é. Le dis-
cours veut se fonder ici sur le prestige de chose attestée dans la réa-
lité qu'est le thème de l'histoire. Pour mieux accréditer cette idée, Ara-
gon choisit l'histoire récente, celle qui a encore des échos au moment où
il écrit ses livres. D'ailleurs le but est souvent de montrer les sui-
tes de cette histoire (de ces faits) pour son époque ou bien de souli-
gner une certaine analogie entre faits historiques passés et signes des
temps présents. Les ~eaux quartiers met en scène les luttes sociales et
les manoeuvres du capital international au début du siècle. Un fait sail-
lant domine toutes ces actions. La Gr2nde guerre. Tout y prépare : les spé-
culations financières des Wisner et des Quesnel , la loi des trois ans et
les d~fférentes p~opa~gandes qui lui sont' attachées, l'instabilité politique
conséquence du nettoyage dont procède la haute finance pour installer ses
1- Louis Aragon, Aragon parle avec Dominique Arban,Paris,Séghers, 1968, p.136
2- Cusin -Berche Fabienne, 1fentative de sémiologie politique du narratif
à partir des premières oeuvres romanesques d'Aragon. Anicet ou le panarama
roman, le paysan de Paris, les cloches de Bâle.' Thèse de 3e cycle dactylo-
graphiée,Université
Paris VII, déoembre 1980
-169-
marionnettes et réduire la lutte contre la guerre. Le rapport analogi-
que que l'auteur veut amener ses contemporains à établir entre cette épo-
que et la leur est à peine voilé.
"Edmond avait une amère satisfaction à grouper ainsi tous les signes
précurseurs d'une catastrophe dont il ne doutait plus".(1)
Pour la constatation (mais sans la satisfaction) Edmond prend
ici la place d'Aragon. En effet dans les années 1933-39 l'auteur était ob-
sédé par le spectre de la guerre planant à nouveau sur l'EUrope. Ces an-
nées voient la lutte politique entre droite et gauche s'intensifier, cré-
ant l'instabilité politique, les conflits sociauxi on assista comme aU
temps de l'affaire Dreyfus à une recrudescence du nationalisme chau--
vin et raciste, à une montée du fascisme. Pour amener à interpréter les si-
gnes des événements de 1933-39 comme quelque chose qui annonce une nou-
velle guerre mondiale, les romans du Monde réel se réf~rent à l'histoire.
Cette référence n'a pas un simple r~le explicatif. Elle dramatise la situa-
tion et, très souvent, dénonce ou préscrit des attitudes en face du péril
menaçant. Parmi ceux dont la conduite est dénoncée nous énum~rerons- l'am-
bitieux qui veut arriver (Edmond Barbentane~ le petit bourgeois égotste
et irresponsable (Pierre Mercadier), le rentier rangé du mauvais c~té
(Aurélien Lèurtillois). Armand Barbentane, Pascal Mercadier et Bérénice
Morel sont des figures positives qui incarnent l'ordonnance de la doctri-
ne de ces livres. Celle-ci a certes évolué d'un roman à l'autre et nous
en reparlerons dans notre troisième partie.
Dans l'histoire sociale prise comme référence il y a un domaine
particulièrement attirant pour le oommuniste et le réaliste qu'est en plus
Aragon 1 la lutte sooiale. Elle permet au communiste d'accréditer la
théorie de la lutte des classes comme moteur de l'histoire, de souligner
le r~le avant-gardiste du prolétariat. C'est aussi un thème qui situe le
1- Louis Aragon Les ~eaux quartiers p. 290
-170-
romanoier dans la tradition réaliste de prétention scientifique dont
Zola a voulu @tre le mattra, Hugo un préourseur~ au m@me titre que Flaubert.
Ainsi, m~me quand ils n'orientent pas directement le fil de
l'intrigue comme dans Aurélien, les faits historiques, par exemple la
guerre, sont inscrits dans tous les livres d'Aragon. Il arrive qu'ils y
apparaissent comme des thèmes secondaires (1) ou comme un tissu hista-
rique qui contribue à dégager l'atmosphère générale de la fiction. Les
faits historiques traités comme des thèmes secondaires ont l'avanta-
ge de créer une illusion réaliste par l'accumulation des détails et d'é-
viter la nudité at la rigueur du récit historique. Cela rétablit le ro-
manesque (conçu comme une fiction réaliste, c'est-à-dire s'affichant
comme du réel), donc la littérarité. Aragon utilise plusieurs détails ou
événements historiques comme thèmes secondaires. Dans Les Beaux quartiers
les débats sur "la loi des trois ans ", les allusions à la guerre turco4ml-
gare ou au conflit dans les colonies contribuent à renforcer l'objectif prin-
oipa1 : la satire de la bourgeoisie et du capitalisme. Les retraites mi-
1itaires dans Paris sont du m~me ordre dans Les é!loches de B~le. Les '10-
yageurs de l'impériale s'inspire d'un sujet fort traditionnel dans le
roman 1 la peinture d'une destinée individuelle. Mais le sens de cette pein-
.
ture n'appara!t clairement qu'à la lumière des thèmes secondaires : l'affaire
Dreyfus,le Krach du Panama, l'éclatement de la Grande guerre. Ces divers faits
historiques permettent de révéler par touches successives la personnali-
té de Mercadier et le sens de sa conduite. En effet les rapports de cet
individu symbole ou type (donc de chaque individu) avec les événements
1- Aragon définit en 1964 le thème: _~~~ondaire de la man~~re suivante en
s'inspirant d'Elsa 'rriolet.: "C'est comme cet:te femme- - a.-t-e11e dit -
suit l'histoire qu'elle raconte, et puis, on dirait en rupture du roman,.ap-
parait un thème secondaire souvent emprunté.. à que1qu~ rêve en commun qu'el-
le pourrait-avoir aveç le 1ecteV-r, parce qu'ailleurs quelqu'un déjà e~ f?+t
développement, un thème secon~aire par quoi ie thème principal s'éclaire"
Les ~01lages.Paris,Hermann,co1. Miroirs de l'art 1965 p. 96
-111-
a une portée sur 1 'histoire cénérale. L'éclatement de la guerre condamne
la conduite de OIercadier mais montre aussi ce qu' il fallait faire. Pas-
cal le dit olairement à. le fin du livre mais l'oncle Sainteville l' a-
vait perçu dès le début m3me si, lui, il voyait le danger du c~té des
ouvriers. Pascal s'est sans doute rappelé cette conversation avec son
grand'oncle au moment où il condamne son père et ses semblables, à. la
suite de la mobilisation générale. M. de 8ainteville avait 'dit :
"Regarde ton pères pas de politique'! C'est tout ce qu'il sait dire •••
Aussi démissionnaire que les petits imbéciles qui jouent avec Marie-An-
toinette à. la laiterie de Trianon ••••. Pas de politique. Surtout la peur
de la politique, de la responsabilité •••• On laisse d'autres s'emparer
des r3nes •••• " (1)
Le principe du roman traditionnel est d'imiter Dieu et de créer un mi-
crocosme à l'image d'une société humaine. Les thèmes secondaires qui
enrichissent l'intrigue principale et l'éclairent contribuent à'créer
cette illusion. Le rappel de faits historiques, en plus, rend le ro-
man crédible facilitant ainsi la circulation des doctrines et des leçons.
Mais quand l'intrigue s'inspire essentiellement de l'histoire,
le roman peut 3tre perçu comme un simple document et perdre sa valeur
littéraire au profit de son intérêt informatif. A partir de ce moment,
les ressources du langag~ exploitées avec talent,rétablissent la beauté
littéraire. Arag~n a compris cela et en dehors des jeux de langage, i l
exhibe son art avec l'écriture du temps et la combinaison connatation / déno-
tation danS' ·leo·contenu des énoncés.L-es jeux de langage vont chez Aragon de
l'imitation à l'évocation poétique ou lyrique c'est-à-dire de l'ob-
1- Louis Aragon, Les Voyageurs de l'impériale. p. 69
-172-
jectivité du récit à la subjectivité d~ discours. (1)
Les deux modes se côtoient très souvent dans un m~me livre. Dans Auré-
lien où l'amour est largement représenté
et où le nom m~me de Bérénice
est tout à fai t po~tique, le mimétisme met dans la bouche de Riquet, un
ouvrier rencontré par le héros dans une piscine, un langage non pas seu-
lement familier mais encore pragmatique. Voyant sa tenue, il deman~ à
Aurélien s
"Alors on est capitaliste ? .• "(2), avant d'ajouter, comme l'autre ré-
pondait qu'il vivait de ses rentess "Il faut de la santé pour ~tre chÔ-
meur toute la vie" (3)
COlllllle on le voit, le fait d'apostropher, le régistre de la langue ("on"
au lieu de "vous","de la santé" à la place de "avoir une bonne santé")
traduit le rang social et un bas niveau de langue.
L'écriture du temps et sa corrélation avec les événements évoqués,
en créant le beau et en témoignant d'un talent, apportent aussi des touches
de littérarité. Cela explique l'enchev~trement des différentes parties
des Cloches de B~le et la structure d'emb01tement-déboHement qui hit
l'originalité du livre. En effet cela permet de peindre des événements
simultanés qui se sont produits dans des milieux différents et d'établir
leur relation. Un personnage sans aucune valeur intrinsèque significa-
tive fait la liaison des trois premières parties et permet de montrer la
simultanéite de certains faits s Le lieutenant Desgouttes-Valèze. Bien
que la tranche temporelle où i l est évoqué ne soit Que les dernières heures
.1;
de l'après-midi/de la soirée du m~me jour. Dans "Diane" il s'entretient
1- Si l'on définit le récit cOlllllle "une communication centrée sur le réfé-
rent, effayant les marques de l'énonciation" et le discours comme son op-
posé qui affirme la subjectivité et laisse entrevoir les marques de l'énon-
ciation, ainsi que le fait A. Grance, dans Stratégies discursives, Presses
universitaires de Lyon, 1978, p. 246 et 248
2- Louis Aragon, Aurélien p. 130
3- Idem p. 131
-173-
avec le général Dorsch dans le train de Paris et lui apprend que Brunel
est un usurier. L'auteur le montre au début de "Catherine" en train de
bavarder distraitement avec sa mère. Sa soirée est décrite dans la troisième
partie, "Victor", dans un diner
où il rencontre Catherine Simonidzé.
Enfin Aragon réussit à faire des :Beaux quartiers un roman
ironique où souvent la critique n'est que sugg~rée gr~ce à un déplacement
de l' intér~t du dénotatum au connotatum • C'est ainsi qu'au lieu de dire
que la piété du père d'Arnaud est de l'hypocrisie et de l'avarice, "il
préfère nous le suggérer, tout en parlant d'Arnaud s
"( ••• )Son père, une des sommités de la ville, se souciait très peu de
lui pourvu qu'il fat présent chaque dimanche à la grand 'messe, et qu'il
ne lui demandât pas d'argent" (1)
Aragon parvient donc: à combiner l'inspiration de l'histoire
et la beauté du langage littéraire. La volonté de vérité est aussi
clairement exprimée sans pour autant que cela porte atteinte à la lit-
térarité des livres. Mais la technique de la crédibilisation d'un ré-
cit ne se limite pas à une sort e de chronique d'une époque. De l'art de
réciter peut se dégager aussi une volonté de vérité.
b) Le récit historique (2)
Les romans de Drieu entretiennent avec l'histoire sociale des rapports
beaucoup moins référentiels que ceux d'Aragon. On peut certes s'adonner
dans les textes de Gilles, de R~veuse bourgeoisie ••• à un jeu de recon-
naissance de faits et événements réellement attestés. Mais ces faits n'ont
que très rarement un caractère systématique et général leur procurant un
intér~t historique. Les éléments biographiques foisonnent dans les ré-
cits de Drieu. Ils ne l'emportent pas sur la fiction (m~me dans R~veuse
bourgeoisie et Gilles). D'ailleurs l'auteur les dissimule le plus souvent
1- Louis Aragon Les ~eaux quartiers p. 38
2- Nous entendons ici par récits historiques, textes historiques, ceux qui
veulent décrire l'histoire sociale et ont une prétention scientifique et
objective.
-174-
sous un habillement littéraire au point de rendre impossible, leur re-
conna1ssance, pour un non initié. Il est nécessaire de connattre l'his-
toire de la France intellectuelle et politique de l'entre-deux-guerres
pour savoir que "Révolte" représent.e le surréalisme et pour identifier
tous les noms fictifs donnés aux contemporains de l'auteur dans Gilles.
Pourtant tout texte de Drieu apparatt souvent comme un récit historique.
Ce trait n'est pas véhiculé par le contenu ni les thèmes abordés mais
par la forme du récit. L'auteur de Gilles met presque toujours en scène
l'histoire, fort simplifiée, d'une individualité. C'est là l'un des sen-
tiers battus du roman depuis le 1ge siècle. Ce thème fort romanesque est
peu historique m~me s'il permet la mise en fiction de faits réels et pas-
sés.
Mais si le thème généralement traité par Drieu s'inscrit dans
la tradition du roman, son écriture s'en écarte. Le subjectivisme qui
nourrit cette écriture doit être recherché dans les obsessions de l'au-
teur, la sincérité des idées développées. Cependant il ne s'exprime pas
par des marques d'énonciation portant atteinte à l'objectivité et à la
rigueur de l'intrigue.
Voilà pourquoi les thèmes secondaires sont rares chez cet au-
teur. Le subjectivisme des textes frappe au premier abord parce que la
référence est ici psychologique et morale. Néanmoins la forme des livres
de Drieu est assez austère et sa langue profondément instrumentale. C'est
en cela que oette langue est comParable à celle des récits historiques et
scientifiques. Ceux-ci reposent essentiellement sur la référentialité et
la pertinence. Chaque détail devient ainsi essentiel et nécessaire. Pour-
tant malgré son réalisme Drieu procède rarement à des descriptions pré-
cises. Seules les paroles reprises de dialogues réeU_
permettent alorg
d'essayer l'identification de ce qui provient du réel dans ses livres.-De
ce point de vuela ressemblance entre le style historique et celui de Drieu
-175-
est une illusion. Le texte historique est sobre et référentiel mais sa
représentation est fidèle. Un roman de Drieu connait la m@me austérité
stylistique. Cela explique la rareté des qualificatifs descriptifs dé-
gageant de réelles propriétés~et non des jugements~de.valeur générés.
par la psychologie de l'auteur ou du narrateur. Drieu le reconnaît dans
la préface de Gilles où il prévient que "Pour montrer l'insuffisance,
l'artiste lÙtit se réduire à @tre insuffisant." (1 ) Avant de préciser
et de généraliser, comme pour se justifier en revendiquant san hérita-
ge français s
"Car mes romans sont faits selon la tradition la plus traditionne1-
1ement française, celle du récit unilinéaire, égocentrique, assez étroi-
tement humaniste au point de para!tre abstrait, peu foisonnant." (2)
Il ne s'agit pas dans cette confession d'un masochisme de
tA
narcissique mais d'une lucide constation de critique. Il n'ya en effet
dans l'écriture du temps chez Drie~aucune fome de modelage artistique.
M@me R@veuse bourgeoisie où le narrateur est un substitut du héros n'in-
tervertit pas le déroulement chronologique du temps. Si Geneviève ne s'é-
tait déclarée narratrice, nul lecteur n'aurait soupçonné que l'histoire
, est racontée de l'intérieur. c'est à ce moment d'ailleurs qu'il serait pos-
sib1e de penser à une concordance des temps de 1 'histoire et du narra-
teur. La linéarité que les critiques n'apprécient guère est peut-@tre
un signe de didactisme traduisant une volonté de vérité. Tout comme l' é-
gocentrisme qui rapproche l'écriture des romans et celle des essais et
porte atteinte au mimétisme (à l'égard de la société) trait héréditaire
du roman. Quant à l'abstraction il arrive qu'elle soit une sorte d'en-
trave à la précision du message. C'est donc faussement que Drieu sub-
vertit le code littéraire romanesque et se rapproche du code scientifique.
1- Drieu la Roche11es "Préface à Gilles" in gilles p. 16
2- Idem
p.21
-176-
Ses fictions romanesques sont néanmoins narrées comme des essais. En
témoignent les temps de ses récits. Dans Gilles, il s'agit d'une combi-
naison de l'imparfait et du passé simple, le premier descriptif et le se-
cond narratif. Rien d'étonnant si l'on admet avec Christian Metz (il J8.r-
lait du cinéma mais cela est vrai aussi pour la littérature) que "l'une
des fonctions du récit est de monnayer un temps dans un autre temps" (1),
tandis que la description monnaye un espace dans un temps. Ce qui manque
aux textes de Drieu, les
rapprochant en m@me temps des récits historiques
et soutenant, en tout cas, la littéralité des textes, c'est l'image.
C'est-à-dire quand un espace est monnayé dans un autre espace par le biais
du langage. La manière dont le style de Drieu opère ces transcriptions
n'est peut-@tre pas la m@me que dans les textes "scientifiques" puisque
la seule précision chez Drieu est la localisation dans
un passé parfois
non encore révolu (d'où l'imparfait aussi) et une société vaguement bour-
geoise. De plus Drieu peint des états psychologiques. Les descriptions
d'objets matériels et les portraits sont tout juste esquissés chez lui
pour illustrer ou suggérer un état d'esprit ou une mentalité. Ils ser~
vent aussi à étayer les thèses du narrateur et l'idéologie des textes.
Pour dénoncer la déchéance de la modernité et de l'intellectuel, Gilles
nous donne en exemple une sorte de vieux mystique, vivant au milieu de
la Normandie entouré de ses dieux. Son portrait satisfait à l'idéal de
force, de vigueur
et de plénitude morale du héros fasciste, image que
11 auteur se fait de sa race, dans son r@ve.
"Comme il était haut, et la servante aussi. Cette haute race, sa ra-
ce " (2), commente le narrateur avant dl ajouter 1
"Carentan l'entourait-., l ' étouffait d3Ils ses gros membres et lui soufflait
dans la figure, de son souffle puissant et puant. Quelle puanteur saine
1- ChristiaJ? Metz, Essais sur la significAttion au cinéma, Paris, Klinck-
sieck, 1968 p.21
2- Drieu la Rochelle Gilles p. 145
. l..L
-177-
de tabac, d'alcool, de solitude, de méditation. Les grands marais eau-
vages ont un peu cette baleine-là." (1)
Comme on le voit dans cette citation, l'aspect sommaire des
textes mapque, chez Drieu, l'ambition de réduire le descriptif et de le
résorber en narratif. D'autre part, le désir- de signaler certains traits
des milieux décrits et de les présenter comme des vérités pousse Drieu à
l'emploi d'un présent itératif. Le comportement des hommes lors du déjeu-
ner des deux familles des mariés,. chez les ~igueul ,inspire ainsi ce commen-
taire dans R3veuse bourgeoisie 1
"Dans toutes les classes sauf pour un petit nombre raffiné ou perverti
les hommes n'aiment guère la société des femmes. M3me dans un salon ils
font facilement bande à part et ils se retrouvent à leur aise au club com-
me au café. La vie en commun des deux sexes sur la planète n'est qu'une
apparence." (2)
En plus d'une narration à l'allure historique, d'un langage austère comme
dans un procès-verbal et fortement instrumenttrl, la permanence de certains
traits, évoqués d'un livre à un autre peut aussi illustrer la volonté de vérité.!
e ) Poursuite et suite d'une idée.
Tous les romans du Monde réel inscrivent la guerre dans leur
ft
diégésis". (3) D'ailleurs les époques des histoires sont ici les avant-guer-
res. D~ ce fait les deux conflits mondiaux s'éclairent mutuellement. Soit
que le second avant-guerre fournisse à l'auteur des éléments qui lui per-
mettent d'éclairer les événements de 1911-1913. Par exemple dans Les ~lo-
ches de Bâle la grève des chauffeurs des taxis parisiens de 1911-1912 est
1(. f)Oçt1èLuft-
décrite sur/la grève analogue de décembre 1933 à février 1934. Soit qu'A-
ragon nous annonce la menace de la seconde guerre en nous rappelant com-
ment était préparé la première et sans oublier de suggérer l'analogie.
1- Idem p. 146
2- Drieu la Rochelle R3veuse bourgeoisie p. 79
3- Définie comme univers narratif; cf Genette, Figures II
-178-
Dans la plupart de ses romans Drieu met en fiction des hom-
mes en praia ~ un problème total; celui dé leur existence dans une
dÂl-
société déoadente. Autrement/il souligne la constatation et le refus
de la faiblesse, de la corruption de l'homme social. C'est ce qui fait
souffrir Yves Le pesnel,Gilles Gambier, I~lain et tant d'autres.
Voilà pourquoi les oeuvres de ces deux romanciers font pen-
ser à la progression et à la ~épétition d'une idée ma!tresse. Celle-ci
n'est pas considérée, toujours pareille à
elle-m~me. Il arrive qutelle
suive une évolution et' d'ailleurs, cela nous sauve de l'ermui de lire,
du Feu Follet à Gilles, le m~me livre. La configuration temporelle
(temps de l'histoire), dans l'ensemble du Monde réel nous montre la
nette poursu.ite d'une idée. Pris ensemble, les romans livrent en ce sens
une information redondante. Les différents schémas temporels sont sou-
vent confondus c'est-à-dire que les "histoires" couvrent les m~mes pé-
riodes avec de légères différences. Ils forment une structure temporelle
en étoile, commençant à la fin du 1ge siècle et évoluant vers la guerre, pour
les trois premiers livres. Chaque roman semble montrer qu'un pas de plus
est effectué en direction du grand fléau, puisqu'il suit le m~me parcours
que le précédent et se rapproche un peu plus de la date fatidique, jus-
qu'au dernier
(les VOlageurs de l'impériale) dont l'intrigue s 1 arr~te
au moment où éclate la tuerie.
En effet Les eloches de ~le se termine en novembre 1912, ~
~eaux quartiers trois jours après la ~te nationale soit le 17 juillet de
l'année 1913 et Les Voyageurs de l'impériale le jour de la mobilisation.
Dans chaque livre la fin nous précipite vers la guerre. Partant de ces
observations, on pourrait dire qu'Aragon ne sort jamais du premier avant-
guerre. Il en est comme fasciné ou plut~t obsédé. En vérité c'est de la
guerre que l'auteur des Communistes est obsédé.
Les deux derniers romans du Mondé réel n'ont plus pour espace
-179-
temporel le premier avant-guerre. Mais l'ombre du grand fléau plane tou-
jours sur l'oeuvre. Aurélien est un anoien combattant qui comme Gilles
Gambier n'a jamais pu se défaire de sa guerre.
"Il promenait avec lui, et pour lui seul, sa guerre, comme une plaie
secrhe." (1) comme en attendant de recommencer • (2)
Les eommunistes déroule toute son action dans une atmosphère
de guerre. Donc ces deux romans, au contraire des trois premiers, montrent
la guerre à l'oeuvre. Ils ont permis de décrire l'entre-deux-guerres et
la défaite.
Dana les trois premiers romans du Monde réel Aragon avertissait
de la menace de la guerre. A chaque fois il situait le péril du ceté
de la bourgeoisie m~me si les textes nous montrent une certaine évolution
dans sa conception (3).
Ainsi trois romans du Monde réel poursuivent une
m~me idée. Elle est présentée de différentes façons comme pour apporter
toutes les preuves et les signes de la menace du fléau. Les eloches de
B~le dénonce, entre les lignes de l'épilogue, la grande trahison (en la
suggérant) des dirigeants de la deuxième internationale alors que les es-
poirs étaient fondés sur leur action. Dans Les 'Beaux quartiers c'est la
guerre impérialiste fomentée par lës industriels et 'le c3.pititl interna--
tional qui est vitupérée, et dans Les Voyageurs de l'impériale, Aragon
appelle à la responsabilité et à la lutte pacifiste en dénoncant le~pas-
sivisme"des intellectuels. Dans tous les cas les attitudes dénoncées produisent
les m~mes effets néfastes. L'auteur, usant d'un grand génie et d'un ta-
1- Louis Aragon Aurélien p. 20
2- Gilles se termine aussi comme Aurélien sur une guerre. Si on ajoute à.
cela une déclaration du héros l "Je refuse tout ce mondë. La guerre, -c'est ma
patrie" (p.121) suivi d\\l commentaire du narrateur "e 'était sa s1lre solitude"
(p.127), on voit nettement les rea~emblances. Rien de surprenant puisque
selon toute vraisemblance les deux héros ont un m~me pilotis 1 Drieu la Ro-
chelle.
3- L'étude en est _prévue dans la 3e partie.
-180-
lent habile, illustre ainsi une m@me idée sans noas priver à chaque fois
du plaisir de la fiction romanesque. Le but de cette insistance est d'a-
bord de convaincre, et, ce faisant, de faire agir,
Les époques des deux autres romans du Monde réel n'ont pour in-
terseotion qu'une courte époque 1 celle qui va de l'éclatement de la deu-
xième guerre à la capitulation de la France. D'ailleurs Aurélien ne ré-
serve qu'une brève scène à la guerre dans son épilogue. Les romans sont
donc, au plan temporel, complémentaires. Ici la poursuite l'emporte sur
la reprise. Aurélien est un roman de l'entre-deux~guerres. Il nous par-
le des conséquences de ce mal dont la menace était décrite dans les li-
vres précédents. A mesure que l'action avance, la menace revient et s'a-
joute aux conséquences qu'on a du mal à supporter. C'est sans doute la rai-
son pour laquelle ce livre juxtapose les échecs a~ point de rendre l'a-
mour heureux, symbole traditionnel de la posUivité dans le roman, impos-
sible. Tous les couples d'Aurélien sont déchirés par une non-réciprocité
des sentiments, une profonde jalousie ou une quelconque entrave à la com-
munion heureuse. Seuls Edmond et Rose Melrose semblent heureux mais là
encore, non seulement c'est un amour adultère, donc coupable, mais l'en-
tente est de courte durée. Elle est d'ailleurs faussée parce qu'elle a un
fondement vénal.
Les eommunistes est une chronique de la vie politique fran~
çaise pendant la guerre. A ce titre il développe avec force détails ce
qui est tout juste effleuré et condensé dans l'Epilogue d'Aurélien. Il
est intéressant d'analyser comment les figures que sont Aurélien
(vi-
chyste, symbole de la politique de droite) et Bérénice (résistante et
sJmbole de la gauche) seront développées sous la forme de deux camps
dans Les eommunistes. Ainsi les bourgeois s'acharnent sur les_commulliste~,
s'embusquent (comme Fred Wisner) et ne pensent qu'à sauvegarder leurs
intér~ts m~me s'il faut pour cela livrer le pays. Aragon présente les
-181-
communistes et ceux qui les suivent comme les seuls vrais patriotes
combattant à la fois des ennemis de l'intérieur (la bourgeoisie) et de
l'extérieur (l'envahisseur nazi). Ce qui n'était dans l'épilogue d'Aurélien
qu'un symbole incarné par une femme se développe ici à travers une mu.lti-
tude de figures et de faits. L'apologie des communistes ne cache pas
la dénonciation de la bourgeoisie. El le thème de la guerre sert tou-
jours le m~me dessein s dévaluer la politique sociale de la classe diri-
geante et enseigner la subversion. Voilà ce que les idéologues politiques
appelleraient un approfondissement et une consolidation de la ligne politi-
que. La guerre semble alors ~tre, comme précédemment suggéré (en Parti-
culier dans Lee ~eaux quartiers), un moment d'intense lutte des classee.
Le troisième volume des Communistes (nov. 1939 mars 1940) le dit avec iro-
nie, en soulignant que cette guerre est un alibi qui permet de préparer
autre chose s
"Il avait fallu déclarer la guerre à cause des traités qu'on avait, des
signatures. Pour la fome. Et puis ça permettait de remettre de l'ordre
dans la maison. Il .,. en avait besoin, pour ça !" (1)
En définitive la première vague des romans du Monde réel s'at-
tache à montrer des actions qui auront les m~mes effets, lesquels se-
ront décrits dans le roman de l'entre-deux-guerres (Aurélien) et dans celui
de la France en guerre ( les ~onnnunistes.)
Après avoir précisé qu'il reprenait le nom de Gilles, déjà ùtilisé dans
DrOle de voyage et L'Momme couvert de femmes, Pierre Drieu la Rochelle
dit dans la préface de Gilles s
"Ce faisant, je me suis comporté comme un peintre qui s'attaque plu-
sieurs fois au m~me portrait ou au m~me paysage, ou le musicien qui ap-
profondit le m~me thème en profitant de la substance accrue que lui ap-
1- Louis Aragon, Les eommunistes roman (nov. 1939 - mars 1940), Paris,
La Bibliothèque française 1950 p. 23
-182-
porte l'~ge." (1)
Drieu reconna!t ici la permanence de son sujet mais dit aussi que sa ré-
pétition s'accompagne d'un approfondissement. La répétition touche d'a-
bord les types de héros, la nature des problèmes qui les préoccupent
et les solutions qu'ils leur apportent.
Dans Le Feu Follet, Gilles, Drele de voyage, le personnage
central est un jeune célibataire qui, malgré son aspiration à l'absolu
de l'amour vrai et sincère, continue à s'intéresser aux femmes pour
leur argent. Cela provoque pourtant ~ profond traumatisme moral. Les
héros apprennent par ce fait leur hypocrisie et leur conformité avec la
multitude des dégénérés. Le mariage de raison est chez Drieu une ten-
tation permanente et aussi un révélatéur de dégénérescence. Le dernier
aspect est presque toujours tardivement reconnu. Les héros de Drieu n'ont
pas, semble-t-il, au début, conscience de l'ignominie d'une liaison fon-
dée sur le profit. L'amour de l'argent les mène ainsi par l'instinct et
neutralise toute forme de scrupule.
Dans Drele de voyage, Gille
a été surpris par toute la sol-
licitude de la famille Cohen pour des hôtes de passage, les Owen. Au
premier coup d'oeil il constate que la'fille est jolie et sans doute riche:
"Aussitet le coeur de Gille bondit deux fois plus fort." (2)
Dans Le Feu Follet ce rapport intéressé entre le héros et ses
mattresses n'est plus une tentation mais un fait établi. Lydia l'a si
bien compris qu'elle veut se servir de son argent pour attirer le héros
et le séParer de Dorothy. Alain avait, pendant des années, r~vé de fem-
mes mais de femmes riches.
Gilles go~tera au fiel qu'est l'argent des femmes, comme Alain.
La tentation est née chez lui de la même manière que chez Gille. Myriam
1- Drieu la Rochelle, "Préface à. Gilles" in Gilles p. 11
2- Drieu la Rochelle, Drele de voyage, Paris, Gallimard, 1933p. 34
-183-
lui appara1t au premier entretien comme les images confondues de la beauté
et de la rich&sse. Alors "d'une seconde à l'autre, l'éclairage de la vie
ohangeait." (1)
Le pauvre soldat est saisi 1
"Cloué par le désir. Toute cette chose lumineuse était intelligence
et argent" (2)
L'attraction de l'argent est si forte que le personnage oublie au pre-
Illier contact que la possédante
est le symbole de ce qui le rebute : la
déchéance. L'on sait très bien que pour Drieu ce mal est incarné dans
le juif et la modernité. Or Myriam. comme Béatrix (en partie seulement)
~~t/q"e-; juive,'Ï. Quant à Lydia, son origine ~ociale évoque la plus hau-
",'i/ ya
te modernité (les U.S.A). La découverte de l'inconséquence/à adopter une
conduite sociale hypocrite et conformiste, malgré 1 'horreur' qu'elle inspi-
re, provoque un intense désarroi moral. En ce sens, ',les héros de Drieu
sont problématiques mais la nature de leur problème n'est plus, comme au
1ge Siècle, une simple entrave à un désir individuel. La déchéance qui
les préoccupe est un phénomène de société. Sa solution ne peut venir d'une
réforme
structurelle mais d'un véritable bouleversement soci~l.
Le héros de Drieu peut aussi ~tre déterminé par sa lutte pour
un idéal aàsolu de plus en plus exigeant. La souffrance morale ne serait
alors plus une conséquence de l'incompatibilité entre la tentation de
la déchéance et l'aspiration à la grandeur, mais de l'impossibilité d'at-
teindre à cet idéal. C'est ce type de problème qui semble préoccuper Jai-
me Torrijos. Cette forme d'évolution correspond peut-~tre à un moment
critique de la pensée politique de Drieu. Celui de sa désillusion face
au nazisme et de la dénonciation du nationalisme hitlérien. L'obsession
de la déchéance et le désir de la subvertir n'en demeurent pas moins pré-
senta dans l'oeuvre. Mais l'internationalisme s'affirme avec plus de force.
1-
Drieu La Rochelle Gilles p. 45
2- Idem.
-184-
Drieu semble glisser du fasoisme à une sorte d'euroJéanisme qui fait
feu du tout bois. Les seules exigences de l'idéal restent la force et
le mysticisme. Déjà, dans Gilles, Drieu marquait une prédilection pour
ces deux éléments; et il fondait à partir d'eux, la doctrine adoptée
par le personnage.
"Pour moi, je me suis retiré d'entre les nations. J'appartiens à. un
nouvel ordre militaire et religieux qui s'est fondé quelque part dans le monde
et poursuit, envers et contre tout, la conciliation de l'lglise et du
fascisme et leur double triomphe sur l'Europe" (1)
Néanmoins ce roman conserve encore dans son idéologie une forte dose de
nationalisine; c'est le m~me Gambier qui remarquait peu auparavant à. l'en-
droit de ses compagnons :
,,( ••• ) vous ne pouvez sacrifier aux puissances qui se servent du fas-
cisme, le corps de vos patries." (2)
Hais à. partir de l'occupation, de l'installation et du piéti-
nement de la guerre, quand Drieu fut directement confronté à la politi-
que nazie, sa conception, bien que conservant encore certains traits du
fascisme, ne s'intéressait plus essentiellement qu'à l'internationalisme.
Le dépit de ne pouvoir l'appliquer concrètement en Amérique latine expli-
que le sacrifice-suicide de Jaime. C'est en tout cas l'explication que
donne son compagnon Felipe :
"Sa patrie est amère à. celui qui a r~vé l'empire." (3)
Les chiens de paille se termine sur une scène significative. Constant
réunit SuèiIli .et'Cormont pour se suicider avec eux. Il veut tuer dans le
nationaliste l'ombre qu'il traIne depuis cinquante ans. Il l'assimile de
ce fait au ehrist, se prenant pour Judas. Q.uant à Susini, il dit que le
tuer, c'est écraser une mouche. Ce dernier proteste, le marché noir n'était
1- Drieu la Rochelle Gilles p. 674-675
2':' Idem p. 236
3- Drieu la Rochelle, L'Momme à ch&val p. 236
-185-
qu'une façade; il était pour l'internationale. Dès lors Connont se sent
3tre le seul vrai ennemi, ce que confirme Constant tout en révélant ses
convictions 1
"J'ai réuni dans mes deux ennemis, les deux ext~mes; l'extrême vérité
de demain, l'extrême vérité d'hier - le nationalisme
agonisant, .la.néces-
sité internationale de demain." (1)
L'internationalisme est une preuve de la volonté de démontrer
la nécessaire subversion sociale. Il ne dément" " pas le refus de la dé-
chéance mais l'approfondit. Le drame des internationalistes de Drieu est
souvent leur exigence excessive. Pour eux, ne pas atteindre l'idéal de
puissance, dont l'internationalisme est un moyen, c'est s'empêtrer dans
la déchéance. C'est pourquoi les solutions finales sont les mêmes, aussi
bien dans ces derniers livres que dans les premiers qui sont axés sur la
déchéance. Les romans de Drieu se terminent toujours sur une rupture.
Celle-ci est quelque fois rendue plus tragique par une duplication de ses
formes. Là encore l'évolution historique est corollaire d'une évolution,
dans la manière de symboliser cette rupture, vers une sorte de nihilisme.
Et ainsi la répétition s'accompagne d'une progression. La plupart des
premiers romans se terminent par une séparation physique ou plus dramati-
quement par une mort physique ou symbolique. Alain va sans doute se sui-
cider pour résoudre son problème (Le Feu Follet 1931). Même si la solution
finale de l'amour apparemment impossible de Boutros et de la marquise Santo-
rini est une décision de communion, l'acte préliminaire et nécessaire
est une séparation qui risque d'être définitive
(Une femme à sa fenêtre
1929 ).La note finale de Dr8le de voyage est une amère séparation. Les si-
gnifications de ces ruptures sont rarement différentes et indifférentes
les unes a~~ autres et d'un livre à l'autre. Leur répétition est une insis-
tance tout comme leur multiplication. Dans Dr8le de voyage le sujet refuse
1- Drieu la Rochelle, Les Chiens de paille p. 239
-186-
le conformisme, dans Le Feu Follet l'absence de volonté et de force
pour déterminer le cours de la vie. Dans tous les cas c'est une forme
de déchéance qui est dénoncée. Les derniers romans associent un drame plus
ou moins tragique à la séparation. Cette addition est un pas supplémen-
taire dans le nihilisme ou plut8t dans le pessimisme quand il ne marque •
pas un désir profond de rupture. Dans L'liomme à cheval la séparation physi-
que se double d'un sacrifice - suicide tout comme dans Gilles. Les ehiens
de paille '~1une fin fort symbolique puisqu'il s'agit d'un acte sacrifi-
catoire collectif. Le sens parabolique est d'autant plus important ici
que chaque sacrifié· représente une doctrine et une pratique politique
précises. Le sacrifice est une condamnation de chacune de ces politiques.
Aurélien est également marqué par le pessimisme. C'est le seul
livre du Monde réel qui ne se termine pas par une épopée ouvrière ou une
note d'espoir en l'avenir du prolétariat. Nous ne devons jamais oublier
cependant que c'est le seul roman entièrement écrit sous l'occupation.
L'on pourrait rétorquer que malgré cela Aragon ne sort pas des thèmes
qui l'ont jusque-là préoccupé, les problèmes de tous, c'est-à-dire l'étu-
de de l'organisation sociale. Cela est vrai mais il ajoute à cet aspect
une dimension nouvelle, un certain lyrisme qui fait penser à la vie per-
sonnelle de l'auteur. Suzanne Ravis-François a également remarqué ce ce-
té du livre que nous avons appelé à la suite de Ga~tan Picon le "roman
poétique." (1)
"Dès ses débuts, le roman semble marqué à la fois par cette douleur de
tous et par les événements intimes: la mort de sa mère, et tout ce qu'é-
veille l'écriture du Cheval Blanc, la "volonté de roman" qui reprend corps,
certes mais le tourment devant ce texte qu'Elsa appelle "le plus autobio-
graphique de mes romans", où elle ranime le passé et s'éloigne d'Aragon
dans ses contrées imaginaires, avec cette espèce de beau garçon perdu dans
1- Ga~tan Picon "Aurélien la chute de Paris" Confluences nO du 2 mars 1945
-181-
son époque." (1)
Nous ajouterons la menace de séparation, beaucoup plus concrète, que la
résistance faisait peser sur le couple.
Le rapprochement des textes de Drieu et de ceux d'Aragon montre
que tous les deux dénoncent l'organisation sociale bourgeoise. Ils procè-
dent chacun avec les m@mes moyens ell les enrichissant d'un livre à un
autre. Aragon dénonce les m@mes effets de cette organisation sociale avec
une faible variation sur les formes. Drieu répÈtte que les maux de la com-
munauté viennent d'une m@me somme de causes et i l devient, de roman en
roman, plus feme dans la condamnation de ces causes. Ces achamements
sur une idée trahissent certes les désirs et les refus que véhiculent les
idéologies des textes mais traduisent aussi un désir d'accréditer l'en-
seignement des héros.
Sauf dans les romans dont l'intrigue retrace fid~lement l'his-
toire sociale (ce qui est très rare). La volonté de vérité n'est pas un
contenu idéologique, mais une attitude persuas;vc.Elle est un travail de
l'auteur orienté vers le choix des thèmes, le mode de leur narration et
leur récurrence significative. C'est un para1tre du discours littéraire
qui veut afficher une crédibilité fondée sur l'apparence, le credo scien-
tifique et historique. Ce para!tre peut toucher la forme du contenu comme
par exemple dans les romans d'inspiration historique chez Aragon; mais l'es-
sence reste romanesque. Le fait réel et historique est toujours intégré
et assimilé par le système de la fiction. Alors c'est dans l'attitude de
l'auteur, qui peut se traduire aussi par la manière de raconter, que se
trahit l'illusion ou la volonté de vérité.
Il arrive cependant que les auteurs adoptent aussi, dans les m@mes livres,
les modèles de crédibilisation traditionnels du roman, c'est-à-dire la co-
1- Suzanne Ravis-François "Répétition et progression dans" Aurélien" ou
le roman comme e.reuset des contraires chez Aragon" La Pensée nO 193 juin
1911 p. 50
-188-
hérence d'un univers fictif.
B)~LE MENTIR-VRAIH(1)
Le mentir-vrai n'est pas seulement le fait de rendre oohérent,
de faire para1tre vrai, le mensonge. Il y a aussi toute l'expérience de
l'auteur qui peut s'infiltrer dans la fiction et dès lors, quand il
croit mentir, il dit en fait la vérité. Un troisième aspect du mentir-vrai
serait que pour la cohérence et la logique d'une fiction, l'écrivain doive
parfois déformer l'expérience et la mouler à la dimension de son micro-
cosme. Ces pratiques ne sont pas toujours conscientes. Cela ne leur en-
lève nullement leur caractère idéologique ni ne porte atteinte à l'inten-
tionnalité de persuasion des textes.
a) La vraisemblance
Il serait fastidieux d'énumérer ici toutes les techniques de
construction de la vraisemblance. On peut seulement remarquer qu'Aragon
en use beaucoup plus que Drieu la Rochelle. Parmi ces techniques il y a
la référence au réel et un precédé plus spécialement scripturo/ : l'imi-
tation du réel. La référence au réel est souvent une évocation d'un détail
authentifiant. Le but est de rappeler au lecteur son expérience et de le
àonduire à assimiler celle-ci à l'intrigue du roman ou à établir tout
au moins une analogie. C'est sous cet angle qu'il faut comprendre l'évo-
cation de personnages ayant vécu
et certaines allusions historiques qui
n'ont- pas de valeur narrative évidente. Ce procédé est utilisé par Aragon.
Il permet de siDIlller l'existence d'un univers
analogue à celui du lec-
teur. Mais, malgré sa valeur narrative souvent faible, ce détail réel est
touj ours important paree qu'il permet d'asseoir l'atmosphère générale
et le cadre spatio-temporel. Ainsi tous les romans du Monde réel sont
rigoureusement datés dans les derniers chapitres par des allusions aux
faits réels contemporainsJe. l'histoire. Cette datation ne conduit pas
1- Titre d'un ouvrage d'Aragon Paris Gallimard, 1980 où, sous une fonne ro-
manesque, il retrace sa vie.
-189-
l'intrigue mais elle lui procure une sorte d'accélération, lui donne une
réso---nance tragique et menaçante. Ainsi Aragon rétablit les tensions so-
ciales qui précMent les grandes catastrophes comme la guerre. Et le
temps cesse d'Atre fluide et incontr5lé pour se laisser domestiquer, l'his-
toire ne se passant plus dans un ailleurs spatial et temporel.
Le réseau d'allusions historiques et réelles qui permet de da-
ter l'action et de retracer la chronologie n'a pas le seul avantage
de revendiquer l'authenticité des faits. Il permet aussi d'éviter la ré-
duction du discours en une simple fiction; ce qui est ainsi évité, c'est
l'adoption d'un récit traditionnel, retra,çant une vie individuelle.
Alors, dans Les "Beaux guartiers, la vie d'Armand qui semble former le
tissu-ae l'intrigue s'inscrit dans une sorte d'atmosphère sociale géné-
rale et par là, crée l'illusion réaliste, donc vraisemblablê. Le récit
se greffe alors sur l'histoire quand bien mAme elle la met en cause sui-
vant son orientation idéologique. Il y a plusieùxs exemples dans ~
"Beaux quartiers • Armand rencontre Amaud le 14 juillet 1913, reçoit de
celui-ci une recommandation ~qu' il n'a pu porter à l'adresse indiquée que
le lendemain. Embauché il commence à travailler le jour suivant la remi-
se de la recornmandation.
L'auteur poursuit:
liA sept heures dix, ,.Armand se faisait -pointer à l'usine. C' est ce
m@me jour que, par 316 voix, contre 199, la chambre vota l'incorpora-
t;i.on à vingt CUlS" (1)
Le m@me moyen est utilisé dans Les Voyageurs de l'impériale.
L'aventure de Pierre et de Dora s'inscrit dans un réseau d'allusions. qui
rétablit l'histoire générale et la vraisemblance. D'abord l'auteur ins-
crit le bonheur amoureux de Dora (une illusion) dans le désarroi géné-
ral de l'hiver 1914.
"Tout ce à quoi plus personne ne croit dans cette année 1914 se réfugie
1- Louis Aragon Les ~eaux quartiers p. 492
-190-
ohes oette mère maquerelle qui a traversé le fleuve sacré, retrouv~
l'enfanoe du ooeur." (1)
L'évocation de l'atmosphère sooio-historique se poursuit avec la forma-
tion du Ministère Viviani en juin. L'histoire de Pierre est intégrée
dans la peinture de la oatastrophe qui se prépare.
"Juin éolatait oomme une figue sous la ohaleur précoce. Les esoarres
s'étendaient au dos du malade et gagnaient les épaules. Deux ou trois
fois il s'arr@ta de pisser de façon inquétante, tandis que ses pieds ( ••• ).
Un archiduo d'Autriche et sa femme furent assassinés vers ce temps-là. n (2}
Les paramètres historiques que oonstruisent les allusions de
Drieu la Roohelle sont beauooup plus souples. Gilles tire son réalisme
essentie11emeDt du mode disoursif utilisé. En effet son action oommenoe
à l'hiver: 1917 :et se termine pendant la guerre d'Espagne sans auoune
,
autre préoision. Entre les extr~mes, des évocations historiques qui dévoilent
les.. sympa:hies de l'auteur plus qu' ila ne. éontribuent à l'ill11si01'1 de réa-
lité : Berlin en 1932 et 33, février 1934 eto. Il y a certes référenoe
au réel mais oe dernier n'est pas pris à partie pour oonstruire le vrai-
semblable. Pour preuve, l'auteur use de noms fiotifs bien que souvent re-
connai~ables pour rendre oompte de oertains événements. L'instabilité po-
litique des années vingt qu'Aragon aurait olairement exprimée, est par-
faitement décrite comme. une l'lction.
L'imitation du réel est la recette traditionnelle de construction
du vraisemblable dans le roman. La fiotion romanesque imite presque tou-
jours le modèle social quand bien m~me son intentionnalité est subver-
sive. D'ailleurs le oaractère réaliste d'un roman réside dans la oam-
plexité que l'on suppose être le trait définissant la réalité. Les ro-
mans de Drieu appliquent rarement ce prinoipe réaliste. Par oontre ceux
d'Aragon foisonnent de détails qui n'ont aucune fonotion narrative autre
1- Louis Aragon Les voyageurs de l'impériale p. 629
2- Idem p. 635
-191-
que celle d'être là et, de ce fait, d'imiter le réel. Le détail n'est
certes pas superflu puisqu'il contribue a créer l'1.tmosphère réaliste mais
il ne participe pas à l'esquisse de la structure du récit. Il y a des
conséquences, diversement appréciées, de cette esthétique de l'accumu-
lation. En effet celle-ci donne l'impress'ion d'un désordre. Pour cer-
tains lecteurs les parties des romans d'Aragon qui cumulent le plus de
détails sont les plus mauvaises. Marcel Arland est de ceux-là; il porte
ce jugement sur Les "Beaux quartiers.
"Les deux cents pages où M. Aragon mène l'attaque contre la bour~oi
sie portent à faux. Cette multitude de traits cinglants, chacun d'eux
plaisant, mais ennuyeux dans l'ensemble, sont une suite de variations
gratuites sur un thème que l'auteur n'a pas su renouveler." (1)
Percevoir la multiplicité des détails descriptifs, des dépla-
cements et rebondissements, c'est faire une louange au romancier
réa-
liste. C'est en fait se laisser prendre au piège de l'artiste qui veut
nous amener à croire à l'absence de r~gie d2ns son texte, celui-ci épou-
sant la forme du réel.
En fait ces textes d'Aragon sont complexes et donnent l'impres-
sion d 'une composition sans ordre à cause aussi de la multitude des points
de vue et des actions. Chacun d'eux devient ainsi un corps polyphonique.
Ceux de Drieu ont par contre tendance à l'homophonie. On peut oomparer
dans ce sens Les ~eaux quartiers et Gilles. Dans le premier les événe-
ments relatés sont discutés par toutes les couches sociales et les opi-
nions circulent, nombreuses et variées. La loi des trois ans par exemple
est discutée à Sérianne lors de la campagne électorale. A Paris, elle
est à l'ordre du jour des rassemblements de bourgeois comme de prolé-
taires, avant de constituer une sorte de bras de.f~r entre eux et de pas-
ser au J?arlement. La polyphonie ne na!t pas seulement de la multiplie ation
1- Marcel Arland "Les beaux quartiers" par Louis Aragon" Nouvelle Revue
Française nO de janvier T 48, 1937
-192-
de ces voix intradiégétiques. Il y a aussi les commentaires du narra-
teur-auteur, ses prises de position~ et les illustrations qu'il apporte.
Dans le roman de Drieu, il y a également plusieurs voix qui se
rencontrent mais pas autant que chez Aragon. Ici le récit est plus imper-
sonnel. L'auteur s'est définitivement glissé dans ses personnages et ses
opinions n'affleurent jamais directement dans le texte. Ses idées sont cer-
tes exprimées mais toujours par la médiation de personnages. Cela ete à
quelques~s parmi eux, leur autonomie et l'individualité qui leur est si
nécessaire dans un roman. C'est pourquoi les portraits de Drieu nous li-
vrent plutet des types. L'individualité permet d'imiter l'être et de cons-
truire la vraisemblance. Avec ses personnages, Drieu utilise d'autres mo-
yens de crédibilisation : leur motivation et leur sincérité. Le discours
prend une allure tragique et se prive de l'humour •••
Les romans de Drieu sont plus c?nvaincants que vraisemblables. L'auteur
rappelle ainsi Michelet car ses livres ne rendent pas la complexité de la
vie. Drieu ne représente pas la vie, il admet m~me altérer les faits en con-
servant leur esprit (1). Son réalisme à lui (et peut-~tre sa vraisemblance)
c'est snrement de rendre un écho de la vie. Pierre Andreu identifie cet
écho comme étant le m~me chez tous les personnages centraux,soulignant
ainsi l'insistance sur leur motivation.
"Seulement l'écho que, dans ses romans, Drieu demandait à la vie de ren-
dre, était un écho lugubre de décadence et de mort, qui depuis l'enfance
martelait son esprit." (2)
Drieu tente certes de fonder la motivation de ses personnages à partir
du réel social. r:AÎs l'expression de cette motivation est essentielle-
ment psychologique et subjective. Il ne construit pas suffisamment de
1- Drieu la Rochelle "Préface à Gilles" in Gilles p.15
2- Pierre Andreu, "Gilles, une somme romanesque", Le Hagazine littéraire,
nO 143 (spécial Drieu), décembre, 1978
-193-
faits pour expliquer et justifier ses idées. Au contraire d'Aragon, dans ses
fictions, le mensonge ne cherche pas à parattre vraisemblable, il se po-
se comme la vérité. Drieu semble ignorer que le vraisemblable, est une
loi du roman et qu'on n'y arrive pas nécessairement par la sincérité.
D'ailleurs le détail vrai fonctionne dans la fiction en épousant la lo-
gique du mensonge, à moins de faire fausse note.
b) Dire vrai dans le mensonge.
Le collage littéraire (sur lequel nous reviendrons dans la
troisième partie) intègre un énoncé, un texte authentique dans une fic-
tion. Drieu et Aragon l'ont tous pratiqué sans que leurs textes en per-
dent leur homogénéité tonique. Tout comme il leur arrive d'introduire
une portion d' histoire vraie dans une fict ion (fausse), sans alt érer
l'hannonie littéraire. Au mode de fonctionnement du vrai dans le men-
songe, résultant d'une pratique consciente, il faut ajouter celui de
dire vrai quand on croit mentir.
Le détail vrai consciemment narré peut servir à dater un texte ou à
créer une certaine atmosphère intradiégétique •. Ces aspects obéissent.
le plus souvent à la volonté de vérité, nous l'avons déjà souligné. Le
détail vrai, comme le collage d'énoncé, peut aussi, quand il porte en
lui les moyens qui le feront reconna!tre, aider à identifier des person-
nes et des faits réels. Cela est fréquent dans les textes -parodiques où
le vrai dans le mensonge fonctionne comme un régulateur de l'information
parodique. En permettant de déjouer la contingence, d'instaurer une cer-
taine lisibilité, et de réduire l'ouverture du discours, il devient
mode de transparence et de reconnaissance. On peut reconna!tre là un cere>
tain dialogisme (1) conscient par lequel l'auteur oriente le lecteur.
Ce ~canisme intervient dans le fonctionnement de la parodie mais il n'est
pas lui-m~me parodique. Son rele est plutet signalétique ou métalinguis-
1- Rencontre de textes ou d'énoncés.
-194-
tique. Dans Gilles il y a la peinture parodique des surréalistes. L'au-
teur se sert de collages d'énoncés vrais pour nous dire qui se cache der-
rière les figures et noms fictifs qu'il nous donne. Pour cela, il choi-
sit des propos réellement tenus par des surréalistes et suffisamment con-
nus pour faire penser, aussitôt proférés, à leur véritable auteur. Aussi quand
Galant, premier collaborateur de CatH dit :
"Ils parlent de révolution mais le seul acte intéressant, c'est de des-
cendre avec un révolver dans la rue et de tirer sur n'importe qui, jusqu'à
extinction." (1),
et que la narrateur commente "C'était des mots de CatH" (1), l' ambiguité
est levée, pour qui connalt, un tant soit peu le surréalism~sur les
pilotis (2) de ces personnages et m~me sur ce que représente le groupe
"révolte".
Cela souligne la fonction possible du réel dans la fiction.
Son fonctionnement pose un problème de ton et d'harmonie heureusement
presque toujours surmonté par les auteurs. Cela est d'autant plus pos-
sible que l'art du roman, et surtout . . . . . . . du roman réaliste, est de
créer des situations possibles. C'est pourquoi le fait vrai, une fois
introduit dans une fiction, épouse la logique de celle-ci et ne prend
plus son sens qu'à partir de l'ensemble des composantes qui l'entou-
rent. Dans le discours doctrinaire ce détail vrai, sans cesser de jouir
du prestige d'~tre réel, entre dans la logique de l'argumentation et sert
beaucoup plus, par ce double rôle, le dessein persuasif de l'auteur.
Comme l'auteur se trahit, dans son texte, et livre, en plus
du savoir, un "contenu de jugement" pour parler comme Henri f1itterand,
il lui arrive aussi de s'inspirer de son expérience. C'est de la m~me ma-
nière qu'il procède à des auto-censures et subit des influences déter-
-
1- Drieu la Rochelle Gilles p. 264
2- Les personnes qui ont inspiré les figures littéraires.
-195-
minantes dans l'oeuvre. Mais aveo le magma de faits réels qui solli-
cite l'auteur, l'écrivain peut construire une logique, mettre sur pied un
univerf# • Son dire sera alors une "vérité" fondée sur le mensonge ou
un mensorige tiré d'un matériau~vrai._Dans tous les cas l'apparence est
trompeuse et donne l'illusion de vérité. Aragon nous en avertit dans
Le mentir-vrai 1
"On est pour écrire, dans ce troisième quart de siècle, plut8t gêné
par ce qu'on sait, qu'on a connu, vécu: ce sont là les difficultés in-
ternes du réalisme, et parfois je me demande combien de temps encore il
sera possible de les surmonter. Les réalistes de l'avenir devront de plus
en plus mentir pour dire vrai." (1)
Il Y a ainsi deux sortes de mentir-vrai : construire une fic-
tion de telle sorte qu'elle :üt
l'apparence de la vérité. C'est le tra-
vail éternel de tout romancier. Ou ·bien dire des choses vraies, tirécsde
l'expérience, tout en .' croyant faire oeuvre de fiction. Le premier est
une crédibilisation et rejoint la quête de vraisemblance. Le second marque
les limites de l'imaginaire et la revanche de la réalité. Cependant l' é-
criture de l'expérience peut être consciente et c'est peut-être là le
véritable mentir-vrai. Il est possible d'en analyser quelques exemples.
c) Le biographique et les pilotis.
La genèse d'un univers, même romanesque, ne peut être un acte
~
spontan~ entièrement sorti de l'imaginaire. Le modèle social et l'ex-
périence, la vie de l'auteur et de son entourage le sollicitent constam-
ment. C'est pourquoi les écrivains sont tout disposés dans la plupart des
cas à faire des récits biographiques. Mais il y ad' autres raisons qui
expliquent l'adoption de la biographie romancée. La première est une
réussite de la mimésis. Tout texte a un modèle qu'il imite ou qu'il veut
reconstituer entièrement ou partiellement. Les connaissances de l'auteur,
....
1- Louis Aragon, "Le mentir-vrai" in Le mentir-vrai nouvelles, Paris..
Gallimard, 1980p. 24
-196-
connaissances qui nourrissent son i~ginaire, sont faites de l'expérience
..
de la vie. Celle-ci ne peut donc demeurer absente des fictions.
Le récit biographique, qu'il con~erne la vie de l'auteur
ou celle de son voisin, présente l'avantage d'~tre ~a pein~ure d'une
vie individuelle, thème traditionnel du roman, et de donne~ l'illu~ion
d'~tre réel, ambition de toute fiction. Comme n'importe quel détail vrai,
l'élément biographique fonctionne dans un texte littéraire en épousant
. .
la logique du système textuel. S'il peut ~tre extrait,reconnu et
interpr~té par rapport à la vie de l'auteur, il n'en est pas moins dé-
formé conformément à la structure et à la logique globale du texte et
surtout de son intentionnalité. Dans Les voyageurs de l'impériale il y a
,
.
un homme qui abandonne sa famille et s'en va en errance a travers le mon-
de. Selon Aragon m~me, cela lui a été inspiré par la vie de son grand-pè-
re, un ancien préfet qui avai t abandonné les siens. L'auteur fai~onc
apparemment la biographie de son grand 'père. Or, dès le début, on cons-
tate des différences qui ne s' expliquent que~r 1 "intentionnalité idéo-
logique. Le grand 'père Toucas était préfet. Il était donc directement ou
indirectement impliqué dans la vie politique. Or Mercadier doit pouvoir
rester parfaitement isolé de la vie politique, n'~tre en rien engagé. Par
un coup de pouce, Aragon rend plus lo~ique le comportement de son grand'
père en ajoutant à son besoin d'évasion, à sa qu~te égoIste du bonheur,
à son libertinage, un état d'esprit et une situation sociale parfaitement
adaptés à sa conduite. Aragon a certes choisi de faire de Mercadier un
historien, ce qui est contradictoire avec son refus de s'intéresser à
la vie sociale, mais il a pris la précaution de nous dire en quoi consis-
te sa culture. Le lecteur ne retient de Mercadier que le grand r~veur,
le joueur et l'idéaliste. Il est d'ailleurs significatif pour le lec-
teur de conna!tre l'historien uniquement par son essai, une sorte de disser-
tation philosophique sur Jonh Law plutôt que par ses cours. Ceux-ci auraient
-197-
sans doute un aspect moins transcendantal. Ce profil de Mercadier permet
à l'auteur d'incarner en son personnage une conduite dont la critique
constitue le fond du roman. La biographie ne se justifie que par sa
référentialité ou plut8t son pari de reconstituer ce qui a été là. Quand
un romancier propagandiste s'en sert, il veut profiter de la crédibili-
té d'un tel récit, mais ses intentions démonstratives ou didactiques
peuvent le pousser à déformer les faits et événements. 8'il faut pren-
dre la vie du préfet Toucas comme source, l'histoire des Voyageurs de
l'impériale est infidèle, mais logique. La fiction devient plus vrai-
semblable que l'histoire vraie. L'auteur parvient à ce résultat en su-
bordonnant le romanesque de l'action de Mercadier à ses conséquences.
La biographie est de deux sortes dans l'oeuvre de Drieu la Ro-
chelle s Il y a _celle qui est née de la revanche du réel sur l'imeginition de
l'auteur, et celle qui sert les intentions du créateur.
La plupart des premiers héros de Drieu sont des diplomates ou des amants
confrontés aux rigueurs de l'amour. Or ces deux éléments reprennent
certains aspects de la vie de Drieu la Rochelle. Recalé à l'école des
sciences politiques, il dut renoncer avec amertUMe à la carrière diplomati-
que. Gilles et Gille réalisent donc les aspirations de l'auteur tout en
lui permettant, parce qu'il mesurait la valeur de cette illusion, de
recourir à un autre subterfuge pour supporter son échec. Ce subterfuge con-
siste à dévaluer le métier qu'il n'a pu exercer et à réduire le r~uai
d'Orsay à un rassemblement de dégénérés. Ainsi deux attitudes contr~
dictoires
assument le m~me dessein, et l'une est sans doute inconscien-
te de ses raisons d'~tre. La situation diamant subit beaucoup moins les
déformations de l'imagination. Il y a chez les personnages peut-~tre un
peu plus d'outrance dans la souffrance morale provoquée par cet état que
cela n'est arrivé réellement. De toute f~on l'auteur épouse si bien son
personnage ou plut8t son héros lui sert si parfaitement de double ou de
-198-
contraire que l'intention didactique est clairement exprimée. Voilà pour-
quoi malgré
l'importance de la psychologie des personnages, celle-ci
est peu profonde.
Il Y a encore dans Gilles des cas intéressants où l'auteur se
sert de la biographie à des fins satiriques. Le crédit de réalité est
d'un grand secours ici, parce que satire et parodie s'accordent mal
avec le sérieux et le tragique, du fait de la distanciation. Dès lors
le biographique devient une technique persuasive à cause de la préten-
tion réaliste qui l'accompagne. Cette dernière rend vraie (ou plutôt el-
le donne l'apparence de la vérité à ) la fiction. Drieu se propose de
dénoncer dans Gilles la démission de la gauche et de la droite lors des
journées de février 1934. Sa satire veut montrer que les politiciens ont
renoncé à mettre sur pied une société saine et forte. Il utilise aussi le
récit biographique et satirique, légérement voilé pour certains person-
nages. Par exemple une déclaration réellement attestée par la biblio-
graphie d'Aragon (selon toute vraisemblance) permet de dévaluer le mar-
xisme comme doctrine révolutionnaire et de réduire ses adeptes à de sim-
pIes pantins conformistes s
"Il téléphona à Galant, devenu fonctionnaire communiste, avec qui i l
était brouillé à mort depuis des années. Une voix pincée lui répondit que
seul le prolétariat pouvait faire une révolution et qu'il la ferait à
son heure." (1)
1-
Drieu la Rochell~Gilles p. 601. Selon Dominique Desanti,Drieu a téléphoné
_ . .
•
...
_ _
_...
c
lors des émeutes de février 1934, saisi de la nécessité d'une union nationa-
le, à Louis Aragon rédacteur à l'Humanité depuis 1933. "Le personnage de
Gilles, G~lant, caricature cruelle d'Aragon, répon~ce que le véritable
Aragon a sans doute répondu au vrai Drieu que "Le prolétariat fait sa ré-
volution quand il le décide." Des années Trente 1 Groupes et ruptures. Ac-
tes du colloque organisé par l'URL nO 5 à l'université de Provence l 5-7
mai
1983, Paris édition du CNRS 1985 p. 141
-199-
Malgré ces ressources de la biographie, le pilotis (1) reste plus
souple pour le roman. Là un ~tre réel sert de base de départ pour l' ima-
gination de l'auteur. Le pilotis pr~te donc un trait (physique ou moral)
SEms réclamer la fidélité. De ce fait plusieurs personnes diverses
peuvent servir de pilotis pour un seul personnage. Le but est d'éviter la
platitude du portrait référentiel et de créer une individualité propre
avec toute sa profondeur et sa singularité. Ce prooédé explique sans dou-
te la plus grande richesse d'Aurélien FC\\Y ra ppë.,.t ~ U}(, 'autres personna-
ges du Monde réel. De l'aveu m~me d'Aragon i l emprunte ses traits à l' au-
teur et à Drieu La Rochelle. Ce qui, en Aurélien, rappelle la conception
selon laquelle l'esthétique de vie peut servir de morale, l'indécision,
l'obsession de la guerre,
le dandy, serait venu, sans doute, de Drieu la
Rochelle. L'auteur pourrait, lui aussi, avoir fourni l'obsession de la
guerre, le désir d'absolu incarné dans l'amour. Par contre le domaine où
l'on attendait le plus l'outrance, la pensée politique, rév~e une net-
te modération du romancier. Là le fasciste Drieu (si c'est lui) est trans-
formé en simple vichyste •. C'est pour 1 'homogénéité de l'univers romanes-
que. On comprendrait mal que ce personnage sensible, peu disposé aux en-
gagements les plus banaux, puisse si subitement adopter la pensée extrê-
miste du fasciste. Il comporte certes des traits qu'on peut retrouver chez
des fascistes, mais ceux-ci rompraient la vraisemblance s'ils le condui-
saient au delà du vichysme. C'est sans doute la nécessité de cette logique
narrative que n'a pas comprise Jacques Urvoy qui conteste qu'Aurélien soit
un portrai~m~me nuanoé,de Drieu la Rochelle. Ses raisons sont, vues les
différentes provocations de Drieu dans Gilles et à la N.R.F, la modération
et m~me la compréhension d'Aragon devant son personnage:
.
.
,
1- Le pilotis dans cette acception.
est l'~tre qui inspire pour la créa-
tion d'un personnage, mais la technique de la peinture à partir d'un pilotis
est fort difficile à différencier avec celle de la biographie.
-200-
"Les ·rancunes d' .tragon sont fameuses, et seul le suicide- de Drieu a
fait taire celles~i.1I (1)
Ainsi, pour lui,
Aragon serait moins tendre s'il avait, voulu, dans Aurélien,
peindre Drieu. Sans doute parce que la présence du modèle est moins forte au
moment de l'imitation, le pilotis est bien difficile à identifier. D'ail-
leurs, les auteurs sont rarement conscients de l'emprise d'un pilotis sur
la création des personnages. Fort de cette
observation on peut admet-
tre avec Jacques Urvoy (2) qu'Aragon n'avait nullement l'intention de
s'inspirer de Drieu pour créer Aurélien. Cela ne peut nuire à l'argument
selon lequel Drieu serait un pilotis du personnage car, pour cela, il n'é-
tait pas besoin que l'auteur en ait l'intention.
Le biographique et les pilotis fonctionnent dans un texte fictif
comme un élément narratif ou descriptif au m~me titre que les autres. Ils
sont choisis parce qu'ils s'adaptent à ce que l'auteur veut illustrer ou
parce qu'ils ont, au plan psychologique, subjectif ou imaginaire, une tel-
le force qu'ils deviennent des obsessions conscientes ou inconscientes.
Ces détails vrais peuvent aussi servir d'Incipit et déclencher l'imagi-
nation. La. réalité devient un point de départ-. Aragon le dit à Francis
Crémieux :
"Si je sais comment un homme mange, ou s'habille, ce qu'il mange, ce
dont il se v~t, mon esprit au delà de cette acquisition concrète peut
apercevoir cent choses inattendues qui lui auraient été sans cela bien
inacèessibles." (3)
Qu'il soit texte c'est-à·~iire un discours introduit dans le roman ou une
1- Jacques Urvoy, "'llrélien entre Aragon et Drieu la Rochelle", Ecrits de
Paris, décembre 1978 p. 97
2- Interprétation possible mais que nous ne partageons pas.
3- Louis Aragon, Entretiens ave,O, Francis Crémie~ Paris Gallimard, 1964,p.15
-201-
réalité ooncrète décryptée par le langage en guise de représentation, le
réel entre dans les livres de Drieu et d'Aragon de deux manières princi-
pales 1 comme fixation de connaissances ou comme incitation poétique et
imaginaire débouchant sur la création d'images littéraires. Mais le dire
vrai dans le mensonge, comme le récit biographique, e,~ t limité
dans le
roman par le vraisemblable. C'est la première forme du mentir-vrai, celle qui
se propose d'emprunter le parattre de la réalité sans ~tre forcément réel-
le. La forme du mentir-vrai constituée par le détail vrai qu'il soit tex-
tuel, biographique ou descriptif peut contribuer à asseoir ce para1tre
ou procéder d'un tout autre
point de vue. Cela arrive lorsque, croyant
imaginer un mensonge logique et cohérent, un roman, l'auteur ne fait que
se servir de son expérience.
C) L'ENONCIATION PERSUASIVE
Il n'ya pas de mode de discours auquel le pouvoir de persuader
s'attache spécialement et exclusivement, ou dans lequel il ne soit pas
possible de déceler une quelconque intentionnalité persuasive. C'est dire
donc qu'il y a plusieurs types de discours qui peuvent ~tre persuasifs
quand bien m~me la recherche ne s'oriente pas vers le contenu. Nous pou-
vons déceler l'intention persuasive par divers moyens mais i~ nous semble
que le rapport entre le locuteur et son message, autrement dit l'acte de
produire l'énoncé, porte des signes informant sur l'intentionnalité.
Ces signes
mesurent l'engagement conscient ou inconscient de l'auteur
dans son message. Mais leur présence ou leur absence ne signifie pas,
ipsc facto, dans le roman, un désir persuasif. L'une ou / et l'autre peut
obéir à ce désir et la grande partiEJUlarité du roman est de les combi-
ner dans son texte.
a) L'engagement dans le discours
Le pari d'un romancier réaliste est d'effacer toute instance
du discours et de présenter les choses comme parlant d'elles-m~mes. Cette
-202-
objectivité exige de
l'auteur qu'il puisse se glisser dans ses person-
nages au lieu de juxtaposer ses points de vue aux leurs. La création d'un
double n'est d'ailleurs pas, du point de vue formel, une atteinte à
l'objectivité. Au plan des idées, ce n'est pas seulement le texte tel
qu'il a été produit qui entre en jeu. Il y a aussi les connaissances, con-
victions idéologiques et préjugés du lecteur. Il serait donc hasardeux 'de
procéder à une analyse idéologique seulement, pour juger de l'engagement
d'un auteur dans son texte, vis- à-vis des idées développées, surtout
quand on n'est pas contemporain de cet auteur. Car en fait, il est fort
difficile, en oe qui concerne les personnages, surtout dans le cas de
ceux qu'on appelle les doubles de l'auteur, de dém3ler ce qui leur est
propre et ce qui vient de l'écrivain. Cela ne signifie pas une absence
d'engagement de l'auteur dans les textes où toutes les visions sont at-
tribuées aux personnages. C'est là un autre postulat car il s'agit alors
de voir comment la neutralité et la distanciation peuvent exprimer un
désir de persuasion. Par contre nous voulons voir comment l'abolition
des distances;
la discursivisation (1) du texte, c'est-à-dire son assu-
mation par l'instance énonoiatrice, porte une intentionnalité persuasive.
Il faudrait sans doute, s'il était question, ici, de' déterminer l'intention-
nalité de l'auteur, dissocier ce qui se rapporte à lui et ce qui pro-
vient du narrateur, quand ceux-ci sont différents. Dans ce cas le narra-
teur est aussi, très souvent, un personnage. L'analyse du texte doit ce-
pendant prendre en compte le privilège que lui procure cette situation
d'omniscience et l'avantage qu'il a d'3tre médiateur de toutes les vi-
L'une des principales marques de persuasion est, dans le ro-
man idéologique, la crédibilisation par auto-engagement. Le narrateur,gé-
1- Le fai t_ de laisser transparaïtre dans le texte les mar.ques de son énon-
ciation et l'origine. "Discours'est pris dans le sens restrictif que lui_
donne A. Grance , art~ cit,
-203-
néralement
doublé de l'auteur, affirme nettement son opinion et La
revendique. Dans les romans réalistes comme ceux de Drieu et d'Aragon
ce mode de présentation ne conna1t pas une large application. Là il Y a
plutat de brèves
incursions d'une subjectivité extérieure à l"intérieur
de la diégèse. Cela se traduit par un
changement de voix et un glisse-
ment, affirmé par des marques ou implicite, de la neutralité de la non-
personne (3e . personne), à la subjectivité d& la première personne. Cette
incursion peut ~tre une imitation de la conversation. Elle a alors une
faible valeur idéologique, le but principal étant de nouer un dialogue avec
le lecteur. Aragon l'utilise dans certains livres. Elle se signale, en
dehors du changement de personne, par son apparence, sous forme de maxi-
me. Ces énoncés ne sont pas hétérogènes par rapport au reste du texte et
il arrive qu'ils créent l'atmosphère générale du livre. Dans les cas où
l'incursion de l'auteur établit un dialogue avec le lecteur, elle porte
presque toujours un jugement sur ce qui est raconté ou la manière et la
suite de la narration. Il s'agit alors d'apostrophes ou d'assertions re-
vendiquées ou présentées comme des vérités partagées par tous. Dans ~
Beaux quartiers Arinand se demandant, après avoir vu l'affiche du candi..-
dat Vinet, s'il ne faut
pas regarder son père comme un salaud, ce qui
est tout de m~me fort difficile à admettre pour un lecteur bourgeois,
nourri du culte de la famille et du respect des parents selon l'ensei-
gnement chrétien; Aragon intervient par une apostrophe. Il suggère ainsi
une explication et va au devant de l'objection:
"Vous me direz que l'amour filial ne l'étouffait pas. Mais de là à
penser que son père était un salaud. Très honn~tement il en avait la
suée. Peut-~tre que la saison y était pour quelque chose." (1)
La présence du narrateur -auteur
peut ~tre plus discrète sans que le
texte cesse d'~tre une apostrophe. Le chapitre XXII des Beaux quartiers
1- Louis Aragon, Les ~eaux quartieFs , p. 110
-204-
commence par annoncer qu'un scandale secoue Sérianne'_ L'auteur nous
dit pourquoi. La présence etu'ldémonstratif et l'interpellation dont nous
sommes l'objet veulent rétablir le contexte pour nous convaincre.
"On avait ramené Mestrance de' "cette maison", dans un état, faut voir!"(1)
De pareils exemples sont nombreux dans les autres romans du Monde réel.
L' apostrophe établit un contact' -direct entre narrateur-auteur et desti-
nataires potentiels. Elle connatt son application la plus h~rdie dans
Les eloches de Bâle, et en particulier dans la dernière parties Clara.
"Le monde lecteur, est mal construit à mon gré, comme à ton gré mon
livre." (2)
Citons enfin un dernier exemple quand, dans Les !ommunistes, le sous-
lieutenant Sivry dit que Barbentane a de la chance parce que son com-
mandant était le moins "salaud" des trois; le narrateur ajoute que pour-
tant Siv'ry s'est fait sonner les cloches par Naplouse "j e ne vous dis que
Les textes de Drieu interpellent les lecteurs moins direc-
tement (4~.Drieu se contente plutôt de nous jeter des vérités géné-
rales ou personnelles mais présentées comme des évidences. Aragon aussi
parsème ses livr~de telles maximes et sentences. Mais chez Drieu l'ins-
tance énonciatrice est effacée èt la subjectivité n'est rendue que par
la sincérité et la croyance qui accompagne l'assertion. D'ailleurs cel-
le-ci est rarement confiée directement au narrateur, l'auteur préférant
les glisser dans les dialogues. Nous avons déjà dit comment il est ma-
laisé de discerner dans ce cas l'engagement du narrateur de celui du
personnage double. Par exemple quand Constant dit dans Les ~hiens de
1-' Idem p. 124
2- Louis Aragon Les eloches de B~le p. 426
3- Louis Aragon,Les eommunistes (sept-Bov 1939~ Paris,la bibliothèque
française, 1949 p. 60
4- Même s'il y a quelque chose du genres "On reparlera de M. de Sainte-Pience
et de la haute société ( ••• )" Rêveuse bourgeoisie p. 15
-205-
paille :
"Le juif est le type parf2.it du décadent. Nous sommes tous entrain
en Europe de devenir des décadents." (1)
Le lecteur est en droit de penser que la première personne du pluriel
désigne Drieu et ses contempor~ns. Nais la phrase est si conforme au
système textuel qu'elle reste parfaitement appropriée à la pensée de Cons-
tant. Le problème, avec les doubles c'est la coïncidence au plan idéolo-
gique et formel des pensées de l'auteur et de celles de ses personnages.
Par contre dans Le ]\\1onde réel l'énonciation persuasive par auto-engage-
ment est formellement marquée, souvent par une rupture de personne nar-
rative. Les exemples foisonnent. Le pluriel permet en m~me temps une
invitation ou une implication du lecteur. Une sorte de rapport affec-
tif est ainsi établi avec lui, et le livre ne s'adresse plus seulement
à la re.ison, mais aussi aux sentiments. Aragon recourt à cette technique
pour donner l'histoire d'Armand comme un exemple de conduite.
"Notre histoire est fei te de gens obscurs : .'lrmand s' étdt
juré d' ~tre
l'un d'eux, voilà longtemps." (2)
La valeur inverse du procédé est également exploitée. Dans
la narration à la non-personne surgit brusquement la première person-
ne pour signaler un fait singulier qui semble dépasser l'ordinaire. Alors
le "je" semble dire que ce n'est point là une vérité évidente qu'elle est
m~me peu vraisemblable mais que, lui, il en garantit l'authenticité.
Dans Les Voyageurs de l'impériale le portrait de Paulette est l'occa-
sion d'appliquer ce moyen persuasif:
"On n'etH jamais pensé qu'telle avait eu deux enfants. Je veux bien
que le corset y fnt pour quelque chose, mais sa taille était surpre-
nante, incroyable." (3)
1- Drieu la Rochelle Les chiens de Paille p. 115
2- Louis Aragon, Les communistes (sept-nov 1939) p. 23
3- Louis Aragon, Les voyageurs de l'impéri.:lle p. 13
-206-
Aragon utilise une autre tactique persuasive qui, pour fon-
der une idée ou un argument en justesse et en force, étend la convic-
tion à des individualités extradiégétiques. Celles-ci sont, certes,
d'abord l'auteur, mais virtuellement aussi les lecteurs. D'ailleurs Ara-
gon use ici d'une technique pamphlétaire et au lieu d'exposer des rai-
sons, il admet souvent, dès le départ, la conv~ction établie, et il
joue sur l'affectivité des lecteurs. Ainsi, après le discours de Jau-
rès dans Les beaux quartiers, l'auteur prend la parole et étend la con-
viction de l'assemblée du Pré-Saint-Gervais à tous les lecteurs:
"Oui, Jaurès comme toi, nous ne sommes pas contre toutes les années( ••• )"(1)
L'implication des lecteurs est d'autre part obtenue par le collage de
trai ts d' esprit dans le texte, comme dans ce passage où
Arinand, qui
veut débaucher la jeune Jacqueline :Barrel, se défait facilement de ses
scrupules :
"Mais quoi, on ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs." (2)
Très souvent le dessein persuasif ne se faufile plus à tra-
vers les vérités générales ou les maximes, mais il exige une interven-
tion explicative ou atténuante des paroles apparemment exagérées et
proférées antérieurement, de façon nelitre. Après la description des
deux semaines de débauche de Mercadier à 'Paris l'auteur nous dit:
"On croirait que je raconte une vie, et iln'ya que deux semaines.
Mais deux semaines de désordre, comme celle d'un gamin qui vient de dé-
couvrir la coucherie." (3)
C'est en fait, là,l'lnscription dans la narration d'un point de vue
extradiégétique. L'intervention de l'auteur ou du narrateur consiste
en une adhésion ou en un rejet des visions considérées. A ce titre les
commentaires du narrateur sont particulièrement informatifs. Ils sont
1- Louis Aragon, Les beaux quartiers, p. 341-42
2- Idem p. 84
3- Louis Aragon, Les voyageurs de l'impériale, p. 276
-207-
une sorte de méta-discours présenté sur un mode neutre, sans qu'on réus-
sisse, pour autant à camoufler leur origine. Par exemple cela peut ~tre
observé lors des descriptions menées par le narrateur, où un rapport
relie narrant et narré. Ce point de vùe extérieur pe:rm.et à Drieu d' in-
sister, de confi:rm.er ou d'infi:rm.er les propos des personnages, et aussi
de mener la persuasion. R~veuse bourgeoisie et Gilles offrent plusieurs
exemples de ce genre. Lors d'une discussion où le Lorreur exhorte le héros
à épouser Agn~s le narrateur note :
"Camille eut un sourir fat de possesseur." (1)
L'intervention du narrateur extradiégétique n'entraîne pas
de changement de mode de discours sauf quand le sujet de l'énonciation
se substitue à celui de l'énoncé. C'est pourquoi l'attribution des vi-
sions reste difficile quand l'auteur se cache derrière des doubles ou
se sert de la médiation d'un personnage pour livrer ses points de vue.
Par contre l'intervention directe enlève toute ambiguïté quant à l'o-
rigine des points de vue m~me si le mode impersonnel est conservé. Ce-
pendant, dans la plupart des cas, il s'agit d'une simple inversion,
l'auteur préférant donner la parole directement au personnage pour dire
son opinion, et ensuite clamer la sienne sur un mode impersonnel (2).
Cet exemple de Gilles le prouve :
"Gilles voulut quitter Debrye. "Je veux quitter Debrye comme je veux
quitter Iilyriam. Je refuse tout ce monde. La guerre c' ést ma patrie."
C'était sa s'Ore solitude." (3)
L'on retrouve ainsi la m~me rupture de personne narrative, rup-
ture qui signale un changement du sujet de l'énoncé. Entre les deux pro-
1- Drieu la Rochell~R~veuse bourgeoisie p. 58
2- C'est le contraire que fait Aragon cf note 1 page 173
3- Drieu la Rochelle, Gilles, p. 127
-208-
cédés (1) il Y a un déplacement de la subjectivité ou plutet de son ex-
pression e~licite. Comme le montrent nos exemples, cette expression por-
te chez Aragon sur le sujet de l'énonciation alors que chez Drieu c'est
plutet sur le persormage. Autrement dit Drieu préfère livrer les propos
du narrateur de manière neutre pour nous dormer l'illusion d'un discours
vrai, historique ou scientifique. Aragon assume les visions du narrateur.
Le ton neutre joue le m~me r~le que chez l'auteur de Gilles. Dans les
deux oeuvres (celle de Drieu et celle d'Aragon) le glissement vers la
première persorme est une mise en valeur. La subjectivisation explicite
indique une insistance comme l'aurait fait, dans la conversation, une in-
tonation forte.
Du point de vue
formel, la subjectivisation utilisée par Pierre
"Drieu la Rochelle
est plus classique dans le roman. Aragon l'emploie d'ail-
leurs quelque fois. Elle respecte les précautions que la littérature a
toujours prises vis-à-vis du discours. Ainsi est-elle nettement signa-
lée par des tirets et des guillemets. Par contre quand le narrateur prend
la parole, directement, dans les textes d'Aragon, il n'ya rien qui isole,ty-
pographiquement, sa performance (2).
Cette polyphonie non signalée semble enfreindre le code du roman tradition-
nel. C'est en cela m~me qu'elle est encore un moyen d'insistance, de mise
en valeur.
Dans le m~me ordre d' idé~ le point de vue du narrateur extradiégétique
informe sur les rapports affectifs, subjectifs, entre celui-ci et les vi-
sions des personnages; peut-~tre aussi sur ses relations avec l'idéologie
du texte. Il rév~e les tentatives de crédibilisation, de rejet et d'ac-
1- OÙ le "je" est d'origine feinte et se rapporte au narrateur comme dans les
exemples empruntés à Aragon Qu.bien le "je" est d'origine fictive et se rap-
porte à un persormage comme dana.l'exemple emprunté a Drieu (note 3.p. 207).
2- Cela est du point de vue de l'analyse tout à fait normal puisqu'il n'ya pas
de ohangement du sujet de l'énonciation. Mais l'usage n'est pas de r~gle en
littérature.
-209-
ceptation. A ce titre il vient en parallèle, ou en divergence (1) i\\~t:- les
idées propres des personnages. Il serait peut-3tre superflu d'ajouter
qu'entre l'adhésion et le rejet il y a une série de valeurs comme l'at-
ténuation, la vraisemblablisation etc •••
Le pouvoir persuasif ne se loge pas uniquement dans une sorte
d'abolition des distances qu'on pourrait appeler, avec quelque ~roprié
té, une énonciation pamphlétaire. La pratique inverse donne souvent des
résultats dont l'efficace est la. même. Par ce fait, le roman confirme sa
définition, celle qui lui vaut la renommée d'admettre tous les paradoxes.
b) Le refus de l'énonciation.
Il peut par2!tre surprenant que le récit, défini le plus souvent
par l'effacement de la source énonciative et par la neutralité, puisse ~tre ci-
té comme un type d'énoncé qui met en oeuvre une stratégie persuasive. ~Bis
il faut tout de suite remarquer que l'absence de marques inscrivant le su-
jet dans son énoncé ne signifie pas nécessairement la neutralité. Le mo-
de du discours romanesque traditionnel, qu'on appelle objectivité, obéit
d'ailleurs très souvent à un désir persuasif. Dans ce cas la crédibilisa-
tion n'est pas opérée à paItir de l'information elle-m~me ou de son conte-
nu mais de la fiabilité de sa source qui, pour marquer son impartialité, re-
fuse tout engagement. Cela se traduit par une démultiplication de l'au-
teur en plusieurs personnages 1 ils sont dominés par une conscience om-
nisciente peut-~tre, mais en tout cas neutre. Les faits décrits par cette
conscience cessent d'~tre les visions d'un ~tre susceptible de se trom-
per pour se vouloir expression des faits eux-mêmes. Le p::,.ri est d'imiter
la nature et l'illusion pour le lecteur, la découverte de cette nature,
sans aucune forme de médiation. Cette tactique est largement utilisée par
Drieu et par Aragon. En effet c'est de bonne guerre, pour un romancier
1- Termes emp:rontés à la théorie du film : en parallèle == dans le m~me sens
tout en précisant. En divergence == qui marque une opposition sémiologique.
-210-
idéologue. ou propagandiste, de refuser la paternité de ses dires pour
éviter d'@tre accusé de dormer ses sentiments et sensations pour la vé-
rité. Le procédé est d'autant plus adéquat pour Drieu et Aragon qu'ils font
la critique de leur société. Il fonctionne alors comme une sorte de régu-
lation des sentiments de l'auteur. La réussite n'est jamais totale car
consciemment ou inconsciemment l'auteur porte atteinte Par divers moyens
.....
à cette intention. Néanmoins c..elle fait en sorte que l'on PUisse voir
quelqu~ois, dans Aurélien, un militant communiste du temps du stalinisme,
jdanovien et ancien surréaliste, menifester de la compassion, ne serait-ee
que par la manière po~tique de la peindre, devant l'amour d'une petite
bourgeoise mariée, et d'un rentier dandy. Il pousse leur grandeur jus-
qu'à dépasser l'amour charnel et motiver ses personnages à partir d'une
qu~te de l'absolu:
"Celui qui a le gotlt de l'absolu peut ~tre un innocent, un fou, un ambi-
tieux ou un pédant, mais il ne peut pas être heureux. De ce qui ferait
son bonheur i l exige toujours davantage." (1)
C'est de cette m~me concession que naît, malgré la satire, la vie tra-
gique de certains personnages de Drieu, vie qui semble témoigner de la
pitiê de l'auteur ou du moins de sa compréhension. Ainsi l'auteur ne
prive point M. Morel, malgré "sa déchéance, d'une certaine sensibilité et
d'un désir de dignité. C'est également pourquoi d'autres personnages,
sans avoir un destin e~tiormel, et essentiellement exemplaire, sont hu-
manisés et dotés de valeurs positives. Margot Santorini aurê, de ce f2it
la force et la volonté de décider de se priver de tout ce qui constitue
le fondement de la déchéance et qu'elle croyait jusque-là ~tre des va-
leurs et des biens auquels on doit s'accrocher.
Il Y a une conception répandue qui considère comme oritère du
discours aléthique sa référentialité. Le roman de Drieu exploite fortement
1- Louis Aragon Aurélien p. 223
-211-
cette idée, m~me si ses référents ne sont pas souvent matér.iels. r,'ast
pourquoi, parce que centré sur le référent, son expression ne laisse pas
de place à. ce qui
se rapporte aux autres intervenants ou composants du dis-
cours. Cela fait que les textes de Drieu ignorent souvent, s'ils ne les
traitent pas directement dans l'énoncé, les circonstances de leur énon-
ciation. Ce trait explique leur simplicité et leur respect de l'unité
d'action tandis que ceux d'Aragon juxtaposent deux réseaux (et m~me trois
si l'on prend en compte le processus d'énonciation) informatifs 1 1 'histoire
racontée par le roman et l'histoire du roman; celle-ci recoupe l'his-
toire générale. Cependant le centrement du discours sur le référent ne
fait que réduire les autres réseaux; il ne les élimine jamais complète-
ment. Ces faits se tr2~uisent par le didactisme des romans de Drieu, leur
fermeture manifestée par l'absence de connotations multiples, puisque
tout est centré sur le dénotatum. ]ls diminuent, rappelons-le, la lit-
térarité des romans et les rapprochent des essais. Les passages suivants
qui décrivent Gilles après une séparation avec Dora nous en donnent l'il-
lustration :
"Il se retrouva devant le trou de l'absence. Il retourna à. la maison
des Maures, mais le supplice fut insupportable. Il alla à. Cannes~ Là, i l
chercha "des amis" et en trouva toute une bande qui vivaient aux confins
de la mort et ( ••• )" (1)
La distanciation et le refus de l'énonciation sont, dans d'au-
tres situations, poussés à. des limites telles que tous les sujets d'énon-
ciation, m~me les personnages, sont effacés. Le mode impersonnel règne
alors en exclusivité dans le texte ou l'énoncé. Aucune distinction ne
s'établit entre information, source et circonstance d'apparition de cet-
te information, ou son appréciation. Le récit nous est livré à la troi-
sième personne par la médiation d'un narrateur qui refuse d'assumer son
1- Drieu la Rochelle Gilles p. 382
-212-
disoours. Ce cas limite d'objectivité appara1t rarement dans un roman
tout entier. D'ailleurs dans les passages où il est mis en oeuvre il
s'accompagne presque toujours d'un procédé, souvent ironique, qui sug-
gère l'origine des propos, apporte des précisions et des jugements ca-
ractérisant indirectement les personnages en cause. Au chapitre XIV des
Beaux quartiers un passage m~le les pensées d'Armand pour Jacqueline Bar-
rel, la narration des événements de la semaine et le jugement des bour-
geois sur la vie politique à Sérianne. Tout est raconté d'un m~me point de
~e bien qu'il soit possible d'attribuer à chacun, narrateur compris,. les
paroles qui lui sont propres :
"Allait-il lui écrire? Il r~va longtemps puis se décida d'accompagner
sa mère le dimanche suivant chez les Lomènie. Peut ~tre que Jacqueline y
viendrait-elle ••• C'est cette semaine-là qu'on apprit qui se présentait
contre le' docteur : un certain Delangle, ami du député, décoré des
palmes académiques et du Nicham Iftikar. Le dernier détail provenait du
docteur lui-m~me qui avait pris ces renseignements ••• Les socialistes
auraient un candidat de I1arseille, un avocat sans cause, rien d'important .. " ( 1)
Comme en témoigne cet exemple m~me, la distanciation peut, en plus de
l'objectivité, ~tre portée par le temps du verbe. Le passé simple reste
,
approprié à la narration en ce qu:' il décrit un passé compl~tement écoulé.
Mais comme le dit A. Grance:
"il ne relève en fait que d'un système de prestige qui vise à créer la
dist:mce maximum entre locuteur et destinataire, en soulignant l' apparte-
nance du texte à un niveau intellectuel "relevé"," (2)
Au contraire des situations de conversation fréquentes dans
certains romans populistes, la fiction de mode récitatif reprend le co-
de Unidirectionnel du message littéraire. Ce refus de prendre en compte
1- Louis Aragon, Les beaux quartiers p. 84
2- A. Grance "la dialectique récit/discours dans la stratégie de la persua-
sion" in Stratégies discursives Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1978
Po. 251
-213-
les protagonistes de la communication littéraire consacre la prio-
rité du caractère référentiel des textes et de leur dénotabilité. Mais
s'il permet de donner à lire des fictions comme de véritables séquences
historiques, de fonder un certain réalisme, il limite, en m~me temps, la
subversion du texte et par le texte. En effet le passé simple inscrit la
forme d'un énoncé dans une tradition narrative attestée et son contenu
d<ms un passé inoffensif parce que révolu.C' est sans doute pour cela
que son emploi n'est ni absolu ni trop étendu dans les romans de Drieu
et surtout ceux d'Aragon.
Le refus de l'énonciatiOn est certes une technique de crédibi-
lisation. Mais les espoirs persuasifs qu'il fonde sont toujours limités
car ce refus n'est jamais total. La littérature dit certes quelque cho-
se mais elle exige aussi qu'on la considère pour elle-m~me. Dans ce cas
la littér~ité naît aussi du procès d'énonciation et des entours contex-
tuels du message. De ce point de vue le discours romanesque, littéraire,
est nécessairement plurimodal.
c) La dialectique récit/discours (1)
La manière dont sont illustrés ici récit et discours pourr3it
faire penser que l'on peut retrouver la pensée politique de Drieu ou d'1ragon
à partir du mode de discours dominant. Chez Drieu c'est le réc~t qui semble
prédominer sur le discours alors que pour Aragon ce serait le contraire.
L'énonciateur est pour lui important en ce que son acte est un critère
de distinction de sa classe. Et s'il s'agit de l'auteur, la distinction
porte sur ses rapports avec les personnages, chez qui il discerne des
sympathisants et des ennemis de classe. Tout cela procède de la division
sociale en deux classes. Pour Drieu la loi unique applique aux ouvriers
et aux bourgeois le principe de la déchéance. Aucune distinction n'est
,.
1- Comm~_ A.. Grance à qui pou.s. _el1!P_~tons ce titre,. ~~discours" quand nous
l'opposons à Récit est pris d.:ms un sens restrictif qui veut dire énoncé
admettant la présence de l'Auteur dans son énoncé. Le récit lui est contràire.
-214-
socialement possible et l'acte littéraire subversif équivaut à un compte-
rendu, subjectif certes, mais sans importance accordée à l'énonciation.
Toutefois le désir de persuader reste commun aux deux auteurs. '
Ce raisonnement sohématique et caricatural est assez éloigné
de la réalité. Il ne peut y
avoir dans un texte romanesque, une prédo-
minance absolu d'un mode narratif donné. C'est pourquoi on observe chez
les deux romanciers, et dans presque chacun de leur roman, une dialectique
récit / discours. Chacun de ces deux modes narratifs peut en effet avoir
une valeur persuasive. Ni Drieu ni Ar2gon ne se limite à l'un ou l'autre.
Il est nécessaire cependant de savoir que le glissement d'un type de nar-
ration à un autre obéit souvent à des visées per1ocutoires, i11ocutoires
ou bien à une contrainte contextuelle. Autrement dit, l'emploi du mode
récitatif ou discursif s'inscrit dans une intentionnalité définie par
le système textuel et l'idéologie de l'auteur. La démonstration ou p1u-
tôt l'i11ustr~tion de cette idée peut partir de macro-segments textuels
ou de petits énoncés.
Dans Gilles les trois premières parties s'attachent à narrer
la déchéance sociale. La description de celle-ci suit une courbe ascen-
dante, jusqu'à l'apocalypse (1) finale. Cette ascendance correspond à une
présence, de plus en plus marquée, de l'auteur dans le texte. Le récit
évolue vers le discours traduisant un rapport subjectif de plus en plus
étroit entre le narrateur - auteur et ce qu'il dit d'une part, et avec
les destinataires d'autre part. Les comment?ires, qui sont les perfor-
mances du narrateur, non attribuées à d'autres, cessent d'~tre de sim-
p1es précisions apportées à l'information pour devenir des jugements ou
des renseignements en contrepoint (2).
Il Y a deux exemples assez significatifs qui sont des commentaires sui-
1- Il n'est pas étonnant que l~.de~ière ~rtie s'appe11~_1'Apoca1y'pse.
~
2- Signifie en filmologie qui apporte des éléments semantiques nouve2UX~
-215-
vant la rencontre avec une femme que Gilles va épouser. D'abord Myriam;
avec elle il n'ya pas en de déclarations d'amour mais à partir de la pa-
ge 56 on peut considérer que le contact est établi et tout le monde a
compris. Ici les camment~ires sont en parallèle, et ils caractérisent
l'état de Gilles. Comme l'on s'y attend la joie et l'espoir semblent
na1tre.
"Les jours qui suivirent leur rencontre, Gilles vécut en extase devant
Myriam. Lui, qui n'avait jamais senti qu'indifférence et dédain pour les
puissances, leur accordait tout d'un coup à travers elle une grande vé-
nération. Il relevait la t~te avec fierté ( ••• )" (1)
Ici la description est sans doute évaluative mais ne témoigne pas d'un
engagement explicite de l'auteur. L'omniscience ne semble pas porter at-
teinte à l'objectivité. De plus la suite ininterrompue de ces assertions
ne montre nullement un souci d'établir, comme le fait souvent le dis-
cours, la conversation.
Au début de la troisième partie, après que Pauline s'e!>t
décla-
rée conquise, Gilles a une tout autre sensation. Le commentaire vient
en contrep9int et montre que Gilles voit la déchéance maintenant par-
tout. L'omniscience de l'auteur rév~e ce pessimisme. Ici la subjectivité
est assez nette malgré l'allure récitative.
"Les mondes s'écroulent; d'autres naissent.
Quand ils furent seuls dans cette maison et surtout quand elle fut dé-
shabi11é, elle ne fut plus du tout la m~me à ses yeux, ou p1utOt, elle
fut tout à fait cette enfant qu'il avait vue sourire à la sortie du thé
d'Alger. Farouche, à apprivoiser, comme les enfants. " (2)
La présence subjective de l'auteur est poussée jusqu'à l'apostrophe des
lecteurs. Drieu constate que Pauline s'est jusque-là refusée à lui, s'abs-
1- Drieu la Rochelle Gilles p. 56
2- Drieu la Rochelle Gilles p. 509
-216-
tenant m~me de l'embrasser, avant de nous demander 1
"Pourquoi la plupart des femmes donnent-elles plus facilement leur bou-
che que leur ventre ?" (1)
Si l'on prenait Gilles pour le double de l'auteur on pourrait
félire le m~me raisonnement à partir de l'évolution de ses sentiments.
Pour cela, les rapports avec les juifs sont assez pertinents. Au début
du livre, le héros ne manifeste pas une trop grande répulsion pour le
juif. Pour preuve, on en donnera qu'il a pu se marier avec Myriam,
quand bien m~me cela s'est mal terminé. Dans l'épilogue par contre, le
mépris et la haine pour le juif atteisnent leur comble. Rien ne le dit
mieux que les pensées exprimés à propos du juif Cohen. D'autre part quand
on sort de la logique de la fiction et qu'on interroge selon le mot de Hen-
ri Nitterand le "contenu de jugement" (2), on découvre l'évolution des
sentiments des personnages. Est-ce le reflet du m~me processus chez l'au-
teur qui les orchestre? La chose est d'autant plus probante que Drieu
était fort peu habile à créer des personnages autonomes, indépendants
de lui.
Mais les deux exemples de Gilles (3) mentionnés ci-dessus sont,
au delà d'une preuve de la discursivisation progressive du texte, cha-
cun, une illustration de la combinaison, dans presque chaque énoncé ro-
manesque, du récit et du discours. Ainsi dans le premier, le récit est
envahi par le discours. Par exemple les termes qualificatifs et éva-
luatifs (en extase, dédain, indifférence, vénération, fierté) marquent
la source de l'énonciation et un certain jugement du narrateur'. De m~me
le deuxième exemple n'est pas un discours à l'état pur. Dès la deuxième
phrase, le présent du discours cède la place au passé simple de la nar-
ration récitative et au plus-que-parfait. Le nunc (maintenant) si néces-
1- Idem
2- Henri Mitterand, Le discours du roman p. 6
3- cf Gilles pages 56 et 509 (note 1)
-211-
saire au discours, semble s'effacer et, n'e~t été le hic (ici) qui introduit
le lieu de l'énonciation par le biais des démonstratifs, ce passage pris
comme exemple de discours, serait plutôt un récit. C'est dire qu'~ niveau
des micro-énoncés discours et récits se côtoient et s'enchev~trent (1~
Mais la prédominance de l'un ou l'autre type d'énoncé est pertinente pour
l'expressivité du texte, c'est-à-dire pour l'intention didactique. La modi·'
fication d'un mode de représentation pa~ l'autre ne semble ~tre opération-
nelle que dans un sens unique, quand le récit inttgre des éléments discur-
sifs. Gérard Genette le dit clairement :
"L'insertion d'éléments narratifs dans le plan du discours ne suffit pas à
émanciper celui-ci, car il demeure le plus souvent lié à la référence du 10-
cuteur, qui reste implicitement en arrière-plan, et qui peut intervenir de nou-
vea\\l à chaque instant sans que ce retour soit éprouvé comme une "intrusion" (2)
L'homme à cheval de Drieu illustre très bien cette remarque. La narration y
est assumée directement par le guitariste Felipe, un personnage intradiégé-
tique. Le texte est donc un discours personnel, malgré les tentatives de nar-
rativisation parmi lesquelles nous pOL~Tons citer le discours indirect libre.
Aussi, les éléments narratifs introduits par ce moyen ou par d'autres, ne
réussissent pas à rendre inopiné le retour du discursif. Le chapitre II com-
mence par une narration impersonnelle mais on sent toujours en arrière
plan le "je" de Felipe. Si bien que le retour du discursif n'introduit pas
une valeur expressive particulière. Le portrait de Jaime est un récit qui
a momentanément effacé le discours :
"Il semblait plus amoureux que jamais, ( ••• ) Il n'aurait pas privé ses mi-
nistres d'une minute d'audience ( ••• )" (3)
1- Gérard Genette résume cela en ces termes "Il y a presque toujours une
certaine proportion
de récit dans le discours, une certaine dose de dis-
cours dans le récit." Figures II essais Paris, Seuil, 1969 p. 65
2- Idem
3- Drieu La Rochelle L'homme à cheval p.18
-218-
L'instance énonciatrice demeure en arrière-plan et revient sans rompre le ton s
"Ces traits ne m'étaient revenus que par les on-dit, car je ne me sou.,.
ciais ( ••• )" (1)
L'opération contraire, c'est-à-dire l'invasion du récit par le dis-
cours, a des effets beaucoups moins discrets.
"Au contraire, toute intervention d'éléments discursifs à l'intérieur d'un
récit est ressentie comme une entorse à la rigueur du parti narratif." (2)
Plusieurs exemples déjà cités corroborent ce point de vue. Ainsi, quand
)..ragon narrant et décrivant le rassemblement et les discours ouvriers du Pré-
Saint-Gervais dit brusquement "Oui, Jaurès, comme toi, nous ne sommes pas COfl.-
tre toutes les armées, ( ••• )" (3), il Y a rupture de l' harmonie qui est à la
base du code littéraire ou tout au moins d'une certaine convention consti~
tuant le beau littéraire classique.
Dans DrOle de voyage le déplacement du récit au discours obéit à des
fins perlocutoires mais aussi et surtout à la logique du récit qui est, dans
ce cas, exemplaire positif. Il doit donc comporter une leçon exemplaire. C'est
la volte-face finale Aui préserve Gille du mari~ge décadent. Pour rendre cré-
dible son comportement, Drieu f2~t évoluer les sentiments du personnage. La
narration servira ce but. D'un récit descriptif, elle progresse vers une
représentation subjective dans laquelle l'auteur multiplie les jugements. La
première partie est essentiellement descriptive. Drieu y fait un tableau com-
plet de la Béraude. Dans le cadre il fait naitre l'amour de Gille et de Béa-
trix. Dès lors, les sentiments suivent une sorte d'hyperbole. L'amour semblL
se consolider puis Gille a
peur; il découvre l'horreur d'un tel mariage
et se rebiffe. L'intervention de l'auteur évolue en m~me temps. La descrip-
tion cède plus souvent la place aux dialogues. Les commentaires sont souvent
attribnés au narrateur ou au personnage. Ce sont des sortes de monologues
1- Idem
2- Gérart Genette, Figures II essais, p. 65-66
3- Louis Aragon, Les beaux quartiers, p. 341-342
-219-
intérieurs ou des jugements explicites. Chacun des amoureux s'analyse,
considère la situation, et l'auteur, en les manipulant, abandonne la neu-
tralité des récits. Ainsi, après que Gille A.
enbrassé Beatrix, le nar-
rateur nous dit :
"Entre ces grosses lèvres raidies, il trouva ce blanc pur et frais, au
milieu de la fièvre." (1)
Le commentaire-monologue se poursuit et révèle les pensées de la fille :
"Cependant elle entrevoyait que pour lui plaire il faudrait s'arracher
à tout ce qui avait été sa vie, sa paix, sa sauvegarde; il faudrait briser
tout autour d'elle. Sous la magie flatteuse et caressante des mots, elle
apercevait la nature de Gille impérieuse, dure, son besoin de posséder
entièrement,de s'installer en elle." (2)
Les personnages reprennent si souvent des idées chères à Drieu
qu'on incline à les prendre pour des doubles. Et de la narration au dia-
logue la subjectivité se fait plus pesante. Dans ce passage Gille expli-
que à Béatrix pourquoi il veut fermer le Généralife
"Justement. Je déteste la basse servitude où les grandes villes mettent
le peuple et je déteste aussi l'indignité des gros, leur perp8'tuelle dé-
faillance, leur manque d'orgueil. C'est pourquoi je voudrais leur fermer
ces jardins aux uns et aux autres." (3)
Vers la fin du livre, devant la perspective du mariage conformiste la vi-
sion et les sentiments de Gille se transforment et ce, dès l'arriv~e à
~renade, en septembre. PLus tard le commentaire-monologue confirmera le
rôle de double de Gille. Béatrix fatigué~ le héros va se promener. Par ses
rapports avec la solitude Gille rappelle Drieu :
"Il fut content de se retrouver seul. Toujours cette joie sauvage de se
retirer de tout, de se dire qu'on est encore disponible, qu'on n'est pas
1- Drieu la Rochelle, DrÔle de voycge p. 147
2- Idem p. 151
3- Ibidem p. 153
-220-
encore trop engagé, qu'on est tenu par rien - mais alors qu'on ne tient
à rien ?" (1)
La dist<J.Ilciation descriptive du début du livre se transforme ici en une
confession où personnage, narrateur et auteur sont confondus aussi bien
dans les dialogues que dans les commentaires.
Drieu juxtapose aussi récit et discours dans L'âomme à chaval:
Le début est un récit relativement neutre mais le narrateur, ici person-
nage intradiégétique, intervient, dès le deuxième chapitre, de manière
explicite en s'interrogeant sur les mobiles qui font agir le père Florida :
"Travaillait-il comme moi pour animer sa seule fantaisie ou bien
obéissait-il à des ordres." (2)
Ici aussi le récit du début délimite le cadre spatial et temporel, pré-
sente les protagonistes principaux de la fiction. ~Iais vers la fin du li-
vre l'engagement du narrateur élimine toute distanciation et le discours
devient l'éloge subjectif
du héros, de l'internationalisme et de la dic-
tature, mais aussi une invitation explicite à partager les sentiments du
narrateur.
"Oui Inca veut dire Torrijos. Il n'ya de plus vivant, parmi les mots
humains que le nom d'un héros." (3
Dans les romans d'Aragon la coexistence entre récit et discours
est assez nette. C'est peut-~tre parce que le narrateur est chez lui pres-
que toujours extradiégétique et donc automatiquement assimilé à l'auteur.
Dans Le ~onde réel les marques d 1 énonciation sont assez nombreuses pour
qu'on puisse négliger les pratiques évaluatives qui nous ont permis de
mesurer chez Drieu, l'insoription de l'auteur dans son texte. Cependant
ces appréciations évaluatives sont souvent si outrancières, surtout dans
les premiers romans qu'on ne peut s'empêcher d'y voir une volonté mal-
1- Ibidem p. 267
2- Drieu la Rochelle L'Homme à ch&val p. 21
3- Idem p. 226
-221-
habile parce qu'obsessionnelle, de véhiculer les idées de l'auteur. La
forme est alors celle d'un récit tandis que les idées manifestent une
non-distanciation de l'auteur vis-à-vis de l'énoncé. Ces passages sem-
blent ~tre des "morceaux de bravoure"
de l'auteur collés dans le tex-
te. D'ailleurs ils contrastent, à défaut de marques, par l'outrance
idéologique, avec le
"narré" (1), plus neutre, qui les entoure. Nous
avons un exèmple de cet ordre dans Les eloches de Bâle quand l'usurier
Brunel dénonce lui-m~me l'organisation sociale bourgeoise devant le
général Dorsch
(2).
Mais la coexistence récit / discours est très aisée, m~me
au plan purement formel, à observer, dans les romans d'Aragon. Nous
avons déjà dit que la mutation du récit en discours obéit souvent à une
intention de mise en valeur, elle-m~me intégrée dans un procès persuasif.L'au-
teur engage son prestige et son statut pour accréditer son message. Il s'a-
git là d'une tentative de dialogue avec le lecteur ou d'une subjectiva-
tion extr~me des propos. Dans le premier cas l'auteur s'identifie au
lecteur et le prend de vitesse en prévenant ses réticences. Sa complici-
té est le plus souvent posée comme acquise, le narrateur feignant, com-
me dans une conversation réelle, de le rejoindre, de lui faire des con-
cessions. Ainsi après avoir narré le voyage des Mercadier à Paris en 1889,
à l'occasion de l'ixposition universelle, avec des digressions sur r~e
d'Ambérieux, l'auteur souligne la tentation du jeu chez le mari, avec
un clin d'oeil 8U lecteur.
"Oh entendons-nous, Pierre Hercadier était très prudent, tout 3.U moins
dans les débuts." (3)
De la m~me manière l'intervention directe de l'auteur dans
-
•
1- Au sens où l'emplo~G. Genette c'est-à_dire composé par narration ~et
. .
+
•
1
- -
description
2- cf Les eloches de B~le p. 119-122
3- Louis Aragon, Les Voyageurs de l'impéri3.le,p. 33
-222-
l'énonoé nous infoDœe sur le degré d'adhésion aux idées développées ou
sur la fermeté de leur rejet. Celles-ci sont généralement exposées sur un
ton neutre et récitatif d'abord, puis l'auteur prend la parole comme un
juge supr~me et sa performance a valeur de maxime, d' arrêt concluant.
Dans le deuxième volume des Communistes le récit fait place au discours
dans le chapitre XII. Plusieurs fois le narrateur intervient pour affir-
mer sans ambag~une vérité, ou modifier des propos. Par exemple quand le
comportement de François
Lebecq est expliqué par l'idée selon laquelle il
apporte, dans le parti, sa routine de la banque (ce qui est une grande ta-
re bourgeoise pour un responsable communiste) le narrateur rectifie docte-
ment :
"Seulement, dans les choses du parti, Lebecq 8.pportait sa routine de la
banque. ~d on dit routine, ça fait vilain. Essayez de dire ses métho-
des, tout de suite, ça vous a meilleur
air. C'étaitun excellent secré-
taire de cellule. Exact. Dévoué." (1)
Quand la présence de l'auteur dans le texte remplit une fonction émotive
cela peut ne pas ~tre, puisque l'auteur se trahit malgré lui, aussi per-
suasif que dans les énoncés purement conatifs.
Malgré tous les efforts d'objectivité et de neutralité qu'on ob-
serve dans certains textes, le sujet de l'énonciation est toujours pré-
sent dans son oeuvre. De ce point de vue, le récit est une tendance, un
but jamais définitivement atteint. Les romans de Drieu et d'Aragon, en rai-
son de leur dessein persuasif, combinent récit et discours. Le mode de
représentation obéit alors à l'intentionnalité persuasive ou aux contrain-
tes contextuelles. L"" passage du refus de l'énonciation à son acceptation
est donc pertinent
et demeure presque toujours une stratégie ou une tao;"
tique persuasive. Malgré tout une pratique formelle ne porte jamais en-
tièrement une valeur idéologique à l'instar du contenu sémantique et de
1- Louis Aragon Les
communistes (sept-nov 1939) p.198
-223-
son organisation. Ainsi la manipulation des visions, leur combinaison
dans le texte jouent-elles des rOles de premier plan dans l'édifica-
tion de l'idéologie de ce texte et dans sa crédibilisation.
D) L'ORIENTATION DES VISIONS
Le roman crée un microcosme à l'image de la vie, ou d'une tran-
che de vie. Les visions (ou points de vue) qu'il met en oeuvre sont aussi
diverses que les personnages qui en sont les médiateurs d2nS certains
cas. Tel protagoniste de roman peut avoir une opinion, ou une manière de
percevoir les choses, différente de celle de l'auteur. D'autre part cet-
te opinion ne peut, semble-t-il, être détachée de la manière dont le pro-
tagoniste perçoit les événements c'est-à-dire des visions ou points de
vue. (1)
c'est pourquoi nous entendons ici par vision aussi bien les idées du su-
jet sur les événements que la manière dont il perçoit les faits qui nour-
rissent ces idées. Pourtant malgré le talent de l'auteur, la simple juxta-
position de points de vue ne permet pas toujours d'orienter le sens gé-
néral et de doter le livre d'un système idéologique pertinent. C'est pour-
quoi à cOté des visions médiatisées par les personnages, il y a celles
du narrateur. De plus ce que Gérard. Genette appelle "le discours" c'est-à-
dire la manière de présenter "le narré" (narration et description) témoi-
gne d'un parti pris idéologique chez l'auteur. Le choix peut-être en con;.-
formité avec les visions du narrateur (surtout quand celui-ci est extra-
diégétique), il peut aussi le dominer sur tous les plans en se réservant
l'omniscience. Au 20e siècle il s'est ajouté à ces deux visions narrati-
1- Todorov définit les visions comme la manière dont les événements sont
perçus par le narrateur. Nous appelons ici vision opinion sur et manière
de percevoir les événements. Ainsi toutes les visions médiatisées par les
personnages seront appelées visions des personnageS même si l'On sait qu'en
définitive elles appartiennent à l'auteur.
-224-
ves ce que Todorov appelle la "vision du dehors Il (1) à la suite de Jean
Pouillon. Mais à l'intérieur m~me d'un type de vision donné (par exemple
la vision par derr~ère) les romanciers mettent_en oeuvre des tactiques per-
suasives allant de la mise en valeur à la dévaluation en passant par l'in-
différence. Cependant la pratique la plus ùsitée de l'illusion du non-en-
gagement est la médiatisation par le biais des personnages.
a) Les visions des personnages
La critique appelle épouser ses personnages ou se fondre en eux,
l'art de leur confier une individualité. C'est en fait les doter de vi-
sions qui n'apparaissent pas explicitement comme celles de l'auteur. Ce-
la est une forme de distanciation. il.pparemment un tel travail doit ~tre
relativement facile quand l'auteur met en scène, comme dans le cas de
Drieu et d'~agon, des personnages qui représentent ce qu'il déteste le
plus. Pourtant le mépris que l'on mettrait ~insi dans la peinture risque
de conduire à la démesure et par effet de contraste de révéler la psycho-
logie de l'auteur. Cela arrive très souvent dans les romans idéologiques et
en particulier chez Drieu et Aragon. En cela leurs livres ne répondent pas
à la conception classique du beau, axée sur l'objectivité. Pour l'analys-
te ce défaut présente l'avantage de rendre possible une relative typolo-
gie des protagonistes à partir des visions. Il ne sera envisagé ici que
quelques visions de personnages.
Chez Aragon nous pouvons remarquer que l'événement à partir du-
quel nous est révélée la vision des personnages (pUisque toute conscience
est conscience de quelque chose) est presque toujours la vie sociale, et
particulièremen~les manifestations de la lutte des classes. Zlles permet-
tent d'éviter à l'écrivain de plaquer une psychologie et des caractères,
arbitrairement, sur ses personnages; ainsi na!t l'illusion que ces traits,
1- Tzvetan Todorov "poétique" in q,u' est ce que le structuralisme Paris.
Seuil, 1968
-225-
parce que déduits du comportement et des actions, s'affichent d'eux-m~mes.
Par ce fait les visions forment des types, construisent des personnali-
~)
tés classables eu égard! et à partir des, prises de position sur les évé-
nements racontés.
- Les mondains: le narrateur ne montre d'eux que le plaisir personnel
qu'ils veulent tirer de la vie sociale. Leur morale est guidée par la
jouissance et cela semble les av&ugler devant le théâtre de la vie. Une
phrase de Diane résume leur position :
"Je-eouche-avec-qui-je-veux 1" (1)
En effet Diane, Edmond Barbentane, Carlotta, Marie Perceval, Aurélien tel
qu'il est décrit avant sa rencontre avec Bérénice, n'ont aucune autre
conscience des faits. Cela ne signifie nullement de la na!veté car ces
personnages savent ~tre rusés et m~me machiavélique~à l'occasion. Mais
ils subissent une sorte de limitation que ni leur état ni leurs aspira-
tions ne leur permettent de dépasser. Leur vision des faits devient Qin-
si incomplète. Edmond et Aurélien vivent entre lés jolies femmes et n'ont
aucune conscience de la vie politique. Ils cherchent de façon fort égo!ste
à se construire un not de bonheur ou plutôt de plaisir. C'est ce handi-
cap qui explique la chute d'Edmond et l'impossibilité pour Aurélien d'at~
teindre à l'amour absolu. La vision omnisciente de l'auteur sur ces per-
sonnages permet souvent de révéler les limites
de la sienne propre.
Edmond passe sa vie à choisir ses caleçons (2).
Aurélien reste enfermé
dans ses souvenirs et sa nostalgie de la guerre. r'lichel FavéL..""'t souligne
son "indécisionll (3).
Il n'a rien choisi, ni une voie politique ni ce qui
touche sa vie quotidienne
cemme sa garconnière ou sa voiture. On peut
,.
1- Louis Aragon Les cloches de Bâle p. 60
2- Il répond à Rose Melrose qui, le complimentont sur son linge lui dit qu'il
devait passer sa vie à choisir ses caleçons: liA quoi veux-tu que je la_1>:l9se. 1I
Aurélien p.191
3- f.lichel Favart "Traduire Aurélienll un entretien avec H: Fav.:lrt in Aragon
Aurélien / Télévision,5ilex nO 8/9 1918 p.10
-226-
parler à juste titre de sa cécité. La ressemblance entre Bén~rice et
l'inconnue de la Seine, son amour m~me pour cette femme, lui sont ré-
vélés par un tiers. L'action des mondains est donc conduite par une
conscience et une vision bornées par le plaisir charnel et égolste.
Ces personnages~ quand ils mesurent l'étroitesse de leurs vues en sont
néanmoins satisfaits.
- Les handicapés et les naIfs : Ils sont rares dans l'oeuvre d'Aragon
et suivent d'ailleurs presque toujours une certaine évolution vers une
perception plus profonde des faits et événements. L'auteur leur confie,
généralement au début, la vision superficielle et innocente qui permet
de mesurer par contraste la perfidie des bourgeois ou la conscience po-
litique des ouvriers. Ils suivent ainsi un certain apprentissage au ter-
me duquel leur nalveté s'estompe. Ainsi leur opinion, leur vision sont-el-
les tronquées ou imparfaites quand on les prend avant le terme de leur évo-
lution. D'ailleurs celles-ci peuvent ne pas atteindre le stade qui permet
la perception lucide et complète des faits et événements. Nous en avons
un exemple avec Catherine Simonidzé. La différence avec les mondains
c'est qu'ici il n'ya pas de complaisance, acceptée, dans les tén~res.
D'ailleurs la découverte de la réalité débouche chez les handicapés sur
une prise de position ou une modification des sentiments, au contraire
des mondains. Ainsi quand Grésandange découvre l'essence du capitalis-
me et le vrai visage des "magmas" de la finance et de l'insdustrie, gr~
ce à leur comportement vis-à-vis de la guerre, ses rapports amicaux et
affectifs avec Quesnel en souffrent au point qu'il pense pouvoir justi-
fier de le. rendre aocu avec Carlotta. On peut comprendre, de la m~me
manière, l'engagement politique final d'Armand Earbentane. Ce garçon
oommence par ressentir un certain malaise dans le thétttre de la vie so-
ciale. Il découvre ainsi l'hypocrisie de la bourgeoisie, l'injustice de
la société et la complicité de la religion. Aspirant à un idéal de gran-
-227-
deur, de justice et de dignité où il peut se réaliser et s'affirmer, il
rejette son milieu social, mais ne comprend pas encore la grande contra-
diction du capitalisme 2 la lutte des classes. Sa vision est celle d'un
petit bourgeois qui ne peut rejoindre l'idéologie juste, étant données
ses conditions matérielles d'existence. Ses premiers jours à Paris ser-
vent d'initiation.
- Les irresponsables sont proches des mondains par leur refus de prendre
la mesure des faits et par l'égoïsme de leurs aspirations. Cependant
ce n'est pas forcément la qu~te du plaisir qui limite leur degré de
conscience des faits. Pierre Mercadier est, là, un exemple de premier
choix. Devant les événements politiques qui le sollicitent, il se ca-
che derrière l'idéalisme d'une liberté absolue, illusoire. En lui refusant
toute prise sur la vie sooiale, l'auteur limite et détermine ses visions. De-
vant le scandale de l'affaire Dreyfus Pierre dit préférer l'histoire quand
elle est pr~te pour l'étude scientifique, avant de conclure:
"Hais au fond ... Je ne suis pas juif, cela ne me concerne pas." (1)
Ainsi Mercadier est complètement indifférent
au monde qui l'entoure
e-; aux événements. Il ignore jusqu'au nom de Fachoda et pense que la
guerre ne le concerne pas. (2) De ce fait, on pourrait dire que la vi-
sion de cet homme est réflexive. En effet la conception idéaliste de' la
liberté est dévaluée chez Hercadier par l'égoïsme et l'amour de l'argent.
Fuyant un monde décadent qui l'étouffe, ce professeur d'histoire n'a
cependant pas pu se frayer une voie où il pourrait s'affirmer et retrou-
ver sa dignité. Son geste se réduit à un engagement plus résolu dans la
déchéance, la corruption et l'égoïsme. En témoignent l'argent qu'il a
dilapidé et les milieux qu'il fréquente pendant sa fugue. Sa vision du
bonheur repose sur une illusiom l'existence d'un il(jt qui serait "la
1- Louis Aragon Les Voyageurs de l'impériale p.247
2- Idem p.361
-228-
terre promise ll et que l'on ne pourrGit atteindre que par l'individua-
lisme. Cette vision réflexive,- ne s'int~ressant qu'au sujet qui l'in-
carne, débouche, du fait de l'indifférence qui lui est corollaire sur une
profonde inculture. La victime (si l'on peut parler ainsi) d'un tel
mal, tout en se croyant limité à sa personne est en fait balloté par les
événements puisque le refus de se situer est
presque toujours une pri-
se de parti.
- Les hypocrites: Ils veulent donner le para!tre de leur vision c'est-
à-dire ce qu'ils en manifestent, pour son ~tre, c'est-à-dire ce qu'el-
le est réellemen~.
Dans l'oeuvre d'Aragon ce sont généralement les grands bour-
geois qui jouent ce rele. Leur vision est assez souvent complète malgré
les apparences. Elle est entièrement orientée par leur intér~t person-
nel. Joseph Quesnel illustre ce point de vue. Dev2nt l'assemblée des
industriels il tient un discours dont le matérialisme et la logique sont
faussés par le refus de pousser le raisonnement avec toute la conséquen-
ce requise. Ainsi n'effleure-t-il jamais l'idée selon laquelle la bourgeoisie a
cessé d'~tre révolutionnaire, et ce qu'il donne comme étant l'intér~t
général n'est, en fait que celui de sa classe. Il comprend pourtruat tous
les aspects de la question, ce qui est révélé peut-~tre malgré lui, par
l'allusion à la force politico-syndicale des ouvriers et à la ligisla-
tion sociale. D?ns ce genre de vision ce n'est pas le contenu cognitif
qui est important mais la manière de percevoir, avec ce qu'elle com-
porte d'exclusion et de rejet volontaires ou non. Ce qui montre que ~ues-
nel et ses pairs, cernent tous les ~spects de la machine sociale, c'est
qu'ils ne s'3rr~tent pas 8U sens littéral du discours mais comprennent,
sans que le mot soit dit, qu'il s'agit là d'une invitation à l'alliance
qui prépare la guerre. La vision des grands bourgeois rejoint, en 1'-11-
lustrant, l'efficace du
roman réaliste socialiste visant à montrer la
-229-
préparation, par le gr2J1d capital, dans les ,J.nnées 1930-1939, d'un nou-
veau conflit mondial.
La nature didactique ou prophétique de ces visions commençait
déjà à se dévoiler dans Les cloches de BaIe puisque les points de vue
de Brunelli, ancien usurier devenu espion, prédisaient la catastrophe
et l' :::ssassino.t, par déduction logique, de J 3.urès qui voub.i t emp~cher
la guerre par la mobilisation ouvrière :
"Au fond de lui, il n ' avait que mépris de ces manifestations p-1.cifistes,
qu'il tenait pour du décor: la guerre et la paix, ne savait-il pas où
ça se décide ?" (1)
La vision révélatrice d'hypocrisie et d'égo!sme est également
présente chez Emile Barrel et chez le père d'Arnaud. Pour ce dernier la
façon de voir les choses semble p~sser par les parnmètres de la reli-
gion et de la piété. En vérité c'est là un simple alibi ccr le proprié-
taire des Nouvelles gc:üeries accepte tout ce qui ne lui occasionne pas
de dépense. Pour B2xrel la religion et l'h~nisme ne sont pris en comp-
te que quand ils ne menacent point ses intérêts. (2)
iinsi la vision des grands bourgeois reste partiale parce que dominée
par le souci de l'intér~t matériel et personnel.
- 1&s Symboles de classe. ~u'elles Soient celles d'un petit ou d'un grand
bourgeois, les visions ici analysées représentent le type d'une classe.
~ragon insiste surtout sur leur sens à des fins satiriques. Les visions
des ouvriers lui servent de modèle pour construire l'épopée révolution-
naire ou accréditer l'idéologie prolét2x~enne. Elles sont en ce sens un
symbole. Le contenu de ces visions est donc à l'antipode de celui des
points de vue bourgeois. La manière de percevoir les choses s'explique
donc par l'intention des sujets. Arr~ter l'2nalyse à ce niveau ferait
1- Louis Aragon Les cloches ~e ~le p.419
2- Toutes ces visions font intervenir l'ironie de l'auteur que nous ana-
lyserons daps trprésentation de_~. visions."
-230-
d'Aragon un simple phénoménologue. Le matéri~liste marxiste ne peut igno-
rer les conditions matérielles d'existence. Elles sont certes prises en comp-
te dans la peinture du bourgeois mais elles ne sont jamais sollicitées pour
justifier une attitude. des pensées ou une mani~re de voir quand bien m~me
elle les motive. l'origine bourgeoise d'Armand motive ses hésitations quant
à la dignité ou non du travail mais elle ne justifie pas l'oisiveté. Du
cOté ouvrier les conditions de vie motivent et justifient les idées, les
façons de voir et les analyses incorrectes ou imparfaites. Ainsi pour le
travailleur la dignité se trouve dans le travail. Cela explique sans dou-
te le syndicalisme qui est, dens le roman aragonien. presque la seule for-
me de lutte politique.
La vision de l'ouvrier est donc elle aussi tout
orientée vers
ses intér~ts de classe. Elle est cepend8nt différente de celle du bour-
geois puisqu'elle s'inscrit dans un cadre d'injustice qu'elle veut cor-
riger. Dès lors la lutte des classes ainsi dessinée appara!t comme une
lutte pour la justice du point de vue ouvrier. Par contre celle des bour-
geois nous est donnée comme les manoeuvres d'un ég.oIsme qui veut maintenir
ses privilèges.
Prisedans le sens todorovien
la vision des personnages de
Drieu est presque toujours une "vision par derrière". Certaines sont
souvent médiatisées par les personnages et les interventions du narra-
teur viennent en complément. La distribution des personnages est relati-
vement simple dans ce cas. Drieu distingue deux grands types de médiateurs
de visions selon la façon dont ils perçoivent les faits et en m~me temps
le contenu de leur idéologie.
- La vision du décadent : elle est soit incomplète soit hypocrite et mo-
tive une psychologie défaitiste ou une conduite impuissante. Drieu incar-
ne ce point de vue dans plusieurs types de personnages. Mais ceux-ci illus-
trent tous le m~me fait. Il est perçu différemment selon que l'on est
-231-
décadent ou lucide; ou plutôt l'interprétation qu'en donn~l'un et l':tutre
est différente. Ainsi la vision des protagonistes de Gilles est, sauf
pour le personnage centr~conforme à la routine sooiale,à l'idéologie
dominante. Il en
est de m~me du Feu Follet, de Drôle de voyage et de pres-
que tous les romans de Drieu. L'absence de valeurs qui, pour le héros lu-
cide de Drieu, prevoque une souffrance morale, n'est point ressentie par
les autres. Drôle de voyage précise cela par la bouche de Gille.
"Pourtant personne ne songe à ~tre un homme, à penser librement, à
...
, , 1
. . . . . .
avouer deliber~"ment ses contradictions et a en faire son systeme vivant
et personnel. 1I (1)
Puis le héros donne une illustration de ses propos.
"Par exemple, un catholique se croit obligé d '~tre un réactionnaire, par-
ce que la théorie catholique s'est ainsi fixée au siècle passé. Les plus
hardis des catholiques d'aujourd'hui se croient obligés de jeter encore
l'anathème sur le socialisme. 1I (2)
Le bourgeois est alors comme un aveugle qui suit fidèlement un chemin dé-
jà tracé. Son point de vue est, d:= ce fait, conformiste.
- La vision du lucide antidécadent : La façon dont le décadent perçoit
les événements, et le contenu de cette perception ne sont importants que
parce qu'ils expliquent l'état d'esprit du héros qui les rejette ou du
narrateur qui en rend compte. Chez Drieu aussi le personnage suit géné-
ralement un certain apprentissage avant d'avoir la révélation de l'hor-
reur qu'est le conformisme. Cette révélation peut provenir d'une auto-
prospection psychologique~ C'est le cas d'Alain du Feu Follet et dans une
moindre mesure de ~lichel Boutros,d'Yves Le Pesnel et de bien d'autres per-
sonnages de Drieu. Nous tenons là, sans doute, l'une des sources de la
subjectivité des romans et qui n'est pas la conséquence directe du pro-
1- Drieu la Rochelle, Drôle de voyage p. 273
2- Drieu la Rochelle, Drôle de voyage p.173-174
-232-
ceesus de l'énonciation. La récurrence de ce trait des personnages de
Drieu a été sans doute la raison essentielle qui pousse les critiques
à leur trouver un modèle unique : l'auteur, et à déclarer comme Je8n-
Marie Hanotel1e que "Drieu n'a jamais pu se quitter." (1)
Dès l'instant qu'un personnage découvre le caractère déri-
soire de la pratique et de l'idéologie sociales, la logique du système
qui l'a créé et le fait se mouvoir a toutes les chances d'en faire un
pessimiste. Lorsque cet état n'atteint pas le nihilisme notre héros
nourrit une réelle intention subversive. Ainsi s'expliquent les sui-
cides, les volte-face, les feintes et les engagements politiques sur
quoi s'achèvent les romans de Drieu. Au même titre que les ouvriers
d'Aragon guidés par leur intér~t de classe et le poids des conditions
d'existence sur leur conscience, les héros idéaux de Drieu sont déter-
minés par leur quête de grandeur dans W1 contexte social ou règnent le
défaitisme et l'impuissance. Cette contradictoire entre désir et réali-
té explique tous les sentiments qui circulent dans ses romans. Dès lors la
vision des décadents reflète la réalité sociale et celle du héros idéal
le désir de corriger le mal. Alors, quand on se place du point de vue
de Gilles Gambier ou de Gille on acquiert au delà du dégont de la so-
ciété bourgeoise, une ambition et W1e volonté subversive dont les con-
tenus recoupent comme nous l'avons déjà montré le schéma idéologique du
fascisme.
Chez Drieu comme chez Aragon, les visons médiatisées par des
personnages semblent dévaluer la réalité sociale et illustrer la nécessité d'une
subversion de celle-ci pour ~tteindre un idé81 fortement mis en valeur.
Une telle fin ne peut être atteinte par la simple juxtaposition des
points de vue de personnages que]e, '\\A" soit leur nature. C'est alors
1- Jean-Marie Hanotelle, Drieu et la déchéance du héros, Paris, Hachet-
te, 1980, p.46
-233-
pourquoi le narrateur-auteur (1) intervient dans le texte non pas
seulement en inscrivant l'énonciation dans l'énoncé mais surtout en
organisant les visions des personnages et en les déterminant par les
siens propres.
b) Les visbns du narrateur
L'opinion du narrateur, sa façon de percevoir les événements,
son jugement sur les visions médiatisées par les personnages et leur
organisation constituent son point de vue. Il emprunte, généralement à
des fins persuasives, le parattre de l'objectivité; mais le contraste orga-
nisationnel ainsi qu'une certaine insistance redondante dévoilent au re-
gard attentif la volonté de persuader.
Tout le monde reconnatt que les romans d'Aragon construisent un
monde grouillant où la multiplicité des hommes et des f8~ts semble in-
troduire le désordre. D'ailleurs la seule r~gle qu'ils respectent sem~·
ble ~tre celle de l'unité de temps. Drieu la Rochelle déclare lui aus-
si que ses romans majeurs, comme Gilles, sont "polyphones" (2). Mais il
reconna1t dans le m~me texte qu'ils paraissent "abstrait (s), peu foison-
nant (s)." (3) C'est d'ailleurs ce que lui reprochent certains critiques,
allant jusqu'à trouver sa "polyphonie" une fausse idée, puisqu'il ne déte-
rait pas "le don innocent de s'embusquer dans une autre conscience, de
l'habiter., de vivre en elle jusqu'à s'y confondre, jusqu'à se quitter." (4)
Ainsi le réalisme de Drieu n'est pas la multiplication des dé-
tails. Au contraire d'Aragon pour qui le nombre des détails et des cpi-
nions compris dans le texte semble ~tre un gage d'objectivité donc, de
1- Chez Drieu et Aragon le narrateur est rarement un personnage diégétique
2- Drieu la Rochelle "Préface à Gilles" in Gilles p.11
3- Idem p. 21
4- Jean Marie Hanotelle, Dr'; All et la déchéance du héros p. 46
-234-
persuasion. Comme pour souligner le caractère difficile de la critique
nous remarquerons qu'on reprocha cela à Aragon comme on a reproché le con-
traire à Drieu. Et quand Claude Roy reconna1t que l'auteur des Beaux
quartiers a réussi à faire s
"( ••• ) cette sorte de roman qui ne cherche point à convaincre comme
un discours, mais qui montre la vie telle qu'elle est, et qui convainc
plus sdrement par là m~me, ( ••• )" (1),
Narcel Arland dit des deux cents pages où Aragon peint la bourgeoisie
dans Les beaux Quartiers qu'elles portent à faux:
"Cette multitude de traits cinglants, chacun d'eux plaisant, mais en-
nuyeux dans l'ensemble, sont une suite de variantes gratuites sur un
thème que l'auteur n'a pas su renouveler." (2)
Et il ajoute, après avoir dit qu'on pourrait ~tre impartial dans un pa-
reil roman, que le lecteur voudrait "qu'il ait un accent juste" (3)
Toujours est-il que les descriptions, commentaires et narra-
tions de petites histoires semblent répondre à un désir de persuader en
donnant le désordre du texte comme fidélité au réel. Aragon veut épuiser
tous les points de vue possibles. Il n'hésite pas, pour arriver à cette
fin} à substituer le narrateur au personnage, quand la logique du texte ne
permet pas la médiation. La construction d'un désordre narratif persua-
sif exige que l'eeil du narrateur puisse traverser les murs avec la m~-
me facilité que sa voix met dans le récit des pensées d'autrui. C'est
cette omniscience et omniprésence que Todorov appelle "vision par derrière".
Ces attributs permettent la construction du désordre. Les exemples sont
nombreux dans Les beaux quartiers:. Ainsi dans une m~me page on lit une
pensée d'Edmond sur l'amour et l'argent et aussi sur leurs rapports:
1- Claude Roy "Ar3gon romancier" SUrope mars 1948 p.110
2- Narcel Arland "Les beaux quartiers" par Louis ArElgon" N.R.F nO janvier,
T. 48, 1937, p. 90
3- Idem
-235-
"Allons bon, il ne s'agissait pas non plus d'~tre godiche, parce qu'on
était amoureux. Mettre toutes les chances de son c~té. L'argent. Com-
ment faire pour trouver de l'argent ?" (1); Comment il s'est réveillé
"Il fut réveillé par un pneumatique de Carlotta" (2); une appéciation
sur l'écriture de Carlotta : "ravissante écriture d'écolière maladroite" (3);
le temps qu'il faisait: "Il faisait un temps superbe. Hai finissant en-
trait par la fen~tre ouverte avec une inexprimable douceur" (4); et en-
fin le souvenir des corvées d'étudiant: "c'était un mardi, jour de la
visite patronale dans sa salle." (5)
Ces visions sont complémentaires quand bien m~me elles contribuent
à créer le désordre. L'illusion d'objectivité est plus réduite que dans
les cas où l'auteur expose des points de vue divergents à propos d'un
m~me phénomène, quand le roman instaure une sorte de débat contradic-
toire. Dans Les cloches de Bâle nous avons les divers points de vue sur la
grève. Les beaux quartiers juxtapose plusieurs fois les opinions des dif-
férentes classes sur la loi des trois ans. L'auteur en a m~me fait un
thème sur lequel se confrontent, dans la campagne électorale à Sérianne,
les principaux candidats. Le débat se concentre autour
de l'affaire
Dreyfus et de la guerre des Balkans dans Les voyageurs de l'impériale.
Les communistes poursuit et affirme la technique. Plusieurs événements
y sont commentés par des représentants de couches sociales, différentes :
La guerre d'Espagne, le traité germano-soviétique, la persécution des
communistes et la guerre elle-m~me. Dans ce roman l'impression de
désordre émanant d'une
volonté ré2liste de l'auteur est d'autant plus
fort~ que l'action n'épouse plus la forme d'une intrigue, qu'elle se dé-
roule simultanément d<JIlS plusieurs milieux et est perçue de plusieurs
points de vue.
Quand bien m~me Aragon réussit à imposer l'impression de réalité,
1.2.3.4.5- Louis Aragon Les beaux quartiers p. 372
-236-
donc d'objectivité, par let co:nplexité de son univers romanesque, nous
ne devons pas nous limiter à cela pour décrire l'intention subversive et
doctrinaire. C'est là une quête d'efficace qui consiste à accréditer le
discours pour qu'il détermine la conduite du lecteur. Cette technique pro-
'loque l'ouverture du discours dans la mesure où elle veut exposer l'univers
(romanesque) sans le commenter et le laisser lire ou saisir. En ce sens,
elle comporte pour le propagandiste une faille qu'il lui faut corriger 1
elle ne ~ignale pas suffisamment l'interprétation élue qui ferait que le
texte "comporte express~iJllent un sens." (1) Cette sorte d'orientation de
la compréhension, donc des visions, nécessite un agencement, de chaque vi-
sion et ensuite du texte global, de la part du destinataire. Ce travail
est une sorte de contrastive persuasive. Sa forme la plus élémentaire jux-
tapose \\Ule vision où le sujet ou le fait est dévalué à ceté d'une autre qui
porte un~ mise en valeur. Le Gilles de Drieu présente des exemples de ce
genre. Aux pages 634-635 le fasciste Walter et le juif Cohen se trouvent
dans un avion pris en chasse. Les portraits des deux hommes nous révèlent
un contraste avec un net aV3Iltage pour le fasciste. Du, juif le narrateur
nous dit par une question préliminaire qui instaure la comparaison :
"Le juif tenait-il plus à la vie que lui ? Par manie héréditaire, 'on
voyait qu'il supputait des chances. Toute une hystérie calculatrice af-
fluait à son visage.
( ••• ) Cohen était abominablement exaspéré de ne pouvoir en ce moment
rien faire pour ajouter à la chance. Il se heurtait à la nécessité et à
la simplicité de l'action physique." (2)
1
On constate ici,rà la différence de Walter) $& cet honune ne con-
nait pas l'action mais les ruses. Sa déroute est réelle alors que la peur
deWalter est une séquelle de son expérience, qui a pu échapper à ses ef~
1- Roland Barthes l'Ancienne Rhétorique cf p. 163 note 1
2- Drieu la Rochelle Gilles p.635
-237-
forta de rupture avec le monde décadent. Cette peur est d'ailleurs liée
à la nature humaine parce qu'elle est indélébile. C'est la petite tare qui
rend crédible le portrait du héros puisque la perfection est de l'ordre
du divin et du transcendant.
"Quant à Walter, il revenait à son j.ndifférence. Attendre, toujours at-
tendre, se laisser porter, m~me si une vieille peur indélébile pourrit
au fond de votre ventre." (1)
Ainsi quand le juif veut en ajouter à la chance, le militant fasciste af-
fronte héroïquement la mort et s'en veut d'avoir peur, bien que cela soit
normal.
Le contraste persuasif peut également provenir de l'évolution
d'un personnage. Ainsi, au début de DraIe de voyage G~lle tombe t-il, ap-
paremment, très amoureux de Béatrix. Et cela à un tel point que quand il
se recommande la retenue : "Reste ici et souffre un peu, ou je te connais,
tu vas te déshonorer en lui présentant une figure de regret" (2), une au-
tre voix, mais toujours sienne, lui répond: "je t'-en fiche, je cours." (3)
Hais quand les fiançailles ont i~ scellées et que Gille arrivŒ à Grenade
en décembre (4), son point de vue change
complètement:
"Béatrix était laide. Elle le cherchait des yeux sans le voir: i l eut'
une envie folle de se rencogner, de se réfugier dans le fond du comparti-
ment ou m~me si elle le découvrait de dire : non, de refuser de descendre" (5)
La différence de ces deux points de vue témoigne d'une mutation
psychologique mais aussi et surtout elle constitue un argument dévaluatif
de la convention sociale qu'est le mariage. Par la description du processus
d'évolution psychologique et morale progressif, le texte positivise la dé-
1- Idem
2- Drieu la Rochelle, DrOle de voyage p.93
3- Idem
4- Notons le symbolisme des saisons sIe premier voyage était en Septembre.
5- Drieu la Rochelle DraIe de voyage p.246
-238-
cision finale du héros. L'organisation des visions marquant les étapes
de cette évolution consiste à contraster les points de vue, sans pour
autant cesser d'en valoriser un, afin de persuader le lecteur de l'op-
portunité de la voie qu'elle propose.
Dès lors les moyens de mise en valeur d'un fait ou d'une action se po-
sent camme des visions sur les visions médiatisées par les personnages
ou exposées par d'autres moyens. Différentes formes d'écriture y concou-
rent en essayant de contrôler l'interprétation des lecteurs. L'ironie
est dans ces cas, très souvent, u.tilisée de manièrœ divers~.
On peut citer un premier cas où elle se loge dans les rapports entre le
contenu sémantique de la vision et la vie ou la situation du personnage
cible. Dans les cas de médiatisation, le personnage dit lui-m~me la char-
ge ironique; mais celle-ci n'appara!t comme telle qu'aux yeux du lecteur,
qui mesure les indiscrétions auto-accusatrices du personnage ou son aveu
défensif. Dans tous les cas il s'agit d'une défense retournée. Aragon uti-
lise très souvent l'aveu défensif •. Tel est le morceau de bravoure de l'usu-
rier BruneI devant le général Dorsch ( 1) • Le but du discours est de dis-
culper le sujet. En montrant que son activité n'est différente de celle de
11. Peugeot des frères Izola, du patron du "Chabanaisll ou des militaires,
BruneI veut se justifier en démontrant que son travdil n'enfreint pas,
quant au fond, le système social. Il revendique ainsi son insertion ou
plutôt le respect de son statut social. ~Iais par les termes m~me de la dé-
fense BruneI définit sa classe et cette d8finition constitue une accusation.
Il y a là un
triple succès pour le romancier réaliste socialiste. La divi-
sion sociale en classes est reflétée, la bourgeoisie c~actérisée négative-
ment et l'objectivité apparente préservée. Ce dernier aspect dont la média-
tisation se charge contient la stratégie persuasive. Il est le fruit d'une
écriture ironique dont la signification dépasse l'intention du personnage.
1- Louis Aragon Les cloches de B11e p. 119-122
-239-
D'ailleurs BruneI ne cherche pas à défendre sa classe. Il veut montrer
qu'il n'en est point la brebis galeuse, qu'il est comme tous les autres.
Mais par le fait m~me que c'est lui qui s'accuse à travers sa classe,
Aragon donne l'illusion d'~tre neutre, de ne pas intervenir. Il rend
ainsi crédibles les propos évoqués.
Drieu la Rochelle construit des scènes où les personnages s'au-
to-accusent par leur discours ou leurs actes mais cela est presque tou-
jours corollaire à un commentaire qui le rév~e ou le complète. Celui-ci
n'utilise aucun intermédiaire mais se soucie de maintenir la neutra-
lité. Son sens n'est pas non plus retourné comme dans une antiphrase. Le
pouvoir persuasif n'emploie donc pas le schéma usuel qui se cache der-
rière un personnage. Il se sert plutôt de l'~ffichage neutre et l'art
du romancier consiste à refuser toute attribution de ces points de vue
par 1& présence de marques. Ainsi le récit revient fréquemmeBt après des
portions discursives comme par exemple les dialogues ou des monologues de
personnages. Le Feu Follet se termine sur cet air de suicide qui juxtapose
monologue et commentaire neutre.
"Solange ne veut pas de moi. Solange ne m'aime pas. Solange vient de me
répondre pour Dorothy. C'est bien fini. ( ••• )
Je suis ma!tre de ma peau, je le prouve." (1)
Et sans transition le discours cède la place au récit puis revient à sa
fin.
"Bien calé, la nuque
à la pile d'oreillers, les pieds au bois du lit;
bien arcbouté. La .poitrine en avant, nu~ bien exppsé., Oh sait où l'on a
le coeur. Un revolver, c'est solide, c'est en acier. C'est un objet. Se
heurter enfin à l'objet." (2)
D~s ce passage polyphone comme dans bien d'autres, le résultat est le m~me
1- Drieu la Rochelle
Le Feu Follet p.172
2- Idem
-240-
que dans les visions médiatisées sous forme de défense retournée. Par l'im-
pression de neutralité, donc, le texte veut persuader de la véracité de
ses propos.
Il n'est pas possible de poser les romans d'Aragon comme l'appli-
cation d'une médiation et ceux de Drieu comme des exemples d'énoncés non
médiatisés par des personnages. L'un et l'autre utilisent les deux techni-
ques. Par exemple Aragon associe quelquefois, comme Drieu, des commentaires
aux visions des personnages ou à leur description. Mais au contraire de
Drieu, l'ironie joue souvent un grand r~le dans la signification réelle
et globale des textes polyphoniques d'Aragon. Il s'agit dans ces cas de
limiter les sens et d'orienter alors l'interprétation. Un sens connoté par
l'ironie s'impose sur le sens littéral et détermine la signification.
L'ironie n'est pas nécessairement contenue dans un commentaire modi-
fiant la vision d'un personnage. Elle peut ~tre intégrée au texte m~me
qui décrit la vision, qu'elle soit assumée par le personnage ou par le nar-
rateur. Dans le passage suivant l'humour permet de concentrer l'attention
sur un fait que l'auteur veut élément dominant dans le portrait qu'il
dresse de I1me Visconti pour révéler la faiblesse de son mari.
"On disait qu'en réalité c'était elle qui portait les culottes dans le
ménage, et qu'elle écrivait les discours de son mari : ce qui était pure
invention, elle les relisait." (1)
L'humour permet ici de décrire un personnage et de suggérer un
fait sous forme de trait d'esprit. La négation ne porte pas sur l'accusa-
tion formulée à l'endroit de la dame mais sur l'imprécision de ce dont on
l'accuse comme si l'opinion avait été indulgente au point d'altérer les
faits. Aragon use aussi d'un humour qui véhicule un jugement à partir de
la qualification d'un détail minant et inversant tout le sens des propos
précédemment tenus. Pour nous révéler que la célébrité de Charly ~arin est
1- Louis Aragon Les communistes (sept-nov 1939) p.173
-241-
celle d'une chapelle, il insiste d'~bord sur l'Qudience de l'écrivain avant
de la limiter à la portion congrue et de subvertir l~ compréhension qu'on
attendait. Il s'agit dans la plupart des cas d'un moyen de battre en brèche
des idées reçues. La surprise aménagée gén~re une mise en valeur et, par le
fait, une volonté de persuader. Dans l'exemple suivant, cela dévalue le per-
sonnage et partant sa réaction devant les événement2 :
"Ce vieux petit Charly Harin, l' é0riV?L:1 que Tout-Paris, le Tout- Paris le
plus restreint, appelait Lolotte, était le seul dans cette assemblée à ~tre
littéralement possédé par les nouvelles de Pologne, les deux armées campant
dans Brest-Litovsk •••• " (1)
Au delà de l'humour, très souvent limité à des passages restreints,
l'ironie embraasechez \\ragon, quelquefois, toute l'atmosphère d'un roman.
Dans tous les C~lS l'auteur se conduit comme un complice, simule de sympathi-
ser avec et de comprendre les cibles. plais cette écriture exige aussi que
la simulation puisse ~tre consiiérée comme telle, que le lecteur comprenne
le jeu. Ainsi malgré l'apparence de vérité, le texte ironique doit signaler
la nécessaire inversion de son sens littéral, en tout cas son dépassement.
Pour cause, l'ironiste mène une critique indirecte. Il ya plusieurs autres
manières d'user de l'ironie en dehors du détail dévaluant comme dans l'exem-
ple cité plus haut. La dislocation logique est un de ces procédés. A l'inté-
rieur d'un portrcit ou d'une description, l' auteur introduit une carz,ctéri-
sation qui fait contraste. C'est généralement un portr2~t globalement négatif
résumé ironiquement, le plus souvent p~r un ~djectif positivement qualifiant.
Les beaux quartiers fourmillent d'exemples de cet ordre. Ainsi alors que
T'une Barrel entretient des r~ves érotiques l'zuteur l'appelle la pieuse par
ironie. Evoquant Garibaldi dont elle r~ve, Aragon nous dit :
"C'est ainsi que la pieuse Nme Barrel s'habitue doucement à. la présence
des ~tres infernaux, et m~me qu'elle itrrive à en souhaiter l~ présence,
1- Idem p.177
-242-
à la provoquer." (1)
L'ironie d'Aragon utilise aussi une autre méthode, similaire à
celle évoquée ci-dessus. Elle cons~e à glisser un détail dérisoire à
l'intérieur de l'évocation de choses importantes. C'est en quelque sorte
un changement de registre qui permet de mesurer l'état d'un sujet locu-
teur ou ses sentiments. La dévaluation naît des changements et de la con-
fusion de registre~sans ~tre dénotée par des performances explicites. Par
exemple Aragon préfère ne pas démentir ses personnages et ne pas les dé-
sapprouver de manière déclarée. Sa satire se glisse dans un processus de
description ou de narration au ton sérieux et à la limite solennel par
l'introduction brusque d'un détail dérisoire absurdement surévalué et
mis en exergue. La présence du dérisoire ou de l'hyperbele satirique
permet ainsi de dévaluer ce qui est décrit ou asserté sur un ton sérieux,
tragique ou solennel. Dans le passage que voici l'hyperbole est si iro-
niquement cod~que la signification est tout à fait contraire au sens lit-
téral. Edmond repense à la tentation qu'il a eue, de tuer Mme Beurdeley et
de lui dérober ses diamants pour les offrir à Carlotta. Il pensait ainsi
après avoir appris l'~ssassinat et le vol de son ancienne ma!tresse.
"Comme un débutant, il s'était vu distancer par un homme inconnu, qui
avait de la lutte pour la vie une idée plus saine, plus robuste." (2)
La qualification de la moralité du tueur fonctionne comme une
antiphrase. L'ironie satirique ne porte cependant pas ici auto..nt d'hu-
mour que quand elle se fonde sur un détail dérisoire associé à une évo-
cation sérieuse. Il y a plusieurs exemples dans Les ~eaux quartiers : la
comparaison que fait Barrel entre les dépenses pour l'habillement de la
clique et la baisse des salaires à laquelle doivent consentir les ouvriers;
la conception de ce qu'est l'esprit démocratique chez Mme Cotin: considérer
1- Louis Aragon, Les ~eaux quartiers p.21-22
2- Louis Aragon Les Beaux quartiers p.412
-243-
les fonctionnaires comme des gens bien
et recevoir des commerçants. La liste
peut ~tre allongée. Dans Les eloches de Bâle Aragon fait la sRtire de l'es-
prit militaire en juxtaposant deux phrases qui forment pour le sens commun,
un paradoxe alors que pour la logique militaire il n'ya aucune contradiction.
De Jean Thiébault qui fréquentait l'école de guerre l'auteur nous dit 1
"Il para1t que c'est un esprit supérieur dans sa partie. Il saurait très
bien faire tuer les autres."(1)
Comme intervention satirique de l'auteur, déterminant&. dans l' agen-
cement des visions, il y a aussi la parodie. Cette forme de satire est fré-
quente dans les romans de Drieu la Rochelle. Toute la critique sociale et
politique de Gilles repose sur elle. Deux moyens servent à mener la parodie
la distanciation et la déformation. Dans Gilles, c'est un témoin non actif
qui porte les visions satirisant l'action des protagonistes. Son oeil est
cependant déformant et ici la dévaluation est toujours le fruit d'une dissi-
mulation du narrateur. Celui-ci expose les points de vue et les accrédite
par l'effacement de leur source. Cet effacement est un leurre permis par le
mode narratif mais l'omniscience et les contenus de jugement engagent le nar-
rateur dans les visions parodiques qu'il produit. Lors du congrès radical qui
a certainement eu un pilotis, Gilles nous dit, décrivant ehanteau en train
de répondre au discours de Clérences 1
"H. Homais est ventriloque et il lui sort de la bedaine la voix de E. de 12.-
martine."(2) Le narrateur poursuit
"Du Lamartine de collège, mâchonné, revorni, une bouillie fade.
Brusquement, le matois qui savait où il allcit, bien qu'il parnt
dans les transports, sa graisse comme r~orbée et sublimée par les sanglots
rOIllêIltiques, retomba sur Clérences." (3)
1- Louis Aragon,Les cloches deBâle p. 184
2- Drieu la Rochelle,Gilles p.563
3- Idem p.564
-244-
Le besoin de donner l'illusion d'un microcosme exige, dans la
création romanesque, une organisation des visions qui doit obéir à deux
impératifs~ a.ppara!tre con:une naturel et signaler suffisan:unent le sens pro-
posé par l'auteur. Dès lors l'auteur se pose con:une un guide, quand bien même
il cherche à masquer ce r~le. Ainsi le simple ordre d'apparition des points
de vue, le choix de leurs médiateurs répond toujours à une intentionnali-
té. Dans les cas de Drieu et d'Aragon celle-ci est subversive. L'orien-
tation des visions épouse chez eux le schéma général de la dialectique
jusque-là obs~rvée 1 dévaluation du réel social par peinture de la déchéance
et propa_gande pour un proj et social de remplacement par la mise en va-
leur d'un système idéologique. La stratégie de la persuasion n'adopte pas
nécessairement, dans le ro~ une démarche conforme à la rhétorique clas-
sique. Les écrive~ns font surtout appel aux modes modernes de la crédibili-
sation, m~me
quand ils sont étrangers au discours littéraire. C'est pour-
quoi la volonté de vérité qui se manifeste dans les romans de Dz1eu et
d'Aragon semble répondre àun désir d'éviter la littérarité
des ten.es.
D'autre part le persuasif littéraire ne recoupe pas le persuasif de la
vie courante. Le premier obéit à une logique de la vraisemblance sans pour
autant rester indemne de tout rapport avec le réel. Le vrai se justifie,
lui, par son statut, sa confirmation par l'expérience, tandis que le men-
tir-vrai des romans se soucie uniquement de rester conforme au bon sens,
au domaine du possible. Con:une le suggèrent les derniers points de ce cha-
pitre, la crédibilisation du discours conduit à différentes attitudes
énonciatives et à diverses manières d'agencer les visions. Ces comporte-
ments narratifs ne sont pas nécessairement liés à une intention du nar-
~ateur. La logique du texte peut donc faire appel à des moyens de persua-
sion assez discrets ou trop explicites.
-245-
CONCLUSION DE LA D~UXIEME PARTIE
L'analyse d'une idéologie intrQtextuelle ne saurait se mener,
dans le cadre du roman,comme l'examen de la cohérence d'une théorie. Ici
le geste idéologique repose sur les rapports entre le narrateur (qui peut
~tre l'auteur) et le monde qu'il décrit. Dans les romans d'idéologie sub-
versive le schéma de ces rapports dévoile une intention de dévaluer le mo-
dèle social. Ainsi tous les textes d'Aragon tendent à montrer l'injustice
et l'imperfection de l'organisation sociale. La déchéance morale et phy-
sique qui na!t de cette mauvaise organisation est reprochée à la classe
dominante tandis que les ouvriers sont décrits comme une avant-garde ré-
volutionnaire. Ils portent les forces du Renouveau. Le pari du réalisme
est alors d'amener le lecteur à s'identifier à ceux qui s'opposent à une
telle société. Drieu vise la même fin. M9~S le motif de son dégo~t émane
beaucoup plus d'une relation subjective avec le monde que d'une analyse
rationnelle de celui-ci. Le. pessimisme es~chez lui, étendu au point où
la source du mal est confondue avec l'esprit de l'époque. Le Renouveau est
revendiqué pour rétablir les valeurs qui, selon l'auteur, affirment la for-
ce et la dignité de l'homme. Alors que la peinture de la déchéance épouse,
chez ces auteurs, la forme de la satire, la qu~te du renouveau devient
idéologiquement plus marquée. Ainsi tout en cherchant à rejoindre les dis-
positions de la mentalité collective par le biais de la mythologie, chacun
de ces écrivains utilise les éléments clé
d'une doctrine politique attes-
tée pour batir son projpt. En dehors de la valorisation du contenu idéo-
logique, l'écriture use de moyens persuasifs logiques ou formels. Contenu
et forme contribuent en m~me temps au dessein d'agir sur le lecteur, lui
inspirer le dég~t de la déchéance et lui faire adopter le projet social
ou de comportement dégagé par le livre. Ce double objectif explique la
-246-
structure axiologiquement dualiste mais permet surtout de clOturer le
discours et de rendre non ambigu le système de valeurs mis en place.
Dans les cas de Drieu et d'Aragon, ce système de valeurs signale la
présènce d'un intertexte doctrinal. Ce postulat comporte des risques
immenses. Le texte peut ~tre l'objet d'un préjugé qui en limite l'in-
terprétation et l'audience, le lecteur le néduisant, de lui-m~me ou par
des médiateurs de lecture, à l'apologie de la doctrine signalée par
l'intertexte. Le londe réel d'Aragon ( et en particulier
les Communistes )
a longtemps été victime de cette vue courte. Ainsi Jean-Louis Ezine dira
des personnages de cette série romanesque.
"Et quand l'écrivain choisit de les pousser dans le monde, il ne trou-
ve rien de mieux que d'en faire des militants: des ~tres fondus, noyés,
éclipsés dans l'être collectif du Parti." (1)
Un tel jugement ne repose sur aucune analyse profonde. Les personnages du
Monde réel ne sont jamais des communistes parfaits à part quelques symbo-
les assez éphémères au point de ne figurer que dans les épilogues. Par
exemple Clara Zetkin.
Les militants des Communistes malgré leur mise en
valeur traînent encore des insuffisances. Ils ne sont d'ailleurs pas les
seuls protagonistes exemplaires positifs. du livre. La condamnation de J.
L. Ezine se fonde sur le désir du roman réaliste socialiste d'~tre effi-
cace et de véhiculer l'idéologie et la morale communistes. Ezine réduit
alors tout texte réaliste socialiste à un discours d'édification. Ainsi
il n'a pu voir toute la poésie qui entoure l'amour d'Aurélien et de Béré-
nice, l'aspect chronique de l'entre-deux~guerres contenu dans le m~me li-
vre, la faible conscience politique de Catherine Simonidzé et de bien
d'autres personnages, le caractère purement réformiste de la lutte syn-
dicale. Il faut, de notre point de vue dissocier les intentions et les
1- Jean-LOuis Ezine "Le hourvari du vieux cerf aux abois" in Aragon
Les nouvelles littér~ires nO spécial 2867 bis
du 28-12-82 au 05-01-1983
-241-
déclarations des auteurs de ce qu'ils nous offrent effectivement comme
produit fini. D'ailleurs les intentions déclarées sont souvent contrac-
dictoires d'une intervie~ à une autre ou d'un livre à un autre. La litté-
rature d'escorte n'a jamais autorisé une critique fiable. Ceux qui y croient
aveuglément ne cessent de se fourvoyer. Ainsi trouve-t-on aujourd'hui des
critiques qui rép~tent après l'auteur que Drieu est devenu fasciste et
collaborateur à cause de sa croyance à l'internationalisme (1).
Ce point de vue n'est peut-~tre pas complètement faux. Mais si les cho-
ses étaient aussi simples pourquoi Drieu a - t-il continué à collaborer
alors qu'il savait dans les dernières années de l'occupation (d'après
Récit secret) que l'hitlérisme était voué à l'échec et par conséquent, la
réunification
de l'Europe par le fascisme allemand.
Reprenons quelques déclarations d'Ar8~on pour montrer que les
points de vue des auteurs sur leurs oeuvres et sur leurs intentions nous
rév~ent souvent des paradoxes. En 1938 Aragon écrit dans Europe qu'on
atteint au réalisme par la voie nationale. Il décrit la méthode du réa-
lisme socialiste 1
"Je parle du romancier dont l'oeuvre est le fait d'une méthode, qui a le
soin scientifique de la réalité. Celui-là est le seul romancier." (2)
Il justifiait
$a
prise de position par les exigences de cet art nou-
veau :
"Car le réalisme socialiste exige de conna!tre la réalité pour la trans-
fonner." (3)
Au moment m~me où il v:e.n.t
juste de réécrire son oeuvre romanesque Ara-
gon fait une déclaration tout à fait divergente pour ne pas dire contradic-
1- C'est le cas de Pol Vandromme et de Pierre Andreu • Le Dr. R. Soucy con-
teste la fiabilité de cette méthode dans "Le fasciste de Drieu la Rochelle"
Revue d'histoire de la 2e guerre n° 66 (spécial) Avril 1961
2- Louis Aragon "Réalisme socialiste et réalisme français'~ Europe n~ 183 mars
1938, p.302
3- Idem p.303
-248-
toire •
"J'ai écrit les livres du "Honde réel" sans savoir où j'allais, et il
en a été de m~me de La Semaine Sainte, de la f1ise à mort et de Blanche" (1).
On pourrait surmonter le paradoxe que constituent les deux citations ci-
mentionnées, en se donnant comme explication la mutation des idées po-
litiques de l'auteur sous la "destalinisation", si l'assertion sui:vante ne
nous en enlevait l'idée.
"Le romancier, tel qu'on se l'imagine, est une espèce d'ingénieur, qui
sait fort bien où il veut en venir, résout des problèmes dont il conna!t
le but, combine une machine ou un pont, s'étant dit je vais construire un
pont comme ci, une machine comme ça. Voilà soixante cinq ans que je me paye
la t~te de ceux qui ne doutent point que j'en agisse ainsi, puisque je
devais avoir six ans quand j'ai commencé ce manège." (2)
Ces flottements ne doivent pourtant pas pousser à un refus systématique
d'examiner les points de vue des auteurs. Car un texte ne saurait rester
indépendant des intentions de son producteur. Il est la rencontre de cel-
les-ei et de tout ce qui, de loin ou de près, agit sur la mentalité de
l'auteur, de tout ce q~ forme sa culture. Dès lors l'analyse de l'idéo-
logie d'un texte, des idéologies intratextuelles, ou sur le texte, est
en partie la description d'un dialogisme.
1- Louis Aragon, Aragon parle avec Domini~e Arban, Paris, Seghers, 1968 p. 123
2- Louis Ar8.gon, Je n'ai ,1~lIla.is appris à Acrire ou les Incipit Genève,
Albert Skira 1969 p.14
TROI8IEME PARTIE
-249-
TROISIEME PARTIE 1
DIALOGISME ET IDEOLOGIES-SUBVERSIVES
INTRODUCTION
Le schéma qui nous a permis jusque-là de rendre compte de la stra-
tégie subversive chez Drieu et Aragon repose sur une relation dia1eotique
entre deux démarches opposées mais aux buts complémentaires. La première ins-
tance de ce processus correspond à un travail de dévaluation de la réalité
sociale, l'objectif étant de la caractériser négativement comme porteuse du
virus de la déchéance. La seconde étape rend positif et met en valeur le pro-
j et ou le modèle oonstruit Par le système idéologique mis en place Par le
texte. Différentes réalités sont donc référées ou décryptées Par les romans
de Drieu et d'Aragon. Mais le texte littéraire n'est pas exclusivement ré-
férentie1. Son discours ne transpose pas simplement le réel matériel ou
événementiel mais également linguistique et discursif. A ce titre il est
le lieu où se rencontrent différents autres discours idéologiques. Il y
circule des intertextes repérables et oaractéristiques de systèmes cogni-
tifs ou doctrinaires divers. Le texte idéologique, quand bien m@me un in-
tertexte doctrinaire y prédomine, organise donc le dialogue de plusieurs
systèmes idéologiques et de plusieurs voix qui, sans @tre nécessairement
explicites dans le contexte, n'en sont pas moins pertinentes.
''Ua texte, s'il est texte, n'est jamais entièrement dans une seule idéo-
logie. Tout en étant dedans, il est (par un ou plusieurs points de rupture,et
il n 'ya pas la rupture mais il ya toujours eu des points de rupture) contre,
et il est hors, vers une autre idéologie qu'il construit." (1)
Aveo le système organisationnel et sémantique par lequel le tex-
te s'installe dans une idéologie ou opère des ruptures avec elle, naît la
r
1- C. Claude, H. Meschonnic, R. Pierre "Le r&le de l' écriture dans la trans-
formation de l'idéologie" in Littérature et idéologie Colloque de Cluny II
La Nouvelle critique nO 39 bis(spéoia1)1970 p.59
-250-
situation dialogique. L'échange n'est pas seulement textuel (intertextua-
lité) (1). L'analyste prend en compte tout dialogue. m8me virtuel, entre tou-
tes les voix qui interviennent dans la production du texte. Mikha!l Bakhti-
ne récusant les voies opposées du fomalisme et de l' idéo10gisme définit en
m8me temps le dialogisme littéraire 1
"L'orientation dialogique est, bien entendu, un phénomène caractéristi-
que de tons discours. C'est la visée naturelle de tous discours vivants. Le
discours rencontre le discours d'autrui sur tous les chemins qui mènent vers
son objet, et il ne peut ne pas entrer avec en interaction vive et intense. "(2)
Cette interaction ne suppose pas seulement la juxtaposition des
idéologies dans un texte mais aussi leur entrelacs et leur polémique des-
quels procède l'idéologie du texte. Au plan discursif force est donc de
reoonna.1tre que s'il est possible de reconstituer à partir d''Wl texte plu-
sieurs idéologies qui y circulent, il reste impératif de considérer leur
support non comme des énoncés juxtaposés mais comme un discours unique,
rencontre de plusieurs autres, comme ua inter-discours.
D'autre part, le dia10gisme n'est pas seulement interaction de
textes ou de visions intradiégétiques. Le producteur du texte -et'..-~, son
destinataire sont également des voix pertinentes qui innuent sur l' énon-
cé. Le phénomène est d'autant plus manifeste dans le discours idéologique
quand celui-ci procède d ''Wle intention i110cutoire ou per10cutoire. Aussi
les textes miment des situations de dialogue et 'Wl geste idéologique didac-
tique ou persuasif, se traduisant par 1 ' écriture du discours quotidien, ac-
compagne presque toujours la mise en fome des romans. Diverses techniques
métadiscursives et -mimétiques sont mises en oeuvre par Drieu et par Aragon
1- L'lntertextua1ité est une fome de dia10gisme. Celui de textes.
2- Tzvetan TodoroT, Mikhat1 Bakhtine. Le principe dialogique, suivi des Ecrits
du cero1e de Bakhtine, Paris, Seuil, coll. Poétique, 1981, p.98
,t!
-251-
dans ce sens.
Au niveau dialogique, on retrouve également, dans les rapports
entre le texte, son destinateur et son destinataire, l'emprise de l'histoi-
re et du réel dans l'appropriation, l'adoption et l'application plus ou
moins fidèles de doctrines et de systèmes idéologiques. Ainsi sera-t-on
amené à s'interroger sur les conséquences de la rencontre entre les idéo-
logie8 de l'auteur, du texte et du leoteur (plus ou moins reflet de l' i-
déologie dominante) dans l'activité .eripturale et le décryptage du message
littéraire. Cette perspective permet de tenir compte de la dimension dia-
chronique et d'asseoir des hypothèses susceptibles de rendre compte, non
seulement de la dynamique socio-historique, mais aussi de la mutation idéo-
logique qu'ont apparemment subie les oeuvres de Drieu et d' AragoI\\' compte
tenu du changement des points de vUe de ceux qui les interprètent et des
grilles de lecture.
L'analyse qui tient compte du dialogisme semble donc Itre parti-
oulièrement apte à rendre compte des différentes idéologies sur et dans le
texte romanesque. Elle montre de suroro!t le caractère superflu d'une mé-
thode qui limiterait l'étude de
l'idéologie: au sein de la littérature aux
idées intratextuelles sans tenir compte des circonstances de sa production,
du processus de la lecture. D'autre part elle rend possible la prise en
considération de la forme dans la motivation idéologique d'un texte, au con-
traire d'une conception réductrice considérant le langage, m~me littéraire,
comme un simple instrument. Cette oonception réexamine le statut de l~&-
crivain. La dénonciation de sa souveraineté sur le texte, souveraineté
présupposée jusqu'à une date récente, a pour conséquence l'abandon d'une
perception du texte monologique et monophonique. En m@me temps sa polysé-
mie est suggérée. Ainsi, sans cesser d'8tre un discours homogène, le ro-
man est un texte composite, cOJDlIle nous l'avons déjà,dit, mais non une jux-
taposition, d'autres disoours réels ou virtuels.
-252-
CHAPITRE l 1
LE DISCOURS IDIDIQGIQUE 1 UN INTERDISCOURS
Une idéologie, m@me au sens banal de système d'idées, se défi-
nit toujours par rapport à une autre. Par ce fait, déjà, elle ne peut· eria-
ter sans suggérer ou manifester son contraire ou une idéologie. similaire. Cet-
plut>
te loi est d'autant/aisée à respecter dans le roman qu'il s!agit d'un mi-
crocosme, où interviennent divers protagonistes et diverses couches socia-
les. Un simple coup d'oeil sur les dialogues de roman peDnet de corroberer
cette opinion. Mais les desoriptions les plus apparemment neutres, ou pré-
sentées oomme des visions d'un seul personnage, comportent des visions iciéo-
logiques dont le modèle peut @tre reconstruit. Pour constituer une sorte de
- super-système" (1) qui subsume ces différentes idéologies, un procès de
transfo:rma.tioll,.d'intégration
ou de confrontation est mené dans le texte.
Ce super-système que nous avons appelé idéologie du texte nait donc du tra-
vail scriptural (qui est aussi une forme de lecture) mis en oeuvre dans le
texte. Si, pour des raisons méthodologiques, les idéologies dans le texte
peuvent fttre envisagées de façon relativement autonome, i l reste établi
que "pour un texte, la dimension intertextuelle n'est pas dérivée mais pre-
mière." (2) Ainsi sera-t-il plus juste de considérer les textes romanesques,
mftme quand ils ne sont pas explicitement polydoctrinaires, comme l'intersec-
tion de plusieurs discours idéologiques dont certains sont travestis pour
les besoins persuasifs du super-système. Quelles sont dans les oeuvres de
Drieu et d'Aragon ces différentes idéologies?
A)
LES IDEOIQGIES DANS LE TEXTE
Il a déjà été signalé ioi que plusieurs visions non attribuables
au scripteur dans le cadre d'une fiction donnée, mais néanmoins générées par
1- Doainique Maingueneau, tlDialogisme et analyse textuelle" in Actes sémioti-
ques (Documents) IV, 32, 1982 Institut national de la langue française
.
1982 p. 6
2- Une sorte de macrostmcture composite de sou~systèllles
-253-
lui, sont repérables dans un roman. Ces différentes visions peuvent for-
mer des systèmes divers, chacun rejoi"gnant un certain intertexte, un cer-
tain modèle doctrinaire. Dans la dialeotique dévaluation / mise en valeur
entrent en jeu trois sortes d'idéologie dent aucune, malgré ce qu'il en pa-
ratt, n'est autonome. Un rapport dialectique existe entre le modèle dévalué
en tant qu'idéologie dominante mais porteuse de déchéance et le modèle élu (1)
d'une part et entre les diverses idéologies subversives dont le texte refor-
mule le modèle ou l'intertexte. Ainsi les romans de Drieu et d'Aragon re-
construisent, peut-être en les défo:rmant, le conservatisme bourgeois, les
doctrines subversives fascistes et communistes, l'une dévaluée, l'autre élue
selon les auteurs.
a) L'idéologie dominante
Les rénexions sur la déchéance ont déj à montré comment elle nour-
rit la satire politique et sociale. Elles n'ont peut-être pas exprimé suf-
fisamment quels sont les schèmes qui ont permis aux auteurs de nous amener
à nous représenter l'idéologie dominante.
Dans Le Monde réel d'Aragon, le nationalisme révne de par ses
rapports avec la classe dominante en quoi consiste l'idéologie de celle-ci.
D'ailleurs, le rapport au nationalisme éclaire pour l'essentiel l'oeuvre ro-
manesque d'Aragon. A ce titre, la mutation de la pensée politique de l' an-
teur (relativement au nationalisme) se reflète dans l'oeuvre. Aragon ex-
plique la cause de son antipatriotisme pendant la période surréaliste dans
un disoours au deuxième congrès des écrivains pour la défense de la culture.
Pourtant, l'auteur a continué à observer le même comportement jusque vers
la fin de 1934. Les cloches de Bâle reflète cela et n'aborde explicitement
les questions de patriottsme que dans le dernier chapitre. En refusant de
peindre les ouvriers par leur relation au patriotisme ou an nationalisme,
Aragon ne sent pas la nécessité d'attribuer oes comportements idéologiques
1- Nous appelons modèle élu ou idéologie élue, le modèle ou l'idéologie mis
en valeur dans le texte.
-254-
à la classe opposée (la bourgeoisie) ou de les lui refuser. L'hostilité du
surréaliste à l'égard de ce qui est national se maintient mais le comm.un1s-
te observe l'indifférence et abandonne les outrances langagières du genre
"dans la boue drapeau. tric 01orEl' (1). Cela explique sans doute pourquoi le
nationalisme n'est pas déterminant pour caractériser les idéologies dans
le premier roman du Monde réel. Certains bourgeois se réclament, certes du
nationalisme, mais l'auteur se garde bien d'une appréciation directe (2).
C'est seulement en nous montrant la pensée sociale des bourgeois dans leur
pratique qu'il nous suggère que ce nationalisme est une imposture. En té-
moigne la manière dont les tractations politico-financières (par exemple
l'affaire des voitures de location) se font au détriment de l'intérêt gé-
néral. D'ailleurs, en montrant. par et à travers Brunel que le système est
basé sur l'usure, l ' auteU% défini-t la classe dirigeante comme ayant pour
seule ambition, activité et désir, l'accumulation du profit. Cette classe
impose sa loi aux autres nations et aux ouvriers du pays. De là le Paral-
léliame entre les guerres coloniales et la grève des taxis. Ainsj, m'me
l'engouement qu'on tente de créer au sein de la population vis·à-vis des
retraites militaires n'intéresse la classe dominante que par son efficaces
préparer la gu.erre impérialiste (donc du profit). D'ailleurs le r8le que
la bourgeoisie assigne à la troupe montre bien les limites de son patrie-
tisme. Dans Les beaux quartiers, le soldat Arnaud et ses camarades, spé-
cialistes de la savate, vont exercer leur talent sur les ouvriers en grève.
En vérité les bourgeois n'évoquent le patriotisme que pour justitier leur
qu@te effrénée du profit. Le narrateur des Beaux quartiers le dit à la
place de l'industriel 1
1- Louis Aragon "Février" fragment de poéme publié in Commune n09, mai 1934,
mais antérieur à cette date (d'après l'oeuvre poétique T.IV, p.36
2- M3me l ' écriture témoigne d'un certain mépris du genre l "Sans doute deva!t-
il (Thiébault) avoir une conception de la patrie, et de toute sorte de choses
de ce genre, ••• " Les cloches de Elle p. 185
-255-
"Pour Wiener, la guerre, il n'y voyait certainement que les affaires,
il n'y apportait pas cette stupide passion nationaliste qui ferait battre
des montagnes ••• " (1)
Mais en 1936 la conception politique d'Aragon a changé par ra~
port au patriotisme. Celui-ci n'est plus dévalué et suspecté mais revendi-
qué comme une valeur idéologique du prolétariat. L'auteur s'attache alors
beaucoup plus à montrer que, lorsque la bourgeoisie déclare incarner le
nationalisme, c'est tout simplement une imposture. La preuve en sera a~
portée sans outrance dans Aurélien où le héros renonce à résister et de-
vient Vichyste~ Pierre Mercadier est dans la m~me liguée et marque une
indifférence totalement irresponsable à l'égard de la vie sociale. Par
oontre Les communistes reprend le projet de dénonoer l'hypocrisie du na-
tiona1isme bourgeois. L'idée de base, dans ce roman, est de démontrer que
la classe dominante veut s'accommoder du nazisme et de l'impérialisme a1-
1emand pour s'allier avec eux contre les ouvriers et les masses travai1-
1euses. C'est ainsi qu'il appara1t, au delà des déo1aratioIl5 verbeuses de
nationalisme et de patriotisme, que la classe dirigeante fait preuve de
laxisme et de défaitisme devant l'ennemi nazi. Pour preuve nous en vou-
lons la gestion de l' aJ:mée et 1 ' attitude envers Hitler. Les cOllllllUIÙstes
montre que les pouvoirs publics ont préféré ,louvoyer devant les visées
impérialistes nazies; la description des cantonnements des soldats fran-
çais montre que la défense du pays semblait ne point préoccuper la bourgeoisieJ~
Sur le front les soldats s'ennuient et s'adonnent à toutes sortes de jeux,
1
sauf ceux de la guerre.
"Dans l'ensemble, le sport soulevait plus d'intér~t que leur guerre." (2)
La réalité c'est que la bourgeoisie ne considère pas le fascisme
comme un ennemi. D'ailleurs elle conclut des accords secrets avec lui, non
1- Louis Ar~ Les beaux quartiers p. 218
2- Louis Aragon Les cloches de M1e p. 135
-256-
pour le bien du pays,. mais pour sauvegarder ses seuls intér~ts.
liA part ça, rien n'est tout à fait comme il parait. Par exemple, tu
sais ces moteurs que nous achetions chez Skoda ? Tu sais. Eh bien ! J'ai
reçu l'assurance, par la personne qui me permet d'atteindre officieusement
le comte Von Welzeck, qu'Hitler autorisera l'exportation des moteurs, mê-
me si nous sommes en guerre avec l'Allemagne." (1 )
Ces mots de Wisner à son neveu Fred sont assez éloquents quant à l ' idéo-
logie des capitalistes.
Dans Les communistes la gestion de la guerre et le comportement
de certains généraux, caractéristiques de l'idéologie dominante, témoignent
de l'absence, dans celle-ci, de tout sentiment patriotique. En effet au
lieu de penser à rassembler les vestiges de l'armée pour continuer la
guerre, le général en chef Weygand décide de capituler et ne pense qu'à
employer les troupes à la répression d'un éventuel soulèvement ouvrier 1
"Il est vrai que Weygand donne une raison à sa suggestion singulière 1
faire l ' amistice, pour garder une armée, afin de maintenir l'ordre. Afin
de maintenir l'ordre. C'est la grande peur du seize mai qui continue. Wey-
gand a besoin de garder une armée, non pour que l'on cesse de tuer les
Français, mais pourqu' il Y ait des Français capables de tirer sur d'autres
Français." (2 )
Les romans du Monde réel n'exposent pas l'idéologie dominante
comme une théorie politique achevée. C'est seulement le comportement de
la bourgeoisie devant certains preblèmes clés qui permet de mesurer sa
doctrine politique. Il ya, par exemple, à ceté du patriotisme et du na-
tionalisme, la guerre qui, bien que contingente, éclaire ce point de vue,
cODlllle cela appara!t dans la pensée de Weygand. Sa conception, les prises
de position qu'elle provoque, les décisions qu'elle inspire sont des élé-
1-
Idem p. 229
2- Louis Aragon, Les communistes (mai-juin 1940) Paris la bibliothèque
française 1951 p. 105
-251-
ments définissants de l'idéologie des sujets. Avant 1934, au moment où
Aragon développait enoore le thème de la guerre impérialiste, oe thème lui
servait à éolairer la dootrine sociale bourgeoise. Ainsi la guerre du Ma-
roc, dont le bu.t est l'annexion pure et simple de oe pays, vise à étendre
les marchés. Wisner appelle oela une oeuvre admirable de la Franoe. Mais
il ajoute bien vite rejoignant son interlOcuteur Brunel par une oonoep-
tion pragmatique de oapitaliste 1
"Mon vieux, il faut bien t'imaginer que oe n'est pas que je oroie aux
balivernes, aux grandes maohines aveo lesquelles on fait marcher les fou-
les ••• Quand je dis la Franoe, 0 'est une façon de parler très simple, pour
dire nous, un oertain groupe d' intérftt oommun." (1)
Ce passage éolaire la raison des guerres tout en dévoilant le pseudo-na-
tionalisme et le pseudo-patriotisme des oapitalistes. Pour insister avec
plus de force sur le fait que le profi t est le seul guide de l'action oa-
pitaliste, au plan international (et national du reste) , Aragon a reoours
au disoours de Libertad,ohef anarchiste 1
"Depuis plusieurs semaines, quelques empanaohés, disait-il, disoutent
afin de savoir qui aura le droit, des finanoiers français ou des oapita-
listes allemands, de voler les Marooains." (2)
En plus des grands thèmes de la guerre et du patriotisme qui ai-
dent Aragon à mesurer les oomportements idéologiques de la bourgeoisie, la
satire de oertaines visions et formes de pensée, apparai~ant comme de s1m-
ples faits divers, oont ribu.e , après retournement, à dessiner l'idéologie
dominante. Tel est le r8le de l'avarioe (père Arnaud, dooteur Barbentan~
eto), de l' égo!sme (Barrel, Aurélien, WisneJ; eto) qui empftohent les person-
nages de voir ou d' @tre intéressés par la misère qui les entoure. On a pu
1- Louis Aragon Les oloches de ~le p. 135
2- Idem p. 229
-258-
reprocher à Aragon d'avoir tellement insisté, surtout dans le domaine des
moeurs, sur ces détails accablants au,point de réduire les bourgeois ( en par-
ticulier lans Les ~eaux quartiers) à des débauchés. Chaque bourgeois des
Beaux quartiers a son petit défaut voire son complexe: Philbertine ne se
oouohait jamais sans avoir mis un rameau de buis bénit sous l'oreiller. Son
mari se déculottait en public quand il était gébé ou de bonne humeur. L'ab-
bé Petitjeannin passait son ·temps à vérifier si on le volait tandis que
Suzanne avait la manie de cacher des bouts de papiers qu'elle supposait con-
tenir des secrets. Le grand chocolatier collectionnait, lui, des plaques de
foyer. Pour l'auteur ces différentes "manigances" (1) se ramenaient aux mêmes
préoccupations • satisfaire aux besoins de domination (2). Pour souligner que
nous avons là des composantes de l'idéologie dominante, le narrateur aj oute à
propos de ces manifestations des personnalités de Sérianne •
"Elles ne vaudraient pas la peine qu'on les rapportât, si elles n'étaient
les reflets des traits profonds de toute une société, qui marquaient la vie de
cette société, là même où on ne s'attendait pas à les trouver. Par exemple,
comme ou traitait en général les italiens en ville • achetaient-ils des
fruits, le fruitier leur glissait toujours une figue pourrie, des raisins
gâtés, par en dessous. Jusqu'au docteur Lamberdeso qui lambinait quand OB
l'appelait d'urgence chez ces gens-là. Laissons-leur un peu le temps de
mourir." C~)
La dernière phrase de cette citation est un exemple typique des
textes aragoniens. C'est non une performance du doct~ mais une reprise de
la pensée des bourgeois relativement aux Italiens. Le pluriel par lequel le
1- Louis Aragon, Les 'Beaux quartiers p. 29
2- Jouissance intellectuelle de dominateur chez ,Barrel. lui seul était capable
de voir la valeur de sa collection. Pour l'abbé tout le monde est voleur, il
est le seul honn'te. Pour M. de Loménie, le hobereau l'emportait sur l'homme
du monde tandis que sa femme excusait son pht~ique en se prenant pour une sor-
cière et que sa fille se donnait de l'importance en se supposant des secrets.
3- Louis Aragon, Les 'Beaux quartiers p. 30
-259-
narrateur prend la place d'un bourgeois ordinaire pour s'impliquer dans le
procès décrit et y inviter le lecteur, introduit en même temps la familia-
rité. Cette dernière mille la banalité de la conception populaire ou plut8t
dominante dans le milieu bourgeois. Diverses formules et maximes collées
dans le texte jouent ce r8le. Quelquefois ces fomu.l.es ne sont pertinentes
que du point de vue formel en premier lieu, puisqu'elles ne servent, essen..,
tiellement, qu'à reprendre le code langagier de la pensée d'un milieu et
m8me souvent d'une époque ( 1) •
Les argots et langages spécialisés, en iden-
tifiant l'appartenance sociale des sujets-locuteurs dans le cadre des dia-
logu.es oonstituent par et pour ce fait des isotopies (2) caractéristiques
d'une idéologie.
Ar8f;on signale d'autre part l'idéologie dominante en l'assimilant
au populaire, partant du fait qu'elle est la plus apte, étant données ses ma-
!ens, à s'imposer au niveau social et à devenir culture dominante. Ainsi il
feint d'admettre comme le commun lecteur bourgeois les points de vue expri-
més. Ceux-ci sont toujours les lieux communs de la mentalité bourgeoise. A
ce titre Aragon laisse souvent les bourgeois traiter les grévistes de pares-
seux et dénoncer le droit de grève. Dans le passage suivant, il présente la
pensée d'Arnaud sur la grève comme une vérité acceptée par tous':
"De pareils faits pouvaient à tout instant se reproduire, à tout instant
l'insubordination ouvrière pouvait mettre en péril les affaires de la cho-
colaterie. Il y avait là un vice de la structure sociale, un défaut de la
législation auquel il aurait fallu remédier." (3)
De m8me, la perception dévaluante que la pensée bourgeoise a du .
1- Nous Y' reviendrons dans le chap. II aux points consacrés à la mimésis.
2- Compris ici, oontrairement à l'usage habituel qui limite l'application de
ce terme au contenu, cODlDe réitération de termes et de construotions gram-
maticales.
3~ J..qp.iLAr8f;on, Les 'Seaux quartiers p. 40
-260-
communisme et de ses militants, contribue aussi à décrire l'idéologie do-
minante. De ce fait Aragon opte pour une présentation avec une- feinte com--
p1icité. Dans Les communistes. les officiers chez qui ~gne l'idéologie de-
minante diront à Cécile Wiener qu'ils sont avec Armand dans des termes qui
portent un véritable jugement de valeur, informatif en ce qui concerne leur
pensée politique.
"Oui, tu te représentes 1 Le frère d'Edmond Barbentane ••• tu sais bien ce-
lui qui a mal tourné, voyons 1" (1)
Ces différentes manières de mettre les schèmes caractéristiques de
l'idéologie dominante en discours ont été dans la plupart des cas les mAmes
qui ont servi à décrire la déchéance. Ce phénomène explique les différences
que l'on observe entre les conceptions par Drieu et par Aragon de ce qu'est
l'idéologie dominante puisqu'elle semble attachée à l'idée de déchéance. Nous
pouvons, à partir de là, déduire les définitions. Pour Aragon l'idéologie do-
minante est celle de la bourgeoisie, la classe qui incarne la déchéance. Chez
Drieu la déchéance n'est pas liée à une classe mais à l'ensemble de la so-
ciété. A ce tnre on peut penser que, chez lui, elle est la pensée collec-
tive o'est-à-dire l'idéologie régnante, celle de la société et dans laquel-
le se reconnaissent tous les membres. La cause en est que tout et tout le
monde s'est embourgeoisé. C'est donc dire que la description de l'idéologie
dominante et celle de la déchéance sont ici homo10gab1es. Pour cause la dé-
chéance n'est pas posée comme le simple résultat de l'application pratique
de l'idéologie dominante quand bien mAme celle-ci est inscrite dans des faits
et des actions conformistes. Elle ne suppose aucune décadence née d'une inten-
tion subversive. Drieu confond donc causes et conséquences et présente le
"melting-pot" obtenu comme l'esprit de son temps. Le conformisme, c'est-à-
dire la complaisance dans la déchéanoe, devient ainsi idéologie dominante.
Cette dernière est donc dessinée dès qu'on a décrit la déchéance~ Par contre,
1- Louis Aragon, Les communistes (sept-aov. 1939) p. 363
,i
-261-
pour Aragon, la déchéance est la conséquence d'une organisation sociale, de
l'application d 'une politique. Chez Drieu, la modernité, la démo,cratie, le
défaitisme, l'absence de virilité sont à la fois sources et composantes de
la déchéance, de l'idéologie dominante. Pour Aragon la propriété privée et
la recherche effrénée du profit parce qu'elles se sont constituées. en.~sys-
tème, ont entra1né la dégradation matérielle et celle des moeurs. Décrire
la dégradation c'était suggérer l'idéologie sans l'expliciter. Pour les livres
de Drieu l'idéologie dominante est confondue avec la déchéance, elle n'est
pas seulement ce qui l'inspire. Ainsi on ne peut décrire l'un sans l'autre.
Le système textuel de Drieu (ou m@me d'Aragon) serait tout à fait
simple s'il se limitait, dans son processus de dévaluation, à l'idéologie
dominante. La~BUbversité(serait alors une condition suffisante pour l'a-
doption d'une idéologie. S'il en était ainsi Drieu et Aragon rejoindraient
les auteurs qui ont illustré ce que noua avons appelé la nouvelle tradition
subversive, particulièrement l'idéologie du refus de l'idéologie. Mais
leur système textuel n'est pas, du point de vue de la présentation des
idéologies, bâti sur un partage binaire de dominante-refuséeiaubversive-
revendiquée. Il ya encore plus d'une seule idéologie subversive dans les
romans ici en cause, et certaines sont, elles aussi, rejetées.
b) Les idéologies subversives dévaluées 1
Dans le but de construire ou de reconstruire un système idéole-
gique et le donner à lire comme le seul fiable, les auteurs éprouvent la
nécessité d'éliminer la concurrence. Pour cela ils dévaluent les pensées
subversives qui revendiquent le m@me pouvoir de corriger le mal inhérent
à l'idéologie dominante.
Mais le rejet d'une idéologie subversive par une autre est sou-
vent moins radical - que quand il s'agit du rejet de l'idéologie dominante
par une subversive - du fait des similitudes possibles de certains de leurs
principes ou constituants. Cela explique sans doute les changements, les
-262-
hésitations etc ••• d'Aragon vis à vis du socialisme tel qu'il s'incame
dans la doctrine et la pratique du parti socialiste.
Les attitudes de Drieu à l'endroit du communisme sont du m@me
ordre. Dans ses demiers textes, après sa désillusion relative à l'hit-
lérisme, il se déclare favorable au commun1sm~. Mais la valeur qu'il per-
çait dans le communisme et qui motive sa sympathie a toujours été élue,
et rechflJ:Chée (1) même s'il le faisait dans une idéologie différente du
communisme. Le IIl8.X%i.sme-léninisme n'est pas pour autant entièrement ac-
cepté. Au moment de son intense engagement politique chez Doriot( 2),
Drieu est farouchement opposé au communisme. Il semble libéré de l'em-
prise de cette doctrine, dérmé de toute sympathie à son égard contraire-
ment à ce qui apparaissait, malgré tout, dans Une femme à sa fenêtre. Les
écrits politiques le montrent clairement et Drieu n'est pas loin, parfois,
d'assimiler les COllllllWlistes aux bourgeois qui sont au pouvoir. Toute la
première partie de Socialisme fasciste écrite en juin 1934 s'attache à ré-
fUter la notion de lutte de classes, fondement du marxisme, tandis que plu-
sieurs articles (1) écrits à l'époque sont d'un anticommunisme virulent.
Le retour de Drieu au parti de Doriot est également marqué par
des déclarations anticommunistes. D'ailleurs c'est vers cette époque
que Drieu a cOJlDlencé sérieusement à dévaluer le marxisme dans ses romans.
Ainsi dans Gilles le communisme est ravalé au rang du conformisme et de l'im-
posture qui nourrissent la déchéance. Drieu mène la dévaluation dans ce
livre d'abord par la parodie. Le travestissement de la doctrine n'épargne
1- Nous y reviendrons en étudiant la polémique des idéologies. A ce point pré-
cis de l'analyse il s'agit plutet de voir, dans la perception de Drieu, les
éléments qui motivent le rejet du communisme.
2- Jacques Doriot,député-ma.ire de Saint-Denis a quitté le P.C.F qu'il trouve
peu révolutionnaire pour fonder le Parti Populaire Français, d'inspiration
...11.- 1~3f
fasciste. Drieu va adhérer à ce parti en 1936, démissionnera/puis reviendra
en 19'" J. Il était fasoiné par Doriot.
3- cf Drieu la Rochelle, Chronique politique 1934-1942, Gallimard, NRF, 1943
,
-263-
m@lIle pas celui qui l'incame. Lorin semble réciter des leçons auxquelles
il ne comprend rien. Par exemple il dévalue lui mOlle le marxisme en vou-
lant le défendre. Répondant à Galant du groupe "Révolte" il dit 1
"Je ne "fais" pas "de la politique. a C'est bien ça, vous ignorez tout
dans votre groupe de ce qui vous importerait le plus de conna~tre. Je suis
marxiste. Le marxiame, voilà ce que vous ignorez, ça n'a rien à voir avec
"la politique". (1)
Vers la fin de Gilles Drieu réduit le marxisme à un élément de
la déchéance caractérisé par le verbiage et l'absence d'action réelle. Com-
me toute parodie le discours sur le communisme laisse entrevoir le modèle
à partir duquel il s'inspire. Au plan formel on retrouve, bien que retour-
nés et parodiés, certains concepts de l ' économie politique marxiste et sur-
tout de son discours de propagande. Cela permet d'inscrire le para!tre du
discours communiste dans le texte. Les termes dtnintemationale", de "mOi-- ..
ment historique", de "révolution mondiale" de "soviets", jouent ce r81e.
De m8llle, .~r, l'introduction dans la fiction de figures illustres du commu-
nisme comme Cachin et Paul Vaillant-Conturier permet aussi l'inscription
et l'identification d'un intertexte communiste qui suggère la doctrine en
question. Ces moyens n'ont pas emplché le narrateur d'affirmer explicite-
ment la présence d'une idéologie communiste dans le texte. Ils servent donc
d'arguments de crédibilisation en dotant cette doctrine d'un oertain conte-
nu idéologique. La mOme technique avait été utilisée dans Une femme à sa
fen@tre. Dans ce livre les allusions à la Ille Internationale, à ~énine
à la r'pression des communistes en Europe, permettent, non seulement de
souligner la circulation d'une idéologie communiste dans le roman, mais aus-
si de dater celui-ci et de préciser l'atmosphère politique. Mais; ici, le
coDllllUDisme n'est pas résolument dévalué. L'auteur se contente de suggérer
1- Drieu la Rochelle,Gilles p. 254
-264-
certains préjugés des bourgeois à son endroit. D'ailleurs ceux-ci ont
très peu de crédit quand on sait que pour Drieu la pensée bourgeoise est
l ' esprit de la déchéance. Les seuls moments où la sympathie de l'auteur ne
semble pas aller au communisme (et là il n'ya aucune preuve formelle) o'est
quand la morale que le héros s'est faité avec cette doctrine l'emp@che de
céder à l'amour. D'ailleurs l'idylle amoureuse occulte, dans ce roman, les
convictions politiques et les pratiques consacrées. Une femme à sa fenltre
retranscrit ainsi la lutte de deux sortes de préjugés sur le terrain de
l'amour. Cette indulgenoe à l'égard du marxisme ne signifie pas une adhé-
sion pure et simple. Ici encore, sans @tre parodique le texte est défoxmant.
Les aspirations de Boutros visent une certaine plénitude morale, un certain
absolu, bien différent de l'idéal communiste~
"Il ya des limites, une fatalité sociale. Ni un homme, ni mIme une fem-
me ne peuvent parcourir d'un coeur libre toute l'échelle." (1)
Margot remarquant que c'est un communiste qui dit cela,le héros répond 1
"Oui, c'est un peu pour cela que je suis oommuniste, pour détruire cet-
te fatalité" (2) avant d'ajouter, parlant d'une jeune ouvrière qu'il a ai-
mée jadis 1
"Mais j'auraiSvoulu qu'elle et moi nous soyans libres d'Itre hllmains, en-
semble. Je me fous de l'égalité mais je veux détruire l'argent, cette der-
nière hiérarchie qui est imbécile et qui remplace les autres, crevées." (3)
Ces passages semblent rtHuter, si l'on y regarde. de p~us près•. Pid4e d'D:}
Drieu acquis au oommunisme ou la construction dans Une femme à sa fen@tre
d'un système idéologique rappelant le modèle communiste et ainsi mis en
valeur. C'est plut&t vers Boutros que va la sympathie de l'auteur et la
pensée de oe personnage ne recoupe pas pour l'essentiel le communisme. Il
1- Drieu la Rochelle, Une femme à sa fenfttre p. 189
2- Idem
3- Ibidem
-265-
ya dans sa mise en valeur une certaine dévaluation du communi.sme se tra-
duisant par un refus de son contenu réel. Dès lors cette doctrine prend la
fo~e d'une idéologie subversive discr~ement dévaluée par le texte.
Louis Aragon utilise, lui aussi, cette technique assez discrète pour pa~
1er des socialistes réunis à ~le. Il veut satisfaire à deux objectifs ap-
paremment divergentss souligner les insuffisances des luttes menées à la
lumière de la doctrine socialiste et revendiquer un passé glorieux pour
le prolétariat dont cette doctrine guidait l'action. De cela na1t une bi-
valence dans l'interprétation du socialisme. Ce n~est qu'à Partir de 1920,
date de la constitution du parti communiste, donc moment à partir duquel
le parti socialiste a cessé, dans l'esprit de l'auteur, d'incamer l'idéal
révolutionnaire du prolétariat français, qu'Aragon optera pour une nette
dévaluatl.on du socialisme ( 1).
Cela a l ' avantage, aussi, de lui éviter de
discréditer Jaurès qu'il a toujours admiré. Parallèlement à Drieu qui as-
simi1ait dans Gilles le communisme aux autres idéologies vectrices de la
déchéance,l'auteur du Monde réel confond, dans la m@me perception dévaluan-
te, socialisme et idéologie dominante. Dans les deux cas il s'agit de démas-
quer, donc de d~va1oriser, une idéologie qui appara!t sous une fo~e subve~
sive mais qui est en fait, selon les auteurs, réactionnaire ou conformis-
te. La conception déva1uante du socialisme appara!t surtout dans Les 6011DU1l-
nistes sous oet angle. Les réserves observées dans Les e10ches de ~le pra-
viennent sans doute d'une revanche de la réalité, du temps de l' écriture sur
la fiction. En effet, l'auteur connaissait l'issue des événements au ma-
ment d' éorire son livre. De plus, il avait pris connaissance de l'analyse
des coDllll11D1stes de la 3e Internationale sur leurs ainés qui, IJIà.1.gré~letEr
réuniDn de BA1e, vont se faire complices du déclenchement ou de la poursui-
te de la guerre. Cette idée de trahison est reprise dans l'analyse de la vie
1- Jus~'~n1920, dono, sooia1isme signifie sous la plume d'Aragon doctrine
révo1utiormaire du prolétariat. Le parti socialiste incarne ainsi l'idéolo-
gie communiste.
-266-
politique française au temps de la guerre.
Les sooialistes sont peints comme les complices de la bourgeoi-
sie qui réprime les communistes. Ici la reconnaissance sera possible en
dehors du fait que les socialistes sont nommément cités mais aussi Par
l'évocation de leurs dirigeants, publications, journaux et actions at-
testées. Cessant de présenter les socialistes comme des révolutionnaires,
Aragon mRltiplie dans Les eommuniètes.leurs oppoè1tians avec~les militants
du Parti Communiste Français. Le premier volume rend cOOlpte de plusieurs
confrontations entre tenants des deux doctrines. Au chapitre XI le socia-
liste César Dansetta et le communiste Bastien Frache discutent vivement à
propos du ~acte- gennano-soviétique. Leur divergence est symbolique de
celle de leurs doctrines politiques respectives. Plus tard la confronta-
tion entre socialisme et communisme sera reprise avec une nette intention
de procurer l'avantage au second. Cette fois, Dansette discute avec Blan-
chard, un communiste mieux informé. Ici la dévaluation du socialisme pas-
se Par l'assimilation de son point de vue sur les événements à celui de
la bourgeoisie, donc de l'idéologie dominante. En m~me temps le militant
socialiste de base est peint comme victime d'une tromperie, ce qui oons-
titue une charge contre l'institution politique qui le dirige. Celle-ci
est présentée comme un nid d'hypocrites et de tra1tres. Fort de ces cons-
tatations Blanchard établit un parallélisme aveo les socialistes espagnols
- qui ont trahi, selon lui, la cause républicaine et les communistes - et, ima-
ginant à partir de là la conduite future des socialistes français, il se
demande comment faire pour que Dansette ne tire pas demain sur les com-
munistes, et comprenne qu'on le tranpe. Il ya un autre exemple de confron-
tation entre socialistes et communistes au chapitre XXI du m3me livre •.
Dans oes passages l'auteur se sert encore du Pacte pour oaractériser les
différentes doctrines. Cela est conforme à la démarche marxiste qui consi-
-267-
dère, depuis Lénine, que la position politique sur la guerre pennet d' é-
tablir la différence entre idéologies révolutionnaire et réactionnaire. Le
Pacte ge:mano-soviétique étant une stratégie politique dictée par le. guerre
on comprend comment, à travers lui, il est possible de dévaluer une idéo-
logie.
L'opposition des socialistes aux communistes et leux, , rapproche-
ment avec les bourgeois sont d'autant plus suggérés dans ces pages du XXIe
chapitre que l'auteur montre le socialiste Despierres qui, comme pour se
réjouir de la répression contre les communistes, ironise sur la dispari-
tion de
L'Humanité
(1). Par ses propos il marque son désaocord avec la
position coDlDlUlliste et cela permet au militant Aragon,pour qui toute con-
duite politique antieommgn'ste s'inscrit dans une idéologie bourgeoise, de
discréditer ainsi le socialisme.
La dénonciation des socialistes à travers des personnages militants
est régulièrement poursuivie sans m@me épargner les plus hautes sphères de
la hiérarchie. Ainsi, lors d'une brève conversation, .Armand Barbentane di-
ra à Lombard, un conseiller municipal communiste qui glisse vers les so-
cialistes, qU·.'entre le colonel et Léon Blum il préfère le colonel. La m@-
me mauvaise appréciation est portée sur les institutions socialistes. Ain-
si le
Populaire
(2) n'a, aux yeux des communistes, aucun crédit et aucu-
ne fiabilité. C'est pourquoi Armand, de Par sa prise de position qui con-
damne Lombard, puisqu'il info:rma.it le "Populairen sur les agissements du
colonel Avoine, ajoute 1
"Tu ne vois pas que tu les aides à faire leur démagogie, non." (3)
De plus, les multiples allusions aux agissements et comportements
des gouvernants français, lors de la guerre d'Espagne, alors m@mé que le
Président du Conseil était en m@me temps leader du Parti Socialiste, aident
1- Organe de presse communiste interdit par le Ministère Daladier.
2 - "
"
"socialiste.
-268-
l'auteur à montrer que ce parti se v@t d'un parattre subversif sans pour
autant se différencier des organisations bourgeoises. En guise d'exemple,
Aragon cite très souvent la non-intervention pr8née par la France et dont
la conséquence sera la victoire de Franco puisqu'en m@me temps 0Jl laissait
MUssolini et Hitler aider les fascistes (1)~ L'objectif du roman consiste,
de ce point de vue, à donner la doctrine socialiste comme une variante ou une
composante de l'idéologie dominante.
Le repérage du socialisme est rendu possible par l'inscription
dans la diég~se d'un texte référant aux socialistes ou d'un intertexte
qui rappelle le discours socialiste. Le lecteur découvre alors sans pei-
ne qui se cache derrière le pronom personnel "ils" quand Bender dit à la
suite de la bagarre entre Despierres (social~ste) et un communiste nord-
africain, peu avant la réunion syndicale.
"Ils allaient encore tous dire~ pas de politique au syndicat, et puis
faire de la politique contre le Parti •••• " (2)
Dans le monde réel circule :aussi une autre idéologie dévaluée et
au parattre subversif 1 le fascisme. Il semble d'ailleurs @tre la cible
principale dans certains passages où le discours est mené par la doctrine
communiste. Et Aragon insiste beaucoup plus sur la description et la carac-
térisation négative du fasofine. Cela est conforme aux r~gles du roman Jda-
novien si l'on se refère à l'époque. En effet la t~he militante primordia-
le était, à partir de la montée de l'hitlérisme et de l'extr@me-droite fran-
çaise, la lutte politique et idéologique contre le fascisme. Aragon ajoute
alors à l'annonce de la guerre menaçante, la dénonciation de l'une de ses
causes principales 1 le fascisme. L'inscription de cette idéologie dans le
cycle du Monde réel n'est explicite qu'à partir d'Aurélien. Il ya les con-
traintes du temps de l'histoire. Mais lorsqu'on tient compte en plus du sens
1- Malraux dénoncera aussi le coup de la non-intervention dans l'Espoir,
Paris, Gallimard, 1931
2- Louis Aragon, Les communistes (fév-sept 1939) p. 218
-269-
c' @st~ire du contenu, de la signific ation:., de l'intention du discours
romanesque aragonien,on constate la présence du fascisme. Cet élarg:lsse-
ment permettrait de comprendre les Voyageurs de l'impériale cOUDlle un ap-
pel et un avertissement aux intellectuels pour une prise de conscience
devant la guerre et le fascisme.
Mais dans Aurélien l'évocation du fascisme est explicite et in-
tégrée à l'histoire racontée. La'caractérisation de cette doctrine semble
être si impérative pour l'auteur que son livre donne l'impression de dé-
crire la genèse du fascisme français. Parlant de son film inspiré d'~-
rélien Miohel Favart dira du roman 1
"Sans fascination, sans nostalgie, sans caricature d'une guerre à l' an-
tre, à travers l'échec d'un amour, Aragon me racontait la naissance du
fascisme et comment on pouvait devenir Pétainiste'." (1)
En ce sens l'évolution du type d'ancien combattant qu'est Aurélien sera si-
gnificative. Il refuse certes "d'institutionnaliser "sa" guerre" (2) mais
marche cependant sur la voie du fascjsme; les thèmes pétainistes formés
par la critique du système parlementaire et l'aspiration à l'ordre, dévelop-
pés dans l'épilogue, étaient BU,gérés au début du livre par.l!inadaptation
de l'ancien combattant, son insatisfaction de ce qu ' était devenue la vic-
toire de 1918 et son obsession de la guerre. Le roman d'Aragon montre,de
ce fait, que le fascimle na1t d'une certaine déception devant la vie et
d'une profonde aspiration romantique. Dès la peinture de la génJ'se du
fascisme, Aragon mène sa critique de la doctrine. Pour cela il a recours à
un banquet d'anciens combattants pour incarner le fascisme, même à un état
primaire. Divers indices permettent de représenter l'idéologie fasciste à
l'occasion de ce banquet. Il ya d'abord les souvenirs d'héro!sme au front,
1- "Traduire Aurélien = un entretien avec Michel Favart" in Aragon Aurélien /
Télévision, Silex nO 8/9, spécial 197ij
2- Suzanne Ravis-Françeis "Le chemin de Césarée", Idem, p. 105
-270-
l'antisocia1isme de ces anciens combattants, la déception dans la vie ci-
vile et la nostalgie de la guerre. Mais comme le dit Suzanne Ravis-François 1
"Plus le b.quet avanoe, plus se révèle enfin le mensonge dont se ber-
cent les combattants." (1)
En effet Aragon dévalue le fascisme à travers ce rassemblement en le ré-
duisant à une scène de théâtre où l'on joue au chef et au puissant. D'ai1-
leurs le docteur Decoeur qui assiste en étranger à la cérémani~.puisqu'i1
n'a pas fait la guerre, a pu comprendre l'idéalisme et l'utopie de la si-
tU:'l.tion quand il demande 1
"Au fond, votre guerre ••• C'était une guerre d'officiers, de gradés •••
Pas un seul soldat ici ••• " (2)
La dévaluation de la cérémonie et partant du fascisme atteint
dans Aurélien une intensité extr~e quand l'auteur fait terminer le Qan~
quet par une
bagarre. Le roman n"en demeure pas moins porteur d'une certaine
victoire fasciste. En effet 11 s'achève sur la mort de Bérénice, seule résis-
tante parmi les personnages centraux, tuée par des mitrailleuses fascistes.
Là, ne s'arr@te pas l'inscription du fascisme dans iuré1ien. On allègue
souvent qu'Aragon a été indulgent avec son personnage en
en faisant seulement
un ·vichyste.. C'est ne pas comprendre que ce comportement est la conduite 10-
gique d'un fasciste dont la patrie est vaincue par un autre fascisme. Dès
lors les indices qui permettent de reconnattre le vicbysme peuvent connoter
en m@me temps une idéologie .fasciste (3).11 est aisé de voir dans l'épi-
logue d' Aurélien une !mitation du discours politique vichyste à travers les
1- Suzanne Ravis-François, idem p. 108
2- Louis Aragon, Aurélien p.323. En réalité le fascisme a recruté aussi de
simples soldats. Il ya donc ici un parti pris de la part d'Aragon.
3- Malgré les différences qui existent entre fascisme et vichysme surtout en ce
qui concerne l'origine. Les vichystes sont des gens de droite qui ont voulu
sauvegarder leurs intér@ts en choisissant le moindre mal (selon eux) sous l'oc-
cupation. Le fascisme est né de la orise sociale qui a suivi la Grande G·a.er-
re et se veut un mouvement révolutionnaire.
-211-
paroles de Leurtillois et par conséquent un interterte avec le discours fas-
ciste. On peut citer ainsi le regret de l'issue donnée à la victoire de
1918:
"Ah oui, alors nous l'avons bien gachée, notre victoire 1 Il nous semblait
que d'avoir vaincu cela suffisait." (1)
Il ya aussi la critique et le pessimisme à l'endroit de la démo-
cratie, l'espoir en l'apocalypse qui sera issue de cette démocratie (2).
Le défaitisme d'Aurélien devant la puissance allemande (qui appara1t lors
de sa discussion avec BénéDice) cadre mal, il est vrai, avec une doctrine
active mais ce n'est là que le signe, sans doute, d'une adhésion à un cer-
tain internationalisme, m@me si cette adhésion est en partie une résigna-
tien au moindre mal. Autrement dit Aurélien aurait. fait le contraire de ce que
prédisait Drieu La Rochelle dans Gilles et il a sacrifié "aux puissances qui
se servent du Fascisme le corps de (sa) patrie" 0).
Si la dévaluation du fascisme-vichysme est si peu manifeste dans
Aurélien au point que le personnage inspire sympathie c'est peut-8tre en
partie à cause de la non présence manifeste de son rival dans le projet
de subvertir la société capitaliste (le communisme). Mais dans Les cammu-
nistes où le P.C. et sa doctrine sont données en exemplarité, le fascisme est
nettement inscrit et dévalué (aspect que nous étudierons dans "la polémique
des idéologies).
Le dernier roman du Monde réel s'ouvre sur une lutte entre le fascis-
me et la démocratie mais, dans ce ciernier camp, ceux qui s'arrogent habitU1!l-
lement le titre de démocrate ont fait faux bond aux républicains et col-
laborent avec Franco~ Ainsi, bien que dépréciée, l'idéologie fFsciste est
évoquée dès le prologue pour expliquer plus tard les causes et sources de
la Dewd.ème Guerre Mondiale. Cela est repris explicitement dans le dernier
1- Louis 'Aragon. Aurélien p. 481
2- cf note 2 page
118
3- Drieu la Rochelle, Gilles p. 613
-272-
volume des Communistes. L'Espagne revient constamment cOlJDlle le début du
malheur causé à la France par le fascisme. Pierre Cormeilles fera la liai-
son 1
"Nous croyions alors, dit-iJ, que c'était le sort de l'Espagne qui se jouait
quand c'était celui de la France ••• " (1)
Les eOlJDllunistes montre que la description de la guerre ne rela-
te pas, cOlJDlle l'on s'y attend d'ordinaire, les exactions sociales du nazisme.
L'on peut s'expliquer le fait par l'inachèvement du roman et son caractère
chronique. En effet le dernier volume du Monde réel s'arr@te juste au ma-
ment de la victoire militaire allemande. C' aurait été sans doute la se-
conde série qui aurait dénoncé tous les forfaits de l'occupation et de la
politique sociale de l'hitlérisme. Néanmoins Aragon amorce la peinture de
ce grand malheur par l'évocation des horreurs commises à l ' endroit des mi-
neurs du Nord. Ce fait pose le fascisme comme l'ennemi du prolétariat et,
partant, du communisme. Certains traits caractéristiques de l'hitlérisme
sont déjà esquissés Par le biais de la confrontation militaire. Dans l'a-
gonie de la ville de Li11e,les allemands tuent des civils pour les punir de
l'aide apportée à leurs ennemis. Mais le racisme apparalt déjà dans les rai-
sons évoquées:
"Dans leur colère, les justiciers d'Hitler voient noir; ils disent que
ce sont les Sénégalais qui sont les responsables de tout ça." (2)
CaDIIle pour nous suggérer la mauvaise fois qui est à la base de ces propos
l'auteur les dément aussit8t et ajoute que, quand m@me cela ser",;t 1 l'ar-
gwaent reste léger:
"Ce sont les tirailleurs algériens du Général Dame, et les Zouaves qui ne
sont pas des hOlJDlles de couleur, qui étaient ici. Et quand m@me cela aurait
1- ~uill...AragQn~ Les eommun1stes (mai-juin 1940), Par~~_~a Bibliothèque
française ,1951 p. 296
2- Louis Aragon, Les 60mmunistes (mai-juin) p. 270
-273-
été des Sénégalais ••• " (1)
L'inscription du fascisme n'est pas seulement rendue possible
{..~1lc.
par l'évocation des allemands mais aussi par/des futurs collaborateurs et
fascistes français. Les pensées du député Romain Visconti et du maréchal
P~tain valent bien les exactions allemandes. Elles les dépassent m~me en hor-
reur et parce qu'elles portent en plus une certaine trahison vis à vis de la
nation et une ~option des st~réotypes de la pens~e nazie • .A.insi, la caracté-
risatlon de ce commandant arrivé, en pleine guerre,.du f:çont à Paris, sans
troupe et on ne sait comment 1
"MUller parlait des juifs, disait son admiration pour l'ordre, l'équipe-
ment, la stratégie, la diplomatie, la grandeur de vue des allemands." (2)
Alors que Reynaud parle de trahison avec la capitulation de Léopold, le
Roi des Belges, Visconti souligne la sagesse de ce choix et laisse entre-
yoiz sa disposition à la collaboration ;
"Trahir ltrahir 1 Un roi qui se refuse à laisser massacrer son peuple
trahit, selon Reynaud 1 mais qui trahit-il? Les anglais? Comme si on ne
savait pas que les anglais rembarquent i A cette heure aurions-nous autre
ohose à faire qu'à rompre avec ceux qui retournent dans leur 11e, et à agir
cODllle Léopold 1" (3)
L'évocation dans le discours de Visconti de chefs fascistes cODllle Déat et
sa prise lie position en faveur de la cagoule permettent de conclure ou l.
ses convictions fascistes et ce, malgré son état de parlementaire, ou,
tout au moins, à ses prédispositions collaborationnistes.
Ces considérations font comprendre que, quand bien m@me elle
n'est pas encore esquissée, l'idéologie subversive élue dans un texte,
pour asseoir sa prop~de, cherche à réduire toute concurrence. C'est
pourquoi tout ce qui se fonde sur le principe de la nécessité de subvertir
1- Idem p. 270
2- Ibidem p. 168
3- Ibidem p. 188
-274-
la société et qui diffère de la doctrine politique adoptée est réduit à
une imposture, Le discours idéologique et subversif ne s'adresse donc pas
à un seul adversaire qui serait l'idéologie dominante. Il ya plusieurs rai-
sons qui répondent de la présence du fascisme ou du socialisme dans le dis-
cours communiste et vice versa. Mais le sens de la présence de ces idéolo-
gies subversives dévaluées leur est conféré par un système textuel repo-
sant, avant tout, sur une idéologie subversive mise en valeur.
c) Les idéologies subversives élues (1)
Le pessimisme des romans de l'entre-deux-guerres est atténué, à
chaque fois que le texte se refuse a être une idéologie, par le refus de
l'idéologie,pour s'instaurer en critique sociale avec un modèle de socié-
té. C'est-à-dire quand au contraire de Voyage au bout de la nuit, la dé-
valuation des faits et des idées n'est pas une fin en soi mais se met au
service de la crédibilisation et de la valorisation d'un système doctri-
naire ou d'une pratique sociale.
Ce serait .une simple répétition que de recenser les actes lit-
téraires (2) qui rendent compte de la présence du fascisme ou du communis-
me comme idéologies élues dans un roman de Drieu ou d'Aragon. Mais on peut
à travers les thèmes mis en valeur retrouver des corrélations avec les deux
doctrines en question.
Il n'est pas facile, dans une fiction, c'est-à-dire dans un sys-
tème qui se propose de donner l'illusion de la réalité, de ba.tir une théorie
politique et sociale fondée sur quelques principes et dogmes valables par-
tout et toujours. Ce handicap explique la substitution de la doctrine à son
traitement social du moment, c'est-à-dire à ses thèses datées.
Dans le cas de Louis Aragon, la conception de la guerre joue ce
rele de succédané~ Nous avons déjà annoncée que ce romancier a été d'abord
1- C'est-à-dire choisies,adoptées et mises en valeur dans le texte.
2- C'est-à-dire les moyens et techniques d'évooation, d'allusion, de sugges-
tion Par l'art scriptural.
-215-
antimilitariste. Puis il lut-w. contre la guerre impérialiste, préparée se-
lon lui par la bourgeoisie vers les années 1930. Enfin il devient à partir
de l'apogée de l'hitlérisme - parti à la conquOte de l'Europe dans les années
1938-1944 -,partisan ardent de la lutte (m@me armée) oontre le fascisme et
sous la houlette de toute les forces nationalistes.
La première étape de cet itinéraire correspond à un Aragon en-
core imbu de théories et de conceptions surréalistes, fralchement sorti de
la première guerre mondiale dont il n'a retenu que l'horreur. Ici la révolte
prime sur l'efficacité politique ultérieure et le roman ne fait pas de dif-
férence entre les guerres, il les rejette toutes.
Cette conception mérite d'@tre rappelée parce qu'elle permet de
mesurer l'influence du Parti communiste sur la période anti-impérialiste
suivante. Celle-ci tràduit une conception politico-sociale de la guerre plus
précise. Elle correspond en effet à l'engagement idéologique effectif de
l'auteur. Le phénomène est d'autant plus important qu'il semble inspirer
la nouvelle orientation
de l'oeuvre littéraire d'Aragon. Ici, il faut sou-
ligner le poids des événements sociaux et leur retentissement dans la cons-
cience, dans la mémoire et dans l'imagination du romancier. L'histoire ré-
cente (le premier avant-guerre) permet donc, parce que le présent le rap-
pelle, d'établir l'analogie entre les années 1890-1914 et les années 1930,
la première période étant, si l'on se limite au sens littéral, décrite Par
les premiers romans du Monde réel alors qu'en fait c'est la seconde qui
inspire le texte. Cette nouvelle lucidité d'Aragon date de sa rencontre avec
le communisme. Or, pour cette doctrine politique, la conception de la guerre
telle qu'elle est définie par la troisième internationale occupait, à l'é-
poque, le devant de la scène. Aragon prend alors la balle au bond et adapte
sa conception artistique à la ligne du Parti. La nouvelle orientation permet
à la fois l'analyse ou la peinture de la situation politico-sociale et la
-216-
prescription ou la suggestion d'une conduite face à cette situation. Tel
peut @tre défini le réalisme socialiste. Or, cette vision de l'art cor-,.
respond au dogmatisme du stalinume. Elle est donc le reflet daté du com-
munisme stalinien dans l'oeuvre romanesque d'Aragon. Il s ' agit, pour l'é-
crivain, de sugg~rer sans ambiguité, à l'aide d'une peinture judicieuse-
ment vraisemblabilisée, que la guerre est préparée par la classe domi-
nante, qu'elle est dirigée contre le prolétariat et les nations faibles,
et que la seule attitude salutaire est de lutter contre elle.
La traduction de l'idéologie communiste (1) à partir de ses thèses'·
~atées se' poursuit, dans les derniers livres du Monde réel, avec un nouveau
tournant dans les rapports entre la pratique politico-sociale et la me-
nace de la guerre. L'attitude correcte, pour les communistes, n'est plus
le pacifisme et la préparation de la guerre civile. La lutte contre la
guerre se confond aveo celle dirigée contre le fascisme et elle doit,
la montée du nazisme rendant inéluctable un conflit mondial, prépar~r
à la confrontation armée. Cette nouvelle ligne politique ne traduit pas un
abandon pur et simple de celle qui insistait uniquement sur le ceté impé-
rialiste des guerres. Ce qui est nouveau ici, c'est une attitude plus nuan-
cée envers la bourgeoisie. Celle-ci peut dorénavant. prétendre à @tre na-
tionaliste et luttera donc, conséquemment - du moins quelques-uns de ses
membres.-, aux cetés du prolétariat. Ici la propagande l'emporte sur l'a-
nalyse politique. Ce que visent le communiste, et le roman réaliste socia-
liste, c'est à convaincre le bourgeois de la nécessité d'une alliance
contre le fascisme. Cela ne signifie pas un abandon des griefs reprochés à
la classe dominante ni une abolition de la lutte des classes. D'ailleurs
si quelques bonnes individualités bourgeoises adoptent les attitudes proposées
par les romanciers communistes, dans la majeure partie de la classe dominante
se recrutent les agents ou les complices du fascisme. C'est pourquoi Les commu-
1- C'est-à-dire l'interprétation et la symbolisation qu'en fait Aragon dans
seè:livres.
-211-
nistes n'est pas un roman épopée de la nation française mais du Parti oom-
muniste. Non seulement une entreprise pareille doit faire ressortir le ra-
le direoteur du Parti oommuniste mais elle doit reproduire la lutte des
olasses et, à travers elle, dévaluer la bourgeoisie. Dès lors l'indulgenoe
à l'endroit d'un membre de la bourgeoisie n'est possible que quand oelui-ci
est dans la voie de la conversion au oommunisme. Cela explique les sympathies
d'Aragon, dans Les lommunistes,pour Jean de Monoey, l'abbé Blomet, Céoile
Wisner, ma!tre Watrin et tant d'autres.
Mais i l est surprenant de oonstater dans Le Monde réel et surtout
dans le roman qui oouronne oette série, Les !ommunistes, l'absenoe d'une
véritable défense de l'essenoe, des prinoipes et de la philosophie oommu-
nistes. Autrement dit la propagande n'est pas menée en faveur du cammunis-
me en tant qu'idéologie sooiale. Comme le dit Sophie Bibrowska, dans ~
eommunistes 1
"La ohose essentielle, oe n'est ni le oontenu pragAmatique du P.C.F, ni
sa oomposition humaine mais l'institution m@me." (1)
Nous oonstaterons oependant que l'épopée porte non seulement sur
le P.C.F mais sur les militants
oommunistes aussi. Ces faits et traits
soulignent l'inoapaoité d'Aragon ~
rendre oompte de l'essenoe de la philo-
sophie oommuniste. Il se oontente de la gestion stalinienne de la doctrine
et de l'économie politique marxiste. Ainsi se oomprend le oulte du Parti et
de ses dirigeants. Pour nous, dono, l'éoheo des Communistes
devrait Otre
expliqué par l'absenoe d'une réelle dootrine oommuniste, oonséquenoe de la oon-
fusion entré l'appareil"(sous sa forme datée) et le poseible de la dootrine •
.....
1- Sophie Bibrowska, Une mise à. mort. L'itinéraire romanesque d'Aragon, Paris
Deno'l, 1912, col Les lettres nouvelles, p. 158
Ce culte du parti et de la oulture oommuniste ~r&duit le d~gœatisIDe du stali-
nisme mais surtout la tendance à l'époque, pour l'idéologie communiste à de-
venir dominante.
-218-
Aragon
détruit, de la sorte, toute prophétie de la doctrine puisqu'il réa-
lise son apogée dans une épopée de l'appareil. L'élection de l'idéologie se
traduit ainsi dans une exaltation de cette sorte d'épiphanie de l'aPPareil
sans pour autant aménager une mise en valeur de son état ultérieur~ de son
dépassement; comme si le but ultime de la doctrine sociale communiste était
la création d'un parti PUissant et héro!que. Aragon nous montre un pa.rti,
des dirigeants et des militants idéaux, mais jamais une société idéale en
perspective. Finalement Le monde réel n'échappe pas à la contingence de sa
production. Les faits et événements politiques et sociaux pèsent de tout
leur poids sur le système idéologique b~ti.
Drieu la Rochelle est, lui aussi, aveuglé, non pas seulement par
des applications perverties du modèle doctrinaire dont il se réclame, mais pa.r
le Para1tre de cette doctrine, son imposture, c'est-à-dire ce qu'elle dit
~tre. Il est mystifié par ce qu'il croit retrouver dans le fascisme, les
valeurs dont la réhabilisation est la seule voie de salut en face de la dé-
chéance. Quand Aragon est trompé parce qu'il confond le modèle de société
communiste, le contenu de cette doctrine avec un exemple d'application,
Drieu prend, lui, le discours propagandiste du fascisme au pied de la let-
tre, parce qu'ainsi considéré, ce modèle doctrinaire comporte son idéal de
société. Dès lors les reproches du fascisme à l'endroit de la société bour-
geoise et les solutions alors préconisées sont repris en écho dans les ro-
mans de Drieu sous fo:rme de couples antagoniques. vision pessimiste du pré-
sent/promesse de renouveau au delà de l'apocalypse, anti-modernisme/roman-
tiame du passé, peinture du défaitisme/invocation de l'héro!sme. La cons-
truction d'une fiction se réduit 'chez Drieu au développement ~~une diatribe
ou d'une sorte d'épopée autour des composantes de ce paradigme. Chaque roman
peut ainsi fttre réarticulé en une peinture de la déchéance c'est-à-dire en
une critique sociale - la partie subversive de l'idéologie
- et en une_pro-
messe de renouveau paradisiaque - la partie transitive de la subversion- •
-279-
Cette dernière articulation est souvent sous-jacente, beaucoup moins clai-
rement exprimée. Ainsi Gilles s ' appesantit longuement sur la critique so-
ciale et ne réserve que son épilogue à la représentation des valeurs qUi
constituent l'idéal du personnage. Il est certes difficile de représenter
la prophét.ie d'une doctrine. Drieu contourne le problème en incaxnant les
valeurs élues non pas à l'intérieur d'une société fasciste mais dans le ca-
dre d 'une situation où des performances comme l'héro!sme, des comportements
sociaux comme le mépris de l'esprit moderne sont possibles. Mais ce qui mon-
tre surtout que Drieu est mystifiée par la théorie et les promesses du fas-
cisme, c'est qu'il n'a pas pu discerner, du moins au début, ce qui dans les
modèles d'application du fascisme ne recoupait pas sa vision politique •.
Ainsi es~il resté aveugle aux divergences qui opposaient sa vision poli-
tique aux fascismes allemand et italiens, sur la thèse de la toute-puissance de
l'état et de la nécessité d'un dictateur. Drieu veut certes que les affaires
publiques reposent sur un chef énergique, que la nation soit toute-puissan-
te mais, pour lui, ce chef n'a de valeur que quand il tire sa situation des
valeurs qu'il incarne beaucoup plus que de son rang dans l'institution. Poa.r
Drieu, contrairement à Aragon, la priorité revient à certaines valeurs et
non à l'institution. Ainsi le poète Hassib effectue son acte suicidaire fi-
nal dans »élollkia, non pas par fidélité et par discipline au parti de la ré-
volte, ni pour aider à son triomphe PUisqu'il a déjà trahi, mais pour res-
ter héro!que et préserver l'orgueil de combattre la classe dominante. Le
dictateur Jaime Torrijos semble trahir la cause de son régime en disparais-
sant pour toujours dans le désert bolivien mais, en fait, il satisfait à
un certain romantisme de l'héro!sme et à un amour exagéré des nations PUis-
santes,donc à l'internatic>nalisme. Là où Drieu s'écarte du fascisme o'est
quand il proolame la supériorité absolue de certaines valeurs, alors que
les fascistes insistent sur la nécessité d'un état et d'un chef tout-puis-
sants. Par ce trait de centralisme et de valeur de référenoe indiscutable,
-280-
le fasoisme rejoint le stalinisme. On peut voir par là une forme datée.
Il n'en demeure pas moins que les livres de Drieu et d'Ar88on sont des ten-
tatives de orédibilisation des systèmes politiques qui leur servent de mo-
dèles.
Ces tâohes
50~t très souvent remplies de manière beauooup
moins nette que dans les essais mais elles sont remplies quand m@me. En
effet, l'insoription de oertain~ t~èmes, m@me quand ils ne sont pas bien ~é-
veloppés, témoignei;rv néanmoins d'une visée ,propagandiste et idéologique. Le
souoi de vraisemblanoe aidant, Drieu et Ar880n marquent, dans le ohoix de
leurs thèmes, une prédileotion pour les faits attestés par l'histoire. Ce-
la permet à Aragon de dissooier nettement, par les visions qu'ils ont de
oes faits, les ouvriers et les bourgeois. La division sooiale en olasses
s'opère donc aisément. La manière de peindre ohaoune de oes olél/'sses fait
ressortir leur oaractère antagonique. Pour Ar880n l'histoire est donc ré-
vélatrioe de la lutte des olasses.
Très souvent le romanoier ne se oontente plus de déorire la ma-
nière dont les uns et les autres apprécient les faits pour les camper dans
une olasse mais comment ils contribuent, par des aotes, à exprimer ou à dé-
fendre des positions de classe. Analysons d'abord des exemples de visions de
olasse. Par exemple la manière dont chaque olasse sooiale veut se servir de
la guerre pour détruire ou soumettre l'autre. Selon Les eommunistes, le vingt-
quatre mai, Weygand, général en chef de l'armée française a dit à Paul Rey-
naud, le président du Conseil, qu'il faut 1
"Faire la paix aveo Hitlér pour avoir les moyens de la guerre civile." (1)
Dans les dernières pages du romaq, Armand Barbentane analyse pour les mèmbres
du prolétariat qui l'entourent (des mineurs) , le sens de la. ga.erre; pour lui
la guerre a ohangé de visage, c'est une guerre nationale, "comme en quatre-
1- Louis Aragon Les communistes (mai-juin 1940) p. 105-106
-281-
vingt-treizel;f .(1). Lui aussi pense que la guerre sera dorénavant. civile
mais qu'elle doit @tre utilisée dans l'intér@t des ouvriers'
"Il ne manque pas en France de
gens qui ont peur de ce que signifierait
la guerre nationale, parce que cela suppose le peuple armé, et que le peu-
ple si on l'arme, il faut que ce soit pour défendre, ses conqu@tes 1" (2)
Et le rédacteur à ~'ffvmanité dicte la conduite qui doit être celle de sa
classe sociale et qui, confrontée à celle préconisée par Weygand, nous per-
met d'observer la lutte des classes autour de la guerre 1
"Mais maintenant il s'agit, il s'agit seulement de créer l'enthousiasme
pour la guerre nouvelle qui va commencer. Notre guerre à nous. Celle du
peuple." (3)
En rapportant leurs idées et leur conscience des faits, les ro-
mans de Drieu ne refl~tent pas une division des personnages en classes so-
ciales, bien que les points de vue exprimés PUissent être antagoniques.
Pour Drieu la bipartition semble s'opérer au plan de la volonté et des
valeurs dérivées. Il ya une masse embrigadée par l'idéologie et une mino-
rité de lucides qui aspirent à subvertir cette situation de déchéance gé-
nérale. Il ya donc comme chez Aragon, conflit idéologique mais celui-ci ne
reflète pas la situation économique et sociale.
Partant de là, on constate que les romans d'Aragon signalent
beaucoup plus la conduite et l'interprétation qu'ils veulent imposer que
ceux de Drieu. Pour l'auteur de Gilles, le fascisme est presque touj ours un
idéal auquel veulent accéder les personnages. C'est une aspiration qui con-
natt rarement un début de réalisation ou un engagement effectif dans ce
sens. Ainsi les actes par lesquels le personnage, et partant le texte, ex-
prime son idéologie sont plus fréquents chez Aragon que chez Drieu. Ce der-
nier définit surtout l'idéologie élue par ce qu'elle n'est pas. Les actions
1- Idem p. 303
2- Ibidem p. 303
3- Ibidem p. 304
-282-
sont donc presque toujours dévaluées et cela fait du roman de Drieu un tex-
te où domine la négativité. Le hiatus n~entre action (négativité) et as-
pirations (positivité) crée une tragique souffrance morale et psychologique
dont l'intensité mesure la primauté de l'idéologie élue sur celle qui sous-
tend la pratique réelle. Dans Le ~onde réel la contradiction entre l'idéo-
logie élue et les autres est rendue par les pratiques réelles des différents
protagonistes. En témoignent, dans Les ~ouununistes, les efforts des militants
pour reconstituer et faire fonctionner le Parti communiste tandis que, de
son c~té, la classe dirigeante cherche à le détruire par tous les moyens.
Généralement le prétexte d'une fiction romanesque ne permet d' ins-
crire une idéologie dans un texte que par la reproduction de la partie pro-
pagandiste de son discours ou par l'exaltation de son appareil organisa-
tionnel. Les romans de Drieu et d'Aragon illustrent respectivement ces
deux cas. Cela entra1ne souvent des limitations qui empêchent une repré..-
sentation fidèle de la philosophie et du contenu de la doctrine en ques-
tion. Voilà pourquoi malgré leur engagement en faveur du communisme, les
livres d'Aragon n'ont pu refléter l'un de ses principes essentiels: la
dictature du prolétariat. Ces insuffisances nuisent aux desseins persua-
sifs et peuvent conduire à une déformation de la doctrine. Par exemple,
l'absence d'une explication du rele de la dictature du prolétariat empft-
che Aragon d'affirmer la disparition prochaine des classes. Cela fait que
l'auteur réussit à montrer la lutte des classes mais qu'il n'a pas pu pro-
phétise:!!' - à part quelques plaquages d'ailleurs affirmés par une conscience
omnisciente et extradiégétique qui n'a pas su les incorporer dans l' intri-
gue - l'idéal de la société communiste et le but ultime de la politique de
cette idéologie 1 une société sans class~
La reprise du discours propagandiste d'une idéologie et son ins-
cription dans un texte ne rendent pas compte, non plus, de son contenu réel
-283-
et de son essence. Si l'on prend par exemple le fascisme allemand, on cons-
tate que ses thèses internationalistes, la promesse d'un avenir paradisia-
que, tout cela qui séduisit Drieu la Rochelle, est venu après col1p, quand
1 'hitlérisme a senti la nécessité d'une propagande, pendant la guerre. De
ce fait le contenu idéologique des livres varie souvent avec les préoccu-
pations ponctuelles et propagandistes de son modèle doctrinaire. Cette re-
marque explique sans doute les similitudes entre Gilles et cette forme
de fascisme du début de la guerre décrite par Maurice Bardèche 1
"Au commencement de la guerre, le fascisme est nationaliste, arrogant,
imperturbable. Il afrime le triomphe d'une certaine qualité humaine sur
une certaine médiocrité humaine, il oppose ce triomphe à toutes les plain-
tes, il ne promet rien, il se soucie m@me peu qu'on l'admire et qu'on pré-
tende l'imiter." (1)
A la lumière de ces remarques on comprend les séquelles nationa-
listes dans Gilles alors que tous les romans suivants se font les échos de
la nécessité de réunifier l'Europe. Cela confirme l'hypothèse selon laquelle
Drieu s'est fié au discours théorique du fascisme sans la confronter, à
chaque fois, aux exemples d'application pratiques. Aragon est, quant à lui,
victime de la confusion entre le contenu réel de l'idéologie communiste et
l'application particulière, peut-@tre perverse, qu'en a fai. l e stalinisme.
L'analyse des idéologies dans le texte permet de voir comment,
dans le but de véhiculer et de mettre en valeur une doctrine, les écrivains
reformulent, peut-@tre en les dévaluant, les systèmes d'autres idéologies.
Ces différentes doctrines n'existent pas indépendamment les unes les au-
tres. Elles entretiennent des rapports polémiques dont l'issue détermine
l'orientation de l'idéologie du texte m@me.
1- Maurice Bardèche, Q.u' est- ce que le fascisme, Paris, les Sept couleurs
1970 p. 176
-284-
B)
LA roLEMIQIJE DES IDIDLOGIES.
Les néoessités de propagande et d'endootrinement poussent le ro-
manoier idéologue, en plus de l'exaltation du système idéologique qu'il
propose, à se servir, par oontraste, de la dévaluation des autres pro-
jets de sooiété pour aooréditer le sien propre. Dans un souoi de neutralité
et de vraisemblanoe, mais aussi de persuasion, les auteurs ne oonfient pas,
toujours, direotement, le travail de dévaluation ou d'exaltation au narra-
teur. Ils préférent m@me que oe double travail soit homodiégétique (1).
Toutefois dévaluation et mise en valeur vont servir le m@me dessein. Ce
sont les rapports de domination, d'intégration et de rejet entre les dif-
férentes idéologies et les personnages les inoarnant qui déterminent alors
la signifioation
dernière des textes. Comment s'opèrent les prooédures po-
lémiques qui aboutissent à la réduotion de plusieurs systèmes dootrinaires
en un tout ha.:rmonieux et idéologiquement pertinent ? Autrement dit, par
quelles teohniques les divergenoes des idéologies oiroulant dans un texte
sont-elles subsumées pour donner un oorps systématique ?
Une simple observation, oomme le reoensement des idéologies oiroulant
dans le texte, montre que la polémique ne se fait pas par paire antagoni-
que. Par exemple un roman d'Aragon mène la querelle, à la fois oontre l'idéo-
logie dominante et le fasoisme. Le fait d'étudier la polémique à partir
d'une situation où ne sont prises en oompte que deux idéologies relève des
néoessités de l'analyse.
a) L'idéologie dominante et l'idéologie subversive élue.
L'existenoe dans les romans de Drieu et d'Aragon de deux groupes
(aveo leur pensée, leur pratique sooiale, leurs aspirations et leurs moeurs
propres) antagonistes instaure d'emblée une situation polémique. Comme nous
1- C' est-à.-dire opéré à l'intérieur de la narration et non annoncée par une
oonsoienoe extérieure, oomme par exemple oelle d'un narrateur extradiégétique.
M@me dans oe OaB, le narrateur ne fait généralement que oommenter, de manière
redondante, des faits et événements déjà fJU&gérés par l'action du roman.
-285-
l'avons déjà dit, cela inscrit dans le texte deux systèmes dont la hiérar-
chisation est nécessaire. Celle-ci est toujours, dans une oeuvre donnée,
à moins que l'auteur ne trahisse. son but, irréversible et faite selon
les sympathies ~déologiques de l'écrivain. Ainsi le discours communiste
du Monde réel sera mis en valeur aux dépens de la doctrine sociale bour-
geoise telle qu'Aragon la met dans la bouchel de ses représentants. Ici il
n'ya pas un discours (du narrateur par exemple) hétérodiégétique qui dis-
tribue les bons et les mauvais points. Il s'agit plutet de la manière dont
chacun des discours reçoit l'autre. Sous la forme simplifiée cela se réduit à
le.?
manière dont un communiste perçoitVet rend compte dutdiscours de l'idéologie
dominante et vice versa. Le même processus sera observé chez Drieu. Dans
les deux cas, le discours commentateur veut montrer que le contenu de son
antagonique repose sur une imposture. Mais au delà de ce discours déclaré
imposteur, l'idéologie commentatrice tente de poursuivre la dévaluation par
une accusation prétendant dévoiler l'essence véritable de sa cible.
L'accusation d'imposture se fait donc, d'abord au plan de la dis-
c~on théorique des idées. On l'observe constamment, que le discours com-
mentateur soit véhicule de l'une ou l'autre des idéologies. Cela estd~ au
fait que les discours ne se constituent pas indépendamment pour ensuite se
rencontrer lors de leur énonciation. Leur relation est en fait constitutive( 1).
L'accusation d'imposture, des deux cetés des classes représentées dans les
romans d'Aragon, semble confirmer l'hypothèse selon laquelle les partis en
présence utilise les mêmes mots dans des sens différent. Mais il est essen-
tiel de remarquer que le discours dévalué n'est généralement présent que par
ses parties .qui permettent la contestation (par le discours élu). On peut
s'expliquer le fait par les relations de sympathie entre le système idéolo-
gique élu et l'auteur. Ce système est d'ailleurs le fruit de l' intentionnalité
1- Voir Dominique Maingueneaul "Dialogiame et analyse textuelle" in Actes .!!!-
miotiques (Documents) IV, 32, 1982 Paris Institut national de la langue fran-
çaise 1982.
-286-
de l'écrivain.
Plutet, donc, que d'un système entier, circuiant malgré sa dé-
valuation dans le texte, il s'agit plQ~'t des éléments permettant au dis-
cours-agent d'asseoir et de rendre attrayant son propre système, en neu-
tralisant la concurrence du discours-patient (1). Le travail d'analyse de
la polémique des idéologies consistera donc à observer d'abord que la re-
présentation de l'idéologie incarnée dans le discours-patient est en réalité
un travail de dévaluation. Le commentaire du discours-agent vient souvent
en parallèle et précise la lisibilité de la thèse affirmée ou instaure sa
redondance.
Dans le premier roman du Monde rée~.Aragon use de cette méthode
pour inscrire les différentes idéologies dévaluées dont il veut nous par-
1er. Dès lors, l'image qu'il livre des représentants de ces idéologies, m@-
me quand il ya attribution des performances et des idées à ces représentants,
est, en fait, celle que se fait d'eux un défenseur du système doctrinaire
véhiculé par le discours-agent. Ainsi, Aragon confie-t-il l'idéologie do-
minante à des ~rsonnages dévalués par leur position sociale et leur vi-
sion du monde, alors qu'apparemment, "" prendrait ces activités et discours
comme leur individualité propre. Diane est une mondaine qui vit de "la proS-
titution", Brunel est un usurier, Wisner et les autres grands capitalistes
vivent de l'exploitation des pauvres et du détournement de l'intér@t général
à leur profit. Mais chacun de ces symboles est dévalué prl.r ce qui est si-
gnalé, Par lui-mbe, de sa propre vision du monde, et peut-être ensuite par
un jugement extérieur. Chacun de ses personnages revendique
la situation
sociale qui lui est attribuée (2).
1- Nous appelons à la suite de D. Maingueneau art. cit. discours-agent le
discours qui traduit et discours-patient le discours traduit.
2- "Je-eouche-avec-qui-je-veuxl" nous dit Diane p. 60, BruneI ne nie pàs
àtre
un usurier mais montre que l'usure est la loi du système, Wisner et ses aco-
lytes formentent des guerr~s pour étendre leur marché.
-281-
Dans Les ~eau.x quartiers la technique se poursuit 1 Barrel ré-
v~le lui-m@me sa cupidité et son égolsme - éprouvé par la concurrence il
baisse les salaires pour préserver le profit -; tous les discours d'Edmond
trahissent son désir de Partager le bonheur injuste de la haute so-
ciété. Quesnel propose, et fait approuver par ses pairs, de combattre le
syndicalisme et la législation sociale, le protectionnisme des nations
pour internati~aliser le capital et constituer des monopoles.
La classe dominante décrite dans Les Communistes tient un dis-
cours dont le contenu vise la destruction des organisations prolétariennes
dans le but de consacrer le r~gne du capital.
Mais ces discours capitalistes ne sont pas tenus tels quel.s par leurs auteurs.
Ceux-ci les présentent comme la voix de la sagesse et du salut, du droit
et de la révolte contre l'injustice ou les comportements réactionnaires.
Diane présente la revendication du droit d'@tre entretenue sans que l'on Se
demande par qui, en simulant une révolte contre le joug moral incarné par
la vision féodale des parents. Quesnel justifie la nécessité d'un règne il-
limité du capital en accusant les forces syndicales et la législation so-
ciale d'@tre des puissances réactionnaires opposées au progrès 1 les "nou-
velles féodalités, syndicales et étatiques" (1) dit-il.
On le voit donc, la dévaluation (d'où la polémique) du discours-
patient est menée depDis sa conception et sert par ce fait le discours-agent.
Celui-ci, le décryptant, retient les éléments dévaluants et les explicite
non seulement pour discréditer son opposé mais aussi pour illustrer ses
thèses et continuer sa propagandE:). On peut évaluer indépendamment de la dé-
valuation constitutive du discours traduit, le travail du discours traduc-
teur. Prenons comme exemples l'interprétation du discours révolutionnaire
par le discours bourgeois et vice versa, dans Les ~eau.x quartiers. Pour
faire ressortir l'aspect polémique nous signalerons ici, aussi bien la
1- Louis Aragon, Les ~eaux quartiers p. 196
-288-
traduction du discours-agent que la thèse du discours-patient. D'ailleurs,
de par leur constitution, ces deux discours ne peuvent @tre dissociés. Rè-
marquons toutefois qu'un roman n'instaure pas, comme un pamphlet, de ma-
nière formelle, la confrontation nette de deux thèses. La polémique des
idéologies y est toujours camouflée puisque les lois du genre semblent
bannir le didactisme. C'est pourquoi les thèses s'y affrontent à distance.
Par exemple tel passage consacrée à une idéologie A répond à tel autre
où s'exprime une idéologie B non pas touj ours dans le m@me espace dis-
cursif ou directement mais seulement par un écho. Au chapitre II de la
deuxième partie des Beaux quartiers, ,la classe dominante, par la voix de
Quesnel, analyse la situation'pOlitico-sociale et livre ses opinions sur
la classe opposée. Les thèses développées disent en substance que les syn-
dicats consacrent le droit à la paresse, que la législation emp@che le dé-
veloppement et que le salut est dans l'internationalisation du capU al et
la constitution des monopoles. Ce discours recommande de se mettre au des-
sus des lois et d'opposer l'ordre à l'anarchie des ouvriers. Ici le lec-
teur du Monde réel retrouve la réponse aux thèses des ouvriers dévelop-
pées depuis Les eloches de Bâle. Les nombreuses grèves que les ouvriers
considèrent cOlIDJle la preuve de leur' force (1) sont percues ici cOlIDJle 'la
marque de l'anarChie. Ce qui prouve que les idéologies en présence par-
lent dans leur polémique de la m@me chose sans pour autant se comprendre,
c'est l'image qu'elles se font de l'Etat. Des deux cetés on l'accuse de
s 'fttre rangé aux cetés de l'adversaire. Ainsi dans Les Cloches de Mle,
Bachereau répond~il à l'hypothèse d'un arbitrage du gouvernement entre
compagnies et grévistes 1
"Des dattesl ( ••• ); le gouvernement, le commerce et les compagnies,
c'est le cul et la chemise." (2)
1- Les eloches de Bâle p. 330
2- Idem p. 331
-289-
Le discours de Quesnel répond manifestement à l'idéologie des ou-
vriers ou prévient les critiques de celle-ci. La polémique des idéologies
est d'ailleurs, pour éviter le didactisme, très souvent confiée à des per-
fo:manoes éparpillées dans le texte. Par exemple sur "Les trois ans" la clas-
se ouvrière réunie au Pré-Saint-Gervais approuve la position de Jaurès qui
est d'ailleurs la sienne. Pourtant cette vision, traduite dans le discours
bourgeois, est retournée et dévaluée. Ainsi les discours du tribun à la eham-
bre, contre la loi des trois ans, sont réduits à un pur bavardage. Les ma-
nifestations qui, selon les ouvriers, visent à préserver la paix sont pour
Wisner et Grésandage, réunis auprès de Quesnel malade, une "multiplicité
des affaires de trahison et de propagande antimilitariste." (1)
Le lecteur perçoit que l'accusation d'imposture, proférée de part
et d'autre des idéologies en présence, est formulée par la technique du re-
tournement; celle-ci transforme un discours où l'auteur livre une opinion
qu'il s'efforce de présenter comme une position politique juste, en son
contraire. Il s'agit toujours de substituer aux buts déclarés, aux desseins
du discours-cible, des raisons forgées par le discours-agent à Partir des
m@mes thèmes.
Il ya aussi des moyens de dévaluation du discours adverse qui ne
reposent pas sur un retournement et qui procèdent directement de la subjec-
tivité de l'auteur du discours-agent'. Très souvent, il s ' agit d'une quali-
fication négative du modèle ou de l'idole du discours-patient. Dans Le "on-
de réel Jaurès est un modèle et une idole pour les ouvriers. La bourgeoisie
percevant la valeur idéologique de cette figure, ne manque aucune accasion
de la flétrir et de déchirer le voile de respect qui l'entoure. Ainsi, Mnl-
1er, sortant de l'Ecole militaire et voulant passer rue d'~ explique pour-
quoi il a été obligé de faire un détour, en injuriant le grand tribun:
1- Louis Aragon, Les 'Beaux guartiers p. 430
'\\.
-290-
"Parce que la Place du Panthéon était plus noire de monde que si on y
avait une fois de plus amené les viscères de Jaurès." (1)
Du ceté des ouvriers la polémique contre l'idéologie dominante est
surtout menée sur les thèmes du patriotisme et du nationalisme avec les
m@mes techniques. Ainsi retrouve-t-on la qualification négative des re-
présentants de la bourgeoisie, figures dont l'idéologie de leur classe dit
le plus grand bien. Les exemples sont nombreux, où les sujets sont .identifiées
à partir de ces qualifications négatives. Dans Le Mbnde réel Edouard Daladier
est constamment appelé "le fusilleur"(2) ou bien - et cela par ses amis
m@mes - il est appelé de ce sobriquet qui rappelle sa personne et sa ré-
gion d'originel "Le taureau dIA Vaucluse" (3). La dévaluation est ici confiée,
le plus souvent, comme dans le premier exemple ci-dessus, au narrateur. Ce-
la ne change pas le sens de la polémique puisque, dans un roman d'Aragon,
l'idéologie subversive élue est presque toujours, en m@me temps, celle du
narrateur. Celui-ci participe donc à la polémique du ceté de la classe ou-
vrière. D'ailleurs dans le refus de poser fo:cnellement la polémique, donc
de toWtber dans le didactisme, Aragon confie rarement, directement, la dé-
valuation de la bourgeoisie aux ouvriers. S'il l'avait fait, il aurait li-
mité la valeur persuasive du conterm parce que celui-ci serait apparu con::...
me le point de vue partisan d'une classe politique. C'est pourquoi i l ex-
ploite la crédibilité de l'apparente neutralité du narrateur. Cela d'au-
tant plus que cette stratégie pe:cnet de varier les techniques de dévalua-
tion. Parmi celles-ci nous avons déjà signalé les constructions ironiques.
Il s'agira de les résumer sommairement mais cela est nécessaire puisque la
polémique idéologique repose presque toujours sur l'accusation d'imposture.
Or l'imposture m@me repose sur une substitution de l'apparence à la réalité.
1- Louis Aragon Les communistes (mai-juin 1940) p. 170
2- Louis Aragon, Les communistes (mars-mai 1940) p. 141
3- Louis Aragon, Les communistes (sept-nov 1939) p. 104 On peut citer d'autres i~
exemples de ce genre. Clemenceau est appelé dans Les cloches de Mle "Le fusi14
leur de Villeneuve Saint-Georges" p. 321
-291-
L'ironie nattra souvent du dévoilement de ce j eu ou d'une certaine manière
de "rouiller la mécailique" en disqualifiant le para!tre et en révélant la
réaJ,ité. Cela se fait subtilement, contrairement aux textes pamphlétaires où
la polémique est formellement posée et où le polémiste, au lieu d'argumenter
et d'expliquer ses affirmations, énonce ses convictions comme s'il s'agis-
sait de vérités évidentes. L'une des techniques de dévaluation ironique les
plus usitées dans Le Monde réel est la remotivation~gauchissantedu discours
adverse. Bourgeois et ouvriers l'utilisent, mais étant données les intentions
de l'auteur c'est surtout le bourgeois qui est dévalorisé en fin de compte.
Le passage des Cloches de B~le suivant relate une réunion des patrons lors
de la grève des chauffeurs de taxi et les moyens qu'ils envisagent pour
protéger les non-grévistes. Le compte rendu de la position d'un des chefs
de garage remotive ses intentions et révE!le plus qu'un simple souci de pro-
téger ceux qui veulent travailler. Pour lui on ne devait pas se limiter à
les armer. Le fond de sa pensée, commenté par le narrateur, permet de 14 dé-
valuer, lui-même 1
"Il fallait même leur recommander de ne pas attendre qu'on les descend1t.
Tirer les premiers, que MM. les assassins finissent !" (1)
Cet exemple et ceux cités à propos de Jaurès et de Daladier procèdent de ce que
Marc Angenot appelle la subversion dialogique 1
"L'image prestigieuse em~runtée à l'adversaire est dégrad'e par le polémis-
te qui lui substitue un analogue dérisoire." (2)
Ainsi le gréviste qui lutte pour l' arrêt du travail, qui est donc pour sa clas-
se une figure exemplaire, est déclarée assassin par l'idéologie adverse.
"Pour ce qui est du narrateur, la prise en compte de ses commentaires
dans le processus polémique souligne la confusion de l'idéologie subversi-
ve, incarnée par un groupe de personnages, et de l'intentionnalité de l'au-
1- Louis Aragon, Les clôches de Bâle p. 362
2- Marc .Angenot, La parole pamphlétaire 1 tyPOlogie des discours modemes,
Paris, Payot, 1982, p. 259
-292-
teur. Cette remarque déjà faite à propos d'Aragon, est également vraie pour
Drieu la Rochelle. L'idéologie fasciste qui est l'idéologie subversive élue,
est beaucoup plus véhiculée par le narrateur que inédiatisée par des per-
sonnages. C'est là d'ailleurs l'une des faiblesses des romans de Drieu. Ici,
la polémique, surtout dans le procès de dévaluation du discours bourgeois
par oe1ui de l'idéologie subversive, marque une prédilei:H~n pour l'induction.
Par exemple les paroles d'un personnages ou les conclusions tirées d'un
fait particulier sont considérés comme des symboles représentatifs de l ' i -
déologie dominante, porteuse de la déchéance. Le raisonnement inductif est
fréquemment mené à partir du comportement des dirigeants, juifs et / ou in-
tellectuels. Appara!t ainsi l'importance du chef dans la pensée fasciste,
et aussi de la haine pour l'intellectuel et le juif. Le souci de démasquer
l'imposture
des représentants de l'idéologie dominante amène à retourner
leur discours et à peindre leur comportement négativement. Pour cela Drieu
aime exposer simultanément le discoura-patient et le commentaire du dis-
cours-agent. Ce dernier ne se limite pas toujours aux paroles adverses mais
s'en prend aussi, souvent, à la personne du sujet ou aux valeurs qu'il re-
présente pour conduire la dévaluation. Dans les rassemblements politiques
et m@me Purement amioa.uJt de Gilles, i l ya des exemples de ce genre. On peut
citer la réunion littéraire en hommage au poète Saint-Boniface. Ici le nar-
rateur dorme, de la légion d'honneur, une appréciation qui est le contraire
de celle communément portée par la classe dominante, représentée par des
hommes de lettres également dévalués dans leur portrait. Ainsi de la médail-
le le texte nous dit 1
"Il n 'ya plus que les chiens en France qui ne l'aient pas 1 mais ça vien-
dra." (1)
Parallèlement au portrait de l'oratrice, également dévaluant, la
description s'en prend à la forme du discours, réduisant celui-ci à un simple
1- Drieu la Rochelle Gilles p. 308
-293-
bavardage 1
"Elle commença un discours, écrit dans ce style vague et sentimental
propre à la plupart des femmes et des n~gres." (1)
Les contradicteùrs, membres du groupe "Révolte", sont, eux aussi,
traités avec la m@me outrance sarcastique. Cette similitude n'emp@che pas
l'euteur de confronter les conceptions poétiques des groupes en présence et
de les faire polémiquer. Celle du groupe de Ca~l est subversive (ou plutat
dit l'@tre) m@me si cette subversion n'est pas élue; les organisateurs de
la réunion, par contre, représentent l'idéologie dominante. Drieu se sert
aussi de ces assemblées pour s'en prendre, par la voix de son narrateur,
conscience du personnage représentant l'idéologie subversive, comme le fait
Aragon, aux images et aux idoles prestigieuses de l'idéologie dominante. Les
attaques contre les orateurs communistes (2) Cachin et Vaillant~onturieret
contre leur discoure
illustrent ce fait dans Gilles.
D'autre part, la dévaluation de l'idéologie dominante menée Par
le narrateur ou son équivalent diégétique, le personnage représentant du
parti de la subversion, est souvent faite à l'aide d'une parodie des va-
leurs ou de leurs représentants. Dans Gilles il ya des exemples de cet or-
dre avec le congrès radical où sont parodiés une
classe politique, ses
principes et ses idées ma!tresses.
Ainsià propos du nationalisme nous li-
sons 1
"Gilles méprisait et ha!ssait de tout son coeur d'homme le nationalisme
bénisseur, hargneux et asthmatique de ce parti radical qui iLaissait la Fran-
ce sans enfants, qui la laissait envahir et mâtiner par des millions d' étran-
gers, de juifs, de bicots, de n~gres, d'Annamites." (3)
M@me s'il n'est pas représenté dans le texte sous la fome d'un
1- Idem p. 308
2- Drieu considère ici le communisme comme une variante de l'idéologie où rè-
gne la déchéance.
3- Drieu la Rochelle, Gilles, p. 562
-294-
microcosme réel, le fascisme, dans la polémique qui l'oppose à l'idéologie
bourgeoise, est bien défendu. Par contre, son adversaire a "la réplique fai-
bl~'. Il s'e~it sa nette dévaluation et un didactisme rigide des textes.
On peut s'expliquer cette partialité par les choix idéologiques de l'au-
teur. Drieu ne divise pas la société en classes, mais ses romans sont an-
tagoniques. La conduite proposée par l'auteur Y" est toujours lisible m~me
quand elle n'existe que virtuellement à c~té de celle qui est dévalorisée.
Cette demière n'est pas l'apanage d'une classe sociale, comme chez Aragon,
mais 1 ' esprit d'une époque. Il ya donc dans ce groupe une sorte d'amalgame
et de mélange qui ne respecte
pas les origines sociales. Pourtant Aragon
semble, lui aussi, dans sa classification et sa caractérisation des forces
politiques, céder à l'amalgame. En effet Le Monde réel inclut. les socialis-
tes dirigés par Blum ~4.a classe dominante. Le but est de démontrer que
leur revendication du statut révolutionnaire est une imposture et qu'ils
jouent, dans la lutte contre les communistes et les prolétaires un r~le
actif. Ainsi la première version des CoIlllIIUIli.stes est particulièrement sé-
vère:à leur égard. Est ce la nécessité de démontrer qu'il B'ya que deux
classes antagoniques et que le parti coIlllIIUIli.ste est la seule organisation
qui regroupe les forces vraiment révolutionnaires ? La manière dont les
textes d'idéologie communiste traitent le socialisme (du parti socialiste)
est la m~me que celle employée par les romans d'inspiration fasciste de
Drieu à l'endroit du communisme.
Ainsi, pour éliminer la concurrence, les romans de Drieu et d' A-
ragon font la critique de l'idéologie dominante et identifient toutes les
autres doctrines qui se prétendent subversives à son image. De la sorte
seules les idéologies élues restent mises en valeur et le contenu interpré-
tatif des textes se dévoile sans ambiguïté aucune. Mais quel peut-~tre le
rapport entre ces idéologies élues? Si nous avons effleuré la manière dont
le fascisme traite le communisme, nous avons délibérément évité d'approfondir
-295-
le sujet ou de noua demander comment les livres qui incarnent la doctrine
du communisme apprécient l'idéologie fasciste. Dans les années trente, la
polémique entre ces différentes pensées politiques était trop vive pour ne
pas se refléter dans les oeuvres de l'imaginaire.
b) Fascisme et communisme.
La circulation du fascisme et du communisme et leur polémique à
l'intérieur d'un m@me texte n'est pas un gage de l'impartialité de l'au-
teur. En fait l'idéologie dévaluée ne participe pas à la polémique pour
se défendre ~ pour mener sa propagande mais afin de fournir des arguments
aux critiques qui lui sont faites, OUS tauto-dévaluer ..
Nous avons, jusque-là, envisagé la polémique des idéologies à
l'intérieur d'un texte unique ou dans l'oeuvre d'un seul écrivain. Pour-
tant il ya une autre fome de polémique idéologique dans laquelle l'image
que nous avons du discours patient n'est pas forgée par le discours agent
mais citée à partir d'un autre texte.
Par exemple ce passage des Communistes semble répondre aux pages de Gilles
qui parlent des m@mes événements et inspirent la pensée de Gilles Gambier.
Dans les deux cas il s'agit de l'affaire
Stavisld qui a conduit aux jour-
nées de Février 1934. On retrouve les m@mes expressions pour caractériser
les événements (Aragon) ou pour manifester un désir (Drieu) m@me si Drieu
critique la démocratie républicaine alors qu'Aragon décrit l'agitation po-
litique fasciste dans Paris, avec les grèves, les bagarres, les expéditions
contre les syndicats etc. Nous avons respectivement dans Gilles et dans
Les Communistes 1
" - Si:, n'importe quoi, pourvu que cette vieille baraque là-bas au bord
de l'eau craque." (1)
"D'ailleurs la baraque craquait de toutes parts, des scandales en cascade,
l'affaire Stavis~·Fred et Gaétan se retrouvèrent cete à cete place de la
1- Drieu la Rochelle,Gilles p. 594 Gilles répond à une question et se déclare
pr@t à n'importe quelle allianoe contre la démocratie.
-296-
doncorde criant. A bas les voleurs !" (1)
La différence n'est cependant pas, selon nos grilles d'analyse, très importan- 1
te', puisque dans tous les cas l'idéologie .patient
n'est évoquée que pour ser-
vir d'illustration à sa propre dévaluation. Toutefois elle peut influencer
l'idéologie-agent, ne serait-oe qu'en lui imposant la polémique. En guise
d'exemple il ya certains slogans, repris à partir de textes surréalistes, dans
Gilles.
Comme nous l'avons déjà dit, quand le fascisme est agent il acculle
le communisme d'imposture et le considère au teDme de la dénonciation comme
un aspect de l'idéologie dominante. Il est aisé de le remarquer dans presque
toua les romans où Drieu parle du communisme. L'accusation d'imposture montre
ce que Drieu attend d'une doctrine politique et qui est absent, en réalité,
chez les communistes. Le traitement positif de ces caractéristiques montre à
quel point Drieu y tient.
L'une des plus import'3ntes est l'él.ctivité, c'est-à-dire la lutte conséquente
contre le défaitisme de l'esprit décadent, la reconqu@te de l'autorité et la
force. Dans certains romans de Drieu le communisme prétend les inCaJ:Der mais
c'est une, imposture. Dans Gilles le narrateur nous donne, de la foule cODllllUnist~
"'r~;
une description qui ne laisse
supposer aucune vigueur. Ecrasée par l'appareil .!
cette foule rappelle les bourgeois du parti ~adica1_ réunis en congr~s. Autre-
fois, Gilles fréquentait des meetings socialietes. Mais il a retrouvé le pro-
1étariat bien plus bas qu'il ne l'avait quitté~
"Il n'y avait rien dans les foules ouvrières de cet élan na!f et prompt
qui allait vers le jovial Jaurès d'avant-guerre. C'était une foule brisée
par les années d'un rite artificiel et monotone, soumise à des ordres venant
de trop loin ou de trop haut. Elle se levait, s'assayait, pour chanter'
:l'internationale. par un ressort mécanique, en se complaisant dans l'ina-
nité sonore du chant comme les cléricaux dans 'leurs cantiques.", (?)
1- Louis Aragon, Les eommunistes (mars-mai 1940) p. 140
2- Drieu la Rochelle, Gilles p. 513
-297-
Gilles aurait voulu qu'ils affirment leur état réactionnaire, sans aucune for-
me d'hypocrisie. L'illusion révolutionnaire et autoritaire que cherche à créer
le communisme repose, selon lui, son caractère utopique. (1)
Dans sa critique du communisme, Gilles, qui est ouvertement fasciste, (
~
vers le fin du livre, parodie le discours coJllllUIliste en s'appuyant sur son vo- l
cabu.laire, ses dogmes et ses certitudes. Le narrateur se sert toujours des réu-r
nions politiques pour dévaluer la doctrine par le biais de ses médiateurs et
par l'impertinence contextuelle des propos ou le dogmatisme exacerbé des mots
d'ordre. Ainsi le principe marxiste suivant est fortement dévalué quand i l est
affirmé par un homme aussi ridicule que Lorin :
"Clérences, tu veux @tre révolutionnaire. Mais il n'ya qu'un moyen d'@tre ré-Î
volutiormaire, c'est de se tenir solideJ:\\ent attaché à la lutte des classes ..., 2)'
Un autre personnage, aussi dévalué que Lorin, un instituteur, reprend les Jte-
mes propos dans une harangue hargneuse et embrouillé8\\
"Rien sans les ouvriers, tout pour les ouvriers." (3)
L'accusation d'imposture est corollaire à l'assimilation du communis-\\
me à l'idéologie de la déchéance incarnée par l'esprit bourgeois. Ainsi Les
,
ehiens de paille met au m@me rang les communistes, les gaullistes, les collabo-\\
rateurs eto ••• et souligne leur faiblesse et leur imposture~
"Les uns avaient les m@mes faiblesses que les autres. ( ••• ) Et les communistes'
en dépit de leur plus forte amature extérieure, ne différaient pas intimement
de tous les autres. Tous moins ils étaient Français et plus ils l'étaient,
mais négativement, strictement, tout en creux." (4)
Sauf dans ses derniers romans, écrits quand l'auteur commençait
à se désillusionner sur l'hitlérisme, Drieu voit le communisme comme une
1- Le narrateur dit en son nom, "Le communisme était impossible, il l'avait
vérifié dans ces derniers temps par le oontact qu'il avait eu en compagnie.
de Clérences, avec les communistes français." Gilles p. 578
2- Drieu la Rochelle, Gilles p. 581
3- Idem
4 Drieu la Rochelle, Les ehiens de paille p. 39
-298-
entrave pour qui veut atteindre l'absolu. Soit parce que le communisme est
une variante de l'esprit de déchéance, soit parce que sa morale limite
l'@tre et l'emp@che d'atteindre les grandes valeurs auxquelles aspirent les
personnages donnés en exemplarité. Pour ce dernier cas, nous avons l'exem-
pIe d'Une femme à sa fen@tre. D'abord les préjugés du héros l'emp@chent de
mesurer à sa juste valeur, et de croire à, l'amour d'une bourgeoise. Pour-
tant il ne pense pas que sa voie soit assez rigoureuse pour mener à l'ab-
solu. Pour lui les Russes tiennent. Cela durera ce que cela durera mais il
choisit le moindre mal en adoptant le communisme. Boutros n'est pas satisfait,
c'est pourquoi il se dit.
"Mais je me serai donné à ce qu'il Y avait de plus fort dans le monde, de
mon temps." '1)
Ainsi l 'hostilité de Drieu à l'endroit du communisme était fort
atténuée dès ce roman. A partir de 1940 Drieu ne semble reprocher à la Rus-
sie, symbole du communisme, que sa menace d'hégémonie sur l'Europe. D'ail-
leurs la critique du communisme, dans l'oeuvre de Drieu, semble @tre diri-
gée plus contre les Français imposteurs qui se déclarent communistes, que
contre la Russie, bastien véritable de ce système politique. Drieu croit
retrouver dans le comtiIunisme russe les valeurs dont le rétablissement est
le seul moyen d'échapper à la déchéance. Voilà pourquoi sa critique n'est
pas adressée à l'essence de la doctrine mais à ce qu'il considère comme
étant des formes de dénaturation qui rejoignent, en vérité, l'esprit de la
déchéance. A oe niveau, il ya une forme de dialogisme entre les idéologies,
dialogisme qui n'est pas axé sur une dévaluation de l'une par l'autre. C'est
ici, plutet une intégration. Le discours traducteur s'efforce de se conci-
lier les aspects positifs du discours traduit en déclarant ses formes contes-
!
tées comme étant des déformations corruptrices. Ainsi, dans Les chiens de œil-I
~, l'auteur semble marquer l'écart entre sa pensée politique et l'hitlé-
risme. En m@me temps, il peint le communisme avec des paramètres positifs
1- Drieu la Rochelle, Une femme à sa fen'tre p. 126
\\
-299-
selon son système et dénonce ses corrupteurs comme Salis. La dévaluation
de l'hitlérisme est en effet confiée à Salis, militant communiste; celui-
ci affi~e ensuite l'essence véritable de sa doctrine bien que son com-
munisme à lui, sa pratique politique, soient une simple variante de l'i-
déologie dominante~
"L 'hitlérisme se détendra dans la vie bourgeoise, tandis que, nous, :Doue
aurons cassé les reins à jamais au capitalisme." (1)
Constant, en réponse, se fait le plaisir de prophétiser l'aveni~ que ré-
serve le communisme et qui correspond à son idéal politique. C'est peut-
3tre là cette pensée drieuiste écartelée entre la déception de l'hitlé-
risme et la tentation du communisme.
"Et vous aurez rétabli à jamais le despotisme, l'absolutisme" (2).
Ce qui attire Constant àans ce système c'est qu'il détruit la déchéance,
la société bourgeoise, composée de gens comme Salis.
Malgré cet te apparente sympathie à l'endroit du communisme, le
discours -egent opère ici UDf, transformation, un retournement du discours
de l'idéologie adverse. Prise du point de vue de cette dernière, la dé-
claration de Constant est dévaluante. En effet le discours communiste peint
son objet comme étant le contraire de l'absolutisme et du despotisme. C'est
cette incompréhension entre discours traduit et discours tTaducteur qui
soutend l'intégration du premier par le second. Mais elle suppose un mo-
yen terme qui joue le conciliateur et celui-ci est sans doute la pensée
politique de Drieu au moment où il écrivait ce roman.
Contrairement aux romans pro-fascistes de Drieu, les fictions
d'idéologie communiste d'Aragon ne font aucune concession, m3me basée sur
une incompréhension, au fascisme. Aucun roman du Monde réel ne reconna!t
une valeur positive au fascisme ni n'admet une similitude de son idéologie
avec la sienne. Les livres d'Aragon accusent plutet cette dootrine, cam-
1- Drieu la Rochelle, Les chiens de paille, p. 46
2- Idem p. 46
-300-
parativement à l'idéologie dominante, négative, d'fttre plus royaliste que
le roi. En effet, tous les traits dévalués chez la classe dominante
sont
accentués et exagérés chez les fascistes. Ce groupe politique incarne la
pensée politique la plus négative et la plus corrompue de l'idéologie do-
minante. Pour la dévaluer les romans ne l'accusent pas, comme le faisait
Drieu, d'8tre vide de valeurs positives (selon son système) mais surtout
de porter, par essence, des traits négatifs en eux-mftmes.
Pour illustrer cela, les romans d'Aragon reprennent en les déva-
luant les préjugés fascistes et leur vision pessimiste. Comme premier exem-
ple, on peut analyser les rapports au nationalisme et au patriotisme. Là se
situe la corde sensible du fascisme. Au début de la guerre et pendant la pé-
riode précédente qui fUt celle de l'expansion idéologique, le fascisme re-
vendiquait les valeurs nationales. Aragon se sert de l'esprit hégémoniste
pour dire que le nationalisme du début et l'internationalisme belliqueux qui
l'a suivi procèdent d'un mftme esprit conqué:ra.nt et sont une simple impos-
ture voulant masquer la recherche effrénée de la puissance. El;l effet les
fascistes mis en scène par Le Monde réel, en dehors du contexte de la guer-
re, sont limités par un nationalisme étroit et imposteur qui n'est rien
d'autre qu'un esprit belliciste et conquérant.
Dans Aurélien, l'auteur a insisté sur ce trait au point de con-
fier l'idéologie fasciste à des anciens combattants romantiques et nostal-
giques. C'est l'explication de la naissance de cette idéologie que nous
donne le romancier. Les sujets regrettent leur guerre, mais surtout l'u-
tilisation faite de la victoire. Là il ya reprise du discour~ fasciste,
puis sa dévaluation. Les fascistes sont décrits comme des névrosés, à ja-
mais marqués par la guerre. Aurélien ne "s'était jamais remis tout à fait
de la guerre. n (1) Mais le pire c'est qu'il se sent
si -peu un vainqueur.
Avec le temps son désir de domination s'accroit au m8me rythme que l'or-
-301-
gueil d'@tre supérieur, d'lavoir la mission do" la IIoi.lililiQR de régner.sur-le mon-
de. Cela exalte les valeurs de courage, de torce, .mai. ne les oriente pas dans
le sens du salut de l'humanité. En cela, le nationalisme fasciste est perver-
ti p~ excès et par égo!sme. Aragon peignant l'esprit fasciste n"a
pas omis de montrer son ceté belliciste et· éUltioommuniste.- C'est pourquoi
il fait porter, par LeIl)outard, un jugement négatif sur Blanchard devenu membre
du mouvement pacifiste, et il fait répondre à Leurtillois qui demandait
de ses nouvelles 1
"Il a mal touxné, ( ••• ) Il s'est fourré dans le truc à Barbusse ••• Vous
savez'.. '" (1).
La forme de cette phrase manifeste un mépris évident et une idée dévaluante du
mouvement en cause. Le nom de Barbusse introduit - du moins pour un lecteur des
années quarante - une sorte d' intertexte référant au pacifisme des mouve-
ments pro-collllllUIlistes et notamment Amsterdam-Pleyel (2).
Ainsi retoumé (démasqué selon le discours traducteur) le nationa-
lisme de l'idéologie fasciste se limite à un bellicisme nostalgique et à
une quête maladive de la puissance. L'internationalisme du temps de la
guerre, alibi des collaborateurs hitlériens et de l'hégémonisme germanique,
est traité de manière également dévaluante et qualifié d'imposture. Ici la
technique peut ne pas reposer sur le re,toumement; surtout dans les ~
munistes où avec la victoire allemande les fascistes peuvent se vanter de
ce que 1 'histoire leur ait donné raison. Il semble d'ailleurs que dans
ce roman la polémique des idéologies a cessé d'être purement théorique pour
se traduire en actes. En tout cas la réalité semble si favorable aux fascis-
tes qu'ils n'éprouvent plus la nécessité de voiler leur pensé~. Or cette
pensée - du moins ce qu'en manifeste le roman -, si l'on se situe du point
de vue communiste, est dévaluante pour son sujet. Ainsi l' inte:mationalisme
1- Louis Aragon, Aurélien p. 216
~- L'histoire racontée bien que fiotive est mise en contemporané!té avec
.e mouvement fondé à la suite de la Grande Guerre.
-302-
évoqué par les fascistes se traduit sous la fonne d'un asservissement des
autres par la force. Ceux qui semblent adopter le fascisme par conviction
internationaliste sont en fait, mllS par des intér@ts financiers comme les
grands industriels ou par un désir de puissance sociale. Pour ce dernier
cas il ya des exemples fort illustratifs dans Les communistes. R6fléchis-
sant sur son passé, sa déception à l'endroit duC.E.S.A.R(1), Fred Wiener
souhaitait la guerre pour en finir avec la république et les juifs, sans
pour autant désirer la faire personnellement. La suite de sa pensée révé-
le les projets collaborationnistes, qu'il fonne pour assouvir son désir de
puissance 1
"Et puis, dis donc, quand Hitler aura gagné, tu te représentes ceux qui
auront refUsé de porter les ames contre lui ? Alors, ceux-là parleront
haut dans le pays, ils seront la chance de la France 1" (2)
Approuvant la décision du roi Léopold de demander l'annistice le député
Romain Visoonti, de pensée fasciste mais déjà disposé à collaborer avec
les Allemands, dévoile lui aussi ses préoccupations égoïstes à travers une
paeudo-politiqu9" de raison et de vision fasciste par ce qu'elle comporte
de pessimisme.
"La France avait besoin d'une césarienne, on allait y mettre les fers,
voilà tout. Naturellement cela supposait un joli coup de balai. Tous les
Reynaud9 tous les Daladier ••• C'est pourquoi Romain se préoccuPait des ca-
dres de remplacement, les hommes nouveaux. Il
s'agissait d'en ~tre. Et qui
pouvait douter que ceux qui avaient les premiers compris ••• " (3)
Il arrive aussi que sous le pseudo-internationalisme fasciste,
les romans d'Aragon montrent une haine injustifiée envers le communisme.
Le narrateur des Communistes peint sous cet angle laRensée du capitQine
1- C'est dans Les communistes une organisation fasciste clandestine.
2- Louis Aragon, Les communistes (mars-mai 1940) p. 148
3- Louis Aragon, Les communistes (mai-juin 1940) p. 189
-303-
Henri de Bréa, fasciste plus radical que la ligne de son parti, que les
circonstances poussent à croire à une attaque allemande dans les Flandres :
"Pas par goftt. Il aurait préféré aller descendre du Bolchevik dans les
fjords ou en orient. c'était son penchant. Il commençait à douter de l'ef-
ficacité du Parti Populaire Français." (1)
Mais la dévaluation du fascisme n'est pas seulement opérée à
partir de la dénonciation de son nationalisme ou de son intemationalisme
imposteurs. Au delà de ces traits, le discours communiste fait entrevoir
des caractéristiques et des sentiments qui avilissent les individus. ~
communistess8 sert: ~~~ du prétexte de la guerre pour révéler ce portrait du
fascisme. Dans ce livre l'Allemagne est réduite à une puissante machine
de guerre. La description des combats permet à la fois de signaler le
militarisme expansionniste germanique et le laxisme français devant le
fascisme. A cela s'ajoutent des sentiments d'inhumanité et des préjugés
tels que le racisme? Tous ces traits servent à asseoir l'idée selon la-
quelle l'idéologie fasciste se nourrit d'une narcissique volonté de puis-
sance. Les communistes insiste sur la folie meurtrière du fascisme allemand,
sur sa cruauté :
"Partout où les allemands arrivent, ils font sortir les gens de leur mai-
son, de leurs caves, fusillent les hommes à bout portant, poussant feDDnes,
enfants, vieillards devant eux pour couvrir leur progression." (2)
Quelques lignes plus loin le narrateur précise que "les allemands brdlent
leur victime." (3)
Dans la polémique, les idéologies répondent aussi aux accusations
diverses qui leur
sont faites. Elles ne se limitent donc pas à mettre en
valeur leur aspect positif ou à salir la ou les idéologie (s) adverse (s).
1- Idem p. 66
2- Louis Aragon, Les communistes (mai-juin 1940) p. 184
3- Idem
-304-
Elles oherohent à se blanohir, à démentir oe dont on les aoouse. Par exem-
ple faoe à l'aoousation fort oourante d'inhumanité (cf oi-dessus) portée sur
le fasoisme, Drieu la Roohelle répond dans l'épilogue de Gilles. En témoignent
les sorupules de Gilles, ses hésitations. Il n'admet l 'horreur de la guerre
et de la lutte politique que parce qu'il la oonsidère oomme une néoessité.
1
D'ailleurs il lui reste enoore des sequelles de loyauté et de pitié. La preu-
ve, il fait reohercher, pour les sauver, les rouges qui étaient avec lui
dans l'avion alors que le compromis qu'ils avaient adopté ne l'y obligeait
plus.
Dans Les oommunistes Aragon use de la m~me teohnique pour préve-
nir l' acousation de oentralisme, généralement portée oontre le oommunisme.
Mais il ne fait que l'atténuer. En effet dans l'exemple suivant, si la ré-
ponse de Thorez rejette oette idée de oentralisme, la question de Barbenta-
ne, m~me quand il la regrettera plus tard, indique une oomplète soumission
à une disoipline si oentraliste que les sujets ne savent prendre la moindre
initiative d'eux-m~mes. Armand, ayant renoontré Thorez peu avant son départ
pour le front, lui demande la oonsigne et reçoit oette réponse 1
"Rien de spécial. Etre le meilleur partout ••• faire oe que te diotera
ta oonscienoe de oommuniste et de français." (1)
Et un oommentaire du narrateur en rajoute ~ la lisibilité et dit que Bar-
bentane a rougi, lui qui vitupérait oeux qui ne peuvent rien faire sans sa-
voir oe qu'en pense le Seorétariat.
Dans tous oes exemples l'idéologie-agent se refère à un disoours
extértêur ou à des idées étrangers à son système pour mener la polémique.
Il ya pourtant des oas où le dialogisme est réflexif • L'idéologie disoute
alors un aspeot de ses prinoipes ou de son disoours. Elle peut faire aussi
oomme dans l'exemple oi-dessus la oritique d'une de ses formes, d'un de ses
1- Louis Aragon, Les communistes (sept-nov 1939) p. 38
-305-
aspects pervertis. Ce dialogisme est en réalité réflexif.
Chez Drieu la Rochelle la polémique devient réflexive dans pres-
que t'ous les essais politiques, textes intimes et littérature d'escorte.
Dans les romans, elle permet de souligner les écarts entre les :-l.pplic8.tions
hitlérienne et Jmlssoli%1ieJlIl& du fascisme d'une part, et la pensée de Drieu
d'autre part. Ainsi, pour l'auteur de Gilles, il s'agit de souligner les
déviations Par rapport à sa pensée - qu'il considère comme étant le modè-
le exemplaire - et les entraves portées à l'endroit de ses projets. Dans
cette politique se situent les discussions sur le rele du nationalisme dans
l'idéologie fasciste observées dans l'épilogue de Gilles, ainsi que la fonc-
tion politique de l'~ise catholique. L~,le problème est posé et l'ambigu1-
té maintenue. Drieu veut sans doute souligner les divergenees des fascistes
à ce propos, mais il ne manque pas de préciser sa pensée à travers celle
de Gilles Gambier. Celui-ci affirme un internationalisme qui veut concilier
la forme politique du fascisme et l'Eglise (1). Ses deux compagnons du
bateau semblent partager ce point de vue et rejeter avec lui l'idée du na-
tionalisme constituant actuel du fascisme. Et quand le polonais dit 1
"Il faut choisir entre le nationalisme et le fascisme" (2), il ne fait
qu'ébaucher une pensée qui leur est commune 1
"Le nationalisme est périmé, reprit O'Connor après un instant de r~nexion.
Ce que les puissances démocratiques n'ont pas réussi à Genève, les puis~
sances fascistes le réussiront. Elles feront l'unité de l'Europe." (2)
Dans Le monde réel la polémique réflexive est rarement dévaluante.
Dans presque tous les cas elle sert à souligner les qualités des militants.
1- Hervier Julien voit dans le débat
sur l'église et le fascisme une répon-
se à l'Espoir de Malraux où est critiqué l'alliance de l'~glise et du fasbis-
me, et où est exalté la discipline (communiste. Cf "Drieu l'Espagne, la guer-
re et la mort" Revue de littérature comparée 5ge année nO 4 Octobre-décembre
1985
2- Drieu la Rochelle Gilles p. 674
3- Idem
1,
-306-
Il ya cependant des exemples où la mise en valeur p~che par excès. L' au-
teur et ses lecteurs communistes de l'époque n'en sont certes pas cons-
cients puisque le dogmatisme, le culte du parti, c~st-à-dire l'idéologisme
du stalinisme masquaient le sens véritable de la doctrine communiste. Aragon
souligne pourtant cet
idéologisme dans Les ~ommunistes sans pour autant
entrevoir qu'il s'agit là d'un défaut. Ainsi veut-il nous suggérer la con-
fiance et la solidarité entre les militants du P.C., leur sacrifice et leur
ardeur à la t~che, à travers u ne.
remarque de Mme Lebecq; en réalité, il
rév~le le sectarisme ou plutet l'ostracisme des- militants à l'endroit des
autres concitoyens. Ainsi il fait répondre à François Lebecq qui se deman-
dait comment trouver un autre militant, dans une autre section, pour s'oc-
cuper de la ronéo 1
''D'autres types du Parti, tout de suite! On dirait qu'il n'ya que les
types du parti qui sont honn@tes, on courageux, ou ••• Vous @tes tous com-
œ. ça 1 Le Parti, c'est bien joli ••• mais ton parti sans le reste des gens,
à quoi il rimerait?" (1)
Si au delà de la simple inscription de plusieurs idéologies dans
un texte, un auteur éprouve la nécessité de dévaluer certaines de ces idéo-
logies pour en mettre en valeur une autre, c'est qu'en réalité il veut con-
sacrer la suprématie de cette idéologie et la donner en exemple. ~ais l'in-
tention d'un auteur ou son m~èle doctrinaire ne sont pas nécessairement
rendus par le texte littéraire dans son déroulement attesté. AiDsi, dans
la dévaluation et la mise en valeur qui jouent une m~me fonction, dans
la construction de l'idéologie véhiculée par le texte, il ya des éléments
qui entrent en ligne de compte et que l'auteur ne contrele pas de façon
rigoureuse. C'est pourquoi l'idéologie du texte n'est pas en tout Pareille
• celle de l'auteur ou à son modèle doctrinaire.
1- Louis Aragon, Les tommunistes (sept-nov 1939) p. 273
301-
C) L'IDEOLOGIE DU TEXTE
Même s'il y circule plusieurs idéologies, un texte propose, toujours,
à moins de comporter des contenus contradictoires, un système doctrinaire
unique et homogène. Comment se construit ce système cohérent par delà les
divergences des sous-systèmes constituants? Le problème serait assez faci-
le à résoudre s'il n'y avait à faire que l'explication de la co-présence co-
hérente de plusieurs idéologies. La relation difficile à établir est l'iden-
tification, au moment de la construction du texte, de son système idéologi-
que à un modèle doctrinaire socialement attesté. La solution de ce problème
fai t intervenir sans doute des techniques de signalement du modèle idéolo-
gique que celui-ci soit figurativisé par' un Otre, un événe~nt ou des idées
contenues dans un texte. Il ya là un problème de lisibilité en vue d'une
interprétation unique. Mais l' art littéraire est un travail par le langage
et le langage sert à cacher les pensées sous prétexte de les exprimer. Dès
lors, le texte devient une somme de refus, de retenues et de réticences, de
dissimulations. Ce travail produit souvent le contraire de l'objectif recher-
ché et il arrive très souvent qu'un romancier trahisse son intention quand
il ne cherche qu'à 14 rendre lisible.
a) L'identification au modèle
Les romans de Drieu et ceux d'Aragon, quand bien m@me ils construi-
sent des systèmes qui s'écartent de leur référence politique, procèdent ce-
pendant du désir de s'identifier à ces modèles doctrinaires. Ceux-ci sont
pour Drieu et pour Aragon, respectivement, le fascisme et le communisme.
Nous ne reviendrons pas ici sur la rencontre entre les contenus des discours
des romans de ces auteurs avec ceux de leurs modèles, mais sur les moyens
soriptura.;"dqui permettent cette rencontre. Autrement dit comment un texte
de roman se signale-t-il comme un discours idéologique, identifiable à un
système politique et doctrinaire i
L'un des moyens les plus oourants nous semble Itre la reproduc-
-308-
tion de l'univers doctrinaire choisi par une reprise de son code discursif.
Il s'agit plutet de mimer le discours politique du communisme ou du fascis-
me, en plus du portrait de ceux qui incarnent l'idéologie en question, por-
trait fouJ:ni. par le contenu du texte.
L'intention subversive est le premier trait commun de ces discours.
Elle nécessite une dévaluation du réel. Cette exigence explique, dans les
romans de Drieu et dans ceux d'Aragon, l'importance de la peinture de la
déchéance. Au niveau formel, les objectifs subversifs poussent les écri-
vains à employer diverses techniques dévaluant es. Elles permettent, par
exclusion, une nette distinction entre le réel critiqué et le modèle don.
né en exemple. Plusieurs aodes de tTansparence et de signalisation sont ainsi
destinés à affirmer le projet subversif (1).
Les moyens de transparence ne sont pas destinés à la dépréciation
quand ils réfèrent directement ou Par analogie au modèle élu. Ils remplissent
ainsi leur fonction signalétique Par simple évocation d'une figure ou d'un
événement. Pour cela, la référence à l'histoire est d'un r81e capital, mais
il ya surtout l'inscription de la pratique sociale et politique du modèle
dans 1 'univers narratif du livre et sa mise en exemp1:arité. Ainsi, les moments
marquants des doctrines modèles sont souvent repris. Dans Gilles, i l ya allu-
sion aux années 1933 en Allemagne (montée du fascisme et prise du pouvoir),
aux journées de février 1934 (pendant lesquelles le fascisme a secoué sans
l'ébranler la démocratie française) et surtout à l'épopée fasciste de la guer-
re d~Espagne. Dans Le ~nde réel Aragon rappelle les mouvements sociaux et
la deuxième guerre mondiale dans lesquels le comportement des ouvrièrs est
le signe de leurs aspirations révolutionnaires. Dans tous les cas, l'auteur
se Sert de l'exaltation du passé de l'idéologie en cause pour la mettre en
~
analogie av.~valeurs décrites et mises en fiction.
En plus de ces méthodes communes, il ya le traitement des rapports
1- Ce serait pure répétition que de recenser à nouveau ces modes 1 ironie
Parodie, attribution de visions etc.
-309-
entre groupe et individu qui permet la reprise, dans le discours romanesque,
des idées fondant l'idéologie-référence.
,
Dans Le IIfonde réel l ' exaltation de l'appareil organisationnel et de la solid~ ~
rité, la condamnation de l ' égo!sme et le refus d'une quelconque importance de
l' individu à ceté du groupe, miment parfaitement la notion de classe dans la
philosophie marxiste. M8me les sentiments intimes, ceux qui ordinairement indi-l
vidualisent les personnages, comme l'amour, mont déterminés par le saut révolu-l
tionnaire· ou mis en parallèle à celui-ci. ·La décision' de Me.!tre ~Jatrin (1) de
se marier et son éveil à l ' amour~r Mlle Duplessy semblent avoir pour causes,
ou du moins pour catalyseurs, le sentiment d'injustice qu'il éprouve devant le
traitement fait aux communistes et l'impression d'apocalypse que lui donne l~
vie politique et sociale. C'est la découverte de la générosité des militants
qui confirmera les dispositions révolutionnaires de Cécile Wisner, mais aussi,
et en m@me temps, son amour pour Jean. Pour ce dernier d'ailleurs c'est son
amour pour Cécile qui le poussera à s'informer sur la littérature communiste
et à acquérir, de ce fait, la conscience révolutionnaire.
Les romans d'inspiration fasciste retournent ce rapport individu /
groupe tel qu'il existe dans le marxisme. En témoigne l'affirmation des
valeurs psyohologiques et instinctives, donc individuelles et non poli..
e.---ées, non perverties par le rationalisme, et la quête d'efficacité des
groupes sociaux. La valeur ultime, pour un fasciste, est, m@me dans le ca-
dre d'une lutte commune, une performance individuelle, puisque le discours
fasciste exalte les passions, l'imagination et la sensibilité (2). Ces ca-
ractéristiques indiquent un romantisme perceptible dans la forme. En effet,
dans la ,einture de ses aspirations, de son idéal, le roman d'idéologie fas-
ciste fait appel à un vocabulaire essentiellement spirituel, fondé sur
"'~rfl( au
1- Watrin net~ pas/communistes mais il est solidaire de. leur cause, peut..@tre
paree que leur sort est une preuve d'injustice.
'
2- Selon RaDUl Gira%det "Notes sur l ' esprlt d'un fasciS1118 français. 19}4 -19}9~
Revue française de Soienoe politique, Vol. V nO :3 juillet-septembre 1955 p.532 t
1
-310-
l'affectivité, l'évocation nostalgique et la promesse de restauration et
de réhabilitation d'un passé ou des valeurs oubliées. Cela explique aussï. dans
les oeuvres, les épanchements lyriques et les accés de sentimentalisme.
Presque tous les personnages de Drieu pleurent sur le hiatus entre leurs
aspirations et la réalité de leur vie. On peut citer Gilles Gambier, Yves
Le Pesnel etc. Aa lieu des grandes oeuvres collectives et utilitaires, ils
r@vent de grandeur et de singularité, d '@tre des héros.
"11 n'ya pas de plus vivant parmi les mots humains que le nom d'un hé-
ros." (1)
Or, le héros, comme le chef, ne se rencontre., pas au coin de cha-
que rue. Il en est de m@me, aux yeux des fascistes, des valeurs qu'ils in-
oament telleS' q•• le courage, 1 ' autorité, la force physique et morale.
L'exigence de sacrifice qui s'attache à ces valeurs contribue au romantisme
qui les entoure. Mais le romantisme fasciste s'appuie aussi sur le ~he
d'un ~ge d'or qui se situe au delà de l'apocalypse et qui serait le retour
d'un passé glorieux et édenique. C'est pourquoi, à ceté des expressions
lyriques et nostalgiques souvent représentées par des images du moyen~ge
ou de la guerre existe, dans les textes fascistes, un langage fataliste et
pessimiste. Le lyrisme et la nostalgie décrivent ce que propose l'avenir
fasciste, alors que le vocabulaire pessimiste peint le présent, ou un état
ordinaire et banal. Voilà qui incline à se demander si les valeurs fascistes
ne sont pas limités à une jouissance instantanée et exceptionnelle comme
celle que l'autodidacte de La Itausée attendait de l'aventure puisque l'es-
prit défaitiste de la déchéance reste toujours en arrière-plan et menace "les
moments parfaits." Les portraits successifs que le narrateur de La eomédie
de Charleroi dresse de lui-m@me illustreat ce point de vue. Blessé, il
se dit aussitet 1
1- Drieu la Rochelle, L'Homme à cheval, p. 226
-311-
"Ma main était pleine de sang, pleine de sang chaud. Non sang coulait.
Je me rappelle ma fierté. J'étais un hOIlDlle, mon sang E'Vé' i t coulé." (1)
Mais imaginant son retour à la réalité sociale cette idée pré-
ciause de sa personne dispara1t aussitet.
"J'étais consacré, je pouvais me permettre tous les orgueils et toutes
les l~chetés, tous les désistements et reniements. Je passais du ceté
des femmes, des enfants, des vieillards, des impuissants, des gouvernants.
Comme eux autorisés à tous les cynismes." (2)
Comme on le voit, le style banal et dépréciatif porte sur la ré2~ité et l'idéo-l
logie décadentes. Cela constitue un trait spécifique du fascisme. Il est
connu de tous, aujourd'hui, que la satire qu'il fait utilise des images
et un vocabulaire sexuels. Nous en avons donné plusieurs exemples tirés de
L'un des traits formels distinctifs du discours communiste est
sans doute, comme dans le discours faeciste, la description dépréciative
de la société bourgeoise, mais aussi une politisation de tous les aspects
abordés. Nous retrouvons là le problème de l'idéologisme. Les personnages
sont dans Le Monde réel des sortes de stéréotypes a~és des visions de leur
classe sociale. Dès lors, le discours des ouvriers tente de reproduire le
langage politique communiste. Cela va jusqu'à l'attribution de performances
truffées de mots russes ou de citations marxistes (4) plus ou moins fidèles.
Ainsi dans une conv:ersation banale, mais entre militants cOlIDllunistes, Jean-
Richard Bloch qui vient d' arriver s'excuse de déranger et remarque 1
1- Drieu la Rochelle, La eomédie de Charleroi, p. 93
2- Idem p. 93-94
3- cf page 143 éi-dess.-:us
4- Comme par exemple cette phrase de Lénine que se rép~e le mineur Charles
Debargel "Une olasse qui ne s'exerce pas au maniement des a~es est indi-
gne de vivre." Les communistes (mai-juin 1940) p. 281
-312-
"C' est l~ Toha!" (1) L'auteur précise que depuis son voyage la-bàs (URSS)
en 1934 il émaillait ses phrases de mots russes. Cette imitation du dis-
cours des militants va souvent de pair avec celle du langage ouvrier (#
Cette phrase de Mme Blanc en est un exemple 1
"Qu'est-ce qu'on va faire, maintenant, nous autres,des CDH 1 C'est""'.i.l
qu'il n'y aura plus jamais d'huma 1" (2)
La SYntaxe peu élégante, l'aspect économique de cette phrase et son prag-
matisme sont les marques du langage des milieux non intellectuels et qu'on
qualifie par erreur de populairer. Par son vocabulaire spécialisé et l ' émo-
tion qu'elle porte, cette phrase est celle d'un militant communiste dont
l'organisation sst menacée. En effet, il ya une sorte de code réservé aux
initiésl CDH signifie Comité de distribution de L'Humanité et huma. est le
dJJ1l1nutif familier du journal conmuniste
L'Humanité.
La politisation du discours dans le but de mimer l'idéologie me-
dèle existe aussi dans les textes romanesques fascistes sous la fonne d'un
refus des olivages politiques traditionnels 1 droit~/gauc~e et donc de l'a-
doption du langage de l'un d'eux. Cela se traduit par une sorte de "melting-
pot", de fome gauchissante, mais dont les idées sont de droite. Dans son
conseil à Clérences pendant les journées de février 1934 Gilles Gambier af-
fime le principe du refUs des deux camps et ce refus fasciste semble s'au-
réoler du mythe de l'action.
"Si un homme se lève et jette tout son destin dans la balance, 11 fera ce
qu'il voudra. Il ramassera dans le même filet l'Action française et les co~
munistes, les Jeunesses patriotes et les Croix-de-feu, et bien d'autres." (3)
Auparavant il avait esquissé le profil du parti qui correspondait à ces
prinoipes et répondait, selon le narrateur, aux 8M>irations·.de:1 sa.. génératiOn 1
-
1- Louis Aragon,Cr,es Communistes sept-nov 1939) p. 13 Jean Richard Bloch est
un personnage réel. Il fut à l'époque l'un des plus grands militants du P.C.F
"Tcha!n veut dire en russe thé
2- Louis Aragon, Les eommunistes (fév-sept 1939) p.111
3- Drieu la Rochelle Gilles p. 598
-313-
" - Oui Je le vois d'ici ton parti, s' emballa-t-il soudain, ce serait
notre parti à tous, un parti qui serait national sans ~tre nationaliste, qui
romprait avec tous les préjugés et les routines de la droite sur ce chapi-
tre, et un parti qui serait social sans ~tre socialiste, qui réfor.merait
hardiment mais sans suivre l'ornière d'aucune doctrine. J'ai j;oujours pensée,
que oe siècle était un siècle de- méthodes et non de doct:rine~,," (1)
Malgré la nature subversive de ce discours - par une curieuse
confusion la subversion est posée comme le trait distinctif de la gauche -
ses idées ne sont pas celles de la gauche. Le projet social est ici une
abolition pure et simple de la démocratie bourgeoise et, puisque l'idée
du socialisme est écartée, nous sommes en droit de penser à une dictature
de droite. Cette tentative paradoxale de concilier la droite et la gauche
ou plutet de les dépasser, est le propre du fascisme.
Le discours communiste, par contre, revendique son statut révolu-
tionnaire en se plaçant résolument dans la gauche. Ce trait est si important
dans les romans d'Aré18on - et c'est curieusement la m~me chose qu'on obser-
ve aujourd'hui avec le P.C.F - qu'ils luttent contre la concurrence du sa-
cialisme à la Blum en l'assimilant à une idéologie de droite. Dans Le mon-
de réel le critère for.mel,' distinctif du caractère révolutionnaire, est
sans doute l'affirmation des principes du marxisme comme la lutte des clas-
ses mais aussi la véhémence envers la bourgeoisie et surtout l'acceptation
et l'approbation de la lutte, d'abord contre la bourgeoisie nationale à tra-
vers les syndicats, les partis et leurs mouvements. Ensuite contre le fas-
ciame et l'Allemagne hitlérienne. La dernière exigence se traduit Par un
discours en faveur de la guerre alors que le discours réactionnaire est as-
similé à la propagande pour la capitulation et la collaboration. Dès lors,
le discours COmmuniste se traduit sous une forme épique comme l'exaltation
du couré18e mais surtout du nationalisme. Dans les romans précédant Les com-
,
.-
1';' Idem p. 537
-314-
munistes et surtout dans les deux premiers 'tomes du Monde réel,PépopéS,
portait essentiellement sur la lutte contre le capital. Le- fait' é"fàit ren-
du par un "économisme" (1) perceptible dans le langage des prolétaires et
celui des bourgeois.
Du c8té des premiers l'écOnomisme s'exprime presque touj ours par une cri-
tique des conditions de vie et de travail dérisoires, ainsi que de la lé-
gislation du travail et de la cupidité des capitalistes. Ainsi, dans le per-
1er ouvrier et m&le tians celui du narrateur qui lui est équivalent, les gens
sont souvent définis par leur rang social c'est-à-dire par leur fonction
dans l'économie. Les eommunistes nous présente un grand héritier de l'in-
dustrie française en ces termes 1
"Le commandant Gilson-Quesnel était à. Saumur en 1912, c'est le fils des
sucres" (2).
En réalité, l'économisme nourrit une sorte de politisation exces-
sive et le discours qui le porte dérive souvent en une analyse ou un juge.-
ment politiques. Non seulement cette pratique caractérise les communistes
mais les techniques rhétoriques, les termes utilisés sont dans les romana
d'Aragon mimés à. partir du discours politique du P.C.F tel qu'il se pré-
sentait à. ce" époque.
Les romans fascistes tentent eux aussi de reprendre les canons
du discours et de l'idéologie qui leur servent de modèle. Cette sorte d'i-
dentification à un réel extérieur permet de neutraliser la valeur illocu-
toire de la propagande des autres idéologies présentes dans le texte et de
rendre parfaitement lisibles. les propositions. Le texte ne_reproduit'cepen-
dant pas, exactement, son modèle-, quand bien m~me c'est le but visé'. L' au-
1- Conception expressive de l'idéologie comme simple reflet suivant le mouve-
ment des infrastructures économiques selon Christine Glucksmann, "Sur la rela-
tion littéraire et idéologies" in littérature et idéologie, colloque du Cluny
II,.a nouvelle critique nO spécial, 39 bis, 1910. Cet économisme qui caractéri-
sait la deuxième intemationale ,e'et un point sur lequel l'auteur s'est trahi.
2- Louis Aragon, Les communistes (mars~i 1940) p. 236
-315-
teur y laisse percer volontairement ou non des idées qui lui sont propres
ou qui sont nées de ses rapports avec le milieu social.
b) Les trahisons du texte 1
Dans des romans comme ceux de Drieu et d'Aragon où un modèle doc-
trinaire est clairement choisi, le texte trahit son auteur ou du moins l'i-
déologie donnée en exemple à chaque fois que le système qu'il met en oeu-
vre s'écarte de celui dont on veut l'inspirer. De ce point de vue, il est
fort difficile de batir un texte fidèle, d'autant plus que pèsent sur lui,
les exigences de l'art et des traditions littéraires. Mais dans le cas pré-
sent, nous n'envisagerons pas les contraintes de l' écriture comme des tra-
hisons quand celles-ci amènent à modifier le profil d'une doctrine. Nous le
faisons plutet lorsqu'une stratégie scriptur~~ donne un résultat en porte
à faux avec l'intention qui l'a mise en oeuvre.
Le lecteur qui examine Le Monde réel avec minutie découvre une sor-
te de revers de son efficace. Celle-ci consiste en la subversion de la so-
ciété bourgeoise et ses moyens, dans l'espace du roman aragonien, sont la
dévaluation. A ce titre l'essentiel dans un roman du Monde réel porte tou-
jours sur la peinture critique 'de la bourgeoisie. La pratique sociale de cet-
te classe est déterminée par la défense de ses intér~ts égoIstes. De plus,
Aragon la qualifie par la débauche et la perfidie morale. S'en dégage une
impression d'échec de la conduite bourgeoise des affaires. L'objectif est
de démontrer qu'ainsi la société coule à la dérive, qu'on s'achemine vers
l'apocalypse, du moins pour la grande majorité des citoyens. Il ya certes
des forces de salut et l'alternative communiste est m~me clairement propo-
sée. Mais l'essentiel de la propagmde porte sur la peinture dévaluante du
capitalisme. L'objectif est de susciter le dégo~t à son égard. Il n'ya alors
rien qui soit assez bien valorisé au point de neutraliser le pessimisme de
la critique sociale. C'est ce pessimisme excessif qui trahit ainsi, Par une
élimination de tout désir de vivre le devenir, l'efficace du roman réaliste
-316-
sooialiste et qui consiste à créer chez le lecteur les moyens subjectifs de
12 révolution. Ces moyens existeraient si l'alternative communiste montrait
clairement une possibilité de salut. Il est vrai que cette possiblité ne
peut @tre que prophétique. Or Aragon a ~té, peut-@tre involontaireiaent,'à
cette prophétie, sa crédibilité.
Tout le monde sait combien la représentation est plus vraisembla-
ble dans une fiction que la pure annonce prophétique, simple résultat d'une
logique déductive et artificielle. De la sorte, le pessimisme consacre la
t:.e..
victoire du pessimisme sur la promesse d'un avenir radieux, et de/fait an-
nihile les forces de subversion. Le but était pourtant, en noircissant la
société bourgeoise, de créer le désir de la subvertir. Il est, peut-@tre,
rarement atteint, puisque le schéma du discours semble s'arr@ter à l'inter-
prétation de l'apocalypse bourgeoise et, sous-entendant l'injonction du ro-
man, ne le rend pas suffisamment lisible pour les lecteurs.
Le contraire aboutirait à un roman d'édification, mais non la sim-
pIe suggestion de la voie du salut. Or cette suggestion est si faible chez
Aragon (1) du moins sous sa forme crédible, c'est-à-dire représentative,
que les interventions verbales de l'auteur, étrangères à l'action, ne peu-
vent combler le manque. Ainsi la stratégie discursive fondée sur la dévalua-
tion trahit l'intention subversive de l'idéologie et consacre la différence
avec l'idéologie du texte. Ici, la dimension dialogique repose sur la prise
en compte de la stratégie persuasive; celle-ci inscrit en son sein, au ma-
ment de l'encodage, un dialogue virtuel avec le lecteur, ne serait-ce que
par le choix des situations jugés crédibles à ses yeux.
On pourrait sans doute relever bien d'autres indiscrétions à tra-
1- Dans Le blonde réel le prolétariat est constamment battu dans sa lutte con-
tre le capital. L'espoir en sa victoire future ne vient pour ainsi dir~au
dernier moment, que d'un fait peu déterminant, objectivement, sur le cours de
l' histoire 0 Le ralliement d'Armand aux grévist es est, par exemple, un enCOUl:."a-
gement moral mais' ne change pas le cours des choses. Il en est de m@mè du con-
grès de Bttlë;Où l'on lit entre les IJ.:gDes la trahison de la 2e international~:
et c •
-317-
vers lesquelles l'auteur du Monde réel trahit le sens d'un principe commu-
niste.l);m:; l'ont compris en tout cas ses camarades qui lui reprocheront
aussi bien Aurélien, Les Voyageurs de l'impériale que Les eommunistes.
Drieu la Rochelle s'écarte lui aussi, inconsciemment il nous
semble, de la pensée fasciste, dans ses rapports avec l'efficace politi-
que. Là, les rapports avec le communisme révèlent un certain abandon de l'or-
thodoxie fasciste. Ou plutet l'idéologie de Drieu a été une somme de va-
leurs que le sujet a crues trouver tantet dans le fascisme, tantet dans
le communisme, quand bien m~me ses préférences allaient au premier. Cela
justifie le fait que, déçu par l'hitlérisme, Drieu ait reporté son espoir
sur le coIIIIIIUYÛsme. Dans l'oeuvre romanesque c'est Bardy, un hitlérien dé-
çu et qui semble @tre le double de l'auteur, ne serait-ce que quand il pro-
fère ces propos, qui exprimen-l-ce léger changement 1
"Je crois que le national socialisme qui a essayé de se dégager de la
démocratie s'y résorbera et que tout cela p~le-m@le sera écrasé par la Rus-
sie. Et ce sera bien car mon idéal d'autorité et d'aristocratie est au fond
enfoui dans ce communisme que j'ai tant combattu. Je recevrai la mort des
communistes avec une amère satisfaction." (1)
La vérité est que Drieu n'a jamais trouvé d' ':>.rgument s convaincants contre
le communisme~ il le rejetait seulement au nom d'une sorte de nationalisme
européen tout en reconnaissant (comme ci-dessus) que cette doctrine incame
les valeurs qu'il entend réhabiliter. Cela apparaU dans un passage du "Bilan"
où il dit pourquoi il adhère au fascisme ;
"J'ai vu dans le fascisme le seul moyen de contenir et de réduire cette
décadence, et par ailleurs ne oroyant plus guère dans les ressources politi-
de.
ques de l'Angleterre comme/la France, reprouvant l'intrusion d'empires étran-
gers à notre continent comme ceux des Etats-Unis et de la Russie, je n'ai
vu d'autre recours que dans le génie de Hitler et de l'hitlérisme". (2)
1- Drieu la Roohelle, Les ehiens de paille p. 109-110
2- Drieu la Roohelle "Bilan" Nouvelle Revue Française T. L VII, nO 347 janv.
1943
-318-
Ainsi, la dévaluation du communisme en vue de neutraliser sa
concurrence au fascisme n'a jamais été poussée à un point tel qu'il soit
impossible à l'auteur de le réhabiliter et de l'adopter. Pourtan'\\ fascisme
et communisme sont deux idéologies qui s'excluent mutuellement. Si Drieu
peut passer de l'une à l'autre c'est qu'en ,réalité son système idéologique tel
qu'il s'exprime dans ses romans, n'est pas identique à celui du fascisme. Comme
il le dit lui-m@me, son idéal est l'autorité et l'aristocratie. Il ya là
une priorité accordée aux valeurs humaines sur l'efficacité politique. Et
Drieu nous livre ses aspirations t'Out en restant, au contraire d'Aragon,
assez discret sur l'appareil politique dont il va se servir. M@me si la
politique vise toujours l'instauration de certaines valeurs, les romans de
Drieu s'intéressent à l'exaltation et à l'évocation romantiques de ces va-
leurs beaucoup plus qu'à la stratégie de lutte pour leur av~nement. C'est
pourquoi l'auteur peut envisager successivement, et "sans se pertuber pour ce-
la,
les réhabiliter avec le fascisme et avec le communisme. On pourrait
reprocher à cette analyse de n'avoir pas précisé que Drieu n'a envisagé de
se convertir au communisme que vers la fin de sa vie et ne peut donc pas,
de ce fait, dans son oeuvre, trahir l'idéologie fasciste. C'est ne pas voir
que la sympathie et l'espoir qu'il attache à l'évocation du communisme dans
certains ouvrages (Une femme à sa fen@tre) (1) marquenf'..U' endroit du fas-
cisme, elll1emi juré du communisme, une certaine infidélité. Ce qui fait la
différence entre l'affirmation de valeurs humaines et la recherche d'une
efficace politique, c'est que la première veut satisfaire des sentiments,
des passions, alors que la seconde instaure une forme de société. L'une est
une révolution morale,l'autre la construction d'une société, c'est-à-dire
une révolution tout court.
L'idéologie d'un texte est à la fois le fruit de l'intention de
1- M@me quand il critique les communistes dans Gilles, il semble s'adresser
aux communistes français, la Russie restant toujours, à ses yeux, le symbo-
le de la puissance et de l'autorité.
-319-
de l'auteur et de ses indiscrétions involontaires. Ainsi le système d'un
livre, quand il obéit à un dessein propagandiste en fa.veur d.'une doctrine
politique, recherche 188 Ir..o;~rans de reproduire et de mettre en valeur cette
doctrine. Le modèle peut toutefois agir dans un roman à l'insu de son au-
teur. Cela arrive quand l'intention subversive n'est pas explicite. Chez
Drieu et Aragon l'identification au modèle est non seulement un gage de
conviction et de propagande idéologiques mais aussi de crédibilisation et
donc une stratégie persuasive. Hais force est de remarquer que l'intention
n'a jamais remplacé l'oeuvre. Elle n'a jamais non plus réussi à la limiter
dans sa logique. La comparaison de l'une à l'autre montre un écart et celui-
ci contribue aussi à dessiner l'idéologie d'un texte.
D'autre part, un texte est souvent écrit pour quelqu'un, à partir
de quelqu'in
(ou de quelque chose) et il a un destinataire. C'est en cela
que les co-militants et adversaires politiques de l'auteur peuvent éclairer
certains aspects d'une analyse idéologique surtout quand ceux-ci sont des
écrivains aussi influents que lui.
D) DRIEU ET ARAGON s UN AMOUR-HAINE.
Les sentiments d'amour et de haine ne sont pas compl~ement indé-
pendants. Chacun d'eux est un peu l'autre. En tout cas, l'oeuvre littéraire
et les vies sociales de Drieu et d'Aragon, à partir de 1930, le confirment
éloquemment. Nais ce n'est pas seulement parce qu'ils furent des amis - donc
;>
convergence et amour -
puis des ennemis - diverg~nce, haine - que nous parlonsit
ici d'amour-haine à leur sujet. Il ya peut~tre aussi, malgré leur anta-
gonisme les similitudes des systèmes politiques qu'ils représentent. Enfin,
ou plutet avant tout, il nous semble, à leur sujet, que l'essentiel, la ba-
se de tout, c'est la marque de l'expérience et la profondeur des aspirations
qui en découlent. Or de ce point de vue chacun d'eux est le iniroir de l'autre.
a) Un passé inoubliables
Vers 1889, un ancien préfet colonial, Pernand Toucas, abandonne
-320-
brusquement sa famille 1 une femme, un fils et trois filles. L'aînée, Mar-
guerite, s'occupe de la famille. A 17 ans cette fille de bonne famille aura
un enfant illégitime d'un vieil homme né vers 1841, anti-olérical puis drey-
fusard 1 Louis Andrieux, procureur impitoyable contre les communards, est
élu député en 1876. La honte sera cachée et l'enfant sans père est déclaré
à la mairie du 16e arrondissement sous le nom de Louis Aragon, né le 3 oc-
tobre 1897.
Ainsi la vie de celui qui a trempé dans toutes les expériences du
20e siècle commence comme un roman d'aventure. Enfance douloureuse pour ce-
lui à qui,privé de père par une morale sociale implacable, il sera interdit
de transférer toute son affectivité sur sa mère puisque, publiquement, celle-
ci sera sa soeur. Le manque affectif sera doublé de celui d'une autorité pa-
rentale, symbole de la puissance et de l'idéal pour tout enfant. Le complexe
se confi:rme quand, à l'école, l'enfant brille par son intelligence et non
par sa .force physique.
L'enfance de Drieu La Rochelle pe:rmet elle aussi d'expliquer
pourquoi le début du siècle traite les drames familiaux. Le jeune Pierre est,
au regard de l'affectivité et de la chaleur familiale, un orphelin au m~me
titre qu'Aragon, bien que ses parents soient vivants. Dans un foyer déchiré
par les histoires d'argent et de jalousie, par les faiblesses de l'un et
de l'autre, l'enfant n'a personne à qui s'identifier, mais il r~vera à sa
guise sur Napoléon. Au collège de la :me I1onceau, il découvre sa pauvreté et,
comme Aragon, sa faiblesse physique. A lui non plus, son intelligence ne
suffit pas et le complexe est profond.
Ainsi quand, en 1914, Pierre et Louis, à peine sortis de l'adoles-
cence, se sont rencontrés, ils tratnaient déjà le m@me passé au regard du
manque qu'ils ont ressenti et Bans doute des aspirations qu'ils ont eues.
Jusque-là ils ont eu des expériences semblables.
A partir de cette date, à laquelle ils se sont connus, la simili-
-321-
tude des expériences se transforme en identité ou presque. En effet quand
Colette Jéramec présente son fiancé (Drieu) à son camarade de faculté
(Louis Aragon), Pierre est déjà soldat. Aragon est mobilisé l'année sui~
vante et, à partir de là, leur expérience sera pour l'essentiel la m~me :
la guerre.
Similitude des enfances et partage de l'expérience de la guerre
expliqueront sans doute les aspirations souvent ressemblé'ntes (la subversion
par exemple) de l'un et de l'autre. En effet chacune des deux oeuvres re-
fiète une certaine obsession de la guerre et une sorte de régression dans
l'enfance. Ces deux romanciers- - doublé chacun d'un critique - sont conscients
du problème. L'on notera la ressemblance des propos de l'un et de l'autre
sur la question.
"Je ne saurai jamais conter que mon histoire" (1) nous dit Drieu. Aragon
commentant un roman de Philippe Sollers va un peu plus loin et généralise
1A
,
la constation de Drieu en declaraot :
"Que le romancier quel ~Ut soit son ~ge, a pour matière du roman son ex-
périence, son passé" (2)
Cela est d'autant plus vrai que pour Aragon et pour Drieu il existe des
similitudes assez nattes entre certains aspects de leur enfance et les fic-
tions qu'ils inventent.
En 1937, après la mort de ses parents, Drieu écrit R~veuse bour-
geoisie qui rappelle si bien son milieu d'enfance. Son personnage princi-
pal, Yves Le Pesnel, y ressent les m~mes craintes, les m~mes aspirations
que l'auteur dans son foyer familial. D'ailleurs il ya des traits acquis
depuis l'enfance et qu'on retrouve dans chaque personnage de Drieu. Nous
1- Drieu la Rochelle cité par Dominique Desanti "Aragon et Drieu quand l'un
est le héros du roman de l'autre" in Des années trente p. 136
2- Louis Aragon, ''Un perpétuel printemps~ in J'abats mon jeu, Paris, les Edi-
teurs français réunis, 1959, p. 40
L'article a d'abord été publié à propos d'Une curieuse solitude de Sollers
dans Les lettres francaises nO 748, 20-26 novembre 1958
-322-
avons déjà mentionné le besoin de force, d' autorité et d'action qui carac-
térisait: .
l'enfant Drieu la Rochelle et qui, plus tard, motiverA.
les en-
gagements politiques de l'auteur et de ses personna,ges. R~veuse bourgeoisie
n'est qu'un exemple parmi d'autres. Tous les thèmes drieuistes peuvent ~tre
interprétés comme une revanche sur son passé.
De m~me, avec un coup de pouce psychanalytique, le commentateur
pourrait expliquer la qu~te d'un absolu, d'une autorité caractérisant l'oeu-
vre surréaliste, réaliste. socialiste, les vies militante et conjugale (avec
Elsa) de Louis Aragon comme un complexe né de l'histoire du sujet. En tout
cas, dans Les communistes, la place du père est, pour la plupart des mili-
tants, occupéepar le parti. De plus, maints détails de l'action du l'londe
réel renvoient, quelquefois déformés, aux péripéties de l'enfance de l'au-
teur.
Parmi les expériences inoubliables il faut citer, chez Drieu et
Aragon, celle de la guerre. Elle a marqué à la fois la personnalité des au-
·teurs et leurs oeuvres. Dominique. Desanti, pouY' souliJl12r l'importance de
la guerre dans les deux oeuvres et les choix politiques dira 1
"L'impulsion que leur donna cette expérience cruciale, ce ri~que de cha-
que instant, les a conduits aux deux extr~mes de deux totalita.rismes enne-
mis" (1)
Nous ne sommes pas convaincus de ce que l'idéologie de l'un et de l'autre
soit totalitaire, mais le rtne de la guerre dans leur choix, c'est-à-dire
dans le projet subversif, est indiscutable.
Toutes ces similitudes expliquent-elles l'obsession de l'un par
l'autre? Sans doute, mais il ya aussi, et surtout, ce qu'ils ont fait en-
semble à partir du moment où Us se sont connus et qui les a si bien marqués
que, devenus ennemis, aucun ne cessera de re~entir, autour de lui, la pré-
1- Dominique Desanti l "Aragon et Drieu quand l'un est le héros du roman de
l.'at+tre" in Des années Trentel Groupes et ruptures p.135
-323-
sence et l'emprise de l'autre. Et cela au point que chaque romancier donne-
ra, inconséiemment ou non,. à. certains de ses. pereonngge". des tra.1tS( de
l'autre ou des aspects de son idéologie politique. En effet Drieu et Ara-
gon ont partagé l'expérience surréaliste (bien que Drieu en cllt été seule-
ment un riverain), les folies de l'immédiat après-guerre, les troubles des
jeunes gens revenus de la guerre, l'expérience des bordels parisiens. Com-
ment tout cela est-il, à l'occasion, mis en fiction?
b) L'obsession de l'autre.
Il ne fait pas de doute qu'au temps où ils étaient des amis, Drieu
et Aragon avaient les m~mes go~ts et les m~mes passions. Beaucoup de biographes
racantent que o'est ensemble qu'ils "faisaient les bordels", parcouraient
Paris jusqu'à l'aube. On pourrait dire, sans exagération aucune, qu'ils s'ad-
miraient mutuellement. Selon Dominique Desanti,Paulhan a dit à leur sujet :
"l'un admirait l'homme et l'autre l'écrivain." (1) Cette observation se
vérifie quand on la rapporte au fait qu'Aragon a t'oujours, ou.du ..moins pen-
dant longtemps, envié à Drieu son pouvoir de séduction, ses facilités au-
près des femmes, chez Drieu, l'2ttirance de l'auteur du Paysan de Paris
s'est sans doute poursuivie jusqu'à ses dernières heures qu'il passa à
lire Aurélien. Si à ce moment Drieu n'aime plus Aragon comme au temps où
il l'admirait le plus parmi les surréalistes, il ne peut non plus l'ignorer ni
échapper à son image, à son souvenir, à son emprise sur sa vie. Ainsi dédie-
t-il ,L,,!,#omme èouvert de femmes à Aragon, au moment m~me où ils amorcent la
rupture (1925) comme pour marquer le lien profond du poète avec ce héros
qui est en fait son double. Aragon rendra la politesse avec Le paysan de
Paris en 1926. Là encore le livre semble quelque peu décrire l'expérience
commune.
Mais, en 1927 la brouille entre les deux amis est consommée. Plu-
1- Paulhan cité par Dominique Desanti; in Des années Trente : Groupes et
ruptures p. 142
-324-
sieurs raisons sont évoquées.
- un différend à propos d'une femme qu'ils ont aimée tous les deuxr Jac-
ques Urvoy: y voit le point de rencontre des deux auteurs qui a le plus fait
écho dans leurs oeuvres et il minimise tous les autres.
"A travers "Gilles" et "Aurélien" il reste toutefois un point de ren-
contre certain pour Aragon et Drieu. Cette femme qu'ils ont abmée ensemble.
La m@me scène ou presque, appara.!t dans les deux romans." (1)
Il admet l'authentioité' du fait, S~, r8so~ce dans le coeur des deux
hommes, mais non la cause de leur brouille. Pourtant aucun argument ne per-
met d'écarter l'hypothèse d'un différend né de la jalousie.
- Une divergence idéologique qui commence à se dévoiler avec l'adhésion
d'Aragon au p.c.:.h est vrai que dès 1925 ils ont échangé des lettres de rup-
ture mais l'arrogance et l'outrance avec lesquelles le jeune militant com-
muniste parlait de la politique sont sans doute, la cause de l'exaspération
de Drieu. Celui-ci méprisait farouchement, à l'époque, le communisme. En
tout cas, avec cette adhésion d'Aragon au communisme, les incidents pu-
blics entre les deux hommes vont se multiplier, souvent à la suite des
provocations du communiste.
Nous pensons quant à nous que la cause de la brouille de Drieu
et d'Aragon est faite d'une somme d'événement et qu'on peut retenir à la
fois les deux raisons ci-dessus mentionnées.
Mais comme le montre Urvoy par le biais des oeuvres, la fin de l'amitié en-
tre les deux hommes n'emp@che pas l'obsession de l'un par l'autre. Celle-ci
s'exprime par une certaine haine, reflet inversé de l'amour qui a marqué
la période d'amitié. Là encore, c'est Drieu qui va pre~dre les initiatives;
du moins dans l'oeuvre romanesque, malgré les multiples altercations publi-
_ _ _ _ _ _ _--"_-_r
;
1- Jacques Urvoy "Aurélien entre Aragon et Drieu la Rochelle" Ecrits de Paris,
décembre, 1978, p. 98-99. Pour la scène, il s'agit du désarroi moral qui sUit
la perte de la femme aimée.
-325... ·
ques où Aragon a brillé par ses injure.s (1).
En effet, ajoutant aux divergences politiques aiguisées en 1938
par la montée du fascisme, il écrit un roman bilan (Gilles) où la parodie
qu' il fait du portrait d' .Aragon est des plus outrageantes. Dominique Desan-
ti nous dit qu'il y réduit son ancien aJi:I.i au plus bas l "arrivisme, ambiguï-
té Politique et sexuelle, dogmatisme" (2). En tout cas malgré la haine, les
thèmes abordés montrent qu'Aragon pèse toujours sur la oonscience de Drieu
puisqu'il sert encore de pilotis à ses personnages ou est un destinataire
virtuel de ses romans. Certains passages de Gilles sont franchement polémi-
ques. Ainsi le port rait moral de Cyrille Galant illustre une affirmation' .-
calomnieuse. Pour rejeter sa qualité révolutionnaire, et réduire son activi-
té à une somme de vices, Drieu fait de Galant- Aragon un homosexuel et un
tigre en papier qui tremble devant les gendarmes. L'écart entre la réalité
décrite et le contenu de ce discours qui se prétend référentiel, et entre
.~
la dévaluation plus modérée du surréalisme et celle d'Aragon, exagérée et fran-{
i
chement outrageante, témoigne, non d'un souci de réalisme et de référentialité,!
mais d'une volonté disqualifiante, à l'égard d'Aragon, et qui fait appel à ce
que l'auteur considère comme les aspects les plus ignobles de son époque :
l'homosexualité - une abdication de la virilité - et l'hypocrisie - une fui-
te devant le réel -.
L' on pourrait rétorquer ici que le regard de Drieu sur son époque
étant pessimiste et dénonciateur, il ne pouvait épargner l'un des princi-
paux acteurs sur le thé~tre de la vie parisienne de l'entre-deux-guerres.
Toujours est il que la satire devient personnalisée dès qu'elle prend l'as-
pect d'une polémique idéologique par l' ,'cc:lsation d'imposture adressée au
comportement politique d'Aragon et à sa prétention révolutiormaire. 8i Gilles
1- En 1935 au Congr~ de l'Association des écrivains et artistes révolution-
naires Aragon insultera grossièrement Drieu qui a pris la parole.
2- Dominique Desanti "Aragon et Drieu quand l'un est le héros du roman de
l'autre" in op. cit. p. 141
-326-
dénonçait seulement le Surréalisme i l n ' épargnerait pas Ca~n~reton. Il ne
l'a certes pas fait, mais Drieu est beaucoup plus indulgent avec lui qu'a-
vec Galant.-Aragon. Le portrait de Ca~n est tout au plus celui d'un imbé-
cile aveuglé par une pseudo-activité. Quant à Ar2~on, Drieu insiste sur son
insincérité, son révolutionnarisme se limitant à l'assouvissement de ses
perversions sexuelles et de sa manie injurieuse.
D'autre part, l'emprise d'Aragon sur l'imaginaire de Drieu ne
cesse pas, même quand l'auteur déplace la satire sur un autre personnage.
Ainsi, la dévaluation de Lorin' (qui aurait pour pilotis Jean Bernier) n'em-
p~cl1e pas de poursuivre la polémique idéologique avec Aragon. En effet au
moment où il écrivait Gilles (1937-1938) Aragon incarnait beaucoup plus
les traits de Lorin que ceux de Galant. On pourrait ainsi considérer Ga-
lant et Lorin comme deux figures du m~me modèle considérées à deux époques
différentes de sa vie. Au regard de la logique temporelle du roman, Lorin
serait alors une projection prémonitoir~ d'Aragon communiste ou bien on
pourrait dire que Drieu a aménagé dans Gilles deux espaces temporelles par le
biais des portraits de personnages: le temps de l'histoire, des aventures
racontées (les années vingt) et le temps de l'écriture (les années quarante).
Dans Gilles, le choix de certaines scènes de la vie parisienne
de l'entre-deux-gaerres obéit peut-~tre à une intention naturaliste, à
un souci de rendre l'essentiel de la vie sociale de l'époque. Or le fait
m~me de choisir telle ou telle scène montre son importance dans le souvenir
de l'auteur. Dans ce cas, si l'on peut b~tir un raisonnement sur la déduc-
tion, on remarquera à juste titre que Gilles décrit en détail la période de
la vie du héros qui correspond à celle de l'amitié Drieu-Aragon (remarquons
l'attiranoe réciproque de Galant et de Gilles) et celle qui marque leur
rupture définitive, avec les prises de position idéologiques incompatibles,
au lendamain de février 34. Il ya dans ce cas une sorte de, fixation sur ces
époques avec des ressentiments nostalgiques et de regre~respectifs exprimés
-321-
à la suite d'un effort tardif de désillusion et de réprobation. Gilles ré-
prouve ainsi sa période de mondanité, la vie de dandy parisien menée par
Drieu et Aragon au lendamain de la première grande QlPl're. Parlant d' Auré-
!!!m et voulant souligner son intention non satirique, et sans doute indul-
gente, Aragon reconna!t implicitement que cette époque d'amitié avec Drieu
domine tous les autres souvenirs liés à leurs rapports~
"C'est que quand je pensais à lui, je ne pouvais voir que cet ami que
j'avais eu, non ce qu'il avai-t pu devenir ensuite." (1)
Dans Aurélien la polémique avec Drieu est beaucoup plus concen-
trée sur l'éthique de vie que sur les convictions politiques. Celles-ci ne
sont pourtant pas systématiquement écartées. Mais le roman reprend les ob-
sessions de l'ancien combattant (que furent Drieu et Aragon), certes pour
montrer qu'elles conduisent au fascisme, mais surtout pour justifier la mo-
rale et la vie sociale que l'auteur attibue à son personnage. Dans ce roman
Aragon est plus explicite que Drieu sur certaines scènes de leur vie commu-
ne et il parvient à voiler son mépris profond pour le héros. Ainsi rend-t-il
vraisemblable la vie de dandy du personnage non pas parce qu'il conquiert
les femmes riches (comme Drieu du reste) mais en en faisant un rentier par
héritage. Cette transforma.tion marque une indulgence à l'égard du héros m~me
quand elle n'est pas fidèle au réel. Toujours est-il que queile que.soit la
manière dont cètte vie est rendue possible, son souvenir hante les deux
auteurs et, au lieu de l'évoquer sous une forme purement autobiographique,
chacun d'eux préfère la rappeler à travers un personnage dont le pilotis est
l'ancien ami.
Ainsi les souvenirs de l'entre-deux-guerres sont chez eux confon-
dus avec l'image de l'ancien compagnon. Chez A.ragon, certaines scènes sont
reprises malgré quelques modifications, avec un lyrisme et une nostalgie
évidents. On peut penser à la similitude entre les sentiments de Paul. Denis
1- Louis Aragon, ''Un perpétuel printemps" in J'abats mon .jeu p. 36
et d'Aurélien, tous deux accablés par l'amour malheureux qu'ils éprouvent
pour Bére~ice d'une part, et ce qu'ont ressenti Drieu et Aragon quand ils
ont perdu Connie Wash (1) d'autre part. Les confidences des deux rivaux
marchant dans Paris en pleine nuit, semblent ~tre le reflet d'une scène
réelle vécue par les deux romanciers. L'obsession de Drieu chez }xagon se
manifeste aussi dans le portrait dressé d'Aurélien. On y retrouve la vie
donjuanesque de Drieu, malgré son désir d'amour absolu, sa disponibilité
et son romantisme maladif.
L'obsession de l'autre ne joue pas seulement chez Drieu et Aragon
sous la forme de l'évocation de leur passé commun. La vie de ces anciens
amis est marqué par un j.eu de séductions et d'exclusions, chacun vis à vis
de l'autre. Leur biographie en donne de multiples exemples. Il ya les dédi-
caces de livres fAites au seuil de la rupture dans le cadre de la séduction.
D'autre part, alors m~me qu'ils étaient de véritables ennemis, Drieu dira
du bien d'Aragon dans Les '»erniers jours (dénommé Apocalypse dans Gilles)
journal qu'il a créé et dirige conjointement avec Emu~nuel Berl. Aurélien
peut aussi ~tre considéré comme un acte de séduction en ce qu'il ne répond
pas au ton sarcastique de Gilles. Les exclusions et rejets se logent autant
dans les actes littéraires que dans les actes réels. Drieu confine Galant
dans la déchéance parisienne - l'exclut donc de l'engagement fasciste qui
est la voie du salut -. Aragon fera d'Aurélien un vichyete, lui refusant
tout sentiment nationaliste - ce qui est en 1940 une disqualification -.
Il ya aussi les engagement et déclarations publics d'Aragon contre Drieu
tout comme la fameuse dénonciation d'Aragon par Drieu dans la Nouvelle Re-
vue Française (2) en 1945.
En définitive Drieu et Aragon sont souvent attirés ou rejetés l'un
1- C'est la femme d'un diplomate américain
qui fut successivement la mattres-
se de Drieu puis d'Aragon et l'objet de leur jalousie. Elle inspire le person-
nage de Dora dans Gilles et plusieurs sentiments d'Aurélien pour Bérénice.
2- cf Drieu la Rochelle, "Aragon" in Nouvelle Revue Française n0 332,f.55, 1945
-329-
par l'autre par haine ou par amour, et dans la plupart des cas par les
deux sentiments. Cette attirance est sans doute rendue forte
parce qu'ils
subissent tous les deux le poids d'une m~me expérience. Celle-ci est inté-
grée ou transformée par le système de leurs romans à l'aide d'un processus
qui peut ~tre inconscient chez l'auteur ou détexminé par un postulat de
dévaluation. Dans ce cas, où les auteurs ressentent de l'amour-haine, l' i-
déologique n'occupe pas une place de choix et n'explique pas la dévaluation
à lui seul., Car la pensée ne peut ~tre collective (1) puisqu'elle est menée
par un sentiment individuel vis-à-vis d'un individu. A ce titTe, l'amoUD-
haine est, dans un texte, une sorte de discours expressif qui dévoile la
subjectivité de l'auteur et se cache mal sous l'apparente neutralité de l'i-
déologique. Seulement l'expression d'un amour ou d'une haine peut, à l'oc-
casion, recouper celle d'une idéologie quand le sujet sur lequel portent
ces sentiments est assimilé à la pensée adverse ou identifié comme la sour-
ce ou la cause de ce qui est contesté. Les similitudes et les contradic-
tions des sujets (une autre fa.çon de définir l'amour-haine) sont donc per-
tinentes à plus d'un titre.
c) Similitudes et contradictions.
Elles sont repérables au sein des individus comme la coexistence
et le choc de deux orgueils différents. Au plan idéologique ce sont les
conséquences des choix politiques divergents ou similaires.
La haine entre Drieu et Aragon est expliquée différemment par l'un et l'au-
tre. Aragon place volontiers le probl·.me sur le plan idéologique alors que
Drieu évoque souvent la jalousie et l'envie de l'autre. Ainsi le premier,
comme pour dire que la coupure de le.ur relation est complète de~s l' enga-
gement fasciste de Drieu, prétend ne voir, quand il pense à lui, que l'hom-
me
qu'il était avant de rejoindre Doriot 1
"Aurélien, par rapport au vrai Drieu est une image faible. Qui a perdu
1- Alors qu'une pensée idéologique est collective.
-336-
la violence de cet homme, devenu un inconnu pour moi, lequel s'est fait si
singulièrement le thuriféraire de Doriot" (1)
Le second reconnatt avoir fait éclater "le malaise qui sourdait
sous (leurs) gentillesses et tendresses d'adolescents" (2) (donc l'amour-
haine)et justifie son geste par les tares de son ancien ami : hypocrisie,
orgueil et envie :
"Je ne puis endurer ce matérialisme affecté ou sincère chez ce garçon
qui a écrit de si belles choses sur l'idéalisme subjectif. Sexuellement je
l'avais percé à jour : je comprendsqu' il ne m' ait pas pardonné cela - ni de
lui avoir pr~té de l'argent. J'en avais à un ~ge où, avec tant de talent,
il en manquait tant" (3)
Dans cette déclaration, se m~lent l'admiration de l'écrivain (amour) et le
mépris (haine) de l'homme. Drieu attribue des défauts à son ancien ami
pour expliquer leur séparatior. :.> calomnie de la personne est à la mesure
de celle, politique souvent, faite à son sujet par Aragon. Pourtant Drieu
commence l'évocation des sujets de divergences par celui qui est le plus po-
litique et le plus ancré dans l'idéologique. Il reconna!t la séparation phi-
losophique, mais au lieu de dire explicitement qu'il est opposé au maté-
rialisme, il camoufle la fait par l'évocrLtion des contradictions d'Aragon
dans ses rapports avec ce m~me matérialisme. Il n'en demeure pas moins que
les contradictions idéologiques sont réelles chez eux.
La m~me conclusion initiale qu'ils ont tirée de l'analyse de la
société ne les emp~che pas de mettre leur talent au service de deux pou-
voirs idéologiques divergents. Cela suffit pour expliquer, à l'époque, une
haine farouche, m~me entre des gens qui s'estiment profondément. En effet
les hitlériens et les staliniens, dans le radicalisme de leur antagonisme au
1- Louis Aragon "Un perpetuel printemps" in J'abats mon jeu p. 36
2- Drieu la Rochelle, Journal (1944-1945) in Récit secret suivi de Journal
(1944-1945) et d'Exorde, Paris, Gallimard, 195 1, p.64
3- Idem p. 64
-331-
capitalisme, leur dogmatisme idéologique et l'aspect mécanique de leur
raisonnement, considéraient tous ceux qui n'intégraient pas leurs dogmes
comme étant leurs ennemis. La rhétorique de leur discours idéologique ac-
cusait d'imposture toute idéologie concurrente et la traitait comme une sim-
pIe variante de la pensée politique bourgeoise. Les événements politiques
et sociaux, l'échec de l'idéologie capitaliste et de la gestion sociale bour-
geoise expliquent ce schématisme, à défaut de 1& justifier. D'?~lleurs, la
menace d'une nouvelle_guerre semble déterminer la pensée politique et les
"
sentiments personnels de toute la génération qui a connu, à la fleur de
l'~ge, l'horreur du premier conflit mondial. On peut se demander, dès lors
quel compromis et quelle rolé~ce il peut bien y avoir entre un système
..
politique qui entend rétablir la dignité de l'homme par le regne absolu
d'une aristocratie s'appuyant sur les valeurs d'héro!sme, de courage, de for-
ce, et affirmant la supériorité d'une élite, ~t. une doctrine dont l'essen-
ee, tel que défini d3IlS son discours, est l'élimination de toute forme d'a-
ristocratie. Fascisme et communisme, si l'on compare les discours de l'un
et de l'autre, peuvent avoir des similitudes mais puisque, dans son inter-
prétation de l'autre, chaque idéologie reformule le discours adverse et le
réduit à son contraire, se sont surtout les contradictions qui apparaissent.
De là aussi, à l'époque des dogmatismes et des fanatisme~ .l'opposition
des représentants et adeptes de ces doctrines. Dans le cas de Drieu et d'Ara-
gon, cette opposition est consolidée par des différends personnels où en-
trent la jalousie, l'orgueil, mais aussi un lourd passé.
Les expériences de l'enfance, si déterminantes 'soient-elle~, n' e%:-
pliquent cependant pas les actions futures. C'est sans doute pourquoi, mal-
gré les similitudes de leur enfance et leur commun désir de subvertir la
société capitaliste, Drieu la Rochelle et Louis Aragon s'engagent dans
deux idéologies différentes et resteront aveugles à ce qui, dansoes idéo-
logies, se ressemble.
-332-
Reconnattre que le discours idéologique est un lieu où s'exerce
par excellence le dialogisme c'est, en fait, accepter qu'il se fonde sur
une imposture. Parce que tout discours idéologique refuse son statut par-
tisan en se décl~J:'qnt réf6:,€:ntiel,
ne prenant sa forme et son sens que
du réel qu'il décrypte sans aucun souci incitatif à. 1 ' endroit du lecteur.
A Y regerder de plus près c'est parce qu'il est incitatif qu'un discours
est idéologique. Cette fonction l'oblige à. élire ou à. construire un mo-
dèle et, pour le rendre crédible, il se propose d'éliminer la concurrence.
1
Ainsi est-il le lieu où s'appliquent des techniques de dévaluation et de
mise en valeur dont la combinaison produit l'idéologie du texte. Cette dé-
marche de l'auteur, parce qu'intentionnelle et persuasive, est rhétorique.
Mais cette rhétorique ~ exposé des modèles idéologiques puis élection de
l'un d'eux par
éliminatiGn - ne suffit pas pour expliquer l'idéologie d'un
texte c'est-à-dire le système fini, mais diffus, donné à. lire ou à. analyser.
Halgré les efforts d'identification
avec un modèle extérieur
- cela peut se faire aussi sans aucun effort conscient - le producteur du
texte ne peut s'emp@cher de s'y trahir ou d'y apporter des aspects person-
nels, passionnels ou sentimentaux. Parce que la rittérature est aussi une
production individuelle et l'idéologie une pensée collective. Dans les exem-
pIes de Drieu et d' .U'agon on comprend ainsi l'importance de leur amour-hai-
ne dans la production et les composantes du système textuel. Cependant la
prudence est ici requise car ce qu'apporte l'auteur à. son insu n'est pas
nécessairement individuel. Une pensée collective peut @tre diffuse. Cepen-
dant, malgré ce qu'il en apparatt dans ce chapitre, le dialogisme ne s' exer-
ce pas seulement au niveau des contenus des textes, mais aussi de leur
forme. Il semble alors réduire la littérarité des textes, les vulgarise
en les rapprochant du langage quotidien.
-333-
CHA.PITRE DIDX s
ECRIRE Li: DISCOURS QUOTIDIEN
Un discours idéologique, parce qu'il doit ~tre incitatif et par-
tisan sans le para!tre, et parce qu'il doit remplir ces fonctions, ne peut
se limiter à respecter leurs exigences dans son contenu seulement. Il doit
le faire aussi dans sa forme. Dans la prise en compte de l'allocutaire (1)
il use donc de techniques d'implication. De plus le camouflage (de ses vi-
sées) exige la naturalisation. Ainsi l'idéologique tente dans son contenu
de passer par le mythe (par ce qu'il contient de mythe) et la pensée col-
lective. Au plan de la forme la banalisation camouflante poursuit la ten-
tative de recouper l'expérience du lecteur en mimant son langage et en lui
retournant, telle qu'elle appara!t, sa propre culture. Il ya là un double
soucis celui de ne pas dépayser mais aussi celui de clOturer le discours
et de le rendre lisible. Dans tous les cas, écrire revient à s'adresser à
des interlocut~ur~ déterminés. C'est là la première des conditions dont
l'une au moins doit ~tre réalisée pour qu'on puisse selon Jean Blaise Crise
parler de discours quotidien. Ecrire le discours quotidien, c'est donc le
faire parler. C'est aussi une manière de contourner la distinction (dans le
vocabulaire de O. Ducrot) entre les cas où le locuteur parle et ceux où il
dit seulement :
"S'il parle, il lk"'l.rle à quelqu'un et pour quelqu'un, autrement dit il doit
aménager son discours, non seuelement en fonction de ce qu'il veut communi-
quer, mais en tenant compte encore de c~lui auquel il s'adresse. Il doit
ainsi se faire comprendre et, de surcroît faire accepter ce qu'il dit ( ••• )
Le discours quotidien est ainsi essentiellement un dialogue" (2)
1- L'interlocuteur réel du message. Ici il ya seulement imitation des situa-
tions de communication réelle. Nous employons donc ce terme propre à la con-
versation réelle pour marquer la volonté des auteurs d'établir cette conver-
sation.
2- Jean Blaise Crise "Pour aborder l'étude des structures du discours quoti-
dien" in Langue française nO 50 mai 1981
-334-
J. B. Crise montre ici que l'intention de faire parler (dans le sens oppo-
sé ici à dire) souligne la nature idéologique du discours et son carac-
tère dialogique. Comment le dialogue est-il mené?
A) L' EX::RI'l'URE-INVITATION
Par volonté de vérité le discours idéologique se déclare et
veut para!tre PUrement référentiel. Le but est de cacher son essence,
qui est d'@tre partisan. Le réalisme lui est donc d'un secours inestinable
surtout quand il est socialiste. Pourtant, le caractère référentiel, m@me
s'il voile quelque peu le trait partisan, ne doit en aucun cas effacer ce-
lui-ci ni altérer son emprise sur le lecteur. Ainsi, malgré toutes les
précautions, le discours idéologique comporte des schèmes d'implication
qui sont de véritables invitations adressées aux lecteurs.
a) Un,discours collectif :
Halgré la présence, dans un texte romanesque de Drieu ou d'Aragon
de marques subjectives - c'est-à-dire d'un discours - à ceté d'énoncés
plus ou moins récitatifs, le texte en question, parce qu'il est idéologi-
que, exprime un pouvoir collectif.
Ainsi se présente-t-il comme assumé par un groupe quand il est
sectaire, ou par tout le monde quand il se donne comme la pensée dominante.
Cela l'amène à requérir l'objectivité et la cohérence, cohérence au regard
de la logique et de la pensée du groupe. Ce groupe n'est pas seulement ce-
lui qui est producteur mais aussi les destinataires. L'objectivité se fau-
file, nous l'avons déjà dit, â travers l'effacement de l'instance et des
marques d'énonciation qui ne sont pas pour autant complètement éliminées.
Cette qu@te de neutrclité rapproche les romans de Drieu ou d'Aragon de
.
ceux du 1ge siècle en cecI que le narrateur, m@me s'il est l'auteur, réduit,
de par son statut extradiégétique, sa présence dans le texte. Le discçmrs
devient ainsi celui de personne et de tout le monde. La neutralité vise
donc à impliquer le lecteur puisqu'en refusant de faire assumer le discours
-335-
à un individu ou à un groupe restreint, on écarte aussi toute possibili-
té d'exclusion.
La neutralité n'est pourtant qu'un leurre car si le discours
n'est pas explicitement illocutoire, la dévaluation qu'il fait d'une cer-
taine réalité est assez lisible. Là se situe son aspect collectif car la
dévaluation est une description disqualifiante au regard d'une morale ou
de normes collectives. Dans Les "Beaux quartiers d'Aragon par exemple, tout
le travail d'exclusion par disqualific:ltion effectué à l'endroit de la bour-
geoisie repose sur un besoin de conformité à la morale, éprouvé par le
lecteur. Or la conduite bourgeoise n'y est pas conforme. Elle est donc
rejetée au nom de la norme qui est une pensée collective. Le rejet en ques-
tion n'est pas celui qui peut ~tre présent dans le texte mais une forme
d'exclusion qui vient de la comparaison (virtuelle) que fera le lecteur
entre les expériences décrites et ce qu'elles deviennent une fois appréœ
ciées par les grilles de la morale. Dans Le Monde réel et m~me à chaque
fois q,u'Aragon peint les rapports entre bourgeois et ouvriers, il fait re-
poser l'efficecité du texte sur un résultat perlocutoire. Le pari est de
susciter par un raisonnement rationnel lui-m~me provoqué par la "vérité-
du texte, un élan subjectif conforme à la prescription de l'idéologie sub-
versive qui mène le texte. Ainsi Les ~ommunistes a pour but, au delà de
l'aspect épique, de créer, chez le lecteur, la conviction selon laquelle
seul le P.C a eu en 1940 la démarche politique correcte au sein de la so-
ciété française et, parallèlement, de faire ressentir sa persécution com-
me injuste. Or il est tout à fait normal et légitime de désirer réparer
l'injustice. Le caractère collectif du discours lui permet alors de remplir
une fonction incitative.
Chez Drieu la Rochelle, malgré la sincérité du discours romanes-
que, dono sa subjectivité, les narrateurs
camouflent l'idéologique dans
-336-
un récit constatif (d'aspect) dont la représentation dévaluante des cho-
ses est donnée comme la vision du collectif des gens sincères. Ici la sub-
jectivité n'altère pas, pour l'essentiel, la nature collective. Et elle
fonctionne comme une autorité remplissant la fonction persuasive. Le mé-
canisme est en fait
plus subtil que chez Aragon car
la sincérité, sans re-
Jeter le statut collectif du discours, permet de le dépasser et revendique
celui de la vérité.
Mener l'analyse de l'idéologie à partir du postulat selon le-
quel elle exprime et défend un pouvoir collectif, amène à poser le sta--
tut du sujet du discours dans les commentaires, les énoncées rapportés et
les dialogues. Cela nous oblige à rapporter les différents points de vue
aux divers types de personnages, partage obéissant presque toujours à ce-
lui des différentes idéologies circulant dans le texte. Dès lors un per-
sonnage, même s'il est une figure, même si son discours n'est pas direct
mais rapporté, représente un groupe. Q;uant au narrateur, son point de vue
est souvent confondu avec celui d'un groupe, ou bien il se présente comme
l'expression naturelle de la vérité. Dans tou. les cas le discours est col-
lecti~. Dana les romans antagoniques de Drieu et d'Aragon ces constatations
sont évidentes. Chez le premier il ya division des figures diégétiques en-
tre sujets de décadence-et aspirants au renouveau. Le second reprend la di-
vision marxiste de la société capitaliste en deux classes opposées. Cette
répartition est une projection, sur un microcosme fictif, du schéma dres-
sé par un modèle idéologique attesté. Celui-ci met en oeuvre son pouvoir
séducteur et persuasif. Même le discours attribué aux adversaires de l'i-
déologie élue est rendu collectif Par son caractère idéologique (1) et la
dévaluation qui s'y exerce est 2ussi une invitation à son rejet. ~~is c'est
surtout dans l'idéologie élue que le caractère collectif joue la fonction
de crédibilité et d'incitation. Il y est avant tout un gage de véracité.
1- Compris comme "pensée partisane et propre à un groupe".
-331-
Par sa nature sectaire - nature non détruite par le caractère collectif -
l'idéologie subversive peut d'autre part inviter le lecteur à sa raliier
à son discours par le seul biais de l'exclusion au m~me titre que de
ce qu'il propose. Pour cela elle agit par des techniques de séduction
et par une p~ise en considération des sentiments, aspirations et haines
du lecteur virtuel. Pourtant la genèse du texte n'est pas toujours dé-
terminé par le souci de recouper les dispositions psychologiques et mora-
les du lecteur. Certains passages des textes idéologiques portent sur la
présentation d'exemples à imiter.
b)
Faire partagers
L'incitation d'un discours idéologique peut ne pas ~tre illocu-
toire et ne pas faire agir comme d3Ils un ordre - lève-toi par exemple -,
directement, mais créer une modalité qui pousse à l'action. Elle consiste
à soulever les dispositions psychologiques et subjectives qui permettent
la réalisation des objectifs fixés par le modèle idéologique. La techni-
que repose sur l'appel aux sentiments aux souvenirs et à la raison des
destinataires.
Chez Drieu, l'appel aux sentiments da lecteur repose sur un souci de
créer la commisération ou le dégotlt. Pour cela il prend et donne en exem-
ple la situation psychologique du personnage qui, au lieu d'une descrip-
tion ornementale, est rendue avec une sincérité insistante au point qu'el-
le relègue tout le reste, les actions comprises, au second plan. De la sor-
te l'auteur joue sur le rapprochement ou la distanciation d'avec le person-
nage. Et le lecteur est ainsi pris au piège, le texte ne lui laissant pas
le choix d'une conception intermédiaire. Il est embarqué dans un système
manichéen qui, malgré le mode narratif objectif, oriente sa vision. Car
comme tout le monde le sait, un système manichéen n'offre pas en réalité
un double choix, puisqu'il ne dévalue l'un d'eux que dans le but de faire
adopter l'autre. Dès lors tous les romans antagoniques font partager à leurs
-338-
lecteurs les points de vue mis en valeur par leur système dès que ces lecteurs
adoptent sa logique et entrent dans le jeu. Existe t-il vraiment un choix,
à la fin de Dr~le de voyage, différent de celui de Gille, étant donné.
la dévaluation que le texte a faite de toutes les autres voies? Le prin-
cipe de Drieu est d'attacher à la figure d~valuée des valeurs bannies par
la morale et de créer un microoosme pour illustrer cette situation. La
démarche contraire est également souvent effectuée. Nul ne peut voir dans
Une femme à sa fen~tre une alternative différente de celle qui est adop-
tée à la fin car ce serait contrarier, bafouer et ternir la noblesse- et
la beauté, l'aspect sacré de l'amour. Ce serait aussi aller à l'encontre
de nos aspirations et de notre propre attente puisqu'un lecteur, par l'a-
nalogie qu'il fait de la réalité et du monde décrit, se projette souvent
dens le personnage.
Louis Aragon se sert de cette technique avec une outrance plus
marquée. Il ne se contente pas de la sincérité, par l'évocation de la psy-
chologie des personnages, pour rendre crédible ses thèses. La vraisemblance
de ces romans est le résultat d'une construction réaliste. Ses descriptions
se donnent ainsi comme l'expression naturelle de la vérité. Pourtant elles
n'offrent qu'un choix aux lecteurs, comme chez Drieu la Rochelle. Mais au
contraire des romans de celui-ci, les fictions d'Aragon satisfont à la rai-
son gr~ce au détail et à la précision avec lesquels on y parle des choses.
Presque tous les événements importants sont présentés de manière naturelle
au point de ne soulever aucune objection. La date, le lieu, l'heure, les
circonstances; les protagonistes, les causes, et les conséquences viennent
accréditer les faits. C'est là que se situe le pouvoir de faire partager
aux lecteurs le point de vue adopté par le texte. Il ya divers exemples
dans Les communistes.
- Dans le premier type, la datation fei t référence au temps du roman,
elle nous confine donc, toujours, dans la fiction et dans sa logique.
-339-
Les autres éléments de précision sont souvent apportés comme dans cet
exemple où nous avons aussi les circonstances et les protagonistes :
Apeuré par l'avancée allemande, Eeynaud, le président du Conseil. français
fait appel à Pétain et à Weygand. Dans un discours il se justifie et dit
qu'il a avec eux une communion d'idées totale. L'auteur nous demande si
cela est vrai et répond aussitet :
"811rement que Reynaud le croit ••• Pourtant il ya déjà une semaine que
Pétain a dit à Chautemps il faut en finir, demander l'armistice" (1)
- Dans le second type d'exemples, l'auteur privilégie la volonté de
vérité. Il d~te les événements conformément au temps de l'histoire et, re-
joignant alors la réalité, nous enlève toute .possibilité d'objection.
Il décrit ainsi les desseins de 'ileygand :
"Faire la paix avec Hitler pour avoir les moyens de la guerre civile.
Il a dit cela le vingt quatre mai à Paul Reynaud" (2)
- La troisième catégorie d'exemples est beaucoup plus persuasive et lais-
se moins de liberté aux lecteurs. Ici tout le contexte fictif est réta-
bli, et il ya aussi une datation par le temps chronologique. Histoire et
fiction sont ainsi m@lées et comme l'histoire était l'expérience du lec-
teur, on peut penser que son embrigadement est beaucoup facilité. Le tex-
te lui donne l'illusion de parler du quotidien et ne risque p.."l.S de 1 'y con-
finer puisque, dans ce quotidien, il ya déjà du fictif. Dans.l'exemple
suivant ,l'auteur souligne la duplicité de Heygand qui, dans ses conversa-
tions privées, est défaitiste mais donne l'ordre de se battre farouchement.
En m@me temps Aragon montre la bravoure et la grandeur de ceux qui ne font
pas des petits calculs de politicien véreux, m~me si ce qu'il dit d'eux est
en rapport avec les ordres de Weygand. Ici la question est en fait une af-
firmation mais, par sa fonction phatique, elle établit la conversation,
1- Louis Arago~Les Communistes (mai-juin 1940) p. 77
2- Idem p. 105-106
-340-
c'est-à-dire le discours quotidien.
"Qu'ont fait d'autre depuis douze jours ces marocains que le général
Mellier ramène sur les canaux, ceux-là, vous savez, qui avaient au dix
mai, la tulipe au fusil 1" (1)
Dans ces exemples Aragon fait beaucoup plus appel à la raison et
aux souvenirs - qui renvoient à 1 'histoire ou à une expérience intradiégé-
tique, cré~e et contr81ée par l'auteur pour mieux convaincre - qu'aux sen-
timents du lecteur.
La tactique du réalisme vraisemblable est de bonne guerre pour
un idéologue puisqu'il lui permet d 'limp9ser un point de vue sur les évé-
nements clé
qui déterminent les idéologies. d'une éPOque.
Bien que son but ultime soit i11ocutoire, le discours idéologique
cache son incitation derrière une persuasion. Mais celle-ci n'est que la
modalité qui doit, chez le lecteur, rendre possible l'action prescrite
par l'idéologie élue et oamoufier sa fonction véritable s l'incitation.
Nous avons déjà montré (2) comment, avec l'engagement dans le discours,
l'interpellation et le fait d'apostropher le lecteur l'impliquent d«lH 1a.
diégèse et le persuadent ckpartager une opinion ou un sentiment déve1op-
pés dans le texte. Cette fo:rme de persuasion est alors une écriture"'invi-
tation. D'autre part, tel qu'il se présente chez Drieu et Aragon, le dis-
cours idéologique romanesque impose au lecteur des oeillères en l'obligeant,
-
.
en quelque sGrte, a.'@tre témoin des événements et a.;; tirer la conclusion
qui se présente conformément à la logique du texte.
c)
Amener à tirer la conclusions
Ce fait d'imposer des oeillères au lecteur est lui aussi camou-
fié par la prétention du discours à. la référentia1ité. Et quand le texte
se donne comme décryptant le réel, il transmet des connaissances au lecteur,
1- Ibidem p. 107
2- cf 2e Partie, chap III, C) L'ENONCIATION PERSUASIVE,. a) l'engagement dans
le discours.
-341-
l'investit d'une expérience. Dans ce processus se glisse la manipuJ.ation
car le roman n'affiche jamais le réel tel qu'il est mais tel qu'on doit
le voir pour que la démonstration soit probante. Par exemple, qliand Drieu
la Rochelle fait les portraits de Camille et d'Agnès Le Pesnel, i l a sans
doute en vue les conséquences de leur faiblesse caractérielle et morale.
Celles-ci vont expliquer la déchéance de cette famille et par delà elle,
de la bourgeoisie entière et de l'idéologie sociale. De m@me, Aragon do-
te chaque bourgeois des Beaux quartiers de tares et de vices propres, par-
ce qu'ainsi armé de cette vision de la bourgeoisie, le lecteur est disPo-
sé à accepter ou à tirer lui-m@me la conclusion logique qui s'impose et
condamne le capitalisme. Charles Grivel explique ce trait du roman dans
ce qu'il appelle "Autorité de la narration" 1
"La narration a pour but la ma!trise du lecteur. Elle s'en fait le gui-
de, se constitue comme dirigisme intégral. La personnalité souvent évoquée
du lecteur, cette altérité que le texte suppose comme partenaire dans son
"dialogue" n'est qu'une feinte du roman. La liberté éventuelle du lecteur
consiste. au plus à prendre ou à ne pas prendre le rele proposé, sitet dans
ses mains pourtant, le livre lui dérobe totalement sa liberté." (1)
Mais le roman ne se contente pas de préparer l'avênement d'une
conclusion, sorte de jugement ou de résolution définitifs. Surtout quand
il est idéologique, il doit rendre cette conclusion lisible. Ses moyens
vont de l'exposé explicite à la suggestion.
L'exposé explicite d'une conclusion comporte le risque de para!-
tre didactique, de ne pas voiler suffisamment l'idéologie. Pour y remédier
les romanciers motivent leur jugement par la description d'événements et
de faits antérieurs, mais aussi par des procédés scripturaux visant à neu-
traliser la manifestation du didactisme. Pour cela, l'emprunt des habitu-
des langagières des lecteurs offre maints avantages. Cette forme d'imitation
1- Charles Grivel, Production de l'intérOt romanesque p. 152
-342-
conceme autant le lexique que la syntaxe. En naturalisant le discours e1-
le facilite sa compréhension et son adoption. Ce problème devant 8tre trai-
té ultérieurement (1) nous signalerons ici un seul exemple. Pour faire oc-
culter un problème ou faire tirer une conclusion défaitiste, simpliste ou
irresponsable, Aragon lance à chaque fois, dans Les ~ommunistes en parti-
culier, un stéréotype langagier en vogue cODllle par exemple "Ce n'est pas
le désert de Gobi." (2)
Dans l'art de faire tirer la conclusion-vérité de l'énoncé, les
auteurs mettent aussi en oeuvre une technique qui consiste à prendre le'
destinataire coume un modèle de personnage. Le texte créé devient dans
ce cas mimétique. Mais, renvoyant au lecteur son image, on facilite son
rapprochement avec l'idéologie du personnage comme chez les militants com-
munistes d'Aragon ou leur distanciation quand l'image présentée est déniée
par le destinataire-lecteur. Ce denlier exemple est illustré par les dé':'
cadents de Drieu la Rochelle. Dans tous les cas, l ' invitation est seulement
suggérée mais son existence ne fait aucun doute.
La technique de réflexion du lecteur conna!t une variante fort
utilisée dans les romans antagoniques. Elle consiste à créer un personna-
ge si séduisant que le lecteur le prend en sympathie et s'identifie à lui.
L'auteur en fait alors, explicitement, le sage impartial qui exprime les
vérités bien qu'en réalité il soit un porte-parole de la! doctrine po1iti-
que ou sociale élue. Ainsi est-il pris oomme exemple et modèle. Son action,
ses pensées invitent à l'imitation. Aragon crée beaucoup de personnages de
oe type dans Le Monde réel. Dans Les eommunistes nous avons Armand Barbe~
tane parmi d'autres et dans Les "loches de M1e Clara Zetkin. Drieu crée
rarement des personnages aussi exemplaires du fait de l'itinéraire des pro-
tagonistes de ses romans, qui va de la déchéance acceptée ou dans laquelle
1- cf cbap II, B) Sens et valeur de la mimésis.
2- Parmi d'autres exemples citons, (Les eommunistes (mars-mai 1940) p. 36,
p~.6, Les 80mmunistes (nov- 1939- mars 1940) p. 63, p. 65, p. 188
-343-
on se complatt, à la lutte contre la dégénérescence. Mais une fonction in-
citativa analogue est remplie par les décisions exemplaires sur lesquelles
s'achèvent certains de ses livres 1 Une femme à sa fenltre, Bé1oultia, ~
le de voyage.
Ces exemples montrent que' toute action ou figure exemplaire est une
invitation à l'imitation. La. décision d'imiter est prise au tezme d'un dé-
bat intérieur (mené par le lecteur) consistant à découvrir la oonc1usion
à tirer de l'expérience mise en fiction. Or les éléments argumenW*,s qui
nourrissent le débat sont fournis par le texte qui, de ce fait, instaure
un véritable dirigisme cOIllllle le dit Grive1. Lorsqu 'on ne par1;i:tgs- pas- ~n.-'
tièrement son point de vue, on peut rétorquer que le texte romanesque,; au
delà du dialogue faussé, parce que subtilement dirigé, qu'il entretient
avec les lecteurs, peut créer aussi, en son sein, par une sorte de mise
en abyme, une confrontation de visions.
d) Dia10tdsme 1
Le dia10gisme (1) est lui aussi un moyen qui aide à voiler le di-
dactisme et l'aspect inoitatif d'un texte. Parce que, fome11ement, un tex-
te de ce type semble plus ouvert puisqu'il s'y exprime plusieurs points de
vue. De ce fait, divers types de personnages (si l'on considère leur idéo-
logie) y exercent leur séduction à l' endroit du lecteur. Pourtant le jeu
est un faux-semblant puisque si certains protagonistes conquièrent notre
sympathie, d'autres, par le mIme processus, sont dotés de traits qui les
rendent répulsifs. Le lecteur retrouve ainsi un résultat qui, contrairement
à la forme extérieure, cl&ture le texte. En fait le débat a une fonction
utilitaire et métalinguistique qui permet de déte:rminer les points non adop-
tés par le système textuel. Ces points de vue sont représentés pour Itre
1- Défini
~si par Marc n~~tnDr-Op. Cit. p. 2851 "Faire débattre par plu-
sieurs interlocuteurs d'un point, comme si l' auteur confiait à d'antres le
soin d'aboutir à ses propres conclusions, c'est la figure justement nommée
dialogiSllle. ft
-344-
dévalués et leur premier r81e, c'est d'illustrer et de mettre en valeur
l'idéologie dbnnée en exemple. En incarnant toutes les autres pensées o~
posées à la doctrine élue dans des personnages impliquées dans un débat,
l'auteur donne aux lecteurs les moyens. intellectuels et rationnels de les
réfuter. L'invitation se rapproche aussi de l'ordre. En tout Ca.'3, à moins·
de rejeter tout le texte, on ne peut s'empftcher,~ risque de se dévaluer
soi-mftme, d'adopter l'idéologie du texte. Plusieurs procédés conduisent à
ce choix 1
-Les perâonnages ou les points de vue opposés au système idéologique élu
sont exclus par autodiaqualification. C'est généralement l'ironie (qu'ils
suscitent eux-mftmes) qui accomplit cette t~che. A chaque fois que les Net-
tencourt sont réunis dans Les 4!loches de Mle, le père montre lui-mftme la
dérision de son idéologie féodale qui ne survit que grâce à l'hypocrisie du
persozm.age. En effet il BUscite l'ironie et se dévalue quand il se donne
comme un noble imbu de sa dignité mais résout le problème de la déchéance
morale de sa fille, qui se fait entretenir, par une dérobade 1 A la dé-
fiance de Diane 1
"Je-couche-avee-qui-je-veux 1" (1), il répond avec une
grande dignité, tardivement, par:
"Moi aussi, je préfère me ~ter d'en rire, plut8t que d'avoir à en pleu-
rer" (2)
La m3me attitude est adoptée quand, voulant déménager pour ne
plus 8tre le témoin de la déchéance de sa fille, celle-ci lui dit ne pas
avoir l'argent (quinze cents francs par an) nécessaire, mais qu'elle en par-
~e~a à ••• (son amant qui l'eatretient) 1
"Cela, interrompit dignement M. d. Nettencourt est ton affaire'. Je ne me
mOle peLs, ni ta mère non plus, de tes conversations." (3)
Un personnage peut aussi se dévaluer parce que la pensée qu'il
( .
1- Louis Ar880n, Les ~loches de ~e p. 60
2- Idem p. 61
3- Ibidem p. 62
-345~
exprime, croyant revendiquer par là une valeur, le rabaisse aux yeux des
autres protagonistes de pensée plus noble, plus cohérente, et devant le
lecteur plus lucide ou d'ambition plus saine. Mais toutes ces situations
ne sont proprement dialogique que dans le sens d'une mise en discussion des
opinions à l'intérieur d'un group'e. La discussion peut ~tre virtuel-
le
quand il s'agit d'une pensée intérieure confrontée à des points de vue
contraires précédemment énoncés ou imaginés.
Nous avons dans Gilles plusieurs exemples d'autodisqualifica- .
tion dans la cadre d'un dialogisme. Citons seulement lé débat qui suit le
suicide de Paul Morel, au cours duquel Lorin, Rebecca et les membres du
groupe Révolte re.1Usent leur responsabilité dans cette mort. Gilles Gam-
bier les amène à poser le problème de l'action, et surtout de l'action p0-
litique. Aussi bien par leur défense que Par leur attaque, les protagonis-
tes dévoilent leur dérision. Les communistes Lorin et Rebecca.s'y complai-
sent dans une phraséologie qùi"les transforme en sacs à paroles, tandis que
les membres les plus influents de Révolte rév~lent leur haine réciproque.
En effet Gilles les ayant accusés d'inconséquence et de conformisme - pIlis-
que malgré l'allure subversive de leur action, ils finissent par chercher la
pérennisation des institutions en aidant Clérences à devenir sécrétaire
gén':tal de la présidence du conseil - Ca!l saute sur l'occasion pour dis-
créditer son ami ;
"11 me semble, en effet, fit-il en blOmissant sous l'afflux d'une amer-
tume toujours prOte contre son Partenaire, que nous nous sommes un peu per-
dus en route dans une assez sordide histoire de famille. Il (1)
- Les poiJlil de vue se disqualifient mutuellement. Cela arrive très SOU-!
vent. Dans ·un mime espace romanesque, des opinions opposées sont confron-
tées et l'auteur met en oeuvre des processus de transformation, d'intégra-
tion ou. d'exclusion. Aragon utilise largement cette technique de propagande
1- Drieu la Rochelle, Gilles, p. 481
-346-
dans Le I!Ionde réel. Très souvent, le contexte du débat ou les événements
corollaires participent à la dévaluation tout en apparaissant comme une
preuve neutre. L'invitation se renforce alors du crédit accordé au dérou-
lement des événements après vérification ou illustration. Dans Les eanmu-
nistes, la réalité de la débâcle confirme les accusations que Robert Gail-
lard porte contre l ' antorité militaire et ceux qui l'incarnent 1
"Vous n'avez pas combattu Hitler. Vous avez combattu les communistes,
c'est-à-dire les ouvriers~ Et cette ar.mée que pour cette raison, vous avez
privée de son élément le plus combattif ••• cette armée que vous avez démo-
ralisée huit mois ••• à qui jamais vous ne parliez d'Hitler••• qui ne sa-
vait pas ce qu'elle faisait ici, et que vous avez amenée à la boucherie
dans les conditions de l'impréparation et de la désorganisation militai-
re ••• regardez là par la fenêtre, mon capitaine 1 Elle fout le camp~" (1)
Le dialogisme ne se limite pas à. rendre possible la mise en exem-
ple d'une idéologie donnée. La multiplication des points de vue permet à
l'auteur de développer toutes les thèses qui se rapportent au problème Pe-
sé et de les combattre si elles ne lui oonviennent pas. Ainsi le dialogis-
me, bien qu'apparaissant comme une manière de satisfaire tout le monde,
confisque en fait tous les moyens de contestation de la thèse élue. Il per-
met de désarmer l'adversaire en prévenant ses objections, eu détruisant par
avance ses arguments, sans pour autant que le processus sorte de l'ordi-
naire. Dans Les ~hiens de paille, Bardy comme pour s'adresser aux lecteurs
de l'époque, justifie son action collaborationniste en attaquant les argu-
ments et les faits qui militent contre lui. Ici le souci d'agir sur le réel
est si évident qu'il transforme le passage en un véritable récit historique.
A la question de savoir s'il est nationaliste, le personnage réPOnd 1
"Je l'ai été 'perdument. Je vois ce que vous voulez me demander. Comment
un nationaliste comme moi peut accepter si aisément la présence des alle-
mands ? Il pourrait y avoir là en effet une dérision. Entre 1920 et 1935,
1- Louis Aragon, Les eommunistes (mai- 1940) p. 180-181
· "'341-
j'ai montré une horreur et une fureur farouches à l'égard de tout nationa-
lisme. Mais, depuis longtemps, je sentais la France tomber en faiblesse.
ApNS 1934.-?6 j'ai senti le besoin désespéré, urgent d'appuyer le :uationa-
lisme français à un autre nationalisme.- (1)
Il ya encore
un cas limite de dialogisme comme forme d ' invita-
tion qui interpelle directement le lecteur et feiDt de lui donner la pa-
role pour affirmer, ou se prononcer sur, quelque chose. Le point de vue
ainsi dégagé doit fttre suffisamment crédible pour que le lecteur accepte
de le reconnattre comme sien. A ce tii:re il ne dévalue presque jamais son
auteur supposé (le lecteur) mais les adversaires de celui-ci. Dans le dis-
cours non élu, il apparait cODDlle une objection. En voici un exemple où le
"jen est celui du lecteur fol.'Dll.Ù.ant ses objections au discours d'un fae-
ciste. Il ya un avantage dans le caractère indéfini du "je" puisqu'il-
peu.t désigner un communiste ou tout autre républicain. Au début du texte
le narrateur demande comment le commandant MIUler s'est retrouvé à Pa.ris,
ce qui est déjà une tentative d'implication du lecteur.
"Le commandant s'est échappé par miracle avec son chauffeur et son or-
do~ce, le soldat Lafuite dont le nom prend aujourd'hui de la grandeur.
Il explique à qui veut l'entendre le rele des juifs dans la débdcle. Je
croyais que c'étaient les cOlllDIUnistes... Les communistes et les juifs, ce
n'est pas contradictoire. Et les Anglais." (2)
Al' intersection
du dialogisme (dans le sens dégagé par Rh $et1~
et de l' invitation à tirer une conclusion, se trouve un autre procédé d' écri-
ture incitative souvent mis en oeuvre par Aragon: c'est l'écriture inachevée
qui traduit une réticence ou une auapenaion. Ces figures rhétoriques vi-
sent, par une sorte d' aUuaion, à impliquer le lecteur au point de le.pous-
ser à compléter la pensée décryptée par le texte. Pourtant elles réussissent
à éviter les inconvénients de l'interpellation directe - dévoiler le didac-
1- Drieu. la Rochelle, Les ~h1ens de paille p. 101-108
2- Louis Aragon, Les ~ommun1stes (mai-juin 1940) p. 166
-348-
tiame - par une sorte de "fictionnalisation" des intentions._La réticence
ou la auapension sont alors attachées à. la pensée d'un personnage et le
travail de complètement attendu du lecteur semble plutat fttre demandé aux
autres personnages. D'ailleurs ceux-ci, toujours au courant d'après leurs
répliques, le font. C'est pourquoi la suspension et l'hésitation sont dans
la plupart des CaB, mises en oeuvre dans des oadres intimes comme
les réu-
nions familiales ou de corporation, où les gens se comprennent à. demi-mot.
Ces procédés pemettent alors de créer ou de maintenir une certaine at-
mosphère de sympathie et de complicité dans le roman, atmosphère à. laquelle
le lecteur est invité à participer par une identification avec le person-
nage, une projection dans les figures diégétiques~ Noua avons un exemple
tiré des Cloches de BAIe (parmi d'autres) et déjà évoqué. C'est celui où,
pour résoudre le problème du déménagement de ses parents, Diane dit à.
propos des quinze cents francs qu'elle doit donner 1
"Je ne les ai pas, mais je voua prie de croire que je vais en dire un
mot à •••• " (1)
Dans Aurélien ce procédé est courant, mftme dans des cas où il
J],.'ya pas de réunion et de discussions de personnages. L'énoncé devient
alors celui du narrateur qui s'adresse BanS intemédiaire au lecteur et
1 ' invite par son hésitation à. compléter sa pensée. Dans le passage au.i-
vant le narrateur nous parle directement d'Aurélien et utilise la suspen-
sion pour nous inviter à. partager l'affirmation selon laquelle le fait
décrit est habituel 1
"En général les vers lui ••• Mais celui-ci revenait et revenait." (2)
Dans l'art de persuader et d'impliquer le lecteur, le dialogis-
me appara!t comme une technique assez riche. En effet, il permet d' affi-
cher des exemples, de les désigner à. l'attention des lecteurs et d'invec-
tiver oeux-ci. D'autre part, son efficacité se fonde sur le pouvoir de
1- Louis Aragon, Les eloches de BUe p. 62
2- Louis Aragon, Aurélien p. 9
-349-
camouner le dirigisme dont il procède.
La réussite de l'écriture-invitation repose sur la rencontre de
l'idéologie textuelle avec les dispositions et aspirations du lecteur vir-
tuel. C'est pourquoi, dans la genèse du livre, le destinataire est aussi
présent que l'auteur. Le texte est donc toujours mimétique et préventif.
Mais dans sa fonction incitative, son intention première n'est sans doute
pas la reproductim pure et simple. D'ailleurs, on est en droit de se de-
mander si la mimésis, pilier du réalisme ou plut8t de son discours de jus-
tif1cation, peut avoir, comme on ne cesse de le déclarer, une fonction pu-
rement référentielle.
B) SENS ET VALEURS DE LA MIMESIS (1)
A Partir de 1 'hypothèse, du reste juste, qu'un romancier, pour
prendre sa plume n'enlève ni son manteau social ni sa casquette de militant
politique, les critiques recherchent dans son langage le parler de ceux vers
qui vont ses sympathies. Ainsi se surprend-on très souvent en train de par-
1er, à propos des romans subversifs ou populistes, de langage populaire, ou-
vrier, prolét~ien ou familier. A propos d'Aragon l'hypothèse d'une in-
nuence de la langue des pauvres et des ouvriers est peut-@tre juste. Il
dit lui-m@me 1
"( ••• ) j~ai reçu de hautes leçons des ouvriers français qui sont des
ma!tres qui valent bien les grammaires professorales, ( ••• )" (2)
Mais il faut dé'mtner certaines confusions dans ce domaine où l'on
conclut bien souvent trop vite au caractère p0p.1laire ou non de la fome
d'un roman à partir de sa conforlllité, ou non, à la langue parlée. Dans la
terlllinologie politique contemporaine le terme populaire exclue curieusement
la olasse dœinante. Le transfert de ce champ s~tique à la liaguistique
1- Nous employons Jliaésis dans le sens d'imitation par le biais du récit
ot Gérard Genette, Figures II, p. 50-56
2- Louia Aragon "Discours au deuxième congr~ des écrivains pour la défense de
la culture (Valence; Màdrid, Paris)" prononcé le 16 juillet 1937 repris dans
COIIIJIIlme n- 48 A~t 1937
':'350-
se traduit par un écart entre français populaire et français parlé. Dès
lors, le langage populaire ne saurait·;.ltre que l'idiolecte d'un groupe
(le bas peuple), c'est-à-dire un exercice littéraire référé à ua ni~
veau social, alors que la langue parlée est pratiquée par tout le monde.
Le mIme écart existe entre langue populaire et langue familière, cette
dernière se confondant presque toujours avec la langue parlée.
Mais qu'elle soit appelée populaire ou parlée, la langue d'un
roman n'en est pas moins le résultat d'une reconstitution. Elle fait donc
intervenir contrairement à ce qu'on pense généralement un laborieux tra-
vail de la part de l'auteur en vue de mimer la forme linguistique réelle
qui lui sert de modèle. La mimésis est, dans ce sens, une reconstitution
qui se nie pour rapprooher son résultat du naturel. Elle n'épargne donc
aucun grand domaine du discours. Ce réalisme n'est pas innocent et inof-
fensif' puisqu'au delà de la reproduction du réel, il remplit une fonction
subversive. Sa référentialité, répétons le sert, à camoufler le but inci-~
tatif. Peut-on alors parler d'un langage proprement idéologique? Certes
oui, si l'on considère les intentions mais également quand sa fome (lexi-
que et syntaxe) imite un discours politique constitué, partisan et incita-
tif.
a) Reconstruction et neutralis~tion :
L' imitation du langage, en dépit de ce qu'il permet la classifi-
cation sociale des personnages, joue un r8le de crédibilisation du récit.
Ainsi est-il tOllt à fait naturel qu'un personnage d'Aragon parle un lan-
gage relâché ou d'assez bon niveau, selon qu'il est un ouvrier ou un bour-
geois, qu'un héros de Drieu manifeste son dégoit ou. son exaltation suivant
le caractère confo1'Dliste ou subversif de la pratique sociale qu'il appré-
cie. La mimésis est d'ailleurs un trait générique du roman. Cela ne l'em-
p3che pas de pouvoir revfttir un caractère idéologique en cela que· sa fonction
signalétique joue en m8me temps unor8lë d'exclusion, c'est-à-dire qu'elle est,
-351-
aussi, partisane. Chaque groupe social utilise, au plan lexical, une som-
me de termes qui spécifie son langage. Drieu et Aragon attribuent une dou-
ble fonction au fait de partioulariser le vocabulaire de leurs personnages.
Ils reconstituent ou plut8t construisent leur antagonisme et l'idéologie
propre. à chacun d'eux. Cette tâche est artistique et non pas simplement
réaliste. Le choix des termes obéit à un désir de reproduire des situations
et des faits mais en vue de signifier quelque chose ou d ' inciter à une ac-
tion. L'analyse statistique peut fttre ici !l'un grand secours, A défaut, on peut
choisir des exemples illustratifs. Pour cela, la représentation est plus
pertinente que la description, à moins que celle-ci ne soit les paroles
d'un personnage, transcrites au
style indirect ...• Dans Le monde réel le
vocabulaire des discours permet de connattre non seulement le rang sa-
cial mais aussi l'idéologie des sujets. La méthode d'analyse utilisée dans
les exemples· ci-dessus est fort criticable. Mais elle donne une idée de la
fonction du langage, dans le signalement du rang social et de la convic-
tion politique. La comparaison des deux exemples (Wisner et Bachereau) mon-
tre l'antagonisme des idéologies qui les nourrit. Ici nous avons pris la
réplique de Wisner dans une conversation portant sur la grève des taxis
et la situation politico-sociale. FUis la mftme démarche est adoptée à pro-
pos de Ba.chereau conversant lui aussi sur le mftme sujet. Nous avons fait
ces choix tout en sachant que le premier est un industriel bourgeois et
u"'-.
le second/ouvrier. La méthode d'analyse de leur discours a cet inconvénient
qu'elle se situe dans une perspective linguistique (l'unité de l'analyse
linguistique est le mot (monème),la phrase ou le phonème) au lien d'fttre
une gramma.ire du discours. Elle souligne dans chaque phrase le8 teDlles et
les fome8 graDlllaticales imitatifs du parler des sujets et la valeur i"éo-
logique de oette imitation. Mais par delà les inconvénients il est aisé
de faire solllDla.irement la relation des unités transphastiques. D'ailleurs
nos résultats n'ayant qu'un sens purement illustratif et ne pouvànt· servir
-352-
à bâtir des rE!gles générales, nous nous attachons ici à voir à travers le
corpu.s
les thèmes dominants et le rapport entre le milieu sOcial et la
langu.e dans chaque discours.
• Discours de Wiener 1 Les cloches de Eâle p. 357
.. "l! n'ailH.edans, dit Wiener, que des intér@ts extr@mement indirects, mais
l! songe vraiment aux malheureux chauffeurs pour lesquels ce doit @tre !!!:-
rible ••• Aveo cela le commerce est paralysé à Paris. Cela tombe on ne peut
plus ~ pour ce qui est du pétrole par exemple. La. ville perd chaque jour
des SODDlles énormes sur les
taxes. Sur la vente du pétrole m@me, vous me
direz que ~ ne fait pas mondialement une différence appréciallle. Mais cela
précisément à l'heure où se livre une bataille qui peut '@tre décisive 1 Vous
savez que Roclv'feller, qui est un grand ami de la France, se bat contre les
pétroliers allemands. Toute la question est de savoir si le marché allemand
dont nos ~ wricains, et nous par suite, avions le contrele, va nous
échapper ou non. Si le gouvernement allemand décide de maintenir le mono-
pole d'état voté l'année dernière par le Reichstag, la partie est perdue.
C'est le triomphe du groupe de Deutsche Bank sur le groupe RockA'eller.
Evidemment, nous comptons que la nécessité des armements rendra impossi-
ble l'investissement du capital allemand dans l'affaire des pétroles. Et
c'est pour nous d'un très grand poids que l'existence en France d'un !!!!-
nistère énergique, décidé, qui, en dévelOPPant les armements de notre pays,
rend impossible à Guillaume II de s'abandonner à tous ses r@ves impériaux."
• Discours de Bachereau 1 Les cloches de B~e p. 329-330
"C'est pourri, disait-il, leur politique. N'en fa,ut pas 1 Toute la poli-
tique, o'est des histoires de bourgeois et de tra~tres. Tenez friand: la
crapule des crapules. Quoi, c ' était hier leur grand homme aux socialistes
CaDIIle Millerand oODlllle Viviani. Nous, on ne c.orma!t.qu 'uÏl boulot: nos re-
(
vendications, l'action SYDdicale. Ahl sacré Inom de Dieu, si les prolos
-353-
pouvaient se mettre ça dans la t@te ! Un mouvement comme le n8tre, évidem-
ment c'est pas mal joli, mais est ce que ~ devrait rester comme ça en fa-
mille ? Faudrait que les tr8Ilsports s'en mettent. Plus de trams, plus de
métro. C'est alors que Paris serait ! croquer ! Et puis là-desBUs, tous
les autres ••• la grève générale!
Non mais, pigez un peUl rien que ce qu'on a vu les derniers temps comme
grève ••• Les cheminots. les inscrits maritimes, et m@me les histoires de
Champagne, des trucs comme dans le bâtiment il ya deux ans ... Et puis pour
Ferrer en octobre. Vous imaginez que tout ça se goupille à· la fois ? ( ... )
On était des~, on resterait des ..29!!!."
Comment l'imitation permet-elle de signifier, dans ces textes
l'origine sociale des personnages et leur idéologie à travers leur langa-
ge. Prenons dl'abord le vocabulaire. Dans chaque phrase les termes clés com-
me le thème et son prédicat sont soulignés (par nous). Leur observation est
riche d'enseignements.
La référentialité par exemple est plus forte chez Bachereau c' est-
à-dire qu'elle domine de loin les autres fonctions du langage. Les temes
renvoient à des réalités plus concrètes que dans le discours de Wisner.
Cela signifie un niveau intellectuel plus bas peut..@tre, et caractérisé
par un certain pragmatisme. Il est de'notorié~é publique que le langage des
ouvriers, peut..@tre parce que subissant l'emprise de leur expérience et du
fait~de leur bas niveau d'instruction, est peu abstrait. Cela se traduit
ici par l'emploi des temes courants et familiers comme ceux du langage
parlé,
essentiellement utilitaire. Ainsi s'expliquent les diminutifs, re-
flets de l'économisme de l'oralité - prolos, trams -. Dans le choix m@me
des mots on devine l'origine sociale et l'idéologie. Si des temes comme
boulot, crapule, (à) croquer, pourri etc sont seulement vulgaires voire
grossiers - en tout cas contraires àla bienséance, d'autres comme prolos,
revendications, action ~diaale, grève générale, mouvement sont politi-
quement marqués. Ils sont typiques d'une pensée politique subversive. On
-354-
peut reDla1'Q.uer que même quand ils parlent de la m@me chose les bourgeois
n'utilisent presque jamais ces expressions. Ils en emploient d'autres qui
renversent les valeurs et le symbolisme positifs que l'usage consacré des
ouvriers Y' attache. Par exemple, l'action syndicale est assimilée au sa-
botage, la grève à l'insubordination et à la paresse.
La comparaison àes champs lexicaux des deux discours montre, d' au-
tre part, les préoccupations des sujets et, partant, les aspirations portées
par leur idéologie. C'est en fait, là, le thème du discours qui vient in-
foxmer sur la pensée et la conscience politique du personnage.
Chez Wisner, les thèmes abordés, leur interdépendànce et leur
relation avec la situation politique sociale montrent un
intérêt particulier
Pour l'économie mondiale et le grand commerce, et la manière dont ils dé-
terminent la pplitique. Ici encore, les mots sont politiquement marqués
en cela que leur relevé donne un lexique (restreint) de l'économie politi-
que capitaliste. Le discours de Wiener illustre l' esprit du capitalisme
monopoliste·et commen~ l'idéologie bourgeoise détermine
la vie po-
litico-sociale. La clarté avec laquelle il explique les rouages du commer-
ce international témoigne d'une haute conscience politique.
Par contre Bachereau est rivé à un corporatisme étroit et politi-
quement mal éveillé. Il pr&1e une sorte d'économisme désuet. Ainsi sa com-
pétence idéologique est très faible puisque son discours donne dans le
vieux préjugé de l' efficacité de la lutte éconanique au mépris de la poli-
tique. Ces différenoes entre Bachereau et Wisner montrent comment l'opPo-
sition des situations sociales se reflète dans l'idéologie. Le bourgeois
cherche à manipuler le monde pour une plus grande plus-value, alors que
l'ouvrier veut tout juste mieux vivre, améliorer sa situation matérielle.
Cela se traduit dans les références des vocables qu'ils utilisent. Ceux-ci
miment très bien les inquiétudes d'un meurt-de-faim et les froids calculs
d'un magnat de la finanoe internationale. L'écart des consciences politiques
-355-
est également signifié par le niveau intelleotuel des discours; on cons-
tate que l'un (Bachereau) cite de simples exemples réels pour accréditer
ce qu'il dit (culte du concret) alors que l'autre montre les relations de
causalité et les déter.mimiames.
Cette dernière opposition ne se traduit pas, uniquement, par la
différence des vocabulaires. Le niveau intellectuel est également fonction
de la manière dont le discours est construit. Autant que le lexique la
syntaxe est distinctive des classes tout en reflétant· leur idéologie. En
effet, les oonstructions
élégantes ou savantes jureraient daaa un dis-
cours d'ouvrier, avec le vocabulaire familier qui, avons-nous dit, carac-
térise celui-ci. L'analyse de cet aspect, reposant sur la phrase cOUIlle
unité (m@me quand elle est minimale), soulève moins d'équivoques dans une
stude du discours puisque ce dernier est. comppsé de phrases •. La comparai-
son des syntaxes comme leur observation isolée, révèlé .', des oppositions
similaires à celles des lexiques. Au plan de ceux-ci l'économisme était un
trait du langage familier et caractérisait le langage du bas-p~uple, tan-
dis que les gens instruits et cultivés des beaux quartiers y recourraient
rarement. Il en est de m@me pour la syntaxe et le petit corpus
ci"fdessus
le prouve. Dans le premier exemple, les paroles de l'ouvrier, il ya plu-
sieurs ellipses de verbes. Le personnage se oontente d'évoquer ses thèmes,
ou de faire des constatations si concises que le lecteur est convaincu dè
la prise en compte, par l'auteur, du contexte du discours comme dans la
coDlllUll1oation orale. Tous les termes non indispensables, une fois l ' envi-
ronnement mis à contribution, sont supprimés. L'auteur mime ainsi le lan-
gage quotidien dans sa pratique effective. C'est là aussi un trait du prag-
matisme des gens dont la culture est fondée sur l'expérience, comme les ou-
vriers. L'éconoll1sme ne se limite cependant pas à la construction de phra-
ses nominales. L'auteur a voulu dans des expressions comme "faudrad.t que
les transports s'en mettent", "Plus de trams, plus de métro" mettre en va-
-356-
leur les termes clé
- faudrait, plus, plus - d'une affiDDation et repro-
duire un idiolecte. La syntaxe est de ce point de vue doublement signifian-
te par la distorsion de la "phrase standard".
La distorsion de la syntaxe n'est pas obtenu uniquement par omis-
sion des termes. Dans le but de faire para.!tre cOlllllle naturel le discours
qu'il attribue à ses personnages, Aragon s'adonne à une sorte de recons-
titution qui mime le discours spontané. Paul Imbs appelle cela l'écriture
spontanée et y voit une certaine application de l'écriture automatique 1
"Aragon laisse à la transoription des r3veries ou à la reconstitution des
événements la spontanéité de pages créées directement sous les yeux du
lecteur." (1)
Il s'agit en réalité d'une tentative de reproduire la spontanéité. La phra-
se elliptique joue dans le m3me sens mais il ya beaucoup d'autres procédés.
Nous pouvons ainsi citer
la confUsion des catégories grammatica-
les. Elle a cours dans les passages où Aragon veut montrer la prédominance
du caractère instrumental de la langue. Dès lors, on comprend aisément que
les gens du PeUple, peu instruits et ayant de la langue une conception ins-
trumentaliste, soient dans la plupart des cas, les auteurs de ces passa-
ges. Mais il arrive que de telles perfomances proviennent des bourgeois
ou du narrateur lui-m.3me. Dans ces cas, la valeur mimétique est très fai-
ble et l'intention est presque touj ours métalinguistique, l'auteur voulant
mettre en valeur une partie de ce qu'il dit. D'autre part, le but visé
peut aussi 3tre une invitation à participer à la oonversation et le texte
comporte alors ·une fonction phatique. Il ya plusieurs exemples dans ~
monde réel. Mais la confusion des catégories grammaticales est, le plus
souvent, le fait de gens qui, dans leur rapport à la langue, ne se sou-
cient pas beaucoup des nom.es grammaticales mais de l' aspect utilitaire.
Leur compétence ne leur p8J:met preeque jamais de manier la langu.e de façon
1- Paul Imbs 1 "Notes sur la syntaxe du français contemporain d'après Auré-
lien de Louis Aragon" Le français moderne Avril et juillet 1948
-357-
à en exploiter toutes les ressources. Ils se contentent toujours de doter
leur énoncé du seul sens dénoté, même si la construction de celui-ci ne
respecte pas la syntaxe. La confusion des catégories grammaticales dans
le sens de mimer le statut social a plusieurs variantes chez Aragon. 1
"Monsieur est bien matin aujourd'hui" (1)1 Mme Violette. une femme de
ménage confond ici l'adjecti~ matinal avec le substantif matin plus ex-
pressif pour qui ne se soucie que de l'heure.
"C'est pour s'il y avait une guerre 1" (2) D'après le c.ontexte on atten-
dait plutet ici un substantif ou un verbe après "pour". Mais dans la can-
préhension du Wattman qui tient les propos ces catégories grammaticales
ont, avec la proposition qui les remplace ici, des fonctions équivalentes et
peuvent se commuter à l'intérieur de la phrase. Dès lors il crée un certain
vulgarisme en juxtaposant et en combinant "pour" qui fait attendre un but
et "si" dont la fonction est d'introduire une condition. D'autre part, le
fait de confier la condition à la conjonction si, au lieu, par exemple,
d'un verbe au conditionnel, le figement de "c'est pour", témoignent d'un
bas niveau de langue et suggère ce qu'est la culture du Wattman en ques-
tion. Aragon redit cela, explicitement, quelques pages plus loin, dans la
conversation entre Armand et Pierre Delobelle parlant des ouvriers 1
"Rien à gagner avec ces gens-là. Bouchés pour tout ce qui est de l'art et de
la poésie. Il (Pierre) avait récemment découvert Léon Dierx •. Allez. parler
de Léon Dierx à un -V/attman 1" (3)
Ce jugement bien que dévaluant son auteu.r parce que reposant sur un mépris
de l'autre, est cependant véridique en ce qui conceme la nature de leur
culture. Il est d'ailleurs redondant pUsque ce qu'il nous apprend a dé-
j à été suggéré par l' imitation au plan syntaxique.
Le m@me résultat peut @tre obtenu par des moyens similaires à la
1- Louis Aragon, Les communistes (1929-1940), p. 49
2- Louis Aragon, Les beaux quartiers p. 71
3- Louis Aragon, Les beaux quartiers p. 72
Léon Dierx, aujourd'hui inconnu était considéré à l'époque comme un poète pré-
cieux
-358-
distorsion syntaxique. La trangression peut, par exemple, porter sur le mo-
de d'énonoiation. Le texte rapporte les paroles de l'ouvrier ou du bour-
geois en reprenant la oaractère direot de leur énonoiation. Cela rétablit
le ton de la oonversation et le texte s'adresse à un tu/voua sans PQur au-
tant que l'apostrophe soit son but prinoipal. Ela réalité il ya, dans de pa-
reils oas, entrelaos, entre la narràtion et les. paroles du. personnage. Ce trait
est distinotif des passages où parlent les ouvriers parce que oeux-ci ont
tendanoe, du fait de la faiblesse de leur oompétenoe narrative, à réta-
blir la oonversation direote, o'est-à-dire le disoours quotidien. Le texte
retransorit alors, en quelque sorte un dialogue virtuel, mis en plaoe par
l'imagination du loouteur. DAns- Les ~ommu.nistes, la desoription de la des-
oente des miIleurs est mimétique et1 oec. qu'elle établit dans l' imagina-
tion de l'ouvrier qui rend oompte de la soène, un oontact oommunioatif avec
un interloouteur virtuel 1
"Tu montes l'esoalier, pour faire visiter ta lampel vérifier la fermeture
de
séourité." (1)
Il n'ya pas d'interlocuteur partioulier. La forme direote marque donc
une oertaine inoapaoité à sortir de la oonversa"ion réelle, du disoours
quotidien.
Pourtant toutes les formes d'interpellation ou d'invitation du
leoteur ne sont pas destinées à suggérer le rang sooial du sujet. D'autres
prooédés stylistiques reposent sur le même prinoipe de juxtaposition d'é-
nonoiations différentes mais ne jOllent pas pour autant le rele de signi-
fiant idéologique. Le style direot qui fait irruption dans la narration
introduit alors un ohangement du sujet imitant. Par exemple dans les pas-
sages reproduits oi-dessous o'est le narrateur qui prend direotement la
pa-
role et non le personné18e. Voioi un exemple tiré de la desoription de la
guerre dans Lea fommunistes\\
1- Louis Aragon, Les lommunistes (mai-juin 1940) p. 30
-959-
"Et voilà à nouveau l'enfer. Je vous jure que Raoul n'a pas sommeil,
et ce n'est pas le café arrosé" (1)
Il ya une valeur commune entre les exemples de ce genre et ceux où
l'intervention est attribuée à un personnage. C'est l'!mitation du style oral
(m~me si cela ne signifie pas toujours le rang social) en vue de neutraliser
et de rendre vraisemblable, par reconstitution réaliste, le discours du
texte. En plus de cela, d'autres exemples contredisent l'hypothèse selon
laquelle, quand le texte fait surgir le style direct dans la narration, il
veut signifier le rang social du sujet de l'énoncé. En effet des perfoman-
ces de bourgeois entremêlent, dans Aurélien, narration et interventions
direotes sans qu'on puisse expliquer cela par une difficulté inte11ectue1-
le, une incapacité de dépasser le discours quotidien, c'est-à-dire celui
dont le contexte et les destinataires sont précisés.
"Car elle aussi devait s'ennuyer dans son entresol au·dessus de la phar-
macie. Je suppose que c'est l'entresol. Il revit le visage auz yeux fermés
pendant la danse." (2)
Dans les exemples de ce type, il n'est pas possible de dépasser
la constatation d'une !mitation du langage parlé pour reohercher le rang
social. L'analyste se doit donc de distinguer dans les fomes de mimésis
syntaxiques l'existence de deux niveaux, ou p1ut8t de deux valeurs, dont
l'une n'est qu 'un trait supplémentaire par rapport à l'autre. En effet, i l
ya la mimésis syntaxique qui reprend le langage populaire et celle qui imi-
te le langage parlé. Mais dans la première, il ya déjà la seconde.
TOIltefois la syntaxe, surtOllt quand on veut reproduire le langage par-I
lé, concerne également le rythme dès phrases. Cela souligne l' importance de la !
ponctuation. L-e rythme d'une phrase "informe cependant "be~UOQUP plus sur l' iniiv1!
{'
duali.té des sujets, leur psyèl1G1ogie, état émotionnel etc ••• que sur 1eiir-;Idéo-;
logie (qui est une pensée col1eotive). Cela ne l'emp8che cependant pas de
1- Louis Aragon, Les ~ommun1stes (mai-juin 1940). p. 157
2- Louis Aragon, Aurélien. p. 103
il1i
-360-
1
1
pouvoir mimer le langage parlé ou m@me celui d ''Wl groupe. D'ailleurs, il
l
1
est fort utile de préoiser que l'identification d'un parler donné comme ce-
1
lui d'un groupe précis ne signifie pas qu'on attache une idéologie politi-
f
que à ce parler. Le parler des milieux populaires ici évoqués n'est pas
1
1
1
nécessairement la forme du discours communiste si l'on ne considère pas,
1
comme Aragon, que le communisme nourrit l'idéologie des prolétaires, le
1
capitalisme celle des bourgeois, et qu'il n'ya que ces deux idéologies au
plan politique. Toujours est-il que nous parlerons, nous, de la syntaxe du
1
1
[
1
langage populaire et non de celle du discours communiste m@me si les deux
rt
peuTent exister et ~tre équivalentes.
t1i
1
Le rYthme, 0' est-à-dire la ponctuation des phrases, est une res-
~j
1
i
source d'autant plus inestimable pour l ' imitation du langage parlé qu'il
!
î
existe une différence nette, dans ce dommaine, entre l'oral et l'écrit.
l
1
,
i
!
De plus la ponctuation correcte, du point de vue de la grammaire de l'écrit
est un signe d'inst:mction et de niveau intellectuel élevés. Le contraire
1
n'est pas nécessairement vrai, puisque pour des besoins d'expressivité,
t
f
un énoncé peut @tre ponctué de manière spéciale, quand bien m~e son sujet
~!
est d''Wl bon niveau intellectuel. Nous avons déjà dit combien la situation
1
physique, psychologique ou morale d'un sujet peuvent affecter le rythme et
1
la ponctuation de ses phrases. Mais, à l'instar de cette forme de vraisem-
f
blablisation, celle qui repose sur l'imitation du langage parlé, et visant
à plonger le lecteur dans l'illusion de la conversation ordinaire est lar-
!t
gement utilisée par Aragon. Par exemple, l'oral ne permettant pas du fait
1
de la simultanéité entre la pensée et son énonciation de oonstruire des
f
performances logiques et intelligibles, le romancier se sert parfois de
l~ ponctuation pour décrire les héSitations, les incohérences et le' man-
que de rigueur qui sont le propre d'une pensée oralement exprimée, dans
le cadre d ''Wle conversation ordinaire. Les points de suspension traduisent
ces faits en plus de leur rele possible d'invitation à suppléer ou à par-
!
\\
1
l
j
-362-
1
l
t
1
~j
cale. Par exemple l'adoption d'une syntaxe de l'assertion à la place de
1
celle d'une question. Cela se traduit par un refus de l'inversion et une
1
f
1
prise en compte de l'intonation comme dans une conversation réelle. De là,
i
1
i
l'importance des points d'interrogation dans la transcription. Dans la plu-
J
part des cas, le non respect des normes grammaticales ne débouche pas sur
1
1
1
r
î
une syntaxe fautive mais ~ur une syntaxe pluttlt vulgaire, spécifi-_
t
r
que du langage parlé. Dans l'exemple suivant, Jean qui a nirté avec la
i
l
1j
ma!tresse de son ami Nickie, interroge ce demier quand il a compris que
1
1
1
le pot ~ roses est découvert. Le refus de l'inversion, le respect obli-
t
j
l
1
gatoire d'une intonation interrogative et la simplicité de ces courtes
1
!
phrases rétablissent le ton du dialogue parlé. "Elle t J a raconté?
Tu
1
comprends~•• n (1)
1
1
A cette utilisation des vulgarismes Aragon ajoute, dans cer-
1
tains passages, des procédés propres au langage parlé comme les onomato-
1
pées et les interjections.
!
i
"L'URSS ••• c'est fait, hein? Ih l'ont fichue à la porte de la SDN." (2)
Comme le montrent les exemples ci-dessus, naturalisation et re-
construction sont destinées le plus souvent à servir les visées réalistes
donc de crédibilité, dont procèdent les romans d'Aragon. La mimésis est
dans Le monde réel un choix car, comme le dit l'auteur, le réalisme n'est
pas peinture d'après nature(3).
Mais la recherche de crédibilité obéit à une intention illocutoire en ce
1
î
sens que tout le travail d'imitation du discours quotidien a un but péda-
f
gogique et veut faciliter la transmission de ce qu'il enseigne.
ff
b) La lisibilité instrument de la subversion
Par delà la variété des techniques qu'elle utilise, l'imitation
1
joue dans le discours idéologique une seule fonction essentielle. Elle
i
1- Louis Aragon, Les communistes (nov 1939 mars 1940) p. 82
t
2- Idem p. 200
!
3- cf "Réali...e socialiste et réali.... français" Europe n0183 mars 1938 p.291
1
!
-364-
Aragon de nous dire que les protagonistes présents dans ces passages sont
des communistes. Le décodage du message est fort aisé et l' info:z:mation ne
souffre d'aucune confusion".
"Voilà l'affairel le Parti a su qu'à Laperine était arrivé le oamarade
Cesbron. •• Et d'autre part nous voudrions faire savoir à ce camarade que
la camarade Cesbron est à Carcassonne,. que nous l'avons prise en charge
et qu'elle viendra demain prendre le contact avec le camarade Cesbron.. ~" (1)
Ici, gr§.oe~à la reprise répétée du mot "camarade", l'imitation du langage
des ouvriers permet de remonter à leurs convictions politiques et de signi-
fier celles-ci sans équivoque •
- La reprise précisantel La pensée spontanée c'est-à-dire telle qu'elle
apparatt dans la retranscript'ion du langage oral, comporte des hésitations
des imprécisions (dues à l'absence du contexte) et diver~autresvicissi-
tudes. ~and l'écriture se veut imitante, elle ne peut effacer ces entra-
ves à la bonne compréhension, puisqu'elle effacerait alors les traits d'o-
ralité; mais elle réussit souvent à les neutraliser par une sorte de liai-
tation et de domestication des sens.
Ainsi, et à l'image de l'oral, des précisions sont apportées comme
si l'auteur avait, oonformément à ce qui se passe dans la conversation, vou-
lu suppléer aux insuffisances de sens dont les lecteurs pourraient fttre les
victimes. Dans l'exemple suivant, plusieurs phrases sont des reprises com-
plétives de celles qui les ont précédées, malgré le ton interrogatif. Ce-
lui-ci oache parfaitement le didactisme du passage, mais il n'ya aucune
possibilité de se tromper sur la. conclusion. Rendue par portions successi-
ves, elle est ainsi largement signalée par ce fait et parce qu'elle susci-
te la ouriosité du lecteur. Watrin, jusque-là honnftte avocat libéral, vient
de découvrir, et le lecteur doit s'identifier à lui, que le gouvemement
combat les communistes et non les fascistes.
1- Louis Aragon, Les eommunistes (sept-nov. 1939) p. 162
-365-
"Lévine ditea..moi ••• vous savez, je ne suis pas des votres. Mais où al-
Ions nous, Seigneur. où allons-nous ? Pourquoi se bat-on, si ce n'est pas
contre ça Lévine ? Hitler ••• On se bat contre Hitler ••• Et qu'est-ee qui
se passe ici. Le triomphe de Georges Bonnet." (1)
Drieu la Rochelle n'a pas été souvent cité ici. C'est parce que
ses textes ne sont pas imitatifs. Le narratif y domine malgré la sincérité.
Ils p.e sont pas pour autant libres de l'emprise du réel. Mais quand il l'a-
borde Drieu est plutet parodiqueJ or la dépréciation qu'exige la parodie
permet lifficilement d'instaurer la complicité nécessaire à la naturali-
sation, et l'objectivité de la reconstruction. Le style de Drieu, sans @tre
imitatif, n'en comporte pas moins des reprises redondantes et précisantes,
C'est d'ailleurs par cela, en plus ile leur ton tra.giqu~, que ses romans
sont sincères. Les reprises se traduisent chez Drieu par des affirmations
péremptoires du narrateur ou par la conclusion par une maxime. Elles cons-
tituent donc,. le. plus souvent, les c.ommentaires du narrateur mais peuvent ~tre
généralisées au delà des applications contextuelles. Cette constatation de
Gabriel dans Drele de voyage le prouve largement. Bien qu'il pense à son
ménage avec 8éphora, ce qu' il dit a une valeur de vérité générale. L' asser-
tion de la deuxième phrase est une reprise qui précise l'idée affir.mée par
la négation de la première.
"Une femme ne divorce jamais pour des avantages sentimentaux ou sensuels.
Elle divorce pour une plus grande renommée, ou pour plus d'argent." (2)
Dans Gilles il ya plusieurs exemples où la reprise précisante
est un commentaire dont la crédibilité repose B\\U' l'autorité du narrateur,
quand il ne s ' agit pas d 'une vérité générale. Devant l'angoisse de devoir
couoher avec sa femme Myriam qui l'attend au lit, Gilles se dit dans le
commentaire du narrateur •
1- Louis Aragon, Les ~ommunistes (mars-mai 1940) p. 200
2- Drieu la Rochelle, Drele de vOYMe p. 230
\\
-366-
"Tuer un fttre, oe n'est rien; mais détruire son espoir .. Car elle avait
encore de l'espoir, elle était tout espoir." (1)
Comme en peut le constater par ces divers exemples, la reprise
précisante peut apporter des déterminations supplémentaires confirmant ou in-
firmant l'idée reprise. Mais parce qu'elle est une reprise, elle remplit
la double fonction d'insister sur ce qui est affirmé
et d'exclure tout
le reste.
- La mise en valeur syntaxique. Cette forme d;linsistance, donc de "lisibi-
lisation", utilise les ressources de la place syntaxique des termes de la
phrase. Elle peut fttre imitative (2) mftme quand elle repose sur des procé-
dés rhétoriques comme l'évocation périp~stique, la mise en apposition ou
la métaphore. Dans l'exemple suivant, l'admiration de Benedetti pour le gé-
néral Corap est traduite par l'évocation (en pensée) péripli'astique. On
constate ici non seulement l'élégance intellectuelle de la phrase mais le
ton épique particulièrement adapté à un soldat parlant d'un autre soldat
plus gradé et mieux COImU. Toutefois, la place des expressions q,u;ùifian-
tes, en anticipation au reste du passage, permet aussi une mise en valeur
avant la dévaluation introduite par le narrateur 1
"Le vainqueur dl Abdel Krim, le successeur de Lyautey au Maroc. Mais,
avant tout, llun des généraux dont 11 action a été pour le moins parallèle
à l'action de cette organisation secrète d'officiers, qui est celle de .
Benedetti." (3)
LI apostrophe, aussi, déplace son objet et le met ainsi en valeur,
dans la plupart des oas. Drieu est prolixe
en de pareils exemples 1
''Béatrix, adieu, tant pis, l'entreprise de te changer serait trop lon-
1- Drieu la Rochelle,_ Drele de voyage p. 230
2- Clest le discours du sujet de l'énoncé qui est imité. Dans l'exemple qui
,
suit le texte imite dans sa pr~ère phrase le disoours de Benèdetti.
J
3- Louis Ar88on, Les cO'P""1!'!stes (mai 1940) p. 22
gue, trop périlleuse. Je glissera.i5 dans ton argent." (1)
La destinataire de cette phrase (Béatrix) passerait presque inaperçue
si son nom n'était pas mis en t~te. La construction de la lisibilité
emprunte ici le chemin de l'imitation, et v~t rendre l'émotion du des-
tlnateur. La prétention purement référentielle du discours idéologique
cède la place à la: fonction expressive du langage.
D'autre Part, pour inciter à la subversion, il arrive que les
auteurs combinent ces procédés rhétoriques qui reprennent le code litté-
raire avec des vulgarismes qui, pour ~tre des transgressions par rapport
à la norme grammaticale, n'en demeurent pas moins imitatifs donc lisibles,
parce que reprenant l'usage langagier consacré. L'exemple ci-dessous est·
à la fois une reprise précisante, une répétition vulgarisante et un arrange-
ment syntaxique. L'emploi et la répétition du pronom personnel (il) Sfl'\\t
vulgarisants,. La révélation du sujet remplacé" par ce pronom est précisante
et sa place (en apposition) le met en valeur.
"Il sera pionnier, Mondinet, il lira "Vaillant", i l portera un petit
mouchoir rouge au cou ••• -(2)
Dans d'autres exemples comme "Quand on est venu... l' Inspeo- '
teur ••• " (3), le vulgaire et le populaire sont véhiculés par le pronom "on"
suivi d'un suj et réel post-posé. C'est là un travail au plan syntaxique
et "l'inspecteur" est une reprise avec une nouvelle détermination, une
préoision supplémentaire.
La forme matérielle, c' est-à-dïre 1 ' architecture et la typographie
d'un roman, peuvent servir, elles aussi, à créer la lisibilité et la cré-
dibilité. Il ya, dans ce sens, une forme de mise en valeur typographique
qui est souvent alliée à une mise en exergue sémantique.
Les tfttes des chapitres d'Aragon commencent souvent par un incipit mis en
1- Drieu la Rochelle, Dr8le.de voyage, p. 314
2- Louis Aragon, Les communistes (mai 1940), p. 145
3- Louis Aragon, Les communistes (nov. 1939 - mare 1940), p.67
-368-
valeur par une sorte d'isolement dans l'espace du texte. Il joue par rap-
port au reste du chapitre le rele d'une sorte de résumé, d'une espèce de
déclic qui fait cOlIDllencer la narration ou le discours d'un personnage. Le
chapitre X des Cloches de Bâle commence par une phrase isolée dont l'expli-
cation constitue la suite du texte.
"Mil neuf cent douze commençait mal.
Visiler n'était pas superstitieux, mais le 1er janvier, en revenant de chez
son ami Charles Roussel, ( ••• ) la Mercedes avait renversé une vieille fem-
me." (1)
Dans le premier roman du Monde réel la disposition des différen-
tes parties sst une forme de lisibilité retraçant nettement les étapes d'un
itinéraire qui va de l'abdication de toute dignité à son affirmation et à
sa revendication, de la faible et presqùe inexistante à la ~leine conscien-
ce politique. Cette architecture permet à Aragon de décrire les différen-
tes idéologies et d'en montrer les imperfection&. mais surtout de les amé-
n88er dans l'espace narratif de telle sorte qu'elles prennent, au plan so-
cial, une tendance inéluctable et dont l'aboutissement serait l'avènement
da socialisme. C'est en tout cas dans ces textes la seule voie (le socia-
1isme) crédible. La structure du texte se met ainsi au service de la lisi-
bilité 1
Drieu la Rochelle se sert, lui, de la linéarisation du temps roma-
nesque pour éviter de dépayser le lecteur. Mais il utilise beaucoup moins
qu'Aragon les procédés typographiques de sélection. En effet la typogra.-
phie permet à Aragon de mettre en valeur et d'insister sur des termes et,
par delà, leur référent. Dans Les eommunistes le P.C.F est désigné comme
le Parti. Dans la dernière partie des Cloches de B~le tous les mots politique-
ment marqués sont en it~lique 1 la mar~ei11aise, l'internationale, L'Humanité,
ra. Bataille syndicaliste. La 1is1bilisation typographique vise quelquefois llI1e
complicité avec le lecteur 1 Dans Les e10ches de Bâle Eux signifie les ban-
1- Lou~s Aragon, Les e10ches de B~le p. 339
-369-
dits en auto, conformément à la manière dont en parle l'opinion publique.
D'autre Part l'absence d'une typographie particulière (les guillemets
par exemple) peut @tre une mise en valeur. A c~té de la lisibilité typo-
graphique et d'une écriture (lisible) qui reproduit le discours quotidien,
les romans de Drieu et d'Aragon affichent une autre fODœe (de lisibilité)
qui reprend le code littéraire et inscrit le texte dans les canons et les
traditions génériques du roman. Nous avons suffisamment suggéré ce c~té
conservateur en montrant, dès la première partie de cette thèse, que
la subversion de la forme comme arme de la subversion est, du fait des
nécessités de la lisibilité, peu développée chez Drieu et Aragon. C'est
le désir de faire agir qui explique ce conservatisme car la ,pédagogie de
l'incitation consiste d'abord à se faire comprendre et accepter. Les cri-
tères d'accès à l'usine, nous dit Jacques Frémontier, sont une ext~me li-
sibilité, l'absence de recherches formelles au niveau de l'écriture et le
respect des régIes traditionnelles de l'écriture(1).
Il ya donc chez
Drieu et Aragon un aspect qui veut imiter le discours littéraire consacré
c'est-à-dire les r~gles usitées.
La mimésis se présente diversement dans les romans du Monde réel 1
sous la foDœe d'une reproduction de son référent, le langage des protago-
nistes, ou comme la conformité aux r~gles génériques du roman. La première
associe à la fonction de lisibilité une certaine reconstruction naturali-
sante. Chez Drieu, la fonction d'incitation, d'invitation du lecteur veut
se glisser dans la fidélité au code littéraire. Dans tous les cas i l ya
une intention de faire agir et de déterminer la conduite des lecteurs. C'est
ce qui fait le caractère idéologique du discours de ces romans.
Mais dans l'intention d'accréditer ce qu'ils disent, Drieu et
Aragon dépassent souvent la mimésis et tentent d'introduire le réel à l'in-
térieur de leur texte. Ce réel ne peut alors être que textuel.
1- Jacques Frémontier ''Ya-t-il une culture communiste" in Les écrivains com-
munistes et le P.C.F,Le Magazine littéraire nO 166, novembre 1980, p. 35
-370-
C)
LA TRANSPOSITION D'ENONCES
Dans ce domaine aussi, les romans d'Aragon sont de loin plus illus-
tratifs que ceux de Drieu le Rochelle. La raison semble en @tre qu'après
tout, l'auteur du Monde réel se soucie beaucoup plus du réalisme que ce-
lui de Gilles. Mais, ayant vécu tous les deux les grands moments de la pein-
ture cubiste, ils ne pouvaient, après leur participation active ou passive
au surréalisme, ne pas subir la tentation d'introduire le réel dans l' oeu-
vre imaginaire. Le collage de textes étrangers dans leur roman permet de
poser cette hypothèse. La transposition n'est cependant pas toujours fidè-
le, puisque le souci réaliste est souvent affaibli par la parodie.
Si le collage était à l'époque une innovation, la parodie, et
aussi la citation, s'inscrivaient dans une pratique littéraire usitée. Pour-
tant, qu'il soit un collage, une citation ou une simple parodie, un énoncé
peut @tre transposé du discours quotidien. Ainsi son intégration au texte
romanesque rapproche celui-ci du type de langage d'où l'on a retiré le
morceau COllé, cité, ou parodié. Il ya là une fonction mimétique, un désir
d'emprunter l'autorité du réel pour accréditer un discours. L'activité du
dialogisme est dans ce cas trop évidente pour @tre évoquée.
a)
Le collage.
C'est un procédé de la peinture que certains roma.neien ont adop-
té. Claude Abastado le définit comme une contre-eitation 1
"Collage et citation sont l'un et l'autre des opérations métalinguisti-
ques. On prélève un fragment de texte qui devient syntagme autenyme et l'ob-
jet d'un nouveau discours." (1)
Quand on sait que le collage a été pratiqué par les cubistes, les
dada!stes,les surréalistes et des romanciers de l'entre-deux-guerres, on
mesure son importance chez Aragon. Dans ses romans on peut retenir le mi-
métisme comme l'une des principales fonctions du collage. Pourtant ce procé-
1- Claude Abastado, IILa glace sans tain" in Métalangage(s)., Litt ér3.tui8 ,
N° 21, oct. 1977
-371-
dé, le plus souvent, ne se signale pas par des marques. La mimésis vise
beaucoup moins l'identification de la référence que la simple apparence,
non dépaysante, d'un discours ordinaire. Dès lors le référent peut @tre
ignoré, ce qui est important c'est que le texte ait la forme du discours
quotidien o'est-à-dire qu'il soit banalisé (par le morceau collé, par exem-
ple). Aragon dote souvent ses collages de telles fonctions. C'est le cas
de la conversation téléphonique reproduite dans le chapitre VIII de la
deuxième partie des Beaux quartiers (1). Aragon expliquera qu'elle l'a
aidé à donner de la consistance à deux personnages qui étaient d'abord
conçus comme des utilités. Nous remarquerons le mimétisme de la conver-
sation. Son contenu présente le personnage de Jeanne (qui téléphone) sans
passer par les conventions du genre. La lisibilité est, elle aussi, lar-
gement soignée, puisque le lecteur est placé dans la situation d'un usa-
ger attendant devant une cabine téléphonique occupée par un autre usager
peu discret. Les traits d'oralité et de dialogue foisonnent et - ce qui
est une condition du discours quotidien - les paroles s'adressent à un
interlocuteur
' .
precis, meme s'il n'est pas 1
'd
evoque
ans le texte. Pourt ant,
et peut-8tre pour cette absence, la reproduction de la conversation mono-
locutrioe suscite la curiosité du lecteur. Dès lors la banalisation du
texte devient une mise en valeur puisqu'elle invite, incite à l'intéres-
sement.
Il arrive aussi, que dans le collage, l'intention première soit
mimétique, l'auteur voulant signaler le référent de son discours non pas
pour se cacher derrière l'autorité du réel mais à des fins subversives
parce que dévaluantes ou satiriques. Gilles
de Drieu
en fournit un exem-
ple, quand l'auteur colle la réponse d'Aragon à un coup de fil qu'il lui
1- En voici un extrait J " ••• Non, je t'assure qu'il est très gentil ••• Tu
crois? Peut-être que tu aB raison ••• Il ne faut pas dire ça••• COllllllent veux-
tu que je fasse, maintenant?. Hais si, j'aura.1Svoulu te voir ••• " ~
beaux quartiers p. 226
-372~
a donné lors des journées de février 1934, pour discréditer la politique
des communistes et dénoncer ce qu'il considère comme leur défaitisme et
leur action. (1) Là, collage et subversion se situent au plan des idées.
Au plan de la forme le procédé est également subversif par rapport à la
pratique littéraire en ceci qu'il est un emprunt non signalé et ne res-
pectant pas la lettre du texte d'où est transposé l'énoncé collé.
Le collage, dans les Poésies de Ducasse,est souvent un acte
négateur, un retournement, un renversement, un plagiat que Ducasse et
ses admirateurs (dont Aragon) considéraient comme une réécriture au bien
selon W. Babilas (2). Il s'agit d'une transfo:r:ma.tion sémantique opérée
par l'auteur, une sorte de destruction du sens premier. W. Babilas cite
un exemple de ce type 1 le texte légE!rement abrégé d'une session de l'A43-
semblée reproduite au chapitre XVII des Communistes (nov 1939 mars 1940)(3~
L'intégration d'un discours étranger obéit ici à des fins idéologiques.
D'ailleurs une sorte de polémique s'instaure et le discours de 1'adver-
saire (les députés non communistes) tel qu'il est réinterprété et refor-
mulé par le texte se retourne contre son sujet. C'est le mftme but que
~ise Drieu la Rochelle quand il attribue à ses personnages des discours
qui les dévaluent alors que ces personnages peuvent fttre identifiés comme
d'anciens amis devenus des adversaires et des ennemis politiques. Il ya
l'exemple des surréalistes et ce qu'ils deviennent dans Gilles.
Aragon recherche aussi la force illocutoire par la reprise de titres con-
nus on d'expressions courantes. On peut citer "Les beaux quartiers", "~
communistes et bien d'autres titres de poèmes.
1- cf Drieu la Rochelle, Gilles p. 601
2- Wolfgang Babilas "Le collage dans l'oeuvre critique et littéraire d'Ara-
gon," Revue des sciences humaines T 38 nO 151 Juil.sept.
3- cf Journal officiel de la république francaise. Débats parlementaires. Cbam-f
bre
des députés. Séance du 16 janvier 1940. Aragon signale le collage par une ;
mise en valeur de la datel "Le seize janvier mil neuf cent
quarante ••• "
Les communistes (nov 1939.mars 1940) p. 272
-373-
Comme le montre 'W. Babilas, diverses intentions président au
collage mais il obéit toujours à une volonté moderniste dans la pratique
artistique. Ce modernisme tr3.d.uit un refus du romanesque tel qu'il a été
fixé par la tradition littéraire. A Ce titre le "je" de sartre et les glo-
ses contenues dans La nausée jouent le m~me rele par exemple qu'une lettre
ramassée dans la rue et insérée dans un roman (1). De plus le refus du
romanesque est également contenu dans le caractère transgressif (par rap-
port aux habitudes littéraires) du collage qui est un procédé métalinguis-
tique et qui ne se signale pas pour autant. Mais toutes les formes de trans-
position d'énoncés ne sont pas subversives par rapport aux traditions de
l'écriture romanesque.
b)
La citationa
Elle est isolée du texte par des marques qui la désignent et des
références qui l'identifient. Alors que le morceau collé est souvent modifié
dans sa forme ou son contenu, la citation respecte la lettre du texte.
Cette forme de transposition joue un rele de crédibilisation du discours
citant de deux manières opposées.
La première est l'évocation d 'une autorité pour accréditer et
imposer une idée. Dans ce cas l'auteur ou le texte cité doivent constituer
une véritable autorité, non seulement pour l'auteur citant mais aussi,si
possible, pour les destinataires de son livre. Drieu et Aragon, ayant des
mod~les idéologiques attestés comme le fascisme et le communisme, devraient
donc logiquement user de ce procédé. Cela permettrait du coup de signaler
leur doctrine. Mais par le m~me procédé leurs textes deviendraient plus
didactiques. Ce risque explique sans doute la rareté des citations d'au-
torités dans les romans. Dans la plupart des oas Aragon cite le mar:x:isme-
léninisme, quand, dans l'expérience d'un personnage, il ya un fait réel
qui v~rifie l'enseignement politique théorique de cette doctrine. Il pré-
1- Comme le fit Aragon dans Les beaux quartiers p. 327-328
-374-
sente alors la citation à l'intérieur du discours de ce personnage, ou,
quand il l'insère dans les cOIIDDentaires du narrateur, il précise qu'il
s'agit d'une réminiscence ou d'un souvenir du sujet. Ainsi dans Les eom-
munistes il cite une phrase de Lénine et dit clairement qu'il s'agit
d'un souvenir de l'ouvrier Charles Debarge 1
''Une classe qui ne s'exerce pas au maniement des armes est indigne de
vivre." (1)
Dans l'oeuvre de Drieu, il n'ya presque pas de citation, qui
accrédite le texte citant par l'autorité du cité. Tout comme Aragon, il semble
préférer les allusions qui, parce qu'elles exigent Wle cormivence
avec le leoteur"constituent une forme de dialogisme et d'écriture-invita-
tion.
La seconde manière de crédibiliser Wl texte par la citation ne
revendique pas l'autorité du cité. Il s'agit de révéler ce que dit l'autre
pour asseoir la critique qu r on. en fait. La citation a alors Wl rele attri-
butif et de distanciation, l'énoncé évoqué étalant son autodévaluation •.La
vérité, c'est qu'on en révéle l'imperfection, le sous-entendu partisan etc •••
par trait d'esprit, et cela dès l'exposé. Car le sens d'une citation, m@me
quand elle est authentique, dépend du contexte, de l'environnement narra-
tif ou discursif dans lequel elle est insérée • Mais un auteur peut 'a.ussi citer
un énoncé le plus objectivement possible et procéder ensuite à sa critique
explicite. Dans ce cas l'énoncé de l'autre est un argument pour la criti-
que puisqu'il est là pour confirmer la thèse qui le dévalue. L'allusion et
le collage peuvent jouer ce rele. D'ailleurs ils remplissent cette fonction
beaucoup plus fréquemment que la citation. La raison en est peut-@tre leur
apparence moins didactique. Les exemples des citations de ce genre sont en
tout cas très rares chez Drieu et ohez Aragon sauf peut-être dans Les ~om
Munistes où les pensées politiques de personnalités réelles sont souvent
1- Louis Aragon, Les eommunistes (mai-juin 1940) p. 281
-315-
reprises et commentées. Dans l'exemple suivant, la première phrase est
une citation de Paul Reynaud, mais tout le reste vient du narrateur a
"La patrie est en danger ••• " Jamais ce ton n'a encore été pris devant le
pays. JélIIàis un effort plus évident de sincérité ••• il est certain que
Paul Reynaud joue ici une terrible partie de po--icer." (1)
Dans l'oeuvre de Drieu les passages repris tels quels.ne sont pas
attribués à leurs auteurs réels mais à des personnages fictifs dont an peut
pendant déterminer le pilotis. Nous avons, ainsi, des procédés qui se rap-
prochent du collage mais dont la déformation dévaluante . , fait des paro-
dies.
0) La parodie d'énoncés
C'est un procédé largement utilisé par Drieu. Il arrive souvent
que les parodies de Drieu aient, comme matière, des énoncés fictifs mais at-
tribués à des persoDn88es. Cela ne change pas leur portée, car les énon-
cés fictifs sont, dans ce cas, assez imitatifs POur ~tre équivalents à des
textes authentiques. La parodie n'est d'ailleurs qu 'une imitation dév~
luante où peuvent appara!tre d'authentiques reproductions. Les exemples sant
nombreux dans Gilles et dans les autres romans de Drieu. La technique con-
siste à raconter, à pasticher, par le biais du narrateur ou d'un person-
nage, le discours d'un sujet qui, par sa situation sociale, incarne une
idéologie que l'auteur veut dévaluer. Le but est dans tous les cas le m~-
me : dénoncer ce que Drieu considère comme la déchéance générale et o~i-
présente. A ce titre, sous la plume de Drieu, les discours surréaliste ~
radical ,communiste servent au m~me but a montrer que la pensée dominante
incarne l'esprit de déchéance. En tant que distanciation excessive, la
parodie est expression de la haine ou tout au moins d'un certain mépris.
En ce sens, elle est moins orédible que les dévaluations qui se présentent
sOus dés apparences objectives. De plus la passion du parodiste s 'y exerce
et porte atteinte à la prétention de transposition pure et simple qui fait
1- Louis Aragon, Les colDDlUAistes (mai-juin 1940) p. 14
-376-
la noblesse de la citation. Sans doute ces raisons expliquent le rejet de
la parodie Par les réalistes socialistes pour qui tout texte est le lieu
d'une analyse objective débouchant sur la définition d'une loi sociale,
l'affirmation d'une vérité rationnelle. Voilà qui semble faire compren-
dre pourquoi, dans Le monde réel, le trait d'esprit remplace le plus sou-
vent la charge parodique.
D'autre part, l'importance de la subjectivité du parodiste sin-
gularise son discours, et tend à l'écarter du discours quotidien quand
bien m~e le texte objet reflète encore les traits de sa source. Cela ex-
plique pourquoi, critiquant tous les deux la bourgeoisie, Aragon parvient
à rapprocher le texte de ses romans du langage familier, alors que Drieu
reprend le ton traditionnel de la confidence et de la psychologie litté-
rairas.
Si, conformément à la vision péjorative, ce qui rend idéologique
un texte, c'est son aspect partisan, du moins dans la perception extérieure,
il sera du coup certain qu'une écriture imitant le discours quotidien ac-
quiert ipso facto de la crédibilité et un pouvoir persuasif. Parce qu'ainsi
il se sert de sa fonction référentielle pour camoufler son incitation, que
celle-ci repose sur l'illocutoire ou sur le"perlocutoire. La mimésispermet
une démarche idéologique très pédagogique qui, alliée à l'écriture-invita-
tion, c18ture discr~tement un discours et impose des points de vue sans
soulever la méfiance du lecteur. Mais à la longue, la fermeture est un
handicap pour tout discours et particulièrement pour les oeuvres littérai-
res. La réalité et les paramètres sociaux exigent d'un discours qui en
rend compte une perpétuelle réadaptation. Or l'incitation en tant que for-
me de cl8ture va à l'encontre de cela.
-311-
CHAPITRE TROIS 1
CWTURE E'l' OUVERTURE (1)
Lm CONTRAINTES CONTRADICTOII@.
DU DISCOURS IDEOLOGIQ,UE
L'analyse qui précède insiste beaucoup sur les intentions per-
suasives et incitatives qui s'expriment dans les textes idéologiques. Ce
sont des objeotifs conduisant au désir d'amener le lecteur à. avoir, du
texte, une compréhension, .une interprétation univoques et conformes à ce
que l'auteur a voulu dire. Dans ce sens, encoder un discours, c'est aussi
entamer une lutte contre la pluralité des sens. C'est c18turer le champ
des significations, élire une seule parmi elles et procéder à sa présen-
tation redondante. Divers indices permettent de comprendre le système des
textes de Drieu et d'Aragon comme fermement c18turé. Or, la fermeture
d'une oeuvre lui 8te quelque peu son éternité. Aucune oeuvre littéraire,
m~me quand elle est idéologique, ne saurait se contenter d'une pertinence
et d'un succès limités à un moment, autrement dit, accepter la contingence
de son actualité. La beauté littéraire se mesure toujours à la durée des
oeuvres. Le romancier idéologue se voit ainsi
pris entre la nécessité
d'inscrire son dire dans un discours partisan, réduit à un sens univoque
et essentiel, et le désir de respecter les critères d'accès à la création
du beau. Ces contraintes ne sont pas aisées à concilier. Les causes sem-
blent pouvoir s'expliquer par l'analyse de la dynamique socio-historique
avec son lot de mutations. Mais la o18ture et l'ouverture d'un texte ne
sont pas générés par le texte uniquement à. Pfl.rtir de son déroulement at-
testé. C'est alors que l'activité de lecture, de sa conception primaire
qu'est le décryptage à. son degré supérieur, c'est-à-dire à la jouissance
artistique et participative, devient pertinente en tant que construction
1- La c18ture d'une oeuvre, d'une pensée consiste en la réduction des sens et
des interprétations possibles-de'cette oeuvre. Cela aboutit à l'éaec~i6n d'un
sens èt par conséquent .à. son imposition.
L'ouverture consiste en l'opération contraire.
-378-
et reconstmction idéologiques. Toujours est-il qu'on ne saurait conce-
voir une lecture purement ludique, purement littéraire. Les réalités.pré--
sentes et passées déterminent les oeuvres et leur réception,: les lecteurs
se projettent dans ce qu'ils lisent.
A) LA DYNAMIQ,UE SOCIO-HISTORIQ,UE
Aragon reconna!t dans J'abats mon .jeu qu'il n'a pas toujours été
l'homme qu'il est (1), qu'il a beaucoup évolué au fil des ans. Cela n'est
pas vrai seulement au regard des grandes étapes qui jalonnent sa '. vie r.
~ada.tsme, surréalisme, communisme (donc réalisme socialiste). Paradoxale-
ment, de 1930 à 1945,période .marquée par l'engagement militant dans le co~-.
munisme stalinien, ses idées politiques ont beaucoup évolué tout comme
elles ont largement changé après le 20e congrès du P.C.U.S. (2)
Drieu la Rochelle, bien que les critiques ne cessent de suggé-
rer la constance et la permanence, dans ses romans et sa pensée politique,
de son obsession de la déchéance, n'en subit pas moins l'évolution sociale
et politique èe son époque.
L'évolution marque dans ces cas une réadaptation de la pensée po-
litique,compte tenu de la mutation sociale. C'est là reconnattre la gran-
de fermeture des oeuvres et leur inadaptation aux réalités sociales. Ce-
la pose l'actualité du contenu idéologique des livres.
a) Pertinence et datation du discours idéologique.
Le roman étant une oeuvre imaginaire qui imite la vie, son con-
tenu ne peut@tre en complète mpture avec le réel. Or le réel social est
constamment renouvelé. Est-ce à dire qu'un roman ne peut avoir qu'une ac-
tualité éphémère ou que, quand il aspire à l'étemité, il cesse d'@tre
un roman parce qu'il n'est plus daté par la présence du réel ? Ce point
1- Louis Aragon, "Il faut appeler ~ohoses par leur nom" In J'abats mon
jeu p. 134
2- Ce congrès marque officiellement le début de la d~stalinisation à la sui-
te de la dénonciation des "crimes" de Staline
-379-
de vue est sans doute excessif mais il est certain que la pertinence et
la beauté d'un roman naissent de la rencontre de son contenu avec les inquié-
tudes et les préoccupations des lecteurs. D'autre part, m@me quand elle
prétend Atre éternelle, une idéologie est toujours une pensée collective
et partisane née d'une réalité et chargée de protéger ou de détruire un
pouvoir social
réel. Roman et idéologie sont donc toujours datés et char-
gés de réel, ou déterminés par lui. C'est pourquoi l'un peut porter l'au-
tre. Le risque demeure
cependant double, de voir le roman subir la con-
tingence de son contenu quand celui-ci est essentiellement idéologique. On
peut mesurer ce risque à partir du Monde réel d'Aragon, ou des romans de
Drieu publiés après 1930.
Dans Le ttonde réel la pertinence des propos fait presque tou-
jours appel à la réalité de l'époque •.~me des phrases anodines, des
lieux communs mais néanmoins fort idéologiques en tant qu'éléments de la
en
pensée collective, subissent le poids du réel. La preuve/est que, sor~- _
tis de leur contexte, ces lieux communs perdent leur sens et leur valeur
idéologiques. Pour peindre l'inconscience et l'irresponsabilité, Aragon
ne s'est pas contenté d'écrire Les Voyageurs de l'impériale. Il crée aussi
cette atmosphère de relâchement et d'abandon, délIlS
presque tous les pre-
miers volumes des Communistes par la simple évocation d'une expression qui
permettait d'occulter les problèmes. Là ne s'arr@te pas la valeur idéolo-
gique du fameux "ce n'est pas le désert de Gobi". La phrase se charge
d'une perception exotique de l'étranger, d'une sous-estimation de l'autre
qui fondent l'idéologie coloniale dont les stéréotypes avaient cours dans
l' esprit et le langage ordinaire. Les suj et sn' en avaient certes pas une
perception claire. D'autres éléments de la pensée populaire, comme les
chansons, ont-lam@me fonction dans Le blonde réel. par exemple; le ro-
mantisme et le sentiment alisme de l'entre-deux-guerres sont rendus dans
Les eommunistes par la reprise d'un refrain à la mode 1
-380-
"Quand ça fait boum ! là •••• dans mon coeur !" (1)
Drieu s'attache beaucoup moins à ces détails réalistes. Il construit
la pertinenoe du discours de ses romans à partir de la reprise de certains
•
,/Ui
préjugés et aspirations de la pensée collectiveiconstituant de véritables
piliers~pour l'idéologie de ses textes ou celle qu'il attribue à ses per-
sonnages et partant, à 'es ooncitoyens qui en sont les pilotis. Citons les
préjugés à l' endroit des juifs, la culture du pessimisme (par l' esprit fas-
ciste) et la remise en cause des fondements de'la civilisation et de la dé-
mocratie. Pour un lecteur, un tant soit peu solidaire de la pensée fas-
ciste ou de la droite de l'époque, ce sont ces thèses datées qui font la
pertinence du discours des romans de Drieu. c'est en fait ce qui le date.
Tout comme un communiste ou un sympathisant apprécierait Le J*>nde réel, du
moins en ce temps-là, par ce qu'il reprend les analyses marxistes sur la
vie sociale et politique de l'époque. En définitive, le discours idéologi-
que, pour ~tre pertinent et parce qu'il est idéologique (c'est-à-dire dis-
cours partisan au service d'un pouvoir collectif), doit parler du réel et
de l'actualité, descendre sur terre et dépasser les considérations théori-
ques et abstraites. C'est parce qu'il doit ~tre réaliste o'est-à-dire pré-
tendre implicitement ou explicitement ~tre essentiellement référentiel. Mais
le risque, dans ce cas, est la contingence de ce qui est dit. La mutation
idéologique des oeuvres signifie à la fois la réalité de ce risque et le
désir de le contourner.
b)
L'évolution idéologique chez Drieu la Roohelle 1 divers moyens pour
un seul prO,i et,
Parler d'évolution, à propos de la pensée politique de Drieu la
Rochelle,peut surprendre plus d'un lecteur. Pourtant, celui dont on aoouse
la pensée d'avoir comme obsession l'idée de la déchéance et d~tre une Asui_
1- Louis Aragon, Les ~ommunistes (mai 1940) p. 9
-381-
te dans une idée" (1. ~ a beaucçup évolué, comme en témoignent les passages
suivants. En 1933, l'armée m@me où Hitler accéda au pouvoir, Drieu di-
sait de lui dans Dr~le de voyage •
"Le douanier, voilà le f~toche' le plus ridicule de notre époque, le
plus démodé, le plus -pernicieux ( ••• >. La plus belle fille du monde est '
couverte de cette vermine. Je me plairai à voir un symbole dans le fait
que, pax exemple, Hitler serait le fils d'un douanier." (2)
En 1943, le romancier change de point de vue sur Hitler et écrit dans
":Bilan" tout en reconnaissant que sa nouvelle démarche est une politi-
que ~heuse parce qu'elle s'en remet aux autres.
"Je suis fasciste ,parce que j 'ai mesuré 1.8 progrès de la décadence.
en Europe. J'ai vu dans le fascisme le seul moyen de contenir et de ré-
duire cette décadence, et par ailleurs ne croyant plus guère dans les res-
sources politiques de l'Angleterre comme de la France, réprouvant 1'inttu--·
sion d'emprises étrangers à notre continentcomme ceux des Etats-Unis et
de la Russie, je n'ai vu d'autres recours que dans le génie de Hitler et
de l'hitlérisme ••• " (3)
Une analyse profonde montre qu'ici, l'évolution porte sur la ma-
nière de mesurer l'action possible, l'efficacité de l'hitlérisme. D''Wle con-
ception qui la considère comme un nationalisme étroit, Drieu passera à 'Wle
1- Etiemble, "Politique de Drieu, ou la suite dans une idée" Les temps mo-
dernes nO 84-85, octobre-novembre 1952
2- Drieu la Rochelle, Dr~le de vOyage p. 309-310
3- Drieu la Rochelle, ":Bilan" Nouvelle Revue Francaise n0347, janvier 1943P.10~
Pourtant dès cette \\ date, il ya eu chez la plupart des fascistes français déaa~
fection vis à vis de Hitler. Ici, Drieu continue par orgueil ou par palU" de
1
t
la réaction allemande à défendre ses positions de 1940, sans pour autant y cro~/
re toujours, puisqu'il dit dans Récit secret qu'il aurait pu se détacher à
.
temps de l'hitlérisme parce que sa perspicacité lui avai,t de borme heure mon-
tré les errements et les erreurs des allemands.
La confiance en l'hitlérisme, ici affi~ée,doit donc @tre rapportée aux an~
nées précédentes.
-382-
autre qui lui fait confiance
et espère qu'elle réalisera l'unité de l' Et1~
rops. Ce qui a changé, ic~ ce sont les moyens que Drieu préconise pour réa-
liser sa politique internationaliste en vue d'unifier l'Europe. En 1933,
le romancier dénonçait le nationalisme comme un frein
à l'unité et, en
~
1943, le théorien politique se contente d'une unification qui serait l'oeu-
vre d'un autre. Dans toua les cas demeure un certain patriotisme europeen.
On pourrait remarquer que ces dates correspondent, la première à la phase
arrogante et étroitement nationaliste du fascislt1\\!,et la seconde à sa pré-
tention internationaliste et
unificatrice. Ces deux visions, Drieu les a
eues auccessivement. La seconde traduit à nos yeux, une
fidélité à l'or-
gueil de la collaboration ou un acte d'allégence envers l'hitlérisme, alors
que la première relevait d'une analyse perspic~e. Car, l'hitlérisme des
années de guerre n'est pas unificateur mais conquérant et son hégémonis-
me procède d'une volonté de dominatioI\\ ce qui est le
pire des nationalis-
mes. Bertrand de Jouvenel le montre clairement dans "Les buts de guerre
de l'Allemagne." (1)
Vers la fin de la deuxième guerre mondiale, à mesure q~e b. défaite de
l'Allemagne sa précise,Drieu détache son espoir de l'hitlérisme et le re-
porte BUr le communisme. Là encore ce sont les moyens de réaliser son pro-
jet qui ont changé, et non le projet lui-m@me. Ainsi l'auteur de Gilles chan-
ge constamment (de moyens) pour mieux rester fidèle à son but (unifier l'Eu-
rope). Cela se traduit dans l'oeuvre, c'est-à-dire le support idéologique,
le véhicule ~qui loue ou discrHite les moyens du changement en 'vue de les fai-
re adopter ou rejeter, par une certaine mutation.
La fermeture de l'oeuvre au regard des moyens de la réalisation
du projet internationaliste devient ainsi la source des
contradictions.
Pourtant dans ce danaine aussi, la pensée de Drieu est moins fermée
1- Bertrand de Jouvenel, art.-cit. La Revue 48' Pari:a: nO 1 Janvier-février 1940
-383-
qu' il nl~ paratt. Elle préconise une somme de vaJ.eurs comme la force, la
volonté, l'héroïSllle, le COur88e plutet qu'une doctrine politique rigide.
C'éBt la raison pour laquelle, répétons-le, l'auteur peut adopter, sans
resentir sa contradiction, toutes les pensées politiques où i l en-
trevoitla présence de ces valeurs. Ainsi, sans porter atteinte à sa logi-
que, il adoptera successivement, pour réaliser le m~me projet, un fascis-
me non hitlérien vers 1933, puis une politique pro-hitlérienne sous la deu-
xième guerre mondiale. Il finit, vers 1943, par éprouver une sympathie et
un espoir pour le communisme que seul, son orgueil et peut-~tre son enga-
gement dans la collaboration lui emp~cheront de proclamer au grand jour.
Quand l'analyse porte sur le projet, l'intentionnalité politi-
que et subversive, elle débouche sur la conclusion selon laquelle Drieu
la Rochelle écrit toujours le m~me roman. Les ambitions des personnages
sont les m~mes, les conclusions de ses livres semblables. Il s'agit toujours dJi
subvertir la société décadente, de rétablir la puissance et la force des
empires. Et l'échec de cette mission entratne toujours la mort ou la dis-
parition réelle ou symbolique des héros. En effet, dans chaque roman,
Drieu fait la dénonciation et la satire de l'idéologie dominante, déca-
dente selon lui et/ou fait l'éloge des valeurs élues et présentées com-
me celles de la doctrine politique adoptée. Les deux démarches ont une
m~me fin. A ce titre, chaque nouveau roman de Drieu la reprend et inten-
sifie l'ambition qu'elle fait na!tre. Une femme à sa fen~tre peint l'ef-
fort que nécessite la qu~te de cet absolu qu'est le rétablissement de la
dignité et de la force; Le Feu Follet, condamne la complaisance dans la dé-
chéance, Drele de voyage en est la reprise antagonique et il décrit la dé-
chéance pour mieux mettre en vaJ.eur et donner en exemple son rejet par
Gille. Gilles coiffe l'oeuvre et amén88e dans son espace, outre la descrip-
tion et la condamnation de la déchéance, l'éloge du fascisme qui est la
seule voie du salut pour l'humanité. Les ~hiens de paille et L'Momme à
-384-
cheval peignent chacun la souffrance morale d'une conscience lucide et as-
pirant à la dignité et à la force devant la dérision de la civilisation et
des combines sociales. De la pure dénonciation Drieu passera à la présen-
tation d'un projet qui subvertit la société et apporte le salut et puis à la
peinture du tragique moral que provoque 1 ' impossibilité d'accéder à l'ab-
solu. Cette évolution, au regard du désir de réaliser le projet politique
de Drieu, est progressive quant à la fermeture de l'oeuvre. Obéissant au
m~me désir de subvertir la société bourgeoise Louis Aragon sera obligé sous
la pression de la mutation sociale,de prendre un sens inverse, de procéder
après coup, à l'ouverture de son oeuvre romanesque.
c)
La mutation idéologique chez 10uis Aragon 1 de l'élargissement des
POints de vue à leur révision.
1'analyse des grands thèmes aragoniens montre un assouplissement
de la pensée politique, d'un roman du Monde réel à l'autre. Dans les pre-
miers volumes, les problèmes étaient posés, à chaque fois, d'un point de
vue nettement politique.' }1~me l'amour ne jouissait d'aucune autonomie. Dans
1es eloches de B~le, il est corrompu par l'argent. On peut se demander s'il
existe réellement dans ce livre tout comme dans celui qui l'a suivi et où
il se ramène à de simples coucheries. l' évolution du thème de l'amour per-
met de mesurer celle de la pensée politique parce que ce thème joue un
grand rele dans la caractérisation de la bourgeoisie, principal objectif
du Monde réel. A partir des Voyageurs de l'impériale et d'Aurélien l'aspi-
ration sincère à l'amour dont font preuve les personnages les humanise et
témoigne d'une moins grande haine de l'auteur à leur égard. Ainsi l' inten-
tion d'accabler la bourgeoisie s'estompe quelque peu. Aragon devient plus
tolérant, en tout cas moins sectaire. Il reconna!t des traits positifs
au sein de la bourgeosie. Ne dit-il pas, pour renforcer son commentaire
d'un roman de Philippe Sollers 1
"C'est que Aurélien, c'est de la littérature bourgeoise, c'est que je
-385-
commets le crime d'aimer la littérature bourgeoise." (1)
La to1éranoe et l'abandon du secte.risme comme formes d' assou-
plissement de l'idéologie se manifestent aussi à travers le traitement d'au_
tres thèmes clés de l'oeuvre littéraire d'Aragon. Dans Les cloches de B~le
la guerre est rejetée de façon catégorique sans aucune réserve. Pour Ara-
gon, elle est la marque de l'impérialisme. Les beaux quartiers soutiennent
la m@me idée avec cette concession qu'il ya une armée avec laquelle on doit
@tre soli4aire: celle du prolétariat, celle qui devra mener la révolution.
Les communistes semble tourner la page et accepter la nécessité de l'al-
liance de toutes les couches sociales - puisque dorénavant m@me des bour-
geois peuvent @tre patriotes et que le patriotisme est percu positive-
ment - pour combattre le fascisme. Il ya là un affaiblissement de l'idéo-
logique en tant que pensée partisane et sectaire au service du pro1éta-
ri:at. Du coup Aragon semble s'écarter d'une conception qui perçoit tous
les phénomènes avec des oeillères politiques et qui repose sur l'omniprésen-
ce de la lutte des classes.
La tendance à la dépolitisation, dans Le monde réel, ne doit pas
@tre exagérée outre mesure. Dans Les beaux quartiers comme dans Les commu-
nistes et dans Aurélien, Aragon est toujours communiste stalinien et m@-
me Jdanovien. Mais cette tendance permet d'affirmer l'existence, avant mbe
la dénonciation du stalinisme par le 20e congrès, de dispositions pour
l'assouplissement idéologique. Ces dispositions vont s'exprimer au grand
jour avec la correction et la révision idéologiques dans Le monde réel,
lors de sa publication, en 1966, en croisement avec les romans d'Elsa.
On.pourrait expliquer la réecriture par la seule nécessité de
réaménager l'espace d'une oeuvre qui, conçue en dix volumes ~estera ina-
chevée et s'arr@tera à six, si Aragon n'avait pas réécrit, en plus des
1- Louis Aragon, "Un perpétuel printemps" in J'abats mon .j eu, p. 38
-386-
Communistes, d'autres romans du Monde réel. Pourtant l'argument, sans
nous satisfaire, reste, valable si 1'on se dit que réaménageant Les ~om-
munistes pOur le rendre cohérent, l'auteur a été obligé de retoucher l'en-
semble Plisqu'i1 s'agit d'une série de romans formant un tout indivisible.
C'est; dans le principe, juste mais dans Le Monde réel, chaque roman for-
me une unité et il eftt été facile de corriger l'inachèvement des Communis-
!!! sans toucher aux autres romans. C'est pourquoi~.et·fort de la tendan-
ce que nous avons déjà décelée, nous pensons que la réécriture du Monde
~ est une révision idéologique. D' ai1eurs, la comparaison des textes
confi:rme cette tendance. Aragon reconna.!.t 1ui-m@me la refo:rmu1ation as-
soup1issante de sa pensée politique dans la version de 1966 quand il évo-
que, pour justifier sa révision du texte original, non pas seulement le
style, les personnages, mais aussi l'esprit de responsabilité (1).
Charles Haroche (2) explique
que l'esprit de responsabilité c'est
l'adoucissement envers les socialistes. Celui-ci traduit un affaib1isse-
ment du sectarisme et du complexe de supériorité politique qui s'expri-
ment dans la première version des Communistes. Nous avons déjà montré
l'importante dévaluation dont les socialistes sont l'objet dans Les ~om-
munistes et leur réduction à une simple variante de l'idéologie capita-
liste, et dominante. Dans le sens de dév~uer la politique des socialis-
tes Les eommunistes dénonce la non~tervention en Espagne, 1~ loi de 5éro1 (3)1
f
qui pe:rmettait de requérir la peine de mort contre les militants communis-
tes et qui, dans la politique de la droite, visait à démarquer les socia-
1- Louis Aragon, "La fin du Monde réel", Postface d'Aurélien, Paris, Editions
de Poche, 1966~. 422
2- cf Charles Haroche, "Recherche des communistes d'Aragon" Cahier du COlll-
munisme nO 9, septembre 1982
3- La loi Séro1, du nom d'un Ministre socialiste, promulguée pendant la guer-
re, pe:rmettait de condamner à mort les militants et sympathisants cODlllllU'listes
arr8tés pour leur action politique ou leur simple appartenance au P.C.F
-387-
1
listes des communistes et à faire de telle sorte que le Front populaire qui
!
consacrait, en 1936, la victoire de l'union de la gauche, ne soit plus POSSiblJ
t
La réecriture exprime des préoccupations .esthétiques beaucoup plus in~t
tensesque la première version. En 1949 Aragon privilégiait le contenu. idéolOgi4
que. Mais en 1966 la modification de certains passages, sans négliger le conte1
nu, se soucie beaucoup de l'aspeot esthétique. Ce fait m~me el!lt une forme d'as~
souplissement idéologique. Mais la valeur Purement esthétique des modification~
ne nous intéresse pas ici au premier plan. Il arrive cependant que soucis es- ;
thétiques et idéologiques se recoupent. D'ailleurs, les modifications idéolo-I
giques ne sont presque jamais possibles sans une certaine répercœ'iiSion sur la
forme. Par exemple, l'adoucissement envers les socialistes ici en question, en!,\\'
réduisant le sectarisme rend le ton du livre moins polémique. La technique con~t
siste à effacer de la nouvelle version les considérations désobligeantes pour
les socialistes comme oelle qui dénonce la loi Sérol et celles par lesquelles
l'auteur montre que la participation des socialistes au gouvemement, décidée
et mise en oeuvre par la classe bourgeoise dominante, consacrait l'alliance
contre les communistes. Il est certes vrai que les socialistes ne sont pas
blanchis dans la version de 1966 mais le discrédit·-dont . ils sont l'objet est
beaucoup moins outrancier.. Par exemple, dans la version de 1966 d~s COlllIIIlUlis-
~, presque toutes les parties désobligeantes pour Blum et les socialistes
sont effacées. Comme le passage suivant qui pousse le discrédit jusqu'à la
comparaison implicite avec les fascistes de Doriot et OÙ les soeialistes appa-
raissent comme les marionnettes du pouvoir S
"Ils ne feront pas toumer l'histoire comme ils veulent, toute cette
racaille à Daladier et leur P.P.F, leur P.S.F, et les grandes gueules so-
cialistes. Ce Blum ! ( ••• ) Son article de ce matin. "L'atroce événement" •••
quel crocodile! Et puis en douce il leur disait aux copains: cette fois,
allez y, il faut baisser culotte ••• 11 (1)
Dans la version de 1966 ce passage sera 1
1- Louis Aragon, Les Communistes (sept-nov. 1939) p.120
1
1
-388-
1
1
"Ils ne feront pas ( ••• ) P.S.F, toutes les gr~des gueulesl" (1)
t~
Les exemples d'effacement.
d'énoncés de ce genre sont nombrewe.
Ils traduisent une réduction de l'engagement dans le discours. Ces rap-
porta entre auteur et personnages ou contenu du discours sont d'ordre
idéologique. L'adoucissement, par le m~me procédé, touche aussi les bour-
geois et tous les autres adversaires politiques. D'autre part.. le refus
ou
plutet l'effacement
de l'engagement idéologique s'exprime à l'endroit des
communistes par divers procédés (syntaxiques, sémantiques ou narratifs) des-
tinés à réduire l'admiration et la solidarité de l'auteur. C'est ainsi que
la seconde version des Communistes omet les passages qui font le culte du
parti et des dirigeants et qui étaient, idéologiquement, un écho du sta-
liniame aveo son culte de la personnalité. Certains rajouts jouent les m@-
mes fonctions à l'endroit des communistes ou des bourgeois. Mais l'évoca-
tion de la réécriture du Monde réel nia de valeur, ici, en ce qui concer-
ne Les ~ommunistes ou Aurélien etc ••• que dans la mesure où le phenomène,
mesurant l'évolution des idées politiques des textes, informe en retour sur
la pensée politique qui les avait générées lors de la première version.
La mutation est la preuve de l'emprise du monde sur la pensée de l'écri-
vain. Pour Aurélien, les modifications intervermes à la suite de la réé-
criture concernent surtout la répartition des chapitres et le temps, la
chronologie du roman. La modification de l'architecture obéit sans doute
à des soucis esthétiques. Quant
à la chronologie W. Babilas ~2) explique
son déplacement par un souci, chez le romancier, de faire coincider certains
points saillants de l'action romanesque avec des détails importants de sa
biographie. Elle cite un exemple 1 l' avant- dernière rencontre d' Aurélipn et
de Bérénice a eu lieu à Giverny en 1922 dans la première version.
Aragon a séjourné lui-même à Giverny en 1923. Il semble donc que, lors
1-L8s communistes l in Oeuvres Romanesques çroisées, R. Laffont, 1966 p•. 222;
,
2- Wo~fgang Babilas Lydia "Madame ma mémoire, vous m"en faites de bellesl"
in Aragon Aurélien 1 Télévision, Silex n° 8/9 1987
-389-
de la deuxième version, le romancier a;t voulu faire côincider la date de
cette rencontre importante dans l'action du roman avec celle de son pro-
pre séjour. Ce l;5ouci peut Para!tre superflu et dénué de toute valeur idéo-
logique. Pourtant, il marque un plus grand intér3t de l'auteur pour
sa personne et sa biographie, pour un passé qu'il ;reniait en 1944, date de
la première version. La nouvelle chronologie subjectivise, donc, le roman
et le rapport à l' écriture.
C'est là un écart vis-à-vis de l'austérité du réalisme socia,lis-
te qui repose sur un désir d'incitation, c'est-à-dire ici un souci de trans-
fomer la littérature en instrument pour la révolution prolétarienne. Il
n'est sans doute pas nécessaire de souligner qu'il ya dans ce cas un aban-
don de l'idéologisme pour une conception ludique et jouissante reposant
sur le caractère subjectif de la création artistique. Cela correspond.à
une Période, non pas d'abandon du réalisme socialiste, mais à sa révision
et à sa transformation en un réalisme sans rivage. Quelles sont les infor-
mations que ces données nous livrent sur l'idéologie des textes de 19441
\\
La réecriture signale ce qui, dons ces textes, relevait, d'une mode,
fftt-elle idéologique, et qui rejet-ait le caractère subjectif de la créa-
tion littéraire tout en affirmant la nécessité de l'assujetir à l'effica-
cité politique. Nous avons là la preuve selon laquelle la politique était
partout au poste de commande - comme disait-on au temps des l31og~s maoïs-
tes. Cette emprise de la réalité politico-sociale sur la production litté-
raire est une fome de dialogisme 1d&ologique où le modèle s' impese jus-
que dans ses aspects les plus contingents. La réecriture signa.,le aussi l' a.ssu-
jetissement, à l'époque, du littéraire à l'idéologique, par le'biais d'one
cl&ture. Celle-ci s'exprime par la reproduction de la réalité sociale et
l'interprétation que cette réalité impose. Voilà'la raison de la datation
et sa fonction essentielle.
La prise en càmpte de la réalité extérieure à l'auteur est une pré-
-390-
tention à la référentialité mais surtout une quête de complicité avec le
lecteur contemporain. Ce lecteur n'est pas seulement celui qui décode le
message du texte. Il participe à la construction de l'idéologie tout com-
me le support qui, à l'occasion, dépasse '.sa fonction instrumentale.
B)
LA LECTURE s CONSTRUCTION ET RECONSTRUCTION IDEOLOGIQUE
Il peut para.!tre paradoxal de se proposer de parler de l' idéo-
logie des textes et de s'interroger sur le rele de la lecture. Mais puisque
l'idéologie d'un texte ne peut se transmettre que par l'activité de lec-
ture, celle-ci en devient, au même titre que le contenu, une sorte d'é-
lément constitutif et essentiel. La lecture c'est ce qui permet à un tex-
te de remplir sa fonotion cognitive, incitative, expressive, etc ••• car
elle établit la relation entre le texte et son destinataire. D'aUtre part
quelque soit la redondance d'une pensée, sa mise en texte introduit un
encodage. Dès lors l'idéologie qu'elle contient nécessite un travail de
reconstruction. Celui-ci ne saurait rester un simple décodage. Le rècep-
teur du message a des dispositions qui, non seulement lui permettent de
cemprendre ce qu'il lit mais de le comprendre d'une manière particulière.
A ce titre il se projette lui aussi dans le texte. Sa lecture devient aussi
en plus de la reconstruction, un travail de construction idéologique. En-
fin l'interprétation du contenu d'un texte ne dépend pas seulement de
ces
facteurs. Il ya aussi le support et la valeur qui lui est attachée. Un
roman et un essai peuvent raconter tous les deux le même fait. Ce dera1er
ne sera jamais perçu
de la même manière à la lecture de l'un ou de l' au-
tre des supports.
a)
Le décryptage de l'idéologies
Le discours idéologique, même quand son auteur ne se réclame pas
du réalisme, a la prétention d'être référentiel. Il l'est d'ailleurs en
grande partie, ou i l en donne l'illusion. C'est une façon de contreler
l'interprétation des lecteurs. Partant du principe de la référentialité
-391-
des textes qu'ils lisent, ceux-ci auront à coeur de procéder à un simple
décryptage et à une reconstruction fidèle. Ils acceptent ainsi la cletu-
re du texte et l'unicité de sa signification. Toute une littérature d'es-
corte, préfaces, postfaces, notes des éditeurs, l'y aident quelquefois. Drieu
nous prépare dans la préface de Gilles, à accepter le caractère référentiel
de ses romans. Aragon fait la m~me chose à propos des Communistes.
C'est parce que, d'autre part, la référentialité est de bonne
guerre dans le disoours idéologique et qu'elle rend inambigu le contenu
des livres. L'auteur, donnant à lire sa version des faits et son interpré-
tation, impose celles-ci aux lecteurs qui comprennent le texte comme un dé-
calque de la réalité. Il contrele ainsi la constrnction qui naît de la lec-
ture en la transformant en reconstrnction. Le désir de faire reconstruire
explique la précision des détails réalistes, la création d'indices de re-
connaissance destinés aux leeteurs, la redondance des événements et la re-
lation inambiguë des faits. Ce sont là les éléments qui forcent le lecteur
au décryptage. Les procédés sont multiples et ont déjà été signalés dans
d'autres circonstances. Prenons cependant quelques exemples où l'écriture
des romans appelle le décryptage puz
et simple, c'est-à-dire quand elle
présente les textes comme purement référentiels. Il ya l'inscription dans
l'histoire, soit par datation explicite ou par évocation de faits contem-
porains. Les datations exactes sont plus fréquentes chez Aragon mais elles
existent aussi dans les romans de Drieu la Rochelle.
La date peut-~tre mise en valeur et cela souligne son importance historique.
"Le seize janvier mil neuf cent quarante ( ••• )" (1)
"Au début de 1934, Gilles Gambier était au bout de sa vie parisierme." (2)
Elle peut affirmer l'historicité des événements qu'elle suit ou préc~e
et attester la véracité! du discours. Dans tous les cas le pari consiste à
rendre le texte référentiel et, limitant la marge d'interprétation, à ré-
1- Louis Aragon, Les communistes (nov 1939 mars 1940) p. 272
2- Drieu la Rochelle Gilles p. 581
-392-
duire celle-ci à un décryptage.
L'évocation des protagonistes des événements, des circonstances,
les clins d'oeil au lecteur par allusion à des faits réels qu'il connatt ou
à des expériences qu'il a partagées, remplissent les m~mes fonctions que la
datation. Dans Les eommunistes Ar~on introduit, dans c~ but, des personnages
et des expériences réelles. Drieu colle dans le texte de Gilles des événe-
ments attestés, comme les émeutes de février 1934, les proc~s surréalis-
tes ou l'instabilité politique des années vingt.
En facilitant le pari de rendre les textes référentiels, ces pro-
cédés invitent les lecteurs à un travail de pur décryptage. Mais ils cle-
turent le texte, le limitent à son époque et portent ainsi atteinte à la
conception qui attache le beau à 1 ' éternité. ~me dans ce cas, le caractè-
re référentiel est de courte durée puisqu'avec l'évolution de 1 'histoire,
le contenu des textes cesse d'~tre d'actualité et ne recoupe plus l'expé-
rience dee lecteurs. En réalité c'est plutet les lecteurs qui perdent les
dispositions leur permettant de procéder au décryptage. Cela n'efface pas
le caractère incitatif des textes mais réduit la portée de l'idéologie en
rendant caduques ses injonctions. Cela est certainement l'une des raisons
qui expliquent l'évolution idéologique à l'intérieur des oeuvres et la réé-
criture des textes. Un lecteur d'aujourd'hui, s'il n'a pas vécu la secon-
de guerre mondiale en Franee, ne comprendra pas les discours de Weygand.,
de Reynaud ou les collages de débats parlementaires dans Les ~ommunistes
comme des faits réels simplement transposés. Si la référentialité demeure
alors, son ignorance estompe la valeur idéologique qui lui est attachée. Il
faut avoir vécu ou étudié l'histoire du surréalisœe pour décrypter comme
des faits réels les discours attribués à Ca~l ou ~ Galant-dans Gilles. -Ainsi,
aveo le temps, la référentialité qui, à l'origine, appelait le décryptage
et auréolait le texte du prestige de discours véridique,rend celui-ci ca-
-393-
due
ou le transfome en pure fiction dans la compréhension des lecteurs.
Mais quand le décryptage est possible, comment s'exerce son mé-
canisme ? Au niveau de la mise en texte, autrement dit de l' incitation au
décryptage, il s'agit pour l'écrivain de procéder à la référentialisationet
de se
servir de l'idéologie en tant que pensée et expérience collectives
pour unifier les interprétations et les annexer à celle de l'auteur. La
tâche de l'écrivain consiste à faire en sorte que la construction de cha-
que lecteur soit une simple répétition de celle que le texte se propose de
transposer. Ainsi, ce qui est demandé au lecteur est réalisé par l'écritu-
re. Sommé de comprendre l'univers romanesque comme la transposition du réel,
il marche sur les pas de l'auteur, lui aussi contraint de transposer des
expériences. Et autant que l'écrivain qui, par les nécessités idéologiques,
doit transposer le réel en le conformant à son modèle doctrinaire, le lec-
teur ne peut échapper à une interprétation qui se nourrit, peut-@tre mal-
gré lui, de sa propre idéologie, quand bien m@me cette dernière est dif-
férente de celle du texte. Alors, sa lecture devient construction et plus
que reconstruction.
b)
La lecture construction, une lecture idéologique.
Quand un auteur génére son texte dans le sens de le donner à.
décrypter avec une signification unique, il se propose de taire et de fai-
re taire chez le lecteur toutes les idéologies qui ne sont pas la sienne.
Il vise à organiser la compréhension du texte dans le sens qu'il définit.
Ce but n'est presque jamais atteint. La lecture suppose une participation,
une certaine construction dont le point de départ peut @tre les images
créées par le texte. Mais l'univers construit n'est pas toujours conforme
à oelui du texte lu. ~me les constructions qui semblent @tre les plus fi-
dèles sont en partie déterminées par l'idéologie du lecteur. Voilà d'ail-
leurs pourquoi un texte peut oesser de susciter de l'intérêt avec l' évo-
-394-
lution historique ou le changement géographique. Tout lecteur dépasse le
décrypt88e et se projette dans son texte. Les rapports du lecteur avec le .
contenu de son livre ne sont pas seulement subjectifs, mais aussi idéolo-
giques. La réaction du lecteur est dans le plan dialogique, pris en compte
ou plut8t prévue par le texte. L'écrivain tente d'harmoniser le contenu du
texte avec les dispositions idéologiques et subjectives des lecteurs. Il ya
là. un véritable jeu de séduction qui met en oeuvre des t'echniques de persua-
.sion et d'appel à la complicité. La complicité vise généralement les cama-
des politiques ou les hésitants. Les procédés sont variés. On peut en ci-
ter quelques-uns :
- La mise en texte de l'expérience commune: le héros est alors un person-
nage intradiégétique
et un symbole représentant un groupe social, une
époque etc ••• Le texte devient un compte rendu épique de son action. Il
ya des exemples comme Les eommunistes, Gilles. Dr8le de voyage
- L'implication dans l'énonciation et partant dans l'action décryptées
Ici l'implication semble concerner le narrateur et ses personnages mais
en réalité le lecteur est lui aussi embrigadé. Car en fait, dans le pro-
cessus de la lecture c'est lui qui occupe la place du narrateur ou du des-
tinataire à qui s'adresse le texte et qui est posé, par stratégie, comme
un juge indépendant et impartial. Les eommunistes, Les lloches de B~le et
Les Heaux quartiers recourent souvent à. ce procédé quand l'objet ou le su-
jet de l'énoncé est un ouvrier ou un communiste.
La séduction à l'endroit du lecteur différent idéologiquement du Da»-t1
rateur mise le plus souvent sur le perlocutoire et la persuasion. Dan., Le tiondef
réel, Aragon fait largement appel à ce procédé, chaque fois que son texte
a pour destinataire - ce qui arrive souvent - le bourgeois ou le citoyen
non acquis au socialisme. Dans Les '6eaux quartiers la description de la
bourgeoisie vise à la dégodter elle-m@me de ses tares, de l'imperfection
de son système politique. Ici le caractère
incitatif du discours a pour
-395-
médiateur le pouvoir perlocutoire que porte le texte et qui s'exercera
sur le lecteur. Les Voyageurs de l'impériale, Gilles procèdent de cette
intention. A l'endroit du camp auquel va la sympathie de l'auteur, i l
arrive aussi que le texte fasse agir son pouvoir perlocutoire 1 appel à
la prise de conscience, à la commisération, à la révolte. Le but est tou-
jours de créer les conditions subjectives de la subversion.
Il est peut-être inutile de remarquer comment ces procédés dé-
terminent la le~ture, et, avec les dispositions du lecteur, rendent cel-
le-oi idéologique. La cause en est une certaine orientation des éléments
qui gén~rent la construotion suscitée par la lecture. Ici la dénotation
ne suffit plus puisqu'elle livrerait un sens littéral par un simple proces-
sus de décryptage. Par exemple, dans le titre même des Beaux quartiers on
doit faire intervenir la connotation ironique pour que la compréhension
soit la borme 1 de beaux quartiers par l'extérieur, ignobles et laides à l'in-
térieur par ce qui s'y fait. Ainsi la lecture idéologique suppose une som-
me de dispositions intellectuelles et idéologiques, une certaine compé-
tence culturelle. Et cela en raison des j eux de cormotation, d'ouverture
ou de fermeture du discours en vue de signifier certains de ses aspects
ou de limiter les interprétations et de les orienter. C'est une action
sur l'idéologie des lecteurs. Pourtant, même quand on a cerné la pensée poli-
tique du lecteur, déterminé la doctrine de l'auteur, on n'a pas encore
fait le tour de tous les facteurs qui déterminent l'interprétation d'un
texte.
c) La valeur du support 1
L'oeuvre de Drieu la Rochelle fournit un bel exemple de la va-
leur du support de la pensée dans l'appréhension de l'idéologie. Au plan
politique ses romans tirent les mêmes conclusions que ses essais. Pourtant,
les traits idéologiques sont plus marqués et plus lisibles dans les essais.
L'écriture du roman n'admet pas le discours direct et didaotique
-396-
obéissant à un degré zéro de la perlocution (1).
Elle doit noyer l'idéo-
logique dans un discours non performatif mais constatif, en vue de replré-
senter un microcosme qui sera perçu comne la transposition d'un réel. Mais
tout cela repose sur un compromis qui estompe le caractère idéologique du
discours romanesque s le microcosme créé et l'action qui s'y déroule sont
fictifs. Le lecteur ainsi prévenu place alors la vérité du roman dans une
sorte de "no man' s land" où elle devient inoffensive. Mais s'auréolant du
préjugé de "fictivité" le roman dépasse le fictif, envahit.le réel, le so-
cial et le politique sans se faire décrier. Il ya là deux réceptions con-
tradictoires possibles du discours romanesque. La première retient sur-
tout l'aspect fictif, et considère les microcosmes romanesques comme pu-
rement imaginaires. Elle
les place ainsi dans un univers sans emprise réel-
le sur le social puisque l'idéologie ne peut s'y exprimer de façon décisive
et objective. La seconde retient que le caractère fictif attaché au dis-
cours du roman n'est qu'un préjugé ou une ruse qui permet de véhiculer l' i-
déologie sans éveiller la méfiance en dévoilant l'idéologique. Dans les cas
de Drieu et d'Aragon, c'est surtout la deuxième conception qui est rete-
nue. Cette conception est d!ailleurs une tendance générale. Le roman, par
son discours, peut remplir une fonction sociale. Celle-ci est, dans ce ca-
dre précis, idéologique et subversive.
Le pouvoir de représenter par le discours constatif est ainsi uti-
lisé pour camoufler l'idéologique et le caractère illocutoire. Nous com-
prendrons mieux cela en résumant le discours des romans de Drieu et d'Ara-
gon. Chaque fois, la conclusion peut @tre assimilée à un ordre qui dit ce
qu'il faut faire et poursuit la lisibilité et la fermeture de la pensée jus-
qu'à déterminer les moyens dont il faut se servir. Ce serait un truisme
si l'on précisait que ces moyens sont la démarche politique préconisée par
l'idéologie mise en oeuvre pour réaliser son projet. Les Beaux quartiers
1- Du genft l "il faut faire la révolution"
-397-
dit ~
que la vie sociale est déterminée par la lutte des classes, que
la société est dirigée par le capital. Les dirigeunts, ignobles dans leur
vie morale, ont mis en place Une organisation sociale· injuste qu'il faut-
subvertir par la lutte contre le capital. Dr~le de voyage dit que l'ar-
gent a corrompu le monde, instauré la déchéance et suscité une idéologie
défaitiste. Il faut rétablir les bonnes valeurs par la subversion qui
s'exprime dans l'anticonfomisme en attendant l' action politique q1Ü.,
d'après les aspirations du héros, ne peut ~tre autre chose que le fascisme.
Les Voyageurs de l'impériale affirme qu'il n'existe aucun ilot de bonheur
personnel; il faut prendre ses responsabilités et lutter contre le mal
collectif par l'action politique. Celle-ci était d'abord, à l'époque et
conformément à l'action du P.C.F, la lutte contre la guerre.
Ces ordonnances et prescriptions ne sont pas reçues comme telles,
puisqu'elles s'insèrent dans un corps romanesque jouissant des préjugés
attachés au genre. Mais ces préjugés font courir un risque néfaste à l'i-
déologie politique s annexer celle-ci au littéraire ce qui conduirait à
l'occulter ou, quand elle ne lui est pas soumise, à déprécier le livre,
et, à la limite, à le rendre illisible ("inlisable").
Tous les lecteurs ne procèdent pas à ces analyses. Mais les pré-
jugés attachés au roman déteminent ordinairement, peut-~tre m~me à l'in-
su du lecteur, 1'oute la construction ou la reconstruction que le contenu
du roman inspire à sa pensée. La lecture est donc le lieu de rencontre de
plusieurs idéologies où le désir de faire décrypter qui peut ~tre manifes-
té par l'auteur, n'occulte pas l'action de son idéologie Di de celle qui
est attachée à un support.
Si la réécriture est la preuve du caractère indispensable de
l'ouverture de tout discours, surtout quand il veut s'attacher l'étemité,
à la fois recherchée par le texte littéraire et revendiquée par l'énoncé
idéologique, le désir d'@tre incitatif, illocutoire et efficace commande
-398-
la clOture et la fermeture. Mais quand m~meelkexprime les nécessités de
l'ouverture, la réécriture est la preuve qui souligne l'indispensable et
obligatoire fermeture du texte idéologique. A ce titre on peut simplement
dire que le discours idéologique est toujours un discours contraint en rai-
son de sa transitivité, de ce qu'il veut réaliser. L'action de la dynamique
socio-historique sur le système idéologique des textes et le procès de la
lecture, les différentes forces qui s'exercent dans l'une et l'autre per-
mettent d'appréhender ses tendances contradictoires.
La révision et la correction idéologique sont des aveux de fer-
meture du texte. Une écriture qui veut se donner à lire comme un simple
discours référentiel à décrypte~ le manifeste également. Mais l'analyse du
procès de lecture, la valeur du support des textes en 'tant que genre litté-
raire tout comme la qu~te d'éternité révEhent des tendances contraires.
"';399-
CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE
Tous les discours ont des destinataires et sont déterminés en
partie par celui-ci. Mais le discours idéologique, à cause de ses visées pra-
co-sociales,tient particulièrement compte de ses destinataires et de la
réalité sociale, il les intègre explicitement dans son contenu et dans sa
forme. Ainsi est-il un inter-discours où s'expriment non seulement le modè-
le de la doctrine élue mais aussi, bien que dévaluées pour des causes par-
tisanes, les idéologies ennemies ou rivales. Le caractère partisan orien-
te toujours la polémique des idéologies intratextuelles. Le résultat don-
ne un système cohérent, reflétant ou illustrant, partiellement ou dans tou-
tes ses formes, un modèle doctrinaire extérieur. L'énoncé ainsi obtenu, et
qui associe dans le cas du roman, les traits de littérarité du genre au
contenu idéologique, est ici dénommé idéologie du texte car, m~me s'il pro-
cède de l'intentionnalité de l'auteur, celui-ci n'en contr8le pas toutes
les significations. Pour Drieu et Aragon, les sentiments individuels et
subjectifs de chacun et de l'un envers l'autre s'associent à la pensée col-
lective que constitue le discours idéologique. Dans leur polémique ces
deux éorivains finissent par s'identifier à leur doctrine et réduire leur
adversaire à l'expression
d'une pensée ennemie de la leur.
~me quand, dans ce travail, ils n'effacent pas complè'tement leur
propre individualité, il leur faut cependant signaler suffisamment aux lec-
teurs les modèles doctrinaires dont parle le texte et lui permettre de
choisir l'interprétation qu'ils lui proposent (ou plut8t imposent). C'est le
sens des invitations, des différentes formes d'imitation,qui âébouchent
sur l'introduction du discours quotidien dans le discours littéraire en
vue de le rendre idéologique. Cette forme de lisibilité risque de privilé-
gier l'efficacité idéologique sur la beauté littéraire.
Mais si la prise en compte du destinataire se poursuit dans une
-400-
laquelle
écriture qui veut imposer la méthode Avec ~ il faut lire Na textes, elle
ne peut généralement contreler l'action de la dynamique sociale que par
des retours, des corrections et des refonnulations. Et dans ce cas il ne
s'agit pas seulement de rendre le texte lisible à ses nouveaux récepteurs
mais aussi de renier et d'adapter oertains de ses aspects pour actualiser
son discours. A ce titre le texte idéologique est aussi un discours con-
traint à la mutation per.pétuelle ou condamné à la caducité inéluctable.
Pour contourner ees difficultés il yaCet nos deux romanciers le savent
bien) la réécriture ou la reprise et l'adaptation de certaines idées d'un
livre à un autre.
Cette solution n'est-elle pas un moindre mal qui ne saurait en
tretenir, que pour un temps limité, l'éternité des oeuTres, l'une des con-
ditions essentielles de la création du beau littéraire ? Cela oppos. les
contraintes idéologiques de la cleture du discours aUX nécessités litté-
raires de son ouverture et rend crucial le problème de la ma1trise des dis-
positions idéologiques et des conceptions culturelles (et surtout littérai-
res) déjà là.
-401-
CONCLUSION GENERALE
Une conclusion fausse, disons-le tout de suite,risque de s'imposer
au terme de cette étude. Elle consisterait à retenir que le roman de l'entre-
deux-guerres n'a eu que deux orientations, toutes deux déterminées par le
rapport à l'idéologie.
La première serait une forme de refus de l'idéologie dominante et
de toute autre pensée systématique et politique attestée. Elle traduit une
vision pessimiste de l'avenir social, un rejet de la pratique sociale attes-
tée. Cette conception a connu un grand succès à partir des années trente et
a été illustrée ici par des romans comme Voyage au bout de la nuit de Céline,
Le »ng noir de Louis Guilloux, La Kausée de Sartre,etc. En fait, depuis la
publication de Voyage au bout de la nuit, le roman français connatt de pro-
fonds changements dans sa fome et son contenu. Il n'a plus pour sujet, com-
me chez Balzac ou Stendhal, une destinée individuelle qui lutte pour une
meill~ place dans la société. Ce genre de héros sera remplacé par son
contraire puisque Bardamu et ses avatars auront plutet pour ambition la sub-
version de la société. C'est là leur seul objectif. Leur idéologie se ramène
à une absenoe totale d'idéologie puisqu'ils n'accordent aucun crédit aux doc-
trines attestées. Ainsi, les thèmes de ces romans se ramènent à une mesure,
négative du reste, de la civilisation, et à l'accumulation des preuves de
l'impossibilité de croire à une pensée politique qui puisse restituer à l'hom-
me sa sérénité et sa dignité, sans être un simple alibi. Il serait inutile
de rappeler les sources de ce pessimisme. Nous en avons mentionné la crise
morale et intellectuelle qui commence à s'installer depuis le début du siè-
cle et connatt une sorte d'apogée avec la Grande Guerre. Mais ce n'est pas
seulement par ses thèmes que ce roman porte un refus de l'idéologie. La.
forme manifeste Une subversion de l'écriture traditionnelle de la fiction ramai
nesque. Nous avons observé ici divers refus, dont ceux du romanesque et du hé-
-402-
ros, de nouvelles techniques de présentation: des récits, techniques qui
ont conduit à l'assumation de l'énonciation ou à sa subjectivisation.
Dès lors le contenu des romans devient des compte rendus de démarches dif-
férentes mais visant toutes à rejeter l'idéologie. C'est là des éthiques
nouvelles proposées dans des formes qui veulent s'écarter de la tradition
littéraire et de toute autre tradition. La tendance nous semble si bien mar-
quée que nous l'avons baptisée "La nouvelle tradition subversive" suggérant
par là sa rupture d'avec le modèle du 1ge siècle et sa constitution en éco-
le (tradition).
Nous avons voulu faire avec l'étude de cette tendance du roman une
sorte d'introduction pour les fictions idéologiques de Drieu la Rochelle et
d'Aragon; mais non, comme cela peut malheureusement appara1tre, une classi-
fication des romans de l'entre-deux-guerres en deux catégories seulement.
Que l'on ne s'y trompe donc pas, nos hypothèses laissent entrevoir d'autres
formes de romans puisque d'ailleurs nous nous intéressons ici aux romans
subversifs uniquement. La. veine littéraire qui poursuit la tradition est
dès le départ écartée. Mais cela uniquement parce que nous n'avons pas étu-
dié de romans conformistes au regard de l'idéologie dominante et de la pra-
tique sociale.
La tendance subversive illustrée ici (par Drieu et Aragon~ après
la nouvelle tradition subversive, est le contraire de celle qui refuse tou-
te idéologie puisque, m@me subversive, elle a des modèles doctrinaires at-
testé". Elle dépasse aussi la subversion inaugurée par Voyage au bout de
la nuit par son caractère transitif, en cec; qu'au delà de la destruotion
du modèle social, elle propose une autre forme de société. Dès lor~ la dé-
marche idéologique de ces romans connatt deux temps contradictoires mais ser-
vant aux m@mes buts puisqu'ils sont complémentaires 1 la dévaluation de
l'organisation sociale, la propagande pour sa subversion et ensuite la pro-
-403-
position et la mise en valeur d'un projet de société. Ce dernier n'est sou-
vent que suggéré pour des besoins de persuasion, pour éviter le didactisme.
Dans cette dialectique, fascisme et communisme, les modèles idéologiques
de Drieu et d'Aragon, utilisent souvent le même schéma, dans leur discours,
malgré les divergences et différences. Drieu et Aragon procèdent d'abord
à une critique sociale dans le bul de faire rejeter l'organisation sur
la4uelle repose le vie communautaire. Là, si la démarche et l' obj et sont
les m@mes chez l'un et chez l'autre, les cibles, c'est-à-dire les respon-
sables de la situation critiquée ne sont pas identiques. Drieu veut détru.i-
re un esprit qui règne sur une société entière et même sur l'époque, une
sorte d' idéologie collective marquée par la déchéance. Aragon reconna1t
l'existence de la déchéance, de l'imperfection sociale comme étant le ré-
sultat
de la faillite de l'idéologie bourgeoise qui s'est instauré en idéo-
logie dominante. La différence avec Drieu c'est que pour lui, si la société
est décadente et mal organisée, c'est parce qu'une classe la plie à ses in-
térêts et impose sa volonté qui, bien que dominante n'est pas partagée par
tous. Aragon dénonce donc une sorte de dictature de' la classe dominante
alors que Drieu décrie un laisser-aller qui se généralise et se constitue
en esprit d'une époque. La différence constituée par l'acceptation de la
lutte des classes par Aragon et son refus par Drieu n'a pas de conséquen-
ce déterminante sur la première étape de la démarche politique, adoptée
dans les textes, celle qui correspond au désir de subversion du modèle so-
cial, mais sur l'au-delà de cette subversion. Le renouveau prédit par le
discours fasciste est l'instauration d'une somme de valeurs humaines tandis
que le communisme veut transformer le mode de gestion sociale.
S'explique alors pourquoi le fascisme, plut8t qu'une doctrine ri-
goureuse est un faisceau de valeurs et le communisme une théorie politique
plus BystémRtique. PHr 13, manlère de critiquer la société bourgeoise et par
le projet social qu'i~ propose.l'les textes de Drieu et d'Aragon recoupent
-404-
certains thèmes des idéologies qui les inspirent et leurs modes de per-
suasion. Mais l'idéologie des textes n'est cependant pas conforme aux
doctrines déclarées des auteurs. Les écarts peuvent @tre conscients et vo-
lontaires comme ils peuvent provenir des contraintes de la logique roma-
nesque, des trahisons de l'écriture ou du poids de la réalité sur le texte.
Dès lors l'analyse de l'idéologie cesse d'@tre une étude purement intra-
textuelle et prend en compte le phénomène du dialogiame. Cette nouvelle
dimension permet d'appréhender, à l'intérieur de l'interdiscours que cons-
titue tout texte idéologique, comment la circulation et la polémique des
différentes doctrines se mettent au service de l'idéologie élue. Autrement
dit on mesure par là. la valeur des moyens scriptu.rD;N~ qui mettent en va-
leur une idéologie donnée, reprend ses prescriptions et ses ordonnances.
L'imitation du discours quotidien, la cleture ou l'ouverture du discours
se mettent ainsi au service d'une efficace politique visant à. déterminer
et à orienter l'interprétation des lecteurs. La notion de dialogisme aide
ainsi à. mesurer le rele des éléments extratextuels qui contribuent à. la
construction ou à la reconstruction idéologique et les contraintes litté-
raires qui, dans le cadre d'un roman, modifient le statut de l'idéologique ou
sa présentation. Là ne s' arr~tent pas les contraintes qui pèsent sur le dis-
cours romanesque idéologique. En témoignent les mutations idéologiques des
auteurs, les changements des grilles de lecture dont procèdent la trans-
cription toujours modifiée d'une m@me idée dans plusieurs romans, comme l'a
f
faite Drieu, et la correction et la reécriture d'oeuvres déjà. publiées, com-
me les a pratiquées Aragon. Cette observation pose l'existence m@me du dis-
cours idéologique puisque sa pertinence est éphémère et contingente, son
contenu restant l'expression d'une pratique datée. L'on doutera donc de
la valeur d'une recherche de traits propres au discours idéologique sub-
versif, surtout quand on cherche à les appréhender à. l'intérieur de fictions
-405-
romanesques. De plus, pour les dégager,il ya la difficulté qui consiste en
ce que plusieurs exigences (littérarité, persuasion, efficacité politique)
pèsent en m8me temps sur le discours. Or les paramètres à travers lesquels
les lecteurs jugent la beauté littéraire ne sont pas les m8mes qui servent
à mesurer l'efficacité politique.
Par exemple Les eommunistes, qui véhicule la thèse de l'héro!sme et du na-
tionaliSllle du P.C.F seul organisme ayant lutté conséquemment contre le nazis-
me, est souvent perçu comme une simple chronique partisane
sans valeur
littéraire. De m~me les romans de Drieu sont souvent dépréciés parce quiils
véhiculent des idées politiques avec une forte insistence.
Dès lors, le roman idéologique apparalt cODlIle un texte qui, sans la repré-
senter dans toute son essence véritable, signale néanmoins, suffisamment
pour que les interprétations et les actions prescrites apparaissent sans
ambiguité, la doctrine politique élue en son sein. A défaut donc d'un modèle
du disoours idéologique subversif applicable sans restriction, les descrip-
tions opérées par cette étude cherche à dégager le schéma d'un discours
d'idéologie subversive entre 1930 et 1945.
Nous avons déjà montré que ce schéma est une sorte de dialecti-
que hég41ienne à l'envers (dévaluation de la réalité sociale / mise en ~
valeur d'un projet inspiré par l'idéologie adoptée) don~ les motivations des
différentes étapes se complètent au regard de l'objectif visé. Mais ce
sohéma connaIt des variantes selon que l'on l'applique aux romans d' inspi-
ration fasoiste de Drieu ou à ceux, réalistes socialistes, d'Aragon. Nous
avons montré, ici m@me, que s'ils observent, tous les deux, l'étape de la
dévaluation de la sooiété capitaliste, Drieu et Aragon ne donnent pas, dans
leurs romans, les m@mes raisons qui les poussent à rejeter ce modèle de
société. Cette différenoe entra!oe celle des projets de société qu'ils sug-
gèrent (puisqu'ils ne les définissent pas clairement) et par conséquent cel-
-406-
le des moyens de crédibilisation mis en oeuvre. La société suggérée par
Drieu nous apparatt à travers une qu@te romantique de la plénitude mo-
rale, .forme son éthique à partir de valeurs humaines inspirées par une vi-
sion également romantique du passé. A la m@me étape, le discours d'Aragon
tente de crédibiliser la société communiste caractérisée par l'absence des
classes sociales c'est-à-dire par la disparition de toutes les horreurs
déorites et attribaées à la société.
Au plan de la crédibilisation des projets propos~\\ tout comme
de la persuasion des critiques formulées contre le modèle social, i l ya
application du m~me principe mais mise en oeuvre d'arguments. différents
ou dotés
de valeurs différentes. Par exemple au niveau de la volonté de
vérité, c'est-à-dire du désir.de donner son discours comme étant vrai,
Aragon et Drieu se servent tous les deux de l'histoire mais différemment.
Dans Le ~onde réel, l'histoire est toujours une référence et
l'insertion de la fiction «-rt. son sein permet de rendre celle-ci vraisem-
blable. Drieu ne se sert du discours historique (sauf peut~tre dans ill-
~) que pour imiter sa forme et s'en servir, ajoutée à la sincérité, pour
rendre crédible ce qu'il dit.
Ces réflexions permettent de comprendre que l'idéologie, telle
qu'elle s'exprime dans un roman, n'est pas conforme à son @tre,
réel en tant que théorie politique définie par des traités. Le souci de
réalisme pousse les romanciers à décrire les formes et les applications
particulières des doctrines.
Mais la description de la forme datée et sa mise en exemplarité J..-
viUtJ\\"~ un 'cart ou une déviation idéologiques quand un aspect contingent
et contextuel est donné comme l'essence du modèle idéologique dont on
s'inspire. C'est ce qui arrive quand Aragon, au lieu de montrer clairement
les objet~politiques du oommunisme nous décrit dans Les &ommunistes le.
culte du P.C.F, la situation de martyrs que vivent ses militants et leur
-407-
héro!sme. De m@me il ya infidélité à la doctrine modèle quand la qu@te de
valeurs particulières fait passer Drieu de l ' anti-hitlérisme à la collabo-
ration, et de l'anticommunisme le plus exacerbé au r@ve de se servir du
communisme pour réaliser ses desseins. Ces raisons nous poussent à nous de-
mander s'il est légitime de parler d'idéologie chez. Drieu. Aragon nous ré-
pondrait par la négation, lui qui confiait en 1962 à Frédéric Gréver~
"En politique, il était tellement ambigu qu'on ne peut se fier à ce qu'il
disait. Quand il disait une chose, il en pensait au moins deux et d'abord
le contraire de ce qu'il disait." (1)
Pourtant n' e\\D~~té les contradictions qui la caractérisent., la
penS(~f> cl f> Drieu serait totalement à l'image du fascisme qui, étant beau-
coup plus une somme de valeurs romantiques qu'une théorie politique rigou-
reuse, apparait comme un projet de société si vague, malgré quelques appli-
cations marquées par le centralisme et le totalil;arisme, qu'on a du mal à
le définir.
Ce trait du fascisme appara!t comme un avantage quand on se pro-
pose d'écrire un roman qui s'inspire de cette idéologie. En effet dans un
roman l'idéologique subit une contrainte que lui impose la littérarité. celli
ci ne coéxiste pas avec le didactique, les ordonnances explicites et l'illo- !
cutoire direct. Ainsi si l'étape de dévaluation du réel est souvent parfaite-i~,
ment remplie dans les romans, celle de valorisation et d'imposition d'un
projet connait des difficultés dans Sa mise en oeuvre. On voit ainsi de
quel secours peuvent
@tre les p~ojets vagues, les simples orientations.
Cette contrainte du discours littéraire se pose alors comme un trait du
roman idéologique parce que, m@me dans les cas où le projet social peut
@tre clairement esquissé par la doctrine qui le porte, son expression est
tronquée dans le roman pour que celui-ci ne se transfonne pas en essai.
1- Aragon cité par Gérard Spitéri "Drieu la Rochelle l'homme couvert de
honte" Les nouvelles littéraires nO 2861 du 11 au 17 nov. 1982 p. 36
-408-
D''Wl roman qui respecte ce principe, le lecteur donnera 'Wle bon-
ne appréciation quand il s'intéresse, au premier titre, au contenu littérai-
re. Par contre les politiques seront plus réservés. Pourtant le fait de
suggérer seulement la thèse d ''Wl roman ou ses prescriptions peut être plus
efficace, quant à l'incitation idéologique, que les recommandations et or-
donnances explicites. Cela permet de donner au lecteur l'impression, non pas
d'@tre pris par la main et de se faire conduire par l'auteur, mais de parti-
ciper lui-m@me au processus discursif et logique qui va conduire à la conclu-
sion et à l'interprétation correctes du point de vue de l'idéologie du tex-
te. FinaJ.ement le grand problème qui se pose au romancier idéologue est
d'@tre lisible sans @tre didactique, de concilier le souci d'enseigner et
la création du beau. Ces exigences ne lui laissent d'autre recours que d'a-
dopter des modes de signalement traduisant le prétexte de la référentiali-
té. Cela nous amène à retenir le réalisme comme 'Wl autre trait, le plus
manifeste d'ailleurs,du discours idéologique. Si les romans d'Aragon su-
bissent plus manifestement cette contrainte, c'est parce que le réalisme so-
cialiste, le communisme, avaient défini, à l'époque, leurs objectifs
politiques, beaucoup plus clairement que le fascisme dont s'inspiraient les
romans de Drieu. Mais comme nous l'avons déjà dit le réalisme retient les
pratiques iàtés et ainsi ce qui permet auj ourd 'hui de créer l' e ffic ace -du
roman idéologique en signalant la doctrine qui la ,.,u~tend et en reprenant
ses ordonnances a le défaut de 1ILrendre caduque quand l'idéologie de l'au-
teur et des destinataires, le réel social ou les grilles de lecture auront
subi la loi du changement et de la mutation.
S'il faut donc systématiser la définition du discours idéologi-
que subversif, si diffuse dans notre étude, nous dirons 1
-
qu'il suit un schéma dialectique avec deux étapes contradictoires dans
leur forme et complémentaires (1) dans leurs fins 1 la dévaluation du réel
1- Ceoi est rendu possible par le changement d'objet d'une étape à l'autre.
-409-
social puis la mise en valeur et la proposition d'un modèle social de
remplacement.
- que le projet proposé et qui correspond au contenu de la seconde étape
du schéma discursif est toujours mal esquissé en raison des contraintes
littéraires et propres au genre romanesque.
- qu'en raison de cette contrainte ci-dessus et des nécessités de la lisi-
biUté attachée à l'incitation idéologique, il est toujours référentiel ou
se présente comme tel.
- que cette référentialité en fait un discours daté, contingent et contex-
tuel,qu!. mime son modèle doctrinaire sans jamais réussir à le reproduire.
- que sa référentialité consacre son caractère dialogique et collectif.
- que cette référentialité, parce que mimée, n'est qu'une illusion et n'ef-
face donc pas les traits de subjectivité, d'individualité, de discursivité
propres. à la création arstistique.
Il ya là des traits comme le quatrième qui ne sont ni au service de l'idéo-
logique ni à celui du littéraire et sont la conséquence de l'imperfection
du génie créateur. Ils portent préjudice à l'idéologique au au littéraire
selon les moments. Le pari consiste alors à les effacer pour atteindre à
l'absolu de la théorie et à l'éternité de la beauté littéraire. La rareté
des réussites dans cette t~che fait, peut-@tre, de l'esthétique du discours
idéologique une esthétique de l'impossible.
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- Le l1agazine littéraire nO 143 décembre 1978
- Le monde du 17 novembre 1978
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Thèses dactylographiées consacrées à Drieu la Rochelle 1
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d'état Paris-Sorbonne,1979
L)
Articles de revues, de journaux sur Drieu la Rochelle 1
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-428-
INDEX
I)
Noms propres de personngs cités.
- Arland Marcel 191, 234
(se reporter aux rubriques per-
sonnages pour les noms de per-
- Babilas (Wolfgang Lydia) 372, 373,
sonnes évoquées comme des per-
388
sonnages.)
- Ba1Ihtine (Mikha!l) 150
- Abastado (Claude) 370
- Balzac (Honoré de) 12, 30, 36, 37
- A1bér~s (René Mar~D 6, 50
47, 401
- Althusser (Louis) 1, 2
- Barbusse (Henri) 16, 36, 301
- Andreu (Pierre) 97, 192, 247
- Bardèche (Maurice) 126, 283
- Andrieux (Louis) 320
- Baritaud (Bernard) 62
- Angenot (Marc) 291
- Barr~s (Maurice) 124, 131
- Aragon (Louis) 3, 4, 7, 8, 29,
- Barthes (Ro land) 34, 36, 37, 51,
31, 43, 56, 68, 76-79, 81-83,
52, 117, 163, 236
87, 89, 91-96, 100, 103, 106,
- Baudelaire (Charles) 163
109-113, 115, 116, 118, 121,
- Bergson (Henri) 5
135, 136, 138, 139..142, 145-
- Berl (Emmanuel) 15, 328
153, 156-171, 173, 177-181,
- Bernanos (Georges) 70, 72, 73,
186-193, 195, 196, 198-201,
75, 76
203, 208-214, 218, 221, 230,
- Bernier (Jean) 326
232-235, 238-262, 265-272,
- Bibrowska (Sophie) 277
274-281, 283-287, 290, 292,
- Bloch (Jean Richard) 312
294-296, 299-308, 312-316,
- Blum (Léon) 267, 294, 313, 387
318-332, 334-336, 338-342,
- Bourget (paul) 11a
344-351, 356-362, 364-377,
- Bousquet (Jo!!) 25, 61, 62
378-380, 384-388, 391, 392,
- Breton (André) 56, 57, 68, 166,
394, 396, 399, 402~408
326
- Arban (Dominique) 167, 248
- Briand (Aristide) 15, 352
-429-
- Cachin (Marcel) 101, 263
- Dorish (Kadish) 148
- Céline (Louis Ferdi~d)
- Drieu la Rochelle (Pierre) 3, 4, 1, 16,
3, 4, 8, 16-19, 21, 24,
11, 29, 53, 56, 16-19, 81, 83, 81, 89,
28, 30, 32, 34, 35, 41,
91-94, 9r;-10~, 106-110, 113, 115, 116,
53~56, 58-60, 64, 65, 81-
118,119,121-130,133-135,140,142•
84, 91, 123, 401
141, 153-161, 163-161, 113-119, 181-
- Chabot (Jean Louis) 121
185, 181, 188, 190-193, 191-201, 203-
- Claude (Catherine) 149
205, 201-211, 213-218, 220, 222, 224,
- Claudel (Paul) 6, 12
230-234, 236, 231, 239, 240, 243, 244,
- Clemenceau 290
246, 241, 249-253, 260-265, 211, 214,
- Cormeau (Nelly) 10
218-285, 292-300, 304, 305, 301, 308,
- Court~s (Joseph) 165
310, 312, 315, 311-3~2, 334-338, 340-
-Crémieux (Francis) 200
342, 345, 341, 350, 351, 365~311, 318,
- Crise (Jean-Blaise) 333,
319, 380-384, 391, 392, 395, 396, 399,
334
402, 408
- Cusin-Berche (Fabienne)
- Ducasse 312
168
- Ducrot (Oswald) 333
- Daladier (Edouard) 104, 128
- Ezine (Jean-Louis) 163, 246
290, 291, 302
- Desanti (Dominique) 321-
- Favart (Michel) 125, 269
323, 325
- Flaubert (Gustave) 13, 110
- Dickens 30
- Franco 132, 268, 211
- Diderot 10
- Frémontier (Jacques) 369
- Dierx (Léon) 351
- Foucault (Michel) 166, 161
- Domenach (Jean Marie) 31
- Donnard (J ean-Herve) 12
- Garaudy (Roger) 92, 93, 136
- Doriot (Jacques) 125, 262,
- Genette (Gérard) 40, 111, 211, 218
329, 330, 381
221, 223, 349
-430-
- Girardet (Raoul) 309
- Jouvenel (Bertrand de) 382
- Gluokamann (Christine) 314
- Granoe (A.) 172, 212, 213
- Konan 92
- Greimas (A. J.) 165
- Grivel (Charles) 33, 341,
- Lefèvre (Fr~dério) 70
343, 347
- Lénine 137, 263, 267, 311, 374
- Grover (Frédério) 66, 98,
- Lévi~trauss (Claude) 115
99, 407
- Guilloux (Louis) 3, 4, 17,
- Mao Orlan (Pierre) 26, 51, 62-64
19, 21, 34, 35, 43-45 54,
- Maingueneau (Dominique) 252, 285, 286
65, 401
- Mallarmé (stéphane) 37
- Malraux (André) 3, 17, 22, 23, 25, 35
- Hanotelle (Jean Marie) 113,
37, 39, 46, 47, 51, 52, 56', 59, 60,
232, 233
65, 67, 69, 79, 268, 305
- Haroohe (Charles) 136, 138,
- Marx (Karl) 2
386
- Mauriao (François) 69-72, 75-76, 155
- Henriot (Emile) 97, 118
- Meschonnic (Henry) 149
- Hervier (Julien) 155, 156,
- Metz (Christian) 176
161, 305
- Miohelet 191
- Hitler (Adolf) 255, 256,
- Millerand 352
268, 272, 302, 317
- Mitterand (Henri) 12, 20. 44, 194. 2
- Holtus (Georges) 35
- Muray (Philippe) 30, 35,
- Hugo (Viotor) 170
- Mussolini (Bénito) 268
- Imbs (Paul) 356
- Nadeau (Maurioe) 30, 43
- Nietzsohe 5
- Jaurès (Jean) 6, 7, 157,
- Nizan (Paul) 31, 77-79
158, 206, 218, 229, 283, 291
- Jérameo (Colette) 321
- Paulhan 323
-431-
- péguy (Charles) 6
- Staline (Joseph) 378
- Pétain 273, 302
- Staviski
295
- Pican (Gaétan) 27, 35, 42
- Suleiman (Susan Rubin) 78, 162
89, 90, 186
- Pierre (Rolland) 149
- Thorez (Maurice) 146
- Pouillon (Jean) 224
- Timbal-Duclaux (Louis) 80, 81
~ Prévost (Claude) 117
- Todorov (Tzvétan) 11, 223, 224, 234, 250
- Proust (Marcel) 42
- Tolstot (Léon) 30
- Toucas (Fernand) 196, 197, 319
- Racelle-Latin (Danielle)
- Toucas (Marguerite) 320
82,.85
- Triolet (Elsa) 170, 186, 322, 385
- Ravis-François (Suzanne)
186, 269, 270
- Urvoy (Jacques) 199, 200, 324
- Restif de la Bretonne 10
- Reynaud (Paul) 273, 280,
- Vaillant-Couturier (Paul) 101, 263
302, 375
- Vandromme (Pol) 83, 247
- Rousseau (Jean Jacques)
- Voltaire 10
10, 11, 52, 153
- Roy (Claude) 234
- Wash (Connie) 166, 328
- Weygand 256, 280
- Sartre (Jean Paul) 3, 4,
18, 19, 21, 26, 27, 31, 35
- Zola (Emile) 12, 36, 46, 47, 94, 170
47, 53-56, 59, 60, 63, 64,
67-69, 71, 373, 401
II) Oeuvres d'Aragon citées.
- Sironneau (J. P.) 117, 120
- Aragon parle avec Dominique Arban
248
- Sollers (Phili,pe) 321, 384
- Aurélien 93, 103, 118, 140, 141, 159,
- Soucy (Dr R.) 247
170, 172, 179-181, 186, 210, 255, 268-
- Soupault (Philippe) 56
271, 300, 301, 317, 323, 324, 327, 328,
- Spitéri (Gérard) 407
348, 359, 384-386, 388
-432-
- Les aventures de Télémaque 68
405, 406
- Les beaux quartiers 49, 79, 80
- Entretiens avec Francis Crémieux
82, 93-96~ 110-112, 116, 119
200
136, 137, 139, 145, 146, 148,
- J'abats mon jeu 82, 321, 327,
149, '56, 157, 158, 160, 162,
330, 378, 385
168-170; 173, 178, 179, 181,
- Je n'ai jamais appris à écrire
189, 191, 203, 205, 212, 217,
ou les Incipit 32, 248
234, 235, 241, 242, 254, 255,
- Le mentir-vrai 165, 188, 195
258, 259, 287-289, 335, 341,
- La mise à mort 248
357, 363, 371, 372, 373, 385,
- Le monde réel
394-396
93, 94, 109, 110, 115, 116, 121,
- Blanche ou l'oubli 248
135, 136, 138, 140, 168, 169, 177-
- Le Cahier noir (ORC) 68
181, 186, 188, 199, 204, 205, 220,
- Les cloches de B~le 77, 93, 94,
246, 247, 253, 254, 256, 265, 268,
110, 116, 136, 137, 139, 140,
271, 272, 275-278, 282, 285, 286,
145, 148, 150 151, 158, 162,
288-291, 294, 299, 300, 305, 308,
167, 170, 172, 177-179, 204, 221,
309, 311, 313-317, 322, 335, 342,
229, 235, 243, 253-255, 257, 265,
346, 351, 356, 362, 368-370, 376,
288, 290, 291, 342, 344, 348, 352,
379, 380, 384-386, 388, 406
368, 384, 385, 394
- Oeuvres poétiques 68, 254
- Les communistes
- Oeuvres romanesques croisées 68
109, 138, 139, 146, 151, 178-181,
- Le paysan de Paris 56, 323
204, 205, 222, 235, 240, 246, 255,
- Les voyageurs de l'impériale
256, 260, 265, 266, 268, 271, 272,
92, 93, 95, 100, 109-1 11, 140,
276, 277, 280, 282, 287, 290, 294-
141, 151, 170, 171, 178, 179, 189,
296, 301-304, 306, 311-314, 317,
190, 196, 197, 205, 206, 221, 227,
322, 335, 338, 339, 342, 346, 347,
235, 269, 317, 379, 384, 395,
357-359, 361-368, 372, 374, 375,
397
379, 380, 385-388, 391, 392, 394,
- La semaine sainte 248
-433-
III) Oeuvres de Drieu citées.
283, 292, 293, 295-291, 304,
- Avec Doriot 125
305, 308, 311, 312, 318, 325.
- Béloukia 156, 161, 162, 279,
328, 345, 365, 370-312, 315,
343
382, 383, 391, 392, 394, 395,
- Les chiens de paille
406
105, 108, 119, 148, 161, 184,
- L'homme à cheval 116, 124,130-
186, 204, 205, 291-299, 311,
133, 184, 186, 211, 220, 310,
346, 341, 383
383-384
- Chronique politique 1934-1942
- L'homme couvert de femmes
100, 104, 108, 262
181, 323
- La Comédie de Charleroi
- Mesure de la France 16
101, 124, 126, 310, 311
- R@veuse bourgeoisie 92, 102,
- Drele de voyage 155, 156, 159,
103, 153, 154, 113, 113, 177,
161, 181, 182, 185, 218, 219,
204, 201, 321, 322
231, 237, 238, 343, 365-367,
- Socialisme fasciste 98, 262
381, 383, 394, 397
- L'~ope cantre les patries 130
IV) Personnages d'Aragon cités
- Une femme à sa fenêtre 161, 185,
ou évoqués
262-264, 298, 318, 338, 343, 383
( Les noms des oeuvres sont
- Le Feu Follet 56, 98, 99, 125,
entre parenthèses.)
161, 178, 182, 185, 186, 231,
Nous utilisons les abrévia-
239, 383
tions suivantes :
- Gilles 53, 77, 79, 91, 92, 97,
char: La comédie de CharleroJ~
99-108, 123, 127, 129, 131-133,
coma Les communistes,
142~144, 146, 148, 156, 159, 161,
Bq: Les beaux quartiers,
166, 173-176, 178, 179, 181-184,
Voy: Les voyageurs de l'im-
186, 190-192, 194, 918, 199, 207,
périale, Cl: Les oloches de
208, 211, 214-216, 231, 233, 236,
B~e, Au:'Aurélien, M.R: Le
243, 262, 263, 265, 271, 279, 281,
Monde réel.
-434-
- Abdel Krim (cam.) 306
- Bender· (cam.) 268
- .Aigrefeuille Nicolas (cam.)
- Benedetti (cam.) 366
361, 362
- Bérénice (AU) 118, 159, 160, 169, 172,
- Ambérieux Mme d' (Voy) 221
180, 225, 226, 246, 270, 271, 328, 388
- Angélique (B.q.) 112, 119
- Beurdeley Mme (B.q.) 242
- Arnaud (AU, B) 119, 173, 189,
- Blanc Mme (cam.) 312
254,257, 259
- Blanchard Raoul (cam.) 266, 301, 359
- Aurélien (Au, cam.) 109, 118,
- Bloch Jean Richard (cam.) 311
119, 141, 151, 159, 160, 169,
- Blomé L'abbé (cam.) 277
172, 179, 180, 199, 200, 225,
- Blum Léon (cam.) 267, 294
246, 257, 269, 271, 301, 328,
- Bonnet Georges (cam.) 365
329, 384, 388
- Bréa Henri de (cam) 303
- Avoine (com.) 267
- Brunel Georges (CL.) 150, 173, 221,
238, 239, 254, 257, 286
- Bachereau (CL.) 288, 351-355
- Brunelli (CL.) 229
- Barbentane Armand (B.q.,c'.Jm.)
95, 112, 119, 146, 154, 156,
- Carlotta (B.q.) 110, 152, 225, 226,
169, 189, 203-206, 212, 226,
235, 242
260,267,280,304,3 16,342,
-Carluy\\oJels Jeenne (B.q.) 371.
357,
- Cesbron (cam.) 364
- Barbentane Docteur (B.q. Au)
- Charly Marin (cam.) 240, 241
257
- Chautemps (cam.) 339
- Barbentane Edmond (Au. B.q. cam)
- Clemenceau (CL.) 290
95, 111, 119, 154, 156, 163, 180,
- Colombin (B.q.) 111
225, 234, 242, 260, 287
- Corap (cam) 366
- Barrel Emile (B.q.) 82, 119, 149,
-Cormeilles
Pierre (cam.) 272
150, 229, 242, 257, 258, 287
- Cotin Mme (B.q.) 242
- Barrel Jacqueline (B.q.) 206, 212
- Barrel Augustine 241
- Daladier Edouard (cam.) 290, 291, 302
-435-
- Dame (com.) 272
- Jaurès (M.R.) 157, 158, 206, 218,
- Dansette César (com.) 266
229, 289, 290
- Déat (com.) 273
- Jeannot (Voy.) 100
- Debarge Charles (com.) 311,
374
- Lafuite (com.) 347
- Decoeur (Au.) 270
- Lamberdesc (B.q.) 258
- Dehaynim Victor (B.q.) 94, 137
- Lebaudy (CL.) 151
- Delangle (B.q.) 212
- Lebecq François (com.) 222, 306
- Delobelle Pierre (B.q.) 112, 357
- Lebecq Mme (cam.) 306
- Denis Paul (Au) 327
- Lemoutard (Au.) 301
- Desgouttes Valèze (CL.) 172
- Léopold Roi des belges (com.) 273, 3021
- Despierres (com.) 267, 268
- Lévine (com.) 365
- Dora (Voy.) 189
- Libertad (CL.) 257
- Dorsch (CL.) 150, 173, 221, 238
- Lombard (com.) 267
- Duplessy Mlle (com.) 309
- Lomenie de Mejouls M. (B.q.) 212, 258
- Lomenie de Méjouls Philbertine (B.q.)
- Erve (B.q.) 153
258
- Lomenie de Méjouls Suzanne (B.q.) 258
- Gaétan (com.) 295
- Lyautey (com.) 366
- Gaillard Robert (com.) 346
- Gilson Quesnel (M.R.) 314
- Mellier (com.) 340
;
- Grésandage (B.q.) 152, 226,
- Mercadier Pascal (Voy.) 141, 169, 171 1
289,
- Mercadier Paulette (Voy) 205
- Mercadier Pierre (cam.) 100, 109, 111Jt
- Hitler (M.R.) 280, 272, 256,
141,151, 152, 169-171,189,190, 196Jf?
302, 339, 346, 365
197, 206, 221, 227, 255
- Méré Emilie (Voy.) 95
- Izola (CL.) 150, 238
- Méré Eugène (Voy.) 94
1
-436-
- Mestrance (B.q.) 49, 111; 112,
- Rose Melrose (Au.) 111, 180, 225
204
- Mestrance Pauline (B.q.) 49
~ Sainteville Pascal de (Voy) 171
- Mlttérand (Voy.) 352
- Simonidzé Catherine (CL.) 116, 137,
- Moncey Jean de (cam.) 377, 309,
173, 226, 246
361, 362
- Sivry (cam.) 204
- Mondinet (cam.) 367
- Mttller (cam.) 273, 289, 347
- Thiébault Jean (CL.) 243
- Thorez Maurice (cam.) 146, 304
- Naplouse (cam.) 204
- Nettencourt M. de (CL.) 344
- Viviani (Voy.) 190, 352
- Nettencourt Diane de (CL.) 110,
- Vinet (B.q.) 203
225, 286, 287, 344, 348
- Violette Mme (cam.) 357
- Visconti Mme (cam.) 240
- Pailleron Blanche (Voy.) 111
- Visconti Romain (cam.) 273, 302
- Pétain (cam.) 273, 339
- Petitjeannin abbé (B.q.) 258
- Watrin (cam.) 277, 309, 364
- Peugeot M. (CL.) 150, 238
- Weygand (cam.) 256, 280, 281, 339,
- Frache Bastien (cam.) 266
392
- Wisner M. (M.R.) 168, 256, 257, 287,
- Quesnel Joseph (CL. B.q.) 119,
289, 351-354, 368
152, 168, 228, 287, 289
- Wisner Cécile (cam.) 260, 277, 309
- Wisner Fred (cam.) 151, 152, 180,
- Reine (Voy.) 110
- 256, 295, 302
- Respellière M. (B.q.) 119
- Zetkin Clara (CL.) 137, 140, 246,
- Respellière Mme 112
342
- Reynaud Paul (com.) 273, 280,
302, 339, 392
V) Personnages de Drieu cités ou évo-
- Riquet (AU.) 94, 172
qués. (Les noms des oeuvres sont
-431-
entre parenthèses. Nous utilisons
- Dora (Gi.) 108, 125, 129, 130, 134,
les abréviations suivantess.
166
Gis Gilles, F.F.s Le Feu
- Dorothy (F.F.) 182
Follet, H.C.s L'homme couvert de
femmes, R;B. s Rêveuse bourgeoisie,
- Fa1kenberg M. (Gi.) 99, 102
C.P.s Les chiens de paille,
- Fa1kenberg ~~iam 182, 183, 201,
L'HO. s L'homme à cheval,
215, 216, 365
Fem.s Une femme à sa fen~tre,
- Felipe (L'HO.) 124, 131, 184, 211
D.V.s Dre1e de voyage,
- F10rida (L'HO.) 220
Be1. s Bé1oukia)
- Alain (F.F) 91-99, 125, 161,
- Gambier Gilles (Gi.) 18, 91, 92, 99
118, 182, 231
100-102, 106-108, 116, 123-125, 121,
129·131, 134, 144, 154, 155, 161,
- Bardy (C.P.) 311, 346
118, 119, 182, 184, 191, 211, 215,
- Boutros Michel (Fem.) 125, 154,
216, 232, 243, 295, 291, 304, 305,
161, 231, 264, 298
310, 312, 345, 365, 391
- Galant (Gi.) 194, 198, 263, 325,
- Cachin Marcel (Gi.) 101, 293
326, 328, 392
- Ca~l (Gi.) 194, 326, 345, 392
- Gille (D.V.) 156, 159, 161, 182
- Camilla (L'Ho.) 131
191, 218, 219, 232, 231, 238, 283
- Carentan (Gi.) 99, 125, 134, 116
-Chanteau (Gi.) 91, 243
- Hassib (Bel.) 161, 219
- C1érences (Gi.) 106, 243, 291,
- Hitler (D.V.) 381
312, 345
- Cohen Gabriel (D.V.) 182, 365,
- Ligneul M. (R.B.) 100, 102, 153,
- Cohen (Gi.) 216, 236
- 111
- Cormont (C.P.) 108, 109, 184,
- Loreur Le (R.B.) 201
185
- Lorin (Gi) 263, 291, 326, 345
- Lydia (F.F.) 182, 183
- Debrye (Gi.) 201
-438-
- Marc (H.C.) 97
- Séphora (D.V.) 365
- Morel M. (Gi.) 210
- Solange (F.F.) 239
- Morel Paul (Gi.) 345
- Susani (C.P.) 184
- O'connor (Gi.) 133, 305
- Trubert Constant (C.P.) 108, 109, 161,
- Owen Beatrix (D.V.) 157,
184, 185, 204, 205, 299
159, 183, 218, 219, 237,
366, 367
- Vaillant-Couturier Paul (Gi.) 101, 293
- Owen M. (D.V.) 182
- Walter (Gi.) 132, 133, 236, 237
- Pauline (Gi.) 107, 134,
215
VI) Noms de journaux pér1ocl~ques et
- Pesnel Agn~s Le (R.B.) 102,
revues cités.
154, 207, 341
- Australian journal of french stu-
- Pesnel Camille (R.B.) 102,
dies 35
103, 153, 154, 207, 341
- Avant-scène Cinéma 62
- pesnel Geneviève Le (R.B.)
100, 154, 175
- Cahier Céline
- Pesnel
Yves (R.B.) 100,
- Cahier du communisme 136, 386
103, 1L8, 154, 178, 231,
- Commune 349
310, 321
- Communication et langages 80
- Confluences 25
- Rebecca (Gi.) 345
- Courrier littéraire 97
- Saint-Boniface (Gi.) 292
- Les derniers jours 328
- Sainte-Pience (R.B.) 204
- Salis (C.P.) 299
- Ecrits de Paris 200, 324
- Santorini Margot (Fem.)
- Europe 234, 247, 362
185, 210, 264
-439-
- Le français moderne 356
- Revue d'histoire de la deu-
- French Revie", 148
xième guerre 247
- Revue française de science:
- L'Humanité 267, 281, 312
politique 309
- Journal officiel de la ré-
- Silex 269, 388
publique française 372
- La table ronde
- Langue française 333
- Les temps modernes 381
- Les lettres françaises 321
- Littérature 82, 83, 370
- Vaillant 367
- Le Magazine Littéraire 98, 369
VII) Noms des romans autres que
- Le monde 118,
ceux de Drieu et d'Aragon
cités. (Les noms des au-
- La nouvelle critique 149, 314
teurs sont entre paren-
- Le nouveau journal 131
thèses. )
- La Nouvelle Revue Française
- Aden Arabie (Nizan p!) 31, 77,
- Les nouvelles littéraires 70,
78
407
- Le 'Baiser au lépreux (Mauriac
- La Pensée 187
F.) 75
- Le populaire 267
- La "Bandera (Mac Orlan
P.) 62
- Revue de lettres modernes 66
- Candide (Voltaire) 10
- Revue de littérature comparée
- Le eheval Blanc (Triolet E.)
305
186
- La Revue de Paris 382
- La eondition humaine (Malraux
- Revue des sciences humaines 372
A.) 22, 41, 51, 66, 68
-440-
- La conspiration (Nizan P.) 78, 79
- Le Négre (Soupault ph.) 56
- Une curieuse ~olitude (Sollers
- Le Noeud des vipères (Mauriao F.)
HI.) 321
71, 72, 74, 76
- Nord (Céline) 28, 31
- Emile ( Rousseau J.J.) 10
- La Houvelle Hélolse (Rousseau J.J.)
- L'Espoir (Malraux) 39, 41, 79,
10
268, 305
- Le ijuai des brumes (Mac Orlan P.)
26, 51, 64
- Le Feu (Barbusse H.) 16
- Rougon Macquart (Zola E.) 12
- Le »ang noir (Guilloux L.) 17-22,
- Germinal (Zola E.) 12
26, 43, 52, 53, 56, 65, 401
- Thérèse Desqueyroux (Mauriao F.) 71
- J ouma! d'un curé de campagne
- La Voie royale (Malraux A.) 21, 31,
(Bernanos G.) 73
39, 59, 66, 67
- Voyage au bout de la nuit (Céli-
~ Nadja (Breton A;) 56
ne L.F.) 16-19, 21, 22, 24, 30-
- La nau sée (Sartre J.P.) 18, 19,
32, 34, 35, 41, 46, 47, 52-55,
21-23, 26, 27, 31, 32, 41, 47, 52-
57-60, 64, 84, 85, 274, 401
55, 57, 59, 63, 67-69, 310, 373,401
402
1
-441-
1
TABLE DES MATIERFS
Déd.icace. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
l
Avant-propos et remerciements •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••
II
Introduction générale ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.1 ~ 8
Première partiel La nouvelle tradition subversive •••••••••••••••••• p.9 181
Introciuction •••••••••••••••.•••.•••••.•••••••••••••••••••••••••• p.9 à 14
Chapitre unI L'idéologie du refus de l'idéologie ••••••••••••••••
!
p.15 à 29
A) Nesure de la civilisation ••••••••••••••••••••••••••••••••• p.16 à 221
a) La b@tise humaine •••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.16 à 181i
b) La comédie sociale ••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.18 à 22 fl1
B) "8i on ne oœit à rien" ••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.22 à 291
1.
a) La solitude •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.22 à 241
b) L'ambition ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.24 à 25
c) La détresse •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.25 à 29~
i
Chapitre deUXI Les attentats textuels 1 armes de la subversion
f
-et subversion des armes •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.30 à 60i
!
A) Le refus du romanesque •••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.30 à 361
!
a) L'incipit •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.31 à 33f~
b) La temporalisation redondante ••••••••••••••••••••••••••. p.33 à 341
c) Cesser de réciter •••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.34 à 36t1
B) La mort du héros •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.36 à 42fi
a) La mort de l'ambition sociale •••••••••••••••••••••••••• p.38
!
b) La mort du messie ••••••••••••...••••••••••••••••••••••• p.38 à 39t
c) Modification du statut diégétique •••••••••••••••••••••• p.40 ~A421
C) Un énonciation assumée •••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.42 à 50'
:::::::::::: ~~::~::.~~.~:.~~~:::::::::::::::: :::::::/~~
1
,(
1
-442-
D) Du tragique romantique à l'art de vomir •••••••••••••••••• p.50 à 60
a) L'expression du tragique intérieur•••••••••••••••••••• p.50 à 53
b) La satire systématique •••••••••••••••••••••••••••••••• p.53 à 56
c) Permanence du surréalisme ••••••••••••••••••••••••••••• p.56 à 60
Chapitre tmiss Les éthiques corollaires au refus de l'idéologie p.61 à85
A) De la fuite à la défiance ••••••••••••••••••••••••••••••••• p.62 à 67
a) La négation ie l'aventure •••••••••••••••••••••••••••••• p.62 à 63
b) Le pessimisme défaitiste ••••••••••••••••••••••••••••••• p.63 à 64
c) Le suicide ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.64 à 65
d) La défiance du destin •••••••••••••••••••••••••••••••••• p.65 à 61
B) La séduction de l'art •••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.67 à 69
C) Les aentier~du christianisme •••••••••••••••••••••••••••••• p.69 à 76
a) La perversion du bourgeois •••••••••••••••••••••••••••••• p.70 à 73
b) La puissance de la gr~ce•••••••••••••••••••••••••••••••• p.73 à 75
c) La beauté du sacrifice et la force de l'amour••••••••••• p.75 à 76
D) Défricher la civilisation •••••••••••••••••••••••••••••••••• p.76 à 80
E) Subversion et lisibilité ••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.80 à 85
Conclusion de la première partie •••••••••••••••••••••••• p.86 à 87
Deuxième parties Idéologie de la subversion et transitivité ••••••• p.88 à 248
Introduction •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.88 à 90
Chapitre uns Déchéance sociale et déchéance bourgeoise •••••••••• p.91 à 113
A) La vie sociale ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.93 à 103
a) La déoadence du pauvre •••••••••••••••••••••••••••••••••• p.94 à 96
b) Vieillissement et déchéance du monde moderne •••••••••••• p.97 à 103
B) I>1orale, moeurs et conduite sociales •••••••••••••••••••••••p. 103 à 113
a) Une éducation déficiente •••••••••••••••••••••.•••••••••P. 104 à
b) Une morale de la fuite ••••••••••••••••••••••••••.•••••• p. 105 à 110
c) Du plaisir à la débauche ••••••••••••••••••••••••••••••• P. 110 à 113
l
-443-
Chapitre deuxi Le renouveau •••••••••••••••••••••••••••••• p.114 à 164
A) Le renouveau mythe ou idéologie.~ •••••••••••••••••• p.115 à 121
a) Renouveau et mythe eschatologique ••••••••••••••• p.117 à 120
b) Le mythe du progressisme •••••••••••••••••••••••• p.120 à 121
B) Le r@ve et la plus_value ••••••••••••••••••••••••••• p.121 à
a) Drieu la Rochelles Le romantisme de la plénitude
morale •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.122 à 128
b) I10dèle
de grandeur et romantisme du passé •••• p.128 à 135
c) Louis AragonJ de l'histoire comme lutte des classes.p.135à142
e) L'épopée révolutionnaire •••••••••••••••••••••••• p.142 à 147
C) Rhé~orique de la renaissance ••••••••••••••••••••••• p.147 à 164
a) Parattre et faire dégo~t•••••••••••••••••••••••• p.147 à 156
b) P~a!tre et se faire désirer •••••••••••••••••••• p.156 à 161
c) "Le roman inachevé
p.161 à 164
Chapitre troisJ Intentionnalité et stratégie de la per..
suasion •••••••••••••••••••••.••••••••••••••••••••••••••• p. 165 à 244
A) "La volonté de vérité
p.166 à 188
a) L'histoire comme référence ••••••••••••••••••••• p.167 à 173
b) Le récit historique •••••••••••••••••••••••••••• p.173 à 177
c) Poursuite et suite d'une idée~••••••••••••••••• p.177 à 188
B) "Le mentir-vrai
p.188 à 201
a) La vraisemblance ••••••••••••••••••••••••••••••• p.188 à 193
b) Dire vrai dans le mensonge ••••••••••••••••••••• p.193 à 195
c) Le biographique et les pilotis ••••••••••••••••• p.195 à 201
C) L'énonciation persuasive ••••••••••••••••••••••••••• p.201 à 223
a) L'engagement dans le discours ••••••••••••••••••• p.201 à 209
b) Le refus de l'énonciation ••••••••••••••••••••••• p.209 à 213
c) La dialectique récit / discours ••••••••••••••••• p.213 à 223
-444-
D) L'orientation des visions •••••••••••••••••••••••• p.223 à 244
a) Les visions des personnages ••••••••••••••••••• p.224 à 233
b) Les visions du narrateur•••••••••••••••••••••• p.233 à 244
Conclusion de la deuxième partie ••••••••••• p.245 à 248
Troisi~e partie: Dialogisme et idéologies sub-
versives ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.249 à 400
Introduction ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.249 à 251
Chapitre un: Le discours idéologique: un interdis-
cours ••.••••••• -•.....••••......•.........••..•......• •. p. 252 à 332
A) Les idéologies dans le texte ••••••••••••••••••••• p.252 à 283
a) L'idéologie dominante ••••••••••••••••••••••••• p.253 à 261
b) Les idéologies subversives dévaluées •••••••••• p.261 à 274
c) Les idéologies subversives élues •••••••••••••• p.274 à 283
B) La polémique des idéologies •••••••••••••••••••••• p.284 à 306
a) L'idéologie dominante et l'idéologie subve~
sive élue ••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.284 à 295
b) Fascisme et communisme •••••••••••••••••••••••• p.295 à 306
C) L'idéologie du texte ••••••••••••••••••••••••••••• p.307 à 319
a) L'identification au modèle •••••••••••••••••••• p.307 à 315
b) Les trahisons du texte •••••••••••••••••••••••• p.315 à 319
D) Drieu et Aragon: un amour-haine ••••••••••••••••• p.319 à 332
a) Un passé inoubliable •••••••••••••••••••••••••• p.319 à 323
b) L'obsession de l'autre •••••••••••••••••••••••• p.323 à 329
c) Similitudes et contradictions ••••••••••••••••• p.329 à 332
Chapitre deux: Ecrire le discours quotidien ••••••••••••• p.333 à 376
A) L'écriture-invitation •••••••••••••••••••••••••••• p.334 à 349
a) Un discours collectif ••••••••••••••••••••••••• p.334 à 337
1
-445-
b) La lisibilité instrument de la sub-
C) La transposition d'énoncés ••••••••••••••••••• p.370 à 376 ,
a) Le collage •••••••••••••••••••••••••••• p.370 à 373
b) La citation ••••••••••••••••••••••••••• p.373 à 375
c) La parodie d'énoncé ••••••••••••••••••• p.375 à 376
t
t
Chapitre troiss Cl8ture et ouvertures les con-
i
traintes contradictoires du discours idéologique ••• p.377 à 3981
A) Dynamique socio-historique ••••••••••••••••••• p.378 à 390l~t
a) Pertinence et datation du discours idéo-
t
logique ••••••••••••••••••••••••••••••• p.378 à 3801
t
b) L'évolution idéologique chez Drieu la
~
~'
1
Rochelles divers moyens pour un seul
[
Jo
projet •••••••••••••••••••••••••••••••• p.380 à 384~!,
c) La mutation idéologique chez Louis Ara-
r
gons de l'élargissement des points de vue
t
à leur révision ••••••••••••••••••••••• p.384 à 3901
B) La lectures construction et reconstruction idéo-
~.
logique •••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.390 à 3981•~
a) Le décryptage de l'idéologie •••••••••• p.390 à 3931r,,
b) La lecture-eonstructionl une lecture
1
!
idéologique ••••••••••••••••••••••••••• p.393 à 395f
c) La valeur du support •••••••••••••••••• p.395 à 398!
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- 446-
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Conclusion de la troisième partie ••••••• p.399 à 400
Conclusion générale ••••••••••••••••••••• p.401 à 409
Bibliographie ••••••••••••••••••••••••••• p.410 à 427
Index ••••••••••••••••••••••••••••••••••• p.428 à 440
Table des matières •••••••••••••••••••••• p.441 à 446
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